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Full text of "Revue des questions scientifiques"

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FOR  THE  PEOPLE 
FOR  EDVCATION 
FOR  SCIENCE 


LIBRARY 

OF 

THE  AMERICAN  MUSEUM 

OF 

NATURAL  HISTORY 


REVUE 


DES 


QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


REVUE 


DES 


PUBLIÉE 

I*AI!  LA  société  SCIEMTFIOUE  DE  BRUXELLES 


Xulla  unqiiaiii  inter  fidem  et  rationem 
vera  dissensio  esse  potest. 

Conxt.  de  Fid.  cath.,  c.  iv 


troisième:  série 

TOME  XII  — 20  JUILLET  1907 

(TIIENTE  ET  UNIÈME  ANNÉE;  TOME  EXIl  DE  LA  COLLECTION) 


LOUVAIN 

SECRÉTARIAT  DE  LA  SOCIÉTÉ  SCIENTIFIQUE 

(M  . J . Thirion) 

II,  RUE  DES  RÉCOLLETS,  ii 


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Y n /.  r,  & ( J 

.l/UîfLd/,  lî/jOlÛi/.'. 
YKoTmi  ^Aun/.ii  ^ 

•.  ■ . i . 


STEPHANE  LEDUC 


A-T-IL  CRÉÉ  DES  ÊTRES  VIVANTS^"  ? 


Le  2()  noveinl)i“e  (rArsonval  présentait  à l’Aca- 
(léinie  des  Sciences  nne  note  de  Stépliane  r.educ  (2) 
intitulée  Culture  de  la  cellule  artificielle.  « Semé  » 
dans  une  solution  arpieuse  contenant  de  la  gélatine, 
du  ferrocvanui’e  de  potassium  et  du  chlorure  de 
sodium,  un  granule  de  sulfate  de  cuivre  et  de  sucre 
« })ousse  » en  un  tem])s  qui  varie  de  queh[ues  heures  à 
quelques  Jours.  On  décidt  au  ])roduit  des  tiges,  des 
feuilles,  des  organes  terminaux,  on  lui  attribue  des 


(1)  Conférence  faite  à l’assemblée  générale  du  10  avril  1907,  de  la  Société 
scientitiqne.  — lîien  que  Stéphane  Leduc  ait  nettement  déclaré,  comme  on  le 
verra  plus  loin,  (lu'il  n’a  pas  prétendu  avoir  créé  des  êtres  vivants,  nous 
avons  choisi  ce  titre  pour  opposer  notre  travail  à l’article  publié  dans  Le 
Matin  du  “21  décembre  1906  : «Lu-f  o» /'«/rc  de  la  vie  ? Miracles.  Comment 
lin  savant  crée  des  êtres  vivants.!) 

(2)  Le  docteur  Stéphane  l,educ  est  professeur  de  physique  à l’Ecole  de 
Médecine  de  Nantes.  Voici,  en  manière  de  hiograpliie,  (juelques  e.vtraits 
d’articles  le  concernant  ; 

I.orsque  le  7 décembre  1900  Leduc  vint  à Paris  faire  dans  les  salons  de  la 
Société  de  chirurgie. une  conférence  sur  ses  tentatives  de  biologie  synthétique, 
il  fut  présenté  par  le  professeur  Hoger  en  termes  élogieux  et  salué  comme 
l’auteur  « de  trois  découvertes  dont  nne  seule  sutLirait  à illustrer  un  savant  » 
(Lf.  PiiESSE  .Médicale,  S décembre  1900|. 

Voici,  d’autre  part,  le  portrait  de  Stéphane  Leduc  tracé  par  un  de  ses  élèves, 
le  docteur  Octave  Iléliard  (.Iol’rnal  de  .Médecine  de  Paiüs,  0 janvier  1907»  : 

« Lorsque,  petit  écolier  monté  en  graine,  je  m’assis  sur  les  bancs  de  l’Ecole 
de  Médecine  de  Nantes,  la  première  ligure  qui  arrêta  mes  regards  fut  celle  du 
professeur  Leduc,  et  ce  fut  aussi  la  dernière.  Elle  se  détachait  sur  le  groupe 
de  maîtres  tous  éminents  et  zélés,  avec  une  puissante  originalité,  et,  du  reste, 
l’homme  se  tenait  un  peu  à l’écart.  On  disait  qu’il  avait  « ses  idées  »,  ce  qui 
signiliait  ([u’il  pensait  autrement  que  ses  confrères. 

» Eervent  libre-penseur,  acquis  au  grand  dessein  des  réformes  sociales, 
il  luttait  de  toute  sa  personnalité  de  savant  pour  les  conceptions  monistes.  Ce 


REVl’E  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


() 

fonctions  Jiisqn’ici  considéi-ëes  coniine  caractéristiques 
(le  la  vie. 

Le  (lév(do|q)enient  de  ces  aidiorescences  clnnii({nes 
dénoniinées  ])onr  la  cii-constance  « plantes  artificielles  » 
n'est  pas  une  nonveanté;  l’ancienneté  d('s  travaux, 
d'aillenrs  classiques,  réalisés  par  Tranbe,  sur  (;e  sujet 
est  même  une  des  raisons  de  leur  oubli  a])])arent.  Les 


tri|ile  iispect  l’isolait  dans  son  lahoraloire  et  les  jeunes  Nantais,  frais  énioiiliis 
(les  petits  séminaires,  imirniiiraient  parfois  sonnlement,  à son  cours,  (piami  le 
p:esle  incisif  (le  son  index  faiicliait  iin  dogme.  C’est  peut-être  |)onr  cela  (pie  je 
l’aimais.  ,Ie  l’aimais  encore  pour  son  histoire  ou  sa  légende.  Leduc,  disait-on, 
avait  été  ouvrier  tourneur  sur  métaux,  et  un  sentiment  romanes(iue  avait  à 
l’origine  stimulé  l’énergie  de  ce  savant  impassible.  Artisan  pendant  le.  jour,  il 
avait  veillé  des  nuits  pour  coïKiuérir  ses  dipl(jmes,  et  sa  lampe  ne  s’était  pas 
éteinte  après  la  complète. 

» (juaud  le  cours  liuissait,  nous  étions  quehpies  lidèles  à l’entourer.  Il  cau- 
sait, il  était  doux,  indulgent,  presque  timide.  Nous  partagions  « ses  idées  », 
mais  il  ajiaisait  de  sa  longue  main  d’intellectuel  nos  haines  juvéniles;  ses  idées, 
nos  idées,  devaient  être  défendues  et  implantées  sans  faire  de  mal  à personne, 
])ar  leur  seule  logicpie.  Et  il  iiartait  seul,  à grands  jias,  houtonné  dans  sa  redin- 
gote et  sa  canne  sous  le  bras.  Les  cheveux  blancs  et  ras,  sa  barbe  en  pointe,  le 
lu'z  mince  et  chevauché  par  un  lorgnon  d’or,  il  semblait,  avec  sa  grande  taille, 
un  .Méphistophélès  bénin  détenant  les  secrets  de  la  nature  et  de  la  vie.  Avec 
cela,  il  souriait  souvent  et  son  sourire  était  lin,  calme  et  patient,  .le  ne  l’ai 
jamais  vu  autrement  ; il  était  toujours  égala  lui-mème.  » 

Dans  un  article  de  la  Uevue  .\IonEnxE  de  Mépeeine  et  de  Chiriiupe,  ir'  1, 
janvier  1907,  intitulé[tii  om/.s'  p(niti)is,j)etil.'i  jxüius,  le  signataire,  L.  Thuillier, 
écrit  sur  Stéphane  Leduc  les  ligues  (pii  suivent  : « Ce  savant  modeste  se  trouve 
par  hasard  être  l’ami  de  .M.  lîriand;  il  a même,  parait-il,  dans  le  temps,  fait 
caitqiague  à ses  ca'ités.  C’est  là,  d’ailleurs,  son  moindre  mérite.  Ses  expériences 
ingénieuses,  ses  théories  sur  les  ions,  lui  constituent  des  titres  autrement 
solides  que  ceux  (ju’il  doit  à l’amitié  d’uu  homme  arrivé.  On  p(‘usa  donc  à lui 
jiour  une  chaire  aux  environs  de  la  Sorbonne.  L(>  décret  était  prêt,  il  allait  être 
signé.  .Mais  on  avait  coiiqité  sans  la  rivalité,  des  gens  déjà  nantis.  Tout  ce 
monde  lit  bloc  au  dernier  moment  ; on  prêta  à notre  malheureux  confrère  des 
idées  qu’il  n’avait  jamais  eues;  on  omil,  sciemment  ou  non,  les  citations  où 
l’expérimentateur,  dont  la  bonne  foi  ne  saurait  être  mise  eu  doute,  faisait  état 
de  l’œuvre  de  ses  devanciers,  bref,  on  mena  un  tel  tapage  que  .M.  liriaud, 
malgré  toute  son  audace,  n’osa  jiasser  outre  et  réintégra  le  décret  dans 
sou  tiroir.  » 

Les  ligues  qui  iirécèdeut  nous  montrent  les  coulisses  ik  lo  plasmof/énie  (pie 
le  lecteur  pourra  voir  décrites  dans  un  arlich'  de  Paul  Combes,  CoS.mos,  1907, 
]).  :2I,  taudis  que  dans  les  varia  de  la  Se.m.m.ne  .Méihc.vee  du  90  janvier  1907 
il  trouvera  une  excellente  mise  au  point  de  la  question,  avec  le  résumé  des  docu- 
ments produits  au  (jours  du  débat  que  tirent  naître  à la  tribune  de  l’Académie 
des  Sciences  les  publications  retentissantes  de  Stéphane  Leduc. 


STÉPIIAXE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS  ? 7 

(léductions  nouvelles  échafaudées  par  Stéphane  Leduc 
sur  des  recherches  rajeunies  et  vulgarisées  par  lui, 
ne  })Ouvaient  néanmoins  manquer  d’attirer  l’attention. 
L’école  évolutionniste  s’était  jusqu’ici  a})pliquée  à 
reconstituer  tous  les  chaînons  qui  unissent  les  êtres 
depuis  les  plus  élevés  jusqu’aux  plus  intimes.  Mais,  en 
admettant  le  proldéme  résolu,  le  chaînon  d’origine, 
celui  qui  unit  les  êtres  vivants  à la  matière  non 
vivante,  celui-là  restait  inti'ouvahle  et  voilà  que 
Stéphane  Leduc  pense  l’avoir  découvert.  Cette  décla- 
ration sensationnelle  ht  beaucoup  de  bruit.  Les  latiora- 
toires  allaient-ils  donc  créer  de  la  vie?  Telle  était  la 
question  })Osée  par  les  grands  quotidiens.  Le  premier 
enjouement  Imttait  encore  son  plein,  la  presse  extra- 
scientihque  hrfdait  de  l’encens  aux  pieds  du  travailleur 
modeste  confiné  dans  un  oliscur  laboratoire  de  pro- 
vince, la  capitale  devait  le  recueillir  et  le  traiter  avec 
les  honneurs  dus  à son  talent,  mais  déjà,  le  monde 
savant  avait  fait  le  procès  de  ce  qu’il  y avait  de 
fantaisiste'  dans  les  conceptions  de  Stéphane  Leduc.  Lhi 
verdict  de  condamnation  était  prononcé  au  sein  même 
de  la  docte  Société  qui  avait  ]»ul)lié  dans  ses  comptes 
rendus  les  notes  de  l’auteur  sur  la  croissance  des 
]>lantes  artihcielles. 

Nous  nous  en  serions  voulu  de  ne  pas  chercher  à 
nous  faire  une  idée  personnelle  sur  l’évolution  et  la 
nature  de  ces  ])roductions  qui  avaient  soulevé  tant  de 
polémiques,  et  c’est  le  résultat  des  remarques  faites  au 
cours  de  ces  ex})ériences  que  nous  allons  exposer.  Nous 
y joindrons  l’étude  générale  de  la  question  ahn  de 
})('rmettre  au  lecteur  de  se  faire  une  ojiinion  exacte 
et  de  se  reporter,  au  Iiesoin,  aux  documents  originaux. 

Pour  être  coni])let,  il  faudrait  analyser  en  outre  les 
théories  nouvelles  du  hiomécanisme,  du  néovitalisme, 
de  la  plasmogenèse,  dont  Harting,  Schroen,  Benedikt, 
Jules  Félix,  Ilerrera,  Stéphane  Leduc...  sont  les 


s 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


principaux  défenseurs.  A rexeinple  d’IIaeckel,  c'est 
le  proldèine  de  la  ”’énération  s]K)utanée  que  soulève 
cette  école,  désireuse  surtout,  seiuble-t-il,  de  démontrer 
la  fausseté  « de  l’existence  d’un  ])riucij)e  légendaire 
agissant  eu  dehors  des  lois  de  la  Mécauiqm'  » (1),  car, 
ajoute  un  autre  savant  : « Le  chaos,  d’où  Dieu  fit  eu 
un  jour  méiiioi-ahle  sortir  le  monde  d'après  la  Dihle,  est 
un  mythe  et  une  fable  comme  celle  de  Croquemitaiue  et 
du  loup-g'arou;  comme  tous  les  dopues  créatiouuistes, 
qui  ne  sont  qu’erreurs  et  mauvaises  spéculations  (2)  .» 

Dareille  boutade  pourrait  sans  ^raud  dommage  être 
bannie  d'un  livre  scieutiti([ii('.  Elle  est  choisie  entre 
lieaucoup  d'autres  semblables,  semées  à ])rofiisiou,  pour 
moulrer  la  teudauce  de  cette  nouvelle  école,  dont  nous 
ne  [touvoiis  discuter  les  coucetttious,  notre  Imt  étant 
uuiquemeut  de  criti([uer  l'ieuvre  de  Leduc. 

Avant  d’entrer  dans  le  c(eiir  du  sujet,  il  est  bon 
d'en  bien  préciser  les  teruu's  et  d'exjtoser  ([uelques 
l)riuci}H's  foudameutaux.  11  s'agira  d'êtres  vivants,  ou 
parlera  de  })héuomèues  d’osmose  : un  mot  sur  ces 
deux  })oiuts. 

A’oyous  tout  d'abord  comment,  dans  l'état  actuel  de 
la  science,  ou  ex})li(pie  le  mode  de  fonnatioa  des  êtres 
eicoafs  en  (lènèraJ. 

L'élément  ])rimoi‘dial  et  fondamental  est  la  cellule, 
soneent  limitée  ]>ar  une  mem])raue  d’euveloppi',  reulér- 
maut  tonjours  une  gouttehdte  de  protoplasma  avec  un 
noyau.  Le  protoplasuia,  véritalile  gelée  vivauti',  « base 
physiqiK'  de  la  vi('  »,  présente  tes  caraetères  des 
matières  alhnminoïdes  ; sa  coiiqtositiou  chimique  est 
jiarfois  légèrement  vaidalile,  mais  ou  y retrouve  toujours 


( D !)'■  lîenedikl,  Hiomécanisuie  c(\Xi‘ovilali!wn‘ r»  Médecine  et  en  Biolof/ie. 
Tradiiftion  française  par  lIoIxM't  Tissot.  Paris,  .Maloine,  éditeur,  p.  101. 

(2)  .Iules  Félix,  La  Vie  des  Minéraux.  La  Plas)nof/enèse  et  le  Biomécanisme 
universel,  p.  35. 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ÊTRES  VIVANTS?  9 


(lu  carlione,  de  roxygène,  de  l’ii^ydrogène,  de  lazote,  du 
soufre  associés  d’une  part  h des  matières  ternaires  et 
minérales  et  d’autre  part  à des  diastases,  des  alca- 
loïdes, etc...  11  .y  a des  cellules  sans  membrane,  il  n’y 
en  a pas  sans  noyau  au  moins  diffus  (1);  il  n’y  en  a 
aucune  sans  protoplasma.  ’N’oilà  jtour  le  substratum 
anatomicpie,  mais  la  particularité  physiologique  de  la 
cellule  vivante  est  d’être  douée  d’un  pouvoir  énergé- 
tique l)ien  défini. 

La  cellule  primordiale  forme,  en  se  .divisant,  un 
organisme  plus  ou  moins  com])lexe.  Le  noyau  joue  le 
r()le  princijial  dans  cette  division,  qui  est  tantôt  directe, 
tant(')t  indirecte.  Dans  ce  dernier  cas,  le  phénomène 
porte  le  nom  de  cariocinèse  (2)  ou  mitose  (3),  et  il 
s’accompagne  de  modifications  structurales  du  no_yau 
et  flu  proto|)lasma  ; on  oI)sei*ve  des  figures  successives 
bien  caractérisées  et  bien  connues  des  natur-alistes. 

Les  cellules  naissent  donc  successivement  les  unes 
des  autres.  Elles  se  groupent,  et  leur  agencement  réci- 
proque  détermine  la  morphologie  des  êtres  vivants. 

Eelui  qui  possède  ces  données  classiques  ne  peut 
i-éprimer  un  mouvement  de  suiqirise  en  lisant  les  tra- 
vaux de  Sté})hane  Leduc  sur  ses  tentatives  de  bio- 
genèse. Eh!  quoi,  cet  auteur  écrit  que  la  cellule,  forme 
élémentaire  de  la  substance  vivante  organisée,  se 
com})ose  « d’une  memlirane  d’enveloppe,  d’un  contenu 
colloïdal  : le  cytojdasme,  et  d’un  noyau  » (4).  Puis, 
quelques  lignes  }dus  loin  il  ajoute,  à projtos  de  cellules 
artificielles  faites  en  semant  des  gouttes  de  ferro- 
cyanure  sur  une  })laque  de  gélatine  : « ces  cellules 


(1)  lîactéries. 

(:2)  Koipuov,  noyau  et  KÎvnaiç,  mouvement;  l)ien  que  le  mot  ciiriocinèse  soit 
plus  conforme  à l’orthographe  française,  on  écrit  souvent  aussi  kari/okiuèse. 

(3)  .uiToç,  filament. 

(4)  Revue  Scientifique,  1906,  1. 1,  p.228. 


10 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


sont  sein])lal)les  aux  oelliilos  vivantes,  elles  ont  la 
inèino  tonne  polyédiâqne  et  les  inêines  organes  : 
ineinbrane  d’envelo})})!',  cytopdasine,  noyan  ». 

Ce  n’est  }>as  tout,  bientôt  Leduc  décrit  dans  ses 
cellules  liquides  les  tigures  de  la  cariocinèse,  dont  il 
observe  les  jtliases  se  succédant  les  unes  aux  antres 
dans  l'ordre  décrit  par  b's  biologistes  (1).  Après  ces 
considérations  il  ajoute  : « Enfin  J’ai  ]m  réaliser  par 
les  forces  jdivsâpies  les  phénoinènes  de  nutrition, 
d’organisation  et  de  croissance  » (2),  et  le  voilà  arrivé 
à la  description  d('  ses  faimaises  plantes  dont  on  a tant 
parlé,  et  que  beaucoup  ont  voulu  voir. 

Cette  manière  de  jirésenter  les  faits  peut  en  inmoseï', 
car  cette  évolution  : cellule  initiale,  division  cellulaire 
et  })roduction  d’un  organisme  compliqué,  se  retrouve 
dans  l’étude  de  la  formation  des  ètri's  vivants.  Mais  il 
faut  séparer  deux  catégories  de  travaux  {[ue  Leduc 
semble  s’ingénie)-  à confondre.  Un  lien  réel  et  non 
contesté  les  unit,  il  est  vrai,  mais  pour  ne  pas  induire 
en  erreur  le  lecteur  curieux  de  tliéoi-ies  nouvelles,  il  est 
nécessaire  d’envisager  bien  à }tart  : L l’étude  des 
cellub's  artiticielles,  et  2"  l’étude  des  plantes  artificielles; 
les  secondes,  en  eliét,  ne  dérivent  nullement  des 
premières. 

La  question  des  cellules  artiticielles  sera  brièvement 
traitée. 

Des  gouttes  de  sang  détiliriné  ou  d’encre  de  Chine 
semées  dans  un  milieu  convenable  donnent,  en  vérité, 
des  schémas  cellulaii-es  fort  intéi-essants  à étudier. 
Lue  portion  des  particules  colorées  s’accumulant  au 
centre,  on  poui-ra  par  analogie  l’apiielei-  noyau,  tandis 
([ne  par  ana.lofpe  encore  on  baptisera  membi-ane  la 
matière  coloranb'  ([ui  entraînée  par  les  ])liénomènes 
d’osmose  s’accumule  à la  [)éi‘i[)hérie. 

(1)  Les  Bases  jihi/siques  de  la  vie  et  la  Bio(jenhe,  Masson  et 
p.  K.  — ÜEVUE  SciENTlEIQUE,  IDOO, 

(“2)  Loc.  cit.,  p.  ] 1. 


STEPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ÊTRES  VIVANTS?  11 


Pour  l'eproduire  les  phénomènes  de  la  cariocinèse,  il 
faut  avoir  recours  à divers  artifices  que  par  analoffie 
encore  on  ([ualitiera  de  fécondation.  Une  goutte  colorée 
h,vpotoni(pie  entre  deux  gouttes  colorées  hj})ertonii[ues 
donnera  des  figures  qui,  suivant  l'habileté  de  l’opéra- 
teur, reproduiront  celles  ol)servées  dans  la  mitose. 

Ces  reproductions  ont  un  grand  intérêt  démonstratif. 
La  théorie  des  champs  de  force  de  diftusion  explique 
bien  des  phénomènes  cellulaires  Jusqu’ici  mystérieux. 
Mais  ces  cellules,  ou  plutôt  ces  schémas  cellulaires  n’ont 
point  la  moindre  vie.  11  ne  suffit  ]>as  de  reproduire 
certains  aspects  ou  certains  phénomènes  physiques 
observés  dans  les  cellules  vivantes  jiour  dire  que  l’on 
a créé  des  cellules  vivantes.  Ne  l’oublions  jtas,  et 
Stéphane  Leduc  lui-même  le  reconnaît,  le  protoplasma 
est  la  hase  physique  delà  vie;  or  les  schémas  cellulaires 
ne  contiennent  pas  dans  leui'  membrane  la  gelée 
vivante  indispensable  à la  vie;  la  conclusion  s’impose 
d’elle-même  : les  cellules  liquides  ne  pimvent  être 
vivantes. 

Ce  même  argument  pourrait  être  présenté  à ]iropos 
des  jdantes  artificielles  qui  vont  désormais  nous  arrêter 
longuement;  mais  avant  de  montrer  leur  croissance  et 
leurs  variétés,  avant  de  ré})ondre  aux  conceptions  de 
Leduc,  avant  d’examiner  l’œuvre  de  ses  devanciers, 
ces  trois  points  faisant  rolijet  principal  de  ce  travail, 
nous  rappellerons  brièvement  les  ])rinci})es  généraux 
des  phénomènes  d’osmose. 

L’osmose  u’étant  (pi’un  cas  particulier  de  la  diffusion, 
décrivons  celle-ci. 

(Juand  on  superpose  avec  précaution  deux  liquides  de 
densité  ditiéi-ente,  ])ar  exemple,  de  l’eau  et  du  vin,  on 
voit  ce  dernier,  qui  plus  léger  était  d’abord  resté  à la 
jtartie  supérieure,  se  réj)andre  progressivement  dans 
r(xau  sous-jacente  et  la  colorer.  On  obtient  bientôt  une 
solution  d’eau  et  de  vin  aussi  intime  que  si  l’on  avait  eu 


12 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


recours  à une  agitation  iiiécaniqiie.  (’e  inélang'iq  en 
apparence  spontané,  n'est  autre  ({ue  la  (lili'usion.  Quand 
ce  phénomène  s’etfectue  entre  deux  liipiides  non  plus 
superposés  mais  séparés  run  de  l’autre  par  une  mem- 
lirane,  il  pi‘end  le  nom  d’osmose.  L’osmose  est,  en 
somme,  la  diffusion  de  doux  liquides  à travers  une 
meinl ) r ane  inte r posée . 

Si  l’on  plonge  dans  l’eau  distillée  un  tube  fermé  par 
une  membrane  de  parchemin  et  renqdi  d’une  solution 
sucrée,  les  deux  liquides  se  mélangent  comme  dans 
l’exemple  précédent.  Malgré  la  membrane,  l’eau  vient 
diluer  la  solution  sucrée  et  le  sucre  j)asse  dans  l’eau 
distillée.  Il  y a donc  deux  courants  en  sens  inverse  mais 
de  valeur  inégale  : l’eau  passe  dans  la  solution 
sucrée  d’autant  })bis  aliondamment  que  la  solution  est 
})lus  concentrée,  et  l’on  voit  le  niveau  du  liquide  s’élever 
dans  l’osmomètre.  Si  le  tiilie  est  l)oucbé  au  lieu  d’être 
ouvert  en  haut,  la  jténétration  de  l’eau  se  traduit  par  une 
modibcation  de  la  forme  de  la  membrane  qui  bombe 
('t  peut  même  crever.  Si  le  tube  bouché  est  muni  latéra- 
lement d'un  manomètre  à mercure,  la  dénivellation 
du  mercure  indi(pie  la  pénéti'ation  d’eau  et  le  dévelop- 
])ement,  à l’intérieur  du  système,  d’une  certaine  }>res- 
sion  d’autant  jdus  forte  que  la  solution  plus  concentrée 
attire  ])lus  d’eau,  dette  pression  s’ap})elle  la  pi'ession 
osmoti([ue.  (le  pretnier  exemple  est  l’elativement 
sinude. 

Si  on  jdonge  l’apj)areil  non  })lus  dans  l’eau  distillée, 
mais  dans  une  solution  diluée  de  cblorur-e  de  calcium, 
la  ditlusion  se  })roduit  dans  les  mêmes  conditions  : le 
chlorure  de  calcium  ]»énètre  dans  l’osmomètre,  le 
sucre  en  sort  tandis  que  la  solution  la  jilus  concentrée 
absorbe  de  l’eau.  Ce  pbénomèiie  se  manifeste  suivant 
les  conditions  de  l’expérience,  soit  }>ar  l’élévation  du 
liquide  à l’intérieur  du  tulie,  soit  par  b' changement  de 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  13 


forme  de  la  memlirane,  soit  })ar  le  déplacement  du 
mercure  (run  manomètre. 

Mais  pour  comjdiquer  encore,  ])renons  un  vase 
poreux,  vase  de  pile  }>ar  exeni})le,  rempli  d’une  solu- 
tion de  sulfate  de  cuivre.  Cette  solution  })énétre  à tra- 
vers les  pores  dn  récipient  et  serait  susceptible  de  le 
traverser  si  la  jiression  était  suffisante,  car  un  vase 
poreux  est  un  filtre  pur  et  simple.  Mais  si,  a})rès  l’avoir 
rempli  de  sulfate  de  cuivre,  on  le  plonge  dans  une 
solution  de  ferrocjanure  de  potassium,  le  nouveau 
licpdde  pénètre  à son  tour  dans  les  pores  du  réci- 
])ient,  non  ])lus  de  dedans  en  dehors  mais  de  dehors  en 
dedans,  les  deux  solutions  se  rencontrent  dans  l’épais- 
seur de  la  cloison.  Ces  deux  liquides  précipitent  l’im 
par  l’autre  : mis  en  présence,  ils  forment  à la  surface 
de  contact  un  précipité  solide  de  sulfoc^amure  de  cuivre 
qui  bouche  les  |)oi'es  du  tiltre,  et  le  transforme  en  un 
osmomètre  différant  des  })récédents  par  sa  memlirane 
dit('  hémiperméable,  car  tout  en  laissant  passer  l'eau 
qui  vient  diluer  la  solution  la  plus  concenti'ée,  elle 
arrête  au  passage  les  molécules  salines. 

Reprenons  les  deux  exemples  de  tout  à l’heure,  dans 
ces  conditions  nouvelles. 

Premier  cas  : Un  osmomètre  à memlirane  de  ferro- 
cjanure de  cuivre  est  renqtli  d’une  solution  concentrée 
de  sucre,  on  le  })longe  dans  l’eau  distillée. 

L’eau  passe  dans  l’osmomètre,  le  sucre  ne  peut  jtlus 
en  sortir,  à l’inverse  de  ce  qui  se  })asserait  avec  un 
appareil  muni  d’une  memlirane  en  parchemin. 

Deuxième  cas  : Un  osmomètre  à memlirane  de 
ferroc^mnure  de  cuivre  est  rempli  d’une  solution  con- 
centrée de  sucre,  on  le  plonge  dans  une  solution  diluée 
de  chlorure  de  calcium. 

L’eau  passe  dans  l’osmomètre,  le  chlorure  de  cal- 
cium n’j  peut  pas  jténétrer;  le  sucre  n’en  peut  pas 


14 


REVUE  UES  questions  SCIENTIFIQUES 


sortir.  La  nienibranc  est  })orniëa])le  à l’eau,  imper- 
méable aux  molécules  salines  (i). 

Cette  pénétration  d’eau  se  manifeste  ])ar  les  mômes 
phénomènes  que  tout  à l’heure  : le  niveau  de  l’eau 
s’élève  si  le  tube  est  ouvert;  dans  un  tube  bouché 
relié  à un  manomètre,  la  dénivellation  du  mercui-e  pi'r- 
met  de  lire  la  valeur  de  la  pression  développée  à l'in- 
térieur de  l’appareil.  Si  la  jtression  est  forte,  si  la 
membrane  est  faible,  une  riqdure  est  inévitalile. 
Lorsque,  cassant  un  œuf  avec  précaution,  on  en  laisse 
tomber  le  Jaune  dans  l’eau  distillée,  des  phénomènes 
osmoticpies  se  j)assent  au  sein  de  cet  organe.  L('s  sels 
contenus  dans  le  jaune  absorbent  de  l’eau  et  la  cellule 
se  gonde  tant  et  si  lûen  ([ue  la  membrane  cède  et  met 
en  liberté  le  conhmu,  ({ui  se  répand  dans  l’eau  distillée. 
\’oilà  un  ty|)0  d'osmomètre  fragile.  La  membrane  qui 
entoure  le  granule  de  sulfate  de  cuivre  Jeté  dans  une 
solution  ferrocyanui-ée  se  conq)orte  comme  la  ])ellicule 
du  Jaune  d'œuf.  Mais  le  contenu,  c’est-à-dire  le  sulfate 
de  cuivi'e,  s’échap])e  dans  un  milieu  exerçant  vis-à-vis 
de  lui  une  action  chimique  énei‘gi([ue.  Ce  granule  est 
[)urement  et  sinq)lement  un  osmomètre  à ])aroi  : 
1°  Iténiipermêahle ; 2°  fragile;  d"  s'usceptihle  de  cica- 
triser instantanément  ses  hlessitres,  étant  données  les 
circonstances  de  rex})érience.  Ce  dernier  ])oint,  cajtital 
si  l’on  considère  le  résultat,  est  accessoire  si  l’on  a 
seulement  en  vue  l’essence  du  phénomène. 


(1)  DilTéreiits  sels  précipitant  avec  le  ferrocyaiiure  île  potassium  peuvent 
constituer  îles  types  variables  île  membranes  héiniperniéahles.  Mais  onjieut  en 
obtenir  aussi  en  taisant  réagir  ilu  tannin  sur  île  la  gélatine,  ou  certains  sels 
métalliques  surilu  silicate  île  soude  ou  de  potasse. 

Il  ne  faut  pas  croire  toutefois  que  les  membranes  dites  bémijierméables  ne 
se  laissent  traverser  par  aucun  sel.  Elles  en  arrêtent  un  grand  nombre,  mais 
pas  tous.  La  mendirane  de  ferrocyaiiure  de  cuivre  se  laisse  traverser  par  le 
chlorure  de  potassium,  celle  de  tannate  de  gélatine  est  jierméable  pour  le 
cblorhydrate  d’ammoniaque  et  le  nitrate  de  baryte. 


STÉPIIANK  lÆOrC  A-T-IL  CRLK  DES  ETRES  VIVANTS?  15 


I 

Passant  maintenant  à l’étude  des  arliorescenees 
cliimi([nes  olitennes  dans  la  gélatine;  exposons  successi- 
vement : P la  manière  de  les  j)roduire;  2"  la  théorie  de 
leur  développement;  3"  leur  nior])holog'ie  variée. 

1.  Technique.  — Voici  la  technique  que  nous  nous 
sommes  tracée  d’après  les  indications  de  S.  Leduc. 
Nous  préparons  sé})arément  : P Une  solution  aqueuse 
de  gélatine  à 8 ji.  c.  ; 2“  nue  solution  contenant  })Our 
100  cc.  d’eau  10  grammes  de  lérrocyaniire  de  potassium 
et  2 gr.  50,  on  5 grammes,  10  grammes  on  15  grammes 
de  chlornrede  sodium.  En  ])renantnne  gélatine  de  lionne 
qualité,  on  obtient  sans  tiltration  nue  solution  linqiide. 
Pour  constituer  un  milieu  contenant  1 gramme  de  géla- 
tine  et  2 grammes  de  ferroejanure,  il  suffit,  si  l’on  con- 
serve la  gélatine  dans  un  liain-marie  tiède,  de  })rendre 
12  cc.  5 de  la  première  solution,  20  cc.  de  la  seconde,  et 
de  compléter  avec  de  l’eau  distillée  en  quantité  suffisante 
])oiir  faire  100  cc.  Grâce  à cette  manière  d’o})érer,  on 
obtient  un  mélange  manquant  22  à 25°,  température 
favorable  pour  un  certain  nombre  d’ex})éidences,  sur- 
tout si  l’on  retarde  la  prise  de  la  gélatine  en  opérant 
dans  une  jiièce  modérément  chauffée  (20°)  (1).  Au  lieu 
de  20  cc.  de  solution  ferrocyanurée  à 2 p.  c.,on  jieut  tout 
aussi  facilement  en  prendre  iOcc.,  00  cc.  Si  on  complète 
avec  la  solution  gélatineuse  et  l’eau  distillée  pour  faire 
100  cc.,  on  olitient  des  milieux  à 4 }>.  c.  et  0 p.  c.  On 
peut  donc  sans  ]HÛne  olitenir  toute  une  gamme  de 
liquides  de  concentration  différente.  Il  est  aussi  facile 

(1)  Il  va  sans  dire  que  ces  chiffres  n’ont  rien  d’absolu,  tantôt  on  cherchera  à 
obtenir  une  température  plus  élevée,  souvent  même  une  plus  basse.  La  tem- 
pérature de  solidillcation  de  la  gélatine  est  un  facteur  important  à consiilérer, 
et  variable  suivant  les  divers  échantillons. 


10 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(le  faire  varier  la  richesse  en  gélatine  : 25  cc.  donneront 
lin  mélange  à 2 \).  e.,  et  ainsi  de  suite. 

La  fabrication  des  granules  est  très  simple.  Leduc 
préconise  : sulfate  de  cuivre,  i jiartie;  saccharose,  2 par- 
ties (1).  On  })ile  le  sulfate  de  cuivre  et  le  sucre,  et  on 
ajoute  de  l’eau  distillée  en  quantité  suffisante  pour  faire 
une  pâte  servant  à confectionner  de  jietites  boulettes 
qu’on  laisse  ensuite  sécher.  On  jieut  très  avantageuse- 
ment remplacer  le  sulfate  de  cuivre  par  du  sulfate  de 
zinc,  mais  l’emploi  de  cobalt,  de  nickel,  de  fer,  de 
manganèse,  de  cadmium,  ne  nous  a guère  réussi. 

La  solution  gélatineuse  ferrocjvanurée  étant  jilacée 
dans  un  large  tube  (tulie  de  ^'iolette  ou  tulie  même  })lus 
large),  on  y laisse  tomber  un  granule  qui  va  se  déve- 
lopper conformément  à la  théorie  suivante. 

IL  Théorie  du  déreloppeuient . — Il  se  forme  autour 
du  granule  jirojeté  dans  la  solution  gélatineuse  ferro- 
cyanurée,  une  })ellicule  de  ferrocyanure  de  cuivre  jiré- 
cipité  : c’est  là  le  premier  teinjis.  Le  second  est  consti- 
tué }>ar  la  pénétration  de  l'eau  qui  s’etfectue  à travers 
la  menilu'ane  hémiperméable  de  ferroc3’anure  de 
cuivre.  Mais  en  raison  de  cette  ])énétration,  la  tension 
augmente  à l’intérieur  du  granule,  tant  et  si  liien  que 
la  membrane  crève  (c’est  là  le  troisième  temps)  et  laisse 
écha})})er  une  partie  du  contenu.  Un  nouveau  facteur 
intervient  alors  })Our  limiter  l’essor  de  ce  contenu  : 
c’est  l’action  chimique  du  sulfate  de  cuivre  sur  le 
ferroejanure  de  potassium.  Il  se  forme  instantanément 
une  nouvelle  membrane  de  feri-ocjanure  de  cuivre 
qui  entoure  la  gouttelette  fugitive  et  s’adajite  aux 
jiarois  de  la  déchirure.  La  cellule  est  de  nouveau 
entièrement  close;  voilà  le  quatrième  temps.  La 
])énétration  d’eau  se  faisant  d’une  façon  incessante,  la 
jiaroi  crève  une  seconde  fois,  puis  une  troisième,  etc... 
Chaque  tentative  d’évasion  du  contenu  est  entravée 


(I)  Nous  avons  employé  du  glucose  dans  nos  expériences. 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CREE  DES  ETRES  VIVANTS?  17 


par  remprisonneinent  instantané  de  la  gouttelette 
récalcitrante  et  la  prison,  iiien  que  fragile,  est  ter- 
riblement sûre,  (ies  crevaisons  successives  ont  pour 
résultat  de  produire  raccroisseinent  de  la  graine,  et, 
suivant  les  circonstances  de  milieu,  de  température,... 
on  olitient  des  formes  variées.  Cet  éclatement  de  la 
paroi  est  particulièrement  iiien  visiiile  dans  les  solutions 
ferrocyanurées  à 5 ou  7 p.  c.  Dans  les  solutions  plus 
diluées,  au  lieu  d’un  gontlement  sjdiéroïdal  de  la  graine, 
d’où  })art  bientôt  un  liourgeon  à la  suite  duquel  s’en 
alignent  d’autres,  on  observe  un  étalement  du  granule 
qui  forme  comme  un  })arterre  d’où  s’élèvent  ultérieure- 
ment un  certain  nomlu’e  de  tigelles.  Ces  considérations 
font  déjà  ]»artie  de  l’ex})lication  de  la  moiq)bologie  des 
plantes. 

III.  Morpholof/ie  des  arhorescences.  — En  milieu 
ferrocyanuré  concentré  on  ol)serve  en  général,  au 
début  tout  au  moins,  une  tige  uni({ue  et  rolmste  qui 
s’élève  du  granule.  Elle  a un  aspect  moniliforme, 
qui  ])roiive  sa  formation  par  des  gouttes  de  liquide 
expulsées  successivement  en  dehors  de  la  membrane 
})rimitive.  Quand  la  teneur  en  ferrocyanure  est  })lus 
làible,  on  constate  au  contraire  plusieurs  tigelles  qui 
naissent  de  la  masse  étalée  au  fond  du  tube. 

Il  est  possilile  que  cette  ditférence  bien  marquée  du 
mode  de  dévelo})])ement  des  granules  suivant  la 
richesse  en  sels  du  milieu  })uisse  s’exjdiquer  par  des 
variations  de  densité.  En  etfet,  si  au  lieu  de  laisser  tom- 
ber le  granule  jusqu’au  fond  du  tube,  on  le  siisjiend 
à un  til  qui  le  retient  dans  une  })Osition  intermédiaire, 
on  oljserve  en  général  l’évolution  suivante  : 

a)  Gélatine  : 1 p.  c.;  Ferrocyanure  : 2 p.  c.  ; 
NaCl  : 1 p.  c.  (fîg.  1,  A,  B.) 

En  un  point  quelconque  du  granule  se  forme  comme 
une  hernie  et  la  masse  tombe  de  haut  en  bas,  suivant 
IIP  SÉRIE.  T.  XII.  “2 


18 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l’action  de  la  pesanteur.  Elle  alteint  le  fond  dn  tuhe,  s’y 
étale  en  foiane  de  ])arterre  d’oû  s’élèvent  verticalement, 
de  bas  en  haut  cette  fois,  des  tigelles  ou  des  apjtendices 
foliacés.  Mais,  dans  d’autres  cas,  la  masse  ne  ^aagne 
pas  le  fond  du  tube;  à un  moment  donné,  au  déve- 


A.  — Ohtonue  avec  un  granule  de  Sulfate  de  zinc.  I!,  C,  I).  — Ohlenues 
avec  des  granules  de  Sulfate  de  cuivre.  Dans  les  (iiiatre  préparations  le  gra- 
nule est  suspendu  par  un  lil,  une  croix  iudicpie  la  hauteur  de  sa  position  dans 
A et  lî.  Ou  la  recouuail  aiséiueul  dans  C et  1>. 

A.  II.  — .Milieu  : ferrocyauure  de  l'olassiuui  'i  p.  c.;  Va  Cl  1 p.  c.;  Uélaliue  I p.  c. 

C,  K.  — Milieu  : ferrocyauure  de  Potassium  (ip.  c.;  .\a  Cl  3 ]).  c.;  (iélatiue  1 p.  c. 

.\,  lî  préseuteut  des  types  de  développ(uueut  de  haut  eu  has,  puis  de  has 
eu  haut. 

G.  — Type  de  dévelop|)eineul  de  has  eu  haut;  toutefois,  au  déhut  île  la  for- 
mation la  tigi^  ipu  s’élevait  verticalement  est  toudiée,  a jiassé  au-dessous  du 
granule,  mais  a repris  ensuite  sa  croissance  ascendante.  Le  même  phénomène 
s’est  produit  aussi  en  I),  mais  ici  la  chute  a été  incom])lèle  et  l’arhorescence 
garde  la  iihysionomie  prévue. 


lojtjtcmcnt  de  lias  en  liant  succède  nn  dévelojtpement 
de  liant  en  bas,  et  de  la  niasse  princijtale  se  détachent 
cette  fois  encore  im  certain  nombre  de  tigelles  ascen- 
dantes. 

h)  Gélatine  : 1 p.  e.;  Fcrrocifanvre  : (>  p.  c.; 


4 


A 


lî 


II 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CREE  DES  ETRES  VIVANTS?  19 


Le  granule  suspendu  dans  la  gélatine  se  dilate,  puis 
à la  partie  supérieure  on  constate  la  production  d’un 
bourgeon  à la  suite  duquel  va  se  développer  de  bas 
en  haut  une  tige  moniliforme  qui  servira  de  sujqiort 
aux  formations  ultérieures.  Tout  se  passe  donc  comme 
si  la  solution  de  sulfate  de  cuivre  et  de  sucre  qui  se 
forme  à l’intérieur  du  granule  était  toujours  moins 
dense  qu’une  solution  gélatineuse  ferrocjmnurée  dans 
la  proportion  de  6 p.  c.  et  salée  au  titre  de  3 p.  c. 
Dans  un  milieu  conforme  à la  première  formule,  le 
contenu  du  granule  semblerait  avoir  au  début  une  den- 
sité plus  élevée  que  celle  de  son  milieu.  Mais  par  suite  de 
l’absorption  incessante  d’eau,  il  y aurait  dilution  de  la 
solution,  diminution  de  sa  densité  qui  deviendrait  bien- 
tôt inférieure  à celle  de  la  solution  ferrocyanurée,  d’où 
changement  de  direction  du  mode  d’accroissement.  Ges 
données  expliquent  certaines  difterences  morpholo- 
giques observées  dans  des  arborescences  croissant  en 
hauteur.  Mais  elles  font  comprendre  qu’il  est  possible 
d’obtenir,  au  moins  avec  les  solutions  faibles,  des  crois- 
sances en  surface,  en  algue  ainsi  que  le  dit  S.  Leduc, 
qui  sont  intéressantes  à considérer. 

Voici  un  des  tjqies  que  nous  avons  obtenus  (tîg.  2). 
Nous  avions  placé  un  granule  de  sulfate  de  cuivre  au 


Fig.  2.  — Croissance  en  algue.  Granule  de  Sulfate  de  cuivre  : Milieu  : Ferro- 
cyanure  2 p.  c.  ; Chlorure  de  sodium  1 p.  c.  ; Gélatine  1 p-  c. 

centre  d’une  bouteille  plate  disposée  horizontalement, 
remplie  de  solution  ferrocyanurée  à 2 p.c.,  salée  à i p.c. 


•20 


REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


et  contenant  i }>.  c.  de  ^élatine.  Le  dévelopjieinent 
s’est  d’aliord  fait  en  surface,  et  ses  irrégularités  sont  la 
cause  de  l’intérêt  que  présente  cette  ligure.  Il  s’est  fait 
aussi  en  hauteur,  mais  les  tigelles  sont  i-estées  naines 
on  ont  atteint  l’autre  surface  de  la  bouteille,  s'y  étalant 
dans  lin  jilan  jiarallèle  au  jiremier. 

Revenons  aux  arborescences  en  bauteur,  plus  faciles 
à réaliser  ipie  les  précédentes.  Il  nous  reste  à ('xaini- 
ner  la  raison  des  ditlérents  aspects  qu'elles  jirésimtent. 

Nous  avons  vu  dans  ipielles  circonstances  se  déve- 
loppent les  arborescences  à tiges  multijiles  (>t  grèk's  ou 
à tige  unique  et  inoniliforine.  Mais  pourquoi  certaines 
formations  restent-elles  blamenteuses  (bg.  0,  a],  jioui'- 
quoi  dans  d'autres  voit-on  les  tiges  se  terminer  par  des 
Iioules  (bg.  .‘L  ê),  des  coiqts  en  battants  de  cloche 
(tig.o,  c),  ou  encore  })ar  des  sortes  de  feuilles  (bg.  .‘L 
Pourquoi  voit-on  parfois  des  feuilles  naissant  de  la 
même  liase  d’oi’i  s'élèvent  les  tiges?  Pourquoi  dans  cer- 
tains cas  observe-t-on  des  arliorescences  naines  consti- 
tuées par  de  larges  feuilles  qui  s’écliap|)ent  du  granule? 
Peut-on  exjiliquer  et  jiroduire  à volonté  toutes  ces 
variétés  ? 

Le  hasard  déjoue  parfois  les  jirojets  de  l'expérimen- 
tateur, mais  on  peut  admettre  qu’il  est  relativement 
facile,  en  o|)éi-ant  toujours  avec  les  mêmes  produits, 
d’olitenir  des  tv})es  jiréviis  d’avance.  L’état  jibjsiqiie 
de  la  gélatine  Joue,  à côté  di'  la  bmeur  en  ferrocvanure, 
un  rôle  considéralde.  En  le  faisant  varier  })bis  ou  moins 
rajiidement,  on  modibe  jirofondément  l’aspi'ct  général 
de  la  production. 

Tant  ({lie  la  gélatine  est  liquide,  on  observe  des  for- 
mations cylindritpies  s’élevant  verticalement  et  partant 
soit  de  la  graine,  soit  de  la  masse  qui  en  est  sortie. 

Quand  la  gélatine  fait  {irise,  on  constate  la  {irodiic- 
tion  de  formes  lamelleuses  d’as{iect  {dus  ou  moins 
foliacé.  Ces  {iroductions  {lartent  de  la  base,  ou  ter- 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  21 


minent  la. tige  moniliforme  souvent  unique  qui  se  déve- 
loppe dans  les  milieux  ferrocyanurés  à 5 p.  c.  Les 
tigelles  multijdes  des  solutions  ferrocyanurées  jtlus 
faibles  se  terminent  le  jilus  souvent  })ar  des  rentle- 


Fig.  3.  — Schéma  montrant  l’influence  de  l’état  physique  et  de  la  composition 
quantitative  du  milieu 

a)  Arborescence  presque  entièrement  filamenteuse.  Le  développement  a été 
ol)tenu  en  milieu  ferrocyanuré  faible  (d’où  étalement  du  granule)  et  il  a été 
achevé  avant  la  prise  de  la  gélatine  (d’où  absence  d’organes  terminaux).  — 
b)  .Vrborescence  d’organes  terminaux  en  boules.  L’étalement  du  granule  est  dû 
à la  faible  teneur  du  milieu  en  ferrocyanure;  les  renflements  terminaux  se  sont 
formés  dans  la  gélatine  semi-fluide.  Dans  les  arborescences  à base  de  SO*Zn 
nous  avons  souvent  observé  une  sorte  de  capsule  transparente  entourant  la 
terminaison  sphéroïdale.  — c)  Organes  terminaux  en  bdttants  de  cloche. 
L’étalement  du  granule  est  dû  à la  même  cause.  La  forme  des  organes  termi- 
naux se  produisant  dans  la  gélatine  semi-tlnide  est  due  à l’augmentation  de  la 
teneur  en  gélatine.  — il)  .Vrborescence  obtenue  en  milieu  riche  en  ferro- 
cyanure. Tige  moniliforme  unique  surmontant  le  granule  à paroi  transparente, 
à travers  laquelle  on  aperçoit  une  partie  non  dissoute.  La  formation  dénommée 
tige  se  dévelopiie  en  gélatine  liipiide,  les  appendices  foliacés  qui  la  sur- 
montent se  développent  en  gélatine  solide  ou  semi-fluide. 


inents  d’aspect  varialde  mais  adojitant  plus  particiiliè- 
nuiient  l'aspect  de  boules  dans  les  solutions  gélatineuses 


22 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


à 1 p.  c.,  ras})cct  do  battants  de  cloche  dans  les  solu- 
tions g'élatineuses  à 2 ]).  c.  ou  plus. 

La  figure  précc'dente  schéinatise  les  observations  que 
nous  venons  de  résumer.  Les  photogra})hies  aussi  sont 
sériées  de  façon  à démontrer  l’influence  de  la  concen- 
tration du  milieu  en  ferrocyanure  (fig.  letoi.Co  facteur 
n’est  cependant  pas  le  seul  ([ui  intervienne  ])Our*  varier 
la  morphologie.  La  rapidité  de  la  prise  de  la  gélatine 


Fig.  i.  — Arborescences  olitenues  avec  les  g’raniiles  de  Sulfate  de  zinc  en 
milieu  conli'nant  : ferrocyanure  de  Potassium  2 j).  c.;  chlorure  de  Sodium 
1 p.  c.  Iîemar<]uer  les  formations  lilamenteuses  (gélaline  liquide  1 p.  c.),  en 
boules  (gélatine  à I ]).  c.),  en  battants  de  cloche  (gélatine  à 2 p.  c.). 


a également  tine  grande  influence.  Quand  cette  jtrise  est 
tardive  on  obtient  des  arboresctmces  hautes,  avec  des 
tiges,  tigelles,  organes  terminaux,  folioïdes  de  formes 
variables.  Quand  la  ]>rise  est  relativement  rajûde,  on 
observe  des  arborescences  plus  ou  moins  naines  rapjte- 
lant  les  plantes  grasses  ou  des  clianqngnons  de  formes 
variées.  Pour  oldenir  de  jolis  types,  il  est  bon  d’ojtérer 
dans  des  tubes  larges  de  5 à f)  centimètres.  Le 
milieu  suivant  : Gélatine  i ]).  c.,  ferrocyanure  2 ]>.  c., 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  2'S 


Na(^  i p.  c.,  nous  a donné  d’excellents  résultats,  et 
nous  reproduisons  quelipies  dessins  des  productions 
obtenues,  leur  examen  montrant  mieux  ipie  toute  des- 
cri])tion  la  variété  des  formes  observées  (tig.  (3  à 9). 

D’après  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  est  donc 
possible  de  faire  une  sorte  de  classification  de  ces 


A B 

Fig.  5.  — A.  Arliorescence  oliteiuie  avec  granule  de  S0‘  Cu  dans  milieu 
coulenaut  ; gélatine  'i  p.  c.;  ferrocyanure  de  l'otassiuni  5 p.  c.;  chlorure  de 
Sodium  :2,oU  p.  c.  — B.  Arborescences  obtenues  avec  granules  île  Sulfate  de 
zinc;  a)  le  milieu  contient  : ferrocyanure  de  Potassium  ï2  p.  c.;  chlorure  de 
Sodium  1 p.  c.,  développement  dans  la  gélatine  liquide  1 p.  c.;  bj  ferrocyanure 
de  Potassium  5 p.  c.;  chlorure  de  Sodium  2,50  p.  c.;  gélatine  2 p.  c. 


arborescences  et  de  distinguer,  outre  les  croissances  en 
surface  : 

i“  Des  productions  filamenteuses  pures  et  simples; 

2”  Des  jtroductions  filamenteuses  avec  organes  ter- 
minaux soit  en  lioules,  soit  en  battants  do  cloche  ; 

Des  jtrodtictions  foliacées  : n)  accomjtagnant  des 
tigelles  C3dindriqties  munies  ou  non  d’organes  termi- 


24 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


naux;  h)  s’échappant  du  .aranule  ou  d’uue  masse  ayant 
fait  hcniie  hors  de  lui;  c)  couronnant  une  tige  nionili- 
forine. 

IV.  D’antres  artifices  permettent  de  compléter  cette 
série  de  variétés. 


B 


Fig.  on.  — Granule  Sulfate  de  cui- 
vre, glucose.  Gélatine  4 p.  c.;  Ferro 
2 p.  c.;  Na  Cl  I p.  c.  Le  granule  s’étale 
en  partie  au  fond  du  vase  et  de  cette 
memhratie  horizontale  s’élèvent  des 
(ilaments  verticaux  grêles,  plus  ou 
moins  longsettermiués  pardes  boules 
ou  des  renllenients  cylindriques. Laté- 
ralement on  voit  une  large  feuille 
aplatie  qui  se  développe  dans  la 
gélatine  solidiliée. 


Fig.  O/L  — Granule  Sulfate  de  cui- 
vre et  glucose.  Gélatine  4 ]>.  c.  ; FeiTO 
2 p.  c.;NaCI.  I p.  c.  Léger  étalement 
de  la  graine  d’où  partent  quehpies 
tiges  portant  des  organes  terminaux 
de  formes  diverses. 


Suivant  la  nature  du  granule,  on  obtient  des  arbo- 
rescences de  couleurs  ditlérentes,  dt's  brunes  avec  le 
sulfate  de  cuivre,  des  blanches  avec  le  sulfate  de  zinc, 
des  bleues  ttvec  le  stdfate  ferriipu'  ( 1 ).  En  mettant  dans 
un  même  vase  des  granules  de  sulfab'  de  cuivre  ét  des 


(1)  Co  dernier  sel  toutefois  ne  nous  a pas  donné  de  bons  résultats. 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ÊTRES  VIVANTS?  25 


granules  de  sulfate  de  zinc,  nu  peut  obtenir  des  arbo- 
rescences jtauachées  foi-t  curieuses.  Si  la  graine  se 
dévelopjie  entièreinent  en  gélatine  liquide,  on  obtient 


Fig.  7.  — Uranule  de  Sulfate  de  zinc  et  glucose.  Uélatine  4 p.  c.  ; 

Ferro  5 p.  c.  ; AaCl  2,50  p.  c. 

uniquement  des  formes  cylindriques  sans  feuilles  ni 
organes  terminaux.  l)es  alternatives  de  solidification 
et  de  fusion  du  milieu  permettent  aussi  de  produire  un 


REVUE  DES  QT^ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


26 

auti-e  ^enro  de  variétés.  Si  on  li({uéfie  seuleincnt  la 
partie  inférieure  de  la  i^élatine,  les  tiges  s’étalent  sous 
forme  de  feuilles  horizontales  au  moment  où  elles 
rencontrent  la  gélatine  solidifiée,  11  en  est  évidemment 
de  même  dans  le  cas  où  la  gélatine  fait  j)rise  jdus 
ra})idement  à la  surlace.  Mais  il  arrive  aussi,  et  le 
fait  s’observe  particulièrement  bien  avec  les  granules 


Fig.  s.  — (iraimie  Sulfate  de  cuivre  et  {’lucose.  (iélatiiie  4 p.  (;.  ; Ferro  '2,  p.  c.; 
Na  Cl  t p.  c.  I.e  granule  se  développe  eu  uii  milieu  refroidi  rapidement.  II  pousse 
les  tiges  I.  II.  III  et  leurs  organes  terminaux.  Ces  trois  liges  sont  rapprochées 
les  unes  des  autres.  Mais  on  porte  au  hain-maiàe  la  imrtion  inférieure  du  tube. 
La  gélatine  fond  jusqu'à  un  certain  niveau  et  les  liges  I.  II.  III  accolées  se 
séparent  pour  prendre  la  position  indiquée  par  la  ligure.  Fn  grand  nombre  de 
liges  grêles  se  développait  alors  dans  la  gélatine  liipiéliée,  la  plupart  naissent 
du  granule  et  croissent  rapidement  jusqu’au  niveau  de  la  gélatine  non  solubi- 
lisée. Elles  se  fusionnent  à ce  niveau  pour  former  une  feuille  aplatie  et 
semi-circulaire. 


de  sulfate  de  cuivre  évoluant  dans  un  milieu  ferro- 
cyanuré  à 5 }).  c.,  il  arrive  aussi  ipK'  la  tige  monte 
directement  Jusqu'à  la  surface  sans  jtrodiiire  de  feuilles 
étalées.  Il  se  forme  alors  une  t'spèce  dt'  cratère  d’où 
s’échaj)])e  sous  forme  d’unt'  jierle  (îouleur  émeraude 
la  solution  de  sulfate  de  cuivre  et  de  siicrt',  et  cette 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  GRÉÉ  DES  ÊTRES  VIVANTS  ? 27 


solution  s’étale  peu  à peu  à la  surface  de  la  gélatine. 
Mais  si  au  moyen  d’un  tube  évasé,  légèrement  chautfé 
(ceci  pour  faire  fondre  un  peu  la  gélatine),  on  capte  la 
goutte  de  sulfate  de  cuivre,  on  voit  le  liipiide  s’élever 
dans  le  tube,  et  l’arborescence  initiale  se  prolonge 
maintenant  par  un  osmoniètre  des  plus  classiques  (fig.  10). 


Fig.  9.  — Granule  Sulfate  de  cuivre  et  glucose.  Gélatine  4 p.  c.  ; 

Ferro  5 p.  c.  ; Na  Cl  2,50  p.  c. 

f.a  graine  est  entourée  d’une  membrane  presque  transparente  d’où  se 
détache  un  tube  moniliforme  à trajet  un  peu  compliqué.  11  se  produit  <à  son 
extrénuté  un  amas  informe  d’où  partent  un  certain  noiulire  de  feuilles  aplaties, 
dont  deux  atteignent  un  développement  considérable,  tandis  que  les  autres 
restent  stationnaires. 


A la  place  de  faire  des  granules  de  sulfate  de  cuivre 
évoluant  en  milieu  ferrocyanuré,  on  peut  faire  des  bou- 
lettes de  ferrocyanure,  de  potassium  et  de  sucre  que 
l’on  projette  alors  dans  des  milieux  gélatineux  addi- 
tionnés de  sulfate  de  cuivre,  nitrate  de  cobalt,  sulfate 
de  zinc,  sulfate  de  cadmium,  dans  la  proportion  de 
5 p.  c.  ou  plus.  On  pourrait,  avec  Iteaucoup  de  chances 
de  réussite,  faire  des  recherches  dans  cette  voie.  Les 


28 


REVUE  DES  QI’ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


arlioresconces  prennent  des  formes  se  ra}»proeliant  par 
certains  côtés  de  celles  qui  se  })rodiiisent  (ni  gélatine 
ferrocjanurée,  elles  en  diffèrent  par  certains  antres. 


l'ifi.  10.  — Le.  granule  de  Sulfate  de  cuivre  se  développe  dans  un  milieu 
contenant  ferrocyanure  5 gr.  Na  Cl  “2  gr.  50.  Célaline  l gr.  On  assiste  à la 
production  d’une  lige  nioniliforriie,  qui  atteint  la  surface  de  la  gélatine  et  on 
voit  sourdre  une  goutte  verdâtre  de  Sulfate  de  cuivre.  Celle  goulle  grossit 
progressivement  et  s’épancherait  en  nappe  à la  surfac(‘.  de  la  gélatine,  si  elle 
n’était  cajitée  par  un  tube  de  verre  qui  transforme  en  osmomètre  l’arbores- 
cence primitive.  On  voit  alors  le  liipiide  s’élever  dans  le  lube. 


Nous  nous  contentons  do  donner  quelques  figures 
capables  de  rense'gner  le  lecteur  (flg.  11). 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  29 


Fig.  11.  — Granules  de  ferrocyanure  de  potassium  et  de  sucre.  Milieu 
SO*  Gu  5 p.  c.;  Na  Cl  :2,50  p.  r.;  Gélatine  1 p.  c. 


Il 

Connaissant  maintenant  certaines  formes  arbores- 
centes obtenues  par  divers  artifices  en  milieu  ferro- 
cyanuré,  il  est  facile  de  discuter  les  conceptions  de 
Stéphane  Leduc.  Et  tout  d’ahord  a-t-il  la  prétention 
d’ avoir  créé  la  vie  f 

Non,  répond-il  clairement  dans  une  communication 
à l’Académie  des  Sciences,  le  7 janvier  1907  (1).  AAici 
ses  propres  paroles  : « Je  n’ai  pas  dit,  ainsi  cpi’il  est 
indiqué  dans  la  note  de  M.  Becquerel,  avoir  reproduit 
« tous  les  phénomènes  de  la  vie  latente. et  manifestée  » 


(1)  Comptes  rendus,  p.  3‘J. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:^0 

mais  ])ien  certaines  fonctions  considérées  comme  carac- 
téristiques de  la  vie.  » 

Prenons  lionne  note  de  cette  déclaration  nette  et 
précise.  Elle  est  tardive  et  présente  les  caractères  d’une 
véritable  rétractation.  Pans  ses  écrits  antérieurs  la 
jilume  de  Stéjihane  Leduc  a peut-être  dépassé  la  iiensée 
du  Maître,  mais  le  lecteur  formule  son  jugement  d’après 
les  phrases  qu'il  a sous  les  jeux.  Et  ici  pas  do  doute 
jiossible. 

Le  Matin  du  *21  décembre  1900,  contient  un  article 
signé  Docteur  Stéjihano  Leduc  et  intitulé  : « Va-t-on 
faire  <Je  la  üie^  Mhocles.  Comment  un  savant  crée  des 
êtres  vivants  ».  ’\’oilà  certes  un  titre  par  lui-même  très 
exjilicite,  liien  que  le  texte  ne  contienne  ]>as  d’atfirma- 
tion  catégorique,  l’auteur  disant  seulement  : « J’ai 
repi'oduit  les  phénomènes  do  nutrition  par  intussuscej)- 
tion,  d'organisation  et  de  croissance  qui  jusqu’ici  étaient 
considéi‘és  comme  caractéristiques  do  la  vie.  » 

( )n  lit  jiar  ailleurs,  dans  la  lirochurc  de  St.  Leduc  : 
Les  Bases  physüiues  de  la  vie  et  la  Bioejenèse  (1)  : 

« J’ai  jm  réaliser,  par  les  forces  })hysiques,  les  jthé- 
nomènos  de  nutiâtion,  d’organisation,  de  croissance 
(}).  11)  »...  « Ges  trois  fonctions  : nutrition  par  intussus- 
cc])tion,  croissance  et  organisation,  considérées  jusqu’ici 
comme  caractéristiques  de  la  vie,  se  trouvent  ainsi 
l'éalisées  ])ar  les  forces  physiques.  Les  croissances  des 
cellules  artificielles  sont  très  sensibles  à tous  les  exci- 
tants })hysi([ues  et  chimiques;  elles  cicatrisent  leurs 
blessures  : lorsqu’une  tige  est  brisée  avant  rachèvement 
de  la  croissance,  les  fragments  se  juxtaposent  et  se 
ressoudent  et  la  croissance  recommence.  Une  seule 
fonction  reste  à réaliser  pour  achever  la  synthèse  de  la 
vie  : la  rejiroduction  en  série.  Je  considère  ce  prolilème 
comme  du  même  ordre  que  ceux  déjà  résolus  (p.  13).  » 


(I)  Masson  et  éditeurs.  — Conférence  faite  sous  le  patronage  de  la 
Presse  Méüic.\ee,  le  7 décembre  lOüti. 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  31 


Dans  un  ai'ticle  antérieur  publié  dans  la  Revue 
Scientifique,  1DÜ6,  pages  22Ô  et  2(35,  on  lit  cet  autre 
passage  : « Le  })hénoinène  de  la  croissance  est  considéré 
connue  un  des  plus  caractéristiques  de  la  vie.  C’est  en 
raison  de  leur  accroissement  dans  les  eaux-mères  que 
les  cristaux  sont  souvent  comparés  aux  êtres  \dvants; 
])our  les  différencier,  les  biologistes  insistent  sur  ce  que 
les  cristaux  croissent  par  juxtaposition,  comme  un  mur 
s’accroît  par  les  pierres  que  l’on  Juxtapose  successive- 
ment, tandis  que  les  êtres  vivants  croissent  par  intus- 
susce])tion,  la  substance  d’accroissement  s’incorporant 
à leur  ])ropre  substance.  Dans  des  communications  nous 
avons  décrit  la  croissance  par  intussusception  de  la 
cellule  artiticielle.  » A la  conclusion  on  lit  cette  phrase  : 
« Nos  ressources  scientifiques  sont  actuellement  suffi- 
santes pour  nous  permettre,  à côté  de  la  biologie  analy- 
tique, d’élever  la  hioloc/ie  synthétique  ».  On  pourrait  à 
ces  citations  en  ajouter  d’autres,  éparses  çà  et  là,  plus  ou 
moins  catégoriques,  mais  toujours  dans  la  même  note. 

Il  serait  facile  de  commenter  ces  citations.  Les  défen- 
seurs de  Leduc  trouveront  qu’elles  ne  contiennent 
aucune  affirmation  permettant  de  dire  que  la  commu- 
nication du  7 janvier  1907  a les  caractères  d’une 
rétractation.  Il  n’y  avait  pas,  ajouteront-ils,  matière 
à rétractation.  Les  adversaires  soutiendront,  au  con- 
traire, que  les  paroles  de  Leduc  autorisent  à conclure 
à la  création  d’un  organisme  vivant.  C’est  là,  d’après 
eux,  la  conclusion  qui  se  dégage  d’entre  les  lignes, 
elle  est,  d’ailleurs,  l’unique  cause  du  retentissement  des 
travaux  de  l’auteur.  Ils  pourront  même  ajouter  que 
cette  ojânion  s’était  tellement  généralisée  (1)  que 

(1)  Voici  l’analyse  du  travail  de  Leduc  qui  figure  sur  les  notices  de  « récentes 
publications  médicales  » que  répand  la  maison  Masson.  Les  Bases  physiques 
de  la  vie  et  la  Bioyenèse,  par  le  lE  Stéphane  Leduc,  professeur  à l’École  de 
médecine  de  Nantes.  Conférence  faite  sous  le  patronage  de  la  Presse 
Médic.vle,  le  7 décendire  1901).  1 brochure  in-16,  avec  13  figures  dans  le  texte. 

« L’auteur  cherche  tout  d’abord  à montrer  que  la  question  des  générations 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


32 

Stépliano  Leduc  constatant  l’etfet  déplora])le  jiroduit,  a 
cni  nécessaire  })Our  sa  dignité  de  protester  par  une 
déclaration  précise  contre  cette  légende,  conti'e  cette 
para})lirase  de  ses  écrits. 

Nous  ne  voulons  pas  eng’ager  ici  de  ])oléiniqne, 
analyser  les  textes  pour  discuter  le  sens  ([ui  en  découle. 

On  ne  j)eut  ([uc  regretter  de  la  jtart  (run  savant  cette 
iin})récision,  j)robal)leinent  voulue,  ([ui  permet  de  faire 
croire  au  lecteur  })lus  (jue  n’en  dit  l’écrivain.  Celui-ci 
a beau  Jeu,  ([uand  il  voit  la  tentative  inalheureuse,  pour 
protester  de  ses  bonnes  intentions.  Quoi  (pi’il  en  soit, 
il  faut,  pour  être  é([uitable,  pi*endi'e  bonne  note  de  la 
déclaration  de  Leduc  : rex|)ériinentation  n’a  ]>as  ti'an- 
cbé  le  jiroliléine  de  la  génération  s})ontanée.  L’inci- 
dent })ourrait  êtri'  considéré  coinine  clos,  mais  il  est 
utile  d’examiner  si  l’auteur  a vraiimnit  réussi,  comme 
il  le  pense,  à « réaliser  ])ar  les  forces  pliysi([ues  » 
d('s  })hénomènes  de  « nutrition  [>ar  intussusce})tion, 
de  croissance  et  d’organisation  ». 

Cett('  trilogie  caraidérise  assurément  l’être  vivant. 
L’organisation  est  son  caractère  anatomique  fondamen- 
tal; la  nutrition  est  sa  fonction  })liysiologique  })rimor- 
diale,  on  jieut  la  considérer  comme  rensemlile  des  })lié- 
noménes  qui  alioutissent  }>ar  l’assimilation  à l’augmen- 


spoiitanées  exista;  d’après  lui,  c’est  dans  l’étude  des  solutions  de  cristalloïdes 
et  de  colloïdes  que  l’on  doit  découvrir  la  nature  de  la  vie.  La  vie  semble  être 
la  résultante  d(^  deux  forces  ])liysi(]ues,  l'une  active,  la  pression  osmotique  qui 
met  en  mouvement  les  molécules  et  les  ions,  l’autre  passive,  la  résistance 
opposée  par  les  plasmas  et  les  membranes  à ces  mouvements.  M.  I.educ 
montre  comment  il  a su  réaliser  par  les  forces  ])bysi(iues,  au  sein  de  la  matière 
minérale,  les  |diénomènes  de  nnti'ition,  d’oryanisation,  de  croissance.  Il  fait 
assister  à la  germinalion  d’une  graine  artificielle,  faite  de  sulfate  de  cuivre  et 
de  sucre,  dans  un  liipiide  contenant  du  ferrocyanure  de  potassium,  du  chlo- 
rure de  sodium  et  de  la  gélatine;  il  en  sort  un  organisme  qui  croit  et  sur 
lequel  se  développent  des  feuilles,  des  épines,  des  chatons,  etc.  » 

Sans  vouloir  commenter  ce  texte,  remarquons  ipie  l’analyste  appelle 
« organismes  » les  arborescences  de  Leduc.  Or  onjanisme  est  bien  synonyme 
d’iVrc  vivaut,  les  corps  organisés  étant  tous  ceux  « qui  sont  doués  de  la  vie, 
tant  animaux  ipie  végétaux  ». 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  33 


tation  (le  la  masse  de  la  substance  vivante.  Cette 
augmentation  ne  se  fait  pas  comme  chez  les  cristaux 
liai'  siinj)le  Juxtaposition,  mais  })ar  intussusception. 

Pour  conserver  l’ordre  qu’a  adopté  Stéphane  Le- 
duc (i),  nous  allons  discuter  : 1”  si  ses  arborescences 
ont  des  fonctions  de  nutrition  ; 2°  si  elles  s’accroissent 
par  intussusce})tion  ; 3"  si  elles  sont  organisées. 

1“  Y a-t-il  nutrition  i — Que  faut-il  entendre  par 
nutrition  ? Bien  que  raccroissement  soit  la  conséquence 
de  la  nutrition,  il  ne  faut  jias  considérer  que  tout  ce  qui 
se  développe  se  nourrit.  Les  cristaux  s’accroissent  et  ne 
se  nourrissent  }>as  (2).  La  nutrition  proprement  dite 
comprend  trois  actes  fondamentaux  : l’absorption, 
l’assimilation,  la  désassimilation.  La  cellule  vivante 
« incorpore  des  substances  nutritives,  les  transfoione ^ 
en  assimile  certains  éléments,  et  en  rejette  d’autres  à 
l’extérieur  » (3).  « La  sulistance  vivante  exécute  simul- 
tanément des  phénomènes  de  décomposition  et  de 
composition  »,  elle  est  le  siège  de  « destruction  et  de 
création  organique  »,  d('  métamoiq)lioses  «régressives» 
et  « progressives  » (4). 

Qu’observe-t-on  dans  les  arborescences  de  Sté- 
phane Leduc?  11  y a liien  en  vérité  absorption  d’eau  (5), 
mais  l’eau  n’est  pas,  à jtroprement  jtarler,  un  aliment. 
Quant  aux  phénomènes  d’assimilation,  de  synthèse,  de 
désassimilation,  il  n’_y  en  a pas  trace.  Il  n’y  a pas 
consommation  de  certains  éléments  et,  ])ar  suite,  ])as 


U)  11  serait  plus  logique  de  dénionlrer  en  premier  lieu  l’organisation. 

rl)  Si  l’on  emploie  parfois  ce  terme  en  parlant  'des  cristau.x,  c’est  par 
métaphore. 

(3)  Hertwig,  La  Cellule,  p.  IIH. 

(4)  Cl.  Bernard,  Leçons  sur  les  phénomènes  de  la  rie  commune  aux  ani- 
maux et  aux  végétaux. 

(5)  Leduc,  Comptes  rendus  de  l’Académie  des  Sciences,  ;24  juillet  1905, 
p.  i28ü,  écrit  : « I.a  cellule  ahsoi'he  dans  son  milieu  la  subslance  nécessaire  à sa 
croissance  ».  Or,  cette  substance  est  uniquement  constituée  par  de  l’eau. 

IID  SÉHIE.  T.  XII.  3 


34 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(le  niodilication  de  })oids.  Bien  (]ue  ees  ix^sultats  aient  pu 
être  aisément  }»réviis,  Bharrin  et  Boujtil  ont  eu  i-ecoui‘s 
à rex})érinientation  pour  élucider  ces  derniers  points. 
Lmir  eoininunication  (i),  intitulée  : Absence  de  nv.tri- 
tion  dans  la  formation  des  plaijfes  artificielles  de 
Leduc,  démontre  : 1“  l’absence  de  tout  changement  en 
})oids;  2"  la  constance  de  la  ({iiantité  de  sucre. 

On  ]K'ut  doser  les  ébanents  qni  cntrtmt  dans  la 
constitution  dn  granule  et  du  terrain  ; la  croissance 
aclievé'e,  on  retrouvera  exactement  les  mêmes  chitiVes, 
il  n’j  aura  pas  la  mointre  perte  ni  en  cuivi^e,  ni  en 
sodium,  ni  en  chlorure,  ni  en  ferrocyanure,  ni  en  sucre, 
ni  en  gélatine,  ni  même  en  eau,  jtourvu  ({ue  Ton  se  soit 
mis  à l’abià  de  tonte  dé])erdition  par  évaporation.  ( )n  ne 
trouvera  jtas  non  plus  de  jiroduit  nouveau,  pas  de  pro- 
duit de  désassimilation,  corollaire  nécessaire  de  l’assi- 
milation.  Il  va  sans  dire  (fue  le  téri-ocyanure  d(? 
cuivre  formé  ]»ar  la  réaction  chimiipie  dn  cuivre  et 
du  ferrocyanure  de  jiotassium  ne  })eut  être  considéré 
comme  un  ju'oduit  de  métaliolisme. 

On  jHHit  citer,  à pro])os  des  arliorescences  de  Leduc, 
ce  (pie  B(medikt  écrit  sur  les  cristaux  : « Le  cristal  ('st 
incajiahle  (reni})l(yyer  jtour  se  former  des  sulistances 
étrangères  ({u'il  transformerait  en  coiqis  devenant  sem- 
blable à sa  substance  })roj)re;  le  cristal  ne  })eut  pas, 
comme  le  fait  la  cellule,  s’assimiler  des  matériaux 
nutritifs  et  les  énergms  ([u’ils  contiennent.  Il  nVst  jtas 
cajialile  non  jdus  de  jiroduiredu  travail  en  sedécomjK)- 
sant...  (2).  » 

Leduc  écrit  (Revue  Scientifique,  IDÜO,  t.  I)  : « La 
substance  incorporée  se  modifie  chimiipienumt,  ainsi 
(pi’il  est  facile  de  le  reconnaître  ]tar  les  cliangements  de 

(1)  Comptes  rexhus  de  l’Académie  des  Sciences,  ;2I  janvier  IflOT. 

{'i)  Biomécanisme  et  Néovitalisme  en  Mé<lecine  et  en  Biolof/ie,  seronde 
partie.  Il'  M.  lienetlikl,  tradiirtion  française  de  llobert  Tissot,  .Maloine, 
éditeur,  Caris,  j).  ti:2. 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  .35 

coloration  qu’elle  suliit  ».  Il  n’j  a jias,  à proprement 
])arler,  de  substance  incoiqiorée.  Ideau  seule  })énètre  et 
vient  dissoudre  les  cristaux  de  sulfate  de  cuivre,  il  y a 
solubilisation  pure  et  siiu|)le;  quant  à la  préci}iita- 
tion  du  sulfate  de  cuivre  par  le  ferrocyanure,  elle 
constitue  un  simple  phénomène  chimique,  il  n’y  a 
point  là  la  moindre  synthèse.  L’absoiqdion  d’eau  ne 
suffit  })as  pour  dire  qu’il  y a nutrition.  Cette  absorjdion 
est  un  })hénoniène  banal  oliservé  dans  tout  osmomètre. 

Mais  la  nutrition  ne  siqqiose  }>as  que  des  phénomènes 
d’assimilation  et  de  désassimilation,  la  respiration  et  la 
circulation  sont  classées  parmi  les  fonctions  de  nutri- 
tion. Or,  les  })lantes  de  Leduc  ne  respirent  })as,  elles  se 
développent  dans  le  vide,  il  y a là  une  contradiction 
marquée  avec  l’évolution  générale  des  êtres  vivants  (1), 
car  il  faut  chercher  dans  les  iiffiniment  jietits,  dans  les 
microbes,  dits  anaérobies,  })our  trouver  des  êtres  qui 
vivent  sans  consommer  d’oxygène  libre.  La  res})iration 
est  une  des  fonctions  caract(Mâsti([ues  de  la  vie.  Dans  la 
vie  latente,  il  est  vrai,  il  n’j’  a ni  consommation  d’oxy- 
gène, ni  production  d’anhydride  carbonique,  mais  tout 
corps  organisé  en  voie  d’accroissement  a besoin  d’oxy- 
gène. Si  les  arborescences  de  vStéphane  Leduc,  qui  se 
développent  sous  les  yeux  de  l’observateur,  étaient  des 
corps  organisés,  elles  consommeraient  de  l’oxygène, 
produiraient  de  l’acide  carlionique  et  de  l’eau  et  cela 
d’autant  plus  que  l’évolution  est  })bis  rapide. 

Pour  ce  qui  est  de  la  circulation,  Sté})hane  Leduc 
écrit  : « .J’ap|)elle  circulation  le  transjiort  du  liquide 
menil.iranogène  et  du  sucre  dans  d’étroits  canaux  sur 
des  longueurs  jiouvant  atteindre  0‘",30  (2).  » 


(1)  « La  respiration  de  l’oxygène  est,  à peu  d'exceptions  près  (l)actéries  ana- 
éroljies,  etc.),  une  propriété  l'ondamentale  de  tout  être  organisé.  » Herlwig, 
loc.cit.,p.  \t±. 

(:2)  Comptes  iiENiius  de  i/Aeadémie  des  Sciences,  7 janvier  1907,  p.  39. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


m 


Cette  assertion  est  inattaqua])le,  il  y a là  véritable- 
ment une  circulation  de  li([iiides  au  sens  lari>e  du  mot. 

Dans  tout  osmomètre  il  y a aussi  une  circulation  ana- 
logue, car  on  peut  qualitier  ainsi  le  mouvement  d’ascen- 
sion du  liifuide  dans  le  tube  de  verre  clos  par  la  mem- 
brane. Mais  cette  circulation  n’est  que  physiquement 
comparable  à la  circulation  cependant  très  ébunentaire 
de  la  sève  dans  les  plantes;  dans  les  aid)orescences  de 
Sté})liane  Leduc,  il  y a bien  un  mouvement  de  lûpiide 
mais  il  n’y  a ])oint  de  circulation  au  sens  biologique 
du  mot. 

C('t  exjtosé  nous  force  bien  à admettre  ([u’il  n’y  a 
ni  assimilation,  ni  désassimilation,  ni  respiration,  ni 
circulation,  opérations  fondamentales  de  la  fonction  de  ! 

nutrition,  fonction  jirimordiale  qui  caractérise'  l’être  j 

vivant.  Deux  jtoints  i-estent  encore  à réfutei-  : l’accrois-  ; 

sement  par  intussuscejdion,  l’organisation.  ■ 

2"  Y d-i-iJ  ac(‘i‘Oi)<seinent  par  i//fassa.scepfiojt  — l 

L’accroissement  ('st  indénialile;  mais  ce  n’est  pas  là, 
il  faut  l'avouer,  un  caractère  distinctif  de  l’ètre  vivant. 

L('s  stalactites  augmentent  de  volume  d’une  manière 
progressive;  les  cristaux  }dongés  dans  leur  solution 
mère  semblent  aussi  s’accroître  sjHmtanément.  Toute- 
fois cet  accroissement  de  volume  est  dû  à la  su[)erposi- 
tion  de  molécules  nouvelles;  on  dit  qu’il  se  réalise  par 
juxta])Osition  et  ce  fait  subit  à lui  seul  })Our  rejeter  les 
cristaux  hors  de  la  classe  di's  êtres  vivants. 

11  serait  donc  très  intéressant  de  trouver  quel([ue 
cliose  qui  s’accrût  non  par  juxtajtosition  mais  ])ar  i 

intussusception  ; ce  quebpie  chose  trouvé  aurait  démon-  i 

tré  une  fois  de  plus  la  vérité  de  l’axiome  bien  connu  ; 
aataj-a  noa  facit  saltux.  Entre  les  êtres  minéranx 
s’accroissant  ])ar  jnxta[iosition  et  les  êtres  vivants 
s’accroissant  par  intussusception,  voici  donc  (pielque 
chose  (jui  s’accroît  }tar  un  mécanisme  qui  n’est  ])as  ^ 


t 


STÉI’HANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  31 


la  Juxta})()sition,  mais  semlile  de  rintussiisception. 
Ce  ([uelque  chose  est-il  riiitermédiaire  rêvé  entre  le 
monde  organique  et  le  monde  inorganique?  X’est-ce 
point  là  le  meud  de  la  question?  Et  si  Stéphane  Leduc 
a cru  constatc'r  dans  ses  arliorescences  des  fonctions 
de  nutrition  et  une  organisation,  n’est-ce  pas  justement 
])arce  qu’en  disant  « accroissement  i>ar  intussusception  » 
il  a espéré  se  trouver  vis-à-vis  d’une  formation  ayant 
les  caractères  des  êtres  vivants? 

Qu’est-ce  que  l’intussusception  ? 

(El  oliserve  chez  l’être  vivant  une  rénovation  inces- 
sante des  molécules.  Or  les  molécules  nouvelles 
« ])énêtrent  dans  l’intimité  même  de  l’organisme, 
entre  (et  non  ]>as  sur)  les  molécules  déjà  existantes, 
c’est  ce  (pi'on  a ex])rimé  en  disant  que  les -corps  vivants 
s’accroissent  par  intussusce|)tion  et  les  corps  bruts  ]>ar 
ap})osition  ». 

En  1807,  Traulie  insista  longuement  s-ur  le  méca- 
nisme de  l’intussiisception;  voyons  sa  théorie  : 

L’acide  tannique  })récipite  la  gélatine,  tout  comme  le 
ferrocyanure  de  potassium  i)réci|)ite  les  sels  de  cuivre. 
Dans  l’un  et  l’autre  cas,  il  se  produit,  (piand  les  circon- 
stances sont  favorables,  une  membrane  })erinéahle  à 
l’eau  et  imperméable  aux  sels  ou  plus  exactement  à 
certains  sels.  Si  à l’exemple  de  Trauhe  on  fait  tomber 
une  goutte  de  gélatine  dans  une  solution  tannique 
diluée,  il  se  forme  tout  autour  de  la  goutte  une  [lellicule 
de  tannate  de  gélatine,  et  l’on  oldient  ainsi  une  cellule 
artiticielle,  c’est-à-dire  une  masse  semi-duide  emjiri- 
sonnée  dans  une  membrane  d’envelop]ie.  dette  dernière 
est  formée  par  la  juxtaposition  de  granulations  micro- 
sco})i([iies,  tellement  rajiprocbées  les  unes  des  autres 
([ue  le  contenu  de  lacidlule  ne  piait  pas  s'inbltrer  entre 
(db's.  Mais  bientôt  les  phénomènes  changent.  Im  géla- 
tine concentrée  soustrait  à la  solution  diluée  d’acide 
tanni([ue  l’eau  dont  elle  est  avide*,  et  la  membrane  ne 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


3S 


s’oj)])ose  pas  à son  ])assa»e.  Cotte  ]ténétration  d’eau  à 
rintérieur  de  la  cellule  distend  la  luembraue  dont  les 
o-i'anulatious  deviennent  moins  étroitement  juxtaixisées. 
11  arrive  même  un  temps  où  les  espaces  compris  entre 
les  molécules  deviennent  assez  larges  ])our  laisser 
})asser  un  peu  de  liquide  intérieur.  Mais  ce  liquide  inté- 
rieur étant  une  solution  aqueuse  de  gélatine,  dès  que 
cette  solution  traverse  un  espace  intermoléculaire  de  la 
membrane  elle  précipite  au  contact  du  tannin,  la  lirèche 
est  ré])arée,  la  cellule  est  de  nouveau  close  de  toutes 
]>arts  Jus{[u'à  ce  que  le  jdiénoméne  recommence.  ’S'oilà 
bien,  en  vérité,  un  schéma  de  l’intiissusception.  Traube 
attribua  avec  raison  ù ce  ithénomène  une  origine  })uro- 
ment  physique.  On  voit  (ra])rès  cela  que  l’accroissement 
]tar  intussusce])tion  ohsercè  chez  fous  les  èfces  vivants 
n est  qu’un  accident,  un  mode  (jènèral  commun  à tous 
mais  non  un  jihènomène  absolument  cacactihdsti(pte. 
Sté})hane  Leduc  dit  que  ses  arborescences  s'accroissent 
])ar  intussuscejttion  ; cette  asseidion  donnée  sans  aucune 
preuve  est  très  discutable. 

I)ans  le  dévelo})})ement  sphéroïdal  d'une  graine  on 
)K'ut  admettre  rintussiisception  telle  que  la  décrit 
Traube,  mais  il  n’en  est  pas  de  même  dans  la  produc- 
tion des  arborescences.  Ici  le  dévelopjtement  se  fait  jtar 
éruption  et  il  y a là,  en  somme,  un  ])hénomène  qui  se 
rapproche  fort  de  la  Juxtaposition  observée  dans  la 
cristallisation,  dette  assertion  a besoin  d'être  démon- 
trée. Li'duc  écrit  : « Mes  planb's  se  nourrissent  ]>ar 
intussusce]»tion  »,  mais  il  n'en  donne  aucune  ])reuve. 
Lvitons  cet  écueil.  11  suffit  d'ailleurs  d'ouvrir  les  yeux 
et  d'observer  ce  qui  se  passe.  Ohoisissant  un  milieu  où 
le  ]»hénomène  est  j)bis  net,  nous  aurons  reitours  à la 
solution  contenant  ])our  lUÎJ  cc.  d’eau  5 grammes  de 
ferrocyanure  et  ^ gr.  1/2  de  chlorure  de  sodium  (i). 


(1)  I.es  granules  feiTocyaiuirés  se  (léveloi)pant  en  un  milieu  gélatineux  de 
sulfate  de  cuivre  et  de  sel,  permettent  de  constater  très  nettement  ce  méca- 
nisme. 


STÉPHANE  LEDÎ^C  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS  ' 39 


(^e  ])liénouiêne  s’o])serve  dans  les  solutions  gélati- 
neuses, et  inèiiie  dans  les  solutions  ferrocvaniirées 
d’un  titre  ])lns  faible.  Toutefois  il  est  moins  net, 
et  pour  le  mettre  liien  en  évidence  dans  ces  diffé- 
•rents  cas,  il  faut  activer-  le  développement  en  portant 
la  solution  au  voisinage  de  30  à 40".  Examinons  donc 
en  quoi  consiste  le  })hénomène  de  l’éruption  (tîg-,  12).  On 


Fig.  12.  • — Schéma  destiné  à montrer  le  mécanisme  de  l’éruption 

On  voit  nettement  en  a l’extrémité  dn  tnhe  membraneux  se  déchirer,  une 
goutte  de  Sulfate  de  cuivre  apparaît  entre  les  parois  de  la  fente.  On  suit  en  b 
l’évolution  de  cette  goutte  qui  grossit  et  s’entoure  d’une  membrane  de  ferro- 
cyanure,  d’abord  mince  et  transparente.  Cette  membrane  atteint  cependant 
bientôt  (c,  d)  l’épaisseur  et  la  coloration  de  la  membrane  voisine.  L’arbo- 
rescence a un  article  de  plus  et  bientôt  le  phénomène  recommence. 


voit  nettement  que  le  Itourgeon  terminal  se  dilate,  crève, 
laisse  ]iasser  une  goutte  de  sulfate  de  cuivre  qui  s'en- 
toure d'une  memltrane  s'adajitant  exactement  aux 
parois  de  la  déchirure  (T). 

Quand  la  gélatine  se  soliditie,  le  phénomène  se  ralen- 
tissant (2)  devient  moins  net,  la  déchirure  est  moins 
brusque  mais  il  est  très  proltable  ({ue  le  mode  d’accrois- 
sement est  le  même. 


(1)  C’est  cette  expulsion  successive  de  gouttes  qui  explique  l’aspect  monili- 
forme  des  tiges  cylindrii[ues  (Voir  ligures). 

(2)  Ouaiid  la  solution  est  liquide  et  chaude,  la  brusquerie  de  l’expulsion  du 
contenu  jieut  être  telle  (jue  la  goutte  s’échappe  et  monte  <à  la  surface  du 
liquide,  formant,  pour  employer  un  style  imagé,  une  cellule  tille  issue  d’une 
plante  mère. 


iO 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


En  examinant  le  (lêveloppenient  des  aidxn-eseences 
cliiiniqnes,  on  constate  souvent  avec  la  dernièri'  évi- 
dence ([ne  raccroissement  a ])onr  cause  la  jnxtajiosition 
extenie  de  nouvelles  [(ortions  de  meinlu'ane  se  formant 
autour  de  gouttes  successivement  sorties  dn  granule 
en  voie  d'évolution.  11  y a intnssnsception  d’ean  qui  [)ro- 
vo([ue  un  accioissement  [tar  la  Juxta[)osition  de  mem- 
branes se  formant  autour  des  gouttes  successivement 
ex|tnlsées  hors  de  la  cellule. 

Si  l’on  objecte  ([ue  dans  certaines  arborescences  le 
dévelo[)[)ement  [tar  ériqdion  est  discutabh',  si  l’on  sou- 
tient ([lie  dans  tons  les  cas  le  d('V(do[q)em(mt  globuleux 
d’un  granule  (1)  s’o[)ére,  comme  l’a  dit  Traube,  [lar 
intussusciqition,  il  faut  admettre ([ue  la  tig('  de  laminaire 
desséchée  (h  stérilisée  s’ex[)lique  aussi  [lar  une  sorte 
d’intussusce[)tion. 

Cette  manière  de  voir  obligerait  à constah'r  ([ne  si 
tous  les  êtres  vivants  s’accroissmit  [lar  intiissnsce[)tion, 
tout  ce  ([ni  s’accroît  [>ar  intussusce[)tion  n’est  pas  vivant. 

3''  a-t-il  orfianimtioii  ^ — Assurément,  dit 
M.  Leduc,  « la  graine  initiale  s’organise  en  tiges, 
feuilles,  organes  huaninaux...  » (2).  Les  êtres  vivants 
sont  dits  organisés  [larce  ([u’ils  sont  « conqiosés  de  [lar- 
ties  (lisseml)lables  ou  distinctes  ai-rangées  dans  un 
certain  oi'di'e  » (3h 

A la  base  d('  l’organisation  des  êti’es  vivants  se  trouve 
la  cellule,  ayant  elle-même  une  structure  bien  déter- 
minée : [iroto|tiasme  [dns  ou  moins  granuleux,  noyau  et 
souvent  nucléole,  membrane  d’envelo[i[te  dans  la  géné- 
ralité des  cas.  Les  cellules  ditierenciées  foianent  les 


(DU  est  facile  à ohlenir  en  refroidissant  rapidement  une  solution  concentrée 
de  gélatine  ferrocyaniirée 

C2)  Comptes  hemus  t)E  r’AcAitÉMiE  des  Sc.ien(',e;s,  ifi  novembre  KHIt), 
p.  S.'d. 

(3)  Ileaunis,  Pln/Hinlof/ir  Immainc,  p.  17. 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  41 


tissus,  les  tissus  constituent  les  organes,  les  organes  se 
groupent  pour  composer  les  a])j)areils,  chaque  appareil 
est  })ourvu  d’une  fonction  ])i‘opre  et  déterminée.  4milà 
tout  au  moins  ce  qu’est  l’organisation  chez  les  êtres 
supérieurs,  animaux  et  végétaux,  (liiez  les  êtres  infé- 
rieurs de  l’un  on  l’autre  règne,  les  cellules  ne  sont  pas 
toujours  groupées  en  tissus,  mais  indépendamment  de 
leurs  fonctions  vitales,  leur  organisation  est  preuve  de 
leur  vie. 

Dans  les  arborescences  de  Leduc  on  voit  Inen  une 
diflérenciation  morphologi([ue  qui  légitime  les  termes 
métajdioriques  de  rhizomes,  de  tiges,  de  feuilles, 
d’organes  terminaux,  mais  ce  sont  des qiseudo-rhizomes 
qui  ne  puisent  dans  le  milieu  aucun  suc  nourricier, 
ce  sont  des  sémillants  de  tiges  dans  lesquelles  ne  cir- 
cule aucune  sève,  ce  sont  des  simili-feuilles  qui  ne 
sont  douées  d’aucune  activité  respiratoire;  quant  aux 
organes  terminaux,  aucune  fonction  propre  ne  leur  est 
dévolue.  La  cellule  vraie  avec  prohqilasme,  noyau,  cet 
élément  primordial  de  toute  organisation,  fait  complète- 
ment défaut.  Si  l’on  examine  an  microscope  des  frag- 
ments de  plantes  artiticielles,  tiges,  racines,  feuilles, 
organes  terminaux  présentent  le  même  aspect  et  on  ne 
réussit  ])as  à découvrir  autre  chose  qu’une  membrane 
constituée  jiar  des  stratifications  plus  ou  moins  denses, 
formées  jiar  nn  dépôt  granuleux  et  amorphe  (1),  dont 
la  couleur  varie  suivant  les  produits  entrés  en  réaction. 

Il  n’y  a }ias  la  moindre  cellule  et  cependant  Stéphane 
Leduc,  qui  semble  vouloir  frapper  l’imagination  du  lec- 
teur, écrit  pour  expliquer  le  dévelojqtement  de  ses 
plantes  : « la  cellule  grossit  » (2)  (lisez  : le  granule 

( t ) On  a pu  lire  dans  un  journal  politique  : « Observée  au  microscope  cette 
plante  factice  présentait  des  tissus  analogues  à ceux  des  plantes  naturelles  .» 
11  y a là  une  erreur  manifeste  et  grossière.  C’est  avec  de  telles  phrases  qu’on 
trompe  l’opinion. 

(:2)  C’est  une  singulière  cellule,  on  y distingue  bien  une  mendjrane  ou  un 
noyau,  mais  le  noyau  est  mobile!...  On  s’en  rend  facilement  compte  quand 


Rp]VUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


'ï2 


jii'ossit)  « puis  après  ([iiel(pius  minutes,  (ui  un  })oint  de 
la  surface  jaillit  un  bourgeon  qui  s’entoure  inmiédiate- 
inent  d’une  ineinlirane  de  ferrocyanure  de  cuivre;  sur 
le  sommet  de  ce  bourgeon  s’en  produit  un  second,  puis 
sur  celui-ci  un  ti'oisièine  et  ainsi  de  suite.  rilia([ue  bour- 
iieou  rej)rèsente  une  cellule  et  l’on  voit  les  cellules 
s’aligner  lentement  les  unes  à la  suite  des  autres  pour 
former  une  tige  creuse  dont  la  longueur  jieut  dépasser 
])lus  de  dix  fois  le  diamètre  de  la  cellule  ([ui  lui  a donné 
naissance.  » 

Or,  ces  bourgeons,  ({ue  l’auteur  qualifie  du  nom  de 
cellules,  n’ont  ni  noyau,  ni  jii’otoplasme,  ce  sont  de 
simjdes  vésicules  limitées  }iar  une  membrane  }irécipitée. 
Il  n’y  a point  là  de  cellules  au  sens  biologique  du  mot.  il 
n’y  a même  ])oint,  comme  dans  les  cellules  artiticielles 
de  l’auteur  décrites  au  début  de  cetb'-  étude,  l’analogie 
morphologique  ipi’on  jieut  leur  reconnaître  sans  leur 
attrilmer  le  moindre  caractère  vivant. 

dette  jirodiiction  successive  de  vésicules  s’expli([iie 
]»ar  un  phénomène  physi({iie,  longuement  décrit  à jiropos 
de  la  théorie  du  dévelopjK'inent.  Xous  sommes  loin  de 
la  multiplication  cellulaire  par  voie  directe  ou  indirecte. 

L’organisation  des  arborescences  de  Stéphane  Leduc 
est  toute  en  façade,  elle  est  aussi  illusoire  (pie  les 
soi-disant  fonctions  de  nutrition,  ou  le  }trétendu  accrois- 
sement par  intussiisception.  De  ces  ti'ois  fonctions, 
nuti'ition  ])ar  intussiisception,  croissance  et  orga- 
nisation, considérées  jns([n’ici  comme  caractéristi({ues 
de  la  vie,  il  n’en  reste  (pi’nne  ([ui  jtnissi'  être  attribuée 
aux  }ilantes  de  Li'duc  : la  ci’oissance.  La  croissance 
est  indéniable,  mais  les  cristaux,  eux  aussi,  s’accrois- 


par  refroidissemenl  on  provncpie  la  prise,  raiiide  de  la  gélatine.  I>e  tiranulc 
s’entoure  d’une  fine  membrane,  il  s(ï  forme  une  cellide  arlilirielle,  pour 
employer  l'e.xjiression  de  Traube,  cellule  ])leine  de  li(piide  au  milieu  dmiuel 
on  a])erçoit  la  partie  du  granule  non  encore  dissoute.  C’est  là  le  noyau.  Noyau 
mobile  comme  la  grenaille  enfermée  dans  un  grelot!... 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  43 


sent  et  ne  vivent  pas,  nn  liallon  ([lu;  l’on  insuffle  s’ac- 
croît ('t  ne  vit  })as,  la  tige  de  laminaire  préalalileinent 
stérilisée  et  introduite  dans  une  cavité  humide  se  gonfle, 
prend  des  proportions  considéral)les  : cette  augmen- 
tation de  volume  n’est  nullement  l’indice  d’une  révi- 
viscence impossdile,  vu  la  stérilisation  préalaiile. 


A])rés  avoir  discuté  les  points  fondamentaux,  il  j a 
lieu  d’examiner  encore  quehpies  arguments  accessoires 
liien  ]iropres  à frap}>er  l’imagination  du  lecteur  non 
})révenn. 

Les  plantes  artificielles,  nous  dit  Stéjihane  Leduc,  sont 
« sensibles  à tons  les  excitants  jthysiques  et  chimi- 
ques » fl). 

11  existe  chez  elles  de  « rosmotropisme  et  du  thermo- 
tropisme » (2). 

« Leur  développement  est  arreté  par  de  nomlireux 
poisons  (3).  » 

« Elles  cicatrisent  elles-mêmes  leurs  lilessures  (4).  » 

« ( )n  observe  également  le  phénomène  de  la 
greffe  (5).  » 

Il  n’est  pas  douteux  que  l’on  ])uisse  observer  chez 
les  corps  bruts  des  phénomènes  analogues  à ceux 
qui  sont  reconnus  chez  les  êtres  vivants. 

Les  études  mici-ographiques  des  métallurgistes 
démontrent  que  les  métaux  sont  très  sensililes  à l’action 
de  la  chaleur.  La  graisse  contenue  dans  une  })oêle  à 
frire  n’est  certes  pas  indifférente  à l’action  du  feu. 
D’une  façon  gf'iiérale  la  chaleur  accélère  les  phéno- 

(1)  Stôphiine  Leduc,  Les  Buses  phijsiques  de  la  Vie,  p.  15. 

('2)  Stéphane  IæiIuc,  Comptes  riEXDUs  de  l’Académie  des  Sciences,  26  no- 
vemlire  1906,  p.  S 12. 

(3)  Stéphane  Leduc,  Comptes  rendus  de  l’Académie  des  Sciences,  26  no- 
vemlire  1906,  p.  S42. 

( l)  Stéphane  Leduc,  Les  Bases  physiques  de  la  Vie,  p.  15. 

(5)  Stéphane  Leduc,  Comptes  rendus  de  l’Académie  des  Sciences,  7 jan- 
vier 1907,  p.  39.  Voir  aussi  l’article  du  Matin. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


ii 


mènes  d'osmose,  il  est  donc  tout  natnixd  ([ne  les 
arborescences  chimiques  soient  sensililes  an  chaud  et 
au  froid  (1  ). 

r/osmotro])ism(q  le  th(n*motro[)isme  ([u’on  [XMit  obser- 
ver chez  elles  ne  sauraient  nous  étonner,  étant  donnée 
la  nature  du  [thénoméne.  Nous  en  avons  constaté  des 
cas  fort  fra[»[»ants.  Mais  nous  n'avons  [loint  vérifié  l’ac- 
tion emjièchante  des  [toisons,  ayant  olitenn  de  lielles 
arborescences  dans  l'eau  [)héni([iiée  forte  et  dans  le 
sublimé  inème  cà  1 p.  c.  (2). 

Mais  quand  inèim'  nous  (b'vrions  sur  c(‘  (bnmier  [toint 
avouer  un  résultat  inverse,  cela  ne  pronveiaiit  (meoi*e 
rien.  X’a-t-on  [tas  entendu  Becquerel  afiirmer  que  les 
anesthésiques  [taralysent  rémission  des  i-ayons  N chez 
les  coiqts  bruts  ? 

La  cicatrisation  des  blessures  n’est  [tas  non  [tins  un 
argument  à faire  valoir  : le  cristal  agit  de  même,  la 
croûte  de  glace  se  reforme  quand,  en  un  jour  de  gelée, 
un  gamin  la  crève  d’un  caillou. 

Reste  le  [thénoméne  de  la  greffe;  quoi  de  [tins  banal  ? 
Le  modeleur  peut,  sur  l’objet  ([ii’il  travaille,  grefiér  les 
a[t[tendices  les  [tins  bizarres,  le  [trocédé  de  soudure 
autogène  des  métaux  est  en  rtvalité  un  [thénoméne  de 
g refié. 

Tons  ces  ai*guments  sont  amassés  de  façon  à jeter  de 
la  [tondre  aux  yeux,  nous  insisterons  sur  ce  [toint  an 
moment  des  conclusions;  on  montre  les  analogies  [t(tnr 
faire  croire  à l'identité,  on  accnmnle  des  arguments 
de  détails  qui  semblent  (m  inqutseï'  par  leur  mass(%  mais 
qui,  [tris  chacun  sé[tarément,  ne  sont  nullement  carac- 
téristiques. 

( I ) Nous  avons  congelé  les  milieux  gélatineux  dans  les([uels  des  achoresceuces 
chimiques  étaient  en  voie  de  dévelop])ement.  Celte  congélation  n'a  pas  empêché 
le  granule  d’achever  sa  croissance  après  la  l'usion  d(>  la  glace. 

i.'i)  Hans  ces  cas  l’opacité  du  milieu,  devenu  d’un  vert  foncé,  empêche  par- 
fois d’exauuner  la  plante  par  réllexion.  Il  faut  [)rocédei'  dans  des  tulu's  étroits 
ou  dans  des  houteilles  plates. 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  45 


III 

Los  travaux  de  Loduc  dont  lo  lecteur  vient  de  jtrendre 
connaissance  ont  donné  lieu  à des  réclamations  de 
priorité.  On  a protesté  contre  la  jmblication  d’expé- 
riences données  comme  nouvelles,  ^’oici  ces  documents, 
ipii  })ermettront  au  lecteui'  de  se  j)rononcer  dans  le 
dél)at  soulevé  et  résolu  à la  tribune  de  l’Académie  des 
Sciences. 

O’est  Traube  qui,  en  1805,  dt,  semble-t-il,  les  pre- 
mières cellules  artidcielles.  L’un  de  ces  mémoires  (1) 
est  cité  dans  la  thèse  de  Béliard  (2),  élève  de  Leduc, 
c’est  la  seule  référence  bildiographique  que  l’on  trouve 
à côté  du  nom  du  savant  allemand.  Leduc  cite  égale- 
ment le  nom  de  Traube  dans  son  article  de  la  Revue 
SciENTiFiouE,  IDOO.  11  l’avait  déjà  fait  dans  sa  note 
à l’Académie  des  Sciences  du  24  juillet  1905;  mais  s’il 
est  vrai  que  sa  première  ])lirase  reconnaît  les  travaux 
de  son  devancier  (sans  en  donner  la  bi])liogra})liie),  elle 
contient  un  correctif  : sans  doute  « la  cellule  » de 
Leduc  est  analogue  à celle  de  Traube,  mais  elle  en  dif- 
fère « parce  qu’elle  a non  seulement  la  faculté  de  se 
gonfler  et  de  grossir,  mais  aussi  d’émettre  des  prolon- 
gements* analogues  aux  radicules  et  aux  tigelles,  pro- 
longements que  l’on  voit  croître  lentement  ». 

« Cette  phrase,  ajoute  (faston  Bonnier  (3),  prouve 
que  M.  Stéphane  Leduc  n’a  pas  lu  les  mémoires  où 
M.  Traube  expose  ses  recherches...  (4)  » 

(1)  Expérimente  zur  Théorie  der  Zellenhildung  und  Endosmose.  Archiv 
F.  Axât.  Phys.  u.  Wissexschaftliche  Medicix  (Keichert  et  Du  Itois  Rey- 
mond, 1S67,  pp.  ST  à l'29,  129  à 195). 

(2)  Oct.  Réliard,  Th.  Paris,  I9U3.  Rôle  biologique  des  sels. 

(3)  Co.mptes  rendus  de  l’Acadé.mie  des  Sciences,  14  janvier  1907,  p.  55. 
Sur  les  prétendues  plantes  artificielles. 

(4)  Centralbl.ytt  für  .Medicin  4Vissenschaft,  18G5;  Rotanische  Zei- 
Tung,  1S75,  pp.  50  et  siiiv. 


REVUE  DES  (^'ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


i() 


(Juoi  qu’il  011  soit,  les  travaux  (IcTraulic,  ]»our  n’avoir 
jK'ut-ètro  pas  ou  lo  rotoiitissciiioiit  do  ceux  do  Leduc,  no 
sont  pas  fiasses  inapeu'ous,  ils  sont  inontionnés  et  ana- 
lysés iiièino  dans  les  classiipios  français.  Lo  traité  de 
pliysi([uo  biologique,  ])ublié  sous  la  direction  de  (lliau- 
veau,  d’Arsonval,  Gariel,  Marey  et  ^^’eiss,  contient, 
dans  l’article  de  Dastre  sur  l’osinose,  un  exposé  très 
conqilet  des  travaux  de  Traube.  Il  est  vrai  (pie  l’auteur 
ne  s’arrête  guère  au  C(èté  relativement  enfantin  de  la 
question,  c’est-à-dire  à la  re})roduction  d’arborescences 
de  formes  variées  ([ui  ne  sont  que  l’ajijdication  curieuse 
de  pliénomènes  pliysiqiu's  de  la  jdiis  haute  importance, 
étudiés  en  jdiysiologie. 

Le  traité  du  botaniste  allemand  Sachs,  traduit  en 
français  })ar  Waii  Tii'gliem  en  1871,  contient  sur  les 
ex[)ériences  de  Ti-aube  qu’il  a refaites  une  discussion 
des  jdus  suggestives.  I n cristal  de  chlorure  di'  cuivre, 
ou  une  goutte'  de  solution  concentrée  de  ce  sel  tombant 
dans  une  solution  fei'rocj’anurée  forme  une  « cellule  » 
munie  d’excroissances.  Parfois  on  oliserve  un  tube 
croissant  vers  le  haut.  On  peut  avoir  aussi  « une  sorte 
de  rhizome  tuberculeux  horizontal  duquel  jiartent  vers 
le  haut  de  longues  excroissances  en  forme  de  tiges  et 
vers  le  lias  d('S  prolongements  en  forme  de  racines  ». 
A}U‘ès  cette  description  (pii  se  ra])pi-oche  singulière- 
ment de  celle  fournie  par  Leduc,  Sachs  combat  les 
idées  de  Traube  sur  la  ju'étendue  croissance  imr 
intussuscejdion  de  ces  arborescences.  Il  exjiose  la 
théorie  de  l’érujition  que  nous  avons  dévelojqiée  plus 
haut.  Il  suffit  d’ailleurs  d’observer  ({uehpu's  instants 
l’évolution  d’une  goutte  satui'ée  de  sulfate  de  cuivre 
vei'sée  dans  une  solution  de  ferroejanure  à 5 p.  c.  on 
lü  ]i.  c.  })Our  se  rendre  com})te  de  la  Justesse  de  cette 
remarque  que  nous  avions  faite  avant  de  connaître  le 
travail  de  Sachs,  le  Jour  où,  pour  la  ju'emière  fols, 
nous  avons  essayé  de  répéter  les  ex]»ériences  de  Leduc. 


STÉPHANE  LEDT’C  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  47 


Il  résulte  de  tout  ceci  que  si  l’on  excepte  quelques 
inodificatioiis  (le  technique,  la  })art  d'oripinalité  du  pi‘o- 
fesseur  de  l'Ecole  de  médecine  de  Nantes  se  liorne  à 
des  conceptions  pIiilosoj)hi(pies  exprimées  avec  une 
assurance  et  une  désinvolture  qui  ont  })u  en  imposer  un 
instant.  Ainsi  que  Gaston  Bonnier  l’a  fait  remarquer 
dans  sa  note  du  14  janvier  U)07  à l’Académie  des 
Sciences.  Stt’qdiane  Leduc  n’a])porte  guère  de  fait  nou- 
veau, il  semlile  même  ignorer  cpie  « la  production  de 
ces  singuliers  précipités  est  devenue  banale  et  se  fait 
couramment  dans  les  cours  de  chimie  ».  Il  n’a  }ias 
connaissance  des  arborescences  obtenues  parM.  Guer- 
nez  et  tellement  stables  (pie  conservées  dans  du  jiapiei- 
elles  ont  }ui,  à première  vue,  en  imposer  auprès  de 
botanistes  amateurs.  Il  n’a  point  eu  connaissance  de  , 
ces  plantes  artibcielles  que  l’on  voit,  notamment  à 
Nancy,  exposées  à la  vitrine  des  pharmaciens  à cfdé  des 
bocaux  de  lézards,  de  vipères,  de  toenias,  de  liotrio- 
cépbales.  Il  a dédaigné  les  silicates  qui  lui  ont,  dit-il, 
donné  de  mauvais  résultats,  et  cependant  nous  allons 
aliorder  dans  un  instant  l'étude  d'arliorescences  nais- 
sant en  milieu  silicaté.  Gràce  à leur  élégance,  à leur 
bnesse,  à leur  variété,  à leur  facilité  de  production,  elles 
méritent  d’entrer  en  })arallèle  avec  les  arborescences 
ferrocyanurées.  Le  mode  de  dévelojipement  est  iden- 
tique. Autour  du  cristal  })rojcté  dans  la  solution  de  sili- 
cate, il  se  forme  une  membrane  bémiperméable 
constituée  jtar  le  silicate  du  métal  employé;  l’eau 
pfmètre  à travers  cette  memlirane  pour  dissoudre  le 
cristal.  La  pénétration  progressive  d’eau  a pour  résultat 
de  distendre  puis  de  rompre  la  membrane  précijûtée, 
un  peu  de  solution  se  répand  dans  le  silicate  mais  elle 
est  instantanément  emprisonnée  par  la  précipitation 
d’une  nouvelle  membrane  qui  semble  jtrolonger  la 
membrane  primitive. 


48 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Robert  Dolfus  décrit  ce  iiiécanisine  dans  sa  note 
}>résentée  }>ar  Bonnier  à l’ Académie  des  Sciences  (1). 
Four  lui,  la  croissance  s’ex})lique  par  l’influence  de  la 
force  osinoti([ue  ; la  croissance  de  haut  en  lias  a pour 
cause  une  ditierence  de  densité  et  aussi  un  entraîne- 


Fig.  13.  — Nitrate  de  Col)alt  en  milieu  silicate.  Arhorescences  l)leues. 


ment  mécanique  de  la  solution  par  les  bulles  d’air 
adhérentes  au  cristal.  Les  faits  sont  exacts,  mais  nous 
nous  permettrons  une  remarque  de  détail  concernant 
l’action  des  bulles  d’air.  Cette  action  est  très  active  et 


(1)  Robert  Dolfus,  Action  des  siiicutes  alcalins  sur  les  sels  métalliques 
solubles.  CoMVTES  uexuus  iie  l’.Vcwdé.mie  des  SciEN’CEs,  décembre  I90fi, 
p.  IIW. 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  49 

ne  jieut  manquer  d’attirer  rattention.  On  })eut  rol)server 
})artbis  dans  les  croissances  réalisées  dans  la  gélatine 
ferrocj'anurée,  mais  le  phénomène  est  plus  rare  et 
moins  remarqualile  ({iie  dans  le  silicate.  Dans  ce  cas  et 
})lus  particulièrement  avec  le  nitrate  de  cobalt  (lig'.  13), 
le  sulfate  de  manganèse  (lig'.  Kl),  le  sulfate  de  magné- 
sie (lig‘.  i ij  on  observe,  quehpies  secondes  après  la 


projection  du  cristal,  de  ])etitesl)ulles  degaz,  assez  nom- 
breuses si  l’on  est  beureux,  qui  cbeminent  ra})idenient 
entraînant  la  solution  a([ueuse  du  sel  employé;  cette 
solution  s’entoure  instantanément  d’une  membrane  }>ré- 
cipitée.  Mais  le  mouvement  de  ces  bulles  n’est  j>as  forcé- 
ment ascendant,  il  est  même  curieux  d’observer  leurs 
évolutions  ca})ricieuses.  Tantôt  elles  montent  en  décrivant 
une  sorte  de  spirale,  tantôt  elles  ont  un  trajet  vertical,  puis 
transversal,  voire  même  descendant,  etceci  nous  prouve 
que  la  Inille  d’air  joue  en  somme  un  rôle  secondaire, 
sinon  dans  la  ra})idité  du  développement,  tout  au  moins 
IIP  SÉlîlE.  T.  Xll.  4 


/ 


I 


Fig.  U.  — Sulfali'  de  magnésie 
el  silicate  de  potasse. 
Arhorescences  blanches. 


Fig.  15.  — Snlfate  de  1er 
et  silicate  de  potasse. 
Arborescences  vertes. 


50 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


en  ce  qui  concerne  la  croissance  en  hauteur.  Il  est  jiro- 
bable  que  les  bulles  d’aii-  ({iii  adhèrent  au  cristal 
empêchent,  jiar  leur  présence,  la  formation  de  la  mem- 
brane dans  les  jioints  recouverts.  Dès  lors,  quand  l’eau 
pénètre  à travers  les  portions  où  s’est  formée  une  mem- 
brane, il  existe  un  certain  nombre  de  points  où  la  solu- 
tion peut  sortir  librement.  En  s’échajqiant  elle  pousse 
devant  elle  les  bulles  d’air  jirotectrices  et,  arrivant 
au  contact  du  silicate,  elle  est  emjudsonnée  dans  une 


Fig.  IG.  — Sulfate  de  manganèse  et  silicate  de  ))otasse 
(concentrations  diverses). 

.\rl)orescences  d’un  lilanc  jaunâtre. 

gaine  circulaire  dont  l’extrémité  terminale  reste  toujours 
jirotégée  par  la  bttlle  ([ui  la  coitiè.  On  croirait  qu’elle 
attire  à sa  suite  la  solution  alors  qu’elle  est,  au  con- 
traire, jioussée  })ar  elle.  C’est  là  d’ailleurs  tm  point  de 
détail.  Xe  nous  y arrêtons  pas  davantage  et  jtassons  à 
l’étude  d('  la  morpholoijie  des  arborescences  silicatét's. 
Ainsi  que  l’a  fait  remarquer  Robtud  Dolfus,  leur  pro- 
duction est  un  phénomène  banal  et  nous  avons  }m 
obtenir  des  arborescmices  non  seulement  avec  les  sels 
cités  jilus  haut  comme  se  cai'actéidsant  par  l’instanta- 


STÉPHANE  LEDTT:  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  51 


néité  (le  leur  (knTloppeiiient,  mais  aussi  avec  le  sulfate 
ferreux,  le  sulfate  ferri(]ue,  le  sulfate  de  cadmium,  le 
sulfate  de  cuivre,  le  chlorure  de  baryum  })Our  ne  citer 
que  les  sels  qui  nous  ont  donné  les  plus  lieaux  résultats. 

Ici  Ton  n’obtient  plus  de  folioïdes  mais  des  pseudo- 
tiges tantôt  grêles  et  blamenteuses,  tantôt  assez 
robustes,  tordues,  hérissées  de  pointes,  noueuses 
comme  des  racines.  Nous  avons  aussi  observé  de 
curieux  organes  terminaux  en  vrille  (sulfate  ferreux) 
ou  en  têtes  de  clous  (sulfate  de  magnésie). 

Mieux  que  toute  description,  quelques  bgures  (bg.  13 
à lii)  donneront  au  lecteur  une  idée  exacte  de  l’aspect 
de  (Æs  arborescences.  On  pourrait  craindre,  vu  leur 
ju’oduction  dans  un  milieu  relativement  fluide,  qu’elles 
soient  fragiles  et  instaliles.  Il  n’en  est  rien.  Elles  se  con- 
servent beaucoup  mieux  que  celles  en  milieux  gélati- 
neux. Elles  sont  })arfaitement  transj)ortables,  puis- 
qu’i'lles  ont  ])u  fairi'  sans  dommage  le  voyage  de  Lille- 
Bruxelles  et  Bruxelles-Lille.  On  avait  eu  soin  toutefois 
d’immobiliser  le  liquide  en  faisant  couler  à la  surface 
4 à 5 millimètres  de  parafbne  fondue  qui,  adhérant  au 
verre  en  se  solidibant,  constituait  une  fermeture  très 
satisfaisante. 


CONCLUSIONS 


Les  recherches  que  nous  avons  entreprises  et  dont 
nous  avons  donné  le  résultat,  montrent  que  la  produc- 
tion des  arliorescences  chimiques  est  facile  à réaliser 
avec  une  foule  de  substances.  Ainsi  qu’on  l’a  déjà  fait 
remarquer,  la  gélatine  n’est  point  indispensable  pour  la 
production  d’arborescences  ferrocyanurées,  mais  elle 
est  nécessaire  si  l’on  veut  obtenir  autre  chose  que  des 
formations  cylindriques,  ou  si  l’on  désire  conserver 
les  types  obtenus.  Le  chlorure  de  sodium  n’est  point 


REVUE  DES  QT'ESTIOXS  SCIEXTIFIQUES 


52 

in(lis})eiisal)le,  sa  suppression  entraîne  néanmoins  des 
variations  de  forme  du  pi'odiiit.  (v)uant  au  sucre  qui 
entre  dans  la  constitution  du  granule,  c’est  un  puissant 
adjuvant,  mais  sa  j)résence  n’est  [)as  une  condition  siJie 
([va  non  de  succès.  Le  sulfate  de  cuivre  peut  être  i“em- 
placé  }>ar  d’autres  sels;  le  sulfate  de  zinc,  notamment, 
nous  a donné  d’excellents  résultats.  ( )n  })eut  aussi  faire 
des  granules  de  ferrocvRimi-e  et  de  sucre  qui  sont  jetés 
dans  des  solutions  gélatineuses  de  sulfate'  de  cuivre, 
de  sulfate  de  zinc,  de  sulfate  de  (;admium,  de  nitrate  de 
cobalt.  ( )n  pourrait  sans  peine  en  multiplie'r  le  nombre', 
(l’est  une  que'stiem  de  tâtonnements.  Mais  ces  re'cherches 
n’ayant  el’autre  résultat  e[ne  de  varier  la  moi'jebeeleegie', 
noeis  n’avons  pas  cru  qu’il  ]»ùt  y avoir  granel  intéivt 
pe)ur  un  jihysiedeegiste  à ])Oursuivre  les  e'xjeérienea's  dans 
cette  voie. 

L’eebservatieen  el’arborescene;es  silicatf'es,  eeblemu's 
très  simplement  avec  des  cristaux  ere)i‘dre^  très  elivers, 
contribue  à })rouver  la  banalité  ele  la  prenluctieen  ele  ce 
phénomène  e[ui  nous  tait  sortir  eU's  limites  de  la  biee- 
leegie  pour  péne'trer  sur  le  terrain  ele  la  jdiysique'  amu- 
sante. 

Mais  il  est  bon  de  délaisse)’  maintenant  la  partie  tech- 
nique jiour  l’ésumer  en  ([uelques  lignes  la  l’cqeenise  à 
ap})Oi‘te'i‘  aux  inteiqu-’étations  fantaisistes  que  Sté])hane 
Leeluc  a publiées,  à gi’and  l’enfoi’t  d’e)i'chesti’e,  sur  eles 
faits  ancie'iis  étudiés  à nouveau  pai’  lui.  Il  y a eu  beau- 
ce)up  ele  bi’iiit  [)Oui‘  des  ]diénomènes  qui  ne  sont  epie 
curieux,  « les  exagéi-atieuis  hy])erl)olique's  au  long  ele's 
feuilles  politi([U('s  e't  littéi’aii'es  ne  sont,  suivant  l’ex- 
pression el’iin  critique  bien  avisé,  epie  galéjaeles  ele 
journalistes  en  mal  ele  cojeie  », 

Le  gi’and  public  s’est  laissé  séduii’c  pai*  les  se>i- 
elisant  eléceeuvei’tes  ele  Stéphane  Leduc.  Lh  ! qiie)i, 
n’est-il  pas  excusable?  Ne  lui  a-t-on  pas  affirmé  epie  l’eui 
créait  de's  cellules,  des  celbde's  capables  de  ju’ése'ute'i' 


STÉPHANE  LEDUC  A-T-IL  CRÉÉ  DES  ETRES  VIVANTS?  53 


(les  phénoinéiies  de  division?  Ne  lui  a-t-on  })as  IViit  voir 
des  })lantes  surgissant  de  granules  décorés  du  nom  de 
graines  ? Ne  lui  a-t-on  pas  décrit  dans  ces  plantes  une 
organisation  et  des  fonctions  oliservées  chez  les  êtres 
vivants  ^ On  a insisté  sur  les  similitudes,  mais  on  a laissé 
dans  l’ombre  les  dissemblances,  on  a laissé  croire  à 
l’identité  alors  ([u’il  y a sini})lenient  analogie. 

Stépliane  Leduc  fait  des  cellules  avec  noyau,  cyto- 
plasme et  memlirane,  mais  ces  soi-disant  cellules 
n’ont,  en  fait  de  noyau,  qu’un  amas  de  granulations 
colorées,  en  lait  de  cytoplasme  qu’une  solution  saline 
ne  contenant  jias  d’alliumine,  en  fait  de  membrane  qu’un 
dép(')t  linéaire  de  matière  colorante. 

Stéphane  Leduc  ajtpelle  cariocinèse  la  reproduction 
artificielle  ]>ar  des  phénomènes  osmotiques  des  aspects 
successifs  que  présentent  la  cellule  vivante  et  son  noyau 
dans  la  division  mitosiqiu';  mais  là  s’arrête  son  schéma  : 
ses  cellules,  en  réalité,  ne  se  rejiroduisent  pas  et  elles 
sont  privées  de  toute  spontanéité,  caractère  essentiel  à 
la  vie. 

à'olontairement  ou  non,  Stéphane  Leduc  ordonne  le 
texte  de  ses  écrits  de  façon  à laisser  croire  que  les 
arliorescences  qu’il  dénomme  plantes  dérivent  d’une  cel- 
lule artificielle  initiale  se  multipliant  par  cariocinèse. 
Or,  il  n’en  est  rien,  car,  nous  l’avons  vu,  l’étude  des  cel- 
lules artificielles  et  celle  des  plantes  artificielles  n’ont 
entre  elles  qu’une  relation  indirecte,  et  nous  avons  pu 
étudier  les  arliorescences  chimiques,  signalant  seule- 
ment pour  mémoire  les  cellules  artificielles.  Qu’il 
s’agisse  d’exposer  l’une  ou  l’autre  question,  l’auteur  le 
fait  en  un  style  métaphorique  bien  propre  à soulever 
l’enthousiasme.  Le  granule  de  sulfate  de  cuivre  et  de 
glucose  s’appelle  une  graine  ou  une  cellule.  Cette  cel- 
lule initiale  en  jiroduit  une  seconde,  cette  seconde  une 
troisième,  etc...  et  l’on  croirait  véritaldement  que 
ces  productions  dénommées  rhizomes,  feuilles  laté- 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


5i 

raies,  tiiies  verticales,  organes  teriiiinaiix  sont  le  l'ésul- 
tat  d’une  véritable  innltijdication  cellulaire.  Mais  les 
arborescences  chimiques  n’ont  ni  cellules,  ni  rhizomes, 
ni  feuilles  latérales,  ni  tiges  verticales,  ni  organes  ter- 
minaux. Ne  confondons  })as  : a|q»arence  n’est  pas 
réalité.  Même  !‘emai*que  à j»ropos  des  fonctions  attri- 
buées à ces  soi-disant  ])lantes;  il  n’y  a ni  nutrition, 
ni  intussuscejdion,  ni  circulation,  ni  organisation.  C’est 
tout  an  plus  si  on  trouve  des  schémas  — et  combien 
imparfaits!  — des  j)rincipanx  })hénomênes  vitaux. 

l/on  voit  ])ar  là  combien  est  Juste  cetb'  j)hrase  par 
laquelle  Charrin  et  (tonjiil  terminaient  Icui-  commu- 
nication : « Nos  résultats  mettent  un  terme  aux  inter- 
prétations ([ui,  sans  liase  aucune  antre  ([ue  l’a})j»arence, 
auraient  pu  donner  cours  à des  notions  de  hante  ])ortée 
malheureusement  dans  l’espèce  })nrement  imaginaires.  » 

!)'■  Maurice  1)’iialluin, 

Chef  (les  travaux  de  Physiologie 
à la  Faculté  libre  de  médecine  de  Fille. 


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56 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


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— Va-t-on  faire  de  la  vie?  Miracles.  Comment  un  savant 

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Revue  moderne  de  .Médecine  et  de  Chirurgie.  Grandspaniins,  petits  potins. 

Semaine  médicale,  30  janvier  1907.  Les  prétendues  plantes  artificielles  de 
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Sachs.  Traité  de  Botanique.  Traduction  française  de  Van  Tieghem. 

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et  Du  Rois  Reymond,  1867,  pji.  87  à 128,  129  à 165.  — 
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Revue  d’.Vi>ologf;tique,  pp.  477483. 


L’ACTION  ÉLECTRIQUE 

DU  SOLEIL"’ 


IL  — LES  APPLICATIONS 

LTndugtion  solaire  et  la  pha'sique  planétaire 

Les  faits  jieu  nonilireux  que  nous  connaissons  l'ela- 
tivenient  à la  physique  du  système  solaire  semblent  se 
rattacher  très  étroitement  aux  grands  mouvements  qui 
se  produisent  sur  le  Soleil.  Nos  moyens  d’investigation 
actuels  ne  permettent,  il  est  vrai,  de  nous  rendre 
compte  que  des  modifications  d’ordre  optique  dont  la 
surface  solaire  est  le  siège,  mais  il  semble  très  pro- 
bable que  les  variations  électriques  et  calorifiques  qui 
échappent  à l’observation  directe  sont  elles-mêmes 
reliées,  et  très  étroitement,  à une  foule  de  phénomènes 
qui  se  manifestent  sur  la  Terre,  sur  les  planètes  et  sur 
les  astres  de  moindre  importance  tels  que  les  satellites, 
les  comètes,  les  étoiles  filantes,  etc. 

Comètes.  — Le  fait  depuis  longtemps  constaté  de  la 
répulsion  de  la  queue  des  comètes  par  le  Soleil  semble- 
rait s’accorder  avec  une  action  électrique  émanant  du 
Soleil,  et  se  manifestant,  peut-être,  sous  la  forme 
d’une  émission  cathodique,  comme  l’a  fait  observer 
M.  Deslandres  (Société  Astronomique  de  France, 


(1)  Voir  Rev.  des  Quest.  scie.nt.  Livraison  d’avril,  1907,  p.  393. 


5S 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(léceiiilire  — Bulletin  Astronomique,  juil- 

let 1902). 

11  senihle  également  vraisemblable  que  cette  action 
électrique  est,  selon  une  remarque  de  M.  (Tuillaume, 
proportionnelle  aux  surfaces  et  indépendante  des 
masses  cométaires  (Société  Astronomi({ue  de  France,  dé- 
cembre 1904).  Ajoutons  que  rionisation,  ])rovo([uée  ]>ar 
les  radiations  ultra-violettes  du  Soleil,  ainsi  que  rinduc- 
tion  })Ositive  de  cet  asti'e  doivent  avoir*  pour  effet  de  pi*o- 
diiii*e  une  chai’ge  négative  élevée  dans  le  novan  de  la 
comète  ])lus  voisin  de  l’asti-e  centi*al,  et  une  désagréga- 
tion de  celui-ci  par  voie  d’ionisation  et  de  transport 
cathodique  vers  le  Soleil.  Les  ions  cliai*gés  positivement, 
ou  rayons  a,  constitueraient  la  queue  de  la  comète,  et  la 
charge  jrositive  en  excès  jrrovenant  de  ces  ions  positifs 
serait  la  cause  de  la  i*épulsion  de  la  queue  jrar  la 
masse  solaire  chargée  elle-même  ])Ositivement,  et  de 
ré])anouissement  de  cette  queue  dans  l’esjrace. 

La  luminosité  de  ces  astres  ei*rants  de  masse  extrême- 
ment faible  serait  due  en  pai*tie  à la  réflexion  de  la 
lumière  solaire  sans  doute,  mais  aussi  aux  effets  catho- 
diques intenses  dont  la  tête  de  l’astre  chevelu  serait  le 
siège  et  qui  jrrovoqueraient  sa  désagi'égation  jrlus  ou 
moins  rajride. 

Cette  exjdication  s’accorderait  avec  le  fait  constaté 
]>ar  Berberich,  que  les  comètes  })résentent  leur*  jdns 
grande  intensité  lumineuse  dans  les  années  où  le  Soleil 
])Ossède  le  plus  grand  nombre  de  taches,  c’est-à-dire  aux 
])ériodes  d’activité  solaire. 

Planètes.  — Idusieurs  planètes,  Jupiter  entre  autres, 
semblent  être  encore  dans  un  état  d’activité  qui  raji- 
pelle  celle  du  Soleil.  Elles  doivent  donc  être  pai*ticu- 
lièrement  sensibles  aux  vai*iations  du  potentiel  solaire, 
]>ar  suite  de  l’ionisation  de  leurs  masses  et  de  leui*s 
charges  électriques  propres.  Or  on  a effectivement 


l’action  électrique  du  soleil 


59 


constaté  que  la  coloration  de  Juj)iter  variait  nettement 
avec  l’activité  solaire.  Elle  est  rouge  dans  les  années  de 
maximum  et  blanche  dans  les  années  de  minimum. 

Physiqiie  terrestre.  — La  physique  terrestre  surtout 
est  sous  l’étroite  dépendance  de  l’activité  solaire  et  il 
semble  de  plus  en  jdus  })rol)able  que  c’est  l’action  élec- 
trique du  Soleil  qui  joue  le  rôle  le  plus  imjiortant  dans 
tous  les  grands  phénomènes  tels  que  le  magnétisme,  les 
aurores  polaires,  ainsi  que  dans  les  mouvements  princi- 
paux de  l’atmosphère,  cyclones,  tempêtes,  orages,  où 
elle  agit  de  concert  avec  l’action  thermique.  Mais  avant 
d’entrer  au  détail  de  ces  manifestations,  rappelons  les 
faits  principaux  de  la  physique  terrestre  et  les  théories 
qui  ont  été  émises  pour  les  expliquer. 

Electricité  atmosphérique.  — L’expérience  a démon- 
tré ([ue  les  couches  de  l’atmosphère  proches  du  sol 
renferment  un  excès  d’électricité  positive  sous  la  forme 
d’ions  positifs,  et  que  cette  charge  subit  des  variations 
suivant  l’heure  du  jour,  la  saison,  etc.,  et  qu’elle  est 
également  modifiée  pendant  la  durée  des  éclipses 
solaires.  Des  ions  positifs  et  négatifs  se  trouvent  dans 
les  couches  inférieures  de  l’atmosphère  à raison  de 
trois  mille  environ  par  mètre  cube  d’air.  M.  Brunhes 
admet  que  les  ions  peuvent  être  dus  à la  radiation  solaire 
et  à d’autres  formes  d'énergie  directement  envoyées 
jusqu’à  nous  par  le  Soleil. 

Il  existe,  du  reste,  dans  l’air,  deux  espèces  d’ions 
positifs;  ce  sont  les  ions  ordinaires  qui  possèdent  une 
vitesse  de  1,5  centimètre  par  seconde  dans  un  champ 
de  1 volt  par  centimètre,  et  de  gros  ions  possédant  une 
charge  cimpiante  fois  plus  grande  et  une  vitesse 
deux  cents  fois  moindre.  La  présence  de  ces  ions  posi- 
tifs dans  l’atmosphère  })roduit  une  charge  positive  des 
couches  d’air  qui  les  renferment,  tandis  que  le  sol  prend 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


()Ü 

une  charge  négative.  La  ditféi’ence  de  jtotentiel  entre 
l’air  et  le  sol  présente  un  inaxiinnm  vers  i heures  du 
soir  et  un  miniinuin  vers  5 heures  du  matin,  à une  alti- 
tude peu  élevée,  surtout  au-dessus  de  la  mer. 

Le  voisinage  des  terres  moditie  ces  constantes;  mais 
des  périodes  de  maximum  et  de  minimum  paraissent 
s'accorder  (à  un  certain  retard  près)  avec  les  périodes 
corres])ondantes  de  l’induction  solaire.  Enfin,  jdns  on 
s’élève  dans  l’atmosphère,  plus  le  potentiel  juisitif  de  l'air 
s’accroît  et  avec  lui  le  nombre  d’ions  jiositifs.  La  charge 
devient  très  élevée  dans  les  })lus  hautes  régions  qu'on 
ait  ex] dorées. 

Eaulsen  admet,  en  se  basant  sur  les  oliservations  des 
étoiles  filantes,  (pie  la  hauteur  à hnpielle  se  trouvent  les 
dernières  ]»articules  de  l’atmosphère  terresti*e  de  la 
grosseur  movenne  de  est  de  :^( JO  kilomètres. 

Cette  oliservation  corres})ond  à une  autre  de  Nord- 
mann  basée  sur  l’étude  des  aurores  boréales.  Celui-ci 
estime  que  la  partie  siqiérieure  des  auroi-es  se  trouve 
à plusieurs  centaines  de  kilomètres  et  leur  ])artie  infé- 
rieure àOO  kilomètres  seulement  (.Journal  de  Phvsk^jue, 
100 i,  p.  283).  A la- hauteur  de  200  kilonudrc's,  la  jtres- 
sion  de  l’air  ne  serait  plus  ([ue  de  10  milliim'dres  de 
mercure  envii*on,  c’est-à-dire  du  nièmeordi*e  que  dans 
le  vide  de  Crookes.  D’autre  jtaid,  on  a constaté  que  l’on 
pouvait  encore  (d)tenir  des  effets  lumineux  analogues  à 
ceux  produits  ])ar  les  aurores  polaires,  dans  des  masses 
d'air  dont  la  })ression  était  de  0,01  millimètre  de 
mercure.  Il  existerait  donc  une  couche  très  éjiaisse  de 
ratmos])hère  terrestre  re])résentant  les  trois  quarts 
environ  de  sa  hauteur  totale  dans  la([nelle  ])(Miv('nt  se 
manifester  des  jdiénomènes  électri([ues  analogues  à 
ceux  qui  se  produisent  dans  les  tulies  de  (feissler,  dans 
les  couches  les  moins  raréfiées,  et  semhlahles  à canix 
des  tnlies  de  Crookes  dans  les  régions  supérieures,  les 
plus  raréfiées. 


l’action  lh.ECTRIQUE  DU  SOLEIL 


01 


M.  Boutj,  se  l)asant  sur  scs  r-eclierchcs  relatives  à la 
décharge  électri(jue  dans  les  gaz  rarétiés,  admet  que 
dans  la  haute  atmosjihère  il  existe  une  région  on  l’air 
très  raréfié  et  en  couche  sufîisaniinent  éjtaisse  ne  pour- 
rait môme  siqijiorter  le  chainj)  électrique  terrestre  nor- 
mal, sans  livrer  ])assage  à l’électricité. 

D’autre  })art,  les  couches  d'air  immédiatement  voi- 
sines du  sol  sont  char-gées  négativement  et  leur  ])oten- 
tiel  négatif  croît  d'autant  plus  que  l’on  })énetre  davan- 
tage dans  l’intérieur  du  sol.  Nous  ne  })oss('dons,du  reste, 
aucune  donnée  précise  sur  la  valeur  absolue  du  })oten- 
tiel  négatif  de  la  surface  terrestre. 

Ihdfier  admet  (pie  la  valeur  de  la  charge  négative  du 
sol  peut  être  inactihée  par  la  jirésence  de  la  vajteur 
d’eau  dans  l’air,  ce  qui  aurait  })our  effet  de  faire  variei' 
le  potentiel  local  du  sol  suivant  l’état  hygrométrique 
de  ratmos})hère  qui  le  surmonte.  La  vapeur  d’eau  et 
les  nuages  })araissent,  d’ailleurs.  Jouer  un  rijle  considé- 
rable dans  la  distidlnition  de  l’électricité  atmosphérique. 
Ajoutons  que  les  orages  sont  provoqués  jtar  la  présence 
de  masses  nuageuses  chargées  à des  potentiels  élevés, 
et  qui  sont  voisines  du  sol. 

Sohnke  et  Brillouin  attribuent  un  rôle  essentiel  aux 
cirrus  dans  la  jiroduction  de  l’électricité  atmosphérique. 
Brillouin  a constaté  que  la  glace  sèche,  telle  que  celle 
dont  sont  formés  les  cirrus,  jierd  sa  charge  négative  sous 
l’action  des  rayons  ultra-violets  et  en  prend  une  positive; 
on  peut  donc  admettre  que  le  Soleil  charge  ainsi  les 
cirrus  }K)sitivement,  tandis  que  l’air  aml)iant  se  charge 
négativement.  Il  seuil )le  également  probable  que  la  jiré- 
sence,  dans  l’air,  des  ions  chargés  d’électricité  positive 
est  la  cause  principale  de  la  condensation  de  la  ympenr 
d’eau,  et  jiar  suite  la  cause  indirecte  de  la  charge  élec- 
trique des  nuages. 

Les  nuages  orageux  proviendraient  de  la  transforma- 
tion des  gouttelettes  d’ean  en  grosses  gouttes,  c’est- 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


à-dire  de  la  translbriiiation  des  ciinuilus  en  nimlnis, 
ceux-ci  se  résolvant  ünaleinent  en  ])lnie  dés  que  le  }>oids 
des  gouttes  est  devenu  trop  considëralile  (Apjdications 
of  Dyria) nies  ta  P/t  i/sies  and  Cheinistry). 

l)’après  sir  Thomson,  les  variations  dans  l’aire  de 
la  surface  d’une  goutte  d’eau  produisent  un  dégagenient 
d’électricité;  or,  ])lusieurs  gouttes  d’eau,  en  se  réunis- 
sant })our  en  Ibriner  une  plus  grosse,  donnent  lieu  à 
une  diminution  de  surface  totale  du  liquide;  cette  trans- 
formation dégagerait  donc  de  l’électricité  au  sein  des 
nuages,  l'ne  charge  positive  se  porterait  sur  le  nuage 
et  la  charge  négative  corres])ondante  sur  l’air  ambiant. 

l.énard,  de  son  côté,  admet  ([ue  l’électrisation  de 
ratmosjdiére  est  due  aux  contacts  répétés  de  l’air  en 
mouvement  et  des  gouttelettes  d’eau  au  bord  de  la  mer  ; 
mais  cette  théorie  n’exjdicjuerait  pas  la  formation  des 
orages  sur  })lace  dans  les  endroits  éloignés  de  la  mer. 

Chanip  maynêtUpie  terrestre.  — 11  parait  exister 
une  étroite  relation  entre  l’état  électrique  général  de 
ratnios))hère  et  l’intensité  du  cliaiiq)  magnétique  ter- 
restre. Dès  l’année  i.S.ÔT,  Carrington  signala  l’action 
des  taches  solaires  sur  les  })erturbations  magnétiques. 
Ces  observations  furent  faites  à l'Observatoire  de  Kew. 
Le  1®’’  septembre  1852,  Armstrong  fit  des  observations 
analogues. 

l)’a})rés  Angot,  on  jieut  constater  un  rajiport  très  net 
entre  l’activité  solaire  et  la  variation  de  la  déclinaison 
magnétique  terrestre.  Les  variations  diurnes,  mesurées 
au  })arc  Saint-Maur  et  à (freenwich,  ont  été  reconnues 
absolument  concordantes  en  l'année  11)02. 

Les  variations  annuelles  ex})rimées  en  fonction  de 
la  longitude  / du  Soleil  et  de  coefiieients  m,  n et  p cor- 
res})ondent  à la  fonction  : 

\ = m + n sin  l + p cos  2 l 


l’action  électrique  du  soleil 


63 


Gliaveau  a également  ti*ouvé  que  la  véritable  loi  de  la 
variation  du  magnétisme,  telle  qu’on  l’oliserve  en  tout 
])oint  suffisamment  dégagé,  se  traduit  par  une  oscilla- 
tion simple  avec  un  maximum  de  jour  et  un  minimum 
qvd  se  produit  entre  4 et  5 heures  du  matin.  Mais 
au  voisinage  du  sol  et  dans  nos  régions,  le  ])liéno- 
niène  est  moins  simple  et  présente  deux  types  dittérents 
de  variations  dont  l’un  correspond  à la  saison  chaude 
et  l’autre  à la  saison  froide  (Comptes  rendus  de  l’Aca- 
démie DES  Sciences,  GXXMII,  p.  5(X)). 

Elster  et  Geitel  ont  observé  qu’à  une  diminution  de  la 
conductilhlité  électrique  de  l’atmosphère  corres])ondait 
une  augmentation  du  champ  magnétique  terrestre.  Ges 
troubles  jiaralléles  s’observèrent  en  particulier  au  cours 
de  l’éclipse  du  30  avril  1905.  f)n  a pu  constater  que  le 
maximum  du  champ  magnétique  corres})ondait  exacte- 
ment sur  les  courbes  au  minimum  des  ions  positifs 
dans  ratnios})hère  ou  de  la  conductibilité  de  l’air. 

Ge  Jour-là  Xordmann  a observé  à Philippeville  que 
le  champ  magnétique  s’était  accru  pendant  toute  la 
durée  de  l’éclipse  jusqu’au  moment  du  dernier  contact; 
et  on  a relevé  au  Bureau  central  météorologique  de 
Paris  une  perturbation  de  4'  dans  la  valeur  du  champ 
terrestre. 

Du  reste,  d’une  façon  générale,  la  conductibilité  de 
l’air  varie  uniformément  de  midi  à minuit,  où  elle 
devient  environ  doulde  de  ce  qu’elle  était  à midi.  Xilson 
a fait  à ce  sujet  de  noniljreuses  observations  à Lq)sal 
par  un  ciel  clair  (avril-mai  1902)  (ŒIevers-Kougl. 
^ffiTACAD.  Stockholm,  59,  n“  7,  ju  243). 

Le  professeur  Schuster  a déduit  de  ses  observations, 
que  l’on  expliquerait  les  différences  de  variation  du 
champ  magnéti([ue  terrestre  en  admettant  que  les 
régions  supérieures  de  ratnios])hère  conduisent  mieux 
l’électricité  pendant  le  maximum  que  pendant  le  mini- 
mum d’activité  solaire,  et  il  ra]>porte  la  variation  diurne 


(W 


REVUE  DES  QUESTIOXS  SCIENTIFIQUES 


(le  rai^uillo  ainiantéo  à des  couinants  électiâqiies  circu- 
lant dans  les  hautes  régions  de  ratinosj)hère. 

Cortie  admet  que  les  taches  solaires,  sans  })rovoquei‘ 
directement  les  ])erturhations  magnétiques,  poun’aient 
se  rattacher  avec  elles  à une  cause  commune,  car  il  y a 
des  exceptions  importantes  à la  règle  qui  semble  lier  les 
taches  aux  orages  magnétiques,  les  deux  jihénoménes 
ne  paraissant  jias  liés  jtar  des  relations  do  cause  à effet. 

11  existe  effectivement  de  très  lielles  taches  qui  se 
]troduisent  sans  perturhations,  et,  au  contraire,  de 
grandes  jiertuidmtions  qui  n’ont  pas  été  acconqiagnées 
de  taches.  Il  seinhle  donc  ])rol)ahle,  à Cortie,  (pie  la 
seule  corrélation  qui  jmisse  exister  entre  les  deux 
])hénomènes  est  celle  qui  relie  deux  C'ffets  indéjiendants 
d’une  même  cause  (The  Astrophysical  Journal, 
t.  X\T,  année  lt)Ü2). 

Marchand  démontra,  dès  l’année  1<S88  (Mémoires  de 
l’Académie  des  Sciences  de  Lyon,  1888),  que  les  ]ier- 
turhations  magnétiques  se  jiroduisent  par  }»ériodes 
égales  à celles  de  la  rotation  solaire  et  qu’elles  ont  lieu 
au  moment  où  elles  liassent  au  méridien  astral.  Les 
régions  d’activité  sont  détinies  non  par  des  taches  qui  ne 
jiaraissent  être  ([u’accessoires,  mais  par  des  facules. 

Marchand  a cité  à ce  sujet  (Comptes  rendus  de 
l’Académie  des  Sciences,  Lst)^,  p.  110)  les  passages  de 
facules,  ou  de  facules  et  de  spores  sans  taches,  du 
20  novembre  1800,  du  11  octohre  1801,  du  17  jan- 
vier 1802,  (|ui  ont  donné  lieu,  lors  de  leur  plus  courte 
distance  au  centre  solaire,  à des  perturliations  magné- 
tiques t('rrestres  très  intenses. 

D’après  Schuster  (Journal  de  Piiysk^’e,  1001),  la 
rotation  solaire  seule  n’exerce  aucune  intluence  sur  les 
variations  magnétiques  terrestres.  Il  a constaté,  effecti- 
vement, que  la  déclinaison  magnétique  de  (Ti-eemvich 
n’indiipie  aucune  période  sensible  comprise  entre  vingt- 
cinq  et  vingt-sept  Jours. 


l'action  électrique  du  soleil 


()5 


Suivant  Lockyer,  les  variations,  par  saison,  dans  la 
fréquence  des  teni])ètes  inagnétiques  et  des  aurores 
jiolaires  déjiendent  des  jiositions  de  l’axe  du  Soleil  j)ar 
rapport  à la  Terre.  Les  éjtoques  d’opjtosition  des  régions 
polaires  solaires  nord  ou  sud,  au  cours  de  l’année,  cor- 
respondent à celles  de  la  ])lus  grande  fréquence  des 
tem])ôtes  inagnétiques,  et  c’est  ainsi  aux  époques  où  les 
régions  polaires  du  Soleil  sont  le  }»lus  troutilées  que  se 
pi’oduisent  souvent  les  tempêtes  inagnétiques  (Ciel  et 
Terre,  t.  XX^',  n°  8,  L"' j^dllet  1904). 

Les  })rotut)érances  sont  souvent  suivies  de  fortes  per- 
turbations inagnétiques.  AMld  cite  une  protubérance 
du  16  août  1885  (Comptes  rendus  de  l’AcadÉxMie  des 
Sciences,  ClI,  p.  510),  qui  atteignit  une  hauteur  de 
9'  30"  et  qui  donna  une  perturliation  magnétique  cinq 
fois  plus  forte  que  celle  du  7 octobre  1880,  qui,  cepen- 
dant, avait  13'  de  hauteur.  11  y a donc  lieu  d’admettre, 
comme  pour  les  taches  solaires,  que  la  seule  corrélation 
qui  existe  entre  les  deux  jiliénoniènes  est  celle  qui  relie 
deux  eti'ets  indépendants  d’une  même  cause. 

Maundçr  est  d’accord  avec  Marchand  pour  recon- 
naître que  la  courbe  des  facules  solaires  s’harmonise 
mieux  avec  celle  des  orages  magnétiques  que  celle  des 
taches  ou  des  protubérances. 

Aurores  polaires.  — Le  magnétisme  terrestre  et  les 
orages  magnétiques  sont  étroitement  liés  aux  aurores 
polaires  et  la  période  correspondante  aux  maxima 
d’intensité  des  aurores  est,  comme  celle  des  taches 
solaires,  de  41,1  années.  On  a également  observé,  en 
certaines  régions,  dans  l’Amérique  du  XMrd  entre 
autres,  qu’il  y avait  }>lus  d’aurores  boréales  en  été  qu’en 
hiver,  et  on  a trouvé  pour  ces  météores  une  période  de 
vingt-six  jours  coïncidant  avec  celle  des  phénomènes 
magnétiques  terrestres  et  en  concordance  également 
avec  les  périodes  lunaires. 

IIP  SÉRIE.  T.  XII. 


O 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


()G 


Il  SC  pourrait  (railleurs  ([uo  le  iiiaximuiii  (.riiitcnsilé 
des  aurores  polaires  ciyi'ncidàt  avec  le  niilieu  du  Jour, 
vers  2 h.  40  de  ra}U“ès-iiiidi,  ainsi  que  le  iiiaxiiiiuiii  de 
la  déclinaison  magnétique. 

Arrhéiiius,  qui  est  ])artisan  de  l’émission  catliodi([ue 
du  Soleil,  trouve  aussi  d'étroits  rapjxnts  entre  les 
niaxima  d’activité  solaire  et  les  jthénomènes  magné- 
tiques terrestres,  et  il  constate  (pie  les  maxima  des 
aurores  cori’espondent  aux  dates  du  5 mai  et  du  M siq)- 
tembre,  éj»o([ues  où  la  Terre  se  trouve  vis-à-vis  des 
})oints  situés  à 70"  au  nord  et  au  sud  de  l’équateur 
solaire  (Revue  générale  des  Sciences,  t.  10,  jt.  OÔ.  — 
Froceedings  ou  tue  Royal  Society,  t.  XXIII,  p.  49()). 

Il  _v  aurait  donc,  suiYant  lui,  des  maxima  d’activité 
solaire  à ces  époques,  de  même  qu’il  y aurait  des 
mininia  d’activité  solaii'e  au  0 décembre  et  au  4 juin. 
Le  }dus  faible  minimum  corresj)ondrait  à l’époipie 
du  4 Juin,  qui  est  C('lle  de  l’ajdiélie.  La  ])ério(l('  de 
20,00  Jours  ({ui  correspond,  d’après  Arrliénius,  à celle 
des  maxima  des  aurores  polaires,  coïncide  exactement 
avec  celle  de  la  révolution  synodiipie  des  hautes  régions 
de  ratmos}»lière  solaire,  tournant  jtlus  lentement  (pie 
les  régions  jirofondes. 

Lockyer  a trouvé,  de  son  C(7té,  qu’en  dehors  de  la 
jiériode  de  onze  ans,  il  existe  une  sous-[)éiïode  de  treize 
ans  et  demi  dont  on  trouve  la  trace  dans  les  redevés 
barométri([ues  des  stations  anglaises  de  l’Inde  ('t 
de  (lordoba  t Amérique  du  Sud)  (Montuly  Xotices, 
t.  LXMet  LXIII). 

^’illar(l,  s’insjiirant  des  observations  sur  les  aurores 
]»olaires,  est  ])arvenu  à rejiroduire  d’une  façon  saisis- 
sante les  diverses  jiarticularités  de  ces  ])bénomènes 
en  faisant  Jaillir  un  faisceau  cathodique  aussi  jiaral- 
lèle  que  })Ossible  dans  une  ampoule  vide  d’air,  (le  fais- 
ceau catliodiqiu'  étant  incliné  par  rajqiort  aux  lignes 
de  force  du  chainj)  magm'ti(pie  })roduit  ('iiti'C  les  p(ïles 


l’action  électrique  du  soleil 


()1 

d’un  électro-aimant,  on  olitient  une  représentation  frap- 
pante du  magnifique  phénomène  (Comptes  rendus  de 
l’Académie  des  Sciences,  lijuin  HKJ6), 

Arctowski  signala  la  simultanéité  qui  existe  dans 
l’a})})arition  des  aurores  boréales  et  australes  (Comptes 
RENDUS  DE  l’AgADÉMIE  DES  SciENGES,  Ji  lliars  1901), 

Les  aurores  australes  qu’il  oliserva  en  1897-99,  à 
liord  de  la  Belf/ica,  correspondaient  exactement  à 
celles  observées  au  pôle  Nord,  au  même  moment,  par 
Nordenskiold. 

Birkeland  définit  l’origine  électrique  des  aurores 
polaires  dans  les  régions  supérieures  de  ratmos})bére 
de  la  façon  suivante  (’^'idenskabsselskabets-Skefter, 
t.  1)  : Les  aurores  polaires  sont  dues  à des  courants 
électriques  entièrement  localisés  dans  l’atmosplière 
supérieure  et  qui  y circulent  à ])eu  près  parallèlement 
au  sol,  Ibie  aurore  boréale  se  manifeste  chaque  fois 
qu’un  courant  électrique  suffisamment  dense  se  ]>ro- 
duit  dans  les  régions  supérieures  de  l’atmosphère.  Ces 
efiets  électriques  ne  paraissent  jxis  dns  à des  rayons 
cathodiques  émanés  du  Soleil,  car  ces  rayons  catho- 
diques s’enrouleraient  autour  des  lignes  de  force  du 
champ  terrestre  et  les  raj'ons  auroraux  auraient  alors 
une  direction  toute  difterente  de  celle  qu’on  oliserve. 

Xordmann  a constaté,  d’autre  part,  que  les  aurores 
ne  produisent  de  perturbations  magnétiques  sensildes 
que  lorsqu’elles  sont  animées  de  mouvements  ra})ides. 
Si  elles  sont  staldes  quoique  lirillantes,  ces  pertur- 
bations magnétiques  font  défaut  (Journal  de  Phy- 
sique, 1901). 

D’après  Paulsen,  tous  les  faits  })récédents  semblent 
démontrer  que  les  courants  électriques  de  l’atmo- 
sphère qui  sont  les  agents  de  ces  perturbations,  ne 
sont  pas  les  causes  des  aurores  boréales,  mais  sont 
des  phénomènes  concomitants  qui  n’accompagnent 
ceux-ci  que  dans  certains  cas  (Meteorologische 
Zeitschrift,  194,  passim). 


68 


RKVI^E  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Maundcr  dans  une  récente  étude  (Tiie  Astrodiiysi- 
CAL  Journal,  XXI,  1605.  - Ciel  et  Terre,  avril 

1905)  snr  les  relations  existant  entre  les  inaxiina 
solaires  et  les  grands  ])liénoinénes  éle(dro-inagnéti({ues 
de  la  Terre  forinide  les  conclusions  suivantes  : 

1°  I/origine  des  jiertnrliations  magnétiques  est  dans 
le  Soleil,  et  jias  ailleurs.  Leur  })ériode  est  celle  de  la 
rotation  synodique  et  non  celle  de  la  rotation  sidérale; 

'2"  Les  aires  solaires  (fui  firovoquent  les  orages 
magnétiques  sont  hien  définies; 

3"  Ces  ailles,  comme  les  zones  des  taches,  sont  entre 
0"  et  30"  de  latitude  ; 

4°  Les  fdiis  fortes  fierturhations  magnétiques  sont 
dues  à l’afifiarition  des  grandes  taches; 

5"  L’activité  magnétique  d’une  aire  donnée  peut 
))récéder  la  formation  d’un  grouj)e  important  de  taches 
et  lui  survivre; 

6°  L'action  magnétique  est  limitée  à un  faisceau 
étroit  (fui  tourne,  à tonte  distance,  avec  le  Soleil;  ainsi 
s’exfdi(fueraient  le  commencement  brusque  et  le  retour 
périodique  des  orages  niagnéti(fues  ; 

7"  La  longueur  mojenne  de  ces  faisceaux  fieut  se 
déduire  de  la  durée  mojenne  des  orages  magnéti(fues; 

8"  L’activité  des  taches  f tarait  sujette  à des  écliftses; 

9"  Les  taches  qui  donnent  lien  aux  grandes  ftertur- 
liations  fiassent  en  général  au  sud  de  l’é(fuateur  solaire. 
Il  seinlde  donc  (fue  leur  action  n’est  ftas  exactement 
radicale. 

Essaûm-i  cosmiques.  — Le  passage  périodique  des 
essaims  cosmi(fues  entre  le  Soleil  et  la  Teri‘e  ,joue  un 
r(')le  très  manifeste  dans  la  fihvsiifue  et  la  météorologie 
terrestres.  L’origine  électrique  de  ces  fierturhations 
n’est  pas  douteuse,  /enger  en  a fait  une  étude  des  fdus 
intéressantes. 

Il  trouva  (fu’iin  intervalle  à fieu  ftrc's  r(‘gnlier  de  dix 


l’action  électrioce  de  SOLEII. 


f)9 


à treize  Jours  existait  entre  les  grands  niouveinents 
sisiiii({ues  ({iii  se  reflètent  eà  et  là  à la  surface  du  lilolie. 
Le  passage  des  essaims  cosmiques  jiarait  souvent,  agir 
d’une  manière  concordante  avec  l’inliuence  directe  du 
Soleil  (Comptes  rendus  de  l’Académie  des  Sciences, 
CAlll,  p.  1459).  Les  perturbations  qui  résultent  du 
passage  de  ces  essaims  mètéoriipies  surviennent  deux 
fois  ]>ar  rotation  solaire  acconqilie,  d’après  les  obser- 
vations de  AVild  ((Observatoire  de  Pawlowsk),  de 
Marchand  (Oliservatoire  de  Lyon)  et  celles  de  l’Obser- 
vatoire du  Parc  Saint-AIaur  (Comptes  rendi’s  de 
l’Académie  des  Sciences,  année  18(S7,  t.  1,  p.  1556). 

AVild  démontra  ensuite  que  les  grandes  perturba- 
tions magnétiques  de  1880  et  1884  avaient  été  simnl- 
taiiées  pour  le  globe  entier;  il  en  résulte  qn’nne  cause 
extra-terrestre  agit  au  même  moment  sur  le  potentiel 
du  glolie  et  jirodnit  à la  fois  des  pertiirliations  magné- 
tiques, les  courants  terrestres  et  les  aurores  lioréales. 

Zenger  jiense  que  Vaction  èlectrùiue  (ht  Soleil  se 
manifeste  comme  cause  princi|)ale  et  l’action  électrique 
entre  la  Terre  et  les  nuages  cosmiques,  comme  cause 
secondaire  des  pertiirliations  magnétiques  (Comptes 
RENDUS  DE  l’AcADÉMIE  DES  SciENCES.  Aiiiiée  1887,  t.  I, 

p.  1556). 

Poursuivant  ses  études,  Zenger  annonçait  en  189(0 
(Comptes  rendus  de  l’Académie  des  Sciences,  année 
1890,  p.  422)  que  l’on  })onvait  penser  que,  à l’occa- 
sion des  recrudescences  de  l’activité  solaire  au  mois 
d’août  1890  et  du  passage  des  grandes  masses  de 
nuages  cosmiques,  les  hautes  couches  de  l’atmosphère 
ont  été  chargées  d’électricité  à jiotentiel  élevé  ; alors 
se  sont  produites  des  décharges  puissantes  et  prolon- 
gées qui  ont  déterminé  des  mouvements  tourbillon- 
naires et  des  condensations  rapides  de  vapeur  d’eau, 
de  là  des  cyclones,  des  ti'ombes,  des  orages  et,  par 
l’aspiration  dos  gaz  souterrains,  des  émanations  di' 


70 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


g‘i‘isou  dans  les  houillères  et  des  érujttions  volca- 
niques souvent  accoinpaiiuées  de  treuil  ileuieuts  de 
terre.  Lorsque  le  passage  des  essaims  jiériodiques 
d’étoiles  filantes  coïncide  avec  une  Grande  activité 
à la  surface  solaire,  Zenger  prévoit  de  grandes  }>er- 
tiirbations  atinos])hériques  et  sismiques.  C’est  ainsi 
qu’il  a pu  prédire  les  orages  du  10  et  du  23  août  1895. 

Météorolofiie.  — A côté  des  phénomènes  magnétiques 
généraux  qui  sont  répartis  sur  toute  la  surface  de  la 
Terre,  il  en  existe  d’autres  d’importance  moindre  qui 
jouent  un  rôle  dans  la  météorologie  des  diverses  régions 
du  globe.  ( les  ])hénomènes  locaux  sont  encore  incom- 
plètement étudiés,  mais  il  est  vraisemblable  ([ue  les 
causes  dont  ils  dépendent  sont  celles-là  mêmes,  qui 
relient  entre  eux  les  jihénomènes  généraux  que  nous 
avons  rappelés. 

\’oici  quelques-uns  de  ces  faits.  Les  nuages  élevés 
sont  plus  abondants  aux  époipies  de  ])lus  grande  fré- 
quence des  aurores  jiolaires. 

M.  Brunhes  a constaté  que  la  pluie  ou  le  bi-ouillard 
ajqiortaient  généralement  une  charge  négative  dans 
l’atmosphère. 

Sliaw  a vérifié  ([iie  la  distriliution  des  lignes  d’égale 
jiression  démontre  que  la  circulation  atmosjdiérique  se 
fait  dans  les  couches  inférieures,  de  l’est  à l’ouest 
autour  de  l’axe  })olaire,  et  en  direction  invei'se  dans  les 
couches  supérieures,  (farrigon  Lagrange,  qui  a étudié 
les  mouvements  généraux  de  ratmosphère  en  Eurojie 
et  dans  l’Ainériipie  du  Nord  [Conf/rès  de  Grenohle, 
octobre  1905),  a constaté  que  dans  riiémisphère  boréal 
tout  entier  il  y a ([uatre  régions  inégales  mais  symétri- 
(piement  jdacées  au  point  de  vue  des  pi-essions  : dans 
(leux  de  ces  régions  le  baromètre  est  élevé,  dans  les 
deux  autres  il  est  lias.  Parfois  il  se  produit  une  réunion 
des  deux  régions  de  hautes  pressions  et  des  deux 
régions  de  basses  pressions. 


l’action  électrique  du  soleil 


71 


Lockyer  a trouvé  qu’il  existait  deux  centres  de  varia- 
tions baroinétri([ues  situés  aux  antipodes  l’un  de  l’autre: 
l’un  se  trouve  dans  l’Inde,  l’autre  à (iordoba  dans 
l’Amérique  du  Sud,  dont  nous  avons  parlé  précé- 
demment au  sujet  des  aurores  polaires.  On  ol)serve  sur 
rensemlde  du  gio])e  tout  entier  des  variations  dont  la 
période  serait  à peu  jirès  l’inverse  de  celle  des  cycles 
des  taches  solaires,  soit  environ  onze  ans.  Les  années  de 
haute  pression  moyenne  sont  celles  où  les  taches  sont 
le  plus  petites.  Les  variations  de  l’Inde  et  celles  de 
l’Amérique  du  Sud  ne  sont  pas  inverses,  il  y a une 
différence  de  six  ans  environ  entre  leurs  maxima.  La 
variation  de  dix-neuf  années  serait  due  aux  actions 
solaires  modifiées  par  quelque  cause  terrestre. 

D’autre  part,  Brillouin  a trouvé  qu’il  existait  une 
corrélation  évidente  entre  les  facules,  les  taches  solaires 
et  le  temps  (Comptes  rendus  de  l’Académie  des 
Sciences,  21  septembre  1806).  Selon  lui,  toute  entrée 
de  taches  entourées  de  facules  étendues  et  brillantes, 
produit  dans  les  vingt-quatre  heures  un  troulde  rapide 
et  étendu  dans  la  circulation  atmosjthériqne.  Les  modi- 
fications du  temps  sont  lentes  et  progressives  quand 
il  n’entre  pas  de  nouvelles  taches  dans  le  Soleil  ; mais 
dès  que  des  cirrus  caractéristiques  apparaissent  dans 
les  hautes  régions,  il  y a toujours  une  tache  dans  le 
Soleil. 

Tjnniière  zodiacale.  — 11  existe  un  fait,  sur  l’exjdi- 
cation  du([uel  les  astronomes  ne  sont  }>as  encore  jiar- 
venus  à se  mettre  d’accord,  c’est  l’origine  précise  de  la 
lumière  zodiacale.  Cette  traînée  lumineuse  dans  le 
firmament,  sorte  de  croissant  gigantesque  qui  émarge 
de  l’horizon  jiendant  les  nuits  sereines,  est  encore  une 
énigme  }»our  tous. 

Pour  d’aucuns,  cette  vague  ])hos})horescence  qui  se 
dresse  comme  un  immense  point  d’interrogation  à 
l’horizon  avant  ou  après  le  coucher  du  Soleil,  ne  serait 


12 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


qu’ime  auréole  formant  (;ürtèf>e  au  disque  solaire.  Sa 
forme  serait  celle  d’une  ellipse  allongée,  et  son  grand 
axe  s’étendrait  au  delà  de  l’orlûte  terrestre.  La  matière 
extrêmement  ténue  qui  la  constitue  réfléchirait  les 
i-ayons  solaii'es  à la  làcon  d’une  vapeur  légère,  rappe- 
lant vaguement,  dans  la  nuit  étoilée,  l’aspect  nébuleux 
des  comètes. 

Pour  d’autres,  au  contraire,  tels  que  Forster  et 
Arrliénius,  on  devrait  admeltre  que  la  lumière  zodia- 
cale ne  serait  qu’une  donhle  ([ueue  lumineuse  prove- 
nant, non  pas  du  Soleil,  mais  de  la  Tm're  elle-même. 
Cette  doiihle  émission  céleste  de  la  matièi-e,  portée  à un 
état  de  division  extrême,  se  réunirait  dans  la  région 
équatoriale  de  la  Terre  })our  s’élargir  et  s'étendi’e  pro- 
g-ressivement  sous  forme  de  croissant  suivant  la  direc- 
tion du  Soleil. 

loniantion  de  la  haute  atmosphère.  — Lénard  a 
démonti'é  (pie  les  rayons  ultra-violets  jiossédaiimt  la 
propriété  de  donner  naissance  à des  cliai'ges  électriques 
libres,  jiositives  et  négatives  au  sein  des  gaz  ([ui  sont 
traversés  jiar  enx. 

Nous  savons  également  que  lorsque  des  gaz  extrê- 
mement raréfiés  et  où  la  }iression  est  égale  à 10— milli- 
mètre de  mercure  (tels  que  ceux  de  la  surface  de 
l’atmosphère  terrestre)  sont  soumis  à l’action  simul- 
tanée (le  radiations  ultr-a-violettes  et  d’une  induction 
électrostatique  positive,  il  se  produit  une  ionisation  de 
ces  gaz. 

Les  ions  ou  électrons  mis  en  lilierté  sous  cette  double 
action  sont  chargés  négativimient,  et  ils  jK'uvent 
ac([uérir,  sous  l’action  des  forces  mises  en  jeu,  une  éner- 
gie cinétique  suflisante  j»our  échap])er  à l’attraction  (h* 
la  Terre.  Il  sullit  (pie  la  vih'sse  des  électrons  devienne 
supérieure  à IL",  180  ]»ar  seconde  pour  (pie  cet  eflet 
se  produise. 

D’après  la  grandeur  jirobahle  des  actions  mises  en 


l’action  élegtriqi:e  du  soleil 


73 


jcMi,  à la  surface  de  ratmosjdière,  il  scmlile  très  vrai- 
semldahle  qu'une  ionisation  active  se  produit  dans 
les  couches  extérieures  de  cette  atmosphère,  accom- 
pagnée d’etfets  de  radio-activitiq  de  rayons  cathodiques 
et  de  rayons  Rœntgen. 

Les  électrons  chargés  négativement  s’échapjient 
hors  de  ratmosphère  terrestre  et  emportent  dans 
l’espace  leurs  charges  négatives  en  môme  temps  qu’une 
partie  matérielle  de  notre  atmosphère. 

Nous  savons,  du  reste,  que  la  grandeur  des  charges 
électriques  que  possèdent  les  électrons  est  considé- 
ralile  jiar  rapport  à leur  masse  matérielle. 

L’ionisation  des  couches  extérieures  de  l’atmosphère 
terrestre  pourrait  donc  lil)érer  des  charges  électriques 
considérables,  tout  en  n’y  produisant  qu’une  très  faible 
disparition  de  matière. 

Pour  en  revenir  à l’hypothèse  de  l’ionisation  de  la 
surface  de  l’atmosjihère  terrestre,  nous  devons  consta- 
ter ({ue  deux  faits  essentiels,  considérés  comme  admis, 
n’ont  en  réalité  subi  aucune  vérification  expérimentale 
directe. 

Ifionisation  des  dernières  particules  gazeuses  de 
l’atmosjihère  est  supjiosée  s’effectuer  sous  une  jiression 
initiale  de  if)—'*  millimètre  de  mercure  environ,  en 
contact  direct  avec  le  vide  inteiqdanétaire. 

Or  jamais  ce  fait  n’a  })u  être  vérifié,  car  dans  tons  les 
essais  les  gaz  dilués  sur  lesquels  on  opérait  étaient 
séparés  de  l’extéideur  par  des  substances  solides,  telles 
que  des  ampoules  de  verre,  de  quartz  ou  de  métal. 

Nous  ignorons  également  de  quelle  nature  sont  les 
gaz  qui  occiqient  les  régions  supérieures  de  l’atmo- 
sphère. Il  semlile  admissible  que  ces  gaz  soient  légers  et 
de  natui-e  difierente  de  ceux  de  la  basse  atmosphère. 
T.’étude  approfondie  du  spectre  des  régions  supérieures 
des  aurores  polaires  pourra,  sans  doute,  nous  fournir 
de])récieux  renseignements  à ce  sujet. 


1\ 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


f 


III.  — DÉDUCTIONS 

RELATH  ES  A LA  ITIYSIQUE  TERRESTRE 

Nous  venons  de  résunier  quelques-unes  des  théories 
actuelles  sur  l’action  électrique  du  Soleil  sur  la  Terre; 
nous  allons,  dans  l’exposé  qui  va  suivre,  chercher  à }u*é- 
ciser  davantage  le  rôle  que  paraît  jouer  l’induction 
solaire  dans  ses  manifestations  physiques. 

Afin  de  pouvoir  édifier  une  théorie  aussi  complète  que 
})ossil)le  de  l’action  électri([ue  du  Soleil  sur  la  Terre, 
déduite  de  l’induction  solaire,  nous  nous  trouvons  dans 
l’obligation  de  recourir  à un  certain  nomlire  d’hypo- 
thèses. 

C’est  cette  théorie  générale  {{ue  nous  allons  ex})oser 
d’une  façon  succincte,  en  l’ap}di(piant  aux  faits  précé- 
demment énumérés,  tels  ([ue  la  lumièi’e  zodiacale,  l’élec- 
trisation de  l’atmosphère,  le  magnétisme  terrestre,  les 
orages  magnétiques,  les  aurores  jtolaires,  les  troubles 
sismiques,  les  éclipses  solaires,  la  charge  électri({ue  de 
la  lune  et  leurs  conséquences  générales  sur  la  météoro- 
logie terrestre. 

Nous  avons  vu  que  tous  ces  })hénomènes  dé})endent 
de  l’action  solaire,  très  probalilement  d’origine  élec- 
trique; nous  allons  voir  qu’efiéctivement  ils  peuvent 
être  expliqués  d’une  façon  absolument  satisfaisante  ]>ar 
la  seule  action  de  l’induction  électrostatique  du  Soleil. 

Les  zones  électriques  de  l’atmosphère 

Nous  admettrons  ([iie  l’atmosphère  terrestri*  est 
constituée  par  une  série  de  zones  électri([ues  super- 
])osées.  Une  première  zone  AB(]  de  gaz  denses,  voisins 
du  sol,  forme  un  diélectrique  gazeux  dont  h'  pouvoir 


I 


l'action  électriqul  du  soleil 


75 


inductcMir  s})éciH([uu  varie  suivant  la  pression,  la 
teinpêratnre,  l’état  lijgroinétriqne,  la  quantité  d’ions 
libres  qu’elle  reniéiane.  La  hauteur  de  cette  zone 
an-dessns  du  sol  est  relativement  faible,  elle  ne  paraît 
guère  dépasser  5(3  à (>(3  kilomètres,  d’ajirès  les  oliser- 
vations  de  la  limite  inférieure  des  aurores  polaires.  Une 
seconde  zone  CJ)  surmonte  la  précédente.  Les  gaz  de 
l’atmosphère  j sont  progressivement  raréfiés  jusqu’à  la 


pression  do  iQ—- millimètre  de  mercure.  Leurs  proprié- 
tés physiques  seront  analogues  à celles  des  gaz  des  tulies 
de  (feissler.  Laie  troisième  zone  DE  s’étend  jusqu’à  la 
limite  su])érieure  de  l’atmosplière.  Leur  pression 
décroît  progressivement  de  i(3~-  millimètre  à 10“^ 
millimètre  de  mercure.  La  hauteur  de  cette  couche 
extrême  est,  comme  nous  l’avons  vu,  voisine  de  200  kilo- 
mètres au-dessus  du  sol.  Les  gaz  qui  la  constituent 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


70 

ont  jtroliahlc'ment  imo  faillie  densité  s[)écifi([ue,  et  ils 
sont  entraînés,  coniine  l'atnios])liêTe  tout  entière,  j)ar  la 
rotation  de  la  Terre,  en  glissant  })onr  ainsi  dire  direc- 
tement sur  le  vide  interplanétaire. 

Les  radiations  solaires  ])rovoqiieront  une  ionisation 
et  une  électrisation  intmises  des  couches  supérieures  de 
la  région  (‘ipiatoidale  de  rhéinis})lière  XIIY.  Sons  cotte 
action,  des  électrons  échapperont  à la  gravitation 
terrestre,  enij)orteront  dans  l’espace  des  charges  néga- 
tives et  se  dirigeront  vers  le  Soleil,  chargé  jiositive- 
ment. 

Lundère  zodiacale.  — Pour  nn  observateur  jdacé 
dans  rhéinis})hère  non  éclairé  par  le  Soleil,  rémis- 
sion cathodi([ue  })récédente,  (pii  se  produit  an-dessns 
de  la  zone  équatoriale  ensoleillée,  lui  apparaîtra,  avant 
et  après  le  coucher  dn  Soleil,  comme  nn  faisceau  fai- 
blement éclairé,  h cause  de  sa  masse  extrêmement 
petite.  Les  électrons,  qui  constituent  ce  faisceau  himi- 
neiix,  subiront  l’action  directrice  dn  (dianp)  terrestre 
et  sons  son  influence  se  rap})rocheront  de  la  direction 
des  ))(')les.  L’aspect  de  cette  émission  cathodique  serait 
donc  celui  d’nne  sorte  de  double  corne,  prenant 
naissance  à ré([uatenr  et  s’inclinant  vers  les  jx'des, 
analogue  à celui  de  la  lumière  zodiacale.  Rien  ne 
prouve  du  reste  (pie  ce  phénomène,  s'il  se  produit,  no 
soit  différent  d’un  second,  d'origine  ]Hirement  cosmique, 
ces  deux  phénomènes  restant  in(lé])endants  l’un  de 
l’autre.  Une  étude  jdns  ajqtrofondie  de  la  lumière  zodia- 
cale et  de  ses  relations  avec  l’activité  solaire  jterimdtra 
seule  de  résoudre  le  })rol)lème. 

Electrisation  de  l/atmosphère.  — La  disparition 
d’nne  charge  négative  des  couches  sujx'rieures  de  l’at- 
mosphère entraînerait  nécessaiiannent  l’ajtparition 
d’une  charge  jiositive  équivalente  dans  les  couches  plus 
jirofondes.  Cette  charge  se  manifesterait  sous  forme 


l’action  KLECTRK^rE  DU  SOLEIL 


77 


d’ions  positifs,  dont  le  noinlire  irait  en  décroissant  de  la 
région  neutre  D Jusqu’à  une  région  C où  la  charge 
positive  atteindrait  nn  maxiinuin.  Cette  charge,  ainsi 
que  le  nonilire  d'ions,  décroîtrait  ensuite  de  C jusipi’à  B. 
La  couche  d’air  isolante  intérieure  AB  s’o})poserait  au 
refoulement  de  la  charge  positive  de  C jusqu’au  sol. 

La  quantité  d’ions  positifs  que  l’on  rencontre  dans  les 
régions  inférieures  voisines  de  B devrait  varier  avec 
l’intensité  de  l’induction  solaire.  Elle  devrait  être  }>liis 
élevée  [lendant  le  jour  que  jiendant  la  nuit,  et  varier 
également  pendant  les  périodes  de  maxima  ou  de 
minima  d'activité  solaire  ainsi  que  pendant  les  éclipses. 
Toutes  ces  conjectures  sont  conformes  aux  faits  con- 
statés. 

Char  (je  nèf/atioe  du  sol.  — Sous  l’intluence  de  la 
charge  positive  de  la  couche  d’air  G,  le  sol  devrait 
acquérir  une  charge  négative.  Et  sous  l’intluenco  de 
l’attraction  réciiiroque  de  ces  deux  charges  0}qtosées, 
une  jiartie  de  ces  charges  pénétrerait  dans  l’épaisseur 
même  du  diélectrique.  Ainsi  s’exjiliqueraient  la  charge 
négative  du  sol  et  celle  des  couches  d’air  directement 
en  contact  avec  lui,  et  la  présence  d'ions  positifs  dans 
des  régions  assez  voisines  du  sol. 

La  pénétration  de  ces  deux  charges  opposées  dans  les 
couches  d’air  inférieures  se  ferait  d’autant  plus  facile- 
ment que  leur  conductihilité  serait  accrue  sous  des 
actions  diverses,  telles  que  la  présence  de  hrouillards, 
de  la  vapeur  d’eau,  d’ions  émis  par  le  sol,  etc. 

Les  dwe)‘ses  couches  électrisées  de  V al niosjihère . — 
Ihi  ol)servateur  qui  s’élèverait  jusqu’à  la  limite  supé- 
rieure de  l’atmosphère  traverserait  successivement  les 
diverses  couches  suivantes  : 

An  voisinage  du  sol,  une  région  chargée  négative- 
ment jusqu’en  B.  En  B,  un  potentiel  nul.  De  B en  G, 
un  })otentiel  positif  croissant,  avec  nn  maximum  en  G. 


78 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l)e  C en  1),  un  jtotentiel  })Ositif  décroissant  et  nul  en  D. 
l)e  D en  E,  un  })otentiel  négatit  croissant,  avec  un 
inaxiinuin  au  voisinage  de  E.  Enfin,  dans  la  région  tro- 
[ticale  éclairée,  un  jiotentiel  négatif  décroissant  ))rogres- 
siveinent  à imrtir  de  1). 

Le  «lobe  terrestre  et  les  diverses  couches  de  Tatino- 
sphère  se  comporteraient  donc  coinnie  un  double 
condensateur  sphérique  à électrodes  concentriques. 
L’armature  intermédiaire  E })orterait  une  charge  }>osi- 
tive,  tandis  ([ue  les  armatures  internes  A et  externes  E 
seraient  chargées  négativement. 

O O 


Courants  électriques  dans  la  haute  atmosphère 

La  zone  équatoriale  de  l’atmosphère  supérieure  qui 
est  soumise  à l’action  solaire  aliécterait  une  foi-me  de 
calotte . sphérique,  pourvue  d’une  charge  électrhjue 
décroissant  du  centre  vers  les  bords. 

Lue  charge  })ositive  équivalente  h la  charge  néga- 
tive libérée  }>ar  le  Soleil  dans  cette  région  serait 
refoulée  dans  les  }>arties  profondes  C,  ainsi  que  dans 
l’atmosphère  de  l’hémisjthère  obscur  XMY.  Si  la  Terre 
restait  immobile  dans  l’es])ace,  cette  douille  charge 
atteindrait  rapidement  un  régime  d’équililire  et  il  ne 
se  })i’oduirait  aucune  décharge  ni  aucun  courant  de 
convection. 

Mais  sous  l’action  du  mouvement  de  rotation  de  la 
Terre,  les  masses  électriques  de  la  haute  atmosphère 
seront  entraînées  de  l’est  à l’ouest  et  il  résultera  de  ce 
fait  un  excès  d’ions  négatifs  dans  une  zone  située  en 
avant  de  la  région  soumise  au  maximum  d’activité 
solaire.  Pour  une  raison  analogue,  un  excès  d’ions 
positifs  sera  transpoi-té  dans  une  direction  opposée.  Il 
résultera  de  ce  double  transjiort  inverse  une  rupture 
d’équilibre  dans  les  charges  électriques  de  la  haute 


l’actiox  électrique  du  soleil 


70 


atinospliêre  et  la  production  proljalile  de  courants  de 
convection  dans  ces  régions  })ar  un  véritable  tlux 
d’électricité  circulant  de  Test  à l’ouest  dans  la  haute 
atmosphère  et  s’étendant,  dans  le  sens  de  la  largeur, 
de  l’équateur  jusqu’aux  régions  polaires,  avec  une 
intensité  décroissante  du  centre  Jusqu’aux  bords. 

(le  courant  circulerait  autour  du  globe,  se  ra]i- 
procberait  du  sol  dans  rhéinis[)hêre  oliscur  et  s’en 
éloignerait  dans  l’hémisphère  éclairé,  car  la  charge 
positive  en  mouvement  sei-ait  attirée  vers  le  sol  dans 
le  premier;  au  contraire,  la  charge  négative  en  mouve- 
ment serait  portée  vers  les  régions  siqiérieures  dans 
le  second. 

Ce  tlux  de  convection  circulant  d’une  façon  continue 
de  l’est  à l’ouest  se  jirésenterait  donc  sous  la  forme 
d'une  sorte  d’anneau  circulaire  décentré  par  ra})port 
à l’axe  terrestre.  Get  anneau  serait  }tlus  éloigné  du 
sol  dans  la  réi>ion  directement  soumise  à l’action 

O 

solaire  et,  au  contraire,  serait  jdiis  rapproché  du  sol 
dans  la  jiartie  de  rhémis})hère  obscur  diamétralement 
opposée  à la  jirécédente. 

Partant  dé  cette  hypothèse  nous  pourrons  en  déduire 
les  phénomènes  suivants  : 

Champ  mufpiêtique  terrestre.  — Le  flux  électrique 
circulant  dans  la  direction  est-ouest  de  la  haute  atmo- 
sphère iiroduirait  une  résultante  magnétique  dont  la 
direction  concorderait  sensiblement  avec  l’axe  de  rota- 
tion terrestre.  La  position  relative  des  pôles  magné- 
tiques par  rapport  à cet  axe  pourrait  cependant  se 
trouver  légèrement  moditiée  par  les  variations  que 
sufiirait  ce  tlux  sous  diverses  intluences  solaires  ou 
terrestres. 

Oraffes  marjnètiq'ues.  — Le  champ  magnétique 
devrait  conserver  une  valeur  sensiblement  constante 
}>ar  suite  de  l’intensité  régulière  du  flux.  Cependant, 


<so 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIP^IQUES 


toute  modification  rapide'  qui  surviendra  dans  l’action 
solaire  })ourrait  jiroduire  un  accroissement  momen- 
tané de  cette  intensité,  se  traduisant  }tar  des  varia- 
tions correspondantes  des  constantes  magnétiques  ter- 
restres donnant  naissance  à des  orages  magnétiques. 

Variations  diurnes  du  champ  terrestre.  — Nous 
avons  admis  que  le  tlux  de  convection  serait  plus  ra}>- 
])roclié  du  sol  dans  la  région  obscure  de  la  Terre  ([uc 
dans  l’autre.  L’action  magnétique  devrait  donc  être 
plus  intense  dans  cette  région  que  dans  l’autre  et 
corresjiondre  à un  accroissement  de  l’intensité  du 
champ  terrestre  [)endant  la  nuit  et  à une  diminution 
})('ndant  le  jour.  Cette  lijjiotlièse  est,  en  etlet,  conforme 
aux  oI)servations  que  nous  avons  signalées  })récédem- 
ment. 

Variations  pè)‘iodi(pies  du  champ  terrestre.  — En 
chaque  })oint  de  la  Terre  les  etléts  jtrécédents  dé})cn- 
draient  de  la  [tosition  la'lative  de  l’axe  terrestre  et  de 
l’axe  solaire  dans  l'espace.  On  sait  que  l’axe  terrestre 
ne  coïncidant  jamais  avec  l’axe  magnétique  XY,  il 
})eut  se  produire  par  suite  de  variations  })ériodiques 
dans  la  position  relative  de  ces  deux  axes,’  telles  que 
saisons,  [)i*écession  des  équinoxes,  etc.,  des  variations 
correspondantes  dans  les  divers  phénomènes  terrestres 
qui  en  dépendent,  tels  que  chaiii})  terrestre,  aurores 
polaires,  régime  météorologique. 

Les  variations  ■ dans  la  })osition  relative  de  l’axe 
solaire  et  de  l’axe  terrestre  produiraient  également  les 
troubles  constatés  par  Arrhénius  à l’époque  des 
maxima  du  5 mars  et  du  3 septembre,  ainsi  qu’aux 
minima  du  4 Juin  et  du  6 décembre. 

Courants  telluriques.  — Les  variations  de  l’inten- 
sité des  courants  de  la  haute  atmosphère,  résultant  des 
troubles  électriques  du  Soleil,  feraient  naître  des  cou- 
rants induits  à la  surtace  du  sol  lorsqu’elles  se  }>ro- 


i/ac:tiox  Électriqt’k  de  soleil 


NI 


duiraient  avec  une  rapidité  suffisante,  (ies  enui'ants 
auraient  une  direction  sensilileinent  parallèle  à celle  de 
l’équateur.  D’autres  courants  provenant  des  décharges 
dues  aux  aurores  polaires  auraient  une  direction  nor- 
male aux  })récédents  et  suivraient  la  direction  des 
méridiens  terrestres.  En  fait,  on  constate  l’existence  de 
ces  deux  espèces  de  courants  telluriques. 

Aurores  polaires.  — Sous  l’action  du  refroidissi'- 
nient  polaire,  les  régions  atmosphériques  situées  aux 
pôles  subiront  une  condensation  plus  grande  qu’à 
l’équateur  et  la  résistivité  ^ sera  moindre. 

Lorsque,  sous  l’action  d’une  suractivité  solaire 
brusque,  les  couches  supérieures  de  ratmos])hère 
acquerront  une  charge  trop  élevée,  l’équilibre  élec- 
trique se  rétablira  par  une  décharge  partielle  entre 
les  couches  supérieures  chargées  négativement  et  les 
couches  plus  profondes  })Ositives.  Cette  décharge 
s’effectuera  aux  points  de  moindre  résistance,  c’est- 
à-dire  aux  pôles.  Elles  seront,  en  outre,  orientées  par 
le  magnétisme  terrestre  qui  subira  lui-même  un 
accroissement  momentané  sous  l’action  de  la  suracti- 
vité solaire. 

Ces  décharges  polaires,  correspondant  aux  aurores 
polaires,  devront  présenter  dans  leurs  couches  les  plus 
rapprochées  du  sol,  des  décharges  analogues  à celles 
des  gaz  peu  raréfiés,  comme  dans  les  tulies  de  Geissler, 
tandis  que,  dans  les  couches  élevées,  ces  décharges 
devront  ressembler  à celles  des  gaz  très  raréfiés, 
comme  dans  les  ampoules  de  Grookes. 

Efféctivement  les  aurores  ont  une  apparence  stra- 
tifiée et  brillante  vers  le  bas  et,  au  contraire,  }>eu 
lumineuse  et  analogue  aux  décharges  cathodiques  vers 
la  partie  supérieure. 

Troubles  sismiques.  — Il  semble  profiable  que,  si  les 
faits  précédents  sont  exacts,  la  surface  terrestre  tout 
III«  SÉRIE.  T.  XII.  (i 


82 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


entière  siiliit  une  attraction  permanente  sous  l’action 
(le  la  charge  électrique  de  ratmos})hère. 

Les  variations  de  charge  de  ratniosphère  se  tradui- 
raient par  des  oscillations  plus  ou  moins  fortes  de  la 
croûte  terrestre  ou  des  mers.  Les  })remières  corres- 
])ond raient  aux  tremhlements  de  terre  et  aux  mouve- 
ments sismiipies  qui  agitmit  continuellement  le  sol,  les 
secondes  donneraient  naissance  aux  ras  de  marée  et  aux 
teni])ètes  marines. 

L’ahhé  Moreux  a fait  remarquer  ipie  de  simples 
orages  pouvaient  donner  lieu  à dos  attractions  suffi- 
samment })uissantes,  entre  les  nuées  chargées  d’élec- 
tidcité  et  le  sol,  })oui‘  ju-ovoquer  des  trcmldements  de 
t('rre;  à plus  forh'  raison  ])ouvons-nous  concevoii*  que 
la  })uissante  attraction  de  la  haute  atmosphère  puisse 
jtrovoquer  des  phénomènes  du  même  ordre,  mais  beau- 
coup plus  étendus. 

Eclipses  solaires.  — La  supjiression  momentanée  de 
l’action  solaire  sur  une  })ortion  de  la  surface  terrestre 
])ar  rinteiq)osition  de  la  masse  lunaire  aura  pour  consé- 
([iience  d’intorrom})re  les  eliets  d’ionisation  et  d’induc- 
tion dus  au  Soleil  (lans  la  région  éclipsée  et  d’j  amener 
des  troubles  électriques  et  magnétiques  corres})ondants. 
Nous  avons  vu  précédemment  ([ue  des  troubles  seni- 
hlahles  ont  (Hé  etfectivement  constatés. 

[jü  Lune.  — La  Lune  est  un  globe  conducteur  isolé 
dans  l’esjiace.  Les  dernières  oliservations  qu’on  a faites 
sur  cet  asti‘0  font  croire  qu’elle  est  entourée  d’une  atnio- 
s})hère  extrêmement  i-aréfiée  et  ju’ohahlement  peu  éle- 
vée au-dessus  d('  la  surlace.  Les  gaz  constituant  cette 
atmos})hère  devront  suliir  les  actions  inductrices  et  ioni- 
santes du  Soleil,  et  ]>ar  un  mécanisme  analogue  à celui 
f[ue  nous  avons  étudié  })our  la  Terre,  la  Lune  devra 
ac({uérir  une  charge  positive  permanente.  (Quelques 
observations  laites  à ce  sujet  semblent  ehèctivement 
conlirmer  cette  hypothèse. 


l’action  ÉLP:CTRI(,)rK  DI'  SiOLFJL 


SM 


Nous  citerons  l’ime  d’elles,  faite  le  i*"*' septembre  illOf), 
alors  ipie  la  pleine  Lune  devait  avoir  lieu  le  25  sep- 
tembre suivant  : 

Il  était  S b.  15  du  soir,  la  Lune,  élevée  de  MO"  à l’ho- 
rizon, brillait  d’un  vif  éclat.  La  température  était  de 
20"  C.  et  l’état  hygrométriipie  de  l’air  était  de  0,52. 

Le  ciel,  pur,  était  jtarsemé  de  quebpies  légers  cirrus, 
l’atmosplière  était  calme. 

On  utilisa  les  mômes  a})})areils  que  dans  les  observa- 
tions })récédentes  sur  le  Soleil,  mais  la  rosée  du  soir 
rendit  l’isolement  défectueux  et  l’on  ne  put  en  oldenir 
un  bon  fonctionnement  qu’en  les  chautfant  préala- 
blement. 

Il  fut  possilile  de  constater  qu’aprés  avoir  chargé 
l’électromètre  négativement  jusqu’à  la  division  100  de 
l’échelle,  et  en  exjiosant  directmnent  la  plaque  isolée  aux 
radiations  lunaires,  on  obtenait  une  décharge  de  100"  à 
450°  (soit  environ  80  volts)  dans  l’espace  de  40  secondes. 
En  exposant  ensuite  la  plaque  vers  un  }>oint  du  ciel 
voisin  de  celui  occupé  par  la  Lune,  la  même  décharge 
de  400°  à 450"  ne  se  fit  plus  qu’en  240  secondes.  C’est- 
à-dire  que  la  cliage  positive  produite  par  la  Lune  edait 
six  fois  plus  forte  que  celle  due  à l’atmosphère. 

Malgré  ces  premiers  résultats  encourageants,  nous 
ne  pourrons  être  affirmatifs  sur  cette  question  très 
importante  avant  d’avoir  pu  les  contrôler  dans  une 
série  de  recherches  suivies.  Ces  recherches  sont 
malheureusement  délicates  et  des  conditions  favoraliles 
aux  observations  ne  se  présentent  que  rarement. 

Quoi  qu’il  en  soit,  si  la  Lune  possède  réellement 
une  charge  positive  comme  nous  avons  lieu  de  le  croire, 
l’on  pourrait  s’expliquer  le  rôle  actif  que  cet  astre  Joue- 
rait dans  la  jihysique  et  la  météorologie  terrestres. 

Toute  cause  pouvant  amener  une  variation  dans 
l’action  de  la  charge  lunaire  provoquerait  aussitôt  des 
troubles  correspondants  dans  l’atmosphère  tei'resti‘e. 


Si 


REVrE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


troubles  qui  seraient  suffisants  pour  inoditier  le  régime 
(lu  temps.  I/action  électri(pie  que  la  Lune  pourrait  pro- 
voquer sur  les  animaux  et  les  végétaux,  }>ar  un  temps 
clair,  s’expli({uerait  facilement. 

r.e  potentiel  lunaire  jiourrait  avoir  une  action  directe 
sur  les  aurores  polaires.  L’abbé  Moreux,  qui  avait  eu 
connaissance  de  nos  dernières  recherches,  dit,  au  sujet 
de  la  ])ériode  de  2(>,i  jours,  indiquée  jiar  Liznar  pour 
les  aurores  : « Nous  nous  rallierons  davantage  à la 
théorie  de  Ekholin  et  de  Svante  Arrhénius,  qui 
jiensent  que  cette  période  est  jilutôt  en  accord  avec  la 
Lune.  Lourquoi,  sans  aliandonner  riiyjiothèse  d’une 
action  électrique,  ne  ])Ourrait-on  croire  à une  influence 
de  ce  genre  causée  }>ar  notre  satellite?  Les  travaux 
entrepris  par  notre  ami,  le  docteur  Nodon,  semblent 
confirmer  cette  manière  de  voir  et  prouver  que  la  Lune 
a une  action  très  mai-quée  sur  le  jiotentiel  atmosphé- 
rique » {Les  Aîtrores  australes,  par  l’abbé  Th.  Moreux. 
CosMijs,  n'"  1138). 

Météorulof/ie. — Les  phénomènes  météorologiques  ont 
une  intensité  plus  faible  et  une  étendue  plus  limitée  que 
ceux  que  nous  venons  de  passer  en  revue.  Cette  action 
locale  dérive  le  plus  souvent  des  précédentes,  mais  elle 
est  également  soumise  à l’influence  de  l’état  topogra- 
})hique  et  climatologique  de  la  localité.  Les  lois  qui  les 
régissent  sont  donc  beaucoup  plus  complexes. 

Ce  ne  sera  que  par  le  groupement  méthodique  des 
effets  partiels,  que  l’on  peut  observer  au  même  instant 
en  un  grand  nomlire  de  points  du  globe,  que  l’on  par- 
viendra à en  tirer  des  déductions  réellement  scienti- 
fiques, et  à jeter  les  bases  de  la  science  météorolo- 
gique. 

Iladiations  calorifi(pœs  du  Soleil.  — A ccêté  de  l’ac- 
tion électrique  du  Soleil,  il  convient  d’étudier  l’action 
de  ses  radiations  calorifiques,  qui  jouent  certainement 


l’action  électrique  du  soleil 


85 


un  rôle  important  dans  la  physique  terrestre.  Langiey, 
qui  a fait  une  étude  des  radiations  infra-rouges  émises 
par  le  Soleil,  a reconnu  que  certaines  bandes  d’absoiq)- 
tion  suliissaient  d’importantes  variations  dont  l’origine 
est  encore  mal  connue,  mais  qui  semblent  jouer  un  rôle 
important  dans  la  physique  terrestre. 

Telles  sont  les  bandes  0 = 1 et  X = 2^*  6 dues  à la 

vapeur  d’eau,  et  la  bande  Y = 6 due  à l’acide  carlio- 

nique. 

lÉétude  de  ces  bandes  d’absorption  présenterait  un 
grand  intérêt,  car  l’on  sait  que  les  trois  quarts  de 
l’énergie  solaire  se  manifestent  sous  la  forme  caloribque. 

Cette  étude  est  malheureusement  fort  délicate  avec  le 
bolométre,  mais  la  découverte  de  plaques  thermogra- 
pbiques,  analogues  aux  plaques  photographiques,  pour- 
rait rendre  un  signalé  service  à l’étude  de  la  chaleur 
solaire. 

Nécessité  cVorrfcmiser  des  observations  régulières  du 
Soleil.  — L’étude  du  Soleil  a déjà  pris,  à l’heure 
actuelle,  un  tel  développement  qu’elle  nécessite  l’emploi 
irun  outillage  scientifique  spécial,  dans  des  observations 
appropriées  à ces  recherches. 

La  plupart  des  grandes  nations,  sauf  peut-être  la 
France,  possèdent  déjà  des  observatoires  de  jdiysique 
solaire. 

Souhaitons  que  celles  qui  en  sont  encore  déjiour- 
vues,  la  France  comprise,  puissent  rapidement  combler 
cette  lacune,  dans  l’intérêt  de  la  Science  en  général  et 
de  la  Météorologie  terrestre  en  particulier. 

Albert  Xodon, 

Docteur  ès  Sciences. 


LES  PORTS 


i:t  u:ii{  r(»\cTio\  eciimuiioi’h: 


(1) 


IX 


LK  PORT  l)i:  m]L(IS 


Situation  et  confif/ia'ation  ffénêrale 

L’île  (le  Délos  est  située  au  iiiilieu  de  TArehipel,  à peu 
j)i-ês  au  (centre  des  Cyelades,  (pii  forment  un  cercle 
« kûkXoç  » autour  d’elh'  (2). 

(f('st  un  rocher,  granit  et  gneiss,  arid(‘  ('t  nu,  exac- 
t('inent  orûmté  du  sud  au  nord.  Du  nord  au  sud,  la 

(I)  Voir  Hkvue  des  Questions  scientifiques,  troisième  série,  t.  l.\, 
avril  l!Xl(),  p.  357  ; 1.  X,juillet  llMMi,  p.  I K);  t.  \I,  avril  1907,  p.  494. 

(:2)  liiitLioCiR.M’UiE.  Sur  Délos,  voir  la  notice  de  V.  von  Schoeffer  dans  l’auly- 
Wissowa,  Heal-EHCiiclopndie  der  idassischcn  AUerUiniiiivissenscliuft,  t.  IV 
(Sinllgarl,  1901),  roi.  i459-!250î2  et  les  sources  (pii  y sonl  indiquées.  Le  présent 
arlicle  est  basé,  avant  tout,  faut-il  le  dire?  sur  les  travaux  publiés  par  les 
archéologues  français,  à la  suite  des  fouilles  entreprises  par  l’Ecole  française 
d’Athènes.  Notamment  : Th.  llomolle.  Les  Romains  à Dtdos,  Kulletin  de 
CORIIESDOND.VNCE  tiELEÉNiQUE,  VUl,  1884,  pp.  75-158.  — Ed.  Ardailloii. 
Rapport  sur  les  fouilles  du  port  de  Délos,  mit).,  XX,  1890,  pp.  4Î28-445.  — 
Ch.  Uiehl,  Excursions  archéolo(jii]ues,  Paris,  1890,  pj).  125etsuiv.  — A.. lardé, 
Le  (juartier  marchand  au  sud  du  sanctuaire,  Hulletin  de  correspon- 
dance itEELÉNiQUE,  XXIX,  1905,  pp.  1-54.  — A.  Jardé,  Fouilles  dans  le  quar- 
tier marchand,  ihid.,  XXX,  1906,  jip.  632-664.  — Des  rapports  succincts  sur 
les  fouilles  paraissent  régulièrement  dans  les  Comptes  rendus  des  séances 
DE  l’Académie  des  Inscriptions  et  Delles-Lettres. 

M.  A.  .lardé,  l’archéologue  si  distingué  (jui  a attaché  son  nom  au  dégagement 
du  ((uartier  marchand,  a bien  voulu  revoir  les  épreuves  de  mon  travail,  ,1e  lui 
adresse  un  cordial  et  affectueux  merci. 


Légende 

[.4yonJ  dts  CompchihiU.tes. 

Il  Porh<}ue  Jt  Philippi . 

II!  AB  Fou  NO. 

IV.  ..  M-A. 

V .Point f {UsPilaslm 
VI . Matinsins  E-A  . 

VII  Ma^itfsin  des  Colonnes, 

VIII  ..  Z. 

!X  Pue  (lu  Théâtre. 

X , Maison  du  Dionysos . 

XI  ..  Trident. 

XII  Ayora  de  Tlieophrashs . 

XIII  ■ • des  Jlalicns . 

XIV  . Local  des  Po.eeidonia.'ites . 
XV . Maisons . 

X\'i . Porlujuc  des  Cornes . 

XVII  Temple  d '.ApoUen . 

XVIII  Petit  Portique. 


..Pwa(/e  le  plus  ancien 
I epeqne  Imleirtqiie  l. 
..Hivaqe  du  U*  Siècle 
aviinZ  J.  Chr 


fliivape  aeluil 


J' 


D=£] 

Musée 


Théàl  re 


LE  PORT  DE  DÉLOS 


87 


distance  extrême  est  de  cimj  kilomètres  (5017  m.);  de 
l’ouest  à l’est,  sa  largeur  maxima  est  de  1291  mètres (1  ). 
Naxos  est  près  de  116  fois  plus  grande.  Un  chenal  large 
de  deux  kilomètres,  en  moyenne,  sépare  Délos  de  l’île 
voisine  de  Rliénée,  île  plus  considérable,  appelée  aussi 
la  grande  Délos,  et  qui  mesure  17  kilomètres  carrés. 
Deux  écueils  déserts,  distants  de  150  mètres,  le  petit 
Rhevmatiari  et  le  grand  Rhevinatiari  (les  îles  du  cou- 
rant) occupent  le  milieu  du  chenal,  à peu  }>rès  comme 
les  })iles  d’un  pont.  Ils  suivent  la  côte  à près  de 
200  mètres. 

Le  sol  de  l’île  est  très  accidenté.  Les  anciens  en 
comparaient  l’as])ect,  à vol  d’oiseau,  cà  celui  d’une 
chlainyde  déployée.  Au  nord,  deux  ca})s  poussent  fort 
avant  dans  les  flots  leurs  falaises  noires,  déchiquetées 
par  la  mer  et  l)attues  par  les  vents.  Ce  sont  : la  pointe 
Kà|iri^“-  orientée  vers  Tinos  et  la  Kann  TTouvia  (la 
méchante),  orientée  vers  Mykonos.  Au  sud,  llélos  se 
prolonge  par  un  îlot  en  forme  de  faucille. 

L’île  est  dominée  par  le  Cynthe,  qui  s’élève  jusqu'à 
118  mètres.  Du  côté  est,  le  versant  en  est  droit  et 
abrupt.  Du  côté  ouest,  au  contraire,  les  hauteurs  vont 
diminuant  en  pente  douce,  jusqu’à  un  plateau  traver- 
sant l’île  d’un  rivage  à l’autre,  de  l’ouest  au  nord-est, 
et  formant  })laine.  Cette  plaine  s’aliaisse  vers  le  rivage 
ouest,  en  face  du  grand  et  du  ])etit  Rhevmatiaid. 

Le  rivage,  tourné  vei'S  ces  écueils  et  vers  Rliénée, 
présente  trois  anses  : la  calanque  de  Scardana,  le  port 
central  dont  je  parlerai  en  détail  et  le  port  de  Fournoi 
(des  fours  à chaux). 

Telle  est  la  configuration  générale. 


(1)  Ardaillon  et  Converl,  Carte  archéologique  de  Vile  de  Délos,  l’aris,  UK):2. 

p.  10. 


SS 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


/>c7o.s'  smictu(M)‘e  et  port.  Les  fouilles  françaises 

l)élos,  aujourd’hui  morte  et  déserte,  fut  une  des  villes 
les  plus  ricdies,  les  jdus  célèbres,  les  plus  fréquentées 
de  l’antiquité. 

(l’était  la  claire,  la  brillante,  où  le  Dieu  du  Soleil, 
Ajtollon,  avait  vu  le  Jour  au  bord  du  Lac  Sacré,  terre 
privilégiée  des  dieux,  terre  de  sanctuaires  admirables 
(d  véïK'rés,  où  affluaient  jtèlerins  et  visiteurs,  appar- 
[('uant  à toutes  les  classes  de  la  poj)ulation,  venus  de 
tous  les  points  du  monde  bellénique. 

Terri'  sacrée  et  asile  inviolalde  aussi  ! 

Les  Perses  (pii,  au  cours  des  puerres  médiques, 
brfdérent  Athènes  et  saccagèrent  à l’Acrojiole  la 
demeure  d’Atbena,  jiassèrent  respectueux  sur  l’ordre  du 
(frand  Roi  à cédé  du  territoire  d’Apollon  Délien.  Plus 
tard,  quand  vint  un  moment  d'accalmie  ajtrès  la  teni- 
])ète,  ce  fut  à l’ile  sainte  ([ue  l’on  conba  le  trésor  de 
la  Ligue  — la  Ligue  de  Délos  — formée  de  tous  les 
Ltats  grecs,  unis  pour  conjurer  le  ])éril  oriental. 

La  sécurité  et  la  })aix  régnaient  autour  du  sanctuaire: 
il  u'('u  (allait  jtas  plus  ])our  que  le  commerce  y naquît  et 
s'v  d('V('lo[)pàt. 

Lt  ces  rivages,  où  se  jiressait  la  multitude  des 
jirètres,  des  serviteui's  et  des  adorateurs  du  dieu,  où  se 
déployait,  (m  toute  sa  splendeur,  la  pompe  des  tbéo- 
ri('s  ('t  d(>s  ludllants  cortèges,  où  alioi-daient  les  amlias- 
sades  solennelles,  devinrent,  à la  longue  aussi,  et  par  la 
force  même  des  choses,  le  théâtre  de  foires  et  de 
marchés  très  suivis,  un  rendez-vous  de  navigateurs  et 
d’hommes  d’atïaires,  un  vaste  entrejxùt  et  l’une  des 
places  de  commerce  les  plus  importantes  de  l’antiquité. 

Par  sa  situation,  l’île  se  prêtait,  d’ailleurs,  admira- 
l)lement  à ce  rôle.  Délos  se  trouvait  à distance  égale 
entre  la  Grèce  et  l’Asie,  en  un  point  vers  lequel  couver- 


LE  PÜRT  DE  DÉLÜS 


89 


geaient  tontes  les  grandes  voies  de  navigation.  Elle 
était  — coinine  sa  proche  voisine  Syra  l’est  devenue 
aujourd’hui  — un  « reposoir  » tout  indiqué,  un  centre 
idéal  de  ravitaillement  et  de  trafic. 

line  ville  sainte  et  un  grand  port,  voilà  ce  que  fut 
Délos  dans  l’antiquité,  ce  qui  fit  sa  fortune  et  sa 
notoriété. 

Je  ne  parlerai  ici  que  de  la  cité  marchande  et  des 
installations  maritimes.  Je  le  ferai  au  gré  des  souvenirs 
que  m’a  laissés  l’inspection  des  lieux;  je  le  ferai  surtout 
à la  lumière  des  découvertes  archéologhjues  les  plus 
récentes,  faites  au  cours  de  fouilles  qui  sont  la  gloire 
de  l’Ecole  française  d’Athènes. 

Commencées  en  1877  par  M.  Th.  Ilomolle,  avec 
des  ressources  très  modestes,  et  poursuivies,  pendant 
quelques  années,  avec  une  ténacité,  un  courage  et  une 
abnégation  admirables,  les  fouilles  de  Délos  ont  été 
reprises  en  grand,  de|)uis  1903,  grâce  à la  munificence 
princière  du  duc  de  Louliat.  Un  chifire  et  un  détail 
permettront  de  Juger  de  leur  importance  : en  1905,  la 
campagne  dura  quatre  mois(l),  pendant  lesquels  six 
cents  Avagonnets  de  déblais  furent  jetés  quotidiennement 
à la  mer. 

Couronnées  d’un  plein  succès,  ces  recherches  ont  per- 
mis de  reconstituer  la  cité  disparue.  Elles  ont  mis  au 
jour  l’enceinte  sacrée  où,  suivant  l’exjtression  de 
M.  Diehl,  « tous  les  grands  événements  qui  ont  agité 
le  monde  helléni([ue  ont  laissé  quelque  trace,  où  tous 
les  maîtres  successifs  du  bassin  oriental  de  la  Méditer- 
ranée ont  tenu  à graver  leur  nom  et  à élever  des 
monuments  de  leur  j)uissance  ».  Elles  nous  ont  rendu 
également  les  diA^erses  parties  du  port  : installations 
maritimes,  jetées,  quais,  docks,  entrepôts  et  magasins. 


(1)  Rappelons  avec  fierté  la  part  prise  à ces  travaux  mémorables  par  un  de 
nos  compatriotes,  M.  Fernand  Mayence,  membre  étranger  de  l’École  fran- 
çaise. 


00 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


quai'tiers  marchands  avec  leurs  édifices  puldics  et 
privés,  depuis  la  boutique  du  petit  détaillant  jusqu’à 
l’hôtel  du  négociant  millionnaire,  jusqu’au  club  où  les 
hommes  d’alfaires  se  réunissaient  pour  se  délasser. 

En  outre,  quantité  d’inscriptions  trouvées  sur  les 
beux  sont  venues,  fort  à propos,  compléter  les  rensei- 
gnements que  nous  donnaient  sur  Délos  les  auteurs 
anciens  et,  avec  l’exactitude  des  documents  d’archives 
les  plus  précieux,  nous  fournir  sur  l’histoire  de  la  cité, 
sur  son  administration,  sur  les  éléments  de  sa  popula- 
tion, les  indications  les  plus  circonstanciées  (1).  En 
190  i,  cent  soixante-quatorze  documents  lapidaires  ont 
été  mis  au  jour  ! 


Ap(n\-n  histon'que.  Fonction  économique  du  port 

La  grande  })rospéi‘ité  du  [)ort  de  Délos  date  de 
ré])oqii(‘  romaine. 

Néanmoins,  de  tout  temps,  la  ])lace  eut  une  certaine 
ini]K)rtance  commerciale.  La  religion  et  le  commerce  j 
ont  vécu  côte  à côte  et  dans  une  étroite  dé})endance, 
dejniis  la  })lus  haute  anti([uité  : celui-ci  jn-otégé  ]>ar 
celle-là.  Lu  fait  est  caractéristique  : on  évalue  la  fortune 
d’Apollon  au  A'®  siècle,  à KJÜ  talents  (2).  Elle  consiste 
en  jiropriétés  foncières,  en  terres,  en  maisons  qu’on 
donne  en  location,  en  offrandes  et  objets  de  luxe. 
(A^rtains  droits  (pie  l’on  concède  rajijiortent  aussi 
(piel([ues  redevances  : droit  sur  la  pèche  de  la  pourpre 


(1)  On  trouve  un  joli  choix  de  ces  inscriptions  dons  les  recueils  épigraphiques 
de  .MM.  r.harles  .Michel,  Recueil  d’inscriptions  fjrecfjues,  liruxelles,  IIKX),  et 
Uïltenberger,  Sylloge  inscriptionum  graecaruni,  'i’’  édit.,  Leipzig,  1X98.  Voir 
les  tables. 

(2)  Nous  prenons  les  chillVes  donnés  pai-  V.  von  Schoefl’er  dans  Pauly- 
W'issow  a,  Heal-Encgclopddie,l.  IV,  c.  2i7i). 


LE  PORT  DE  DÉLOS 


91 


dans  les  environs,  droit  sur  la  pêche  du  poisson  (1), 
droit  de  déchargement,  droit  de  mouillage  dans  les 
ports  de  Délos  et  de  Mvkonos.  Mais  il  y a aussi  de 
l’argent  liquide  : 50  talents  environ,  au  5'®  siècle,  que 
l’on  prête  à des  villes  et  à des  particuliers  à 10  ]).  c. 
pour  cinq  années.  Et  ces  paidiculiers  que  sont-ils?  fer- 
miers, cultivateurs,  établis  à Rhénée  sur  les  terres  du 
dieu?  — Sans  doute.  Mais  ce  sont  aussi,  n’en  doutons 
pas,  des  commerçants  à la  recherche  de  caj)itaiix. 

Jusqu’au  II®  siècle  avant  J. -G.,  Délos  ne  fut  qu’une 
place  toute  secondaire. . 

« Le  trafic  de  la  mer  Egée,  écrit  M.  Mctor  Bérard  (2), 
semble,  à travers  les  siècles,  régi  par  une  loi  constante. 
Toutes  les  fois  qu’un  commerce  étranger  est  maître  de 
l’Archipel,  c’est  au  centre  de  la  mer,  dans  l’une  des 
trois  îles,  Sjra,  Délos  ou  Mykonos,  qu’il  lui  faut  « un 
reposoir  »,  comme  disent  les  marins  du  XML  siècle, 
un  ponton  et  des  docks,  diraient  les  marins  d’aujour- 
d’hui. Quand,  au  contraire,  ce  sont  les  indigènes  du 
continent,  sur  les  côtes  européennes  et  asiatiques,  qui 
détiennent  le  trafic,  le  rôle  de  ces  îles  centrales  dis- 
paraît. Elles  en  cèdent  les  hénétices  à des  ports  de  la 
périphérie^  continentale,  Corinthe,  Athènes,  Salonique, 
Smvrne,  Ephèse  ou  Milet.  » 

On  ne  saurait  mieux  dire. 

Jusqu’au  11®  siècle,  les  grandes  places  de  commerce 
se  trouvent  « sur  la  périphérie  continentale  ».  Ce  sont 
Athènes  d’abord,  })uis,  après  Alexandre-le-Orand,  Co- 
rinthe qui  reste  florissante,  Byzance  et  surtout  Rhodes 
qui  prétend  à l’hégémonie  commerciale  et  maritime. 
Délos,  malgré  tous  les  avantages  qu’elle  présente,  n’est 
qu’une  })lace  de  troisième  ordre.  Pourquoi  en  eût-il  été 

(1)  Les  comptes  nous  parlent  de  la  pêche  du  poisson  dans  le  Lac  Sacré. 
Celui-ci  a été  récemment  mis  à sec.  On  y a fait  une  trouvaille  intéressante  et 
inattendue  : il  était  plein  d’anguilles,  dont  on  ne  soupçonnait  pas  l'existence. 

(;2)  Les  Phéniciens  et  l'Udiissée,  1. 1,  P-  313. 


92 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


autrement?  Elle  manque  d’hinterland.  Elle  ne  possède, 
en  dehors  de  son  port  et  de  la  sécurité  qui  y règne, 
aucune  des  ressources  indispensables  à la  naissance  et 
au  développement  d’une  industrie  propre,  d’un  com- 
merce local.  Son  sol  est  aride;  il  ne  fournit  ni  bois  de 
construction,  ni  produits  exportaldes,  ni  minerais,  ni 
matières  premières.  Sa  population  peu  nomlireuse  avait, 
j)our  reprendre  les  expressions  de  M.  Ilomolle  (1), 
« l’indolence  que  donne  d’ordinaire  aux  habitants  des 
villes  saintes  l’haliitude  de  tout  attendre  du  dieu  qui  les 
nourrit  et  des  étrangers  dont  la  piété  les  enrichit  sans 
travail.  » Et  de  fait,  les  Déliens  sont  surtout  connus 
dans  l’antiquité  par  leur  haliileté  dans  l’apprèt  des  céré- 
monies et  des  ])anquets.  Ils  sont  serveurs,  cuisiniers  et 
maîtres  d’hôtel.  Ils  sont  auheraistes  et  en^-raissent  des 

U O 

volailles.  Ils  sont  appelés  èXaiobOiai,  TrapàaiToi  toO  6eoû 
ou  KapuKOTToioî  : nous  dirions  marmitons,  tourneliroches, 
gâte-sauce.  Ils  n’ont  ni  l’esprit  d’enti'eprise,  ni  l’amour 
des  aventures,  ni  le  goût  des  affaires. 

La  prospérité  des  ports  grecs  a toujours  été  liée  à la 
direction  du  commerce  international  et,  par  conséquent, 
très  })récaire  et  toute  momentanée.  A’ienne  celui-ci  à se 
déplacer  : ce  sera  pour  (Certaines  villes  un  arrêt  de 
mort;  pour  d’autres,  l’accession  à la  fortune  et  le  début 
d’une  ère  de  grandeur. 

Or,  voici  qu’au  début  du  II®  siècle,  Rome  (;onquiert 
la  (frèce  et  reni})orte  en  Macédoine  et  en  Asie  des  vic- 
toires décisives  (187-190).  Elle  assoit  son  emjûre  sur 
toute  la  Méditerranée  orientale. 

C’est  un  nouveau  consommateur  qui  entre  en  scène, 
c’est  un  nouvel  acheteur.  Et  ce  client  est  de  telle  impor- 
tance ({u’il  faudra  choisir  un  endroit  nouveau  où  les 
])roduits  des  différentes  régions  pourront,  à mi-chemin 
des  pays  d’origine,  être  centralisés  et  miscàsa  portée  (2). 


(1)  Homolle,  H.  G.  H.,  Vlll,  1S84,  p.  79. 
C2)  Uiehl,  op.cit.,v.  158. 


l.E  PORT  DE  DÉLüS 


1)8 

Délos  convenait  admirablement  à cette  destination  et, 
après  la  conquête,  elle  voit  affluer  sur  son  territoire  les 
négociants,  les  entrepreneurs  de  transport,  les  ban- 
quiers : toute  une  colonie  italienne  qui  a pour  elle  le 
nombre,  l'argent,  le  prestige  du  nom  romain,  et  dont 
l’intluence  sera,  peu  de  temps  après,  absolument  })ré- 
dominante. 

Une  fois  de  plus,  l’expansion  mercantile  a suivi 
l’expansion  militaire. 

Pour  faire  le  jeu  de  ces  immigrants  et  pour  remettre 
l’île  en  des  mains  sûres,  le  Sénat  adjoignit  Délos,  en 
i()(),  à l’Etat  athénien.  Les  insulaires,  à quelques 
rares  exceptions  près,  furent  exjtulsés  et  partirent 
pour  l’Achaie.  Des  cléroiiques  athéniens  les  rempla- 
cèrent. En  même  temps,  pour  briser  la  puissance  com- 
merciale de  Rhodes  et  assurer  à tout  jamais  le  triomphe 
des  capitalistes  romains,  on  fit  du  port  de  Délos  un  port 
franc.  Ce  fut  pour  Rhodes  un  coup  mortel.  Ses  revenus 
douaniers  baissèrent  dans  des  proportions  inquié- 
tantes (i). 

La  chute  de  Corinthe  en  i4()  et  la  réduction  de  l’Asie 
en  province  romaine  portèrent  à son  comble  la  j)uis- 
sance  de  la  Mlle  sainte.  La  chute  de  Corinthe  dél)ar- 
rassa  Délos  d’une  rivale  gênante  et  la  réduction  de 


(I)  On  admet  g-énéralenient  qu’après  trois  années  de  ce  régime,  les  revenus 
douaniers  tondmrent  de  1 million  à 150  0(X)  drachmes.  Le  dernier  chiffre  est 
basé  sur  le  passage  de  l’olyhe  (XXX,  7,  ll2),  rapportant  les  reproches  des 
Rhodiens  aux  mend)res  du  Sénat  romain  : toû  yàp  éWi.ueviou  Karà  toùç 
dvdirepov  xpovouç  eùpiOKOvToç  éKarov  pupidbaç  bpaxpâiv,  vùv  eûpiOKei 
TrevTeKaibeKa  pupidbaç.  Mais  il  faut  remarquer  que  eùpiaKei  n’est  qu’une 
conjecture  assez  malheureuse  de  Hekker  pour  eOpriKare  que  donne  le  .Ms.  Y 
(eùpiKOTe  Ms.  X).  Mieux  vaut  la  lecture  dçripqKaTe,  proposée  par  Hultsch  et 
admise  par  le  dernier  éditeur  Ruttner-XVohst  (vol.  IV,  p.  311).  Elle  donne  un 
sens  heaucoup  plus  satisfaisant  : les  revenus  ont  diminué  de  150  000  drachmes  ; 
ils  sont  tombés  de  1 million  à 850  000  drachmes.  C’est  ce  qu’avait  déjà  parfaite- 
ment vu  M.  llomclle,  B.  C.  IL,  1884,  op.  cit.,  p.  : « la  baisse  est  de  5p.  c. 
par  an  ».  Cf.  H.  van  Celder,  Geschichte  lier  alten  Rhodier,  La  Haye,  1900, 
p.  15(),  note  1.  — Val.  von  Schoeffer,  art.  cité,  col.  2494,  dit  : ...  tombèrent  à 
15  000  drachmes  ! C’est  évidemment  une  faute  d’impression. 


9i 


REVUK  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l’Asie  en  province  romaine  fut  pour  la  République  une 
source  inépuisable  de  richesses. 

A cette  é})0(pie,  les  Athéniens  tirent  au  port  de 
grands  travaux  d’ainénageincnt  et  d’amélioration. 
Nous  verrons  }ilus  loin  en  quoi  ceux-ci  consistèrent. 

Délos  est  devenue  le  centre  des  échanges  entre  la 
(trèce,  l’Asie  et  l’Italie.  Elle  alimente  elle- môme  le 
marché  dans  une  très  faillie  mesure.  On  ne  cite  que 
quehpies  articles  d’expoidation  : du  bronze  et  de  menus 
objets  en  lironze,  des  onguents,  des  })oulets.  Toute 
l’importance  de  la  })lace  réside  dans  un  commerce  de 
transit  entre  l’Orient  et  l’Occident. 

C’est  là  que  Rome  vient  chercher  les  noml)renx 
objets  de  luxe  dont  elle  a un  si  impérieux  besoin.  Que 
l’on  se  rapjielle  le  tableau  saisissant  qu’a  tracé  de  cette 
épo([ue  M.  Eerrero,  au  clia[)itre  second  de  sa  Graadeuv 
et  décadence  de  Rome  ( 1 ) : 

« Le  désir  de  Jouir,  si  longtemps  contenu,  éclata  dans 
les  a])])étits  ])rimordiaux  et  animaux  : la  gloutonnerie, 
la  sensualité,  la  vanité,  le  liesoin  d’émotions  violentes, 
cette  ostentation  des  choses  coûteuses  et  cette  ])rofusion 
de  la  richesse,  faite  uniquement qiour  montrer  qu’on  la 
j)ossède,  le  luxe  absurde  et  grossier  des  jtarvenus.  A 
Rome,  un  cuisinier  lialnle  fut  pavé  extrêmement  cher; 
les  rejtas  frugaux  de  Jadis  se  prolongeaient  en  banquets 
interminaldes  pour  les(piels  on  rechercha  les  friandises 
les  plus  rares,  comme  les  vins  de  la  Grèce,  les  saucisses 
et  les  poissons  salés  du  Pont. 

» L’art  délicat  d’engraisser  les  volailles  fut  a])})orté 
de  Grèce  en  Italie;  on  vit  des  citoyens  se  montrer  en 
état  d’ébriété  dans  les  assemblées,  des  magistrats 
s’acheminer  vers  le  Forum  à demi-ivres,  les  yeux  lu'il- 
lants,  et  interronij)re  de  teni})s  à autre  leurs  atlàires 
pour  courir  aux  amphores  (fue  les  édiles  faisaient  dépo- 
ser dans  les  coins  écartés  des  rues  et  d('s  places.  Les 


(1)  Tome  l,  p.  30. 


LE  PORT  DE  DÉ LOS 


‘>5 


Icelles  esclaves  et  les  beaux  esclaves  coûtèrent  fort 
cher...  » 

Epices,  friandises,  vins,  étoftès  rares,  œuvres  d’art, 
chair  liiiinaine,  voilà  les  articles  qui  s’entassent  dans 
les  entre})üts  de  Délos  à destination  de  l’Italie,  (le  qui 
est  le  ])lus  demandé  sur  le  marché,  c’est  l’esclave.  ( )n  en 
vendait  jusqu’à  KJ  000  en  un  jour.  ( )n  connait  le  pro- 
verbe ra})porté  }>ar  Strahon;  il  se  rap})orte  au  trafic  des 
esclaves  en  l’Ile  sainte  : « Débarque,  négociant,  expose 
ta  marchandise,  tout  est  vendu  » (i). 

La  prospérité  commerciale  de  L)élos  alla  en  augmen- 
tant toujours  jusqu’au  dernier  tiers  du  IL  siècle, 
époque  qui  en  marque  le  point  culminant.  La  population 
s’est  accrue,  les  loyers  ont  monté  et  leur  hausse  a coïn- 
cidé avec  la  baisse  des  fermages.  Les  inscrijdions,  si 
heureusement  mises  à profit  par  M.  Ilomolle  dans  ses 
savants  travaux,  le  font  voir.  Elles  en  disent  long  aussi 
sur  la  direction  des  courants  commerciaux  et  sur  la 
fonction  économique  du  port. 

Le  trafic  est,  avant  tout,  aux  mains  des  Romains  : 
innombrables  sont  les  capitalistes,  les  agents  des  facto- 
reries et  compagnies  commerciales,  les  commis,  les 
fondés  de  pomajirs,  les  représentants  des  grandes  mai- 
sons de  banque  fixés  à Délos.  Les  (frecs  sont  peu 
nombreux  et  ils  sont  pidncipalement  fonctionnaires, 
magistrats  ou  attachés  au  service  du  culte. 

Les  représentants  de  la  Macédoine  et  des  îles  de  la 
mer  Egée  y sont  en  grande  minorité.  Tout  le  trafic 
est  orienté  vers  le  Levant.  Ün  est  en  relations 
avec  la  Bitliynie,  le  Pont,  la  Phénicie,  la  Syrie,  la 
Gappadoce,  l’Egypte,  contrées  qui  se  rapprochent  des 
pays  producteurs  les  plus  éloignés.  Les  documents  lapi- 
daires nous  font  connaître  les  noms  de  très  nombreux 


(1)  Straboii,  XIV,  (i(iS  : Af|\oç,  buvaïuévri  fiupidbaç  àvbpairôbiuv  auGripepov 
Kai  béEaoGai  Kai  àTroTré,uH)ai,  djare  Tt^v  irapoiiuiav  Y^véaGai  bià  toOto. 
éjuTTope,  KaxdTrXeuaov,  éEeXou,  Trdvxa  -rTénpaTai. 


REVUE  DES  DT’ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


<)() 

habitants  do  Délos,  originaires  d’Alexandrie,  d’An- 
tioche, d’IIéraclêe  du  Pont  : c’est  le  contingent  le  })his 
fort.  Puis  viennent  ceux  de  Tyr,  Sidon,  Bei'3dos,  Ara- 
dos,  Ascalon,  Laodicée,  Ilierapolis,  Xiconiédie,  Nicée, 
Ainisos,  Ny niphée  : tous  négociants  ou  banquiers. 

Ces  étrangers  se  groupent  sous  le  })atronage  de  l’une 
de  leurs  divinités  nationales.  Ils  lui  rendent  un  culte  et 
débattent  en  coininun  les  questions  jirofessionnelles. 
Mais  leurs  associations  sont  aussi  bien  des  sociétés  de 
secours  mutuels  ou  des  sociétés  d’agrément  que  des 
réunions  d’atlaires.  11  a les  lepovaûrai  de  Tyr,  sous  la 
protection  de  Baal,  les  Poseidoniastes  de  Berytos  ou  Bey- 
routh (rToaeibuuviaffxaî  BripOiioi  ëpiropoi  Kai  vaÛK\ripoi  Koi 
èKboxeîç),  les  marchands  de  Bitbynie  (eiç  BiGuvîav  Kaia- 
TT\éovT€ç  tpTTopoi  Koi  vaÛKXupoi),  le  sj’iiode  des  Egyptiens 
et  le  synode  des  Syriens.  Il  y a surtout  les  nombreux 
collèges  italiens  qui  vénèrent  Hermès,  Ajtollon,  Poséi- 
don : 'EppaicTiai,  ’ATToWuuviacTTaî,  TTocreiboviacrTaî.  Enbii,  les 
petits  bourgeois,  affranchis  et  esclaves,  importent  le 
culte  des  Lares  Conipitales  et  célèbrent  les  Compitalia. 
Ils  forment  la  confrérie  des  KopTreTaXiaaTai , confrérie 
très  nomlireuse  dont  l’importance  alla  toujours  crois- 
sant, durant  de  longues  années. 

Au  milieu  de  tout  cela,  les  (irecs  jiaraissent  assez 
effacés.  Délos  est  devenue  une  ville  cosmopolite. 

Toute  cette  prospérité  fut  anéantie  })ar  la  première 
guerre  de  Mitbridate.  Le  puissant  roi  du  Pont  envojm 
l’un  de  ses  généraux  dans  l’ile,  qui  fut  détruite,  en  87. 
\’ingt  mille  Déliens  ])érirent  dans  cette  affaire.  Une 
tentative  de  restauration  fut  faite  a])i*ès  la  camj)agne  : 
les  habitants  (|ui  avaient  échappé  au  danger  s’effor- 
cèrent de  relever  la  cité  de  ses  ruines.  Rien  n’y  ht. 
Quelques  années  après,  en  69,  les  corsaires,  avec  qui 
Mitbridate  avait  contracté  alliance,  Inadèrent  la  ATlle 
sainte  pour  la  seconde  fois.  Ce  fut  un  désastre.  Le 
commerce  déserta  une  place  aussi  menacée.  Il  prit  une 


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Supplément  à la  REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIOUES,  li»raison  du  20  juillet  1907. 


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Echelle  de  , o ooo 


100  £00  300  400  500  600  700  800  900  1000 


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LE  PORT  DE  DÉLOS 


<)7 


autre  route.  Les  habitants  de  Pouzzoles  et  d’Ostie 
allèrent  cliercdier  directement  les  produits  aux  lieux 
d’origine.  Cet  état  de  choses  fut-il  uniquement  causé 
par  des  faits  de  guerre?  — Le  siècle  avait-il  marché? 
I.es  temps  étaient-ils  accomplis  ? — Une  chose  est  cer- 
taine, c’est  que  le  silence  se  ht  peu.  à peu  autour  de 
Délos.  Les  halhtants  s’en  allèrent  pour  ne  plus  revenir, 
et,  pour  paraphraser  le  mot  d’Alphée  de  Mitylène  (1)  : 
« Apollon  régna  seul  de  nouveau  sur  l’ile  déserte  et 
appauvrie  » {2). 

Telles  sont  les  considérations  générales  que  je  tenais 
à présenter,  tout  d’ahord,  sur  l’histoire  de  la  place  et  la 
fonction  économique  du  port.  L’examen  des  lieux  ne 
fera,  je  l’espère,  que  conhrmer  l’exactitude  des  obser- 
vations qui  précèdent. 


Aspect  fiènèral  de  la  rade 
Configuration  dit  rivage  — Dimensions 

Jetons  les  yeux  sur  le  plan  du  port  de  Délos,  à la  hn 
du  IL  siècle  avant  notre  ère,  qui  accompagne  cette 
notice  et  pénétrons  dans  le  chenal,  en  face  du  grand  et 
du  petit  Rhevmatiari. 

(1)  Anlhol.  Paint. lOU. 

(:2)  « Une  position  gréographique  très  heureuse,  dit  M.  Homolle,  des 
inlluences  religieuses  en  ont  fait  une  cité  populeuse  et  opulente,  un  grand  port 
de  transit,  un  rendez-vous  général  pour  les  pèlerins  et  les  marchands  du  monde 
grec  ; mais  il  sulTisait  qu'un  Iléau  vint  à frapper  cette  population  de  hasard,  un 
désastre  la  disperser  ou  seulement  l’atteindre  dans  ses  intérêts,  que  les  voies 
du  commerce  fussent  détournées  par  une  autre  ville  plus  habile,  que  le  culte 
fût  abandonné,  pour  que  l'ile  tombât,  et  tombât  dans  une  misère  complète  et 
sans  retour,  car  elle  n’avait  en  elle-même  aucune  ressource. 

» Les  mêmes  causes  agissent  en  tous  temps  de  la  même  manière.  Peu  s’en  est 
fallu  que  la  renaissance  de  Délos  ne  suivit  celle  de  la  Grèce  : quand  on  voulut 
trouver  dans  la  mer  Égée  un  port  d’attache  pour  les  lignes  de  paquebots,  c’est  là 
qu’on  songea  d’abord  à l’étalilir.  On  a choisi  Syra,  aussi  bien  située,  mais  aussi 
pauvre, et  plus  sèche  encore;...  elle  tond^erait  comme  Délos  si  le  Lloyd  autri- 
chien, les  .Messageries  maritimes  et  les  autres  compagnies  de  navigation  por- 
taient ailleurs  leurs  comptoirs;  déjà  la  concurrence  du  Pirée  l’arrête  dans  son 
développement.  » 

IIP  SÉHIE.  T.  XII.  7 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


1)<S 


Devant  nous,  l’enceinte  sacrée,  sur  une  terrasse  qui 
domine  la  mer.  Elle  est  bornée,  au  nord,  par  une  série 
de  jtortiques;  au  sud  et  cà  l’est,  par  des  monuments  et 
}>ar  des  rues.  Elle  forme  comme  une  ville  à part,  parfai- 
tement circonscrite  et  délimitée. 

A droite  et  à gauche,  la  ville  marchande  et  les  instal- 
lations maritimes  : à droite,  le  quartier  marchand  du 
sud,  à partir  de  l’Agora  des  Conq)étaliastes  ; à gauche, 
le  quartier  marchand  du  nord,  à ])artir  de  l’Agora  de 
Théophrastos.  Entre  les  deux  Agoras,  le  Port  Sacré, 
ou  lieu  de  dél)ar([uement  des  pèlerins  et  des  cortèges 
religieux  se  rendant  au  Sanctuairi^  (1). 

La  rade  était  bien  abritée.  Elle  était  protégée  du  côté 
de  l’est  par  l’île  même;  au  sud,  ]>ar  les  avancements  de 
la  côte  et  ])ar  le  grand  Rhevmatiari  ; à l’ouest,  par 
les  deux  îlots  et  par  Rhénée;  au  nord,  enfin,  par  une 
ligne  de  récifs  {:::?). 

Ces  récifs,  semés  dans  la  mer  sur  une  longueur  de 
ASO  mètres,  jiartent  de  la  côte  et  s’avancent  en  biais 
dans  le  chenal,  formant  Jetée.  Pour  fermer  le  port,  les 
anciens  n’ont  eu  qu’à  compléter  l’œuvre  de  la  nature. 


(1)  Ce  fut  par  l<à  qu’entra  à Délos,  sans  doute  en  425,  l’illustre  g-énéral  et 
homme  d’Etat  Nicias,  avec  la  théorie  soletmelle  qu’Athènes  envoyait  chaque 
année.  .Mais  il  ne  mouilla  pas  dans  le  Port  Sacré,  comme  c’était  l’usage.  Nicias 
avait  apporté  d’.Vthènes  sur  son  vaisseau  un  pont  de  hois  merveilleusement 
décoré.  La  veille  de  la  fête,  il  aborda  dans  Pile  de  Hhénée,  fil  jeter  le  pont,  pen- 
dant la  nuit,  par-dessus  le  chenal  en  passant,  sans  doute,  par  le  petit  Ilhevma- 
tiari  ; et  le  lendemain,  la  multitude  qui  se  trouvait  à Délos  put  contempler  ce 
spectacle  inattendu  : la  procession  sacrée  de  la  cité  de  .Minerve  s’avançant 
lentement  vers  la  cité  d’.Vpollon,  entre  l’azur  du  ciel  et  l’azur  des  flots,  dans 
une  atmosphère  merveilleusement  pure,  dans  la  patrie  du  Soleil  ! .Musiciens 
superbement  parés,  chanteurs  entonnant  les  hymnes  saints,  groupes  harmo- 
nieu.K  et  nobles  attitudes,  comme  en  vit  l’époque  de  Périclès  et  comme  aucune 
autre  époque  ne  devait  plus  jamais  en  voir  : quelle  vision  d’art  éblouissante, 
quelle  fête  d'incomparable  beauté! 

(2)  .le  suis  ici  l’opinion  traditionnelle.  M.  Cayeux,  après  inspection  attentive 
des  lieux,  est  arrivé  à la  conviction  absolue  que  toute  la  jetée  serait  artificielle; 
et  ce  que  l’on  a pris,  jusqu’à  présent,  pour  des  récifs  ne  serait  qu’une  succes- 
sion d’énormes  quartiers  de  roche  apportés  par  les  hommes.  L’éminent 
géologue  n’a  pas  encore  publié  le  résultat  de  ses  recherches  à ce  propos. 


LE  PORT  DE  DÉLO^ 


Ils  ont  immergé  entre  les  roches  d’énormes  blocs  de 
pierre.  Ainsi  renforcée,  la  digue  constituait  une  barrière 
suffisante  contre  les  vents  du  nord  qui  se  font  parfois 
sentir  de  façon  terrible  en  ces  parages.  Aujourd’hui 
encore,  la  rade  reste  calme  derrière  les  pierres  noires 
et,  cependant,  la  jetée  s’est  écroulée  et  rompue.  Il  n’en 
reste  plus  que  la  carcasse,  les  trous  bouchés  autre- 
fois se  sont  rouverts  et  les  quartiers  de  roche  amenés 
pour  les  combler,  culbutés  et  rongés  par  les  Ilots,  sont 
réduits  en  morceaux,  en  gravier  et  en  sable. 

Depuis  les  temps  anciens,  la  configuration  du  rivage 
s’est  légèrement  modifiée,  non  pas  que  le  niveau  de  la 
mer  ait  varié,  ainsi  qu’a  cherché  à le  prouver,  à tort, 
semble-t-il,  i\I.  Ph.  Negris  au  cours  de  nombreux  tra- 
vaux, fort  intéressants  d’ailleurs  (1);  mais  les  siècles  et 
les  éléments  ont  fait  leur  œuvre,  et  dans  l’antiquité 
même,  comme  nous  allons  le  voir,  les  hommes  avaient 
fait  la  leur.  Les  anciens  avaient  fait  au  port  de  Délos 
des  travaux  d’aménagement  grandioses. 

C’est  la  conclusion  qui  ressort  d’observations  très 
précises  faites  à Délos  en  19U6,  par  M.  L.  Cayeux,  pré- 
sident de  la  Société  géologique  de  France.  \h’aiment, 
nous  ne  pourrions  mieux  faire  que  de  reproduire  ici 
les  termes  dans  lesquels  le  savant  auteur  a résumé  le 
résultat  de  ses  recherches  (2). 

« Une  exploration  minutieuse  du  Port  Sacré,  dit 
M.  L.  Cayeux,  m’a  permis  de  reconnaître — et  de  tra- 
cer presque  point  par  point  — deux  anciens  rivages 
antérieurs  à notre  ère  : l’un  date  au  moins  du 
VHP  siècle,  l’autre  du  IP  et  du  P"'  siècle. 

» Le  plus  ancien  de  ces  rivages  empiétait  nettement 
sur  le  Sanctuaire,  de  sorte  que  plusieurs  monuments 


(1)  1.,’hypothèse  de  M.  Negris  parait  bien  avoir  été  réduite  à néant  par  l’ar- 
ticle de  M.  Cayeux  : Fixité  du  niveau  de  la  Méditerranée  à l’époque  histo- 
rique, Annales  de  Géographie,  n»86,  xvr  année,  15  mars  1907,  pp.  97-116. 

(2)  L.  Cayeux,  art.  cité,  p.  102. 


KX) 


REVUE  DES  QT’ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


re])Osent  en  partie  sur  des  dé])ôts  laissés  par  la  mer  — 
à l’époque  historique  — et  fouruisseut  ainsi  une  limite 
d’àge  iiidiscutalde. 

» Ces  déjtôts,  rencontrés  dans  un  grand  nomlire  de 
tranchées,  ont  des  caractères  qui  ne  laissent  aucun 
doute  sur  leur  origine  marine.  Ils  sont  essentiellement 
Ibrinés  de  sables  grossiers  renfermant  des  graviers, 
des  galets,  beaucoup  de  })oteries  roulées  et  de  nom- 
lireuses  co([uilles  de  mollusques  presque  toujoui's 
entières.  Il  est  indéniable  que,  au  VllC  siècle  avant 
notre  ère,  le  Port  Sacré  était  beaucouj)  })his  vaste  que 
de  nos  Jours. 

» La  mer  présentait  alors  son  maximum  d’extension 
dans  la  région  du  Port  et  couvrait  la  bordure  occitlen- 
tale  du  Sanctuaire... 

» Les  Anciens  ont  déjdacé  le  rivage  vers  l’ouest  et 
conquis  sui*  la  mer  la  place  nécessaire  à l’agrandisse- 
ment  du  Sanctuaire  jiar  une  série  de  remblais  édifiés  à 
des  époques  différentes.  Ces  remblais  ont  été  faits  dans 
la  mer  et  les  dépôts  marins  rencontrés  dans  le  Sanc- 
tuaire se  trouvaient  encore  sous  l’eau  quand  on  a 
construit  les  édifices  qui  les  masquent  aujourd’hui.  Les 
l)éliens  ont  fait  un  grand  usage  des  remblais  à base  de 
tessons  de  poteries.  Ils  les  ont  utilisés  non  seulement 
pour  élargir  le  Sanctuaire,  mais  pour  créer,  aux  dépens 
de  la  mer,  l’Agora  de  Théophrastos  au  nord  du  Port 
Sacré,  l’Agora  des  Compétaliastes  au  sud. 

» L’Agora  de  Théo})hrastos  a été  construite,  ou  tout 
au  moins  achevée,  vers  la  fin  du  IP  siècle  avant  notre 
ère.  Le  remblai  qui  en  forme  le  sol  repose  sur  des  sédi- 
ments marins  analogues  à ceux  qui  se  sont  dé})osés  sur 
le  bord  du  territoire  du  Sanctuaire,  jusqu’au  VHP  siècle 
avant  J.-C.  La  surface  de  ces  dépôts,  déterminée  ]>ar 
quatorze  tranchées,  se  tient  sans  exception  à moins 
(l’un  mètre  au-dessous  du  niveau  actuel  de  la  mer; 
elle  est  nettement  remontante  du  côté  du  rivage  et 


LE  PORT  DE  DÉLOS 


101 


s’élève  dans  cette  direction  jusqu’à  la  cote  O"", 07. 
A quoi  correspond  la  surface  supérieure  de  ces  dépôts 
recouverts  par  le  remlilai?  Elle  représente  le  fond  de  la 
partie  de  la  mer  qui  occupait  l’emplacement  de  l’Agora 
au  moment  où  le  remblai  a été  fait,  c’est-à-dire  au 
IP  siècle. 

» Les  multiples  travaux  dont  il  vient  d’être  question 
ont  complètement  moditié  le  dessin  du  rivage  et  celui 
du  Port  Sacré.  Après  la  construction  des  monuments 
qui  bordent  le  Sanctuaire  et  raclièvement  des  Agoras, 
le  Port  Sacré  était  dimité  au  nord  par  l’Agora  de  Tbéo- 
plirastos,  à l’est  par  le  Sanctuaire,  au  sud  par  l’Agora 
des  Gompétaliastes.  Cette  limite  fixe  la  configuration 
du  port  et  le  dessin  du  rivage  au  IP  et  au  1®“"  siècle  avant 
notre  ère.  On  peut  montrer,  preuves  en  mains,  que,  à 
cette  époque  lointaine,  la  mer  baignait  le  pied  du  Sanc- 
tuaire, et  qu’elle  atteignait  déjà  sa  hauteur  actuelle.  » 

Depuis  l’antiquité,  le  })ort  s’est  ensablé  et  des  maté- 
riaux nombreux  ont  été  jetés  ou  sont  toml)és  à la  mer, 
soit  au  moment  de  la  chute  de  Délos,  soit  à des  époques 
plus  récentes.  Dans  la  partie  nord,  près  de  la  côte,  il 
n’y  a plus  que  2 à 3 mètres  d’eau.  Seules,  de  faibles 
I)arques  peuvent  venir  échouer  sur  la  plage,  et  les 
navires  d’un  tonnage  quelque  peu  important  doivent 
stopper  et  mouiller  à 30  ou  40  mètres.  Il  est  évident 
que  l’étendue  actuelle  de  la  rade  ne  correspond  plus 
absolument  à celle  qu’elle  avait  au  IP  siècle. 

De  toute  manière  les  dimensions  de  l’ancien  port 
paraîtraient  bien  exiguës  à nos  yeux  habitués  à l’am- 
pleur des  installations  maritimes  modernes.  Ce  serait 
nàAeté  que  de  vouloir  - s’en  étonner  et  les  rapprocher 
des  25  kilomètres  de  quais  du  port  de  Marseille,  ou 
même  des  dimensions  du  nouveau  port  de  Gand  avec 
ses  6053  mètres  de  quais  d’accostage,  ses  1020  mètres 
courants  de  talus  perreyés,  ses  14  000  mètres  courants 
de  talus  gazonnés  ! 


i02 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Actuelleinent,  le  port  pi'oprement  dit,  de  rextrémité 
de  la  jetée  jusqu’à  la  pointe  des  Pilastres,  ne  mesure 
que  050  mètres;  le  développement  du  rivage  n’atteint 
que  800  mètres.  Modestes  aussi  les  annexes  du  port  : 
la  calanque  de  Scardana,  au  nord,  la  baie  de  Fournoi, 
au  sud,  la  liaie  de  Gourna,  à l’est.  Certes,  la  ligne  des 
quais  et  des  magasins  se  jirolongeait  au  delà  de  la 
pointe  des  Pilastres,  ainsi  que  l’ont  montré  les  décou- 
vertes les  plus  récentes.  Mais,  de  cent  mètres  à peine! 
L’île  tout  entière  n’a,  d’ailleurs,  pas  5 kilomètres  de 
longueur. 

Toutefois,  il  ne  faut  ])as  oublier,  comme  le  fait 
remarquer  très  justement  M.  Ardaillon,  que  les  voiliers 
à quai  — c’était  le  cas  à Pélos  — s’amarrent  côte  à 
côte,  proue  en  avant  et  jioupe  au  quai,  ce  qui  permet 
d’économiser  beaucoup  de  place.  Rajtpelons-nous  aussi 
que,  comparés  aux  imposants  ])àtiments  qui  sillonnent 
aujourd’hui  les  mers,  les  vaisseaux  anciens  sembleraient 
minuscules.  Ils  ne  jaugeaient  pas  plus  de  300  ton- 
neaux. 


Du  i>orti([ue  (le  Philippe  d la  rue  du  Théâtre 

Le  Portique  de  Philippe  marque  la  limite  sud-ouest 
de  l’Enceinte  Sacrée.  Cet  édifice  fut  élevé  en  l’honneur 
d’A])ollon  par  le  roi  Philippe 5^  de  Macédoine  (205-107). 
Il  a été  déblayé  en  1003  et  1004.  Bien  qu’il  n’en  reste 
plus  que  les  fondations,  on  peut  en  déterminer  le  plan 
d’ensemble  avec  certitude. 

On  a cru  longtemps  que  le  Portique  avait  servi  de 
beîYiuaTa  ou  galerie  d’étalage;  mais  il  appert  clairement, 
maintenant,  qu’il  n’a  jamais  abrité  aucun  commerce  et 
n’a  jamais  été  qu’un  promenoir.  Je  ne  le  mentionnerai 
donc  que  parce  qu’une  découverte  fort  précieuse  3’'  a été 
faite,  le  3 juillet  1005  : celle  d’une  stèle  de  marbre  où  se 
lit  un  règlement  concernant  la  vente  du  bois  et  du  char- 


LE  PORT  DE  DÉLOS 


i03 


bon.  Cette  inscription,  qui  remonte  à la  seconde  moitié 
du  IIP  siècle,  vient  d’être  publiée  avec  iin  commentaire 
tout  à fait  remarquable  par  MM.  Schulliofet  Huvelin  ( I ). 
Non  seulement  elle  est  d’importance  capitale,  au  point 
de  vue  de  l’iiistoire  et  de  la  législation  commerciale  de 
Délos,  mais,  d’une  façon  générale,  on  peut  dire,  avec  les 
savants  éditeurs,  que  c’est  « un  des  monuments  Juri- 
diques les  plus  complets  et  les  plus  instructifs  que  nous 
ait  légués  l’antiquité  grecque.  Elle  est,  en  effet,  le  pre- 
mier document  qui  fasse  connaître  une  réglementation 
commerciale,  cohérente  en  toutes  ses  parties,  traduisant 
clairement  quelques-unes  des  idées  qui  régnèrent  en 
matière  économique  dans  les  cités  grecques.  » 

L’inscription,  dont  quarante-cinq  lignes  sont  conser- 
vées, se  divise  en  deux  paragraphes.  Le  premier  con- 
cerne la  généralité  des  importateurs;  le  second  les 
àTeXeîç,  importateurs  privilégiés,  exempts  du  paiement 
des  taxes  et  des  droits  de  douane. 

Le  texte,  remarquons-le,  est  antérieur  à la  construc- 
tion du  Portique  où  il  a été  découvert.  Il  a été  retrouvé 
dans  ses  fondations  en  sa  place  primitive  et  il  est  pro- 
bable qu’en  cet  endroit,  avant  la  construction  de  l’édi- 
fice, l’on  vendait  les  marchandises  débarquées  au  port 
et  notamment  le  bois  et  le  charbon. 

A coté  du  Portique  se  trouvait  l’Agora  des  Gompéta- 
liastes,'dont  le  dégagement,  poursuivi  de  1904  à 1906, 
n’est  pas  terminé.  On  y a mis  au  jour  de  nombreux 
débris  : autels,  bases  de  statues,  édicules.  L’Agora 
s’ouvrait  au  centre  d’un  quartier  populeux,  dont  les  rues 
s’enohevêtrent  et  dont  les  constructions  se  superposent. 
11  y a là  des  couches  d’habitat  correspondant  à des 
siècles  fort  différents  : à 2 mètres  sous  un  bain  romain 
et  sous  des  maisons  de  l’époque  chrétienne  et  de 
l’époque  byzantine,  MM.  A.  dardé  et  Gourby  ont 


( I ) HuLLETIN  de  CORnESPO^•DA^'CE  HELLÉNIQUE,  XXXI,  1907,  pp.  46-93. 


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REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


dégagé  (les  demeures  de  l’époque  hellénique  dont  les 
mui's  sont  conservés,  en  général,  jusqu’à  la  hauteur 
de  1 à 3 mètres. 

■ L’Agora  marquait,  peut-on  dire,  la  limite  ou  le  point 
d’aboutissement  de  deux  ({uartiers  : le  (juartier  du 
théâtre  et  le  quartier  des  docks. 

Le  premier,  haut  quartier,  s’edoiguait  de  la  C(')te  et 
s’élevait  vers  le  centre  de  l’ile,  dans  la  direction  du 
Théâtre  et  du  (Ijmthe.  Il  a été  déhla^T  au  cours  des 
campagnes  de  1001  à 1900. 

C’était  une  véritable  Pomjx'i  grecque,  d’un  aspect 
très  pittoresque  et  très  irr(>guliei*,  construite  au  Jour  le 
jour,  « avec  une  admirable  insouciance  de  la  géo- 
métrie » (1).  Dans  l’artère  principale,  ou  a dégagé  les 
vestiges  de  cinquante-sept  maisons.  La  ]dupart  étaient 
des  demeures  modestes  ou  de  pauvri's  masures  ayant 
servi  de  lioutiqiies  ou  d'échopju's.  D'autres,  mais  c’est 
l'exception,  étaient  des  h(')tels  fort  élégants,  décorés 
avec  hix(',  ornés  d(‘  lielles  mosaïques  et  riches  eu 
oeuvres  d’art.  Les  plus  imjiortauts  sont  la  Maison  du 
Trident  et  la  Maison  du  Diouj'sos,  ainsi  dénommées 
d’après  les  motifs  de  décoration  des  mosaïques  les  plus 
remarquables  qu’elles  renferment;  dans  la  seconde,  la 
mosaïque  de  rimpluvium  représente  Dionysos  chevau- 
chant un  tigre. 

La  campagne  de  1905  a été  marquée  par  dé  belles 
trouvailles  numismatiques  faites  dans  ce  quartier,  le 
14  juin,  le  12  juillet  et  le  17  aofd  : 173  pièces  atti(pies 
du  nouveau  style,  249  tétradrachmes  attiques  et 
f)50  deniers  romains  d’argent.  Ces  monnaies  permet- 
tront de  dater  a})})roximativement  les  édifices  aiqirès 
desquels  elles  ont  été  mises  au  jour. 


(1)  M.  Holleaux,  Rapport  sur  les  travaux  exécutés  dans  Vile  de  Délos. 


LE  PORT  DE  DÉLOS 


105 


TjC  ([uartier  marchand  du  sud 

Le  quartier  des  docks  était  en  contredias.  Le  long  de 
la  mer,  le  tracé  des  quais  est  encore  visible  par 
endroits  : notamment,  en  face  des  chamlires  1 et  11  du 
Magasin  A (voir  ci-après),  à 3”,  15  du  magasin.  Ailleurs, 
ils  ont  été  rongés  jtar  les  dots  ou  recouverts  par  le 
sable  et  les  alluvions.  (,)n  a découvert  môme  de  nom- 
lireuses  bornes  d’amarrao-e  : les  unes,  encore  debout, 
dépassent  le  niveau  de  l’eau  de  30  centimètres,  les 
autres  sont  maintenant  à sec  dans  le  sable. 

De  ce  coté  comme  dans  le  port,  dit  M.  Cayeux  (11, 
« le  rivage  actuel  ne  correspond  nullement  au  rivage 
antique  ». 

« Tous  les  magasins  ont  été  construits  sur  un  rem- 
Idai  fait  dans  la  mer,  en  sorte  que  le  rivage  le  plus 
ancien  est  partout  caché  par  des  constructions  qui  lui 
assignent  une  limite  d'àge.  J'ai  reconnu  par  de  nom- 
breuses tranchées*,  ouvertes  dans  le  sol  des  magasins 
et  échehmnées  sur  une  longueur  de  5îA)  mètres  environ, 
que  la  surface  supérieure  des  sédiments  laissés  })ar  la 
mer  sur  leur  emplacement  se  trouve  toujours  à moins 
de  60  centimètres  au-dessous  du  niveau  actuel  de  la 
mer.  Cette  surface  remonte  graduellement  vers  l’est  et 
s’arrête  à la  cote  — 0™,0  i.  11  est  clair  que  les  eaux  qui 
ont  abandonné  ces  dé])ôts  — avant  notre  ère  — attei- 
gnaient déjà  leur  niveau  actuel.  » 

Ainsi  donc,  les  ingénieurs  anciens  ont  conquis  sur  la 
mer  l’emplacement  des  quais.  Mais  il  y a plus.  A l’en- 
droit où  nous  sommes,  et  de  même  au  nord  du  Port 
Sacré,  on  découvre  (2)  sous  Veau  des  vestiges  nom- 
breux de  constructions  anciennes.  11  en  existe  aussi 


(1)  L.  Cayeux,  art.  cité,  p.  105. 

(t)  Voir  aussi  Ph.  Negris,  Vestkies  antiques  submergés,  .\the.msche  Mitt., 
t.  XXIV,  1904,  pp.  340-363. 


i06 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


au  fond  do  deux  liaies  situées  au  nord-ouest  et  au  sud- 
ouest  de  File.  Ce  sont  des  restes  de  quais,  de  déliar- 
cadères,  etc.  Leur  examen  a convaincu  M.  (iayeux,  de 
façon  alisolue,  que  ces  constructions  avaient  déjà  été 
faites  sous  Veau  par  les  anciens. 

Elles  sont  massives,  composées  de  murs  épais,  très 
l•ap})rochés  et  dé])ourvus  d’ouverture.  Pas  de  trace  de 
liaies,  de  seuils,  de  mosaïques  ou  de  dallages  noj^és.  En 
outre,  elles  « accusent  un  mode  de  construction  très  par- 
ticulier. On  a fait  usage  d'un  mortier  de  ciment 
romain  ( 1 ) qui  a résisté  à l’érosion  marine  presque  aussi 
efficacement  que  les  blocs  de  granit  et  de  gneiss  qu’il 
agglutine.  ( )n  rencontre  ce  mortier  à l’exclusion  de 
tout  autre  dans  les  ruines  immergées,  et  on  ne  l’observe 
jamais  ailleurs.  Il  est  donc  manifeste  que  les  construc- 
tions qu’il  a servi  à édifier  se  trouvaient,  dès  le  prin- 
cijie,  dans  des  conditions  essentiellement  différentes  des 
autres.  » 

Les  (piais  étaient  très  solidement  construits  et  formés 
de  dalles  de  schiste  ou  de  granit,  larges  et  éjiaisses, 
i-enforcées  par  de  massifs  contreforts  perpendiculaires 
jiartant  des  maisons  et  magasins. 

Après  une  première  exploration,  M.  Ardaillon  avait 
cru  constater  qu’ils  n’avaient  pas  été  ouverts,  autrefois, 
à la  circulation  générale  et  ([ii’ils  étaient  divisés  en  plu- 
sif'urs  sections  ou  gradins  coi'respondant  à autant  de 
magasins  distincts  et  sé])arés.  Chaque  quai  aurait 
constitué  une  j)ro}>riété  particulière,  enclose  de  murs. 
C’est  là,  seml)le-t-il,  uiu'  erreur,  et  les  fouilles  toutes 
récentes  de  M.  A.  dardé  j)araissent  bien  établir,  au 
contraire,  que  les  ([liais  étaient  ouverts  au  public. 
Celui-ci  J avait  accès  en  dehors  des  magasins  et  des 
entrepiïts. 


( I ) On  désigne  ainsi,  dit  M.  Cayeux,  un  mortier  de  chaux  grasse  et  de  sable, 
rendu  hydraulique  par  l’addilinn  de  tuiles  éci’asées. 


LE  PORT  DE  DÉLOS 


107 


Mais,  ce  qui  est  parfaitement  exact,  c’est  que  les 
docks  de  Délos  ne  formaient  pas  un  ensemlDle  uniforme. 
Ils  se  composaient  d’une  série  d’édifices  construits  un 
peu  au  hasard,  sans  plan  d’ensemble,  et  parmi  lesquels 
on  distingue  trois  groupes  principaux. 

J’emprunterai  pour  les  désigner  les  dénominations 
que  les  archéologues  français  leur  ont  données,  d’après 
les  indications  de  plans  faits  au  hasard  de  la  découverte  : 

I.  Premier  groupe  : groupe  NO  : fouilles  de  M.  Ar- 
daillon  (1895)  et  campagne  de  1903  [groupe  apy  de 
M.  dardé]. 

II.  Deuxième  groupe  : groupe  MA,  à partir  de  la 
pointe  dite  des  Pilastres  Jusqu’au  précédent  : fouilles 
de  M.  Ardaillon. 

III.  T roisième  groupe  : groupe  e,  b et  magasin  des 
colonnes  : fouilles  de  M.  dardé  (1903  et  1904);  maga- 
sin z;,  encore  inexploré. 

I.  Premier  groupe  : Trois  vastes  magasins,  juxta- 
posés, avec  étage.  Deux  d’entre  eux  (p  et  t)  possé- 
daient une  cour  intérieure  avec  colonnade  (dimensions 
de  la  cour  du  magasin  p : 10'",74  x O*", 50).  Ils  renfer- 
maient plusieurs  logis  indépendants,  de  grandeur  diffe- 
rente : véritalfie  série  de  lioutiques  et  d’appartements, 
formés  généralement  d’une  pièce  au  rez-de-chaussée  et 
d’une  chaml-ire  à l’étage.  Il  semble  bien  que  chaque 
occupant  y avait  complet  domicile. 

Ces  magasins,  de  physionomie  assez  complexe, 
convenaient  à la  fois  au  commerce  de  gros  et  au 
commerce  de  détail.  Tous  deux  s’y  faisaient,  sans 
doute,  et  l’on  suppose  que  grands  négociants  et  petits 
détaillants,  s’occupant  du  « même  article  »,  s’y  grou- 
paient, côte  à côte,  d’après  leur  spécialité. 

L’un  de  ces  immeubles  était  occupé  par  la  corpora- 
tion des  marchands  d’huile  ou  Olearii,  ainsi  que  le 


108 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


prouve  ime  dêdioace  placée  sur  la  liase  d’une  statue 
élevée  à C.  Julius  C.  f.  Caesar,  père  du  dictateur, 
proconsul  d’Asie  entre  98  et  90  et  patron  de  Délos. 

1) e  même,  on  sait  maintenant  rpie  les  marchands  de 
vin  ou  « oivoTTüùXai  » exerçaient  leur  négoce  près  de 
l’Agora  des  Gompétaliastes.  Les  xP^^^oTTiBXai  étaient 
établis  dans  le  quartier  marchand  du  nord. 

IL  Second  groupe  : Série  de  magasins  ou  entrepôts, 
séparés  par  des  nielles  et  composés  de  plusieurs  ran- 
gées de  chambres.  Les  maisons  sont  construites,  comme 
toutes  les  maisons  déliennes,  d’ailleurs,  de  grandes 
])laques  de  schiste,  empilées,  sans  ciment  et  revêtues 
extérieurement  et  intérieurement  d’un  enduit  peint, 
soit  en  teintes  plates,  soit  polychromé,  soit  recouvert 
de  sujets  vaidés. 

111.  Troisième  groupe  : 1)  Magasin  b dégagé,  en 
l90i,  comjirenant  une  série  de  chambres  rayonnant 
autour  d’une  cour  centrale.  Magasin  e,  ensemble  de 
petits  logements. 

2)  Magasin  des  Colonnes,  dégagé  en  1903,  compre- 
nant une  cour  jirincijiale,  et,  à di'oite  et  à gauche  de 
celle-id,  deux  cours  secondaires.  Toutes  ces  cours  sont 
entourées  de  chambres  assez  spacieuses  — au  nombre 
do  28  en  tout  — réunies  par  un  long  couloir  de 
dégagement.  Les  dix  chambres  ([iii  donnent  sur  le  quai 
ne  présentent  aucune  communication  avec  le  reste  du 
magasin.  Ce  dernier  est  construit  sur  un  espace  uni, 
i‘essei-ré  entre  la  colline  qui  se  trouve  en  arrière  et  la 
mer,  en  conLre-has  d’une  rue  qui  la  horm'  du  côté  est, 
au  niveau  du  premier  étage. 

Tout  rimmeuhle  est  orienté  vers  le  chenal.  Du 
côté  de  la  mer,  il  offre  trois  entrées  larges  et  de  plain- 
])ied.  Du  côté  de  la  ville,  au  contraire,  il  ne  com- 
muni(pie  avec  la  rue  que  par  un  escalier.  Il  convient 
donc  absolument  à un  commerce  de  transit.  Selon 
toute  vraisemblance,  il  faut  voir  en  lui  un  entrepôt 


LE  PORT  DE  DÉLOS 


i09 


et,  ses  vastes  proportions  l’indiquent,  il  doit  dater  de 
l’apogée  du  commerce  délien.  Sa  destination  paraît  Lien 
avoir  été  purement  utilitaire  : les  œuvres  d’art  et  les 
ol)jets  molnliers  _y  sont  rares. 

Les  occupants  du  Magasin  des  Colonnes  j logeaient- 
ils? — M.  dardé  avait  d’almrd  cru  que  non,  et  cela, 
pour  une  raison  qui  lui  paraissait  I)ien  sim])le  : il  n’y 
avait  trouvé  ni  puits  ni  citernes  et  il  constatait  que  les 
eaux  pluviales  recueillies  sur  les  toits  étaient  emmenées 
directement  à la  mer  par  les  égouts.  « 11  fallait  donc, 
écrit-il  (1),  aller  audoin  s’approvisionner  d’eau,  et  cette 
difficulté  donne  à penser  que  le  magasin  n’était  }>as 
habité.  Nous  nous  représenterions  plus  volontiers  le 
riche  armateur  ou  le  grand  entrepositaire  passant  la 
journée  au  milieu  de  ses  marchandises  ou  dans  les 
bureaux  de  son  magasin,  et  regagnant  le  soir  sa 
luxueuse  maison  de  la  rue  du  Théâtre,  tout  comme  le 
négociant  ou  le  banquier  de  la  Cité  va  retrouver  son 
home  dans  les  quartiers  suburbains  de  Londres.  C’est  là 
une  hypothèse  séduisante,  mais  qui,  toutefois,  aurait 
encore  besoin  de  confirmation.  » Sages  paroles!  Le 
savant  archéologue  a constaté  dans  une  exploration 
subséquente  ce  que  ses  premières  recherches  ne  lui 
avaient  pas  révélé  : la  présence  de  puits  et  de  citernes. 
En  archéologie,  plus  encore  qu’en  toute  autre  chose,  il 
faut  savoir  attendre  et  se  oardei’  des  déductions  hâtives 

O 

et  des  conclusions  précipitées. 

Nous  n’en  dirons  pas  davantage  du  quartier  mar- 
chand du  sud,  si  ce  n’est  qu’il  était  desservi  par  un 
dédale  de  rues  tortueuses  zigzaguant  entre  des  édifices 
placés  très  irrégulièrement  « selon  les  nécessités  du 
terrain  ou  les  commodités  des  propriétaires  riverains  ». 

Il  nous  reste  à décrire  rapidement  le  quartier  mar- 
chand du  nord,  sans  revenir  sur  ce  qui  a déjà  fait 
l'olqet  d’observations  précédentes. 

(1)  A.  Jardé,  B.  G.  H.,  t.  XXIX,  1905,  pp.  33-34. 


11(3 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Le  quartier  uiarchand  du  nord 

Ce  quartier  avait  son  centre  autour  du  Lac  Sacré. 
C’était  la  ville  basse,  où  les  principales  colonies  d’étran- 
^■ers,  üxés  à Délos,  avaient  étalili  le  siège  de  leurs 
associations.  En  partant  de  l’Agora  de  Théophrastos, 
on  J pénétrait  }>ar  une  large  rue,  laissant  à droite 
l’Enceinte  Sacrée  et  ses  éditices  et  rencontrant,  en  face 
des  Propylées,  une  autre  grande  artère  orientée  du  sud 
au  nord  et  parallèle  au  rivage. 

Avant  de  nous  engager  dans  la  }u*oniière  avenue, 
remarquons  la  base  de  la  statue  de  Théojibrastos, 
d’Athènes,  fils  d’IIéracleitos,  du  dème  d’Acbarnae  qui 
fut  épimélète  de  Délos  vers  111  avant  J.-C.  (sous 
l’archontat  de  iJiotimos)  et  construisit  l'Agora,  les 
digues  (et  les  remblais  l)  et  les  quais  du  port. 

Qeôqppaarov  ‘HpaK\eÎTOu  ’Axapvéa,  èmpe\r|Tinv  Af|\ou  Tevôjue- 
vov,  Kai  KaTaffKeuàcravTa  tùv  àYopàv  xai  ïà  xiiJMctTa  Tà  TrepiPa- 
X.ôvTa  TÜJi  Xijuévi,  ’AGrjvaîujv  oi  KUTOiKOÛVTeç  èv  AfiXoïi,  Kai  oi 
êjUTTopoi  Kai  oi  vaÛKXrjpoi,  Kai  ‘Pajpaiuuv  Kai  tOùv  dWujv  Eévojv  oi 
TTapeTTibniuoûvTeç,  àpeTrjç  é'veKev  Kai  KuXoKaYaBiaç  Kai  Tfjç  eiç 
éauToùç  eûepYeffîaç,  àvé0r|Kav. 

Le  monument  principal  de  ce  quartier,  et,  sans  con- 
tredit, le  monument  civil  le  plus  iiiq)ortant  de  tout 
Délos,  était  certainement  l’Agora  des  Italiens  ou 
« Scliola  Romanorum  »,  dont  le  complet  dégagement  a 
été  effectué  en  19U4  et  1905  })ar  M.  Bizard.  C’était  le 
local  de  la  Société  des  Ilermaïstes  ou  association  des 
négociants  italiens  domiciliés  à Délos.  11  comprend  de 
vastes  édifices,  élevés  autour  d’une  cour  centrale  (de 
100  mètres  de  longueur  sur  7(3  de  largeur),  encadrée 
d’un  porti({ue.  Côtés  est  et  ouest  : deux  rangées  de  con- 
structions orientées  en  sens  inverse.  A l’extérieur, 
vers  les  rues  voisines  : boutiques,  échojtpes  ou  ateliers; 
à l’intérieur,  loges  ou  niches,  décorées  ‘de  statues  et 
monuments  votifs. 


LE  PORT  DE  DÉLOS 


111 


Côté  sud,  simple  en  profondeur  : rangée  de  vingt- 
deux  boutiques  toutes  ouvertes  sur  la  rue.  Notamment, 
le  magasin  d’un  marchand  de  figurines  de  Tanagra  et 
l’atelier  du  sculpteur,  dont  les  œuvres  étaient  destinées 
à eml)ellir  l’habitation  du  commerçant  parvenu  à la 
fortune.  Le  côté  nord,  plus  étroit,  confinait  au  Lac  Sacré 
ou  trochoïde,  c’est-à-Jire  en  forme  de  disque,  sur  les 
bords  duquel  Apollon  aurait  vu  le  jour. 

« Les  sous-sols  des  portiques,  dit  M.  Ilomolle,  ser- 
vaient probablement  de  magasins;  du  moins,  en  déga- 
geant certaines  parties  du  mur  de  substruction,  nonil)re 
d’amphores  entières  ont-elles  été  mises  au  jour,  dres- 
sées encore  et  alignées.  » L’édifice  ne  doit  pourtant  pas 
être  considéré  comme  un  dépôt  de  marchandises, 
encore  moins  comme  un  marché;  les  caves  sont 
étroites,  et  il  n’j  a ni  greniers,  ni  boutiques  (1). 

On  a pu  se  convaincre  par  des  sondages  pratiqués 
jusqu’au  roc,  que  ce  monument  n’avait  été  précédé  par 
aucun  autre  sur  cet  emplacement.  Du  reste,  à l’endroit 
où  nous  sommes,  le  sol  très  marécageux  se  prêtait  peu 
à la  bâtisse  et  on  ne  songea  à l’employer  qu’à  une  époque 
de  grande  prospérité,  quand  la  population  augmenta 
considérablement  et  quand  se  formèrent  des  associa- 
tions assez  puissantes  et  assez  riches  pour  entre])rendre 
de  vastes  travaux  de  terrassement  et  d’aménagement. 

Le  siège  de  l’Association  des  Poseidoniastes  de 
Berytos  a été  retrouvé  également  en  1882  par  M.  Salo- 
mon Reinach,  et  dégagé  entièrement  en  DOL  II  se 
trouvait  à peu  de  distance,  sur  la  pente  des  hauteurs  qui 
s’élèvent  entre  le  rivage  et  le  Lac  Sacré.  Le  rajqtort 
d’ensemble  de  ces  dernières  fouilles  n’a  pas  encore  été 
publié.  Mais  nous  savons  d’ores  et  déjà  que  la  confré- 
rie fut  surtout  florissante  pendant  la  seconde  moitié  du 


(1)  Homolle,  lî.  G.  H.,t.  VIII,  1886,  p.  116. 


112 


RKVÜK  DES  QT’ESTIOXS  SCIEXTIFIQEES 


II®  siècle.  La  seule  inscription  exactement  datée  qui 
nous  en  reste  est  une  (Uxlicace  en  riionneur  d’Aiitio- 
chos  VIII  (122  av.  J. -G.). 


Tels  sont  les  princi])aux  monuments  et  ce  que  l’on 
])Ourrait  appeler  les  souvenirs  taipnibles,  les  reliques  du 
port  de  Délos  et  de  son  activité  commerciale.  Tels  sont, 
})our  autant  ([u’ils  puissent  rentrer  dans  le  pro'iramme 
d’études  ([uo  s’est  tracé  la  Société  scientitiipie,  les  prin- 
cipaux résultats  des  fouilles  etfectuées  en  l’ile  sainte. 
Ges  résultats  fournissent,  avant  tout,  comme  on  peut 
le  voir,  des  indications  topographiques  et  chronolo- 
giques. Ils  sidtisent,  néanmoins,  à donner  une  idée  pré- 
cise et  com])léte  de  la  place.  Aucune  leçon  de  choses  ne 
})ourrait  être  })lus  })rolitahle  et,  au  contact  de  la  réa- 
lité, l’économiste,  l’iiistorien  sauront  se  rendre  conqde, 
et  mieux  que  de  toute  auti'e  façon,  de  ce  (pi’était  exac- 
tement un  « grand  port  » de  l’antiquité.  Les  décou- 
vertes que  je  viens  de  i‘a|)porter  sont  parfaitement  en 
rapport,  faut-il  le  dire,  avec  les  chiffres  et  les  faits  (pie 
M.  Henri Francotte  a cités,  ici  même,  l’an  dernier.  Elles 
contirment  les  observations  si  intéressantes,  si  neuves 
et  si  judicieuses  du  savant  auteur  de  L' Industrie  dans 
la  Grèce  ancienne,  de  n’y  reviendrai  })as,  afin  de  ne  pas 
nuire  à l’unité  de  l’enquête  entreprise  })ar  la  cinquième 
section.  Pourquoi,  d’ailleurs,  répéter  ce  qui,  dtyà,  a été 
si  bien  dit? 

Et  maintenant  que  la  phj^sionomk'  de  la  ville  est 
retrouvée,  on  voudrait  des  chiffres,  et  des  détails  sui*  la 
réglementation  commei-ciale  et  sur  la  législation  du 
port,  sur  son  mouvement,  sur  le  nombre  et  l’impor- 
tance des  affaires  traitées.  On  voudrait  }>ouvoir  enri- 
chir l’histoire  de  Délos  de  deux  chapitres  nouveaux  : 
économie  politique  et  statistique.  Les  inscriptions 
découvertes  sont  innonil)ra])les,  je  l’ai  dit,  et  donnent 


LE  PORT  DE  DELüS 


113 


des  renseignements  multiples  (1),  mais  ce  qui  manque 
le  plus,  ce  sont  précisément  des  indications  relatives 
à ces  objets. 

Le  sol  de  Délos  n’a  heureusement  pas  encore  livré 
tous  ses  secrets  et  les  recherches  ne  sont  point  closes. 

La  découverte  récente  du  règlement  concernant  la 
vente  du  bois  et  du  charbon  est  bien  laite  j)our  encou- 
rager les  efforts  et  faire  entrevoir  encore  la  })ossibilité 
de  quelque  moisson  précieuse.  En  d’autres  termes,  s’il 
m’est  permis  de  rendre  familièrement  ma  pensée  en 
terminant,  une  porte  reste  ouverte  à l’espérance  et  la 
science  n’a  pas  encore  dit  son  dernier  mot. 

Puisse-t-elle  bientôt  le  faire  entendre  ! Il  sera  ]>os- 
sible  alors  d’écrire  beaucoup  plus  complètement  et,  à 
coup  sûr,  beaucoup  moins  im])arfaitement  que  je  n’ai  pu 
le  faire  aujourd’hui,  la  monogi'ajdiie  du  ])ort  de  Délos. 

Alpikjxse  Roersgh. 


(1;  Un  dernier  exemple.  Les  inscriptions  nous  donnent  pour  le  cours 
des  céréales,  froment  et  orge,  mois  par  mois,  presque  pendant  l’année  entière. 
En  outre,  elles  indiquent  avec  exactitude  la  ration  que  recevaient  chaque  jour 
les  ouvriers  et  la  dépense  nécessaire  à la  nourriture  d’un  homme  par  jour,  par 
mois,  par  année.  Voir:  Homolle,  .d)T///rc.s'  des  Missions,  3®  série,  tome  .\I11, 
1887,  pp.  434-i35. 


IIU  SÉRIE.  ï.  .XII. 


8 


X 


LF  \H)\\Ï  IIF  IIOTTEHDAM 


l)(\s  })orts  (le  l’Europe  septentrionale,  Rotterdam  est 
1('  plus  jeune.  Bivine  et  llanibourg,  dont  la  grande 
expansion  date  de  vingt-ciiKj  ou  trente  ans,  ont  der- 
ri('>re  eux  le  passé  de  la  Ligue  llanséatiipie.  Anvers  et 
Londres  ont  été,  l’un  au  X\  L siècle,  l’autre  depuis  le 
W’IL,  les  centres  principaux  du  commerce  interna- 
tional. L'essor  de  Rotterdam  ne  remonte  (pi’à  une 
(piinzaine  d’années  environ.  Juscpren  1 SI )0  Amsterdam 
(“tait  le  c('ntre  du  commerce  colonial;  la  \Vesti)lialie  et 
la  Li-usse  rhénane  ne  j)oss(klaient  (pie  (piel([ues  mines 
et  ({uel([u(‘s  liouitléi-es  peu  actives  ; jus({u’alors  aussi  le 
Iralic  d(“  la  cité  du  Rhin  n’avait  donc  ({u’une  impor- 
tance ]»u renient  locale.  D’ailleurs,  pendant  longtem[is 
l’insuttisance  de  ses  communications  maritimes  a ariûté 
tout  eissor. 

( lomme  Liverjiool  doit  jirohalilement  son  nom  aux 
marais  des  environs  de  Lhester,  une  pi'tite  rivière,  la 
Rotte,  tbrimto,  dit-on,  pai“  les  inondations  de  la  Meuse, 
aurait  donné  son  nom  à Rotterdam.  11  est  impossihle 
de  savoir  au  juste  à (pielle  épo([ue  la  ville  reçut  ce 
nom.  11  ne  païuît  dans  aucun  document  otiiciel  avant 
l’^OS.  Dans  cette  même  année,  Jean  Lh  comte  de  Hol- 
lande, accorda  « à ses  honnes  gens  de  Rotterdam 
(“tahlis  dans  sa  Seigneurie  exenuJion  de  jiéage  dans 
tout  le  comté  ».  C'(^st  trois  cents  ans  jJus  tard  ([ue  le 
Iiourg  (h'vient  grande  ville  avec  droit  de  siéger  dans 
les  Etats  d(“  Ilolland(“  ajirès  Dordrecht,  llaidem,  Delft, 
L('vd(',  Amstei'dam  et  (touda.  Aujoiii-d’hui,  ajtrès  trois 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


liô 


nouveaux  siècles,  Rotterdam  est  la  deuxième  ville  du 
royaume  et  un  des  premiers  j)orts  de  l’Europe  occi- 
dentale. 


Les  chiffres  et 

les  taltleaux 

suivants 

montrent 

jirogrès 

rapides  t 

le  Rotterdam. 

Part  de  Rotterdam 

Navires  de  mer 

dans  le  mouvement  total 

entrés 

Tonnage 

des  Pays-Ras 

1850 

1940 

346  OtM  l 

35  p.  c. 

du  tonnage  total 

1800 

“2449 

073  tHM» 

42  p.  c. 

» 

1870 

2973 

' 1 000  IMK) 

50  p.  c. 

» 

1880 

3450 

1 080  000 

49  p.  c. 

» 

1800 

4535 

2 918  OOO 

53  p.  c. 

» 

U0J 

7208 

0 3“20  000 

07  p.  c. 

» 

laio 

9100 

9 387  000 

72  p.  c. 

» 

En  190G,  Hambourg  a reçu  15  778  navires  re})ré- 
sen’tant  11  000  000  de  tonnes. 

En  190G,  Anvers  a reçu  6495  navires  rc})résentant 
10  8G5  000  tonnes  (1  ). 

Le  tonnage  moyen  à l’entrée  est,  en  tonnes,  à 


Hambourg 

liotterdam 

Anvers 

1890 

015 

838 

1182 

1900 

013 

!X»0 

1270 

1905 

080 

1024 

1031 

En  1888,  le  total  du  tratic  rhénan  passant  la 
frontière  des  Pays-Bas  (entrées  et  sorties)  s’élevait 
à 4 GOO  000  tonnes,  contre  16  000  000  en  1905.  Rot- 
terdam a aujourd’hui  une  part  de  94  p.  c.  dans  la 
navigation  rhénane. 

En  1905,  132  230  bateaux  de  rivière  sont  entrés  à 
Rotterdam. 

Les  revenus  provenant  de  la  perception  des  droits 


(1)  Iæs  chiffres  du  tonnage  d’Anvers  doivent  être  réduits  de  18  p.  c.  d’après 
le  consul  d’Angleterre  à Anvers  et  de  10  p.  c.  d’après  la  Chambre  de  com- 
merce de  lîotterdam,  à cause  du  système  spécial  suivi  en  Ilelgique  pour 
déduire  le  tonnage  net  d’un  navire  de  son  tonnage  hrut 


11() 


REVT’E  DES  QTTF^stIOXS  SCIENTIFIQUES 


(le  })ort  ({ui  étaient  de  i 0<S(j  OÜO  florins  en  1800  liassent 
à 1 885  000  floi-ins  en  lOijô. 

La  ])0})iilation  de  Rotterdam  était,  en  1830,  de 
12  000  lialiitants,  en  1800  de  '300  000,  en  1000  d(‘ 
3*30  000  et  (m  1005  de  380  000. 

L'aprés  la  Cliainhre  de  commerce  de  Rotterdam,  les 


principaux  iioiHs  de  rEurop('  s(‘ 
suivant  tm  1005  : 

rangeaient  dans  l’oialre 

Tonnes 

Londres 

17  (KKI  (KK)  1 rabotage 

Liverpool  ..... 

1 1 (HH)  OIH)  \ compris 

Hamliourg-  ..... 

lOtHHMHHI 

Anvers  ...... 

ilSIHMHH) 

liotterdam 

S dOO  (HH) 

Marseille 

7 .S(H)  (HH) 

Cènes  

()  oOU  ()(H) 

lirème  ...... 

dd(H)(HH) 

Le  Havre  

“2S(HI()(HI 

.Amsterdam  ..... 

“2  (H lU  (KH) 

l)unker(|ue  ..... 

“2  (HK)  (HH) 

Voie  ma  ri  fi  me 

Rotterdam  (Hait  aiiti^fois  relié  à la  mer  par  la  Maas, 
c'est-à-dire  jiar  le  liras  (1)  dn  Rhin  ([ui,  à partir  de 
hordrecht,  forme  le  ])roloni>ement  de  la  Mei'wede  (2). 
La  Nonvelle-Meiise  (pii  traverse  Rotterdam  rejoignait 
ce  liras  près  de  \ laardingen. 

L)epnis  la  moitié  dn  XM®  sii^cle,  à cause  de  l’endi- 
gnement  de  l'ik'  de  Rozenliurg,  le  port  devint  à peu 
près  inaccessilile  aux  navires.  A c(Ht('  éporpie,  la  Maas 


( 1 ) O l)ras  s’appelle  actuellenieiit  « (Jiide  Maas  »,  par  opposition  à la 
« Nieuwe  Maas  » (jui  arrose  llottenlam. 

r2)  A son  entrée  en  Hollande,  le  lihin,  en  se  divisant,  j)erd  à la  fois  son  unité 
et  son  nom.  I,e  bras  droit  (un  tiers  des  eaux)  s’appelle  sucressivenient  lihin 
inférieur,  Eek,  Nouvelle-Meuse  et  se  verse  dans  la  mer  du  Nord  près  du  Hoek 
van  Holland.  I.e  hras  ”auche  (deux  tiers  des  eaux)  est  le  Waal;  rejoint  par  la 
.Meuse  à \\  oudriehen,  il  ])orte  le  nom  de  Mtu'wede  juscpi’à  Hordrecht,  oii  il  se 
divise  (‘U  plusieurs  houehes. 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


117 


fut  divisée  en  deux  parties  : le  bras  septentrional  reçut 
le  nom  de  Maasluis  Diep  ou  Scheur;  le  i)ras  méri- 
dional, qui  passe  à la  Brielle,  celui  de  Maas  ou  de 
Brielsche  Maas. 

Au  XMP  siècle,  le  Scheur  s'eusal)la  tellement 
que  La  Brielle,  Hellevoetsluis  et  Brouwershaven 
devinrent  les  trois  ports  commandant  l’entrée  de  Rot- 
terdam. 

De  I.a  Brielle,  les  navires  entraient  dans  le  Botlek, 
reliant  la  Brielsche  Maas  à la  Nouvelle-Meuse,  pas- 
saient devant  A laardingen  et  Schiedam  avant  d’at- 
teindre Rotterdam. 

D’IIellevoetsluis  les  voiliers  gagnaient  rilollandsch 
Diep  et  Dordrecht,  puis  par  la  Onde  Maas  et  le  Botlek 
retrouvaient  la  Nouvelle-Meuse.  Cette  voie  ne  présen- 
tait 5 mètres  de  profondeur  que  Jusqu’à  Dordrecht. 
Les  navires  qui  passaient  par  le  l)ras  de  Broinvers- 
haven  s’engageaient  dans  le  \'olkerak,  jtuis  leur  route 
se  confondait  avec  la  précédente. 

Il  fallait  aux  navires  au  moins  dix-huit  heures  pour 
atteindre  Rotterdam  par  Llellevoetsluis  et  Brouwers- 
haven, les  deux  routes  préférées,  et  souvent  cinq,  et 
huit  jours  même,  en  cas  de  mauvais  tenq)s. 

En  [H21,  l’on  résolut  de  creuser  le  canal  de  ^'oorne 
à travers  l’ile  de  ce  nom  ; il  réunissait  le  bi-as  d’IIel- 
levoetsluis  à la  Nouvelle-Meuse,  et  ainsi  des  navires 
de  5 mètres  de  tirant  d’eau  purent  atteindre  Rotter- 
dam sans  difficulté.  C’étaient  là  cependant  des  dimen- 
sions insuffisantes  et,  dès  LSiô,  les  grands  navires 
durent  s’alléger  à Brouwershaven  d’une  partie  de  leur 
cargaison. 

Cne  commission  nommée  par  ordonnance  royale, 
en  1857,  adopta  le  plan  de  l’ingénieur  Caland,  qui 
proj)osait  le  })ercement  du  Iloek  van  Holland  et  la 
construction  d’un  canal  de  1 kilomètres  et  demi  réu- 
nissant la  Nieuwe  Maas  à ceth*  embouchure  artifi- 


lis 


REVl’E  DES  QrESTlONS  SCIENTIFIQI'ES 


ci('ll('.  (l’était  iviidre  à Rotterdam  son  aneienne  voie 
maritime,  la  jdiis  courte  et  la  meilleure  (1). 

A])]myé  sur  sa  théorie  du  « tiux  et  du  retiux  dans 
les  rivières  à marée  »,  riu<>éuieur  Caland  avait  sup- 
[)osé  ([ue  oett('  action  du  tiux  ('t  du  reflux  renforcée 
jiar  h'  courant  du  fleuve  sutfirait  })our  chasser  les 
sables  et  obtenir  les  j)rofondeurs  désirées. 

Eu  1S()3,  la  loi  ({iii  décidait  la  cousti'iictiou  du  canal 
d'Ymuideu  à Amsterdam,  ordonna  aussi  la  (;oustructiou 
du  Nieuwe  Waterwe^-.  La  largeur  de  la  idvière  fut  fixée 
à 150  luètiTS  à Maardiu^eu  et  à 0(X)  mètres  entre  les 
jetées  du  lloek  vau  Holland.  Ou  comjdait  sur  une  pro- 
fondeur de  7 mètres  de  Rotterdam  à la  mer,  mais  quand 
('U  1S77  la  tranchée  du  lloek  fut  mise  en  communication 
avec  la  mer,  il  se  jiroduisit  une  telle  accumulation  de 
sable  ([ue  la  profondeur  tomba  à marée  bass(‘  <à  3"’,50. 
( les  travaux  avaient  (îoùté  15  000  000  de  Horins. 

Sur  l’avis  d’une  nouvelb'  commission  nommée'  ('u 
1880.  le  Oouvernement  décida  le  rétrécissement  du  lit 
de  la  rivière  et  l’emploi  de'  puissants  dragueurs,  d(' 
façon  ù obtenir  une  ])rofondeiir  de  8 mèti'es  à marée 
liaub'.  Lu  1800,  les  travaux  furent  terminés  : on  avait 
elépensé  20  800  000  tiorins.  En  y ajoutant  les  sommes 
dél)e)ursées  avant  1882,  k'  Nieuwe  aterweg  a coûté 
30  300  (JOO  tiorins. 

La  [trofondeur  actiu'lb'  à marée  haute  est  de  10'",  10 
à reml)oucbure,  de  0 mètres  à Rotterdam  et  dans  c('r- 
taines  parties  d(>  Maasluis  8"\20.  A maré('  basse,  la 
moindre  profondeur  est  d('  O*", 70  environ  (2).  On  tra- 
vaille pour  le  moment  à obtenir  un  chenal  suffisamment 
lai  ‘ge  pour  la  navigation  d’iiiK'  profondeur  continue  de 
0 mètres,  (l’est  là  un  minimum  indispensable,  (domine 
l’a  déclaré  Sir  \Villiam  Wbite,  ancien  ingénieur  ('ii 

(I  ) Trenle-(|Uiitriî  kilomt'tres  seiilemenl  séparent  Uotlenlani  de  son  bateaii- 
phare. 

(2)  [/amplitude  de  la  marée  à Uotterdam  est  de  l‘“,30. 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


lU) 


chef  (les  constructions  navales  delà  marine  hritannicjiu'. 

on  ne  doit  considérer  coniine  ports  de  premier  ordre 
que  ceux  qui  peuvent  recevoir  des  navires  de 
300  mètres  de  long  et  présentent  des  mouillages  .de  iO 
à 1 1 mètres.  La  profondeur,  voilà  ce  dont  nous  avons 
un  pressant  besoin  pour  la  construction  et  la  projadsion 
économique  des  navires.  Leur  longueur  et  leur  largeur 
ont  déjà  été  poussées  l)ien  au  delà  de  toute  }»ro})ortion 
avec  leur  tirant  d’eau,  au  détriment  de  la  vitesse  et  de 
la  capacité  utile  des  bâtiments  modernes  » (1). 

Les  convstructeurs  réclament  avec  insistance  l'aug- 
mentation du  tirant  d’eau,  non  seulement  jtoiii-  obtenir 
une  stabilité  et  des  propoidions  générales  m('ill(Mir('s. 
ainsi  qu’une  AÛtesse  plus  grande,  mais  aussi  ])our 
augmenter  la  cajuicité  utile  des  navires  et  réduire  le 
coût  des  transports  en  conséquence. 


Installât  ions 

L'aménagement  général  du  port  de  Rotterdam  ]»ré- 
sente  des  conditions  spéciales,  qui  réMÜtent  surtout  de 
la  nature  de  son  tratic  de  transl)ordement.  Le  là,  néces- 
sité d’une  surface  de  bassins  très  étendue,  à la([uelle 
s’ajoute  d’ailleurs  la  surtàce  du  tleuve  qui  forme  à lui 
seul  un  grand  port  devant  la  ville.  Mais,  par  contre,  le 
développement  des  quais  d’accostage  n’est  }>as,  comme 
à Anvers,  absolument  indisp(msal)le. 

Les  bassins  sont  situés  sur  les  deux  rives  du  tleuve; 
toutefois  ceux  de  la  rive  gauche  seuls  sont  accessildes 

(Il  (^oinme  exemple,  Sir  \V.  Wliite  cile  le  Iknisclilinnl  : comme  tous  les 
pa([uel)0ts  à grande  vitesse,  il  ne  transporte  ipie  fort  peu  de  fret  — (i(HI  tonnes 
de  marchandises  — à cause  de  la  linutation  de  son  tirant  d’eau  au  départ.  Si  l'on 
augmentait  son  tirant  d’eau  d’un  pied,  il  serait  possible  d'ajouter  1)0(1  tonnes  à 
son  chargement,  et  le  fret  serait  même  (luintuplé  par  l'addition  de  deux  j)ieds 
à son  tirant  d’eau  sans  ipie  la  réduction  de  vitesse  fût  bien  sensible.  Rapjioii 
présenté  par  M.  E.  Cortliell,  an  Contrés  international  tie  yari(/ntion,  à 
Milan,  i90o. 


120 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


aux  navires  de  mer.  Tous  communiquent  directement  et 
sans  écluses  avec  le  fleuve  ; grand  avantage,  car  les 
navires  évitent  ainsi  les  manœuvres  lentes  et  difficiles 
([ui,  cà  Anvers,  par  exemple,  compliquent  leur  entrée 
clans  les  liassins  et  leur  passage  d’un  dock  dans  un 
autre. 

Sur  la  rive  gauche  de  la  Nouvelle-Meuse,  les  bassins 
les  plus  importants  sont  : 


Longueur 

Largeur 

Profondeur 

I,e  Hiiinenhaven 

KRH)  m. 

7 m. 

» Spoorweg-haven 

1 lüU 

1 15  m. 

7 à 7,50 

» Rhyiihaven 

3ü  hectares 

7 .à  8 

» Maashaven 

fiO 

)) 

8 à 8,50 

» llockhaven 

3:2U  m. 

150  ni. 

(i  à 1 1 

Les  (leux  Katendreehtshaven 

180 

105 

7,50 

“230 

130 

8 

Coupés  ciii({  fois  par  l’entrée  des  gi-ands  bassins,  les 
(juais  de  la  rive  gauclie  forment  trois  groupes  : 

1"  En  amont  du  Binnenhaven  se  trouvent  les  quais 
destinés  aux  lignes  régulières  de  navigation  rhénane; 

2"  Du  Binnenhaven  à l’entrée  du  Maashaven,  les 
([liais  des  steamers  faisant  un  service  régulier  sur 
Londres,  Hull,  New- York,  les  Indes  hollandaises.  Les 
[irofondeurs  y varient  de  6"’,r)0  à 8™, .50  ; 

•8'’  En  aval  du  Maashaven,  les  débarcadères  des 
navires  pétroliers. 

Sur  la  rive  droite  de  la  Nieuwe  Maas,  dix-neuf  petits 
bassins  ont  été  creusés.  D’une  profondeur  de  1™,.50  à 
8™, .50,  ils  sont  occupés  par  les  bateaux  du  marché,  les 
tjalks,  les  liateaux  de  pêche,  les  bateaux  du  Rhin  et 
ceux  des  canaux  de  la  Hollande  méridionale. 

Les  quais  de  la  rive  droite,  d’une  longueur  totale  de 
2700  mètres  et  coupés  par  six  ouvertures  de  bassins, 
n’offrent  que  des  [irofondeurs  de  8 à 0 mètres.  C’est  là 
que  mouillent  les  navires  reliant  Rotterdam  aux  ports 
anglais  ou  aux  ports  voisins  du  continent. 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


121 


En  face  de  la  ville,  entre  le  Booinpjeskade  de  la  rive 
droite  et  le  Nassaukade  de  la  rive  gauche,  la  Nouvelle- 
Mense  est  coupée  par  une  ile  allongée.  Le  long  des  deux 
rives  de  cet  ilôt  sont  établis  les  embarcadères  des  lignes 
régulières  de  bateaux  fluviaux  pour  la  Hollande,  celui 
des  allèges  de  Maunbeiui  et  de  Strasbourg,  ceux  des 
vapeurs  des  services  de  Bruxelles  et  d’Anvers.  La  pro- 
fondeur n’j  dépasse  pas  5 mètres. 

Outre  les  quais  et  les  docks,  la  partie  de  la  Nieuwe 
Maas  située  en  aval  du  Wdllemsbriig  forme  en  réalité 
comme  un  immense  bassin.  Une  suite  de  .ducs  d’Albe 
permet  d’amarrer  là  trente-trois  ou  trente-six  grands 
navires  de  mer.  La  distance  qui  sépare  chaque  paire  de 
bouées  varie  de  (30  à 140  mètres. 

Les  Hollandais  ont  raison  de  dire  que  ce  qu’il  faut 
admirer  dans  leur  port  ce  n’est  pas  la  perfection 
de  l’outillage,  mais  au  contraire  le  privilège  de  pou- 
voir s’eu  passer.  Les  chalands  se  rangent  à bâbord 
et  à tribord  dès  l’arrivée  d’un  grand  vapeur  et,  par  de 
simples  glissières  ou  des  élévateurs,  minerais  et  céréales 
passent  de  la  cale  du  transatlantique  dans  celle  du 
Rlieinschitf. 

La  superficie  des  bassins  à Rotterdam  atteint  50  hec- 
tares sur  la  rive  droite,  125  sur  la  rive  gauche,  soit  au 
total  175  hectares,  sans  compter  le  fleuve. 


Voie  fluviale 

Rotterdam,  point  terminus  du  Rhin,  constitue  le 
port  natui“el  de  tout  riiinterland  formé  par  les  pro- 
vinces rhénanes,  le  Palatinat,  le  grand-duché  de  Bade 
et  l’Alsace-Lorraine,  régions  industrielles  dont  il  fallait 
lui  rései'ver  les  courants  commerciaux  par  la  meilleure 
utilisation  de  la  voie  fluviale  du  Rhin. 

Le  régime  hydrographique  du  Rhin  présente  des 


[-22 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


conditions  exce])tionnelleincnt  tavoraliles  à la  naviga- 
tion. Pas  de  pentes  torrentielles,  coinine  snr  le  Rhône: 
à partir  de  Strasliourg  et  pendant  plus  de  600  kilo- 
mètres, le  tleuve  n’a  ])lus  que  11  i mètres  à descendre. 
Pas  de  sécheresse  prolongée,  comme  sur  la  Loire  : la 
fonte  des  glaciers  alpestres  assure  le  débit  pendant  l’été. 
Le  Rhin  supérieur  atteint  son  maximum  en  Juin,  puis 
s’aliaisse  graduellement  jusqu’en  févider.  Mais  rill,  le 
Xeckar,  le  Main,  la  Moselle  exercent  leur  action  sur  le 
régime  du  Rhin  moyen.  Alimentés  par  les  jihiies  d’au- 
tomne et  d’inver,  ils  provoquent  une  crue  de  février  qui, 
dans  la  jiartie  inférieure  du  tleuve,  est  plus  abondante 
même  que  celle  de  l’été.  Cet  heureux  é([uilihre  favorise 
singulièrement  la  navigation  et  a fait  du  Rhin  une  des 
grandes  voies  d’échange  de  l’Europe  occidentale. 

Cejiendant,  pour  lui  conserver  sa  valeur  malgré  la 
concurrence  des  chemins  de  fer,  il  a fallu  accroître  sa 
profondeur  ]>ar  de  nombreux  travaux,  car  la  navigation 
régulière  rencontrait  de  gi'ands  olistacles.  L’adminis- 
tration établie  à Coblence  en  1851  résolut  d’arrêter  les 
dégradations  des  rives,  de  former  le  chenal,  d’extraire 
les  l'oches  qui,  de  Saint-Cfoar  à Hingen,  gênaient  la 
navigation,  de  refaire  le  chemin  de  halage,  etc.  Les 
ingénieurs  Jugèrent  indispensable  um*  profondeur 
minima  de  2 mètres  dans  la  section  de  Bincen  à Saint- 
Coar,  de  2'", 50  de  Saint-Coar  à Cologne  et  de  8 mètres 
de  Cologne  en  Hollande.  Malgré  des  difficultés  de  toute 
nature,  les  travaux  du  Strombau  furent  menés  avec  une 
activité  méthodi([ue  et  tenace. 

En  1850,  les  travaux  du  Rhin  avaient  déjà  coûté 
16  766  000  francs.  De  1851  à 1860,  on  déjxmsa  5 mil- 
lions de  francs;  de  1861  à 1877,  11  700  000  francs.  En 
1879,  le  gouvernement  jirussien  demanda  27  millions 
.500  000  francs  et  dix-huit  ans  ])Our  parfaire'  la  régula- 
risation et,  sans  ({ue  la  somme  prévue  fût  dépassée, 
« le  Rhin  est  devenu  une  voie  large  et  profonde  où  les 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


m 


liateaux  montant  et  descendant  peuvent  aisément  se 
croiser  et  enfoncer  cà  pleine  charge  ». 

De  même  que  l’exécution  du  Xieuwe  Waterweg  a 
élevé  le  nombre  et  le  tonnage  moyen  des  navii-es  de 
mer  entrant  à Rotterdam,  de  même  les  travaux  d’amé- 
lioration du  Rhin  ont  permis  d’augmenter  les  dimen- 
sions et  la  capacité  des  bateaux  afîêctés  au  trafic  de  l’Al- 
lemagne. L’initiative  privée  s’est  montrée  digne  des 
efforts  persévérants  du  gouvernement,  et  industriels, 
commerçants,  constructeurs  s’empressèrent  d’utiliser  la 
nouvelle  voie  fluviale. 

« C’est  une  erreur  de  croire,  écrivait  en  1871)  M.Bel- 
lingrath,  qu’un  fleuve  pauvre  en  eau  doive  être  utilisé 
par  de  j)etits  bateaux.  » I.es  chantiers  allemands 
livrèrent  des  chalands  larges  et  longs,  de  fort  tonnage 
et  de  peu  d’enfoncement;  des  remorqueurs  de  très 
grande  force  et  de  faible  tirant  d’eau.  Le  bateau  rhé- 
nan moderne  se  fait  remarquer  par  ses  grandes  dimen- 
sions, sa  solidité  et  sa  simplicité. 

En  1870,  la  plupart  d’entre  eux  étaient  encore  en 
bois  ; les  plus  grands  portaient  environ  500  à OOOtonnes. 
Depuis  lors,  leur  tonnage  a augmenté  régulièrement  et, 
actuellement,  les  grands  chalands  à minerai  de  Ruhrort 
transportent  2000  et  2300  tonnes.  Sans,  doute,  ces 
grands  bateaux  ne  circulent  que  dans  le  Rhin  inférieur 
— Mannheim,  cependant,  reçoit  des  navires  de 
1500  tonnes  — mais  « sous  les  ponts  de  Dusseldorf  et 
de  Cologne  ]tassent  chaque  Jour  plusieurs  convois  de 
quatre  chalands  remorqués  portant  la  cargaison  d’un 
beau  vapeur  de  mer».  Il  faut  douze  à ([uatorze  trains  de 
trente  wagons  [tour  trans})orter  cette  cargaison  de  4200 
bmnes  qui  remonte  le  fleuve  de  Ruhrort  à Mannheim  en 
soixante-cinq  heures.  Entre  Mannheim  et  Strasbourg 
(140  kilomètres)  circulent  des  allèges  de  800  tonnes. 
Depuis  le  24  août  10(33,  des  essais  pratiques  ont  démon- 
tré la  possibilité  d’amener  la  navigation  Jusqu’à  Bâle. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


12  i 

A cf'tto  date,  le  va])eur  à hélice  Justicia^  venant  de 
Strasliourü-,  a Jeté  l’ancre  devant  la  dernière  ville  suisse 
liaipiée  par  le  Rhin.  Reparti  deux  jours  plus  tard,  il 
descendit  en  trois  heures  de  Bâle  à Strashonro-.  Actuel- 
leinent,  des  vapeurs  spéciaux  (1)  remorquent  à la  mon- 
tée 1200  à lôOO  tonnes  distribuées  sur  deux  chalands; 
à Mannheim,  où  le  courant  est  plus  fort,  le  dernier  cha- 
land est  détaché  et  amarré  à un  second  remorqueur. 

Sans  que  Bâle  soit  à jamais  à même  de  se  comparer 
sous  le  rap})ort  du  trafic  fluvial  à Mannheim  ou  à 
Ruhrort,  riitilisation  du  coui*s  du  Rhin  en  fera  l’entre- 
pôt des  marchandises  destinées  aux  lignes  de  navigation 
d’Anvers  et  de  Rotterdam. 

Rotterdam  est  aussi  en  relations  avec  Anvers  par  le 
canal  de  l’île  de  Snd-Beveland.  Les  dimensions  des 
écluses  sont  telles  que  les  bateaux  peuvent  atteindre 
100  mètres  de  long,  15"‘,50  de  large  et  0"‘,20  de 
tirant  d’eau.  Mais,  sur  une  jmrtie  du  trajet,  dans  le 
^’ollverak,  la  })rofondeur  toinhe  à 3‘",50  à marée 
basse,  mouillage  suffisant  toutefois  aux  j)etits  vapeurs 
([ui  font  le  service  régulier  entre  les  deux  ports.  La 
communication  par  eau  avec  Amsterdam  se  fait  via 
Bouda  })ar  les  canaux  de  la  Hollande  méridionale,  ou 
bien  par  le  canal  de  la  Merwede  dans  h'quel  peuvent 
s’engager  les  grands  hati'aux  du  Rhin. 

Rotterdam  doit  en  grande  })artie  sa  pros])érité  h ce 
fait  qu’il  forme  comme  le  centre  d’une  grande  contrée 
accessible  }>ar  eau,  ]>ar  de  nomlireux  canaux  et  jiar  un 
grand  nombre  de  bras  de  mer  et  de  petites  rivières.  Les 
haliitants  des  iles  Zélandaises,  ceux  du  Brabant  septen- 
trional et  de  la  (fueldre  considèrent  Rotterdam  comme 
leur  marché  naturel.  Innomlirahles  sont  les  p(dites  com- 
munes qui,  au  moyen  de  tjalks  oU  liateaux  de  mai-ché. 


(I)  Ces  remorqueurs,  eu  destiuiitiou  de  Ifàle,  ont  71  mètres  de  long- (st  19  de 
large.  Malgré  leur  machine  de  900  clievau.x,  ils  n’ont  pas  plus  de  l'“,l()  de 
tirant  d’eau. 


lÆ  PORT  DE  ROTTERDAM 


125 


entretiennent  un  service  régulier  avec  le  grand  port 
hollandais. 

La  Meuse,  quoique  de  moindre  importance,  alimente 
cependant  le  port  de  Rotterdam.  Canalisée  en  France 
et  en  Belgique,  elle  porte  des  navires  de  30Ü  tonnes. 
Des  canaux  la  relient  à la  Seine,  au  Rhin,  à la  Saône, 
de  sorte  qu’on  peut  atteindre  tout  le  nord  et  le  midi  de 
la  France  }>ar  des  navires  de  petites  dimensions. 

Rotterdam,  point  terminus  de  la  vallée  du  Rhin  et 
de  la  Meuse,  est  donc  le  port  maritime  naturel  non  seu- 
lement des  provinces  rhénanes,  du  Palatinat,  du  grand- 
duché  de  Bade,  de  l’Alsace-Lorraine,  mais  môme  d’une 
partie  de  la  France  septentrionale  et  de  la  Belgique  à 
défaut  d’Anvers. 


Concvrrence  Oe  la  voie  ferrée 

En  vue  de  faciliter  l’exportation  des  produits  natio- 
naux, et  de  soutenir  le  commerce  des  ports  de  mer 
allemands,  l’administration  des  chemins  de  fer  prus- 
siens a établi  les  Seeausnahraetarife.  Depuis  1880,  ils 
attirent  et  font  dévier  vers  Brême  et  Hambourg  une 
part  notable  de  l’exportation  et  de  l’importation  west- 
})haliennes  que  la  géographie  destinerait  à Rotterdam  ( 1 ) . 
Grâce  à ces  tarifs,  c’est  toujours  Brême  qui  expédie  en 
Westphalie  le  coton,  le  pétrole,  le  riz  ; grâce  à ces  tarifs, 
les  fers  d’Essen  ou  de  Bochum  peuvent  atteindre 
Emden  ou  l’embouchure  de  l’Elhe. 

Mais  si  ces  tarifs  réduits  ouvrent’ à Brême  et  à nam- 
bourg  le  marché  westphalien  malgré  la  concurrence  de 
la  voie  fluviale,  les  A ou  tarifs  de  jonc- 
tion ferment  en  quelque  sorte  ce  marché  aux  poids 


( I ) l,a  (listaiifp  (le  lîarnien  à Rotterdam  est  de  ^45  kilomètres. 
» » à Rrême  » '27U  » 

» » à Hambourg  » il  1 


- » 


120 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rhénans  et  ainsi  à Rotterdam.  Sauf  les  marchandises 
destinées  aux  riverains,  les  cargaisons  ti'ansportées  par 
eau  doivent  nécessairement  franchir  en  wagon  un  tra- 
jet com})lémentaire  })lus  ou  moins  long.  Par  les  tarifs 
qui  s’ajoutent  au  fret  fluvial  du  lieu  de  })rovenance  jus- 
qu’au port  rhénan  ( Vorfracht),  ou  par  celui  qui  repré- 
sente le  trajet  du  port  de  débarquement  jusqu’au  lieu  de 
destination  (Nachfracht),  les  chemins  de  fer  rendent  la 
lutte  très  dilhcile  à la  batellerie  fluviale.  Toutefois,  sur 
le  haut  Rhin,  comme  le  terminus  de  la  grande  naviga- 
tion fluviale,  Mannheim,  marque  l’origine  du  réseau 
badois,  les  chemins  de  fer  })russiens,  par  des  tarifs  de 
transliordement,  cherchent  à ravir  à leurs  concurrents 
le  trafic  que  leui-  amènent  les  grands  chalands  de 
Rotterdam. 

Tout  en  ne  s’a})])li(piant  qu’aux  marchandises  du 
Levant  et  de  rAfri([ue  orientale,  les  tarifs  directs 
détounient  ciqiendant  vers  Hambourg  et  Brème  une 
})artie  du  transit  allemand  qui  reviendrait  à Rotterdam. 
L’administration  des  chemins  de  fer  a conclu,  en  effet,  en 
1890  et  en  1905,  avec  trois  compagnies  maritimes  alle- 
mandes et  les  chemins  de  fer  orientaux  et  africains,  des 
conventions  spéciales  qui  unifient  et  réduisent  notalile- 
ment  les  barèmes  et  permettent  d’esquiver  une  série  de 
formalités  puisque  la  marchandise  acquitte  à la  station 
même  de  déj)art  à l’intéideur  de  l’Allemagne  le  fret  total 
jusqu’à  vSmjrne,  Koniah  ou  Tanga.  La  mise  à disjiosi- 
tion  se  fait  directement  par  le  chemin  (h'  fer  à l’arme- 
ment sans  l’interveniion  d’un  tiers. 


Coininerce  (Je  Rotterdam  — 1.  Importations 

L’im})ortance  de  Rotterdam  comme  })lace  d’impoida- 
tion  dé})cnd  de  ce  qu’on  pourrait  a})})eler  sa  force 
d’absorj)fion  du  coté  de  la  mer  et  sa  force  de  distribution 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


127 


du  côté  de  la  terre.  Otte  capacité  de  réception  est  en 
raison  directe  des  dimensions  et  du  nombre  des  cargo- 
boats  qui  remonteront  le  Nieinve  A^'aterweg.  Les 
vapeurs  seront  d’autant  plus  grands  — et  les  grands 
navires  sont  les  plus  économiques  — que  les  profon- 
deurs du  chenal  et  des  bassins  répondront  mieux  aux 
nouvelles  exigences.  Si  actuellement  ces  profondeurs 
sont  suffisantes,  elles  n’atteignent  toutefois  que  le  tirant 
d’eau  des  grands  steamers  sans  le  déj)asser.  \u  les 
progrès  continuels  et  si  rapides  des  constructions  mari- 
times, le  XieuM'e  ^^foter^veg  devrait  être  approfondi, 
d’autant  plus  que  Rotterdam  ne  peut  comme  certains 
})orts  de  l’Afrique  occidentale  se  contenter  de  profon- 
deurs médiocres.  La  nature  de  ses  importations,  le  voisi- 
nage de  rivaux  bien  outillés,  ses  relations  avec  des  ports 
étrangers  de  grande  profondeur  desservis  par  des 
cargo-l)oats  de  fort  tirant  d'eau  obligent  Rotterdam  à 
donner  à sa  voie  maritime  les  dimensions  dont  s’enor- 
gueillissent Liverpool,  Xew-York  et  Southampton. 

Les  navires  seront  aussi  d’autant  plus  nombreux  que 
les  trais  de  port  seront  plus  l)as  et  le  fret  de  retour  plus 
assuré.  Rotterdam  n’est  pas  un  })ort  cher,  mais  le  fret 
de  retour  est  insuffisant.  Comme  Anvers  et  les  ports 
charbonniers  de  l’Angleterre  sont  tout  proches,  ce 
grave  défaut  est  moins  sensil)le  qu’il  ne  l’est  dans  des 
ports  isolés,  dont  le  trafic  d’exportation  repose  exclusi- 
vement sur  l’importance  toute  temporaire  des  récoltes, 
tels  Alexandrie,  Sydney,  Rosario. 

La  force  de  distribution  du  côté  de  la  terre  dépend 
premièrement  de  la  rapidité  et  du  bon  marché  des  opéra- 
tions de  déchargement.  Nous  avons  vu  que  Rotterdam 
par  son  outillage  cherchait  à procurer  au  trafic  rhénan 
toutes  les  commodités.  A côté  des  anciens  bassins  étroits, 
allongés  entre  des  entrepôts  et  des  gares  de  chemins  de 
fer  (Binnenhaven,  Spoorweghaven)  les  nouveaux, 
Rhynhaven  (>t  Maashaven,  larges,  étendus,  spacieux. 


128 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


présentent  aux  navires  de  mer  leurs  rangées  de  ducs 
d’Albe  et  leurs  douilles  files  de  chalands.  Que  Tou  songe 
seulement  à ce  que  représente  une  cargaison  de 
8000  tonnes.  Un  vapeur  dont  la  capacité  n’est  que  de 
8000  tonnes  ne  peut  plus  être  rangé  parmi  les  grands 
navires.  A raison  de  8 tonnes  par  wagon,  il  faudrait 
mille  wagons  et  à raison  de  vingt  wagons  j>ar  train,  il 
no  faudrait  j)as  moins  de  cinquante  trains  pour  assurer 
le  transport  de  cette  cargaison.  Une  demi-douzaine  de 
ces  navires  })euvent  être  simultanément  déchargés.  Si 
nous  comptons  pour  cha([ue  wagon  une  longueur  de 
5"', 50,  les  mille  wagons,  ahstraction  faite  des  locomo- 
tives et  des  fourgons,  auraient  une  longueur  de  })lus  de 
.5  kilomètres  et  demi  et  ce  pour  la  cargaison  d’un  seul 
navire  courant.  Et  quelle  provision  de  grues,  de  maté- 
riel roulant,  tout  ce  travail  ne  suppose-t-il  pas  ? Le  poi*t 
qui  peut  diminuer  cette  mani})ulation  énorme  par  un 
emploi  d’allèges  de  grande  ca})acité,  est  certainement 
très  favorisé  (i). 

La  force  de  distrihution  dépend  aussi  de  la  nature,  du 
nombre,  de  l’étendue  des  voies  de  communication  avec 
riiinterland.  Comme  Shangai,  comme  Buenos- Ajres, 
Rotterdam  commande  un  magnifique  réseau  de  voies 
fluviales, et  si  le  Rhin  et  ses  affluents  ne  présentent  pas 
le  développement  du  Yang-tse  et  du  Parana,  Rotterdam 
en  trouve  la  compensation  dans  l’activité  industrielle,  la 
richesse  et  la  densité  de  la  population  de  son  hinter- 
land. 

Nous  pouvons  distinguer  deux  régions  dans  l’hin- 
terland  de  Rotterdam  : la  partie  nationale  et  la  partie 
étrangère. 

A destination  de  la  première,  Rotterdam  importe 
surtout  des  produits  alimentaires  et  des  matières 
brutes.  Parmi  les  denrées  alimentaires,  les  princi- 
pales sont  les  céréales,  le  sucre  et  le  café. 

(1)  Cfr  Hevuk  Ér.ONOMiuuE  intehnationale,  mars  liKHi. 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


120 


Le  trait  caractéristique  de  l’agriculture  hollandaise 
est  la  prépondérance  al)solue  des  ])rairies  et  des  pâtu- 
rages, et,  par  suite,  de  l’élevage  du  ])étail  et  de  l’indus- 
trie laitière.  C’est  l’eftèt  des  conditions  géographiques  : 
excès  d’humidité  et  nature  du  sol.  Aussi  le  royaume 
ne  produit-il  que  25  ou  30  \).  c.  du  froment  nécessaire 
à la  consommation,  et  Rotterdam  reçoit  des  Etats-Unis 
et  de  la  mer  Noire  de  grands  envois  de  grains.  Sa 
fonction  est  ici  purement  régionale  : Rotterdam  est 
le  centre  distri]3uteur  d’où  rayonnent  vers  le  nord  et 
l’est  les  allèges  dans  lesquelles  les  élévateurs  ont 
déversé  la  cargaison  des  transatlantiques. 

De  même  pour  le  sucre;  la  plus  grande  partie  du 
sucre  destiné  à la  consommation  ou  au  raffinage 
importé  aux  Pays-Bas  passe  ]>ar  Rotterdam. 

Pour  le  café,  au  contraire,  Rotterdam,  comme  Le 
Havre  et  Ham])ourg,  voit  sa  fonction  commerciale 
grandir  chaque  année.  Les  importations  atteignent, 
bon  an  mal  an,  100  000  tonnes  environ  et  dans 
le  tableau  des  exportations  nous  voyons  figurer 
80  000  tonnes  de  café.  Il  ne  s’agit  pas  là  d’un  simple 
transbordement  en  destination  de  l’Allemagne  qui, 
pour  cet  article  d’ailleurs,  grâce  aux  tarifs  des  che- 
mins de  fer,  dépend  du  marché  de  Hambourg.  Ces 
cargaisons  de  café  sont  destinées  aux  négociants  de  la 
place  : Rotterdam  est  pour  cet  article  un  des  plus 
grands  marchés  de  l’Europe. 

Peuple  d’ingénieurs  hydrauliciens  et  d’agronomes, 
d’armateurs  et  de  marchands,  de  marins  et  de  colo- 
nisateurs, la  Hollande  ne  connaît  ni  les  régions,  ni 
les  grands  centres  industriels  comme  le  Lancashire, 
le  Ruhrgehiet  ou  notre  pays  de  Charleroi.  La  nature 
a refusé  aux  Pays-Bas  les  matières  puemières  indis- 
pensables à toute  industrie;  le  bois  est  rare,  le  char- 
bon vient  à peine  d’être  découvert.  Le  sol  ne  contient 
ni  fer,  ni  cuivre,  ni  zinc,  ni  autres  métaux.  Libre 

IID  SÉRIE.  T.  Xll.  9 


130 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


échangiste,  la  Hollande  soutient  en  outre  une  lutte 
inégale  contre  la  })lupart  des  autres  jtays  devenus 
résolument  protectionnistes.  Aussi  le  cajiital  hollan- 
dais se  dirige-t-il  idutôt  vers  le  coniinerce  que  vers  les 
entreprises  industrielles. 

Au  ])oint  de  vue  de  l’origine  des  matières  })remiéres, 
nous  })oiivons  classer  les  industries  hollandaises  en 
deux  catégories  : celles  qui  travaillent  les  pi*oduits  des 
colonies  et  celles  qui  transforment  les  ])roduits  étran- 
gers. Parmi  les  premières  il  nous  faut  ranger  la  jiré- 
paration  du  sulfate  de  quinine,  les  chocolateries,  les 
manufactures  de  tabac,  par  exemple.  La  taille  du  dia- 
mant, les  distilleries,  les  huileries,  la  fabrication  de 
la  margarim',  les  usines  à décortiquer  le  riz  forment 
la  seconde  catégorie. 

O 

Sans  doute  la  jiroduction  indigène  fournit  en  jiartie 
aux  distilleries,  aux  brasseries,  aux  sucreries,  les 
matières  })remières  nécessaires,  mais  la  quote-part  de 
l’étranger  déjiasse  de  loin  celle  du  pavs.  Seules,  })our 
ainsi  dire,  la  fabrication  du  beurre  et  du  fromage  et  l’in- 
dustrie linière  jteuvent  se  })asser  de  l’étranger. 

Si  nous  considérons  les  industries  de  la  première 
catégorie,  Ki  fonction  régionale  de  Rotterdam  est 
d’assez  maigre  inq)ortance,  non  que  cette  branche  de 
l’activité  nationale  traverse  une  crise  dangereuse, 
mais  jtarce  qu’Amsterdam  est  resté  le  grand  port 
colonial, 

Panni  les  industries  du  second  groiqie,  la  fabrica- 
tion de  l’huile  de  lin  et  de  colza  est  peut-être  la  plus 
ancienne.  Dejmis  des  centaines  d’années,  cette  faliri- 
cation  a son  siège  dans  les  deux  provinces  de  Hollande. 
( )n  voit  même  dans  ces  régions  des  moulins  à huile 
datant  du  XMP  siècle.  Presque  toutes  les  graines  oléa- 
gineuses viennent  de  l’étrano-er;  le  sol  hollandais  ne 
fournit  guère  plus  de  2 à 3 p.  c.  des  matières  travaillées. 

Rottei'dam  est  le  }»rinci})al  marché  de  l’Euro])e  j)our 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


131 


la  margarine.  Grâce  aux  fréquentes  coinnumications 
avec  les  Etats-Unis,  ce  commerce  s’est  concentré  dejMiis 
trente-cinq  ans  dans  le  poid  hollandais  qui  est  devenu 
le  siège  d’une  très  importante  fabrication  de  beurre 
artiticiel.  De  là,  les  importations  d’huile  ou  de  graines 
de  coton,  de  saindoux,  d’huile  de  coco,  d’huile  de 
sésame,  d’huile  d’arachide.  La  fonction  de  Rotterdam 
est  donc  à la  fois  régionale  et  industrielle,  comme  poui‘ 
les  usines  à décortiquer  le  riz.  Cette  dernière  indus- 
trie, établie  surtout  à Rotterdam  et  à Dordrecht,  a pris 
un  grand  essor  depuis  l’ouverture  du  canal  de  Suez. 

Dans  la  taille  du  diamant,  le  rôle  de  Rotterdam  est 
bien  éclipsé  i»ar  Amsterdam;  ce  port  est,  à la  fois,  le 
siège  de  ce  commerce  et  de  cette  industrie. 

Enfin,  l’industrie  du  coton  est  trop  peu  développée 
en  Hollande  pour  permettre  à Rotterdam  de  jouer  un 
rôle  analogue  à celui  de  Liverpool,  du  Havre  ou  de 
Brème. 

L’hinterland  étranger  de  Rotterdam  est  la  région 
industrielle  la  plus  active  de  l’Allemagne.  Par  le  Rhin, 
Rotterdam  dessert  en  Westphalie  la  région  houillère 
et  métallurgique  de  la  Ruhr,  Dortmund,  Essen, 
Bochum,  Duisbourg,  Düsseldorf;  la  région  de  la 
Wiipper  avec  les  villes  du  coton  Barmen,  Elberfeld 
et  les  villes  du  fer  Remscheid,  Solingen,  Iserlohn; 
la  zone  de  Grefeld,  Miinchen-Gladbach,  Neuss  qui 
centralise  les  industries  de  la  soie  et  du  velours. 
Dans  la  Prusse  rhénane,  Rotterdam  est  relié  aux 
grandes  villes  et  aux  nouveaux  centres  industriels 
de  Cologne,  Deutz,  Miilheim;  dans  l’Allemagne  du 
Sud,  à Mayence,  à Francfort,  à Mannheim,  à Lud- 
wigshafen;  à Francfort,  une  des  premières  cités 
commerciales  de  l’Empire,  la  grande  place  de  banque 
et  de  bourse  dont  le  nouveau  port  accapare  les 
expéditions  vers  la  Hesse,  la  Saxe  et  l’Autriche; 
à Mannheim,  qui  au  confluent  du  Neckar  joue  vis-à-vis 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


de  Rotterdam  un  rôle  analogue  à celui  de  Ilankow 
vis-à-vis  de  Shanghaï;  à Ludwigshafen,  le  port  rival 
de  Mannheim,  devenu  un  des  ports  industriels  les  plus 
inHiortants  et  le  plus  grand  centre  de  faludcation  de 
couleurs  minérales  et  de  produits  chimiques. 

L’importance  des  relations  de  Rotterdam  avec  son 
hinterland  étranger  ressort  du  tableau  suivant  : 


Exportations  de  Hotterdam  1903  1904 


1905(1) 


l’ar  mer 
>>  voie  lliiviale 
» terre 


“2  900  000  “2  450000 

7 400  000  8 9500(M) 

90tK)  10  800 


2 890  000  tonnes. 
OOTOOtH)  » 

9 780  » 


Les  marchandises  qui  alimentent  ce  trafic  sont  les 
minerais,  les  céréales,  les  bois  et  les  pétroles.  Toutefois 
la  cale  d’un  chaland  du  Rhin  est  loin  de  présenter  Tuni- 
formité  de  (îargaison  des  péniches  des  canaux  français. 
Les  grands  SchlepphtiJine  transjtortent  de  Rotter- 
dam à Düsseldorf  et  à Mannheim  non  seulement  les 
Massenfiilter,  mais  aussi  les  Sfiickqitter,  liarils  de 
cannelle,  seaux  de  saindoux,  sacs  de  raisins,  ballots  de 
tapis,  caisses  de  pajtier,  de  savon,  saumons  d’étain,  etc. 

Le  transit  des  minerais  par  Rotterdam,  qui  en  189U 
comportait  déjà  un  mouvement  de  plus  de  1 million  de 
tonnes,  s’est  accru  sans  cesse  et  a nécessité  en  1905  le 
débarquement  de  j»rès  de  5 millions  de  tonnes,  repré- 
sentant la  charge  d’environ  500  000  wagons. 

Rotterdam  occupe  le  jiremier  rang  jianni  les  ports  de 
l’Europe  })Our  les  importations  de  minerais  de  fer. 
Riche  en  charlion,  mais  })auvre  en  minerais  et  surtout 
en  minerais  de  bonne  qualité,  car  ceux  du  Siegerland 
sont  peu  appréciés,  l’Allemagne  demande  à l’Espagne 
et  à la  Suède  le  rubio  et  le  campanil  de  Bilbao,  le  fer 


(1)  En  1905,  7“2UUO  bateaux  ont  passé  I,obith  portant  environ  UIÂKJOOO  de 
tonnes  de  marchandises.  Dans  ce  transit  colossal,  l'iotterdam  retient  pour  sa 
part  94  p.  c.  ; le  reste  va  à NituèRue,  Dordrecht,  Amsterdam. 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


133 


magnétique  de  Gellivara  et  de  Kirunavara.  L’iin})orta- 
tion  totale  des  minerais  de  fer  en  Allemagne  a été  de 

3 900  000  tonnes  en  1902  ; 

5 200000  » en  1903; 

6 080  000  » en  1905. 

La  part  de  Rotterdam  a été  respectivement  de 

2 800  000  tonnes  en  1902; 

'3  700  000  » en  1903; 

4 300000  » en  1905. 

Tandis  qu’au  milieu  du  XIX®  siècle  rimportation  des 
grains  étrangers  par  Rotterdam  était  peu  importante, 
depuis  1870  au  contraire,  elle  représente  un  mouve- 
ment considérable.  Le  grand  accroissement  de  la 
population  en  Allemagne,  passant  en  trente  ans  de 
43  à 60  millions  d’habitants,  le  développement  pro- 
digieux et  rapide  de  la  vie  industrielle,  surtout  dans 
la  région  voisine  de  la  Hollande,  forcent  l’Empire  à 
acheter  chaque  année  de  grandes  quantités  de  céréales 
à la  Russie,  aux  Etats-Unis,  à la  Roumanie,  etc.  Laie 
partie  de  ces  grains  ne  fait  que  passer  par  Rotterdam 
sans  qu’il  j soit  réellement  question  de  commerce  }iro- 
prement  dit.  Une  autre  partie  assez  iin|)ortante  est 
véritablement  négociée,' soit  qu’on  l’envoie  en  consigna- 
tion, soit  que  les  maisons  de  commerce  de  la  place 
achètent  et  revendent  le  grain  pour  leur  pro]>re 
compte. 


Hottenlam  a importé  et  exporté 

1903  1904  1905  1903  1904  1905 

Blé  I750(X)0  1.S50  000  “2  ISOœo  tonirM  5tlO()(X)  1600000  1 tXKMXMl  I. 
Orije  500  000  575  000  610t«X)  » 3(X»000  375(XH)  iiOOOO  » 

Maïs  632  000  530000  610  000  » 2SS0(K)  24HOOO  330  0IH1  » 

Avoine  35000(1  320000  870 (XX)  » 338 (XX)  3(X))H)()  587  0(K)  » 


134 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Tout  ce  iiiouveinent  de  réexjiortation  l'st  dirigé 
jiresque  exclusiveinent  vers  les  ports  du  Rhin  ; vers 
Duisliourg  et  Mannheim, 

I)e  1S90  à 1902,  l’importation  des  bois  a quintuplé. 
Elle  atteint  actuellement  2 200  000  tonnes.  Rotterdam 
exjiorte  au  moins  la  moitié  de  ces  arrivages  et  c’est 
encoi*e  vers  l’Allemagne  que  se  dirige  presque  exclusi- 
vement cette  ex])édition. 

11  en  est  de  même  du  pétrole.  Rotterdam  en  reçoit 
plus  de  .ôOOOOO  tonnes  et  }>ar  la  voie  du  Rhin  en  expé- 
die idiis  de  300  000  en  Allemagne. 

Aux  .0  millions  de  tonnes  de  minerais,  aux  3 millions 
•ôOO  000  tonnes  de  grains,  de  liois,  de  })étrole,  il  faut 
ajouter  environ  100  000  tonnes  de  nitrate,  150  000  ton- 
nes d’huiles  et  de  graines  oléagineuses,  du  coton  améri- 
cain, des  laines  australiennes,  des  fontes  anglaises,  du 
tabac,  de  la  margarine,  des  peaux,  etc.,  etc. 

Les  chitfres  suivants  permettent  d’établir  une  conqia- 
raison  entre  Roth'rdam  et  Anvers  en  ce  ([ui  concerne  le 
mouvement  des  imjiortations  de  marchandises  : 

llottenlani  Anvers 


ISiHI 

7 500  000  tonnes 

5 H(H)  000  tonnes 

11HH» 

I0  500IKKJ  » 

7 000  000  » 

l!)0“2 

lOOIMUKKI  » 

H 500  000  » 

11)04 

1-2  IKIO  fHMJ  » 

1 1 (H  10  OIM)  » 

11  faudrait  y ajouter  la  valeur  des  importations,  mais 
les  statistiipies  hollandaises  ne  publient  pas  ces  chitfres. 
Toutefois,  vu  la  nature  des  importations  d’Anvers,  où 
il  entre  beaucou}»  ))lus  de  caoutchouc,  de  coton,  de 
laines,  par  exeni]»le,  qu’à  Rottei'dam,  on  peut  athrmer 
que  la  valeur  de  la  tonne  de  marchandises  à Anvers 
est  supérieure  à celle  de  Rotterdam. 

En  somme,  n’est-ce  ]>as  en  grande  partie  à la  nature 
des  marchandises  et  à la  conqiosition  des  cargaisons 
que  la  navigation  rhénane  doit  de  vivre  et  de  pros- 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


pérer  ? L'exemple  des  États-Unis  le  prouve.  Chez 
eux  non  seulement  les  canaux,  mais  les  rivières  navi- 
gables ont  été  incapables  de  concourir  avec  les  chemins 
de  fer  pour  le  transport  des  marchandises,  sauf  le 
charbon  et  les  minerais,  et  seuls  les  grands  lacs  ont  pu 
conserver  et  développer  ce  trafic.  Pourquoi?  Près  de 
l’extrémité  orientale  de  ces  lacs  s’étend  le  grand  bassin 
houiller  des  États-Unis,  et  de  ce  côté  aussi  se  trouvent 
les  usines  et  les  grands  ports  en  communication  régu- 
lière avec  l’Euro[)e  ; autour  de  leur  extrémité  occiden- 
tale s’étendent  les  plus  riches  dépôts  de  minerais  de  fer 
du  continent,  les  mines  de  cuivre  les  plus  productives 
du  monde,  la  région  des  plaines  et  des  forêts,  grande 
productrice  de  grains  et  de  bois  de  charpente. 

Il  en  est  de  même  pour  Rotterdam  et  le  bas  Rhin  ; à 
l'est,  l’Allemagne  des  usines  et  des  houillères,  sans 
minerais,  sans  pain,  sans  nourriture  suffisante;  à 
l’ouest,  la  mer  avec  les  grands  cargo-boats  chargés  de 
grains,  de  minerais,  de  nitrate,  de  bois,  etc. 


II.  Exportations 

Rotterdam  sera  d’autant  plus  important  comme  place 
d’exportation  que  son  hinterland  sera  mieux  desservi 
par  des  voies  de  coniniunication  nombreuses,  éten- 
dues et  variées.  Ces  voies  sont  d’autant  plus  néces- 
saires que  l’abaissement  du  coût  de  transport  constitue 
en  fin  de  compte  le  seul  moyen  de  diminuer  les  frais  de 
production.  Il  faut  que  fieuves,  canaux,  chemins  de 
fer  et  leurs  raccordements  traversent  l’arrière-pays 
en  tous  sens  et  que  le  réseau  de  leurs  ramifications  et 
de  leurs  emliranchements  relie  tous  les  centres  pro- 
ducteurs au  port  de  sortie. 

New-York  n’a-t-il  pas  dû  longtemps  sa  pré]>ondé- 
rance  dans  l’exportation  des  grains  à son  réseau  de 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


i;^() 

voies  (le  coiniiiimicationMTrâce  au  canal  de  l’P]rié,  le 
maïs  et  le  froment  de  rillinois,  de  rindiana  étaient 
dirigés  sur  le  port  de  riliidson.  Mais  ])endant  les  vingt 
dernières  années,  rexjiortation  du  maïs  par  New- 
^’ork  n’a  augmenté  ipie  de  oO  000  000  de  bushels, 
tandis  (pie  le  groujie  Boston,  Philadelphie,  Balti- 
more, New-()rk’'ans  a vu  ses  exj)ortations  croître  de 
005  000  000  de  Iioisseaux.  Le  motif?  f.a  politique  des 
compagnies  de  chemins  de  fer  qui,  après  une  longue 
guerre  de  tarifs,  se  sont  entendues,  en  1882,  pour  éta- 
blir un  fret  uniforme  dejiuis  le  centre  ju’oducteur  de 
l’ouest  américain  jusqu'en  Europe  ([uel  ([ue  soit  le  port 
(rembar([uement.  Mais,  comme  cà  New-York  les  frets 
maritiiiK'S  sont  toujours  }tlus  lias  que  dans  les  ports  voi- 
sins, les  compagnies  ont,  pour  compenser  cette  réduc- 
tion, ('levé  le  prix  du  transport  sur  rails.  Ainsi  ICX)  kilo- 
grammes de  l)lé  pavaient  encore,  en  1903,  3 ou  4 cents 
de  ]dus  dePhicago  à New-York  que  de  Cdiicago  à Phila- 
deljdne  ou  à Baltimore.  Si  le  canal  de  l’Ei-ié  était  encore 
à même  de  lutter  contre  les  compagnies  de  chemins  de 
ter,  ce  tarif  handica])  n’aurait  }>as  ralenti  dans  les 
mêmes  proportions  le  mouvement  d’ex])ortation  du 
])ort  de  New-York. 

Rotterdam,  malgré  la  concurrence  acharnée  des 
('hemins  de  fer  ra})pelée  })his  haut,  est  certes  de  tous 
les  poids  de  l’Europe  un  des  plus  favorisés  dans  les 
communications  avec  son  hinterland.  Du  «rand-duché 
de  Bade,  du  AVurtemberg  et  de  la  Franconie,  les 
allèges  via  Mannheim  et  Mayence  atteindront  Rot- 
terdam en  accejdant  même  un  fr(>t  inférieur  à celui 
d’Anvers,  vu  la  certitude  du  fret  de  l'etour.  De  Stras- 
bourg au  Nieuwe  AYaterwt^g  s’ouvre  un  magnifique 
chenal  de  700  kilomètres,  le  long  duquel  sont  éche- 
lonnés environ  soixante-dix  ports.  A nous  en  tenir  aux 
dix  poids  rlnhians  prussiens  et  aux  dix  aniKms  de  1891  à 
1903,  le  total  de  leur  tonnage  jiasse  de  9 891  000  tonnes 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


137 


à 18  992  000,  soit  une  augmentation  de  92  p.  c.  En 
étendue,  les  bassins  de  Duisbourg-Ruhrort  (113  hec- 
tares) contiendraient  près  de  deux  fois  ceux  d’Anvers 
(61  hectares).  Les  surfaces  d’eau  de  Mannheim-Lud- 
wigshafen  (280  hectares)  dépassent  de  loin  celles  de 
• Rotterdam  et  couvrent  près  de  deux  fois  celles  de 
Marseille  (150  hectares).  Par  la  nature  des  marchan- 
dises, leur  outillage,  leurs  grues,  leurs  voies  ferrées, 
leurs  hangars  et  leurs  larges  entrepôts,  les  ports  rhé- 
nans sont  de  vrais  ports  de  mer. 

Si  le  fret  fluvial  ou  le  coût  de  transport  par  chemin 
de  fer  peut  reculer  ou  rapprocher  les  limites  de  l’hin- 
terland,  les  frais  de  mise  en  cale  viennent  ajouter  leur 
influence  à celle  du  premier  facteur  dans  la  détermina- 
tion de  ces  limites. 

Dans  un  port  bien  outillé,  les  opérations  de  charge- 
ment s’eflectueront  facilement  et  à bon  compte,  ou 'du 
moins  leur  rapidité  compensera  par  la  diminution  des 
frais  de  séjour  les  prix  élevés  d’une  main-d’œuvre 
hal}ile  et  exigeante.  Â’os  navires  à fort  tonnage  repré- 
sentent un  capital  considérable,  aussi  la  condition  de 
rapidité  est-elle  pour  eux  une  condition  primordiale; 
seuls,  le  nombre  et  la  fréquence  des  vo\’ages  peuvent 
compenser  l’abaissement  du  taux  des  frets.  Forcer  un 
grand  navire  à rester  inactif  au  milieu  du  port  parce 
que  tous  les  emplacements  pour  le  chargement  sont 
pris,  c’est  causer  à l’armateur  des  pertes  qui  exerce- 
ront sur  le  port  une  influence  déplorable.  Chaque 
heure  de  retard  est  un  dommage  : perte  d’intérêts,  de 
salaires,  d’approvisionnements,  dépense  inutile  de 
charl)on  sans  la  moindre  compensation.  « It  is  dispatch 
more  than  anjthing  else  that  we  want,  owing  to  the 
increasing  value  of  the  ships  we  employ  »,  déclara  sir 
Edwjm  Dawes,  directeur  de  la  British  India,  à la  com- 
mission d’enquête  du  port  de  Londres. 

Ainsi  Tchifou,  de  par  sa  position  géographique  à 


138 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l’entrée  du  ^olfe  du  Peteliili,  est  à iiiêine  de  coininan- 
der  un  ”rand  coininerce  d’exportation.  Mais  les  expé- 
ditions de  soie  sauvag'e  et  de  paille  tressée  de  la  Chine 
septentrionale  ([u’il  monopolisait  ont  été  détournées 
depuis  (pielques  années  vers  Tsintau,  le  nouveau  port 
allemand  de  la  baie  de  Kiaocliéo.  C’est  que  Tchifou,  à 
cause  de  l’incurie  de  l’administration  chinoise,  est  dans 
un  état  lamentable.  Exposé  aux  bourrasques  du  vent 
du  nord,  il  n’offre  aux  navires  ni  abri,  ni  môles,  ni 
quais  d’accostage.  Durant  la  mauvaise  saison,  les  opé- 
rations de  chargement  sont  interrompues  deux  jours 
sur  trois.  A Tsintau,  au  contraire,  la  baie  est  spa- 
cieuse, et  protégée  }>ar  un  immense  brise-lames  et  une 
chaîne  de  montagnes  qui  l’fmtoure  en  demi-cercle.  Par 
une  j)rofondeur  de  10  mètres  à marée  basse,  les  navires 
accostent  à deux  môles  de  700  mètres  de  long  et 
100  mètres  de  large,  sur  lesquels  les  grues  et  les 
wagons  enlèvent  et  transportent  les  marchandises. 

Rotterdam  a sur  Anvers  l’immense  avantage  de 
liassins  ouverts,  permettant  aux  vapeurs  de  quitter  le 
]K)rt  à toute  heure  du  jour  et  de  la  nuit.  A Anvers,  que 
de  temps  perdu  à cause  de  l’insuffisance  des  écluses! 
Si,  comme  à Bremerhaven  ou  à Liverpool,  chacun  des 
docks  ou  chaque  groupe  de  docks  communiquait  avec 
le  fleuve,  le  retard  se  réduirait  à peu  de  chose,  mais 
la  disposition  des  bassins  est  telle  que  les  navires,  à 
cause  des  multiples,  lentes  et  jiérilleuses  évolutions 
dans  des  bassins  tous  fort  étroits  et  toujours  encombrés, 
subissent  au  départ  comme  à l’arrivée  des  pertes  de 
temps  considéraliles. 

Rotterdam  jouit  aussi  chez  les  armateurs  d’une 
meilleure  réputation  qu’Anvers  dans  la  ([uestion  des 
frais  de  port,  mais  Anvers  reprend  l’avantage  dans 
l’outillage.  Si  pour  le  déchargement  de  cargaisons 
uniformes,  l’ancrage  aux  ducs  d’Allie  et  le  déversement 
des  grains,  des  minerais  ou  du  charbon  dans  les  écou- 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


139 


tilles  béantes  des  allèges  sont  la  voie  la  pins  expéditive  et 
la  moins  chère,  pour  le  chargement  au  contraire  l’ac- 
costage à quai  est  supérieur  à cause  de  la  proximité 
des  hangars  et  des  voies  ferrées.  Sauf  les  exceptions 
comme  Cardiff,  Bilbao  et  Odessa,  par  exemple,  la  car- 
gaison d’un  navire  dans  nos  grands  ports  européens 
comprend  des  marchandises  de  nature  et  de  destination 
très  variées.  De  là,  la  nécessité  du  triage  qui  se  fait 
facilement  à quai  sous  les  hangars,  mais  qui  n’est  guère 
possible  sur  le  pont  du  navire  quand  les  mâts  de  charge 
puisent  dans  les  cales  des  chalands  amarrés  à bâbord  et 
à tribord.  Rotterdam  ne  peut,  comme  Anvers,  offrir 
5,5  kilomètres  de  quais  parfaitement  outillés  et  direc- 
tement accostables  aux  vapeurs  de  fort  tirant  d’eau  : 
ou  bien  l’outillage  fait  défaut,  ou  bien  les  profondeurs 
sont  insuffisantes. 

Au  fret  fluvial,  aux  frais  de  mise  en  cale  s’ajoute 
enfin  le  fret  maritime.  Soumis  à toutes  les  fluctuations 
de  la  loi  de  l’offre  et  de  la  demande,  exposé  aux 
brusques  élévations  des  syndicats,  il  enlève  toute  fixité 
aux  frontières  qui  d’après  la  géographie  délimiteraient 
l’hinterland  d’un  port  de  sortie.  Pendant  la  lutte  enga- 
gée entre  les  Compagnies  de  navigation  qui  relient 
Anvers  aux  ports  du  Levant,  n’a-t-on  pas  vu  des  mar- 
chandises de  Lille  gagner  Anvers  par  l’Escaut  et  les 
canaux  pour  profiter  des  frets  avantageux  que  Dun- 
kerque ne  pouvait  leur  offrir?  La  lutte  acharnée  que  se 
sont  livrée  à Anvers  la  Peninsular  and  Oriental  et  la 
Ilansa  pour  le  service  des  Indes,  a amené  les  mêmes 
détournements  de  trafic.  En  général,  plus  les  lignes  qui 
desservent  un  port  sont  nombreuses,  plus  les  frets  ont 
chance  de  baisser,  et  ce  qui  attire  les  navires  et  les 
Compagnies  dans  un  port  c’est  la  marchandise.  Autre- 
fois cette  assurance  du  fret  de  retour  était  beaucoup 
moins  importante  : les  prix  de  transport  étaient  plus 
rémunérateurs,  les  frais  de  voyage  et  de  séjour  beau- 


MO 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


coup  moindres.  Avant  le  percement  de  l’isthme  de 
Suez,  par  exemple,  un  voyage  de  Batavia  à Rotterdam 
durait  facilement  quatre  mois;  souvent  les  bénéfices 
étaient  si  gros  qu’ajirès  deux  ou  trois  voyages  les  frais 
de  construction  du  navire  étaient  couverts.  Il  était  donc 
alors  indifiérent  que  le  voilier  ou  le  vapeur  dût  attendre 
longtemps  dans  un  port  avant  d’y  trouver  un  fret  de 
retour,  ou  fût  obligé  d’aller  sur  lest  chercher  ailleurs 
une  cargaison. 

Wagons  et  flottilles  doivent  donc  rabattre  sur  les 
([liais  un  fret  de  retour  abondant  et  varié  : - fret 
aliondant,  vu  les  dimensions  des  vajieurs  actuels, 
fret  varié,  car  c’est  là  une  condition  capitale  pour  la 
prospérité  d’un  port.  Pour  réaliser,  en  effet,  une 
cargaison  avantageuse,  l’armateur  doit  la  composer  de 
marchandises  de  [loids  cubant  un  faible  volume  et  de 
marchandises  légères  mais  encombrantes.  C’est  ainsi 
que  dans  un  navire  de  1000  tonnes,  il  pourra  trans- 
porter 6000  tonnes  de  fret  dont  6000  de  lourd,  cubant 
1000  mètres  et  3000  de  léger.  Les  frais  de  voyage, 
répartis  sur  6000  tonnes  au  lieu  de  l’être  sur  4000, 
s’abaissent  de  33  j).  c. 

Mais  à son  tour,  le  nomlire  et  la  variété  des  lignes 
de  navigation  attirent  la  marchandise.  Que  de  fois  ne 
voit-on  pas  à Anvers  des  navires  anglais  ou  alle- 
mands embarquer  pour  l’Extrême-Orient,  les  Etats- 
Unis,  l’Australie,  rAinérique  du  Sud,  des  articles  et 
des  produits  français  ! iVnvers  ayant  des  départs 
fréquents  pour  tous  les  points  importants  du  globe, 
les  industriels  et  les  commerçants  français  adres- 
sent, par  wagon  complet,  la  totalité  de  leurs  envois 
à leurs  correspondants  en  cette  ville,  et  ceux-ci, 
après  triage,  opèrent  les  chargements  pour  les  diffé- 
rentes destinations.  De  là,  économie  de  temps;  de  là 
aussi  des  frais  moindres  ([ue  si  l’on  devait  diriger  ces 
colis  sur  Marseille  pour  l’Extrême-f  trient,  sur  le  Havre 


LE  PORT  DE  R(JTTERDAM 


141 


pour  les  États-Unis,  sur  Saint-Nazaire  pour  le  Mexique 
et  sur  Bordeaux  pour  l’Amérique  du  Sud. 

Il  y a quelques  années  encore,  Rotterdam  ne  présen- 
tait que  fort  peu  de  fret  à la  sortie.  La  situation  s’est 
améliorée  depuis,  quoique  Anvers  sous  ce  rapport 
dépasse  le  port  hollandais.  Mais  si  le  mouvement  des 
exportations  est  devenu  plus  important,  Rotterdam  le 
doit  non  à l’activité  de  son  hinterland  national,  mais  à 
l’essor  merveilleux  des  industries  de  son  hinterland 
rhénan-westphalien.  Que  lui  fournit  l’agriculture  ou 
l’industrie  hollandaises?  Si  nous  consultons  les  statis- 
tiques, nous  voyons  figurer'  parmi  les  exportations 
do  Rotterdam  des  pommes  de  terre,  des  fruits,  des 
légumes  frais;  des  fromages,  du  beurre,  de  la  marga- 
rine, du  sucre,  des  spiritueux,  des  harengs,  de  la 
tourbe.  La  nature  et  la  quantité  de  ces  marchandises 
sont  telles  que  les  navires  ne  peuvent  trouver  à Rotter- 
dam un  vrai  chargement  de  retour.  Les  marchandises 
lourdes,  les  fers,  les  fontes,  les  tôles,  les  rails,  le  ciment 
etc.,  indispensables  à la  bonne  économie  des  car- 
gaisons, riiinterland  national  de  Rotterdam  ne  peut 
les  fournir.  Mais  à l’est  des  prairies  et  des  villes  pai- 
sibles de  la  Hollande,  s’élèvent  et  se  pressent  les  chemi- 
nées et  les  centres  industriels  de  la  M'estphalie.  Si  la 
Loire  et  le  Danube  procurent  à Nantes  et  à Sulina  une 
situation  géographique  fort  enviable,  cependant  ni  les 
conditions  de  navigabilité  des  cours  d’eau,  ni  la  richesse 
des  paj's  traversés,  ni  l’activité  industrielle  des  po})ula- 
tions  ne  donnent  à ces  deux  artères  la  vie,  la  valeur  et 
l’importance  de  la  vallée  du  Rhin.  De  Bâle  à Düsseldorf 
et  Ruhrort,  sans  s’éloigner  beaucoup  des  rives  du 
fleuve,  le  voyageur  rencontre  des  hauts-fourneaux,  des 
aciéries,  des  ateliers  de  construction,  des  filatures,  des 
fabriques  de  ciment,  des  houillères,  des  fabriques  de 
céramique  et  de  porcelaine,  les  plus  grandes  fabriques 
de  couleurs  minérales,  etc.  Jusqu’à  présent  cependant. 


l\2 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Anvers  plus  que  Rotterdam  est  le  ])ort  de  sortie  des 
produits  de  la  vallée  du  Rhin.  Apjmjé  sur  la  Belgique 
industrielle,  sur  la  France  du  Nord,  Anvers  a toujours 
possédé  un  coininerce  d’exportation  qui  n’était  jias 
entièrement  dépendant  de  la  prospérité  du  trafic 
rhénan.  Grand  port  de  commerce  plusieurs  années 
avant  Rotterdam,  Anvers  a depuis  longtemps  la  clien- 
tèle des  lignes  de  navigation.  Aucun  port  du  monde, 
sauf  Hambourg,  n’est  comme  Anvers  relié  par  des 
services  directs  et  réguliers  à tous  les  ]>ays  du  globe. 
Or,  avons-nous  vu,  les  Compagnies  de  navigation 
nombreuses  et  régulières  attirent  la  marchandise. 
Arrivé  tard,  Rotterdam  pour  se  développer  doit  détour- 
ner le  courant  commercial  qui  favorise  Anvers.  En 
outre,  une  partie  de  l’Allemagne  eni})loie  déjà  Emden 
de  préférence  à Rotterdam  (i). 

Les  chitires  suivants  reflètent  clairement  la  situation 
de  Rotterdam. 

Les  marchandises  déclarées  à la  douane  comme  étant 


(I)  Le  gouvernement  allemand  a dépensé  80  millions  de  marks  pour  le  ranal 
de  Dortmund  à l’Ems  et  environ  10  millions  pour  ramélioration  il’Enulen.  De 
1891  à 1899  fut  achevé  le  nouveau  port  intérieur  dans  lequel  débouche  le  canal. 
La  superlicie  du  port  est  d’environ  25  hectares.  Les  navires  de  6 mètres  de 
tirant  d’eau  y trouvent  d’excellents  mouillages  pour  le  transbordement  direct 
en  bateau  de  canal  et  un  développement  sulLisant  de  quais  pour  le  transborde- 
ment sur  wagons  au  moyen  de  grues  électriques  d’une  force  allant  jusqu’.à 
10  tonnes.  Les  dimensions  croissantes  des  navires  exigèrent  l’achèvement  du 
port  intérieur  (1899-1901).  Il  présente  jusqu’à  la  naissance  des  môles  d’entrée 
une  superficie  de  17  hectares  et  demi  et  offre  des  emplacements  pour  dix  à 
quatorze  grands  navires.  Sa  profondeur  est  de  11'“, 50.  Rien  ne  manque  à son 
outillage  : grues  électriques  de  la  force  de  40  tonnes,  déchargeurs  et  culbu- 
teurs pour  le  déchargement  direct  du  charbon  dans  les  navires  de  mer,  ponts- 
transbordeurs  pour  le  chargement  et  le  déchargement  des  minerais, 
12  OOt)  mètres  carrés  de  hangars  etc.  Pour  la  facilité  du  trafic,  tout  le  port 
extérieur  a été  déclaré  district  franc. 

Rien  que  le  port  extérieur  n’ait  été  ouvert  qu’en  1901  seulement,  le  trafic 
s’y  est  développé  de  telle  sorte  que  l’on  doit  songer  à de  nouveaux  agrandis- 
sements. On  s’est  décidé  pour  la  création  de  docks  séparés  de  l’Ems  par  une 
écluse  maritime. 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


143 


venues  de  Rotterdam  à la  frontière  allemande  par  la 
voie  du  Rhin  et  qui  ont  été  exportées  par  la  même 
voie  en  Allemagne,  re})résentaient  : 

en  1901  1904  1905 

6 860  000  tonnes  8 950  000  9 670  000 

Par  contre,  les  marchandises  exportées  d’Allc^fiagne 
par  la  voie  du  Rhin  et  déclarées  à destination  de  Rot- 
terdam, s’élevaient,  en  1901,  à 875  000  tonnes,  et  à 
2 500  000  en  1905. 

Ges  marchandises  comprennent  surtout  : charbon, 
1 400  000  tonnes  ; fer  ouvré,  418  000;  argile,  sable, 
255  000;  pierres,  160  000;  ciment,  60  000;  fonte, 
58  000;  engrais,  22  000;  verre,  14  000. 

Cette  insuffisance  de  fret  de  retour,  Rotterdam  en 
triomphera  assez  facilement  car  le  mouvement  de 
navigation  sur  le  Rhin  prendra  un  développement 
toujours  plus  grand.  La  commission  chargée  d’assurer 
la  navigabilité  du  fleuve  consacre  chaque  année  des 
sommes  considérables  au  dragage,  à l’enlèvement  des 
blocs  de  rochers  qui  encomlu’ent  le  lit  et  à la  réfection 
des  rives.  D’autre  part,  les  villes  situées  des  deux 
côtés  du  grand  cours  d’eau  font  exécuter  des  travaux 
importants  en  vue  de  profiter  davantage  de  cette  voie 
de  transport.  La  ville  de  Düsseldorf  est  en  train 
d’agrandir  son  port  par  la  construction  d’un  nouveau 
bassin  et  par  de  nouvelles  installations  pour  lesquelles 
on  a déjà  voté  plus  de  7 000  000  de  marks.  Cologne 
aussi  construit  un  nouveau  port,  sur  la  rive  droite,  à 
Deutz.  Cologne  vient  de  racheter  à l’Etat,  mojmnnant 
25  500  000  marks,  les  anciennes  fortifications  qui 
empêchent  son  extension.  Les  remparts  démolis,  on 
compte  ériger  à leur  place  des  constructions  desti- 
nées à augmenter  le  trafic  fluvial.  Les  comj^agnies 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


1 i i 


houillères  de  leur  coté  font  construire  pour  leur  usage 
(les  ports  particuliers.  Ainsi  la  Comjiagnie  Deutscher 
Kaiser  possède  près  de  Schwelgern  un  port  de  déhar- 
({ueinent  et  d’einbarcjuement  qu’elle  agrandit  par  de 
nouvelles  constructions  à Alsuni.  La  Société  Rhein- 
])reussen  a coniinencé  en  face  de  Ruhrort  un  grand 
})ort  })Oui‘  le  chargement  de  ses  charbons,  et  la  Gute- 
hotfnungshiitte  vient  d’inaugurer  son  nouveau  port 
de  Walsuin.  Cette  société,  dont  les  houillères  et  les 
usines  sont  éloignées  du  Rhin  de  iO  kilomètres  envi- 
ron, n’était  reliée  au  Heuve  que  par  le  chemin  de  fer 
de  l’Etat,  qui,  faute  de  wagons,  se  trouvait  souvent  dans 
l’impossibilité  de  transporter  régulièrement  ses  pro- 
duits jusqu’aux  })orts  de  Ruhrort-Duisbourg.  Elle  a 
remédié  à cet  inconvénient  en  créant  })our  son 
propre  comjde  une  voie  ferrée  et  un  em})lacement  de 
120  mètres  de  long  sur  00  de  large  au  bord  du  Rhin 
})Our  rembarquement  de  ses  produits  métallurgiques 
et  le  débarquement  des  minerais.  L’ensemble  de  ces 
travaux  a coûté  5 000  000  de  marks. 

Anvers  et  Rotterdam  expédient-ils  plus  de  marchan- 
dises allemandes  que  Brême  et  Hambourg?  D’aucuns 
le  prétendent,  mais  les  avantages  de  leur  positi(3u  géo- 
graphique et  de  leur  outillage  expliquent  les  regards 
d’envie  qu’on  lance  de  Berlin  sur  les  deux  métropoles. 
Car,  en  somme,  n’est-ce  pas  l’Allemagne  qui  a fait  la 
foidune  de  Rotterdam?  Ne  sont-ce  pas  les  travaux  des 
ingénieurs  allemands  qui  ont  régularisé,  ajiprofondi 
le  Rhin?  Ne  sont-ce  pas  les  industriels  allemands  qui 
alimentent  le  commerce  d’exportation  de  Rotterdam? 
Les  deux  tiers  du  commerce  d’importation  ne  sont-ils 
pas  destinés  aux  populations  et  aux  usines  allemandes? 
N’est-ce  pas  le  pavillon  allemand  qui,  à Rotterdam 
comme  à Anvers,  se  place  au  second  rang,  malgré 
l’existence  d’une  flotte  marchande  liollandaise.  Sur 


LE  PORT  DE  ROTTERDAM 


145 


les  8138  navires  de  mer  entrés  en  1905,  1754  sont 
allemands  (1),  3011  anglais  et  1500  hollandais. 

C’est  ainsi  qu’une  étude  sur  les  fonctions  écono- 
miques des  ports  peut  aussi  projeter  un  certain  jour 
sur  des  questions  politiques  connexes;  n’est-ce  pas 
d’ailleurs  l’économie  qui  chaque  jour  davantage  oriente 
et  rap})roche  la  politique  et  la  géographie? 

J.  Charles,  S.  J., 

l'rofesseur  à rinstilut  Saint-Ignace, 
Anvers. 


(1)  Si  l’on  ajoute  à ces  IToi  navires  entrés  dans  le  port  par  mer,  les 
ÜOd  bateaux  de  rivière  battant  aussi  pavillon  allemand,  on  compte 
"lî)  751  navires  allemands  ayant  visité  lîotterdam  en  191)5. 


IIP  SÉRIE.  T.  Xll 


lu 


XI 


Li:  iMiirr  m cêxks  ai  aiovex  \(.e 


Il  y a un  intérêt  spécial  à examiner,  fût-ce  briève- 
ment, le  port  de  (fênes,  puisqu’au  parfum  (rarchaïsme 
qui  charme  toujours  dans  l’étude  d’un  monde  passé, 
s’allie  ici  l’intérêt  d’actualité  d’une  histoire  qui  se  recom- 
mence. Cette  enquête  nous  dira  peut-être  le  secret 
de  cette  j)érennité  de  (fênes,  de  la  ])ros})érité  qui  attend 
la  métropole  méditerranéenne,  active  et  vivace  encore, 
(d  dont  la  décadence  n’a  été  qu’un  sommeil  plusieurs 
fois  séculaire. 

Si  de  nos  jours  elle  semble  ap])elée  à des  destinées 
nouvelles,  c’est  ([u’aux  avanta^vs  naturels  qui  font  que 
de  tous  les  teni})s  elle  s’est  sentie  vouée  à l’empire  de  la 
iiiei',  les  hommes  ont  ajouté  les  facilités  modernes  des 
j)assages  subalpins  : le  })ercement  du  Mont  Cenis  a pré- 
cédé l’essor  commercial  de  (fênes,  le  Saint-(fothard  a 
lixé  son  pk'in  é})anouissement  et  le  tunnel  du  Simplon 
}tromet  d’attirer  vers  elle  le  trafic  ({ui,  de  jtlus  en  plus, 
déserte  les  ])orts  français.  Au  moyen  Age,  sa  seule 
situation  l’avait  mise  tout  d’al)ord  au  rang  des  plus 
grands  ports  du  monde.  Mais  aussi  quels  avantages 
sans  nombre  lui  assurait-elle!  Point  le  ])his  septentrio- 
nal de  ce  golfe  que  la  Méditerranée  })roJette  vers  la 
[)laine  lombarde  où  l’océan  et  la  montagne  voisinent 
sous  le  ciel  du  Midi,  (fênes  était  à proprement  parler  au 
centre  du  momie  chrétien.  Au  I)ord  de  cette  Méditerra- 
née qui  a vu  briller  et  s’éteindre  tour  à tour  tant  de 
eivilisations  riveraines  et  qui  fut  le  grand  véhicule  du 
comm('rc(‘  et  des  idées,  (fênes  ville  maritime  occupait 


147 


LE  PORT  DE  OÊXES  AU  MOYEN  AGE 

la  môiiie  latitude  que  maintes  villes  continentales  (Flta- 
lie  ou  de  Provence. 

Les  pêcheurs  et  les  premiers  navigateurs  lui  avaient 
d’abord  su  gré  d’oflidr  aux  voyageurs,  dans  cette  anse 
formée  par  deux  promontoires,  un  ancrage  facile,  une 
mer  profonde,  un  al)ri  contre  tous  les  vents  sauf  contre 
celui  du  sud-ouest.  Puis  plus  tard,  })ortant  plus  loin  leurs 
convoitises,  les  Ligures  avaient,  dit-on,  consacré  aux 
dieux  ces  passages  des  Ajænnins  dont  le  })lus  accessil)le, 
le  col  de  Giovi,  allait  les  mettre  en  pleine  comnnmica- 
tion  avec  les  étendues  énormes  de  la  Lombardie  et  tlu 
Piémont,  cet  hinterland  naturel. 

Cette  « rivière  » étroite  resserrée  entre  rA})ennin  et 
la  mer,  entre  la  montagne  aride  et  la  mer  infertile,  suf- 
lisait  à peine  à nourrir  ce  peuj)le  énerghjue  de  Ligures 
dont  la  situation  précaire  déterminera  dès  le  début  la 
vocation  maritime.  Forcés  d’aller  chercher  leur  sub- 
sistance dans  des  mers,  et  des  mers  lointaines,  ils  se 
sentiront  bientôt  entraînés  dans  la  voie  des  ex})éditions 
de  pêche,  des  voyages  de  commerce  et  des  rêves  de 
conquêtes.  Doués  du  sens  des  réalités  pratiques  qui  ne 
les  al)andonne  jamais,  ils  auront  vite  compris  que  chas- 
sés de  leurs  foyers  ils  ])0uvaient,  de  ces  ])érégrinations, 
tirer  tout  le  parti  possible  : navigateurs  par  nécessité, 
leur  nature  âpre  au  gain  en  fera  des  marchands  heu- 
reux, des  hommes  d’ai'gent,  hnalement  des  banquiers. 
D’une  hardiesse  et  d’une  initiative  sans  limites,  ils  iront 
Jusqu’aux  contins  de  l’univers  connu  : leurs  ])('tits  et 
solides  bateaux  se  montreront  dans  toutes  les  eaux  où 
se  pratique  la  navigation  d’alors.  Les  marins  génois 
appréciés  de  tout  le  monde  formeront  les  équipages  des 
grandes  escadres  du  temps  : au  XH*"  siècle  les  Portu- 
gais, conquérants  de  la  mer  pourtant,  confieront  la 
charge  héréditaire  d’amiral  au  Génois  Pézagno  et  le 
commandement  de  leurs  navires  à ses  coni])atriotes. 
Leur  esprit  d’aventures  les  lancera  à la  recherche  de 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l'kS 

territoires  nouveaux,  et  ce  sont  lûen  des  fils  de  (xênes 
qu('  ces  « pêcheurs  de  Gloire  »,  tioraison  dernière  du 
caractère  génois,  Lancelot  Maloisel  (1),  Sébastien 
Gal)ot  (*^),  Christophe  Colond)  qui,  jiour  le  compte 
d’autres  nations,  augmentèrent  si  largement  à la  fin  du 
moyen  âge  le  chamj)  des  découvertes  géographiques. 
Cette  idée  se  confirme  si  on  la  ra})j)roche  de  ce  fait  que, 
de  nos  Jours,  ce  sont  des  marins  génois  qui  monopo- 
lisent la  navigation  dans  les  fieuves  de  rAméri([ue  du 
Sud  à qui  leur  })i‘ovince  envoie  chaipie  année  le  })lus 
grand  noml)re  d’émigrants. 

Leu  sensililes  aux  renommées  stériles,  les  Génois, 
gens  })ositifs,  organisaient  leurs  conquêtes,  et  de  leurs 
multii)les  acipiisitions  retiraient  encore  plus  de  profit 
({lie  de  gloire.  Leur  initiative,  toujours  en  éveil,  avait 
fait  de  la  Junua  romaine,  X Enipo)‘iiun  totius  Liiju- 
ria<\  Plus  tard,  au  moment  des  Croisades,  les  Génois 
{trirent  {)ai‘t  à l’exode  chrétien,  dont,  en  dernière 
anapse,  ils  furent  les  seuls  avec  les  A'énitiens  à 
l'etirer  tous  les  liénéfices.  Cette  chevauchée  éjûque, 
se{)t  fois  renouvelée  vers  la  Syrie,  donna  une  oiâenta- 
tion  décisive  au  {»ort  de  (fênes. 

La  Ré{)ul)lique  met  ses  vaisseaux  à la  dis{)Osition  des 
(iroisés,  transporte  les  {(èlerins,  prête  l’argent  aux 
ju’inces,  arme  des  mercenaires  contre  lieaiix  écus  son- 
nants et  octroi  de  la  lilierté  conqdète  du  commerce 
dans  les  {lays  dont  ils  s’empareraient.  Leurs  machines 
de  guerre,  puissantes,  font  merveille  au  siège  de  Jéru- 
salem, leur  flotte  aide  à conquérir  les  {(laces  fortes 
ccètières,  ils  sont  à la  fois  les  vivandiers  et  les  ingé- 
nieurs de  l’armée,  l’équijiage  et  le  train.  En  échange, 
ils  re(X)ivent  à Acre,  à Gilielet,  à Jérusalem,  à Jafia,  à 


(1)  I.ancelot  Maloisel,  Génois  de  famille  française,  découvrit  à la  (in  du 
XI IF  siècle  les  iles  Canaries. 

(:2)  Sébastien  Cabot  découvrit,  en  1 W7,  Terre-Neuve  et  les  côtes  de  la  Nou- 
velle France  ; d’.Vvezac  a démontré  son  origine  génoise. 


LE  PORT  DE  GENES  AF  MOYEN  AGE 


149 


Antioche,  d’importants  quartiers  {^rufia  ou  cicus)  com- 
prenant des  maisons  de  commerce,  des  ateliers,  un  fon- 
daco  ou  entrepôt,  parfois  une  ville  entière.  Ils  sont 
exemptés  de  tout  droit  d’entrée  et  de  sortie,  de  droits 
d’accise  et  jouissent  d’une  juridiction  particulière  et 
nationale  (1).  Dès  1190,  ils  possèdent  un  consul  géné- 
ral ou  «’ouverneur  en  Syrie.  Ils  sont,  dès  lors,  en  rela- 
lions  suivies  avec  les  musulmans  avec  qui  ils  pratiquent 
sur  une  grande  échelle  le  commerce  d’échange.  De  ces 
rapports  avec  les  Asiatiques,  ils  conservent  des  notions 
sur  l’Orient  et  c’est  de  ce  côté  que  se  dirigera  doréna- 
vant, d’une  façon  continue,  leur  activité  économique. 
Ils  ne  s’arrêtent  point  à la  Syrie,  et  tandis  que  vers 
l’ouest  ils  ont  obtenu  des  ])rivilèges  au  Maroc  (1087)  et 
des  succès  en  Espagne  (Minorque),  ils  enlèvent  en  Asie 
Mineure  successivement  les  îles  de  Lesbos,  de  Ghio, 
le  territoire  de  l’ancienne  Phocée;  ils  s’établissent  en 
Th  race  et  à Chypre.  Dans  toutes  ces  contrées,  les  patri- 
ciens génois  tendent  à érigei'  autant  de  domaines  héré- 
ditaires et  autant  de  centres  de  rayonnement  de  la  puis- 
sance génoise.  Non  contents  de  dépouiller  l’Empire  de 
ses  colonies  extrêmes,  ils  s’étaldissent  en  Anatolie 
(Amasra),  prennent  aux  empereurs  de  Trébizonde, 
Ivaffa  en  Crimée,  Tana  sur  le  Don,  Balaklava  dont  ils 
font  une  ville  européenne  (2).  Ils  prennent  pied  jiartout 
et  les  patrices  de  Byzance  ne  peuvent  même  plus  fixer 
librement  leurs  regards  sur  la  Corne  d’or  où  les  Génois 
se  sont  emparés  des  faubourgs  de  Péra  et  de  Galata 
dont  ils  ont  fait  des  villes  fortifiées.  Partout  à travers 
les  mers,  les  Génois  ont,  depuis  l’Italie,  étaldi  un  véri- 
table chemin  de  ronde  entre  le  monde  chrétien  et  le 
monde  asiatique  et  jusqu’aux  vallées  du  Caucase  où  les 


(1)  Voir  \V.  Heyd,  Histoire  du  Commerce  du  Levant  au  moijen  â(je.  Leip- 
zig. I88(t. 

C2)  W.  Heyd,  Histoire  du  Commerce  du  Levant  au  moijen  âv/e.  Leipzig, 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


lôO 

liaut('s  tours,  sur  lesquelles  Hotte'  rétendard  à la  croix 
génoise,  coiiiinaiideiit  les  routes  de  l’Asie  (T'utrale  l)or- 
dées  de  leurs  caravansérails.  Devenus  redoutables  aux 
dvnastes  byzantins,  les  (iénois  traitent  sur  un  ]tied 
d'égalité  avec  les  sultans  d’Asie  et  possèdent  virtnelle- 
inent  le  monopole  du  commerce  dans  la  mer  Noire. 
C’est  ainsi,  vers  le  XllD  siècle,  que  se  dessine  nettement 
la  Ibnction  du  ]iort  de  (tènes.  A coté  de  ^’enise  il  sera  le 
marché,  jdus  encore  l’entrepôt  de  l’Orient  en  Europe. 
Elus  que  son  concurrent,  il  sera  nn  puissant  ])ort  d’ar- 
mement, le  jirincipal  entre})reneur  de  transport  entre 
l'Europe  et  le  l.evant. 

Mais  la  rencontre  dans  les  nîers  d’(  trient  de  ces 
ré}nibli([ues  marchandes  ; \*enise.  Dise  et  (xènes,  dont 
les  intérêts  sei'ont  volontairement  en  contlit,  jtréludera 
à ces  luth's  fratricides  qui  rennilii'ont  les  siècles  sui- 
vants, de  (tènes 'contre  ses  deux  rivales  : luttes  ])Our  la 
vie  ou  tout  au  moins  pour  une  prospéidté  exclusive  de 
toute  autre,  où  se  déploiera  ce  redoutable  jtarticula- 
risme  italien  du  moyen  âge,  junir  lequel  tout  était 
ennemi,  hormis  le  teridtoire  contenu  dans  l’enceinte  de 
la  cité. 

Dise  avait  été  la  jtremière  ville  maritime  pi'ndant  la 
}»remière  moitié  des  Croisades.  Elle  dominait  la  Médi- 
terranée par  la  Sardaigne  et  la  Corse  ('t  suiqiassait 
Cènes  par  son  commerce  et  de  toute  la  hauteur  de  sa 
culture  inh'llectuelle.  Ayant  outrejtassé  ses  di-oits  en 
Syrie,  elle  ent  à comjder  avec  ceux  ([ue  sa  supériorité 
otfus([uait  : les  Elorentins  et  les  (ténois.  En  1281, 
ceux-ci  remportèrent  à la  Méloria  ('n  face  du  littoral 
toscan  une  victoire  qui  consomma  à jamais  la  ruine  de 
Dise  comme  ville  commerciale.  Le  ])ort  fut  rasé  et 
destiné  à rester  désormais  sans  communication  avec  la 
mer.  Les  Disans  devaient  cédi'r  (1299)  une  ])artie  de  la 
Sardaigne,  la  Corse,  et  s’obliger  à ne  ])lus  avoir  pi'iidant 
quinze  ans  de  marine  de  guerre.  Ils  durent  abandonner 


LE  PORT  DE  GENES  AU  MOYEN  AGE 


151 


les  cliaînes  de  leur  port  coiiiine  un  trophée  symbolique. 
Tout  ce  que  Pise  contenait  de  caractéristique  ou  de 
brillant,  de  richesse,  de  monuments  et  surtout  de  pros- 
périté fut  transféré  à Gênes.  Désormais  libre  de  Jouer 
dans  la  mer  Tyrrhénienne  le  rôle  de  suzeraine.  Gènes 
n’avait  plus  comme  rivale  que  la  Seigneurie  qui  deve- 
nait le  grand  marché  mi-oriental,  mi-chrétien  et  avec 
laquelle  elle  allait  engager  la  lutte  historique  où,  de  part 
et  d’autre,  furent  employés  tous  les  moyens  d('  combat, 
sur  le  terrain  de  la  guerre  et  sur  le  terrain  du 
commerce. 

Gênes  est,  au  milieu  du  XH  ® siècle,  dans  son  plein 
épanouissement  économique.  Pénétrons-_y  pendant  une 
de  ces  années,  où  fait  trêve  la  lutte  Jusque-là  victorieuse 
contre  Venise,  dans  un  moment  où  l’accalmie  des  divi- 
sions guelfes  et  gibelines  permet  à ce  peuple,  remuant 
et  prompt  aux  querelles,  de  vivre  en  paix  sous  le  gou- 
vernement sage  d’un  Simon  Boccanegra,  premier  Doge 
de  la  République.  Dés  cette  époque  Gênes  est  triom- 
phante partout,  et  son  orgueil  s’est  accru  de  la  réussite 
de  toutes  ses  entreprises,  guerrières  ou  commerciales, 
honnêtes  ou  douteuses.  Rien  ne  lui  résiste  plus  qui 
heurte  de  front  son  hégémonie  : les  ports  tout  voisins 
de  Savone,  d’Albenga,  de  àdntimille  semblent  vouloir 
se  dévelojtper  à son  détriment;  Gênes  limite  rigoureuse- 
ment leur  navigation  et  va  Jusqu’à  vouloir  réduire  au 
simple  exei'cice  du  cabotage,  les  postulations  maritimes 
du  midi  de  la  France  (i).  L’empire  latin  de  Constanti- 
nople est  un  adversaire  dangereux  jtour  ses  colonies  : 
elle  aide  le  dernier  descendant  des  Paléologue  à renver- 
ser cette  œuvre  que  àVnise  avait  tant  contribué  à créer 
(1281). 

Gênes  est  riche  de  vie  et  de  mouvement.  Ce  n’est 
pourtant  pas  que  l’industrie  de  la  cité  soit  à ce  point 


(I)  \\.  Weyii,  Histoire  du  Commerce  du  Levant  au  moyen  âge,  p.  1S7. 


152 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


lebrilu.  Bien  que  de})uis  longteiujis  déjà  elle  exjiorte 
vers  les  villes  voisines  le  produit  de  son  industrie  coton- 
nière, l)ien  (pi’elle  développe  la  làlirication  de  la  soie 
apjtortée  }>ar  les  Lncqnois  en  1514,  ou  qu’elle  exploite 
le  inysfcriiuH  aiiri  fUUiHyV)^  l’art  de  broder  avec  des  fils 
d'or  les  arabesques  des  tapis  et  de  tisser  les  brocarts 
somptueux  avec  l’habileté  (jue  donne  l’accoutumance 
de  l'art  oriental,  il  n'y  a pourtant  pas  là  de  quoi  justifier 
le  mouvement  qui  anime  son  poid.  Ce  qui  fait  la  for- 
tune ra})ide  de  ses  marchands,  c’est  ([u’ils  ont  bien 
conqu'is  le  })rivilè^e  ({ue  conférait  à Cènes  cette  jonction 
sur  sf)u  territoire  même  de  la  grande  route  maritime  et 
de  ([uatre  passages  vers  riiinterland.  Parmi  eux  le  col 
de  la  Bocchetta  commande  à la  fois  la  route  d’Alexan- 
di'ie  au  Mont  Cenis  par  Turin  et  celle  du  Mont  Saint- 
Bernard  par  Ivrée,  et  le  col  de  (fiovi  s'ouvre  sur  la 
j)laine  de  Milan,  où  doit  alioutir  fatalement  ])ar  Côme  et 
la  Suisse  le  commerce  de  l’Allemagne  du  Sud.  Aussi,  se 
sachant  au  cai'refour  des  routes  de  Fr*ance,  de  Flandre, 
d'Allemagne  et  de  Lombardie,  les  Cénois  essaient-ils  de 
draiiK'r  vers  leur  ville  le  commerce  de  la  jtartie  occiden- 
tale (!('  l’Eurojie  avec  l’Asie. 

Non  (contents  de  }>araître  aux  foires  fréquentées  de 
Ferrare  (2)  et  du  Milanais,  les  Cénois  aliordent  à 
Aigues-Mortes,  vont  aux  foires  de  Nîmes  puis  de  Beau- 
caii‘e,  s’établissimt  à demeure  à Mont})ellier  et  à Nar- 
lionne.  Laissant  à des  (mtre])reneui“s  s])écianx  le  soin 
d’amener  huirs  mai'cliandises  (3),  ils  passent  les  Aljtes 
('t  le  Jura,  et  vienmmt  séjourner  à ces  marchés  ambu- 
lants qu’étaient  les  foires  de  Troyes,  de  Provins,  de 
Bar-sur- Aube  ou  de  Lagny.  Ils  font  partie,  en 


(I  ) Schulli^,  Gi'scliichte  des  miitelaltevlichen  Handels  und  Verkelirs, 
J),  ôi'2. 

C2)  Idem,  p.  KiH. 

(3)  Schulte,  op.  cil.,  p.  22"2. 


LE  PORT  DE  GENES  AU  MOYEN  AGE 


153 


première  ligne,  de  cette  U nicersitas  mcrcatoruni  (1), 
société  formée  entre  les  marchands  italiens  sans 
distinction  de  villes  et  à qui  le  roi  Philippe-Auguste 
en  1207,  et  plus  tard  ses  successeurs  accordèrent  leur 
protection  et  de  multiples  privilèges.  Les  rois  de  France, 
les  comtes  de  Bourgogne  (2)  (1295),  les  comtes  de 
Savoie,  comprenant  l’importance  de  leur  amitié  offrent 
à l’envi  aux  Génois  le  passage  à travers  leurs  Etats,  et 
essaient  de  les  attirer  dans  leurs  zones  d’influence.  Dans 
ces  foires  de  Champagne,  les  Génois  se  rangent  surtout 
dans  la  catégorie  des  « Espiciers  » (3).  Ils  vendent 
aussi  les  tapis,  les  tissus  de  soie  et  recherchent  particu- 
lièrement les  industriels  flamands  à qui  ils  achèteront  les 
draps  et  les  toiles.  De  la  sorte,  il  se  produit  perpétuelle- 
ment sur  les  marchés  du  moyen  âge  un  double  courant  : 
l’un,  de  l’(drient  à l’Occident  pour  les  tissus  de  soie  et  de 
coton;  l’autre,  d’Occident  en  Orient  pour  les  tissus  de  lin 
et  de  laine  (4).  A la  décadence  de  ces  foires  au 
XP'®  siècle,  ils  n’interrompent  point  les  relations  avec 
la  Flandre.  Ils  s’y  rendent,  tantôt  par  la  France,  tantôt 
par  Bâle  et  Cologne,  le  plus  souvent  par  la  mer.  Des 
conqttoirs  permanents  sont  installés  par  eux  à Bruges 
et  à Daiiime,  où  ils  forment  des  colonies  importantes, 
attirées  par  les  conditions  favorables  qui  leur  sont  faites 
et  ]iréoccupées  du  négoce  et  des  afl'aires  de  banque. 

En  1324,  l’Etat  génois,  reconnaissant  la  nécessité  de 
régulariser  ce  trafic  déjà  très  ancien,  établit  un  service 
annuel  de  galères  entre  Gênes  et  Bruges.  Les  navires 
allongent  parfois  leur  chemin,  et  vont  en  Angleterre 
échanger  leur  cargaison  exotique  contre  la  laine,  les 


(1)  Association  fondée  vers  1278  sous  ce  titre  : « Universitas  mercatorum 
Italiae  nundinas  Campanae  ac  regniim  Franciae  frequentantium  ».  Elle  était 
l’œuvre  exclusive  des  marchands  (lui  s’y  afliliaient  à titre  purement  individuel. 

(2)  Schulte,  op.  cit.,  p.  200. 

(3)  W.  Heyd,  op.  cit.,  p.  714. 

(4)  Idem,  p.  693. 


151 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


cuirs,  les  métaux;  comme  les  Flamands  ne  vont  })oint 
dans  les  mers  du  Levant,  les  Génois  se  chargent  de  leurs 
marchandises  et  voyageant  ainsi  toujours  avec  du  fret 
de  retour,  ils  seront  les  intermédiaires  d’un  échange 
constant  entre  l’Orient  et  la  Flandre.  Telle  est,  sans  en 
excepter  l’Es]»agne  et  le  Portugal  auprès  desquels  ils 
remplissent  le  même  rôle,  la  clientèle  européenne  de  ce 
commerce  que  les  navires  de  la  Ré})ublique  génoise 
desservent  eux-mêmes  presque  toujours.  Autre  est  la 
situation  de  rAllemagne  du  Sud  et,  pour  moins  nom- 
breuses (pie  soient  les  visites  des  marchands  génois,  le 
commerce  n’en  est  })as  moins  actif  avec  cette  région 
([ui,  trouvant  à Gênes  son  débouché  naturel,  enverra 
(dle-même  nombre  de  ses  marchands  dans  le  grand  port 
ligure  (1).  Ce  simjde  énoncé  suffit  à fixer  l’importance 
de  Gênes  comme  port  d’armement.  Son  chantier  naval, 
de  beaucoup  plus  important  ({ue  celui  de  \"enise,  lui 
permet  de  l'éjiondre  aux  exigences  d’un  trafic  qui  est 
aux  mains  des  particuliers,  tandis  qu’à  Venise  il  est 
monopolisé  par  les  pouvoirs  publics. 

De  retour  dans  leur  ville  transformée  en  un  vaste 
Emporium,  les  armateurs  génois  s’organisent  vers 
le  mois  de  se})tembre  en  caravanes  pour  l’Orient. 
Réunis  parfois,  au  nombre  de  vingt-deux  grands 
navires  (2)  pour  se  protéger  des  pirates,  quelle  que 
soit  l’atmosphère  politique  de  ces  pays,  ils  vont  vers 
l’Egypte  par  le  déti'oit  de  Messine.  Toutes  leurs 
escales.  Messine,  l’Ionie,  Candie,  Rhodes  et  Chypre 
sont  autant  de  conpdoirs  ou  de  colonies  que  Gênes  s’est 
ménagés  dans  ces  pays  intermédiaires  et  qui  lui  consti- 
tuent les  véritables  « Echelles  du  Levant  ».  A Alexan- 
drie où  ils  abordent,  il  y a dans  la  l)onne  saison  des 
centaines  de  navires  d’Europe.  Eux-mêmes  y ])ossèdent 


(\)  \\.  lleyd,  op.  cil.,  p.  73!2. 

(2)Schaul)e,  Uandehf/eschichte  der  liomanischen  Vdlker.  Munich,  UX)S, 
p.  152. 


LE  PORT  DE  GENES  AU  MOYEN  AGE 


155 


de  vastes  magasins,  où  ils  déchargeront  le  fer,  les  bois, 
les  lourds  et  encombrants  matériaux  pour  la  construc- 
tion des  navires.  Ils  y embarqueront,  par  contre,  les 
épices  et  antres  denrées  venues  des  Indes  vers  Suez. 
Pourtant,*  depuis  la  chute  de  leurs  colonies  de  Syrie  ils 
viennent  moins  en  Egypte.  Bien  que  ne  respectant  pas 
toujours  le  bref  d’excommunication  que  le  pape  a 
adressé  à ceux  qui  feraient  le  commerce  avec  les  Etats 
du  Sultan  et  à eux  tout  spécialement  (1),  ils  ont  ^cepen- 
dant déplacé  l’axe  de  leurs  relations  vers  le  nord  de 
l’Asie  Mineure,  l’Arménie,  la^  Crimée.  Ils  rêvent  même 
de  détourner  dans  cette  direction  le  commerce  de  l’Inde, 
et  de  ramener  dans  la  mer  Noire  au  détriment  du  Sou- 
dan d’Egypte.  A Chio,  où  règne  la  société  génoise 
connue  sous  le  nom  de  Mahone  (2),  ils  prennent  le 
mastic,  la  résine;  à Pbocée,  le  produit  des  mines  d’alun 
si  nécessaire  pour  la  teinture;  à Lesbos,  à Satalié,  par- 
tout où  aboutissent  les  routes  d’Asie  Mineure  ils  atter- 
rissent. Dans  le  Bosphore,  sous  les  arcades  de  Péra  et 
de  Galata  on  échange  en  tous  temps  les  matières  tinc- 
toriales, les  pelleteries  du  Nord,  les  fruits  du  Midi,  les 
toiles  de  Champagne,  les  draps  de  Flandre.  L’exemp- 
tion complète  des  droits  de  douane  dont  ils  jouissent 
dans  l’empire  depuis  le  traité  de  Nympbaeum  (1261) 
donne  un  vif  essor  à leur  commerce  dans  la  mer  Noire. 
A Trébizonde,  ils  envoient  vers  l’Arménie  des  convois 
de  froment,  d’orge,  d’huile  et  d’étotfes.  Ils  ont  à Caffa, 
dans  le  sud  de  la  Crimée,  leur  quartier  général.  Plus 


(1)  Nicolas  IV,  l’année  de  la  prise  d’Acre  par  les  inlidèles,  publia  un  décret 
interdisant  pour  tout  pays  soumis  au  sceptre  du  Sultan,  toute' fourniture 
d’armes,  de  chevaux,  de  fer,  de  bois,  de  vivres  et  autres  articles  quelconques 
sous  peine  pour  les  contrevenants  d’encourir  l’excommunication  et  en  second 
lieu  d’être  déclarés  infâmes,  déchus  des  droits  civils  et  civiques  et  incapables 
de  tester  et  d’hériter  ( 1291  ). 

(2)  Sorte  de  société  par  actions,  constituée  lors  de  la  conquête  de  l’ile  en 
I3i().  Chaque  patron  de  navire  reçut  comme  indemnité  un  titre  qui  lui  assu- 
rait une  q>iote-part  sur  les  recettes  publiques. 


156 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


loin,  à Tana  (1),  ils  trouvent  le  lilé,  le  sel,  les  jioissons 
du  Don.  Ils  remontent  ce  Üeuve,  transportent  par  voie 
(le  terre  leurs  bateaux  vers  les  affluents  de  la  mer  Cas- 
pienne et  établissent  sur  cet  énorme  lac  un  service  de 
navigation.  Il  arrive  qu’ils  s’engagent  à Tana  sur  cette 
route  immense,  ([ui  leur  ])ermet  d’atteindre  par  Astra- 
khan, Boukhara  et  Samarkand  la  frontière  de  la  Chine. 

En  1326,  des  missionnaires  franciscains  nous 
ap}U‘ennent  que  des  Génois  faisaient  commerce  dans 
la  ville  de  Zavton  (Tchang-Tchéou)  (2).  Leurs  cara- 
vanes d’Asie,  souvent  d’une  valeur  de  200  000  livres  (-3), 
rapportent  vers  leurs  coni})toirs  le  satin  de  la  ville  de 
Zayton  qui  lui  donne  son  nom,  les  draps  d’or  et  les 
taffetas  de  Perse,  les  brocarts  de  Damas.  Partout  sur 
les  bords  de  cette  mer  ([u’ils  regai*dent  comme  leur 
domaine,  c’est  un  concours  de  nations  venant  offrir 
leurs  produits. 

Parfois  aussi,  délaissant  les  voyages  au  long  cours, 
ils  faisaient  le  long  des  C(')tes  de  l’(  trient  le  simple  calio- 
tage,  dont  l’objet  était  fréquemment  le  commerce  des 
esclaves  (1).  Toutes  ces  possessions  formant  avec  leurs 
territoires,  leurs  marchés,  leurs  Juridictions  ]>ropres 
un  organisme  très  complet,  étaient  fortement  rattachées 
à la  mère-patrie  qui  nommait  leur  consul,  leur  vice- 
cornes  ou  leur  podestat.  Dans  la  métro])ole,  VOfpcmm 
Gazariae  (Bureau  de  la  Crimée)  centralisait  les  diffé- 
rents services  de  ces  colonies. 

Un  tel  accroissement  de  territoire,  une  telle  dépense 
d’activité  et  de  patriotisme  intéressé  enrichissaient  rapi- 
dement Gènes.  Elle  avait  agrandi  son  ]iort,  reconstruit 
son  vieux  môle,  édifié  des  palais  de  marbre,  et  lilottie 
sous  l’église  de  Santa  Maria  di  Carignano,  elle  voyait 

( I)  Tana  (Azov),  port  de  la  mer  d’Azov  à l’emboiichure  du  lion. 

^*2)  Ville  de  la  côte  sud-est  de  la  Chine  eu  face  île  Formose. 

(3)  VV.  Heyd,  op.  c/C,  p.  131. 

(4)  Idem,  p.  559. 


LE  PORT  DE  GEXES  AU  MOYEN  AGE 


157 


s’égaj^er  ses  quais  du  va-et-vient  des  navires  mar- 
chands. Elle  tenait  aussi  des  foires  iin])ortantes  où 
l’Europe  se  donnait  rendez-vous  : on  y trouvait  les 
merveilles  de  Vovror  del  Geuoes,  les  dra})S  d’Alle- 
magne, de  Bruges  et  de  France,  les  toiles  de  Liège 
dont  les  Génois  se  réservaient  le  monopole  (1),  vis-à-vis 
de  la  soie  de  Ghilan,  des  pierres  précieuses,  des  épices, 
poivre,  cannelle,  muscade,  des  aromates  et  des  fruits 
mûris  au  soleil  des  Indes.  Tout  auprès  (2),  sur  les  bancs 
où  venaient  s’échanger  les  monnaies,  les  Astygiens 
et  les  Génois  faisaient  le  commerce  d’argent  en  place 
publique. 

Quand  la  paix  le  lui  permettait,  le  Génois,  habile 
commerçant,  savait  être  bon  administrateur,  et  tous  ces 
étrangers  amenés  dans  la  ville  par  les  nécessités  du 
trafic  n’avaient  qu’à  se  louer  de  la  protection  et  de  la 
bienveillance  génoises.  S’il  faut  en  croire  un  document 
de  1411)  (3),  le  port  de  Gênes  offre  aux  marchands,  et 
spécialement  aux  Allemands,  des  avantages  incontes- 
tables sur  ^"enise,  surtout  en  ce  qui  regarde  le  régime 
de  la  liberté.  Plus  proche  d’eux,  il  met  à leur  disposi- 
tion un  marché  plus  fourni,  grâce  aux  fortes  dimensions 
des  navires  génois;  il  leur  permet  l’usage  de  ces  mêmes 
bateaux,  ce  qui  n’existe  pas  à Venise  où  règne  un 
monopole  sévère.  Aucun  délai  n’est  fixé  aux  étrangers 
pour  la  vente  des  denrées  qu’ils  amènent,  et  ils  pour- 
ront en  conserver  le  prix  sans  être  obligés  de  le  rem- 
ployer à des  achats  en  nature.  A D enise,  ils  sont 
enfermés  la  nuit  dans  le  f'ondaco,  tandis  qu’à  Gênes  ils 
conservent  toute  leur  liberté  d’allures  et  ne  sont  frappés 
que  de  droits  minimes.  Les  Allemands,  qui  abondent  à 
Gênes,  sont  les  premiers  l’objet  des  faveurs  de  la  Répu- 
blique. 

(1)  Schulte,  op.  cit.,  p.  148. 

C2i  Idem,  p.  31:2. 

(3)  Lettre  adressée  par  Gênes  aux  villes  allemandes.  Ce  document  retrouvé 
aux  archives  de  Nuremberg  a été  édité  par  Schulte,  t.  II,  p.  256. 


158 


REVUE  DES  .QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Dès  avant  le  XIP  siècle,  les  Allemands  avaient  des 
rapports  suivis  avec  Gènes  (1).  En  1398,  sur  la  récla- 
mation des  villes  de  Soualie,  de  Franconie  et  de 
Bavière,  ils  sont  affranchis  de  tout  droit  de  sortie  et  de 
toute  augmentation  de  droits  d’entrée  (2).  Leur  com- 
merce est  protégé  contre  la  jâraterie  et  on  veille  à ce 
que  justice,  bonne  et  prompte  leur  soit  rendue.  Sur  les 
instances  des  Génois,  le  gouverneur  de  Milan  abaisse 
les  droits  en  faveur  des  Allemands.  La  })olitique  de 
l’empereur  Sigismond,  ennemi  déclaré  de  Venise,  vaut 
à ces  marchands  de  nouveaux  privilèges.  En  1424,  il 
leur  est  concédé  un  étaldissement  : le  fondaco  de  Saint- 
Siri,  où  ils  pourront  à l’aise  débattre  leurs  intérêts  (3). 
Au  X\  ® siècle  ils  y ont  un  consul  comme  les  Catalans 
et  les  Lombards.  Ces  avantages  exceptionnels  dont 
jouissent  les  Allemands,  nous  révèlent  une  fonction 
accessoire  du  port  de  Gènes.  Il  a })Our  la  Souabe,  la 
Suisse,  le  sud-ouest  de  l’Allemagne,  une  imj)ortance 
capitale,  comme  port  de  transit  jKiur  le  commerce  avec 
les  })ays  d’outre-mer,  s])écialement  l’Espagne  et  le  Por- 
tugal. C’est,  semble-t-il,  cette  fonction  (jui  s’affirmera 
de  })lus  en  })lus,  à mesure  que  les  relations  diminueront 
avec  les  pays  d’Orient.  A enhmdre  les  Génois  dire,  et 
avec  raison,  en  1508,  qu’ils  traitent  les  Allemands 
comme  gens  de  leur  })ro})re  sang  (4),  on  constate  que  la 
h'ndance  existait  déjà  à ce  temps  de  faii*e  de  Gènes  « le 
grand  ])ort  allemand  de  la  Méditerranée  » (5). 

Le  commerce  suivi  vers  Gènes  par  les  Alpes  est,  de 
jdus,  d’un  grand  profit  pour  la  ])laine  lombarde.  Aussi, 
les  autorités  de  Milan  et  des  villes  qui  en  bénéficient 
s’inquiètent-elles  de  rendre  accej)tal)les  les  conditions 
d’accès  de  leur  région  aux  maiadiamls  ultramontains. 

(1)  Schulte,  p.  107. 

(:2)  Idem,  p.  53!2. 

(3)  Idem,  t.  II,  p.  155. 

(4)  Idem,  p.  550. 

(5)  Louis  Paul-Duhois  : Iîevuedes  Ueux-Monues,  1904. 


LE  PORT  DE  GÊNES  AU  MOYEN  AGE 


159 


En  1346,  les  villes  de  Milan,  Crémone,  Lodi,  Côine 
et  Pizzigliettone  ])assèrent  l’acte  connu  sous  le  nom  de 
Provixiones  Januae  (1),  fixant  le  tarif  des  droits  à 
acquitter  dans  chacune  de  ces  villes.  Elles  modèrent  le 
droit  de  transit,  prennent  soin  de  garantir  la  liberté 
individuelle  des  négociants,  et  la  garde  de  leurs  mar- 
chandises. Ce  document  intéressant  nous  renseigne  très 
exactement  sur  les  objets  de  ce  trafic  (2).  Son  nom  seul 
est  significatif,  quant  à établir  l’influence  considérable 
exercée  par  le  port  de  Gênes  sur  son  hinterland 
immédiat. 

Cette  prospérité,  fruit  de  tant  de  hardiesse,  d’habileté, 
de  diplomatie  équivoque,  eût  pu  toujours  durer,  car  rien 
n’empêchait  Gênes,  semble-t-il,  de  })oursuivre,  malgré 
V enise,  sa  destinée.  Le  commerce,  à cette  époque,  était 
assez  important  pour  que  deux  petites  républiques 
pussent  vivre  à l’aise  sans  se  contrarier.  Tel  n’était 
point  le  cas  de  ces  deux  villes,  qui  prétendaient  chacune 
à un  empire  de  la  mer  exclusif.  Ce  fut  durant  la  fin  du 
XIV®  et  du  XA'®  siècle  une  lutte  acharnée  pour  cette 
hégémonie,  qui  leur  faisait  perdre  de  vue  les  colonies, 
cause  du  litige.  Il  arrivait  que  Gênes  envoyât  vers 
l’Orient  des  flottes  de  soixante  navires.  Tout  revers, 
dans  ces  conditions,  était  un  amoindrissement  inappré- 
ciable de  forces,  d’autant  plus  désastreux  qu’à  Gênes, 
le  port  s’identifiait  presque  avec  la  République. 

Délivrée  par  instant  des  menaces  de  la  guerre  exté- 
rieure, la  ville  était  aussitôt  déchirée  par  les  factions  : 
peuple  ou  aristocrates,  Fregosi  ou  Adorni,  jusqu’au 
moment  où,  épuisée,  elle  se  donnait  successivement  au 
duc  de  Milan,  au  marquis  de  Montferrat,  au  l’oi  de 
France  (1396). 

Le  résultat  fatal  fut  un  affaiblissement  de  Gênes  dans 


(1)  Schulte  op  cit.,  t.  II,  p.  131. 

(l2)  Laines  (l’AiigleteiTe,  draps  de  Provins,  velours,  fourrures,  vair,  épices, 
mercerie,  fils  d’or,  etc. 


lOü 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


les  mers  du  Levant.  Gênes  connut  encore  dans  sa  lente 
décadence  des  jours  de  fortune,  par  l’intervention  dans 
la  politique  de  la  banque  de  Saint-Georges  (i).  Cette 
institution  commerciale,  fondée  sous  la  domination 
française,  en  i 107,  par  le  maréchal  Jean  Leinaigre  de 
Boucicault,  devint  la  grande  créancière  de  l’Etat.  Seule 
force  organisée,  au  milieu  de  l’anarchie  de  la  nation, 
elle  accapara  la  direction  des  atfaires  et  entreprit  de 
relever  la  fortune  de  la  République  dans  les  colonies. 
Elle  reprit  à ,son  compte  les  charges  de  l’Etat  et  accepta 
la  souveraineté  entière  de  la  Corse  et  des  nombreux 
com})toirs  de  la  mer  Noire.  Malgré  la  prise  de  Constan- 
tino})le,  en  14.j3,  elle  sut  éviter  en  partie  les  consé- 
quences de  cette  catastrophe,  que  n’avaient  pu  empê- 
chei*  ni  les  compromissions,  ni  la  servilité  de  (fênes 
envers  les  sultans. 

Mais  tandis  que  D enise  était  à son  apogée,  Gênes, 
malgré  le  commerce  qu’elle  entretenait  avec  l’Europe, 
voyait  d’année  en  année  déchoir  son  intluence  : elle  fut 
réduite  à ré})ondre  aux  envoyés  du  pape  Pie  II,  la 
conviant  à la  Croisade  : Galeas  in  pnaesenti  non  habe- 
mus  (2). 

Gênes  sacrifiait  tout  à cet  égoïsme  mesquin  et  turbu- 
lent, que  Louis  XI  caractérisait  en  refusant  riiommage 


(l)  Voir  Bull.  Comm.  Royale  d’Hist.,  2<‘  série,  t.  10.  Note  historique 
sur  la  banque  de  Saint-Georges  à Gênes,  par  le  comte  Uiuseppe  (ireppi. 
— Léon  Say,  Dictionnaire  d’Écononiie  politique.  — Casa  di  San  Ciorgio,  fon- 
dée sous  le  nom  de  Compere  di  San  Giorgio  (achats  de  Saint-Georges).  C’était 
une  association  de  familles  capitalistes,  ayant  pour  but  de  protéger  le  mouve- 
ment commercial  avec  l’Orient  et  de  l’attirer  à Gênes.  Elle  eut  toujours  une 
existence  indépendante.  Elle  fournit  continuellement  à l’Etat  les  fonds  dont  il 
avait  besoin  en  temps  de  crise.  Ses  privilèges,  ses  capitaux  abondants,  ses 
agents  nombreux,  sa  puissante  administration  (conseil  de  WÜ  membres  dirigés 
par  huit  protecteurs)  en  faisaient  un  « État  dans  l’État  ».  En  1453,  elle  accepta 
la  cession  de  Kaffa,  Péra  et  la  Corse,  et,  en  1488,  plusieurs  places  fortifiées  en 
Italie.  Elle  a pu  servir  de  modèle  aux  compagnies  des  Indes,  à la  banque  de 
Law,  et  plus  récemment  aux  compagnies  .à  charte.  Ses  protecteurs  intei’- 
venaient  à tous  les  actes  importants  du  gouvernement. 

(ï2)  .\tti  della  Soc.  liü..  Vil,  2“21. 


LE  PORT  DE  GENES  AU  MOYEN  AGE 


101 


(le  ce  peuple  : « Les  (Lûiois  se  donnent  à moi,  et  moi, 
je  les  donne  au  (lial)le  ». 

Les  yeux  üxés  vers  l'Orient,  elle  s’éternisait  dans  ce 
rêve  de  résurrection  du  passé,  tandis  que  la  richesse 
commerciale  se  déplaçait  veivs  l'Ouest  avec  ré})oque  des 
grandes  découvertes.  C’est  cette  même  politique  péri- 
mée, qu’elle  servait  en  encourageant  les  })rojets  de 
domination  mondiale  du  roi  Charles  A 111  pour  qui  elle 
rassemldait,  en  1491,  l’une  des  plus  grandes  tlottes 
qu’elle  eût  jamais  connues  (1).  Contraste  saisissant  : à 
ce  même  tenqts  Chidstophe  Colomb,  (ténois  de  nais- 
sance, mettant  en  <euvre  les  découvertes  scientiüques 
de  la  Renaissance  et  de  Toscanelli,  se  vojmit  contraint 
de  demander  à l’étranger  la  tlottille  de  trois  vaisseaux 
que  lui  avait  refusée  le  Sénat  de  sa  patrie. 

Par  un  hasard  singulier,  rorientation  du  monde  vers 
un  nouvel  horizon,  qu’elle  avait  tant  redoutée,  cett(‘ 
œuvre  d’exploration  mondiale  à laquelle  elle  n’avait 
point  collaboré,  lui  valut  un  regain  de  vie.  Cràce  à la 
négligence  des  Portugais,  qui  laissèrent  toujours  à 
d’autres  la  navigation  intereuropéenne,  (lênes  profita  de 
la  pros])érité  acquise  à Lislamne  })ar  4'asco  de  (lama 
(149S).  Son  })ort  redevint  un  instant  le  })assage  fré- 
quenté entre  le  Portugal  et  l’Europe  centrale,  et  ses 
marins  transj)ortèiTnt  dans  tout  pays  le  chargement  des 
galions  portugais.  C’était  un  dernier  hommage  rendu 
à leur  activité  tenace,  et  aussi  à ce  rcûle  d’armateurs 
dont  ils  avaient  depuis  longteni})s  acquis  la  possession 
d’état. 

J(jSEPH  IIanu^uet. 


(I)  (^.etle  Hotte  comprenait  encore  navires  de  charge  et  9ü  navires 
moindres  ponvani  recevoir  environ  dUUO  chevaux.  Senarega  : dr  Hebus 
genvnisibits.  Muratori,  p.  54». 


IIP  SEUIE.  T.  \ll. 


11 


XII 


LE  m\ï  DE  AlAliSEILLE 


(I) 


Le  j)ort  do  Marseille  a derrière  lui  un  j)assé  de  vingt- 
cinq  siècles.  C’est  dire  qu’on  pourrait  rattacher  à l’étude 
de  cette  illustre  cité,  qui  a mérité  d'être  aj)pelée  la 
« reine  do  la  Méditerranée  »,  une  })artie  de  l’iiistoire 
maritime  de  notre  pays.  La  gracieuse  légende  qui 
raconte  ses  origines  symbolise  l’union  qui  se  tit,  six 
siècles  avant  l’ère  chrétienne,  entre  la  Caule  alors 
inconnue  et  la  Grèce,  foyer  })rincipal  de  la  civilisation. 

En  otirant  la  cou})0  des  fiançailles  à un  Phocéen, 
débarqué  ])eut-ètre  par  hasard  dans  la  baie  qui  forme 
aujourd’hui  le  vieux  }>ort,  la  tille  du  roi  des  Ségoljriges 
ne  pensait  j)as  qu’elle  allait  contribuer  à faire  de  Mas- 
salia  le  centre  du  commerce  maritime  de  tout  le  bassin 
occidental  de  la  Méditerranée,  en  même  temps  que  le 
dél)ouché  de  cette  vallée  du  Rhône,  })ar  laquelle  les 
légions  romaines  devaient  un  jour  se  diiâger  vers  le 
nord  et  jusque  dans  les  contrées  qui  forment  aujour- 
d’hui la  Belgique. 

Pendant  des  siècles  les  Marseillais  entretinrent  des 
relations  suivies,  d'un  côté  avec  la  Bétique  et  le  })ays  de 
Tartessos,  fameux  pour  ses  richesses,  de  l'autre  avec  le 
monde  ^rec.  Ils  fondèrent  un  grand  nombre  de  colo- 
nies,  soutinrent  des  guerres  contre  les  Ligures,  les 
Etrus(pies,  les  Carthaginois  et  suscitèrent  des  exj)édi- 
tions  de  toute  sorte. 


(I)  Conféi’eiire  faite  à rAssenililée  i’énérale  tle  la  Sorii'ti’  Scii’tilifiqiu’  de 
Bruxelles  du  mardi  !•  avril  l!N)7. 


LE  PORT  DE  MARSEILLE 


1(33 


Marseille  fut  en  même  temps  la  pépinière  d’une 
léo'ion  de  navioateurs. 

O O 

(Tétait  un  Marseillais  que  ce  Pythéas  qui  découvrit 
l’Islande  et  visita  la  Baltique,  laissant  des  notes  de 
voyage  dont  Pline  et  Stralion  nous  ont  conservé  de  si 
intéressants  fragments. 

C’était  un  Marseillais,  cet  EutlRunène,  qui  longea  les 
côtes  d’Afrique,  et  ouvrit  à ses  comjiatriotes  des  déliou- 
chés  jusqu’au  Sénégal. 

Marseille  fut  pendant  cinq  cents  ans  la  porte  princi- 
pale de  cette  admirable  région  qu’on  appela  Provincia, 
la  province  par  excellence  des  (îésars,  région  bénie  qui 
fut  aussi  le  point  de  départ  du  christianisme  dans  la 
Gaule  ])aïenne.  Elle  bénéticia  de  l’importance  crois- 
sante prise  par  la  Méditerranée,  cette  « mer  du  milieu  » 
qui  joua  un  si  grand  rôle  dans  l’histoire  de  la  civi- 
lisation. 

A})rès  des  luttes  tragiques  contre  les  comtes  de  Pro- 
vence, les  INIai'seillais  formèrent  une  sorte  de  ré|)u- 
blique,  qui  eut  une  réelle  importance  au  moment  des 
(droisades.  Ils  fournirent  aux  Croisés  des  armes,  des 
approvisionnements,  des  moyens  de  transport,  obtin- 
rent en  récompense  d’importantes  concessions  sur  les 
côtes  de  l’Asie  Mineure  et  installèrent  solidement  leur 
dominâtion  sur  une  série  de  points  qu’on  a appelés  les 
Echelles  du  Levant  les  Echelles  de  la  Barbarie. 

Aux  XIV®  et  X^’®  siècles,  Marseille  joua  un  rôle  aussi 
brillant  que  les  fameuses  répulhiques  de  l’Italie.  Si  au 
moment  des  grandes  découvertes  du  X’Sl®  siècle  les 
Marseillais  n’ont  j)as  été  les  ouvriers  de  la  première 
heure,  ils  n’ont  pas  tardé  à prendre  leur  revanche  et 
ont  tenu  une  grande  place  dans  l’histoire  de  l’expan- 
sion de  la  France.  Marseille  a contribué  plus  qu’aucune 
autre  ville  française  à la  formation  du  vaste  domaine 
d’outre-mer  que  nous  possédons  maintenant... 

Mais  je  ne  puis  insister  sur  ce  glorieux  passé,  pas 


164 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQT’ES 


})liis  que  sur  la  licauté  de  la  situation  qu’occupe  Mar- 
seille, dominée  ])ar  la  })ittoresque  colline  de  Notre-Dame 
de  la  Garde,  du  haut  de  laquelle  on  admire,  d’un  côté 
la  mer  avec  ses  eaux  de  saphir,  ses  iles,  ses  rochers, 
de  l’autre  l’amphithéâtre  de  montagnes,  aux  tons  bleus 
et  cendrés,  que  domine  l’étrange  protubérance  qu’on 
ap})elle  le  Pilon  du  Roi,  tandis  qu’aux  jueds  du  specta- 
teur s’étend  la  ville,  bruyante  et  animée,  offrant  sous 
l’éclat  du  soleil,  la  gaieté  des  cités  méridionales,  l’acti- 
vité des  centres  industriels,  le  mouvement  des  villes 
de  commei'ce. 

C’est  du  port  actuel  que  je  dois  surtout  vous  entre- 
tenir. C’est  le  premier  })ort  de  l’Europe  continentale 
d’où  soit  ])ai‘ti  un  navire  à vajumr.  Dés  1S31,  il  avait 
inauguré  des  services  i-éguliers  avec  l’Italie.  En  1S69 
il  était  le  troisième  port  du  monde,  aj)rés  Londres  et 
Liverj)ool.  En  184 1 on  décidait  la  création  de  nouveaux 
bassins  qui,  augmentés  peu  à pi'u,  ont  maintenant  une 
siqterticie  totale  de  193  hectares,  avec  un  dévelop- 
pement de  quais  de  kilomèti'es  (tig.  1). 

Marseille  est  aujourd’hui  le  centre  princi})al  de  nos 
grandes  compagnies  de  navigation  : Conqtagnie  Trans- 
atlantique, Compagnie  des  Messageries  maritimes. 
Compagnies  Pa({uet,  Touache,  Eraissinet,  etc.  liC 
percement  du  canal  de  Suez,  cette  œuvre  si  éminem- 
ment française,  semblait  devoii-  faire  grandir  encore 
la  j)ros}»érité  de  la  ville.  11  paraissait  devoir  rendre  à la 
Méditerranée  le  rôle  pré})ondérant  qu’elle  avait  joué 
dans  l’antiquité,  rôle  que  la  découverte  de  rAméri([ue 
et  de  la  route  du  caj)  de  Bonne-Es})érance  lui  avait  en 
partie  enlevé. 

Mais  cette  route  nouvelle  eut  des  effets  (jue  M.  de 
Lesse})s  n’avait  }>as  coiiq)lètement  jirévus.  En  lioulever- 
sant  les  relations  internationales  et  en  moditiant  les 
courants  commei'ciaux,  elle  suscita  à Marseille  des 


LE  PORT  DE  MARSEILLE 


105 


concurrences  contre  lesquelles  notre  grande  cité  médi- 
terranéenne n'a  pu  parvenir  à se  défendre. 

Marseille  a cherché  à lutter  en  devenant  une  ville 
industrielle,  en  développant  quelques  industries  an- 
ciennes, comme  celle  de  la  savonnerie,  en  créant  un 
grand  nombre  de  fabriques  nouvelles.  Ces  créations 
ne  sont-elles  pas  surtout  le  contre-coup  de  notre  régime 


Fig.  1.  — Situation  des  bassins 


douanier  de  1892?  C’est  une  question  que  je  ne  veux 
pas  examiner  ici.  Je  constate  seulement  que  les 
progrès  de  l'industrie  sont  actuellement  jtlus  rapides  à 
Marseille  que  ceux  du  commerce.  On  peut  même  se 
demander  si,  dans  la  Marseille  du  XX®  siècle,  l'activité 
industrielle  ne  reni}»ortera  pas  sur  l’activité  comnier- 


166 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


eiale.  liOs  dei'iiii'rs  i‘a])ports  de  la  Chambre  de  commerce 
constahait,  }>ar  exeiii})le,  ([ue  le  nondire  des  clievaux- 
va]>eur  utilisés  cà  Marseille  ou  dans  la  lianlieue  a triplé 
depuis  vingt  ans. 

Parmi  les  industries  qui  se  sont  développées  il  faut 
citer  })articuliêrement  celles  qu’on  a })u  a])peler  les 
industries  coloniales.  Les  deux  groujtes  les  ]*lus  impor- 
tants sont  les  industries  qui  travaillent  les  céréales  et 
celles  ([ui  em])loient  les  coiqis  gras.  Ainsi  la  minoterie 
marseillaise  (([ui  ne  compte  j)as  moins  d’une  centaine 
d'usines)  triture  chaque  année  }>ar  des  })rocédés  jimdec- 
tionnés  d'énormes  quantités  de  blés  étrangers  venant 
de  la  Russie,  des  Indes,  de  la  Ré})ul)li([U('  Argentine, 
de  l'Alg’érie  et  de  la  Tunisie.  Les  blés  importés  de  nos 
deux  grandes  colonies  africaines  convienmmt  particu- 
lièrement à la  fabrication  des  piites  alimentaires  et  leur 
utilisation  a donné  une  grande  impulsion  à la  culture 
des  céréales  dans  l’Afrique  diuAord. 

L'industrie  et  le  commerce  des  huiles  sont  nés  à 
Marseille  des  besoins  de  la  savonnerie.  C’est  ])our  ali- 
menter celle-ci  que  les  négociants  d’autrefois  achetaient 
de  grandes  quantités  d'huiles  d’olive  dans  le  Levant. 
Aujourd’hui  l’Algérie  et  la  Tunisie  lui  envoient  la  plus 
grande  jiartie  de  leur  production.  La  quantité  de  gi'aines 
(arachide,  sésame,  lin,  colza,  coton,  pavot,  i-icin, 
cojtrah,  })ahniste,  etc.)  actuellement  consommées  par 
l’huilerie  de  Marseille,  dépasse  50OU  tonnes  chaque 
année.  C’est  à Marseille  qu’ont  été  faits  les  ])remiers 
essais  de  ces  graisses  végétales  alimentaires  désignées 
sous  le  nom  de  végétalines,  qui  ])araissent  devoir 
prendre  dans  l’avenir  une  certaine  im])ortance. 

(gluant  aux  fabriques  de  bougies,  elles  ont  une  réputa- 
tion méritée. 

Marseille  est  aussi  un  grand  centre  sucrier.  vSes  raffi- 
neries travaillent  une  part  considérable  de  nos  sucres 
des  colonies.  Elles  alimentmit  des  confiseries  et  choco- 


LE  PORT  DE  MARSEILLE 


167 


lateries  ])rospères.  Signalons  aussi  les  tanneries, 
rindustrie  des  salaisons,  des  fabriques  de  soude  artifi- 
cielle, d’acide  sulfurique,  de  sel  de  soude,  labriques 
qui,  à leur  tour,  alimentent  d’autres  ateliers  tels  que 
teintureries,  verreries,  manufactures  de  glaces. 

L’industrie  textile  prend  même  une  certaine  impor- 
tance. On  a créé  des  ateliers  où  on  tresse  Valfa,  où  se 
fabriquent  toutes  sortes  de  paniers  et  d’articles  de  spar- 
terie,  très  em])loyés  dans  le  Midi.  On  travaille  aussi 
le  Jute,  qui  nous  vient  des  Indes  et  dont  on  fait  des 
toiles,  des  sacs,  des  tapis. 

Ce  développement  de  l’industrie  à Marseille  a mar- 
ché de  pair  avec  le  dévelojipement  de  notre  Empire 
colonial.  Les  Marseillais  ont  constaté  ipi’ils  ne  })ou- 
vaient  pas  attendre  beaucoup  (nous  allons  voir  pour- 
quoi) de  la  France  continentale.  Ils  ont  porté  leur  atten- 
tion et  leui’  effort  du  côté  de  la  France  coloniale. 
Marseille  escompte  l’essor  que  })rendra  au  cours  du 
XX®  siècle  ce  continent  encore  si  mystérieux  dont  les 
anciens  disaient  déjà  : « Il  y a toujours  quelque  chose 
de  nouveau  dans  l’Afrique  ». 

Le  développement  de  l’Algérie  et  de  la  Tunisie,  celui, 
plus  incertain  mais  inévitalile,  du  Maroc,  la  mise  en 
valeur  du  Soudan,  qui  renferme  une  population  de 
10  millions  d’habitants,  et  est  peuplé  }iar  des  races 
très  accessibles  au  progrès,  ce  sont  là  des  éléments  dont 
Marseille  espère  profiter  largement.  File  compte  l)ien 
devenir  de  })lus  en  plus  notre  métropole  coloniale. 

Les  congrès  qui  se  sont  tenus  pendant  l’Exposition 
ont  permis  de  constater  que  les  Marseillais  font  de 
grands  efforts  pour  s’ada})ter  aux  nécessités  de  la  ])oli- 
tique  coloniale  contemporaine. 

Grave  problème  que  celui  de  la  politique  coloniale. 
Je  ne  peux  en  parler  qu’incidemment,  mais  il  imjiorte 
cependant  de  ra]»peler  ici  les  nouvelles  idées  directrices 
qui  l’inspirent.  Cette  })olitique  ne  consiste  pas  seulement 


168 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


à permettre  aux  (lolonies  de  procurer  à la  mère  patrie, 
en  aliondance  et  à bon  com})te,  les  produits  exotiques, 
elle  teud  beaucoup  jilus  à faire  eu  sorte  que  les  colonies 
acbèteut  les  produits  métropolitaius. 

Marseille  est  entrée  dans  cette  voie.  Elle  s’efforce  de 
fournir  aux  colonies,  jiour  aider  celles-ci  à se  dévelop- 
])er,  les  ])roduits  dont  elles  ont  besoin. 

L’intérêt  qu’elle  porte  aux  questions  coloniales  a 
déterminé  Marseille  câ  créer,  il  y a quelques  années, 
un  enseiiinement  colonial  supérieur  destiné  à la  fois 
aux  étudiants,  aux  futurs  commercants,  aux  futurs 
industriels,  aux  futurs  colons,  en  même  temps  qu’au 
prand  puldic  dont  l’o})inion  a encore  si  liesoin  d’être 
éclairée. 

On  y a organisé  une  préj)aration  s})éciale  pour  les 
médecins-des  colonies;  on  a créé  l’écemment  d('s  chaires 
])our  l’étude  de  la  jtathologie,  de  la  théra])eutique,  de 
riiygiêne  aux  colonies  et  il  s’agit  d’adjoindre  à cette 
création  un  Institut  colonial  indioéne,  c’est-à-dire  qu’on 
fera  venir  en  France  les  fils  des  familles  indigènes  les 
plus  notables  })our  leur  faire  connaître  notre  civilisation, 
la  leur  faire  aimer,  leur  faire  ap|)récier  les  avantages 
de  la  solidarité  qui  les  unit  sous  la  tutelle  de  la  France. 

Les  Marseillais  sont  intervenus  très  efficacement, 
depuis  plusieurs  années,  dans  la  mise  en  valeur  de  la 
plupart  de  nos  colonies.  Fn  Algérie,  ils  ont  su  mettre 
à la  disposition  des  cultivateurs  du  Tell  les  meilleurs 
moyens  d’écoulement  fie  leurs  produits.  Fn  Tunisie,  ce 
sont  des  Marseillais  qui  ont  repris  dans  la  région  de 
LFiifida,  la  culture  rationnelle  de  l’olivier,  et  redonné 
aux  huileries  leur  activité  d’autrefois.  A Madagascar, 
en  (fuinée,  au  Dahomey,  ils  (mt  également  fait 
beaucou}). 

Ft  ])Ourtant  le  dévelo]q)ement  de  Marseille  est  loin 
d’être  satisfaisant  à tous  égards. 


LE  PORT  DE  MARSEILLE 


169 

Los  statisti(|ues  sont  là  qui  nous  obligent  à constater 
que  les  progrès  du  port  sont  beaiicou])  })lus  lents  (pie 
ceux  (les  autres  ports  eurojiéens.  Le  inonveinent  géné- 
ral (les  entrées  et  des  sorties  réunies  s’est  élevé,  l’an 
dernier,  à 15  930  939  tonnes.  Il  est  notablement  infé- 
rieui*  à celui  d’Anvers,  de  Rotterdam,  de  Hambourg 
surtout  qui  a déliassé  21  üOOOOO  (1). 

Dans  la  Méditerranée  même,  Marseille  régnait  seule 
il  y a vingt-cinq  ans.  Elle  concentrait  les  marchandises 
de  l’Eurôpe  centrale  à destination  ou  en  provenance  de 
l’Italie  et  de  l’Espagne  tout  aiissi  bien  que  de  la  France. 
Il  n’en  est  plus  de  môme  aujourd’hui. 

Marseille  est  serrée  de  près  par  Gênes.  Et  Gênes 
n’est  pas  seulement  un  grand  port  italien,  c’est  aussi  un 
]>ort  allemand.  Le  gouveimernent  impérial,  avec  une 
ténacité  extraordinaire,  y a installé  et  y soutient  par 
tous  les  moyens  en  son  jtonvoir  des  lignes  allemandes 
très  importantes  qui  ont  été  récemment  créées  les  unes, 
dans  la  Méditerranée,  les  antres  à destination  de 
r Extrême-Orient  (2). 


(1) 

STATISTIQUE  DU  fOUT 

DE  MAUSEIULE  POUR  l’ANNÉE 

1900 

èiomlire  de 
navires 

Tonnage 
de  jauge 

Poids  des 
marchandises 
(t.  de  1000  kg.) 

Voyageurs 

Entrées 

S OGd 

7 074  600 

i 270  002 

219  110 

Sorties 

s 1 10 

7 950  333 

2 40923S 

195  140 

'l’otaux 

10  203 

15930  939 

0 745  840 

414256 

(2)  Il  convioni  seulement  de  remarquer  que  Gènes  est  surtout  un  portd’im- 
portation.  lue  houue  |)ar(ie  des  marrhaudises  qui  y sont  importées  se  com- 
posent de  cliarhon,  c’est-à-dire  des  matières  lourdes  ayant  peu  de  valeur  sous 
un  poids  considérable.  .\u  ]mint  de  vue  des  exportations,  Marseille  l’emporte  de 
beaucoup  sur  Gènes,  de  1 201)  000  tonnes  environ.  Et  les  exportations  marseil- 
laises se  composent,  pour  une  large  part,  d’objets  manufacturés  ayant  beaucoup 
de  valeur  sous  un  faible  poids.  .V  ce  point  de  vue,  .Marseille,  un  peu  inférieure 
au  Havre,  l’emporte  sur  Gènes  et  môme  sur  Hambourg. 


170 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Quant  aux  Échelles  du  Levant,  ce  domaine  séculaire 
de  l’activité  marseillaise,  elles  sont  envahies  par  les 
Ang’lais,  les  Allemands,  les  Autrichiens,  les  Italiens. 

I>e  dévelo})})ement  de  Gènes  et  d’un  certain  nombre 
d’autres  jiorts  de  la  Méditerranée,  voilà  donc  une  pre- 
mière cause  de  difficultés  pour  Marseille. 

. En  voici  une  seconde  : 

La  région  ({ui  avoisine  Marseille  n’est  ni  industrielle, 
ni  imjiortante  au  jtoint  de  vue  minier.  Le  Midi  de  la 
F rance  est  loin  d’otirir  à cet  égard  le  tableau  d’uiK'  acti- 
vité com])arahle  à celle  de  nos  déj)artenients  du  Nord 
et  de  l’Est.  Et  ce  n’est  pas  du  côté  de  Marseille  que  se 
dirigent  les  produits  de  ces  régions-là. 

Marseille  n’est  }tas  reliée  au  Rhône;  Marseille  n’a  que 
des  communications  insuffisantes  avec  l’intérieur  de  la 
France  (tig.  2).  Ilamliourg,  Rotterdam,  Anvers,  j)ré- 
sentent  un  s|)ectacle  tout  différent.  Ces  trois  ports  sont  à 
la  fois  des  entonnoirs  et  des  débouchés.  Ils  sont  le  débou- 
ché des  régions  industrielles  ({ui  forment  leur  Hinter- 
land, grâce  aux  fleuves,  aux  rivières,  aux  canaux,  par 
lesquels  on  jient  jtorter  aisément  au  cieur  du  pays  les 
matières  premières  dont  les  usines  ont  besoin,  et  en 
meme  tem})s  drainer  la  ])roduction  agricole,  industrielle 
ou  minière. 

Gomme  l’a  si  bien  dit  M.  Charles  Roux,  ])Our  assu- 
rer la  pros})érité  d’un  port  il  ne  suffit  }>as  de  creuser 
des  bassins,  de  construire  des  Jetées,  d’élever  des  môles, 
d’installer  des  grues,  des  higues  et  des  phares.  Il  faut 
({lie  le  port,  pour  lequel  on  fait  de  grosses  déjienses,  soit 
le  centre  d’un  grande  activité  commerciale;  il  faut  ({u’il 
soit  une  grande  jiorte  {lar  laquelle  entrent  on  sortent 
beaucoup  de  marchaiKlises,  il  faut  ({u’il  soit  une  des 
tètes  de  ligne  des  routes  {»ar  lesquelles  les  {iroduits 
inqiortés  se  répandent  dans  le  {lays  et  à l’étranger. 
Or,  Marseille  n’est  jias  un  déboiudié  convenable  {lour 
notre  productivité  industrielle.  Liverpool  a grandi  en 


LE  PORT  DE  MARSEILLE 


17i 


raison  du  développement  industriel  de  son  arrière  pa}^s. 
On  ne  peut  en  dire  autant  de  Marseille. 

La  fonction  commerciale  de  Marseille  est  insufR- 
santé. 


Fig.  — Ports  et  voies  navigables  de  la  France. 
L’importance  de  leur  trafic  respectif  est  figurée  approximativement  par 
les  surfaces  noires  ou  grises 


Mais,  direz-vous,  Gènes  n’est  pas  plus  favorisée. 
Gênes  n’est  à l’issue  d’aucun  fleuve,  d’aucun  canal. 


172 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Elle  est  séparée,  comme  Marseille,  de  l’Eiiropi'  centrale, 
par  (les  montainies  et  pourtant  son  mouvement  mari- 
time a grandi,  dans  la  deimière  période  décennale,  cinq 
fois  })lus  vite  que  celui  de  Marseille. 

(l'est  qu’en  effet,  grâce  au  percement  du  Saint- 
(xothard,  du  Mont  Genis,  du  Simjdon,  (fènes  se  trouve 
en  communication  très  directe  non  seulement  avec 
l’Europe  centrale,  mais  encore  avec  l’Est  et  le  Nord  de 
la  France.  Les  Italiens  ont  intelligemment  concentré 
toutes  leurs  sollicitudes  et  tous  leurs  efforts  sur  cette 
ville  à laquelle  ils  ont  laissé  d’ailleurs  une  organisation 
presque  autonome. 

Grosse  et  difficile  question  sans  doute  que  celle  de 
l’autonomie  des  ports,  et  qui  ne  comporte  jias  de  solu- 
tion uniforme,  (dn  ne  peut  soumettre  à un  même 
régime  de  grands  jiorts  qui  se  suffisent  à eux-mêmes  et 
de  ])etits  ports  que  ne  visitent  que  des  navires  d’un 
faible  tonnage,  et  qui  ne  percevront  que  des  taxes  insi- 
gnifiantes. Marseille,  du  moins,  est  dans  les  conditions 
les  meilleures  jiour  faire  un  essai.  Les  hommes  les  jdus 
com})étents  estiment  qu’il  n’j  aurait  }>as  d’inconvénient 
à ce  que  l’Etat  passe  au  criâlit  de  la  ville,  ou  de  la 
Société  qui  pourrait  se  constituer  pour  l’administration 
du  port,  le  montant  des  droits  de  quai  et  des  droits 
sanitaires  qu’il  perçoit  pour  son  compte.  11  lui  four- 
nirait ainsi  les  moyens  de  gager  les  emprunts  néces- 
saires ])our  maintenii“  le  port  à la  hauteur  des  progrès 
modernes.  Les  travaux  seraient  certainement  effectués 
avec  plus  de  rajiidité  qu’ils  ne  le  sont  aujourd’hui  par 
l’État. 

Ce  système  a réussi  à l’étranger,  à Brème,  à Ham- 
bourg, à Liverpool,  à Southam})ton. 

Les  administrations  locales  [lourvoient  à la  plus 
grande  })artie  des  dé])cnses  de  construction, d’agrandis- 
sement et  d’entretien  de  leurs  ])orts,  et  l’Etat  n’inter- 
vient que  pour  les  travaux  publics  d’une  inqiortance 
exceptionnelle. 


LE  PORT  DE  MARSEILLE 


173 


Le  développement  de  nos  ports  est  d’ailleurs  constam- 
ment entravé  par  les  « Ibrmalités  » administratives, 
résultant  de  ce  fait  que  les  moindres  changements  ne 
peuvent  être  exécutés  que  par  le  concours  de  cinq 
ministères  (sans  parler  du  Conseil  d’Etat). 

Les  })lans  du  liassin  de  la  Pinède  ont  été  adoptés 
en  18Sü.  C’est  en  1895  seulement  que  les  travaux 
commencèrent;  ils  n’ont  été  achevés  qu’en  1906.  Il  a 
fallu  patienter  dix-se])t  ans!  Et  les  profondeurs  prévues 
en  1889,  sont  regardées  maintenant  comme  insuffi- 
santes. A l’excès  des  formalités  administratives  viennent 
s’ajouter  les  erreurs  d’une  politique  électorale  qui  a eu 
pour  conséquence,  d’imposer  chez  nous,  des  économies 
à run  des  chapitres  du  budget  qui  devrait  cependant  le 
moins  en  comporter,  au  chapitre  des  travaux  imhlics. 

Notre  mesquine  politique  électorale  a eu  pour  résul- 
tat de  faire  distribuer  un  peu  sur  chaque  portion 
de  territoire,  ahn  de  contenter  un  peu  tous  les  élec- 
teurs; et  les  miettes  de  crédit  ainsi  distribuées  ont  été 
si  faillies  qu’elles  ont  été  fatalement  stériles. 

L’exemple  même  de  Marseille  est  signiticatif.  Le 
projet  de  grands  travaux  qui  avait  été  déposé  en  19U1, 
par  M.  Pierre  Baudin,  comportait  une  somme  de 
34  millions  })our  amélioration  du  port  de  Marseille  et  une 
autre  de  91  millions  pour  la  construction  du  canal  de 
Marseille  au  Rhône,  sans  parler  de  6 millions  pour 
améliorer  la  navigabilité  de  ce  fleuve. 

Le  Sénat  a ra^’é  Gü  millions  sur  ces  divers  crédits  et 
cela  a encore  retardé  le  commencement  des  travaux. 
Les  quelques  millions  qui  ont  été  définitivement  votés 
})ermettaient  cependant  d’entreprendre  ces  travaux, 
d’autant  plus  aisément  que  la  Chambre  de  commerce 
de  Marseille  aidée  du  Conseil  général  et  de  la  Munici- 
l)alité  avait  oflért  une  subvention  de  35  5U0  fXX)  francs. 

« Les  questions  de  transport,  disait  le  président  du 
huitième  Congi'ès  international  de  navigation,  sont 


174 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


pourtant  des  questions  vitales.  I/idéal  serait  que  l’usine 
efit  à sa  }iortée,  à la  fois  les  matières  premières  et  le 
combustible  dont  elle  a besoin.  Or  il  en  est  rarement 
ainsi.  Presque  toujours  il  faut  ou  ({ue  le  minerai  aille 
trouver  la  houille,  ou  que  la  houille  aille  joindre  le 
minerai.  Ces  déplacements  peuvent  être  comparés  à 
des  pertes  de  force  dans  les  rouages  d’une  machine.  Il 
faut  qu’ils  ne  coûtent  presque  rien.  Dans  cet  ordre 
d’idées,  le  bateau  est  un  élément  essentiel  de  l’outillage 
industriel.  » 

Ajoutons  que  les  tarifs  de  la  navigation  fluviale 
peuvent  s’abaisser  jusqu’à  12  centime  ])ar  tonne  kilo- 
métrique, tandis  qu’à  .3  centimes  (c’est  le  })rix  de  faveur 
accordé  par  la  Compagnie  P.-L.-M.  aux  céréales  entre 
Cenève  et  Marseille)  le  transport  par  voie  ferrée 
entraine  déjà  une  perte. 

D’autres  causes  encore  ont  ralenti  le  développement 
de  Marseille.  Il  est  imj)ossible  de  méconnaître  que  le 
vent  de  protectionnisme  (jui  souftle  de])uis  1892  sur 
notre  i)ays  est  pour  beaucoiq)  dans  les  changements 
de  direction  qui  se  sont  faits  sur  Cènes,  sur  Trieste,  sur 
Fiume,  au  fond  de  l’Adriatique. 

L(‘  })rotectionnisme  s’est  traduit  sous  des  formes 
diverses,  }>ar  exemjde  sous  la  forme  de  restrictions 
a])})ortées  aux  admissions  temporaires,  qui  ont  été  nui- 
sibles au  commerce  des  céréales  et  des  farines. 

Les  interdictions  de  manutentionner  en  entrepôt 
sont  une  grande  gène  ])our  le  commerce  d’exportation 
des  vins. 

On  ne  s’est  même  pas  décidé  à essayer  l’ingénieux 
système  des  magasins-cales,  dont  il  avait  déjà  été  parlé 
au  Congrès  de  navigation  de  Bruxelles,  il  y a quelques 
années.  Ces  magasins  situés  sur  les  quais  sont  consi- 
dérés par  la  douane  comme  un  prolongement  du  navire, 
comme  sa  cale  même,  de  telle  sorte  que  dès  la  re)nise  du 
manifeste  la  cargaison  y est  déliarquée  et  le  navire 


LE  PORT  DE  MARSEILLE 


175 


peut  rapidement  reprendre  la  mer.  Les  formalités 
douanières  ont  lieu  plus  tard. 

La  plupart  des  Marseillais  sont  aussi  convaincus  que 
Marseille  trouverait  grand  profit  à devenir  port  franc. 

On  a beaucoup  écrit  pour  et  contre  les  ])orts  francs. 
Je  suis  persuadé  que  les  ports  francs  sont  particulière- 
ment utiles  dans  les  pays  où  s’est  accentué  le  protec- 
tionnisme. Toutes  les  nations  commerçantes  qui  font  du 
])rotectionnisme  ont  accepté  le  correctif  des  ports  francs. 

Seule  la  France  n’en  ])Ossède  pas  au  moment  où  elle 
en  aurait  le  })lus  besoin. 

Marseille,  si  l’on  veut  faire  un  essai,  a des  titres  par- 
ticuliers à faire  valoir. 

Colbert  l’avait  bien  compris  en  érigeant  Marseille  en 
port  franc.  Le  port  franc  ouvrirait  à l’exportation  mar- 
seillaise un  aliment  qui  actuellement  lui  fait  défaut  ; il 
lui  permettrait  de  prendre  part  à un  commerce  qui  est 
en  partie  accajiaré  par  les  Allemands,  les  Anglais,  les 
Américains.  Il  y a quatre-vingt-dix  ans  qu’on  se  }»ré- 
occupe  de  cette  question.  Elle  est  agitée  depuis  1817  ! 

« Un  quartier  franc  à Marseille,  disait  une  pétition  de 
cette  époque,  ferait  de  notre  ville  une  foire  peiqiétuelle, 
appellerait  une  foule  de  commerçants  qui  auraient  dans 
le  quartier  franc  des  magasins  pour  leurs  relations  avec 
le  dehors  et  dans  la  ville  des  établissements  pour  leurs 
transactions  avec  la  France.  » 

( )n  se  plaint  beaucoup  aussi  à Marseille  de  l’organi- 
sation imparfaite  de  nos  chemins  de  fer,  de  l’insurti- 
sance  du  personnel,  du  matériel  de  traction,  du  maté- 
riel roulant,  des  bâches,  des  voies  de  triage,  des  quais 
couverts. 

Le  récent  rapport  de  M.  Agelasto,  président  de  la 
Chambre  S3mdicale  des  minotiers,  montre  combien  ces 
insuffisances  occasionnent  de  pertes,  d’avaries,  de 
retards.  Elles  ont  d’ailleurs  obligé  la  Compagnie 
F.-L.-M.  à payer  cette  année  de  grosses  indemnités. 


176 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l)’uiie  façon  générale  nos  tarifs  sont  très  élevés. 

Dans  line  remarquable  communication  jirésentée  il  j 
a quelques  mois  à la  Fédération  des  industriels  et  des 
commerçants  français,  M.  Michel  (fuilland  a montré 
comment  des  jiroduits  expédiés  d’Algérie  à Dijon,  pro- 
duits qui  devraient  normalement  passer  ])ar  Marseille, 
ont  avantage  à hier  par  Gibraltar,  à contourner  les 
cfites  de  France  et  à remonter  la  Seine,  faisant  ainsi 
•3000  kilomètres  par  eau  plutôt  que  515  kilomètres  sur 
terre. 

Le  savon  de  Marseille  vient  à Rouen  pour  19  francs, 
en  faisant  le  tour  de  l’Es])agne.  Le  transjiort  cofite 
10  francs  s'il  jtrend  la  voie  directe.  Les  cotons  que  la 
Suisse  achète  dans  nos  colonies  afidcaines  }iour  alimen- 
ter ses  im})ortantes  faliriques,  lui  arrivent  moyennant 
00  francs  la  tonne  en  ])assant  ]>ar  Gènes  et  le  Saint- 
Gothard.  Far  Marseille  et  la  Gompagnie  P.-L.-M.,  le 
}trix  n’est  jamais  inférieur  à i~)  francs. 

Cet  état  de  choses  est  d’autant  j)lus  fâcheux  jiour  nous 
que  Marseille  était  une  ville  d’intermédiaires,  une  ville 
où  abondaient  les  grandes  maisons  de  commission  ([ui 
achetaient  des  chargements  entiers  pour  les  l'evimdre 
par  ])ortions  moi'celées,  soit  en  France,  soit  h l’étranger. 

G('  mode  d’activité,  jadis  si  rémunérateur,  est  en 
quelque  sorte  jiaraRsé  et  la  difiiculté  a été  encore 
accrue  ])ar  ces  habitudes  nouvelles  <{ui  jioussent  les 
clients  à s’adi*esser  directement  au  jiroducteur,  et  aussi 
par  les  efforts  que  font  les  producteiii's  jiour  vendre 
directement  aux  consommateurs,  ahn  de  réaliser  jiar  la 
sujijiression  des  intermédiaires,  les  économies  qui  leur 
jiermettent  de  lutter  contre  leurs  concurrents. 

Le  jiercement  du  tunnel  du  Simjdon,  bien  qu’il  n’ait 
pas  la  même  imjiortance  que  celui  du  Saint-Gothard, 
est  loin  d’être  favorable  à Marseille. 

Nous  nous  sommes  d’ailleurs  mal  armés  en  vue  d’un 
raccordement  convenable  avec  ce  tunnel. 


Li:  PüRT  DE  MAR^5EILLE 


177 


De  tous  les  ])rqjets  mis  en  avant,  il  n’en  est  pas  un 
qui  soit  satisfaisant  })our  Marseille.  Et  il  est  permis  de 
penser  qu’après  le  percement  du  Loetschberg,  le  perce- 
ment du  Simplon  détournera  forcément  un  trabc  d’une 
certaine  importance. 

Ce  n’est  pas  seulement  l’organisation  de  nos  voies 
ferrées  et  de  nos  voies  tluviaies  qui  est  imparfaite,  c’est 
aussi  toute  notre  législation  maritime  qui  est  défavo- 
rable à raccroissement  de  l’activité  de  nos  ports.  Elle 
impose  à nos  armateurs  des  chai-ges  énormes. 

Anglais  et  Allemands,  })our  ne  citer  que  ces  deux 
peuples,  ont  fait  plus  que  nous  pour  favoriser  leur 
marine  marchande.  En  Angleterre  celle-ci  bénéficie  de 
subventions  postales  considérables.  En  Allemagne  elle 
trouve  un  fret  abondant,  des  matières  lourdes  et  des 
produits  manufacturés  de  toute  sorte,  sans  parler  d’une 
autre  sorte  de  marchandise,  la  marchandise  humaine, 
les  émigrants,  qui  l)énéticient  de  tarifs  de  faveur,  lors- 
que, venus  d’un  point  quelconque  de  l’Europe  centrale, 
ils  viennent  s’embarquer  à Brème  ou  à IIaml)ourg. 

Aussi  bien,  l’empereur  Guillaume  II  attache  une 
grande  importance  aux  questions  maritimes.  « Notre 
avenir  est  sur  l'eau  »,  a-t-il  dit  un  jour.  Et  quand  un 
souverain  aussi  actif,  aussi  énergique,  })rononce  une 
semblable  formule,  on  peut  être  assuré  qu’il  fera  tout 
son  possible  pour  qu’elle  devienne  une  réalité. 

A toutes  les  difficultés  dont  je  viens  de  présenter  le 
tableau  en  raccourci,  il  n’est  }>as  facile  de  proposer 
immédiatement  un  remède. 

11  me  semble  que  la  })remière  chose  à faire  serait  de 
rendre  plus  faciles  les  communications  entre  Marseille 
et  son  Hinterland. 

Les  Français  doivent  faire  à cet  égard  ce  qu’ont  fait 
les  Allemands,  les  Hollandais  et  aussi  les  Belges. 
^’ous  avez  très  bien  com})ris  la  nécessité  de  ra})])ro- 
IIR  SÉRIE.  T.  Xll.  1-2 


178 


REVUE  DES  Q’UESTIONS  SCIENTIFIQUES 


cher  le  plus  possible  la  mer  des  régions  intérieures. 
Et  cela  a puissamment  contribué  au  développement 
économique  à la  fois  du  pays  et  des  ports.  A"ous 
avez  compris  l’importance  des  voies  navigaldes.  A'ous 
estimez  que  ce  n’est  }>as  une  erreur  de  dépenser 
quelques  millions  pour  améliorer  le  cours  de  vos 
rivières  ou  pour  construire  des  canaux. 

En  France,  dans  le  bassin  de  la  Seine,  dans  celui  de  la 
Saône,  nous  avons  un  réseau  de  canaux  convenablement 
agencé.  Et  le  canal  de  la  Marne  à la  Saône,  qui  vient 
d’être  achevé  après  une  longue  et  très  fâcheuse  période 
d’interru])tion,  pourra  rendre  beaucoup  de  services. 
Mais,  pratiquement,  notre  réseau  intérieur  se  termine 
à Lyon.  Pratiquement,  le  Rhône  ne  sert  à peu  j)rès  à 
rien.  Il  ne  le  réunit  ni  à Marseille,  ni  même  à la  mer. 

Les  ingénieurs  ont  fait  ce  qu’ils  ont  jm  avec  l’argent 
mis  à leur  disposition  pour  créer  un  chenal  navigalile 
dans  le  lit  du  tleuve,  mais  les  difficultés  sont  telles  (sur- 
tout à la  remonte)  que  les  transports  entre  Marseille  et 
Lyon  doivent  se  faire  presque  tous  par  wagons.  On  va 
relier  Marseille  au  Rhône,  c’est  quelque  chose,  mais  le 
jtroblème  ne  sera  résolu  qu’à  moitié.  Les  résultats 
seront  minces  si  l’on  ne  se  décide  }>as  à améliorer  le 
tleuve  lui-même  ou  à construire  un  canal  latéral  à 
grande  section  qui  pourrait  en  même  temps  servir  soit 
à l’irrigation  de  régions  assez  arides,  soit  à l’établisse- 
ment  d’usines  auxquelles  la  force  motrice  ne  ferait  i)as 
défaut. 

Avec  les  moyens  que  les  ingénieurs  ont  aujourd’hui 
à leur  disposition,  notamment  avec  les  roues  hydrau- 
liques, la  régularisation  du  cours  du  Rhône  n’est  pas 
un  problème  insoluble. 

Le  Rhône  a 100  mètres  de  pente  de  Lyon  à la  mer. 
Il  faut  le  transformer  en  un  vaste  escalier-  hydraulique, 
pourvu  à chaque  échelon  d’une  j)uissante  usine. 

Une  partie  de  la  force  qu’il  ])eut  fournir  pourrait  être 


LE  PORT  DE  MARSEILLE 


179 


employée  à élever  Teau  et  à arroser  les  l’égions  si  arides 
de  Nîmes  et  de  Mont}»ellier.  Il  s’agit  en  somme,  tout  à 
la.  ibis,  d’améliorer  la  navigation,  de  favoriser  l’irri- 
gation, de  créer  des  forces  industrielles,  de  rendre  un 
peu  de  pros})érité  à des  contrées  cruellement  éprouvées. 

L’œuvre  à accomjilir  est  considérable  par  riiii})or- 
tance  des  travaux,  mais  elle  est  considérable  aussi  par 
la  grandeur  des  résultats.  ( )n  a juiidé  d’une  dépense  de 
4ü0  millions  ! Mais  cette  somme  ne  semble  pas  dispro- 
portionnée au  résultat  à olitenir. 

Les  statisticiens  nous  assuTent  que  depuis  quelques 
années  la  France  a prêté  aux  nations  voisines  plus  de 
30  milliards.  Les  jdacements  à l’étranger  peuvent  avoii* 
leur  utilité.  Mais  ce  serait  faire  œuvre  plus  sage  et  plus 
patriotique  que  d’em})loyer  une  ])artie  de  ré}iargne 
nationale  à féconder  le  }>ays  lui-même,  surtout  quand 
elle  }>eut  trouver  une  rémunération  avantageuse. 

La  vallée  du  Rhône  pourrait  être  d’autant  plus  aisé- 
ment enrichie  par  l’industrie  qu’elle  est  à proximité  de 
ce  magnifique  renqiart  des  Alpes  où  à défaut  de  houille 
nous  avons  en  abondance  une  force  motrice  encore  à 
peine  utilisée,  la  houille  lilanche.  Les  Alpes  et  le  Jura 
d’un  côté,  les  Cévennes  de  l’autre,  tiennent  en  réserve 
des  forces  considérables  (on  les  évalue  à 250  000  che- 
vaux-vapeur au  moins)  dont  l’utilisation  aurait  pour 
l’avenir  de  notre  pays  une  importance  de  premier 
ordre.  Le  long  couloir  formé  par  les  vallées  de  la  Saône 
et  du  Rhône  pourrait  se  remplir  d’usines  et  de  fabriques 
qui  contribueraient  à assurer  à Marseille  le  « fret  » qui 
lui  fait  défaut. 

Les  derniers  rap|)orts  de  la  Chambre  de  commerce 
constatent  avec  tristesse  qu’on  ne  peut  plus  dire  main- 
tenant de  Marseille  que  c’est  un  port  de  transit.  La 
majeure  partie  de  son  trafic  est  alimentée  par  le  com- 
merce et  l’industrie  de  la  localité. 

Le  creusement  du  canal  du  Rhône  à Marseille  (fig.  3) 
permettra  d’autres  espérances. 


180 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


1 


Kiü.  3.  — Trncé  du  canal  de  navigation  du  l!hône  à Marseille 


LE  PORT  DE  MARSEILLE 


181 


Marseille  manque  aujourd’hui  d’emplacements  conve- 
nables pour  l’agrandissement  de  son  port;  les  terrains 
qui  avoisinent  les  bassins  actuels  sont  fort  chers,  il 
faut  réserver  de  la  place  aux  usines  et  aux  fabriques. 
Celles-ci  trouveraient  un  emplacement  très  favorable 
sur  les  rives  du  vaste  étang  de  Berre,  cette  admirable 
mer  intérieure  dont  nous  n’avons  jusqu’ici  tiré  aucun 
parti.  Ces  rives  sont  aujourd’hui  en  grande  partie 
désertes!  Une  vastedianlieue  industrielle  pourrait  s’y 
créer.  Ce  magnifique  bassin,  serait  ainsi  une  sorte 
d’annexe  du  port  de  Marseille  proprement  dit. 

Les  industries  qui  se  créeraient  auprès  de  l’étang  de 
Berre  ne  feraient  aucun  tort  à celles  de  la  ville  ; elles 
contrilnieraient  plutôt  à leur  donner  un  surcroît 
d’intensité;  et  l’installation  d’une  partie  de  la  popu- 
lation ouvrière  à quelques  kilomètres  de  Marseille  ofif  i- 
rait  à tous  égards  de  grands  avantages... 

Le  canal  de  Marseille  au  'Rhône  est  enfin  entré  dans 
la  ])ériode  d’exécution.  Le  président  de  la  Ré})ublique 
a posé  la  première  pierre  au  mois  de  septembre  der- 
nier. Les  travaux  à exécuter  du  côté  de  l’étang  de  Berre 
ont  été  mis  en  adjudication.  On  va  commencer  inces- 
samment le  percement  du  tunnel  du  Rove,  à travers  la 
chaîne  de  l’Estaque. 

En  même  temps  la  Chambre  de  commerce  de  Mar- 
seille s’est  décidée  à de  nouveaux  efibrts  pour  améliorer 
l’outillage  maritime,  dans  ses  principales  variétés. 

Les  Marseillais  ont  d’ailleurs  à leur  tête  une  élite 
intelligente,  énergique,  qui  a conscience  des  difficultés 
qu’il  s’agit  de  vaincre  et  est  résolue  à trouver  une  solu- 
tion. Ils  sauront  se  montrer  les  dignes  héritiers  de  leurs 
vaillants  devanciers  qui  ont  donné  tant  de  preuves  de 
hardiesse  et  de  persévérance. 

Ils  ont  organisé  l’an  dernier  une  magnifique  exposi- 
tion qui  a fait  l’admiration  de  tous  ceux  qui  l’ont  visitée, 
qui  a été  comme  une  indication  du  rôle  que  Marseille 


182 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


jx'ut  aiii])itionner,  (jui  a monti-é  cà  quel  jioiiit  Marseille 
est  un  trait  (runion  entre  la  France  inétrojiolitaine  et 
ses  possessions  (rontre-iner. 

A Marseille  on  conijtrend  mieux  ipie  dans  les  antres 
villes  de  France  ([ne  nous  serions  vite,  avec  nos  faibles 
excédents  de  natalité,  acculés  à la  nécessité  d’être  nne 
[Miissance  secondaire  si  nous  ne  chei’cliions  pas  des 
d(’d)oncliés  extéideiirs. 

Xos  colonies  nous  sont  infiniment  [)récienses  à cet 
é^ard.  Elles  nous  sont  de  [dns  en  [dns  indispensables! 
C’est  [)ar  notre  enqdre  C(donial  ([ne  nous  [khivoiis  rester 
nne  grande  nation.  Aos  colonies  sont  [)onr  nous  res[)oir 
et  la  l'éserve  de  l’avenir. 

En  [(aidant  dn  [)ort  de  Marseille,  j’ai  été  ainsi  amené 
à aboi-der  qnelqnes-nns  des  [H-oldèmes  les  [dns  aniiids- 
sants  ([iii  s((  [(osent  anjourd’lini  à notre  [(atriotisme. 
Fnissé-je  vous  avoir  aidé  à mieux  conqd'endre  ce  que 
la  cin([iiième  section  de  la  Société  Scientifique,  à la([nelle 
j’ai  (’dé  benrenx  d('  [(onvoir  ap[(orter  mon  m((deste 
concours,  a appelé  : la  fonction  économique  des  [(orts  ! 

Fermettez-moi  de  v((iis  féliciter,  en  terminant,  des 
efforts  ([ne  vous  faitc's  [((nir  donner  à votre  [*a\'s,  si 
vivant,  si  lal(((rienx  et  ([ni  s’ada[(te  si  bien  aux  exi- 
iiences  de  la  vie  économique  contem[(oraine,  nne  [dns 
grande  [dace  dans  le  imnide. 

^’ons  êtes,  dans  le  concert  des  nations  ([ni  semblent 
entraînées  avec  nne  ra[(idité  vertiiiinense  vers  nn  ave- 
nir iKdivean,  l’iin  des  [(ciqdes  qni  [(récipitmit  \c  [dns 
leurs  pas.  Et  v((ns  devenez,  v(dis  aussi,  une  nation 
maritime!  C’est  de  tout  C(enr  ([ne  Je  vous  sonbaite  de 
recueillir  abondamment  b'  frnit  de  vos  etbnds  an  c(dirs 
dn  si(‘cle,  fécond  [(cnt-ètre  en  sniqddses,  qni  vient  de 
s’onvrir. 


O.  Blondel. 


LE  GRISOU 


111.  — Rôle  de  l’aérage 

Nous  avons  vu  que  le  grisou  qui  se  dégage  spontané- 
ment dans  les  mines,  peut  produire  l’asphyxie.  11  doit 
pour  cela  se  trouver  mélangé  à l’air  dans  une  propor- 
tion d’environ  30  p.  c.  Mais  l’atmosphère  grisouteuse 
devient  dangereuse  à une  teneur  bien  inférieure,  6 p.  c.; 
elle  détone  alors,  si  elle  vient  à se  trouver  en  contact 
durant  un  temps  suffisant  avec  un  corps  à haute  tempé- 
rature. 

Placer  les  travailleurs  dans  une  atmosphère  où  ils 
courraient  à chaque  instant  le  danger  de  périr  par  suite 
d’une  explosion,  est  chose  inadmissible,  alors  même  que 
l’on  accumulerait  toutes  les  précautions  pour  éloigner 
de  la  mine  tout  objet  capable  de  provoquer  l’inflamma- 
tion du  grisou.  Il  ne  doit  donc  jamais  exister  en  un 
point  quelconque  des  exploitations,  une  atmosphère 
contenant  environ  6 p.  c.  de  grisou.  De  fait,  dans  les 
travaux  bien  conduits,  la  teneur  en  grisou  est  toujours 
faible.  Certains  règlements  français  tolèrent  au  maxi- 
mum un  demi  pour  cent;  ailleurs,  cette  limite  varie  avec 
les  caractères  des  couches  de  houille. 

Comment  arrive-t-on  à réaliser  ce  desideratum? 
C’est  ce  que  nous  allons  examiner. 

Exceptionnellement,  on  capte  le  grisou  et  on  le 


(I)  Voir  la  Kevue  des  Quest.  sciextif.,  avril  1907,  pp.  511-548. 


i8i 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


conduit  par  tuyaux  à la  surface,  où  on  peut  Tutiliser 
pour  diverses  ap}dications  : éclaii'ag'e,  chauffage  ou 
recher(dies  ex})ériinentales.  Cela  ne  se  })rati([ue  que 
}tour  des  dégagements  ^localisés,  des  souttiards,  qui 
auraient  sans  cela  infesté  les  travaux.  Plus  rarement, 
comme  c’est  le  cas  à Frameries  pour  la  prise  alimen- 
tant le  laboratoire  d’essai  de  l’Administration  des  mines, 
011  a canalisé  un  dégagement  de  grisou  provenant  d’un 
([uartier  de  la  mine  aliandonné,  dont  on  a obturé  les 
issues  par  des  serrements  ou  liarrages  en  maçon- 
nerie (1). 

Mais,  nous  l’avons  vu,  le  dégagement  du  grisou  se 
fait  surtout  de  façon  continue,  et  en  une  infinité  de 
]»oints,  partout  où  la  houille  se  ti-ouve  en  contact  avec 
1 atnios})lière  de  la  mine.  Empêcher  répanchenient  du 
gaz  intlaniniable  dans  ratmospliére  est  chose  irréali- 
sable. 11  faut  donc  se  liornei’  à le  rendre  inotfensif. 

L('  j)riiici])al  composé  combustible  du  grisou,  le 
méthane,  a})partient  à la  série  des  paraffines  ainsi  nom- 
mées en  raison  de  leurs  faibles  attinités  chimiques.  Il  ne 
faut  donc  pas  s’étonner  de  l’insuccès  constant  des 
diverses  tentatives  faites  pour  purifier  ratmospliére  des 
.charbonnages  en  fixant  ou  en  condensant  le  grisou  à 
l’aide  de  réactifs.  Le  chlorure  de  chaux  })i*oposé  par 
l’Anglais  Fincham,  se  conilùne  liien  avec  le  grisou,  mais 
seulement  sous  rinfluence  d’un  agmit  qui  fait  absolu- 
ment défaut  dans  les  mines,  la  lumière  solaire.  La  com- 
binaison avec  l’oxygène,  l'éalisée  par  la  combustion  du 
gi'isou  dans  l’air,  est  facile  à olitenir,  et,  de  fait,  on  l’uti- 
lisa longtemps.  C’i'st  ainsi  que  dans  les  houillères 
saxonnes,  on  sus])endait  au  faite  des  ex})loitations  des 
lampes  éternelles,  destinées  à liniler  le  grisou  qui  s’y 
dégageait.  Mais  l’effet  utile  de  ces  lampes  était  mince, 
(d  leur  présence  constituait  um'  soui-ce  perpétuelle  de 

(I)  Cf.  Watleyne,  SlassatT  et  Denoel,  .Vnn.  des  .Mines  de  Delgique,  t.  VH, 
1902,  p.  1009. 


LE  GRISOU 


185 


claiiiiei'.  Dans  la  plupart  des  anciens  charbonnages,  on 
eut  longtemps  recours  à un  procédé  plus  barbare  : la 
promenade  du  pénitent.  Avant  la  reprise  du  travail,  un 
homme  amplement  couvert  de  vêtements  mouillés  par- 
courait les  galeries  et  les  tailles,  une  torche  à la  main, 
})our  mettre  le  feu  aux  amas  de  grisou  formés  çà  et 
là  dans  les  parties  élevées.  Nous  n’essayerons  pas  de 
peindre  les  émotions  et  les  angoisses  de  cet  infernal 
métier;  il  a disparu  depuis  longtemps,  non  sans  avoir 
fait,  sans  doute,  bien  des  victimes.  Lampes  éternelles  et 
jiénitents  seraient  d’ailleurs  impuissants  à combattre  le 
dégagement  de  gaz  au  sein  de  nos  mines  modernes  plus 
vastes  et  plus  profondes. 

Le  moyen  pratique  et  efficace  d’empêcher  l’accu- 
mulation du  grisou,  le  seul  qu’ait  sanctionné  l’expé- 
rience, est  sa  dilution  dans  un  volume  d’air  suffisant. 
Il  faut,  disaient,  dés  le  XMIP  siècle,  les  mineurs 
d'Anzin,  « noyer  le  grisou  dans  l’air  ».  Tel  est  le  rôle 
de  l'aérage.  On  introduit  de  tàçon  continue  dans  les  tra- 
vaux souterrains  un  cube  d’air  proportionné  au  volume 
de  grisou  dégagé,  et  l’on  expulse  sous  la  poussée  de  cet 
air  frais  l’air  vicié  de  la  mine.  Du  même  coup  on  purge 
les  travaux  d’autres  gaz  irrespirables  ou  toxiques  tels 
que  l’anhydride  carbonique,  l’acide  sulfhydrique,  qui  se 
dégagent  naturellement  des  roches,  ou  qui  sont  la 
conséquence  inévitalile  de  la  présence  de  l’homme  et  des 
animaux,  de  l'emploi  des  lampes  et  des  explosifs,  etc. 

En  outre,  grâce  à l’aérage,  l’atmosphère  de  la  mine 
se  trouve  rafraîchie.  Ce  fait  est  surtout  important  aux 
grandes  profondeurs,  1000  mètres  et  plus,  atteintes 
aujourd’hui  par  plusieurs  charbonnages  belges.  En  effet, 
en  raison  du  degré  géothermique,  les  roches  mises  à 
nu  dans  ces  travaux  se  trouvent  à des  températures  qui 
atteignent  et  dépassent  même  30  à 40  degrés  centi- 
o'rades. 

O 


186 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Assurer  la  ventilation  (611110  mine  soulève  des  pro- 
liléines  délicats,  surtout  si  l’on  s’attache,  comme  il  est 
de  règle,  à réaliser  l’installation  à la  fois  la  plus  éco- 
nomique et  la  plus  efficace.  Il  s’agit,  en  effet,  de  faire 
circuler  })ar  des  galeries  plus  ou  moins  étroites,  mais 
dont  le  développement  atteint  souvent  plusieurs  kilo- 
mètres, un  cube  d’air  qui,  voisin  dans  beaucoup  de  cas 
de  20  à 25  mètres  cubes  par  seconde,  s’élève  souvent 
à 50,  parfois  même  100  mètres  cubes. 

La  solution  du  problème  dépend,  tout  d’abord,  des 
moyens  mécaniques  dont  on  disjiose  pour  assurer  cette 
circulation  de  l’air. 

Anciennement,  on  utilisait  souvent  l’aérage  naturel 
en  plaçant,  à des  altitudes  différentes,  les  j)oints  d’en- 
trée et  de  sortie  du  courant.  11  s’établissait  ainsi  un 
tirage  plus  ou  moins  actif. 

Cette  disposition  ne  se  rencontre  ]tlus  aujourd’hui  que 
dans  des  charbonnages  de  faillie  inquirtance,  peu  j)ro- 
fonds  et  partant  non  grisouteux.  Personne  ne  s’en 
étonnera  : L’aérage  naturel  varie,  en  effet,  non  seule- 
ment d’intensité,  mais  de  sens  suivant  les  conditions 
météorologiques,  et  cesse  ]>arfois  complètement. 

Certaines  mines  utilisent  aujourd’hui  encore,  en 
Angleterre  notamment,  une  disposition  ])eu  différente 
en  principe  de  l’aérage  naturel,  et  qui  était  en  honneur 
dans  nos  mines  wallonnes  aux  siècles  précédents  : c’est 
le  système  des  foyers  ou  du  toque  feu.  Nos  jtères  se  bor- 
naient à descendre  dans  le  puits  de  retour  d’air  un 
jtanier  de  fer  rem})li  de  charlion  incandescent.  Le  tirage 
se  trouvait  ainsi  amorcé,  })uis  soutenu,  grâce  à réchauf- 
fement de  l’air,  et  la  ventilation  de  la  mine  en  était  la 
conséquence.  Sulistituez  à cette  sorte  de  brasero  une 
grille  de  large  surface,  ])lacez-la  dans  un  endroit  où 
vous  pouvez  l’alimenter  d’air  pur,  détournez  enfin  les 
fumées  et  les  gaz  chauds  vers  le  retour  d’air  de  la  mine 
et  vous  aurez  réalisé  la  variante  la  plus  perfectionnée 


LE  GRISOU 


187 


de  ce  système.  Il  n’est  pas  exempt  de  danger  s’il  exige 
la  présence  d’un  foyer  découvert  là  où  pourrait  se  créer 
une  atmosphère  explosive  ; mais  il  n’en  est  pas  moins 
très  efficace,  dans  certains  cas  particuliers.  Il  faut 
s’abstenir  de  le  condamner  à priori^  mais,  dans  charpie 
cas,  examiner  de  près  les  conditions  spéciales  de  son 
application. 

Je  passe  sous  silence  diverses  dispositions  analogues, 
notamment  les  éjecteurs,  pour  en  arriver  immédia- 
tement au  système  le  plus  en  honneur  aujourd’hui, 
celui  des  pompes  à vent. 

Elles  furent  d’abord  à mouvement  alternatif,  et  plus 
ou  moins  copiées  sur  les  pompes  à vapeur  servant  à 
l’épuisement  des  eaux.  Mais  bientôt  les  constructeurs 
s’engagèrent  dans  des  voies  nouvelles,  et  après  avoir 
essayé  des  machines  rotatives  à capacité  invariable  ou 
volumogènes,  telles  c|ue  le  ventilateur  Fabry,  ils  imagi- 
nèrent les  pompes  centrifuges  à vent,  ou  ventilateurs 
proprement  dits.  Ges  machines,  universellement 
employées  aujourtl’hui,  sont  de  véritables  monstres  si 
on  les  compare  aux  pompes  centrifuges  à eau. 

La  technique  des  ventilateurs  s’est  beaucoup  perfec- 
tionnée durant  les  vingt-cinq  dernières  années  du  siècle 
écoulé.  Grâce  à une  étude  attentive  de  la  « physiologie  » 
de  ces  machines,  on  a pu  leur  faire  produire  sans 
cesse  plus  et  mieux.  Parmi  les  savants  qui  ont 
contribué  largement  à la  solution  de  ce  problème  si 
délicat  et,  sur  certains  points,  si  obscur  encore  aujour- 
d’hui, il  faut  citer,  en  toute  première  place,  et  pour 
nous  en  tenir  aux  morts,  deux  Belges,  deux  Borains, 
Guihal  et  Devillez.  Le  ventilateur  connu  sous  le  nom 
de  Guihal,  qui  est  si  apprécié  non  seulement  en 
Belgique,  mais  à l’étranger,  fut  leur  œuvre  commune. 
La  sculpture  s’est  plu  à nous  le  rappeler  en  représen- 
tant ces  deux  ingénieurs  distingués  dans  l’attitude 
d’une  discussion  amicale  sur  la  construction  de  la 


188 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


célèbre  machine.  Ce  lironze  décore  aujourd’hui  l’entrée 
de  l'Ecole  des  Mines  de  Mons. 

C’est  donc  l’aspiration  ou  plus  rarement  la  compres- 
sion jtroduite  ]>ar  un  ventilateur  centrifuge  — les  types 
en  sont  très  nombreux  — qui  fait  circuler  l’air  dans 
la  mine.  Les  règlements  miniers  ont  formellement 
consacré  cette  jtratique  en  ce  qui  concerne  les  mines 
nettement  grisoiiteuses. 

Cette  circulation  de  l’air  est  évidemment  contrariée 
])ar  des  résistances  de  toutes  sortes  : frottement  contre 
les  parois,  coudes,  olistaides  de  toute  nature.  Mais 
l’étude  de  l’aérage  jirojirenient  dit  a marché  de  pair 
avec  celle  des  ventilateurs,  et  on  a réalisé  en  ce  genre 
et  ra})idement  des  progrès  très  considérables.  Il  fut 
toutefois  malaisé,  au  début,  de  convaincre  les  exploi- 
tants do  l’importance  de  la  techni(jue  nouvelle  et  de 
leur  jiersuader  ({iie  le  creusement  à grande  section  de 
toutes  les  voies,  ou  au  moins  des  voies  principales  et 
des  puits,  avait  une  influence  ca})itale  sur  l’améliora- 
tion de  l’aérage.  En  même  teni])s  le  ))rincipe  de  la 
division  du  courant  d’air  fut  introduit  et  se  substitua  à 
la  ventilation  de  toute  la  mine  par  courant  unique. 

En  dépit  de  ces  })rogrès  très  réels,  il  ne  reste  pas 
moins  vrai  que  la  bonne  marche  de  l’aérage  dépend  des 
soins  constants  qu’on  y ajtporte.  11  faut  s’attacher  à 
réduire  au  minimum  la  résistance  de  chacune  des  déri- 
vations du  courant  d’air,  afin  de  rendre  minima  la 
résistance  même  de  la  mine  ; il  faut  modifier  suivant  les 
besoins  la  répartition  du  viuit  entre  les  divers  chantiers; 
enfin,  il  faut  veiller  à sujtprimer  les  pertes. 

Aussi  procède-t-on,  comme  nous  le  vendons  liientôt, 
à des  contrôles  jiériodiques  et  fréquents. 

Le  détail  de  l’aménagement  de  l’aérage  dépend  de 
facteurs  très  nombreux  et  se  trouve  en  relation  étroite 
avec  les  méthodes  d’exploitation.  No  pouvant  entri'r 
dans  un  examen  détaillé,  je  me  bornerai  à dire  qu’il  en 


LE  GRISOU 


189 


est  de  l’aérage  comme  de  toute  distribution.  Il  existe 
deux  maîtresses  conduites,  l’une  d’aller,  l’autre  de 
retour  : L’air  entre  dans  la  mine  par  un  puits,  et  en 
sort  par  un  autre.  Chaque  chantier  représente  un 
circuit  secondaire  branché  plus  ou  moins  directement 
sur  les  puits.  Il  est  de  règle  que  l’air  pénètre  par  la 
partie  la  plus  basse  du  chantier  et  s’y  élève  graduelle- 
ment jusqu’à  atteindre  le  puits  de  retour.  Ce  n’est  que 
dans  le  cas  de  dégagements  très  faibles  que  l’on  tolère, 
en  Belgique,  une  descente  du . courant  d’air  dans  les 
voies  du  chantier.  La  précaution  paraît  s’im})Oser  si  l’on 
se  souvient  de  la  faible  densité  et  du  médiocre  pouvoir 
diffusif  du  grisou. 

En  outre,  on  dispose  les  choses  de  façon  que  la 
plus  grande  quantité  d’air  }>asse,  et  toujours  ascension- 
ncllement,  }>ar  le  front  de  taille,  siège  le  plus  im})ortant 
de  dégagement  du  gaz,  et  balaie  toutes  les'  anfrac- 
tuosités de  la  couche  de  houille. 

()n  veille  également  à ce  qu’il  ne  se  produise  pas, 
notamment  au  ciel  des  galeries,  des  accumulations  de 
o'risou. 

C 

Dans  une  mine  bien  conduite,  la  teneur  en  grisou  du 
retour  d’air  ne  devra  jamais  dépasser  un  taux  déter- 
miné, que  certains  règlements  français,  avons-nous  dit, 
fixent  à un  demi  pour  cent. 

(Jr  on  sait  que  la  quantité  d’air  que  peut  débiter  un 
ventilateur  dépend  non  seulement  des  résistances  de  la 
mine,  mais  encore  de  ses  dimensions  et  de  son  tj’pe. 

On  conçoit  d’autre  part  que  les  exploitants  suivent, 
dans  la  plupart  des  cas,  la  tendance  toute  naturelle  de 
faire  débiter  à leur  machine  la  plus  grande  quantité  d’air 
possible,  afin  de  pouvoir  développer  autant  que  faire 
se  peut  les  travaux.  Il  faudra  donc,  l’afflux  d’air  étant 
constant,  prendre  toutes  les  dispositions  nécessaires 
pour  régulai-iser  le  dégagement  du  grisou,  ou  encore 


190 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


adopter  normalement  un  taux  inférieur  à la  limite 
assignée,  afin  de  ne  pas  la  voir  dépassée  en  cas  de 
dégagement  exceptionnellement  aliondant. 

Nous  avons  vu  que  le  dégagement  direct  et  lent  du 
grisou  est  relativement  régulier  (1).  Il  n’otire  donc  pas 
grand  intérêt  ici.  Dans  le  cas  de  couches  très  grisou- 
teuses,  on  limite  cependant  l’abatage,  qui  est  en  ra})})ort 
direct  avec  le  dégagement.  Ce  sont  surtout  les  gise- 
ments secondaires  et  particulièrement  les  gisements 
secondaires  artificiels  qui,  sous  l’intluence  de  dépres- 
sions barométi’iques  lunisques  et  accentuées,  peuvent 
déverser  dans  le  courant  d’air  une  quantité  considérable 
de  gaz  infiammalile.  On  en  réduit  autant  que  faire  se 
peut  l’importance  ]>ar  un  remblayage  soigné.  En  outre, 
lorsque  la  chose  est  possible,  on  les  isole  par  des  serre- 
ments ou  barrages  appropriés;  au  besoin,  on  renforce 
la  ventilation  des  chantiers  qu’ils  pourraient  infester, 
et  on  prend  des  mesures  particulièrement  rigoureuses 
pour  en  écarter  toute  cause  d’inflammation. 

Pour  ce  qui  est  des  dégagements  instantanés,  il 
faudra  chercher  à en  empêcher  la  pi'oduction.  En 
tlièse  gén(>rale,  on  abaisse  à cet  effet  la  tension  du 
grisou  dans  la  veine  en  la  saignant  jtrogressivement. 
Tout  d’abord,  et  comme  dans  les  couches  très  grisou- 
teuses,  mais  non  sujettes  aux  dégagements  brusques, 
on  limite  ici  l’avancement,  afin  de  donner  à la  houille 
fraîchement  découverte  le  temps  de  « suer  » son 
grisou.  Les  règlements  miniers  prescrivent,  en  outre, 
de  faire  précéder  le  front  d’abatage  d’un  certain 
nombre  de  trous  de  sonde  qui  drainent  le  grisou  et 
facilitent  son  évacuation.  L’efficacité  des  sondages  a 
jiarfois  été  contestée.  On  cite  nombre  de  cas  où  ils 
n’ont  |)as  empêché  la  production  d’un  dégagement 
brusque  à l’endroit  même  où  ils  avaient  été  forés.  C'est 


(I)  Toutefois  il  peut  être  très  importiuit,  et  souvent  sujet  à v.nriations. 


LE  GRISOU 


19i 


que  d’une  part,  les  zones  dangereuses  sont,  comme 
nous  l’avons  vu  (1).  très  localisées,  et  que,  d’autre  part, 
l’action  du  sondage  est  très  locale.  Il  semble  cependant 
hors  de  doute  que  cette  précaution  soit  en  général  elti- 
cace.  Mais  on  ne  possède  aucun  chiffre  à opposer  aux 
détracteurs  du  système,  car  il  serait  très  difficile,  sinon 
impossible,  de  dire  quel  est  le  nombre  d'accidents  que  le 
sondage  a effectivement  empêchés  de  se  produire. 

Entin,  certains  recommandent  de  disposer  les  tailles 
de  manière  à enlever  la  couche  |>ar  bandes  horizontales 
de  faible  hauteur,  la  taille  supérieure  se  trouvant  tou- 
jours en  avance  sur  la  taille  immédiatement  inférieure. 
De  la  sorte,  on  permet  à la  faible  densité  du  grisou  de 
manifester  son  intluence  et  d’accentuer  le  di’ainage. 
Cette  action,  se  produisant  en  masse,  serait  plus  effi- 
cace que  celle  des  sondages.  Il  en  est  de  même  dans 
la  méthode  plus  radicale  encore  des  gradins  droits. 
Les  chiffres  que  l’on  a produits  dans  quelques  cas 
particuliers  ont  ici  une  signification  précise.  Car  on 
aurait  constaté  la  supju’ession  radicale  de  dégagements 
brusques  pi),  alors  que  la  même  couche  exploitée  par 
tailles  renversées,  et  avec  sondage  intensif,  avait  donné 
lieu  à de  nombreux  accidents. 

Si  l'on  doit  s’attacher  à empêcher  par  tous  les  moyens 
possibles  la  production  de  dégagements  lirusques,  c'est 
que  la  mise  en  liberté  rapide  d'énormes  quantités  de 
grisou  bouleverse  complètement  l’aérage  de  la  mine. 
On  a d’ailleurs  soin  de  faciliter  l’évacuation  de  ces  saz 
en  leur  oftrant  des  voies  spacieuses  et  libres  qui  leur 
permettent  de  gagner  le  puits  de  retour  sans  infiuencer 
trop  profondément  la  situation  des  autres  chantiers. 
Mais  pour  les  ouvriers  qui  se  trouvent  à l’endroit  même 
où  se  produit  l’accident,  le  danger  ne  provient  pas  seu- 
il) Revue  des  Quest.  Scient.,  avril  1907,  p.  538. 

('2)  Cf.  .Vnx.  des  Mines  de  Relgique,  t.  Vil,  pp.  735-711;  t.  VIII, 
pp.  705-709. 


192 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


lement  du  grisou.  Le  dégagement  est  en  effet  accompa- 
gné, avons-nous  vu,  de  jirojections  de  char])on  pulvéru- 
lent en  quantités  parfois  énormes.  Les  travailleurs 
courent  donc  non  seulement  le  risque  d’asphyxie,  mais 
le  danger  d’un  ensevelissement.  Aussi  appoident-ils  une 
attention  de  tous  les  instants  à observer  le  travail  de  la 
vi'ine,  à se  rendre  compte  des  indices  pi'écurseurs  d’un 
dégagement,  afin  de  cliercher  le  salut  dans  une  retraite 
rajiide.  En  combattant  la  production  de  dégagements 
brusques,  on  ])are  donc  à de  multijdes  dangers. 

Telles  sont  à grands  ti’aits  les  règles  de  l’aéi‘age  des 
mines  à grisou  (i). 

Il  est  naturel  d’instituer  un  contrôle  de  l’aérage  de 
manière  à s’assurer  que  la  quantité  d’air  entrant  dans 
la  mine  est  sudisante  et  s’y  trouve  judicieusement 
répartie.  Dans  nombre  de  mines  westpbaliennes,  un 
sui'veillant  spécial  est  chargé  de  déterminer  le  cube 
d’air  })assant  }»ar  chaque  chantier,  d’évaluer  sa  teneur 
en  grisou,  et  de  veiller  sur  l’état  et  la  disposition 
des  portes  obturatrices  détournant  le  courant  d’air 
dans  certaines  galeries,  les  vannes  régulatrices,  etc. 
Dans  les  mines  françaises,  la  mesure  journalière  de  la 
teneur  en  grisou  des  principaux  retours  d’air  est  impo- 
sée par  les  règlements  (2).  En  Belgique,  les  prescrip- 
tions sont  d’ordre  général  : elles  interdisent  une  vicia- 
tion  trop  grande  de  l’air,  et  chargent  la  surveillance  de 
s’assurer  de  façon  régulière  et  continuelle,  de  l’état  de 
l’atmosphère. 

Le  contrCde  porte  sur  deux  points  : le  volume  du  cou- 
rant d’air  et  la  teneur  en  grisou.  A vrai  dire,  la  déter- 
mination du  volume  du  courant  est  d’ordre  général,  et 

(1)  Je  tiens  à raiipeler  ici  que  cet  exposé  ii’est  qu’une  esquisse.  Le  lecteur 
n’y  cherchera  donc  pas  la  solution  des  cas  multiples  et  variés  de  la  pratique. 

Cl)  Cf.  notamment  Chesneau,  L'Oi'(iaHisalio)i  acUwlle  de  lu  fivisoumétrie 
dutis  les  Hoidllèees  feançuises.  Conçu,  inteun.  des  Mines,  etc.,  Liège,  IttOo, 
pp.  I(j5-I98. 


LE  GRISOU 


193 


n’a  d’intérêt  immédiat  dans  la  question  du  grisou  que 
lorsqu’il  s’agit  d’évaluer  les  quantités  de  gaz  intlam- 
mable  emportées  par  la  ventilation.  Elle  fournit  néan- 
moins des  bases  d’appréciation  très  intéressantes. 
Aussi  ces  jaugeages  sont-ils  pratiqués  sur  une  vaste 
échelle. 

Mais,  nous  l’avons  dit,  ce  qu’il  faut  surtout  éviter, 
c’est  la  formation  en  un  point  quelconque  de  la  mine 
d'une  atmos})lière  contenant  une  quantité  trop  grande 
de  grisou. 

Nombreux  sont  les  appareils  que  l’on  a imaginés  }>our 
déceler  la  présence  du  grisou.  Au  lendemain  de  chaque 
catastrophe,  les  journaux  ne  manquent  ])as  de  nous 
apporter  le  fruit  des  méditations  de  quelque  inventeiii*  qui 
seinlde  croire  naïvement  que  l’étude  du  grisou  est  une 
question  neuve.  Certains  ouvrages  de  vulgarisation, 
sans  exclure  quelques  traités  de  physique,  s’éteridsent 
d’ailleurs  à présenter  comme  réalisant  le  summum  de  la 
perfection,  divers  appareils  qui  ne  sont  que  des  curiosi- 
tés de  laboratoire,  tels  l’ap])areil  d’Ansell,  basé  sur 
l’endosmose  du  grisou  à travers  une  plaque  poreuse, 
l’indicateur  acoustique  de  Forlies  et  le  forménophone 
de  Hardy,  que  M.  le  professeur  Brookmann  considère 
avec  raison  comme  convenant  s})écialement...  aux 
conservatoires  de  musique. 

En  fait,  les  grisoumètres  les  plus  couramment 
employés  sont  des  lampes,  et  le  plus  souvent  les  lanqæs 
mêmes  qui  servent  à l’éclairage  des  travaux  souter- 
rains. 

Est-il  nécessaire  de  faire  ressortir  combien  cette  solu- 
tion est  grosse  de  conséquences  ? Tout  ouvrier  a en 
mains  le  moyen  de  contrôler  le  bon  état  de  l’atmo- 
sphère dans  laquelle  il  travaille.  Ne  possède-t-il  pas  les 
notions  élémentaires  nécessaires  à cette  vérification  ? Son 
surveillant  tout  au  moins  ])Ouri’a  toujours,  de  façon 


IIU  SÉIUE.  T.  XII. 


13 


194 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rapide  et  commode,  exécuter  la  mission  dont  le  charge 
le  règlement. 

La  découverte  du  grisou  à Laide  d’une  lampe  est  des 
plus  simples.  La  combustion  du  mélange  grisouteux, 
avons-nous  vu  (1),  se  propage  dans  toute  la  masse 
lorsque  la  teneur  en  grisou  est  d’environ  (3  p.  c.  Plon- 
gez la  lampe  dans  l’atmosphère  à explorer.  Si  la  teneur 
est  de  (3  p.  c.,  la  lampe  tout  entière  va  s’emplii*  d’une 
damme  bleue,  fugace,  voltigeante  ; toutefois,  grâce  à la 
construction  de  la  lampe,  sur  laquelle  je  reviendrai 
luentôt,  l’explosion  ne  se  proj)agera  pas  au  dehors. 

Mais  il  y a ])lus.  Le  grisou  mélangé  à l’air  en  quantité 
inférieure  à (3  p.  c.,  bride  néanmoins  au  contact  d’une 
damme,  mais  la  comfmstion  se  trouve  limitée  à une 
zone  assez  étroite,  dont  Linqiortance  dépend  d’une  part 
de  la  quantité  de  grisou  et,  d’autre  part,  de  la  tempéra- 
ture- de  la  damme.  Si  donc  la  lampe  se  trouve  plongée 
dans  une  atmosphère  faiblement  grisouteuse,  les  edéts 
de  combustion  s’additionnant,  sa  damme  s’allongera.  Si 
l’on  réduit  alors  la  damme  de  la  lamjie  à n’être  jdus 
qu’un  point  lumineux,  on  aperçoit  au-dessus  de  cette 
première  damme  une  seconde  damme  bleuâtre  ou  blan- 
châtre, plus  ou  moins  fugace,  due  à la  combustion  du 
grisou.  Les  mineui's  l’ont  nommée  l’auréole. 

On  conçoit  que  pour  un  même  type  de  lanqie,  dont 
les  dimensions  sont  parfaitement  dédnies,  et  qui  se 
trouve  alimentée  par  un  combustible  spécial,  les  qualités 
de  la  damme  de  la  lampe  soient  constantes  pour  un 
réglage  déterminé.  Dans  ces  conditions,  la  hauteur  de 
l’auréole  n’est  jilus  fonction  que  de  la  quantité  de 
grisou  contenue  dans  l’air  à examiner  et  l’on  peut,  pour 
chaque  tyjie  de  lampe,  dresser  un  tableau  indiquant  la 
relation  entre  la  hauteur  de  l’auréole  et  la  teneur  en 


,-UE  desQvest.  scient.,  avril  IIXIT,  p.  r>ir). 


grisou. 


LE  GRISOU 


195 


La  simple  inspection  de  la  dainine  d’une  lampe  suffit 
donc  non  seulement  pour  déceler  la  présence  de  grisou, 
mais  encore  pour  évaluer,  avec  une  certaine  approxi- 
mation, la  teneur  en  gaz  inllammable. 

Le  lecteur  sera  complètement  éditié  sur  ce  sujet 
lorsque  j’aurai  rappelé  le  degré  d’a])proximation  que 
les  diverses  lampes  jiermettent  d’a})})orter  dans  ces 
mesures. 

Les  praticiens  admettent  généralement  que  la  lampe 
alimentée  à l’huile  végétale,  telle  la  lampe  Mueseleer, 
marque  à petit  feu  à partir  d’une  teneur  de  2 à 2,5  p.  c. 
Mais,  ainsi  qu’on  l’a  fait  justement  observer,  sa  sensilû- 
lité  est  })lus  grande  encore  à d anime  éclairante,  lorsque 
l’on  règle  celle-ci  dans  l’air  jmr  au  point  où  elle  va  com- 
mencer à fumer  ( 1 ). 

Les  lampes  à benzine,  par  exemple  la  lampe  M'oolf, 
indiquent  à petit  feu  des  teneurs  de  moins  do  i ]i.  c. 

Ce  sont  là  des  lampes  ordinaires.  Pour  les  recherches 
spéciales,  on  se  sert  de  lampes  à Hainme  plus  chaude 
encore,  telles  la  lam])e  à hydrogène  deClowes,  peu  por- 
tative, et  la  lampe  à alcool  de  M.  Chesneau,  très  réjtan- 
due  en  France.  Cette  dernière  est  sensible,  d’aj^rès  son 
inventeur,  à partir  de  0,1  }).  c.  de  grisou  et  peimiet  une 
approximation  de  0,2  p.  c.,  voire  même  0,1  p.  c.  dans 
l’évaluation  de  la  teneur  (2). 

A côté  de  ces  grisoumètres  portatifs,  permettant  un 
dosage  instantané,  il  en  est  d’autres  dont  l’emploi  est 
réservé  au  lahoi’atoire.  En  France,  on  utilise  spéciale- 
ment l’éprouvette  eudiométrique  Coquillon-Lechatelier, 
ou  encore  l’éprouvette  I.echatelier  ou  l’ajipareil  Lehre- 
ton  dans  la  méthode  Sliaw  des  limites  d'intlammahilité. 
L’approximation  obtenue  est  d’environ  0,1  p.  c.  (o). 


(l)  Cf.  I.echntelier,  Le  Grisou,  p.  115.  La  lampe  marquerait  dans  ce  ras  à 
partir  de  0,5  p.  c. 

(:2)  Cf.  Chesneau,  op.  cit. 

(3)  Pour  les  détails  voyez  ('.hesneau,  op.  cit.,  et  Lechatelier,  Lr  G/vsoa. 


196 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Elle  serait  de  0,02  p.  c.  avec  l’appareil  Schondorff- 
Broockinann  utilisé  en  AVestplialie  (1). 

Ges  appareils  de  laboratoire,  dont  l’invention  remonte 
à moins  d’une  quinzaine  d’années,  servent  à contrôler 
les  indications  des  grisoumètres  portatifs  ou,  encore,  à 
faire  des  analj'ses  très  exactes. 

Ils  ont  évidemment  l’inconvénient  de  réclamer  le 
transport  assez  délicat  de  prises  d’essai  ])lus  ou  moins 
volumineuses  et  toujours  locales;  néanmoins,  grâce  à 
l’intt’éniosité  des  constructeurs,  ces  inconvénients  ont 
été  considérablement  réduits.  On  a d’ailleurs  imaginé 
des  autocapteurs  fournissant  une  prise  d’essai  moyenne 
pour  la  journée  (2). 

Enfin,  tout  comme  pour  l’enregistrement  de  la 
(léj)ression  ou  du  volume  fournis  par  les  ventilateurs,  on 
a réalisé  des  ap})areils  mesurant  à chaque  instant  la 
teneur  en  grisou  du  retour  d’air  général  de  la  mine  et 
traçant  un  diagramme  de  ces  mesures. 

On  le  voit,  le  contrôle  de  l’aérage  a préoccu})é  vive- 
ment les  spécialistes,  et  les  résultats  obtenus  sont 
incontestablement  des  plus  l’emaripiables. 


l\.  — Dangers  d’inflammation 

Dans  une  mine  noimialement  ventilée  et  surveillée 
avec  soin,  il  ne  devi-ait  donc  se  rencontrer  nulle  part 
une  atmosphère  riche  de  plus  de  0,5  à 2 p.  c.  de  gi'isou 
suivant  les  cas.  Mais  la  mine  est  un  organisme  très 
complexe,  exposé  à de  multiples  accidents.  Eussions- 
nous  constaté  que  sa  situation  est  actuellement  irré})ro- 
chable,  nous  ne  pourrions  nous  porter  garants  qu’il  en 
sera  encore  de  même  dans  quelques  instants.  Survienne 

(I)  Çf.  Dit'  Enhcicklunn,  pIc.,  op.  cit.  VI,  pp.  58-01. 

[-1)  Anxai.es  DES  tr  séri(‘,  t,  1\,  p.  :28(>.  IStXi. 


LE  GRISOU 


197 


une  avarie  au  ventilateur,  ou  simplement  un  éboule- 
ment  local  dans  une  galerie,  ou  encore  une  manœuvre 
intempestive  des  portes  dirigeant  le  courant  d’air,  et 
l’aérage  pourra  se  trouver  ralenti,  voire  même  sus- 
])endu  dans  un  ou  plusieurs  chantiers.  D’autre  part, 
une  chute  de  charbon  peut  se  produire,  libérant  une 
bouffée  de  grisou.  Enfin  rhomme  est  toujours  sujet  à 
des  néaiiaences  ou  à des  erreurs  : Un  surveillant  ou  un 
simple  travailleur  pourrait,  par  erreur  ou  par  négli- 
gence, com])romettre  gravement  la  ventilation  des  tra- 
vaux. Ce  sont  là  toutes  éventualités  non  seulement 
possibles,  mais  toujours  à craindre  et  quelques-unes 
d’entre  elles  se  réalisent  même  fréquemment. 

(Obligés  de  les  prévoir,  nous  ne  pouvons  donc  consi- 
dérer la  ventilation  comme  une  arme  sufifîsante  pour 
vaincre  l’ennemi.  Il  faut  faire  plus  et  mieux  : il  faut 
empêcher  aussi  complètement  que  possible  l’existence 
de  toute  cause  capable  de  provoquer  rinflammation  du 
grisou,  quand,  malgré  nous,  il  nous  envahit. 

Les  dangers  d’infiammation  résident  surtout  dans 
l'intérieur  même  de  la  mine  et  sont,  comme  nous  le  ver- 
rons, assez  variés.  Il  est  cependant  des  cas  où  il  importe 
également  d’approprier  les  installations  de  surface. 

Dans  les  mines  non  sujettes  aux  dégagements 
brusques,  ce  n’est  qu’aux  environs  du  ventilateur  que 
l’on  pourrait  rencontrer  une  atmosphère  inflammable. 
Ce  cas  est  exceptionnel  et  ne  pourrait  se  produire  qu’à 
la  suite  d’un  atflux  momentané  et  anormal  de  grisou. 

Dans  les  charbonnaoes  où  les  déoao'ements  instan- 
tanés  sont  à craindre,  il  faut  au  contraire  prévoir, 
outre  la  possibilité  de  l’existence  d’une  atmosphère 
inflammable  auprès  du  puits  d’aérage  et  du  ventilateur, 
celle  d’un  renversement  du  courant  d’air  qui  ferait 
refluer  le  grisou  vers  le  puits  d’extraction.  Gagnant  la 
surface  par  ce  puits,  le  grisou  peut  alors  venir  s’en- 
flammer, par  exemple,  à un  brasero,  comme  ç’a  été  le 


198 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


cas  lo  5 avril  1881,  lors  de  la  catastrophe  qui  détruisit 
le  puits  U"  ()  des  charbonnages  de  Marcinelle  Noi-d. 

Il  laut  alors  }U‘endre  toutes  les  mesures  nécessaires 
pour  supprimer  les  feux  nus  aux  a])ords  des  puits, 
ou,  lorsqu’ils  sont  indis})ensahles,  j)our  les  en  écarter 
suhisamment.  La  découverte  de  l’éclairage  électrique 
]»ar  incandescence  a,  sous  ce  ra})])ort,  permis  d’amé- 
liorer grandement  les  installations  de  surface  de  mines 
à dégagements  instantanés. 

La  solution  du  [)ro]iléme  de  la  siqipression  des  causes 
d’intlammation  est  heaucouj)  plus  délicate  en  ce  qui  con- 
cerne les  travaux  souterrains. 

La  ju'incipale  source  de  danger  est  ici  reni})loi  de 
lanqtes.  (Vest  elle  qui  tout  d’a])ord  a retenu  l’attention 
des  chei'cheurs.  Ce  fut  en  1815  que  le  ])hysicien  anglais 
Lavy  imagina  la  })remière  lam])e  dite  de  sûreté,  dont 
l’emjdoi  devait  conduire  bientôt  à l’interdiction  com- 
plète de  feux  nus  dans  l’éclairage  souterrain  des  mines 
grisouteuses. 

Toutes  les  lampes  alimentées  à l’huile  minéi'ale  ou 
végétale,  actuellement  en  usage  dans  nos  charbon- 
nages, sont  basées  sur  le  princi])e  «lécouvert  })ar  Davy; 
principe'  utilisé  d’ailleurs  dans  diverses  autres  apjdica- 
tions  industrielles,  ]>ar  exeiiqde^  dans  la  construction 
des  moteurs  à gaz.  Avant  de  l’exposeiq  Je  tiens  à taire 
observei'  (pi’il  n’a  nnllement  jeerdu  de  son  intérêt  en  ce 
({ui  concenie  l’éclairage  des  mines,  à la  suite  de  la 
construction  de  lampes  électriques  à incandescence 
])ortatives  : ce  sont,  en  elfet,  les  lam])es  })ortatives  qui 
doivent  nous  occuper.  Les  travaux  de  nos  charbonnages 
sont  lieaucoup  tro])  vastes  et  sujets  à des  modifications 
journalières  trop  importantes  ])our  qne  l’on  puisse  son- 
ger cà  y étalilir  un  éclairagi^  fixe  ailleurs  que  sur  cer- 
taines voies  d(';  grande  communication.  Or  toutes  les 
lampes  électriques  portatives  imaginées  Jusqu’auJour- 


LE  GRISOU 


199 


d’iiui  sont  à accumulateurs  et  ont,  par  conséquent,  le 
grave  défaut  d’être  très  lourdes.  En  outre,  elles 
n’inspirent  pas  une  confiance  suffisante  à certains 
techniciens,  qui  leur  reprochent  d’être  trop  exposées 
à des  dérangements  graves.  Enfin,  ces  lampes  ont  le 
défaut  de  ne  pas  être  « grisoumétriques  » et  de  ne  pas 
même  déceler  la  présence  de  gaz  irrespirables.  11  n’en 
faut  pas  davantage  pour  expliquer  l’insuccès  de  ces 
ajqiareils,  réservés  pour  certains  cas  spéciaux,  notam- 
ment pour  les  travaux  de  sauvetage.  Revenons  donc  à 
la  découverte  de  Davy. 

Nous  savons  ([u’une  flamme  nue  introduite  dans  une 
atmosphère  franchement  grisouteuse,  y provoque  l’in- 
riammation  ou  l’explosion  de  cette  atmosphère  tout 
entière.  Mais  si  l’on  a préalablement  recouvert  la 
flamme  d’une  enveloppe  complète  d’un  tissu  métallique 
à mailles  suffisamment  serrées,  ce  phénomène  ne  se 
produit  plus.  Ce  tissu  qui,  normalement,  permet  à l’air 
de  pénétrer  dans  la  lampe  et  d’alimenter  la  flamme,  et 
aux  ])roduits  de  la  comlmstion  de  s’échapper,  circon- 
scrit rexjdosion  ou  l’inflammation  du  grisou  qui  se  pro- 
duit au  contact  de  la  flamme  à l’intérieur  de  la  lampe. 
D’où  vient  aux  toiles  métalliques  cette  précieuse  pro- 
priété? L’étude  de  la  combustion  de  l’air  chargé  de  gri- 
sou et  de  son  mode  de  propagation  à travers  des  tubes, 
va  nous  le  dire. 

Supposons  que  sur  une  conduite  débitant  un  mélange 
explosif,  artificiellement  préparé,  d’air  et  de  grisou, 
nous  branchions  une  série  de  tubes  en  verre  d’une  cer- 
taine longueur  et  de  diamètres  décroissants.  Enflam-  ■ 
nions  le  mélange  à l’extrémité  libre  des  tubes  et  obser- 
vons ce  qui  se  passe.  Nous  constaterons  que  la  vitesse  de 
propagation  de  l’explosion  à travers  ces  tubes  est 
d’autant  plus  faible  que  leur  diamètre  est  plus  étroit. 
Bien  plus,  en  dessous  d’un  certain  diamètre,  l’explosion 
pénètre  dans  le  tube,  mais  s’y  arrête  bientôt;  ici  encore 


200 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


il  y a un  rapjiort  direct  entre  la  loniaieur  de  pénétra- 
tion de  la  flaniine  et  le  diainêtre  du  tulie.  Entin  la  péné- 
tration est  nulle  avant  (pie  le  diamètre  du  tube  devienne 
liii-mème  nul. 

Tous  ces  faits  s’expliquent,  si  l’on  se  rappelle  que 
la  jirésence  d’un  corps  froid  exerce  une  influence  très 
inar({uée  sur  la  propaiiation  d’une  flamme  : il  la 
rejiousse.  On  peut  en  juii'er  en  regardant  sous  une 
incidence  rasante  une  flamme  écrasée  jiar  une  surface 
])lane  froide,  un  carton  d’asbeste,  par  exein}de.  On 
ajiercoit,  au  contact  du  carton,  une  zone  sombre  dans 
laipielle  ne  se  produit  aucune  combustion.  L’épaisseur 
de  cette  zone  peut,  dans  certains  cas,  atteindre  un  mil- 
limètre. n en  est  de  même  si,  au  lieu  d’un  carton 
d’asbeste,  nous  écrasons  la  flamme  à l’aide  d’une  toile 
métalli(pie,  ainsi  ({ue  cela  se  pi-aticpie  journellement 
dans  les  laboratoires  de  chimie  (1).  C’est  ipie  la  toile 
imflallique  peut  être  considéiaie  comme  formée  par  la 
juxta])osition  d’un  très  grand  nomlire  de  tubes  de  faible 
longueur  sans  doute,  mais  aussi  de  très  faible  diamètre. 

( )r,  nous  venons  de  le  ra}q)oler,  la  flamme  refuse  de 
j)énétrer  dans  un  tel  tube,  })arce  ([u’elle  s’y  trouve  trop 
fortement  refroidie  au  contact  des  })arois.  On  conçoit 
donc  qu’en  combinant  convenablement  la  grosseur  du 
til  employé  jioiir  la  confection  de  la  toile  et  le  nombre 
de  ses  mailles  [lar  centimètre  carré,  c’est-à-dire  la  lon- 
gueur et  le  diamètre  des  tubes  élémentaires,  on  puisse 
obtenir  une  toile  em})êchant  efficacement  là  projiaga- 
tion  d’une  inflammation  ou  d’une  explosion  (2). 

La  nature  du  métal  joue  toutefois  un  rôle  im])ortant 
dans  la  résistance  des  toiles.  11  arriv(',  en  effet,  que  la 
combustion  du  grisou,  sans  se  })ropager  à l’extérieur,  • 

(I)  Il  est  à remerqiier  que  ce  eas  n’est  pas  absolument  identique  ci  celui  des 
lampes  de  sûreté, 

i'i)  Voir  pour  chill’res  et  détails,  par  exemple,  Le  (^hatelier,  Lfi  Grisou, 
pp.  55-()7. 


LE  GRISOr 


201 


se  continue  à rintérieur  de  la  lampe.  La  toile  se  trouve 
alors  foi'teinent  chauffée.  Dans  ces  conditions,  le  cuivre 
et  le  laiton  fondent,  et  il  en  est  de  même  de  certaines 
toiles  en  fil  de  fer  de  mauvaise  qualité  (i).  La  toile 
détruite,  la  sûreté  de  la  lampe  disparaît.  Enfin,  sous 
l’influence  des  courants  d’air  violents,  qui  existent  par- 
fois dans  les  mines,  la  flamme  peut  traverser  directe- 
ment la  toile,  surtout  si  l’action  refroidissante  de  celle-ci 
se  trouve  diminuée  par  réchaufiement  dû  à la  combus- 
tion du  grisou  (2). 

La  lampe  Davy  s’est,  pour  ces  diverses  raisons, 
trouvée  souvent  en  défaut,  malgré  l’exactitude  du  prin- 
cipe sur  lequel  est  basée  sa  construction.  Il  faut  remar- 
quer, en  outre,  que  dans  son  type  primitif  cette  lampe 
est  peu  })ratique.  La  toile  métallique  en  forme  de  coiffé 
cylindrique  qui  en  recouvre  la  flamme,  constitue  un 
écran  qui  aI)sorbe  une  très  grande  partie  de  la  lumière. 
.Vussi  imagina-t-on  bientôt  d’interposer  entre  le  pot  de 
la  lampe  et  cette  coiffé  métallique  un  anneau  cylin- 
drique en  verre. 

Perfectionnement  est  souvent  synonyme  de  complica- 
tion. Ce  fut  le  cas  ici.  L’introduction  d’un  élément  aussi 
fragile  ([u’un  verre  de  lampe,  suscejflible  de  bris  sous 
l’influence  de  la  cbaleur,  devait  entraîner  plus  d’un 
mécompte  et  provoquer  des  recherches  nombreuses. 
On  ne  tarda  pas  d’ailleurs  à s’apercevoir  qu’une  étude 
expérimentale  était  nécessaire  pour  en  arriver  à définir 
les  qualités  i‘es|)ectives  des  divers  types  de  lampes  pro- 
])osés  et  vérifier  le  lûen  fondé  des  ap])réhensions  des 
exploitants  sur  la  valeur  de  certains  types. 

C’est  ainsi  qu’en  Belgique  diverses  commissions  offi- 
cielles procédèrent  à des  essais,  en  1838-1839  d’abord. 


( I ) Watteyne  et  Slassart,  Expériences  sur  les  lampes  de  sûreté.  Ann.  des 
■Mines  de  Helgique,  t.  L\,  l!)04,  pp.  !2()7-27(.)  du  tiré  à part. 

t'2)  L’existance  de  gaz  plus  intlammaliles  que  le  grisou  pourrait  également 
entraîner  la  traversée  de  la  flamme  et  mettre  la  toile  eu  défaut. 


202 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


])uis  en  1868-1873,  en  1879-1880,  en  1882,  et  enfin 
en  1892-1894.  Durant  ce  temps,  divers  comités  de 
savants  étrangers  se  livraient  également  à des 
recherches  nombreuses  et  répétées,  en  Angleterre,  en 
France,  en  Prusse,  en  Autriche  (1).  On  y utilisa  le  plus 
souvent  le  gaz  d’éclairage,  ailleurs  le  méthane  préparé 
artificiellement,  ou  encore  le  grisou. 

La  conclusion  qui  se  dégagea  dès  les  premières  expé- 
riences, est  que  les  dimensions  relatives  des  diverses 
parties  de  la  lampe  Jouent  un  rôle  considérable 
sur  son  degi“é  de  sûreté.  C’était  constater  du  coup  la 
nécessité  d’une  surveillance  étroite  et  continuelle  de  la 
construction  et  de  l’état  d’entretien  des  lampes. 

Dès  les  premières  expériences  encore,  on  étaldit  que 
la  lampe  imaginée  }>ar  Mueseleer,  ingénieur  du  Corps 
des  mines  belge,  était  l’ime  des  plus  remarquables. 
Recommandée  en  Belgique,  }>ar  une  circulaire  offi- 
cielle, dès  1840,  cette  lamjie  y fut,  en  1876,  rendue  obli- 
gatoire, à l’exclusion  de  toute  autre,  pour  les  ouvriers 
des  mines  franchement  grisouteuses.  Cette  prescidp- 
tion  fut  maintenue  ]iar  le  règlement  de  police  du 
28  avril  1884,  qui  ordonnait  en  même  temps  ralinien- 
tation  à l’huile  végétale. 

D’autres  études,  sur  lesquelles  nous  reviendrons  bien- 
tôt, ont  conduit  récemment  le  gouvernement  belge  à 
ériger  une  station  d’essai  des  explosifs  antigrisouteux. 
On  y a annexé  un  laboratoire  de  recherches  sur  les 
lampes  de  sûreté.  Inauguré  en  1902,  il  est  l’un  des  plus 
perfectionnés,  sinon  le  plus  complet  et  le  mieux  outillé 
de  tous  ceux  qui  ont  été  créés  jusqu’ici.  En  donner  une 
description  détaillée  serait  sortir  du  cadre  de  cet  article. 
Je  renverrai  donc  le  lecteur  aux  mémoires  origi- 


(I  ) On  trouve  un  exposé  historique  succinct  de  toutes  ces  recherches  dans  le 
mémoire  déjà  cité  de  MM.  Watteyue  et  Stassart  : Expériences  sur  les  lampes 
de  sûreté,  pp.  S-4Ü. 


LE  GRISOU 


203 


naux  (1),  me  bornant  à rappeler  que  la  station  se 
trouve  installée  an  siège  n°  3 de  l’Agrappe,  à Fraine- 
ries,  oii  des  terrains  ont  été  gracieusement  mis  à la  dis- 
position du  gouvernement  par  la  (lompag-nie  des  Cdiar- 
bonnages  belges.  Le  grisou  ca}dé  dans  les  travaux  de 
la  fosse  est  soumis  à une  épuration  ramenant  la  teneur 
en  CO2  à 1,5  p.  c.,  et  emmagasiné  dans  un  gazomètre 
d’où  il  est  dirigé  vers  les  appareils  d’essai.  Un  premier 
ajtpareil  sert  à éprouver  les  lampes  dans  un  courant  gri- 
soutenx  de  teneur  variable,  mais  généralement  à l’op- 
timiim  d’explosibilité.  Sa  vitesse  peut  atteindre  jus- 
qu’à 17  mètres  par  seconde,  suivant  le  réglage;  et  son 
orientation  est  elle-même  variable  suivant  la  position 
occupée  j)ar  la  lampe  dans  l’apitareil.  Un  second  appa- 
reil, ([ui  constitue  une  innovation,  permet  d’essayer  la 
lampe  dans  une  atmosphère  grisouteuse,  chaude  et 
comprimée,  c’est-à-dire  dans  les  conditions  que  l’on 
rencontre  aux  grandes  profondeurs  atteintes  aujour- 
d’hui par  quelques  charbonnages  belges,  mille  mètres 
et  })his. 

Les  essais  sont  faits  à outrance,  et  ont  pour  but 
uni([ue  d’éprouver  la  résistance  des  lampes.  Ils  ont  porté 
non  seulement  sur  la  lampe  Mueseleer,  mais  sur  un 
grand  nombre  d’autres  types,  les  uns  anciens,  les  autres 
créés  au  cours  des  vingt-cinq  dernières  années  et  en 
usage  à l’étranger.  MM.  Watteyne  et  Stassart  se  sont 
aussi  attachés  à l’étude  d’un  certain  nombre  de  points 
spéciaux  : résistance  des  toiles  métalliques,  résistance 
des  verres,  influence  de  la  nature  de  l’huile,  influence 
des  méthodes. de  rallumage  intérieui'.  Les  résultats  aux-' 
quels  ils  sont  })arvenus,  sont  des  plus  intéressants  et  des 
plus  remarquables. 


( 1 ) Annales  fies  Mines  de  Üelgique,  t. VH,  .i®  livrais.,  100'2,  pp.  91)3  et  suiv. 
et  I.  IX.  1904,  pp.  149  et  suiv.  Revue  Universelle  des  Mines,  etc.,  4«  série, 
t.  IV,  pp.  149  et  suiv.  Congrès  international  des  .Mines, etc.,  Liège,  1905, 1. 1, 
pp.  “214  et  suiv. 


20i 


REVUE  DES  QI’ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Disons  iininédiateinent  qu'ils  ont  conduit  à l'aliroga- 
tion  de  certaines  prescri}»tions,  de  celle  entre  autres  qui 
concernait  la  nature  de  riiuile,  et  à la  confirmation  ou 
à l’étahlissement  d’autres  régies  relatives  à la  nature 
d('s  toiles  inétalli([ues,  à la  ([ualité  des  verres,  etc.  (1). 

Les  ty|)es  de  lampes  autorisés  sont  aujourd’lini  très 
nombreux  : on  en  compte  plus  d’une  douzaine.  La 
lampe  Mueseleer  a été  perfectionnée  par  l’adjonction 
d’une  cuirasse  en  tôle  jirotégeant  les  toiles.  Cette  dispo- 
sition a été  rendue  obligatoire  de  façon  générale  pour 
les  lampes  employées  dans  les  mines  franchement  gri- 
souteuses. 

Crtàce  aux  bons  résultats  qu’elles  ont  fournis,  un 
grand  nombre  de  lampes  à benzine,  dont  la  lamjie 
Woolf  peut  être  considérée  comme  le  prototype,  ont, 
à la  suite  de  ces  essais,  été  mises  en  service  dans  les 
houillères  belges.  Ces  lampes  offrent  sur  celles  alimen- 
tées à riiuile  végétale  deux  avantages  imjiortants.  Tout 
d’abord,  leur  pouvoir  éclairant  est  plus  considérable. 
L’intérêt  de  ce  fait  a})paraît  évident,  si  l’on  songe  aux 
multiples  dangers  qui  menacent  le  mineur  et  dont  il  ne 
peut  se  rendre  comjde  ([u’à  la  lumière  de  sa  lampe.  La 
lutte  contre  la  chute  de  }>ierres  et  contre  les  élioule- 
ments,  qui,  aujourd’hui,  interviennent  jtour  une  si 
large  part  dans  la  statistique  des  accidents,  est  évidem- 
ment facilitée  jiar  la  possession  de  moyens  d’éclairage 
plus  puissants.  Mais  le  jtrogrès  réalisé  par  l’introduction 
des  lampes  à benzine  est  surtout  d’un  autre  genre, 
(frilce  à la  grande  volatilité  de  cette  huile  minérale,  on 
*a  pu  munir  ces  lampes  d’un  rallumeur  intérieur.  Pour 
juger  de  l’utilité  de  ce  dispositif,  il  faut  se  rejirésentei*  ce 
qui  se  passe  lors([ue  l’on  fait  usage  de  lampe  alimentée 

(1)  Cf.  Annales  des  Mines  de  IIeloique,  i.  I\,  f.Hli,  E.i'jirrinices  sur  les 
lampes  de  sûreté,  p.  !li7.  — Idem,  l.  X,  l!Kr),  Nouvelles  expériences  sur  les 
lampes  de  sûreté,  p.  (!I7.  — Idem,  t.  XI,  UHMi,  Examen  de  quelques  hjpes 
récents  de  tampes  de  sûreté  et  Recherches  nouvelles  sur  la  résistance  des 
verres,  pp.  1099-1  “241, 


LE  GRISOU 


!^05 

à l’huile  grasse  et  que  celle-ci  vient  à s’éteindre  pour 
une  cause  quelconque  : heurt,  chute,  etc.  Une  seule 
mesure  s’impose  : il  faut  renvoyer  la  lampe  au  puits 
d’entrée  d’air  ou  à la  surface  suivant  le  cas,  car  ce  n’est 
qu’en  dehors  de  tout  endroit  susceptible  de  renfermer 
une  atmosphère  grisouteuse  que  l’on  pourra  ouvrir  la 
lampe  et  la  rallumer  en  toute  sécurité.  Si  l’on  songe  aux 
trajets  parfois  très  longs  qu’il  faut  faire  pour  se  rendre 
des  tailles  au  puits,  on  jugera  aisément  de  l’importance 
que  prend  le  service  de  rallumage,  de  la  ])erte  de  temps 
qu’il  peut  entraîner  et,  enfin,  du  danger  que  court  le 
mineur  s’il  vient  à voir  s’éteindre  sa  dernière  lumière 
alors  qu’il  se  trouve  dans  un  endroit  écarté.  Cette  der- 
nière éventualité  est  surtout  à craindre  à la  suite  d’acci- 
dents, alors  que,  pour  une  raison  quelconque,  toutes  les 
lampes  s’éteignent  presque  simultanément.  On  saisit  du 
même  coup  les  avantages  d’un  rallumeur  intérieur, 
c’est-à-dire  d’un  mécanisme  garni  d’allumettes  et  ])er- 
mettant  d’entlammer  celles-ci  à l’intérieur  de  la  lampe 
de  manière  à remettre  le  feu  à la  mèche,  tout  en  restant 
sous  l’abri  protecteur  des  toiles  métalliques. 

Le  rallumage  intérieur  présente  toutefois  un  risque. 
Si  la  lampe  s’est  éteinte  à la  suite  d’un  choc  ou  d’une 
chute,  elle  peut  s’être  du  même  coup  gravement 
endommagée;  si  le  mineur  vient  alors  à la  rallumer  dans 
une  atmosphère  grisouteuse,  il  peut  provoquer  une 
explosion.  11  importe  donc  d’attirer  l’attention  de  la 
main-d’œuvre  sur  le  risque  qu’elle  court  à se  servir  du 
rallumeur  sans  avoir  vérifié,  au  toucher  ou  autrement, 
le  bon  état  de  la  lampe. 

Les  lampes  à benzine  ont  encore  donné  lieu  à d’autres 
critiques.  Citons  notamment,  au  début  de  leur  mise 
en  service  dans  les  mines  belges,  de  nombreuses 
ruptures  de  verres,  qui  entraînaient  la  siqipression 
de  l’étanchéité  de  la  lampe  en  j)leins  travaux.  Ces  faits 
auraient  été  de  nature  à entraîner  la  condamnation 


20(3 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


de  cos  lampes,  si  l’on  n’était  iiarvenn  assez  rajiidement, 
semble-t-il,  à réduire  la  casse  dans  des  proportions 
considérables. 

Enfin,  pour  en  finir  avec  ce  sujet  bien  intéi*essant 
mais  un  peu  toutlii,  remarquons  que  les  lampes  de 
sûreté  ne  peuvent  être  ouvertes  dans  les  travaux,  car 
elles  perdraient  dès  lors  toutes  leurs  }>ropriétés.  On  les 
rend  donc  indémontaldes  en  réunissant  par  une  soriMire 
le  ])ot  et  la  cage  métallique  ou  armature,  destinée  à ser- 
l’er  contre  le  }>ot  les  autres  paidies  essentielles  : verre, 
tamis  métalliques,  en  même  temps  qu’à  jirotéger  le 
verre  contre  les  chocs.  Les  types  de  serrures  sont  des 
j)lus  variés.  Diverses  térmetures,  dites  magnéti([ues, 
imaginées  au  cours  de  ces  dernièi*es  années,  })assent 
j)Our  inviolables. 

Une  seconde  cause  d’intlammation  résulb'  de  l’emploi 
d’exjtlosifs. 

(Jette  question,  plus  vaste  et  surtout  plus  conqdexe 
que  celle  des  lampes,  retient  aujourd’hui  l’attention  dos 
ingénieurs. 

Il  faut,  dans  l’em])loi  des  exjdosifs,  distinguer  trois 
cas  bien  diderents  : le  minage  en  charbon,  j)oui‘  l’aba- 
tage de  la  houille;  les  travaux  d’ouverture  de  voies  de 
chantier,  ou  bosseyement,  dans  les  roches  encaissant 
la  couche,  et,  enfin,  le  creusement  de  travers-bancs,  ou 
galeries  au  rocher,  qui  ne  renconti’ont  des  couches  de 
houille  que  de  distance  en  distance. 

La  houille  est  généralement  tendre,  surtout  quand 
elle  est  grisouteuse.  Parfois  — c’est  le  cas  quand  elle 
est  « recuite  » — elle  est,  au  contraire,  excessivement 
dure.  En  Belgique,  il  est  de  règle  de  faire  l’abatage  du 
charbon  au  pic;  ce  n’est  que  dans  les  gisements  non 
grisouteux,  ou,  dans  tout  autre  cas,  par  dérogation 
expresse  aux  règlements,  que  l’on  recourt  aux  explo- 
sifs. Encore  doit-on  examiner,  dans  chaque  ap})lication. 


LE  GRISOU 


207 


s’il  existe  ou  non  des  poussières  de  charbon  dans  le 
chantier.  Sous  l’intluence  d’une  mine  débourrante,  ces 
poussières  peuvent  en  etièt  être  soulevées  et  former, 
comme  l’expérience  l’a  prouvé,  une  atmos])hère  explo- 
sive. C’est  à un  accident  survenu  au  cours  d’un  minage 
en  veine,  qu’il  faudrait  attribuer,  d’après  M.  Atkin- 
son (1),  l’épouvantable  catastrophe  de  Courrières  et  un 
grand  nombre  de  désastres  similaires  survenus  en 
Angleterre.  Les  expériences  exécutées  au  lalioratoire 
de  Framerics  sur  des  ])oussières  de  la  mine  de  Cour- 
rières ont,  de  fait,  étalili  leur  caractère  éminemment 
explosif. 

Dans  les  mines  allemandes,  on  abat  les  poussières  de 
charbon  avant  le  tir  des  mines,  à l’aide  d’une  lance 
prenant  l’eau  sur  une  conduite  qui  parcourt  toutes  les 
galeries  du  charbonnage.  L’arrosage  est  également 
organisé  aujourd’hui  dans  un  grand  nombre  de  mines 
anglaises  et  tout  })articulièrement  sur  les  voies  de 
trans})ort,  afin  de  combattre  l’induence  néfaste  que  les 
poussières  accumulées  jtourraient  y exercer  en  facili- 
tant la  })roj)agation  d’une  explosion  née  dans  l’un  quel- 
conque des  quartiers  de  la  mine  (2). 

Quoi  qu’il  en  soit,  la  suppression  complète  des  explo- 
sifs constituerait  évidemment  la  meilleure  solution. 

On  a,  au  cours  de  ces  dernières  années,  inventé 
diverses  machines,  connues  sous  le  nom  de  /taveuses,  et 
qui  abattent  mécaniquement  la  couche  de  houille.  Ima- 
ginées principalement  pour  suj)pléer  au  manque  de 
bras,  elles  n’en  jtrésentent  jtas  moins  un  intérêt  immé- 
diat dans  la  question  qui  nous  occupe.  Ces  machines 
sont  très  répandues  en  Amérique,  en  Angleterre,  voire 
en  Allemagne;  mais  elles  sont  considérées  jusqu’ici 
comme  inapjdicaldes  dans  les  gisements  belges. 

(I)  Cf.  Report...  on  the  disaster  occiired  at  Courrières  mines,  etc. 

C2)  l.e  coût  (le  l’arcosage  atteint  et  dépasse,  dans  plusieurs  charbonnages  alle- 
mands et  anglais,  lU  centimes  à la  tonne. 


208 


REVUE  DES  QT^ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rjn  instant,  les  tcclmiciens  avaient  es|)éré  pouvoir 
aclo})ter  une  solution  analogue  })our  les  travaux  à la 
pierre,  bossejeinents  ou  creusements  de  galeries  à 
travers-lianes.  Un  revirement  d’ojiinion  semble  aujour- 
d’hui se  manifester  sous  l’intluence  d’idées  nouvelles, 
({ue  nous  examinerons  bientôt. 

Il  importe  de  remar({uer  que  si  une  ventilation  active 
est  le  moyen  primordial  de  comliattre  le  grisou,  elle  ne 
s’obtient  que  grâce  à une  réduction  de  la  résistance 
totale  de  la  mine,  réduction  qui  n’est  elle-même  qu’une 
conséquence  de  la  grande  section  des  voies,  à égalité  de 
longueur  de  ])arcours.  La  mine  grisouteuse  doit  donc 
avoir  des  voies  larges,  spacieuses  et  ce  devra  surtout 
être  le  cas  })our  les  travers-bancs  qui  en  sont  générale- 
ment comme  les  grandes  artères. 

Le  cas  des  travers-bancs  est  le  })lus  difficile  })arce  que, 
ici,  l’on  avance  en  plein  massif  rocheux.  Celui  des  bos- 
seyements  est  souvent  j)lus  siiii})le.  C’est  là  une  circon- 
stance heureuse,  car  l’existence  d’une  atmos})hêre  gri- 
souteuse ou  j)Oussiéreuse  est  lieaucoup  plus  à craindre 
dans  ce  cas.  Le  bosseyement  consiste  à entailler  les 
})arois  de  la  couche  préalalilement  excavée,  de  manière 
à établir  des  galeries  de  section  et  de  forme  détermi- 
nées. C’est  là  toutefois  un  travail  assez  important,  lors- 
qu’il s’agit,  comme  en  Belgique,  de  couches  générale- 
ment minces.  La  statistique  renseigne  en  effet  qu’en 
1903,  ]>ar  exem])le,  la  puissance  moyenne  a varié  de 
Û'",5()  à 0'",8i  dans  les  divers  bassins  belges  avec  une 
moyenne  de  0"', (38  pour  le  royaume.  En  outre,  l’une  et 
l’autre  }>arois  sont  bien  souvent  de  grande  dureté  ou 
tout  au  moins  de  grande  com])acité.  L’outil  les  entaille 
difficilement. 

Aussi  a-t-on  tenté  de  recourir,  dans  ces  cas,  aux  pro- 
cédés mécaniques. 

De  tous  les  j)rocédés  proposés,  dont  quelques-uns  sont 
aussi  bizarres  qu’ingénieux,  un  seul  jusqu’ici  a fourni 


LE  GRISOU 


209 


chez  nous  des  résultats  concluants  : c’est  l’emploi  d’ai- 
guilles coins.  Un  trou  ayant  été  foré  dans  la  paroi 
rocheuse,  on  y enfonce  des  coins  en  fer  qui  jirovoquent 
réclateinent  de  la  roche.  Pour  que  l’on  puisse  enfoncer 
semhlaldes  coins,  il  faut  que  le  trou,  analogue  à un 
fourneau  de  mine,  soit  d’assez  grand  diamètre.  Long- 
temps la  question  fut  considérée  comme  ouverte  en  ce 
qui  concerne  les  hosseyements.  Car  seules  les  perfora- 
trices mécaniques  étaient  cajiahles  de  forer  des  trous  de 
grand  diamètre,  et  d’autre  part  ces  machines  étaient 
d’emploi  souvent  difficile,  parfois  impossilile  dans  des 
galeries  sujettes  à de  multijdes  et  brusques  sinuosités, 
comme  c’est  le  cas  pour  les  voies  ouvertes  dans  des 
couches  de  houille,  plissées  et  chiflbnnées  à l’envi.  En 
outre,  l’air  com})rimé  est  le  seul  agent  auquel  on  ait  ]m 
jusqu’ici  avoir  recours  sans  crainte  de  mésaventure,  et 
nombreux  sont  les  chaidionnages  qui  ne  possèdent  pas 
les  installations  nécessaires  à son  eiii])loi. 

Il  y a une  dizaine  d’années  que  furent  inventées 
diverses  perforatrices  à bras  qui  ont  permis  de  tourner 
la  difficulté,  grâce  à l’invention  simultanée  d’appareils, 
assez  portatifs  et  mameuvrés  également  à bras,  qui 
permettent  d’enfoncer  énergiquement  les  coins  en 
fer^(l). 

Ces  procédés  sont  néanmoins  coûteux  et  lents,  com- 
parativement au  minage.  Ils  sont  donc  également  dés- 
avantageux dans  les  périodes  de  crise,  où  il  importe  de 
réaliser  toutes  les  économies  possibles,  et  dans  celles  de 
prospérité,  où  il  faut  répondre  à une  grande  demande 
de  combustible.  Le  coût  supplémentaire  d’ouverture  des 
voies  est  certes  compensé  par  la  plus  grande  sécurité 
du  travail,  et  aussi  par  une  diminution  des  frais  d’entre- 

(I)  Cf.  par  exemple,  A.  Hal)ets,  Cours  d'exploitation  des  mines,  t.  l, 
I-iége  1906,  2''  édition,  et  encore  Verniory,  Chasse-coins  et  brise-roches.  Cou- 
page des  voies  sans  le  secours  d’explosifs.  Axn.  des  Mines  de  Heldique,  t.  I, 
p.  293. 

IIU  SÉmU  T.  Ali. 


14 


210 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


tien  ultérieurs.  Mais  la  lenteur  du  creusement  constitue, 
aux  yeux  de  certains,  un  vice  rédhibitoire  (1).  Et  c’est 
pourquoi  l’emploi  des  exjtlosifs  n’a  pas  perdu  de  son 
intérêt;  le  règlement  belge  ne  le  })roscrit  d’ailleurs  que 
suivant  une  progression  en  rapport  avec  le  caractèi’e 
grisou  teux  du  gisement. 

Au  contraire,  l’emploi  des  explosifs  est  toléré  pour  le 
creusement  des  travers-bancs,  sauf  dans  le  cas  de  ren- 
contre d’une  couche  de  houille.  L’aiguille  coin  n’est,  en 
effet,  elKcace  dans  les  travaux  en  plein  rocher  que  pour 
autant  qu’elle  soit  enfoncée  à l’aide  de  machines  puis- 
santes. La  présence  de  grisou  et  surtout  celle  de  pous- 
sières charbonneuses  est  d’ailleurs  moins  à craindre, 
bien  que,  dans  certains  gisements,  des  soutffards  plus 
ou  moins  intenses,  et  souvent  nombreux,  prennent 
naissance  sur  les  tissures  des  roches. 

Certains  charbonnages  avaient,  il  y a quelques 
années,  renoncé  complètement  à rem}>loi  d’explosifs, 
sauf  le  cas  de  traversées  de  terrains  très  durs  ou  encore 
de  creusement  de  puits,  les  perforatrices  s’accommodant 
mal  à ce  dernier  cas.  Plusieurs  manifestent  aujourd’hui 
une  tendance  rétrograde  et  reviennent  à l’emploi  des 
explosifs.  Il  a,  en  effet,  été  constaté  depuis  peu  que  les 
poussières  schisteuses  et  quartzeuses,  produites  en  abon- 
dance par  les  perforatrices  mécaniques,  avaient  une 
action  désastreuse  sur  la  santé  des  ouvriers  (2). 

L’autopsie  a relevé  des  lésions  profondes  des  voies 
respiratoires  entraînant  souvent  une  mort  ])rématurée, 
notamment  par  la  tuberculose.  Le  mal  n’est  pas  sans 
remède.  Une  injection  d’eau  à travers  le  fleuret  peut 
abattre  les  poussières.  Mais  c’est  là  une  com})lication 

(1)  Cf.  Watteyne  et  Uenoel,  Les  Explosifs  dans  les  mines  de  houille  de  Bel- 
gique, liULL.  Soc.  Ini).  Mixkhale  Saint-Étienne,  3'’  série,  t.  14,  i()00. 
Congrès  intern.  des  mines  et  de  la  métal.,  pp.  85-103. 

('2)  Cf.  Revue  UxiVEnsiCLLE  des  Mines,  B*"  série,  t.  10,  3‘‘  numéro, 
pp.  294-297. 


LÉ  GRISOU 


211 


qui  peut,  dans  certains  cas,  rendre  difficile  l’ap})lication 
du  procédé. 

Une  autre  raison  du  retour  à rem])loi  des  explosifs 
est  la  nécessité  d’exécuter  rapidement  divers  travaux 
})réparatoires.  L’emploi  d’aiguilles  coins,  combiné  avec 
celui  de  perforatrices,  est  en  effiet  relativement  lent  et 
aussi  plus  dis])endieux.  Le  jiroldème  de  la  su})pression 
complète  des  explosifs  dans  les  mines  grisouteuses  et 
dans  les  charbonnages  simplement  poussiéreux  est 
donc  encore  loin  d’être  résolu. 

Entretemps  les  recherches  se  sont  orientées  dans  une 
autre  direction.  11  y a bientôt  vingt  ans  que  se  ])osa 
une  question  nouvelle,  qui  devait  mettre  à l’épreuve  les 
ressources  d’ingéniosité  des  inventeurs.  Elle  consiste  à 
rechercher  un  explosif  qui  ])uisse  être  emploj’é  impu- 
nément en  présence  du  grisou  ou  des  poussières. 

11  va  sans  dire  qu’en  pi’atique  on  ne  doit  jamais  miner 
dans  une  atmosphère  grisouteuse.  Mais,  Je  l’ai  déjà  dit, 
il  faut  prévoir  les  erreurs  et  les  négligences  des  pré- 
posés au  tir  des  mines,  qui  pour  une  cause  quelconque 
n’apercevraient  pas  l’existence  de  gaz  intlammalile  en 
le  recherchant  à l’aide  de  leur  lampe,  ou  encore  omet- 
traient, intentionnellement  ou  non,  de  s’assurer  de 
l’alisence  de  grisou.  11  se  peut,  d’ailleurs,  qu’un  afflux 
de  i>risou  se  manifeste  entre  l'instant  où  le  boutefeu 

C 

explore  l’atmosphère  et  celui  où  il  fait  détlagrer  la 
mine. 

La  possession  d’un  explosif  pouvant  exploser  impuné- 
ment au  sein  d’une  atmosphère  grisouteuse  est  donc  de 
grande  im})ortance  })Our  la  j)lupart  des  charbonnages. 

Le  problème  n’est  pas  insoluble,  mais  il  est  extraor- 
dinairement compliqué.  Il  n’est  pas  insoluble.  On  se 
souvient  en  effet  que  le  grisou,  dont  le  point  d’intlani- 
mation  est  de  650“  c.  (i),  possède  cette  propriété 


(1)  Voyez  Rev.  des  Quest.  scient.,  avril  1907,  p.  519. 


2i2 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


remarquable  de  retarder  à rintiamniation;  si  la 
coinliustion  de  Texjilosif  est  très  rapide  et  si  les  gaz 
chauds  qu’elle  engendre  en  quantités  énormes  se  déten- 
dent très  rapidement,  il  se  jieut  que  la  température  de 
la  masse  gazeuse  en  contact  avec  le  grisou  soit  tro]> 
basse  jiour  en  provoquer  rindammation.  Le  proldème 
est  donc  théoriquement  solulile.  Mais  la  recherche 
d’exjilosifs  réalisant  ces  conditions  est  très  délicate. 

Pour  ex})oser  la  question  dans  tous  ses  détails,  il 
faudrait  rechercher  à la  lueur  des  données  ex})érimen- 
tales  ce  ([ui  se  ]>asse  dans  l’exjilosion  d’un  coiq)  de 
mine. 

Ici  encore,  l’étendue  du  sujet  est  telle  que  je  dois 
me  borner  à rappeler  certaines  notions  d’oi-dre  plutôt 
historiqiu',  sans  chercher  à groiqier  et  à coordonner 
tous  les  faits  connus. 

Pour  })ouvoir  réaliser  le  jirogramme  inqtosé,  les 
explosifs  doivent  posséder  uik'  vih'ssc  de  propagation 
de  l’exjdosion  extrêmement  rapide.  Les  exjdosifs  bri- 
sants ou  détonants  [lossèdent  seuls  cette  qualité.  La 
poudre  noire,  au  contraire,  détlagre  ti‘0])  lentement  et 
enflamme  toujours  le  grisou. 

La  Commission  française,  tout  en  se  rendant  com})te 
des  multiples  côtés  de  la  question  (1),  crut  pouvoir 
considérer  comme  critérium  du  caractère  antigrisou- 
teux  d’un  exjilosif,  dit  de  sûreté,  sa  temjiérature  de 
détonation. 

Il  exish',  en  effet,  une  relation  évidente  entre  la  tem- 
pérature hnale  des  gaz  engendrés  et  leur  tenqiérature 
initiale.  On  avait  ainsi  fixé  à l'.XJÜ"  pour  les  travaux  à la 
jtierre  et  à 1500"  ))our  les  travaux  en  veine  la  tem})éra- 
tui'e  de  détonation  maxima  des  ex})losifs  antigrisouteux. 
En  fait,  ces  tenqiératures  étaient  déterminées  jiai'  le 
calcul  à l’aide  des  données  thermochimiques. 

Mais  ce  n’était  examiner  qu’un  jioint  de  la  question. 

( I ) Cf.  Ceciiatelier,  Lr  Griaoii,  pp.  138-171. 


LE  GRISOU 


213 


La  rapidité  de  la  détente  doit  aussi  être  considérée  ; à 
puissance  égale,  elle  dépend  en  grande  partie  de  la 
pression  initiale  ou  mieux  de  ce  qu’on  a appelé  la  bri- 
sance de  l’explosif. 

La  charge  sous  laquelle  l’explosif  est  employé,  consti- 
tue également  un  facteur  important,  et  même  un  facteur 
prépondérant,  ainsi  que  MM.  Watteyne  et  Denoel  l’ont 
indiqué  dès  1898  et  comme  il  a été  reconnu  depuis. 
Les  expériences  ont  en  effet  établi  que  tout  explosif  au 
delà  d’une  certaine  charge,  variable  pour  chaque  type, 
mettait  certainement  le  feu  au  grisou.  La  charge 
maxima  d’un  explosif  donné  que  l’on  puisse  faire 
détoner  en  présence  d’un  mélange  gazeux  inflammable, 
sans  provoquer  l’inflammation  de  ce  dernier,  a reçu  le 
nom  de  charge  limite  de  sécurité. 

L’influence  de  la  charge  se  combine  avec  celle  de  la 
brisance  et  provoque  une  série  de  phénomènes  trop 
complexes  pour  être  exposés  ici  (1). 

Enfin  il  a été  constaté  qu’il  fallait  tenir  compte  non 
seulement  de  la  nature  chimique  de  l’explosif,  mais 
encore  de  son  état  physique,  et  en  outre  que  divers 
types  étaient  sujets  à des  variations  de  fabrication  ou 
à des  altérations  plus  ou  moins  profondes. 

Le  problème  est  donc  des  plus  ardus  et  des  plus 
délicats. 

Les  recherches  ont  été  poursuivies  avec  ardeur  et 
ténacité.  On  a pu  préciser  le  mécanisme  d’une  défla- 
gration, en  déterminant  la  pression  initiale  produite 
par  l’explosion,  la  longueur  des  flammes  produites  par 
la  détonation,  la  vitesse  de  détonation  elle-même.  Ce 
sont  là  des  phénomènes  essentiellement  fugaces,  des 
plus  difficiles  à saisir,  mais  que  M.  Bechel  semble 
néanmoins  avoir  réussi  à élucider  (2). 

( 1 ) Watteyne  et  Denoel,  Les  Explosifs  dans  les  mines  de  houille  de  Belgique. 
Hum,.  Soc.  Ind.  .Minér.vle  Saint-Étienne,  3<‘  série,  t.  14,  KMIO,  pp.  60-134. 

('2)  Voyez,  entre  autres.  Annales  des  Mines  de  Helgique,  t.  Vil,  pp.  1027- 
1054,  t.  IX,  pp.  1307-1330. 


214 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Toutefois,  les  recherclies  effectuées  dans  divers  pays 
étranp^rs  étaient  loin  d’avoir  fourni  des  indications 
satisfaisantes  notainnient  en  ce  qui  concerne  la  charge 
limite. 

ITie  catastrophe,  survenue  le  26  avril  1601,  au  char- 
bonnage du  Grand  Buisson  et  qui  fit  dix-neuf  victimes, 
était  venue  confirmer  les  appréhensions  de  certains 
ingénieurs  à l’endroit  des  explosifs  antigrisouteux.  Sa 
cause  jtremière,  remjuète  l’avait  nettement  établi,  était 
le  tir  d’une  mine  charaée  d’environ  i kiloüramme  de 
grisontine  (1). 

Il  importait  d’agir,  et  c’est  pourquoi,  le  gouverne- 
ment belge  dota  en  1602  le  Service  des  accidents 
miniers  et  du  f/risou,  de  l’Administration  des  mines 
des  moyens  de  ju’océder  à des  expériences  directes  en 
installant  à Frameries  un  lalioratoire  de  recherches. 

Nous  connaissons  déjà  cette  station  en  ce  qui  con- 
cerne l’essai  des  lampes.  L’étude  des  explosifs  s’y  fait 
dans  une  division  distincte,  ([iii  consiste  essentiellement 
en  une  galerie  de  section  elliptique  et  de  30  mètres  de 
longueur,  analogue  à une  galerie  de  charbonnage. 
Ouverte  à une  extrémité,  elle  s’encastre  à l’autre  dans 
un  massif  de  maçonnerie  où  se  trouve  logé  un  mortier 
en  acier  faisant  office  de  fourneau  de  mine. 

Le  mortier  est  chargé  d’une  quantité  convenable  de 
l’explosif  à essayer.  Aj)rès  quoi,  on  rend  grisoutense 
ratmos})hèi*e  voisine  — limitée  }iar  une  cloison  en 
pa]ûer  obturant  complètement  la  galerie  — en  y injec- 
tant du  grisou  amené  du  gazomètre  j)ar  une  canalisa- 
tion ajqiropriée.  Ln  dis])Ositif  spécial  permet  de  remplir 
en  outre  de  poussières  de  charlion  l’atniosphère  de  la 
galerie. 

L’expérience  est  des  plus  simples,  une  fois  ces  prépa- 
ratifs achevés.  On  })rovoque  à distance  rinflammation 
de  la  mine.  L’un  local  d’obsen’ations,  à l’abri  des  pro- 


(1)  Axx.  DES  Mixes  de  Belgique,  t.  VII,  p.  i)IK3. 


LE  GRISOU 


215 


jections  éventuelles,  on  observe  si  oui  ou  non  l’explosif 
essayé  provoque  l’explosion  de  l’atinosphére. 

Les  résultats  obtenus  au  laboratoire  de  Fraineries 
sont  des  plus  intéressants.  On  peut  en  Juger  rapidement 
par  la  suite  officielle  qui  y a été  donnée  : 

De  tous  les  explosifs  classés  comme  antigrisouteux 
avant  ces  essais,  un  seul  ligure  encore  aujourd'hui  sur 
cette  liste  qui  comporte  cependant  plus  de  vingt 
numéros. 

C’est  que  le  programme  de  la  première  série  d’essais, 
pour  être  simple,  était  particulièrement  rigoureux  (1). 
Il  était,  d’ailleurs,  à tendances  nettement  pratiques  et 
utilitaires  : pour  être  considéré  comme  antigrisouteux, 
un  explosif  doit  posséder  une  charge  limite  représentant 
une  énergie  suffisante.  Car  il  est  évident  que  pour  être 
utilisé  rationnellement,  semblable  explosif  ne  peut  être 
employé  qu’en  quantité  inférieure  à sa  charge  limite, 
c’est-à-dire  incapable,  d’après  les  essais,  de  communi- 
quer le  feu  au  grisou,  et  que,  d’autre  part,  l’exjdosif  doit 
pouvoir  néanmoins  effectuer  un  certain  travail,  dont  la 
quotité  mininia  peut  être  définie  par  rapport  à un 
explosif  type  de  composition  bien  définie. 

C’est  ainsi  que  pour  être  actuellement  considéré 
comme  antigrisouteux,  par  le  classement  belge,  un 
explosif  doit  pouvoir  déflagrer  sans  bourrage  au  sein 
d’une  atmosphère  grisouteuse  au  maximum  d’explosi- 
bilité,  en  une  quantité  équivalente  ou  supérieure  à 
i 75  grammes  de  dynamite  n“  1 . 

Ainsi  qu’il  a été  dit,  on  détermine  la  charge  limite  de 
chaque  explosif  par  des  séries  de  tirs  dans  la  galerie. 
L’évaluation  de  leur  })uissance  se  fait  par  des  expé- 
riences spéciales  à la  bombe  de  plomb. 

Des  explosifs  considérés  comme  antigrisouteux  en 


(I  ) Cf.  Watteyne  et  Stassart,  Les  Lampes  de  sûreté  et  les  explosifs  au  sièye 
d'expériences  de  Frameries,  Congh.  ixtern.  des  Mines,  I.iége,  19U5,  t.  1, 
pp.  “2“28-27“2. 


216 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


1900  à la  suite  de  l’étude  critique  des  l'eclie relies  faites 
à l’étranger,  un  seul  sur  vingt  et  un,  la  grisoutite,  a pu 
satisfaire  au  prograiiune  imposé. 

Mais  renseignée  et  guidée  par  ces  nouvelles 
recherches  expérimentales,  l’ingéniosité  des  fabricants 
et  des  inventeurs  n’a  ])as  tardé  à doter  les  exjdoitants 
de  }>()udi’es  plus  pvdssantes  et  plus  efficaces. 

(Test  ainsi  qu’aujourd’hui  la  liste  officielle  conqtrend 
]ilus  de  vingt  niunéros.  Certains  d’entre  ces  ex|)losifs 
ont  une  charge  limite  équivalant  à plus  de  5(i)0  grammes 
de  dynamite  n'’  1,  alors  que  cet  équivalent  n’est  que 
de  179  grammes  pour  la  grisoutite. 

Enfin  les  conditions  d’emploi  de  ces  explosifs  ont  été 
nettement  définies,  de  telle  sorte  (pi’il  est  })ossihle  d’es- 
])érer  à cet  égard  un  ])rogrès  sensible.  Souhaitons  que 
la  prati(pie  confirme  nettement  les  beaux  travaux  exé- 
cutés au  laboratoire  de  Frameries  })ar  MM.  TVatteyne 
et  Stassart,  sous  le  })atronage  de  l’Etat  belge. 

Les  lampes  et  les  explosifs  sont  les  })rinci}»ales  causes 
d’inflanunatiou. 

Inutile  d’ajouter  (pie  l’usage  du  tabac  à fumer  est 
interdit  dans  les  mines  à grisou.  Il  est  d’ailleurs  for- 
mellement défendu  d’y  ajiporter  des  objets  permettant 
de  se  j»rocurer  du  feu,  allumettes  ou  brbpiets. 

En  dehors  des  lamjies  et  des  exjdosifs,  il  est  en  géné- 
ral aisé  de  siqiju'imer  toute  cause  artiftcielle  suscejitible 
d’enflammer  le  grisou.  Ibmr  actionner  les  engins 
mécaniques  situés  au  fond  de  la  mine,  tels  que  pompes, 
treuils,  ])erforatrices,  on  se  sert,  suivant  les  cas,  de 
vapeur,  élaborée  jiar  des  chaudières  situées  à la  sur- 
face, d’eau  sous  pression  ou  encore  d’air  comprimé. 

Les  remarquables  jirogrès  acconqdis  durant  ces 
dernières  années  par  l’industrie  électrique  ont  toute- 
fois conduit  les  ingénieurs  à examiner  de  plus  près 
l’application  de  ce  flui'de  pour  la  commande  des  diverses 
machines  souterraines. 


LE  GRISOU 


217 


Jus({ii’ici  on  a observé  la  plus  grande  réserve  clans 
raiitorisation  de  seinlilables  installations  lorsqu’il  s’agit 
de  mines  franchement  grisouteuses.  On  est,  en  effet, 
encore  mal  informé  sur  les  précautions  à prendre  pour 
les  rendre  sans  danger.  Tout  récemment,  une  série  de 
recherches  expérimentales  a été  entreprise  en  Alle- 
magne à la  galerie  de  Gelsenkirchen-Bismarck,  par 
M.  Beyling  (1),  à l’effet  de  spécifier  les  conditions  par- 
ticulières que  doit  remplir  le  matériel  électrique  destiné 
aux  mines  grisonteuses. 

Les  faits  mis  en  lumière  par  ces  recherches  sont  du 
plus  haut  intérêt,  mais  trop  spéciaux  ])our  être  rap- 
})clés  ici.  Le  problème  partiellement  résolu  est  encore 
loin  d’être  complètement  élucidé.  Les  essais  se  pour- 
suivent encore  à cette  heure,  à la  galerie  de  Gelsen- 
kirchen. 

Pour  résumer  brièvement  la  question,  disons  que  le 
danger  peut  ici  provenir  soit  de  la  production  d’étin- 
celles, soit  de  l’échauffement  d’un  hl  métallique  par 
suite  d’avarie. 

Dans  l’im  ou  l’autre  cas,  l’atmosphère  de  la  mine 
liaignant  plus  ou  moins  directement  l’appareil  élec- 
trique, il  y a inflammation  du  mélange  grisouteux. 

Toute  la  difficulté  consiste  à empêcher  la  propagation 
de  cette  explosion  à l’extérieur  de  l’armature  envelop- 
pant le  moteur. 

Les  premières  recherches  de  M.  Beyling  ont  établi 
que  divers  types  de  protections  : cuirasse  hermétique, 
toiles  métalliques,  plaques  superposées,  bain  d’huile 
étaient  admissildes  et  efficaces.  Cdiacun  d’eux  toutefois 
a des  ap})lications  limitées  ou  présente  des  difficultés 
spéciales  de  mise  en  œuvre. 

11  semblerait  néanmoins  que  l’emploi  de  l’électricité 
dans  les  mines  grisouteuses,  jusqu’ici  très  limité,  pour- 


(1)  Cf.  Gluckauf!  Essen  1900,  n°®  1 à 13.  Traduction  résumée  Ann.  des 
Mines  de  Belgique,  t.  XI,  pp.  630-639  et  987  à 1006,  et  t.  XII,  pp*  64-92. 


218 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rait  dans  un  avenir  plus  ou  moins  procdie  se  développer 
largement,  Jusque  dans  les  endroits  où  l’on  peut 
craindre  l'existence  de  gaz  intiammable. 

La  question  est  évidemment  délicate,  car  d’une  part 
les  appareils  électriques  sont  aisément  sujets  à des 
détraquements  occultes,  alors  que  le  mineur,  aux 
mains  rudes,  est  habitué  aux  outils  robustes;  et  d’autre 
part,  il  est  logique  de  chercher  à conserver  aux  mines 
la  plus  grande  sécurité  possible,  fallût-il  en  arriver  à 
ju’oscrire  certains  engins  des  plus  utiles.  Principiis 
ohsfa! 

C’est  pourquoi  le  problème  est  encore  à cette  heure 
loin  d’être  complètement  résolu. 

Certaines  causes  accidentelles,  mais  naturelles, 
peuvent  ainsi  provoquer  l'intlammation  du  grisou.  C’est 
tout  spécialement  le  cas  pour  les  incendies  souterrains, 
qui  créent  déjà  tant  de  didicultés  dans  les  exploitations. 

La  genèse  des  incendies  doit  être  recherchée  dans  la 
nature  même  du  combustible  exploité  ou  encore  dans 
celle  des  roches  encaissantes,  tels  certains  schistes 
bitumineux.  ( )n  parvient  néanmoins  par  une  appropria- 
tion rationnelle  des  méthodes  d’exploitation  à en  limiter 
la  fréquence  et  l’étendue. 


V.  — Sauvetage 

Quoi  que  nous  fassions,  quelque  méthodiques  et 
minutieuses  que  soient  nos  études  théoriques  ou  expéri- 
mentales, quelque  perfectionnés  que  soient  nos  appa- 
reils de  toutes  sortes,  quelque  vigilantes  et  sévères  que 
soient  la  surveillance  et  la  police  des  mines,  nous  n’en 
devons  pas  moins  redouter  les  accidents.  Car  notre 
science  est  limitée,  et  notre  nature  est  essentiellement 
faillible. 


LE  GRISOU 


219 


11  faut  donc  nous  attacher  non  senlement  à réduire 
le  nombre  des  accidents,  mais  encore  à en  limiter 
l’importance. 

11  nous  faut,  en  outre,  prendre  toutes  les  mesures 
nécessaires  pour  pouvoir,  en  cas  d’accident,  porter 
promptement  secours  aux  victimes. 

Les  inflammations  et  surtout  les  explosions  de  grisou 
sont  par  nature  des  accidents  collectifs.  L’atmosphère 
de  la  mine  s’enflamme  dans  toute  sa  masse,  à partir  du 
point  d’inflammation  jusqu’aux  limites  de  la  zone 
infestée  par  le  gaz  inflammable.  Quiconque  se  trouve 
dans  la  région  atteinte  court  grand  danger  de  mort. 

Si  nous  voulons  donc  réduire  le  nombre  des  victimes 
que  peut  faire  un  coup  de  grisou,  nous  répartirons  le 
personnel  de  chaque  fosse  par  petits  groupes,  que  nous 
occuperons  dans  des  chantiers  distincts,  c’est-à-dire 
ventilés  par  des  courants  d’air  différents.  La  division 
du  courant  d’air  s’impose  d’ailleurs  dans  une  certaine 
mesure  — nous  l’avons  vu  plus  haut  — si  l’on  veut 
s’attacher  à réduire  la  résistance  de  la  mine  à la  venti- 
lation. Mais  on  est  conduit  à pousser  plus  loin  encore  la 
subdivision  du  courant  d’air  suivant  les  exigences  des 
règlements  miniers. 

Ce  n’est  pas  tout.  Les  faits  ont  prouvé  que  dans  un 
grand  nombre  de  cas  l’explosion  née  en  un  point  reculé 
de  la  mine  se  propageait  à travers  tout  l’ensemble, 
malgré  la  sulxlivision  de  l’aérage.  Le  plus  souvent 
c’est  aux  poussières  charbonneuses  accumulées  sur  les 
voies  de  transport  qu’il  faut  attribuer  cette  extension. 
C’est  pourquoi,  en  Angleterre  notamment,  on  pratique 
l’arrosage  fréquent  de  ces  voies  de  transport  afin 
d’abattre  et  d’agglutiner  les  poussières.  On  rend  ainsi 
plus  effective  l’indépendance  de  chaque  chantier. 

La  règle  suivie  ]»our  les  chantiers  est  également 
adoptée  ])our  les  unités  d’ordre  supérieur,  les  sièges 
d’exploitation.  Dans  bien  des  cas,  ces  sièges  n’ont  entre 


220 


REVUE  DES  QUESTIONS  SClExXTI PIQUES 


eux  aucune  liaison  souterraine.  S’il  en  existe,  on 
s’attache  à y rendre  impossible  la  pro})agation  d’une 
ex|dosion. 

Les  mesures  propres  à faciliter  les  opérations  de 
sauvetage  en  cas  de  catastrophe  sont  de  deux  sortes  : 
les  unes  préventives,  les  autres  directes. 

sont  les  mesures  préventives  que  l’on  s’était  sur- 
tout attaché  k développer  Jusque  dans  ces  dernières 
années. 

La  première  et  la  })lus  ini})ortante  est  la  possession 
de  deux  voies  d’accès  distinctes  pour  tout  point  des  tra- 
vaux d’exploitation.  Une  de  ces  voies  devient-elle 
inaccessible,  l’autre  issue  subsiste  et  assure  la  retraite. 

dette  règle  s’applique  surtout  aux  voies  d’accès  ])rin- 
ci}iales  de  la  mine,  qui  sont  le  })lus  fréquemment  des 
jmits.  Plus  la  mine  est  profonde,  plus  grand  est  l’inté- 
rêt (pi’il  y a à maintenir  intactes  ces  communications 
entre  les  travaux  souterrains  et  la  surface.  Aussi  cher- 
che-t-on à les  multijdier,  jtar  exeni})le  en  réunissant 
souterrainement  des  sièges  d’exploitation  voisins.  Cette 
mesure  jtrésente  toutefois,  comme  nous  venons  de  le 
voir,  un  certain  aléa. 

Il  ne  sufht  ]ias  d’assurer  la  retraite  aux  ouvriérs  ou 
le  facile  accès  aux  sauveteurs;  il  faut  encore  assurer, 
autant  que  faire  se  peut,  la  persistance  de  la  ventila- 
tion. Des  deux  voies  d’accès  de  chaque  chantier,  l’une 
sert  généralement  d’entrée,  l’autre  de  retour  d’air.  Ces 
voies  doivent  être  rendues  indépendantes  l’ime  de 
l’autre,  de  manière  cà  ce  qu’en  cas  d’explosion,  il  ne 
puisse  se  produire  entre  elles  de  court  circuit.  I)e  même 
il  faut  proscrire  comme  dangereuse  la  disjiosition  ({ui 
consiste  à diviser  j)ar  une  cloison  étanche  les  puits  de 
la  mine,  de  manière  à ce  que  l’un  des  com])artinients 
serve  d’entrée,  l’autre  de  retour  d’air.  Une  explosion 
vient-elle  à se  })roduire,  la  cloison  est  détruite  et 
l’aérage  suspendu.  La  destruction  de  la  cloison  a en 


LE  GRISOU 


221 


outre  pour  conséquence  ordinaire  de  rendre  l’accès  du 
puits  iin])ossible  ou  dangereux. 

Les  procédés  directs  de  sauvetage  ne  sont  complète- 
ment eliicaces  que  pour  autant  que  ces  mesures  [tré- 
ventives  et  d’autres  analogues  ont  été  prises.  Les 
puits  viennent-ils,  }»ar  exem})le,  à déboucher  dans  le 
même  bâtiment,  il  sera  tout  aussi  impossible  aux 
ouvriers  de  sortir  de  la  mine,  qu’aux  sauveteurs  d’}' 
pénétrer,  si  le  coup  de  grisou  })rovoque  l’incendie  du 
l3àtiment,  comme  ce  fut  le  cas  en  1879  au  charlionnaoe 
de  l’Agrappe. 

C’est  donc  avec  raison  que  l’on  s’est  a})pliqué  durant 
longtemps  à définir  ces  mesures  préventives,  car  leur 
rôle  est  nettement  prépondérant.  Les  procédés  de  sau- 
vetage proprement  dits  n’en  méritent  pas  moins  d’êti*e 
pris  en  sérieuse  considération. 

En  fait,  il  ,y  a déjà  longtemps  qu’ils  ont  fixé  l’atten- 
tion des  chercheurs.  C’est  ainsi  qu’il  faut  remonter 
à Pilâtre  de  Rozier,  vers  1780,  })Our  retrouver  l’un 
des  premiers  inventeurs  d’ap]iareils  permettant  tle 
pénétrer  dans  les  milieux  irrespiraliles  (1). 

Ce  ne  fut  toutefois  que  dans  ces  dernières  années  que 
l’on  ]>arvint  à construire  des  appareils  suffisamment 
perfectionnés  et  surtout  assez  robustes  pour  jtouvoir 
entrer  dans  la  pratique  courante  des  mines. 

Les  })rincq)aux  ajtpareils  de  sauvetage  sont,  en  effet, 
ceux  qui  permettent  de  pénétrer  dans  les  milieux  irres- 
})irables.  Un  ou  plusieurs  ouvriei's  viennent-ils  par 
suite  d’un  dégagement  suliit  ou  d’un  défaut  de  ventila- 
tion à se  trouver  dans  une  atnios])hère  riche  en  grisou, 
ils  y succomberont  par  as})hvxie  si  l’on  ne  vient  à leur 
secours.  Rétablir  l’aérage  ou  dissiper  raccumulation 
de  grisou  est  souvent  une  opération  longue  et  lalio- 
rieuse.  Entretemps  la  mort  aura  fait  son  œuvre.  Il  faut 

(I)  Cf.  .J.  .licinsky,  Katecbismus  lier  Grubenwelierfitlmnig,  édition. 
.Malirisli-Ostrau,  1901,  pp.  :23(i-l2iÜ. 


222 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


donc  pouvoir  pénétrer  dans  l’atmosphère  viciée  sans 
attendre  que  la  situation  soit  redevenue  normale,  et  cela 
ne  se  peut  sans  danger  pour  les  sauveteurs  que  grâce 
à des  appareils  spéciaux. 

Il  en  sera  encore  de  même  à la  suite  d’une  indam- 
mation  et  surtout  d’une  explosion  de  grisou.  Les 
ravages  causés  par  la  catastrojihe  auront  généralement 
eu  pour  conséquence  de  supprimer  au  moins  localement 
la  ventilation.  En  outre  et  surtout,  il  existera  souvent 
dans  l’atmosphère  non  seulement  une  assez  forte  quan- 
tité de  gaz  inertes,  mais  encore  des  gaz  toxiques,  tel 
l’oxjde  de  carbone,  jirovenant  de  comlnistions  incom- 
plètes. 

Il  faut  donc  que  le  sauveteur  pénètre  dans  cet  air 
vicié  en  conservant  une  communication  avec  l’atmo- 
sphère respirahle,  ou  encore  en  se  munissant,  en  s’en- 
tourant d’une  atmosphère  propre. 

Le  jiremier  système  est  celui  adopté  par  Pilâtre  de 
Rozier,  qui  en  donna  la  démonstration  en  faisant  se 
promener  dans  une  cuve  de  brasserie  remplie  d’acide 
carbonique  des  hommes  munis  de  masques  reliés  par 
un  tuyau  llexible  et  étanche  à l’atmosphère  de  la  salle. 
Cette  méthode  est  encore  emjiloyée  dans  certains  cas. 

Les  appareils  les  plus  modernes  dérivent  tous  du  type 
proposé  en  1878  par  feu  le  professeur  Ch.  Schwann, 
de  l’Université  de  Liège  et  qui,  ainsi  que  M.  A.  Ilaliets 
l’a  rappelé  récemment,  avait  cependant  été  condamné 
par  le  grand  ])li3^siologiste  que  fut  Paul  Bert  (1).  La 
respiration,  on  le  sait,  équivaut  au  total  à une  combus- 
tion. L’homme  inhale  de  l’air  riche  en  ox3'gène  et 
exhale  au  contraire  de  l’air  pauvre  en  ox3^gène,  mais 
enrichi  en  anli3’dride  carbonique.  Ce  dernier  gaz  est 
inerte,  sinon  toxique.  De  telle  sorte  que  si  nous  respi- 
rons dans  une  capacité  limitée,  un  sac  étanche,  }>ar 


(I)  Cf.  lÎEVUE  UNIVERSELLE  DES  Mlnes,  3'^ série,  t.  XIV,  p.  77. 


LE  GRISOU 


exemple,  rempli  au  début  d’air  pur,  au  bout  de 
quelques  minutes,  l’atmosphère  du  sac  est  devenue 
irrespirable  : elle  contient  trop  peu  d’oxygène  et  ren- 
ferme au  contraire  une  trop  grande  quantité  d’an- 
hydride carbonique.  Aussi  les  appareils  simples 
construits  de  la  sorte,  tel  celui  de  i\I.  Fayol,  ne  per- 
mettent-ils qu’un  sé;jour  de  quelques  minutes  dans  l’air 
vicié. 

Pour  pouvoir  prolonger  le  séjour,  il  faut  régénérer 
l’atmosphère  limitée  du  sac,  en  alisorbant  d’une  part 
l’excès  d’anhydride  carbonique  et  en  restituant  d’autre 
part  une  certaine  quantité  d’oxygène.  Paul  Bert  tenait 
î’ox^'gène  pur  pour  toxique.  Ce  fut  la  raison  de  la  con- 
damnation qu’il  porta  contre  le  système  proposé  par 
Schwann. 

Il  fallut  que  des  catastrophes  retentissantes  sur- 
vinssent en  Autriche  et  en  Allemagne  pour  que  la  ques- 
tion attirât  à nouveau,  vers  1895,  l’attention  des  ingé- 
nieurs. Elle  allait  être  d’autant  plus  rapidement 
résolue  que  les  progrès  réalisés  par  les  industries 
chimiques  avaient  été  plus  remarquables.  Aussi  possé- 
dons-nous aujourd’hui  des  appareils  portatifs  permet- 
tant de  pénétrer  librement,  à toute  distance,  dans  les 
milieux  irrespirables  et  d’y  séjourner  durant  une  ou 
deux  heures.  Les  types  sont  nombreux.  Leur  descrip- 
tion détaillée  comporterait  à elle  seule  un  long  article  (1). 
Je  viens  de  rappeler  leur  mode  de  fonctionnement; 
qu’il  me  suffise  d’ajouter  que  l’absorption  de  l’anh}'- 
dride  carbonique  est  faite  à l’aide  de  pastilles  alcalines  et 
que  la  régénération  de  l’air  est  souvent  obtenue  à l’aide 

(1)  Voyez  à ce  sujet  Revue  universelle  des  Mines,  cinquième  série, 
t.  XIV,  pp.  71-93,  et  surtout  Congrès  international  des  Mines,  Liège,  19U5, 
t,  11.  — Suess,  Les  Appareils  de  sauvetage,  pp.  119-154.  — Bamberger,  Bock 
et  Wanz,  Pneumatog'ene,  pp.  159-163.  — Meyer,  Organisation  du  sauvetage, 
pp.  165-189.  Description  abrégée  des  objets  exposés  par  la  mine  Hibernia, 
pp.  3:25-335.  — Guglielminetti-Droeger,  Appareil  respiratoire  et  boite  de 
secours  pour  mineurs,  pp.  509-516. 


224 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


d’oxygène  comi)riiné  transporté  dans  une  minuscule 
bonbonne. 

Les  études  poursuivies  durant  plusieurs  années  au 
charbonnage  Ilibeniia,  en  ^^>stphalie,  ont  notamment 
permis  de  donner  à ra])})areil  une  forme  robuste  et  aussi 
peu  encombrante  que  })Ossible,  qualités  que  les  types 
primitifs,  notamment  celui  ]>roposé  ])ar  Schwann, 
étaient  loin  do  posséder. 

Les  sauveteurs  sont  munis  de  lampes  électriques. 

Les  techniciens  allemands  ont  d’ailleurs  junissé  plus 
loin  leurs  recherches  et  se  sont  ingéniés  à assurer  le 
jdus  complètement  possilile  l’effet  utile  de  ces  a])jiareils. 
Il  faut,  la  chose  est  évidente,  jiouvoir  jiorter  prom})te- 
ment  secours  aux  victimes  : l’asphyxie  n’est  pas  instan- 
tanée, mais  elle  a raison  des  })lus  forts  teni})éraments 
en  moins  d’une,  voire  deux  heures.  11  ne  sutlira  donc  j>as 
de  posséder  des  ajipareils  de  sauvetage,  il  faudra 
encore  disposer  d’une  éipiipe  de  sauveteurs,  et  à la  fosse 
mémo  si  possible.  Il  faudra  surtout  disjioser  d’hommes 
expérimentés,  ronijiiis  aux  travaux  miniers  et  habitués 
à l’usage  des  a])pareils  resjiiratoires. 

Ces  équipes  existent  en  Allemagne  ; chacun  le  sait. 
Car  tous,  nous  nous  souvenons  de  la  démonstration 
faite  |)ar  le  poste  de  secours  de  la  houillère  Ililiernia 
lors  do  la  catastrophe  do  Gouriâèros.  Ces  équipes  s’en- 
traînent régulièrement  et  périodi(|uement  dans  des 
salles  d’exercices  apju’opriées. 

A la  suite  de  l’Exposition  de  190."),  le  gouvernement 
belge  a adjoint  une  équipe  de  sauveteurs  à la  station 
d’expériences  de  Framories.  Les  charbonnages  du  bas- 
sin de  Liège  ont,  de  leur  coté,  jirojeté  une  organisation 
complète,  qui,  j'usqu’ici,  n’a  ])as  été  réalisée.  Un  seul 
d’entre  eux,  celui  de  la  Société  Cockerill,  possède  à 
l’heure  actuelle  semblable  poste  de  secours. 

Il  est  toutefois  à remarquer  que  les  services  que 
jK'uvent  rendre  ces  a])[>areils  sont  moins  importants  en 


LÉ  GRISOU 


225 


Belgique  qu’en  AVestphalie,  par  exemple,  parce  que,  dans 
ce  bassin,  les  incendies  souterrains  sont  assez  fréquents 
dans  certaines  concessions.  Leur  possession  n’en  est 
])as  moins  des  plus  désiraldes.  C’est  ce  dont  les  équipes 
de  sauveteurs  devront  se  souvenir  au  cours  de  leurs 
exercices  d’entrainement,  s’il  arrivait  que,  durant  plu- 
sieurs années,  elles  ne  fussent  pas  appelées  à intervenir. 

Enfin,  l’efficacité  des  travaux  de  sauvetage  avec  ou 
sans  appareils  pour  milieux  irres})iral)les  dépend  encore 
de  l’éducation  générale  du  personnel.  Il  est  regrettable 
que  les  ouvriers,  voire  certains  ingénieurs,  ne  pos- 
sèdent aucune  notion  des  premiers  secours  à donner  aux 
blessés.  Aux  programmes  des  écoles  de  mines  alle- 
mandes figure  un  cours  régulier  sur  ce  sujet.  Dussent 
les  cours  théoriques  en  souffrir  quelque  peu,  je  crois 
qu’il  y aurait  progrès  au  jioint  de  vue  humanitaire  à 
inscrire  ce  cours  nouveau  aux  programmes  belges.  ' 
L’ingénieur  n’est  pas  seulement  appelé  à diriger  des 
machines,  mais  encore  à assurer  la  santé  et  la  sécurité 
de  légions  de  travailleurs. 

Quant  au  personnel  ouvrier,  il  y aurait  intérêt  à tout 
point  de  vue  à lui  inculquer  l’utilité  de  ces  notions.  Une 
fois  cette  conviction  acquise,  il  aurait  à cœur  de  s’initier. 
La  lutte  contre  rankylostomasie  lui  a permis  de  témoi- 
gner suffisamment  de  ses  ajititudes  et  de  sa  lionne 
volonté  pour  qu’elles  ne  puissent  être  mises  en  doute. 


VI.  — Conclusion 

Jetons  à présent  un  regard  en  arrière,  non  pas 
pour  évoquer  le  souvenir  de  ces  terribles  catastrophes 
qui  trop  souvent  désolèrent  le  pays  noir,  mais  pour 
embrasser  d’un  coup  d’œil  les  résultats  de  cette  lutte 
gigantesque  entrejudse  par  les  mineurs  contre  le  grisou. 

IIU  SÉIUE.  T.  Xll.  15 


22(> 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Quelle  est  l’allure  de  cette  lutte?  Les  etforts  si  consi- 
dérables et  si  variés,  que  déploient  savants  et  techni- 
ciens, sont-ils  restés  sans  succès  ? La  ventilation  est-elle 
})arvenue  à réaliser  sur  notre  sulitil  ennemi  l’ettet 
})i‘évu  par  l’antique  proverbe  : Dà'üle  et  impera^  Ou 
l’ennemi  s’étant  malgré  tout  concentré  jiar  surprise, 
notre  tactique  a-t-elle  réussi  à,  le  jiriver  de  ses  moyens 
d’action? 

Au  total,  est-ce  un  Imlletin  de  victoire  que  nous 
devons  rédiger  ? 

Voilà  ce  ({u’il  me  reste  à dire. 

( )ui,  c’est  non  seulement  un  succès,  c’est  jiresque  un 
triomphe  (1)  que  nous  constatons,  si  nous  examinons 
d’une  }>art  les  ris([ues  courus  et  d’autre  jiart  le  nombi*e 
des  victimes. 

^ Certes,  au  lendemain  de  ces  catastro})hes  qui  jettent 
le  deuil  parmi  nos  vaillantes  })oj)ulations  minières,  on  en 
vient  à douter  des  succès  de  la  technique.  Ce  taisant,  on 
cède  à un  mouvement  de  désespoir  et  de  colère.  Ne 
devrait-on  ]>as  plutôt  se  souvenir  que  l’expérience, 
que  la  science  humaines  sont  bien  limitées?  Nous 
connaissons  assez  bien  la  natui-e  des  jihénomènes  gri- 
souteux;  mais  nous  ne  savons  le  tout  de  rien. 

Tel  fait,  inconnu  ou  mal  oliservé  jusqu’aujourd’hui, 
provoquera  demain  peut-être  un  accident,  et  cela  en 
dépit  de  toutes  les  }u-écautions  qu’aura  pu  imposer  la 
])révoyance  humaine. 

Le  succès  de  nos  luttes  contre  le  grisou  dépend  donc 
encore  d’une  étude  consciencieuse  et  impartiale  des 
accidents,  de  manière  à en  tirer  la  leçon  la  })lus  com- 
plète. Cette  critique  des  batailles  perdues,  outre  qu’elle 
}>eut  stimuler  les  ardeurs  et  relever  les  courages. 


(I)  Fji  I!KM),  Ip  ^>Tisoii  a fait  on  lîol^iquo  deux  victimes  qui  ont  été  légèrement 
hn'dées.  Il  n’y  a eu  aucun  cas  mortel.  Dix  dégagements  instantanés,  tous  sans 
suites  gi’aves,  ont  été  constatés. 


LE  GRISOU 


^27 


pourra  nous  éviter  des  défaites  ])lus  retentissantes 
encore. 

Il  ne  faut  d’ailleurs  pas  perdre  de  vue  que  si  l’on 
Teproclie  ainéroinent  aux  ingénieurs  ces  douloureux 
échecs,  on  fait  abstraction  de  leurs  victoires,  parce  que 
ces  victoires  sont  occultes. 

Seule  la  statistique  peut  nous  les  révéler.  Encore 
ne  nous  donne-t-elle  qu’une  approximation,  car  elle 
suppose  le  risque  constant.  Or  il  est  évident  que  le 
risque  a augmenté.  Les  exploitations  se  sont  approfon- 
dies, elles  ont  donc  pénétré  dans  des  gîtes  de  plus  en 
plus  grisouteux.  Le  travail  s’y  est,  d’autre  part,  inten- 
sifié. 

Les  chiffres  que  fournit  la  statistique  sont  donc  des 
minima.  Or  quels  sont-ils  ? 

En  ce  qui  concerne  les  accidents  miniers  en  général, 
voici  })Our  la  Belgique  les  |)ro])ortions  d’ouvriers  tués, 
par  10000  ouvriers  occuj)és  })our  les  périodes  décennales 
1830-1904  (1). 


Accidents 
dans  les  puits. 

EOouleinents. 

Explosions 
et  grisou. 

Accidents 

Divers. 

Total. 

1831-18iü  . 

. . 9,78 

0,45 

9,05 

0,00 

31,94 

1841- 1859  . 

. . 9,00 

9, “20 

7,04 

5,91 

31,81 

1851-18()0  . 

. . 10,29 

9,98 

4, “28 

7,75 

3“2,30 

1801-1870  . 

. . 0,70 

8,98 

3,44 

0,88 

“20,00 

1871-1880  . 

. . 5,50 

7,08 

4,87 

0,09 

“23,00 

1881-1890  . 

. . “2,87 

0,01 

3,04 

0,80 

19,9“2 

1891-1900  . 

“2,“24 

5,1  “2 

“2,08 

4,47 

13,91 

1900-1904  . 

. . “2,11 

4,00 

0,39 

4,14 

10,70 

(1900-1905)  (“2) 

. . — 

— 

1,0“2 

— 

10,4“2 

Le  progrès  réalisé  dans  les  cinquante  dernières 
années  est  énorme.  Voyons  à })résent  le  tableau  de 
détail  relatif  au  grisou. 

(I)  Cf.  Watteyne  et  Stassart,  Les  Lampes  de  sûreté  et  les  Explosifs, 
pp.  2UO-ÏJ03. 

C2)  Ann.  des  Mines  de  Iîelgique,  t.  Xll,  p.  339. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


228 


1881-18‘JO 

1891-1900 

1900-1904 

Asphyxies 

^ dégagement  normal  . . 

i dégagement  instantané  . 

Ü,5i 

0,19 

0,48 

0,“2“2 

0,“25 

0,14 

liinammatioiis  ^ 

^ causes  diverses  . . . 

0,73 

0,01 

— 

(le  grisou  , 

\ par  les  lampes .... 

0,48 

1,03 

— 

1 

par  les  explosifs  . . . 

“2,43 

0,45 

0,39 

Totaux.  . . 

4,37 

“2,79 

0,78 

Le  jirogrès  est,  on  le  voit,  plus  marquant  encore.  La 
cause  princi])ale  d’intlainination  : l’enqjloi  des  ex[)losifs 
a concentré  l’attention  des  spécialistes.  Les  succès  se 
sont  accentués  encore  en  1905,  car  la  inojenne  pour  la 
j)ériode  1900-1905  n’est  jtlus  que  de  0,28.  Enlin,  en 
1900,  le  bilan  des  cas  mortels  se  clcèture  par  zéro. 

C’est  donc  un  succès  et  un  grand  succès.  Car,  il  faut 
le  répéter,  la  statistique  ne  donne  qu’une  ajqiroxima- 
tion,  et  l’erreur  est  en  moins  : les  périodes  antérieures 
accuseraient  un  risque  })lus  grand  encore,  si  le  carac- 
tère des  gisements  eût  été  à ces  époques  aussi  accen- 
tué qu’il  l’est  actuellement. 

(5n  le  voit,  il  s’en  faut  de  beaucoup  que  dans  les 
conditions  actuelles,  ce  soit  le  coup  de  grisou  qui 
menace  le  plus  la  vie  de  l’ouvrier  mineur. 

Rendons  donc  hommage  à tous  ceux  qui  par  leurs 
efforts  et  leur  jiersévérance  sont  arrivés  à perfectionner 
à ce  jioint  l’art  des  mines. 

Qu’il  s’agisse  de  l’étude  du  grisou,  de  la  technique  de 
l’aérage,  de  la  construction  des  lam})es  ou  de  la  fabri- 
cation des  explosifs,  payons  un  tribut  de  reconnaissance 
aux  Guihal,  aux  Devillez,  aux  Mueseleer,  à tous  ces 
inventeurs  illustres.  Mais  n’oulilions  pas  non  plus  cette 
légion  anonyme  de  travailleurs  qui  }>ar  une  surveil- 
lance incessante  et  éti*oite  des  mines,  sont  })arvenus  à 
assurer  les  heureux  effets  des  inventions,  qu’ils  aient 


LE  GRISOU 


229 


été  fonctionnaires  des  Corps  officiels  ou  attacliés  à la 
conduite  des  exploitations. 

Saluons  une  dernière  fois  encore  la  mémoire  de  tous 
ceux  qui,  en  dépit  des  efforts  de  la  science  et  de  la 
technique,  ont  succomlié  aux  attaques  perfides  du 
grisou,  (trace  à ces  leçons  chèrement  payées,  nous 
pouvons  à présent  regarder  l’avenir  avec  calme  et 
confiance. 

D’halnles  chercheurs  viennent  de  découvrir,  sous  les 
bruyères  arides  et  sableuses  de  la  Gampine,  un  impor- 
tant gisement  de  terrain  houiller.  Le  grisou  s’y  ren- 
contre. Mais  en  dépit  de  la  profondeur  de  l’antre,  qui 
suffit  à en  dire  tout  le  danger,  le  mineur  y descendra, 
certain  d’avoir  raison  de  son  terrible  ennemi. 


A.  Renier, 

Ingénieur  au  Corps  des  Mines. 


VARIÉTÉS 


LES  « ESSAYS  » DE  JEAN  REY 

ET 

LA  l*ESANTEi:i{  DE  L’AlU  (J) 

Au  tronlispice  du  livre  (|ui  va  nous  occuper,  s’étale  une  vignette 
et  se  lit  une  devise.  Une  femme  ailée  tire  un  mort  de  la  tombe  : 
Supera  ut  œnvexa  révisai,  (pi’il  revienne  au  jour  {'i).  C’est  ce 
(pie  veut  .M.  .Maurice  Petit  en  rééditant  l’œuvre  d’un  savant 
oublié. 


.lean  Uey  na(|uit  au  Hugue,  en  Périgord,  vers  158J.  Il  coiupiit 
son  grade  de  Maître  ès-arfs  à .Montauban,  subit  avec  succès  les 
épreuves  du  doctorat  en  médecine  et  revint,  en  ItiO!),  exercer  sa 
profession  dans  son  bourg  natal;  il  y mourut  à une  date  incer- 
taine, mais  postérieure  à ItRâ. 

Esprit  curieux  et  d’un  sens  criticpie  très  délié;  chercheur 
inventif,  ami  des  livres  mais  avide  surtout  de  .science  person- 
nelle, il  s’était  accpiis  réputation  de  savant.  Elle  lui  valut  d’être 
consulté  par  le  sieur  Drun,  apothicaire  à Bergerac,  au  sujet 
d’un  événement  déconcertant  dont  ses  creusets  venaient  d’être 
le  théâtre. 

( I ) Découverte  et ]>reuve  de  la  pesanteur  de  l'air.  Essais  de  .Iea.x  Uev,  doc- 
leur  en  médecine.  Édition  nouvelle  avec  commentaires  imliliée  par  M.umiCE 
I'etit,  pliarmacien  de  première  classe.  Lu  vol.  grand  in-8”  de  xxvii-191  pages. 
— Paris,  A.  Hermann,  I9U7. 

C2)  Virgile,  Énéide,  VI,  750. 

Has  omnes,  nhi  mille  rotnm  volvère  per  annos, 
l.ethaenm  ad  tluvium  dens  evorat  agmine  magno  ; 

Scilicet  immemores  supcra  ut  convexa  révisant, 

Rursus  et  incipiant  in  corpora  velle  reverti. 


VARIETES 


23i 


« A Monsievr  Rey, 

Monsievr,  voulant  ces  iours  passez  calciner  de  l’eslain,  i’en 
pesay  deux  liures  six  onces  du  plus  lin  d’Angleterre,  le  mis  dans 
vil  vase  de  1er  adapte  a un  fourneau  ouuert  ; et,  a grand  feu, 
l’agitant  continuellement,  sans  y adioiister  chose  aucune,  ie  le 
conuertis  dans  six  heures  en  vue  chaux  très-blanche,  le  la  pesay 
pour  sçauoir  le  dechet  ; et  en  y trouuay  deux  liures  treize  onces  : 
ce  qui  me  donna  vn  estonnement  incroyable  ; ne  pouuant  m’ima- 
giner d’où  estaient  venues  les  sept  onces  de  plus...  Votre  bel 
esprit,  qui  se  donne  des  eslans,  quand  il  veut,  au  delà  du  com- 
mun, trouuera  icy  matière  d’occupation,  le  vous  supplie,  de 
toute  mon  atîection,  vous  employer  à la  recherche  de  la  cause 
d’un  si  rare  elïect,  et  me  tant  obliger  que  par  vostre  moyen  ie 
sois  esclaircy  de  cette  merveille  (1)  ». 

L’observation  n’était  pas  neuve;  Brun  se  trompe  en  « cuidant 
que  nul  auant  luy  s’en  feut  aduisé  ».  L’énigme  qu’elle  pose  a 
tourmenté  maint  savant,  sans  compter  les  philosophes  : « Le 
subiect  a e.sté  beau,  l’enqueste  pénible,  le  fruit  d’icelle  bien 
petit  ».  Personne  ne  s’en  étonnera,  car  « d’un  effet  si  manifeste 
la  cause  estoit  occulte  tant  et  plus  ». 

« Estimant  d’auoir  frappé  le  but  » Jean  Rey  en  dira  .son  avis 
« non  .sans  preuoir  très  bien,  dit-il,  que  i’encourray  d’abord  le 
nom  de  temeraire  » ; mais  « en  tout  euenement,  i’auray  tesmoi- 
gné  au  public  le  désir  que  i’ay  de  lui  profiter,  luy  ayant  laissé 
couler  cet  escript  de  mes  mains,  deut-il  grauer  sur  ma  réputa- 
tion quelque  nuisante  tlestrisseure  ». 

C’est  tout  un  livre  qu’il  compose  pour  répondre  à son  corres- 
pondant; il  l’intitule  : Essays  de  lenn  Rey  doclevr  en  Medecine  svr 
la  recherche  de  la  cause  pour  laquelle  l’Estain  et  le  Plo)ub  auy- 
mentent  de  poids  quand  on  les  calcine.  Dédiés  à haut  et  puissant 
Seigneur  Frédéric  Maurice  de  la  Tour,  Duc  de  Bouillon,  Prince 
souuerain  de  Sedan,  etc.  .V  Bazas;  par  Gvillavme  Millanges, 
Imprimeur  ordinaire  du  Roy,  1630.  — Le  style  rappelle  Montaigne, 
les  pensées  font  de  son  auteur  le  précurseur  de  Lavoisier,  en 
chimie,  et  en  physique,  l’émule  de  Baliano,  de  Mersenne,  de 
Torricelli,  de  De.scartes  et  de  Pascal. 

Ce  petit  volume,  mal  imprimé,  semble  avoir  été  destiné  moins 
au  grand  public  qu’à  un  cercle  d’amis,  le  hasard  heureusement 
servit  sa  fortune. 


(1)  Essais,  p.  tO. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Le  sieur  Hruii  ne  fui  pas  seul  à eu  reeevoir  riiommai>e  ; l’amitié 
le  mit  aussi  entre  les  mains  de  Trichel,  avocat  au  parlement  de 
Mordeaux.  Bibliophile  et  curieux  de  science,  Pierre  Trichet,  dans 
ses  loisirs,  se  donnait  à la  musi([ue;  elle  l’avait  introduit  chez 
Mersenne.  Au  cours  d’un  voyai^e  à Paris,  il  mit  sous  les  yeux  de 
son  illustre  ami  l’étrange  brochure.  « le  n’auois  pas  esperé,  écrira 
plus  lard  Jean  Rey  à Mersenne,  que  mes  Essai/s  tissent  rencontre 
d’vn  tel  personnage  que  vous,  ([ui,  les  ayant  eppeluchés  soigneu- 
sement, print  la  peine  de  m’escrire  ses  sentimens  sur  iceux.  )) 
De  fait,  .Mersenne  lut  les  Essai/s  la  plume  à la  main,  en  lit  part 
« à de  fort  bons  esprits  » et,  suivant  en  cela  son  habitude,  manda 
à l’auteur  les  réllexions  que  celte  lecture  lui  avait  suggérées.  Une 
correspondance  s’ensuivit,  du  plus  haut  intérêt  pour  l’histoire 
des  sciences,  entre  le  docte  religieux,  le  médecin  du  Bugue  et 
l’apothicaire  de  Bergerac. 

I>es  lettres  de  Mersenne  se  fussent  .'^ans  doute  perdues  toutes 
trois,  si  Jean  Bey  ne  les  eût  communicpiées  <à  Pierre  Trichet,  ([ui 
prit  des  copies  des  deux  premières  pour  les  joindre  à son  exem- 
plaire des  Esmi/s  : l’ouvrage  ainsi  corn[)lété  passa  plus  lard  à la 
Bihliothèque  du  Boi.  Les  autographes  des  deux  lettres  de  Jean 
Bey  et  des  deux  lettres  de  Brun  restèrent  dans  les  cartons  de 
■Mersenne;  ils  furent  joints  aux  lettres  manuscrites  adressées  à ce 
savant  et  recueillies  à la  Bihliothèque  des  .Minimes  de  la  place 
Royale.  Toutes  ont  été  écrites  de  lt)3J  tà  JhW.  Plies  attendirent 
petidani  plus  d’un  siècle  l’honneur  de  l’impression. 

Il  leur  vint  d’un  événement  considérahie  dans  l’histoire  de  la 
chimie. 

Kn  J 77:2,  Lavoisier  faisait  part  à l’.Vcadémie  des  Sciences  de 
ses  célèbres  recherches  sur  l’augmentation  de  poids  que  certains 
métaux  reçoivent  de  la  calcination.  I,e  nom  de  Bey  ne  fut  pas  cité 
au  cours  de  cette  communication,  mais  il  ligure  avec  honneur 
dans  le  mémoire  qui  la  développe  et  (pii  fut  publié  en  J 774. 
C’est  que  le  chimiste  Bayen,  apothicaire  major  des  armées  du 
Boi,  avait,  dans  l’entre-temps,  rappelé  l’athmtion  sur  l’œuvre  du 
médecin  périgourdin  dans  une  lettre  à l’abhé  Bozier.  Après  avoir 
montré  l’importance  de  cet  ouvrage  oiddié,  Bayen  ajoutait  ; 

« Voudriez-vous,  Monsieur,  concourir  avec  moi  k faire  connaitre 
l’excellent  ouvrage  de  Jean  Bey?  Votre  journal  se  lit  dans  toute 
la  France;  il  est  répandu  dans  les  pays  étrangers;  si  vous  voulez 
y insérer  la  notice  ci-jointe,  les  chymisles  de  tous  les  pays  sau- 
ront en  peu  de  tems  (pie  c’est  un  Français,  (pii,  par  la  force  de 
son  génie  et  de  ses  réllexions,  a deviné  le  premier  la  cause  de 


VARIETES 


raugmeiitatioii  de  poids  qu’éprouvent  certains  métaux,  lors- 
qu’en  les  exposant  à l’action  du  feu,  ils  se  convertissent  en 
chaux,  et  que  cette  cause  est  précisément  la  même  que  celle  dont 
la  vérité  vient  d’étre  démontrée  par  les  Expériences  que  M.  Lavoi- 
sier a lues  à la  dernière  séance  publique  de  l’Académie  des 
Sciences.  » Rozier  publia  cette  lettre  dans  son  Journal  de  I'iiy- 
siyuE,  en  la  faisant  suivre  d’une  courte  notice  sur  le  contenu  des 
Essays. 

Le  nom  de  Rey  associé  ainsi  à celui  de  Lavoisier  dans  une 
découverte  qui  renouvelait  la  chimie,  ne  pouvait  manquer 
d’exciter  la  curiosité;  mais  la  rareté  de  la  brochure,  plus  que 
ce)itenaire,  rendait  malaisé  de  la  satisfaire.  Un  érudit,  ami  des 
sciences,  Gobet,  se  chargea  de  la  rééditer.  Les  copies  de  Trichet 
lui  fournirent  deux  des  lettres  de  Mersenne;  il  y joignit  celles 
de  Jean  Rey  et  de  Brun,  une  « question  » extraite  des  manuscrits 
de  Mersenne  sur  le  même  sujet,  et  la  lettre  de  Rayen  cà  Rozier. 
Un  commentaire  intéressant,  un  opuscule  singulier  de  P.  Moitrel 
sur  l’air,  un  autre  du  P.  Chérubin  d’Orléans  complètent  le  volume 
qui  parut  sous  ce  titre  : Essays  de  Jean  Rey,  docteur  en  méde- 
cine. Sur  la  Recherche  de  la  cause  pour  laquelle  l’Estain  et  le 
Plomb  augmentent  de  poids  quand  on  les  calcine.  Nouvelle 
édition,  revue  sur  l’Exemplaire  original,  et  augmentée  sur  les 
.Manuscrits  de  la  Bibliothèque  du  Roi,  et  des  Minimes  de  Paris, 
avec  des  notes,  par  M.  Gobet.  Paris,  chez  Ruault,  libraire,  rue 
de  la  Harpe,  MDCGL.X.Wll. 

Cette  nouvelle  édition  fut  bien  accueillie  des  chimistes  : le 
nom  de  Jean  Rey  « précurseur  de  Lavoisier  »,  passa  dès  lors 
dans  leurs  traités;  mais  elle  devint  très  rare  avant  que  les  physi- 
ciens se  fussent  avisés  de  la  lire.  Le  titre  ne  les  y invitait  pas. 

En  18!)!),  Grimaux,  de  l’.Vcadémie  des  Sciences,  songea  à la 
rééditer  avec  de  nouveaux  commentaires;  le  temps  lui  manqua 
et  le  texte  primitif  des  Essays,  privé  de  la  précieuse  correspon- 
dance qui  le  complète  dans  l’édition  de  Gobet,  parut  seul  à la 
librairie  .Masson. 

.M.  .Maurice  Petit  comble  heureusement  cette  lacune.  L’édition 
qu’il  nous  donne  reproduit  tout  ce  qu’il  y a d’essentiel  dans 
l’édition  de  1777.  Un  disconrs  préliminaire  sur  Jean  Rey  et  son 
œuvre,  un  nouveau  commentaire  joint  à celui  de  Gobet,  et  des 
notes  de  .M.  R.  Dezeimeris  la  complètent.  Des  reproductions 
figurées  des  titres  des  deux  premières  éditions  ornent  l’ouvrage. 
Volontiers  nous  redirons  de  cette  réimpression  ce  que  Mersenne 
a écrit  de  l’original  : « le  crois  que  ceux  qui  liront  ce  bure,  en 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


2;ii 

roceiironl  vn  particulier  conleiilement  ».  I*tiisse-l-il  taire  con- 
nailre  l’œuvre  de  Jean  Itey  aux  pliysicien.-î,  comme  l’édition  de 
(’iobet  l’a  l'ait  ('onnaître  aux  cliimiste.'^  ! 

On  cherche  en  vain  le  nom  du  savant  périgourdin  non  senle- 
rnent  dans  les  traités  de  physique,  mais  dans  les  ouvrages  consa- 
crés à riiisloire  de  cette  science.  La  plupart  de  ceux  ([ui  ont  écrit 
sur  la  découverte  de  la  pesanteur  de  l’air  et  de  la  pression 
almosphéri(]ue  — et  ils  sont  nombreux  — l’ont  ignoré  : Torri- 
celli,  Pascal  et  Descartes  ont,  entre  tant  d’autres,  retenu  leur 
attention.  Seul,  à notre  connaissance,  .M.  P.  Duhem  dans  des 
articles  récents  (i  ) a élargi  le  débat  et  envisagé  cet  intéressant  pro- 
blème de  riiistoire  de  la  physique  d’un  point  de  vue  plus  élevé. 
Sans  diminuer  en  rien  le  mérite  de  Torricelli,  de  Pascal  et  de 
Descartes,  il  a rendu  justice  à d’autres  penseurs,  au  P.  .Merseime 
surtout,  et  introduit  .lean  Dey  dans  leurs  rangs.  Il  nous  plairait 
d’aider  à l’y  maintenir. 


A la  question  du  sieur  Drun,  .lean  Dey  fait  cette  « réponse 
formelle  » : « le  responds  et  soustiens  glorieusement  : One  ce 
surcroit  de  poids  vient  de  l’air,  ([ui,  dans  le  vase,  a esté  espessi, 
appesanti  et  rendu  aucunement  adhésif,  par  la  vehemente  et 
longuement  continuée  chaleur  du  fourneau;  lequel  air  .se  mesie 
auecques  la  chaux  (à  ce  aydant  l’agitation  frequente),  et  s’at- 
tache à ses  plus  menues  parties  : non  autrement  (pie  l’eau  appe- 
santit le  sable  que  vous  iettez  et  agitez  dans  icelle,  par  l’amoitir 
et  adhérer  au  moindre  de  ses  grains.  »...  Or  « a cette  cause 
m’a-t-il  fallu  faire  voir  que  l’air  auoit  de  la  pesanteur  » (^).  Son 
explication  le  suppose,  en  effet;  aussi  est-ce  à prouver  cette 
proposition  (pi’il  emploie  une  bonne  partie  de  ses  Essaj/s  et 
c’est  par  là  (pi’ils  intéressent  les  physiciens. 

Ou’ils  n’y  cherchent  pas  cependant  la  déleniifiiation  expéri- 
mentale de  la  gravité  de  l’air,  .lean  Dey  prétend  montrer  (pi’elle 
se  connaît  « par  autre  moyen  (fue  celui  de  la  balance  » qui  lui 
inspire  médiocre  confiance.  « Il  me  faut  déployer,  dit-il,  celte 
mienne  remarejue  : c’est  que  l’examen  du  poids  de  quelque 

(1)  Le  P.  Marin  Mersenne  et  la  Pesanteur  de  l'air,  dans  la  Iîevue  géné- 
R.vi.E  DES  Sciences,  1.")  cl  30  septemlire  PHtO;  c(is  articles  ont  été  réunis  en 
une  lirocliure  in-S"  de  70  pages  et  sous  le  même  titre  cliez  A.  Colin.  Paris,  1900. 

pl)  Essais,  pp.  50-51. 


VARIÉTÉS 


235 


chose  se  l'ail  en  deux  l'açoiis;  S(;auoir  : on  à la  raison,  on  à la 
balance  ï>...  « L’examen  des  pesanteurs  qui  se  fait  à la  balance 
dilfere  grandement  de  celuy  qui  se  fait  cà  la  raison.  Cetlui-ci 
n’est  vsité  que  par  l’homme  indicieux;  celui-Là,  le  plus  rustaud 
le  practi([ue.  Gettui-cy  est  tousiours  iuste;  celuy-là  n’est  gueres 
sans  déception.  Cettui-cy  n’est  point  attaché  à quelque  circon- 
stance de  lieu  ; celuy-hà  ne  s’exerce  communément  que  dans  l’air, 
et  par  fois  dans  l’eau,  mais  auec  malaisance.  C’est  d’ici  d’on 
l’erreur  que  i’ay  combattue  (que  l’air  est  sans  pesanteur)  tire  vn 
argument  qui  pourroit  esblou'ir  les  yeux  debiles,  mais  non  les 
clairvoyans.  Car,  balançans  l’air  dans  l’air  mesme,  et  ne  lui 
trouuans  point  de  pesanteur,  ils  ont  creu  qu’il  n’en  auoit  point. 
Mais  qu’ils  balancent  l’ean  (qu’ils  croyent  pesante)  dans  l’eau 
mesme,  ils  ne  Iny  en  tronueront  non  plus  : estant  tres-veritable 
que  nul  element  pese  dans  soy  mesme  (1)  ».  Et  .Tean  Rey  pour- 
suit sa  criti([ue  jusqu’à  manifester  très  clairement  l’erreur  que  la 
poussée  de  l’air  pesant  introduit  dans  les  pesées.  « De  ceci 
i’infere  ce  ([ui  a esté  ci-deuant  touché  en  passant  que  la  balance 
est  si  fallacieuse  qu’elle  ne  nous  indique  iamais  le  iuste  poids 
des  choses,  fors  que  quand  en  icelle  sont  confrontées  deux  pesan- 
teurs de  mesme  matière  et  ligure,  comme  deux  boulets  de  plomb. 
Mais  deux  lingots,  par  exemple,  l’vn  d’or  et  l’autre  de  fer,  que  la 
balance  vous  monstre  esgaux,  ne  le  sont  pas  pourtant  : car  le 
fer  pese  pins,  de  ce  que  pese,  selon  la  raison,  l’air  qui  seroit 
contenu  en  la  place  que  le  fer  occupe  plus  que  l’or  (:2)  ».  Au 
cours  de  ses  recherches  pour  déterminer  le  poids  spécilîque  de 
l’air,  Mersenne  imaginera  une  expérience  que  l’on  exécute 
aujourd’hui  sous  le  nom  à' expérience  du  baroscope.  Elle  a pu  lui 
être  suggérée  par  ce  passage  des  Essays,  qui  en  donne  le 
principe. 

C’est  donc  « par  la  raison  » que  Jean  Rey  prouvera  que  « Tout 
ce  qui  est  de  materiel  soubs  le  pourpris  des  cieux  a de  la  pesan- 
teur ».  « C’est  par  cette  qualité,  dont  la  matière  des  quatre  ele- 
mens  est  plus  ou  moins  reuestnë,  qn’ils  sont  séparez  entr’eux, 
et  portez  chacun  en  son  lien,  selon  que  requiert  la  génération  des 
mixtes  et  l’ornement  de  l’vniuers...  Yray  est  que  la  terre,  comme 
plus  pesante,...  forçant  ses  coid'raires  à la  retraite,  fait  que  l’eau, 
seconde  en  pesanteur,  soit  aussi  seconde  en  place  : si  que  l’air, 
chassé  du  plus  bas  et  second  lieu,  se  restraint  au  troisiesme  : 


(1)  Essais,  p.  28. 

(2)  Essais,  p.  49. 


23(3 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


laissant  an  l'eu,  le  moins  pesant  de  tons,  la  suprême  région  pour 
faire  sa  demeure.  Les  chimistes  nous  fournissent  vue  agréable 
représentation  de  reei,  lors  qu’ils  prennent  de  l’esmail  noir 
puluerisé,  de  la  liqueur  de  tartre,  de  l’eau  de  vie  rendue  blu- 
astre  auec  le  tournesol,  et  de  l’esprit  de  terebenthine  rougi 
d’oroanette;  et,  iettant  le  tout  dans  vue  [)biole,  ils  l’agitent 
iuscpies  h ee  qu’il  s’en  fasse  vu  meslange  confus.  Alors,  donnans 
le  repos  au  vaisseau,  on  voit  à l’œil  auec  plaisir  le  desbroüille- 
ment  se  faire  (1)  ». 

Or  « ce  ([ue  deuiendroient  les  ombres  s’il  n’y  auoit  point 
de  corps,  cela  mesme  deuiendra  le  mouuement  naturel  en  haut, 
la  legereté  estaiit  ostée  ».  Tout  se  meut  donc  naturellement  en 
bas  (“2). 

lV*s  lors  « puis  qu’on  demeure  d’accord  (pie  tout  ce  qui  s’auale 
en  bas  sans  aucune  constrainte  a de  la  pesanteur,  d’où  vu  tel 
mouuement  procédé,  qui  sera  celuy  (jui  pourra  desnier  cette 
qualité  <à  l’.Vir,  voyant  qu’on  n’aura  pas  plustost  arraché  vn 
pal  de  la  terre,  qu’il  n’aye  couru  au  trou,  pour  seruir  de  rem- 
plage?  et  ([u’on  ne  sçauroit  creuser  un  puis  si  profond,  qu’il  ne 
s’y  porte  incontinent,  sans  elïort  extérieur  et  violence  aucune?... 
(3eux  qui  diront  ([ue  cela  se  fait  pour  esuiter  le  vuide,  ne  diront 
pas  beaucoup  : ils  indiqueront  la  cause  tinale,  et  il  s’agit  de 
l’elliciente,  qui  ne  peut  point  estre  le  vuide.  (3ar  il  est  tout 
certain  que,  dans  les  barres  de  la  nature,  le  vuide,  qui  est  rien, 
ne  sçauroit  trouuer  lieu  (3)  ». 

Dirons-nous  que  Jean  Rey  est  moins  heureux  quand  il  « exco- 
gite  en  faveur  de  la  vérité  des  démonstrations  precedentes  » de 
montrer  que  l’air  est  pesant  « par  la  vistesse  du  mouuement  des 
choses  graues  plus  grande  vers  la  tin  qu’au  commencement  »? 
— Lui  en  faire  un  grief,  reviendrait  à lui  reprocher  de  ne  pas 
avoir  inventé  la  dynamique.  Montrons.plutôt  que  les  vues  fausses 
(ju’il  développe  ici  ne  sont  nullement  dépourvues  d’intérêt. 

« La  vistesse  du  mouuement  de  la  chose  pesante,  dit-il,  va 
s’augmentant  depuis  le  commencement  iusques  à la  lin,  par 
l’augmentation  de  la  matière  élémentaire  (l’air  pesant  et  le  feu 
qui  le  surmonte)  qui  s’affaisse  sur  icelle...  La  démonstration 
donnera  clarté  à mon  dire.  » Et  le  voici  qui  considère,  avec 
ligure  à l’appui,  la  colonne  d’air,  de  hauteur  variable,  au  cours 
de  la  chute,  qui  surmonte  le  corps  grave,  en  s’étendant  de  sa 


(I)  Essais,  pp.  ITi-ll). 
(i)  Essais,  pp.  18  et  19. 
(3)  Essais,  pp.  20-:21. 


VARIÉTÉS 


237 


surface  aux  confins  de  la  sphère  : « outre  sa  pesanteur  interne  », 
le  mobile  a donc  « snr  soy  la  matière  des  elemens  de  l’air  et  du 
l'eu,  enclose  » en  cette  colonne  et  qui  « fait  poids  sur  iceluy  », 
poids  grandissant  — il  y insiste  — au  cours  de  la  descente. 

Et  qu’on  ne  s’y  trompe  pas  ; ce  n’est  point  ici  — Jean  Uey  en 
fait  la  remarque  — l’opinion  de  Pererius...  car  il  veut  lui 
que  l’air  qui  suit  pousse  le  boulet  : mais  en  cela  se  trompe-t-il 
que,  l’air  estant  léger,  et  se  guindant  en  haut  de  son  naturel,  ne 
sçauroit  pousser  en  bas  le  boulet,  non  plus  que  le  batteau  qui 
est  tiré  contre  le  til  d’vn  tienne  n’est  iamais  poussé  contremont 
par  l’eau,  qui  au  rencontre  de  la  proue  s’escartelle,  et,  lescbant 
les  costez,  coule  tousiours  aual;  car  comment  pourroit-elle 
tenant  ce  chemin  frapper  en  haut  la  pouppe  (1)?  » 

N’est-il  point  permis  de  voir  ici  une  anticipation,  vague  sans 
doute  mais  non  méconnaissable,  d’une  idée  (pie  Torricelli  rendra 
féconde  en  l’appliquant,  non  à l’accélération  des  graves,  où  elle 
n’a  rien  h voir,  mais  à Véquiiibre  de  la  colonne  barométrique, 
sans  attribuer  aucun  rôle  à l’action  du  vide,  qui  est  mdle, 
comme  le  professe  Jean  Ftey?  Au  moins  peut-on  penser  que  si 
l’expérience  de  Torricelli  et  son  interprétation  sont  parvenues 
à sa  connaissance,  elles  l’ont  trouvé  tout  préparé  à les  accepter 
d’emblée,  à y reconnaître  la  plus  belle  confirmation  de  sa 
doctrine? 

Or,  quelques  pages  plus  loin,  parlant  des  « elemens  qui 
peuuent  s’estendre  et  se  resserrei’  » — nous  y reviendrons  — 
Jean  Key  en  tire  ces  conclusions  : ((  Toutes  ces  remarques  me 
seruent  de  planche  pour  passer  à vue  generalle  assertion  : 
sçauoir  ([u’en  toutes  choses  Iluides,  tant  composées  que  sim[)les 
ou  élémentaires,  les  parties  hautes  différent  tousiours  des  basses 
en  subtilité  et  pesanteur  : et  que  cette  ditference  se  distingue  en 
autant  de  degrez  que  leur  matière  se  peut  diuiser  par  leur  hau- 
teur en  de  parties  distinctes.  Si  bien  que,  si  on  conçoit  une 
ligne  tirée  du  plus  bas  d’vn  des  elemens  Iluides  (comme 
pourroit  estre  l’air)  iusqu’à  la  plus  haute  surface  : tout  autant 
de  diuers  degrez  en  poids  et  subtilité  seront  en  cet  element, 
comme  la  ligne  se  pourroit  diuiser  en  de  parcelles  diuerses, 
(i’entens  matériellement,  afin  qu’on  ne  sophistique)  et  sera 
tousiours  la  partie  suprême  plus  mince  et  moins  pesante  que 
la  seconde;  la  seconde  que  la  troisiesme  : et  ainsi  iusqu’au  bout. 
Car  d’attribuer  h toutes  les  parties  de  chaque  element  vue  mesme 


( I)  Essais,  pp.  et  suiv. 


238 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rorpiilence,  c’est  démentir  le  sens,  qui  nous  fait  iuger  l’air  (par 
exemple)  plus  subtil  au  sounuet  tl’vue  nioutaif/ue,  que  non  pasatc 
pied,  daus  la  plaine  ( 1 ).  » 

Ceci  ne  remet-il  pas  en  mémoire  la  lettre  que  Pascal  aurait 
écrite  à Périer,  le  15  novembre  1IH7,  pour  le  prier  de  refaire 
l’expérience  de  Torricelli  à la  base  et  au  sommet  de  Puy-de- 
Itùme,  lui  en  expliipier  la  portée  et  lui  prédire  le  résultat, 

« puisqu’il  est  certain,  écrit-il,  qu’ii  y a beaucoup  plus  d’air  qui 
pèse  sur  te  pied  de  ta  nwnlayne  que  non  pas  sur  te  sommet 

Encore  une  fois,  si  Jean  Rey  a connu  l’«  expérience  italienne  » 
et  son  interprétation,  qu’aurait-il  pu  lui  manquer  pour  imaginer, 
seul  et  sans  intluence  étrangère,  l’expérience  de  contrôle  dont 
Pascal  et  Descartes  se  disputent  l’invention? 

Jean  Rey  n’a  donc  point  perdu  son  temps  à peser  l’air  « h la 
raison  »;  mais  il  ne  se  refuse  pas  a solliciter  aussi  le  témoignage 
de  la  balance,  pourvu  qu’on  y procède  dans  de  bonnes  condi- 
tions; car  « <à  icelle  mesrne  vne  portion  (d’air),  préalablement 
alterèe  et  espessie,  peut  manifester  son  poids  ».  Et  il  décrit 
les  moyens  par  lesquels  « l’air  est  rendu  pesant  » à la  balance  et 
dans  l’air. 

11  l’est  d’abord  « par  le  meslange  de  quelque  matière  plus 
pesante  que  .^oy  ».  De  même  que  « l’eau  de  mer  pese  plus  que 
celle  des  riuieres  douces  : celle-Là  contenant  beaucoup  de  sel  en 
soy,  dont  cet  te-cy  est  exempte,...  ainsi  l’air  cbargé  de  broüillards... 
pese  plus  que  l’air  jnir...  puisqu’il  le  fend  et  s’auale  dans  lui  (:2)  ». 

11  l’est  encore  « par  la  compression  de  ses  parties.  Prenez 
cette  syringue  dans  laquelle  le  bouscbon  est  enfoncé  iusqu’à 
demi  et  l’ounerture  de  deuant  est  bien  fermée;  poussez  à force  : 
vous  réduirez  l’air  enclos  au  petit  pied.  Retirez  à vous  le  bous- 
cbon, vous  ne  le  sortirez  pas  du  tout  : bien  ferez  vous  estendre 
l’air  à de  plus  amples  dimensions  qu’il  n’auoit  auparauant.  L’air 
ainsi  comprimé,  doubtez-vous  qu’il  ne  pese  dans  un  air  libre, 
puis  qu’en  pareille  espace  il  contient  plus  de  matière?  Si  la  rai- 
son ci-dessus  donnée  en  l’Fissay  huictiesme  (Xul  element  pese 
dans  soi-mesme)  ne  vous  suffit,  venez-en  à l’espreuue.  Remplissez 
d’air  à grande  force  vn  balon  auec  vn  soufllet  : vous 

trouuerez  plus  de  poids  à ce  balon  plein,  qu’à  lui-mesme  estant 
- vuide.  Et  de  combien?  De  ce  que  pese  raisonnablement  l’air 
contenu  de  plus  dans  le  balon  qu’il  n’y  en  a soubs  pareille  esten- 

(1)  Essais,  p.  i-i. 

(•2)  Essais,  ])p.  ;i0-3l. 


VARIETES 


dnë  en  celui  qui  est  libre.  Plusieurs  ont  bien  remarqué  ce  plus 
de  pesanteur  au  balon  plein  qu’au  vuide;  mais  que  quelqu’un  en 
aye  sçeu  la  cause  iusques  ici,  il  n’est  point  venu  à ma  notice,  le 
laisse  là  part  les  gens  de  basse  estime.  Le  docte  Scalig'er,  vray 
genie  de  l’.Vristote,  ne  l’a  point  cogneuë;  car  en  VExercita- 
tion  1:21.  contre  Cardan,  il  suit  la  grand  route,  tenant  que  l’air 
pur  est  leger,  et  que  la  pesanteur  vient  au  balon  de  ce  que  l’air 
qui  voisine  la  surface  de  la  terre,  tel  qu’on  le  souille  dans  le 
balon,  est  meslé  de  vapeurs,  et  de  ces  petits  corps  terrestres 
qu’on  voit  manifestement  aux  rayons  du  Soleil.  Mais  las!  que  fait 
ce  meslange  pour  luy,  puis  que  l’examen  se  fait  dans  vu  air 
tout  semblable?  Certes  il  n’y  sçauroit  monstrer  de  pesanteur,  si 
la  compression  ne  venoit  à son  ayde  (1  ).  » 

Mais  si  l’air  est  « accrois.sant  en  pesanteur  » par  le  mélange  de 
quelque  matière  plus  grave  ou  par  la  compression  de  ses 
parties,  la  « loy  des  contraires  veut  que  par  moyens  opposites  il 
en  puisse  descroitre  »,  c’est-à-dire  par  « le  desmeslement  de 
quelque  matière  estraiige  plus  graue,  ou  son  extension  à de  plus 
amples  bornes.  ».  L’auteur  « supercede  » ici  à une  explication 
qu’il  juge  supertlue,  priant  seulement  1e  lecteur  de  remarquer 
que  cette  augmentation  ou  diminution  de  poids...  regarde 
tousiours  vue  portion  d’air  conférée  à me  autre  de  pareille 
estenduë  (2).  » 

A ces  vues  justes,  s’en  mêlent  d’autres  que  leur  fausseté  n’a 
pas  rendues  inutiles.  Citons  ce  passage  où  il  est  permis  de  voir 
l’origine  des  recherches  de  .Mer.senne  sur  le  poids  spécifique 
de  l’air. 

■Vvec  une  bonne  partie  de  l’École  péripatéticienne,  .lean  Rey 
croit  à la  possibilité  de  convertir  les  éléments  les  uns  dans  les 
autres.  Pour  lui,  l’eau  qui  se  vaporise  se  transforme  en  air. 
Comment  « sçauoir  à quel  volume  d’air  se  réduit  certaine  quan- 
tité d’eau  »?  « le  ne  veux  priuer  le  lecteur  curieux  d’vn  moyen 
que  i’ay  e.xcogité  pour  faire  cette  espreuue...  laquelle  })ourra 
seruir  et  estre  rapportée  proportionablement  aux  autres  ele- 
mens.  Soit  fait  un  canal  de  leton,  de  grandeur  conuenable, 
bien  poli  au-dedans,  tout  ouuert  par  l’vn  des  bouts,  et  fermé  par 
l’autre,  fors  d’vn  bien  petit  trou  au  milieu  ; soit  mis  dedans  vn 
quarreau  ou  bouschon,  tel  que  celuy  d’vue  syringue,  qui  puisse 
couler  partout  auec  aysance,  et  de  telle  iustesse  qu’il  n’escbappe 
point  l’air.  Iceluy  estant  coulé  à fonds,  soit  mis  au  petit  trou  et 


(t)  Essais,  pp.  3i-33. 
(:2)  Essais,  p.  48. 


2i0 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


seréement  joinct  vn  tuyau  sortant  d’vn  Æolopyle,  ou  soufflet 
philosopliic.  Cettuy,  rempli  d’eau,  soit  mis  sur  le  t'eu.  Adonc 
l’eau,  se  raretiant  et  transmuant  en  air,  sortira  par  le  petit  trou, 
et,  entrant  dans  le  canal,  poussera  peu-.à-peu  le  houschon,  cher- 
chant sa  liberté,  iuscpies  à tant  que  loute  l’eau  soit  conuertie  en 
air.  L’espace  du  canal  et  de  l’.Eolopyle  (pii  en  sera  rempli 
monstrera  l’estenduë  que  cetlc  matière  aura  acquise  (1).  » 

Mersenne  aussi  a cru  que  l’eau  en  se  vaporisant  se  change  en 
air;  l’expérience  l’a  détrompé  : l’eau  échauffée  se  transforme  en 
vapeur  d’eau  ([ue  le  froid  ramène  h son  étal  primitif.  L’expérience 
de  Jean  Hey  retiendra  cependant  son  attention,  et  nous  verrons 
tant(jt  comment  il  l’a  heureusement  transformée. 

11  y aurait  bien  d’autres  passages  intéressants  à extraire  des 
Essays ; bornons-nous  à ceux-ci.  Jean  Hey  disserte  très  bien  sur 
la  dilatation  des  liyxides,  et  il  applicpie  ce  phénomène  à la 
construction  d’un  ((  thermoscope  ou  thermomètre  » à liquide  : 
((  (pii  n’est  rien  plus  ([ii’viie  petite  phiole  ronde  ayant  le  col  fort 
long-  et  deslié.  Hoiir  m’en  seriiir  ie  la  mets  au  soleil,  et  par  fois  à 
la  main  d’vn  fébricitant,  l’ayant  tout  remplie  d’eau  fors  le  col, 
chaleur  dilatant  l’eau  fait  ipi’elle  monte  ; le  plus  et  le  moins 
m’indiquent  la  chaleiir  grande  ou  petite  (^)  n.  Ainsi  faisait  Galilée 
de  son  thermoscope  à air. 

Il  s’intéresse  aux  applications  de  l’air  comprimé.  « Getti; 
compression  d’air  est  vn  champ  [ilanteiireiix,  dit-il,  dans  lequel 
les  bons  esprits  vont  recueillans  de  rares  artitices.  C’est  de  hiy 
que  le  Sieur  Marin,  bourgeois  de  Lisieux,  a tiré  son  arquebuse  : 
de  la([iielle  i’aiiois  riuuention  il  y a plusieurs  années  et  deiiant 
que  le  Sieur  Flurance  l’eust  descripte  (H),  mais  qui  excelle  par- 
dessus celle  de  Marin  (ie  le  dis  sans  vanité)  iiar  y rapporter 
beaucoup  plus  de  force  (4)  ». 

Il  insiste  sur  cette  idée  : « Or  est-il  que  nul  agent  agit  dans 
son  semblable,  toute  action  presiqiposant  quehpie  contrariété. 
Le  chaud  n’agira  iamais  dans  un  esgallement  chaud;  ains  ces 
deux  chauds  s’embrasseront,  et  joindront  leurs  actions,  et  par 
celte  jonction  feront  qu’ils  ne  seront  plus  deux  agens,  mais  vn 
tant  seidement.  One  si  vn  bien  chaud  agit  dans  celuy  qui  l’est 

(\)  Essais,  pp.  2G-:27. 

(:2)  Essais,  pp.  32,  ‘J5. 

(3)  f.’ouvrage  aiupiel  il  est  fait  ici  allusion  a ])our  titre  : Éléiiieids  d’inu’ 
nouvelle  artillerie  à air,  j>ar  le  sieur  Flurance.  In-H"  de  (St)  pages.  l‘aris, 
lüvault.  KiOS. 

( i)  Essais,  p.  33. 


VARIÉTÉS 


2Ü 


moins,  c’est  qu’il  se  rencontre  ici  de  la  dissemblance,  et  en 
quelque  façon  de  la  contrariété,  le  moins  chaud  s’emparant  du 
tillre  de  froid,  quand  il  est  rapporté  à vu  plus  chaud  (t)  ». 

Si  la  physique  de  « l’Aristote  » lui  inspire  peu  de  sympathie,  il 
professe  en  revanche  grande  estime  pour  Archimède  qui 
« n’estoit  ni  sot  ni  fat  »,  et  il  en  a manifestement  fait  son  maître 
de  choix. 

Ingénieux  et  habile  i)hysicien,  .lean  Rey  est  aussi  très  fin  cri- 
tiipie.  Il  honore  les  « Philo.sophes  » comme  ce  Grands  voyers  de  la 
nature.»;  mais  il  « adnouë  franchement  n’avoir  iuré  aux  paroles 
d’aucun  d’eux.  Si  la  vérité  est  chez  eux,  dit-it,  ie  l’y  reçois...  sinon 
ie  la  cherche  ailleurs.  » .\ussi  y a-t-il  plaisir  à le  voir  cc  rembarrer  » 
ses  adversaires  quand  il  passe  h la  « relation  et  réfutation  suc- 
cincte des  opinions  que  d’autres  ont  suiui,  ou  pourroient-suiure». 
C’est  la  plume  de  Montaigne  et  celle  de  Molière  qu’il  brandit. 

(c  On  dit  (l’Hercule,  cpi’il  n’auoit  pas  plustost  couppé  une  des 
testes  de  cette  Hydre,  qui  rauageoit  le  Ralu  Lernean,  ([u’il  en 
renaissoit  deux.  Ma  condition  est  iiareille.  L’erreur  que  ie 
combats  foisonne  en  opinions,  (pii  sont  autant  de  testes  : si  i’eii 
retranche  vue,  on  en  voit  naistre  deux...  Pour  luy  donner  la 
mort  il  fout  que  ie  recueille  mes  forces,  et  roidisse  mon  bras,  afin 
que,  d’vn  seul  coup,  ie  les  abatte  toutes.  Oui  voudra,  prenne 
garde  : car  voyci  ie  luy  porte  ce  funeste  coup  »... 

(c  O que  la  ressemblance  des  choses  déçoit  souvent  les  beaux 
esprits.  » 

Voici  Libauius.  11  ce  a enueloppé  son  aduis  dans  vn  si  grand  tas 
de  paroles  qu’il  n’est  pas  aysé  de  l’en  tirer  ».  Mais  voyons,  qn’y 
a-t-il  an  fond?  ce  Ponr([noi,  la  transmutation  du  plomb  en  chaux 
varie-t-elle  le  poids?  parce,  dit  Libauius,  que  la  transmutation 
varie  le  poids  »... 

11  n’épargne  pas  ses  amis,  mais  il  met  à réfuter  leurs  opinions 
une  délicatesse  charmante,  ce  11  m’a  esté  rapporté  (ie  ne  sçay  si 
tidelement),  qu’vu  de  mes  amis  intimes,  homme  d’vn  profond 
sçauoir,  et  d’vn  ingement  poli  et  solide  au  possible,  tà  qui  le 
sieur  Brun  auoit  fait  la  mesme  réquisition  qu’à  moy,  s’est  laissé 
aller  à cette  croyance,  que  l’augmentation  en  poids  dont  il  s’agit, 
procédé  des  vapeurs  du  charbon,  qui,  pas.sans  h travers  1(>  vase, 
se  vont  meslans  emmi  la  chaux.  Ce  ([ue  ie  maintiens  impossible... 
0 vérité,  que  tu  m’és  chere,  de  me  faire  estriuer  contre  vu  si 
cher  amy!  » 

(t)  Essais,  p.  “i9. 
ttP  SÉlttE.  T.  Xlt. 


113 


2\2 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Enlln,  la  bataille  est  gagnée  ! Il  va,  non  sans  fierté,  rédiger  son 
bnlletin  de  virtoire.  Yoylà  maintenant  cette  vérité  dont  l’esclat 
trappe  vos  yeux,  (pie  ie  viens  de  tirer  des  pins  prolbnds  cachots 
de  l’obscurité.  C'est  celle-là  de  (pii  l’abord  a esté  jusqu’à  présent 
inaccessible.  C’est  elle  qui  a fait  suer  d’aban  tout  autant  de 
doctes  hommes  qui,  la  voulans  accointer,  se  sont  elforcez  de 
franchir  les  ditlicultez  qui  la  tenoient  enceinte.  Cardan,  Scaliger, 
Facbsius,  Caesalpin,  Libauius  l’ont  curiéusement  recherchi’e  : 
non  iamais  apperceué.  [Vautres  en  peuuent  estre  en  queste,  mais 
en  vain,  s’ils  ne  siiiuent  le  chemin  que  ie  leur  ay  tout-premier 
desfriché  et  rendu  royal  : tous  les  autres  n’estans  ([ue  sentiers 
espineus,  et  destours  inextricables  (pii  ne  mènent  iamais  à bout. 
Le  trauail  a esté  mien,  le  prolit  en  soit  au  l(*cl(Mir,  (>t  à l>ieu  seul 
la  gloire.  » 


III 

Tout  est  intéres.sant  dans  la  correspondance  de  Mersenne  et  de 
Jean  lley;  ce  (pie  nous  pourrons  en  dire  ne  sera  ([u’une  invitation 
à la  lire.  Mersenne  a vraiment  ft  eppeliicbé  » les  Essai/s.  Sa 
critique  descend  aux  détails,  recourt  au  contrôle  et  s’arme  d’éru- 
dition; mais  elle  ne  se  pare  point  des  charmes  du  style  : en  cela 
Uey  est  son  maître. 

A la  proposition  « qu’il  n’y  a rien  de  leger  dans  la  nature,  et 
que  la  terre  va  par  sa  pesanteur  s’emparer  du  centre  du  monde  », 
.Mersenne  oppose  l’autorité  de  Copernic  et  « de  la  plupart  des 
meilleurs  astronomes  «.  Nous  ne  le  suivrons  pas  dans  cette  dis- 
cussion. — « Ouant  à ce  que  vous  adioustés,  poursuit-il,  (pie  l’air 
ne  descend  point  dans  vn  imis  ou  dans  les  cauernes  que  par  sa 
pesanteur,  ce  n’est  pas  la  vraie  cause  : car  il  entre  et  remplit 
tout  de  mesme  les  trous  que  l’on  faict  en  haut  : par  exemple  (pi’il 
dans  les  poutres  et  cbeurons  des  planchers,  et  l’on  vous  dira 
fait  cela  par  sa  legereté,  puisqu’il  monte  en  haut  (I).  » Et  il  .saisit 
cette  occasion  d’exposer  une  théorie  du  mouvement  cyclique 
qui  est  celle  que  Descartes  développait,  à la  même  époque, en  son 
Monde.  ((  l’estime,  conclut-il,  que  la  cause  de  ce  remplissement 
d’air  tant  en  haut  qu’en  bas  vient  de  l’equilibre  que  la  nature 
reprend  : car  la  terre  tirée  des  cauernes  se  faisant  vue  place 
dans  l’air,  elle  le  chasse  et  le  contraint  de  descendre  au  lieu 
d’où  elle  a esté  tirée.  » 


(t)  Essais,  p.  79. 


VARIÉTÉS 


243 


Mersenne  triomphe  sur  C(  le  mouvement  accéléré  des  choses 
graves  ».  L’expérience  lui  « a l'ait  voir  » qn’im  « honlet  de  canon 
descend  aussi  visle  vers  les  vingt-cinq  premiers  pieds  de  roy  que 
les  vingt-cinq  derniers.  A qnoy  i’adionste  ce  dont  vous  serés 
peut-estre  bien  aise  d’estre  asseuré,  car  cela  va  contre  roi)inion 
commune,  tà  sçauoir  qu’vn  corps  ne  va  pas  plus  viste  en  has, 
quoique  plus  p(*sant  : cai'  vn  honlet  de  fer,  et  vue  houle  de  hois 
(lescendent  de  cinquante  pieds  aussi  viste  à terre  l’vn  que  l’autre, 
quoique  le  boulet  peze  huict  fois  dauantage,  la  boule  estant  (piasi 
de  mesme  volume  (1).  » 

(tuant  aux  expériences  de  l’Eolipile...  ie  les  ay  faites;  mais 
c’est  vne  fausse  imagination  de  croiie  que  l’eau  qui  en  sort  se 
tourne  en  air  : elle  demeure  tousiours  eau,  qui  renient  après  en 
sa  nature.  » D’ailleurs,  le  jetsècherait  le  papier  qu’on  lui  présente, 
au  lieu  de  le  mouiller,  si  c’était  de  l’air  — il  cela  Rey  répondra  : « il 
esteindroit  le  feu  au  lieu  de  l’allumer,  si  c’estoit  eau  ,à  la  sortie  »!  — 
Bien  plus,  au  moyen  de  ce  « soutllet  philosophique  » on  peut 
aisément  prouver  que  l’air  chaud  est  moins  dense  que  l’air 
froid.  L’Æolipile,  en  elfet,  estant  eschautïé,  et  tout  rouge  dans 
le  feu...  l’experiepce  convainc  (jne  l’air  y est  fort  rare,  puisqu’il 
tire  vne  grande  quantité  d’eau,  dont  il  se  remplit,  iusqu’à  ce 
que  le  peu  d’air  qui  y estoit,  revienne  tà  sa  densité  ordinaire  {'i).  » 
Nous  verrons  Mersenne  transformer  plus  tard  cette  expérience 
en  un  procédé  pour  déterminer  le  poids  spécifique  de  l’air. 

Jean  Rey  mit  quatre  mois  à répondre  à son  impitoyable 
critique.  « Dés  l’entrée,  dit-il,  ie  vous  aduise  que  ie  fais  deux 
l'emarques  en  vostie  lettre  : la  première  (pie  vous  taschés  d’im- 
pugner  mes  opinions  par  authorités,  ce  que  vous  ne  pouuiés 
faire,  veu  la  nature  de  mon  escrit,  (pii  s’oppose  en  plusieurs  lieux 
<à  la  creance  de  la  pluspart  des  hommes  : ce  qui  m’a  fait 
protester...  de  n’auoir  iuré  aux  paroles  d’aucun,  faisant  là 
voir  que  ie  tleschis  volontiers  soubs  le' poids  de  la  raison,  sans 
laquelle  les  authorités  ne  m’esmeuuent  point. 

» La  seconde  remarque  est  (pie  vous  me  faites  deux  sorti's 
d’ohiections,  dont  les  vues  combattent  les  opinions  à moi  parti- 
culières, les  autres  celles  que  i’ai  communes  auec  plusieurs. 
Pour  celles-ci  ie  n’en  entreprends  pas  la  delfense...  Pour  les 
autres  ie  suis  tenu,  ou  de  m’en  départir,  ou  bien  de  les  delfen- 
dre  (3).  »... 

(t)  Essais,  pp.  79-80. 

(ït)  Essais,  pp.  81-8:2. 

Essais,  pp.  83-84. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


2U 


« Maintenant  venés-vons  aux  prinses  auee  moi,  quand  von^ 
dites  qn’on  me  dira  que  l’air  qui  remplit  les  trous  laits  en  haut 
dans  les  poutres  d’vn  plancher,  doibt  estre  dit  leg-er  puisqu’il 
monte.  Mais  ie  leur  dirai  (fu’il  faut  par  la  mesme  raison  qu’ils 
(lient  l’eau  estre  legere,  qui  monte  dans  vn  batteau  par  les  trous 
qui  se  font  dans  ses  planches  : ou  (pour  mieux  faire  quadrer  la 
comparaison)  qui  monte  dans  les  trous  qu’on  peut  conceuoir 
estre  faits  dans  les  voûtes  des  canernes  qui  sont  soubs  les  eaux. 
Ils  ne  m’accorderont  pas  ceci  : ni  moi  à eux  le  reste.  Certes  l’vn 
et  l’autre  remplissaçie  se  fait  par  la  pesanteur  des  parties  plus 
hautes,  tant  de  l’air  que  de  l’eau,  qui  s'affaissant  sur  les  plus 
Imsses,  les  contraignent  de  pousser  celles  qui  sonl  près  des  trous 
à les  re)uplir.  Ce  ([ue  vou.s-mesme  contirmés,  sans  y penser, 
quand  vous  dittes  que  cela  vient  de  l’equilibre  que  la  nature 
reprend  ; ce  qui  est  tre.'^-veritable,  et  ie  suis  auecques  vous 
iusques-hà. 

cc  Mais  il  faut  pas.ser  oidre,  et  demander  d’où  vient  cet  équi- 
libré, à quoi  ie  responds  (pie  c’est  de  la  pesanteur,  car  tout 
équilibré  la  suppose  : et  qui  dit  équilibré  ne  dit  autre  chose 
qu’vne  esgalité  de  poids... 

» (ju’on  suspende  vn  ais  dessus  l’eau,  touchant  iustemeni  sa 
surface,  qu’on  le  troiu*  tant  qu’on  voudra,  on  ne  verra  iamais 
que  l’eau  y monte.  Il  arriueroit  de  mesme  de  l’air,  cet  ais  estant 
suspendu  en  sa  supresme  surface,  et  ce  d’autant  que  la  pesanteur 
de  l’vn  et  de  l’autre  y résisté,  et  qu’il  n’y  a point  de  corps  plus 
pesans  au-dessus,  qui,  s’atfaissans,  les  y contraignent.  Il  n’est 
pas  ainsi  de  leurs  descentes  qui  n’a  pour  borne  que  le  plus  bas 
de  la  terre  (1).  » 

La  lettre,  où  se  lisent  ces  pensées,  développement  tnVs  juste  de 
celles  (jue  nous  avons  rem'ontrées  déjà  dans  les  Essags,  est  dat(hî 
du  « premier  de  l’an  168:2  ».  Six  ans  plus  lard,  Galilée,  ipii  sait 
cependant  que  l’air  est  jiesant  et  a cherché  à en  déterminer  le 
poids  spécifique,  invoquera  l’horreur  du  vide  pour  expliquer 
l’ascension  de  l’eau  dans  les  pompes  et  proposera  le  moyen  d’en 
mesurer  la  puissance  qu’il  croit  Unie  : la  quantità  délia  forza 
del  l'actw.  Mais  quand,  en  1644,  Torricelli  réalisera  sa  célèbre 
expérience  du  baromètre  et  en  demandera  l’explication  à la 
pression  exercée  par  l’air  pesant,  Mersenne  et,  sans  doute  aussi, 
« les  fort  bons  esprits  » auxquels  il  a communiqué  les  Essags,  ne 
trouveront-ils  pas  dans  le  souvenir  des  vues  si  nettes  de  .lean 


(t)  Essais,  pp.  88-sn. 


VARIÉTÉS 


245 


Rey  sur  le  rôle  de  la  pression  engendrée  par  une  atmosphère 
pesante,  un  surcroît  de  lumière  pour  en  comprendre  cette 
nouvelle  manifestation? 

X’exagérons  rien  cependant.  On  aurait  tort  de  croire 
— M.  Duhem  en  fait  justement  la  remarque  — que  le  médecin 
du  Bug'ue  ait  été  seul  ou  le  premier  à soupçonner  jusque-là  cette 
vérité.  Dès  16:29,  Isaak  Beeckman,  collaborateur  de  Descartes, 
avait  exprimé,  à deux  reprises,  dans  des  entretiens  avec  Gassendi, 
des  pensées  voisines  (1).  Descartes  lui-même  rendait  compte,  le 
2 juin  1631,  de  la  cause  et  des  effets  de  la  pression  atmosphérique 
dans  une  lettre  adressée  à un  correspondant  inconnu  que  l’on 
croit  être  Benieri(2).  Enfin  Torricelli  expliquera  son  expérience 
comme  Baliano  expliquait  l’ascension  de  l’eau  dans  une  pompe 
aspirante,  dans  la  lettre  qu’il  adressait  à Galilée,  le26  octobre  1630 
et  où  se  lisent  des  vues  toutes  semblables  à celles  de  Jean  Bey  (3). 
La  conclusion  s’impose  : 

« Au  voisinage  de  l’an  1630,  les  mêmes  pensées  au  sujet  de  la 
pesanteur  de  l’air  et  de  la  pression  atmosphérique  sont  donc 
agitées,  dans  les  pays  les  plus  divers,  par  des  physiciens  qui  n’ont 
point  de  communication  entre  eux.  Ce  qu’écrivent  Beeckman  à 
Dordrecht,  Baliano  à Gênes,  Descartes  à Amsterdam,  Jean  Rey  le 
conçoit  en  une  minime  cité  du  Périgord.  Quiconque  a médité 
l’histoire  des  sciences  connaît  cette  sorte  d’attente  qui  oriente 
vers  une  même  vérité  les  esprits  les  plus  éloignés  les  uns  des 
autres,  cette  tension  générale  qui  annonce  et  prépare  une  grande 
découverte  ; il  semble  qu’avant  de  prendre  sa,  forme  définitive, 
aux  contours  nets  et  arrêtés,  en  la  raison  de  celui  qu’on  saluera 
du  titre  d’inventeur,  l’idée  soit  partout  diffusée,  vague  encore  et 
indécise,  attendant  l’heure  de  son  avènement  (4).  » 

Revenons  à la  lettre  de  Jean  Bey. 

11  se  refuse  à croire  « qu’vn  boulet  de  fer  et  vne  baie  de  bois  de 
mesme  volume  vont  si  viste  en  bas  l’vn  que  l’autre  quoique  le 
fer  peze  huit  fois  plus;...  bref  qu’vn  corps  ne  va  plus  viste  en  bas, 
quoique  plus  pesant  : ie  desirerois  que  fussiés  à le  dire,  car,  sans 


(U  Is.  Beeckman,  ilathematico-physicannn  meditationum,  qiiæstionum, 
solutioniun  ceiituria,  ir)64;n“  35,  p.  13;  n“  77,  p.  45  (cité  par  P.  Duhem, 
Li’P.  Marin  Mersenne  et  la  pesanteur  de  l’air,  p.  17). 

C^)  Œuvres  complètes  de  Descartes,  publiées  par  (jh.  Adam  et  P.  Tanuery, 
t.  l,  Correspondance,  n"  XXXIV,  p.  205  (cité  par  P.  Duhem,  ibid.,  p.  17). 

(3)  Le  Opéré  di  Galileo  Galilei.  Prima  edizione  compléta.  T.  IX,  p.  210. 
Firenze,  1852 (cité  par  P.  Duhem,  ibid.,  p.  20). 

( i)  P.  Duhem,  Le  P.  Mann  Mersenne  et  la  pesanteur  de  l’air,  pp.  21-22. 


2\6 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(loiihte,  CCS  exp(^ricnces  ont  esté  par  vous  mal  expcrinieiilécs,  cl 
vous  coiiiurc  de  les  refaire  : mais  exactement  et  d’vn  lieu  haut, 
vous  engag’cant  mon  honneur,  si  par  apres  vous  ne  changés  de 
langage.  l*our  la  descente  du  houlet  à canon,  il  est  dillicile  de 
iuger  à l’adl  s’il  va  plus  viste  les  vingt-ciii(|  [)ieds  derniers  (pie 
les  vingt-cin(|  premiers.  Mais  on  s’en  peut  résoudre,  le  laissant 
cheoir  vne  fois  de  vingt-ciii(|  pieds  de  haut  sur  (piehiue  terre 
tendre,  laipielle  il  enfoncera  ipiehpie  peu  ; mais  non  pas  tant  (pie 
lors(pi’il  tomh(Ta  de  cimpiante.  Or,  cette  plus  grande  enfonceure 
viimt,  on  de  la  plus  grande  pesanteur,  ou  de  la  |)lus  grande 
viste.sse  : non  de  cellolà,  puis(jue  c’est  le  mesme  houlet,  doncapies 
de  cell(;-cy  (pioi(pi’on  en  puisse  dire. 

» le  crains  aussi  (pie  vous  ayés  failli  aux  expériences  de  l’.Eo- 
lopile  : car,  pouiapioy  ne  se  tournera  l’eau  ipii  en  sort  en  air, 
s’il  est  bien  et  suhtilement  percé;  puis(pi’elle  s’y  tourne  visihlo 
ment  en  sortant  mesme  d’vne  chaudiei’C  posée  sur  le  feu?  Outre 
(pi’il  esteindroit  le  feu  au  lieu  de  l’allumer,  si  c’estoil  eau  à la 
sortie  (1  ).  » 

.lean  Hey  avait  joint  à sa  lettre  un  e.xemplaire  de  s(vs  Esmi/s. 
-Mersenne  le  remercie  le  « premier  Jour  d’avril  Kirfâ  ».  Le  Minime 
n’est  pas  riche,  et  s’il  n’y  veille,  sa  volumineuse  correspondance 
grèvera  lourdement  le  hiidgel  de  son  couvent,  .\ussi  se  plainl-il 
de  la  maladresse  de  l’intermédiaire  chargé  de  l’expédition  : 

« il  a si  hien  addressé  ci;  liure,  dit-il,  (pi’il  a coiisté  vingt  sols  de 
port  ».  Il  se  gardera  hien  d’occasionner  à son  correspondant 
semhlahle  mésaventure.  Si  j’ai  tardé  à vous  répondre,  dit-il,  c’est 
(pie  « i’ay  eu  de  la  peine  a troiiiier  d(is  voyes  (pii  fussent  propres 
pour  vous  escrire  : ce  (pie  ie  fais  maintenant  par  M.  de  Thon,  afin 
(pie  le  port  ne  vous  coiiste  rien  ».  .h’an  Hey  se  le  lint  sans  doute 
pour  dit  et  chercha  des  « voyes  cpii  fussent  pro[)res  pour  ('crire  », 
ce  (pii  donna  au  sieur  Brun  l’occasion  de  joindre  à la  lettre  de 
Hey  datée  du  :2J  mars  JtHd,  un  post-scriptum  iVrit  le  7 juillet. 

Le  détail  de  imniage  n'glé,  Mersenne  reprend  la  {iliirne  d’.Vris- 
lanpie. 

« le  remaripie  donc  particulièrement  (pie  vous  tenés  pour 
certain  (pie  les  pierres  (hvscendent  [lar  leur  iie.'^anteur,  conse- 
(piemment  tous  les  antres  corps;  mais  si  vous  considérés  (pi’il 
s’ensuiiiroit  dolà  (pie  plus  ils  seroient  pesants  en  mesme  volume, 
et  plus  viste  ils  descendroient  ...  ce  (pii  n’arriue  pas  pourtant. 


(t  ) Elisais,  pp.  . 


VARIÉTÉS 


247 


peut-être  que  vous  chang'erés  d’aduis.  Véritablement  iem’estoniie 
de  ce  que  vous  vous  défiés  de  mon  expérience  de  l’esgalle  vistesse 
d’vn  boulet  de  1er  et  d’vn  boulet  de  buis  ; car  s’il  ne  tient  qu’cà 
vous  faire  signer  solemnellement  plusieurs  personnes  de  qualité 
qui  ont  veu  et  lait  l’experience  auec  moi,  ils  vous  le  tesmoi- 
gneront  authentiquement  (1).  » 

Cette  vérité  que  Mersenne  affirme  si  fort  en  163'2,  qu’il  <x  scait 
de  science  asseurée  » et  d’après  ses  propres  expériences,  peut-il 
l’avoir  oubliée  en  J 636?  Et  cependant  il  la  méconnait  manifeste- 
ment quand,  dans  son  Harmonie  universelle,  au  début  des 
Nouvelles  observations  physiques  et  mathématiques,  il  admet 
comme  base  essentielle  de  ses  raisonnements,  cette  proposition 
de  la  physique  péripatéticienne  : la  résistance  qu’oppose  le 
milieu  au  corps  qui  le  traverse  est  proportionnelle  à la  densité  du 
milieu.  Cette  règle  est  fausse  si  des  corps  de  poids  spécifiques 
très  différents  (c  vn  boulet  de  fer  et  vn  boulet  de  buis,...  du  plomb 
et  du  charbon  » vont  « aussi  viste  à terre  l’un  que  l’autre  ». 
C’est  Ità  une  de  ces  distractions  étranges  et  de  ces  contradictions 
logiques  qui  se  heurtent  fréquemment  en  l’esprit  de  Mersenne. 
« Des  propositions  fausses,  empruntées  à l’antique  .Mécanique 
de  l’École,  s’y  affirmaient  cà  côté  de  vérités  fournies  par  la  science 
naissante;  le  manque  de  sens  critique  dont  était  accompagnée 
l’exubérante  imagination  du  laborieux  Minime  lui  permettait  de 
s’accommoder  de  ces  disparates,  sans  les  trop  remarquer,  et 
d’user  tour  à tour  d’hypothèses  inconciliables. 

» N’allons  pas,  d’ailleurs,  nous  scandaliser  outre  mesure  de 
cet  état  d’esprit;  il  eût  été  malaisé,  à ce  moment,  qu’un  logicien 
exigeant  parfiàt  de  mécanique.  Le  système  cohérent  créé  par 
-\ristote  et  par  ses  commentateurs,  ...  s’en  allait  délabré;  du 
système  qui  devait  un  jour  le  remplacer,  h peine  (pielques 
ébauches  apparaissaient  çà  et  là,  douteuses  encore  et  hésitantes, 
mal  affermies  contre  les  objections,  sans  liens  les  unes  avec  les 
autres  (2).  » , 

Il  n’apparait  pas,  dans  la  lettre  de  .Mersenne  que  nous  analy- 
sons, que  Jean  Rey  ait  réussi  à lui  faire  admettre,  comme  il  la 
concevait,  l’existence  de  la  pression  atmosphérifpie,  mais  il  l’a 
convaincu  du  moins  que  l’air  est  pesant  ; aussi  le  laborieux 
religieux  n’aura-t-il  de  cesse  qu’il  n’ait  déterminé  son  poids 
spécifique. 


(t)  Essais,  pp.  97-98. 

(2)  1*.  Diiheni,  Le  P.  Marin  Mersenne  ...,  p.  ol. 


218 


REVUE  DES  QUESTR)NS  SCIENTIFIQUES 


Kiilre  tant  de  moyens,  parfois  impraticables  et  souvent  firos- 
siers,  que  lui  sniigérera  son  esprit  inventif  et  prompt  à rexécn- 
tion,  il  en  est  nn  dont  il  semble,  dès  maintenant,  en  possession. 
« le  pense,  dit-il  dans  cette  lettre  dn  l''"' avril  lli.1:2,  anoir  tronné 
le  moyen  de  peser  l’air,  et  de  sçanoir  combien  est  pins  lei,mr  (pie 
l’ariient  et  les  antres  corps  tant  solides  ipie  liipiides  : mais  ie  n’ay 
pas  encore  la  commodité  de  pezer,  à raison  des  instruments 
(pi’il  faut  anoir  (I).  » — Quel  est  ce  procédé?  Xons  ne  connais- 
sons pas  la  lettre  on,  pins  tard,  Mersenne  l’exposait  à .lean  Rey; 
Tricbet  n’en  a i>as  joint  la  copie  à son  exemplaire  des  Easai/s. 
.Mais  la  réponse  de  Jean  Reyen  reproduit  mie  description  très 
nette. 

Relie  dernière  letire  dn  médecin  dn  Rngne  est  datée  dn 
mars  ItiiR.  a Si  i’ay  laissé  passer  des  années  entières  sans 
vous  anoir  visité  par  mes  lettres,  il  en  faut  accuser  mes  atfaires 
domestiques,  ipii  ont  tellement  trauersé  mon  esprit  qu’elles  l’ont 
rendu  presipie  incapable  de  tontes  belles  conce{)tions,  et  m’ont 
empescbé  de  vous  escrire  sonnent,  comme  i’eusse  bien  désiré; 
ce  neantmoins  vostre  derniere  m’oblige  de  faire  ce  petit  etfort, 
[loiir  vous  déclarer  mon  ingement  sur  le  moyen  ipie  vous  dites 
anoir  de  peser  l’air,  puisiine  vous  le  demandés  auec  assenrance, 
(pie,  si  ie  l’apprenne,  vous  n’aurés  pas  peur  (pie  l’on  y Irenne  à 
redire (;2)  »...  « Vous  pesez  vue  pbiole  de  verre  estant  froide,  vous 
la  cbantfez  par  après  sur  nn  recband,  et,  la  pesant,  treiinés  ipi’elle 
pese  moins,  parce  (pi’il  en  est  sorti  de  l’air;  et,  atin  de  Irenuer 
ipielle  (piantitè,  vous  meltés  son  tuyau  (estant  toute  chaude) 
dans  l’eaii  (pi’elle  siicce,  ins([n’à  ce  ipi’il  en  soit  autant  rentré 
comme  il  en  estoit  sorti  d’air,  ce  (pii  vous  a monstré  (pie  l’eau 
est  pins  jiesante  ;255  fois  (pie  l’air  (S).  » 

Il  eut  snlli  de  sceller  la  pointe  de  la  liole,  tandis  ipi’elle  était 
cbaiide,  de  la  peser  refroidie,  et  de  briser  la  [lointe  sons  l’ean 
pour  faire  de  ce  procédé  une  méthode  exjiérimentale  [irécise 
raiipelant  celle  ipie  J. -R.  Ruinas  imaginera  pour  déterminer  les 
densités  des  vapeurs.  Sons  la  forme  ([iie  Mersenne  lui  donne, 
elle  ne  {lent  conduire  (pi’à  des  mécomptes. 

Jean  lley  l’a  bien  compris  ; le  [irocédé,  dit-il,  ne  donnera  pas  de 
résultats  constants.  « le  suis  asseiiré  (pie  tonies  les  fois  que  vous 
ferés  cette  esprenne,  vous  y Irenuerés  de  la  diiiersité,  et,  parlant, 

(I)  Essais,  p.  103. 

02)  Essais,  p.  lit. 

(3)  Essais,  p.  112. 


249 


VARIÉTÉS 


(lemeiirerés  tousiours  dans  le  doute.  Car  tantost  vous  ohautïerés 
plus  vostre  phiole,  tantost  moins,  tantost  vous  mettrés  prompte- 
ment son  tuyau  dans  l’eau,  et  tantost  vous  y apporterés  plus  de 
longueur.  Ce  plus  ou  moins  de  chauffage,  et  ce  plus  ou  moins  de 
promptitude  vous  produiront  sans  doute  de  la  diuersité  (1).  » 

L’expérience  ne  manqua  pas  de  vérifier  ces  prévisions.  On  lit 
dans  les  Cogitata  pligsico-matheinatica,  Prop.  XXXI,  p.  147,  que 
de  nouvelles  épreuves  répétées  en  présence  de  géomètres  et  avec 
leur  aide,  ont  donné,  au  lieu  de  :2'25,  le  nombre  de  1356  pour  rap- 
port entre  la  densité  de  l’eau  et  celle  de  l’air.  Ce  résultat  plait 
d’ailleurs  à Mersenne,  car  il  se  rapproche  de  celui  (pi’il  avait 
obtenu,  en  ['Hannonie  universelle,  par  la  comparaison  de  la 
vitesse  du  son  à la  vitesse  (h;  propagation  des  ondes  liquides  (:2). 

Prompt  à l’expérience,  .Mersenne  se  heurte  souvent  à des 
dilficultés  d’exécution  qu’il  eût  pu  prévoir,  .lean  Key,  lui  aussi, 
se  laisse  prendre  parfois  au  piège  de  la  distraction.  « Ces  diffi- 
cultés, poursuit-il,  et  autres  qu’on  pourroit  excogiter,  ayant 
plus  de  loisir,  me  font  dire  franchement  que  par  ce  procédé 
vous  n’obtiendrés  iamais  vue  iuste  epreuue,  quoique  vostre 
pensée  hà-dessus  soit  belle  et  fondée  auec  raison.  Mais  craignant 
ipie  cette  mienne  franchise  à dire  mes  sentiments,  ne  vous 
donne  quelque  sorte  d’affliction,  et  vous  porte  dans  le  desespoir 
de  treuuer  iamais  le  moyen  de  peser  l’air  : Voici  ie  vous  préparé 
la  consolation,  et  vous  donne  vn  moyen,  tà  mon  aduis  asseuré  et 
facile  : pour  ce  faire,  prenés  de  la  cire  molle  et  aisée  à receuoir 
toutes  les  formes,...  faileî^-en  deux  pièces,  de  six  poulces  en 
([narré  chacune,  e.sgales  en  poids  comme  elles  seront  semblables 
en  figure.  Xe  touchés  rien  à l’vne  d’icelles  : partagés  l’autre  par 
moitié,  et  en  faites  deux  formes,  à guise  de  coffrets,  de  six 
poulc-es  pareillement  en  ([narré,  ayant  dedans  leur  vuide.  Contre- 
pesés  ces  deux  pièces  creuses,  mises  sur  vn  bassin  de  la  balance, 
à la  première  solide.  Elles  ne  pèseront  pas  tant,  quoique  vous 
n’en  ayés  rien  diminué;  et  pèseront  toutes  deux  ensemble  moins 
([ue  la  solide,  de  ce  que  [lese  l’air  esgal  en  volume  à l’vne  desdites 
pièces  ; ainsi  vous  saunez  combien  pese  six  poulces  d’air  en 
quarré,  puis([ue  vous  auez  des  balances  si  iustes  que  me  mandés, 
et  ([ue  la  trente-deuxiesme  partie  d’vn  grain  tait  tresbucher  (3).  » 
Jean  îley  confond  ici  une  boite  vide  avec  une  boite  pleine  d’air 
à la  pression  extérieure.  Combien  il  eût  été  mieux  inspiré  en  con- 
seillant à .Mersenne  de  .sceller  la  pointe  de  sa  fiole!  11  y a toutefois 

( I ) Essais,  p.  1 1:2. 

(2)  1’.  Duheni,  Le  P.  Marin  Mersenne,  p.  48. 

(3)  Essais.,  p.  tl3. 


25U 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


un  détail  intéressant  à relever  : les  balances  de  Mersenne  étaient 
sensibles  h « la  trente-denxiesme  partie  d’vn  grain  »,  ce  (jui  vaut 
l,t)  milligranime.  Les  mit-il  à l’épreuve  pour  essayer  du  procédé 
de  son  correspondant?  Il  n’y  parait  pas.  Mais  les  lignes  suivantes, 
où  Jean  Key  se  ressaisit,  ont  pu  retenir  utilement  son  attention. 

« Ceci  se  manifeste  plus  clairement  en  pesant  deux  pièces  de 
plomb  ayant  cbacune  vn  pied  de  quarré,  car  leur  poids  estant 
e.sgal  dans  l’air,  si  on  les  balance  vue  piece  estant  dans  l’air  et 
l’autre  dans  l’eau,  celle-ci  monstrera  peser  moins  de  ce  que 
pese  l’eau  esgalle  d’vn  volume  h cette  piece.  Lt  de-là  s’ensuit 
(pie,  pour  sauoir  le  poids  de  certain  volume  d’eau,  de  vin,  d’buile 
ou  telle  autre  licpieur,  ([u’il  n’est  pas  necessaire  de  peser  ces 
choses,  ains  seulement  de  voir  le  decbet  ipi’il  y aura  à la  piece 
de  plomb  (pii  sera  balancée  dans  l’c*au,  l’autre  esgalle  estant 
suspendue  dans  l’air,  l’aiiois  ietté  dans  mes  Essnys  des  semences 
qui,  bien  cultivées,  eussent  produit  les  fruits  de  cette  doctrine, 
mesmement  en  mon  XV®  Essay  où  se  lisent  ces  mots  : « deux 
» lingots,  l’vn  d’or,  et  l’autre  de  fer,  ipie  la  balance  vous 
» monstre  esgaiix,  ne  le  sont  pas  pourtant,  car  le  fer  pese  plus  de 
» ce  (pie  pese,  selon  la  raison,  l’air  ([ui  seroit  contenu  en  la  place 
» (fiie  le  1er  occupe  [iliis  ipie  l’or.  Mats  à bon  entendeur,  peu  de 
» paroles  ( J ).  » 

Voilà  la  « semence  » du  procédé  de  la  balance  bydrostatiipie 
pour  la  détermination  des  densités  des  solides  et  des  liipiides; 
elle  a été  bien  « cultivée  »,  et  son  fruit  porte  parfois  le  nom  de 
Méthode  de  Mersentie. 

Cette  lettre  est  la  dernière  (pie  le  .Minime  ait  re(,‘ue  du  médecin 
du  Bugue.  Il  allait  bientôt  n’cevoir  de  Ricci  la  cofiie  des 
lettres  où  Torricelli  décrivait  Vexpérience  du  vide  et  l’expli(piait 
par  la  pesanteur  de  l’air,  et  entreprendre  le  voyage  en  Italie, 
au  retour  duquel  il  divulgua  en  France  « non  sans  l’admi- 
ration de  tous  les  savants  et  curieux  »,  au  témoignage  de  l’ascal, 
cette  célèbre  découverte. 

Elle  occupera  désormais  son  esprit;  ce  sera  aux  discussions 
qu’elle  soulève  et  à l’étude  des  consé(piences  aux(pielles  peut  con- 
(luire  la  relation  entre  la  bauteur  de  la  colonne  barométri(pie, 
celle  de  l’atmosphère  et  le  [loids  spéciliipie  de  l’air,  (pi’il  consa- 
crera les  derniers  etïorts  de  son  activité  scientili(pie,  et  une 
bonne  partie  de  son  dernier  ouvrage  dont  l’impression  fut  ache- 
vée le  E''  octobre  J b 17  (“i)? 


(1)  Essais.  ])[).  IKI-ll  i. 

U2)  1'.  Pulieiii,  Le  P.  Marin  Mersenne,  pp.  65  et  suiv. 


VARIÉTÉS 


251 


[.e  premier,  il  y décrit  une  expérience  qne  Périer  réalisera,  à 
la  demande  de  Pascal,  le  11)  septembre  1648,  à la  base  et  an  som- 
met dn  Puy-de-Dôme.  « Si  le  cylindre  'd’air,  écrit  Mersenne,  est 
la  cause  du  vide  contenu  dans  le  tube,  ou  de  la  suspension  du 
vit-argenl  auquel  il  tait  équilibre,  il  paraît  que  le  cylindre  de 
vil'-argent  sera  de  moindre  hauteur,  lorsqu’on  observera  au 
sommet  d’une  tour  ou  d’une  montagne...  Si  l’on  expérimentait... 
an  sommet  d’une  montagne  haute  d’une  lieue,  le  cylindre  de 
mercure  ne  devrait  plus  mesurer  qu’un  pied  et  un  demi-pouce. 
S’il  n’en  était  pas  ainsi,  il  laudrait  en  conclure  que  le  cylindre 
d’air  n’est  pas  l’explication  de  ce  vide;  à moins,  cependant, 
que  l’on  ne  prétende  que  la  surface  supérieure  de  Pair  n’est 
point  sphérique,  mais  ([u’elle  s’élève  plus  ou  moins  suivant  la 
variété  du  relief  du  sol  (1).  )) 

Mersenne  reproduit-il  ici  — sans  en  rien  dire  — la  pensée 
d’autrui,  ou  a-t-il  conçu  spontanément  l’idée  de  cette  expérience? 
•M.  Duhem  pense  qu’elle  est  bien  de  lui.  Qu’il  ait  été  capable  du 
raisonnement  très  simple  que  nous  venons  de  reproduire,  nul 
n’en  doutera  d’entre  ceux  qui  l’ont  assez  étudié  pour  le  con- 
naître; md  non  plus  ne  niera  qu’il  ait  pu  y être  naturellement 
amené.  Dès  lors,  la  probité  scientifique  dont  il  ne  s’est  jamais 
départi,  en  un  temps  où  elle  était  trop  souvent  méconnue,  le 
soin  qu’il  met  à citer  ceux  dont  il  s’inspire  et  le  plaisir  qu’il 
prend  à les  louer,  nous  autorisent  à le  croire  sur  parole  quand 
il  ne  fait  à personne  l’honneur  de  cette  idée  et  la  tient  pour 
sienne  {'i).  Nous  enregistrons  cette  opinion  du  savant  professeur 
de  Bordeaux,  .sans  rappeler  ici  les  difficultés  qu’on  lui  oppose. 

Mais  Pascal  et  Descartes  s’attribuent  cette  invention.  Faut-il 
donc  croire  qu’ils  ont  subi  l’intluence  de  Mersenne?  — Nulle- 
menl,  répond  M.  Duhem.  « L’idée  de  cette  expérience  de  con- 
Irôle  est  si  simple  qu’elle  a pu  s’offrir  à l’esprit  de  nombreux 
physiciens,  enire  antres  de  Pascal  et  de  Descartes  (3).  » 

.Mais  il  y a plus  : Descartes  soutient  que  c’est  lui  qui  a suggéré 
cette  idée  à Pascal,  « sans  quoi  il  n’eùt  eu  garde  d’y  songer,  h 
cause  qu’il  étoit  d’opinion  contraire  d;  tandis  qne  Pascal  laisse 
croire  et,  après  la  mort  de  Descartes,  déclare  formellement  qu’il 
n’en  est  rien  : ((  il  est  véritable,  écrit-il,  et  je  le  dis  hardiment, 

(l)  Voir  ces  citations  — ([ue  nous  abrégeons  beaucoup  — dans  les  articles 
ou  la  l)rochure  de  M.  Duhem,  loco  citato.  I.e  D.  .Mersenne  est  mort  le  1®’’  sep- 
tembre 1648,  quelques  jours  avant  l’expérience  du  Puy-de-Dôme. 

C2)  P.  Duhem,  ibid. 

(d)  P.  Duhem,  Ibid.,  p.  7!). 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


•^^52 

que  cette  exp('rience  (du  l'uy-de-Dôme)  est  de  mon  invention  ». 
Me  ces  assertions  contraires,  ne  laul-il  pas  conclure  que  Des- 
cartes ou  Pascal  ont  sciemment  altéré  la  vérité? 

Les  débats  qu’a  soulevés  ce  procès  en  fourberie  viennent  de  se 
rouvrir  avec  fracas.  En  attendant  que  le  moment  soit  venu  d’en 
tirer  les  conclusions,  jetons  un  rapide  coup  d’œil  sur  les  anté- 
cédents et  la  marche  de  cette  nouvelle  « atfaire  ». 

A la  tin  du  .WIP  siècle,  Baillet,  dans  sa  Vie  de  Descartes, 
écrivait  : « L’expérience  du  Puy-de-Dôme  fut  faite  sur  les  avis  de 
.M.  D(‘scartes,  quoiipie  M.  Pascal  l’ait  dissimulé  »;  et  personne, 
semble-t-il,  ne  protesta. 

.Montucla,  dans  son  Histoire  des  Mathématiques  (Paris  1758), 
reprend  la  question  et  la  tranche  en  faveur  de  Descartes  (1  ).  Son 
avis  fit  autorité  et  fut  souvent  reproduit. 

Toutefois,  le  discrédit  du  cartésianisme  lit  tort  à la  réputation 
de  son  auteur;  en  même  temps  l’admirable  clarté  et  l’extrême 
précision  des  traités  posthumes  de  Pascal  le  faisaient  regarder 
comme  l’initiateur,  en  France,  de  la  physi(pie  expérimentale. 
Dès  lors,  des  admirateurs  enthousiastes  de  « cet  elfrayant  génie 
(pii  se  nommait  Biaise  Pascal  » veulent  ignorer  une  revendica- 
tion qui  amoindrit  leur  héros.  Toute  critique  est  injuste  qui 
trouble  l’apothéose.  Pascal,  seul  capable  d’avoir  imaginé  l’expi!'- 
dition  du  Puy-de-Dôme,  est  victime  du  dé[)itet  de  l’envie  quand 
on  la  lui  conteste. 

Aujourd’hui,  Pascal  conserve  de  doctes  partisans  {H),  mais 
Descartes  a rallié  de  savants  défenseurs  (B).  L’histoire,  qui  parle 
dans  le  livre  de  .1.  Bertrand,  Biaise  Pascal  (i),  avec  une  impar- 
tialité courtoise  et  une  criticpie  respectueuse,  nous  présente,  du 
ditlicile  problème,  une  solution  moyenne  dont  on  voudrait  pou- 
voir se  contenter(5).  Le  savant  secrétaire  perpétuel  de  l’Académie 
des  Sciences  s’incline  comme  il  convient,  sans  superstition, 
devant  ce  « grand  dignitaire  dans  le  monde  des  esprits  »;  mais 

(1)  Secomte  partie,  t.  Il,  p.  205  de  rtidit.  de  l’an  VU. 

(”2)  Qi.  Thurot,  .louRXAi,  tiE  Physique,  1. 1,  pp.  171  et  207  ; ttavel,  Dcscartes 
et  Pascal,  Revue  colitique  et  littéiu,  août  1885;  etc. 

(3)  Millet,  Descartes  depuis  1637,  Paris,  1870;Nourrisson,Pa.sc«/ Plu/sicien 
et  Philosophe.  Paris,  1885;  etc. 

(4)  I*aris,  Calmaii-I.évy,  1891. 

(5)  Ravaisson  {La  Philosophie  de  Pascal,  Revue  des  Deux  Mondes, 
15  mars  1887,  p.  420)  et  .Ulam  (Pascal  et  Descartes.  Les  e.rpériences  du  vide. 
Revue  phiuosophique,  décendire  1887  et  janvier  1888)  ont  exprimé  une 
opinion  analogue  ; l.’idée  de  l’expérience  de  contrôle  vint  à Descartes  sans 


VARIÉTÉS 


253 


le  Pascal  ([u’il  nous  montre  n’est  plus  celui  de  la  préface  que 
Gilberte  Pascal  a éci  ite  pour  les  traités  posthumes  de  son  frère 
et  dont  s’est  inspiré  l’auteur  du  Génie  du  Christianisme.  S’il 
reste  grand,  il  cesse  d’être  prodigieux;  si  sa  probité  scientilique 
demeure  intacte,  elle  ne  brille  pas  au  point  de  rendre  supertlue 
la  peine  de  la  démontrer,  et  inutile  l’appel  aux  circonstances 
atténuantes.  « .le  sais  et  ne  dois  pas  taire,  écrit  .1.  Bertrand  en 
parlant  de  l’expérience  qui  nous  occupe,  que  l’on  rencontre  dans 
les  œuvres  de  Descartes  des  passages  favorables  à ses  préten- 
tions; ils  prouvent  sa  bonne  foi;  ceux  que  j’ai  réunis  permettent 
de  croire  à celle  de  Pascal  (1)  >).  — ba  bonne  foi  de  Descartes  est 
«.  pr'ouvée  »;  mais  il  serait  arrivé  au  créateur  des  tourbillons  de 
divaguer  en  parlant  du  plein  et  du  vide  : c’est  ce  qui  « permet 
de  croire  » .à  celle  de  Pa.scal.  On  le  voit,  le  charme  est  rompu. 
Pour  peu  qu’on  veuille  lire  entre  les  lignes,  on  conclura  que  c’est 
à Descartes,  comme  on  l’a  cru  dès  le  XYIP  siècle,  que  l’on 
doit  l’idée  de  l’expérience  du  Puy-de-Dôme. 

Dans  sa  belle  étude  sur  le  P.  Marin  Mersenne,  que  nous  avons 
citée  plusieurs  fois,  M.  Dubem  développe  une  opinion  voisine 
dont  riionneur  de  Pascal  s’accommoderait  mieux  : « Nul  homme 
vraiment  intelligent,  dit-il,  n’a  pu  méditer  avec  quebpie  atten- 
tion la  théorie  de  Torricelli  sans  découvrir  ce  moyen  de  la 
contrôler.  Il  est  bien  certain  que  Descartes  dut  songer  k cette 
épreuve  aussitôt  (jne  Mersenne  eut  refait  sous  ses  yeux  Ve.rpé- 
rience  d’Italie.  D n’est  pas  douteux  non  plus  que  Pascal,  que 
celte  expérience  préoccupait  depuis  longtemps,  n’efit  déjà  formé 
le  projet  de  l’expérience  du  Puy-de-Dôme;  pour  concevoir  ce 
projet,  il  n’avait  pas  eu  besoin,  assurément,  de  bander  tous  les 
ressorts  de  son  prodigieux  génie.  f>  Et  M.  Dubem  ajoute  cette 
rétlexion  : «.  Comme  Descartes  avait  conçu  sans  le  secours 
d’autrui  l’idée  de  cette  même  expérience,  il  en  conclut  que  nul 
n’avait  pu  l’imaginer  sans  son  secours  ; son  orgueil  démesuré 
avait  de  ces  façons  de  raisonner  (:2).  » 

Ce  serait  au  contraire  la  rouerie  de  f’ascal  qui  aurait  tous  les 
toi  ts,  si  on  en  croit  l’impitoyable  censeur  qui  rouvre  aujourd’hui 


qu’elle  lui  eût  été  suggérée  par  personne,  et  il  la  proposa  à Pascal  sans  qu’il  se 
doutât  que  celui-ci  pouvait  l’avoir  eue  tle  son  côté.  P.  Tannery  (Descartes 
Physicien,  Hkvce  de  Mét.xphysique  et  de  Morale,  1896,  p.486)  est  beaucoup 
moins  assuré  de  l’indépendance  de  l’invention  de  Pascal  : « Entre  la  véracité 
de  l’auteur  des  Provinciales,  et  celle  de  Pescartes,  dit-il,  j’ai  certainement 
beaucoup  plus  de  conliance  dans  la  seconde.  » 

( I)  Biaise  Pascal,  p.  313. 

C2)  P.  Dubem,  Le  P.  .Marin  .Me)’senne,  pp.  76-77. 


25i 


REVISE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


le  (lél)al.  Dans  une  série  d’aiiicles  (J)  qui  sont  moins  une  reven- 
dication des  droits  de  Descartes  qu’une  en([uète  sur  les  agisse- 
ments de  son  compétiteur,  M.  F.  Mathieu  prétend  établir  que 
Pascal,  dans  la  plus  retentissante  de  ses  tentatives  scientiliques, 
a manqué  totalement  (riionnèteté  si,  vraiment,  il  a voulu,  non 
jouer  pour  lui  seul  une  comédie  ridicule,  mais  l’ortVir  au  public 
comme  un  drame  bistoricpie.  Qu’on  en  juge  par  la  conclusion  <le 
ces  articles  : «.  La  lettre  que  Pascal  dit  avoir  écrite,  le  15  no- 
vembre l()47,  à son  beau-frère  Périer,  pour  le  prier  de  monter 
sur  le  Puy-de-Dome,  est  un  faux,  et  ce  faux  est  le  couronnement 
de  tout  un  système  d’artitices  par  lequel  Pascal  a tenté  de  s’ap- 
proprier l’bypothèse  de  la  pression  atmosiibérique,  que  nous 
devons  à Képler,  Isaac  Beeckman,  Baliano  et  Torricelli,  et  a 
l'éussi  à s’approprier  les  inventions  qui  apportèrent  la  vérilica- 
tion  expérimentale  de  cette  byjjotbèse  : l’expérience  du  vide  dans 
le  vide,  qui  appartient  à Auzout,  et  l’idée  de  l’expérience  du  Puy- 
de-Dôme,  (pii  appartient  à Descartes.  » 

Ft  ce  Pascal,  accusé  de  faux  artilicieusement  macbinés,  est 
l’austère  redresseur  de  torts  (piiaécrit  : «.le  iniis  dire  devant  Dieu 
qu’il  n’y  a rien  que  je  déteste  davantage  ipie  de  blesser  tant  soit 
jHMi  la  vérité;  et  j’ai  toujours  pris  un  soin  très  particulier  non 
seulement  de  ne  pas  falsitier,  ce  cpii  serait  horrible,  mais  de 
ne  pas  altérer  ou  détourner  le  moins  du  monde  le  sens  d’un 
passage.  De  sorte  cpie  si  j’osais  me  servir  en  cette  rencontre 
des  paroles  du  même  saint  Hilaire,  je  pourrais  bien  vous  dire 
avec  lui  : « Si  nous  disons  des  choses  fausses,  ([ue  nos  dis- 
» cours  soient  tenus  pour  infâmes  (:2))).  Mais  ce  même  F^ascal  est 
aussi  l’auteur  de  V Histoire  de  lu  Uoiileite,  le  lutteur  viobmt  et 
peu  probe  — il  faut  bien  en  convenir  — dont  les  lettres  privées 
démentaient  les  publications  (S).  Si  celte  nhadation  lit  jadis 
moins  de  bruit  (pie  l’accusation  formulée  aujourd’hui  pai'  M.  .Ma- 
thieu, c’est,  peul-èti'e,  parce  que  l’auteur  des  Provinciales  se 
jouait  l.à  d’un  jésuite.  La  vérité  va-t-elle  cette  fois  crever  les  yeux 
et  faudra-t-il  renvoyer  à Pascal  jibysicien,  les  épitbèli^s  malson- 
nantes que  lui-même  prodigua,  sans  justice,  à Torricelli  et  à 
Lalouère?  . 


( I)  Pascal  et  Verpcricnce  du  Piuj-dc-Dâvic  ; t’iRVCE  deI'.^iîis,  l“'el  l.')  avril 
Pt  mai  t'Jüti. 

(!2)  Onzième  Provinriale. 

(3)  Voir  la  Revue  des  Questioxs  scientifiques,  Midanqcs.  Fragments 
inédits  de  Pascat.  séi'ie,  I.  \ , ni.  ti()3-(i98. 


VARIÉTÉS 


255 


L’étude  de  M.  Mathieu  est  incontestablement  d’un  érudit  qui 
a fouillé  tous  les  recoins  de  son  sujet  et  donne  l’impression  de 
l’avoir  épuisé.  On  y a vu  du  parti-pris  : il  ne  nous  paraît  pas 
évident;  de  la  passion  : il  y en  a dans  le  ton,  mais  nous  n’oserions 
dire  qu’elle  a égaré  les  recherches  et  faussé  les  interprétations. 
Si  l’on  hésite  .à  se  déclarer  convaincu,  c’est  moins  par  crainte  de 
partialité  ou  pour  l’insutlisance  des  preuves  que  devant  la  gravité 
des  conclusions.  Sans  doute,  à des  arguments  qui  paraissent 
probants,  à d’ingénieuses  présomptions  qui  .semblent  presque 
des  pi'euves,  se  mêlent  des  appréciations  douteuses  et  quelques 
inexactitudes;  mais  celles  que  découvre  une  première  lecture 
n’entament  pas,  semble-t-il,  le  fond  du  débat.  Y en  a-t-il  d’autres, 
et,  s’il  y en  a,  ont-elles  pu  troubler  la  clairvoyance,  grossir  les 
incidents,  trahir  la  signification  des  faits  en  amenant  à les 
grouper  artificiellement?  C’est  possible  et  c’est  pourquoi,  avant 
de  se  rendre,  on  souhaite  pouvoir  débarrasser  les  textes  de  leurs 
commentaires  et  les  relire  à leur  place  pour  en  subir  l’inlluence 
immédiate  ; au  moins  on  attend  la  contradiction.  Elle  n’a  pas 
tardé  à se  produire  (1). 

Dans  son  étude  sur  le  1*.  Mersenne,  M.  Dubem  rencontre  les 
articles  de  M.  Mathieu.  Il  y relève,  pour  la  contredire,  l’interpré- 
tation d’une  des  expériences  de  Pascal,  la  sixième  des  Expériences 
nouvelles  de  ltU7;  et  il  s’attache  surtout  à montrer  combien 
l’opinion  que  l’auteur  s’est  faite  du  P.  Mer.senne  — esprit  médiocre 
et  inconsistant,  capable  tout  au  plus  de  faire  écho  tour  à tour 
aux  idées  de  Roberval  et  de  Descartes  — est  éloignée  de  la 
vérité.  Ici  la  cause  est  en  partie  gagnée  : M.  Mathieu  a reconnu 
de  très  bonne  griice  son  « injustice  »,  mais  il  maintient  que  le 
savant  Minime  n’a  pas  présenté  comme  sienne  l’idée  de  « l’expé- 
rience de  contrôle  ».  Quant  h Pascal,  M.  Dubem  n’entreprend 
pas  directement  sa  défense,  étrangère  à son  sujet  que  clôt  le 
décès  de  Mersenne. 

M.  L.  Brunschvicg  l’a  prise  à cœur  dans  un  article  intitulé 
/I  propos  (le  Piucul  et  de  l’expérience  du  Puy-de-Dfnne  ('2).  C’est 
la  réponse  la  plus  sérieuse  qui  ait  été  faite  jusqu’ici  à l’étude 
de  M.  Mathieu;  nous  voudrions  pouvoir  ajouter  qu’elle  est 
péremptoire. 

Signalons  aussi  les  articles  de  M.  Abel  Lefranc  : Défense  de 


(1  ) Parmi  les  articles  qu’il  nous  a été  ilonné  de  lire  jusqu’ici,  nous  signalerons 
seulement  les  plus  importants;  il  en  est  d’autres,  simples  comptes  rendus 
pour  la  plupart,  qui  n’ajoutent  rien  à ceux-ci. 

(2)  CoRRESPOXD.XNCE.  UxiON  l'OCR  E.\  VÉRITÉ.  Première  année,  1906,  n":2. 


256 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Pascal.  Pascal  est-il  nn  faussaire?  (1)  : ils  sonnent  orenx  et 
s’attachent  à des  détails  de  moindre  importance;  moins  d’éclats 
de  voix  et  de  gestes  exubérants  siérait  davantage  ; il  faut  toutefois 
tes  lire  si  l’on  veut  suivre  le  développement  de  ces  polémiques. 

Entin  on  trouve  un  bon  exposé  du  débat,  par  M.  A.  Hey,  dans 
la  Revue  de  Synthèse  historique,  1900,  n“  88. 

.M.  F.  Mathieu  a commencé  de  répondre  à ses  contradic- 
teurs pl).  Sans  attendre  qu’il  eût  fini,  .M.  F.  Hrunscbvicg  est 
revenu  à la  charge  dans  le  Journal  des  Débats,  du  J'”'  mai.  6et 
article  intitulé  Pascal  a-t-il  volé  Auzout?  porte  l’attaipie  au 
cœur  même  de  la  contioverse  : y a-t-il  une  expérience  du  vide 
dans  le  vide,  ou  y en  a-t-il  deux,  l’une  de  Pascal,  en  Jt)i7,  l’autre 
d’Auzout,  en  K)i8?  C’est  bien  la  question  capitale,  dont  la  solu- 
tion tranchera  le  débat. 

On  en  est  là  (8).  Le  moment  n’est  pas  venu  d’entrer  au  détail; 
d’ailleurs,  avant  de  songer  à dégager  des  conclusions,  il  faut  lais- 
ser le  temps  de  se  dissiper  aux  nuages  de  poiu^ssière  qu’ont  sou- 
levés un  peu  de  chicane  et  quelques  potins.  En  attendant,  réser- 
vons notre  jugement  et  souhaitons  (pie  l’honneur  de  Pa.scal  sorte 
indemne  de  la  mêlée.  C’est  trop  déjà  qu’on  ait  pu  l’attaquer  et 
qu’il  semble  malaisé  de  le  défendre. 

En  terminant,  revenons  à Jean  Rey,  pour  demander  que  .‘(on 
nom  soit  joint  désormais  à ceux  d’Isaac  Beekman,  de  Raliano,  de 
Cialilée,  de  Torricelli,  de  Mersenne,  de  Descartes  et  de  Pascal, 
dans  l’histoire  des  elforts  qui  nous  ont  valu  la  connaissance  de  la 
pesanteur  de  l’air  et  de  la  pression  atmosphérique. 

J.  Thirion,  s.  J. 


(1)  Hevue  politique  et  littéraire  (Revue  Rteue),  tt,  18,  25  août  et 
8 septembre  190(i.  f.es  articles  ont  été  inijirimés  à part,  sons  le  même  titre  : 
éditions  de  la  Revue  politique  et  littéraire  (Revue  Rteue)  et  de  la  Revue 
Scientifique,  ilLis^  j-ne  de  Chàteaudun,  Paris.  Une  lirocliure  de  74  paires. 

(2)  Revue  de  Paris,  !'='■  et  15  mars,  l'’"' avril  liXt";  au  moment  où  nous 
écrivons  ces  lignes,  cette  nouvelle  série  d’articles  n’est  pas  terminée. 

(3)  .Nous  corrigions  les  épreuves  de  cette  notice  (piand  la  Revue  Scienti- 
fique du  22  juin  1(M)7  a pulilié  un  article  de  M.  Milliaut,  que  les  arguments  de 
M.  Mattiieu  n’ont  pas  convaincu  : Pascal  et  les  e.rpériences  dans  le  ride.  .Nous 
présenterons  aux  lecteurs  de  la  Revue  une  étude  sur  l’ensemt)le  de  ces  travaux 
dans  la  livraison  d’octobre. 


BIBLIOGRAPHIE 


I 


Les  Equations  aux  ukrivées  partielles  a caractéristiques 
RÉELLES,  par  IL  d’Adiiémar.  En  vol.  in-8"  de  (Slî  pages  (Eollection 
ScioUia,  série  plnsico-malhématicpie,  — Paris,  Gantliier- 

Villars. 

Le  problème  do  trouver  rintégrale  générale  d’une  équation 
aux  dérivées  partielles  du  second  ordre  étant  pres([ue  toujours 
impraticable,  on  lui  en  a depuis  longtemps  substitué  un  autre 
plus  restreint,  celui  de  déterminer  l’intégrale  par  des  conditions 
aux  limites  données.  On  s’est  aperçu  tout  de  suite  qu’on  pouvait 
traiter  la  question  à deux  points  de  vue  radicalement  dill’érents  : 
le  point  de  vue  réel  et  le  point  de  vue  analytique.  Au  point  de  vue 
analytique,  une  intégrale  est  déterminée,  comme  l’a  montré 
Caucby,  si  l’on  donne  une  courbe  sur  l’intégrale  et  le  plan  tan- 
gent le  long  de  la  courbe.  La  recbercbe  de  cette  intégrale  parti- 
culière constitue  le  prohUnne  de  Canclu/.  Au  point  de  vue  des 
variables  réelles,  une  intégrale  peut  être  déterminée  par  ses 
valeurs  sur  un  contour  fermé.  C’est  le  point  de  vue  ordinaire  de 
la  physique  mathématique;  l’intégration  de  l’équation  de  Laplace 
en  est  l’exemple  le  plus  important  et  elle  est  devenue  célèbre 
sous  le  nom  de  proldème  de  Dirichlet. 

Ces  deux  pi'oblèmes,  le  problème  réel  et  le  problème  analytique, 
se  posent  encore  aujourd’hui  avec  des  caractères  bien  tranchés. 
Mais,  depuis  une  vingtaine  d’années,  grâce  aux  travaux  de 
MM.  Darboux,  Picard,  Coursât,  Hilbert  et  de  bien  d’autres,  les 
deux  problèmes  se  sont  singulièrement  élargis  et,  dans  le 
domaine  réel  en  particulier,  une  série  d’équations  spéciales  ont 
été  intégrées  sous  la  forme  la  plus  élégante. 

lit®  SÉRIE.  T.  XII. 


17 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIEIQT'ES 


•>5S 

Le  moment  seml)le  doue  venu  de  réimir  ces  dillereiUs  résidlals 
dans  nn  lahlean  qui  montre  le  chemin  parconni.  Personne 
n'était  pins  indicpié  (pie  M.  H.  d’Adhémar  pour  enlieprendre 
cette  tâche.  (Inidé  par  les  maîtres  mêmes  auxquels  la  théorie 
doit  scs  jihis  grands  progrès,  il  lui  a encore  apporté  par  hii- 
méme  des  compléments  essentiels.  Son  livre  clair,  comas  et  sng- 
gestil'sera  hi  avec  autant  d’intérêt  que  de  l'riiit,  par  ceux  qui 
désirent  s’initier  aux  derniers  progrès  de  cette  théorie.  Ils  verront 
le  vaste  ( hamp  cpii  s’onvre  aux  chendienrs  et  qui  parait  tenii’ 
encore  en  réserve  une  ample  moisson  de  divonvertes. 

L’ouvrage  est  divisé  en  trois  parties  dont  voici  un  court 
résumé,  laissant  hien  des  (piestions  de  côté  : 

Le  premiei' cliaiiitre  consacri'aux  é(piations  du  premier  ordre 
est  une  sorte  d’introduction.  L’auteur  s’attache  particulièrement 
aux  notions  qui  seront  généralisées  : le  Ihéorhne  d’exisletico  de 
Laucdiv  et  camctèrisUcpies  qui  sont  des  multiplicités  d’excep- 
tion pour  ce  théorème. 

liés  le  second  chapitre,  l’auteur  ahorde  les  é(iualions  (h(  second 
ordre  à deii.r  varialdes  et  pénètre  au  cœur  de  son  sujet.  La  notion 
lôiidamentale  est  celle  des  caractéristiqiies  dont  la  théorie  a été 
fondée  par  M.  (iouiTat.  M.  d’Adhémar  l’expose  en  quelqmis 
pages  avec  une  iiarlaite  clarh',  démontrant  d’ahord  le  théorème 
d’existence  de  Camdiy,  puis  le  théorème  de  M.tloursal.Ce  dernier 
théorème  met  en  [ileine  lumière  le  caractère  d’exce[)tion  des 
cai'act(M'isti(pies  par  rapport  au  théorème  de  (’iauchy  : J*ar  une 
curactèristique  d'ordre  2,  il  /xisse  une  infinilé  d’inléf/ndes  tn/uni 
entre  elles  tout  le  long  de  lu  courbe  un  contucl  d'ordre  aussi  élevé 
qu’ou  veut. 

Vient  ensuite  le  théorème  de  M.  Uicpiier  jiour  les  équations  à 
caractéristiques  ivelles,  c’est  un  théorème  d’existence  dans  le 
domaine  analytique  comme  celui  de  Lamdiy,  mais  (jui  montre 
bien  le  chemin  parcouru  depuis  les  ti'avaux  du  grand  géomètre  : 
Pour  les  équations  à caractéristiques  réelles  (au  besoin  avec  une 
vonditio)!  de  plus),  0)1  peut  déterini))er  une  solation  passant  par 
deu.r  coio'bes  qui  se  ampe))t. 

.Ius([u’à  présent  l’auteur  est  resté  dans  le  domaine  analytique. 
.Vu  chapitre  III  nous  entrons  dans  le  domaine  n'el.  Le  mode  de 
re{)résentation  doit  devenir  jilus  général  : ce  sera  l’inti'grale  de 
contour  dans  la  méthode  de  lÜemann,  la  série  de  fonctions  dans 
les  aiiproximations  successives  de  M.  Picard.  Les  deux  méthodes 
sont  d’ailleurs  néces.>^aii'es  et  se  complètent  admirahlemeni  dans 
rintégration  de  l’fhpiation 


lUr.LIOGRAPIIIE 


259 


dxdij 


+ 


+ 


b 


CZ  = 0. 


L’auteur  fait  parfaitement  ressortir  l’éléganre  de  la  solution  et 
il  y a d’ailleurs  contribué  par  l’introduction  de  la  dérivée  conor- 
male qui  précise  d’une  manière  singulièrement  intuitive  les  for- 
mules utilisées. 

5’ous  arrivons  maintenant  h la  seconde  partie  de  l’ouvrage, 
divisée  en  deux  chapitres.  Le  premier  contient  l’esquisse  d’une 
théorie  générale  des  caractéristiques  pour  l’équation  à ;?  variables 
d’après  les  travaux  de  MM.  lladamard  et  Beudon.  Le  second  est 
cou.^acré  à une  é([uation  particulière  à trois  variables  indépen- 
dantes (pie  M.  d’.Vdliémar  appelle  Véiinalion  des  ondes  généra- 
lisées, à savoir 


, d'it 
d.r  ?//- 


f(r,  y,  :). 


M.  d’Adhémar  a apporté  une  importante  contribution  à la 
théorie  de  cette  équation.  La  méthode  d’intégration,  aussi  ingé- 
nieuse qu’intéressante  dans  sa  forme  et  dans  ses  résultats,  est 
due  tà  M.  Volteri'a.  L’auteur  l’expose  en  lui  aiiportant  tout 
d’abord  une  simplification  formelle  importante  par  l’intro- 
duction de  la  dérivée  conormale.  La  mé'tbode  de  Yolterra  four- 
nit la  .solution  supposée  existante  sous  forme  de  dérivée  d’inté- 
grales multiples.  Mais  il  restait  h faire  de  cette  méthode  une 
tténnmstration  d'existence.  L’honneur  en  revient  à M.  d’Adhémar 
et,  si  la  découverte  de  la  solution  comporte  peut-être  un  plus 
grand  mérite  d’invention,  Vasyntiièse  faite  par  M.  d’Adhémar  est 
assurément  un  problème  plus  délicat,  dont  la  ditliculté  avait 
déjcà  été  signalée  plusieurs  fois  par  M.  lladamard.  L’auteur 
arrive  au  but  en  considérant  ces  parties  finies  d’intégrales  infinies 
auxquelles  M.  lladamard  a été  également  conduit. 

La  troisième  et  dernière  partie  est  un  résumé  des  derniers 
travaux  de  MM.  Leroux,  Belassiis,  Bianchi,  Aicoletti,  Tedoiie, 
Coiilon,  lladamard  et  l’on  y trouvera,  en  plus,  une  foule  de 
remar{(iies  instructives  et  de  rapprochements  intéressants. 


Cii.-.L  DE  LA  Vallée  Poussim. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


•i()ü 


11 


Théorie  des  Integraelogarithmes  und  verwandter  Transzen- 
DENTEN,  par  le  I)'’  Xiels  Nielsen.  Un  vol.  in-S"  de  pages. 

— Leipzig,  Teubner, 

Dans  son  Hnndbnch  (1er  Théorie  der  (htmon^funklion,  ranleui’ 
a éliulié  la  lomiion 


considérée  comme  fonction  de  v,  x étant  regardé  comme  para- 
mètre. Il  a exclu  systématiquement  la  considération  de  (J  (,r,  v) 
comme  fonction  de  x.  Il  entreprend  cette  étude  dans  la  présente 
monographie  en  la  limitant  aux  cas  particidiers  remarquables, 
V = O et  V = J ([ni  fournissent  le  logarithme  intégral  li  (e^'^) 
et  la  transcendante  L (x)  de  Kramp.  L’analogie  de  //  (e~^)  avec 
e^^  pour  de  grandes  valeurs  de  x,  l’amène  à délinir  les  fonctions 
ci  (x)  et  si  (x),  cosinns  et  sinus  intégral,  par  la  relation 


La  même  analogie  fait  dériver  de  I.  (x)  les  fonctions  G (x)  et 
S (x)  ( Fresnel). 

Les  six  transcendaides  font  l’objet  de  la  présente  étude. 

La  méthode  et  l’esprit  des  ouvrages  similaires  dn  même 
anteiir  sont  assez  connus  pour  que  noos  n’ayons  pas  à y revenir. 
Hornons-nons  à donner  nn  ai*erçn  des  matières  tiaitées. 

Cliapitre  1 : Pétinitions  et  propriétés  iinalyticiues  (tes  six  transrendantes;  leur 
(litl'érentiatioii  et  leur  intégration  ; relations  aver  la  série  logarithmique.  — 
tdiapitre  11  : lîeprésentations  d'intégrales  au  moyen  des  transcendantes.  — 
t'.hapitre  lit  : Séries  asymptoti(jues  et  fractions  continues.  — f.hapitre  IV  ; 
Intégrales  définies.  .Analogues  des  intégrales  d’Euler  et  de  I.aidace-Aliel.  Inté- 
grales de  fonctions  cylindricjues.  — (’.liapitre  \ : l>évelo])pements  en  série.  — 
Cliapitre  \1  : Calcul  numériipie  des  six  transcendantes;  formules  d'addition  ; 
taldes;  relations  avec  la  tliéorie  des  nomtires.  — lüliliograpliie.  — Index 
alplialiétique. 


.T 


± 


ei  (x)  it  i si  (x)  = li  [e 


F.  W. 


BIBLIOGRAPHIE 


261 


III 


Lks  Gariiks  Magiques,  par  F.  Uiollot,  Ingénieur  civil  des 
mines.  Un  vol.  in-8' de  iv-ll!)  pages  avec  311  tignres.  — Paris, 
(îanthier-Villars,  11)07. 

Parmi  ce  qu’on  est  convenu  d’appeler  les  Récréations  arith- 
méti(pies,  la  question  des  carrés  magiques  jouit  d’une  laveur 
tonte  spéciale  auprès  des  amis  des  nombres;  elle  a eu  le  privi- 
lège de  séduire  des  mathématiciens  de  grand  renom,  comme 
Euler,  comme  Fermât,  qui  ne  connaissait  « rien  de  plus  beau  en 
rAritbméti(pie^).  De  nos  jours,  elle  a provoipié,  en  grand  nombre, 
de  curieuses  recherches  parmi  lesquelles  celles  d’Édouard  Lucas, 
cet  étonnant  vir  anthrneticus,  méritent  une  mention  spéciale. 
La  littérature  qu’elle  a fait  naître  est  déjià  fort  copieuse.  .\  son 
tour,  M.  Riollot  a entrepris  d’en  donner  un  exposé  d’en.semble 
qu’il  a réussi  à faire  remarquablement  clair,  méthodique  et 
complet  non  moins  d’ailleurs  ([ue  concis;  ce  sont  toutes  les  (pia- 
lités  qu’on  peut  réclamer  d’un  ouvrage  de  cette  sorte. 

M.  0. 


lY 

Edward  V.  Humlagto.n.  — La  Ko.nti.nuo.  — Elementa  teorio 
stagirita  sur  la  ideo  de  ordo  kun  aldono  pri  transfinitaj  nombroj. 
Tradukita  de  la  angla  lingvo  kun  la  permeso  de  la  autoro  de 
Raoul  Rricard.  Un  vol.  in-8’  de  H5  pages.  — Paris,  Gauthier- 
Vil  la  rs,  1!)()7. 

Vous  tenons  à signaler  ce  petit  volume,  excellent  résumé  de  la 
théorie  du  continu,  telle  qu’elle  est  sortie  principalement  des 
travaux  de  Redekind  et  de  Cantor,  moins  encore  pour  son 
contenu  même  que  parce  (pi’il  constitue  un  exemple  <à  encou- 
rager d’une  intére,ssante  [)uhlication  scientilique  en  espéranto. 

Gomme  il  ne  s’agit  d’ailleurs  pas  d’une  œuvre  originale,  mais 
d’un  travail  de  vulgarisation,  nous  nous  bornerons  à reproduire 
les  titres  des  chapitres  : Sur  les  classes  en  général.  — Sur  les 
classes  simplement  ordonnées  ou  séries.  — Séries  discrètes  : 
spécialement  le  type  des  entiers  naturels.  — Séries  denses  : spé- 
cialement le  tyi)e  des  nombres  rationnels.  — Séries  continues  : 
spécialement  le  type  des  nombres  réels.  — Séries  continues  à 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


2()2 

[)liisieiirs  dimensions,  avec  nne  note  sur  les  classes  mulliplement 
ordonnées.  — Appendice  sur  les  séries  normales  (ou  classes  bien 
ordonnées)  et  les  nombres  transtinis  de  (amtor. 

Ajoutons  (pie  la  rédaction  primitive  a paru  dans  la  revue  amé- 
ricaine .V.N'.NALs  OK  .Mathe.m.vtics  (juillet  et  octobre  1U05). 

G.  Lechalas. 


Y 


Leço.ns  de  Mécamque  céleste,  par  11.  I'ouncaiié,  .Membre  de 
rinstilut,  l’rolesseur  à la  Faculté  des  Sciences  de  Paris. 
Tome  II,  l™  Partie:  Développemenl  de  la  l’onction  perturbatrice. 
Fn  vol.  in-8"  de  1()5  pai>es.  — Paris,  (iaulhier-Yillars,  1!)07. 

I>e  plan  i^énéral  de  l’ouvraife  a été  iiidicpié  à l’occasion  du 
Tome  I ( 1 );  il  nous  sullira  de  dire  ici  en  (luebpies  mots  le  contenu 
de  ce  nouveau  fascicule,  tout  entier  consacré  au  développemenl 
de  la  fonction  perturbatrice,  [/auteur  ayant  précédemment 
montré,  lorscpTon  a l'ail  choix  d’un  certain  système  de  variables 
képlériennes,  sous  (pielle  forme  se  {H'ésente  le  dévelo{)pemenl 
de  la  fonction  perturbatrice,  aborde  maintenant  le  calcul  elfi'clif 
de  ce  développement.  Le  problème  olfre  d’ailleurs  des  asfiects 
variés,  ipi’il  a soin,  tout  d’abord,  de  mettre  en  évidence,  suivant 
(pie  l’on  adopte  comme  variables  kéiih'riennes  soit  le  système 
des  éléments  ellipticpies  (le  plus  commuuémeiit  em[)loyé  par  les 
astronomes),  soit  l’un  des  systèmes  d’éléments  canoiiicpies  envi- 
sagés au  Tome  I. 

I.a  première  chose  à faire  consiste  à exprimer  les  coordonnées 
rectangulaires,  ou  [lolaires,  des  planètes  en  foiiclioii  de  l’un  (piel- 
compie  de  ces  systèmes  d’idéments  oscillateurs;  cela  exige  l’intro- 
diiclion  des  fonctions  de  Hessel  dont  M.  Poincaré  établit  les 
propriétés  fondamenlales  avec  l’éb'gance  dont  il  a le  secret. 

L’auteur  développe  ensuite  (piebpies  considérations  générales 
au  sujet  du  développemenl  de  la  fonction  pi'rliirbalrice,  en  com- 
mençant par  .sa  partie  iirincipale  (pii  fait  naître  le  problème  le 
plus  dillicile.  D’ailleurs,  bien  (pi’il  puisse  se  déduire  de  celui  de 
la  partie  principale,  le  calcul  de  la  partie  complémentaire  est  ici 
abordé  dinadement  ; il  en  résulte  une  plus  grande  facilité. 

L’exiréme  didiculté  du  problème  a conduit  à en  sérier  la  solu- 
tion selon  diverses  bypolbèses  sim[)lificalives.  La  première 


( I)  l.ivniison  iroctolire  ]!Kl5,  ]i.  filli. 


BIBLIOGRAPHIE 


263 


consisle  à supposer  milles  à la  lois  les  deux  excentricités  et  l’incli- 
naison mutuelle  des  orbites;  c’est  dans  l’analyse  correspondante 
que  s’introduisent  les  coellicients  de  Laplace.  Lorsque,  les  excen- 
tricités étant  toujours  milles,  l’inclinaison  devient  quelconque,  la 
solution  repose  sur  la  considération  des  polynômes  de  Tisserand 
qui  apparaissent  comme  cas  particulier  de  la  série  hypergéomé- 
trique  à deux  variables  de  M.  Appell.  Enlin,  pour  le  cas  où,  les 
excentricités  n’étant  pas  nulles,  on  se  propose  de  développer  la 
partie  principale  de  la  Ibnction  perturbatrice  suivant  les  puis- 
sances de  ces  excentricités,  M.  Poincaré  développe  la  solution  de 
Newcomb  l'ondée  sur  l’emploi  de  certains  opérateurs  symbo- 
liques. 

La  question  capitale,  celle  de  la  convergence  des  séries  obte- 
nues, est  approfondie  suivant  la  méthode  de  Caucby,  avec  cette 
maîtrise  ([u’on  ne  se  lasse  pas  d’admirer  chez  M.  Poincaré.  Et 
cette  brillante  analyse  est  développée  dans  un  ouvrage  qui,  aux 
yeux  de  son  auteur,  ne  dépasserait  pas  le  cadre  d’un  simple 
exposé  didactique!  Mais  elle  porte  la  griffe  du  maître. 

L’auteur  aborde  ensuite  l’étude  analytique  des  coeüicients  des 
développements  de  la  fonction  perturbatrice,  soit  suivant  les  ano- 
malies excentriques,  soit  suivant  les  anomalies  moyennes,  lorsque 
l’on  considère  ces  coellicients  comme  fonctions  des  éléments 
(grands  axes,  excentricités,  inclinaisons);  il  forme  les  équations 
différentielles  ainsi  que  les  relations  de  récurrence  auxquelles  ils 
satisfont,  et  dont  il  estime  que  l’on  pourra  tirer  un  beureux 
parti  pour  le  cas  où  les  excentricités  sont  nulles.  Pour  le  cas 
général,  il  serait  utile  de  cbercher  à abaisser  l’ordre  de  ces  équa- 
tions, ce  que  l’on  peut  espérer  voir  résulter  d’une  étude  plus 
approfondie  des  périodes  de  l’intégrale  double. 

Quant  au  calcul  numérique  des  coellicients,  effectué  indépen- 
damment de  leur  développement  analytique  (qui  exige  un  trop 
grand  nombre  de  termes),  il  se  ramène  à celui  d’intégrales 
doubles  pouvant  ,se  résoudre  par  quadratures  mécaniques.  Un 
pertbctionnement  très  appréciable  consiste  à ne  faire  porter  ces 
quadratures  mécaniques  que  sur  des  intégrales  simples.  Tel  est 
1e  but  des  méthodes  de  Hansen,  de  Cauchy  et  de  .lacobi,  dont 
l’auteur  fait  admirablement  saisir  l’essence.  11  donne,  en  outre, 
de  très  intéressantes  indications  sur  une  méthode  de  calcul 
fondée  sur  les  propriétés  des  fonctions  elliptiques. 

On  peut  enfin  être  amené  à rechercher  directement  une  valeur 
approchée  du  coellicient  d’un  terme  élevé,  soit  pour  apprécier  la 
rapidité  de  la  convergence  des  séries,  soit  pour  étudier  certaines 


20i 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


perfurbalions.  l’oiir  un  tel  calcul,  M.  Poincaré  emploie  la  méthode 
donnée  par  M.  Darboux  pour  le  calcul  des  tbnctions  de  très  grands 
nombres,  et  résume  les  résultats  obtenus  par  MM.  Flamme, 
Féraud,  llamy  et  Fondesco. 

L’attrait  des  beaux  problèmes  traités  dans  cet  ouvrage  s’accroît 
de  celui  qui  s’attache  aux  solutions,  d’une  prolbndeur  en  même 
temps  que  d’une  élégancT  impossibles  à surpasser,  qu’eu  donne 
l’illustre  professeur  de  la  Sorbonne;  et  ce  premier  fascicule  du 
Tome  II  n’est  pas  fait  {)Our  amoindrir  l’impression  causée  par  la 
lecture  du  Tome  I et  (pie  nous  avions  essayé  de  rendre  précé- 
demment. 


PiK  Kkc.ei.scii.mtte  des  riiîi;(;oiuus  a St.  Vi.nce.ntio  en  veiu'.lei- 
ciiE.NDER  pEAiiiîEiTLNG  voii  Kahi.  Boit  (1).  Fil  vol.  in-8"  (le 
11111  pages.  — Leipzig,  Teubner,  P.I07. 

Le  volume  que  nous  présentons  au  lecteur  est  le  travail  le  plus 
important  publié  sur  l’histoire  des  matliémati(pies  en  Belgi(pie, 
depuis  l’édition  de  la  Correspondance  de  SIuse  par  .M.  Le  Paige. 
.M.  Bopp  nous  apprend,  dans  .son  introduction,  ([ue  son  attention 
a été  appelée,  par  M.  .Maurice  Cantor  lui-méme,  sur  l’utilité 
d’une  étude  aitprofondie  de  Crégoire  de  Saint-Vincent  (;2).  C’est 
([lie  le  géomètre  brugeois  n’a  jamais  été  bi'aucoup  lu.  Ht  cepen- 
dant Leibniz  ne  craint  pas,  on  le  sait,  d’écrire  à deux  rcfirises 
dillérentes  ([ue  Crégoire  est  l’égal  de  Fermât  et  de  Bescartes  (B), 
.lugement  étrange,  aux  yeux  de  plusieurs  historiens!  exagéra- 
tion jHire,  disent  même  d’autres!  Tel  .Maximilien  .Marie,  par 
exemple,  se  nuapiant  de  Quetelet  « qui  fait  presque  un  grand 
homme  de  Crégoire  de  Saint-Vincent  »,  et  traitant  cette  appré- 
ciation de  l’écrivain  belge  d’illusion  due  « au  patriotisme 
local  » (4). 

(t)  Et‘,  votdme  forme  le  deuxième  fascicide  (pp.  87-314)  du  tome  \X  des 
AhUAMiLCNC.EX  ZUR  (iESCIlICHTE  IlER  MATIIE.M.XTISC.IIEN  WlSSENSC.il AKTE.N  MIT 
Einsc.hluss  iiiREii  .Vnweniiuxgen  liegrrindet  von  .Moritz  Eiinlor. 

(i)  l.a  Société  scientiliiiue  de  liruxelles  vient,  dans  la  session  de  IVnines  1D07, 
de  metlre  le  sujet  an  cnneonrs. 

(3)  ('.allier  de  juin  IH84  des  Acta  Eniditniinii.  pp.  :2!)7  et  ;2i)8;  et  documents 
(mltliés  par  Eerhardt  dans  son  article  Li’ilniiz  in  London,  Sitzcngshericiite 
niai  KoNic.i.Kai  rrecssisoie  Akademie  mai  Wissensi.iiaften  zr  Itiaii.iN. 
Iterlin,  I8!)l,  ji.  171 . 

(4)  Histoire  des  sciences  inathnnotiqnes  et  plii/siques  en  Italie.  1.3.  Paris, 
1883,  p.  i!)3. 


BIBLIOGRAPHIE 


265 


Cliasles,  d’une  tout  autre  autorité  ([ue  Marie,  tient,  au 
coiilraire,  dans  son  Aperçu  historique,  un  langage  très  dilïérent. 
Il  admire  \e  Probloua  austriacum  et  engage  les  jeunes  mathéma- 
ticiens à le  lire,  « car  plusieurs  des  belles  découvertes  de 
Grégoire,  dit-il,  leur  paraîtront  encore  nouvelles  (1). 

Pourquoi  cet  avis  a-t-il  été  si  peu  écouté  jusqu’ici?  Pourquoi 
Ghasles  lui-méme,  si  érudit  eu  tout  ce  qui  touche  l’histoire  des 
coniques,  semhle-t-il  s’étre  contenté  de  stimuler  les  autres,  sans 
suivre  bien  sérieusement  son  propre  conseil?  En  un  mot, 
pourquoi  la  lecture  du  Problettia  Austriaciüti  a-t-elle,  de  tout 
temps,  rebuté  tout  le  monde? 

« La  forme  absolument  incommode  donnée  par  Grégoire  à son 
volume,  répond  M.  Bopp,  peut  seule  expliquer  le  peu  d’iutluence 
exercée  sur  le  développement  de  la  science  par  un  ouvrage  aussi 
original  et  aussi  remarquable.  f> 

Le  savant  privat-docent  d’Heidelberg  a raison. 

Pour  ma  part,  je  ne  connais  guère  de  volume  plus  désagréable 
à manier  que  l’énorme  et  pesant  in-folio  de  pages  publié 
par  Grégoire. 

■Mais  ce  format  malheureux  n’est  pas  la  cause  adéquate  du  dis- 
crédit dont  le  Problema  austriaann  ne  s’est  jamais  totalement 
affranchi.  Yiète,  par  exemple,  est-il  d’une  lecture  moins  insup- 
portable ([ue  Grégoire  de  Saint-Vincent?  Mais  rien  n’a  évidem- 
ment compromis  davantage  le  succès  de  l’ouvrage  de  Grégoire, 
que  le  titre  ronflant  dont  il  eut  la  maladresse  de  l’affubler  ; Pro- 
bleitnt  Austriacum,  plus  ultra,  qiKulratura  circuli  (:2t. 

En  fait,  le  Problema  austriacum , divisé  en  dix  livres,  traite 
des  sujets  les  plus  divers.  La  quadrature  du  cercle  est  l’objet 
propre  du  livre  X,  mais  il  en  est  as.sez  peu  question  dans  le  reste 

(I)  P.  !)l,  en  note. 

C2)  Voici  ce  titre  an  comjilet.  Tilre  de  départ  : P.  Gregorii  a S'"  Vinci'utio 
()l)vs  geouietrici'in  qradralvrae  circvli  cl  sectionum  coni  dccem  libris  com- 
prchcnsiaii. 

Titre  gravé  : iO  oè/c(««  Arslriaccm  Plvs  Vitra  IJcadruicra  Circvli  Arc- 
lore  P.  Grcgorio  a S'”  Viticcnlio  Soc.  lesu.  Anlverpiae,  .Vpud  loannem  et 
laco!)vni  .Mevrsios,  Anno  .M.PG.XIATI.  t'.um  privilégie  C.aesareo  et  lïegis 
llispaniarum. 

Il  faut  dire  à la  décharge  île  Saint-Vincent  que  ce  titre  est  probablement 
beaucoup  moins  son  fait  que  celui  de  l’admiration,  compromeitante  pour  lui,  de 
.ses  élèves.  .J'ai  insisté  ailleurs  sur  la  collaboration  de  ceux-ci  <à  l’édition  du 
Problema  Auslriacum  (Docnmenls  inédits  ,‘>ur  Grégoire  de  Saint-Vincent. 
Annai.es  tiE  EA  Société  sf.iEXTiiTQCE,  t.  WVII,  p.  “il),  .le  saisis  celte  occa- 
sion pour  remercier  vivement  M.  liopp  de  la  manière  dont  il  parle  de  mes  deux 
mémoires  sur  Grégoire  de  Saint-Vincent. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


2()() 

(le  l’otivrage.  Or  ce  livre  X,  cela  va  de  soi,  est  rat().  D’autre  part, 
à une  épo([ue  où  la  <piadrature  du  cercle  passionnait  encore  tous 
les  inatlniMnaticiens,  c’est  sur  le  livre  X (pi’ils  se  jetaient  tout 
d’abord.  Dé(;us  dans  leur  curiosit(i,  (juoi  de  plus  naturel  pour 
eux  (jue  de  leriner  le  volume  sans  se  mettre  en  peine  de  le  lire 
en  entier? 

Dans  son  travail,  M.  Bopp  s’en  lient  exclusivement  à la  tln^orie 
des  conicpies,  ([ui  Ibrme  l’objet  des  livres  IV,  V et  VI  du  Pro- 
hlenta  austriarum,  et  nous  en  donne  uik!  analyse  pres(]ue  propo- 
sition par  proposition.  On  p(Mit  dire  ([ue  tbXsormais  les  conicpies 
de  (’iiTi>oire  sont  connues.  Désormais  on  s’explicjne  aussi 
l’admiration  de  Leibniz  pour  le  géomètre  brugeois,  car  l’ouvrage 
de  .M.  Dopp  est  une  vraie  révélation. 

Les  conicpies  lurent  j)eu  étudiées  antérieurement  à Kepler  et 
on  ne  soupçonnait  pas  l’imian'lance  deces courbes  en  astronomie. 
Saint-Vincent  s’en  occu[)a  l’un  des  premiers;  il  ne  tant  pas  le 
p('rdi'e  de  vue  si  on  veut  apprécier  son  mérite.  Au  moment  où  il 
écrivait,  la  théorie  des  conicpies  se  réduisait  aux  cjuatre 
premiers  livres  d’Apollouius,  dont  la  meilleure  édition,  celle  de 
Lommandin,  était  tort  détéctueuse. 

XonseidemenI  Saint-Vincent  retrouve  par  des  méthodes  per- 
sonnelles les  principaux  théorèmes,  encore  inconnus  à .son 
épocpie,  énoïK'és  par  .Apollonius  dans  les  derniers  livras  de  ses 
Coni(it(es  (1),  mais  il  découvre  en  outre  d’inuombrables  pro- 
priétés de  ces  courbes  ignoré(^s  par  le  géomètre  grec. 

Les  bornes  impo.sées  h ce  compte  rendu  me  défendent  de  m’y 
arrêter;  mais  pour  donner  cependant  (piekpie  idée  de  leur  origi- 
nalité et  de  leur  imprévu,  voici  un  aperçu,  en  langage  moderne, 
de  la  méthode  ([ue  .M.  Ho[»j)  [>ropose  de  nommer,  avec  Lrégoire 
de  Saint-Vincent,  « translbrmatio  per  subtensas  »,  transformation 
par  les  cordes. 

« On  donne  une  conicpie  et  un  de  ses  axes  de  symétrie,  l'ar  un 
point  mobile  pris  sur  la  conicpie,  on  porte  en  ordonnée  perpendi- 
culaire à partir  de  l’axe,  la  distance  de  ce  point  mobile  à un  point 
lixe  pris  sur  l’axe.  On  demande  le  lien  décrit  par  l’extrémité  de 
celte  ordonnée.  » 

Le  lieu,  dit  (IrV'goire,  est  en  général  une  nouvelle  conique.  Kt 
en  elfet,  soient  x,  y,  les  coordonnées  d’un  |»oint  du  lieu,  t,  V, 

(I)  I.o  livre  iS  (‘Si  penlii.  Qiianl  aux  livres  .VT,  ils  furent  |iut)liâs  pour  la 
))re.mièr(‘.  fois,  (mi  llilll,  .à  Florence,  par  liorelli,  dans  son  ApolUmii  Peryuci 
(Joiiiconuit  lih.  V,  VI,  VII  et  Archiiuedis  asseiiiitloi  viu  liber. 


BIBLIOGRAI^HIE 


267 


celles  du  point  mobile  de  même  abscisse  pris  sur  la  conicpie, 
</,  0,  celles  dn  point  lixe  de  Taxe.  On  a,  par  hypothèse, 

y^=(x-d)^+V. 

D’antre  part,  l’équation  d’une  conique  rapportée  à un  de  ses 
axes  et  tà  la  tangente  au  sommet  est  de  la  forme 

= ax’-  + bx. 

Éliminant  entre  ces  deux  équations,  il  vient 

= (x  — d)  ^ ax^  -f  bx 
ce  ([ui  démontre  le  tbéoréme. 

Orégofre  de  Saint-Vincent  discute  ce  résultat  très  en  détail, 
dans  le  style  du  temps.  .Mais  ce  itui  est  absolument  nouveau  au 
moment  où  il  écrit,  c’est  qu’il  déduit  systématiquement  la  nature 
de  la  conique  obtenue,  de  la  forme  de  l’équation  de  cette 
conique. 

A ce  point  de  vue,  dit  M.  Ropp,  à l’égal  de  ses  illustres  contem- 
porains Descartes  et  Fermât,  Grégoire  de  Saint-Vincent  doit  être 
regardé  comme  run  des  créateurs  de  la  géométrie  analytique. 

Je  l’ai  rappelé  ci-dessus,  c’était  précisément  l’avis  de  Leibniz. 

.\u  cours  de  cette  discussion,  Saint-Vincent  fait  une  découverte 
des  plus  remarquables.  11  observe  que  les  foyers  de  l’ellipse  et  de 
l’byperbole  jouissent  de  propriétés  toutes  spéciales.  En  effet, 
quand  le  point  {d,  0)  est  un  foyer,  l’expression 

{x  — d^  -j-  cix'  -j-  bx 

est  un  carré  parfait,  et  le  lieu  obtenu  se  réduit  à deux  droites. 

Mais  puisque  ax^  -|-  bx  = V',  reconnaître  que 

{x  — df  -)-  ax^  -f  bx 

est  un  carré  parlait,  n’est-ce  pas  être  bien  prés  d’exprimer 
que  la  distance  d’un  point  d’une  conique  au  foyer  est  une  fonc- 
tion rationnelle,  entière  et  du  premier  degré  des  coordonnées  de 
ce  point?  Sous  cette  forme  tout  à fait  explicite,  le  théorème  est, 
il  est  vrai,  d’Euler,  qui  l’a  donné  un  siècle  plus  tard,  en  1748, 
dans  son  Intwdudio  in  analysim  infhiitorum . Loin  de  moi  de 
vouloir  lui  en  contester  la  paternité.  Saint-Vincent  écrivant  au 
milieu  du  .VVID  siècle  ne  pouvait  avoir  l’idée  d’une  formule 
de  ce  genre.  Il  trouve  un  théorème  équivalent  et  l’exprime 


268 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIP’IQUES 


dans  le  langage  de  son  époque.  Même  réduit  à ces  proportions, 
le  t'ait  mérite  notre  admiration. 

Il  y a i)lus.  Apollonius,  dans  ses  Coniques,  ne  parle  pas  dn 
l'oyer  de  la  parabole.  Non  seulement  Grégoire  de  Saint-Vincent 
découvre  l’existence  de  ce  point,  mais  par  sa  tmnsformalio  per 
snhtensas,  il  lui  reconnaît  d’emblée  des  propriétés  analytiques 
analogues  à celles  des  foyers  de  rellii)se  et  de  l’hyperbole. 

Un  VOMI,  enlin,  pour  clore  ce  compte  rendu. 

•M.  Hopf)  a écrit  un  ouvrage  trop  important  et  trop  bien  fait 
pour  s’en  contenter  et  s’arrêter  en  si  beau  chemin.  Il  nous  doit 
une  analyse  complète  de  tout  le  Prohlema  auslriacum.  Souhai- 
tons ([u'nne  suite  à son  excellent  et  beau  travail  ne  se  fasse  pas 
désirer  trop  longtemi)s. 

11.  bos.M.v.NS,*  S.  J. 


VII 

Pr:ii  i.v  Kdizio.xe  .xazi(».xale  uelle  Opeue  di  Galileo  Gaeilei 
sotto  gli  anspicii  di  S.  .M.  il  Ue  d’Italia.  Trent’aimi  di  studi 
Galileiani  per  Aato.mo  Favaro.  Un  vol.  in-i’  de  GO  pages.  — 
Firenze,  Barbera,  J007. 

\jE(Ulion  nationale  des  Œuvres  de  Gu/î/ccest,  on  le  sait,  bien 
près  d’étre  achevée.  L’éloge  de  cette  magnilicpie  publication 
n’est  plus  à faire.  Ge  lut  un  concert  unanime  d’approbation  et 
d’encouragement  chez  les  savants  de  rFuroi)e  entière  (piand 
.M.  A.  Favaro  osa  mettre  la  main  à cette  colossale  entreprise,  et 
c’est  avec  la  même  unanimité  (pi’ils  félicitent  aujourd’hui 
l’illustre  éditeur  d’avoir  réussi  <à  la  mener  à bon  terme. 

Conçue  d’a[)rès  un  plan  très  bien  compris  et  rigoureusement 
suivi  du  commencement  jus(pi’à  la  tin,  la  nouvelle  édition  des 
(Envres  de  (lalilée  exclut  systémati([uement  de  ses  volumes  les 
digressions  et  les  commentaires.  Cela  s’imposait.  .Vussi  les  innom- 
biables  notes  et  mémoires  consacrés  par  .M.  Favaro  cà  Galilée  — 
je  n’en  connais  pas  moins  de  itiO!  — se  trouvent-ils  disséminés 
dans  les  recueils  périodi([ues  les  plus  divers,  parfois  même  dans 
de  simples  journaux  politi(pies.  Ces  notes  et  mémoires  sont 
cependant  un  complément  indispensable  de  VEdilion  nationale. 
Fl  en  etfet,  si  dans  les  multiples  controverses  soulevées  autour  de 
la  personne  de  Galilée,  les  écrits  et  la  correspondance  de  l’im- 
mortel l’isan  nous  apprennent  beaucoup,  ils  ne  nous  disent  pas 
tout,  [.es  éclaircissements  <pie  .M.  Favaro  y ajoute  sont  si  impor- 


niBLlOGRAPHl  E 


*^G9 

tants,  si  érudits,  si  consciencieux,  qu’il  est  nécessaire  d’en  tenir 
compte  en  tonte  occasion. 

Voilà  pourquoi  le  .savant  professeur  de  l’Université  de  Padoue 
a bien  fait  de  ne  pas  écouter  une  fausse  modestie  et  de  nous  don- 
ner lui-mème,  dans  le  volume  que  nous  présentons  au  lecteur,  la 
li.ste  complète  de  ses  études  sur  tlalilée.  Vous  disposons  ainsi 
d’un  instrument  de  travail  précieux,  propre  à faciliter  bien  des 
recherches,  car  les  indications  y sont  des  plus  précises.  L’impor- 
tance de  plusieurs  de  ces  études  saute  aux  yeux  à la  lecture  du 
titre,  mais  d’autres  résolvent  des  ditiicultés  de  pur  détail.  A tous 
ceux  qui  se  propo-seraient  d’écrire  sur  Galilée,  je  signalerai 
notamment,  parmi  ces  dernières,  les  cent  dix-sept  petites  disser- 
tations intitulées  ScarnpoU  (jalileiani,  « bribes  galiléennes  », 
toutes  plus  intéressantes  les  unes  que  les  autres.  Elles  parurent 
en  dix-sept  séries  dans  les  Atti  e Mejiorie  dei.la  R.  Acc.xdemia 
DI  sciENZE,  LETTERE  ED  ARTi  lA  pADQVA.  Que  de  questioDs  ciuieuses 
s’y  trouvent  iiosées,  discutées  et  l’ésolues! 

H.  Bos.maas,  s.  .1. 


VIII 

Traité  des  .\ssuraat.es  sur  la  vie,  par  U.  Rroggi.  Traduit  de 
l’italien  par  S.  Lattès,  avec  une  préface  de  M.  Achard.  Un  vol. 
in-S"  de  xi-oOO  pages.  — Paris,  Hermann,  1007. 

Ce  traité  se  distingue  par  la  concision  et  la  netteté  de  l’exposé. 
Disons  tout  de  suite  que  cette  netteté  même  fait  ressortir  davan- 
tage le  peu  de  précision  de  certaines  notions  employées  dans  la 
théorie  des  erreurs.  Que  l’on  compare,  par  exemple  (p.  33),  la 
notion  de  « probabilité  d’un  ensemble  d’erreurs,  » avec  tout 
l’exposé  fait  au  § (i  (p.  08).  On  se  convaincra  que  la  théorie  des 
erreurs  pourrait  faire  son  profit  des  distinctfons  prudentes  que 
comporte  l’établissement  d’une  loi  continue  de  survie  (I).  Cette 
légère  critiipie  n’empécbe  pas  le  premier  chapitre  de  l’ouvrage, 
éléments  du  calcul  des  probabilités,  d’être  suggestif  et  plein  de 
choses. 

Le  second  chapitre,  théorie  statistique  de  la  mortalité,  expose 


(t)  Voir  aussi  la  note  île  la  page  SI,  où  railleur  à la  suite  de  tîortkieviicti 
attire  l’attention  sur  le  fait  (|ue  n’est  pas  une  probabilité,  cpie  c’est  seule- 
ment p.6-  d.r  qui  est  une  jirobabilité.  X'e  fallait-il  pas  faire  la  même  remarque 
l)our  la  fonction  qp  (e)  de  la  page  ‘àt'! 


210 


REVUE  DES  QT’ESTIOXS  SCIEXTIFIQUES 


avec  beaucoup  de  rigueur  et  de  soin  les  méthodes  de  constitu- 
tion des  tables  et  des  lois  statistiiiues.  Ouelques  réllexions  au 
sujet  de  rajustement  des  tables  de  survie  ont  une  portée  plus 
générale  et  s’appli((uent  à toiite  ([uestion  où  l’on  se  {)ro{)ose  de 
traduire  en  loi  malbématicpie  un  ensemble  de  données  expé- 
lâmentales. 

La  seconde  )iartie  de  l’ouvrage  donne  la  théorie  mathéma- 
ti([ue  des  diverses  opérations  d’assurances. 

l.,a  troisième  partie,  techni([ue  des  assurances  sur  la  vie,  et  la 
(piatriéme  partie,  théorie  du  riscpte,  traitent  de  l’économie  géné- 
l'ale  des  sociétés  d’assurances  : primes,  réserves,  prolits  et 
pertes,  stabilité,  etc. 

Cette  heureuse  synthèse  de  la  science  actuarienne  moderne 
avec  ses  perfectionnements  récents,  sera  bien  reçue  du  mathé- 
maticien désireux  d’une  initiation  rapide  et  complète  dans  ce 
domaine  intéressant.  Klle  ne  sera  pas  moins  utile  aux  actuaires 
de  profession  (pu  ont  souci  de  savoir  ce  qu’ils  font  quand  ils 
manient  leurs  formulaires  et  leurs  tal)les.  Ils  y trouveront,  en 
même  tem|)s  (pi’une  solide  doctrine,  une  sérieuse  documenta- 
tion en  faits  et  en  bibliographie. 

F.  W. 


IX 

Traité  de  l'iivsiquE,  par  O.  1*.  Ciiwolson.  Ouvrage  traduit  sur 
les  éditions  russe  et  allemande,  par  E.  Davaux,  avec  des  Notes 
sur  1(1  l^lnjsiqne  théorique,  par  E.  et  F.  Cosserat,  t.  I,  troisième 
fascicule  ; L’Etat  liquide  et  l’Etat  solide  des  corps.  Un  volume 
grand  in-8"  de  vii-5t)l-87:2  pages,  avec  J 81)  ligunîs  dans  le  texte. 
— Paris,  .\.  Hermann,  J1I07. 

La  publication  de  cet  excellent  Traité  de  Physique ’sc  [Knivi^mi 
rapidmnent,  avec  l’ampleur  de  doctrine,  l’abondance  des  rensei- 
gnements bibliographiques  et  toutes  les  qualit(*s  d’exposition 
([lie  nous  nous  sommes  plu  à louer  dans  l(3s  fascicules  précé- 
dents (1). 

Celui-ci  comprend  deux  parties.  La  première,  consacn^e  à 
Vétat  liquide  des  corps,  contient  J88  pages;  la  seconde,  où  l’on 
aborde  l’étude  de  l'élat  solide,  en  compte  J 80. 

(I)  Voir  liEVCE  DES  (jcEST.  SCIENT.,  troisiiMiio  série,  t.  IX,  pp.  ^295-302  et 
t.  XI,  pp.  29-1-297. 


RIÜLIOORAPHIE 


271 


FAnt  liquide  des  corps.  — l’n  premier  rliapitre,  intilulé  Pro- 
■ priélés  fondu iiieutales  et  constitution  des  liquides,  sei't  d’iiilro- 
(luclion.  Signalons  dans  la  bibliographie  qni  le  termine,  la  liste 
des  travaux  relatifs  anx  cristaux  liquides.  On  sait  qne  Leh- 
mann  ( ISS!))  a montré  que  des  gouttelettes  de  certains  liquides 
manii'estent,  dans  des  conditions  spéciales,  des  propriétés 
opti(pies  absolument  semblables  à celles  des  cristaux  solides  et 
qu’il  se  produit,  h une  températui'e  déterminée,  une  transforma- 
tion de  ces  cristaux  analogue,  sous  beaucoup  de  rapports,  à la 
fusion  des  corps  solitles.  L’auteui' signale  les  faits  et  réserve  leur 
étude  au  tome  111  de  son  Traité. 

Le  chapitre  11  expose  les  dilférentes  méthodes  en  usage  pour 
la  détermination  de  la  densité  des  liquides  : Méthode  rapide  et 
a])proximative  de  Wilson  et  de  Warrington  (tlotteurs  de  volume 
constant);  méthodes  des  vases  CQmmunicants,  du  tlacon,  de  la 
balance  hydrostatique  ordinaire  et  de  la  balance  à ressort  de 
.lolly;  les  aéromètres  de  Xicholson,  de  Lohnstein,  de  Courtomie, 
de  (îuglielmo,  de  Yandevyver...  et  les  aéromètres  spéciaux  de 
Haumé,  (lay-Lussac,  Kichter,  etc.  Les  diver.s  liquides  possèdent 
des  densités  très  dilférentes,  depuis  celle  de  l’hydrogène  liquide, 
0,07  (Dewai')  qui  est  la  plus  faible,  jusqu’à  celles  du  mercure  et 
des  métaux  fondus  qui  sont  les  plus  grandes. 

La  compressibilité  des  liquides  fait  l’objet  du  chapitre  111. 
L’auteur  définit  le  coellicient  de  compressibilité;  il  dépend  de  la 
nature  du  liquide  et  est  fonction  de  la  température  et  de  la  pres- 
sion initiale.  « Les  liquides  peuvent  non  seulement  être  com- 
pi'imés,  mais  on  peut  aussi,  dans  certains  cas,  les  soumettre  à 
une  extension  »,  dans  toutes  les  directions.  M.  Chvvolson  rap- 
pidle,  à ce  sujet,  l’expérience  de  Wortbington  ; on  devrait  y 
joindre  celles  de  Van  der  Mensbrugghe. 

Les  recherches  relatives  à la  compressibilité  des  liquides  sont 
très  nombreuses.  L’auteur  sépare  celles  qui  ont  précédé  les  tra- 
vaux d’tErsted  — Bacon,  les  académiciens  de  Florence,  .lobn  Lan- 
ton  et  John  Perkins—  de  celles  d’tFrsted,  l'inventeur  du  premier 
piézomètre  permettant  des  mesures  quantitatives  assez  exactes, 
et  de  ses  successeurs  Sturm  et  (’iOlladon,  Régnault,  (Ira.^si, 
Richards  et  Stull...  Il  signale  aussi  les  travaux  plus  spéciaux, 
relatifs  à certains  licpiides  et  aux  dissolutions,  ou  etfectués  dans 
des  conditions  particulières;  citons,  entre  autres,  ceux  de  Gaille- 
tet,  opérant  à ti’ès  hautes  pressions,  et  ceux  d’Amagat  se  rappor- 
tant à la  variation  de  la  compressibilité  avec  la  température. 

La  tension  superlicielle  des  liquides  est  étudiée  au  chapitre  IV. 


212 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Avec  Liqtlace,  l’aiitenr  admet  ({ue  les  forces  de  cohésion,  qni 
agissent  sur  les  molécnles  de  la  couche  superficielle,  se  com- 
posent en  une  pression  normale  à la  surface  libre  et  dont  l’inten- 
sité dépend  de  la  forme  de  cette  surface.  11  rappelle  la  formule 


stantes  ipii  dépendent  de  la  nature  du  liipiide  et  de  son  étal 
physiipie;  Ui  et  U2  les  rayons  de  courbure  des  deux  sections 
normales  principales  de  la  surface  du  liquide  au  point  considéré. 
Dans  le  cas  d’une  surface  plane,  on  a P = K.  La  ])ression  K 
ne  peut  être  déduite  d’expériences  directes;  des  raisonnements 
indirects,  sur  lesquels  nous  reviendrons,  montrent  que  Iv  est 
très  grand...  et  s’exprime  par  des  milliers  d’atmosphères  (1).  11 
peut  dès  lors  paraîti'e  inexplicable  (pie,  malgré  cette  pression, 
un  liipiide  n’oppose  (pi’une  faible  résistance  à un  changement 
de  forme,  et  se  laisse  facilement  diviser,  etc.  Sans  entrer  ici  dans 
les  détails,  rappelons  seulement  ipie  les  liquides  ne  perdent  pas 
l’extrême  mobilité  de  leurs  parties  sous  une  pression  extérieure 
très  grande,  comme  on  peut  s’en  rendre  compte,  par  exemple, 
en  observant  que  des  poissons  et  d’autres  animaux  se  meuvent 
dans  la  mer  à des  iirofondeurs  énormes.  » 

.Après  ce  raiûde  exposé  des  idées  de  Laplace,  vient  celui  de  la 
formule  de  (lauss  et  de  la  notion  do  tension  snperticielle.  Le 
premier  (pii  compara  la  couche  siqierficielle  d’un  liquide  à une 
membrane  élastiipie  est  Segner  (175;2);  mais  c’est  Young  (1805) 
qui  fut  le  véritable  fondateur  de  la  théorie  de  la  tension  super- 
ficielle des  liipiides.  Ln  1ri;s  grand  nombre  de  phénomènes 
s’expli(pient  très  simplement  (piand  on  admet  l’existence  d’une 
tension  superficielle,  la(iuellc,  comme  nous  le  montrerons  jilus 
lard,  est  élioitement  liée  à la  grandeur  de  la  pression  superfi- 
cielle;... il  ne  faut  pas  oublier  (pie  cette  tension,  si  elle  e.risie, 
n’est  qu’une  cons('(pience  de  la  cause  fondamentale  de  tous  les 
phénomènes  considérés,  à savoir  de  la  cohésion  des  molécules 

( 1 ) L’nutoiir  rappolle  plus  loin  les  tentatives  faites  pour  la  (lélermination  de 
K par  Van  der  yVaalset  Stefan.  Sans  discuter  ici  les  principes  sur  lestpiels  elles 
reposent,  nous  en  signalerons  les  résultats  : 

Liquides  Pression  normale  K pour  une  surface  plane 

.Veille  carlionique.  ;2tSU  atmosphères  I,.  Van  der  Waals. 

Éther  ...  de  I3U0  <à  I-13U  » » 


(le  Laplace  P = 


où  K et  11  sont  deux  con- 


.Vlcool  . 
Eau 


1-28.1 

de  2100  à 2iUU 


» 


)) 


Stefan. 

Van  der  Waals. 


U)  7(K» 


)> 


)) 


BIBLIOGRAPHIE 


273 


du  liquide  et  de  la  pression  superficielle  qui  en  résulte,...  ainsi 
que  de  la  tendance  de  tout  liquide  à prendre  la  surface  la  [)lus 
petite  possible...  La  question  de  savoir  si  l’on  doit  regarder  la 

grandeur  a de  la  formule  de  Laplace  » — le  coetlicient  II  — 

« comme  une  tension,  et  si  la  couche  superficielle  possède  une 
plus  grande  densité,  si  elle  résiste  h une  déchirure,  tà  une  exten- 
sion, etc.,  reste  encore  problématique. 

» Il  n’exisle  pas  encore  de  bonne  explication  de  l’existence 
d’une  couche  superficielle  plus  dense  dans  les  liquides...  V>\m  plus, 
certains  raisonnements  conduisent  à un  résultat  contraire,  à 
savoir  que  la  densité  de  la  couche  superficielle  serait  moindre 
que  celle  du  reste  de  la  masse  du  liquide,  du  moins  dans  la  direc- 
tion normale  cà  la  surface...  Nous  ne  savons  rien  des  campes  qui 
produisent  les  forces  de  cohésion,  ni  des  lois  suivant  lesquelles 
elles  agissent... 

» La  notion  de  tension  superficielle  des  liquides  repose  donc 
entièrement  sur  l’analogie  qui  existe  entre  les  propriétés  de  la 
couche  superficielle  de  ces  liquides  et  celles  d’une  membrane 
élastique  tendue,  et  elle  manque  d’une  base  scientifique  solide. 
Celte  notion  est  cependant  très  utile,  car  elle  permet  de  ramener 
tout  un  groupe  de  phénomènes  de  caractères  dilïérents  à un 
même  principe;  elle  aide  h comi)rendre  et  à décrire  de  nombreux 
phénomènes.  On  doit  laisser  pendante  la  question  de  la  réalité 
de  la  tension  siqierticielle.  » 

L’auteur  signale  tout  spécialement,  parmi  les  recherches  théo- 
riques relatives  là  la  tension  superficielle,  celles  de  Van  der  Mens- 
brugghe.  Van  der  Waals,  Ilulshof,  Donijan  et  Bakker. 

11  décrit  ensuite  les  expériences  tendant  à démontrer  l’existence 
d’une  tension  superficielle  des  liquides  et  établit  la  relation  cla.^- 
sique  entre  la  pression  normale  et  la  tension  superficielle  ; « On 
peut  expliquer  parfaitement  l’existence  d’une  ditïérence  entre  la 
pression  normale  pour  une  surface  plane,  et  la  pression  normale 
pour  une  surface  courbe,  par  l’etïet  d’une  tension  superficielle.  » 

Les  paragraphes  suivants  résument  les  belles  Recherches  de 
Plateau  sur  les  liquides  soumis  aux  seules  forces  moléculaires  et 
notamment  sur  les  systèmes  laminaires.  M.  Chwolson  signale  en 
passant  cette  expérience  de  Dixon  : on  obtient  de  très  belles  bulles 
de  mercur-e  en  versant  sur  du  mercure  bien  propre  une  couche 
d’eau  de  1,7  centimètre  d’épaisseur  et  en  insulllant  de  l’air,  dans 
le  mercure,  à l’aide  d’un  tube  etlilé.  Les  bulles  s’élèvent  à la  sur- 
face de  l’eau  et  s’y  maintiennent  longtemps. 
tll«  SÉr.lE.  T.  Xll. 


18 


274 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


I.e  chapitre  s’achève  par  l’étude  de  la  tension  snperfirielle  au 
contact  (te plusieurs  milieux. 

Les  phénomènes  d’aithésiim  et  de  capillarité  : angle  de  raccor- 
dement, mouvement  des  gouttes  dans  les  tubes,  ascension  et 
dépression  dans  les  tubes  et  eidre  des  lames  planes,  attraction  et 
répulsion  appar  ente  des  corps  llottants,  absorption  des  licpiides 
l>ar  les  corps  poreux  et  les  corps  pulvérulents,  exposé  des 
méthodes  pour  la  détermination  de  la  tension  superficielle  et  de 
la  constante  capillaire,  inlluence  de  la  température,  etc.,  sont 
exposés  dans  le  cbapitr'e  suivant. 

Vient  errsuite  une  premièr’e  étude  sommair-e  de  la  dissolution 
des  corps  solides  et  des  licpddes  ; on  y r’éserve  celle  des  propriétés 
optirpies,  thermiques  et  électriqires  des  sohdiorrs  et  l’exposé  des 
idées  théoriqrres  sur  leitr  conslitutioir,  qui  tr'oitverorrl  place  au 
tome  111. 

La  diffusion  et  Vosniose  sont  ahorxlées  au  cbapitr’e  Vil,  le  frotte- 
ment à l’intérieur  des  liquides  et  la  viscosité  au  cbapitr’e  VIII  : 
l’auteur  s’attache  à présenter’,  dairs  leur  ordre  historique,  les 
r’echer’ches  expérimentales  et  à gr’ouper  leur’s  r’ésullats. 

Le  cbapitr’e  IX,  Mouvenient  des  liquides,  a r'eçu  du  tr’aducteur 
des  développements  mathématiques  d’ordr’e  plus  élevé,  ot'i  sorrt 
condensées  les  rrotiorrs  tbndamerrtales  de  riiydi’odynamlque  et 
leur  application  aux  problèmes  qui  intér-essent  phts  spécialement 
la  physirpie  : r’ésistance  au  mouvement  d’un  solide  immergé; 
sphèr’es  pulsarrtes  de  Bjerkrres;  écoulemerrt  par  irn  orifice  en 
par’oi  mince;  débit,  coelficient  de  contr’action  et  strircture  des 
veines  liqitides;  écoulemerrt  par  un  tuyau;  otrdes;  théorie  des 
tourbillorrs ; résistance  des  car-ètres;  tigur’es  d’équilibr’e  relali! 
d’mte  rnas.se  Iluide  homogène  en  r’otation  uniforme. 

Le  chapitre  X,  intitulé  VÉtat  colloïdal,  est  nouveau;  c’est  un 
r’ésurné  tr'ès  net  et  tr'ès  intér’essant  de  iros  connaissances  actuelles 
relatives  aux  colloïdes,  r’édigé  (rar  MM.  V.  Ileru’y  et  A.  Mayer. 

État  solide  des  corps.  — La  seconde  par’tie  du  fascicule  s’ouvr’e, 
comme  la  pr’écédente,  par  rtn  cbapitr’e  d’intr’odirction  sitr  les 
propriétés  fondamentales  et  la  structure  des  solides  : état  cris- 
tallin et  état  amorphe;  systèmes  cristallins;  macles;  str’uctirr’e 
des  cristaux;  polyrnor’phisrne;  isornorirhisme  et  morphotroirie; 
allotr’opie. 

Le  chapitre  11  décrit  les  méthodes  de  détermination  de  la 
densité  des  solides. 

Le  chapitre  111,  d’utr  car’actèr’e  heaucotq)  plus  r’clevé,  est  un 


BIBLIOGRAPHIE 


275 


résumé  très  dense  des  faits  et  des  vues  théoriques  relatifs  à 
Vélasticité  : traction,  compression,  torsion,  tlexion;  ductilité, 
malléabilité,  plasticité  et  ditfusion  des  solides;  élasticité  des 
cristaux,  etc.  11  comprend  près  d’une  centaine  de  pages  on  les 
développements  mathématiques  occupent  une  large  place. 

Kntin,  le  dernier  chapitre  traite  du  frottement  et  du  choc  des 
corps’ 6-o/n/cA' .•  frottement  intérieur;  frottement  de  glissement; 
frein  de  Prony;  frottement  de  ronlement  ; choc,  des  corps  mous 
et  des  corps  élastiques,  cas  les  plus  simples;  durée  du  choc. 

Rappelons  (pie  chaque  chapitre  est  suivi  d’une  abondante 
bibliographie  qui  permet  au  lecteur  de  retourner  aux  sources, 
de  compléter  et  d’étendre  les  développements  du  texte. 

.1.  T. 


x' 

Traité  élémentaire  de  Physique  expérimentale,  par  L. -N. Van- 
DEVVVER,  professeur  à riTiiversité  de  (land.  Troisième  édition. 
Un  vol.  in-8"  de  407  pages  avec  400  ligures  dans  le  texte  et  une 
planche  hors  texte.  — Roulers  et  Bruxelles,  Jules  De  Mee.s- 
ter,  1000. 

Les  traités  élémentaires  de  physique  sont  nombreux,  mais  de 
valeur  iiuîgale.  Le  choix  judicieux  des  matières;  leur  mise  en 
œuvre  méthodique,  concrète,  s’appuyant  constamment  sur 
l’observation  et  l’expérience;  la  clarté  de  l’exposition,  jointe  à 
une  sage  rigueur  qui  témoigne  d’une  connais.smce  approfondie 
du  sujet,  telles  sont,  semble-t-il,  les  qualités  maîtresses  d’un  bon 
manuel.  Elles  font  de  celui  de  M.  Yandevyver  l’un  des  plus 
recommandables. 

L’est  un  livre  d’initiation  qui  s’adresse  aux  élèves  des  Collèges 
et  des  Ecoles  professionnelles.  Sans  laisser  de  côté  aucune  ques- 
tion importante  qui  soit  à leur  portée,  en  y comprenant  même 
les  découvertes  les  plus  récentes  et  bien  des  phénomènes  très 
délicats,  il  reste  élémentaire,  en  évitant  les  descriptions  prolixes 
et  les  développements  surabondants,  pour  s’attacher  aux  points 
essentiels  et  aux  conclusions  fondamentales,  en  écartant  les  con- 
sidérations abstraites  pour  s’en  tenir  aux  laits.  Car  c’est  bien  de 
physique  expérimentale  qu’il  y est  uniquement  question  : 
['observation,  avec  un  appel  incessant  aux  phénomènes  les  plus 
familiers,  ['expérimentation  largement  développée,  de  façon 
intéressante,  souvent  neuve  et  personnelle;  les  mesures  et  la 


27() 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


synthèse  des  résultats  qu’elles  Iburnisseiit  dans  l’énonré  des  lois 
expérimentales,  tel  est  te  cadre  de  ces  leçons  de  choses,  où  maint 
détail  témoigne  d’une  longue  pratique  de  l’enseignement  et  du 
laboratoire. 

L’appareil  mathématique  y est  réduit  au  strict  nécessaire 
réclamé  par  l’expression  générale  des  lois  principales  et  leurs 
applications  les  plus  simples,  et  les  considérations  théoriques 
n’interviennent  guère  que  pour  fixer  le  sens  des  termes  et  des 
symboles  que  le  langage  du  physicien  leur  emprunte. 

Ajoutons  que  l’exécution  typographique  est  excellente,  et  que 
les  ligures,  très  nombreuses,  presque  toutes  schématiques  et, 
cette  lois,  en  traits  noirs  sur  tond  blanc,  sont  très  nettes  et  très 
parlantes;  c’est  un  surcroît  ipii  n’est  pas  à dédaigner.  Les  pro- 
l'esseurs  de  l’enseignement  moyen,  qui  ont  t'ait  aux  deux  pre- 
mières éditions  le  meilleur  accueil,  sauront  gré  à l’auteur  du 
soin  qu’il  a mis  <à  revoir,  à compléter  et  à embellir  son  traité. 

.1.  T. 


XI 

Exercices  et  projets  d’Electroteciimque,  publiés  sous  la 
direction  d’Éiuc  Gér.\rd,  directeur  de  l’Institut  électrotech- 
nique Montetiore,  et  (I’Omer  De  Hast,  sous-directeur  de  cet  Insti- 
tut. Tome  I : .Vpplication  de  la  Théorie  de  l’Electricité  et  du 
.Magnétisme.  Un  vol.  in-8'  de  i40  pages.  — Paris,  tîauthier- 
Villars,  11)07. 

Il  est  certes  très  idile  (comme,  avec  juste  raison,  on  le  lait 
aujourd’hui  couramment  dans  l’enseignement  de  l’éleclrotech- 
nique)  de  rompre,  dès  l’école,  le  futur  ingénieur  à toutes  les  exi- 
gences, voire  même  manuelles,  de  la  pratique;  mais  il  ne  faut 
pas  que  ce  soit  au  détriment  de  sa  culture  mathématique.  L’en- 
seignement de  l’analyse  en  vue  de  .ses  applications  te<  hniques, 
donné  parfois  par  des  maîtres  peu  familiarisés  avec  celles-ci, 
enclins  .à  se  confiner  dans  les  abstractions,  a pu  donner  prise  à 
diverses  critiques;  mais  celle.s-ci,  souvent  empreintes  d’exagéra- 
tion, n’ont  pas  été,  <à  leur  tour,  .sans  provoquer  quelques  consé- 
quences funestes  en  portant  certains  esprits  à méconnaître  le  rôle 
non  pas  seulement  utile,  mais  indispensable,  que  les  mathéma- 
tiques bien  comprises  ont  à jouer  dans  le  progrès  de  nos  connais- 
sances techniques.  La  démonsirafion  de  rimportance  de  ce  rôle 


BIBLIOGRAPHIE 


ressort  avec  évidence  de  l’excellent  ouvrage  que  nous  donnent 
aujourd’hui  MM.  Éric  Gérard  et  Orner  de  Bast.  On  ne  sau- 
rait évidemment  accuser  les  éminents  directeurs  de  l’Institut 
électrotechnique  de  Liège  de  perdre  de  vue  l’objet  strictement 
utilitaire  de  l’enseignement  qui  se  donne  dans  leur  établissement 
et  de  mettre,  par  simple  dilettantisme,  entre  les  mains  de  leurs 
élèves  des  armes  dont  ils  n’auront  que  faire  plus  tard  dans  la 
lutte  livrée,  sur  le  terrain  industriel,  aux  forces  de  la  nature. 

•Mais,  pour  que  l’enseignement  mathématique  soit  vraiment 
profitable  à de  futurs  techniciens,  il  faut  que,  dés  l’école,  il  s’ap- 
plique à des  problèmes  puisés  dans  la  réalité  et  dont  la  solution 
soit  poussée  jusqu’au  bout,  y compris  la  mise  en  nombres,  sur 
des  exemples  plus  concrets.  De  tels  exercices  sont  à l’enseigne- 
ment des  mathématiques  ce  que  les  manipulations  sont  à celui  de 
la  physique;  leur  choix  exige  à la  fois  une  science  très  sûre  et  une 
expérience  pratique  consommée.  Ces  qualités,  les  deux  ingé 
nieurs  que  nous  venons  de  nommer  les  possèdent  au  plus  haut 
degré  dans  le  domaine  de  l’électrotechnique  ; c’est  dire  d’un  mot 
toute  la  valeur  de  l’ouvrage  qu’ils  livrent  aujourd’hui  au  public, 
et  dont  la  matière  a déjà  servi,  sous  forme  d’exercices  ou  de  pro- 
jets, à la  formation  des  élèves  de  l’Institut  Montefiore. 

Ce  premier  volume  comprend  des  applications  directes  des 
théories  générales  de  l’électricité  et  du  magnétisme  à des  ques- 
tions nées  de  la  pratique  industrielle.  Elles  se  répartissent  entre 
les  divisions  suivantes  : Magnétisme;  Électrostaticpie;  Lois  du 
courant  électrique;  Electromagnétisme;  Induction  électroma- 
gnétique; courants  alternatifs. 

On  peut  noter  la  part  faite  par  les  auteurs  au  calcul  des  gran- 
deurs alternatives  par  la  méthode  graphique  et  la  méthode  sym- 
bolique, ainsi  que  les  nombreux  exemples  de  transformation 
d’unités. 

Le  livre  sera  précieux  pour  les  étudiants  électriciens;  mais,  vu 
son  caractère  éminemment  pratique,  il  ne  rendra  pas  moins  de 
services  aux  ingénieurs  mis  par  les  exigences  de  leur  profession 
en  face  de  problèmes  électrotechniques  dont  la  solution  exige  le 
concours  de  l’instrument  analytique. 


M.  0. 


278 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


XII 

nECIIERCIIKS  SUR  L’ÉuURATIO.N  RIOLORIQUE  ET  CHIMIQUE  DES  K\UX 

n’ÉGouT,  par  le  lE  Calmette.  Deux  vol.  iii-H’,  J005  el  D)()7, 
v-llH  pages,  iv-31i  pages,  70  planches  et  ligures.  — Paris, 
Masson. 

Toute  agglomération  humaine  se  trouve  en  face  d’un  pro- 
t)lème,  ilonl  l’importance  grandit  de  jour  en  Jour  : celui  de  faire 
disparaître  ses  déchets,  résidus,  immondices  de  toutes  sortes. 
La  création  des  égouts  a été  la  premièi’e  tentative  de  solution. 
Ln  règle  générale,  ces  égouts  se  déversaient  dans  la  mer,  les 
neuves,  les  rivières. Cela  parut  satisfaisant  durant  quehpie  temps, 
mais  avec  l’accroissement  continuel  des  populations  urhaines, 
les  déchets  devinrent  si  considérahles  (pi’ils  tinirent  par  polluer 
neuves  et  mers,  tuant  le  poisson,  infectant  les  haidieues,  les  villes 
meme,  constituant  par  la  putréfaction  des  matières  déversées, 
un  milieu  de  culture  propice  aux  microbes  même  pathogènes. 
D’où  résultèrent  des  épidémies  parfois  très  meurtrières.  Rendre 
l’égout  iuotfensif  doit  donc  devenir  une  pi’éoccupation  des 
municipalités. 

L’ouvrage  du  savant  directeur  de  l’Institut  Pasteur  de  Lille 
apporte  au  problème  une  solution  scientitiipie  et  très  praliijue. 
Biologistes,  industriels,  administrateurs,  architectes  trouveront 
dans  ces  deux  volumes  toutes  les  données  désirables.  Ouehpies 
chapitres  présentent  une  claire  synthèse  des  méthodes,  d’autres 
discutent  les  résultats,  partout  on  admirera  le  souci  du  tini  dans 
les  moindres  ilétails  de  l’exposition. 

I.  — L’épuration  des  eaux  d’égout  ii’est  pas  leur  simtile  clari- 
tication.  Celle-ci  consiste  à précipiter  mécanicpiement  ou  chimi- 
quement les  matières  eu  suspension.  .Vprès  décantation,  l’eau 
peut  être  très  claire  el  cependant  contenir  des  )uatières  (lissantes 
dont  la  fermentation  toujours  possible  constitue  un  danger  pour 
les  êtres  vivants  ([ui  prendront  contact  avec  elles.  Kan  limpide  et 
eau  inotfensive  ne  sont  pas  synonymes. 

L’épuration  véritable  consistera  à débarrasser  l’eau  de  toute 
matière  albuminoïde  pour  n’y  laisser,  à la  tin  des  opéi’ations,  cpie 
des  corps  minéraux,  nitrates  et  nitr  ites,  et  des  gaz  dissous. 

Elle  peut  être  obtenue  par  des  procédés  c/r/nrô/rrcs  (la  descrip- 
tion du  procédé  n’occupe  que  pages  du  tome  I). 

.M.  le  [irofesseur  Buisine,  directeur  de  l’Institut  de  Chimie  à 


BIBLIOGRAPHIE 


279 


Lille,  a expérimenté  ce  système  dans  cette  station  de  la  Made- 
leine dont  nous  parlerons  plus  loin.  Le  traitement  n’a  porté  que 
sur  10  mètres  cubes  d’eau  d’égout.  Le  sulfate  ferrique,  le  cldo- 
rure  ferrique,  les  sels  ferriques  combinés  avec  le  chlorure  de 
chaux  ont  été  successivement  employés  et  étudiés.  Tous  ces  pro- 
cédés ont  des  aboutissants  sensiblement  comparables.  En  voici 
les  résnltats  généraux  : l’épuration  chimique  n’offre  en  elle- 
même  aucun  avantage  sur  l’épuration  biologique,  si  ce  n’est 
([uand  on  a affaire  cà  des  eaux  contenant  soit  des  matières  tincto- 
riales ou  graisses,  en  forte  proportion,  soit  des  résidus 
industriels,  ou  alcalins,  capables  d’entraver  les  actions  micro- 
biennes d’oxydation.  Si  les  résidus  boueux  pouvaient  rendre 
service  à l’agriculture,  ce  serait  une  supériorité  pour  ce  mode 
d’épuration;  mais  la  comparaison  est  insoutenable  entre  eux  et 
les  engrais  chimiques  ordinaires,  qui  donnent  un  rendement  de 
sept  à dix  fois  plus  élevé;  si  bien  que  les  frais  de  leur  enlèvement 
et  de  leur  transport  ne  sont  pas  compensés  par  l’économie  de  leur 
emploi.  Ils  restent  donc  au  compte  de  la  ville  ou  de  l’industrie 
comme  une  très  lourde  charge.  Dans  ces  conditions,  l’épuration 
chimique  des  eaux  d’égout  revient  par  an  à '2  fr.  '25  par  habitant. 

11.  — Epuration  microbienne  par  épandage.  — La  première 
idée  a été  de  faire  travailler  les  microbes  nitrilîcateurs  du  sol 
chez  eux  pour  ainsi  dire.  On  leur  a donc  amené  les  eaux  d’égout. 
C’est  l’épandage,  employé  par  la  ville  de  F’aris  dans  les  champs 
d’.\snières  et  par  la  ville  de  Berlin.  Nous  résumons  en  quelques 
mots  les  principales  exigences  de  cette  méthode.  11  lui  faut  des 
terrains  poreux,  profonds  et  bien  drainés,  que  l’on  ne  trouve 
pas  toujours  à une  distance  convenable  du  centre  producteur. 
L’irrigation  n’est  possible  que  par  intermittences,  pour  laisser 
arriver  à ces  microbes  aérobies  la  quantité  d’oxygène  qui  leur 
est  nécessaire.  Si  l’épandage  se  fait  sur  des  terrains  cultivés,  il 
faut  en  outre  tenir  compte  des  besoins  de  la  culture.  Que  des 
pluies  abondantes  viennent  augmenter  le  volume  ordinaire  des 
eaux  d’égout  et  le  cultivateur  devra  jeter  au  tleuve  le  surplus 
des  eaux  qu’il  ne  peut  utiliser.  .\vec  certaines  eaux  très  char- 
gées, les  terrains  se  colmatent  facilement  et,  la  porosité  dispa- 
raissant, l’épuration  devient  insullisante.  Les  meilleurs  terrains 
d’ailleurs  ne  peuvent  épurer  que  10  à 11  litres  d’eau  d’égout 
par  mètre  carré  et  par  jour.  Une  ville  de  20  000  habitants,  à 
raison  de  100  litres  d’eau  d’égout  par  habitant  et  par  jour  (les 
eaux  de  t)lnie  non  comprises),  exigera  donc  00  hectares  pour 
une  épnralion  sullisante.  L’épandage  fait  sur  terrains  sableux 


280 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


non  cultivés,  demandera  nn  peu  moins  d’espace;  mais  les  villes 
n’en  trouveront  pas  toujours  à leur  {)orte.  Au  reste,  ces  terrains 
exigent  une  main-d’(Puvre  plus  considérable,  de  telle  sorte  que 
le  prix  de  revient  pour  l’épuration  par  épandage  est  toujours 
d’environ  H francs  par  habitant  et  par  an,  y compris  l’amortisse- 
ment des  frais. 

III.  — Épuration  hiolonique  arliftcieUe.  — Elle  fait  l’objet 
principal  de  l’ouvrage  que  nous  analysons.  Le  lE  Galmette  a 
établi  au  bord  de  la  Deule,  rivière  traversant  la  ville  de  bille  et 
universellement  connue  dans  le  A’ord  par  son  elfroyable  pollu- 
tion, nne  station  expérimentale  type,  dite  station  de  la  Made- 
leine. Le  terrain,  de  1500  mètres  (le  snperticie,  est  surélevé  de 
1"’,00  environ  au-dessus  du  niveau  de  la  rivière.  L’égout  collec- 
teur a été  détourné  de  façon  à déboucber  à l’angle  le  plus  élevé 
du  terrain.  t)n  y {(rend  500  mètres  cubes  d’eau  [)ar  jour.  Le 
choix  de  ces  eaux  est  {particulièrement  heureux  pour  une  station 
(rex{)érience,  {Parce  qu’elles  contiennent  des  résidus  industriels 
de  toute  sorte  en  assez  grande  quantité. 

L’épuration  biologique  artificielle  se  produit  en  ({uatre  {Phases 
distinctes.  La  {Première  coni{Prend  la  séparation  des  résidus 
solides  iin/iutrescihles.  Les  eaux  y sont  débarrassées  des  matières 
insolubilisables.  L’égout  s’élargit  h son  arrivée  sur  le  terrain.  Le 
courant  amorti  {passe  dans  une  chambre  à doubles  grilles  et 
{Peignes,  ({ui  arrêtent  les  corps  tlottants  les  plus  volumineux. 
Au  delà,  l’eau  traverse  une  chambre  à sable,  dont  le  fond  est 
incliné  en  sens  contraire  du  courant;  des  chicanes  y sont  amé- 
nagées. Les  scories,  débris  métalliques,  sable,  etc.,  s’accumulent 
ainsi  à l’entrée,  où  on  jpent  les  enlever  facilement. 

Vient  ensuite  la  solubilisation  des  )natières  onjanirpies.  — 
(aptle  dissolution  s’elbpctne  dans  « les  fosses  se{Pti({ues  ».  Elle 
est  l’ouvrage  des  ferments  anaérobies.  La  station  ex{périmenlale 
comprend  deux  fosses  se{Ptiques  de  ;250'’'^,d00  chacune  qui  reçoi- 
vent les  500  mètres  cubes  de  l’égout,  fdles  mesurent  83  mètres  de 
longueur  et  ;2"’,Ip1  de  profondeur.  Toutes  deux  sont  {pourvues  de 
chicanes,  dont  les  unes  s’enfoncent  à 00  centimètres  sous  la  sur- 
face et  les  autres  émergent  du  fond  de  00  centimètres.  Pour 
faire  la  com{paraison,  l’une  des  deux  fosses  s’ouvre  à l’air  libre, 
l’autre  {porte  un  revêtement  en  ciment  armé  et  au-dessus  une 
couche  de  terre  végétale,  é{Paisse  de  00  centimètres,  semée  de 
gazon  et  plantée  d’arbustes.  Dans  l’une  et  l’autre  {plongent  des 
thermomètres  enregistreurs  allant  jusppi’à  'i  mètres  de  la  sur- 
face. Les  500  mètres  cubes  de  l’égout  s’écoulent  {par  moitié  en 


BIBLIOGRAPHIE 


281 


meme  temps  dans  les  deux  fosses  septiques.  Disons  tout  de  suite 
qu’on  n’a  constaté  aucune  dilïérence  importante  dans  le  fonc- 
tionnement des  deux  fosses.  I^a  fosse  ouverte  à l’air  libre,  p^ràce 
à la  fermentation,  a g'anlé  une  température  à peu  prés  constante, 
(pie  les  plus  grands  froids  de  l’iiiver  1004-1905  (—5”  et  — 7“) 
n’ont  pu  faire  descendre  qu’à  + 12’, 4. 

La  mise  en  train  pour  une  solubilisation  régulière  et  égale  à 
l’apport,  met  environ  un  mois  à s’établir.  Après  ce  laps  de  temps, 
la  hauteur  de  la  boue  qui  tombe  au  fond  reste  constante  dans 
certaines  conditions.  De  juillet  1004  à juillet  1005,  on  n’a  pas  dù 
procéder  au  curage  des  fosse^s  de  la  station  de  la  Madeleine.  La 
puissance  solubilisatrice,  en  cours  régulier,  était  telle  que  les 
cadavres  d’animaux,  les  papiers,  les  bouchons  même  disparais- 
saient en  quelques  jours. 

I.,a  troisième  phase  comprend  la  fixation  des  matières  dis- 
soutes, dans  la  phase  précédente,  sur  des  substances  où  elles 
puissent  entrer  en  contact  avec  les  microbes  nitriticateurs.  C’est 
la  question  pratique  de  l’organisation  des  lits  bactériens; 
.M.  Galmette  y a apporté  des  soins  particuliers  et  il  semble  diili- 
cile  de  làire  mieux.  Aous  avons  vu  que  l’épandage  réclamait  un 
sol  [)oreux,  profond  et  bien  drainé.  Les  expérimentateurs  ont 
toute  liberté,  dans  l’épuration  artificielle,  pour  la  réaliser  en 
perfection.  Le  coke  pur  serait  l’idéal,  mais  son  prix  élevé  lui  fait 
préférer  le  mâchefer  ou,  à son  défaut,  le  coke  mêlé  de  briques 
concassées,  les  pierres  poreuses,  etc.  On  ne  doit  employer  que 
des  matériaux  jioreux  et  débarrassés  des  poussières  par  un 
lavage  préalable.  Le  fond  du  bassin  sera  bétonné  pour  éviter 
toute  inliltration.  Le  drainage  sera  fait  par  des  tuyaux  de  poterie 
ou  mieux  des  tuiles  laitières  renversées;  les  lits  auront  la  pente 
convenable  pour  assurer  l’écoulement,  etc.,  etc.  Aucun  détail 
n’est  oubliéclans  cette  description,  fruit  d’une  savante  expérience. 

Reste  à amener  au  contact  des  bactéries,  que  nous  supposons 
habiter  les  scories,  les  matières  dissoutes  dans  les  fosses  sep- 
tiques et  à assurer  ainsi  la  quatrième  phase  ou  la  transformation 
des  matières  azotées  en  nitrites  et  nitrates,  et  des  matières  ter- 
naires en  produits  gazeux  et  en  eau. 

Ici  nous  nous  trouvons  en  face  de  deux  systèmes  : les  lits 
bactériens  de  contact  et  les  lits  bactériens  par  percolation.  11 
s’agit,  dans  les  deux  méthodes,  de  mettre  les  matières  albumi- 
noïdes en  face  des  microbes  qui  doivent  les  minéraliser.  Dans  les 
deux  cas,  {)our  être  actif  et  régniier,  le  travail  doit  se  faire  par 
intermittences,  afin  (pie  l’oxygène  puisse  arriver  aux  bactéries. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


282 

dans  les  lits  bactériens  de  contact,  les  intermittences  sont 
ainsi  réglées  : on  remplit  les  bassins,  ce  qui  dure  une  heure,  et 
on  maintient  le  contact  pendant  deux  heures.  Il  faut  une  heure 
pour  la  vidange  et  on  laisse  l’aération  se  prolonger  durant  quatre 
heures.  rdia([ue  lit  bactérien  peut  donc  fonctionner  trois  fois  par 
vingt-quatre  heures.  On  ne  voit  pas  (pie  les  températures  basses 
inlluent  d’une  façon  sérieuse  sur  le  rendement  en  nitrites  et 
nitrates.  L’étude  du  travail  des  lits  bactériens  et  de  la  nitrilica- 
lion  a été  faite  par  le  0''  Calmette  ave<'  le  plus  grand  soin,  au 
tome  I,  pages  W à 133.  Contentons-nous  de  faire  reman[uer 
(pie  la  capacité  d’épuration  de  ces  lits  est  limitée  <à  500  litres 
d’eau  d’fçgout  par  mètre  cube  et  par  jour,  ce  (pii  constitue  une 
infériorité  manifeste  par  rapport  au  système  percolateur.  Trop 
de  liquide  reste  dans  les  di’ains  ou  dans  les  dilïérents  espaces 
vides  pour  que  l’épuration  puisse  être  complète.  En  outre,  la 
multiplication  de  c(3s  ferments  aérobies  est  gênée  d’une  façon 
notable  par  l’immersion  des  deux  heures  de  contact.  Ouoiqiie 
l’ouverture  et  la  fermeture  des  vannes  [uiissent  être  automa- 
tiques, la  main-d’œuvre  re.ste  encore  plus  considérable  que  dans 
le  système  suivant. 

Dans  les  lits  bactériens  à [lercolation,  rintermitlence  est  due 
à l’i'goutlage  en  [iluie  soit  continuel,  soit  à des  intervalles  régu- 
liers. Nous  nous  bornerons  cà  énumérer  les  divers  systèmes 
employés;  on  en  trouvera  la  description  complète  au  tome  1,  pages 
I3i  et  suivantes.  Ils  peuvent  être  divi.‘^és  en  ciii([  groupes  : 
pulvérisateurs  à [)ression  ; lourni(piets  bydraidiques;  nocbères 
h renversement;  égouttage  direct;  sii»hons  à décharge  inter- 
mittente. M.  Calmette  réserve  toutes  ses  faveurs  à ce  dernier 
système.  Simples  et  robustes,  ces  siphons  d(5diargenl  toutes  les 
dix  minutes  J mètre  ctdie  d’eau  qui  .œ  divise  immédiatement 
à travers  toutes  les  anfractuosités  des  scories  entassées  sous  une 
épaisseur  miniina  de  J"', 75.  L'expérience  a montré  (pie  ces  dix 
minutes  sullisaient  pour  renouveler  l’oxygène  jusqu’au  fond  des 
lits.  La  capacité  d’épuration  de  ces  lits  est  de  'ù,  mètres  cubes 
par  mètre  carré  de  surface,  soit  ([uatre  fois  plus  grande  (pie 
celle  des  lits  de  contact.  La  maçonnerie  n’a  pas  besoin  d’être 
aussi  soignée  dans  le  système  à percolation  (pie  dans  le  système 
par  contact,  d’oi’i  diminution  sérieuse  des  frais  d’installation. 

L’épuration  biologi(pie  ne  laisse,  à la  lin  du  travail,  (pie  b 
à 10  p.  c.  de  matières  albuminoïdes  non  transformées  en  nitrites 
et  nitrates.  Le  danger  de  pollution  par  fermentation  de  ces 
matières  est  donc  écarté.  Si  cette  eau  n’est  pas  potable,  elle 


BIBLIOGRAPHIE 


283 


n’est  certainement  pas  dangereuse,  et  elle  peut  servir  tà  l’irriga- 
tion agricole.  Tout  en  maintenant  l’épandage,  Paris,  par 
exemple,  pourrait  installer  peu  à peu  l’épuration  biologique 
artificielle.  L’épandage  serait  fait  à la  tin  de  la  transformation 
avec  de  l’eau  déjà  épurée,  ce  dont  ne  se  plaindraient  ni  les 
maraîchers,  ni  les  Parisiens. 

L’énorme  supériorité  de  l’épuration  microbienne  provient  du 
prix  de  revient.  Les  autres  systèmes,  nous  l’avons  vu,  demandent 
H francs,  H fr.  25  par  an  et  par  habitant.  L’épuration  biolo- 
gique n’exige  que  40  centimes  par  an  et  par  habitant,  tous  frais 
compris,  en  prenant  comme  base  d’évaluation  les  dépenses  accu- 
sées par  les  installations  étrangères  les  plus  parfaites. 

Lu  mot  sur  la  microbiologie  de  l’épuration.  Les  ferments 
nitrilicateurs  Sont  de  belles  bactéries  ovales,  ciliées,  se  présen- 
tant le  plus  souvent  à l’état  de  zooglées.  La  nitrification  est  le 
résultat  d’une  symbiose.  C’est  la  fermentation  nitreuse  qui 
s’établit  la  première,  la  fermentation  nitrique  n’apparaît  qu’à  la 
fin  de  la  fermentation  nitreuse. 

La  bactériologie  des  fosses  septiques  vient  d’étre  récemment 
étudiée  dans  la  thèse  d’un  des  élèves  de  M.  Calmette,  Paul  Bar- 
don,  Étude  biochimique  de  quelques  bactériacées  thermophiles 
et  de  leur  rôle  dans  la  désintégralion  des  matières  organiques 
des  eaux  d’égout.  Ravel,  éditeur,  Lille.  M.  Hardon  a extrait  des 
fosses  septiques  de  la  Madeleine  quatre  ferments  anaérobies 
constants  qu’il  appelle  a,  p,  y,  b.  Nous  croyons  qu’une  étude 
ultérieure  est  réservée  à une  analyse  plus  approfondie  du  travail 
de  solubilisation.  Cette  thèse  est  surtout  descriptive. 

Signalons  en  finis.sant  le  chapitre  V du  tome  11,  dont  la  man- 
chette porte  : « L’épuration  biologique  des  eaux  d’égout  dans 
les  petites  agglomérations  rurales,  les  maisons  particulières, 
hôpitaux  et  établissements  collectifs.  Fosse  Mouras  ».  Ces 
(|uel((ues  pages  sont  un  modèle  de  clarté  pratique.  L’architecte, 
le  propriétaire  soucieux  d’une  hygiène  impeccable  dans  sa 
construction  trouveront  là  ries  principes,  des  applications,  des 
dessins  ou  planches  dont  ils  ne  pourront  qu’ètr'e  satisfaits. 

Le  !)'■  Calmette  passe  en  revue  les  difierents  pays  où  on  emploie 
l’épuration  biologi([ue.  Les  descriptions  des  diverses  installa- 
tions remplissent  la  plus  grande  partie  du  second  volume.  Les 
figures,  de.'^sins  et  planches  sont  d’une  clarté  remarquable.  Ce 
magnifique  ouvrage  est  édité  avec  le  soin  dont  est  coutumier 
l’éditeur  Masson.  Xous  ne  pouvons  que  recommander  chaude- 
meid  cette  ceuvi’e  de  science  et  de  conscience. 

D"  Joseph  Loiselet. 


28i 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


XIII 

I/Aiît  et  l’Hypnose,  interphétation  plastique  d’œuvres  lit- 
téraires ET  musicales,  par  Émile  Magnin,  proi'esseiir  h l’École  de 
■Maf^nétisme  de  Paris,  avec  une  pnM’ace  de  Tii.  Flournoy,  profes- 
seur à l’Université  de  (lenève,  et  des  illustrations  de  Friæ.  Bois- 
soNNAS.  Un  vol.  grand  in-8’  de  xv-468  pages.  — Genève,  édition 
« Atar  »,  Paris,  Félix  Alcan,  éditeur. 

Il  convient  de  noter  d’abord  que,  par  le  terme  « hypnose  », 
.M.  .Magnin  n’entend  pas  désigner  le  résultat  des  méthodes  hyp- 
notiques, ou  du  moins  il  lui  donne  une  signification  plus  éten- 
due, et  l’hypnose  ([u’il  provoque  et  étudie  résulte  de  pa.sses 
magnétiques.  Il  attache  une  grande  importance  à cette  distinc- 
tion, à laquelle  il  consacre  un  long  chapitre. 

Uuoi  ([u’il  en  .soit,  il  s’agit  d’expériences  laites  au  moyen  d’un 
sujet  qui  parait  supérieur  à la  célèbre  Lina  du  Colonel  de 
Hochas. 

■Vvec  beaucoup  de  raison,  M.  .Magnin  s’applique  à faire  con- 
naitre  les  origines  et  les  antécédents  de  son  sujet,  .M"'°  .Magde- 
leine G. 

.\ée  au  Caucase  d’un  père  genevois  et  d’une  mère  caucasienne, 
française  de  père,  elle  vint  à six  ans  à Genève  avec  ses  parents. 
Son  père  appartient  à une  famille  de  professionnels  de  la  danse, 
et  l’un  de  ses  oncles  est  le  professeur  préféré  des  l'amilles  gene- 
voises; quant  à sa  mère,  elle  excellait  dans  les  danses  nationales 
russes,  sans  s’étre  jamais  produite  hors  de  sa  famille.  .Magdeleine 
suivit  un  cours  de  danse  chez  son  oncle,  mais  n’apprit  (pie  les 
danses  de  salon.  Entrée  au  Conservatoire,  dans  les  classes  de 
piano,  elle  n’y  réussit  guère,  mais  montra  ensuite  plus  de  dispo- 
sitions pour  le  chant.  Son  tempérament  dramatique  se  déve- 
loppa et  elle  aurait  désiré  faire  du  théâtre,  ce  à quoi  s’opposa  sa 
famille  du  côté  paternel.  File  obtint  finalement  un  premier  prix 
de  chant,  .\joutons  qu’elle  brillait  plus  par  les  qualités  d’intui- 
tion que  parce  qui  s’acquiert  par  le  travail. 

Venue  à Paris  h l’àge  de  vingt  ans  avec  sa  mère,  elle  se  maria  à 
vingt-cinq  ans  et  eut  successivement  deux  enfants.  Continuant  h 
chanter,  elle  aurait  désiré  se  vouer  au  théâtre,  mais  une  timidité 
invincible  l’en  a éloignée. 

.\u  sujet  de  son  instruction  au  {loint  de  vue  de  la  danse,  il 
importe  de  noter  l’appréciation  de  .M"'®  Mariquita,  maîtresse  de 


BIBLIOGRAPHIE 


285 


ballet  de  rOpéra-Comique,  qui,  après  lui  avoir  vu  interpréter  le 
ballet  à’Orphée,  déclara  qu’elle  n’avait  jamais  reçu  d’enseigne- 
ment de  la  danse,  les  pas  qu’elle  taisait  n’étant  dans  aucun  traité. 

11  résulte  de  tout  cela  que  Magdeleine  a des  aptitudes  innées  et 
acquises  pour  la  musique  et  que,  en  ce  qui  concerne  la  danse,  à 
détîuit  d’une  culture  proprement  dite,  elle  pouvait  tenir  de  ses 
ascendants  des  dispositions  particulières.  D’autre  part,  le  déve- 
loppement extérieur  de  ses  facultés  artistiques  se  trouvait 
entravé  par  une  grande  timidité,  qui  communique,  h l’état  nor- 
mal, quelque  chose  d’un  peu  gauche  et  embarrassé  à ses  gestes 
et  attitudes. 

On  conçoit  que  l’état  d’hypnose  venant  à l’isoler  et  à le  laisser 
sous  la  seule  inlluence  des  suggestions,  un  tel  sujet  doit  pouvoir 
produire  des  manifestations  artistiques  très  intéressantes,  et 
c’est  précisément  ce  qui  s’est  réalisé.  Soit  sous  l’intluence  de  la 
musique,  soit  à l’audition  de  poésies,  Magdeleine  s’est  révélée 
« mime  » extrêmement  remarquable. 

L’ouvrage  de  M.  Magnin  contient,  comme  justification,  un  très 
grand  nombre  de  photographies  faites  par  M.  Boissonnas, 
notamment  trois  séries  correspondant  à la  chanson  : Fais  dodo, 
mon  petit  gas,  de  Botrel;  à la  fable  : Les  Femmes  et  le  Secret,  de 
La  Fontaine,  et  à la  Marche  funèbre,  de  Chopin.  Sous  chaque 
photographie  de  ces  séries  sont  inscrites  les  paroles  ou  les  notes 
correspondantes.  L’ensemble  est  vraiment  remarquable,  surtout 
si  l’on  tient  compte  du  fait  que  des  vues  instantanées  de  physio- 
nomies et  de  membres  en  mouvement  courent  grand  risque 
de  mal  l'endre  l’etTet  synthétique  produit  sur  le  spectateur,  tel 
que  l’a  exprimé,  par  exemple,  M.  de  Keyserling  dans  le  journal 
Der  ï.\g,  de  Berlin,  en  décrivant  l’intei’prétation  de  la  Marche 
ftinèbre  (1). 

Parmi  les  nombreuses  appréciations  de  journalistes  et  d’ar- 
tistes reproduites  à la  tin  du  volume,  il  en  est  une  qui 
nous  a particulièrement  intéressé,  cette  du  peintre  Hugo  d’Alési, 
parce  qu’il  eut,  comme  il  le  dit,  le  privilège  d’assister  h la  pre- 
mière séance  de  M”''  Magdeleine  devant  quelques  amis,  c’est- 
à-dire  quinze  jours  après  que  M.  Magnin  eut  constaté  les  aptitudes 
de  son  sujet,  qu’it  avait  d’abord  endormi  dans  un  but  purement 
thérapeutique.  « Je  crois  important  de  dire,  dit  M.  d’Alési,  qne, 

(l)  liulépemlamment  des  vues  photographiques  de  M.  lioissonnas,  fouvrage 
contient  des  reproductions  de  dessins  de  deux  artistes  allemands,  von  Kaul- 
hach  et  von  Ketler,  le  premier  préférant  les  expressions  calmes  et  le  second 
les  expressions  de  sentiments  très  violents. 


2m 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(lès  cette  première  séance,  M‘“  Magdeleine  m’a  saisi,  non  seule- 
ment par  la  variété  et  la  richesse  de  ses  expressions  et  attitudes, 
mais  par  la  spontanéité  avec  lacptelle  elle  donnait  cours  à cette 
merveilleuse  manifestation.  » 

La  grosse  objection  contre  les  séances  de  ce  genre  l'ésidte  en 
elïet  de  la  (piestion  dn  « dressage  ».  .\  propos  de  Lina,  nous 
notions,  dans  nos  Études  esthétiques,  que  les  représentations 
données  dans  la  salle  de  la  Bodinière  ne  paraissaient  pas  avoir 
présenté  d’intérêt  sérieux,  parce  qu’il  était  impossible, d(î  savoir 
dans  quelle  mesure  on  n’était  pas  simplement  en  jirésence  d’un 
sujet  bien  dressé.  Nous  avons  été  heureux  de  voir  combien 
■M.  Magnin  s’est  bien  rendu  compte  des  dangers  du  dressage, 
dangers  qui  du  reste  menacent  la  valeui’  artistique  des  manifes- 
tations, en  même  temps  cpie  leur  intérêt  scientifique.  « l’our 
obtenir  un  très  bon  l'ésultat,  dit-il,  il  importe  que  la  suggestion 
soit  neuve;  en  la  répétant,  même  à de  grands  intervalles,  elle 
perd  en  exactitude  et  en  intensité.  La  première  im’arnation  de 
l'idée  ou  du  sentiment  suggéré  est  toujours  de  beaucoup  la  meil- 
leure. Dans  les  séances  photographiques,  nous  avons  [m  consta- 
ter qu’en  répi'tant  deux  ou  trois  fois  de  suite  la  même  sug- 
gestion, nous  obtenions  le  même  ge.ste,  la  même  attitude,  mais 
sans  énergie;  quant  à l’expression,  à la  deuxième  jiose,  elle  était 
déjà  pour  ainsi  dire  figée,  sans  vie,  en  comparaison  de  la  pre- 
mière. » Aussi  les  programmes  reproduits  à la  fin  de  l’ouvrage 
sont-ils  très  variés,  bien  (pie,  sur  (piatorze  programmes,  huit 
comprennent  la  Marctie  funèbre  de  Choiiin. 

Le  dressage,  du  reste,  exerce  son  intluence  néfaste  même  sur 
les  suggestions  nouvelles,  et  M.  Magnin  ne  craint  pas  de  s’exi>ri- 
merdans  les  termes  suivants  : « .le  dois  bien  répéter  ([u’aujour- 
d’hui  Magdeleine  n’a  plus  aucune  valeur,  au  jioint  de  vue  expé- 
rimental; elle  est  un  sujet  éduqué  et,  par  conséquent,  sujet  à 
caution.  Aujourd’hui,  Magdeleine,  par  habitude,  par  éducation 
hypnotique,  par  dressage,  si  je  imis  m’exprimer  ainsi,  tombe 
très  généralement  dans  l’état  adéquat  à ses  interprétations  musi- 
cales. On  ne  saurait  assez  répéter,  avec  les  ir  Binet  et  Kéré, 
([u’il  n’y  a que  les  premières  expériences  qui  soient  probantes, 
car  ce  sont  les  seules  (pii  soient  prati(piées  sur  un  sujet  vierge, 
à l’abri  de  la  suggestion  incon.sciente  (1)  ». 

11  nous  reste  à nous  demander  dans  quelle  mesure  les  expi'- 
riences  laites  sur  Magdeleine  indiquent  ou  non  um*  origine  phy- 
siologique pour  les  émotions  musicales. 


(\)  Le  Muynétisme  animal,  p.  14:2. 


BIBLIOGRAPHIE 


287 


M.  Ma  gnin  commence  par  incliner  fortement  vers  le  caractère 
physiologique  des  émotions  de  Magdeleine.  11  ne  lui  semble  pas 
douteux  que  les  vibrations  sonores  agissent  sur  le  nerf  pneumo- 
gastrique et  le  grand  sympathique;  il  rappelle  que  le  premier 
actionne  le  cœur,  les  poumons  et  l’estomac,  tandis  que  le  second 
règle  la  circulation  des  petits  vaisseaux,  et  il  croit  bien  trouver 
des  indices  en  faveur  de  la  thèse  que  les  phénomènes  neuro- 
musculaires sont  primaires  et  que  l’émotion  n’est  que  consécu- 
tive (1).  Toutefois  il  ajoute  que,  si  chez  Lina  la  prééminence  de 
l’élément  physiologique  parait  réelle,  car  elle  réagit  à chaque 
vibration  musicale  comme  un  automate,  il  n’en  saurait  être  de 
même  chez  Magdeleine  qui,  autant  qu’on  peut  en  juger,  saisit 
dans  sa  suhconscience  tout  ce  qui  est  emmagasiné  en  elle  pour 
parfaire  l’idée  qui  lui  est  suggérée  par  les  sons  musicaux. 

Bien  que  n’étant  nullement  hostile  tà  la  théorie  physiologique 
des  émotions  et  que  nous  en  ayons  développé  l’application  à l’ac- 
tion de  la  musique  avant  la  publication  des  théories  de  Lange  et  de 
.lames  (;:^),  nous  ne  croyons  pas  que,  même  dans  le  cas  de  Lina, 
on  puisse  trouver  une  contirmation  bien  nette  de  cette  théorie, 
car,  modèle  de  son  métier,  elle  est  habituée  à prendre  des  atti- 
tudes expressives  qui  peuvent  fort  bien  être  expression  et  non 
cause  de  ses  émotions,  et  du  reste,  sous  Tintluence  de  sugges- 
tions purement  verbales,  elle  a souvent  réalisé  de  façon  très 
heureuse  l’expression  voulue,  tout  en  paraissant  réellement  infé- 
rieure à Magdeleine. 

Celle-ci  présente  du  reste  un  phénomène  bien  curieux,  attesté 
par  de  nombreux  observateurs  ; elle  devance  souvent  par  sa  tra- 
duction plastique  la  suggestion  musicale.  Certains  ont  naturelle- 
ment pensé  découvrir  en  cela  une  preuve  de  son  dressage,  et  de 
fait  il  est  fort  possible  que  celui-ci  intervienne  souvent  dans  ce 
phénomène;  mais,  comme  il  a été  observé  par  des  improvisa- 
teurs, force  est  de  lui  chercher  une  autre  interprétation. 
M.  Magnin  croit  la  trouver  dans  une  transmission  télépathique 
de  la  pensée  de  l’exécutant;  sans  rien  nier,  bien  entendu,  nous 
nous  permettrons  de  penser  que,  dans  un  mouvement  matériel 


(1)  I.e  facteur  émotion  serait  révélé  par  l’élévation  de  température  liu  sujet, 
vu  que,  d’après  Mosso,  « le  travail  cérébral,  malgré  l’aftluence  plus  grande  du 
sang,  ne  s’accompagne  pas  d’élévation  de  température  ».  Cette  altirmation 
nous  paraît  surprenante  en  soi  et  bien  contraire  à notre  expérience  quoti- 
dienne. 

(“2)  Bevce  philosophique  de  mars  18S4.  Voir  aussi  notre  discussion  posté- 
rieure dans  nos  Études  esthétiques,  pp.  KiU  à Itil. 


288 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


OU  psychique,  les  états  antérieurs  déterminent  suffisammenl 
celui  qui  va  suivre  pour  qu’une  personnalité  en  parfaite  harmo- 
nie avec  une  autre  puisse,  grâce  d’ailleurs  à un  grain  de  spon- 
tanéité, précéder  un  peu  le  mouvement  de  celle-ci;  mais,  bien 
entendu,  le  mouvement  du  sujet  en  hypnose  a constamment 
besoin  d’étre  soutenu  et,  s’il  est  capable  de  précéder  d’une  frac- 
tion de  seconde  le  mouvement  de  l’autre,  il  serait  parfaitement 
incapable  de  poursuivre  sous  rinlluence  d’une  suggestion  qui 
deviendrait  purement  mentale.  Tel  nous  paraît  du  moins  le  cas 
de  -Magdeleine  ; sans  rien  nier,  nous  nous  attachons  à ne  suppo- 
ser aucun  principe  extraordinaire  que  ne  postulent  pas  les  faits 
constatés. 

Ce  n’est  là,  du  reste,  qu’une  discussion  de  détail.  L’ouvrage  très 
sérieux  de  .M.  Magnin  soulève  d’ailleurs  bien  des  questions  fort 
intéressantes  que  nous  n’avons  même  pu  indiiiuer  dans  ce  simple 
compte  rendu. 

G.  Leciial.xs. 


XIV 


Ess.\i  SUR  L.\  G.x.MME,  par  M.aurice  G.vndillot.  Un  vol.  in-K" 
colombier  (GI  X :2:2)  de  xvi-575  pages  avec  iôG  ligures.  — Paris, 
Gautbier-Villars,  l 'JOli. 

Ce  n’est  pas  sans  (pielque  crainte  que  nous  entreprenons  de 
rendre  compte  de  cet  ouvrage,  car,  pour  le  faire  dignement, 
pour  pouvoir  dire  avec  autorité  tout  son  mérite  et  pour  le  discu- 
ter au  besoin,  il  faudrait  posséder  une  compétence  bien  supé- 
rieure à la  nôtre.  Puissions-nous  du  moins  faire  entrevoir  à quel 
point  il  est  intéres.sant  et  combien  il  mérite  de  tixer  l’attention 
de  tous  ceux  qui  s’intéressent  à la  théorie  musicale! 

On  peut  dire  que  tout  l’ouvrage  repose  sur  cette  proposition 
première  ou  postulat  que  « nos  jouissances  musicales  consistent 
à associer  et  à comparer  entre  eux  des  sons  correspondant  à des 
rapi)orts  de  nombres  ou  à des  fractions  simples  ». 

Ce  postulat  repose,  bien  entendu,  sur  des  faits  d’observation 
connus  de  tous  ; mais  il  les  dépasse  évidemment,  en  même  tenq)s 
qu’il  écarte  par  exemple  la  théorie  de  la  gamme  fondée  sur  la 
considération  des  harmoniques.  Xous  accepterons  sans  di.scus- 
sion  ce  postulat  et  examinerons  les  conséquences  que  l’auteur 
saura  en  déduire,  sans  nous  laisser  aller  à discuter  avec  lui  si  la 
gamme  composée  des  harmoniques  de  la  tonique,  ramenés  au 
niveau  de  la  première  octave,  a une  valeur  musicale  ou  ne  con- 
stitue qu’une  réalité  mécanique  sans  rôle  en  harmonie. 


BIBLIOGRAPHIE 


289 


(ienèse  (les  échelles  et  des  gammes.  — Partant  de  ce  fait  que 

/()\  . 

la  plus  petite  rousouauce  répond  au  l'apport  (tierce  mineure), 

M.  (iaudillol  conclut  qu’on  ne  peut,  dans  une  octave,  grouper 
plus  de  trois  sons  distincts  consonants,  la  note  à l’octave  n’étant 
pas  comptée  comme  distincte  : si  en  effet  il  y en  avait  quatre, 
l’octave  serait  divisée  en  quatre  intervalles  égaux  ou  supérieurs 

à (t);  or  on  a : @ ' > 2. 

L’octave  ne  peut  donc  être  partagée  ainsi  qu’en  trois  inter- 
valles, dont  l’un  devra  être  égal  à la  tierce  mineure  Si  en 

effet  cet  intervalle  n’y  figurait  pas,  aucun  ne  serait  inférieur  à j; 
1-25  , -r-  -O 

= 2 X T^,  valeur  intérieure  a 2;  mais,  si  nous  rem- 


or 


128' 


plaçons  l’un  des  facteurs  par  la  plus  petite  valeur  supérieure  , 

le  produit  dépasserait  2.  On  doit  donc  admettre  dans  le  grou- 
pement une  tierce  mineure,  et  l’ensemble  des  deux  autres  inter- 
valles formera  l’intervalle  ^5,  remersement  de  l*. 

O a 

Ceci  acquis,  comment  se  décomposera  cet  intervalle  Ce 

doit  être  en  deux  consonances  inférieures  à cette  fraction,  et 

, 11-  » f t)  5 4 8 8 

nous  n avons  le  choix  qu  entre  : g, 

Maison  doit  écarter  ^ et  car  le  troisième  intervalle  ne 

O 2 O 

serait  pas  consonant.  11  ne  reste  que  et  g,  dont  le  produit  est 

précisément  égal  à g et  qui  nous  donnent  les  deux  intervalles 

cherchés.  Nous  obtenons  ainsi  une  tierce  mineure,  une  tierce 
majeure  et  une  ([uarte,  qui  peuvent  d’ailleurs  se  succéder  dans 
deux  ordres  dilférents  : 

...  gTlr/Ttr/Tt  ... 

...  glTglTrjlT  ... 


A ces  deux  séries  fondamentales,  on  donnera  le  nom 
d’échelles,  la  première  étant  dite  majeure  et  la  .seconde  mineure. 

Uuand  on  se  limite  à une  octave,  la  succession  : deux  tierces 
suivies  d’une  quarte,  donne  la  forme  aulheuticjue;  une  quarte 
HR  SÉRIE.  T.  .\11.  19 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


suivie  (le  deux  lierces  enj>'endr(‘  la  forme plagieune,  et  une  (piai-le 
entre  (leux  lierces  la  Ibrun;  (ti)lipl(ujientte.  La  qnalilication  d’an- 
[henli([ue  lienl  à ce  que,  comme  nous  le  verrons,  la  noie  ser- 
vant de  base  à cette  forme  d’f'clielle  est  celle  à laquelle  l’en- 
semble des  notes  en  piTsence  ruHache  le  plus  nalui'ellemenl. 

Une  (îcbelle,  telle  que  : 

(io  mi  sol  (la. 


constitue  pour  ainsi  dire  la  plus-simple  des  gammes,  ne  permet- 
lanl  (pie  des  ellets  bien  |)anvres.  On  l’enricbira  en  y adjoignant 
mie  seconde  ('cbelle,  dans  le  rapiiorl  le  plus  simple  avec  elle,  le 


rapport 


et  cela  donne  la  gamme  binaire  ; 


lia  ré  ni  i sol  si  do. 


Un  ajontanl  encore  ri'cbelle  de  raïqioi’t 
ternaire  : 


4 

8’ 


on  obtient  la  gamme 


(/()  ré  mi  fa  sol  la  si  do. 


L’est  notre  gamme  majeure  usuelle,  fornnîe  au  moyen  des 
trois  écbelles  on  accords  de  la  loniipieT,  de  la  dominanle  U (à  la 
(piiiite  snp('rienre)  et  de  la  dominée  la  (piinte  inlerienre). 

On  obtiendrait  exactement  de  nnune  une  gamme  mineure 
en  partant  d’une  (îcbelle  mineure. 

On  obtiendra  d’ailleurs  de  nouvelles  gammes  en  contremodant 
telle  ou  telle  des  (‘chelles  de  façon  là  avoir  tons  les  arrangenumts 
possibles  de  trois  écbelles  indiiféremment  majeures  ou  minenrcîs; 
on  voit  sans  peine  (pi’il  y en  a bnit,  savoir,  en  prenant  toujours 
do  pour  tonique  : 

Gamme  de  do  majeur  normal  = do  av  : 
do  ré  mi  fa  sol  la  si. 

Gamme  de  do  majeur  orné  = do  ao  : 

do  ré  mi  fa  sol  la  bémol  si. 

Gamme  de  do  majeur  alternanl  = do  aa  : 

do  ré  mi  fa  sol  la  bémol  si  IkuiioI. 

Gamme  de  do  majeur  pseudiipte  = do  mg  : 
do  ré  mi  fa  sol  la  si  bémol. 

Gamme  de  do  mineur  normal  = do  iv  : 

do  ré  mi  b('inol  fa  sol  la  bémol  si  bémol. 


HIBLIOGRAPHIE 


2<Ji 


Gamme  de  do  mineur  orné  = do  io  : 

do  ré  nii  bémol  fa  sol  lu  bémol  si  bécarre. 

Gamme  de  do  mineur  ulternant  = do  io.  : 

do  ré  mi  l)émol  fa  sol  la  bécai're  si  bécarre. 

Gamme  de  do  mineur  pseudique  = do  i\^  : 

do  ré  mi  bémol  fa  sol  la  bécarre  si  bémol. 

Il  e.^t  ai.sé  de  voir  que  les  gammes  dites  ornées  ont  l’échelle 
dominée  mineure  et  l’échelle  dominante  majeure;  c’est  l’inverse 
dans  les  gammes  pseudiqiies,  et  enlin,  dans  les  alternantes,  les 
échelles  dominée  et  dominante  sont  de  mode  opposé  à celui  de 
l’échelle  tonique. 

Le  qualiticatif  « orné  » se  justifie  par  le  fait  que,  dans  le  mode 
mineur,  ce  genre  rend  plus  doux  le  ra])i)ort  de  la  septième  à la 
tonicpie.  GGanl  au  geni'e  pseudique  »,  il  doit  cette  appellalion 
à ce  qu’il  donne  des  gammes  de  degrés  presque  exactement  sem- 
blables à ceux  de  gammes  normales  ayant  d’autres  tonicpies  : on 
voit,  en  ellet,  (pie  les  notes  de  do  majeur  pseudique  ont  mêmes 
noms  que  celles  de  fa  majeur  et  ré  mineur  normal  et  que  celles 
de  do  mineur  pseudique  ont  mêmes  noms  que  celles  de  si  bémol 
majeur  ou  de  sol  m ineur  nomnal. 

En  mineur,  les  formes  ornée  et  alternante  sont  usitées;  la 
forme  pseudique  l’est  moins.  Toutefois  M.  Gandillot  donne  un 
exemple  emprunté  an  Faust  de  Gounod,  où  les  mêmes  mots  : 
« Oui,  c’est  toi,  je  t’aime  » sont  cliantâs  deux  fois  : la  pre- 
mière, dans  le  ton  principal  {fa  majeur  normal)  et  la  seconde,  en 
sol  mineur  pseudique,  équiarmé  du  précédent,  et  il  reiiroduit 
aussi  un  passage  de  l’ouverture  de  la  (iwendoline  de  Ghabrier, 
où  le  mineur  pseudique  est  employé  pour  lui-même. 

En  majeur,  le  genre  orné  s’introduit  par  l’accord  de  sixième 
diminuée  : notre  auteur  en  commente  ti'ès  heureusement  un 
exemple  emprunté  au  Siqurd  de  Keyer.  Peu  usité,  le  majeur 
alternant  se  rencontre  dans  le  chant  de  la  forge  du  Siegfried  de 
Wagner.  Gnanl  au  majeur  pseudique,  très  usité  dans  le  [daiii- 
cbanl,  il  n’est  plus  guère  employé  poui’  lui-même,  en  raison  de  la 

complexité  du  rapport  de  son  septième  degré  avec  la  tonique; 

mais  on  l’emploie  encore  dans  b^s  oscillations  entre  équi- 
armés  (exemple  tiré  du  Crépuscule  de  Gounod). 

Cliacnne  des  huit  gammes  authentiques  dont  nous  venons  de 
parler  peut  naturellement  se  transformer  en  plagienne  ou  anti- 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


2^.)2 


plagiemie,  ce  qui  engendre  linalenient  vingl-qnalre  gammes  ter- 
naires. Nous  verrons  pins  loin  (pi’on  peut  ntili.'^er  liien  d’antres 
gammes. 

Contrepoint.  — Dans  les  premiers  essais  d’harmonie,  on  se 
bornait  à taire  marcher  avec  une  première  partie  une  deuxième 
partie  s’accordant  avec  elle  : à chaque  note  (le  la  première  partie 
en  correspondait  une  de  la  deuxième,  et  le  travail  de  l’harmo- 
niste  se  réduisait  <à  écrire  contre  chaque  note  (on  point)  du  chant 
donné  la  note  (ou  point)  de  la  deuxième  partie;  d’où  le  nom  de 
contrepoint  donné  à la  forme  sous  laquelle  on  pratiquait  autre- 
fois l’harmonie. 

Les  combinaisons  qui  se  présentent  le  plus  naturellemenl  .sont 
celles  (pii  cori-esiiondent  aux  trois  échelles  constilnlives  de  la 
gamme;  mais,  [loiir  varier  l’harmonie,  le  musicien  emploie  aussi 
instinctivement  les  acvords  [losés  sur  les  degrés  VI  et  III 
(c’est-à-dire,  les  échelles  connexes  à l’échelle  tonique).  Lue 
sixième  iVhelle  vient  ensuite  s’ajouter,  celle  de  réqniai  mé,  ipii 
n’est  ni  voisin  (I  ),  ni  connexe  du  ton.  Kntin,  on  adjoint  U\ /'tinsse 
éc/ielle,  formée  de  deux  tierces  mineures  {si  ré  /'ti). 

L’harmonie  ainsi  fondée  est  très  consonante,  mais  n’en  est  pas 
moins  très  modulante  et  présentant  déjà  des  ressources  cousidé»- 
rahles. 

Transformer  un  air,  c’est  le  reproduire  en  conservant  la  durée 
des  notes  et  des  silences,  mais  en  modiliant  les  hantenrs  des 
notes  .suivant  une  règle  délinie,  arbitraire  d’aillenrs.  Les  [irinci- 
jiales  transformations  sont  la  transposition,  l’inversion,  le 
contremode  et  le  l•etournement. 

Dans  la  ti'ansposition,  on  change  proportionnellement  la  fré- 
quence des  notes.  Dans  l’inversion,  au  lieu  de  multiplier  un 
nombre  tixe  par  la  fréipience  des  diverses  notes  données,  on  le 
divise  par  celte  Influence.  Il  en  résulte  (pie  l’intervalle  entre 
deux  notes  du  thème  donné  se  retrouve,  mais  en  sens  inver.se, 
entre  les  notes  correspondantes  du  thème  inver.sé.  On  se  rend 
compte  facilement  que  la  forme  aniiplagienne  reste  anlipla- 
gieiine,  mais  que  la  forme  aiithentiipie  devient  plagienne  et  réci- 
proquement. Ouant  an  mode,  il  est  changé,  tandis  que  le  genre 
est  conservé. 

On  notera  que,  si  la  musique  à transformer  comprend  une 
partie  chantante,  on  peut  inverser  séparément  le  chant  et  l’iiar- 

( I ) Une  ('H-liplle  est  voisine  (t'une  aiilre  (luaml  elle  a poiirltase  le  soniniel  de 
celle-ci,  ou  récipcociuenieiit. 


BIBLIOGRAPHIE 


293 


moiiie,  (le  l'açon  que  le  chant  reste  confié  à la  même  partie  que 
dans  l’air  donné. 

Contremoder  un  air  consiste  à changer  de  mode  les  trois 
échelles  constitutives  du  ton  dans  lequel  est  écrit  l’air  donné.  On 
peut  d’ailleurs  conserver  la  toniiiue  en  changeant  l’armure  ou 
conserver  l’armure  en  changeant  la  toni({ue.  La  forme  reste  sans 
changement  dans  le  contremode,  et  les  genres  normaux  et  alter- 
nants restent  tels;  mais  les  genres  ornés  et  pseudiques  per- 
mutent entre  eux.  Il  est  supertlu  de  noter  que  les  modes 
s’échangent.  .M.  Gandillot  cite  un  très  heureux  emploi  du  contre- 
mode  fait  par  Gounod  dans  le  chœur  des  soldats  de  Faust. 

Enlin,  le  retournement  résulte  d’une  inversion  et  d’un  contre- 
modage  successifs.  L’ordre  des  deux  opérations  est  d’ailleurs 
indifférent.  Dans  le  retournement,  le  mode  ne  change  pas;  les 
genres  normaux  et  alternants  restent  tels  ; les  genres  ornés  et 
pseudiques  permutent  entre  eux.  L’échelle  tonique  conserve  son 
échelle,  taudis  que  les  autres  échelles  permutent  deux  à deux. 

On  doit  remarquer  que  tous  les  retournements  d’un  air  sont 
des  transpositions  les  uns  des  autres,  ainsi  qu’il  en  est  .séparé- 
ment des  résultats  d’une  inversion  et  d’un  contremodage.  Etant 
d’ailleurs  donnés  un  air,  son  inversion,  son  contremode  et  son 
retournement,  on  peut  prendre  l’un  quelconque  d’entre  eux 
pour  air  donné  et  en  déduire  les  trois  autres  par  les  memes 
transformations. 

Dissonance.  — .M.  Gandillot  fait  ressortir  toutes  les  ditïicult(is 
que  soulèvent  les  diverses  théories  de  la  dissonance,  puis 
conclut  : « Toutes  ces  contradictions  et  difficultés  disparaissent 
si  l’on  remarque  que,  pour  consonner  dans  un  certain  ton,  les 
notes  d’un  accord  doivent  appartenir  à une  même  échelle;  dès 
lors,  si  l’on  appelle  dissonant  ce  qui  n’est  pas  consonant,  on  est 
amené  à proposer  la  définition  suivante  : 

« Fil  accord  dissonant  est  celui  qui  réunit  des  notes  provenant 
d’échelles  différentes.  » 

.Notre  auteur  montre  ensuite  (pie  cette  conception  de  la  disso- 
nance dissipe  les  difficidtés  auxquelles  on  se  heurtait. 

.\près(pioi,  il  s’attaque  au  prétendu  principe  que  tout  accord 
doit  pouvoir  être  ramené  à une  série  de  notes  s’échelonnant  par 
tierces;  puis  il  aborde  l’étude  des  accords  dissonants  naturels. 
Nous  ne  le  suivrons  pas  dans  le  détail  de  tous  les  accords  que  l’on 
obtient  par  la  combinaison  d’une  des  échelles  A,  T,  I)  du  ton,  soit 
avec  une  autre  de  ces  échelhîs,  soit  avec  l’échelle  T de  l’un  des 
trois  tons  éc[uiarmés;  mais  nous  essaierons  de  montrer,  avec  lui. 


29i 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


combien  la  genèse  de  ces  accords  par  réunion  (réchelles  tait 
mieux  pénétrer  dans  leur  constilulion  intime  (pie  leur  genèse 
par  superposition  de  tierces. 

(’n  même  accord,  si  ré  fa  la,  par  exemple,  peut  avoir  des 
origines  bien  dilférentes  et  jouer  par  suite  des  rôles  distincts. 
•Même  en  nous  bornant  aux  cas  où  il  appartient  à des  tons  dn 
champ  néant,  il  peut  avoir  de  nombreuses  origines.  Kn  eiïel,  il 
peut  provenir  de  la  l'nsion  des  échelles  ré  et  sol,  ré  étant  le 
mineur  psendi([ne  é([niarmé  de  do  et  sol  étant  la  dominante  de 
do,  on  le  majeur  pseiuliipie  éciniarmé,  ou  le  ton  voisin,  etc.,  on 
bien  ré  peut  être  la  dominée  de  la,  on  son  écpiiarmé  on  son 
voisin,  sol  étant  le  majeur  psendiipie  éipiiarmé  de  la,  etc. 

Dans  ces  divers  cas,  l’écliatandage  harmoniipie  complet  est  sol 
si  ré  fa  la;  mais  l’accord  si  ré  fa  la  peut  aussi  être  une  abré- 
viation de  l’accord  saisi  ré  fn  la  do,  formé  par  les  échelles «i/  et 
fa  et  où  sol  et  fa  peuvent  jouer  des  rôles  bien  divers.  I>e  même 
accord  si  ré  fa  la  peut  aussi  être  une  abréviation  de  mi  sol  si  ré 
fa  la,  fusion  des  échelles  tai  et  ré,  où  encore  )ni  et  ré  peuvent 
jouer  bien  des  rôles. 

On  voit  de  suite  combien  la  genèse  [lar  fusion  d’échelles  ouvre 
des  horizons  étrangers  à la  supiu’position  de  tierces. 

Ou’il  nous  sullise  d’ajoulei'à  ces  indications  la  distinction  des 
accords  bissonants  et  trissonants  suivant  ipi’ils  proviennent  de 
la  su[)erposition  de  deux  ou  trois  échelles,  plus  ou  moins 
complètes  d’ailleurs. 

propos  des  accords  dissonants  altérés,  .M.  Oandillol  fait  bien 
ressortir  les  didicultés  résultant  des  définitions  ipie  l’on  en  donne 
couramment,  dillicultés  paraissant  iirovenir  de  ce  ipi’on  ne  fait 
pas  état  des  ipiatre  variantes  sous  lesipiellcs  [leut  se  présenter  la 
gamme  de  chacun  des  deux  modes,  l’our  lui,  un  accord  altéré 
est  celui  (]ui  réunit  des  notes  issues  de  gammes  dilférentes; 
toutefois  on  doit  remanpier  (pie,  dans  les  accords  dissonants 
naturels,  il  admet,  outre  la  tonalité  régnante,  les  tonalités  envi- 
ronnantes entre  lesipielles  on  oscille.  .Notons  d’ailleurs  (pie 
certains  accords  peuvent  être  tenus  pour  naturels  ou  altérés 
selon  la  façon  dont  on  les  envisage.  Ici  comme  précédemment, 
la  théorie  de  .M.  (landillot  parait  approfondir  beaucoup  plus  la 
constitution  musicale  intime  (pie  ne  le  font  les  théories  courantes 
(pii,  bien  souvent,  semblent  s’attacher  exclusivement  à des  carac- 
tères superficiels. 

La  préparation  d’une  dissonance  est,  en  ipiebpie  sorte,  son 
ex|)lication  [iréalable,  destinée  à permettre  à l’auditeur  d’aiipré- 


BIBLIOGRAPHIE 


295 


cier  des  intervalles  trop  complexes  pour  lui  être  présentés 
d’emblée.  Elle  se  réalise  naturellement  en  taisant  entendre 
d’abord  isolément  une  des  deux  échelles  combinées. 

Si  un  accord  dissonant  altéré  résulte  de  la  combinaison  de 
deux  échelles  n’appartenant  pas  à la  même  gamme,  il  est  indis- 
pensable que  la  dissonance  se  résolve  par  l’aflirmation  d’une 
gamme  déterminée.  D’après  les  règles  de  l’École,  la  résolution 
devait  se  produire  par  une  marche  descendante  d’un  degré  de  la 
note  dissonante,  ou  note  à marche  contrainte,  comme  on  disait. 
.Mais  cette  prétendue  règle  souffrait  mainte  exception.  En  réalité, 
la  résolution  consiste  uniquement  dans  le  retour  à un  accord 
consonant,  ce  qui  peut  se  taire  par  échelons  : d’un  accord  tris- 
sonant,  par  exemple,  on  passera  à un  accord  bissonant,  puis  de 
celui-ci  à un  accord  dissonant  naturel,  et  enfin  à une  échelle 
unique. 

L’erreur  commise  par  l’École  parait  tenir  à ce  qu’elle  a envi- 
sagé les  accords  dissonants  à l’état  statiipie,  pour  ainsi  dire,  et 
non  dans  le  mouvement  musical  de  la  composition;  or,  dans  cet 
état  statique,  on  a affaire  non  à une  résolution  proprement  dite, 
mais  à un  rattachement  pour  lequel  existe  bien,  nous  le  verrons, 
la  pseudo-loi  formulée  pour  les  résolutions.  Nous  ne  pouvons 
d’ailleurs  que  signaler  l’étude  détaillée  faite  par  M.  Gandillot  de 
la  résolution  de  l’accord  de  septième  de  dominante. 

Rattachements.  — « Supposons  qu’un  musicien  entende 
isolément  un  groupe  de  sons  tels  que  do  mi  ou  sol  si  ré  fa  ; par 
hypothèse,  l’accord  entendu,  consonant  ou  dissonant,  n’est  pré- 
cédé ni  suivi  d’aucun  autre  son  pouvant  contribuer  à établir 
une  tonalité;  néanmoins  le  musicien  rattachera  inconsciemment 
l’accord  entendu  à une  certaine  tonalité.  » 

Au  lieu  des  accords  précédents  où  tout  conduit  à rattacher  k 
la  tonalité  de  do  naturel  majeur,  prenons  le  groupe  la  do.  Reber, 
dans  son  Traité  d’harmonie,  dit  que,  si  on  le  rattache  plutôt  cà  fa 
majeur  qu’à  la  mineur,  cela  tient  à ce  que  le  mode  mineur  est 
conventionnel  et  imparfait.  On  a dit  aussi  que  la  concomitance 
des  sons  la  do  engendre  fa  comme  son  de  différence.  La  première 
raisob  est  faible,  car,  si  l’écbelle  mineure  est  moins  simple  que 
la  majeure,  elle  est  aussi  naturelle;  quant  à la  seconde,  elle 
n’explique  pas  le  même  rattacbement  (piand  les  deux  notes  sont 
entendues  successivement.  L’explication  de  M.  Gandillot,  reposant 
sur  le  principe  au([uel  est  du  le  son  de  différence,  a l’avantage 
de  ne  pas  exiger  l’audition  de  ce  son  et  d’ctre  par  suite  compa- 
tible avec  la  non-simultanéité  des  sons. 


290 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Lih  et  ihh  correspoiitlenl  aux  nombres  de  vibrations  : 
435  = 87  X 5 et  = 87  x b. 


l-ors  donc  (lue  nous  percevons  la  tierce  f/oj,  nous  percevons 
trois  pbénomènes  périodi(iues  : les  deux  notes,  qui  l'ont  respec- 
tivement ciii(|  et  six  périodes  en  de  seconde,  et  le  t'ait  même 
de  concomitance  de  ces  deux  mouvements  vibratoires  qui 
engendre  un  phénomène  avant  = de  seconde  pour  période  et 

O/ 

l'aisanl  entendre,  disons-le,  le  son  de  dillerence,  s’il  est  pen;u 
comme  son.  .Mais  ce  dernier  l'ait  n’est  pas  nécessaire,  non  plus 
(pie  la  concomitance  même  des  sous  donnés,  pour  ([u’il  y ait 
évocation  de  la  note  ayant  la  dite  fréquence,  c’esl-à-dire  /i?i.  On 
appelle  cette  nobi  nénileur  de  l’accord  donné,  et  l’on  voit  que 
c’est  la  note  qui  a pour  l'réipience  le  plus  grand  commun  diviseur 
des  l'ré(piences  des  notes  proposées,  ou  la  plus  haute  note 
adnndtant  ces  mêmes  notes  parmi  ses  barmoni([ues.  Comme 
d’ailleurs  ces  barmoni([ues  {lossèdenl  d(vs  rangs  rapprochés, 
leurs  périodes  se  comparent  l'acilemeni  à celle  de  fai  ou  bien,  en 
raison  du  privilège  des  octaves,  à /’cq,  f<h,  etc.  La  détiuitiou  du 
géniteur  s’étend  au  cas  d’un  plus  grand  nombre  de  notes 
données. 

Ouand  les  deux  notes  ont  des  l'ré([uences  .\et  Vproporlionnelles 
à deux  carrés,  ces  fré(piences  et  celle  du  géniteur  .sont  li('es  par 
des  relations  de  la  forme  : 

X = 

Y = (7// 

Il  (îxiste  alors  une  note  dont  la  fré([uence  est  moyenne  géo- 
métrique entre  X et  V : 

.M  = ( \x]i  ; 


c’est  le  mcdiaire,  (pii  c^st  un  des  barmoniipies  du  géniteur  et  qui 
|)artage  par  moitii’î  l’intervalle  des  notes  .X  et  V.  Il  est  susceptible 
d’exercer  une  grande  iniluence  dans  les  rattachements. 

Ltudious  ceux  de  groupi's  de  deux  notes  : 

La  quinte  (/iq  sol-^  a pour  géniteur  doç,  et  rattache  au  ton  de  sa 
base.  La  (piarte  sof  do^  a poui'  géniteur  (/(>„  et  rattache  au  ton  de 
son  sommet.  I>e  même  on  voit  ([ue  la  tierce  majeure  rattache  au 
ton  de  sa  base.  Ouant  à la  tierce  mineure,  son  géniteur  la  ferait 
rattacher  à une  tierce  majeure  jiliis  bas  ipie  sa  base;  mais  l’usage 


BIBIJOGRAPHIE 


297 


habituel  de  réchelle  mineure  permet  de  rattacher  aussi  au  tou 
mineur  de  la  hase.  Les  sixtes  mineure  et  majeure,  reuversemeiits 
des  tierces  majeure  et  mineure,  ont  mêmes  rattachements  (pie 
celles-ci. 

Ces  considérations  sur  le  rattachement  font  bien  comprendre 
pourquoi  deux  intervalles  égaux,  tels  (pie  deux  quartes,  peuvent 
avoir  des  consonances  très  inégales  quand  ils  surviennent 
alors  qu’une  tonalité  est  établie  : si  cette  tonalité  est  do,  la 
quarte  sol  do  consonnera  évidemment  beaucoup  mieux  que  la 
quarte  do  fa. 

M.  Gamlillot  étudie  aussi  les  rattachements  des  intervalles  dis- 
sonants, puis  il  passe  aux  groupes  de  trois  sons.  Ici  l’étude  se 
complique  et  devient  en  même  temps  tort  intéressante. 

Les  seules  combinaisons  consonantes  de  trois  notes  sont  les 
deux  accords  [larfaits.  En  ce  qui  concerne  le  majeur,  il  comprend 
trois  intervalles  (fui,tous  trois,  nous  l’avons  vu,  rattachent  au  ton 
de  la  base  de  l’accord  ; ce  rattachement  s’imposera  donc,  et  cela 
d’autant  plus  (pie  le  géniteur  commun  de  l’accord  conduit  au 
même  résultat.  Au  contraire,  les  trois  intervalles  rattachent  cha- 
cun à une  note  dillerente,  et  les  notes  ainsi  évoquées  appar- 
tiennent cà  l’échelle  corrélative:  mi  sol  si  évoque  donc  do  mi  sol; 
de  plus,  le  géniteur  commun  est  la  tonique  de  cette  échelle 
évo([iiée. 

Ces  laits  ont  été  pour  nous  une  révélation,  car  nous  n’avions 
jamais  trouvé  dans  la  dilTérence  de  simplicité  des  rapports  une 
explication  sullisante  des  ditïerences  d’etlets  des  modes  majeur 
et  mineur  : nous  voyons  maintenant  combien  le  premier  doit 
s’allirmer  plus  puissamment  que  le  second. 

Sans  entrer  dans  l’étude  des  rattachements  des  accords  disso- 
nants, nous  ferons  remar([uer  que,  pour  eux,  les  résultats  dif- 
férent notablement  selon  que  l’on  opère  sur  une  gamme  juste  ou 
sur  une  gamme  tempérée. 

Sautons  tout  ce  (jui  concerne  les  rattacbements  de  quatre,  cinq 
ou  six  notes  et  passons  de  suite  au  résultat  de  l’étuile  du  ratta- 
chement d’une  gamme  entière.  Si  les  se[)t  degrés  d’une  gamme 
sont  détinis  par  leurs  nombres  de  vibrations,  le  rattachement 
sera  toujours  fait  à la  tonique;  mais  si  l’on  entend  la  gamme  sans 
aucun  indice  étranger,  sans  entendre  la  note  de  départ  ni  celle 
d’arrivée,  on  peut  en  principe  rattacher  à l’un  quelconque  des 
tons  éipiiarmés.  Toute'bis,  il  n’y  a pas  complète  indétermina- 
tion : il  y a même  détermination  absolue  si  la  gamme  est  ornée, 
car,  alors,  elle  n’a  jias  d’éqtiiarmée;  si  elle  est  alternante,  des 


298 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(leux  tons  possibles,  distants  d’nne  (jninte,  run  majeur  et  l’autre 
mineur,  c’est  ce  dernier  ([ui  sera  choisi,  car  il  ne  contient  pas  le 
<) 

degré  complexe  ^ (pii  se  trouve  dans  l’autre;  enlin,  dans  le 

cas  d’une  gamme  de  genre  ancien,  normale  ou  pseudique,  s’il  y 
a quatre  é(pnarm(';es,  l’inie,  la  gamme  majeure  normale,  est  d’un 
typ(>  beaucoiq)  plus  simple,  et  l’esprit  s’y  arrêtera  de  préférence. 

La  théorie  des  rattachements  permet  d’expliquer  certaines 
(ittractious  généralement  observées,  en  même  temps  (pi’elle 
montre  pourquoi  ces  attractions,  telles  qu’on  a coutume  de  les 
formuler,  n’existent  pas  à l’état  de  lois  générales,  mais  sont  seu- 
lement conformes  aux  conséquences  les  plus  ordinaires  des  rat- 
tachements : aussi  y a-t-il  de  nombreux  exemples  de  dérogation 
à ces  [iseudo-lois,  par  exemple  à celle  d’après  laipielle  les  notes 
dissonantes  auraient  propension  à résoudre  en  descendant,  excep- 
tion faite  toutefois  pour  la  sensible  qui  éprouverait  une  tendance 
spcViale  à résoudre,  par  une  marche  ascendante,  sur  la  tonique. 

Il  faut  bien  noter  d’ailleurs  la  distinction  entre  les  rattache- 
ments et  les  résolutions.  Les  premiers  siq)[>osent  un  ensemble  de 
sons  entendus  ex  abrupto  : il  y a alors  une  tendance  instinctive 
déterminée  par  ce  seul  ensemble,  et  il  est  possible  de  formuler 
de  véritables  lois.  .\u  contraire,  lorsqu’un  accord  dissonant  se 
rencontre  au  cours  d’une  composition  musicale,  sa  résolution 
dépendra,  non  seulement  de  cet  accord  considéré  en  lui-même, 
mais  aussi  de  la  tonalité  établie  et  de  l’inspiration  ou  des  senti- 
ments du  compositeur.  Ce  dernier  élément  justilie  le  deuxième 
terme  de  la  comparaison  suivante,  formubie  par  M.  (landillot  : 
(Juand  un  objet  inanimé  se  trouve  suspendu  en  l’air  par  une 
corde,  il  est  facile  de  prévoir  où  il  tomberait  si  la  corde  venait  à 
se  rompre;  mais  il  serait  hasardeux  de  chercher  h deviner  le 
point  où  va  être  dans  un  instant  le  poulain  que  l’on  voit  bondir 
et  s’ébattre  an  milieu  de  la  prairie.  Ainsi  en  est-il  du  rattache- 
ment et  de  la  résolution. 

Knlumiwnie.  — En  traitant  de  l’enharmonie,  on  confond 
généralement  trois  choses  bien  distinctes,  l’amidiitonie,  la  géto- 
phonie  et  l’hétérograpbie. 

I.’amphitonie  est  la  propriété  (jue  possèdent  certains  accords 
d’appartenir  à deux  ou  plusieurs  tons.  Ainsi,  l’accord  sot  si  ré 
appartient  à do  majeur  et  h do  mineur. 

Dans  d’autres  cas,  il  n’y  a pas  identité  entre  deux  accords  de 
tons  dilférents,  mais  des  ditïérences  très  faibles.  Soit,  par 


BIBLIOGRAPHIE 


299 


exemple,  l’accord  vé  fa  la  do  pris  dans  les  tons  de  do  et  de  fa 
majeurs.  Il  n’est  pas  identique  dans  les  deux  cas,  car  la  tierce 


ré  fa  vaut  ^ dans  la  tonalité  do  et  ^ dans  la  tonalité  fa  : elle  est 
il/  y ' 

donc  un  peu  moindre  dans  la  première,  l’ratiquement,  les  deux 

accords  peuvent  être  assimilés  : s’ils  ne  sont  pas  homophones,  ils 

sont  gétophones.  On  reman|uera,  du  reste,  qu’avec  la  gamme 

tempérée  les  accords  théoriquement  gétophones  deviennent 

identiques. 

Enfin  Vhéterographie  consiste  à représenter  un  même  son  par 
des  écritures  dilTérentes,  ce  qui  n’est  possible,  croyons-nous, 
qu’avec  la  gamme  tempérée,  dans  laquelle,  par  exemple,  le  ton 
de  sol  bémol  majeur  ne  difiëre  que  par  l’écriture  du  ton  de  fa  dièse 
majeur.  Cela  n’a  aucune  importance  et  ne  peut  que  permettre  de 
simplifier  des  écritures. 


fi 


On  a la  lâcheuse  habitude  de  confondre  sous  le  nom  d’enhar- 
monie les  trois  choses  distinctes  dont  nous  venons  de  parler  et 
qui  servent  cà  préparer  une  modulation,  du  moins  les  deux 
premières  puisque  la  dernière  ne  fait  que  changer  les  noms.  On 
voit  facilement  comment  l’amphitonie  permet  de  passer  d’un  ton 
dans  un  autre  par  l’intermédiaire  d’un  accord  appartenant  aux 
deux  tons  ; quant  h la  gétophonie,  elle  joue  le  même  rôle  par  à 
peu  près. 

Nous  ne  saurions  suivre  M.  Gandillot  dans  l’étude  détaillée  des 
modulations,  mais  nous  tenons  tà  signaler  une  de  ses  remarques. 
Considérons  les  trois  modulations  suivantes  : 


PRE.MIÉnE  MODULATION 

.\i=  accord  de  do  majeur 

lîx  = la  do  nu  sol 
(accord  sur  le  \ I®  degré 
de  do) 

tq  — la  do  nii  sol 
(accord  sur  le  lit®  degré 
de  fa) 

t»!  = accord  de  fa  majeur  D, 


DEUXIÈME  MODUL.ATION 

.\o  = accord  de  do  majeur 
t'2  = ré  fa  la  do 
(accord  sur  le  II®  degré 
lie  do) 

02  = ré  fa  la  do 
(accord  sur  le  VI®  degré 
de  fa) 

= accord  de  fa  majeur 


TROISIÈME  MODUL.ATION 

As=  accord  de  do  majeur 

Ü3  = si  ré  fa  la  bémol 
(accord  sur  le  VII®  degré 
de  do) 

C3  = si  ré  fa  sol  dièse 
(accord  sur  le  II®  degré 
de  la) 

II3  = accord  de  la  majeur 


Bien  souvent  on  considère  la  troisième  modulation  comme  très 
différente  des  deux  autres  parce  qu’elle  se  fait  au  moyen  de  la 
substitution  d’un  50/ dièse  à un  /u bémol,  dilférence  matérielle  qui 
frappe  les  yeux  et  n’existe  pas  dans  les  deux  premières  modulations. 
Mais,  en  réalité,  il  y a plutôt  dilférence  entre  la  première  et 
les  deux  suivantes.  Si  en  elïet  il  n’y  a que  gétophonie  dans  la 


300 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


dernière  modulation,  il  en  est  de  même  dans  la  deuxième, 
malgré  l’identit»'  des  écritures,  tandis  qu’il  y a amphitonie  dans 
la  première  modulation. 


Intervalles.  — Dans  la  gamme  tempérée,  l’octave  est  partagée 
en  douze  grades  ou  (létés  égaux  (1).  On  a transporté  cette  mesure 
dans  la  gamme  exacte,  mais  alors  le  grade  ou  demi-ton  a une 
valeur  essentiellement  variable  et  ne  constitue  qu’une  unité  de 
mesure  très  imparfaite.  Ainsi  la  (piarte  augmentée  et  son  renver- 
sement, la  (piinte  diminuée,  correspondent  tous  deux  à six  grades; 

or  ces  intervalles  ont  pour  valeurs  respectives  ^ et  en  sorte 

1 0 IL-) 

I , 3()  30  J (S  • liv  . ' 

que  leur  dilierence  est  = x ce  qui  ditiere  très  peu 

r' 

du  dièse  ^ ou  demi-ton  chromatique.  Fait  encore  pins  Irappant: 

. . “27  . . 

ce  demi-ton  et  le  demi-ton  diatoniipie  ipii  existe  dans  les 


gammes  pseiidiipies,  sont  à peu  près  dans  le  rapport  de  un  à 
deux,  ce  qui  ne  les  empêche  pas  d’avoir  un  grade  pour  valeur 
commune. 

Kn  général,  l’écart  est  bien  moindre,  et  on  désigne  sous  le 
nom  de  conunas  ces  petits  intervalles.  Les  trois  plus  fréquents 
sont  : 


<S()  ^ “2L5’  ~ 2'®’  125  5'^  ■ 


On  peut  d’ailleurs  presque  toujours  ex|)rimer  de  façon  simple 
un  comma  en  fonction  de  x'  et  x". 

Les  mêmes  notes  dans  deux  tonalités  dilférentes  n’ont  pas 

!) 

exactement  la  même  valeur  ; ainsi  le  rè  (pu  vaut  n en  do  majeur 

O 

ne  vaut  cpie  en  la  mineur,  avec  une  dilférence  égale  au 
comma  x. 

Tous  les  intervalles  fournis  par  la  gamme  ont  pour  formules 
des  expressions  monômes  en  fonction  des  facteurs  2,  3 et  5; 
mais  ces  formules  sont  très  complexes  pour  les  intervalles  di.^- 
sonants.  On  en  obtient  de  beaucoiqi  plus  simples  en  fonction 
des  trois  fractions  : 

D)  ^ 

' ~ ïo’  “ “E’  ~ 

(I)  Gété,  nlirévialion  de  grade  tempéré. 


I5IP.LI0GRAPIIIE 


301 


On  se  sert  donc,  suivant  les  cas,  de  Fniie  on  de  l’antre  des  tbr- 
nudes  : 

i\  = 3"  5" 

"S  ==  u"  x^. 


En  parlicnlier,  les  intervalles  de  la  gamme  sont  les  suivants  : 

do  ré  mi  fa  sol  la  si  do 

2-13^  2.3-15  2F3-'.5-'  2-13-  2.3-15  2-=*.3^  2'.3-‘.5-‘ 

zn.r  zu  Z zux  zu  zux  z 

Nous  nous  limiterons  à ces  quelques  indications  sur  un  mo<le 
de  calcul  des  intervalles  dont  M.  Gandillot  lait  ressortir  les  avan- 
tages. 

Nous  arrivons  maintenant  h la  question  des  deux  gammes  de 
Ptolémée  et  de  Pythagore.  Celle  de  Ptolémée  nous  est  fournie 
pai'  trois  échelles  conjointes;  celle  de  Pythagore  est  formée  par 
la  succession  de  sept  quintes,  les  notes  ainsi  obtenues  étant 
ramenées  dans  l’étendue  d’une  octave  (1). 

3 

On  voit  d’ahord  que,  la  quinte  étant  donnée  par  le  rapport-,, 

toutes  les  notes  s’expriment  au  moyen  des  .seuls  facteurs  2 et  3, 
et  l’on  remplacera  les  unités  a,  x par  les  deux  unités  c'  et 
délinies  par  les  relations  : 


On  sait  qu’on  soutient  souvent  que  la  gamme  de  Pythagore 
est  celle  de  la  mélodie,  tandis  que  celle  de  Ptolémée  serait  celle 
de  riiarmonie  : c’est  ce  qu’ont  notamment  appuyé  d’expériences 
intéressantes  MM.  Cornu  et  Mercadier.  M.  Candillot  discute  de 
façon  foi  t curieuse  la  portée  réelle  des  faits. 

3 

En  do  majeur,  la  quinte  ré  la  vaut  ^ en  gamme  pythagori- 
■40 

cienne  et  ^ en  gamme  ptoléméenne  : si  un  violoniste  la  fait 
. 3 " 

égale  <à  devrons-nous  en  conclure  qu’il  joue  dans  la  première 
gamme? 

(I)  ilo  ré  mi  fa  sol  la  si 

1 9 ^1  i ‘à  iâ  m 

f 8 (U  :J  2 16  128 


302 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


D’abord,  si  le  violoniste  exécute  les  notes  ré  et  la  par  les  à vide 
(le  la  (lenxiènie  et  de  la  troisième  corde,  un  phonantoscope  enre- 

3 

gistrera  l'oiTémenl  la  valeur  pniscpie,  avaid  de  jouer, 

3 

l’artiste  a accordé  son  instrument  par  quintes  ^ . 

Il  en  sera  de  même  si  l’artiste  a exécnté  des  octaves  des  sons 
])récédents  on  s’il  a exécuté  C(US  mêmes  sons  sur  d’antres  cordes; 
non  seulement  les  à vide  vibreront  encore  par  l'ésonance,  mais 
le  ré  prodint  sur  la  corde  sol  et  le  la  [H'oduit  sur  la  corde  ré 

l'ormeront  eux-mêmes  une  quinte  car,  par  la  pratique, 

l’artiste  a du  repérer  le  placement  de  sa  main  par  rapport  an 
manche  du  violon  et  le  placement  de  ses  doigts  par  ra[)port  à sa 
main,  en  sorte  qu’il  posera  les  doigts  aux  distances  qui  corres- 
pondeid  aux  intervalles  habituels. 

Uenonçons  donc  à expérimenter  avec  un  violoniste  et  consi- 
dérons la  voix  humaine. 

Si,  dans  l’air  (dianté,  les  notes  ré  et  la  se  lu'ésentenl  au  cours 
d’une  oscillation  dans  l’im  des  trois  tons  éqinarmés  de  do,  pai' 
exemple  en  ré  pseudiqne  on  en  sol  p.seiidi(pie,  comme  la  quinte 

3 

ré  la  y est  une  (punie  d’échelle,  elle  aura  lorcement  la  valeur 

et  comme  on  omet  très  souvent  de  noter  ces  oscillations  dans  les 
éqinarmés,  on  se  ligure  que  l’artiste  suit  la  gamme  de  Dytha- 
ft'ore. 

Il  est  donc  nécessaire  de  choisir  un  air  dans  lequel  on  se  soit 
assuré  (jue  le  ré  est  bien  .sommet  de  l’échelle  dominante  et  le  la 
médiante  de  l’échelle  domim'e.  Kt  encore  nous  ne  serons  pas 
sfirs  que  l’artiste  ploléméen  donnera  à la  (piinte  ré  la  sa  valeur 
'iD 

^ : si  ces  notes  se  présentent  séparément,  dans  leurs  échelles, 

ce  rapport  sera  bien  réalisé;  mais,  si  elles  se  présentent  consécu- 
tivement, sans  (pie  l’intonation  du  la  soit  lacilitée  iiar  la  proxi- 
mité de  r('chelle  dominée,  le  chanteur  ne  verra  que  la  quinte, 
intervalle  facile  à donner  avec  sa  valeur  d’échelle,  et  il  est  fort 
probable  qu’il  l’émettra  ainsi. 

Ajoutons  (fue  l’habilnde  de  chanter  avec  des  instruments  à 
.sons  tixes  peut  amener  un  chanteur  à ado[)ter  la  gamme  de 
l’ythagore  ; dans  l’impossibilité  où  il  est  de  retenir  la  gamme 
tempérée,  il  s’en  rapprochera  autant  que  possible  par  l’adoption 
d’une  gamme  dont  les  (h'grés  conjoints  sont  bien  plus  unilbi’nnxs 
que  dans  celle  de  l'tolémée. 


niRLIOGRAPIIIE 


m 


Nous  avons  vu  toul  à l’heure  à quelles  erreurs  on  esl  exposé 
si  l’on  veut  se  rendre  compte  de  la  gamme  dans  laquelle  on 
chante;  il  est  cependant  aisé  de  la  reconnaître.  Considérons  en 
ellet  la  ligure  suivante,  formée  de  trois  reprises  de  deux 
mesures  chacune,  écrites  respectivement  dans  les  champs  quatre 
dièses,  néant  et  quatre  hémols,  tout  à lait  semhlahles  entre  elles. 
Dans  chaque  reprise  on  module  d’un  ton  mineur  à son  corréla- 
tif, qui  est  le  ton  majeur  situé  à une  tierce  majeure  plus  has; 
puis  on  luinorise  ce  ton  en  passant  à la  reprise  suivante.  Les 
toniques  successives  s’échelonnent  donc  par  tierces  majeures 
descendantes (^/o dièse,  la,  fa  et  rchémol),  la  dernière  d’enti'e  elles 
n’étant  autre  chose  que  l’enharmonique  de  la  première.  Ce  der- 
nier fait  permettrait  même  de  reprendre  da  mpo  et  d'accumuler 
ainsi  autant  de  modtdations  par  tierces  majeures  qu’on  le  dési- 
rerait. Mais  nous  allons  voir  qu’il  sutlit  au  hut  cherché  de  chan- 
ter une  seule  fois  ces  trois  groupes  de  deux  mesures. 


— 1 *•  h ^ b 

ST-  M 1 

^ N 0 t| 

^ JC 

a. Il Z 

1 J I ^ ■■  r*  1 ^ ii  

^ ^ ^ J.  • 

"> fr — i Tl — ° ® ® 

— — c — 

9 - 

— — F 

« 

■ . , 

L _ _ 

1 • ^ 38  ^ 1 — T'  3 3^  Il 

i ? ]•]  • * r • Il 

1 7^  ^ 2S  m w J 1 - H 

Si  en  effet  au  départ  on  s’est  donné  le  do  dièse  avec  un  piano, 
on  arrivera  à la  lin  un  ré  hémol  qui,  au  lieu  d’être  identiipie  au 
do  dièse  comme  sur  le  piano,  sera  ou  bien  au-dessus  de  lui  de  ^c", 
si  l’on  a chanté  dans  la  gamme  ptoléméenne,  ou  bien  au-dessous 
de  lui  de  x \ si  l’on  a chanté  dans  la  gamme  pythagoricienne. 
Or  x’  et  x”  sont  bien  assez  considéral)les  pour  qu’on  reconnaisse 


le  sens  de  l’écart  : a;'  est  en  elfet  approximativement  égal  tà 

J kJ 
3 

de  gété  ou  grade  tempéré  et  x"  à du  même  intervalle. 


fin  reprenant  plusieurs  fois  da  capo,  on  pourrait  mesurer 
expérimentalement  x'  et  x"  en  comptant  le  nombre  de  reprises 
nécessaire  pour  descendre  ou  monter  d’un  gété.  On  remarquera 
que  l’aphorisme  : la  voix  monte  toajonrs  semble  indiquer  qu’on 
chante  généralement  dans  la  gamme  ptoléméenne. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


SUi 

Gauwtes  diverses.  — Si  la  gamme  est  simplement  une  oollec- 
lion  (le  notes  soumises  à la  (condition  d’ètre  en  rapports  simples 
avec  rnne  d’enti'e  elles,  le  nombre  des  gammes  imaginables  est 
extiTmement  considérable  : nous  nous  bornerons  à {)en  près  à 
donner  une  idée  générale  du  principe  de  l’étude  de  toutes  ces 
gammes. 

Leur  classement  fondamental  repose  sur  le  nombre  des  fac- 
teurs premiers  cpii  composent  les  nombres  exprimant  les  rap- 
ports des  divers  degiTS  à la  tonique  : c’est  ainsi  que  nous  avons 
vu  que  la  gamme  de  l'ytbagore  ne  recourt  qu’à  deux  facteurs 
premiers  et  est  par  suite  digène,  tandis  que  la  gamme  de  I*to- 
lémée  em[)loie  trois  facteurs  et  est  tri  gène. 

Nous  sommes  amené  ici  à détinir  la  gamme  eliro)nalique  cor- 
respondant à un  système  donné  de  facteurs  premiers  : elle  est 
formée  de  l’ensemble  des  sons  pratiqnement  distincts  engendrés 
à l’aide  de  ces  facteurs. 

Si  l’on  compare  le  douzain  cbromali(pie  tempéré  obtenu  arti- 
liciellement  en  divisant  l’octave  en  douze  intervalles  ('gaux,  au 
douzain  cbromalique  de  l’ytbagore  ou  gamme  cbromatique 

3 

digène  formée  par  quintes  on  reconnaît  facilement  que  l’écart 

est  de  un  comma  x'  pour  sept  octaves.  Les  deux  toniques 
coïncidentes  étant  au  milieu,  l’écart  maximum  entre  une  note 

OC  ' 

digène  et  .‘;a  correspondante  tempérée  est  au  plus  de  ^ ou  de 

(l,rw.  Ouant  à la  gamme  trigène  2,  3,  5,  elle  atteint  un  écart 
0,7æ',  ce  (pii  n’est  guère  plus;  mais  la  gamme  trigène  présente 
avec  les  deux  autres  une  dissemblance  très  sensible,  consistant 
on  ce  que  ses  notes,  contraii’ernent  à ce  qui  a lieu  dans  b's 
gammes  cbromatiques  digène  et  tempérée,  ne  sont  pas  équidis- 
tantes. 

Le  plain-cbant  repose  sur  un  jirincipe  intéressant  de  variation 
de  tonalité  sans  cbangement  de  la  tonique  ni  des  sept  notes  de 
la  gamme.  (Juand  on  fait  usage  d’une  gamme  déterminée,  on 
lient  considérer  les  degiTS  dans  leurs  rapports  avec  une  note 
autre  (pie  la  tonique  qui  sera  la  note  finale,  mais  qui  ne  prédo- 
minera pas.  Si  la  note  prédominante  est  la  quinte,  on  aura  le 
mode  (( quinté»;  si  la  quarte,  le  mode  « quarté  »;  si  la  tierce  ou  la 
sixte,  le  mode  « tiercé  » ou  « sixté  ».  Tel  est  le  principe  du 
plain-cbant. 

Toute  cette  étude  des  gammes  diverses  est  fort  intéressante, 
mais  nous  entraînerait  beaucoup  trop  loin,  .\ussi  nous  en  tien- 


HIBLIOfJRAPlHl-: 


305 


(Irons-nous  aux  (inehines  indic’alions  (jui  prér(’'clenl  el  ne  dirons- 
nons  nnnne  rien  dn  rliapitre  consaciA'  aux  inanimés  l(3trag('nies. 

Applications  ninsicales.  — M.  (iandillol  appelle  oscillalion 
l’emploi  épisodique  d’un  ton  antre  que  le  ton  étal)li;  il  y i\c/i<(n- 
jjeinent  (le  Ion,  lorscpi’on  reste  un  teni[)s  notable  dans  le  noinaxui 
ton;  le  cliangement  de  ton  prend  d’ailleurs  le  nom  de  niodnla- 
iion,  (piand  le  nouveau  ton  proia'nle  du  premier  par  une  lilialion 
snllisammeid  iidelligihle.  Notre  auteur,  dn  reste,  donne  de  la 
modidation  une  théorie  beancoiq)  [(lus  pénétrante  que  celle  de 
Ueber,  par  exemide,  (pii,  dans  son  Traité  d’hannonie,  enseigne 
que  tonte  modulation  est  provoquée  ou  déterminée  par  un  ou 
plusieurs  (nrô/cn/i- (pie  ne  comporte  [tas  le  ton  que  l’on  ([iiitte. 
A[très  avoir  montré  à la  lois  l’insnliisance  el  l’inexactitude  de 
celte  théorie,  ainsi  que  de  celle  de  Fétis,  qui  voit  dans  la  disso- 
nance l’origine  essentielle  de  la  modulation,  M.  Gandillot  dis- 
tingue les  modulations  [tai'  [tarenté  et  les  modulations  par 
am[)hitonie. 

I.orsqne  les  deux  tons  ont  des  éléments  communs  dans  leurs 
(Vhelles  toni(|ues,  rien  n’est  [tins  l'acile  ([ne  de  passer  sans  aucune 
|tré[taralion  d’un  ton  dans  l’an  Ire.  L’air  de  la  Chevauchée  des 
Walkiii'cs  donne  un  exem[tle  caraclt'ristiqne  dn  [tassage  d’un  ton 
à son  connexe,  qui  a une  tieice  en  c(tmnnm;  la  modulation  laite 
(hnix  Ibis  de  suite  est  suivie  du  passage  d’un  ton  an  ton  de  même 
tonique  mais  de  mode  dilVércnt. 


Ce  n’est  là  qu’un  exemple  des  nombreuses  parentés  étudiées 
avec  détail  par  M.  Candillot.  Il  montre  d’ailleurs  comment  on 
[tout  pré[tarer  une  modulation  [tar  parenté  sans  recoui’ir  à une 
dissonance,  an  moyen  d’un  ton  possédant  une  parenté  plus 
étroite  avec  chacun  des  deux  tons  considérés. 

On  a déjà  vu  que,  dans  les  modulations  [tar  amphitonie,  on 
tiB  SÉr.tE.  T.  Xlt.  “2U 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


3üG 

l’ait  enlendre  mi  accord  ou  un  dessin  mélodi(|ue  pouvant  appar- 
tenir au  ton  étal)li  ou  au  ton  vers  lequel  on  veut  modider.  l.à 
encore  la  modidation  peut  se  l'éaliser  sans  passer  par  une  disso- 
nance. iNotons  les  caractères  opposés  qne  possèdent,  au  point  di; 
vue  des  modulations,  les  accords  de  septième  ilimiieiiée  cl  de 
septième  de  doniimuite.  Le  premier  csl  relié  aux  douze  toniques 
de  la  musique  tempérée  par  des  voies  pi’escpie  toutes  faciles,  en 
sorte  ([u’il  se  prèle  à toutes  les  modulations  (I).  Le  second,  an 
contraire,  n’est  en  communi('ation  facile  ([u’avec  la  lonicpte 
située  à une  (piarte  au-dessus  de  sa  base,  en  sorte  qu’il  possède 
une  grande  force  modnlaloire  vers  cette  tonicpie. 

Nous  ne  saurions  suivre  M.  tiandillot  dans  les  analyses  qu’il 
donne  d’un  certain  nombre  de  fi'agmenls  musicaux;  mais  nous 
signalerons  celle  du  choral  de  Luiber,  tel  (pie  l’a  harmonisé 
Meyerbeer  dans  \cs  niigi(e)iots.  (’iràce  aux  accords  ajoutés  par  lui, 
le  ton  se  déplace  sans  ces.se,  à tel  point  (pie  l’on  comiite  n'gnlii’'- 
rement  deux  tons  [lar  mesure,  et  tout  cela  sans  qu’il  y ail  i»lus  de 
deux  accidents  en  dix  mesures. 

Abordant  ensuite  la  critique  dixs  traités  d’iiarmonie,  M.  tian- 
dillot entre  dans  des  détails  où  nous  ne  saurions  le  suivre,  mais 
nous  montrerons  de  ipiidle  fa(;on  lumineuse  il  traite  la  (puîsiion 
des  succe.ssions  de  (piinles,  (pi’on  a coulume  de  déclarer  ((  for- 
mellemenl  interditixs  »,  tout  en  iTcoimaissant  (pie  les  .daîliTs 
dérogent  à la  ri'gle.  Il  est  bien  clair  d’abord  (pie  toute  répi'lilion 
d’un  même  intervalle  exjiose  <à  la  monotonie  et  que  le  danger  est 
plus  grand  s’il  s’agit  d’un  intervalle  facilement  reconnais.sable 
entre  tons.  .Mais  il  n’y  a évidemment  |ias  là  un  motif  d’interdic- 
lion.  Lu  réalité,  il  y a de  bien  plus  grands  dangers  à employer 
aveuglément  des  successions  de  (piinles.  Soit,  [lar  exemple,  le 
cliani  ; « J’ai  du  bon  tabac  dans  ma...  » : 


^ 

— 

i n C-  ^ 



^ O ' 

— ^ — é ' 

et  voyons  ce  qui  se  [irodiiira  si  l’on  accompagne  chaque  note 
à la  ([iiinte. 

Do,  tonique,  est  accompagiK'  par.w/,  sommet  de  l’iNdielle  : rien 
de  clKupiant.  La  deuxième  note  est  rigsommet  de  l’éclielle  domi- 

(I)  Notons  (jiK’ cel  acconl  est  nVsl  ni  niajenr  ni  niinonr,  car,  s’il 

apparlient  à nn  (on,  il  ajiparlicnl  aussi  an  nicme  ton  de  mode  contraire. 


RIBLIOGRAPIIIE 


307 


nanle;  si  on  l’accompagne  de  sa  rjuinte  la,  on  évoque  l’échelle 
é(piipsendique  rc  fa  la  el  non  l’échelle  sol  si  ré,  déloiirnant  ainsi 
ré  de  sa  signification  la  pins  naturelle  : la  chose  n’a  d’ailleurs 
rien  d’ahsolument  condamnahle.  Mais  voici  le  aii,  note  de 
l’échelle  tonique  et  chantée  sur  temps  fort,  qui  s’accompagne  du 
si,  évocpiant  ainsi  l’échelle  rni  contre  toute  raison,  et  cela  ne 
serait  pas  moins  choquant  si  la  quinte  ré  la  n’avait  pas  précédé. 
Ainsi,  là  employer  sans  attention  des  successions  de  quintes,  on 
s’expose  <à  de  véritables  non-sens,  et  cela  explique  l’interdiction 
de  ces  successions  par  des  théoriciens  ([ni  n’aiiprotbndissent  pas 
leur  sujet.  Prouvons  d’ailleurs  qu’ils  ont  tort  de  formuler  cette 
interdiction  en  montrant  que  des  suites  de  quintes  peuvent 
ne  rien  produire  de  tel. 

Soit  une  harmonie  à quatre  parties  s’échelonnant  d’une  basse  à 
un  ténor,  que  nous  supposerons  chargé  du  chant  princi[)al.  Sup- 
[)Osons,  du  reste,  que  la  basse  chante  constamment  la  base  de 
l’échelle  à laquelle  appartient  la  note  du  ténor.  Dans  cette  hypo- 
thèse, on  pourra  toujours  faire  chanter  par  l’une  des  parties 
intermédiaires  la  quinte  de  la  note  de  la  basse,  quinte  qui  ne 
constituera  jamais  un  contre-sens,  [uiisqu’elle  appai'tiendra  tou- 
jours à l’échelle  du  moment;  au  contraire,  la  ([uinte  de  la  note 
du  ténor  détonnerait  chaque  fois  que  celle-ci  serait  sommet  ou 
médiante  d’échelle. 

On  connail  le  curieux  Conservatoire  de  l’avenir  de  M.  Josset(  I ). 
Or,  il  y énonce,  à litre  empiri([iie,  les  quatre  règles  suivantes  qui, 
dit-il,  sont  vériliées  quatre  fois  sur  cinq  : 

J"  S’il  y a un  intervalle  de  quarte  dans  nn  accord  ou  dans  une 
mélodie,  la  note  supérieure  de  cette  quarte  indique  l’accord  ; 

S’il  y a nn  intervalle  de  quinte  dans  un  accord  ou  dans  une 
mélodie,  la  note  inférieure  de  la  quinte  indique  l’accord; 

o"  S’il  y a un  accident  ou  une  altération  quelcompie  dans  un 
accord  on  dans  une  mélodie,  la  tierce  au-dessous  de  cet  accident 
indique  l’accord  ; 

4"  S’il  y a nn  intervalle  de  seconde  dans  un  accord  ou  dans  une 
mélodie,  la  note  supérieure  indi(|ue  l’accord. 

Pu  etfet,  remarque  M.  Gandillot,  si  les  deux  notes  de  la  quarte 

(I)  M.  Jossel,  (lirecteur-foiiilateur  des  cours  île  musique  de  l’Institutiou  de 
Siuut-.tean  de  Pieu  à Paris,  a imaginé  la  tijpophonie  qui  est  Part  de  corres- 
pondre  avec  des  sous,  au  moyen  de  la  représeiilalion  des  lettres  de  l’alpliahet 
vulgaire  par  des  notes  ou  coniljinaisons  de  notes,  ün  trouve  dans  l'ouvrage 
cité  des  extraits  Rédemption  de  Fmist  et  d’\mSon<ie  de  la  Vierge  où  les 
paroles  sont  ainsi  traduites  par  le  chant. 


REVIT,  IT8  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:^Ü8 


apparlieniient  à une  même  échelle,  la  hase  de  celle-ci  esl  le  som- 
met (le  la  quarte,  et  pareillement  si  les  deux  notes  distantes  de 
quinte  appartiennent  <à  une  meme  (Vlielle,  celle-ci  [)ouvant  servir 
d’accompagnemenl  à la  mélodie  et  ayant  i)onr  hase  la  note  iidé- 
rieure  de  la  (piinle,  on  peid  dire  (jne  cette  dernière  note  indicpie 
l’accord. 

En  troisième  lieu,  si  l’on  analyse  les  divers  cas  d’oscilla- 
tions où  apparaît  un  accident,  on  constate  (pie  prescpie  loujours 
les  notes  recevant  l’accident  sont  médianti's  dans  leur  échelle,  ce 
(|ui  justitie  la  nVle  de  M.  .losset. 

Enfin,  deux  notes  Ibrmant  seconde  appartiennent  à une  har- 
monie dissonante  : la  {ilus  employi'e  étant  l’accord  de  septième, 
il  y a i^rande  chance  ])our  ipie  la  note  sniii'i  ieiu'e  de  la  seconde 
indicpie  l’accoi'd.  Mais  on  voit  en  même  temps  ([ue  dans  tout  cela 
il  n’y  a nnlle  nécessité  et  (pie,  comme  rindi(pie  .M.  .losset,  il  ne 
s’agit  (pie  de  prohahilités. 

L’étude  des  styles  musicaux  nous  ohligerait  à entix'r  dans  trop 
de  détails,  et,  d’antre  [lart,  la  discussion  sur  les  traiti's  d’harmo- 
nie (xst  trop  lechni(pte  [lonr  (pie  nous  l’ahordions.  ,\ussi 
passerons-nous  de  suite  <à  l’étude  du  tempérami'iit  dont  nous 
avons  (h'jà  parlé  plus  d’une  Ibis. 

Tetnpémtuent.  — Nous  avons  (hqà  vu  comhien  la  gamme  de 
r*toléni('e  s’écarte  de  la  gamme  tempiu'ée,  ohlenue  en  divisant 
l’intervalle  d’octave  en  1:2  [larties  ('gales,  (Vart  se  produisant  tant 
dans  la  valeur  ahsohie  de  certaines  notes  ipie  dans  celle  des 
intervalles.  .Mais  il  y a plus  : les  sons  iK'cessaires  pour  pouvoir 
moduler  se  multiplient  indéliniment,  attendu  (pie  leurs  inter- 
valles n’ont  pas  de  commune  mesure  i : iioiir  ipi’ils  en  eussent 
une,  il  l'aiidrait,  en  ellet,  que  les  sons  musicaux  l'ii.ssent  eux- 
mêmes  de  la  forme  .V*',  k étant  un  entier.  Or,  on  sait  (pi’il  n’im 
esl  rien,  pnisipi’ils  sont  de  la  forme  .ot.  Il  ('tait  donc  de 

toute  nécessité,  pour  se  servir  d’instruments  à sons  lixes,  de 
s’iVarter  de  la  gamme  jiisle,  ce  ipi’on  a fait,  nous  venons  de  le 
répéter,  en  adoiitant  la  gamme  tempi'rée  : 

0 12,  Ü ■ 

^ . . . . ^2^-  ^2  . 


La  division  jieiit  se  faire  avec  un  nomhre  autre  (pie  12.  L’in- 
tervalle moyen,  grade  tempéré  on  (jété,  correspondant  au 


11/ 


nomhre  12  remplace  i intervalles  justes  et  très 


BIBLIOGRAPHIE 


309 


dilïérents  les  uns  des  autres,  mais  édielonnés  à peu  près  égale- 
ment d’un  eomma  tempéré  ou  cété,  et  l’octave  comprend 
53  cétés.  En  remplaçant  H par  53,  on  obtiendrait  une  gamme 
tempérée  d’une  grande  précision. 

5'e  pouvant  songer  à multiplier  le  nombre  des  touches  d’un 
clavier,  ne  l'ùt-ce  que  pour  réaliser  le  tempérament  .M.  Gan- 
dillot  a imaginé  un  ajusteur  qui  l'ait  correspondre  à volonté  les 
1:2  touches  à 1:2  des  n sons  que  comporte  le  portant  à chaque 
octave.  Il  siitlit,  quand  une  modulation  se  produit,  de  faire 
fonctionner  rajusteur  pour  jouer  avec  des  sons  très  voisins  de 
ceux  de  la  nouvelle  gamme  juste.  Lorsque  n = 53,  on  obtient  le 
célépiano,  capable  de  donner  des  sons  espacés  seidement  d’un 
cété.  On  trouvera,  dans  l’ouvrage  de  M.  Gandillot,  des  détails 
techniques  sur  la  construction  de  cet  instrument. 

Le  choix  du  cété  comme  unité  de  mesure  des  intervalles  per- 
met une  simplitication  intéressante  des  calculs  musicaux.  On  sait 
que  ces  intervalles  s’expriment  couramment  au  moyen  des  loga- 
rithmes à ba.se  10  des  rapports  auxquels  ils  correspondent,  et 
ces  logarithmes  sont  des  nombres  incommensurables  dont  il  faut 
prendre  un  nombre  notable  de  cbilïres  pour  avoir  une  approxi- 
mation sullisante.  Or,  si  on  les  multiplie  par  le  rapport 

0 3(M0  300  ’ *^*°*^'^  dénominateur  est  le  logarithme  de  :2,  il 

se  trouve  (pie  le  nombre  répondant  à chaque  intervalle  diffère 
très  peu  d’un  entier,  en  sorte  (pie  ces  logarit/imes  luusicaux  sont 
susceptibles  de  recevoir  une  forme  approchée  très  simple. 

bien  long  a été  notre  résumé  de  l’ouvrage  de  .M.  Gandillot,  et 
cependant  nous  n’avons  évidemment  pas  su  éviter  le  défaut 
d’aridité.  l'uission.s-nous  avoir  montré  combien  sa  théorie  de  la 
gamme  permet  d’expliquer  simplement  une  foule  de  ri'gles 
empiriques  subordonnées  à de  nombreuses  exceptions  dont  elle 
jusiitie  l’existence,  et  combien  elle  explique  aisément  certains 
faits  <à  apparence  paradoxale.  A de  plus  compétents  nous  laisse- 
rons le  soin  de  discuter  cette  théorie;  mais  elle  nous  a paru  bien 
digne  d’attirer  l’attention,  et  nous  n’avons  prétendu  (pie  la  résu- 
mer en  ouvrant  quehiues  échappées  sur  l’horizon  qu’elle 
découvre. 


G.  Leciial.vs. 


REVUK  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


;^io 


XV 


(îlirNDZi'ir.E  EINEIl  VEHGEEICMENDE.N  (îliAMMAÏlK  DEII  BaNTU- 
spiiAEiiEN,  voii  CvitE  Meimiof.  Lji  voI.  iii-8’  (le  xiii-KiO  pai,>'es.  — 
Berlin,  Dielridi  Beimer,  IBOB. 

l.a  linguistique  alVicaine  a lait  des  progrès  eonsidèral)les  en 
ces  dernières  années.  Dans  sa  magistrale  grammaire  comparée 
des  langues  hanlones,  le  B.  B.  Torrend  a tracé  dans  leurs 
grandes  lignes  les  éléments  communs  entre  les  differents 
dialectes  baillons  et  es(|iiissé  une  classitication  de  ces  lan- 
gues (I).  Kn  laisanl  connaitre  au  public  savant  les  travaux  du 
B.  I*.  Torrend,  le  B.  B.  Van  den  (Ibeyn  {H)  iironosliipia  ipie  ces 
travaux  donneraient  une  imimision  nouvelle  aux  éludes  de  pbilo- 
logie  africaine,  (iette  [irévision  s’est  réalisée.  Deux  voies  s’indi- 
(piaient  aux  successeurs  du  B.  B.  Torrend  ; la  première  condui- 
sait à la  découverte  et  à l’étude  de  dialectes  nouveaux  qui 
viendraient  étendre  le  domaine  des  connaissances;  la  deuxième 
se  tournait  vers  des  recliercbes  iilnsaiiprolbndies  de  iilionétiipie: 
elle  augmenterait  la  valeur  docnmentaire  des  grammaires  parli- 
culiéies  et  contribuerait  à asseoir  la  grammaire  comparée  sur 
des  bases  [ilns  solides. 

I.es  Itantouistes  se  sont  engagés  bardiment  dans  l’nne  et 
l’autre  de  ces  voies.  Kn  BSlIt),  .\i.  .Meinbof  lit  paraiire  ses  fonde- 
ments d’ime  [ihonétique  bantoiie,  ipii  reçurent  le  meilleur 
accueil  dans  le  monde  des  linguistes  (o).  .\  une  époque  [ilus  rap- 
proidiée  de  nous,  en  le  B.  B.  Satdeux  écrivit  un  essai  de 

l)bonéti(|ue  bantone  (i).  Malhenreusement  nous  n’avons  pas  iin 
prendre  connaissance  de  cette  dernière  élude  et  nous  ne  pour- 
rions pas  dire  jusipi’à  ipiel  point  les  idées  du  B.  B.  Sacleux 
s’écartent  ou  se  rapproi  lient  de  celles  de  M.  Meinbof. 

La  phonéti(|ue  de  ce  dernier  a iiroduit  en.Mlemagne  des  friuts 
abondants  et  [irécieiix.  Conlenton.s-nous  de  citer  les  éludes  sur  le 
Konde  par  Scliumann,  la  grammaire  du  Kinga  par  Wollf,  les 

(I)  Torreiiil.  .4  Comparative  Grammar  of  llie  Soulli-Africaii  Bantu-lau- 
flitanes.  I.omloii,  Trüliner  et  E",  1X91. 

(5)  Van  (ien  (Iheyn.  La  Laaoiie  coof/nlaise  et  les  idiomes  hantons,  dans 
l’iiixis  tliSToitiuuES,  3''  série,  1 ( IX9ït),  pp.  et  97-1 10. 

to)  .Meinhof.  Grundriss  einer  Lautlehre  der  Jiantnsprachen.  Leipzig-, 
1X99. 

(4)  Sacleux.  Essai  de  jihoivdiiiae  avec  son  application  à l’étude  des  idiomes 
africains.  Paris,  Welter,  190.'). 


BIBLIOGRAPHIE 


311 


recherches  sur  le  Pangwa  par  Klamroth,  les  études  sur  la  lang-ue 
Kisiha  par  Fokken,  le  manuel  du  Kamha  par  llrufzer,  les  verbes 
du  Tsivenda  par  Schwellnus,  la  grammaire  du  Duala  par  Schuler, 
les  recherches  sur  le  Kinyamwezi  par  Dabi,  les  études  sur  le 
Shamhala  par  Roehl,  etc. 

La  grammaire  comparée  que  nous  présentons  aujourd’hui  au 
lecteur  est  le  complément  naturel  de  la  phonétique  de  1899. 
L’éminent  professeur  au  Séminaire  des  langues  orientales  de 
Berlin  y utilise  les  documents  qui  ont  été  recueillis  d’après  sa 
méthode.  Il  n’exclut  pas  cependant  les  travaux  linguistiques  qui 
se  sont  inspirés  des  idées  du  K.  P.  Torrend.  A cette  dernière 
école  se  rattachent,  entre  autres,  les  études  du  R.  P.  Yan  der 
Burcht,  dont  la  grammaire  Kirundi  constitue  en  meme  temps 
une  riche  mine  pour  l’ethnographie  de  l’iu’undi  (1  ). 

Les  Gi'undzüge  de  la  grammaire  comparée  des  langues 
hantoues  se  divisent  en  six  ( hapitres.  Le  premier  traite  des 
noms;  le  deuxième,  du  pronom;  le  troisième,  des  noms  de 
nombre;  le  ([uatrième,  du  verbe;  le  ciu([uième,  des  particules; 
le  sixième,  de  la  syntaxe.  Des  études  sur  les  racines  pronomi- 
nales, sur  l’origine  des  pronoms  personnels  et  possessifs  sont 
données  en  appendices.  Le  livre  se  termine  par  un  index  très 
détaillé,  qui  ne  comporte  pas  moins  de  ([uarante-six  pages. 

Nous  ne  pouvons  pas  donner  ici  une  analyse,  même  succincte, 
de  ces  chapitres  où  les  faits  abondent.  Bornons-nous  plutôt 
à quelques  considérations  gmiiérales. 

Une  des  principales  caractéristiques  des  langues  hantoues  se 
trouve  dans  le  système  des  préfixes  formatifs  de  substantifs.  Ces 
préfixes  ont  fourni  aux  grammairiens  la  division  des  noms  en  un 
certain  nombre  de  classes.  On  comprend  aisément  (jne  l’attention 
des  linguistes  se  soit  portée  surtout  sur  les  préfixes,  et  il  était 
permis  de  croire  (pi’.à  ce  sujet  nos  renseignements  étaient  com- 
plets. Les  études  de  M.  Meinhof  ont  démontré  le  contraire.  A la 
liste  déjià  longue  des  substantifs  il  faudra  dorénavant  ajouter 
deux  classes  nouvelles.  L’étude  du  Yenda  a fait  découvrir  un 
préfixe  augmentatif  auquel  fait  pendant  un  préfixe  diminutif. 
Existe-t-il  encore  d’autres  préfixes?  Ce  seront  des  enquêtes  sur 
les  langues  que  nous  ne  connaissions  jusqu’ici  que  de  nom  qui 
devront  nous  le  dire.  De  plus,  M.  Meinhof  const^ite  ([ue  les  deux 
nouveaux  préfixes  sont  en  voie  de  disparition.  11  en  déduit,  non 

(1)  Mpinhof.  LJeber  den  geyenicartigen  Stand  dcr  afrikanischen  Sprach- 
forscltnng,  dans  Veuh.cndluxgen  des  deutschen  Kolomaleongiiesses, 
t905,  p.  l;2ü. 


312 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


sans  ([iiolqiie  vraiseniblance,  qu’à  roriiiiiie  le  nombre  des 
préfixes  devail  être  pins  i>rand  encore. 

■M.  .Meinbof  porta  donc  le  nombre  des  classes  de  sobstantifs  à 
vini>l  (d  nn.  (Jne  si^nilient  ces  vinii'l  et  im  i>rélixes?  D’où  |)ro- 
viennenl-ils?  (’.e  sont  des  (piestions  anxcpielles  jnscpi’ici  la  pliilo- 
loi>ie  africaine  n’a  pas  trouvé  nne  réponse  satisfaisante. 
M.  DIanert  est  d’avis  ipie  les  préfixes  n’ont  pas  de  sens  bien  déter- 
miné. .M.  .Meinbof,  an  contraire,  leur  attribue  nne  signification 
particniière.  Voici  son  inteiqirétation  des  première  et  troisième 
classes  : I.e  préfixe  innu  de  la  piemière  classe  désigne  l’Iiomme 
comme  personne  agissante;  le  prétixe  mmi  de  la  troisième 
classe  désigne  l’être  vivant  non  personnel.  Dans  celle  classe 
rentrent  l’homme  non  considéré  comme  individu  agissant,  les 
esprits,  les  maladies,  les  forces  naturelles  comme  la  fumée,  le 
fen,  les  llenves,  etc., certaines  parties  dn  cor|)s,  certaines  abstrac- 
tions, certains  animaux,  certaines  plantes,  etc.  A la  base  de  ces 
interprétations  nous  trouvons  la  comparaison  des  noms  rentrant 
dans  une  même  classe.  Ce  (pi’il  convient  surtout  de  se  demander 
ici,  c’est  le  motif  pour  leipiel  les  animaux,  les  plantes,  les 
maladies,  etc.,  forment  un  seul  et  même  groupe,  (biel  lien  l’indi- 
gène voit-il  entre  ces  choses?  V voit-il  des  êtres  vivants,  mais 
sans  personnalité,  et  le  préfixe  hiiih  exprime-t-il  cette  idée? 
Donr  nn  Kuropéen  instruit,  rien  de  plus  naturel  (pie  de  diviser 
tout  ce  (pii  existe  en  êtres  animés  et  inanimés,  et  de  subdiviser 
l(‘s  êtres  animés  en  êtres  animés  personnels  et  im[)ersonnels. 
.Mais  tel  n’est  pas,  croyons-nous,  le  système  de  classilication 
des  .Vfricains.  Pour  retrouver  la  trace  du  sens  origiind  des  pn;- 
lixes  nominaux,  il  faut  commencer  par  s’initier  à la  philosophie 
nainrclle  des  indigènes.  D(‘s  études  comme  celle  de  .M.  Denindl 
sur  la  mentalité  des  Davili  constituent  des  contributions  impor- 
tantes à la  linguisti(pie  conniarée  ( I ). 

L’élaboration  d’une  grammaire  comparée  de  la  langue  bau- 
toue  peut  paraître  prématurée;  et  .M.  .Meinbof  lui-même  n'con- 
nail  ([lie  ces  éludes  de  synthèse  et  de  coordination  ne  sont  (pie 
des  essais.  Des  faits  nouveaux  surviendront  ipii  démoliront  tel 
point,  (jiii  conlirmeront  tel  autre.  Kaut-il  en  conclure  (pie  l’étude 
de  .M.  .^leinbof  ne  vient  pas  à son  heure?  .\on;  le  développement 
de  la  science  exige  des  travaux  semblables  à certains  moments. 
.Vjoutons  ({ii’iine  grammaire  comiian'e  de  la  langue  bantoiie  n’a 

(I)  llennell  : At  the  Inick  of  Ihi’  lilack  tiuni's  miml.  I.oiitlon,  .Miicmillan, 
•inu(i.  Ef.  A.  \'aii  (ieiiiK‘|i  : fa  si/stèiiu’  >ièf/rc  de  <:ki>tsi/icu(i(»i,  xo  piutée 
linf/KixtiqKe,  dans  J..\  lliivcE  des  Idées,  lüüT,  i)|).  .àlMiS. 


RinLIOGRAPIIIE 


313 


pas  fpi’iin  iiiIcnM:  Ihéoricpio;  elle  l'aeilil.e  singiilièrenienl  l’élude 
(les  langues  parlieulières  el,  de  (’elle  l'aeoii,  on  peut  dire  (pi’elle 
rend  à la  colouisalion  un  service  signalé.  Kn  .Mleinagne,  on  a 
conscience  de  celle  v('rité.  .Vussi  renseignement  de  la  grammaire 
comparée  bantoue  n’est-il  pas  limilé  au  Séminaire  des  langues 
orientales,  il  a p(‘uélré  dans  l’Université  même  de  Berlin. 

Kn  rédigeanl  sa  grammaire  comparée,  .M.  .Meinhof  s’est  idacé 
à un  point  de  vue  national.  Ses  vues  sur  la  plionélicpie  des 
langues  banloues  ont  été  partagées  par  ses  compatriotes.  C’est 
surloid  des  renseignements  recueillis  par  ceux-ci  ([u’il  s’est 
servi  pour  constiaure  une  grammaire  comparée,  c[ui  est  destinée 
à l'aciliter  aux  Alhmiands  l’élude  des  langues  indigènes  de  leurs 
colonies  al'ricaines. 

Les  dialectes  parh's  au  Congo  belge  se  rattachent,  eux  aussi, à la 
langue  bantoue.  Il  n’en  est  pres([ue  pas  tenu  compte  dans  la 
grammaire  comparée  de  .M.  MeinboL  Les  langues  bantoues  (pi’il 
a utilisées  sont  au  nombre  d’une  soixantaine.  Dans  cette  liste  les 
langues  congolaises  ne  sont  re[)résentées  (pie  par  le  kikougo,  le 
kiknsH  et  le  iti/u'Cina,  dialectes  dont  [(aidait  (b'j.à  le  B.  I*.  Tor- 
rend.  Est-ce  à dire  (pie  la  linguisti(pie  congolaise  n’ait  pas  fait  de 
[irogrès  dans  les  ((uinze  dernières  années  ? Bien  loin  de  là.  .Nous 
pourrions  citer  telles  langues  dont  on  connaissait  à peine  le 
nom  il  y a quinze  ans  et  pour  les(pielles  nous  possédons  aujour- 
d’hui soit  une  grammaire,  soit  un  vocabulaire,  soit  même  des 
li'xles  imprimés.  Ce  sont  autant  d’instruments  de  travail  nou- 
veaux (pie  la  linguisli([ue  aurait  tort  de  dédaigner.  Nous  admet- 
tons (|ue  leur  exactitude  et  leur  précision  sont  souvent  sujettes  à 
caution;  mais  ce  (pie  nous  regrettons  surtout,  c’est  que  ces  docu- 
ments se  trouvent  éparpillés  dans  les  revues  les  plus  diverses. 
L(‘s  (diercheurs  les  plus  adroits  ne  parviennent  pas  toujours  à les 
(bicouvrir.  Ne  prenons  qu’un  exemiile.  Le  B.  D.  .V.  De  Clerc([, 
din'cteur  du  Séminaire  de  Scbeut,  est  l’auteur  de  travaux  linguis- 
tiques remarquables  sur  la  région  du  llaut-Kasaï.  .M.  Meinborne 
cite  aucune  de  ces  éludes,  et  le  B.  D.  W.  Schmidten  l'ait  justement 
la  remaiapie  dans  le  dernier  numéro  d’.V.XTiirioros.  Encore  le 
B.  ['.  De  Clcrcif  a-t-il  [mblié  des  arli( des  dans  des  revues  alle- 
mandes. .Mais  ([ue  de  missionnaires,  ([ue  de  l'onclionnaires  colo- 
luaux  (pii  n’ont  jiublié  (fue  dans  des  revues  belges!  Il  est  bien 
rare  (pie  leurs  travaux  attirent  ratlenlion  des  linguistes  étran- 
gers et  jirofitenl  à la  seience  autant  (pi’ils  pourraient  le  taire. 

La  [lublication  d’un  manuel  raisonné  des  langues  congolaises 
s’impose.  Ce  manuel  éviterait  bien  des  tâtonnements,  liien  des 


314 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


recherclies  souvent  stériles  aux  inissiouuaires  et  aux  l’ouetiou- 
uaires  coloniaux  qui  désirent  se  rendre  utiles  tà  la  science;  il  sti- 
nuderait  aussi  leur  zèle  en  Taisant  connaître  leurs  travaux  à 
l’étranger. 

La  grammaire  comparée  de  M.  .MeinlioTTait  sentir  vivement  la 
nécessité  d’une  seml)lal)le  publication  et  fournira  à celui  qui  s’en 
chargera  des  indications  multiples  et  précieuses. 

Kd.  De  Jo.ngiie. 


XVI 

Feudi.xa.M)  Hiiu.netièue.  I.’llomnu;,  le  (aiticpie,  l’Orateur,  le 
Oatlioliipie,  par  l’abhé  Tii.  Delmo.xt,  professeur  aux  Facultés 
catholiipies  de  Lyon.  Lu  vol.  in-l:2  de  :üt):2  pages,  avec  portrait. 
— Paris,  I'.  Letliielleux. 

C’est  la  vie  laborieuse  de  ce  travailleur  acharné,  que  fut 
Drunetière;  le  portrait  de  l’homme  loyal  et  bon  sous  des  appa- 
rences un  peu  rudes,  (pie  trace  d’abord  l’abbé  Delmont.  Puis  il 
liarcourt  avec  indé|)endance  et  impartialité  toute  l’œuvre  du 
critique  éminent  de  la  Revue  des  Deu.x-.Mo.ndes,  du  professeur 
et  de  l’historien  littéraire.  L’orateur  est  glorifié  à juste  titre 
(lei)uis  ses  conférences  à l’Odéon  jusipi’à  siis  Discours  de  comhal 
et  à ses  conférences  fameuses  sur  l’Kncyclopédie.  Le  Catholiipie 
venu  (Je  bien  loin  à la  foi,  est  représenti'  au  vif  dans  sa  marche 
ascendante  vers  la  lumière  intégrale  dont  il  disait  si  liien  : « .le 
me  suis  laissé  faire  par  la  vérité  et  par  Bossuet  ».  Fnlin  on  nous 
montre  le  néopliyte  converti  (iii  a{)ôtre,  aussi  éloquent  qu’intré- 
pide. 

l'ne  table  alphabéti(pie,  en  colonnes,  des  noms  propres, 
des  titres  des  ouvrages  et  des  articles  cités,  termine  tn’is  utile- 
ment cet  intéressant  volume. 


X. 


REVUE 

DES  RECUEILS  rÉRIODIQUES 


SYLVICULTURE 

Depuis  le  mois  de  janvier  1005,  où  a paru  notre  dernier  hnlle- 
lin  de  Sylviculture,  il  s’est  produit,  en  cette  matière,  bien  des 
laits.  5'ons  ne  saurions  les  exposer  tons.  Nous  nous  bornerons  à 
relater  les  plus  intéressants. 


Les  incendies  de  forêts  en  1906.  — L’année  1000  a 
été,  malbenrensement,  léconde  en  incendies,  dns  pour  une 
1)011116  part  sans  doute  à l’extrême  et  longue  séclieresse  de  l’été 
de  cette  année,  mais  aussi,  croyons-nons,  à d’autres  causes.  Ces 
incendies  ont  l'té  particulièrement  nombreux  dans  les  mois 
d’août  et  de  septembre.  Dn  nord  au  midi,  partout  où  il  y a des 
Ibréts,  le  téii  a exercé  ses  ravages  dans  une  proportion  inouïe. 

(ï’est  surtout,  comme  il  fallait  s’y  attendre,  en  Drovence,  dans 
la  région  des  Maures  et  de  l’Esterel,  et  plus  encore  en  Cascogne, 
dans  ces  vastes  landes  qui  s’étendent  sur  les  trois  départements 
de  la  Cironde,  des  Landes  et  de  Tarn-et-Garonne,  que  le  tléau 
a sévi  avec  le  plus  d’intensité  (1).  Lià,  en  effet,  les  arbres  résineux 
sont  les  essences  dominantes  dans  les  [leuplements  forestiers;  en 
Drovence,  les  essences  de  sous-étage,  presque  entièrement  dessé- 
chées à l’cqioque  des  grosses  chaleurs,  fournissent  à l’incendie 
un  aliment  de  toute  puissance.  En  Cascogne,  les  rémanents  et 
flécbets  dn  résinage  en  pins  des  fenilles  mortes  de  pin  et  des 
broussailles  tapissant  ou  recouvrant  le  sol,  ne  lui  sont  pas  un 
moins  eüicace  auxiliaire. 

Dans  le  seul  département  de  la  Gironde,  le  feu  n’a  pas  par- 
couru moins  de  50  000  hectares. 

En  évaluant  la  perte,  par  hectare,  à GOO  francs,  chilfre  maxi- 
mum il  est  vrai,  on  arrive  à nn  total  de  15  millions  de  francs. 

( 1 ) tlEVUE  DES  Eaux  et  Forêts,  septembre  tttOB,  p.  (i02. 


REVISE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


31() 

lleaiiroiii)  de  pelils  [)n)[)riélaires  soni,  du  l'ait,  à peu  près  ruinés. 
Iles  reidaines  d’ouvriers  pei'deni  leur  paid  de  la  résine  ipii 
restait  à réeolter,  et  Iroiuveront  dillieilemeni  du  travail  pendant 
les  années  cpii  vont  suivre. 

Kn  outre  des  causes  ordinaires  d’incendie,  coinine  impru- 
dence des  fumeurs,  des  chasseurs,  des  ouvriers  allumant  du  l'eu 
(Ml  forêts,  des  liergers  incinérant  les  landes  en  vue  d’obtenir  de 
l’herbe  plus  abondante,  — il  faut,  d’après  des  personnes  du  pays 
bien  posées  pour  savoir  ce  ([u’il  en  est,  faire  une  large  part  à la 
malveillance  : plusieurs  propriétaires  ont  ro(;u  des  lettres  de 
menaces  en  ce  sens. 

.Mais,  ce  (pii  est  remar([uable,  c’est  (pie,  [>armi  les  51)01)1)  hec- 
tares de  bois  incendiés,  [las  une  seule  forêt  domaniale  n’a  été 
atteinte.  La  surveillance  y est  beaucoii|)  plus  suivie,  plus  sérieuse 
et  surtout  plus  ellicace  (pie  dans  les  bois  [larticuliers,  et  l’admi- 
nislralion  peut  prendre  des  mesures  de  précaution  (pie  le  mor- 
cellement des  protiriétés  privées  rend  dilliciles  sinon  impossibles, 
(Ml  raison  de  l’entente  préalable  (pi’il  serait  néciissaire  d’établir 
entre  les  divers  proiiriétaires. 

(JiK'bpies  syndicats  de  iiossesseurs  de  [lignadas  se  sont  bien 
constitués,  mais  sans  grands  résultats  : l’inertie,  ou  le  mauvais 
vouloir,  ou  le  mainpie  de  ressources  de  ciM'Iains  propriétaires 
rend  souvent  leur  action  inutile.  On  ne  peut  cuiitraindre  chacun 
à débroussailler  une  zone  de  protection  sur  la  limite  de  deux 
fonds  contigus;  l’oiiération,  se  faisant  isobunent,  sans  ensemble, 
au  gré  de  cliacim,  demeure  sans  eliicacilé.  Lutin  la  praliipie  du 
conlrefeii,  si  nécessaire  soit-elle,  fait  encourir  à ipii  y recourt  les 
plus  graves  responsabilités.  Les  syndicats  sont  donc  réduits  à 
l’impuissance. 

Il  faudrait,  dit  la  Uevue  des  L.vux  et  Loiièts  plus  haut  citée, 
(pi’il  fût  pris  à r(.'gard  des  forêts  des  landes  et  dunes  de  Oascogne, 
des  mesures  analogues  à celles  (pie  {irévoit,  pour  les  Maures  et 
l’Lsterel,  la  loi  du  I!)  août  IS!),'}.  Les  propositions  ont 
bien  été  faites  en  ce  sens,  et  de[»uis  plusieurs  années,  mais  sans 
résultat  jusipi’ici.  Du  reste,  les  départiMiients  intéressés  ne 
paraissaient  pas  très  désireux  d’être  secourus  de  celte  manière; 
on  aurait  dit  (ju’ils  [iréféraient  être  brûlés  plutôt  (pie  protiygiis 
par  rAdmiiiistralion.  Les  désastres  de  D.IOtl,  cependant,  semblent 
avoir  moditié  leurs  dispositions;  le  Conseil  giMiéral  delà  (iironde, 
en  sa  session  d’octobre  D.IOti,  a émis  un  vœu  par  leipiel  il 
iTclame  le  concours  législatif  iioiir  parer  au  danger  dont 
rincendie  menace  incessamment  ses  vastes  peuplements  de  [liii. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


817 

Le  noyer,  arbre  forestier  (I).  — Le  noyer  commun 
{Juglans  renia,  I.in.)  a\ait  toujours  passé  pour  un  arhre  auli- 
ibreslier,  c’est-à-dire  iie  supiiortaut  pas  la  croissance  eu  massif  et 
ne  pouvant  prosp(uer  qu’à  l’état  isolé.  Telle  était  notamment 
l’opinion  professée  à l’Ecole  de  Nancy  et  exprimée  dans  toutes 
les  éditions  successives,  voire  posthumes,  de  la  célèbre  Flore 
forestière,  de  A.  Mathieu,  le  [)remier  des  professeurs  de  sciences 
naturelles  dans  ladite  école. 

Il  parait  cependant  qu’il  faudrait  en  rabattre.  Un  sylviculteur 
allemand,  le  LU'  Frankhau.ser,  aurait  entrepris  avec  succès  la 
culture  forestière  du  noyer,  c’est-à-dire  son  élevage  en  massif  à 
la  façon  du  chêne  ou  de  n’importe  quelle  antre  essence  sylvicole. 
Il  y a mieux;  l’on  a pu  constater,  dans  des  bois  soumis  au  régime 
forestier,  au  milieu  des  diverses  antres  essences,  des  noyers  de 
tons  âges  fournissant  des  arbre.<  de  réserve  de  plusieurs  caté- 
gories, y fructifiant  même  assez  abondamment.  Ainsi  dans  les 
forêts  communales  de  Devecey  (Doubs)  et  de  Saint-Laurent-du- 
Dont  (Isère),  cette  dernièi’e,  peuplée  principalement  de  bétres  et 
de  résineux;  ainsi  encore  dans  la  forêt  domaniale  de  la  Gi'ande- 
rdiartreuse,  au  canton  d’Orcière,  perchis  de  hêtres  où  les  tigcîs  de 
noyer,  dit  M.  Guinier,  avaient  absolument  l’apparence  de  celles 
du  hêtre  et  n’auraient  pas  été  distinguées  à i)remière  vue. 

Il  n’en  est  pas  moins  vrai  que  la  rencontre  du  noyer  venu 
spontanément  dans  les  forêts  est,  somme  toute,  chose  assez  rare, 
malgi'é  sa  rusticité  et  son  peu  d’exigence  sur  la  nature  et  la 
qualité  du  sol.  Faut-il  en  voir  la  cause,  avec  le  IL  Frankbauser, 
dans  la  lourdeur  du  fruit  qui  rend  ditiicile  sa  dissémination  au 
loin?  Ce  n’est  pas  là  une  cause  sulllsante,  car  beaucotq)  d’oiseaux, 
corbeaux,  geais,  pies,  etc.,  ne  se  font  pas  faute  de  cueillir  des 
noix  sur  l’arbre  et  de  les  transporter  au  loin.  Mais,  en  général,  le 
jeune  plant  provenant,  en  forêt,  d’une  noix  tombée  sur  le  sol, 
est  promptement  étoutfé  par  les  rejets  des  taillis  environnants. 
Ge  n’est  ([ue  par  une  active  et  réitérée  intervention  de  l’homme 
([lie  des  semis  naturels  de  noyer  en  forêt  [leuvent  venir  à bien. 
M.  Fliche,  (pii  fut  le  successeur,  à l’Fcole  de  Nancy,  de 
A.  Mathieu,  a pu  constater  le  fait. 

Si  l’on  ajoute  à cela  l’avidité  avec  laquelle  le  noyer  est  partout 
recherché  pour  les  éminentes  qualités  de  son  bois,  on  ne  s’éton- 
nera '[)as  que,  dès  ([u’il  en  [laraît  ([uelqiie  plant,  il  soit  vile 
reluqué  et  dérobé  [lar  les  riverains,  soit  pour  le  transplanter 

(I)  Le  Noyer,  \Y,\v  E.  (;uini(M-,  consprvnleur  des  fooMs  en  retniite,  d;ms  la 
Uevl'e  des  Eaux  et  Eodèts,  l.  MdV. 


31S 


REVUE  DES  (^T’ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


s'il  csl  assez  jeune  encore,  soit  pour  en  faire  des  manches 
d’onlils  on  a\ilres  menus  objets  si  le  l)ois  est  parvenu  à un 
(lévelo|)pemenl  snllisanl. 

I.a  conclusion  à lirer  de  ce  (pii  ])r(M‘('‘de  est  cpie  les  propriiMaires 
de  IbnHs,  Klal,  communes,  sociéli's  ou  particuliers,  ont  le  [ilus 
grand  intiMvt  à inlrodiiire,  miune  an  pi'ix  de  soins  longs  et  spi'- 
ciaux,  le  noyer  parmi  leurs  iieuplements.  La  valeur  du  bois  de 
cel  arbre  va  sans  cesse  croissant,  en  raison  miMue  de  sa  lente 
mais  graduelle  disparition  sur  les  champs  et  le  bord  des  chemins. 

Les  chênes-lièges  (J).  — Il  y a sinon  deux  esi)èces,du  moins 
deux  vari('t(\s  ou  plus  oxactemenl  deux  races  bien  distinctes  de 
clnùie  à ('corce  subi'reuse  fournissant  le  lii'ge. 

Le  cln'‘ne-li(''ge  proiirement  dit  {QnorcKs  snber.  Lin.),  anro, 
siourc,  sun'er,  sur  ou  suri  en  Ib’ovence,  lu'ite  de  la  Provence,  de 
r.Algi'rie,  du  Maioc,  de  la  IV'uinsule  ibi'riijue,  de  l’Italie,  de  la 
Dalmatie  et  d('  la  Tunisie,  garde  ses  feuilles  deux  et  trois  aniu'cs 
cousécutives  (d  donne  des  glands  annuellement.  (Test  un  arbre 
pouvant  atteindre  10  à 1:2  et  raremi'iit  jiis(pTà  40  nn'dn's  de 
hauteur  et  4 à .j  im^tres  de  cin'onft'rence;  trapu,  d’une  grande 
long('vit(\  le  clnMie-li(''ge  est  surtout  remaixpiable  par  son  ('corce 
('paisse,  spongieuse,  crevassi'e,  dont  la  couche  ext('i'i(*ui’e, 
impropre  pai’  le  fait  iu(''me  à tout  usage  industriel,  recouvi-e  une 
couche  bomog(’'ne  (pii  se  di'vi'loiipe  constamment  et  fournit  le 
liiïge  apivs  enlèvement  de  la  couche  exttu’ieure. 

L’autre  forme  du  chène-li(’‘ge,  le  cln^ne  occidental  {Qitercns 
occideiitalis,  (iay,  ou  Snl/ev  omdentalis,  Coulinho),  ajipelé  fami- 
lièrement carrier  ou  corsier,  dilfère  sur  iilusieurs  points  de  la 
forme  pna'édente.  Ses  feuilles,  au  lieu  de  [lersister  pendant  deux 
ou  trois  ans,  tomlient  dès  (pie  le  printemps  a amené  la  sortie 
des  nouvelles  feuilles,  et  sa  friictilicalion  est  biennale.  Le  chêne 
occidental  habile  seul  ou  en  mélange  avec  le  chèii(vli('*g('  ou  le 
[lin  maritime,  dans  tout  le  sud-ouest  de  la  France,  en  Portugal, 
et  remonte,  le  long  du  littoral  océaniiiiie,  jiisipi’en  Morbihan. 
Introduit,  avec  le  Querens  suher  de  Provence,  en  Hi'lle-lsie  en 
mer,  il  y a réussi,  tandis  (pie  l’autre,  bien  moins  riistiipie  et  plus 
sensible  au  froid,  y a promptement  péri.  On  cite,  comme  forêts 
mélangées  de  chêne  corciei’,  de  (Jnercus  snher  et  de  pin  mari- 
time, celles  d’Arcaebon,  d’une  (Hendiie  de  3000  hectares,  et  de  la 
Teste,  de  3080  hectares. 


(I)  (losMOS  (lii  ()  ofl(il)rt‘  mot). 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


:il9 


Il  y avait  naguère,  dans  le  parc  de  Trianon,  à Versailles,  un 
Quei'cns  occidentnlis  en  pleine  terre  (pii  mesurait,  vers  1850  on 
1860,  14"', 5 de  hauteur  et  1"','45  do  circonférence.  Mais  il  n’a  pas 
résisté  à l’iiiver  exceplionnellement  rigoureux  de  1870-1880  (1  ). 

Le  bois  de  rune  et  l’autre  variété  du  cliène-liège  est  peu  propre 
aux  grandes  constructions  ; il  arrive  rarement  et  par  exception 
aux  belles  dimensions  (pi’il  accpiiert  (piekpiefois  ; il  est  extrê- 
mement lourd,  se  gerce  largement  et  profondément  anx 
moindres  alternatives  de  sécheresse  et  d’humidité,  et  parfois 
même  tombe  en  pourriture;  il  se  fend  ditïicilement  et  sans  régu- 
larité. On  l’emploie  toutefois  en  menuiserie.  Le  liber  de  nos 
chênes,  qui  est  épais,  est  extraordinairement  riche  en  tanin  : la 
teneur  en  cette  matière  des  écorces  de  chêne  rouvre  ou  pédon- 
culé  étant  1,  celle  du  liber  de  chêne-liège  serait  1,6^.  Mais  comme 
ce  liber  est  en  même  temps  la  iiartie  de  l’écorce  qui  en  engendre 
la  partie  subéreuse,  ce  qu’on  appelle  la  mère  du  liège,  on  a inti- 
niment  pins  d’intérêt  à la  ménager  qu’à  l’extraire  pour  .sa  riebesse 
en  tanin. 

Nous  n’avons  pas  à décrire  ici  l’opération  du  démasclage  ou 
enlèvement  de  la  partie  extérieure  de  l’écorce  antérieure  appelée 
liège  mâle  et  de  la  levée  du  liège  femelle  qui,  moyennant  le  re.s- 
pect  alisolu  du  liber,  reproduira  la  couebe  de  liège  eidcvée.Mais 
une  considération  se  pi'ésente  naturellement  à l’esprit  à l’occa- 
sion du  Qnercus  si(ber  occideaùdis  qui,  plus  robuste,  moins  sen- 
sible au  froid  que  son  congénère  méridional,  a pu  pi'ospérer 
ju.squ’à  Versailles.  Il  est  vrai  qu’il  a succombé  aux  froids  excep- 
tionnels de  J87!)-1880;  mais  c’était  un  exemplaire  isolé.  Dans  un 
massif,  il  arrive  souvent  que,  par  des  froids  extrêmes,  (pielques 
sujets  sont  gelés  sans  que  d’autres  soient  atteints.  Il  serait  inté- 
res.^ant  de  tenter  quel([ue  essai  d’introduction  du  chêne  corcicr 
dans  les  climats  qui,  .sans  être  méridionaux,  sont  cependant 
assez  tempérés  pour  que  les  froids  excessifs  y soient  rares. 

Le  gemmage  des  pins  en  Sologne.  — L’industrie  de  la 
résine  extraite  des  conifères,  principalement  des  pins,  et  des  lU'O- 
duits  qui  en  dérivent,  est  spèciale,  en  France,  aux  départemenis 
du  Sud-0ucsl,oii  abonde  le  Pin  maritime,  le  plus  riche  en  résine 
de  tous  nos  conifères  indigènes,  .\ussi,  le  gemmage  ou  résinage 
de  ces  arbres  occupe-t-il  la  très  majeui'e  i)aiiie  des  poindations 
rurales  de  ces  contrées. 


(1)  r.f.  Malliieu,  Flore  forestière,  édilioti  Fliche,  1897. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:tj() 


Les  Klals-l'iiis  d’AiiKM-iquo,  ({ui  possi’alenl  une  grand e variété 
de  pins  riches  en  n'sine,  l'ont,  aux  résiniers  de  l’Europe  occiden- 
tale, une  concurrence  sérieuse.  Aussi,  lorsque  la  guerre  de 
Sécession  ai  rèta  pour  un  temps  toute  extraction  et  tout  commerce 
de  prodiuls  résineux,  une  hausse  considérable  et  en  sens  inverse 
de  la  production  S(;  maniresla  sur  ces  produits;  on  se  mit  à 
gemmer  un  pou  parloid  dans  les  pays  à pins.  La  (iorse,  de  LSlid 
à l(Stu,  lira  de  iÔOIII)  pins  lai'icios,  kilogrammes  d(! 

résine,  l.a  Sologne  i>id  alors  en  extraire  de  ses  pins  mai'ilimes  et 
même,  dit-on,  de  ses  pins  sylvestres. 

.Mais  dès  (|ue  lut  close  la  guerre  améiâcaine.  le  Vaidvee  se  remit 
à j(‘ter  sur  le  marché  ses  prodiuls  résineux  en  ahondanci',  les 
prix  haissèi-enl  en  conséipience;  et  la  surproduction  (pu,  pen- 
dant ciii(|  ou  six  ans,  avait  l'ail  llorès  en  France,  dut  se  l’es- 
Ireindre  considérahlemeni ; le  Sud-Ou(‘sl  setd  put  soutenir  la 
concui  rence.  .Mais,  depuis  lors,  les  piâx  se  sont  l'elevés  [lar  suili; 
d(! nouvelles  api»licalions  indiislriidles  de  la  léi'éhi'nlhine  et  de  ses 
déi'ivés  ohlenus  par  distillation,  tels  (pie  les  résines,  brais,  huiles 
lourdes;  toutes  cos  suhstanc(3s  sont  de  plus  en  plus  exigées  pai’ 
les  induslriiîs  nn'canicpies. 

En  propriétaire  de  Sologne,  le  liaron  de  Lamage,  a oxjiosé  à la 
SociiHé  des  Agriculteurs  de  Fraïu'e,  section  de  Sylviculture  (I), 
comment  tend  à renailreence  pays  la  pratique  du  gemmage  ou 
résinage  des  pins  maritimes  et  même  sylvestres.  Le  syndical  des 
alcools  industriels  du  Nord  s’est  iiri'occupi',  dit  M.  de  Lamage, 
« d’assurer  la  carburation  de  ses  alcools  et  a aussil()l  songé  à 
demamhîr  à la  Sologne,  par  son  intermédiaire,  d’entrer  ré.mlu- 
menl  dans  la  voie  du  gemmage  ». 

On  .‘^ail  (pi’il  y a deux  modes  de  gemmage.  Ouand  l’oiiéralion 
se  l'ail  sur  des  ai  hres  deslini's  à disparaîli’e  sous  peu  d’années, 
on  extrait  la  n'sine  jiar  des  (jHarres  ou  entailles  praliipiées  tout 
autour  de  chaipie  arbre;  c’est  le  gemmage  à mort.  Ouand  elle  a 
lieu  sur  des  arbres  destinés  à suivre  le  cours  de  leur  existence 
normale,  on  l(3s  gemme  à vie,  c’est-à-dire  (pi’on  ne  les  entaille 
(pie  d’un  seul  céité  à la  t'ois;  l’entaille  ou  ipiarre  est  agrandie  en 
hauteur  cba(|ue  année,  et  l’on  ne  commence  une  nouvelle 
entaille  à la  suite  de  la  première  (pie  (piand  celle-ci  s’est  étendue 
sur  toute  la  longueur  du  tronc. 

Le  gemmage  à vie,  d’aiuvs  les  autorités  compétentes,  nommé'- 
ment  Hrongniart,  ralentit,  mais  sans  l’arrêter,  la  végétation  du 

(1)  Eommissioü  iicrmaiK'iilc  ; cf.  !(’  bui.i.ETi.x  do  la  Sociétâ,  du  15  dû- 
femltni  10(15. 


REVUE  DES  recueils  PERIODIQUES 


3:^1 


pin.  Condnil  avec  modération,  il  n’allère  même  pas  sensiblement 
sa  longévité,  et  s’il  a [)Our  elïet  de  diminuer  son  développement 
en  diamèti'e,  d’autre  part  le  bois  gemmé  acquiert  des  qualités 
de  résistance,  de  dureté,  de  conservation,  de  poids,  de  dévelopt)e- 
ment  de  chaleur  bien  supérieures  à celles  du  pin  non  gemmé. 
D’où  l’on  voit  que  l’introduction  de  résinages  dans  les  pineraies 
solonaises  doit  pouvoir  en  doubler  le  revenu.  Reste  tà  savoir  — 
ce  que  iera  connaître  l’expérience  des  années  subséquentes  — si 
les  résines,  térébenthines,  goudron,  brais,  etc.,  obtenus  par  les 
pins  sylvestres  et  maritimes  de  cette  région,  seront  de  qualité 
sutlisante  pour  soutenir  la  concurrence  avec  les  autres  pays  pro- 
diK’teurs. 

D’ores  et  déjà,  M.  le  baron  do  Lamage  et  ses  voisins  de  cam- 
pagne trouvent  un  assez  grand  avantage  au  gemmage  pour  s’étre 
résolus  à en  étendre  la  lualique 'chaque  année.  A la  séance  sui- 
vante de  la  Commission  pei’manente,  M novembre  J905  (I), 
iM.  le  marquis  de  Tristan  ajoute  que  le  gemmage  des  pins  solo- 
nais  est  en  plein  travail  d’organisation  dans  sa  contrée,  et  qu’il 
est  t)r<'t  à suivre  l’exemple  de  M.  de  Lamage.  Dlusieurs  usines 
sont  projetées  dans  la  région,  avec  une  usine  centrale  à La  Molte- 
Reudron  i)our  le  rallinage.  Une  Gom[)agnie  s’est  loi  mée  qui  loue 
les  arbres  à gemmer  en  se  chargeant  de  Iburnir  les  gemmiers  ou 
résiniers. 

Il  sera  intére.ssant  de  savoir  quels  auront  été,  dans  quelques 
années,  les  résultats  de  ces  heureuses  initiatives. 

Conservation  de  l’aubier  des  bois  de  service  et 
d’industrie.  — il  résulte  des  recliei'ches  d’un  agronome 
Ibrestier  de  haute  valeur,  M.  Emile  Mer,  que  l’attaque  des  bois 
par  les  insectes,  principalement  de  l’aubier  des  arl)res  abattus, 
est  motivée  par  la  présence  de  l’amidon  daii.s  les  tissus  ligneux, 
car  c’est  de  l’amidon,  M.  Mer  Ta  constaté,  que  se  noundssent 
exclusivement  les  insectes  lignicoles.  Supprimer  l’amidon  de 
l’aubier  des  arbres  en  exploitation,  ce  serait  rendre  cette  partie 
d’une  pièce  de  bois  d’aussi  bonne  conservation  cpie  le  cœur  lui- 
mème,  d’où  disparaîtrait  la  nécessité  onéreuse  de  la  sacrifier. 

M.  Mer  avait  eu  occasion  de  remarquer  que'  des  arbres  qui 
avaient  été  écorcés  sur  pied  trois  ou  quatre  mois  avant  l’aba- 
tage, se  trouvaient  complètement  dépourvus  de  toute  trace 
d’amidon,  au  moins  sur  toute  la  partie  décortiquée.  l'oursuivant 

(I)  r,I.  le  üuLLETix  (lu  !«■  jnnvier  lUtHi. 

ItD  SÉtUE.  T.  .\ll. 


“2t 


REVrP]  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rexpérienco,  il  s’étnil  l'endii  compte  (jii’eii  écorçant  seulement, 
en  liant  et  tout  autour  du  tronc,  un  anneau  de  ipielipies  centi- 
mètres de  largeur,  et  prenant  soin  de  ne  laisser  aucun  rejet  se 
dévelop[)er  au-dessous  de  la  partie  annelée,  cela  sullit  pour  que 
l'amidon  se  résorbe  peu  à jieu  dans  toute  la  région  située  au- 
dessous  de  ranneau  ; et  l’aubier  ainsi  débarrassé  est  désormais 
indemne  de  toute  piip'ire  de  larve,  cbenille  ou  autre  insecte. 

.M.  Mer  expliipie  ainsi  la  cbose.  (bi  sait  que  ramidon  dans  les 
arbres  à aubier  est  élaboré  par  li's  t'euilles  sous  rinlluence  de  la 
lumière,  et  se  rend  pai'  le  liber  des  rameaux  aux  branches,  .à  la 
tige  et  aux  racines.  L’annélation  jiratiquée  au  haut  de  celle-ci, 
sous  la  cime,  arrête  la  mai’cbe  de  l’amidon,  ipii  ainsi  ne  peut 
plus  desciMidre  au-d(‘ssoiis  de  l’anneau  décortiipié.  Il  s’accumule 
alors  dans  la  cime  et  ses  branches,  tandis  (jne  le  tronc  éi)uise 
peu  à peu  la  provision  amylacée  cpii  ne  peut  jdiis  se  nmouvider. 
Suivant  l’essence,  les  dimensions,  la  saison,  cette  résoi-ption 
s’opère  iilus  ou  moins  vite,  en  tout  cas  beaucoup  plus  raiiide- 
ment  en  été  (pi’('ii  hiver. 

Ce  serait  le  cas,  [lense  .M.  Mer,  d’adopter  une  mesiiie  consis- 
tant, plusieurs  mois  avant  l’abatage  dt‘s  arbres  destiiu's  à l’exploi- 
tation, à les  écorcer  sui'  pied  ou  seubmienl  à pratiipier  uiii'anué- 
lation  au  somimd  du  tronc,  à la  base  de  la  cime;  toutefois,  dans 
ce  dernier  cas,  il  serait  nécessaire  de  veiller  à arrêter  toute  pro- 
duction de  rejets,  pousses  ou  branches  gourmandes  sur  la  tige 
ainsi  traitée  (.Iouiînai.  n’AGiucuLïuni:). 

Alternance  ou  mélange  des  essences?  — V a-t-il  ou 
n’y  a-t-il  [>as  alternance  entre  les  végétaux  arborescents  comme 
entre  les  [)lantes  herbacées,  notamment  les  céréales?  Cette 
(piestion  a été  bien  souvent  discut('e  et  a même  donné  lieu  à des 
|)olémi(pies  assez  vives. 

l'eut-ètre  se  fùt-on  mis  d’accord  sans  trop  de  dilliculté  si  l’on 
eût  précisé  davantage  les  termes  de  la  (piestion. 

Il  faut  d’abord  distinguer  enti’e  les  arbres  croissant  isolément 
comme  des  li'uitiers  dans  un  vei’ger,  des  noyers  ou  des  châtai- 
gniers ('pars  à travers  chamjis,  et  les  arbres  croi.ssant  en  massif 
comme  dans  les  forêts.  Parmi  ces  dernièius,  il  y aurait  aussi  une 
distinction  à établir  entre  les  pi'iiplements  spontanés  ou  naturels, 
c’est-à-dire  tels  (pie  les  constitue  la  nature,  et  les  peuplements 
amenés  à l’état  pur,  c’est-à-dire  composés  d’une  seule  essence  jiar 
les  soins  industrieux  de  l’homme. 

S’il  s’agit  d’arbres  isoli's,  un  bon  jardinier  ne  s’avisi'ra  jamais 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODRjUES 


:^23 

de  remplacer  tm  [)ommier  ou  un  poirier,  abattu  pour  cause  de 
vétusté,  par  uii  autre  pommier  ou  poirier,  ou  par  un  cognassier, 
ni  un  pécher  ou  un  abricotier  par  un  prunier  ou  un  amandier. 
.Mais  là  où  a vécu  un  arbre  portant  des  l'ruits  à pépins(l'omacées), 
il  plantera  un  arbre  à Iruits  i)Ourvus  d’un  noyau  (Amygdalées). 
La  raison  en  est  làcile  à saisir  ; la  làmille  des  .Vmygdalées  et 
celle  des  Pomacées  ne  s’alimentent  pas  des  mêmes  principes 
nutritil's;  quand  un  arbre  de  l’une  des  deux  espèces  a longtemps 
occupé  isolément  telle  place,  il  y a épuisé  les  principes  nécessaii'es 
à son  groupe  et  laissé  intacts  ceux  (pie  réclament  les  arbres  du 
groupe  voisin  ; d’où  la  pratique  du  remplacement  par  espérés 
de  famille  dilférente. 

Dans  un  massif  forestier  naturel,  c’est-à-dire  mélangé  de 
diverses  essences,  il  n’en  est  plus  de  même.  Uapprocbés  les 
uns  des  autres,  les  arbres  et  les  cépées  entrecroisent  leurs  racines, 
celle.'i-ci  puisent  cbacune  dans  le  sol  ce  (]ui  convient  au  sujet 
dont  elles  dépendent.  D’autre  part,  les  feuilles  et  autres  débris 
végétaux  qui,  à chaque  automne,  tombent  sur  le  sol  et  lui  font 
peu  à ]ieu  une  couverture  plus  ou  moins  épaisse,  se  transfor- 
ment, graduellement  aussi,  en  un  riche  humus  ([ui  rend  au  sol 
ce  {[ue  la  .sève  lui  avait  pris.  .Vvautage  considérable  dont  ne 
jouissent  pas  les  arbres  isolés.  Dans  ces  conditions,  un  peuple- 
ment forestier  peut  se  maintenir  indéliniment  ; l’alternance 
— si  alternance  il  y a — y est,  peut-on  dire,  simidtamie. 

Un  forestier  de  la  Savoie,  .M.  Scbaelfer,  a fait  sur  ce  sujet  de 
très  curieuses  observations  en  parcourant  les  Ali)es  savoisiennes 
depuis  les  bords  du  lac  de  Genève  jusciu’aux  limites  de  la  végé- 
tation foi'estière  (1).  Il  y a observé  notamment  de  très 
nombreuses  sid>stitutions  d’essences  : ici  des  aulnaies  bordant 
des  cours  d’eau,  des  taillis  de  chêne,  voire  des  châtaigneraies 
envahies  par  l’épicéa;  ailleurs,  au  contraire,  le  chêne  et  autres 
feuillus  font  invasion  dans  une  pessih-e  (forêt  d’épicéa) 
de  plaine  ou  de  plateau.  Ou  bien  ce  sont  les  résineux  (pii 
s’implantent  dans  des  perebis  de  hêtres,  ou  encore  le  sapin 
{Abies  pedinatu  D.  G.)  qui  s'installe  dans  la  pessière  ou  parmi 
les  mélèzes. 

On  pourrait  multiplier  des  exemples  de  ce  genre. 

Est-ce  là  de  véritable  alternance,  au  moins  dans  le  sens  qu’en 
agriculture  on  donne  à ce  terme  ? Tel  n’est  pas  l’avis  de 
•M.  Scbaelfer  ([ui  voit  l’explication  du  phénomène  dans  « la  ten- 

(t)  /)(’  l'Alti’mance  des  moiccs.  ilans  tlEVUE  des  Eacx  et  I'orèts  (te 
novenil(re  ttKMi,  t.  XI. 1\'. 


REVISE  DES  QT'ESTIOXS  SCIEXTIFIDIÎES 


3-2  i 

(lance  de  la  nainre  à reconsliliier  sm'cl)a([ue  point  la  ror(M  s|)on- 
taïu'e  proitre  à la  station  y>.  Il  invoque  à ce  proi)os  la  considi'ca- 
tion  présent('e  ci-(lessns  conceiaiant  le  nitidange  des  esseinaîs,  un 
peuplement  naturel  ii’étanl  jamais  composé  d’nne  essence 
mii(pie,  car  tonie  futaie  inire  n’est  parvenue  à cel  étal  (jue  par 
rinlervenlion  de  l’homme,  et  c’est  cette  intervention  constante 
(pii  seule  la  maintient  en  cet  état. 

Chaijue  .s7e//on,  sorte  de  subdivision  de  climat,  correspondrait, 
suivant  les  observations  de  M.  Klabaull,  l’éminent  botaniste  de 
Montpellier,  à une  association  végétale  pai'ticuliére,  compre- 
nant des  iilantes  herbacées  associées  en  général  à deux  ou  trois 
essences  forestières,  représentant  les  éléments  de  la  forêt  natu- 
relle. (’i’est  ainsi  ipie,  suivant  les  stations,  l’épin'a  s’associe  non 
seulement  an  hêtre  et  an  saiiin,  mais  aussi  au  chêne,  au  boideau 
en  terrain  siliceux,  sur  les  versanis  s(3cs  au  inn  sylvestre,  enlin, 
aux  hautes  altiindes,  au  pin  de  montagne,  au  méh'zi'  et  au 
cembro.  Des  massifs,  pleins  de  ces  ([uatre  (‘ssences  (Mi  mélange 
ont  été  observés  pai'  .M.  Scbaetfer,  au-dessus  d('  mètres. 

Le  même  obsei'vatem  de  cette  région  savoisi(‘nne  (pu  s’étend 
de  la  zone  tempérée  à celle  des  neig(‘s  peiqx'luellc's,  arrêtait  ses 
« yeux  émerveillés  w sur  iiik'  magnili([ue  l'idaie  mélangée  de 
mél(‘Z(is  et  de  li’ombles  d’origine,  allirme-t-il,  absolument  spon- 
tanée. 

Il  conclut  (pie  la  foiét  naluiadle  doit  comimmdre  pour  le  moins 
deux  essences  et  que  l’alternance  ne  serait  autre  (pie  la  loi  du 
mélange,  autrement  dit  ce  (pie  nous  appelions,  en  commen- 
çant, rallernance  simultanée. 

Conservation  des  futaies  d’épicéa.  — L’éiiicibi,  /bVw 
e.rcelsa,  bink,  présenhq  pour  son  traitement  en  massif  pur,  plus 
de  dilliculli'  (pie  toute  autre  essence  en  raison  de  son  (‘iiracine- 
menl  puremeni  horizontal  (pie  ne  contienl  aucun  jiivol  ou  racine 
profondément  enfoncée  en  terre.  L’arbn^  n’oifre  par  suit(‘ (pi’iine 
faible  résistance  à l’action  des  vents.  Sans  doute  r('lal  d(>  massif, 
tant  (pi’il  subsiste,  lui  est  favorable,  les  sujets  dont  il  se  compose 
se  prêtant  un  appui  mulind.  .Mais  vienne  le  moment  (h's  coupes 
principahxs  ; votre  piwmiiére  coiqie  de  régénération  aura  beau 
être  sombre,  c’est-à-dire  ne  poiMer  que  sur  un  petit  nombr(* 
d’ai'bres,  l’ensemble,  (hqà  éclairci  par  h\s  deinièia's  coupes 
d’amélioration,  ne  pr('sentera  plus,  aux  rafales  du  vent,  une 
résistance  sullisantiv  bl  siqiposé  (pi’il  n’en  ail  pas  trop  .^oudert, 
(piand  aura  ('b'  prali(pié(‘  la  coupe  claire,  il  est  à craindre  (pie  le 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


325 


vent  ne  se  charge  à lui  seul  d’opérer  la  cou|)e  délinilive  et  sans 
attendre  les  délais  prévus  par  le  cahier  d’aménagement  : il  l'era 
coupe  bhuiche,  c’esKà-dire  (pi’il  renversera  tout  sans  même 
al  tendre  peut-être  la  traite  des  bois  abattus  par  la  coupe  claire. 

Le  (ait  a été  plus  d’une  Ibis  observé  en  montagne. 

[^e  Blllktln  de  la  Société  centrale  forestière  de  Bel- 
gique (1)  propose,  pour  la  conservation  des  pessières  de  la  haute 
Ardenne,  d’y  introduire,  par  voie  de  plantation  en  bompiets,  le 
sajiin  et  le  hêtre.  C’est  là  une  salutaire  application  du  principe 
du  mélange  des  essences,  à laquelle  on  ne  saurait  trop 
applaudir. 

.Mais  en  attendant  que  les  plants,  sapin  et  hêtre,  de  trois  ou 
quatre  ans,  (pie  l’on  aura  disposés  en  bouquets  dans  les  trouées 
du  massif,  soient  devenus  des  arbres,  et  des  arbres  assez  forts 
pour  servir  de  soutien  aux  vieux  épicéas,  bien  des  années  se  pas- 
seront, durant  lesquelles  le  vent  aura  eu  le  temps  de  faire  des 
siennes. 

Sans  repousser  le  mélange,  tout  en  le  préconisant  au  contraire, 
ne  serait-ce  pas  le  cas,  ici,  de  recourir,  en  attendant,  à la  vieille 
méthode  à\\o  jardimüoire  : chercher  le  nombre  de  mètres  cubes 
répondant  à la  possibilité  adoptée  à travers  toute  l’étendue  d’un 
massif  donné,  en  choisissant  les  arbres  les  pins  avancés,  les  plus 
proches  de  leur  période  de  dépérissement  ou  seulement  station- 
naire? Disséminées  sur  une  grande  étendue,  les  trouées  laissées 
par  les  arbres  abattus  seront  peu  sensibles.  L’année  suivante  on 
opérerait  de  même  sur  le  massif  voisin,  et  ainsi  de  suite,  pour  ne 
revenir  au  premier  massif  qu’au  bout  de  plusieurs  années, 
quand  les  trouées  d’abatage  auront  été  comblées  en  tout  ou  en 
partie  par  l’accroissement  des  branches  des  arbres  environ- 
nants. ou,  mieux  encore,  par  le  développement  des  hêtres  et 
sapins  introduits  en  mélange. 

Sans  doute  il  résultera,  à la  longue,  de  ce  mode  de  jardinage, 
un  peuplement  irrégulier  où  tous  les  âges  se  trouveront  repré- 
sentés à la  fois  sur  tous  les  points  : mais  c’est  là  précisément  que 
sera,  pour  nos  épicéas,  la  garantie  contre  la  violence  des  vents, 
chaque  vétéran  se  trouvant  protégé,  soutenu  par  les  générations 
plus  jeunes  dont  il  sera  entouré. 

Ce  que  peut  rapporter  une  pessière.  — Le  Bulletin  de 
LA  Société  CENTRALE  forestière  de  Belgique  (2)  cite  une  plan- 
tation d’épicéa  faite  il  y a une  soixantaine  d’années  sur  une 

(I)  lléceml)re  lUüG,  Chroni(iuc. 

(“2)  Février  ii)UG. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCI ENTI PIQUES 


parcelle  de  deux  hectares,  hupielle  est  située  dans  la  partie  orien- 
tale du  Lu\eml)ourg'  heliie,  [)rès  de  la  ville  de  Bastoj>iie;  elle  a 
rapport(’  à sou  propriétaire,  dans  le  cours  et  au  bout  de  ce  laps 
de  l(Mups,  la  somme  roiidelette  de  :27  (NK)  tiaiics. 

(letle  p(‘ssiére  avait  été  plaiit('e  par  un  af>ronome  d’Isle-le-l'ré, 
non  loin  de  Hastoi>iie,  M.  Diu'ieux,  et  avait  passé,  après  sa  mort, 
à ses  héritiers  naturels  hahitaut  Valeucieimes. 

Vers  rài>-e  de  ciiupiante  ans,  ce  massif' d’épicéa  avait  été  l’ob- 
jet d’une  forte  éclaircie  (pu  avait  produit  la  somme  nette  de 
r»(K)()  francs;  et  derniéi'imieid  la  famille  l)elg'rani;e,  héritière  de 
.M.  Durieiix,  a vendu  la  totalité  au  [uix  de  ;2:2()Ol)  fi'ancs.  On  ne 
dit  pas  si  c’est  en  su[)erticie  seidement  ou  bien  en  sol  et  super- 
licie;  mais  ce  détail  est  de  i)eu  d’importance  au  [toint  de  vue 
(pu  nous  occupe,  la  valeur  du  sol  nu  étant  ici  relativement  insi- 
i>niliante. 

ha  s[)('culation  à loiii>'  terme  (pi’a  été  la  cn'ation  de  ce  l)ou(piet 
d’(''|)ic(his  n’en  fait  pas  moins  ressortir  le  n'sullat  à un  produit  de 
-::îr)  francs  par  hectare  et  [)ar  an.  hile  a donc  constitné  un  excel- 
lent placement  de  père  (h;  famille  (h  mérite  d’élre  particidière- 
ment  siiinabie  aux  personnes  momies,  (|ui  ne  meurent  [)oint, 
telles  (pie  communes,  hials,  associations  provinciales  et  autres, 
voire  aux  jeunes  jiroiiriétaires  (pii  peuvent  conpiter  sur  un  loiii^ 
avenir. 

Forêts  et  Landes  en  Loire  et  Haute-Loire.  --  Les 

départements  de  la  Loire  et  de  la  llaiiti'-Loire  forment,  autour 
de  la  ri'ii’ion  orograiihiipie  appelée  par  hlie  de  Beaumont  « IMa- 
teaii  central  o,  une  zone  montairiieuse  en  partie  boisée  et  ipii, 
sans  [)i'(\seidei'  un  état  de  ruine  aussi  accentué,  aussi  désolant 
(|iie  certaines  [larties  des  .\l[)cs  provem-ales  et  daiiphinoisi's,  n’en 
appelle  [las  moins  une  im[)ortanle  restauration,  soit  par  la 
r('glementation  et  l’amélioration jles  pâturages,  soit  surtout  et 
priuci[»alement  par  le  reboisement. 

I.a  Société  des  .Vgriculteiirs  de  France  avait  mis  au  concours, 
au  point  de  vue  de  l’état  forestier  tel  ipi’il  est  et  tel  ipi’il  serait 
désirable  (ju’il  fût,  l’i'lude  de  ces  deux  dé[»arlements,  en  insistaid 
sur  la  [iropriété  forestière  [irivée  sous  ses  ditïérents  aspects,  et 
sur  l’intluence  de  la  couverture  forestière  sur  le  n'gime  des 
eaux. 

Le  mémoire,  coiironué  [lar  la  Société,  a été  fourni  par  M.  Yes- 
siot,  ius[)ccteur  des  Faux  et  Forêts  à Sainl-Ftienne.  .Notre  inten- 
tion n’est  pas  d’analyser  ici  ce  mémoin;  (pii  remplit  plus  de 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


327 


vingt  pages  du  texte  tin  et  serré  du  15ulletl\  in-octavo  de  la 
Société  (1).  Aons  voudrions  seulement  attirer  l’attention  sur 
([uekiues  points  (pu  nous  ont  paru  plus  particulièrement  intéres- 
sants. 

Formée  de  chaînes  de  montagnes  entre  lesquelles  s’ouvrent 
les  vallées  de  la  Loire  et  de  ses  allluenls  et  une  faible  étendue  de 
celle  du  Rhône,  la  région  comprise  dans  ces  deux  départements 
est  constituée  géologiquement  par  des  granits,  des  porphyres, 
des  schistes  cristallins,  le  tout  recouvert  en  montagne  d’une 
couche  de  terre  végétale  assez  friable,  les  alluvions  quaternaires 
remplissant  principalement  les  vallées.  Dès  que  la  végétation 
disparaît  sur  les  versants,  la  terre  se  désagrège  peu  à peu  et  la 
roche  ne  tarde  pas  à apparaître.  Peu  de  sources,  dans  ces  mon- 
tagnes, par  suite  de  l’imperméabilité  du  sous-sol;  aussi  les  eaux 
des  fortes  pluies  s’écoulent-elles  rapidement,  [u'ovoquant  des 
débordements  et  des  inondations  dans  la  plaine. 

L’auteur  du  mémoire  fait  judicieusement  remarquer  que, 
dans  le  massif  des  Vosges,  d’une  constitution  géologique  en 
partie  semblable,  le  régime  des  eaux  de  la  Moselle  et  de  la 
.Meurthe  est  calme  et  régulier,  sans  grandes  crues  et  sans  inon- 
dations, tandis  (pi’il  en  va  fort  ditféremment  du  Rhône,  de  la 
I,oire  et  de  ses  allluents  : c’est  (|ue  les  montagnes  vosgiennes 
sont  boisées  partout  où  la  culture  est  inapi)licable,  tandis  que, 
dans  la  Loire  et  la  Haute-Loire,  le  taux  de  boisement,  de  L4  p.  c. 
dans  le  premier  de  ces  deux  départements  (1)6  060  hectares 
boisés  sur  479  900  de  superticie  totale),  et  de  18  p.  c.  dans  le 
second  (90  000  hectares  boisés  sur  ÔOO  000)  est  notoirement 
insutlisant  dans  une  région  où  domine  de  beaucoup  la  mon- 
tagne. Surtout  si  l’on  tient  compte  du  délaissement  de  la  {)lu- 
part  des  forets  privées,  où  les  abus  de  la  jouis.sance  et  la  pra- 
ti([ue  du  pâturage  intensif  amènent  fréquemment  un  état  de 
ruine  équivalent  à un  défrichement. 

Il  y aurait  deux  remèdes  à cet  état  de  choses.  Le  premier 
consisterait  dans  l’amélioration  du  régime  des  forêts  existantes 
et  tout  d’abord  dans  l’obstacle  à apporter  à leur  graduelle  dis- 
parition. Il  faudrait,  pour  cela,  supprimer  radicalement  le  pâtu- 
rage en  forêt,  organiser  une  surveillance  etfica)'e  et  d’ensemble, 
ouvrir  des  chemins  facilitant  l’exploitation  des  bois  sur  les  poiids 
d’un  abord  ti'op  escarpé  ou  difiicile,  propager  les  saines  notions 
sylvicoles  parmi  les  populations  rurales... 


(I  ) Numéros  des  L'''  et  13  octobre,  1“'  et  15  novembre  1!)05. 


REVUE  DES  Ql'ESTIOXS  SCIENTIFIQUES 


:^28 


Il  y a,  dans  la  Loire,  il  000  heelares  de  laïules;  il  y en  a 
75  0 '0  dans  la  llaide-Loire.  Dans  nn  antre  département  monta- 
ijnenx  on  riminstrie  pastorale  est  des  pins  prospères,  le  dépar- 
tement dn  Donbs,  l’étendne  des  landes  ne  dépasse  pas  p.  e.  de 
la  sn|)ertioie  totale  ( I ). 

Il  l'andrait,  sur  ces  110  000  hectares  de  landes,  améliorer  et 
mettre  à l’état  de  pré  tons  ceux  (pii  en  sont  susceptibles,  comme 
on  l’a  l'ait  avec  sncc(''s  et  [irolit  dans  le  Yelay  et  sur  cpieUpies 
points  dn  Forez,  et  boiser  le  reste. 

l’onr  combattre  l’érosion  des  i^oriïes  démiidées  par  la  vio- 
lence des  [ibiies,  il  peut  snilire  de  [ilanter  en  bois  les  berges 
déirradées  et  les  bassins  de  réceiition  des  eanx  (ilnviales.  Mais 
|)onr  arriver  à régulariser  le  régime  des  grands  cours  d’ean  par 
la  diminution  des  crues  et  la  snppriNssion  d(îs  apports  de  maté- 
riaux, il  est  nécessaire  de  reboiser  les  versants  montagneux  sur 
de  vastes  étendues. 

L’objection  dn  besoin  (pie  les  populations  peuvent  avoir,  pour 
ralimentation  de  leur  bétail,  des  snrl'aces  à reboiser,  tombe 
devant  le  l'ait  dn  résultat  oblenn  en  Yelay  oii  l’hectare  de  lande 
(pn  rapportait  annnellement  5 l'r.  50,  rap[)orte  après  sa  con- 
version en  pré  58  l'r.  50;  les  Irais  de  cette  conversion  par  dél'on- 
cemenl  dn  sol,  extraction  des  genêts,  ajoncs,  bruyères  et  épan- 
dage d’engrais  cbimi(pies  ap[iropriés,  s’étaient  élevés  en  ionl  à 
150  l'rancs  par  hectare.  L’accroissement  dn  revenu  s’élevant  à 
55  l'rancs,  rop(’'ration  a donc  constitué  nn  placement  à 25  p.  c. 

Il  y aurait  nn  grand  nombi'e  de  considérations  fort  intéres- 
santes à relever  dans  le  mémoire  aiupiel  a été  décerné  le  jirix 
agronomi(pie  de  la  Société  des  .Vgricnitenrs  de  France.  5'ons 
avons  vonin  seulement  montrer  que  [lar  la  combinaison,  dans 
les  pays  de  montagne,  de  l’amélioration  des  pâturages  avec  les 
reboisements,  il  n’est  [las  impossible  d’arriver  à concilier  des 
intérêts  en  apparence  opjiosés. 

Résultat  d'un  déboisement.  — Un  des  l'nnestes  elTets 
des  déboi.'^ements  inconsidérés  sur  les  versants  ra[iides  s’i'st 
cruellement  fait  sentir  rantomne  dernier,  par  une  catastrophe 
([ui  a détruit,  en  .sa  majeure  [lartie,  le  [littoresque  village 
d’Ouzous,  dans  les  llautes-l’yrénées. 

Situé  sur  un  dépôt  glaciaire  de  la  vallée  de  Lucet,  an  nord- 
ouest  d’.Vrgelès-en-lbgorre  et  au  sud-ouest  de  Lourdes,  Onzoïis 

(Il  Celte  situation  est  générale  ou  analogue  dans  toute  la  chaine  du  Jura. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


329 


est  — ou  plutôt  était  — dominé  par  la  montagne  de  Ségns  antre- 
lois  rouverte  par  une  Ibrèt,  la([uelle  tigiire  encore  sur  les  cartes 
du  département.  Malhenreusement,  comme  tant  d’autres,  cette 
Ibrèt  avait  disparu,  remplacée  par  de  maigres  pâtis  qu’altbuil- 
lail  incessamment  le  museau  Ibuisseur  d’innombrables  moutons. 

(In  violent  orage,  nne  trombe,  est  survenu.  Les  terres  du  ver- 
sant qui  domine  ()uzous  n’étant  plus  maintenues  par  l’enracine- 
ment puissant  de  la  tbrêt  d’antan,  sont  d('tacbées  du  sous-sol, 
emportées  avec  des  quartiers  de  rochers  sous  la  poussée  irré- 
sistible de  la  trombe,  et  précipitées  sur  le  village  et  celui-ci  est 
promptement  enseveli  sous  une  masse  de  matériaux  qu’on  a 
évaluée  à 1-00  000  mètres  cubes.  Neuf  des  habitants  du  village, 
surpris  par  l’avalanche,  ont  péri,  ensevelis  vivants  sous  les 
décombres. 

Le  Fig.vro,  qui  a relaté  ce  désastre,  se  livre  à de  salutaires 
réllexions  sur  la  nécessité  de  reboiser  les  montagnes,  privées  de 
leur  abri  forestier  par  l’avidité  des  populations  pastorales.  11 
déplore  les  traditions  antiforestières  ([ue  ces  populations  se 
transmettent,  dit-il,  « depuis  des  millions  d’années  d (sic)!  En 
remplaçant  les  millions  par  des  milliers  et  même  par  des  cen- 
taines, l’écrivain  du  Fig.vro  eût  été  beaucoup  plus  rapproché  de 
la  vérité.  11  n’y  a pas  :2000  ans  que  les  Gaules  avaieid  plus  de 
la  moitié  de  leur  territoire  couverte  par  les  arbres,  et  l’on  sait  ([ue, 
avant  les  invasions  des  Sarrasins,  aux  VUE  et  IX”  siècles,  tout 
le  massif  des  Alpes  et  probablement  aussi  la  chaîne  des  Pyré- 
nées, ('laient  couverts  d’épaisses  forêts.  Chassées  vers  ces 
sommets  boisés  par  la  race  envahissante,  les  populations  méri- 
dionales, (|ui  s’étaient  réfugiées  sous  leurs  ombrages,  en  com- 
mencèrent la  dévastation.  C’est  donc  bien  depuis  des  centaines 
d'années  seulement  (pie  les  populations  pastorales  sont  devenues 
ennemies  de  l’arbre  et  de  la  forêt;  et  ce  n’est  que  ti'op  suliisant 
pour  expli([uer  la  dangereuse  dénudation  dont  soutirent  nos 
montagnes  (1). 

Action  des  forêts  sur  les  eaux  souterraines  sta- 
gnantes — En  janvier  LSîJO,  nous  avons  indiqué,  ici  même, 
des  obsei'vations  fort  curieuses  desquelles  il  résulterait  ([ue,  dans 
les  pays  de  plaine,  la  nappe  des  eaux  phréatiques  ou  souterraines 


(I)  Cl',  le  ÜUI.LETIX  DE  L.\  SOCIÉTÉ  CENTRALE  EORESTIÈRE  DE  liELGIQUE  de 
juin  ier  l'JüT,  lequel  reproduit  l’article  du  Figaro,  sous  ce  titre  seiisationiiel  : 
L’Acalanchc. 


REVl’E  DES  QrESTlONS  SCIENTIFIQUES 


slagiiaiit('s,sorail  à un  niveau  sensil)leinenl  plus  bas  sous  les  sols 
boisés  (pie  sous  les  sols  découverts,  soit  prés,  cliamps,  jar- 
dins, etc. 

C’est  dans  les  plaines  de  Russie  ([ue  cet  elfet  très  peu  prévu 
a d’abord  été  constaté  par  M.  Olotzky,  conservateur  du  .Musée 
minéraloi>i(pie  de  Saint-Pétersbourg'.  .M.  Henry,  professeur  à 
l’Kcole  forestière  de  Xancy,  avait  exposé  ces  résultats  très  inat- 
tendus dans  la  Rkvl’e  des  Kaux  et  Fouets  de  seiiteinbre  ISiKS;  et 
dans  le  numéro  d’octobre  suivant,  l’iMuinent  forestier  (pi’est 
.M.  le  conservateur  en  retraite  Rroilliard,  avait  combattu  une 
telle  conclusion  par  des  considérations  fort  [irobantes,  parmi  les- 
(pielles  c(dl(!-ci  : (pie  c’est  depuis  les  grands  (b'boisements  ojiérés 
dans  les  ste[)pes  de  la  Russie  (jiie  les  grands  tleuviîs  de  cette  vaste 
contrée  ont  vu  leurs  eaux  diminuer  dans  une  [)ro[K)rlion  assez 
forte  pour  cesser  d’étre  navigables  en  dehors  de  la  .saison  des 
l)luies(l).  R’ailleiirs,  ce  pliénomène  n’est  [las  observable  seule- 
ment en  Itussie;  en  France  et  dans  un  grand  nombre  d’Flats 
du  nord  de  l’.Vmériipie,  la  perturbation  du  ri'gime  des  cours 
d’eau  consécutive  aux  grands  déboisements  de  leurs  bassins  est 
un  fait  dûment  établi. 

Il  n’en  demeure  pas  moins  ipieM.  Olotzky  a poursuivi  ses  obsi'r- 
vations  et  S(3S  expériences  et  maintient  ses  conclusions  dans  un 
ouvrage  publii'  à Saint-Pi'tersliourg  en  IROr)  {'ï).  Il  ne  s’est  [las 
borné  à étudier  prati(]uement  la  ipiestion  en  Russie;  il  a elfecltié 
des  sondages  dans  les  landes  de  (lascogne  en  octoliri',  par  un 
temps  très  pluvieux,  dans  un  pi'rimèire  déterminé  s’étendant  sur 
le  territoire  de  ([iiatre  communes.  Comme  il  l’avait  fait  en  Rus- 
sie, il  lit  creuser  une  suitii  de  [iiiits  ri'unis  par  un  polygone  de 
nividlement  ([iii  s’étendait  des  parties  boisées  aux  terrains  décou- 
verts : partout,  sous  les  ti'rrains  boisés  (jiiii  maritime),  le  niveau 
de  la  nappe  d’eau  souti'rraine  s’est  trouvé  sensiblement  plus  bas 
([lie  sous  les  sols  (bicouverts.  Sur  trois  lignes  ou  cbainesde  son- 
dage, où  la  dé[)ression  a éli'  res[)ecli vemnit  de  0'",70, 

(“t  I mètre,  le  niveau  pliri'aliipie  a constamment  oscillé  autour 
de  O"’,')!)  sous  la  surface  du  sol  cultivé,  et  de  l'",.')!)  sous  celle  du 
sol  boisé. 

( t ) Voir  à (■(“  sujcl  Elisôe  Itcctiis,  VEnro/u'  scaiidimiVi’  cl  russe. 

(^)  Les  Eciu.r  souterruines,  leur  l'cfihiic  cl  leur  disl rilmlioiu  t.n  socoiote 
piirlio.  (t(i  col  niivnig'o,  ta(]uotto  ;i  Irail  jitiis  parliciili(jmiiont  au  sujol  <pii  nous 
occupe,  est  iiililutée  : Ic’s  Eaux  soulerraiucs  cl  les  Eurcls,  priiici/ialciucul 
daus  les  plaines  el  les  laliludes  inaijennes.  — (T.  1(;  Iîuu.ktin  ue  la  Société 
CENTUALE  EOHESTIEKE  UE  ÜELC.IUUE,  avcit  tDOli. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


331 


Des  recherehes  de  même  naliire  ont  été  laites  par  M.  Henry, 
en  Lorraine,  près  de  Lunéville,  dans  la  Ibrôl  de  Mondon  et  la 
plaine  avoisinante,  et  ont  donné  des  résultats  semblables. 

Ces  deux  contrées.  Lorraine  et  Gascogne,  jointes  aux  deux 
[)oints  de  la  Russie  (environs  de  Saint-Détersbonrg  et  gonverne- 
meids  de  Kberson  et  de  Voronèje  dans  le  snd),  on  les  sondages 
ont  été  faits  en  [)remier  lien,  portent  à cpiatre  les  régions  de 
plaine  on  la  nappe  phréatique  s’abaisse  très  sensiblement  sons  le 
sol  forestier. 

Comme  le  remarque  M.  le  professeur  Henry,  les  faits  observés 
sont  trop  peu  nombreux  encore  pour  permet tr'e  d’en  conclure  tà 
une  loi  et  surtout  à nne  loi  générale.  Mais  il  y aurait  un  très 
sérieux  intérêt  .à  poursuivre  ces  expériences  sur  nn  grand  nombre 
do  points  et  dans  plusieurs  Etats  ditférents. 

Si,  ce  qni  est  possible  et  point  invraisemblable,  les  résidtats 
obtenns  se  conlirmaient  partout,  qn’en  fandrait-il  conclure? 

Nous  serions  en  présence  de  deux  ordres  de  faits  absolument 
indiscutables  et  en  apparence  contradictoires  : d’nne  part  l’abais- 
sement, dans  les  terrains  plats,  des  nappes  pbréaticpies  sons  les 
penplements  forestiers;  d’antre  part,  le  débit  des  tleuves  et 
rivières  sensiblement  diminné  et  rendn  pins  irrégnlier  à la  suite 
des  grands  déboisements  dans  les  régions  (pi’ils  traversent. 

Remarquons  d’abord  que  cet  abaissement,  sons  la  forêt,  des 
nappes  souterraines,  ne  concerne  qne  les  eaux  absolument 
stagnantes  et  immobiles;  or,  ce  ne  sont  pas  ces  eanx-là  qni  ali- 
mentent les  cours  d’ean.  Les  eaux  souterraines,  (pii  s’écoulent  à 
travers  le  sol  vers  les  rivières,  ne  sont  pas  ici  en  question,  l'ar 
conséquent,  là  on  des  déboisements  importants,  même  en  plaine, 
ont  amené  l’alTaiblissement  des  tleuves  des  bassins  desipiels 
dépendaient  les  forêts  défrichées,  c’est  ([ne  les  nappes  d’ean  qni 
pouvaient  exister  dans  le  sons-sol  avaient  leur  écoulement  vers 
ces  tlenves  on  leurs  alllnents  et  ne  rentraient  pas  dans  la  catégo- 
rie des  eaux  stagnantes  auxquelles  seules  serait  applicable  la  loi 
piésnmée. 

Une  seconde  considération,  pins  importante  encore,  et  (pii 
s’impose,  c’est  qne  si  cette  loi  iirésnmée  se  vérifiait  partout  d’nne 
manière  concordante,  il  en  résulterait  nne  éclatante  contirmation 
de  l’action  assainissante  des  penplements  forestiers  et  particuliè- 
rement des  bois  résineux,  sur  les  terrains  marécageux  on  trop 
biimides  et  par  snite  malsains.  La  [inissance  d’évaporation  d’nne 
forêt  est  énorme,  surtout  ipiand  elle  a,  sons  le  pied  même  de  ses 
cépées  et  de  ses  arbres,  une  réserve  aquifère  oii  elle  lient  puiser 
en  qnebpie  sorte  indéliniment. 


REVT’E  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:«2 

fiette  puissimce  d’évaporation,  comme  nous  avons  eu  déjà  l’oc- 
casion de  le  sii>iialer  ( I ),  est  conslalée  matériellement  par  les 
aéronanles  ; clnupie  lois  (jne  l’aérostat  passe  an-dessns  d’une 
é'tendne  boisée  importante,  il  se  produit  un  abaissement  de  tem- 
pi'rabire  très  sensible  et  (pii  se  traduit  par  une  descente  maripu’.e 
du  ballon,  la([iielle  ne  peut  être  combattue  ipie  par  la  proji'clion 
au  debors  d’une  certaine  (piantité  de  lest,  (i’est  l’etTetde  la  plus 
Jurande  humidité  de  l’air  provenant  de  l’eau  évaporée  par  la  cime 
des  arbres  ipii  produit  l’abaissement  de  la  température. 

Régime  forestier  et  forêts  privées  — l'n  fait  très 
remaiapié  en  France  — et  probablement  dans  beaucoup  d’autres 
pays  où  les  Ibréts  de  l’Ftat,  des  communes  et  autres  corps  consti- 
tiK's,  sont  g'érées  par  l’administration  publique  — c’est  (pie  les 
bois  de  particuliers  sis  loin  des  l'oréts  relevant  de  cette  adminis- 
tration, sont  i^énéralement  mal  tenus,  exiiloités  à intervalles 
beaucoup  trop  courts,  souvent  ravai^és  par  l’introduction  intem- 
[lestive  (lu  bétail,  rendant  par  suite  un  revenu  très  intérieur  à ce 
(pi’il  devrait  être. 

.\u  contraire,  les  bois  [irivés  (pii  sont  riverains  ou  voisins  de 
ceux  (pie  régit  soit  un  service  public,  soit  une  administration 
privée,  mais  biérarcbisiie  pour  la  gestion  de  l'oréts  d’étendue 
considérable,  sont  d’ordinain'  assez  soignés,  aménagés  n'gu- 
liérement,  et  d’un  rendement  à peu  [irés  normal,  grâce  à 
l’exemple  (jne  leurs  propriétaires  ont  sous  les  yeux. 

.Mais  les  iiroiiriétés  particulières  d’une  étendue  assez  consiibî- 
rable  pour  motiver  le  concours  de  toute  une  biérarcbie  d’admi- 
nistrateurs, comme  par  exem|)le  la  forêt  de  (loin  lies,  en  .\or- 
niandie  ( Fure),  (pii  comprend  sept  à liuit  mille  hectares  d’un 
seul  tenant,  ces  Ibréts-là,  au  moins  en  France,  sont  rares.  La 
très  majeure  [lartie  de  ceux  des  sept  millions  d’hectares 
boisés  appartenant  à des  particuliers  (pii  sont  éloignés  des 
grandes  agglomérations  forestières,  otfrent  trop  souvent  le  spec- 
tacle d’une  végétation  languissante,  laissant  voir  peu  de  grands 
et  gros  arbres,  mais  de  maigres  pendiis  si  ce  sont  des  résineux, 
de  confuses  broussailles  si  ce  sont  des  taillis,  le  tout  entremêlé 
de  clairières  et  de  vides  improductifs. 

Fliisieurs  se  sont  préocciqiés  ou  se  [iréocciqient  de  ce  fâcheux 
(Mat  de  choses.  D’aucuns  auraient  voulu  ([ii’on  organi.sU  un  vaste 
syndicat  de  propriétaires  forestiers  avec  une  administration  (pii 


(I)  t«EV.  ItESlJUEST.  SCIENT,  (te  juillet  HHr),  1).  ()5. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


333 


S'ôrerail  les  alfaires  du  syndical  d’une  manière  analogue  à la 
gestion  des  bois  de  l’Ièlal  et  des  communes,ou  plulùl  de  celles-ci. 

line  telle  conception  est  plus  théoricpio  (pie  |)rati(pie.  Autres 
sont  les  conditions  et  les  besoins  des  IbnMs  du  nord  ou  du  centre, 
autres  de  l’ouest  ou  du  midi;  autres  celles  de  la  plaine,  auti’cs 
celles  de  la  montagne;  et  parmi  ces  dernières,  autres  celles  des 
Alpes  et  des  l'yrénées,  autres  celles  du  Jura,  des  Vosges  ou  des 
Ardennes.  Une  administration  [mbli([ue  (pii  dispose  de  toutes  les 
ressources  et  de  l’autorité  de  l'Etat,  peut  taire  face  à un  ensemble 
de  conditions  aussi  variées.  Mais  comment  pouri’aient  s’entendre, 
dans  le  syndicat  proposé,  les  propriétaires  Ibresliers  de  Bretagne 
et  de  A'ormandie  avec  ceux  de  Vaucluse  et  de  la  Provence,  ceux 
de  la  Picardie  et  de  l’Ai  tois  avec  ceux  du  Plateau  central  ou  des 
Landes  de  (îascogne?  Comment  .organiser  un  syndical  avec  des 
re[)résentants  des  intérêts  correspondant  à des  procédés  si  dilïé- 
rents? 

En  socialiste  proposerait  .sans  doute  la  « nationalisation  », 
c’est-à-dire  la  conti.scalion  par  l’Etat,  de  toutes  les  Ibrèts  exis- 
tantes. .Mais  (piicompie  a le  res[)(?cl  du  bien  d’auliiii  et  reste 
lidèle  à la  maxime  juridique  ; honcftte  vivere,  sitnni  cniipætri- 
hiiere,  allenuii  non  laeilere,  n’aui'a  pas  un  seul  instant  l’idée  de 
recourir  à ce  mode  de  brigandage. 

En  moyen  bc'aucoup  plus  simple  et  qui  ne  lèse  aucun  droit, 
restant  d’ailleurs  l'acultatif,  est  proposé  par  deux  forestiers 
distingués,  MM.  Desjobert  (1)  et  Broilliard  (:2),  conservateurs 
des  Eorèts  en  retraite. 

l’ourquoi  la  bigislation  forestière  ne  contiendrait-elle  pas  une 
(lis|)osition  d’a[)rès  laquelle  tout  particulier  possesseur  de  liois  et 
forêts  pouri'ail  obtenir,  moyennant  une  r(’'lribution  à déterminer, 
([ue  la  gestion  de  cette  nature  de  biens  lui  appartenant  fût 
conliée  aux  agents  forestiers  de  l’Etat  ? Ceux-ci,  naturellement, 
se  coidbrmeraient,  pour  les  grandes  lignes  de  cette  gestion,  aux 
intentions  do  cba([ue  propriétaire,  comme  ils  le  font  ibijà  i>our 
les  bois  et  forêts  des  communes  et  des  bos[)ices,  se  bornant  à 
des  conseils  pour  les  mesui’es  qui  leur  paraîtraient  désirables. 
Même,  avec  cette  restriction  nécessaire,  une  amélioration  consi- 
dérable, un  bien  énorme,  résulterait  d’une  telle  mesure  : les 
forêts  particulières  mieux  administi'ées,  gérées  par  des  bommes 

(1)  Et.  Aille  à kl  (jeftlioii  des  bois  des  jun  liculieis,  dans  ttn.LETix  de  l.x 
Société  roiiESTiÉitE  de  Fraxciie-I'.omté  et  Iîei.koi!T,  mars 

(2)  Soiniiission  rolontiiire  ini  Héiihiie  forestier,  même  recueil,  décemlire 
t'IÜIi. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


3:ri 

techniques,  honnêtes  et  expérimentés,  prendraient  an  honl  de 
peu  tl’années  un  tout  autre  aspect  ([iie  celui  décrit  plus  haut. 

liien  comprise,  une  telle  mesure  ne  l'ei'ail  rien  perdreaux  pro- 
pi’iétaii  es  de  leur  liberté  d’action,  les  agents  tbrestiei's  se  char- 
geant bien  des  opéi’alions  (balivages,  récolements,  arpentages, 
ventes,  répression  des  délits,  etc.),  mais  n’usant  d’ailleurs  vis- 
<à-vis  d’eux  que  du  droit  de  conseil.  Au  surplus,  ces  soumissions  ne 
devraient  éti'o  consenties  que  poui'  un  temps  limité,  dix  ans  par 
exemple,  au  bout  destpiels,  saut' recondindion  tacite,  le  proprié- 
taire [)ourrait,  à son  gré,  reprendre  l’administration  directe  de 
sa  propriété. 

(le  mode  de  gestion  serait  particulièrement  précieux  pour  les 
l'oréts  grevées  de  droits  d’usage  ou  d’usut'ruil,  causes  incessantes 
de  dillicultés,  de  contestations,  voire  de  [)rocès. 

Il  tant  bien,  du  reste,  que  ce  besoin  d’une  meilleure  gestion  de 
la  propriété  Ibrcstiére  privée  soit,  comme  on  dit,  dans  l’air,  tiai' 
l'écemment  une  l'euille  très  |)opulaire  et  Irés  répandue  en  France, 
le  Petit  .Iouh.xal,  se  faisait  l’écho  des  doléances  de  rojiinion  à 
ce  sujet,  iiréconisant,  comme  remède  à l’état  de  choses  actuel, 
l’organisation  d’un  syndicat  général.  Nous  avons  indiqué  jiliis 
haut  les  objections  (pi’une  telle  organisation  soulève.  Il  n’en  est 
pas  moins  vrai  (pie  le  fait  (]u’une  telle  proposition  soit  piè.'^entée 
et  appuyée  par  un  organe  comme  le  Petit  .Ioltexae,  est  signili- 
calif:  il  prouve  (pie  l’opinion  publiipie  commence  <à  se  rendre 
compte  de  la  haute  importance  des  forêts  par  leur  rôle  pbysiipie 
et  économique  dans  le  monde  (1  ). 

Utilisation  des  menus  bois  de  valeur  faible  ou 
nulle.  — S’il  est  établi  — et  la  chose  ne  [leut  guère  être  contes- 
tée — que  la  consommation  en  bois  d’oMivre  de  toute  nature  est, 
dans  le  monde  entier,  supérieure  à sa  production,  il  n’en  est  pas 
moins  vrai  que,  généralement  parlant,  les  bois  de  feu  sont  de 
|)bis  en  i)lus  délaissés  au  prolit  des  combustibles  minéraux 
solides,  liipudes  ou  gazeux...  et  de  l'électricité.  Les  bois  de 
cbautfage  de  fortes  dimensions,  c’est-.à-dire  produisant  de  grosses 
et  belles  bûches,  se  vendent  encore.  Mais  la  charbonnette  et  les 
fagots  ou  boumms,  seul  fruit  des  taillis  sinifiles  exjiloités  de 
quinze  à dix-huit  ans,  ne  donnant  guère,  comme  production 
moyenne  dans  les  bois  bienvenants,  qu’une  centaine  de  stères  et 

(I)  1,’arlicte  ilu  Petit  Jocrxae  est  analysé  dans  le  IIclletix  de  i.a  Société 
CEXTKALE  FOIlESTIÉlîE  DE  ItELClOCE,  mars  J!KI7. 


REVUE  DES  RECT'EILS  l’ÉRIODRjUES 


335 


trois  mille  fagots  à l’hectare,  sont  (l’im  mince  profit  : les  fagots 
on  bourrées  ne  valant  que  le  prix  de  façon,  représentant  plutôt 
une  perte  qu’un  pi’olit,  l’exploitant  ayant  dû  payer  ses  ouvriers  à 
un  prix  dont  il  ne  sera  remboursé  que  plus  tard;  quant  au  bois 
à charbon,  il  ne  peut  pas  être  évalué,  façonné,  à [tins  de  J fr.  iO 
le  stère,  soit  lit)  francs  à l’bectai'e,  ce  qui  ne  reiirésente  qu’un 
revenu  de  moins  de  JO  francs  par  an,  dont  il  faut  encore  déduire 
l’impôt  et  les  frais  de  garde. 

(i’est  un  produit  dérisoire. 

11  est  facile  de  dire  aux  [)ropriétaires  de  forêts  dont  les  cotq)es 
sont  l'églées  de  quinze  à dix-huit  ans  : allongez  vos  révolutions; 
conduisez  vos  taillis  à être  exploités  à vingt-cinq,  trente  ou 
trente-ciiKi  ans,  de  manière  à donner  du  bois  d’industrie.  Mais 
un  tel  conseil  n’est  pas  toujours  prochainement  exécmtable, 
surtout  si  la  forêt  considérée  représente  la  majeure  part  de 
l’avoir  de  son  possesseur.  D’ailleurs,  exploité  même  à trente  ou 
quaiante  ans,  un  taillis  donne  toujours  (et  une  futaie  pareille- 
ment) par  les  branches,  par  l’extrémité  des  cimes,  des  menus 
l)ois  dont  la  défaite  sera  toujours  difbcile  sinon  onéreuse. 

M.  Caquet  a exposé  à la  Section  de  Sylviculture  de  la  Société 
des  .Vgriculfeurs  de  France  (1),  les  moyens  qui  commencent 
aujoui'd’bui  à être  employés  i)Our  arriver  à une  meilleure  utilisa- 
tion de  ces  [)roduits  inférieuis. 

On  en  vient  à supprimer,  pour  la  tabricafion  du  charbon,  la 
mise  en  meule  sur  place  des  brins  de  cbarbonnette,  et  à la  l em- 
placer  par  la  carbonisation  de  ces  mêmes  l)rins  en  vase  clos,  soit 
à l’aide  d’appareils  portatifs  démontables,  du  poids  de  4500  kilos, 
imaginés  par  .M.  Dromard,  soit  dans  des  usines  fixes.  11  existe 
de  ces  usines  à Ivry,  près  de  Paris,  dans  les  .Vrdennes  à Ilaybes, 
et  en  Nivernais,  à Prémery;  la  Delgique  et  rAllemagne  en  pos- 
sèdent également.  ICusine  de  Pi'émery  attire  à elle  les  l)ois  à 
cbarbon  dans  un  rayon  de  cimpiante  h soixante  kilomètres. 

D’autres  usines  ou  appareils  sont  affectés  à la  distillation 
de  toutes  sortes  de  bois  tant  résineux  que  feuillus. 

Mais  il  y a aussi  les  fagots  et  les  bourrées  en  majeure  partie 
composés  de  brins  d’un  diamètre  inférieur  à 10  millimètres 
et  qui  ne  sauraient  être  alTectés  à la  carbonisation,  l’our  ces 
brindilles,  des  essais  ont  été  faits,  non  sans  succès,  en  vue  de  les 
l)royer  et  de  les  réduire  en  une  sorte  de  paille  comestible  pour  les 
bestiaux.  Puis,  un  progrès  en  amenant  un  autre,  on  est  arrivé  à 


( 1 ) Sénnce  (tu  Kininrs  1901).  Cf.  tes  C.omi'TES  rendi  s de  r.Vsseml)lée  générale, 
3''  fascicule,  pp.  Bût)  et  suiv. 


REVUE  DES  QT’ESTIOXS  SCIENTIFIQUES 


:-53() 

roiislniire  des  appareils  dils  de  flifiesterie,  an  moyen  desquels 
C(!lle  nouvelle  matière  lonrragère  est  débarrassée  de  toute  aci 
dilé  comme  de  tous  éléments  taimicpies  et  parraitement  adaptée 
à ralimentation  du  bétail.  Grâce  à ce  [H’océdé,  le  prix  de  vente 
des  l'ag'Ols  i)eut  atteindre  7 à 8 francs  le  cent,  soit  :21()  à 
'ii\  francs  pour  les  trois  mille  fagots  de  l’hectare  de  rendement 
moyen. 

.^i.  Ga(piet  ne  nous  dit  pas  si,  et  à quel  faux,  la  carl)onisation 
en  vase  clos  a fait  monter  le  [irix  du  stère  de  cbarlmmiette, 
comme  il  indicpie  la  forte  plus-value  des  fagots  soumis  à la 
double  opération  du  broyage  et  de  la  digeslerie.  Il  efd  été  inté- 
re.ssant  a\issi  de  faire  connaître  riniluence  de  la  distillerie  sur  le 
prix  des  menus  bois  de  toutes  essences. 

Ouoi  qu’il  en  soit,  l’bonorable  membre  d(î  la  Section  de  Sylvi- 
cultui'ea  demaïub'  (pi’il  fût  proposé,  au  Gonseil  d’admiuislration 
de  la  Sociét(',  de  nommer  une  commission  chargée  d’aller  étudier 
sur  place  ces  divers  systèmes,  par  voie  mécanicpie  et  cliimicpie, 
d’ulilisation  des  plus  minimes  débris  de  l’exploilalion  des  bois. 

Il  y a lieu  d’ajouter  ([u’à  la  séance  de  la  tlommission  perma- 
nent(î  du  janviei'  1007,  plusieurs  membres  ont  fait  observer 
que  leurs  essais  d’alimeidation  de  leurs  bestiaux  avec  les  biin- 
dilles  de  taillis  préalablement  broyées,  n’ont  pas  donné  juscpi’ici 
des  résultats  bien  concluants.  Néanmoins,  vu  la  grande  impor- 
tance de  la  (pieslion,  il  faut  [)oursuivre  les  essais  et  s’informer 
de  ce  qui  a été  fait  ailleurs  à ce  sujet,  notamment  en  .Vngleterre. 

L'Exposition  des  bois  aux  États-Unis.  — G’est  un 
fait  bien  reconnu  aujourd’hui,  et  nous  le  raj)pelions  tout  à 
l’heure,  (pie,  pi'ise  dans  son  ensemble,  la  [iroduction  commerciale 
ou  utilisable  des  forêts  du  monde  entier  est  sensiblement 
siqiéiieui-e  à leur  l'cndement.  .Vuirement  dit,  il  est  exploité  et 
livré  à la  consommation,  cluupie  année,  une  (pianlité  de  bois 
plus  considérable  que  celle’  qui  est  produite  i>ar  la  feuille 
annuelle. 

Sous  ce  raiiport,  les  Etats-Fnis  d’Amérique  ont,  sans  doute, 
la  palme,  le  record,  comme  on  dit  aujourd’hui.  Le  journal 
Le  Bois  a publié,  d’après  les  stalislicpies  commei'ciales  de  ce 
vaste  i>ays,  la  iiroduction,  exiirimée  en  dollars,  de  leurs  exiiorta- 
tions  forestières,  de  dix  ans  en  dix  ans  jusqu’en  ItlOO,  et  ensuite 
durant  les  aimées  l'.)0:2  et  l!tt).'>.  Voici  cette  statistiipie,  elle  ne 
laisse  pas  d’étre  (MÜliante  : 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


837 


Année  18“20  . 
» 1880 
« 1840  . 

» 1 850  . 

» 1800  . 
» 1870  . 

» 1880  . 
» I8IH  ) . 
» 1000  . 
» 1002  . 
» 1003  . 


3 822  785  .lottars. 

2(!()t  3.55 

» 

3 8()5  (Î94 

») 

4 5tHJ  747 

» 

tO  299  959 

» 

t i 897  993 

» 

t732t  298 

» 

29  473  084 

» 

52  2t8  tt2 

)) 

.48  t88  ()9t 

» 

57  835  899 

» 

Ainsi,  en  moins  d’nn  siècle,  le  montant  des  exportations  de 
produits  forestiers  non  manniactnrés  s’est  élevé  de  ^2  on  o mil- 
lions à près  de  58  millions  de  dollars.  Sauf  deux  baisses  relatives 
(très  relatives)  en  1830  et  li)0'2,  raccroissemenl  a été  constant  et 
considérable,  avec,  parfois,  des  saides  importantes  comme  celles 
(le  près  de  5 millions  de  18()0  à 1870,  de  18  millions  de  1880  à 
1800,  de  2S  millions  entre  1800  et  1000.  Il  n’y  a pas  de  raison 
pour  tpie  cette  progression  s’arrête  avant  longtemps. 


Cubage  des  bois.  Rapport  du  volume  aux  planches. 

— La  ((iiestion  avait  él('  posée  à la  Société  des  Agriculteurs 
de  France,  section  de  Sylviculture,  de  savoir  ([uel  est  le  rende- 
ment, en  sciages  marcbands,  d’un  mètre  cube  de  bois. 

Il  a été  répondu,  en  ce  qui  concerne  le  cliène  et  le  sapin,  par 
un  éminent  forestier,  .M.  Bouquet  de  la  Grye,  dont  tous  les  amis 
des  arbres  et  des  forêts  ont  eu,  depuis,  à déplorer  la  perte.  En 
ce  qui  concerne  le  chêne,  les  moyennes  de  rendements  s’établi- 
raient ainsi  ; en  prenant  pour  type  la  planche  dite  d'eiitrevous 
qui  mesure  1 pouce  d’épaisseur  (()'", 0:37)  et  0 pouces  (0'“,3-43)  de 
largeur,  il  faut,  pour  donner  300  mètres  d’entrevous,  1"‘^800  à 
J'"'^,500  de  bois  cid)é  au  cinquième  déduit.  Il  faudrait  3"'^000  à 
8 mètres  cubes  si  le  calcul  était  fait  sur  du  bois  en  grume, 
puisque  le  volume  grume  est  double  du  volume  calculé  au  cin- 
quième. La  planche  d’entrevous  se  vend  au  mètre  courant,  la 
longueur  de  la  planche  ne  pouvant  être  inférieure  à 3 mètres. 

Ouant  <à  la  planche  de  sapin  — ce  qui,  en  langue  commerciale, 
comprend  (également  l’épicéa,  les  pins  sylvestres,  laricio  et 
autres,  en  général  tous  les  bois  résineux  exploitables  — la 
planche  type  ou  ordinaire,  elle  mesure  également  1 pouce 
d’épaisseur,  9 pouces  de  largeur,  et  13  pieds  (8"“,90)  de  lon- 
gueur. Vingt-six  à vingt-sept  de  ces  [dancbes  correspondent  à 
1 mètre  cube  en  grume- 

tlF  SÉtîtE.  T.  Xtt.  22 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


::J38 


Ges  chiffres  sont  des  moyennes  prises  sur  des  sciages  effectués 
sur  le  parterre  même  des  coupes.  Ils  seraient  plus  élevés  i)Our 
des  bois  débités  dans  les  scieries  où  le  perteclionnement  de  l’ou- 
tillage diminue  la  (piantité  du  déchet. 

Trufficulture.  — It’après  un  rapport  de  M.  le  comte  de 
Salvandy  (1),  la  i)roduction,  en  France,  des  truffes  dites  de 
Périgord  — mais  qui  sont  Iburnies  également  par  les  départe- 
ments limitrophes  de  la  Dordogne,  comme  aussi  par  la  Drôme,  le 
Vaucluse  et  les  Basses-Alpes,  — ne  .serait  pas  inh'rieure,  annuel- 
lement, à 1 J million  de  kilogrammes,  dont  ÔODOOÜ seulement 
proviendraient  du  Péiâgord  proprement  dit.  L’exportation 
s’élèverait,  sous  l'orme  de  conserves,  à :2()D  00(1  kilogrammes. 
■\joutons  que  les  départements  méridionaux  ne  sont  pas  les  seuls 
producteurs  du  précieux  tubercule,  qui  se  ivnconire  aussi  plus 
au  nord,  notamment  en  Berry,  sur  certains  points  de  la  Bour- 
gogne, et  jusqu’en  Alsace. 

Le  rai)port,  ipn  a pour  litre  : Le  chêne  truffier,  semble 
admettre  cpie  le  chêne  est  la  seule  essence  au  li  avers  des  racines 
de  laquelle  la  truffe  prend  naissance.  On  la  trouve  cependant  au 
pied  de  diverses  autres  arbres  ou  arlirisseaux  amentacés,  tels, 
par  exemple,  ([ue  le  châtaignier,  le  coudrier,  et  même,  au  moins 
VEhanophi/ces  sous  les  pins  et  l’épicéa.  D’autre  part, 

il  n’y  a pas,  à proprement  parler,  de  chêne  Irutlier.  Gueillii'  des 
glands  sur  les  chênes  au  pied  descpiels  se  rencontre  la  truffe  et 
les  semer  ensuite,  ne  sera  pas,  à soi  seul,  un  moyen  de  faire 
naitre  la  truffe  (piand  ces  glands  auront  produit  de  jeunes  gaulis 
de  chêne  (ti).  Mais,  avec  des  glands  ra)nassésà  terre ‘au  pied  des 
chênes  trulliers,  on  aura  beaucoiq)  i)lus  de  chance  d’en  obtenir 
des  truffes  par  la  suite,  parce  (pte,  du  contact  de  ces  glands  avec 
le  sol,  sera  résultée  (piehpie  adhérenceàde  quasi-mici'oscopi(pies 
mycéliums  du  champignon  souterrain.  Introduits  en  terre  avec 
les  glands,  ces  mycéliums  pourront  produire  des  truffes  lorscpie 
les  jeunes  chênes  issus  des  glands  auront  déveloi)pé  des  radi- 
celles en  nombre  suffisant,  soit  vers  l’.àge  de  B à JO  ans,  au 
minimum. 

.Mais  il  est  de  toute  probabilité  que  dans  un  bois  mélangé  de 
chêne,  de  châtaignier  et  de  coudrier  où  l’on  trouverait  la  truffe, 
des  noisettes  et  des  châtaignes  ramassées  tà  teri-e  au  pied  des 

(1)  Iia])port  présenti'^  nu  C-onseil  d’administration  (le  la  Soci(H((  des  Agrirul- 
teiirs  de  France,  en  s(‘anre  (tu  (i  mars  üMKi. 

(”I)  Sauf  le  cas  où  les  arluaîs  à trulles  auraient  (‘t(^  traitf's  en  vue  de  la  U-con- 
dation  artilicielle  de  la  trufle  par  rinlerimùliaire  des  feuilles  avant  leur  chute. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


331) 


cépées,  et  semées  ensuite,  produiraient,  dans  le  délai  votdu,  des 
truffes  au  pied  des  jeunes  coudriers  et  châtaigniers  provenant 
de  ce  semis. 

L’auteur  du  rapport  que  nous  apprécions  estime  que  l’étahlis- 
.sement  de  trnilières  fournirait  un  moyen  précieux  de  rendre  de 
la  valeur,  et  une  valeur  considérable,  à des  terrains  soit  ruinés 
par  la  crise  viticole,  soit  impropres  à toute  culture  proprement 
dite,  on  garnis  d’une  maladive  végétation  de  chênes  rabougris  et 
malvenants.  Et  de  fait,  on  a de  nombreux  exemples  de  cet  heu- 
reux résultat.  Les  tlancs  du  mont  Yentoux,  en  Yaucbise,  couverts 
de  maigres  taillis  dont  il  n’était  tiré  presque  nul  profit,  sont 
affermés,  pour  la  culture  et  la  production  de  la  truffe,  à raison  de 
80  000  francs  par  an.  La  commune  de  Bédoin,  dans  les  mêmes 
parages,  retirait  de  ses  bois,  poqr  la  même  cause,  en  188:2,  un 
revenu  de  23  000  francs,  et,  en  1892,  de  55  000  francs  ( 1 ) au  lieu 
de  celui  de  500  francs  qu’elle  en  obtenait  avant  l’introduction  du 
champignon  si  prisé  des  gourmets.  Dans  des  proportions  beau- 
coup plus  modestes,  il  est  vrai,  de  petits  bois  communaux,  en 
-Vlsace,  qui  remlaient,  en  1800,  30  on  iO  francs  par  an,  donnent, 
depuis  qu’on  y récolte  des  trtiifes,  300  et  400  francs  par  an. 
Pour  être  modestes,  ces  derniers  cbitfres  n’en  représentent  pas 
moins  une  valeur  décuplée. 

Le  point  important,  mais  aussi  le  point  délicat,  c’est  le  moyen, 
la  recette  poui'  établir  une  trulîièi'e,  soit  en  la  créant  de  toutes 
pièces,  soit  en  l’introduisant  dans  des  bois  existants  (2). 

Le  mode  de  génération  de  la  trulfe  est  un  secret  que  les  bio- 
logistes n’ont  pas  encore  entièrement  pénétré.  Cependant  on  a 
pu  constater  que  les  radicelles  de  certains  arbres  sont  associées  à 
des  filaments  ténus  et  délicats  provenant  du  mycélium  de  cer- 
tains champignons  et  plus  particulièrement  de  la  trulfe.  Or  cette 
association  est  si  parfaite  et  si  intime  que  la  radicelle  de  l’arbre 
forestier  semble  former  avec  le  filament  mycélien  un  tout  mor- 
phologique nettement  défini.  Cet  ensemble,  qui  n’est  ni  exclusi- 
vement une  racine  ni  exclusivement  un  organe  mycétologique, 
est  ce  que  le  naturaliste  allemand  Frank  a appelé  inycorhke. 

(1)  Cf.  La  Forêt  gauloise,  franque  et  française,  dans  la  Hevue  des 
Questions  scientifiques  d’octobre  RI0(). 

C2)  Voir  le  Bulletin  de  Sgiriculture  de  la  livraison  de  janvier  1899,  pp.  31:2 
et  suiv.,  où  il  est  rendu  comple  d'un  procédé  de  fécondation  artiliciellê 
proposé  par  .M.  le  duc  de  tiramiuont  à la  Commission  permanente  de  la  Sec- 
tion de  Sylviculture  (Société  des  .\griculteurs  de  France  ; IIulletin  du 
1'='' juillet  1898). 


:I10 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIEXTIEIQUES 


Lo  liil)ennile  (iiarnii  de  la  Inilïe  est  entoui’é  d’iiii  revêtement 
l'entré  g'i'is  (lui  n’est  autre  chose  (in’nn  réseau  de  ramifications 
mycéliennes  venant  de  ditïérentes  directions  cl  qui,  suivies 
jusqu’tà  leur  extrémité,  se  montrent  unies  en  symbiose  avec  des 
radicelles  d’arbres  amentacés,  tels  que  charme,  châtaignier, 
coudrier,  hêtre  et  chêne,  et  s’il  s’agit  des  Elap/umn/ces  { U'uiïcs^ 
de  cerf),  des  arbres  résineux,  pins  et  épicéa  (J  ). 

Ce  sont  les  jeunes  peuplements  de  ces  diverses  essences, 
quoique  principalement  du  chêne,  dont  l’enracinement  est  mul- 
tiple et  très  divisé,  qu’allectionnent  les  précieux  tubercules  de 
[)référence  aux  vieux  arbres  émettant  au  loin  de  grosses  racines 
peu  chevelues.  Ils  se  plaisent  dans  ies  sols  argilo-calcaires,  mais 
aussi  dans  les  sols  sablonneux  et  divisés  comprenant  au  moins 
une  teneur  de  ^ i>.  c.  en  calcaire. 

D’après  M.  de  Salvandy,  un  champ  d’expérience  en  vue  de  la 
culture  de  la  trulfe  aurait  été  créé,  depuis  quelques  années, 
dans  la  commune  d’Vssandon  prés  Drives  (Corrèze),  sous  la 
surveillance  d'un  professeur  d’agriculture,  et  aurait  i)rodint, 
l’année  précédeide,  des  tubercules  sauvages  {Tnher  (Irtpiplii- 
liinii)  avant-coureurs  d’une  année  ou  deux,  d’après  les  gens  du 
pays,  de  la  trulfe  comestible. 

Le  procédé  de  sectionnement  ou  d’avortement  du  pivot  des 
jeunes  plants  de  chêne,  recommandé  par  M.  de  Salvandy,  p(‘ut 
avoii'  son  utilité  en  favorisant  le  (léveloi)pement  et  l’extension 
du  chevelu,  c’est-ià-dii'e  des  radicelles.  Il  est  du  reste  facile  à 
réaliser  en  pépinière  au  moyen  d’une  bêche  bien  allilée,  enfoncée 
ohliquemeid  le  long  des  l'augées  alignées  des  jeunes  plants.  Ou 
bien  encore  on  garnit  d’une  épaisseur  de  terreau  stdlisante  un 
terrain  pavé  ou  dallé  et  l’on  y sème  les  glands.  Les  pivots  ai'rêtés 
parle  pavé  ou  la  dalle  s’atrophient  et  toute  la  sève  desccndaide 
s’utilise  en  ladicelles.  (ies  deux  proc('dés  .semblent  i)bis  pra- 
tiques et  moins  chanceux  que  celui  qui  consisterait,  d’après 
l’auteur  du  rapport,  à provo(pier  ralro[)bie  du  pivot  au  sein  du 
gland  lui-même. 

Kidin  l’on  peut  dire  que  la  ])résence  des  micorbyzes,  (pielle 
([ue  soit  l’espèce  de  champignon,  trulfe  ou  tonte  autre,  qui  les 
produise,  est  éminemment  favorable  à la  végétation  des  arbres 
en  les  mettant  à même  de  participer  en  quehiue  mesure  tà  la  vie 
saprophyte.  L’a.ssociation  des  cbami)ignons  aux  racines  des 
végétaux  ligneux  active,  dans  une  forte  proportion,  le  travail 


(1)  Eüs.mosiIu  lu  noveniltre  Ittüli.  A.  Arloque,  Les  Micovhijzes. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


3il 


(les  baclérios  sur  les  déchefs  nourriciers  (l'euilles  mortes,  menues 
ramilles  et  autres  débris  végétaux)  pour  les  trauslbrmer  eu 
substances  assimilables  et  favorise  ainsi  le  développement  et  la 
bonne  venue  des  arbres  forestiers. 

Le  Lophyre  du  pin  {Lophijrus  pini,  Lin.)  est  un  bymé- 
noptére  qui,  à l’état  de  larve,  est  une  fausse  chenille,  munie  de 
onze  paii'es  de  pattes  et  qui  vit  à nu  sur  la  cime  des  pins  dont 
elle  dévore  les  aiguilles  jusqu’à  la  base  et  les  jeunes  pousses 
elles-mêmes.  Cet  insecte  exerce  particulièrement  ses  ravages 
dans  les  vastes  plaines  sablonneuses  et  maigres  du  nord  de 
la  Belgique,  d’ime  étendue  de  5000  kilomètres  carrés  et  appe- 
lées Campine,  où  ont  été  introduits  avec  succès  les  pins  syl- 
vestre et  maritime.  Tantôt  dans  le  nord-est  du  Brabant,  tan- 
tôt dans  la  province  d’Anvers,  plus  récemment  dans  nombre 
d’autres  localités  couvertes  de  pineraies,  s’éteiulent  les  ravages 
de  cet  insecte.  Les  massifs  résineux  visités  par  le  lopliyre  pré- 
sentent en  peu  de  temps  un  aspect  lamentable,  un  peu  comme  si 
le  feu  y avait  passé. 

Mais,  chose  curieuse,  il  parait  ([ue  la  redoutable  fausse-che- 
nillen’en  veut  qu’au  pin  sylvestre.  M.  le  JU  Verstappen,  de  Diest, 
a constaté,  dans  ses  propriétés  peiq)lées  en  pin,  que  le  maritime 
reste  indemne  à côté  des  sylvestres  ravagés.  Et  un  forestier 
belge,  M.  l’inspecteur  Hoffmann,  a pu  s’as-^urer  de  la  même 
immunité  en  faveur  du  pin  laricio  restarit  inattaqué  au  milieu 
des  pins  sylvestres  dévorés  par  les  lopbyres. 

Le  Bullî;tlx  de  la  Société  cemrale  forestière  de  relgiole, 
où  nous  avons  puisé  en  grande  partie  les  détails  (pu  pré- 
cèdent (I),  regrette  (pie  le  pin  laricio  soit  trop  peu  représenté 
en  Campine  dont  il  parait  très  bien  supporter  le  climat,  où  il 
pousse  rapidement  passé  les  cinq  ou  six  premières  années, 
fournit  un  fût  élancé  et  droit  et  s’associe  très  heureusement, 
dans  les  sables  maigres,  avec  le  pin  maritime. 

L’Écimeuse,  Bupreste  du  chêne  (f).  — Les  Buprestes 
sont  des  insectes  coléo[)tères,  voisins  des  Hannetons.  L’un  d’eux, 
Conrbus  trifadalus  (Oliv.)  ou  Bupreste  de  l’yeuse,  longtemps 
cantonné  dans  la  méridionale  région  où  se  plait  le  chêne  vert,  a 

( t ) Novemlire  et  (lécenilire  I9U5,  avril  I90G. 

ri)  Le  Covo’bm,  par  E.  Pesjol)erl,  Conservateur  des  eaux  et  forêts  en 
retraite,  dans  le  Hcli.eux  ue'  la  Société  ii’AnmcuLTcnE  ue  l’Indre, 
août  19UG. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


lait,  depuis  (piehptes  années,  son  apparition  dans  le  centre  de  la 
France  on  il  s’attaque  à tontes  les  variétés  de  chêne,  [)rincipale- 
ment  dans  les  bons  peuplements  de  taillis  composé,  aux 
branches  et  à la  pousse  terminale  des  brins  de  deux  âges.  De  là, 
les  Derrichons  ont  donné  à cette  bi'stiole  le  nom  (VEciiiieuxe. 

Arrivé  à l’état  parlait,  à l’état  d’insecte  proprement  dit,  le 
l!n[U'este  dn  cbéne  ressemble  à un  petit  hanneton  (pn  n’attein- 
drait pas  centimètres  de  longnenr  avec  nue  laigenr  de  5 mil- 
limètres et  dont  les  élytres  seraient  de  conlenr  biam-verdàtre. 
(’-e  n’est  pas  cet  insecte  ([ni  pent  eanser  des  ravages  a[)préciables, 
car  line  seule  journée  Ini  snllit,  généralement  an  indien  on  vers 
la  lin  de  jnin,  [lonr  sortir  de  sa  chrysalide,  [irendre  ses  ébats, 
s’accoupler,  pondre  ses  unds  et...  mourir. 

.Mais  avant  de  [lasser  de  vie  à Inqias,  la  temelle,  vers  la  tin  de 
jnin,  a introduit  ses  œni's  à l’aisselle  des  lénilles  d(3s  rameaux 
des  jeunes  cbénes.  Bientôt  éclos  sons  nn  rayon  de  soleil,  chaipie 
(cnf  produit  nn  im{)erce[»lible  petit  ver  ([ni  va  s’insinuer  dans 
l’inlérienr  de  la  branche  on  de  la  cime  terminale  on  il  a vn  le 
jour,  pour  vivre  et  se  dévelo[)[)er  aux  diqiens  des  tissus  ligneux 
pendaid  jirès  d’nn  an,  c’est-à-dire  jnsipi’an  milieu  de  mai  on  an 
commencement  de  jnin  de  l’année  suivante.  Il  Ibrine  alors  sa 
chrysalide  (pii  dure  une  quinzaine  de  jours.  Après  quoi,  le  cycle 
recommence. 

ty(3St  donc  à l’état  larvaire  que  l’Ecimense  exerce  ses  ravages. 
Aussitôt  éclos,  le  petit  ver  descend  à l’iidérienr  de  la  branche  on 
dn  rameau,  s’introduit  d’abord  dans  la  moelle,  [ilns  tendre  ([ne 
le  bois,  pois,  devenu  [ilns  tort,  gagne  le  liber,  entre  bois  et 
(k’Oi'ce  on  il  trouve  une  nonrriinre  [)his  snccniente  et  pins 
substantielle.  Il  [irend  alors  nn  dévelo[)|)ement  relativement 
considérable,  [)nis([ne,  [)res([iie  littéralement  microsco|)iqne  à 
sa  sortie  de  rœnf,  il  [larvient  à une  longneni’  de  i à 5 centi- 
mètres avec  nn  diamètre  de  ([iiatre  millimètres. 

nnand,  en  mai,  la  larve  écimense  a[i[)rocbe  de  sa  tin,  elle  se 
met  à cheminer  en  spirale  entre  le  bois  et  l’écorce,  dévorant,  de 
ses  mandibules  sans  doute  renibrcées  [lar  cet  exercice,  tout  ce 
([d’elle  rencontre  sur  son  passage,  arrêtant  ainsi  le  mouvement 
de  la  sève.  Finalement  elle  traverse,  suivant  son  diamètre,  la 
brandie  on  le  rameau  on  elle  est  née  et  s’est  développée,  [lonr 
s’arrêter  à la  dernière  membrane  de  l’ccorce;  là  elle  creuse  nn 
espace  nn  [len  [ilns  grand  on  elle  o[)ère  ensuite  sa  cbrysalida- 
tion;  et  nne  lois  parvenu  à l’état  paiiàil,  l’insecte  n’anra,  [lonr 
prendre  son  vol,  ([ii’à  [lercer  la  mince  [laroi  d’écorce  qin  le 
séparait  de  l’air  libre. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


343 


Dans  les  peuplemenls  vigoureux  et  bienvenants,  les  ravages 
(le  VÉciuieuse  sont  peu  importants.  Des  cluùies  de  deux  Ages 
surmontant  le  taillis  voient  ([uelques-unes  de  leurs  branrhes 
latérales,  parfois  la  pousse  terminale  se  dessétdier,  les  feuilles 
de  ces  rameaux  jaunir,  noircir  et  tomber.  .Mais  l’ensemble  de 
leur  végétation  vigoureuse  ne  tarde  pas  à réparer  ces  pertes 
modiques. 

11  n’en  va  pas  de  même  dans  les  trop  nombreux  taillis  exploités 
h courte  révolution,  en  sol  maigre  et  aride,  où  les  baliveaux  sont 
rares  et  les  modernes  encore  plus.  VEcinieuse,  en  pareil  cas, 
faute  d’arbres  de  deux  Ages  et  nu'me  d’un  seul,  se  jette  sur  les 
jeunes  brins  de  cépées,  et  souvent  les  dévore  de  la  souche  au 
bourgeon  terminal. 

.V  ce  mal,  il  y a peu,  ou  plutôt  il  n’y  a pas,  pratiquement,  de 
remède.  Heureusement  la  nature  — ou,  plus  exactement,  le 
Créateur  — a elle-même  limité  les  ravages  de  notre  larve  par 
l’intermédiaire  d’un  membre  de  l’innombrable  tribu  parasite  des 
Ichneumonides  (pii,  à l’état  de  larves,  ne  peuvent  vivre  que  de 
la  substance  même  des  autres  insectes.  L’iclmeumon  du 
bupreste  appartenant  au  genre  Lissonota,  pond  ses  œufs  dans 
la  larve  même  de  VÉcimeuse;  ceux-ci  y éclosent,  y vivent  et  s’y 
développent  aux  dépens  de  l’hôte  qui  les  héberge  involontaire- 
ment. 

Quand  le  Cora’bus  se  multiplie  en  trop  forte  [iroportion, 
richneumon  pullule  en  proportion  plus  forte  encore. 

Diriger  les  taillis  de  chêne  selon  les  bonnes  méthodes  est, 
somme  toute,  le  vrai  moyen  d’empêcher  les  ravages  de  VÉci- 
meuse du  chêne. 

G.  DE  Kmw.xx. 

.Mars  t907. 


SCI  EXCES  ÉCOXOMIQL'ES 

Angleterre  La  Conférence  coloniale.  — Le  15  avril 
dernier,  la  Conférence  coloniale  s’est  réunie  à Londres  — ses 
précédentes  assises  avaient  eu  lieu  en  100:2.  Les  réunions 
de  la  Conférence,  aux([uelles  les  colonies  autonomes  délèguent 
leurs  propres  ministres,  tendent  cà  devenir  périodiques;  le  gou- 
vernement britannique  estime  ([u’elles  constituent  un  excellent 
moyen  de  resserrer  les  liens  (pii  unissent  les  dilférentes  parties 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


3M 

(le  l’empire  et  ipii  doiveni  leur  l'orce  ;i  la  Cümmimaut(3  d’ori- 
gine, aux  Iradilious  et  à l’intéiTl  polilitpie. 

Le  premier  objet  important,  dont  se  soit  occupt'e  la  r.onlë- 
reuee  a ('b'  la  en'atiou,  à Londres,  d’un  hun'au  intercolonial. 
Le  gouvernement,  (pti  entend  conserver  la  haute  main  dans  les 
ra[)[)orts  des  coloni(îs  av(!c  la  nn'dropole,  n’a  pas  voulu  d’uii 
organisme  imb'pendant  et  n’a  consenti  (ju’à  la  tdrmation  d’un 
Lomilé  sp('cial  ratlaclu'  au  minist(‘re  des  (’iolonies. 

Deux  grosses  cpiestions  (Haieut  à discuter  par  la  Loidërence  ; 
la  politicpie  douanif're  et  la  d('‘lënse  de  l’empire.  De  la  premi(^re 
j(i  crois  inl(‘ressant  de  dire  (piebpies  mots,  car  elle  se  rattache 
directement  aux  ('tudes  {(uhliées  par  cette  Uevue  sur  le  néo- 
protectionnisme hritannicpie.  (’iertes,  le  syst(’‘me  protecteur  de 
■M.  (’-hamherlaiu  a été  solennellement  condamné  en  Angleterre, 
mais,  nonobstant  la  volonté  ex[)resse  marcpiée  i)ar  le  corps 
i'l(3cloral  du  Hoyaume-l'ui  eu  laveur  du  lihre-('change,  il 
semble  à certains  (pi’il  reste  place  à des  concessions  réci[)ro(pies, 
d(î  la  part  des  colonies  et  de  la  mère-patrie,  les  plus  grandes 
(‘tant  conseidies  par  celle-ci.  .M.  Deakin,  r(;pr('seidanl  la  Féd()- 
ralion  australienne,  s’est  l'ait  le  dérenseiir  de  celte  thèse  au 
sein  de  la  Loidérence  et  a présenté  les  résolutions  suivantes  (pii 
reproduisent  en  partie  celles  adopbies  en  l!)0:i. 

« La  (’-ontérence  est  d’avis  (pie  l’adoiiliou  du  princiiie  des 
tarifs  dilfèreidiels  réciprmpies  par  la  (îraiide-Hretagiuî  et  par 
ses  [lossessioiis  d’ouire-mer  stimulerait  et  facililiMait  leurs  rela- 
tions commerciales  et  renforcerait  l’empire  en  [irovoipiant  le 
dév(do[)pem(‘nt  des  ressources  et  des  industries  de  toutes  ses 
parties. 

» Klle  r(3connail  (pie,  dans  les  circonstances  actuelles,  il  n’est 
pas  possible  d’adopter  un  système  général  comportant  le  libre- 
('cbange  entre  la  inère-palrie  et  ses  colonies. 

» (Cependant,  en  vue  d’aider  au  développement  du  commerce 
à l’intérieur  de  l’enpiire,  il  est  désirable  (pie  les  colonies  accor- 
dent, si  elles  ne  l’ont  d(ÿjà  fait,  autant  ipie  l(3S  circonstances  le 
permettent,  un  traitement  de  faveur  aux  produits  du  Uoyaume- 
Uni. 

« Il  est  désirable  ipie  le  traitenumt  de  faveur  accordé  par  les 
coloni(3s  aux  produits  du  Hoyaiime-Uiii  soit,  étendu  à ceux  des 
autres  colonies  autonomes. 

« Il  est  aussi  désirable  (pie  la  (Irande-ltretague  accorde  un 
traitement  de  faveur  aux  produits  de  ses  c(doni(3s.  » 

De  sou  côl(',  le  gouvernement  de  la  A'oiivelle-Zélande  a pro- 
posé ce  (pii  suit  : 


REVUE  DES  RECUEILS  UERRJDIQUES 


345 


f II  esl  essentiel  au  bien-être  tant  dn  lioyanme-Uni  (|ue  de  ses 
possessions,  que  des  tarifs  de  l'aveni  soient  aeeordcs  dans  les 
colonies  aux  produits  hritanni([ues  trans{)orlés  sur  des  navires 
britanni(pies,  et  cpie  dans  le  Koyaume-Llni  les  i)roduiLs  colo- 
niaux actuellement  imi)osés  jouissent  d’un  droit  d’entrée  pri- 
vilégié. '0 

Enlin,  le  gouvernement  dn  Cap  a présenté,  à son  tour,  les 
résolutions  suivantes  : 

ft  La  Conférence  se  rallie  à la  résolution  adoptée  nnanimement 
par  la  Conférence  coloniale  tenue  à Londres  en  1!K):2  et  constate 
avec  une  vive  satisfaction  les  progrès  faits  i)ar  les  idées  de  réci- 
procité dans  les  diverses  colonies. 

-t)  La  Conférence,  en  adlu'rant  au  i)iincip(i  de  droits  de  faveur 
à accorder  aux  produits  du  Royaume-Cni,  invite  instammeid,  le 
gouvernement  britannic[ue  à considérer  (pie  le  maintien  de  ce 
privih'ge  dépend  largement  de  1,’octroi  d’avantages  semblables 
aux  colonies  britanniques.  » 

En  somme,  tous  les  représentants  coloniaux  se  sont  ralliés  au 
principe  de  tarils  dilférentiels  récipro([ues  à établir  par  le 
Royaume-Eni  et  les  colonies,  sauf  le  représentant  de  l’Inde  et  le 
général  Rotha,  représentant  des  possessions  transvaaliennes, 
lei[uel  a fait  une  déclaration  é(piivalant  <à  une  abstention.  I^c 
représentant  de  l’Inde  a déclaré  qu’aucun  avantage  intercolonial 
ne  saurait  compenser  pour  l’Inde  le  iiréjudice  (pii  pourrait  lui 
être  causé  par  les  représailles  des  pays  étrangers  (pie  des  tarifs 
de  faveur  accordés  aux  colonies  anglaises  léseraient  gravement 
dans  leurs  exportations.  L’empire  britanni([iie,  en  effet,  vend  à 
l’Inde  pour  50  millions  de  livres  sterling  et  ne  lui  achète  que 
pour39  l/:2  millions  de  livres,  alors  que  les  importations  des 
pays  étrangers  dans  l’Inde  sont  intérieures  de  4(S  millions  de 
livres  aux  exportations  de  l’Inde  vers  les  pays  étrangers.  L’Inde 
est  lin  pays  essentiellement  exportateur:  elle  exporte  pour 
R)5  ]/:2  millions  de  livres  et  n’im[)orte  ipie  [lour  tW  millions. 

M.  .Vs((uitb,  chancelier  de  l’Échiquier,  en  y mettant  tontes  les 
formes  reipiises  pour  maintenir  la  cordialité  jiarmi  les  membres 
delaCiOnférence,s’est  nettement  prononcé  contre  les  propositions 
de  la  ([uasi-inianimité  des  représentants  coloniaux.  Il  a allirmé  la 
liberté  de  chacun  qui  doit  être  considérée  comme  étant  un  des 
traits  essentiels  du  pacte  impérial.  L’indépendance  fiscale  doit 
être  considérée  comme  absolue,  les  colonies  ont  le  droit  d’en- 
tourer leurs  [iropres  industries  d’un  régime  protecteur  et 
d’élever  des  barrières  douanières  même  contre  la  mère-patrie. 


34(5 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Ouant  ait  Hoyaiime-Uiii,  son  intérêt  est  de  rester  iidèle  an  libre- 
érhaiii^e,  car  on  ne  pourrait  accorder  de  préférence  aux  colonies 
(pi'en  taxant  les  vivres.  Le  libre-échans>e  est  une  nécessité 
nationale.  La  Grande-I)retai>ne  comprend  41  millions  d’habitants 
(pli  dépendent  pour  ralimentation  et  les  matières  premières  de 
sources  extib’ieures  d’approvisionnement.  Cette  population  sup- 
porte une  lourde  dette  contractée  en  grande  partie  pour  édilier 
l’empire  et  assume  les  frais  de  la  diplomatie  et  de  la  défense 
impériales.  11  importe  (pie  la  Grande-Bretagne  demeure  le  plus 
grand  marché  commercial  du  monde  et  continue  à tirer  le 
meilleur  bénétice  de  sa  marine  marchande. 

y\.  -Vsquitb  a d(.'claré  cependant  que  le  gouvernement  était 
disposé  à rechercher,  en  dehors  de  tarifs  dilTérentiels  rtk'i- 
proques,  les  moyens  de  développer  1(3S  relations  commerciales 
entre  les  ditférentes  parties  de  l’empire.  11  a [tarlé  de  l’améliora- 
tion des  moyens  de  communication,  spécialement  du  service 
de  steamers,  de  l’augmentation  du  nombre  des  agents  commer- 
ciaux dans  les  colonies,  de  la  réduction  des  droits  de  passage 
dans  le  canal  de  Sut^z,  de  l’établissement  d’un  service  de 
transports  pour  voyageurs  entre  la  Grande-Bretagne  et  l’-Vuslralie 
I>ar  lu  Canada. 

Finalement,  la  Conférence  a voté  la  résolution  suivante  : 

« Sans  préjudice  aux  résolutions  di'jà  adoptées  ni  aux  réserves 
formulées  par  le  gouvernement  de  Sa  Majesté,  la  Conférence, 
reconnaissant  combien  il  importe  de  favoriser  la  liberté  et  le 
développement  des  relations  commerciales  à l’intérieur  de  l’em- 
pire, estime  (pie  la  façon  la  plus  sûre  d’atteindre  ce  but  est  de 
laisser  à chaque  partie  de  l’empire  toute  liberté  pour  choisir,  en 
ce  qui  la  concerne,  les  moyens  (pii  lui  conviennent  le  mieux  eu 
('gard  à ses  conditions  et  à ses  besoins  spéciaux.  Elle  émet  aussi 
le  vœu  que  tous  les  elforts  soient  faits  en  vue  d’obtenir  la  coopé- 
ration de  tous  à la  réalisation  d’un  état  de  choses  présentant  un 
intérêt  mutuel.  » 

La  thèse  du  gouvernement  impérial  l’emporte  donc.  C’est  le 
ÿtatn  (jKO,  permettant  à chacun  de  poursuivre,  par  des  moyens 
apjiropriés  à sa  propre  situation,  l’amélioration  de  son  com- 
merce, pour  autant  ([ue  l’emploi  de  ces  moyens  ne  soit  pas  [tar 
le  fait  même  obligatoire  pour  autrui. 

Je  ne  quitterai  pas  l’.Vngleterre  sans  signaler  l’état  prospère  de 
ses  linances.  Les  revenus  de  l’exercice  écoulé  ont  dépa.^sé  les 
dépenses  de  5 B!)9  000  livres  sterling;  pour  l’exercice  en  cours, 
on  prévoit  un  excédent  de  4 0.'33  000  livres.  Lue  conséquence 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


347 


prochaine  de  celte  heureuse  gestion  tinancière  est  rallègemeut 
deVfnconie tax  i\u  héiiéfice  (le  !H)0 1)1)11  coutril)uahles  sur  I 101)1)00 
qui  la  supportent.  Une  distinction  serait  laite  entre  les  revenus 
provenant  du  travail  et  ceux  provenant  d’autres  sources;  les 
premiers  seuls  seraient  exonérés  à concurrence  de  8 pence  par 
shilling  Irappanl  actuellement  chaque  livre  de  revenu.  Cet  avan- 
tage ne  serait  accordé  qu’aux  contrihuables  dont  les  revenus 
totaux  ne  dépasseraient  pas  :2000  livres.  La  réforme  conterait 
annuellement  au  trésor  '2  000  000  de  livres. 

Allemagne.  Les  Syndicats.  — Le  Syndicat  des  aciers 
allemands  a été  renouvelé  le  80  avril  dernier,  à ininnit,  pour 
cinq  ans.  Cet  événement  — car  événement  il  y a,  vu  l’inlhience 
considérahle  du  syndicat  sur  le  marché  industriel  et  les 
appréhensions  (pi’avait  provoquées  l’éventualité  de  son  non- 
renouvellement  — a immédiatenifint  provoqué  un  réveil  marqué 
des  atfaires  de  la  sidérurgie.  De  gros  achats  ont  été  opérés,  les 
carnets  de  commandes  se  sont  remplis;  entre  le  producteur  et  le 
consommateur  la  confiance  un  instant  ébranlée  s’est  ratfermie. 
Le  renouvellement  du  Syndicat  des  aciers  allemands  a entraîné 
celui  du  Cartel  international  des  rails  et  du  Syndicat  belge  des 
aciers  et  des  négociations  ont  été  immédiatement  entamées  en 
vue  de  la  prorogation,  en  Allemagne,  du  Syndicat  des  lils 
laminés,  de  celui  des  aciers  de  construction  et  de  celui  des  tubes 
pour  condiutes  de  gaz  et  pour  chaudières. 

I.es  syndicats  sont  des  régulateurs  de  production  et  de  prix, 
ce  sont  aussi  de  véritables  soutiens  pour  certaines  entreprises 
qui  livrées  à elles-mêmes  péricliteraient.  Ce  (pii  rend  dilliciles  la 
constitution  et  le  fonctionnement  d’un  syndicat,  c’est  l’inégalité 
existant  eqtre  ses  membres;  tous  ne  se  trouvent  pas  dans  les 
mêmes  conditions  et  leurs  intérêts  ne  peuvent  être  .satisfaits  (pie 
par  des  moyens  différents.  Le  syndicat  allemand  — le  Cartell  — 
est  né  directement  du  souci  de  supprimer  les  crises  écono- 
miques, sa  coïK’eiition  théorique  a pnicédé  sa  réalisation  pra- 
tique. C’(ist  peut-être  là  un  exemple  unique.  La  théorie,  en  tout 
cas,  travail  pas  [trévu  les  complications  diverses  qui  ont  menacé 
et  menacent  encore  l’existence  des  grands  syndicats  allemands. 
Un  peu  d’histoire  documentaire  éclairera  cette  importante 
question. 

Le  Syndicat  des  aciers,  dont  je  viens  de  parler,  s’occupe  de  la 
vente  des  produits  demi-ouvrés.  Ses  membres  sont  ses  fournis- 
seurs et,  éventuellement,  ses  clients,  mais  ils  sont  en  même 


348 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


temps  les  tburiiisseiirs  d’antres  (pie  lui,  de  sorte  (pie  le  syndical, 
lorsque  les  commandes  sont  fortes,  ne  reçoit  pas  snllisamment 
d’acier.  Lorsque  les  commandes  sont  faibles,  au  contraire,  on  lui 
en  olfre  plus  que  le  nécessaire.  On  aurait  pu  cependant  trouver 
une  solution  facile  si  des  membres  du  syndicat  n’avaient  cherché 
à se  rendre  indépendants  en  construisant  de  nouvelles  aciéries, 
en  achetant  des  usines  produisant  pins  d’acier  que  pour  les 
besoins  de  leur  consommation.  Ces  membres  ne  se  trouvent  plus 
forcés  d’acheter  au  syndicat  et,  d’autre  part,  ils  passent  des  con- 
trats avec  des  maisons  de  commerce  et  s’assurent  ainsi  le 
débouché  de  leurs  jiroduits.  Le  syndicat  est  formé  d’éléments 
dissemblables  et,  dans  ces  conditions,  il  est  extrêmement  dilli- 
cile  de  déterminer  la  quote-part  de  production  de  chacun.  Cette 
dilliculté  devient  encore  plus  grande  lorsqu’il  s’agit  de  pro- 
noncer l’admission  d’un  concurrent  important  qui  réclame  pour 
lui  une  quote-iiart  jugée  e.xcessive.  Tel  est  le  cas,  au  regard  du 
Syndicat  des  aciers,  des  Westfalischen  Stablwerke. 

Il  existe  en  .Mlemagne  un  syndical  de  la  jiolasse  qui  a été 
secoué  par  une  crise  violente  due  au  dévelo[)pement  exagéré  de 
l’industrie.  Le  syndicat  compte  actuellement  oG  membres,  mais 
des  demandes  d’admission  de  pins  en  plus  nombreuses  ont  été 
introduites.  Lire  véritable  tièvr'e  de  potasse  a sévi  ; 81  sociétés 
nouvelles  achèvent  actnellernent  la  construclion  de  leurs  puits 
d’extr’action,  :20  ont  commencé  celte  construction,  plus  de 
1011  sociétés  de  sondage  se  sont  constituées,  (i’est  un  véritable 
gas[)illage  des  richesses  rniniér'es  qui  doit  avoir  pour-  consé- 
ipience,  [lar  la  surpr’oduction,  de  diminuer  les  bénéfices  de  l’in- 
dustrie. l'ne  loi,  la  Lex  Gaiiip,  entrée  en  vigueur  il  y a deux  ans, 
a bien  aboli  la  liberté  des  mines  pour  la  potasse  et  pour  la 
houille,  mais  pour  la  potasse  elle  est  venue  trop  tarai  et, 
d'ailleur's,  la  jir-ovince  de  Hanovre  (X'bappeàson  application.  La 
lacti(pre  dn  syndicat  est  de  se  défendr'e  contr’e  rintroduction  de 
nouveaux  rnernbr-es,  tout  en  évitant  de  se  créer  des  concirr-renls 
r'edoutables. 

Pour  la  houille,  autre  point  de  vue.  Le  lise  prussien,  (pii 
[lossède  de  nombreuses  mines  mais  n’extrait  pas  beancoup, 
aurait  voulu  enir'er  avec  voix  prépondérante  dans  le  Syndicat 
rbénari-wesipbalien  de  la  bouille.  Le  syndical  et  le  lise  ont  joué 
au  plus  lin,  le  fisc  ne  l’a  pas  emporté.  Mais  la  crise  dn  syndicat 
de  la  bouille,  sans  parler  des  pr’emier’s  avatars,  pr'ovient  d’antres 
causes.  .Vcluellernenl,  le  syndicat  comprend  des  Keinen-Zcxben, 
houillères  et  four’s  à coke,  et  des  Iluetten-Zecben,  houillères 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


349 

avec  industries  annexées,  hauts  Iburneaux,  aciéries,  laminoirs. 
Les  |[netten-Zeclien  sont  îles  industries  intégrées  ayant  une 
tendance  à se  rendre  de  [)lns  en  plus  indépendantes.  Le 
syndicat  voulut  empêcher  la  formation  de  nouvelles  llnetten- 
Zechen;  les  lluetten-Zechen  existantes  achetèrent  alors  des 
Reinen-Zechen,  formèrent  avec  elles  des  blocs  indivisibles 
cpiant  à la  ipiote-part  à fournir  au  syndicat  et  augmentèrent 
de  cette  façon  leur  indépendance  vis-à-vis  de  lui.  La  crise 
continuera  vraisemblablement  jirsqu’à  absoi'plion  com[)lète  des 
Reinen-Zechen  produisant  du  coke  et  du  charbon  gras. 

R. 


La  Société  Scientifu[ue  de  Ihoixelles  oftVe  ses  res]»ec- 
tueiix  hommages  à S.  (Ii-.  Mgr  Mercier,  archevêque 
de  Malines,  créé  cardinal  le  15  avril  1907,  et  ses 
cordiales  félicitations  à M.  A.  de  La[)parent,  memlire 
de  l’Institut,  nommé  secrétaire  })eiq)étuel  de  l’Académie 
des  Sciences,  en  remplacement  de  M.  Berthelot,  à 
M.  A.  M4tz,  professeur  aux  Facultés  catholiques  de 
Lille,  nommé  membre  correspondant  de  l’Académie 
des  Sciences  et  à M.  A.  de  Ileihptinne,  professeur  à 
rUnivf'rsité  de  Louvain,  nommé  memlire  correspon- 
dant de  l’Académie  des  Sciimces  de  Bidgique,  memlu'es 
de  la  Société  Scientilhpie,  et  collaborateurs  di'  ses 
Ann.vles  et  de  sa  Revue. 


REVUE  UES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


BULLETIN  BIBLIOGRAPIIIOUE 

Annuairf.  pour  l’an  1!)()7,  publié  par  le  Bureau  des  lougiludes. 
Un  vol.  iu-l(i  de  (kSïî  pages,  A.  8,  B.  “20,  G.  J iO,  I).  45.  — F*aris, 
Gauthier-Yillars. 

Le  présent  Annuaire  rontienl  des  tableaux  détaillés  relatifs  à 
la  Métrologie,  aux  Monnaies,  à la  Géograpbie,  à la  Statistique  et 
à la  Météorologie.  Il  se  termine  par  trois  notices  scientifiques  : 
Diamètre  de  Vénus,  par  .V.  Bouquet  de  la  Gi’ve;  Note  sur  la 
A'U*^'  Conférence  de  l’Association  (féodésique  internationale,  par 
X.  Bompiet  di;  la  Grye;  Histoire  des  idées  et  des  recherches  sur  te 
Soleil.  Itérélalions  récentes  de  ratmosphère  entière  de  l’astre,  par 
11.  Deslaiulres. 

Annuaire  astronomique  pour  1007,  publié  par  l’Observatoire 
royal  de  Belgiipie.  Un  vol.  iii-lti  de  550  pages.  — Bruxelles, 
Il  ayez. 

Ge  volume  contient  les  notices  scienliliques  suivantes  : Le 
cercle  méridien  de  Uepsold,\)wv  li.  V\\\\\[)\)o[  ; Lislallation  des 
pendules  à t’Ohservatoire  roijat  de  Belgique,  par  E.  Delporte; 
Description  de  la  lunette  méridienne  de  Camhen,  par  .1.  Delvosal; 
Sur  les  appareils  sismiipies  et  les  tremblements  de  Terre  d’origine 
lointaine,  par  0.  Somville. 

Annuaire  pour  l’an  1007,  publié  par  la  Société  belge  d’.Vstro- 
nomie.  Un  vol.  in-8"  de  102  pages.  — Bruxelles,  Larcier. 

Une  notice  de  .M.  Yan  Biesbroeck  sur  VObservalion  des  Etoiles 
variables  et  une  de  M.  A.  Bracke  sur  VOtiservation  des  orages 
sont  jointes  au  présent  .\nnuaire. 

.Mémoires  DE  l’Orservatoire  de  l’Erre.  N°  1.  (u'and  in-8’  de 
50  pages  avec  cartes  et  planches  hors  texte.  — Barcelone, 
G.  Gili,  1000. 

Ge  premiei’  fascicule  des  Mémoires  de  l’Observatoire  récem- 
ment fondé  par  la  Compagnie  de  .lésus,  à Boipielas  (Torto.sa, 
Espagne),  contient  une  Notice  sur  l’Observatoire  et  sur  quelques 
observations  de  l’Eclipse  du  ,W  août  1905  par  le  B.  B.  Gii'era,  S.  .1 . 
Edition  française,  traduction  par  le  P.  E.  Merveille,  S.  .1. 


BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE 


351 


G-  Petit  Bois  — Tafela  uabestimmter  Lmegrale.  Un  vol. 
in- 4"  de  xii-J5J  pages.  — Leipzig,  Teubner,  JlKHi. 

Lecneil  d’environ  :2300  intégrales  indéfinies  ramenées  à 
110  types  distincts.  Le  but  essentiellement  pratique  de  l’ouvrage 
a déterminé  l’auteur  à grouper  les  intégrales  d’aiirès  la  forme 
qu’elles  présentent,  non  d’après  la  similitude  des  méthodes 
d’intégration.  Ces  méthodes  d’ailleurs  ne  sont  pas  même  indi- 
(piées.  La  clarté  de  l’impression,  riieureux  choix  de  quelques 
notations  font  de  ce  recueil  un  instrument  de  travail  facile  et 
agréable  <à  manier.  F.  \V. 

F.  Durio.  — Die  Elemexte  rer  a.xalytischex  (Ieometrie 
DES  Uaumes.  Troisième  édition.  Un  vol.  in-8'’  de  x-18l)  pages. 
— Leipzig,  Teuhnei'. 

Traité  élémentaire  très  soigné,  écrit  en  vue  de  l’étude  privée 
aussi  bien  que  de  l’enseignement  'scolaire.  Près  de  cinq  cents 
exercices  très  faciles  sont  insérés  dans  le  corps  même  de  la 
théorie.  Un  bon  index  termine  l’ouvrage.  Signalons  — c’est  un 
mérite  encore  assez  rare  — le  soin  apporté  <à  élucider  les  ambi- 
guïtés qu’on  pourrait  appeler  classiques  : angle  de  deux  droites, 
angles  directeurs  d’une  droite,  sens  de  la  normale  à un  plan. 
Ouestions  de  signes,  sans  doute.  Mais  l’étudiant  ([ui  croit  pouvoir 
les  dédaigner,  éprouve  un  sentiment  d’incertitude,  de  malaise, 
dé.sagréable  et  fatigant,  qui  le  poursuit  dans  tout  le  cours 
d’une  application,  et  qui  altère  l’impression  de  séciuité  sereine 
propre  à l’étude  de  la  vérité  mathématique.  F.  W. 

Maurice  Lévy.  — La  Statigraitiiql'e  et  ses  applicatio.xs 
AUX  coxsTRUCTio.xs.  Troisième  édition.  Première  partie.  Prin- 
cipes et  applications  de  Statigrapbique  pure.  — Paris,  (lautbier- 
Villars,  J!)07. 

Réédition  mise  en  concordance  avec  les  nouvelles  circulaires 
ministérielles  françaises  pour  les  calculs  relatifs  aux  ponts 
(•20  août  aux  balles  h voyageurs  et  à marchandises 

(17  févi'ier  1!)03)  et  au  béton  armé  (20  octobre  lOüb). 

R.  P.  L.  Sodiro,  S.  J.  — Coxtriruciox  al  coxoclmiento 
DE  LA  FLORA  ECU.VTORiAXA.  Munografia  III.  Tacsonias  ecuato- 
rianas.  (juito,  lOOb. 

Relie  monographie  faisant  stdte  aux  ouvrages  lloristiques  du 
R.  P.  Sodiro.  L’auteur  énumère  et  décrit  toute  les  formes  de 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


3:)2 

Tacsonia  — genre  de  la  l'amille  des  Passilloracées  — eonnues 
de  la  Uépul)li([ue  de  rKquateiir.  Nous  y trouvons  cinq  espèces 
nouvelles  el  trois  variétés.  Les  descriptions  sont  détaillées,  en 
latin  et  en  espagnol.  Onatre  belles  planches  montrent  les  princi- 
paux caractèi'es  de  quelques  espèces.  L.  N. 

Em.  De  Wildeman.  — Ann.vles  du  Musée  du  Congo. 
K t iules  lie  si/stéiiiatùjue  el  île  géogmij/iie  holaniqites  sue  la  /love 
lin  lias  et  du  Moneii-Coiigo.  Vol.  1.  Fasc.  1.  Pages  J-84,  plan- 
ches 1-\X.\V.  — Bruxelles,  lévrier  J!)()7. 

(iràce  à l’activité  de  notre  collègue  M.  Km.  De  Wildeman, 
l’étude  de  la  Dore  du  Congo  avance  rajiidement.  Dans  ce  iasci- 
cule,  continuation  des  magnilicpies  publications  de  l’Ktat  Indé- 
pendant, on  trouve  bon  nombre  do  i)lantes  de  plusieurs  lamilles 
tant  Cryptogames  (pie  Plianéiogames,  énumérées  on  décrib's.  Les 
d(3.scriptions,  jileines  et  sobres  h la  fois,  sont  en  français.  Les 
i bamprgnons  ou  .Mycètes  sont  seulement  énuméi’és;  leur  étude 
est  due  à la  collaboration  du  savant  mycologue  italien  M.  Sac- 
('ardo.  L('s  planches  sont,  les  unes  des  photogravures,  d’antres 
des  héliogravures,  d’antres,  enlin,  dessinées  d’après  nature; 
tontes  sont  excellentes.  .V  remanpier,  parmi  les  [ibotogravnres, 
le  Criiium  Laurenti  De  Wild  et  Tb.  Dur.  L.  N. 

Jean  Paraf.  — Commutathices  et  transformateurs  éleu- 
TRKjUES  TOURNANTS.  Petit  iii-cS"  de  D15  pages  avec  5(S  (igures 
( lùiegclopédie  scie)ili/i(]ne  des  A ide-Méiiioire).  — Paris,  Cantbiei'- 
Villars  et  Masson. 

.Monographie  assez  détaillée  de  la  commntatrice,  fonmissant 
aux  constrnetenrs  et  aux  exiiloilants  l’ensembh'  des  notions 
tbéoricpies  et  praticpies  relatives  à cette  intéres.sante  et  impor- 
tante machine  transformatrice  ; conditions  et  jiarticnlariti's  de 
Ibnctionnement  des  commntatrices;  montage,  mise  en  marche  l't 
association;  étude  expérimentale,  calcul  et  construction;  utilisa- 
tions diverses  auxquelles  se  prêtent  ces  convertisseurs.  Le 
dernier  chapitre  est  consacré  aux  translbrmateurs  tournants 
autres  que  les  commutatrices,  et  décrit,  en  examinant  leurs 
avantages  et  leurs  défauts  comparés,  lesgroiq)es  moteur-généra- 
teur, les  pei'inutatrices,  les  redresseurs,  etc. 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


Pour  expurger  la  terre  des  souillures  de  la  mort  et 
faire  rentrer  dans  les  trésors  de  la  vie  la  matière  ani- 
male défunte,  il  3^  a des  légions  d’entrepreneurs  char- 
cutiers, parmi  lesquels  sont,  dans  nos  régions,  la  Mouche 
bleue  de  la  viande  {CaUipJiom  voruitoriahm.),  ei\di 
Mouche  grise  {Sarcophaga  çarnaria  Lin.)*  Chacun 
connaît  la  première.  C’est  la  grosse  mouche  d’un  bleu 
sombre  qui,  son  coiq)  fait  dans  le  garde-manger  mal 
surveillé,  stationne  sur  nos  vitres  et  gravement  3’  bour- 
donne, désireuse  de  s’en  aller  au  soleil  mûrir  une  autre 
émission  de  germes.  Comment  dispose-t-elle  ses  œufs, 
origine  de  l’asticot  odieux  exploiteur  de  nos  vivres, 
venus  de  la  chasse  ou  de  la  boucherie?  Quelles  sont  ses 
ruses  et  comment  pouvons-nous  3’  parer  ? C’est  ce  que 
je  me  proj)ose  d’examiner. 

La  Mouche  bleue  fréquente  nos  demeures  l’automne 
et  une  partie  de  l'hiver  jusqu’à  ce  que  les  froids  devien- 
nent rigoureux;  mais  son  apparition  dans  les  champs 
remonte  bien  plus  haut.  Dès  les  premières  belles  jour- 
nées de  février,  on  la  voit  se  réchauffer,  toute  frileuse, 
contre  les  murs  ensoleillés.  En  avril,  je  l’observe,  assez 
nombreuse,  sur  les  Heurs  du  laurier-tin.  Apparem- 
ment c’est  là  que  se  fait  la  pariade,  tout  en  sirotant  les 
exsudations  sucrées  des  jietites  Heurs  blanches.  Toute  la 
belle  saison  se  passe  au  dehors,  en  courtes  volées  d’une 
buvette  à l’autre.  Quand  viennent  l’automne  et  son 
gibier,  elle  pénètre  chez  nous  et  ne  nous  quitte  qu’aux 
fortes  gelées. 

1II«  SÉRIE.  T.  XII. 


“23 


354 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Voilà  liien  ce  qu’il  faut  à mes  habitudes  casanières, 
et  surtout  à mes  Jambes  tléchissant  sous  le  poids  des 
années.  Je  n’ai  pas  à courir  après  mes  sujets  d’étude; 
ils  viennent  me  trouver.  J’ai  d’ailleurs  des  aides  vigi- 
lants. La  maisonnée  est  avertie  de  mes  jirojets.  Chacun 
m’apporte,  dans  un  petit  cornet  de  pa})ier,  la  turbulente 
visiteuse,  capturée  à l’instant  contre  les  vitres. 

Ainsi  se  peuple  ma  volière,  consistant  en  une  grande 
cloche  en  toile  métallique,  qui  repose  dans  une  terrine 
jileine  de  sable.  Un  godet  contenant  du  miel  est  le  réfec- 
toire de  l’établissement.  Là  viennent  se  sustenter  les 
captives  aux  heures  de  loisir.  Pour  occujier  leurs  soins 
maternels,  je  fais  emploi  d’oisillons.  Pinsons,  Linottes, 
Moineaux  que  me  vaut,  dans  l’enclos,  le  fusil  de  mon 
bis. 

Je  viens  de  servir  une  Linotte  tuée  l’avant-veille. 
Alors  est  introduite  sous  la  cloche  une  Mouche  lileue, 
une  seule,  pour  éviter  la  confusion.  ISon  ventre  replet 
annonce  une  prochaine  ponte.  Ln  ebèt,  une  heure 
après,  les  émotions  de  rinternement  apaisées,  la  captive 
est  en  travail  de  gésine.  D’un  }>as  âpre  et  saccadé,  elle 
explore  le  petit  gibier,  va  de  la  tète  à la  queue,  revient 
de  la  queue  à la  tète,  plusieurs  fois  recommence,  enbn 
se  bxe  au  voisinage  d’un  (uil,  tout  fané,  retiré  dans  son 
orbite. 

L’oviducte  se  coude  à angle  droit  et  plonge  dans  la 
commissure  du  bec,  tout  à la  hase.  Alors,  jirès  d’une 
demi-heure,  c’est  rémission  des  (Uiifs.  Immobile,  impas- 
sible, tant  elle  est  absorbée  dans  ses  graves  aftàires,  la 
pondeuse  se  laisse  observer  au  foyer  de  ma  loupe.  Un 
mouvement  de  ma  }>art  rebàroucberait,  ma  tranquille 
présence  ne  lui  donne  inquiétude.  Je  ne  suis  rien  jiour 
elle. 

L’émission  n’est  jias  continue  jusqu’à  éjuiisement  des 
ovaires  ; elle  est  intermittente  et  se  fait  par  pa([uets.  A 
diverses  rejirises,  la  Mouche  quitte 'le  bec  de  l’oiseau  et 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


355 


vient  se  reposer  sur  le  treillis,  en  se  brossant  l’iine 
contre  l’autre  les  pattes  postérieures.  Avant  de  s’en 
servir  de  nouveau,  elle  nettoie  surtout,  elle  lisse  et 
polit  son  outil,  la  sonde  conductrice  des  germes.  Puis, 
se  sentant  les  flancs  encore  riches,  elle  revient  au 
même  point  de  la  commissure  du  bec.  La  ponte  reprend, 
pour  cesser  tout  à l’heure  et  de  nouveau  recommencer. 
Une  paire  d’heures  se  passent  en  ces  alternances  de 
station  au  voisinage  de  l’œil  et  de  repos  sur  le  treillis. 

Enfln  c’est  flni.  La  Mouche  ne  revient  plus  sur 
l’oiseau,  preuve  de  l’épuisement  des  ovaires.  Le  lende- 
main elle  est  morte.  Les  œufs  sont  plaqués  en  couche 
continue,  à l’entrée  du  gosier,  à la  hase  de  la  langue, 
sur  le  voile  du  jialais.  Leur  nomlire  paraît  considérable; 
toute  la  partie  gutturale  en  est  blanchie.  J’engage  un 
})etit  pilier  de  bois  entre  les  deux  mandibules  pour  les 
maintenir  ouvertes  et  me  permettre  de  voir  ce  qui  se 
passera. 

J’apprends  ainsi  que  l’éclosion  se  fait  en  une  paire  de 
jours.  Aussitrj  née,  la  Jeune  vermine,  amas  grouillant, 
abandonne  les  lieux  et  disparaît  dans  la  profondeur  du 
gosier.  S’informer  davantage  du  travail  est  ])our  le 
moment  inutile.  Nous  l’apprendrons  ])lus  tard  en  des 
conditions  d’examen  plus  aisé. 

Le  bec  de  l’oiseau  envahi  était  clos  au  début,  autant 
que  le  comporte  le  rapprochement  non  forcé  des  mandi- 
bules. A la  base  restait  une  étroite  rainure,  suffisante 
au  })lus  au  passage  d’un  crin.  C’est  par  là  que  s’est  efléc- 
tuée  la  ponte.  Etirant  son  oviducte  en  tube  de  lorgnette, 
la  pondeuse  a insinué  dans  le  déti’oit  la  pointe  de  son 
outil,  pointe  légèrement  durcie  d’une  armure  de  corne. 
La  finesse  de  la  pointe  est  en  rapport  avec  la  finesse 
de  l’entrée.  Mais  si  le  bec  était  rigoureusement  clos, 
en  quel  point  se  ferait  le  dépôt  des  œufs? 

Avec  un  fil  noué,  je  maintiens  les  deux  mandibules 
strictement  rapprochées,  et  je  mets  une  seconde 


356 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Mouche  bleue  en  présence  de  la  Linotte  déjà  peuplée 
par  la  voie  du  bec.  Cette  fois  la  ponte  se  fait  sur  un  œil, 
entre  la  paupière  et  le  globe  oculaire.  A l’éclosion, 
encore  une  paire  de  jours  après,  les  vermisseaux 
pénètrent  dans  les  profondeurs  charnues  de  l’orbite. 
Les  jeux  et  le  bec,  voilà  donc  les  deux  jtrincipales  voies 
d’accès  dans  le  gibier  à plumes. 

11  y en  a d’autres.  Ce  sont  les  blessures.  Je  coiffé  une 
Linotte  d’un  capuchon  de  papier  qui  empêchera  l’inva- 
sion par  le  bec  et  les  yeux.  Je  la  sers,  sous  la  cloche,  à 
une  troisième  j)ondeuse.  Un  plomb  a atteint  l’oiseau  à 
la  poitrine,  mais  la  plaie  n’est  pas  saignante,  aucune 
souillure  n’indique  au  dehors  le  point  meurtri.  J’ai  du 
reste  soin  de  remettre  en  ordre  le  })luniage,  de  le  lisser 
avec  un  pinceau,  de  sorte  que  la  pièce,  très  correcte 
d’aspect,  a toutes  les  a])parences  de  se  trouver  intacte. 

La  Mouche  est  bientôt  là.  Elle  inspecte  attentivement 
l’oiseau  d’un  bout  à l’autre  ; de  ses  tarses  antérieurs 
elle  tapote  la  poitrine  et  le  ventre.  C’est  une  sorte 
d’auscultation  par  le  toucher.  A la  manière  dont  réagit 
le  plumage,  l’insecte  reconnaît  ce  qu’il  y a dessous.  Si 
l’odorat  vient  en  aide,  ce  ne  peut  être  que  dans  une 
faible  mesure,  car  le  gibier  n’a  pas  encoi*e  l’odeur  du 
faisandé.  Rajâdement  la  blessure  est  trouvée.  Aucune 
goutte  de  sang  ne  l’accompagne,  fermée  qu’elle  est  par 
un  taiii])on  de  duvet  que  le  plomb  a refoulé.  Sans  la 
mettre  à découvert  en  écartant  le  plumage,  la  Mouche 
s’y  installe.  Là,  immoliile  et  le  ventre  disparu  sous  les 
plumes,  d’une  paire  d’heures  elle  ne  bouge.  Mes  assi- 
duités de  curieux  ne  la  détournent  en  rien  de  ses 
affaires. 

Quand  elle  a fini,  je  la  remplace.  Rien,  ni  sur  l’épi- 
derme, ni  dans  rembouchure  de  la  ]>laie.  Je  dois  retirer 
le  tamjton  de  duvet  et  fouiller  à quelque  profondeur  ])Our 
mettre  à nu  la  ponte.  Allongeant  son  tube  extensible, 
l’oviducte  a donc  }>énétré  avant,  au  delà  du  bouchon  de 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


357 


plumes  refoulé  par  le  projectile.  Les  œufs  sont  en  un 
seul  paquet;  leur  nombre  est  de  trois  cents  environ. 

Si  le  bec  et  les  jeux  sont  rendus  inaccessibles,  si  de 
plus  la  pièce  est  sans  blessures,  la  ponte  se  fait  aussi, 
mais  cette  fois  hésitante  et  parcimonieuse.  Je  plume 
complètement  l’oiseau  pour  mieux  me  rendre  compte 
des  faits;  en  outre,  je  le  coiffe  d’un  capuchon  de  papier 
qui  défendra  les  habituels  accès.  Longtemps,  à pas 
saccadés,  la  pondeuse  en  tout  sens  explore  le  morceau  ; 
de  préféiœnce  elle  stationne  sur  la  tête  qu’elle  ausculte 
en  la  tapotant  des  tarses  antérieurs.  Elle  sait  qu’il  j a 
là  les  pertuis  nécessaires  à ses  desseins  ; elle  sait  non 
moins  bien  la  débilité  de  ses  vermisseaux,  incapables 
de  trouer  et  de  franchir  l’étrange  obstacle  qui  l’arrête 
elle-même  et  empêche  le  jeu  de  l’oviducte.  La  cagoule 
de  papier  lui  inspire  profonde  méfiance.  Malgré  l’appât 
tentateur  de  la  tête  voilée,  aucun  œuf  n’est  déposé  sur 
l’enveloppe,  si  mince  soit-elle. 

Lasse  de  vaines  tentatives  pour  contourner  cet 
obstacle,  la  Mouche  se  décide  enfin  pour  d’autres 
points,  mais  non  sur  la  poitrine,  le  ventre,  le  dos,  où 
l’épiderme  est  trop  coriace,  paraît-il,  et  la  lumière  trop 
importune.  Il  lui  faut  des  cachettes  ténébreuses,  des 
recoins  où  la  peau  soit  de  grande  finesse.  Les  endroits 
adoptés  sont  le  creux  de  l’aisselle  et  la  ])ase  de  la  cuisse 
en  contact  avec  le  ventre.  De  part  et  d’autre,  des  œufs 
sont  déposés,  mais  peu  nombreux  et  démontrant  que 
l’aine  et  l’aisselle  ne  sont  adoptées  qu’avec  répugnance 
et  faute  d’un  meilleur  emplacement. 

Avec  un  oiseau  non  plumé  et  toujours  encapuchonné, 
la  même  expérience  ne  m’a  pas  réussi;  le  plumage 
empêche  la  Mouche  de  se  glisser  en  ces  lieux  profonds. 
Disons  enfin  que  sur  un  oiseau  écorché,  ou  tout  sim- 
plement sur  un  morceau  de  viande  de  boucherie,  la 
ponte  se  fait  en  un  point  quelconque,  pourvu  qu’il  soit 
ohscur.  Les  plus  ténébreux  sont  les  préférés. 


358 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


De  ces  divers  faits,  il  résulte  que,  pour  le  dépôt  de 
ses  œufs,  la  Mouche  bleue  recherche  tantôt  les  plaies 
où  les  chairs  sont  à nu,  tantôt  les  muqueuses  buccales 
ou  oculaires,  non  protégées  par  un  épiderme  de 
quelque  résistance.  Il  lui  faut  aussi  l’obscurité.  Nous 
verrons  plus  loin  des  motifs  de  ces  prédilections. 

La  parfaite  efficacité  du  capuchon  de  papier,  empê- 
chant l’invasion  des  vers  par  les  voies  des  orbites  et 
du  bec,  m’em>’ao'e  à tenter  semblable  méthode  sur 
l’oiseau  en  son  entier.  Il  s’agit  d’envelopper  -la  pièce 
d’une  sorte  d’épiilerme  artificiel  qui  dissuade  la  pon- 
deuse de  son  entreprise  comme  le  fait  l’épiderme  natu- 
rel. Des  Linottes,  les  unes  atteintes  de  blessures  pro- 
fondes, les  autres  presque  intactes,  sont  introduites 
isolément  dans  des  sachets  de  papier  pareils  à ceux 
que  le  jardinier-fleuriste,  en  vue  de  conserver  ses 
graines,  obtient  sans  encollage  au  moyen  de  quelques 
plis.  Le  papier  est  très  ordinaire  et  de  médiocre  con- 
sistance. Des  fragments  d’un  vulgaire  Journal  suffisent. 

(Lj's  fourreaux  à cadavres  sont  abandonnés  à l’air 
libre  sur  la  table  de  mon  cabinet,  où  les  visitent,  sui- 
vant l’heure  du  jour,  l’ombre  opaque  et  le  vif  soleil. 
Attirées  par  les  émanations  de  mes  charcuteries,  les 
Mouches  bleues  fi’équentent  mon  lalioratoire,  dont  les 
fenêtres  restent  toujours  ouvertes.  Journellement  J’en 
vois  qui  se  posent  sur  les  sachets  et  très  affairées  les 
explorent,  renseignées  par  l’odeur  de  faisandé.  A leurs 
incessantes  allées  et  venues,  se  reconnaît  ardente  con- 
voitise, et  cependant  nulle  d’elles  ne  se  décide  à 
pondre.  Elles  n’essaient  pas  même  d'insinuer  l’ovi- 
diicte  dans  les  rainures  des  jilis.  La  saison  favorable 
se  passe  et  rien  n’est  dé|)osé  sur  les  sachets  tenta- 
teurs. Toutes  les  mères  s’alistiennent,  jugeant  infi*an- 
chissablc  })Our  la  vermine  le  mince  obstacle  du  pajiier. 

Cette  circonsp('ction  du  dijdère  n’a  lâen  qui  me 
suiqirenne  : la  maternité  a partout  des  éclaircies  de 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


359 


grande  lucidité.  Ce  qui  m’étonne,  c’est  le  résultat  que 
voici.  Les  sachets  à Linottes  passent  l’année  entière  à 
découvert  sur  la  table;  ils  passent  une  seconde  année, 
une  troisième.  De  temps  à autre  j’en  visite  le  contenu. 
Les  oisillons  sont  intacts,  très  corrects  de  plumage, 
inodores,  arides  et  légers  ainsi  que  des  momies.  Ils  ne 
se  sont  pas  décomposés,  ils  se  sont  momifiés. 

Je  m’attendais  à les  voir  tomber  en  pourriture  et 
diffluer  en  sanie  comme  nous  le  montrent  les  cadavres 
laissés  à l’air  libre.  Au  contraire,  sans  autre  altération, 
les  pièces  se  sont  desséchées  et  durcies.  Que  leur  a-t-il 
manqué  pour  se  résoudre  en  putrilage?  Tout  simple- 
ment l’intervention  du  diptère.  L’asticot  est  donc  la 
cause  primordiale  de  la  dissolution  cadavérique;  il  est, 
par  excellence,  le  chimiste  ])utréfacteur. 

Une  conséquence  d’intérêt  non  négligeable  est  à 
tirer  de  mes  bourriches  en  papier.  Dans  nos  marchés, 
ceux  du  Midi  surtout,  le  gibier  est  appendn  sans  pro- 
tection aux  crocs  de  l’étalage.  Alouettes  assemblées 
par  douzaines  avec  un  fil  passé  dans  les  narines.  Grives 
et  Tourdes,  Pluviers  et  AAnneaux,  Sarcelles,  Per- 
dreaux et  Bécasses,  enfin  toutes  ces  gloires  de  la 
broche  que  nous  amène  la  migration  d’automne, 
restent  des  jours  et  des  semaines  exposées  aux  injures 
du  diptère.  L’acheteur  se  laisse  tenter  par  d’irrépro- 
chables apparences  ; il  fait  emplette,  et  de  retour  chez 
lui,  au  moment  des  apprêts  culinaires,  il  s’aperçoit  que 
l’asticot  travaille  la  pièce  dont  il  se  promettait  délicieux 
rôti.  Horreur!  il  faut  jeter  l’odieux  foyer  de  vermine. 

La  Mouche  bleue  est  ici  la  coupable;  chacun  le  sait 
et  personne  ne  songe  à sérieusement  s’en  affranchir, 
ni  le  marchand  en  détail,  ni  l’expéditeur  en  gros,  ni 
le  chasseur.  Que  faudrait-il  pour  empêcher  l’invasion 
des  vers  ? Presque  rien  : glisser  chaque  pièce  dans  un 
fourreau  de  papier.  Si  cette  précaution  est  prise  au 
début,  avant  l’arrivée  du  diptère,  tout  gibier  est  inat- 


360 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


taqiialile  et  peut  indéfiniment  attendre  le  degré  de 
maturité  exigé  des  gourmets. 

Bourrés  d’olives  et  de  baies  de  myrte,  les  Merles  de 
la  (lorse  sont  un  manger  exquis.  Il  nous  en  arrive 
jiarfois  à Orange,  stratifiés  dans  des  corbeilles  où  l’air 
aisément  circule  et  contenus  chacun  dans  nn  sachet  de 
])apier.  Ils  sont  dans  un  état  de  parfaite  conservation, 
conforme  aux  scrupuleuses  exigences  de  la  cuisine, 
de  félicite  l’expéditeur  anonynu'  à qui  l’idée  lumineuse 
est  venue  d’habiller  de  jiapier  ses  Merles.  Son  exemple 
aura-t-il  des  imitateurs?  J’en  doute. 

Un  grave  reproche  peut  s’adressera  ce  moyen  de 
jirései'vation.  Dans  son  suaire  de  papier,  l’objet  est 
invisilile,  il  ne  fait  pas  montre  alléchante;  il  n’avertit 
pas  le  passant  de  sa  nature  et  de  ses  qualités.  Une  res- 
source reste,  qui  laisserait  la  pièce  à découvert,  c’est 
de  coittér  tout  simplement  l’oiseau  d’un  bonnet  de 
papier.  La  tète  étant  la  partie  la  plus  menacée  à 
cause  des  muqueuses  de  la  gorge  et  des  yeux,  il  siifii- 
rait  en  général  d<'  la  jirotéger  pour  arrêter  le  dijdère 
et  couper  court  à ses  entrejtrises. 

Uontinuons  d’interroger  la  Mouche  bleue  en  variant 
les  movens  d’information.  Une  boîte  en  fer-l)lanc,  d’un 
décimètre  de  hauteur  environ,  contient  un  morceau  de 
viande  de  boucherie.  Le  couvercle  oldiquement  dis- 
posé laisse,  en  un  point  de  son  pourtour,  une  étroite 
fissure  où  pourrait  au  plus  s’engager  une  fine  aiguille. 
Lorsque  l’a]»})àt  commence  à répandre  nn  fumet  de 
faisandé,  les  pondeuses  arrivent,  isolées  ou  plusieurs 
à la  fois.  Llles  sont  attirées  par  l’odeur  (jui,  projiagée 
à travers  une  subtile  fente,  affecte  à peine  mon  odorat. 
(Quelque  tennis  elles  explorent  le  récijiient  métallique, 
cherclumt  une  voie  d’entrée.  Ne  trouvant  rien  qui  leur 
permette  d’atteindre  le  morceau  convoité,  elles  se 
décident  à jiondre  sur  le  fer-blanc,  tout  ù côté  de  la 
fissure.  Parfois,  lorsque  l’étroitesse  du  ])assage  le  per- 


LA  MüUCIIE  lîLELE  DE  LA  VIANDE 


361 


met,  elles  insinuent  roviducte  dans  la  lioîte  et  pondent 
à l’intérieur,  sur  les  lèvres  mêmes  de  la  fente.  An 
dedans  aussi  bien  qu’au  dehors,  les  neufs  sont  plaqués 
en  couche  assez  régulière  d’arrangement  et  très  nette 
de  blancheur.  C’est  là  que  Je  jiuise  comme  à la  pelle, 
c’est-à-dire  avec  une  petite  sjiatule  de  papier.  Sans 
trace  aucune  des  souillures  inévitables  si  la  récolte  se 
faisait  sur  des  viandes  gâtées,  j’obtiens  ainsi,  pour  mes 
recherches,  des  germes  en  tel  nombre  que  je  veux. 

Nous  venons  de  voir  la  Mouche  bleue  refuser  de 
pondre  sur  le  sachet  de  papier  malgré  les  effluves 
cadavériques  de  la  Linotte  incluse;  maintenant,  sans 
hésitation,  elle  dépose  ses  œufs  sur  une  lame  métal- 
lique. La  nature  du  support  serait-elle  pour  quelque 
chose  en  l’affaire?  Je  remplace  le  couvercle  en  fer- 
blanc  de  la  boîte  }>ar  un  rideau  de  jiapier  tendu  et 
collé  sur  l’orifîce.  De  la  pointe  dn  canif,  j’ouvre  à 
travers  ce  nouvel  opercule  une  étroite  fissure  linéaire. 
Cela  suffit  : la  pondeuse  accepte  le  papier. 

Ce  qui  la  décide  ce  n’est  donc  pas  simplement  l’odeur, 
bien  ajipréciable  même  à travers  le  papier  non  fendu, 
c’est,  avant  tout,  la  fissure  qui  rendra  jiossible  l’entrée 
de  la  vermine,  éclose  an  dehors,  à proximité  de  l’étroit 
passage.  La  mère  des  asticots  a sa  logique,  ses  judi- 
cieuses prévisions.  Elle  sait  d’avance  la  débilité  de  ses 
vermisseaux,  incapaldes  de  s’ouvrir  une  voie  à travers 
un  obstacle  de  quelque  résistance;  aussi,  malgré  la 
tentation  de  l’odeur,  se  garde-t-elle  de  pondre  tant 
qu’elle  n’a  pas  reconnu  une  entrée  où  puissent  d’eux- 
niêmes  s’insinuer  les  nouveau-nés. 

Je  tenais  à savoir  si  la  coloration,  l’éclat,  le  degré 
de  dureté  et  autres  qualités  de  l’obstacle  auraient  une 
influence  sur  les  décisions  de  la  mère  obligée  de  pondre 
dans  des  conditions  exceptionnelles.  Dans  ce  luit,  j’ai 
fait  enqdoi  de  petits  liocanx,  amorcés  chacun  d’un 
morceau  de  viande  de  lioucherie. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


3rD-2 

L’opercule  consistait  soit  en  pa})ier  de  coloration 
diverse,  soit  en  toile  cirée,  soit  en  ces  feuilles  d’étain 
qui,  parées  des  rutilances  de  l’or  et  du  cuivre,  servent 
au  li([iioriste  pour  coiffer  les  bouteilles. 

Sur  aucun  de  ces  couvercles,  les  pondeuses  n’ont  sta- 
tionné, désireuses  d’y  plaquer  leurs  œufs;  mais  du 
moment  que  le  canif  les  avait  éventrés  d’une  légère 
fente,  tous,  qui  plus  tôt,  qui  plus  tard,  sont  visités  et 
reçoivent  le  blanc  semis  au  voisinage  de  l’ouverture. 
L’aspect  de  l’obstacle  n’est  donc  ici  pour  rien;  l’obscur 
et  le  brillant,  le  mat  et  le  coloré,  sont  détails  d’impor- 
tance nulle;  l’essentiel  est  un  passage  qui  permette  aux 
veinnisseaux  d’entrer. 

Eclos  au  dehors,  à distance  de  la  pièce  convoitée,  les 
nouveau-nés  savent  très  bien  trouver  leur  réfectoire. 
A mesure  ({u’ils  se  libèrent  de  l’oeuf,  sans  hésitation 
aucune,  tant  leur  tlair  est  précis,  ils  se  glissent  sous  le 
rebord  du  couvercle  incomplètmiient  Joint,  ou  bien  dans 
le  défilé  ([ue  le  canif  a ménagé.  Les  voici  rentrés  dans 
leur  tei're  jiromise,  leur  infect  paradis. 

Inqiatients  d’arriver,  se  laissent-ils  tomber  du  haut 
de  la  muraille?  Nullement.  I)’une  douce  re])tation,  ils 
s’acheminent  sur  la  jiaroi  du  bocal;  ils  font  béquille 
et  grapin  de  leur  avant  pointu,  toujours  en  quête  d’in- 
formation. Ils  atteignent  le  morceau,  aussitôt  s’y 
installent. 

Continuons  notre  enquête  en  changeant  les  dispositifs. 
Cne  large  éprouvette,  mesurant  au  delà  d’un  empan  de 
hauteur,  est  amorcée,  tout  au  fond,  d’un  morceau  de 
viande  de  boucherie.  Elle  est  fermée  d’une  toile  métal- 
lique dont  les  mailles,  de  deux  millimètres  environ  de 
côté,  ne  peuvent  donner  jiassage  au  dijdère.  La  Mouche 
bleue  vient  à mon  appareil.  L’odorat  est  son  guide, 
bien  mieux  que  la  vue.  Elle  accourt  à l’éprouvette  voi- 
lée d’un  étui  ojiaque  avec  la  même  ferveur  qu’à  l’éprou- 
vette laissée  nue.  L’invisible  l’attire  autant  ([ue  le 
visible. 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


363 


Elle  stationne  sur  le  treillis  de  reinbouchnre,  attenti- 
vement l’inspecte;  mais  soit  que  les  circonstances  ne 
m’aient  pas  bien  servi,  soit  que  le  réseau  des  fils  métal- 
liques lui  inspire  méfiance,  je  ne  l’ai  jamais  vue  y pla- 
quer ses  œufs  d’une  façon  bien  évidente.  Son  témoi- 
gnage me  restant  douteux,  j’ai  recours  à la  Mouche 
(Sarcopkar/a  carnaria). 

Celle-ci,  peu  méticuleuse  en  ses  préparatifs,  confiante 
d’ailleurs  dans  la  robustesse  de  ses  vers,  qui  naissent 
tout  formés  et  déjà  vigoureux,  me  montre  aisément  ce 
que  je  désire  voir.  Elle  explore  les  treillis,  choisit  une 
maille  où  elle  introduit  le  bout  du  ventre,  et  coup  sur 
COU}),  non  troublée  par  ma  présence,  elle  émet  un  certain 
nombre  de  vermisseaux,  une  dizaine  plus  ou  moins.  Il 
est  vrai  que  ses  visites  se  multi})lieront,  augmentant  la 
famille  dans  une  pro})ortion  qui  m’est  inconnue. 

lœs  nouveau-nés  adhèrent  un  moment  à la  toile 
métallique  par  suite  d’une  légère  viscosité;  ils  grouil- 
lent, se  démènent,  se  dégagent  et  se  précipitent  dans  le 
gouffre.  La  chute  est  d’un  empan  et  davantage.  Gela 
fait,  la  mère  décam})e,  certaine  que  ses  fils  se  tireront 
d’affaire  tout  seuls.  S’ils  tombent  sur  la  viande,  c’est 
parfait;  s’ils  tomlient  ailleurs,  ils  sauront,  en  rampant, 
atteindre  le  morceau. 

(üette  confiance  dans  l’inconnu  du  })récipice,  avec  le 
seul  renseignement  de  l’odeur,  mérite  plus  ample  exa- 
men. De  quelle  hauteur  la  Mouche  grise  osera-t-elle 
laisser  choir  ses  fils?  Je  surmonte  ré})rouvettc  d’un 
tube  du  calibre  d’un  col  de  bouteille.  L’embouchure  est 
fermée  soit  avec  une  toile  métallique,  soit  avec  un  oper- 
cule de  papier  i[ue  le  canif  a fendu  d’une  étroite  fissure. 
En  totalité,  ra}q)areil  mesure  65  centimètres  d’éléva- 
tion. N’importe  : la  chute  est  sans  gravité  pour  la  souple 
échine  des  jeunes  vers,  et  l’éprouvette  se  })eu})le  en 
quelques  jours  de  larves  où  il  est  facile  de  reconnaître 
la  famille  de  la  Mouche  grise  d’après  le  diadème  frangé 


REVUE  DES  QÜESTR)NS  SCIENTIFIQUES 


36i 

qui,  à l’arrière  de  l’asticot,  s’ouvre  et  se  referme  ainsi 
([ue  les  pétales  d’une  lienrette.  Je  n’ai  pas  vu  la  mère 
opérant,  je  n’étais  jias  là  au  moment  requis;  mais 
aucun  doute  n’est  possible  sur  sa  venue  et  sur  le  grand 
jilongeon  de  la  famille;  le  contenu  de  l’éprouvette  m’en 
fournit  rauthenti([ue  certificat. 

J’admire  la  culbute  et  pour  en  obtenir  do  mieux  pro- 
bantes, je  remplace  le  tube  par  un  second,  de  façon  que 
l’appareil  a maintenant  i‘2  décimètres  d’élévation.  La 
colonne  est  dressée  en  un  })oint  fréquenté  du  diptère, 
dans  un  éclairage  discret;  son  embouchure  garnie  d’une 
toile  métallique  arrive  au  niveau  de  divers  autres  appa- 
reils, éprouvettes  et  bocaux,  déjà  })euplés  ou  attendant 
leur  population  de  vermine,  [mrsque  l’emplacement  est 
bien  connu  des  mouches,  je  laisse  la  colonne  seule, 
crainte  de  détourner  les  visiteuses  jiar  des  exploitations 
plus  faciles. 

De  teni})s  à autre  la  Bleue  et  la  Grise  se  ])osent  sur  le 
treillis,  s’informent  un  moment,  puis  décampent.  Toute 
la  bonne  saison,  trois  mois  durant,  l’apjiareil  reste  en 
place  sans  résultat  aucun;  de  vers,  il  n’y  en  a jamais. 
Pour  ([uel  motif  f L’infection  de  la  viande  ne  se  })ro]ia- 
gerait-elle  pas,  venue  de  cette  profondeur?  Mais  si,  elle 
se  propage;  mon  odorat  émoussé  le  constate,  celui  de 
mes  enfants  appelés  en  témoignage,  le  constate  encore 
mieux. 

Alors  pourquoi  la  Mouche  grise,  qui  tantôt  laissait 
choir  ses  vers  d’une  belle  hauteur,  se  refuse-t-elle  à les 
j)récipiter  du  haut  d’une  colonne  d’élévation  double? 
Craindrait-elle  j)Our  ses  vers  les  meurtrissures  d’une 
chute  exagérée  ? Rien  ne  dénote  chez  elle  des  inquié- 
tudes éveillées  par  la  longueur  du  canal.  Je  ne  la  vois 
jamais  exj)lorer  le  tube,  en  arpenter  la  dimension.  Elle 
stationne  sur  l’orifice  treillissé  et  tout  se  liorne  là. 
Serait-elle  avertie  de  la  profondeur  du  gouflre  }>ar 
l’atîàiblissenKmt  des  })uanteurs  (pii  en  remontent? 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


365 


L’odorat  mesurerait-il  la  distance,  acceptable  ou  non? 
Peut-être  bien. 

Toujours  est-il  que  malgré  l’appât  de  l’odeur,  la 
Mouche  grise  n’expose  pas  ses  vers  à des  plongeons  exa- 
gérés. Saurait-elle  d’avance  que,  lors  de  la  rupture  des 
pupes,  sa  famille  ailée,  heurtant  d’un  essor  brusque  les 
parois  d’une  longue  cheminée,  ne  parviendrait  pas  à 
sortir  ? Pareille  prévision  est  conforme  aux  règles  qui 
disposent  les  instincts  maternels  d’après  les  exigences 
de  l’avenir. 

Mais  si  la  chute  n’excède  pas  certaine  mesure,  les 
vers  naissants  de  la  Mouche  grise  sont  bel  et  bien  pré- 
cipités; ainsi  l’affirment  toutes  mes  expériences.  Cette 
donnée  nous  conduit  à une  application  de  quelque  valeur 
en  économie  domestique.  Il  est  bon  que  les  merveilles 
de  l’entomologie  nous  amènent  parfois  aux  trivialités  de 
l’utile. 

L’haliituel  garde-manger  est  une  sorte  de  grande  cage  ' 
dont  les  quatre  faces  latérales  sont  en  toile  métallique 
et  les  deux  autres  en  menuiserie.  Des  crocs  fixés  à la 
paroi  d’en  haut  servent  à suspendre  les  pièces  qu’il  faut 
garantir  des  mouches.  Pour  occuper  du  mieux  l’espace 
disponible,  souvent  ces  pièces  sont  simplement  disposées 
sur  le  plancher  de  la  cage.  Avec  ces  dis})ositifs  est-on 
bien  assuré  d’éviter  le  diptère  et  sa  vermine  ? Nulle- 
ment. 

On  se  garantira  peut-être  de  la  Mouche  bleue,  médio- 
crement disposée  à pondre  sur  un  treillis  à distance  des 
viandes,  mais  il  restera  la  Mouche  grise  qui,  plus  entre- 
prenante et  plus  ])rompte  en  affaires,  introduira  ses  vers 
par  le  pertuis  d’une  maille  et  les  laissera  choir  à l’inté- 
rieur du  garde-manger.  Agiles  et  bien  doués  en  moj-ens 
de  reptation,  les  précipités  gagneront  aisément  ce  qui 
repose  sur  le  plancher  ; seules  seront  hors  de  leurs 
atteintes  les  pièces  suspendues.  11  n’entre  pas  dans  les 
mœurs  des  vers  de  la  viande  d’explorer  les  hauteurs, 
surtout  par  la  voie  d’un  cordon. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


On  fait  usage  aussi  de  cloches  en  toile  métallique. 
Encore  moins  bien  que  le  garde-manger,  le  dôme  en 
ti*eillis  ])rotège  ce  qu’il  recouvre.  La  Mouche  grise  n’en 
tient  conqde.  A travers  les  mailles,  elle  peut  laisser 
tomber  ses  vers  sur  le  morceau  convoité. 

Que  faire  alors  ? Rien  de  jdus  simjile.  Il  suffit  d’en- 
clore, une  par  une,  dans  des  enveloppes  de  papier,  les 
pièces  à préserver.  Grives,  Tourdes,  Perdrix,  Bécasses 
et  autres.  Mêmes  soins  à l’égard  des  viandes  de  liouche- 
rie.  Avec  cette  seule  armure  défensive,  ([ui  laisse  à l’air 
circulation  suffisante,  toute  invasion  des  vers  est  impos- 
sible, même  sans  cloche  et  sans  garde-manger,  non  que 
le  paj)ier  ait  des  vertus  préservatrices  spéciales,  mais 
uniquement  parce  qu’il  forme  barrière  inqiénétrable. 
La  Mouche  bleue  se  garde  bien  d’j^  pondre  et  la  Mouche 
grise  d’j  enfanter,  sachant  l’une  et  l’autre  leurs 
vermisseaux  naissants  incapables  de  traverser  cet 
olistacle. 

Même  succès  du  })apier  dans  la  lutte  contre  les 
Teignes,  tléau  des  lainages  et  des  pelleteries.  Pour  éloi- 
gner ces  tondeuses  de  drajis,  ces  tqtileuses  de  fourrures, 
on  fait  généralement  usage  de  camphre,  de  naphtaline, 
de  taliac,  de  bouquets  de  lavande  et  autres  aromates 
d’odeur  forte.  Sans  vouloir  médire  de  ces  préservatifs, 
il  faut  reconnaître  que  le  moyen  employé  est  de  très 
médiocre  efficacité.  Les  émanations  odorantes  n’ar- 
rêtent guère  les  ravages  des  Teignes. 

Je  conseillerai  donc  aux  ménagères  de  remjüacer 
toute  cette  droguerie  par  des  jouimaux  de  format  conve- 
nable. La  })ièce  à })rotéger,  fourrure,  danelle,  vête- 
ment de  dra}),  etc.,  est  soigneusement  pliée  dans  un 
journal  dont  on  assemble  les  bords  par  un  })li  doulde, 
bien  éjiinglé.  Si  Lassemltlage  est  rigoureux,  jamais  les 
Teignes  ne  pénétreront  sous  l’envelo})pe.  Depuis  que, 
sur  mes  conseils,  il  est  fait  emploi  de  cette  méthode  dans 
mon  ménage,  les  dégâts  d’autrefois  ne  se  renouvellent 
plus. 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


3G7 


Revenons  an  diptère.  Au  fond  d’un  bocal,  un  morceau 
de  viande  est  dissimulé  sous  une  couche  de  sable  lin  et 
sec  d’un  travers  de  doigt  d’é[)aisseur.  L’appareil,  libt*e- 
ment  ouvert,  est  à large  goulot.  Attiré  pai-  l’odeur, 
viendra  qui  voudra  sans  entrave. 

Les  Mouches  lileues  ne  tardent  pas  à visiter  ma  pré- 
paration; elles  pénètrent  dans  le  bocal,  sortent  et 
rentrent,  s’informent  de  la  chose  invisible  décelée  par 
son  fumet.  Une  surveillance  assidue  me  les  montre 
affairées,  explorant  la  nappe  sablonneuse,  la  piétinant 
à petits  coups  de  tarses,  l’interrogeant  de  la  tronqæ. 
Deux  à trois  semaines,  je  laisse  faire  les  visiteuses. 
Aucune  ne  dépose  des  œufs. 

C’est  la  répétition  do  ce  que  m’a  montré  le  sachet  de 
papier  contenant  un  oiseau  mort.  Les  mouches  se 
refusent  à pondre  sur  le  sable,  apparemment  })Our  les 
mêmes  motifs.  Le  papier  était  jugé  obstacle  que  ne  pour- 
rait francliir  la  débile  vermine.  Avec  le  sable  c’est  pire. 
Ses  rudesses  blesseraient  les  tendres  nouveau-nés,  son 
aridité  tarirait  la  moiteur  indispensalile  à leurs  mouve- 
ments. Plus  tard,  au  moment  des  })réparatifs  de  la 
métamorphose,  les  forces  étant  venues,  les  vers  pio- 
cheront très  f)ien  la  terre  et  sauront  y descendre  ; mais 
au  déliut,  ce  serait  pour  eux  grave  péril.  Au  courant 
de  ces  difhcultés,  les  mères,  si  tentées  qu’elles  soient 
par  l’odeur,  s’alistiennent  de  produire.  Et  en  etièt, 
après  une  longue  attente,  crainte  que  des  paquets  d’œufs 
n’aient  échappé  à mon  attention,  je  visite  de  fond  en 
coinlde  le  contenu  du  bocal.  Chaude  et  sable  ne  contien- 
nent ni  larves,  ni  pupes , tout  est  absolument  désert. 

La  couche  de  sable  étant  d’un  travers  de  doigt 
d’é})aisseur,  cette  expérience  demande  certaines  précau- 
tions. 11  })cut  se  faire  que,  se  gonflant  un  peu,  la  viande 
gâtée  émerge  en  quelques  })oints.  Si  petits  que  soient 
les  îlots  charnus  visibles,  les  mouches  y viennent  et 
peu})lent.  Parfois  encore  les  exsudations  du  morceau 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:3G8 

corrompu  im])i]jent  une  petite  étendue  de  la  nappe 
sablonneuse.  Gela  suffit  au  premier  établissement  des 
vers.  Ces  causes  d’insuccès  s’évitent  avec  une  couche 
de  saille  d’environ  un  pouce  d’épaisseur.  Alors  Mouche 
bleue,  Mouche  grise  et  autres  dijttères  exjdoiteurs  des 
cadavres  sont  très  bien  tenus  à l’écart. 

Eu  vue  de  nous  édifier  sur  notre  néant,  les  orateurs 
de  la  chaire  ont  ])arfois  abusé  du  ver  de  la  tombe. 
N’accordons  créance  à leur  lugulire  rhétorique.  La 
chimie  de  la  dissolution  finale  }>arle  assez  éloquemment 
de  nos  misères  sans  qu’il  soit  nécessaire  d’y  adjoindi’e 
d’imaginaires  horreurs.  Le  ver  du  séjmlcre  est  inven- 
tion d’esprits  moroses,  inca})ables  de  voir  les  choses 
telles  qu’elles  sont.  Sous  quelques  })ouces  de  terre  seule- 
ment, les  tré])assés  peuvent  dormir  leur  tranquille 
sommeil;  jamais  le  diptère  n’y  viendra  les  exploiter. 

A la  surface  du  sol,  en  plein  air,  oui,  l’afiiTuse  inva- 
sion est  j)Ossible;  elle  est  même  la  règle  alisolue.  Dans 
la  remise  en  fusion  de  la  matière  pour  d’autres 
ouvrages,  cadavre  pour  cadavre,  riiomme  ne  vaut  jias 
mieux  que  la  dernière  des  brutes.  Alors  le  dijfière  use 
de  ses  droits;  il  nous  traite  comme  il  le  fait  à l’égard 
d’une  vulgaire  loque  animale.  Dans  ses  ateliers  de  réno- 
vation, la  Nature  est  pour  nous  d’une  snpei'be  indifie- 
rence;  au  fond  de  ses  creusets,  bêtes  et  gens,  gueux  et 
monarques  sont  absolument  même  chose,  ^"oilà  vrai- 
ment l’égalité,  la  seule  de  ce  monde,  l’égalité  devant 
l’asticot. 

Ecloses  dans  l’intervalle  de  deux  jours  en  saison 
chaude,  soit  à l’intérieur  de  mes  a}q>a refis  et  directe- 
ment sur  le  morceau  de  viande,  soit  à l’extérieur  an 
])ord  d’une  fissure  qui  permet  l’entrée,  les  larves  de  la 
Mouche  bleue  se  mettent  aussitôt  à l’ouvrage.  Elles  ne 
mangent  }>as  au  sens  rigoureux  du  mot,  c’est-à-dire 
qu’elles  ne  divisent  leur  nourriture,  ne  la  triturent  ])as 
an  moyen  d’outils  masticatoires.  Leurs  pièces  buccales 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


ne  se  prêtent  jias  à ce  genre  de  travail.  Ce  sont  deux 
])àtonnets  cornés,  glissant  run  contre  l’antre  et  non 
apposal)les  par  leur  extrémité  crocliiie,  disposition  qui 
exclut  tout  office  apte  à saisir  et  à lirojer. 

Les  deux  gra})ins  gutturaux  servent  à la  marche  l)ien 
mieux  qu’à  la  nutrition.  Le  ver  les  ini])lante  tour  à tour 
sur  la  voie  parcourue,  et  d'une  contraction  de  croupe 
})i“ogresse  d’autant.  Il  a dans  son  gosier  tubulaire  l’équi- 
valent de  nos  bâtons  ferrés  qui  fournissent  l’appui  et 
])er mettent  l’élan. 

A la  faveur  de  cette  mécanique  buccale,  l’asticot  non 
seulement  chemine  à la  surface,  mais  encore  })énètre 
aisément  dans  la  viande;  je  l’y  vois  disparaître  comme 
s’il  plongeait  dans  du  Iieurre.  Il  y fait  sa  trouée,  mais 
sans  })rélever  sur  son  passage  autre  chose  que  des 
gorgées  tluides.  La  moindre  ])arcelle  solide  n’est  déta- 
chée et  déglutie.  Ce  n’est  })as  là  son  régime.  Il  lui  faut 
un  hrouet,  un  consommé,  une  sorte  d’extrait  Liebig 
coulant  qu’il  })ré|)are  lui-même.  Puisque  digérer  n’est 
en  somme  que  liquéfier,  on  ])eut  dire,  sans  paradoxe, 
que  le  ver  de  la  Mouche  bleue  digère  sa  nourriture 
avant  de  l’avaler. 

En  vue  de  soulager  nos  défaillances  estomacales,  les 
pré}>arateurs  de  produits  })harmaceutiques  raclent 
l’estomac  du  porc  et  celui  du  mouton;  ils  obtiennent 
ainsi  la  pepsine,  agent  digestif  qui  a la  propriété  de 
liquéfier  les  matières  albuminoïdes,  la  chair  musculaire 
en  particulier.  Que  ne  peuvent-ils  gratter  l’estomac  de 
l’asticot!  Ils  obtiendraient  un  produit  de  qualité  supé- 
rieure, car  le  ver  carnivore  possède  lui  aussi  sa 
pepsine,  de  singulière  activité.  Les  expériences  sui- 
vantes l’établissent. 

Du  l)lanc  d’œuf  cuit  à l’eau  bouillante  est  divisé  en 
culies  menus,  que  j’introduis  dans  une  petite  éprouvette. 
A la  surface  du  contenu,  je  sème  les  œufs  de  la  Mouche 
bleue,  œufs  sans  la  moindre  souillure,  tels  que  me  les 
IIU  SÉRIE.  T.  XII.  “2.i 


370 


REVUE  DES  QUESTR)\S  SCIENTIFIQUES 


Iburnissent  les  pontes  faites  à rextérieur  des  lioîtes  en 
fer  blanc,  amorcées  de  viande  et  non  parfaitmnent 
closes.  I ne  é])roiivette  })areille  reçoit  le  blanc  d'œiif  cnit 
mais  non  })eu})lé  de  germes.  Fermées  d’im  tam})on  de 
coton,  les  deux  préj)arations  sont  aliandonnées  côte  à 
côte  dans  un  recoin  obscur. 

En  ([uel([ues  jours,  le  tube  où  grouille  la  vermine, 
nouvellement  née,  contient  un  liquide  tluide  et  trans- 
jiaixmt  comme  de  beau.  Il  n’y  resterait  rien  si  je  le 
renversais.  Tout  le  blanc  (r(euf  a disparu,  liquéfié. 
(^)uant  aux  vers,  déjù  grandelets,  ils  pai-aissent  fort  mal 
ù leur  aise.  Sans  ajqmi  pour  atteindre  l’air  resj)irable, 
la  })lu})art  plongent  dans  le  liouillon,  leur  ouvrage;  ils  y 
ju'rissmit  noyés.  D’autres,  })lus  vigoureux,  rampent  sur 
le  veri'e  jus(pi’au  taiiq)on  d’ouate  qu’ils  pai*vi('iment  à 
traverseï*.  Leur  avant  pointu,  aiané  de  gi-apins,  est  le 
clou  qui  s’enfonce  dans  la  masse  filandreuse. 

Dans  la  seconde  éprouvette  qui,  disj)osée  à côté  de 
l’autre,  a subi  les  mêmes  influences  atmosphériques, 
rien  de  saillant  n’est  survenu.  Le  blanc  d’ieuf  cuit  y 
conserve  sa  blancheur-  mate  et  sa  fermeté.  Tel  j‘e 
l’avais  mis,  tel  je  le  retrouve.  Tout  au  jdus  s’y 
constatent  des  traces  (h-  moisissure.  La  conséquence  de 
cet  essai  ])rimoi'dial  est  de  pleine  évidence  : l’interven- 
tion du  ver  de  la  Mouche  bleue  convertit  en  licpiide 
l’allnnnine  cuite. 

On  titre  la  valeur  de  la  pepsine  jtharmaceutique 
d’après  la  quantité  de  blanc  d’œuf  cuit  qu’un  gramme 
de  cet  agent  ]ieut  liquéfier.  Le  mélange  doit  être  ex})osé 
dans  une  étuve  à la  temjiératui-e  de  fiU  degrés,  et  en 
outi-e  fréquemment  agité.  Ma  })réq)aration  où  éclosent 
les  <eufs  de  la  Mouche  Irleue  n’est  ni  secouée  ni  soumise 
à la  chaleui-  d’une  étuve;  tout  s’3-  passe  en  repos  et  dans 
les  conditions  thermométriques  de  l’air  ambiant;  néan- 
moins, en  ])eu  de  joui-s,  l’albumine  cuite,  travaillée  ])ar 
la  vermine,  devient  coulante  comme  de  beau. 


LA  MOUCHE  BLEUE  UE  LA  VIANDE 


371 


Le  réactif,  cause  de  cette  liquéfaction,  échappe  à mon 
examen.  Les  vers  doivent  le  dégorger  pai-  doses  infini- 
tésimales tandis  que  leurs  bâtonnets  gutturaux,  en 
mouvement  continuel,  émergent  un  ])en  de  la  bouche, 
rentrent,  rejtaraissent.  Ces  cou})S  de  })iston,  ces  sortes 
de  liaiser  s'accoiii})agnent  de  l’émission  du  dissolvant; 
du  moins  je  me  le  figure  ainsi.  L’asticot  crache  sur  sa 
nourriture,  il  y dé|)Ose  de  quoi  la  convertir  en  bouillon. 
Evaluer  en  quantité  cette  expectoration  n’est  pas  dans 
mes  moyens;  je  constate  le  résultat,  je  n’aperçois  jtas 
l’agent  provocateur. 

( )r,  ce  résultat  est  en  Amrité  stupéliant  si  l’on  consi- 
dère l’exiguïté  des  mo_yens.  Nulle  i)e})sine,  venue  du 
poi'C  et  du  mouton,  ne  peut  rivaliser  avec  celle  du  ver. 
de  possède  un  tiacon  de  })epsine  venu  de  l’Ecole  de 
Pharmacie  de  Montpellier.  Avec  la  savante  drogue,  je 
poudre  co})ieiisement  des  morceaux  de  blanc  d’œuf  cuit, 
comme  je  le  fais  avec  la  jtonte  de  la  Mouche  bleue. 
Nulle  intervention  de  l’étuve,  nulle  addition  d'eau  dis- 
tillée ni  d’acide  chloidiydrique,  adjuvants  recommandés. 
L’expérience  est  conduite  exactement  de  la  même  façon 
que  celle  des  tubes  à vermine. 

Le  résultat  n’est  jms  du  tout  ce  que  j’attendais.  Le 
Idanc  d’œuf  ne  se  liquéfie  }>as.  Il  s’humecte  simplement 
à la  surface,  et  encore  cette  humidité  peut-elle  })rove- 
nir  de  la  pepsine,  qui  est  très  hygrométrique.  Oui, 
j’avais  raison  de  le  dire  ; si  la  chose  était  jtraticable, 
il  serait  avantageux  pour  la  })harmaceutique  de  cueillir 
sa  droüiie  dieestive  dans  l’estomac  de  l’asticot.  Le  ver 
l’emporte  ici  sur  le  porc  et  le  mouton. 

En  ce  qui  me  reste  à dire,  la  même  méthode  est 
suivie.  Sur  le  morceau  exjiérimenté,  je  mets  éclore 
la  ])onte  de  la  Mouche  bleue,  et  je  laisse  les  vers  tra- 
vailler à leur  guise.  La  chair  musculaire,  venue  du 
mouton,  du  bœuf,  du  })orc  indifféremment,  ne  se  con- 
veidit  }tas  en  liquide;  elle  devient  une  purée  coulante 
d’un  lirun  vineux.  Le  foie,  le  })Oumon,  la  rate  sont 


372 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


mieux  attaqués  sans  toutefois  déliasser  l’état  de  mar- 
melade demi-tluide,  qui  se  délaie  ti'és  bien  dans  l’eau 
et  paraît  môme  s’y  dissoudre.  La  matière  cérélirale 
ne  se  li(|uétie  pas  non  plus,  elle  se  résout  sim])lement 
en  line  purée. 

l)’autre  }iart,  les  matières  grasses,  suif  de  bœuf,  lard 
frais,  beurre,  n’éprouvent  pas  d’altération  apjiréciable. 
l)e  plus,  les  vers  rajiidement  dépérissent,  incapaliles 
de  grossir  un  jieu.  De  jiareils  aliments  ne  leur  con- 
viennent pas.  Pour  quels  motifs?  Ajiparemment  parce 
qu’ils  ne  sont  pas  liquéfiables  au  moyen  du  réactif 
dégorgé  par  les  vers.  De  môme  la  pepsine  ordinaire 
n’atta([ue  pas  les  matières  grasses;  il  faut  la  pancréa- 
tine pour  les  émulsionner.  Ce  curieux  rapprochement 
de  projudétés,  })Ositivcs  avec  les  matières  albuminoïdes, 
négatives  avec  les  matières  grasses,  altirnic  l’analogie 
et  peut-être  l'identité  du  dissolvant  expectoré  par  les 
vers  et  de  la  jiejisine  des  animaux  supérieurs. 

Une  autre  preuve  est  celle-ci.  La  pepsine  classique 
ne  dissout  pas  l’épiderme,  matière  de  nature  cornée. 
Celle  des  vers  du  dijitère  ne  la  dissout  pas  non  plus. 

. 11  m’est  aisé  d’élever  des  larves  de  la  Mouche  lileue 
avec  des  grillons  morts  dont  j’ai  ouvert  le  ventre.  Je 
n’y  parviens  pas  si  la  pièce  est  intacte;  les  asticots  ne 
savent  jtas  lui  trouer  la  succulente  jianse,  ils  sont 
arrêtés  par  l’épiderme  contre  lequel  leur  réactif  est 
sans  action.  Ou  bien  encore  je  sers  des  cuissots  de 
grenouille  dépouillés  de  la  }>eau.  La  chair  du  batracien 
devient  bouillon  et  disparaît  jusqu’à  l’os.  Si  je  ne  les 
dénude  pas,  ils  restent  intacts  au  milieu  de  la  vermine. 
Leur  fine  peau  suttit  à les  protéger. 

Cette  inaction  sur  l’é])iderme  nous  explique  pour- 
(pioi  la  Mouche  Ideue  se  refuse  à pondre  sur  un  point 
quelconque  de  la  bête  exjdoitée.  Il  lui  faut  les  délicates 
muqueuses  des  narines,  des  yeux,  du  gosier,  ou  bien 
des  jilaies  où  la  chair  est  à nii.  Nul  autre  emplacement 
ne  lui  convient,  fùt-il  excellent  sous  le  rapj)ort  du 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


373 


fumet  et  de  Toinbre.  Tout  au  plus,  ne  trouvant  pas 
mieux  lorsque  mes  artifices  s’en  mêlent,  se  décide-t-elle 
à plaquer  quelques,  œufs  sous  l’aisselle  d’un  oisillon 
plumé  ou  bien  à l’aine,  points  où  l’épidermo  est  de 
finesse  exceptionnelle. 

En  sa  prescience  maternelle,  la  Mouche  bleue  con- 
naît à merveille  les  surfaces  d’élection,  les  seules  aptes 
à se  ramollir,  à difiluer  par  l’attaque  du  réactif  que 
baveront  les  nouveau-nés.  La  chimie  de  l’avenir  lui 
est  familière  quoique  sans  usage  pour  sa  propre  réfec- 
tion; la  maternité,  haute  inspiratrice  des  instincts,  lui 
en  donne  leçon. 

Si  scrupuleuse  qu’elle  soit  dans  le  choix  des  points 
où  doivent  se  déposer  les  œufs,  la  Mouche  bleue  ne  se 
préoccupe  pas  de  la  qualité  des  vivres  destinés  à sa 
famille.  Tout  cadavre  lui  est  bon. 

Redi,  le  savant  italien  qui,  le  premier,  ruina  l’an- 
tique et  sotte  idée  des  vers  fils  de  la  pourriture,  ali- 
mentait la  vermine  de  ses  appareils  avec  de  la  chair 
d’origine  très  Avariée.  Afin  de  rendre  ses  preuves  plus 
concluantes,  il  exagérait  les  épreuves  du  réfectoire. 
Chair  de  tigre  et  de  lion,  d’ours  et  de  léopard,  de 
renard  et  de  loup,  de  mouton  et  de  bœuf,  de  cheval  et 
d’âne  et  liien  d’autres  fournies  par  la  riche  ménagerie 
de  Florence,  Avariaient  le  régime  imposé.  Cette  prodi- 
galité n’était  pas  nécessaire  ; loup  et  mouton  sont,  au 
fond,  même  chose  pour  un  estomac  sans  préjugés. 

Lointain  disciple  de  l’historien  des  asticots,  je  reprends 
le  problème  sous  un  aspect  non  soupçonné  de  Redi. 
Toute  chair  provenant  d’un  animal  d’ordre  supérieur 
convient  à la  famille  du  diptère  ; en  sera-t-il  de  même 
si  la  pièce  est  d’organisation  moins  élevée  ou  consiste 
en  charcuterie  de  poisson,  par  exeiii])le,  de  batracien, 
de  mollusque,  d’insecte,  de  inyriapode?  Les  vers  accep- 
teront-ils ces  victuailles,  et  surtout  parviendront-ils  à 
les  liquéfier,  condition  primordiale? 

Je  sers  un  morceau  de  Merlan  cru.  La  chair  est 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:37i 

])lanclie,  fine,  à demi  translucide,  de  diiiestion  aisée 
j)Our  notre  estomac  et  non  moins  liien  })Our  le  dissol- 
vant du  ver.  Elle  se  résout  en  un  Huidc  ojialin,  cou- 
lant comme  de  l’eau.  A peu  près  ainsi  se  liquéfie  le 
l)lanc  d’oeuf  cuit.  En  pareil  milieu  conservant  encore 
des  îlots  solides,  les  vers  grossissent  d'abord;  puis, 
manquant  d’a})puis  et  menacés  de  noyade  dans  un 
boinllon  trop  tluide,  ils  rampent  sur  la  paroi  du  verre, 
inquiets  et  désireux  de  s’en  aller.  Ils  montent  Jusqu’au 
tanumn  d’ouate  fermant  l’éprouvette  et  s’efforcent  de 
déguerpir  à travers  le  coton.  l)oués  d’une  tenace  per- 
sévérance, presque  tous  décanqient  malgré  l’olistacle. 
L’éprouvette  à lilanc  d’(euf  m’avait  montré  pareil 
exode.  Mien  (pie  les  mets  leur  conviennent,  comme  en 
témoigne  leur  croissance,  les  vers  cessent  de  s’alimen- 
ter  et  s’échappent  lorsque  la  noyade  est  imminente. 

Avec  d’aufres  jioissons.  Raie  et  Sardine,  avec  les 
muscles  de  la  Reinette  et  de  la  (Trenouille,  les  chairs 
se  résolvent  sinqdement  en  purée.  Des  hachis  de 
Limace,  de  Scolopendre,  de  Mante  religieuse,  four- 
nissent les  mômes  l’ésultats.  Dans  toutes  ces  prépara- 
tions, l’action  dissolvante  des  vers  s’affirme  non  moins 
l)ien  ([lie  lorsqu’il  est  fait  usage  de  viande  de  bouche- 
rie. De  [iliis,  les  vers  semblent  satisfaits  de  l’étrange 
régime  que  ma  curiosité  leur  inqiose;  ils  [U'osjièrent 
au  sein  des  victuailles;  ils  s’y  transforment  en  pnpes. 

La  conclusion  est  donc  lieaucoiq)  [dus  générale  que 
ne  se  figurait  Redi.  Toute  chair,  d’ordre  siqiérieur  ou 
d’ordre  inférieur  n’inqiorte,  convient  à la  Mouche 
lileue  pour  l’établissement  de  sa  famille.  Les  cadavres 
de  la  liète  cà  [loils  et  de  la  liède  à [dûmes  sont  les  vivres 
[iréférés,  jiroliablement  à cause  de  leur  richesse  per- 
mettant (le  C()[deuses  [imites;  mais  à l’occasion  les 
autres  sont  acce[ités  aussi,  sans  inconvénient.  Toute 
lo([ue  ayant  vécu  de  la  vie  animale  rentre  dans  le 
domaine  de  ces  défrichenrs  d('  la  mort. 

(biol  est  leur  nomlire  pour  une  seule  mèi*ef  J’ai  déjà 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


375 


]iarl6  (rime  })onte  de  trois  cents,  relevée  œuf  })ar  oeuf. 
Une  circoustauce  Lieu  fortuite  me  permet  d’aller  plus 
loin.  Dans  la  première  semaine  de  janvier  1905,  il 
était  survenu,  bruscpie  et  de  peu  de  durée,  un  froid 
bien  exceptionnel  pour  ma  région.  Le  thermomètre 
descendait  à — 12°.  Au  plus  fort  de  la  sauvage  bise 
qui  déjà  mettait  du  roux  sur  le  feuillage  des  oliviers, 
me  fut  apportée  une  Effraie  ou  Chouette  des  clochers, 
trouvée  morte,  gisant  à terre,  en  plein  air,  non  loin 
de  ma  demeure.  Mon  renom  d’amateur  de  bêtes  me 
vmlait  ce  présent  qu’on  croyait  m’être  agréable. 

11  le  fut,  en  effet,  mais  pour  des  motifs  auxquels 
n’avait  certes  jias  songé  l’inventeur  de  la  pièce.  L’oi- 
seau était  intact,  Inen  correct  de  plumage,  sans  la 
moindre  lilcssure  apparente.  Peut-être  était-il  mort  de 
froid.  Ce  qui  me  le  ht  accepter  avec  reconnaissance 
l’aurait  fait  précisément  refuser  de  tout  autre.  Ses 
grands  jœux,  fanés  par  la  mort,  disparaissaient  sous 
un  épais  amas  d’neufs,  où  je  reconnus  la  ponte  de  la 
Mouche  bleue.  D’autres  amas  pareils  occu})aient  le 
voisinage  des  narines.  Si  je  veux  un  semis  d’asticots,  en 
voilà  certes  un  comme  je  n’en  ai  pas  vu  d’aussi  riche. 

Je  dépose  le  cadavre  sur  le  sable  d’une  terrine,  je 
le  couvre  d’une  cl(3che  en  toile  métallique  et  je  laisse 
les  événements  suivre  leur  cours.  Le  laboratoire  où 
j’installe  ma  bête  n’est  autre  que  mon  cabinet  de  tra- 
vail. Il  y fait,  de  peu  s’en  faut,  aussi  froid  qu’au  dehors, 
à tel  point  que  l’eau  de  l’aquarium  où  j’élevais  autre- 
fois des  larves  de  Phrygane  s’est  })rise  toute  en  un 
bloc  de  glace.  En  semblable  condition  de  température, 
les  yeux  de  la  Chouette  gardent,  invariablement, 
leur  blanc  voile  de  germes.  Rien  ne  bouge,  rien  ne 
grouille.  Lassé  d’atteinlrc,  je  n’accorde  plus  attention 
au  cadavre;  je  laisse  à l’avenir  de  décider  si  le  froid 
n’a  }tas  exterminé  la  famille  du  diptère. 

Dans  le  courant  de  mars,  les  pa(piets  d’neufs  ont 
disparu,  j’ignore  depuis  combien  de  temps.  L’oiseau 


376 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(railleurs  semble  intact.  A la  face  ventrale,  tournée 
en  l’air,  le  plumai>'e  garde  le  correct  arrangement  et 
le  frais  coloris.  Je  soulève  la  })iécc.  C’est  léger,  très 
aride,  sonnant  le  racorni  ainsi  qu’une  vieille  savate 
tannée  aux  champs  par  le  soleil  d’été.  D’odeur,  point, 
r/aridité  a maîtrisé  l’infection  qui,  du  i*este,  n’a  jamais 
été  importune  en  cette  glaciale  périod(C  Le  dos,  on 
contact  avec  le  sable,  est  au  contraire  une  odieuse 
ruine,  en  jiartie  dé])lumée.  Les  pennes  de  la  queue 
ont  les  canons  à nu;  ({uelques  os  se  montrent,  dénu- 
dés de  muscles  et  lilanchis.  La  peau  est  devenue  un 
cuir  noirâtre,  jiercé  de  trous  ronds  pareils  à ceux  de 
la  membrane  d’un  crible.  C’est  affreux  de  hideur,  mais 
très  instiaictif. 

Le  misérable  Hibou,  si  délabré  de  l’échine,  nous 
apprend  d’abord  qu’une  tenqiérature  de  l'2"  au-dessous 
de  zéro  ne  conqu’omet  pas  les  geianes  de  la  Mouche 
bh'ue.  Les  vers  s(3iit  nés  sans  encombi'e,  malgré  la  rude 
bourrasque;  ils  ont  co])ieusement  festoyé  d’extrait  de 
viande;  })uis,  devenus  gros  et  gras,  ils  sont  descendus 
en  terre  en  jiei'cant  de  trous  ronds  la  pixau  de  l’oiseau. 
Leurs  jaipes  doivent  maintenant  se  trouver  dans  le  sable 
do  la  terrine. 

Elles  y sont  effectivement,  et  si  nombreuses  (pie,  jiour 
les  recueillir,  je  suis  obligé  de  recourir  au  tamis. 
Jamais,  me  servant  de  pinces,  je  ne  viendrais  à bout  de 
t(dle  multitude  ]iar  un  simple  triage.  Le  sable  jiasse  à 
travei's  les  mailles  du  crible,  les  ])uj)('s  reshmt  en  des- 
sus. Les  conqiter  une  à une  excéderait  ma  patience.  Je 
les  mesure  au  lioisseau,  c’est-à-dire  avec  un  dé  à C(judre 
dont  je  connais  la  contenance,  évaluée  en  pupes.  Le 
résultat  de  ma  siqiputation  n’est  jias  loin  de  neuf  cents. 

C('tte  famille  provient-elle  d’une  seule  mère  ? ^'olon- 
tiers  je  l’admettrais,  tant  il  ('•st  }h'u  probable  ({ue  la 
Mouche  bleue,  fort  rare  dans  nos  haliitations  ])endant 
les  rudesses  de  l’hiver,  soit  assc'z  fréquente  au  (hdiors 
pour  se  grouper  et  va(juer  en  commun  à ses  affaires, 


LA  .MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


377 


tandis  ({iic  sévit  une  glaciale  bouiTasque.  Une  attardée, 
jouet  de  la  bise,  une  seule,  doit  avoir  dé})osé  sur  les 
jeux  de  la  Chouette  le  faix  pressant  de  ses  ovaires. 
Cette  ponte  de  neuf  centaines,  ])onte  incomplète  peut- 
être,  témoigne  du  haut  rôle  du  dijdére  liquidateur  de 
cadavres. 

Avant  de  rejeter  l’Effraie  ex|)loitée  par  les  vers,  sur- 
montons notre  ré])ugnance  et  donnons  un  coup-d’œil  à 
rintérieur  do  l’oiseau.  C’est  une  cavité  anfractueuse, 
palissadée  de  ruines  n’ajant  plus  de  nom.  Muscles  et 
viscères  ont  dis|)aru,  convertis  en  purée  et  consommés 
à mesure  par  la  population.  De  partout,  à l’humide  a 
succédé  le  sec,  au  boueux  le  solide. 

En  vain  mes  ]»inces  fouillent  coins  et  recoins,  elles 
n’y  rencontrent  pas  une  seule  pupe.  Tous  les  vers  ont 
émigré,  alisolument  tous.  Du  premier  au  dernier,  ils 
ont  aliandonné  la  calûne  cadavéri(pie,  douce  à leur  déli- 
cat épiderme;  ils  ont  ([iiitté  le  velours  pour  les  rudesses 
du  sol.  IjO  sec  leur  serait-il  maintenant  nécessaire  ? Ils 
l’avaient  au  sein  de  la  carcasse,  aride,  tarie  à fond.  Se 
précautionneraient-ils  contre  le  froid  et  la  pluie?  Nul 
abri  ])ourrait  inieu.x  leur  convenir  que  l’épais  édre- 
don du  plumage,  conservé  sans  dommage  aucun  sur  le 
ventre,  la  poitrine  et  tous  les  })oints  non  en  contact 
avec  la  terre.  Ils  ont  fui,  seml)le-t-il,  le  bien-être  })our 
un  séjour  moins  clément.  L’heure  de  la  transformation 
venue,  tous  ont  quitté  le  Hibou,  gite  excellent,  tous  ont 
})longé  dans  le  sable. 

La  sortie  du  taliernacle  mortuaire  s’est  faite  par  les 
trous  ronds  dont  la  ])eau  est  jiercée.  Ces  trous  sont  l’ou- 
vrage des  vers,  là-dessus  aucun  doute;  cependant  nous 
venons  de  voir  les  })ondeuses  refuser  pour  support  de 
leurs  (eufs  tout  point  où  les  chairs  sont  défendues  par  un 
épiderme  de  quelque  résistance.  Le  motif  en  est  le 
défaut  d’action  de  la  })epsine  sui*  les  matières  é})ider- 
miques.  Eaute  de  liipiéfaction  en  des  points  pareils,  le 
brouet  alimentaire  y serait  impossilde. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l)’auti*e  les  veriiiisseaiix  ne  peuvent  }tas,  on 

tout  au  moins  n<'  savent  pas,  à l’aide  de  leur  double 
harpon  guttural,  piocher  l’envelojtpe,  la  déchirer  et 
jtarvenir  à la  franchir.  A ces  nouveau-m's,  la  force 
inampie,  et  surtout  l’intention.  Mais  aux  a})proclies  de 
la  descente  en  terre,  vigoureux  et  Inaisquement  ver- 
sés dans  l’art  requis,  les  vers  savent  très  bien  corroder 
jtatieininent  et  s’ouvrir  un  passage.  Des  crocs  de  leurs 
lifitonnets  ambulatoires,  ils  ])iochent,  ils  grattent,  ils 
dilacèrent.  Les  instincts  ont  des  inspirations  soudaines, 
(le  qu’elle  ne  savait  pas  faire  au  début,  la  hôte  le  sait 
sans  apprentissage,  lorsque  l’heure  est  venue  de  prati- 
tpier  telle  et  telle  autre  industrie.  L’asticot  mûr  pour 
l’inhumation  jierfore  un  obstacle  membraneux  que  le 
ver,  occupé  de  son  liouillon,  n’aurait  })as  môme  essaya' 
d’attaquer  ni.de  sa  pepsine,  ni  de  ses  grapins. 

Pour  ([uel  motif  le  ver  abandonne-t-il  la  carcasse, 
excellent  abid  ? Pourquoi  va-t-il  se  domicilier  dans  le 
sol  ? Premier  assainisseiir  des  choses  mortes,  il  ti'availle 
au  plus  pressé,  le  tarissement  d(',  l’infection;  mais  il 
laisse  copieux  résidu,  inattaquable  ])ar  les  réactifs  de  sa 
chimie  dissolvante.  Ces  restes,  à leur  tour,  doivent  dis- 
paraitre.  Après  le  diptère  accourent  des  anatomistes 
([ui  rejtrennent  l’aride  relique,  grignotent  })eau,  ten- 
tions, ligaments  et  ratissent  l’os  jusqu’au  blanc. 

Le  mieux  expert  en  ce  travail  est  le  Dermesh',  ]»as- 
sionné  rongeur  des  reliques  animales;  un  peu  jdus  tôt, 
un  peu  plus  tard,  il  arrivera  sur  la  jiièce  déjà  exploitée 
par  le  dijitère.  Or  qu’arriverait-il  si  les  piipes  se  trou- 
vaient là?  C’est  visilile.  Amah'ur  d’aliments  coriaces,  le 
Dermeste  porterait  la  dent  sui-  h's  barillets  de  corne  et 
les  mettrait  à mal  d’une  simjtle  morsure.  S’il  ne  tou- 
chait pas  au  contenu,  chose  vivante  (]ui  jtrobablement 
le  ré}mgne,  il  dégusterait  tout  au  moins  le  contenant, 
matière  inerte.  I>a  future  mouche  siu'ait  ])('rdue  }»arce 
(pie  son  étui  serait  troué.  De  même,  dans  les  magasins 
des  tilatures,  un  Dermeste  {De/‘iuesfes  ctiljti/ius  Va]).) 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


379 


jierce  les  cocons  pour  attaquer  la  chrysalide  à tégu- 
iiieuts  de  corue. 

L’asticot  prévoit  le  danger  et  dégueiqût  avant  que 
l’autre  arrive.  Eu  quelle  mémoire  loge-t-il  tant  de 
sapience,  lui  l’indigent,  dépourvu  de  tête,  car  il  faut 
une  certaine  extension  de  langage  pour  appeler  de  ce 
nom  de  tête  l’avant  pointu  de  l’animal  ? Gomment  a-t-il 
appris  ([lie  pour  sauvegarder  la  pupe,  il  convient  de 
déserter  le  cadavre,  et  que  pour  sauvegarder  la 
mouche,  il  convient  de  ne  pas  s’enterrer  trop  [irofon- 
dément  ? 

Pour  émerger  de  dessous  terre  après  l’éclosion  de 
l’insecte  parfait,  la  méthode  de  la  Mouche  bleue  consiste 
à se  disloquer  la  tête  en  deux  moitiés  mobiles  qui,  liour- 
soutlées  de  leur  «’ros  œil  roime,  tour  à tour  s’éloignent 
et  se  rapprochent.  Pans  l’intervalle  surgit  et  dis[)a- 
raît,  dis[)arait  et  surgit,  une  volumineuse  hernie  hya- 
line. Lorsque  les  deux  moitiés  s’écartent,  un  œil  refoulé 
vers  la  droite  et  l’autre  vers  la  gauche,  on  dirait  que 
l’insecte  se  fend  la  lioîte  crânienne  et  en  exjinlse  le 
contenu.  Alors  la  hernie  surgit,  obtuse  au  bout  et  ren- 
flée en  grosse  tête  de  clou.  Puis  le  front  se  referme,  la 
hernie  rentre  ne  laissant  de  visilile  qu’une  sorte  de 
vague  innfle. 

En  somme,  une  poche  frontale,  à palpitations  [)ro- 
fondes  d’instant  en  instant  renouvelées,  est  l’outil  de 
délivrance,  le  [tilon  à l’aide  duquel  le  di])tére  nouvelle- 
ment éclos  choque  le  salile  et  le  fait  crouler.  A mesure 
les  pattes  refoulent  en  arriére  les  éboulis  et  l’insecte 
progresse  d’autant  vers  la  surface. 

Rude  besogne  que  cette  exhumation  à coiqis  de  tête 
fendue  et  [)alpitante.  En  outre,  l’exténuant  eflbrt  s’im- 
[lose  au  moment  de’  la  plus  grande  faiblesse,  lorsque 
l’insecte  sort  de  sa  pupe,  coflret  [trotecteur.  Il  en  sort 
[)àle,  sans  consistance,  disgracieux,  à peine  vêtu  des 
ailes  qui,  [dissées  en  long  et  raccourcies  [>ar  une  échan- 
crure sinueuse,  couvrent  pauvrement  le  haut  de 


380 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l’échine.  Hirsute  de  cils  farouches  et  coloré  de  cendré, 
il  a piteux  as})ect.  La  grande  voilure,  a})te  à l’essor, 
s’étalera  plus  tard.  Pour  le  moment  elle  serait  un 
embarras  au  milieu  des  obstacles  à traverser.  ^Oendra 
plus  tard  aussi  le  costume  correct  où  la  sévérité  du  noir 
fait  ressortir  le  bleu  chatoyant  de  l’indigo. 

r.a  hernie  frontale  cpii  fait  crouler  le  sable  sous  le 
choc  de  ses  pulsations,  est  apte  à fonctionner  quelque 
temps  a})rès  la  sortie  de  terre.  Saisissons  avec  des 
pinces  l’ime  des  pattes  d’arrière  de  la  mouche  récem- 
ment libérée.  Aussitôt  l’outil  céphalique  travaille,  se 
gonflant,  se  dégonflant  non  moins  bien  que  tantôt, 
quand  il  fallait  pratiquer  une  trouée  dans  le  sable. 
Entravé  dans  ses  mouvements  comme  il  l’était  sous 
terre,  l’insecte  lutte  de  son  mieux  contre  le  seul 
obstacle  à lui  connu.  De  sa  gibbe  pulsatoire,  il  cogne 
l’air  de  même  ([u’auparavant  il  cognait  la  barrière 
terreuse.  En  toute  circonstance  fâcheuse,  son  unique 
ressource  est  de  se  fendre  la  tète  et  d’exhilier  son  her- 
nie crânienne,  qui  sort  et  rentre,  rentre  et  sort.  Près 
de  deux  heures,  entrecoupées  d’arrêts  dus  à la  fatigue, 
la  machinette  ])alpitante  fonctionne  au  bout  de  mes 
pinces. 

Cependant  la  désespérée  se  durcit  l’épiderme;  elle 
étale  sa  voilure  et  revêt  son  costume  de  grand  deuil; 
mélange  de  noir  et  de  lileu  sombre.  Alors  les  yeux,  laté- 
ralement déjetés,  se  rapprochent,  prennent  la  position 
normale.  La  fente  du  front  se  referme;  la  poche  libéra- 
trice rentre  pour  ne  se  montrer  jamais  i)lus.  Mais  avant 
une  précaution  est  à jirendre.  Avec  les  tarses  anté- 
rieurs, la  giljbe  qui  va  disparaiti’e  est  soigneusement 
brossée,  crainte  de  se  loger  du  gravier  dans  le  crâne 
lorsque  les  deux  moitiés  de  la  tête  se  rejoindront  pour 
toujours. 

L’asticot  est  au  courant  des  misères  ([ui  l’attendent 
lorsque,  devenu  mouche,  il  devra  remonter  de  dessous 
terre;  il  sait  par  avance  combien,  avec  le  faillie  instru- 


LA  MOUCHE  BLEUE  DE  LA  VIANDE 


3S1 


ment  dont  il  dispose,  l’ascension  sera  pénible,  au  point 
de  devenir  mortelle  })our  peu  que  le  trajet  s’allonge.  Il 
pressent  les  dangers  futurs  et  les  conjure  autant  que  le 
permet  sa  prudence.  Doué  de  deux  liâtons  ferrés  dans 
le  gosier,  il  peut  aisément  descendre  à telle  profondeur 
qu’il  voudra.  La  tranquillité  plus  grande  et  la  tempéra- 
ture moins  âpre  exigeraient  gîte  j)rofond  autant  que 
possible;  le  plus  bas  sera  le  meilleur  pour  le  bien-être 
du  ver  et  de  la  })upe,  à la  condition  que  la  descente  soit 
praticable. 

Elle  l’est  à merveille,  et  voici  que  libre  d’obéir  à son 
inspiration,  le  ver  s’abstient.  Je  l’élève  dans  une  terrine 
profonde,  pleine  de  sable  tin  et  sec,  milieu  de  fouille 
aisée.  L’ensevelissement  est, toujours  médiocre.  Un  tra- 
vers de  main  environ,  c’est  tout  ce  que  se  permet  le 
plongeon  le  plus  avancé.  La  plupart  des  ensevelis 
restent  même  plus  près  de  la  surface.  Là,  sous  une 
mince  couche  de  sable,  la  peau  du  ver  durcit  et  devient 
un  cercueil,  un  cotïret  où  se  dort  le  sommeil  de  la  trans- 
formation. Quelques  semaines  après,  rinhumée  se 
réveille,  transtigurée  mais  débile,  n’avant  pour  se 
déterrer  que  la  sacoche  pulsatoire  de  son  front  ouvert. 

Ce  que  l’asticot  s’est  défendu  de  faire,  il  m’est  loisible 
de  le  réaliser  si  je  tiens  à savoir  de  quelle  profondeur 
peut  remonter  le  diptère.  Au  fond  de  larges  tubes,  fer- 
més d’un  bout,  je  dépose  quinze  pupes  de  la  Mouche 
bleue  obtenues  en  hiver.  Au-dessus  de  ces  pupes  s’élève 
une  colonne  verticale  de  sable  tin  et  sec,  dont  je  fais 
varier  la  hauteur  d’un  appareil  à l’autre.  Avril  venu, 
les  éclosions  commencent. 

Le  tube  avec  6 centimètres  de  sable,  la  moindre  des 
colonnes  essajAes,  fournit  le  meilleur  résultat.  Des 
quinze  sujets  ensevelis  à l’état  de  pupes,  quatorze, 
devenus  mouches,  parviennent  aisément  à la  surface. 
Un  seul  périt,  sans  même  avoir  tenté  l’ascension.  Avec 
12  centimètres  de  sable,  quatre  sorties.  Avec  20  centi- 
mètres, deux  sorties,  pas  davantage.  En  chemin,  qui 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


plus  haut  qui  })lus  lias,  les  autres  mouches  sont  mortes, 
harassées  de  latinue. 

Mnün,  avec  un  dernier  tulie  où  la  colonne  de  sable 
mesurait  ()0  centimètres,  je  n’ai  obtenu  qu’une 
mouche  libérée.  Pour  monter  de  telle  jtrofondeur,  la 
vaillante  a dù  rudement  s’escidmer  cai'  les  quatorze 
restantes  m'  sont  }>as  même  j)arvenues  à faire  sauter  le 
couvercle  (h*  leur  collret.  Je  pi'ésume  ([iu‘  la  mobilité  du 
sable  et  la  })ression  en  tout  sens  qui  en  résnlte,  analoi>u(' 
àcelle  desli({uides,ne  sont  ])as  étrangères  aux  dillicultés 
<le  l’exhumation. 

Aussi  deux  autres  tubes  sont  préjtarés,  mais  cette  fois 
garnis  de  terreau  frais  (jui,  légèrement  tassé,  n'a  plus 
la  mobilité  du  saille  et  les  inconvénients  de  la  pression. 
<)  centimètres  de  terreau  me  donnent  huit  sortii's  poui“ 
quinze  pu})es  ensevelies;  '20  centimètres  ne  m’en 
donnent  qu’une. 

Le  succès  est  moindre  qu’avec  la  colonne  salilon- 
neuse.  Mon  artifice  a diminué  la  })ression,  mais  il  a du 
même  coiqi  augmenté  l’inerte  l'ésistance.  Le  sable 
croule  tout  seul  sous  les  chocs  du  refouloir  frontal;  le 
tei'i‘eau,  non  mobile,  exige  l’ouverture  d’une  galerie. 
Sur  le  trajet  suivi,  je  constate,  en  efiét,  une  cheminée 
d’ascension  qui  j)ersiste  indéfiniment  telle  quelle.  La 
mouche  l’a  forcée  avec  la  sacoche  temporaire  qui  lui 
pal})ite  entre  les  yeux. 

Dans  tout  milieu,  sable,  humus,  combinaison  ter- 
reuse ([indconque,  la  misère  est  donc  grande  quand  il 
faut  s’exhumer  à l’état  de  mouche.  Aussi  l’asticot 
s’al)stient-il  des  })rofondeurs  qu’nn  surcroît  de  sécurité 
semblerait  devoir  lui  conseiller.  Le  ver  a sa  jtrudence  : 
en  })i‘évision  des  difficultés  de  l’avenir,  il  évite  les  grands 
plongeons  favoi'aldes  au  Inen-ètre  du  présent.  Le ‘futur 
fait  négliger  l'actuel. 


J. -IL  Fabre. 


PASCAL 

L’Iiorreiip  (lu  vide  et  la  pression  almosphéri(|ue 


Des  polémiques  du  plus  haut  intérêt  pour  l’histoire 
des  sciences,  et  plus  importantes  encoi'e  jiour  l’ajipré- 
ciatiou  de  la  moralité  de  Pascal,  se  sont  ])roduites 
récemment  dans  j)lusieui-s  revues  auxquelles  des  jour-- 
uaux  ont  fait  écho.  M.  F.  Mathieu,  qui  les  a ouvertes, 
J mène  la  campagne  contre  l’auteur  du  Traité  de 
l’équilihre  des  liqueurs.  M.  l)uhem,  qui  rencontre  ces 
attaques  dans  une  étude  sur  Le  P.  Marin  Mersenne  et 
la  pesanteur  de  l’air.,  leur  op|)Ose  certaines  critiques  et 
des  vues  toutes  ditlérentes.  M.  xVbel  Lefranc  plaide 
pour  Pascal  et  tient  pour  fausses  les  conclusions  de 
M.  Mathieu.  M.  Milhaut  les  juge  insuffisamment 
démontrées.  M.  L.  Brunschvicg  est  du  même  avis, 
mais  il  s’en  prend  surtout  à la  méthode  qui}'  a conduit. 
M.  Ahel  Rev  donne,  de  l’ensemble  du  déliât,  une  syn- 
thèse très  nette  d’où  il  ressort  que  les  répliques  laisse- 
raient debout  les  })rincipaux  arguments  de  M.  Mathieu. 

Nous  avons  suivi  cette  joute  savante,  dont  l’enjeu  est 
l’honneur  d’un  grand  homme,  avec  le  souci  d’apprécier 
les  charges  qui  pèsent  sur  l’accusé.  C’est  de  cet  effort 
qu’est  fait  cet  article.  Il  n’a  pas  la  prétention  d’apporter 
à l’attaque  ou  à la  défense  un  secours  dont  elles  n’ont 
que  faire.  Son  Init  est  de  raconter  les  faits,  d’analyser 
les  pièces  du  procès  et  d’aider  le  lecteur  à se  former 
lui-même  une  o]»inion,  en  lui  éjiargnant  le  travail  de 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:3Si 

classement  et  de  contrôle  que  nous  nous  sommes  imj)Osé 
pour  asseoir  la  nôtre. 

^'oici  le  })lan  que  nous  avons  suivi. 

Nous  avons  })ris  })Our  liase  de  notre  étude  toute  la 
])artie  documentaire  des  articles  dont  nous  venons  de 
citer  les  auteurs,  de  ceux  de  M.  Mathieu  surtout  : ceci 
s'ini])osait.  M.  Mathieu  a épuisé  la  matière,  ou  })eu  s’en 
faut.  « Il  a une  érudition  immense  »,  écrit  M.  L. 
Hrunschvicg  dont  il  est  su])erllu  de  rapjieler  l’an- 
torité  en  un  sujet  que  remplissent  l’œnvre  et  la  vie  de 
Pascal;  « il  manie  des  documents  qid  ont  été  négligés 
on  ignorés  ]>ar  ses  devanciers...  Je  m’excuse,  à 
l’avance,  si  la  forme  que  vont  })rendre  mes  observa- 
tiens  ré})ond  très  mal  et  à l’impri'ssion  d'admiration 
que  j'ai  éprouvée  en  prenant  connaissance  » de  ses 
articles,  « et  à la  reconnaissance  que  je  leur  dois  per- 
sonnellement ])our  tout  le  jirotit  que  J’en  tire  à chaque 
instant  au  cours  de  mes  recherches.  » 

Tous  ces  documents,  nous  les  avons  relus  à leur 
})lace  chaque  fois  que  les  sources  nous  étaient  acces- 
sibles, non  pas  dans  l'intention  d’en  vérifier  l’exacti- 
tude matérielle,  dont  nous  n’avions  aucune  raison  de 
douter,  mais  pour  les  isoler  de  tout  commentaire,  les 
conqiléter  au  besoin,  les  éclairer  jtar  leur  contexte  et 
en  suliir  ainsi  l’imjjression  directe. 

Afin  d’éviter  tout  groupement  artificiel,  auquel  eCd, 
nécessairement  présidé  une  opinion  déjà  formée,  nous 
avons  rangé  ces  documents  dans  l’ordre  chronologique. 
L’intérêt  y ])erdra  })eut-être,  mais  la  vérité  ne  pourra 
qu’j  gagner.  Quand  il  a fallu  les  commenter,  en  fixer 
le  sens,  en  signaler  l’accord  ou  les  contradictions, 
réelles  ou  apparentes,  nous  avons  adojdé,  parmi  les 
interj)rétations  des  auteurs  qui  nous  servaient  de 
guides,  celles  qui  nous  j)araissaient  les  mieux  fondées, 
ou  nous  en  avons  jirojiosé  d’antres,  en  donnant  les  rai- 
sons de  notre  choix. 


PASCAL 


385 


Ce  n’est  qu’après  cet  exj)Osé  critique  des  faits  et  des 
textes,  que  nous  énoncerons  les  conclusions  qu’on  en 
tire,  en  signalant  les  dilHcultés  qu’on  leur  oppose  et  les 
solutions  qu’on  en  donne,  quand  ces  difficultés  et  ces 
solutions  n’auront  pas  été  rencontrées  déjà  dans  le 
corps  de  l’article. 

Pour  ne  point  surcharger  ces  pages  de  l’éférences  de 
détail,  nous  avons  dressé  et  mis  en  a])pendice  la  liste  des 
articles  et  des  ouvrages  originaux  qui  ont  fourni  les 
documents  mis  en  œuvre,  en  indiquant  ceux  que  nous 
n’avons  pu  consulter  et  que  nous  citons  de  seconde 
main. 

Enfin,  pour  permettre  au  lecteur  des  rap})roclie- 
ments  souvent  nécessaires,  tout  en  évitant  de  fré([uentes 
ré})étitions,  des  chifiVes  romains,  intercalés  dans  le 
texte,  renvoient  aux  jtaragraplies  de  cette  étude. 


I.  — Acant  TorriceUi,  1G43  : Isaak  Beechmau, 
Baliauî,  Jean  Bey,  Galilée,  Descartes 

Dans  la  première  moitié  dn  X^'IP  siècle,  on  ensei- 
gnait dans  les  écoles  que  l’aii*  est  pesant  relativement 
au  feu,  léger  relativement  à l’eau.  On  ne  s’accordait 
pas  sur  le  point  de  savoir  si  un  élément  })èse  ou  non 
lorsqu’il  se  trouve  en  son  lieu  naturel  : si  l’air,  }>ar 
exemple,  pèse  dans  l’air,  et  l’eau  dans  l’eau.  Aristote 
disait  oui,  Simplicius  disait  non.  A rap})ui  de  son  opi- 
nion, le  maître  citait  une  observation  étrange,  sans 
dire,  d’ailleurs,  qu’elle  fût  de  lui  : une  outre  pèse 
davantage  lorsqu’elle  est  gonfiée  d’air  que  lorsqu'elle 
est  vide.  Son  commentateur  avait,  disait-il,  refait  l’ex- 
péidence  et  trouvé  le  même  poitls  à l’outre  gonfiée 
et  à l’outre  dégonflée.  Les  meilleurs  esprits  donnaient 
raison  à Simplicius  contre  Aristote. 

Tous  s’accordaient  à déclarer  le  vide  impossible.  On 

IIP  SÉHIE.  T.  Xll.  “23 


38G 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


ajoutait  que,  pour  l’empêcher,  la  nature,  qui  en  a hor- 
reur parce  qu’il  tend  à sa  destruction,  recourt  à tous 
les  moyens  propres  à le  prévenir  : tantôt  c’est  une 
force  motrice  intime,  dont  elle  a doué  tous  les  corps, 
qui  les  porte,  au  besoin,  dans  le  lieu  où  le  vide  tend  à 
se  produire;  tantôt  c’est  la  condensation,  la  raréfaction 
ou  une  résistance  invincible  qui  entrent  en  jeu.  C’est 
contre  celle-ci  qu’on  s’épuise  quand  on  veut  écarter  les 
feuillets  d’un  southet  dont  l’ouverture  est  bouchée. 

Des  pbj'siciens  cependant  se  rencontraient,  persuadés 
que  l’air  est  absolument  pesant,  et  disposés  à ])rendre 
sa  pesanteur  pour  cause  des  effets  que  les  philosophes 
})éripatéticiens  attribuaient  à l’horreur  du  vide. 

En  des  entretiens  tenus  en  i(3'29  avec  Gassendi, 
Isaak  Beeckman,  collaborateur  de  Descartes,  en  Hol- 
lande, s’en  ex])rimait  très  nettement  : 

« ....l’ai  montré,  dit-il,  que  l’air  est  grave,  qu’il  nous  presse  de 
tous  côtés  d’une  manière  uniforme,  de  soi'te  que  nous  ne  souf- 
frons pas  de  cette  pression,  et  que  cette  gravité  est  la  cause  de  ce 
(pi’on  nomme  la  fuite  du  vide...  L’air  repose  sur  les  choses  <à  la 
manière  de  l’eau,  et  il  les  comprime  selon  la  hauteur  du  tluide 
([u’elles  supportent...  Les  choses  se  précipitent  avec  une  grande 
puissance  en  un  lieu  vide,  k cause  de  la  grande  hauteur  de  l’air 
qui  les  surmonte  et  du  poids  qui  en  résulte.  » 

Le  20  octolire  1030,  Baliani  adiussait  à Galilée  une 
lettre  où  se  lisent  des  pensées  semblables  : 

« ....le  ne  suis  plus  de  l’opinion  vulgaire  selon  laquelle  il  n’y  a 
pas  de  vide...  et,  poiu'  tout  dire,  j’ai  commencé  de  croire  que  le 
vide  était  naturellement  possible  dans  le  temps  même  que  j’ai 
reconnu  à l’air  un  poids  sensible...  11  n’est  pas  vrai  que  le  vide 
répugne  à la  nature;  il  est  seulement  vrai  qu’il  ne  se  peut  pro- 
duire sans  une  grande  violence,  et  l’on  peut  déterminer  quelle 
est  cette  violence  recpiise  pour  obtenir  le  vide.  D’ailleurs,  si  l’air 
est  pesant,  il  n’y  a entre  l’eau  et  l’air  qu’une  différence  de  plus 
ou  de  moins...  .l’estime  que  plus  l’air  se  trouve  élevé  au-dessu.s 
du  sol,  plus  il  est  léger;  toutefois,  je  crois  son  immensité  si 


PASCAL 


387 


grande  qu’en  dépil  de  la  faiblesse  de  son  poids  spéoifnpie,  si  l’on 
sentait  la  ehargc  de  tout  l’air  qu’on  porte  au-dessus  de  soi,  on 
éi)rouverait  un  très  grand  poids;  il  ne  serait  eei)endant  pas  inlini; 
il  aurait  une  valeur  déterminée,  en  sorte  qu’au  moyen  d’une 
Ibree  proportionnée  à ce  poids,  on  pourrait  le  surmonter  et 
produire  le  vide...  Je  juge  (pie  cette  valeur  est  telle  que  l’on 
pourrait  iiroduire  le  vide  avec  une  violence  égale  à celle  (pie 
peut  produire  l’eau  dans  un  canal  dont  la  longueur  ne  dépasse 
pas  80  pieds.  » 

Nous  avons  analysé  ici  inêine  les  Essays  de  Jean 
Rejy  puliliés  en  1G3U,  et  sa  correspondance  avec  le 
P.  Mersenne  (1).  Si  le  lecteur  veut  I)ien  se  reporter  à 
cet  article,  il  verra  que  le  médecin  du  Bugue  professait 
une  doctrine  analogue. 

Plus  clairement  encore  peut-être,  Descartes  rendait 
compte  des  etiéts  de  la  jiression  atmosjihérique  dans 
une  lettre  qu’il  adressait,  le  2 juin  1031,  à un  corres- 
pondant inconnu,  que  l’on  croit  être  Reneri.  Il  entre- 
prend de  lui  expliquer  poui‘([uoi  un  tube  rempli  de  mer- 
cure peut  retenir  le  liquide  qu’il  contient,  alors  que  son 
bout  ouvert  est  tourné  vers  le  lias  : c’est  que,  dit-il, 
])Our  descendre,  le  vif-argent  devrait  pousser  une 
partie  de  l’air,  qui  en  pousserait  une  autre  au-dessus 
d’elle;  en  sorte  qu’il  lui  faudrait  « autant  de  force  qu’il 
en  est  besoin  }iour  enlever  tout  l’air  qui  est  de) mis  là 
jusqu’au-dessus  des  nuées  ».  Ce  passage  est  à retenir  : 
Descartes  se  souviendra  de  l’avoir  écrit  et  rapprochera, 
])Our  s’en  faire  un  mérite,  rex])lication  qu’il  y donne, 
en  1031,  de  celle  que  Tondcelli  donnera,  en  1641,  de 
la  suspension  du  mercure  dans  le  baromètre. 

Pins  tard  — il  faut  en  faire  la  remarque  — Des- 
cartes, moins  jiréoccnpé,  semlde-t-il,  de  })énétrer  les 
secrets  de  la  nature  que  de  mettre  les  phénomènes 
d’accord  avec  ses  conce})tions  d’ensemlde,  ne  voudra 
voir,  dans  les  faits  analogues,  que  des  conséquences 


(I)  Les  Essays  de  Jean  Reij  et  la  Pesantetir  de  raif,\\E\i’E  des  (Juest. 
sciE.XT.,  livraison  du  ;20  juillet  1907,  pp.  ;2oU-;256. 


38S 


REVUE  DES  QUES'nüNS  SCIENTIFIQUES 


d'une  théorie  sur  le  })lein  et  la  forme  cyclique  de  tous 
les  mouvements  qui  se  jtroduisent  dans  le  monde;  par 
là  il  soudera  si  intimement  la  cause  (ju’il  leur  assigne 
à riiypothêsc  dont  il  la  fait  dépendre  que,  quand  il 
])arlera  en  savant,  c’est  le  métaphysicien  que  l’on  ci‘oii*a 
entendre. 

Dans  scs  Discours  et  dètnonstrations  mathèuia- 
tiques  au  sujet  de  deux  sciences  nouvelles,  publiés  en 
i()38,  (ialilée  aborde,  en  la  })remière  journée,  la 
question  du  vide  et  celle  de  la  gravité  de  l’air.  Il  croit 
à l’horreur  du  vide,  mais  il  ne  lui  accorde  qu’une  puis- 
sance finie  et  déterminée  ; il  jiropose  même  des  moyens 
de  la  mesui'er,  mais  il  ne  va  pas  jusqu’à  considérer  la 
pression  de  l’air  jiesant  comme  l’explication  de  cette 
résistance  au  vide,  11  admet  cependant  que  l’air  est 
pesant;  bien  mieux,  il  a tenté  d’en  déterminer  le  jioids 
spé(*ili([ne.  Sans  entrer  an  détail  de  ses  exjtériences,  il  en 
fait  connaiti’c  le  résultat  : l’eau  serait  quatre  cents  fois 
})lus  grave  ipie  l’air;  mais  cette  donnée,  très  inexacte 
d’ailleurs,  reste  inutilisée,  (l’est  ]iar  l’hoi*reur  limitée 
du  vide,  et  non  }iar  la  jtesantenr  de  l’air,  qu’il  ex])li(pie 
l’ascension  de  l’can  dans  les  jiompes  et  l’inq^ossibilité  de 
l’élever  à une  hauteur  verticale  siqiérieui’e  à 18  brasses 
dans  nn  tuyau  plus  long. 

Descartes,  ([ui  a lu  les  Jtiscours  et  (tèiuoustratious, 
en  pai'le  à Mersenne  dans  une  lettre  du  8 octobre  1()38; 
il  lui  donne  son  avis  sur  cette  observation,  ra]q)ortée 
par  (lalilée,  que  les  })ompes  ne  tirent  point  l’ean  au 
delà  de  18  brasses. 

« Ce  fait,  (lit-il,  ne  doit  |)oiiil  se  rapporterai!  vide,  mais  on  à 
la  matii'i'e  des  jionijies,  on  à celle  de  l’ean  nnàm*,  (pii  s’i’conle 
entre  la  poinjie  (d  le  Inyan  pliip')!  (pie  de  s’i'li'vm'  pins  hani, 
ou  meme  à ht  jiesauteiir  de  l'etnt  qui  roiilrehahtuce  celle  de 
ruir{\).  » 

(1)  L’explication  par  la  pesanlenr  de  l’air  — la  reniaiaiiie  est  de  P.  Tannery 
— ne  se  trouve  pas  dans  l’original,  comme  elle  se  trouve  dans  le  texte  de 
LIerselier. 


PASCAL 


389 


Pour  (xalilée,  répétons-le,  la  pesanteur  de  l’eau  con- 
trebalance, non  celle  de  l’air,  mais  la  puissance  finie  et 
déterminée  de  l’horreur  du  vide.  On  pourrait  contre- 
])alancer  celle-ci,  dans  des  conditions  analogues,  par  la 
pesanteur  d’autres  liquides,  qui  s’élèveraient  à des  hau- 
teurs verticales  plus  ou  moins  grandes  que  18  brasses, 
en  proportion  inverse  de  leurs  poids  spécifiques  com- 
parés à c(dui  de  l’eau.  Leur  pesanteur  donnerait,  dans 
tous  les  cas,  la  mesure,  toujours  et  partout  la  même,  de 
l’horreur  du  vide  à laquelle  elle  fait  équilibre. 


11.  — Ton’icelli,  sa  lettre  à Ricci, 
1643-11  juin  1644 


(Test  en  réfléchissant,  sans  doute,  sur  ce  ]iassage  de 
(.tablée,  ([u’un  lecteur  ingénieux  trouva  le  moyen  de 
produire  le  vide  et  une  colonne  liquide  soulevée,  bien 
plus  commodément  qu’avec  l’eau  dans  une  pompe,  en 
])renant  du  vif-argent  dans  un  tu])e  de  verre.  L’ex]>é- 
rience  est  classique,  il  est  inutile  de  la  décrire. 

(du  en  attri])ue  l’invention  àTorricelli(l);  il  fit  mieux, 
en  tout  cas,  que  de  la  réaliser  dans  des  conditions 
variées  : il  en  donna  une  explication  où  l’horreur  limi- 
tée du  vide  est  remplacée  par  la  pesanteur  de  la 
colonne  d’air  qui  surmonte  le  mercure  de  la  cuvette. 

(I)  Mersenne  a écrit  dans  le  tome  troisième  des  Novarum  observatiomim 
l)li!lsico-maihemulicarum,  p.  216  ; « Cerlum  est  primo,  vacuum  ope  tubi  vitrei 
prius  in  Italia,  quam  in  Uallia  ol)servatum  ; idque  puto,  a!)  illustri  Evangelista 
Tüi-ricelli.  » — C.  Uob.  Dali,  Li’ttera  a Filuleti  di  Timiiuro  Antiate  Delta 
veru  storiu  délia  Cicloide,  et  delta  Faniosissima  Esperienza  dell’  Arçjento 
vivo.  Firenze,  1663,  p.  19,  est  plus  explicite  :«  Sappiate  adunque,  o Filaleti,che 
il  Torricelli  sino  dell’  an.  164S  mentre  dimorava  in  Firenze...  fii  il  vero,  ed 
unico  invenlore  di  questa  esperienza,  e dette  raqione  dependente  délia  pres- 
sione  dell'  aria,  che  che  pretendano,  dicano,  o scrivano  altri.  » — On  pour- 
rait multiplier  ces  témoignages. 


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REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIPNQUES 


Le  ii  juin  iOil,  Torricclli  écrit  à son  ancien  disciple 
Michel-An»’e  Ricci  : 

CT* 

« .l’ai  (léjtà  annoncé  >à  votre  Seigneurie  cjn’il  se  taisait  une 
expérience  de  physicpie  sur  le  vide,  non  pas  pour  faire  simple- 
ment le  vide,  mais  pour  avoir  un  instrument  qin  pût  indiquer  les 
changements  de  l’air,  tantôt  plus  lourd  et  plus  épais,  tantôt  plus 
léger  et  plus  subtil. 

D beaucoup  de  gens  ont  dit  qu’il  ne  peut  pas  ,se  produire  de 
vide,  d’autres  qu’il  peut  se  produire,  mais  non  sans  résistance  de 
la  nature,  ni  sans  fatigue,  .le  ne  sache  pas  que  personne  ait  dit 
qu’il  peut  se  produire  du  vide  sans  fatigue  et  sans  résistance 
aucune  de  la  nature,  .l’ai  raisonné  ainsi  : Si  je  trouvais  une 
cause  manifeste  d’où  dérive  la  résistance  que  l’on  sent  quand  on 
veut  faire  le  vide,  il  serait  inutile,  ce  me  semble,  de  chercher  <à 
attribuer  au  vide  un  etfet  qui  dérive  manifestement  il’une  autre 
cause.  Et  môme  en  faisant  certains  calculs  très  faciles,  je  trouve 
que  la  cause  dont  je  [)arle,  à savoir  le  poids  de  l’air,  devrait  à 
elle  seule  faire  plus  d’elfet  qu’elle  ne  fait  quand  on  essaye  de  faire 
le  vide.  » 

^'oilà  l’oltjection  principale  — il  faudra  s’en  souvenir 
— contre  laquelle  va  se  heurter  cette  théorie  : elle  sem- 
blera condamnée  aux  yeux  de  savants  éminents,  de 
Roherval  entre  autres,  par  le  calcul  du  ])oids  de  la 
« colonne  d’air  » dont  on  croyait  connaître  la  hauteur 
et  la  densité, 

« Nous  vivons  submergés  au  fond  d’un  océan  d’air,  poursuit 
Torricelli,  et  nous  savons  par  des  expériences  indubitables  que 
l’air  est  pesant  et  même  que  cet  air  épais  qui  est  près  de  la  sur- 
face de  la  terre  pèse  environ  le  quatre  centième  du  poids  de 
l’eau  ».  C’est  le  nombre  donné  par  Galilée;  nous  savons  aujour- 
d’ind  ([ue  la  densité  de  l’eau  est  égale,  non  à (jiiatre  cents  Ibis, 
mais  <à  sept  cent  soixante-treize  fois  celle  de  l’air.  «.  D’autre  part, 
les  auteurs  qui  ont  parlé  du  crépuscule  ont  observé  que  l’air 
visible  et  chargé  de  vapeurs  s’élève  au-dessus  de  nous  à près  de 
cinquante  ou  cimiuante-quatre  milles  : ce  que  je  crois  exagéré, 
parce  que  je  pourrais  montrer  que  le  vide  devrait  faire  beaucoup 
plus  de  résistance  qu’il  ne  fait;  mais  ils  ont  une  échappatoire,  ils 
[)euvent  dire  (jiie  le  poids  dont  [)arle  Galilée  doit  s’eidendre  de 
la  région  la  plus  basse  de  l’air  où  vivent  les  hommes  et  les  ani- 


PASCAL 


391 


maux,  mais  que  sur  la  cime  des  hautes  montagues,  l’air  com- 
meuce  là  être  très  pur  et  pèse  beaucoup  moins  que  le  quatre  cen- 
tième du  poids  de  l’eau. 

» Nous  avons  t'ait  beaucoup  de  tubes  de  verre,  comme  ceux 
qui  sont  désignés  ici  (tig.  J),  d Torricelli  décrit  la  manière  de 
réaliser  l’expérience,  et  il  continue  ; 


Fig.  1 


« Pour  montrer  que  le  tube  était  partaitement  vide,  on 
remplissait  d’eau  jusqu’en  D le  bassin,  et  en  élevant  peu  à 
peu  le  tube,  quand  l’extrémité  inférieure  arrivait  à l’eau, 
on  voyait  le  vif-argent  descendre,  et  l’eau  le  remplir  avec 
impétuosité  jusqu’en  E.  Quand  la  partie  AE  du  tube  était 
vide  et  que  le  vif-argent  se  soutenait,  bien  que  fort  lourd, 
en  AD,  voici  comment  on  raisonnait  : .lusqu’ici  on  a cru  que  la 
force  qui  empêche  le  vif-argent  de  retomber  est  intérieure  à AE 
et  provient  du  vide  ou  de  quelque  matière  subtile,  extrêmement 
raréfiée;  mais  je  prétends  que  la  matière  est  extérieure  et  que  la 
force  vient  du  dehors.  Sur  la  surface  du  liquide  qui  est  dans  le 
bassin,  pèse  une  quantité  d’air  qui  a cinquante  milles  de  haut. 
Est-il  étonnant  que  le  vif-argent,  qui  n’a  ni  inclination,  ni  répu- 
gnance pour  le  tube  A,  y entre  et  s’y  élève  jusqu’à  ce  qu’il  fasse 
équilibre  au  poids  de  l’air  extérieur  qui  le  pousse?  L’eau  dans  un 


REVUE  DES-  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:^92 

liihe  seml)lahle,  mais  l)eaiu‘Oup  plus  long,  s’élèvera  jiisipi’à  près 
(le  (lix-lniit  brasses,  c’est-à-dire  d’anlaiit  plus  liant  (pie  le  vit- 
argenl  est  jilns  lourd  que  l’eau,  pour  faire  è(fuilihre  à la  même 
cause  (pii  agit  sur  l’iui  et  sur  l’autre.  Ce  raisoummient  a ètè 
coiilirmè  par  l’expèrieuce  faite  eu  même  temps  au  moyeu  du  tube 
A et  du  tube  H,  où  le  vif-argeiit  s’arrêtait  toujours  à la  même 
ligue  borizoutale  AH,  signe  presque  certain  (pie  la  force  u’est  pas 
intérieure;  car  il  y aurait  eu  une  force  d’attraction  plus  grande 
dans  le  tube  A,  où  il  y avait  plus  de  matière  rarèliée  et  attirante, 
b(‘aucou[)  [lins  èiiergiipie,  à cause  de  sou  degré  de  raréfaction, 
(pie  celle  qui  était  renfermée  dans  le  très  petit  espace  H ... 

-i)  .le  u’ai  pu  réussir  dans  ce  qui  était  mou  but  principal  (la  mia 
iiileu/.ioue  principale),  à savoir,  de  coimaitre  [lar  le  moyeu  de 
riiistrumeul  EC  (piaiid  l’air  est  plus  épais  et  plus  lourd  ([liù 
grossa,  e grave)  et  quand  il  est  plus  subtil  et  plus  léger,  parce 
(pie  le  niveau  .\H  cbange  pour  une  autre  cause  à bupielle  je  ne 
me  serais  pas  attendu  (che  io  non  credeva  mai),  par  le  cliaud  et 
le  froid  et  très  sensiblement,  tout  comme  si  la  cliambre  AE  était 
renqilie  d’air.  » 

Ricci  admire,  et  c’est  justice,  la  sagacité  de  son 
ancien  maître;  mais,  contre  sa  théorie,  des  dilticiiltés 
lui  viennent  dont  il  lui  demande  la  solution.  A’oici  les 
princijiales  : 

Si  l’on  ]ilace  un  couvercle  sur  la  cuvette,  le 
mercure  reste,  dans  le  tuhe  qui  y plonge,  à la  m{''ine 
hauteur;  l’air  cependant  jièse  maintenant  sur  le  cou- 
vercle et  non  ]ilus  sur  le  mercure.  - Si,  tenant  le  trou 
d’une  seringue  bouché,  on  essa}'e  de  tirer  le  piston,  on 
éprouve  autant  de  difficulté  à le  tirer  en  /tant,  quand 
l’air  }iêse  sur  la  surface  du  piston,  qu’eà  le  tirer  en  bns, 
({uand  il  ne  la  charge  jiliis. 

I)ans  sa  réjxmse  du  2S  Juin  lO  i i,  Torricelli  s’attache 
surtout  à résoudre  la  })remière  objection  : 


« Si  Votiv  Seigneurie,  dit-il,  place  le  couvercle  sur  le  bas.'^in, 
de  manière  (jn’il  touche  la  surface  du  vif-argeut,  le  vif-argeiil  du 
tube  restera  suspendu  comme  auparavant,  iioii  pas  à cause  du 
poids  de  l’almosplière,  mais  parce  (pie  le  vif-argeut  du  bassin  est 
retenu.  Si  elle  [ilace  le  couvercle  de  manière  à enfermer  dans  le 


PASCAL 


393 


bassin  line  certaine  qnanliti'  d’air,  je  demande  si  Votre  Seigneu- 
rie admet  que  l’air  entériné  soit  au  même  degré  de  condensa- 
tion que  l’air  extérieur;  alors  le  vil-argenl  se  soutiendra  à la 
même  hauteur  ([u’auparavant...  Mais  si  l’air  enfermé  est  plus 
raréfié  (pie  l’air  exlérieur,  le  vif-argent  descendra  d’une  certaine 
(juantilé;  s’il  était  infiniment  raréfié,  s’il  g avait  le  vide,  alors  le 
vif-argent  descendrait  tout  entier  pour  peu  que  le  bassin  pût  le 
contenir.  » 

C’est  nous  qui  soulignons  les  dernières  lignes  : il  y a 
là  l’expression  très  nette  de  ce  que  montrerait,  dans 
rinqiotlièse  de  Torricelli,  l’expérience  ordinaire  du  vide 
s’il  était  possible  de  la  réaliser  dans  le  vide  — la  hau- 
teur de  la  colonne  de  mercure  y serait  nulle  — ou  dans 
un  vide  relatif — cette  hauteur  diminuerait  en  propor- 
tion de  la  raréfaction  (1).  Ce,  sera  la  vérification  expé- 
rimentale de  cette  conséquence  de  la  théorie  du  savant 
Florentin  qui  consacrera  — nous  le  verrons  — son 
triomphe  définitif. 


111.  — Mersenne,  ses  prêt  nie  es  essais, 
son  voijaç/e  en  Italie,  1614-ocfobre  164G 

En  ce  temps-là,  Mersenne,  par  sa  corresjiondance, 
siqqiléait  à la  « jiresse  scientifique  » qui  n’existait  pas 
encore.  11  venait  d’achever  ses  Coç/itata  pJu/sico- 
niatlieinatica,  jmldiés  en  1(3 il,  et  commençait  ses  i?c- 
flexiones,  qu’il  terminera  le  i'’*’  octobre  1(347,  ({uand  il 
reçut  de  Ricci  des  extraits  des  lettres  de  Torricelli  sur  la 
nouvelle  expérience  du  vide  et  l’explication  qu’en  don- 
nait l’inventeur.  Cette  lettre  de  Ricci  à Mersenne 
existe  encore,  nous  dit  M.  Mathieu,  .et  le  nom  de 
Torricelli  s’y  trouve.  11  est  faux  que  le  Minime  en  ait 


( I ) Il  serait  intéressant  de  savoir  si  les  copies  de  la  correspondance  de 
Tori'icclli  et  de  Ricci  rapportées  d'Italie  par  Mersenne,  contiennent  cette 
descri|)tion  des  phénomènes  que  manifesterait  l’expérience  du  vide  dans 
le  vide. 


394 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


fait  mystère  : on  le  lit  en  maint  endroit  de  ses  livres  et 
de  sa  correspondance. 

Torricelli  n’était  pas  un  inconnu  pour  Mersenne.  Ils 
étaient  en  correspondance  depuis  1613,  et  ils  échan- 
gèrent de  nombreuses  lettres  au  cours  de  cette  année 
1641  et  des  années  suivantes.  Il  y est  question  de  géo- 
métrie, d’acoustique,  du  désir  de  Mersenne  de  recevoir 
de  bons  objectifs  de  lunette  et  des  efforts  de  son  corres- 
pondant })Our  le  satisfaire.  Mais  on  n’y  trouve  pas  la 
moindre  allusion  aux  expériences  du  vide  (1). 

La  lettre  de  Ricci  intéressa  Mersenne  : curieux  de 
toute  expérience  nouvelle,  il  tenta,  mais  en  vain,  de 
reproduire  celle-ci. 

Personne  n’y  avait  réussi,  en  France,  quand  « après 
la  fête  de  saint  Simon  (28  octobre),  nous  dit  Baillet  dans 
Ln  Vie  de  Monsieur  Descartes,  ..AèYwYè  de  l’impression 
du  gros  recueil  de  pièces  physiques  et  mathématiques 
([u’il  intitula  Coffitata physico-inathematica,  et  n’a}’ant 
plus  rien,  au  départ  de  M.  Descartes,  qui  pût  le  retenir 
à la  ville,  il  jtartit  pour  un  vojmge  de  huit  ou  neuf  mois 
([u’il  avait  à faire  en  Italie  ». 

A Rome,  il  vit  Lucas  llalstenius,  bibliothécaire  du 
^'atican,  qui  lui  jiarla  d’un  capucin  milanais,  ^Mleriano 
Magni,  de  passage  en  cette  ville,  comme  d’un  philo- 
sophe savant  et  original.  Nous  retrouverons  plus  tard 
ce  fougueux  adversaire  d’Aristote.  Mersenne  alla  le 
voir  : « C’est  nn  vaste  et  vaillant  esprit  »,  écrit-il  à 
llévélius. 

Le  24  décembre,  le  Minime  ])rend  congé  de  llalste- 
nius et,  quelques  jours  plus  tard,  il  est  à Florence  où 
Torricelli  lui  montre  ses  tubes,  refait  devant  lui  ses 
expériences  et  lui  expose  sa  théorie. 

>lersenne  rentre  à Paris  au  commencement  de  juil- 


([)  L’‘ttere  di  Ecanf/elista  Torricelli  al  P.  Marino  Mersenne.  Dilletixo 

DI  lilBLIOGIlAFIA  E DI  StORIA  DELLE  SCIENZE  MATEM.  E FISICHE  (lî.  lîonconi- 

pagni),  t.  VIII,  38:2. 


PASCAL 


395 

let  i()i5.  Il  rapporte  des  copies  plus  complètes  des 
lettres  de  Torricelli  à Ricci  et  des  renseignements 
détaillés  sur  l’expérience  du  vide,  recueillis  de  la 
houche  même  de  l’inventeur.  Il  reprend  ses  essais, 
mais  toujours  sans  succès. 

Roberval,  de  qui  nous  tenons  ces  détails,  attribue 
ces  échecs  à la  dithculté  de  se  procurer,  à Paris,  des 
tubes  convenables.  Mersenne  d’ailleurs  interrompit  peu 
a]irès  ces  expériences  pour  entreprendre  un  nouveau 
voyage  : il  alla  passer  l’hiver  de  1645-164(3  dans  le 
Midi  « d’où  il  ne  revint,  nous  dit  Baillet,  qu’au  com- 
mencement de  septembre  1646  ».  A peine  rentré,  il  se 
remet  à l’œuvre,  cette  fois  avec  Chanut,  aml)assadeur 
en  Suède,  de  passage  à Paris;  il  échoue  de  nouveau. 
Décidément  Roberval  a raison  : on  ne  trouvera  pas,  à 
Paris,  le  matériel  convenable  ; il  faut  le  demander  à 
Rouen  : « ibi  eniin,  écrit  Roberval,  celeberrima  habe- 
tur  vitri  et  crj^stalli  officina  ». 

C’est  à l’ingénieur  Pierre  Petit  que  semble  s’être 
adressé  Mersenne  pour  solliciter  ce  service  ; en  même 
teni])s,  il  lui  donnait  sur  l’expérience  dont  il  poursuivait 
en  vain  la  réalisation,  des  renseignements  détaillés. 
« Cette  expérience  ayant  été  mandée  de  Rome  au 
R.  P.  Mersenne,  écrira  plus  tard  Pascal,...  Je  l’appris 
de  M.  Petit,  intendant  des  fortifications,  et  très  versé 
en  toutes  les  belles-lettres,  qui  l’avait  apprise  du 
R.  P.  Mersenne  même.  » 


\y.  — Les  expériences  de  Rouen, 
octohre  1646-mai  1647 

Instruit  du  détail  de  l’expérience  d’Italie,  Petit  fut  le 
])remier  à la  réaliser  en  France,  en  présence  d’Etienne 
et  de  Biaise  Pascal,  ]dus  de  deux  ans  après  la  lettre  de 
Ricci  à Mersenne.  La  date  de  cet  événement  nous  est 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


donnée  par  Jae([iies  Pieriiis,  doetenr  en  inédecâne  et  en 
tliéoloiiie,  ])rotéssenr  de  philosojjhie  an  (Collège  ([ne 
rarclievêqne  de  Rouen  venait  de  fonder  en  cette  ville  : 
« Annns  ninnerabatnr  Id  iG,  écrit-il,  inensis  vero  octo- 
ber,  cuin  haec  philoso[)harer  a[)iid  Rliotoinagenses... 
Dominns  IMit,  ([ui  eodem  tuense  banc  experientiain 
eadein  in  iirbe  tenta verat.  » 

Qiiebpies  jours  [dus  tard,  le  10  novembre  16  iG,  Petit 
écrit  à Chaiiut,  ([ni  était  de  retour  à Stockholm,  pour 
lui  annoncer  le  succès  de  Texpérience  ([ue  Mersenne 
n’avait  [)as  réussi  à lui  montrer,  et  lui  raconter  com- 
ment les  choses  s’étaient  passées.  Dans  l’autographe  de 
cette  lettre,  qui  existe  encore,  comme  dans  le  texte 
imprimé  en  un  opuscule  dont  nous  parlerons  [dus  loin, 
on  peut  lire  : « C/est  de  X expérience  de  Torricelli  tou- 
chant le  vide,  dont  je  veux  vous  entretenir.  » Le  nom 
du  savant  Florentin,  inventeur  de  rex[)érience  du  vide, 
était  donc  connu  à Rouen,  en  IGiG,  de  l’initiateui'  de 
Pascal  au  maniement  du  tube  barométri([ue  : il  est 
invraisemldable  que  Pascal  l’ait  ignoré;  si,  [)ar  impos- 
silde,  on  ne  l’a  [»as  [irononcé  devant  lui,  il  l’a  lu  dans  la 
lettre  de  Petit  à Piianut  dont  nous  le  verrons  fournir 
une  copie  pour  l’inqu’ession. 

Petit  et  Etienne  Pascal,  en  face  du  tube  de  Torricelli, 
avaient  reconnu,  non  sans  émotion,  qu’ils  voyaient  le 
vide.  Rien  [dns,  ce  vide  devenait  [dus  grand  ou  [dus 
[tetit,  à volonté,  suivant  que  l’on  haussait  ou  liaissait  le 
tuvau  sans  retirer  toutefois  de  la  cuvette  le  l)out  ([ui  j 
trem[)ait.  Plaise  avait  objecté  ([u'un  [leu  d’air  [)oiivait 
être  demeuré  au  fond  du  tuyau,  ou  entré  avec  le  vif- 
argent  lorsqu’on  le  vei-sait,  ou  ap[)orté  avec  le  doigt 
([uand  on  mettait  celui-ci  sur  l’extrémité  ouverte.  Mais 
il  s’était  ravisé,  avait  fait  de  nouvelles  expériimces  et 
s’était  prononcé  [)our  le  vide. 

L’affaire  fit  grand  bruit  et,  volontiers,  Pascal  [>ro- 
duisit  ses  déimmstrations  devant  les  curieux  de  la  ville. 


PASCAL 


m 


Elles  Giiiurent  ceux  qui  avaient  tenu  jusque-là  pour 
indubitahle  riiorreur  du  vide  : renseignement  ti'adition- 
nel  allait-il  être  convaincu  d’erreur?  Jac([ues  Pierius 
se  charge  de  les  rassurer.  Dans  une  disseidation  écrite 
à la  hâte,  il  entreprend  de  démontrer  que  la  thèse  péri- 
}»atéticienne  reste  intacte  : la  partie  siq)érieure  du  tul)e 
n’est  vide  qu’en  apparence;  des  esprits  subtils  ({ui 
s'échap})cnt  du  vif-argent  la  remjdissent. 

Pascal,  dont  toute  l’activité  était  alors  tournée  vers  les 
sciences  et  la  gloire  des  succès  mondains,  vonlut  avoir 
le  dernier  mot.  11  invita  ses  contradicteurs  à une  confé- 
rence solennelle  : « Constituta  die,  ac  loco  am})lissinio. 
nous  dit  Roberval,  in  area  officinae  A’itriariorum,  invi- 
tavit  oiimes  ut  adessent  mira  cans])ecturi.  » C’est  en 
cette  circonstance  que  Pascal  ht  rexpérience  de  Torri- 
celli  avec  un  grand  tube  rempli,  non  })lus  de  mercure, 
mais  de  vin.  à oici  comment  lui-même  la  décrit  dans 
son  Abrégé  (\  III)  : 

« Un  tuyau  de  verre  de  qiiaraute-six  pieds,  dont  uu  boni  est 
ouvert,  et  l’autre  scellé  hei'uiétiquemeut,  étant  l'enipli  d’eau,  ou 
plutôt  de  vin  l)ieu  rouge,  pour  être  plus  visible,  puis  l)ouché,  et 
élevé  eu  cet  état,  et  porté  perpendiculairement  <à  l’hoi-izou, 
l’ouverture  bouchée  eu  bas,  dans  uu  vaisseau  plein  d’eau,  et 
enfoncé  dedans  environ  d’un  pied  ; si  l’on  débouche  l’ouverture, 
le  vin  du  tuyau  descend  jusqu’tà  une  certaine  hauteur,  qui  est 
environ  trente-deux  pieds  depuis  la  surface  de  l’eau  du  vaisseau, 
et  se  vide,  et  se  mêle  parmi  l’eau  du  vaisseau  qu’il  teint  insensi- 
blement, et  se  désunissant  d’avec  le  haut  du  verre  laisse  un 
espace  d’environ  ti'eize  pieds  vide  en  apparence,  où  de  même  il 
ne  paraît  qu’aucun  corps  ait  pu  succéder  : si  on  incline  le  tuyau, 
comme  alors  la  hauteur  du  vin  dn  tuyau  devient  moindre  par 
cette  inclinaison,  le  vin  remonte  jusqu’à  ce  qu’il  vienne  à la  hau- 
teur de  trente-deux  pieds  : et  entin  si  on  l’incline  jusqu’à  la  hau- 
teur de  trente-deux  pieds,  il  se  remi)lit  entièrement,  en  ressuçant 
ainsi  autant  d’eau  qu’il  avait  rejeté  île  vin.  » 

Parmi  les  spectateurs,  il  faut  signaler  Périer,  beau- 
frère  (le  Pascal,  le  médecin  (tuihàrt,  jtlusieurs  Jésuites, 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


398 

Jacques  Pierius  et  Auzoïit.  (Jassendi  reçut  une  relation 
(le  cette  conférence  dans  une  lettre  d’Auzout;  il  en  })rit 
occasion  pour  écrire  une  dissertation  De  mipero  expé- 
rimenta circa  vneuum,  où  il  interprète  les  observations 
nouvelles  (ui  faveur  de  sa  jdiilosopliie  (1). 

llolierval  nous  donne  sur  ces  expériences  les  détails 
de  la  mise  en  scène  et  un  conqdément  d’informations. 
Rien  n’em}»èche,  en  effet,  d'accejtter  sa  relation  où  l’on 
nous  montre,  non  ]dus  un  seul  tuvau,  mais  deux.  Pascal 
a })U  ce  jour-là  varier  ses  démonstrations  (2). 

On  le  voit,  rex})ériencc  de  Torricelli  ne  parut  tout 
d’abord  à 1 ’ascal,  à ses  amis  et  à ses  contradicteurs,  qu’un 
démenti  intligé  à l’enseignement  traditionnel.  C’est  le 
haut  du  tube  qui  absorbe  leur  attention.  Mersenne  tra- 
duit cet  état  des  esprits  quand  il  écrit,  au  ])remier  cha- 
pitre de  ses  Uejlexiones,  qu’aux  sept  constatations  du 

(I)  On  la  reli’ouve  enrichie  de  ilélails  intéressants  relatifs  à des  expériences 
postérieures  : l’ascension  du  Puy-de-Dôme,  les  expériences  de  la  vessie  de 
carpe  et  du  vide  tlans  le  vide,  dans  tiassendi,  OfERA,  l.ug'duni,  U'mH,  t.  1, 
SuDlafjiita  Plnloüoplnciun,  sect.  I,  lih.  11,  c.  v : De  mipero  (jraniliusculi 
coacerviitive  imiiiix,  ope  Hj/drarfuiri  experiinento. 

C2)  Voici  la  relation  de  Uoherval,  empruntée  à sa  lettre  à Desnoyers  (V)  : 
« Inierat  autem  j)rivatim  solertissimus  Du  de  Paschal  calculnm  de  aciua  et 
vino  cum  hydrargyro  comparatis  secundum  gravitatem,  ut  inde  dehitam  uni- 
cuique  allitudinem  eliceret,  ad  hoc  ut  in  iis  altitudinihus  ae(iuii)onderarent... 
Itaque  antequam  cpiidquam  soi  propositi  aperiret,  interrogavit  egregios  illos 
sapientes,  nec  dilliculter  ah  iis  elicuit  majorem  in  vino,  (piam  in  acina,  spiri- 
tiiiim  copiai!!  reperiri;  ideoque  fore  ut,  si  experinientum  tieri  jiosset  in  iis 
liiiuorihus  (tieri  autem  posse,  satis  aperte  negahant)  vinum  plus  spath,  (luam 
aquam  relicturum  esset  in  apice  tuhi,  positis  tnhis  ejusdem  altitudinis.  Hoc 
concesso,  ostensus  est  eis  malus  jacens  cum  tuhis  alligatis.  Quihus,altero  aqua, 
altero  vino,  repletis,  et  orihus  occlusis,  erectus  est  malus;  et  situlae  orihus 
ipsis  tuhornm  admotae,  quarum  altéra  vino,  altéra  a([ua  plena  erat,  in  quas 
immersa  erant  tuhorum  ora,  tuhis  semper  plenis  manentihus,  douer  ora 
eorum  recluderentur.  Quihus  apertis,  statim  amho  illi  liciuores  in  tuhis 
contenti  sic  depressi  sunt,  ut  postquam  quiescerent,  staret  altitude  acpiae  in 
suo  tuho,  supra  superliciem  alterius  aquae  in  situla  suhjecta  contentae, 
pedihus  31  et  una  noua  circiter;  vinum  autem  paulo  altius,  putapedihus  31  et 
duohus  tertiis  proxirne;  remanentihus  tuhorum  reliquis  partihus  superiorihus 
veluti  vacuis  omnino,  sicut  in  hydrargyro  deprehensum  erat. 

» Dursus  autem  mutati  sunt  licpiores  in  tuhis,  ut  (pii  prius  aqua,  is  postea 
vino  repleretur  et  vicissim  : nec  ideo  quidipiam  in  experiiuento  mutatum  est 
circa  utranuiue  altitudinem.  » 


PASCAL 


vide  signalées  }>ar  Héron,  il  faut  en  ajouter  une 
huitième,  celle  qu’on  vient  d'oldenir  à Florence  au 
moyen  d’un  tube  de  verre  et  de  mercure. 

Cet  espace  n’est  pas  vide,  disent  les  péripatéticiens  : 
le  vide  est  imjiossible,  la  nature  se  détruirait  elle-même 
en  le  tolérant;  nos  yeux  nous  trompent  quand  nous 
croyons  le  voir.  — La  raison  aristotélicienne  ne  peut  tran- 
cher la  question,  répondent  Mersenne  et  Roberval,  il 
faut  multiplier  et  varier  les  expériences,  rechercher  si 
le  son  se  [)ropage  dans  le  haut  du  tube,  si  la  vie  _y  est 
possil)le,  etc.  — Aucune  substance  connue  n’a  pu  péné- 
trer dans  l’espace  abandonné  par  le  mei^ure,  soutient 
Pascal,  il  est  donc  vide  de  toute  matière  sensil)le. 

Et  que  pensait-on  de  la  théorie  de  Torricelli  où  la 
pesanteur  de  la  « colonne  d’air  » contrebalance  celle 
de  la  colonne  du  liquide  soulevé? 

Roberval  répugnait  à l’accepter.  La  hauteur  de 
l’atmosphère,  que  l’on  croyait  connaître,  le  poids  de 
l’air  qu’on  s’imaginait  avoir  mesuré  (1),  exigeaient, 
pour  l’équilibre,  une  colonne  de  mercure  bien  plus 
haute.  Torricelli,  nous  l’avons  vu  (11),  avait  rencontré 
cette  oljjection;  il  l’écartait  en  supposant  ratmosjihère 
moins  étendue  et,  plus  léger,  l’air  des  régions  supé- 
rieures. Mais  était-il  admissible  que,  pour  sauver  une 
hypothèse,  on  rejetât  une  doctrine  qui  semldait  solide- 
ment fondée?  Les  observations  sur  la  durée  du  cré})us- 
cule  et  sur  la  réfraction  paraissaient  à Roberval  trop 
})robantes  pour  qu’il  consentit,  sans  y être  forcé  par 
l’évidence  de  faits  nouveaux,  à abaisser  au-dessous  de 
cinquante  milles  la  hauteur  de  ratmosjdière.  A ce  taux, 
il  eût  fallu  admettre,  dans  les  régions  supérieures,  une 
dilatation  de  l’air  bien  ])lus  grande  que  celle  que  lui 
permettaient  d’accepter  ses  expériences  de  1()43. 
Encore  pensait-il  que  cette  dilatation  ne  pouvait  se  pro- 
duire que  sous  l’action  de  la  chaleur  ou  d’une  force 
extérieure.  Où  trouver  cette  force  et  où  pi*endre  cette 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


'm 

chaleur  dans  les  régions  supérieures?  Ne  savait-on  pas 
que  le  froid  les  envahit  d’autant  })his  qu’elles  s’éloignent 
davantage  du  sol?  Enfin,  iinhu  des  idées  cosinogoni([ues 
qu'il  avait  dévelo])pées  dans  son  A>‘ist(a‘c/nfs  Samiv.s 
De  MwkU s(/stem(ife,  publié  en  1043  et  que  Mersenne 
réiinpriinera  en  1(347,  au  tome  111  de  ses  Nocarum 
ohserüatiomnu,  Roherval  pensait  que  l’air  n’agit  pas 
seulement  par  son  jtoids,  mais  surtout  comme  véhicule 
d’une  attraction  mystérieuse  qui  unitet  retient  enscmhle 
toutes  les  ])arties  de  chaque  système  jdanétaire.  Adngt- 
sept  ]K)uces  de  mercure  ])Ouvaient-ils  faire  contrepoids 
à cette  puissance  Ibrmidahle?  Au  lieu  de  la  jtression  de 
l’air,  ne  serait-ce  }>as  ])lutôt  cette  attraction  qui  se 
manifesterait  ici? 

Ces  vues  de  Roherval  eui-ent-elles  une  intluence  sur 
ro})inion  de  Pascal?  Rien  ne  le  ])rouve  : jusqu’ici,  c’est 
aux  idées  de  (lalilée  sur  l’horreur  limitée  du  vide  qu’il 
seinhle  s’attacher.  Rien  n’autorise  non  plus  à le  ranger 
})arnii  les  partisans  de  la  j)esanteur  de  l'air  et  de  la  }ires- 
sion  atmosphérique;  rien  n’indique  même  qu’il  ait  envi- 
sagé de  ce  luais  l’expérience  d’Italie  : nous  en  aurons  la 
])reuve  dans  ses  Expth-icnces  nouvelles.  C’est  le  l)out 
supérieur  du  tulie  (jui  l'occupe  uni(piement  : il  tient 
qu’il  est  vide;  son  opinion  se  heurte  à la  contradiction, 
et  c’est  à en  triomjdier  qu'il  s’a})])liquc. 

— GnifJ'art.  Valeriano  Matini  et  les  expériences 
(Je  Varsovie,  rnai-septeinhre  1047 

Pascal,  dont  la  santé  est  ébranlée,  quitte  Rouen  à la 
tin  de  mai  1017,  et  s’installe  à Paris  avec  sa  sœur 
Jacqueline. 

Il  travaillait  à la  rédaction  de  ses  expériences  lorsque 
parut  un  Discours  du  vide  sur  les  Expériences  de 
J/.  Püsclud  ci  de  M.  Dierius....  Rouen,  19  août  i()47. 


PASCAL 


40i 


L’auteur,  le  médecin  Pierre  Guifïart,  avait  assisté  aux 
conférences  de  Rouen;  elles  l’avaient  convaincu  que  la 
chambre  barométrique  est  bien  vide  et  il  ])rétendait 
expliquer,  à la  lumière  de  cette  vérité  nouvelle,  une 
foule  de  choses  : les  raisons  du  mouvement  des  eaux, 
de  la  génération  du  feu  et  des  tonnerres,  de  la  violence 
et  des  effets  de  la  poudre  à canon,  etc. 

Les  idées  qu’il  exprime  — quand  elles  sont  raison- 
nables — ^sont  voisines  de  celles  que  nous  retrouverons 
sous  la  plume  de  Pascal,  mais  en  un  autre  style.  Il  veut 
que  l’on  ménage  les  anciens  : « leurs  autorités  doivent 
être  des  oracles  qui  terminent  nos  doutes,  et  des  arrêts 
souverains  qui  décident  nos  difficultés  »,  mais  seule- 
ment « lorsque  le  fil  de  notre  raison  se  trouve  trop  court 
pour  nous  conduire  dans  le  laliypinthe  des  difficultés  ». 
Il  demande  « qu’on  examine  cuideusement  les  choses, 
avec  un  esprit  désintéressé;...  après  quoi,  ni  le  respect 
de  l’antiquité,  ni  l’aversion  de  la  nouveauté  ne  doivent 
aucunement  empêcher  de  prononcer  ».  Rappelant  les 
expériences  de  Pascal,  « ceux  qui  sont  philosophes, 
dit-il,  ne  les  peuvent  voir  sans  admiration,  et  ceux 
qui  ne  le  sont  pas  le  deviennent  en  les  considérant  ». 
C’est  ce  qui  lui  advint,  sans  doute,  et  l’autorise  à mal- 
mener Pierius  et  ses  confrères  en  Aristote,  qui  nient  la 
possibilité  du  vide,  que  l’on  voit  ici  de  ses  yeux,  et... 
supposent  la  pesanteur  de  l’air,  que  rien  ne  manifeste. 

Treize  pièces  de  vers  font  escorte  au  livre  de  Guifïart 
et  chantent  sa  gloire  : le  premier  il  a expliqué  par  le 
raisonnement  ce  que  Pascal  n’avait  montré  que  par  des 
expériences  ! 

En  dehors  de  l’horreur  du  vide,  il  n’y  a rien  à tirer 
de  cet  opuscule  sur  la  cause  de  la  suspension  du  mer- 
cure. Si  Pascal,  dans  ses  expériences  de  Rouen,  l’a 
cherchée  dans  la  pesanteur  de  l’air,  Guifïart  n’en  a rien 
retenu.  Son  Discours^  comme  la  thèse  de  Pierius  et  la 
Dissertation  de  Gassendi,  ne  prouvent  qu’une  chose  : 
IlL  SÉRIE.  T.  XII.  26 


i()2 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


le  succès  des  expériences  de  Rouen,  qui  tendent  à 
prouver  la  possiliilité  du  vide. 


C’est  à ce  moment  que  Roberval  aj)])rend  à Caris, 
par  une  lettre  de  Desnoj-ers,  secrétaire  de  la  reine  de 
Pologne  (i),  qu’un  cajmcin  italien,  le  P.  A^aleriano 
Magni,  supérieur  des  missions  apostoliques  du  Nord, 
celui-là  même  que  Mersenne  avait  rencontré  à Rome, 
en  1044  (III),  avait  lait  à 4'arsovie,  dans  les  premiers 
Jours  de  juillet  1047,  une  conférence  d’ajiparat  où  il 
avait  montré  un  espace  absolument  vide  au  moyen  d’un 
tube  et  de  vif-argent. 

La  dissertation  où  Magni  ex})osait  son  ex})érience 
suivit  de  })rès  cette  lettre  de  Desnoyers;  Mersenne  en 
reçut  un  exemplaire.  Son  titre  est  une  déclaration  de 
guerre  aux  péripatéticiens  : Bemonstratio  ocularis 
Loci  sine  locato  : Corporis  successive  moti  in  vacuo  : 
Luniinis  nulli  corpori  inhaerentis.  L’apj)robation  est 
datée  du  10  juillet  1047,  et  l’auteur  note  qu’il  a achevé 
sa  rédaction  dès  le  12  juillet  (2). 

Cette  expérience  de  à'arsovie  est  bien  celle  d’Italie; 
elle  est  postérieure  aux  conférences  de  Rouen,  mais  elle 
précède  de  trois  mois  la  })ul)lication  des  Expériences 
nouvelles  de  Pascal  (à  III). 

Torricelli  a})j)réciait  son  expérience  moins  pour  le 
vide  qui  s’y  produit  que  pour  la  pesanteur  de  l’air 
qu’elle  manifeste  (II).  Pour  Magni,  comme  pour  Pascal, 
ce  qui  en  fait  l’intérêt,  c’est  le  vide  qu’elle  montre  aux 
yeux,  le  vide  où  le  mouvement  se  produit,  que  la 
lumière  traverse,  le  vide  qui  convainc  d’erreur  Aristote 
et  ses  disciples  ; et  voici  qu’il  brandit  son  tuyau  comme 


(1)  Pierre  Desnoyers  est  le  même  personnage  que  Petnis  Nucerius  auquel 
est  dédié  l’opuscule  : J.  Ilevelii  Epistola  de  utriusque  luminaris  defectu,  1654. 

(2)  Sur  cet  opuscule,  ses  éditions  successives,  les  controverses  qu’il  a sou- 
levées, voir  K.  .Jacoli,  Evangelista  Torricelli,  Rulletino  iu  Hibliog.  e di 
Stokia  dèlle  SC.  MATE.M.  E kisicue(R.  Roucompagiii),  t.  VHI,pp.  2S8  etsuiv. 


PASCAL 


403 


une  arme  de  «uer're  : « Minax  Aristoteli,  diumim  admi- 
ratione;  quod  nimirimi  a saeculo  non  sit,  non  ausini 
dicere  cogitatum,  sed  publiée  exhibitum  ».  Il  manque 
un  mot,  « in  Polonia  »,  remarque  le  P.  D.  Bartoli  (1). 

Roberval  rcqtond  à Desnoyers,  le  :30  septembre  1(547. 
Il  insinue  que  .Magni  a manqué  de  délicatesse,  non  à 
l’égard  de  Pascal,  mais  vis-à-vis  de  Torricelli  (3).  Ni 
dans  l’original  ni  dans  le  texte  inq)rimé  de  cette  lettre, 
il  n’est  fait  allusion  aux  Expériences  nouoelles.  Si 
Pascal  n’avait  soutenu  plus  tard  le  contraire,  la  remarque 
serait  supertlue  juiisque  cet  opuscule  ne  fut  publié  que 
trois  semaines  au  moins  après  la  lettre  à Desnoyers. 

Roberval  a entre  les  mains,  dit-il,  la  lettre  de  Torri- 
celli que  Ricci  a communiquée  à Mersenne;  il  en 
signale  le  contenu,  rappellè  les  essais  infructueux  du 
Minime  pour  réaliser  rexpérience  du  vide,  et  son  voyage 
en  Italie;  il  insiste  sur  le  succès  des  expériences  de 
Rouen,  mais  il  se  garde  d’insinuer  que  Magni  en  ait  eu 
connaissance. 

Entin,  il  expose  ses  propres  expériences,  comment  il 
introduit  des  ludles  d’air  ou  des  gouttes  d’eau  dans  la 
chamljre  barométrique  : il  a pu  ainsi  remplacer,  peu  à 
peu,  tout  le  mercure  contenu  dans  le  tube  par  une 
liqueur  plus  légère.  Il  est  porté  à croire  que  la  partie 
supérieure  du  tuyau  est  vide,  mais  il  n’ose  encore 


(1)  La  Tensione  e la  Pressione  disputanli.  Venise,  1678. 

(2)  « Ignoscat  mihi  K.  P.  Cap.  Valerianus  Mag-nus,  si  dixero  eum  parum 
candide  egisse  in  eo  Libello,  queni  de  hac  re  in  lucem  nuperrime  emisit 
Meuse  Julio  luijus  anni  1647,  dum  celeberrimi  bujus  experimenti  ille  primus 
auctor  haberi  voluit,  quod  certo  constat,  jam  ab  anno  1643,  in  Italia  vul- 
gatum  fuisse,  ac  ibidem,  praecipue  vero  Roniae  atque  Florentiae,  celeber- 
rimas  inter  eruditos  de  ea  re  viguisse  controversias  quas  non  potuit  ignorare 
Valerianus,  qui  circaeadem  tempora  illis  in  Regionibus  degebat  etcum  doctis 
conversabatur.  Habeo  ego  Epistolam,  quam  clariss.  Vir  Evangelista  Torricel- 
lius...  misit  Romani  ad  amicuni  doctiss.  virum  Angelurn  Ricci  sub  finem  anni 
1643,  italice  scriptam  » — la  lettre  de  Torricelli  à Ricci  est  datée  du  11  juin 
1644  — « quae  nihil  aliud  continet,  quam  controversiam  inter  duos  illos  viros 
egregios,  qui,  quod  et  fere  omnibus  accidit,  de  tali  experimento  diversa 
sentiebant.  Ea  autem  epistola,  cum  quibusdam  aliis,  ab  ipso  Ricci  missa  est 
Parisiis  ad  R.  P.  Mersennum,  etc.  » 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


iOi 


ralfinner;  il  attend  des  tuhes  de  forme  spéciale  où  cet 
espace  sera  assez  grand  pour  recevoir  certains  ani- 
maux, ce  qui  permettra  de  constater  si  la  vie  y est  pos- 
sible. Quant  à la  suspension  de  la  colonne  de  mercure, 
elle  est  due  sans  doute  à une  attraction  dont  le  méca- 
nisme reste  caché,  et  on  n’imagine  pas  de  quel  jdiéno- 
mène  connu  on  pourrait  le  rajiprocher  : « Girca  bas 
quaestiones  eruditi  diversissime  sentiunt.  » 

I)isons  de  suite  que  Magni  répondit  à la  lettre  de 
Roberval  par  une  lirochure  datée  de  A'arsovie,  le 
5 novembre  1()17.  Elle  a })Our  titre  : De  hwentione 
artis  exhihemU  vacuum  Narratio  Apolügetiga  Yale- 
riani  Maffui...  ad  nohilcm  et  Clarissi)mim  Virum 
yE.  P.  de  Roberval.  Nulle  part,  dit-il,  ni  à Rome  ni  à 
Florence,  personne  ne  lui  a }tarlé  de  l’expérience  du 
vide;  ni  ses  lectures  ni  sa  correspondance  ne  lui  en  ont 
rien  appris  : il  ignorait  jusqu’aux  noms  de  Torricelli  et 
de  Ricci,  « non  quia  Abris  illis  desit  claritas  nominis, 
sed  quod  ego  sim  obscurus  illis  ».  11  reconnaît  avoir 
reçu,  à Rome,  la  visite  de  Mersenne,  mais  Mersenne 
ne  lui  a fait  aucune  confidence  à ce  sujet.  C’est  par  ses 
propres  réflexions  qu’il  est  arrivé  au  but  (1). 

Enfin,  il  cite  les  témoignages  de  ceux  qui  ont  lu  sa 
dissertation,  l’en  ont  loué  et  ne  font  aucune  allusion  à 
l’expérience  d’Italie;  et  il  conclut  : « Sum  fortassis  pri- 
mus  qui  eam  tupo  publicam  feci,  distractis  exemplari- 
bus  })cr  majorem  melioremque  Europae  partem.  » 
Torricelli  n’avait  rien  })ublié  touchant  l’expérience 
du  vide  ; Alagni  était  donc  le  premier  à la  présenter  au 
puldic  dans  un  livre  imprimé.  Ce  n’était  point  fait  pour 
lui  concilier  les  bonnes  grâces  de  Pascal  qui  se  trouvait 
prévenu  et  siq)portait  mal  la  concurrence.  Aussi  le 
P.  Capucin  sera-t-il  bientôt  très  malmené. 

(1)  « Consilium  ergo  de  superanda  impossibilitate  vacui,  incidit  mihi  apud 
lialilaeiim,  quod  aqua  nequeat  per  attractioneni  ascendere  iii  listula  ultra  cubi- 
lum  deciuuun  octavuin,  et  ab  usu  lil)rae  Archimedis,quaiu  Cracoviae  aiiiio  1()44, 
douo  accepi  a Tito  Livio  lUiratiiio,  viro  erudito  in  Matheniaficis.  » 


PASCAL 


405 


Roberval  ne  fut  })as  seul  à recevoir  la  Narratio  apo- 
lofjetica\  Magni  en  adressa  un  exemplaire  à Mersenne 
qui  revint,  pour  en  corriger  l’âpreté,  sur  le  jugement 
qu’il  avait  porté  d’abord  sur  « le  voleur  de  Pologne  », 
comme  l’appelle  Auzout.  On  ne  peut  douter  que  Pascal 
ait  connu  X Apologie  ; il  est  même  très  vraisemblable 
que  Magni,  désireux  de  se  justifier,  n’aura  pas  manqué 
de  l’adresser  directement  à l’auteur  des  expériences  de 
Rouen  dont  Roberval  avait,  dans  sa  lettre,  décrit  le 
succès.  Plus  tard,  Magni  rappellera  ces  expériences, 
antérieures  aux  siennes,  mais  auxquelles  il  n’a  rien 
emprunté,  et  il  témoignera  l’estime  qu’il  en  fait  en 
traduisant  en  latin  les  Expériences  nouvelles. 


^ 1.  — Visite  de  Descartes  à Pascal, 

23  et  24  septembre  1647 

Descartes  était  arrivé  à Paris  au  commencement  de 
septembre  1647,  avec  l’abbé  Picot,  de  retour  d’un 
voyage  en  Bretagne,  en  Poitou  et  en  Touraine.  Il  vit 
Mersenne  qui  refit  devant  lui  l’expérience  du  vide,  et 
lui  parla  de  celles  de  Rouen.  Descartes  désira  voir 
Pascal.  Le  22  septembre,  il  lui  fit  annoncer  sa  visite 
pour  le  lendemain. 

Une  lettre  de  Jacqueline  écrite  le  25  septembre  à sa 
sœur  (TÜ])erte,  M'"®  Périer,  qui  se  trouvait  alors  à 
Rouen  chez  son  père,  JLtienne  Pascal,  donne,  sur  cette 
entrevue,  des  renseignements  incomplets,  mais  'très 
importants. 

Descartes  arriva  chez  Pascal  le  lundi  23  septembre, 
à 10  heures  du  matin.  11  était  accompagné  de  cinq  ou 
six  personnes,  M.  Habert,  M.  de  Montignj^  et  son  fils 
et  quelques  jeunes  gens  que  Jacqueline  ne  connaissait 
])as.  Roberval,  que  l’on  avait  prévenu,  se  trouva  au 
rendez-vous. 


406 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


('In  parla  d’abord  de  la  machine  arithmétique  que 
Roberval  fît  jouer;  puis  la  conversation  tomba  sur 
l’expérience  nouvelle.  A Descartes  qui  tenait  pour  le 
plein,  Pascal,  qui  tenait  pour  le  vide,  demanda  « ce 
qu’il  croj’ait  qui  fut  entré  dans  la  seringue  ».  Descartes 
soutint  « que  c’était  de  la  matière  subtile  »,  sur  quoi, 
ajoute  Jacqueline,  « mon  frère  ré])ondit  ce  qu’il  put  ». 

Il  fut  aussi  question  de  la  cause  de  la  suspension  du 
mercure  dans  le  tujmu.  Quelques  jours  auparavant 
Auzout  avait  écrit  de  Rouen  pour  demander  quelles  rai- 
sons Descartes  donnait  contre  la  colonne  cVair.  Sur  des 
renseignements  fournis  par  Mersenne,  Jacqueline 
charge  sa  sœurGillierte  de  répondre  à xVuzout  que  c’était 
Roberval  qui  combattait  cette  hypothèse,  et  que  Des- 
cartes, au  contraire,  en  était  très  partisan,  « mais, 
ajoute-t-elle,  pour  des  raisons  que  mon  frère  n’ap- 
prouve pas  ». 

Ces  raisons.  Descartes  les  tirait  sans  doute  de  sa 
théorie  du  }>lein  et  des  mouvements  cycliques  ; pour  ne 
point  les  approuver,  Pascal  ne  devait  pas  nécessaire- 
ment condamner  l’hypothèse  elle-même.  L’admettait-il, 
avec  Auzout,  ou  la  rejetait-il,  avec  Roberval? 'Jacque- 
line ne  nous  en  dit  rien;  elle  affirme  seulement  que 
Descartes  en  est,  lui,  grand  partisan.  Il  l’aura  donc 
défendue,  et  il  est  possible  dès  lors  qu’il  ait  été  amené, 
par  l’opposition  qu’elle  rencontrait,  à proposer,  pour  en 
contrôler  la  vérité,  de  faire  l’expérience  du  vide  à des 
altitudes  différentes;  mais  rien  jusqu’ici  ne  nous  permet 
de  l’affirmer.  Il  faut  attendre  (jue  de  nouveaux  docu- 
ments ajoutent  aux  renseignements  contenus  dans  la 
lettre  de  Jacqueline  un  complément  d’informations. 

Est-ce  sur  le  plein  et  le  vide,  sur  la  colonne  d’air, 
l’horreur  du  vide  ou  l’attraction,  sur  la  portée  ou  l’inuti- 
lité de  l’ex})érience  de  contrôle  que  Roberval  parla  avec 
un  peu  de  chaleur  et  que  Descartes  répondit  avec  un 
peu  d’aigreur?  Il  serait  oiseux  de  chercher  à le  deviner. 


PASCAL 


407 


Le  fait  est  qu’ils  s’en  allèrent  à midi,  dans  le  même 
carrosse,  « et  là,  dit  Jacqueline,  ils  se  chantèrent 
goguettes  un  peu  plus  fort  que  jeu,  à ce  que  nous  dit 
M.  Roberval  qui  revint  ici  l’après-dînée,  où  il  trouva 
M.  Dalibrav  ^>. 

Une  note  non  datée,  trouvée  dans  les  papiers  de 
Roherval  et  que  l’histoire  de  ses  idées,  écrit  M.  Ma- 
thieu, permet  de  placer  ici,  nous  donne  peut-être  l’opi- 
nion qu’il  a défendue  en  cette  rencontre.  Dans  un 
paragraphe  intitulé  Contre  la  colonne  d’air,  on  lit  ceci  : 

« La  raison  qui  fait  l’adhérence  dans  le  tuyau  est  la  même  que 
celle  qui  la  fait  au  dehors  et  qui  cause  les  gouttes  d’eau,  sinon 
que  cette  raison  est  plus  forte  dans  le  tuyau,  cà  cause  que  l’eau 
touche  plus  de  superficie.  » 

Roherval  aurait  donc  cru  trouver  dans  les  phéno- 
mènes capillaires,  qu’il  avait  étudiés,  l’analogie  qu’il 
cherchait  pour  expliquer,  par  une  attraction,  la  suspen- 
sion du  mercure.  Est-ce  là-dessus  qu’il  s’est  échauffé  ? 

L’entretien  du  23  septembre  avait  duré  deux  heures, 
et  Descartes  revint  le  lendemain.  Sur  cette  seconde 
visite,  à laquelle  Jacqueline  n’assistait  pas,  nous  avons 
très  peu  de  détails. 

« J’avais  oublié  de  te  dire,  écrit-elle,  que  M.  Descartes,  fâché 
d’avoir  été  si  peu  céans,  promit  cà  mon  frère  de  le  venir  revoir  le 
lendemain  à 8 heures.  M.  Dalibray,  à qui  on  l’avait  dit  le  soir, 
s’y  voulut  trouver  et  fit  ce  qu’il  put  pour  y mener  M.  Le  Pailleur, 
que  mon  frère  avait  prié  d’avertir  de  sa  part,  mais  il  fut  trop 
paresseux  pour  y venir...  M.  Descartes  venait  ici  en  partie  pour 
consulter  le  mal  de  mon  frère,  sur  quoi  il  ne  lui  dit  pas  grand 
chose;  seulement,  il  lui  conseilla  de  se  tenir  tous  les  jours  au  lit 
jusques  h ce  qu’il  fût  las  d’y  être  et  de  prendre  force  bouillons. 
Ils  parlèrent  de  bien  d’autres  choses,  car  il  y fut  jusques  à onze 
heures;  mais  je  ne  saurais  qu’en  dire,  car  pour  hier  c2-4  sep- 
tembre), je  n’y  étais  pas,  et  je  ne  pus  le  savoir,  car  nous  fûmes 
embarrassés  toute  la  journée  à lui  faire  prendre  son  premier 
bain.  » 


408 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Ajoutons  une  remarque  qui  nous  sera  utile.  Dans 
cette  lettre,  Jacqueline  ne  parle  jias  de  Périer.  S’il  eût 
été  en  ce  moment  à Paris,  le  soin  qu’elle  prend  de  nom- 
mer ceux  qui  ont  assisté  à la  visite  du  philosophe  — 
sans  oublier  le  poète  Dalihraj  et  Le  Pailleur,  qui  y fut 
invité  et  n’y  vint  pas  — lui  eût  fait  dire,  semhle-t-il,  ou 
([ue  Périer  en  était,  ou  qu’il  fut  empêché  de  s’y  trouver. 
4’oici,  d’ailleurs,  d’autres  documents  qui  appuient  cette 
conjecture. 

Le  13  septembre  1(347,  Le  Tenneur,  qui  est  en 
Auvergne,  avait  écrit  au  P.  Mersenne,  ([ui  est  à Paris  : 
« M.  Périer  n’est  ])as  encore  arrivé,  mais  je  sais  qu’on 
l’attend  imj)atiemment  à Gergovie,  où  je  me  rendrai 
bientôt  pour  conférer  avec  lui.  » S’exprimerait-il  ainsi 
si  Périer  était  à Paris?  Ne  s’informerait-il  ])as  plutôt 
de  la  date  de  son  retour? 

Le  21  octobre  1647,  Mersenne  reçoit  une  nouvelle 
lettre  de  Le  Tenneur  : 

« .Nous  avons  maintenant  M.  Périer  à Clermont,  et  il  y a 
aiijourd’hiii  huit  jours  qu’il  nous  lit  voir  chez  lui  l’expérieiK'e  du 
vide  en  présence  de  plusieurs  curieux  de  la  ville.  Parmi  ceux 
(pu  s’y  trouvaient,  trois  ou  quatre  personnes  seulement  demeu- 
ivrent  d’accord  que  c’était  un  vrai  vide,  entre  lesquels  je  vous 
avoue  (jiie  je  suis  un,  ne  me  pouvant  contenter  de  ce  qui  fut  dit 
au  contraire  par  quelques  opinitàtres  péripatéticiens.  » 

De  tout  cela  nous  retiendrons  que  Périer  était  à Cler- 
mont le  13  octobre  16  47,  et  qu’il  n’était  vraisemblable- 
ment })as  à Paris  le  23,  le  24  et  le  25  sejitembre. 

ML  — Première  pnhlicatioti  relatice  à l' expèrienee 

(lu  vide  à des  altitudes  différentes,  8 septenihre- 

P''  octobre  1647 

Mersenne,  dont  les  forces  baissent  depuis  la  lin 
d’août,  mais  dont  l'ardeur  au  travail  n’(Nst  ])oint  éteinte, 
achève  d’écrire  ses  Peflexiones. 


I*ASCAL 


m 


L’iiypothèse  de  Torricelli,  nous  l’avons  vu,  s’était 
heurtée,  dès  le  délnit,  à cette  objection  })rincipale  : l’aii* 
est  troj)  lourd  et  l’atinosphére  trop  élevée  pour  que 
vingt-six  pouces  de  vif-argent  puissent  en  contre- 
balancer la  pesanteur. 

Or,  Mersenne  a repris  l’étude  du  poids  spécifique  de 
l’air,  et  il  croit  avoir  établi  qu’il  est,  non  ])as  quatre 
cents  fois  plus  faible  que  celui  de  l’eau,  coniine  le  vou- 
lait Galilée,  mais  mille  fois  au  moins.  De  cette  donnée 
nouvelle,  il  tire  des  conséquences  intéressantes.  L’eau 
est  quatorze  fois  environ  plus  légère  que  le  vif-argent; 
l’air  est  donc  quatorze  mille  fois  plus  léger  que  celui-ci. 
Dès  lors,  la  colonne  d’air,  dont  la  pesanteur  ferait  équi- 
lil)re  au  vif-argent  soulevé  dans  le  tuIie  de  Torricelli, 
doit  être  quatorze  mille  fois  plus  élevée  que  cette 
colonne  de  mercure,  qui  a vingt-six  pouces  : ce 
cylindre  d’air  aurait  donc  deux  lieues  environ;  en 
d’autres  termes,  l'air  cesserait  d’être  pesant  à deux 
lieues  de  la  surface  du  sol. 

L’attention  de  Mersenne  s’absorbe,  en  ces  calculs, 
dans  la  i-elation  qui  relierait  la  hauteur  de  l’atmosphère 
à celle  de  la  cob)nne  barométrique,  et  il  s’arrête  au  résul- 
tat : l’air  cessei’ait  d’être  pesant  à deux  lieues  du  sol. 

Mais  si  le  })oids  de  l’air  est  la  cause  de  la  sus])ension 
du  mercure  dans  le  tube  de  Toiudcelli,  et  si  la  hauteur 
de  l’atmosphère  pesante  ne  dépasse  pas  deux  lieues,  il 
sutlirait  de  s’élever  de  quelques  centaines  de  toises  })Our 
voir  baisser  notablement  la  colonne  barométrique.  La 
conclusion  est  des  jdiis  siinjdes,  mais  Mersenne  achève 
d’écrire  son  livre,  le  8 septembre  1647,  sans  nous  dire 
s’il  y a songé. 

C’est  alors  que  Descartes  arrive  à Paris,  et  discute 
du  vide  avec  Mersenne,  qui  refait  })our  lui  les  exjté- 
riences. 

Or,  enti-e  le  8 se])tembre  1647  et  le  1"  octolire,  date 
à laquelle  l’impression  des  Uefiexiones  est  terminée, 


4iü 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


« poracta  est  liaec  iinpressio  die'  1 octobris  1647  », 
Mersenne  écrit  la  première  des  deux  ])réfaces  qu’il  y a 
jointes.  C’est  dans  cette  préface  que  l’on  trouve,  pour  la 
])reinière  fois,  l’ex})Osé  iinpriiné  de  l’expérience  du  vide 
à réaliser  à des  altitudes  différentes. 

« Si  le  ryliiidre  d’air,  écrit  Mersemie,  est,  la  cause  du  vide  con- 
tenu dans  le  tube,  ou  de  la  suspension  du  vii-argent,  auquel  il 
l'ait  équilibre,  il  parait  que  ce  cylindre  d’air  sera  plus  court,  et, 
parlant,  que  le  cylindre  de  vil'-argent  sera  de  nioindi'e  hauteur, 
lors(pi’on  observera  au  sommet  d’une  tour  ou  d’une  montagne... 
Si  l’on  expérimentait  au  sommet  d’une  montagne  haute  d’une 
lieue,  le  cylindre  de  mercure  ne  devrait  plus  mesurer  (ju’un  pied 
et  un  demi-pouce.  S’il  n’en  était  pas  ainsi,  il  faudrait  en  coindure 
(pie  le  cylindre  d’air  n’est  pas  rex[)lication  de  ce  vide;  à moins 
cepnidant  que  l’on  ne  prétende  (pie  la  surface  supérieure  de  l’air 
ii’esl  point  sphérique,  mais  (pi’elle  s’élève  plus  ou  moins  selon 
la  variété  du  sol. 

» D’ailleurs,  si  l’atmosphère  est  terminée  par  une  sphère 
ayant  même  centre  (pie  la  Terre,  le  cylindre  de  vif-argent  doit 
ètri'  pins  ('de  é à Houen  qu’à  Paris,  et  plus  élevé  à Dards  (pi’à 
Dijon  ou  à l.angres.  Uoiien,  en  effet,  l'st  plus  bas  (pie  Paris,  de 
touh*  la  déidivité  de  la  Seine;  cette  ditférence  de  niveau  é(piivaiit 
Iieul-éfre  à la  hauteur  des  tours  de  Xoire-Dame  de  l’aris,  ou  de 
(■(‘Ile  pyramide  (pie  l’on  admire  à Houen;  en  outre,  la  déclivité 
de  la  Seine  est  encore  plus  grande,  en  amont  de  Paris,  jusipi’à 
sa  source;  on  eu  [leiit  dire  autant  des  autres  lleiives. 

» Due  les  Nantais  mesurent  donc  la  hauteur  du  cylindre  de 
vif-argent  en  leur  ville,  et  qu’ils  comparent  leurs  observations  à 
celles  des  habitants  de  Nevers  ou  de  bangres.  Ici  même,  nous 
avons  trouvé  qu’il  n’y  avait  [las  toujours  la  même  hauteur; 
naguères,  bien  (pie  le  tube  plongeât  seulement  dans  le  mercure, 
nous  avons  vu  en  présence  d’illusires  [lersonnages,  le  vif- 
argent  monter  jusqu’à  2 pieds,  3 pouces  et  %'~â.  Je  puis  citer 
comme  témoins  de  cette  observation  un  très  noble  jeune  homme, 
doué  d’une  intelligence  très  élevée.  César  d’Estrées;  le  très 
illustre  abbé  de  Longpont  ; et  ces  hommes  célèbres  ([iii  se 
nomment  Launnoy,  docteur  de  la  Faculté  de  Théologie,  Descaries 
et  Uoberval.  Une  autre  oliservation  a donné  un  cylindre  dont  la 
hauteur  était  voisine  de  2 pieds  1/3,  soit  iî  pieds  et  4 pouces; 
elle  avait  [lour  témoin  le  H.  P.  Vatier,  jésuite,  les  deux 
-Messieurs  Pascal, géomètres  et  philosophes  éminents,  et  un  grand 
nombre  d’autres  personnes. 


PASCAL 


4il 


» Cette  circonstance  méritait  assurément  d’ètre  notée  ; on 
devra  désormais  en  tenir  compte  lorsqu’on  expérimentera  soit  au 
niveau  de  la  mer,  soit  en  des  lieux  très  élevés,  et  que  l’on  mesu- 
rera avec  exactitude  la  hauteur  des  cylindres  de  mercure... 

» D’ailleurs,  j’incline  h penser  que  l’on  trouvera  partout 
même  haute\ir  à ces  cylindres  de  mercure.  Cela  pourra  provenir 
de  ce  que  les  changements  d’altitude  ne  produisent  aucun  effet 
perceptible  parce  que  la  hauteur  de  l’air  est  trop  grande  ; c’est 
ce  qui  aurait  lieu,  par  exemple,  si  les  limites  de  l’atmosphère  se 
trouvaient  au  delà  de  la  Lune.  Cela  pouria  provenir  également 
d’autres  causes  inconnues  de  nous,  ou  bien  encore  de  ce  que  la 
colonne  d’air  n’est  pas  la  cause  du  phénomène.  Alors  e.t  de  nou- 
veau nous  resterions  en  présence  d’une  énigme.  » 

Voilà  bien  le  plan  très  nettement  tracé  de  l’expé- 
rience de  contrôle  dont  le  succès  assurerait  le  triomphe 
de  la  théorie  de  Torricelli.  Mersenne  en  a-t-il  conçu 
l’idée,  ou  l’a-t-il  reçue  d’autrui? 

((  Nulle  part,  écrit  M.  Duhem,  le  génie  propre  de  Mersenne  ne 
se  marque  mieux  cpi’en  ce  passage.  De  l’hypothèse  de  Torricelli, 
son  imagination  lui  suggère  une  épreuve  caractéristique;  mais, 
tout  aussitôt,  son  sens  d’expérimentateur  lui  fait  découvrir  les 
causes  qui  peuvent  rendre  malaisé  l’emploi  de  cette  épreuve;  il 
use  volontiers  de  subtilité  pour  prévoir  les  objections  auxquelles 
une  théorie  prête  le  liane  ; cette  subtilité  lui  fait  deviner  l’échap- 
patoire qui  sauverait  l’hypothèse  de  Torricelli  si  l’expérience 
proposée  ne  donnait  pas  lesrésvdtats  qu’annonce  cette  hypothèse; 
il  se  trouve  ainsi  que  le  Minime,  après  avoir  clairement  désigné 
la  voie  qui  mènerait  à la  certitude,  demeure  dans  le  doute.  » 

Que  Mersenne  fût  capable  d’imaginer  cette  exjté- 
rience,  personne  ne  le  contestera;  personne  non  plus 
ne  mettra  en  doute  sa  parfaite  probité. 

cc  Or,  poursuit  M.  Duhem,  lorsqu’il  propose  d’éprouver  la 
théorie  de  Torricelli  en  observant  le  baromètre  à diverses  alti- 
tudes, il  ne  fait  à personne  l’honneur  de  cette  idée;  il  en  parle  en 
homme  qui  la  tient  pour  sienne.  A défaut  d’autres  raisons, 
celle-là  ne  nous  autoriserait-elle  pas  à croire  que  cette  pensée 
a germé  spontanément  dans  l’esprit  du  Minime?  » 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


412 

M.  F.  Mathieu  interprète  d’autre  façon  ce  passage 
de  Mersenne.  Il  nous  apporterait  l’écho  des  discussions 
que  la  présence  de  Descartes  à Paris  a provoquées  sur 
l’expérience  de  Torricelli.  Or,  de  ceux  qui  y ont  pris 
part,  de  Mersenne,  Pascal,  Roberval  et  Descartes, 
celui-ci  est  le  seul  dont  nous  sachions  positivement  qu’il 
est  grand  partisan  de  la  « colonne  d’air  » ; n’était-il  pas 
dès  lors  naturellement  disposé  à proposer  le  moyen  de 
contrôler  la  vérité  de  cette  hypothèse?  Ce  serait  donc 
l’idée  de  Descartes  que  Mersenne  traduirait,  en  la  déve- 
loppant, dans  la  page  que  nous  avons  citée. 

Entre  ces  deux  opinions,  il  convient,  avant  de  faire 
un  choix,  d’attendre,  de  documents  nouveaux,  de  plus 
amples  renseignements.  S’ils  confirment  l’interprétation 
de  M.  F.  Mathieu,  nous  pourrons  en  accepter  le  témoi- 
gnage sans  porter  atteinte  à la  loyauté  de  Mersenne, 
car  si  le  Minime  n’attribue  à personne  l’idée  de  cette 
expérience,  il  n’affirme  ]>as  non  plus  qu’elle  soit  de  lui; 
c’est  de  façon  impersonnelle  qu’il  la  '[irésente  et,  à la 
fin,  quand  il  nous  donne  son  avis  sur  le  résultat  qu’il 
en  attend,  c’est  pour  nous  dire  qu’il  n’a,  en  son  succès, 
qu’une  médiocre  confiance. 

Dans  les  derniei*s  jours  de  septembi'e,  Mersenne 
ajout(3  à ses  Beflexiones  une  seconde  préface.  Son 
indécision  reste  entière  : c’est  moins  à la  colonne  d’air 
dont  Descartes  est  partisan,  qu’à  l’attraction,  que  pré- 
conise Roherval,  que  vont  cette  fois  ses  })références.  A 
tort  ou  à raison,  il  semble  ranger  Pascal  parmi  les 
défenseurs  de  l’attraction,  et  il  ex})rime  l’es[)oir  que 
Pascal  l’établira  solidement  dans  le  Traité  auquel  il 
travaille. 

Sur  tout  cela,  Mersenne  promet  une  troisième  }>ré- 
face  dont  sa  mauvaise  santé  retarda  la  conq)Osition; 
elle  deviendra,  huit  ou  neuf  mois  jdus  tard,  le  Liber 
noüffs  praelusorius,  inséré  dans  ses  Hartnonicoruin 
lih.  XII,  editio  aucta,  1648. 


PASCAL 


413 


4^111.  — Les  Expériences  nouvelles  de  Pascal, 
8 octobre  1647 


Pendant  que  Mersenne  achevait  ses  Beflexiones, 
Pascal  préparait  son  premier  livre  consacré  aux 
expériences  du  vide.  Le  permis  d’imprimer  est  du 
8 octobre  1647,  et  il  est  intitulé  : Expériences 
nouvelles  touchant  le  vide,  faites  avec  des  tuyaux, 
seringues,  soutilets  et  siphons  de  plusieurs  longueurs 
et  figures,  avec  diverses  liqueurs,  comme  vif-argent, 
eau,  vin,  huile,  air,  etc.;  avec  un  discours  sur  le  môme 
sujet,  où  est  montré  qu’un  vaisseau,  si  grand  qu’on 
pourra  le  faire,  peut  être  rendu  vide  de  toutes  les 
matières  connues  en  la  nature,  et  qui  tombent  sous  nos 
sens;  et  quelle  force  est  nécessaire  pour  faire  admettre 
ce  vide  : dédié  à M.  Pascal,  conseiller  du  roi  en  ses 
conseils  d’Etat  et  privé,  par  le  sieur  B,  Pascal,  son 
fils  ; le  tout  réduit  en  abrégé  et  donné  par  avance  d’un 
plus  grand  traité  sur  le  même  sujet.  Paris,  Margot, 
1647. 


((  Que  l’on  relise,  écrit  M.  Duhem,  ces  Nouvelles  Expériences. 
Il  ne  faut  pas  être  grand  clerc  pour  pressentir  que  l’auteur  a des 
idées  de  derrière  la  tète  et  que  ces  idées  sont  précisément 
celles  que  Torricelli  mandait  à Mersenne...  Assurément  celui  qui 
conçoit  et  réalise  de  telles  expériences  possède  la  clé  qui  en  ouvre 
l’interprétation;  il  sait  qu’en  la  théorie  de  Torricelli  se  trouve 
l’explication  véritable  des  faits  qu’il  constate;  s’il  n’était  Pascal, 
il  donnerait  tout  aussitôt  ces  faits  pour  preuves  très  certaines  de 
cette  théorie. 

» Mais  le  sens  critique  de  Pascal  le  met  en  garde  contre  cette 
hâtive  conclusion  ; les  Nouvelles  Expériences  touchant  le  vide 
tendent  toutes  cà  favoriser  la  doctrine  de  Torricelli  ; mais  il  n’en 
est  aucune  qui  condamne  sans  conteste  la  doctrine  de  Galilée, 
aucune  qu’un  disciple  du  Pisan  ne  pui.sse,  avec  quelque  effort, 
revendiquer  pour  son  parti.  L’auteur  va  donc  lai.sser  en  suspens 
ce  que  la  logique  n’a  point  tranché;  il  exposera  ses  expériences 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


4il 

sans  en  tirer,  sur  la  nature  de  la  force  qui  suspend  le  vif-argent 
dans  le  tube  barométrique,  des  conclusions  qu’elles  ne  sutlisent 
pas  à justifier.  » 

Nous  avons  relu  cet  opuscule,  que  Pascal  appelle 
son  Ahrègè;  l’impression  que  nous  en  avons  reçue 
n’est  })oint  celle  que  décrit  M.  Duliein.  Ce  sera,  pour  le 
lecteur,  une  raison  de  s’attacher  aux  citations  qui  vont 
suivre  jilutôt  qu’au  coniinentaire  qui  traduit  notre 
impression. 

Le  titre  est  très  net  : ce  sont  des  expériences 
« touchant  le  vide  » ({ue  l’on  va  décrire;  c’est  la 
jiossihilité  « du  vide  » que  l’on  va  démontrer  ; c’est 
de  « la  force  nécessaire  ])oui‘  faire  admettre  ce  vide  » 
que  l’on  va  discourir.  Or  nulle  part,  nous  a-t-il  semblé, 
le  contenu  ne  dément,  ni  ne  dépasse  le  titre.  Une  seule 
idée  nous  est  annoncée,  et  elle  seule  remplit  tout  l’ou- 
vrage : le  haut  du  tube  de  Torricelli  est  vide,  de  ce 
vide  que  l’Ecole  déclare  impossible,  que  la  nature 
abhorre,  mais  dont  la  jmissance  limitée  et  déter- 
minée })eut  être  vaincue.  Aucune  conclusion,  aucune 
« maxime  » ne  trahit  la  préoccupation  de  la  pesanteur 
de  l’air  ou  de  la  pression  atmosphérique  et  encore  moins 
l’intention  d’j  recourir  pour  exjiliquer  les  ])hénoniènes. 

L’ouvrage  s’ouvre  par  un  avis  « au  lecteur  ». 

« Quelques  considérations  m’empêchent  de  donner  à présent 
un  Traité  entier,  où  fai  rapporté  quantité  d’expériences  nou- 
velles que  j’ai  faites  toucbant  le  vide,  et  les  conséquences  que 
j’en  ai  tirées;  'jA  voulu  faire  un  récit  des  principales  dans  cet 
abrégé,  où  vous  verrez  par  avance  le  dessein  de  tout  l’ouvrage.  » 

Pascal  parle  de  ce  Traité,  dont  il  nous  donne  ici 
V Abrégé,  comme  d’une  œuvre  achevée  : 

« J’ai  divisé  le  traité  entier,  dit-il,  en  deux  parties,  dont  la 
première  comprend  le  récit  au  long  de  toutes  mes  expériences 
avec  les  figures,  et  une  récapitulation  de  ce  qui  s’y  voit,  divisée 
en  plusieurs  maximes;  et  la  seconde,  les  comséquences  que/ea 


PAï^CAL 


415 


ai  tirées,  divisées  en  plusieurs  i)ropositious,  où  fni  >nniitré  que 
l’espace  vide  eu  apparence,  (jiii  a paru  dans  les  expériences,  esl 
vide  eu  effet  de  toutes  les  matières  qui  loiubeut  sous  les  sens,  et 
(|ui  sont  connues  dans  la  ualui'c.  Dans  la  conclusion,  je  doime 
mou  sentiment  siu’  le  sujet  du  vide,  e\  je  réponds  aux  olqectious 
qu’on  peut  y faire.  Ainsi,  Je  me  contente  de  montrer  nn  grand 
espace  ride,  et  je  laisse  à des  personnes  savantes  et  cui'ieuses  à 
éprouver  ce  ([ui  se  fait  dans  un  tel  espace  : comme  si  les  animaux 
y vivent,  si  le  verre  en  diminue  sa  rétraction;  et  tout  ce  qu’on 
peut  y faire  : n’en  faisant  nulle  mention  dans  ce  traité.  » 

Si  Pascal  juge  à propos  de  nous  donner  cet  Abrégé, 
par  avance,  c’est  pour  prendre  date  : 

« Ayant  fait  ces  expériences  avec  beaucoup  de  frais,  de  peine 
et  de  temj)S,  j’ai  craint  qu’un  antre  qui  n’y  aurait  employé  le 
temps,  l’argent,  ni  la  peine,  me  prévenant,  ne  donnât  au  public 
des  choses  qu’il  n’aurait  pas  vues,  et  lesquelles  par  conséquent 
il  ne  pourrait  pas  rapporter  avec  l’exactitude  et  l’ordre  néces- 
saire pour  les  déduire  comme  il  faut  : n’y  ayant  personne  qui 
ait  eu  des  tuyaux  et  des  siphons  de  la  longueur  des  miens  et  peu 
qui  voulussent  se  donner  la  peine  nécessaire  pour  en  avoir.  » 

L’occasion  de  ces  recherches  fut  « l’expérience  d’Ita- 
lie »;  Pascal  ne  nomme  pas  Torricelli.  Il  décrit  cette 
expérience,  rappelle  qu’elle  fut  « mandée  de  Rome  au 
R.  P.  Mersenne  »,  qui  la  divulgua  en  France,  et  que  lui, 
Pascal,  l’apprit  de  AL  Petit  avec  lequel  il  la  refit  à 
Rouen.  File  le  confirma  « dans  la  pensée  où  il  avait 
toujours  été  que  le  vide  n' était  pas  une  chose  aussi 
impossible  dans  la  nature,  et  quelle  ne  le  fuyait  pas 
avec  tant  d’horreur  que  plusieurs  se  V imaginent  ». 

La  possibilité  de  réaliser  le  vide,  voilà  donc  ce  que 
Pascal  a considéré  surtout,  dans  l’expérience  de  Tor- 
ricelli. 

Sans  doute,  avant  cette  expérience,  on  ne  manquait 
pas  d’arguments  contre  les  thèses  classiques,  mais  tout 
le  monde  ne  les  acceptait  pas,  et  « je  crus,  dit-il,  que 
cette  expérience  d’Italie  était  capable  de  convaincre 
ceux-là  même  qui  sont  les  plus  préoccupés  de  l’impossi- 


41(3 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


bilité  du  vide  ».  Il  n’en  fut  rien:  on  souleva  contre  elle 
maintes  objections  « qui  lui  ôtèrent  la  croyance  qu’elle 
méritait  ». 

« .le  me  résolus  donc  de  faire  des  expériences  si  convain- 
cantes, qu’elles  fussent  à l’épreuve  de  toutes  les  objections  qu’on 
pourrait  y faire...  Elles  ont  été  si  exactes  et  si  heureuses,  que 
j’ai  montré  par  leur  moyen,  qu'un  vaisseau  si  grand  qu’on 
pourra  le  faire,  peut  être  rendu  vide  de  toutes  les  matières  qui 
tombent  sous  les  sens,  et  qui  sont  connues  dans  la  nature,  et 
quelle  force  est  nécessaire  pour  faire  admettre  ce  vide.  C’est  aussi 
par  Icà  que  j’ai  éprouvé  la  hauteur  nécessaire  à un  siphon,  pour 
faire  l’effet  qu’on  en  attend,  après  la(}uelle  hauteur  limitée,  il 
n’agit  plus;...  comme  aussi  le  peu  de  force  néce.ssaire  pour  attirer 
le  piston  d’une  seringue,  sans  qu’il  y succède  aucune  matière, 
et  beaucoup  d’autres  choses  que  vous  verrez  dans  l’ouvrage 
entier,  dans  lequel  j’ai  dessein  de  montrer  quelle  force  » — au 
point  de  vue  de  l’intensité  — « la  nature  emploie  pour  éviter  le 
vide,  et  qu’elle  l’admet  et  le  soulfre  effectivement...  » 

Toutes  ces  expériences  sont  « de  son  invention  »;  il 
en  l’éclame  la  propriété,  mais  il  se  défend  « de  ceux  qui 
lui  attribueraient  celle  d’Italie  » qui  n’est  ])as  de  lui. 

Dans  la  première  partie,  Pascal  décrit  huit  expé- 
riences faites  avec  seringues,  soulbets,  tu_yaux  et 
siphons  de  toutes  longueurs,  grosseurs  et  figures, 
chargés  de  difierentes  liqueurs  ; toutes  tendent  au  même 
but  : prouver  la  possibilité  du  vide. 

La  troisième  est  celle  qu’il  fit  à Rouen,  dans  la  cour 
de  la  verrerie,  avec  un  tuyau  de  quarante-six  pieds 
rempli  de  xdn  (14  ).  Si  on  l’incline  sur  l’horizon,  jusqu’à 
la  hauteur  de  trente-deux  pieds,  « il  se  remplit  entiè- 
rement ». 

Rien  n’indique  que  cette  expérience  du  f'id>e  incliné 
(fig.  2)  ait  été  déduite  des  lois  de  l’hydrostatique.  Elle 
n’embarrassait  pas  les  discijdes  de  Galilée  j)uisque,  pour 
eux  comme  pour  leur  maître,  la  hauteur  de  la  colonne 
liquide  dont  la  pesanteur  contrebalance  la  puissance 


PASCAL 


417 


Kk;.  '‘I.  — Empruiilée  à In  Tccinuca  Curiosa  de  C.  SclioKz. 


IIP  SERIE.  T.  XII 


il 


418 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


limitée  de  rhorreur  du  vide,  devait  être  mesurée  ver- 
ticalement. Tout  le  monde  la  répétait.  Roberval  lui- 
même  décrit  cette  expérience  dans  une  lettre  à Des- 
cartes où  il  combat  rii^-pothése  de  la  colonne  d’air.  Les 
ligures  des  ouvrages  de  cette  é})oque,  celles  des  Reflex- 
ioiies  de  Mersenne,  entre  autres,  montrent  constam- 
ment un  tube  incliné  cà  côté  d’un  tube  vertical  : il  sert 
à montrer  quil  n’est  qjas  resté  d’air  dans  le  tuyau,, 
])uis(pie,  quand  on  incline  celui-ci,  le  mercure  vient 
frajqiei'  le  sommet  du  tube  avec  un  bruit  sec. 

Encore  sommes-nous  certains  que  Pascal  n’ait  ]»as 
songé,  dès  le  début,  à ra})procber  cette  expérience  de 
la  pression  atmosjdiéri([ue  l 

Dans  ses  conlerences  publiques  de  Rouen,  il  l’avait 
montrée,  et  un  des  s})ectateurs,  nous  raconte  Guitfart, 
lui  avait  posé  cette  question  : « Si  le  tube  avait  10  800 
lieues  de  longueur,  et  si  on  l’inclinait  j‘us({u’à  ce  qu’il 
devînt  tangent  ii  la  terre,  le  vide  (qui  s’y  trouvait 
(quand  il  était  vertical,  aurait-il  la  force  d’y  faire 
entrer  les  21  600  000  livres  de  mercure  (qui  seraient 
nécessaires  qxncr  le  remqüh2  » — Guitfart  ne  nous  dit 
pas  ce  que  répondit  Pascal,  mais  la  question  semble 
bien  indiquer  que  c’est  à la  « force  du  vide  » que  le 
conférencier  en  a})])elait  pour  expliquer  l’ascension  du 
vif-argent  jusqu’au  sommet  du  tube  incliné. 

La  sixième  expérience  surtout  doit  retenir  notre 
attention. 

« Une  seringue  avec  un  piston  parfaitement  juste,  étant  mise 
dans  le  vif-argent,  en  sorte  que  son  ouverture  y soit  enfoncée 
pour  le  moins  d’un  pouce,  et  que  le  reste  de  la  seringue  soit 
élevé  perpendiculairement  au  dehors  : si  l’on  relire  le  piston,  la 
seringue  demeurant  en  cet  état,  le  vif-argent  entrant  par  l’ou- 
verture de  la  seringue,  monte  et  demeure  uni  au  piston  jusqu’à 
ce  qu’il  soit  élevé  dans  la  seringue  deux  pieds  trois  pouces  ; 
mais  après  cette  hauteur,  si  l’on  retire  davantage  le  piston,  il 
n’attire  pas  le  vit-argent  plus  haut,  qui,  demeurant  toujours  à 


PASCAL 


419 


cette  hauteur  de  deux  pieds  trois  pouces,  quitte  le  piston  : de 
sorte  qu’il  se  fait  un  espace  vide  en  apparence,  qui  devient  d’au- 
tant plus  grand,  que  l’on  tire  le  piston  davantage.  » 

C’est  ce  qui  arrive  dans  les  poni})es.  Mais  dans  ce 
pliénoinène  Pascal  va  chercher  un  nouvel  argument 
en  faveur  de  la  seule  chose  qu’il  ait  en  vue  d’étaljlir  : 
le  haut  du  tube  est  vide  de  toute  matière  sensible. 

11  pèse  « la  seringue  en  cet  état  sans  la  retirer  du  vif-argent, 
ni  la  bouger  en  aucune  façon  »,  et  il  trouve  « qu’elle  pèse  tou- 
jours autant  ([ue  le  corps  de  la  seringue  avec  le  vif-argent  qu’elle 
contient  de  la  hauteur  » invariable  de  « deux  pieds  trois  pouces  », 
soit  qu’il  y ait  un  espace  vide  en  apparence,  grand  ou  petit,  au- 
dessus  du  mercure,  soit  qu’il  n’y  en  ait  aucun,  « c’est-<à-dire, 
lorsque  le  piston  n’a  pas  encore  quitté  le  vif-argent  de  la  seringue, 
mais  qu’il  est  prêt  de  s’en  désunir,  si  on  le  tire  tant  soit  peu.  De 
sorte  que  l’espace  vide  en  apparence,  quoique  tous  les  corps  qui 
renvironnent  tendent  à le  remplir,  n’apporte  aucun  changement 
à son  poids,  et  que,  quelque  dilférence  de  grandeur  qu’il  y ait 
entre  ces  espaces,  il  n’y  en  a aucune  entre  les  poids.  » 

Le  raisonnement  de  Pascal  revient  à ceci  : Si  dans  la 
chambre  du  haromètre  se  glissait,  pour  la  remplir,  une 
matière  quelconque,  il  en  entrerait  d’autant  plus  que  cette 
chambre  serait  plus  grande.  Mais,  cette  matière  étant 
pesante,  sa  })esanteur  s’ajouterait  à celle  de  l’appareil 
dans  lequel  elle  pénètre.  Le  poids  total  de  celui-ci  devrait 
donc  varier  avec  les  dimensions  de  la  chambre  baromé- 
trique. Or,  l’expérience  montre  qu’il  n’en  est  pas  ainsi. 
Donc  rien  n’est  entré  dans  le  vide  ap}>arent  du  tube. 

Cette  expérience,  dit  M.  Mathieu,  est  « absurde.  Ou 
bien  Pascal  ne  l’a  pas  faite,  ou  bien  il  l'a  mal  faite  et 
mal  interprétée...  11  aurait  toujours  trouvé  le  même 
poids.  Pascal  ne  croyait  donc  pas  encore  à la  pesanteur 
de  l’air.  » 

Seul,  en  eliet,  un  disciple  de  Oalilée,  uniquement 
préocciq)ô  de  l’horreur  du  vide  et  ne  possédant  pas  la 
notion  de  la  pression  engendrée  par  une  atmosphère 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


i-^0 

pesante,  pouvait  imaginer  cette  expérience,  lui  donner 
un  sens  et  en  accepter  le  résultat.  Pascal,  dans  ses 
r/ences  Nouvelles  en  est  donc  là.  Plus  tard,  dans  ses 
Traités  posthumes  il  reconnaîtra  qu’il  a fait  fausse 
route;  il  passera  de  l’Ecole  de  Galilée  à celle  de  Torri- 
celli.  En  possession  alors  des  })rincipes  qui  lui  manquent 
maintenant,  il  comprendra  que  la  variation  du  volume 
vide  entraîne  celle  de  la  poussée  de  l’air  sur  la  seringue 
suspendue  au  lléau  de  la  balance,  et,  par  suite,  ([u’elle 
retentit  sur  les  pesées;  il  se  convaincra  sans  peine  qu’il 
n’a  }ui  trouver  jadis  les  mêmes  poids  dans  toutes  ses 
pesées  — si,  de  fait,  il  les  a exécutées  — qu’en  y em- 
ployant une  balance  de  sensibilité  inféideure  à ce  qu’elle 
efit  dû  être  ])Our  obéir  à la  variation  de  la  ])oussée.  Il 
verra,  ce  qu’il  ne  voit  }>as  ici,  que  son  expérience  est 
« absui’de  » et  il  la  sujiprimera  de  ses  Traités  posthumes. 

A'oilâ,  nous  semble-t-il,  très  nettement  manifesté, 
l’état  d’es])rit  de  Pascal  à l’éjioque  de  la  com})osition  de 
son  Ahrègè.  C’est  de  Galilée  qu’il  s’ins])ire  et  non  de 
Torricelli.  La  pesanteur  de  Tair  et  la  jiression  atmo- 
sphérique sont  étrangères  à ses  préoccupations;  il  s’en 
tient  à l’horreur  du  vide.  ISi  cet  ojtuscule  est  lhen, 
comme  il  l’affirme,  le  résumé  fidèle  d’un  grand  Traité 
déjà  prêt,  ce  Traité  prolonge  les  Discouvs  et  Démon- 
strations de  l’illustre  Pisan.  N’est-ce  pas,  en  effet,  à « la 
repugnanza  al  vacuo  »,  à « la  quantità  délia  forza  del 
vacuo  »,  à « l’altezza  limitatissima  » que  Pascal  songe 
uniquement  quand  il  énonce  ses  conclusions  sous  forme 
de  « Maximes  » ? 

« I.  Que  tous  les  corps  ont  de  la  répugnance  à se  séparer  l’un 
de  l’autre,  et  à admettre  du  vide  dans  leur  intervalle,  c’est-à-dire 
que  la  nature  abhorre  le  vide. 

» 11.  Que  celle  horreur  ou  répugnance  (pi  ont  tous  les  corps 
n’esl  pas  pins  grande  pour  admettre  un  grand  vide  (ju’un  petit... 

» 111.  Que  la  force  de  cette  horrenr  est  limitée,  et  pareille  à 
celle  avec  laiptelle  l’eau  d’une  certaine  hauteur,  (pii  est  à peu  près 
de  trente  et  un  pieds,  tend  à couler  en  bas. 


PASCAL 


121 


» IV.  Que  les  corps  qui  bornent  ce  vide  ont  inclination  à le 
remplir. 

))  V.  Que  cette  inclination  n’est  pas  plus  forte  pour  remplir  un 
grand  vide  qu’un  petit. 

» VI.  Que  la  force  de  cette  inclination  est  limitée  et  toujours 
égale  à celle  avec  laquelle  l’eau  d’une  certaine  hauteur,  qui  est 
environ  de  trente  et  un  pieds,  tend  à couler  en  bas.  » 

Pascal  dit  « toujours  égale  » ; serait-ce  trahir  sa 
pensée  que  de  comprendre  « partout  égale  »,  ce  qui 
exclurait  l'idée  même  de  poursuivre  les  recherches  en 
expérimentant  à des  altitudes  différentes?  — Nous  ne 
le  pensons  pas.  Sous  la  plume  de  Galilée  « toujours  » et 
« partout  » seraient  ici  certainement  synonymes.  Or, 
Pascal  suit  son  maître  pas  à pas;  lui-même  d’ailleurs 
traduit  autre  part  « toujours  égale  » par  « partout 
égale  » . 

Dans  sa  lettre  à Périer,  que  nous  rencontrerons  bien- 
tôt, il  affirme  que  pour  les  partisans  de  l’horreur  du  vide 
— et  il  est  du  nombre  pour  le  moment  — la  colonne 
barométrique  doit  avoir  la  même  hauteur  au  pied  et  au 
sommet  d’une  montagne,  puisque  la  nature  a,  au  bas  et 
au  haut,  cette  même  horreur  du  vide  dont  « la  force  est 
limitée  et  toujours  égale  »,  partout  et  dans  les  mêmes 
circonstances,  « à celle  avec  laquelle  l’eau  d’une  cer- 
taine hauteur,  qui  est  environ  de  trente  et  un  pieds, 
tend  à couler  en  bas  ».  Il  l’affirme  encore  dans  un  pas- 
sage des  « conclusions  » de  ses  Traités  posthumes  que 
nous  citons  en  note.  M.  Mathieu,  qui  l’a  signalé,  le 
résume  ainsi  : « Après  mes  expériences  de  Rouen,  je  ne 
pensais  pas  à la  pesanteur  de  l’air;  le  coupalde  c’est 
Galilée  qui  n’a  pas  dit  que  la  hauteur  du  mercure  »,  ou 
de  l’eau  dans  les  pompes,  « varie  avec  les  alti- 
tudes » (1). 


(l)  « Galilée  déclare,  dans  ses  Dialogues,  qu’il  a appris  des  fontainiers  d’Ila- 
lie,  que  les  pompes  n’élèvent  l’eau  ijue  jusqu’à  une  certaine  hauteur  : ensuite 
de  quoi  il  l’éprouva  lui-même;  et  d’autres  ensuite  en  firent  l’épreuve  en  Italie, 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Et  ce  n’est  }>as  seulement  en  1646,  après  ses  expé- 
riences fie  Rouen,  c’est  encore  en  1617,  à l’é])oque  où 
il  rédige  son  Alrrèf/è  que  Pascal,  (liscijde  de  Galilée, 
partisan,  comme  lui,  de  l’horreur  du  vide,  doit,  pour 
rester  fidèle  à ses  principes,  tenir  ])our  vain  le  projet 
d’expéidmenter  à des  altitudes  ditférentes.  Dès  lors,  si 
un  document  digne  de  foi  venait  affirmer  ({u’au  cours 
de  la  visite  de  Descartes,  antérieure  à la  publication 
de  VAhrêf/é,  Pascal  s’est  montré  défavorable  à ce 
jirojet,  rien,  dans  ses  idées,  ne  nous  empêcherait  d’en 
acce})ter  le  témoigmage. 


et  depuis  en  France  avec  du  vif-argent,  avec  plus  de  commodité,  mais  ([ui  ne 
montrait  que  la  même  chose  en  plusieurs  manières  différentes. 

«Avant  qu’on  en  fut  instruit,  il  n’y  avait  pas  lieu  de  démontrer  ([ue  la  pesan- 
teur de  l’air  fût  ce  qui  élevait  l’eau  dans  les  pompes;  puisque  cette  pesanteur 
étant  linutée,  elle  ne  pouvait  pas  produire  un  efl'et  infini. 

» Mais  toutes  ces  expériences  ne  suflirent  pas  pour  montrer  que  l’air  pro- 
duit ces  effets;  parce  qu’encore  elles  nous  eussent  tiré  d’une  erreur,  elles 
nous  laissaient  dans  une  autre  : car  on  apprit  bien  par  toutes  les  expériences, 
(pie  l’eau  ne  s’élève  que  jusqu’à  une  certaine  hauteur,  mais  on  n’apprit  pas 
qu’elle  s’élevât  pim  luiut  tlanx  les  lieux  profonds  : on  pensait,  au  contraire, 
qn  elle  s’élevait  toujours  à la  même  hauteur,  qu'elle  était  invariable  en  tous 
les  lieux  du  inonde;  el  comme  on  ne  pensait  point  à la  pesanteur  de  l’air, 
ON  s’imagina  (pie  la  nature  de  la  pompe  est  telle  (jiFelle  élève  l’eau  à une 
certaine  hautiHir  limitée,  et  puis  tdus.  .Aussi  Galilée  la  considéra  comme  la 
hauteur  naturelle  de  la  pompe,  il  l’appelle  la  altezza  limitalissima. 

» Aussi  commenl  sefât-os  imaginé  que  celte  hauteur  eût  été  variable  sui- 
vant la  variété  des  lieux  ? Certainement  cela  n’était  pas  vraisemblable  ; el 
cependant  cette  dernière  erreur  mettait  encore  hors  d’état  de  prouver  que  la 
pesanteur  de  l’air  est  la  cause  de  ces  effets  ; car  comme  elle  est  plus  grande  sur 
le  pied  des  montagnes  que  sur  le  sommet,  il  est  manifeste  que  les  effets  y 
seront  plus  grands  à proportion. 

» C’est  pourquoi  je  conclus  qu’on  ne  pouvait  arriver  à cette  preuve  qu’en 
faisant  l’expérience  en  deux  lieux  élevés,  l’un  au-dessus  de  l’autre,  de  quatre 
cents  ou  cim[  cents  toises;  et  je  choisis  pour  cela  la  montagne  du  Puy-de- 
Dôme  en  Auvergne,  par  la  raison  (pie,/’o/  déclarée  dans  un  petit  écrit  que.f(? 
Ils  imprimer  dès  l’année  1648,  aussitôt  qu’elle  eut  réussi.  » 

C’est  en  ces  termes  emhrouillés  que  Pascal  expli(pie  l’évolution  de  ses  idées, 
à laquelle  nous  assisterons.  Pour  le  moment,  nous  ne  voulons  voir  dans  ce 
passage  que  la  confirmation  de  ce  que  nous  disions  plus  haut  ; l’expression 
« toujours  égale  » signifie,  dans  V Abrégé  « partout  égale  » et  exclut  l’idée  de 
l’expérience  du  vide  à des  altitudes  différentes.  Le  lecteur  jugera  si,  dans  ce 
passage;  comme  M.  Mathieu  en  fait  la  remarque,  le  « on  «janséniste,  inventé 
par  Pascal,  est  mis  pour  « je  «.  11  faudrait  en  conclure  (|ue  Pascal  admettait, 
à la  règle,  des  exceptions  : « on  » serait  employé  aussi  longtemps  qu’il  s’agit  de 
confesser  une  erreur  passagère;  le  «-je  » réapparaîtrait  dès  qu’il  s’agit  de 
déclarer  qu’on  a dissipé  l’erreur  universelle. 


PASCAL 


423 


Achevons  de  transcrire  les  « Maximes  » : 

« VII.  Ou’ime  force  plus  grande,  de  si  i)eu  (pie  l’on  voudra, 
que  celle  avec  laquelle  l’eau  de  la  hauteur  de  Irente  et  un  pieds 
tend  <à  couler  bas,  sufïit  pour  faire  admetire  du  vide,  et  même 
si  grand  que  l’on  voudra;  c’est-à-dire,  pour  faire  désunir  les 
corps  d’un  si  grand  intervalle  que  l’on  xondva,  pourvu  qu’il  u\j 
ait  point  d’autre  obstacle  à leur  séparation,  ni  à leur  éloignement, 
que  l’horreur  que  la  nature  a pour  le  vide.  » 

(i’est  encore  la  pensée  de  Galilée  que  Pascal  repro- 
duit ici.  Dans  la  deuxième  ])artie  de  YAhrcf/é,  Pascal 
rap|)orte  « les  conséquences  de  ces  expériences,  touchant 
la  matière  qui  peut  remjilir  l’espace  vide  en  appa- 
rence ». 


Il  n’est  pas  rempli  « de  l’air  exlérieur...  entré  par  les  pores  du 
verre  ni  de  l’air  « que  cpielques  philosophes  disent  être  enfer- 
mé dans  les  pores  de  tous  les  corps  » et  par  suite  « de  la 
li([ueur  qui  remplit  le  tuyau  »;  ni  « d’un  grain  d’air  impercep- 
tible » entré  accidentellement;  ni  des  vapeurs  du  vif-argent  ou 
de  l’eau;  ni  « des  esprits  » de  ces  liqueurs;  ni  ce  d’un  air  plus 
siditil  » ; bref,  ce  vide  apparent  ((  n’est  rempli  d’aucune  des 
matières  qui  tombent  sous  aucun  sens  ». 

« Mon  sentiment  sera  donc,  jusqu’à  ce  qu’on  m’ait  démontré 
l’existence  de  ([uelque  matière  ([ui  le  remplisse,  qu’il  est  vérita- 
blement vide,  et  destitué  de  toute  matière. 

» (’i’est  ])our([uoije  dirai  du  vide  véritable  ce  que  j’ai  montré 
du  vide  apparent,  et  je  tiendrai  pour  vraies  les  maximes  posées 
ci-dessus,  et  énoncées  du  vide  absolu  comme  elles  l’ont  été  de 
l’apparent.  » 

Dans  le  Traité  dont  il  nous  donne  YAhrér/é,  Pascal 
répond,  dit-il,  à certaines  « objections  » qu’il  énonce  ici. 
Elles  ont  trait  an  xdde,  et  il  n’en  est  })lus  question  dans 
les  Traités  ijosthunies,  écrits  sons  une  tout  autre  ins})i- 
ration. 

Enfin  Pascal  nous  apprend  qu’il  adressa  « des  exem- 
plaires de  ce  petit  livre  » non  seulement  à ses  amis  de 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


42\ 


Paris,  mais  « en  toutes  les  villes  de  France  » où  il  avait 
riionneur  de  connaître  des  personnes  curieuses  de  ces 
matières;  on  en  reçut  « quinze  ou  trente  en  la  seule 
ville  de  Clermont  »,  et  le  P.  Mersenne,  « ne  se  conten- 
tant pas  d’en  voir  j)ar  toute  la  France  »,  en  adressa 
« en  Suède,  en  Hollande,  en  Pologne,  en  Allemagne,  en 
Italie  et  de  tous  les  cotés  ».  Si  Mersenne  songea  à en 
envoyer  un  exemplaire  à Torricelli,  il  dut  arriver  trop 
lard  : l’illustre  savant  était  mort  le  25  octobre  1647. 

Les  « révérends  Pères  Jésuites  »,  que  Pascal  range 
parmi  ses  amis  de  Paris,  ne  furent  pas  oubliés  ; 
« quelques-uns  même  d’entre-eux  prirent  sujet  d’en 
écrire  ».  Le  P.  Noël,  recteur  du  Collège  de  Clermont, 
à Paris,  fut  du  nombre. 


IX.  — Co/')'espon(lance  du  P.  Noël  et  de  Paseal, 
8-2d  octobre  1647 

Professeur  de  Hescartes  à la  Flèche,  le  P.  Noël  s’in- 
téressait aux  travaux  de  son  ancien  élève,  et  cherchait 
à accorder,  dans  son  enseignement,  les  j)rinci})es 
d’Aristote  avec  ceux  du  novateur  (i).  Les  « maximes  » 
de  VAt>réf/è  l’effarouchèrent;  il  crut  devoir  ra])[)eler  à 
l’auteur,  dans  une  lettre  courtoise,  les  raisons  de 
l’ancienne  et  de  la  nouvelle  école  contre  le  vide  : 

Les  expérienees  de  Pascal  sont  « fort  belles  et  ingénieuses  », 
mais  Noël  n’entend  pas  « ce  vide  ai)parent  cpii  parait  dans  le 
tube  ».  Ce  prétendu  vide  est  à ses  yeux  « un  corps,  puistpi’il  a les 
actions  d’un  corps,  qu’il  transmet  la  lumière  avec  réfraction  et 
réllexion  »;  à son  avis,  il  faut  admettre  (pie  le  vif-argent,  en 
descendant  dans  le  tuyau,  « tire  après  soi  un  autre  corps  »;  cet 
autre  corps  « est  un  air  épuré  (pii  entre  par  les  jietits  pores  du 

(1  ) Descartes  écrivait  au  mois  de  noveml)re  lt)4(»,  à projios  tl  un  ouvrage  du 
P.  Noël,  rju'ii  élait  « heureux  de  reconiiaîlre  ([ue  les  Pères  de  la  Compagnie 
de  .Jésus  ne  s’attachaient  pas  tant  aux  anciennes  opinions  (ju’ils  n’en  osaient 
proposer  aussi  de  nouvelles  ». 


PASCAL 


42b 


verre  »,  en  sorte  qu’il  y a « continuité  » des  éléments  entre  l’air 
du  dehors,  « tiré  et  attaché  au  verre  »,  le  sommet  du  tube,  l’air 
subtil  qui  remplit  le  vide  apparent  et  le  mercure.  Mais  l’air 
subtil  tend  h reprendre  « son  mélange  » avec  l’air  du  dehors,  et 
c’est  cette  tendance  qui  contrebalance  le  poids  de  la  colonne 
liquide  soulevée.  Ceci  « doit  s’entendre  de  toutes  les  autres 
violences  qui  se  rencontrent  dans  toutes  les  autres  expériences  ». 

Pascal  répond  au  P.  Noël  le  29  octobre  1647.  Cette 
lettre,  cpi’il  rendra  publique,  est  moins  un  plaidoj^er 
pour  le  vide,  qu’un  réquisitoire,  au  ton  tranchant, 
contre  la  matière  snlttile. 

« On  ne  doit  jamais  porter  un  jugement  décisit  de  la  négative 
ou  de  l’allirmative  d’une  proposition...  que  l’esprit  n’ait  aucun 
moyen  de  douter  de  sa  certitude,  et  c’est  ce  que  nous  appelons 
principe  ou  axiome  »;...  ou  qu’elle  se  déduise  « par  des  consé- 
quences infaillibles  ou  nécessaires  de  principes  ou  d’axiomes... 
Tout  ce  qui  a une  de  ces  deux  conditions,  est  certain  et  véritable, 
et  tout  ce  qui  n’en  a aucune  passe  pour  douteux  et  incertain  » et 
ne  peut  être  appelé  que  « vision,  caprice,  fantaisie,  idée,  et  tout 
au  plus  belle  pensée  ».  Le  vide  apparent  est  un  corps,  dites-vous, 
« puis(pi’il  a les  actions  d’un  corps  »;  avant  d’en  raisonner  ainsi 
il  faudrait  « être  demeuré  d’accord  de  la  définition  de  l’espace 
vide,  de  la  lumière  et  du  mouvement  ».  Mais  « la  nature  de  la 
lumière  est  inconnue,  et  à vous  et  à moi  »,  nous  ne  connaissons 
pas  mieux  « celle  du  mouvement  »... 

La  matière  subtile!  mais  ses  partisans  inventent  à la  fois,  et 
son  existence  et  ses  qualités.  Montrez-la,  leur  dit-on,  faites-la 
entendre...  Elle  n’est  pas  visible,  répondent-ils,  elle  ne  peut  être 
ouïe,...  et  « ils  pensent  avoir  beaucoup  fait  ([uand  ils  ont  mis  les 
autres  dans  l’impossibilité  de  montrer  qu’elle  n’est  pas  en  s’ôtant 
à eux-mêmes  tout  pouvoir  de  montrer  ([u’elle  est... 

» Considérez,  je  vous  prie,  que  tous  les  hommes  ensemble 
ne  sauraient  démontrer  qu’aucun  corps  succède  à celui  qui 
quitte  l’espace  vide  en  apparence,  et  qu’il  n’est  pas  possible 
encore  à tous  les  hommes  de  montrer  que  quand  l’eau  y remonte, 
quelque  corps  en  soit  sorti.  Cela  ne  suflit-il  pas,  suivant  vos 
maximes,  pour  assurer  que  cet  espace  est  vide?  Cependant  je  dis 
simplement  que  mon  sentiment  est  qu’il  est  vide.  Jugez  si  ceux 
([ui  parlent  avec  tant  de  retenue  d’une  chose  où  ils  ont  droit  de 


426 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


parler  avec  tant  d’assiirance,  pourront  faire  un  jugemeiR  décisif 
de  l’existence  de  celte  matière  ignée  si  douteuse  et  si  peu 
établie.  » 

Pascal  critique  ra}q)licatioii  qui  en  est  faite  à ses 
ex])éi‘iences,  et  il  en  ])reii(l  occasion  pour  ra})})eler  à son 
corres})ondant  les  rêiiles  de  rh_v[)othèse. 

« Encore  (|ue  de  votre  hypothèse  s’ensuivissent  tous  les  phé- 
nomènes de  mes  expiu’iences  »,  elle  demeurerait  toujours  « dans 
les  termes  de  la  vraisemblance  »;  poui’  (pi’elle  arrivât  « à ceux 
de  la  démonstration  »,  il  faudrait  prouver  ([ii’aucune  autre  hypo- 
thèse ne  peut  rendre  compte  de  ces  expériences.  « Mais  j’espère 
vous  faire  un  jour  voir  plus  an  long,  ([ue  de  son  aflirmation 
d’existence  de  la  matière  subtile)  s’ensuivent  absolument  des 
(dioses  contraires  aux  exp(U’iences  (1).  Kt  i)our  vous  en  toucher 
ici  une  en  j)eu  d(!  mots,  s’il  est  vrai,  comme  vous  le  supposez, 
(pie  cet  espace  soit  plein  de  cet  air  plus  subtil,  igné,  et  qu’il  ait 
rinclinalion  ipie  vous  lui  donnc'z,  de  rentrer  dans  l’air  d’où  il  est 
sorti,  et  (pie  cet  air  extérieur  ait  la  force  de  le  retirer  cohnne  une 
é})i)H!ie  pressée,  et  (pie  ce  soit  de  cette  attraction  mutuelle  (pie  le 
vif-argent  se  tienne  suspendu,  et  ipi’elle  ie  fait  remonter  même 
(piand  on  incline  le  tuyau  : il  s’ensuit  nécessairement  (pie  ipiand 
l’espace  vide  en  apiiarence  sera  plus  l’rand,  une  plus  grande 
haiilenr  de  vif-argent  doit  être  suspendue  (contre  ce  (pii  (larait 
dans  les  expériences).  » 

Pascal  ne  s’exjdiijiie  pas  sur  la  cause  de  la  suspension 
(In  mercure.  Pans  cette  Icdtre,  comme  dans  son  Ahrcf/è, 
c’est  ])Our  le  vide,  contre  la  matière  sulitile,  qu’il 
bataille. 

Le  P.  Moèl  se  hâta  de  lui  réjiondre. 

C’est  «avec  admiration  » cpi’il  a lu  celte  lettre  « vraiment 
docte,  (daire  et  courtoise  »;  il  en  remercie  Pascal  « très  humble- 
ment et  (le  tout  cG^iir  ».  «.l’aime  la  vérité,  dit-il,  et  la  recherche 
i^ans  jiréocciipalion,  dans  vos  sentiments»,  à la  façon  de  ceux 
« (pii  veulent  voir  et  non  [las  croire  ce  ipii  lient  se  savoir  ». 

(1)  hescartes  (]ui  tira  celte  lettre  s’informera  jilus  tard  si  Pascal  a publié  la 
critique  qu’il  annonce  ici. 


PASCAL 


427 


^^ais  rimpossibilité  du  vide  lui  tient  au  cœur,  non 
moins  que  la  matière  sutdile,  et  il  en  reprend  la  défense, 
en  invoquant  la  distinction  de  la  démonstration  mathé- 
matique et  de  la  démonstration  physique.  D’ailleurs,  il 
abandonne  volontiers  l’explication  qu’il  a donnée  de  la 
suspension  du  mercure  dans  le  tul)e,  et  il  en  propose 
une  autre. 

« Comparons  le  vit-argent  qui  est  dans  le  tube  avec  celui  qui 
est  dans  la  cuvette,  comme  le  poids  qui  est  dans  un  bassin  de  la 
balance,  avec  le  poids  qui  est  dans  l’autre  ; si  celui  qui  est  dans 
la  cuvette  pèse  plus  que  celui  qui  est  dans  le  tube,  il  descendra 
et  fera  monter  celui  qui  est  dans  le  tube,...  au  contraire,  si  celui 
qui  est  dans  le  tube  est  plus  pesant  que  celid  de  la  cuvette,  il 
descendra,  et  fei'a  monter  celui  de  la  cuvette  jusqu’à  l’égalité  de 
la  pesanteur.  »...Or,  ici  c’est  le  mercure  de  la  cuvette  qui  a l’avan- 
tage par  dessus  l’autre,  et  cet  avantage  « se  prend  de  l’air  qui 
pèse  sur  celui  de  la  cuvette,  et  ne  pèse  pas  sur  celui  du  tid)e  ». 

» Cela  veut  dire  (pie  l’air  commun  que  nous  respirons  soit 
pesant,  on  n’en  doute  pas,  après  avoir  pesé  une  canne  à vent 
devant  et  après  l’avoir  chargée.  L’air  (pii  couvre  la  surface  du 
vif-argent  dans  le  tube  ne  descend  pas,  soit  pour  être  retenu  par 
le  veire  (pii  demeure,  soit  pour  avoir  ([uitté  son  plus  grossier 
qui  le  rendait  pesant  : d’oii  s’ensuit  qu’il  ne  pèse,  ni  ne  charge 
point  le  vif-argent;  petit  ou  grand,  il  n’importe,  ne  pesant  non 
plus  grand  que  petit,  puisqu’il  ne  pèse  point;  mais  celui  qui  est 
sur  la  surface  de  la  cuvette  pèse  et  la  charge...  Cette  réponse  est 
commune  à l’eau  d’environ  trente-trois  pieds  ». 

Ainsi,  dans  la  pensée  de  Noël,  la  théorie  de  Torri- 
celli  se  concilie  avec  la  croyance  au  plein  de  Descartes. 

Quelle  inlluence  cette  explication  a-t-elle  pu  exercer 
sur  les  idées  de  Pascal?  Aucune  peut-être.  Quoi  qu’il  en 
soit,  il  laissa  passer  l’occasion  qui  lui  était  offerte  de 
s’expliquer  sur  la  pression  atmosphérique  : il  ne  répon- 
dit pas  à la  lettre  du  P.  Noël. 


i28 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


X.  — Publication  de  la  lettre  de  Petit  à Chamit. 
Expérience  de  la  « vessie  de  Carpe  »,  novend)re  1647 

l)ans  le  courant  du  mois  de  novembre  1(317,  jiarut  à 
Paris  une  brochure  intitulée  : Observation  touchant  le 
vuide  faite  pour  la  première  fois  en  Franee  : contenue 
en  une  lettre  écrite  à M.  Cbanut,  Résident  pour  sa 
Majesté  en  Suède,  par  M.  Petit,  intendant  des  fortifica- 
tions, le  10  novemlire  i(3i(3.  Avec  le  discours  qui  a été 
inqtrimé  en  Pologne,  sur  le  môme  sujet,  en  juillet  i(347. 
Paris,  1(347.  Le  privilège  est  daté  du  12  novemlire  1Ü17 

La  lettre  de  Petit  à Cbanut  est  celle  que  nous  avons 
déjà  analj'sée  (I\).  Le  discours  imprimé  en  Pologne, 
qui  raccompagne  ici,  n’est  autre  chose  que  la  Demon- 
stratio  oeularis  du  P.  Magni 

Dans  la  dédicace  à Séguier,  l’éditeur  de  la  brochure, 
qui  signe  Dominicy,  se  dit  indigné  qu’on  ait  publié  ail- 
leurs les  oliser valions  de  Petit  « sans  lui  en  rendre  la 
gloire  ».  Dans  la  préface,  il  accuse  Magni  de  s’être 
vanté  d’avoir  été  le  [)remier  à taire  l’ex])érience  du 
vide,  alors  qu’il  n’avait  réalisé  que  ce  qui  avait  été 
« écrit  » — ceci  est  inexact  — « et  fait  en  France  neuf 
mois  auparavant,  ])endant  lesquels  on  en  jtourrait  por- 
ter la  nouvelle  en  Chine  »,  et  sur  les  indications  d’un 
gentilhomme  français  cpii  était  ])arti  })Our  la  Pologne, 
a])rès  avoir  assisté  aux  expériences  de  Rouen.  D’ail- 
leurs, Pascal  avait  bien  enchéri  sur  ces  jiremières 
observations. 

Dominicy  conteste  formellement  à Torricelli  — qui 
vient  de  mourir  — « la  gloire  de  l’invention  » pour  la 
donner  à (Galilée  qui,  dans  ses  Discours  et  démonstra- 
tions mathématiques,  a enseigné  qu’on  peut  faire  le 
vide  avec  une  seringue  et  qu’on  ne  ])eut  faire  monter 
l’eau  })lus  haut  que  trente-deux  ])ieds.  Pour  un  ])artisan 
convaincu  de  l’horreur  limitée  du  vide,  Câblée  est,  de 


PASCAL 


429 


fait,  l’inventeur  et  le  maître  ; Pascal  est  son  continua- 
teur immédiat  et  son  très  digne  disciple.  Quant  à Torri- 
celli,  il  s’est  tout  l)onuement  fourvoyé,  en  substituant  à 
l’horreur  du  vide  la  })esanteur  de  l’air  : il  n'y  a ]»as  lieu 
d’en  tenir  coinjde. 

Quel  est  donc  ce  Pominic}'?  — Son  nom  ne  se 
retrouve  nulle  part  ailleurs.  Lui-même  reconnait  qu’il 
n'agit  pas  à l’instigation  de  Petit  que  le  hasard  a mêlé 
un  instant  à ses  recherches  et  qui  s’est  toujours  ojtposé  ‘ 
à la  publication  de  sa  lettre;  si  Dominicy  la  donne 
quand  même  au  public,  c’est  « ])arce  qu’elle  fait  partie 
de  l’histoire  de  cette  nouveauté,  et  que  l’auteur  est 
comme  le  premier  mobile  qui  a donné  le  branle  à tout  ce 
qui  s’est  fait  et  dit  depuis  sur  cette  matière  ».  C’est 
d’après  une  co'pie  que  Pascal. avait  conservée  de  cette 
lettre  et  avec  son  assentiment  qu’il  la  })ul)lie.  Dominicy 
est  donc  un  ami  et,  ])eut-être,  dit  M.  Mathieu,  un 
pseudonyme  de  Pascal.  Il  ne  donne  ni  le  nom  du  « gen- 
tilhomme français  »,  parti  de  Rouen  })Our  la  Isologue  et 
qui  aurait  instruit  Magni,  ni  la  })reuve  que  Magni  l’ait 
rencontré. 

En  écartant  Torricelli,  qui  s’est  trompé,  et  Magni, 
un  intrus,  pour  ne  conserver  que  Galilée,  l'inventeur  de 
l’horreur  limitée  du  vide.  Petit,  « qui  a donné  le 
branle  » aux  recherches  nouvelles,  mais  qui  s’efface  de 
bonne  grâce,  et  « Pascal  le  jeune,  digne  fils  d'un  illustre 
père  »,  qui  « a l)eaucoup  enchéri  par-dessus  ces  obser- 
vations » et  qui  traitera  « tout  cela  dignement,  à plein 
fonds  »,  Dominic}'  a vraisemblablement  pour  Imt  d’éta- 
blir que  l’auteur  de  V Abrégé  procède  immédiatement 
de  Galilée,  et  qu’il  est  après  lui  l’artisan  par  excellence 
de  cette  théorie  de  l’horreur  limitée  du  vide  dont  il  assu- 
rera bientôt  le  triomphe  définitif.  Si  cette  interprétation 
est  exacte,  et  parce  que  Dominic}'  est  un  ami  de  Pascal 
ou  peut-être  Pascal  lui-même,  ne  peut-on  voir,  dans  la 
publication  de  cette  brochure,  la  confirmation  de  l’idée 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIEIQUES 


430 


que  nous  suggérait  la  lecture  de  VAhrêf/é  : Pour  le 
iiioiiieiit,  raiiibition  de  Pascal  est  de  ])rolonger  (talilée  ? 
C’est  à cela  qu’il  s’applique. 

A cette  époque,  Roberval  aussi  multipliait  les  expé- 
riences. Un  jour,  il  Jette  au  fond  de  son  tube  une 
« vessie  de  carpe  » après  l’avoir  coinpriinée,  coni- 
plèteinent  vidée  — croit-il  — séchée  et  soigneusement 
' fermée.  Aussitôt  le  tulie  renversé  et  le  mercure 
descendu,  il  la  voit  se  gonller.  D’où  vient  ce  prodige? 
N’a-t-il  pas  vidé  la  vessie  ? Mais  alors  son  gontlement 
ne  peut  être  attribué  qu’à  l’intervention  d’une  matière 
subtile,  venue  du  dehors  et  ([ui  s’y  est  insinuée!  L)es- 
cartes  a })eut-ètre  raison  et,  avec  lui,  les  jiéripatéti- 
ciens  : la  chanilire  f)aroniétri({ue  n’est  pas  vide.  — C’est 
à cette  idée  (pie  Roberval  s’arrête  d’aliord,  à la  grande 
joie  de  Pierius  qui  enregistre  cette  conversion  de  l’il- 
lustre mathématicien  à la  théorie  du  plein  (i).  Un 
instant,  les  conclusions  de  X Ahrèfjè  de  Pascal  parais- 
sent ébranlées,  ^lais  on  huit  })ar  s’a}(ercevoir  que  l’in- 
tervention de  la  matière  sulitile  n’expliquerait  rien  : 
« Elle  passe  partout,  écrira  Mersenne  à llujgens,  aussi 
facilement  (]ue  l’eau  ]>ar  un  hlet  de  pêcheur,  et,  })artant, 
elle  })asserait  à travers  la  vessie  sans  l’entier  ».  Plus 
tard,  dans  son  Liber  nomis  praelusorius,  entre  plu- 
sieurs hypothèses  imaginées  pour  expliquer  ce  fait  nou- 
veau, le  Alinime  donnera  la  véritable  inteiq)rétation  : 
c’est  à l’expansion  de  l’air  resté  dans  la  vessie,  et  que 
ne  contrarie  plus  la  pression  de  l’air  extérieur,  qu’est 
dû  son  gontlenient.  Dès  lors,  l’ex})érience  de  Roberval 
servira  à confirmer  la  théorie  de  la  pression  atmos})hé- 


(1)  Il  écrit,  dans  sa  Hesponsio  ex  periputeUcae  Philoxopliiae  priucipiis 
(lesumpia,ii  propos  de  celte  expérience  : « His  tliel)us,  Doniinus  de  Hoherval, 
niatheiiiaticarum  disciplinarmn  professor  rneritissiimis  liane  experienliam 
piildice  videndain  exhilniit...  Aperte  fatetur  partein  illain  tnlii  superiorein 
vacuam  non  rernanere,  cpiod  magni  est  monienti  in  inathematico  qui  contra- 
riani  sententiam  hue  usque  mordicus  docuerat.  » 


PASCAL 


431 


rirpie.  Quand  Pascal,  en  1049,  fera  l’ascension  dn  Puv- 
de-l)ôine  emportant  avec  lui  nn  l)allon  « tlasqne  et 
mol  » déprimé  et  bouché,  qui  se  gonflera  pendant  la 
montée:  quand  Bovle  introduira  ce  ballon  sous  le  réci- 
pient de  la  machine  pneumatique,  comme  on  le  fait 
aujourd’hui  dans  les  cours  de  jthvsiqiie,  ils  ré})éteront 
l’expérience  que  le  hasard  apprit  à Ro])erval,  au  pi'ofit 
de  riijpotlièse  de  Torricelli. 


XL  — Lettre  de  [disent  à Pèrier^  15  nocemhre  1647 

Cette  lettre  est  un  des  documents  les  jilus  ini])ortants 
que  nous  ayons  cà  analyser;  on  nous  permettra  de  nous 
y arrêter  longtemps. 

L’autographe  n’en  a jamais  été  signalé  ]>ar  personne; 
on  ne  la  connaît  que  par  le  texte  que  Pascal  fit  impri- 
mer, en  novemI)re  ou  décembre  KILS,  et  que  ses 
héritiers,  qui  le  trouvèrent  dans  ses  papiers  après  sa 
mort,  publièrent  en  19(33.  Elle  est  adressée  à Périer, 
mais  elle  donne  l'impression  d'un  morceau  littéraire 
destiné  au  grand  public.  Elle  est  datée  du  15  novem- 
bre 1(347,  mais  cette  date  jui-e  avec  son  contenu. 
Enfin,  ses  affirmations  les  plus  catégoriques  s’accordent 
mal  avec  d’autres  documents  qui  devraient  les  ap])uyer; 
quelques-unes  semblent  môme  formellement  contruu- 
vées. 

A cette  date  du  15  noveml.)re  1(3 17  et  dans  cette  lettre, 
Pascal  entretient  son  beau-frère  de  « méditations  phy- 
siques ».  Cet  entretien,  écrit-il,  « ne  sera  qu’une  conti- 
nuation de  ceux  que  nous  avons  eus  enseml)le  touchant 
le  vide  » ; or  il  lui  parle  comme  il  le  ferait  à un  corres- 
pondant étranger  au  sujet,  à ses  travaux  et  à ses  idées. 

11  rappelle  d’abonl  le  senlimeiit  des  philosophes  : « tous  ont 
tenu  pour  maxime  que  la  nature  abhorre  le  vide,  et  presque 
tous...  qu’elle  ne  peut  l’admettre. 


432 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


» J’ai  travaillé  dans  mon  Abrégé  du  Traité  du  vide,  à détruire 
celte  dernière  opinion...  Je  travaille  maintenant  à examiner  la 
vérité  de  ta  première;  savoir,  que  la  nature  ahnorie  le  vide,  et 
à chercher  des  expériences  qui  tassent  voir  si  les  effets  que  Ton 
attribue  à l’horreur  du  vide,  doivent  être  véritablement  attribués 
à cette  horreur  du  vide,  ou  s’ils  doivent  l’èlre  à la  pesanteui’  et 
pression  de  l’air;  cai',  pour  vous  ouvrir  franchement  ma  pensée, 
j'ai  peine  à croire  <pie  la  nature,  (]ui  n’est  point  animée,  ni  sen- 
sible, soit  su.sce[)tihle  d’horreur...  et  j’incline  bien  plus  à impu- 
ter tous  ces  effets  à la  pesanteur  et  pression  de  l’air,  parce  que 
je  ne  les  considère  que  conune  des  cas  particnliers  d’nne  proposi- 
tion universelle  de  ('équilibre  des  liqueurs,  qui  doit  faire  (a  plus 
grande  partie  du  Traité  que  j’ai  promis.  Ce  n’est  pas  que  je 
u’eusse  ces  mêmes  pensées  lors  de  la  production  de  mon  Abrégé  ; 
et  toutefois,  faute  d’expériences  convaincantes,  je  n’osai  pas  alors 
(et  je  n’ose  pas  encore)  me  départir  de  la  maxime  de  l'horreur 
du  vide,  et  je  l’ai  même  employée  pour  maxime  dans  mon 
Abrégé  : n’ayant  alors  d’autre  dessein  que  de  combattre  l’opinion 
de  ceux  qui  soutiennent  (pie  le  vide  est  absolument  impossible.  » 

Ainsi  VAb)'éf/é.i  juiiilié  il  y a un  mois,  m'  serait  fias, 
comme  rinsimie  Tavis  au  lecteur,  le  résumé  d'un  traité 
achevé,  dont  « quelques  considérations  » retardent  la 
fmlilication,  et  où  l^ascal  a mis  toute  sa  fiensée.  11  y 
enifiloie  « la  maxime  de  l'horreur  du  vide  »,  mais  sans 
3'  croire,  fiar  scrufuile  de  méthode.  Ce  qui  est  plus 
étrange,  il  j donne  place  à cette  sixième  exjiérience  que 
nous  avons  analysée  (A'III),  qui  n’a  de  sens  que  fiour 
un  fiartisan  de  l’horreur  du  vide  auquel  manque  la 
notion  de  la  ftression  engendrée  par  une  atmosfihère 
pesante,  et  il  croyait,  quand  il  l’a  imaginée  et  réalisée, 
à la  pesanteur  de  l’air.  Bien  plus,  il  était  en  jiossession 
« d’une  proposition  universelle  de  l’équilibre  des 
liqueurs  »,  dont  tous  ces  effets  de  la  pesanteur  et  de  la 
firession  de  l’air  ne  sont  (jiie  des  cas  fiarticuliers. 

Mais  cette  firofiosition  universelle,  que  nous  ajqielons 
aujourd’hui  \e  Principe  de  Pascal  et  qu’il  apu  emprunter 
aux  Coçiifata  physico-mat Jœmatica  de  Mersenne,  n’est- 
ce  pas  précisément  la  notion  qui  devait  lui  ))ian(p{er\)0\\v 


PASCAL 


m 


pouvoir  imaginer  la  sixième  expérience,  lui  trouver 
un  sens  et  en  acce])ter  le  résultat,  et  qu’il  devra  pos- 
séder pour  écrire  ses  Traités  posthumes,  d’où  il  fera 
disparaître  cette  sixième  expérience  qui  lui  est  incon- 
ciliable? S’il  n’a  pas  vu  cette  contradiction  en  rédigeant 
son  Ahréfjê,  n’est-ce  pas  que  l’horreur  du  vide  absor- 
bait alors  toute  sa  pensée,  ou  au  moins  que  ses  prin- 
cipes sur  la  pesanteur  de  l’air  et  la  pression  atmo- 
sphérique étaient  vagues,  et  sans  emploi?  S’il  a vu 
la  contradiction  et  a passé  outre,  que  deviennent  ces 
scrupules  de  méthode  et  cette  rigueur  impitoyable  qui 
lui  défendent  de  rien  avancer  qui  ne  soit  très  exacte- 
ment démontré?  — (fardons-nous  cependant  de  donner 
à cette  contradiction  une  portée  qu’elle  n’a  peut-être 
pas.  Si  l’on  accorde  au  bon  Homère  de  sommeiller 
parfois,  pourquoi  refuserait-on  à Pascal  l’excuse  d’en 
faire  autant?  La  sixième  expérience  pourrait  être  le 
résultat  d’une  distraction;  ce  n’est  pas  l’interprétation 
la  plus  vraisemblable,  mais  c’est  la  plus  favorable  qu’on 
puisse  en  donner. 

« Je  ne  saurais  mieux  vous  témoigner  la  circonspection  que 
j’apporte  avant  que  de  m’éloigner  des  anciennes  maximes,  pour- 
suit Pascal,  que  de  vous  remettre  dans  la  mémoire  Vexpérience 
que  je  fis  ces  jours  passés  en  votre  présence  avec  deux  tuyaux,  l’im 
dans  l’autre,  qui  montrent  apparemment  le  vide  dans  le  vide.  » 

Pascal  n’a  pas  quitté  Paris  à cette  époque;  il  faut 
donc  que  Périer  y soit  venu  « ces  jours  passés  ».  Nous 
savons,  par  la  lettre  du  2i  octobre  1647  de  Le  Tenneur 
à Mersenne,  qu’à  cette  date  Périer  est  à Clermont  et 
qu’il  y a fait  voir,  aux  curieux  de  la  ville,  l’expérience 
du  vide  huit  jours  auparavant,  soit  le  14  octobre. 
D’autre  part,  la  lettre  du  25  septembre  1647  de  Jacque- 
line à (filberte  nous  autorise  à admettre  que  Périer 
n’est  plus  ou  n’est  pas  encore  à Paris  lors  de  la  visite 
de  Descartes  à Pascal,  les  23  et  24  septembre  1647  (\T). 

IIP  SÉRIE.  T.  Xll.  “2S 


m 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Si  la  présence  de  Périer  à Paris  est  antérieure  au 
2'S  septembre,  l’expression  « ces  jours  passés  »,  toute 
vague  qu’elle  est,  s’applique  mal,  surtout  sous  la  plume 
si  précise  de  Pascal,  à des  entretiens  vieux  de  plus  de 
deux  mois.  D’autre  part,  si  le  séjour  de  Périer  à Paris 
est  postérieur  à la  lettre  de  Jacqueline,  deux  hypo- 
thèses se  présentent  : c’est  entre  le  25  se])tembre  et  le 
14  octobre,  date  à laquelle  Périer  donne  des  confé- 
rences à Clermont,  ou  entre  le  15  novembre  et  le 
21  octobre,  date  à laquelle  Le  Tenneur  nous  apprend 
qu’il  est  rentré  en  Auvergne,  qu’il  faut  placer  son 
voyage.  La  première  hypothèse  donnerait  à l’expres- 
sion « ces  jours  passés  » ce  sens  moins  inacceptable  : 
« il  y a six  semaines  » ; mais  en  supposant  môme  que 
Périer  soit  arrivé  à Paris  le  26  septembre,  le  lendemain 
du  jour  où  Jacqueline  écrivait  à Rouen,  et  qu’il  se 
soit  mis  à donner  des  conférences  à Clermont  le 
14  octobre,  le  lendemain  de  son  arrivée  en  cette  ville, 
il  n’y  a pas  place,  entre  ces  deux  dates,  pour  un  séjour  à 
Paris  et  le  voyage  de  retour  en  Auvergne.  11  n’y  en  a 
j)as  non  plus,  dans  la  seconde  hypothèse,  en  supposant 
même  que  Périer  ait  quitté  Clermont  pour  Paris  le 
21  octobre,  et  que  Pascal  lui  ait  écrit,  le  15  novembre, 
le  lendemain  de  son  départ  de  Paris. 

« Ce  n’était  pas  une  petite  affaire,  écrit  M.  F.  Mathieu,  que 
d’aller  de  Clermont  à Paris.  Même  en  1780,  le  carrosse  ne  partait 
qu’une  fois  par  semaine  et  était  huit  jours  en  route.  Mais  en  1647, 
il  n’y  avait  pas  encore  de  voiture  publique  ; les  routes  étaient 
mauvaises  et  peu  sûres;  un  modeste  fonctionnaire,  comme 
Périer,  qui  ne  pouvait  armer  une  escorte,  était  obligé  d’attendre 
que  d’autres  personnes  fussent  disposées  à faire  le  voyage  pour 
se  joindre  à leur  caravane.  » 

Ajoutons  que  l’on  ne  trouve  nulle  part  la  moindre 
trace  de  ce  séjour  de  Périer  à Paris. 

Toutefois,  l’expression  « ces  jours  passés  » est  trop 
imprécise  pour  que  la  difficulté  d’amener  Périer  à Paris 


PASCAL 


435 


au  voisinage  rlu  15  novembre  1647,  puisse  seule  servir 
de  base  à une  conclusion  importante;  elle  })ourrait  toute- 
fois fournir  un  argument  de  seconde  ligne  })Our  con- 
firmer ce  que  d’autres  données  plus  nettes  nous 
auraient  appris. 

Mais  quelle  est  cette  expérience  « avec  deux  tuyaux 
l’un  dans  l’autre,  qui  montre  apparemment  le  vide  dans 
le  vide  »,  que  Pascal  fit  devant  Périer  « ces  jours 
passés  » et  dont  il  prend  la  peine  de  lui  décrire  les 
différentes  phases?  — 11  n’en  est  pas  question  dans 
V Abrégé^  et  il  n’y  est  fait  aucune  allusion  dans  la  lettre 
au  P.  Noël.  Pascal  en  parle  ici  pour  la  première  fois, 
et  la  seule  fois.  11  ne  dit  pas  qu’il  l’ait  inventée,  il 
affirme  seulement  qu’il  l’a  réalisée  en  présence  de  son 
beau-frère.  Voici  ce  qu’elle  lui  a montré  : 

<r  Vous  vîtes  que  le  vif-argent  du  tmjau  intérieur  demeura 
suspendu  à la  hauteur  où  il  se  tient  par  l’expérience  ordi- 
naire, quand  il  était  contrebalancé  et  pressé  par  la  pesan- 
teur de  la  niasse  entière  de  l’air  ; et  qu’au  contraire,  il  tomba 
entièrement,  sans  qu’il  lui  restât  aucune  hauteur  ni  suspension, 
lorsque,  par  le  moyen  du  vide  dont  il  fut  environné,  il  ne  fut  plus 
du  tout  pressé  ni  contrebalancé  d'aucun  air,  en  ayant  été  destitué 
de  tous  côtés.  Vous  vîtes  ensuite  que  cette  hauteur  ou  suspen- 
sion du  vil-ai'gent  » — dans  le  tuyau  intérieur  — « augmentait  ou 
diminuait  à mesure  que  la  pression  de  l’air  augmentait  ou 
diminuait,  » — dans  le  tuyau  extérieur  — « et  qu’enfm  toutes  ces 
diverses  hauteurs  ou  suspensions  du  vif-argent  se  trouvaient 
toujours  proportionnées  à la  pression  de  l’air.  » 

On  trouve  dans  les  cabinets  de  physique  un  appareil 
qui  permet  de  réaliser  cette  expérience  telle  que  Pascal 
la  décrit;  mais  il  exige  l’emploi  de  la  machine  pneu- 
matique dont  il  ne  disposait  pas  en  1647.  On  s’est 
ingénié  à imaginer,  avec  les  seules  ressources  dont 
disposait  Pascal,  un  procédé  expérimental  convenable 
et,  en  même  temps,  diffèrent  de  celui  que  nous  trouve- 
rons plus  tard  décrit  par  Pecquet(XX),  attribué  par  lui  à 


i36 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


AmzqwU  et  inventé  dans  les  premiet^s  jours  de  juin  1648 
(Xn^).  Aucun,  à ma  connaissance,  ne  se  prête  à montrer 
éCahoi^d  le  vif-argent  supendu  dans  le  tube  intérieur 
« à la  hauteur  où  il  se  tient  jiar  l’expérience  ordinaire  »; 
ensuite  à le  faire  tomber  sans  qu’il  lui  l'este  « aucune 
hauteur  ni  suspension  » ; enfin  à faire  voir  que  la  hau- 
teur de  la  colonne  de  mercure  est  fonction  de  la  valeur 
de  la  ])ression  ambiante,  qu’en  faisant  varier  celle-ci 
on  fait  varier  proportionnellement  celle-là. 

Encore  ne  faut-il  pas  prendre  la  description  de  Pascal 
au  pied  de  la  lettre,  si  l’on  veut  que  cette  expérience 
reste  possible.  Avant  l’invention  de  la  machine  pneu- 
matique, en  elîet,  on  pouvait  faire  le  vide  complet.,  par 
l’expérience  de  Torricelli,  puis  laisser  rentrer  l’air  au 
sommet  du  tube  petit  à petit.,  ce  qui  aurjmentait  peu  à 
peu  la  pression;  mais  on  ne  pouvait  pas  faire  le  vide 
progressivement;  on  pouvait  donc  supprimer.,  mais 
non  diminuer  peu  à pmi  la  pression,  comme  Pascal  eût 
dû  le  faire  pour  montrer  que  « la  hauteur  ou  suspen- 
sion du  vif-argent  augmentait  ou  diminuait  à mesure 
que  la  pression  de  l’air  augmentait  ou  diminuait  ». 

Ce  n’est  pas  cependant  de  la  manière  dont  il  conçoit 
l’étude  des  effets  de  la  variation  de  la  j>ression  atmo- 
sphérique qu’il  nous  })arle  ici;  ce  n’est  pas  une  vue  de 
l’esprit  qu’il  expose,  identique  à celle  dont  nous  avons  lu 
l’expression  dans  la  réponse  de  Torricelli  aux  objec- 
tions de  Ricci  (II).  C’est  d’une  expérience  qui  réalise 
cette  conception  et  que  Périer  a vue  avant  le 
15  novembre  1647 , qu’il  s’agit. 

Certes,  même  réduite  aux  proportions  qui  la  rendent 
possible,  cette  expérience  est  plus  intéressante  que 
toutes  celles  de  X Abrégé,  plus  importante  surtout;  et 
cependant  Pascal,  qui  n’en  a rien  dit  jusqu’ici,  n’en 
parlera  plus.  Nulle  part  il  ne  dira  ni  comment  était 
fait  son  appareil  ni  comment  il  réalisait  son  expérience. 

Sans  doute,  nous  trouverons,  dans  ses  Traités  post- 


PASCAL 


437 


humes,  une  expérience  du  vide  dans  le  vide,  mais  elle 
n’est  pas  de  lui  : c’est  celle  que  Pecquet  attribue  à 
Auzout  et  qui  fut  réalisée,  pour  la  première  fois,  nous 
le  verrons  (XI4"),  au  commencement  de  juin  1648; 
l’appareil  que  Pascal  décrit,  dans  ses  Traités  posthumes, 
n’est  pas  le  sien  : c’est  celui  que  Pecquet  attribue  à 
Auzout,  simplifié  par  Rohaut.  L’éditeur  des  Traités 
])Osthumes,  qui  n’est  autre  que  Périer,  j joint  cette 
remarque  : 

Pour  connaître  « la  vérité  ou  la  fausseté  » de  l’hypothèse  de 
Torricelli,  Pascal  « fit  plusieurs  expériences  : l’une  des  plus  con- 
sidérables fut  celle  du  vide  dans  le  vide,  qu’il  fit  avec  deux 
tuyaux  l’un  dans  l’autre,  vers  la  fin  de  l’année  1647...  Il  n’en 
est  pas  néanmoins  parlé  dans  les  deux  traités  que  l’on  publie 
maintenant  parce  que  l’émet  en  est  tout  pareil  à celui  de  l’expé- 
rience qui  est  rapportée  dans  le  Traité  de  la  Pesanteur  de  Vair,... 
qui  ne  diffère  de  l’autre  qu’en  ce  que  l’une  se  fait  avec  un  simple 
tuyau,  et  l’autre  avec  detix  tuyaux  l’un  dans  l’autre.  » 

Ainsi,  si  l’on  en  croit  Périer,  l’expérience  que  lui 
montra  Pascal  ne  diffère  pas  essentiellement  de  celle 
que  décrivent  les  Traités  posthumes,  c’est-à-dire  de 
celle  à l’invention  de  laquelle  nous  assisterons  en  juin 
1648.  Il  est  vrai  que  Périer  parle  de  souvenir;  son 
témoignage  seul  ne  permet  pas  d’affirmer  l’identité  des 
deux  expériences,  mais  il  la  confirmera  si  leur  rappro- 
chement et  leur  analyse  aboutissent  à la  même  con- 
clusion. 

En  attendant,  admettons  que  Pascal  ait  montré  à 
Périer,  avant  le  15  novembre  1647,  la  suspension  du 
mercure  à la  pression  ordinaire,  sa  chute  complète 
dans  le  vide,  et  ses  « diverses  hauteurs...  toujours  pro- 
portionnées à la  pression  de  l’air  ». 

Mais  s’il  en  est  ainsi,  le  contrôle  de  l’hypothèse  de 
Torricelli  est  achevé;  que  Pascal  publie  son  expé- 
rience, et  le  triomphe  de  la  « colonne  d’air  » est  certain, 


438 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Texpérience  du  vide  à des  altitudes  différentes  n’y 
ajoutera  rien  : ce  n’est  plus  qu’une  manière  moins 
complète,  moins  simple,  de  montrer  la  même  chose. 
Pascal  cependant  en  juge  "autrement  : 

« Certainement,  dit-il,  après  cette  expérience,  il  y avait  lieu  de 
se  persuader  que  ce  n’est  pas  l’horreur  du  vide,  comme  nous 
estimons,  qui  cause  la  suspension  du  vif-argent  dans  l’expé- 
rience ordinaire,  mais  bien  la  pesanteur  et  pression  de  l’air, 
qui  contrebalance  la  pesanteur  du  vif-argent.  Mais  parce  que 
tous  les  effets  de  cette  dernière  expérience  des  deux  tuyaux,  qui 
s’expliquent  si  naturellement  par  la  seule  pression  et  pesanteur 
de  l’air,  peuvent  encore  être  expliqués  assez  probablement  par 
l’horreur  du  vide,  je  me  tiens  dans  cette  ancienne  maxime  : résolu 
néanmoins  de  chercher  l’éclaircissement  entier  de  cette  ditïiculté 
par  une  expérience  décisive.  » 

Cette  expérience  décisive,  c’est  celle  que  Mersenne  a 
décrite,  il  y a deux  mois,  dans  la  première  préface  de 
ses  Refleæiones.  Pascal  n’en  dit  rien  et  s’attribue 
l’honneur  de  l’avoir  inventée. 

« J’en  ai  imaginé  tme,  dit-il,  qui  pourra  seule  suffire  pour 
nous  donner  la  lumière  que  nous  cherchons,  si  elle  peut  être 
exécutée  avec  justesse.  C’est  de  faire  l’expérience  ordinaire  du 
vide  plusieurs  fois  en  même  jour,  dans  un  même  tuyau,  avec 
le  même  vif-argent,  tantôt  en  bas,  et  tantôt  au  sommet  d’une 
montagne,  élevée  pour  le  moins  de  cinq  ou  six  cents  toises,  pour 
éprouver  si  la  hauteur  du  vif-argent  suspendu  dans  le  tuyau  se 
trouvera  pareille  ou  ditïérente  dans  ces  deux  situations.  » 

Est-ce  avant  ou  après  le  départ  de  Périer  que  Pas- 
cal a imaginé  cette  expérience  décisive?  Si  c’est  avant 
son  départ,  il  a dû  en  être  question  dans  leurs  entre- 
tiens de  « ces  jours  passés  » touchant  le  vide.  Pourquoi 
Pascal  n’a-t-il  pas  demandé  de  vive  voix  à son  beau- 
frère  de  faire  l’ascension  du  Puy-de-Dôme?  Et  s’il  le 
lui  a demandé,  pourquoi  revient-il  à la  charge  immédia- 
tement et  en  termes  tels  qu’il  semble  ne  lui  en  avoir 
rien  dit?  — Si  c’est  après  le  départ  de  Périer  que  cette 


PASCAL 


439 


idée  s'est  présentée  à son  esprit,  nous  voilà  forcés  d’ad- 
mettre que  Pascal,  en  possession  « d’une  proposition 
universelle  de  l’équilibre  des  liqueurs  » comprenant 
tous  les  effets  de  la  pression  et  pesanteur  de  l’air,  et  en 
face  de  l’expérience  du  vide  dans  le  vide  réalisée  dans 
les  conditions  excellentes  qu’il  décrit,  n’a  pas  vu  ce  qui 
crève  les  yeux,  et  n’a  tiré  que  plus  tard  cette  consé- 
quence immédiate,  si  simple,  des  faits  qu’il  montrait  à 
Périer.  C’est  inadmissible,  car  il  faudrait  alors  douter 
de  son  génie. 

c(  Vous  voyez  déjà,  sans  doute,  poursuit-il,  que  cette  expé- 
rience est  décisive  de  la  question,  et  que,  s’il  arrive  que  la  hau- 
teur du  vif-argent  soit  moindre  au  haut  qu’au  has  de  la  montagne 
(comme  j’ai  heaucoup  de  raisons  pour  le  croire,  quoique  tous 
ceux  qui  ont  médité  sur  cette  matière  soient  contraires  à ce  senti- 
ment), il  s’ensuivra  nécessairement  que  la  pesanteur  et  pression 
de  l’air  est  la  seule  cause  de  cette  suspension  du  vif-argent,  et  non 
pas  l’horreur  du  vide,  puisqu’il  est  bien  certain  qu’il  y a beau- 
coup plus  d’air  qui  pèse  sur  le  pied  de  la  montagne,  que  non  pas 
sur  son  sommet;  au  lieu  qu’on  ne  saurait  dire  que  la  nature 
abhorre  le  vide  au  pied  de  la  montagne  plus  que  sur  son 
sommet.  » 

Pascal,  pour  son  propre  compte,  est  convaincu;  mais 
il  désespère,  avec  l’expérience  qu’il  a montrée  à Périer, 
de  convaincre  les  partisans  de  l’horreur  du  vide.  — Mais 
si  l’expérience  du  vide  dans  le  vide,  telle  qu’il  prétend 
l’avoir  réalisée,  peut  s’expliquer  « assez  probablement 
par  l’horreur  du  vide  »,  comment  l’expérience  à des 
altitudes  différentes,  qui  ne  montrera  pas  la  chute  com- 
plète de  la  colonne  de  mercure,  mais  seulement  la 
variation  de  sa  hauteur  avec  la  pression,  ne  s’explique- 
t-elle  pas  de  la  même  façon?  Gomment  cette  expérience 
tronquée  pourra-t-elle  « seule  suffire  » et  être  « déci- 
sive de  la  question  » si  la  première  ne  la  tranche  pas? 
— C’est  que,  répond  M.  L.  Brunschvicg,  « les  mêmes 
variations  concomitantes  qui,  dans  l’hj'pothèse  de  la 


440 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


pression  atmosphérique,  s’expliquent  « si  naturellement» 
par  l’action  de  la  pesanteur  de  l’air,  s’expliquent  encore 
« assez  probablement  » dans  l’hypothèse  de  l’horreur 
limitée  du  vide,  ]iar  l’action  de  présence  de  l’air  ». 
Qu’est-ce  à dire?  — Les  disciples  de  Galilée,  en  face  de 
l’expérience  montrée  à Périer,  auraient  « assez  pro- 
bablement » raisonné  comme  ceci  : c’est  l’horreur  limi- 
tée du  vide  de  la  chambre  haromètrique  qui  soutient, 
dans  les  conditions  ordinaires,  la  colonne  de  mercure 
suspendue  dans  le  tube  intérieur  ; mais  lorsque  le 
milieu  qui  entoure  ce  tube  contient  de  moins  en  moins 
d’air,  ce  vide  relatif  contrarie  l’horreur  du  vide  de  la 
chambre  barométrique,  et  c’est  pour  cela  que  baisse  la 
colonne  de  mercure  dans  la  mesure  où  ce  milieu  est 
appauvri. — Mais  pourquoi  ne  pourraient-ils  jdus  en  dire 
autant  de  l’expérience  réalisée  à des  altitudes  diffé- 
rentes? C’est  l’horreur  du  vide  de  la,  chambre  haro- 
mètriciue  qui  soutient,  dans  les  conditions  ordinaires,  au 
pied  de  la  montagne,  la  colonne  de  mercure  suspendue 
dans  le  tuyau;  mais,  en  portant  rinstrument  à des  alti- 
tudes plus  élevées,  le  milieu  qui  l’entoure  contient  de 
moins  en  moins  d’air,  ce  vide  relatif  contrarie  V horreur 
du  vide  de  la  chambre  haromètrique,  et  c’est  pour  cela 
que  baisse  la  colonne  de  mercure,  à mesure  que  l’on 
s’élève. 

En  quoi  ceci  est-il  moins  naturel  que  cela  ? 

Pascal  signale  Clermont  et  le  Puy-de-Dôme  comme 
se  prêtant  très  bien  à l’expérience  ; il  compte  que  Périer 
s’en  chargera. 

« Sur  cette  assurance,  dit-il,  je  l'ai  fait  espérer  à toiis  nos- 
curieux  de  Paris,  et  entre  autres  au  R.  P.  Mersenne  qui  s'est  déjà 
engagé,  par  des  lettres  qu’il  a écrites  en  Italie,  eu  Pologne,  en 
Suède,  en  Hollande,  etc.,  d’en  faire  part  aux  amis  qu'il  s g est 
acquis  par  son  mérite.  » 


PASCAL 


441 


Tantôt  Pascal  affirmait,  en  parlant  de  cette  expé- 
rience, ([ii’il  croyait  à son  succès  « quoique  tous  ceux 
qui  ont  médité  sur  cette  matière  soient  contraires  à ce 
sentiment  ».  Il  avait  donc  communiqué  son  })rqjet  à 
ceux  (pie  la  question  du  vide  intéressait;  on  en  avait 
discuté  l’issue  proliahle.  A’^oici  qu’il  l’affirme  plus  nette- 
ment encore  : « tous  les  curieux  de  Paris  » en  sont 
informés  etMersenne  en  a déjà  transmis  partout  la  nou- 
velle. Le  projet  de  l’ascension  du  Puy-de-Dôme  aurait 
donc  été,  (lès  le  15  novemlire  1047,  du  domaine  public. 
Il  est  vraisemldable  que  Pascal  aura  fait  connaître  en 
même  temps  l’expérience  cajiitale  du  vide  dans  le  vide, 
qui  lui  en  a donné  l’idée.  Nous  devons  donc  nous 
attendre  à retrouver  les  traces  de  ces  communications 
dans  les  documents  conteniporains,  dans  la  corres})on- 
dance  de  Mersenne  surtout,  au  témoignage  duquel 
Pascal  lui-même  en  appelle.  Si  nous  y trouvions,  au 
contraire,  la  preuve  que  l’expérience  du  vide  dans  le 
vide  est  restée  absolument  ignorée  de  tous,  que  Mer- 
senne  lui-même  ne  l’a  pas  connue  avant  le  mois  de 
juin  1048  et  que  personne  n’a  rien  su  du  jirojet  dont 
Pascal  avait  confié  la  réalisation  à son  beau-frère, 
cette  lettre,  du  15  novembre  1047,  deviendrait  singuliè- 
rement suspecte. 

Pascal  achève  de  l’écrire  en  priant  instamment 
Périer  de  presser  l’expédition  au  Puy-de-Dôme. 

« Que  ce  soit  le  plus  tôt  qu’il  vous  sera  possible.  » Il  est  impa- 
tient d’en  apprendre  le  succès  « sans  lequel,  dit-il,  je  ne  puis 
mettre  la  dernière  main  au  Traité  que  j’ai  promis  au  public,  ni 
satisfaire  au  désir  de  tant  de  personnes  qui  l’attendent  et  qui 
vous  en  seront  infiniment  obligées.  » 

Pour  mettre  le  comble  aux  singularités  de  cette 
lettre,  Périer  ne  montera  sur  le  Puy-de-Dôme  que  dix 
mois  plus  tard^  le  lU  septembre  1048. 


4i2 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


XIII.  — Lettres  de  Bcdiani,  Descartes,  Mersenne, 

Ilwffjens,  Le  Tenneur,  Jean  Pecq^iet.  L^e  Plein  du 

VIDE  du  P.  Noël,  25  nocemhre  1647 -juin  1648 

L('  25  novembre  1647,  Baliani  (I),  auquel  Mersenne 
avait  fait  connaître  l’expérience  de  Torricelli  — le 
physicien  genevois  l’ignorait  encore  — lui  répond  en 
se  prononçant  très  nettement  et  sans  réserve  pour  l’hy- 
pothèse de  la  « colonne  d’air  ».  On  trouve,  dans  les 
j)a})iers  de  Mei'senne,  deux  exemplaires  de  cette  lettre  : 
à rautogra])he  est  jointe  une  copie  imprimée.  Elle  fut 
adressée  vraisemblaldement  à ceux  que  la  question  du 
vide  intéressait;  Pascal,  sans  doute,  ne  fut  }ias  oublié. 

(bu'lques  jours  })lus  tard,  le  13  décembre  1647, 
llescartes,  qui  avait  reçu,  j)ai‘  l’intermédiaire  d’Huy- 
g'ens,  l’exemplaire  des  Expériences  nouvelles  que 
l’ascal  lui  avait  destiné,  écrit  à Mersenne.  Il  a lu  dans 
cet  opuscule  que  l’expérience  d’Italie  était  connue  à 
IMris  depuis  1644;  il  regrette  que  le  Minime  ne  lui  en 
ait  })arlé  ([u’en  septembre  1647,  d’autant  plus  qu’il  s’en 
était  « aAÛsé  avant  Torricelli  ».  Descartes  fait  allusion 
très  probablement  à l’expérience  dont  il  avait  donné 
l’interprétation  dans  sa  lettre  du  2 juin  1631,  que  nous 
avons  citée  (I). 

En  même  temps,  il  demandait  à Mersenne  si  Pascal 
avait  fait  l’autre  exjiériencc  ([u’il  lui  avait  conseillée, 
})Our  voir  « si  le  vif-argent  montait  aussi  haut  lorsqu’on 
est  au-dessus  d’une  montagne  que  loi’squ’on  est  au 
bas  ».  Descartes  ignore  donc,  le  13  décemlire  1647, 
l’expédition  projetée  au  Puy-de-Dùnie,  mais  il  n’y  a 
rien  là  qui  doive  nous  étonner.  Mersenne  est  malade  : 
on  ne  jiossède  aucune  lettre  de  lui  datée  des  deux  der- 
niers mois  de  1647.  Il  est  permis  de  penser  qu’il  n’a 
pas  encore  communi([ué  le  projet  de  Pascal. 


PASCAL 


443 


Mais  cette  lettre  de  Descartes  nous  intéresse  à un 
autre  point  de  vue.  Elle  affirme  qu’il  a été  question  de 
l’expérience  de  contrôle  au  cours  de  la  visite  de  Des- 
cartes à Pascal,  au  mois  de  septembre  dernier  et 
que  c’est  Descartes  qui  en  a émis  l’idée.  De  plus,  c’est  à 
Mersenne  que  le  philosophe  le  rappelle.  Or,  Mersenne 
n’y  contredit  nulle  part.  Ce  serait  donc  la  pensée  de 
Descartes  qu’il  aurait  développée  dans  la  seconde  pré- 
face de  ses  Eeflexiones  (411). 

Au  début  de  l’année  1648,  Mersenne  reprend  sa  cor- 
respondance. 11  va,  sans  doute,  s’empresser  d’annoncer 
partout,  comme  il  l’a  promis  à Pascal,  le  projet  de 
l’expérience  à des  altitudes  différentes?  — Nullement. 
Il  semble  n’avoir  aucun  souvenir  de  ce  que  Pascal 
a pu  lui  en  dire. 

Trois  fois,  dans  le  cours  de  cette  années  1648,  Des- 
cartes renouvelle  la  question  qu’il  lui  adressait  le 
13  décembre  1647  : « Pascal  a-t-il  fait  l’expérience  que 
je  lui  ai  conseillée?  » — Mersenne  n’j^  répond  pas.  Du 
Pyjanvier  au  27  juillet  1648,  le  Minime  écrit  « cinq  fois 
à Hévélius,  trois  fois  à Haak,  quatre  fois  à Baliani  ; très 
souvent,  il  parle  de  Pascal,  de  son  traité  du  vide,  de 
ses  merveilleux  travaux  en  mathématiques;  jamais 
il  ne  fait  allusion  à son  nouveau  projet  (F.  Mathieu)  ». 

Il  s’en  souvient  si  peu  que  dans  une  lettre  à Huj- 
gens,  du  4 janvier  1648,  il  lui  demande  quelle  est,  à 
son  avis,  la  plus  haute  montagne.  Ce  doit  être  la  plus 
éloignée  de  la  mer  « comme  Langres  est  le  plus  haut 
lieu  de  la  France,  à cause  que  les  rivières  en  descendent 
jusqu’à  l’océan  ».  Il  souhaiterait  qu’on  mesurât  le  Pic 
Ténériffe.  « Si  on  avait  ici  une  telle  montagne,  dit-il, 
j’y  monterais  avec  des  tuj^aux  et  du  vif-argent  pour  voir 
si  le  vide  s’y  ferait  plus  grand  ou  plus  petit  qu’ici.  Ce 
qui  nous  ferait  décider  nécessairement  pour  savoir  la 
raison  de  ce  vide.  » Pas  le  moindre  mot,  dans  cette 
lettre,  ni  de  l’expérience  du  vide  dans  le  vide,  ni  du 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


4 y 

projet  (le  Pascal.  Si  Huygens  les  connaît,  il  va  sans 
doute  les  rappeler  à son  correspondant  qui  les  oublie  : 
on  ne  trouve  pas  trace  d’un  semblable  ra])pel. 

1 )eux  mois  plus  tard , Mersenne  croit  encore  que  Pascal 
en  est  toujours  aux  idées  de  son  Ahréf/é,  auxquelles  les 
récentes  expériences  de  Roberval  semblent  donner 
tort  : « Pour  son  livre  du  vide,  écrit-il  le  17  mars  1648, 
on  commence  à croire  ici  ({ue  ce  n’est  pas  vide,  à 
cause  qu’une  vessie  aplatie  et  toute  vide  d’air,  étant 
mise  dans  ce  vide,  s’y  enfle  incontinent  » (X). 

Le  8 janvier  1618,  il  avait  écrit  à Le  Tenneur,  qu’il 
croyait  à Clermont,  pour  le  prier  de  faire  Y ascension 
(lu  Ptn/-(le-l)ôme,  avec  un  tujxau  et  du  vif-argent.  Il  ne 
sait  donc  plus,  s’il  l’a  jamais  su,  que  c’est  en  cette  ville 
et  sur  cette  montagne  quePérier  doit  expérimenter,  à la 
demande  de  Pascal.  Le  Tenneur,  qui  est  en  ce  moment 
à Tours,  avertit  Mersenne  de  ne  pas  compter  sur  lui.  11 
ne  comprend  rien,  dit-il,  à cette  colonne  d’air,  et  « je 
vous  dii’ai  que  je  pense  avec  Roberval  que  ce  serait 
])arfaitement  inutile,  et  que  la  même  chose  se  trouverait 
en  haut  ({u’en  bas  ».  Le  Tenneur,  ami  de  Pascal  et  de 
Périer,  ignorait  donc  aussi  l’expédition  projetée,  autre- 
ment il  eût  ré])ondu  à coup  sûr  : M.  Périer  s’est  chargé 
de  faire  cette  expérience. 

Huygens,  qui  a lu  les  Expériences  nouvelles^  a vu, 
dans  l’avis  au  lecteur,  qu’elles  ne  sont  que  XAhrècjè 
d’un  Traité  entier  que  « quelques  considérations  » ont 
em])êché  de  publier  en  octobre  1647.  Le  6 avril  1648, 
il  écrit  à Mersenne  : 

« Ne  laissez  pas  de  [)ousser  le  jeune  Pascal  à nous  donner  le 
corps  dont  il  nous  a fait  voir  le  squelette.  11  faut  tenir  la  main  à 
pénétrer  le  mystère  de  l’argent-vif  descendant  au  tube.  Mais 
croyez-moi  qu’à  la  lin  il  n’y  aura  que  les  phénomènes  de 
.M.  Jtescartes  qui  en  viendront  nettement  à bout.  » 

Pas  la  moindre  allusion  à l’expérience  du  vide  dans 
le  vide,  ni  à l’expérience  de  contrôle  qui  doit  se  faire 


PASCAL 


445 


en  Auvergne.  Ilujgens  les  ignore,  comme  tout  le 
monde. 

Au  printemps  de  1648,  Roberval  trouve  un  nouvel 
argument  contre  la  pression  atmosphérique.  Deux 
tul)es  de  Torricelli  plongent  dans  la  même  cuvette; 
dans  Fun  on  fait  pénétrer  neuf  pouces  d’air,  et  dans 
l’autre  neuf  pouces  d’eau  : l’air  fait  baisser  le  mercure 
de  dix  pouces,  l’eau  d’un  pouce  seulement.  Concevant 
la  pression  de  cet  air  et  de  cette  eau  comme  propor- 
tionnelle à leur  poids  spécifique,  Rolierval  en  conclut 
que  la  cause  du  phénomène  doit  être  tout  autre  chose 
qu’une  pression.  Comment  Pascal,  qui  depuis  six  mois, 
si  l’on  en  croit  la  lettre  à Périer,  est  en  possession  du 
principe  fondamental  de  l’hydrostatique  eta  réalisé  l’ex- 
périence du  vide  dans  le  vide,  peut-il  laisser  Roberval, 
avec  lequel  il  discute  vraisemblablement  ces  expé- 
riences, s’épuiser  en  de  vaines  recherches  et  s’égarer 
à ce  point  dans  leur  interprétation?  Gomment  Mer- 
senne,  qu’il  prétend  avoir  instruit,  peut-il  écrire  à 
Hévélius,  au  sujet  de  ces  mêmes  ex])ériences  : « Quel 
est  ce  prodige?  L’air  qui  est  si  léger  produit  une  pres- 
sion dix  fois  plus  forte  que  l’eau  ! » Sa  foi  en  la 
« colonne  d’air  » que  l’expérience  du  vide  dans  le  vide, 
s’il  l’eut  connue,  eCit  rendue  triomphante,  est  plus  que 
jamais  ébranlée.  Il  écrit  à Huygens,  le  2 mai  1648  : 
« 4Mus  voyez  donc  l’afïaire  insoluble,  si  la  clarté  de 
votre  esprit  n’y  remédie.  » 

Le  même  jour,  2 mai  1648,  Mersenne  reçoit  une 
nouvelle  lettre  d’FIuygens  : 

« Voyons  cependant  ce  que  le  jeune  Pascal  a produit,  si 
puhlici  juris  est.  Gela  serait  trop  long  pour  être  remis  à notre 
venue  en  France  qui  n’est  pas  des  plus  certaines  encore.  » 

M.  Abel  Lefranc  voit  là  une  preuve  — à défaut 
d’autres  — qu’Huygens  au  moins  connaît  le  projet 
de  l’expédition  du  Puy-de-Dôme.  Le  sens  de  sa 


146 


REVUE  DES  . QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


dema-nde  serait  celui-ci  : « Voyons  X expérience  du 
jeune  Pascal,  si  elle  est  du  domaine  public  ». 

M.  Mathieu  — àbon  droit — y voit  rex})ression  renou- 
velée du  désir  exprimé  par  lluygens,  dans  sa  lettre  du 
6 avril.  C’est  le  grand  Traité,  annoncé  par  Pascal, 
qu’il  réclame  à nouveau.  Si  les  « considérations  » qui 
ont  empêché  de  le  publier  n’existent  })lus,  si  ce  livre  est 
enfin  du  domaine  public,  « si  publici  juris  est  », 
envoyez-le  moi. 

« Dés  1848,  écrit  M.  Mathieu,  Jean  Pecquet  est,  à 
Paris,  le  chef  de  la  science  expérimentale;  les  méde- 
cins et  les  philosophes  assistent  en  foule  à ses  dissec- 
tions ; dans  le  monde  des  savants,'  personne  n’est  plus 
répandu  ni  mieux  informé  que  lui.  11  mérite  une  con- 
hance  absolue;  ses  contemporains  ont  loué  sa  modestie, 
son  exactitude,  sa  probité  d’homme  et  de  savant,  et  la 
lecture  de  ses  écrits  montre  combien  ces  éloges  furent 
mérités...  11  n’a  d’ailleurs  aucune  malveillance  pour 
Pascal.  » Or  le  5 mai  1648,  Pecquet  écrit  à un  ami  pour 
lui  faire  connaître  où  en  est  le  problème  du  vide  qui 
passionne  tous  les  esprits  curieux.  Les  expériences  de 
Roberval,  celle  de  la  vessie  de  carpe,  sont  pour  lui  les 
dernières  nouveautés.  11  ne  dit  pas  un  mot  ni  de  l’expé- 
rience du  vide  dans  le  vide  ni  de  l’exj)érience  de  con- 
trôle que  doit  faire  Périer  : comme  tout  le  monde,  à 
Paris  et  ailleurs,  il  les  ignore. 

Le  15  mai  1648,  Mersenne  écrit  à Christian  Huy- 
gens  : 

« Si  ma  mauvaise  lettre  vous  empêche  » — le  Minime  avait 
une  détestable  écriture  — « M.  votre  père,  lequel  je  salue  mille 
fois,  vous  y aidera,  et  j’essaierai  aussi,  selon  votre  désir,  à lui 
envoyer  la  lettre  du  jeune  Pascal  qui  est  un  autre  Archimède.  » 

De  quelle  lettre  s’agit-il?  De  la  lettre  à Périer,  du 
15  novembre  1647  ? — Mais  si  Mersenne  la  connaît,  s’il 
en  circule  des  copies,  comment  expliquer  que  toutes  les 


PASCAL 


447 


lettres  qu’il  écrit  et  toutes  celles  qu’il  reçoit,  depuis 
six  mois,  témoignent  du  contraire?  La  lettre  dont  il 
promet  ici  l’envoi  n’est  pas  la  lettre  à Périer,  mais  la 
lettre  du  20  octobre  1647  au  P.  Noël  (IX).  Celle-là, 
Pascal  l’a  rendue  publique  ; elle  contient  le  dernier  état 
de  sa  pensée  connu  de  Mersenne;  si  le  Minime  ne  l’a 
pas  envoyée  plus  tôt  à Huygens,  c’est  qu’il  était  malade 
quand  elle  a paru.  11  va  réparer  cet  oubli.  Nous  ne 
voyons  rien  qui  contredise  ou  qui  puisse  remplacer  cette 
conjecture  de  M.  Mathieu. 

Une  troisième  fois  depuis  le  P''  mai,  Mersenne  écrit 
à Huj’gens.  Il  lui  parle  de  nouveau  de  la  question  du 
vide,  mais  toujours  en  homme  qui  ignore  l’expérience 
capitale  que  Pascal  aurait  montrée,  il  y a plus  de  six 
mois,  à Périer,  et  l’expédition  dont  celui-ci  s’est 
chargé. 

Cette  lettre  du  22  mai  est  la  dernière  que  Mersenne 
écrivit  à Huygens  : il  attendait  d’un  jour  à l’autre, 
l’arrivée  du  savant  hollandais  à Paris;  quand  il  fut 
informé,  àda  fin  de  juillet,  que  ce  voyage  était  ajourné 
pour  longtemps,  la  maladie  ne  lui  permit  plus  de  lui 
écrire. 

Le  laborieux  vieillard,  qui  depuis  trois  ans  travaille 
à résoudre  le  problème  posé  par  l’expérience  de  Torri- 
celli,  qui  encourage  les  recherches  et  enregistre  toutes  les 
expériences,  désespère  maintenant  d’en  voir  la  solution  : 
elle  est  réservée  au  siècle  suivant,  écrit-il  à Hévélius,  le 
31  mai.  Et  Pascal  qui  est  à Paris,  qui  le  voit,  qui 
discute  avec  lui  de  ces  recherches,  aurait  sous  la  main 
depuis  six  mois  tous  les  éléments  de  la  solution,  dans 
son  expérience  « des  deux  tuyaux  l’un  dans  l’autre 
montrant  le  vide  dans  le  \nde  »,  et  il  ne  la  lui  aurait  pas 
montrée?  Car  enfin,  Mersenne  ignore  cette  expérience. 
Nous  n’en  avons,  il  est  vrai,  qu’une  preuve  indirecte, 
dans  sa  correspondance  du  mois  de  janvier  à la  fin  de 
mai  1648,  qui  n’en  parle  pas;  mais  ses  lettres  et  les 


REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


4 18 

événements  du  mois  de  Juin  achèveront  la  démon- 
stration. 

D’ailleurs,  personne  n’est  mieux  instruit  que  lui, 
nous  l’avons  vu,  ni  à Paris  ni  à l’étranoer.  Ce  n’est 
pas  sur  le  manque  de  documents  — comme  on  l’a 
objecté  à M.  Mathieu  — ({ue  repose  cette  affirmation  : 
en  réalité,  ils  abondent.  C’est  sur  le  silence  obstiné 
qu’ils  gardent  et  sur  l’expérience  du  vide  dans  le  vide 
et  sur  l’expérience  de  contrôle  confiée  cà  Périer,  et 
cela  en  déj)it  de  l’affirmation  de  Pascal  que  lui-même 
et  Mersenne  en  ont  fait  part  aux  curieux  de  Paris  et 
aux  savants  étrangers.  Tous  ceux  dont  M.  Mathieu  a 
})U  recueillir  le  témoignage,  les  ignorent.  Si  leur  silence 
ne  suffit  }>as  à le  démontrer,  les  événements  de  Juin, 
pour  eux  comme  pour  Mersenne,  nous  en  apporteront 
la  })reuve  })éremptoire. 

Avant  de  les  raconter,  nous  devons  dire  un  mot 
d’un  livre  qui  parut  à Paris,  à l’époque  où  nous 
sommes  arrivés.  11  a pour  auteur  le  P.  Noël  qui  n’a  pas 
abandonné  l’idée  de  faire  trionqiher  la  cause  du  })lein, 
et  il  répond  à la  fois  aw'S.  Expérie)ices  nouvelles  de 
Pascal  et  à la  Deinonstratio  ocularh  de  Magni.  11  a 
}tour  titre  : Le  Plein  du  vide,  ou  le  coiq)s  dont  le  vide 
aj)])arent  des  Expériences  nouvelles  est  l'cmpli,  trouvé 
]>ar  d’autres  expériences,  confirmé  par  les  mêmes  et 
démontré  par  raisons  physiques,  Paris,  1048. 

Dans  la  dédicace  au  prince  de  Conti,  le  P.  Noël  se 
complaît  à développer  une  métaphore  (Fun  goût  douteux 
qu’il  ne  soutient  Jusqu’au  bout  qu’en  oubliant  l’exquise 
courtoisie  de  ses  lettres  à Pascal. 

« La  nature  est  aujourd’hui  accusée  de  vide,  et  j’eutrepreuds 
de  l’en  justifier...  Elle  eu  avait  bien  été  auparavant  soupçonnée; 
mais  personne  n’avait  encore  eu  la  hardiesse  de  mettre  des  soup- 
çons en  fait,  et  de  lui  confronter  les  sens  et  l’e.\périence.  Je  fais 
voir  ici  son  intégrité,  et  montre  la  fausseté  des  faits  dont  elle  est 


PASCAL 


449 


chargée,  et  les  impostures  des  témoins  qu’on  lui  oppose  »...  On 
lui  tait  « un  procès  sur  de  fausses  dépositions  et  sur  des  expé- 
riences mal  reconnues  et  encore  plus  mal  avérées.  Elle  espère, 
.Monseig'iieui',  que  vous  lui  ferez  justice  de  toutes  ces  calomnies. 
Et  si,  poui'  une  i)lus  entière  justilication,  il  est  nécessaire  qu’elle 
paye  d’expérience,  et  qu’elle  rende  témoin  poui'  témoin,  allé- 
guant l’esprit  de  Votre  Altesse,  qui  remplit  toutes  ses  parties,  et 
qui  pénétre  les  choses  du  monde  les  plus  obscures  et  les  plus 
cachées,  il  ne  se  trouvera  personne,  .Monseigneur,  qui  ose 
assurer  qu’au  moins,  à l’égard  de  Votre  .Vitesse,  il  y ait  du  vide 
dans  la  nature.  » 

Manifestement,  le  bon  P.  Noël  s’égare;  sa  rhétorique 
l’éblouit;  c’est  niais,  mais  est-ce  bien  méchant?  Pascal 
doit-il  s’en  offenser  on  en  rire? 

Dans  le  corps  de  l’ouvrage,  on  ne  rencontre  aucune 
allusion  ni  à l’expérience  du  vide  dans  le  vide,  ni  au 
projet  du  Puj-de-Dôme.  Là-dessus,  Noël  n’en  sait  pas 
plus  long  que  les  autres.  C’est  aux  expériences  de 
VAhrêf/é  et  à celles  de  Magni  qu’il  s’en  prend.  Est-ce 
à celles-ci  que  s’applique  le  réquisitoire  de  la  dédicace? 
Le  Jésuite  qui  apporta  à Pascal  l’exemplaire  que  l’auteur 
lui  destinait,  lui  affirma,  de  la  part  du  P.  Noël,  que 
« les  paroles  qui  paraissaient  aigres  » n’étaient  pas  pour 
lui,  mais  pour  le  Père  Capucin.  Si  Pascal  accepta  l’ex- 
cuse, son  excessive  suscejjtibilité,  ou  autre  chose,  la 
lui  fit  oublier  : le  P.  Noël  sera  tantôt  fustigé  d’impor- 
tance pour  sa  mauvaise  rhétorique. 

Les  idées  développées  dans  Le  Plein  du  vide  sont 
celles  que  nous  avons  lues  dans  les  deux  lettres  du 
jésuite  à Pascal  (IX).  Toutefois,  en  parlant  de  la  cause 
qui  soutient  le  mercure  dans  le  tube  de  Torricelli,  à 
l’explication  qu’il  avait  demandée,  dans  sa  seconde 
lettre,  à la  pesanteur  de  l’air,  le  P.  Noël  en  substitue 
une  autre  où  la  tendance  des  corps  légers  à monter, 
« la  légèreté  mouvante  » des  péripatéticiens,  et  le  prin- 
cipe cartésien  de  la  nature  cyclique  de  tous  les  mouve- 
ments font  les  frais  en  commun.  A-t-il  donc  complète- 
III^  SÉRIE.  T.  XII.  29 


450 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


ment  changé  d’avis?  — Nullement. Dans  un  supplément 
im})rimé  que  Pascal  reçut  peu  de  temps  après,  le  P.  Noël 
nous  apprend  que  la  maladie  l’a  empêché  de  suivre 
l’impression  de  son  livre,  et  qu’il  faut  y ajouter,  à 
l’endroit  où  il  parle  de  la  « légèreté  mouvante  »,  un 
long  passage  dont  il  donne  le  texte  : c’est  l’explication 
de  la  suspension  du  mercure  par  la  pesanteur  de  l’air, 
tirée  de  sa  seconde  lettre  à Pascal.  « Tout  ceci,  dit-il, 
que  j’avais  mis  dans  ma  seconde  lettre  à M.  Pascal  le 
hls,...  manque  à l’endroit  que  j’ai  marqué.  » 

Ainsi,  le  supplément  imprimé  joint  par  le  P.  Noël  à 
son  livre  Tæ  Plein  du  vide,  contient  l’exjilication,  par 
la  colonne  d’air,  de  l’expérience  de  Torricelli,  et  l’affir- 
mation que  l’auteur  la  reprend  d’une  lettre  écrite  par 
lui  à Pascal.  A cette  lettre,  Pascal  n’a  ])as  répondu  ; au 
livre  du  P.  Noël  qui  en  publie  ces  extraits,  il  opposera 
des  pages  avant-courrières  des  Provinciales,  dont 
l’âpreté,  la  violence,  l’ironie,  l’acharnement  passionné, 
trahiront  son  dépit  (1). 

(A  suivre.)  J.  Thirion,  S.  J. 


(1)  Cet  article  était  imprimé  rpiand  M.  Louis  llavet  a commencé  la  piihlica- 
tioii,  dans  la  Ukvue  politique  et  LiTTPiRAiRE,  d’une  étude  sur  La  Lettre  de 
Biaise  Pascal  à Florin  Périer.  11  en  sera  tenu  compte  dans  notre  prochain 
article. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES 


AU  BAS-CONGO 


INTRODUCTION 

Les  cérémonies  qui  consacrent,  au  Bas-Congo, 
l’époque  de  la  puberté  sont  intéressantes  à plus  d’un 
titre,  mais  surtout  parce  qu’elles  nous  mettent  directe- 
ment en  face  de  la  tradition  religieuse  au  pays  noir. 

Nous  y voyons  des  jeunes  gens,  appartenant  souvent 
à des  villages  différents,  se  réunir,  se  retirer  dans  les 
l)ois,  y vivre  pendant  un  certain  temps  en  communauté 
sous  l’autorité  souveraine  d’un  vieillard  ou  d’un  féti- 
cheur qui  leur  transmet  le  trésor  des  traditions  reli- 
gieuses et  les  prépare  en  quelque  sorte  à la  vie 
publique. 

Quelles  sont  ces  traditions  et  comment  s’enseignent- 
elles?  — La  réponse  à ces  questions  jetterait  certes 
quelque  lumière  sur  le  problème  si  difficile  de  la  nais- 
sance, du  développement,  de  l’altération,  de  la  dispari- 
tion de  certaines  croyances  et  de  certaines  pratiques.  Il 
convient  en  tous  cas,  avant  de  vouloir  tracer  les  lois  de 
cette  évolution,  de  se  demander  comment,  dans  une 
société  déterminée,  les  phénomènes  religieux  changent 
en  passant  d’une  génération  à l’autre. 

Ce  n’est  pas  qu’il  faille  chercher  dans  l’étude  des  rites 
de  la  puberté  au  Bas-Congo  la  solution  du  problème  des 
origines.  A aucun  moment,  en  nous  livrant  à ces 
recherches  de  détail,  nous  n’avons  eu  l’impression  de 


452 


REVUE  UES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


nous  trouver  en  présence  de  quelque  chose  de  primitif. 
Ces  rites  sont,  au  contraire,  d’une  extrême  complexité 
et  supposent  une  longue  évolution  sur  la([uellc,  malheu- 
reusement, nous  ne  possédons  aucun  renseignement.  Un 
travail  de  reconstruction  logique  pourrait,  dans  une 
certaine  mesure,  suppléer  à rinsullisance  des  docu- 
ments, si  au  moins  nous  savions  de  façon  précise  ce  qui 
s’enseigne  aux  jeunes  gens  dans  ces  réunions  que  l’on 
a appelées  « les  écoles  de  féticheurs  ». 

Mais  les  difficultés  se  dressent  nomlireuses  et 
presque  insurmontables  devant  celui  qui  chei'che  à se 
documenter  sur  ces  points.  Que  d’années  ne  faut-il  pas 
avoir  vécu  de  la  vie  des  indigènes,  que  d’etforts  ne  faut- 
il  pas  avoir  dépensés  à apprendre  leur  langue  et  à 
gagner  leur  confiance,  pour  obtenir  quelque  renseigne- 
ment véridique  sur  leur  vie  religieuse  ! Les  enquêtes 
sur  les  rites  de  la  puberté  sont  bien  plus  difficiles 
encore.  On  se  heurte  ici  au  silence  olistiné  sur  tout  ce 
qui  touche  à l’éducation  religieuse  des  jeunes  généra- 
tions, et  cette  éducation  elle-même  s’entoure  générale- 
ment d’une  mise  en  scène  qui  déroute  les  recherches  et 
donne  l’impression  d’une  initiation  dans  une  société 
secrète. 

Mais,  s’il  existe  un  certain  rapport  entre  les  rites  de 
la  jiuberté  d’une  part,  l’éducation  religieuse  et  les 
sociétés  secrètes  d’autre  pai*t,  au  lias-Congo  le  lien 
entre  ces  trois  institutions  dçvient  tellement  étroit  que 
nous  aurions  pu  indifléremment  intituler  cette  étude 
Les  rites  de  la  puberté  ou  L’Ecole  des  Féticheurs. 
Si  nous  avons  donné  la  préférence  au  titre  Les  Sociétés 
secrètes,  ce  n’est  point  que  nous  voulions  préjuger  la 
nature  des  jihénomènes  qui  font  l’objet  de  nos 
recherches.  Deux  auteurs  allemands,  qui  ont  traité  cette 
question  d’un  point  de  vue  général,  ont  étudié  les  rites 
de  la  puberté  dans  leurs  ra}>ports  avec  les  sociétés 
secrètes.  Ce  sont  Frobenius  dans  ses  Masken  und 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


453 


Geheimbïmde  Afrihas  (1),  et  Schurtz  clans  ses  Alters- 
klassen  und  Mdnnerhünde  (2).  Nous  n’avons  pas  cru 
devoir  nous  séparer  d’eux  par  le  titre  de  notre  travail. 

L’aire  d’extension  de  ces  cérémonies  embrasse,  avec 
des  variantes,  toute  l’Africpie  occidentale.  Frobenius 
leur  a trouvé  des  parentes  clans  l’Océanie.  Dans  le  bas- 
sin du  Gong'o  elles  ne  sont  ])as  confinées  dans  la  région 
du  bas;  le  Rev.  ^^erner  les  a observées  notamment 
dans  le  Kwango  oriental  et  dans  le  Kasaï  (3).  Plus  à 
l’est,  chez  les  Baluba,  les  missionnaires  de  Scheut  et 
les  Pères  Blancs  parlent  de  sociétés  secrètes  Inen  orga- 
nisées avec  des  rites  d’initiation  très  compliqués  (4).  Il 
en  est  de  même  sur  les  rives  du  lac  Tanganika,  en  par- 
ticulier au  Marungu  et  chez  les  ^Vahorohoro  (5),  etc. 

Nous  avons  limité  notre  étude  à la  région  du  Bas- 
Congo,  c’est-à-dire  aux  rives  du  fiein^e  depuis  la  côte 
jusqu’au  Stanlej-Pool.  Les  populations  qui  occupent 
cette  contrée  présentent  une  certaine  unité  au  point  de 
vue  linguistique.  On  leur  donne  parfois,  mais  inqiroiire- 
nient,  le  nom  de  Bafiote.  Ce  sont  d’abord  les-  Muso- 
rongo,  établis  à rembouchure  du  fleuve,  sur  les  deux 
rives;  en  partant  de  la  cote  et  en  remontant  vers  le 
Stanley-Pool,  on  rencontre  successivement  sur  la  rive 
nord  les  Bavili,  les  Kakongo  et  au  nord  de  ceux-ci  les 
Majombe,  les  Basuncli  et  les  Balmeiide;  sur  la  rive 
gauche,  vivent  surtout  des  Bakongo  et  des  Mushikongo. 
La  rivière  Kwilu,  d’après  le  Rev.  Bentley,  forme  la 
frontière  entre  ces  deux  peiqdades. 

Nos  renseignements  sur  toute  cette  région  sont  rela- 


(1)  Berlin,  G.  Reimer,  1902. 

(2)  Dans  la  collection  des  Abhandlungen  der  K.  L.-C.  Üeutschen  Aka- 
DE.MiE  DER  Aaturforscher  zu  Halle,  LXXIV,  n"  1,  1898. 

(B)  S.  P.  Verner,  Pioneering  in  central  Africa,  Richmond,  1903,  151. 

(4)  R.  P.  Colle,  .Missions  des  Pères  Blancs,  1905,  102-106. 

(5)  Mgr  Van  Ronslé,  Mouvement  GÉOGRAPiiiauE,  XXI  (1904),  509,  et  Bel- 
gique COLONIALE,  X (1904),  546.  — Cf.  L‘  Delhèze,  Belgique  coloniale, 
XI  (1905),  234. 


454 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


tivement  abondants  ; mais  il  serait  à souhaiter  qu’ils  le 
fussent  davantage.  Si  ce  travail  n’avait  d’autre  résultat 
que  de  montrer  les  lacunes  de  nos  documents  ethnogra- 
phiques et  de  provoquer  la  communication  de  rensei- 
gnements com})lémentaires,nous  estimerions  nos  efforts 
amplement  récompensés. 

L’étude  détaillée  et  critique  d’une  institution  ou  d’une 
coutume,  dans  une  région  déterminée,  répond  à un 
besoin  de  la  science  ethnographique  actuelle.  Des  sys- 
tèmes nombreux  ont  été  échafaudés,  renversés  et 
presque  aussitôt  remplacés  par  d’autres.  Chacun  de  ces 
systèmes  prétend  naturellement  avoir  saisi  le  sens  véri- 
table, avoir  donné  l’explication  adéquate  des  faits.  En 
réalité,  ce  sont  plutôt  des  généralisations  trop  hâtives 
et  des  classifications  trop  artificielles  pour  qu’on  y 
puisse  voir  de  véritables  lois  au  sens  où  l’on  entend 
généralement  ce  mot.  Du  travail  d’abstraction  qu’ils 
subissent  pour  être  incorporés  dans  le  cadré  du  sys- 
tème, les  faits  sortent  très  souvent  dénaturés  et  se  pré- 
sententsous  un  jour  faux. 

Sans  doute,  les  sj'stèmes,  même  avec  ce  qu’ils  ont 
de  plus  hypothétique,  contribuent  au  progrès  de  la 
science,  soit  qu’ils  donnent  aux  recherches  des  orien- 
tations variées,  soit  que  leur  rôle  se  borne  à provoquer 
la  critique  et  à attirer  l’attention  sur  des  faits  qui,  sans 
cela,  risqueraient  de  passer  inaperçus.  Mais  encore 
faut-il  qu’une  surproduction  d’hypothèses  ne  fasse  pas 
perdre  le  souci  du  détail  et  de  la  réalité. 

Nous  disions  plus  haut  que  deux  ethnologues  alle- 
mands ont,  d’un  point  de  vue  général,  étudié  les  rites 
de  la  puberté.  Avant  d’aborder  directement  notre 
sujet,  il  convient  de  rappeler  leurs  opinions.  Quoique 
l’ouvrage  de  Schurtz  soit  de  quatre  ans  postérieur-  à 
celui  de  Frobenius,  c’est  par  lui  que  nous  croyons 
devoir  commencer,  non  seulement  à cause  de  son  carac- 
tère plus  général  que  celui  de  Frobenius,  mais  parce 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÈTES  AU  BAS-CONGO  455 

qu’il  n’a  pas  utilisé,  pour  ce  qui  regarde  le  Bas-Congo, 
d’autres  renseignements  que  ceux  rassemblés  par  Fro- 
benius  (1). 

Les  idées  de  Schurtz.  — Scburtz,  comme  l’indique 
le  sous-titre  de  son  livre,  a voulu  esquisser  une  théorie 
nouvelle  de  l’origine  des  sociétés.  A la  base  de  toute  évo- 
lution des  formes  sociales,  il  place  une  opposition  radi- 
cale entre  les  instincts  de  l’homme  et  ceux  de  la  femme. 
La  femme  aurait  comme  mobile  principal  de  son  acti- 
vité l’amour;  elle  est  le  centre  et  le  soutien  de  la 
famille.  L’homme  se  laisserait  au  contraire  mouvoir  par 
ce  que  Schurtz  appelle  Geselligkeitstriel),  sorte  de 
penchant  à la  vie  extra-familiale  ; il  est  le  créateur  de 
la  vie  sociale  proprement  dite.  Le  développement  des 
formes  sociales  correspondrait  au  développement  de  ces 
penchants,  de  ces  instincts  opposés  de  l’homme  et  de  la 
femme. 

Que  sont  au  juste  ces  penchants?  Le  Geselligheits- 
trieh  nous  paraît  un  mot  bien  vague  pour  servir  de 
pierre  angulaire  à un  système  d’évolution  sociale.  Puis 
est-il  exact  que  les  instincts  extra-familiaux  de  l’homme 
s’opposent  de  façon  si  radicale  à l’instinct  d’amour 
familial  de  la  femme?  Nous  ne  croyons  pas  qu’il  faille 
considérer  cette  opposition  d’instincts  comme  un  fait 
acquis  à la  science  psychologique. 

C’est  pourtant  de  là  que  Schurtz  part  pour  reconsti- 
tuer l’évolution  des  formes  sociales.  Le  groupement  le 
plus  primitif  serait  l’association  des  hommes  qui  obéis- 
sent simplement  au  Geselligheitstrieb . A ces  associa- 
tions primitives  se  rattache  la  division  en  classes  d’âge, 
que  quelques-uns  ont  considérée  comme  la  forme  la 
plus  ancienne  de  classification  sociale,  et  elle  s’y  rat- 


(1)  Schurtz,  0.  c.,  410.  Une  exception  doit  être  faite  pour  l’article  de  Ward, 
dans  le  Journal  of  the  Anthropological  Institute,  XXIV  (1895).  Schurtz 
le  cite  à la  page  437. 


456 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


tache  au  même  titre  que  les  rites  de  la  puberté,  les 
groupements  à caractère  de  clubs  et  les  sociétés 
secrétes. 

( )n  pourrait  déduire  de  là  que  Schurtz  place  les  rites 
de  la  pulierté  et  les  sociétés  secrétes  sur  la  même  ligne. 
Il  n’en  est  pas  tout  à fait  ainsi.  Si  nous  saisissons  bien 
la  pensée  de  l’ethnologue  allemand,  les  rites  de  la  pu- 
berté seraient  une  des  formes  les  plus  simples  dérivées 
du  Gesellifiheitstrieh,  ei  les  sociétés  secrètes  en  seraient 
le  développement  ultérieur  (1).  Au  sujet  des  coutumes 
que  nous  étudierons  plus  s])écialement  ici,  Schurtz  n’a 
pas  d’idées  ])récises  et  arrêtées.  Il  y voit  des  sociétés 
secrétes  tantôt  en  voie  de  formation  (2),  tantôt  en  déca- 
dence (3).  Remarquons  d’ailleurs  que,  dans  la  bouche 
de  Schurtz,  le  mot  évolution  a un  sens  un  peu  s])écial. 
Quand  il  trace  des  lois  d’évolution,  il  n’entend  ]ias  dire 
que  les  choses  se  soient  réellement  passées  de  cette 
façon  ; il  se  livre  simplement  à un  travail  de  construc- 
tion logique  qui  lui  permettra  de  grouper  les  faits.  Des 
phrases  comme  celle-ci  ne  s’ex]diquent  }>as  autrement  : 
« Au  Bas-Congo,  nous  trouvons  une  décadence  des 
sociétés  secrètes  en  ce  sens  qu’une  de  leurs  caractéris- 
tiques, la  danse  masquée  des  esprits  de  la  forêt,  a 
disparu  et  que,  seules,  les  cérémonies  d’initiation  se  sont 
bien  conservées.  Dans  la  partie  méridionale  du  bassin 
du  Congo,  il  n’en  est  pas  ainsi  : les  rites  d’initiation 
disparaissent  tandis,  que  les  danses  masquées  subsistent 
comme  une  récréation  populaire  naïve  (4).  » 

(1) 0.  c.,  354.  A la  page  102,  nous  lisons  aussi  : « La  plupart  des  sociétés 
secrètes  africaines  se  rattachent  aux  rites  de  la  puberté  dont  elles  constituent 
un  développement  ultérieur  ». 

(2)  O.  c.,  102  : « Aux  environs  de  Borna,  les  circoncis  emploient  entre 
eux  une  langue  secrète,  ce  qui  montre  déjà  une  tendance  vers  la  société 
secrète  ». 

(3)  0.  c.,  436  : « Dans  le  nkimba  et  dans  le  ndembo  nous  avons  un  phéno- 
mène de  régression.  La  société  secrète  com]»lèternent  développée,  avec  son 
esprit  de  la  forêt  et  ses  masques,  s’est  de  nouveau  transformée  en  une  associa- 
tion d’hommes  beaucoup  plus  simple  et  qui  n’a  conservé  que  des  rites  d’initia- 
tion très  compliqués  et  mystérieux.  » 

(4)  O.  c.,  437. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


457 


^^ojons  maintenant  quel  sens  Schurtz  attribue  aux 
différents  rites  de  la  puberté,  comment  il  les  interprète. 
A la  base  de  ces  cérémonies,  il  met  encore  un  fait 
d’ordre  psychologique  : un  liesoin  naturel  de  fêter  les 
événements  importants  de  la  vie  et  de  transformer  en 
une  fête  de  plusieurs  jours  la  Joie  d’un  moment.  L’âge 
de  la  puberté  est  une  époque  importante  dans  la  vie 
Inimaine.  Rien  d’étonnant  donc  qu’elle  donne  lieu  à des 
fêtes  et  que  ]iar  toutes  sortes  de  mojmns  on  cherche  à 
faire  comprendre  aux  jeunes  gens  qu’ils  auront  doré- 
navant à faire  œuvre  d’homme,  qu’ils  seront  soustraits 
à l’influence  de  leur  mère,  qu’ils  participeront  à la  vie 
publique,  etc. 

La  circoncision  qui  se  pratique  parfois  à l’époque  de 
la  puberté  est  en  rapport  avec  la  reproduction  : dans 
l’esprit  du  noir  elle  doit  la  faciliter  en  même  temps 
qu’elle  constitue  une  mesure  d’hygiène.  Il  arrive  aussi 
que  le  jeune  homme  reçoive  les  marques  de  sa  tribu, 
subisse  des  déformations  artificielles,  passe  par  une 
série  d’épreuves  : c’est  pour  lui  faire  comprendre  que 
désormais  il  fera  partie  de  la  classe  des  guerriers. 
Devenu  homme,  devenu  guerrier,  il  échappe  à la  tutelle 
de  sa  mère.  C’est  poui*cela  que,  dans  certaines  régions, 
l’enfant  se  présente  aux  cérémonies  de  la  puberté, 
revêtu  d’un  costume  de  femme  qu’il  changera  à la  sortie 
contre  un  costume  d’homme.  Ce  symbolisme  paraît 
assez  naturel;  mais  Schurtz  va  trop  loin,  à notre  avis, 
lorsqu’il  explique  de  la  même  façon  le  fait  que  les 
femmes  sont  tenues  à l’écart  de  l’enclos  où  les  jeunes 
gens  vivent  en  retraite.  Cette  vie,  sous  bois,  à l’abri  de 
tout  regard  indiscret,  semble  à Schurtz  un  commence- 
ment de  société  secrète. 

Les  rites  de  la  puberté  s’accompagnent  parfois  de 
mort  apparente  et  de  résurrection  ; c’est  le  cas  notam- 
ment au  Bas-Congo  et  nous  aurons  l’occasion  d’y  reve- 
nir. C’est  encore  pour  Schurtz  un  acheminement  vers 


458 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


les  sociétés  secrètes.  I/enfant  doit  acquérir  un  esprit 
nouveau,  entrer  en  coniinunication  avec  les  esprits  des 
ancêtres.  En  même  temps,  il  s’initie  aux  traditions  de 
la  tribu,  et  reçoit  toute  la  culture  intellectuelle,  morale 
et  })hjsique  qu’il  lui  faut  pour  exercer  dignement  les 
droits  d’un  bon  citoyen  et  en  accomplir  les  devoirs. 
Schiirtz  reconnaît  donc  dans  les  rites  de  la  puberté  une 
garantie  de  l’unité  ethnique,  une  force  de  cohésion 
sociale  de  premier  ordre. 

Chez  la  femme,  les  rites  de  la  puberté  ne  sont  ni 
aussi  compliqués,  ni  aussi  importants  que  chez  l’homme. 
Le  temps  de  l’instimction  est  plus  court,  les  épreuves 
sont  moins  rudes,  quand  elles  existent  : elles  ne  sont 
qu’une  })àle  imitation  de  celles  que  subissent  les  jeunes 
hommes.  Pour  Schurtz  l’explication  est  toute  trouvée. 
Les  rites  de  la  })uberté  symliolisent  moins  le  fait  de  la 
puberté  ([ue  son  importance  sociale.  Or,  le  nerf  de  tout 
développement  social  véritable  est  le  Geselligkeitstrieh 
qui  est  le  privilège  exclusif  de  l’homme.  Dans  le 
domaine  social,  la  femme  est  déq)Ourvue  de  toute  initia- 
tive; elle  ne  saurait  rien  créer;  elle  imite,  elle  s’adapte. 

êvous  ne  ferons  pas  ici  la  critique  de  ces  interpréta- 
tions. Rappelons  seulement  qu’?>  la  liase  de  toutes  ces 
hypothèses  il  y a un  principe  pour  le  moins  fort  discu- 
table. De  plus,  nous  estimons  ({u’une  lionne  définition  de 
la  société  secrète  aurait  été  à sa  place  dans  le  livre  de 
Schurtz.  Ya-t-il  déjà  société  secrète  lorsque  des  hommes 
se  réunissent  dans  un  endroit  écarté,  parlent  un  lan- 
gage secret,  se  taisent  sur  tout  ce  qui  s’y  passe;  ou  bien 
faut-il  en  outre  que  le  public  ignore  le  nom  des 
membres,  l’endroit,  la  date  et  le  but  des  réunions? 

Les  idées  de  Frohenius.  — Pour  les  sociétés  secrètes 
africaines,  Schurtz  s’est  contenté  de  résumer  les  ren- 
seignements contenus  dans  le  livre  de  Frohenius,  Die 
Masken  und  Geheimbunde  Afrikas,  L’objet  propre  de 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÈTES  AU  BAS-CONGO 


459 


ce  livre  est  Tétiide  des  masques,  de  leurs  formes  et  de 
leur  signiflcation.  Les  rites  de  la  puberté  y sont  étudiés 
accessoirement. 

Frobenius  distingue  trois  éléments  dans  la  civilisation 
africaine  : au  fond,  le  manisme,  c’est-à-dire  le  culte  des 
morts,  qui  revêt  suivant  les  localités  la  forme  d’un  culte 
de  l’eau,  des  arbres,  des  pierres,  des  crânes,  etc.  ; puis 
des  survivances  d’un  passé  lointain  que  sont  le  toté- 
misme, les  mjdhes  et  les  fables  d’animaux;  enfin,  des 
])roduits  d’une  époque  plus  récente  et  qui  se  résument 
dans  la  mythologie  solaire  et  cosmogonique.  Sur  la  pré- 
sence de  ces  éléments  dans  les  crojmnces,  les  mœurs 
et  les  institutions  des  diverses  peuplades,  Frobenius  a 
des  idées  personnelles,  parfois  ingénieuses  qu’il  a expo- 
sées dans  d’autres  ouvrages  (1). 

Il  attache  une  grande  importance  au  phénomène  de 
la  Vergeistigung  ou  transformation  en  esprit.  Ceux  qui 
se  masquent  sont  possédés  par  les  esprits.  Pour  Fro- 
benius, c’est  du  manisme.  La  preuve  s’en  trouverait 
dans  ce  fait  que  les  masques  paraissent  aux  fêtes  des 
morts. 

Ne  dispose  de  la  puissance  des  esprits  que  celui  qui  a 
été  vergeistigt^  transformé  en  esprit.  Cette  transfor- 
mation s’opérerait  par  des  prescriptions,  des  tabous. 
Pour  entrer  en  communication  avec  les  esprits,  dit-il  (2), 
le  novice  doit  s’abstenir  d’aliments  et  de  femmes,  parce 
que  les  esprits  ne  se  livrent  pas  aux  satisfactions  gros- 
sières de  la  nutrition,  des  rapports  sexuels,  etc...  Ce 
passage  a de  quoi  nous  surprendre.  Le  nègre,  qu’on 
nous  représente  trop  souvent  comme  une  brute, 
serait-il  arrivé  à cette  conception  élevée  d’esprits  imma- 
tériels qui  serviraient  de  modèles  aux  hommes?  11  n’en 
est  pas  ainsi.  Il  est  établi,  au  contraire,  que  les  Ban- 
tous  se  font  une  idée  toute  matérielle  de  l’esprit  des 

(1)  O.  c.,  163. 

(2)  0.  c.,215. 


4(30 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


morts.  Le  mort,  dans  l’autre  monde,  éprouve  les  mêmes 
besoins,  cherche  les  mêmes  satisfactions  que  dans 
celui-ci.  Les  offrandes  de  vivres,  déposés  sur  les  tom- 
beaux, les  sacrifices  d’esclaves  et  de  femmes,  qui  se 
font  de  plus  en  jilus  rares,  sur  la  tomlie  des  chefs,  n’ont 
pas  d’autre  signification. 

Pourquoi  l’initiation  se  fait-elle  dans  des  huttes  au 
fond  des  bois?  Frobenius  répond  que  c’est  parce  que  les 
ancêtres  sont  (uisevelis  dans  les  bois,  que  les  esprits 
habitent  la  forêt  et  la  hantent.  Le  culte  des  arbres  est 
une  forme  du  manisme. 

A’oici  d’autres  [)reuves  de  cette  proposition  de  Fro- 
benius : Le  nkimlia,  offensé,  prend  la  fuite  vers  la  forêt 
et  grimpe  au  sommet  d’un  arbre.  C’est  une  façon  de  se 
jeter  dans  les  bras  de  l’esprit  })rotecteur.  Le  konoen- 
fjele,  l’instrument  principal  de  sorcellerie  du  nkimba, 
est  un  I)âton  ; il  a la  projiriété  de  chasser  celui  qui  s’in- 
troduirait la  nuit  dans  la  hutte  pour  voler.  C’est  une 
simple  figure  de  rhétorique  : la  partie  pour  le  tout. 
Culte  des  arbres,  donc  manisme. 

Pounpioi  les  novices  se  mettent-ils  une  peinture 
Idanche  sur  le  corps?  Ici,  Frobenius  ne  recourt  plus  aTi 
manisme;  il  s’adresse  au  culte  solaire.  Tous  les  héros 
solaires  sont  blancs.  Les  esprits  sont  comme  eux  et  ceux 
qui  veulent  acquérir  une  ]missance  sur  les  esprits 
devront  se  peindre  en  blanc! 

Semlilables  associations  d’idées  peuvent  naître  tout 
naturellement  dans  le  cerveau  d’un  Européen  instruit; 
mais  nous  jtensons  qu’on  a tort  d’y  recourir  ])our  expli- 
quer les  mœurs  et  les  coutumes  des  peuplades  incultes 
de  l’Afrique. 

Les  sociétés  secrètes,  d’après  Frobenius,  se  trouvent 
en  germe  dans  la  séparation  des  sexes  qui  a lieu  à 
l’époque  de  la  puberté.  Des  groupements  déterminés 
sont  soumis  à des  tabous  déterminés.  Devant  ces  tabous 
tous  les  menilires  d’une  société  secrète  sont  égaux  ; 
c’est  le  lien  qui  les  réunit. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÈTES  AU  BAS-CONGO 


-16i 


Le  serment  des  sociétés  secrètes  s’accompagnerait 
généralement  de  sacrifices  humains  ou,  du  moins,  il  en 
aurait  été  ainsi  primitivement.  A l’heure  actuelle,  ces 
sacrifices  humains  seraient  remplacés  par  des  offrandes 
de  tortues,  d’oiseaux,  etc.  Ce  qui  autorise  Frohenius  à 
avancer  cette  hypothèse,  c’est  un  passage  du  livre  de 
Johnston  dont  il  sera  question  plus  loin.  Entre  Man- 
janga  et  Isangila,  ce  voyageur  anglais  découvrit  une 
société  d’eunuques.  Il  crut  voir  un  vague  rapport  entre 
ceux-ci  et  les  nkimlia;  le  trait  commun  serait  un  culte 
phallique  non  déterminé  avec  lequel  va  de  pair  une 
adoration  de  la  lune.  A la  nouvelle  lune,  les  eunuques 
exécutent  des  danses  et  offrent  à l’astre  de  la  nuit  un 
oiseau  blanc,  généralement  un  coq.  L’oiseau  est  jeté 
en  l’air  et  mis  en  morceaux  dès  qu’il  touche  le  sol.  On 
dit  qu’à  une  époque  antérieure  un  homme  était  sacrifié 
en  semblables  circonstances  : l’offrande  du  coq  blanc 
aurait  remplacé  le  sacrifice  humain  (1).  En  faut-il 
davantage  pour  affirmer  le  rapport  étroit  qui  existerait 
entre  les  sociétés  secrètes  et  le  sacrifice  humain,  et 
poser  en  règle  générale  que  toute  offrande  accompa- 
gnant le  serment  des  sociétés  secrètes  doit  être  inter- 
prétée comme  un  adoucissement  de  mœurs  primitives 
plus  sauvages?  Cette  hypothèse,  dans  le  livre  de  Fro- 
benius,  a surtout  pour  but  de  mieux  expliquer  l’exis- 
tence de  certains  masques  à forme  de  crâne  (2). 

Il  est  superflu  d’insister  sur  les  faiblesses  de  ce 
système  d’interprétation.  Gela  ne  doit  pas  nous 
empêcher  de  reconnaître  l’importance  documentaire  du 
livre  de  Frobenius.  Les  Masken  imd  Geheimhunde 
Afrikas  sont  la  première  et  jusqu’ici  l’unique  tentative 

(1)  Ces  renseignements  se  trouvent  dans  Johnston  : The  river  Congo,  409. 
Il  ne  semble  pas  toutefois  que  ces  eunuques  forment  une  société.  Ils  s’assem- 
blent uniquement  pour  exécuter  des  danses.  M.  Mondière  en  rendant  compte 
de  l’étude  de  Jobnston  rapporte  ces  pratiques  aux  Basundi  et  aux  Babuende, 
établis  sur  les  rives  du  Ileuve.  Cf.  Revue  d’Anthropouogie,  1885,  541. 

(2)  O.  c.,  178-179. 


462 


REVUE  UES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


de  coordination  des  renseignements  qui  existent  sur  les 
sociétés  secrètes  d’Afrique.  C’est  une  mine  riche  de 
documents  puisés  généralement  aux  meilleures  sources. 
Ajoutons  que  Frobenius  possède  des  connaissances  éten- 
dues d’ethnographie  muséale,  et  les  quatorze  planches 
qui  contiennent  environ  cent  et  trente  reproductions 
de  masques  africains,  ajoutent  encore  à la  valeur  de 
son  ouvrage. 

Frolienius  a coordonné  les  renseignements  concer- 
nant les  sociétés  secrètes  au  Bas-Congo  (i).  Ses  sources 
ne  sont  malheureusement  pas  conq)lètes.  Nous  y trou- 
vons des  lacunes  importantes.  11  s’en  rapporte  à Bau- 
mann,  ^^bard,  Meinhof,  Bentley,  Büttner,  Da})per, 
Bastian,  Lenz,  Co([uilhat.  11  cite  aussi  les  volumes  I et 
III-  du  Congo  illustré,  ainsi  ipie  les  AlUjenieine  Histo- 
rien (1er  Reisen  (\y  43).  iNIais  il  passe  sous  silence 
et  semble  avoir  ignoré  les  livres  de  Chavanne,  Bupont, 
Clave,  ainsi  que  les  articles  de  Dannfelt,  Bemeuse, 
Gilmont,  Fuchs,  Van  de  4"elde,  Merlon,  etc. 

Nous  terminerons  cet  exjiosé  par  une  observation  qui 
n’est  j)as  sans  importance.  Une  œuvre  de  coordination 
comme  celle  de  Frobenius  ne  se  conçoit  pas  sans  un 
long  travail  de  critique  préalable.  C’est  pour  s’être 
liv  ré  à ce  travail  que  Frobenius  a découvert  une 
parenté  entre  Coquilhat  et  Bentley  : pour  ses  rensei- 
gnements sur  le  ndembo  des  Bateke,  Coquilhat  s’est 
fortement  insjiiré  de  Bentley.  Nous  regrettons  que 
l’ethnologue  allemand  n’ait  pas  jioussé  plus  loin  ses 
études  de  critique.  11  eût  trouvé  que  M.  A.  J.  AVauters, 
dont  il  cite  l’article  du  Congo  illustré  (I,  1892,  3)  (2), 
n’a  pas  étudié  les  nkimba  sur  place,  pas  plus  que 


(1)  O.  c.,  43-54. 

(2)  Les  articles  cités  du  Congo  illustré,  III  (VIII  est  évidemment  une  faute 
d’impression)  59-60  et  62-63  appartiennent  respectivement  à MM.  Lejeune  et 
Slosse. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


463 


M.  Cari  Meinhof  (i  );  de  plus,  il  se  serait  aperçu  que  la 
plupart  des  renseigiieiiients  attribués  à M.  A.  J.  Wau- 
ters  remontent  à M.  Fuclis,  après  avoir  passé  peut-être 
par  M.  F.  Demeuse. 


Synthèse  et  Coordination 

La  plupart  de  ceux  qui  se  sont  occupés  des  rites 
d’initiation  au  Bas-Gongo  ont  écrit  sans  esprit  de 
système  et  sans  prétention  scientifique.  Leurs  témoi- 
gnages n’en  sont  que  plus  intéressants,  à condition  qu’ils 
soient  sagement  critiqués.  C’est  à ce  travail  que  nous 
voulons  nous  livrer  : Nous  interrogerons  les  différents 
auteurs,  nous  rapprocherons  leurs  réponses  qui  se  com- 
plètent souvent  l’ime  ]>ar  l’autre,  aün  d’aboutir  à un 
tableau  d’ensemlile  des  rites  d’initiation  au  Bas-Gongo. 

Les  rites  de  la  puberté,  comme  d’ailleurs  les  phéno- 
mènes religieux  en  général,  sont  extrêmement  coin- 
plexes.  C’est  à condition  de  se  tenir  à une  grande 
distance  d’eux,  qu’on  peut  y découvrir  un  seul  fait,  fruit 
d’une  mentalité  simple  ; pour  peu  qu’on  s’en  rapproche, 
on  reconnaît  qu’on  a devant  soi  une  foule  de  faits  reliés 
entre  eux  et  sollicitant  tous  l’attention.  Impossible  de 
les  envelopper  d'un  regard.  On  est  forcé  de  les  exa- 
miner successivement  et  dans  un  ordre  déterminé. 

Voici  celui  auquel  nous  nous  sommes  arrêté  : 1°  Aire 
d’extension  et  nom  ; 2°  âge  des  adeptes  ; 3“  choix  des 
adeptes  ; 4°  durée  des  épreuves  ; 5°  lieu  des  épreuves  : 
6°  cérémonies  d’entrée;  7°  déformations  artificielles; 
8°  costume;  9"  éducation,  instruction;  10”  prescriptions 
et  défenses;  11°  cérémonies  de  sortie;  12°  après  l’ini- 
tiation. 


(1)  Globus,  LXVI  (1894),  pp.  118-119.  Frobenius  a oublié  d’ajouter  le 
volume.  Comme  le  Globus  forme  deux  volumes  par  an,  cette  indication  n’est 
cependant  pas  superflue. 


461 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Mais  il  n’existe  pas  qu’une  société  secrète  au  Bas- 
Cong'o;  il  y a deux  institutions  difterentes  : l’une  s’ap- 
pelle ; l’autre,  ndeniho.  Quel  est  leur  caractère 

propre?  La  réponse  à cette  question  est  d’autant  plus 
düticile  que  les  auteurs  les  ont  le  plus  souvent  confon- 
dues : ils  attriluient  })arfois  à rime  ce  qui  revient  à 
l’autre,  ou  négligent  de  spécifier  de  laquelle  ils 


Le  besoin  d’un  critère  objectif  nous  a fait  adopter 
provisoirement  le  suivant  : du  nkimba  les  femmes  sont 
sévèrement  exclues;  au  ndeinbo,  au  contraire,  elles 
sont  admises.  Nous  ex})oserons  d’abord  les  rites  d’ini- 
tiation pour  hommes  seuls;  ensuite,  ceux  pour  hommes 
et  femmes  iiKlistinctenient.  De  cette  façon,  nous  nous 
efibrcerons  de  déterminer  la  nature  du  nkimba  et  du 
ndeinbo,  les  ressemblances  et  les  ditiérences  des  deux 
institutions. 

Les  feinnies  sont  exclues  du  nkimba,  qui  se  présente 
comme  la  fête  de  la  puberté.  L’é])oqiie  de  la  jiuberté 
constitue  cependant  un  événement  plus  important  dans 
la  vie  de  la  femme  que  dans  celle  de  riionmie.  N’y  a-t-il 
donc  pas  pour  la  femme  aussi  des  cérémonies  de  la 
puberté?  Oui;  mais,  d’après  Sclnirtz,  ces  cérémonies 
seraient  une  pâle  copie  des  rites  de  la  puberté  chez 
l’hoinme.  Sur  ce  jioint,  nos  renseignements  sont  fort 
défectueux.  C’est  le  motif  pour  lequel  nous  plaçons  à 
cet  endroit  tout  ce  que  nous  savons  des  rites  de  la 
puberté  chez  la  femme  au  Bas-Congo. 

M.  Baerts  nous  apprend  que,  chez  les  Mushikongo,  il 
existe  une  case  servant  à la  retraite  des  jeunes  filles 
avant  leur  mariage.  Elle  s’apjielle  le  niuzuahi  kumhi. 
Le  féticheur  y invoque  le  fétiche  de  la  fécondité. 

Ce  renseignement  est  confirmé  par  le  1)‘'  Chavanne  : 
les  huttes  sont  situées  en  dehors  du  village;  les  murs 
en  sont  jieints  de  tahida;  aux  jeunes  filles  qui  y entrent 
on  coupe  les  cheveux;  leur  corps  est  enduit  d’huile  de 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-COXÜO 


465 


palme  et  de  takiila.  Après  la  nouvelle  lune  suivante,  la 
jeune  fille  devient  nkiunhi.  Elle  est  enveloppée  de  draps 
précieux,  conduite  triomphalement  au  village  pour  y 
être  achetée  (1). 

Cela  rappelle  par  plus  d’un  détail  les  cérémonies  des 
fiançailles  au  Majombe  (2). 

l/après  ces  indications,  les  rites  d’initiation  des 
jeunes  filles  se  feraient  à une  époque  assez  régulière. 
Bastian  dit  que  ces  rites  se  font  pour  guérir  de  cer- 
taines maladies  ou  pour  les  prévenir.  Peut-on  en 
conclure  que  les  cérémonies  n’ont  lieu  que  quand  une 
maladie  s'est  manifestée?  Nous  n’avons  aucun  rensei- 
gnement à cet  égard. 

A propos  des  cérémonies  d’initiation  des  femmes,  rap- 
pelons la  consécration  des  sorcières  décrite  par  le 
R.  P.  IMerlon  : retraite  de  deux  mois  dans  une  hutte  où 
le  nganga  seul  peut  voir  la  future  sorcière;  con\mcation 
des  villages  voisins;  entrée  en  scène  du  sorcier  et  du 
grand  fétiche;  danses,  procession  au  village,  offrandes. 
Nous  ne  savons  pas  si  ces  renseignements  ont  été 
recueillis  au  Congo  belge.  Nous  sommes  plutôt  porté  à 
croire  qu’ils  se  rapportent  au  Congo  français.  Le 
R.  P.  Merlon  n’a  rien  fait  pour  dissiper  ce  doute. 

I.  — Awe  tV extension  et  nom 

Le  nom  des  cérémonies  de  la  puberté  change  d’un 
endroit  à l’autre.  Il  arrive  que  les  rites  aussi  se  modi- 
fient, que  leur  ordre  soit  interverti.  La  connaissance  de 
ces  diftérences  locales  offre  le  plus  grand  intérêt,  et  l’on 
peut  regretter  que  certains  auteurs  se  soient  crus  dis- 

(1)  O.  c.,  400. 

(■2)  Les  mêmes  cérémonies  de  fiançailles  furent  observées  par  M.  Lemaître 
dans  le  Bas-Shiloango.  La  case,  où  la  jeune  fille  est  enfermée,  est  appelée  mai- 
son du  Tacoul;  la  jeune  fille  qui  en  franchit  le  seuil  devient  tchicombi.  O.  c., 

pp.  120-121. 

IIP  SÉRIE.  T.  XII. 


30 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


iG() 

pensés  (riiidiquer  l’endroit  exact  sur  lequel  portent  leurs 
observations. 

Le  Rev.  Bentley  a observé  l’existence  des  rites  de  la 
puberté,  qu’il  appelle  nhimha,  sur  divers  points  du 
Bas-(  ’ongo,  en  particulier  à San  Salvador  et  à Wathen. 
( ^’est  à une  date  assez  récente  que  ces  cérémonies  y 
seraient  arrivées  de  la  côte;  elles  auraient  pénétré  jus- 
(|u’â  deux  cents  inilles  environ  en  amont  et  à cinquante 
milles  à l’intérieur  des  terres. 

A l’embouchure  du  tleuve,  nous  rencontrons  d’abord 
chez  les  Musorono-o  le  R.  P.  Gallewaert.  Dans  les  îles 
et  sur  les  rives,  les  rites  de  la  puberté  seraient  en 
décadence,  mais  ils  lleurissent  à l’intérieur  du  pays.  Les 
observations  du  D"  Chavanne  portent  sur  la  même 
région. 

C’est  dans  la  région  des  Cataractes,  sur  la  rive 
sud,  que  travaillait  le  regretté  P.  Veys.  Il  résida  au 
j)ostc  de  Tumba.  Le  nom  qu’il  donne  aux  cérémonies 
d’initiation  n’est  pas  nkitnha,  mais  kimpasi.  Ce  terme 
signihe  résurrection.  F^ua  kimpasi,  veut  dire  passer 
[)ar  la  cérémonie  de  la  résurrection.  M.  \\"ard  a appelé 
les  cérémonies  de  cette  même  région  nkimha  ou  fua 
komjo.  Les  renseignements  de  ces  deux  auteurs  nous 
font  songer  jilutôt  au  ndembo  (ju’au  nkimba.  Cepen- 
dant, du  kimpasi  du  R.  P.  ’^^eys  les  femmes  sont  soi- 
gneusement exclues.  Faut-il  en  conclure  (jue,  dans  la 
région  des  Cataractes,  les  cérémonies  du  ndembo  ont  eu 
une  certaine  inlluence  sur  celles  du  nkimba,  ou  bien 
({lie  nos  auteurs  ont  été  induits  en  erreur  et  mêlent, 
sans  le  savoir,  des  cérémonies  ditférentes?  Attendons 
des  informations  plus  précises  avant  de  répondre  à cette 
question. 

En  poursuivant  notre- route  à l’est,  nous  rencontrons 
la  rivière  Inkisi.  Kisantu  est  un  poste  important  des 
Pères  Jésuites.  Les  RR.  PP.  Butaye  et  Struyf  parlent 
d’une  institution  qu’ils  appellent  kimpasi.  Ici,  il  s’agit 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


A(u 

bien  de  cérémonies  qui  doivent  être  assimilées  au 
ndembo.  Le  R.  P.  Butaye  parcourut  dans  tous  les  sens 
la  région  comprise  entre  l’Inkisi  et  la  Nsele.  Dans  une 
conversation  particulière,  il  nous  signala  l’existence, 
dans  ces  parages,  d’une  cérémonie  qui  répond  au 
nkimba;  c’est  le  mo  o lonr/o,  littéralement,  la  maison 
du  mariage.  Lomjo^  au  pluriel  tongo,  veut  dire 
mariage. 

Un  ternie  analogue  est  employé  par  le  missionnaire 
baptiste  anglais  Lewis  pour  désigner  le  nkimba;  il  l’ap- 
pelle nlongo.  La  ressemblance  entre  les  deux  mots  n’est 
cependant  qu’apparente.  Nlongo  fait  au  jduriel  mi- 
longo  et  signifie  médecin,  prohibition.  Les  observations 
du  Rev.  Lewis  portent  sur  la  région  de  Zombo,  - au 
sud-ouest  de  Ntumlia  Mani,  à environ  huit  heures  de 
marche  dans  le  Congo  portugais. 

Revenons  au  fleuve.  A Borna  nous  trouvons  les 
nXûnihOi  {inqiiùnha,  quimba)  de  Bastian;  à Banza  Man- 
tcka,  ceux  de  Baumann;  à Kionzo,  ceux  de  M.  Van  de 
^'elde  et  du  R.  P.  Goedleven.  Les  observations  de  ce 
dernier  portent  en  outre  sur  Borna,  Palaballa  et  le 
Majombe.  Il  appelle  nkimba,  le  dieu  ou  fétiche  en  l’hon- 
neur duquel  se  font  les  cérémonies  ; les  adeptes  eux- 
mêmes  sont  appelés  zinkirnba. 

Avec  MM.  Johnston  et  Dupont  nous  nous  transpor- 
tons entre  Manjanga  et  Isangila.  D’après  M.  Dupont, 
les  cérémonies  s’appellent  ndimba  à Mvi,  et  kiclimba  à 
Manjanga.  M.  Johnston  emploie  le  terme  de  nkimba, 
inkimba  et  affirme  que  ces  cérémonies  ne  se  rencon- 
trent pas  en  amont  d’ Isangila  : elles  se  seraient  répan- 
dues Jusque  deux  cents  milles  de  l’océan  et  se  retrou- 
veraient à la  côte  chez  les  Kabinda  et  les  Loango  au 
nord,  dans  l’xUngola  au  sud.  M.  Glave  aussi  assure  que 
les  nkimba  ne  se  rencontrent  pas  au  delà  de  Manjanga 
et  de  Lukunga. 

Les  inkimba  de  M.  Fuchs  sont  au  nord  de  Borna, 


468 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


vers  le  Majonibe.  Dans  la  collection  de  photograjihies 
de  M.  Deineuse  figure  un  nkimba  de  Nekuku,  village 
situé  à une  heure  de  Boina  (1). 

Les  observations  du  lieutenant  Gilmont  se  rapportent 
au  Majombe.  Le  nom  qu’il  donne  aux  adeptes  est  tantôt 
ukissiha,  tantôt  nkimha.  Nkissiba  est,  sans  doute,  une 
faute  d’impression.  C’est  le  nom  de  nkimba  que  leur 
donne  le  R.  P.  De  Cleene  auquel  nous  devons  des  ren- 
seignements très  précieux  sur  la  même  région.  Il  put 
étudier  de  très  près  les  hahiniha  du  village  Nkele. 

Comme  on  le  voit,  le  nom  généralement  employé 
pour  désigner  les  cérémonies  de  la  puberté  est  nkimba. 
Chez  M.  Slosse,  il  signifie  le  prêtre  lui-même;  chez  le 
R.  P.  Goedleven,  le  dieu.  Au  pluriel,  ce  mot  fait  han- 
himha  chez  le  R.  P.  De  Cleene,  et  zinhimha  chez  le 
R.  P.  Goedleven.  On  rencontre  aussi  au  singulier  la 
forme  inkimha  (2).  M.  Morgan  emploie  le  terme  inkimpi, 
et  Coquilhat  celui  de  nkissi  qui  est  le  nom  ordinaire 
pour  désigner  le  fétiche. 

Disons  un  mot  maintenant  du  nom  et  de  l’aire  d’ex- 
tension du  ndembo.  D’après  le  Rev.  Bentley,  il  se 
distingue  du  nkimba  en  ce  qu’il  est  répandu  très  loin 
à l’intérieur  des  terres.  L’opération  s’appelle  f^da  : res- 
susciter; encore  : fwa  e ndembo,  fica  e nkita,  mourir 
ndembo,  mourir  nkita. 

Les  observations  du  Rev.  Coinber  se  rapportent  au 
district  de  Wathen.  Le  nom  qu’il  emploie  est  nkita. 
C’est  le  nom  d’un  grand  esprit  que  le  R.  P.  Butaye 
entendit  invoquer  à cinq  ou  six  lieues  au  nord  de 
Kisantu.  Ne  serait-ce  pas  le  puissant  A «Va  dont  parle 
M.  Dannfelt  (3)?  Il  est  représenté  comme  un  dieu  de 

(1)  Congo  illustré,  III  (1894),  (II. 

(2)  D’après  le  dictionnaire  de  Bentley,  nkimba  appartient  à la  deuxième 
classe.  Le  pluriel  serait  donc  nkimba,  anciennement  zinkimba.  Le  R.  P.  Aug. 
De  Clercq,  recteur  du  séminaire  de  Scheut,  que  je  consultai  à ce  sujet,  dit  que 
le  pluriel  est  zinkimba  ou  bakimba. 

(3)  Dans  le  Mouvement  géographique,  VII  (1890),  19a. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


469 


couleur  noire  qui  vit  retiré  dans  la  forêt  et  fait  entendre 
sa  voix,  la  nuit.  M.  Dannfelt  ajoute  que  l’ordre  des 
nkimba  est  consacré  à son  culte. 

Ce  que  M.  Ward  appelle  nkimba  ou  fua  kongo 
rentre  dans  notre  catégorie  ndeinbo.  Il  en  est  vraisem- 
blablement de  même  du  kimpasi^w  R.  P.  Vejs,  comme 
nous  l’avons  indiqué  plus  haut. 

Sur  l’Inkisi,  le  kimpasi  des  RR.  PP.  Butaje  et 
Struyf  rappelle  le  ndeinbo,  comme  le  nzo  o longo  rap- 
pelle le  nkimba  du  Bas-Congo.  D’après  le  témoignage 
du  R.  P.  Struyf,  le  kimpasi  n’existe  plus  à Kisantu, 
mais  bien  dans  la  région  du  Mbata  qui  commence  à la 
rivière  Fidi,  à une  dizaine  d’heures  au  nord  de  Xtumba 
Mani  et  va  jusqu’à  Ntumba  Mani  et  au  delà,  sur  les 
deux  rives  de  l’Inkisi. 

Pour  ndeinbo,  M.  De  Bas  emploie  le  terme  de 
ngemba.  Est-ce  une  variante  locale  ou  le  résultat  d’une 
erreur?  Nous  penchons  plutôt  pour  la  dernière  alter- 
native. 


II.  — Age  des  adeptes 

D’une  façon  générale,  on  peut  affirmer  que  l’âge 
auquel  on  se  soumet  aux  cérémonies  du  nkimlia  cor- 
respond à celui  de  la  puberté.  Parmi  nos  auteurs,  les 
uns  indiquent  l’âge  de  dix  à onze  ans,  comme  M.  Le- 
jeune; les  autres,  comme  M.  Slosse,  donnent  celui  de 
onze  à douze  ans,  ou  de  douze  à quatorze  ans,  comme 
M.  Glave,  ou  de  sept  à quinze  ans,  comme  M.  Baumann, 
ou  de  quinze  à dix-huit  ans,  comme  Goquilhat,  ou  de 
huit  à vingt  ans,  comme  Bastian. 

Le  R.  P.  Butaj^e  fixe  l’âge  des  nkimba  entre  dix  et 
quinze  ans  ; il  se  souvient  en  avoir  vus  qui  pouvaient 
avoir  vingt  ans.  D’après  M.  Dupont,  c’est  vers  l’âge  de 
dix  ou  onze  ans  qu’on  se  fait  nkimba;  mais  il  ajoute 
qu’il  n’y  a pas  d’âge  fixe. 


470 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Les  témoignages  de  M.  Johnston  ont  quelque  peu 
varié  sur  ce  point.  Il  indique  tantôt  l’âge  de  douze  à 
quinze  ans  (1),  tantôt  celui  de  onze  à quarante  ans  (2), 
ou  encore  celui  de  quatorze  à quarante  ans  (3).  Ce 
qu’il  y a d’étrange  dans  ces  renseignements  de 
AI.  Johnston,  c’est  que  des  hommes  de  quarante  ans 
vivraient  au  nkimha  avec  de  tout  jeunes  gens.  Au 
ndembo  c’est  chose  toute  naturelle  : des  hommes  et  des 
femmes  de  tout  âge  s’y  coudoient.  Mais,  s’il  faut  en 
croire  la  pluj)art  de  nos  auteurs,  il  n’en  serait  pas 
de  même  au  nkimba.  Nous  trouverions-nous  ici  en 
présence  d’une  fusion  du  nkimba  et  du  ndembo?  Cela 
n’est  pas  impossible.  Alais,  étant  données  les  variations 
de  l’auteur,  nous  préférons  croire  à une  confusion  de 
sa  part. 

L’âge  d’admission  au  hinipasi,  selon  le  R.  P.  Veys, 
est  de  douze  à treize  ans.  M.  AVard  fixe  à douze  ans 
l’âge  d’admission  au  nkimlia  (4).  Toutefois,  dans  son 
article  du  Journal  of  the  anthropolügigal  Insti- 
TUTE  (5),  il  s’est  écarté  de  sa  version  première  : la 
cérémonie  du  nkimha  ou  fua  hon/fo  serait  accessible 
aux  garçons  et  aux  filles,  aux  hommes  et  aux  femmes 
quel  que  soit  leur  âge.  C’est  cette  dernière  version  qui 
nous  a permis,  avec  la  réserve  voulue,  de  rapporter  au 
ndembo  ces  informations  de  M.  AVard. 

L’admission  au  ndembo  n’est  pas  soumise  aux  mêmes 
conditions  d’âge  et  de  sexe  que  le  nkimba  : hommes  et 
femmes,  nous  l’avons  déjà  dit,  y vivent  côte  à côte  avec 
garçons  et  filles.  Nous  sommes  tenté  de  voir  dans  ce 
fait  une  distinction  essentielle  entre  les  deux  institu- 
tions. Le  nkimba  est  la  fête  de  la  puberté;  le  ndembo, 

(1)  The  River  Congo,  406. 

(2)  The  River  Congo,  69;  et  Proceedings  of  the  R.  Geogr.  Society,  V 
(1883),  572. 

(3)  The  Journal  of  the  Anthropological  Instituts,  .XIII  (1884),  472. 

(4)  Five  years  ...,  54. 

(5)  XXIV  (1895),  288. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


•i7i 


au  contraire,  accessible  à tous  les  âges,  constitue 
plutôt  une  initiation  dans  une  secte,  dans  une  sorte 
de  société  secrète.  Le  tiendrait  des  deux. 

III.  — Choix  des  adeptes 

C’est  le  fiancia  ou  prêtre  qui  se  charge  généralement 
de  désigner  ceux  qui  doivent  devenir  nkimlia.  Il  déclare 
avoir  vu  dans  ses  nhissi  que  tel  jeune  homme  aura  à 
subir  les  cérémonies.  Ces  renseignements  de  M.  Le- 
jeune sont  confirmés  par  le  lieutenant  Gilmont.  Le 
ntenda^  dont  parle  le  R.  P.  De  Gleene,  est  en  même 
temps  chef  de  village  et  directeur  des  nkimha;  il  fixe  le 
jour  de  la  convocation  des  néophytes  et  il  est  probable 
que  c’est  lui  aussi  qui  les  désigne.  Le  R.  P.  Goedleven 
laisse  supposer  que  c’est  le  chef  de  la  contrée  qui  se 
charge  du  choix  des  adeptes. 

Deux  témoignages  s’écartent  quelque  peu  des  précé- 
dents. C’est  d’abord  celui  de  Goquilhat  qui  attribue  à 
une  palabre  le  soin  de  désigner  les  nkiinba.  D’après 
M.  Slosse,  les  enfants,  arrivés  à l’âge  de  onze  ou  douze 
ans,  se  rendent  spontanément  chez  le  prêtre,  appelé 
nkimha  ; celui-ci  décide  après  un  certain  temps  si  l’en- 
fant rentrera  dans  ses  fo^mrs  ou  suivra  la  carrière  de 
féticheur. 

L’admission  des  adeptes  se  fait  à des  intervalles  assez 
réguliers.  L’époque  que  lui  assignent  le  lieutenant  Van 
de  AVlde  et,  après  lui,  le  R.  P.  Merlon,  est  le  mois  de 
juin,  à la  lune  qui  suit  la  dernière  pluie,  le  premier 
mois  de  la  cacimha  ou  saison  sèche.  Tous  les  auteurs  ne 
sont  pas  aussi  explicites.  Pour  le  R.  P.  Goedleven, 
c’est  tous  les  ans  ou  tous  les  deux  ans,  au  gré  des 
chefs;  au  Majombe  aussi,  nous  l’avons  dit  déjà,  c’est  le 
ntenda  qui  choisit  l’époque. 

A ces  témoignages  qui  constatent  une  certaine  régu- 


472 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


larité  dans  la  convocation,  s’opposent  ceux  de  Bastian 
et  de  Dannfelt  qui  disent  que  les  nkiinba  ne  sont  con- 
voqués qu’à  la  suite  d’un  événement  extraordinaire. 
Chaque  fois,  dit  M.  Dannfelt,  que  le  dieu  Fankita 
manifeste  sa  colère  en  détruisant  les  moissons,  ou  en 
entravant  la  réussite  de  la  pêche,  quantité  de  jeunes 
gens  entrent  dans  l’ordre.  Pour  Bastian,  la  société 
ouvre  son  sein  à de  nouveaux  membres  chaque  fois  qu’il 
naît  un  paralytique  ou  un  être  difforme. 

Dans  l’un  et  dans  l’autre  cas,  il  peut  se  passer  des 
années  sans  que  des  initiations  de  nkimba  aient  lieu.  Il 
s’ensuit  naturellement  que  l’âge  des  adeptes  variera. 
Tel  jeune  homme  qui  serait  en  âge  de  devenir  nkimba 
est  refusé  pour  l’un  ou  l’autre  motif;  admis,  à la  pro- 
chaine initiation,  c’est-à-dire  dans  deux  ou  trois  ans  peut- 
être,  il  dépassera  d’autant  l’âge  normal.  Il  y aura  donc 
des  adeptes  n’ayant  pas  encore  atteint,  ayant  atteint  et 
ayant  dépassé  l’âge  de  la  puberté.  C’est  un  point  qui 
peut  avoir  son  influence  sur  la  transformation  des  céré- 
monies elles-mêmes. 

Nous  ne  savons  pas  si  le  nombre  des  nkimba  est 
limité.  D’après  MM.  M’auters  et  Lejeune,  le  nombre 
normal  serait  de  dix,  quinze  ou  vingt.  Le  R.  P.  Goed- 
leven  fait  varier  leur  nombre  suivant  l’importance  des 
localités  : tantôt  ils  seront  cinquante,  tantôt  cent. 

Il  se  pose  ici  une  question  plus  importante  au  point  de 
vue  de  l’organisation  politique.  Les  nkimba  sont-ils 
choisis  parmi  les  enfants  d’un  seul  village  ou  parmi 
ceux  de  villages  différents  ? Anciennement,  de  l’avis  du 
R.  P.  Butaye,  chaque  village  avait  son  nkimba. 
M.  Glave  prétend  qu’il  en  est  encore  ainsi.  Ce  n’est  pas 
l’avis  du  plus  grand  nombre  de  nos  auteurs.  D’après 
ceux-ci,  plusieurs  villages  seraient  groupés  autour  d’un 
village  chef-lieu, d’un  hanza.hk,  réside  le  grand  prêtre 
qui  préside  l’école  des  féticheurs.  C’est  notamment  ce 
que  nous  apprend  M.  Dupont.  Cela  ne  l’empêche  pas  de 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


473 


mentionner  quelques  lignes  })lus  loin,  parmi  les  condi- 
tions d’admissibilité,  que  l’enfant  doit  être  né  dans  le 
village  même. 

Le  R.  P.  Goedleven  aussi  est  d’avis  que  plusieurs 
villages  se  groupent  })our  former  un  nkimba  : les  chefs 
décident  de  l’opportunité  de  convoquer  les  jeunes  gens; 
chaque  village  est  représenté  par  une  demi-douzaine  de 
néophytes.  Si  nous  prenons  en  moyenne  soixante-dix 
néophytes,  nous  nous  trouvons  en  présence  d’un  grou- 
pement d’une  douzaine  de  villages,  où  les  croyances  et 
les  coutumes  seront  uniformes  du  fait  de  l’éducation 
commune  des  enfants.  C’est  un  fait  très  intéressant,  et 
qui  est  indiqué  aussi,  d’une  façon  tro}>  catégorique 
peut-être,  par  M.  Lemaitre  : deux  écoles,  dit-il,  dans 
le  Bas-Congo,  forment  des  féticheurs  ; la  première  est 
établie  à Nekuku;  la  seconde,  dans  le  Sundi. 

11  reste  à examiner  les  conditions  d’admissiliilité. 
D’abord  le  nkimba  doit  être  en  mesure  de  payer  les 
honoraires  àn  rjanga.  C’est  l’avis  de  Bastian,  Bentley, 
Dupont,  etc.  Ecoutons  à ce  sujet  M.  Lejeune  : « Pour 
être  instruit  dans  les  mystères  de  la  secte,  on  offre  habi- 
tuellement au  ganga  vingt  pièces  de  mouchoirs  et  deux 
chèvres  lorsque  le  féticheur  doit  se  rendre  assez  loin 
pour  accomplir  les  rites.  Dans  le  cas  contraire,  c’est 
dix  pièces  et  une  chèvre  » . 

De  plus,  MM.  4^an  de  4"elde,  Coquilhat,  Dupont, 
exigent  qu’on  soit  fils  d’homme  libre.  Coquilhat  n’admet 
même  que  les  plus  intelligents  parmi  les  fils  d’hommes 
libres.  M.  Dupont  fait  une  exception  à la  règle 
générale  en  faveur  des  fils  d’un  esclave  influent  par 
son  intelligence  et  sa  fortune. 

Pour  le  R.  P.  Goedleven,  il  ne  semble  pas  qu’il  y ait 
des  conditions  spéciales  pour  l’admission  au  nombre  des 
nkimba  : tous  les  enfants  mâles  doivent  subir  ces 
épreuves;  ne  pas  les  subir  serait  une  grande  honte. 


474 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Le  D''  Chavanne  occupe  ici  une  place  à part  : 
ce  ne  serait  ni  la  naissance,  ni  la  fortune,  ni  Tintelli- 
g’ence  qui  décideraient  de  radinissihilité  : entrent  dans 
l’ordre  ceux  qui  présentent  un  défaut  corporel  ou  ceux 
qui,  à la  suite  d’une  décision  de  leur  famille,  doivent 
expier  une  faute  des  leurs.  Toutefois,  M.  Chavanne 
n’assume  pas  la  responsabilité  de  cette  affirmation,  il 
l’endosse  à un  converti,  ancien  nkimba. 

L’admission  au  ndembo  n’est  pas  soumise  à tant  de 
conditions.  Le  fianfia  se  contente  de  recommander  à 
([uelques  individus  de  simuler  la  mort.  On  se  livre  à des 
danses,  on  fait  de  la  musique.  La  suggestion  aidant, 
quelques-uns  des  spectateurs  tombent  à leur  tour  : ils 
sont  morts  ndembo.  De  cette  façon,  l’opérateur  arrive  à 
vingt,  trente,  jiarfois  cinquante  sujets  qu’il  s’efforcera 
de  ressusciter. 

Ici,  on  le  devine,  jias  d’époque  fixe  pour  l’admission. 
Une  exception  doit  être  faite  ])our  le  kimpasi  du 
R.  P.  4 eys  qui  se  rapproche  par  ce  détail  du  nkimba  : 
il  se  tient  de  tem])s  en  temps,  au  gré  des  chefs;  autrefois 
il  avait  lieu  chaque  année. 

Ce  sont  des  circonstances  accidentelles  qui  provoquent 
un  recrutement  nouveau  de  ndemho  : soit  des  cas 
d’avortement,  d’a])rès  le  Rev.  Bentlej;  soit  un  accrois- 
sement de  la  moi’talité,  d’après  le  Rev.  Comber;  soit 
encore,  d’après  M.  A4kard,  une  diminution  dans  le 
nombre  des  naissances.  Cette  irrégularité  dans  le  recru- 
tement ne  manque  pas  d’être  suggestive.  îllle  donne  à 
cette  institution  une  allure  bien  marquée  de  magie.  On 
chercbe  avant  tout  à apaiser  les  esprits,  à se  les  rendre 
favorables,  à ac({uérir  du  pouvoir  sur  eux.  Ce  n’est  pas 
un  culte  à côté  du  culte  réguliei*;  mais,  quand  on  le 
compare  aux  pratiques  plus  régulières  des  nkimba,  il 
est  permis  d’j  voir  un  culte  anormal. 

Les  témoignages  de  Bastian  et  de  Dannfelt,  à suppo- 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÈTES  AU  BAS-CONGO 


475 


ser  qu’ils  soient  exempts  d’erreurs  (i),  montreraient  une 
tendance  des  nkimlia  à devenir  magiques  à leur  tour. 
Il  faut  en  dire  autant  du  passage  du  D*"  Chavanne,  dont 
nous  venons  de  parler. 

Quant  au  nombre  des  ndembo,  il  est  aussi  variable, 
plus  varialile  même,  que  celui  des  nkimba.  Le 
Rev.  Bentley,  nous  l’avons  déjà  dit,  le  porte  à vingt, 
trente  ou  cinquante;  il  a entendu  parler  de  réunions 
comprenant  jusque  deux  cents  membres.  Le  Rev.  Gom- 
ber  parle  de  réunions  de  trois  cents  ndembo  : ils  sont 
logés  à raison  de  quarante  à cinquante  par  butte. 


nk  — Durée  des  épreuves 

11  règne  une  divergence  d’idées  très  grande  sur  la 
durée  des  épreuves.  Outre  les  diflerences  locales,  sur 
lesquelles  nous  croyons  avoir  suffisamment  insisté,  nous 
en  signalerons  ici  deux  causes  principales.  D’aliord, 
certains  auteurs  oublient  de  dire  de  quelle  année  ils 
parlent.  Il  y a,  en  effet,  l’année  européenne  et  l’année 
indigène  qui  ne  compte  que  six  mois,  la  durée  d’une 
saison.  Ensuite,  il  convient  de  distinguer  une  durée 
minima  et  une  durée  maxima.  Il  n’est  pas  impossible  à 
priori  que  l’initiation  comprenne  plusieurs  étapes  que 
tous  ne  doRent  pas  parcourir.  I)e  fait,  la  durée  des 
épreuves  est-elle  la  même  pour  tous  les  adeptes  ? C’est 
une  question  que  beaucoup  d’auteurs  ne  se  sont  pas 
posée. 

MM.  Johnston  et  Slosse  affirment  d’une  façon  vague 
qu’il  existe  différents  stades  d’initiation  pour  les 
nkimba;  M.  MMuters  ajoute  que  c’est  au  bout  d’un  an 


(1)  Pour  Dannfelt,  il  y a un  motif  de  croire  que  ce  qu’il  attribue  au  nkimba 
pourrait  bien  appartenir  au  ndembo  : la  société  a pour  but  de  se  rendre  favo- 
rable l’esprit  Fankita,  qui  n’est  peut-être  pas  distinct  du  nkita,  comme  nous 
l’insinuions  plus  haut. 


i76 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


que  se  fait  le  triage  : une  élite  reste,  les  autres  retour- 
nent dans  leurs  foyers.  C’est  le  renseignement  le  plus 
précis  que  nous  ayons  })u  trouver  sur  cette  question. 
Nous  ignorons  à quelle  source  et  dans  quelle  localité  il 
a été  recueilli. 

\’oici,  d’après  différents  auteurs,  la  durée  des 
épreuves  : M.  Lejeune  l’évalue  à deux  mois;  MM.  John- 
ston (1),  Dannfelt,  Slosse  et  le  R.  P.  De  Gleene,  à six 
mois;  MM.  Morgan  et  Coquilhat,  à une  année;  le  R.  P. 
(foedleven,  à une  année  et  demie,  à une  année  et  moins 
encore  di'puis  que  l’Ltat  réclame  les  bras  des  travail- 
leurs indigènes;  le  Rev.  Bentley  et  M.  Ward,  de  six 
mois  à deux  ans;  M.  Dupont,  à un,  deux,  trois  et 
même  six  ans;  M.  Chavanne  et  le  Rev.  Richards,  de 
deux  à trois  ans;  M.  Clave,  à deux  ans,  et  plus; 
M.  Bastian,  à(piatre  ans  pour  leMajomhe  ; M.  Lemaître, 
de  cinq  à six  ans,  etc. 

Comme  durée  moyenne  du  kà/tpasi,  nous  trouvons 
un  à deux  mois,  chez  le  R.  P.  ^'e3’s.  Les  cérémonies 
({lie  M.  W'ard  appelle  himha  ou  fua  kongo  (2)  dure- 
raient de  cinq  à six  ans. 

Quant  au  véritable  ndemlio,  sa  durée  serait  de  trois 
mois  à trois  ans,  d’après  le  Rev.  Bentley,  tandis  que  le 
Rev.  Comber  lui  donne  seulement  une  durée  de  quel- 
ques mois. 

Nos  renseignements  sur  la  durée  des  épreuves,  on  le 
voit,  sont  loin  de  s’accorder.  La  plupart  manquent  de 
j)récision  et  ce  n’est  qu’avec  de  grandes  précautions 
qu’on  peut  les  utiliser. 


(1)  Sic  : I’hoc.  U.  G.  Soc.  London,  V U8H3),  57:2.  Toutefois,  dans  son  livre 
The  River  Conr/o,  40(1,  il  donne  la  durée  de  deux  années  indigènes,  c’est- 
à-dire  douze  mois.  Quelques  lignes  plus  loin,  il  écrit  : « pendant  leurs  six 
mois  d’épreuves  ». 

t”2)  Sic  ; .louiîN.  .\NTHh.  In.st.,  XXIV  (1895),  "288.  La  durée  de  six  mois  à 
deux  ans  est  donnée  dans  son  livre  : Five  iji'avs...,  54. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  P,AS-C( )N(i(  ) 


177 


— Lieu  des  épreuves 

Si  les  témoignages  sont  discordants  an  sujet  de  la 
durée  des  épreuves,  leur  accord  est  complet  concernant 
le  lieu  où  elles  se  déi-oulent.  C’est  en  dehors  des  agglo- 
mérations, dans  le  hois,  que  se  passent  les  rites  des 
nkimba.  Leur  résidence  est  masquée  par  des  arlires 
toutiùs  ou  d’épais  fourrés.  Tous  les  adeptes  sont  réunis 
dans  un  même  local,  parfois  dans  deux  ou  trois  locaux, 
suivant  leur  nombre.  Au  Majomlie,  leur  résidence  se 
compose  généralement  de  deux  ou  trois  cases  délalirées 
qu’ils  transportent  du  village  à l’endroit  des  épreuves. 
Le  R.  P.  De  Cleene,  de  qui  proviennent  ces  renseigne- 
ments, l’appelle  kozo. 

Le  R.  P.  Goedleven  nous  donne  une  description 
détaillée  du  théâtre  de  l’initiation.  « L’école  du  nkimba 
se  trouve  toujours  à })roximité  de  quelque  village  et  de 
quelque  forêt,  de  telle  façon  que  les  chemins  qui  y con- 
duisent forment  une  grande  croix;  le  haut  de  la  ci*oix 
est  occupé  par  l’école  qui  s’appelle  le  uwala.  Au  bras 
gauche,  il  y a le  village.  Au  bras  droit,  la  forêt  réservée 
aux  élèves  qu’on  appelle  zinhitnha.  Et  au  bas  de  la 
croix,  c’est  le  lieu  où  se  fait  la  première  initiation.  » 
Quant  au  uwala  lui-même,  c’est  un  grand  cliimlieck  en 
paille  où  trône,  contre  une  des  parois,  dans  un  panier, 
le  fétiche  nkimba, 

M.  Slosse  parle  des  haliitations  semblables  à celles 
du  village,  que  les  nkimba  se  construisent  dans  les 
forêts.  Rappelons  queM.  Slosse  donne  le  nom  de  nkimba 
diWxganf/a,  sorciers  qui,  à certaines  époques,  se  retirent 
ensemble  dans  les  forêts.  Ces  sorciers  seraient-ils  d’an- 
ciens néophytes  qui  continueraient  à se  réunir  de  temps 
en  temps  dans  les  bois  ? 

La  forêt  qui  est  la  scène  du  nkimba  est  aussi  celle  du 
et  du  ndembo.  La  résidence  des  ndembo  s’appelle 


478 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


vêla.  Le  R.  P.  Struyf  rapporte  que  le  kimjxisi  pra- 
tique dans  un  enclos  en  dehors  du  village.  A l’entrée, 
on  voit  huit  à dix  idoles.  La  hutte  du  sorcier  se  dresse 
au  milieu. 

Les  nkiinha  et  les  ndeniho  cachent  leurs  mystères  au 
fond  des  bois  ; la  brousse  les  attire.  Sur  ce  thème  l’iiiia- 
gination  féconde  de  Frohenius  a brodé  tout  un  système 
de  psychologie  africaine.  Avant  tout  et  à la  hase  de 
tout,  il  place  le  culte  des  morts,  le  manisme,  dont  les 
rites  de  la  puberté  dérivent  naturellement.  Le  séjour 
prolongé  au  bois  des  nkimba  et  des  ndembo  est  pour  lui 
en  rapport  évident  avec  un  culte  des  arbres.  Le  culte 
des  arbres  ne  serait  qu’une  forme  évoluée  du  culte  des 
morts.  Je  sais  bien  que  ce  n’est  pas  sous  cette  forme  que 
Frohenius  présente  son  interprétation  du  fait  que  l’ini- 
tiation se  pratique  dans  les  bois;  mais  c’est  bien  là  le 
squelette  de  sa  dissertation  sur  le  sens  du  culte  des 
arbres  (1). 

Nous  ne  croyons  pas  qu'il  faille  voir  dans  la  retraite 
au  bois  rindication  d’un  culte  des  arbres;  ce  sont  là 
des  hypothèses  trop  subtiles.  11  suffit  d’invoquer  le 
besoin  de  mystère  (pii  est  naturel  à rhomme.  Pour 
satisfaire  ce  besoin,  le  Bakongo  utilise  les  forêts,  les 
hautes  herbes  qui  avoisinent  son  village.  11  en  tire  tout 
l’effet  qu’il  peut  pour  s’autosuggestionner,  jiour  en 
imposer  aux  non-initiés,  aux  femmes  et  aux  enfants.  Ce 
qu’il  cherche  avant  tout,  semble-t-il,  c’est  le  secret.  Je 
n’en  veux  d'autre  preuve  que  la  remarque  suivante  (|ue 
je  tiens  du  R.  P.  Butaye.Bans  le  voisinage  des  blancs, 
là  où  autrefois  l’initiation  se  pratiquait  à quelques  pas 
de  la  route,  sur  la  lisière  du  bois,  on  peut  voir  les 
initiés  s’enfoncer  plus  profondément  dans  la  forêt.  Ils 
cherchent  à se  soustraire  à tout  regard  indiscret;  ils 
craignent  beaucoup  la  risée  des  blancs. 


(1)  O.  c.,  163. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-COXGO 


479 


\l.  — Cérémonies  d'entrée 

L’entrée  au  nkiiiiba  comporte  un  cérémonial  assez 
compliqué  : administration  d’un  narcotique,  festin, 
liagellation  ou  autres  épreuves  semblables,  change- 
ment de  costume,  imposition  d’un  nouveau  nom, 
instructions  préliminaires,  serment  du  secret;  tels  sont, 
d’une  façon  générale,  les  éléments  de  .ce  cérémonial. 
Nous  n\  ajoutons  pas  la  circoncision  dont  nous  parle- 
rons au  chapitre  suivant. 

Tous  nos  auteurs  ne  signalent  pas  tous  ces  rites,  mais 
cela  ne  doit  pas  nous  sur])rendre.  Ici  tel  rite  pourra 
faire  défaut,  là  les  cérémonies  se  succéderont  dans  un 
ordre  différent.  Les  divergences  locales  peuvent  être 
très  importantes.  Mais  comment  nous  assurer  que 
nous  nous  trouvons  en  présence  d’une  différence  locale? 
Pour  que  cela  fût  possible  il  faudrait  que  les  observa- 
tions eussent  été  faites  d’une  façon  méthodique  et  qu’on 
pût  tirer  argument  du  silence  d’un  auteur. 

En  réalité,  les  enquêtes  ont  été  faites  au  hasard  des 
circonstances  et  les  observations  sont  incomplètes;  de 
ce  fait,  planent  des  doutes  sur  l’ordre  de  succession  des 
rites.  Un  exemple  le  fera  mieux  saisir.  M.  F.  Fuchs 
s’exprime  de  la  façon  suivante  : L’initiation  d’un 

inhimha  est  entourée  de  mystère;  elle  a lieu  la  nuit,  en 
grand  cérémonial  avec  accompagnement  de  chants  et 
de  danses.  L’initié  prête  le  serment  solennel  de  ne  rien 
dévoiler  de  ce  qu’il  A-erra  ou  entendra;  on  lui  déclare 
que  sa  mort  et  celle  des  siens  seraient  le  châtiment  de 
sa  trahison.  Puis,  après  lui  aAmir  administré  le  narco- 
tique, on  lui  rase  la  tête  et  on  l’enduit  de  pâte  blanche. 
S’il  n’est  pas  encore  circoncis,  la  cérémonie  d’initiation 
s’achève  par  cette  opération.  » M.  Demeiise  a repro- 
duit littéralement,  et  sans  citer  sa  source,  le  passage  de 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


i80 

M.  Fiichs.  Dans  l’article  deM.AVaiiters  (1)  nous  retrou- 
vons le  inèiiie  texte  avec  quelques  variantes.  Ici  l’ordre 
de  succession  est  clairement  indiqué;  tout  au  plus, 
j)eut-on  faire  observer  que  d’autres  auteurs  placent 
l’absorption  du  narcotique  en  tète.  Mais  toutes  ces  céré- 
monies se  pratiquent-elles  à l’entrée  ou  à la  sortie? 
Nous  ]ienchons  pour  la  première  hypothèse.  MM.  Fuchs 
et  Demeuse  ne  sont  j)as  explicites  à cet  égard.  A 
notre  avis,  ces  cérémonies  d’initiation  clôturées  par  la 
circoncision,  se  placeront  dilbcilement  à la  sortie  du 
nkiinba.  Il  faut  au  moins  laisser  au  circoncis  le  temps 
matériellement  nécessaire  à la  cicatrisation  de  sa  plaie. 

Cependant,  si  nous  comprenons  bien  M.  Wanters, 
ces  cérémonies  se  placeraient  à la  sortie  du  nkiinba. 
L’entrée  ne  se  signalerait  que  par  le  changement  de 
nom;  et  les  cérémonies  d’initiation,  entourées  de  mj’s- 
tère,  empruntées  à M.  Fuchs  ou  à M.  Demeuse,  s’ac- 
compliraient après  les  deux  années  de  noviciat.  Malgré 
cette  atlirmation  de  M.  Wauters,  nous  croyons  pouvoir 
continuer  à considérer  la  description  de  M.  Fuchs 
comme  celle  du  cérémonial  d’entrée.  L’étude  détaillée 
des  RR.  PP.  De  Gleene  et  Goedleven  nous  y autorise. 
Qu’il  nous  soit  permis  de  reproduire  ici  textuellement 
le  cérémonial  d’entrée,  tel  que  l’exposent  ces  deux  mis- 
sionnaires. Commençons  par  le  R.  P.  De  Cleene  : 

« Au  jour  choisi  par  lui,  le  ntenda  de  la  région  fait 
savoir  que  bon  nombre  de  jeunes  gens  du  pays  n’ayant 
pas  encore  jiassé  par  les  cérémonies  du  zntuia,  il  déter- 
mine tel  jour  pour  leur  admission,  puis  jiour  leur  entrée 
à l’école. 

» Ce  joui*  étant  arrivé,  et  les  jeunes  gens  en  question 
étant  réunis  en  un  endroit  assez  distant  du  hozo^  le 
ntenda  leur  fait  un  long  discours  sur  les  devoirs  des* 
hankiniha  et  le  droit  qu’ils  ont  au  respect  de  tous.  Le 


(I)  Congo  ill.,  1(1892),  3. 


LES  SUCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-GOXGO 


48i 


discours  a pour  accompagnement  des  danses,  des  con- 
torsions, des  simagrées. 

» Gela  fait,  on  prend  un  à un  les  futurs  hankimba 
pour  les  porter  en  triomphe  au  kozo.  Sur  le  parcours 
on  leur  promet  qu’au  soir,  en  un  grand  repas,  ils  man- 
geront le  nffulu-tongo.  Puis  on  les  flagelle  au  moyen 
d’un  petit  balai,  le  tusese,  fait  de  fines  lattes  de  bam- 
bou. De  temps  en  temps  on  s’arrête  pour  demander 
au  patient  si  le  ngulu-tongo  lui  plaît,  s’il  en  a bien 
mangé,  etc.  Le  malheureux  répond  qu’il  n’en  a pas 
encore  goûté.  Nouvelle  flagellation,  suivie  de  la  même 
interrogation.  Gela  dure  jusqu’à  ce  que  le  pauvre 
nkimba  (singulier  de  hankimba)  comprenne  enfin  que 
le  ngulu-tongo  c’est  le  balai.  Dès  lors,  tout  en  comptant 
les  larmes  aux  j^eux  les  plaies  qui  sillonnent  ses 
membres,  il  avoue  qu’il  a copieusement  soupé,  qu’il  a 
le  ventre  très  satisfait. 

» Gette  cérémonie  barbare  et  dérisoire  se  répète  pour 
chaque  sujet.  Gela  fait,  on  boit  du  vin  de  palme.  Après 
quoi,  le  ntenda  défend  à ses  élèves  de  révéler  quoi  que 
ce  soit  de  ce  qu’ils  viennent  d’endurer  ou  qu’ils  devront 
subir  encore.  Le  violateur  du  secret  serait  puni  par  les 
fétiches  qui  le  tueraient  en  lui  faisant  gonfler  le  ventre. 

» Les  principaux  de  ces  fétiches  s’appellent  Makuala 
et  Matundu  (fig.  i).  Dans  toutes  les  circonstances 
ofiîcielles,  le  ntenda  les  porte  avec  lui,  leur  donnant 
mission  de  surveiller  les  élèves,  de  présider  aux  danses 
où  ces  minuscules  magots  sont  portés  en  triomphe, 
ainsi  qu’au  changement  de  nom  qui  se  fait  pour  les 
bankimba  au  jour  où  s’ouvre  l’école.  Ghacun  des  jeunes 
gens  prend  l’un  des  noms  approuvés  par  la  loi  des 
ntendas.  Ils  s’appelleront  désormais  comme  les  fétiches, 
Makuala,  Matundu,  Sakala,  Lutete,  Mavinga,  etc. 

» Gette  cérémonie  se  trouvant  terminée,  chacun  entre 
dans  le  kozo,  après  s’être  dépouillé  de  tout  vêtement, 
car,  durant  les  six  mois  que  durera  leur  séjour  à 

111^  SÉRIE.  T.  XII.  31 


Fig.  1.  — Les  fétiches  Makual.\  et  Matundu,  vus  de  profil  et  de  face. 


(Piiot.  dos  P("^ros  de  Sclieut). 


LES  SOCIÉTÉS  SECRETES  AÜ  BAS-CONGO 


483 


l’école,  tous  les  élèves  doivent  aller  complètement  nus. 
Au  second  jour  de  l’initiation  cependant  on  leur  remet 
une  ceinture  en  feuilles  de  jialmier  dont  ils  feront  usage 
quand  ils  iront  en  quelque  village  ou  qu’ils  craindront 
la  rencontre  de  quelque  profane.  Depuis  le  séjour  des 
blancs  dans  le  pays,  la  nudité  n’est  plus  si  rigoureuse 
d’ailleurs;  ceux  que  je  surpris  dans  leur  asile  portaient 
tous  une  petite  loque  rouge,  en  guise  de  pagne. 

» Mais  continuons  et  supposons  que  nos  hankitnha 
ont  bien  passé  leur  première  nuit,  fatigués  qu’ils  étaient 
par  les  cérémonies  et  par  les  coups  de  ngulu-tongo . 
Dès  lors  on  se  demande  pourquoi  nos  intéressants  sujets 
ont  encore  à passer  six  mois  au  kozo,  puisque  le  chan- 
gement de  nom,  but  réel  et  unique,  paraît-il,  est 
accompli  (i).  C’est  sans  doute  pour  faire  croire  aux 
profanes  qu’il  s’agit  en  l’occurrence  d’une  affaire  assez 
importante  pour  nécessiter  toute  une  saison.  Peut-être 
encore  a-t-on  conservé,  faute  d’autre  chose,  la  mesure 
du  temps  que  durait  l’école  réelle  chez  les  ancêtres. 

» Quoi  qu’il  en  soit,  à leur  premier  réveil  au  hozo, 
soit  au  chant  du  coq,  nos  hanhiniha  ont  à comparaître 
devant  le  ntenda,  armé,  comme  de  raison,  de  ses  deux 
fétiches,  Makuala  et  Matundic,  tout  enduits  de  craie. 
A l’exemple  de  ces  deux  patrons,  nos  gosses  doivent  se 
])làtrer,  et  renouveler  l’opération  assez  souvent  pour 
être  blancs  comme  neige  pendant  six  mois.  Le  front  seul 
est  entouré  pour  un  temps  d’un  bandeau  sous  lequel  la 
peau  garde  sa  teinte.  Mais  dés  qu’on  a enlevé  cet 
obstacle,  la  craie  vient  prendre  sa  place.  Ces  nègres 
peints  en  blanc  font  effet  de  fantômes,  surtout  lorsqu’ils 
se  livrent  à la  danse.  En  ce  cas  d’ailleurs,  ils  portent 
leur  ceinture  de  feuilles  de  palmier,  de  gros  bracelets 
en  bois,  un  collier  de  même  matière  simulant  grossiére- 


(1)  Nous  ne  croyons  pas  que  le  changement  de  nom  soit  lebutréel  et  unique 
de  cette  institution.  C’est  simplement  une  des  cérémonies  les  plus  caractéris- 
tiques du  nkimba. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


iSi 

ment  des  perles,  le  tout  blanchi  par  l’indispensable 
craie.  C’est  le  ntenda  qui  conduit  ces  danses,  comme  il 
en  donne  le  signal.  » 

^’oici  la  description  du  cérémonial  tel  qu’il  se  pratique 
à Kionzo,  d’après  le  R.  P.  Goedleven  : « ^’oyez-les 
sous  la  conduite  d’un  kapita,  quitter  leur  village  dès  le 
premier  chant  du  coq.  Ils  s’en  vont  vers  le  lieu  de  l’ini- 
tiation, où  ils  doivent  être  arrivés  avant  le  lever  du 
soleil.  Là  arrive  bientôt  le  ncfcinf/a  ou  féticheur  du 
nkimba.  11  commence  par  dépouiller  le  postulant  de 
tous  ses  vêtements;  jmis,  il  l’étend  par  terre,  et,  comme 
un  boulanger  qui  travaille  sa  pâte,  il  le  frappe  trois  fois 
du  poing  en  le  roulant  trois  fois  par  terre.  Enfin,  se  pen- 
chant au-dessus  du  postulant,  il  prononce  dans  la  langue 
du  nkimlia  et  en  appuyant  terriblement  sur  chaque 
syllabe  son  nouveau  nom.  Ainsi  pour  dire  le  nom  de 
Kinhela,  il  dira  : Or-hi-nhe-ve-zo  ! Gela  fait,  le 
postulant  se  lève  et  s’assied.  Et  le  sorcier,  secouant  la 
face  vers  la  place  d’où  le  postulant  s’est  levé,  s’écrie 
d’une  voix  plus  vilirante  encore  que  tantôt  : Auakwe- 
zié!  Aussitôt  on  se  met  à enduire  et  à frotter  le  corps 
du  postulant  avec  de  la  terre  blanche  (terre  de  pipe)..., 
et  ce  corps  noir  est  bientôt  devenu  blanc,  aussi  blanc 
qu'un  mur  badigeonné  ! Après  ceci,  le  farouche  sorcier 
donne  à l’initié  les  premières  leçons  de  chant  de  son 
nouveau  nom...  Cela  se  fait  avec  force  arguments  frap- 
pants et,  même  parfois,  en  serrant  la  corde  au  cou... 
C/est  que  ces  féticheurs  savent  bien  que  la  crainte  est 
le  commencement  de  la  sagesse,  pour  le  pauvre  nègre 
surtout. 

» Toute  cette  cérémonie  d’initiation  au  bas  de  la 
croix  (i)  s’appelle  Bjibangudüu. 

y>  Tous  les  novices  étant  badigeonnés,  on  entoure 
leurs  reins  de  feuilles  de  palmier;  le  féticheur  leur 

(1)  Il  s’agit  de  la  croix  formée  par  les  chemins  qui  conduisent  à l’école  du 
nkimba. 


■ LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


485 


indique  brièvement  le  règlement  qu’ils  auront  à suivre 
au  wcala  ; puis,  prenant  le  premier  par  une  feuille  de 
son  habit  de  verdure,  il  les  conduit  au  village  voisin, 
où  tous  doivent  le  suivre  les  yeux  baissés  ! Pendant  le 
trajet,  pour  lequel  on  a attendu  les  premières  clartés  du 
soleil  levant,  les  nouveaux  initiés,  aidés  de  leurs  aînés, 
chantent  un  hjunme  à l’esprit  : 

Nseke  eseke  zingangu  zaviiila  varia  ntima. 

Amingwala  kebelanda  zo  \va  ko. 

Ana  befwa  e nkimba,  bezai  zingangu  za  nkimba. 

» L’idée  de  ce  chant  est  celle-ci  : 

» Les  petits  oiseaux  de  Eseke  ont  de  l’esprit  plein  le 
cœur.  Les  minf/walay  c’est-à-dire,  ceux  qui  n’ont  pas 
passé  par  l’école  du  nkimba,  ne  peuvent  comprendre 
cet  esprit.  Mais  les  zinkimha  reçoivent  l’esprit  du 
nkimba. 

» Arrivés  au  village  où  toutes  les  femmes  sont 
accourues,  le  sorcier  leur  dit  solennellement  ces  mots  : 
Bau  fwidi;  hafukidi  diaka;  wan  talahena  kiciza  : 
«Voyez,  ils  étaient  morts,  et  ils  sont  ressuscités;  les 
voilà  qui  arrivent!  ». 

» Alors  le  nganc/a  serre  son  petit  doigt  successive- 
ment autour  du  petit  doigt  de  chaque  novice,  et, 
élevant  ainsi  leur  bras,  ils  prononcent  leur  nom  nou- 
veau. Il  prend  ensuite  du  sel  mêlé  avec  du  pilipili  et, 
avec  le  pouce,  il  met  de  ce  sel  sur  la  langue  des  novices. 
Alors  seulement,  c’est-à-dire,  vers  il  heures,  les 
novices  peuvent  prendre  de  la  nourriture,  car  jusque-là 
ils  étaient  à jeun.  Ne  croyez  pas  cependant  que  ces 
jeunes  gens  couverts  seulement  de  quelques  feuilles,  et 
cachés  derrière  un  masque  de  badigeon,  aient  un  air 
dissolu;  le  premier  qui  aurait  le  malheur  de  lever  les 
yeux  sur  une  femme,  serait  immédiatement  tué. 

» Du  village,  ils  se  rendent  au  uioala,  l’école  du 
nkimba.  C’est  un  grand  chimbeck  en  paille,  où  trône 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


\S6 


contre  une  des  parois  et  dans  un  panier  le  fétiche 
nkiinba.  Y étant  arrivés,  les  novices  jettent  leur  habit 
de  verdure,  car  le  fétiche  nkiinba  ne  permet  pas  que 
l’on  se  présente  dans  son  temple  à moins  d’ètre  tout  nu. 
Là  le  nfiüiiga  leur  apprend  tout  le  règlement  qu’ils 
auront  à suivre...  » 

Ces  descriptions  se  passent  de  commentaires;  nous  j 
ajouterons  un  détail  que  nous  tenons  du  R.  P.  Butaje. 
Pour  la  cénunonie  d’entrée  au  nzo  o lonfiOj  on  prépare 
autant  de  hâtons  qu’il  y a de  novices.  Ces  bâtons 
mesurent  environ  2 mètres  et  se  terminent  en  forme 
de  boule.  Après  avoir  servi  aux  rites  initiaux,  ils  sont 
soigneusement  mis  de  côté  et  gardés  pour  la  cérémonie 
de  sortie. 

C’est  à la  cérémonie  d’entrée  que  la  })lu])art  des 
auteurs  placent  le  changement  de  nom.  Le  lieutenant 
\’an  de  ^'elde  le  place  à la  sortie,  par  erreur  sans  doute, 
^’oici  une  liste  des  noms  qui  sont  donnés  généralement 
au  choix  du  chef  ou  du  nganfja  : 

NOMS  DONNÉS  AUX  NK I MBA 


IiASTiAN  Morgan  Glave  Lejecne  Gilmont  Butaye  Goedleven  UeCleene 


I.usala. 

Sakala. 

Kinkila. 

Sakala. 

Sakala. 

.Madiango. 

I.usala. 

Sakala. 

i.utete. 

Ghinkele. 

Luvungu. 

I.utete. 

.Nehama. 

I.utete. 

Tjiama. 

I.utete. 

Nsuki. 

Makeniro. 

Kabuiko. 

l’ululu. 

Nzeza. 

.Makitu. 

Makabi. 

Kinkela. 

i.utete. 

.Makuala. 

Matundu. 

.Mavinga. 

Au  ndembo  aussi,  les  initiés  prennent  un  nouveau 
nom  différent  de  celui  des  nkiinba.  A’oici  quelqiK^s  noms 
de  ndemlio  : d’ajtrès  le  R.  P.  Butaye,  Nanzamhi, 
Xalumhu,  etc.;  d’après  le  Rev.  Bentley,  Mairikala, 
Xkau,  Lema,  Ekuln,  Mata,  Tjulendo,  Xhauf/a, 
Masamha,  MaleJw,  etc.  (1). 


(1)  Une  liste  plus  complète  de  noms  de  ndembo  se  trouve  dans  l’appendice 
du  dictionnaire  de  Bentley,  881. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


487 


L’entrée  d’un  nouveau  membre  au  ndembo  s’accom- 
pagne toujours  d’un  simulacre  de  mort  que  les  Rev. 
Bentley  et  Gomber  décrivent  de  la  façon  suivante  : le 
futur  membre  est  informé  d’avance  du  rôle  qu’il  a à 
jouer;  le  sorcier  du  village  secoue  sa  crécelle;  les 
adeptes  tombent  aussitôt  sur  le  sol;  on  les  enveloppe 
d’une  toile  et  on  les  transporte  au  bois;  la  jeunesse  des 
deux  sexes  suit  le  cortège;  quelques-uns  ressentent  des 
attaques  d’hystérie,  d’autres  les  feignent  : ils  sont  morts 
ndembo  et  l’art  du  sorcier  s’appliquera  à les  rappeler  à 
la  vie. 

Le  nkiinba  ressemble  au  ndembo,  dit  Schurtz  (1),  en 
ce  que  les  cérémonies  de  l’initiation  sont  accompagnées 
d’une  mort  simulée.  Nous  ne  partageons  pas  cet  avis. 
Quelques  auteurs,  il  est  vrai,  parlent  d’un  simulacre  de 
mort  à propos  des  nkiinba;  mais  les  descriptions 
détaillées  des  cérémonies  initiales  ne  donnent  pas  du 
tout  la  même  impression.  Il  est  permis  de  croire  de  la 
part  de  ces  auteurs  à une  confusion.  C’est  le  cas  pour 
^^^ard  : les  nkiinba  doivent  prendre  un  breuvage 
qui  leur  enlève  le  sentiment;  ils  sont  dits  morts  et 
transportés  dans  la  forêt.  Chaque  fois  qu’un  nouveau 
membre  est  enrôlé,  l’arc-en-ciel  paraît  : les  nkiinba  le 
considèrent  comme  leur  père.  C’est  là  un  renseigne- 
ment que  nous  ne  trouvons  nulle  part  ailleurs.  Rappe- 
lons que  les  nkiinba  dont  Ward  parle  ici  sont  plutôt  des 
ndembo. 

Au  kimpasi  nous  trouvons  cette  représentation 
théâtrale  de  la  mort  comme  au  ndembo.  Ecoutons 
le  R.  P.  4"eys  : « Au  jour  convenu,  tous  ces  jeunes 
gens  se  réunissent  dans  le  village  le  plus  rapproché  où 
les  attend  le  nganfja  ou  le  féticheur  du  kimpasi^  Là, 
arrivés  devant  les  fétiches  protecteurs  du  kimpasi  : 
nkandi  za  kimpasi,  tous  se  couchent  par  terre  et  le 
)if/anr/a,  aidé  de  quelques  anciens  ressuscités,  les 


(1)  Bull.  Soc.  Et.  Colon.,  X (1903),  250. 


488 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


couvre  de  nattes.  Le  féticheur  alors  les  asperge  de 
lemha-lemba.  Avant  qu’ils  puissent  se  lever,  le  nganga 
doit  leur  avoir  donné  trois  coups  de  baguette  sur  la 
cuisse.  Aussitôt  après  commencent  les  danses  en  l’hon- 
neur de  fétiches  protecteurs  du  himpasi.  » 

Quand  on  rapproche  de  cette  dramatisation  de  la 
mort,  le  fait  que  le  ndemho  recrute  des  adeptes  surtout 
à la  suite  d’accidents,  d’épidémies,  de  diminution  du 
nombre  de  naissances,  etc.,  il  ne  paraît  pas  téméraire 
de  voir  dans  la  mort  apparente  des  adeptes  un  rite 
magique  : l’initié  cherche  à se  mettre  en  communica- 
tion avec  les  esprits  pour  se  les  rendre  favorables.  Ici 
encore  nous  constatons  que  le  ndembo,  par  un  caractère 
magique  assez  prononcé,  se  distingue  du  nkimba. 


VIII.  — Déformations  artifcielles 

Parmi  les  déformations  artificielles  qui  se  pratiquent 
à l’occasion  des  cérémonies  de  la  })uberté,  la  circonci- 
sion surtout  doit  nous  occuper.  Elle  semlile  être  tout  à 
fait  étrangère  aux  rites  du  ndembo.  Aucun  auteur  ne  la 
signale  comme  étant  en  rapport  avec  cette  institution. 
En  est-il  de  même  du  nkimba?  Les  auteurs  ne  sont  pas 
d’accord.  Les  uns  — et  c’est  le  grand  nombre  — 
signalent  la  circoncision  comme  un  des  rites  initiaux. 
Ce  sont,  entre  autres,  Ward  (1),  Johnston,  Slosse, 
Morgan,  Fuchs,  Demeuse,  AVauters,  4An  de  Velde, 
Merlon.  Bastian  dit  que  la  circoncision  est  })ratiquée 
dans  les  bois;  les  cérémonies  qui  la  suivent  ont  lieu 
dans  la  maison  inhhnha,  hors  du  village. 

D’autres  ne  considèrent  pas  la  circoncision  comme 
faisant  partie  intégrante  des  rites  du  nkimba.  Parmi 
ceux-ci,  signalons  d’abord  le  R.  P.  Veys,  d’après 
lequel  la  circoncision  se  pratique  au  gré  des  parents. 


(1)  Five  years 5i. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÈTES  AU  BAS-CONGO 


489 


tantôt  vers  l’âge  de  trois  ou  quatre  mois,  tantôt  vers 
l’àge  adulte.  Le  R.  P.  Gallewaert  place  l’opération  soit 
à l’époque  où  l’enfant  commence  à marcher,  soit  vers 
l’âge  de  12  ans.  Pour  M.  Dannfelt,  elle  a lieu  exclusive- 
ment entre  l’âge  de  un  à cinq  mois.  Quant  aux  RR.  PP. 
Goedleven  et  De  Gleene,  qui  décrivent  en  détails  les  rites 
de  la  puberté,  ils  ne  mentionnent  pas  la  circoncision. 

Un  seul  auteur,  et  ce  n’est  pas  le  moins  important, 
le  Rev.  Bentley,  affirme  d’une  façon  explicite  que  la 
circoncision  se  pratique  couramment  au  Bas-Gongo 
mais  qu’elle  n’a  rien  à voir  ni  avec  le  nkimba  ni  avec  le 
ndembo. 

Qui  faut-il  croire?  Parmi  ceux  qui  établissent  une 
connexion  entre  la  circoncision  et  le  nkimba,  il  en  est 
qui  manquent  parfois  de  précision  et  d’exactitude. 
M.  Johnston,  par  exemple,  croit  que  les  nkimba  sont 
de  jeunes  gens  qui  subissent  la  circoncision;  quelques 
lignes  plus  loin  il  affirme  qu’ils  ont,  les  uns  quatorze,  les 
autres  quarante  ans.  On  admettra  difficilement  que  les 
Bakongo  se  fassent  circoncire  à l’âge  de  quarante  ans. 

D’autre  part,  le  témoignage  du  Rev.  Bentley  nous 
paraît  un  peu  trop  catégorique.  Si  la  circoncision  était, 
dans  toutes  les  parties  du  Bas-Gongo,  étrangère  aux  rites 
du  nkimba,  comment  expliquer  que  tant  d’auteurs  s’y 
sont  trompés?  De  plus,  n’y  a-t-il  pas  une  certaine  vrai- 
semblance à voir  les  rites  de  la  puberté  s’accompagner 
de  la  circoncision?  Le  pagne  en  fibres  de  palmier,  obli- 
gatoire pour  les  nkimba,  aurait,  paraît-il,  dans  l’esprit 
des  nègres,  la  vertu  de  hâter  la  guérison  du  circoncis. 
On  pourrait  invoquer  aussi  contre  le  témoignage  du 
Rev.  Bentley  la  comparaison  des  cérémonies  qui  accom- 
pagnent la  circoncision  dans  d’autres  parties  du  Gongo, 
par  exemple  au  Tanganika. 

Des  témoignages  mentionnés,  nous  croyons  pouvoir 
retenir  ceci  : la  circoncision  ne  se  pratique  pas  partout 
et  toujours  au  même  âge  ; tantôt  elle  a lieu  dès  la  plus 


490 


REVUE  UES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


tendre  enfance,  tantôt  elle  est  remise  à l’époque  de  la 
})nberté.  Mais  tous  ceux  qui  ont  ])assé  j)ar  les  céré- 
monies du  nkiniba  sont,  par  le  fait  même,  circoncis; 
s’ils  ne  l’étaient  pas  au  moment  de  leur  admission,  on 
commence  par  leur  faire  subir  cette  opération. 

Il  est  donc  vrai  de  dire  que  la  circoncision  ne  fait  pas 
partie  intégrante  du  nkimba,  mais  qu’elle  ne  lui  est 
cependant  jias  tout  à fait  étrangère.  Il  n’est  pas  impos- 
silile  qu’anciennement  elle  ait  constitué  la  cérémonie 
principale  de  la  puberté  et  ait  été  pratiquée  exclusive- 
ment à cette  é})oque.  Plus  tard  seulement,  quand  l’ex- 
périence aura  appris  que  l’opération  pratiquée  sur  le 
petit  enfant  est  moins  pénible  et  moins  dangereuse,  on 
aura  commencé  à circoncire  les  enfants  très  Jeunes. 
Cette  hypothèse  permettrait  d’expliquer  certaines  dis- 
cordances. Pour  l’étayei*,  il  conviendrait  de  faire 
porter  les  recherches  sur  des  territoires  plus  étendus. 

Qui  pratiîjiie  la  circoncision  ' M.  Van  de  Velde  dit 
que  c’est  quelque  vieillard;  le  R.  P.  ^"eys,  au  con- 
traire, en  fait  la  fonction  du  af/anr/a  nvipw^ita  dont  les 
honoraires  seraient  de  25  mitakos,  soit  25  centimes  de 
notre  monnaie. 

Quand  on  demande  aux  indigènes  pourquoi  ils  se 
font  circoncire,  ils  répondent  en  général  qu’ils  ne  le 
savent  ])as.  Leurs  jières  ont  toujours  fait  ainsi,  et  ils  se 
contentent  de  les  imiter.  Quehjues-uns  cependant 
répondront  que  c’est  ])Our*  éviter  des  maladies;  d’autres, 
que  sans  cela  ils  ne  pourraient  pas  se  marier.  On  le 
voit,  nous  nous  trouvons  en  présence  d’une  pratique  ({ui 
a ses  racines  dans  le  passé  lointain  et  dont  le  sens 
véritable  s’est  ])erdu. 

Pour  expliquer  l’origine  de  la  circoncision  on  a 
avancé  le  s hypothèses  les  })lus  variées.  Faut-il  l’attri- 
Imer  à des  intluences  arabes?  Nous  ne  le  pensons  pas. 
Nous  ne  croyons  pas  non  plus  que  la  circoncision  soit, 
comme  le  voudrait  M.  Johnston,  une  survivance  d’un 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


491 


culte  phallique,  dont  il  aurait  trouvé  de  nombreuses 
traces  au  Bas-Congo,  entre  autres  dans  les  eunuques 
dont  il  a été  déjà  question.  Nous  pensons  qu’on  a sou- 
vent abusé  de  ce  vocable.  Quand  on  trouve  une  amu- 
lette sous  forme  de  phallus,  une  idole  aux  organes  géni- 
taux anormalement  développés,  aussitôt  on  parle  de 
manifestation  ou  de  survivance  d’un  culte  phallique. 
N’est-ce  pas  détourner  le  mot  culte  de  son  sens  véri- 
talile?  On  s’expose  ainsi  à considérer  comme  primitif 
ce  qui  parfois  n’est  qu’une  création  de  l’imagination 
mise  au  service  de  l’instinct  sexuel. 

Schurtz  pense  que  la  circoncision  aurait  été,  à l’ori- 
gine, un  moyen  naïf  de  faciliter  la  génération.  Ce  serait 
le  produit  d’un  concept  magico-médical.  Gela  ne  nous 
parait  pas  impossilde.  Mais  ici,  comme  pour  toutes  les 
questions  d’origine,  une  sage 'réserve  s’impose. 

En  dehors  de  la  circoncision,  il  existe  d’autres  défor- 
mations qui  devraient,  d’après  Schurtz,  faire  partie 
des  rites  de  la  jiuherté.  Ce  sont  les  tatouages,  le  limage 
des  dents,  etc.,  qui  constituent  quelquefois  des  marques 
triliales.  Nous  ne  les  trouvons  signalés  nulle  part 
comme  se  rattachant  au  nkimha.  Le  R.  P.  Veys 
donne  la  description  de  l’opération  du  tatouage  (i). 
Chose  curieuse,  à l’occasion  de  cette  opération  qui 
s’appelle  nsamha,  le  prêtre  défend  aux  noirs  de  man- 
ger de  telle  on  telle  viande,  de  tel  ou  tel  poisson.  Nous 
y reviendrons  à propos  des  prescriptions. 


MIL  — Costume 

Les  nkimha  se  reconnaissent  facilement  à leur  accou- 
trement. Il  est  à ce  point  bizarre  que  certains  voya- 
geurs ont  comparé  les  initiés  à des  clowns.  C’est  bien 
des  clowns  en  etîet  que  rappellent  ces  êtres  barbouillés 

(1)  Mouv.  ANTIESCLAV.  XV  (1903),  36-37  et  Le  Congo,  1. 11(1905),  111  et  125. 


492 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


de  la  tête  aux  pieds  d’argile  blanche,  et  portant  autour 
des  reins  une  espèce  de  crinoline  faite  d’un  cerceau  en 
osier  d’où  pendent  en  larges  franges  des  nervures  et  des 
feuilles  de  palmier. 

Ici  les  renseignements  sont  assez  bien  d’accord. 
Bastian,  les  RR.  PP.  De  Gleene  et  Goedleven  dis- 
tinguent la  tenue  d’école  et  la  tenue  de  sortie.  Le  port 
du  pagne  en  feuilles  de  palmier  n’est  obligatoire  qu’aux 
sorties;  dans  leur  retraite,  les  nkimlia  se  })assent  de 
tout  vêtement.  D’après  M.  AVauters,  le  torse  et  la 
ligure  seuls  seraient  enduits  d’argile;  la  tète  serait 
rasée,  les  sourcils  peints  en  rouge.  Au  lieu  d’une  pein- 
ture blanclie,  AI.  Dannfelt  ra])porte  qu'ils  s’enduisent 
le  corps  d’huile.  Gomme  ornements  ils  portent  sur  la 
tète,  dit  AI.  Lejeune,  une  coiffure  ornée  de  plumes  de 
poule.  Le  R.  P.  De  Gleene  nous  les  montre,  au  début 
des  épreuves,  le  front  orné  d’un  bandeau  ; aux  danses, 
ils  porteraient  des  ornements  spéciaux  que  nous  avons 
décrits  au  paragraphe  A4. 

S’il  faut  en  croire  AL  Johnston,  il  y aurait  trois 
stades  d’initiation  à chacun  desquels  répondrait  un 
costume  spécial.  D’autres  auteurs  insinuent  aussi  qu’il 
y aurait  différents  degrés  d’initiation.  Nous  en  avons  dit 
un  mot  à propos  de  la  durée  des  éjtreuves,  mais  nous 
n’avons  aucun  renseignement  précis  sur  le  raj)port  du 
costume  avec  les  stades  d’initiation. 

Il  n’est  pas  imj)ossible  que  le  pagne  en  fibres  doive, 
dans  l’idée  des  indigènes,  favoriser  la  guérison  des 
plaies  produites  par  la  circoncision.  D’autre  part,  le 
fait  que  les  prêtres  portent  toujours  des  tissus  en  fibres 
indigènes  semble  indiquer  qu’on  attache  une  certaine 
vertu  magique  à ce  costume.  Quant  à la  peinture 
blanche  dont  se  barbouillent  les  nkimlia,  Frobenius  y 
voit  l’indication  d’un  culte  solaire.  Nous  avons  dit  plus 
haut  combien  cette  interpi-étation  nous  paraît  fantai- 
siste. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


493 


Les  peintures  corporelles  des  ndembo  diffèrent  de 
celles  des  nkiinba;  elles  sont  rouges.  Ici  encore  Fro- 
benius  a vu  des  éléments  solaires  : le  blanc  lui  rappelle 
le  soleil  en  j)lein  midi  ; le  rouge,  le  soleil  à son  lever  et 
à son  coucher  (1). 

Les  ndemlio  vont  nus  pendant  toute  la  durée  des 
épreuves.  C’est,  qu’étant  morts,  ils  ne  doivent  pas  sor- 
tir de  leur  retraite  et  se  montrer  aux  hommes.  Leur 
costume  d’intérieur  est  le  même  que  celui  des  nkiinba; 
le  costume  de  sortie  n’existe  pas  pour  eux. 


IX.  — Education,  instruction 

Ce  qui,  dans  les  rites  de  la  puberté,  est  surtout  fait 
pour  exciter  notre  curiosité,  c’est  l’instruction  qui  s’j 
donne.  Souvent  le  nkiinba  a été  appelé  une  école  de 
féticheurs.  Et  de  fait,  c’est  bien  une  sorte  d’école,  où  les 
jeunes  générations  reçoivent  une  formation  religieuse 
et  civique,  où  ils  apprennent  ce  qu’ils  doivent  savoir 
pour  participer  activement  à la  vie  du  village  et  de  la 
tribu. 

Celui  qui  est  chargé  de  l’instruction  des  adeptes  est 
généralement  le  nganga,  le  prêtre  féticheur,  qui  peut 
être  en  même  temps  chef  de  village,  comme  c’est  le  cas 
pour  le  ntenda  du  R.  P.  De  Gleene.  M.  4"an  de  Velde 
dit  que  c’est  un  ancien  du  village.  Rien  ne  permet  de 
supposer  que  le  directeur  des  nkiinba  dépende,  dans  son 
enseignement,  de  qui  que  ce  soit.  Il  enseigne  tout  ce  qui 
lui  plaît  et  son  rôle  est  d’autant  plus  important  que  les 
élèves  doivent  garder  le  secret  le  plus  strict  sur  tout  ce 
qu’ils  apprennent.  Les  conséquences  de  cette  autorité 
absolue  de  l’instructeur  des  nkiinba  sont  considérables 
au  point  de  vue  de  l’évolution  des  croyances  et  des  pra- 


(1)  o.c.,m. 


m 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


tiques  religieuses;  et  il  est  permis  de  se  demander  si 
beaucou])  de  moditications  locales  ne  trouvent  jias,  dans 
ce  lait,  leur  exjdication.  D’ajtrès  Bastian.  le  n/jamja  du 
nkimba  s’ap|ielle  matando  ; le  ])rofesseur  de  la  langue 
secrète,  mvtende  ankùnha,  l’assistant  de  celui-ci  hakn; 
le  professeur  de  danse,  sanfjila.  Cette  spécialisation 
semble  être  une  exception;  en  général,  l’instruction  et 
la  direction  des  nkimba  sont  confiées  au  féticheur. 

La  lami'ue  véhiculaire  de  renseignement  est  secrète; 
son  existence  est  attestée  ])ar  tous  ceux  qui  se  sont 
occupés  des  rites  de  la  pulierté.  M.  Dannfelt,  qui  séjourna 
douze  ans  au  Congo,  en  aurait  connu  la  clef,  au  dire 
du  lieutenant  CTilniont;  mais  lui-même  se  contente  de 
dire  que  la  langue  des  nkimlia  difière  du  hihongo  (la 
langue  du  Bakongo).  Elle  se  caractériserait,  d’après 
M.  V an  de  ^'elde,  jiar  un  roulement  de  l’r  qui,  dans  le 
langage  ordinaire,  est  remplacé  soit  par  l soit  par  d\ 
d’a})i‘ès  M.  Dupont,  elle  se  caractériserait  plutôt  par  des 
sons  gutturaux. 

Le  Rev.  Bentley  est  jdus  exjilicite  ; la  langue  des 
nkimba  s’a])pelle  ; elle  se  caractérise  ])ar 

ce  qu’il  ajqielle  alliteml  concord ; son  vocabulaire  est 
peu  étendu.  Quelques  mots  ressemblent  à du  kikongo 
modifié,  d’autres  en  dittèrent  complètement.  Le  Rev. 
Bimtley  assure  ([u’il  a pu  recueillir  un  vocabulaire  de 
cette  langue  comprenant  au  delà  de  deux  cents  mots  et 
quelques  ])hrases.  Ce  vocabulaire,  à notre  connaissance, 
n’a  jias  été  publié.  \'oici  quelques  mots  de  cette  langue 
d’après  le  Rev.  Bentley  ; 

Kikongo  Français 

Lusala  Plume 

Vana  Donner 

Kwemia  Aller 

Masa  Maïs 


Kimicamivu 

Lusamwa 
Jana 
Diomva 
A'zimvu,  etc. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-COXGO 


495 


En  voici  d’autres  d’après  le  R.  P.  Goedleven  : 


Kikongo  Français  Kimwamicu 


Mono 

Je 

Ngono 

Ngye 

Toi 

Ngeko 

Yaiuli 

II 

Bwamvi 

Veto 

5’ous 

Hwevo 

Veno 

Vous 

Bweno 

Han 

Eux 

Bwau 

Di  a 

Manger 

Matafa 

Lela 

Dormir 

Fabula 

5’zo 

Maison 

Nziarambwamva 

Kisi 

Fétiche 

Bafa 

M bele 

Couteau 

Kafadu 

Loto 

Cuiller 

Kindiafi 

N lia 

Feu 

N'giovi 

Nous  ne  savons  rien  de  plus  précis  sur  la  nature  et 
sur  l’origine  de  cette  langue  qui  se  transmet  par  l’ensei- 
gnement oral.  Serait-ce  une  forme  archaïque  du  bantu, 
conservée  pour  les  besoins  de  la  religion?  Gela  n’est 
pas  impossible,  mais  M.  Johnston,  qui  émet  cette 
hypothèse,  n’a  pas  essayé  de  la  rendre  vraisemblable. 
M.  Meinhof  s’est  occupé  de  cette  langue  dans  l’article 
du  Globus  que  nous  citons  dans  la  bibliographie. 

Outre  la  langue  secrète,  dont  ils  se  servent  entre  eux, 
les  adeptes  du  nkimba  s’initient  aux  arts  et  aux  métiers. 
Ils  apprennent  à construire  des  cases,  à tresser  des 
paniers  (4'an  de  4'elde),  à faire  du  vin  de  palme,  à 
pêcher  (Bastian).  Mais  c’est  surtout  aux  chants  et  aux 
danses  qu’ils  s’exercent  (1).  Nous  donnons  ici,  d’après 
le  R.  P.  Goedleven,  quelques  chants  enseignés  au 
Uwala  : 


(1)  M.  Van  de  Velde  assista  avec  le  1)‘‘  Allard  à un  de  ces  ballets  organisés 
par  le  roi  de  Kionzo.  Ne  pouvant  transcrire  ce  détail  trop  précis,  le  R.  P.  Mer- 
Ion  l’a  remplacé  par  une  phrase  peu  compromettante  : « On  leur  enseigne 
également  des  danses  de  caractère  ». 


496 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Chant  matinal 

xNkai  muna  (inda  kadelele, 

Mbambiankila  ke  aleganga  ko. 

L’antilope  dans  la  forêt  dort,  mais  sa  queue  ne  dort  jamais. 
C’est-à-dire,  soyez  toujours  vigilant. 


Chant  du  soir 

Kala  U tomi  situmuka  wakakwendela  mu  lusungi  lua  ugonde. 

Etre  adepte  du  nkimba,  c’est  avoir  de  l’esprit,  lequel  (sans 
cela)  s’en  va  comme  la  demi-lune  en  décroissance. 


Chant  du  nom  Kinkela 

Malavu  maluaza  padi  jo  nkanka  maluaza  Kinkela,  ke  malem- 
bana  ko  — Nkanka  ankele  kia  lungundumwa  sambu  kia- 
tumwa  kumbi  jaluila. 

Le  padi  et  le  nkanba,  espèce  d’écureuils,  font  ou  prononcent 
le  nom  Kinkela,  pendant  que  sur  l’arbre  ils  prennent  le  nialafu 
(le  jus  du  palmier).  Le  nkanba,  bien  que  parlant  beaucoup  et 
savamment,  n’a  pas  la  langue  chargée,  fatiguée.  De  même,  le  tra- 
vail est  toujours  ordonné. 

Chant  du  nom  Lusala 

Mu  ndimba  volokele  mbele  za  lusala.  Tomba  wamona  yo.  1 
lusala  luà  muni  avunga  — avunga  — zavungamena  kwandi 
ku  nkozo  ! 

Les  couteaux  (les  plumes)  de  Lusala  sont  perdus  dans  la 
vallée  : chercbez  à les  revoir  ! Voyez  les  lusala,  c’est-à-dire  les 
plumes  de  l’oiseau  avungu,  vous  les  retrouvez  au  Uwala. 


En  dehors  des  arts  et  métiers,  les  nkimba  sont 
instruits  des  croyances  religieuses  et  des  règles  morales. 
Ils  apprennent  riiistoire  des  nkissi,  la  vertu  médicinale 
des  plantes,  et  surtout  le  code  des  coutumes  régionales 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AÜ  BAS-COXGO 


497 


que  M.  Van  de  Velde  appelle  hiziles.  Les  kiziles  sont 
des  lois;  par  corruption,  le  mot  peut  signifier  aussi 
défense.  En  voici  quelques-unes,  d’après  M.  A'an  de 
4"elde  : « Il  est  hizile  de  venir  en  armes  au  marché; 
même  les  couteaux  et  les  bâtons  sont  défendus  ; mesure 
très  sage,  car  il  se  boit  à ces  réunions  de  grandes  quan- 
tités de  vin  de  palme  fermenté.  Celui  qui  se  sert  d’une 
arme  au  martdié  est  enterré  vif  ou  tué,  et  son  cadavre 
est  brûlé  en  présence  de  tous  les  assistants...  Celui  qui 
est  surpris  à voler  est  tué  et  le  cadavre  est  attaché  à 
une  potence  sur  le  sentier  des  caravanes  pour  y servir 
d’exemple.  La  femme  adultère  est  mise  à mort;  son 
cadavre  est  traîné  dans  la  brousse  pour  y servir  de 
pâture  aux  animaux  sauvages.  Le  complice  devient 
l’esclave  du  mari  outragé.  Quand  un  homme  s’est  enivré 
au  point  de  causer  du  scandale,  le  liquide  dont  il  a 
bu  lui  est  déclaré  hizile  et  s’il  est  surpris  à en  boire 
malgré  la  défense,  il  paiera  une  forte  amende.  Il  est 
hizile  de  faire  la  guerre  depuis  le  coucher  du  soleil 
jusqu’à  son  lever.  » 

Ce  n’est  là  évidemment  qu’une  minime  partie  du 
cours  de  droit  indigène  que  les  nkimba  doivent  s’assimi- 
ler. Nous  sommes  plus  mal  renseignés  encore  pour  ce 
qui  regarde  l’enseignement  religieux.  Au  sujet  de  toutes 
ces  questions,  les  indigènes  se  montrent  extrêmement 
réservés. 

Connaissons-nous  au  moins  les  méthodes  d’éduca- 
tion qui  président  au  nkimba?  M.  Glave  nous  apprend 
que  le  moyen  d’éducation  le  plus  usité  est  le  bâton.  Un 
nkimba  éproiive-t-il  quekjue  difficulté  à admettre  ce  que 
le  maître  enseigne,  il  est  battu  jusqu’à  ce  que  sa  soumis- 
sion soit  acquise. 

C’est  à peu  près  tout  ce  que  nous  savons  sur  l’instruc- 
tion que  reçoivent  les  nkimba.  Au  sujet  des  ndembo  nos 
renseignements  sont  beaucoup  moins  explicites  encore  ; 
si  le  Rev.  Comber  ne  disait  pas  qu’on  leur  apprend 
IIE  SÉRIE.  T.  XII.  32 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


498 

leurs  devoirs,  on  pourrait  douter  qu’il  s’j  donne  quelque 
enseignement. 

Chose  curieuse,  les  ndenibo  ont  une  langue  secrète, 
parfaitement  distincte  de  celle  des  nkimba.  Elle 
s’appelle  Kizenyi.  D’après  le  Rev.  Bentley,  son  voca- 
bulaire est  moins  étendu.  On  y donne  à certaines 
choses  un  nom  emphatique  : c’est  ainsi  que  l’œil 
s’a})pellera  le  })Ossesseur  de  la  vue;  l’oreille,  le  seigneur 
de  l’ouïe,  etc.  Pour  désigner  une  chose  ([ui  n’a  })as  de 
terme  propre  dans  la  langue  secrète,  on  donne  au  mot 
kikongo  le  préfixe  ne:,  parfois  on  ajoute  Iwa,  La  })hrase 
kikongo  : Ke  diambu  ko  mhazi  tukicenda  deviendra 
dans  la  langue  des  ndenibo  : Ke  ne  diambulica  ne  ko 
ne  kiajikia  nengundu  jelala  tukicenda  ne  ngjalala  (1). 

En  comparant  le  ndenibo  au  nkimba,  nous  arrivons 
ici  encore  à la  conclusion  que  c’est  la  dernière  qui  est  la 
véritable  cérémonie  de  la  puberté.  Les  Jeunes  gens  _y 
reçoivent  une  préparation  générale,  uniforme,  à la  vie 
publique.  Le  besoin  auquel  répond  le  ndenibo  semble 
être  moins  régulier  et  d’une  portée  moins  générale  : ce 
serait,  comme  nous  l’avons  déjà  indiqué,  un  culte,  en 
quelque  sorte  anormal,  à caractère  magique. 


X.  — Prescriptions  et  défenses 

Les  nkimba,  on  le  suppose  bien,  ne  vivent  pas  sous 
le  régime  du  droit  commun.  Ils  jouissent  de  certains 
])rivilèges;  ils  sont  soumis  aussi  à certaines  défenses. 

Au  Majombe,  le  R.  P.  De,  Cleene  rapporte  qu’ils 
sont  placés  sous  la  surveillance  des  deux  fétiches 
Makuala  et  Matundu  dont  le  missionnaire  parvint  à 
négocier  l’achat.  Ils  sont  actuellement  au  musée  con- 
golais du  séminaire  de  Scheut  et,  grâce  à l’oliligeance 


(1)  Bentley.  Dictionary  and  Grammar,  appendix,  850. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  RAS-GONGO 


499 


du  R.  P.  Aug.  I)e  Glercq,  nous  avons  pu  en  l'opi’oduire 
une  photographie  (hg.  i). 

Les  nkiinba  vivent  aux  frais  du  village.  Voici  coin- 
nient  ils  sont  ravitaillés  : d’après  M.  Dupont,  la  inèro 
ou  la  sœur  d’un  adepte  va  déposer  chaque  jour  la  nour- 
riture de  celui-ci  dans  le  voisinage  de  l’enclos.  Pendant 
ce  travail,  elles  doivent  chanter  ou  avoir  des  cloche- 
tons; car  le  nkiinba  qui  les  verrait  devrait  les  saisir, 
appeler  ses  coinpagnons  et  les  iinmoler  séance  tenante. 
M.üllf  va  Jusqu’à  prétendre  qu’ils  mangent  les  victimes. 
Le  même  sort  serait  réservé  à tout  non-initié.  Aussi  le 
soin  du  ravitaillement  des  nkimha  incomhe,  d’après  le 
R.  P.  Goedleven,  à des  ex-nkimha,  qui  revêtent  pour 
la  circonstance  un  pagne  de  verdure. 

Quand  ils  sortent,  les  nkimha  doivent  pousser  conti- 
nuellement des  cris  pour  avertir  les  passants  de  leur 
présence.  Tout  le  monde  doit  s’écarter  de  leur  chemin 
sous  peine  d’être  molesté.  Quand  il  s’agit  d’une  femme, 
le  cas  est  plus  grave.  Autrefois,  aux  dires  de  AL  Fuchs, 
une  femme  rencontrée  par  un  nkimha  devait  être 
égorgée.  Il  est  curieux  de  voir  comme  les  mœurs  chan- 
gent. Aujourd’hui,  dit  le  R.  P.  De  Cleene,  les  nkiinba 
s’emhusquentpour  jouer  des  tours  lucratifs  auxfemmes. 
Application  d’un  principe  nouveau  : une  femme  rencon- 
trant un  nkimha  non  revêtu  de  sa  ceinture  doit  payer 
une  amende,  à moins  de  prouver  qu’elle  chantait  à ce 
moment.  En  aucune  façon,  une  femme  ne  doit  regarder 
un  nkimha  en  face  (i). 

Ceci  ne  se  rattache-t-il  pas  plus  ou  moins  directement 
à l’obligation  qui  est  faite  aux  nkimha  de  s’abstenir  de 
tous  rapports  sexuels?  Cette  défense  est  très  sévère, 
paraît-il.  Le  nkimha  a même  l’interdiction  de  manger 
des  mets  préparés  par  des  femmes  ; c’est  du  moins  ce 
que  dit  M.  Lejeune. 


(Ij  M.  Armani  considère  que  le  but  de  l’institution  est  d’éloigner  des 
femmes  les  jeunes  gens  qui  ne  sont  pas  encore  mûrs  pour  le  mariage. 


500 


REVUE  UES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


11  est  défendu  au  nkimba  de  mettre  des  pagnes  en 
étoffe,  et  de  se  laver  (Bastian,  Johnston,  Goquilhat)  : il 
en  serait  pour  son  plâtrage  à la  craie,  qu’il  doit,  d’après 
M.  Gilmont,  entretenir  et  réparer  éventuellement. 
L’entretien  de  la  couleur  donnerait  lieu  à une  céré- 
monie spéciale  (Johnston). 

Le  nkimha  doit  roni})re  toute  communication  avec  sa 
famille,  son  village,  sa  trilm  O'^ofLklliat,  Chavanne). 
M.  Lejeune  nous  apprend  que  le  jeune  homme  ne  peut 
pas  quitter  la  hutte  que  lui  a construite  le  nganga  et, 
^L  Gilmont,  qu’il  ne  peut  parler  qu’au  nf/ancja  nkissi. 
La  réclusion  ne  semble  pas  être  également  sévère 
dans  toutes  les  régions.  Chez  les  Alushikongo,  par 
exemple,  M.  Chavanne  signale  que  le  nkimba,  en  der- 
nière année,  a le  droit  de  communiquer  avec  ses 
proches  et  de  travailler  au  village. 

D’après  Bastian,  leur  principale  occupation  consiste- 
rait à boire  et  à manger  : ils  sortiraient  de  retraite  gros 
et  gras. 

Pendant  le  jour,  ils  se  promènent  au  bois  (Bentley); 
en  dehors  des  heures  consacrées  à l’instruction,  le 
R.  P.  Goedleven  nous  les  dépeint  s’occupant  des  travaux 
indigènes,  faisant  des  nattes,  des  pans  pour  chimbecks, 
des  vases  en  terre,  des  pipes,  etc.  Tous  ces  objets  sont 
vendus.  « Le  prix,  dont  la  grosse  part  s’en  va  au 
sorcier,  sert  à acheter  des  étoffes  et  tout  ce  qu’il  faudra 
pour  célébrer  dignement  la  fête  de  clôture.  » 

Le  soir,  dit  le  R.  P.  De  Cleene,  ils  ont  leurs  réunions 
générales.  La  nuit,  le  Rev.  Bentley  nous  les  montre 
rôdant  dans  les  villages  et  chassant  les  mauvais  esprits. 
11  est  probable  que  ceci  ne  se  passe  que  de  temps  en 
temps,  comme  les  danses,  sorte  de  fêtes  rituelles,  pour 
lesquelles  ils  se  réunissent  dans  les  endroits  les  moins 
accessibles.  M.  Chavanne  place  ces  danses  aux  époques 
de  pleine  lune. 

Au  kimpasi,  le  temps  se  passerait  en  conversations 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÈTES  AU  BAS-CONGO 


501 


déshonnêtes  et  en  danses  lascives.  C’est  d’un  enfant  de 
la  mission  que  le  R.  P.  A^ejs  tint  ce  renseignement;  il 
est  possible  qu’il  soit  quelque  peu  exagéré.  Voyons 
maintenant  quelles  sont  les  obligations  des  nkimba. 

Leur  nourriture  forme  l’objet  d’une  réglementation 
spéciale.  D’après  M.  Lejeune,  ils  ne  pourraient  manger 
que  deux  jours  sur  quatre  : nzua  (nsona?)  et  konzo  ; 
d’après  M.  Gilmont,  ils  doivent  jeter  leurs  aliments  à 
terre  avant  de  les  porter  à la  bouche;  d’après  Bastian, 
ils  ne  peuvent  pas  se  servir  d’assiettes,  mais  doivent 
manger  par  terre.  Certains  aliments  leur  sont  absolu- 
ment interdits  : ce  seraient,  d’après  M.  Chavanne, 
l’huile  de  palme,  les  terre-noix,  toute  substance  grasse, 
le  vin  de  palme,  l’alcool;  d’après  le  R.  P.  De  Cleene,  la 
viande  et  les  œufs.  Selon  M.  Fuchs,  ils  doivent  suivre 
un  régime  végétarien,  et  ne  peuvent  boire  que  de  l’eau. 
Bastian  dit  que  beaucoup  de  viandes  et  de  poissons  leur 
sont  défendus. 

Certaines  interdictions  se  rapportent  même  à leur 
sommeil.  M.  Fuchs  et,  à sa  suite,  MM.  Demeuse  et 
AVauters,  disent  qu’ils  ne  peuvent  dormir  dans  une  case, 
et  M.  Gilmont  qu’ils  doivent  dormir  sur  la  terre  nue. 

Résumons  ces  interdictions  en  donnant,  d’après  le 
R.  P.  Goedleven,  le  règlement  des  nkimba  de  Kionzo  : 
« [°  Pendant  tout  le  temps  de  leur  séjour  au  u'wala,  ils 
ne  pourront  manger,  ni  viande,  ni  poisson,  ni  chik- 
wangue,  sous  peine  d’être  tués  ; 2°  iis  ne  pourront  user 
d’eau  que  pour  se  rincer  la  bouche.  Ils  peuvent  prendre 
du  malafu;  3°  tous  les  jours,  avant  de  pouvoir  rien 
manger,  ils  doivent  enduire  leur  corps  de  terre  blanche; 
4“  ils  ne  pourront  parler  à aucune  femme,  ni  la 
regarder,  fût-ce  leur  mère,  sous  peine  d’être  tués;  5°  ils 
ne  pourront  même  pas  parler  entre  eux  de  femmes  ou 
de  choses  indécentes  sous  peine  de  mort;  6°  en  passant 
dans  le  village  ou  devant  des  personnes  étrangères, 
ils  doivent  parler  la  langue  du  nkimba  ; sans  cela  la 
mort!  » 


502 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Il  serait  intéressant  de  pouvoir  comparer  point  par 
point  le  règlement  des  ndemho  à celui  des  nkirnba. 
Nous  ne  pouvons  le  faire,  faute  de  renseignements  suf- 
fisants. Tout  ce  que  nous  savons  des  ndembo,  c’est  qu’ils 
sont  eux  aussi  sévèrement  isolés  du  reste  du  monde  : 
personne  ne  peut  les  voir.  Quand  ils  vont  au  bain  ou 
chercher  du  bois,  on  bat  le  tambour  pour  avertir  les 
profanes;  ceux-ci,  surpris  à l’intérieur  du  bois  sacré, 
seraient  condamnés  à mort.  D’après  le  Rev.  Gomber, 
quand  le  ndembo  est  vu  par  quelque  non-initié,  il  doit 
tout  de  suite  faire  le  mort. 

L’interdiction  des  rapports  sexuels  semble  ne  pas 
exister  au  ndembo  où  hommes  et  femmes,  d’après  le 
Rev.  Bentley,  vivent  en  promiscuité.  Ceci  distingue 
le  ndembo  du  kùnpasi  à\\  R.  P.  ^ eys  : les  adeptes  du 
kitnpasi  ont  défense  de  voir  des  femmes  ou  des  filles; 
défense  est  faite  à celles-ci,  sous  peine  de  mort,  d’entrer 
dans  le  bois.  Ils  ne  peuvent  manger  que  du  chikwangue 
assaisonné  de  sel.  Parmi  les  fonctions  du  nfianpa^  direc- 
teur du  himpasi^  signalons  qu’il  doit  mâcher  la  pre- 
mière bouchée  et  la  leur  porter  à la  bouche;  de  plus, 
matin  et  soir,  il  doit  les  frapper  cà  la  cuisse  au  moyen 
d’une  baguette. 


XI.  — Cérémonies  de  sortie 

D’a])rès  Bastian,  les  festivités  de  la  clôture  coïncide- 
raient avec  la  fin  d’une  saison;  nous  n’avons  pas 
d’autres  renseignements  sur  l’époque  de  la  clôture. 

Pour  la  description  de  ces  cérémonies,  nous  donnons 
la  parole  au  R.  P.  (foedleven,  « Dès  le  grand  matin  de 
ce  jour  on  met  le  feu  à l’école  du  nkirnba,  c’est-à-dire  au 
uicala  et  à d’immenses  bûchers  d’herbes  sèches  y jux- 
taposées. C’est  le  signal  de  la  fête.  Aussitôt  les  zin- 
himha  courent  à l’eau,  se  lavent  soigneusement  jusqu’à 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÈTES  AU  BAS-CONGO 


503 


ce  que  leur  peau  reprenne  sa  couleur  noire-bronze 
habituelle.  Ils  mettent  des  anneaux  brillants  aux  jambes 
et  aux  bras;  ils  s’entourent  les  reins  d’un  beau  nouveau 
pagne...  Puis  les  fils  de  chef,  on  les  hisse  dans  des 
hamacs;  les  autres  sur  le  dos  des  anciens  nkimba;  et 
les  voilà  conduits  en  triomphe  et  avec  grand  vacarme 
vers  le  village. 

» Au  village,  c’est  une  expectative  fébrile.  Toute  la 
contrée  est  là;  tous  en  habits  de  fête.  — Les  femmes, 
assises  par  terre,  se  cachent  la  face  dans  leur  pagne,  ou 
derrière  une  feuille,  car  elles  ont  encore  peur  de  ren- 
contrer la  vue  d’un  habitant  du  uwala.  Les  néo- 
zinMmba  font  semblant  de  revenir  d’un  autre  monde, 
et  en  sont  pour  ainsi  dire  persuadés.  Ils  ne  veulent 
d’abord  reconnaître  que  les  anciens  zinkimba.  Ils 
semblent  ignorer  leur  propre  mère.  Ils  font  semblant  de 
ne  pouvoir  marcher,  de  ne  pas  connaître  les  manières 
de  cette  vie.  Ils  mangent  par  terre,  font  des  grimaces, 
mordent,  etc.  Et  tous  d’en  avoir  pitié,  de  les  excuser, 
puisqu’ils  viennent  d’un  autre  monde.  Enfin,  on  se 
reconnaît  : on  présente  le  fils  à sa  mère,  le  frère  à sa 
sœur,  le  fiancé  à sa  fiancée.  La  joie  devient  frénétique, 
et  la  fête  continue  de  plus  belle.  Le  vin  de  palme  est 
servi  en  abondance.  Partout  des  feux  de  joie,  et  autour 
des  feux  des  groupes  heureux.  Ce  ne  sont  plus 
qu’agapes,  où  l’on  sert  des  poules,  des  chèvres,  des 
moutons,  des  porcs!  Et  puis  ce  sont  les  danses,  les 
chants  et  les  tam-tam  ! Et  tout  cela  dure  au  moins  deux 
jours,  parfois  plus  longtemps  encore. 

» Après  quoi,  chacun  regagne  son  village,  empor- 
tant qui  son  fils,  qui  son  frère,  devenus  nkimba  ! Ceux- 
ci  se  font  toujours  porter  et  restent  ainsi  comme  para- 
lysés pendant  plusieurs  mois  encore  réparant  les  forces 
perdues  au  uwala.  » 

L’incendie  des  huttes  et  le  bain  dans  la  rivière 
sont  signalés  aussi  par  le  R.  P.  De  Gleene.  Mais  l’arri- 


504 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


vée  au  village  est  décrite  autrement  : le  premier  acte 
du  nkimba  serait  de  gober  un  œuf;  le  second,  de  tou- 
cher la  main  d’une  jeune  fille,  afin  de  signifier  qu’ils 
sont  désormais  aptes  à fonder  un  ménage.  Il  n’est  pas 
question  de  scènes  de  reconnaissance. 

M.  Lejeune  signale  ces  scènes  et  relate  un  trait  assez 
curieux  : s’il  arrive  que  quelqu’un  appelle  le  nkimba 
par  son  ancien  nom,  il  doit  lui  payer  aussitôt  dix  pièces 
de  mouchoirs.  S’il  refuse  de  s’exécuter,  l’adepte  doit  se 
sauver  dans  la  brousse  et  grimper  au  sommet  d’un  pal- 
mier en  attendant  que  l’amende  soit  payée  (1). 

La  comédie  du  nkimba  qui  refuse  de  reconnaître  les 
siens  cadre  mieux,  semble-t-il,  avec  les  cérémonies  du 
ndembo  qu’avec  celles  de  nkimba.  On  peut  y voir  une 
conséquence  du  changement  de  nom;  mais  on  songe 
malgré  soi  au  simulacre  de  la  mort  qui  se  trouve  à l’en- 
trée du  ndembo.  « Il  était  mort  et  il  renaît  à la  vie  » : 
tel  semble  être  le  thème  sur  lequel  sont  brodées  toutes 
ces  mimiques,  toutes  ces  comédies,  y compris  la  défense 
d’appeler  le  nkimba  par  son  ancien  nom. 

Le  kimpasi  dont  parle  le  R.  P.  Veys  est  la  représen- 
tation d’une  mort  et  d’une  résurrection.  Cdiose  remar- 
quable ! Les  cérémonies  de  clôture  sont  les  mêmes  que 
celles  du  nkimba  décrites  par  le  R.  P.  Goedleven.  Dans 
l’un  comme  dans  l’autre,  nous  trouvons  l’incendie  des 
chimbecks,  le  bain  suivi  d’une  friction  à l’huile  mêlée 
de  kula,  l’entrée  triomphale  au  village,  avec  des  super- 
cheries et  des  simulacres,  les  chants,  les  danses,  les  fes- 
tins qui  mettent  fin  aux  scènes  de  la  reconnaissance. 

C’est  du  ndembo  qu’on  peut  étudier  le  mieux  la  dra- 
matisation de  la  résurrection.  L’adepte  est  mort  depuis 
quelque  temps;  le  médecin  prépare  sa  résurrection.  A 
cet  effet,  les  parents  et  amis  doivent  lui  payer  une  cer- 
taine somme  et  envoyer  de  beaux  costumes  au  ndembo. 


(1)  Ce  fait  est  interprété  par  Frobenius  comme  une  manifestation  du  culte 
des  arbres. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


505 


Le  bruit  se  répand  fjii’un  jour  de  marché  prochain  il  y 
aura  résurrection.  Les  ndeinbo  sont  conduits  procession- 
nelleinent  au  marché,  font  deux  ou  trois  fois  le  tour  de 
rassemblée.  Tous  portent  au  bras  un  ornement  en 
fibres  de  palmier.  Ils  prétendent  ne  reconnaître  per- 
sonne; mettent  la  main  sur  tout  ce  qui  peut  les  tenter; 
ne  savent  pas  comment  ils  doivent  manger  ; leurs  amis 
doivent  mâcher  leurs  aliments  pour  eux.  L’intelligence 
leur  revient  insensiblement,  au  jour  le  jour.  Quand 
quelqu’un  leur  pose  une  question  indiscrète  au  sujet  de 
leur  séjour  dans  le  bois,  ils  se  mettent  de  l’herbe  der- 
rière l’oreille  et  simulent  l’inconscience. 

Le  Rev.  Goniber  vit  les  nhita  faire  trois  fois  le  tour 
du  marché,  sous  la  conduite  des  féticheurs,  lentement 
pour  montrer  qu’ils  avaient  été  bien  morts.  Après  cette 
cérémonie  ils  rentrèrent  au  bois  et  ce  n’est  que  trois 
jours  plus  tard  qu’ils  firent  leur  apparition  au  village. 


XII.  — Après  les  èptreiwes 

A la  personne  de  celui  qui  a subi  les  épreuves  du 
nkimba  s’attache  un  caractère  sacré  et  mj^stérieux.  Il 
peut  se  présenter  partout.  On  respecte  en  lui  la  qualité 
de  nkimha,  de  mhuamvu  anjata,  ou  de  tungica.  A 
ces  termes,  qui  servent  d’après  Bentley  à désigner  les 
initiés,  s’opposent  ceux  de  niungwata  ou  de  mung- 
walla. 

On  peut  reconnaître  un  initié  d’un  non-initié  à son 
nom,  à la  langue  secréte  qu’il  parle  en  diverses  circon- 
stances. De  plus,  dit  le  Rev.  Bentley,  dans  le  com- 
merce, dans  les  voyages,  dans  toutes  les  difficultés  de 
la  vie,  ils  se  conduisent  en  confrères  et  s’entr’aident. 
Il  ne  semble  pas  qu’ils  tiennent  des  réunions,  à moins 
qu’on  ne  veuille  considérer  comme  telles  les  retraites 
des  nkimba-féticheurs  dont  parle  M.  Slosse. 


50(3 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Les  anciens  nkiinl)a  jonissent-ils  de  certains  privi- 
lèges dans  la  vie  politique  ? Rien  ne  nous  autorise  à le 
penser.  Toutefois,  au  sortir  du  nkiinba,  ils  sont  aptes  à 
se  mêler  à la  vie  publique.  M.  ’Skan  de  Velde  dit  qu’on 
se  sert  de  la  langue  des  nkiinba  ])our  traiter  les  affaires 
de  l’Etat;  ce  qui  permettrait  de  déduire  qu’il  faut  être 
nkiinba  pour  pouvoir  prendre  part  aux  discussions. 

Au  point  de  vue  social,  celui  qui  a traversé  les 
épreuves  est  a})te  à constituer  un  nouveau  foyer;  il 
peut  prendre  femme.  D’après  M.  Lejeune,  ce  serait  le 
nçianfia  qui  se  charge  de  lui  trouver  une  femme. 

Au  point  de  vue  religieux,  l’importance  des  épreuves 
du  nkiinba  est  jilus  grande.  Ce  serait,  d’après 
MM.  Fuchs,  Demeuse  et  Gilmont  une  école  de  féti- 
cheurs, et  tons  ceux  qui  en  sortent  seraient  par  le  fait 
même  féticheurs.  C’est  aller  peut-être  un  peu  loin.  Car, 
au  témoignage  de  Coqiiilhat,  heaucoup  de  nf/anf;a  ont 
passé  })ar  le  nkiinba;  d’oû  Ton  peut  déduire  que  tous 
n’ont  pas  nécessairement  subi  ces  épreuves  (1). 
Ensuite,  il  semble  bien  que  tous  ceux  qui  entrent  au 
nkimlia  n’en  sortent  pas  en  même  temps  ni  initiés  au 
même  degré.  Il  se  fait  un  triage  et  ce  ne  sont  que  les 
])lus  intelligents  qui  peuvent  continuer  leurs  études.  Le 
nkiinba  ne  serait  donc  pas  la  véritable  école  de  féti- 
cheurs; ce  ne  serait  qu’une  école  jiréparatoire  on  mieux 
encore,  si  l’on  veut,  un  noviciat. 

Ceux  des  nkiinba  qui  n’ont  j»as  été  admis  à entrer 
dans  la  carrière  sacei-dotale,  forment-ils  entre  eux  une 
sorte  de  secte?  Il  semble  bien  que  oui.  Tous  jiossèdent, 
en  tous  cas,  un  fétiche  qu’ils  portent  sur  eux  lorsqu’ils 
se  rendent  dans  une  tribu  voisine  où  ils  s’attendent  à 


(1)  Voici,  (rai)rès  M.  Dupont,  les  fonctions  reilontables  des  nf/atu/a  qui  ont 
passé  par  le  nkiniha  : ils  (liront  si  une  expédition  doit  réussir  ou  non,  si  une 
plantation  doit  rapporter  ou  non;  ils  jetteront  des  sorts,  feront  boire  la 
seront  choisis  comme  arbitres,  dirigeront  les  funérailles  des  chefs,  etc. 
Si  telles  sont  les  fonctions  des  nuaiiga  ex-nkimba  ne  pourrait-on  pas  en  déduire 
que  tous  les  nganga  n’ont  pas  subi  ces  épreuves? 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


507 


rencontrer  des  confrères.  C’est  donc  une  sorte  de  signe 
de  ralliement  ou  de  reconnaissance.  Ce  fétiche  craint  le 
feu  et  dans  les  cas  où  il  viendrait  à être  atteint  par  les 
flammes,  son  possesseur  serait  certain  de  mourir  sur- 
le-champ.  Aussi  en  a-t-on  le  plus  grand  soin.  Témoin 
ce  passage  de  M.  Lejeune  : 

« J’ai  ici  comme  cuisinier,  Tjama-Majau,  un  natif  de 
Mvi,  qui  est  affilié  à la  secte  des  nkimba.  Je  demandai 
à mon  boj  si  cet  homme  avait  son  fétiche  sur  lui  à la 
station.  — Non,  me  répondit-il,  il  l’a  laissé  à ^hvi,  chez 
sa  femme  ; il  l’a  attaché  dans  sa  hutte  à la  traverse 
supérieure  du  toit. 

» — Mais,  lui  dis-je,  supposons  que  dans  un  mois  quand 
nous  rentrerons  à Ahvi,  Tjama-Majau  découvre  que  sa 
femme  n’a  pas  fait  bonne  garde  et  que  le  fétiche  est 
brûlé.  Que  ferait  ton  ami?  Tuerait-il  sa  femme? 

» — Mais  non,  cela  lui  serait  impossible.  11  serait  mort 
avant  cela,  ici  à Isangila,  aussitôt  que  son  fétiche  aurait 
été  brûlé  là- bas... 

» Le  fétiche  des  nkimba  s’appelle  masarnputila  ; il 
est  formé  de  quelques  longues  feuilles  de  palmier  réu- 
nies en  faisceau.  A l’intérieur,  le  nrjanr/a  dispose  les 
ingrédients  qui  constituent  la  vertu  du  fétiche  : jiemha 
ou  argile  blanche,  petites  graines,  cailloux,  etc.  Les 
feuilles  sont  réunies  de  façon  à offrir  à l’une  des  extré- 
mités une  sorte  de  Imlai  et  à se  terminer  d’autre  part 
par  deux  tiges  seulement,  lesquelles  forment  collier  et 
s’enroulent  autour  du  cou.  Ainsi  disposé,  ce  fétiche  a la 
propriété  magique  d’éloigner  les  léopards,  les  chacals, 
les  hyènes,  etc.,  ou  plutôt  de  mettre  celui  qui  les  porte 
en  garde  contre  tous  les  obstacles  qui  pourraient  s’op- 
poser à sa  marche. 

» Exemple  : j’ordonne  à un  nkimba  de  notre  station 
de  se  rendre  à ’^lvi.  Avant  de  partir  il  ira  se  poster 
devant  la  route  et  là,  tenant  son  rnasamputila  des  deux 
mains,  il  le  secouera  devant  lui.  Si,  après  un  certain 


508 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


temps,  les  lionts  de  feuilles  formant  balai  se  sont  repliés 
du  coté  d’isangila,  notre  homme  retournera  au  plus 
vite  à l’endroit  d’où  il  vient  et  se  gardera  bien  d’aller 
})lus  loin,  car  il  a la  conviction  qu’un  léopard  rôde  dans 
les  environs  et  s’apj)rête  à le  dévorer.  Si,  au  contraire, 
les  pointes  des  feuilles  ont  conservé  leur  position  nor- 
male, il  peut  sans  crainte  boucler  ses  malles  et  prendre 
son  long  bâton  de  marche  : il  ne  rencontrera  aucun 
ol)stacle  sur  sa  route. 

» Les  nkinilia  possèdent  encore  un  autre  fétiche,  le 
heiweuf/ele.  C’est  un  morceau  de  liois  de  la  grosseur 
du  })oignet,  et  long  de  vingt  centimètres.  Le  sorcier  en 
a creusé  l’un  des  bouts  et  y a disposé  des  plumes,  de  la 
poudre,  des  peaux  de  serpents,  etc.,  qui  constituent  le 
ou  vertu  magique  de  l’objet.  La  pro})riété  de  ce 
talisman?  Elle  est  curieuse  et  mérite  d’être  contée  : Sup- 
posons que  le  nkiinba  soit  endormi  la  nuit,  dans  sa  case, 
et  qu’un  méchant,  un  esprit  malin,  un  ndoki  vienne 
})our  le  tuer  ou  le  voler.  Immédiatement  le  fétiche  se 
dirige  vers  l’intrus,  le  met  dans  l’impossibilité  d’avan- 
cer et  paralyse  tous  ses  mouvements.  Le  lendemain 
notre  nkimba  trouve,  à son  réveil,  le  ndohi  sur  le  sol, 
incapable  de  bouger  et  gardé  à vue  par  l’instrument 
merveilleux.  » 

Nous  avons  vu  que  les  épreuves  du  nkimba  ne  sont 
}tas  sans  importance  aux  points  de  vue  j)olitique,  social 
et  religieux.  11  ne  semble  ]>as  qu’il  en  soit  de  même  du 
ndembo.  Ni  les  Rev.  Bentley  et  Gomber,  ni  le  R.  P. 
\’eys  ne  signalent  des  avantages  obtenus  par  l’initia- 
tion au  ndembo. 

Ceux  qui  ont  passé  par  les  é])reuves  s’appellent 
nf/anr/a;  ceux  qui  n’y  ont  pas  été  initiés,  vanga.  Les 
/?//a^?//(^yjurent  par  les  fétiches  du  ndembo. 

\'oici  une  série  de  ces  serments  que  le  Rev.  Bentley 
énumère  : Jmdanla  : Que  nkita  me  damne!  Enkita  : 
Par  nkita  ! E inhumha  jintumbula  : Que  mbumba  me 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÈTES  AU  HAS-CONOO 


m 


punisse!  O luhuka  : Par  lubuka  ! O mhandu  aka  : Par 
inbandu!  0 mhandu  unkomona  : Que  inbandu  me 
fasse  périr  ! E mvernha  je  nlaza  : Par  mvemlia  et 
nlaza  ! E vêla  kma  : Par  l’enclos  du  ndeinbo  ! E vêla 
kimhandula  : Que  le  vêla  me  détruise!  Endundu  je 
mhaka  : Par  les  albinos  et  les  nains  ! Mhanduka  ; Que 
je  sois  défi  pu  ré  ! 


CONrd.USlON 

Nous  avons  groupé  sous  quelques  ruliriques  les  ren- 
seignements que  nous  possédons  sur  les  rites  de  la 
puberté  au  Bas-Congo.  Nous  voudrions  maintenant 
dégager  de  cet  exposé  quelques  idées  générales  qui 
seraient  comme  la  synthèse  des  phénomènes  étudiés. 

Qu’est-ce  que  le  nkimba?  — Est-ce,  comme  le  vou- 
drait M.  Glave,  un  reste  de  l’enseignement  des  mission- 
naires portugais  qui  suivirent  la  découverte  de  Diégo 
Carnet  s’établirent  à San  Salvador,  ou,  comme  le  prétend 
le  D“'  Chavanne,  une  survivance  d’une  ancienne  société 
secrète  des  courtisans  du  roi  de  Sonho?  Cette  école 
historique,  comme  nous  l’appellerons,  à laquelle  on 
pourrait  peut-être  rattacher  leR.  P.  Coedleven,  cherche 
dans  tous  les  détails  des  ressemblances  avec  le  culte 
catholique.  La  peinture  blanche  rappellerait  les  habits 
sacerdotaux;  la  langue  secrète,  le  latin  d’église;  le 
changement  de  nom,  le  baptême  ou  encore  l’entrée 
dans  un  ordre  monastique,  etc.  Nous  estimons  qu’elle 
fait  fausse  route. 

A cette  école  s’opposent  des  théories  qui  cherchent  à 
comprendre  et  à expliquer  le  sens  des  cérémonies  telles 
qu’elles  sont,  alistraction  faite  de  leur  genèse. 

Les  uns  font  de  l’instruction  et  de  l’éducation  le  but 
suprême  des  cérémonies  du  nkimba  qui  serait  une  école 
de  féticheurs  : on  y va  pour  s’instruire.  Les  représentants 


5i0 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


principaux  de  cette  idée  sont  : Goquiihat,  Fuchs,  Van 
den  Fias,  Deineuse,  Dupont,  Gilinont,  Slosse,  Lemaître 
et,  dans  une  certaine  mesure,  le  Père  De  Cleene.  On 
remarcpiera  que  tous  ceux  qui  se  sont  occupés  du 
Majombe  j figurent.  N’est-il  pas  permis  d’en  conclure 
qu’au  Majombe  le  nkimba  se  présente  sous  les  appa- 
rences d’un  organisme  d’instruction  ? 

Les  autres  considèrent  le  nkimlia  comme  la  prépa- 
ration au  mariage.  C’est  l’opinion  de  Biittner,  Johnston, 
\'an  de  A'elde.  Les  jeunes  gens  deviennent  nkimba  pour 
être  circoncis.  Si  l’on  veut  une  circoncision  efficace, 
elle  doit  se  faire  d’après  un  rituel  déterminé  par  le  féti- 
cheur. Celui  qui  n’a  pas  été  circoncis  conformément  à 
ce  cérémonial,  trouverait  difficilement  une  femme  à 
marier.  11  serait  nécessaire  de  connaître  la  situation 
faite  aux  enfants  qui  seraient  nés  du  mariage  d’un  non- 
circoncis,  })our  a}q)i'écier  rinqiortance  de  la  circonci- 
sion au  jioint  de  vue  du  mariage.  11  n’est  pas  impos- 
sible que  le  tabou  sexuel  et  la  séparation  des  sexes 
soient,  au  même  titre  que  la  circoncision,  un  but  de  la 
retraite  des  nkimba.  M.  Armani  l’atteste  pour  la  région 
du  Kwango.  Cette  séparation  des  sexes  serait  le  fruit 
d’une  longue  expérience.  Quelque  sauvages  qu’on  les 
dise,  nous  pensons  que  les  nègres  ont  pu  s’apercevoir 
que  pour  conserver  la  race  vigoureuse,  il  importe  de 
préserver  les  jeunes  gens  pubères  contre  l’abus  des 
rapports  sexuels. 

La  théorie  qui  fait  de  la  circoncision  le  but  principal 
du  nkimba  a rencontré  dans  le  Rev.  Bentley  un 
adversaire  redoutable.  Celui-ci  voit  dans  le  nkimba 
plutôt  une  société  secrète  créée  par  amour  du 
mjstèi*e  et  par  un  besoin  de  solidarité  plus  grande. 
Ces  idées  sont  partagées  par  M.  Mffird  et,  en 
bonne  partie,  par  M.  Lejeune.  Plus  tard,  dans  son 
livre  : Pioneerim/  on  the  Congo,  Bentley  en  arriva  à 
considérer  les  nkimba  comme  une  sorte  de  police, 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÈTES  AU  BAS-CONGO 


511 


chargée  d’écarter  les  mauvais  esprits.  Cette  interpré- 
tation avait  déjà  été  esquissée  par  Nipperdej.  Les 
nkimba  seraient  des  jeunes  gens  engagés  pour  faire  du 
tapage  nocturne  et  écarter  les  mauvais  esjirits  qui  rôdent 
autour  des  villages. 

Telles  sont  les  principales  hypothèses  qui  ont  été 
émises  sur  la  nature  du  nkimha.  Notre  but  en  abor- 
dant cette  étude  était  de  trouver  une  définition  de  cette 
institution  dans  son  état  actuel  sans  négliger  sa  genèse 
et,  par  conséquent,  la  place  qu’elle  occupe  dans  l’en- 
semble des  phénomènes  sociaux.  Cet  idéal,  nous  ne 
pouvons  pas  l’atteindre  aujourd’hui;  les  documents  dont 
nous  disposons  sont  insuffisants.  11  est  temps  encore  de 
combler  les  lacunes  que  nous  avons  signalées,  et  nous 
espérons  que  nous  pourrons  bientôt  reprendre  cette 
question  avec  plus  de  succès. 

Provisoirement,  nous  nous  en  tenons  à un  sage  éclec- 
tisme. Tel  qu’il  nous  apparaît,  le  nkimba  est  à la  fois 
un  organisme  d’instruction  religieuse  et  de  formation 
civique.  Les  jeunes  gens  y reçoivent  une  préparation  à 
la  vie  réelle,  au  sens  le  plus  large  du  mot,  c’est-à-dire 
à la  vie  familiale,  à la  vie  religieuse,  à la  vie  poli- 
tique, etc.  Il  y a là  un  ensemble  de  cérémonies  insti- 
tuées, semble-t-il,  d’une  façon  normale  et  régulière,  à 
l’intention  des  jeunes  gens  pubères. 

C’est  la  distinction  essentielle  que  nous  avons  trouvée 
entre  le  nkimba  et  le  ndembo.  Pour  étudier  d’une 
manière  plus  approfondie  cette  distinction,  il  faudrait 
des  renseignements  complémentaires  sur  le  ndembo.  En 
particulier,  il  importerait  de  savoir  si  les  deux  institu- 
tions coexistent  dans  le  même  village,  et  si  le  féticheur, 
directeur  des  nkimba,  peut  être  aussi  le  directeur  des 
ndembo.  Telles  que  nous  les  connaissons,  les  cérémonies 
du  ndembo  paraissent  plutôt  anormales,  irrégulières. 
Elles  répondent,  dans  une  plus  forte  mesure  que  celles 
du  nkimba,  au  concept  que  nous  nous  faisons  de  la 
magie. 


512 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


bibliographe: 


Nous  donnons  ici  la  liste  des  différents  ouvrages  et  articles 
de  revues  ([ui  sont  cités  au  cours  de  ce  travail.  Ces  publications 
peuvent  se  répartir  en  quatre  catégories. 

La  première  comprend  celles  des  missionnaires.  Comme  témoi- 
gnages de  missionnaires,  Frobenius  ne  connaissait  que  le 
Bev.  Bentley,  de  la  Société  Baptiste  de  Londres.  A l’heure 
actuelle,  le  nombre  des  missionnaires  qui  ont  porté  leur  attention 
sur  les  rites  de  la  puberté  est  assez  élevé.  Nous  attachons  une 
grande  importance  aux  renseignements  qu’ils  nous  ont  tournis. 
Passant  une  bonne  partie  de  leur  vie  au  milieu  des  indigènes, 
ils  parlent  généralement  leur  langue  et  jouissent  de  leur 
confiance. 

La  deuxième  catégorie  comprend  les  travaux  des  fonction- 
naires coloniaux.  Ceux-ci  aussi  séjournent  généralement  un 
certain  nombre  d’années  au  même  poste  et  sont  en  état  de 
parler  en  connaissance  de  cause  des  mœurs  indigènes  (J). 

Quant  aux  explorateurs  et  aux  voyageurs,  ils  ne  font  généra- 
lement que  parcourir  rapidement  le  pays.  Leurs  observations 
sont  souvent  faites  dans  des  conditions  peu  favorables.  Pour 
l’observation  des  manifestations  les  plus  apparentes  de  la  civili- 
sation, comme  les  tatouages,  rbabillement,  les  buttes,  etc., 
l’ignorance  de  la  langue  du  pays  ne  constitue  pas  un  grand 
inconvénient.  .Mais  il  n’en  est  pas  de  même  quand  il  s’agit  des 
phénomènes  juridiques  et  religieux.  Les  voyageurs  en  sont 
réduits  souvent  à recueillir  des  bruits  et,  quand  ils  interrogent 
eux-mêmes  les  indigènes,  ils  ont  besoin  d’interprètes,  ce  qui 
augmente  beaucoup  les  chances  d’erreur. 

Enfin,  dans  une  quatrième  catégorie  nous  rangeons  les  auteurs 
de  seconde  main.  Pour  les  apprécier,  il  faut  connaître  leurs 
sources. 


(1)  On  peut  regretter  que  ceux  qui  vont  aux  colonies  ne  reçoivent  pas  une 
préparation  suiTisante  pour  faire  clans  de  bonnes  conditions  des  observations 
ethnographiques.  Souhaitons  qu’il  soit  bientôt  porté  remède  à cette  situation. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AF  BAS-CüXGO 


513 


1.  MISSIONNAIRES 

Bentley  (W.  H.).  üidionary  and  griwimar  of  the  Congo 
language  as  spoken  at  San  Salvador.  London,  Trobner,  1887, 
pp.  506  et  507  (J).  — Appendix,  Ibid.,  1895,  p.  881. 

— Life  on  the  Congo,  â'  éd.,  London,  The  religions  Tract 

Society,  1893,  pp.  65-69,  74. 

— Pioneering  on  the  Congo.  London,  The  religions  Tract 

Society,  1900,  vol.  11,  pp.  'i&I-'iÜl. 

— Missionary  Her-Ald,  London,  1896,  pp.  11-17,  59-66  : Lettre 

datée  de  Wathen  Station,  p.  17. 

Butaye  (R.).  Missions  Belges  de  la  Comp.agnie  de  Jésus,  Il 
(1900),  pp.  :26T-:267  : Les  mœurs  indigènes,  p.  :265  (:2). 

— Dictionnaire  français-kikongo  et  kikongo- français.  Gand, 

Lithographie  W.  De  Wit,  1901,  p.  83  (an  mot  kimpasi). 

Galle waert  (E.).  Bulletin  de  la  Société  Boyale  Belge  de 
Géographie,  XXIX  (1905),  pp.  18:2-^08  : Les  Mousseronghos, 
pp.  197,  ^201,  ^06  (3). 


(1)  C’est  un  vétéran  ilu  Congo.  Son  premier  départ  eut  lieu  en  1879.  Il  lit  des 
séjours  prolongés  à différents  endroits  du  Bas-Congo  et  du  Congo  portugais 
septentrional.  11  connaissait  admirablement  ces  régions  et  nous  lui  devons  des 
renseignements  de  première  valeur. 

i'i)  .Missionnaire  Jésuite.  Il  passa  douze  années  (1895-1907)  dans  la  région 
située  entre  l’iiddsi  et  la  Nsele,  région  qu’il  parcourut  dans  tous  les  sens.  11  est 
l’auteur  de  livres  en  langue  indigène  et  de  nombreux  articles  qui  témoignent 
de  sa  connaissance  approfondie  des  mœurs  congolaises.  Nous  avons  eu  le 
plaisir  de  causer  avec  le  R.  I*.  Butaye  et  de  recueillir  de  sa  bouche  des  rensei- 
gnements très  importants.  Qu’il  nous  soit  permis  de  lui  en  exprimer  ici 
notre  reconnaissance. 

(3)  Missionnaire  de  la  Congrégation  du  Saint-Esprit.  Son  étude  sur  les  Mu- 
sorongo  a été  faite  en  Europe,  d’après  des  notes  et  des  souvenirs.  Cela  explique 
que,  sur  certains  points,  les  indications  sont  assez  vagues.  C’est  le  cas  notam- 
ment pour  les  cérémonies  de  la  puberté.  A l’occasion  du  passage  de  l’enfance 
à l’adolescence,  il  ne  connaît  aucune  cérémonie.  D’autre  part,  les  cérémonies 
du  nkiinba  existeraient  à l’intérieur  du  pays;  près  du  fleuve,  elles  sont  tombées 
en  désuétude.  Puis,  au  sujet  des  candidats-sorciers,  il  est  dit  qu’ils  doivent 
subir  des  initiations  en  partie  secrètes,  en  partie  publiques.  Le  P.  Calle- 
waert  n’y  attache  d’ailleurs  pas  grande  importance  : elles  n’ont  d’autre  but 
que  de  jeter  de  la  poudre  aux  yeux  du  public.  Rappelons  ici  ce  que  dit  de  ces 
recherches  le  P.  G.  Schmidt,  directeur  de  A.nthropos  : « De  là,  il  suivrait  que 
les  missionnaires  ne  doivent  pas  procéder  contre  ces  institutions  sur-le-champ 
avec  rigueur;  qu’ils  attendent  d'abord  un  certain  temps  et  qu’ils  tâchent  de 
I1I«  SÉRIE.  T.  XII.  33 


514 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Campana.  Missions  catholiques,  XXVI I (1895),  pp.  29  et  30, 
40-42,  etc.  : La  Mission  calholique  de  Landana,  p.  100  (1). 

Cleene  (De).  .Missions  en  Chine  et  au  Congo,  XVI  (1904), 
pp.  209-214  ; L'École  secrète  des  Bakimbas  ; reproduit 
dans  : Belgique  Coloniale,  X (1904),  pi>.  58J«-5826,  et  Le 
Congo,  1 (1904),  lU  49,  p.  0;  n"  51,  pp.  5 et  0 (2). 

Comber.  Missionahy  Hehalu,  London,  1891,  pp.  472-470  : 
Ilineratinij  ivork  in  Wathen  district,  p.  473  (3). 

Goedleven  (J.).  Mouvement  .Vntiesclayagiste,  XV  (1903)  ; Le 
noviciat  des  féticheurs,  pp.  5-11  (4). 

Lewis  (Th.).  Missionahy  Herald,  London,  1903:  The  «-nlongoD 
custoni,  Kokolo  zoinbo  Country,  p.  310  (5). 

Merlon  (A.).  Revue  du  Monde  catholique,  5'^  série.  Il  (1892), 
pp.  290-310;  404-482;  111  (1892),  pp.  95-108;  330-349, 
48(i-504;  IV  (1892),  pp.  139-157,  273-290  : Les  Noirs,  mœurs. 


gagner  la  pleine  confiance  des  indigènes  pour  obtenir  la  connaissance  de  ces 
importants  secrets.  Car,  autrement,  ils  eh  seraient  exclus  à jamais,  les  indi- 
gènes ne  les  leur  livreraient  à aucun  prix,  ce  tpii  formerait  assurément  un 
grand  dommage  pour  la  religion  et  pour  la  science.  Pour  la  religion  : car  le 
missionnaire  ne  parviendrait  pas  ainsi  à obtenir  une  connaissance  de  l’état 
religieux  originaire  des  indigènes  (pii  devrait  pourtant  former  la  base  et  le 
point  de  départ  de  tout  son  travail  ultérieur.  Pour  la  science  : car  de  vrais 
trésors  spirituels  gardés  par  une  tradition  lidèle,  peut-être  depuis  des  centaines 
et  des  milliers  d'années,  lui  échapperaient  ainsi  au  dernier  moment  et  cela 
irrévocablement.  » .Anthropos,  1 (1906),  p.  937  note. 

(1)  Missionnaire  de  la  Congrégation  du  Saint-Esprit,  Préfet  apostolicpie  du 
Bas-Congo.  La  page  citée  n’intéresse  qu’indirectement  l’objet  de  nos  études; 
elle  décrit  les  signes  distinctifs  des  prétres-féticheurs. 

(2)  Missionnaire  de  Scheut,  résidant  depuis  1899  au  Majombe  qu’il  connaît 
admirablement.  Un  jour,  il  apprit  l’éxistence  d’une  école  de  bakimba  au 
village  de  N'kele.  11  s’y  fit  conduire,  s’introduisit  dans  l’enclos  qu’il  visita  avec 
le  directeur  qui  était  en  même  temps  le  chef  du  village.  Cet  exploit  est  raconté 
en  détail  dans  l’article  cité. 

(3)  Missionnaire  baptiste  anglais,  fit  d’importantes  observations  sur  le 
ndemba  aux  environs  de  AVathen. 

(41  Missionnaire  Bédemptoriste.  Les  Rédemptoristes  ne  sont  au  Congo  que 
depuis  1899.  Le  P.  Goedleven  fut  des  premiers.  11  écrivit  des  pages  intéres- 
santes sur  les  mœurs  et  en  particulier  sur  la  religion  des  Bakongo.  Sa  descrip- 
tion des  rites  du  nkimba  est,  avec  celle  du  P.  De  Cleene,  la  plus  détaillée  que 
nous  possédions  jusqu’<à  ce  jour. 

(5)  .Missionnaire  baptiste  anglais.  11  ne  parle  des  cérémonies  d’initiation  qui 
accompagnent  la  circoncision  et  qu’il  appelle  nlonqo,  que  pour  augmenter 
l’intérêt  d’une  photographie  qu’il  envoie  en  Europe. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  RAS-C()X(JO 


51.“) 


législation^  croyances  superslilieuses  des  peuplades  du  Haut- 
Congo,  II,  pp.  314  et  315  (1). 

Struyf.  Missions  Belges  de  la  Compagnie  de  Jésus,  YIII  (IBOB), 
pp.  29.5-301  : Langues  et  coutiunes  congolaises  ; littérature 
religieuse  congolaise,  p.  299  (2). 

Veys.  Mouvement  Antiescl.avagiste,  XV  (1903),  pp.  33-39, 
91-97, 181-18()  : Mœurs  et  coutumes  congolaises,  pp.  92-94  (.3); 
reproduit  dans  ; Mouvement  Géographique,  XX  (190.3), 
pp.  110-112  et  dans  Le  Congo,  11  (1905),  p{).  110  et  111, 
125  et  126,  135  et  136. 

II.  FONCTIONN.AIRES  COLONIAUX 

Baerts.  Bulletin  de  la  Société  Boyale  Belge  de  Géographie, 
X1Y(1890),  pp.  137-154  : Organisation  politique,  civile  et 
pénale  de  la  tribu  des  Moussoronghos,  p.  144  (4). 

(t)  Père  blanc.  Il  fut  un  des  premiers  missionnaires  catholiques  au  Congo. 
Son  séjour  dans  le  pays  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Dans  ce  qu’il  écrit  il  est 
très  difficile  de  faire  la  part  de  ce  qu’il  a vu  et  de  ce  qu’il  a ouï  dire.  Il  est 
l’auteur  d’un  livre  curieux  ; Le  Congo  producteur.  Dans  l’esprit  de  sou  auteur, 
ce  livre  ne  formait  qu’un  volume  d’un  ouvrage  plus  étendu  qui  aurait  eu 
comme  titre  : La  Belgique  africaine.  1‘ourquoi  cet  ouvrage  n’a-t-il  pas  paru? 
Nous  ne  le  savons  pas.  Il  n’est  pas  impossible  que  l’article  que  nous  citons  ici 
contienne  à l’état  informe  les  matériaux  des  deux  volumes  annoncés.  Cela 
expliquerait  certaines  négligences.  Les  renseignements  concernant  les 
sociétés  secrètes  reproduisent  littéralement  ceux  du  lieutenant  Van  de  Yelde 
dont  nous  parlerons  plus  bas.  Van  de  Velde  a publié  en  1886  et  le  P.  Merton 
en  189:2.  Le  P.  Merlon  confirme  les  renseignements  du  lieutenant  Van  de  Velde 
puisqu’il  les  fait  siens,  mais  il  ale  tort  de  ne  pas  citer  sa  source. 

(2)  Missionnaire  Jésuite,  arrivé  au  Congo  vers  la  lin  de  l’année  1903. 11  résida 
à Kisantu. 

(3)  Missionnaire  Rédemptoriste.  Voici  comment  il  apprécie  lui-même  les 
renseignements  qu’il  donne  : « Ce  petit  travail  pourrait  peut-être  paraître 
assez  téméraire  pour  quelqu’un  qui  n’a  que  trois  ans  de  Congo.  Mais  veuillez 
bien  considérer  que  ce  ne  sont  que  des  notes  rapides,  prises,  il  est  vrai,  à des 
sources  authentiques,  mais  au  milieu  des  travaux  incessants  du  saint  minis- 
tère. C’est  un  essai  qui  se  complétera  avec  le  temps  et  par  un  travail  et  une 
expérience  plus  compétente  que  la  mienne.  Au  reste,  rien  d’étonnant  si  l’on 
n’est  pas  toujours  d’accord  en  tous  points,  puisque  les  divergences  viennent 
ou  de  l’indifférence  des  peuplades  ou  de  la  crainte  que.  le  noir  a,  comme  natu- 
rellement, de  donner  au  blanc  certains  détails  particuliers  sur  sa  vie  de 
famille  (pp.  33-34).  » Parti  au  mois  de  décembre  1899,  le  R.  P.  Veys  mourut  le 
3U  octobre  19U3. 

(4)  Il  ne  parle  que  des  rites  d’initiation  des  je, unes  fdles  pubères,  et  ne  le  fait 
qu’accidentellement  en  énumérant  les  différentes  fonctions  des  ministres  du 
culte. 


516 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Bas  (De).  Tijdsciirift  van  iiet  Nkrerlandsch  Aardrukskundig 
(jEnoütschap,  IV  (1887),  pp.  16^-175  : Een  Nederlaudscfi 
lieiziger  aan  den  Congo,  p.  174  (J). 

Goquilhat.  Sur  le  Haut-Congo.  Paris,  Lebègue,  1888,  p.  501  (i). 

Gostermans.  Bulletin  de  la  Société  d’Études  coloniales. 
Il  (1895),  pp.  ‘25-70  ; Le  District  du  Stanleg-Pool,  p.  09  (8). 

Dannfelt.  Mouvement  Géographique,  VII  (1890),  p.  19h-c  : Les 
indigènes  du  Bas-Congo.  Mœurs  et  coutumes  (4). 

Fuchs  (F.).  Société  nouvelle,  Il  (1889),  pp.  847-854  : Mœurs 
congolaises.  Épreuves  de  ta  casque.  Adultère.  Vols,  pp.  850 
et  851  (5). 

Gilmont  (L‘).  Congo  Belge,  II  (1897),  pp.  187  et  188,  149-151, 
101-108,  180  et  187,  197-199  : Le  Mayombe,  p.  108a  (0). 

Glave.  Six  gears  of  adventure  in  Congoland.  London,  Sampson 
Low,  1898,  pp.  80-88  (7). 

Plas  (Van  den).  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie 
d’Anvers,  XXI 11  ^1899),  pp.  89-70  : Le  Mayombe,  p.  09  (8), 


(!)  Nous  citons  cet  auteur  parmi  les  fonctionnaires  coloniaux,  parce  ([u’il  écrit 
d’après  les  notes  de  M.  GresholT  qui  fut  employé  dans  une  compagnie  hollan- 
daise du  Bas-Congo.  Les  renseignements  sur  le  ndemho  semblent  inspirés  par 
les  écrits  de  Bentley. 

(2)  Nous  n’avons  pas  à nous  occuper  ici  des  renseignements  que  donne 
Goquilhat  au  sujet  de  la  pratique  du  ndemho  chez  les  Bateke.  Ces  renseigne- 
ments, comme  l’a  déjà  fait  remarquer  Frobenius  {op.  cii.,  54),  sont  traduits  de 
Bentley.  Ajoutons  que  les  connaissances  de  Goquilhat  sur  le  Bas-Congo  sont 
moins  sûres  et  moins  complètes  que  celles  qu’il  possédait  sur  la  région  des 
Bangala. 

(3)  .Avec  Gostermans  nous  atteignons  la  limite  orientale  du  Bas-Congo.  Ses 
renseignements  sur  les  rites  de  la  puberté  sont  peu  nondjreux.  Il  se  borne  à 
dire  qu’à  l’âge  de  la  puberté  les  hommes  changent  souvent  de  nom. 

(4)  Le  commandant  Dannfelt,  quia  séjourné  douze  ans  au  Bas-Congo,  aurait 
connu  la  clef  de  la  langue  secrète  des  bakimba.  C’est  du  moins  ce  qu’écrivit 
en  1897  le  lieutenant  Gilmont  (Congo  Belge,  11  (1897),  p.  lt)3«). 

(5)  Ses  observations  se  rapportent  aux  environs  de  Borna;  peut-être  aussi 
au  .Alajombe. 

(fi)  Nous  devons  au  lieutenant  Gilmont  des  renseignements  très  importants 
sur  l’ethnographie  du  Majombe,  où  il  résida. 

(7)  M.  Glave  lit  deux  séjours  au  Congo  : le  premier  de  1883  à 1886,  comme 
commandant  du  poste  de  Lukolela;  le  second  de  1886  à 1889,  comme  explora- 
teur. Il  connaît  surtout  les  environs  de  Lukolela  et  de  Bolobo. 

(8)  .M.  Van  den  Plas  étudia  assez  en  détail  la  région  du  Majombe.  Ses  rensei- 
gnements sur  l’éducation  des  élèves  féticheurs  sont  peu  complets. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


517 


et  Mouvement  Antiesclavagiste,  XIY  (1902),  pp.  247-258, 
284-290, 317-323,  353-359. 

Velde  (Van  de).  Bulletin  de  la  Société  Royale  Belge  de 
Géographie,  X (1886).  pp.  347-412  ; La  région  du  Bas-Congo 
et  du  Kivilou-Niadi,  pp.  398-399(1). 

Ward.  Five  gears  ivith  the  Congo  cannibals.  London,  Chatlo 
and  Windus,  1891,  p.  54(2). 

— Journal  of  tue  Anthropological  Institute,  XXIV  (1895), 
pp.  285-299  : Ethnographical  notes  relating  to  the  Congo 
tribes,  p.  288. 


III.  voyageurs 

Armani  (L.).  Diciotto  mesi  al  Congo.  Milano,  Fratelli  Treves, 
1907,  p.  167(3). 

Bastian  (A.).  Ein  Besuch  in  San  Salvador,  der  Hauptstadt 
des  Kônigreichs  Congo.  Bremen,  Strack,  1859  (4). 

— Die  Deutsche  Expédition  an  der  Loangoknste,  2 vol.  1875. 

Baumann  (O.).  Mitteilungen  der  .\ntiiropologischen  Gesell- 
SCHAFT,  WiEN,  XVll  (1887),  pp.  160-180  : Beitrâge  zur 
Ethnographie  des  Kongo,  pp.  164/>-165a  (5). 

Btittner  (D").  Mitteilungen  der  Afrikanischen  Gesellschaft 
IN  Deutschland,  V,  fasc.  3 (1889),  pp.  168-271  : Einige 


(1)  Le  lieutenant  Liévin  Van  de  Velde  a rendu  de  grands  services  à la  cause 
coloniale  et  à la  science  en  même  temps.  C’est  surtout  au  cours  de  l’expédition 
chargée  d’explorer  le  bassin  du  Kwilu-Niadi  et  commandée  par  Grant  Elliott 
(1883)  qu’il  recueillit  les  matériaux  pour  l’article  que  nous  citons  ici. 

(2)  11  exisle  des  différences  assez  grandes  entre  les  nkimba  dont  il  parle 
dans  son  livre  et  ceux  dont  il  parle  dans  son  article.  Schurtz  a utilisé  les  ren- 
seignements contenus  dans  cet  article. 

(3)  Chargé  d’une  mission  au  Congo,  il  fit  un  voyage  de  quinze  mois  dans  ces 
régions.  11  parle  des  rites  de  la  puberté  au  Ivwango.  11  donne  très  peu  de 
détails.  Pour  lui  le  but  de  ces  pratiques  est  de  séparer  les  jeunes  gens  des 
jeunes  filles,  jusqu’à  ce  qu’ils  soient  mûrs  pour  le  mariage. 

(4)  Visita  San  Salvador  en  1857  et  fit  partie  en  1873-1875  de  l’expédition  alle- 
mande qui  explora  la  côte  de  Loango  sous  les  ordres  de  Güssfeldt. 

(5)  Fit  partie,  avec  O.  Lenz,  de  l’expédition  autrichienne  de  1885  au  Bas- 
Congo.  Nous  n’insistons  pas  sur  ces  explorateurs  qui  furent  déjà  utilisés  par 
Frobenius.  Dans  les  correspondances  de  Lenz  (Peterm.  Mitt.,  XXXIl  (18861; 
.AIitt.  Geogr.  Ges.  Wien,  XXIX  (1886);  G.vzette  géogr.  et  Explor.ytion,  II 
(1886),  nous  n’avons  rien  trouvé  qui  intéresse  spécialement  les  sociétés  secrètes. 


518 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Ergebnisse  meiner  Reise  in  West-Afrika  in  den  Jahren 
i884-i886,  imhesondere  des  Landmnrsches  von  San  Salva- 
dor iïber  den  Quangonachdem  Stanley-Pool,  pp.  188-190  (1). 

Chavanne  (D"^).  Reisen  und  Forschungen  ini  allen  und  neuen 
Kongostaate.  lena,  H.  Gostenoble,  1887,  pp.  302,  400, 
412  (2). 

Cocheteux.  Bulletin  de  l.\  Société  d’Anthropologie  de 
Bruxelles,  VIII  (1889)  : Contribution  à l’étude  de  l’anthro- 
pologie du  Congo,  p.  92(3). 

Demeuse  (F.).  Catalogue  de  U Exposition  de  photographies 
représentant  des  vues  et  types  du  Congo,  ouverte  au  Cercle 
artistique  et  littéraire.  Bruxelles,  Bourlard.  1890,  et  Bulle- 
tin DE  L.\  Société  d’Antiiropologie  de  Bruxelles,  IX  (1890), 
pp.  62-77  : Projections  de  vues  photographicpies  du  Congo, 
p.  66  (4). 

Dupont  (Ed.).  Lettres  sur  le  Congo.  Récit  d’un  voyage  scienti- 
ficpie  entre  l' embouchure  du  fleuve  et  le  confluent  du  Kassai. 
Paris,  Bheinwald,  1889,  pp.  96-98(5). 

Johnston  (H.  H.).  The  river  Congo  from  ils  mouth  to  Rolobo. 

London,  Sampson  Low,  1884,  pp.  69,  406-408. 

— Proceedings  of  THE  R.  Geogr.\piiic.\l  Society,  London,  V 

(1)  Considère  l’institution  du  nkiinba  comme  intimement  liée  à la  circonci- 
sion. Ce  serait  pour  ce  motif  que  tous  les  jeunes  gens  doivent  en  faire  partie 
pendant  un  certain  temps. 

(2)  Au  cours  d’un  voyage  de  deux  ans  dans  le  Ras-Congo,  il  rassembla  une 
foule  de  renseignements  qui  sont  consignés  dans  son  livre  (Cf.  Mitt.  Anthr. 
Ges.  WiEN,  XVII  (1887),  pp.  121  et  122,  un  compte  rendu  de  ce  livre  par  O.  Bau- 
mann).On  l’a  accusé  de  plagiat.  Le  l)'"  Zimmermann  publia  dans  les  I’reüssische 
.Jaurbücher  une  longue  liste  de  passages  empruntés  par  Chavanne  à Pecbuël- 
Loesche,  sans  citation  de  source.  Cf.  Petermanns  Mitteilungen,  XXXIV 
(1888), Litt.  ber.  n"ll. 

(3)  11  ne  parle  pas  des  rites  de  la  puberté  proprement  dits,  mais  il  signale 
que  la  puissance  des  féticheurs  s’apprend  et  se  transmet  d’habitude  de  père 
en  fds.  Nous  y voyons  une  vague  allusion  à l’institution  du  nkimba. 

(4)  M.  Demeuse  a fait  trois  voyages  au  Congo.  Signalons  particulièrement 
l’exploration  qu’il  fit  en  1888  sur  le  steamer  le  Roi  des  Belges,  et  dont  il  remporta 
une  belle  collection  de  photographies.  Pour  les  commenter,  il  ne  s’en  tient 
pas  toujours  à ses  observations  personnelles.  C’est  ainsi  que  tout  ce  qu’il 
écrit  au  sujet  des  nkimba  est  tiré  presque  littéralement  de  Fuchs.  L’inconvé- 
nient ne  serait  pas  sérieux,  si  le  voyageur  avait  soin  de  citer  sa  source. 

(5)  En  1887,  il  remonta  le  Congo  jusqu’à  l’embouchure  du  Kassai.  11  dut  un 
grand  nombre  de  renseignements  àiM.  Ulff,  qu’il  cite  (p.  98). 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


510 


(1883),  pp.  569-581  : A visü  to  M’  Stanley  s Station  on  the 
river  Congo,  p.  572. 

— JnURMAI.  OF  THE  ANTIIROPOLnGIC.AL  InSTITUTE,  XllI  (1881), 
pp.  4-61-479  ; On  the  races  of  the  Congo  and  the  Portuguese 
colonies  in  Western  Africa,  pp.  472  et  473(1). 

Kingsley  (M.).  West  African  Studies.  2'^®  éd.  London,  Mac- 
millan, 1901,  pp.  412,  448  et  449(2). 

Lejeune  (Ch.).  Congo  Illustré,  III  (1894),  pp.  59-61  : Les 
Inkimhas  (3). 

Lemaitre  (H.).  Bulletin  de  l.\  Société  de  Géogr.apiiie  de 
Rochefort,  XVI  (1894),  pp.  89-123  : Dam  le  Bas-Congo, 
pp.  115,  120  et  121  (4). 

Morgan  (E.  Delmar).  Proceedings  of  the  R.  Geogr.\piiical 
Society,  London,  VI  (1884),  pp.  183-196  : Notes  on  the  hiver 
Congo,  front  its  mouth  to  Stanleg-Pool,  p.  193(5). 

Nipperdey  (H.).  Ausl.and,  LIX  (1886),  pp.  712-714  : Fetische 
und  Fetischglaube  ini  Westeii  Afrika’s,  p.  713  (6). 

Pechuël-Loesche.  Volksknnde  von  Loango.  Stuttgart,  Strec- 
ker  et  Schrôder.  1907,  pp.  95-97  (7). 


(1)  Il  partit  de  Loanda  en  octobre  1882  et  remonta  le  Congo  jusqu’à  Bolobo. 
Il  ne  mit  pas  tout  le  soin  voulu  à observer  les  mœurs  et  les  coutumes  des 
indigènes.  Nous  avons  signalé  quelques-unes  de  ses  négligences. 

(2)  Nous  ne  citons  ce  livre  qu’à  cause  du  succès  qu’il  a recueilli.  Les  rensei- 
gnements sur  les  sociétés  secrètes  sont  trop  généraux  et  se  rapportent  plutôt 
au  Congo  français.  Ils  ne  figurent  pas  dans  la  première  édition. 

(3)  Les  renseignements  qu’il  donne  sur  les  nkimba  ont  été  obtenus  à 
grand’peine  de  son  boy  « Mpanzu  ».  Son  cuisinier  Tjama-Majau,  natif  de  Vivi, 
était  aflilié  à la  société. 

(4)  Il  fit  un  voyage  de  plus  de  deux  ans  (1890-1892)  au  Bas-Congo  pour  la 
maison  Daumas  et  C‘®  et  visita  successivement  tous  les  comptoirs  que  possé- 
dait cette  maison. 

(5)  Il  accompagna  le  général  sir  Fr.  Goldsmith  envoyé  en  mission  au  Congo 
par  l’Association  internationale  africaine,  et  débarqua  à Banana,  en  sep- 
tembre 1883. 

(6)  Au  cours  de  son  voyage,  il  vit  un  nkimba  entre  Isangila  et  Manjanga. 

(7)  Notre  étude  était  à l’impression  lorsque  nous  avons  pris  connaissance 
de  ce  livre.  A notre  très  vif  regret,  nous  n’avons  donc  pas  pu  en  tenir  compte 
au  cours  du  travail.  La  Volkskunde  von  Loango  forme  le  second  volume  de  la 
3'' série  des  publications  de  l’expédition  allemande  du  Loango  (1873-1876).  Le 
premier  volume  Landeskunde  avait  paru  en  1882.  Nous  n’avons  rien  perdu  à 
attendre.  Le  savant  professeur  s’est  occupé  à contrôler,  à vérifier  et  à compléter 
ses  renseignements  par  un  second  voyage  et  par  des  notes  de  M.M.  Niemann, 


520 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Slosse  (E.).  Congo  Illustré,  111  (1894),  pp.  26  et  27,  35-87, 
■42  et  43,  54-56,  6Ü-63,  71  et  72, 76-78  : Le  chemin  de  fer  du 
Congo.  En  avant  avec  la  brigade  d’études,  p.  62  (1). 

Vereycken.  Congo  Illustré,  IV  (1895),  pp.  130  et  131, 137-139, 
145-14-8  : La  Région  des  cataractes,  p.  147  (2). 


IV.  .\UTEURS  DE  SECONDE  M.4IN 

Ankermann  (D''  B.).  Anthropos,  I (1906),  pp.  914-949  : 
UEthnogrctphie  actuelle  de  l’ A fin  que  méridionale,  2“''' partie, 
p.  936,  trad.  de  Archiv  für  Anthropologie,  Neue  Folge, 
IV  (1906),  p.  241  (3). 

Chapaux  (A.).  Le  Congo  historique,  diplomatique,  physique, 
politique,  économique,  humanitaire  et  colonial.  Bruxelles, 
Rozez,  1894,  p.  581  (4). 

Frobenius  (L.).  Adhandlungen  der  K.  L.  C.  Akademie  der 


l’iiillips  et  l’oiistijn.  Pour  M.  Perhuël-Loesdie  le  nkimha  serait  une  gilde  de 
porteurs  ou  de  commerçants  dont  l’origine  remonterait  à la  grande  époque 
des  Pombeiros.  11  aurait  atteint  son  plein  développement  au  Sud  du  Congo  vers 
le  premier  tiers  ilu  siècle  précédent.  Insensiblement  il  aurait  gagné  des  adeptes 
jusque  vers  la  côte  de  Loango  et  aurait  perdu  sa  signification  première  pour 
servira  des  buts  divers.  Le  principal  signe  de  ralliement  des  alfiliés  serait  une 
langue  secrète  d’un  caractère  tout  artificiel.  Nous  avons  pu  constater  qu’à 
l’beure  actuelle  le  caractère  commercial  du  nkimba  est  effacé.  Nous  n’en 
pouvons  pas  conclure  à la  fausseté  de  la  thèse  avancée  par  le  professeur 
Pechuël-Loesche;  mais  nous  attendrons  les  arguments  historiques  sur  lesquels 
doit  se  baser  cette  thèse,  avant  de  pouvoir  nous  y rallier. 

(1)  Il  explique  lui-même  de  quelle  façon  il  a obtenu  ses  renseignements  sur 
les  sociétés  secrètes  : « Je  citerais  bien  des  cas  de  cette  religieuse  discrétion 
des  initiés,  mais  je  crois  plus  utile  de  raconter  quelques  généralités  que  je 
suis  parvenu  à me  faire  expliquer  par  des  gens  du  pays  qui  étaient  à mon 
service  et  qui  se  confiaient  à moi  pour  me  signaler  des  faits,  tenus  dans  un 
profond  secret  par  leurs  coreligionnaires  ». 

(:2)  M.  Vereycken  ne  parle  pas  des  rites  de  la  puberté.  Nous  le  citons  ici 
parce  qu’il  nous  apprend  que  les  sorciers  ont  un  costume  spécial  : ils  ne 
portent  jamais  que  des  tissus  indigènes  en  fibres  de  palmier. 

(3)  Ankermann  s’inspire  surtout  de  Frobenius  qu’il  cite  avec  Karutz.  Nous 
attirons  aussi  l’attention  sur  la  note  du  P.  Schmidt  dont  nous  avons  cité  un 
passage  à propos  de  l’étude  du  P.  Callewaert. 

(4)  tin  fait  d’ouvrages  généraux  sur  le  Congo,  nous  nous  contentons  de 
celui-ci.  Les  renseignements  de  Chapaux  sont  tirés  en  grande  partie  du  lieute- 
nant Van  de  Velde. 


LES  SOCIÉTÉS  SECRÉTES  AU  BAS-CONGO 


5*21 


Naturforscher  zu  Halle,  LXXIV  (1808),  n”  1 : Die  Masken 
nnd  Gehcimbünde  Afrikas,  pp. 

Grünewald.  Jaiiresberichte  des  Vereins  für  Erdkunde  zu 
Metz,  XII  (1889-90),  pp.  53-58  : Ueber  die  Rechtssilten, 
p.  55(1). 

Haulleville  (de)  et  Coart.  Annales  du  Musée  du  Congo. 
Ethn.  et  Anthr.,  S*"  série,  I,  fasc.  2 (1902-1900),  pp.  199-206  : 
Les  sociétés  secrètes  reproduit  dans  Le  Congo,  IV  (1907) 

pp.  162-108  (2). 

Karutz.  Mitteilungen  der  Geographischen  Gesellschaft  zu 
Lübeck,  2'“  série  (1901),  fasc.  15  : Die  Afrikanischen  Hôr- 
ner masken  (3). 

Meinhof  (G.).  Globus,  LXVI  (1894),  pp.  117-119  : Die  Geheim- 
sprachen  Afrikas  (A). 

Mondière  (A.  T.).  Revue  d’Anthropologie,  3'^  série,  VIII 
(1885),  pp.  539-541.  Compte  rendu  de  l’article  de  IL  H. 
Johnston  : On  the  races  of  the  Congo  and  the  Portugnese 
colonies  in  Western  Africa,  p.  541  (5). 

Reclus  (ÉL).  Nouvelle  Géographie xuiiverselle.  Paris,  Hachette. 
Vol.  XHI  (1888),  p.  350 \0). 

Schurtz  (H.).  AltersklassennndMünnerbnnde.  Berlin,  Reimer, 
1902  (7). 

Wauters  (A.  J.).  Congo  Illustré,  I (1892),  p.  3 : Les  Inkirn- 
bas  (élèves  féticheurs)  (8). 

(1)  Johnston  et  Lenz  figurent  parmi  ses  principales  sources. 

(2)  Description  assez  détaillée  des  rites  du  nkiniba  et  du  ndemho.  Les 
renseignements  sont  empruntés  surtout  au  H.  P.  Goedleven,  au  Uev.  Bentley 
et  à Coipiilhat.  En  parcourant  cette  belle  collection  aux  illustrations  nombreuses 
et  bien  réussies,  on  regrette  vivement  de  ne  jamais  rencontrer  une  référence 
bîbliographiiiue.  Voir  les  groupes  A'inkmba  du  Majomhe  et  de  la  région  des 
cataractes  (Le  Congo,  IV,  1907),  pp.  163,  165,  166,  167. 

(3)  Il  ne  m’a  pas  été  possible  de  consulter  cette  publication. 

(4)  Meinhof,  pour  la  partie  de  son  article  qui  nous  intéresse  ici,  s’est  inspiré 
du  Dictionary  and  Grammar  de  Bentley. 

(5)  C’est  une  simple  analyse  des  idées  de  Johnston. 

(6)  Parmi  les  ouvrages  d’un  intérêt  géographique  ou  ethnographique  géné- 
ral, c’est  le  seul  que  nous  citions  ici.  Beclus  s’est  inspiré  de  Bastian. 

(7)  Comme  nous  l’avons  indiqué  plus  haut,  Schurtz  s’en  remet  pour  la  docu- 
mentation de  l’Afrique  occidentale  à Frohenius.  Voir  la  traduction  dans  le 
Bulletin  de  la  Société  d’études  coloniales,  t.  X (1963),  pp.  249  et  250. 

(8)  Cet  article  n’est  pas  signé.  C’est  à la  suite  de  Frohenius  que  nous  l’attri- 
buons au  distingué  directeur  du  Congo  illustré.  La  plupart  des  renseigne- 
ments remontent  à F.  Fuchs,  peut-être  par  l’intermédiaire  de  F.  Uemeuse. 
Certains  renseignements  semblent  puisés  à des  sources  inédites. 


522 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Zaborowsky.  L’Anthropologie,  VII  (1896),  pp.  653-675  : 
La  Circoncision,  ses  origines  et  sa  répartition  en  Afrique 
et  à Madagascar,  p.  66'â  (1). 

Historical  Sériés.  Missions  in  Africa  (The  Congo).  Boston 
(Mass.)  American  Baptisl  Missionarv  Union,  1905,  pp.  14  et 
15  (2). 


(1)  Les  détails  qu’il  donne  sur  la  circoncision  chez  les  populations  du  Bas- 
Congo  proviennent  de  Waitz  et  du  1)''  Pechuël-Loesche. 

('2)  Renseignements  empruntés  à Mrs  .Mary  H.Kingsley  et  au  Rev. H. Richards. 


LE  PRINCIPE  D’LNERTIE 


I.  — Le  Mouvement 

1.  — Uopinion  de  M.  Poincaré  sur  la  rotation 
de  la  Terre 

« Cette  affirmation  : la  Terre  tourne  n’a  pas  de 
sens  (i).  » En  énonçant  cette  proposition  M.  Poincaré  a 
scandalisé  de  nombreux  esprits,  et  il  a dû  se  défendre 
de  reprendre  pour  son  compte  la  théorie  des  adversaires 
de  Galilée. 

Il  admet  que  la  Terre  tourne  ; et  cette  vérité,  nous  dit- 
il,  il  la  met  sur  le  même  pied  que  celle  du  postulat  d’Eu- 
clide,  ou  de  l’existence  des  objets  extérieurs.  Il  est  vrai, 
le  sens  qu’il  donne  à ces  deux  affirmations  n’est  peut- 
être  pas  celui  de  tout  le  monde.  Elles  expliquent,  nous 
dit-il,  un  nombre  de  faits  incomparablement  plus  grand 
que  les  affirmations  contraires.  Il  est  donc  plus  com- 
mode d’admettre  celles-là  que  celles-ci.  L’hypothèse  de 
la  rotation  de  la  Terre,  elle  aussi,  explique  de  nom- 
breux phénomènes  physiques  qui  restent  sans  lien  dans 
l’hypothèse  contraire.  La  première  est  donc  pjhysique- 
ment^Xw^  vraie  que  la  seconde  (2). 

D’autre  part,  dit  toujours  l’éminent  mathématicien, 
« il  n’y  a pas  d’espace  absolu;  ces  deux  propositions 

(1)  La  Science  et  l’Hypothèse,  chap.  VII. 

(2)  La  Valeur  de  la  Science,  chap.  XI,  p.  272. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


contradictoires  : la  Terre  tourne  et  la  Terre  ne  tourne 
pas  ne  sont  donc  pas  ciné  mat  iquement  plus  vraies  l’une 
([ue  l’antre.  Affirmer  l’une  en  niant  l’antre  au  sens 
cinématique,  ce  serait  admettre  l’existence  de  l’espace 
absolu.  » 

Nous  avons  essaj^é  d’exposer  aussi  fidèlement  que 
])ossible  la  pensée  de  l’auteur,  et  nous  pouvons  la  résu- 
mer dans  cette  proposition  : Cette  affirmation  : la  Terre 
tourne  et  sa  contradictoire  sont  érjalemeut  vraies  ciné- 
mat  iquement  ; physiquement,  la  première  est  plus 
vraie  que  la  seconde. 

M.  Poincaré  explique  pourquoi  il  distingue  entre  la 
solution  cinématique  et  la  solution  physique  du  pro- 
blème. 11  ne  croit  pas  à l’existence  d’un  espace  absolu 
et,  ])ar  une  conséquence  rigoureuse,  il  nie  celle  d’un 
mouvement  absolu.  Il  n’y  a donc  que  des  mouvements 
relatifs.  Je  considérerai  donc  arliitrairement  le  ciel  se 
déplaçant  par  rapport  à la  Terre,  ou  la  Terre  se  dépla- 
çant }iar  ra[)port  au  ciel,  sans  que  l’un  des  deux  points 
de  vue  soit  })lus  vrai  que  l’autre,  et  selon  que  j’aurai 
choisi  l’im  ou  l’autre,  je  dirai  : le  ciel  tourne  ou  la  Terre 
tourne.  Telle  est  la  solution  cinématique  à laquelle 
conduit  le  raisonnement  à priori. 

D’autre  part,  l’observation  intervient  et  montre  une 
séide  de  phénomènes,  l’aplatissement  de  la  Terre  par 
exemple,  que  le  mouvement  relatif  ne  saurait  expliquer. 
L’hyjiothèse  de  la  rotation  de  la  Terre  étaWit  un  lien 
naturel  entre  ces  phénomènes.  L’auteur  en  conclut 
qu’il  est  [dus  vrai,  lisons  : [dus  commode,  de  dire  : la 
Terre  tourne  que  de  dire  : le  ciel  tourne.  Mais  alors  on 
[larle  au  sens  physique. 

Cette  solution  ne  semble  pas  avoir  pleinement  satis- 
fait son  auteur.  Il  a[)[)elle  cette  ([uestion  « une  question 
fort  iiii[)ortante  et  môme  quelque  j)eu  troublante  » (1). 


(1)  La  Science  et  rHiipothèse,  chnp.  Vll,  p.  139. 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


525 


Nous  allons  l’étudier,  moins  pour  l’intérêt  qu’elle 
présente  par  elle-même  que  pour  les  conséquences  (pi’on 
en  peut  déduire  par  rapport  au  principe  d’inertie. 

2.  — L’Espace  absolu 

Y a-t-il  un  espace  absolu  ? Telle  est  la  question  fon- 
damentale à résoudre,  et  nous  n’hésitons  pas  à répondre 
par  la  négative. 

C’est  l’avis  de  nombreux  savants  parmi  lesquels  se 
place  résolument  M.  Poincaré  : « Je  ne  puis  en  aucune 
façon  adopter  cette  manière  de  voir  » (1),  dit-il,  en 
parlant  de  l’opinion  de  Newton. 

C’est  aussi  l’opinion  de  Leibniz.  Il  admet  l’idéalisme 
de  l’espace  et  du  temps  contre  Newton  qui  en  faisait  des 
réalités  et  des  attributs  de  Dieu.  Leibniz  soutient  que 
l’espace  et  le  temps  ne  sont  que  des  ensembles  de  rela- 
tions. Si  deux  objets  sont  toujours  différents,  ce  n’est 
pas  parce  qu’ils  occupent  des  lieux  différents  (dans  un 
espace  alisolu  et  vide),  mais  parce  qu’?7s  soutiennent 
des  relations  différentes  avec  le  reste  du  monde  (2). 

11  existe  un  espace  absolu.  Ou  cette  proposition  n’a 
aucun  sens,  ou  elle  signifie  que  Lespace  absolu  est  un 
riuelque  chose  distinct  du  })ur  néant  qui  a sa  réalité 
propre  indépendante  de  toute  autre,  et  que  Ton  peut 
concevoir  subsistant  par  lui-même,  alors  qu’aucun 
corps  n’existerait.  Dès  lors,  nous  le  demandons,  que 
manque-t-il  à cette  réalité,  douée  d’ailleurs  de  la  pro- 
priété de  la  divisibilité,  pour  constituer  ce  que  nous 
appelons  un  corps?  Car  enfin,  du  moment  qu’elle  existe, 
elle  a sa  nature  propre,  elle  est  ceci  et  pas  cela.  Elle  a 
ses  propriétés  naturelles  que  je  pourrai  étudier.  Je 


(1)  La  Science  et  l' Hypothèse,  chap.  V,  p.  99. 

(2)  L.  Couturat,  Le  Système  de  Leibniz  d’après  M.  Cassirer.  Revue  de 
Métaphysique  et  de  Morale,  1903,  p.  87. 


526 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


pourrai,  par  exemple,  me  poser  cette  question  : Quand 
un  corps  traverse  l’espace  absolu,  y a-t-il  au  sein  de 
celui-ci  séparation  de  parties,  pour  faire  place  au 
mobile?  Si  l’on  affirme  qu’il  en  est  ainsi,  on  devra  attri- 
buer à cet  espace  les  ])ropriétés  de  l’élasticité  ou  de  la 
fluidité.  Si  on  le  nie,  au  contraire,  il  faudra  lui  attribuer 
la  propriété  de  la  compénétration,  et  on  aura  à étudier 
la  nature  de  celle-ci.  Bref,  quelque  nom  que  l’on  donne 
à cet  espace,  en  réalité  ce  sera  le  milieu  corporel,  ana- 
logue à l’éther  de  la  science  moderne,  au  sein  duquel 
sont  plongés  tous  les  autres  corps.  On  clierchei-ait 
vainement  un  caractère  nettement  défini  qui  permît  de 
distinguer  la  nature  de  corps  et  celle  d’espace  absolu. 

Tout  s’ex])lique,  au  contraire,  lorsqu’avec  Leibniz  on 
considère  l’espace  comme  un  ensemble  de  relations 
soutenues  par  les  corps.  Dans  la  pensée  de  ce  philo- 
sophe, on  ne  doit  pas  dire  : le  corps  est  dans  l’espace^ 
mais  bien  : V espace  est  dans  le  corps.  Il  est  dans  le  corps 
comme  le  mode  est  dans  la  réalité  subsistante,  le  relatif 
dans  l’absolu. 

Certains  philosophes  espèrent  sauver  la  notion  d’un 
espace  absolu,  en  invoquant  celle  d’un  esj)ace  imagi- 
naire, ou  encore  celle  d’un  espace  possible.  Que 
veulent-ils  dire?  Entendent-ils  j>ar  espace  imaginaire, un 
espace  qui  n’aurait  de  réalité  que  dans  l’esprit  de  celui 
qui  le  conçoit?  Mais  alors,  quelle  influence  peut  avoir 
sur  la  forme  d’un  corps  ou  sur  sa  déformation  une  réa- 
lité qui  est  en  dehors  de  ce  corps?  Gela  pourrait  se 
concevoir  peut-être  dans  certains  systèmes  philoso- 
phiques qui  nient  l’objectivité  des  corps;  mais  dans  ce 
cas  il  faudrait  du  moins  reconnaître  que  la  théorie  de 
l’espace  absolu  est  essentiellement  liée  à ces  systèmes. 

Un  espace  possible  ne  se  conçoit  pas  davantage, 
car  un  contenu  réel  ne  saurait  être  enfermé  dans  un 
contenant  possilile. 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


527 


3.  — Conséquence  de  l’impossibilité 
d’un  espace  absolu 

Avec  M.  Poincaré,  nous  rejetons  donc  l’idée  d’un 
espace  absolu  et,  toujours  avec  lui,  nous  en  déduisons 
cette  première  conséquence  qu’on  ne  peut  concevoir  un 
mouvement  absolu.  Un  pareil  mouvement  exigerait  en 
effet  des  points  de  repère,  ayant  une  position  absolue, 
ce  qui  supposerait  l’espace  absolu.  Il  n’y  a donc  que 
des  mouvements  relatifs. 

Mais  il  faut  encore  admettre  bien  d’autres  consé- 
quences, en  particulier  celle-ci  : des  corps  isolés  ne 
sauraient  occuper  de  positions  déterminées,  les  uns 
par  rapport  aux  autres. 

La  raison  en  est  évidente.  En  l’absence  d’un  espace 
absolu,  deux  points  ne  pourraient  avoir  deux  positions 
absolues  déterminées.  Ils  ne  sauraient  donc  avoir  de 
distance  déterminée.  Celle-ci,  en  effet,  s’obtient  par  la 
mesure  prise  entre  deux  points  de  positions  déterminées. 
Deux  corps  isolés  n’auraient  donc  entre  eux  aucune 
distance  de  mesure  déterminée.  D’où  viendrait  en  effet 
cette  détermination?  De  la  nature  intrinsèque  des  corps? 
Non  évidemment.  De  leur  position  absolue?  Iis  n’en 
ont  pas.  Ainsi  donc  trois  corps  isolés,  par  exemple,  ne 
formeront  pas  un  triangle  possédant  des  côtés  et  des 
angles  de  valeurs  déterminées. 

Est-ce  à dire  qu’on  ne  puisse  concevoir  la  coexistence 
de  plusieurs  corps  absolument  isolés  les  uns  des  autres  ? 
On  le  peut,  mais  alors  il  faut  les  imaginer  sans  rela- 
tions spatiales,  les  uns  par  rapport  aux  autres.  Ils 
n’auraient  entre  eux  ni  relations  de  distance,  ni  rela- 
tions d’orientation.  Nulle  énergie  n’aurait  prise  pour  les 
rapprocher  et  les  mettre  en  contact.  Chacun  d’eux 
serait  comme  inexistant  pour  les  autres.  En  l’absence 
de  relations  spatiales,  nulles  relations  mécaniques  ou 


528 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


physiques  ne  seraient  possibles  entre  ces  corps,  et  par 
suite  l'action  à distance  apparaît  connue  un  non-sens. 

Une  nouvelle  conséquence  découle  de  celle  que  nous 
venons  de  déveloj)per.  La  niasse,  au  sein  de  laquelle 
s’etfectuent  nos  ol)servations,  forine  nécessairement  un 
continu.  Ce  continu  pourra  exclure  toute  cavité  ou  bien 
atlécter  la  forme  réticulaire.  La  présence  de  cavités 
n’est  pas  sans  soulever  quehpies  diliicultés  et  il  serait 
j)lus  commode  de  les  exclure.  Mais  ni  le  raisonnement 
à priori  ni  les  données  de  l’expérience  ne  semblent 
nous  en  donner  le  droit.  Tout  ce  que  nous  pouvons 
faire,  c’est  d’exposer  nos  hyj)otlièses,  en  siq)posant  un 
continu  sans  cavités.  11  sera  ensuite  facile  de  les  étendre 
au  cas  d’un  continu  à forme  réticulaire. 

Ainsi  donc,  pour  nous,  la  masse  de  l’Univers  forme 
un  continu  dont  aucune  portion  n’est  totalement  isolée 
de  l’ensemble. 

Ici  une  question  se  }>ose.  Le  continu,  du  moins  le  con- 
tinu réticulaire,  peut-il  se  concilier  avec  l’iijqiotlièse 
d’atomes  insécables  et  de  forme  invariable?  Par  lui- 
même  il  n’y  répugne  pas.  Mais,  si  l’on  remarque  que  la 
masse  dont  nous  parlons  est  composée  d’éléments  se 
dé|)laçant  les  uns  par  raj)port  aux  autres,  et  que  d’ail- 
leurs ces  déplacements  devraient  se  pi'oduire  sans  qu’il 
y eut  jamais  complète  cessation  do  contact,  il  parait  bien 
difficile  d’admettre  des  atomes  rigides  et  insécables. 
Pour  nous,  nous  regardons  comme  riiypothèse  la  plus 
vraisemblable,  celle  d’après  laquelle  la  masse  de  l’Uni- 
vers forme  un  continu  au  sens  strict  du  mot,  c’est- 
à-dire  un  continu  excluant  les  atomes  rigides  et  insé- 
cables. Il  jouirait  de  la  double  pro}uiété  de  la  fluidité  et 
de  l’élasticité.  Une  particule  de  matière  pourrait  donc 
se  séparer  d’une  autre  particule  quelcoii([ue,  et  de  môme, 
adhérer  à une  autre  particule  quelconque.  Ainsi  encore 
cette  particule  quelconque  pourrait  se  condenser  en 
elle-même,  ou  se  dilater,  sans  qu’on  imagine,  dans  son 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


529 


sein,  des  éléments  qui  se  rapprochent  ou  s’éloignent  à 
travers  le  vide.  Au  sens  strict  du  mot,  une  particule 
de  matière  cliangerait  de  forme  et  de  volume. 

Cette  conception  de  la  comjtosition  de  la  matière  est, 
nous  le  savons,  contraire  à celle  de  Descartes  et  elle  n’a 
peut-être  pas  encore  aujourd’hui  un  très  grand  nomlDre 
de  partisans.  Elle  en  a pourtant.  Du  reste,  remar- 
quons-le  bien,  les  savants  qui  la  repoussent  reconnais- 
sent en  général  que  l’expérience  ne  donne  sur  ce  point 
aucune  indication  absolument  concluante.  Qu’on  sub- 
stitue à l’hypothèse  d’atomes  indivisibles,  se  déplaçant 
dans  le  vide,  l’hypothèse  de  centres  de  condensation 
maximum  évoluant  au  sein  d’un  milieu  continu  suffi- 
samment raréfié,  et  rien  ne  sera  sensiblement  changé 
aux  résultats  de  l’observation.  On  n’aurait  aucune 
objection  à nous  opposer  au  nom  de  celle-ci. 

Le  chef  de  l’école  atomique  en  France,  M.  Wurtz, 
reconnaît  lui-même  que  l’hjqjothèse  des  atomes  discon- 
tinus n’est  pas  indispensable  et  ne  constitue  pas  une 
théorie  parfaite. 

D’après  M.  Schützenberger  (1),  « la  notion  des  atomes 
et  de  la  matière  discontinue  est  une  hypothèse  et  rien  de 
plus...  L’atome  chimique  ne  constitue  pas  nécessaire- 
ment une  petite  masse  non  divisible,  invariable  en  poids, 
en  forme  et  en  volume  » . 11  dit  plus  loin  : « A l’idée  de 
petites  masses  isolées  dans  l’espace,  on  a opposé  une 
hypothèse  plus  large  et  plus  en  harmonie  avec  les  ten- 
dances philosophiques  actuelles.  Une  matière  continue, 
homogène  et  jparfaitement  élastique  remplirait 
runivers...  L’élasticité  parfaite  de  ce  qui  forme  l’Uni- 
vers est  une  conséquence  directe  du  principe  de  la 
conservation  de  la  force  vive  » . 

Ecoutons  M.  Bergsen  (2)  : « ...  La  science  revient  en 

(1)  Traité  de  Chimie  générale,  f.  I,  Introduction. 

(:2)  Perception  et  matière.  — Revue  de  Métaphysique  et  de  Modale, 
1896. 

IID  SÉRIE.  T.  XII.  3.i 


530 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


dépit  des  apparences...  k l’idée  de  la  continuité  univer- 
selle. Science  et  conscience  sont,  au  fond,  d’accord...  On 
n’expliquera  donc  j'ainais  pai'  des  particules,  quelles 
qu’elles  soient,  les  propriétés  simples  de  la  matière... 
La  Cdiimie  étudie  moins  la  matière  que  le  corps;  on 
conçoit  donc  qu’elle  s’arrête  à un  atome  doué  encore 
des  propriétés  générales  de  la  matière.  Mais  la 
matérialité  de  l’atome  se  dissout  de  plus  en  plus 
sous  le  regard  du  physicien  ».  Et  plus  loin  : « toute 
pliiloso])hie  de  la  nature  finit  par  ti'ouver  la  disconti- 
nuité incompatible  avec  les  propriétés  générales  de  la 
matière  ». 

D’après  Faraday,  chaque  atome  (point  do  croisement 
des  lignes  de  force)  occupe  l’es^iace  tout  entier,  et  tous 
les  atomes  se  pénètrent  les  uns  les  autres.  Si  nous 
remarquons  qu’un  ensemble  d’atomes  occupant  chacun 
tout  l’espace  forme  un  continu  que  ne  suj)porte  aucune 
autre  réalité,  et  représente  par  conséquent  une 
réalité  indépendante,  douée  d’ailleurs  de  la  pro}>riété 
de  l’étendue  ; nous  devons  reconnaître  que  cet  ensemble 
d’atomes  constitue  un  milieu  matériel  réalisant  les 
propriétés  de  celui  que  nous  avons  décrit.  La  théorie 
de  Faraday  est  donc,  au  fond,  la  nôtre. 

Citons  encore  M.  Hannequint  (1)  : « L’atome  phy- 
sique n’est  point  imposé  à la  science  par  la  réalité  mais 
])ar  notre  méthode  et  par  la  nature  même  de  notre 
connaissance...  L’atome...  n’est  rien  de  réel.  » 

M.  Duhem,  lui  aussi,  croit  à la  continuité  de  la 
matière. 

M.  de  Lapparent  (2),  il  est  vrai,  estime  que,  plus  la 
science  marche  et  })lus  elle  semble  s’orienter  définitive- 
ment vers  le  discontinu.  Les  électrons,  les  ions,  les 


(1)  Essai  critique  sur  l'Hypothèse  des  atomes  dans  la  science  contempo- 
raine, par  M.  Hannequint.  Le  Couturat,  HkvL'E  de  iMétaphysioi'E  et  de 
Morale,  1896. 

(2)  Science  et  Apologétique. 


LE  PRINCIPE  D INERTIE 


53i 


corpuscules  radiants  plaident  tous,  à son  avis,  pour 
cette  conception.  Au  premier  abord,  en  elfet,  il  pourrait 
sembler  que  ces  nouvelles  théories  fournissent  une 
présomption  en  faveur  du  discontinu.  Mais,  en  y regar- 
dant de  plus  près,  on  s’assure  qu’elles  sont  plutôt  favo- 
bles  à la  thèse  de  la  continuité.  Que  penser  d’un  atome 
réputé  jusqu’ici  rigide  et  insécable,  qui  se  résout  en 
électrons,  eux-mêmes  composés  de  charges  électriques 
élémentaires  constituant  un  champ  de  forces  variable? 
Que  penser  de  cette  conception  de  deux  atomes  de 
nature  distincte,  l’atome  matériel,  et  l’atome  élec- 
trique (1),  susceptibles  de  se  transformer  l’un  dans 
l’autre,  ayant  chacun  leur  masse  caractéristique  rela- 
tive à des  énergies  distinctes?  Que  penser  enfin  de 
cette  notion  d’une  masse  variant  avec  la  vitesse  (2)? 
Ces  notions  nouvelles  ne  nous  paraissent  guère  favo- 
riser la  théorie  de  l’atomisme. 

4.  — Rotation  de  la  Terre 

Revenons  à la  question  qui  a été  notre  point  de 
départ,  et  demandons-nous,  s’il  faut  considérer  le  mou- 
vement de  la  Terre  comme  un  mouvement  absolu  ou 
relatif.  D’une  part,  la  négation  d’un  espace  absolu  nous 
conduit  à conclure  que  ce  mouvement  est  relatif.  Et 
pourtant,  regardons-y  de  plus  prés.  Pour  plus  de  sim- 
plicité, nous  imaginerons  le  système  de  la  Terre  et  du 
ciel  réduit  à celui  de  deux  aiguilles  A,  B tournant  l’une 
par  rapport  à l’autre  autour  d’un  axe  imaginaire  pas- 
sant par  leurs  milieux  et  perpendiculaire  à leur  plan. 
Nous  allons  essayer  de  discerner  dans  ce  sj^stème  en 
mouvement,  ce  qu’il  y a d’objectif  et  par  conséquent 

(1)  Voir  M.  T.  Cvém\mrLe prohl'eme  de  la  gravitation  universelle.  Revue 
GÉNÉRALE  DES  SCIENCES  PURES  ET  APPLIQUÉES,  15  janvier  1907. 

(2)  MM.  E(i.  et  François  Cosserat.  Comptes  rendus  de  l’Académie  des 
Sciences,  CXL,  p.  3 avril  1905. 


532 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


d’indépendant  de  notre  esprit,  et  ce  qui,  au  contraire, 
dépend  du  point  de  vue  arbitraire  où  il  peut  nous  plaire 
d’envisager  le  phénomène. 

Par  le  fait  que  les  aiguilles  ont  un  mouvement  rela- 
tif l’iine  par  rapport  à l’autre,  il  y a objectivement 
déformation  au  moins  géométrique  du  système  : un 
angle  a changé  de  valeur.  J’ajoute  qu’il  y a objective- 
ment déformation  'physique.  La  première  déformation 
entraîne  en  effet  la  seconde;  et,  si  de  la  matière  dont 
était  fait  un  cube  je  façonne  une  sphère,  le  cube  et  la 
sphère  représenteront  deux  corps  différents,  non  seule- 
ment géométriquement,  mais  encore  physiquement. 
Des  cohésions  et  des  pressions,  ])ar  exein])le,  })ropriétés 
essentiellement  physiques,  auront  lieu  entre  des  élé- 
ments différents,  selon  que  l’on  considère  le  cube  ou  la 
sphère,  l^our  en  revenir  à nos  deux  aiguilles,  par  le 
fait  qu’elles  forment  un  système,  elles  ont  une  position 
déterminée  l’une  par  rapport  à l’autre.  D’après  ce  que 
nous  avons  dit,  elles  forment  donc  un  continu;  et,  alors 
même  que  la  rotation  ne  déterminerait  ni  dilatation  ni 
contraction,  elle  produirait  au  moins  des  changements 
de  contact.  Or,  nul  changement  ne  peut  se  produire 
dans  un  système,  sans  qu’un  changement  se  produise 
au  moins  dans  un  de  ses  éléments.  Donc,  un  change- 
ment s’étant  produit  ici  dans  le  système  des  aiguilles  A 
et  B,  A ou  B,  sinon  A et  B ont  dû  subir  une  modifica- 
tion. Sans  doute,  il  est  indifterent  que  ce  soit  A ou  B, 
et  dans  les  deux  hypothèses  l’explication  sera  la  même, 
mais  dans  la  réalité,  ce  sera  A ou  ce  sera  B,  sans  que 
le  choix  dépende  de  la  détermination  de  mon  esprit.  Je 
peux  bien,  en  effet,  concevoir  un  cheval  abstrait  qui 
n’ait  aucune  couleur  déterminée,  et  lui  attribuer  celle 
qu’il  me  plaira  de  lui  donner,  mais  dès  qu’il  s’agit  d’un 
cheval  concret  réellement  existant,  il  sera  blanc  ou  de 
toute  autre  couleur,  mais  il  aura  une  couleur  déterminée 
à l’exclusion  de  toutes  les  autres,  et  cela  jtar  le  seul  fait 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


533 


de  son  existence.  De  même  le  système  concret  AB 
placé  sous  mes  yeux,  ayant  subi  une  déformation 
objective,  A ou  B ou  toutes  les  deux  auront  subi  des 
modifications  objectives,  et,  si  c’est  grâce  à une  modi- 
fication de  A que  s’est  produite  la  déformation  du 
système,  je  ne  pourrai  l’attribuer  à une  modification  de 
B sans  concevoir  une  fausseté,  alors  même  que  celle-ci 
expliquerait  aussi  bien  la  déformation  des  systèmes. 

Ces  considérations  â priori  peuvent  être  confirmées 
par  l’observation.  Si  nous  imaginons  le  système  AB  en 
mouvement,  les  lois  de  la  mécanique  exigent  le  déve- 
loppement d’une  force  centrifuge,  au  sein  de  la  masse 
de  A,  de  celle  de  B,  ou  de  toutes  les  deux.  L’existence 
de  cette  force  sera  un  fait  de  constatation  sur  lequel  le 
point  de  vue  arbitraire  de  notre  esprit  n’aura  aucune 
prise.  Nous  constaterons,  par  exemple,  que  A développe 
une  force  centrifuge,  tandis  que  B n’en  développe  pas. 
Mais,  alors,  s’il  n’y  avait  qu’un  phénomène  relatif, 
mon  esprit  aurait  le  droit  de  considérer  le  mouvement 
du  système  AB  comme  provenant  tout  aussi  bien  d’une 
modification  de  B,  A n’en  subissant  aucune.  Quelle 
qu’en  soit  la  nature,  comment  une  force  centrifuge 
naîtrait-elle  du  corps  A supposé  inerte  et  immobile? 
Evidemment,  il  y a un  lien  entre  l’apparition  de  cette 
force  et  la  modification  que  subit  le  corps  au  sein  duquel 
elle  se  développe  ; et  puisque  cette  force  a une  valeur 
objective,  cette  modification  ne  saurait  avoir  un  carac- 
tère purement  relatif. 

Nous  venons  d’analyser  la  difficulté  que  M.  Poincaré 
estime  quelque  peu  troublante.  En  l’absence  d’un  espace 
absolu,  on  ne  voit  aucune  particularité  du  système 
AB  qui  autorise  à considérer  comme  plus  vraies  l’une 
que  l’autre,  ces  deux  propositions  : A tourne  par  rap- 
port à B,  ou  B tourne  par  rapport  à A.  Et  pourtant,  à 
priori,  cette  particularité  doit  exister,  car  rien  d’indé- 
terminé ne  peut  se  rencontrer  dans  le  domaine  du 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


53  i 

concret.  Quiconque  dit  : pair  ou  impair  à qui  lui  pré- 
sente une  main  remplie  de  billes,  dit  : ou  vrai  ou  faux. 
11  n’y  a pas  de  milieu. 

M.  Poincaré  nous  dit  bien  qu’il  est  physiquement 
plus  vrai  de  dire  : la  Terre  tourne.  Mais  l’explication 
qu’il  donne  du  mot  physiquement  ne  nous  satisfait  pas 
complètement.  C’est  plus  vrai,  nous  dit-il,  parce  que 
c’est  plus  commode.  Que  penser  de  celui  qui,  ne  redou- 
tant pas  le  compliqué,  opterait  pour  le  moins  commode 
et  dirait  : la  Terre  est  immobile^  Nous  le  demandons, 
supprimerait-il  à l’instant  la  force  centrifuge  de  la  Terre, 
et  par  un  simple  mouvement  de  sa  pensée  ébranlerait-il 
le  ciel  en  y transportant  cette  même  force  ? Ce  nou- 
veau Jupiter  tient  vraiment  sur  l’ancien  le  record  de  la 
puissance. 

Qu’il  nous  soit  permis  de  proposer  une  autre 
explication  et  de  la  formuler  dans  cette  proposition  : 
Il  n’existe  pas  de  mouvement  exclusivement  local; 
tout  déplacement  de  matière  est  essentiellement  lié  à 
une  modification  ph ysique  de  celle-ci. 

Ce  principe  admis,  la  contradiction  précédemment 
signalée  disparaît.  Considérés  dans  leur  nature  abs- 
traite, les  dé})lacements  de  la  Terre  et  du  ciel  pris  en 
tant  que  déjdacements  sont  purement  relatifs,  et  par 
suite,  toujours  dans  l’ordre  abstrait,  c’est-à-dire  au 
point  de  vue  purement  cinématique.  Je  })uis  dire  indifié- 
remment  l’im  ou  l’autre,  et  cela,  précisément  parce 
que  je  fais  abstraction  de  ce  par  quoi,  au  concret,  c’est 
l’im  plutôt  que  l’autre  des  deux  éléments,  ciel  et  Terre, 
qui  se  trouve  en  mouvement.  Mais  dans  l’ordre  con- 
cret, ces  déplacements  sont  accompagnés,  disons-nous, 
de  modifications  phjï^iques,  com})ressions,  dilatations 
ou  autres,  et  alors,  il  sutfira  d’examiner  lequel  des 
deux  corps  affecte  ces  modifications,  ou  ])lutôt  dans 
quelle  mesure  chacun  d’eux  en  est  afiécté,  pour  pou- 
voir décider  la  part  de  mouvement  qui  revient  à chacun. 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


535 


5.  — On  ne  saurait  concevoir  de  mouvement 
exclusivement  local 

Nous  allons  démontrer  la  proposition  que  nous 
venons  d’énoncer. 

Remarquons  d’abord  que,  de  fait,  on  ne  constate 
aucun  mouvement  qui  ne  soit  accompagné  de  quelque 
altération  dans  les  propriétés  physiques  des  coiqis  en 
mouvement.  Mais  il  s’agit  d’examiner  si  ces  altérations 
sont  essentielles,  ou  si  toutes  ne  tiennent  pas  à de  pures 
circonstances  accidentelles,  qu’on  pourrait  écarter,  au 
moins  par  la  pensée.  Nous  prétendons  que  la  modifica- 
tion physique  fait  partie  essentielle  de  la  nature  même 
du  mouvement  concret. 

Nous  venons  d’opposer  ces  deux  concepts  : déplace- 
ment géométrique  et  modification  physique.  On  nous 
demandera  peut-être  ce  que  nous  entendons  au  juste 
par  cette  dernière  expression.  Elle  n’a  pas  de  sens, 
nous  l’avouons,  pour  ceux  qui  expliquent,  par  des 
déplacements  plus  ou  moins  rapides,  tous  les  phéno- 
mènes physiques  et  chimiques.  Mais  que  penser  de  cette 
théorie?  Ceux  qui  admettent  les  conclusions  précé- 
dentes auront  bien  de  la  peine  à la  défendre.  Leurs 
atomes,  privés  de  la  faculté  de  franchir  à travers  le 
vide  une  distance  que  d’autres  supposent  séparer  deux 
portions  de  matière,  seront  donc  astreints  à longer, 
sans  jamais  s’en  écarter,  les  rivages  auxquels  ils  sont 
attachés;  et  cette  laborieuse  navigation  de  cahotage 
ne  sera  guère  favorable  aux  évolutions  que  semble 
exiger  la  variété  infinie  des  phénomènes  physiques  et 
chimiques. 

Mais  ce  n’est  pas  tout.  Le  continu  suppose  la  cohé- 
sion. S’il  y a donc  déformation  au  sein  d’un  continu, 
alors  même  qu’il  i\’y  aurait  ni  contraction  ni  dilatation 
proprement  dite,  il  y aurait  du  moins  production  et  des- 


536 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


truction  de  cohésion  sur  certains  points  du  continu. 
Nous  aurions  donc  bien  de  vraies  modifications  phy- 
siques qui  ne  sauraient  se  réduire  à de  purs  déplace- 
ments géométriques.  Le  seul  refuge  qui  semblerait 
rester  aux  partisans  de  la  théorie  atomique,  serait 
d’imaginer  que  la  déformation  est  produite  par  le  glis- 
sement les  uns  contre  les  autres  d’atomes  contifius  sans 
être  continus.  Mais  alors,  du  mouvement  de  ces  atomes 
en  contact  naîtraient  des  pressions,  des  résistances  au 
mouvement,  phénomènes  distincts  de  j)urs  déplace- 
ments géométriques  et  que  nous  pouvons  considérer  par 
conséquent  comme  des  phénomènes  physiques. 

On  le  voit  donc,  de  quelque  manière  qu’on  explique 
les  phénomènes  auxquels  le  mouvement  donne  lieu,  il  y 
en  aura  toujours  qui  ne  sauraient  se  réduire  à de  purs 
déplacements  géométriques.  C’est  de  ces  })hénomènes 
que  nous  voulons  parler,  quand  nous  disons  <[ue  tout 
déplacement  local  est  accompagné  de  quelque  modifi- 
cation physique. 

La  démonstration  de  cette  affirmation  découle  de  la 
nécessité  de  résoudre  la  difficulté  soulevée  précédem- 
ment. Si  le  système  AB  est  en  mouvement,  avons-nous 
dit,  A ou  B subit  individuellement  une  modification. 
D’ailleurs,  ce  ne  peut  être  un  déplacement  absolu 
puisque  nous  avons  exclu  ce  genre  de  déplacement.  Il 
ne  peut  être  davantage  question  du  mouvement  relatif 
du  système,  puisque  ce  mouvement  n’a  rien  d’indivi- 
duel et  ne  jteut  être  attribué  d’une  façon  déterminée  et 
s’im])Osant  à l’esj)rit,  à A plutôt  qu’à  B ou  inverse- 
ment. La  modification  que  subit  A,  ])ar  exemple,  et  que 
mon  esprit  n’a  pas  le  droit  de  transporter  à B est  une 
modification  physique. 

Nous  avons  dit  encore  qu’on  ne  peut  concevoir  un 
ensemifie  de  corps  ayant  entre  eux  des  relations  spa- 
tiales, c’est-à-dire  des  positions  déterminées  les  unes 
par  rapport  aux  autres,  qu’à  la  condition  de  les  conce- 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


537 


voir  coinine  formant  un  continu  plein  ou  réticulaire. 
Or,  clans  un  tel  milieu,  il  est  malaisé  de  concevoir  des 
mouvements  cjui  se  réduiraient  à de  purs  déplacements 
géométricpies.  La  déformation  de  volume  qui  se  pro- 
duira nécessairement  entraînera  des  modifications 
physiques  au  sein  de  sa  masse.  C’est  ce  que  nous  avons 
d’ailleurs  déjà  remarc[ué  plus  haut. 

Faisons  encore  cette  observation.  Toute  modification 
de  volume  implique  au  minimum  un  changement  dans 
les  associations  de  particules  matérielles  en  contact.  Des 
contacts  disparaissent,  d'autres  s’établissent.  Si  ces 
contacts  ont  lieu  entre  particules  continues,  il  y aura 
destruction  et  production  de  cohésion  entre  ces  parti- 
cules. S’il  y a seulement  contiguïté,  il  y aura  disparition 
et  apparition  de  pressions.  Dans  les  deux  cas,  il  y aura 
modification  physique  au  sens  où  nous  l’avons  définie. 

Mais  la  principale  raison  que  nous  avons  d’affirmer 
l’existence  de  cette  modification  phj^sique  est  tirée  de  la 
conception  que  nous  nous  faisons  de  l’espace. 

L’espace,  avons-nous  dit,  ne  possède  pas  de  réalité 
indépendante  des  corps.  Il  constitue,  comme  dit  Leib- 
niz, un  ensemble  de  relations  entre  les  éléments  des 
corps,  et  c’est  seulement  par  la  puissance  d’abstraction 
de  notre  esprit,  que  nous  le  séparons  du  corps  qu’il 
affecte.  Or,  le  déplacement  n’est  qu’une  modification  de 
cet  ensemble  de  relations.  Si  donc,  à un  ensemble 
déterminé  de  ces  relations  correspond  un  corps  de 
nature  physique  déterminée,  la  modification  des  rela- 
tions entrainera  nécessairement  une  modification  de  la 
nature  phj^sique  elle-même  du  corps  qu’elles  affectent. 
En  d’autres  termes,  si  l’espace  affecte  une  nature 
physique  donnée,  la  modification  de  cet  espace  affectera 
une  modification  de  cette  nature  physique.  Ges  deux 
modifications  constituent  les  deux  éléments  essentiels 
du  mouvement.  Au  concret,  l’un  ne  peut  être  produit 
sans  l’autre.  L’abstraction  seule  peut  les  séparer  et 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Ô38 

dégager  du  mouvement  concret  l’objet  formel  de  la 
cinématique  qui  n’y  considère  que  le  premier  élément. 

La  conception  d’une  modification  physique,  insépa- 
rable de  tout  déplacement  local,  peut  être  considérée 
comme  gagnant  tout  le  terrain  que  perd  la  théorie 
mécanique  de  l’univers.  Or,  ces  pertes  s’accroissent 
chaque  jour,  ^mici,  par  exemple,  ce  que  dit  M.  Poin- 
caré : « La  composition  mécaniste  de  l’univers,  qu’on 
admette  l’hypothèse  des  atomes  allant  en  ligne  droite, 
et  ne  déviant  que  par  le  choc,  ou  l’attraction  à distance 
offre  en  dehors  de  certaines  difficultés  méta])hysiques 
des  difficultés  tirées  de  l’exjiérience.  Dans  l’hypothèse  du 
mécanisme,  tous  les  phénomènes  doivent  être  réver- 
sibles... L’expérience  met  au  contraire,  en  évidence,  une 
foule  de  phénomènes  irréversibles.  Un  corps  chaud  mis 
en  présence  d’un  corps  froid  lui  communique  de  sa 
chaleur.  Le  ])hénoinène  inverse  ne  se  ])roduit  pas  (i).  » 

Le  même  auteur  constate  un  peu  ])lus  loin  qu’on  a eu 
recours,  pour  concilier  le  mécanisme  et  l’expérience,  à 
l’intervention  de  moucements  cachés.  Lhie  concejdion 
aussi  gratuite  rend  quelque  })eu  suspecte  la  théorie 
qu’elle  vient  apjtuyer. 

M.  Bergen  semble  être  avec  nous  lorsque,  dans 
l’article  déjà  cité,  il  met  en  relief,  d’une  })art  la  difficulté 
d’admettre  un  mouvement  pu  renient  relatif,  de  l’autre  la 
difficulté  d’admettre  un  esjiace  absolu  que  paraît  exiger 
la  notion  d’un  mouvement  absolu.  Il  reconnaît,  qu’au 
point  de  vue  géométrique,  on  peut  soutenir  que  le  mou- 
vement est  relatif.  INlais,  ajoute-t-il,  « qu’il  y ait  un 
mouvement  réel,  personne  ne  peut  le  contester  sérieu- 
sement, sinon  rien  ne  changerait  dans  l’univers,  et  sur- 
tout on  ne  voit  pas  ce  que  signifierait  la  conscience  que 
nous  avons  de  nos  propres  mouvements...  Mais  s’il  y a 
un  mouvement  absolu,  peut-on  persister  à ne  voir 

(1)  Revue  de  Métaphysique  et  de  Morale.  Le  Mécanisme  et  l’Expé- 
rience. 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


539 


dwis  le  mouzetaent  qu’un  changement  de  lieu  ^ 11  fau- 
drait alors  ériger  la  diversité  de  lieu  en  différence  abso- 
lue et  distinguer  des  positions  absolues  dans  un  espace 
absolu.  Newton  est  allé  jusque-là  {Principia,  Ed.  Thom- 
son, 1871,  pp.  6 et  suiv.),  suivi  d’ailleurs  par  Euler 
[Theoria  motus  corporum  solidorurn^  1765,  pp.  30-33) 
et  par  d’autres.  Mais  cela  peut-il  s’imaginer  ou  même  se 
concevoir?  > 

Ainsi  donc,  pas  plus  que  nous,  M.  Bergen  ne  peut  se 
résigner  à voir  dans  le  mouvement  un  simple  change- 
ment de  lieu.  Nous  n’osons  affirmer  qu’il  admette  toutes 
nos  conclusions.  11  n’en  est  pas  moins  vrai  qu’elles 
paraissent  découler  des  prémisses  de  l’auteur. 

En  terminant,  nous  pouvons  citer  à l’appui  de  notre 
thèse,  M.  Languevin,  professeur  suppléant  au  Collège 
de  France.  Dans  un  très  remarquable  Mémoire  sur  la 
physique  des  électrons  (1)  il  a montré,  entre  autres 
résultats,  que  toute  vitesse,  même  constante^  et  par 
conséquent  tout  dé])lacement  d’un  mobile  électrisé  sup- 
posait une  dépense  d’énergie  se  produisant  tout  le 
temps  où  le  corps  se  déplace.  D’après  l’auteur,  il 
aurait  production  d’un  champ  magnétique  au  moment 
de  la  mise  en  mouvement  du  mobile,  qui  impliquerait 
une  dépense  d’énergie  proportionnelle,  en  première 
approximation,  pour  les  vitesses  faibles  par  rapport  à 
celles  de  la  lumière,  au  carré  de  la  vitesse,  c’est-à-dire, 
de  même  forme  que  l’énergie  cinématique  ordinaire. 
Donc,  conclut-il,  une  pat'tie  au  moins  de  l’ inertie  d’un 
corps  électrisé  est  une  conséquence  de  sa  charge  élec- 
tricque. 

Tout  déplacement  étant  accompagné  d’une  quantité 
d’inertie,  si  celle-ci  implique  une  dépense  d’énergie,  tout 
déplacement  est  bien  lié  à une  modification  physique. 


(1)  Rapport  présenté  au  Congrès  international  des  Sciences  et  des  Arts  à 
Saint-Louis,  le  22  septembre  19üi.  Revue  générale  des  Sciences  pures  et 
APPLIQUÉES,  1905,  p.  257. 


540 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


II.  — Critique  du  Principe  d’inertie 

1.  — La  Causalité  et  le  Principe  cV inertie 

Avant  d’exposer  notre  avis,  transcrivons  celui  qu’ex- 
prime M.  Poincaré  dans  son  ouvrage,  La  Science  et 
r Hypothèse  (1)  : « Un  corps  qui  n’est  soumis  à aucune 
force  ne  peut  avoir  qu’un  mouvement  rectiligne  et  uni- 
forme. Est-ce  là  une  vérité  qui  s’impose  à priori  k l’es- 
prit? S’il  en  était  ainsi,  comment  les  Grecs  l’auraient- 
ils  méconnue?...  Si  l’on  dit  que  la  vitesse  d’un  corps  ne 
peut  changer,  s’il  n’y  a yias  de  raison  pour  qu’elle 
change,  ne  pourrait-on  pas  soutenir  tout  aussi  bien  que 
la  yiosition  de  ce  coiq)s  ne  y)eut  changer,  ou  que  la  cour-, 
hure  de  sa  trajectoire  ne  peut  changer  si  une  cause 
extérieure  ne  vient  la  modifier?  Le  princiyie  d’inertie 
qui  n’est  pas  une  vérité  à priori  est-il  donc  un  fait 
expérimental?  Mais  a-t-on  Jamais  expérimenté  sur  des 
corps  soustraits  à l’action  de  toute  force,  et  si  on  l’a  fait, 
comment  a-t-on  su  que  ces  corps  n’étaient  soumis  à 
aucune  force?  » 

Nous  ne  voyons  pas  ce  qu’on  peut  opposer  à ce  rai- 
sonnement de  l’éminent  auteur.  Un  effet  sans  cause, 
voilà  en  résumé  ce  que  M.  Poincaré  reproche  de  suppo- 
ser à la  loi  de  l’inertie. 

Tout  mouvement,  avons-nous  dit,  implique  une 
modification  physique,  qui  se  poursuit  tout  le  temps 
qu’il  a lieu.  En  l’absence  d’esy)ace  absolu,  on  ne  })eut 
concevoir  de  mouvement  d’ensemble  d’un  volume.  Le 
mouvement  implique  essentiellement  une  déformation 
de  volume,  et  ce  volume  se  déforme  tout  le  temj)s  que 
dure  le  déplacement  des  y)arties  qui  s’efîéctue  dans  sa 
masse.  Or,  la  loi  d’inertie  assigne  bien  une  cause  au 


(1)  Chap.  VI,  p.  11:2. 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


541 


déplacement  initial,  mais  elle  en  refuse  à ceux  qui 
suivent,  du  moins  quand  ceux-ci  sont  semblables  au 
premier.  Voilà  ce  qui,  à bon  droit,  offusque  M.  Poin- 
caré. Vous  prétendez,  dit-il,  que  l’intervention  d’un 
agent  physique  est  nécessaire  là  seulement  où  il  y a un 
changement  à produire.  Nous  sommes  d’accord.  Vous 
ajoutez  ; la  vitesse  étant  supposée  constante,  il  n’y  a 
pas  de  changement  de  vitesse,  le  corps  est  donc  en  état 
de  mouvement  invariable.  Gela  est  vrai  encore.  Mais 
parmi  les  éléments  du  mouvement  d’un  mobile  la 
vitesse  n’est  pas  le  seul  qui  soit  susceptible  de  change- 
ment. Dans  un  mouvement  il  y a à considérer  la  posi- 
tion, la  vitesse,  l’accélération,  etc.  Or,  tous  ces  élé- 
ments peuvent  subir  des  changements  dont  il  faut 
déterminer  la  cause.  C’est  gratuitement  que  vous  exi- 
gez un  agent  pour  produire  le  second,  sans  vous  préoc- 
cuper du  premier.  J’aurais  aussi  bien  le  droit  de  com- 
mencer au  troisième  et  de  dire  : un  mobile  en  état 
d’accélération  constante  n’a  besoin  de  l’intervention 
d’aucun  agent  pour  persévérer  dans  cet  état.  C’est  donc 
au  premier  changement,  celui  de  la  position,  qu’il  faut 
tout  d’abord  assigner  une  cause.  La  cause  qui  expli- 
quera cette  variation  expliquera  par  le  fait  toutes  les 
autres.  Quand  vous  aurez  assigné  la  nature  de  la  fonc- 
tion primitive,  vous  aurez  assigné  celle  de  toutes  ses 
dérivées. 


2.  — Impossibilité  du  mouvement  dans  le  vide 

Dans  le  vide,  affirment  les  partisans  du  principe 
d’inertie,  un  mobile  abandonné  à lui-même  irait  indéfi- 
niment en  ligne  droite.  Qu’est-ce  que  ce  vide  sinon  cet 
espace  absolu  dont  nous  avons  nié  l’existence?  Un 
molûle  ne  saurait  donc  se  déplacer,  même  un  instant, 
dans  un  milieu  que  l’esprit  lui-même  ne  peut  concevoir. 


D4!d 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


S’il  ne  s’agissait  que  d’une  difficulté  accidentelle  ou  du 
moins  extrinsèque  à la  nature  du  mouvement,  on  })Our- 
rait  dire  : de  fait,  un  mobile  ne  se  déplace  Jamais  dans 
le  vide,  mais  nous  concevons  que  s’il  s’y  déplaçait,  tout 
se  passerait  selon  l’énoncé  du  principe  d’inertie.  11 
s’agit  ici  d’une  difficulté  intrinsèque  qui  empêche  non 
seulement  d’exécuter  mais  même  de  concevoir  le  mou- 
vement. L’esprit  en  effet  ne  peut  pas  se  former  un  concept 
dont  l’iin  des  éléments  implique  une  répugnance  intrin 
sèque,  à plus  forte  raison  ne  peut-il  en  déduire  une  loi. 

Si  l’on  veut  formuler  la  loi  définissant  le  mouvement 
d’un  corps  abandonné  à un  instant  donné  par  la  force 
qui  le  sollicitait,  il  faut  absolument  envisager  le  corps 
comme  se  déplaçant  au  sein  d’un  milieu  corjiorel,  puis- 
qu’un autre  milieu  ne  peut  se  concevoir.  Nous  cherche- 
rons plus  loin  à résoudre  ce  problème. 

Nous  ne  pouvons  pas  concevoir  un  mobile  se  dépla- 
çant dans  le  vide.  Encore  moins  pouvons-nous  le  con- 
cevoir se  mouvant  en  ligne  droite,  })uisque,  dans  ce 
vide,  il  n’existe  aucun  point  de  position  déterminée  per- 
mettant de  définir  une  ligne  de  nature  donnée. 

3.  — La  force  d’inertie 

Quand  un  mobile  se  meut  en  vitesse  constante,  la 
direction  et  l’intensité  de  cette  vitesse  sont  nécessaire- 
ment conditionnées  par  l’ensemble  des  circonstances  qui 
caractérisaient  l’état  du  mobile  à l’instant  précédent. 
Or,  la  force  ayant  cessé  d’agir,  pour  un  mobile  donné, 
les  seules  circonstances  caractéristiques  de  l’état  du 
mobile  à un  instant  donné  sont  l’intensité  et  la  direction 
de  sa  vitesse.  C’est  par  l’intermédiaire  de  ces  seuls 
éléments  que  la  force  disparue  peut  exercer  une 
infiuence  sur  le  mouvement  ultérieur  du  mobile.  C’est 
donc  à ces  éléments,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  à une 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


543 


fonction  de  ces  éléments  qu’il  faut  demander  la  raison 
du  mouvement  et  par  conséquent  aussi  de  la  modification 
physique  qui  l’acconmagne.  Ainsi  donc  un  mobile  a telle 
vitesse  au  temps  présent,  parce  qu’il  avait  cette  même 
vitesse  à l’instant  précédent.  En  d’autres  termes,  si  l’on 
demande  : pourquoi  ce  mobile  suit  telle  direction  avec 
une  vitesse  donnée,  et  subit  telle  altération  pli3'sique, 
élément  essentiel  du  mouvement,  on  doit  répondre  : 
parce  qu’il  était  animé  de  ce  même  mouvement  à 
l’instant  précédent.  Le  mobile  en  mouvement  repré- 
sente une  véritable  énergie  au  sens  intuitif  du  mot. 

En  résumé,  la  même  qualité  d’un  corps  en  mouve- 
ment nous  apparaît  sous  deux  aspects  différents.  Nous 
y reconnaissons  une  qualité  passive,  en  vertu  de 
laquelle  il  se  déplace,  et  qu’en  nous  mettant  à ce  point 
de  vue,  nous  appelons  vitesse.  D’autre  part,  cette 
même  qualité,  considérée  à l’instant  précédent,  nous 
apparaît  comme  une  qualité  active,  une  énergie  qui 
explique  le  déjdacement  ultérieur. 

Les  ])artisans  du  principe  d’inertie  se  sont  parfaite- 
ment rendu  compte  du  rôle  actif  que  semble  jouer  la 
vitesse  à un  instant  donné,  ou,  ce  qui  revient  au  même, 
la  fonction  de  cette  vitesse  appelée  force  vive.  Ils  ont 
considéré  comme  équivalent,  d’affirmer  que  le  mobile 
abandonné  de  la  force  qui  le  sollicite  se  déplace  par  lui- 
même,  ou  qu’il  se  déplace  en  vertu  de  sa  force  d’inertie. 
Ils  considèrent  donc  cette  inertie  comme  une  véritable 
énergie.  Nous  ne  saurions  les  en  blâmer.  Nous  leur 
reprochons  seulement  de  ne  pas  accepter  toutes  les 
conséquences  qu’entraîne  cette  manière  de  voir. 

Une  force  intérieure  à un  corps  et  sans  point  d’appui 
au  dehors,  ne  saurait  mouvoir  ce  corps.  Or,  il  en  serait 
ainsi  si  l’on  voulait  attribuer  le  mouvement  à la  force 
d’inertie  du  mobile  sans  lui  assigner  un  point  d’appui 
au  dehors.  Nous  aurons  à revenir  sur  cette  question  du 
point  d’appui. 


544 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Une  force  est  encore  susceptilile  de  produire  un 
travail,  une  altération  physique.  Nous  ne  voj’ons  pas 
quel  genre  de  travail  accomplirait  cette  force  d’inertie 
déplaçant  le  mobile  au  travers  d’un  vide  absolu,  où 
elle  ne  rencontre  aucune  résistance. 


4.  — Travail  de  la  force  vive 

Quelle  que  soit  la  nature  de  la  modification  physique 
inhérente  au  mouvement,  cette  modification  rejirésen- 
tera  nécessairement  un  travail  accompli  par  la  force 
cause  du  déplacement.  Si  donc  on  suppose  une  force 
susce])tible  de  produire  un  déplacement  qui  tende  par 
sa  nature  à se  prolonger  indéfiniment,  on  imagine  par 
le  fait  une  énergie  capable  de  produire  un  travail 
infini.  4’oilà  encore  un  point  de  vue  qui  rend  inadmis- 
sible la  concejdion  classique  du  principe  d’inertie.  Tout 
s’explique  au  contraire  si  on  conçoit  une  force  agissant 
durant  un  temps  donné  comme  ayant  pour  objet 
d’emmagasiner  dans  le  mobile  une  énergie  qu’on  appel- 
lera, si  l’on  veut,  force  vive,  énergie  limitée  et  mesu- 
rable qui  effectuera  un  travail  susceptible  de  cesser  à la 
longue,  en  même  temps  qu’elle  s’é])uise.  Il  suffirait  de 
supposer  la  persistance  de  cette  énergie  analogue  à 
celle  de  la  chaleur  interne  du  radium,  pour  expliquer 
comment  jusqu’ici  on  n’a  pu  encore  observer  de  diminu- 
tion. L’hypothèse  de  cette  déperdition  non  encore 
constatée  et  ]>ourtant  inévitable  écarterait  ainsi  la  con- 
ception d’un  travail  de  sa  nature  indéfini. 

Il  resterait  à assigner  au  dehors  le  point  d’appui  de 
cette  énergie  intérieure  au  mobile.  C’est  ce  que  nous 
tenterons  bientôt. 

Nous  voulons  mentionner,  ne  serait-ce  que  pour 
mémoire,  une  des  objections  que  soulevaient  les  philo- 
sophes du  moyen  âge  contre  la  conception  d’un  mouve- 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


545 


ment  indéfini.  Tout  mouvement,  disaient-ils,  est  une 
tendance  du  mobile  vers  un  terme.  Or,  un  mobile,  qui 
par  la  nature  même  de  son  mouvement,  tend  à se  mou- 
voir indéfiniment  en  ligne  droite  ne  tend  vers  aucun 
terme.  Cet  argument  tiré  de  la  nécessité  d’une  cause 
finale  ne  serait  guère  goûté  aujourd’hui.  Et  pourtant, 
n’existe-t-il  pas  toute  une  école  de  naturalistes  qui  for- 
mule ce  principe  : la  fonction  crée  l’organe,  principe 
qui  a bien  quelque  analogie  avec  cet  autre  des  philo- 
sophes anciens  : il  n’y  a pas  de  mouvement  sans  objet? 


5.  — L’opinion  des  savants  d’aujourd’hui 

Nous  avons  dit  comment  M.  Poincaré  se  refusait  à 
admettre  l’existence  d’un  mouvement  qui  se  poursuit 
après  que  la  force  a cessé  d’agir. 

Cette  manière  de  voir  tend  à s’accréditer,  à mesure 
que  l’observation  donne  de  nouveaux  démentis  à la 
théorie  mécanique  de  Képler  et  de  Newton. 

M.  Picard  déclare  à son  tour  : « Tous  ceux  qui  ont  eu 
à enseigner  les  débuts  de  la  mécanique...  ont  senti 
combien  les  expositions  plus  ou  moins  traditionnelles 
des  principes  sont  incohérentes  (1).  » Il  reproche  à 
cette  mécanique  le  dualisme  qu’elle  crée  entre  la  force 
et  la  matière. 

« La  force  y apparaît,  dit  M.de  Lapparent  (2),  comme 
un  agent  particulier  qui  est  la  cause  de  tout  mouve- 
ment. D’un  côté,  une  matière  absolument  incapable 
d’agir;  de  l’autre,  une  force  qui  n’est  ni  spirituelle  ni 
matérielle,  mais  sans  laquelle  la  matière  n’est  capable 
d’aucun  mouvement,  voilà  le  résumé  de  la  mécanique 
usuelle  » ; et  plus  loin  : « Il  est  permis  d’accuser  la  loi 

(1)  Quelques  réflexions  sur  la  Mécanique  (190:2). 

(2)  Science  et  Apologétique. 

IID  SÉRIE.  T.  XII.  35 


546  REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 

^inertie  de  faire  intervenir  au  moins  dans  les  termes 
une  conception  sujette  à des  malentendus  ». 

M.  de  Freycinet  (1)  observe  que  « l’ expression  n'est 
pas  heureusement  choisie^  car  elle  éveille  l’idée  d’une 
impuissance  complète  d’action.  Or,  dit-il,  un  corps  est 
au  contraire  le  théâtre  de  phénomènes  nombreux  ; il 
possède  la  cohésion,  l’affinité  chimique,  il  ne  mérite  pas 
la  qualification  d’inertie  ». 

Citons  encore  M.  de  Lapparent  (2)  : «...  On  peut 
dire  que  la  mécanique  moléculaire  est  encore  à faire. 
Gela  tient  à ce  que  plus  nous  nous  rapprochons  des 
derniers  éléments  des  corps,  moins  l’affirmation  de 
l’inertie  devient  légitime.  Il  n’est  pas  une  particule  de 
matière  que  nous  puissions  considérer  comme  dépour- 
vue d’énergie...  Que  cette  énergie  soit  inhérente  à la 
matière  et  doive  servir  seule  à la  définir,  comme  le 
pensait  Boscowich,  ou  qu’elle  ait  besoin  de  s’appuyer 
sur  quelque  substratum,  peu  importe  : aucune  parti- 
cule matérielle  ne  saurait  répondre  à cette  conception 
d’un  point  simplement  doué  d’une  masse  résistante.^ 
et  incapable  de  se  mettre  en  mouvement  sans  l’inter- 
médiaire d’une  puissance  extérieure...  Une  doctrine  a 
surgi  en  opposition  avec  celle  de  l’inertie,  X Energé- 
tique qui  n’établit  pas  de  dualisme  entre  la  matière  et 
la  force.  » 

M.  Grémieu  (3)  affirme  que  le  principe  de  causalité  de 
la  mécanique  rationnelle  appliquée  à la  physique  théo- 
rique n’est  pas  le  principe  d’inertie  qui  définit  la  force, 
mais  bien  le  principe  de  l’attraction  à distance.  On  peut 
chercher  dans  toutes  les  théories  physiques,  on  trou- 
vera toujours  à la  base  une  force  due  à une  attraction 
(ou  à une  répulsion)  entre  masses  petites  ou  grandes. 

Il  observe  encore  que  l’expérience  a conduit  à envi- 


( 1 ) Ln  Principes  de  la  Mécanique  rationnelle,  p.  87. 
(:2)  Science  et  Apologétique,  p.  87. 

(3)  Article  déjà  cité. 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


547 


sager  dans  les  corps  deux  espèces  d’inertie  très  diffé- 
rentes : l’inertie  ordinaire  à la  masse  des  corps  en 
mouvement,  et  l’inertie  électromagnétique,  mais  elle 
n’obéirait  pas  à la  gravitation,  elle  serait  de  plus  fonc- 
tion de  la  vitesse.  M.  Kaufmann  a cru  constater  que  la 
masse  des  particules  en  mouvement  qui  constituent  les 
rayons  P du  radium  est  purement  électromagnétique. 
On  aurait  donc  isolé  ces  deux  choses  jusqu’ici  insépa- 
rables : la  charge  électrique  et  son  siqiport  pondérable; 
par  suite,  on  pourrait  concevoir  l’énergie  cinétique, 
abstraction  faite  de  l’invariante  masse. 

Les  particules  à inertie  purement  électrique  émane- 
raient de  corps  pesants.  Certains  croient  que  l’émana- 
tion de  ces  corps  se  transforme  en  corps  pesants  eux- 
mêmes.  Il  y aurait  donc  une  période  où  la  gravitation 
disparaîtrait  pour  réapjiaraitre  ensuite. 

Nous  avons  tenu  à exposer  ainsi  avec  quelques 
développements  les  idées  que  M.  Crémieu  exprime  dans 
son  remarquable  travail,  afin  de  montrer  comment  la 
science  actuelle  tend  de  plus  en  plus  à considérer 
comme  insuffisante  la  notion  d’une  masse  inerte  et 
invariable. 

Dans  son  rapport  au  Congrès  de  Saint-Louis  (1), 
M.  Languevin  soutient  des  idées  analogues.  Les  cor- 
puscules cathodiques,  nous  dit-il,  par  cela  même  qu’ils 
sont  chargés,  possèdent  la  propriété  fondamentale  de 
la  matière,  Yinertie  et  subissent  des  accélérations  dans 
le  champ  électromagnétique. 

11  nous  dit  qu’on  conçoit  Yinertie  et  la  niasse  non  plus 
comme  une  notion  fondamentale,  mais  comme  une 
conséquence  des  lois  de  l’électromagnétisme.  Une 
sphère  électrisée  en  mouvement  est  accompagnée  d’un 
champ  électromagnétique.  On  vérifie  que  le  chaiii]) 
électromagnétique  produit  par  le  mouvement  de  la 

(l)  La  Physique  des  électrons.  Revue  générale  des  Sciences  pures  et 
APPLIQUÉES,  19()5,  p.  257. 


548 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Sphère  est  en  chaque  point  proportionnel  à la  vitesse  de 
celui-ci,  du  moins  tant  que  cette  vitesse  ne  s’approche 
pas  trop  de  celle  de  la  lumière.  Cette  production  d’un 
champ  magnétique  au  moment  de  la  mise  en  mouve- 
ment du  mobile  inqdique  une  dépense  d’énergie  pro- 
portionnelle, en  première  approximation  et  pour  les 
vitesses  faibles  par  rapport  à celles  de  la  lumière,  au 
carré  de  la  vitesse,  c’est-à-dire  de  même  forme  que 
l’énergie  cinématique  ordinaire.  Donc  une  partie  au 
moins  de  l’inertie  d’un  corps  électrisé  est  une  con- 
séquence de  sa  charge  électrique. 

On  voit  donc  que  dans  cette  théorie,  l’inertie  suppose 
la  présence  d’une  énergie  qui  l’entretienne  et  par  con- 
séquent la  transforme  en  une  véritable  force. 


6.  — Explication  d’une  erreur 

On  pourrait  s’étonner  que,  durant  quatre  siècles,  le 
monde  savant  ait  persévéré  dans  cette  erreur  d’un 
mouvement  se  jioursuivant  dans  le  vide  sans  l’interven- 
tion d’aucune  force.  Pour  la  seconde  fois,  les  hommes 
s’étaient  laissé  prendre  aux  apparences.  Ils  se  félici- 
taient de  s’être  affranchis  de  cette  illusion  des  sens,  qui 
si  longtemps  leur  avait  fait  croire  à un  ciel  tournant 
autour  d’une  terre  immobile,  et  voici  que  la  trompeuse 
apparence  de  corps  gravitant  dans  un  milieu  vide  de 
toute  substance  corporelle  les  amenait  à formuler  les 
lois  d’une  mécanique  basée  sur  le  principe  d’inertie.  La 
métaphysique  protestait  sans  doute,  mais  en  ces  temps 
on  commençait  à ne  plus  croire  beaucoup  à la  méta- 
physique. Ce  n’est  que  de  nos  jours,  où  des  observa- 
tions plus  précises  ont  permis  de  contrôler  les  lois  de 
cette  mécanique,  qu’on  a commencé  à s’apercevoir  de 
ce  qu’elles  avaient  de  peu  conforme  à ces  observations. 

Pour  nous,  ap})uyés  à la  fois  sur  les  déductions  du 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


549 


raisonnement  et  sur  les  faits  récemment  observés, 
nous  ne  craignons  pas  d’opposeP  à la  loi  d’inertie,  le 
principe  suivant  : Tout  corps  qui  se  déplace,  le  fait  en 
vertu  d’une  énergie  cqui  l’accompagne  tout  le  temps 
du  mouvement. 


III.  — Nouvelle  hypothèse 

Du  moment  que  nous  n’admettons  pas  le  principe 
d’inertie,  nous  sommes  obligés  d’indiquer  une  nouvelle 
hypothèse  capable  d’expliquer  les  faits  tels  que  les 
fournit  l’expérience.  Nous  disons  une  hypothèse  et 
non  une  théorie,  au  sens  rigoureux  du  mot,  car  nous 
ne  prétendons  pas  donner  une  explication  certaine 
des  phénomènes  mécaniques,  mais  exposer  un  système 
offrant  un  degré  plus  ou  moins  grand  de  vraisem- 
blance. 


1.  — Impuissance  d’un  mobile 
à se  mouvoir  lui-même 

Au  premier  abord,  il  pourrait  sembler  que  tout 
revient  à une  question  de  mots.  Que  reprochons-nous,  en 
effet,  au  principe  de  l’inertie,  tel  qu’il  est  formulé?  De 
supposer  un  mobile  qu’aucune  énergie  n’accompagne 
dans  un  déplacement.  Or,  n’avons-nous  pas  la  force  vive, 
déterminée  par  la  force,  et  qui,  elle,  accompagne  le 
mobile?  Prenons  dans  son  sens  littéral,  ce  terme  de 
force  qui  entre  dans  son  expression,  et  nous  aurons  une 
véritable  énergie  à laquelle  nous  pourrons  attribuer  le 
mouvement.  A qui  proposerait  cette  solution,  nous 
pourrions  objecter  la  difficulté  de  concevoir  une  force 
agissant  pendant  un  temps  fini  et  produisant  une 
quantité  d’énergie  susceptible  de  donner  un  travail 
indéfini.  On  répondrait  peut-être  que  rien  ne  nous 


550 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


interdit  de  modifier  l’énoncé  du  principe  d’inertie  et  de 
supposer  la  force  d’inertie  s’épuisant  à la  longue,  et  le 
mouvement  se  ralentissant  avec  elle. 

Mais  une  difficulté  plus  grave  et  que  nous  avons  déjà 
signalée  naît  d’un  autre  ordre  d’idées.  La  mécanique 
classique  admet  que  nul  mobile  ne  saurait  se  mouvoir 
lui-même.  Nous  pourrions  sans  doute  en  contester 
l’exactitude,  comme  nous  contestons  celle  du  principe 
d’inertie,  mais  nous  n’avons  aucun  motif  de  le  faire. 
Au  contraire,  à notre  avis,  si  ce  principe  n’existait 
pas,  il  faudrait  l’inventer,  (dar  il  découle,  comme  une 
conséquence  nécessaire,  de  l’impossibilité  d’un  mouve- 
ment absolu. 

En  effet,  le  mouvement  absolu  étant  rejeté,  le  système 
moteur  ne  pourra  imprimer  au  système  mobile  qu’un 
mouvement  relatif.  Remarquons  d’abord  que,  d’après 
l’hypothèse,  nulle  influence  mécanique  ne  se  produit  du 
moteur  au  milieu  ni  du  milieu  au  moliile;  sans  cela  ce 
milieu  ferait  partie,  ou  du  système  moteur,  ou  du 
système  mobile,  selon  qu’il  exercerait  une  influence  sur 
le  système  mobile,  ou  en  subirait  une  du  système 
moteur.  11  suit  de  là  que  le  milieu  et  le  système  moteur 
forment  un  ensemble  que  ne  sollicite  aucune  force  et 
que,  par  conséquent,  on  ne  saurait  concevoir  comme 
animé  d’un  mouvement  relatif,  l’un  jiar  rapport  à 
l’autre.  Tout  revient  donc  à étudier  le  mouvement 
relatif  du  mobile  par  rapport  au  moteur.  Or,  il  est  évi- 
dent que  si  ces  systèmes  se  confondent  comme  il  arrive 
nécessairement  quand  la  force  est  intérieure  au  mobile, 
il  n’y  aura  aucun  mouvement. 

Ainsi  donc,  on  ne  saurait  concevoir  une  force  inté- 
rieure à un  mobile  et  le  déplaçant  d’un  mouvement 
d’ensemble.  On  ne  saurait  davantage  imaginer  une 
force  émanant  d’un  système  immobile  et  déplaçant  une 
masse  située  en  dehors.  11  serait  troj)  long  d’en  donner 
les  raisons.  L’expérience  est  d’accord  avec  la  théorie 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


55i 


pour  affirmer  que  l’existence  d’un  système  mécanique 
où  le  moteur  et  le  mobile  sont  absolument  distincts,  ne 
peut  se  réaliser.  Tout  système  mécanique  se  ramène 
au  type  d’une  masse  déformable,  animée  dans  toutes 
ses  parties  d’une  énergie  qui  a pour  effet  de  produire 
une  déformation  dans  la  masse. 

La  force  d’attraction  qui  s’exerce  entre  deux  points 
matériels  A,  B est  également  présente  dans  A,  dans  B 
et  dans  le  milieu.  Elle  ne  porte  pas  plus  A vers  B,  que 
B vers  A.  Elle  tend  à rapprocher  A et  B l’un  de 
l’autre. 

De  tout  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  suit  que  nous 
ne  pouvons  borner  notre  hypothèse  à concevoir  la  force 
vive  comme  une  énergie  du  mobile  le  transportant  dans 
l’espace.  Il  y aurait  là,  sans  doute,  une  part  de  vérité, 
mais  pour  l’obtenir  tout  entière  nous  devons  chercher 
l’existence  d’une  énergie  résidant  à la  fois  dans  le 
mobile  et  dans  la  masse  au  sein  de  laquelle  il  se  déplace. 


2.  — ü Attraction 

Imaginons  une  masse  continue  élastique  et  fluide  et, 
par  conséquent,  ne  possédant  pas  d’atomes  isolés  et 
indivisibles.  Nous  emploierons  parfois  le  mot  atome 
pour  la  facilité  du  langage,  mais  alors  nous  entendrons 
par  ce  terme  une  particule  de  matière  très  petite.  Le 
mot  matière  lui-même  est  pris  dans  un  sens  absolu- 
ment général,  et  nous  ne  la  distinguerons  pas  de 
l’éther. 

Nous  prenons  pour  point  de  départ  de  notre  hypo- 
thèse ce  premier  principe  : 

Deux  atomes  quelconques  s’attirent. 

C’est  la  loi  de  Newton  amputée  du  carré  de  la  distance. 
Au  point  où  nous  en  sommes,  nous  n’avons  de  données 
suffisantes  ni  pour  affirmer  ni  pour  nier  cette  loi  du 


552 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


carré;  nous  devons  donc  nous  abstenir  jusqu’à  nouvel 
ordre  de  préciser  davantage. 

Le  principe  que  nous  venons  d’énoncer  demande 
quelques  explications.  Du  moment  qu’il  n’j  a pas  d’es- 
pace absolu,  l’attraction  des  atomes  A et  B ne  saurait 
porter  A mobile  vers  B immobile.  On  ne  peut  même 
pas  concevoir  A et  B,  comme  formant  les  extrémités 
d’une  ligne  droite  qui  diminuerait  de  longueur,  en 
dehors  de  tout  milieu  continu.  Il  faudrait,  en  effet,  sup- 
poser une  longueur  absolue  susceptible  en  elle-même 
d’augmentation  ou  de  diminution.  Ce  serait  revenir  à 
l’espace  absolu.  Mais  alors,  quel  peut  être  l’effet  d’une 
attraction  entre  deux  atomes?  Supposons  ces  atomes 
A,  B plongés  au  sein  d’une  masse  continue.  Nous  pou- 
vons imaginer  cette  masse  décomposée  en  portions  très 
petites,  que  nous  appellerons  toujours  atomes,  et  dont 
A et  B feront  partie.  Il  pourra  arriver,  par  exemple, 
que  A soit  sollicité  dans  une  direction  donnée  par  une 
énergie  supérieure  à celles  qui  sollicitent  les  atomes 
voisins  vers  la  même  direction.  Cette  inégalité  de  forces 
pourra  changer  l’ordre  de  position  des  atomes  les  uns 
par  rapport  aux  autres.  A,  qui  était  placé  entre  M et  N, 
pourra  passer  au  delà  de  N.  C’est  ce  changement  dans 
la  disposition  des  atomes  qui  constituera  le  mouvement 
relatif.  L’attraction  ne  déplace  pas  les  corps  qu’elle  sol- 
licite, elle  les  déforme. 

Jusqu’ici,  nous  n’avons  considéré  que  l’attraction 
exercée  entre  deux  atomes,  et,  par  suite,  nous  trouvant 
en  face  d’un  svstème  absolument  réci}>roque,  nous 
n’avions  nul  motif  de  distinguer  entre  atome  attirant  et 
atome  attiré. 

Considérons  maintenant  l’attraction  que  subit  un 
atome  donné  A de  la  part  de  l’ensemble  des  atomes  de 
la  masse.  Il  est  naturel  d’admettre  que  de  toutes  ces 
composantes  partielles  se  formera  une  attraction  résul- 
tante que  l’on  obtiendra  en  appliquant  la  règle  pour  la 


LE  PRINCIPE  D INERTIE 


553 


composition  des  vecteurs  concourants.  Nous  sommes 
ainsi  amené  à formuler  ce  second  principe  : 

Tout  atome  A est  sollicité  par  une  attraction  résul- 
tante, qu’on  détermine  en  appliquant  la  règle  de  com- 
position des  vecteurs  concourants,  aux  attractions  sur 
A de  tous  les  atomes  de  la  masse. 


3.  — Réalité  de  V Attraction 

Quand  nous  parlons  de  l’attraction  des  corps,  c’est  au 
sens  strict  que  nous  entendons  cette  expression.  Les 
mots  ne  nous  effrayent  pas,  et,  si  quelqu’un  nous  accu- 
sait d’admettre  des  entités  mystérieuses,  nous  répon- 
drions que  l’entité  d’un  corps  n’est  guère  moins  mysté- 
rieuse que  son  activité.  Il  est  pourtant  des  hommes  qui 
croient  encore  à l’exist,ence  des  corps,  et  ceux  qui  s’y 
refusent  n’évitent  un  mystère  que  pour  en  accepter 
beaucoup  d’autres.  Il  suffit  de  poser  une  gaine  protec- 
trice sur  un  mécanisme  pour  en  faire  un  être  mysté- 
rieux. Cela  ne  l’empêche  pas  d’exister. 

On  nous  dira  que  nous  posons  un  principe  éi  priori. 
Des  considérations  métaphysiques  nous  ont  guidé  sans 
doute,  et,  néanmoins,  nous  nions  formellement  que  le 
principe  de  la  réalité  de  l’attraction  soit  un  principe  ci 
priori.  Bien  plus,  nous  ne  craignons  pas  de  formuler 
cette  affirmation  : La  négation  de  la  réalité  de  l’attrac- 
tion est  un  principe  « ci  priori  ».  Et  nous  le  prouvons. 
Que  disent  les  faits?  D’après  Newton,  ils  disent  : tout  se 
passe  comme  si  les  corps  s’attiraient.  Conclusion  : au 
témoignage  des  faits,  les  corps  s’attirent.  Mais  voici, 
toujours  d’après  Newdon  : si  les  corps  s’attiraient,  il  fau- 
drait admettre  l’action  à distance.  Or,  déclare  l’éminent 
savant  : « Que  la  gravité  soit  innée,  inhérente  et 
essentielle  à la  matière,  de  sorte  qu’un  corps  puisse 
agir  sur  un  autre  corps  à distance,  à travers  le  vide  et 


554 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


sans  aucun  internièdiaire  qui  transmette  cette  action^ 
c’est  pour  moi  une  absurdité  si  grande  qu’il  me  semble 
impossible  qu’un  homme  capable  de  traiter  de  matière 
de  philosophie  y puisse  tomber.  » L’impossibilité  de 
l’action  à distance,  voilà  donc  le  principe  à 'priori  au 
nom  duquel  on  a repoussé  une  proposition  appuyée  par 
les  faits. 

Pour  nous,  nous  croyons  avec  Newton  à l’impossibi- 
lité de  l’action  à distance.  Mais  tout  le  monde  sait 
aujourd’hui  que,  grâce  à la  ju'ésence  de  l’éther,  une 
attraction  effective  entre  les  corps  n’implique  nullement 
cette  action  à distance,  et  tout  porte  à croire  que  New- 
ton serait  le  premier  aujourd’hui  à admettre  la  loi  dont 
il  est  l’inventeur. 

Dans  cette  affirmation  : tout  se  passe  comme  si  les 
corps  s’attiraient,  l’auteur  de  la  loi  de  la  gravitation 
nous  paraît  trop  réservé  ou  trop  affirmatif  : trop 
réservé,  s’il  admet  l’existence  de  causes  physiques  qui 
révèlent  les  phénomènes  observés.  Si  ces  causes 
existent,  nous  ne  pouvons  les  connaître  que  par  leurs 
effets  et  dès  lors,  dire  que  tous  les  effets  que  devraient 
produire  ces  causes  sont  produits  effectivement,  c’est 
dire  que  l’existence  de  ces  causes  est  démontrée, 
autant  qu’elle  peut  l’être...  Newton  est  trop  affirmatif, 
au  contraire,  s’il  nie  la  possibilité  de  remonter  de  l’effet 
à la  cause.  Au  lieu  de  dire  : tout  se  passe  comme 
si  les  corps  s’attiraient,  il  aurait  dû  se  borner  à dire  : 
tout  se  passe  comme  s’il  y avait  des  corps,  et  comme  si 
ces  corps  s’attiraient.  Et  encore  aurait-il  été  trop  affir- 
matif. Car  s’il  était  radicalement  ini])ossible  de  remon- 
ter des  effets  aux  causes,  nous  n’aurions  pas  même  les 
concepts  d’effet  et  de  cause,  et  encore  moins  aurions- 
nous  l’idée  de  la  connexion  qui  pourrait  relier  un  effet 
donné  à une  cause  déterminée.  Nous  ignorerions  par 
conséquent  si  un  effet  mécanique  ou  })liysique  déterminé 
appartient  à la  catégorie  de  ceux  que  pourrait  produire 
l’attraction. 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


555 

Du  reste,  reinarquons-le,  Newton  n’a  pas  nié  formel- 
lement la  réalité  de  l’attraction.  11  a seulement  exigé 
qu’on  lui  indiquât  un  intermédiaire  entre  les  corps  en 
présence.  Son  exigence  est  aujourd’hui  satisfaite. 

Les  partisans  de  l’attraction  deviennent  chaque  jour 
plus  nombreux. 

M.  Hirn  (1)  nous  dit  : « L’attraction  universelle  n’est 
pas  une  hypothèse  mais  un  fait  constaté.  L’hypothèse 
eût  commencé  si  Newton  avait  voulu  expliquer  la 
nature  de  la  pesanteur.  Il  ne  l’a  pas  fait.  Il  s’est  borné 
à admettre  qu’entre  deux  corps  qui  tendent  l’im  vers 
l’autre,  il  fallait  bien  qu’il  se  trouvât  (quelque  chose.  Il 
pensait,  en  effet,  que  nulle  action  ne  peut  se  transmettre 
dans  le  vide.  « Newton  a dit  très  prudemment,  affirme 
M.  Hirn,  que  les  choses  se  passent  comme  si  les  corps 
s’attiraient.  Depuis  l’expérience  de  Cavendish,  une 
pareille  pnmdence  serait  un  contre-sens,  et  V attraction 
est  rentrée  dans  le  domaine  des  faits  acquis  purs  et 
simples.  Je  ne  pense  pas  qu’aujourd’hui  il  se  trouve  un 
seul  astronome  qui  attache  au  mot  attraction  un  sens 
explicatif,  et  qui  par  suite  en  vienne  à confondre  un 
fait  avec  une  hypothèse.  » Et  plus  loin  : « Nous  avons 
droit  de  chercher  la  nature  de  ce  qui  fait  tendre  A vers 
B.  Si  , nous  appelons  matière  ce  qui  constitue  la  masse 
de  A et  de  B,  nous  pouvons  de  plein  droit  appeler  force 
ce  qui  met  ces  masses  dans  un  certain  rapport  spécial, 
et  affirmer  que  la  force  a une  existence'  distincte  et 
réelle,  en  dehors  de  la  matière.  » 

Cette  force  tombe  sous  l’empire  de  l’expérience.  Si  la 
gravitation  est  une  force,  il  en  est  de  même  de  l’électri- 
cité et  de  la  chaleur. 

Nous  citons  un  passage  de  l’article  de  M.  Crémieu  sur 
le  problème  de  la  gravitation  universelle  «...  à l’heure 
actuelle  la  notion  d’attraction  à distance  est  devenue 


(1)  L’Avenir  du  Dynamisme  dans  la  Science  physique.  Paris,  Gauthier- 
Vülars,  1896. 


556 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


primordiale  et  domine  toute  préoccupation  de  chercher 
comment  une  attraction  peut  se  faire  sentir  à distance. 
Les  expériences  de  Gavendish,  qui  tirent  en  1798  tou- 
cher du  doigt  l’existence  de  la  force  attractive,  contri- 
buèrent puissamment  à créer  un  esprit  nouveau,  l’idée 
d’attraction  à distance  s’est  imposée  peu  à peu.  On  peut 
même  dire  que  le  principe  de  causalité  de  la  mécanique 
rationnelle  appliquée  à la  physique  théorique  n’est 
pas  le  principe  d’inertie  qui  définit  la  force,  mais 
bien  le  principe  de  l’attraction  à distance.  Qu’on 
cherche  en  effet  dans  toutes  les  théories  physiques,  on 
trouvera  toujours  à la  base  une  force  due  à une  attrac- 
tion (ou  à une  ré})ulsion)  entre  masses  petites  ou 
grandes.  > Gomme  nous  l’avons  dit,  nous  ne  partageons 
pas  l’ojfinion  qui  semlile  être  celle  de  M.  Grémieu,  de  la 
réalité  d’une  action  à distance.  Il  nous  suffit  de  consta- 
ter que  le  savant  auteur  a été  conduit  par  l’observa- 
tion des  faits  à considérer  l’attraction  des  corps  comme 
une  réalité. 

On  peut  encore  lire  le  Mémoire  de  M.  Languevin  sur 
la  physique  de  l’électron,  et  l’on  constatera  que  tout 
ce  travail  semble  supposer,  lui  aussi,  la  réalité  de 
l’attraction. 

4.  — Le  rôle  de  la  force  dans  le  mouvement 

Disons-le,  une  fois  pour  toutes,  nous  entendrons  par 
force  tout  ce  que  les  physiciens  et  les  chimistes  dési- 
gnent de  ce  nom,  percussions,  chaleur,  etc.,  en  faisant 
abstraction  de  la  définition  qu’ils  en  donnent  et  (pii  est 
précisément  ici  en  discussion. 

L’attraction  que  nous  avons  définie  tout  à l’heure 
expliquerait  sans  doute  la  jiossiliilité  d’un  mouvement, 
au  sein  d’une  masse  continue  quelconque,  mais  conçue 
indépendamment  de  la  notion  de  force,  elle  n’exjdique 
pas  par  elle-même  le  rôle  de  son  intervention  dans  la 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


557 


mise  en  mouvement  d’un  mobile  à un  instant  donné. 
C’est  ce  rôle  qu’il  nous  faut  expliquer. 

La  théorie  de  la  gravitation  siqqiose  invariable  l’inten- 
sité de  l’attraction  de  l’unité  de  masse  sur  l’unité  de 
masse  à l’unité  de  distance.  Cette  hypothèse  est  gratuite 
et  de  plus  en  plus  contestée  aujourd’hui.  Pourquoi, 
comme  les  autres  propriétés  de  la  matière,  cette  éner- 
gie d’attraction  entre  deux  atomes  ne  suliirait-elle  pas 
l’induence  d’agents  susceptibles  de  la  modifier?  Sous 
des  influences  données,  l’énergie  magnéticjue  d’un  corps, 
sa  charge  électrique  augmentent  ou  diminuent.  Ima- 
ginons que  l’effet  propre  de  ce  que  nous  appelons  une 
force  soit  précisément  de  modifie)'  l’intensité  de  l’attrac- 
tion de  deux  atomes,  et  voyons  quelles  seront  les 
conséquences  d’une  pareille  hypothèse. 

Soient  donc  deux  atomes,  A,  B s’attirant  avec  une 
intensité  1 et  supposons  une  force  F sollicitant  l’atome  A 
dans  une  direction  faisant  un  angle  0 avec  la  direction 
de  la  droite  qui  relie  les  deux  atomes.  Nous  pouvons 
décomposer  cette  force  F en  deux  autres  forces,  l’une 
située  dans  la  direction  des  deux  atomes,  l’autre  per- 
pendiculaire à cette  direction.  Quelle  que  soit  la  nature 
de  l’influence  supposée  d’une  force  sur  l’intensité 
d’attraction  de  deux  atomes,  quand  la  direction  est 
perpendiculaire  à celle  des  atomes,  il  n’}'  a pas  de  raison 
de  supposer  qu’elle  tend  à la  modifier,  dans  un  sens 
plutôt  que  dans  le  sens  contraire.  Il  est  donc  logique 
d’admettre  qu’ici  son  influence  est  nulle.  Nous  admet- 
trons donc  qu’une  force  n’influe  que  par  sa  composante 
selon  la  direction  des  deux  atomes,  et  nous  posons  ce 
principe  : 

Toute  fo)'ce  qui  sollicite  un  atome  A pi'oduit  un 
acc)'oisseme)it  d’att)'action  de  cet  atome  A pour  un 
atome  quelconque  B,  proportion)iel  à la  projection  de 
la  force  sur  la  direction  des  deux  atonies. 

Dans  le  cas  d’une  projection  négative,  nous  admettons 
que  l’accroissement  sera  négatif.  Pratiquement  nous 


558 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


aurons  une  diminution  d’attraction.  Dans  les  deux  cas, 
nous  nous  servirons  du  terme  surattraction  pour 
désigner  cette  variation  d’attraction. 

Des  surattractions  élémentaires  de  l’atome  A rela- 
tives aux  divers  atomes  de  la  niasse,  on  formera  une 
surattraction  résultante,  qui,  composée  elle-même  avec 
l’attraction  résultante,  donnera  l’énergie  résultante 
totale  qui  sollicitera  l’atome. 

Pour  être  rigoureux,  il  aurait  fallu  commencer  par 
définir  la  surattraction  moyenne  relative  à une  force 
agissant  durant  un  temps  donné;  ])uis  en  déduire  la 
surattraction  à un  instant  donné.  Le  lecteur  suppléera 
à la  brièveté  de  nos  développements.  Il  est  donc  bien 
entendu  que,  dans  ce  qui  précède,  nous  supposons  la 
force  agissant  à un  instant  donné.  A chaque  instant  suc- 
cessif, elle  produira  une  nouvelle  surattraction  infinité- 
simale. Tout  se  passera  comme  pour  les  accélérations 
successives,  remplacées  ici  par  des  surattractions. 

Toutes  choses  égales  d’ailleurs,  la  surattraction  rela- 
tive à un  atome  A dépendra  de  sa  })osition  au  sein  de 
la  masse,  en  sorte  que  la  force  aura  pour  effet  de  créer 
un  véritable  champ  de  surattraction  analogue  à un 
champ  magnétique  ou  à un  champ  électrique. 

Nous  pouvons  citer  de  nombreuses  autorités  à l’appui 
de  cette  conception  d’une  attraction  susceptilile  de  varier 
sous  l’influence  de  causes  données.  Nous  nous  bor- 
nons à renvoyer  aux  Mémoires  déj<à  cités  de  MM.  Gré- 
mieu  et  Languevin.  Toutes  les  théories  développées 
dans  ces  Mémoires  sup])Osent  })lus  ou  moins  cette  varia- 
bilité d’attraction.  M.  Crémieu  nous  dit,  par  exemple, 
que  le  principe  de  l’attraction,  tel  que  l’a  formulé 
Newton,  n’est  vraisemlilablement  qu’une  première 
approximation. 

Les  savants  (1)  admettent  aujourd’hui,  sur  la  foi  de 

(1)  Voir,  par  exemple,  les  Comptes  rendus  de  l’Académie  des  Sciences  : 
MM.  Ed.  et  François  Cosserat,  t.  CXL,  p.  932,  avril  1905 


LE  PRINCIPE  I)  INERTIE 


559 


l’observation,  que  la  masse  d’un  corps  n’est  pas  un  inva- 
rimit,  mais  qu’elle  est  fonction  de  la  vitesse.  Etant 
donnée  la  conception  qu’on  se  fait  de  la  masse,  n’est-ce 
pas  admettre  équivalemment  que  la  force  d’attraction 
est  une  force  variable? 


5.  — Mouveme^it  déterminé  ‘par  V Attraction 

Supposons  d’abord  la  masse  formant  une  sphère 
homogène,  ou  du  moins  composée  de  couches  sphé- 
riques homogènes.  A raison  de  la  symétrie  du  volume, 
il  est  évident  que  les  seuls  mouvements  possibles 
seraient  ceux  qui  résulteraient  de  la  condensation  ou 
de  la  dilatation  de  couches  sphériques.  Nous  laissons  de 
côté  cette  hypothèse. 

Concevons  maintenant  une  masse  quelconque.  l)u 
moment  que  nous  ne  faisons  aucune  siqqtosition  sur  la 
distribution  de  la  densité,  nous  devons  admettre  au  sein 
de  cette  masse  un  certain  nombre  de  points  de  densité 
maximum.  Soit  M un  de  ces  points.  11  aura,  comme 
nous  l’avons  expliqué,  une  résultante  d’attraction  qui 
le  sollicitera  vers  la  région  centrale  de  la  masse.  Un 
atome  A très  voisin  de  M sera  entraîné  avec  lui  vers 
la  même  région.  Mais,  en  même  temps,  il  tendra  à se 
rapprocher  de  M,  qui  à raison  de  son  excédent  de  den- 
sité, sur  la  densité  moyenne,  et  de  sa  jiroximité  de  A, 
exercera  sur  lui  une  action  prépondérante.  Car,  bien 
que  nous  n’ayons  pas  précisé  la  loi  de  la  variation  de 
l’intensité  de  l’attraction  avec  la  distance,  nous  suppo- 
sons que  celle-là  croît  quand  celle-ci  décroît.  11  suit  de 
là,  que  les  divers  centres  de  densité  maximum  conden- 
seront autour  d’eux  la  matière  de  la  région  voisine,  et 
nous  aurons  ainsi  des  corps  de  matière  très  condensée, 
plongés  au  sein  d’une  matière  plus  ou  moins  raréfiée. 
Grâce  à ce  résultat,  le  milieu  offrira  au  déplacement 


560 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


des  corps  condensés  une  résistance  qu’on  pourra  sup- 
poser aussi  faible  que  le  demandera  l’observation,  et 
notre  masse  offrira  un  aspect  analogue  à celui  de  l’uni- 
vers que  nous  avons  sous  les  yeux.  Sous  l’influence  de 
l’attraction,  ces  corps  se  déplaceront  au  sein  de  la 
masse,  d’après  des  lois  plus  ou  moins  compliquées. 

Il  est  facile  de  ramener  le  cas  de  la  masse  hétérogène 
que  nous  venons  de  considérer  au  cas  d’une  masse 
homogène.  Nous  pouvons,  en  effet,  substituer  à la  pre- 
mière une  masse  homogène  aj^ant  en  tous  ses  points  la 
densité  minimum  de  la  masse  hétérogène,  et  calculer 
d’après  cette  hypothèse  la  résultante  d’attraction  d’un 
atome  A.  De  la  sorte  nous  négligerions  les  compo- 
santes de  cette  résultante  fournies  par  les  excédents  de 
densité  des  corps  condensés,  par  rapport  à cette 
densité  minimum.  L’influence  qu’exercent  ces  corps 
sur  l’atome  par  leur  excédent  de  densité  serait  alors 
considérée,  non  comme  une  attraction  au  sens  défini 
tout  à l’heure,  mais  plutôt  comme  une  force  ayant  pour 
rôle  de  déterminer  des  surattractions  dans  l’atome  A. 
Ainsi,  dans  l’univers  réel,  l’éther,  qui  aurait  précisé- 
ment cette  densité  minimum,  déterminerait  la  résultante 
d’attraction  de  l’atome,  et  chaque  astre,  au  même  titre 
qu’une  force  quelconque  de  la  nature,  effort  musculaire, 
puissance  magnétique,  etc.,  déterminerait  les  surattrac- 
tions résultantes  auxquelles,  effectivement,  seraient  dûs 
les  mouvements  observés. 


6.  — Mouvements  déterminés  par  la  Surattraction 

La  remarque  que  nous  venons  de  faire  en  dernier 
lieu  nous  permet,  sans  restreindre  le  problème  à 
résoudre,  de  concevoir  la  force  donnée  F comme  solli- 
citant l’atome  A au  sein  d’une  masse  homogène  et  de 
densité  assez  faible,  pour  permettre  le  mouvement  sans 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


561 


opposer  de  résistance  sensible.  C’est  dans  cette  hypo- 
thèse que  nous  allons  nous  placer  désormais. 

Notre  préoccupation  de  ne  pas  multiplier  les  supposi- 
tions gratuites  devrait  nous  engager  à ne  donner  aucune 
forme  particulière  à la  masse  homogène  que  nous  consi- 
dérons. Néanmoins,  les  explications  devant  y gagner  en 
clarté  et  simplicité,  nous  supposerons  cette  masse  sphé- 
rique. Il  serait  facile  de  démontrer  que  le  cas  d’une 
masse  quelconque  se  ramènerait  à celui  d’une  masse 
sphérique  au  point  de  vue  de  l’hypothèse  que  nous  cher- 
chons à établir. 

Soient  O le  centre  de  la  sphère,  A le  point  qu’oc- 
cupe la  particule  matérielle  sollicitée  par  la  force, 
F l’intensité  de  cette  force,  e l’angle  que  fait  sa  direction 
avec  OA,  ou  son  prolongement.  Le  diamètre  de  la 
sphère  passant  par  A,  et  la  .direction  de  la  force  déter- 
minent un  grand  cercle  de  la  sphère  dont  le  plan  est  un 
plan  de  symétrie  par  rapport  aux  atomes  convenable- 
ment associés  deux  à deux.  On  en  déduit  immédiate- 
ment que  la  résultante  d’attraction,  et  celle  de  sur- 
attraction déterminée  par  la  force  seront  toutes  deux 
situées  dans  ce  })lan.  La  première  sera  dirigée  suivant 
le  diamètre  passant  par  A,  et  c’est  en  composant  ces 
deux  résultantes  qu’on  aura  la  résultante  d’énergie 
totale  qui  déterminera  le  mouvement  de  A au  sein  de  la 
masse. 

Pour  pouvoir  calculer  etfecti veinent  la  trajectoire 
d’un  atome  sollicité  par  une  force  donnée,  il  faudrait 
préciser  notre  hypothèse.  Nous  devrions  définir  la  loi 
d’attraction  de  deux  atomes,  le  coefficient  de  sur  attrac- 
tion, la  manière  de  mesurer  l’intensité  d’une  force. 
Tout  cela  est  inutile  étant  donné  le  but  que  nous  nous 
proposons,  et  nous  jetterait  d’ailleurs  dans  le  domaine 
de  la  pure  rêverie.  Nous  nous  bornerons  donc  à l’objet 
de  nos  recherches.  Or,  cet  objet  exige  seulement  que 
nous  établissions  notice  hypothèse  sur  de  telles  hases, 

IIR  SÉRIE.  T.  XII.  36 


562 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


quen  substituant  la  notion  de  surattraction  dévelop- 
pée par  une  force,  à celle  de  vitesse  produite  par  cette 
même  force,  les  effets  mécaniques  soient  sensiblement 
les  mêmes,  dans  les  limites  de  Vunivers  observable. 


7 . — Le  mouvement  dans  l’Univers  observable 

Expliqué  d’après  notre  hypothèse,  le  mouvement 
d’un  point  matériel  serait  en  général  fort  différent  de 
celui  que  déffnit  la  mécanique  de  (talilée  et  de  Newton. 
Mais  nous  pouvons  le  considérer  dans  des  conditions 
limitées  de  temj)s  et  d’espace,  où  aucune  différence  sen- 
sible ne  permettra  de  distinguer  les  deux  mouve- 
ments l’un  de  l’autre.  Ce  sont  ces  conditions  que  nous 
allons  définir. 

Concevons  donc  une  région  de  la  masse  sphérique, 
telle  que  sa  plus  grande  dimension  soit  de  longueur 
négligeable  par  rajiport  à la  distance  d’un  quelcompie 
de  ses  points  au  centre  de  la  sphère.  Supposons  cette 
même  distance,  à son  tour,  de  grandeur  négligeable  par 
rapport  au  rajmn  de  la  sphère,  et  concevons  enfin  la 
durée  des  oliservations  trop  restreinte,  pour  qu’aucun 
des  oliservateurs  qui  ont  contribué  ou  contribuent 
encore  à édifier  le  monument  de  la  science  se  soit 
jamais  trouvé  en  dehors  des  deux  conditions  que  nous 
venons  de  }>oser.  C’est  à cette  portion  d’univers,  ainsi 
limitée  dans  le  temps  et  dans  l’espace,  que  nous  donne- 
rons le  nom  êéunivers  observable.  Nous  allons  chercher 
les  conditions  du  mouvement  dans  une  pareille  région. 

Etablissons  d’abord  cette  proposition  : Dans  la  région 
de  l’univers  observable  la  résultante  d’ attraction  est 
d’ordre  négligeable,  et  le  mouvement  peut  être  consi- 
déré comme  l’effet  de  la  seule  résultante  de  surattrac- 
tion. 

Soit  toujours  A l’atome  en  mouvement,  F la  force  qui 


leIpringipe  d’inertie 


563 


le  sollicite.  Considérons  deux  atomes  B,  G symétriques 
par  rapjîort  au  point  A.  Leurs  attractions  sur  A seront 
égales  et  de  sens  contraires  et  par  conséquent  se  neutra- 
liseront. La  résultante  d’attraction  de  l’atome  A n’aura 
donc  d’autres  composantes  que  celles  fournies  par  les 
atomes  de  la  sphère,  qui  n’ont  pas,  à l’intérieur  de  cette 
même  sphère,  d’atomes  s^nnétriques  par  rapport  au 
point  A.  Or,  nous  l’avons  dit,  la  distance  du  point  A au 
centre  de  la  sphère  est  de  grandeur  négligeable  par  rap- 
port à son  rayon.  On  en  déduirait  sans  peine  que  la  por- 
tion de  la  sphère  qui  exerce  une  attraction  effective  sur 
l'atome  A est  de  grandeur  négligeable  par  rapport  au 
volume  total  de  la  sphère. 

Considérons  maintenant  les  composantes  de  sur- 
attraction que  fournissent  les  atomes  symétriques  B,  G 
par  rapport  à A sous  l’influence  de  la  force  F.  Ces  com- 
posantes étant  toutes  deux  la  projection  d’un  même 
segment  sur  une  droite  donnée,  la  droite  qui  passe  par 
les  points  O et  B,  seront  géométriquement  identiques. 
Si  celle  de  ces  composantes  qui  est  relative  à l’atome  B 
a la  direction  OB,  celle  qui  est  relative  à l’atome  C 
symétrique  de  B par  rapport  à O sera  de  direction 
contraire  à OC.  Ainsi  donc,  tandis  que  la  première  com- 
posante de  surattraction  s’ajoute  à l’attraction  de  B sur 
A,  la  seconde  composante  diminue  d’autant  l’attraction 
de  C sur  A.  Mais  ces  attractions,  nous  l’avons  vu,  sont 
de  sens  contraires.  Par  conséquent  les  deux  surattrac- 
tions  s’ajoutent.  Toutes  les  sur  attractions  émanant  des 
divers  atomes  de  la  sphère  sont  donc  de  même  signe  et 
par  suite  la  totalité  de  la  sphère  concourra  à produire, 
sous  l’influence  de  la  force  F,  la  surattraction  résultante 
de  l’atome  A. 

D’après  ce  que  nous  venons  de  dire,  tous  les  points 
matériels  du  volume  de  la  sphère  concourent  à accroître 
l’intensité  de  la  surattraction,  et  au  contraire  une  par- 
tie du  volume  de  cette  sphère,  négligeable  par  rapport 


504 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


à la  totalité  de  ce  volume,  concourt  seule  à déterminer 
la  résultante  d’attraction.  Nous  jiouvons  donc  admettre 
avec  vraisemblance  que  la  valeur  de  celle-ci  est  négli- 
geable par  rapport  à la  valeur  de  celle-là.  Il  est  donc 
bien  exact  d’affirmer  que  tout  se  passe  comme  si  le 
mouvement  était  l’efiet  de  la  seule  surattraction. 

Remarquons  d'ailleurs,  que  les  résultantes  d’attrac- 
tion des  divers  atomes  de  l’univers  observable,  à rai- 
son des  hypothèses  faites,  sont  sensiblement  égales  et 
parallèles.  Elles  ne  détermineraient  donc  qu’un  mouve- 
ment d’ensemble  en  ligne  droite  dont  nous  n’aurions 
pas  conscience.  Donc,  à ce  titre  encore,  il  serait  négli- 
geable. 

CT 

Démontrons  encore  cette  ])roposition  : A un  angle 
près  de  râleur  négligeable,  la  direction  de  la  sur- 
attraction résultante  est  celle  de  la  force  F. 

Su})posons  pour  un  instant,  que  le  point  matériel  A 
sollicité  par  la  force  F occupe  le  centre  de  la  sphère.  A 
raison  de  la  position  symétrique  de  F,  les  composantes 
de  surattraction  sont  elles-mêmes  symétriques  deux  à 
deux  par  rapport  à cette  force,  et  par  suite  elle  aura 
évidemment  la  direction  indiquée.  Si  l’on  écarte  donc 
légèrement  A du  centre  de  la  sphère,  la  direction  de  la 
résultante  de  surattraction  relative  à A s’écartera  de  la 
direction  de  F d’un  angle  de  valeur  négligeable. 

Nous  pouvons  enfin  remarqiter  (pie  l’intensité  de  la 
surattraction  a une  valeur  indépendante  de  l’orienta- 
tion de  F. 

Il  n’en  serait  pas  ainsi,  si  A occupait  une  position 
quelconque  dans  l’intérieur  de  la  s})hère.  La  composante 
de  surattraction  relative  à un  atome  B est  en  effet  fonc- 
tion de  l’angle  que  forme  la  direction  do  la  force  avec  le 
segment  qui  relie  les  deux  atomes.  Un  changement 
d’orientation  de  la  force  change  donc  la  valeur  des 
composantes  et  par  suite,  dans  le  cas  général,  la  valeur 
de  la  résultante. 


LE  PRINCIPE  D INERTIE 


565 


Or  ici,  il  n’en  va  pas  de  la  sorte,  et  pour  le  montrer, 
nous  n’avons  qu’à  répéter  le  raisonnement  de  tout  à 
l’heure.  Si  le  point  A était  au  centre  de  la  sphère, 
l’orientation  de  la  force  serait  sans  influence  sur  l’inten- 
sité de  la  surattraction  résultante.  Or,  s’il  s’en  écarte 
d’une  quantité  négligeahle,  l’intensité  de  la  surattrac- 
tion résultante  ne  saurait  varier  que  d’une  quantité 
négligeable.  Notre  affirmation  est  donc  bien  démon- 
trée. 

Il  paraît  inutile  de  chercher  à prouver  que  l’influence 
de  la  force  sera  la  même,  quel  que  soit  le  point  de  l’uni- 
vers .observable  où  elle  s’exercera.  Gela  tient  à ce  que 
les  dimensions  de  cette  région  ont  été  supposées  négli- 
geables par  rapport  à celles  de  la  sphère.  Dès  lors,  les 
éléments  qui  sont  fonction,  toutes  choses  égales  d’ail- 
leurs, de  la  position  du  point  sollicité  au  sein  de  la 
région,  devront  être  considérés  comme  ayant  même 
valeur  quelle  que  soit  cette  position  dans  l’univers 
observable. 

8.  — Parallélisme  entre  les  deux  Hypothèses 

Dans  l’hypothèse  de  la  loi  d’inertie,  une  force  solli- 
citant durant  un  temps  infinitésimal  un  atome  A,  déter- 
mine un  accroissement  infinitésimal  de  vitesse  réalisant 
les  conditions  suivantes  : 

i°  L’accroissement  de  vitesse  est  confondu  en  direc- 
tion avec  la  force. 

2°  L’intensité  de  cet  accroissement  est  indépendante 
de  l’orientation  de  la  force  et  de  la  position  de  l’atome. 

3“  Elle  est  proportionnelle  à l’intensité  de  la  force. 

Passons  maintenant  à notre  hypothèse.  Nous  consta- 
tons immédiatement  que  les  deux  premières  lois 
s’appliquent  à la  surattraction,  quand  on  reste  dans  les 
limites  de  l’univers  observable.  La  troisième  loi  sera 
également  satisfaite,  pourvu  que  l’on  conserve  les  con- 


566 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


ventions  ordinaires  relativement  à la  mesure  des 
forces. 

Enonçons  maintenant  une  dernière  loi,  celle  qui  fait 
en  quelque  sorte  le  fond  de  l’hypothèse  puisqu’elle  a 
pour  but  d’écarter  la  notion  d’une  vitesse  acquise,  et 
formuions-la  comme  il  suit  : Tout  mobile  sollicité  par 
une  surattraction  de  valeur  et  de  direction  constante^ 
tend  à se  déplacer  dans  cette  direction  avec  une  vitesse 
proportionnelle  à cette  intensité. 

En  vertu  de  cette  loi  et  de  celles  qui  précèdent,  les 
accélérations  produites  par  les  surattractions  seront 
celles-là  même  que  produirait  directement  la  force 
d’après  la  mécanique  ordinaire.  On  voit  donc,  sans  qu’il 
soit  nécessaire  d’insister  davantage,  que,  dans  les 
limites  de  l’univers  ohservalde,  notre  hypothèse 
explique  tous  les  faits,  comme  les  exjdique  la  méca- 
nique de  Newton. 

A une  vitesse  acquise,  tendant  à se  conserver  indéfi- 
niment, le  parallélisme  des  hypotlièses  demanderait  que 
nous  opposions  une  surattraction  se  conservant  indéfi- 
niment. Au  point  de  vue  des  faits  à eNqdiquor,  il  nous 
suffit  de  concevoir  qu’elle  s’épuise  avec  une  extrême 
lenteur. 

Du  reste,  les  atomes  se  déplaçant  au  sein  d’un  milieu 
continu  auront  à vaincre  une  résistance.  Cette  résistance 
représentera  une  véritalile  force  qui  développera  une 
surattraction  tendant  à neutraliser  celles  qui  pro- 
viennent des  autres  forces. 


9.  — Le  Théorème  de  Coriolis 

Quand  on  considère  le  mouvement  relatif  d’un  sys- 
tème mobile  par  rap})ort  à un  système  invariable,  lui- 
même  en  mouvement,  la  vitesse  relative  d’un  point  du 
premier  système  ne  dépend  que  de  la  différence  géomé- 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


567 


trique  de  sa  vitesse  absolue  et  de  sa  vitesse  d’entraîne- 
ment. La  même  loi  s’étend  aux  accélérations  quand  le 
mouvement  d’entraînement  se  réduit  à un  mouvement 
de  translation  rectiligne  et  uniforme.  Mais,  dès  que  le 
mouvement  d’entraînement  est  d’une  autre  nature  cette 
loi  ne  s’applique  plus.  L’accélération  absolue  est  alors  la 
somme  géométrique  de  l’accélération  d’entraînement,  de 
l’accélération  relative  et  d’une  troisième  accélération 
que  l’on  considère  comme  l’eflét  d’une  force  appelée 
force  centrifuge  composée.  Tel  est  l’objet  du  théorème 
de  Goriolis. 

M.  Poincaré  voit  là  une  anomalie.  D’après  lui,  la  loi 
du  mouvement  relatif  s’impose  à l’esprit  indépendam- 
ment de  toute  expérience,  et  il  avoue  ne  guère  com- 
prendre la  restriction  qu’exige  l’observation  dans  la 
théorie  de  la  mécanique  classique. 

Or,  cette  anomalie  que  l’esprit  soupçonne  d’intuition, 
nous  pouvons  l’analyser  comme  il  suit.  La  mécanique 
classique  n’assigne  aucune  influence  à la  masse  à 
laquelle  est  lié  le  système  fixe,  sur  le  mouvement  relatif 
d’un  système  donné  par  rapport  au  système  entraîné. 
Il  semble  donc  que  lorsqu’on  aura  complètement  défini 
l’un  par  rapport  à l’autre  les  deux  systèmes  mobiles,  le 
mouvement  relatif  du  second  sera  entièrement  condi- 
tionné. On  aura,  comme  s’expriment  certains  auteurs, 
dans  la  théorie  de  la  conservation  de  l’énergie  un  sj^s- 
tème  isolé.  Dès  lors,  les  équations  intrinsèques  de  la 
trajectoire  relative  devront  être  indépendantes  de  tous 
les  paramètres  qui  caractérisent  le  mouvement  d’en- 
traînement. Or,  comme  chacun  le  sait,  c’est  ce  qui  n’a 
pas  lieu.  L’intervention  de  la  force  de  Goriolis  modifie 
les  équations  de  la  trajectoire  relative. 

Notre  hypothèse  explique  cette  anomalie.  Dans  la 
mécanique  ordinaire,  nous  l’avons  dit,  la  masse  par 
rapport  à laquelle  sont  pris  les  axes  fixes  ne  joue  aucun 
rôle  dans  le  mouvement  relatif  d’un  système  |)ar  rap- 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


56(S 

port  à un  système  entraîné.  Il  n’en  va  pas  ainsi  dans 
notre  hypothèse.  La  force,  en  effet,  qui  sollicite  un 
corps  vers  un  autre  n’agit  pas  directement  entre  ces 
deux  corps.  Elle  agit  par  l’intermédiaire  de  la  sur- 
attraction qu’elle  détermine.  Or,  cette  surattraction  est 
liée  à la  masse  qui  a concouru  avec  la  force,  à la  pro- 
duire. On  voit  donc  que  les  résultantes  de  surattraction, 
en  vertu  desquelles  s’effectue  le  mouveimmt  du  système 
variable  par  rapport  au  système  entraîné,  dépendent 
d’un  élément  extérieur  à l’ensemble  de  ces  deux  sys- 
tèmes. Dès  lors,  le  mouvement  relatif  n’est  plus  condi- 
tionné par  les  seuls  éléments  de  forme,  de  position  et  de 
vitesse  des  deux  systèmes  l’iin  par  rapport  à l’autre.  Il 
y a donc  bien  place  pour  l’intervention  d’un  élément 
étranger,  et  cet  élément  est  précisément  l’accélération 
de  Goriolis. 


10,  — La  Surattraction  et  la  Physi(p(e  actuelle 

Comme  on  s’en  sera  rendu  compte,  l’idée  fondamen- 
tale de  notre  hypothèse  repose  sur  cette  conce})tion 
(Vune  ènerfjie  déterminant , non  pas  V accélération  de  la 
vitesse^  mais  la  vitesse  elle-même  ; en  sorte  (piéi  chaque 
instant  du  }nouvement  la  vitesse  est  proportionnelle  éi 
l’intensité  de  rénercfie. 

Il  y a lieu  de  se  demander  jusqu’à  quel  ])oint  l’opi- 
nion des  savants  autorise  une  pareille  conce])tion. 

L’opinion  de  M.  Poincaré  nous  est  favorable,  puisque 
dans  sa  critique  du  principe  d’inertie,  il  se  demande 
pourquoi  on  n’assigne  pas  comme  olijet  de  l’énergie 
déterminant  le  mouvement,  le  déplacement  lui-même 
})lutôt  que  la  modification  de  la  vitesse.  Mais  l’opinion 
du  savant  paraît  fondée  sur  des  considérations  de 
l’ordre  métaphysique  plutôt  que  sur  l’observation. 
Aussi  en  appellerons-nous  à l’autorité  d’un  autre  homme 


LE  PRINCIPE  D INERTIE 


569 


de  science,  M.  Languevin,  qui,  dans  un  travail  plu- 
sieurs fois  cité  sur  la  physique  des  électrons,  })résente 
des  conclusions  tirées  de  l’expérience  où  il  se  montre 
des  plus  favorables  à notre  thèse.  Nous  allons  résumer 
brièvement  ses  résultats  et  montrer  ce  qu’ils  ont  de 
conforme  aux  nôtres. 

M.  Languevin  établit  l’analogie  frappante  que 
révèlent  les  récentes  découvertes  entre  la  nature  de  la 
matière  et  celle  de  l’électricité.  Celle-ci,  aux  yeux  du 
physicien  moderne,  ne  serait  plus  constituée  par  des 
ondulations  se  propageant  au  sein  de  l’éther,  mais, 
comme  le  montrent  les  rayons  cathodiques,  elle  repré- 
senterait un  élément  à forme  granulaire,  possédant  la 
plupart  des  propriétés  de  la  matière. 

La  charge  électrique,  l’électron,  tout  comme  la  par- 
ticule de  matière,  représenterait  une  quantité  inva- 
riable, du  moins  tant  qu’elle  ne  serait  pas  en  contact 
avec  celle-ci.  Tandis  que  la  particule  de  matière  se 
décompose  en  atomes  matériels,  l’électron  se  décompo- 
serait en  atomes  électriques.  Ces  deux  sortes  d’atomes 
se  déplaceraient  à travers  l’éther,  et  posséderaient  cha- 
cune leur  inertie  propre.  A la  particule  de  matière,  son 
énergie  gravifique;  à l’électron,  son  énergie  électro- 
magnétique. A ces  deux  sortes  d’inertie  correspondent 
deux  masses,  la  masse  gravifique  et  la  masse  électro- 
magnétique. L’auteur  fait  remarquer  que  la  masse 
électromagnétique  invariable  en  valeur  absolue  est 
pourtant  susceptible  de  changer  de  signe. 

L’éther  est  considéré  comme  un  champ  électroma- 
gnétique de  divergence  nulle  en  toute  région  vide  de 
matière.  C’est  en  présence  de  celle-ci  que  se  forment 
des  variations  de  ce  champ. 

Notons  tout  de  suite  une  anomalie  dont  notre  hypo- 
thèse donnerait  peut-être  la  clef.  Que  peut  bien  signifier 
cette  masse  négative  dont  , parle  M.  Languevin?  Nul 
objet  ne  se  manifeste  à nos  sens  que  par  son  action 


570 


REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


extérieure.  Quelle  que  soit  notre  o})inion  sur  la  nature 
(les  masses  gravifiques,  électromagnétiques  ou  autres, 
nous  ne  les  apprécions  que  par  les  énergies  qui  en 
(^lérivent  et  c’est  dans  la  nature  de  ces  énergies  qu’il 
faut  chercher  pourquoi  les  masses  gravifiques  seraient 
toujours  de  même  signe  tandis  qu’il  en  irait  différem- 
ment des  masses  électromagnétiques.  Imaginons  que  la 
masse  gravifique  d’un  corps  soit  mesurée  par  cette 
énergie  que  nous  avons  ajipelée  attraction.  Celle-ci  étant 
évaluée  à partir  de  (J  sera  positive.  Supposons  mainte- 
nant que  la  charge  électrique  d’un  corps  soit  cette 
surattraction  déterminée  par  l’influence  d’une  force. 
Selon  que  cette  force  agira  sur  la  particule  matérielle 
dans  un  sens  ou  dans  le  sens  contraire,  elle  augmen- 
tera ou  diminuera  l’attraction  d’une  valeur  donnée.  La 
surattraction  et,  par  conséquent,  la  masse  électroma- 
gnétique qu’elle  mesure  sera  positive  ou  négative.  Du 
reste,  nous  nous  gardons  liien  d’affirmer  l’identité  de  la 
charge  électrique  et  de  la  surattraction,  telle  que  nous 
l’avons  définie.  Nous  nous  liornons  cà  remarquer  entre 
ces  deux  éléments  une  analogie  ([ui  pennet  de  conce- 
voir la  notion  d’une  masse  négative. 

Ap  rès  avoir  considéré  l’électron  dans  sa  constitution, 
l’auteur  l’étudie  au  point  de  vue  dynamique.  Nous  avons 
déjà  exposé  en  partie  ceth^  théorie  à la  fin  du  premier 
chapitre.  Nous  ne  craignons  jtas  d’y  revenir.  A l’instant 
où  l’électron  se  met  en  mouvement,  il  se  produit  un 
champ  magnétique  qui  suppose  une  véritable  dépense 
d’énergie;  et  ce  champ  mafinèti([ue  constitue  autour 
(le  V électron  en  mouvement  un  sillaffe  ([ui  l’accom- 
pnfjne  à travers  Vèther^  sans  modification  aucune 
tant  que  la  vitesse  reste  constante.  Il  est  d’ailleurs 
nécessaire  qu’une  action  extérieure  intervienne  })Our 
modifier  l’énergie  du  sillage  et,  par  conséquent,  ])our 
augmenter  ou  diminuer  la  vitesse.  Ceci  im})lique,  dit 
M.  Languevin,en  l’absence  même  de  toute  autre  inertie 


LE  PRINCIPE  D INERTIE 


571 


que  celle  d’origine  électromagnétique  due  à la  produc- 
tion du  sillage,  la  loi  fondamentale  de  Galilée,  sur  la 
conservation  de  la  vitesse  acquise  en  l’absence  de  toute 
action,  de  tout  champ  de  force  extérieur.  C’est  ici 
l’éther  immobile,  le  milieu  électromagnétique  qui  sert 
de  sup])ort  fixe  aux  axes  par  rapport  auxquels  le  prin- 
cipe de  l’inertie  est  applicable  et  dont  la  mécanique 
ordinaire  se  borne  à affirmer  l’existence  en  disant  : il 
existe  un  système  d’axes  déterminés,  à une  translation 
uniforme  prés,  par  rapport  auquel  le  système  de  Galilée 
se  vérifie  exactement...  Sans  aucune  autre  hypothèse 
que  celle  de  sa  charge  électrique,  l’électron  se  trouve 
posséder  l’inertie  définie  comme  capacité  d’énergie  ciné- 
matique, avec  une  loi  particulière  de  variété  de  celle-ci 
en  fonction  de  la  vitesse. 

Il  est  facile  maintenant  de  faire  le  parallélisme  de  la 
mécanique  de  l’électron  exposée  par  M.  Languevin  et 
de  la  mécanique  de  la  particule  matérielle  telle  que 
nous  la  concevons. 

Dans  la  théorie  de  M.  Languevin,  une  quantité  déter- 
minée d’énergie  sollicite  l’électron  durant  un  temps 
donné.  Sous  cette  intluence,  un  champ  magnétique  se 
forme  dont  on  peut  apprécier  la  valeur  par  un  sillage 
que  l’on  constate  autour  de  l’électron.  Ce  sillage  gardera 
sa  valeur  jusqu’à  ce  qu’une  nouvelle  quantité  d’énergie 
vienne  la  modifier.  D’ailleurs,  à un  sillage  de  valeur 
donnée  correspond  une  vitesse  constante  de  l’électron. 

Dans  notre  hypothèse,  une  force  agissant  durant  un 
temps  donné  détermine,  elle  aussi,  un  champ.  Nous 
dirions  un  champ  de  force,  si,  à raison  du  rôle  nouveau 
que  nous  lui  avons  assigné,  ce  mot  ne  prêtait  pas  à 
l’équivoque.  Car,  nous  l’avons  dit,  la  particule  de 
matière  sera  sollicitée,  par  une  résultante  de  surattrac- 
tion déterminée  par  cette  énergie,  et  cette  résultante 
étant  fonction  de  la  position  de  la  particule,  celle-ci  se 
déplacera  bien  dans  un  véritable  champ.  Ce  champ 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


572 

dépendant  de  la  valeur  de  la  siirattraction  restera  le 
même  tant  qu’aucune  autre  force  n’interviendra,  et 
tant  qu’il  ne  variera  pas,  la  vitesse  de  la  particule 
restera  constante.  Les  composantes  de  la  résultante  de 
surattraction  qui  exercent  une  influence  prépondérante 
sur  la  valeur  de  celle-ci  et,  par  conséquent,  caracté- 
risent le  champ,  étant  celles  qui  proviennent  des  atomes 
avoisinant  la  particule,  on  pourra,  ici  aussi,  concevoir 
un  sillage  qui  mesurera  l’intensité  du  champ.  Enfin, 
une  nouvelle  dépense  d’énergie  venant  à se  produire, 
la  résultante  de  surattraction  sera  modifiée,  avec  elle 
le  champ,  et  avec  le  champ,  la  vitesse. 

La  théorie  de  Képler,  celle  de  M.  Languevin  et  la 
nôtre  ont  cela  de  commun,  que  sous  l’infiuence  d’une 
force  cessant  d’agir  à un  moment  donné,  s’est  dévelop- 
pée une  qualité,  la  force  vive,  qui  conserve  une  valeur 
constante.  Dans  la  première  théorie,  c’est  à cette  quan- 
tité, seul  effet  persistant  de  la  force,  qu’il  faut  nécessai- 
rement attribuer  le  mouvement.  11  faudrait  alors, 
comme  nous  l’avons  dit,  attribuer  le  déplacement  d’un 
mobile  à une  énergie  interne  n’ajant  aucun  jioint  d’ap- 
plication en  dehors  de  ce  mobile.  Notons  une  autre  dif- 
ficulté. Nous  nous  sommes  fait  une  habitude  de  conce- 
voir la  vitesse  ou  encore  une  i[uantité  fonction  de  la 
vitesse,  comme  une  qualité  du  mobile  l’affectant  à un 
instant  donné.  Mais  c’est  là  une  pure  fiction.  Par  sa 
nature  la  vitesse  inqilique  une  succession,  et  considérer 
un  mobile  de  vitesse  donnée,  c’est  considérer  j>ar  la 
pensée  une  série  indéfinie  de  j)ositi(uis  successives  du 
même  mobile.  Dans  chacune  de  ces  })ositions  il  ne  pos- 
sède aucune  qualité  qu’on  puisse  considérer  comme 
fonction  de  la  vitesse.  Il  ne  possède  donc  rien  en  lui,  à 
un  instant  donné,  qui  conditionne  le  mouvement  à l’in- 
stant suivant,  et  qu’on  puisse  considérer  comme  une 
énergie  expliquant  ce  mouvement. 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


573 


Dans  les  deux  autres  hypothèses,  la  force  d’inertie 
n’est  qu’une  conséquence  du  déplacement  du  mobile,  et 
n’explique  pas  le  mouvement.  11  est  expliqué  par  la  pré- 
sence dans  le  mobile,  dans  le  milieu  qu’il  parcourt  et 
dans  toute  la  masse  de  la  sphère  d’une  énergie  subsis- 
tant après  la  disparition  de  celle  qui  l’a  déterminée. 
Cette  énergie  est  une  modification,  nous  pourrions  dire 
une  nouvelle  manière  d’être  du  milieu.  En  dernière 
analyse,  c’est  une  rupture  d’équilibre  qui,  en  tendant  à 
se  rétablir,  détermine  le  mouvement.  Mais  nous  ne 
pouvons  ici  développer  ce  dernier  point  de  vue. 

On  pourrait  objecter  que  nous  invoquons  à tort  l’opi- 
nion de  M.  Languevin,  puisque  ce  savant  étudie  le  mou- 
vement de  l’électron,  tandis  que  nous  étudions  le  mou- 
vement de  la  particule  de  matière.  Nous  répondrons  en 
citant  des  paroles  de  l’auteur  lui-même.  Enclin  à penser 
que  sa  théorie  s’étend  à la  particule  de  matière,  il  s’ex- 
prime ainsi  : « Il  est  bien  séduisant  d’admettre  le  même 
résultat  pour  la  matière  tout  entière...;  il  répugne,  en 
effet,  de  faire  intervenir  pour  deux  phénomènes  aussi 
identiques  que  l’inertie  de  la  matière  et  celle  des  cor- 
puscules cathodiques  deux  explications  complètement 
distinctes,  dont  l’une,  l’explication  électromagnétique, 
est  précise  et  confirmée  par  l’expérience,  tandis  que 
l’autre  resterait  inconnue.  » 

Du  reste,  rappelons  que  nous  prenons  le  mot  matière 
dans  son  acception  la  plus  large.  Pour  nous,  une  parti- 
cule de  matière  ne  veut  dire  autrç  chose  qu’une  parti- 
cule douée  de  la  propriété  de  l’étendue. 


11.  — La  Gravitation  universelle 

Revenons  à la  masse  sensiblement  sphérique  que 
nous  avons  considérée  au  début.  Nous  avons  vu  com- 
ment, sous  l’infiiience  des  points  de  densité  maximum. 


574 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


des  masses  se  condensent  autour  de  ces  points  au  sein 
d'un  milieu  de  très  faible  densité.  Imaginons  deux  de 
ces  niasses  relativement  voisines.  Examinons  quelle 
sera  l’action  de  A,  par  exemple,  sur  B.  A sollicite  B de 
deux  manières  : directement  d’abord  par  l’attraction 
mutuelle  des  deux  masses  l’une  sur  l’autre.  Mais  en 
outre,  comme  nous  l’avons  dit,  cette  attraction  de  A sur 
B peut  être  considérée  comme  une  force  prise  au  sens 
usuel  de  l’expression.  Dès  lors,  dans  notre  hypothèse, 
elle  déterminera  une  surattraction  résultante  qui  solli- 
citera B.  (.)r,  l’intervention  de  l’attraction  qu’exerce  A 
sur  B peut  être  considérée  comme  négligeable  par  rap- 
port à l’intensité  de  la  résultante  de  surattraction  qu’elle 
exerce  sur  cette  même  masse.  En  elfet,  l’intensité  de 
l’attraction  est  indépendante  des  dimensions  de  la  masse 
de  la  sphère.  La  résultante  de  surattraction,  au 
contraire,  étant  formée  de  composantes  émanant  de 
tous  les  atomes  de  la  masse  sphérique,  a une  intensité 
qui  dé])end  de  la  totalité  du  volume  de  la  sphère.  La 
masse  A,  d’où  émane  l’attraction  ayant  avec  la  masse 
de  la  sphère  un  rapport  qu’on  peut  imaginer  aussi  petit 
qu’on  voudra,  on  peut  admetti’e  vraisemblablement  que 
l’intensité  de  l’attraction  est  négligeable  par  rapport  à 
celle  de  la  surattraction.  C’est  donc  elle  seule  que  nous 
considérons,  et  quand  nous  voudrons  calculer  le  mou- 
vement d’un  astre,  sous  l’influence  d’un  autre  astre 
suffisarmnent  voisin,  nous  considérerons  exclusive- 
ment la  résultante  de  surattraction  déterminée  dans  le 
second  astre,  par  la  force  que  reqrrésente  l’attraction 
du  premier  sur  le  second. 

Il  nous  resterait  à faire  une  hypothèse  sur  la  valeur 
de  cette  attraction.  Nous  n’avons  aucun  motif  de  modi- 
fier la  loi  de  Newton,  et  nous  supposerons  que  les  deux 
astres  s’attirent  en  raison  inverse  du  carré  de  la 
distance.  Dans  notre  pensée,  toutefois,  cette  loi  ne 
représente  qu’une  première  approximation. 


LE  PRINCIPE  d’inertie 


DJD 

Nous  avons  ainsi  défini  le  problème  de  la  g'ravitation. 
Il  nous  resterait  à le  résoudre,  ce  que  nous  nous  garde- 
rons d’entreprendre. 

Plaçons  d’abord  les  deux  astres  dans  la  région  que 
nous  avons  définie  plus  haut,  et  demandons-nous  quel  y 
sera  leur  mouvement.  Nous  avons  vu  que  dans  cette 
région  une  force  donnée,  qu’on  la  conçoive  comme  agis- 
sant directement  selon  la  théorie  de  la  mécanique 
de  Newton,  ou  agissant  par  l’intermédiaire  de  la  sur- 
attraction résultante  selon  notre  hypothèse,  produira 
sensiblement  les  mêmes  mouvements.  Donc,  dans  cette 
région,  les  lois  de  Képler  et  tous  les  phénomènes  astro- 
nomiques seront  sensiblement  les  mêmes  dans  les  deux 
théories. 

Supposons  maintenant  les  deux  astres  situés  dans  une 
région,  qui  par  ses  dimensions  dépasse  les  limites  que 
nous  avons  assignées  à la  précédente  : alors,  pour  une 
même  force  la  direction  et  rintensité  de  la  résultante 
de  surattraction  varieront  avec  la  question  du  mobile 
et  une  trajectoire  qui  aurait  été  une  ellipse,  dans  une 
région  où  la  surattraction  n’aurait  pas  varié,  devien- 
dra une  spirale  à raison  de  cette  variation.  D’une  façon 
générale  un  astre  gravitant  autour  d'un  centre 
d’ attraction  décrira  une  spirale. 

Tous  ces  résultats  paraissent  conformes  aux  idées  des 
savants  modernes.  Nous  l’avons  vu,  ils  répugnent  de 
plus  en  plus  à croire  aux  mouvements  réversibles. 
Toutes  les  forces  qu’ils  étudient,  en  dehors  de  l’attraction 
newtonienne,  leur  apparaissent  comme  irréversibles. 
Ils  ont  été  amenés  par  là  à soupçonner  que  la  gravita- 
tion était  de  même  nature,  et  que  le  mouvement  pro- 
duit par  cette  force,  tel  qu’il  résulte  de  la  loi  de  Newdon, 
n’était  que  la  première  approximation  d’une  loi  plus 
générale  définissant  un  mouvement  irréversible.  C’est 
en  particulier  l’opinion  de  M.  Grémieu,  et  notre  hypo- 
thèse confirme  pleinement  cette  manière  de  voir. 


570 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Dès  longtemps.  Lord  Rosse  avait  signalé  l’existence 
de  nébuleuses  en  spirale.  Mais  aujourd’hui  ce  ne  sont 
plus  seulement  quelques  nébuleuses  qui  se  révèlent  sous 
cet  aspect;  on  considère  la  forme  en  spirale  comme 
celle  de  presque  toutes  les  nébuleuses.  S’ensuit-il  néces- 
sairement que  les  astres  qui  pourraient  en  sortir  par 
voie  de  condensation  décriraient  des  spirales?  Nous 
n’oserions  l’affirmer.  Il  y a pourtant  bien  des  probabi- 
lités pour  qu’il  en  soit  ainsi. 

Quoi  qu’il  en  soit,  les  astronomes  admettent  aujour- 
d’hui que  les  trajectoires  des  astres  gravitant  autour 
d’un  centre  d’attraction  sont  bien  des  spirales  et  ne  nous 
apparaissent  sous  forme  d’ellipse,  ([u’à  raison  des 
dimensions  relativement  faibles  de  leurs  orbites. 

Sur  ce  point  encore  notre  hypothèse  est  d’accord 
avec  la  science  moderne. 


l'J.  — L’Opinion  des  philosoplæfi  anciens 

La  })hysique  et  la  métaphysique  semblent  donc 
d’accord  pour  affirmer  qu’il  ne  peut  y avoir  de  mouve- 
ment sans  la  présence  d’une  énergie  qui  accompagne  le 
mobile  durant  tout  le  cours  de  son  déplacement.  Nous 
avons  appuyé  cette  affirmation  de  l’autorité  de  nom- 
breux savants  modernes. 

Il  y aurait  intérêt  à rapprocher  des  vues  de  ces 
hommes  au  courant  des  nouvelles  découvertes,  l’opinion 
des  philosophes  parlant  à une  époque  où  ils  ne  pou- 
vaient se  guider  par  les  données  de  l’expérience. 

Cette  ignorance  des  faits  les  a jetés  sans  doute  dans 
de  très  nombreuses  erreurs.  Il  est  pourtant  curieux 
d’examiner  leur  opinion  sur  la  question  du  principe 
d’inertie. 

Ce  phénomène  d’un  coiq)S  sollicité  par  une  force  et 
continuant  à se  déplacer  quand  la  force  a cessé  d’agir. 


LE  PRINCIPE  U INERTIE 


577 


ils  l’ont  discuté  longtemps  sous  le  titre  de  mouvement 
des  projectiles.  Ils  ont  parfaitement  compris  tout  ce  que 
ce  phénomène  avait  d’intéressant  et  d’éjtineux.  Or,  ce 
qu’il  y a de  curieux,  c’est  que  les  représentants  les  plus 
autorisés  de  ces  philosophes,  Aristote  et  saint  Thomas 
d’Aquin  ont  formulé  au  sujet  de  ce  problème  les  deux 
principales  critiques  que  formule  M.  Poincaré.  Selon 
lui  deux  principes  dominent  la  théorie  du  mouvement  : 
il  n’y  a pas  d’espace  absolu;  l’objet  formel  de  la  force 
est  la  variation  de  position  et  non  la  variation  de  vitesse 
du  mobile.  Ce  sont  précisément  ces  deux  affirmations 
que  font  intervenir  Aristote  et  son  disciple  dans  l’étude 
des  projectiles.  Ce  dernier,  en  particulier,  soutient 
cette  affirmation  : mundus  non  est  in  loco.  Chaque 
corps  en  particulier  a un  lieu  assigné  dans  l’univers, 
mais  l’univers  a été  créé  avec  l’espace  qu’occupent  ses 
parties.  Au  delà  de  lui  on  ne  saurait  concevoir  aucun 
espace. 

Enfin  le  même  auteur  affirme  en  maints  endroits, 
que  tout  mobile  exige  un  moteur  distinct  de  lui-même, 
et  en  contact  permanent  avec  lui,  soit  immédiatement, 
soit  par  intermédiaire.  Gela  ne  revient-il  pas  à dire  que 
la  force  motrice  accompagne  le  mobile,  et  a pour  effet 
spécifique  la  variation  de  position? 

Il  est  donc  bien  vrai  de  dire  que  nous  avons  pour 
nous  l’autorité  de  philosophes  anciens  et  celle  de 
savants  modernes,  les  uns  et  les  autres  également 
éminents.  * 

M.  DE  Montcheuil. 


Noie  de  la  Rédaction.  — ■ A propos  de  cet  article  Le  Principe  d'inertie, 
nous  signalons,  cà  nos  lecteurs,  les  discussions  sur  les  principes  de  la  Mécani- 
que publiées  dans  les  tonies  XVI  à XXV  ( 189“2-I90“2)  des  Axnales  de  la  Société 
Scientifique  de  Bruxelles;  et  nous  rappelons  que  la  Uédaction  laisse  aux 
auteurs,  en  pareille  matière,  la  responsabilité  de  leurs  opinions  scientifiques, 
métaphysiques  et  historiques. 


IIR  SÉRIE.  T.  XII. 


37 


L’ÉLIMINATION  DARWINIENNE 


On  connaît  rincident  qui  tout  récemment  vient  de 
rouvrir,  d’une  manière  assez  inattendue,  la  passion- 
nante question  de  la  peine  de  mort  : la  Cdiambre  des 
députés  de  France  a,  par  voie  de  suppression  budgé- 
taire, virtuellement  aboli  les  exécutions  capitales.  Le 
crédit  a été,  il  est  vrai,  rétabli  provisoirement  peu  de 
temps  après,  mais  cette  mesure,  toute  transitoire, 
n’en  laisse  pas  moins  la  question  entière.  Partisans  et 
al)olitionnistes  ont,  à cette  occasion,  entrechoqué  à nou- 
veau leurs  arguments  dans  les  assemblées  et  revues 
compétentes  et,  comme  on  devait  s’j  attendre,  les 
théories  de  l’école  d’anthropologie  criminelle  ont  été 
remises  à l’ordre  du  jour  et  invoquées  par  certains 
adversaires  de  l’abolition. 

Partisan  convaincu  nous-même  du  maintien  de  la 
peine  capitale,  nous  nous  sommes  proposé  d’examiner 
le  bien-fondé  de  la  thèse  contenue  dans  cette  partie  spé- 
ciale des  doctrines  nouvelles  qui  a trait  à la  répression 
de  la  haute  criminalité,  et  dans  ce  but  nous  essaierons 
de  faire,  dans  la  présente  étude,  l’exposé  critique  des 
théories  de  l’école  italienne  en  niatière  de  peine  de 
mort,  ou,  poui’  dire  plus  exactement,  d’ « élimination 
absolue  ». 

En  etlèt,  nous  élargissons  ainsi  un  peu  le  point  de  vue 
sans  sortir  de  l’actualité,  car  tout  ce  que  nous  dirons 


l’élimination  darwinienne 


579 


d’une  manière  générale  sur  l’élimination,  s’applique 
a fortiori  à la  peine  de  mort  qui  en  est  la  forme  la 
plus  parfaite.  En  traitant  la  question  sous  cet  angle 
plus  large  nous  avons  en  vue  de  ne  pas  nous  borner 
à la  critique  de  certains  adeptes  de  l’Ecole,  mais  de 
les  englober  tous  dans  le  même  exposé.  Et  en  effet,  pour 
ne  parler  que  des  trois  grands  chefs  qui  l’ont  illustrée, 
Lombroso,  Ferri  et  Garofalo,  ils  ont  chacun  des  ten- 
dances différentes  en  ce  qui  concerne  l’application  de 
la  peine  de  mort,  mais  ils  s’entendent  tous  sur  les  pré- 
misses et  sur  la  conclusion  primordiale  à laquelle  ils 
aboutissent  et  qui  est  l’élimination  absolue  des  criminels; 
seulement,  pour  les  uns  celle-ci  s’obtiendra  par  la  mort 
uniquement,  pour  d’autres  le  but  sera  atteint  aussi 
bien  par  la  déportation  avec  abandon,  pour  d’autres 
enfin  l’emprisonnement  à perpétuité,  sans  aucune  espèce 
de  libération  possible,  sera'  suffisant  pour  arriver  au 
même  résultat.  (3n  le  voit,  la  théorie  est  identique  et  ses 
partisans  diffèrent  seulement  entre  eux  par  une  ques- 
tion d’application  pratique. 

C’est  pourquoi,  afin  de  donner  à notre  étude  plus 
d’unité  et  moins  de  développement,  nous  nous  bornerons 
à suivre  le  même  auteur  : il  nous  suffira  d’avoir  étudié 
celui-ci  pour  pouvoir  appliquer  nos  conclusions,  sur  ce 
point  spécial,  à l’ensemlde  de  l’Ecole.  Nous  avons  choisi 
de  préférence  Garofalo,  jiarce  que  c’est  lui  qui  s’est 
placé  dans  ses  ouvrages  à un  point  de  vue  plus  spéciale- 
ment juridique,  tandis  que  Ferri  et  Lombroso  ont  envi- 
sagé surtout  le  côté  respectivement  sociologique  et 
anthropologique.  Nous  ajoutons  que  Garofalo  étant  un 
partisan  décidé  de  la  peine  de  mort,  sa  manière  de  voir 
est  de  nature  à éclairer  d’un  jour  plus  caractéristique 
l’ensemble  de  la  présente  étude. 


580 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


I 

Exposé  du  système  de  Garofalo 

En  tête  du  Chapitre  que  Garofalo  consacre  dans  sa 
Criminoloffie  (1)  à l’iin  des  chajiitres  sur  la  Répression, 
il  inscrit  comme  éiiigraplie  ces  jiaroles  de  Darwin  : 

« J’ai  donné  le  nom  de  sélection  naturelle  ou  de 
persistance  du  plus  aj)te  à la  conservation  des  ditfé- 
rences  et  des  variations  individuelles  favorables  et  h 
l’élimination  des  variations  nuisibles.  » [Origine  des 
Espèces  y cb.  H .) 

L’auteur  ne  pouvait  en  vérité  choisir  ineilleur  entête, 
car  sa  théorie,  comme  celle  de  toute  l’Ecole  italienne, 
qui  consiste  à « ap})liquer  à la  criminalité  les  lois 
naturelles  de  l’adaptation  et  de  la  sélection  »,  est  tout 
entière  imprégnée  de  ces  idées. 

Avant  toutefois  de  passer  à l’examen  de  la  répression 
— qui  concerne  tout  spécialement  cette  étude  — nous 
jugeons  indispensable  d’exposer  d’abord  brièvement  les 
idées  générales  de  notre  auteur  sur  le  (Adme  et  sur  le 
Criminel.  Ce  n’est  qu’après  avoir  donné  une  notion 
exacte  de  ces  deux  éléments,  qui  sont  la  cause  et  le 
sujet  même  de  la  répression,  que  nous  pourrons  faire 
comprendre  aisément  la  raison  d’être  et  la  nature  de 
celle-ci. 

I.  Le  Crime.  — Si  l’Ecole  anthropologique,  nous 
apprend  Garofalo,  n’a  jusqu’ici  guère  eu  de  succès 
quant  aux  applications  pratiques  dans  la  législation, 
c’est  parce  que  les  études  des  anthropologues  se  sont 
concentrées  exclusivement  sur  le  criminel,  en  laissant 


(1)  Baron  B.  (îarofalo,  Criminologie,  5*'  édit.,  entièrement  refondue  et 
augmentée.  Paris,  Alcan,  1905. 


l’ ÉLI.MIX ATION  D AR WI N I E N X E 


581 


aux  juristes  le  soin  de  donner  la  notion  dn  crime. 
Seulement  ces  derniersjui  ont  donné  un  caractère  juri- 
dique, c’est-à-dire  un  caractère  tout  à fait  artificiel, 
puisqu’il  dépend  du  bon  plaisir  d’un  législateur.  (3r  le 
crime  est  un  phénomène  naturel,  dont  la  notion  doit 
pouvoir  être  saisie  par  tous  les  membres  de  la  Société, 
qu’ils  connaissent  ou  non  la  loi. 

Dès  lors,  la  notion  du  crime  doit  être  sociologiqite. 

Cela  étant,  voici  comment  on  peut  définir  celui-ci  en 
rapprochant  divers  passages  de  l’auteur  : Le  Grime  ou 
« Délit  naturel  »,  est  Y offense  faite  au  sens  moral 
moyen  de  l’humanité  cieilisée  (pp.  10, 36  et  218  gbx)  (1). 

Le  mot  naturel  signifie  ici  : « ce  qui  n’est  pas  con- 
ventionnel, c’est-à-dire  ce  qui  existe  dans  une  société 
humaine  indépendamment  des  circonstances  et  des 
exigences  d’une  époque  donnée  ou  des  idées  particu- 
lières d’un  législateur  » (p.  3).  Le  sens  moral  veut 
dire  « les  sentiments  moraux  qu’on  peut  dire  définiti- 
vement acquis  à la  partie  civilisée  » du  genre  humain 
(p.  9)  ; or  « les  seuls  qui  de  nos  jours  ont  de  l’impor- 
tance pour  la  moralité  sociale  sont  les  sentiments 
altruistes  » (p.  20)  : ceux-ci  en  comptent  deux  fonda- 
mentaux : la  pitié  et  la  probité. 

Le  sens  moral  qn’il  faut  seulement  considérer  est  le 
sens  moral  moyen,  parce  qu’il  j a toujours  des  individus 
moralement  inférieurs  ou  supérieurs  au  milieu  social. 

Il  faut  ajouter  : dans  l’humanité  civilisée,  parce  que 
l’altruisme  « n’est  universel  que  dans  les  races  supé- 
rieures de  l’humanité  » (p.  26)  ; il  faut  donc  « laisser 
de  côté  l’homme  préhistorique  dont  on  ne  peut  rien 
savoir...  et  les  tribus  sauvages  dégénérées,  parce  qu’on 
peut  les  considérer  comme  des  anomalies  de  l’espèce 
humaine  » (p.  9). 


(1)  Sauf  indication  contraire,  tous  les  numéros  des  pages  mis  entre  paren- 
thèses renvoient  à la  Criminologie  (édit,  citée). 


582 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


On  doit  en  conclure  que  « l’élément  d’immoralité 
nécessaire  pour  qu’un  acte  nuisible  soit  considéré 
comme  criminel  par  l’opinion  publique,  c’est  la  lésion 
de  la  pitié  (...ou  de  la  probité)  » dans  une  proportion 
dépassant  la  mesui'e  « indispensable  pour  l’adaptation  de 
l’individu  à la  Société  » (p.  36).  « Bref,  ce  qui  n’est  que 
la  violation  d’un  droit...  ne  saurait  plus  être  considéré 
comme  un  crime  » (p.  40). 

Dans  le  courant  de  notre  étude,  nous  aurons  l’occa- 
sion de  revenir  sur  ces  notions  et  de  les  détailler  davan- 
tage, car  nous  ne  voulons  faire  ici  qu’un  rapide  exposé. 

II.  Le  Criminel.  — L’auteur  parle  en  de  nom- 
breux endroits  de  son  livre,  et  en  sens  parfois  très 
divers,  du  Criminel  et  de  son  anomalie.  4"oici,  exposées 
de  la  manière  la  plus  nette  possible,  les  conclusions 
auxquelles  nous  avons  abouti  en  nous  fondant  sur  les 
textes  mêmes  de  l’ouvrage. 

Les  hommes  se  divisent  en  deux  classes  : les  nor- 
maux et  lès  anormaux  (pp.  103  et  67  cbn).  Tous  les 
criminels  sont  anormaux  ; on  ne  trouve  pas  de  nor- 
maux parmi  eux  et  ils  ne  peuvent  le  devenir  : « on  ne 
peut  les  classer  cpie  d’ajtrès  le  degré  plus  ou  moins 
grand  de  leur  anomalie  » (p.  103). 

Réciproquement,  parmi  les  hommes  normaux  on  ne 
peut  trouver  de  criminels,  et  ils  ne  peuvent  pas  le 
devenir  : « le  délinquant  fortuit  n’existe  pas,  si  par  ce 
mot  l’on  veut  dire  qu’un  homme  moralement  bien 
organisé  peut  commettre  un  crime...  » (j).  162)  (1). 

(1)  L’auteur  ajoute  à cette  phrase  : « ...  par  la  seule  force  des  circonstances 
extérieures  ».  Nous  avons  supprimé  ces  derniers  mots,  parce  qu’ils  nous 
paraissetit  un  tion-setis  sous  sa  plume  : en  effet,  s’il  arrive  à commettre  un 
crime  par  d’autres  forces,  c’est-à-dire  par  les  forces  intérieures  (développe- 
ment de  ses  penchants  criminels  innés,  comme  nous  le  verrons  plus  loin),  ce 
crime  prouvera  (luoi?  son  anomalie  psychique,  sa  monstruosité  morale,  son 
« absence  de  sens  moral  ».  Mais  dès  lors  il  n’est  et  n’a  jamais  pu  être  un 
homme  « moralement  bien  orjjanisé  » et  nous  somtnes  en  droit  de  conclure 


l’élimination  darwinienne 


583 


Mais  si  tous  les  criminels  sont  anormaux,  tous  les 
anormaux  ne  deviennent  pas  nécessairement  criminels  : 
ils  peuvent,  en  effet,  rester  toujours  des  « criminels 
latents  »,  ce  qui  arrivera  si  un  ensemble  de  circon- 
stances favorables  l’emporte  sur  le  nombre  de  circon- 
stances défavorables  : « la  manifestation  du  penchant 
criminel  peut  être  réprimée  par  l’heureux  concours 
d’innombrables  circonstances  extérieures  » (p.  103), 
par  exemple  par  la  « frayeur  de  la  guillotine,  la 
crainte  de  perdre  des  avantages  plus  grands  que  ceux 
qu’on  gagnerait  par  le  crime,  le  fait  que  le  moment 
ne  s’est  pas  présenté  pour  que  le  crime  fût  utile  »,  etc. 

Le  contraire  se  produira  si  ce  sont  les  circonstances 
défavorables  qui  l’emportent  : « préjugés,  exemples, 
climat,  lioissons  excitantes,  milieu  surtout  qui  dans 
les  classes  misérables  forme  le  bouillon  où  le  microbe 
(de  la  criminalité)  peut  se  développer  » et  se  développe 
certainement  le  plus  à l’aise. 

Gela  étant,  il  fout  admettre  que  l’homme  est  « entraîné 
au  mal  par  la  spécialité  de  l’organisation  individuelle  », 
c’est-à-dire  par  « la  fatalité  d'une  volonté  esclave  des 
penchants  ou  des  instincts  » (p.  103),  et  réciproque- 
ment « l’homme  est  bon  non  pas  par  réflexion,  mais 
par  instinct  » (p.  291). 

Mais  d’où  proviennent  ces  instincts  anormaux, 
quelle  est  exactement  leur  origine? 

Quoiqu’étant  très  catégorique  dans  ses  affirmations  à 
ce  sujet,  l’auteur  en  parle  d’une  façon  si  différente  en 
divers  passages  de  son  ouvrage,  que  nous  sommes  bien 
obligés  de  faire  à cette  question  plusieurs  ré})onses. 

Les  instincts  criminels  existent  tout  d’abord  en  vertu 

à ce  que  l’auteur  a certainement  voulu  dire  : C’est  qu’un  homme  normal 
ne  pouvait  commettre  de  crime.  — Nous  en  avons  d’ailleurs  la  confirmation 
dans  ces  paroles  formelles  de  Garofalo  : « Non  seulement  un  homme  mora- 
lement normal  ne  peut  devenir  meurtrier,  mais  il  ne  peut  pas  devenir  non  plus 
incendiaire,  faussaire,  escroc  ou  voleur.  » (Garofalo,  Réponse  à M.  Dnif/u,  à 
propos  de  son  ouvrage  « L'infraction  phénomène  social  »)  (p.  52). 


584 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(le  la  loi  (le  riiérédité  : « la  nature...  héréditaire  des 
penchants  criminels  étant  établie...  » (p.  lOi),  et  plus 
loin  (p.  102)  : « il  existe  toujours  dans  les  instincts  du 
vrai  criminel,  un  élément  particulier...  héréditaire... 
devenu  inséparable  de  son  organisme  psychique  ».  Et, 
après  nous  avoir  fait  jtasser  sous  les  yeux  quelques 
exemples  généalogiques  de  familles  criminelles,  Garo- 
falo conclut  que  « la  nature  héréditaire  » de  ces  pen- 
chants est  incontestable  et  (jue  « tout  nous  dit  que  l’hé- 
rédité psychologi([ue  n’est  qu’un  cas  de  l’hérédité 
physiologique  » (]u  275).  ( )r,  si  cela  est  vrai  en  général, 
c’est  « encore  plus  évident  ])our  les  criminels  : l’héré- 
dité psychologique  et  l’hérédité  physiologique  sont 
démontrées  d’une  manière  irrécusable  » (p.  276). 

Toutefois,  nous  désirons  mettre  en  regard  de  cette 
déclaration,  la  reconnaissance  du  principe  suivant  que 
nous  avons  trouvé  dans  un  autre  chapitre  : « La 
science  moderne...  nous  ajqu’end  qu’un  caractère  moral 
très  marqué,  dans  le  bien  comme  dans  le  mal,  ne  per- 
siste pas  dans  une  famille  au  delà  de  la  5®  génération, 
et  c’est  même  ce  qui  ]»eut  exjdiquer  en  partie  la 
déchéance  de  toutes  les  aristocraties  » (p.  101),  prin- 
cipe formulé  par  Ribot  (1).  Ce  qui  nous  force  donc  à 
conclure  que  cette  loi  de  l’hérédité  est  limitée. 

Elle  est  même  extrêmement  relative. 

En  effet,  nous  trouvons  la  phrase  suivante  : « l’élé- 
ment particulier  » (dans  les  instincts  criminels)  est 
« congénital  ou  héréditaire  ou  ac([uis  dès  l’enfance  » 
(}).  102)  — ce  qui  est  une  nuance  des  }dus  importantes, 
car  si  tout  ce  qui  est  héréditaire  est  congénital,  tout  ce 
qui  est  congénital  n’est  ]tas  nécessairement  héréditaire, 
et  l’auteur  le  reconnaît  d’ailleurs  explicitement  quand 
il  écrit  : « 11  y a pourtant  des  monstruosités  qu’on  ne 
saurait  attribuer  à des  ])arents  ou  à des  ancêtres.  Où 
la  nature  peut-elle  bien  les  emprunter?  » (p.  119). 

(1)  Ribot,  L'Hérédité  psychologique.  Paris,  188:2. 


l’élimination  darwinienne 


585 


Il  y a plus;  il  ajoute  même  : « ou  acquis  dés  l’en- 
fance »,  ce  qui  implique  que,  dans  certains  cas,  le  crime 
n’est  même  pas  congénital!  Entin,  nous  trouvons  une 
conclusion  de  nature  vraiment  déconcertante  : en  tête 
du  chapitre  traitant  de  la  question  qui  nous  occupe, 
Garofalo  écrit  : « L’anomalie  du  criminel  ainsi  établie, 
de  quelle  manière  peut-on  expliquer  ce  phénomène?  On 
ne  peut  pas  l’attrilnier  toujours  à l’hérédité  directe; 
faut-il  donc  y voir  un  cas  d’atavisme  ou  un  cas  de 
dégénération?  » et,  après  avoir  réfuté  successivement 
ces  deux  hypothèses,  il  termine  par  ces  mots  : « Il  vaut 
mieux  avouer  humblement  que  le  mystère  entoure  ce 
phénomène,  ainsi  que  bien  d’autres  » — et  il  « renonce 
à en  donner  l’explication  » (p.  120)  ! 

Ce  n’est  pas  le  moment  de  le  critiquer  ici;  nous 
poursuivons  donc  l’exposé  de  son  système. 

III.  La  Répression.  — 1°  Aperçu  théorique.  — 
Nous  l’avons  vu,  l’auteur  veut  voir  appliquer  à la 
réjU’ession  la  loi  naturelle  de  l’adaptation  et  de  la  sélec- 
tion. Aussi  il  commence  par  prendre  comme  point  de 
déjiart  le  principe  suivant  : « Un  organisme  quelconque 
réagit  contre  toute  violation  des  lois  qui  en  régissent  le 
fonctionnement  naturel  » (j).  238).  Et  cet  axiome, 
d’ordre  ])urement  physiologique,  il  l’applique  immédia- 
tement à toutes  les  associations,  afin  de  lui  permettre, 
dit-il,  par  cette  analogie  de  « déterminer  la  manière 
dont  l’Etat,  représentant  de  la  Société,  devrait  réagir 
contre  le  crime  d’a])rès  les  lois  naturelles  » iibid.). 

Rappelons-nous  que  le  crime  est  une  offense  faite  aux 
sentiments  de  pitié  des  hommes  comjiosant  l’humanité 
civilisée.  Mais  en  dehors  de  ces  sentiments,  Garofalo  en 
reconnaît  un  grand  nombre  appartenant  en  propre  à 
une  certaine  agrégation  d’individus  seulement  et 
« répondant  aux  règles  d’une  morale  éleA^ée,  plus  rela- 
tive, ou  simplement  à celles  du  cérémonial  ou  de  la 


586 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


bonne  éducation  ».  Dès  lors,  si  un  hoinine,  })ar  la 
violation  des  règles  de  conduite  qui  sont  considérées 
coinnie  essentielles  dans  un  certain  agrégat,  encourt  la 
réprobation  de  la  classe,  ordre  ou  association  formant 
cet  agrégat,  la  réaction  se  manifestera  par  l’expulsion 
de  cet  individu  hors  du  dit  agrégat  : la  famille,  le  club, 
l’administration  rejettera  de  son  sein  l’hète,  le  membre 
ou  le  fonctionnaire  « qui  a offensé  la  morale  relative  de 
l’agrégation,  c’est-à-dire  le  sentiment  qui,  chez  les  asso- 
ciés, est  ou  doit  être  su])posé  commun  » (}).  239),  et  cela 
parce  que  son  « adaptation  aux  conditions  du  milieu 
s’est  manifestée  incomplète  ou  impossilile  ». 

Or,  pour  que  cette  manifestation  d’inadajdation  soit 
complète  « un  fait  unique  suffit  souvent  ».  En  effet,  «les 
circonstances  particulières  où  l’individu  s’est  trouvé 
sont  la  pierre  de  touche  pour  juger  de  son  caractère  ». 
Sans  doute,  il  })Ourrait  se  faire  une  deuxième  fois  dans 
un  cas  semblable,  ([ue  le  môme  individu  se  soumît  à 
la  règle,  mais  « à quoi  lui  servira  cette  })ossibilité  s’il  a 
perdu  la  confiance  qu’on  avait  en  lui  par  la  ])résoni])tion 
d’une  bonne  éducation  qui  racconq)agnait  quand  on 
n’avait  aucun  motif  d’en  douter?  » (p.  210). 

Revenant  alors  à la  Société  et  poursuivant  le  raison- 
nement ]>ar  analogie  qu’il  avait  annoncé,  Garofalo  con- 
clut : « Si  à la  })lace  d’une  offense  faite  aux  sentiments 
d’un  petit  nomlire,  nous  mettons  une  de  ces  offenses  qui 
cho([uent  le  sens  moral  moyen  de  la  Société  tout  entière, 
la  yéaction  ne  peut  logiqueimmt  avoir  lieu  que  d’une 
manière  analogue,  c’est-à-dire  }>ar  rexclusion  du  cercle 
social.  » En  effet,  le  crime  viole  une  des  conditions 
essentielles  de  l’existence  de  la  Société  et,  dès  lors, 
réagissant  comme  tout  organisme,  « la  Société  entière 
rejettera  loin  d’elle  le  délinquant  ({ui,  par  une  seule 
action,  a montré  son  défaut  d’ada]»tation  » (p.  210). 
« Par  ce  moyen,  le  pouvoir  social  produira  artificielle- 
ment une  sélection  analogue  à celle  qui  se  ])roduit  dans 


l’élimIiNatioiN  darwinienne 


587 


l’ordre  biologique  par  la  mort  des  indhddiis  non  asshni- 
lables  aux  conditions  ])articulières  du  milieu.  » L’Etat 
n’a  donc  qu’à  « imiter  la  Nature  » {ihid.)  et  la  réaction 
sociale  se  fera  par  élimination. 

Toutefois  cette  élimination  absolue  ne  s’applique  }>as 
à tous  les  délinquants,  car  il  faut  distinguer  des 
« classes  de  criminels  d’après  leur  caractère  psycholo- 
gique, afin  de  déterminer  les  cas  dans  lesquels  l’adapta- 
tion est  possible  et  ceux  dans  lesquels  il  faut  renoncer  à 
tout  espoir  d’adaptation  et  où  la  Société  n’a  qu’à  se 
défaire  des  éléments  nuisibles  » (p.  250). 

Par  conséquent,  ce  moyen  extrême  ne  s’applique  qu’à 
un  petit  nombre  de  criminels  : « ceux  qui  sont  tout  à 
fait  dénués  de  ce  sentiment  de  pitié  organique  et  congé- 
nitale chez  l’homme  normal  des  races  supérieures  de 
l’humanité  » (p.  243). 

Quant  aux  criminels  des  deux  autres  classes,  ceux 
qui  sont  caractérisés  j)ar  une  mesure  insuffisante  du 
sentiment  de  pitié  et  ceux  qui  sont  seulement  dénués  de 
probité,  ils  ne  portent  qu’en  partie  atteinte  au  sens 
moral.  Aussi,  appliquée  à ces  catégories-ci,  la  peine  de 
mort  ferait  plus  de  mal  que  de  bien,  car  l’histoire  a 
démontré  depuis  Dracon  que  les  lois  trop  sévères 
« blessaient  la  conscience  publique  encore  plus  que  les 
méfaits  ».  On  ne  peut  donc  employer,  pour  les  deux 
classes  inférieures  de  criminels,  que  des  moyens  d’éli- 
mination relative. 

Cette  dernière,  comme  l’expression  même  l’indique, 
ne  pouvant  jamais  aller  Jusqu’à  la  privation  de  la  vie, 
ni  Jusqu’à  la  prison  à perpétuité,  n’aboutissant  en  un 
mot  à aucune  peine  irrévocable,  n’est  pas  en  réalité  une 
élimination  : c’est  afin  de  conserver  une  apparence 
d’unité  dans  son  système  que  l’auteur  se  sert  de  cette 
étiquette  pour  désigner  des  peines  temporaires,  mais 
une  èliiniaation  relative  nous  parait  un  paradoxe  dont 
il  chercherait  d’ailleurs  en  vain  un  exemple  dans  la 


588 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Nature  dont  il  s’inspire.  Aussi  nous  tenons  à dire  en 
passant  que  nous  ne  nous  occuperons  que  de  l’élimina- 
tion proprement  dite,  c’est-à-dire  absolue. 

Ce  moyen  radical  d’amputation  sociale  se  justifie  par 
le  caractère  nécessaire  de  la  Société  : « l’homme  est  par 
sa  nature  un  être  sociable,  il  fait  partie  de  la  Société 
sans  avoir  contracté  avec  elle  aucun  engagement,  il  se 
trouve  au  milieu  d’elle  parce  qu’il  ne  peut  se  trouver 
ailleurs,  et,  quoi  qu’il  fasse,  il  _y  a nécessité  qu’il  y 
reste.  Dès  lors,  l’absence  des  qualités  essentielles  pour 
l’existence  de  l’agrégation  change  la  nécessité  de  vie 
sociale  en  nécessité  opposée,  celle  de  la  rupture  de  tout 
lien  avec  l’individu  inassimilable.  L’individu  n’étant 
qu’une  cellule  du  corps  social,  lorsqu’il  est  nuisible  à ce 
corps  il  ne  peut  pas  prétendre  continuer  à en  faire  par- 
tie » (p.  244).  Mais  la  nécessité  de  l’en  exclure  n’existe 
— nous  l’avons  vu  plus  haut  en  d’autres  termes  — que 
lorsque  le  délinquant  a fait  preuve  d’une  « anomalie 
psychique  permanente  qui  le  rend  pour  toujours  insus- 
ceptible de  la  vie  sociale  » (p.  245). 

L’auteur  s’efforce  ensuite  de  démontrer  que  ses  idées 
sur  la  réaction  sociale  contre  le  crime  « se  trouvent  au 
fond  dans  la  conscience  de  chaque  peuple  civilisé  » 
(p.  252.) 

Apparemment,  il  est  vrai,  dit-il,  le  but  est  la  vengeance 
sociale,  c’est-à-dire  le  désir  de  faire  soutfrir  au  criminel 
un  mal  égal  à celui  dont  il  est  l’auteur,  mais  on  s’aper- 
çoit facilement  que  ce  que  la  Société  désire  réellement 
c’est  exclure  de  son  sein  le  criminel  et  non  le  châtier. 

Car  à l’origine,  la  ])eine  n’était  qu'une  vengeance 
individuelle  : la  loi  du  talion  le  prouve.  Or,  de  nos  jours, 
en  appliquant  la  théorie  de  V Expiation  on  adoucit  la 
peine  en  apparence,  mais  au  fond  c’est  toujours  cette 
même  vengeance  qui  en  est  le  vrai  fondement.  En  effet, 
on  a cru  que  le  mal  pouvait  être  réparé  dans  le  cœur 
même  du  délinquant  par  le  remords,  douleur  qu’on  fait 


l’élimixatiox  darwinienne 


589 


éclore  }>ar  le  châtiment;  seulement,  cette  théorie  est 
fausse  parce  que,  pratiquement,  affirme-t-il,  « le  repentir 
est  nul  chez  le  criminel  » et  on  ne  peut  le  faire  naître 
par  une  douleur  physique.  C’est  perdre  de  vue  que  le 
délit  ne  peut  être  commis  que  par  un  homme  anormal, 
chez  qui  le  devoir  n’a  ])u  être  assez  fort  pour  empêcher 
la  passion;  de  plus,  jamais  une  douleur  produite  à 
autrui  ne  pourrait  être  neutralisée  par  une  autre  dou- 
leur, surtout  si  le  délinquant  s’y  soumet  de  lui-même. 

Au  contraire,  avec  le  système  de  l’élimination,  plus  de 
supplices  inutiles,  si  bien  que  si  on  trouve  autre  chose 
que  la  peine  de  mort  (pour  l’élimination  absolue),  « il 
faut  s’empresser  de  suivre  ce  moyen  » (p.  256),  car 
« le  sens  moral  violé  ne  peut  supporter  que  cet  homme 
continue  à jouir  des  avantages  de  la  vie  sociale  »,  mais 
nul  ne  désire  lui  voir  inthger  un  mal,  un  châtiment,  une 
peine  proprement  dite.  Maintenant  il  se  fait  que  l’on 
n’arrive  à l’élimination  que  j)ar  un  mal,  mais  cette  dou- 
leur est  tout  à fait  contingente;  la  preuve,  c’est  que  la 
loi  ne  change  rien  à la  peine  lorsque  le  désir  même  de 
cette  peine  a été  le  mobile  du  crime  : or,  bien  que  ce 
châtiment,  en  réalité,  n’en  soit  pas  un  pour  le  coupable, 
on  le  lui  infligera  tout  de  même  et  la  Société  sera  satis- 
faite. 

La  souffrance  n’est  donc  pas  le  liut  exigé  par  le  sen- 
timent populaire,  mais  uniquement  l’élimination. 

Il  suit  de  là  que  la  jieine  n’est  pas  la  « mesure  d’une 
quantité  de  mal  qu’il  faut  infliger  au  criminel  »,  mais  la 
« détermination  d’un  genre  de  frein  adapté  à la  spécia- 
lité de  sa  nature  » (p.  328). 

Pourtant  « il  importe  de  remarquer  que  (tout  ceci) 
n’est  pas  directement  le  produit  d’un  raisonnement 
concluant  à l’utilité  sociale  de  l’élimination  en  tant  que 
celle-ci  préserve  d’un  délit  futur  » : « cette  idée  de  pré- 
vention et  d’intimidation  renforce  seulement  le  senti- 
ment précédent  » (ayant  pour  but  l’élimination)  ; car  la 


590 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


conscience  publique  exige  la  réaction  contre  le  crime 
alors  même  qu’elle  n’est  pas  préoccupée  de  l’avenir, 
voulant  que  l’on  punisse  non  seulement  ne  peccetur^ 
mais  aussi  quia  peccatum. 

En  effet,  avec  des  hommes  ayant  fait  preuve  de  fai- 
blesse de  sens  moral,  il  y a toujours  « possibilité  de 
nouveaux  crimes  » (p.  262).  Or,  cette  « capacité  du 
crime  » brise  le  lien  entre  l’individu  et  la  Société, 
])uisque  le  seul  lien  commun  entre  tous  ses  membres, 
c’est  la  présomption  que  tous  possèdent  la  mesure 
minima  de  certains  sentiments  dans  la  violation  des- 
quels réside  le  fait  délictueux. 

Cependant,  comme  les  moyens  d’élimination  causent 
nécessairement  une  souffrance,  il  se  fait  que,  sans  la 
rechercher,  ils  produisent  un  premier  effet  très  utile  : 
X intiuiidation,  qui,  quoi  qu’on  en  ait  dit,  est  la  suite 
naturelle  et  certaine  de  l’élimination.  La  crainte  du 
châtiment  est  parfaitement  exercée  dans  la  théorie 
de  l’auteur,  « car  les  grands  criminels,  dénués  de 
tout  sens  moral  et  capables  indifféremment  d’assassinat 
ou  de  vol,  ne  sauraient  faire  grand  cas  de  la  menace 
d’un  emprisonnement  long  ou  ])erpétuel  ; ils  sont  trop 
abrutis  pour  pouvoir  apprécier  la  honte  de  la  prison  ou 
la  souffrance  morale  plutôt  que  physique  de  la  liberté 
])erdue  »,  mais  « ils  tiennent  pourtant  à la  vie  : aussi 
la  peine  de  mort  a-t-elle  seule  le  pouvoir  de  les  effrayer  » 
(p.  213)(1). 

Mais  si  l’intimidation  produit  d’heureux  résultats,  on 
ne  peut  pourtant  pas  la  rechercher,  car  on  en  arrive 
ainsi  très  vite  à une  rare  cruauté.  Exemple  : c’est  en  la 


(1  ) A la  suite  de  ce  que  nous  avons  dit  en  commençant  cette  étude,  strictement 
nous  n’aurions  pas  dû  citer  ces  paroles  — au  moins  à cet  endroit-ci  — car  elles 
semblent  uniquement  démontrer  la  supériorité  de  la  peine  capitale  sur  l’em- 
prisonnement. Seulement,  nous  avons  cru  devoir  en  parler  ici  parce  que 
l’auteur  justifie  par  là  l’existence  de  la  prévention,  qui  n’existerait  donc,  d’après 
lui,  qu’avec  la  peine  de  mort. 


l’élimination  darwinienne 


591 


prenant  pour  but  qu’Henri  VIII  a fait  pendre  72  000 
oisifs,  tandis  qu’en  employant  l’élimination  relative, 
tous  les  vagabonds  ont  été  envoyés  peupler  l’Amérique 
au  XVIIP  siècle  et  l’Australie  au  XIX®.  Voilà  la  diffé- 
rence entre  la  théorie  classique  — qui  recherche  l’inti- 
midation — et  celle  de  Garofalo  : l’une  détruit,  l’autre 
crée. 

Enfin,  la  théorie  de  l’élimination  a un  deuxième  effet 
qui  lui  est  tout  à fait  propre  : la  sélection. 

Se  basant  sur  l’aperçu  qu’il  a donné  de  l’hérédité  psy- 
chologique, et  dans  lequel  il  a montré  que  « le  crime  ne 
saurait  se  soustraire  à ses  lois  inflexibles  » (p.  275), 
Garofalo  ajoute:  « Il  s’ensuit  que  la  suppression  des  élé- 
ments les  moins  aptes  à la  vie  sociale  doit  produire 
une  amélioration  de  la  race,  parce  qu’il  naîtra  un 
nombre  toujours  moins  grand  d’individus  ayant  des 
penchants  criminels  » (p.  275).  En  effet,  « si  le  fils 
n’est  pas  précisément  l’héritier  des  vices  ou  des  vertus 
de  ses  parents,  il  l’est  assurément  de  ses  instincts  ver- 
tueux ou  pervertis  »,  car,  ainsi  que  nous  l’avons  vu, 
l’hérédité  est  aussi  psychologique  que  physiologique. 
Ceci  est  même  surtout  vrai  chez  les  criminels,  car 
« fréquemment  [ayons  soin  de  faire  remarquer  que 
l’auteur  n’ose  plus  dire  « toujours  » comme  aupara- 
vant], les  instincts  criminels  sont  associés  à une  confor- 
mation anthropologique  particulière  qui  fait  des  grands 
malfaiteurs  des  monstruosités  at^qfiques  et  souvent 
régressives  » (p.  275). 

Il  faudrait  donc  empêcher  la  procréation  d’individus 
qui,  selon  toutes  probabilités,  seront  des  êtres  méchants 
et  abrutis. 

Notre  race  vaut  mieux  qu’autrefois  et  les  anthropo- 
logues les  plus  distingués  n’hésitent  pas  à attrilmer  cette 
amélioration  en  grande  ])artie  à la  peine  de  mort. 

La  relégation  y est  cependant  aussi  pour  quel([ue 
chose,  mais  cela  ne  fait  que  mieux  démontrer  les  bien- 
faits réalisés  par  toutes  les  mesures  d’élimination. 


592 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Cependant,  puisijue  ce  j)rogrès  est  attribuable  en 
grande  partie  à la  sélection,  pourquoi  cette  œuvre  sécu- 
laire d’épuration  ne  se  poursuivrait-elle  pas?  Si  nous 
nous  arrêtons  dans  cette  voie,  les  n’énérations  futures 
reprocheront  à la  nôtre  d’avoir  laissé  germer  des 
< semences  infectes  qui  auront  produit  de  nouvelles  et 
nombreuses  légions  de  délinquants  >. 

Or,  cette  sélection  ne  se  produira  pas  naturellement 
sans  que  le  pouvoir  social  s’en  mêle,  car  au  point  de 
vue  de  la  vie  animale  ce  sont  les  plus  dégénérés  qui  ont 
souvent  le  plus  d’aptitude  : en  etlét,  ils  sont  générale- 
ment })lus  sains  que  les  normaux,  car  « le  développe- 
ment moral  a soinamt  lieu  aux  dépens  du  dévelo])pe- 
ment  physique  » (p.  277).  Les  criminels  se  reproduisent 
mieux  que  les  liraves  gens  et  « ne  craignent  même  pour 
la  prolification  aucune  rivalité  ». 

La  Société  favorise  donc,  en  l’accélérant,  l’œuvre 
de  la  Nature. 

En  vertu  de  ces  principes,  l’auteur  se  déclare  adver- 
saire déclaré  du  droit  de  grâce,  dont  l’exercice  aboutit 
en  fait  quelquefois  — comme  en  Belgique  — à l’aboli- 
tion même  de  la  peine  de  mort  étaldie  par  la  loi. 

2“  Application  praticp/.e.  — Dans  un  chapitre  spé- 
cial, consacré  à la  mise  en  pratique  de  ses  théories,  l’au- 
teur nous  apprend  que  la  nature  du  crime  suffit  pour 
indiquer  la  monstruosité  du  délinquant.  La  prémédita- 
tion n’est  pas  une  circonstance  aggravante,  car  « le 
caractère  de  l’assassin  ne  dépend  pas  de  la  réflexion 
plus  ou  moins  prolongée  » (p.  406).  Dés  lors  la  cruauté 
avec  laquelle  le  meurtre  a été  exécuté  et  l’absence  d’une 
injure  grave  de  la  part  de  la  victime  sont  les  deux  cri- 
tériums qui  doivent  remplacer  celui  de  la  prémédita- 
tion, pour  faire  distinguer  des  autres  meurtriers  les 
« assassins,  c’est-à-dire  les  grands  criminels  typiques 
dégénérés  à l’extrême  et  perpétuellement  insociables  » 
(p.  408). 


l’élimination  darwinienne 


593 


Toutefois,  s’ils  sont  aliénés,  il  faudra  non  Tes  exé- 
cuter, niais  les  envoyer  dans  un  asile  ad  hoc;  en  effet, 
la  folie  est  une  maladie,  la  criminalité  n’en  est  pas  une  : 
c'est  seulement  une  anomalie.  Cette  différence  a une 
prande  importance,  car  elle  justifie  la  peine  de  mort 
pour  les  criminels. 

Enfin,  l’auteur  en  vient  à examiner  la  question  de 
savoir  si  la  réclusion  peiq)étuelle  peut  remplacer  la 
peine  de  mort.  11  est  d’avis  que  non,  parce  que  avec 
l’emprisonnement  l’élimination  ne  peut  jamais  être 
absolue,  et  il  essaie  de  le  prouver  par  de  nombreux 
arguments. 

Nous  n’examinerons  pas  ici  ces  derniers  en  détail, 
pour  les  motifs  que  nous  avons  exposés  dans  notre 
introduction  ; ce  serait  rétrécir  le  point  de  vue  auquel 
nous  nous  sommes  placé. 

L’auteur  termine  enfin  son  ouvrage  par  un  ensemble 
de  maximes  pouvant  servir  à la  formation  d’un  Gode 
pénal  international  et  dont  voici  les  deux  articles  qui, 
seuls,  nous  intéressent  et  qui  sont  comme  la  cristallisa- 
tion de  son  système  : 

Art.  XXlll.  — « La  peine  doit  produire...  l’élimina- 
tion du  criminel  inadaptable  à la  coexistence  sociale.  » 

Art.  XXIV.  — « L’élimination  des  assassins  devra 
être  absolue.  11  n’y  a que  la  peine  de  mort  qui  la 
réalise.  > 

{A  suivre.)  A.  v.  d.  Mensbrugghe. 

Auditeur  Militaire  suppléant. 


IID  SERIE.  T.  XII. 


38 


VARIETES 


I 

A PROPOS 
d’une 

HISTOIRE  DES  MATHÉMATIQUES  (1) 

L’Histoire  des  Mathématiques  constitue  à elle  seule  une  science 
complète,  possédant  ses  manuels,  ses  traités,  ses  revues,  ses 
chaires  universitaires,  ses  congrès.  C’est  une  science  relative- 
ment jeune  : elle  a été  fondée  il  y a un  siècle  et  demi  par  Montu- 
cla.  Si  l’antiquité  nous  a laissé,  transmis  par  Proclus,  les  titres 
des  écrits  historiques  de  Théophraste,  d’Eudème  et  de  Géminus 
et  si  les  XViP  et  X\M1P  siècles  nous  offrent  les  travaux  analogues 
de  Vossius,  de  Wallis,  de  Weidler,  de  Heilbronner,  ces  essais  ne 
sont  que  les  précurseurs  de  la  grande  Histoire  des  Mathéma- 
tiques donnée  par  J. -F.  Montucla  en  1758.  Cette  œuvre,  surtout 
en  sa  seconde  édition  publiée  en  quatre  in-quarto  de  1799  à 1802, 
reste  quoique  vieillie  le  modèle  du  genre.  Après  plus  d’un  siècle, 
des  maîtres  comme  Cantor  et  P.  Tannery  aiment  à y louer  non 
seulement  le  style  de  l’écrivain,  mais  la  richesse  de  la  documen- 
tation et  la  sûreté  habituelle  des  jugements. 

En  France,  cette  Histoire  générale  des  Mathématiques  de 
.Montucla  n’est  encore  complètement  remplacée  par  aucune 
autre.  L’Histoire  de  FA50’o/m/H?e(1817-1827)deDelambre,  dépas- 
sant son  propre  titre,  est  aussi  une  histoire  de  la  science  mathé- 
matique, mais  à un  point  de  vue  spécial  et  incomplet;  l’illustre 
Chasles  a écrit  un  vaste  Aperçu  historique  (1837),  mais  consacré 
surtout  à la  Géométrie  ; les  volumes  du  trop  célèbre  Libri  ne 
sont  qu’une  collection  de  notes  et  de  documents.  Hoefer,  Maxi- 

(1)  Histoire  des  Mathématiques,  par  Rouse  Bail,  Fellow  and  Tutor 

of  Trinity  College  (Cambridge).  Édition  française,  revue  et  augmentée  sur  la 
troisième  édition  anglaise,  par  L.  Freund,  lieutenant  de  vaisseau.  — Tome  I, 
in-8®  de  vii422  pages.  Paris,  A.  Hermann,  1906. 


VARIÉTÉS 


595 


milieu  Marie  et  Boyer  ont  tenté  chacun  une  Histoire  des  Mathé- 
matiques, mais  le  petit  manuel  (1874)  de  Hoefer  est  l’œuvre 
d’un  excellent  polygraphe  et  non  d’un  mathématicien  compétent, 
les  douze  tomes  (1888-1888)  de  Marie  sont  l’amas  des  matériaux 
réunis  en  (quarante  ans  de  labeur  et  non  l’édilice  proportionné 
et  achevé  qu’il  rêvait,  l’intéressant  livre  de  Boyei'  (lüUO)  s’éloigne 
plus  encore  du  modèle.  Un  instant  on  espéra  que  Paul  Tannery, 
le  plus  grand  peut-être,  avec  Gantor,  des  historiens  des  Mathé- 
matiques, donnerait  cette  histoire  générale  des  sciences  qu’il 
projetait  : déposée  au  seuil  du  XX®  siècle,  elle  eût  lait  le  pendant 
des  Vorlesungeii  de  Gantor,  mais  cette  plume  si  érudite,  si  judi- 
cieuse, si  brillante  vient  d’être  biisée  par  la  moi  t. 

Ainsi  à l’heure  présente  les  compatriotes  de  Montucla,  de 
Ghasles,  de  P.  Tannery  sont,  en  matière  d’histoire  des  Mathéma- 
tiques, tributaires  de  l’Allemagne,  de  l’Angleterre,  du  Dane- 
mark. L’excellente  et  trop  courte  Histoire  des  Mathématiques  du 
danois  Zeuthen  a été  récemment  traduite  en  français  et  rend 
d’inappréciables  services  pour  l’étude  de  la  Géométrie  grecque; 
puisse  le  volume  spécial  consacré  par  le  même  savant  aux 
Mathématiques  des  XVP  et  XVlP'siècles  être  traduit  à son  tour, 
(juant  aux  Vorlesuiigeii  nber  Geschichte  der  Mathematik  de 
Morilz  Gantor,  on  souhaiterait  vivement  qu’une  main  patiente  et 
habile  et  l’entente  coi'diale  habituelle  Entre  les  maisons  Teubner 
et  Gauthier-Villars  dotassent  la  bibliothèque  française  d’une  tra- 
duction de  cette  œuvre  magistrale,  dont  le  vénérable  et  illustre 
auteur  vient  d’entreprendre  en  cette  année  même  une  troisième 
et  définitive  édition. 

En  attendant,  nous  félicitons  le  lieutenant  de  vaisseau  français 
L.  Freund  de  l’excellente  idée  qu’il  a eue  de  traduire  de  l’anglais 
VHistoire  des  Mathématiques  de  \V.-\V.  Bouse  Bail.  Le  docte 
fellow  du  Gollège  de  la  Trinité  à Gambridge  n’est  pas  un  inconnu 
pour  les  lecteurs  de  la  Revue.  On  leur  a présenté  ici-même  (1898) 
ses  Récréations  mathématiques,  traduites  par  Fitz-l’atrick.  Les 
qualités  de  clarté,  d’intérêt,  d’érudition,  de  science  véritable  de 
ces  Récréations retrouvent  dans  l’œuvre  nouvelle.  L’étendue 
et  le  plan  général  de  cet  ouvrage  s’adaptent  parfaitement  au  but 
visé  par  l’auteur.  M.  R.  Bail  s’est  proposé,  nous  dit-il  lui-même, 
de  donner  un  aperçu  à la  portée  de  tous  des  principaux  faits  de 
l’histoire  des  Mathématiques,  d’esquisser  la  vie  et  les  décou- 
vertes des  savants  qui,  davantage,  les  ont  fait  progresser  et  de 
jalonner  le  récit  par  quelques  remarques  sur  la  filiation  des 
idées  et  des  méthodes,  sans  entrer  dans  le  détail  des  contro- 
verses. 


59G 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


I 


L’ouvrage  anglais  constitue  un  volume  unique  et  compact.  Le 
traducteur  en  a fait  deux  tomes.  Le  tome  second  tardant  à 
paraître,  nous  ne  voulons  pas  être  plus  tardif  que  nous  le 
sommes  déjià  k présenter  ici  le  [)remier.  Ce  premier  volume  con- 
tient la  période  ancienne  (pp.  1-139)  ou  période  géométrique; 
puis  la  période  du  moyen  âge  (pp.  LiO-:2U.j)  et  celle  de  la  renai.s- 
sance  (pp.  :20()-:208),  caractérisées  par  la  création  et  le  dévelop- 
pement de  l’Arithmétique  moderne,  de  l’Algèbre  et  de  la  Trigo- 
nométrie; enlin  la  période  moderne  (pp.  i()9-3:2t)),  s’ouvrant 
avec  rinvention  de  la  Géométrie  analytique  et  du  Calcul  infinité- 
simal : Descartes,  Cavalier!,  Pascal,  Wallis,  f’ermat,  Huygens 
occupent  cette  partie.  Le  second  tome  s’ouvrira  par  le  nom  de 
A’ewton. 

Le  traducteur  a placé  en  appendice  dans  ce  premier  volume 
des  extraits  d’anciens,  mais  précieux  articles  de  Chasles,  de  Biot, 
de  .1.  Bertrand  sur  Yiète,  sur  A'éper,  sur  Képler,  et  deux  études 
très  sobres  et  très  vivantes,  remarquables  au  point  de  vue  de  la 
philosophie  naturelle  et  de  la  psychologie,  mais  étrangères  aux 
Mathématiques  pures.  Dues  à deux  savants  physiciens  iiarfois 
opposés  Tun  à l’autre  dans  leurs  conceptions,  ces  études  sont, 
l’une,  l’exposition  faite  par  Mach,  de  Vienne,  et  peu  connue  en 
France,  de  l’œuvre  de  Galilée  et  de  Huygens  en  Dynamique, 
l’autre,  la  préface  placée  par  .M.  P.  Duhem  en  tète  de  son  his- 
toire de  la  Statique  et  dont  les  lecteurs  de  la  Bevue  apprécient 
à l’avance  toute  la  haute  valeur. 

L’auteur  a réalisé  son  plan  d’une  manière  non  point  parfaite, 
mais  satisfaisante.  Lui-mème  ne  s’arroge  une  infaillible  exacti- 
tude ni  dans  l’érudition,  ni  dans  les  jugements.  L’histoire  des 
.Mathématiques  est  une  science  assez  vaste  et  que  ses  récents  et 
rapides  progrès  rendent  assez  changeante  pour  que  notre  réserve 
dans  Téloge  étonne  peu.  De  plus,  l’auteur  se  reconnait  lui-même 
moins  au  courant  des  littératures  allemande  et  française  qu’il  eût 
fallu.  De  nombreux  errata  et  desiderata  eussent  été  prévenus  par 
une  étude  plus  soigneuse  de  l’œuvre  de  Cantor  et  des  publica- 
tions de  Braunmiîhl  (celui-ci,  l’auteur  semble  à peine  le  connaître 
de  nom),  par  une  lecture  plus  consciencieuse  des  contributions 
de  P.  Tannery,  notamment  dans  le  Bulletin  des  Sciences  m.vthé- 
M.XTiQUEs  de  G.  Darhoux  et  J.  Tannery,  par  un  dépouillement 
plus  attentif  de  la'  Bibliothec.x  .m.\the.m.\tic.x  d’Enestrôm,  du 
Journal  de  Grelle  et  des  Nouvelles  .\nn.ales  de  M.xtiié.m.atiques. 
Cela  s’imposait  d’autant  plus  que  chez  nos  voisins  d’Outre- 
Manche  l’histoire  des  Mathématiques  est  une  science  d’importa- 


VARIÉTÉS 


597 


lion  plus  récente.  Avant  VHistory  of  Greek  Mathematics  (1884) 
de  James  Gow,  qui  d’ailleurs  n’est  pas  à suivre  sans  contrôle,  on 
ne  peut  citer  que  le  médiocre  traité  de  Dean  Peacok,  quelques 
hrillants  articles  de  De  Morgan  dans  le  Dictionnaire  biogra- 
phique de  Smith  et,  depuis  1878,  les  études  de  G. -J.  Allmann 
dans  I’IIermathena  de  Dublin. 

Les  coquilles  typographiques  abondent  : hypothénuse  pour 
hypoténuse.  Médita  pour  Inedita,  phœnomena  pour  phænomena, 
Grichen  pour  Griechen,  studien  pour  les  Studien;  les  Kearôi 
(les  Varia,  ou  Broderies,  de  Julius  l’Africain,  le  polygraphe  du 

IIP  siècle)  deviennent  le  Xeoioi  ; Itéoç  devient  éTeuuç  ; |u° 

1 

devient  {x—x^-y  est  mis  pour  (x—oéy  et  pi  pour  , etc. 
Les  noms  propres  sont  défigurés  fréquemment  : Apollonius, 
Ptolemæus,  Strohæus,  Aristée,  Ménechme,  Héron,  Antiphon 
deviennent  Appolonius,  Plolemœus,  Strobacus,  Aristé,  Me- 
nœchme,  Hero,  Antipho;  Boèce  devient  souvent  Bœce,  son 
de  Consolatione  devient  les  Consolatio  ; on  lit  sacro  Bosco  pour 
Sacro  Bosco  ou  Sacro  Busto;  Nicolas  von  Cusa  pour  Nicolas  de 
Cusa  ; Schœten  et  Huyghens  ' parfois  pour  van  Schooten  et 
Huygens;  Gôthals  pour  Goethals;  le  beau  Crichton  (on  ne  sait 
ce  que  cet  Adonis  vient  faire  en  cette  Histoire)  devient  Chrichton  ; 
on  lit  Grow,  Breitswert  et  plusieurs  fois  S.  P.  Tannery  au  lieu 
de  Gow,  de  Breitschwert,  de  P.  Tannery,  etc.  Quelques  noms  de 
villes  sont  traités  comme  des  noms  patronymiques  et  comme  tels 
imprimés  en  petites  capitales  : de  Karlsruhe,  Swickau,  de 
Kempten  (1),  etc.  Les  dates  et  autres  chiffres  sont  insuffisam- 
ment contrôlés  : l’édition  princeps  du  Quadrivium  de  Psellus 
n’est  pas  de  1556  : Venise  en  donne  une  édition  en  1536,  qui 
n’est  pas  la  première  ; les  œuvres  de  Cassiodore  n’ont  pas  attendu 
17:29  : l’édition  complète  de  Paris  est  déjà  de  1598;  l’édition 
française  des  Récréations,  de  M.  Bouse  Bail,  par  M.  Fitz-Patrick 


(1)  Qui  devinerait  sous  rindication  V.  M.  de  Kempten  (p.  132)  notre  trop  peu 
connu  Valentin  Mennher.  ce  Bavarois  qui  au  milieu  du  XVP  siècle  vint  s’établir 
à .Anvers  et  y publia  d’excellentes  arithmétiques  commerciales,  notamment  dès 
looU  (et  non  1556)  sa  Practique  brifue  pour  cijfrer  et  tenir  Lmres  de  Cornpte 
touchant  le  Principal  train  de  Marchandise  P.  M.  Valentin  Mennher,  de 
Kempten.  Le  Hollandais  Nicolas  Pétri,  de  Deventer,  — Pétri  fut  assez  long- 
temps l’auteur  classique  dans  nos  provinces  — le  cite  en  sa  préface  et  lui  fait 
de  fréciuents  et  précieux  emprunts.  Exhumé  de  l’oubli  par  MM.  Van  der 
Haeghe,  de  Gand,  et  Kbeil,  de  Prague,  Valentin  Mennher  sera  un  jour, 
j’espère,  présenté  aux  lecteurs  de  la  Uevue  par  la  plume  autorisée  du 
P.  Bosmans. 


598 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(et  non  Ritz  Patrick),  est  citée  diverses  fois  et  avec  divers  millé- 
simes : notre  exemplaire  est  de  1898;  etc.  Bon  nombre  de  ces 
lapsus  et  bien  d’autres  encore  ont  déjà  été  sii^nalés  par  d’autres 
que  nous.  Il  est  utile  de  les  indiquer  en  un  si  important  ouvrage 
et  d’engager  l’auteur  et  le  traducteur  à une  plus  sévère  surveil- 
lance de  l’édition  prochaine. 

Il  nous  reste  à soumettre  à l’auteur,  au  courant  de  la  plume, 
quelques-uns  des  desiderata  et  des  considérations  que  nous  a 
suggérés  la  lecture  de  son  intéressant  ouvrage. 

Trop  succinctes  et  trop  sècbes  sont  les  pages  accordées  aux 
Mathématiques  égyptiennes  et  orientales. 

Le  Rhind  mathematical  pripurns,  ce  joyau  du  trésor  égyptien 
au  Rritisb  Muséum,  n’est  pas  un  papyrus  sacerdotal,  mais  un 
recueil  de  Mathématiques  commerciales  et,  probablement,  un 
codex  d’écolier.  11  est  rédigé  [>ar  le  scribe  Abmès,  et  non  par  le 
prêtre  Abmès.  A l’exemple  de  L.  Rodet  (.1ourn.\l  .\si.\tique, 
1881,  1882),  M.  R.  Rail  eut  dvi  illustrer  son  texte  du  lac-simile 
de  quelques  fragments  de  ce  papyrus,  le  plus  anticpie  de  tous  les 
manuels  de  Mathématiques,  après  certains  documents  cunéi- 
formes assyriens,  que  l’auteur  notis  fait  aussi  trop  peu  connaître. 
11  pouvait  s’aider  de  la  somptueuse  édition  otlicielle  ])botolitho- 
graphique  de  1898.  Quoi  d’intéressant,  comme  ces  équations 
algébriques  tracées  en  écriture  hiératique  par  le  calame  d’un 
contemporain  des  enfants  de  Joseph,  fils  de  Jacob,  où  Vx 
inconnue  est  figurée  tantôt  par  l’ibis  fouillant,  tantôt  par  le 
monceau  {hau  = monceau  de  grains  = quantité)  ; où  nos  signes 
et  — ont  pour  ancêtres  deux  jambes  accompagnant  chaque 
terme  et  dirigées  vers  la  gauche  (+)  ou  vers  la  droite  (— ),  et  où 
notre  signe  = est  remplacé  par  le  scarabée  sacré,  symbole  du 
devenir?  Pourquoi  ne  pas  traduire  littéralement  certains  pro- 
blèmes de  fioles  et  de  pommes,  qui  éclaircissent  même  un  texte 
de  Platon  (Low,  Vil,  819)  sur  la  pédagogie  égyptienne,  et  cer- 
taine quadrature  du  cercle  déjà  très  approchée  où  le  cercle  est 
dit  équivalent  à peu  près  au  carré  ayant  pour  côté  les  8/9  du 
diamètre  du  cercle?  F^ourquoi  ne  pas  exposer  plus  complètement 
certains  calculs  trigonométriques  relatifs  à la  hauteur  d’une 
pyramide  dont  l’on  fournit  l’inclinaison  et  l’arète  (nommée 
pur-e-nuis,  mot  égyptien  passé  chez  les  Grecs  pour  désigner 
l’édifice  même  et  devenu  la  croix  des  étymologistes)? 

Pour  la  Chaldée,  la  Babylonie  et  l’Assyrie,  le  Journ.vl  .\si.\- 
TiQUE  de  Paris  a été  trop  peu  consulté  directement  par  l’auteur. 
La  collection  de  Leipzig  der  Alt  Orient  (1898  et  suiv.)  mérite 


VARIÉTÉS 


599 


d’être  signalée  pour  l’intelligente  mise  en  œuvre  des  documents 
exhumés  depuis  trois  quarts  de  siècle.  Les  fouilles  exécutées 
depuis  1843  sur  les  emplacements  des  anciennes  capitales  des 
pays  arrosés  par  le  Tigre  et  l’Euphrate,  y ont  fait  découvrir  les 
premiers  loyers  de  civilisation,  dont  l’inlluence  se  fit  sentir  de 
bonne  heure  en  Égypte,  aux  Indes  et  en  Grèce.  Les  Chaldéens 
possédaient,  plusieurs  milliers  d’années  avant  notre  système  du 
gramme,  de  la  seconde  et  du  franc,  un  système  de  poids  et 
mesures  et  de  monnaie  d’une  précision  très  scientifique.  De 
vastes  bibliothèques,  telles  que  celle  du  roi  Sargon  d’Agadé, 
composées  de  nombreux  milliers  de  briques  d’argile  cuite  que 
recouvre  une  fine  écriture  cunéiforme,  ressuscitent  après  qua- 
rante ou  cinquante  siècles  d’ensevelissement,  et  intéressent 
autant  les  mathématiciens  que  les  historiens  et  les  littérateurs. 
L’exposé  de  ces  faits  eût  dû  trouver  place  dans  le  livre  de 
M.  R.  Bail. 

Sur  la  Mathématique  des  Chinois,  sur  sa  préhistoire,  sur  les 
influences  successives  grecque  et  romaine,  hindoue  et  arabe,  sur 
le  rôle  scientifique  des  premiers  missionnaires  jésuites  à partir 
de  1583,  l’auteur  pouvait  faire  au  mémoire  de  Biernatzki  (1), 
qu’il  ne  connaît  que  de  titre,  des  emprunts  instructifs  et  intéres- 
sants. Quoique  l’éducation  bouddhique  ait  souvent  étouffé  ce 
qu’il  y a de  vivant  et  de  spontané  chez  l’Oriental,  cependant  l’im- 
mobilité intellectuelle  du  Chinois  est  un  préjugé  très  erroné.  Du 
reste,  plus  d’un  problème  de  l’histoire  des  sciences  se  rattache  à 
ces  questions  des  Mathématiques  célestiales.  Indiquons,  de  plus, 
notamment  pour  le  règne  de  l’empereur  mathématicien  Kang-Hi, 
le  Louis  XIV  du  Céleste  Empire,  les  Lettres  édifiantes  et  curieuses 
{Missions  de  la  Chine). 

La  Mathématique  grecque  préeuclidienne,  mal  connue  de 
Montucla,  est  assez  bien  traitée  par  i\l.  R.  Bail.  11  s’est  éclairé  des 
judicieux  travaux  de  Bretschneider  et  de  leurs  compléments  par 
Allmann  ; mais  il  n’a  pas  utilisé  les  publications  de  P.  Tannery 
sur  la  science  hellène. 

Au  sujet  de  Thalès,  Pythagore,  Platon,  Euclide,  etc.,  il  eût  pu 
élaguer  de  ses  biographies  les  légendes  dues  à la  fertile  imagi- 
nation des  Grecs  de  tous  les  temps,  ou  du  moins  ne  les  donner 
qu’en  s’en  déchargeant  sur  la  crédulité  de  Plutarque,  sur  le 

(1)  JouRN.\L  DE  Crelle,  1856.  Ce  mémoire  est  une  reproduction  d’une 
étude  d’Afexandre  Wylie,  Jottings  of  the  science  of  the  Chinese  (dans  le  North 
China  Herald,  1852),  étude  qui  compfète  les  recherches  du  jésuite  Matthieu 
Ricci,  le  fondateur  (1583)  de  la  mission  de  la  Chine. 


600 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


p|-énie  inventif  de  Lucien,  sur  la  fécondité  des  écrivains  du  Bas 
Empire.  L’inscription  de  l’Académie  de  Platon  ; — Que  nul 
n’entre  ici,  s’il  n’est  géomètre,  — n’a  de  garant  que  Psellus, 
le  byzantin  du  XP  siècle  (1).  L’incendie  de  la  flotte  romaine 
provoqué  par  les  miroirs  ardents  d’Archimède  appartient  au 
roman  plus  qu’à  l’histoire. 

Aristote,  dans  ses  Questions  de  Physique  (2),  désigne  bien  la 
force,  la  masse,  le  temps,  l’espace  par  les  lettres  a,  p,  f,  b et  se 
sert  de  cette  notation  dans  le  discours.  Mais  il  ne  fait  aucun  calcul 
sur  ces  lettres.  Loin  de  là,  s’il  doit  raisonner  sur  une  force  et 
une  masse  sous-doubles  des  premières,  il  n’écrit  point  2a,  ni 
5 P,  ce  qui  serait  faire  de  l’Algèbre  littérale  excellente,  mais  il 
les  dénomme  par  d’autres  lettres. 

M.  R.  Bail  attribue  à Ménecbme  la  découverte  des  sections 
coniques  : l’antiquité  salua  du  nom  de  triade  de  Ménechme 
l’ellipse,  la  parabole  et  l’hyperbole.  L’attribution  de  cette  décou- 
verte au  célèbre  précepteur  d’Alexandre  le  Grand  ne  repose  que 
sur  l’insuffisant  témoignage  d’un  vers  d’Eiatosthène  de  Cyrène 
(-250).  Or,  avant  Ménecbme,  Eudoxe  de  Guide  et  ;?on  maître 
Arcbytas,  l’ami  de  Platon,  avaient  étudié  les  intersections  de 
surfaces,  et  la  découverte  des  propriétés  de  sections  telles  que 
la  section  oblique  du  cylindre  ne  pouvait,  observe  P.  Tannery, 
leur  offrir  de  ditliculté  sérieuse. 

A propos  d’Euclide,  dont  les  Eléments  constituent  la  Géométrie 
de  la  règle  et  du  compas,  l’auteur  cite  en  note  la  Géométrie  du 
compas  (PA\ie,  1797,  et  non  1795)  de  Mascheroni,  qui  est,  dit-il, 
un  tour  de  force  assez  curieux  pour  mériter  une  mention.  Ce 
singulier  et  maigre  éloge  donne  aux  étudiants  une  idée  incom- 
plète et  fausse  de  la  question.  La  Géométrie  du  compas  seul  et 
la  Géométrie  de  la  règle  seule  constituent  deux  problèmes  d’une 
portée  théorique  assez  haute  pour  avoir  sollicité  les  efforts  de 

(1)  Le  prétendu  séjour  de  Platon  à Cyrène,  où  il  se  serait  initié  aux  Mathé- 
matiques à l’école  de  Théodore,  est  contredit  par  le  propre  témoijfnaj^e  de 
Platon,  qui  dans  son  Tliéétète  nous  montre  Théodore  de  Cyrène  professant 
au  temps  de  Socrate  à Athènes  même. 

(2)  Natur.  auscult..  Vit,  5;  voy.  aussi  passhn  dans  ses  œuvres.  On  sait  que 
les  plus  anciens  traités  qui  nous  soient  parvenus  sur  la  Mécanique  rationnelle 
sont  ceux  d’Aristote.  « Ils  ont  été  loués  sans  mesure  par  ses  commentateurs,  et 
depuis,  négligés  sans  examen;  mais  à travers  mille  obscurités  et  une  foule 
d’idées  singulières,  on  trouve  chez  lui  les  principes  les  plus  importants  de  la 
Mécanique.  » (Fourier,  Mém.  sur  la  Statique,  j).  20,  dans  le  .Iournal  de 
l’École  Polytechnique,  5®  Cahier).  .M.  Duhem  vient  de  conlirmer  excellem- 
ment, à cent  ans  de  distance,  le  jugement  de  Fourier. 


VARIÉTÉS 


601 


plus  d’un  géomètre  de  renom,  depuis  Ferrari,  Tartaglia  et  van 
Schooten  jus(pi’à  i’oncelet  et  Steiner,  sans  parler  de  nos  contem- 
porains Laguerre,  G.  de  Longchamps,  (G  Cesàro. 

Le  profond  Traité  des  Coniques  d’Apollonius  a été  analysé 
par  Ilousel  (Journal  de  Liouville,  J858),  et  par  Max.  Marie 
(II. des  M.,t.  1, 188:3)  : ces  deux  analyses  méritent  d’être  indiquées 
aux  lecteurs  français  comme  une  double  introduction  à l’étude 
de  l’œuvre  du  Géomètre  par  excellence. 

Apollonius,  d’après  .M.  H,  Bail,  ignorait  que  la  parabole  eût  un 
foyer  et  n’avait  nulle  idée  de  la  directrice.  Rappelons  cependant 
qu’avant  le  Géomètre  de  Berge  il  existait  sur  les  coniques  deux 
ouvrages  considérables,  l’im  analytique,  l’autre  synthétique  ; les 
Lieux  solides  d’Aristée  l’Ancien  et  les  Coniques  d’Euclide.  Le 
premier,  resté  classique  pendant  toute  l’antiquité,  exposait  sans 
nul  doute  et  par  la  méthode  analytieiue  des  propriétés  qu’Euclide 
et  Apollonius  jugèrent  inutile  de  reprendre.  Telle  était  la  pro- 
priété du  foyer  de  la  parabole,  car  le  problème  du  lieu  des  points 
équidistants  d’une  droite  et  d’un  point  fixes  s’imposait  à Arislée 
avant  bien  d’autres  problèmes  q,u’Euclide  a repris. 

Héron  d’Alexandrie,  l’un  des  fondateurs  de  l’art  de  l’ingé- 
nieur, auteur  des  Métriques,  des  Mécaniques  et  des  Pneuma- 
tiques, précurseur  de  Bapin  dans  l’invention  de  la  machine  à 
vapeur,  a vécu  avant  Bappus  qui  le  cite  et  après  Yitruve  et  Bline 
qui  ne  le  connaissent  point  : vraisemblablement  il  appartient  au 
siècle  des  .Antonins.  M.  R.  Rail  le  place  trois  siècles  plus  tôt,  le 
croit  disciple  de  Ctésibius  et  incline  vers  une  opinion  qui  fait  de 
l’ingénieur  alexandrin  un  Egyptien  d’origine,  « exemple  curieux 
de  la  permanence  des  caractères  et  des  traditions  d’une  race  ». 
Blus  loin,  l’auteur  se  refuse  avec  Gow  à voir  un  Grec  de  race 
dans  un  autre  Alexandrin,  Diophante,  et  prétend  que  le  Bère  de 
l’Algèbre  trahit,  lui  aussi,  son  origine  exotique  par  certaines 
notations  dans  son  écriture  et  par  son  esprit  plus  arithmétique 
que  géométrique.  Ces  conjectures  sont  les  corollaires  d’une  thèse 
de  Ilankel  : le  génie  grec,  ami  de  l’ordre  et  des  proportions  et 
merveilleusement  doué  pour  la  belle  Géométrie  pure,  manquait 
d’aptitude  pour  l’Arithmétique  et  l’Algèbre  et  pour  la  Géométrie 
technique.  Si  des  mathématiciens  grecs  ont  fait  progresser  l’art 
du  calcul  et  les  procédés  de  la  Géométrie  et  de  la  Mécanique 
usuelles,  ils  pouvaient  avoir  reçu  la  culture  hellénique,  mais 
étaient  sans  doute  de  race  sémitique.  Bytbagore  même  n’a  pu 
rapporter  que  des  rives  du  Nil  sa  passion  pour  le  Nombre  et, 
d’ailleurs,  était  Bhénicien.  Cette  thèse  de  Ilankel  peu  ancienne 
est  peut-être  déjà  vieillie,  malgré  les  efforts  de  Zeuthen. 


602 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Du  reste,  le  problème  héronien,  posé  depuis  un  siècle  par 
l’Académie  des  Inscriptions  (IHlb),  est  des  plus  complexes.  Ce 
Héron,  qui  a vécu  on  ne  sait  ni  quand  ni  où,  .à  quelles  sources 
a-t-il  puisé  sa  science?  Quelle  intluence  a-t-il  exercée  sur  la  science 
des  âges  ultérieurs?  Ces  questions,  M.  R.  Rail  y répond  en  unis- 
sant dans  un  complaisant  éclectisme  les  opinions  successivement 
classiques  de  Th.  11.  Martin  (1854')  et  de  M.  Cantor  (1875).  Avec 
Th.  11.  Martin,  il  admet  l’existence  au  siècle  d’un  second 
Héron,  qui  serait  l’auteur  de  deux  petits  traités  grecs.  De 
Machinis  bellicis  et  Geodæsia.  Ce  Héron  le  Jeune  doit  être  biffé 
de  l’histoire  : la  célébrité  de  l’ancien  Héron  a fait  qu’on  a mis 
sous  Tég'ide  de  son  nom  plusieurs  écrits  techniques  de  ce  genre, 
et  ces  écrits  étant  manifestement  un  produit  du  génie  byzantin 
du  X"  siècle,  on  a créé  un  Héron  de  Ryzance. 

La  célèbre  formule  générale,  dite  formule  de  Héron,  qui 
donne  Taire  du  triangle  en  fonction  de  ses  côtés  et  qu’il 
démontre  en  ses  Métriques,  n’est  pas  de  lui  : elle  est  postérieure 
à Luclide  et  antérieure  h Héron.  IMusieurs  inventions  qu’il 
expose  en  ses  Pneumatiques  et  en  ses  Mécaniques  ne  lui  appar- 
tiennent pas  davantage,  par  exemple  la  fameuse  fontaine  qui 
porte  son  nom.  — Ce  puissant  géomètre  à la  fois  théoricien  et 
technicien  était  par  lui-même  un  [)enseur  d’un  génie  très  person- 
nel ; il  a fait  autre  chose  que  colliger  les  traditions  scientifiques 
égyptiennes  et  codifier  les  règles  des  harpédonaptes  des  rives  du 
Ail.  Il  est  bien  au-dessus  des  agrimenseurs  romains  de  l’Empire, 
et  ceux-ci  n’ont  été  que  les  simples  co[)istes  du  polygraphe  Var- 
ron,  le  vulgarisateur  par  excellence  des  antiques  disciplines 
étrusques  et  des  traditions  greccpies  et  alexandrines.  M.  R.  Bail 
eut  adopté  sans  doute  ces  appréciations,  s’il  avait  tenu  compte 
de  la  phase  nouvelle  du  problème  due  à la  publication  récente 
de  l’œuvre  véritable  de  Héron.  Diels  en  1893  a donné  les 
Pneumatiques.  Carra  de  Vaux  en  1894  a reproduit  en  fian- 
çais les  Mécaniques  d’après  une  version  arabe  du  IX®  siècle. 
Enfin  en  1993  Hermann  Schône  a publié  le  vrai  texte  grec  des 
Métriques,  retrouvé  dans  la  Ribliothèque  du  Vieux  Sérail  de 
Constantinople  : ce  fut  une  révélation  ffune  face  inconnue  de  la 
Géométrie  ancienne;  les  travaux  byzantins,  d’ailleurs  remar- 
quables, qui  passaient  pour  constituer  la  Géométrie  de  Héron, 
ne  pouvaient  donner  aucune  idée  de  l’œuvre  vraie  du  grand 
homme.  Ces  Métriques  ont  été,  de  l’avis  de  R.  Tannery,  la  publi- 
cation documentaire  la  plus  importante  faite  depuis  deux  siècles 
pour  l’histoire  de  la  .Mathématique  grecque,  — sauf  peut-être  la 


VARIÉTÉS 


603 


très  récente  publication  (1907)  de  VEphodikon  d’Archimède, 
cette  œuvre  géométrique  dont  le  titre  assez  vague  nous  était 
seul  connu,  cité  à plusieurs  reprises  en  ces  mêmes  Métriques  (1), 
et  dont  le  texte  grec  vient  d’être  retrouvé,  tà  Constantinople 
encore,  et  d’être  publié  dans  I’Hermès  par  Heiberg. 

Au  sujet  de  Diophante  (:2),  la  question  du  symbolisme  algébrique 
employé  par  le  Père  de  l’Algèbre  est  obscure.  On  tait  malaisé- 
ment le  partage,  dans  l’invention  des  notations,  de  ce  qui  est  dû 
au  génie  de  l’auteur  et  de  ce  qui  est  le  fait  de  l’esprit  abréviateur 
des  copistes  successil's,  d’autant  plus  que  le  manuscrit  le  plus 
ancien  des  Arithmétiques,  celui  de  Madrid,  ne  date  que  du 
XIII®  siècle.  Le  manuscrit  du  Vatican  ne  remonte  pas  au  delà 
du  XV®.  — Le  symbole  de  soustraction  êi  est  l’initiale  déformée 
du  mot  XiTTovieç  (diminués  de...).  — 11  n’est  pas  improbable,  au 
jugement  même  de  P.  Tannery,  l’éditeur  critique  de  l’œuvre 
diopbantine,  que  le  Pionysios  à qui  Diophante  dédie  ses  Arith- 
métiques soit  un  certain  évêque  Denys,  ami  des  sciences,  comme 
l’étaient  plusieurs  évêques  de  ce  IV®  siècle. 

Hypatia  d’Alexandrie  commenta  les  six  premiers  livres  de  Dio- 
phante. Elle  appartient  à l’âge  des  commentateurs  et  des  compi- 
lateurs, ère  de  décadence  de  la  science  mathématique  et  de  la 
pensée  philosophique.  M.  R.  Bail  nous  rappelle  que  la  belle 
païenne  « fut  assassinée  à l’instigation  des  chrétiens  en  415  »,  et 
ouvre  à son  propos  une  de  ses  fréquentes  et  désagréables  digres- 
sions sur  l’hostilité  entre  l’Église  et  la  science.  Nous  pensions  qu’à 
l’appui  du  fait  l’auteur  citerait  comme  références  soit  VHistoire 
de  Socrate  et  le  Lexique  de  Suidas,  soit  même,  malgré  sa  nulle 
valeur  scientitique,  le  pamphlet  écrit  il  y a trente  ans  par 
Draper,  Les  Conflits  de  la  Science  et  de  la  Religion,  qui  semble,  à 
en  juger  par  certaines  thèses  de  M.  R.  Bail,  être  son  livre  de  che- 
vet ; il  se  contente  de  renvoyer  au  roman  Hypatie  de  Kingsley. 
Autant  vaut  renvoyer  à l’opéra  de  Scribe  le  lecteur  qui  s’informe 
de  l’exacte  vérité  sur  l’histoii'e  des  Huguenots.  L’épisode  regret- 
table d’Hypatia,  périssant  dans  un  mouvement  de  la  populace 
contre  le  gouverneur  Oreste,  appartient  à ce  dangereux  tournant 

(1)  Le  titre  complet  de  l’ouvrag-e  retrouvé  est  ; ’Apxinnbouç  irepi  tüùv 
prixaviKoiv  0eaipr|,udTii)v  Trpôç  ’EpaTooOevriv  éqpoboç.  Heiberg  et  Zeutheii 
viennent  d’en  publier  une  traduction  allemande  commentée,  dans  Hibliotheca 
-M.\thematic.\.  d’Enestrom. 

(2)  Les  Éléments  d’Euclide,  les  Coniques  d’.-Vpollonius  et  les  Arithmétiques 
de  Diophante  constituant  trois  ouvrages  capitaux  dans  l’histoire  de  la  pensée 
et  de  la  méthode  mathématiques,  il  convient  de  signaler  aux  lecteurs  français 
les  analyses  très  méditées  de  ces  trois  œuvres  dans  ['Histoire  des  Mathéma- 
tiques (Paris,  1902,  traduction  de  Jean  Mascart)  de  Zeuthen. 


604 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


de  l’histoire  où  se  livrèrent  des  luttes  parfois  sanglantes  entre 
riicllénisme  orgueilleux  et  furieux  et  le  césarisme  ombrageux  et 
violent,  où  1e  paganisme  éperdu  luttait  pour  la  vie  contre  le 
christianisme  devenu  d’opprimé  triomphant,  et  où  les  évêques 
eurent,  au  risque  de  leur  vie,  à accomplir  une  œuvre  de  salut 
social  contre  des  rites  [)aïens  absurdes  et  souvent  abominables. 
Au  sujet  de  cette  période  agitée,  renvoyons  le  lecteur  non  à des 
romanciers,  mèmi'  sérieux  comme  Kingsley,  mais  à des  histo- 
riens : à L.  Ducbesne,  dont  VlJistoire  ancienne  de  l’Église 
(t.  II,  l!)l)7)  raconte  ce  début  tourmenté  du  V'  siècle;  à P.  Allard, 
auteur  du  beau  livre  Le  Christianis)ne  et  l’Empire  romain; 
entin,  quant  à l’épisode  spécial  d’Hypatia,  au  F.  Cb.  De  Smedt, 
(pii,  en  1871),  a enrichi  la  présente  Revue,  alors  naissante,  d’une 
très  autorisée  et  inoubliée  étude  sur  L’Eglise  et  la  Science.  Que 
la  tière  llypatia  ail  péri  dans  une  de  ces  rixes  sanglantes  que  sou- 
levaient de  temps  en  temps  [larmi  le  bas  peuple  les  passions  reli- 
gieuses, le  docte  hollandisle  ne  le  conteste  point.  Ce  ([u’il  alfirme 
hautement,  c’est  qu’on  n’est  point  fondé  à mettre  le  meurtre 
de  la  femme  philosophe  et  mathématicienne  sur  le  compte  de  la 
haine  de  l’Eglise  pour  la  science.  Et  cette  accusation  est  d’autant 
moins  fondée,  ajouterons-nous,  ipi’à  celte  même  époque  toute 
■Mexandrie  s’émei  veillait  tour  cà  tour  de  l’érudition  de  l’évêque 
Théophile,  de  la  science  éloquente  de  son  successeur  l’évêque 
Cyrille,  du  savoir  encyclopédique  de  Didyme  l’Aveugle,  du  génie 
poétique  et  des  doctrines  platoniciennes  de  Synésius,  Tadmi- 
rateur  de  cette  même  llypatia  et  le  futur  évê(pie  de  Ptolémaïs. 
A cette  im'une  époque  encore,  tout  l’Orient  entendait  les  saints 
évêques  Basile  de  Césarée  et  Grégoire  de  Nazianze  se  joindre  à 
saint  Cyrille  d’Alexandrie  pour  recommander  aux  chrétiens 
l’étude  des  (jeuvres  littéraires,  scientiliques  et  philoso[)hiques 
des  païens. 

.M.  U.  Rail  admet  volontiers  aussi  la  destruction  par  les  chré- 
tiens, vers  891  sans  doute,  de  la  Bibliothèque  universitaire 
d’.Vlexandrie.  Ce  fameux  incendie  de  la  Bibliothèque  du  Sérapéion 
est  une  de  ces  erreurs  historiques  qu’il  devient  fastidieux  de 
réfuter.  Le  P.  De  Smedt,  dans  l’étude  citée  tantcït  (Rev.  des 
Quest.  Scient.,  1871),  1,  pp.  109-1  Ri),  a excellemment  résumé  pour 
nos  lecteurs  la  savante  et  complète  l'étïitation  donnée  il  y a un 
demi-siècle  par  l’ahbé  Gorini  (1).  Ajoutons,  quoique  l’honneur  du 

(1)  (ioriiii,  Défense  de  rÉf/lise,  t.  I,  pp.  (ü-t07  (t'''^  édit.).  La  simple  destruc- 
tion par  ordre  irnpériat  du  sanctuaire  de  Séra])is  dans  rimmense  et  splendide 
Sérapéion  fjui  dominait  la  ville,  s’accomplit  sans  nul  siège  et  nul  assaut  du 


VARIÉTÉS 


()05 

Croissant  musulman  nous  touclm  peu,  que  l’immense  autodafé 
similaire  attribué  aux  Arabes  lors  du  sac.  d’Alexandrie  en  641  est 
plus  douteux  que  M.  R.  Bail  ne  le  pense  : il  n’est  garanti  que  par 
le  tardif  témoignage  de  deux  ou  trois  historiens  du  XllR  siècle. 
Quant  au  mot  historique  placé,  en  cette  occasion  et  en  quelque 
autre  encore,  sur  les  lèvres  du  calife  Omar,  il  appartient  à la  riche 
collection  des  mots  purement  légendaires. 

M.  R.  Rail  est,  ailleurs,  plus  juste  pour  l’Église.  Par  exemple, 
il  salue  volontiers  Boèce,  Cassiodore  et  les  moines  d’Occidenl. 
Peut-être  y met-il  trop  de  réserve  : Boèce  et  Cassiodore  méritent 
plus  ample  hommage,  l’im  le  dernier  des  philosophes  anciens 
et  le  premier  des  philosophes  scolastiques  ou  du  moins  l’un  de 
leurs  principaux  éducateurs,  l’autre  iixant  dans  son  üe  Artibus 
ac  Disciplinis  liberalium  littemrum  l’enseignement  qui  sera 
suivi  durant  le  moyen  âge,  tous  deux  consacrant  à l’Arithmétique 
et  h la  Géométrie  des  pages  très  médiocres  et  très  courtes  sans 
doute,  mais  les  seules  qui  traverseront  les  longs  siècles  troublés. 

R se  désole  de  la  fermeture  par  le  décret  de  Justinien,  en  5'20, 
de  l’École  d’Athènes,  dernier  refuge  de  la  pensée  et  de  la  science 
hellènes;  mais  il  devrait  reconnaître  la  stérilité  de  cet  hellé- 
nisme, qui  venait  d’agoniser  durant  deux  siècles  et  demi  dans 
le  néo-platonisme  et  le  néo-pythagorisme.  Du  reste,  nous  lui 
signalerons  une  intéressante  coïncidence  de  date  : en  cette  même 
année  5:29,  où,  en  Orient,  un  décret  impérial  fermait  l’Univer- 
sité d’Athènes  (1),  un  moine  d’Occident  fermait  le  dernier  temple 
païen  ouvert  en  Italie,  le  temple  d’Apollon,  sur  le  Mont-Cassin, 
et  y fondait  un  Oi'dre  qui  devait  sauver  dans  les  temps  de  trou- 
bles les  débris  des  sciences  et  des  lettres  païennes  et  fournir  de 
nombreux  et  illustres  champions  à la  science  chrétienne. 

Au  sujet  des  Mathématiques  aux  Indes,  M.  R.  Rail  passe  sous 
silence  l’intéressante  période  primitive  de  la  Géométrie  hindoue. 
Cependant  cette  période  commence  à n’être  plus  de  la  préhistoire, 

temple,  et  ii’eiitraiiia  la  ruine  ni  du  reste  du  temple  et  de  ses  dépendances  ni 
de  la  Bibliothèque.  Le  seul  texte  invoqué  sont  quelques  mots  mal  compris  du 
voyageur  espagnol  Orose,  qui,  écrivant  en  410,  rappelle  la  destruction  de  la 
Bibliothèque  du  Brucbium,  arrivée  48  ans  avant  .Jésus-Christ  : le  Bruchium  fut 
malheureusement  atteint  par  l’incendie  de  la  flotte  égyptienne  allumé  sur 
l’ordre  de  Jules  César  par  les  soldats  romains. 

(1)  Tout  en  observant  cette  même  coïncidence  de  date,  Krund)acher  dans 
l’ouvrage  capital  Gescliichte  (1er  Dijzantinischen  Litteratur,  Munich,  2®  édi- 
tion, 1897,  pp.  5 et  428,  ci  oit  que  la  fermeture  de  l’École  d’.\thènes  a fait  peu 
de  tort  aux  intérêts  île  la  pensée  philosophique  déjà  mourante  et  rappelle 
l’obscurité  qui  continue  à envelopper  l’histoire  de  ce  décret  impérial. 


GUG 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


grâce  aux  recherches  de  G.  Thibaut  (1875)  et  plus  récemment  de 
von  Schroeder,  de  ilürk  et  de  H.  Vogt.  Les  Sulimutras  ou  Pré- 
ceptes du  cordeau,  qui  codilieiit  les  règles  à suivre  par  les 
brahmanes  pour  la  construction  et  rorientation  des  autels, 
montrent  chez  les  auteurs  de  cette  Géométrie  rituelle,  Baud- 
hayana,  Apastamba  et  Katyana,  des  connaissances  que  Pytha- 
gore  eût  enviées.  Ils  connaissaient,  comme  lui  et  peut-être  long- 
temps avant  lui,  la  propriété  du  carré  de  l’hypoténuse  : ils 
résolvaient  les  triangles  rectangles  en  nombres  entiers  : 3,  i,  5; 
5,  1:2,  13;  8,  15,  17;  etc.  Ils  trouvaient  poiu'  rirratiomielle 
cette  valeur  approchée  : V'2  = l Apastamba  disait 

que  le  cercle  vaut  à peu  près  un  carré  ayant  pour  côté  les  13/15 
du  diamètre.  Cette  science  des  Hindous  paraît  autochtone  : les 
Grecs  n’avaient  pu,  semhle-t-il,  être  leurs  initiateurs  à cette 
époque. 

Pour  les  périodes  ultérieures  de  la  Mathématique  hindoue, 
résumées  dans  les  trois  noms  célèbres  d’Aryabhàta  (VP  s.),  de 
Brabma  Gupta  (YIP  s.)  et  de  Bhaskara  Acharya(XlP  s.),  et  que 
•M.  U.  Bail  expose  sullisamment,  il  eiit  été  bon  de  constater  ce 
que  llankel  ignorait  en  187-4,  tà  savoir  que  toute  la  science 
des  Hindous  représentée  par  ces  savants  classiques.  Astronomie, 
Géométrie  et  même  Algèbre,  a son  point  de  départ  dans  la  science 
grecque  (1). 

(A  suivre.)  B.  L. 


(1)  Si  .Vryabhiita  (470-550)  donne  pour  tt  la  valeur  ^iQjjQQ  > ou  3,1410, 
sans  avoir  connu  les  écrits  ilArchirnède  (car  il  attribue  à la  sphère  le  volume 

r = \ it  ’ H^),  il  doit  cette  connaissance  de  tt  à une  source  grecque,  peut-être 
à -Vpollonius;  car  il  l’obtient,  comme  .\pollonius,  en  appliquant  la  méthode 
arcbimédienne  des  polygones  réguliers  poussée  jusqu’au  polygone  de  384  côtés. 


VARIÉTÉS 


(3U7 


11 

LES  TExMPÈTES 

DANS  LA 

PROVINCE  MARITIME  DU  FOU-KIEN  (Chine) 


Plusieurs  savants  ont  exprimé  le  désir  de  voir  recueillir  des 
séries  d’observations,  s’étendant  au  plus  grand  nombre  d’années 
possible.  Le  même  vœu  a été  émis  au  congrès  d’inspruck  en  sep- 
tembre 1905. 

Nous  avons  pensé  qu’il  y aurait  intérêt  à chercher,  dans  les 
annales  de  la  Chine,  célèbres  par  leur  antiquité,  les  vestiges  des 
tempêtes  qui  ont  visité  l’une  des  provinces  maritimes  les  plus 
exposées  aux  ravages  des  typhons.  Le  R.  P.  Pierre  Hoang, 
prêtre  du  clergé  de  Nankin,  travailleur  intatigable,  a hien 
voulu  compulser  les  annales  otiicielles  de  la  province  du  Fou- 
kien,  dont  la  préfecture  est  Eou-tcheou,  et  nous  publions  le  résul- 
tat de  ses  recherches.  Nous  nous  sommes  contentés  de  traduire 
en  français  son  texte  latin,  et  de  déterminer,  d’après  la  descrip- 
tion des  annales,  le  genre  de  chaque  tempête  (coup  de  vent,  tor- 
nade, typhon,  etc.). 

11  est  clair  que  la  liste,  qui  embrasse  une  période  de  huit  cent 
trente-quatre  années  (de  l’an  978  à l’an  1811  de  l’ère  moderne), 
ne  saurait  être  donnée  comme  complète.  Rien  des  cas,  sans  doute 
fort  intéressants  au  point  de  vue  météorologique,  ont  été  néces- 
sairement laissés  dans  l’ombre,  le  but  de  l’annaliste  n’étant  que  de 
rapporter  les  désastres  dignes  d’être  signalés  cà  la  postérité.  Tout 
au  plus  peut-on  croire  que  nous  avons  là  une  énumération  assez 
exacte  des  grands  typhons,  surtout  à partir  de  l’an  IVtlJ,  où  les 
cas  commencent  à se  faire  plus  nombreux. 

11  semble  impossible  de  déduire  quelque  loi  météorologique 
d’un  pareil  document.  Nous  nous  contenterons  de  réunir,  mois 
par  mois,  les  typhons  proprement  dits,  pour  en  déduire  une 
courbe  de  la  variation  annuelle.  Voici  le  résultat. 


Mois.  Janv.  Févr.  Mars.  Avr.  Mai.  Juin.  Juill.  Août.  Sept.  Oct.  Nov.  Déc. 

Typhons.  0 0 0 0 2 0 U “23  “23  7 3 0 


REVUE  DES  QUESTR)NS  SCIENTIFIQUES 


(iü8 

Les  cliiiïres  de  ce  talileau  ont  servi  à construire  la  courbe  ci- 
jointe  (fig.  1).  La  comparaison  de  ce  diagramme  avec  les  conclu- 
sions d’nne  étude  sur  les  tempêtes  modernes,  ne  manquera  pas 
d’intéresser  le  lecteur.  La  courbe  tracée  en  pointillé  représente  les 
sommes  mensuelles  de  tvpbons,  relevées  en  Extrême-Orient  par 
le  R.  W .1  osé  Algné,  directeur  de  l’Observatoire  de  Manille,  pour 
la  période  1880-11)0:2.  Malgré  des  dillérences  de  détail,  il  y a un 
parallélisme  manifeste  (‘litre  les  résultats  des  vieilles  annales  de 
(’iliine,  et  ceux  des  observations  modernes,  dont  les  moyens  per- 
léctionnés  ne  laissent  guère  écbapper  de  typbon  inaperçu,  le  long 


Fig.  I. 


des  côtes  de  l’Extrême-Asie.  Il  y a lieu  de  remaripier  que  la  dif- 
férence est  surtout  notable  durant  les  mois  d’biver  ; la  liste  de 
Manille  note  des  typhons  pour  tous  les  mois  de  l’année,  tandis 
que  les  annales  du  Eou-kien  n’en  signalent  aucun  de  la  fin  de 
novembre  au  commencement  de  mai.  Toutefois  la  différence  est 
plus  apparente  que  réelle,  car  le  R.  P.  Algué  note  tous  les 
typhons,  tandis  que  l’annaliste  chinois  ne  s’occupe  que  de  ceux 
du  Fou-kien.  Or,  les  typhons  des  mois  froids  se  tiennent  généra- 
lement au  sud  du  canal  de  Eormose  ou  à l’est  des  Ryû-kyù; 
même  à l’époque  actuelle  on  n’en  voit  pas,  durant  la  saison  d’hi- 


VARIÉTÉS 


609 


ver,  entre  Swatow  et  Wen-tcheou,  de  sorte  que  si  l’on  prenait  la 
peine  de  choisir,  parmi  les  typhons  cites  par  le  R.  P.  Algue, 
ceux-là  seuls  qui  viennent  aborder  au  Fou-kien,  il  est  fort  pro- 
bable que  les  deux  courbes  se  ressembleraient  encore  plus. 


Une  dernière  remarque  sur  le  nombre  des  typhons.  La  diffé- 
rence entre  les  documents  anciens  et  les  modernes  ne  vient  pas 
d’une  variation  des  lois  de  la  nature,  mais  de  la  marche  croissante 
de  nos  informations.  A mesure  que  de  nouvelles  stations  se 
créent,  le  champ  de  nos  études  s’élargit,  la  navigation  multiplie 
ses  voyages,  et  les  commandants,  observateurs  volontaires, 
IIR  SÉRIE.  T.  XII.  39 


610  , REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


deviennent  chaque  jour  plus  nombreux.  De  là  vient  que,  tandis 
que  de  J 880  à 190'â  on  trouve  une  moyenne  annuelle  de  21,3 
typhons,  la  période  1890-1901,  plus  récente,  en  donne  24,6  : 
jadis  plusieurs  cas,  égarés  au  large,  sur  le  Pacifique,  passaient 
inaperçus,  aujourd’hui  ils  ne  peuvent  se  produire  sans  être 
signalés.  11  est  probable  cependant  que  nous  approchons  de  la 
limite,  et  que  la  fondation  des  stations  météorologiques  des  Caro- 
lines,  des  Marianes  et  des  Bonin,  nous  mènera  à un  total  annuel 
de  trente  cyclones  environ,  en  nous  bornant  au  bassin  compris 
entre  ces  îles  et  le  continent  asiatique,  et  en  ne  comptant  que  les 
typhons  proprement  dits. 


N“ 

ANNÉE 

MOIS 

DATE 

LOCALITÉ 

ESPÈCE 

INTENSITÉ 

1 

978 

? 

? 

Hing-hoa 

typhon 

arbres  et  maisons  renversés. 

2 

983 

10,  IX-8,  X 

? 

Hing-hoa 

typhon 

arbres  et  maisons  renversés. 

3 

983 

10,  lX-8,  X 

? 

T’suen-tcheou 

fort  vent 

4 

1005 

7,  IX-5,  X 

? 

Fou-tcheou 

typhon 

habitations  du  littoral  détruites. 

5 

1025 

mars 

3 

T’chong-ngan 

orage 

vent,  tonnerre  et  pluie. 

6 

1069 

28,  Vlll-17,  IX 

? 

T’suen-tcheou 

fort  vent 

raz  de  marée  dévastateur. 

7 

1090 

? 

9 

Hing-hoa 

typhon 

désastreux  : plus  de  10000  morts. 

8 

1093 

? 

? 

Fou-tcheou 

fort  vent 

raz  de  marée  dévastateur. 

9 

1132 

mars 

17 

Kien-ning 

orage 

vent,  grêle,  maisons  abattues,  morts. 

10 

1132 

mars 

20 

Kien-ning 

fort  vent 

maisons  et  moissons  détruites. 

11 

1177 

juin 

28 

Fou-t’sing 

Hing-hoa 

fort  vent 

tempête  de  nuit.  1 

12 

1178 

juillet 

29 

Hing-hoa 

fort  vent 

grande  pluie,  maisons  renversées. 

13 

1183 

septembre 

21 

Tchang-tcheou  fort  vent 

grande  pluie,  maisons  renversées. 

14 

1191 

26, 11-26,  III 

9 

Kien-ning 

orage 

vent,  pluie,  grêle,  maisons  détruites.  ' 

15 

1191 

avril 

20 

Kien-ning 

Kou-t’ien 

orage 

1 

pluie,  grêle,  maisons  etmoissonsdétr. 

16 

1202 

1 

juillet 

25 

'Kien-ning 
' Kien-ngan 

■typhon 

vent,  pluie,  maisons  et  moissons  ruin. 

17 

1380 

juillet 

26 

Min-hien 

fort  vent 

grande  pluie,  maisons  détruites. 

18 

f 

1461 

juin 

26 

1 Tchang-tcheou 
Tchang-pou 

|fort  vent 

pluie,  arbres  déracinés. 

19 

1463 

15,  VIII-12,  IX 

? 

? 

typhon 

vent  violent,  pluie. 

20 

1469 

août 

20 

Fou-ngan 

typhon 

vent  violent,  grande  pluie. 

21 

1483 

juillet 

23 

Fou-tcheou 

typhon 

vent  violent,  maisons  renversées.  ' 

22 

1487 

août 

9 

T’ing-tcheou 

orage 

grand  vent,  tonnerre.  1 

23 

1493 

? 

9 

Hing-hoa 

typhon 

naviresjetés  sur  le  rivage. 

24 

1493 

août 

14 

T’suen-tcheou 

typhon 

maisons  renversées,  navires  englout. 

25 

1497 

août 

9 

Hing-hoa 

typhon 

tonnerre,  pluie,  mais,  et  arbres  renv. 

26 

1501 

août 

17 

Fou-tcheou 

orage 

vent,  tonnerre,  mais,  et  arbres  renv. 

27 

1506 

20,VII-18,VIII 

9 

Ou-p’ing 

fort  vent 

pluie,  maisons  renversées.  [tuiles. 

28 

1514 

mars 

19 

T’chang-lou 

orage 

tonnerre,  grêle,  vent  emportant  les 

29 

1516 

mars 

28 

Sien-yeou 

orage 

la  grêle  tue  quantité  d’animaux. 

30 

1518 

8,  VI-7,  VH 

9 

Fou-tcheou 

fort  vent 

grande  pluie. 

VARIÉTÉS  611 


N“ 

ANNÉE 

MOIS 

DATE 

LOCALITÉ 

ESPÈCE 

INTENSITÉ 

31 

1528 

août 

23 

T’ong-ngan 

typhon 

arbres  déracinés  par  le  vent. 

3“2 

1539 

18,  V-15,  VI 

? 

Fou-tcheou 

typhon 

maisons  renversées. 

33 

1512 

mai 

27 

T’ong-ngan 

fort  vent 

maisons  et  arbres  renversés. 

34 

1549 

mai 

31 

Tchang-tcheou  typhons 

navires  engloutis. 

35 

1560 

25,  V-23,  VI 

? 

Hing-hoa 

orage 

grêle,  arbres  et  maisons  renversés. 

3() 

1563 

9 

? 

Hing-hoa 

typhon 

grande  pluie,  raz  de  marée. 

37 

1565 

avril 

17 

T’ong-ngan 

orage 

vent  violent,  pluie,  tonnerre. 

38 

1566 

19,  \T-16,\T 

? 

Fou-tcheou 

fort  vent 

forte  pluie. 

39 

1567 

5,  VllI-2,  IX 

? 

Ning-té 

typhon 

maisons  et  arbres  renversés. 

4U 

1568 

25,  Vl-23,  VII 

? 

T’chong-ngan 

typhon 

maisons  détruites danslarégion  E.àS. 

41 

1570 

été 

? 

P’ou-t’ien 

orage 

vent,  pluie,  tonnerre,  grêle. 

42 

1570 

juillet 

8 

(note) 

typhon 

dégâts  énormes  (note). 

43 

1590 

juillet 

22 

? 

typhon 

maisons  et  arbres  renversés. 

44 

1596 

24,  VIlI-21,  IX 

? 

Hoei-ngan 

typhon 

45 

1600 

août 

26 

P’ou-t’ien 

typhon 

extraordinaire  (note).  [moissons. 

46 

1603 

septembre 

9 

T’ong-ngan 

typhon 

raz  de  marée  détruisant  maisons  et 

47 

1606 

septembre 

10  • 

iFou-t’cheou 

iT’suen-tcheou 

1 typhon 

beaucoup  de  naufrages. 

48 

1607 

octobre 

18 

T’ing-tcheou 

typhon 

maisons  renversées. 

49 

1608 

12,  \TI-9,  VIII 

? 

P’ou-tcheng 

orage 

vent  violent,  maisons  foudroyées. 

50 

1609 

septembre 

5 

Cheou-ning 

typhon 

tonnerre,  pluie,  vent. 

51 

1609 

septembre 

9 

Fou-tcheou 

typhon 

raz  de  marée  détruisant  maisons  et 

52 

1610 

automne 

? 

Pou-t’cheng 

orage 

(note)  [moissons. 

53 

1611 

10,  VlI-7,  VUI 

? 

Kien-ning 

typhon 

grand  vent,  maisons  renversées. 

54 

1612 

mars 

3 

Fou-tcheou 

fort  vent 

navires  submergés. 

55 

1612 

mai 

12 

Pou-t’ien 

orage 

grêle,  vent,  arbres  brisés. 

56 

1614 

septembre 

8 

Tchang-tcheou  typhon 

arbres  déracinés,  tuiles  emportées. 

57 

1619 

9 

9 

Ngan-k’i 

fort  vent 

grande  pluie. 

58 

1621 

février 

24 

? 

coup  de  vent 

grêle  : chevaux  et  bœufs  tués. 

59 

1626 

? 

? 

Tchang-tcheou  coup  de  vent 

arbres  arrachés,  tourbillons  de  sable. 

60 

1637 

mars 

19 

T’suen-tcheou 

fort  vent 

averses. 

61 

1641 

août 

7 

Fou-tcheou 

typhon 

maisons  renversées,  arbres  déracin. 

62 

1643 

novembre 

11 

Hing-hoa 

typhon  (sic) 

raz  de  marée  ravageant  les  moissons. 

63 

1644 

7,  IV-5,  V 

9 

Chao-ou 

coup  de  vent 

maisons  renversées,  [poussière  noire. 

64 

1649 

février 

19 

9 

orage 

grands  coups  de  foudre,  pluie  de 

65 

1654 

17,  lV-15,  V 

? 

Kien-ning 

orage 

la  nuit,  vent  violent,  grêle. 

66 

1659 

septembre 

16 

Fou-tcheou 

typhon 

maisons  renversées. 

67 

1659 

novembre 

14 

Hing-hoa 

typhon  (sic) 

raz  de  marée  dévastant  les  moissons. 

68 

1663 

8,  IV-6,V 

? 

Kien-ning 

coup  de  vent 

maisons  renversées. 

69 

1664 

juillet 

19 

? 

typhon 

maisons  renversées. 

70 

1667 

21 , VI-20,  VII 

? 

Lien-kiang 

trombe 

(note) 

71 

1670 

octobre 

14 

Tsuen-tcheou 

orage 

vent,  pluie,  coup  de  foudre. 

72 

1673 

12,  Vm-10,  IX 

‘1 

Chang-hang 

typhon 

maisons  renversées. 

73 

1675 

octobre 

4 

Tchao-ngan 

typhon 

maisons  détruites,  arbres  déracinés. 

74 

1678 

juillet 

20 

Hing-hao 

typhon 

maisons  et  arbres  renversés. 

75 

1680 

24,  Vm-22,  IX 

9 

T’suen-tcheou 

typhon 

arbres  déracinés. 

76 

1682 

août 

19 

Keang-tché 

orage 

vent  soulevant  sable,  pluie,  tonnerre. 

612 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


ANNÉE 

MOIS  DATE 

LOCALITÉ 

ESI'ÈCE 

INTENSITÉ 

77 

78 

1687 

1691 

10,  VI-8,  VU 

9 

9 

T’suen-tcheou 
1 T'suen-tcheou 
1 Hoei-ngan 

typhon 
1 typhon 

une  tour  renversée.  , 

[noyés. 

raz  de  marée,  beaucoup  d’habitants 

79 

1691 

août 

8 

Hing-hoa 

typhon 

vent  violent.  [champs  submergés. 

80 

1691 

août 

21 

Hing-hoa 

typhon 

mer  démontée,  navires  engloutis. 

81 

1691 

22,  IX-20,  X 

9 

Formose 

typhon 

maisons  renversées,  navires  englout. 

8'2 

1701 

? 

9 

P’ing-hou 

trombe 

(note) 

83 

1709 

? 

9 

Tcbang-tcheou  fort  vent 

maisons  renversées.  [engloutis. 

84 

17H) 

août 

29 

Tchang-p’ou 

typhon 

mer  démontée  : plus  de  2000  habitants 

85 

1715 

7 

9 

Formose 

orage  ? 

grand  tremblement  de  terre. 

86 

1718 

automne 

9 

Tchao-ngan 

typhon 

grandes  pluies. 

87 

1721 

octobre 

8 

Formose 

typhon 

maisons  renversées. 

88 

1722 

13,V11-I1,\TI1 

9 

T’suen-tcheou 

typhon 

moissons  dévastées. 

89 

1724 

juin 

30 

T’chang-t’ai 

typhon 

moissons  dévastées. 

90 

1728 

juin 

8 

Pou  t’ien 

typhon 

(note) 

91* 

1731 

septembre 

4 

Long-k’i 

tornade? 

arbres  déracinés, maisons  renversées. 

92 

1733 

10,  Vm-7,  IX 

9 I 

l l’ou-ngan 
f Ning-té 

1 typhon 

maisons  et  arbres  renversés. 

93 

1737 

9 

9 

Koei-hoa 

orage 

grêle. 

94 

1737 

septembre 

9 

( F’ou-tcheou 
f Ning-té 

1 typhon 

vent  violent,  la  nuit. 

95 

1740 

juillet 

15 

Formose 

typhon 

vent  violent,  grande  pluie. 

96 

1743 

26, 1-23,  II 

9 

Hing-hoa 

fort  vent 

maisons  renversées. 

97 

1745 

27,  VIII-  25,IX 

9 

Ile  P’ong-hüu 
(Pescailores) 

typhon 

vent  violent: 

98 

1748 

9 

9 

Hoei-ngan 

fort  vent 

99 

1748 

mai 

10 

P’ou-t’ien 

coup  de  vent 

grande  pluie. 

100 

1748 

mai 

29 

T’chang-t’ai 

orage 

tonnerre,  maisons  et  arbres  renvers. 

101 

1749 

mars 

10 

Hing-hoa 

coup  de  vent 

102 

1750 

4,\Ti-i,  vm 

9 

Kien-ning 

typhon? 

103 

1750 

2,VHI-31,MII 

9 

Ning-té 

typhon? 

vent  violent. 

104 

1750 

septembre 

9 

l Formose 
(T’chang-hoa 

1 typhon 

maisons  renversées. 

105 

1750 

30,  IX-29,  X 

? 

Kien-ning 

fort  vent 

106 

1751 

septembre 

1 

Fou-ngan 

typhon 

maisons  submergées. 

107 

1752 

9 

? 

T’ong-ngan 

fort  vent 

108 

1752 

9,  vm-  7,IX 

? 

Formose 

typhon 

vent  de  feu,  brûlant  arbres  et  herbes. 

109 

1752 

septembre 

10 

P’ou-t’ien 

typhon  ? 

110 

1753 

28,Vm-26,IX 

9 

Formose 

typhon 

111 

1754 

juin 

8 

Tchang-tcheou  typhon 

grande  pluie  (note). 

112 

1754 

juillet 

12 

P’ou-t’ien 

typhon 

tempête  de  7 jours  ; arbres  déracinés. 

113 

1754 

septembre 

28 

P’ou-t’ien 

typhon 

mer  démontée  (raz  de  marée?). 

114 

1754 

16,  X-13,  XI 

? 

Formose 

typhon? 

vent  violent. 

115 

1758 

1,XI-31,XI 

9 

Formose 

typhon? 

tempête,  pluie,  pendant  3 jours. 

116 

1760 

juillet 

12 

Nan-p’ing 

typhon 

arbres  déracinés. 

117 

1772 

30,  vn-27,  vm 

9 

Formose 

tornade? 

(note) 

118 

1790 

12,  \Ti-9,  vm 

9 

Fou-tcheou 

tornade? 

vent  violent,  pluie. 

119 

1811 

août 

6 

Fong-chan 

tornade? 

(note) 

VARIÉTÉS 


613 


JSotes  sur  les  Tempêtes  dans  le  Fou-Kien 

N®  d’ordre 

6 Cette  tempête  (probablement  un  typhon)  amena  une  marée 
qui  renversa  les  maisons  et  dévasta  les  moissons. 

12  11  y eut  un  grand  nombre  de  personnes  noyées. 

2b  Le  même  orage  (probablement  typhon)  avec  grand  vent  et 
pluie,  dura  trois  jours  à T’chang-t’ai  et  à Nan-t’sing. 

87  Cet  orage  fut  accompagné  de  ténèbres  aussi  profondes  que 
celles  de  la  nuit,  qui  survinrent  subitement  à 2 heures 
de  l’après-midi. 

■42  Le  typhon  se  fit  sentir  dans  les  cinq  sous-préfectures 
de  Long-k’i,  Tchang-pou,  T’chang-t’ai,  Nan-t’sing  et 
P’ing-ho  : le  vent  fut  violent,  la  pluie  diluvienne,  de 
nombreuses  maisons  furent  submergées  et  dévastées. 

■48  Le  fort  de  la  tempête  sévit  de  6 heures  à 8 heures  du  matin. 

45  Ce  typhon  dura  sans  trêve  pendant  cinq  jours  et  cinq 
nuits  : vent  extraordinaire,  pluie  énorme  détruisant  les 
maisons  et  renversant  les  ponts.  Le  24  et  le  25  août,  à 
Lien-kiang,  le  typhon  déracina  les  arbres  et  renversa 
les  habitations;  le  26  et  les  trois  jours  et  trois  nuits  qui 
suivirent,  un  raz  de  marée  envahit  les  maisons;  le  même 
jour,  à Fou-ngan,  typhon  et  pluie  diluvienne. 

50  La  tempête  dura  quatre  jours  et  quatre  nuits. 

52  « Vers  midi,  un  vent  violent  se  leva  soudain,  près  de  l’em- 
placement des  exercices  militaires;  l’eau  d’un  étang  (?) 
soulevée  en  l’air  à la  hauteur  de  50  pieds,  vint  en  tour- 
noyant couvrir  une  surface  de  plusieurs  arpents  ; cette 
pluie,  d’abord  de  couleur  blanche,  tourna  au  vert,  puis 
au  rouge,  enfin  elle  parut  de  feu  pendant  un  assez  long 
espace  de  temps.  » 

55  Les  grêlons  attinrent  la  grosseur  du  poing;  vent  violent, 
pluie,  les  arbres  furent  brisés,  et  les  tuiles  des  maisons 
emportées. 

60  Le  vent  sévit  avec  violence  de  8 heures  du  matin  à 4 heures 
du  soir;  il  y eut  de  grandes  pluies  durant  trois  jours. 

70  Sur  l’étang  Kin-tsong  surgit  un  grand  vent,  soulevant  de 
fortes  vagues;  un  dragon  s’éleva,  allant  de  l’occident 
vers  le  nord. 

74  Le  soir,  à 8 heures,  le  vent  se  leva,  venant  du  nord-ouest, 

et  la  terre  fut  éclairée  d’une  lumière  de  feu. 

75  Très  grandes  pluies.  On  vit  dans  l’air  une  lumière  de  feu, 

semblable  à la  foudre. 

82  De  l’étang  Koan-K’i  s’envola  un  dragon,  à la  suite  de 


614 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


noires  nuées  : l’étang  et  (toutes  les  pièces  d’eau)  du  voi- 
sinage, à 10  ly  à la  ronde,  furent  mis  à sec.  Les  animaux 
et  les  hommes  forent  entraînés  dans  les  airs,  et  retom- 
bèrent à quelque  distance  de  là. 

87  Le  ciel  fut  vu  complètement  rouge. 

90  Pendant  six  jours,  du  rivage  de  la  mer  le  sable  fut  emporté 

par  le  vent,  et  vint  ensevelir  les  champs  et  combler  les  puits. 

91  Apparition  d’un  dragon. 

100  La  force  du  vent  fait  voler  des  pierres. 

111  Les  ravages  furent  encore  plus  grands  à Nan-t’sing  et 
P’ing-hou  : les  maisons  furent  submergées. 

117  A Formose,  par  un  ciel  serein.  Soudain  on  vit  surgir  des  nuées 

noires  des  quatre  vents  du  ciel;  des  dragons,  grands  et 
petits,  apparurent  en  grand  nombre,  puis  subitement  se 
leva  un  vent  violent,  avec  pluie,  qui  dura  toute  la  nuit. 

118  Apparition  d’un  dragon. 

119  Sur  la  mer  Orientale,  tout  à coup,  se  lèvent  quelques  étin- 

celles (?),  surnageant  et  s’élevant  en  l’air;  elles  devinrent 
alors  innombrables  et  produisirent  un  grand  vent  : cha- 
leur excessive,  récoltes  brûlées. 

REMARQUES 

[A] .  La  plupart  du  temps  l’espèce  des  tempêtes  a été  déter- 
minée par  le  sens  du  mot  chinois  employé  par  l’annaliste.  En  un 
certain  nombre  de  cas  cependant,  les  détails  mis  en  note  ont  fait 
juger  qu’il  s’agissait  d’un  typhon  bien  caractérisé.  Les  simples 
orages  concernent  en  général  des  villes  de  l’intérieur. 

[B] .  Certaines  tempêtes  ne  se  rapportent  pas  à une  date  pré- 
cise : c’est  que  l’annaliste  a simplement  cité  la  lune  chinoise. 
Dans  ce  cas  nous  donnons  les  dates  européennes  coïncidant  avec 
le  début  et  la  lin  de  cette  lunaison.  Faisons  remarquer  que  pour 
cette  question  de  la  détermination  des  dates,  le  R.  R.  P.  lloang 
est  une  autorité  très  sûre. 

[G].  Le  nom  de  Formose  inséré  dans  les  listes,  rappelle 
l’époque  où  cette  île  faisait  administrativement  partie  de  la 
province  de  Fou-kien. 

[D].  Le  lecteur  interprétera  lui-même  certains  termes  des 
notes  qui  précèdent  : ainsi  il  est  clair  que  les  dragons  devaient 
être  des  nuées  se  tordant  dans  la  forme  bien  connue  des 
trombes,  etc.  L.  F.,  S.  J. 


BIBLIOGRAPHIE 


I 

Robertü  Bonola.  La  geometria  non-euclidea.  Esposizione 
storico-critica  del  suo  sviluppo  con  69  figure.  Bologna,  Ditta 
Nicola  Zanichelli,  1006.  In-S”,  de  viii-216  pages.  Prix  ; 5 lire. 

M.  B.  Bonola,  bien  connu  de  tous  ceux  qui  s’occupent  de  géo- 
métrie non  euclidienne  comme  auteur  de  notes  savantes  sur  la 
matière  et  surtout  de  travaux  consciencieux  et  complets  sur  la 
bibliographie  y relative,  fait,  dans  le  volume  dont  nous  venons 
de  transcrire  le  titre,  un  exposé  à la  fois  historique  et  critique  du 
développement  de  cette  partie  de  la  science.  Nous  allons  en  ana- 
lyser les  divers  chapitres  en  signalant  ce  qui  nous  y frappe  sur- 
tout et  en  indiquant  aussi  les  endroits  où  nous  ne  sommes  pas 
d’accord  avec  l’auteur. 

I.  Les  essais  de  démonstration  du  cmquième  postulat  d’Euclide 
(pp.  1-19).  1 . Comme  on  le  sait,  Euclide  (300  ans  avant  J.-C.)  base 
la  théorie  des  parallèles  (définies  comme  droites  d’un  plan  qui 
ne  se  rencontrent  pas),  sur  le  postulat  des  trois  droites  : Deux 
droites  d’un  plan  coupées  par  une  troisième  avec  laquelle  elles 
font,  d’un  côté,  des  angles  intérieurs  dont  la  somme  est  moindre 
que  deux  droits  se  rencontrent  de  ce  côté. 

Posidonius  (I"  siècle  avant  J. -G.),  pour  éviter  le  postulatum 
d’Euclide,  propose  d’appeler  parallèles  deux  droites  d’un  plan 
qui  sont  équidistantes;  cette  définition  implique  ce  nouveau 
postulat  que  l’équidistante  d’une  droite  est  une  droite.  Geminus 
(I"  siècle  avant  J. -G.)  remarque  d’ailleurs  qu’il  existe  des 
courbes,  telles  que  l’hyperbole  et  la  conchoïde,  qui,  prolongées 
indéfiniment,  ne  rencontrent  pas  une  droite,  savoir  leur  asymp- 
tote : L’asymptote  et  l’hyperbole  sont  parallèles  dans  le  sens 
d’Euclide,  elles  ne  le  sont  pas  dans  le  sens  de  Posidonius.  L’équi- 
distance et  le  parallélisme  ou  la  non-rencontre  de  lignes  prolon- 
gées indéfiniment  ne  sont  donc  pas  des  propriétés  équivalentes. 


616 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Geminus  trouve  d’ailleurs  que  l’existence  des  asymptotes  est  le 
fait  le  plus  paradoxal  de  toute  la  géométrie  (J). 

Ptolémée  (IP  siècle  ap.  .l.-C.)  établit  la  théorie  des  parallèles 
en  partant  du  postidat  suivant  : Si  deux  droites  qui  ne  se 
rencontrent  pas  faisaient,  d’un  côté,  avec  une  transversale  des 
angles  dont  la  somme  est  supérieure  à deux  droits,  il  en  serait  de 
même  de  l’autre  côté.  IVoclus  (410-485)  (à  qui  sont  dus  les  ren- 
seignements précédents  sur  Posidonius,  Geminus,  Ptolémée), 
admet  que  la  distance  de  deux  parallèles  est  toujours  finie  et  en 
déduit  le  postulatum. 

Malgré  cela,  Proclus  suppose  en  deux  endroits  différents  de  son 
commentaire  du  premier  livre  d’Euclide,  qu’il  n’est  pas  impos- 
sible qu’il  y ait  des  droites  asymptotes  l’une  de  l’autre  : deux 
droites  coupées  par  une  transversale  avec  laquelle  elles  forment 
des  angles  internes  dont  la  somme  est  inférieure  à deux  droits 
pourraient  ne  pas  se  rencontrer,  bien  que,  1e  segment  de  la  trans- 
versale restant  le  même,  les  droites  se  rencontrassent,  si  la  somme 
des  angles  internes  diminuait. 

Ce  passage  de  Proclus  est  extrêmement  remarquable  parce 
qu’il  montre  que,  contrairement  à la  légende,  les  anciens  n’ont 
pas  admis  la  vérité  absolue  du  postulat  Y d’Euclide. 

D’après  un  commentaire  arabe  d’Al-Nirizi  (IX®  siècle)  sur 
Euclide,  Aganis,  un  ami  de  Simplicius  (VP  siècle),  le  célèbre 
commentateur  d’Aristote,  a établi  la  théorie  des  parallèles  en 
supposant  comme  Posidonius  qu’il  y a des  droites  équidi.stantes. 

2.  Chez  les  Arabes,  on  ne  trouve  rien  d’original  sur  la  question 
des  parallèles,  sauf  chez  Nassireddin  (1201-1274)  qui  admet 
comme  postulat  l’existence  du  rectangle,  c’est-.à-dire  du  quadri- 
latère ayant  les  quatre  angles  droits  et  les  côtés  opposés  égaux. 
11  en  déduit  aisément  le  postulatum  d’Euclide. 

3.  A la  Renaissance  et  au  XYIP  siècle,  Commandin  (1509- 
1575),  Clavius  (1537-1612),  Cataldi  (‘M548-1026),  Borelli  (1608- 
1679),  Giordano  Vitale  (1633-1711),  admettent  tous  au  fond  le 
postulat  de  Posidonius;  mais  le  dernier  le  restreint,  car  il  par- 
vient à le  prouver  si  trois  points  seulement  d’une  droite  sont  à la 
même  distance  d’une  troisième.  — Wallis  (1616-1713)  démontra 
le  postulatum  d’Euclide  en  en  admettant  un  plus  compliqué  et 
contenant  des  conditions  supertlues  : il  existe  des  triangles  sem- 


(1)  Aujourd’hui  encore,  l’asymptotisme  paraît  très  singulier  aux  commen- 
çants et  bien  des  géomètres  de  profession,  débutant  en  géométrie  non  eucli- 
dienne, trouvent  aussi  très  paradoxal  le  théorème  de  Saccheri  : Deux  droites 
peuvent  être  asymptotes  l’une  de  l’autre. 


BIBLIOGRAPHIE 


617 


hlables.  Parmi  les  auteurs  de  cette  période,  les  uns  laissèrent  le 
postulat  des  trois  droites  parmi  les  postulats,  les  autres  le  trans- 
portèrent parmi  les  axiomes  comme  aussi  la  première  édition 
imprimée  du  texte  grec  des  Éléments  d’Euclide  (1533). 

11.  Les  précnrseurs  de  la  géométrie  non  euclidienne  (pp.  19-57). 
1 . G.  Saccheri  (1007-1733)  est,  par  excellence,  le  précurseur  de  la 
géométrie  non  euclidienne,  dans  son  Euclides  nb  omne  naevo 
vindicatus,  « non  seulement  parce  qu’il  a démontré  l igoureuse- 
nient  les  premiers  principes  de  la  géométrie  lobatchelskiemie, 
mais  sui'tout  parce  qu’il  est  le  créateur  de  la  critique  des 
postulats.  Pour  voir  si  le  postulat  V d’Euclide  est  indépendant 
des  vérités  géométriques  admises,  Sacclieri  crée  un  système 
de  géométrie  indépendant  de  ce  postulat  ».  Nous  avons 
publié  une  analyse  critique  de  ses  recberches  dans  les  Annales 
DELA  Société  scientifique  de  Bruxelles  (189U,  t.  XIY,  par- 
tie, pp.  40-59)  et  dans  Mnthesis  (1891).  11  nous  sufïira  ici  de 
résumer  sur  deux  points  essentiels  l’exposé  de  M.  Bonola. 

Saccheri  étudie  un  quadrilatère  birectangle  isoscèle  A BOL)  : 
les  angles  B,  G sont  droits,  les  côtés  AB,  CD  sont  égaux.  On  peut 
faire  trois  hypothèses  sur  les  angles  A et  D,  qui  sont  égaux,  selon 
qu’ils  sont  droits,  obtus,  ou  aigus.  Ces  trois  hypothèses  dites  de 
l’angle  droit,  de  l’angle  obtus  ou  de  l’angle  aigu  correspondent  à 
la  géométrie  euclidienne,  à la  riemannienne,  et  à la  lohatchef- 
skienne.  Saccheri  essaie  de  prouver  que  si,  dans  un  seul  cas, 
l’une  ou  l’autre  de  ces  hypothèses  est  vraie,  il  en  est  toujours 
de  même.  La  démonstration  est  insuffisante  parce  qu’elle 
s’appuie  sur  Euclide  1,  17  et  il  en  est  de  même,  croyons-nous,  de 
la  démonstration  de  M.  Bonola.  De  Tilly  a établi  ce  théorème 
dans  Mathesis,  d’une  manière  simple,  mais  en  recourant  au  prin- 
cipe de  continuité. 

Saccheri  prouve  que  l’hypothèse  de  l’angle  obtus  est  incompa- 
tible avec  les  proportions  admises  dans  les  éléments  avant  la 
théorie  des  parallèles.  En  essayant,  en  vain,  de  faire  la  même 
démonstration  pour  l’hypothèse  de  l’angle  aigu,  il  établit  rigou- 
reusement ce  théorème  fondamental  de  géométrie  lobatchef- 
skienne  : Deux  droites  se  rencontrent,  ou  sont  asymptotes,  ou  ont 
une  perpendiculaire  commune. 

2.  Lambert  L’ouvrage  de  Saccheri,  signalé  dans 

les  histoires  des  mathématiques  de  Heilbronner  (1742)  et  de  Mon- 
tucla  (1758),  analysé  avec,  soin  dans  une  dissertation  de  Klügel 
patronnée  par  Kaestner  (1763),  a probablement  été  la  source 
directe  ou  indirecte  de  toutes  les  recherches  ultérieures. 


618 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Lambert,  dont  le  travail  (1766)  bit  publié  après  sa  mort,  en  1786, 
étudie  les  trois  hypothèses  de  Saccheri  sur  un  quadrilatère  tri- 
rectangle,  moitié  de  celui  de  Saccheri  et  trouve  ce  théorème 
important  (en  germe  d’ailleurs  dans  une  remarque  de  Saccheri): 
Dans  l’hypothèse  de  l'angle  aigu,  l’aire  d’un  triangle  est  propor- 
tionnelle à la  différence  entre  deux  droits  et  la  somme  de  ses 
angles,  comme  s’il  était  tracé  sur  une  sphère  imaginaire;  mais 
cela  entraînerait  l’existence  d’une  unité  absolue  de  mesure,  ce 
qui  est  absurde,  selon  lui. 

3.  Divers  géomètres.  D’Alembert  (1717-1783)  admet  comme 
évident  que  tous  les  points  d’une  droite  sont  équidistants  d’une 
autre  s’il  en  est  ainsi  de  deux  d’entre  eux.  Lagrange  (1736-1813) 
a observé  que  la  trigonométrie  sphérique  est  indépendante  du 
postulatum  d’Euclide,  ce  qui  est  vrai.  Carnot  (1753-18:^3)  et 
(1749-18:27)  regardent  le  postulat  de  Wallis  comme  la 
hase  naturelle  de  la  Ihéorie  des  parallèles.  D’après  Fourier  {llioSi- 
1830),  on  devrait  définir  le  plan  et  la  droite  comme  les  lieux  des 
points  équidistants  de  deux  ou  de  trois  points.  Legendre  (1752- 
1833)  prouve  avec  rigueur  que  la  somme  des  trois  angles  d’un 
triangle  est  égale  ou  inférieure  à deux  droits  si  la  droite  est  infi- 
nie; que  cette  somme  est  égale  à deux  droits  si  elle  l’est  dans  un 
seul  triangle;  qu’il  en  est  vraiment  ainsi  s’il  n’y  a pas  dans  les 
équations  qui  lient  les  angles  et  les  côtés  d’un  triangle,  un  para- 
métre analogue  au  rayon  des  triangles  sphéricpies,  une  unité 
absolue  de  mesure.  Wolfgang  Bol  gai  (1775-1856)  prend  comme 
postulat  la  proposition  : l^ar  trois  points,  on  peut  toujours  faire 
passer  un  cercle]  Wachter  (1792-1817)  la  suivante  : Par  quatre 
points,  on  peut  faire  passer  une  sphère  De  plus,  Wachter  fait  cette 
remar([ue  juste  : Dans  un  système  de  géométrie  où  le  postulat 
d’Euclide  ne  serait  pas  vrai  pour  un  i)lan,  il  serait  vrai  sur  une 
sphère  de  rayon  infini. 

111.  Les  fo)idateurs  de  la  géométrie  non  euclidienne  (pp.  58-74). 
1.  Gauss  (1777-1855).  Nous  avons  donné  un  a[)en;u  des  travaux 
de  Gauss  dans  les  Ann.vli;s  de  Société  scientifique  de 
Bruxelles  (1901,  t.  XXV,  l"'  partie,  pi>.  104-107).  On  peut  résu- 
mer notre  analyse  et  celle  de  M.  Bonola  de  la  manière  suivante  : 
De  1794  jusque  vers  I8D),  Gauss  s’assimile  ou  retrouve  de  lui- 
même  et  complète,  sous  la  forme  la  plus  nette,  les  résultats  obte- 
nus jusqu’alors  sur  les  principes  de  la  géométrie;  cà  partir  de 
1816,  au  moins,  il  voit  que  la  géométrie  non  euclidienne  dépen- 
dant d’un  paramètre  est  aussi  légitime  que  la  géométrie  eucli- 


BIBLIOGRAPHIE 


619 


dienne  correspondant  à une  valeur  infinie  de  ce  paramétre;  il 
trouve  la  métrique  non  euclidienne;  enfin,  il  fait  observer  que 
l’existence  dé  deux  géométries  également  rigoureuses,  également 
possibles  renverse  les  vues  subjectivistes  de  Kant  sur  l’espace. 

2.  Scliweikart  (1780-1859),  dans  une  note  (1818)  destinée  à 
Gauss,  énonce  quelques  tbéorèmes  de  géométrie  non  eucli- 
dienne que  l’on  trouve  dans  Saccheri  et  Lambert,  mais  où  il 
atlirme  de  plus  que  ceux-ci  que  la  géométrie  astrale,  comme  il 
appelle  celle  qui  porte  maintenant  le  nom  de  géométrie  lobat- 
chefskienne,  est  la  vraie  géométrie  générale  et  est  peut-être 
réalisée  dans  la  nature. 

3.  Taurinns  (ï79&iS7i),  neveu  du  précédent,  publie,  en  1826, 
ses  Geometriae  prima  Elementa  qui  contiennent  la  métrique 
dite  plus  tard  lobatchefskienne  ; il  l’obtient  en  supposant  pure- 
ment imaginaires  les  côtés  d’un  triangle  sphérique.  Cette  mé- 
trique correspond  à l’hypothèse  de  l’angle  aigu  de  Saccheri  et 
de  Lambert.  Taurinus  croit  d’ailleurs  que  cette  métiique  ne 
peut  s’appliquer  dans  le  plan,  mais  il  conjecture  qu’elle  est  peut- 
être  réalisée  sur  quelque  autre  surface,  ce  qui  est  vrai  (Beltrami). 

IV.  Les  fondateurs  de  la  géométrie  non  euclidienne.  Suite 
(pp.  75-119).  1.  Lobatchefsky  (1793-1856).  Lobatchefsky  est  le 
principal  créateur  de  la  géométrie  non  euclidienne,  parce  qu’il 
en  a exposé  le  premier  les  principes  (1829),  qu’il  l’a  fait  sous 
deux  formes  difïérentes,  l’une  directe,  l’autre  inverse,  qui,  au 
point  de  vue  philosophique,  se  complètent,  et  avec  d’impor- 
tantes applications  au  calcul  intégral,  à la  mesure  des  longueurs, 
des  aires  et  des  volumes  ; enfin  parce  qu’il  a publié  en  français 
et  en  allemand  des  écrits  de  vulgarisation  qui,  après  sa  mort, 
attirèrent  enfin  l’attention  des  géomètres  sur  cette  partie  de  la 
science.  M.  Bonola  fait  connaître  la  méthode  de  Lobatchefsky 
sous  la  forme  que  le  géomètre  russe  lui  a donnée,  dans  ses 
Recherches  géométriques.  11  aurait  fallu  signaler  en  outre  au 
moins,  selon  nous,  les  recherches  de  Lobatchefsky  sur  les 
notions  fondamentales  de  la  géométrie  (sphère,  plan,  droite),  et 
sa  méthode  inverse,  parce  que  c’est  celle-ci  surtout  qui  donne  à 
Lobatchefsky  et  aux  géomètres  la  certitude  de  l’indémontra- 
bilité  du  postulatum  d’Euclide. 

2.  Jean  Bol  gai  (1802-1860).  M.  Bonola  analyse  avec  soin 
VAppendix  à l’ouvrage  de  \V.  Bolyai,  où  Jean  Bolyai  a exposé 
en  1832,  trois  ans  après  Lobatchefsky,  sous  une  forme  extrême- 
ment condensée,  la  géométrie  lobatchefskienne;  puis  divers 


620 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


écrits  publiés  récemment  qui  prouvent  que  le  géomètre  hongrois 
voyait  beaucoup  moins  que  Lobatcbefsky  la  portée  philosophique 
(le  sa  découverte  et  qu’il  en  doutait  même  parfois. 

3.  Tngononiétne  absolue.  M.  Bonola  introduit  la  fonction  Ea; 
de  I»e  Tilly  (rapport  d’un  segment  d’équidistante  de  hauteur  a:  à 
sa  hase)  et  Ox  de  Bolyai  (circonlérence  de  rayon  x)  pour  écrire 
comme  il  suit,  (m  trigonométrie  plane,  sphérique  ou  lohatchefs- 
kiemie,  les  formules  fondamentales  relatives  à un  triangle  ABC, 
rectangle  en  G : 

0(?  = OcsiuA,  cos  A = En  sin  B;  Ec  = EaE/a; 
o6  = ocsinB,  cosB  = E^sinA; 

d’où  l’on  déduit  la  jolie  formule  de  M.  Bonola  : 

O^a  (En  + EÙEc)  + o'^b  ( Eù  + EcEn)  = 0‘c(Ec  + EnEù). 

4.  Hypothèses  équivalentes  au  postulai  des  trois  droites. 
M.  Bonola  donne  ici  une  idée  de  la  géométrie  semi-euclidienne 
de  Max  Delin,  où  l’on  n’admet  pas  le  postulat  d’Eudoxe  (dit 
d’Archimède)  : la  somme  des  angles  d’un  triangle  y est  égale  à 
deux  droits,  mais  par  un  point  on  peut  mener  plus  d’une  non- 
sécante  à une  droite. 

5.  La  dilfusionde  la  géométrie  non  euclidienne.  Baltzer  (1818- 
1887),  llouel  ( 18:23-1881)),  G.  Battaglini  (18:26-1894),  Beltrami 
(1835-1990),  par  leurs  écrits  originaux  ou  leurs  traductions  des 
écrits  des  inventeurs  nous  semblent  devoir  surtout  être  signalés 
comme  propagateurs  de  l’idée  non  euclidienne;  puis  aussi  De 
Tilly  (1838-1906),  dont,  selon  nous,  M.  Bonola  ne  parle  pas  assez, 
pas  plus  que  de  Veronese,  Bieri  et  Barharin;  sans  doute,  l’ex- 
posé de  leurs  travaux  ne  rentrait  pas  dans  son  plan. 

V.  Développe>nents  successifs  de  la  géométrie  non  euclidienne 
(pp.  120-172).  A.  Direction  métrique  différentielle  (pp.  121-144). 

1 . Géométrie  sur  une  surface.  2.  Fondements  d’une  géométrie 
plane  selon  les  idées  de  Riemann.  3.  Fondements  d’une  géo- 
métrie de  l’espace  suivant  Riemann.  4.  L’œuvre  de  Helmholtz  et 
les  recherches  de  Lie.  Ces  ditférents  paragraphes  renferment 
beaucoup  de  renseignements  sur  les  travaux  de  Riemann,  de 
Beltrami,  de  Klein,  de  Hilbert,  de  Liehmann,  de  Max  Dehn,  etc., 
sur  la  géométrie  des  géodési(pies  des  surfaces  à courbure  con-' 
stante,  négative  ou  positive;  puis  aussi  sur  la  géométrie  de 


BIBLIOGRAPHIE 


C>21 

faisceaux  de  droites,  ou  de  demi-droites,  correspondant  à la 
géométrie  doul)lement  ou  simplement  elliptique,  et  sur  la 
géométrie  non  legendrienne  de  Max  Dehn  (indépendante  du 
postulat  d’Eudoxe,  avec  droite  non  fermée,  somme  des  trois 
angles  d’un  triangle  supérieure  à deux  droits).  Mais  il  y manque 
l’analyse  de  la  vraie  géométrie  riemanienne  de  l’espace  déve- 
loppée en  J 878  par  De  Tilly,  et  de  plusieurs  de  ses  travaux 
ultérieurs  et  antérieurs.  Les  écrits  de  Uiemann,  de  Helinholtz  et 
de  Lie,  dont  il  est  question  dans  les  §§  3 et  4,  sont,  selon  nous,  de 
l’analyse  pure  : les  coordonnées  dont  il  y est  question  n’ont  pas 
de  définition  géométrique. 

B.  Direction  projective  (pp.  173-19:2).  1.  Subordination  de  la 
géométrie  métrique  à la  géométrie  projective.  2.  Représenta- 
tion de  la  géométrie  lobatchefskienne  dans  le  plan  euclidien. 
3.  Représentation  de  la  géométrie  elliptique  de  Riemann  dans 
l’espace  euclidien.  4.  f'ondation  de  la  géométrie  en  partant  de 
concepts  graphiques.  5.  Indémontrabilité  des  postulats.  — Dans 
ces  divers  paragraphes,  l’auteur  donne  des  indications  rapides 
sur  les  travaux  de  Laguerre,  de  Cayley,  de  Klein  au  moyen  des- 
quels on  obtient  une  représentation  presque  parfaite  des  géo- 
métries non  euclidiennes,  dans  l’espace  euclidien,  en  y supposant 
invariante  une  conique  ou  une  quadrique  fondamentale,  quand 
on  elfectue  des  transformations  projectives.  — A propos  du  § 1, 
nous  ne  croyons  pas  que  l’on  ait  jamais  établi  l’indépendance  de 
la  géométrie  projective  de  la  géométrie  métrique.  L’indémon- 
trabilité  des  postulats  et  leur  compatibilité  avec  les  définitions 
de  la  géométrie,  ne  dépendent  nullement,  selon  nous,  de  la  repré- 
sentation des  géométries  non  euclidiennes  dans  l’espace  eucli- 
dien, mais  de  l’analyse  que  Lobatchefsky  a faite  de  ces  notions 
premières  dans  sa  méthode  inverse  et  des  travaux  de  De  Tilly 
sur  la  géométrie  comme  physique  mathématique  des  distances. 

Note  I.  Les  principes  fondamentaux  de  la  statique  et  le  postu- 
laturn  d’Euclide  (pp.  173-192).  Analyse  d’un  excellent  Mémoire 
de  Genocchi  (1877)  sur  un  travail  de  Daviet  de  Foncenex 
(1760-1761)  dont  l’idée  fondamentale  est  probablement  due  à 
Lagrange. 

Note  IL  Les  parallèles  et  la  surface  de  Clifford  (pp.  193-208). 
Etude  élémentaire  d’un  couple  de  droites  riemanniennes  équi- 
distantes, non  situées  dans  un  même  plan,  et  de  la  surface 
(équidistante  ou  hypersphére)  engendrée  par  Tune  en  tournant 
autour  de  l’autre.  M.  Barbarin  dans  son  ouvrage  sur  les  qua- 
driques  non  euclidiennes  a aussi  étudié  ce  couple  et  cette  surface. 


622 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Index  des  noms  211-'213).  Et'rata{p. 

Le  livre  de  M.  Bonola,  malgré  les  petites  lacunes  que  nous 
avons  dû  y signaler,  est  très  propre  tà  initier  ceux  qui  voudront 
le  lire  attentivement  à l’ensemble  de  recherches  très  diverses 
que  l’on  désigne  aujourd’hui  sous  le  nom  de  géométrie  non 
euclidienne. 

Pour  les  philosophes,  en  particulier  pour  les  admirateurs  de 
Kant,  il  les  guérira,  espérons-le,  de  cette  conception  historicjue 
fausse  que  la  géométrie  a toujours  été  regardée  comme  apodic- 
tiquement  démontrée  à l’égal  de  la  théorie  des  nombres.  Au 
contraire,  depuis  Euclide  jusqu’à  Lobatchelsky,  les  géomètres 
n’ont  jamais  été  tranquilles  sur  le  célèbre  postulat  des  trois 
droites  : ils  ont  toujours  essayé  de  le  démontrer  jusqu’au  jour 
où  ils  ont  vu  qu’il  était  indémontrable,  qu’il  n’était  pas  une 
suite  des  notions  premières,  bases  de  la  géométrie. 

P.  M. 


R.\tiün.\l  Geümetry,  a Text-Book  for  the  Science  of  Space  based 
on  Hilhert’s  P'oundations  hy  G.  B.  H.vlsted,  A.  M.  Princeton, 
Ph.  D.  Johns  Hopkins.  First  Edition.  — A'ew-York,  John  Wiley 
and  Sons.  London,  Chapman  and  Hall.  190i.  In-J2  cartonné  à 
l’anglaise  de  vni-:285  pages.  Prix  : J, 75  dollar  (1). 

M.  Hilbert  a publié  en  1899,  puis  en  1903  avec  des  remanie- 
ments profonds,  ses  Grundlagen  der  Geometrie  où  il  s’est  efforcé 
de  mettre  en  évidence,  en  les  classant  soigneusement,  les  postu- 
lats implicitement  employés  dans  les  traités  de  géométrie. 

M.  Halsted,  le  savant  et  zélé  protagoniste  de  la  géométrie  non 
euclidienne  aux  Etats-Unis,  à qui  l’on  doit  la  traduction  anglaise 
des  ouvrages  de  Saccheri,  de  Bolyai  et  de  Lobatchefsky,  outre  des 
livres  originaux  et  de  nombreux  articles  sur  les  progrès  de  la 
géométrie  générale,  a publié  sa  Rational  Geometry  pour  faire 
entrer  dans  le  domaine  de  l’enseignement,  au  moins  pour  les 


(1)  Une  seconde  édition  revue,  de  viii-273 pages  (prix  : t,r>0  dollar),  a paru 
en  1907.  .M.  Halsted  signale  dans  une  note  ce  qui  la  distingue  de  la  première  : 
« 11  y a,  dit-il,  dans  la  nouvelle  édition,  des  simplifications  inattendues  : l’auteur 
a trouvé  qu’il  n’est  pas  nécessaire  d’employer  le  cercle  comme  auxiliaire,  soit 
dans  les  démonstrations,  soit  dans  les  constructions,  et  il  a pu  ainsi  abréger  et 
dégager  la  géométrie  d’une  manière  étonnante.  » 


BIBLIOGRAPHIE 


maîtres,  les  vues  de  M.  Hilbert  sur  les  principes  de  la  science  de 
l’espace; 

11  faudrait  lire  la  Rational  Geometry  à la  loupe,  si  j’ose  ainsi 
dire,  et  refaire,  pour  son  propre  compte,  le  même  travail  de  dis- 
section, d’analyse  minutieuse  des  bases  de  la  géométrie  et  de 
reconstruction  de  l’édibce  des  Éléments  que  M.  Halsted,  pour 
pouvoir  critiquer  utilement  et  minutieusement  son  livre.  Il  fau- 
drait en  même  temps  l’expérimenter  dans  une  classe,  pour  pou- 
voir dire  jusqu’à  quel  point  il  convient  de  remplacer,  dans  l’en- 
seignement, par  le  raisonnement  explicite,  les  intuitions  ou  les 
raisonnements  implicites  auxquels  on  recourt  maintenant.  Très 
probablement,  les  deux  modes  d’exposition,  le  rationnel  et  l’in- 
tuitif, différent  moins  au  fond  qu’il  ne  semble  au  premier  abord. 
Comme  Gauss  Ta  remarqué,  il  y a toujours  un  résidu  intuitif 
dans  toute  géométrie,  sans  quoi  elle  ne  serait  plus  de  la  géo- 
métrie, mais  de  l’analyse.  D’autre  part,  tel  croit  faire  appel  à l’in- 
tuition, qui,  sans  le  savoir,  s’adresse  à l’esprit,  parce  que  la  raison, 
dit  Aristote,  voit  les  concepts  dans  les  images.  La  bonne  méthode 
est  sans  doute  celle  qui  réussît  à donner  l’esprit  géométrique 
aux  élèves  moyennement  doués  au  point  de  vue  de  l’intelligence 
et  de  la  volonté,  sans  les  troubler  par  des  discussions  trop  minu- 
tieuses sur  les  premiers  principes,  mais  aussi  sans  affaiblir  l’aspi- 
ration naturelle  des  jeunes  esprits  pour  les  démontrations  rigou- 
reuses, en  faisant  trop  souvent  appel  à l’évidence  sensible.  Aux 
bons  maîtres  de  se  tenir  dans  ce  juste  milieu,  entre  l’enseignement 
d’une  géométrie  rationnelle  trop  abstraite  et  celui  d’une  géo- 
métrie purement  empirique.  Mais  pour  cela,  ils  doivent  connaître, 
sinon  les  Grundlagen  de  M.  Hilbert  ou  ceux  de  Yeronese  et  de 
Pieri,  au  moins  la  géométrie  élémentaire  du  second  ou  la  Ratio- 
nal Geometry  de  Halsted. 

Donnons  une  indication  sommaire  des  matières  exposées  dans 
ce  dernier  ouvrage. 

1.  Premier  groupe  de  postulats  : postulats  d’association  entre 
les  notions  de  point,  droite,  plan.  2.  Postulats  de  l’ordre  relatif. 
Sont  rejetées  dans  le  premier  appendice  les  démonstrations  de 
ces  théorèmes  se  rattachant  à ce  chapitre  ; si  B est  entre  A et  C, 
et  G entre  A et  D,  C est  entre  B et  D et  réciproquement.  3.  Postu- 
lats sur  l’égalité  en  vue  d’éviter  l’idée  de  mouvement  et  le  trans- 
port idéal  des  figures  qu’il  est  difficile  de  décrire  sans  com- 
mettre un  cercle  vicieux.  4.  Postulat  de  la  parallèle  unique. 
5.  Cercle.  A la  fin  de  ce  chapitre ’se  trouve  le  postulat  d’Eudoxe 
ou  définition  des  grandeurs  de  même  espèce  (un  multiple  suffi- 


024 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


saniment  grand  d’une  grandeur  surpasse  toute  grandeur  de 
même  espèce)  que  M.  Hilbert,  on  ne  sait  pourquoi,  a appelé  pos- 
tulat d’Archimède.  Dans  la  suite,  chaque  fois  qu’il  le  peut,  l’au- 
teur évite  de  se  servir  de  ce  postulat.  M.  Zeutlien  a remarqué 
qu’Euclide  s’en  passe  aussi  dans  une  grande  partie  des  Éléments, 
h.  Problèmes  de  construction,  en  n’utilisant  le  compas  que 
comme  transporteur  de  segments.  7.  Égalités  et  inégalités  entre 
côtés,  angles  et  arcs.  8.  Calcul  des  segments.  9.  Proportions  et 
similitude.  Les  segments  o,  b,  c,  d,  Ibrment  une  proportion  si 
l’on  a ad  = bc  dans  1e  sens  géométrique  indiqué  dans  le  cha- 
pitre précédent;  les  triangles  sont  semblables  s’ils  sont  équian- 
gles.  10.  Equivalence,  aire  en  définissant,  comme  M.  Gérard  (voir 
M.4THESIS,  1897,  pp.  ;205-ib()),  l’aire  du  triangle  comme  la  moitié 
du  produit  de  la  base  par  la  hauteur.  11.  Géométrie  des  plans 
dans  l’espace;  c’est  l’équivalent  de  la  première  moitié  du 
livre  XI  des  Éléments  d’Euclide  ou  du  livre  V de  ceux  de 
Legendre.  H.  Polyèdres  et  volumes.  Le  volume  du  tétraèdre 
est,  par  définition,  comme  chez  M.  Gérard,  le  tiers  du  produit 
de  la  base  par  la  hauteur.  Notons  en  passant  (iP  399,  p.  180) 
la  jolie  formule  4V  = 11  (B  -j-  3S)  pour  le  volume  d’un  pris- 
matoïde  de  base  B,  de  bauleur  11,  de  section  S aux  trois  quarts 
de  la  hauteur,  un  prismatoïde  étant  un  agrégat  de  tétraèdres 
compris  enti-e  deux  polygones  parallèles  où  se  trouvent  leurs 
sommets,  leurs  bases,  ou  leurs  arêtes  opposées.  Nous  regret- 
tons de  ne  pas  renconti'er  dans  ce  chapitre  le  beau  théorème  de 
Darboux  : Tout  tétraèdre  est  la  somme  de  six  hexaèdres  autosymé- 
triques,  d’où  résultent  l’équivalence  des  figures  symétriques  et  la 
solution  d’un  paradoxe  de  Kant  et  des  philosophes  qui  ignorent 
les  premiers  éléments  de  la  géométrie.  13.  Figures  sur  la  sphère. 
Aire  et  volume  de  la  sphère.  La  vieille  solution  du  problème  : 
trouver  le  rayon  d’une  sphère  dont  on  connaît  une  partie  {n° 
p.  20:2)  devrait  être  remplacée  par  celle  de  De  Tilly,  dont  le  prin- 
cipe est  dans  Dappus  et  qui  est  applicable  à beaucoup  d’autres 
questions  analogues  : on  cherche  et  on  trouve  aisément  sur  la 
sphère  trois  points  équidistants  de  deux  points  pris  sur  cette 
sphère  et,  par  suite,  appartenant  à un  grand  cercle.  14.  Cône  et 
cylindre.  15.  Sphérique  pure  ou  géométrie  à deux  dimensions 
sur  la  sphère,  traitée  en  employant  le  minimum  des  postulats  des 
premiers  chapitres.  16.  Angles  trièdres  et  polyèdres. 

Appendices.  1.  Théorèmes  d’ordre  relatif.  2.  Les  postulats  du 
compas.  3.  Méthodes  de  résolution  des  problèmes.  — Index.  — 
Sept  cents  exercices  choisis  sont  distribués  entre  les  divers  cha- 
pitres du  livre. 


BIBLIOGRAPHIE 


G25 


La  Rational  Geometry  de  M.  llalsted  est  écrite  avec  une  conci- 
sion extrême  et  contient  beaucoup  de  matière  sous  un  petit 
volume,  à cause  des  notations  abrégées  dont  se  sert  l’auteur. 
Ap  rès  les  Élétnents  d’Euclide,  et  avec  les  manuels  de  Faitbfer  et 
de  Veronese,  nous  n’en  connaissons  pas  de  plus  suggestif  pour 
les  professeurs  trop  habitués  tà  l’ordre  des  matières  et  aux 
démonstrations  des  Eléments  de  Legendre  et  de  ses  succédanés; 
il  les  fera  rélléchir  non  seulement  sur  les  princi[)es  fondamen- 
taux de  la  géométrie,  mais  aussi  sur  la  manière  la  plus  simple  ou 
la  plus  naturelle  d’en  exposer  telle  ou  telle  théorie. 

F.  M. 


III 

Encyclopadie  der  elementaren  Geo.metrie  bearbeitet  von 
IIeinrich  Weber,  Joseph  Wellstein  und  Walter  Jacobsthal. 
.Mit  :^8U  Textliguren.  — Leipzig,  Druck  und  Verlag  von  B.  G. 
Teubner,  1905.  (ln-8"  cartonné  de  xii-OOipp.)  Prix  ; l^marcs(I). 

\j  Encyclopédie  de  la  Géométrie  élémentaire  ne  répond  guère 
à son  titre,  semhb^t-il  ; on  n’y  trouve  pas,  en  elfet,  comme  dans 
le  Traité  de  RoucWr  un  exposé  relativement  complet  des  plus 
belles  recherches  anciennes  et  modernes  des  géomètres  propre- 
ment dits  dans  le  domaine  élémentaire  de  leur  science.  L’ouvrage 
contient  une  étude  très  personnelle  sur  les  principes  de  la  géo- 
métrie par  M.  Wellstein  (premier  livre),  un  abrégé  de  trigono- 
métrie, de  géométrie  analytique  et  de  stéréométrie  dû  à M.  H. 
Weber  (première  section  du. second  livre,  et  troisième  livre), 
entîn  un  exposé  un  peu  long  de  la  sphérique  et  de  la  trigo- 
nométrie sphérique,  par  M.  W.  Jacobsthal  (seconde  section  du 
second  livre). 

Sommaire.  Premier  livre  : les  principes  de  la  géométrie,  par 
J.  Wellstein  (pp.  1-3ÜI).  Introduction  (pp.  3-4)  : l’auteur  déclare 
ne  pas  vouloir  faire  un  exposé  systématique  de  la  géométrie, 
mais  discuter  surtout  la  portée  de  chacune  des  hypothèses  fon- 
damentales qui  sont  la  base  de  cette  science. 

( 1 ) Second  volume  de  VEncyclopadie  der  Elementar-Mathematik.  Ein  Hand- 
buch  fur  Lehrer  und  Studierende  von  H.  Weber  und  J.  Wellstein,  Professoren 
in  Strassburg.  I.eipzig,  Teubner.  Le  tome  1,  contenant  l’Algèbre  élémentaire 
et  l’Analyse  par  H.  Weber,  a paru  en  19U3,  le  tome  III,  contenant  les  applica- 
tions, entre  autres  la  mécanique  et  la  géométrie  descriptive,  en  1907. 

IIP  SÉRIE.  T.  XII. 


40 


(326 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


I.  Critique  des  concepts  fondcnnentaux  (pp.  5-'27).  \.  Histo- 
rique (exact,  avec  çà  et  là  de  petites  inexactitudes;  même 
remarque  pour  les  autres  indications  historiques  contenues  dans 
l’ouvrage) : métagéométrie  (cette  désignation  est  de  Leibniz). 
2-4.  Critique  des  concepts  : point,  ligne,  siuface;  droite,  plan, 
parallèle;  mouvement  et  égalité.  Au  premier  abord,  l’auteur 
semble  empiriste,  mais,  au  tond,  il  emploie  comme  tout  le 
monde  tous  les  concepts  qu’il  déclare  incomplètement  détinis. 
5.  Constructions  de  Steiner  au  moyen  de  la  règle  et  d’une  seule 
circonlérence  donnée  avec  son  centre.  (3.  La  géométrie  natu- 
relle. L’auteur  aitpelle  ainsi  la  géométrie  d’apparence  réaliste 
exposée  dans  les  Vorlesungen  über  neuere  Geometrie  de  Pascb, 
où  de  tait,  comme  dans  tous  les  autres  traités,  on  raisonne  sur 
de  purs  conce{>ts. 

H.  La  géométrie  naturelle  comme  l’une  des  formes  en  nombre 
indéfini  d’une  géométrie  de  purs  concepts  ou  métagéométrie 
(pp.  28-147).  7.  Ciéométrie  naturelle,  géométrie  approxima- 
tive, analgsis  situs  (il  aurait  t'allu  citer  ici  Uiemann,  Jordan, 
l’oincaré),  métagéométrie.  8-11.  Traduction  de  la  géométrie 
euclidienne  et  des  géométries  non  euclidiennes  de  Lobatchetsky 
et  de  Riemann,  en  une  géométrie  de  cercles  (ou  de  sphères) 
passant  par  un  point  tixe,  que  Ton  exclut,  par  la  pensée,  de 
l’espace  étudié.  L’auteur  montre  que  les  axiomes  de  Hilbert 
s’appliquent  aux  ligures  qu’il  a imaginées.  12.  Traduction  de 
la  géométrie  euclidienne  en  pure  analyse.  18.  Essence  des 
concepts  fondamentaux  : la  géométrie  euclidienne  ne  renferme 
aucune  contradiction,  ni,  par  suite,  les  géométries  non  eucli- 
diennes. 14.  Intuition.  Ces  deux  derniers  paragraphes  con- 
tiennent maintes  considérations  transcendantes  (entre  autres 
sur  ou  contre  Kant,  [).  141),  où  nous  ne  taisons  qu’entrevoir  des 
lueurs,  faute  de  patience  et  d’application,  .‘^ans  doute.  Dans  une 
note  à la  fin  de  l’ouvrage,  M.  H.  Weber  (pp.  58U-5R8)  dit,  à ce 
propos,  qu’il  n’est  pas  tout  à fait  d’accord  avec  M.  Wellstein, 
sinon  pour  le  fond,  au  moins  pour  la  forme.  Per.^onnellement, 
sur  les  questions  principales  abordées  dans  cette  section,  nous 
trouvons  qu’il  est  plus  simple  d’étudier  dans  Euclide,  Lobat- 
cbefsky.  De  Tilly  (ce  dernier  spécialement  pour  la  géométrie 
riemannienne  (pie  Ton  ne  peut  guère  trouver  ailleurs),  Gérard 
(géométrie  analytique  non  euclidienne),  les  trois  branches  natu- 
relles de  la  métagéométrie  que  dans  les  ensembles  com[)liqués 
de  cercles  et  de  s[)bères  de  .M.  Wellstein,  ou  dans  la  traduction 


BIBLIOGRAPHIE 


027 


antérieure  de  Cayley,  en  géométrie  projective.  Au  point  de  vue 
philosophique,  Gauss  (contre  Kant),  Lobatchet'sky,  De  Tilly  (sur 
la  compatibilité  logique  de  cbacune  des  branches  de  la  métagéo- 
métrie),  sans  comi)ter  les  géométres-philosophes  italiens  plus 
récents,  ont  dit,  depuis  longtemps,  tout  l’essentiel. 

III.  La  géométrie  projective  (pp.  1A8-:2J9).  15.  Les  axiomes 
ou  postulats  d’association  et  d’ordre  relatif,  en  admettant  que, 
réellement  ou  fictivement,  deux  droites  d’un  plan  se  rencontrent 
toujours,  comme  en  géométrie  riemannienne.  16.  L’axiome  de 
Dedekind  et  le  théorème  fondamental  de  la  géométrie  projec- 
tive, démontré  en  utilisant  au  minimum  la  notion  de  continuité, 
d’après  les  idées  de  M.  Hilbert.  17.  Les  propriétés  projectives 
essentielles  des  coniques.  18.  Métrique  projective.  19.  Biblio- 
graphie (avec  des  additions,  pp.  601-60:2). 

IV.  Planimétrie  (pp.  220-801).  20.  Propositions  fondamen- 
tales (d’après  les  vues  de  M.  Hilbert).  21.  Similitude  comme 
cas  particulier  de  la  collinéarjté.  22.  Les  aires  (d’après  MM.  Hil- 
bert et  Gérard)  ; le  théorème  de  Pythagore  (démonstration  de 
Saint-Venant).  28.  Polygones  réguliers  et  cercle.  24.  Théorèmes 
et  problèmes  sur  le  cercle,  entre  autres  le  pi'oblème  du  cei’cle 
tangent  à trois  auti'es.  25.  Théor  ie  élémentair'e  des  coniques  ; 
pour  la  suite,  l’auteur  r'envoie  air  petit  manuel  de  Zeuthen. 

Livre  deuxième.  Trigonométrie  (pp.  808-438).  V.  Trigonomé- 
trie plane  et  polggonométrie,  par  M.  H.  Weber  (805-389), 
§§  26-35.  L’auteur  expose  clair’ement  et  brièvement  toutes  les 
questions  essentielles  en  dix  par-agraphes  : les  fonctions  trigo- 
nométriques  d’angles  inférieurs  à un  dr’oit,  ou  quelconques, 
auquel  cas  la  tangente,  la  cotangente,  la  sécante  et  la  cosécante 
sont  définies  par  les  r-elations  tang  x = sin  x : cos  x,  etc.  (comme 
M.  Mandart  l’a  proposé);  les  for’mules  fondamentales;  la  multi- 
plication et  la  division  des  angles;  le  calcul  des  triangles,  des 
quadrilatér'es;  les  points  de  Br'ocard;  les  polygones;  le  périmètre 
et  l’aire  des  polygones  r’éguliers.  Le  théor’ème  de  Simson  dit  de 
Stewart  est  donné  sous  la  forme  or’dinair'e  et  non  sous  la  forme 
si  utile  X {x'Yf  -)-  p (a;2)^-|-  v {x‘ÿf  — J,  liant  les  distances  d’un 
point  quelconque  x à trois  points  1,  2,  3 d’une  dr'oite,  X,  p,  v, 
étarit  indépendants  de  x. 

VL  Sphérique  et  trigonométrie  sphéricpie,  p?iv  Vi . 

(pp.  340-438).  §§  36-5(5.  Ort  trouve  dans  cette  section  non  seu- 
lement les  questions  Imitées  habituellement  dans  les  manuels. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


()2S 

mais  tontes  les  complications  qui  s’y  introduisent,  quand  on 
considère  des  triangles  dits  de  Mobius  où  les  côtés  peuvent  varier 
de  0 à :2tt  et  les  angles  être  plus  grands  que  deux  droits  mais 
intérieurs  à quatre,  mais  aussi  des  triangles  de  Study  où  les  côtés 
et  les  angles  sont  absolument  quelconques.  Nous  n’avons  pas 
rencontré  la  formule  analogue  au  théorème  de  Simson-Stewart, 
X cos  (rl)  -(-  M cos  (a:2)  + v cos  (a;3)  = Ü,  si  importante  en  méta- 
géométrie.  Le  § 83  (pp.  517-5!24),  dans  le  livre  suivant,  est 
au-ssi  dù  à M.  Jacobsthal;  il  traite  de  sphéricjue  analytique  et 
peut  se  rattacher  à la  présente  section. 

Livre  troisi'mne.  Géométrie  analytique  et  stéréométrie,  par 
H.  Weber  (pp.  459-588).  Yll.  Géo)iiétrie  analytique  du  plan 
(pp.  441-516).  §§  57-61.  Coordonnées;  la  droite,  théorèmes  de 
Ceva  et  de  Menelaus.  §§  63-65.  Le  cercle,  les  arcs  radicaux. 
§.§  66-69.  Équations  réduites  des  coniques.  §§  70-83.  Proprié- 
tés générales  des  courbes  du  second  degré,  tangentes,  asymp- 
totes, axes,  diamètres  conjugués,  centre,  cercle  de  courbure, 
normales  menées  d’un  point  quelconque. 

VI 11.  Points,  plans  et  droites  dans  l’espace  (pp.  535-538,  §§  84- 
87).  L\.  Volumes  et  aires  (des  polyèdres  et  des  corps  ronds) 
(pp.  539-557,  §§  88-93).  X.  Groupes  de  rotation  et  polyèdres  régu- 
liersipp.  558-57 1 , §§  94-97).  Expo.sé  rapide,  cà  la  fois,  clair  et  savant, 
des  principales  propositions  de  la  géométrie  solide.  Au  § 93, 
à propos  de  la  surface  du  cylindre,  l’auteur  signale  la  célèbre 
remarque  de  M.  Schwarz  sur  la  non-existence  d’une  limite  pour 
l’aire  des  polyèdres  quelconques  inscrits  dans  une  surface,  quand 
les  facettes  décroissent  indétiniment.  Le  § 95,  sur  les  groupes  dé- 
finis de  rotation,  ouvre  une  perspective  sur  des  questions  d’ordre 
supérieur.  11  en  est  de  même  en  plusieurs  autres  endroits. 
.M.  Weber  le  fait  de  manière  à éclairer  — et  non  à obscurcir, 
sous  prétexte  de  les  approfondir — les  questions  élémentaires 
auxquelles  il  rattache  ses  observations. 

XL  Géométrie  analytique  de  l’espace  (pp.  573-588,  §§98-103). 
Aperçu  vraiment  trop  sommaire  : coordonnées,  directions  dans 
l’espace,  équation  du  plan,  volume  du  tétraèdre,  quadriques, 
aire  de  l’ellipse,  volume  de  l’ellipsoïde.  Ici,  comme  dans  la  sec- 
tion IX,  M.  Weber  obtient  le  volume  par  le  principe  dit  de  Gava- 
lieri,  (pie  l’on  vient  de  retrouver  chez  Archimède  : deiix  corps 
ont  des  volumes  égaux  quand  leurs  sections  par  des  plans  parai- 


BIBLIOGRAPHIE 


629 


lèles  ont  des  aires  égales,  admis  comme  postulat.  Soit  dit  en 
passant,  Cavalieri  (1591  ou  1598-1647)  n’était  pas  jésuite;  il 
appartenait  à l’ordre  ûes,  jésuAtes,  qui  n’existe  plus. 

Index  (pp.  594-600). 

Comme  on  le  voit  par  l’analyse  qui  précède,  l’Encyclopédie  de 
la  géométrie  élémentaire  de  MM.  Wellstein,  Jacobsthal  et  Weber 
manque  d’unité;  les  matières  nous  en  paraissent  distribuées 
dans  un  ordre  singulier,  parce  que  nous  sommes  convaincus 
qu’il  est  impossible  d’établir  une  géométrie  projective  (nous  ne 
disons  pas  une  énumération  qualitative  de  lettres  appelées 
points)  avant  une  géométrie  métrique.  Par  suite,  nous  pensons 
que  les  étudiants  proprement  dits,  les  aspirants  au  doctorat  en 
sciences  mathématiques,  ne  pourraient  pas  retirer  grand  profit  de 
la  partie  du  livre  qui  est  l’œuvre  de  M.  Wellstein,  parce  que  les 
vues  trop  particulières  que  l’auteur  y expose  ne  sont  guère  acces- 
sibles que  si  l’on  connaît  au  moins  les  ouvrages  de  M.  Pasch  et 
de  M.  Hilbert  sur  les  bases  de  la  géométrie.  La  trigonométrie 
sphérique  de  M.  Jacobsthal  est  aussi  trop  encombrée  de  formules 
rarement  utiles  pour  que  l’On  puisse  en  conseiller  la  lecture  à 
ceux  qui  n’ont  pas  absolument  besoin  de  ces  formules.  .\u 
contraire,  les  professeurs  déjà  au  courant  des  travaux  récents  sur 
la  géométrie,  s’ils  ont  la  patience  d’étudier  à fond  la  partie  de 
l’Encyclopédie  due  à MM.  Wellstein  et  Jacobsthal,  y rencon- 
treront des  vues  nouvelles,  parfois  paradoxales  sur  les  prin- 
cipes de  la  science  de  l’espace,  voire  sur  la  trigonométrie  sphé- 
rique, qui  leur  suggéreront  peut-être  de  nouvelles  recherches. 

Quant  aux  sections  de  l’Encyclopédie,  qui  sont  l’œuvre  de 
M.  Weber,  on  peut  évidemment  les  recommander,  à des  titres 
divers,  aux  maîtres  et  aux  étudiants,  comme  tout  ce  qui  sort  de 
la  plume  de  l’éminent  géomètre  de  Strasbourg. 


P.  Maasion. 


()30 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


IV 

De  uitvinding  der  Verrekijkers.  Eene  bijdrage  toi  de  bescha- 
vingsgeschiedenis  door  C.  de  Waard.Ir.  Uitgegeven  met  steun 
van  bel  Zeenwsch  Genootscbap  der  wetenscbappen.  — La  Haye, 
H.  L.  Smits,  1006.  Un  vol.  in-H”  de  viii-340  pages  (1). 

Les  premières  lunettes  astronomiques  n’étaient,  on  le  sait,  que 
de  simples  longues-vues  de  grandes  dimensions,  construites  à 
oculaire  concave  et  objectif  convexe,  suivant  la  combinaison  de 
lentilles  encore  adoptée  aujourd’hui  pour  les  jumelles  de  théâtre. 

Oui  en  fut  le  premier  inventeur? 

Question  obscure  et  épineuse  s’il  en  fut,  débattue  en  tous  sens, 
sans  avoir  jamais  été  résolue  d’une  manière  définitive!  Roger 
Bacon,  Léonard  Diggs,  Frascaloro,  .Iean-Ba[)tiste  Porta,  Galilée, 
Jacob  Metius,  Lipperhey,  Zacharie  Janssen,  — voilà  autant  de 
noms  qui  trouvèrent  des  avocats  pour  plaider  leurs  droits  de 
priorité.  Et  quels  ardents  avocats!  S’ils  défetidaient  toujours 
leurs  clients  avec  une  sincérité  et  une  conviction  dignes  d’éloges, 
ils  y mirent  cependant  bien  des  fois  toute  l’acrimonie  d’une 
passion  aveuglée  par  l’amour-propre  national. 

Qui  fut  donc  le  premier  inventeur  de  la  lunette? 

.Mais  tout  d’abord,  en  formulant  le  problème  en  ces  termes, 
est-il  bien  posé? 

11  semble  que  non. 

La  lunette  n’est  pas  un  instrument  fabriqué  un  beau  jour  de 
toutes  pièces  dans  le  secret  du  laboratoire.  L’observation  des 
déviations  des  rayons  lumineux  <lans  un  milieu  diaphane  est  le 
fait  du  premier  venu.  Elle  est  probablement  aussi  ancienne  que 
le  monde  et  conduit  vite  à imaginer  des  jeux  de  lentilles  capables 
de  corriger  les  faiblesses  de  la  vue. 

Sans  examiner  l’antiquité  et  le  moyen  âge,  (pii  ne  se  raiipelle. 


(Il  l.e  mémoire  de  .M.  de  M'aard  est  écrit  en  hollandais,  mais  l’auteur  en  a 
donné  lui-même  un  très  court  résumé,  en  français,  dans  Ciel  et  Terre  (t.  28, 
liruxelles,  19U7),  sous  le  titre  de  L’Invcniion  du  Télescope.  En  outre,  le 
mémoire  a donné  lieu  à un  compte  rendu  fort  étendu  de  .M.  A.  Favaro,  disons 
nneux,  à une  véritable,  étude  ayant  rimportancc  d’un  travail  original  publiée 
dans  les  .\tti  del  reale  Istituto  Vexeto  ni  scienze,  lettere  eu  arti 
(t.  LVl,  2®  part.,  Venise,  lOOtb,  sous  le  titre  de  La  invenzione  del  telescopio 
seconda  gli  ultimi  studi. 


BIBLIOGRAPHIE 


(i:^i 

par  exemple,  ce  passage  célèbre  de  la  Magia  naturalis  de  Porta 
écrit  dès  1569?  (1) 

« Une  lentille  concave  diminue  les  objets  éloignés,  mais  les 
éclaircit.  Une  lentille  convexe  grossit  les  objets  rapprochés,  mais 
les  rend  tronbles.  En  combinant  convenablement  ces  denx  len- 
tilles, on  peut  agrandir  et  voir  distinctement  aussi  bien  les 
objets  rapprochés  que  les  objets  éloignés.  J’ai  rendu  par  là  de 
grands  services  à des  amis  dont  la  vue  était  mauvaise  et  je  les 
ai  mis  en  état  de  voir  très  nettement.  » 

Est-ce  à tort  qu’on  a cru  lire  dans  cette  phrase  une  description 
de  la  lunette  astronomique?  Non,  et  cependant  sous  cette  forme 
toute  fruste  et  rudimentaire  qui  pourrait,  de  bonne  foi,  recon- 
naître déjà  l’appareil  de  précision  qui  permit  à Galilée  d’obser- 
ver les  phases  de  Vénus  et  les  satellites  de  Jupiter? 

La  grossière  combinaison  de  lentilles  de  Porta,  loin  de  former 
un  instrument  étudié  et  soigné,  peut  fort  bien  avoir  été  trouvée 
par  l’elfet  d’un  pur  hasard.  Et  en  effet,  c’est  au  hasard,  c’est  à 
des  observations  étonnées  et  naïves  de  jeunes  enfants  de  verrier 
jouant  ensemble  dans  l’atelier  paternel,  que  l’histoire  ou  la 
légende  a maintes  fois  attribué  la  découverte  delà  lunette. 

Encore  une  fois,  cela  n’a  rien  d’invraisemblable  en  soi. 

Peu  importe  au  surplus  cette  manière  de  voir,  car  je  veux 
simplement  retenir  ici  une  chose  incontestable  en  toute  hypo- 
thèse, savoir  la  grande  notoriété  bientôt  acquise  à l’expérience  de 
Porta  par  l’universelle  dilfusion  de  la  Magia  naturalis  (^).  Cette 
expérience  devait  donc  inévitablement  donner  lieu  à des  tenta- 
tives de  contrôle  et  à des  e.ssais  d’amélioration. 

C’est  bien  ce  qui  arriva  et  le  vrai  problème  est  par  conséquent 
celui-ci  : 

Quel  savant,  partant  de  l’idée  de  Porta,  parvint  le  premier  à 
réaliser  une  lunette  usuelle  et  pratique?  Quel  est  surtout  celui 
qui  la  perfectionna  assez  pour  en  faire  un  appareil  de  précision 
capable  de  servir  aux  recherches  scientifiques? 

C’est  Hans  Lipperhey  de  Wesel,  citoyen  de  Middelbourg, 


(1)  L’édition  de  1569  est  devenue  fort  rare,  .le  cite  le  passage  d’après 
Jo.  Bapt.  Portae  Neapolitani  Mcuiiae  Naturalis  Libri  XY.  Ab  ipso  auihore 
expurgati,  et  superaucti,  in  quibus  scientiarum  naturalium  diuitiae  et 

delitiae  demonstrantur Neapoli.  Apud  lloratiimi  Saluianum.  1).  (sic) 

I).  LXXXVIII.  Lib.  17,  ch.  10,  p.  269. 

(2)  Sur  les  nombreuses  éditions  et  traductions  de  la  Magia  Naturalis,  voir 
Houzeau  et  Lancaster,  Bibliographie  générale  de  l’Astronomie,  Bruxelles, 
1887,  t.  1.  H®  part.,  p.  587. 


632 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


répondent,  avec  leur  compatriote  van  Swinden  (i),  les  historiens 
hollandais. 

Leurs  arguments  ont  fini  par  conquérir  insensiblement  l’adhé- 
sion à peu  près  générale  : 

« Dès  l’apparition  de  la  lunette,  dit  Poggendorf  dans  son 
Histoire  de  la  Physique  (2),  rinvention  en  fut  attribuée  aux 
Hollandais,  sinon  avec  une  certitude  entière,  du  moins  avec  une 
très  grande  probabilité...  11  ne  s’agit  plus  maintenant  que  de 
savoir  qui,  dans  ce  pays,  doit  être  considéré  comme  l’inventeur, 
parmi  les  trois  personnes  qui  sont  désignées  comme  telles.  » 

Passant  alors  en  revue  Jacob  Metius,  Zacharie  Janssen  et 
Lipperhey,  Poggendorf  discute  leurs  titres  respectifs;  puis,  se 
ralliant  «à  l’avis  de  van  Swinden,  il  se  prononce  pour  Lipperhey. 

C’est  ce  jugement,  universellement  accepté  depuis  van  Swin- 
den et  Poggendorf,  qui  est  aujourd’hui  fi’appé  d’appel  par 
M.  de  ^Yaard.  Le  mémoire  solidement  documenté  qu’il  nous 
donne  dans  ce  but,  prouve  que  le  procès  est  à reprendre  en 
entier. 

M.  de  Waard  était  bien  placé  pour  se  charger  de  cette  révision. 
Comme  Zacharie  Janssen  et  Lipperhey,  le  jeune  savant  hollan- 
dais est  Middelbourgeois.  Un  accès  large  et  facile  aux  archives 
de  sa  ville  natale  lui  a fait  découvrir  des  pièces  importantes  et 
nombreuses  relatives  à ses  deux  célèbres  compatriotes.  Ce  sont 
notamment  les  minutes  originales  des  pièces,  hase  principale  de 
la  discussion,  publiées  dans  l’ouvrage  fameux  de  Pierre  Borel, 
De  vero  telescopii  inventore  (3).  Mais  il  y a mieux,  aux  pièces 
connues  depuis  longtemps  en  étaient  jointes  d’autres  fort 
intéressantes  qui  les  commentent  et  les  expliquent. 

On  se  rappelle  les  péripéties  assez  étranges  de  la  composition 
de  l’ouvrage  de  Borel. 

Pierre  Borel,  né  à Castres,  en  JG28,  et  par  conséquent  de 

(1)  Geschiedkundig  onderzoek  naar  de  eerste  Uitvinders  der  Verrekijkers, 
uit  de  aanteekeningen  van  wyle  de  hoogleeraar  van  Swinden,  zaniengesteld 
door  G.  Moll.  Nieuwe  Verhandelingen  der  Eerste  Klasse  van  het  Konink- 
LIJKE  Nederlandsche  Instituut  van  wetenschappen,  letterkunde  en 
SCHOONE  kunste  TE  AMSTERDAM.  3 deel.  Amsterdam,  1831. 

(2)  Histoire  de  la  Physique,  cours  fait  à l’IIniversité  de  Berlin  par 
J.-C.  Poggendorf.  Traduction  de  MM.  E.  Ribart  et  G.  de  la  Quesnerie,  profes- 
seurs agrégés  de  l’Université.  Paris,  Dunod,  1883,  p.  108. 

(3)  De  vero  Telescopii  inventore,  cum  brevi  omnium  conspiciliorum  histo- 
ria.  Ubi  de  eorum  confectione,  ac  usu  seu  effeclibus  agitur,  novaque  quae- 
dam  circa  ea  proponuntur.  Accessit  etiam  centuria  observalionum  micro- 
scopicarum.  Authore  Petro  Borello,  Régis  Christianissimi  Consiliario  et  Medico 
Ordinario.  Hagae-Comitum,  Ex  Typographia  Adriani  Vlacq.  M.  DG.  LV. 


BIBLIOGRAPHIE 


033 


nationalité  française,  était  médecin  du  roi  Louis  XIV.  11  conçut, 
vers  1655,  le  projet  d’écrire  l’iiistoire  de  la  découverte  du 
télescope.  Ses  premières  recherches  lui  indiquèrent  comme 
inventeur  probable  de  l’instrument,  un  Hollandais,  Mans 
Lipperhey  de  Wesel,  citoyen  de  Middelbourg  (1).  Or  un  bomo- 
nyme  de  Pierre  Borel,  Guillaume  Boreel,  citoyen  de  Middelbourg 
comme  Lipperhey,  était  alors,  à Paris,  envoyé  des  Provinces- 
Unies  près  le  roi  de  France.  Leurs  charges  à la  cour  du  roi 
avaient  mis  Pierre  et  Guillaume  en  relations.  Ce  fut  pour  Pierre 
une  chance  heureuse.  11  résolut  d’en  profiter  et  de  se  servir  de  la 
haute  considération  dont  Guillaume  jouissait  à .Aliddelbourg.  Il 
le  pria  donc  de  l’aider  à tirer  au  clair  les  origines  du  téle- 
scope (2). 

Guillaume  accepta  et  écrivit  avec  empressement  aux  Magistrats 
de  Middelbourg  pour  leur  demander  copie  des  pièces,  dépositions 
de  témoins  ou  autres,  établissant  les  droits  de  Lipperhey.  Les 
Magistrats  se  mirent  incontinent  à l’œuvre,  mais  leur  réponse, 
trahissant  un  certain  embarras,  n’était  pas  précisément  celle 
qu’attendait  Guillaume.  Sans  doute  Lipperhey  avait  découvert 
la  lunette.  Aucun  maître  ne  lui  avait  en.seigné  le  mécanisme  de 
l’instrument  et  il  l’avait  trouvé  tout  seul.  A Middelbourg  on  en 
convenait.  Mais  un  autre  bourgeois  de  la  cité,  Zacharie  Janssen, 
avait  de  son  côté  imaginé  le  même  instrument  et  l’avait  construit 
le  premier. 

Lipperhey  ou  Janssen,  peu  importait  à Guillaume  Boreel!  Ce 
qu’il  lui  fallait,  c’était  Middelbourg  ! Nanti  des  documents  qu’il 
a reçus,  il  parvient  à convaincre  Pierre  Borel.  Janssen  devient 
ainsi  le  premier  inventeur  du  télescope,  et  Lipperhey,  passant 
au  second  rang,  n’en  est  plus  qu’un  deuxième  inventeur. 
« Zacharias  Janssen  sive  Johannides  primus  conspiciliorum 
inventer.  ~ Hans  Lipperhey  secundus  conspiciliorum  inventer.» 
Ce  sont  les  propres  termes  des  inscriptions  écrites  sous  les  deux 
beaux  portraits  placés  en  tète  de  l’ouvrage  de  Borel. 

Le  récit  de  Pierre  Borel  garde  la  trace  de  ces  variations.  Aussi, 

(1)  Voir  Borelli,  De  vero  Telescopii  inventore,  lib.  I,  c.  XI,  pp.  23  et  24; 
De  uitvinding  der  Verrekijkers,  lettre  de  Guillaume  Boreel  aux  Magistrats  de 
Middelbourg,  pp.  10  et  11. 

(2)  En  s’en  tenant  à la  rigueur  des  termes  de  la  dédicace  de  Pierre  Borel,  on 
pourrait  croire  que  Guillaume  a été  le  premier  inspirateur  de  l’ouvrage.  Mais 
nous  ne  voyons  là  qu’une  simple  politesse  de  l’auteur  envers  son  illustre 
homonyme.  La  brusque  volte-face  de  Guillaume  s’explique,  nous  semble-t-il, 
beaucoup  mieux  si  les  démarcbes-  chez  les  Magistrats  de  Middelbourg  ont  été 
faites  à la  demande  de  Pierre  Borel. 


cm 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


quoique  très  intéressant,  est-il  un  peu  entortillé  et  pas  toujours 
Tort  clair.  En  y regardant  de  près,  on  y remarque  même  des 
impossibilités  et  de  vraies  contradictions  avec  certains  laits  bien 
établis.  Elles  paraissaient  jusqu’ici  insolubles,  et  van  Swinden 
en  profita  autrefois  pour  se  prononcer  de  nouveau  en  faveur  de 
Lipperhey  contre  Janssen.  On  possède  aujourd’hui  la  clef  de  ces 
difficultés,  grâce  aux  documents  publiés  par  M.  de  Waard. 

La  cause  première  de  tout  l’embrouillement  est  la  manière 
dont  Guillaume  Boreel  s’adresse  aux  Magistrats  de  Middelbourg. 
11  ne  leur  propose  pas  une  enquête  intégrale,  mais,  partapt  de 
l’idée  fausse  et  préconçue  que  Lipperhey  a pour  lui  tous  les 
droits,  il  se  contente  de  leur  demander  des  preuves  à l’appui  de 
son  client.  11  y va  de  la  gloire  de  Middelbourg! 

La  gloire  de  Middelbourg!  Les  Magistrats  la  désiraient  comme 
Guillaume  Boreel!  Quant  à l’inventeur  du  télescope,  ils  ne  s’en 
étaient  probablement  jamais  souciés!  Aussi  est-ce  avec  une 
surprise  désagréable  qu’ils  entendent  les  premiers  témoignages 
en  faveur  de  Zachaiie  Janssen.  Ils  les  actent  en  rechignant. 
L’intervention  de  ce  personnage  fâcheux  ne  va-t-elle  pas  tout 
gâter?  Trop  intègres  pour  supprimer  tout  bonnement  les  dépo- 
sitions gênantes,  ils  cherchent  néanmoins  à en  atténuer  la  portée 
et  apostillent  la  plus  concluante  d’entre  elles  par  ces  mots  r « Le 
témoin  doit  se  tromper  et  a vraisemblablement  des  défauts  de 
mémoire  (1).  » 

Sans  avoir  aucun  des  effets  fâcheux  redoutés  par  les  Magis- 
trats de  Middelbourg,  ces  dépositions  eurent  des  conséquences 
considérables.  A peine  furent-elles  connues  par  Guillaume  Boreel 
qu’elles  éveillèrent  chez  lui  de  lointains  et  très  réels  souvenirs. 
Zacharie  Janssen,  c’était  un  compagnon  de  jeux,  un  ancien  ami 
d’enfance!  Et  lui,  Boreel,  il  patronnait  Lipperhey!  Un  supplément 
d’information  lui  montre  clairement  la  priorité  de  son  vieux 
camarade.  Il  se  ravise  brusquement,  mais  en  parfaite  connais- 
sance de  cause.  C’est  à bon  escient  qu’il  reconnaît  son  erreur  et 
prend  en  mains  la  défense  des  droits  deJanssen  contre  Lipperhey. 
Voilcà  ce  que  les  nouveaux  documents  publiés  par  M.  de  Waard 
mettent  en  pleine  lumière. 

Tous  ces  résultats,  aussi  curieux  qu’imprévus,  ne  sont  que 
la  partie  la  moins  importante  du  mémoire  du  jeune  savant 
hollandais. 

(1)  « Dunkt  ons  dat  hy  sich  abuseert  en  qiialijck  moet  tiel)l)en  onthouden.  » 
De  uitvinding  (1er  Verrekijkers,  p.  f(5. 


BIBLIOGRAPHIE 


G35 


M.  de  Waard  vient  récemment  d’avoir  en  la  main  assez  heu- 
reuse pour  la  mettre  sur  le  Journal  inédit  d’isaac  Beeckman.  Il 
se  devait  de  compulser,  au  point  de  vue  spécial  de  l’histoire 
des  lunettes,  ce  manuscrit  fameux  dans  l’histoire  du  cartésia- 
nisme. Beeckman  avait  été  en  relation  avec  Jean  Sachariassen, 
fils  de  Zacharie  Janssen,  héritier  de  la  boutique  et  du  métier 
paternels.  L’ami  de  Descartes,  on  le  savait,  s’était  exercé  au  polis- 
sage des  lentilles  dans  l’atelier  du  verrier  de  Middelbourg. 
D’histoire  des  lunettes  au  moment  où  Beeckman  était  l’apprenti 
de  Sachariassen,  il  n’était  pas  encore  question.  Mais  dans  leurs 
longues  conversations  devant  l’établi,  maître  et  disciple  ne 
s’étaient-ils  jamais  rien  raconté  qui  pût  éclaircir  cette  histoire? 

Or,  voici  le  propos  perdu  dont,  à la  date  du  1"  au  ^ juin  1(334, 
Beeckman  croit  devoir  tenir  note  dans  son  journal  : 

« Jean  Sachariassen  dit  que  son  père  fabriqua  dans  ce  pays-ci 
la  première  lunette,  en  1604.  11  la  lit  d’après  un  modèle, 
construit  par  un  Italien,  sur  lequel  on  lisait  l’inscription  : 
Anno  i590.  » (1) 

Cette  phrase  projette  un  rayon  lumineux  sur  toute  cette 
période  de  l’histoire  de  la  lunette. 

Ecartons  d’abord  une  objection.  Cette  affirmation  de  Sacha- 
riassen, dit-on,  contredit  les  dépositions  qu’il  a faites  plus  tard 
sur  le  même  sujet. 

D’accord.  Mais,  quand  ce  personnage  âpre  au  gain,  d’instruction 
médiocre,  de  moralité  douteuse,  quand  Sachariassen  dit-il  la 
vérité  ? 

Quand  il  n’a  pas  d’intérêt  à la  trahir.  C’est  évident. 

Or,  en  1634,  il  n’en  a encore  aucun.  Plus  tard  le  problème  de 
l’invention  de  la  lunette  est  posé  et  il  cherchera  à en  tirer  profit. 
Il  tâchera  de  faire  croire  qu’il  a collaboré  à la  découverte  pater- 
nelle, mais  son  jeune  âge  s’y  oppose.  Il  se  vieillira  donc  sans 
scrupules  de  plusieurs  années,  arrangera  les  événements,  inter- 
vertira les  dates,  se  donnera  de  l’importance,  pour  tâcher  de 
ramener  en  partie  cà  lui  la  gloire  de  la  fabrication  de  la  lunette. 
Aussi,  dans  son  premier  récit  tout  s’enchaîne  et  s’explique  ; dans 
le  second,  les  contradictions  abondent  tellement  que  van  Swin- 
den,  nous  l’avons  dit,  crut  devoir  en  revenir  à Lipperhey. 

Le  propos  de  1634,  voihà  donc  ce  qu’il  nous  faut  retenir  chez 
Sachariassen.  Le  premier  télescope  hollandais  fut  construit,  en 
1604,  par  Zacharie  Janssen,  son  père,  et  il  le  fut  sur  le  modèle 
d’un  télescope  italien. 


{l)  üe  uitvinding  der  Yerrekijkers,g.  125. 


G36 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Faut-il  ajouter  que  re  dernier  trait  a pour  lui  tous  les  carac- 
tères de  la  vraisemblance? 

En  160i,  les  Italiens  jouaient  depuis  plusieurs  années  un  rôle 
important  dans  toutes  nos  provinces.  Un  Génois  illustre,  le  mar- 
(piis  Ambroise  de  Spinola,  commandait  les  armées  des 
archiducs  devant  üstende,  et  ses  compatriotes  étaient  accou- 
l'us  en  Ibule  <à  sa  suite  dans  les  deux  camps  ennemis,  chercher 
tbrtime  au  Pay.s-Bas.  A la  même  date,  les  verreiies  de  Middel- 
bourg  faisaient  une  rude  concurrence  à celles  de  Venise  et  les 
maiti'es  verriers  hollandais  ne  reculaient  devant  aucun  sacrifice 
d’ai'gent  pour  embaucher  des  ouvriers  italiens.  Rencontrer,  dans 
un  simple  atelier  de  Middelboutg,  un  chef-d’œuvre  de  l’art 
des  lunettiers  de  la  péninsule,  voilà  ce  qui  n’avait  alors  rien  de 
bien  étonnant. 

Gela  étant,  que  d’babiles  artisans  comme  .lanssen  et  Lipperhey 
réussissent,  j)iesque  simultanément  et  sans  s’étre  concertés,  à 
imiter  un  appareil  compliqué  dont  ils  ont  vu  le  modèle,  c’est  ce 
(pii  arrive  encore  tous  les  jours;  simple  question  d’adresse 
manuelle  et  de  technique  de  métier.  Mais  qu’ils  inventent,  dans 
les  nuùnes  circonstances,  un  instrument  basé  sur  une  théorie 
absti'aite  et  dillicile,  ceci  devient  invraisemblable  ; disons  plus, 
c’est  impossible. 

Et  dans  quel  but  travaillent-ils?  Pour  l’avancement  de  la 
science  ? 

Non,  mais  pour  taire  de  l’argent;  tous  les  documents  exhumés 
pai'  M.  de  Waard  le  démontrent.  On  rencontre  Janssen,  mar- 
chand ambulant,  ofiVant  des  lunettes  parmi  d’autres  articles  de 
quincaillerie,  à une  foire  d’automne  de  Francfort.  On  voit  Lip- 
perhey présentant  à plusieurs  reprises  des  longues-vues  aux 
h^tats  de  Hollande,  et  tâchant  d’en  obtenir  en  échange  de  bons 
écus  sonnants.  Janssen,  Lipperhey,  tous  deux  sont  des  commer- 
çants remuants  et  peinants  pour  assurer  des  débouchés  à leur 
marchandise.  Mais  voilà  ce  qui  explique  suffisamment  l’univer- 
selle et  d’ailleurs  très  légitime  réputation  de  la  lunette  hollan- 
daise. Quant  à l’invention  scientifique  de  cette  lunette,  il  faut 
savoir  le  reconnaître,  elle  est  due  aux  Italiens. 

C’est  la  conclusion  de  M.  de  Waard.  Le  savant  hollandais 
mérite  tous  les  éloges  pour  avoir  su  la  tirer  des  prémisses  sans 
réticences,  mettant  ainsi  résolument  la  vérité  au-dessus  de 
l’amour-propre  national  (1  ). 

(I)  Je  signalerai  une  erreur  de  détail  dans  le  mémoire  deM.de  \Vaard.  .\la 
page  271,  il  parle  d’une  lettre  adressée  de  Rome,  le  23  juillet  1611,  par  Gré- 
goire de  Saint-Vincent  au  P.  Jacob  van  der  Maeten,  à Bruges.  Le  nom  du  desti- 


BIBLIOGRAPHIE 


Pour  terminer,  il  nous  faut  enlin  résoudre  un  dernier  pro- 
blème. 

Quel  était  le  degré  de  perfection  et  surtout  quelle  était  la  puis- 
sance delà  lunette  hollandaise  comparée  aux  lunettes  construites, 
à la  même  date,  par  Galilée? 

Cette  question  a été  ti'aitée  moins  à fond,  par  M.  de  Waard, 
que  les  précédentes,  mais  elle  vient  en  revanche  de  tenter  l’éru- 
dition de  M.  A.  Favaro.  Dans  l’important  et  très  intéressant 
compte  rendu  qu’il  a donné  du  mémoire  de  M.  de  Waard, 
l’éminent  éditeur  de  Galilée  a réuni  plusieurs  témoignages  très 
probants  tendant  >à  établir  la  supériorité  de  la  lunette  de  Galilée 
sur  la  lunette  hollandaise. 

Cette  conclusion  sera-t-elle  définitive? 

Nous  l’ignorons,  car,  le  patriotisme  aidant,  Janssen  et  Lip- 
perhey  trouveront  probablement  encore  des  défenseurs.  Avant 
de  nous  prononcer  en  dernier  ressort,  nous  voudrions  entendre 
la  réplique  de  leurs  avocats. 

N’importe,  la  victoire  finale  de  Galilée  nous  paraît  cependant, 
dès  à présent,  à peu  près  certaine.  Entre  un  homme  de  génie 
poursuivant  avec  opiniâtreté  un  but  scientifique  et  de  simples 
artisans  guidés  par  l’amour  du  lucre,  la  partie  est  inégale  et 
l’avantage  semble,  a priori,  devoir  rester  au  sa\ant.  Ce  sera  là, 
croyons-nous,  le  jugement  de  l’histoire. 


11.  Bosmans,  s.  J. 


nataire  est  inexact,  l.a  leltre  originale  de  Saint-Vincent  fut  retrouvée  jadis, 
par  le  P.  Waldack,  S.  J.,  aux  Arctiives  de  l’Etat  à Gand.  Versée,  en  1S76,  au 
dépôt  de  l’Etat  à Bruges,  avec  les  autres  pièces  concernant  l’ancien  Collège  de 
la  Compagnie  de  Jésus  dans  cette  ville,  elle  s’y  trouve  actuellement,  l^’adresse 
de  cette  lettre  porte  ; « Reverendo  in  Chro  Patri  Jacobo  Stratio  Rectori 
Collegii  Brugensis,  Brugas  in  Flandria.  « Stratius  doit  se  traduire  van  der 
Straeten.  J’ai  publié  la  lettre  de  Saint-Vincent,  en  entier,  dans  mes  Documents 
inédits  sur  Grégoire  de  Saint-Vincent,  Ann.  de  la  Soc.  Scientifique. 
Bruxelles,  1903,  t.  X.WII,  2®  partie,  pp.  23-25. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


V 

Économie  forestière,  par  G.  Huffel,  inspecteur  des  Eaux  et 
Forêts,  professeur  à l’Ecole  nationale  des  Eaux  et  F’orèts. 

Tome  1"  ; Utilité.  Propriété  et  législation.  Politique  forestière. 
La  France  forestière.  Statistiques.  Un  vol.  gr.  in-8"  de  ix- 
pages,  J 904. 

Tome  11  : Dendrométrie.  Formation  du  produit  forestier.  Esti- 
mations et  expertises.  Un  vol.  gr.  in-S"  de  xiii-484  pages,  1905. 

Tome  111  : Notions  préliminaires  à l'aménagement.  Méthodes 
forestières  d’autrefois.  Méthodes  actuelles  d’aménagement.  Un 
vol.  gr.  in-8'’ de  viii-510  pages,  1907.  Paris,  Lucien  Laveur. 

I.  — Du  contenu  du  premier  de  ces  trois  volumes,  nous  nous 
sommes  grandement  inspiré  dans  la  rédaction  de  deux  articles 
publiés  ici-même,  le  premier,  en  juillet  1905,  sous  ce  titre  : 
Utilité  économique  des  forêts;  le  second, en  juillet  et  octobre  1900, 
avec  cet  intitulé  : La  Forêt  gauloise,  franque  et  française.  Il  suf- 
fira donc  ici,  d’en  retracer  le  plan  et  de  mentionner  quelques 
détails  qui  avaient  été  négligés  dans  les  articles  susdits. 

1.  11  comprend  trois  Études,  la  première  ayant  pour  objet 
spécial,  l’Utilité  des  forêts  à tous  les  points  de  vue  : économique, 
bydrologique,  climatérique,  physiologique,  etc. 

2.  La  seconde  traite  d’abord  de  la  constitution  de  la  propriété 
forestière  avec  tout  ce  qui  s’y  rattache;  en  second  lieu,  de  la 
législation  qui  lui  a été  affectée  aux  différentes  époques,  depuis 
les  temps  gallo-romains  et  mérovingiens  jusqu’cà  nos  jours.  Elle 
s’occupe  aussi  des  législations  toutes  récentes  concernant  l’Algé- 
rie, l’Indo-Chine  et  Madagascar. 

3.  La  troisième  Étude  se  présente  avec  le  titre  un  peu  inat- 
tendu de  « Politique  » forestière  et  comprend  trois  subdivi- 
sions, l’une  sur  la  « Politique  » douanière,  une  autre  sur  les 
forêts  relativement  à l’intérêt  général,  et  la  troisième  sur  l’orga- 
nisation du  service  forestier. 

La  a Politique  douanière  » expose  les  effets  favorables  ou  défa- 
vorables, suivant  les  cas,  des  droits  grevant,  à l’entrée,  les  bois 
étrangers  importés  en  France.  11  faut  que  ces  droits  ne  soient,  en 
ce  qui  concerne  les  bois  ronds  ou  bruts,  ni  trop  élevés  ni  trop 
faibles  ; trop  faibles,  ils  amèneraient  une  dépréciation  de  la  mar- 
chandise qui  serait  la  ruine  des  propriétaires  de  bois;  trop  élevés, 
ils  produiraient  une  majoration  des  prix  qui  inciterait  le.sdits 


BIBLIOGRAPHIE 


039 


propriétaires  à jeter  sur  le  marché,  au  grand  préjudice  de  l’ave- 
nir de  la  propriété  elle-même,  tous  leurs  bois  exploitables. 

Il  n’en  va  plus  de  même  pour  les  bois  importés  qui  nous 
arrivent  ouvrés,  façonnés  à l’étranger.  Ici  la  matière  n’est  plus 
première,  elle  est  majorée  de  toute  la  main-d’œuvre  qui  lui  a été 
appliquée.  Ne  pas  grever  ces  bois  à leur  entrée,  ou  les  grever  de 
droits  insuffisants,  ce  serait  accorder,  au  préjudice  du  travail 
national,  une  prime  au  travail  étranger. 

4.  Rien  à dire  de  la  quatrième  Etude.  Il  y est  question  des 
forêts  au  point  de  vue  général,  de  l’organisation  administrative 
et  de  la  condition  des  forêts  en  France  autrefois  et  aujourd’hui, 
toutes  questions  dont  nous  avons  entretenu  nos  lecteurs  dans  les 
articles  précités.  Mentionnons  seulement  la  Statistique  forestière 
par  laquelle  se  clôt  le  tome  1",  et  qui  s’étend  non  seulement  tà  la 
France  européenne,  mais  aussi  à nos  colonies,  et  même,  bien  que 
d’une  manière  plus  restreinte,  aux  pays  étrangers. 

11.  — Le  tome  second  (ï Économie  forestière  comprend  les  cin- 
quième, sixième  et  septième  Études. 

5.  De  ces  trois  études  la  première  a pour  sujet  la  Dendro- 
métrie,  titre  qui  implique  des  connaissances  beaucoup  plus  éten- 
dues qu’un  simple  traité  de  cubage.  Après  un  avant-propos 
où  l’auteur  trace  un  historique  des  dillerents  procédés  employés, 
antérieurement  au  XIX®  siècle,  pour  mesurer  et  estimer  les  bois 
abattus,  il  entre  dans  le  vif  de  son  sujet  qui  n’occupe  pas  moins 
de  160  pages.  D’abord  le  cubage  des  bois  abattus  : arbres  en 
grume,  bois  empilés,  écorces.  Sur  les  premiers,  une  évaluation 
théorique  et  rigoureuse  amène  à considérer  les  arbres  comme 
des  paraboloïdes  ou  troncs  de  paraboloïdes  de  révolution,  ou 
bien  comme  des  troncs  de  cônes,  et  à leur  appliquer  les  savantes 
formules  de  Newton  ou  de  Neil.  Cette  partie  de  la  dendro- 
métrie,  traitée  avec  une  science  consommée,  est  suivie  des 
« cubages  réduits  du  commerce  »,  lesquels  appuyés,  au  moyen 
d’approximations  sutlisantes  dans  la  pratique,  sur  les  données 
de  la  géométrie  élémentaire,  sont  à la  portée  d’un  beaucoup 
plus  grand  nombre  de  lecteurs. 

Le  cubage  des  arbres  sur  pied  suit  celui  des  arbres  abattus. 
Celui-ci  est  surtout  l’alfaire  de  l’acheteur,  du  marchand  de  bois; 
celui-là  incombe  plus  encore  au  vendeur,  qu’il  soit  le  proprié- 
taire ou  son  agent.  11  est  aussi  plus  délicat.  L’évaluation  du  dia- 
mètre des  arbres  se  fait  à l’aide  du  compas  forestier;  celle  des 
hauteurs  à l’aide  du  dendromètre,  petit  instrument  dont  la  forme 
varie  à l’intini  : toutefois,  après  un  certain  temps  d’exercice,  le 


640 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


praticien  arrive  assez  [)roinpteiiieiit  tà  évaluer  la  hauteur  des 
arbres,  soit  totale,  soit  propre  au  service,  à simple  vue.  Muni* 
des  hauteurs  et  des  diamètres  à hauteur  d’homme,  et  ayant 
évalué  la  loi  de  décroissance  pour  en  déduire  le  diamètre 
moyen,  le  forestier  possède  les  données  nécessaires  pour  calculer 
les  volumes.  Ce  sont  hà  les  g-énéralités.  Suivant  les  essences,  le 
mode  de  croissance  ou  le  système  d’aménagement  adopté,  il  y a 
des  ditférences  de  détail  dans  la  manière  de  procéder. 

Ce  qui  précède  concerne  le  cubage  des  arbres  considérés  indi- 
viduellement el  mesurés  pied  <à  pied. 

Uuand  il  s’agit  de  cuber  des  peuplements  entiers,  comme,  par 
exemple,  dans  le  cas  de  coupes  principales  dans  une  forêt  traitée 
en  futaie  pleine,  on  procède  assurément  des  mêmes  principes 
que  pour  les  arbres  considérés  isolément,  mais  on  les  applique 
suivant  des  méthodes  dilférentes.  L’établissement  de  tarifs  pour 
chaque  nuance  tranchée  de  peuplement,  lesquels  s’obtiennent 
par  la  mensuration  très  exacte  d’un  nombre  sullisant  d’arbres 
abattus  dans  clnupie  catégorie,  est  la  base  de  ces  sortes  d’opéra- 
tions très  minutieuses  et  tiès  complexes. 

6.  Toute  production,  qu’elle  ait  {)our  base  la  nature  elle-même 
comme  toutes  celles  qui  proviennent  de  la  terre,  ou  le  travail  de 
l’homme,  comme  celles  qui  résultent  de  l’industrie  proprement 
dite,  met  en  œuvre  le  concours  de  trois  facteurs  qui  sont  : ce 
même  travail  de  l’homme,  les  forces  de  la  nature  et  ce  troisième 
agent  si  décrié  pai’  une  certaine  école  : le  capital.  Comme  tous 
les  autres,  le  produit  forestier  résulte  de  ces  trois  facteurs. 

D’une  manière  générale,  en  économie  forestière,  la  part  de 
l’homme  dans  la  formation  du  produit  forestier  est  la  moindre. 
La  proportion  en  varie  toutefois  suivant  le  mode  d’exploitation 
el  la  nature  des  produits  à obtenir.  Minime  dans  le  cas  d’une 
vieille  sapinière  jardinée  on  d’un  taillis  simple,  par  exemple,  elle 
sera  beaucoup  plus  considérable  dans  une  pineraie  soumise  au 
résinage,  dans  une  forêt  de  chênes-lièges,  ou  dans  un  aménage- 
ment impliquant  la  régénération  artilicielle. 

Bien  plus  considérable,  en  tout  cas,  est  la  part  de  la  nature;  et 
l’élude  des  lois  suivant  lesquelles  elle  fonctionne  est  d’une  grande 
importance,  soit  qu’il  s’agisse  du  mode  d’accroissement  des 
arbres  en  hauteur  et  en  diamètre,  crûs  isolément  ou  en  massif, 
ou  de  leur  développement  en  volume  et  du  taux  de  cet  accroisse- 
ment suivant  l’càge  des  arbres,  ou  enlin  des  opérations  culturales 
dont,  considérés  en  massifs  ou  peuplements,  ils  auront  été  l’objet. 

Le  capital  forestier  implique  divers  éléments.  11  comprend 
d’abord,  comme  dans  toute  industrie  proprement  dite  ou  agricole, 


RIBLKXJRAPIIIE 


(341 


ce  qui  est  aiïecté  au  paiement  de  la  main-d’œuvi’e,  le  roulement; 
puis  le  capital  proprement  dit  qui  se  compose  du  fonds,  c’est-à-dire 
du  sol  supposé  dépouillé  de  son  peuplement  et  contenant  les 
souches  pro  luctives  de  rejets,  les  graines  tombées  des  ai'bres  et 
en  voie  de  germination,  riiumus  résultant  des  feuilles  mortes  et 
autres  débris  végétaux  en  décomposition,  etc.  ; enfin  de  la  super- 
ficie, c.’est-à-dii’e  de  tout  le  matériel  sur  pied,  arbres  et  cépées 
constituant  le  peuplement  de  la  foret. 

Cette  dernière  partie  du  capital  forestier  est,  de  beaucoup,  la 
plus  importante.  Elle  est  elle-même  fort  complexe  en  même  temps 
que  vraimeid  épineuse,  vu  la  ditliculté  d’établir  une  distinction 
nette  et  tranchée  entre  ce  qui,  dans  le  peuplement,  constitue  le 
capital,  c’est-à-dire  le  matériel  permanent,  et  ce  qui  constitue  le 
revenu,  c’est-à-dire  la  production  annuelle  de  la  végétation. 
D’autre  part,  le  point  de  vue  et  le  mode  d’opérer  changent  sui- 
vant qu’on  exploite  des  arbres  isolément  comme  dans  une  futaie 
jardinée  ou  une  futaie  sur  taillis,  ou  qu’on  exploite  par  peuple- 
ments comme  dans  des  éclaircies  de  futaies  pleines  et  dans  les 
taillis,  ou  encore  que  l’on  use  simultanément  de  ces  deux 
modes.  De  là  trois  formes  d’exploitation,  la  troisième  étant  com- 
posée des  deux  autres,  ou  mixte. 

Le  capital  étant  pleinement  défini  et  reconnu  dans  chaque 
forme  d’exploitation,  il  s’agit  d’en  déduire  le  revenu,  autrement 
dit,  d’établir  la  relation  de  l’un  à l’autre.  Cette  relation  varie  sui- 
vant les  modes  d’exploitation  et  d’aménagement.  Sans  entrer 
dans  le  détail  à ce  sujet,  signalons  ce  point  important,  à savoir 
que  le  taux  de  l’intérêt  est  d’autant  plus  faible  (en  même  temt)s 
d’ailleurs  que  le  revenu  d’autant  plus  fort  généralement)  que  les 
âges  d’exploitation  sont  plus  élevés. 

7.  L’estimation  en  fonds  et  superficie  d’une  forêt,  soit  en  vue 
d’achat  ou  en  vue  de  vente,  est  une  opération  laborieuse  autant 
que  délicate.  11  faut  tenir  compte  des  modalités  de  la  valeur  et, 
dans  sa  détermination,  du  taux  de  capitalisation  et  de  sa  variabi- 
lité, apprécier  le  revenu  antérieur  et  le  revenu  futur;  procéder 
successivement  à l’évaluation  du  fonds,  puis  à celle  de  la  super- 
ficie; dans  celle-ci  considérer  ensemble  la  valeur  dite  de  consom- 
mation, c’est-à-dire  la  valeur  présentement  exploitable  et  la 
valeur  d’avenir,  c’est-à-dire  relative  au  taux  d’accroissement 
pour  le  cas  où  le  bois  devrait  être  laissé  sur  pied  durant  un 
nombre  d’années  déterminé.  Tout  cela  demande  des  recherches 
et  des  calculs  approfondis. 

Non  moins  ardues  sont,  en  matière  forestière,  les  expertises. 

IIP  SÉRIE.  T.  XI.  41 


(342 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Ici  les  considérations  de  droit  s’ajoutent  aux  considciations 
d’ordre  technique.  Une  expertise  peut  être  provoquée  pour 
atteinte  ou  dommage  causé  à la  propiiété  ou  bien  en  vue  de 
régler  un  différend  entre  propriétaire  et  usagers  ou  entre 
nu-propriétaire  et  usufruitiers.  Dans  le  premier  cas  il  peut  s’agir 
de  dommages  intéressant  le  domaine  entier,  fonds  et  superficie, 
ou  n’afïectant  que  celle-ci. 

En  matière  de  droits  d’usage  ou  d’usufruit,  le  point  litigieux 
est,  pour  les  premiers,  dans  la  limitation  de  ces  droits  suivant 
la  teneur  juridique  de  leur  titre  et  la  possibilité  de  la  forêt  ; pour 
l’usufruit,  dans  la  détermination  de  la  limite  séparant  le  revenu, 
qui  appartient  à l’iisufruitier,  du  ('apital,  auquel  il  n’a  pas  droit 
de  toucher. 

Ce  sont  hà  toutes  opérations  assez  scabreuses  pour  lesquelles 
on  trouvera  un  guide  sûr  et  lumineux  dans  la  septième  Etude, 
au  tome  II  de  V Économie  forestière. 

111.  — La  question,  si  importante  en  sylviculture,  de  l’aménage- 
menl  fait  l’objet  des  trois  Etudes  VIII,  IX  et  X,  composant  le 
tome  111  et  dernier  de  V Economie  forestière. 

Les  définitions  et  données  générales  sur  les  éléments  q\ii 
doivent  entrer  dans  l’établissement  de  tout  aménagement  ; les 
méthodes  forestières  d’autrefois;  et  enfin  l’aménagement  des 
forêts  comme  il  se  comprend  et  s’applique  aujourd’hui:  tels  sont 
les  sujets  de  ces  trois  dernières  Etudes.  Entrons  dans  quelque 
détail  sur  chacune  d’elles. 

8.  -\ppliqué  aux  forêts,  le  mot  aménagement  a toujours  dési- 
gné les  opérations  destinées  <à  en  améliorer  la  production  et  <à  y 
mettre  de  l’ordre.  Mais  ces  opérations  n’ont  pas  toujours  été 
comprises  de  la  même  manière.  En  notre  temps,  l’aménagement 
d’une  forêt  consiste  dans  l’ensemble  des  opérations  tendant  à 
régler  son  exploitation,  à établir  un  règlement  pour  cette  exploi- 
tation. 

L’utilité  de  ces  règlements  se  manifeste  surtout  par  l’établisse- 
ment de  ce  qu’on  ai)pelle  le  rapport  soutenn,  et  qui  doit  en  être 
la  conséquence.  On  entend  par  « rapport  soutenu  »,  l’égalité  ou  au 
moins  l’é(piivalence  des  revenus  annuels  soit  en  matériel,  soit  en 
argent.  Cette  égalité  est  un  idéal  auquel  l’aménagiste  doit  tendre, 
vu  son  utilité  à tous  les  points  de  vue,  économique,  commercial, 
cultural  même;  et  l’auteur  d’Économie  forestière  a raison 
d’insister  en  ce  sens.  Cependant  il  ne  faudrait  pas,  à notre  avis, 
être  esclave  de  ce  résultat.  Je  veux  dire  (pie,  vu  l’impossibilité 


mBLIOCJRAPHIE 


()13 


d’arriver  là  une  rigueur  d'égalité  que  la  nature  des  choses  ne 
comporte  pas,  il  suffit  d’approcher  du  rapport  soutenu  suivant 
une  approximation  raisonnahle,  sans  lui  suhordonner  d’une 
manièi'e  absolue  d’autres  considérations  de  non  moindre  impor- 
tance, dùt-on  quelquefois  le  sacrifier  en  partie. 

Dans  un  autre  ordre  d’idées,  l’aménagiste  doit  observer,  pour 
l’assiette  des  coupes,  certaines  règles,  notamment,  malgré  les 
inconvénients  qu’elle  peut  avoir,  l’assiette  de  proche  en  proche, 
chaque  coupe  devant  être,  autant  que  possible,  adjacente  ci  celle 
de  l’année  précédente,  comme  à celle  de  l’année  suivante.  11  doit, 
autant  que  faire  se  peut,  orienter  la  direction  de  ses  coupes  de 
manière  à les  soustraire  à l’action  des  vents  dominants,  ou  au 
moins  h en  atténuer  tes  effets  sur  les  arbres,  afin  de  limiter 
le  plus  possible  le  nombre  des  chablis  (i).  Néanmoins  l’éven- 
tualité des  chablis  probables  doit  toujours  être  prise  en  considé- 
ration dans  un  projet  d’aménagement. 

Un  élément  fondamental  encore  est  la  détermination  de  la 
possibilité,  autrement  dit,  de  la  quantité  de  marchandise  que  la 
forêt  peut  produire  annuellement  sans  diminuer  le  total  de  son 
matériel  sur  pied.  Elle  représente  la  cjiiotité  du  revenu  et  peut  se 
mesurer  par  diverses  unités  : surface,  nombre  d’ai'bres,  volume 
<à  exploiter.  De  là  trois  modes  principaux  de  possibilité  : par  con- 
tenance, pieds  d’arbres,  par  volmne. 

La  possibilité  par  aire  ou  contenance  est  de  beaucoup  la  plus 
ancienne.  Pendant  de  longs  siècles  nos  ancêtres  n’en  connurent 
pas  d’autre;  ils  l’appliquaient  même  aux  forêts  traitées  en  futaie 
pleine,  cela  s’appelait  alors  « exploiter  à lire  et  aire  » (:2).  Ce 
mode  de  possibilité  n’est  considéré  comme  admissible  que  pour 

(t)  Chablis  = arbres  renversés  ou  brisés  par  les  vents,  et,  par  extension, 
tous  arbres  déracinés  ou  brisés  par  causes  naturelles  : vent,  foudre,  neige, 
verglas,  etc.  L’étymologie  de  ce  mot  viendrait  de  capiilare  ou  capellare,  dont 
la  signification  en  bas  latin  serait  : casser,  briser. 

(:2)  La  VHP  Etude  de  M.  HulTel  nous  met  à même  d’expliquer  le  sens  de 
cette  expression  tire  et  aire  d’une  manière  différente  de  celle  que  nous 
avions  cru  devoir  adopter  (Cf.  Hev.  des  Quest.  scient.,  octobre  1906,  p.  435, 
et  .\nn.xles,  t.  XXXIIl,  partie,  1899).  t.e  mot  tire  ne  nous  représentant  pas 
d’autre  sens  que  celui  de  la  troisième  personne  du  présent  de  l’indicatif  du 
verbe  tirer,  il  nous  semblait  que  lire  et  aire  devait  être  une  corruption  de 
tire  à aire  ou  de  tirer  aire.  .Mais  il  parait  que,  dans  l'ancien  langage,  tire  était 
une  manière  de  substantif  qui,  ajouté  aux  mots  exploiter  ou  faire  la  coupe,  de 
cette  manière  : exploiter,  faire  la  coupe  à tire,  — signifiait  exploiter  de  proche 
en  proche.  Moyennant  cette  version,  le  terme  tire  et  aire  a une  explication 
toute  naturelle,  qui  est  celle-ci  : de  proche  en  proche  et  par  contenance.  Il  a 
fallu  les  recherches  approfondies  de  M.  Huffel  dans  les  antiques  archives  de 
la  vieille  France  pour  nous  fournir  une  étymologie  plausible  de  tire  et  aire. 


044 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l’exploitation  des  taillis.  Ouand,  sons  le  régime  de  l’ordonnance 
de  1()09,  on  ex])loitait  les  futaies  pai’  surfaces  en  bandes  étroites 
que  devaient  réensemencer  les  graines  tombées  des  arbres  voi- 
sins, ce  mode  a pourtant  réussi  dans  le  centre,  l’ouest  et  le  sud- 
ouest,  pour  les  essences  dites  de  lumière,  telles  que  le  cbéne  et 
les  pins  sylvestre  et  maritime.  Fit  de  fait,  les  plus  belles  futaies  de 
cbéne  que  le  XIX®  siècle  a trouvé  à exploiter,  nous  sont  venues  de 
là.  Mais  ce  mode  de  procéder,  qui  était  alors  un  progrès  consi- 
dérable sur  l’état  antérieur,  a été  très  avantageusement  l’emplacé 
par  la  méthode  dite  naturelle  dont  nous  parlons  plus  loin.  Quoi 
qu’il  en  soit,  la  possibililé  par  contenance  convient  essentielle- 
ment aux  taillis  et  ne  convient  guère  qu’à  eux.  On  avait  déjà 
compris,  jadis,  que  (‘e  mode  de  ti'ailement  était  imi)raticable 
dans  les  forêts  d’arbres  résineux,  et  notamment  en  montagne,  et 
.M.  lluirel  cite  un  règlement  du  ^7  juin  1()18  interdisant,  dans 
ces  forets,  d’autre  mode  d’exploitation  que  celui  des  coupes 
jardinatoires. 

Or,  à ce  dernier  correspond  la  possibilité  par  pieds  d’arbres  ; 
non  pas  nécessairement,  mais  en  raison  de  son  extrême  simpli- 
cité dans  l’application.  Toutefois  ce  genre  de  possibilité,  d’après 
notre  auteur,  ne  serait  pas  à l ecommander  parce  que  le  calcul 
en  est  des  plus  aléatoires,  d’une  part,  et  d’autre  part  en  raison  de 
la  grande  irrégularité  des  peuplements,  par  suite  de  quoi  le 
rendement  peut  varier  considérablement  d’une  année  à l’antre, 
surtout  en  montagne. 

Iteste  la  possibilité  par  volume  également  applicable  aux 
exploitations  d’arbres  (forets  jardinées)  et  aux  peuplements  de 
futaies,  qu’il  s’agisse  de  la  méthode  du  réensemencement  natu- 
rel ou  par  coupes  à blanc  étoc  et  repeuplement  artificiel. 

Ce  n’est  qu’au  commencement  du  XVlll®  siècle  (17^1)  qu’on 
entendit  parler  pour  la  première  fois  de  possibilité  par  volume, 
par  l’organe  du  naturaliste  Iléaumur.  L’Allemague  lui  fit  accueil 
quelques  années  après,  et  ce  ne  fut  qu’au  XIX®  siècle  qu’elle 
p('iiétra  en  France.  L’auteur  signale  deux  systèmes  pour  calculer 
la  possibilité  par  volume,  suivant  qu’on  s’appuie  sur  la  notion 
d’accroissement  combinée  avec  la  durée  de  la  l■évolution,  ou  sur 
cette  même  notion  combinée  avec  celle  du  matériel  normal. 

Bien  su[)érieure,  généralement  parlant,  à la  possibilité  par- 
pieds  d’ai'bres,  la  possibilité  par  volume  est  essentiellement  celle 
qui  est  préféi'ée  pour  les  futaies.  Ce  n’est  pas  qu’elle  n’ait  aussi 
ses  inconvénients  (quand  ce  ne  servait  que  celui  d’obliger  le 
plus  soirveirt  à en  renouveler'  les  calcttls  tons  les  dix  ans)  et 


BIBLIOGRAPHIE 


(3  35 


M.  HuHel  ne  les  dissimule  pas.  Nous  les  avons  signalés  naguère 
à la  Société  Scientilique  de  Bruxelles,  dans  sa  session  de  1899 
(Aawales,  t.  XXIII,  '2'’  partie);  nous  n’y  reviendrons  pas. 
{{appelons  seulement  qu’il  est  possible  de  combiner,  en  une 
certaine  mesure,  le  rapport  soutenu,  dans  une  forêt  traitée  en 
futaie  régulière,  avec  la  possibilité  par  contenance,  ainsi  que 
cela  a été  proposé  par  M.  le  conservateur  des  forêts  Broilliard, 
en  1894(1),  et  exposé  par  nous-même  à la  Société  Scientifique 
comme  il  vient  d’être  dit. 

Pour  ne  pas  allonger  démesurément  cette  analyse,  nous  ne 
nous  étendrons  pas  sur  les  fonds  de  réserve  objet  du  dernier 
chapitre  de  la  VHP  Etude.  Ce  fonds  se  prélève  sur  la  possibilité; 
il  est  ordinairement  du  quart  de  celle-ci.  11  peut  être  cà  assiette 
fixe  ou  mobile,  convenant,  dans  le  premier  cas,  aux  forêts 
soumises  à la  possibilité  par  contenance;  dans  le  second  cas,  à 
la  possibilité  par  volume. 

Là  se  terminent  les  Notions  préliminaires  à l’nménapenient. 
Disons  quelques  mots  des  Méthodes  forestières  d'autrefois,  objet 
de  la  IX”  Étude. 

9.  L’auteur  répartit  ses  méthodes  en  trois  groupes  : première- 
ment des  Origines  aux  règlements  forestiers  datant  du  milieu  du 
XYP  siècle,  ensuite  de  cette  époque  jusqu’à  la  réformation  pro- 
posée par  Colbert  en  1661,  et  de  là  à la  suppression  des  maîtrises 
à la  suite  de  la  période  révolutionnaire. 

On  ne  sait  rien  des  méthodes  forestières  des  anciens  Gaulois, 
si  tant  est  qu’ils  en  eussent  en  dehors  des  cérémonies  druidiques 
et  de  l’exercice  du  pâturage.  Les  Bomains  connais.saient  les  bois 
taillis,  sijlvœ  cæduæ,  silvœ  minutœ.  Aux  temps  gallo-romains  et 
dans  le  haut  moyen  âge,  la  plupart  des  forêts  dépendaient  des 
domaines  seigneuriaux  des  anciens  équités  et  des  chefs  francs, 
qui  se  réservaient  les  chênes,  les  hêtres  et  les  arbres  fruitiers, 
laissant  aux  populations  la  faculté  de  couper,  parmi  les  autres 
essences,  le  bois  dont  elles  avaient  besoin.  Le  mot  taillis  s’appli- 
quait alors  à toute  espèce  de  jeune  peuplement,  qu’il  eût  crû  sur 
souches  ou  de  semis.  Ce  n’est  qu’au  XIX”  siècle  que  ce  mot  a 
été  détourné  de  son  sens  primitif  pour  s’appliquer  exclusivement 
aux  bois  provenant  de  rejets  de  souches.  Dralet,  un  auteur  fores- 
tier de  la  première  moitié  du  siècle  dernier,  employait  encore 

(1)  Le  Traitement  des  bois  en  France,  4®  partie,  chap.  II.  Paris  et  Nancy, 
Berger-I.evraiilt,  édit.  — Mon  regretté  collègue  Charles  Prouvé,  inclinait 
vers  cette  méthode  en  préconisant  la  régénération  des  futaies  par  repeuplement 
artiliciel. 


04(3 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l’expression  taillis  de  sapin  à propos  de  jeunes  massifs  de 
cette  essence  (1). 

A part  les  capitulaires  des  premiers  carolingiens  dont  nous 
avons  parlé  précédemment  et  qui  ne  dépassent  pas  le  IX"  siècle, 
on  ne  connaît,  durant  toute  la  durée  du  reste  du  moyen  âge,  que 
(piekpies  édits,  ordonnances  ou  actes  royaux  relatifs  à la  jouis- 
sance des  forêts;  nous  les  avons  mentionnés  dans  notre  étude  pré- 
citée. On  est  mieux  renseigné  en  ce  qui  concerne  l’impor- 
tant massif  forestier  de  la  région  vosgienne  partagé  entre 
les  ducs  de  Lorraine  et  diverses  abbayes  qui  en  exploitaient 
une  partie  au  moyen  de  nombreuses  scieries.  Nous  n’avons 
que  peu  de  données,  antérieurement  au  XYIII"  siècle,  sur  les 
sapinières  jurassiennes  et  autres  forêts  de  cette  région.  On  sait 
seulement  que,  dans  celles  (jui  dépendaient  de  la  ricbe  abbaye 
de  Saint-Claude,  les  vassaux  prenaient  à leur  gré  tous  les  bois 
(pii  leur  convenaient,  beaucoup  plus  sagement  étaient  adminis- 
trés ou  « aménagés  »,  durant  le  moyen  âge,  les  salins  alpestres; 
nous  en  avons  donné  un  aperçu  d’après  Gb.  de  Ribbes,  en 
octobre  J90ü. 

Ce  n’est  que  vers  le  milieu  du  XVI"  siècle  que  parurent  les  pre- 
miers règlements  d’exploitation  conformes  au  sens  que  nous  don- 
nons aujourd’hui  au  mot  aménagement  en  matière  de  forêts. 
.Vntérieurement  <à  cette  époque,  les  édits  et  ordonnances  de  nos 
rois  auxquels  nous  venons  de  faire  allusion  avaient  bi'aucoup 
plus  pour  but  de  remédier  à des  abus  innombrables,  que  d’établir 
de  véritables  n'^glements  d’exploitation. 

Nous  ne  saurions  entrer  dans  le  détail  de  toutes  \es.réfonnatio)is, 
règlennmts  et  aménagements,  tant  des  taillis  (pie  des  réserves 
sur  taillis  et  des  futaies,  objet  de  ces  règlements  di  ers,  témoi- 
gnant de  l’intérêt  que  les  pouvoirs  publics  d’alors  attachaient  à la 
conservation  et  à la  bonne  gestion  de  la  propriété  forestière. 
.Malheureusement  le  relâchement  des  moMirs  administratives, 
commencé  sous  la  néfaste  lègence  de  (adberine  de  Médicis,  à 
hupielle,  occiqiés  à d’autres  soins,  ne  remédièrent  ni  Kicbelieii, 
ni  Mazarin,  lit  perdre  <à  ce  genre  de  propriété  tout  le  fruit 
des  réforinations  antérieures.  Le  tro[)  court  tègne  de  Henri  IV  ne 
lui  avait  pas  permis  de  réaliser  les  réformes  qu’il  avait  résolues 
dans  ce  sens. 

(t)  (Test  naurlnllart,  dans  son  Dictionnaire  f/énéral  des  Eaux  et  Forêts, 
tome  It,  t82.5,  qui  (le  premier,  parait-il)  déliiiit  le  taillis  comme  le  produit  du 
rejet  des  sourlies  des  arlu’es  feuillus;  jus(iue-là,  tout  jeune  peuplement,  sur 
semis  comme  sur  souches,  était  réputé  taillis. 


I5IIÎLI0GRAPH1E 


047 


11  était  réservé  à Colbert,  ce  grand  ministre  d’ini  grand  roi,  de 
reprendre  l’œnvre  abandonnée  de  François  F".  Nous  nous 
sommes  suffisamment  étendu  naguère  sur  l’œuvre  de  Colbert 
condensée  dans  la  célèbre  ordonnance  de  1()6!),  pour  n’avoir  pas 
tà  y revenir  ici.  Ce  fut  une  œuvre  de  restauration  et  de  progrès 
qui,  interrompue  et  remplacée  par  les  plus  grands  désordres 
pendant  la  période  révolutionnaire,  n’en  prépara  pas  moins  l’ad- 
mission ultérieure  des  sages  et  rationnelles  méthodes  qui  ont 
prévalu  depuis. 

Ne  quittons  pas  cette  IX®  Étude  sans  signaler  la  reproduction 
sous  la  rubrique  : Pièces  justificatives,  de  vingt-sept  règle- 
ments, arrêts,  aménagements  et  procès-verbaux,  concernant 
diverses  masses  forestières  allant  de  1548  à 1789.  C’est  là  un 
recueil  précieux  à consulter  pour  quiconque  s’intéresse  à ce 
qu’on  peut  appeler  : l’histoire  forestière  de  la  France. 

10.  Nous  arrivons  à la  dixième  et  dernière  Étude  du  monu- 
ment que  M.  Hulfel  a élevé  à l’économie  forestière.  Elle  traite, 
comme  la  huitième,  de  l’Aménagement,  mais  dans  le  sens  du 
mode  actuel  d’application,  les  définitions  et  données  générales 
étant  connues. 

11  y a ici  deux  points  de  vue  également  importants  à considé- 
rer : 1“  les  travaux  préparatoires  à l’aménagement  destinés  à 
l’étude  du  milieu  physique  où  croît  la  forêt  et  des  conditions 
économiques  de  son  exploitation;  2”  l’aménagement  proprement 
dit,  c’est-à-dire  les  travaux  d’où  doit  résulter  le  règlement  d’ex- 
ploitation. 

La  première  opération,  à laquelle  il  est  indispensable  de  pro- 
céder après  avoir  établi  la  situation  géographique  et  administra- 
tive de  la  forêt,  est  son  lever  topographique  indiquant  non  seu- 
lement le  périmètre  extérieur,  mais  aiussi  les  courbes  de  niveau, 
les  routes  et  les  cours  d’eau  la  traversant  et,  autant  que  possible, 
les  périmètres  des  divisions  naturelles  à l’intérieur.  Au  moyen 
d’une  reconnaissance  générale  de  la  foret,  à laquelle  aidera 
considérablement  le  lever  topographique  préalable,  on  en  éta- 
blira la  double  statistique  physique  et  économique. 

On  aura  ensuite  à s’occuper  du  but  à assigner  à l’exploitation, 
lequel  variera  suivant  la  nature  des  produits  à retirer  soit 
d’après  les  essences  appropriées  au  sol  et  au  climat,  soit  confor- 
* mément  aux  conditions  économiques  du  lieu.  Sur  ces  bases  s’éta- 
blira le  mode  d’exploitabilité  à adopter.  Assurément  ce  mode 
différera  suivant  qu’il  s’agira  de  forêts  de  l’État,  dont  le  proprié- 
taire doit  avoir  souci  des  besoins  de  la  collectivité  générale  qu’il 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(iiS 


représente,  de  forets  communales  affectées  à une  collectivité  res- 
treinte, ou  de  forêts  privées  correspondant  à rinfmie  variété  des 
besoins  de  leurs  possesseurs. 

(Juant  à la  forme  d’exploitation  cà  choisir,  nous  savons  que 
.M.  llulïel  la  considère  sous  trois  aspects  qu’il  appelle  : « exploi- 
tation de  peuplements^  exploitation  d’nr/jm’,  exploitation  mixte  », 
rangeant  dans  la  première  forme  les  massifs  de  futaie  comme 
les  taillis  simples,  dans  la  seconde  les  futaies  claires,  les  futaies 
jardinées  et  le  furetage,  dans  la  troisième  les  taillis  composés. 

Pour  peu  qu’il  s’agisse  d’une  forêt  de  quelqu’étendue,  surtout 
en  montagne,  il  i)eut  arriver  qu’il  faille  lui  appliquer,  suivant 
les  ditférentes  conditions  de  sol,  de  climat,  d’exposition,  plus 
d’une  de  ces  formes,  peut-être  même  toutes  les  trois.  On  divise 
alors  la  forêt  en  sections  destinées  à recevoir  la  forme  d’exploita- 
tion qui  lui  est  propre.  .Mais  s’il  s’agit  d’opérer  non  plus  sur  quel- 
ques centaines,  mais  sur  des  milliers  d’hectares,  que  ce  soit  en 
montagne  ou  en  plaine,  on  est  amené  à partager  la  forêt  en  un 
certain  nombre  de  séries  d’exploitation  constituant  comme 
autant  de  forêts  ou,  si  l’on  veut,  d’unités  d’exploitation  dis- 
tinctes. 

Si  à la  division  en  sections  et  séries  on  ajoute  celle  qu’implique 
le  parcellaire,  sorte  de  morcellement  partageant  la  forêt  en  une 
multitude  de  parcelles  déterminées  par  les  accidents  et  le  relief 
du  sol,  comme  aussi  en  tenant  compte  des  nuances  du  peuple- 
ment, 011  voit  ipie  le  travail  topographique  joue  un  grand  rôle 
dans  les  travaux  préparatoires  à raménagenient.  L’auteur  donne 
plusieurs  spécimens  de  ces  plans  parcellaires  avec  indication  des 
séries  de  groupements  des  parcelles  en  affeclations  (\),  soit  en 
[ilaine,  soit  en  sol  plus  ou  moins  accentué,  qui  ajoutent  beau- 
coup de  clarté  aux  exposés  du  texte. 

Ces  travaux  préliminaires  accomplis  — et  l’on  voit  qu’ils  ne 

(1)  On  appelle  affectation,  dans  une  forêt  ou  série  traitée  en  futaie  pleine, 
l’étendue  de  terrain  que  doivent  i)arrourir  les  coupes  d’amélioration  durant 
une  période  déterminée,  dix,  ving:t  ou  trente  ans,  par  exemple  C’est  l’étendue 
de  terrain  affectée  à cette  période. 

Supposons  qu’il  s’agisse,  par  exemple,  d’une  sapinière  dont  on  aurait  fixé  la 
révolution  à cent  vingt  ans.  On  partagerait  cet'e  durée  en  six  périodes  de 
vingt  ans  chacune,  et  l’on  reporterait  cette  division  sur  le  terrain  en  six  affec- 
tations représentant  chacune  sensiblement  le  sixième  moyen  de  l’étendue  de 
la  sapinière. 

Telle  est  du  moins  l’alfectation  traditionnelle,  dans  la  méthode  des  affecta- 
tions permanentes.  Notre  auteur  envisage  deux  autres  modes  d’affectation  : 
l’atïectation  révocable  et  l’affectation  unique.  Voir  Économie  forestière, 
t.  III,  pp.  350,  378,  380. 


RIBLIÜÜRAPIIIE 


(349 


sont  pas  de  mince  importance  — il  s’agit  de  procéder  à l’aména- 
gement  Ini-mème. 

Les  développements,  tant  historiques  que  techniques  et  ci'i- 
ticpies,  dans  lesquels  l’auteur  entre  sur  ce  sujet,  comprennent  le 
tiers  du  volume.  Nous  ne  l’y  suivrons  point,  pour  ne  pas  allonger 
cette  analyse  outre  mesure;  mais  nous  en  indiquerons  sommaire- 
ment la  marche. 

Le  règlement  d’exploitation  pour  un  taillis  plein  (ancienne  et 
heureuse  dénomination  des  taillis  simples)  ne  comporte  pas  de 
longues  explications.  F'orté  à un  âge  suffisant  (trente  à quarante 
ans,  par  exemple)  pour  produire  des  hois  d’industrie,  il  peut  être, 
en  certains  cas,  avantageux  dans  les  forêts  feuillues. 

La  question  est  naturellement  heaucoup  plus  compliquée  pour 
les  peuplements  de  futaie  pleine.  L’auteur  la  traite  d’abord  au 
point  de  vue  des  forêts  peuplées  d’essences  feuillues,  ensuite  à 
celui  des  forêts  résineuses,  suivant  qu’il  s’agit  de  pineraies,  de 
pignadas  ou  pignndars  (forêts  de  pin  maritime),  de  sapinières, 
ou  enfm  de  pessières  (peuplements  d’épicéa),  et  encore  suivant 
qu’il  s’agit  de  forêts  à haute  ou  à basse  altitude. 

Pour  les  exploitations  d’arbres,  après  un  petit  nombre  de 
pages  accordées  à la  méthode  de  plus  en  plus  délaissée  des  taillis 
furetés,  l’auteur  s’étend,  avec  tous  les  développements  qu’ils 
comportent,  sur  les  aménagements  en  jardinage,  lesquels  ne 
s’appliquent  guère  qu’aux  résineux  et  principalement  au  sapin. 
Les  différentes  manières  de  procéder  soit  par  pieds  d’arbres,  soit 
par  volume,  sont  exposées  et  appréciées  suivant  les  règles  d’une 
saine  critique. 

Accordons  une  mention  spéciale  à la  futaie  claire,  autre  que 
la  futaie  jardinée,  et  qui  est  un  système  proposé  par  l’initiative 
de  M.  Hulfel.  Supposons  une  futaie  de  chêne  en  sol  frais  et  fer- 
tile, exploitable  à Jî20  ans  et  partagée  en  quinze  parcelles  ou  par- 
quets s’exploitant  successivement  par  rotations  de  quinze  ans. 
Dans  le  parquet  le  plus  âgé,  on  a des  arbres  de  15,  30,  45,  ...  105 
et  1:20  ans;  dans  le  suivant,  des  arbres  de  14,  :29,  44,  ...  104 
et  119  ans,  et  ainsi  de  suite  jusqu’au  plus  jeune,  peuplé  de  sujets 
de  1,  10,  31,  ...  91  et  100  ans.  On  comprend,  sans  plus  d’explica- 
tion, que  <à  chaque  tour  de  rotation  on  trouve  sur  chaque  par- 
quet des  arbres  exploitables;  l’habileté  du  forestier  s’exercera  à 
les  maintenir  toujours  en  nombre  suffisant. 

Il  resterait  à parler  de  ce  que  l’auteur  appelle  « exploitations 
mixtes  »,  autrement  dit,  des  taillis  composés  ou  sous  futaie,  et 
des  aménagements  dits  de  conversion,  quand  il  s’agit  de  passer 


650 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


d’un  mode  d’exploitation  à un  autre,  par  exemple  du  taillis  plein 
à la  futaie  pleine,  du  taillis  sous  futaie  à la  futaie  claire,  etc.,  ou 
inversement.  Toutefois,  M.  Hutfel  n’envisage  la  conversion  que 
sous  ces  deux  derniers  aspects. 

Ayant  eu  souvent  l’occasion  de  parler  ici-mème  des  taillis  sim- 
ples et  composés  (1),  bien  qu’avec  moins  de  compétence  que 
l’éminent  professeur  de  Nancy,  nous  n’y  reviendrons  pas. 

Les  aménagements  de  conversion  sont,  plus  encore  que  les 
aménagements  directs,  des  opérations  à long  ferme  et  d’une 
extrême  délicatesse.  Une  période  d’attente  ou  de  transition  doit 
d’abord  être  établie,  préparatoire  à l’aménagement  définitif, 
période  déterminée  tant  par  les  exigences  culturales  que  par  les 
nécessités  économiques.  On  trouvera  tous  les  éléments  de  cette 
sorte  d’opération  dans  le  dernier  cbapitre  de  la  dixième  Etude, 
par  laquelle  se  clôt  l’important  travail  consacré  par  l’auteur  à la 
science  forestière. 

Observons  que,  parmi  les  vingt  et  une  figures  qui  accom- 
pagnent le  texte  du  3”  volume,  se  rencontrent  les  portraits  de 
quelques  naturalistes  et  forestiers  célèbres  comme  Varenne  de 
Fercille,  Duhamel  du  Monceau  (XVllU  siècle),  B.  Lorentz  et 
Parade,  les  premiers  directeurs  de  l’Elcole  forestière  de  Nancy. 

G.  DE  Kihwan. 


(1)  Notainmenl  IlEV.  des  Quest.  scient,  d’oclülire  IHS7  et  de  juillet  1888, 
De  l’exploitabilité  et  de  la  possibilité. 


REVUE 

DES  RECUEILS  PÉRIODIQUES 


SCIENCES  MILITAIRES 

Les  mitrailleuses.  — Les  mitrailleuses  sont  des  armes  à 
t'eu  intermédiaires  entre  le  fusil  et  le  canon  de  petit  calibre,  à tir 
rapide.  Les  perfectionnements  industriels  ne  tarderont  pas  à 
rendre  ces  engins  parfaitement  maniables.  Nous  nous  proposons 
d’exposer  brièvement  les  idées  qui  ont  cours  actuellement  au 
sujet  de  ces  armes,  et  les  espérances  qu’on  nourrit  à leur  égard. 
Nos  sources  seront  une  étude  publiée  par  le  Bulletin  de  la 
PRESSE  ET  DE  LA  BIBLIOGRAPHIE  MILITAIRES  (1),  ailisi  que  leS  pluS 
récentes  leçons  du  capitaine-commandant  d’artillerie  Orth,  pro- 
fesseur cà  notre  Ecole  de  guerre. 

1.  — Les  mitrailleuses  ont  pour  propriété  essentielle  de  lancer, 
en  un  temps  très  court,  un  très  graiid  nombre  de  projectiles.  Elles 
utilisent  la  cartouche  du  fusil  d’infanterie.  Les  balles  peuvent 
être  projetées  soit  par  salves,  soit  coup  sur  coup,  à des  inter- 
valles de  temps  très  réduits.  La  forme  la  plus  ancienne  de  ces 
appareils  de  guerre  se  rencontre  déjà  au  XIV®  siècle.  Ils  se  com- 
posèrent, longtemps,  d’un  nombre  de  canons  très  variable  (!2), 
accolés  sur  un  même  affût.  Le  tir  s’exécutait  alors  par  salves  et 
permettait  de  lancer,  dans  certains  cas,  un  total  de  1000  projec- 
tiles par  minute  (3).  Pour  éviter  que  l’ensemble  des  balles  d’une 
salve  ne  décrivît  des  trajectoires  à peu  près  parallèles  et  ne  four- 
nît une  gerbe  trop  concentrée,  un  dispositif  particulier  donnait 
une  dispersion  convenable  des  points  de  chute.  La  mise  en  action 
se  faisait  à la  main. 

(1)  Numéros  du  15  octobre  1903  et  suivants.  Cette  revue  militaire,  étant 
rédigée  par  les  soins  du  département  de  la  Guerre,  fournit  à ses  lecteurs  des 
renseignements  d’une  valeur  toute  particulière. 

(!2)  Le  ribaudequin,  arme  très  ancienne,  comprenait  4 ou  6 canons;  la 
mitrailleuse  belge  Montigny  était  caractérisée  par  un  faisceau  de  31  canons. 

(3)  Mitrailleuse  Gatling,  6,  8 ou  10  canons. 


652 


REVUE  ÜES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Ces  inili'ailleuses,  dans  l’état  où  nous  les  trouvons  après  la 
(■anipai>ne  de  1870,  étaient  l’objet  de  nombreuses  critiques.  On 
leur  reprochait  d’être  dangereuses  pour  les  servants  lors  d’un 
long  l'eu,  c’est-à-dire  quand  il  se  produisait  un  retard  dans  le 
départ  de  l’un  des  coups  de  la  salve.  Dans  la  précipitation  du  tir, 
on  extrayait  alors  une  cartouche  en  même  temps  que  les  douilles 
vides;  si  le  coup  raté  partait  à ce  moment,  les  pressions  de  la 
poudre  dans  la  douille  étaient  supérieures  à la  résistance  du 
métal  et  il  y avait  explosion. 

Un  ensemble  de  ;25  à 30  canons  formait  un  tout  pesant  et  peu 
maniable.  11  était  nécessaire  d’avoir  une  base  stable  afin  d’assurer 
la  constance  du  pointage,  car  cette  condition  est  essentielle  pour 
l’eiricacité  d’un  tir  rapide;  de  sorte  que  l’alfùt  du  système  était 
particulièrement  lourd.  Signalons,  pour  terminer  la  nomencla- 
ture des  inconvénients  de  la  mitrailleuse  à canons  multiples,  les 
dillicultés  de  l’alimentation  du  tir. 

Mais  toutes  ces  imperfections  n’auraient  pas  abouti  à la  décon- 
sidération de  l’arme,  si  on  n’eùt  commis  la  faute  de  vouloir 
l’utiliser  suivant  les  mêmes  principes  que  ceux  qui  régissent 
l’emploi  des  canons  de  campagne.  On  faisait  làusse  route;  d’une 
part,  en  elfet,  l’observation  des  points  de  chute  des  balles  n’a 
jamais  été  réalisée  pour  la  mitrailleuse  dans  des  conditions  de 
combat;  d’autre  part,  la  distance  du  tir  ellicace  de  cette  pièce  ne 
dépasse  pas  150()  mètres,  tandis  que  le  feu  du  canon  à tir  rapide 
est  meurtrier  juscpi’à  ^500  mètres;  la  mitrailleuse,  enfin,  reste 
impuissante  devant  les  obstacles  dont  la  destruction  n’est  qu’un 
jeu  pour  le  canon.  Pour  cette  même  raison,  faut-il  le  dire?  l’infé- 
riorité de  l’une  par  rapport  à l’autre  s’est  encore  accentuée  de 
nos  jours,  depuis  l’adoption  du  bouclier  par  l’artillerie  de  cam- 
pagne. 

La  tactique  suit  une  évolution  lente  dont  les  progrès  sont  une 
fonction  des  améliorations  industrielles  de  l’armement.  Depuis 
qu’on  est  parvenu  à créer  des  mitrailleuses  à un  seul  canon,  on  a 
renoncé  à les  opposer  aux  batteries  de  campagne  et  on  en  a fait 
des  fusils  perfectionnés.  C’est  en  188;2  que  l’on  voit  apparaitre 
les  premières  tentatives  destinées  à siq)i)rimer  les  inconvénients 
matériels  que  nous  avons  signalés  plus  haut.  On  se  demande  s’il 
n’y  aurait  pas  moyen  de  rendre  le  tir  automatique,  en  utilisant, 
par  exemple,  une  partie  des  gaz  de  la  poudre  pour  faire  effectuer 
les  divers  mouvements  de  la  charge  et  du  tir  du  fusil  ordinaire  : 
extraction  puis  éjection  de  la  douille  vid(!  provenant  du  coup 
précédent,  chargement  d’une  nouvelle  cartouche,  fermeture  de 
la  culasse  et  départ  du  coup. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


653 


Nous  ne  donnerons  la  description  d’aucune  arme  réalisant  ces 
avantages  ; mais  nous  serions  incomplet  si  nous  omettions 
d’énumérer  les  ditïérentes  laçons  par  lesquelles  le  principe  de 
l’automatisme  peut  être  obtenu.  Supposons  d’abord  (lig.  1)  que 
le  canon  A soit  fixe  sur  son  affût  11.  La  culasse  G est  appliquée 
contre  le  canon  par  l’action  du  ressort  récupérateur  D,  relié  à 
l’alfiit  par  son  point  E.  Au  moment  du  départ  du  coup,  les  gaz 
de  la  poudre  agissent  sur  la  tranche  antérieure  t de  la  culasse; 
celle-ci  est  chassée  violemment  vers  l’arrière  et  entraîne  avec  elle 
la  douille  vide.  L’éjection  se  produit.  Le  récupérateur,  bandé 
par  le  mouvement  de  la  culasse,  ramène  celle-ci  en  avant  dès  que 
la  force  vive  du  recul  a été  absorbée.  Ce  mouvement  de  va  et 
vient  est  suüisanl  pour  permettre  l’introduction  d’une  nouvelle 
cartouche  dans  l’àme  du  canon  et  pour  armer  le  dispositif  de 


Fig.  1. 


mise  de  feu.  Aussi  longtemps  que  nous  appuyerons  le  doigt  sur 
la  détente,  les  opérations  que  nous  avons  énumérées  se  répéteront 
d’une  manière  continue.  11  n’est  pas  dillicile  de  se  rendre  compte 
de  l’inconvénient  du  système  : si  les  ditférentes  pièces  ne  sont 
pas  ajustées  avec  la  plus  minutieuse  précision,  le  temps  pendant 
lequel  la  balle  parcourt  le  canon  et  maintient  les  grandes  pres- 
sions intérieures  a beau  se  mesurer  par  une  fraction  de  seconde, 
il  y aura  toujours  un  instant  pendant  lequel  une  partie  de  la 
douille  sera  extraite  de  son  logement,  par  le  recul  de  la  culasse, 
avant  que  les  pressions  intérieures  soient  redevenues  normales. 

Le  schéma  de  la  ligure  2 nous  montre  comment  on  peut  réduire 
cet  inconvénient  en  n’empruntant  l’action  des  gaz  qu’au  moment 
où  la  balle  est  arrivée  au  debà  de  l’ouverture  a du  canon.  Le 
piston  P est  repoussé  vers  l’arriére,  entraîne  la  culasse  G et  bande 
le  ressort  récupérateur  D. 


654 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


11  est  possible  de  supprimer  totalement  le  même  inconvénient 
en  rendant  le  canon  A (flg.  J)  mobile  sur  son  affût.  Le  système 
canon-culasse  recule  tant  que  la  balle  n’est  pas  sortie  de  l’àme. 
A un  moment  donné,  le  canon  s’immobilise;  la  culasse  poursuit 
son  mouvement  et  tend  le  récupérateur.  Les  opérations  suivantes 
ne  présentent  rien  de  particulier  (1). 

Une  dernière  catégorie  d’armes  automatiques  est  à culasse 
fixe;  elle  utilise  le  frottement  des  balles  dans  les  rayures  pour 
entraîner  le  canon  vers  l’avant. 

La  mitrailleuse,  réduite  à sa  plus  simple  expression,  devient 
très  légère,  très  maniable  et  se  dissimule  facilement  aux  vues  de 
l’adversaire.  Elle  peut  réapparaître  .‘^ur  le  champ  de  bataille,  se 
poster  cà  portée  ellicace  de  tir  en  utilisant  les  couverts  naturels  et 


A 

C 

r 

rr 

H 

B 

Fig.  ± 


ouvrir  le  feu  sans  avoir  beaucoup  plus  <à  craindre  les  atteintes  de 
l’artillerie  ennemie  qu’un  groupe  de  soldats  dispersés  en  tirail- 
leurs. La  fixité  de  son  affût  augmente  considérablement  la 
justesse  de  l’arme  qui  équivaut,  en  tir  lent,  à un  fusil  sur  cheva- 
let ; il  est  possible  de  construire  la  pièce  de  telle  sorte  que  le  tir 
ne  s’allonge  pas,  comme  celui  du  fantassin,  dans  les  moments 
d’énervement  du  combat,  sous  l’inlluence  de  causes  morales.  Une 
organisation  des  services,  appuyée  sur  un  cadre  nombreux,  ren- 
dra l’utilisation  de  cet  engin  des  moins  aléatoires.  Si  celui-ci 
comprend  un  bouclier,  le  tir  pourra  rester  ellicace  jusqu’à  la 
dernière  minute.  Là  oû  un  détachement  d’infanterie  aurait  déjà 
cédé  sous  la  menace  d’un  assaut  imminent,  la  mitrailleuse  atten- 
dra vaillamment  l’ennemi  et  fauchera  imperturbablement  ses 
rangs,  pendant  la  course  de  100  à 150  mètres  qui  le  transporte, 

(1)  Ces  divers  principes  sont  utilisés,  entre  autres,  dans  le  pistolet  auto- 
maticjue  lîrowning,  dans  la  mitrailleuse  llotchkiss  et  la  mitrailleuse  Maxim. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


655 


au  moment  de  l’abordage,  de  sa  dernière  position  de  tii'  cà  la 
ligne  du  défenseur. 

Grâce  à sa  grande  rapidité,  le  tir  sera  destructeur  aux  endroits 
memes  où  le  terrain  ne  se  prête  pas  au  déploiment  de  troupes 
nombreuses  ; il  sera  foudroyant  en  un  temps  très  court. 

11  va  sans  dire  que  l’emploi  d’une  arme  à un  seul  canon 
entraîne  de  sérieux  inconvénients.  Le  plus  important  d’entre  eux 
est  réchauffement  produit  dans  la  pièce.  La  température,  d’après 
Hebler,  s’y  élèverait  de  •4“  à 5"  environ  par  coup.  L’échaulïement 
dilate  le  canon,  à tel  point  que,  après  trois  minutes  d’un  tir 
ininterrompu,  les  balles  peuvent  devenir  indépendantes  des 
rayures,  et  la  justesse  se  réduire  progressivement  à zéro,  malgré 
l’emploi  de  réfrigérants  destinés  à créer  une  déperdition  de  cha- 
leur. On  utilise,  on  le  sait,  dans  ce  but,  soit  de  l’eau,  comme  dans 
la  mitrailleuse  Maxim,  soit  des  radiateurs,  comme  dans  la 
mitrailleuse  Hotchkiss,  soit  enfin  un  jet  d’air  froid  lancé  dans 
l’àme  après  chaque  coup,  comme  dans  la  mitrailleuse  Colt.  L’em- 
ploi de  ces  palliatifs  n’empêche  pas  la  température  de  la  mitrail- 
leuse Hotchkiss,  par  exemple,  de  s’élever  encore  rapidement 
jusqu’cà  iCO"  pour  devenir  ensuite  à peu  près  constante. 

11  semble  donc  qu’on  se  soit  fait  illusion  en  admettant  pour 
vitesse  de  tir  le  chilïre  exagéré  de  600  coups  par  minute.  Les 
constructeurs  sont  peut-être  parvenus,  en  se  plaçant  dans  de  très 
bonnes  conditions,  à obtenir,  pendant  de  courts  instants,  un  ren- 
dement aussi  fantastique;  mais  il  faudra  certainement  en 
rabattre,  et  de  beaucoup,  avant  d’arriver  à la  vitesse  du  tir  de 
combat.  Le  Bulletin  de  l.\  Presse  admet,  avec  grande  raison, 
pensons-nous,  que  la  vitesse  de  6 coups  à la  seconde  doit  être 
considérée  comme  une  moyenne  (1). 

Une  vitesse  supérieure  ne  serait  aucunement  recommandable, 
parce  qu’on  obtiendrait,  au  point  de  chute,  un  effet  surabon- 
dant. Une  balle  doit  sufiire  pour  tuer  un  homme.  Supposons, 
par  exemple,  qu’une  compagnie  d’infanterie  s’élance  cà  l’assaut 
de  la  position  à partir  de  100  mètres.  Elle  est  déployée  sur  un 
front  de  dimension  égale;  chaque  homme  occupe,  en  largeur,  un 
espace  de  60  centimètres  environ.  Quelles  que  soient  ses  disposi- 
tions d’attaque,  l’adversaire  sera,  en  théorie,  certainement 
détruit  après  le  170®  coup,  si,  grâce  à un  dispositif  de  dispersion 

(I)  Ce  chiffre  fournit  une  vitesse  de  300  coups  environ  par  minute,  quand  ou 
tient  compte  des  opérations  de  chargement  qui  nécessitent  de  courtes  suspen- 
sions de  tir.  Les  cartouches  sont,  en  effet,  disposées  sur  des  handes  métal- 
liques ou  flexibles  qui  doivent  être  adaptées  sur  la  mitrailleuse. 


G56 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


horizontale  convenable,  les  trajectoires  successives  sont  distantes, 
au  but,  (ie0™,t)0.  Avec  la  vitesse  moyenne  que  nous  avons  admise, 
ce  résultat  est  acquis  en  *^8  secondes.  Aucune  troupe  européenne 
ne  serait  capable  de  surmonter  l’efTet  moral  d’une  perte  aussi 
forte,  subie  en  un  temps  si  court.  L’assaut  échouerait  certaine- 
ment. 

On  se  gardera  bien  d’inférer,  des  chiffres  que  nous  venons  de 
présenter,  qu’une  mitrailleuse  équivaut  <à  !2()()  ou  250  fusils.  L’ef- 
fet utile  d’un  tir  peut  se  mesurer  par  le  produit  du  nombre  d’at- 
teintes pour  cent  par  la  rapidité  du  tir.  Si  nous  représentons  le 
temps  par  T,  le  nombre  moyen  d’atteintes  d’un  tireur  par  n,  le 
nombre  de  tireurs  par  A,  et  le  nombre  de  balles  tirées  par  N, 
l’effet  utile  pour  un  groupe  de  soldats  aura  comme  expression  : 

1-,  A.‘)i  N i /’kn  Ay?  ... 

E^=  JOO  X = 100  Y’  (1) 

Dans  le  cas  d’une  mitrailleuse,  l’effet  utile  vaudra  : 

E„,  = 100|t  X ^ = 100^,.  (2) 


Pour  trouver  l’équivalence  d’une  mitrailleuse  en  soldats,  il 
faut  chercher  à comparer  E^à  E,„.  Dans  ce  but  posons  : 

N = i\'  et  T = T'.  (3) 

Cette  hypothèse  détermine  A qui  est  égal  au  rapport  des 
vitesses  de  tir  de  la  mitrailleuse  et  du  fusil.  Acceptons  le  chiffre 
30  comme  valeur  de  A,  de  façon  à fixer  les  idées.  Cela  revient  à 
dire  que  dans  un  tir  ajusté  les  tireurs  lancent  en  moyenne 
10  balles  par  minute.  Les  égalités  (1)  et  (2)  deviennent 

E,=  100y  E,„  = 100!^'  (4) 


Il  est  possible  de  les  comparer.  A cet  effet,  divisons-les  membre 
<à  membre  : 


E.  _ _ 1 N 

E;-  An  A ^ 

N 


d’où  AK  = — . 

IL 

N 


(5) 


9 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


()57 


E 

Puisque  la  traction  -f=^  représente  le  rapport  qui  existe  entre 

une  mitrailleuse  et  A tireurs,  le  produit  A x K représente  le 
nombre  de  fusils  équivalent  cà  une  mitrailleuse.  Le  coellicient  K 

dépend  de  l’adresse  des  tireurs  et  de  la  justesse  du  tir  de  la 

mitrailleuse  Ce  dernier  terme,  nous  l’avons  déjà  vu,  dimi- 
nue considérablement  à partir  de  la  troisième  minute,  pour  tom- 
ber bientôt  à zéro.  La  mitrailleuse  ne  pourra  donc  pas  rendre  des 
services  continus.  Nous  étonnerons  peut-être  le  lecteur  en  affîr- 


5 


Fig.  3. 


mant  que  la  justesse  de  tir  même  de  cet  engin  pendant  les  pre- 
mières minutes  lui  donnera,  dans  certaines  circonstances,  une 
infériorité  marquée  sur  un  groupe  de  mauvais  tireurs.  Nous 
l’allons  montrer  tout  de  suite. 

Nous  savons  que  des  causes  multiples  iniluent  sur  les  trajec- 
toires décrites  dans  des  conditions  qui  sont  apparemment  les 
mêmes.  La  dispersion  des  points  de  chute  en  est  la  conséquence. 
Dans  les  tirs  collectifs,  aux  causes  ordinaires  de  cette  dispersion 
s’ajoutent  les  différences  entre  les  fusils  et  entre  les  tireurs.  Dans 
chaque  cas,  on  peut  construire,  avec  le  général  Rôhne,  pour  une 
hausse  donnée,  une  courbe  dite  des  probabilités  (bg.  3)  dont  un 
IIP  SÉRIE.  T.  XII.  4“2 


658 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


point  X a pour  abscisse  la  différence  Oj:;  entre  la  portée  réelle  et 
la  portée  moyenne  désirable  des  balles,  pour  ordonnée  x\  le  rap- 


port du  nombre  de  balles  tombées  à chaque  distance  au 

nombre  total  des  projectiles  lancés.  Quand  N aug-mente  indéfini- 
ment, la  courbe  est  continue.  La  dimension  UT  décroît  quand 
l’adresse  du  tireur  augmente.  Si  le  but  se  trouve  h la  distance 
correspondant  à la  hausse,  c’est-à-dire  en  O,  le  nombre  n des 
atteintes  que  mesure  OS  sera  le  plus  grand  possible.  Mais  s’il 
s’écarte  du  point  O,  par  suite  d’erreurs  commises  dans  l’appré- 


ciation des  distances,  le  rapport  ^ décroit  avec  l’ordonnée  de  la 


courbe  des  probabilités. 

Ces  considérations,  toutes  générales,  vont  nous  permettre  de 
démontrer  l’infériorité  de  la  mitrailleuse  sur  le  mauvais  tireur, 
aux  distances  inconnues.  Dans  la  figure  4,  UST  est  la  courbe  des 
probabilités  d’une  mitrailleuse,  ns7  est  la  courbe  des  probabi- 


S 


lités  d’un  groupe  de  A tireurs.  Dans  les  deux  cas,  N balles 
ont  été  lancées.  Supposons  queje  but  soit  représenté  par  D. 
Si  ce  point  se  déplace  de  O vers  t,  l’expression  (5)  devient  : 

F _ 1 

A BC  DC  (()) 

A 

Il  en  résulte  que,  de  O à /,  l’effet  utile  de  la  mitrailleuse  est 
supérieur  à celui  de  A tireurs.  En  /,  il  y a égalité;  de  l à t il  y a 
avantage  pour  les  tii’eurs.  Cet  avantage  s’étendra  sur  une  lon- 
gueur d’autant  pins  giande  que  les  hommes  seront  moins  bien 
exercés.  C’est  ce  que  nous  voulions  démontrer. 


REVUE  DES  RECTTEILS  PltRR)l)IQUES 


Nous  avons  prouvé  en  même  temps  combien  est  variable 
l’équivalence  de  la  mitrailleuse  en  fusils  (1)  et  nous  comprenons 
comment  les  auteurs  ont  pu  différer  du  simple  au  décuple  dans 
leurs  estimations  (îl). 

11  serait  peut-être  intéressant  de  mettre  mieux  ces  résultats 
en  évidence  par  des  chiffres.  Supposons  donc  la  hausse  de 
700  mètres;  les  armes  sont  dans  le  plan  horizontal  du  pied  du 
but;  dans  ce  cas,  les  tables  de  tir  nous  donnent  : 


Si  on  admet  que  le  télémètre  fournisse  l’approximation  de 
3 p.  c.  de  la  distance,  que  l’emploi  des  hausses  arrondies  porte 
cette  approximation  à 0 p.  c.,  on  voit  que  le  but  B peut  se  trou- 
ver, à notre  insu,  éloigné  de  iiL  mètres  du  point  central  0.  Dans 
ces  conditions,  il  y aurait  moins  de  0 p.  c.  de  chances  d’at- 
teindre, avec  la  mitrailleuse,  une  cible  verticale  continue  de 
2‘",-40  de  hauteur,  ce  qui  correspond  <à  un  rang  de  cavaliers.  Il 
yen  aurait  12,75  p.  c.  avec  un  groupe  de  tireurs.  I*ar  contre,  si 
la  distance  était  exactement  'connue,  les  chances  d’atteinte 
deviendraient,  avec  la  même  cible  : 

50  p.  c.  pour  la  mitrailleuse;  18,04  p.  c.  pour  A tireurs. 

50 

L’équivalence  se  mesurerait  donc  pai'  A fusils,  soit, 

quand  A vaut  30,  par  04  fusils.  Pour  être  absolument  précis,  il 
resterait  à déduire  de  ce  chiffre  le  nombre  de  servants  et  de 
gradés  affectés  au  service  de  la  pièce,  puisque  ces  hommes 
pourraient  renforcer  les  rangs  des  fantassins. 

(1)  Notre  raisonnement  a supposé  intentionnellement  que  le  liut  à atteindre 
n’a  ni  hauteur  ni  profondeur.  Sinon,  nous  eussions  dû  faire  intervenir  le  rap- 
-Olî  + A.  01! 


simplicité  et  pour  aboutir  à la  même  conclusion.  Notre  exemple  numérique 
tiendra  compte  de  la  réalité. 

C2)  Voici  quelques  chiffres  relatifs  à cette  équivalence  : 

Lieutenant-colonel  Uouquerol  ; quelques  dizaines  de  fusils. 


OT  = 72  mèti'es 


Of  = 474  mètres 


au  lieu  de  dans  nos  considérations,  au  détriment  de  la 


Von  Immanüel  : 
Commandant  Bourdon  : 
Règlement  suisse  : 
Règlement  allemand  : 


200  hommes  au  minimum. 


1/4  de  compagnie. 
50  tireurs  exercés. 


100  tireurs  moyens. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


()G0 

II.  — 11  est  possible  d’aborder  dès  maintenant,  dans  cette  seconde 
partie,  le  point  de  vue  tactique  de  notre  étude.  Connaissant 
l’arme  h feu  et  le  rendement  dont  elle  est  capable,  nous  pouvons 
examiner  l’organisation  qui  facilitera  le  mieux  son  emploi,  les 
méthodes  de  tir  qui  donneront  le  meilleur  effet  utile  dans  les 
différentes  péripéties  du  combat  moderne,  et  les  circonstances 
qui  seront  favorables  à sa  coopération  sur  le  cbamp  de  bataille. 

Xous  envisagerons  successivement  la  guerre  de  campagne  et 
la  guerre  de  siège;  nous  terminerons  par  un  mot  sur  l’usage  des 
mitrailleuses  dans  les  colonies. 

En  principe  il  est  indispensable  de  jumeler  les  mitrailleuses, 
leur  accouplement  devant  se  faire  comme  s’il  n’y  avait  qu’une 
seule  pièce.  La  règle  est  absolue;  elle  découle  du  fait  de  la  rapi- 
dité avec  laquelle  cette  arme  est  mise  hors  d’usage  lorsqu’on 
exige  d’elle  un  tir  continu.  X la  guerre  chacun  se  croit  toujours 
le  plus  menacé.  Supposez  une  mitrailleuse  isolée.  Le  chef  de 
pièce,  quel  que  soit  son  sang-froid,  n’échappera  pas  h cette 
impression  générale.  Il  prendra  facilement  pour  une  situation 
critique  une  phase  ordinaire  du  combat.  11  ordonnera  un  feu 
continu.  Les  émotions  ne  bu  permettront  pas  de  chronométrer 
sous  une  pluie  de  balles  la  durée  de  son  tir  : trois  minutes  .«e 
seront  rapidement  écoulées  à son  insu  et  la  mitrailleuse  tirera 
bientôt  sans  précision.  Lour  peu  que  la  j)ression  de  l’ennemi  se 
prolonge,  elle  deviendra  bientôt  complètement  inutilisable,  au 
moment  où  elle  serait  peut-être  apj)elée  à rendre  les  plus  grands 
services.  Si  même  le  chef  a le  coup  d’œil  juste,  s’il  intervient  à 
point  voulu,  il  mettra  encore,  en  peu  d’instants,  sa  pièce  hors 
d’usage,  alors  qu’ultérieurement  peut-être  une  situation  nouvelle 
en  rendrait  l’action  désirable. 

En  jumelant  deux  mitrailleuses  on  peut  leur  faire  tirer  alter- 
nativement ÜD,  50,  lot)  ou  même  150  cartouches,  selon  les  cas. 
Les  intervalles  entre  les  tirs  d’une  même  pièce  sont  favorables 
au  refroidissement  du  canon.  Ils  permettent  en  outre  de  vérifier 
l’état  du  mécanisme,  de  le  graisser,  de  le  réparer  et  d’apporter 
éventuellement  les  corrections  néces.'^aires  .à  la  hausse. 

(iràce  à ce  procédé,  une  mitrailleuse  pourra  lancer  ;^0  à 
d5  000  balles,  voire  même  davantage  (1),  alors  que,  par  un  tir 
à outrance,  elle  serait  dégradée  et  hors  de  service  après 
0500  coups  environ. 


1 1 ) I.es  Anglais  atlril)uent  jusqu’à  13  000  rartouches  à une  seule  inilrailleuse. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


0()i 


Voici,  à titre  d’exemple,  quelle  est  l’org-anisation  allemande 
d’un  groupe  de  mitrailleuses  sur  pied  de  guerre  : 

1 capitaine,  3 lieutenants  chefs  de  section,  12  sous-officiers, 
1 trompette,  63  hommes,  18  chevaux  de  selle,  6 pièces  attelées 
à 4 chevaux  et  transportant  chacune  10  000  cartouches,  3 cais- 
sons attelés  cà  -i  chevaux  et  transportant  chacun  15  000  car- 
touches, des  voitures  accessoires,  chevaux  de  réserve,  etc. 

Chaque  groupe  se  subdivisera  en  3 sections  de  2 pièces. 

Pour  la  lutte  en  rase  campagne,  les  mitrailleuses  peuvent  être 
adjointes  cà  l’inhinterie  et  à la  cavalerie. 

Elles  sont,  d’avis  unanime,  servies  par  des  fantassins  ou  par 
des  cavaliers  suivant  le  cas.  « En  tant  que  fusil  perfectionné, 
elles  ne  représentent  qu’un  mode  d’action  particulier  de  l’infan- 
terie dans  des  circonstances  spéciales,  dit  le  lieutenant-colonel 
Rouquerol  ; leur  emploi,  pour  être  judicieux,  pour  être  en  con- 
cordance intime  et  constante,  avec  les  efforts  de  l’infanterie, 
doit  être  confié  à l’infanterie  elle-même.  » Lorsqu’elles  sont 
appelées  à agir  en  liaison  avec  les  troupes  montées,  elles  doivent, 
en  principe,  suppléer  au  manque  d’infanterie;  elles  relèvent, 
par  conséquent,  du  commandant  de  cavalerie,  et  partant  sont 
maniées  par  cette  arme. 

Leur  intervention  ne  se  fera  que  dans  des  circonstances  parti- 
culières; elle  dépendra  soit  du  terrain,  soit  du  développement 
des  phases  de  la  lutte;  il  sera  donc  peu  rationnel  d’attacher  les 
mitrailleuses  en  permanence  à certaines  unités  de  ligne  telles 
que  le  bataillon  ou  le  régiment.  Elles  recevront  avec  avantage 
les  ordres  d’un  commandement  supérieur,  celui  de  la  division, 
par  exemple,  car,  plus  une  impulsion  vient  de  haut,  plus  elle  est 
judicieuse  parce  qu’elle  est  appuyée  sur  une  meilleure  conception 
de  l’ensemble. 

Le  lieutenant-colonel  Rouquerol  dit,  à propos  de  l’artillerie  à 
tir  rapide  : les  méthodes  de  tir  doivent  s’adapter  à l’organisation 
de  la  batterie,  mais  celle-ci  ne  doit  pas  se  plier  à celles-là.  Le 
principe  est  également  vrai  pour  les  mitrailleuses.  Leur  organi- 
sation par  couple  est  une  conséquence  logique  de  l’imperfection 
du  matériel.  C’est  donc  en  admettant  un  état  de  choses  inévi- 
table pour  le  moment  que  les  méthodes  de  tir  doivent  être  ima- 
ginées. 

Le  tir  coup  par  coup  sur  un  but  fixe  ou  peu  mobile  donnera  des 
résultats  notablement  supérieurs  à ceux  du  fantassin,  parce  que  la 
mitrailleuse  agit  alors,  nous  l’avons  déjà  dit,  avec  la  précision 
d’un  fusil  sur  chevalet.  Ce  tir  serait  avantageux  si  un  groupe 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(i()2 


d’olliciers  d’État-major,  par  exemple,  se  livrait  aux  vues,  en  un 
point  bien  repéré.  Sa  valeur  serait  déjà  moindre  si  le  but  se 
déplaçait,  car  il  faudrait  alors  le  suivre  par  la  ligne  de  visée. 
Dans  ce  cas,  à distance  connue,  une  rafale  aurait,  semble-t-il, 
bien  plus  de  chances  de  réussite;  mais  elle  dévoilerait,  pour  la 
suite,  la  présence  de  la  miti'ailleuse  qu’on  a toujours  intérêt  à 
faire  agir  pai-  surprise.  En  tous  cas,  ce  procédé  de  tir  sera  excep- 
tionnel. 

Le  feu  intermittent  comprendra  le  tir  par  séries  de  quelques 
dizaines  de  cartouches.  11  conviendra  pour  les  objectifs  à front 
étroit,  alin  d’éviter  qu’il  y ait  surabondance  d’eiïet.  Il  permettra 
peut-être  un  réglage  indirect  du  tir  ; on  observera  le  trouble  et 
le  llottement  produits  dans  les  rangs  ennemis  par  la  série  des 
balles  lancées  avec  la  hausse  convenable. 

Le  feu  rapide  sera  obtenu  par  le  tir  alternatif  des  deux  pièces 
de  chaque  section;  les  séries  comprendront  une  soixantaine  de 
coups.  On  réalisera  ainsi  un  bon  rendement  continu,  sans  exiger 
des  pièces  un  etfort  supérieur  à leur  capacité. 

S’il  est  avantageux  de  forcer  la  note  pendant  quelques 
instants,  soit  pour  faire  face  à un  danger  imprévu,  soit  pour 
jeter  le  désarroi  dans  un  objectif  compact,  soit  enfin  pour  sur- 
prendre un  but  fugitif,  à distance  bien  connue  et  assez  faible,  le 
feu  par  pièce  lancera  des  séries  de  100  à 150  balles,  avec  courtes 
interi'uptions  pour  graisser  le  mécanisme  et  le  visiter  rapide- 
ment. 

Ces  diverses  méthodes,  prévues  par  le  règlement  suisse  sur  la 
mitrailleuse  de  cavalerie,  se  combinent  avec  le  tir  fauchant  qui 
permet  de  battre  les  diverses  formations  des  troupes  ennemies, 
tant  en  largeur  qu’en  profondeur.  Dès  que  la  distance  est  con- 
nue, il  y a grande  analogie  entre  les  méthodes  de  tir  du  canon  à 
tir  rapide  et  celles  de  la  mitrailleuse.  Nous  retrouvons  pour  celle- 
ci  des  cas  d’application  du  tir  par  rafales,  du  tir  progressif,  du 
tir  sur  points  repérés,  etc. 

Telle  que  nous  la  connaissons,  la  mitrailleuse  a,  en  fait,  peu  de 
partisans  quand  il  s’agit  de  l’adapter  à la  guerre  de  campagne. 
Les  auteurs  lui  refusent  en  général  toute  valeur  dans  l’otfensive. 
Ils  reprochent  à cette  arme  de  tirer  sans  contrôle,  de  pécher  par 
excès  de  précision.  Nous  avons  examiné,  avec  chitfres  à l’appui, 
la  valeur  de  cet  argument.  L’action  efficace  de  la  mitrailleuse 
n’est  possible,  avons-nous  vu,  qu’aux  distances  parfaitement 
connues.  Or,  ce  fait  est  très  rare  sur  le  chanq)  de  bataille.  Il  se 
présente  pour  celle  des  deux  armées  qui  garde  la  défensive. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES  ()()3 

Encore  taul-il  (jne  cette  défensive  soit  préméditée,  qu’elle  ne  soit 
pas  le  fait  d’nne  attaque  malheureuse.  Si  l’un  des  adversaires 
croit  avantageux  de  s’accrocher  au  terrain  et  d’y  attendre  l'en- 
nemi, il  a le  loisir  et  le  devoir  de  mesurer  exactement  les  dis- 
tances de  certains  points  de  repère  de  la  campagne,  par  lesquels 
l’assaillant  doit  nécessairement  passer.  En  l’absence  de  repères 
naturels,  il  en  crée  d’artificiels.  Dans  ces  conditions,  le  feu  des 
mitrailleuses  peut  être  terrible,  même  pour  des  buts  éloignés. 
Mais  la  défensive  est  considérée  par  tous  les  écrivains  comme  un 
pis-aller,  car  même  victorieuse  elle  n’est  jamais  décisive.  Les 
principes  de  la  guerre  rellètent  la  préoccupation  d’imprégner  les 
esprits  militaires  de  la  volonté  opiniâtre  de  marcher  toujours  à 
l’ennemi.  Aussi  le  peu  d’enthousiasme  qui  accueille  l’introduc- 
tion des  mitrailleuses  parmi  les  troupes  de  campagne  n’est-il  pas 
fait  pour  nous  étonner  beaucoup.  L’Allgemeine  Militar  Zeitung 
de  1900  (1)  ne  va-t-il  pas  jusqu’à  dire,  à propos  des  mitrailleuses 
attachées  à quelques-uns  des  bataillons  de  chasseurs  en  Alle- 
magne, « qu’on  devrait  éviter  d’entraver  les  mouvements  d’une 
bonne  troupe  de  campagne,  comme  sont  les  chasseurs,  en  l’obli- 
geant à traîner  de  pareils  boulets  »? 

11  est  certain  que,  outre  la  difficulté  d’obtenir  un  tir  réglé  dans 
l’offensive,  il  y a encore  celle  de  pousser  les  mitrailleuses  en 
avant.  11  ne  s’agit  pas  de  leur  faire  suivre,  de  proche  en  proche, 
les  progrès  de  l’infanterie,  mais  il  faut  cependant  prévoir  des 
changements  de  position.  Ces  changements  présenteront  des  dif- 
ficultés plus  grandes  que  celles  que  l’artillerie  rencontre  dans  des 
circonstances  analogues,  car  ils  se  feront,  parfois  avec  che- 
vaux et  voitures,  à des  distances  de  tir  très  efficace  de  l’infanterie 
même.  Qui  peut  affirmer  qu’il  y aura  toujours  un  couvert,  un 
chemin  creux,  un  pli  de  terrain  quelconque,  à l’abri  desquels  les 
pièces  s’avanceront  d’une  position  à la  suivante  ? 

Cependant,  il  faut  se  garder  d’être  trop  absolu.  Devant  un 
adversaire  résolu,  l’assaillant  devra  conquérir  le  terrain  pas  à 
pas;  souvent  même  les  rôles  seront  intervertis  pendant  quelque 
temps;  les  positions  occupées  devront  être  défendues  contre  les 
tentatives  de  reprise  de  l’ennemi.  Or,  grâce  aux  trajectoires  ten- 
dues des  armes  à feu  les  plus  modernes,  une  balle  tirée  avec  la 
hausse  de  600  mètres,  par  exemple,  ne  s’élèvera  pas  au-dessus  du 
sol  à une  hauteur  plus  grande  que  celle  d’un  homme  de  taille 
moyenne.  Dans  ces  conditions,  tout  le  terrain,  depuis  le  tireur 
jusqu’au  point  de  chute  constituera  une  zone  dangereuse;  l’éva- 

(1)  Cité  par  le  Bulletin  de  la  Presse. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


()()4 


luation  de  la  distance  exacte  deviendra  secondaire,  et  la  mitrail- 
leuse nous  fournira  un  rendement  parfait. 

Nous  pouvons  donc  conclure  cà  l’utilité  des  mitrailleuses  pour 
les  armées  de  campagne,  à condition  de  ne  les  engagerni  trop 
tôt,  ni  d’une  manière  continue,  et  d’en  faire  un  appoint  dont  le 
chef  seul  appréciera  l’<à-propos. 

La  cavalerie,  dans  sa  marche  à la  découverte,  rencontrera  sou- 
vent des  obstacles  qui  l’obligeront  à faire  usage  du  feu.  Cette 
arme  éprouve,  à l’égard  de  ce  genre  de  combat,  une  répulsion 
instinctive.  Cela  tient  sans  doute  tà  ce  que,  créée  pour  le  mouve- 
ment, elle  craint  de  sacrifier  ses  qualités  manœuvrières  à des 
procédés  qui  attachent  l’homme  au  terrain  pour  le  faire  pro- 
gresser lentement.  Cependant,  l’occupation  des  deux  rives  d’un 
pont  que  l’ennemi  aurait  intérêt  <à  détruire,  la  protection, 
jusqu’à  l’arrivée  de  l’avant-garde,  du  débouché  d’un  défilé  que 
doit  franchir  le  gros  des  troupes,  seront  des  objectifs  fréquents 
de  la  cavalerie  en  campagne.  Comment  la  renforcer  pour  lui 
permettre  de  remplir  de  telles  missions?  Ces  dernières  années 
ont  vu  éclore  plusieurs  solutions  du  problème:  citons-en  seule- 
ment deux  ; les  détachements  cyclistes  et  les  mitrailleuses.  Peut- 
être  celles-ci  seront-elles  adjointes  à ceux-là.  Les  expériences 
des  manœuvres,  à défaut  de  guerre,  pourront  seules  fixer 
les  idées.  Mais,  quoi  ([u’il  en  soit,  on  accorde  généralement  que 
si  la  mitrailleuse  remplace  l’infanterie  aux  endroits  où  celle-ci 
coopérerait  avantageusement  à l’action  de  l’arme  montée,  elle 
ne  détrône  pas  l’artillerie  à cheval  dans  les  combats  de  cavalerie 
contre  cavalerie. 

Le  Bulletin  de  la  Presse  n’examine  pas,  dans  l’article  que 
nous  avons  signalé,  l’application  des  mitrailleuses  à la  guerre 
de  siège  (1).  La  connaissance  technique  que  nous  avons  de  ces 
pièces  et  les  principes  de  la  guerre  de  forteresse  nous  permet- 
tront cependant  de  dire  quehpies  mots  de  cette  question  (^). 

Rappelons  d’abord  au  lecteur  qu’une  place  forte  appuie  sa 
défense  principale  sur  une  série  de  forts  détachés  à 7 ou  8 kilo- 
mètres de  la  ville  et  distants  entre  eux  de  ''2  kilomètres  au 


(1)  Le  Bulletin  avait  imprimé,  dans  son  numéro  du  3i  janvier  t9ü3,  une 
élude  sur  V utilimtion  des  mitrailleuses  dans  la  défense  d’un  ouvra(/e  de  forti- 
fication permanente,  par  le  lieutenant  Dothey,  de  l’artillerie  de  forteresse  de 
la  position  fortifiée  de  Namur. 

("t)  Nous  tiendrons  compte  de  l’élude  du  lieutenant  Dothey,  mais  nous  ne 
suivrons  pas  cet  officier  dans  toutes  ses  conclusions  ipie  nous  ne  pouvons 
partager. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


G05 


niiiiimuni.  Les  intervalles  entre  les  ouvrages  permanents  sont 
ofcupés  par  des  troupes  d’artillerie  et  d’infanterie. 

Nous  aurons  caractérisé  la  valeur  des  mitrailleuses  dans  la 
lutte  des  intervalles  quand  nous  aurons  dit  que  le  terrain  est 
étudié  dès  le  temps  de  paix,  en  prévision  d’un  combat  défensif  à 
outrance.  Rien  n’empècliera  de  défendre  la  position  en  attaquant 
l’ennemi.  Mais,  dans  le  cas  actuel,  l’offensive  même  se  fera  sur 
une  zone  repérée;  les  distances  seront  connues  : le  tir  des 
mitrailleuses  sera  donc  parfaitement  réglé. 

Aussitôt  la  place  investie,  le  gouverneur  militaire  doit  géné- 
ralement renoncer  cà  recevoir  des  secours  du  dehors.  11  peut,  dès 
le  début  des  opérations,  être  fixé  sur  les  ressources  dont  il  dispo- 
sera. Celles-ci  sont  réduites  au  minimum  pour  que  les  armées 
de  campagne  soient  aussi  fortes  que  possible.  C’est  avec,  ce  mini- 
mum que  le  chef  de  la  défense  doit  prolonger  la  lutte  jusqu’à  la 
dernière  cartouche  ou  la  dernière  ration  et  retenir  autour  de  la 
forteresse,  des  corps  ennemis  dont  la  présence  serait  peut-être 
indispensable  sur  le  champ  de  bataille  principal.  Grâce  à l’adop- 
tion des  mitrailleuses,  le  nombre  des  défenseurs  pourra  être 
diminué  sans  que  la  capacité  combative  de  la  garnison  soit 
amoindrie  par  cette  réduction.' 

Personne  ne  contestera  les  grands  services  que  la  mitrailleuse, 
placée  derrière  les  remparts  d’un  point  d’appui,  rendra  aux 
défenseurs  de  l’ouvrage,  fille  mettra  le  fort  à l’abri  de  l’attaque 
de  vive  force  (i),  qui  se  repousse  principalement  par  le  feu.  Si 
l’ennemi  est  attendu,  si  les  intervalles  sont  organisés,  les  effectifs 
d’infanterie  atfectés  normalement  aux  ouvrages  de  fortification 
permanente  pourront  donc,  au  début,  renforcer  les  troupes 
mobiles  chargées  de  la  défense  active  de  la  forteresse.  Quand 
l’assaillant  aura  conquis  de  haute  lutte  ses  positions  d’artillerie, 
quand  il  aura  entrepris  l’attaque  pied  à pied,  ces  etfectifs,  tout 
en  restant  attachés  au  fort,  pourront  encore  loger  en  partie  à 
l’extérieur.  Les  soldats  éviteront  ainsi  l’abattement  moral  qui 
s’empare  des  troupes  enfermées  longtemps  dans  des  locaux 
éclairés  par  des  moyens  artificiels  et  souvent  mal  aérés.  Si 
l’armée  ennemie  survient  à l’improviste  (ce  pourrait  être  le  cas 
pour  nos  forts  de  la  Meuse),  les  cinquante  artilleurs  de  la  garni- 
son du  temps  de  paix  lui  opposeront,  grâce  à l’appoint  des 
mitrailleuses,  une  résistance  très  suffisante,  eu  égard  aux  moyejis 
d’attaque  qu’elle  utilisera  pour  l’exécution  de  son  coup  de  main. 

(1)  Cette  attaque,  rappelons-le,  se  fait  d’emblée,  après  une  courte  prépa- 
ration par  l’artillerie  de  campagne  et  l’artillerie  lourde  d’armée. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


()()() 

Nous  ne  partageons  pas  l’avis  du  lieutenant  Dothey  lorsqu’il 
dit  : « La  défense  d’un  fort  est  passive  et  repose  uniquement  sur 
le  feu.  En  ne  demandant  à l’infanterie  qui  coopère  à cette 
défense,  qu’un  tir  nourri  et  ajusté,  on  ne  profite  donc,  en  aucune 
façon,  de  ses  précieuses  qualités  de  mobilité,  d’à-propos,  et  de  sa 
puissance  offensive.  Or  il  semble  que  l’on  pourrait  faire  un 
emploi  plus  judicieux  de  cette  arme  en  la  remplaçant  sur  le  terre- 
plein  de  combat  par  des  mitrailleuses  et  en  la  disposant  à l’exté- 
rieur du  fort  pour  exécuter  la  contre-attaque  au  moment  où  le 
feu  des  mitrailleuses  aurait  provoqué  l’hésitation  et  l’arrêt  dans 
la  marche  en  avant  de  l’adversaire  » (1).  S’il  s’agit  en  effet  d’une 
place  dont  les  ouvrages,  comme  ceux  de  la  Meuse,  constituent 
avant  tout  des  forts  d’arrêt,  on  sacrifierait  volontairement 
^00  hommes  en  les  lançant,  au  moment  de  l’assaut,  contre  des 
effectifs  vingt  fois  plus  nombreux  : le  fort  d’ailleurs  serait 
entouré  par  l’envahisseur;  une  riposte  dans  son  liane  ne  serait 
pas  possible.  En  fait,  on  aboutirait  uniquement  à réduire  l’action 
des  feux  partant  de  l’ouvrage,  par  la  crainte  de  tirer,  en  même 
temps,  sur  amis  et  ennemis.  S’agit-il,  au  contraire,  d’une  place 
forte  comprenant  une  garnison  nombreuse,  l’attaque  se  fait 
pied  cà  pied  par  la  sape  et  la  mine.  La  lutte  sur  le  glacis  de  la 
fortification  et  la  traversée  du  fossé  durent  plusieurs  semaines; 
si  les  mitrailleuses  empêchent  l’ennemi  de  se  montrer,  elles  ne 
retardent  pas  sa  marche  sous  terre.  Qui  donc,  si  ce  n’est  l’infan- 
terie, lancera  des  grenades  à main  perfectionnées,  quand  assail- 
lants et  défenseurs  se  trouveront,  comme  à Port-Arthur,  face  à 
face,  à 20  mètres  l’un  de  l’autre,  derrièi'e  leurs  retranchements? 
Où  se  placera  cette  infanterie  dont  la  mission  consiste  à 
prononcer  une  contre-attaque  au  moment  où  l’ennemi,  quittant 
ses  parallèles,  s’élancera  à l’assaut,  sur  un  trajet  de  quelques 
mètres? 

Ne  nous  exagérons  pas  la  valeur  des  mitrailleuses;  continuons 
à repousser  l’idée  de  séparer  un  ouvrage  de  son  infanterie.  C’est, 
encore  aujourd’hui,  malgré  l’introduction  très  avantageuse  des 
nouveaux  engins, «un  divorce  qui  révolte  la  morale  tactique »(2). 

Dans  les  colonies,  les  mitrailleuses  sont  des  auxiliaires  pré- 
cieux. L’ennemi  se  compose  de  hordes  barbares  ou  fanatiques 
méprisant  la  vie  et  n’ayant  aucune  notion  de  nos  procédés  de 
combat.  Le  soldat  blanc  est  imbu  de  sa  supériorité  sur  l’indigène. 

{[)  Loc.  cit.,p. 

(“2)  Ibid. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


(jG7 

Il  puise,  dans  cette  espèce  d’autosuggestion,  une  énergie  et  un 
calme  considérables.  Dans  cet  ensemble  de  conditions  favorables, 
il  résulte  que  le  tir  des  mitrailleuses  est,  dans  les  guerres  colo- 
niales, des  plus  précis  et  des  plus  meurtriers. 

En  résumé,  nous  avons  vu  que,  dans  la  plupart  des  circon- 
stances, il  sera  possible  de  tirer  profit  des  détachements  de 
mitrailleuses,  là  condition  de  les  connaître  parfaitement,  et  de 
savoir  exiger  d’eux,  avec  cà-propos,  des  efforts  proportionnés  à 
leurs  capacités. 

.1.  H. 


NEUROLOGIE 

Hystérie  et  Religion 

1.  — Qu’est-ce  que  l’hystérie? 

Le  XVIP  Congrès  des  médecins  aliénistes  et  neurologistes  de 
France  et  des  pays  de  langue  .française  s’est  ouvert  à Genève  le 
mois  dernier,  jeudi  l"  août,  et  a duré  jusqu’au  6. 

Le  sujet  du  rapport  de  la  section  de  neurologie  était  le  sui- 
vant : « Définition  et  nature  de  l’hystérie  ».  On  a entendu 
d’abord  les  deux  rapporteurs,  .M.M.  L.  Schnyder  et  Henri  Claude, 
puis  .M.M.  Raymond,  P.  Bernheim,  Pailhas,  Terrien,  P.  Solfier, 
Claparède,  Mendicini  Bono,  J.  Babinski. 

M.  Terrien  a été  dur  : « .le  ne  veux  pas,  a-t-il  dit,  apprécier, 
di.scuter  les  définitions  données  par  les  deux  rapporteurs, 
.M.M.  Claude  et  Schnyder,  parce  que,  je  le  déclare  bien  sincère- 
ment, je  n’ai  pu,  malgré  tous  mes  efforts,  parvenir  à les  com- 
prendre. Elles  sont  peu  claires,  ces  définitions,  elles  ne  font 
qu’embrouiller  une  question  fort  embrouillée  d’avance  »,  — ce 
qui  d’ailleurs  n’a  pas  empêché  .M.  Terrien  de  donner  son  avis, 
lequel  n’a  rien  débrouillé. 

Les  congressistes  se  sont  séparés  remportant  chacun  sa  défini- 
tion. 11  est  fort  probable  que  longtemps  encore  on  di.^cutera  sans 
arriver  à se  mettre  d’accord. 

Où  se  trouve  donc  la  solution  ? 

Ce  n’est  pas  cà  l’étymologie  qu’il  faut  la  demander.  Le  terme 
« hystérie  » a été  créé  à une  époque  où  on  regardait  F « utérus  » 
comme  le  siège  du  mal.  11  ne  peut  donc  qu’induire  en  erreur; 
aussi  .M.  Bernheim  a-t-il  proposé,  tout  simplement,  de  le 
sacrifier. 


()()S 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIP’IQUES 


Sera-ce  à la  nature  du  mal  qu’on  s’adressera  ? Mais  cela  aussi 
est  en  discussion.  L’hystérie  est  classée  parmi  les  névroses  et  les 
névroses  sont  des  maladies  caractérisées  par  des  troubles  du  sys- 
tème nerveux.  Cela  est  bien  vague.  On  s’entend  à peu  près,  il  est 
vrai,  pour  admettre  que  ces  troubles  ne  sont  pas  accompagnés 
de  lésions  organiques,  du  moins  apparentes.  On  arrive  ainsi  à 
dilïérencier  les  névroses  des  nombreuses  maladies  du  système 
nerveux  qui  relèvent  d’une  lésion  anatomique  de  ce  système  : 
sections,  compressions,  dégénérescence,  etc...  .Mais  la  difficulté, 
pour  être  diminuée,  n’en  reste  pas  moins  tort  grande. 

Du  système  nerveux  dépendent  toutes  les  manifestations 
vitales  de  notre  organisme.  .Nous  en  avons  besoin,  directement 
ou  indirectement,  pour  comprendre,  pour  raisonner,  pour  vou- 
loir, pour  sentir;  il  préside  à toutes  les  contractions,  .à  toutes  les 
dilatations,  à tous  les  mouvements  conscients  ou  inconscients, 
mouvements  des  membres  et  de  toute  la  surface  libre  du  corps, 
ou  mouvements  de  la  profondeur  des  organes,  (pu  n'gularisent 
les  fonctions  de  relation,  les  fonctions  de  nutrition,  les  fonctions 
de  reproduction.  On  conçoit  par  là  combien  variées  seront  les 
manifestations  des  troubles  nerveux  fonctionnels.  On  aura,  ou  on 
pourra  avoir,  de  la  neurasthénie,  de  l’épilepsie,  de  la  tétanie,  de 
la  chorée,  des  vertiges,  des  migraines,  des  crampes,  des  manies, 
des  spasmes  fonctionnels,  de  la  paralysie  agitante,  de  l’hystérie, 
la  « grande  névrose  »,  de  la  psychonévrose,  de  la  psychose,  etc. 
.Nous  laissons  de  côté  les  subdivisions  pour  ne  pas  fatiguer  le  lec- 
teur, et  nous  énumérons  sans  ordre  parce  que  nous  n’en  connais- 
sons pas  de  satisfaisant. 

Comment  constituer  le  syndrome  de  chacune  de  ces  affections 
de  façon  à les  délimiter  nettement?  Comment,  en  particulier, 
isoler  l’hystérie? 

ün  point  de  départ  sérieux  pour  une  délimitation  et  une  classi- 
lication  précises  serait  la  connaissance  de  la  nature  et  du  siège  du 
trouble  névrosicpie,  de  ce  que  nous  appellerions  la  lésion  névro- 
gène spécifique,  à supposer  qu’il  y ait  une  lésion  anatomique  à la 
base  du  trouble  fonctionnel.  On  a cet  avantage  dans  le  cas  des 
affections  organiques  du  système  nerveux.  La  grosse  autopsie  ou, 
si  cela  ne  suffit  pas,  l’observation  microscopique  renseignent  sur 
les  caractères  et  sur  l’emplacement  de  la  lésion.  Tel  genre  de 
lésion  affectant  telle  partie  du  névraxe  ou  du  système  périphé- 
rique, déterminera  toujours  la  même  symptomati(pie.  Prenons, 
par  exemple,  le  cas  d’une  lésion  d’un  nerf  périphérique.  On  sait 
qu’un  nerf  périphérique  (.sauf  exceptions  d’ailleurs  [)arfaitement 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


()69 


connues)  renferme  des  fibres  motrices,  des  fibres  sensitives,  des 
fibres  sympathiques.  11  est  clair  que  tout  changement  patho- 
logique survenant  dans  ce  rameau  nerveux  déterminera  des 
troubles  fonctionnels  en  rapport  avec  les  fonctions  motrices,  sen- 
sitives, vaso-motrices  (les  fibres  du  sympathique  innervant  les 
viscères  ne  sont  pas  périphériques),  troubles  qui  pourront  intéres- 
ser soit  l’une  seulement  de  ces  fonctions,  soit  deux  d’entre  elles, 
soit  les  trois  à la  fois.  La  lésion  des  fibres  motrices  déterminera 
des  troubles  dans  l’innervation  volontaire  et  rétlexe,  dans  le 
tonus  et  le  trophisme  musculaire,  — et  on  aura,  selon  les  cas, 
paralysie  brusque,  paralysie  tlasque,  parésie,  atrophie  des 
muscles.  La  lésion  des  libres  sensitives  donnera  de  l’anesthésie 
ou  de  la  paresthésie  intéressant  soit  la  surface  cutanée  : tact, 
douleur,  température,  sens  stéréognosique,  soit  la  profondeur  : 
sens  musculaire.  La  modification  pathologique  des  libres  sympa- 
thiques aura  son  contre-coup  sur  les  parois  des  vaisseaux  san- 
guins, et  les  troubles  vasculaires  qui  en  résulteront  amèneront 
des  variations  dans  la  température  et  la  coloration  de  la  peau. 

11  en  sera  de  meme  pour  le  système  nerveux  central. 

Le  neuropathologiste  se  trouvera  donc  ici  en  face  d’affections 
ayant  chacune  sa  cause,  dans  la  plupart  des  cas  parlaitement 
connue,  précise  et  bien  délimitée,  sinon  toujours  quant  à son  ori- 
gine, du  moins  quant  à sa  nature  et  à son  siège. 

11  en  va  tout  autrement  pour  l’hystérie,  dans  l’état  actuel  de  nos 
connaissances,  et  malgré  les  efforts  de  ceux,  de  plus  en  plus 
rares,  qui  voudraient  en  faire  une  entité  morbide.  « 11  faut 
constater,  dit  M.  Schnyder,  que  de  plus  en  plus  se  manifeste  la 
tendance  à en  faire  une  modalité  des  altérations  psychiques  com- 
prises sous  le  nom  de  psychonévroses.  » Mais  quel  est  le  fonde- 
ment de  cette  modalité  qui  fait  que  l’hystérie  se  distingue,  par 
exemple,  de  la  psychasténie  ou  de  la  phrénolepsie,  qui  sont 
aussi  des  psychonévroses?  Et  si  ce  fondement  est  inconnu,  quels 
sont  du  moins  les  symptômes  qui  font  de  l’hystérie  une  affection 
psychonévrosique  à part?  Que  penser  de  ceux  qui  veulent  mettre 
au  compte  de  l’hystérie  des  altérations  organiques  qui,  à pre- 
mière vue,  semblent  n’avoir  rien  de  commun  avec  les  altérations 
psychiques  de  la  psychonévrose?...  Depuis  quelques  années  déjà 
M.  Raymond  et  M.  Babinski  sont  en  polémique  sur  ce  point. 

M.  Raymond,  au  Congrès,  a rappelé  le  cas  d’une  jeune  fille 
atteinte  de  douleurs  d’origine  incontestablement  psychique  au 
membre  supérieur  droit.  Sur  ce  membre,  et  sur  celui-là  seule- 
ment, apparaissent  spontanément,  après  une  légère  fatigue  de  la 


670 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


main  droite,  des  éruptions  bulleuses  pemphigoïdes.  L’absence 
d’afïection  organique  sous-jacente  ne  permet  pas  de  douter  de 
l’oi'igine  psychique  de  ces  bulles  de  pemphigus.  Il  en  est  de 
même  d’autres  cas  de  dermatose  observés  par  M.  Raymond 
soit  dans  son  service  particulier,  soit  dans  diverses  cliniques  de 
Paris.  11  a spécialement  attiré  l’attention  sur  un  cas  de  produc- 
tion psychique  d’œdème  bleu.  11  s’agit  d’une  femme.  Pendant  le 
sommeil  hystérique,  un  simple  attouchement  de  sa  main  gauche 
par  un  étranger  fait  apparaître  sur  cette  main  un  œdème  qui  se 
développe  en  quelques  minutes  sous  les  yeux  des  spectateurs. 
M.  Raymond  cite  encore  le  cas  des  fakirs  indiens  examinés  autre- 
fois à Berlin  par  Virchow  et  qui  pouvaient,  cà  volonté,  détermi- 
ner dans  n’importe  lequel  de  leurs  membres  des  troubles  vaso- 
moteurs de  la  peau  accompagnés  d’anesthésie;  il  fait  remarquer, 
enfin,  que  Kraft  Ebing  a réussi  à produire  par  suggestion,  chez 
une  hystérique,  par  apposition  de  cachets  de  cire  sur  la  peau, des 
hémorragies  cutanées.  M.  Terrien  soutient  les  mêmes  idées  qu’il 
appuie  sur  des  faits  d’observation  personnelle;  il  cite  un  cas  de 
lièvre  hystérique  et  allirme  avoir  provoqué  par  suggestion  chez 
un  jeune  homme  la  «,  main  de  cadavre  »,  et  chez  une  femme,  des 
phlyctènes  atteignant  le  volume  d’un  œuf  de  poule. 

Des  faits  on  passe  aux  théories.  Les  troubles  qui  se  produisent 
dans  le  domaine  organique  pur,  dans  le  domaine  de  la  vie  végé- 
tative, tels  que  bulles  de  pemphigus,  hémorragies,  phlyctènes, 
plaies,  etc...  sont  sans  doute  sous  la  dépendance  d’un  mécanisme 
dilTérent  de  celui  qui  produit  les  paralysies,  les  contractures,  les 
anesthésies,  les  attaques  hystériques  ; mais  il  se  pourrait  fort 
bien  que  les  deux  mécanismes  fussent  dépendants  l’un  et  l’autre 
d’un  mécanisme  plus  général,  mécanisme  hystérique  consistant 
dans  une  façon  anormale  de  sentir  et  de  réagir  du  système 
nerveux.  Cette  explication  nous  paraît  très  vraisemblable. 
M.  Raymond  dit  qu’il  ne  voit  guère  la  possibilité  d’interpréter 
autrement  les  faits.  Quant  cà  M.  Babinski,  il  ne  comprend  pas 
qu’on  puisse  les  inter[)réter  ainsi.  La  raison  qu’il  en  donne,  c’est 
que  bien  souvent  il  a observé  ces  accidents  organiques  : troubles 
vaso-moteurs,  troubles  trophiques,  etc.  chez  des  personnes  ne 
présentant  aucun  des  symptômes  que  tout  le  monde  regarde 
comme  de  nature  hystérique  et  que,  d’autre  part,  il  arrive  sou- 
vent que  des  malades  incontestablement  hystéri([ues  ne  sont 
atteints  ni  de  troubles  trophiques,  ni  de  troubles  vaso-moteurs. 

Cette  raison  ne  convaincra  pas  M.  Raymond  qui  continuera 
sans  doute  à regarder  comme  arbitraiie  la  sélection  sympto- 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


07 1 


malologique  de  M.  Babinski,  lequel  n’admet  comme  phéno- 
mènes hystériques  que  ceux  qui  présentent  les  deux  caractères 
suivants  : 

1”  Celui  de  pouvoir  être  reproduits  par  suggestion  chez  certains 
sujets  avec  une  exactitude  rigoui'euse. 

2"  Celui  d’être  susceptibles  dé  disparaître  sous  l’intluence 
exclusive  de  la  persuasion. 

11  y a,  en  effet,  des  manifestations  morbides  qui  présentent  ces 
caractères.  Elles  constituent  un  groupe  nettement  délimité,  au 
dire  de  Babinski.  C’est  à elles  qu’il  faut  réserver  le  nom  de  mani- 
festations hystériques,  si  on  tient  au  terme,  ou  celui  de  manifes- 
tations pithiatiques  (guérissables  par  pei‘suasion),  si  on  n’y  tient 
pas.  11  importe  d’ailleurs  de  se  faire  une  idée  exacte  de  ce  qu’il 
faut  entendre  par  suggestion,  par  persuasion.  « 11  ne  subit  pas 
qu’un  trouble  se  développe  sous  une  intluence  psychique  telle 
qu’une  émotion,  une  tension  d’esprit,  pour  qu’on  soit  en  droit 
de  l’attribuer  h la  suggestion.  11  faut  pour  cela  que  la  volonté 
soit  réellement  maîtresse  du  phénomène  en  question,  c’esKi-dire 
qu’elle  soit  capable  d’en  déterminer  et  d’en  faire  varier  à sa  guise 
le  siège,  la  forme,  l’intensité  et  la  durée.  C’est  ce  qui  a lieu,  par 
exemple,  pour  les  paralysies,  les  contractures,  les  anesthésies, 
les  attaques  dites  hystériques.  11  ne  subit  pas  non  plus  qu’un 
trouble  disparaisse  à la  suite  d’une  intervention  psychothérapique 
pour  qu’on  soit  en  droit  de  soutenir  que  c’est  la  persuasion  qui 
l’a  fait  disparaître.  11  faut  qu’aucun  autre  agent  n’ait  été 
employé,  que  la  guérison  soit  immédiate,  afin  qu’il  soit  permis 
d’écarter  l’inbuence  du  temps  et  du  repos,  dont  le  rôle  peut  être 
important;  il  faut  enfin  se  défier  de  la  possibilité  de  coïncidences; 
pour  ces  motifs,  je  n’admets  dans  ce  groupe  que  les  phénomènes 
pareils  à ceux  que  j’ai  énumérés,  qu’on  est  en  mesure  de  faire 
apparaître  et  disparaître  à volonté.  » Et  de  quel  droit?...  Pour- 
quoi les  phénomènes  qui  sont  sous  l’inbuence  de  la  persuasion, 
de  la  suggestion,  seront-ils  l'egardés  comme  hystériques,  et 
pourquoi  ceux  qui  sont  provoqués  par  l’émotion  ne  le  seront-ils 
pas?...  Et  si  l’émotion  peut  engendrer  des  phlyctènes,  des  ecchy- 
moses, des  œdèmes,  de  la  fièvre,  des  hémorragies,  de  l’albumi- 
nurie, etc...,  pourquoi  leur  refuser  le  caractère  hystérique  qu’on 
accorde  aux  attaques,  aux  conti'actures,  aux  paralysies,  aux 
anesthésies,  qui  sont  à la  merci  de  la  suggestion?  Certains 
croient  d’ailleurs  avoir  démontré  que  quelques-uns  de  ces 
troubles  qu’on  ne  veut  pas  admettre  comme  troubles  pithiatiques, 
obéissent  eux  aussi  à la  suggestion,  ün  leur  répond  que  leur 


()72 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


bonne  toi  a été  surprise,  que  les  hystériques  sont  des  mytho- 
manes, que  la  surveillance  des  malades  se  relâchant  un  peu, 
ceux-ci  en  ont  prolité  pour  provoquer,  pai-  exemple  par  l’emploi 
de  caustiques,  des  troubles  qu’on  croit  faussement  dus  à la 
persuasion.  11  nous  paraît  que  cette  réponse,  dans  certains  cas 
cités  par  MM.  Raymond  et  Terrien,  n’est  pas  admissible  : les 
expériences  ont  été  réalisées  dans  des  conditions  telles  que  toute 
simulation,  toute  supercherie  était  impossible. 

Les  choses  en  sont  là,  à moins  qu’on  ne  veuille  se  rallier  à la 
façon  de  voir  de  M.  Bernheim  qui  réduit  l’hystérie  à une  crise 
de  nerfs  intense  ; convulsions,  dyspnée,  contractures,  pseudo- 
sommeil, agitation  désordonnée  et  cris.  L’hystérie,  selon  lui, 
n’est  qu’une  réaction  émotive  exagérée.  Elle  est  passagère,  mais 
si  elle  se  répète,  elle  peut  finir  par  créer  une  disposition,  une  apti- 
tude, un  tempérament,  une  diathèse  hystérique.  Elle  ne  sera  en 
tous  cas  qu’un  « épiphénomène  » gretfé  soit  sur  des  émotions 
d’origine  extérieure  comme  une  frayeur,  une  contrariété,  soit  sur 
des  maladies  à caractères  très  variables,  organiques  ou  psy- 
chiques. 

Quels  qu’aient  été  les  résultats  pratiques  de  ces  échanges 
de  vues  sur  l’extension  à donner  au  concept  d’hystérie  — 
nous  les  croyons  nuis  — il  y a certains  phénomènes  qui, 
de  l’aveu  de  tous  les  neurologistes,  doivent  être  regardés 
comme  d’origine  hystérique.  On  peut  donc  se  demander  quel  est 
le  principe  hystérogène  de  ces  phénomènes. 

D’une  façon  générale  on  admet  que  les  troubles  hystériques 
sont  dus  à un  déséquilibre  psychique  qui  met  l’individu  sous  la 
dépendance  presque  absolue  du  milieu.  C’est  ici  qu’intervient 
l’intluence  des  idées  religieuses  sur  le  nervosisme  organique. 

IL  — Pour  ne  pas  nous  exposer  à porter  sur  cette  inlluence  un 
jugement  a priori,  il  importe  de  nous  faire  d’abord  une  idée 
aussi  exacte  que  possible  des  conditions  neuropathologiques  des 
sujets  sur  lesquels  elle  s’exerce. 

Le  nervosisme,  d’après  M.  IL  Claude,  consiste  dans  un  défaut 
de  régulation  des  processus  réflexes,  soit  de  ceux  qui  inter- 
viennent dans  les  fonctions  organiques,  soit  de  ceux  qui  inter- 
viennent dans  les  fonctions  psychiques,  soit  de  ceux  qui  mettent 
en  rapport  ces  deux  ordres  de  fonctions.  Tous  ces  processus 
rétlexes  sont  conditionnés  par  un  substratum  anatomique,  et  il 
serait  naturel,  lorsqu’ils  sont  troublés  dans  leur  régime  normal, 
de  chercher  l’explication  de  leur  déséquilibre  dans  un  accident 
survenu  au  système  anatomique  récepteur  et  transmetteur;  mais 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


()73 

nous  avons  déjà  dit  que  la  nature  de  cet  accident  anatomo- 
pathologique, de  même  ({ue  son  siège,  échappent  à l’observa- 
tion; 011  ne  peut  en  constater  que  le  résultat.  Le  résultat,  c’est 
le  défaut  de  régularisation.  Ce  défaut  de  régularisation, 
M.  Pailhas  essaye  de  le  préciser,  autant  que  faire  se  peut,  en  en 
rejetant  l’origine  jusqu’au  début  de  l’évolution  anatomique  des 
centres  psychiques,  et  en  supposant  qu’au  cours  de  cette  évolu- 
tion il  se  produit,  au  point  de  vue  physiologique,  fonctionnel,  un 
développement  anormal  des  centres  inférieurs,  qui  président  à 
la  vie  automatique,  inconsciente,  rétlexe.  Les  troubles  hysté- 
riques auraient  donc  pour  origine  un  défaut  de  pondération  — 
dont  la  cause  dernière  est  inconnue  — entre  les  centres  supé- 
rieurs et  les  centres  inférieurs,  entre  la  vie  consciente,  la  vie 
intellectuelle,  la  vie  volontaire,  et  la  vie  purement  réllexe;  défaut 
de  pondération  qui  tient  non  à un  déficit,  mais  à un  excès.  Cet 
excès  atteint  la  vie  inférieure  seule;  la  vie  supérieure  demeure 
normale,  si  bien,  comme  le  fait  remarquer  M.  Pailhas,  que  l’ano- 
malie hystérique  n’exclut  aucun  degré  de  l’activité  psychique, 
fut-il  génial. 

Ce  déséquilibre  entre  les  deux  ordres  de  facultés  existe  nor- 
malement chez  l’enfant,  avant' que  ne  se  soit  développée  chez  lui 
la  vie  supérieure  ; le  psychisme  automatique  est  prépondérant, 
à cet  âge;  l’intelligence,  la  volonté,  n’étant  pas  encore  en  pleine 
possession  de  toutes  leurs  énergies  ne  peuvent  intervenir  pour 
atténuer,  pour  régulariser  l’éhraidement  produit  par  les  impres- 
sions trop  intenses  du  dehors.  De  là  la  disproportion  apparente 
entre  les  réactions  de  l’organisme  et  leurs  causes  immédiates. 
Tout  le  monde  sait  qu’il  sutlit  parfois  de  la  plus  petite  contra- 
riété pour  déterminer  chez  l’enfant  de  véritables  crises  ner- 
veuses, des  « rages  ».  On  a donc  pu  dire  que  nous  passions  tous, 
au  début  de  la  vie,  par  une  phase  hystérique.  Quant  au  vieillard 
qui,  selon  l’expression  reçue,  « tombe  en  enfance  »,  son  état 
n’est  point,  à proprement  parler,  un  état  hystérique;  il  se  pro- 
duit chez  lui  un  affaiblissement  neurologique  qui  aboutit  à la 
neurasthénie.  Entre  ces  deux  extrêmes,  le  commencement  et  la 
fin  de  la  vie,  bien  des  états  morbides  peuvent  trouver  place. 
Notons  seulement  que  si  les  facultés  conscientes  ne  se  déve- 
loppent pas,  les  facultés  inférieures  continuant  leur  évolution, 
il  se  produit  une  disproportion  qui  est  caractéristique  de  l’idio- 
tie. Si  les  facultés  conscientes  se  développent  normalement, 
les  facultés  inférieures  évoluant  de  leur  côté  jusqu’à  arriver  à 
un  excès  notable  d’énergie  fonctionnelle,  il  se  produit  la  dispro- 
IID  SÉIUE.  T.  XII.  43 


674 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


portion  qui  est  caractéristique  de  l’état  hystérique,  que  nous 
délinirons,  en  empruntant  les  termes  mêmes  de  M.  Paillias, 
« une  simple  inaptitude  fonctionnelle  des  centres  du  psychisme 
supérieur  et  du  psychisme  inférieur  à se  coordonner  mutuelle- 
ment et  dans  la  mesure  d’une  subordination  régulière  et  sulïi- 
sante  pour  constituer  ce  qu’il  est  convenu  de  considérer  comme 
équilibre  mental  ». 

Les  inlluences  du  milieu  tombant  sur  un  système  ainsi  désé- 
quilibré, donneront  lieu  à des  manifestations  hystériques  plus 
ou  moins  accentuées. 

M.  Schnyder  vient  d’attirer  l’attention  sur  l’intluence  des  idées 
religieuses  à ce  point  de  vue. 

L’hystérie  « apparaît  dans  l’histoire  chaque  fois  que  les  aspi- 
rations de  l’esprit  humain  sont  contenues  et  réprimées  par  les 
lois  d’airain  de  l’ordre  établi,  dans  les  périodes  qui  précèdent 
les  grandes  révolutions  morales,  sociales  et  politiques.  Le 
meilleur  exemple  nous  en  est  fourni  par  le  moyen  âge,  qui  a 
été  l’époque  classique  de  l’hystérie  des  masses,  période  d’enfan- 
tement de  l’individualisme,  suivant  l’expression  d’ilellpach,  où 
toutes  les  puissances  conservatrices,  l’Eglise  en  tète,  s’unissaient 
pour  arrêter  l’essor  de  l’humanité  vers  le  progrès  ». 

Ceci  est  de  la  déclamation.  Les  vues  générales  s’y  prêtent; 
elles  ont  en  outre  l’avantage  d’être  peu  compromettantes,  parce 
qu’elles  n’otfrent  h la  critique  lien  de  précis.  Nous  ferons  sim- 
plement remarquer  h M.  Schnyder  que  tout  le  monde  n’est  pas 
de  son  avis,  et  nous  nous  permettions  de  lui  dire  que  quel- 
qu’un, vraisemblablement  aussi  bien  informé  que  lui-même  et 
d’ilellpach,  et  dont  l’essor  vers  le  progrès,  pas  plus  que  le  sien, 
ne  fût  arrêté  par  le  despotisme  de  l’Eglise,  Aug.  Comte,  a porté 
sur  le  moyen  âge  un  tout  autre  jugement,  quand  il  a dit  que 
l’organisation  sociale  du  système  catholique  à cette  époque  était 
jusqu’ici,  dans  son  ensemble,  le  plus  grand  chef-d’œuvre  de  la 
sagesse  humaine.  Nous  pouvons  bien  rappeler  aussi  que  celui 
qui  fut,  après  Aug.  Comte,  le  chef  de  l’école  positiviste, 
P.  Ladite,  ne  craignait  pas  d’écrii’e  en  1893  : « Le  moyen  <àge 
prend,  des  mains  de  l’antiquité,  la  masse  humaine  esclave,  et 
la  transmet  libre  aux  temps  modernes.  Ce  grand  résultat  incon- 
testable sullirait  seul  pour  mettre  à néant  les  théories  révolu- 
tionnaires sur  le  caractère  rétrograde  du  moyen  âge  ».  Ce  sont 
là  paroles  de  savants  aussi  indépendants  que  M.  Schnyder  dans 
leui’  façon  de  juger.  Ces  aveux,  que  seule  une  conviction  basée 
siu-  les  faits  a pu  leur  ai'racher,  nous  en  rappellent  un  autre. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


675 


Lorsque,  en  mars  190:2,  on  discuta  au  Parlement  fraiifais  une 
question  relative  aux  remparts  d’Avignon,  ce  ne  lut  pas  chose 
banale  d’entendre  M.  Pourquery  de  Boisserin,  que  personne  ne 
pouvait  soupçonner  de  trop  de  tendresse  pour  l’Église,  dire  du 
haut  de  la  tribune  : « Nos  libertés  communales  étaient  plus 
grandes  sous  les  papes  que  sous  la  loi  de  1884  ».  Serions-nous 
donc  sérieusement  en  recul  au  point  de  vue  de  l’émancipation 
politique,  et  en  France,  nos  aspirations,  contenues  et  réprimées 
par  les  lois  d’airain  de  l’ordre  établi,  menaceraient-elles  de  faire 
renaître  l’hystérie  des  masses?... 

M.  Schnyder,  il  est  vrai,  a confiance  dans  l’avenir.  A mesure 
que  disparait  le  mysticisme  religieux,  la  croyance  aux  esprits, 
aux  démons,  les  troubles  hystériques  tendent,  paraît-il,  à deve- 
nir plus  rares,  ou  du  moins  à se  transformer  : « On  pourrait 
dire  que  le  nervosisme  s’est  laïcisé  en  même  temps  que  la  men- 
talité ».  La  femme,  jusqu’ici  trop  intluencée  par  les  idées  con- 
servatrices, va  vers  l’indépendance;  le  mouvement  féministe 
aura  pour  conséquence  heureuse  de  remplacer  chez  elle  l’hys- 
térie par  la  neurasthénie. 

Pourtant,  il  y a des  ombres  au  tableau.  D’abord,  l’émigration 
dans  les  villes  des  tilles  de  la  campagne  fournit  un  contingent 
hystérique  considérable  inconnu  jadis.  Fnsuite,  « si  la  liberté 
de  penser  rencontre  moins  d’obstacles  (lu’autrefois,  en  revanche 
la  lutte  pour  le  bonheur  a pris  un  caractère  plus  âpre;  les 
revendications  sociales,  les  luttes  économiques  constituent  pour 
l’homme  moderne  une  cause  toujours  renouvelée  d’ébranlement 
moral  » : contingent  socialiste.  11  faut  avouer  enfin  que  les 
classes  élevées  de  la  société  fournissent,  elles  aussi,  leur  part. 
On  observe  chez  elles  une  hystérie  spéciale,  régressive,  que 
d’aucuns  appellent  démence  pseudo-hystérique  et  dont  certaines 
causes,  que  M.  Schnyder  connaît  an,«isi  bien  que  nous,  n’ont  rien 
à voir  avec  le  mysticisme  religieux  : sorte  de  vésanie  bourgeoise 
et  laïque. 

Cela  n’est  pas  très  gai,  mais  cela  s’améliorera,  sans  doute, 
avec  le  temps.  Le  grand  mal,  c’est  que  l’homme,  malgré  les 
progrès  incontestables  de  la  civilisation,  n’a  pas  encore  secoué 
complètement  le  joug  des  superstitions  religieuses,  c’est  que 
« son  éducation  morale  repose  encore  pour  une  trop  grande  part 
sur  le  principe  d’autorité  transmis  par  l’Elglise.  » M.  Schnyder 
désire  peut-être  hâter  le  moment  où  apparaîtra  une  nouvelle 
espèce  de  psychonévrose  : l’hystérie  anarchiste?... 

Mais  laissons  les  neurologistes  philosophes  rêver  aux 


676 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


agréables  surprises  que  nous  ménagent  les  régimes  sans  auto- 
rité et  rendons-nous  au  sage  conseil  de  M.  P.  Sollier  : « Ce  qui 
cause  la  contusion  actuelle  sur  la  question  de  l’hystérie,  c’est 
l’introduction  dans  son  étude  des  conceptions  philosophiques, 
morales  et  même  métaphysiques.  Il  nous  faut  l ester  sur  le  ter- 
rain anatomique  et  physiologique  ».  M.  Schnyder  nous  en  avait 
un  instant  éloignés.  Hevenons-y  en  terminant. 

11  y a,  au  fond  des  troubles  hystériques,  un  développement 
fonctionnel  anormal  des  centres  de  la  vierétlexe.  Cette  anomalie 
constitutive  est  persistante  : elle  constitue  un  état  du  système 
nerveux.  Cet  état  est  considéré  comme  ordinairement  hérédi- 
taire. Il  peut  cependant  être  acquis,  et  il  relève  alors  soit  d’une 
intoxication  (en  particulier  l’intoxication  alcoolique),  soit  d’une 
lésion  organique  (syphilitique  ou  autre),  soit  d’un  traumatisme, 
soit  d’une  tumeur,  etc...  L’élément  religieux  n’intervient  pas 
dans  l’origine  de  l’état  névrosique. 

Cet  état  étant  constitué,  nombreuses  seront  les  causes  qui, 
agissant  sur  le  système  nerveux  en  déséquilibre,  provoqueront 
les  phénomènes  hystériques,  f’our  M.  Rahinski,  elles  se  réduisent 
toutes  à la  suggestion  ou  à la  simulation  subconsciente.  D’autres 
parleront  d’imitation,  d’émotions  vives  causées  par  la  douleur, 
la  contrariété,  la  crainte,  la  frayeur,  la  sympathie,  les  illusions 
oniriques,  etc...  11  faut  admettre  aussi  que  l’exaltation  du  senti- 
ment religieux  peut  intervenir  comme  déterminant  dans  les 
crises  hystériques;  mais  il  en  est  de  même,  par  exemple,  de 
l’amour  maternel,  et  de  beaucoup  d’autres  sentiments  dont 
aucun  neuropathologiste  ne  s’avisera  jamais  de'réclamer  l’extir- 
pation du  cœur  humain.  Tuer,  ou  mutiler,  ou  pervertir  la  vie 
morale  est  chose  grave,  et  nous  souhaitons  qu’elle  n’entre 
jamais  dans  la  théiapeutique  hystérique,  pour  le  bien  des  hys- 
tériques eux-mêmes. 


L.  Boule,  S.  J. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


677 


SCIENCES  ÉCONOMIQUES  (1). 

Le  Compte  rendu  des  opérations  et  de  la  situation  de  la  Caisse 
générale  d’Epargne  et  de  Retraite  sous  la  garantie  de  l’État  vient 
de  paraître.  11  ne  peut  s’agir  de  faire  ici  l’analyse  complète  de 
cet  intéressant  document.  ,Ie  me  borne  à quelques  extraits. 

Le  tableau  ci-après  groupe  au  31  décembre  des  années  1896, 
1901  et  1906,  les  principaux  éléments  de  la  situation  des  trois 
institutions  qui  forment  la  Caisse  générale  (Caisse  d’Épargne, 
Caisse  de  Retraite  et  Caisse  d’.\ssurance.s). 


A 

. CAISSE  ll’ÉPARCNE 

B.  CAISSE 

DE  RETRAITE 

C.  CAISSE 
d’assur.vn'^^®  ! 

1 

Nombre  <lc 
livrets  existants 

Montant  des 
dépôts  sur  livrets 
(eu  millions). 

Montant  total  I 
des 

sommes  déposées 
(en-millions). 

Montant  nominal 
des 

dépôts  sur  carnets 
de  rentes  belges 
(en  millions) 

Aviincesaux  ^ 

sociétés  d'iiabita- 
tions  ouvrières  et  de 
crédit  agricole  | 
(en  millions).  | 

O (3  vi 
U g .(U 

Fonds  des  rentes 
(en  millions^. 

1 

Nombre  d’assurés.  ' 

Fonds  d'assurances 
(en  millions).  | 

31  décembre  1896 

1 “238  601 

481 

495 

1“28 

15 

39  OCM) 

17,0 

5 028 

1,50 

31  décembre  1901 

1 862  829 

735 

753 

“201 

45 

430  000 

39,0 

16  180 

8,00 

31  décembre  1906 

2iI9  710 

812 

835 

392 

67 

858  000 

100,0 

29  269 

12,11 

Ce  tableau  permet  de  se  rendre  compte  des  progrès  accomplis 
pendant  la  dernière  période  décennale  ; il  montre  que  le  nombre 
des  livrets  de  la  Caisse  d’Épargne  a doublé  en  dix  ans  et  que  le 
nombre  des  atïiliés  aux  Caisses  de  Retraite  et  d’Assurances  a 
presque  doublé  en  cinq  ans. 

11  permet  aussi  de  constater  que  les  capitaux  d’épargne  confiés 
h l’Institution  s’élèvent  à la  somme  de  1W4  millions  de  francs, 
dont  812  millions  inscrits  sur  les  livrets  d’épargne  et  392  mil- 
lions sur  les  carnets  de  rentes  belges. 


(1)  Compte  rendu  des  opér.vtions  et  de  l.x  situ.uion  de  l.\  C.\isse  géné- 
R.VLE  D’ÉP.\RGNE  et  DE  RETRAITE  SOUS  LA  GAR.ANTIE  DE  L’ÉtAT.  — .\nnée  1906. 
— Bruxelles,  1907.  1 vol.  in-4“,  148  pages. 


678 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Il  y avait  au  31  décembre  lOOü,  pour  un  nomlire  total  de 
2 4W  000  livrets  environ  ; 

'2  lloO(X)  livrets  environ  de  1000  fr.  et  moins,  pour  un  total  de  dépôts  de 
272  millions  environ. 

^87  000  livrets  environ  de  1000  à 2000  fr.  pour  un  total  de  dépôts  de 
441,3  millions  environ. 

18  000  livrets  environ  de  plus  de  2000  fr.  pour  un  total  de  dépôts  de 
76,8  millions  environ. 

Le  tableau  suivant  montre  par  province  et  pour  le  royaume  la 
progression  du  nombre  de  livrets  d’épargne  rapporté  au  chilîre 
de  la  population. 

NO.MimE  DE  UVIIETS  DE  D.VUTICUUEIIS  PAR  100  000  HARITANTS 
AU  31  DÉCEMBRE 


mo 

1901 

1902 

1903 

190i 

1903 

1906 

■\nvers 

22143 

23037 

25037 

25778 

26027 

2691 1 

27582 

Rrahant  

30820 

32851 

36()47 

38381 

38751 

40073 

40671 

Flandre  occidentale  . 

20497 

21730 

23987 

24891 

25422 

26609 

27818 

Flandre  orientale . . 

19461 

20456 

22180 

2291 1 

23680 

24906 

26008 

Ilainaut 

31349 

32378 

33489 

34169 

34825 

35458 

36936 

I.iég-e 

25959 

27585 

30722 

31777 

32040 

3357 1 

34964 

làmhourg'  .... 

16502 

17175 

18678 

19277 

19()38 

20478 

21832 

l,uxeml)ourg'  . . . 

24214 

25682 

27939 

30186 

32331 

34456 

36243 

Namur 

31845 

32959 

36690 

38765 

39874 

41573 

43054 

I.e  Royaume  . . . 

25577 

26880 

29275 

30363 

30945 

32114 

33229 

L’îuigmentation  des  dépôts  d’épargne  a entraîné  une  exten- 
sion considérable  des  placements  de  la  Caisse  d’épargne.  La 
slatistitiue  ci-après  établie  pour  la  dernière  période  décennale 
le  montre  bien. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


f)79 


On  comprend  la  dilliculté  d’obtenir  pour  ces  placements 
avec  tontes  les  g'aranties  désirables  un  taux  d’intérêt  sufîisam- 
ment  rémunérateur.  Voici,  cà  cet  égard,  un  tableau  instructif 
donnant  pour  les  trois  dernières  années  le  produit  des  place- 
menls  et  le  taux  moyen  de  l’intérêt  net  de  ceux-ci.  Pour 


GSO 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(léterininer  ce  taux,  on  a considéré  comme  placement  moyen, 
dans  chaque  catégorie,  la  moyenne  des  soldes  mensuels  des  capi- 
taux placés.  Cette  moyenne  ligure  en  tète  du  tableau. 


1904 

1905 

1906 

.Moyenne  des 
soldes  à la  (in 
de  chaque 
mois 

Fonds  de  roulement  à la  Banque 

Nationale 

Placements  détinitifs 

Effets  sur  la  Belgiciue  .... 

' » sur  l’étranger 

Prêts  sur  nantissement .... 

6 07 -i  170  » 
55  i 060  154,ti0 
73  301  805,10 
134  610  705,31 
'2i  355  470,83 

4 440  01 1 » 
570  834  205,60 
80  546  622. 12 
137  762  235,57 
26  261  105,83 

8 180  468  » 
585  438  016,30 
82  777  827,55 
131  064  090,76 
36  241  000  » 

Produit  1 
des 

placements  j 

Placements  déHnitifs 

1 Escompte  d’effets  sur  la  Belgicjue. 

» » sur  l’étranger  . 

1 Prêts  sur  nantissement  .... 
Locations 

17  601  101,65 
“2  418  818,13 
3 “23“2  56“2,“28 
048  740,10 
4 366  » 

18  080  717,06 
2 634  261,78 
2 050  068,03 
030  073,17 
3 5i8,75 

18  338  117,27 
3 026  803,41 
3 965  326,71 
1 360  729,76 
9 055  » 

Totaux.  . . 

24  205  678,25 

24  616  630,69 

26  700  m,i5 

Taux  moyen | 
de 

l’intérêt  net 

des  placements  définitifs  . . . 

de  l’escompte  d’effets  s''  la  Belgique 
1 » » sur  l’étranger, 

des  prêts  sur  nantissement.  . . 

3,172 

3,300 

2,401 

3,805 

3,167 
3,270 
“^948 
3,576  ■ 

3,134 

3,657 

3,025 

3,755 

Taux  moyen  général.  . . 

3,074 

3,018 

3,m 

D’ailleurs,  la  Caisse  générale  n’a  pas  seulement  à placer  les 
fonds  provenant  des  dépôts  d’épargne,  soit  859  8:23  642  Ir.  83, 
il  faut  y ajouter  les  placements  de  la  Caisse  de  Retraite, 
95  581  691  fr.  JOetceuxde  la  Cais.se  d’Assurances,  355  012  fr.  45. 
Si  on  tient  compte  enlin  des  dépôts  sur  carnets  de  rentes  belges 
on  arrive  à un  total  de  1360  millions  environ. 

Les  dépôts  etfectués  à la  Caisse  d 'Épargne  par  les  sociétés 
coopératives  de  crédit  agricole  afliliées  à une  caisse  centrale 
jouissent  d’un  Iraitement  de  faveur;  l’intérêt  de  ces  dépôts  avait 
été  tixé  uniformément  à 3 p.  c.,  mais  un  arrêté  pris  en  1903  avait 
imposé  aux  sociétés  la  condition  de  ne  pas  accepter  de  dépôts 
individuels  dé{)assant  2000  francs. 

Cet  arrêté  visait  les  <‘aisses  rurales  qui,  méconnaissant  leur 
vt'i’itable  destination,  fonctionnent  plutôt  comme  sociétés 
d’épargne  que  comme  sociétés  de  crédit;  l’objet  principal  de 
l’arrêté  était  d’empêcber  les  déposants  individuels  des  caisses 
rurales  d’éluder  l’application  à des  dépôts  dépassant  2000  francs, 
du  taux  réduit  d’intérêt  de  2 j).  c. 

t'iependant,  il  a semblé  qu’un  régime  particulier  serait  justitié 
pour  les  sociétés  dont  les  prêts  dépassent  les  dépôts  d’épargne  : 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


681 


un  arreté  pris  le  '21  juin  1906  stipule  que  ces  dernières  sociétés 
sont  admises  cà  constituer  un  dépôt  spécial,  tà  concurrence  d’une 
somme  de  20  000  francs,  bénéficiant  d’un  taux  d’intérêt  uniforme 
de  3 p.  c.,  quelle  que  soit  la  façon  dont  il  est  composé. 

L’intervention  de  la  Caisse  d’Épargne  en  matière  d’habitations 
ouvrières  n’a  cessé  de  grandir. 

Depuis  la  mise  en  vigueur  de  la  loi  du  9 août  1889,  la  Caisse 
d’Épargne  a avancé  successivement,  pour  la  construction  ou 
l’acquisition  d’habitations  ouvrières,  des  capitaux  dont  le  mon- 
tant atteignait,  au  31  décembre  1906,  72  525  374  francs  et  qui 
ont  permis  de  mettre  tà  la  disposition  des  classes  laborieuses 
environ  36  300  maisons. 

Les  sommes  restant  dues,  à la  fin  de  l’année  1906,  sur  les 
avances  de  la  Caisse  d’Épargne,  s’élevaient  à 66  415  756  fr.  83. 
Ces  avances  consistent  principalement  en  prêts  faits  aux  sociétés 
d’habitations  ouvrières.  Elles  comprennent,  en  outre,  des 
avances  faites  h des  communes,  quelques  prêts  effectués  sous  la 
caution  d’intermédiaires  personnels,  et  des  prêts  hypothécaires. 

Le  tableau  suivant  indique,  au  31  décembre  de  chacune  des 
années  1905  et  1906,  le  montant  de  ces  avances  et  prêts  : 


1905 

1906 

Avances  à :2  l/!2  p.  c.  aux  sociétés  . . . 

“27  790  128,13 

27  700  748,13 

ht.  à 3 p.  c.  id.  . . . 

3“2  751  603,43 

35  931  837,89 

lil.  à3  1/-ip.  c.  id.  . . . 

Prêts  à 3 ]).  c.  sous  la  caution  d’internié- 

1 676  476,17 

2 130  326,77 

diaires  personnels 

-\vances  à i communes 

32  332,13 

16  258,86 

453  110,10 

548  283,63 

Prêts  hypothécaires 

91  418,07 

88  301,55 

Total.  . . 

62  975  068,03 

66  Ho  736,83 

Le  tableau  ci-après  donne  des  indications  générales  au  sujet  du 
mouvement  des  opérations  de  la  Caisse  de  Retraite  depuis  1900. 


ANNÉES 

NOMBRE 
de  comptes 
nouveaux 

NOMBRE 

de 

versements 

MONTANT 

des 

versements 

NOMBRE 
approximatif 
d'alllliés 
au  31  décembre 

MONT.XNT 
du  fonds  des 
rentes 

(en  millions) 

1900 

136  384 

856  116 

5 121  056,02 

300  000 

31,0 

1901 

133  606 

1 368  406 

8 853  414.08 

430  000 

39,4 

1902 

t»0  597 

1 810  402 

9 900  404,21 

517  000 

49,0 

1903 

1 14  978 

1 903  640 

10  476  321,15 

627  000 

59,6 

1904 

78  861 

1 991  116 

11  823  401,44 

700  000 

71,8 

1905 

85  138 

2 122  080 

12  685  100,71 

780  000 

85,2 

1906 

86  loi 

9 99.f  797 

13  706  894 A7 

808  000 

100,0 

REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


()82 

A la  tin  de  l’aimée  190(1  des  arrêtés  royaux  ont  apporté  des 
niodilications  importantes  au  régime  administratil'  de  la  Caisse 
de  Retraite. 

Des  conditions  plus  rigoureuses  ont  été  imposées  à l’octroi  de 
l’indemnité  de  funérailles  des  rentiers  indigents.  De  nouveaux 
tarifs  conçus  dans  un  esprit  de  simplitication  et  plus  en  rapport 
avec  les  frais  d’administration  ont  été  adoptés. 

Les  anciens  tarifs  exigeaient  que  l’àge  au  moment  du  verse- 
ment fût  évalué  exactement  en  années  et  en  mois. 

Dans  les  nouveaux  tarifs,  l’.àge  de  l’allilié  calculé,  à un  tri- 
mestre près,  à la  tin  de  l’année  du  versement,  est  déterminé 
par  deux  éléments  : la  dilîerence  entre  le  millésime  de  l’année 
de  versement  et  celui  de  l’année  de  naissance,  le  trimestre  de  la 
naissance.  Ce  mode  de  détermination,  conséquence  directe  de  la 
variation  annuelle  des  rentes,  réduira  donc  l’évaluation  de  l’àge 
au  moment  du  versement  à une  simple  différence  de  millésime. 
Quant  au  fait  même  de  l’invariabilité  du  taux  de  la  rente  au 
cours  d’une  même  année,  il  conduira  à ne  plus  elTectuer  qu’un 
seul  versement  par  an,  en  décembre. 

Les  nouveaux  tarifs  des  rentes  dilTérées  ne  donnent  que  les 
rentes  relatives  à l’àge  d’entrée  en  jouissance  extrême,  c’est- 
cà-dire  ()5  ans.  Ils  sont  complétés  par  un  tableau  des  coetlicients 
exprimant  le  rapport  constant  qui  existe  entre  ces  rentes  et  celles 
prenant  cours  aux  autres  âges  tixés  par  la  loi.  Les  rentes  affé- 
rentes ci  ces  âges  s’obtiendront  donc  en  multipliant  les  chiffres 
du  tarif  par  les  coetficients  correspondants. 

Le  classement  des  comptes  de  retraite  a été  complètement 
moditié. 

.lusqu’cà  présent  ces  comptes  étaient  classés  par  bureau  de 
recettes;  les  écritures  et  le  contrôle  des  opérations  étaient  donc 
établis  de  la  même  façon.  Ce  système  de  comptabilité  s’adaptait 
malaisément  aux  méthodes  techniques  qui  doivent  présider  à 
l’organisation  administrative  d’une  caisse  de  retraite.  L’établis- 
sement du  bilan  technique  de  l’Institution  exigeait  un  ti’avail 
considérable.  De  plus,  la  mobilité  de  la  [lopulation  de  la  Caisse 
de  Retraite  entraînait  de  nombreux  transferts  de  comptes 
(:2:2  068  en  1906),  qui  embarrassaient  le  travail  administratif. 

Le  classement  des  comptes  par  bureau  de  recettes  avait  d’abord 
été  commandé  par  des  nécessités  de  contrôle,  les  versements 
étant  constatés  aux  livrets  individuels  par  les  agents  receveurs. 
La  situation  est  autre  en  ce  moment.  Les  sociétés  mutualistes, 
qui  englobent  la  grande  majorité  desatïiliés,  ont  presque  toutes 


REVUE  UES  RECUEILS  PERIODIQUES 


(J<S3 


adhéré  au  système  de  versement  inauguré  en  1901,  et  dont  la 
caractéristique  réside  dans  la  constatation  du  total  des  verse- 
ments par  une  inscription  unique  portée  sur  un  livret  spécial, 
le  livret  global,  ouvert  au  nom  de  l’organisme  intermédiaire. 

Le  classement  par  bureau  de  recettes  n’étant  plus  imposé  par 
les  circonstances,  il  a été  décidé  de  grouper  les  aliiliés  suivant 
un  ordre  technique  correspondant  exactement  aux  procédés  mis 
en  œuvre  pour  le  calcul  des  rentes  et  l’évaluation  mathématique 
des  charges  de  l’Institution.  Dorénavant,  les  comptes  du  Grand- 
Livre  de  la  Caisse  de  Retraite  seront  classés  d’après  la  date  de 
naissance  des  titulaires. 

Grâce  au  classement  des  comptes  par  date  de  naissance,  le 
calcul  des  rentes  et  la  comptabilité  s’établiront  d’une  façon 
rationnelle,  par  catégories  techniques.  Le  calcul  des  rentes  se 
réduira  à l’application  d’un  taux  uniforme  et  sera  soumis  par 
cela  même  à un  contrôle  efficace.  L’évaluation  des  charges  de 
l’Institution  se  dégagera  directement  des  données  de  la  compta- 
bilité, après  application  d’un  coefficient  approprié  à chacune  des 
catégories  d’àge. 

Au  31  décembre  1900,  la  Caisse  d’Assurances  comptait  : 

"li  636  contrats  en  cours  conclus  dans  le  but  de  garantir,  en  cas  de 
décès,  le  remboursement  de  prêts  consentis  pour  l’achat 
ou  la  construction  d’habitations  ouvrières,  et  compor- 
tant   fr.  55  134  671,89  de  cap.  ass. 

et  6701  contrats  en  cours  conclus  par 
application  de  la  loi  du  21  juin 
1894,  comportant  ’ ' ‘ fr.  8 413  464,11  » 

Ensemble  3i  337  contrats.  . . comportant  fr.  63  648  136,00  de  cap.  ass. 

Un  chapitre  du  Compte  rendu  de  la  Caisse  générale  est  con- 
sacré aux  œuvres  de  prévoyance  créées  en  faveur  de  son  per- 
sonnel. Il  est  intéres-sant  de  citer  la  création  d’un  système  complet 
de  pensions  pour  les  agents  de  l’administration,  leurs  femmes  et 
leurs  orphelins.  Les  mesures  en  vigueur  jusqu’à  présent  avaient 
pour  but  de  procurer  aux  membres  du  personnel  une  rente 
maximum  de  1 200  francs  et  un  patrimoine  qui  leur  était  remis 
lors  de  leur  retraite.  Dans  la  plupart  des  cas  la  rente  était 
insuffisante,  le  patrimoine  pouvait  être  mal  utilisé  et  le  sort  de 
la  veuve  et  des  enfants  n’était  pas  assuré  d’une  façon  satisfai- 
sante. 

Je  donne  ci-dessous  l’exposé  du  nouveau  système. 

La  Caisse  de  Prévoyance  qui  vient  d’être  instituée  a pour  objet 


(384 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


d’assurer  aux  membres  du  personnel  des  rentes  différées  h l’tàge 
de  65  ans,  et  à leurs  veuves  et  orphelins,  des  rentes  de  survie. 

L’affiliation  à cette  Caisse  est  obligatoire. 

La  Caisse  de  Prévoyance  est  subdivisée  en  quatre  caisses, 
savoir  : 

I.  Caisse  de  rentes  différées; 

II.  Caisse  de  rentes  de  survie  au  profit  des  femmes; 

III.  Caisse  de  rentes  de  survie  au  profit  des  orphelins  de  père 
et  de  mère  ; 

IV.  Caisse  d’épargne  pour  célibataires. 

Ces  différentes  caisses  sont  alimentées  comme  il  suit  : 

A.  La  Caisse  de  rentes  différées  (Caisse  I),  par  une  subvention 
accordée  par  l’Administration.  Cette  subvention  est  de  8 p.  c. 
des  traitements  pour  les  employés  et  fonctionnaires  à partir  du 
grade  de  commis  de  3'  classe,  et  de  6 p.  c.  des  traitements  ou 
salaires,  pour  les  employés  subalternes  (huissiers,  cla.sseurs, 
hommes  de  peine,  etc.); 

B.  La  Caisse  de  rentes  de  survie  au  profit  des  femmes 
(Caisse  II),  par  une  retenue  sur  les  traitements  ou  salaires  des 
fonctionnaires  et  employés  mariés.  Cette  retenue  est  de  6 p.  c. 
pour  les  fonctionnaires  et  employés,  depuis  le  grade  de  commis 
de  3'  classe,  et  de  -4  p.  c.  pour  les  employés  subalternes.  Ces 
derniers  reçoivent  en  outre  une  subvention  de  l’Administration, 
égale  à i p.  c.  des  traitements  ou  salaires,  et  qui  est  versée  à la 
Caisse  IL 

D’autre  part,  cette  Caisse  reçoit  le  solde  du  compte  d’épargne 
à la  Caisse  des  célibataires,  en  cas  de  mariage  d’un  affilié  à cette 
dernière; 

C.  La  Caisse  de  rentes  de  survie  au  profit  des  orphelins  de 
père  et  de  mère  (Caisse  III)),  par  un  prélèvement  effectué  sur  les 
sommes  destinées  tà  la  Caisse  II,  l’année  de  la  naissance  de 
chaque  enfant,  et  suffi.sant  pour  l’acquisition  d’une  rente  de  sur- 
vie de  300  francs  temporaire  jusqu’à  l’àge  de  18  ans  et  prenant 
cours  à partir  du  décès  du  dernier  survivant  des  père  et  mère; 

D.  La  Caisse  d’épargne  pour  célibataires  (Caisse  IV),  par  une 
retenue  de  6 p.  c.  sur  les  traitements  des  fonctionnaires  ou 
employés  célibataires  ou  veufs,  à partir  du  grade  de  commis  de 
3'  classe,  par  une  retenue  de  4 p.  c.  sur  les  traitements  ou 
salaires  des  employés  subalternes,  célibataires  ou  veufs,  et  par 
une  subvention  de  ^ p.  c.  accordée  à ces  derniers  par  l’Adminis- 
tration. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES  085 

Les  rentes  à charge  de  la  Caisse  III  sont  temporaires  jusque 
18  ans. 

Le  transfert  à la  Caisse  II  du  solde  du  compte  d’épargne  indi- 
viduel à la  Caisse  IV  d’un  membre  qui  se  marie  est  obligatoire 
en  principe. 

En  cas  de  célibat  à l’càge  de  la  retraite  (65  ans),  le  solde  du 
compte  de  l’alïilié  .à  la  Caisse  IV  est,  soit  remis  au  titulaire,  soit 
transformé  en  une  rente  immédiate  acquise  au  profit  de  ce  der- 
nier à la  Caisse  1. 

Des  mesures  d’ordre  financier  ont  été  prises  pour  éviter  que 
les  écarts  de  mortalité  ne  puissent  nuire  à la  stabilité  du  nouvel 
organisme.  B. 


GfiOGRAPIllE 

Le  problème  de  l’eau  à Goolgardie  (A  ustralie  occiden- 
tale) (1).  — Depuis  la  découverte  de  remarquables  filons  aurifères 
h Coolgardie  (18'J^)  et  h Kalgoorlie  (189V),  situé  VU  kilomètres 
plus  à l’est,  les  mines  d’or  constituent  la  principale  richesse  de 
V Australie  occidentale^  la  plus  jeune  des  sept  colonies  austra- 
liennes. Grâce  aux  exploitations,  qui  n’ont  cessé  de.se  multiplier 
et  ont  produit,  en  1908,  18:2  millions  de  francs  d’or,  alors  que 
VAiistralie  entière  n’en  a fourni  que  V4V  millions,  l’intérieur  du 
pays  commence  à se  peupler;  Coolgardie  a déjà  4213  habitants, 
Kalgoorlie,  6583  habitants,  et  l’ensemble  du  district  où  gît  le  pré- 
cieux métal  (Coolgardie  goldftelds),  41  500  âmes  environ.  Or, 
l’énorme  surface  de  la  colonie  (2  527  633  kilomètres  carrés,  cinq 
fois  la  France)  n’est  occupée  que  par  182  553  individus. 

L’intérieur  de  Y Australie  occidentale  (West  Australia)  est.  un 
véritable  désert,  argileux  ou  sablonneux,  partagé  entre  la 
brousse  à plantes  épineuses  (scrub  à spinifex)  et  la  foret  extrê- 
mement clairsemée  d’eucalyptus.  A Perth,  la  capitale,  non  loin 
de  la  côte,  les  précipitations  atteignent  849  millimètres,  à Cool- 
gardie 177  millimètres  à peine.  Le  régime  des  pluies  vient 
aggraver  cette  disette  d’eau  ; il  tombe  en  automne  et  en  hiver 
quelques  violentes  averses,  mais  le  printemps  et  l’été  sont 

(1)  Par  Paul  Privat-Deschanel,  La  Géographie,  Bull,  de  la  Soc.  de  Géogr. 
de  Paris,  t.  XIV  (1900),  pp.  13-18. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


68(3 

presque  absolument  secs.  La  question  de  l’eau,  élément  capital 
pour  le  traitement  des  minerais  notamment,  est  donc  le  problème 
essentiel  à résoudre  en  ce  pays,  où  il  n’y  a ni  rivières,  ni  lacs  per- 
manents. 

Les  mares  naturelles,  assez  abondantes  dans  les  nombreuses 
déclivités  des  protubérances  granitiques  de  l’Ouest  australien,  ne 
fournissaient  pas  assez  de  liquide;  on  chercha  à s’en  procurer  en 
creusant  des  puits  dans  des  mares  temporaires;  on  trouva,  là  une 
faible  profondeur,  une  nappe  d’eau  salée.  « Tout  le  pays  est  un 
ancien  fond  de  mer,  dont  le  sol  est  imprégné  de  sels  ; les  pluies 
n’ont  pu  les  entraîner;  la  salinité  est  quelquefois  quadruple  de 
celle  de  l’Océan  ».  Malheureusement  ces  eaux,  qu’on  peut 
employer  pour  le  traitement  des  minerais,  coûtent  très  cher  : on 
les  paye  "2  francs  l’hectolitre.  Pour  les  utiliser  dans  les  chau- 
dières, il  faut  les  transformer  en  eaux  douces,  par  la  distillation 
dans  des  condensateurs  ; mais,  dès  lors,  elles  reviennent  à (3  pence 
le  gallon  (4  litres  5i),  ou  15  centimes  le  litre.  D’où  exploitation 
trop  coûteuse  des  bons  tilons  et  impossibilité  d’exploiter  avanta- 
geusement les  mines  à faible  rendement.  Beaucoup  de  mines,  en 
etfet,  ne  donnent  que  10  dwt  (1)  à la  tonne,  et  il  en  aurait  coûté  11 
pour  les  extraire. 

Pour  sauver  l’industrie  et  assurer  le  bien-être  aux  habitants, 
des  hommes  d’initiative  con(;urent  le  projet  grandiose  (dont  coût 
(38  1:25  000  francs)  d’amener  <à  CooUjardie  de  l’eau  depuis  la  côte. 
La  côte  méridionale  relativement  proche,  étant  plate  et  sèche,  on 
prit  pour  point  de  départ  la  côte  occidentale,  où  les  précipita- 
tions atteignent  de  5:20  à 54'2  millimètres. 

L’ensemble  de  l’ouvrage  comprend  un  vaste  réservoir  d’ali- 
mentation à proximité  de  la  côte,  nn  aqueduc  formé  de  conduites 
métalliques,  un  réservoir  d’emmagasinement  et  de  distribution  à 
Coolgardie. 

Le  réservoir  d’alimentation,  dit  réservoir  de  Greenmount, 
s’étend,  (piand  il  est  plein,  sur  1 1 kilomètres  de  longueur  et  a une 
capacité  de  :20  884  ()00  mètres  cubes.  Situé  .à  53  kilomètres  de 
Perlli,  à 5(3  kilomètres  de  Fremantle,  <à  5'23  kilomètres  de  Cool- 
gardie, dans  les  Greenmount  Ranges,  partie  de  la  chaîne  des 

(1)  I.es  métaux  précieux  se  mesurent,  (tans  les  pays  anglais,  au  moyen  d’une 
unité  appelée  livre  trou  'P''  'aut  373  gr.  '2,.  La  livre  troij  se  divise  en  \2  onces 
(oz)  valant  31  gr.  1.  L’once  est  elle-même  partagée  en  2U  pennyiveifits  (du't) 
valant  1 gr.  555.  I.a  tonne  dont  il  est  ici  question  est  la  tonne  anglaise  de 
1015  kgr.  7050;  cette  tonne  représente  :224U  livres  anglaises,  dites  livres-avoir- 
(hi-poids,  valant  453  gr.  44. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


()S7 

Darling  Bauges,  qui  longe  la  côte  occidentale  de  V Australie,  il 
est  établi  sur  la  rivière  Ileleua,  alllnent  de  la  Swau  River,  à 
103  mètres  d’altitude. 

Pour  transporter  l’eau,  recueillie  à 103  mètres  d’altitude,  jus- 
qu’à 503  mètres,  et  cela  sur  un  parcours  de  5'23  kilomètres,  il  a 
fallu  employer  des  conduites  d’acier  d’un  type  spécial  et  recourir 
à l’emploi  de  puissantes  pompes  refoulantes. 

L’aqueduc,  construit  en  partie  dans  des  tranchées  ouvertes,  en 
partie  entièrement  à l’air  libre,  en  partie  sous  le  sol,  constitue 
l’œuvre  originale  et  vraiment  grandiose  de  l’entreprise  : il  est 
fait  de  65  800  tuyaux  mesurant  8'", 512  de  longueur  et  0“,75  de 
diamètre  intérieur;  l’épaisseur  des  parois  métalliques  est  de 
0"',125.  L’aqueduc  est  divisé  en  huit  sections,  d’une  longueur 
moyenne  de  70  milles  anglais,  soit  67  kilomètres.  En  raison  de 
l’altitude  du  point  d’arrivée,  ces  stations  sont  munies  de  pompes 
de  refoulement.  Le  pompage  coûte  malheureusement  cher.  Les 
réparations  étant  fort  dilficiles  dans  ces  contrées,  on  emploie  des 
machines,  à rouages  très  simples,  mais  consommant  beaucoup 
de  charbon.  Or,  il  se  paye  70  francs  le  long  de  la  voie  ferrée  qui 
relie  Coolgardie  et  Kalgoorlie  d’une  part  à Perth,  d’autre  part  à 
Fremantle,  port  d’escale  des  paquebots  européens.  Le  réservoir 
d’arrivée  est  disposé  un  peu  au-dessus  de  Coolgardie,  à l’altitude 
de  1653  pieds  anglais,  soit  507-  mètres;  il  peut  fournir  journelle- 
ment cinq  millions  de  gallons  (22  700  000  litres);  pour  éviter  des 
interruptions,  sa  capacité  est  {)ortée  à 20  millions  de  gallons 
(90  800  000  litres).  L’administration  livre  l’eau  à 3 shillings 
6 pence  les  mille  gallons (7  fr.  35  les  7570  litres),  soit  le  vingtième 
du  prix  payé  avant  les  travaux  d’adduction. 

Le  Coolgardie  ivaler  scheme  est,  dans  la  pensée  de  ses  promo- 
teurs, un  type  appelé  à se  généraliser  dans  tout  le  continent 
austral.  « Partout  en  Australie,  le  problème  de  l’eau  est  le  plus 
essentiel  à résoudre,  le  plus  vital  pour  la  colonisation  et  la  mise 
en  valeur  du  pays.  l’est,  dans  le  bassin  du  Murrag-Darliug, 
centre  de  l’élevage  du  mouton  à laine,  il  est  possible  d’utiliser  et 
on  a utilisé  en  fait  une  abondante  nappe  artésienne  ; mais  encore 
aujourd’hui  la  plus  grande  partie  de  l’eau  tombée  dans  la  chaîne 
côtière,  le  Dividiug  Bauge,  reste  inemployée.  On  peut,  pour 
l’Ouest  australien,  prévoir  des  résultats  plus  importants.  Ici,  pas 
de  nappe  souterraine,  à l’exception  du  minuscule  bassin  de 
Perth;  pas  de  rivières  non  plus  dans  l’intérieur;  il  faut  de  toute 
nécessité  faire  venir  l’eau  des  montagnes  côtières.  Déjà  des  pro- 
jets pi'écis  sont  à l’étude.  D’ici  peu,  l’aqueduc  de  Coolgardie  sera 


()88 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


prolongé  jiisipie  dans  le  riche  district  minier  de  Kalgoorlie,  le 
pins  riche  de  tonte  VAtistralie,  on  l’ean  permettra  le  développe- 
ment de  nombreuses  mines,  aclnellemenl  délaissées.  Plus  tard, 
on  conduira  l’eau  nécessaire  sur  les  différents  champs  aurifères 
el  dans  les  pi'incipaux  centres  de  colonisation  agricole  et  pasto- 
rales de  la  colonie.  Il  est  vraisemblable  qu’au  bout  de  peu  d’an- 
nées la  Westralîe  intérieui'e,  si  déshéritée  jus(pi’ici,  tirera  de 
cette  multiplication  de  l’eau  les  éléments  d’un  développement 
économique  (pie  rien  ne  pouvait  jusqu’à  ces  derniers  temps  faire 
prévoir.  V Australie  dans  son  ensemble  et  le  monde  civilisé  tout 
entier  en  protiteront.  » 

La  banquise  et  la  côte  nord-est  du  Grônland  au 
nord  du  77“  de  Lat.  N.,  en  1905  (1).  — Une  énorme 
banquise,  aux  proportions  variables  d’après  les  années  et  les 
saisons,  et  la  plus  redoutable  de  l’iiémisphère  nord,  se  rencontre 
entre  le  Grïmland  et  le  Spitsberg  septentrional.  Au  nord-est  de 
ce  dernier  archipel,  elle  laisse,  le  long  de  la  côte,  un  chenal  navi- 
gable qui  s’étend  jusqu’au  méridien  du  détroit  de  Hinlopen,  et 
parfois  dès  le  début  de  l’été  arctique,  jusqu’aux  Sept-Iles\  plus  à 
l’ouest  elle  se  maintient  entre  80"  et  81°  lat.  A'.,  puis  elle  décrit 
un  arc  de  cercle  pour  suivre  vers  le  sud  le  méridien  de  Gr., 
autour  duquel  sa  limite  orientale  oscille,  par  78°  lat.  A’.,  entre  5° 
long.  E.  Gr.  et  5°  long.  àV.  Gr.  Du  78"  lat.  A.  Viskant^  la 
lisière  de  la  banquise,  s’intléchit  au  sud-sud-ouest,  vers  Jan 
Magen,  où  elle  forme,  entre  7^2°  et  74°  lat.  A.,  un  grand  golfe,  qui 
permet  l’accès  de  la  côte  du  Grbnland.  Au  sud  de  Jan  Magen  la 
banquise  se  rétrécit  jusqu’à  ne  plus  mesurer,  sous  le  parallèle  de 
Vlslande,  qu’une  largeur  de  lOÜ  à 150  milles  dans  le  détroit  de 
Danemark. 

Toute  cette  formidable  masse  de  glace  est  animée,  le  long  de 
la  côte  orientale  du  Grônland,  d’une  dérive  relativement  rapide, 
sous  l’impulsion  du  courant  polaire.  Mais  exception  faite  de  ce 
courant,  on  ne  savait  rien,  on  presque  rien  de  la  circulation 
océani([ue,  et  de  l’allure  des  profondeurs  marines  dans  la  partie 
de  ['océan  Arctique,  comprise  entre  le  Spitsberg  et  le  Grônland; 
lacune  d’autant  plus  regrettable  que  la  mer  grônlandaise  est 
l’exutoire  du  bassin  polaire. 

Grâce  à l’exploration  océanographique,  nous  insistons  sur  ce 

(I)  Par  A.  de  (lerlache,  l-A  Géographie,  t.  XIV  (1906),  pp.  l!25-14:2  et  ;2  pl. 
tiers  texte. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


(389 


mot,  du  duc  d'Orléans,  qui  acheta  la  Delgica,  et  en  confia  le 
commandement  au  sympathique  et  vaillant  de  Gerlache,  les 
mystères  qui  couvraient  ces  régions  sont  en  grande  partie  levés. 

Le  3 juillet  1905,  la  Belgica  appareillait  de  Tromsd;  on  visita 
les  côtes  ouest  et  nord  du  Spitsberg,  puis  on  attaqua  le  9 juillet 
la  banquise  polaire  du  Grônland,  par  80“  :20'  lat.  N.  et  5"  40'  long. 
E.  Gr.  Afin  de  porter  ses  investigations  dans  un  secteur  inexploré 
de  Vocéan  Arctique,  le  prince  s’efforça  de  le  traverser  et 
d’atteindre  la  côte  à une  latitude  plus  élevée  que  ses  devanciers. 
Sans  doute  l’expérience  acquise  dés  le  XYlff  siècle  par  les 
baleiniers,  et  que  les  explorations  modernes  vinrent  confirmer, 
enseignait  que  la  banquise  est  particulièrement  navigable  entre 
7:2“  et  74°  lat.  A.;  mais  en  matière  de  navigation  polaire,  note 
de  Gerlache,  il  n’y  a pas  de  loi  absolue;  d’ailleurs  la  Belgica 
venait  du  Spitsberg,  donc  du  nord.  Les  faits  vinrent  confirmer 
ces  prévisions  ; le  21  juillet,  on  trouva  une  brèche  par 
76°  12'  lat.  N.,  5"  40'  long.  W.  Gr.;  le  24,  on  aperçut  dans  l’ouest 
des  terres  élevées  : les  îles  Koldewey  et  la  Terre  du  roi 
Guillaume,  découverte  en  1870,  par  l’expédition  de  la  Germania; 
enfin  le  26  juillet,  on  parvint  à une  petite  distance  du  cap 
Bismarck,  terme  du  raid  entrepris  par  Koldewey  et  Frayer, 
en  1870,  et  le  27  à Vilot  Maroussia,  un  peu  au  sud  de  ce  cap,  et 
où  l’on  releva  une  faune  assez  riche  et  une  tlore  d’une  étonnante 
vitalité;  on  était  par  76°  37'  lat.  X.  et  18°  33'  long.  \Y.  Gr.  Le 
prince  atteriissait  ainsi  deux  degrés  plus  au  nord  qu’aucune 
autre  expédition.  Cet  atterrissage  présente  un  intérêt  scientifique 
d’autant  plus  remarquable  que  l’itinéraire  qui  le  précéda  fut 
marqué  par  de  minutieuses  « stations  » océanographiques,  au 
cours  desquelles  on  détermina  une  section  bathymétrique  h 
travers  une  zone  de  la  mer  grônlandaise  réputée  inaccessible. 

Dès  le  28  juillet  on  remonta  vers  le  nord  et  l’on  découvrit  une 
« terre  nouvelle  »,  Vile  de  France',  c’est  une  ancienne  moraine 
s’élevant  en  pente  douce  jusqu’à  une  altitude  de  160  mètres; 
bien  qu’il  n’y  ait  sur  cet  amas  de  pierres  que  fort  peu  de  terre 
végétale,  la  llore  est- plus  abondante  et  plus  variée  que  dans  Vile 
Maroussia  ; l’herbier  de  l’expédition  s’enrichit  de  dix-neuf 
phanérogames,  de  sept  variétés  de  mousses,  de  quatre  champi- 
gnons, de  six  lichens  ; au  sud-est,  le  promontoire  oriental  ou 
cap  Philippe  se  trouve  par  77°  38'  lat.  N.,  17°  36'  long.  W.  Gr., 
au  sud-ouest  le  cap  Saint-Jacques  par  77°  36'  lat.  A’.,  18°  10'  long. 
\Y.  Gr. 

Le  30  juillet,  à minuit,  la  Belgica  se  trouvait  par  78"  16'  lat.  N., 
IID  SÉRIE.  T.  XII.  44 


G90 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


1(3“  48'  long.  W.  Gr.,  donc  à 167  milles  au  nord  du  point  extrême 
atteint  sur  un  navire  par  une  expédition  scientilique  {Germania, 
75"  lat.  N.,  'il  juillet  1869);  il  fut  impossible  de  pousser  plus 
avant  en  raison  de  l’état  des  glaces  (drift  ice);  mais  on  tenta 
une  pointe  vers  l’est  pour  pratiquer  quelques  sondages  suivant 
le  même  parallèle  à peu  près  que  ceux  des  15  et  16  juillet.  A ces 
dernières  dates,  on. releva,  par  une  latitude  moyenne  de  78"  18' 
et  5“  long.  W.  Gr.,  des  profondeurs  de  ^27(.)0,  de  ^100,  et,  à 
19  milles  plus  à l’ouest  de  ces  stations,  de  14'25  mètres.  Le 
81  juillet,  la  sonde  accusa  470  mètres  de  fond,  et  successivement, 
sur  une  distance  de  80  milles,  '2;20  mètres,  100  mètres,  et 
58  mètres  seulement;  la  sonde  à chambre  ayant  rapporté 
quelques  cailloux,  les  explorateurs  conclurent  à la  découverte 
d’un  banc  moi'ainique,  qu’ils  appelèrent  banc  de  la  Belgica]  ils 
se  sont  même  demandé  s’ils  n’étaient  pas  à pi'oximité  d’une  ile, 
car  ils  virent  deux  corbeaux  et  un  morse;  or,  ces  animaux  ne 
s’éloignent  guère  de  terre. 

La  Belgica  se  trouvant,  les  l"''  et  2 août,  par  78"  15'  lat.  N.  et 
16"  80"  long.  \V.  Gr.,  les  parties  basses  des  terres  apparurent  par 
suite  de  la  dispersion  de  la  brume,  et  la  côte  gronlandaise  s’étala 
en  un  immense  panorama  de  80  à 90  milles  de  développement, 
qu’on  s’elforça  de  relever,  mais  le  croquis,  qui  porte  sur 
2 degrés  de  latitude  (77"  à 79"  lat.  N.),  ne  peut  répondre  de  tous 
points  tà  la  réalité  ; les  exploi  ateurs  se  sont  en  etfet  trouvés,  sur 
une  partie  de  leur  parcours,  à 20  milles  de  distance  au  moins 
des  accidents  de  terrain;  mais  ils  osent  conjecturer,  tant  par  ce 
qu’ils  ont  vu  que  par  analogie  avec  ce  qui  existe  au  sud  du  77" 
lat.  A.,  qu’entre  celui-ci  et  le  79"  lat.  N.,  la  côte  gronlandaise 
est  découpée  par  des  tjords  profonds,  dont  plusieurs  commu- 
niquent probablement  entre  eux  loin  à l’intérieur  des  terres. 

Le  18  août,  la  Belgica  sortait  de  la  banquise,  où  elle  était 
engagée  depuis  quarante  jours,  et  le  28  août  elle  abordait  à 
Beykjavik. 

Exposé  des  travaux  scientifiques*  de  l’expédition 
antarctique  française  1903-1905  (1).  — Frappé  de 
deux  faits  : de  la  richesse  des  mers  antarctiques  en  balœnop- 
téres  et  en  mégaptères,  et  des  difficultés  de  la  navigation  en  ces 
parages,  dillicultés  qui  ont  coûté  la  vie  à tant  de  baleiniers; 

(t)  Par  Jean  Charcot,  I.A  Géoguafoiie,  t.  XtV  (ttlüO),  pp.  245-2(10,  1 pl.  hors 
texte  et  8 lig.  dans  te  texte. 


REVUE  DES  RECIIEILS  PERIUDR^UES 


09  i 


désireux,  d’autre  part,  d’aider  au  progrès  général  des  sciences 
géographiques,  le  D‘'  Charcot  organisa  une  expédition,  qui  est 
venue  combler  d’importantes  lacunes  existant  dans  les  cartes  de 
la  côte  occidentale  de  la  Terre  de  Grnham. 

Au  nord,  entre  6'i"  et  05“  lat.  S.  l’expédition  de  la  Belgicn 
avait  découvert  et  levé  un  lai-ge  passage  {détroit  de  Gerlache) 
entre  cette  terre  et  les  grandes  îles  de  V archipel  Palmer  ; mais 
les  contours  extérieurs  de  ces  dernières  restaient  inconnus  et  les 
débouchés  mêmes  du  détroit  au  nord  comme  au  sud  manquaient 
de  précision.  Au  nord,  par  exemple,  où  de  Gerlache  ne  s’était 
pas  occupé  de  ranger  les  îles  Hoseason  et  Inter currence,  les 
cartes  anglaises  identifiaient  cà  tort  l’ile  Hoseason,  jadis  relevée 
par  Bransfield  et  Foster,  avec  l’île  Liège  des  cartes  belges,  et 
au  sud,  la  large  ouverture  du  détroit  de  Gerlache,  sur  Vocéan 
Pacifique,  n’avait  été  vue  que  de  loin,  .sans  aucune  indication 
des  chapelets  d’îlots  et  de  récifs  qui  s’y  égrènent. 

En  ce  dernier  point,  au  surplus,  se  présentait  un  important 
problème  géograpbi(}ue.  Le  baleinier  allemand  Dallmann 
('1873-1874)  avait  placé  ici  le  débouché  d’un  long  détroit,  dont 
il  n’avait  pas  pu  voir  le  fond,,  et  qui  établissait  sans  doute  une 
communication  entre  le  Pacifique  et  V Atlantique,  coupant  la 
pointe  septentrionale  de  la  Terre  de  Graham.  L’expédition  de  la 
Belgica  constata  qu’à  la  latitude  donnée  par  Dallmann,  il 
n’existait  qu’une  profonde  baie,  la  baie  des  Flandres,  et  on 
reporta  vers  le  sud  l’indication  du  baleinier  allemand,  pour  la 
faire  coïncider  avec  le  large  golfe  situé  au  sud  du  cap  Tuxen, 
dont  la  brume  sans  doute  leur  avait  masqué  le  fond. 

« Enfin,  plus  au  nord,  les  cartes  ne  donnaient  que  la  direction 
générale  (nord-est-sud-ouest)  de  la  terre,  avec  l’indication  vague 
d’îles  aperçues  par  Biscoe  et  deux  seuls  points  un  peu  mieux 
précisés  : les  îles  P itt  et  Adélaïde. 

y>  Au  delà  c’était  l’inconnu  encore  plus  complet,  jusqu’à  la 
Terre  Alexandre  P^',  vue  une  première  fois  par  Bellingshansen 
(1819-1821),  une  seconde  fois  par  le  baleinier  norvégien  Even- 
sen,  à bord  de  VHertha  (1893),  enfin  par  l’expédition  de  la  Bel- 
gica, mais  d’une  distance  trop  grande  pour  qu’on  en  puisse 
distinguer  les  caractères.  » 

Pendant  l’hivernage  qu’il  fit  dans  V Antarcticpie,  Charcot 
détermina  plusieurs  importants  sommets,  parmi  lesquels  il  faut 
distinguer  le  Français  {île  d’Anvers,  2869  mètres  d’altitude); 
il  fixa  un  certain  nombre  des  îles  Biscoe,  et  la  position  de  la  côte 
sud  de  Vile  d’Anvers;  il  traça  tous  les  contours  extérieurs  de 


692 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUF,S 


V archipel  de  Palmer,  notamment  de  la  grande  baie  de  Dallmann, 
débouchant  au  sud  sur  le  détroit  de  la  Belgica,  par  le  chenal  de 
Schollaert,  qui  sépare  les  iles  Brabant  et  Anvers;  enfin  on 
releva  avec  soin  diverses  sections  de  côtes  de  la  Terre  de  Gra- 
ham  : rivage  compris  entre  t)7"5'  lat.  S.  et  66'’40'  lat.  S.  environ, 
et  qu’on  appela  Terre  de  Loubet;  ligne  de  côtes  faisant  face  aux 
îles  Biscoe,  et  rayonnant  autour  du  cap  Waldeck-Bousseau 
(t)t)“3'  lat.  S.;  t)8"30'  long.  W.  Gr.  environ);  enfin  partie  de  côte 
comprise  entre  le  cap  P.  Willems  (en  face  de  Vile  Wiencke)  et 
les  îles  du  Chaylard  et  Vieugué.  Ce  dernier  relevé  donna  la 
certitude  qu’il  n’existe  pas,  dans  toute  cette  étendue,  un  pas- 
sage vers  V Atlantique.  « L’identification  des  détails  de  la  carte 
de  Dallmann  se  fait,  d’ailleurs,  d’une  façon  très  satisfaisante 
plus  au  nord  et  permet  d’atlirmer  que  le  détroit  de  Bismarck 
n’est  autre  que  l’entrée  sud  du  détroit  de  Gerlache.  Le  profond 
renfoncement  de  la  baie  des  Flandres  a été  cause  de  l’erreur  du 
navigateur  allemand  faisant  ouvrir  ce  détroit  vers  l’est  dans 
V Atlantique,  alors  qu’il  longe  simplement  la  côte  ouest  de  la 
Terre  de  Graham,  venant  aboutir  au  nord-est  dans  l’ancienne  baie 
de  Hugues.  » 

La  campagne  hydrographique  du  Charcot  se  complète  par- 
la découverte  de  deux  ports,  où  l’on  peut  séjourner  en  toute 
sécurité  et  que  l’on  peut  atteindre,  car  la  mer  libre  les  baigne 
pendant  près  de  six  mois  de  l’année;  ce  sont  : Port  Charcot  (île 
Wandel)  et  Port-Lockrog  (île  Wiencke)',  et  par  le  levé  de 
l’entr'ée  nor-d  du  détroit  de  Gerlache,  où  l’on  replaça,  notam- 
ment, les  ries  Hoseason  et  Inter currence,  dont  l’existence  avait 
été  mise  en  doute. 

Vers  le  Pôle  magnétique  boréal  par  le  passage  du 
Nord-Ouest  (J  ).  — Boald  Amundsen  s’était  pr-oposé  de  pour- 
suivre l’exploration  des  ter-r-es  voisines  du  pôle  magnétique 
boréal  et  d’elfectuer  pendant  deux  ans  des  obser-vations  mimt- 
tieuses  afin  de  déterminer  de  noitveau  la  position  de  ce  point 
déjà  observée  par  James  G.  Boss  en  1831;  il  espérait  airssi,  si 
l’état  des  glaces  le  permettait  du  côté  de  l’ouest,  d’effectuer  en 
bateau  le  passage  du  nord-ouest,  problème  ([uatre  fois  séculaire, 
dont  la  solution  était  toujorrrs  attendire,  malgr'é  les  efforts  gigan- 
tesques de  bon  rtombre  d’explorateurs. 

Poirr  parvenir  à ses  fins,  Amundse^i  employa  les  moyens  les 


( 1 ) Par  lioald  Aniundseii,  La  GÉOGRAi’urr;,  t.  ( 1907),  pp.  233-252. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


(39;;! 

plus  simples  : \in  modeste  équipage  de  six  hommes,  et  un  navire 
de  très  faible  tonnage,  la  Gjôa,  sloop  de  47  tonnes,  mû  par  un 
moteur  k pétrole.  On  appareilla  le  16  juin  1!)03  de  Christiania, 
et  le  % juillet  on  jeta  l’ancre  devant  Godhavn,  la  capitale  du 
Grônland  septentrional,  où  l’on  séjourna  jusqu’au  31  de  ce  mois. 
Le  8 août  on  était  à Vile  Holni,  à l’entrée  de  la  baie  de  Melville,  le 
15  août  au  rocher  de  Dalrymple ; on  traversa  le  17  août  la  baie 
de  Baffîn,  en  face  des  lies  Carrey,  et  on  pénétra  le  20  dans  le 
détroit  de  Lancaster  dont  la  rive,  fort  désolée,  ne  porte  aucune 
trace  de  végétation  ; il  n’y  a partout  que  hautes  montagnes  aux 
sommets  plats. 

La  Gjôa  arrivait  le  22  août  à Vile  Beechey,  oû  so  trouve, 
comme  l’on  sait,  l’épitaphe  dédiée  à son  mari  par  Lady  John 
Franklin.  Les  observations  ayant  prouvé  à B.  Arnundsen  que  le 
pôle  magnétique  se  trouvait  plus  au  sud,  il  continua,  dès  le 
24  août,  sa  navigation  vers  le  détroit  de  Peel.  Malbeureusement 
la  boussole,  qui  s’était  toujours  montrée  assez  sûre,  cessa  net 
d’obéir,  près  de  Vile  de  Prescot;  cet  accident  n’empêcha  pas 
l’expédition  de  remporter  une  première  victoire  dès  le  28  août; 
ce  jour-là,  en  effet,  elle  dépassa  aisément  le  point  oû  sir  Allen 
Youny  avait  été  arrêté  sur  la  Pandora  par  des  glaces  infran- 
chissables, et  un  peu  plus  tard  elle  franchit  la  partie  occidentale 
du  détroit  de  Bellot,  que  l’amiral  ûr  Léopold  Mac  Klintock  avait 
essayé  en  vain  de  passer.  Alors  commença  la  navigation  le 
long  de  la  côte  ouest  de  Boothia  Félix,  oû  l’on  jeta  l’ancre  le 
31  août  devant  le  cap  Christian  Frédéric.  Le  9 septembre,  après 
dix  jours  de  lutte  contre  les  éléments  déchaînés,  on  entrait  dans 
la  baie  de  Petersen,  sur  la  Terre  du  roi  Guillaume,  oû  l’on 
hiverna,  pendant  deux  ans,  dans  un  excellent  mouillage,  le  Gjôa 
havn.  Non  seulement  « des  collines  couvertes  de  mousses  montent 
en  pente  douce  jusqu’à  50  mètres  d’altitude  et  forment  pour 
ainsi  dire  un  nid  de  verdure  de  toute  sécurité  »;  mais,  chance 
étonnante,  le  havre,  oû  l’on  avait  résolu  de  s’installer,  convenait 
particulièrement,  d’après  le  plan  de  l’expédition,  pour  une  sta- 
tion magnétique,  à 100  milles  environ  du  pôle  magnétique. 

Dès  le  2 novembre,  le  travail  de  la  station  fixe  commença  : 
«Jour  et  nuit, sans  interruption  pendant  dix-neuf  mois,  les  obser- 
vations magnétiques  furent  exécutées  et  les  observations  météo- 
rologiques enregistrées  » ; ce  travail  fut  complété  par  des  excur- 
sions aux  abords  du  pôle  magnétique;  c’est  au  cours  d’un  de  ces 
déplacements,  à Boothia  Félix,  (.\\V Aniundsen  constata,  en  mesu- 
rant la  déclinaison,  que  le  pôle  même  n’est  pas  un  point  immo- 
bile, mais  au  contraire  un  point  en  mouvement  continu.  Le  port 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(j9  i 


de  (rjôn  fut  aussi  le  centre  de  rayonnement  de  plusieurs  voyages 
de  découverte,  au  cours  desquels  on  subit  des  températures 
extrêmes  de  — 53'’  et  — 0:2'’  G.  (mars  1904),  avec  une  moyenne  de 
— 43’C.  en  février  1904,  et  qui  permirent  notamment  (avril  1905) 
le  levé  de  la  côte  est  de  la  Terre  Ffc^orm,  jusqu’à  7:2'’  lat.  N.,  et 
des  centaines  de  petites  îles  basses,  aperçues  par  le  docteur  Rae 
au  sud  du  détroit  de  Victoria.  C’est  aussi  au  cours  de  ce  séjour  et 
de  ces  déplacements  qu’on  prit  contact  avec  les  Esquimaux  de  la 
côte  nord  de  V Amérique  et  (pi’on  put  étudier  leurs  mœurs  : les 
Ogllouli,  qui  chassent  entre  le  (Jeure  Black  et  la  presqu’ile  Adé- 
laïde; les  Netc/ijilli,  d’une  probité  à toute  épreuve;  leur  pays 
comprend  les  bords  du  grand  lac  de  Willersted,  dans  Vistlime  de 
Boothia,  et  la  partie  de  la  rivière  qui  met  ce  lac  en  communica- 
tion avec  la  mer;  les  Itchjouacktorvik,  établis  à la  côte  est  de 
Boothia  Félix,  et  dont  Amuudsen  n’eut  pas  à se  louer;  la  tribu 
Kinepatou,  qui  habile  à l’embouchure  du  Chesterfîeld  inlét,  près 
de  la  baie  d’Hudsou;  la  tribu  des  Kiilnermioun,  absolument 
inconnue,  qui  vil  des  produits  de  la  chasse,  près  de  la  rivière 
Coppermiue  et  plus  loin  dans  l’est. 

Le  13  août  1905,  la  Gjôa  leva  l’ancre  pour  poursuivre  sa  route 
vers  l’ouest,  elle  franchit  le  détroit  de  Simpson;  elle  traversa, 
pour  éviter  le  pack  du  sud,  les  chenaux  peu  profonds  sépai’ant  les 
nombreux  îles  et  îlots  dont  est  [)arsemé  le  bras  de  mer  entre  la 
Terre  du  roi  Guillaume  et  la  Terre  de  Victoria;  tinalement  elle 
s’engagea  dans  le  détroit,  qui  existe  entre  la  Terre  de  Victoria  et 
le  continent,  d’où  elle  arriva,  le  ï21  août,  après  avoir  passé  une 
région  de  hauts  fonds,  au  détroit  de  Dolphin  et  de  l’Union.  Là  les 
explorateurs  [)urent  respirer;  le  20  août,  ils  parvinrent  dans  la 
région  des  baleiniers,  à l’im  desquels  ils  tirent  visite,  puis  ils 
doublèi’ent  les  caps  Bathurst  el  Sabine,  passèrent  devant  le  delta 
du  Mackenzie  et  furent  contraints,  dès  le  3 septembre,  par  suite 
de  l’état  des  glaces,  à un  troisième  hivernage  près  deKinij’s  point 
(09'’  10'  lat.  N.,  173'’  45'  long.  W.  Gr.).  Le  11  juillet  1900, on  put 
lever  l’ancre;  on  suivit  le  30  août  le  détroit  de  Bering  e\  l’on 
arriva  le  lendemain  à Nome,  célèbre  par  ses  gisements  aurifères. 
La  Gjba  avait  réalisé  l’exploit  de  la  Véga  et  de  Nordenskiôld  au 
nord  de  VEurope  et  de  l’AA'œ. 

Nouvelle  campagne  polaire  du  commandant  Peary 
1905-1906.  — Comme  pour  ses  précédentes  tentatives, 
Dearg  a emprunté  la  voie  du  Smith  Sound.  11  alla  établir  ses 
quartiers  d’hiver  sur  la  côte  septentrionale  de  la  Terre  de  Grant. 


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En  février  1906,  il  s’embarqua  en  traîneaux  pour  le  Nord,  en  pas- 
sant par  les  caps  Hecla  et  Colombia.  Après  des  difficultés  sans 
nom  (tempête,  nappe  d’eaux  libres  entre  84"  et  85"  lat.  N.,  dérive 
caractéristique  vers  l’est,  etc.),  il  atteignit  87"  6'  lat.  X.  11  battit 
alors  en  retraite  vers  la  côte  nord  du  Grônland,  où  il  arriva,  à 
bout  de  forces  et  privé  de  ressources  ; les  explorateurs  avaient  dû 
manger  huit  de  leurs  cbiens.  A peine  avait-il  rejoint  son  havre 
d’hivernage,  que  Peary  se  dirigea  en  traîneaux  vers  l’ouest,  pour 
compléter  le  levé  de  la  Terre  de  Grant;  il  eut  la  bonne  fortune  de 
découvrir  une  autre  terre  par  100"  long.  W.  Gr.  environ.  11 
semble  que  ce  soit  une  île  distincte  de  la  Tem'e  Ringnes  et  de  la 
Terre  Axel  Heiberg,  rencontrées  Sverdrup . 

Grtàce  à cette  nouvelle  exploration,  Peary  bat  tous  les  records 
polaires,  car  il  n’est  resté  qu’à  r3i!4  kilomètres  du  pôle.  En  1896, 
Nansen  parvint  au  86"  12'  3,  et,  en  1900,  le  commandant  Cagni, 
de  l’expédition  du  duc  des  Abruzzes,  à 86"  33'49".  La  dérive  vers 
l’est,  qui  a particulièrement  frappé  Peary,  montre  que  les  glaces 
amoncelées  dans  Vocéan  Arctique  sont  entraînées  surtout  vers 
V Atlantique,  où  elles  trouvent  notamment  un  exutoire  grandiose 
entre  le  Grônland  et  le  Spitsberg. 

Le  Port  de  Bayonne  (1).  — Ce  port  est  formé  par  le  cours 
inférieur  de  VAdour,  entre  l’embouchure  de  ce  lleuve  et  le 
conlluent  de  la  Nive.  La  section  du  port  accessible  aux  navires  a 
une  longueur  de  6000  mètres  environ;  la  largeur,  qui  atteint 
400  mètres  au  centre,  n’est  nulle  part  inférieure  à 150  mètres; 
les  profondeurs,  dans  le  milieu  du  chenal,  varient  entre  3“,80  et 
12  mètres  au-dessous  du  zéro  des  échelles  du  port.  La  marée 
accroît,  en  moyenne,  cette  profondeur  de  2”, 11  en  morte  eau,  de 
3"’, 62  en  vive  eau  d’équinoxe. 

Dans  le  cours  des  treize  dernières  années,  on  s’est  efforcé  de 
faire  de  VAdour  maritime  un  port  véritablement  moderne.  Les 
travaux  ont  ou  ont  eu  un  triple  objet  ; 1"  l’amélioration  des 
passes  de  la  barre;  2"  l’aménagement  du  lit  de  l’Adour;  3"  la 
construction  et  l’outillage  des  quais. 

1"  Grâce  aux  dragages  intensifs,  on  a abaissé  considérablement 
le  seuil  qui  constitue  la  barre  de  VAdour.  Aujourd’hui  le  port 
reçoit  facilement  et  par  toutes  marées,  des  navires  de  80  mètres 
de  longueur  ayant  un  tirant  d’eau  de  6“,50  et  jaugeant 
3500  tonnes.  « Les  calaisons  généralement  admises  à l’entrée  en 

(t)  Par  H.  Cavaillès.  Ann.  de  Géogr.,  1907,  pp.  15-22. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


0‘)6 


J9(H  ont  varié  de  5“,:25  dans  les  mortes  eaux  jusqu’à  7“, 75  dans 
les  vives  eaux.  Ces  conditions  d’accès  font  désormais  de  Bayonne 
un  bon  port  en  eau  profonde.  » Mais,  il  y a des  mais.  L’accrois- 
sement des  profondeurs  réalisé  à l’embouchure  a facilité  l’entrée 
du  tleuve  aux  lames  du  large  dans  la  partie  inférieure  du  port.  La 
houle  s’y  fait  .sentir  plus  fortement,  notamment  devant  les  quais 
du  Boucau,  où  le  chargement  et  le  déchargement  des  navires  ont 
dn  être  interrompus.  On  cherche  à obvier  à cet  inconvénient. 
D’autre  part,  par  gros  temps,  l’accès  de  VAdonr  est  presque 
impossible.  L^emhouchure  du  fleuve  n’est  pas  seulement  trop 
étroite,  mais  elle  pâtit  de  la  disposition  rectiligne  de  la  côte,  que 
nul  accident  naturel,  île  ou  cap,  ne  défend  contre  les  lames  du 
large.  Dès  que  des  tempêtes  du  nord-ouest  ou  du  sud-ouest 
sévissent,  les  navires,  sous  peine  d’être  jetés  à la  côte,  doivent 
regagner  la  haute  mer.  Ils  ne  restent  cependant  pas  sans  abri  : à 
une  vingtaine  de  kilomètres  au  sud  de  VAdoiir,  ils  trouvent  un 
excellent  poi  t de  refuge  dans  la  rade  de  Saint-Jean-de-Luz,  acces- 
sible par  tous  les  temps,  et  qu’on  a d’ailleurs  aménagée; 

Du  jour  où  l’entrée  de  VAdonr^  été  assurée  par  l’améliora- 
tion détinitive  de  la  barre,  on  s’est  préoccupé  d’aménager  le  lit  du 
tleuve  qui  constitue  le  port.  Le  chenal  est  interrompu  dans  .'^a  lon- 
gueur par  des  hauts  fonds  qui  déterminent  trois  passes  difficiles 
et  étroites;  elles  vont  être  rectifiées  et  approfondies; 

3"  Quant  à l’accostage  des  navires  et  à la  manutention  des  mar- 
chandises, le  port  de  Bayonne  se  divise  naturellement  en  deux 
parties  : le  Boucau  et  Bayonne. 

Au  Boucau,  VAdour  n’est  bordé  de  quais  (15U0  mètres  de  lon- 
gueur) (pie  sur  la  rive  droite.  Ils  sont  munis  de  voies  ferrées  et 
reliés  au  réseau  de  la  Compagnie  des  Chemins  de  fer  du  Midi. 

A Bayonne,  les  deux  rives  ont  des  (juais  mètres  de  déve- 
loppement); la  rive  gauche  est  celle  où  la  disposition  des  lieux 
est  le  plus  làvoiahle  à l’établissement  d’un  port  bien  aménagé. 

Les  travaux  faits  jusqu’à  ce  jour  ont  rapporté  des  fruits. 
Depuis  un  demi-siècle  le  mouvement  commercial  du  port  de 
Bayonne  va  se  développant.  Le  tonnage  des  marchandises  repré- 
sentait en  1875,  185  500  tonnes  ; en  1000,  il  a atteint  793  800  ton- 
nes. Ce  remarquable  accroissement  de  trafic,  dont  le  Boucau  a 
jtarticulièreinent  profité  ( i87  fiOO  tonnes  en  lOOi,  203  500  tonnes 
seulement  la  même  année  pour  Bayonne),  s’explique,  abstraction 
faite  des  meilleures  conditions  d’accès  du  tleuve,  par  deux  causes 
essentielles  : 1“  le  développement  pris  par  le  commerce  des 
poteaux  de  mines  et  des  autres  produits  forestiers  que  les  expor- 


RKVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


()97 


tateurs  dirigent  vers  VAdonr  maritime;  2°  la  création  d’impor- 
tantes industries  sur  la  rive  droite  du  fleuve  : F'orges  de  VAdonr, 
manufacture  des  produits  chimiques  de  Saint-Gobain,  fabriques 
de  ciment,  scieries,  etc. 

La  position  très  heureuse  de  Bayonne  au  voisinage  de  la  route  • 
maritime  qui  mène  des  charbonnages  anglais  aux  mines  de  fer 
de  la  Biscaye,  lui  permet  d’acquérir  les  produits  des  uns  et  des 
autres  avec  le  minimum  de  frais  de  transport.  C’est  donc  la 
facilité  et  le  bon  prix  des  transports,  ainsi  que  les  besoins  de 
l’agriculture  régionale,  et  l’attraction  exercée  par  les  ports  mari- 
times, qui  expliquent  la  naissance  d’un  mouvement  industriel 
accentué  sur  ce  point  du  littoral  français. 

Ainsi  Bayonne,  port  d’entrepôt  et  de  transit  pour  VEspagne, 
il  y a quelques  années,  tend  à devenir  un  centre  industriel  et  le 
débouché  de  la  région  landaise  ; la  nature  des  importations  et 
des  exportations  fait  toucher  du  doigt  cette  double  tendance. 
Aux  importations  (492  90(J  tonnes)  on  note  des  minerais 
(73  000  tonnes)  qui  vont  alimenter  les  industries  naissantes  ; de 
la  houille  (312  000  tonnes)  destinée  aux  usines  et  aux  villes  de 
l’intérieur,  des  phosphates  (46  500  tonnes),  des  céréales 
(24  500  tonnes),  des  vins  (10  000  tonnes);  aux  exportations 
(257  400  tonnes)  figurent  des  minerais  (9500  tonnes),  des  fers  et 
des  rails  (16  000  tonnes),  des  poteaux  de  mines  (154  500  tonnes), 
des  traverses  (13  500  tonnes),  des  planches  (19  000  tonnes),  des 
résineux  (18  000  tonnes),  etc.,  tous  produits  qui  accèdent  par 
voies  ferrées,  ou  par  voies  d’eau.  La  prospérité  du  port,  dont  des 
travaux  importants  ont  assuré  l’avenir,  est  ainsi  liée,  comme 
partout  ailleurs,  au  bon  aménagement  du  réseau  fluvial  dont  il 
est  la  tète,  ou  mieux  le  point  de  convergence,  comme  aussi,  au 
développemment  économique  de  la  région.  11  n’y  a pas  lieu  au 
surplus,  de  s’inquiéter  de  ce  que  le  chiffre  des  importations 
l’emporte  sur  celui  des  exportations.  Le  fret  de  retour  est  en  rap- 
port direct  avec  l’activité  industrielle  et  agricole  de  la  région 
dont  Bayonne  est  le  débouché,  et  il  n’est  pas  douteux  qu’il 
augmentera  beaucoup,  le  jour,  que  d’aucuns  voient  proche,  où 
les  Pyrénées  fourniront  leur  élément  de  trafic. 

Le  Haut  Plateau  de  Bolivie  (1).  — La  Bolivie,  dont  la 
superficie  est  de  1 225  000  kilomètres  carrés  environ,  est  formée 
de  deux  régions  très  différentes  : les  hautes  terres  andines  et  les 


(t)  Par  Dereims,  Ann,  de  Géogr.,  1907,  pp.  350-359,  3 pt.  hors  texte 
et  “2  tig. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


()98 

plaines  qui  font  partie  de  la  grande  dépression  intérieure  de 
l’Amérique  méridionale. 

Les  hautes  terres  comprennent  : 1”  le  haut  plateau  propre- 
ment dit,  V Altiplanicie,à\\\\Ci  altitude  moyenne  de  3750  mètres, 
très  nettement  encadré  entre  les  deux  Cordillères  ; 2°  un  autre 
plateau,  accolé  au  sud-est  au  premier,  et  qui  se  poursuit  vers  le 
sud  en  territoire  argentin.  Ce  second  plateau,  très  élevé  encore 
au  contact  de  la  Cordillère,  plus  élevé  même  que  la  haute  plaine, 
s’abaisse  assez  régulièrement  vers  l’est  : Cochabamba  n’est  plus 
qu’à  2800  mètres  d’altitude.  Sucre  à 2700  mètres.  C’est  vers  l’est 
que  s’écoulent,  suivant  la  pente,  toutes  ses  eaux  tributaires  de 
V Amazone  et  du  Rio  de  la  Plata.  11  se  termine  brusquement  au 
nord  par  un  escarpement  faisant  un  angle  obtus  très  ouvert  avec 
la  Cordillère  orientale.  Découpée  par  de  nombreuses  vallées,  la 
surface  de  cette  région  montagneuse  où  les  ditïérences  de  niveau 
ne  dépassent  pas  un  millier  de  mètres,  est  plus  irrégulière  que 
celle  de  V Altiplanicie.  Les  chaînes  font  place  à un  relief  de  vieux 
plateau  travaillé  par  l’érosion,  tandis  que  son  climat,  et  sa  végé- 
tation surtout,  la  dilférencient  très  nettement  des  hauts  plateaux. 
Par  là  se  fait  la  transition  avec  les  terres  basses. 

V Altiplanicie  se  prolonge  vers  le  nord,  en  territoire  péruvien, 
au  delà  du  lac  Titicaca,  et  vers  le  midi  en  territoire  chilien,  par 
le  plateau  ou  la  Pana  d’Atacama.  La  pente  est  vers  le  sud;  le 
Titicaca  se  trouve  à 3812  mètres  d’altitude,  le  lac  Poopo,  son 
déversoir,  à 3694  mètres  ; la  grande  Pampa  de  Sal,  à l’ouest 
iVUyuni,  est  un  peu  plus  ba.sse  encore.  Mais  au  delà  le  sol 
semble  se  relever  très  légèrement  dans  la  direction  de  la  frontière 
chilienne. 

De  puissantes  chaînes  dominent  V Altiplanicie  ; à l’est,  la 
Cordillera  real  avec  des  cimes  {Vlllimani  et  Vlllampu  ou 
Sorata)  dépassant  (5400  mètres  ; entre  ces  deux  sommets,  la  pente 
de  la  Cordillère  vers  l’est  est  un  véritable  abrupt.  En  moins  de 
100  kilomètres,  on  passe  des  terres  froides  du  plateau  à la  zone 
des  forêts  tropicales. 

La  chaîne  occidentale  est  moins  élevée,  quoique  l’altitude  de 
certains  sommets  (le  Sajama)  soit  inférieure  à 6500  mètres.  La 
pente  est  encore  très  forte  vers  l’ouest,  sans  ressaut,  sans  abrupt. 
Vers  l’intérieur,  les  deux  Cordillères  ont  des  veusants  plus 
adoucis;  de  petites  chaînes  secondaires  s’y  alignent,  parallèles 
aux  deux  masses  latérales,  et  dépassant  rarement  de  plus  d’un 
millier  de  mètres  la  surface  du  plateau.  La  Cliilla,  au  sud  du 
Titicaca,  a 4823  mètres;  le  Miriquiri,  au  nord  de  Corocoro, 
4781  mètres. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIüDR^JUES 


GÜÜ 


« Tous  les  terrains  qui  allleurenl  dans  la  Cordillère  de  l’est, 
sur  V Altiplanicie  et  dans  la  partie  bolivienne  de  la  Cordillère 
de  l’ouest,  appartiennent  aux  formations  primaires.  11  semble 
bien  que,  depuis  le  début  des  temps  secondaires,  toute  cette 
région  n’ait  plus  été  recouverte  par  les  eaux  marines.  Les 
couches  les  plus  anciennes  sont  à l’est  : la  Cordillern  real  est  en 
grande  partie  silurienne;  viennent  ensuite,  en  stratification  le 
plus  souvent  concordante,  des  couches  dévoniennes,  carbonifé- 
riennes,  puis  des  grés  et  des  marnes  gypsifères  qu’on  peut  rap- 
porter au  permien.  L’ensemble  forme  une  série  de  grands  plis, 
compliqués,  dans  V Altiplanicie,  de  plissements  moins  impor- 
tants... » 

On  rencontre  dans  V AlUplanicie  quelques  nappes  d’eau  per- 
manentes ou  temporaires;  au  nord,  le  grand  lac  Titicaca 
(381;2  mètres  d’altitude),  quinze  fois  grand  comme  le  lac  de 
Genère  et  profond  de  '272  mètres.  11  a pour  déversoir,  le  Desa- 
guadero;  celui-ci  décharge  ses  eaux  imprégnées  du  sel  enlevé 
aux  couches  permiennes  salifères  qu’il  traverse,  dans  le  lac 
Poopo.  A la  saison  pluvieuse,  on  barre  les  petits  aifluents  qui 
descendent  au  cours  d’eau  principal,  on  les  laisse  s’assécher,  et 
l’on  y fait  une  abondante  provision  de  sel,  qu’on  découpe  en 
briquettes  pour  la  facilité  du  transport. 

A l’ouest  et  au  nord  du  lac  Poopo  s’étendent  d’autres  grandes 
lagunes,  véritables  cliotts  qui  ne  se  remplissent  qu’après  la  sai- 
son des  pluies,  se  dessèchent  ensuite  rapidement  et  se  couvrent 
d’une  croûte  satine  également  exploitée. 

Tous  ces  lacs  sont  les  témoins  d’une  nappe  d’eau  plus  étendue 
qui  a probablement  recouvert,  à une  épocpie  antérieure,  la  plus 
grande  partie  de  V Altiplanicie  : on  ignore  comment  ce  lac  pri- 
mitif s’est  vidé;  en  tous  cas  ce  n’est  pas  par  la  gorge  du  rio  de 
La  Paz,  car  le  cas  de  ce  rio  est  absolument  indépendant  du  pro- 
cessus de  dessèchement  du  lac;  ce  dessèchement  était  un  fait 
accom[)li,  lorsque,  par  érosion  régressive,  ce  rio  a percé  la  cein- 
ture de  V Altiplanicie. 

La  haute  plaine  de  la  Bolivie  est  d’une  extrême  sécheresse.  De 
mars  à octobre  il  ne  tombe  pas  de  pluie;  pendant  les  quatre 
autres  mois  de  l’année,  qui  correspondent  h l’été  de  l’hémisphère 
austral,  des  orages  déterminent  des  précipitations  abondantes. 
C’est  un  régime  de  pluies  tropicales.  Aussi  la  Bolivie,  située  tout 
entière  au  nord  du  tropique,  ne  doit-elle  son  climat  tempéré 
qu’à  sa  très  grande  altitude.  La  quantité  de  pluie  diminue  à 
mesure  qu’on  descend  vers  le  sud;  des  nappes  d’èau  perma- 


700 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


nentes  y sont  impossibles;  la  Puna  d’ A tarama,  au  Chili,  est  un 
véritable  désert.  Région  désertique  aussi  le  nord  de  V Altipla- 
nicie.  Une  sécheresse  prolongée  est  presque  mortelle  à toute 
végétation;  il  va  cependant  quelques  maigres  cultures  d’orge  et 
de  pommes  de  terre,  abandonnées  aux  Indiens,  qui  travaillent 
par  troupes. 

Gomment  la  naissance  de  villes  est-elle  possible  dans  un  pareil 
milieu?  Elle  s’explique  uniquement  par  la  présence  de  mines; 
Corocoro  doit  .son  existence  aux  mines  de  cuivre;  Oruro  aux 
mines  d’étain  et  d’argent;  Huanchaca  aux  exploitations  argenti- 
fères. 

La  Paz  est  dans  des  conditions  tout  autres.  Son  altitude  est 
bien  inférieure  à celle  de  VAltiplanicie,  sa  température  est  plus 
douce.  La  vallée  de  Sapahaqui , qui  communique  avec  celle  de 
La  Paz,  est  une  véritable  oasis,  où  l’on  cultive  l’asperge,  l’arti- 
cbaut,  l’oranger,  le  citronnier,  la  vigne,  etc.  Les  Yuugas,  région 
où  s’épanouit  toute  la  végétation  tropicale,  caféier,  cacaoyer, 
canne  à sucre,  oranger,  etc.,  se  trouve  à 90  kilomètres  environ 
de  La  Paz,  distance,  il  est  vrai,  qu’on  ne  peut  parcourir  qu’en 
dix-sept  heures  en  raison  de  la  nature  montagneuse  de  la  con- 
trée. Mais  ce  beau  pays,  à population  peu  dense,  n’intéresse 
qu’indirectement  la  haute  plaine.  Celle-ci  a ses  richesses  propres, 
les  mines.  Mais  il  lui  manque  des  bras  et  des  voies  de  commu- 
nication commodes. 

La  population  bolivienne  est  restée  en  majeure  partie  indi- 
gène. Sur  un  total  de  J 700  000  habitants,  on  compte  20  p.  c.  de 
blancs,  pre.sque  tous  Espagnols  et  80  p.  c.  (Vludiens  et  de  métis. 
Les  métis,  ou  Cliolos,  ont  pris  généralement  aux  deux  races  dont 
ils  sont  issus  plus  de  défauts  que  de  qualités.  Ils  sont  surveillants 
ou  contremaitres  dans  les  villages,  ouvriers  d’art  dans  les  villes. 

VAltiplanicie  ou  les  hautes  terres  boliviennes  ne  sont  pas 
aujourd’hui  d’accès  fort  facile,  et  cela  n’est  pas  de  nature  à 
favoriser  l’immigration  des  hommes  et  des  capitaux.  On  n’y 
arrive  que  par  des  voies  détournées.  Une  ligne  ferrée  péruvienne 
part  de  Mollendo  et  monte  jusqu’au  lac  Titicaca,  (lu’on  traverse 
en  vapeur  pour  aller  prendre  un  train  qui  mène  à La  Paz.  Une 
seconde  ligne  chilienne  part  d’Antofagasta  et  monte  à Uguni, 
et  de  là  à Oruro,  qui  va  être  prochainement  relié  à La  Paz. 


F.  V.\N  Ortroy. 


TABLES  DES  MATIÈRES 

DU 

DOUZIÈME  VOLUME  (troisième  série) 
Tome  LXIl  de  la  Collection 


Livraison  de  Juillet  1907 

Stéphane  Leduc  a-t-il  créé  des  êtres  vivants?  par  M.  le 

Maurice  D’halluin 5 

L’Action  électrique  du  Soleil  (fin),  par  M.  A.  Nodon.  57 

LES  PORTS  ET  LEUR  FONCTION  ÉCONOMIQUE  (suite)  : 

Le  Port  de  Délos,  par  M.  Alphonse  Roersch.  . 8ü 
Le  Port  de  Rotterdam,  par  le  R.  P.  Charles,  S.  J.  114 
Le  PortdeGênesau  Moyen  Age,  par  M.  J.  Hanquet.  146 
Le  Port  de  Marseille,  par  M.  G.  Blondel  . . . 162 

Le  Grisou  (fin),  par  M.  A.  Renier 188 

Variétés.  — Les  « Essays  » de  Jean  Rey  et  la  pesanteur 

de  l’air,  par  le  R.  P.  Thirion,  S.  J 280 

Ribliographie.  — I.  Les  équations  aux  dérivées  partielles 
cà  caractéristiques  réelles,  par  R.  d’Adhémar,  Ch. -J. 
de  la  Vallée  Poussin 257 

II.  Théorie  des  Integrallogarithmiis  und  verwandter 
Transzendenten,  par  le  D’’Niels  Nielsen,  F.  W.  260 

III.  Les  Carrés  Magiques,  par  F.  Riollot,  M.  O . . 261 

IV.  Edward  Y.  Huntington.  La  Kontinuo,  G.  Le- 

chalas 261 

V.  Leçons  de  Mécanique  céleste,  par  IL  Poincarré. 

T.  Il,  L*’  partie,  M.  0 262 

VL  Die  Kegelschnitte  des  Gregorius  a S‘  Vincentio 
in  vergleichender  Bearbeitung  von  Karl  Bopp, 

H.  Bosmans,  S.  J 264 


702 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


VU.  Per  la  P2dizione  nazionale  delle  Opéré  di  Galileo 

Galilei,  par  Antonio  Favaro,  H.  Bosmans,  S.  J.  208 

VIII.  Traité  des  Assurances  snr  la  vie,  par  U.  Broggi, 

F.  W . 201) 

IX.  Traité  dé  Physique,  par  0.  D.  Cdiwolson,  T.  I, 

3^  fasc.,  J.  t 270 

X.  Traité  élémentaire  de  Physique  expérimentale, 

par  L.-V.  Van  de  Vyver,  S""  édition,  J.  T.  . . 275 

XI.  Exercices  et  projets  d’F]lectrotechniqne,  par 

Eric  Gérard  et  Orner  De  Bast,  T.  I,  M.  O.  . . 270 

XII.  Recherches  snr  TÉpnration  biologique  et  chi- 
mique des  Eaux  d’égont,  par  le  D"  Galmette, 

Joseph  Loiselet 278 

XIII.  L’Art  et  l’Hypnose  par  Magnin,  G.  Lechalas.  284 

XIV.  Essai  snr  la  gamme,  par  Gandillol,  G.  Lechalas.  288 

XV.  Grimdziige  einer  vergleichenden  Grammatik  der 

Bantnsprachen,  von  Cari  Meinhoff,  Ed.  De 

Jonghe 310 

XVI.  Ferdinand  Brimetière,  par l’ahhé Th.  Delmont,  X.  314 

Revue  des  Recueils  péiuodiques. 

Sylviculture,  par  M.  G.  de  Kirwan 315 

Sciences  économiques,  par  B 343 

Bulletin  rirliogr.\piiique 358 


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TABLE  DES  MATIERES  703 

Livraison  d’Octobre  1907 

La  Mouche  bleue  de  la  Viande,  par  M.  J.  H.  Fabre  . 353 

FLascal.  L’Horreur  du  vide  et  la  pression  atmosphérique, 

par  le  R.  P.  Thirion,  S.  J.  384 

Les  Sociétés  secrètes  au  Bas-Congo,  par  M.  De  Jonghe.  451 
Le  r*RiNCiPE  d’Inertie,  par  M.  M.  de  Montcheuil  . . 523 

L’Élimination  Darwinienne  dans  la  répressiOxN,  par 

M.  A.  V.  d.  Mensbrugghe 578 

Variétés.  — \.  A propos  d'une  Histoire  des  Mathémalicptes, 

par  B.  L 5!)4 

IL  Les  Tempêtes  dans  la  Province  maritime  du  Fou- 

Kien  (Chine)  par  L.  F.,  S.  J (i07 

Bibliographie.  — L Boberto  Bonola.  I.a  Ceometria  non- 

enclidea,  P.  M 615 

IL  Bational  Geometry,  par  G.  B.  llalsted,  P.  M.  . 622 

III.  Encyolopadie  der  elemeiitaren  Geonietrie,  par 

lleinricli  Weber,  Joseph  Wellstein  et  Walter 
Jacobstbal,  P.  Mansion 625 

IV.  De  uitviiiding  der  Verrekijkers,  par  C.  de  Waard 

Jr.,  H.  Bosmans,  S.  J 630 

V.  Economie  forestière,  par  G.  Huflel,  C.  de  Kir- 

wan 637 

Bevue  des  Becueils  périodiques. 

Sciences  militaires^  par  J.  H 651 

Neurologie,  par  L.  Boule,  S.  J 667 

Sciences  économiques,  par  B 677 

Géographie,  par  F.  Van  Ortroy 685 


lmp.  Joseph  Polleunls,  r.  San;*-Soucl,  45,  Ixelles,  Tél.  8050 


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