Skip to main content

Full text of "Revue des questions scientifiques"

See other formats


FOR  THE  PEOPLE 
FOR  EDVCATION 
FOR  SCIENCE 


LIBRARY 

OF 

THEAMERiaN  MUSEUM 

OF 

NATURAL  HISTORY 


REVUE 

DES 


QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


KEVIË 


DES 


QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 

S.ob^Mrq.'îi') 


PUBLIEE 


PAR  LA  SOCIÉTÉ  SCIEATIFIQUE  DE  BRLXEI.LES 


Nulla  unquani  iiiler  fitlem  et  ralionem 
vera  dissensio  esse  potest. 

Const.  de  Fid.  Cath.,  c.  IV. 


TROISIÈME  SÉRIE 

TOME  XXVI  — 20  JUILLET  1914 

(trente-huitième  année  ; tome  lxxvi  de  la  collection) 


LOUVAIN 

SECRÉTARIAT  DE  LA  SOCIÉTÉ  SCIENTIFIQUE 

(M.  J.  Thirion) 

II,  RUE  DES  RÉCOLLETS,  II 


1914 


■\<v.  y 

• . „ ’ ïirT  to 
|/i0^iiln'V'K/,5if,Si/Jv,' 
ST0Ull'>'J/.r;iiîAlj4O 


1 1 - §•  & iT  1 T 1 


Origine  et  Histoire  d’une  Chaîne  de  Montagnes 


La  chaîne  des  Alpes  couvre  sur  la  carte  d’Euro})e 
une  surface  considérable,  étendue  d’Ouest  en  Est  sur 
1000  kilomètres  de  longueur,  entre  (tènes  et  A'ienne, 
large  en  mojmnne  de  200  à 250  kilomèti-es  ; ses  som- 
mets les  plus  élevés  atteignent  une  altitude  supérieure 
à iOOO  mètres,  et  les  crêtes  principales  se  maintiennent 
à peu  près  partout  à plus  de  3000  mètres.  Cette 
(îhaîne  forme  comme  un  bourrelet  gigantesque  jeté  à 
travers  l’Europe  centrale,  et  dont  l’origine,  le  mode  de 
formation  ont  été  l’un  des  problèmes  les  plus  discutés, 
— l’un  des  plus  difficiles  à résoudre  aussi  — dès 
l’époque,  qui  remonte  à un  siècle  à peine,  où  l’on  s'est 
essayé  à l’étude  géologique  des  régions  de  montagnes. 

Avant  de  retracer  l’histoire  des  Alpes  dans  le  passé, 
il  importe  d’en  fixer  d’abord  les  traits  actuels;  non 
point  que  ceux-ci  soient  invariables,  ils  sont  au  con- 
traire en  voie  de  perpétuel  remaniement  sous  l’action 
des  agents  atmosphériques,  des  glaciers,  des  rivières, 
mais  ces  modifications  ne  s’opèrent  que  lentement,  et 
les  lignes  demeurent  assez  stables,  même  dans  leurs 
<létails,  pour  que  l’on  ait  pu  figurer  sur  les  cartes  géo- 

(1)  Conférence  faite  à l’assemlilée  g’énéralo  de  la  Société  scientiliqiie,  le 
:2‘2  avril  1914. 


6 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


;^raplii([ues  leurs  contours  qui  nous  sont  devenus  fami- 
liers. 

Dans  les  Alpes  occidentales^  entre  la  France  (d 
ritalie,  on  }teut  distinguer  quatre  zones  parallèles, 
allongées  du  Sud  au  Nord,  mises  en  évidence  sur  les 
cartes  géologiques  par  les  couleurs  variées  ([ui 
indiquent  les  diderents  terrains  ; 

1.  I.a  zone  subalpine  formée  d’abord  jtar  des  chaines 
à peu  près  parallèles  : leVercors,  la  (îrande  Chartreuse, 
les  Bauges;  })uis,  dans  leur  prolongement,  au  Nord  de 
l'Arve,  les  Préalpes  du  Chablais,  auxquelles  font  suite 
au  delà  du  Rhône,  les  Préalpes  romandes.  Toutes  ces 
montagnes  sont  constituées  par  des  terrains  tertiaires, 
crétacés  et  Jurassiques. 

2.  La  zone  des  massifs  eristallins  : le  Mercantour, 
le  Pelvoux,  les  Rrandes  Rousses,  Belledonne,  le 
Mont-Blanc,  où  les  roches  graniti([ues,  les  gneiss  et  les 
micaschistes,  tiennent  la  plus  grande  place.  Ces 
massifs  s'alignent  en  série  discontinue,  laissant  entre 
eux  des  espaces  où  l’on  rencontre  par  lambeaux  très 
réduits,  ou  par  nappes  assez  largement  étalées,  des 
terrains  de  même  âge  <[ue  ceux  de  la  première  ou  de 
la  troisième  zone. 

d.  La  zone  du  lleicinçonnais,  où  l’on  retrouve  non 
seulement  des  terrains  tertiaires  et  des  terrains  Juras- 
si({ues,  mais  aussi  du  trias  et  des  terrains  paléozoïques, 
([iii  sont  largement  représentés.  Cette  zone,  bien  déve- 
lopjtée  dans  le  Dauphiné  et  en  Savoie  (massif  de  la 
à'anoise),  se  resserre  et  se  réduit  à une  bande  étroib*  à 
l'Est  du  Mont-Blanc  et  dans  les  Alpes  Maritimes. 

4.  La  zone  du  Piémont,  où  prédominent  de  nouveau 
les  roches  cristallines,  et  où  il  existe  en  particuliei- 
une  formation  schisteuse  enrichie  d’éléments  cristal- 
lins et  désignée  sous  le  nom  de  schistes  lustrés.  De 
cette  dernière  zone  font  }>artie  les  massifs  du  Mont- 


LES  AI.PES 


/ 


Viso  et  (lu  grand  Paradis;  en  Suisse,  celui  du  Mont- 
Rose  se  trouve  dans  son  prolongement. 

Cette  structure  si  complexe  des  Alpes  françaises,  se 
retrouve  dans  la  partie  occidentale  des  Alpes  suisses; 
mais  à mesure  qu’on  s’avance  vers  l’Est,  elle  devient 
en  apparence  plus  simple,  et  entre  Innsbriick  et 
Vienne,  les  Alpes  autrichiennes  paraissent  comprendre', 
si  l’on  sVn  tient  aux  grandes  lignes  d’une  carte  géolo- 
gique, trois  zones  seulement  : une  partie  axiale  con- 
stituée par  des  roches  cristallines  et  des  terrains 
])aléozoïques  ; puis,  de  chaque  côté,  au  Nord  et  au  Sud, 
des  chaînes  formées  par  des  terrains  secondaires  et 
tertiaires  ; marnes,  calcaires  ou  dolomies  du  trias  et 
du  jurassique,  tljsch  et  mollasse.  L’architecture  des 
Alpes  orientales  serait  donc  caractérisée,  à la  difié- 
rence  de  celle  des  Alpes  occidentales,  par  une  espèce 
de  S3’métrie,  par  une  ordonnance  régulière  des  terrains 
]dus  récents,  qui  viennent  tlanquer  de  chaque  C(ôté  un 
axe  formé  par  les  roches  les  plus  anciennes. 

Ces  différences  de  structure,  à première  vue  si  accen- 
tuées, et  perçues  dès  l’origine,  ont-elles  influé  sur  les 
conceptions  que  se  sont  faites  au  sujet  des  Alpes  les 
géologues  des  différents  pays?  Toujours  est-il  que  les 
savants  allemands  et  autrichiens  se  sont  généralement 
montrés  plus  disposés  à présenter  ou  à accepter  les 
solutions  plus  simplistes,  ou  à les  garder  plus  long- 
temps, tandis  que  Français  et  Suisses  ont  montré  plus 
souvent  un  sens  mieux  averti  de  la  variété  et  de  la 
complexité  des  phénomènes.  Ces  divergences,  où  l'on 
a vu  parfois  à tort  une  simple  question  d’école,  se 
marquent  en  effet  à travers  tout  le  xix®  siècle,  dans  les 
théories  qui  se  sont  succédé  pour  expliquer  la  forma- 
tion des  Alpes. 

Dans  une  première  partie,  je  rappellerai  les  princi- 
]>ales  hypothèses  qui  ont  été  proposées  pour  expliquer  la 


<s 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Ibi  iiiation  des  Alpes.  La  deuxième  jtartie,  plus  déve- 
lo[»pée,sera  consacrée  à l’exposé  des  idées  actuelles  sur 
l’origine  et  l’iiistoire  des  chaînes  alpines. 

1 

Léopold  de  Bucli,  en  attribue  la  formation  des 
chaînes  de  montagnes  à une  poussée  s’exerçant  verti- 
calement de  bas  en  haut,  et  soulevant  l’écorce  solide 
en  un  point  du  glolie.  Cette  explication  pouvait  trouver 
un  semblant  de  preuve  dans  la  distribution  régulière 
des  terrains  stratifiés  de  chaque  côté  des  massifs  cris- 
tallins, et  comme  ajqjuyés  sur  eux,  dans  les  Alpes 
orientales.  O ne  pouvait  suffii-e  à rendre  conqde  de 
renchevêtrement  des  massifs  cristallins  et  des  bandes 
sédimentaires  qui  existe  dans  les  Al})es  occidentales. 

La  théorie  proposée  en  1(S29  par  Elie  de  Beaumont 
est  plus  souple  et  déjà  mieux  adaptée  aux  faits.  Une 
chaîne  de  montagnes  serait,  d’après  Elie  de  Beaumont, 
une  sorte  de  bourrelet  qui  se  forme  [)ar  suite  de  la  con- 
traction due  au  refroidissement  du  noyau  du  globe 
terrestre.  l)e  cette  contraction  résulte  en  effet  une 
rupture  d’équilibre,  et  l'écorce,  devenue  trop  grande 
jiour  le  noyau  qu’elle  habille,  se  plisse,  les  chaînes  de 
montagnes  ainsi  produites  dessinant  comme  des  rides 
à sa  surface.  — Cette  formule  d’Elie  de  Beaumont  ren- 
fermait en  germe  la  notion  du  plissement  ])ar  refoule- 
immt  latéral  qui  fut  après  lui,  et  qui  demeure  encore 
aujourd’hui  généralement  acceptée  pour  exjiliquer  la 
formation  des  montagnes,  les  idées  plus  récentes  sur 
les  charriages  n'aj’ant  fait  que  la  compléter  et  la 
mettre  au  point,  nous  aurons  l’occasion  de  le  montrer 
dans  la  suite  de  cette  conférence. 

L’expérience  suivante,  facile  à réaliser,  peut  donner 
une  idée  assez  juste  de  l’in'pothèse  d’un  plissement  dû 


LES  ALPES 


1) 

à des  pressions  latérales  exercées  sur  un  coinpartiinent 
de  l’écorce  terrestre.  Empilez  sur  une  table  des  téuilles 
de  papier,  et  coinpriinez-les  au  moyen  d’une  jdanche 
sur  laquelle  vous  mettrez  des  poids,  puis  serrez  la  pile 
ainsi  maintenue  entre  les  deux  branches  d’un  étau.  Les 
feuilles  subissant  déjà  la  pression  verticale  des  poids, 
et  soumises  en  même  tenij)s  à une  compression  laté- 
rale énergique,  se  plissent  en  une  infinité  de  plis  diffé- 
rents les  uns  des  autres,  les  uns  droits  et  verticaux, 
d'autres  ])encliés  et  irréguliers,  d’autres  couchés  ; si 
l’on  opérait  avec  des  couches  d’argile,  on  verrait  ]>ar 
endroits  des  étirements,  des  brisures,  se  produire,  et 
certains  lambeaux  chevaucher  les  uns  au-dessus  des 
autres.  — C’est  à des  pressions  du  même  genre  que 
l’on  attribue  les  plissements  qui  donnent  naissance  aux 
montagnes.  La  pression  verticale  qui  pèse  sur  les 
terrains  sédimentaires,  comparés  aux  feuillets  de 
papier,  c’est  la  pesanteur  ([ui  tend  à les  attirer  vers  le 
centre  de  la  teri*e.  ( )i-,  supposez  qu’un  vide  se  produise 
sous  eux,  causé  par  le  refroidissement  et  la  contrac- 
tion de  couches  plus  profondes  du  globe,  ces  terrains 
sédimentaires  s’affaissent  sous  l’action  de  la  pesanteur. 
Mais,  se  rapprochant  du  centre  de  la  sphère,  ils 
devront  occuper  un  arc  de  sphère  plus  étroit;  ils 
subissent  de  ce  fait  une  pression  latérale,  exercée  par 
les  compartiments  qui  les  encadrent,  et  qui  les  oblige 
à se  plisser. 

Dans  cette  théorie,  le  dura  représentait  la  montagne- 
type  : les  terrains  autochtones,  c’est-à-dire  déposés 
dans  des  cuvettes  marines  qui  se  trouvaient  sur  l’em- 
placement actuel  de  ses  chaînons,  ont  été  comprimés 
latéralement  par  suite  de  l'affaissement  des  socles  cris- 
tallins situés  sous  les  plaines  ou  les  bassins  tertiaires 
environnants,  sous  la  plaine  de  la  Saône  et  sous  le 
plateau  suisse.  La  force  tangentielle  qui  a créé  les 
rides  qui  forment  le  rebord  des  plateaux  jurassiques  à 


iO 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l’(  )uest,  provenait  de  la  plaine  de  la  Saône,  tandis  qu’à 
l’Est  une  poussée  horizontale  de  même  ordre,  déter- 
minée par  le  mouvement  de  descente  du  plateau  suisse, 
créait  les  plis  du  faisceau  helvétique.  « Sans  la  plaine 
de  la  Saône,  le  Jura  n’existerait  }>as  du  tout,  il  ne  for- 
merait qu’une  région  non  plissée,  sur  le  prolongement 
occidental  de  la  Rauhe  Alb  et  du  Randen  » (1).  — 
Cette  théorie  s’appliquait  d’ailleurs  très  bien  aux 
chaînes  des  Alpes  elles-mêmes  : leur  jtlissement  pro- 
viendrait aussi  de  l’atiaissement  de  leur  masse  entre 
deux  bassins  d’etfondrement,  la  })laine  du  Pô  et  le 
plateau  helvéto-havarois.  Cette  explication  d’ailleurs 
rendait  compte  d’une  manière  suffisante  non  seulement 
de  l'existence  de  séries  d’anticlinaux  et  de  synclinaux 
régulièrement  dessinés,  mais  encore  de  la  présence  de 
plis  déversés,  de  plis  isoclinaux  avec  chevauchements, 
déterminant  une  structure  imbriquée,  que  l’on  obser- 
vait fréquemment  dans  le  Jura  argovien  ou  dans  le 
Jura  méridional,  et  dans  les  montagnes  de  la  (Jrande 
Chaidreuse  et  du  A'ercors,  de  chaque  côté  de  la  cluse 
de  A’oreppe,  et  dont  les  exemjtles  se  multipliaient  à 
mesure  que  l'on  étudiait  de  plus  pi’ès  les  chaînes  sub- 
alpines, en  particulier. 

Toutefois,  quand  on  remontait  jilus  au  Nord  et  à 
l'Est,  dans  les  Préalpes,  surtout  quand  on  pénétrait 
plus  avant  dans  la  chaîne  alpine,  et  à mesure  qu’on 
apjirenait  à la  mieux  connaître  dans  son  ensemble,  les 
laits  nouveaux  devenaient  plus  noml)reux,  qui  ne  trou- 
vaient point  une  explication  suffisante,  ou  qu’il  était 
impossible  d’interpréter  convenablement  dans  la  théorie 
des  refoulements  tangentiels,  telle  qu’on  la  formulait 
vers  la  fin  du  xix®  siècle. 

Parmi  ces  faits,  quelques-uns  exerçaient  depuis 


( 1 ) Uollier,  Le  plissement  de  la  chaîne  du  Jura.  Ann.  lie  (îeogr.  XII.  pp.  403- 
410,  1903. 


LES  ALPES 


il 


longtemps  la  sagacité  des  géologues.  Ainsi,  les  Mythen 
de  Schwjz,  ces  montagnes  sans  racines,  lambeaux  de 
calcaire  mésozoïque  dont  on  ne  pouvait  reconnaître  les 
points  d’attache  dans  le  voisinage  immédiat,  et  qui 
reposaient  sur  du  lljscli  d’âge  éocène,  donc  beaucoup 
plus  récent.  Ainsi  encore  la  région  du  Ghablais,  où 
l’étude  géologique  révélait  sur  de  grandes  étendues 
des  superpositions  aussi  anormales  que  celles  des 
Mythen,  des  modes  de  structure  tout  à fait  inattendus, 
des  roches  bréchoïdes  enfin  dont  on  ne  retrouvait  les 
types  que  beaucoup  plus  loin  dans  l’intérieur  des  Alpes. 
Dans  les  Alpes  romandes,  des  sommets  comme  ceux 
des  Diablerets,  comme  celui  de  la  Dent  de  Mordes  en 
particulier,  sont  constitués  par  des  couches  presque 
horizontales,  presque  toujours  disposées  en  série  ren- 
versée, et  plus  bas,  sur  la  tranche  des  parois  abruptes, 
des  terrains  relativement  récents  viennent  se  terminer 
en  coins  au  milieu  de  couches  plus  anciennes.  Plus  à 
l’Est,  dans  les  Alpes  de  (flaris,  des  séries  appartenant 
au  jurassique,  au  crétacé,  voire  à Téocène.  sont  em- 
boîtées au  milieu  de  terrains  paléozoïques  et  plongent 
en-dessous  d’eux  ; l’un  des  plus  célèljres  parmi  les 
géologues  suisses,  M.  A.  Ileim,  ne  croj'ait  pouvoir  ex- 
pliquer le  fait  qu’en  imaginant  l’existence  d'un  double 
pli  avec  effondrement  de  la  partie  centrale.  r)isposition 
analogue  à l’Est  du  Rhin,  dans  le  Prâttigau,  où  les 
calcaires  jurassiques  viennent  surplomI)er  et  recouvrii- 
le  fiysch  d’âge  moins  ancien. 

En  s’enfonçant  plus  avant  dans  l’intérieur  des  Alpes, 
les  mêmes  superpositions  anormales  se  révélaient. 
M.  Baltzer  découvrait  des  coins  de  calcaire  jurassique 
et  de  grès  tertiaire  enfoncés  dans  les  gneiss  de  la  Jung- 
frau.  En  Savoie  lè  mont  Joly  se  montrait  formé  par 
des  couches  presque  horizontales,  où  des  séries  de 
schistes  et  de  calcaires  noirs  du  trias  et  du  lias  se 
répètent  plusieurs  fois,  en  alternant  les  unes  avec 


12 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


les  autres,  et  sans  que  l’on  aperçoive  sur  les  versants 
les  charnières  ni  surtout  les  racines  des  plis  couchés 
et  plusieurs  fois  répétés  qu’il  fallait  imaginer  pour 
expliquer  cette  structure.  — Dans  la  zone  du  Piémont, 
on  découvrait  au  milieu  des  schistes  lustrés  une  faune 
établissant  définitivement  l’âge  mésozoïque  de  ces 
schistes,  si  longteni})s  considérés  comme  archéens,  ou 
tout  au  moins  paléozoïques.  — Sur  le  versant  méri- 
dional des  Alpes  orientales,  Ed.  Suess  attirait  l’atten- 
tion sur  la  structure  si  singulière  de  ces  chaînes  qu’il 
désignait  sous  le  nom  de  Dinarides,  et  dont  il  montrait 
qu’elles  avaient  tenu  une  place  à part  et  joué  un  rôle 
important  dans  l’histoire  des  Alpes.  — Ed.  Suess 
signalait  encore  la  prédominance  générale,  dans  toutes 
les  Alpes,  de  la  poussée  s’exerçant  de  l’intérieur  vers 
l’extérieur  de  la  chaîne,  dans  toutes  les  directions, 
vers  le  Nord,  le  Aord-Ouest  et  l’Ouest. 

Les  faits  nouveaux  s’accumulaient  ainsi,  à mesure 
({ue  progressaient  les  méthodes  paléontologïques,  une 
connaissance  plus  approfondie  des  fossiles  et  de  la 
i‘é})artition  des  espèces  permettant  de  dater  à coup  sûr, 
non  seulement  les  étages  mais  les  zones  étroitement 
limitées  ; — à mesure  aussi  que  s’étendait  la  science 
pétrographique,  instrument  indispensable  pour  dé- 
brouiller le  complexe  des  terrains  cristallins,  qui  appa- 
raissait chaque  jour  plus  varié,  où  l’analyse  de  détail 
révélait,  au  point  de  vue  de  la  composition,  des  pas- 
sages gradués  aux  roches  sédimentaires,  schistes,  cal- 
caires, grès,  tandis  que  la  stratigraphie  montrait  à 
l’évidence  le  passage  latéral  de  ces  terrains  cristallins 
à des  formations  d’âge  paléozoïque,  mésozoïque,  voire 
tertiaire.  La  géologie  des  Alpes  s’enrichissait  d’un 
capital  de  faits,  chaque  jour  plus  considérable,  au 
récolement  desquels  concouraient  les  progrès  mêmes 
de  l’alpinisme,  permettant  à des  savants  courageux  et 
exercés  de  pénétrer  au  cœur  de  la  montagne  et  jus- 


LES  ALI’ES 


13 


qu’aux  aiguilles  réputées  les  plus  difficiles  d’accès, 
pour  en  reconnaître  et  en  noter  la  structure  et  l’âge 
géologique. 

Il  fallait  dès  lors  une  formule  qui  permît  de  relier 
entre  eux  tous  ces  faits  accumulés  ])ar  un  travail 
d’anal3^se  minutieuse.  La  notion  du  plissement  par 
simple  refoulement  latéral  de  couches  sur  l’empla- 
cement même  où  elles  s’étaient  déposées,  n’était  plus 
un  cadre  assez  large  pour  y faire  entrer  toutes  les 
acquisitions  obtenues  ; il  fallait  une  théorie  nouvelle. 

Celle-ci  fut  présentée  d’une  manière  en  quelque  sorte 
officielle  à la  IX"'®  Session  du  Congrès  géologique  inter- 
national, tenue  à Vienne  en  1903,  où  la  question  de  la 
tectonique  des  Alpes  avait  été  mise  à l’ordre  du  jour, 
et  oîi  la  théorie  nouvelle,  l’hypothèse  des  tiappes  de 
charriage,  greffée  sur  la  théorie  du  plissement  par 
refoulement  latéral,  apparut  tout  de  suite  comme  un 
véritable  corps  de  doctrine,  résultat  d’études  longue- 
ment poursuivies  et  fortement  étayées,  grâce  à l’effort 
commun  des  maîtres  de  la  géoloo-ic  al})ine. 

xM.  I ^ugeon,  professeur  à l’Université  de  Lausanne, 
exposait  à Ahenne  (1)  les  résultats  d’ensemble  de  scs 
beaux  travaux  sur  les  Alpes  romandes  ; il  montrait 
dans  ces  chaînes  aux  formes  tourmentées  qui  s’étendent 
entre  l’Arve  et  la  Reuss,  entre  la  Reuss  et  le  Rhin,  la 
trace  et  les  restes  de  gigantesques  plissements  venus 
du  Sud,  déversés  vers  le  Nord,  et  qui  cheminant  dans 
le  sens  horizontal  s’étaient  empilés  les  uns  au-dessus 
des  autres,  cachant  le  soubassement  primitif  et  formant 
ainsi,  à la  lettre,  comme  autant  de  ncippjes  de  recou- 
vrement. — M.  Haug,  professeur  à la  Sorlmnne,  pré- 
sentait de  son  côté  un  mémoire  sur  les  charriages  de 


l\)  Compte  vendu  de  lu  7A'™®  Session  du  Congrès  gèol.  Intevn.,  Vienne, 
1913,  l®®  faso.,  p.  477. 


14 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rEinbninais  et  de  TUbaye  (1),  et  M.  le  professeur 
Kilian,  de  Grenoble,  une  étude  sur  les  phénomènes  de 
charriage  dans  les  Alpes  delphino-provençales,  accom- 
pagnée d’une  remarquable  discussion  et  mise  au  point 
des  théories  nouvelles.  — Enfin,  M.  Termier,  profes- 
seur à l'Ecole  des  Mines  de  Paris  (2),  dans  une  confé- 
rence très  écoutée,  traitait  de  l’origine  métamorphique 
des  terrains  cristallins  des  Alpes  occidentales  (3)  et 
spécialement  des  schistes  lustrés,  et  il  rattachait  étroi- 
tement cette  explication  aux  idées  nouvelles  que  l’on 
se  faisait  de  la  tectonique  alpine. 

L’émotion  fut  vive  au  Congrès  et  la  discussion  très 
chaude,  du  côté  surtout  des  savants  allemands  et  autri- 
chiens, car  il  avait  paru  à quelques-uns  que  la  science 
allemande  fut  en  question,  et  qu’il  s’agissait  là  d’une 
question  d’école.  En  fait,  dans  ce  concours  sur  une 
même  question,  de  savants  de  langue  française,  bientôt 
appuyés  d’ailleurs  par  M.  A.  Heiin  de  Ziirich,  et  par 
Ed.  Suess  de  \'ienne  — l’auteur  si  justement  exalté 
de  la  })lus  vaste  synthèse  géologique  qu’on  ait  tentée 
)us([u’ici  (4)  — il  fallait  voir  une  de  ces  rencontres  qui 
ne  sont  point  rares  dans  le  domaine  des  sciences  d’ob- 
servation ou  d’ex])érimentation,  et  qui  se  produisent 
chaque  fois  ([u’un  problème  scientifique  est  à l’ordre 
du  jour  et  qu'il  sollicite  })lus  particulièrement  l’atten- 
tion des  chercheurs.  A un  moment  donné,  les  efforts 
faits,  les  résultats  ])artiels  déjà  obtenus,  tout  cela  crée 
une  sorte  d’ambiance  favorable.  11  arrive  alors  pre.sque 
toujours  que  ])lusieurs  esprits  distingués,  venus  de 

(1)  Compte  reiiilii  de  la  /A'™''  Session  du  Congrès  géol.  Intern.,  Vienne, 
I9i:i,  1"  lasc.,  p.  iiCI. 

(2)  M.  I*.  Teritiier  est  aujourd’hui  directeur  tlu  Service  de  la  Carie  géolo- 
{fique  de  France. 

(3)  Ibid.,  ^2"“^  fascicule,  p.  571.  — M.  I*.  Termier  a repris  plus  récemment 
cette  question  dans  une  étude  intitulée  : Sur  la  genèse  des  terrains  cristallo- 
phglliens  et  publiée  par  la  Revue  scientieique,  11  mai  1912,  pp.  577-5S1. 

(4)  La  Face  de  la  Terre  (trad.  E.  de  Margerie,  Paris).  — Ed.  Suess  avait 
pro])osé  i)our  expli(]uer  l’architecture  des  chaînes  de  monlagnes  et  en  parti- 
culier des  Alpes,  la  théorie  dite  du  Iforst. 


LES  ALPES 


l 

})oints  différents,  découvrent  à ])eu  près  en  inêine 
temps  les  solutions  décisives.  Il  suffit  qu’à  un  moment 
<lonné  un  trait  de  lumière  jaillisse  ; des  choses  qui 
n'avaient  point  apparu  jusque  là  sont  mises  très  rajii- 
<lement  en  pleine  clarté,  et  la  science  enregistre  une 
acquisition  nouvelle,  non  pas  détinitive  sur  tous  les 
points,  mais  qui  marque  un  progrès  réel  sur  ce  que 
l’on  savait  et  admettait  jusque  là. 

Dans  l’espèce,  dans  ce  prohlème  de  la  tectonique  des 
Alpes,  le  rayon  de  lumière,  l’idée  féconde  avait  été 
émise  par  Marcel  Bertrand.  Chose  intéressante  à 
signaler  ici,  c’est  dans  la  géologie  de  la  Belgique  que 
Marcel  Bertrand  avait  puisé  le  fait  qui  devait  être,  par 
l'interprétation  qu’il  en  proposa,  le  point  de  dé])art  des 
théories  nouvelles  introduites  dans  la  tectonique  alpine. 
Les  géologues  belges  Cornet  et  Briart  avaient  fait  con- 
naître l’existence  d’un  laml)eau  de  terrain  earlionifère 
et  dévonien  qui  dans  le  bassin  de  Mons,  à Boussu,  se 
trouve  au-dessus  des  schistes  houillers,  sans  attaches 
directes  avec  le  bord  du  bassin.  Marcel  Bertrand  pro- 
posa d’expliquer  le  fait  par  un  pli  couché  dont  la  tête, 
au  lieu  d’être  simplement  déversée  vers  le  Nord,  aurait 
été  charriée  et  poussée  sur  une  longue  distance  par 
dessus  le  terrain  houiller,  jusqu’au  centre  du  bassin  de 
Namur.  C’était  l’idée-mère,  la  découverte  du  larnhecm 
<h>  charria(je^  de  la  nappe  rercn>vrenu’nt,  formules 
heureuses  (jui  ont  fait  fortune  depuis,  pour  exjtrinier 
les  conceptions  nouvelles  que  l’on  se  fit  un  peu  plus 
tard  de  la  stiaicture  des  chaînes  alpines.  Car  cette 
explication,  l’esprit  généralisateur  de  Marcel  Bertrand, 
si  admiraldernent  disposé  aux  conceptions  de  grande 
envergure,  rap})li([ua  d’emblée  aux  plis  dévei'sés  que 
les  géologues  suisses  avaient  décrits  dans  les  Alpes  de 
< tlaris  (1).  Et  c’était  le  résultat  de  ]>rès  de  vingt  années 


(1)  M,  Bertrand,  Rajjjiorts  de  struciurr  des  Alpes  de  (Uai  is  et  du  ISassin 
houiüei  du  Nord.  Bull.  Soc.  géol.  Fn.,  3®  série,  Ml,  pp.  31S-330,  1881. 


16 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


de  recherches,  orientées  sur  cette  voie  nouvelle  et 
couronnées  par  le  succès,  que  ceux  ([ui  s’honoraient  de 
le  nommer  comme  leur  Maître,  venaient  apporter  en 
1903  au  Coimrès  de  Menne. 

O 

Depuis,  la  théorie  des  charriages,  des  nappes  de 
recouvrement,  n’a  fait  que  se  compléter,  se  préciser  et 
s’affermir.  Encore  qu’il  y subsiste  bien  des  points 
obscurs  et  des  questions  dont  il  faut  attendre  la  solution 
de  l’avenir  — s’il  est  possible  de  l’obtenir  jamais  — 
elle  se  formule  au  jourd’hui  en  une  synthèse  séduisante 
et  magnifique  de  la  formation  des  Alpes.  — Après 
avoir  retracé  l’histoire  des  efforts  qui  ont  préparé  cette 
belle  conquête  de  la  géologie  actuelle,  je  puis  essayer 
maintenant  d’esquisser  à grands  traits  cette  histoire 
même  des  Alpes,  telle  que  les  savants  qui  se  sont  appli- 
qués à la  géologie  aljiine  ont  su  la  reconstituer. 

II 


( )n  peut  distinguer  dans  l’histoire  des  Alpes,  trois 
phases  successives  : une  de  préparation^  de 

beaucoup  la  plus  longue,  pendant  laquelle  se  sont 
déposés  et  modifiés  au  fond  des  mers  de  l’époque  secon- 
daire, j)uis  de  l’époque  tertiaire,  les  terrains  qui  forment 
les  Al])es;  — une  pjèriode  de  surreetion,  qui  fut  plus 
brève,  encore  qu’elle  ait  duré  pendant  une  grande 
partie  des  temps  tertiaires,  et  au  cours  de  laquelle  se 
dessinèrent  les  plis  et  les  accidents  multiples,  puis  le 
relief,  ])endant  laquelle  en  un  mot  la  chaîne  des  Alpes 
fut  créée,  et  prit  forme  de  montagne;  — \me  période 
de  destruetion,  qui  commença  dès  que  les  Alpes  sur- 
girent des  eaux,  puis  s’accentua  quand  le  relief  fut 
totalement  formé,  et  qui  se  continue  ('ncore aujourd’hui. 


LES  ALPES 


17 


Si  paradoxale  ([iie  la  chose  puisse })araître, les  régions 
où  se  dressent  les  Alpes  ont  commencé  par  être  une 
mer  profonde.  Pendant  la  })lus  grande  })artie  de  l’ère 
secondaire  ou  mésozoïque,  et  au  commencement  de 
l’ère  tertiaire,  il  existait  une  sorte  de  fosse  étroite  ou 
cuvette  profonde  qui  couvrait  non  seulement  la  place 
occupée  en  Europe  par  les  Alpes  ))roprement  dites, 
mais  encore  par  les  Karpathes  et  les  Balkans,  qui  les 
prolongent  à l’Est,  et  par  les  chaînes  qui  divergent  à 
partir  du  golfe  de  Gênes  : Apennins,  Atlas,  — et 
auxquelles  on  a donné  par  extension  le  nom  de 
chaînes  alpines.  Cette  sorte  de  Méditerranée  agrandie 
s’étendait  encore  plus  loin  vers  l’Est,  sur  tous  les  pays 
où  se  trouvent  à notre  époque  les  montagnes  les  plus 
élevées  du  globe  : Caucase, Taurus,  Himalaya,  et  toutes 
les  chaînes  qui  se  détachent  du  Pamir  pour  encadrer 
comme  autant  de  guirlandes  les  hauts  plateaux  de 
l’Asie  centrale,  et  s’épanouissent  en  cette  traînée  de 
presqu’îles  et  d’îles  qui  se  succèdent  depuis  l’Indo- 
Chine  et  les  détroits  de  la  Sonde  jusqu’aux  Philippines 
et  au  Japon.  Le  phénomène  n’était  donc  pas  spécial  à 
l’Europe,  et  si  l’on  réunit  les  deux  continents  d’Europe 
et  d’Asie  sous  le  nom  d’Eurasie  qu’emploj'ent  volontiers 
les  géographes  modernes,  on  peut  dire  qu’au  début  du 
tertiaire  une  mer  couvrait  toute  la  partie  actuellement 
montagneuse  de  l’Eurasie.  — C'est  dans  les  profon- 
deurs de  cette  plus  r/ratule  Mediterranée  que  se  sont 
lentement  préparées  et  comme  élaboiAes  les  chaînes  de 
montagnes,  en  particulier  la  mieux  connue  de  nous, 
cette  chaîne  des  Alpes,  dont  les  altitudes  et  la  variété 
de  terrains  et  de  structui’e  font  aujourd’hui  l’étonne- 
ment et  l’admiration  des  touristes. 

Les  géologues  qui  ont  étudié  d’une  manière  détaillée 
la  région  des  Alpes  occidentales,  estiment  qu’il  y exis- 
tait deux  cuvettes  parallèles  ou  (jèosynclinaux,  — 
terme  technique  employé  pour  désigner  une  cuvette 
111*  SÉRIE.  T.  XXVI.  I 


18 


REVUE  DES  yl^ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


([ui  se  forme  }iar  enfoncement  graduel  dn  fond,  et  où 
s’accumulent  les  sédiments.  De  ces  deux  g'éosynlinaux 
alpins,  run  était  limité  à l’Est  par  un  territoire  ancien, 
dont  on  connait  seulement  quelques  restes  dans  cette 
bordure  méridionale  des  Al])cs  (ju’on  a appelée  les 
Dinarides,  et  dont  la  })lus  grande  partie  est  effondrée 
et  cachée  sous  les  alluvions  récentes  de  la  plaine  du  Pô. 
(le  premier  géosynclinal  occupait  en  largeur  l’espace 
aujourd’hui  couvert  par  la  zone  du  Piémont  et  la  zone 
du  Idriançonnais.  Du  côté  de  l’Ouest,  il  était  limité  par 
une  chaîne  d’îlots  ([ue  constituaient  les  massifs  cristal- 
lins (Mont-Blanc,  Belledonne,  P(dvoux)  qui  représen- 
taient eux -mêmes  les  restes  disloqués,  et  peut-être  la 
partie  axiale,  d’une  chaîne  bien  antérieure  aux  Alpes 
et  de  même  âge  que  l’Ardenne  belge  et  que  l’Eifel 
allemand.  Ces  massifs  ont  formé,  à certains  moments 
de  l’éjtoque  secondaire,  une  barrière  discontinue,  dont 
les  îlots  s’alignaient  en  chapelet,  entre  le  ])remier  géo- 
synclinal et  un  second,  situé  plus  à l’Ouest.  Celui-ci 
était  pêrial'pin.,  car  il  comprenait  tout  le  territoire  qui 
correspond  aujourd'hui  à la  périphérie  des  Alpes  : 
l'emplacement  des  chaînes  suhaljtines,  du  Chahlais,  des 
j»réalpes  romandes,  le  Sentis,  les  Alpes  glaronnaises, 
le  Priittigau,  la  Bavière  et  la  Haute-Autriche.  En  lar- 
geur,  ce  second  géos^’iiclinal  variait  ({uelque  peu,  et  il 
a pu,  en  France,  s’étendre  parfois  jusqu’au  bord  orien- 
tal du  massif  Outrai  et  jusqu’au  dura,  occupant  ainsi 
toute  la  vallée  actuelle  du  Rhône. 

Dans  ces  géosynclinaux,  la  sédimentation  se  pour- 
suivit activement,  comme  dans  toute  cuvette  marine  où 
des  cours  d’eau  importants  viennent  jeter  les  débris 
arrachés  à une  montagne  voisine  en  voie  de  destruction. 
De  ces  terrains,  les  plus  grossiers,  conglomérats  ou 
saldes,  s’accumulent  au  bord  ; c’est  également  à pro- 
ximité du  rivage,  ou  du  moins  à des  profondeurs  peu 
considérables,  que  les  organismes,  algues  à squelette 


LES  ALPES 


19 


calcaire  ou  poh’])iers,  trouvaient  dans  ces  mers  à tem- 
pérature élevée  les  conditions  favorables  à leur  épa- 
nouissement, et  édifiaient  leurs  récifs;  plus  loin  enfin, 
en  avançant  vers  la  partie  centrale  plus  profonde,  les 
(;aux,  qui  tiennent  en  suspension  les  boues  j)lus  fines, 
se  décantent  j»our  ainsi  dire,  lentement  mais  d’une 
manière  continue.  Sur  ces  fonds  s’accumulent  ainsi 
des  sédiments  qui  sont  en  général  de  nature  calcaire 
ou  marneuse,  dans  lesquels  vivent  des  animaux  qui 
s’accommodent  ou  ([ui  ont  besoin  d’une  grande  j)rofon- 
deur  d’eau. 

Or,  ces  dépôts  peuvent  se  superposer,  dans  le 
centre  du  géosjmclinal,  sur  des  épaisseurs  qui  vont  à 
plusieurs  milliers  de  mètres;  on  connaît  dans  des  ter- 
rains anciens  des  séries  de  ces  schistes  à grain  fin,  qui 
représentent  ce])endant  des  formations  qui  ont  été  sou- 
vent et  fortement  com}irimées,  et  qui  atteignent  10  000 
et  jusqu’à  15  000  mètres  d’éjtaisseur.  — Gomment  de 
telles  accumulations  sont-elles  possibles  dans  une  même 
dépression  ? Car  les  fosses  marines  les  plus  ju'ofbndes 
de  nos  Océans  ne  dépassent  guère  8000  à 9000  mètres, 
et  il  s’agit  là  de  couloirs  ou  même  d’ombilics  étroite- 
ments  localisés.  Enfin  et  surtout,  à de  telles  j)rofon- 
deurs,  l’étude  des  fonds  marins  a démontré  que  la 
sédimentation  est  ])resque  nulle.  Ges  considérations,  et 
celles  que  l’on  })eut  tirer  aussi  des  cai*actères  de  la 
faune  retrouvée  dans  les  dépôts  calcaréo-vaseux  des 
géosynclinaux,  portent  à croire  que  la  }>r()fondeur 
moyenne  de  ceux-ci  oscillait  et  se  tenait  probablement 
entre  1000  et  2500  à 5000  mètres.  — Gomment  dès 
lors  le  géosynclinal  n’a-t-il  pas  été  bientôt  coinldé  ? Il 
semble  bien  qu’on  doive  admettre  pour  rex})li({iier  que 
le  fond  des  géosynclinaux  s’affaissait,  qu’au  fur  et  à 
mesure  que  les  sédiments  s’y  accumulaient,  ils  ten- 
daient, par  la  pression  même  qu'ils  exerçaient,  à déter- 
miner une  descente  qui  s’etfectuait  par  saccades,  par 


20 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


des  tassements  brusques  au-dessus  des  vides  qui 
pouvaient  exister  dans  les  profondeurs  de  l’écorce  (1). 
Cet  affaissement  progressif  du  fond  des  géosynclinaux 
alpins  peut  seul  faire  comprendre  que  les  dépôts  y 
aient  gardé  de  la  base  au  sommet,  sur  des  épaisseurs 
très  considéraliles,  le  caractère  de  formations  calcaréo- 
vaseuses,  sans  qu’il  y ait  trace  d’interruptions  ni  de 
changements  importants  dans  la  sédimentation,  et  que 
l’on  trouve  de  la  base  au  sommet  les  restes  des  mêmes 
animaux  de  grande  profondeur,  ceux-ci  servant  en 
quelque  manière  de  témoins  de  la  iiermanence  des  con- 
ditions où  s’effectuait  le  dépôt.  C’est  ainsi  que  des  tei-- 
rains  déposés  d’abord  à lOfX)  ou  2000  mètres  de  pro- 
fondeur ont  })u  descendre  progressivement,  au  cours 
des  périodes  du  secondaire  ou  au  début  du  tertiaire. 
Jusqu’à  5000,  7(XX),  iO  000  mètres  et  j)lus. 

A vrai  dire,  ces  terrains  n’étaient  plus,  à partir  de 
ce  moment,  dans  la  condition  de  sédiments  marins 
ordinaires.  Ils  faisaient  partie  à proprement  parler  de 
l’écorce  terrestre.  Ils  subissaient  une  j)ression  considé- 
rable qui  allait  en  croissant  continuellement,  et  de  ce 
fait  ils  perdaient  une  grande  jiartie  de  l'eau  qu’ils  pou- 
vaient contenii';  de  ce  fait  aussi,  ils  prenaient  cette  dis- 
jtosition  en  assises  grossièrement  parallèles,  plus 
exactement  en  lianes  minces  ou  en  feuillets,  qui  carac- 
térise les  schistes.  Mais  surtout,  ils  i*encontraient  des 
températures  de  plus  en  plus  élevées. 

C’est  un  fait  universellement  connu  que  la  tempéra- 


(I)  Les  beaux  travaux  de  M.  de  Monfessus  de  Hallore  sur  les  séismes,  où  ce 
savant  a si  nettement  mis  en  évidence  les  relations  (lui  existent  entre  la  répar- 
tition des  aires  g'éosynriinales  et  la  distribution  des  tremblements  de  terre, 
ces  travaux  pourraient  donner  à penser  que  certains  tremblements  de  terre, 
tels  (lue  ceux  de  la  côte  occidentale  des  États-Unis,  du  Pérou  et  du  Chili, 
représenteraient  peut-être  le  contre-coup  de  tassements  de  ce  g-enre  se  pro- 
duisant dans  les  é])aisseurs  de  l’écorce  au  large  des  côtes  de  la  Californie  ou 
du  Chili. 


Li:s  ALPES 


2i 


tare  s’élève  à mesure  ([ue  l’on  s’enfonce  dans  les  pro- 
fondeurs du  sol,  ([ue  cette  progression  est  constante,  et 
({u’elle  offre  une  certaine  régularité.  Ces  chiffres  rele- 
vés dans  les  ex})loitations  minières,  dans  les  sondages, 
dans  les  constructions  de  tunnels,  ont  permis  d’évaluer 
cette  augmentation  à i"  par  33  mètres,  chiffre  moyen 
(pi’il  est  convenu  d’ap})eler  le  degré  géothermique.  (Jr, 
le  degré  géothermique  se  manifeste  quand  on  s’enfonce 
dans  le  sol  à partir  du  fond  de  la  mer,  comme  à la  sur- 
face du  continent.  Au  fond  de  l’océan,  la  surface  du 
sol  est  toujours  i-eprésentée  par  le  terrain  le  plus 
récemment  ap})orté  et  qui,  déposé  au-dessus  des 
autres,  est  venu  augmenter  d’autant  l'épaisseur  de 
l’écorce  solide.  Dès  lors,  par  l’effet  du  mouvement 
d’affaissement,  les  sédiments  les  plus  anciennement 
formés  d’un  géosynclinal  plongent  dans  des  zones  de 
température  de  plus  en  plus  élevée.  Un  calcul  simple 
montre  qu’une  fois  descendus  à 10  0:J0  mètres,  ils 
peuvent  être  soumis  à une  température  qui  n’est  pas 
inférieure  à 300  degrés  ; ceux  qui  descendent  à une 
plus  grande  profondeur  subissent  une  température 
encore  plus  considérable.  De  là  dérivent  pour  ces  ter- 
rains une  série  de  changements  d’état  qui  ont  pour 
résultat  de  les  transformer  plus  ou  moins  complète- 
ment en  terrains  cristallins.  A l’ensemble  de  ces  phé- 
nomènes qui  moditient  si  radicalement  les  roches 
sédimentaires,  on  a donné  le  nom  de  méiainorphisme. 

En  voici  une  notion  sommaire.  — Les  sédiments 
amenés  par  le  jeu  des  géosvnclinaux  aux  plus  grandes 
profondeurs,  peuvent  être  entièrement  fondus  et  trans- 
formés en  un  magma  igné,  (leux  qui  atteignent  des 
isogéothermes  correspondant  à des  températures  moins 
élevées  ne  subissent  qu’une  fusion  partielle  qui  leur 
confère  une  sorte  de  semi-fluidité  ou  d’état  plastique.  Les 
uns  et  les  autres,  le  magma  igné  et  le  milieu  incomplè- 
tement fluide  situé  au-dessus  de  lui,  sont  soumis,  dans 


22 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


les  conditions  les  plus  favorables  à une  action  efficace, 
à l’intluence  d’éléments  provenant  des  masses  fluides 
sous-jacentes  qui  existent  dans  les  profondeurs  de 
l’écorce  — l’existence  en  est  démontrée  d’une  manière 
évidente  }>ar  les  jihénomènes  éruptifs,  ( les  éléments  : la 
silice,  les  alcalis,  potasse,  chaux,  magnésie  et  d’autres 
bases  telles  que  l’oxyde  de  fei%  puis  l’acide  borique,  des 
composés  fluorés  et  chlorés,  jouent  le  rôle  de  minéra- 
lisateurs  et  viennent  enrichir  et  transformer  en  quartz, 
en  feldspath,  ou  en  mica,  la  plus  gi-ande  ])artie  des 
schistes,  en  amphibolite  les  calcaires. 

Après  refroidissement  qui  se  jtroduit  très  lentement, 
au  fur  et  à mesure  que  par  la  suite  ce  fond  de  géosyn- 
clinal va  peu  à })eii  se  soulever,  puis  surgir  de  l’océan 
pour  former  la  montagne,  les  éléments  de  la  solution 
nouvelle,  ainsi  modifiée  et  enrichie,  se  solidifient  ou 
prennent  la  forme  cristalline  — comme  il  arrive  de 
toute  solution  abandonnée  à elle-même  et  s<;  refroidis- 
sant lentement  : les  molécules  obéissent  à leurs  attrac- 
tions récipro([ues  et  se  disposent  en  construisant  des 
édifices  moléculaires  orientés  par  ra]>port  à des  plans 
et  cà  des  axes  de  symétrie.  Dans  les  parties  complète- 
ment fluides,  la  cristallisation  se  fait  sans  orientation 
privilégiée,  et  produit  des  roches  massives,  dans  les- 
quelles il  n’y  a plus  trace  de  stratification.  Dans  les 
milieux  incomplètement  fluides,  les  cristaux,  et  en 
])articulier  les  micas,  s’orientent,  de  sorte  que  la  roche 
métamoi-phisée,  tout  en  étant  une  imche  cristalline, 
présente  ce})endant  une  structure  feuilletée  (1).  Ainsi 
les  roches  sédimentaires  qui  étaient  disposées  primiti- 


(1)  M,  1*.  Ti'nnier  dans  un  artirle  que  nous  avons  déjà  cité.  Sur  la  genèse 
des  terrains  cristallophglUens  {We\.  scient.,  11  tuai  1!)I2),  traite  en  parti- 
culier cette  question  de  ia  solidification  des  milieux  incomplètement  lluides 
au  fond  des  géosyiu  linaux  et  de  l'orientation  des  micas  (pp.  579-580).  Dans 
cet  exposé  sommaire  des  phénomènes  de  mélamorpliisme,  je  me  suis  inspiré 
largement  de  cet  article  et  de  la  belle  étude  consacrée  à ces  questions  par 
M.  llaug  dans  le  premier  volume  de  sou  Traite  île  géologie  (chapitre  Ml). 


LES  ALPES 


veinent  dans  le  fond  on  au  centre  du  géosynclinal,  s(' 
trouvent  tinaleinent  remplacées,  suivant  leur  nature, 
par  des  granités  ou  par  des  diorites  : celles  qui  se 
trouvaient  plus  haut  et  latéralement  sont  remplacées 
par  d’autres  roches,  cristallines  mais  feuilletées,  qui 
sont  des  gneiss,  des  micaschistes,  des  amphibolites,  des 
schistes  lustrés,  suivant  la  distance  à laquelle  elles  se 
trouvaient  du  magma  igné,  et  suivant  la  limite  qu’ont 
pu  atteindre  ou  les  directions  privilégiées  qu’ont  suivies 
les  colonnes  fUtranfes  de  minéralisateurs  qui  ont 
imprégné  et  transfonné  les  sédiments,  à la  manière 
d’une  tache  d'huile  qui  s’étend  au  travers  des  feuillets 
d’un  livre. 

Sur  le  bord  extrême  de  la  zone  métamorphisée,  on 
passe  insensiblement  aux  roches  sédimentaires  qui  ont 
conservé  leur  structure  primitive.  C’est  l’étude  atten- 
tive, délicatement  menée,  de  ces  zones  de  passage  qui 
a permis  à M.  Termier  de  reconnaître  et  d’établir  que 
les  schistes  lustrés  passent  latéralement  à des  forma- 
tions d’àge  mésozoïque  et  même  éocène.  — Mais  il  y a 
mieux,  et  il  subsiste  des  preuves  plus  évidentes  de  ces 
transformations  : au  milieu  des  roches  cristallines, 
feuilletées  ou  massives,  il  a subsisté  des  îlots  de  roches 
sédimentaires,  qui  constituent  de  véritables  certificats 
d’origine  des  schistes  cristallins  au  milieu  desquels  on 
les  découvre  ; c’est  dans  des  calcschistes  ainsi  épargnés 
par  le  métamorphisme  au  milieu  des  schistes  lustrés, 
qu’on  a découvert  dans  les  Alpes  franco-italiennes  les 
fossiles  qui  ont  permis  d’établir  d’une  manière  indiscu- 
table l’àge  mésozoïque  des  schistes  lustrés. 

Ce  qu’on  peut  appeler,  dans  l’histoire  de  la  chaîne 
des  Alpes,  \d.  période  de  prêpjaration,  comprend  donc 
deux  phénomènes  principaux  : 1°  la  sédimentation  sur 
de  grandes  épaisseurs,  dans  des  géosynclinaux  en  voie 
d’atfaissement  ; 2"  le  métamorphisme  exercé  sous  l’in- 
fluence de  la  température  et  de  la  ])ression,  dans  les 


■^4 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


régions  })rotbmlos  de  ces  géosvnclinaux.  — Nous 
arrivons  maintenant  à une  deiixièmc  phase,  plus 
anciennement  connue,  et  dans  un  certain  sens  la  plus 
importante  dans  la  formation  d’une  montagne,  celle  du 
plissemenf  et  de  la  si'rrcrtwn  ou  élévation  de  la  chaîne. 

Idissement  et  surrection  sont  en  effet  deux  actes  dis- 
tincts dont  on  pourrait  presque  dire,  j)Our  la  chaîne 
alpine,  qu’ils  se  sont  succédé  dans  le  temps.  Tant  qu’ils 
sont  soumis  simplement  à l’action  de  la  pesanteur,  les 
géos3'nclinaux  }>rononcent  leur  mouvement  de  des- 
cente. Mais  un  moment  vient  oîi  les  voussoirs  latéraux, 
qui  eux-mêmes  s’affaissent  lentement,  exercent  l’éner- 
gique compression  latérale  dont  il  a été  jiarlé  à propos 
de  la  théorie  du  plissement  par  refoulement  tangentiel. 
Dès  lors  le  mouvement  d(‘  descente  s'arrête,  et  le  géo- 
synclinal ne  tarde  pas  à être  comblé  : le  fait  s'accuse 
{)ai-  des  changements  iiii})ortants  dans  la  faune,  et  par 
le  dépôt  de  saldes,  degrés,  ou  d'autres  formations  indi- 
quant une  failde  profondeur.  Puis,  la  pression  exercée 
sur  les  pai’ois  des  géosynclinaux  l'emportant  sur  celle 
de  la  pesanteur  et  se  composant  avec  elle,  les  terrains 
commencent  à présenter  des  ondulations  ou  des  bossel- 
lements  élémentaires  qui  accidentent  la  surface.  Ainsi 
se  forment  des  dômes  et  des  cuvettes,  de  structure  à 
peu  près  régulière,  dont  le  D pe  est  assez  commun  dans 
certaines  régions  du  Jura  et  des  chaînes  sulialpines.  — 
Les  ex})ériences  de  plissement  dont  il  a été  question 
plus  haut,  où  l’on  cherche  cà  réaliser  les  conditions  qui 
se  rencontrent  dans  la  nature,  montrent  que  le  maxi- 
mum de  com}dication  du  plissement  intervient  en 
profondeur,  (vbiand.  au  cours  de  ces  expériences,  on 
ajoute  des  poids  à la  surface  des  feuillets  de  papier 
empilés,  il  tend  à se  former  des  plis  irréguliers.  Or  un 
pli,  pourvu  qu’il  soit  légèrement  dissymétrique,  doit  en 
s’exagérant  passer  en  profondeur  à un  pli  couché  avec 


LES  ALPES 


rianc  étiré.  Ce  sont  des  ])hénomènes  qui  ont  pu  se 
passer  dans  les  profondeurs  du  géosynclinal,  sur  les- 
quelles pesait  la  masse  énorme  représentée  par  les 
sédiments  accumulés.  Ainsi  se  forment,  à côté  des  anti- 
clinaux ou  des  dômes  réguliers,  d’autres  plis  qui  sont 
déversés,  et  qui  se  succèdent  parfois  en  séries  comme 
autant  de  vagues  déferlant  toutes  dans  une  même  direc- 
tion ; les  géologues  ont  défini  cette  disposition  en  dési- 
gnant les  séries  plissées  de  cette  manière  sous  le  nom 
de  plis  isocUnavx. 

Ceux-ci  peuvent  être  affectés  par  des  cassures  suivies 
d’un  véritable  décrochement,  et  si  le  mouvement  se 
continue,  le  danc  supérieur  du  pli  ckecav.che  au-dessus 
du  flanc  inférieur  ; et  quand  le  phénomène  se  ré])ète 
pour  chacun  des  plis  d’une  série  isoclinale,  celle-ci 
flnit  par  ])résenter  une  structure  imliriquée.  bien 
connue  par  exemple  dans  la  chaîne  du  ’N’ercors  et  dans 
le  Jura  méridional. 

Enfin,  quand  la  poussée  s’exerce  d’une  manière  con- 
tinue dans  un  même  sens  — et  l’on  a vu  que  cette 
poussée  prédominante  s’est  ]>roduite  dans  les  Alpes,  de 
l’Est  vers  l’(  )uest  et  du  Sud  vers  le  Nord  — elle  peut 
être  assez  énergique  pour  coucher  entièrement  les  plis 
et  entraîner  leurs  têtes  non  plus  à quelques  centaines 
de  mètres,  mais  cà  des  dizaines  de  kilomètres  du  point 
où  ces  plis  s’étaient  d’al)ord  prononcés.  C’est  alors  une 
véritable  nappe  de  terrains  qui  auraient  été  comme 
arrachés  des  régions  oîi  ils  s’étaient  formés  et  charriés 
d’Est  en  Ouest  dans  les  Alpes  occidentales,  ou  du  Sud 
au  Nord  dans  les  Alpes  orientales,  sur  des  parcours 
qui  ont  été  parfois  de  40  à 60  kilomètres  dans  le  Dau- 
phiné, qui  ont  }tu  atteindre  dans  certains  cas  IDJ  et 
120  kilomètres,  d’après  l’estimation  de  quelques  géo- 
logues. — Dans  le  Salzkammergut  en  particulier,  une 
partie  des  calcaires  triasiques  qui  forment  les  chaînes 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCI  EN  T UNIQUES 


2() 

du  Daclistein  proviendraient  de  la  région  des  Alpes 
située  à l’Est  du  Lac  de  Garde,  des  iJinarides,  de  la 
A allée  du  Gail  ])ar  exemple  : la  poussée  tangentielle 
les  aurait  amenés  jusque  sur  le  bord  septentrional  en 
passant  par-dessus  toute  la  région  oi'i  se  trouve  Taxe 
cristallin  des  Alpes. 

C’est  à des  plis  de  ce  genre  déversés  d’une  manière 
exagérée,  fortement  étirés,  puis  entraînés  à des  dis- 
tances considérables  des  régions  oii  ils  s’enraci- 
naient, ([u’on  a donné  le  nom  de  nappes  de  charriarfe, 
termes  qui  dépeignent  le  mécanisme  auquel  on  attribue 
leur  formation.  On  emploie  aussi  le  nom  de  napjpes  de 
recouvrement,  [>arce  que  trans})ortés  au-dessus  des 
autres  terrains  — dans  l’exemple  du  Salzkammergut, 
au-dessus  des  terrains  cristallins,  dans  d’autres  cas, 
comme  sur  le  bord  du  Priittigau,  au-dessus  du  flysch 
— ces  })lis  charriés  peuvent  aussi  recouvrir  ces  terrains 
comme  d’une  carapace,  que  l’érosion  pourra  d’ailleurs 
entamer  d’autant  ])lus  facilement  que  cette  couverture 
est  amincie  et  souvent  disloquée  par  l'étirement  qu’elle 
a subi.  Aussi,  la  ])lu})art  du  temps,  il  ne  subsiste  d’une 
nappe  de  charriage  que  des  lambeaux,  tels  ces  Mvtlien 
de  Sclnvyz  que  nous  avons  eu  occasion  île  mentionner 
déjà. 

De  plus,  au  cours  de  la  striction  aljiine,  ce  n’est  pas 
une  seule  fois  ([ue  ces  phénomènes  se  seraient  produits, 
et  une  seule  nappe  i{ui  se  serait  constituée  ; mais,  de 
même  qu’il  existe  des  plis  isoclinaux,  il  se  serait  formé 
des  séries  de  nappes,  parties  successivement  de  zones 
de  plus  en  plus  intenies,  et  qui  se  seraient  empilées 
les  unes  au-dessus  des  autres,  les  plus  anciennes 
recouvertes  par  les  plus  récentes.  Dans  cette  hypo- 
thèse. les  restes  de  ces  nappes  sei-aient  représentés 
par  ces  traînées  horizontales  de  terrains,  qui  se  ré- 
pètent plusieurs  fois  les  uns  au-dessus  des  autres,  au 
sommet  ou  dans  l’épaisseur  de  certaines  montagnes 


LES  ALLES 


27 


des  Alpes  — le  mont  Joly  et  la  chaîne  des  I)iablerets 
par  exemple,  qui  ont  été  cités  comme  ayant  une  struc- 
ture de  ce  genre.  MM.  Lugeon,  Termier,  Kilian. 
Ilaug,  ont  pu  reconnaître  ainsi  Jusqu’à  quatre  et  cinq 
nappes  superposées,  sous  lesquelles  apparaissent,  à 
peine  dégagés  par  l’érosion  à l’époque  actuelle,  les 
terrains  en  place,  affectés  de  simples  hossellemeuts  ou 
de  plissements  plus  anciens. 

D’ailleurs,  on  n’a  pas  seulement  cherché  à déter- 
miner l’emplacement  et  la  supeiq)osition  des  nappes 
aux  points  extrêmes  qu’elles  aient  atteints,  mais  les 
observateurs  sagaces  qui  se  sont  employés  à résoudre 
les  énigmes  de  la  tectonique  alpine,  se  sont  attachés  à 
découvrir  aussi  les  racines  de  chacune  de  ces  nappes. 
Ainsi  a-t-on  reconnu,  dans  le  Beautbrtin,  et  sur  le  ver- 
sant occidental  du  massif  du  Mont-Blanc,  les  racines 
des  nappes  empilées  qui  forment  le  mont  Joly.  De 
même,  M.  Lugeon  a découvert  contre  Tarôte  centrale 
des  Alpes  les  racines  de  la  na})pe  de  terrains  juras- 
siques dont  les  lambeaux,  charriés  sur  le  ffysch, 
forment  les  sommets  du  massif  des  Wildstrubel.  — 
Problèmes  difficiles  à résoudre  que  ces  raccordements, 
car  l’étirement  au  cours  de  ces  gigantesques  chevau- 
chements et  opérations  de  traînage,  puis  l’action  de 
l’érosion,  ont  souvent  fait  disparaître  toutes  les  parties 
intermédiaires  entre  la  tête  d’un  pli  et  ses  racines  ; il 
faut,  par  un  long  et  patient  travail  d’analyse,  dater  les 
quelques  fragments  qui  peuvent  siil)sister,  reconnaître 
leurs  roches,  leur  structure,  et  rattacher  enfin  à la 
nappe  à laquelle  elles  appartenaient  ces  menues  bribes 
d’une  couverture  autrefois  continue. 

Par  contre,  il  est  des  zones  plus  favorables  à la  con- 
servation relative  des  nappes  de  charriage.  Telles  sont 
les  régions  situées  entre  les  massifs  cristallins,  entre 
le  Mercantour  et  le  Pelvoux  en  pnrticulier,  oii  les 
nappes  poussées  de  l’intérieur  vers  l’extérieur  de  la 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


•-iS 

chaîne  alpine,  n'ayant  point  rencontré  d’obstacle,  ont 
pu  cheminer  et  s’étaler  largement.  Aussi  les  terrains 
charriés  forment-ils  encore  une  grande  partie  des  mas- 
sifs de  rEmbrunais  et  de  l’Uhaye,  situés  pourtant  au 
cœur  de  la  chaîm'  des  Alpes.  — Au  contraire,  la 
chaîne  de  Belledonne  et  le  Pelvoux  ont  probablement 
joué  le  rôle  d'une  barrière  contre  laquelle  les  pre- 
mières najtpes  de  charriage  sont  venues  buter  et 
s'arrête!*  ; les  plus  récentes  seulement,  escaladant  les 
autres,  ont  jui  déferler  par-dessus  les  massifs,  et  pour- 
suivre leur  cheminement  dans  la  direction  de  l’Ouest 
— et  peut-être  faut-il  attribuer  à l’intiuence  du  traî- 
nage subi  par  ces  nappes,  le  déversement  vers  l’Ouest 
qui  s’accuse,  d’ajirès  M.  Termier,  dans  le  profil  des 
plis  du  l’elvoux. 

Cet  edbrt  gigantesque  qui  créait  les  plissements,  les 
écailles  imln-iqiiées,  les  na}>pes  de  charriage,  s’accom- 
pagnait en  même  temps  et  peu  à peu  d’un  phénomène 
d’émersion.  Mais  les  Alpes  qui  surgissaient  des  eaux  de 
la  Méditerranée  vers  le  milieu  du  tertiaire,  n’avaient 
nullement  l’asjtect  des  Alpes  actuelles.  Les  prodigieuses 
dislocations  qu’on  peut  étudier  aujourd’hui  dans  ses 
vallées,  étaient  encore  cachées  en  profondeur  ; les 
vallées  elles-mêmes  n'existaient  pas.  Le  pays  alpin  qui 
émergeait,  ne  formait  qu’une  sorte  d’îlot,  ou  jieut-être 
plusieurs  îlots  allongés  et  peu  élevés  au-dessus  du 
niveau  de  la  mer.  et  dont  les  ondulations  de  surface 
n’étaient  qu’un  écho  très  affaibli  de  celles  des  nappes 
profondes. 

C’est  j)lus  tard  seulement,  un  peu  après  le  milieu  de 
l’époque  tertiaire,  qu’eut  lieu,  en  même  temps  qu’un 
dernier  effort  de  plissement  très  localisé  qui  créa 
notamment  les  chaînons  orîentaux  du  Jura,  c’est  alors 
seulement  que  se  produisit  la  surrection  proprement 
dite,  c’est-à-dire  l’élévation  en  masse  de  l’espèce  de 
bourrelet  un  ]>eu  ondulé  qu’avait  été  d’abord  la  chaîne 


des  Alpes.  — Le  mouvement  d’élévation  s’est  jtrolonpé 
probablement  jusque  vers  la  fin  du  tertiaire,  presqu<‘ 
à l’aurore  du  quaternaire.  Les  éruptions  du  Massif 
Central  de  la  France,  dont  l’homme  a connu  les  plus 
récentes,  en  furent  très  probablement  l’une  des  consé- 
quences, comme  les  tremblements  de  terre  du  Sud  de 
l’Europe  pourraient  en  être  les  derniers  échos. 

Ce  mouvement  de  surrection,  dernier  terme  du 
refoulement  latéral,  a donné  aux  Alpes  leur  altitude 
considérable  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  et  a rejeté 
définitivement  vers  le  Sud  une  Méditerranée  amoin- 
drie. — 11  faut  observer  enfin  que  le  mouvement  n’a 
pas  dû  être  uniforme  dans  toute  la  longueur  de  la 
chaîne  : le  maximum  de  relèvement  se  serait  produit 
dans  les  Alpes  franco-italiennes,  le  minimum  dans  les 
Alpes  orientales  ; l’érosion  étant  moins  intense  dans 
les  zones  de  moindre  relief,  ces  difiérences  auraient  eu 
leur  contre-coup  sur  la  topographie  et  la  structure  des 
Alpes  actuelles,  et  expliqueraient  en  partie  leurs 
variations  d’une  région  à l’autre. 

Les  Alpes  actuelles  avec  leurs  vallées  profondes  et 
variées,  leurs  crêtes  majestueuses,  leurs  aiguilles 
déchiquetées  à côté  de  sommets  massifs,  leurs  terrains 
si  capricieusement  plissés,  ont  des  aspects  profondément 
difiérents  de  ceux  (|ue  présentait  la  chaîne  des  Alpes 
quand  elle  surgit  de  la  Méditerranée.  Les  agents  de 
cette  transformation  sont  multiples  ; ce  sont  ceux  que 
l’on  voit  encore  à l’œuvre  aujourd'hui,  et  dont  les  eftéts 
se  traduisent  par  les  phénomènes  d'érosion.  Et  l’on 
désigne  ainsi  l’action  du  gel  et  du  dégel  sur  les  sommets, 
des  glaciers  sur  les  versants  supérieurs,  celle  des  eaux 
courantes,  des  torrents,  des  rivières,  sur  les  versants 
inférieurs  et  au  fond  des  vallées.  — Les  ondulations 
de  surface  du  dôme  alpin  au  moment  de  sa  surrection 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:^0 


orientèrent  les  lignes  primitives  du  réseau  hydro- 
graphique ; elles  furent  en  particulier  les  amorces  de 
ces  grandes  vallées,  transversales,  qui  sont  Tun  des 
traits  caractéristi([ues  de  la  géogra}diie  des  Alpes,  et 
dont  les  directions  s’harmonisent  si  j)eu  avec  la  tecto- 
nique actuelle  des  Alpes,  celle  du  moins  que  met  en 
évidence  une  simple  carte  géologique  (1). 

(Comment  s’est  etiéctué  le  gigantesque  travail  de 
destruction  qui  a eu  }»our  résultat  de  transformer  la 
physionomie  des  Alpes  dejuiis  le  moment  de  leur  for- 
mation ? C’est  ce  que  disent  les  arêtes  déchiquetées  en 
aieuilles  sous  l’influence  alternée  du  froid  extrême  et 
des  rayons  solaires  ; les  cônes  d’éboulis  avec  leurs 
blocs  de  plusieurs  mètres  cubes  et  leurs  pierrailles 
couvrant  le  tianc  des  montagnes;  les  amas  morainiques 
qui  forment  partout  des  monticules,  des  barrages,  des 
terrasses,  œuvre  des  glaciers  qui  ont  recouvert  à cer- 
taines époques  les  Aljtes  }u*es([ue  tout  entières  ; l’acti- 
vité incessante  des  torrents  qui  charrient  les  boues 
glaciaires  et  roulent  les  pierres  sur  les  versants,  au 
jtied  desquels  ils  édifient  leurs  cônes  de  déjection  ; les 
rivières  enfin,  qui  acheminent  à travers  leurs  vallées 
('t  jus([u’à  la  mer,  où  les  tieuves  construisent  leurs 
deltas,  les  roches  arrachées  à la  monta£;ne.  L’immense 
travail  de  creusement  qui  se  poursuit  d’une  manière 
incessante,  aboutit  à la  formation  de  vallées  nouvelles, 
('t  abaisse  peu  à jteu  les  massifs  par  l’enlèvement  de 
tranches  successives.  La  couverture  du  dôme  alpin  a 
été  ainsi  peu  à peu  dispersée,  et  l’érosion  a mis  au  jour 
la  structure  complexe  qu'il  recélait. 

Sous  l’action  de  ce  travail  de  nivellement,  la  chaîne 
<les  Alpes  continuera  d’être  modifiée  ; elle  est  destinée 


(1)  Dos  travaux  réconts  ont  monlrô  qu’en  réalité  la  position  de  ces  vallées 
transversales  coïncide  en  beaucoup  de  points  avec  des  abaissements  d'axes 
anticlinaux. 


LES  ALPES 


:n 

à être  finalement  transformée  en  une  sorte  de  liant 
plateau  du  genre  de  ceux  que  les  géographes  ajipellent 
des  pén’plai'r/es,  à la  surface  accidentée  d’ondulations 
à grand  rayon,  assez  semblable  à ce  que  sont  les 
Ardennes,  la  Bretagne,  le  Massif  Central.  Ces  jiéné- 
plaines  sont  ce])endant  des  chaînes  de  montagnes 
anciennes,  oîi  l’on  A'oit  encore,  dans  les  A^allées  les  plus 
profondément  creusées,  des  terrains  plissés  à la  ma- 
nière de  ceux  des  Alpes  ; et  ces  montagnes  furent 
probablement  aussi  éleA’ées  que  les  Alpes  le  sont  de 
nos  Jours. 

La  seule  }diase  de  l’histoire  des  Alpes  qu’il  nous  soit 
donné  de  voir  se  dérouler  sous  nos  yeux,  est  donc  celle 
de  sa  destruction.  Des  deux  autres  périodes,  l’effort  des 
savants,  qui  pendant  jirès  d’un  siècle  se  sont  attachés  à 
résoudre  le  problème  de  la  formation  des  Alpes,  permet* 
de  fixer  du  moins  les  dates  principales  et  de  reconsti- 
tuer dans  une  certaine  mesure  les  faits  les  plus  sail- 
lants : la  préparation  et  la  transformation  des  terrains 
au  fond  des  géosynclinaux  méditerranéens,  les  plisse- 
ments et  les  charriages  eftéctués  dans  ces  mêmes 
profondeurs,  puis  le  relèvement  en  masse  à l’époque 
tertiaire.  Dans  le  détail,  un  ^rand  nombre  de  traits  de 
la  structure  géologique  des  Alpes  et  de  leurs  formes 
géographiques  sont  aussi  éclairés  et  reçoivent  une 
interprétation  rationnelle. 

Reconstituer  ainsi  le  passé,  encore  que  ce  soit  d’une 
manière  imparfaite,  voir  dans  un  avenir  même  res- 
treint, c’est,  pour  rhomme  qui  passe  au  milieu  de  ces 
évolutions  à jiortée  indéfinie,  faire  (cuvi-e  de  science, 
et  cette  œuvre  est  déjà  grande  et  belle.  Il  y a plus  : le 
savant  pourra  reconnaître  aussi,  pour  peu  ([u’il  y veuille 
rendre  son  esprit  attentif,  que  les  phénomènes  gran- 
dioses qu’il  entrevoit  ne  sont  pas  à notre  mesure  : la 


32 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


touche  divine  se  révèle  dans  cette  sagesse  qui  obtient, 
jtar  le  jeu  de  causes  simples,  les  effets  infiniment 
variés,  qui  jusqu’à  la  fin  des  temps  justifieront  l’adhé- 
sion si  hautement  raisonnable  du  croyant  et  mériteront 
le  tribut  de  nos  admirations. 


(t.  Delépine, 

l'rofesseur  de  Géologie 
à l’Université  catholique  de  Lille. 


LE  MILIEU  INTERSTELLAIRE 


En  dictant  anx  astres,  dont  elle  prétend  régir  la 
course,  les  lois  de  leur  mouvement,  la  Mécanique 
Céleste  suppose  formellement  qu’ils  se  meuvent  dans 
un  vide  parfait  sous  l’intluence  des  seules  attractions 
newtoniennes  ; et  la  ponctualité  que,  sauf  de  rares 
caprices,  ils  ont  toujours  mis  à obéir,  consacre,  d’une 
façon  magnifique  et,  semble-t-il,  définitive,  la  légitimité 
de  l’hypothèse  du  « vide  interastral  ». 

D’autre  part,  cependant,  les  progrès  de  la  Plyysique 
terrestre,  aussi  bien  que  les  découvertes  de  l’Astrono- 
mie physique,  paraissent  devoir  aboutir  naturellement 
à troublei’  un  peu  cet  empire  absolu  de  la  gravitation 
universelle;  sans  aller  jusqu’à  révolutionner  le  gou- 
vernement des  mouvements  célestes,  ils  tendent  à 
revendiquer  une  certaine  part  en  faveur  de  nouvelles 
influences,  à réclamer  certains  amendements  à la  loi 
de  Newdon  qui  fait  jusqu’à  présent  tout  son  code. 

Nous  voyons  en  effet  le  « vide  » interastral  se  peu- 
pler petit  à petit  d’éléments  perturbateurs  autrefois 
inconnus.  Sans  doute,  leur  action  sur  la  course  des 
grosses  masses  célestes,  même  si  elle  a pu  accumulei* 
ses  effets  à loisir  au  cours  de  périodes  multiséculaires, 
est  si  minime  qu’elle  échappe  au  contrôle  des  observa- 
tions les  plus  précises  et  leur  échappera,  c’est  pro- 
bable, pendant  des  milliers  d’années  encore.  Mais  cette 
action  du  milieu  pourrait  n’être  pas  négligeable  quand 
elle  s’exerce  sur  des  masses  célestes  plus  légères  ou 
plus  rapides  : astéroïdes,  comètes,  traînées  météoriques. 

Iir  SÉRIE.  T.  XXVI.  3 


34 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Lorsque  nous  parlerons  d’intluenees  perturbatrices, 
([ue  le  lecteur  veuille  donc  bien  songer  aussi  à ces  élé- 
ments plus  mobiles  et  moins  inq)assibles,  menu  peuple 
du  monde  astral. 

D’ailleurs,  en  dehors  de  ses  ettéts  dynamiques,  le 
milieu  interastral  }»eut  révéler  sa  jirésence,  nous  le 
dirons,  }>ar  d’autres  manifestations  encore;  en  tout  cas, 
son  existence  et  sa  nature  intéressent  la  connaissance 
descriptive  de  l’univers,  et,  à ce  titre  au  moins,  si  les 
autres  semblaient  trop  insignifiants,  nous  avons  cru 
utile  de  réunir  tlans  cet  article,  quelques  idées,  cer- 
taines, probables  ou  simplement  conjecturales,  qui  se 
sont  fait  jour  à ce  sujet  (lans  les  spéculations  astrono- 
miques récentes. 


Dans  l’ancienne  physique  — à notre  é})oque  une 
conception  jdiysique  vieillit  en  trente  ans  — un  milieu 
interastral  à réaction  dynamique  ne  pouvait  être  conçu 
([ue  comme  un  milieu  pondérable.  I.’impondérable 
était,  en  effet,  comme  tel,  incapalile  d’action  dyna- 
mique sur  le  pondérable.  L’étlier  de  Young  et  de  Fres- 
nel,  par  exenq)le,  trame  élastique  chargée  de  porter 
dans  l’esjiace  et  de  propager  l’onde  lumineuse,  se  lais- 
sait traverser  et  pénétrer  sans  résistance  par  la 
matière.  L’énergie  radiante  dont  il  était  le  siège  était 
incaj)able  d’effets  pondéromoteurs  et  n’engendrait  tout 
au  plus([ue  des  mouvements  stationnaires  de  molécules. 

Mais  il  n’en  va  ]>as  de  même  du  nouvel  éther  où  le 
génie  imaginatif  et  concret  de  Maxwell  devina  le  jeu 
superposé  des  chanijis  électrique  et  magnéti([ue,  dont 
les  variations  se  })ro}tagent  par  une  sorte  d’engendre- 
ment mutuel  et  continu.  De  l’hypothèse  de  Maxwell, 
il  suit  en  effet,  qu’une  onde  éthérée  — rayon  lumineux, 
radiation  calorifique  ou  ébranlement  hertzien — exerce 
sur  les  corps  matériels  qu’elle  rencontre  une  })ression 
de  natuie  mécanique.  Maxwell  l’avait  prévue,  Bartoli 


LK  .MILIEU  I.\TERSTELL.\IRE 


35 


l’établit  par  voie  tlierinodvnamique  et  la  ])récisa  par  le 
calcul  ; les  retentissantes  expériences  de  Lebedeff,  puis 
celles  de  Nichols  et  de  Hull,  en  vérifiant  de  tout  point 
les  prévisions  théoriques,  ont  établi  définitivement 
l’existence  de  la  prrssio7i  de  la  hnuiere.  S’il  en  est 
ainsi,  les  corps  célestes,  petits  et  grands,  reçoivent  des 
soleils  rapprochés  ou  lointains  un  appoint  de  force 
lumineuse  pondéroinotrice,  et  leur  course  en  est,  dans 
une  mesure,  perceptilde  ou  non,  mais  réelle,  accélérée, 
retardée  ou  infiécbie.  Ce  n’est  donc  pas  dans  le  «vide  » 
([u’ils  cheminent,  puisque  le  milieu,  quoique  impondé- 
rable, qui  les  enveloppe  leur  communique  sous  forme 
cinétique  une  partie  de  l'énergie  qu’il  porte  en  lui. 

Cet  exemple  — car  nous  n’avons  pas  fait  plus  que 
citer  un  exemple  — nous  montre  qu’une  étude  du 
milieu  interastral,  entreprise  au  point  de  vue  dyna- 
mique, doit  tenir  compte,  non  seulement  des  éléments 
doués  de  masse  qui  peuvent  se  rencontrer  dans  l’espace 
et  qui  agiraient  par  attraction,  chocs  ou  frottements, 
mais  aussi  des  champs  de  force  électrodynamiques  qui 
])euvent  y exercer  leur  action. 

Nous  commencerons  notre  étude  par  ces  derniers. 
Nous  verrons  d’ahurd  l’action  dynamique  due  à la 
convection  de  masses  électriques,  charges  propres  des 
soleils  et  des  planètes  ou  courants  électroniques  ; en- 
suite celle  qui  résulte  des  variations  périodiques  du 
chaiii}»  constituant  les  radiations  lumineuses  et  calori- 
fiques. Passant,  dans  une  seconde  j>artie,  aux  éléments 
matériels  projirement  dits,  nous  aurons  à signaler, 
suivant  l’ordre  des  grandeurs  décroissantes,  les  météo- 
rites, les  poussières,  les  molécules  gazeuses  et  les  ions 
<[ui  peuplent  l’espace. 

Supposons  deux  corps  entre  lesquels  existe  la  gra- 
vitation newtonienne  et  chargés  d’électricité.  ( )n  serait 
tout  d’abord  tenté  de  penser  que  l’attraction  ou  la 


36 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


répulsion  électrique,  s’exerçant  entre  ces  corps  d’après 
la  loi  de  Coulomb,  en  raison  inverse  du  carré  des  dis- 
tances, vient  se  superposer,  sans  plus,  à la  <iravitation 
qui  suit  la  même  loi  : les  deux  causes  fusionneraient 
leur  action  suivant  une  loi  résultante,  identique  à cha- 
cune des  lois  composantes,  à la  valeur  })rès  d’un  coeffi- 
cient numérique  de  proportionnalité;  en  sorte  que  le 
mouvement  des  corps  graves  chargés  d’électricité 
serait  encore  régi  d’une  manière  rigoureuse  par  les 
équations  de  la  mécanique  newtonienne  et  obéirait  par 
conséquent  aux  lois  de  Ke}der. 

Kn  réalité,  depuis  Maxwell,  nous  savons  que  la 
réaction  djmamique  due  au  déplacement  relatif  de 
corps  électrisés  est  heaucouji  plus  complexe  et  qu’elle 
ne  copie  ]>as  simplement  celle  de  la  gravitation.  Celle-ci. 
en  effet,  est  instantanée  et  s’exerce  à distance,  tandis 
(pie  l’autre  se  projtage  avec  une  vitesse  finie  dans  un 
milieu,  l’éther.  Il  résulte  de  là  que  l'action  d’un  astre 
sur  un  autre,  au  moment  oit  elle  atteint  ce  dernier, 
n'est  ]tas  dirigée  suivant  la  di-oitc  géométrique  qui  les 
unit,  mais  est  déviée  de  celle-ci  d'un  certain  angle 
(Maherratioit. 

L’effet  de  cette  aberration  est  équivalent,  on  jieut 
le  démontrer  aisément,  à celui  d'une  résistance  de 
milieu,  projtortionnelle  à la  vitesse,  qui  écarterait 
l’astre  de  son  orliite  elliptiipie  et  modifierait  l’allure 
de  sa  vitesse  kejdérienne. 

Ilàtons-nous  de  le  dire  : s’il  est  probable  que  les 
astres  portent  des  charges  électriques  (1)  et  si  même, 
ce  qui  est  ])robable  aussi,  ces  charges  sont  sujettes  à 
des  variations,  on  n’a  jamais  constaté,  au  point  de  vue 
qui  nous  occupe,  le  moindi*e  effet  électromagnétique 


(1)  D’apn's  U.  Haie  (Astropiiysical  .Ioüiixal.  Vol.  XXXVHI  (1913),  p.  37 1, 
le  soleil  et  la  terre  seraient  chargés  tous  deux  négativement.  L’action  de 
gravitation  serait  donc  partiellement  contrariée  par  la  répulsion  existant  entre 
les  charges  électriijues  de  même  signe. 


LE  Î^IILIEU  INTERSTELLAIRE 


37 


qui  puisse  leur  êti'e  attribué.  Cet  effet,  s il  existait, 
serait  d’ailleurs  analoinie  à celui  qui  se  manifesterait  si 
la  vitesse  de  transmission  de  l’action  gravitationnelle 
était  finie;  or,  on  le  sait,  aucune  observation  n’a  con- 
tredit jusqu’à  présent  riiyjiothèse  de  l’action  instan- 
tanée de  l’attraction  newtonienne. 

Nous  pouvons  donc  conclure  que,  s’il  existe,  le  champ 
électromagnétique  dû  aux  charges  solaires  et  })lané- 
taires  est  absolument  négligeable  vis-à-vis  du  champ 
de  la  gravitation.  Remarquons  en  passant  et  sans  vou- 
loir attacher  trop  d'importance  à cette  conjecture, 
qu’une  charge  électrique  j)ortée  par  la  terre  aurait 
}»our  etiét  d’amener  petit  à petit  dans  l'atmosphère  les 
météorites  dont  les  orlhtes  seraient  voisines  de  l'orbite 
ti'rrestre. 

A cet  endroit  de  notre  étude,  nous  ne  ferons  que 
signaler  l’action  électrodynamique  des  courants  élec- 
troniques dont  nous  aurons  à parler  plus  loin.  Nous  ne 
possédons  aucun  moyen  de  l’évaluer,  même  d’une 
façon  approximative.  Il  nous  suffit  de  savoir  que  ses 
effets  sont  en  tout  cas  très  minimes  et  sont  restés  jus- 
qu'à présent  inaperçus. 

Passons  à la  question  plus  intéressante  et  mieux 
connue  de  l’action  dynamique  des  rayons  lumineux. 

La  pression  exercée  par  la  radiation  d’une  source 
lumineuse  sur  une  surface  donnée  est  proportionnelle 
à l’éclairement  de  la  surface.  L’éclairement,  on  le  sait, 
varie  lui-même  en  raison  inverse  du  carré  de  la  dis- 
tance à la  source,  et  il  en  est  de  même,  par  conséquent, 
de  la  pression  lumineuse.  Ce  fait  est  important  : voici 
})Ourquoi.  Imaginons,  au  repos,  une  planète  de  forme 
sphérique,  soumise  à l’action  d’un  soleil  lumineux. 
Elle  est  attirée  par  lui  en  vertu  de  la  gravitation,  et 
en  même  temjis  re]»oussée  par  les  ra,yons  qui  émanent 
<le  lui.  Mais,  comme  chacune  de  ces  forces  opposées 


38 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


varie  de  même  façon  avec  la  distance,  (-'est-à-dire  en 
raison  inverse  de  son  carré,  il  s'ensuit  de  là  que  la 
différence  de  ces  forces,  leur  résultante,  force  efficace 
à laquelle  obéira  la  })lanète,  est  }»ro})ortionnelle,  elle 
aussi,  à l’inverse  du  carré  de  la  distance.  L’action 
combinée  des  deux  causes  de  nitiuvement  se  résout 
donc  tinalement  en  une  force  uni([ue  de  forme  newto- 
nienne. En  })articulier,  si  nue  planète,  à une  certaine 
distance  du  soleil,  est  attirée  ]>ar  lui  malgré  la  répul- 
sion lumineuse,  elle  sera  attirée  aussi  à toute  autre 
distance  ; et  inversement,  repoussée  en  un  point  di" 
l’esjiace,  elle  le  sera  partout. 

Mais  si  nous  voulons  déterminer  ensuite,  pour  un 
corps  céleste  donné,  celle  des  deux  actions,  gravitation 
ou  pression  lumineuse,  qui  renqtorte  sur  l’autre,  il  nous 
faut  fixer  notre  attention  sur  un  autre  élément  du 
problème,  sur  le  rajiport  entre  la  surface  et  la  niasse 
du  corps. 

Sup])Osons  rangés  sur  une  même  circonférence  au- 
tour du  soleil  une  série  de  corps  sjdiériijues,  de  même 
densité,  mais  de  rayons  variés.  Les  ])lus  petits  ont 
seulement  quelques  centièmes  de  micron  de  diamètre, 
les  plus  grands  ont  les  dimensions  des  grosses  pla- 
nètes. Leurs  masses,  comme  leurs  volumes,  sont  pro- 
portionnelles aiu:  enhes  de  leurs  leurs  surfaces 

ou  leurs  demi-surfaces,  hémisphères  éclairés,  le  sont 
aux  carres  des  mêmes  rai/ous.  Le  là,  une  conséquence 
importante  : l’attraction,  efiét  de  masse,  et  la  répul- 
sion, etiét  de  surface,  ne  vaiâent  }>as  dans  la  même 
proportion,  lorsque  varie  le  rayon  des  corjts  considérés. 
Si  le  rayon  est  suffisamment  grand,  l’action  de  mass(% 
proportionnelle  au  cube  du  rayon,  l’emporte  sur  l’effet 
de  surface,  })roportionnelle  seulement  à son  carré. 
Mais  inversement,  quand  le  rayon  est  petit  et  décroît, 
c’est  le  cube  du  rayon  qui  tend  vers  zéro  plus  raj)i- 
dement  que  son  carré  et,  jvar  conséquent,  c’est  la 


LE  MILIEU  I^’TERSTELLAIRE 


39 


répulsion  lumineuse  (pii  triomphe  de  l’attraction. 
Donc,  parmi  les  corps  célestes  qui  font  cercle  autour 
du  soleil,  et  que  nous  rendons  libres  d'obéir  aux  forces 
qui  les  sollicitent,  nous  veiTons  les  uns.  les  plus  gros, 
se  précipiter  vers  le  centre  avec  une  vitesse  d’autant 
plus  grande  que  leurs  dimensions  sont  ]dus  grandes  ; 
d’autres,  de  rayons  moindres,  n’y  tendre  que  pares- 
seusement ; d’autres  au  contraire  fuir  l'astre  central, 
et  d’autant  plus  rapidement  que  leur  rayon  est  plus 
petit.  Enfin  il  s'en  trouvera,  de  dimensions  intermé- 
diaires, qui  resteront  en  place  ; ce  seront  ceux  en  qui 
l’attraction  sera  balancée  exactement  par  la  répulsion 
lumineuse. 

En  langage  mathématique  ces  faits  se  résument  très 
aisément.  Si  l’on  désigne  par  R le  rayon  de  la  parti- 
cule, par  d sa  distance  au  soleil,  par  k et  par  l des 
coefiicients  numériques  convenables,  l'attraction  sera 
représentée  par 

kVd 

(f- 

et  la  répulsion  par 

æ' 

La  résultante,  différence  de  ces  deux  forces  de  direc- 
tions opposées,  comptée  positivement  dans  le  sens  du 
soleil  attirant,  aura  ])our  valeur  : 

(k\{  — l). 

Si  R >■  ^ , la  résultante  est  positive  ; l’attraction  l’emporte  ; 

si  K --=  ^ , la  résultante  est  nulle  ; il  y a équilibre  ; 

si  K < I , la  résultante  est  négative  : il  y a répulsion. 


40 


REVrE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(]es  formules  montrent  encore,  effet  déjà  signalé, 
que  Taction  résultante  — attraction,  répulsion  ou  équi- 
libre — ne  change  pas  de  nature  avec  la  distance  au 
soleil  ; que,  jiar  exemple,  une  jtarticule  de  dimensions 
et  de  masse  telles  qu’à  une  certaine  distance  du  soleil, 
la  répulsion  lumineuse  équililn-e  exactement  l’attrac- 
tion, sera  en  équililire  en  tout  point  de  l’espace  et  se 
trouvera  donc,  fait  étrange,  pratiquement  soustraite 
à la  loi  de  la  gravitation  univei-selle. 

Précisons  ces  notions  par  quel([ues  données  numé- 
riques. 

Dans  le  système  solaire,  le  diamètre  d’une  de  ces 
particules  en  é([uilil)re.  de  densité  égale  à celle  de  l’eau, 
serait  d’environ  112  micron  (1).  Avec  la  densité 
moyenne  de  la  terre,  il  serait  de  27  centièmes  de 
micron.  Cette  exiguité  du  rayon  critique  nous  fait  }>res- 
sentir  combien  faible  est  la  jiression  de  la  lumière,  non 
seulement  en  reganl  des  forces  généralement  mises 
eu  Jeu  dans  l’imivers  astronomique,  mais  même  en 
comparaison  d('  celles  que  peuvent  balancer  ou  mesurer 
les  instrumenls  de  laboratoire  b's  plus  délicats.  C’est 
ainsi  qu'à  la  distance  moyenne  de  la  terre  au  soleil, 
la  lumière  solaire,  tombant  d’aploml)  sur  un  centimètre 
carré  de  surface,  exerce  une  pression,  variable  d’ail- 
leurs avec  le  jtouvoir  rédecteur  de  la  surface,  de  4 à 
(S  millièmes  de  milligramme.  Si  l'on  calcule  la  pres- 
sion lumineuse  totale  que  suliit  la  terre,  on  trouve 
75  000  tonnes  environ.  Sur  une  masse  que  maîtrise  une 
force  de  gravitation  de  trois  milliards  et  demi  de  mil- 
liards de  tonnes,  c'est  une  quantité  franchement  insigni- 
tiante,  et,  en  la  négligeant,  la  Mécanique  Céleste  ne 
s’expose  guère  à être  surprise  en  désaccord  avec  les 
faits  observés.  Ainsi,  si  le  soleil  venait  brusquement 
à s’éteindre,  la  disparition  de  la  pression  lumineuse 


(I)  Micron  = niillièmo  de  millimètre. 


LE  MILIEE  INTERSTELLAIRE 


41 


raccourcirait  le  rayon  de  l’orbite  terrestre  d'un  jieu 
plus  de  6 niilliniùtres  et  l'année  d’un  dix-inillionièine 
de  seconde  ! 

Lorsque  nous  avons  affirmé,  il  y a quelques  instants, 
que  l’action  de  la  pression  de  la  lumière  sur  un  corps 
céleste  est  directement  opposée  à celle  de  la  gravita- 
tion, nous  avons,  on  s’en  souvient,  supposé  le  coiqis 
immobile  par  rapport  à la  source  éclairante.  S’il  ne 
l’est  pas,  ou  au  moins  si  sa  vitesse  n’est  jtas  parallèle  à 
la  direction  des  rayons  lumineux  — et  c’est  le  cas  géné- 
ral en  Astronomie  — les  choses  changent  un  peu.  En 
effet,  le  faisceau  d'énergie  radiante  progresse  dans 
l’espace  avec  une  vitesse  finie  et  atteint  par  conséquent 
l’astre  mobile  suivant  la  direction  de  la  vitesse  relative, 
résultante  de  celle  du  faisceau  et  de  la  vitesse  de  l’astre 
prise  en  sens  contraire.  (v)ue  le  lecteur  nous  passe  ici 
une  comparaison  un  peu  familière  : quand  nous  nous 
hâtons  sous  une  averse,  les  gouttes  de  pluie,  ({uoique 
tombant  verticalement,  semblent  arriver  sur  nous  obli- 
quement, de  devant  ; et  c’est  en  avant,  si  nous  avons 
le  bonheur  d’en  avoir  un,  que  nous  inclinons  le  para- 
pluie. Il  ne  nous  reste  qu’à  prendre  les  filets  d’eau  de 
l’averse  pour  des  rayons  de  soleil  et  la  surface  du  para- 
pluie crépitant  sous  les  gouttes  pour  la  surface  enso- 
leillée d’une  planète,  et  nous  nous  serons  rendu  compte, 
par  comparaison  ou,  si  l’on  veut,  par  contraste,  de  la 
déviation  d’un  faisceau  de  lumière  solaire  rencontrant 
une  planète  en  monvement.  La  même  constatation 
peut  se  présenter  d'une  manière  un  peu  différente. 
Supposons  achevée  en  forme  de  sphère  complète  la 
surface  du  parapluie.  La  demi-sphère  battue  par  l’averse 
n’est  point  celle  dont  le  })ôle  est  exactement  au-dessus 
de  nous,  dans  la  direction  réelle  d’oii  pleuvent  les 
gouttes,  mais  elle  est  un  peu  déviée  en  avant  dans  le 
sens  de  la  marche.  Pareillement,  l’hémisphère  éclairé 
d’une  planète  n’est  pas  la  demi-sphère  géométrique- 


42 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


ment  opposée  au  soleil,  mais  un  hémisphère  dont  le  pôle 
est  dévié  dans  le  sens  du  mouvement  de  la  planète.  Et 
de  là  cette  conséquence  : la  résultante  de  la  pression 
de  la  lumière  sur  une  planète  qui  se  ment  perpendicu- 
lairement à la  direction  des  rayons  solaires  est  inclinée 
sur  l’orbite  dans  un  sens  tel  qu’elle  tend  à retarder  le 
mouvement  de  la  planète.  La  lumière  remplissant  l’es- 
pace interastral  joue  donc  le  rôle  d'un  milieu  résis- 
tant (1). 

Si  nous  avons  la  curiosité  de  calculer  pour  la  terre 
la  composante  retardatrice  de  la  lumière  solaire,  nous 
la  trouvons  égale  à 7 1 2 tonnes  environ.  Sur  Mercure 
elle  est  de  11  1/2  tonnes.  Sur  une  petite  planète  de 
20  kilomètres  de  diamètre  et  qui  circulerait  autour  du 
soleil  à la  distance  et  avec  la  vitesse  moyennes  de 
l'essaim  des  petites  planètes,  cette  forcir  retardatrice 
dépasserait  à peine  un  gramme.  Les  perturbations 
causées  par  de  telles  actions  sont  insignifiantes  au 
point  de  défier  tout  contrôle.  Mais  toutes  minimes  que 
soient  ces  causes,  sur  des  corps  célestes  plus  légers, 
plus  petits  et  plus  rapides,  sur  des  comètes  peut-être, 
sur  des  essaims  météoriques,  ces  actions  pourraient  à 
la  longue  déterminer  un  efièt  observable.  Elles  sont 
sensibles,  par  exemple,  sur  les  ([ueues  cométaires 
qu’elles  refoulent  dans  la  direction  opposée  à celle  du 
soleil. 

( )n  pourrait  montrer  encore,  mais  nous  ne  nous 
attarderons  pas  sui*  ce  point,  que  la  ))ression  lumineuse 
sur  les  corps  célestes  qui  décri venl  des  orbites  ellip- 
tiques tend  à diminuer  l’excentricité  de  ces  orbites  et  à 
faire  réti'ograder  le  jiérihélie. 


(I)  l>c  ralciil  montre  que  la  résislanre  de  ce  milieu  lictil' serait  proportion- 
nelle à la  vitesse.  Dans  ces  conditions,  on  trouve,  résultat  remarquable,  que  la 

vitesse  aréolaire  , J'n  lieu  d’être  constante  comme  dans  le  mouvement 

képlerien,  est  une  fonction  linéaire  de  6. 


LE  MILIEU  INTERSTELLAIRE 


43 


Ayant  examiné  les  actions  pondéroinotrices  dues  aux 
champs  électromagnétiipies  qui  font  de  res])ace  inter- 
astral  un  milieu  réce}tteur  et  transmetteur  d’énergie, 
il  nous  faut  passer  à l’étude  des  éléments  pondérables 
qui  en  font  un  milieu  matériel  dans  l’acception  la  plus 
concrète  du  mot.  Aous  tâcherons,  dans  la  mesure  du 
possible,  de  nous  faire  une  idée  de  la  concentration  de 
ses  divers  éléments,  des  mouvements  qui  les  animent 
et  dès  lors  de  l’action  qu’ils  peuvent  exercer  sur  le 
déplacement  des  corps  célestes. 

Groupons  d’abord  en  une  première  catégorie  et  sous 
le  nom  de  météorites  (1)  toutes  les  variétés  de  cor}»s 
célestes  qui,  venant  de  l’espace,  pénètrent  dans  notre 
atmosphère,  soit  qu’ils  s’y  révèlent  sous  la  forme  fugace 
mais  brillante  d’étoiles  filantes  et  de  bolides,  soit  qu’ils 
nous  laissent  le  témoignage  permanent  de  leur  chute 
dans  les  « pierres  du  ciel  » trouvées  à la  surface  du 
soletdontla  structure  cristalline  caractéristique  atteste, 
sans  laisser  place  au  doute,  la  provenance  extrater- 
restre. 

Un  mot  d’aboi‘d  de  leur  origine,  car  elle  est  en  rap- 
port étroit  avec  leur  répartition  actuelle  dans  l’espace  et 
le  mouvement  dont  ils  y sont  animés.  D’après  les  hypo- 
thèses les  mieux  accréditées,  les  météorites  doivent  leur 
existence  soit  à la  condensation  locale  de  petits  noyaux 
primitifs  au  sein  du  chaos  originel  — ce  qui  leur  donne 
donc  rang  de  soleils  minuscules,  mais  indépendants,  — 
soit  à la  dislocation  d’une  masse  cométaire,  soit  à la 
rupture  d’un  anneau  planétaire,  soit  à l’explosion 
d’astres  plus  grands,  soit  à leurs  éruptions  volca- 
niques. Les  deux  jiremières  hypothèses  définissent  des 
météorites  d’origine  cosmique  ; ils  seraient  représentés 
parmi  ceux  qui  ont  atteint  le  sol  jiar  les  sidérites  et  les 


(1)  Cette  acception  est  plus  compréhensive  (|ue  l'acceplion  d’usage,  mais 
elle  simpliliera  notre  exposé. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


4i 

sidérolitlies  à forte  teneur  de  ter.  Les  dernières  hypo- 
thèses détinissent,  an  contraire,  des  météorites  d’ori- 
gine interne  au  système  solaii*e  ; on  reconnaîtrait  de 
préférence  comme  tels  les  aérolithes  })roprement  dits, 
dont  la  com})osition  chimique  et  la  microstructure  rap- 
pellent les  ro(dies  éruptives  terrestres. 

Qu'il  existe  des  météorites  de  la  première  catégorie, 
déchets  de  l’élalioration  des  mondes  par  la  condensation 
d’amas  nébuleux  primitifs,  les  théories  cosmogoniques 
nous  laissent  liln-es  de  le  supposer;  mais  elles  sont 
muettes  sur  leur  distrifmtion  dans  l’espace  et  sur  leurs 
mouvements,  l’orce  nous  est  donc  de  voiler  notre 
ignorance,  ou  jilutot  d’en  tirer  parti,  en  admettant  une 
distribution  uniforme  de  ces  corps  et  de  leurs  vitesses. 
S’il  en  est  ainsi,  les  étoiles  filantes  qu’elles  forment  en 
})énétrant  dans  noti'e  atmosphère  ne  doivent  manifes- 
ter aucune  tendance  à des  groupements  systématiques. 
Si  011  corrige  leur  position  et  leur  trajectoire  appa- 
rentes en  tenant  compte  de  la  com])Osante  due  au 
mouvement  })roj)re  de  la  terre,  elles  doivent  se  répartir 
d’une  manière  uniforme  à la  surface  de  la  vofite  céleste 
et  leurs  traînées  lumineuses  y doivent  ])rendre  indif- 
féremment toutes  les  directions. 

La  dislocation  des  comètes,  au  contraire,  conduit  à 
des  groiqiements  naturels.  Les  fragments  cométaires, 
après  la  désagrégation  de  l’astre,  voyagent  en  bandes 
ou  en  tiles,  s'échelonnant,  sans  Jamais  s’en  écarter 
notablement,  le  long  de  l’orbite  primitive.  Les  trajec- 
toires des  fragments  étant  parallèles,  elles  se  pro- 
jettent sur  le  ciel  suivant  des  lignes  divergentes,  issues 
d’un  même  })oint  de  fuite,  leur  radiant.  De  même  que 
celles  des  comètes,  les  orliites  des  traînées  de  filantes 
seront  distribuées  au  hasard  dans  l’espace  et  leurs  élé- 
ments orbitaux  ont.  de  fait,  toutes  les  valeurs  possibles. 
11  y a donc  ici  groiqtement  par  radiants,  mais  aucun 
groupement  systématique  de  radiants,  si,  bien  entendu. 


LE  MILIEU  INTERSTELLAIRE 


45 


Ton  fait  abstraction  de*reffet  d’accu  ululation  apparente 
dérivant  du  déplacement  projire  de  la  terre. 

On  ne  peut  en  dire  autant  des  météorites  nés  du  sys- 
tème solaire.  Ceux-ci  circulent  isolément  ou  jiresque 
isolément  autour  du  soleil.  Leurs  orbites  sont  générale- 
ment peu  inclinées  sur  réclipti([ue  et  leur  moiivemeni 
est  généralement  direct.  Elles  ne  jieuvent  être  entraî- 
nées dans  notre  atmosphère  qu’à  la  suite  de  perturba- 
tions produites  par  le  voisinage  des  planètes  ou  par 
l’action  d’un  milieu  résistant,  qui,  en  déformant  leurs 
trajectoires,  leur  font  couper  parfois  l’orbite  tei-restre. 
Encore,  ne  viennent-elles  s’enliser  dans  notre  atmo- 
sphère ou  y faire  ricochet  que  si  elles  se  présentent 
au  point  d’intersection  ou  nœud  des  orbites  au  moment 
même  où  y passe  la  terre.  Le  nomlire  de  celles  qui  sont 
effectivement  captées  n’est  donc  qu’une  très  minime 
fraction  de  leur  nombre  total. 

En  résumé  donc,  en  dehors  du  système  solaire,  nous 
voj'ons  les  météorites  sporadiques  distribués  dans 
l’espace  d’une  manière  uniforme  et  leurs  déplacements 
s’effectuer  au  hasard,  indifféremment  dans  toutes  les 
directions,  tandis  que  les  météorites  cométaires,  alignés 
en  files  ou  groupés  en  essaims  serrés,  y dessinent  des 
traînées  régulières. 

A ce  fond  cosmique  général,  le  système  solaire  super- 
pose les  météorites,  probablement  beaucoup  plus 
nombreux  qui  lui  doivent  leur  origine,  font  partie  de  sa 
grande  famille  et  participent  en  presque  totalité  à la 
circulation  planétaire  générale. 

Pourrait-on,  en  cette  matière,  dont  l’étude  repose 
sur  des  données  statistiques  encore  très  incomplètes, 
risquer  un  dosage  de  l’espace  en  météorites  ? P’aisons 
le  calcul  suivant  : divisons  le  nombre  de  météorites 
que  rencontre  annuellement  la  terre  par  le  volume  du 
tore  hélicoïdal  que  cette  dernière  engendre  dans  sa 
révolution  annuelle  combinée  avec  la  translation  du 


REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


■i() 

système  solaire.  D’après  l'évaluation  de  \Voodward, 
l’atmosphère  terrestre  recueillerait  Journellement 
20  millions  de  météorites  (1).  On  déduit  de  là  une  con- 
centration de  42  météorites  par  cube  de  1000  kilom., 
de  côté,  soit  encore  dôOO  météorites  dans  un  volume 
égal  à celui  de  la  terre. 

Ce  résultat  doit  être  interprété.  11  serait  rigoureux 
si  l’on  pouvait  supposeï*  annulée  l’attraction  de  la  terre 
sur  les  météorites  et  si  ceux-ci  étaient  tous  ])réalable- 
ment  au  repos.  Alors,  en  ellét,  la  terre  ne  recueillerait 
<[ue  ceux  qu’elle-même  irait  heurter  et  ramasser  dans 
sa  course.  Mais  faisons  d’abord  entrer  en  li«ne  de 

O 

<‘ompte  l’attraction,  en  laissant  encore  de  côté  les  mou- 
vements propres  des  météorites.  Pour  faciliter  l’exposé, 
renversons  les  rôles  des  corps  en  présence  en  suppo- 
sant la  terre  immobile  et  en  attribuant  aux  météorites 
uniformément  ré})andus  dans  l’espace  une  vitesse 
initiale,  32  kilomètres  [>ar  seconde,  égale  à celle  de  la 
translation  terrestre,  mais  de  sens  contraire.  En  vertu 
<les  lois  deNe\vton,les  météorites  décrivent  des  coniques 
ayant  })Our  foyer  le  centre  de  la  terre.  Nous  négli- 
geons, bien  entendu,  les  perturbations  réciproques  des 
météorites,  vis-à-vis  de  l’attraction  terrestre.  Ne  seront 
captés  que  ceux  d’entre  eux,  dont  la  distance  au  périgée 
est  inférieure  au  rayon  de  la  terre  augmentée  de  l’épais- 
seur de  la  couche  atmosphéri({ue,  oii  ils  sont  arrêtés, 
dette  couche  a envii-on  3(30  kilomètres  d’épaisseur.  Or, 
remai‘([uons-Ie  d’abord,  la  vitesse  initiale  des  météo- 
rites, 32  kilomètres  pai‘  seconde,  est  supérieure  à la 
vitesse  })aral)oli(pie,  la({uelle  n’est  que  de  11  kilomètres, 
mêiiK'  à la  surface  de  la  terre  (2).  Toutes  les  trajec- 


(I  ) Pour  une  étoile  filante  visil)le  à PumI  nu,  H en  est  :2:2  visibles  seulement 
an  télescope. 

(:2)  Le  lecteur  se  rappellera  (|u’en  vertu  des  lois  de  la  mécanique  newlonienne 
la  nature  elliptique,  parabolique  ou  hyperbolique  de  la  section  conique 
décrite  ]iar  un  astre  g'i’avitant  autour  d’un  autre,  dépend  uniquement  de  sa 


LE  MILIEU  INTERSTELLAIRE 


47 


toires  seront  donc  des  hyperboles.  De  là  résulte:  aussi- 
tôt que  tout  météorite  qui.  en  vertu  de  sa  position  et  de 
sa  vitesse  initiales,  ne  se  rapproche  pas  actuellement 
de  la  terre,  s’en  éloignera,  et  indéfiniment  ; échapjiera 
par  conséquent  à la  capture.  Le  lecteur  veri*a  aisément 
que  la  moitié  des  météorites  de  l’espace,  ceux  ((ui  sont 
situés  d’un  même  côté  du  plan  normal  à la  trajectoire 
de  la  terre  et  passant  par  le  centi*e  de  la  terre,  sont 
dans  ce  cas.  Ensuite,  la  vitesse  initiale  étant  notable- 
ment supérieure  à la  vitesse  jiarabolique,  les  trajec- 
toires h vperlioliques  seront  généralement  très  tendues. 
Pour  peu  donc  que  la  position  initiale  du  météorite  se 
trouve  éloignée  de  la  trajectoire  terrestre,  la  distance 
du  périgée, conclusion  confirmée  d’ailleurs  jiar  le  calcul, 
sera  plus  grande  que  le  rayon  terrestre,  et  le  météorite 
échappera.  Dans  ces  conditions,  on  obtient  donc  une 
approximation  admissible  du  nombre  de  météorites 
captés  en  négligeant  l’influence  de  l’attraction  et  en  ne 
tenant  compte  que  de  l’action  de  « lialayage  ».  Il  est 
])lus  difficile,  sans  recourir  au  calcul,  de  se  faire  une 
idée  de  l’influence  introduite  par  la  vitesse  propre  des 
météorites  ; mais  on  arriverait  à la  conclusion  que  le 
nombre  de  météorites  captés  en  raison  de  cette  nouvelle 
condition  est  [>etit,  relativement  à celui  des  météorites 
recueillis  par  suite  de  la  translation.  Nous  pouvons 
donc  tenir  la  concentration  calculée  de  A2  météorites 
par  mille  kilomètres  cubes  pour  une  limite  supérieure 
très  approchée  de  la  concentration  réelle. 

Mais  une  interprétation  physique  ultérieure  de  ce 
résultat  est  encore  nécessaire.  Nous  avons  donc  oldenu 
le  nombre  de  météorites  recueillis,  à l’intérieur  du 


vitesse.  Pour  chaque  dislaiice  de  l’astre  attirant,  il  existe  une  vitesse  critique 
déterniiiiée,  appelée  vitesse  parabolique.  Si  l’astre  attiré  possède  une  vitesse 
moindre,  il  décrit  une  ellipse  ; s’il  possède  une  vitesse  plus  grande,  il  décrit 
une  hypei’hole  ; à la  vitesse  parabolique,  il  décrirait  une  parabole. 


48 


REVUE  DES  QUESTIONS  SUIEXTIEIQUES 


système  solaire,  par  un  astre  qui  [iartici})e  à la  circu- 
lation d’ensemble  du  système.  Si  nous  avons  égard  au 
fait  que  les  météorites  faisant  ])artie  du  même  système 
sont,  en  général,  entraînés  dans  la  même  circulation 
(orbites  ]>eu  excentriijues  et  mouvements  directs)  et 
qu’il  faut  un  concours  exceptionnel  de  circonstances 
])our  les  conduire  dans  notre  atmosphère  (1),  nous 
devrons  conclure  que,  parmi  tous  les  météorites  qui 
nous  atteignent,  la  grande  majorité  sont  de  nature  cos- 
mique et  que  le  nombre  obtenu  plus  haut  représente 
une  moyenne  de  la  concentration  en  météorites  de  l’es- 
pace interastral  en  dehors  du  système  solaire,  quoique 
au  voisinage  de  ce  dernier,  (gluant  à la  population 
météori([iie  du  système  solaire  lui-même,  elle  serait 
beaucoiq)  jdus  dense.  11  est  établi  en  tous  cas  qu’elle 
n’est  }»as  uniforme,  mais  qu’elle  est  répartie  suivant 
des  zones  annulaires.  C’est  ainsi,  par  exemple,  que  la 
terre  rencontre  un  plus  grand  nombre  de  météorites 
à l’aphélie  <pi’au  périhélie.  Signalons  à ce  sujet  une 
étude  intéressante  de  M.  Fessenko}tf  (2),  sur  la  distri- 
Imtion  des  courants  de  matière  cosmique  dans  le  sys- 
tème solaire.  L’auteur  suppose  que  des  millions  de 
comètes  captées  par*  le  système  terrestre  depuis  son 
origine  ont  pu  se  réduire  en  fragments  météoriques 
très  petits,  qui  se  sont  dis})ersés  sur  leurs  orbites  pri- 
mitives. Kn  supposant  arbiti’airement  distribués  dans 
tous  les  sens  les  éléments  de  ces  orbites,  il  calcule  la 
densité  météorique  relative  à l’intérieur  du  système 
solaire.  En  pi’enant  pour  unité  de  densité,  la  densité  à 
la  distance  mo3'enne  de  la  terre  au  soleil,  prise  elle- 
même  pour  unité  de  distance,  il  ti'ouve  les  résultats 
suivants  : 

(1)  Voir  ).  Carl)onellc,  S.  .1.  Étoiles  filantes  et  météorites.  Rev.  des  Qüest. 
SCIENT.,  t.  XXIV  (1888),  p.  419;  t.  X.W  (1889),  p.  I8r>. 

(:2)  C.  11.,  I)  avril  1914. 


L1-:  MILIEr  INTERSTELLAIRE 


49 


Distance  an  soleil 


Densité  météorique 


Ü,i0 


1,00 

0,75 

0,50 

0,95 

0,90 


0,15 


Ces  résultats  — faut-il  l'ajouter  ^ — sont  purement 
hypothétiques;  ils  n’ont  encore  rencontré  dans  l’obser- 
A'ation  aucune  conlirmation. 

Il  nous  faudrait  encore  être  fixés  sur  l’ordre  de  gran- 
deur des  météorites.  En  l'éalité,  parmi  les  700  échan- 
tillons qu’on  a retrouvés  à la  surface  de  la  terre,  il  en 
est  de  tailles  et  de  poids  très  dittérents.  Tandis  que  les 
plus  petits  n’atteignent  ([ue  quelques  centigrammes, 
d’autres  pèsent  plusieurs  tonnes,  comme  le  Willamette, 
qui  en  pèse  10  et  le  Anighito  qui  en  })èse  30  1 9.  Il 
faut  ajouter  d’ailleurs  que  les  météorites  de  nos  musées 
ne  sont  en  général  que  le  noyau  résiduel  des  coiqts 
captés  dans  l’atmosphère,  car  l’échaufiément  dû  au 
frottement  volatilise  la  surface  du  météorite.  La  por- 
tion volatilisée  est  d’ailleurs  relativement  plus  considé- 
rable pour  les  petits  que  pour  les  grands  météorites. 
Aussi  la  pluj)art  des  météorites  engagés  dans  l’atmo- 
sphère, surtout  ceux  d’origine  cosmique,  plus  petits  en 
général  que  les  autres,  sont-ils  conqdètement  volati- 
lisés bien  avant  qu’ils  n’aient  pu  atteindre  le  sol.  11 
peut  se  faire  même  que  la  lumière  émise  par  les  plus 
t>etits  d’entre  eux  soit  trop  faible  pour  que  nous 
])uissions  en  percevoir  l’éclat.  M.  Ilumphre^ys  a proposé 
récemment  (1)  une  exjilication  de  la  « lumière  de  terre  » 

(1)  Astrophysical  Journal,  t.  XXXVl,  191:2,  p.  2S(î. 

IIR  SÉUIE.  T.  XXVI.  .i 


50 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


fondée  sur  cette  considération.  On  sait  que  par  les 
nuits  sans  nnaiies  « l'obscnre  clarté  qui  descend  des 
étoiles  » est  siqtérieure  à la  soinine  des  éclairements 
dns  à toutes  les  étoiles  qui  brillent  au-dessus  de  Thori- 
son  ; en  d’autres  tenues,  que  le  fond  du  ciel  n’est  pas 
absolument  oliscnr,  mais  qu’il  nous  envoie  une  certaine 
quantité  de  lumière  ditfnse. 

Oelle-ci  ne  serait-elle  jtas  produite,  se  demande 
M.  linnqihrevs,  par  des  myriades  d'étoiles  filantes 
minuscules,  individuellement  impercejdibles,  et  qui 
seraient  dues  à des  nuées  de  })oussières  météoriques 
envahissant  continuellement  l’atmosphère  ? L’hypothèse 
est  plausible  et  rexjilication  élégante.  Il  faut  avouer 
})ourtant  qu’on  ne  manque  }>as  d’autres  interprétations. 
I.es  conditions  et  la  répartition  de  l’éclat  de  minuit  dans 
les  différentes  zones  du  firmament  n’onl  ]>as  encore  fait 
l’objet  d’une  étiidi'  systématique  suffisante  ; celle-ci 
limiterait  vraisemblablement  le  choix  entre  les  expli- 
cations proposées.  Le  l’hypothèse  de  Humphreys 
résulte,  par  exemple,  ipie  l’éclat  de  minuit  doit  être 
jdus  grand  du  coté  de  l’apex  relatif  que  du  côté  opposé. 
Si  l’on  admet  i[ue  les  jtoussières  météoriques  font  partie 
du  système  solaire,  l’apivx  relatif  correspondant  sera 
situé  sur  récli}»tique  à 90"  du  soleil  dans  le  sens  rétro- 
grade ; si  les  poussières  sont  d’origine  intersidérale,  la 
direction  de  l'apex  l'clatif  résultera  de  la  composition 
de  la  vitesse  de  révolution  de  la  terre  avec  la  vitesse 
du  système  solaii'e.  Si  l’on  }>ent  regarder  comme  suffi- 
samment délicates  et  décisives,  les  dernières  expé- 
riences d’Angstrom  sur  la  radiation  tellurique,  elles 
seraient  de  nature  à écarter  l’inqtothèse  de  Hum- 
phreys (1).  Angstrom  trouve,  en  effet,  une  radiation 
nocturne,  distidhuée  symétriijuement  autour  du  zénith 


(!)  The  nocturmil  nuUaHon  /o  AsTiiui'iiYsicAL  .Iih  k.,  vol. 

1,  p.  95  (lui 4). 


LE  MILIEU  INTERSTELLAIRE 


51 


et  non  autour  de  l’apex.  Mais  il  faut  remarquer  qu’il 
enregistrait  surtout  la  i-adiation  calorifique  de  grande 
longueur  d’onde  et  non  la  radiation  lumineuse.  Une 
étude  bolométrique  du  rayonnement  nocturne,  qui 
jiermettrait  d’isoler  la  déperdition  propre  de  chaque 
radiation  en  difierentes  zones  de  la  voûte  céleste,  jiour- 
rait  fournir  ici  un  experinicntam  cmcis. 

Tout  imparfaites  et  tout  imprécises  qu’elles  soient, 
nos  connaissances  sur  les  météorites  distribués  dans 
l’espace  interastral  nous  permettent  cependant  de  con- 
clure que  les  masses  célestes  un  peu  importantes  n’ont 
guère  à se  soucier  de  la  jirésence  de  ce  milieu  météo- 
rique et  que  leur  course  n’en  est  pas  troublée  d’une 
manière  appréciable. 

11  faut  pourtant  mentionner  ici  une  élégante  étude 
de  MM.  Tomasetti  et  Zarlatti,  publiée  dans  le  Bul- 
letin Astronomioue  (avril  1914,  p.  150),  et  qui  résout 
le  problème  astronomique  des  deux  corps  lorsque  leurs 
masses  sont  variables.  Les  auteurs  traitent  en  particu- 
lier le  cas  du  système  terre-soleil  en  supposant  que  les 
deux  astres  voient  leur  masse  augmenter  par  l’apport 
<les  météorites.  Ln  admettant  pour  l’accroissement  de 
masse  de  la  terre  '-^0  033  tonnes  par  an  — estimation 
d'Arrhenius  — et  pour  le  soleil  un  accroissement 
annuel  de  300  milliaials  de  tonnes,  ils  arrivent  à cette 
c(  )nclusion  que  l’année  se  raccourcit  de  32/100  de  seconde 
en  8000  ans.  Les  auteurs  n’ont  ])as  tenu  compte  dans 
cette  évaluation  de  la  variation  d’énergie  cinétique 
([ii’entraîne  la  capture  des  météorites.  Un  calcul  som- 
maire, fait  en  tenant  compte  de  ce  facteur,  nous  montre 
([ue  la  variation  de  l’année  qui  en  résulterait  ne  serait 
que  de  10  milliardièmes  de  seconde  pour  la  même 
période  de  8000  ans. 

Puisqu’il  est  un  fait  (jue  des  essaims  météoriques 
peuvent  posséder  la  masse  et  l’énergie  cinétique  de  la 
comète  dont  ils  sont  issus,  on  peut  s’attendre  de  leur 
})art  à des  effets  sérieux,  tant  physiques  que  méca- 


52 


REVI  E DES  Q1;EST10\s  SCIENTIFK^UES 


niques,  si  Tessaiin  entrait  en  collision  avec  un  astéroïde 
ou  avec  une  comète.  Cet  évéïnmient  a une  [)robabilité 
très  minime,  mais  il  est  possil)l(\  et  de  pareilles  ren- 
contn's,  de  moins  importantes  même,  pourraient  con- 
tribuei’  à expliquer  soit  certaines  singularités  dans  la 
vitesse  des  comètes,  soit  même,  conjointement  à 
d’autres  causes,  la  désagrégation  de  leurs  noyaux  ou 
les  étranges  irrégularités  de  leurs  panaches  lumineux. 

Nous  devons  revenir  à la  pression  de  la  lumière. 
Klle  va  nous  intéresser  maintenant  non  plus  au  point 
de  vue  de  son  action  dynamique  immédiate  sur  les 
masses  célestes,  mais  parce  qu'elle  a pour  effet  de  dis- 
séminer dans  l'espace  et  d’y  maintenir  en  suspension 
des  poussières  matérielles  très  tines,  second  élément 
constitutif  du  milieu  interastral. 

Tandis  ([ue  la  gravitation  subjugue  les  grandes 
masses  planétaires  et  les  tient  enchaînées  dans  le 
système  solaire,  malgré  l’action  répulsive  de  la  pres- 
sion lumineuse,  il  doit  se  faire,  nous  l’avons  montré, 
({ue,  sur  des  particules  sutiisamment  petites,  le  Jeu 
de  ces  actions  se  trouvera  pi'écisément  renversé.  Et 
d'abord  de  telles  particides  (“xistent-elles  dans  l'espace^ 
11  serait  difficile  actuelleimmt  de  mettre  la  chose  en 
doute.  Elles  proviennent  soit  de  la  désagrégation 
cométaire,  })Ouvant  aller  jus([u'à  la  pulvérisation,  soit 
des  i-emous  gigantesipies,  ([ui,  témoin  notre  soleil, 
soulèvent  ratmos]ihèi-e  d('s  étoiles  et  })rojettent  la 
matière  jus([u’à  d'immenses  distances  de  l’astre.  Dans 
le  nuage  de  matière  soulevée,  il  doit  se  rencontrer  ou 
se  former  par  condensation  des  particules  solides  ou 
liquides  (1).  Les  unes,  les  moins  légères,  retombent 

(l)  On  rroil  en  reconnaître  rexistenre  dans  la  couronne  solaire,  ün  sait 
d’ailleurs  ijue  le  spectre  d’émission  de  la  couronne,  comme  celui  de  la 
lumière  zodiacale,  se  détache  sur  un  fond  continu,  révélateur  de  substance 
solide  ou  liquide  émettant  ou  rélléchissant  de  la  lumière.  L’amplitude  et  le 
nombre  des  jets  coronaux  sont  du  reste  en  correspondance  étroite  avec  les 
bouleversements  superliciels  du  soleil,  manifestés  par  la  formation  des  taches. 


LE  MILIEL  INTERSTELLAIRE 


53 


sur  le  soleil,  les  autres,  plus  petites,  dont  le  rayon  a 
précisément  la  valeui*  cidtique  dont  nous  avons  parlé 
et  qu’aucune  force  ne  sollicite  à monter  ou  à descendre, 
ont  tôt  fait  de  dissijier  dans  des  chocs  la  lorce  AÛve 
qu’elles  })Ossédaient,  et  i-estent  flotter  immobiles  dans 
le  voisinage  du  soleil.  l)’autres  enfin,  plus  jyetites  encore, 
aussitôt  saisies  ]iar  l'énergie  dynamique  du  rayonne- 
ment solaire,  sont  portées  au  loin  sur  les  ailes  imma- 
térielles de  la  lumière  et  vont  peupler  l’espace  intei-as- 
tral.  ^'ont-elles  s’enfoncer  dans  ses  profondeurs  intinies 
déflniti veinent  et  sans  espoir  de  retour  ? Non.  et  pour 
plusieurs  motifs. 

D’abord,  remanpions-le,  dans  l’explication  esquissée 
jtlus  haut  et  qui  nous  a conduits  à cette  affirmation 
([u’une  particule  repoussée,  à une  certaine  distance  du 
soleil,  sera  repoussée  à toute  autre  distance,  et,  par  con- 
séquent, s’éloignera  de  lui  indéflniment,  nous  n’avons 
pas  tenu  compte  de  la  circonstance  que  voici  ; le  centre 
qui  attire  la  particule  n’est  pas  situé  au  môme  point 
que  la  surface  qui  la  repousse.  Dans  nos  raisonne- 
ments, nous  avons  supposé,  en  eftét,  que  la  réjmlsion 
émanait  du  centre  du  soleil,  comme  nous  savons,  par 
un  théorème  de  mécaniipie,  qu’en  émane  équivalem- 
ment  l’attraction  de  la  sphère  solaire.  Cette  approxi- 
mation, plausible  si  l’on  considère  les  particules  cà  des 
distances  très  grandes  du  soleil,  fausse  complètement 
les  conclusions  quand  il  s’agit  de  particules  prises  dans 
le  voisinage  de  sa  surface  : elles  sont  repoussées  par 
les  rayons  issus  d’une  zone  sphérique  plusAmisine  d’elles 
([ue  le  centre  qui  les  attire.  Nous  ne  pouvons  entrer 
dans  la  discussion  détaillée  du  problème  de  mécanique 
qui  se  pose  à ce  sujet  ; mais  il  est  facile  de  concevoir 
que  des  particules  de  rayon  plus  grand  que  le  rayon 
critique  ( i ) et  qui,  par  conséquent,  à grande  distance  du 

(1)  En  appelant  ainsi  le  rayon  d iine  particule  équilibrée  à une  distance 
infinie  du  soleil. 


54 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


soleil,  seront  attirées  maliiré  la  ré])ulsion,  pourront  se 
trouver  au  contraire  repoussées,  malgré  l’attraction, 
quand  elles  se  rapprocheront  du  soleil.  La  répulsion, 
en  effet,  variant  en  sens  inverse  de  la  distance  à la  sur- 
face du  soleil,  dislance  qui  tmid  vers  zéro,  croît  alors 
intîniment  plus  vite  que  l’attraction  d’un  centre  distant 
toujours  au  moins  de  (>95  kilomètres,  rayon  de  la 
sphère  solaire.  Mais,  s’il  en  est  ainsi,  entre  les  régions 
de  l’espace  où  la  particule  est  attirée  par  le  soleil  et 
celles  où  elle  est  repoussée,  s’mi  rencontre  une  où 
elle  est  en  écpiilihre  stable.  Lt  tle  là  cette  conséquence  : 
il  se  forme  autour  du  soleil  une  atmosphère  de  parti- 
cules distribuées  en  comdies  sphériques  concentriques, 
où  les  particules  trouvent  leur  équilibre  à une  distance 
d’autant  jdus  grande  du  soleil  ([u’elles  sont  plus  fines. 
A \ine  distance  du  soleil  égale  à son  rayon,  soit 
69.5  (XKJ  kilomètres,  une  particule  de  densité  égale  à 
celle  de  l’eau  et  de  diamètre  égal  à 6 |u  serait  eu  équi- 
libre ; à 70  (JtX)  kilomètres,  s(‘  (léveloj)perait  la  zone, 
d’équilihrc'  des  particules  de  iü  m ; à 10  ( MX)  kilomètres, 
celle  d’un  dixième  de  milhmèti-e  de  diamètre.  Théori- 
quement ces  zones  de  repos  s'étagent  depuis  la  surface 
du  soleil  jusqu'à  l’infini.  Pratiquement,  elles  ne  peuvent 
exister  qu'à  une  distance  de  la  surface  solaire  où  ne 
se  font  plus  trop  sentir  les  bouleversements  de  la 
surface  : et  d’autre  part,  à une  distance  un  peu  grande 
du  soleil,  les  causes  }>erturhatrices  extérieures  — celles 
dont  nous  avons  parlé  et  celles  dont  nous  aurons  à 
parler  dans  la  suite  — rompent  trop  aisément  cet  équi- 
libre pour  qu’il  })uisse  exister.  En  efiét,  on  montrerait 
aisément  (pie  la  force  qui  ranu'un'  vers  sa  zone  d’équi- 
libre une  particule  qui  en  aurait  (îté  écartée,  est  con- 
sidéralile  dans  le  voisinage  du  soleil,  mais  excessivo- 
ment  faible  à une  distance  un  ]teu  grande,  en  sorte 
qu’une  influence  perturbatiâce  étrangère,  s’exerçant 
là,  aurait  nécessairement  une  action  prédominante. 


LE  MILIEU  INTERSTELLAIRE 


o;> 

Suivons  maintenant  dans  leur  eoui-se  les  particules 
lieaucoup  plus  petites,  de  rayon  moindre  que  le  ra\’on 
critique  et  qui,  à toute  distance,  sont  repoussées  par  le 
soleil.  Fuiront  elles  indéfiniment  ? 

11  se  téra  souvent  d'ahord,  que,  dans  leur  fuite,  elles 
iront  à la  rencontre  de  la  répulsion  lumineuse  émanée 
d’autres  soleils.  Alors  leur  course  se  trouvei-a  progres- 
sivement ralentie  et  elles  s’arrêteront  en  quelque  région 
d’équilibre  stable,  repoussées  également  dans  tous  les 
sens  par  les  soleils  qui  les  entourent.  Ces  zones  d’équi- 
libre deviendront  aisément  , grâce  à l’attraction  mutuelle 
des  particules,  des  zones  de  condensation;  et,  retour 
des  choses,  dans  les  novaux  ainsi  condensés,  la  £>ra- 
vitation,  qui  ne  perd  Jamais  ses  droits,  l’emportant 
à son  tour  sur  la  répulsion  lumineuse  amoindrie  par  la 
fusion  des  surfaces,  ramènera  vers  quelque  soleil  plus 
voisin,  pour  le  soumettre  à son  empire,  l’essaim 
ramassé  des  particules  fugitives.  Nous  touchons  peut- 
être  ici  l’origine  de  comètes  ou  d’essaims  météoriques. 

Mais  d’autres  circonstances  peuvent  aussi  se  rencon- 
trer, qui  altèrent  profondément  les  précédentes  prévi- 
sions. Si  l’on  suppose  que  l’ensemble  des  étoiles  est 
groupé  en  un  'système  et  qu’elles  sont  réparties  suivant 
un  plan  plus  ou  moins  régulier,  ]>ar  exemple,  en  forme 
de  grande  lentille  galactique,  les  poussières  émises  et 
repoussées  par  le  s_ystème  d’étoiles  suivant  une  direc- 
tion normale  à la  surface  enveloppant  le  système,  s’en 
écarteront  indéfiniment  et  avec  une  vitesse  croissante. 
Mais,  à mesure  qu’ils  s’éloignent,  ces  immenses  cou- 
rants de  poussières  issus  de  milliers  de  soleils  se  con- 
centrent sous  l’influence  de  l’attraction  mutuelle  de 
leurs  particules,  se  heurtent,  se  com[iénètrent,  s’en- 
roulent les  uns  autour  des  auti*es  en  de  gigantesques 
tourbillons.  Telle  serait,  d’après  M.  See,  l’origine  des 
nébuleuses  aux  aspects  si  variés,  souvent  si  invraisem- 
blablement tourmentés.  En  un  stade  ultérieur  de  con- 


REVI'E  DES  yr-ESTIONS  SCIEXTIFIQUES 


(lensation.  los  nébuleuses  engeiulfei-aient  les  étoiles, 
qui,  reprises  par  la  nravitatiou  rauiinieraient,  concen- 
trée. vers  le  centre  du  système  dont  elle  émane,  la 
matière  autrefois  exindsée,  à l’état  d’extrême  division, 
par  les  rayons  de  la  lumière. 

< )n  peut  cliei-clier  à a])i>uyer  ces  vues  à longue  jior- 
tée  sur  le  fait  ([ue  les  régions  à nébuleuses  et  cà  étoiles 
en  formation  sont  situées  vers  les  pèles  du  système 
galactique,  tandis  ([ue  la  voie  lactée,  zone  la  plus  riche 
en  étoiles,  est  la  plus  pauvre  en  nébuleuses.  C'est  bien 
ce  que  la  théorie  esquissée  ci-dessus  semble  exiger,  si 
les  étoiles  sont  tlistribuées  suivant  une  couche  galac- 
tique d’épaisseui-  relativement  fail)le.  Ces  conceptions 
engageantes  semblent  encore  bien  con  jecturales.  En  tout 
cas,  sans  aller  Juseju’à  de  si  lointaines  conséquences,  ou 
voit  que  le  mécanisme  de  la  condensation  progressive 
des  tiux  de  poussièi*e  met  de  lui-même  une  limite  à la 
fuite  et  à l'éparpilbunent  de  la  matière  cosmiqiu'  et  la 
ramène  automatiquement  vers  les  centres  d’émission. 

Mais, outre  ragglomération  spontanée  des  poussièi-es 
sous  l’intluence  de  la  gravitation,  il  est  encore  un  autre 
facteur  capable  d’assigner  un  terme  à la  fuite  des  par- 
ticules à travers  res])ace  : c’est  l’absorption  de  la 
lumière  dans  le  milieu  intersidéral.  L’existence  de 
l'absorption  est  actuellement  une  question  ardemment 
étudiée.  Il  semble  bien  que  les  arguments  a]q)ortés  en 
contirmation  de  son  existence  lui  garantissent  au  moins 
une  probabilité  d’aspect  négatif  : il  y a des  raisons 
plausibles  de  l'admettre,  aucune  de  la  rejeter,  sinon 
]»eut-être  celle-ci  ([u’on  s’en  est  [>assé  jusqu’à  jtrésent. 
l)’a illeurs,  si  l'on  admet  l’existence  des  jioussières  cos- 
miques dont  nous  venons  de  ])arleix  il  est  bien  difficile 
d’échapper  à l'alisorption.  Ces  particules  sont,  en  effiet, 
autant  de  petits  résonnateurs  al)sorbant  en  }»artie  la 
radiation  lumineuse  qui  dépense  son  énergie  à les  pous- 
ser en  avant,  et  ([ui,  par  conséquent,  s’en  trouve  atfai- 


LL-:  MILIHI’  IXTERSTKLLAIRE 


.)  l 

blie  plus  loin  de  la  source.  11  s’ensuit  de  là  que  la  pres- 
sion lumineuse  décroît  itlus  rapidement  que  l'inverse 
du  carré  de  la  distance  à la  source,  tandis  que  l’attrac- 
tion, indifférente  à tous  les  obstacles,  agit  impertur- 
bablement en  raison  de  cette  même  grandeur.  La  par- 
ticule errante,  en  s'écartant  du  soleil  ou  du  système 
de  soleils,  arrivera  donc  nécessairement 'à  une  distance 
telle  que  l’attraction  y sera  égale  à la  pression  lumi- 
neuse amoindrie  ; elle  restera  en  équilibre.  Si  le  i*ayon 
de  la  particule  n’est  que  légèrement  inférieur  au  rayon 
critique,  elle  trouvera  sa  zone  d’é([uilibre  non  loin  du 
soleil,  en  une  région  où  l’action  des  autres  soleils  est 
encore  pratiquement  insensible.  Si,  au  contraire,  le 
rayon  est  notal)lement  }»lus  petit  que  la  valeur  cri- 
tique, la  zone  d’équilibre  existera  seulement  en  dehors 
du  groupe  d’étoiles  auquel  appartient  le  soleil  qui  l’a 
émise  ou  même,  nous  l'avons  indiqué  plus  haut,  en 
dehors  d’un  système  lieaucoup  plus  vaste,  comme  le 
serait,  par  exemple,  le  système  galactique.  11  se  for- 
merait donc  ainsi  Jusqu’à  une  immense  distance  du 
soleil  ou  du  groupe  stellaire  auquel  il  appartient,  une 
atmos})hère  en  équililire  dont  les  couches  concentriques 
seraient  constituées  de  poussières  d’autant  plus  éloi- 
gnées du  centre  qu’elles  sont  plus  ténues. 

Mais  cette  conception  statique  du  phénomène,  en 
tant  qu’elle  semble  aboutir  à un  état  général  d’équi- 
libre, n’est  }»as  rigoureusement  réalisée.  Nous  en  avons 
déjà  indiqué  une  cause  : l’attraction  mutuelle  ([ui  agglo- 
mère les  particules.  11  en  est  une  autre.  Les  étoiles, 
centres  d’où  émanent  les  forces  qui  devraient  se 
résoudre  en  un  équililu-e.  non  seulement  ne  sont  pas 
immobiles,  et  ].»ar  conséquent,  la  résultante  de  leur 
action  *de  gravitation  n’est  pas  constante,  mais  leur 
éclat,  source  de  la  répulsion  lumineuse,  est  lui-même 
variable.  Les  expériences  récentes  exécutées  simulta- 
nément en  Algérie  et  au  Mont  àVilson  par  Abbot. 


58 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Fowle  et  Al(lrich,ont  établi  de  façon  péi'eiii}»toire  Texis- 
tence  de  variations  objectives  de  près  de  10  °o  dans 
la  radiation  solaire  ; et  quant  aux  étoiles,  le  nombre 
des  variables  reconnues  est  immense  et  ne  fait  que 
croître,  (diq  Ton  sait  combien  sont  importantes  les 
variations,  certainement  objectives  dans  les  étoiles  à 
variations  lentes,  d’un  grand  nomlire  d'entre  elles.  Or 
chacune  de  ces  variations  se  répercute  sur  la  position 
d’équililire  des  jionssières  tenues  en  suspension  par  la 
pression  lumineuse.  Chaque  fois  que  l’éclat  s’atténue, 
les  particules  se  rapprochent  de  l’astre ([ui  les  repousse: 
chaque  fois  qu’il  augmente,  elles  s'en  éloignent.  Donc, 
au  double  courant  général  de  particules,  les  unes 
récemment  expulsées  qui  fuient,  les  autres,  petits 
noyaux  déjà  condensés,  qui  descendent  et  viennent 
chercher  en  un  jtoint  ])lus  i-ap})roché  de  l’astre  central 
ou  même  à sa  surface  l’équilibre  perdu,  se  superposent 
un  hux  et  un  rehux  périodiques,  qui  traduisent  au  loin 
dans  l'espace  en  mouvements  matériels,  mais  avec  un 
retard  projHirtionnel  à la  distance,  toutes  les  oscilla- 
tions du  jiouvoir  éclairant  de  la  soui‘ce  lumineuse. 

Malgré  son  extrême  petitesse,  un  à deux  microns  de 
diamètre,  le  grain  de  poussière  équilibré  })ar  la  pres- 
sion lumineuse  est  un  édifice  énorme  par  rajq)ort  aux 
molécules  qui  le  constituent  au  nombre  de  quelque 
t»(J  milliards.  Si  on  diminue  les  dimensions  de  la  parti- 
cule en  lui  enlevant  un  certain  nombre  de  molécules, 
l'action  dynamique  de  la  lumière  gagnera  en  prépon- 
dérance, nous  l’avons  vu,  sur  celle  de  la  gravitation  ; 
en  sorte  que  moins  la  }»articule  compte  de  molécules, 
mieux  elle  donne  prise  au  l'ayon  lumineux.  Mais  en 
sera-t-il  encore  ainsi,  si  l'agrégat  moléculaire  dimi- 
nue au  ))oint  de  ne  compter  ])lus  que  quelques 
milliers,  voire  quelques  dizaines  de  molécules?  Non. 


LE  MILIEU  INTERSTELLAIRE 


W 


l)’après  les  recherches  de  Schwarzschihl,  la  pression 
lumineuse  unitaire  ]tasse  pai‘  un  maximum,  lorsque  h‘ 
diamètre  de  la  particule  est  ég-al  au  tiers  de  la  loug'ueui- 
d’onde  de  la  radiation  lumineuse  qui  la  porte  ( 1 ).  Pour 
des  dimensions  moindres,  la  pression  décroît  rapide- 
ment et  s’annule.  Une  particule  de  diamètre  0,174  m, 
soit  le  tiers  de  la  longueur  d’onde,  0,54  u,  de  la  radia- 
tion d’énergie  maximum  du  spectre  solaire,  l’enferme 
encore  7 milliards  de  molécules.  Il  y a moyen,  on  le 
yoit,  d’en  soustraire  quelques-unes,  et  l’on  peut  ad- 
mettre que,  sur  les  agrégats  de  KJO  millions  de  molé- 
cules et  moins,  la  pression  lumineuse  est  pratiquement 
nulle.  Nous  sayons  d’ailleurs,  par  les  belles  recherclu^s 
sur  les  couches  monomoléculaires  et  leur  condensation, 
que  ces  groupements  peuyent  exister  et  former  des 
édifices  moléculaires  stables.  Nous  n’ayons  aucune 
raison  de  ne  pas  admettre  leur-  présence  dans  la  ma- 
tière rejetée  dans  l’espace  par  les  tourbillons  solaires  : 
en  sorte  que  parmi  les  particules  solides  ou  liquides 
expulsées  par  le  soleil,  les  plus  petites  aussi  bien  que 
les  plus  grandes  finissent  par  retomlier  à sa  surface  (2). 

Mais  de  nouvelles  conditions  de  mouvement  vont 
intervenir  ici.  A mesure,  en  eftét,  que  les  agrégats 
moléculaires  se  simplifient  et  tendent  à se  réduire  à la 
molécule  isolée,  les  conditions  de  leur  existence  et  les 
lois  de  leurs  mouvements,  les  rapproclient  de  l’état 
gazeux  ; ils  n’échappent  à la  théorie  électromagné- 
tique de  la  lumière  ([iie  pour  ]»asser  dans  le  ressoi-t 


(1  ) Dans  une  étude  ])lus  récente,  Nicholson,  et  après  lui  Prouduian  (Montiii^y 
Notices  of  tue  Roy.  Astr.  Soc.,  t.  L.W.  p.  544  et  t.  L.XXIll  [1!)I3],  p.  535) 
aiioutisseut  à la  iiiême  conclusion  ; seulement  le  maximum  se  présenterait 
pour  un  diamètre  des  particules  près  de  une  lois  plus  petit.  Ces  déductions 
sont  d’ailleurs  purement  théoriques  et  ne  s’appuient  sur  aucune  expérience. 

C2)  Il  faut  pourtant  mentionner  ici  les  recherches  expérimentales  récentes 
(1910)  de  Lehedeff,  d’après  lesquelles  la  pression  de  radiation,  nulle  sur  de 
petits  agi'égats,  reparaîtrait  dans  la  molécule  isolée.  Les  gaz  seraient,  eux 
aussi,  repoussés  dans  une  certaine  mesure  par  le  rayonnement. 


60 


REVUE  DES  QUESTION'S  SCIEXTIFIQl'ES 


d’une  auti-e  théoi-ie  pliysi({ue  : la  théorie  cinétique  des 
gaz. 

Considérée  du  }ioint  de  vue  de  la  théorie  cinétique, 
que  de  i‘écents  trioniphes  ont  inq)Osée  aux  esj)rits  les 
plus  prévenus,  une  masse  gazeuse  est  foianée  de  molé- 
cules. animées  (ui  tous  sens  de  rapides  mouvements  de 
translation  et  séparées  les  unes  des  autres  par  des 
intervalles  très  grands  jtar  i-ap})ort  aux  dimensions 
}tropres  des  molécules.  Sans  action  les  unes  sur  les 
autres  à leur  distance  moyenne  (sauf  l’action  de  la 
gravitation),  ces  molécules  se  repoussent  lorsque  le 
hasard  de  leur  course  les  rapproche,  en  sorte  qu’on 
jteut  les  regardei-  alors  ])ratiquement  comme  des 
sphères  élastiques  (pii  se  heurtent.  Leurs  vitesses, 
groiqiées  autour  d'une  valeur  moyenne,  fonction  de  la 
tenqtérature  du  gaz.  sont  ré}»arties  de  part  et  d’autre 
de  cette  moyenne  suivant  une  loi  exponentu'lle  établie, 
ou  plutôt  devinée  par  Maxwell.  Enfermées  dans  une 
enceintig  les  inoh>cules  du  gaz  sont  repoussées  ]iar  les 
molécules  des  parois  et  rebondissent  sur  celles-ci 
suivant  les  lois  des  chocs  élastiques  (i).  I me  masse 
gazeuse  isolée  et  libre,  véritable  essaim  de  molécules, 
tend  à se  réi)andre  dans  tout  l’espace  et  à s’_p  diffuser 
entièi'ement  : mais  la  gravitation,  attraction  d’un 
noyau  central  ]dus  dense  ou  attraction  mutuelle  des 
particules  d'une  masse  homogène,  travaille  en  sens 
opposé  et  réussit  à maintenir  l'essaim  ramassé.  Le 
premier  cas  se  trouve  réalisé  dans  le  soleil  et  les 
planètes  douées  d'une  atmosjdière;  le  second  le  serait 
dans  les  amas  gazeux  de  certaines  nébuleuses  sans 
noyaux  de  condensation. 

Mais,  dans  l’un  et  l’autre  cas,  la  théorie  cinétique 
j)ermet  de  ])enser  ([u'un  certain  nombre  de  molécules 

(I)  Nous  sommes  o))lig(i  ici  de  considérer  seulemenl  en  yros  ces  hypo- 
thèses. 11  est  impossible,  i>ar  exemple,  d'entrer  dans  la  délicate  (luestion  du 
« glissement  aux  parois  »,  et  dans  celle  du  « choc  ». 


LE  MILIEU  interstellaire 


61 


finiront  par  s’échapper  de  la  masse  «lazense  à laquelle 
elles  apjiartenaient.  Voici  dans  quelles  circonstances 
se  produirait  rémancipation. 

Parmi  les  molécules  de  gaz  (pie  le  hasard  du  mou- 
vement cinétique  égare  dans  les  couches  extrêmes  de 
l’atmosphère,  et  dont  la  vitesse  }u’opre  est  accrue 
encore  de  la  composante  périphérique  de  la  rotation 
de  l’astre,  il  en  peut  exister  un  certain  nomlire  de 
vitesse  suftisamment  grande  et  de  direction  assez  heu- 
reuse })Our  se  trouver  entraînées  })ar  ce  mouvement 
loin  de  leurs  voisines  retenues  jiar  rattractiou.  Elles 
décrivent  alors  dans  l’espace,  soit  des  orbites  ellipti([ues 
qui  les  ramèneront  et  les  replongeront  un  Jour  dans 
l’atmosphère  dont  elles  se  sont  échap}tées,  soit  des 
orbites  hyperboliques,  qui  les  en  éloigneront  définiti- 
vement et  en  feront  de  libres  chovennes  de  l’espace. 
C’est  en  appliquant  de  telles  considérations  aux  nébu- 
leuses qu’Arrhenius  veut  expliquer  la  foiaiiation  spon- 
tanée de  nébuleuses  chaudes  à partir  de  néluileuses 
froides  et  tente  d’étayer  sa  théorie  des  cycles  ({ui  doit 
assurer  à l’univers  vieilli  le  retour  jiériodique  de  la 
jeunesse. 

(juoi  qu’il  en  soit  de  ces  « extrapolations  » hardies  et 
sujettes  à caution,  n’allons  point  chercher  si  loin  et 
étudions  plus  jirès  de  nous  et  de  plus  près  cette  sorte 
d’évaporation  des  atmosphères  qui  peiqderait  l’espace 
de  molécules  et  en  ferait  un  milieu  gazeux. 

D’aliord,  la  théorie  cinétique  nous  fournit-elle  un 
argument  a itriori  certain  en  faveur  de  la  réalité  de 
cette  diffusion  lente  des  atmosphères?  Si  l’on  ne  tient 
compte  que  des  conditions  que  la  théorie  cinétique 
prescrit  à l'équilibre  d’une  atmosphère,  il  faudrait 
répondre  négativement. 

Supposons  d’abord  la  masse  gazeuse  immobile,  sans 
rotation  d’ensemble.  La  théorie  nous  apprend  que  la 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


masse  jii'end  un  volume  s[)héri([ue  tiiii.  La  vitesse 
movenne  des  molécules  décroît  du  centre  à la  [)éri- 
jdiérie,  oii  elle  est  nulle.  Cette  conséquence  de  la 
théorie,  nous  pouvons  la  prévoir,  dès  que  nous  admet- 
tons que  la  masse  li'azeuse  ne  se  dütiise  }>as  indétini- 
ment.  Ln  etiét,  si  la  composante  normale  de  la 
vitesse  des  molécnles  à la  périphérie  n’était  pas 
nulle,  les  molécules  s’élèveraient  au-dessus  de  la  sur- 
face-limite, ce  qui  est  contradictoire;  si  la  coni])osante 
tangentielle  à la  surface  n’était  pas  nulle,  il  suffirait 
d’un  choc  pour  la  transformer  en  com})osante  normale 
et  l’on  retrouverait  le  cas  déjà  exclu.  l)ans  ces  condi- 
tions, il  est  évident  que  la  ditiusion  est  impossible. 

Si  nous  sujijtosons  ensuite  que  la  masse  gazeuse 
entière  est  entraînée  dans  une  rotatîon  d'ensemble, 
la  conclusion  précédente  subsivste;  car  la  vitesse  }>éri- 
pliérique  de  rotation  ne  peut  être  transformée  jiar  choc 
en  vitesse  normale,  toutes  les  molécules  participant  à 
la  même  i-otation. 

A quoi  les  partisans  de  la  diffusion  ré})ondent  ou 
|»euvent  répondre  : d’abord,  que  la  conclusion  théo- 
ricpie  a été  établie  en  supjiosant  toutes  les  molécules 
animées  de  la  même  vitesse  moyenmg  ce  qui  n’est 
l»as  le  cas  dans  la  réalité.  Les  vitesses  sont  réparties 
autour  de  la  vitesse  movenne  suivant  une  loi  exponen- 
tielle. Sans  doute,  les  écarts  permis  jtar  la  loi  sont 
petits  ; mais  la  loi  ne  considère  que  les  écarts  de 
//toiff’nnes  de  particules.  Le  nombre  de  molécules  étant 
immense,  des  écarts  individuels,  même  énormes, 
jiasseront  ina}ierçus  dans  les  moyennes,  et  l'ieii  n’em- 
jiêche  donc  de  supposer  qu’ils  existent.  ( )r,  ces  excej)- 
tions  sont  suffisantes  pour  entretenir  la  ditfusion  atmo- 
sphérique. On  dira  ensuite  que  la  théorie  fait  abstrac- 
tion de  diverses  conditions  jthysiques  ; tel  serait  le 
rayonnement  qui  relève  irrégulièrement  les  tem]»éra- 


LE  MILIEE  INTERSTELLAIRE 


r>3 

tu  res  et,  })ar  conséquent,  les  vitesses;  les  inouve- 
nients  ou  remous  de  l’atmosphère  ; le  bomliardement 
des  couches  su])érieures  par  les  météorites,  les  pous- 
sières radiantes,  les  ions.  C’est  vrai.  Mais  on  ne  peut, 
d’autre  part,  perdre  de  vue  ceci  : si  l’atmosphère  est 
isolée  dans  un  vide  }>arfait,  une  molécule  ne  peut  s’en 
échap])er  définitivement  que  si  elle  possède,  au  point 
où  elle  la  ([uitte.  la  vitesse  parabolique  correspondante. 
Or,  cette  vitesse  est  beaucoup  plus  grande  ([ue  la  vitesse 
]>ropre  des  molécules,  même  à une  temjiérature  élevée. 
Si  l’atmosphère  terrestre,  par  exemple,  a KXKJ  kilo- 
mètres d’épaisseur,  la  vitesse  parabolique  à la  péri- 
jihérie  est  de  11  kilomètres  à la  seconde.  Or,  aux  tem- 
pératures ordinaires,  Iieaucoup  plus  élevées  jiourtant 
([lie  celles  qui  régnent  dans  les  couches  extrêmes,  la 
vitesse  movenne  des  molécules  o-azeuses  est  seulement 

».  CT 

de  l’ordre  du  kilomètre.  En  supposant  une  atmosphèi-e 
de  (1000  kilomètres,  comme  la  réclament  certains 
astronomes,  la  vitesse  parabolique  libératrice  à la 
périphérie  devrait  encore  atteindre  8 kilomètres.  Il  y a 
donc  là  une  sérieuse  difficulté.  On  l’écarterait  jieut-être 
en  supposant  la  diffusion  déjà  amorcée,  l'espace,  non 
parfaitement  vide,  mais  déjà  sillonné  de  molécules.  Il 
suffirait  alors  qu’une  molécule  s’aventurât  quelque  peu 
en  dehors  de  l’atmosphère  pour  être  immédiatement 
accaparée  par  la  foule  anonyme  des  molécules  de 
l’espace  et  pour  se  }>erdre  au  milieu  d’elles.  L’espace 
trouverait  d'ailleurs  à s’alimenter  en  molécules  à 
d'autres  sources  encore.  Ce  seraient  les  comètes  et  les 
météorites  dont  la  fragmentation  met  en  lilierté  les  gaz 
occlus  (1).  ce  seraient  les  poussières  expulsées  des 
soleils  lumineux  par  la  pression  de  radiation  et  entraî- 
nant avec  elles  des  molécules  isolées  qu’elles  sèiiie- 


(1)  Il  résulte  des  analyses  de  météorites,  que  ceux-ci  renfeianent  environ 
six  lois  leur  volume  en  gaz  occlus. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


6i 


raient  dans  res])ace  ; ce  seraient  (nidn  les  molécules 
de  vapeur  émises  par  tous  les  corps  lirpddes  ou  solides 
existant  dans  l’espace. 

Cette  interprétation  basée  sui'  la  préexistance  d’un 
milieu  g'a/eux  a pourtant  son  revers  : si  les  j)lanètes 
à atmosphère  froide  se  déjdacent  au  sein  d’un  espace 
peuplé  de  molécules,  elles  poui'raient  liien  ca})ter  plus 
de  molécules  ([u'elles  n’en  libèrent  et  appauvrir  sur 
leur  passap-e,  loin  de  l’enriidiir.  le  milieu  qu’elles  tra- 
versent. Il  faudrait  même  admettre  que  tout  coiqis 
céleste  refroidi  et  privé  d’atmosphère  doit  en  acquérir 
une  aux  dépens  du  milieu,  en  attirant  et  en  recueillant 
les  molécules  épai'ses.  l)’où  vient  alors,  par  exemple, 
que  la  lune  n'ait  pas  encore  réussi  à se  créer  une  atmo- 
sphère M )n  ne  ]iossède  actuellement,  pour  trancher 
ces  sortes  de  questions,  que  des  inti'rprétations  plus  ou 
moins  probables  ou  ])lausihles,  tant  on  est  peu  ren- 
seigné sur  les  conditions  ph_vsi({ues  des  gaz  à la 
limite  des  atmosphères  jtlanétaires.  tant  aussi  la  théorie 
cinétique,  science  statistique,  perd  de  sa  }u-écision  et  de 
sa  rigueur  quand  le  nombre  d’éléments  ([u’elle  inanii' 
jiar  le  calcul  cesse  d’ètre  immense.  Dans  le  cas  de  la 
lune  on  peut  faire  intervenir,  pour  répondre  à la 
dilficulté,  la  haute  température  à laquelle  est  })orté 
périodiquement  chacun  des  jtoints  de  la  surface  lunaire. 
Il  ne  faut  }>as  perdre  de  vue  que  le  jour  lunaire  vaut 
quatorze  de  nos  jours,  pendant  lesquels  1(>  soleil  darde 
ses  rayons  sur  un  même  point  du  sol.  sans  que  rien, 
ni  nuages,  ni  atmosphère  ahsorliante,  ne  vienne  atté- 
nuer l’intense  rayonnement.  S’il  en  est  ainsi,  les  molé- 
cules gazeuses  de  res])ace  ({ui  viennent  au  contact  de 
riiémisphère  éclairédela  lune  s’échautfent, c’est-à-dire, 
en  termes  de  la  théorie  cinétique,  qu’elles  acquièrent 
une  vitesse  })lus  gi-ande  que  celles  dont  elles  étaient 
animées,  et  sont  rejetées  dans  l'espace.  A la  hauteur 
moj'enne  des  jtics  lunaires,  la  vitesse  [)araholique  est 
de  2 à d kilomètres  iiar  seconde.  ( )r,  à O déjà,  la 


LE  MILIEU  IXTER.STELLAIKE 


()5 


vitesse  des  molécules  (rhydro«ène  est  de  1,7  km.  Elle 
serait  exactement  de  2,4,  km.,  vitesse  jtarabolique,  à la 
température  de  227°  centigrades.  A cette  températui-e 
aucune  molécule  d’hydrogène  ne  pourrait  donc  être 
retenue  à la  surface  de  la  lune.  Mais,  jiour  les  motifs 
mentionnés  plus  haut,  il  n’est  }»as  même  nécessaire 
d’admettre  une  température  si  élevée  pour  expliquer  le 
rejet  des  molécules  dans  le  milieu  interplanétaire. 

( )n  peut  donc  admettre  qu'il  ne  se  forme  aucune  atmo- 
sphère sensible  en  un  point  de  la  surface  lunaire  soumis 
à l’insolation. 

Mais  au  cours  de  la  nuit  lunaire,  suit  pendant  une 
durée  de  quatorze  jours  terrestres,  la  lune  n’accumule- 
rait-elle ])as  au  fond  de  ses  vallées  redevenues  glacées 
assez  de  molécules  ])our  y constituer  une  couche  atmo- 
sphérique que  l’insolation  suivante  serait  incapable  de 
disperser  l Remarquons  d’abord  que  la  densité  gazeuse 
du  milieu  interastral  est  très  faible  (nous  verrons  plus 
loin  qu’il  est  au  plus  de  l'ordre  de  K.)— de  la  densité 
normale).  Il  résulte  de  là  que  la  formation  d’une 
atmosphère  est  très  lente.  Faisant  ici  une  observation 
semblalde  à celle  qui  nous  a permis  de  négliger  en 
première  approximation  l’attraction  de  la  terre  sur  les 
météorites  pour  ne  retenir  que  relièt  de  captation  par 
« balayage  »,  nous  pourrons  aisément  évaluer  la  quan- 
tité de  gaz  ramassée  par  unité  de  surface  sur  l’hémi- 
sphère obscur  de  la  lune  (1).  Nous  trouvons  ainsi  qu’à 
la  pression  atmosphérique,  la  couche  gazeuse  formée 
à la  surface  de  la  lune  pendant  14  Jours  de  24  heures 
serait  seulement  de  trois  cent  millionièmes  de  micron. 
Il  ne  faudra  pas  de  longues  heures  au  soleil  pour 

(I)  En  réalité,  il  faudrait  tenir  conii)te  du  fait  suivant  : ce  n’est  yuère  que 
le  quart  de  la  surface  lunaire  qui  agit  etlicacement  dans  la  captation.  La  lune 
ayant  une  vitesse  sensiblement  normale  à la  ligne  lune-soleil,  ne  présente 
vers  son  ape.v  relatif,  d’où  lui  vient  le  Ilux  des  molécules  qu'un  demi-hémi- 
sphère obscur.  On  peut  donc  de  ce  chef  regariler  l’évaluation  donnée  comme 
trop  forte. 

IIU  SÉRIE.  T.  .WVI. 


5 


REVUE  DES  qITESTR)NS  SCIEXTIFIQUES 


()() 

échauffer  à son  lever  cette  pellicule  et  en  dispei'ser  les 
molécules  dans  l'espace. 

A ces  considérations  a priori,  hien  imprécises  encore 
et  bien  peu  sûres,  on  pourrait  ajouter,  en  faveur  de 
rexistence  d'un  milieu  gazeux  interastral,  certaines 
confirmations  tirées  des  observations.  M.  Newall  a été 
conduit,  pai'  exemjde,  par  ses  études  spectroscopiques 
à admettre  dans  le  milieu  interjilanétaire  l'existence 
de  cyanogène  en  }»etite  quantité.  L’absence  presque 
complète  d’hydrogène  et  d’hélium  dans  les  atmo- 
sphères ])lanétaires  s’explique  aisément  dans  l’hypo- 
thèse de  la  diffusion;  car,  pour  ces  gaz  très  légers,  la 
vitesse  libératrice  est  atteinte  à une  moindre  tempéra- 
ture et,  de  plus,  l'effet  de  la  pesanteur  les  porte  à la 
surface  externe  de  l’atmosphère  (1).  On  peut  hiAmquer 
aussi  une  recherche  intéressante  de  M.  Courvoisier, 
hmdant  à établir  ({ue  les  rayons  lumineux  (jui  nous 
arrivent  des  étoiles  et  qui  passent  dans  le  voisinage  du 
soleil  y seraient  incurvés.  En  étudiant  la  variation  des 
latitudes,  M.  Courvoisier  mit  en  évidence  un  terme 
périodique  indépendant  de  la  latitude  de  la  station 
d’observation,  et  fit  la  remarque  qu’il  pourrait  s’expli- 
({uer  si  l’on  admettait  dans  le  milieu  interjilanétaire  une 
(lensité  d’éther,  ou,  ce  qui  reviendrait  au  même,  une 
densité  gazeuse,  ci-oissante  dans  les  environs  du  soleil, 
l/étude  des  jtositions  de  X'énus  de  1S5S  à 11)01),  con- 
firma l’existence  de  cette  « réfi-action  ».  M.  Ross 
i-eprit  récemment  avec  }>lus  de  soin  la  discussion  des 
données  et  fut  conduit  à la  même  conclusion,  mais  avec 
une  valeur  légèrement  plus  forte  de  la  réfraction.  Or, 
cette  augmentation  du  jiouvoii'  réfringent  de  l'esjiace 


(I)  M.  (iouyn  niontn*  réceiiiment  combien  est  lente  l’action  tie  la  pesanteur 
IKinr  stratilier  dans  les  hautes  couches  de  raluiosphère  les  gaz  de  densités  dif- 
férentes. .Mais  n'oublions  pas  (pie  dans  l’interprétalion  ipie  nous  repi’odui- 
sons  ici,  cette  action  s'exerci',  depuis  que  la  terre  existe. 


LE  iULIEU  INTERSTELLAIRE 


67 


I dans  le  voisinage  du  soleil  a son  interprétation  toute 
I trouvée  dans  riiypotlièse  de  la  diffusion.  Le  soleil  serait 
alors,  en  effet,  une  source  puissante  de  molécules  ali- 
mentant le  milieu  planétaire.  La  prochaine  éclipse 
totale  de  soleil,  en  aofit  1014,  permettra  peut-être  une 
vérification  directe  de  cette  hypothèse.  Il  se  produira 
en  effet,  pendant  la  pliase  de  totalité,  une  occultation 
I d’étoile  ou  plutôt  une  réapparition  d’étoile  que  le  disque 
opaque  de  la  lune  démasquera  pendant  qu'il  maintient 
encore  caché  le  disque  du  soleil.  Les  rayons  émanés 
lie  l’étoile  en  frôlant  le  disque  luminaire  auront  donc 
] tassé  dans  le  voisinage  très  immédiat  du  disque 
solaire  éclipsé.  Si  la  réfraction  circumsolaire  de 
M.  Gourvoisier  existe,  les  rayons  auront  été  déviés 
près  du  soleil  et  la  réapparition  de  l’étoile  occultée  ne 
se  fera  que  trois  ou  quatre  secondes  après  l’instant  de 
l'apparition  théorique  (1). 

Bref,  jusqu’à  preuve  du  contraire,  il  y a lieu  de 
penser  que  l’espace  interastral  est  un  milieu  gazeux. 
Gette  preuve  du  contraire  existerait-elle  ? Il  est  deux 
faits  où  l’on  serait  tenté  de  la  voir  : les  corps  célestes, 
<lans  leurs  déplacements,  ne  paraissent  pas  avoir  à 
triompher  de  la  résistance  d’un  milieu  ; les  rayons  de  la 
lumière  ne  semblent  pas  affaiblis,  malgré  les  immenses 
])arcours  qu’ils  effectuent  dans  un  milieu  gazeux  natu- 
rellement absorbant.  Il  est  aisé  d'esquiver  la  difficulté. 
Kn  conjecturant  l’existence  d’un  milieu  gazeux,  on  ne 
s'f'st  pas  interdit  de  supposer  sa  densité  assez  faible 
}K)ur  que  ses  effets  perturliateurs  soient  ramenés  à des 
grandeurs  inférieures  aux  erreurs  d’observation,  et  par 
conséquent  soustraites,  par  définition,  au  contrôle 
expérimental.  Mais  par  le  fait  aussi,  et  c’est  ce  qui 

( h Ce  relanl  serait  accentué  èt  porté  à 14  ou  15  secondes  si  la  ifravitation 
produisait  sur  la  propagation  de  la  lumière  l’elfet  que  prévoit  la  théorie  de  la 
relativité  d’Kinstein.  Nous  n’avons  pas  à nous  attarder  à ce  point  de  vue 
relativiste,  que  nous  avons  d’ailleurs  délibérément  exclu  de  cet  article. 


68 


REVT’E  DES  yl'ESTIOXS  SCIENTIFIQUES 


nous  intiu'esse,  on  est  amené  ainsi  à fixer  une  limite 
supérieure  à la  densité  du  milieu  aazeux  interastral. 

llirn  avait  déjà  calculé  ([ii’iin  milieu  de  densité  égale 
à 1,  i 10“''  ferait  varier  la  durée  de  rannée  de  3 iCMJ  de 
seconde  jiar  an.  11  faudrait  un  intervalle  de  temps 
déjà  notable  pour  mettre  cette  variation  en  évidence 
])ar  comparaison  avec  d'autres  durées  astronomiques. 

( )r,  cette  valeur  de  la  densité  est  encore  trop  élevée, 
comme  nous  allons  le  voir.  En  etiét,  des  deux  actions 
perturbatrices  signalées,  ri'sistanee  mécanique  du 
milieu  et  absorption  de  la  lumiènc  la  seconde  nous 
fournit  la  limite  supérieure  la  plus  petite  et  par  consé- 
quent la  plus  serrée.  C’est  donc  celle  qui  mérite  d’être 
précisée. 

Si  elle  existe,  l’absorption  du  milieu  est  très  faible  et 
absolument  ina})préciable  sur  des  distances  de  l’oixlre 
des  dimensions  du  système  solaire.  En  etiét,  que  la 
jdanète  Neptune  soit  à sa  }dus  grande  distance  de  la 
terre  ou  à sa  plus  jætite  distance,  la  variation  d’éclat 
observée  n’est  ]ias  difierentede  celle  qui  résulte,  d’après 
la  loi  géométrique  connue,  de  la  différence  de  ces  dis- 
tances. La  question  de  l’absoiqition  ne  se  ])ose  donc 
que  })our  les  distances  stellaires,  celles  qui  séparent  les 
étoiles  et  les  systèmes  d’étoiles. 

Mais  alors  il  semlile  bien  ([ue  la  question  soit  inso- 
luble. En  effet,  comment  jn-ouver  l'existence  de  l’ab- 
sorption, sinon  ])ar  la  conqiaraison  de  l’éclat  d’un 
même  astre  à deux  distances  différentes  du  lieu  d’ob- 
servation f Or,  les  variations  de  distance  que  jieiit 
éprouver  l’astre  par  rajqioi  t à nous  sont  seulement  de 
l’ordre  des  dimensions  du  système  stellaire  auquel  il 
apjiartient  et  dans  lequel  il  se  meut;  et  nous  venons  de 
dire  ([ue  ces  variations  sont  probablement  insuffisantes 
pour  entraîner  une  variation  d’éclat  appréciable  et 
mettre  en  évidence  l’absoiqition.  Imjiossible  aussi  de 
compter  sur  b'  mouvement  projtre  d’une  étoile  pour  la 


LE  MILIEU  INTERSTELLAIRE 


09 


rapprocher  ouréloipner  suffisamment  de  nous.  Ce  mou- 
vement est  trop  lent  ; car  si.  au  liout  d’une  période  for- 
(îément  longue,  on  constate  une  variation  d’éclat,  il 
sera  toujours  loisilde  d'attribuer  cette  variation  à une 
modification  de  l’éclat  intrinsèque  de  l’étoile.  La  ques- 
tion semble  sans  issue.  11  en  est  une  })Ourtant,  encore 
([u’assez  étroite,  du  côté  de  la  statistique  stellaire.  Si, 
à mesure  que  l'on  considère  des  astres  plus  lointains, 
le  nombre  de  ceux  (jui  restent  visibles  est  inférieur  à 
ce  qu’il  serait  en  vertu  du  seul  éloignement,  ce  serait, 
on  faveur  de  l’absorption,  une  présoiii]»tion  sérieuse'. 
Et  si  l’éclat  unitaire  a[)parent  de  celles  des  nébuleuses 
<[u’on  a des  raisons  d'admettre  comme  plus  lointaines 
que  les  autres  était,  règle  générale,  plus  faible  que 
l’éclat  des  nébuleuses  plus  voisines,  ce  serait  une  con- 
firmation (i).  D'ailleurs  on  j»eut  surprendre  l’absorp- 
tion, non  seulement  dans  ses  etfets  intensifs,  mais  aussi 
dans  ses  effets  sélectifs.  < )r,  on  a constaté  que  parmi 
les  étoiles  du  même  type  spectral,  les  plus  lointaines 
ont  un  spectre  moins  étendu  du  côté  des  radiations  plus 
absorbables  que  celles  qui  sont  plus  proches  (2).  Autre 
confirmation  du  même  fait,  et  susceptible  de  la  même 
interjirétation  : les  étoiles  rouges  sont  relativement  plus 
nomlireuses  parmi  les  étoiles  de  faible  grandeur  que 
parmi  les  autres.  Malgré  ces  indices  divers,  et  d’autres 
encore,  l’accord  n’est  pas  fait  })armi  les  astronomes  au 
sujet  de  l’absorption.  Il  n'entre  pas  dans  le  cadre  de 
cette  étude  de  discuter  cette  question  délicate  et  encore 
moins  de  la  trancher.  Mais  de  cette  incertitude  même 
résulte,  et  ceci  nous  intéresse,  que  l’absorption,  si  elle 
existe,  est  excessivement  }>etite,  et  qu'il  faut  la  consi- 
dérer comme  presque  négligeable.  On  peut  donc 


(1)  Brown  K.  U.  Moxthi.v  notices  of  tue  Boyal  Astroxomical  Society, 
vol.  XXII  ( I9I;2),  p.  195  et  j>.  7IS. 

Very  \V.  Astroxo.misciie  X'aciirichtex,  n“  i53(i. 

C2)  Astrophysical  .lOl  RXAI..  vol.  -N'XVl. 


70 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


partir  de  là  pour  tenter  une  évaluation  de  la  densité 
maximum  du  milieu  interastral. 

M.  Fournier  d’Albe  a calculé  (juelle  serait  cette  den- 
sité, si  l’on  admettait  que  l’absorption  sur  certaines 
distances  qu’il  s’est  choisies,  est  épale  à celle  de  notre 
atmos]»hère.  11  prend  d’abord  jioiir  distance  8000  mil- 
lions de  kilomètres  et  trouve  une  densité  égale  à la 
cent  millionième  partie  de  la  densité  de  l’air  à la 
surface  de  la  terre  dans  les  conditions  ordinaires  de 
température  et  de  pression.  Kn  pai-tant  de  cette  éva- 
luation, on  jieut  estimer  approximativement  à 2 mil- 
liardièmes de  la  densité  normale  un  état  gazeux  tel 
que  l’alisorption  depuis  le  centre  du  système  solaire 
jusqu’à  l’orbite  de  Neptune  soit  égale  à l’absorption 
mo}'enne  de  ratmosjihère  terresti'e.  Cet  état  gazeux 
est  encore  pour  les  laboratoires  un  idéal  de  « vide  » 
qu’aucun  appareil  exhaiisteur  n’a  la  })rétention  ni  l’es- 
poir de  réaliser.  Pourtant  à ce  degré  de  raréfaction 
et  à la  température  de  0"  centigrade,  le  gaz  contient 
encore  jiar  centimètre  cube  milliards  de  molé- 
cules (1)  ! 

Calculons  ensuite  le  nombre  de  molécules  par  centi- 
mètre cube  en  suiqiosant  le  gaz  alisorbant  répandu  dans 
une  sphère  ayant  pour  rayon  notre  distance  à l’étoile 
la  plus  proche  (3,5  années  de  lumière)  ; nous  trouvons 
encore  8f)(J(3(XKJ  molécules  par  cmk  Enfin,  si  nous 
supposons  l’absorjition  égale  à celle  de  l’atmosphère 
sur  une  longueur  égale  au  rayon  de  la  voie  lactée 
(.50(30  années  de  lumière),  nous  trouverons  encore  par 
centimètre  cube  57(X3  molécules. 

Ce  nombre  représente  donc  une  limite  supérieure 
de  la  population  unitaire  dans  les  milieux  intersidéraux. 

(1)  Cette  valeur  et  celles  qui  vont  suivre  s’écarlent  un  peu  de  celles  qu’a 
données  M.  Fournier  d’Albe  (Sciextia,  juillet,  I913t  Four  le  calcul  nous  nous 
sommes  servi  des  données  numériques  contenues  dans  le  Recueil  des  Con- 
stiinies  phi/siques  tl913),  publié  par  la  Société  française  de  Physique. 


LE  MILIEE  INTERSTELLAIRE 


71 


On  pourrait  en  rabattre  lieaucoup,  sans  arriver  au  vide 
idéal,  au  néant  parfait.  11  importe  d'ailleurs  de  se  rap- 
peler que  ces  évaluations  ne  représentent  que  des  pos- 
sibilités. Mais  si  les  raisons  théoriques  qut'  nous  avons 
exposées  en  faveur  de  l’existence  d’un  milieu  gazeux 
interastral,  si  la  confirmation  qu'on  en  jieiit  trouver 
dans  l’absorption  probable  du  milieu  n’emportent  pas 
la  conviction,  du  moins  les  astronomes  ont-ils  le  droit 
de  s’appuyer  sur  la  présence  de  ce  milieu  pour  inter- 
préter hypothétiquement  certains  faits  astronomiques 
ou  étayer  sur  elle  certaines  théories.  Signalons  comme 
intéressante  dans  cet  ordre  d’idées  l’étude  de  M.  Picke- 
ring  sur  raccumulation  des  aphélies  coinétaires  (1).  Si 
le  soleil  avec  son  cortège  de  planètes  et  tle  comètes 
périodiques  se  déplace  à travers  un  milieu  résistant, 
l’action  de  ce  milieu  sur  les  plus  légères  de  ces  masses 
satellites,  les  comètes,  se  manifestera  ]>ar  une  accumu- 
lation de  leurs  aphélies  sur  la  trajectoire  du  soleil, 
dans  le  sens  opposé  à son  déplacement,  c’est-à-dire 
vers  l’antiapex.  La  statistique  confirme  assez  bien  ces 
vues  ; seulement  raccumulation  se  constate  à une 
petite  distance  de  l’anliapex.  M.  Pickering  verrait  une 
explication  de  cet  écart  dans  la  supposition  que  la 
translation  du  soleil  n’est  pas  rectiligne.  Le  point  d’ac- 
cumulation des  aphélies  serait  le  vestige  de  l’ancien 
antiapex  ; la  courïnire  de  la  trajectoire  solaire  serait 
ainsi  inscrite  dans  le  ciel  (2). 

On  peut  rappeler  à cet  endroit  les  spéculations  de 
M.See  sur  l’origine  des  planètes.  11  demande  à l’action 
d’un  milieu  résistant  d’arrondir  les  orliites  planétaires 
qui,  sans  cela,  auraient,  d’après  sa  théorie,  les  valeurs 
les  plus  variées. 


(1)  MoNTHLY  NOTICES  OF  THE  ItOYAL  ASTMONOMICAL  SOCIETY,  vol.  LXXII 

(191  “2),  p.  '270. 

(2)  Il  serait  intéressant  de  rechercher  si  les  radiants  d'étoiles  filantes  ne 
présentent  pas  un  groupement  analogue. 


72 


RKYTTE  DES  DTTESTIOXS  SCIEXTIFIdEES 


Nous  ne  ferons  ([ue  mentionner  en  bloc  les  innom- 
l)i‘ables  tentatives  qui  ont  été  faites,  certaines  déjà  au 
xviii‘’siècle.  pour  ex})liquer  j)ar  une  résistance  de  milieu 
les  irré.o'ularités  de  la  lune,  de  Mercure  et  de  plusieurs 
comètes  })ériodi([ues. 

Les  radiations  nouvelles  dont  la  tlécouverte  a révo- 
lutionné si  profondément  la  physique  moderne,  en  res- 
suscitant à leur  profit  la  théorie  ancienne  de  l’émission, 
ont  attiré  l’attention  des  astronomes  sur  les  transports 
de  masses  matérielles  et  de  charges  électriques  qu’elles 
peuvent  établir  entre  les  corps  célestes.  Rayons  a, 
rayons  P.  émis  dans  le  })i‘ocessus  de  désagrégation 
s])ontanée  des  éléments  radioactifs  ou  créés  par  les 
champs  ionisants,  sont  formés  de  particules  matérielles 
emportant  des  charges  électiàques  ou  bien  même  ne 
sont  que  des  charges  électriques  isolées,  sans  support 
matériel.  Malgrf*  leur  vitesse  d’émission  énorme,  voi- 
sine parfois  de  celle  de  la  lumière.  MOOOtK)  kilomètres 
à la  seconde,  l’énergi('  de  ces  particules  a tôt  fait  de 
se  dissiper  dans  les  gaz  à la  densité  ordinaire,  par  suite 
des  millions  de  chocs  ]tar  seconde  qui  se  produisent 
entre  elles  et  les  moh^cules  du  gaz.  Après  avoir  franchi 
({uelques  centimètres,  elles  s’arrêtent  épuisées  et  inertes. 
Mais  si  le  gaz  est  très  raréfié,  comme  il  l’est  certaine- 
ment dans  l’espace  interstellaire,  les  particules  élec- 
trisées expidsées  d’une  atmosphère  astrale  radioactive 
ou  ionisée,  pourront  parcourir  des  distances  beaucoup 
plus  considérables  entre  les  molécules  i)lus  disséminées 
sans  en  rencontrer  aucune  et,  a}>rès  un  nombre  très 
restreint  de  chocs,  jiarvenir  dans  l’atmosphère  d’un 
autre  coiqis  céleste,  y déverser  à la  fois  leur  charge 
électrique,  leur  niasse  et  leur  énergie  cinétique. 

Ces  rapides  et  minuscules  messagers  qui  sillonnent 
l’es})ace  sont  le^  derniers  constituants  du  milieu  inter- 


LK  .MILIEr  INTERSTELLAIRE 


73 


astral.  Ils  méritent  à 0('  titre  une  place,  la  dernière, 
dans  cet  article. 

La  seule  confirmation  expérimentale  solide  des  com- 
munications électroniqiK's  entre  le  soleil  et  la  terre 
réside,  crovons-nous.  dans  la  lielle  théorie  des  aurores 
boréales,  amorcée  jtar  Laulsen  en  iSÎ)4,  développée 
récemment  }iar  Stormer  et  Birkeland.  Le  mystérieux 
jiliénomène  a fait  de  la  part  de  ces  savants  l'objet  d'une 
étude  profonde,  et  il  serait  désormais  certain  que 
l’aurore  est  provoquée  par  l'arrivée  dans  notre  atmo- 
sphère de  niuyues  d’électrons  expulsés  du  soleil  lors 
des  cataclysmes  qui  se  révèlent,  aux  périodes  d’activité 
de  l’astre,  par  la  présence  des  taches.  Il  y a en  effet 
entre  le  passaye  des  taches  au  méridien  central  du 
soleil  et  l’apparition  des  aurores  une  connection  évi- 
dente et,  le  décalage  nécessaire  étant  mis  en  ligne  de 
compte,  une  coïncidence  remarquable.  Pas  parfaite 
])Ourtant  ; il  y a des  exceptions.  Mais  Arrhenius  en  a 
très  ingénieusement  tiré  parti  pour  tenter  une  déter- 
mination de  la  densité  du  milieu  gazeux  interplané- 
taire. Si  les  électrons  émis  i»ar  le  soleil  n’atteignent 
}ias  toujours  notre  atmosphère,  c’est,  suppose  Arrhe- 
nius, que  dans  les  conditions  normales,  la  densité  du 
milieu  interplanétaire  a jirécisément  la  valeur  limite 
qui  permet  encore  la  transmission.  Dans  ces  conditions 
en  effet,  il  suffit  qu'entre  le  soleil  et  la  terre  s’inter- 
pose accidentellement,  soit  une  nuée  météorique,  soit 
une  région  gazeuse  un  peu  plus  dense,  pour  ([ue  le  tiux 
ionique,  quoique  n’ayant  perdu,  dans  la  rencontre  avec 
les  éléments  anormaux  du  milieu,  qu’une  partie  minime 
de  son  énergie,  ne  parvienne  plus  jusque  dans  l’atmo- 
sphère terrestre.  Arrhenius  conclut  de  là  que  la  densité 
du  milieu  interplanétaire  a pour  valeur  i0-‘"  de  la 
densité  normale  de  l’air  à la  surface  de  la  terre.  La 
concentration  en  molécules  dans  l’esjiace  seraitj  ainsi 
de  3000  au  centimètre  cube,  et  la  distance  moyenne 


74 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


des  molécules  de  U, 7 millimètre.  Mali>'ré  cela,  les 
dimensions  propres  des  molécules  sont  tmcore  si  petites 
par  rapport  à leurs  distances  mutuelles  ([u’un  électron 
trouve  devant  lui  un  parcours  libre  moyen  de  un  mil- 
lion de  kilomètres  avant  de  rencontrer  un  molécule. 
Il  poui*ra  donc,  en  moyenne,  franchir  les  150  millions 
de  kilomètres  ([ui  noius  séparent  du  soleil  au  prix  de 
1.50  collisions  avec  les  molécules  gazeuses.  Or,  si  l’on 
tient  compte  de  ceci  que  l’électron  possède  une  énergie 
ionisanti^  telle,  qu’il  peut  moyennement  bousculer  et 
rompre  sur  son  passage  12(.)(J(J  molécules  avant  de 
s'arrêter  épuisé,  on  voit  qu'en  abordant  notre  atmo- 
s})hère  il  se  présentera  encore  ti'ès  dispos  et  tout  prêt 
à Jouer  son  rôle  en  faisant  jaillir  sur  son  passage  et 
en  déjtloyant  les  arcs  et  les  dra}ieries  luminescentes  de 
l'aurore  boréale. 

La  jirésence  des  électrons  dans  l'esjiace  interplané- 
taire, encore  confirmée  }»ar  la  luminescence  des  gaz 
de  la  couronne  solaire  qu’ils  ionisei'aient  et  par  la  faible 
luminescence  gazeuse  de  la  lumière  zodiacale,  semble 
actuellement  généralement  admise. 

Nous  n’avons  parlé  jusqu’à  jirésent  que  des  électrons 
ou  ions  négatifs.  Les  ions  ]>ositifs  ont  une  masse  beau- 
coup plus  grande,  mais  ])ar  contre  une  vitesse  d’émis- 
sion beaucoup  moindre.  Aussi,  ceux  ({u’émet  le  soleil 
voient  leur  énergie  épuisée  bien  avant  ([u’ils  n’aient 
[tu  atteindre  la  terre.  Ils  retombent  sur  le  soleil  ou  se 
combinent  dans  l’espace  avec  des  ions  négatifs,  y 
demeurant  à l’état  de  molécules  neutres  isolées. 

La  présence  des  ions  dans  le  milieu  inteiqtlanétaire 
est,  moins  encore  que  la  présence  du  milieu  gazeux, 
un  obstacle  ou  une  gêne  aux  mouvements  des  coiqis 
célestes.  Les  ions  positifs  ont  une  masse  de  l’ordre  de 
celle  de  la  molécule  ; mais,  comme  nous  l’avons  dit, 
ils  ne  peuvent  s’aventurer  fort  loin  du  soleil.  Les  élec- 


LE  MILIEU  INTERSTELLAIRE 


L) 

trous,  qui  pai'viennent  à de  plus  grandes  distances,  ont 
une  masse  ou  un  équivalent  de  masse  MHOO  fois  plus 
petite  que  celle  de  la  molécule  d’ipydrogène,  58  CMX)  fois 
plus  petite  ([ue  celle  de  la  molécule  d'oxygène. 

Dans  l’électron,  nous  avons  atteint  la  plus  extrême 
division  de  la  matière  ; et  depuis  ce  fragment  d'atome 
jusqu’aux  masses  énormes  de  certains  météorites,  nous 
avons  vu  représentée  dans  l’espace  interastral  toute 
l’échelle  des  grandeurs. 

De  l’électron,  en  effet,  élément  des  courants  ioniques, 
nous  passons  à la  molécule,  élément  constitutif  du 
milieu  «-azeux.  Puis,  franchissant  la  lacune  intéres- 
santé  qui  sépare  la  molécule  de  la  plus  [»etite  des 
particules  équilibrées  par  la  radiation,  nous  remontons 
d’une  manière  continue  la  série  des  dimensions,  attei- 
gnant d’abord  les  plus  grosses  des  ])articules  équili- 
brées, où  nous  nous  rattachons  déjà  aux  poussières 
météoriques,  pour  arriver  enfin,  ]iar  un  nouvel  accrois- 
sement continu  de  masses,  jusqu’aux  aérolithes  géants, 
et,  }>ar  eux,  jusqu’aux  comètes  elles-mêmes. 

Au  point  de  vue  où  nous  nous  sommes  ]dacés  en 
écrivant  cet  article,  les  éléments  divers  qui,  dans 
la  conception  astrophysique  moderne,  rem]dissent  le 
« vide  » où  circulent  les  astres,  font  donc  de  l’espace 
interastral  un  milieu  à réaction  dynamiipie.  Par  les 
énergies  immatérielles  qu’il  propage,  aussi  bien  que 
par  la  matière  pondérable  qu’il  tient  en  suspension,  le 
milieu  interastral  devrait  donc  indiier  sur  le  mouA^e- 
ment  des  corps  célestes  pour  les  écarter  de  la  trajec- 
toire que  leur  assigne  la  mécanique  neM'tonienne, 
explicitée  dans  les  lois  de  Képler.  (les  lois  ne  seraient 
donc  pas  l’expression  rigoureuse  de  la  vérité  objective 
et  n’en  seraient  qu’une  approximation  plus  ou  moins 


76 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


provisoire  (1).  En  particulier,  les  grandioses  solutions 
périodiques,  oii  se  complaît  la  Mécanique  céleste  et  en 
vertu  desquelles  les  systèmes  sidéraux  semldaient 
devoir  échapjier  seuls  à la  loi  fatale  qui  dégrade  toute 
énergie,  seraient  finalement  illusoires.  Le  mouvement 
des  cieux  lui-mème  s’userait  et  s’achèverait  un  jour 
dans  le  re})os.  La  ]diilosopliie  grecque  l’avait  cru  pour- 
tant impérissable,  comme  ce  qui  est  naturel;  les  pre- 
miers âges  chrétiens  y avaient  deviné  le  vol  jamais 
lassé  d’esprits  divins  ; la  pensée  de  Itescartes  y lisait 
l’indestructihilité  essentielle  du  mouvement  ; la  méca- 
nique de  Newton  y suivait  avec  complaisance  les  con- 
séquences de  la  loi  }>rimordiale  et  peut-être  unique  de 
la  matière.  Mais  les  théoides  astrophysiques  modernes, 
riches  de  l’apport  des  autres  sciences,  n’y  reconnais- 
sent plus  qu’une  vie  ([ui  s'alanguit  et  que  la  mort 
attend. 

En  signalant  les  influences  qui  jieuvent  hâter  l’en- 
gourdissement des  cieux.  ces  pages  ont  dfi  montrer 
aussi  avec  quelle  infinie  lenteur  runivers  est  poussé 
vers  le  terme  fatal. 

E.  WiLLAERT,  S.  J. 


(l>Aous  négligeons  ici  cl  nous  avons  négligé  dans  tout  le  cours  de  cet 
article,  le  point  de  vue  de  la  iiéoinécanique,  aux  yeux  de  latiuelle  la  mécanique 
classique  n’est  qu'une  mécanique  limite,  jamais  rigoureusement  réalisée. 
Aussi  liien  les  idées  et  les  théories  « relativistes  » suhisscnt  en  ce  moment 
une  crise  dont  il  convient  d'attendre  l'issue. 


LA  FIEVRE  typhoïde 


ET 

LA  VACCINATION  ANTITYPHOibiQüE 


I/extension  rapide  de  la  })ratique  de  la  vaccination 
antityphoïdique  chez  les  peuples  civilisés;  le  vote 
récent,  par  le  Sénat  français,  d’une  loi  rendant  cette 
mesure  préventive  obligatoire  dans  l’année;  le  nombre 
sans  cesse  croissant  des  personnes  de  toutes  conditions 
qui  s’y  soumettent  spontanément,  au  Ijénéfice  de  leur 
santé  et  de  la  santé  publique,  assurent  au  sujet  de  cette 
causerie,  en  dépit  de  son  aridité,  un  intérêt  d’actualité 
et  une  importance  pratique  que  vous  ne  manquerez  ]>as 
d’apprécier. 

Vous  n’ignorez  pas  que  la  fièvre  typhoïde  est  une 
maladie  redoutable  et  par  sa  morbidité  — elle  multiplie 
les  coups  — et  par  sa  mortalité,  elle  tue  souvent  ceux 
qu’elle  atteint.  Chaque  année,  en  France,  on  lui  impute 
plus  de  dOCKX)  cas  et  environ  4U00  décès. 

Si  elle  est  aujourd’hui  moins  fréquente  et  moins 
meurtrière  qu’elle  ne  l’était  il  y a vingt  ans.  nous  le 
devons  certes  aux  progrès  de  la  théra]>eutique,  qui  en 
ont  diminué  la  gravité,  mais  surtout  aux  efforts  de  la 
prophylaxie  et  aux  bienfaits  de  l’hygiène,  qui  ont  gran- 


(1)  Conférence  faite  à rassemblée  générale  de  la  Société  scientifique,  le 
22  avril  ItH  'i. 


78 


REVUE  DES  gUESTIONS  SCIEXTIFlyUES 


(lement  contribué  à restreindre  sa  fréquence  et  à 
enrayer  sa  marche  envaliissante.  C’est  ainsi  que,  dans 
l’armée  belge,  pendant  une  période  de  quatre  ans,  de 
188()  à 189(3.  on  enregistra  33(3  cas  de  typhus;  vingt 
ans  plus  tard,  pendant  une  période  de  même  durée,  de 
19(3()  à 1910.  on  en  relevait  37  seulement,  soit  dix  fois 
moins  environ. 

(Test  aux  distributions  d’eau  en  grande  }>artie  que 
sont  dus  ces  heureux  résidtats.  L’expérience  a montré, 
en  effet,  que  les  épidémies  de  typhus  rétrocèdent  rapi- 
dement dans  les  villes  et  les  villages  jmurvus  de  bonne 
eau  potable.  (3e.  sera  l’honneur  du  gouvernement  belge, 
j)oussé  dans  cette  voie  par  son  éminent  ministre,  M.  Ber- 
ryei‘,  d’avoir  été  le  premier  à créer  une  Société  natio- 
nale poui-  la  distribution  d’eau,  avec  la  mission  de  doter 
toutes  les  communes  belges,  même  les  plus  jiauvres, 
de  cet  inestimable  bienfait. 

C’est  de  la  vaccination  antityphoïdique  que  Je  vou- 
drais surtout  vous  entretenir  ; mais  avant  d’aborder 
ce  sujet.  Je  dois  vous  dire  un  mot  de  l’ennemi  à com- 
battre, le  bacille  ty])hique,  et  de  la  maladie  qu’il  pro- 
voque, la  hèvre  typhoïde. 


1 


Le  bacille  ty])hi»[ue  fut  découvert  et  identifié  j)ar 
deux  savants  allemands,  Eberth  et  Gaft'ky  ; de  là  le 
nom  (pi'on  lui  donne,  de  bacille  d’Plberth-Gaffky. 

C’est  un  microI)e  allongé  en  forme  de  bâtonnet  ; il  se 
développe  bien  dans  les  milieux  usuels  de  culture,  sur- 
tout dans  la  l)ile.  11  est  d’ordinaire  ti‘ès  mobile  : il  se 
déplace,  dans  le  chaiiq)  du  microscopcq  à la  façon  du 
]>oisson  dans  l'eau  ; ces  mouvements  sont  dus  à des 
]»rolongements  }»roto})lasmatiques,  apjtelés  cils  vibra- 


LA  VACCIXATIOX  AXTITA'PIIUIDIQUE 


79 


tiles,  qui  battent  le  liquide  où  il  est  })longé,  en  le  puo- 
J étant  en  avant. 

Le  bacille  d’Eberth  est  un  germe  peu  résistant;  les 
cultures  typhiques,  ex])osées  au  soleil,  sont  stérilisées 
en  4 à 8 heures  : les  rayons  ultra-violets  épui-ent,  en 
quelques  minutes,  une  eau  ty])hique.  Une  température 
de  68°,  le  tue  en  10  à 20  minutes.  Les  antisejitiques, 
même  très  dilués,  en  ont  très  rapidement  raison  : nous 
l’avons  vu  succomber,  en  r>  à 10  minutes,  dans  des 
solutions  de  crésol  savonneux  à 1 ° o-  Un  dit  aussi  que 
le  vin,  surtout  le  vin  blanc,  lui  est  mortel  ; de  là  le  rôle 
important  du  vin  blanc  chez  le  consommateur  d’huîtres, 
exposé  parfois  à la  contagion. 

Mais  dans  l’eau  et  dans  le  sol,  le  bacille  tyj)hi([ue 
conserve  assez  longtemps  sa  vitalité,  et  c’est  là  une  des 
raisons  qui  le  rendent  })articulièrement  dangereux. 

Nous  ne  connaissons  pas  encore,  d’une  façon  })récise. 
les  conditions  qui  rendent  l’homme  accessible  à l’enva- 
hissement  du  bacille  typhique;  mais  nous  savons  que  les 
animaux  s’y  montrent  réfractaires  : il  n’existe  aucun 
nas,  scientifiquement  démontré,  de  fièvre  ty})hoïde 
spontanée  chez  les  animaux.  Tout  ce  que  l’on  peut 
signaler,  dans  cet  ordre  d'idées,  se  réduit  à des  expé- 
riences récentes  de  Metchnikoff  et  Besredka  sur  les 
chimpanzés  : ces  singes  contracteraient,  d’a}très  ces 
auteurs,  des  attéctions  d’allure  typhique  quand  on  leur 
fait  ingurgiter  des  microbes  virulents. 

Une  des  })ro}»riétés  les  plus  intéressantes  des  l)acilles 
typhiques  — projiriété  qu’ils  partagent  d’ailleurs  avec 
d’autres  germes  — fut  découverte,  en  1806.  à la  fois 
par  Widal,  en  France,  et  (triiber,  en  Allemagne,  d’oii 
le  nom  de  « réaction  àVidal-Griiber  » qu’on  lui  donne. 
A'oici  en  quoi  elle  consiste  : les  bacilles  de  la  fièvre 
typhoïde,  parfaitement  isolés  dans  un  bain  de  culture, 
se  collent,  s’agglutinent  ensemble,  lorsque,  à ce 
bouillon,  on  ajoute  du  sérum  d’animaux  immunisés 


80 


RKVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


contre  le  liacille  typhique  ou.  simplement,  du  sérum 
provenant  de  personnes  atteintes  detv])hus.  Cette  der- 
nière réaction  est  capitale  : elle  a permis  d’instituer 
une  conti'e-épreuve  de  la  lièvre  tyjihoïde  que  les  méde- 
cins réclament  souvent  des  services  d’analyse  hacté- 
riolo<ii([ue,  en  vue  de  contirmer  ou  d’infirmer  leur 
diagnostic  au  lit  des  malades.  Cette  méthode  se  réduit 

O 

essentiellement  à ceci  : à une  émulsion  de  bacilles,  on 
in'or|)ore  une  trace  du  sang  suspect;  si  ce  sang})rovient 
d’un  malade  atteint  de  typhus,  on  V(jit  les  microbes 
frajtpés  p('u  à peu  d’immobilité  tandis  qu’ils  se  réu- 
nissent Jusqu’à  former  des  groiqies  sei  rés.  Bientôt  on 
n'ajierçoit  jdus,  dans  le  champ  du  microscope,  que  de 
rares  bacilles  isolés,  immobiles  ou  peu  s’en  faut;  le  reste 
forme  des  amas  compacts.  ( lette  réaction  est  parfois  si 
intense,  ([ue  le  sérum  du  malade  dilué  à 1 ‘’/ooo?  e't  même 
plus  encore  (1  ),  suffit  à la  jirovoquer.  C’est  vers  le 
huitième  jour  de  la  maladie  ([ii’elle  ap|)araît,  et  il  est 
rare  qu’elle  fasse  défaut. 

( )n  considère  aujourd’hui  la  fièvre  tyjihoïde  comme 
une  se}tticémie,  c’est-à-dire  comme  une  maladie  micro- 
bienne dont  l’agent  spécifique  envahit  l’organisme  tout 
entier.  Avant  l’ère  pasteurienne  on  en  faisait  une  affec- 
tion de  l’intestin  ; c’est  dans  cet  organe,  en  ehét,  que 
le  mici-obe  se  localise  surtout. 

Le  mal  qu’il  produit  n’éclate  j)as  en  coup  de  foudre; 
le  plus  souvent  il  traîne  assez  longtemps  avant  de  se 
déclarer  nettement.  Cette  période  d'inculiation  peut  se 
prolonger  pendant  deux  et  même  trois  semaines,  en 
s’acconqiagnant  de  signes  jtrémonitoires  très  insidieux: 
le  malade  accuse  de  la  lassitude,  de  l’inappétence,  de 
l’inaptitiub'  au  travail,  de  légers  maux  de  tête,  de 


U)  Ilcniièrunient  eiu'oi’e  nous  avons  exaininô  le  sérum  d’un  lyphi(|ue, pour- 
tant peu  atteint,  ipii  dilué  à I : E2  UUO  donnait  une  agglutination  intense. 


LA  VACCINATION  ANTITYPIIOlDlyî’K 


SI 


petits  frissons  et  assez  souvent  aussi  des  saignements 
de  nez. 

Après  cette  période  de  début,  se  déclarent  les  symp- 
tômes caractéristiques  : le  mal  de  tête  s’exaspère  au 
point  d’enlever  tout  repos  au  malade  ; l’abattement 
devient  de  la  prostration  et  parfois  même  de  l’hébétude. 
Tout  cela  donne  au  patient  un  faciès  particulier  que 
les  médecins  appellent  l’«  aspect  typhique  »,  et  qui  ne 
trompe  pas  un  œil  exercé.  Getie  description  clinique 
est  une  description  type  de  laquelle  s’écartent  bien  des 
cas  de  typhus. 

Il  est  d’autres  signes  révélateurs  qui  rentrent  davan- 
tage dans  le  domaine  médical  ; nous  n’avons  pas  à en 
parler  ici,  non  plus  que  de  la  thérapeutique  de  la  tîèvi'e 
typhoïde  ; qu’il  nous  suffise  de  rappeler  qu’elle  est  une 
des  maladies  entraînant  avec  elle  les  complications  les 
plus  graves  et  les  plus  variées  : complications  ner- 
veuses, pulmonaires  (pneumonie,  pleurésie)  ; complica- 
tions intestinales  (perforation  de  l’intestin,  hémorra- 
gies) ; com}ilications  dans  le  système  circulatoire 
(affection  du  cœur  et  des  vaisseaux),  etc.  Chose  digne 
de  remarque,  il  n’est  pas  rare  de  voir  se  produire  les 
mêmes  complications  au  cours  d’une  même  épidémie. 
Ainsi,  pour  n’en  citer  qu’un  exemple,  au  cours  de  la 
dernière  épidémie  de  typhus  qui  sévit  à Ciney,  dans  la 
province  de  Xamur,  ce  furent  les  hémorragies  intesti- 
nales qui  furent  surtout  fréquentes  et  particulièrement 
meurtrières. 

On  a préconisé  certaines  médications  spécifiques  pour 
guérir  cette  afiéction.  On  connaît  le  sérum  de  Ghan- 
temesse  et  les  vaccins  (Vincent,  Ghantemesse,  etc.). 
Cette  méthode  de  traitement  n’a  pas  dit  son  dernier  mot 
et  il  est  bien  difficile  de  donner  une  appréciation  adé- 
quate à son  sujet. 

III'  SÉRIE.  T.  XXVI. 


0 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


On  conçoit  que  la  durée  d’une  alfection  aussi  com- 
plexe soit  (les  ])lus  variables  : si,  dans  les  cas  normaux, 
le  mal  évolue  en  trois  à quatre  semaines;  dans  les  cas 
compliqués,  il  peut  se  prolonger  pendant  plusieurs 
mois. 

>Sa  grucitè  oscille  aussi  entre  de  larges  limites.  En 
général,  le  typhus  contracté  dans  la  quarantaine  et  au 
delà,  est  très  grave  ; chez  les  enfants,  au  contraire,  il 
se  montre  bénin.  Les  statistiques  le  révèlent  plus  grave 
chez  la  fenune  que  chez  riiomiiK',  et  plus  grave  aussi 
— pour  des  raisons  faciles  à comprendre  — dans  les 
ménages  ])auvres  que  dans  les  familles  aisées. 

"foutes  les  éjiidémies  de  typhus  ne  sont  pas  également 
redoutables,  non  plus  que  tous  les  cas  observés  au 
cours  d’une  même  éjtidémie  ne  sont  également  g raves. 
•Fai  suivi  Fan  dernier  l’évolution  de  deux  petites  épi- 
démies rurales,  à àlaz^’  et  à AVarêt-la-Cdiaussée  : elles 
comptèrent  chacune  une  quinzaine  de  cas.  et  la  morta- 
lité atteignit  .'>0  ° Au  contraire,  à Ciney,  en  1912,  on 
n’enregistra  pas  moins  de  400  cas  et  on  n’eut  à déplorer 
([u'une  vingtaine  de  décès,  ce  qui  fixe  la  mortalité  à 
5 7o  seulement. 

11  arrive  aussi  ([u’un  cas  en  a})parence  bénin  et 
évoluant  normalement,  se  transforme,  en  un  temps 
très  court,  en  un  cas  compliqué  très  grave.  .J’ai  dans 
mes  souvenirs  l’histoire  d’un  homme,  oecu})ant  une 
haute  situation,  ([ui  s’était  senti  indisposé  en  rentrant 
chez  lui  d’un  voyage  d’affaires.  Le  mal  })arut  suspect, 
mais  les  symptômes  L phiques  étaient  tellement  légers 
f[ue  le  médecin  traitant  hésitait  à se  prononcer.  .Te  pris 
du  sang  du  malade,  et  quelques  heures  jdus  tard  Je 
pouvais  télégrajdiier  à mon  confrère  ([u’il  s’agissait 
])ien  de  fièvre  tyjdnàde.  Le  lendemain  matin  J'étais 
informé  que,  peu  de  temps  après  mon  dé])art,  une  hé- 
morragie intestinale  s'était  déclarée  qui  avait  emporté 
le  malade  pendant  la  nuit. 


LA  VACCINATION  ANTITYPHOIDIOUE 


83 


T.e  typhus  est  donc  une  maladie  grave.  11  importe  de 
savoir  comment  on  le  contracte,  et  surtout  comment  on 
l’évite. 

( )n  contracte  la  fièvre  typhoïde  en  avalant  le  germe 
([ui  la  produit.  Le  microbe  pénètre  de  la  bouche  dans 
l’estomac  et,  s’il  n’est  jias  atteint  par  les  sucs  digestifs, 
il  passe  de  là  dans  l’intestin  où  il  se  met  à pulluler  si 
le  sujet  est  réceptif. 

On  peut  porter  directement  le  microbe  à la  bouche, 
quand  les  mains  en  sont  souillées  ; on  l’y  introduit  indi- 
rectement en  ingérant  des  aliments  qui  le  contiennent  : 
tels  sont  l’eau  polluée  par  le  bacille  t3’phique,  les  huîtres 
([ui  ont  séjourné  en  un  pareil  milieu,  les  légumes  crus 
qui  J ont  été  lavés,  etc. 

àlais  le  véritable  jiropagateur  du  typhus,  c’est  le 
malade  qui  en  est  atteint,  et  cela  non  seulement  au 
cours  de  sa  maladie,  mais  après  son  retour  à la  santé. 
11  peut,  en  effet,  en  dépit  des  apparences,  continuer  à 
abriter  dans  son  organisme  et  à rejeter  au  dehors  les 
germes  du  mal  dont  il  a soufiért  ; il  devient  ainsi  un 
fbyer  de  contagion. 

Parmi  les  moyens  })ropres  à }»révenir  la  fièvre 
typhoïde  et  à enrag  er  sa  propagation,  figureront  tout 
d’abord  des  mesures  d’h.ygiène  sociale  et  individuelle 
d’une  importance  capitale  ; je  me  bornerai  à énumérer 
les  principales. 

.Je  l’ai  dit  déjà,  paiani  les  mesures  générales  qui  ont 
le  plus  contribué  à ])i-évenir  les  épidémies  de  typhus, 
il  faut  signaler  les  fHstrihvtions  d’eau  potahle.  Il  faut 
y joindre  les  travaux  effectués  en  vue  de  V évacuation 
rapide  des  eaux  usées  : construction  d'égouts,  amélio- 
ration de  la  voirie,  etc  ; la  création,  dans  les  hôpitaux, 
de  pavillons  pour  infectieux^  qui  permettent  il’isoler, 
dans  les  meilleures  conditions,  les  malades  contagieux 
des  grandes  villes  ; V assainisse  ruent  des  quartiers 


84 


REVUE  DES  QUES'i'IüXS  SCIENTIFIQUES 


populeux  et  ^instruction  du  peuple  qui  se  montre  de 
plus  en  plus  accessible  aux  conseils  qui  lui  sont  donnés 
en  vue  de  sauvegarder  sa  santé. 

A ces  mesures  générales,  viennent  s’en  ajouter 
d’autres,  plus  spéciales,  et  dont  l’application  s’impose 
dès  {[\\un  cas  de  fièvre  tiiphoule  relate  au  sein  d’une 
famille  ; deux  mots  les  résument  : isolement  et  désin- 
fection. 

Isoler  le  malade,  consiste  ici  à le  faire  soigner  par  un 
garde-malade  expérimenté,  dans  une  chambre  éloignée 
des  a})})artements  de  la  maison  les  plus  fréquentés,  en 
interdisant  toute  visite  inutile,  (l’est  le  «arde-malade 
lui-môme  qui  devra  assurer  la  désinfection  des  produits 
infectieux  rejetés  par  le  patient,  et  des  linges  qui  ont 
pu  en  être  souillés. 

Après  la  guérison,  le  malade  devra  prendre  un  grand 
bain  savonneux,  et  on  procédera  à la  désinfection 
soignée  de  l’appartement  oii  il  a séjourné,  afin  de  sté- 
riliser les  germes  qui  auraient  échappé  aux  mesures 
prises  au  cours  de  la  maladie. 

Cette  prophylaxie,  sévèrement  observée,  produit  les 
résultats  les  plus  heureux.  Me  liasant  sur  mes  observa- 
tions personnelles,  je  crois  pouvoir  affirmer  que.  de 
toutes  les  maladies  inlèctieuses.  la  fièvre  typhoïde  est 
celle  dont  on  peut  le  plus  sûrement  empêcher  l’exten- 
sion. (l’est  pour  y pourvoir,  qu’un  grand  nombre  d(' 
communes  de  la  jirovince  de  Aamur  possèdent  des 
caisses  de  secours  contenant  les  ustensiles  et  les  pro- 
duits nécessaires  à la  désinfection  au  cours  de  la  ma- 
ladie, et  nomment  des  agents  communaux  qu’elles  font 
initier  à la  pratique  de  ce  service.  De  plus,  la  province 
dispose  de  quinze  équipes  de  désinfection,  disséminées 
sur  son  territoire,  et  dont  le  soin  jirincipal  est  d’initier 
les  agents  communaux  à la  }>ratique  de  la  désinfection 
en  cours  de  maladie  et  de  jtrocéder  à la  désinfection 
des  ajijiartements  où  le  iimlade  a séjourné.  Dès  que  le 


LA  VACCINATION  ANTITYPHOIDIQUE 


85 


diagnostic  du  typhus  est  posé  dans  une  commune,  l’In- 
stitut bactériologique  [jrovincial  se  met  en  rajiport 
avec  le  médecin  traitant  afin  d’assurer  l’application 
de  ces  mesures  prophylacti([ues,  et  des  infirmiers  ex})é- 
rimentés  sont  mis  à sa  dis[»osition.  Si  le  personnel  de 
l'infîrmerie  officielle  ne  suffit  pas  à la  tâche,  nous 
recourons  à la  collaboration  dévouée  de  la  monitrice 
sanitaire  du  Gouvernement  et  de  celle  des  sœurs  de 
charité  de  Namur.  Après  la  maladie,  le  service  pro- 
vincial se  charge  de  la  désinfection  terminale.  Grâce  à 
cette  organisation,  des  épidémies  de  typhus  qui  mena- 
çaient, l’an  dernier,  de  s’étendre  rapidement,  ont  pu  être 
étouffées  dans  leur  germe  à AVarêt-la-Ghaussée,  à 
Maz3%  à A'onêche  et  à A'erlée. 

Mais  toutes  ces  ressources  de  la  prophylaxie  ne  sont 
pas  les  seules  armes  que  nous  possédions  aujourd’hui 
contre  l’invasion  typhi([ue.  Les  conquêtes  de  la  bacté- 
riologie nous  en  fournissent  une  autre,  qui  nous  per- 
met, non  seulement  de  lutter  contre  \ extension  du 
fléau  au  sein  d’une  famille  dont  un  membre  est  atteint, 
mais  de  préceni)'  le  mal,  de  protéger  l’individu  lui- 
même  contre  toute  atteinte  : c’est  la  vaccination  anti- 
typhoïdique. 


Il 

On  assure  cette  pi-otection  contre  la  fièvre  typhoïde 
en  inoculant,  à l’organisme,  des  germes  de  la  maladie 
tués  ou  atténués,  qui  lui  confèrent  des  propriétés 
immunisantes  spécifiques,  et  en  font  ainsi  un  terrain 
impropre,  pendant  un  temps  plus  ou  moins  long,  au 
développement  de  ces  mêmes  germes  vivants  et  viru- 
lents. 

De  toutes  les  maladies  infectieuses  il  n’en  est  aucune 
dont  l’arsenal  des  vaccins  soit  plus  abondamment  pourvu 
que  celui  de  la  fii'vre  typhoïde  : on  n’en  compte  pas 


86 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


moins  d’une  vingtaine;  chaque  grand  pays  ale  sien. 
C’est  que  la  préparation  de  ces  vaccins  peut  subir  des 
modalités  très  variées.  Tantôt  ils  sont  constitués  de 
bacilles  tués  par  des  procédés  divers  ; tantôt  ce  sont 
leurs  produits  solubles  que  l'on  utilise;  tantôt  enfin  on 
s’adresse  aux  bacilles  vivants  aflaiblis  par  l’action  de 
la  chaleur  ou  l’intervention  d’une  opération  sensibili- 
satrice. Citons  à titre  d’exemple  le  vaccin  de  Ghante- 
messe,  qui  est  un  vaccin  bacillaire  tué  par  la  chaleur; 
le  vaccin  de  Adncent,  où  le  bacille  est  stérilisé  }>ar 
l’éther,  et  celui  de  Besredka,  formé  par  une  émulsion 
de  bacilles  t \q»hiques  vivants,  atlaiblie  par  son  mélange 
avec  un  sérum  antityphique,  mélange  qui  produit  la 
sensibilisation. 

Sans  enti'ei'  dans  de  longs  détails  historiques  sur  la 
découverte  et  les  premières  apjdications  de  la  vaccina- 
tion antityphoïdique,  il  convient  de  rapjieler  ici  qu’elle 
eut  pour  ])oint  de  déjiart  les  recherches  de  Ghantemesse 
et  de  ^^hdal,  en  France.  Dès  1SS8  et  Jusqu’en  1892, 
les  travaux  de  ces  savants  montraient  qu’il  était  pos- 
sible de  procurer  aux  animaux  rimmunité  active  contre 
le  bacille  typhique,  en  leur  injectant  des  cultures  de  ce 
même  luici-obe,  stérilisées  par  la  chaleur  poussée  à 
100  degrés  et  au  delà.  ( )n  re})rocha  à ces  produits  sur- 
chaullés  leur  [)eu  de  valeur  vaccinante,  mais  on  ne 
tarda  à y remédier. 

G’est  àAVriglit,  en  Angleteri-e.  ([ue  revient  le  mérite 
d’avoii-  a}ipli([ué  avec  succès  cette  vaccination  à 
rhomme,  tandis  que  Ptéittér  et  Kolle,  en  Allemagne, 
ont  beaucoup  contribué  à perfectionner  et  à répandre 
cette  ])rati([ue  en  pays  germanupies. 

A ces  noms,  il  faut  ajouter  celui  du  professeur  \’in- 
cent  du  à’al-de-Gràce,  à Paris.  (|ui  s’est  fait  l’a})ôtre 
de  cette  vaccination  ; c’est  grâce  aux  efforts  incessants 
de  ce  savant  ([ue  cette  méthode  doit,  en  France  surtout, 
sa  rapide  extension  ; « depuis  deux  ans  et  demi,  écri- 


LA  VACCINATION  ANTITYIMlOlDKjrE 


S7 


vait  récemment  le  professeur  Vincent,  mon  laboratoire 
a fourni  du  tyiiho-vaccin  pour  ()(300(JO  personnes,  non 
seulement  à l’armée  française,  mais  encore  à la  pojui- 
lation  civile  de  France  et  d’un  grand  nombre  de  pays.  » 
Le  vaccin  de  Vincent  est  celui  qui  a été  jusqu’ici  le 
plus  employé  en  Belgique.  Grâce  à l’intelligente  initia- 
tive de  M.  le  Directeur-général  ^ elghe.  le  service  de 
santé  le  met  gratuitement  à la  disposition  de  nos  méde- 
cins, de  meme  qu’il  assure,  pour  la  classe  nécessiteuse, 
la  délivrance  gratuite  du  sérum  antidiphtbérique. 

Le  vaccin  antitypboïde  préparé  au  lalioratoire  du 
Val-de-Gràce,  résulte  du  im'dange  d'une  dizaine  de 
races  de  bacilles  typhiques  de  provenances  différentes  ; 
c’est  ce  qui  lui  vaut  son  nom  de  vaccin  polyvalent. 
M.  Mncent  estime  que  cette  polyvalence  constitue  un 
perfectionnement  sensible  : il  est  impossible  de  se  pro- 
noncer, scientifiquement,  sur  ce  point.  Le  vaccin  de 
"\bncent  est  stérilisr  par  Vèth.er.  A cette  fin,  l’émulsion 
bacillaire  est  soumise  pendant  un  temps  déterminé  à 
l’action  de  cet  antiseptique  dont  on  se  délia rrasse  ensuite 
par  la  chaleur.  L’émulsion  ainsi  stéi-ilisée  est  scellée 
dans  de  petites  ampoules  de  capacités  différentes.  Grâce 
aux  traces  d’éther  (pi’il  contient,  le  vaccin  se  conserve 
assez  bien  ; toutefois  — nous  y reviendrons  plus  loin  — 
il  ne  garde  pas  indéfiniment  ses  [)ro]niétés  immuni- 
santes ; une  étiquette  jointe  à l’ampoule  indique  la 
durée  limite  de  sa  conservation. 

Ce  vaccin  s’in  jecte  sous  la  peau  ; on  choisit  généra- 
lement la  région  de  l’épaule  gauche,  deux  centimètres 
en  arrière  et  au-dessus  de  l’aisselle.  Dans  ces  derniers 
temps,  Vincent  a également  indiqué  la  région  corres- 
pondant au  tiers  inférieur  de  l’omojilate. 

L’immunisation  complète  nécessite  (piatre  injections, 
faites  à huit  jours  d’intervalle,  et  comprenant  succes- 
sivement un  demi,  un,  un  et  demi  et  deux  centimètres 
cubes  de  ce  vaccin. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


SS 


J’ai  eu  l’occasion,  de})uis  le  début  de  l’année  der- 
nière, de  faire  un  assez  gi*and  nombre  de  vaccinations 
antityphiques;  J'ai  surtout  employé  le  vaccin  de 'Vin- 
cent; dans  certains  cas  spéciaux,  j’ai  eu  recours  au 
vaccin  de  Besredka.  AV)ici  un  ajtei'cu  rapide  de  mes 
observations. 

En  règle  ge'mérale.  les  réactions  que  nous  avons  con- 
statées, après  ces  injections,  ont  été  peu  intenses;  dans 
bien  des  cas,  elles  ont  été  très  faibles  ou  même  milles. 
Parfois  le  sujet  vacciné  accuse  une  sensation  d’engour- 
dissement. comparable  à celle  que  produit  une  contu- 
sion. C’est  le  lendemain  de  l'injection  que  s’est 
manifestée  cette  sensation,  mais,  le  [ilus  souvent, 
vingt-quatre  heures  ajirès,  elle  avait  disparu. 

Rarement  nous  avons  observé,  chez  nos  vaccinés, 
des  réactions  générales  sérieuses;  assez  souvent, 
cependant,  nous  avons  noté,  le  lendemain  d'une  injec- 
tion, une  réaction  fébrile  généralement  légère,  mais 
([ui,  parfois,  a atteint  Jb  et  même  iO  degrés;  on  a pu 
la  combattre  avec  succès  par  les  médicaments  anti- 
fébriles, et  leur  disjiarition  fut  toujoui's  rapide. 

11  importe,  jtoiir  éviter  ces  i*éactions  fébriles  intenses, 
de  ne  vacciner  que  des  sujets  jeunes,  parfaitement 
sains,  n’ayant  jamais  eu  le  typhus,  et  que  la  fatigue  et 
le  surmenage  n’ont  pas  dél)ilités.  Nous  signalerons, 
parmi  nos  observations,  un  cas  de  réactions  locales  et 
générales  d’allure  grave.  Il  s’est  présenté  chez  une 
mère  de  famille  qui  soignait  son  mari  atteint  du  typhus. 
Nous  lui  avions  conseillé  la  vaccination  antityi>hoïdique; 
elle  lui  fut  }>ratiquée  à un  moment  oii  des  veilles  ré- 
jtétées  l’avaient  fatiguée.  La  troisième  injection  fut 
suivie  d’une  nhaction  telle  ([u’elle  refusa  absolument 
de  se  soumettre  à la  quatrième.  Heureusement,  l’inci- 
dent n’eut  [>as  de  suites  fâcheuses.  Nous  avons  égale- 
ment observé  un  (Hat  syncopal  assez  sérieux,  consé- 


LA  VACCINATION  ANTITYPHOIDIOUE 


89 


cutif  à la  deuxième  in  jection  chez  une  Jeune  tille  bien 
portante. 

Nous  avons  dit  }tlus  haut  que  nous  avions  employé 
aussi,  dans  certains  cas,  le  vaccin  vivant  de  Besredka. 
C’est  avec  cet  antigène  que  nous  avons  vacciné  nos 
agents  désinfecteurs.  Besredka  réduit  à deux  les  inocu- 
lations préventives  : on  injecte  la  première  fois  deux, 
et  la  seconde  fois  trois  centimètres  cubes  de  son  vaccin. 

Nous  avons  noté  que  les  réactions  locales  et  géné- 
rales étaient  plus  fortes  avec  ce  vaccin  qu’avec  celui  de 
Vincent.  Nous  avons  observé,  dans  un  cas,  la  produc- 
tion d’un  pseudo-phlegmon  qui  n’a  dis^iaru  qu’a})rès 
trois  .jours,  en  éA’obiant  aATC  une  fièAT-e  de  39  degrés  : 
le  Amcciné  fut  forcé  de  s’aliter. 

Besredka  estime  que  son  vaccin  confère  jilus  rapi- 
dement et  plus  solidement  l’immunité  spécifique  ; il 
assure  d’ailleurs  qu’il  a appliqué  sa  méthode  à plus  de 

10  000  personnes,  sans  se  heurter  à aucun  inconvé- 
nient sérieux.  Les  réactions  intenses  que  l’on  observe 
parfois  seraient  dues  à une  sorte  d’hvjiersensibilité 
organique  dont  on  ignore  la  cause. 

Nos  observations  ont  confirmé,  ce  que  d’autres  nous 
avaient  apjiris  dès  longtemps,  que  les  enfants  sup- 
portent parfaitement  ces  injections  antiB’pbiques.  Il 
est  très  rare  qu’ils  aient  à souffrir  de  réactions  locales 
ou  générales  ; aussi  se  prêtent-ils  aisément  au  traite- 
ment complet. 

Complétons  ces  données  par  un  emprunt  fait  au  pro- 
fesseur Vincent.  Parmi  les  observations  qu'il  relève. 

11  en  est  oii  le  hasard  s'est  chargé  de  démontrer  l’inno- 
cuité de  son  A^accin,  même  lorsqu’il  a été  injecté  à (loue 
trop  forte.  En  voici  un  exemple.  Un  médecin  en  a ino- 
culé, par  erreur,  vingt  centimètres  culies  d'emblée  à 
une  jeune  fille  de  19  ans,  et  dix  centimètres  à deux 
enfants  plus  jeunes.  Ces  doses  sont  quarante  fois  plus 
fortes  que  la  dose  normale.  Or  il  en  est  résulté  seule- 


90 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


ment  pour  les  jiatients  une  vive  douleur  locale  et  un 
ou  deux  jours  de  céphalée. 

La  vaccination  antitjphique,  par  la  méthode  de  Vin- 
cent, pratiquée  chez  des  sujets  jeunes  et  bien  portants, 
semble  donc  dépourvue  de  danger  sérieux.  Nous  répé- 
tons qu'il  y a lieu  d’être  prudent  quand  il  s’agit  de  per- 
sonnes fatiguées,  dépassant  la  ({uarantaine  ou  pouvant 
avoir  eu  le  ty})hus.  Mais  est-elle  réidlement  efficace? 
Confère-t-elle  au  vacciné  une  immunité  moralement 
certaine  ? 

llàtons-nous  de  dire  qu’il  ne  faut  ]>oint  chercher  la 
preuve  de  son  efficacité  dans  les  l'éactions  spécifiques 
(lu  sang  des  vaccinés.  D’expériences  assez  nombreuses 
que  nous  avons  faites,  il  résulte  que,  de  ({uinze  jours  à 
un  mois,  après  la  dernière  injection,  le  sang  du  vac- 
ciné agglutine  le  bacille  typhi([ue  à 1 : 100,  à 1 : 2(1), 
à i : iOO  et  même  parfois  à des  dilutions  plus  étendues. 
Son  titi-e  bactéricide  est  plus  élevé  : il  atteint,  en  géné- 
ral, 1 : i(XX)  et,  dans  plusieurs  cas,  nous  l’avons  pour- 
suivi jusqu’à  i : 6(X)0.  Mais  nous  avons  constaté, 
d'autre  part,  que  ces  réactions  s’affaiblissent  peu  à peu 
à mesure  que  l’on  s’éloigne  de  l’(q)oque  de  la  vaccina- 
tion, au  point  que.  trois  à (piati*e  mois  après  la  dernière 
injection,  le  sang  de  certaines  personnes  vaccinées  ne 
révèle  plus  ([u'un  pouvoir  agglutinant  et  bactéricide 
trùs  faible.  Aussi,  conclurons-nous  avec  le  D*"  Vincent, 
que  la  [)reuve  essentielle  de  l'efficacâté  du  vaccin  anti- 
typhique  doit  être  cherchée  dans  la  résistance  qu’offre 
le  sujet  vacciné  à l’infection  éberthique. 

( )n  constate  d’abord  cette  résistance  au  cours  des 
infections  typhiques,  dites  de  laboratoire,  contractées  à 
la  suite  d’absorption  accidentelle  ou  volontaire  de  ba- 
cilles typhiques  virulents  et,  souvent,  à doses  consi- 
dérables. Bien  des  médecins  et  des  garçons  de  labora- 
toire ont  succombé  victimes  de  c<'s  accidents.  f)r  le 


LA  VACCINATION  ANTITYCIK )1L)IQÜE 


91 


D''  Vincent  signale  que  sur  sejit  médecins,  étudiants  ou 
garçons  de  laboratoire,  ayant  involontairement  alisorbé 
des  quantités  considérables  de  liacilles  typhiques,  tous 
ont  triomphé  de  l’infection  grâce  à la  vaccination  préa- 
lable ou  à la  vaccination  pratiquée  un,  deux  ou  trois 
jours  après  l’accident. 

Un  cas  analogue  nous  est  jtei-sonnel.  Un  de  nos  gar- 
çons de  laboratoire,  en  janvier  1913,  absorba  par 
mégarde  deux  centimètres  culies  environ  d’une  émul- 
sion épaisse  de  bacilles  typhiques,  isolés  depuis  peu 
d’un  organisme  malade.  Le  sujet  était  jeune,  il  n’avait 
Jamais  souffert  du  typhus  ni  d’aucune  affection  appa- 
rentée. Nous  recourûmes  à la  vaccination  trente-six 
heures  après  l’accident  : elle  fut  absolument  efficace  ; 
seulement,  après  la  deuxième  inoculation  le  patient 
présenta  une  réaction  thermi(|ue  de  39  degrés,  et  les 
phénomènes  locaux  furent  très  acx-entués. 

Dans  une  conférence  qu'il  donna  à Bruxelles,  le 
D''  ^dncent  signala  d’autres  faits.  A Paris,  des  jeunes 
gens,  vaccinés  par  sa  méthode,  se  sont  laissé  injectei-, 
sous  la  peau,  des  bacilles  typhiques  virulents,  ou  ont 
avalé  l’équivalent  d’un  verre  à Bordeaux  d’une  é}»aisse 
émulsion  de  ce  microbe  : tous  sont  sortis  indemnes  de 
l’épreuve. 

Ces  faits  témoignent  en  faveur  de  l'efficacité  de  la 
vaccination  antityphique,  mais  elle  ressort  mieux 
encore  des  constatations  épidémiologi([ues. 

Nous  empruntons  à divers  écrits  du  D'' Vincent  les 
renseignements  qui  vont  suivre,  sur  un  grand  nombre 
d’épidémies  typhiques  observées  dans  l’armée  fran- 
^çaise  et  dans  la  ])opulation  civile. 

Le  premier  emploi  du  typho-vaccin  polyvalent  fut 
fait  au  Maroc  oriental,  en  1911,  au  début  d'une 
épidémie  fort  sévère,  chez  environ  11  7o  des  soldats  de 
cette  région  : tandis  que  la  morbidité  typhoïdique  chez 


92 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQlîES 


les  non-vaccinés  s’éleva  à (>4,97  " avec  une  iiiorta- 
lité  de  8,35  ° riininunité  fut  complète  chez  les 
vaccinés. 

Au  COUPS  de  l’année  1912,  31  380  militaires  (troupes 
de  la  guerre  ou  des  colonies)  ont  été  vaccinés  en 
France  : aucun  d'entre  eux  n’a  été  atteint  de  la  fièvre 
typhoïde.  D’autre  part,  l’ensemhle  des  non-vaccinés  a 
comjdé  2,22  cas  et  0,30  décès  7„ü  dans  l’armée  colo- 
niale. 

Fendant  l’été  de  1912,  une  épidémie  formidable  de 
Ix  plius  éclate  à Avignon.  (ïette  ville  compte  49  000 
halhtants;  elle  possédait  à ce  moment  une  garnison  de 
2053  hommes.  Il  y eut,  dans  la  population  civile,  de  5100 
à 2000  cas  et04  morts  et,  parmi  les  militaires,  155  cas 
avec  22  décès.  Le  nombre  des  militaires  vaccinés  avant 
l'épidémie  était  de  525;  841  demandèrent  à être  vac- 
cinés au  cours  même  de  l’épidémie,  ce  qui  donna  au 
total  13()0  vaccinés  et  (387  non-vaccinés.  Or,  aucun 
des  vaccinés  n’a  })ris  la  lièvre  typhoïde,  même  légère; 
et  ceux  des  habitants  ([ui  se  sont  fait  vacciner  sont 
également  demeurés  indemnes. 

L’etlicacité  du  vaccin  polyvalent  s’est  affirmée  égale- 
ment, en  1912  et  en  1913,  au  Maroc  occidental,  en 
Algérie  et  en  Tunisie  : alors  que  les  non-vaccinés  ont  eu 
à souffrir  d’une  morbidité  et  d’une  mortalité  souvent 
élevées,  atteignant  au  Maroc  occidental  1(38,44  cas  et 
21,13  décès  ° les  vaccinés  ont  offert  une  immunité 
[u-esque  complète  : en  Algérie-Tunisie,  on  a constaté  un 
cas  de  lièvre  ty[)hoïde,  sans  décès,  })armi  les  1031  vac- 
cinés, soit  0,09  Loo;  encore  l’homme  atteint  avait-il 
reçu  du  vaccin  périmé  et,  jtar  conséquent,  sans  effica- 
cité. « Je  ne  saurais  trop  insister,  dit  à ce  sujet  le 
l)*'  Vincent,  sur  la  nécessité  de  rejeter  tout  vaccin 
ancien.  Son  âèlai  de  conservation  est  an  plus  de  trois 
mois,  à la  (jlacière  et  à V ohseu rite . » De  même  au 
Maroc  occidental,  au  cours  de  l’épidémie  meurtrière 


LA  VACGIXATION  ANTITYI'HOIDK^U E 


93 


que  nous  rappelions  plus  haut,  sur  10  79 1 vaccinés  on 
ne  compta  que  0,18  cas  et  0,09  décès 

Dans  (les  épidémies  récentes,  à Issoudun,  Montau- 
ban,  Marseille,  Tours,  Saintes,  la  vaccination  a protégé 
tous  les  militaires  vaccinés  et  a (vxercé  une  action 
d’arrêt  très  marquée,  en  huit  à dix  Jours,  sur  la 
marche  du  fléau. 

Des  constatations  semblables  ont  été  faites  à l’occa- 
sion d’épidémies  ayant  régné,  dans  la  population  civile, 
à Puy-rÉvêque,  Paimpol,  Jargeau,  Rouffignac,  Saint- 
Lattier,  (Irans,  Bengy,  Margency,  Sermaizes,  etc. 

Ainsi,  à Puy-l’Evêque,  gros  bourg  du  département 
du  Lot,  on  releva  62,85  cas  et  7,11  décès  "/oo  habitants 
non- vaccinés.  Sur  les  instructions  du  1)''  Vincent,  « des 
vaccinations  furent  faites  exclusivement  sur  les  jeunes 
gens,  les  jeunes  filles  et  les  enfants,  en  un  mot  chez  les 
sujets  les  plus  réceptifs  pour  la  fièvre  t3qdioïde  ».  Or, 
cette  mesure  suffit  pour  arrêter,  en  quinze  jours,  l’ex- 
tension de  l’épidémie,  et  aucun  des  312  vaccinés  ne  fut 
atteint.  Les  cas  survenus  ultérieurement  se  sont  mani- 
festés chez  les  non-vaccinés  seuls. 

A Paimpol,  à l’occasion  d’une  é}ûdémie  qui  a sévi  à 
la  même  époque,  les  non-vaccinés  eurent  une  propor- 
tion de  41,66  cas  avec  4,58  décès  " tandis  que  di's 
100  vaccinés  aucun  ne  fut  frappé. 

Nous  pourrions  allonger  beaucoup  cette  statistique; 
elle  deviendrait  plus  persuasive  encore,  mais  les  faits 
que  nous  avons  ra]>pelés  suffisent  à notre  but. 

Aous  nous  en  sommes  tenu  surtout  à la  méthode  de 
!)'■  Vincent,  et  aux  résultats  qu'elle  a donnés,  parce 
qu’elle  est  celle  que  nous  avons  le  plus  souvent  appli- 
quée et  dont  nous  avons  pu  contr(7ler  l’efficacité.  11  eût 
été  intéressant  sans  doute  de  comparer  ces  résultats 
à ceux  qu’ont  donnés  des  vaccins  diffiérents.  Gela  nous 
eût  conduit  trop  loin;  du  reste,  à l’heure  actuelle,  bien 


REVUE  DES  QT' ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


D-4 

des  méthodes  nouvelles  ont  été  troj)  jieu  expérimentées 
pour  qu'on  puisse  se  faire  à leur  sujet  une  ojiinion 
définitive.  L’avenir,  sans  doute,  nous  réserve  encore 
])ien  des  progrès,  soit  dans  la  préjiaration  du  vaccin 
antityphique,  soit  dans  ses  apjdications,  et  c’est  de  lui 
<[u’il  faut  attendre  des  indications  plus  précises  que 
celles  ([ue  nous  possédons  aujourd’hui  sur  la  durée  de 
l'immunité  qu’il  confère.  Certains  auteurs  lui  assignent 
une  limite  maxima  de  trois  ans;  d'autres,  plus  nom- 
hreux,  la  réduisent  à une  année. 

Quoi  qu’il  en  soit,  nous  jiouvons  conclure,  dès  mainte- 
nant, que  la  vaccination  jiréventive  contre  la  fièvre 
typhoïde  nous  met  entre  les  mains  une  arme  de  choix 
contre  cette  affection  redoutable.  Nous  y recourons 
surtout  pour  protéger  les  membres  des  familles  au  sein 
desquelles  un  cas  de  typhus  a éclaté;  nous  vaccinons 
les  « réceptifs  »,  et  Jusqu'ici,  nous  n’avons  eu  qu’à  nous 
louer  de  cette  mesure  de  prophylaxie.  Acclamons  cette 
nouvelle  victoire  de  rex[)érimentation  jiasteuiienne  à 
ajouter  à tant  d’autres,  remportées  par  elle  sur  les 
maladies  infectieuses  et  virulentes. 

Recueillons  ses  bienfaits;  mais  n'oublions  pas  que  la 
nécessité  des  mesures  hygiéniques  préventives  n’a  pas 
cessé  de  s’imposer.  Redisons-le  encore  une  fois  ; les 
distributions  d’eau,  en  particulier,  constituent  et  consti- 
tueront toujours  le  remjiart  le  plus  sur  contre  l’invasion 
des  maladies  infectieuses  d'origine  hydrique.  D’ail- 
leurs, la  vaccination  antityphique  ne  jieut  s’appli({uer 
à toute  une  population  : c’est  aux  sujets  jeunes  et  bien 
portants  qu’elle  s’adresse  surtout;  tandis  que  l’hygiène 
générale  protège  tout  le  monde. 

(iràce  à ses  progrès  et  à cette  nouvelle  conquête  de 
la  prophylaxie  microbienne,  il  y a lieu  d’espérer,  comme 
le  jiroclamait  le  professeur  (ïhantemesse,  que  le  siècle 
])résent-  triomphera  de  la  fièvre  typhoïde,  comme  le 


LA  VACCIXATION  AXTITYPIIOIDIQUE 


siècle  passé  a vaincu  la  variole.  L’évolution  heureuse 
qui  s’est  produite  jtour  la  variole,  est  en  marche  pour 
le  typhus  et  voici  ({ue  nous  faisons  un  pas  de  j)lus 
« vers  cet  idéal  inaccessible,  toujours  poursuivi,  écrit 
le  D‘’  Vincent,  jamais  atteint,  qui  veille  comme  une 
lampe  sacrée  au  c<eur  de  tout  hygiéniste  : affranchir 
l’homme  de  la  maladie  évitable  ». 


l)’’  A.  Haibe, 

Itirecteiir  de  l’Inslilut  Bactériologitiue  rrovincial 
de  N a mur. 


LES 


ONDES  HERTZIENNES  ATMOSPHÉHIQIIIÎS 

Enroi;istrres  A robsei-vatoiro  St-Lniiisde  Jersey,  Manclie, 
(l(‘  nov(Miibre  LUI  à octobre  LH3 


Une  antenne  de  iO  tils  de  l)ron/e  de  iOO  mètres  de 
long-  chacun,  pendant  du  sommet  de  la  Tour  métallique 
St-1-.ouis,  à 50  mètres  du  sol.  est  reliée,  en  bas,  à un 
détecteur  électrolytique  à réception  intégrale,  à un 
condensateur,  à un  ampèremètre  relais-trembleur  et 
à un  cbronographe  totalisateur.  I/idée  du  relais-trem- 
bleur est  neuve  ; elle  est  bonne  puisqu’elle  m’a  donné, 
après  deux  années  d’un  tbnctionnement  continu  et 
satisfaisant,  les  résultats  consignés  principalement 
dans  les  tableaux  qui  vont  suivre. 

Ces  résultats  paraîtront,  sans  doute,  aussi  importants 
qu’iivtéressants,  du  moment  (pi'ils  sont  les  premiers,  du 
moins  à ma  connaissance,  à èti'e  j)ul)liés  sur  ce  phéno- 
mène des  Ondes  hertziennes  atmosphériques  qui  est 
assez  nouveau  en  météorologie. 

U’est  après  avoir  vu,  pendant  jdusieurs  mois,  fonc- 
tionner l’ampèremètre,  relié  au  voltamètre  électroly- 
tique à réce})tion  intégrale  (d  à l’antenne,  comme 
enregistreur  direct  des  ondes  soit  gra})biquement  sur- 
papier  blanc  ou  sur  papier  enfumé,  soit  photographi- 
quement sur  j)apier  au  gélatino-bromure,  que  j’ai  vu 
la  nécessité  de  modifier  le  fonctionnement  même  de 


LES  ONDES  HERTZIENNES  ATMUSDIIERIL)1:ES 


U7 


l’appareil.  I.e  retard  du  voltamètre  à se  décohérei-, 
disons  mieux,  à se  repolariser  ajiiès  le  passage  de 
chaque  onde,  était  la  cause  de  l’inutilité  de  tous  les 
efforts  précédents.  Il  pouvait  devenii’  l’origine  de  nou- 
velles séries  d'observations  de  plus  grande  valeur  que 
que  celles  qu’on  s’était  d’abord  jtroposé  de  faire. 

En  effet,  ayant  dûment  constaté  que  le  retard  du 
détecteur  à se  refermer  au  courant  auxiliaii’e  était 


Première  forme  : A ynttMinc  ; D détecteur  à soupape  électrolytique  ; G cadre 
mobile  d’un  ampèremètre  ; /'  mince  pla([ue  de  fer-blanc  ; b bascule  à 
pointe  line  au-dessus  d’une  goutte  de  mercure  ; E électro  de  l appel  de 
l’aiguille  ; c condensateur  ; p et  p'  piles  ; enregistreur  chronographe. 

Seconde  forme  : f \)h\que  de  fer-blanc;  b pointe  line  fixée  (isolée)  à la  tige 
oscillante  et  piquant  dans  une  gouttelette  de  mercure  (|uand  la  tige  est 
déviée;  cette  pointe  est  reliée  par  fil  lin  flexible  au  pôle  négatif  de  la  pile. 


d’autant  plus  long  que  les  ondes  s’étaient  signalées 
à l’enregistrement  par  des  traits  plus  longs  eux-mêmes, 
j’en  conclus  que  la  dépolarisation  opérée  était  propor- 
III'  SÉRIE.  T.  XXVI.  7 


98 


REVCE  DES  QUESTIOXs  SCIEXTIFIQUES 


tionnelle  à l'êiK'rgie  de  vil)ration  de  ces  ondes.  Dès 
lors  cette  durée  du  courant  à travers  l’électrolvte  pou- 
vait être  prise  coniine  mesure  de  leui*  énergie  ou  de 
leur  importance  relative  et  pouvait  assez  facilement 
s’évaluer  ou  s’enregistrer. 

Après  quelques  essais  Je  compris  vite  (ju’il  fallait 
iVactionner  cette  durée  du  courant  et  la  fractionner  de 
telle  sorte  qu’une  première  onde  en  train  de  s’enre- 
gistrer ne  voilât  ])as,  ne  dissimulât  pas  une  seconde, 
une  troisième,  qui  viendraient  coup  sur  cou])  ajouter 
leur  énergie  propre  à la  jtrécédente.  Je  crois  par  mon 
relais-tremhIei>/‘  avoir  fort  heureusement  résolu  le 
])rol)lème. 

J’ai  remplacé  à l’extrémité  libre  de  l’aiguille  du  gal- 
vanomètre la  plume  ou  le  style  inscripteur  par  une 
fine  pointe  de  })latine  soigneusement  isolée  de  cette 
aiguille,  mais  reliée  par  un  fil  de  cuivre  fin  au  pôle 
négatif  d’un  accumulateur.  Cette  pointe  de  platine, 
(juand  ra]q)areil  est  en  plein  fonctionnement,  mais  en 
l’absence  de  toute  onde,  est  presqu’en  contact  avec 
une  goutte  de  mercure  placée  dans  le  même  circuit  de 
l’accumulateur  avec  le  clironogra})he  enregistreur  et 
un  électro-aimant  de  rappel  installé  derrière  l’aiguille 
à laquelle  on  a,  en  face,  soudé  une  petite  plaque  de  fer- 
blanc.  Le  relais-treml)leur  ainsi  établi  est  prêt  à fonc- 
tionner. Une  onde  traverse  le  détecteur  et  dévie  le 
galvanomètre  ; son  aiguille  à l’instant  entre  en  vibra- 
tion plus  ou  moins  rapidement  et  chaque  contact  avec 
le  mercure  fait  monter  d’un  millimètre  la  plume  du 
chronographe.  Les  vibrations,  vives  au  premier  mo- 
ment, se  ralentissent  et  s’éteignent  bientôt.  Si  une 
nouvelle  onde  survient  avant  la  cessation  de  ces  pre- 
mières vibrations,  on  s’en  aperçoit  aussitôt  à la  recru- 
descence même  de  l’agitabon  de  l’aiguille  et  de  l’enre- 
gistreur ; rien  donc  n’est  perdu  ou  dissimulé,  et  la  loi 
de  l’indé})endance  des  effets  des  forces  en  jeu  a ici  son 
application  réelle. 


LES  ONDES  HERTZIENNES  ATMOSPHERIQUES  99 


Ainsi,  la  somme  des  avancements  de  la  plume  du 
chronographe  dans  un  temps  donné  représentera  Lien 
l'intensité  moyenne  des  ondes  qui  ont  }>assé  par  le  dé- 
tecteur. 

Ce  curieux  mode  d’enregistrement  des  ondes  hert- 
ziennes atmosphériques  s’est  montré  d’une  grande 
sensibilité,  en  ce  sens  qu’il  ne  laisse  pour  ainsi  dire 
rien  échapper.  L'enregistrement  est  comme  continu 
tout  le  long  de  l’année.  Il  v a assurément  des  Journées 
de  forte  agitation  qui  sont  les  journées  orageuses  soit 
locales,  soit  à distance  dans  un  rayon  cependant  qui 
ne  m’a  pas  semblé  avoir  dépassé  iOO  ou  .hlX)  kilom. 
iMais  il  y a nombre  de  journées  aussi  oii  la  mo^^nne 
horaire  des  battements  enregistrés  a été  réduite  à i et 
à moins  encore  ; toutefois  en  deux  années  nous  n’avons 
compté  que  3 ou  1 journées  de  calme  absolu. 

Gomme  exemples  de  journées  très  orageuses,  citons 
le  13  Juillet  1912  avec  ses  48  360  oscillations  enregis- 
trées dans  les  24  heures,  et  le  29  aofit  1913  avec  48  750. 
Le  11  h.  du  soir  à minuit,  le  16  Juillet  1912,  nous 
avons  relevé  6700  oscillations.  Ges  différents  nomlires 
ne  représentent  pas  des  ondes  distinctes,  mais  com- 
parés à d’autres  relevés  à d’autres  épo([ues  et  dans  des 
conditions  atmosphériques  différentes,  ils  donnent  une 
forte  impression  des  valeurs  relatives  que  [leut  jtrendre 
le  champ  hertzien,  c'est-à-dire  les  conditions  de  l’air, 
au  lieu  d’observation,  créées  sjiécialement  par  ces 
ondes  électro-magnétiques  qui  se  croisent  de  diffé- 
rentes directions  sur  l’horizon. 

Gomme  Je  vais  l’indiquer  dans  des  tableaux  qui  ré- 
sumeront deux  années  d’observations  régulièrement 
faites  à Jerse}^  le  champ  hertzien  atmosphérique,  que 
je  viens  de  nommer,  constitue  un  ]»hénomène  en  quel- 
([ue  sorte  continu  qui  obéit,  comme  tout  autre  phéno- 
mène météorologique,  à des  lois  certaines  : il  a une 
variation  diurne  parfaitement  marquée,  mais  à double 
caractère  correspondant  aux  deux  grandes  saisons  de 


lOo 


Rt:vrK  DES  QrESTlOXS  SCIENTIFIQUES 


l’année,  ce  qui  le  distingue  de  ces  ]diénoinènes  dont  la 
variation  est  fixe,  coinnu'  la  jiression,  la  température 
et  riuiinidité  de  l’air. 

Je  suis  d’autant  mieux  autorisé  à introduire  cette 
notion,  nouvelle  en  météoi-ologie.  d’un  champ  hert- 
zien atmosphériiiue  normal,  ({ue  j'en  ferai  constater 
l’existence  sur  un  autre  ]K)int  du  globe,  bien  ditiérent 
de  Jersey,  et  oii  se  trouveront  véi-ifiées  les  mêmes  lois 
de  variation  du  phénomène  des  ondes. 

J’ajoute  maintenant  que.  m’ajipuyant  sur  ces 
diverses  considérations,  j'ai  cru  [tou voir  désigner,  au 
moins  l'ajqjareil  dont  je  me  suis  sm*vi  à Jerse\’,  d’un 
nom  plus  ex})ressif  et  plus  compréhensif  que  celui  de 
détecteur  d’orages,  généralement  employé  : je  l’appel- 
lerai titrfèoroiulefirapJie  dans  la  discussion  de  nos 
observations. 

Tne  remarque  encore  pour  })révenir  une  objection. 
Le  détecteur  électrolytique,  ajtpliqué  uniquement  à 
l’observation  des  ondes  atmos})hériques,  comporte 
normalement,  en  l’absence  de  toute  onde  ou  séparé  de 
l’antenne,  un  certain  courant  ([ui  maintient  le  cadi*e 
galvanométrique  en  une  constante  mais  faible  agita- 
tion ; mesuré  aux  bornes  il  a toujours  été  trouvé  de 
U,1  à Ü,'J  volt,  (ie  faible  courant  pourrait  occasionner 
des  battements  isolés  de  l’eni-egistreur  ; on  s’arrangera 
pour  les  siqtprimei',  en  réglant,  dans  un  moment  de 
grand  calme,  la  distance  entre  la  pointe  oscillante  et  le 
mercure. 

L’île  de  Jersey  n'a  ni  industrie,  ni  commerce  ([ui  lui 
amène  des  navires  assez  inqiortants  pour  ]>osséder  un 
appareil  de  télégrajfiiie  sans  fil.  Ln  seul,  pendant  l’été 
de  1913,  avait  été  mis  sur  la  ligne  d’Angleterre  poul- 
ie transport  des  touristes  avi'c  ce  moyen  rapide  (U* 
communication  qui  servait  à signaler  aux  armateurs 
son  entrée  au  port  de  St-Héliei-.  la  capitale  de  l’île.  Or, 
les  signaux  émis  à cette  occasion,  à lil.hUO  mètres  envi- 
ron de  la  Tour  St-Louis,  ont  jdusieurs  fois  été  inscrits 


LES  OXDES  HERTZIENNE^  ATMOSIMIERlgl  ES  101 


par  le  chronoi^raplie  et  toujours  il  a été  très  facile  d*eii 
faire  la  distinction.  Les  signaux  de  la  Tour  Eiffel, 
d’ailleurs  entendus  A'igoureusenient  dans  notre  télé- 
phone de  5000  ohms  de  résistance,  sont  sans  etlét 
appréciable  sur  l’enregistreur.  Donc  les  traces  laissées 
sur  les  feuilles  quotidiennes  de  notre  météorondegraphe 
sont  vraiment  et  uniquement  les  traces  des  ondes 
hertziennes  d’origine  atmosphérique.  11  est  l)on  de 
faire  cette  renia l’qiie. 


1 


^R)YENN£S  INTENSITÉS  MENSUELLES  DES  ONDES 
COMPARÉES  A LA  FRÉQUENCE  DES  ORAGES 

Dans  les  tableaux  qui  vont  suivre,  tous  les  nomlires 
présentés  comme  intensité  relative  moyenne  des  ondes 
lie  passage  à .Jersey  sont  les  moyennes  sommes  d’oscil- 
lations du  relais-trembleur  edèctuées  en  une  heure  de 
temps. 

MOYENNES  INTENSITÉS  MENSUELLES  DES  ONDES 

N DJ  F M A M J)!  M A S 0 année 
(191 1-191'2)  31 .7  30.7  16.4  9 5 34  0 23. 1 3S.  1 76.2  394.4  52  0 23.7  36.7  63.9 
(1912-1913)  26.3  16.6  25.4  1 1 .7  15.2  25.4  37.S  30.3  99.7  109.3  90. 1 3S.S  43.9 


NOMHRES  DE  .TOURNÉES  OR.AGEUSES  A .lERSEV 

(1911-1912)  3 1 10  -2  0 12  7 2 0 4 23 

(1912-1913)  2 1 (I  0 0 0 10  4 3 2 5 IR 

(20  années)  21  21  17  9 IR  11  31  42  53  -IR  51  51  376 

Entre  les  deux  ordres  de  phénomènes  on  ne  recon- 
naît guère  que  cette  connexion  générale  : ondes  et 
orages  ont  leur  minimum  de  fréquence  en  hiver,  en 
février  surtout,  et  leur  maximum  en  été,  en  Juillet 
])rincipalement. 

Je  dois  dire  que  j’ai  compté  comme  journées  ora- 


102 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


geuses  aussi  l)ien  celles  oii  l’orage,  dans  le  voisinage 
(le  l’île,  ne  s’est  manifesté  que  par  des  éclairs  à l’hori- 
zon, que  les  journées  avec  tonnerre,  indice  certain  que 
l’orage  était  sur  nous,  ou  du  moins  tout  près  de  la 
station  d’observation. 

Un’on  associe  maintenant,  si  l’on  veut,  à ce  petit 
nombre  de  journées  orageuses  pour  Jersey  (11), 
moyenne  des  20  années  1894-1013)  les  30  qui  ressor- 
tissent à la  France  prise  dans  son  ensemble,  les  10  à 
l’Angleterre  et  les  quelques  orages  ([ui  peuvent  encore 
éclater  à l’()uest,  sur  l’Atlantique,  on  n’expli([uera  pas 
avec  tout  cela  la  continuité  presque  absolue  des  ondes 
enregistrées  dans  cette  île.  FJles  exigent  une  source  en 
quelque  sorte  permanente,  un  foyei'  de  décharges  élec- 
triques modérées,  mais  fré({uentes,  comme  je  l’ai  dit 
plus  haut,  foyer  assurément  })lacé  en  dehors  de  la  zone 
des  orages  bruyants  et  violents,  et  du  moment  que  ces 
derniers  éclatent  dans  les  couches  inféideures  de  l’air, 
les  autres  doivent  se  ])roduire  haut  dans  les  couches 
supérieures  régulatrices  de  tous  h's  mouvements  qui 
ont  lieu  dans  les  jiremières. 

11 


MOYENNES  VARIATIONS  DIURNES  DES  (tNDES  HERTZIENNES 

Les  journées  jiroprement  orafi<>uses  sont  caractéri- 
sées par  une  si  grande  abondance  d’ondes  énergiques 
que  leur  séparation  d’avec  les  autres,  ([ue  nous  a})pel- 
lerons  journées  calmes^  s’impose  quand  on  entreprend 
d’étudier  la  variation  diurne  du  champ  hertzien.  Cela 
n’empêchera  pas,  d’ailleurs,  de  rechercher  la  variation 
diurne  également  des  ondes  orageuses. 

Le  tableau  suivant  résume  les  observations  des  deux 
années  sous  une  forme  un  peu  condensée,  sans  doute, 
mais  fort  claire  dans  ses  détails  et  dans  son  ensemble. 


JERSEY.  — ONDES  HERTZIENNES  ATMOSPHÉRIQUES  (nOV.  lOM  A OUT.  dl)J3) 
Moneanes  variations  horaires  de  l’intensilé  des  Ondes  (1) 


LES  ONDES  HERTZIENNES  AT.MOSDHÉRIQIIES  103 


( 1 ) Le  calcul  de  ces  variations  horaires  a porté  sur 

318  journées  calmes  et  31  journées  orageuses  pour  la  saison  froide. 
331  » I)  et  37  » » ])Our  la  saison  chaude. 


104 


RKVIM-:  DKs  qukstioxs  scientifiques 


Au  pied  des  diderentes  colonnes  on  trouve  des  nombres 
qui  représentent  les  intensités  moyennes  horaires  du 
champ  en  cha([ue  saison  et  dans  l’année,  et  ees  colonnes 
elles-mêmes  sont  constituées  j»ar  les  écarts,  positifs  ou 
négatifs,  de  la  vahuir  du  ehani}),  h clia([ue  heure  du 
Jour,  sur  la  moyenne  intensité  diurne. 

lia  division  de  l’année  en  deux  grandes  saisons  n’a 
pas.  ici.  l'inconvénient  de  confondre  des  variations  qui 
demanderaient  à è1  re  distinguées  les  unes  des  autres. 
La  variation  diurm*  du  champ  hertzien  au  printem])S 
a jiris  assez  hi-iisquement,  dans  le  courant  du  mois  de 
mars,  la  forme  qu'elle  a fermement  dans  les  trois  mois 
d'été  ; semhlahlement  sa  forme  en  automne,  dès  le 
mois  de  septembre,  est  déjà  celle  des  mois  d’hiver. 

Ce  tableau  nous  apprend  ([u’en  hiver  le  champ  hert- 
zien, calme  ou  troublé,  a un  minimum  d’intensité  en 
plein  Jour,  vers  10  h.  on  1 i h.  du  matin,  et  acquiert  son 
maximum  de  force  au  milieu  de  la  nuit,  vers  10  ou 
11  h.' du  soir.  On  n'observerait,  à ])roprenient  parler, 
que  cette  seule  oscillation  de  l'intensité  des  ondes  dans 
les  21  heures. 

En  été,  c'est  moins  simple  : le  chanq»  y présente  une 
double  oscillation  dans  la  Journée.  Celle  de  Jour  se  pro- 
duit aux  mêmes  heures  pour  les  ondes  calmes  et  les 
ondes  orageuses  : minimum  d'intensité  de  7 à 8 h.  du 
matin,  maximum  de  .‘l  à 5 h.  de  l’après-midi.  C’est 
surtout  par  leur  oscillation  de  nuit  que  ditfèrent  les 
deux  ordres  de  ])h(‘nomènes  : les  ondes  orageuses  y 
acquièrent  une  très  grande  intensité,  })lus  grande 
même  que  dans  l'ajirès-midi.  Juste  au  moment,  vers 
11  h.  du  soir,  où  h‘s  ondes  calmes  se  montrent  fort 
atfaililies,  moins  cependant  que  dans  la  matinée.  Cette 
oscillation  nocturne  a commencé,  pour  les  ondes  ora- 
geuses, par  un  léger  minimum  de  7 à 8 h.  du  soir;  elle 
s’achèvera.  }ioui-  les  ondes  calmes,  par  un  léger  maxi- 
mum entre  minuit  et  1 h.  du  matin. 


LES  ONDES  HERTZIENNES  ATMOSPHÉRIQUES  105 


vSi  l’on  exce})te  ces  gros  orages  de  nuit,  en  été,  qui 
semblent  pro}>res  à nos  jiarages  de  la  Manche,  la  varia- 
tion diurne  du  champ  hertzien  pendant  la  saison 
chaude  est  bien  concordante  aA^ec  celle  de  la  fréquence 
des  orages  en  France  et  sur  le  continent,  (^uant  aux 





ondes  de  la  saison  froide,  leur  maximum  d’intensité  au 
milieu  de  la  nuit  et  leur  minimum  au  milieu  du  jour 
les  rapprochent  singulièrement  des  orages  qui  éclatent, 
en  hiver,  dans  le  nord  de  l’Atlantique,  sur  les  côtes 


LES  ONDES  HERTZIENNES  ATMOSDIIÊRIQUES  107 


' ouest  (le  l’Ecosse  et  en  Islande,  sur  le  passage  des 
; grandes  dépressions  atmospliériques. 

'I  Je  puis  donner,  dans  le  tableau  suivant,  une  preuve 
i bien  intéressante  de  renchaînement  naturel  des  phé- 
! nomènes  électriques  orageux  et  électro-magnétiques 
de  l’air. 


VARIATIONS  DIURNES  DU  CHAMP  HERTZIEN  A JERSEY 
ET  DE  LA  FRÉQUENCE  DES  ORA(JES  EN  ÉCOSSE  ET  A PARIS  (1) 


HEURES 

HIVER 

. ÉTÉ 

Jerseg  ^ 

Écosse 

Jerseg 

Paris 

de  minuit  à 3 h.  m. 

Ri 

53 

— Il 

-73 

3-G 

5 

3 

-39 

— 85 

(î-9 

— 17 

— 24 

— 51 

-82 

0-midi 

— ii 

— 29 

-28 

— 72 

de  midi  à 3 h.  s. 

— U 

— ïo 

(iÜ 

117 

— 1 

J 

17(i 

179 

(i-9 

19 

3 

8 

18 

9-minuit 

■>o 

41 

— Di 

-32 

Il  m’a  semblé  utile  de  chercher  la  variation  des 
intensités  relatives  des  deux  sortes  d’ondes,  en  hiver 
et  en  été.  Le  taldeau  de  la  page  suivante  montre  les 
rapports  que  j’ai  cru  utile  cependant  d’adoucir  et  de 
régulariser  en  les  composant  ]»ar  groupes  de  5. 

En  hiver,  il  j aurait  concordance  entre  les  varia- 
tions d’intensité  des  ondes  orageuses  et  des  ondes 
calmes  à toutes  les  heures  de  la  jouniée,  sauf  un  léger 
excès  dans  les  ondes  calmes  vers  1 h.  du  matin  et  1 h. 
de  l’après-midi  et  dans  les  ondes  orageuses  à 8 h.  du 

(1)  J’einprunte  les  données,  pour  l’Écosse,  aux  Bases  de  la  météorologie 
dgnamique  de  Hildebrandsson  ; pour  Paris  à Loisel,  Les  orages.  Ondes  et 
orages  ont  été  uniformément  réduits  à lüOO  par  jour.  Ce  sont  les  séries  des 
journées  calmes  qui  ont  été  mises  à prolit  pour  notre  comparaison  ; ces 
séries  représentent  mieux  la  variation  du  champ  hertzien  normal. 


108 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


HAIM'UKTS  DES  INTENSITÉS 
DES  ONDES  OHAfiEl'SES  ET  DES  ONDES  CALMES 


INTER- 

VALLES 

HORAIRES 

HIVER 

ETE 

INTER- 

VALLES 

HORAIRES 

HIVER 

ÉTÉ 

Min.-lm. 

6.3 

19.5 

Milli-\  S. 

6.9 

7.7 

i-i 

6.3 

18.'2 

l-“2 

ü.o 

6.8 

'2-3 

r>.iî 

17.7 

2-3 

11.5 

6.8 

3-4 

i>.i 

18  4 

3-4 

6.6 

7.5 

4-5 

6.9 

19.3 

4-5  ' 

6.7 

8.6 

5-Ü 

7.‘i 

U..T 

5-(i 

0.7 

9.8 

l)-7 

7.9 

19.  i 

(i-7 

7.0 

11.8 

7-8 

8.3 

18.3 

7-8  1 

7.0 

14.4 

8-9 

8.4 

Ki.l 

8-9 

6.9 

17.2 

9-10 

8.1 

13.6 

9-10  ! 

6.8 

19.6 

ID-ll 

7.*» 

11.4 

10-11  ■ 

6.8 

20.9 

\l-Midi 

7.1 

9.4 

11-4//)). 

1 

0.5 

' '20.7 

lîapitoiTs  moyens  : Hiver  T.ü  — Eté  I i.7. 


matin  et  8 h.  du  soir.  Cotte  double  oscillation  des  varia- 
tions relatives  des  intensités  des  deux  sortes  d’ondes 
est  intéressante  à noter,  quoique  la  sii>nificatioii  m’en 
échajqie. 

En  été  nous  retrouvons  la  même  double  oscillation 
diurne,  mais  bien  autrement  marquée.  A"ers  2 à 3 h. 
du  matin  et  1 à 3 h.  du  soir  surtout,  le  rapport  des  inten- 
sités tléchit  en  faveur  des  ondes  calmes  qui  se  ren- 
forcent; versO  h.  du  matin  et  il  h.  du  soir,  le  rapport 
se  relève  avec  un  débordement  extraordinaire  d’ondes 
orageuses  signalé  dans  notre  tableau  des  variations 
diui-nes  du  champ  hertzien. 

Au  risque  de  paraître  un  peu  long.  Je  vais  essayer 
une  ex})lication  de  ces  faits.  De  7 à 9 h.  du  matin, 
moment  où  les  couches  atmosphériques  sont  en  équi- 
libre sur  terre  et  sur  mer,  le  champ  hertzien  est  de 
toutes  façons  calme.  Mais  bientôt,  vivement  portées 


LES  ONDES  HERTZIENNES  ATMOSl’Hl'RloUES  109 


haut  avec  une  imjtortante  eliai-ge  de  vapeur  et  d’élec- 
tricité  les  masses  d’air  échauffées  au  contact  du  sol 
entrent  en  contact  avec  les  masses  supérieures  relati- 
vement sèches  et  électrisées  différemment  : de  là  de 
nombreuses  décharges,  silencieuses  })Our  nos  oreilles, 
et  émission  des  ondes  calmes  (|u’on  observe  en  excès 
vers  2 et  3 h.  de  l’après-midi.  Avec  le  déclin  du  Soleil 
les  courants  ascensionnels  se  modèrent  vite  et  s'an- 


nulent ; les  couches  relevées  s'affaissent  et  les  masses 
aériennes  supérieures,  s’alourdissant  à leur  tour, 
viennent  en  contact  avec  les  couches  moyennes  et  les 
couches  basses,  les  unes  et  les  autres  très  humides  et 
toujours  chargées  d’électricité.  L)e  5 à 0 h.  du  soir 
c’est  l’heure  des  orages  sur  le  continent  avec  émission 
des  abondantes  ondes  orageuses  ([ui  sont  signalées  à 
Jersey.  Ici,  l’heure  des  orages  n'est  pas  encore  venue: 
ils  éclateront  avec  force  un  peu  avant  minuit. 

Je  vois  la  raison  de  ce  retard  dans  les  deux  faits 
suivants.  D’une  part,  sur  l’île,  d’après  nos  20  années 
d’observation  de  la  vitesse  des  vents  au  sommet  de  la 
Tour  St-Louis,  à 111  m.  du  niveau  de  la  mer,  la  coin- 


110 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


posante  liorizontale  du  mouvement  de  l’air,  au  fort  de 
l’été,  a sa  jdiis  grande  valeur  entre  10  li.  du  soir  et 
minuit  dans  une  direction  générale  de  l’WN  W à l’ESE  : 
les  couches  moyennement  élevées  viennent  donc  de  la 
mer.  D’autre  ]»art,  sur  le  continent  à l’Est  de  Jersey, 
par  l’effet  du  refroidissement  nocturne  qui  a gagné 
toutes  les  couches  atmosphériques,  les  supérieures 
comme  les  inférieures,  leur  affaissement  est  général  et 
accompagné  d’un  écoulement,  par  le  has,  vers  la  mer 
dont  la  température  s’est  notablement  moins  abaissée. 
On  voit  tout  de  suite  le  contlit  des  deux  masses  d’air 
de  directions  opposées  qui  cherchent  à se  pénétrer, 
à se  déplacer  ; on  voit  les  tourbillonnements  qui  s’en 
suivent,  les  décharges  qui  égalisent  leurs  potentiels 
différents  et  les  ondes  furieuses  qui  sont  émises  de 
foyers  à grande  proximité  et  même  locaux.  Telle  serait 
l’explication  qui  peut  être  donnée  des  valeurs  très 
élevées  du  champ  hertzien,  au  milieu  de  la  nuit  au 
cours  de  l’été  ])roprement  dit. 

111 


COMPARAISON  TRES  INSTRUCTIVE 
DU  CHAMP  HERl'ZIEN  A .lERSEY  ET  A TORTOSA 

On  n’aura  })as  été  sans  faire  la  remarque  que  la 
division  que  j’ai  faite  de  l’année  en  deux  grandes 
saisons  d’ajirès  la  similitude  des  variations  diurnes  du 
champ  hertzien,  d’un  coté,  au  printemps  et  en  été,  de 
l’autre,  en  automne  et  en  hiver,  mettait  directement  ce 
phénomène  météorologique  nouveau  sous  la  dépen- 
dance de  la  déclinaison  du  Soleil.  Et  par  là  il  se  dis- 
tingue de  tous  les  autres  depuis  longtemps  étudiés. 

dette  singularité  même  ne  serait-elle  pas  un  argu- 
ment ('Il  faveur  de  la  réalité  d’un  champ  hertzien 


I 


1 


112 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


normal,  indépendamment  des  irrégularités  brusques  et 
impétueuses  qu’il  présente  accidentellement  à la 
manière  des  deux  autres  champs  (pii  lui  sont  mani- 
festement apparentés,  le  champ  magnétique  terrestre 
et  le  chanqi  électrique  atmosphérique  ? 

Une  autre  ^ireuve,  très  objective  celle-là,  de  l’exis- 
tence d’un  champ  hertzien  normal  m’est  fournie  par 
les  deux  années  et  demie  (Janvier  19iO-Juillet  1912} 
d’observations  des  ondes  hertziennes  ([ue  J’ai  heureuse- 
ment trouvées  et  pu  étudier  dans  les  Bulletins  men- 
suels de  n )])servatoire  de  l’Ebre,  à Tortosa,  obser- 
vations faites  sous  la  direction  du  R.  P.  Cirera  S.  J. 
Je  dis  heureusement  trouvées,  puisque  Je  n’en  connais 
pas  d’auti'es  faites  ailleurs  d’une  façon  continue  et 
utilisable. 

A Tortosa,  on  a en  service,  avec  l’antenne  et  le 
chronographe,  un  cohéreur  à pointes  de  Branly  qui 
exige  l'addition  d’un  frapjieur  (1).  On  sait  ([ue  les  cohé- 
reurs,  quels  qu’ils  soient,  sont  moins  sûrs  que  le 
détecteur  électroljtique  comme  fonctionnement  régu- 
lier. Mais,  à moins  d’useï-  d’un  artifice  plus  ou 
moins  ingénieux  qui  transfoianera  en  avantage,  comme 
à Jersey,  le  défaut  cajiital  du  détecteur  électroljiiquc 
de  ne  pouvoii*  se  décohérer  instantanément,  il  faut 
renoncer  à s'en  servir  autrement  que  poui“  l’audition 
à distance  avec  le  téléphone. 

Le  P.  Cirera,  dans  son  Bulletin  mensuel,  donne  le 

(1)  Dans  ces  observations  de  Toidosa,  la  moyenne  l'ré(|uence  relative  (esti- 
mée à l’échelle  tl-l)  des  ondes,  dans  les  3 étés,  ne  se  trouve  représentée  que 
|iar  l,:2i  pour  un  intervalle  de  i heures,  tandis  que  celle  des  3 hivqrs  s’élève- 
rait à 1,38.  La  saison  des  orages  aurait  donné  moins  d’ondes  <|ue  celle  où 
ils  ont  rares.  Pour  me  rendre  compte  de  cette  bizarre  anomalie,  j’ai  calculé  les 
moyennes  fréiiuences  des  ondes  dans  les  7 premiers  mois  des  3 années 
d’observations  avec  le  nombre  des  orages  correspondants  : voici  ce  que  j’ai 
trouvé:  1910  1,79  et  iô  orages  — 1911  et  39  orages  — 1912  0,77  et 
38  orages. 

Il  est  évident  (|ue  la  sensibilité  du  cohéreur  llranly,  employé  à Tortosa,  a 
graduellement  lléchi  au  cours  des  .71  mois  d’observations. 


LES  ONDES  HERTZIENNES  ATMOSPIlÊRIorES  113 


relevé  des  ondes  sur  les  diagrammes  de  2 en  2 li. 
mais  seulement  à l’estime,  au  jugé,  et  à l’échelle  Lien 
maigre  de  0 à 4.  Malgré  cela,  les  moyennes  que  J’ai  dù 
calculer  (elles  ne  sont  pas  fournies  dans  le  Bulletin) 
sont  bien  intéressantes.  Pour  leur  comparer  les  nôtres, 
j’ai  ramené  celles-ci  aux-mèmes  intervalles  de  2 h. 

( )n  voudra  bien  remarquer  ({ue  les  deux  séries  com- 
parées dans  le  tableau  suivant  ne  correspondent  pas 
aux  mêmes  années.  C’est  important  à noter. 


Moyennes  comparées  des  variations  des  Ondes  hertziennes 


< < 
> 

.JEHSEV,  .MANXHE 

(de  nov.  1011  à ort.  1013) 

.\  TUllTOS.A,  ESP.AGiNE 

(de  janv.  1910  à juillet  1912» 

^ i 

Hicer 

Été 

Année 

Hiver 

Été 

Année 

min. -'2  ni. 

22,8 

29,7 

25,7 

0,46 

0,09 

0,27 

2-4 

Il.O 

— 8.0 

1,9 

0,41 

- 0,0.1 

0,18 

4-(î 

2,9 

- 42,3 

- 19,7 

0.20 

— 0,44 

— 0,12 

()-8 

— 13.5 

-66,1 

— 35.8 

— 0,25 

- 0..56 

- 0.40 

8- Kl 

— 2(3,0 

— 74,6 

— .50.7 

-0.48 

— 0,45 

— 0,47 

I0-nii(Ji 

- 28,3 

- 54,8 

— 41,6 

— (.>.46 

— 0,18 

- 0,32 

niidi-2  s. 

-21,1 

- 6.2 

— 7,5 

- 0.33 

0,11 

- 0.11 

2-4 

- 11.1 

66,8 

27,8 

— 0,31 

0,38 

0,04 

4-6 

1,3 

61,5 

31,3 

— 0,09 

0,35 

0,13 

(3-8 

16,6 

19,5 

18,1 

0,18 

0.2:3 

0.21 

8-10 

^5,7 

20.8 

23.2 

0,33 

0,26 

0,29 

lO-min. 

'2'2,7 

42,4 

32,5 

0,40 

0,19 

0,30 

moyennes 
(les  ondes 

Ô9,6 

154.2 

106,8 

1,38 

1,24 

1,31 

De  cette  coni])araison  la  seule  conclusion  qui  s’im- 
pose n’est-ce  pas  la  suivante  : c’est  bien  le  même 
phénomène  qui  a été  observé  à Jersey  et  à Tortosa, 
quoique  avec  des  appareils  ditlérents,  dans  des  années 
différentes,  dans  des  conditions  générales  différentes. 

IIR  SÉRIE.  T.  XXVI. 


8 


114 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Les  deux  stations  sont  séparées,  du  Nord  au  Sud,  par 
900  kilomètres,  celle  du  Nord  a le  continent  à l’Est  et 
Idlcéan  à l’Ouest,  celle  du  Sud  a toute  la  largeur  de  la 
péninsule  Ibérique  (<S00  kilomètres)  à l’(  )uest  et  la 
Méditerranée  à l’Est  ; la  ]»remière  doit  voir  affluer  les 
ondes  orageuses  parties  du  Nord  de  la  France,  de  la 
Helgique.  des  Iles  Britanniques  et  du  Nord  de  l’Atlan- 
ti({ue  : la  seconde  les  reçoit  de  l’Espagne,  de  la  Médi- 
terranée, du  Maroc  et  de  l’Afflérie. 

Malgré  tant  de  causes  réunies  à la  fois  pour  rendre 
discordants  les  résultats  généraux  de  ces  années  d’ob- 
servation, il  y a })ai*faite  similitude  des  variations  les 
moins  aptes,  en  apparence,  à s'accorder  dans  de  telles 
conditions,  les  variations  diurnes  d'un  phénomène  qu’on 
ne  connaissait  guère  jusqu’ici  que  par  une  de  ses  faces, 
sa  brusquerie,  sa  violence,  son  irrégularité. 

Je  pense  donc  être  maintenant  l)ien  autorisé  à parler 
d’un  chanq)  hertzien  atmosphéri([ue  toujours  existant, 
partout  existant,  et  dont  les  manifestations  acciden- 
tellement tapageuses  se  plient  cependant  encore  elles- 
mêmes  à suivre  une  même  loi  générale  de  vaiâation 
imposée  j)ar  les  divers  mouvements  du  Soleil  par 
rappcjrt  à l’hori/on  et  à l’équateur 


IV 

CURIEUSE  RELATION  DT'  CFIAMU  HERTZIEN 
AVEC  LE  CHAMP  MAUNÈTKM-H-: 

Les  variations  diurnes  du  chanq»  hertzien  dans  le 
cours  de  l’année  sont  assez  particulières  pour  ne  s’accor- 
der avec  aucun  autre  des  jihénomènes  météorologiques 
ordinaires.  Seul  le  champ  magnétique  terrestn'  aurait 
avec  lui  une  connexion  fort  remarquable,  quoique 
détournée,  et,  chose  curieuse,  cette  connexion  n’est 


LES  ONDES  Hertziennes  atmosi*hêriqi;es  115 


pas  à chercher  dans  la  force  magnétique,  mais  dans  la 
déclinaison  de  raiguille  aimantée. 

Cette  connexion  est  détournée,  non  directe,  puisque 
la  variation  diurne  de  la  déclinaison  magnétique  ne 
change  pas  de  forme  dans  l’année  ; mais  elle  change 
d’amplitude  et  c'est  cela  qu’il  faut  considérer.  Une 
même  cause  interviendrait  qui  renverserait  ses  effets, 
d’une  saison  à l’autre,  à la  fois  sur  les  mouvements  de 


ejt  ■ù-  eij ^ au.  cdort^ex- 


■ ^3e-&2.dcts^ 


raiguille  aimantée  et  sur  la  pro})agation  des  ondes 
hertziennes  atmosphériques. 

A défaut  d’observations  magnétiques  continues  à 
•Tersej,  j’ai  emjirunté  celles  de  A’al  Joyeux,  succursale 
de  l’(  )bservatoire  du  Parc  St-Maur,près  Paris,  publiées 
dans  les  Annales  du  Bureau  Central  de  Paris.  Nos 
deux  années  d’observation  des  ondes  1912  et  19P3 
étant  des  années  de  minimum  des  taches  solaires. 
J’ai  choisi  pour  la  comparaison  à faire  avec  la  décli- 
naison deux  années  analogues,  1902  et  190;-). 


116 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Avec  toutes  ces  observations  horaires  j’ai  préparé 
un  tableau  des  variations  horaires  de  la  déclinaison 
pour  les  deux  grandes  saisons  de  l’année,  semblable  à 


Vue  même  Inégalité  semi-annuelle 


HEUHES 

VAE  JOYEUX  (1901-1903) 
Déclinaison  magnétique 

JERSEY  (nov.  1911-oct.  1913) 
Champ  hertzien 

Saison  ~Sâison 
froide  chaude 

Suism  Saison 
froide  chaude 

1 III. 

— 0',09 

— 2,0 

0,0  i - 

1,7  — 

-.i 

0,16  — 

5,0  — 

■ï 

0,29  — 

8.3  - 

5 

0,46  - 

11,3  — 

I) 

0,69  — 

12,4  - 

7 

0,90  - 

12,7  — 

,s 

1,01  — 

12,8  - 

il 

0,96  — 

12,0  — 

Kl 

0,71  - 

10,1  - 

11 

0,31  - 

6,6  — 

midi 

— 0,18 

0,9  — 

1 s. 

— 0,63 

— 6,8 

ÎL 

— 0,94 

— 14,8 

3 

— 1,04 

- 19.5 

i 

— 0,89 

— 19,6 

5 

— 0,.Ÿ9 

— 15,1 

() 

— 0,27 

— 7,2 

7 

— 0,06 

- 0,7 

s 

- 0,02 

1,9  — 

9 

- 0,11 

l,“i  - 

1(1 

- 0,23 

- -2.3 

11 

— 0,28 

— 5,0 

min. 

— 0,21 

— 4,5 

moyennes 

valeurs 

I5«.10’,31 

53,5 

LES  ONDES  HERTZIENNES  ATMOSPHÉRIQUES  117 


l’un  des  trois  de  la  page  103,  au  premier,  qui  regarde 
l’ensemble  de  toutes  les  ondes  oliservées.  Si,  pour  les 
deux  phénomènes,  on  calcule  l’inégalité  saisonnière, 
on  arrive  aux  deux  séries  indiquées  à la  jiage  précé- 
dente avec  leurs  signes. 

Quelle  pourrait  bien  être  la  cause  qui  produit  cette 
remarquable  inégalité  semi-annuelle  des  deux  phéno- 
mènes ? Elle  est  certainement  unique,  car  tout  ici  est 
absolument  parallèle.  Pourrait-on  y voir  une  vérifica- 
tion inattendue  des  conclusions  de  Trouvelot  et  Nord- 
man  qui  feraient  résider  la  cause  des  perturliations 
magnétiques  sur  notre  globe  dans  une  émission  par 
les  taches  solaires  d'ondes  hertziennes  plutôt  que  de 
rayons  cathodiques  ? 

Il  J aurait  encore  plus  à dire  sur  le  même  sujet, 
mais  je  ne  veux  qu’indiquer  un  autre  point  de  ressem- 
blance des  deux  champs  en  question.  Si  l’on  calcule 
l’inégalité  semi-annuelle  de  la  variation  horaire  de  la 
fréquence  des  déviations  extraordinaires  (au  moins  3') 
de  l’aiguille  aimantée  à l'est  ou  à l’ouest  de  sa  position 
moyenne  diurne,  on  est  porté  à conclure  que  les  excur- 
sions à l’est,  les  plus  fréquentes  et  les  plus  fortes  aussi, 
ont  lieu  aux  heures  préférées  par  les  ondes  orageuses, 
et  les  excursions  à l’ouest  à celles  des  ondes  calmes. 


CONCLUSION 

L’observation  habituelle  et  continue  des  ondes  hert- 
ziennes d’origine  atmosphérique,  ainsi  qu’en  témoigne 
assez,  je  pense,  l’étude  qui  vient  d’être  faite  de  ce  phé- 
nomène, pour  la  première  fois,  semble  bien  s’imposer 
aux  météorologistes  à l’égal  de  celle  de  tout  autre 
phénomène  de  l’atmosphère. 

Les  résultats  obtenus  par  nos  deux  années  d’obser- 
vations à Jersey,  déjà  contrôlés  et  corroborés  par  les 


118 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


observations  faites  à Tortosa,  demandent  cependant 
à être  confirmés  plus  pleinement  par  une  semblable 
étude  sur  des  documents  analogues  cherchés  plus  à 
l’intérieur  du  continent  et  sur  d'autres  venant  de  l’ex- 
térieur. 

Malheureusement  un  gros  obstacle  au  succès  viendra 
de  la  sensibilité  des  appareils  qui,  en  beaucoup  de 
lieux,  ne  pourront  })as  distinguer  les  ondes  d’origine 
atmosphérique  des  ondes  artificiellement  produites, 
dans  leur  voisinage,  pour  les  liesoins  de  la  T.  S.  F. 
Pour  le  présent  je  me  félicite  de  l’isolement,  sous  ce 
rapport,  de  notre  petite  station  de  Jersey  ; j’en  profi- 
terai pour  poursuivre  nos  observations  si  fructueuse- 
ment commencées. 


Marc  I)echevrens,  S.  J. 


LES  ACTIOXS  CATALYTIQUES  EN  CBIMIEi‘> 


Dès  le  comineiiceiiient  du  siècle  dernier,  on  avait 
remarqué  que  certains  corps,  par  leur  seule  présence, 
semblaient  déterminer  des  réactions  chimiques. 

Dans  son  magistral  traité  de  chimie,  Derzéliiis  rap- 
procha tous  les  phénomènes  de  ce  genre,  et  les  groupa 
sous  le  nom  de  phénomènes  catalytiques. 

J’exposerai  ici,  d’une  façon  sommaire,  le  dévelojipe- 
nient  de  nos  connaissances  sur  l’ensemlile  de  ces  phé- 
nomènes ; Je  dirai  ensuite,  en  quelques  mots,  les 
diverses  inteiqirétations  des  actions  catalytiques  et  ce 
que  la  chimie  physique  nous  apprend  à ce  sujet.  Je 
signalerai  pourterminer  quelques-unes  des  a])plications 
les  plus  importantes  de  la  catalyse. 

L’histoire  des  actions  catahdiques  est  intimement 
liée  à celle  des  transformations  chimiques.  Il  semble 
à l’heure  actuelle,  qu’il  soit  impossilde  de  concevoir 
une  réaction  dont  la  vitesse  ne  soit  induencée  [lar  des 
substances,  à première  vue,  étrangères  et  même  les 
réactions  d’ions  qui  sont  les  plus  i-apides  subissent 
probablement  des  intiuences  analogues. 

11  n’est  pas  étonnant  dès  lors,  que  beaucoup  de  pro- 
cédés techniques  paiani  les  plus  anciens  aient  été  des 
applications  d’actions  catalytiques. 

Faut-il  rappeler  à ce  sujet  la  fermentation  alcoolique 
et  acétique,  et  même  la  préparation  de  l’éther  sulfu- 
rique, déjà  connue  des  Arabes  ? 

Il  est  évident  que  la  notion  d’accélération  de  vitesse 

(1)  Conférence  faite  à l’assemblée  générale  île  la  Société  scientifique, 
h 23  avril  1914. 


120 


REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


(le  réaction  est  plus  moderne  et  était  totalement 
inconnue  des  anciens. 

Elle  date  ce})endant  d'il  y a loniitemjts.  En  1811  en 
edét,  Kirchoff  constata  que  les  acides  minéraux  pro- 
voquent à chaud,  la  transformation  de  l’amidon  en 
dextrines  et  en  sucre  et  ne  subissent  eux-mêmes  de  ce 
chef  aucune  modification  ; quel({ues  années  après,  de 
Saussure  montre  que  la  décomposition  de  l'amidon  qui 
se  fait  lentement  par  l'eau  est  notablement  accélérée 
]»ar  l’addition  de  certains  coiqts. 

A la  fin  du  xviii"  siècle  déjà,  Giittling  montrait  que 
le  phosphore  ne  devient  plus  luminescent  dans  une 
atmosphère  d’oxygène  pur  préjiaré  à l’aide  de  l’oxyde 
mercurique. 

En  1817,  lliimphry  l)avv  observe  qu’une  spirale  de 
platine,  légèi-ement  chaufîée,  peut  provoquer  l’oxyda- 
tion de  certains  gaz  combustibles  mélangés  à l’air.  Peu 
de  temps  a})rès,  Edmond  l)avy  montrait  que  le  noir  de 
[datine  peut  endammer  l’alcool  dont  on  l’humecte  et 
est  capalde  de  ju-ovoquer  certaines  oxydations,  sans 
sul)ir  de  modification  visible.  En  1831,  Philips  lireveta 
reinj)loi  de  la  mousse  de  platine,  pour  réaliser  l’oxyda- 
tion de  l’anhydride  sulfureux  au  moyen  de  l’air. 

Depuis,  le  nomlire  des  ])hénomènes  catalytiques  s’est 
accru  de  plus  en  plus,  par  les  progrès  incessants  de  la 
chimie  et  les  résultats  obtenus,  tant  au  point  de  vue 
scientifique  qu’au  point  de  vue  industriel,  ont  été  d’une 
fécondité  remai-([ual)le.  Parmi  les  travaux  récents  il 
faut  princijtalement  citer  ceux  de  Sabatier  et  de  Sen- 
derens,  qui  ont  mené  à la  découverte  de  méthodes 
générales  d’hydrogénation  et  de  dédoublement  molé- 
culaires : ceux  de  Senderens  sur  la  déshydratation  des 
alcools  et  l’obtention  catalytique  des  cétones  aux  dépens 
des  acides;  ceux  de  Ipatiew  sur  l’hydrogénation  à haute 
hmipérature  et  sous  forte  pression  en  présence  de 
Nickel  divisé  ou  d’oxvde  de  Nickel  ; ceux  de  Paal  sur 


LES  ACTIONS  CATALYTIQUES  EN  CHIMIE 


121 


riiydrogénation  en  présence  de  métaux  colloïdaux, 
ceux  de  AVillstaetter  sur  l’hydrogénation  en  présence 
de  noir  de  platine,  en  solution  alcooliijue  ou  éthérée. 

Les  théories  de  la  catalyse  sont  très  nombreuses. 
L’extrême  diversité  des  réactions  catalytiques  tait  }>ré- 
voir  qu’on  doit  éprouver  de  grandes  diflicultés  à en 
donner  une  exj)lication  générale  cajtahle  de  s'ada})ter 
à tous  les  cas. 

Laissant  de  côté  les  interprétations  assez  g rossières 
du  début,  nous  signalerons  en  particulier  quel([ues 
théories  plus  récentes. 

D’après  Loew  la  décomposition  catalytique  de  l’eau 
oxygénée  au  contact  de  noir  de  platine,  serait  due  aux 
])ointes  et  aux  arêtes  aiguës  des  molécules  de  platine. 
De  même  la  combinaison  plus  aisée  de  l’hjTlrogène  et 
de  l’oxj’gène,  en  })résence  de  ce  métal,  serait  due  à la 
décomposition  des  molécules  en  atomes,  et  la  combi- 
naison des  éléments  qui  se  trouvent  à l’état  naissant. 

Cette  conception  est  évidemment  assez  bizarre,  car 
on  se  demande  avec  raison,  ce  qui  préservera  d’une 
action  analogue  les  molécules  d’eau  formées. 

Cette  bj’pothèse  contient  cependant  un  élément  de 
vérité,  car  il  semble  bien  ([ue  le  platine  et  les  éléments 
de  son  groupe  soient  capables  de  provoquer  la  disso- 
ciation des  molécules  de  plusieurs  gaz.  On  pourrait 
ainsi  considérer  ces  métaux  comme  des  dissolvants  de 
force  dissociante  considérable  ; or,  on  sait  que  beaucoup 
d’actions  catalytiques  de  beau  sont  ramenées  à son 
énorme  force  dissociante. 

Les  dissociations  moléculaires  au  contact  de  ces 
métaux,  sont  d’ailleurs  établies  sur  une  base  expéri- 
mentale sérieuse. 

On  a quelquefois  tâché  d'expliquer  les  phénomènes 
catalytiques  par  des  actions  de  condensation  : le  cata- 
lyseur agirait  ainsi  en  augmentant  les  concentrations 


122 


RKVUE  DES  QUESTIONS  SITENTIFIQUES 


des  produits  en  réaction.  On  voit  que  riiydrogène  et 
l'oxygène  se  combinent  déjà  vers  150’  en  présence  de 
charbon  ; la  température  de  réaction  de  ce  mélange  est 
également  fortement  abaissée  par  la  [)résence  de  pla- 
tine; mais  s’agit-il  là  d’un  simple  phénomène  de  conden- 
sation ? Ce  n’est  pas  j)robable,  car  dans  ce  cas  l’action 
du  palladium  devrait  être  plus  prononcée  que  celle  du 
jdatine.  Il  semble  d’ailleurs,  d’après  les  expériences  de 
Hodenstein,  qu’au  contact  du  catalyseur  la  concentra- 
tion d’un  des  gaz  réagissants  soit  toujours  voisine  de 
zéro. 

11  n’est  pas  douteux  cependant  que  dans  certaines 
actions  catalytiques,  les  actions  de  condensation  ne 
soient  très  notables  et  ne  se  superposent  à l’action 
spécifique  du  catalyseur. 

Rascliig  admet  au  contact  du  catalyseur  une  trans- 
formation de  la  molécule,  qui  la  rend  plus  apte  à entrer 
en  réaction.  Il  ne  s’agit  pas,  comme  dans  les  anciennes 
concejdions  de  Ilufner,  de  simjdes  déformations  phy- 
siques de  la  molécule,  provoquées  jtar  d’inégales 
attractions  atomiques;  l’idée  fondamentale  de  Raschig 
est  la  transformation  en  une  modification  tautomère 
plus  réactionnelle. 

Cette  conception  n'est  pas  alisolument  nouvelle  ; 
Arrlienius  admet  déjà  en  I8SÎ).  à la  suite  de  ses 
recherches  sur  les  vitesses  d’inversion,  que  le  sucre  de 
canne  est  d’abord  transformé  en  une  modification  plus 
active,  de  dédoulilement  plus  aisé. 

11  est  de  fait  ([ue  par  des  translbrmations  intra- 
moléculaires,  ou  des  tautomérisations,  on  obtient 
souvent  des  substances  à projiriétés  réactionnelles  bien 
[)lus  marquées;  la  chimie  organique  nous  en  offre  de 
nombreux  exemples. 

Cette  théorie  peut  être  transportée  dans  le  domaine 
de  la  chimie  minérale  : si  une  sulistance  peut  exister 
en  solution  sous  une  forme  active  et  une  forme  inac- 


LES  ACTIONS  CATALYTIOl'ES  EN  CHIMIE 


123 


tive,  l’action  du  catalyseur  se  manifesterait  en  exerçant 
la  transformation  en  moclitîcation  active;  ceci  se  con- 
statera notamment,  par  le  passage  de  molécules  neutres 
à l’état  ionisé.  Le  catalyseur  exercerait  ainsi  une 
action  de  masse  indirecte,  en  augmentant  la  concentra- 
tion du  composant  actif. 

C’est  à la  catalyse  de  la  saponification  des  éthers  et 
de  l’inversion  du  sucre,  que  cette  théorie  a d’abord 
été  appliquée. 

Euler  développe  de  la  façon  suivante  le  cas  de 
l’inversion  du  sucre  : le  saccharose  comme  le  dextrose 
et  le  lévulose  seraient  des  corps  à fonction  très  faible- 
ment acide,  par  conséquent  présentant  en  solution  un 
nombre,  assez  faible  il  est  vrai,  d’ions  hydrogène  ; 
ceux-ci  sont,  comme  on  le  sait,  des  agents  catal_ytiques 
très  puissants  pour  le  phénomène  d’inversion. 

L’influence  des  sels  neutres  se  manifesterait  dans  le 
renforcement  de  la  fonction  acide. 

Ce  qui  rend  cette  interprétation  plausible,  c’est  qu’il 
est  établi  que  pour  les  acides  fail)les,  des  solutions 
salines  concentrées  sont  des  dissolvants  de  propriété 
dissociante  très  marquée.  Ainsi,  une  solution  saturée  de 
chlorure  de  sodium  est  pour  l’acide  carbonique  un 
dissolvant  environ  100  fois  plus  dissociant  que  l’eau 
pure  : l’acide  carbonique  acquiert,  en  solution  de  chlo- 
rure de  sodium,  des  propriétés  acides  plus  marquées 
que  celles  de  l’acide  acétique  dans  l’eau  pure. 

L’influence  catalytique  des  acides  sur  la  décomposi- 
tion des  éthers  s’explique  d’une  façon  tout  à fait 
analogue. 

L’éther  pourrait,  d’après  Stieglitz.  être  considéré 
comme  une  base  oxonienne  peu  dissociée  : 

H 

CII3  - G — 0 — 0 — GII3 

I 

011 


124 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


qui  sous  rinfiuencp  des  acides  se  transformerait  en  sel 
oxonien  fortement  dissocié  : 


H 

1 

Cil,  - c — 0 — 0 — CH, 

Cl 

et  l’ion  positif  serait  lieaucoup  plus  l'éactionnel  que  la 
l)ase  lilire  : l’intluence  des  acides  se  ferait  sentir  par 
l'augmentation  du  nomlire  d’ions  lilires  actifs. 

Cette  tliéorie  réunit  d’une  façon  heureuse  les  élé- 
ments de  plusieurs  autres  interprétations  de  la  cata- 
lyse. ( )n  y ti-ouve  l’idée  de  l’augmentation  de  masse 
active  des  composants  réactionnels,  celle  de  la  trans- 
formation en  substance  active  sous  l’influence  du 
catah'seur,  et  enfin  celle  de  la  formation  de  corps 
intermédiaires. 

La  majeure  j)artie  des  phénomènes  catalytiques 
semble  pouvoir  s’interpréter  }>ar  des  réactions  intermé- 
diaires. Cette  théorie  est  une  des  plus  anciennes  ; on  la 
retrouve  formulée  ex])licitement  par  Clément  et 
Desormes,  pour  interpréter  l’action  des  nitrates  sur 
roxjalation  de  l'acide  sulfureux  ; on  la  retrouve  pour 
inter})i‘éter  la  falirication  de  l’acide  sulfurique  dans  les 
chambres  de  ploml):  la  falirication  de  l’éther  sulfurique 
aux  dépens  d’alcool  et  d’acide  sulfurique,  etc.,  etc.,  ce 
(]ui  faisait  déjà  dire  à de  la  Rive,  en  1840,  que  pour  l’in- 
terprétation de  ces  phénomènes  il  n'est  pas  nécessaire 
de  recourir  à une  foi'ce  mystérieuse  semblable  à celle 
que  Berzélius  a admise  sous  le  nom  de  force  catalytique. 

C’est  à cette  hyjtothèse  également  que  s’aiu’êtent 
Sabatier  et  Senderens,  pour  l’interprétation  des  hydro- 
génations et  des  déshydrogénations  par  les  métaux 
divisés. 

M.  Lapie,  i-ecteur  de  l’université  de  Toulouse,  lors 


LES  ACTIONS  CATALYTIQUES  EN  CHIMIE 


125 


d’une  manifestation  récente  organisée  en  l’honneur  de 
Sabatier,  expose  de  la  façon  suivante  les  idées  du  grand 
chimiste  toulousain  : 

« Puisque  la  présence-  du  métal  est  nécessaire  à la 
catalyse,  ce  métal  ne  saurait  être  un  spectateur  inerte, 
il  doit  jouer  un  rôle  dans  l’opération.  Puisque  le  Nickel, 
par  exem})le,  est  indispensalile  à la  combinaison  de 
l’acétylène  et  de  l’hydrogène,  cette  comlnnaison  n’est 
pas  simple;  il  faut  supposer  que  le  Nickel  commence 
par  attirer  l’hydrogène,  mais  que  l’hydrogène  capri- 
cieux rompt  bientôt  avec  le  métal  jxnir  s’unir  à l’acé- 
tylène. Les  yeux  n’aperçoivent  sous  la  présence  du 
métal  passif,  qu’une  combinaison  ; l’esprit  ne  peut 
expliquer  les  faits  que  par  deux  mai‘iages  séparés  par 
un  divorce.  » 

La  transformation  catalytique  des  acides  organiques 
en  cétones  sous  l’influence  de  la  thorine  ou  de  la  zircone 
est  attribuée,  par  Senderens,  à la  formation  de  combi- 
naisons temporaires  de  ces  catalyseurs  avec  les  acides, 
suivie  de  la  destruction  de  ces  combinaisons,  d’oii 
résultent  la  formation  de  la  cétone  et  la  régénération 
du  catalyseur. 

Ostwald  critique  la  conception  des  réactions  inter- 
médiaires, parce  qu’elle  ne  repose  pas  sur  une  connais- 
sance suflisamment  précise  des  transformations,  et  il 
ajoute  qu’il  faudrait  encore  prouver  que  l’action  directe 
est  moins  rapide  que  la  succession  des  échelons  qui 
sont  supposés  utiles  pour  l’accomplir. 

Cette  théorie  des  réactions  intermédiaires  a le  défaut 
de  s’appuyer  parfois  sur  les  considérations  des  com- 
posés hy]iothétiques  ; dans  de  nombreux  cas  cepen- 
dant, les  produits  intermédiaires  ont  été  isolés  et  en 
dehors  de  cette  théorie  il  est  impossible,  à l’heure 
actuelle,  de  donner  aucune  ex]»lication  générale  des 
actions  catalytiques. 


RKVT'E  DES  QT’ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


i2V) 


C’est  un  des  grands  mérites  de  Berzélius  d’avoir 
reconnu  dans  plusieurs  phénomènes,  en  apparence  très 
différents,  une  cause  commune.  D’après  sa  conception, 
dans  tous  les  phénomènes  catalytiques,  le  corps  ou  le 
système  de  corps  qui  provoque  la  transformation,  reste 
inaltéré  et  agit  par  une  force  propre  qui  n’est  pas  con- 
nue; Berzélius  la  désigne  sous  le  nom  de  force  catalv- 
tique.  C’était  }>our  lui  un  fait  important  que  le 
catalyseur  restait  inaltéré,  ou  du  moins  ne  subissait  pas 
de  transformation  visible  et  à ce  point  de  vue  les  idées 
du  chimiste  suédois  ne  s’écartent  pas  des  idées 
modernes.  Mais  d’une  part,  Berzélius  n’a  pas  tenu 
compte  des  rajiports  (juantitatifs  entre  le  catalyseur  et 
les  substances  catalysées,  quoiqu’il  en  fût  déjà  fait 
mention  par  Clément  et  Desormes,  dans  leurs  travaux 
sur  les  i-éactions  des  chambres  de  plomb,  et  d'autre 
jiart,  il  croyait  aussi  ([ue  le  catalyseur  était  capable  de 
provoquer  des  réactions  qui  n’auraient  jui  se  faire  en 
son  absence. 

Or,  s’il  en  était  ainsi,  ou  bien  le  catalyseur  devrait 
fournir  au  système  une  quantité  d’énergie  suffisante, 
jH)ur  amorcei-  la  réaction  et,  dans  ce  cas,  cette  énergie 
serait  fournie  par  une  transformation  du  catalyseur  ; 
ou  bien  le  pi-occssus  en  question  pourrait  s’effectuer  de 
lui-même,  mais  une  cause  quelconque  s’y  opposerait 
et  arrêterait  momentanément  sa  marche  normale.  La 
première  hypothèse  ne  se  justifie  guère,  puisque  le 
catalyseur  se  retrouve  inaltéré  après  la  transforma- 
tion. Le  catalyseur  ne  jteut  donc  infiuencer  l’affinité 
d’une  réaction,  ceci  serait  en  opposition  avec  le  second 
principe  de  thermodynamique. 

De  la  seconde  hypothèse  découle  comme  conséquence 
immédiate,  que  la  vitesse  du  phénomène  catalysé  doit 
êti-e  indépendante  de  la  force  qui  aura  détruit  la  résis- 
tance opposée  à la  réaction  : une  fois  que  l'on  aura 


LES  ACTIONS  CATALYTIQUES  EN  CHIMIE 


127 


ajouté  une  quantité  suffisante  du  catalyseur,  un  excès 
n’aura  plus  d’action. 

Or,  l’expérience  a montré  des  rapports  quantitatifs 
bien  déterminés  entre  la  masse  du  catalyseur  et  celle 
des  substances  en  réaction  ; la  vitesse  d’une  réaction 
catalysée  augmente  avec  la  quantité  du  catalyseur  et, 
dans  la  plupart  des  cas,  presque  proportionnellement. 

Ceci  a été  j)rouvé  notamment  par  Ostwald  et  ses 
élèves  dans  le  cas  de  l'inversion  du  sucre  et  de  la 
décomposition  des  éthers,  et  depuis,  ce  phénomène  a 
été  observé  par  divers  ex])érimentateurs  dans  de  nom- 
hreux  cas. 

On  en  revient  ainsi  aux  idées  émises  ]iar  de  Saussure 
et  par  Liebig,  que  les  réactions  catalysées  sont  aussi 
des  réactions  qui  peuvent  se  produire  sans  le  concours 
du  catalyseur,  mais  avec  une  vitesse  en  général 
beaucoup  moindre. 

Ostwald  a donc  }m  définir  la  catalyse,  en  disant  que 
c’est  l’accélération  par  la  présence  de  substances 
étrangères,  de  réactions  très  lentes. 

On  peut  admettre  que  le  catalyseur  diminue  ou  su})- 
))rime  le  frottement  ou  la  résistance  chimique,  qui 
ralentit  la  vitesse  de  l’exercice  spontané  des  affinités. 
La  présence  d’une  matière  catalysante  ne  modifie  donc 
pas,  en  général,  la  nature  d’une  réaction,  sauf  en  ce 
qui  concerne  sa  vitesse.  Effectivement,  on  constate  que 
dans  les  réactions  limitées,  l’introduction  d’un  cataly- 
seur ne  modifie  pas  la  valeur  de  la  limite  de  i-éacfion, 
mais  diminue  simjilement,  dans  des  proportions  plus  ou 
moins  notables,  le  temps  nécessaire  pour  atteindre 
cette  limite.  Lemoine  en  a fait  la  constatation,  })our 
l'acide  iodhydrique,  où  la  présence  de  mousse  de 
])latine  permet  d’atteindre  immédiatement  à 350".  l'état 
d’équililire  qui,  en  l’absem^e  du  catalyseur,  n'est  atteint 
qu’au  bout  de  250  à 300  heures. 

Berthelot  a fait  la  même  observation  pour  l’éthérifi- 


128 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


cation  des  alcools  jiai*  l’acide  acétique  : en  présence  de 
traces  d’acide  minéral,  l’équilibre  est  atteint  à la  tein- 
})érature  ordinaire,  en  quelques  heures  ; en  l’absence 
du  catalyseur,  le  même  équilibre  n’est  atteint  qu’au 
bout  de  plusieurs  années. 

Tbie  consé(pience  de  ce  qui  précède,  est  ([ue  dans 
les  réactions  limitées,  la  valeur  de  l’équilibre  est  indé- 
])endante  de  la  nature  du  catalyseur. 

C’est  ce  ([u’on  a vérifié,  par  exenq)le,  dans  la  con- 
densation de  l’akléhyde  acéticfue  en  pai-aldéhyde  : 
quelle  que  soit  la  nature  du  catalyseur,  on  arrive  tou- 
jours à la  même  ])roportion  de  manière  transformée. 

Le  facteur  important  dans  l’action  catalytique  est 
donc  l’accélération  de  la  vitesse  de  réaction. 

On  peut  considérer  la  vitesse  d’une  réaction,  comme 
le  quotient  de  l’énerpie  chimique,  j)ar  la  résistance  ou 
le  frottement  chimique. 

Les  vitesses  d’une  réaction  ])euvent  se  re}>résenter 
]tar  la  formule  générale  — = KC”  où  /?.  désigne 


l'ordi'e  de  la  i“éaction. 

l^arfois.  certaines  intluem;es  j)erturbatrices  se  font 
sentir;  il  faut  alors  substituer  à la  formule  précédente, 

la  formule  })lus  générale — Cette  expres- 

sion intégrée  entre  deux  limites  et  et  les  concen- 
trations corres])ondantes  donne  : 


K((q  _ c^)  = _ /,). 


Pour  la  même  réaction  catalysée,  la  constante  de 
vitesse  devient  K'  et  on  a 


Pb'j  — (’/p  = K'ffj  — f j. 

Si  j)Our  la  réaction  catalysée  et  non  catalysée,  on 
ojière  la  même  ti-ansformation  de  façon  que  : 


LES  ACTIONS  CATALYTIQUES  EN  CHIMIE 


129 


on  aura 

K _ l\  — 1\ 

K “ t\  - h 

L’accélération  de  la  vitesse  de  réaction  sous  l’intluence 
du  catalyseur  sera  donnée  par  la  différence  : 


a ^ K'  — K = J 

* 2 


1 _ 

- t\ 


\ _ 


Si  K est  négligeable,  comme  c’est  le  cas  dans  de 
nombreux  phénomènes  catalytiques,  on  a : 


D’après  la  définition  de  la  catalyse,  la  résistance 
chimique  est  le  seul  facteur  qui  puisse  être  modifié  par- 
les agents  catalytiques  : et  dès  lors,  si  la  résistance 
chimique  est  diminuée,  on  aura  une  catalyse  positive  ; 
si  la  résistance  est  augmentée,  on  aura  une  catalyse 
négative. 

Ostwald  fait  à ce  sujet  une  comparaison  très  ingé- 
nieuse : le  catalyseur  d’une  réaction  est  comparable  à 
l’agent  lubréfiant  d'une  machine  ; sans  huile  la 
machine  ne  tourne  que  très  lentement,  les  résistances 
de  frottement  sont  considérables  : si  on  les  diminue 
par  le  graissage,  la  vitesse  de  rotation  augmente  sen- 
siblement, sans  que  l’on  ait  modifié  la  force  de  la 
machine.  L’augmentation  de  vitesse  résultant  du 
graissage  est  comparable  à une  catalyse  positive.  Au 
lieu  d’huile,  mettons  du  sable  dans  les  engrenages  et 
les  paliers  de  la  machine  ; sans  modifier  sa  force  on 
diminue  notablement  sa  vitesse,  et  ceci  est  comparable 
à une  catalyse  négative. 

Supposons  maintenant  une  machine  qui,  à sa  mise  en 
marche,  ne  soit  guère  lubréfiée,  mais  qui  possède  un 
nu  SÉRIE.  T.  XXVI.  9 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


i:^() 

sy  stème  automatique  de  graissage  : sa  vitesse,  faible  à 
Torigine,  augmentera  peu  à peu  sans  aucune  interven- 
tion étrangère.  La  cliimie  nous  offre  des  exemples 
analogues  : il  existe  des  réactions  dont  la  marche 
entraîne  une  variation  positive  ou  négative  de  la 
masse  du  catalyseur,  et  évidemment  de  ce  chef  il  y a 
augmentation  on  diminution  de  vitesse  de  réaction 
durant  la  transformation  ; ce  sont  des  réactions  auto- 
catalytiques que  l’on  pourra  diviser  en  deux  classes, 
suivant  que  c’est  le  produit  initial  ou  final  qui  est  l’agent 
catalytique.  Ln  exemple  très  instructif  de  ce  genre  de 
catalyse  nous  est  donné  dans  la  formation  ou  la  décom- 
position des  lactones.  T"n  autre  exemple  est  donné  ]>ar 
la  comliinaison  de  l’oxygène  et  de  l’hydrogène;  lorsque 
ces  deux  gaz  sont  parfaitement  secs,  elle  ne  s’ettéctue 
pas  encore  à KJOO";  mais  si  elle  a (ïommencé,  elle 
donne  lieu  à une  formation  de  vapeur  d’eau,  dont  la 
présence  favorise  beaucoup  la  réaction  et  la  nmd 
excessivement  rajtide  et  explosive. 

Leu  après  la  découverte  des  catalyseurs,  on  con- 
stata que  certaines  substances  exercent,  }>ar  leur  pré- 
sence dans  un  système  chimique,  une  action  défavorable 
ou  retardatrice,  et  les  premièi-('S  observations,  dans  ce 
sens,  furent  })récisément  faites  par  ceux  qui  avaient 
reconnu  les  premières  actions  catalytiques. 

(les  substances,  dont  l’infiuence  accroît  le  frottement 
chimique  au  lieu  de  le  diminuer  et  peut  parfois  para- 
lyser com})lètement  le  Jeu  normal  des  affinités,  ont 
reçu  le  nom  de  catalyseurs  négatifs. 

r/action  des  catalyseurs  négatifs  peut  être  fort  difié- 
rente;  d’une  façon  générale  ils  mettent  hors  d’action  le 
catalyseur  positif.  A ce  })oint  de  vue  on  peut  les  rame- 
ner à quelques  tyjies  jirincipaux;  ou  bien  ils  produisent 
une  décomposition  conq)lète  du  catalyseur,  ou  bien  ils 
donnent  lieu  à la  foi-mation  permanente  ou  passagère 


LES  ACTIONS  CATALYTIOUES  EX  CHIMIE 


131 


d’une  combinaison  stable  ou  labile  avec  le  catalyseur; 
enfin,  la  mise  hors  d’action  du  catalyseur  })ositif  peut 
encore  résulter  d'actions  purement  physiques. 

Déjà  en  1824,  Turner  avait  reconnu  que  des  traces 
de  diverses  siilistances  suppriment  l’activité  cataly- 
tu[ue  du  platine  divisé  ; il  indiquait  comme  telles,  le 
sulfure  d’ammonium,  le  sulfure  de  carbone,  l’acide 
sulfhydrique. 

Dans  la  fabrication  de  l’acide  sulfurique  par  le  j)ro- 
cédé  de  contact,  la  jirésence  dans  les  gaz,  de  vapeurs 
de  mercure,  de  ))bosphore,  mais  surtout  d’arsenic, 
suffit  pour  faire  disparaître  rapidement  l’activité  cata- 
lytique de  l’amiante  jéatinée. 

Dans  l’emploi  du  Nickel  divisé  comme  catalj'seur 
d’hydrogénation,  des  traces  de  chlore,  de  brome,  d’iode 
et  de  produits  sulfurés,  suffisent  pour  empêcher  la 
réaction  et  constituent  un  véritable  poison  pour  le 
feianent  minéral  qu’est  le  Nickel. 

La  comliinaison  du  catalyseur  positif  avec  le  négatif 
peut  être  directe.  Ce  fait  se  produit  pour  les  cataly- 
seurs ions,  lorsque  ceux-ci  passent  à l’état  de  complexe; 
ou  bien  la  combinaison  est  indirecte,  en  ce  sens  que  le 
catalyseur  négatif  jtrovoque  la  combinaison  du  cataly- 
seur positif  avec  un  autre  corps  : ceci  peut  de  nouveau 
êti*e  le  cas  pour  un  catalyseur  ion  ; par  l’addition  d’un 
électrolyte  à un  ion  commun,  la  concentration  de  l’ion 
catalyseur  peut  être  suffisamment  diminuée  pour  que 
son  activité  catalytique  disparaisse  totalement. 

D’autres  catalyseurs  négatifs  semblent  agir  en  stabi- 
lisant un  système  chimique  et  en  rendant  leiii*  trans- 
formation plus  difficile  ; ces  catalyseurs  ont  été  moins 
étudiés  ; on  en  connaît  cependant  de  nomlireux 
exemples. 

Dans  les  systèmes  autocatalytiques,  les  matières  qui 
])ourront  fournir  des  combinaisons  stables  avec  les 
catalyseurs  engendrés  par  la  réaction,  empêcheront 


132 


REVUE  DES  QT’ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


leur  effet  et  seront  ])ar  conséquent  des  stabilisateurs  ou 
catalyseurs  négatifs.  Ainsi  j>ar  exemple,  vis-à-vis  des 
poudres  à base  de  dérivés  nitrés  organiques,  toutes  les 
substances,  capables  de  tixei*  ou  de  décomposer  les  pro- 
duits acides  résultant  de  la  dénitration  spontanée,  sont 
des  stabilisateurs. 

La  définition  donnée  par  ( )st\vald  de  la  catalyse  con- 
duit à considérer,  comme  catalyseurs,  une  infinité  de 
substances.  Les  dissolvants  sont  des  catal3’seurs,  lors- 
qu’ils n’interviennent  ]>as  dans  la  réaction  qu’ils  per- 
mettent d’effectuer.  La  natui’e  du  dissolvant  a d’ailleurs 
une  influence  parfois  très  mai-quée  sur  les  vitesses  de 
réaction. 

En  jjratiqne,  la  dénomination  de  catalyseur  n’est 
appliquée  qu’aux  substances  dont  une  petite  quantité 
suffit  à provoquer  la  réaction  de  quantités  (considé- 
rables de  substances,  .luscprici  nous  n’avons  considéré 
que  l’a(‘tion  accélérante  ou  retardatrice  due  à un  seul 
catalyseur. 

On  a observé  égalenumt  des  variations  de  vitesse  de 
réaction,  j)rovoquées  ]»ar  la  ])résence  simultanée  de 
plusieurs  catalyseurs,  soit  jtositifs,  soit  négatifs. 

On  aurait  pu  s’attendre,  jtar  analogie  avec  d’autres 
réactions,  à ce  que  l’influence  de  chaque  catalyseur  se- 
fit  sentir  comme  s’il  était  seul  ; l’accélération  totale- 
de  la  réaction  se  composerai!  alors,  additivement,  des 
accéléi-ations  positives  ou  m^gatives  des  deux  cataly  - 
seurs, et  en  fait,  ceci  a été  trouvé  })ar  Brode  dans 
l’action  de  l’eau  oxygénée  sur  l’acide  iodhydrique,  en 
présence  de  sels  ferreux  (d  d’acide  molybdique  comnu’- 
catalyseurs. 

Mais  cette  addition  des  ac-fions  catalytiques  n’est 
cependant  pas  la  règle  dans  la  majeure  partie  des  cas. 
En  général,  on  a trouvé  des  relations  beaucoup  plus 
compliquées,  résultant  souvent  de  l’action  mutuelle  des 
deux  catalyseurs. 


LES  ACTIONS  CATALYTIC'T’ES  EN  CHIMIE 


133 


Les  catalyseurs,  en  etiet,  ont  les  projiriétés  d’activer 
mntuelleinent  leur  action,  soit  directement,  soit  indi- 
rectement : directement,  en  ce  sens  qu’un  des  cataly- 
seurs modifie  dans  d’énormes  propositions  l’action  de 
l’autre;  indirectement,  en  ce  sens  que  l’im  modifie  les 
produits  de  la  réaction.  })Our  que  ceux-ci  subissent  plus 
facilement  l’action  de  l’autre  catalyseur. 

La  propriété  d’activation  manque  souvent  à des 
catalyseurs  énergiques,  alors  que  des  substances  qui, 
par  elles-mêmes,  ne  modifient  ([ue  faiblement  la  vitesse 
d’une  réaction.  Jouissent  de  la  propriété  d’augmenter, 
dans  des  proportions  énormes,  l’activité  catalytique 
d’autres  substances. 

Les  applications  techniques  et  scientifiques  de  la 
catalyse  sont  de  la  plus  haute  importance. 

De  nombreuses  industries  sont  basées  sur  les  actions 
catalytiques.  Faut-il  rappeler  le  procédé  Deacon,  pour 
la  préparation  du  chlore,  la  méthode  des  chambres  de 
plomb,  pour  la  préparation  de  l’acide  sulfurique  et  la 
méthode  du  contact,  la  fabrication  de  l’éther  sulfurique 
et  les  nombreuses  industries  de  fermentation  où  inter- 
viennent des  zymases  bactérielles  ? Tous  ces  procédés 
sont  trop  connus,  il  est  inutile  d’y  insister.  Mais  je 
voudrais  signaler  le  brevet  Sabatier  pour  la  fabrication 
du  gaz  d’éclairage.  Le  célèbre  professeur  de  Toulouse 
a montré,  que  la  ])roduction  du  méthane  par  hydrogé- 
nation directe  sur  le  nickel,  de  l’oxyde  de  carbone  et 
de  l’anhydride  carbonique,  peut  être  utilisée  pour  la 
préparation  industrielle  d’un  gaz  riche  en  méthane. 

Le  gaz  à l’eau  préparé  cà  la  température  du  rouge 
cerise  a la  composition 

CO,  GO^,  311,. 

En  éliminant  l’anhydride  carboni(jue,  par  une  méthode 
d’absorption  quelconque,  il  reste  un  mélange  de 


134 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


CO  + 3I1„  qui,  passant  sm*  du  Nic'kel  vers  230-250, 
fournit  du  méthane  pur. 

Espérons  que,  dans  un  avenir  prochain,  le  gaz 
méthane  chassera  des  usines  et  des  haliitations,  le  trop 
délétère  gaz  de  houille  et  le  gaz  à l’eau  })lus  délétère 
encore. 

.Te  m’en  vomirais  de  passer  sous  silence  un  des 
points  importants  de  l’œuvre  de  Sabatier  et  Senderens  : 
en  hydrogénant  l’acétylène,  ils  ont  obtenu  un  composé 
qni  possède  les  jiropriétés  du  pétrole.  En  faisant  varier 
les  conditions  de  l’expérience,  ils  ont  obtenu  non  pas 
un  pétrole  de  laboratoire,  mais  toute  la  série  des 
pétroles  naturels  : pétrole  d’Amérique,  pétrole  du 
Caucase,  pétrole  de  Roumanie,  pétrole  de  (falicie. 

Non  seulement  ce  travail  a un  intérêt  scientifique 
considérable,  puisqu’il  nous  révèle  la  genèse  probable 
des  pétroles,  mais  encore  il  nous  permet  d’espérer  que 
nous  ne  man([uerons  Jamais  de  ces  produits  précieux. 

Parmi  les  applications  scientifiques  de  la  catalyse, 
il  faut  citer  encore  celles  qui  résultent  des  travaux  de 
l’école  Toulousaine. 

Les  différentes  méthodes  d’hydrogénation  et  de 
dédoublement  des  procédés  Sabatier  et  Senderens  sont 
d’une  fécondité  remarqualile.  Avec  les  métaux  divisés 
ils  ont  obtenu  des  hydrogénations  et  des  déshydrogé- 
nations qui,  par  les  méthodes  ordinaires,  ne  s’efiéc- 
tuaient  qu’avec  des  difficultés  souvent  considérables  et 
des  rendements  dérisoires. 

Avec  des  oxydes,  tels  que  la  silice  et  l’alumine,  et  des 
sels  minéraux,  tels  que  le  silicate  d’alumine,  Senderens 
a réalisé  avec  facilité  la  désbj’dratation  d’un  grand 
nomlire  d’alcools;  avec  des  oxydes  il  a réalisé  le 
dédoublement  moléculaire  des  acides  organiques  et  il  a 
fourni  une  méthode  précieuse  pour  la  pré])aration  des 
cétones  grasses  et  aromatiques. 

Il  n’est  }>as  douteux  que  ces  procédés,  qui  ont  déjà 


LES  ACTIONS  CATALY'ITQUES  EN  CHIMIE 


135 


donné  lieu  à des  applications  nombreuses,  ne  rendent 
encore  à l’industrie  des  services  considérables,  car  ils 
permettent  l’obtention  de  tous  ces  cor[)S  avec  des  ren- 
dements sur[)renants.  ( )r,  les  faits  nous  ont  appris 
que  des  produits  auxquels  ne  semblait  dévolue,  à pre- 
mière vue,  aucune  industrialisation,  sont  devenus  l’objet 
de  fabrications  importantes,  à raison  de  la  facilité  avec 
laquelle  on  a réussi  à les  obtenir  : je  me  contente  de 
citer  l’acide  salycilique  de  Kolbe  et  l’anhydride  ortlio- 
sulfamine-benzoïque  ou  saccharine  d’ira  Remsen. 


V.  Brl'ylants. 


LES  PARATONNERRES 


A L’ASSOCIATION  ÉLEOTROTECHNIQUE  ALLEMANDE  (1) 


Nulle  part,  sans  doute,  autant  qu'en  Allemagne,  on 
ne  s’est  préoccupé,  dans  ces  derniers  temps,  de  la 
question  des  paratonnerres.  Nulle  part  on  n’a  poussé 
cette  étude  avec  plus  de  compétence,  plus  de  persévé- 
rance, avec  un  sens  j>liis  aiguisé  des  réalisations  pra- 
tiques. 

Chaque  année,  la  foudre  tue  des  hommes  et  cause 
des  dégâts  qui.  pour  l’Allemagne  senle,  s’élève  à un 
nombre  considéral)le  tle  millions.  C’est  un  terrible 
tiéau  dont  il  importe  de  limiter  le  ])lus  possible  les 
ravages.  l)epuis  plus  d’un  siècle  et  demi.  Franklin 
nous  a mis  entre  les  mains  une  arme,  le  paratonnerre, 
dont  l’erticacdé  est  incontestable,  encore  que  des  détails 
de  sa  construction  puissent  être  sujets  à discussion.  Il 
serait  grandement  à souhaiter  pour  le  bien  de  riiuina- 
nité,  que  ces  appareils  protecteurs  fussent  mnltipliés 
à profusion  et  même  universellement  répandus. 

Malheui'eusement,  telle  qu’elle  est  souvent  préconisée 
par  les  praticiens  ou  même  encore  par  des  autorités 
scientifiques  insiifiisamment  informées,  la  construction 
des  paratonnerres  entraîne  des  frais  considérables,  tels 
qu’il  faudrait  renoncer  à espérer  une  très  grande  dif- 
fusion de  ces  moyens  [u’éservatifs.  En  effet,  chacun  en 

(l)Pi’ot.  Dipl.  Ing.-  S.  Paippcl-Fi-ankfurl  a.  M.  Geboudvbtitzscluttz.  dam 
E.  'I'.  Z.  1913.  lleft.  “23.  S.  S.  (U3-647. 


LES  PARATONNERRES 


i:n 

particulier  est,  coniinunément,  assez  tenté  de  considé- 
rer comme  très  éloigné  le  danger  que  court  son  habi- 
tation d’être  frappée  par  le  tonnerre.  Et  si,  pour  la 
protéger,  on  vient  vous  conseiller  un  appareillage 
d’une  installation  compliquée,  comportant  des  tiges 
difficiles  à fixer,  des  pointes  de  }>latine  très  coûteuses 
— d’un  prix  presqu'inabordable  aujourd’hui  — volon- 
tiers on  remet  la  chose  à plus  tard,  si  on  n’en  aban- 
donne pas  tout  simj)lement  le  projet. 

Mais  ces  organes  sont-ils  bien  indispensables,  cette 
complication  est-elle  si  rigoureusement  requise  pour 
assurer  une  sérieuse  protection  contre  le  tonnerre  ? 
Les  arguments  a]>portés  par  leurs  partisans  sont-ils 
certains,  indiscutal)les  ? 

A bien  des  reprises  déjà,  tout  cela  a été  révoqué  en 
doute.  Le  problème  vaut  d’être  repris  à nouveau  ; 
Etudions-le  donc,  non  pas  sur  la  foi  de  théories  plus  ou 
moins  légitimement  appliquées,  ni  même  à la  seide 
lumière  d’expériences  de  laboratoire  exécutées  à une 
échelle  forcément  microscopique  au  regard  des  puis- 
sances formidalfies  en  jeu  dans  les  orages.  Recourons 
avant  tout  à l’observation  des  faits  que  nous  présente 
la  nature.  Sans  avoir  tout  le  développement  désirable, 
les  rapports  des  sociétés  d’assurances  contre  l'incendie 
et  le  tonnerre  nous  fournissent  déjà  une  ample  collec- 
tion d’accidents  suffisamment  détaillés  pour  guider  nos 
recherches  et  nous  livrer  d’utiles  leçons. 

Tel  fut,  en  somme,  le  raisonnement  des  savants 
d’Outre-Rhin.  La  très  active  Association  électrotech- 
nique allemande  («  ^’erband  Deutscher  Elektrotechni- 
ker  » ou  encore  « Elektrotechnisclier  \*erein  »,  en 
abrégé  E.  T.  Y.)  fut  saisie  de  la  question,  et  nomma, 
en  1885,  une  sous-commission  chargée  de  son  étude. 
L’année  suivante.  l’E.  T.  V.  publiait,  sous  le  titre  de 
« Die  Blitzgefahr  » ( = le  danger  des  coups  de  foudre) 


13S 


REVUE  DES  QT^ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


une  jtrcniière  lirochure  où,d’aj)rès  l’expéiTence  acquise 
à cette  é])oque,  des  conseils  étaient  donnés  sur  la  ma- 
nière (Tétablir  les  jiaratonnerres  sur  les  bâtiments. 
Une  deuxième  brochure  suivit  en  1891  ; elle  traitait 
du  raccordement  des  paratonnerres  aux  canalisations 
de  i>az  et  d’ean. 

En  vue  d’atteindre  un  public  plus  étendu,  l’E.  T.  A', 
rédigea,  en  1901,  des  règles  très  sim})les  pour  la  con- 
struction des  paratonnerres  et  intitulées  : Leitsâtze 
des  Elektrotechnischen  Vereins  über  den  Schutz 
der  Gebâude  gegen  den  Blitz. 

Cette  publication  définit,  avec  toute  l’autorité  de  la 
célèbre  Association,  comment  on  peut  concevoir  le  para- 
tonnerre ; elle  dit  clairement  le  détail  de  son  installa- 
tion ; et  la  chose  apparaît  si  sinq)le  et  si  peu  coûteuse 
qu’aucune  excuse  ne  peut  s’opposer  à son  adoption 
partout  et  jusque  sur  les  constructions  les  plus  humbles. 

E'intérèt  que  porte  l’E.  T.  à cette  importante 
question  n’a  pas  langui  après  ce  vigoureux  effort. 
Périodiquement,  elle  y consacre  des  études  dont  depuis 
des  années  le  Professeur  S.  Ruppel  de  Francfort  sur 
le  Main  s'est  fait  une  spécialité.  Le  Professeur  Ruppel 
est  devenu,  en  Allemagne,  le  grand  pi'Ojiagandiste  des 
paratonnerres  simplifiés. 

Les  débuts  si  orageux  de  la  jirésente  saison  nous 
invitent  à attirer  l’attention  de  nos  lecteurs  sur  le  ra]t- 
porf  qu’il  a présenté  à la  session  de  l’E.  T.â  . à Breslau, 
l’an  passé.  Nous  rattacherons  notre  analyse  à un  exposé 
des  Tjcitsiitze  de  LE.  T.  ex})Osé  qui  s'inspirera  lui- 
môme  avant  tout  des  commentaires  ({u'en  a écrits  le 
même  auteur  (i).  Ces  règles  sont  assez  peu  connues 
dans  nos  j)ays  de  langue  française.  Leur  diffusion  con- 
tribuera certainement  à détruire  de  fâcheux  préjugés. 


(1)  l.e  inr-nie,  Veheixfachte  Blitzableiter.  Berlin,  Springer,  éd.,  1912. 


LES  PARATONNERRES 


139 


Nous  estimons  taire  œuvre  oramleiiient  utile  en  les 

À? 

donnant  ici. 

Au  préalable,  afin  de  préciser  quelques  données  du 
problème,  soulignons  avec  le  Professeur  Ruj)pel  (Rap- 
port de  1913)  d’importantes  leçons  des  statistiques 
allemandes. 

Elles  montrent  que  les  jtaratonnerres  sont  plus 
répandus  dans  les  villes  qu’à  la  camj)agne  — et  pour- 
tant c’est  à la  campagne  que  le  danger  est  le  plus 
grand.  Ij’ensemble  des  dommages  causés  par  la  foudre, 
en  Allemagne,  au  cours  de  ces  dernières  années, 
s’élève  à environ  12  millions  de  marks  ; la  part 
des  campagnes  dans  ce  total  est  de  11,4  millions, 
soit  95  °'o- 

On  peut  utilement  introduire  ici  une  nouvelle  pré- 
cision. 

La  presque  totalité  des  dommages  causés  par  les 
coups  de  foudre  est  due  aux  incendies  qu’ils  allument. 
Ainsi,  en  Prusse,  de  1885  à 1909,  les  coups  de  foudre 
incendiaires  ont  causé  un  dommage  de  128,7  millions 
de  marks  sur  un  total  de  131,3  millions,  soit  98  “ o.  Or, 
en  somme,  le  danger  d’incendie  n’est  grand  que  là  oii 
se  rencontrent  des  matières  facilement  intlammables 
telles  que  la  paille  et  le  foin.  Le  Professeur  Ruppel  a 
montré,  en  1912,  que  précisément  ces  matières,  paille 
et  foin,  ont  été,  dans  80  ° „ des  cas,  la  cause  de  l’in- 
cendie. 

D’autre  part,  des  nombreuses  observations  relatées 
dans  les  rapports  des  sociétés  d’assurance  se  dégage 
clairement  le  fait  que  des  pièces  métalliques  peu  nom- 
breuses, même  non  connectées  entre  elles,  ont  exercé 
une  action  protectrice.  Gomme,  généralement,  dans 
les  installations  rurales,  on  ne  trouve  à l’intérieur 
aucune  masse  métallique  importante,  un  appareillage 
des  plus  simples  suffirait,  nous  le  verrons,  à leur 
assurer  une  protection  écartant  tout  dommage  notable. 


140 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


\'oici  maintenant,  avec  quelques  remarques  à l’appui, 
le  texte  des  Leitsatzr  annoncé  ci-dessus.  Evidemment 
nous  ne  pouvons  pas  ici  entrer  dans  les  détails  tech- 
niques de  rexécution  des  jiaratonnerres.  Le  lecteur  les 
trouvera  tout  au  lonp  dans  la  brochure  du  Professeur 
Rupjiel  : \'ereixfachte  .Blitzableiter,  déjà  men- 
tionnée. 

RÈGLES  RELATIVES  A LA  PROTECTION  DES  BATIMENTS 
CONTRE  LA  F’OUDRE 

i‘:tablies  par  l’elektroteciinischer  verein 

Utilité  des  paratonnerres.  — « 1.  Le  ])aratonnerre 
protège  les  bâtiments  et  leur  contenu  contre  les  dégâts 
et  contre  l’incendie  causés  par  la  foudre.  Il  y a lieu 
de  s’etforcer  de  répandre  de  plus  en  plus  son  emploi 
par  la  siiiqilitication  de  sa  construction  et  la  réduction 
de  ses  frais  d’établissement.  » 

Les  divers  systèmes  de  paratonnerres  se  ramènent, 
en  somme,  à deux  : celui  de  (fay-Lussac  et  celui  de 
notre  coinj)atriote  Melsens  (Louvain). 

Le  système  de  (fay-Lussac  est  le  jiaratonnerre  à tige 
de  Franklin  perfectionné.  Gay-Lussac  en  a décrit  en 
détail  la  construction  dans  son  rapport  agréé  par  l’In- 
stitut de  France  en  (1). 

Melsens  a étudié  son  système  en  vue  de  la  protection 
de  riIôtel-de-Ville  de  Bruxelles  (1863).  Ecartant  le 
dogme  de  la  zone  de  protection,  le  professeur  de  phy- 
sique à l’Ecole  vétérinaire  de  Guregbem-Bruxelles, 
s'est  avant  tout  basé  sur  le  principe  de  la  cage  de  Fara- 
day qu’il  a été  le  premier  à appliquer  à la  protection 
des  édibces  contre  la  foudre.  Ainsi  que  Faraday  l’a 
montré,  les  plus  fortes  décharges  électriques  que  nous 

(l)  Instruction  sur  les  I'aratonxerres  adoptée  par  l’Académie  des 
Sciences,  1904.  Paris,  Gaulhier-Villars.  Pp.  19-70. 


LES  PARATONNERRES 


141 


sachions  produire  ne  réussissent  jtoint  à pénétrer  dans 
une  cage  métallique,  ni  meme  à v faire  sentir  leur 
influence  sur  les  appareils  très  délicats  qu’on  peut  y 
l'-enfermer.  Melsens  entoure  donc  le  bâtiment  à préser- 
ver d’une  véritable  cage,  d’un  réseau  en  flls  de  fer  de 
4 à ô mm.  de  diamètre  — à mailles  d’ailleurs  fort 
larges  — dont  il  réunit  soigneusement  à la  terre,  les 
conducteurs  de  descente  de  chacune  des  faces.  I^oiir  la 
mise  à la  terre,  il  se  raccorde  volontiers  aux  canalisa- 
tions de  gaz  et  d’eau.  Tous  les  sommets  de  cette  cage 
sont  en  outre  armés  d’aigrettes  à pointes  multi}»les.  A 
la  condition  que  ces  aigrettes  soient  fort  nombreuses, 
Melsens  leur  attribue  une  importance  considérable, 
sans  doute,  mais  secondaire  au  regard  de  la  protection 
assui’ée  par  la  cage  soigneusement  mise  à la  terre. 

L’oeuvre  de  INIelsens  a été  continuée  par  )tlusieurs 
physiciens,  ])armi  lesquels  il  faut  citer  en  premièi‘e 
ligne  Findeisen  (Stuttgart,  1897).  Ici  les  aigrettes  sont 
abandonnées,  mais  le  principe  de  la  cage  mise  à la 
terre,  princi})e  inattaquable  aussi  bien  en  fait  qu’en 
théorie,  subsiste  toujours.  Pareille  cage,  met  le  bâti- 
ment presque  certainement  à l’abri  de  tout  dommage 
par  la  foudre.  C’est  le  paratonnerre  idéal.  Findeisen 
s’eflbrce  de  réaliser  la  cage  en  utilisant  au  mieux  les 
parties  métalliques  entrant  dans  la  construction,  ce 
qui  simplifle  notablement  le  ])roblènie  et  en  rend  la 
solution  pratique  beaucoup  moins  cofiteuse. 

C’est  précisément  dans  ce  même  ordre  d’idées  qu’ont 
été  dirigés  les  travaux  de  l’E.  d’.  â*.,  c’est  ce  même 
esprit  qui  a dicté,  ses  Leitsatz-e. 

Parties  essentielles  du  paratonnerre.  — « 11.  Le 

paratonnerre  comporte  : 

» 1.  les  dispositifs  « capteurs  » ( Auflângevorricht- 
ungen)  ; 

» 2.  les  conducteurs  de  descente,  et 

» .3.  les  prises  de  terre. 


142 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


» 1.  Les  (hüj)osiiifs  captent /‘S  sont  des  jtièces  métal- 
liques qui  occupent  les  parties  élevées  du  bâtiment. 
Elles  peuvent  être  d’une  forme  quelconque  : blocs 
massifs,  feuilles,  liarres  ou  câbles,  etc...  L’expérience 
a démontré  que  la  foudre  se  Jette  de  préférence  sur  les 
[•ointes  des  tours  ou  tles  pignons,  les  faîtes  des  toits,  les 
têtes  de  hautes  cheminées  ou  autres  parties  du  bâti- 
ment spécialement  en  saillie  au-dessus  des  objets  envi- 
ronnants. Le  mieux  est  de  construire  ces  parties  en 
métal  ou  de  les  garnir  de  métal  de  façon  à les  faire 
servir  de  dis|)Ositifs  ca[»teurs.  » 

Ainsi  donc  il  n’est  [)lus  question  de  tiges  [)lus  ou 
moins  hautes,  ni  de  [)ointes  de  quelque  nature  que  ce 
soit. 

Ces  pointes  doivent  leur  vogue  aussi  persistante 
([u’injustifiée  à une  [troi^riété  très  réelle,  mais  dont 
rinijmrtance  est  insignifiante  dans  le  fonctionnement 
des  ])aratonnerres. 

Certes,  là  m'i  il  existe  des  différences  de  potentiel 
suffisantes,  le  classique  « ])Ouvoir  des  pointes  » jirodiiit 
un  écoulement  d’électricité  tendant  à neutraliser  les 
régions  voisines.  Sous  l’influence  d’un  nuaye  orageux, 
la  pointe  du  [laratonnerre  des  modèles  courants 
donnera  de  l’électricité  et  d’autant  plus  qu’elle  sera 
[•lus  aigue.  Dans  l’obscurité,  cette  décharge  [>ouri-a 
même  parfois  se  montrer  lumineuse.  La  quantité  en 
Jeu  n’en  reste  [•as  im^ins  relativement  minime  ed  l'effet 
qu’on  se  plaisait  à attribuer  à la  pointe  ('st 
illusoire  et  [•ratiquement  nul. 

Dans  les  débuts,  beaucoiqi  de  physiciens  avaient 
voué  aux  pointes  acérées  ce  culte  dont,  aujoui-d’hui 
encore,  nous  retrouvons  trop  souvent  des  restes  vivaces 
et  c’était  poui'  assurer  la  persistance  de  la  finesse  des 
[•ointes  qu’ils  exigeaient  — que  beaucoup  exigent  encore 
aujourd’hui  — des  bouts  de  tiges  en  matières  inoxy- 
dables et  très  difficilement  fusibles  comme  le  [•latine. 


LES  PARATONNERRES 


143 


Tous,  néanmoins,  étaient  loin  de  partager  cette  super- 
stition. Par  exemple,  Le  Rov,  membre  de  rinstitut, 
dans  son  rapport  de  1799,  souscrivait  à l’opinion  du 
Général  Aboville  qui  soutenait,  avec  preuves  à l’appui, 
que  « quoique  les  pointes  soient  émoussées,  elles  ne 
cessent  pas  pour  cela  d’attirer  la  foudre  d('s  nuages  et 
à la  déterminer  à se  Jeter  sur  elle  de  préférence  aux 
autres  objets  qui  les  environnent  » (Instrection  etc., 
p.  11).  Gay-Lussac,  de  son  côté,  croit  à l’avantage 
marqué  des  pointes  aiguës  sur  les  tours  ari-ondies  à 
leur  extrémité.  « Cependant,  ajoute-t-il,  loi-sque  la 
pointe  d’un  ])aratonnerre  aura  été  émoussée,  par  la 
foudre  ou  par  une  cause  quelconque,  il  ne  faudra  pas 
croire...  qu’elle  ait  aussi  perdu  son  efficacité  pour 
protéger  le  bâtiment  qu’elle  est  destinée  à défendre  » 
(Rapport  de  1323,  Instruction  etc.,  p.  09).  Pouillet 
est  plus  affirmatif  encore.  « Lorsque,  dit-il,  un  para- 
tonnerre a perdu  sa  })ointe  aiguë  et  que  son  sommet 
n’est  plus  qu’un  large  liouton  de  fusion  d’or  ou  de 
jilatine,  on  doit  se  demander  s’il  est  ou  s’il  n’est  pas 
hors  de  service. 

« A cette  question  nous  répondons  : non,  le  para- 
tonnerre n’est  ])as  hors  de  service,  pourvu  qu’il  conti- 
nue d’ailleurs  à remplir  les  deux  conditions  essentielles, 
savoir  : 

» L Que  le  conducteur  soit  sans  lacunes  ; 

» 2”  (^ue  par  son  extrémité  inférieure  il  communique 
largement  avec  la  nappe  souterraine.  » (Rajiport  de 
1867,  Instruction  etc.,  ]>.  123). 

L’Académie  des  Sciences  de  Berlin  se  prononçait 
dans  le  même  sens  ytar  la  voix  de  Helmholtz,  Kirch- 
hotf  et  Siemens  : « Aous  ne  pouvons,  écrivent-ils, 
adopter  l’opinion  des  anciens  physiciens  sur  le  pouvoir 
des  pointes.  Ce  pouvoir  est  relativement  insignitiant.  » 
Et  les  illustres  savants  ajoutent  cette  importante 
remarque  malheureusement  trop  oubliée  : « Nous 


144 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


croyons  devoir  insister  sur  cette  ([uestion.  En  effet,  les 
pointes  de  j)latine  sont  d’un  prix  élevé  ; ensuite,  d’après 
la  théorie  du  cône  de  protection,  ces  pointes  doivent 
être  portées  par  de  hautes  ti^es,  lesquelles,  pour  être 
fixées  solidement,  exigent  un  travail  dispendieux. 
Autant  de  considérations  qui  font  obstacle  à l’adoption 
générale  des  paratonnerres.  » 

La  dernière  citation  nous  amène  à la  question  des 
tiges  et  de  leur  s])hère  d’action.  Arago  la  posait  dans 
ces  termes  : « l)ans  quelle  étendue  un  paratonnerre 
hien  construit  exerce -t-il  avec  efficacité  son  action 
préservatrice?  A quelle  distance  de  la  tige,  mesurée 
dans  le  sens  horizontal^  ])eut-on  avoir  la  jiresque  cer- 
titude de  n’être  point  foudroyé  ? » Utilisant  les  relations 
précises  de  coups  de  foudre  qu’il  possédait,  il  arrivait 
à cette  conclusion  : « On  est  autorisé  par  l’en- 
semhle  de  tous  ces  faits,  à ])orter  l’amplitude  de  l’action 
})réservatrice  des  paratonnerres  imj)lantés  sur  les  par- 
ties culminantes  des  édifices,  au  douhle  de  la  hauteur 
des  tifies  au-dessus  de  leurs  points  d'attache.  » (Notice 
sur  le  tonnerre  dans  I’Annuaire  du  Bureau  des 
Longitudes  pour  l'an  1838,  pp.  .570-.577.) 

dette  règle  que  réjiètent  encore  bon  nombre  de 
manuels  de  physique,  l’expérience  a montré  ({u’elle 
n’est  pas  exacte.  A mesure  que  l’observation  des 
coups  de  foudre  se  faisait  })lus  attentive,  la  zone  de 
protection  dut  être  restreinte  de  plus  en  |)lus.  Preece 
montra  qu’il  fallait  la  définir  do  telle  sorte  ([ue,  sur  un 
bcàtiment  de  40  mètres  de  hauteur,  il  eût  été  nécessaire 
d'établir  tous  les  o mètres  une  tige  haute  de  10  m.  ! 
Inutile  d’insister. 

Aussi  voyons-nous  le  rapport  du  Comité  anglais  des 
llecherches  sur  la  Foudre  (Lightning  Research 
Committee)  déclarer,  en  lOO.”),  ({u’il  n’apparaît  pas  que 
la  théorie  de  la  zone  de  protection  ait  une  valeur  pra- 


LES  PARATONNERRES 


1 ir> 


tique.  Dès  1888,  Sir  O.  Lodge,  une  des  autorités  l('s 
plus  reconnues  en  ces  matières,  la  qualifiait  d'illusoire. 

Du  passage  d’Arago,  cité  plus  haut  relativement  à 
la  zone  de  protection,  on  conclurait  à tort  que  ce 
savant  considérât  ces  tises  comme  essenfielles  à l’etfi- 


cacité  d’un  paratonnerre.  Pour  lui  les  tiges  à pointes 
aiguës  sont  très  avantageuses  mais  non  point  indispen- 
sables. Son  opinion  à ce  sujet  est  très  nettement  tbi-- 
mulée  dans  le  passage  suivant  de  sa  notice,  que  nous 
croyons  intéressant  de  citer  en  entier  : « Toutes  choses 
égales,  la  foudre,  en  général,  se  dirige  de  }U’éférence 
sur  les  parties  les  plus  élevées  des  édifices.  Ainsi,  c’est 
dans  ces  parties  que  les  moyens  préservatifs,  quels 
qu’ils  soient,  doivent  être  établis. 

« Toutes  choses  égales,  la  foudre  se  porte  de  préfé- 
rence sur  les  métaux.  Lorsqu’une  masse  de  métal 
occupera  le  jioint  culminant  d’une  maison,  on  sera  donc 
à peu  près  certain  que  la  foudre,  si  elle  tombe,  ira  la 
frapper. 

« La  foudre  qui  a pénétré  dans  une  masse  métal- 
lique, ne  produit  de  dégâts  qu’au  moment  de  sa  sortie 
et  aux  points  par  lesquels  cette  sortie  s’opère.  Une 
maison  sera  donc  garantie,  du  faîte  aux  fondations,  si 
les  pièces  métalliques  du  toit  se  prolongent  sans  solu- 
tion de  jusqu’à  terre. 

« La  terre  humide  otfre  à la  matière  fulminante, 
dont  une  barre  métallique  s’est  imprégnée,  un  écoule- 
ment qui  s’opère  sans  effort,  sans  détonation,  sans 
dégât  d’aucune  sorte,  lorsque  cette  barre  plonge  un 
peu  profondément  dans  la  terre.  En  enfonçant  jusqu’au 
sol  toujours  humide^  la  barre  continue  qui  avait  déjà 
préservé  de  tout  dégât  la  portion  extérieure  d’un  édi- 
fice, on  préservera  de  même  les  fondations  ou,  en 
général,  l’ensemble  des  parties  souterraines  de  la 
bâtisse. 

« Quand  il  y a sur  le  toit,  sur  le  faîte  d’un  édifice', 

IIR  SÉRIE.  T.  XXVI.  10 


REVUE  DES  QUESTIOXS  SCIENTIFIQUES 


li(3 


jilusieiü's  masses  métalliques  distinctes,  comjdètement 
séparées  les  unes  des  antres,  il  est  difficile  et  même 
impossible  de  dire  laquelle  de  ces  masses  sera  foudroyée 
de  préférence,  car  le  ]ioint  de  dé]>art  des  nuéi's  ora- 
geuses, le  sens  et  la  vitesse  de  leur  pro})agation,  ne 
doivent  pas,  à beaucoup  près,  être  sans  intluence.  Le 
seul  moven  de  sortir  (remliarras  est  d’unir  toutes  ces 
masses  entre  elles  par  des  tringles  de  fer,  de  cuivre,  ou 
])ar  des  bandes  de  plomb,  de  zinc,  etc.,  de  manière 
([u’on  ne  ]niisse  dire  d’aucune  d’elles  qu’elle  ne  commn- 
ni(jue  ])oint  tnrtalliquetnent , si  l’expression  m’est  ]>er- 
mise,  avec  la  barre  destinée  à ti’ansmettre  la  foudre  au 
sol  liumide  et  qui  descend  le  long  d’un  des  murs  verti- 
caux lie  l’éditice. 

« Nous  voilà  arrivés,  jiar  la  seule  observation,  sans 
l'ien  emjirnnter  à la  théorie,  à un  moyen  simple,  uni- 
forme et  rationnel  de  garantir  les  bâtiments,  grands  et 
])etits,  des  etlcts  de  la  foudi'e. 

« A ([uelles  distances,  des  jdfuines  de  métal  distri- 
buées sur  le  toit  iruiie  maison,  doivent-elles  être  les 
unes  des  autres,  pour  qu’il  y ail  certitude  qu'aucun 
jmint  intermédiaire  ne  sera  directement  foudroyé? 
(lette  question  ne  saurait  recevoir  une  solution  abso- 
lue. Il  est  clair,  en  effet,  ([ue  ])lus  ce  métal  aura  de 
masse  ou  de  surface,  et  })lus  sa  sphère  d'action  sera 
étendue  et  intense.  On  peut  aliinner,  seulement,  que  si 
on  établit  les  communications  voulues,  entre  les  lames 
de  plomb,  de  zinc,  etc.,  qui  dans  les  bâtiments  con- 
struits avec  quelque  soin  recouvrent  pres([ue  toujours 
les  arêtiers;  entre  les  tuyaux  métalliques  des  chemi- 
nées; entre  les  mains  courantes  et  les  ci'anqions  desti- 
nés aux  couvreurs;  entre  les  gouttières  et  les  tuyaux 
de  décharge  des  eaux;  que  si  rensemble  des  jiièces  se 
lie,  en  outre,  avec  un  conducteur  conreuable,  on  aura 
fait  tout  ce  que  la  ])rudence  la  jdus  timide  ])Ouvait  com- 
mander pour  se  garantir  de  la  foudre. 


LES  PARATONNERRES 


147 


« Par  conducteur  convenahle,  j’entends,  d’nne  part, 
celui  qui  s’enfonce  dans  le  sol  jusqu’au  terrain  humide, 
et  de  l’autre  un  conducteur  assez  massif  pour  trans- 
mettre les  plus  violents  cou])s  de  foudre  sans  se 
fondre.  » {Xotice  citée,  pp.  .000-552). 

Un  seul  conducteur  de  descente,  une  seule  terre, 
certes  c’est  se  montrer  parcimonieux  — mais,  pour  le 
reste,  voilà  une  description  qui  se  ra])proche  singulière- 
ment de  celle  du  paratonnerre  moderne.  Et,  comme 
nous  l’annoncions,  il  n’v  est  question  ni  de  tiges  ni 
de  pointes. 

Pouillet  à son  tour  n'était  pas  éloigné  de  croire  à 
l’efficacité  d’un  paratonnerre  sans  tiges  (Instruction, 
etc.,  p.  149). 

Aujourd’hui  l’opinion  est  faite  à cet  égard  : hautes 
ou  basses,  les  lises  sont  inutiles. 

Pour  conclure  : d’après  ce  qui  ])récède,  le  pouvoir 
des  pointes  étant  pratiquement  nul  et  la  zone  de  pro- 
tection n’existant  pas,  tiges  et  aigrettes  doivent  être 
considérées  comme  un  luxe  sans  raison  — et  d’ailleurs 
souvent  antiesthétique. 

Nous  sommes  communément  si  habitués  à nous 
représenter  la  tige  de  Franklin  ou  tout  au  moins  les 
aigrettes  de  àlelsens  comme  partie  essentielle  de  tout 
paratonnerre  qu’on  ne -peut  trop  insister  sur  leur  non 
nécessité,  pour  ne  pas  dire  leur  inutilité.  C’est  la  raison 
pour  laquelle  nous  nous  sommes  attardés  sur  cette 
question.  Un  grand  progrès  sera  réalisé  quand  on 
aura  réussi  à débarrasser  la  conception  du  paraton- 
nerre de  ce  gros  iiapediiuentuïu. 

II  (suite).  « 2.  Les  conducteurs  de  descente  établissent 
une  connexion  métallique  continue  entre  les  capteurs 
et  les  prises  de  terre.  Ils  doivent,  aussi  complètement 
que  faire  se  peut,  envelopper  la  construction  de  tous  les 
côtés  et  notamment  le  toit  et  depuis  les  capteurs  con- 


148 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(luire  aux  })i‘ises  de  terre  ])ar  les  chemins  praticables 
les  plus  courts,  mais  en  évitant,  le  plus  possible,  de  se 
courber  en  angles  aigus.  » 

^'oilà,  clairement  énoncé,  le  principe  fondamental 
du  jiaratonnerre  de  Melsens  : la  cage  mise  à la  terre. 
Nous  n’avons  pas  à y revenir. 

Mais  remaiTjuons  la  recommandation  finale  : éviter 
les  angles  aigus. 

Sait-on  cpie,  guidé  par  la  seule  étude  attentive  des 
relations  de  coups  de  foudre,  Arago  indiquait  déjà 
cette  précaution  ?«  Jusqu’ici,  dit-il,  les  physiciens  ne 
paraissent  pas  avoir  attaché  aucune  imjiortance  à la 
forme  des  inflexions  qu’on  est  obligé  de  faire  subir  au 
conducteur,  pour  l’amener  du  comble  parallèlement 
auquel  il  est  descendu,  vers  le  mur  vertical  de  l’édifice. 
Au  l)ord  mfune  du  laianier  du  toit,  au  liord  des  cor- 
niches, la  liarre  conductrice  est  pliée  de  telle  manière 
qu’au  lieu  de  se  trouver  sur  une  même  droite,  la  par- 
tie du  comble  et  celle  (jui  va  rejoindre  le  mur,  font 
entre  elles  un  angle  de  90"  et  môme  ({uelquefois  un 
angle  aigu.  » Or  on  connaît  des  coups  de  foudre  où 
l’on  vit  «la  foudre  suivre  régulièrement  un  conduc- 
teur, l’abandonner  ensuite  dans  le  point  oii  la  barre 
était  ploj’ée  de  telle  sorte  que  ses  parties  formaient  un 
angle  aigu,  pour  aller,  à travers  l’air,  frapper  des 
objets  situés  sur  le  prolongement  du  ])remier  coté  de 
l’angle.  » {Notice  cih^e,  ]t.  TOd).  — On  sait  à l’heure 
actuelle  que  l’objet  fra})pé  n’est  pas  nécessairement  situé 
sur  le  })rolongement  du  premier  côté  de  l’angle,  mais,  à 
part  ce  détail,  on  voit  ([ue  nous  avons  ahàire  à une 
décharné  latérale. 

En  pareil  cas,  nos  ])raticiens  ont  au  sujet  de  l’insuffi- 
sance du  paratonnerre  une  explication  toute  prête  ; il 
devait  y avoir  un  mauvais  contact  dans  le  pai’atonnerre, 
proclament-ils,  ou  bien  une  mauvaise  terre.  Echappa- 


LES  PARATONNERRES 


149 


toire  facile  ! Goiiiine  si  une  décharge  à haut  potentiel, 
telle  la  foudre,  refusait  de  suivre  un  conducteur  pour  un 
défaut  de  contact  ou  même  une  brisure  nette  ! Comme 
si,  d’autre  part,  on  pouvait  admettre  « que  l’électricité 
([uitte  à un  certain  point  un  bon  conducteur,  parce 
quü  na  pas  une  bonne  terre,  pour  choisir  un  conduc- 
teur plus  mauvais  (mur,  air,  etc.)  qui  n’a  pas  une 
terre  meilleure  » (1). 

Arago  était  mieux  inspiré  quand  il  concluait  : 
« Maintenant  que  la  question  est  posée,  des  expé- 
riences de  cabinet  ne  manqueront  pas  de  faire  ])rompte 
Justice  des  considérations  précédentes  si  elles  ne  sont 
pas  fondées  ; en  attendant,  il  ne  pourra  j avoir  que 
de  l’avantage  à éviter,  dans  la  forme  du  conducteur, 
des  angles  aigus,  à ne  passer  d’une  direction  à une 
autre  très  différente,  qu’à  l’aide  de  courbes  de  raccord 
exemptes  de  tout  changement  brusque  ».  {Notice  citée, 
p.  595). 

Ce  sage  conseil  ne  fut  pas  entendu  des  praticiens. 
Du  moins  les  expériences  vinrent-elles  — moins  promp- 
tement, il  est  vrai,  qu’Arago  ne  le  souhaitait  — expé- 
riences non  seulement  de  cabinet  mais  de  technique  à 
grande  échelle  qui  mirent  les  exploitants  de  réseaux  de 
distribution  d’électricité  à haute  tension,  quasi  jour- 
nellement, en  présence  d’un  phénomène  tout  à fait 
analogue.  I/électricité  -atmosphérique  risque-t-elle  de 
provoquer  sur  une  ligne  de  distribution  aérienne  une 
décharge  qui  endommagerait  les  appareils  de  l’exploi- 
tation, il  suffit,  à l’entrée  des  bâtiments  qui  renferment 
ces  appareils,  d’intercaler  dans  la  ligne  une  bobine  de 
quelques  spires.  La  décharge  foudroyante  qui  suit  la 
ligne,  butant  contre  cet  obstacle,  sera  rejetée,  à travers 
un  intervalle  d'air,  vers  une  branche  de  parafoudre 
qui  l’éconduit  à la  terre. 

(1)  Pescetto  : ttoU  sur  l' établissement  des  paratonnerres  dans  Bull. 
Assoc.  Ingéx.  Instit.  Moxtefiore,  t.  II.  p.  313. 


150 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIEIQUES 


Ce  phénomène,  étrange  au  premier  aliord,  est  dù  à 
Vimpédance.  On  sait  qu'à  un  courant  très  ])ref  ou 
encore  à oscillations  rapides  les  conducteurs  contour- 
nés en  bobine  ou  même  simplement  repliés  en  angle  pro- 
noncé offrent  une  résistance  de  réactance,  une  résis- 
tance de  refoulement,  ])Ourrait-on  dire,  incomparable- 
ment supérieure  ii  la  résistance  du  même  conducteur 
à régai'd  d’un  courant  continu.  Cette  résistance  de 
refoulement  est  d’autant  ]dus  grande  que  la  courbure 
est  plus  forte  ou  l’angle  plus  aigu  et  que  la  rapidité  do 
variation  du  courant  est  plus  grande.  Or,  jtrécisément, 
la  décharge  foudroyante  jieut  être  à haute  fréquence, 
tout  au  moins  tombe-t-elle  très  brus({uement  d’une  très 
haute  valeur  à zéro.  Si  donc  l’angle  formé  par  le  con- 
ducteur foudro_yé  est  aigu,  sa  résistance  de  refoulement 
en  ce  point  pourra  être  énorme  et  une  décharge  laté- 
rale pourra  se  produire. 

On  voit  combien  est  Justifiée  la  l'ecommandation 
des  Leitsà'tz-e. 

Il  (suite).  « 5.  Les  prises  de  ferre,  ou  simplement, 
les  terres,  consistent  en  des  conducteurs  métalliques 
connectés  aux  extrémités  inféideures  des  descentes  et 
pénétrant  dans  le  sol  oii  ils  doivent  s’étendre  le  plus 
loin  possible,  de  préférence  à travers  les  couches 
humides.  » 

La  nécessité  d’une  mise  à la  teri'e  du  réseau  protec- 
teur est  reconnue  par  tout  le  monde  et  il  n’y  a pas  lieu 
d’y  insistei'.  Melsens  veut  que  ces  prises  de  terre  soient 
aussi  nombreuses  que  jiossible  afin  d’offrir  au  flux 
foudroyant,  qui  peut  être  formidable,  un  grand  nombre 
de  chemins  et  de  le  subdiviser  en  un  grand  nombre  de 
décharges  inoffensives.  Divide  et  impera,  tel  est  son 
j>rinci[»e  fondamental.  Personne  ne  peut  se  refuser  à en 
reconnaître  le  bien  fondé. 

Mais  à quel  signe  reconnaître  que  l’on  a une  « bonne 


LES  PARATONNERRES 


151 


terre  »,  une  « terre  suffisante  » ^ Quelle  est  la  valeur 
inaxhnuni  admissible  ])Our  la  résistance  de  la  « terre  », 
d’un  paratonnerre  f Le  rapj)ort  de  Melinholtz,  Kircli- 
lioffet  Siemens  déjà  cité  nous  donne  la  réponse  qui,  en 
Allemagne,  continue  à faire  loi  en  cette  matière  : « 11 
n’y  a pas  lien  de  donner  ici  des  chiffres  absolus.  Le  seul 
point  important  est  ({ue  la  terre  du  paratonnerre  soit 
meilleure  que  celle  de  tout  autre  olqet  conducteur 
voisin  que  la  foudre  pourrait  atteindre  i)ar  décharge 
latérale.  » 

Puisque  nous  avons  en  vue  tout  particulièrement  l’éta- 
blissement de  paratonnerres  simples,  mais  néanmoins 
efficaces,  résumons  d’une  manière  concrète,  la  i-ègle  que 
nous  commentons  en  montrant  comment  le  Prof.  Pvup[)el 
imagine  la  protection  d’une  maison  de  modeste  cultiva- 
teur. La  construction  est  supposée  ne  comporter  comme 
pièces  métalliques  utilisables  pou  rleparatonnerre  qu’une 
gonttièi’e  avec  tuyau  de  descente  sur  chacun  des  deux 
versants  du  toit.  Le  rôle  de  capteur  est  confié  à un  111 
de  fer  bien  galvanisé  de  G mm.  de  diamètre  (Règle  A'j, 
([ui  court  le  long  du  faîte,  fixé  à même  le  toit,  — par 
exemple,  en  contrebas  de  la  tuile  faîtière;  un  conduc- 
I teur  identique,  raccordé  à cehn  du  faite,  monte  le  long 
de  la  cheminée  et  la  dépasse  un  peu  afin  d’en  être  le 
I point  le  pins  élevé.  On  peut  également  rattacher  ce  con- 
i dncteur  soit  à une  }»laque  de  fonte  remplaçant,  sur  la 
I base  supérieure  de  la  cheminée,  la  dalle  de  pierre 
usuelle,  soit  à un  fer  cornière  appliqué  le  long  d’un 
j côté  de  cette  base  ou  mieux  à un  cadre  en  fer  cornière 
l’entourant  tout  entière.  A une  des  extrémités  du 
bâtiment,  le  tuyau  de  descente  sert  de  conducteur  vers 
la  terre.  Le  long  du  pignon  cori-espondant  le  conduc- 
teur de  faîte  descend  et  vient  se  raccorder  à la  gout- 
I tière  et,  par  suite,  au  tinmii  de  descente  en  question. 
Le  second  tuyau  de  descente  sert  également  de  con- 
ducteur vers  la  terre.  S’il  est  placé  à l’extrémité  diamé- 


152 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


ti’aleinent  o})posée  à celle  occupée  par  le  premier  tuyau 
ili;  descente,  on  le  raccorde  au  faîte  de  la  même 
manière  et  cela  suffit.  Sinon,  on  y établit  un  second 
<-onducteur  de  descente  aâ  hoc  que  Ton  raccorde  au 
capteur  du  faîte.  — En  général,  on  met  ainsi  deux  des- 
centes. 

(gluant  aux  prises  de  terre,  s’il  se  trouve  dans  le 
voisinage  une  canalisation  souterraine  de  grande  éten- 
due  (ce  qui,  en  Belgique,  n’est  pas  rare  même  à la  cam- 
pagne, et  y deviendra  de  })liis  en  plus  commun  grâce  à 
la  nouvelle  Société  Nationale  des  distributions  d’eau) 
une  au  moins  des  descentes  est  raccordée  à cette 
« terre  » idéale  qu'est  pareille  canalisation.  A son 
défaut,  là  où  la  nappe  d’eau  souterraine  est  à peu  de 
])rofondeur,  on  dispose  dans  les  couches  ioujoun>  hu- 
mùles,  les  conducteurs  de  terre,  (üe  sont  par  exemple 
d(vs  tiges  ou  des  tuyaux  métalliques  qu’on  y enfonce^ 
mieux,  un  treillis  métallique.  Ces  « terres  » sont 
évidemment  raccordées  à leurs  descentes  respectives. 
11  est  excellent  de  les  réunir  entre  elles  ]»ar  un  fil  de 
cuivre  étamé  de  b mm.  de  diamèti*e  ou  une  bande  de 
tôle  bien  galvanisée  enfouie  au  même  niveau  et  faisant 
la  moitié  du  tour  de  la  maison  à une  distance  d’un  mètre 
environ  des  murs.  Si  ce  raccordement  des  terres  fait 
1('  tour  com[)let,  cela  vaut  mieux,  et  mieux  encore,  si 
d’un  ou  de  plusieurs  jioints  du  circuit  et  normalement  à 
ee  circuit,  part  un  conducteur  de  même  nature  qui 
s'étmid  à quehpies  mètres  de  distance.  — Les  couches 
toujours  humides  sont  elles  assez  profondes,  on  se  con- 
t(‘ute  de  disposer  les  conducteurs  de  terre  dans  riiumus, 
à ({uelqiies  décimèti‘es  de  profondeur.  Les  orages  sont 
généralement  accompagnés  de  [iluie,  de  sorte  que 
rapidement  ces  couches  siqierficielles  sont  humidifiées. 

Evidemment,  [lareils  dispositifs  sont  faciles  à étalilir 
et  jieu  disjiendieux.  Le  Ih'ofesseur  Ruppel  donne  le 
ih'vis  détaillé  d’un  jiaratonnerre  de  ce  genre  installé 


LES  PARATONNERRES 


153 


sur  une  habitation  rurale  avec  étalhe  ; il  s’élève  à 
69  marks,  soit  75  francs.  Ce  n’est  pas  ruineux  — et 
rexj)éi‘ience  montre  que  ces  paratonnerres  sont  par- 
faitement efficaces. 

Simplifications  éventuelles.  — « III.  Les  pièces 
métalliques  entrant  dans  la  construction  du  bâtiment, 
de  même  que  les  masses  métalliques  importantes  qu’il 
renferme  ou  qui  l’avoisinent — particulièrement,  celles 
qui  ont  de  notaI)les  surfaces  de  contact  avec  la  terre, 
tels  les  tuyaux  d’une  canalisation  — doivent  être 
connectées  métalliquement  entre  elles  et  avec  le  para- 
tonnerre. Cet  ensemble  de  pièces  métalliques  satisfait- 
il  à lui  seid  aux  prescriptions  relatives  aux  capteurs 
telles  qu’elles  sont  énoncées  dans  les  règdes  11,  V 
et  M,  on  peut  se  dispenser  d’en  établir  de  spéciales. 
Même  remarque  au  sujet  des  conducteurs,  des  des- 
centes et  des  prises  de  terre.  » 

Gomme  « terres  » rien  n’égale  les  canalisations  d’eau 
et  de  gaz  recommandées,  nous  le  savons,  par  Melsens. 
Le  })i‘ofesseur  Neesen,  dont  la  compétence  en  matière 
de  paratonnerres  est  reconnue,  a,  au  nom  de  l’E.T.V., 
étudié  spécialement  cette  question  dans  tous  ses  détails  : 
« Le  raccordement  du  paratonnerre  aux  canalisations 
d’eau  et  de  gaz,  s’impose,  dit-il,  non  seulement  dans 
l’intérêt  de  la  bâtisse,  mais  aussi  dans  l’intérêt  des 
canalisations  elles-mêmes.  » Et  la  Commission  roy  ale 
de  Saxe  est  tout  à fait  du  même  avis  : « Grâce  à la 
section  relativement  grande  de  leurs  parois  métalli- 
ques et  surtout  à cause  de  leur  grande  surface  de  con- 
tact avec  le  sol,  les  tuyaux  de  distribution  doivent  être 
considérés  comme  des  prises  de  terre  au  moins  aussi 
efficaces  que  celles  établies  ad  hoc.  Le  plus  souvent 
elles  valent  infiniment  mieux  que  ces  dernières.  L’ex- 
périence prouve  en  effet  que  les  conduites  d’eau  et  de 
gaz  sont  souvent  foudroyées.  Si  une  maison  n’a  pas  de 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFK,)UES 


15  i 

paratonnerre,  la  foudre  tombe  sur  les  parties  situées 
au-dessus  des  conduites  d'eau  ou  de  gaz  qu’elle  ren- 
ternie.  Si  elle  a un  paratonnerre,  mais  ([ui  ne  soit  ]ias 
raccordé  aux  conduites,  ou  qui  n’ait  [las  une  autre 
excellente  terre  (équivalente  à celle  des  conduites  et 
nous  venons  de  voir  (jue  cela  est  très  rare),  la  foudre 
quitte  le  paratonnerre  pour  se  porter  sur  la  distribu- 
tion ». 

« ( )nne  compi'end  donc  |)as,  continue  le  l’rof.  Rupjiel, 
pourquoi  certaines  compagnies  des  eaux  ou  du  gaz 
s’opposent  àce  raccordement  ou  y font  cUtbculté.  N’est-il 
pas  évident  que  si  le  ]*aratonnerre  est  relié  métallique- 
ment  aux  tuyaux,  la  décharge  suivra  ceux-ci  sans  les 
endommagei-  le  moins  du  monde,  tandis  ([ue,  si  elle  y 
saute  avec  fracas,  elle  peut  aisément  la  fondre  ou  la 
briser  en  morceaux  ? » 

Insistons,  la  ([uestion  en  vaut  la  ])eine. 

1 *our  Justitier  leur  conduite, des  compagnies  objectent 
que  la  liaison  enti’e  les  tuyaux  n’est  j*as,  partout,  par- 
faitement métallique;  il  s’ensuivrait,  dit-on,  du  danger 
pour  les  bâtisses  et  la  canalisation.  Cette  objection  est 
inopérante.  Nous  lisons  en  effet  dans  le  mémoire  du 
A'erhand  deutsciier  Arciiitekten-  UNI)  Inoenieur- 
VEREINE,  rédigé  par  les  Ib-ofesseurs  1)'’  Kohlranscb, 
I)"  Ulbricht,  etc.  : « Ce  n’est  pas  parce  que  la  mesure  de 
la  résistance  au  ])assage  à la  terre  accuse  une  valeur 
i*elativement  considéralde  qu’une  canalisation  assez 
étendue  perd  toute  sa  valeur  comme  conducteur  de  terre. 
Ni  la  mince  couche  isolante  constituée  pai*  rasj)lialtago 
des  tuyaux,  ni  les  raccords  de  mauvaise  conductibilité 
n’enlèvent  au  réseau  ses  qualités  excellentes  comme 
conducteur  de  terre  des  décharges  foudrovantes.  Cràce 

O 

à leur  haute  tension,  celles-ci  passent  en  perçant  la 
mince  couche  isolante  d’une  infinité  de  minuscules 
étincelles.  Si  même  elle  est  posée  en  terrain  presque 
sec,  la  canalisation  d’eau  ou  de  gaz  reste  une  excel- 


LES  PARATONNERRES 


155 


lente  terre  pour  les  paratonnerres  : abstraction  faite 
de  la  condiictil)ilité  du  sol,  même  légèrement  humide, 
le  réseau  par  sa  capacité  électrostatique  possède  la 
propriété  d’attirer  à lui  et  d’enifiiagasiner  l’électricité 
de  la  décharge.  » 

Ce  que  nous  venons  de  dire  des  canalisations  d’eau 
et  de  gaz  s’applique  au  même  titre  aux  réseaux  de  cen- 
trales électriques  qui,  aujourd’hui,  sillonnent  nos  villes, 
nos  bourgades  et  même  nos  campagnes.  Lignes  de 
tramways  ou  de  distribution  d’énergie  électrique  pour 
la  force  ou  l’éclairage  sont  à même  de  collaborer  très 
activement  à la  diffusion  des  paratonnerres.  En  effet, 
leurs  supports  de  lignes  aériennes  doivent  être  mis  à 
la  terre.  En  réunissant  à ceux  de  ces  supports  qui 
sont  fixés  aux  bâtiments,  les  pièces  métalliques  de 
ceux-ci,  tels  que  gouttières,  tuyaux  de  descente,  cana- 
lisations d’eau,  etc...,  on  réaliserait  des  paratonnerres 
à immense  développement,  à multiples  conducteurs  de 
descente,  à terres  extrêmement  étendues.  Le  prix  de 
revient  par  bâtiment  protégé  serait  des  plus  réduits. 

Ces  installations  de  paratonnerres  contribueraient 
d’ailleurs  à la  sécurité  du  réseau  de  distribution,  lequel 
a presque  toujours  à soufi'rir  de  l’incendie  des  bâtiments, 
auxquels  sont  fixés  leurs  supports. 

Le  IIP  des  Leitsatze  se  continue  par  une  remarque 
qu’il  serait  souhaitable  de  voir  les  architectes  mettre 
en  pratique.  Par  profession,  ils  sont  tout  désignés  pour 
être  les  promoteurs  des  paratonnerres.  Avec  un  peu  de 
bonne  volonté  à suivre  la  recommandation  des  Leitsatze, 
leur  propagande  serait  la  plus  efficace  de  toutes  et,  ce 
faisant,  ils  rendraient  un  service  signalé  à l’humanité. 

III  (suite).  « Pour  les  bâtiments  à édifier,  il  y a 
tout  avantage  à prévoir,  dans  le  projet  même  de  con- 
struction, la  meilleure  utilisation  possible  des  pièces 
métalliques,  tuyaux  de  canalisation  et  autres  sein- 


150 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


lilables,  en  vue  de  la  protection  contre  les  coups  de 
foudre.  On  pourra  réaliser  ainsi,  à frais  très  réduits, 
un  paratonnerre  parfait.  » 

C’est  le  princijie  de  Findeisen  justifié  ]>ar  les  consta- 
tations des  coni])ag'nit s d’assurance. 

Degré  de  sécurité. — « IV.  La  protection  assurée  par 
un  paratonnerre  est  d’autant  plus  certaine  que  toutes  les 
parties  ex})osées  aux  coups  de  foudre  sont  plus  parfai- 
tement jirotégées  par  des  capteurs,  que  le  nombre  des 
conducteurs  de  liaison  et  de  descente  sont  plus  nom- 
breux et  que  les  pidses  de  terre  sont  plus  abondantes 
et  plus  étendues.  Par  elles-mêmes,  du  reste,  les  par- 
ties métalliques  d’étendue  notable,  celles  surtout  qui 
réunissent  à la  terre  les  endroits  les  plus  élevés  du 
bâtiment,  contribuent,  en  règde  générale,  à diminuer 
les  dégâts  qu’entraînerait  un  coup  de  foudre,  alors 
même  qu’aucune  jiréoccupation  de  ce  genre  n’aurait 
servi  de  guide  dans  leur  mode  d’exécution. 

» Pour  l’ordinaire,  il  n’y  a ])as  lieu  de  craindre  que 
les  imperfections  d’un  paratonnerre  augmentent  le 
danser.  » 

Ce  dernier  alinéa  vaut  d’être  relevé.  On  affirmait 
autrefois  qu’un  paratonnerre  défectueux  augmentait 
le  danger  au  lieu  de  le  diminuer.  Cette  légende  se 
survit  à elle-même  dans  maints  ouvrages  de  physique 
et  on  la  voit,  chaque  })rinteni})S,  au  retour  des  orages, 
faire  le  tour  des  journaux  quotidiens,  qui  se  la  passent 
avec  une  naïveté  aussi  touchante  qu’inconsidérée.  Les 
efforts  de  l’E.  T.  ont  été.  Jusqu’ici,  impuissants  à la 
détruire. 

Mais  on  peut  distinguer  divers  degrés  de  protection. 
Prétend-on  mettre  à l’abri  de  la  foudre  j'usqu’au 
moindre  coin  de  cheminée.  Jusqu’au  moindre  détail 
d’une  corniche,  veut-on  fermer  l’accès  de  l’intérieur 


LES  PARATONNERRES 


157 


du  ])àtiinent  à toutes  les  ondes  électroniagnétiques  que 
pourrait  susciter  un  coup  de  tonnerre  formidable,  les- 
quelles ondes  seraient  peut-être  susceptibles  de  faire 
éclater  une  étincelle  entre  deux  pièces  métalliques 
trop  voisines  et  enfouies,  par  un  fâcheux  hasard, 
dans  un  tas  de  matières  inflammables,  ou  bien  noyées 
dans  une  fuite  de  gaz  malencontreusement  concomi- 
tante d’un  orage  épouvantable...  Ah  ! pour  répondre 
à de  pareilles  exigences,  pour  assurer  pareille  sécurité, 
il  n’y  a — et  encore?  — que  la  cage  métallique  her- 
métiquement fermée,  sans  la  moindre  fente.  Oui,  sans 
la  moindre  fente!  car  si,  par  malheur,  cette  fente  est 
parallèle  au  plan  de  vibration  de  ces  terribles  ondes 
électromagnétiques,  elles  en  proflteront  pour  ])énétrer 
à travers  le  blindage  et  compromettre  la  protection 
absolue  qu’on  aspirait  à se  ménager. 

I Pareilles  prétentions  sont  absurdes,  et  sous  le  futile 
I prétexte  qu’il  n’y  peut  être  satisfait,  renoncer  à des 
procédés  praticables  et  peu  coCiteux,  mais  vraiment 
efficaces  contre  les  dangers  communs  de  la  foudre,  est 
i dépourvu  de  tout  bon  sens. 

I Ges  dangers  communs  et  particulièrement  pressants 
! en  dehors  des  villes,  ce  sont  l’incendie  et  les  coups 
mortels  — et  ceux-là,  l’expérience  le  prouve,  ne  sont 
plus  à craindre  à l’abri  d’un  paratonnerre  simple,  tel 
î qu’il  a été  défini  ci-dessus  (pp.  151,  152).  En  vérité, 
c’est  folie  que  de  refuser  d’aussi  précieux  services 
garantis  à si  bon  compte. 

Nature,  dimensions  et  fixage  des  conducteurs. 

— « à'.  Les  conducteurs  de  liaison  ou  de  descente  en 
fer  ne  peuvent  pas  avoir  moins  de  5U  mm.  carrés  de 
section  (soit  4 mm.  de  diamètre),  s’ils  sont  ramifiés, 
ni  moins  de  100  (soit  5,6  mm.  de  diamètre),  s’ils  sont 
j uniques. 

« Avec  des  conducteurs  en  cuivre,  des  sections 


158 


REVUE  DES  DÜESTR)XS  SCIENTIFIQUES 


moindres  de  moitié  sont  sutiisantes.  Pour  le  zinc,  il 
faut  au  moins  1 12  fois  la  section  indiipiée  pour  le  fer 
et,  ])Our  le  ploinh,  3 fois. 

« La  forme  et  le  mode  de  lixaee  des  conducteurs 

O 

doivent  être  tels  ([u’ils  ]iuissent  résister  aux  ouragans.  » 

Après  Melsens,  est-il  nécessaire,  en  Belgique  du 
moins,  de  faire  remarquer  ([ue  l’enqiloi  du  cuivre,  si 
tentant  jiour  les  voleurs,  n'est  nullement  de  rigueur 
dans  la  construction  des  paratonnerres?  Ci-dessus,  du 
reste,  nous  avons  entendu  Arago,  recommander  indif- 
féremment comme  conducteurs  de  liaison  des  tringles 
de  fer,  de  cuivre,  des  Landes  de  jdoinL,  de  zinc,  etc. 
(p.  1-iG).  Les  sections  seules  changent  avec  les  métaux 
employés,  ainsi  ([ue  le  précise  la  règle 

Liaisons  des  conducteurs.  — « M.  Les  ligatures 
et  connexions  doivent  être  durables,  solides,  étanches, 
et  présenter  les  surfaces  de  contact  les  plus  grandes 
possible.  Là  oii  les  conducteurs  ne  sont  ni  soudés  ni 
brasés  entre  eux,  ils  doivent  avoir  des  surfaces  de  con- 
tact d’au  moins  10  cniL  » 

Certains  jirospectus  de  constructeurs  proclament 
avec  tierté  ([ue  leurs  ])aratonnerres  sont  faits  d’une 
seule  pièce.  Le  cofit  en  sera  donc  passablement  élevé. 
A'oilà  tout  ce  ([ue  l’on  peut  conclure. 

I/important,  comme,  après  tant  d’autres,  ne  cesse  de 
le  ré})éter  le  Professeur  Ru})})el,  l’inqiortant,  disons- 
nous,  ce  n’est  ])as  la  perfection  de  la  soudure  autogène 
ou  hétérogène  : la  soudure  n’est  pas  nécessairement 
requise.  Iles  contacts  étendus  — 10  cné  au  moins  — 
et  bien  assurés  au  point  de  vue  mécanique,  voilà  ce 
à (pioi  il  faut  veiller  avec  soin. 

Vérifications.  — « à IL  Alin  de  s’assurer  que  le 
jtaratonnerre  reste  en  bon  état,  il  im])orte  de  le  faire 
vérifier  assez  souvent  }iar  des  jiersonnes  compétentes 


les;  paratonnerres 


159 


et  (le  prendre  garde  (|ue,  si  des  inodiücations  sont 
apportées  au  ])àtiment,  il  peut  y avoir  lieu  de  modifier 
ou  de  compléter  le  paratonnerre.  » 

D’après  le  Professeur  Ruppel,  aussi  longtemps  qu’il 
ne  s’agit  pas  de  LAtinients  exigeant  une  protection  par- 
ticulièrement méticuleuse,  tels  que  les  poudrières  etc., 
une  inspection  tous  les  cinq  ans  peut  suffire.  Elle  con- 
sistera en  une  visite  attentive  des  conducteurs  et  de 
leurs  liaisons  ainsi  qu’en  une  mesure  de  la  résistance 
des  « terres  »,  celle-ci  interprétée  dans  le  sens  précisé 
au  commentaire  de  la  règle  II,  3 (p.  I5I). 

Nous  avons  fini  l’exposé  des  Leitsatze. 

A considérer  la  vie  intense  de  l’E.  T.  55  dont  les 
réunions  groupent,  chaque  année,  des  centaines  de 
membres,  venus  de  tous  les  ])oints  des  pays  de  langue 
allemande,  étant  donnée  l’autorité  incontestée  dont  elle 
jouit  universellement,  son  intervention  si  catégorique, 
si  précise,  en  faveur  d’a])pareils  si  hautement  utiles, 
indispensables  même,  d’une  installation  désormais  si 
facile  et  si  peu  coûteuse,  devait,  ce  semble,  lever  tous 
les  doutes  et  emporter  toutes  les  adhésions. 

Malheureusement  il  n’en  est  rien.  Il  y a,  tout  au 
plus,  de  3 à 5 maisons  pour  cent  protégées  contre  la 
foudre. 

On  pouvait  espérer  du  moins  que  les  administrations 
gouvernementales  et  communales,  non  moins  que  les 
sociétés  d’assurance  intéressées,  s’inspireraient  des 
Leitslifie  pour  introduire  ])lus  d’unité  clans  leurs  pre- 
scriptions et  pour  en  biffer  toutes  les  exigences  arln- 
traires  et  purement  tracassières. 

Ilélas  ! l’enquête  à laquelle  le  D''  Ruppert  s’est  livré 
en  I9II,  a démontré  une  fois  de  plus  la  tyrannie  de  la 
routine.  Em  questionnaire  fut  envo3'é  à 302  villes 
d’Allemagne.  Parmi  les  280  ré]ionses  reçues,  on  relève 
les  détails  suivants  : Les  rèsdes  de  l’E.  T.  55  ne  sont 


160 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


mentionnées  que  dans  10  cas.  La  connexion  des  jiara- 
tonnerres  n’est  peiTiiise  aux  canalisations  d’eau  que 
dans  201  villes,  à celles  de  gaz  que  dans  00.  Elle  est 
f'onnellement  interdite  (!)  aux  canalisations  d’eau  dans 
."lO  villes,  à celles  de  gaz  dans  145.  Plusieurs  adminis- 
trations la  permettent,  mais  sous  des  conditions  pra- 
t iq uenient  p roh  i b it i ves . 

Dans  beaucouj)  de])rescriptions  les  tiges  et  les  pointes 
sont  encore  indiquées  comme  les  parties  les  plus  essen- 
tielles du  ])aratonnerre.  On  lit  souvent  des  passages 
de  ce  genre  : « Il  est  interdit  de  souder  les  conducteurs 
à la  pointe,  afin  que  celle-ci  j)uisse  à tout  instant  être 
enlevée  aux  fins  de  contrôle  ou  d’appointage  aj)rès  un 
coup  de  foudre  ». 

I)i^  "erses  administi-ations  exigent  encore  des  pointes 
en  platine  ou  en  or,  etc... 

La  conséquence  naturelle  de  tout  cela  est  que  beau- 
coup de  propriétaires  ont  renoncé  à établir  des  paraton- 
nerres. Bien  mieux,  plusieurs  installations  très  conve- 
nablement exécutées  ont  été  démontées,  parce  que  les 
propriétaires  ne  les  transformaient  pas  au  gré  des 
rèolements  ou  refusaient  de  se  soumettre  à l’ennui  des 

O 

fréquentes  vérifications.  Cela  doit  s’ajipeler  une  absur- 
dité et,  très  justement,  un  méfait. 

Dans  son  rap})ort  de  1915,  le  Protesseur  Ruppel 
résume  l’iiistoire  des  débuts  du  |)aratonnerre  en  insis- 
tant, et  c’est  justice,  sur  le  rôle  important  que  jouèrent 
là  les  physiciens  allemands.  Ce  coup  d’œil  rétros])ectif 
est  fort  intéressant  (1). 

Le  xviiC  siècle  inventa  le  paratonnerre.  Bien  jilus, 
il  précisa  les  princi])es  de  sa  construction  avec  un  tel 
bonheur  que  le  xix®  n’y  a rien  ajouté  d’essmitiel  : des 


(1)  Le  lecteur  trouvera  une  histoire  j)lus  détaillée  des  déhuts  du  jiaratou- 
nerre  dans  l’intéressant  Esso?  sur  les  parai onnerres  des  I‘l*.  Thiriou  et  Vat? 
Tricht,  S.  J.  Celte  Hevüe,  IKIll,  livraison  de  janvier. 


LES  PARATONNERRES 


i(U 


détails,  beaucoup  de  vains  détails  de  construction  de 
tig’es  et  de  j»ointes,  voilà  tout. 

Quelques  dates  suffiront  à nous  en  convaincre. 

En  17.52,  Franklin  érige  le  premier  paratonnerre 
sur  sa  maison.  Dès  ce  début,  il  considère  que  le  fer  en 
raison  de  son  bon  marché  et  de  son  point  de  fusion 
élevé  est  le  métal  le  plus  convenable  à employer. 
Pour  les  conducteurs,  il  admet  un  diamètre  de  un  quart 
de  pouce  (environ  6,4  mm.),  tout  en  indiquant  qu’on 
serait  vraisemblablement  amené  à prendre  des  diamè- 
tres plus  forts,  d’après  les  leçons  de  l’expérience.  — 
Cette  prévision  ne  s’est  pas  réalisée,  nous  l’avons  vu 
(Règle  V). 

En  1758,  Franklin  signale  que,  sur  les  maisons  de 
grande  longueur,  il  faut  élever  deux  paratonnerres, 
vers  les  extrémités,  et  les  réunir  entre  eux  par  un  fil 
courant  le  lons'  de  la  crête. 

En  1762,  il  se  déclare  d’accord  avec  Russe!  qui  pro- 
pose d’employer  comme  conducteurs  les  tuyaux  de 
descente  des  eaux  de  phtie  (il  s’agissait  de  tu3’aux  en 
plomb). 

En  1772,  dans  son  avis  au  sujet  de  la  protection  du 
magasin  à poudre  de  Purfleet,  il  insiste  sur  l’impor- 
tance de  la  bonne  liaison  à établir  entre  les  deux  tices 

O 

de  paratonnerre  en  garnissant  de  métal  le  faite  inter- 
médiaire. 

En  Amérique,  dès  1752,  on  établit  un  grand  nombre 
de  paratonnerres  et,  en  1760,  on  citait  déjà  trois  coups 
de  foudre  atteignant  des  paratonnerres  qui  les  condui- 
saient correctement  à la  terre  sans  subir  d’autre  dom- 
mage que  la  fusion  de  leurs  pointes. 

T/Europe  mit  quelque  retard  à adopter  le  nouveau 
mode  de  protection.  En  1760,  le  phare  d’Eddystone, 
près  de  Plymouth,  reçut  un  paratonnerre  et  le  médecin 

IIR  SÉRIE.  T.  XXVI.  Il 


162 


IU;YUE  des  questions  SCIENTIFIQT’ES 


Watson  en  établit  un,  en  1762,  sur  sa  maison  de  cam- 
jiagne  près  de  Londres. 

L’année  1766  fut  marquée  par  un  terrilile  accident. 
La  foudre  fit  sauter  le  magasin  à poudre  de  Brescia  : 
le  sixième  de  la  ville  fut  détruit  et  3000 personnes  furent 
tuées.  C’est  à j)artir  de  cette  date  que  les  magasins  à 
poudre  du  continent  furent  armés  de  jiaratonnerres. 

En  Europe,  T Allemagne,  la  première,  suivit  l’exem- 
}»le  de  l’Angleterre  dans  l’établissement  des  paraton- 
nerres et  bientôt  dépassa  sa  devancière. 

Le  premier  paratonnerre  j fut  placé,  en  1769,  sur 
la  tour  de  l’église  St-Jacques  à Hambourg,  d’après  les 
indications  du  médecin  Reimarus  et  un  autre  sur  la 
tour  de  l’église  abbatiale  de  Sagan,  en  Silésie,  par 
ordre  de  Taldié  von  Eelbinger. 

Toute  une  série  de  savants  allemands,  parmi  lesquels 
le  même  Reimarus  et  llemmer,  s’occupèrent  dès  lors 
de  faire  établir  des  paratonnerres  et,  ])ar  leurs  écrits 
(1768  178')).  contrilmèrent  ]niissamment  à les  faire 
adopter  de  divers  côtés.  Il  est  intéressant  de  remarquer 
que  les  installations  de  cette  époque  sont  d’une  construc- 
tion tout  à fait  semblable  à celle  que  nous  recomman- 
dons actuellement. 

A preuve  quelques  extraits  des  premières  publica- 
tions sur  ce  sujet  : 

Reimarus  1768  : « Une  bande  métallique  continue 
écarte  du  bois  et  de  la  pierre,  les  dégâts  de  la  foudre 
à la  condition  que  cette  liande  atteigne  le  sol.  Pourvu 
qu’elle  couvre  toutes  les  parties  élevées  et  qu’elle  soit 
conduite  jusqu’à  la  terre  sans  solution  de  continuité,  elle 
])rotège  l’ensemble  du  bâtiment,  sans  même  qnon 
ait  besoin  it'ij  élever  de  tige  mètaUàjiie . Parfaite- 
ment abrité,  sans  dispositif  spjécial,  serait  aussi  un 
bâtiment  dont  le  toit  serait  couvert  de  métal  d’où  des 


I 


LES  PARATONNERRES 


163 


tuyaux  métalliques  de  descente  ou  des  bandes  de  métal 
atteindraient  jusqu’à  terre. 

» C’est  un  préjugé  à coml)attre  que  de  croire  que  le 
I métal  dont  est  fait  un  paratonnerre  doit  subir  une 
préparation  spéciale^  ou,  en  })articulier,  qu’il  y faut 
employer  des  tiges  de  fer.  ( )n  a montré  ci-dessus  que 
toute  pièce  métallique  \ est  propre  et,  par  conséquent, 
les  endroits  où  il  s’en  trouve  déjà  ou  bien  s’en  place 
facilement  n’ont  pas  besoin  de  recevoir  une  autre  pro- 
tection. 

» Les  feuilles  de  plomb  ou  de  cuivre  qui  ne  doivent 
pas  être  bien  épaisses,  ou  encore  des  feuilles  de  tôle 
étamées  de  trois  pouces  à un  demi-pied  de  largeur, 
sont,  pour  la  plupart  des  cas,  beaucoup  plus  à recom- 
mander que  des  tiges.  La  foudre  s’écoule  plus  facile- 
ment sur  la  grande  surface  de  pareilles  lames  métal- 
liques : elles  sont  plus  faciles  à réunir  entre  elles  et  plus 
aisées  à fixer  à la  toiture  que  les  tiges.  Sur  le  toit 
elles  peuvent  être  commodément  employées  pour 
couvrir  la  tuile  faîtière  ou  encore  la  tuile  cornière  à 
l’intersection  de  deux  combles. 

» Trouve-t-on  sur  la  surface  extérieure  du  bâtiment 
des  pièces  métalliques  descendantes  reliées  entre  elles, 
Y a-t-il  en  particulier  des  toits  à couverture  métallique, 
des  gouttières  ou  des  tuyaux  en  cuivre,  plomb  ou  fer, 
tout  cela  peut,  très  facilement,  être  utilisé  pour  la  con- 
stitution du  paratonnerre. 

» Pareilles  surfaces  métalliques,  gouttières  ou  des- 
centes en  plomb,  lames  de  plomb  ou  de  cuivre,  tiges, 
etc.,  ont  souvent  joué  à la  qjerfection  le  rôle  de  para- 
tonnerres. Si  parfois  elles  ont  été  endommagées,  ce  ne 
fut  qu’aux  extrémités  où  la  foudre  les  a frappées  ou  bien 
les  a quittées  — nous  l’avons  montré  plus  haut.  A ussi,  à la 
seule  condition  de  les  réunir  soigneusement,  par  le  haut 
et  par  le  bas,  avec  le  reste  de  l’armature  protectrice, 
pourrait-on  s’épargner  le  soin  de  munir  ces  endroits 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


16  i 

(le  dispositifs  spéciaux.  Pour  l’ordinaire,  les  tuyaux  de 
descente  peuvent  être  commodément  utilisés  comme 
conducteurs  de  descente. 

» Il  existe  des  relations  dignes  de  foi  et  très  instruc- 
tives d’où  il  ressort  c[ue  des  coups  de  foudre  ont  été,  au 
grand  profit  du  bâtiment,  conduits  à la  terre  même 
par  des  armatures  métalliques  défectueuses. 

» Quicom[ue  voudra  donc  réfléchir  attentivement  à 
la  question,  reconnaîtra  qu’un  paratonnerre  impar- 
fait vaut  tout  de  même  mieux  que  l’ahsence  de  tout 
paratonnerre . 

» Le  fait  pour  un  bâtiment  de  se  trouver  en  terrain 
dégagé  à la  campagne  l’expose  particulièrement  aux 
accidents  orageux.  Si  son  toit  est  en  chaume,  il  a énor- 
mément à craindre  de  la  foudre  dont  une  décharge  le 
mettra  communément  tout  en  flammes.  Aussi  les  habi- 
tants des  campagnes  devraient-ils  qdus  eyicore  que  les 
citadins  se  j)réoccuper  de  préserver  les  bâtiments 
contre  les  coups  de  foudre.  » 

11  est  certes  profondément  regrettable  que  des  recom- 
mandations si  utiles,  si  précises,  si  simples  à suivre 
soient  tombées  dans  l’oubli.  Le  problème  des  para- 
tonnerres était  dès  lors  résolu  dans  ce  qu’il  a d’es- 
sentiel. A observer  les  jirescriptions  de  Reimarus, 
d’innombraldes  accidents,  des  pertes  immenses  eussent 
été  évités. 

,1.  I).  Lucas,  S.  J., 

Collège  N. -Il-  lie  la  Paix,  Namur  (lielgiqiie). 


L’ÉLÉMENT  NERVEUX 


ARTICLE  SECOND 

PHYSIOLOGIE  DE  L’ÉLÉMENT  NEUYEUX 

Nous  avons,  dans  deux  articles  précédents,  consi- 
déré la  cellule  nerveuse  soit  en  elle-même,  soit  dans 
les  rapports  qu’elle  contracte  avec  d’autres  éléments 
de  même  type  histologique,  pour  constituer  les  voies 
de  projection  et  d’association  du  système  nerveux,  et 
nous  avons  tâché  de  résumer  les  principales  données 
anatomiques  de  la  neurologie  sur  ces  questions. 

Autant  que  la  nature  du  sujet  nous  l’a  permis,  nous 
avons  laissé  de  côté  le  point  de  vue  fonctionnel,  dans 
le  dessein  de  le  traiter  à part  : c’est  ce  que  nous 
faisons  aujourd’hui. 

§ J . — Courant  électrique  nerveux  et  ébranlement 
physiologique  nerveux 

A.  — COURANT  ÉLECTRIQUE  NERVEUX 

Le  vocabulaire  de  la  physiologie,  quand  il  s’agit 
d’exprimer  la  nature  et  les  lois  de  l’activité  nerveuse, 
donne  presque  à penser  que  le  fonctionnement  du  sys- 
tème nerveux  n’est  pas  autre  chose  qu’un  simple 
chapitre  d’électricité  phtisique  : on  parle  de  courant 


(1)  Voir  Revue  des  Questions  scientifiques,  livraisons  de  janvier  1914, 
pp.  5-1)3,  et  d’avril  1914,  pp.  53^-581. 


16(3 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


nerveux,  d’influx  nerveux,  de  transmetteur  et  de 
récepteur  nerveux,  de  décharge  nerveuse,  de  polaiàsa- 
tion  nerveuse,  etc... 

Il  faut  avouer  que  l’allure  des  ])liénoinènes,  aussi 
])ien  que  le  dis])ositif  structural  lui-même,  semblent  se 
prêter,  au  premier  abord,  à cette  assimilation.  11 
existe,  en  effet,  des  postes  de  départ  : les  apjiareils  de 
sensorialité  et  certaines  cellules  corticales  ; des  lignes 
conductrices  : les  voies  nerveuses  ; des  postes  de  ré- 
ce])tion  : certaines  cellules  nerveuses  centrales  et 
beaucoup  d’appareils  non  nerveux,  périjdiériques 
(superficiels  ou  jirofonds  : muscles,  glandes,  etc.). 
(,)uand  tout  cela  est  intact,  il  suflit,  comme  dans  une 
installation  électrique,  d’établir  un  contact  efficace,  en 
un  point  quelconque  du  circuit,  ]»our  que  le  courant 
arrive  au  bout  de  la  ligne  et  j provoque  des  phéno- 
mènes en  rapport  avec  la  nature  des  appareils  termi- 
naux : phénomènes  tbermi({ues,  jdiénomènes  lumineux, 
jdiénoniènes  mécaniques,  phénomènes  chimiques,  phé- 
nomènes physiologiques,  etc. 

Et  il  faut,  en  eflét,  admettre  l’existence,  dans  le  sys- 
tème nerveux,  d’une  véritalfle  énergie  électrique;  mais 
c’est  là  une  question  qui  exige  d’être  immédiatement 
précisée. 

Si  l’on  réunit,  par  l’intermédiaire  d’un  fil  métallique, 
les  deux  extrémités  d’une  pile  de  à olta,  il  se  produit 
un  courant  ([u’on  peut  mettre  en  évidence  en  interca- 
lant dans  le  circuit  un  galvanomètre  ou  un  électro- 
scope  condensateur.  On  dit  que  les  corps  mis  ainsi  en 
relation,  zinc  d’une  part  et  ciiivi*e  de  l’autre  (en  négli- 
geant les  disques  intermédiaires),  ne  j)ossèdent  pas  le 
même  potentiel,  la  même  tension,  ou,  pour  employer 
une  comparaison  à laquelle  on  a souvent  recours,  ne 
sont  pas  au  même  niveau  électrique.  11  doit  donc  s’éta- 
blir un  flux  d’électricité  allant  du  corj)S  dont  le  niveau 
est  le  })liis  élevé  à celui  dont  le  niveau  est  le  plus  bas, 


l’élément  nerveux 


167 


tout  coinine  il  s’établit  un  écoulement  de  liquide  entre 
deux  vases  communicants,  tant  que  persiste,  entre  les 
liquides  de  ces  deux  vases,  une  inégalité  de  niveau. 
Or  il  n’est  pas  nécessaire,  pour  réaliser  ce  phénomène, 
d’avoir  recoui's  à un  sjjstèrne  hétérogène.  ()n  conçoit, 
en  etlét,  que  deux  régions  d’un  seul  et  même  corps 
peuvent  se  trouver,  à un  moment  donné,  dans  des 
conditions  diti'é rentes,  déterminant  des  états  de  tension 
différents  eux  aussi,  et  qu’en  les  reliant  l’une  à l’autre 
par  un  conducteur  approprié,  il  peut  s'établir  un  cou- 
rant entre  les  deux,  jusqu’à  constitution  d'un  potentiel 
uniforme.  On  comprend  aussi  que  si  la  conductibilité  du 
corps  lui-même  était  parfaite,  un  courant  semblable 
interne,  allant  d'une  région  à l’autre,  devrait  se  pro- 
duire toutes  les  fois  qu’une  cause  quelconque  mettrait 
ces  deux  régions  en  déséquilibre,  et  persister  jusqu'au 
moment  où,  après  un  certain  nombre  d'oscillations 
l’équilibre  s’établirait  à nouveau.  Tout  courant^ 
disait  déjà  Galvani  en  17t)l,  a pour  hut  le  rétahlisse- 
ment  de  rèquilihre  èlect)‘ique  préalahlement  rompu. 
Or,  la  substance  organisée  étant,  plus  que  toute  autre, 
soumise  à de  nombreux  changements,  par  suite  des 
incessantes  réactions  qui  se  passent  dans  son  sein,  si 
bien  que  l’instabilité  physico-chimique  est  un  des 
caractères  les  plus  apparents  de  tout  substratum  vital, 
il  n’est  pas  étonnant  que  cette  substance  soit  le  siège 
de  constantes  ruptures  d’équilibre,  et  qu’il  existe,  par 
conséquent,  une  électricité  organique,  animale  et  végé- 
tale. L’observation  prouve  d’ailleurs  qu'il  en  est  bien 
ainsi. 

L’électricité  animale  est  connue  depuis  longtemps. 
Avant  même  ([ue  Galvani  publiât  son  grand  ouvrage  : 
De  üirihus  eleclricilatis  iu  niotu  musculari  conimen- 
farius  (1701),  l’idée  était  déjà  venue  à certains  natura- 
listes d’expliquer  par  une  circulation  d’électricité  à 
travers  l'organisme  toutes  les  fonctions  du  vivant.  Si 


168 


REVUE  DES  QUESTIONS  SOIENT  IFiQUES 


les  recherches  de  rillustre  professeur  de  Bologne  ne 
confirmèrent  pas  ces  vues,  par  trop  générales  et  impré- 
cises, elles  mirent  cependant  hors  de  doute  l’existence 
d'une  énergie  électrique  intrinsèque  à certains  tissus. 
Ces  recherches,  et  les  controverses  auxquelles  elles 
donnèrent  lieu,  méritent  d’être  rappelées.  Calvani,  au 
début,  semble  avoir  borné  sa  curiosité  scientifique  à 
« étudier  T influence  de  T électricité  sur  les  nerfs  des 
aniniaux  »,  comme  il  le  raconte  lui-même.  Ce  fut  au 
cours  d'une  expérience  de  cette  nature  qu’un  de  ses 
élèves  ayant  apjtroché  accidentellement  la  lame  d’un 
scalpel  des  nerfs  cruraux  d’une  grenouille,  au  moment 
où  une  étincelle  Jaillissait  d’une  machine  électrique, 
les  muscles  se  contractèrent,  entraînant  le  déplace- 
ment du  memlire  inférieur  : « phénomène  eætro.ordi- 
naire  et  inconnu  jusque-lù  ».  Le  fait,  pris  en  lui-même, 
ne  semblait  })Ourtant  pas  comporter  d'autre  explica- 
tion que  celle  déjà  connue  de  l’influence  sur  le  sys- 
tème nerveux  d'une  force  électriipie  étrangère  à ce 
système,  (l'était  un  simple  phénomène  de  choc  en  re- 
tour. Galvani  ])cnsait-il  alors  que  l’i'fiicacité  du  choc 
sur  le  système  neuro-musculaire  nécessitait  l’existence 
dans  ce  système  d’un  fiux  électriipie  jiropre?...  Nous 
l'ignorons,  mais  peut-être  faut-il  expliquer  ]iar  quelque 
idée  de  ce  genre  l'intérêt  qu'il  porta,  à partir  de  ce 
Jour,  à l’étiide  du  phénomène  en  question.  Dès  l’année 
suivante  (1781),  il  Jugea  que  ses  expériences  lui  per- 
mettaient d'afiirmer  la  réalité  d’une  électricité  orga- 
nique « agent  très  mobile,  préexistant  dans  le  nerf  et 
excitant  la  force  nercéo-musculaire  ».  Dui'ant  cinq 
années  encore.  Galvani  devait  se  livrer  avec  })assion  à 
l'étude  de  cet  agent  mystérieux,  Jusqu’au  Jour  oîi  une 
nouvelle  circonstance  accidentelle  vint  fixer  définitive- 
ment son  opinion.  (.)n  sait  comment,  le  2(3  septembre 
1786,  ayant  déjiosé  sur  la  balustrade  eu  fer  de  la  ter- 
rasse du  ]>alais  Zambeccari  une  grenouille  fraîchement 


l’élê.mext  nerveux 


169 


disséquée,  retenue  par  un  crochet  de  fer  passé  à 
travers  la  moelle,  et  ennuyé  de  ne  voir  se  produire 
aucune  contraction,  il  mit  le  crochet  en  contact  avec 
la  balustrade,  et  détermina  immédiatement,  par  cette 
intervention,  une  secousse  musculaire.  Les  conditions 
de  l’expérience  ne  permettant  de  mettre  en  cause  au- 
cune décharge  électrique  extérieure,  Galvani  se  crut 
en  mesure  de  pouvoir  conclure  à l’existence  d'une 
électricité  inhérente  à ranimai  : au  moment  de  la 
contraction^  il  s’établissait  un  courant  du  fluide  ner- 
veux des  nerfs  aux  muscles,  semblable  au  courant 
électrique  de  la  bouteille  de  Leyde  ». 

L’expérience  pouvait  cependant,  au  premier  abord, 
supporter  une  autre  interprétation.  Galvani  avait  en 
effet  remarqué  que  les  contractions  étaient  beaucoup 
plus  énergiques  quand  l'arc  métallique  reliant  les  nerfs 
aux  muscles  n’était  pas  homogène,  mais  constitué  de 
deux  métaux  différents  (par  exemple  zinc  et  cuivre). 
L’arc  avait  donc  dans  la  production  du  phénomène  une 
influence  directe,  tenant  à sa  nature  même,  et  qu’il  ne 
fallait  point  négliger.  Peut-être  même  était-ce  lui,  au 
fond,  qui  était  la  vraie  source  électrique,  les  nerfs  et  les 
muscles  faisant  simplement  office  de  conducteur  indif- 
férent, pour  relier  deux  corps  hétérogènes,  c’est-à-dire 
pour  mettre  en  communication  deux  substances  à un 
potentiel  différent.  Le  fait  que  le  phénomène  se  pro- 
duisait essentiellement  avec  un  conducteur  métallique 
homogène  ne  tranchait  pas  la  difficulté,  car  on  pouvait 
objecter,  comme  le  fit  à olta,  qu’il  y avait  toujours 
hétérogénéité  — qu'on  employât  soit  un  conducteur 
métallique,  soit  une  simple  ficelle  mouillée  — au  point 
où  ce  conducteur  entrait  en  contact  avec  l’oro-anisme. 
La  préexistence  dans  le  nerf  d’une  électricité  mhérente 
à l’aniniaf  n’était  donc  pas  péremptoirement  démon- 
trée. Galvani  répondit  à cette  objection  en  réalisant 


170 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rexpérience  après  suppression  de  tout  conducteur 
étranger,  par  le  seul  contact  de  parties  organiques. 

Aucun  des  deux  adversaires  ne  réussit  cependant  à 
convaincre  son  contradicteur,  et  ils  eurent  tort  tous 
les  deux  : le  jthvsiologiste  Ualvani  en  ne  voulant 
admettre  que  l’électricité  animale,  et  le  physicien  ^Alta 
en  tenant  exclusivement  jiour  l’électricité  de  contact. 

Mais  s’il  est  établi  au  jourd’hui  que  dans  les  substances 
organisées,  tant  qu’elles  sont  vivantes,  se  développe  une 
force  électrique  propre,  j)articulièrement  remarquable 
chez  certains  animaux,  comme  les  poissons  électriques, 
il  ne  suit  point  de  là  que  tous  les  phénomènes  nerveux 
soient  réductibles  à de  purs  phénomènes  électriques. 
Tout  ce  que  l’on  peut  conclure  des  nombreuses 
recherches  auxquelles  cette  question  a donné  heu 
depuis  (talvani,  c’est  que  le  tissu  nerveux,  comme  tous 
les  autres  tissus  vivants,  animaux  ou  végétaux,  en  plus 
de  l’action  spécifi([ue  qu’il  exerce  dans  l’organisme,  en 
présente  une  autre,  commune  à tous  les  éléments  : 
celle  de  pouvoir  manifester,  dans  certaines  conditions, 
une  énergie  qu’on  est  en  droil  d’assimiler,  de  par  ses 
caractères  essentiels,  à l’énergie  électri([ue  dégagée 
par  la  matière  brute.  Comme  l’oi^ganisme  vivant,  ])ar 
celui  de  ses  constituants  qui  est  en  lui  le  support  maté- 
riel de  ses  opérations,  peut  être  le  siège  de  véritables 
réactions  chimiques,  ainsi  peut-il  devenir,  sans  qu’il  y 
ait  autrement  heu  de  s’en  étonner,  une  source  très 
active  de  phénomènes  })ui*ement  physiques. 

C’est  à la  physico-chimie  qu’il  a])partient  de  pro- 
noncer sur  le  bien  fondé  de  la  théorie  actuelle  qui  veut 
que  tout  atome  de  corps  simple  soit  constitué  « par  vu 
afjrrfjat  de  particules  matérielles  positives,  'unies  entre 
elles  électrostatù[uenient  par  l'interposition  d’èlec- 
trons,  agissant  éi  la  manière  (Viin  cèritnhJe  ciment  » ( 1 ). 


(I  ) Achalme,  Électronique  et  Biologie,  1913  ; i).  5."). 

Les  électrons  sont  des  atomes  d'électricité  négative  (ions  négatifs),  doués 
de  masse  et  existant  comme  tels  (p.  8).  (duanl  aux  particules  matérielles  posi- 


l’élément  nerveux 


171 


C’est  à cette  science  qu’il  convient  aussi  (rétal)lir  si  le 
courant  électrique  doit  être  regardé  coinine  un  véri- 
table transport,  à travers  les  conducteurs,  d’électrons, 
ou  atomes  d’électricité  négative,  libérés  de  leurs  asso- 
ciations intra-  et  interatomiques  (1).  Ces  tbéoides  une 
fois  bien  assises,  il  restera  à en  faire  l’application  aux 
phénomènes  électriques  du  tissu  nerveux.  Beaucoup 
de  points,  sans  doute,  présenteront  des  difficultés  dont 
la  solution  se  fera  longtenqts  attendre,  mais  on  sera  du 
moins  fort  à l’aise  tant  qu’il  ne  s’agira  que  d’assigner 
des  causes  suffisantes  de  désagrégation  atomique,  de 
libération  d’électrons,  et,  par  suite,  de  constitution  de 
champs  électriques  et  magnétiques  [2).  Les  phéno- 
mènes physiologiques  et  psycho-physiologiques,  et  les 
phénomènes  purement  spirituels  eux-mêmes,  qui  sup- 
posent l’exercice  préalalile  de  l’activité  du  substratum 
organique,  s’accompagnent  en  effet,  nécessairement, 
de  modifications  ph^’siques  et  chimiques  susceptibles  de 
réaliser  les  conditions  ordinaires  de  rétablissement 
d’un  courant.  Mais  le  fait,  par  exemple,  qu’une  con- 
traction volontaire  détermine  dans  les  nerfs  et  les 
muscles  des  réactions  intra-moléculaires  d’où  résultent, 
soit  la  production  d’un  flux  d'électricité,  soit  des  varia- 
tions plus  ou  moins  accentuées  dans  des  courants  élec- 
triques préexistants,  ne  prouve  nullement  que  le  phé- 
nomène de  contraction,  consécutif  au  phénomène  de 
Yolition,  soit  adéquatement  explicable  par  une  simple 
influence  électrique  ; pas  plus  d’ailleurs  qu’une  in- 
fluence de  ce  genre  n’explique  à elle  seule  l’apparition 

tives,  spécifiques  de  l’atome  du  corps  considéré,  on  peut  se  demander  si  leur 
caractère  électrique  positif  est  dù  à « une  propriété  même  du  support  maté- 
riel »,  ou  « à un  corpuscule  particulier  très  adhérent  à l'atome  et  qui  serait 
l’électron  positif»  (p.  36)  ; et  dans  le  cas  où  il  résulterait  d’une  propriété  de 
la  matière,  on  peut  se  dernamler  encore  s'il  s’agit  d’une  propriété  électrique 
à part,  ou  simplement  d’ « une  propriété  de  la  matière  ayant  perdu  des  élec- 
trons négatifs  » (p.  8). 

(1)  Ibid.,  pp.  7:2.  249. 

(2)  Ibid.,  pp.  8,  255. 


172 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


d’un  phénomène  sensoriel,  liien  qu’une  excitation  élec- 
trique puisse  être  le  point  de  déjiart  de  processus  ])sjclio- 
])hysiologiques. 

Notre  dessein  n’est  pas  de  nous  arrêter  longtemps 
sur  les  raisons  qui  interdisent  d’assimiler  tous  les  phé- 
nomènes nerveux  du  vivant  à de  simples  transforma- 
tions de  l’énergie  électrique.  A cette  question  pour- 
raient s’appliquer  certains  jugements  fort  judicieux 
d’Armand  Gautier  dans  son  article  : Les  manifesta- 
tions de  la  vie  dérivent-elles  toutes  des  forces  maté- 
rielles{V)  Les  découvertes  récentes  n’ont  rien  fait 
perdre  de  leur  à-propos  à ces  rétiexions  vieilles  de  dix- 
sept  ans,  car  elles  s’appuient  sur  un  principe  qui  n’est 
pas  plus  discuté  de  nos  jours  qu’il  ne  l’était  alors  : 
« Les  forces  matérielles  se  reconnaissent  donc  ci  ce 
([Il  elles  communiquent  éi  la  matière  de  l’énergie,  mais 
avec  expresse  condition  qu’une  des  formes  : chimicque, 
élastique,  calorifique,  'mécanique,  etc.,  de  cette  énergie 
venant  à apqjaraitre,  la  forme  précédente  disparaîtra 
en  quantité  écquivalente  ».  Le  problème  qui  se  pose  est 
donc  celui-ci  : « Les  forces  ([ue  manifestent  les  êtres 
vivants  ont-elles  toutes  ces  dxux  caractères  essentiels 
des  forces  matérielles  è » L’examen  des  faits  amène 
Arm.  (tautier  à formuler  une  réponse  négative.  Les 
phénomènes  vitaux  s’accompagnent  bien  de  réactions 
mécaniques,  physiques,  chimiques,  qui  ne  sont  que  des 
transformations  équivalentes  de  quehpie  énergie  maté- 
rielle mise  en  œuvre  pour  les  produire,  mais  à ces 
réactions  se  superposent  ce  que  l’auteur  appelle  ailleurs 
des  formes,  c’est-à-dire  un  ordre,  un  pjlan,  une  direc- 
tion, qui  n’a  pas  son  équivalent  dans  la  force  maté- 
rielle initiale,  celle-ci  s’étant  dépensée  tout  entière  à la 
production  des  phénomènes  concomitants  ])hysiques, 

(1)  Uevce  oéxéraee  [»es  SciExVces  pures  et  appliquées,  1897,  pp.  491-298. 


l'élément  nerveux 


173 


chimiques,  mécaniques  (1).  Mais  si  les  faits  j'arleut  en 
faveur  de  cette  interprétation,  c’est  surtout  quand  il 
s’agit  d’expliquer  les  phénomènes  supérieurs  de  la  vie, 
la  pensée,  la  volonté,  le  sens  estliétùiue , le  sens  mo- 
ral {2). 

Or,  le  fonctionnement  nerveux  manifeste,  comme 
tout  fonctionnement  vital,  un  ordre  immanent,  un  plan, 
une  direction  ; il  n’est  donc  pas  un  phénomène,  ou  un 
ensemble  de  phénomènes  purement  jthysiques.  Et 
d’autre  part,  il  est  dans  de  telles  relalions  avec  nos 
facultés  psychiques,  par  les  neurones  auxquels  notre 
volonté  commande,  et  par  ceux  aussi  où  s’accom- 
plissent les  phénomènes  sensoriels,  qu’il  faut  néces- 
sairement le  regarder  comme  tout  autre  chose  qu’un 
simple  flux  d’électricité  circulant  le  long  d’un  conduc- 
teur organique. 

INlais  si  le  dynamisme  nerveux  suppose  l’action 
intrinsèque  d’une  force  que  des  savants  consciencieux 
se  refusent  à identifier  avec  des  forces  matérielles,  il 
serait  pourtant  illégitime  d’en  conclure  qu’aucune  force 
matérielle  n’intervient  dans  le  fonctionnement  de  nos 
neurones. 

Les  conditions  anatomiques,  physiques,  chimùpies, 
mécaniques,  dont  la  réalisation  est  nécessaire  pour 
que  le  phénomène  nerveux  se  produise,  attestent  que  la 

(1)  A.  Gautier,  Leçons  de  Chimie  biologique,  Paris,  1897,  p.  i,  en  noie. 

(2)  « Qu’un  animal,  qui  consomme  durant  les  vingt-quatre  heures  une  quan- 
tité constante  d’aliments,  pense  ou  non,  qu’il  se  détermine  à agir  ou  non 
(pourvu  qu’il  n’agisse  pas),  qu’il  soit  amibe,  chien  ou  homme,  pour  une  même 
quantité  d’aliments  et  d’oxygène  consommée,  il  produira  la  même  quantité 
de  chaleur  et  de  travail,  ou  d’énergie  totale  équivalente.  Il  n’y  a donc  pas  eu, 
pour  créer  la  pensée  ou  la  détermination  d’agir,  détournement  d’une  partie 
des  forces  mécaniques  ou  chimiques,  transformation  de  l’énei’gie  matérielle 
en  énergie  de  raisonnement,  de  délibération,  de  pensée.  Ces  actes  exclusi- 
vement propres  aux  êtres  doués  de  vie  n’ont  pas  d’équivalent  mécanique. 
« Les  actes  psychiques,  conclut  avec  nous  M.  Chauveau,  ne  peuvent  rien 
détourner  de  l’énergie  que  fait  naître  le  travail  physiologique  et  qui  est  inté- 
gralement restitué  sous  forme  de  chaleur  sensible.  » .\rm.  Gautier,  art.  cité, 
Rev.  Gén.  des  Sc.,  p.  294. 


174 


REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


force  supra-matèrielle,  quelle  qu'elle  soit,  à laquelle 
il  faut  recourir  pour  Texplication  adéquate  des  faits, 
ne  se  suffit  pas.  Nous  pouvons  inèine  aller  plus  loin,  et 
alliriner  que  ces  conditions  matérielles  ne  sont  pas  de 
pures  circonstances,  i-equises  sans  doute,  mais  n’en- 
trant }>as  dans  la  constitution  essentielle  du  ])liéno- 
mène.  Partout  oii  nous  avons  affaire,  en  effet,  à des 
processus  intrinsèquement  organiques,  qu’ils  soient 
])urement  physiologiques  comme  une  élaboration  glan- 
dulaire, ou  psychi([ues  comme  un  acte  de  sensorialité 
ou  de  motricité  volontaire,  rorganisme  intervient  essen- 
tiellement dans  ces  })rocessus  ]>ar  des  énergies  maté- 
rielles. Mais  ce  ([ui,  matériellement,  constitue  le 
courant  nerveux,  ce  n’est  })as  un  courant  électrique, 
bien  qu’il  soit  indéniable  qu’un  courant  électrique 
existe  ou  puisse  exister. 

« On  a lonf/temps,  écrivait  déjà  àlatbias  Duval,  non 
seulement  comparé,  mais  nuhne  identifié  ce  qui  se 
passe  alors  dans  les  nerfs  arec  un  courant  électri<iue ; 
aujourd'hui  il  est  proucé  que  l'influx  nerveux  n'a 
rien  de  commun  avec  V électricité  (i). 

En  effet,  à l’état  de  repos  physiologique  spécifique, 
on  peut  constater  l’existence,  dans  le  nerf,  d’un  courant 
électrique  ; or  quand  le  nerf  fonctionne,  c’est-à-dire 
([uand  le  courant  physiologique  s’établit  ou  s’accentue, 
ce  coui-ant  électrique  s’affaiblit  ou  disparaît.  Courant 
pbysiologi([ue  (nerveux)  et  courant  électrique  ne  se 
confondent  donc  pas.  De  plus,  si  l’on  sectionne  un 
nerf,  et  qu’on  ra})procbe  ensuite  au  contact  les  deux 
surfaces  de  section,  le  courant  nerveux  ne  passe  plus; 
or  un  courant  électrique  peut  toujours  circuler  dans  un 
conducteur,  même  quand  ce  conducteur  a été  coupé, 
})Ourvu  que  les  deux  bouts  soient  mis  en  relation  de 


(1)  Cours  (le  Physiologie,  p.  33.  0'  édition,  1887  (la  première  édition  est 
de  1872). 


l'élément  nerveux 


175 


contiguïté.  Une  simple  ligature,  d’ailleurs,  sur  le  trajet 
du  nerf,  sup])riine  la  conductibilité  nerveuse,  en  lais- 
sant subsister  la  conductibilité  électrique  (i).  Enfin,  le 
flux  électrique  s’écoule  dans  un  sens  défini  : d’un  point 
appelé  pôle  positif,  à un  autre  point  appelé  pôle  néga- 
tif (2),  et  l’observation  a démontré  que  ce  sens,  pour 
le  courant  électrique  nerveux  axial,  était  normale- 
ment centrifuge  dans  les  nerfs  centripètes,  et  centri- 
])ète  dans  les  nerfs  centrifuges  (3).  Or,  dans  un  nerf 
excité  en  un  point  quelconque  de  son  parcours,  il  se 
])roduit  un  influx  nerveux  qui  se  propage  à la  fois  dans 
le  sens  centripète  et  le  sens  centrifuge.  Cela  n’est  vrai 
])ourtant  que  dans  un  neurone  pris  à part  ; si  l’on  con- 
sidère une  association  de  deux  neurones,  l’influx  ner- 
veux, comme  nous  l’avons  déjà  signalé,  s’il  passe  du 
neurone  A au  neurone  B,  ne  passe  jamais  du  neu- 
rone B au  neurone  A : il  v a irréversibilité  du  sens  du 

*j 

courant  nerveux.  Mais  précisément  le  sens  dans  lequel 
un  courant  électrique  parcourt  un  conducteur  composé 
d’autant  de  segments  que  l’on  voudra,  est  toujours 
expérimentalement  réversible. 

Beaucoup  d’autres  considérations  encore  nous  per- 
mettraient d’étal)lir  entre  le  flux  électrique  et  l’influx 
nerveux,  des  oppositions  qui  excluent  l’identification 
des  deux  genres  de  courants. 

Nous  n’avons  d’ailleurs  à nous  occuper  ici  que  du 
courant  ou  ébranlement  phj'siologique  nerveux. 


(I  ) Expérience  du  pistolet  électrique  de  Du  Bois-Reymond. 

(2)  Ceux  qui  admettent  que  le  flux  électrique  est  constitué  par  un  trans- 
])ort,  non  pas  d’électricité  positive,  mais  d’ions  négatifs  ou  électrons,  doivent 
inverser  le  sens  du  courant;  le  déplacemeut,  dans  ce  cas,  se  fait  donc  du 
jiôle  négatif  au  pôle  positif  (de  la  cathode  à l’anode). 

(3)  Ici  encore  la  théorie  électronique  introduit  une  modification  : le  cou- 
rant devient  centripète  dans  les  nerfs  centripètes  et  centrifuge  dans  les  nerfs 
centrifuges. 


176 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


B.  — ÉBRANLEMENT  PIIYSIOLOGI(,)UE  NERVEUX 

I.  — Nature  de  V ébranlement  y siolorjiqve  nervevx 

Tout  protoplasme  est  doué  éé irritabilité ^ et  nous 
entendons  par  ii‘rital)ilité  une  propriété  générale,  qui 
consiste  dans  une  aptitude  à réagir  citalement  à une 
excitation  proportionnée. 

L’irritaliilité  se  manifeste  par  des  réactions  com- 
munes et  par  des  réactions  spécifiques. 

Les  premières,  qui  pourvoient  aux  besoins  fonda- 
mentaux de  toute  substance  vivante,  se  retrouvent, 
par  le  fait,  dans  tous  les  éléments  de  n’importe  quel 
tissu  : telles  les  réactions  qui  assurent  la  nutrition  cel- 
lulaire. 

Les  réactions  spécifiques  sont  particulières  à cer- 
taines cellules.  Ainsi,  les  cellules  musculaires  jouissent 
de  la  propriété  de  répondre  par  des  phénomènes  de 
contraction  active  à des  excitations  de  nature  diverse  : 
leur  irritaliilité  se  traduit  spécifiquement  par  de  la 
contractilité.  De  même,  dans  les  éléments  nerveux, 
aux  manifestations  communes  de  l’irritabilité  s’en  su- 
perpose une  qui  est  spécifique  : la  ncurilité. 

A la  jiropriété  de  contractilité  répond,  comme  effet 
physiologique,  la  contraction.  La  neurilité,  elle,  se  tra- 
duit, physiologiquement,  par  des  phénomènes  éé inner- 
vation ; mais  la  signification  de  ce  dernier  terme  est  un 
peu  plus  complexe  que  celle  du  précédent.  La  contrac- 
tion est  l’état  particulier  du  muscle  qui  résulte  de  la 
fusion  d’une  série  de  secousses  très  rapprochées  ; elle 
consiste,  au  point  de  vue  morphologique,  en  un  rac- 
courcissement transitoire  ou  persistant  de  la  filire.  Il 
ne  s’agit  donc  là  que  d’un  seul  mode  d’action  physio- 
logique aboutissant  à un  eflèt  toujours  essentiellement 


l’élément  nerveux 


177 


le  iiiênie.  L’innervation,  au  contraire,  comprend  tout 
un  ensemble  d’actions  à résultats  fort  divers. 

Définissons-la  en  nous  aidant  de  quelcjues  exemples. 

Considérons  la  cellule  nerveuse  périphérique  7, 
atiéctée  au  service  de  la  sensorialité  tactile,  fio'.  1.  Un  de 
ses  prolongements  aboutit  dans  l’épaisseur  de  la  peau  -S’; 
l’autre  gagne  la  moelle  épinière  dans  laquelle  il  se  ter- 
mine, soit  en  a,  soit  en  è,  après  s’être  bifurqué  en  e. 
On  dit  de  cette  cellule  qu’elle  innerve  la  surface  cuta- 
née. Gela  veut  dire  que  la  cellule  nerveuse  en  question 
est  apte  à subir  l’influence  des  excitations  qui  tombent 


sur  cette  surface,  et  à la  transmettre  aux  centres  sous 
une  certaine  forme. 

Mais  la  cellule  7,  par  l’une  de  ses  branches  de  bifur- 
cation s’articule,  en  a,  avec  la  cellule  6’,  dont  le  prolon- 
gement cellulifuge  va  s’épuiser  dans  un  organe  termi- 
nal périphérique  Oj,  soit  directement,  soit  par  l’intermé- 

IIR  SÉRIE.  T.  XXVI.  L2 


178 


REVUE  DES  (^'ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


diaire  du  s)^stème  sympathique  que  nous  avons  négdigé 
de  scliéinatiser  dans  notre  figure.  Cet  organe  terminal 
peut  être  un  muscle,  une  glande,  un  a])pareil  photo- 
gène ou  électrogène,  etc...  Le  neurone  8 innerve  cet 
organe,  et  cela  veut  dire  qu’il  lui  communique  une 
excitation  qu’il  a lui-mème  reçue,  et  qui  va  mettre  enjeu 
son  activité  propre.  L’éhranlement  parti  de  8’,  et  qui 
aboutit  en  O,,  après  avoir  franchi  en  a l’articulation 
interneuronienne,  a parcouru  une  sorte  d’arc  anato- 
mique, \arc  réflexe,  et  il  a déterminé  un  phénomène, 
réflexe  lui  aussi,  dépendant  de  la  fonction  d’innervation 
qu’on  a appelée  excito-molricité.  Mais  on  voit,  d’ahord, 
que  le  terme  de  motricité  est  assez  mal  choisi,  l’organe 

n’étant  pas  nécessairement  un  muscle;  ])uis,  que  l’ex- 
pression elle-même  tout  entière  peut  prêter  à confu- 
sion. En  effet,  en  empruntant  la  voie  des  neurones  G 
et  7,  qui  va  du  cerveau  C à l’organe  fL,  Je  puis,  volon- 
tairement, déterminer  dans  cet  organe,  que  Je  suppose 
être  un  muscle,  un  phénomène  éé ex cito- motricité . 
Cette  expression,  employée  sans  correctif  qui  la  spécifie, 
ne  peut  donc,  d’elle-même,  désigner  un  processus 
nécessairement  réflexe.  On  se  rend  compte  aussi  que 
l’innervation,  dans  ces  cas,  n’est  j)as  différente  de  ce 
qu’elle  était  dans  le  neurone  7.  Tous  ces  neurones,  en 
eflét  : 8,  G,  7,  ne  manifestent  d’autres  ]u-opriétés  que 
celles  que  nous  avons  constatées  dans  le  neurone  en 
relation  avec  la  surface  8.  Le  ])hénomène  terminal  : 
contraction  musculaire,  élaboration  et  excrétion  glan- 
dulaires, production  de  lumière,  d’électricité,  etc..., 
n’est  pas,  en  effet,  un  [diénomène  du  neurone,  mais  un 
phénomène  propre  à l’organe  où  le  nerf  se  termine. 
Le  neurone  n’a  fait  que  recevoir,  conduire  et  émettre 
une  excitation. 

Jusqu'ici,  donc,  l’innervation  nous  apparaît  comme 
caractérisée  par  trois  ordres  de  réactions  : la  réception. 


l’élément  nerveux 


179 


la  conduction  et  l’émission  : rèce'[)tixitè,  conductivité^ 
émissivité. 

Mais  les  manifestations  delà  neurilité  peuvent  atiécter 
d’autres  formes  encore.  Ainsi  les  excitations  cutanées, 
dont  nous  ])arlions  tout  à l’heure,  déterminent  dans  le 
neurone  1 des  modifications  qui,  de  proche  en  proche,  par 
la  branche  de  bifurcation  h,  et  par  les  chaînons  médul- 
laires, cérébelleux  et  thalamiques  (remplacés  par  un 
pointillé  dans  notre  schéma),  gagnent  les  centres  encé- 
phaliques corticaux.  Là,  elles  produisent  à leur  tour, 
dans  des  cellules  spéciales,  A,  par  exemple,  des  trans- 
formations particulières  d’où  procède  l’état  conscient 
que  nous  appelons  sensation.  De  même  que  l’on 
dit  que  les  muscles  sont  innervés,  que  les  glandes  sont 
innervées,  on  doit  dire  que  ces  cellules  corticales  sont 
innervées  : elles  reçoivent  normalement,  des  neurones 
sous-jacents,  des  excitations  qui  mettent  en  activité  leur 
aptitude  à des  réactions  s])éciales,  réactions  qui  les  carac- 
térisent comme  organes  proprement  dits  de  la  sensation. 
A ce  titre,  les  cellules  sensorielles  de  l’écorce  sont  com- 
parables aux  muscles,  aux  glandes,  à tous  les  organes 
terminaux  où  aboutissent  des  incitations  nerveuses,  et 
cela  n’ajoute  rien  à ce  que  nous  savions  déjà.  Mais  il 
faut  observer  que  l’innervation,  qui  provoque  ailleurs 
un  phénomène  moteur,  un  phénomène  sécrétoire,  etc..., 
détermine  ici  un  phénomène  nerveux,  et  différent  des 
autres  phénomènes  nerveux  dont  nous  venons  de  par- 
ler. Le  neurone  cortical  en  question  n’est  pas  seulement 
récepteur  et  transmetteur  : il  est  sensoriel.  La  senso- 
rialité,  projjriété  organique  comme  la  réceptivité  et  la 
transmissivité,  est  une  nouvelle  manifestation  de  la 
neurilité. 

A cette  même  propriété  de  l’élément  nerveux  se 
rattache  encore  directement  une  autre  manifestation 
psychique  essentiellement  organique  : la  j^ropriété 
sensorio-mnésique.  On  sait  que  notre  écorce  cérébrale 


1<S0 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


est  apte  à conserver,  sous  une  forme  dont  la  connais- 
sance intime  nous  échappe,  le  souvenir  de  nos  percep- 
tions sensorielles.  On  sait  aussi  que  les  centres  de 
souvenirs  de  sensations  sont  d’ordinaire  distincts  des 
centres  de  perception  sensorielle  actuelle,  si  liien 
([ue  ces  derniers  venant  à être  mis  hors  de  fonc- 
tion, toute  sensation,  spécifique  de  ces  centres,  cesse, 
alors  que  persistent  les  souvenirs  de  sensations  de 
même  ordre  autrefois  éprouvées.  En  schématisant 
fortement  les  dis])Ositifs,  nous  pourrions  représenter 
le  centre  mnésique  par  une  de  ses  cellules,  2^  la 
cellule  4 figurant  un  élément  d’association  interposé 
entre  ce  centre  mnésique  et  le  centre  de  perception 
actuelle,  cellule  3.  Im  cellule  2,  comme  la  cellule  .V, 
est  apte  à recevoir  et  h transmettre,  mais  à ces  pro- 
priétés nerveuses  communes  s’en  ajoute  une  autre, 
qui  lui  est  propre  : celle  de  garder  des  traces  de  cer- 
tains processus  psycho-phjsiologiques.  Gomme  l’étude 
de  ces  traces  est  difiicilement  ahordable  à l’observation 
directe,  ainsi  d’ailleurs  que  celle  des  modifications 
organiques  qui  accompagnent  la  perception  sensorielle 
actuelle  et  la  conditionnent  intrinsèquement,  de  toutes 
les  manifestations  de  la  neurilité,  la  réceptivité  et  la 
conductivité  sont  les  seules  qui  paraissent  intéresser 
les  physiologistes. 

Tm  autre  phénomène  mériterait  cejiendant  de  rete- 
nir leur  attention.  L’élément  nerveux  n’est  pas  seule- 
ment réceptif  et  conductif,  il  est  encore  èmissif, 
comme  nous  l'avons  signalé  tantôt.  L’excitation  qu’il 
a reçue  et  qu’il  conduit,  il  est  apte  à la  passer  à 
d’autres  éléments,  que  ces  éléments  soient,  comme  lui, 
des  neurones,  ou  qu’ils  soient  des  cellules  de  nature  et 
de  fonctions  diverses  : cellules  musculaires,  cellules 
glandulaires,  etc...  Ce  pouvoir  d’émission,  il  est  vrai, 
n’est  pas,  absolument  parlant,  exclusivement  propre  à 
l’élément  nerveux,  ]ias  plus  d’ailleurs  que  le  pouvoir 


l’élément  nerveux 


iSi 


de  recevoir  et  de  conduire  ; tout  protoplasme,  en  eflet, 
est  excitalde,  et  tout  protoplasme  est  conducteur  de 
l'excitation  qu’il  a reçue  ; mais  dans  la  cellule  ner- 
veuse ces  fonctions  sont  devenues  })répondérantes,  et 
il  est  manifeste  que  c’est  en  vue  de  leur  accomplisse- 
ment que  cette  cellule  s’est  différenciée.  De  plus,  les 
cellules  non  nerveuses  ne  sont  excitables  et  conduc- 
trices que  pour  leur  propre  compte  : leur  excitabilité 
et  leur  conductivité  ne  regardent  qu’elles  et  se  ter- 
minent en  elles  ; si  l’ébranlement  dont  elles  sont  le 
siège  se  communique  parfois  aux  éléments  voisins,  ce 
n’est  point  en  raison  d’une  fonction  spéciale,  mais  par 
le  fait  d’une  transmission  toute  mécanique  tenant  au 
fait  de  la  contiguïté  des  éléments,  tout  comme  un  corps 
brut  communique  le  choc  qu’il  a reçu  au  corps  brut 
qui  le  touche.  La  cellule  nerveuse,  au  contraire,  de 
par  les  relations  qu’elle  contracte,  soit  avec  les  élé- 
ments de  même  nature,  pour  constituer  les  voies  d’in- 
nervation, soit  avec  les  organes  terminaux,  se  présente 
comme  spécialement  construite  pour  assurer  le  trans- 
port aux  divers  appareils  de  l’organisme  des  incitations 
dont  ils  ont  besoin  pour  entrer  en  activité  physiolo- 
gique ou  psychique.  iNfais  nos  connaissances  sur  l’émis- 
sivité, considérée  dans  ses  rapports  avec  cette  activité 
spécifique  des  appareils,  sont  encore  entourées  de 
beaucoup  trop  de  mystère  pour  que  nous  soyons  tentés 
de  nous  y attarder. 

Nous  n’aurons  donc  en  vue,  en  |)arlant  de  l’ébranle- 
ment nerveux,  que  les  deux  fonctions  de  réception  et 
de  conduction. 

Nous  entendons  par  ébranlement  nerveux^  en  nous 
plaçant  au  point  de  vue  des  seuls  constitutifs  matériels 
de  cet  ébranlement,  \m^ i^erturbation  dans  les  relations 
mutuelles  des  molécules  qui  constituent  le  protoplasme 
nerveux.  Le  courant  nerveux,  l’influx  nerveux,  l’onde 


182 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


nerveuse,  ne  sont  ]tas  autre  cliose  que  la  propagation, 
de  proche  en  proche,  à travers  tout  le  neurone,  et  d’un 
neurone  à l’autre  dans  un  sens  prédéterminé,  d’une 
sorte  de  vibration  moléculaire  (i).  Il  n’y  a pas  trans- 
port de  particules  comme  dans  l’électricité  (transport 
d’électrons).  La  molécule  qu’une  excitation  mécanique, 
chimique  ou  autre,  portée  en  .8,  figure  1,  fait  vibrer,  ne 
se  déplace  pas  le  long  des  neurones  1,  ...,  4,  2,  mais 

elle  communique  son  mouvement  aux  molécules  adja- 
centes, qui  le  transmettent  à leur  tour  à d’autres  molé- 
cules. Pendant  que  la  vibration  moléculaire  progresse 
ainsi  à la  manière  d’une  onde  lumineuse  ou  sonore, 
les  premières  molécules  tirées  de  leur  position  d’équi- 
lilire,  reviennent  au  repos  après  une  série  d’oscillations 
de  durée  variable.  On  a constaté  qu'une  seconde  exci- 
tation ne  produit  aucun  résultat  quand  elle  suit  la  pre- 
mière de  trop  près.  Le  temps  (pü  doit  s’écouler  entre 
deux  excitations,  pour  qu’elles  soient  efficaces,  est 
peut-être  mesuré  précisément  pai-  celui  que  les  molé- 
cules ébranlées  mettent  à retrouver  l’équilibre  : « en 
mesurant  la.  période  réfractaire,  dit  F.  Bottazzi,  on 
mesure  protxihlement  le  temps  dont  la  substance 
vivante  du  tissu  a besoin  pour  revenir  éi  la  position 
d’équilibre  troiddée  par  le  chanr/ement  qui  constitue 
la  base  de  la  proparjation  et  qui  doit  être  nomnalement 
réversdde  » (2). 

Cela  n’est  pourtant  }>as  absolument  sur,  et  peut-être 
une  sérieuse  raison  d’en  douter  nous  est-elle  fournie 
par  le  fait  que  là  où  une  seconde  excitation,  de  même 
intensité  que  la  première,  n’obtient  aucune  réponse, 
une  excitation  plus  forte  provoque  une  réaction  immé- 


(t)  Nous  ne  prétendons  pas.  en  employant  cette  expression,  allirnier  que  la 
perturhation  dont  il  s'agit  est  strictement  assimilable,  et  dans  tous  les  cas,  à 
une  vibration  ju’oprement  dite  ; nous  ne  voulons  cependant  j)as  davantage 
nier  la  possibilité  de  cette  assimilation. 

(2)  Les  activités  physiologiques  fondauientah’S.  Scientia,  1-V-19U,  p.  172. 


l’élément  nerveux 


183 


diate.  Si  les  molécules,  à cet  instant,  avaient  retrouvé 
leur  position  relative  d’équilibre,  l’état  réfractaire  ne 
s’explique  donc  pas  par  la  persistance  de  la  vibration 
moléculaire  ; et  si  les  molécules  vibraient  encore,  on 
ne  comprend  pas  pourquoi  une  excitation  de  même 
intensité  que  celle  qui  les  avait  mises  en  mouvement,  ne 
réussit  pas  à les  y maintenir  ; il  semble  même,  dans 
cette  hypothèse,  que  la  seconde  excitation,  bénéficiant 
de  ce  qui  persiste  de  l’impulsion  moléculaire  donnée 
par  la  première,  n’aurait  pas  besoin  d’être  aussi 
intense  qu’elle.  Mais  ou  peut  concevoir  que  le 
travail  accompli  par  les  molécules,  durant  leur  dépla- 
cement, a)mnt  amené  une  dépense  d’énergie,  l’aptitude 
à la  réaction  s’en  trouve  affaiblie,  et  qu’un  temps,  d’ail- 
leurs très  court,  soit  indispensable  à la  réparation  de 
ces  pertes,  pour  que  le  neurone  puisse  réagir  de  nou- 
veau dans  les  mêmes  conditions. 

D’ailleurs,  même  à l'état  d’équilibre  de  ses  molé- 
cules, le  neurone  est  réfractaire  à l’égard  de  certaines 
excitations  : celles  qui  n’atteignent  pas  le  seuil  \ et  on 
entend  par  seuil  le  degré  minimum  d’intensité  d’une 
excitation,  au-dessous  duquel  il  ne  se  produit  plus  de 
réaction.  Mais  en  faisant  agir  à intervalles  suffisam- 
ment rapprochés  des  excitations  dont  chacune  est  infé- 
rieure au  seuil,  on  finit  par  déterminer  l’ébranlement 
nerveux.  « Ou  croit,  remarque  Bottazzi,  (jue  cela 
(Icpend  (Je  la  propriété  inhérente  à la  substance 
virante  de  garder  des  traces  même  des  stimuli  ineffi- 
caces lesquels,  en  s’additionnant,  atteignent  la  valeur 
du  seuil  et  excitent  le  processus  doué  de  la  propriété 
de  se  propager  le  long  des  fibres  nerveuses  » ( 1 ).  Bien 
que  vitaliste  très  convaincu,  nous  ne  pensons  pas  qu’il 
soit  nécessaire  de  faire  appel  ici  à une  propriété  carac 
téristique  de  la  substance  vivante.  Une  intervention 


(I)  Ln  activités  ph;jsiolo(ji(ines  fondamentales.  Sc.ientia,  l-v-1914,  p.  171. 


184 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


physique,  inécani([ue  ou  autre,  trop  faillie  pour  pro- 
duire le  déséquilihre  complet,  peut  cependant  l’amorcer, 
en  réalisant  déjà  un  déplacement  relatif  que  les  inter- 
ventions ultérieures  n’auront  qu’à  accentuer  pour  venir 
à bout  de  la  liaison  inter-moléculaire. 

Quant  à l’opinion  de  K.  Lucas,  rajiportée  au  même 
endroit  par  Bottazzi,  à savoii-  que  « couime  il  a etc  dé- 
montré que  des  qjrocessiis  excitatoires  locaux  ineffi- 
caces aucune  trace,  pas  meme  la  qdus  minime,  ne  se 
propage  au  delà  du  point  où  ils  ont  été  engendrés,  il 
est  permis  de  conclure  que  processus  excitatoire  local 
et pjerturhation propagée  ne  sont  pas  la  meme  chose  », 
il  nous  semble  qu’il  n’y  a peut-être  là  qu’une  simple 
question  de  mots.  Ce  qui  se  propage  le  long  du  sys- 
tème nerveux,  c’est  l’effet  produit  par  le  processus 
excitatoire  local.  Localement,  ce  processus  provoque 
une  ])erturliation  moléculaire,  et  c'est  cette  perturba- 
tion qui,  se  transmettant  de  molécule  à molécule, 
gagne  ainsi,  de  proche  en  jiroche,  l’extrémité  opposée 
de  la  voie  nerveuse. 

(ilue  les  phénomènes  nerveux  d’excitation  et  de  con- 
duction comportent  des  réactions  rédiudibles  à des 
changements  dans  les  relations  mutuelles  des  molé- 
cules de  la  substance  intéressée,  cela  ne  fait  aucun 
doute,  si  nous  considérons  ceux  de  ces  phénomènes 
que  nous  produisons  artificiellement  ; or  nous  n’avons 
aucune  raison  de  croire  que  nous  n’obtenons  ]>as,  dans 
ce  cas,  des  manifestations  neurales  essentiellement 
semblables  à celles  ipie  détermine  le  fonctionnement 
naturel  de  nos  facultés,  d’autant  que  les  procédés 
d’exjiérimentation  psycho-})hysiologi([ue  ne  mettent  en 
œuvre  aucun  excitant  qui  ne  soit  capable  d’agir  sur 
nos  organes  dans  le  cours  de  la  vie  normale,  en  dehors 
de  toute  recherche  ex]iérimentale. 

(les  excitants  sont  nomlireux.  Les  uns  relèvent 
d’une  inliuence  purement  mécanique  : tractions,  chocs. 


l’élément  nerveux 


185 


piqûres,  compressions,  écrasements,  etc...  Il  est  Lien 
évident  que  l’interAmntion  de  pareils  agents  d’excitation 
ne  peut  d’elle-même  déterminer  autre  chose,  dans 
les  éléments  nerveux  qu’ils  atteignent,  qu’une  ])ertur- 
Lation  ])lus  ou  moins  brutale  des  relations  inter-molé- 
culaires tant  de  leur  substance  structurée  que  de  leur 
substance  amorphe.  Or,  que  ce  soit  cette  perturbation, 
communiquée  de  proche  en  proche,  qui  arrive  à l’or- 
gane innervé  et  provoque  l’exercice  de  son  activité 
spécifique,  nous  en  avons  pour  preuve  le  fait  que  le 
môme  résultat  peut  être  obtenu  en  appliquant  directe- 
ment l'excitant  sur  l’organe  terminal  (cellules  senso- 
rielles encéphaliques,  muscles,  etc.),  en  portant  immé- 
diatement, en  d’autres  termes,  dans  cet  organe,  la 
perturbation  que  nous  lui  faisons  normalement  trans- 
mettre par  la  voie  nerveuse. 

L’effet  produit  dans  le  tissu  nerveux  par  les  exci- 
tants chimiques  est  essentiellement  le  même  que  celui 
produit  par  les  excitants  mécaniques,  bien  que  les 
modalités  d’action  de  ces  deux  genres  d’excitants 
soient  sans  doute  fort  diflerentes.  L’application,  sur  le 
parcours  d’un  nerf,  d’une  solution  de  chlorure  de  sodium 
ou  d’une  solution  de  sucre,  d’éther,  de  chloroforme, 
etc...,  ne  peut  produire  autre  chose,  en  effet,  qu’une 
action  inter-  ou  inti*a-moléculaire,  troublant  l’équilibre 
atomique  de  la  substance  organisée.  Tel  est  aussi,  sans 
aucun  doute,  mais  réalisé  beaucoup  plus  massivement, 
le  résultat  de  l’action  sur  le  nerf  des  vibrations  molé- 
culaires tlærmiques.  Il  faut  enfin  concevoir  de  la  même 
façon  toutes  les  perturbations  nerveuses  succédant  à 
l’application  d’un  \YviXdii\\.  pJtysique  quelconque. 

Tous  ces  agents  mécaniques,  phj'siques  et  chimiques, 
peuvent  être  qualifiés  de  fiénèraiix  : leur  action  est 
efficace  sur  tous  les  éléments  nerveux.  11  en  est  au 
contraire  de  spèciaux,  dans  ce  sens  que  leur  applica- 
tion n’est  efficace  que  si  elle  est  portée  sur  certaines 


18(3 


REVUE  DES  QUESTIOXS  SCIENTIFIQUES 


voies,  et,  dans  ces  voies  elles-mêmes,  en  certains 
points  : leur  extrémité  péri])hériqiie.  Ainsi  la  lumière 
excite  les  terminaisons  rétiniennes  de  la  voie  optique, 
à rexclusion  du  reste  de  la  voie,  et  à Texclusion  de 
tout  autre  appareil  de  sensorialité.  De  même  les  ondes 
aériennes  (et  les  vibrations  solidiennes),  par  l’inter- 
médiaire des  milieux  otiques,  excitent  les  seules  cel- 
lules de  Gorti;  les  particules  sapides,  les  seules  cellules 
du  o’ofit,  et  les  émanations  odorantes,  les  seules  cellules 
olfactives.  Mais  cette  spécification  de  l’excitant  ne 
comporte  jtas  nécessairement  la  spécificité  de  l’ébran- 
lement. Dans  ces  cas  comme  dans  les  autres,  tout  le 
processus  se  réduit  à une  perturbation  transmissible 
de  l’équilibre  moléculaire,  perturbation  d’orig'ine  mé- 
canique dans  l’audition,  d'origine  chimique  dans  la 
gustation  et  l’olfaction,  d'origine  physique  dans  la 
vision. 

Pouvons-nous  aller  plus  loin  dans  l’étude  de  l’ébran- 
lement nerveux  et  nous  rendre  comjite,  d’une  façon 
plus  précise,  de  la  nature  du  déséquililire  provoqué 
par  l’action  de  l’excitant  ?.. 

Bottazzi,  dans  le  travail  que  nous  avons  déjà  cité, 
propose  à ce  sujet  l’opinion  de  Brailsford  Robertson 
comme  la  plus  probable  des  hypothèses  formulées  jus- 
qu'ici. Tâchons  d’en  saisir  les  jirincipales  idées. 

(vbiand  nous  excitons  le  prolongement  cellulipète 
d’un  neurone  périphérique,  par  exemple  le  prolonge- 
ment cp  du  neurone  7,  en  un  point  a,  figure  2,  il  se 
produit  en  ce  point  une  modification  d’ordre  chimique, 
une  rupture  d’équililire  moléculaire,  destinée  à envahir 
progressivement  toute  la  voie.  La  question  qui  se  pose 
est  de  savoir  dans  quelles  conditions  se  fait  cet  enva- 
hissement. 

On  regarde  comme  vraisemblable  que  la  réaction 
provoquée  au  point  a s’accompagne  de  production  de 
substances  acides.  Celles-ci  joueraient  le  rôle  de  cata- 


l’élément  NERVEL’X 


1.S7 

Ijseurs,  activant  la  réaction  d’où  elles  dérivent,  c’est- 
à-dire  accentuant  le  déséquilibre  moléculaire  initial, 
par  son  extension  rapide  aux  groupements  molécu- 
laires voisins.  D’ailleurs,  à mesure  que  cette  réaction 
s’active,  l’auto-catalvse  devient  })lus  intense,  d’où  une 
suractivité  de  plus  en  plus  grande  des  ]>rocessus 
d’ébranlement.  Cela  expliquerait  précisément  pourquoi 
les  phénomènes  nerveux  présentent  au  début  une  phase 
d’exaltation.  S’il  n’intervenait,  en  effet,  d’autre  énergie 
que  celle  mise  en  œuvre  au  point  a par  le  stimulus 


Fig.  “2. 

excitatoire,  la  réaction  devrait  présenter,  à partir  de 
son  début  et  au  fur  et  à mesure  qu’elle  se  déploie, 
une  décroissance  continue  et  progressive. 

Les  mêmes  phénomènes  se  passent  au  niveau  des 
jonctions  soit  inter-neurales,  à,  soit  inter-organiques,  c 
(neuro-musculaires,  neuro-glandulaires,  etc.).  L’ébran- 
lement nerveux  qui  arrive  en  à,  à l’extrémité  des 
ramifications  du  prolongement  cellulifuge  du  neu- 
rone i,  excite  à ce  niveau  l’arborisation  cellulipète  ar 
du  neurone  2.  La  perturbation  moléculaire  qui  en 


188 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


résulte  s’accom])agne,  comme  en  a,  de  phénomènes 
anto-catalyti([ues,  et  les  mêmes  pi’ocessus  de  réaction 
mutuelle  se  déroulent  entre  catalyseurs  et  substance 
nerveuse  réagissante.  Quand  rébranlement  apporté  par 
le  neurone  arrive  à l’organe  innervé,  par  exemple 
au  muscle  m,  des  phénomènes  identit[ues  doivent  se 
passer  dans  cet  organe,  d’oii  raugmentation  pimgres- 
sive  d’intensité  de  la  réaction  (par  exemple  de  la  con- 
traction musculaire),  dans  la  première  phase  de  la 
réponse  à l’excitation. 

Si  les  choses  se  passent  réellement  ainsi,  on  peut 
prévoir  l’allure  que  vont  prendre  les  phénomènes  dans 
une  phase  ultérieure.  A mesure,  en  etiét,  que  la  per- 
turbation gagne  du  terrain,  la  quantité  de  substance 
nerveuse  demeurée  intacte,  et  qui  persiste  dans  son 
équilibre  moléculaire,  diminue.  On  conçoit  donc  qu’un 
moment  doit  venir  oii,  faute  de  matière  réagissante, 
l’intensité  des  processus  nerveux,  cessant  de  croître, 
entrera  dans  une  phase  de  régression  aboutissant  à 
l’état  réfractaire.  Peut-être  même  ne  sera-t-il  pas 
nécessaire,  pour  en  arriver  là,  que  toute  la  substance 
ait  été  modifiée,  ce  qui  en  reste  pouvant  être  mis 
dans  une  sorte  d’«  incapacité  fonctionnelle  » par  l’in- 
fiuence  des  acides  catalyseurs  en  excès  (?).  Les  voies 
nerveuses  seront  ainsi  comme  bloquées,  jusqu’à  recon- 
stitution de  la  substance  des  neurones  dans  son  pre- 
mier état,  sous  l’action  énergique  d’enzymes  exhalants. 
Si  cette  restauration  ne  peut  s’accomplir,  les  éléments 
nerveux  resteront  épuisés,  incapables,  par  conséquent, 
de  réactions  nouvelles. 

La  théorie  de  l’auto-catalvse,  dont  nous  venons  d’ex- 
poser  le  mécanisme,  })rétend  expliquer  aussi  certains 
autres  jihénomènes  assez  surjirenants,  tels  que  la 
canalisation  centrale  des  ébranlements  nerveux  et  les 
dissociations  fonctionnelles  du  sommeil,  des  états  hyp- 
notiques, etc. 


l’élément  nerveux 


189 


Si  intéressantes  que  soient  de  pareilles  hypothèses, 
elles  nous  seinhlent  se  heurter  à des  difficultés  qui  eu 
diminuent,  croyons-nous,  singulièrement  la  valeur. 

D’abord,  elles  ne  nous  apprennent  rien  sur  la  nature 
de  la  réaction  initiale  qui  précède  la  production  des 
acides  catalytiques,  et  qui  est  déterminée  directement 
par  l’action  de  l’excitant.  Or  c’est  cette  réaction  qui  se 
propage  le  long  des  voies  ; les  catalyseurs  ne  font  qu’en 
accélérer  la  marche  au  début,  })Our  l’entraver  ensuite  ; 
et  c’est  elle  aussi  qui,  se  communiquant  aux  appareils 
terminaux,  les  incite  à l’action  : c’est  donc  la  connais- 
sance intime  de  cette  réaction  qui  intéresse  au  premier 
chef  le  neurologiste.  Nous  en  sommes  encore  à la  con- 
cevoir comme  une  rupture  d’équilibre  au  sein  de  l’édi- 
fice moléculaire.  Et  sans  doute  cette  conception  est 
exacte,  mais  nous  voudrions  bien  savoir  encore  quels 
changements  de  propriétés,  s’il  s’en  jjroduit,  accompa- 
gnent la  perturbation  dans  la  position  locale  relative 
des  dernières  particules  de  la  substance  nerveuse.  Peut- 
être,  d’ailleurs,  avons-nous  tort  de  demander  à quelque 
théorie  que  ce  soit  une  explication  de  cette  nature, 
sans  doute  impossible  à donner. 

La  théorie  auto-catalytique  nous  paraît  présenter  quel- 
ques difficultés  beaucoup  plus  graves  que  cette  lacune 
inévitable.  La  première  est  l’accumulation  des  réactions 
chimiques  qu’elle  suppose.  Appliquons  ses  données  à un 
exemple  concret.  Un  léger  frottement  ou  une  piqûi'e  de 
la  plante  des  pieds  est  suivie  de  la  contraction  d’un  cer- 
tain nombre  de  muscles  du  membre  inférieur,  mais  sur- 
tout des  fléchisseurs  des  orteils.  Or  on  sait  que  les  prolon- 
ments  nerveux  excités  ont  leurs  corps  cellulaires  dans 
les  ganglions  rachidiens  de  la  région  sacrée  : fibres 
sensorielles  cutanées  plantaires  du  nerf  tibial,  ou  scia- 
tique poplité  interne;  et  on  sait  aussi  que  les  fibres 
motrices  qui  président  à la  flexion  des  orteils,  sont  des 
branches  terminales  centrifue’es  du  même  nerf  tibial. 


190 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


L'ébranlement  nerveux  doit  donc  parcourir  un  arc 
réflexe  dont  les  deux  branches  mesui-ent,  chez  un  homme 
de  taille  moyenne,  une  long’ueur  d’environ  2"',  iO.  Or  ce 
parcours  s’accom})lit  avec  une  telle  rapidité  que  la  réac- 
tion ]>araît  se  produire  à l’instant  précis  où  est  posée 
l’excitation.  En  réalité,  une  fraction  de  seconde  sépare 
les  deux  phénomènes,  un  dixième  approximativement, 
en  tenant  compte  des  0"03  qui  mesurent  le  temps  perdu 
de  la  transmission  du  neurone  centripète  au  neurone 
centrifuge.  On  sait,  d’autre  part,  que  la  phase  réfrac- 
taire, c’est-à-dire  le  temps  employé  par  la  substance 
nerveuse  pour  revenir  à l’état  d’équilibre,  est  excessive- 
ment réduite.  Le  nombre  des  stiinuli  efficaces  d’égale 
intensité  pouvant  être,  dans  certains  cas,  de  500  par 
seconde,  il  faut  que  l’équilibre,  à chaque  excitation,  se 
l'établisse  en  0"(X)2.  11  serait  donc  nécessaire  qu’en 
0’102,  sur  une  longueur  de  2‘",40,  se  produisissent 
toutes  les  réactions  dont  nous  avons  parlé  : déséquilibre 
excitatoire  initial,  production  de  substances  acides  cata- 
lytiques, extension  des  jirocessus  réactionnels  à toute 
la  substance  du  neurone  centripète  et  du  neurone  cen- 
trifuge, production  d’enzymes,  intervention  de  réactions 
oxydatives  aboutissant  à la  destruction  des  substances 
acides  des  réactions  antérieures,  enfin  restauration  de 
la  substance  nerveuse  dans  son  jiremier  état  tout  le 
long  de  la  voie  qui  va  de  la  plante  du  pied  à la  moelle 
lombaire  et  revient  de  la  moelle  lombaire  à la  plante 
du  pied  (1). 

Sans  doute,  le  monde  inorganique  nous  offre  des 
exeni])les  de  phénomènes  s'accomplissant  avec  une 
exti'aordinaire  rapidité  : ainsi,  tandis  que  la  vitesse  de 
l’ébranlement  nerveux  n’est  que  de  30  à 35  mètres  en 
moyenne  par  seconde,  chez  riiomme,  elle  est  de  plus  de 


( 1)  Pour  se  faire  une  idée  complète  du  i)hénomène  (jue  nous  avons  pris 
comme  exemple,  il  faudrait  faire  intervenir  l’action  des  neurones  corticaux, 
le  rétlexe  plantaire  étant  un  réllexe  cutané  supérieur. 


i9i 


l’élkment  nerveux 

!)00  mètres  pour  les  vil)rations  de  l’air,  et  de  près  de 
dOO  OÜÜ  kilomètres  pour  celles  de  l’éther  (i),  et  l’on 
comprend  que  si  l’ébranlement  nerveux  consiste  en  un 
simple  mouA’ement  vibratoire,  un  dixième  de  seconde 
])uisse  lui  suffire  pour  parcourir  l’arc  réflexe  dont  nous 
avons  parlé.  Mais  si  Ton  fait  intervenir  toutes  les  réac- 
tions chimiques  exigées  par  Thypotbèse  auto-catal}’- 
tique,  on  se  demande  comment  ces  opérations  si  com- 
plexes peuvent  se  réaliser  dans  un  intervalle  de  temps 
si  restreint.  On  dira  peut-être,  comme  l’écrit  Bottazzi 
interprétant  Brailsford  Robertson,  que  « cette  réaction 
chimique  qui  s’effectue  (V abord  d’autant  plus  {de  plus 
en  plus)  rapjidement,  à la  suite  de  son  déroulement 
antérieur,  )nais  qui,  ét  une  période  ultérieure,  se  trouve 
inhibée,  du  fait  même  de  ses  progrès...  ne  'peut  être 
(pue  la  réaction  auto-catalgtique,  c est-éi-dire  celle  qui 
est  acc(Hérée  par  un  de  ses  propres  produits  ; aucune 
((, litre  espèce  de  réactions  chimiques  ne  présente  d’ac- 
célération 'positive  pendant  la  période  de  son  dc'velop- 
qiement  » (2).  Mais  une  théorie  n’offre  pas  grand  avan- 
tage, qui  soulève  des  difficultés  aussi  irréductibles  que 
celles  qu’elle  prétend  résoudre.  A la  prendre  absolu- 
ment, d’ailleurs,  et  en  dehors  de  la  question  de  temps,  il 
paraîtra  toujours  un  peu  contradictoire  qu’une  réaction 
abandonnée  à ses  propres  forces  s’exalte  à la  suite 
d’une  auto-production  de  substances  qui  augmente- 
raient son  avoir  énergétique  par  un  apport  tiré  d’elle- 
même  (3). 

Si  le  fait  de  l’exaltation  est  inexplicable  par  des  rai- 


(1)  300  000  kilomètres  à la  seconde  est  aussi  la  vitesse  de  propagation  de 
l’ébranlement  électrique,  ce  qui  est  une  preuve  de  plus  que  cet  ébranlement 
électrique  ne  peut  être  assimilé  à l’ébranlement  nerveux, 
pi)  SciENTi.v,  loc.cit.,  p.  ISl. 

(3)  L’explication  donnée  par  U.  Bohn,  de  cette  réaction  « qui  commence 
spontanément  » et  « se  renforce  elle-même  »,  n’est  guère  'faite  iiour  tran- 
(luilliser  un  chimiste  tant  soit  peu  scrupuleux.  Revue  philosophique,  juin 
1914  : L’Activité  chimique  du  cerveau,  p.  565. 


192 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


sons  d’ordre  physico-chimique,  n’est-cc  pas  une  preuve 
({lie  l’intlux  nerveux,  en  plus  de  la  riqdure  d’équilibre 
moléculaire,  comporte  l’action  d’un  coefficient  d’ordre 
vital  ? Ce  fait  n'est  pas  d’ailleurs  le  seul  qui  justifie 
cette  façon  devoir.  ?sous  avons  déjà  fait  {dus  haut  une 
semblable  remarque.  Notons,  dans  le  même  ordre 
d'idées,  quelques  autres  caractères  propres  à la  nature 
de  l’ébranlement  nerveux. 

Une  excitation  aridvant  au  muscle  {>ar  l’intermé- 
diaii'C  du  neurone  qui  l’innerve,  et  j’uste  assez  forte 
pour  déterminer  une  contraction  de  ce  muscle,  est 
inefficace  quand  elle  lui  est  ap{diquée  directement.  Le 
muscle  est  cependant  directement  excitalile  par  les 
mêmes  agents  qui  excitent  le  neurone,  et  en  fait,  si  l’on 
fait  agir  sur  lui  le  même  excitant,  tout  à l’heure  ineffi- 
cace, mais  en  augmentant  l’intensité  de  son  action,  la 
contraction  se  produit.  Or  cette  anomalie  ne  ]ieut<pas 
s’ex{diquer  {lar  l’h  iqiothèse  que  l’excitation  lancée  dans  , 
le  neurone  a augmenté  d’intensité  {'tendant  qu’elle  le 
traversait,  et  qu’elle  arrive,  par  suite,  considérabh'- 
ment  renforcée  dans  la  plaque  motrice  du  muscle.  La  : 
théorie  de  l’avalanche  (1)  de  I^fiiiger,  en  effet,  a été  1 
démontrée  fausse  : s’il  est  vrai  que  l’intensité  de  l’ébran-  I 
lement,  comme  aussi  sa  vitesse,  croissent  au  début,  | 
elles  s’atténuent  progressivement  en  se  ra{qu‘ochant  de  ’) 
l’organe  terminal.  A moins,  donc,  que  l’excitation  ne  | 
{)orte  en  un  point  très  voisin  de  cet  organe,  l’ébranle- 

(1)  Celte  théoi'ie  soutient  que  I’él)ranlenient  i;erveu\  devient  «le  plus  en 
plus  intense  à mesure  qu'il  progresse  le  long  des  nerfs  : il  fait  bouli’  de  neif/e. 
D’après  cette  conception,  plus  le  point  d’excitation  est  éloigné  de  la  termi- 
naison du  nerf  dans  l'organe,  ])lus  le  chemin  à parcourir  est  long,  et  plus, 
par  conséquent,  réhraidemenl  communiqué  à l’organe  doit  être  énergique. 

C’est  en  elfet  ce  qu’on  avait  observé,  et  ce  qui  avait  été  précisément  l’origine 
de  la  théorie  de  l’avalanche.  Des  observations  mieux  conduites  ont  prouvé  le 
contraire,  et  on  sujtpose  que  dans  les  expériences  où  le  maximum  de  con- 
traction d’un  rmiscle  correspondait  au  maximum  d’éloignement  du  point 
d’excitation,  l’activité  du  nerf  avait  été  exaltée  par  les  manipulations  qui 
avaient  accompagné  la  préparation  du  dispositif  neuro-musculaire. 


l’élément  nerveux 


193 


ment,  quand  il  arrive  au  bout  de  sa  course,  par  exemple 
dans  les  terminaisons  intra-musculaires,  a beaucoup 
perdu  de  son  énergie  initiale,  si  bien  que  la  distance 
peut  être  telle  que  l’excitation  neurale  expérimentale 
ne  produise  aucune  réaction  appréciable  dans  le  muscle. 
Dans  le  cas  où  l’ébranlement  nerveux,  avec  une 
énergie  physique  moindre,  détermine  une  contraction 
qu’une  excitation  musculaire  directe  plus  forte  (égale 
à celle  qui  a provoqué  l’ébranlement  nerveux  initial), 
ne  réussit  pas  à produire,  il  faut  donc  admettre  l’inter- 
vention d’une  énergie  spéciale,  et  conclure  que  « la 
conductibilité  nerveuse  nest...  nullement  comparable 
aux  conductibilités  physiques  » (i).  L’anto-catalyse, 
ici,  n’explique  évidemment  rien. 

Elle  n’explique  pas  davantage  le  fait  de  la  marche 
pour  ainsi  dire  spécifique,  de  l’ébranlement  nerveux 
dans  les  centres.  Pour  comprendre  la  difficulté  du  pro- 
blème, il  faut  se  représenter  l’inextricable  enchevêtre- 
ment des  terminaisons  des  neurones  à tous  les  niveaux 
de  l’axe  cérébro-spinal.  Gomment  l’ébranlement  arrive- 
t-il,  non  pas  à se  frayer  un  chemin  dans  cette  sorte  de 
maquis  nerveux,  mais  tel  chemin,  destiné  à assurer 
infailliblement  les  communications  entre  tel  point  de 
la  périphérie  ou  de  la  profondeur,  et  telle  zone  de  la 
substance  corticale  ? Brailsford  Robertson  trouve  tout 
simple  d’expliquer  le  phénomène  par  la  formation  d’une 
plus  grande  quantité  de  catalyseur  sur  certains  trajets 
que  sur  certains  autres.  Mais  d’où  procède  la  détermi- 
nation du  trajet  sur  lequel  les  substances  catalytiques 
s’accumuleront  en  quantité  prépondérante  ? Et  d’ctù 
vient  que  ce  trajet  est  toujours  le  même  pour  une  fonc- 
tion donnée  ? Qu’est-ce  qui  fait,  par  exemple,  qu’à  une 
excitation  portée  sur  la  rétine  correspondra  toujours 
la  formation  d’une  plus  grande  quantité  de  catalyseur 


(1)  M.  Arthiis,  Éléments  de  Physiologie,  p.  648,  Pai'is,  1902. 
IIP  SÉRIE.  T.  X.WI. 


13 


194 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


sur  le  chemin  qui  va  du  fond  de  Tceil  à la  fissure  cal- 
carine,  en  jiassant  par  le  corps  genouillé  externe  de 
la  couche  optique?  Et  quand  plusieurs  excitations  péri- 
phériques se  produisent  à la  fois  et  que,  par  sinte,  il  y 
a accumulation  de  catalyseurs  sur  plusieurs  voies  ner- 
veuses, quelle  est  l’infinence  qui  aiguille  réhranlenient 
sur  Tune,  de  préférence  à l’autre,  et  toujours  d’ailleurs 
sur  celle  exigée  ])ar  raccomplissement  de  la  fonction  ? 
Si  la  quantité  de  catalyseur  est  la  même  sur  toutes  les 
voies  intéressées  en  même  temps  par  des  phénomènes 
sensoriels  spécificpiement  difierents,  à quoi  tient  le 
choix  du  trajet  ? Et  si  la  quantité  est  })lus  considérable 
sur  une  voie,  pourquoi  tous  les  ébranlements  ne  pas- 
sent-ils point  jtar  celle-là?  D’ailleurs,  la  théorie  siipjiose 
que  la  production  du  catalyseur  est  un  des  résultats  de 
la  rupture  d’équilibre  déterminée  dans  la  voie  nerveuse 
par  l’excitation  : le  catalyseur  ne  se  forme  que  là  où 
il  y a ébranlement  ; c’est  dom;  la  direction  prise  par 
l’ébranlement  qui  explique  la  ])résence  du  catalyseur 
sur  tel  trajet,  et  non  l’inverse. 

Ici  encore  il  faut  renoncer  à vouloir  tout  expliquer 
par  la  physiijue  et  la  chimie,  et  admettre  l’existence, 
dans  les  processus  nerveux,  d’une  énergie  d’un  autre 
ordre.  Et  de  même,  ce  n’est  point  par  l’hypothèse  de 
la  production  de  substances  catal3Üques  ou  autres, 
qu’on  éclairera  d’un  Jour  bien  lumineux  la  question  si 
oliscure  de  XirrcciprocHê  de  la  conduction  nerveuse 
au  niveau  des  Jonctions  inter-neuronales  et  neuro- 
organi([ues,  pas  jtlus  que  celle  de  la  nature  de  l’action 
exercée  par  la  volonté  sur  les  neurones  corticaux  de 
nos  voies  motrices. 

II.  — Caractères  (jènèraux 
de  r èh ranlement  physiolofjique  nerveux 

En  traitant  de  la  nature  de  l’ébranlement  nerveux, 
nous  avons  été  forcément  amenés  à parler  de  certains 


l'élément  nerveux 


195 


des  caractères  généraux  de  cet  ébranlement,  et  même 
du  plus  important  de  tous  au  point  de  vue  anatomique 
et  physico-chimique,  à savoir  que  tout  ébranlement 
nerveux,  quel  qu’il  soit,  a pour  point  de  départ  un 
phénomène  toujours  le  même,  malgré  la  diversité  des 
causes  qui  peuvent  le  provoquer  : un  changement  dans 
l'état  d’équilibre  relatif  des  molécules  constitutives  de 
la  substance  nerveuse. 

On  voit  immédiatement  les  conséquences  de  ce  fait. 
Tout  excitant,  soit  mécanique,  soit  physique,  soit  chi- 
mique, soit  physiologique,  soit  psychique,  quand  il 
aborde  le  système  nerveux,  doit  se  réduire  à n’être 
qu’un  simple  producteur  d’ébranlement  moléculaire. 
11  serait  sans  doute  intéressant  de  connaître  la  nature 
intime  de  cet  excitant,  c’est-à-dire,  la  nature  intime  soit 
de  la  cause  externe  dont  l’action  ébranle  nos  appareils 
de  sensorialité,  soit  de  la  cause  interne  qui  agit  sur 
nos  dispositifs  centrifuges  ; mais  cela,  pour  le  neuro- 
physiologiste,  est  secondaire.  Je  sais  bien,  par  exemple, 
que  ce  n’est  pas  du  vert,  du  rouge,  du  bleu...  qui  se 
propagent  le  long  de  mes  voies  optiques,  et  je  sais  bien 
aussi,  quelle  que  soit  la  nature  de  ce  vert,  de  ce  rouge, 
de  ce  bleu...  qu’ils  sont  assujétis,  comme  tous  les  autres 
asents  excitateurs,  à ne  déterminer  autre  chose  dans 
mes  organes  sensoriels,  qu’une  rupture  d’équilibre  apte 
à provoquer  l’activité  de  mes  cellules  corticales  : cela, 
])Our  moi,  est  l’essentiel,  au  point  de  vue  de  la  connais- 
sance de  mes  processus  nerveux.  Je  sais  que  la  cou- 
leur, propriété  jjhysique,  n’est  pas,  comme  telle,  en 
moi,  et  que  seule  la  modification  moléculaire  dont  elle 
est  la  cause  la  représente  dans  mes  appareils  de  per- 
ception. Qu’est-elle  hors  de  moi?..  C’est  aux  sciences 
physico-chimiques  à trancher  la  question. 

I.es  divers  ébranlements  nerveux  ne  peuvent  donc 
être  conçus  comme  spécifiques.  Considéré  en  lui-même, 
un  ébranlement  nerveux  non  seulement  n’est  ni  vert, 


196 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


ni  ])leu,  ni  rouge...,  mais  il  n’est  ni  lumineux,  ni 
sonore,  ni  gustatif...,  ni  même  sensoriel  ou  moteur. 

S’il  détermine  des  phénomènes  moteurs  ou  des  phéno- 
mènes sensoriels,  et  tels  ou  tels  phénomènes  senso- 
riels, cela  tient  à la  nature  des  dispositifs  terminaux 
dont  il  excite  l’activité.  C’est  là  ce  que  la  physiologie 
entend  dire  quand  elle  parle  de  V indifférence  de 
l’éhranlement  nerveux.  Une  preuve  de  cette  indiffé- 
rence est  la  possibilité  de  la  transposition  fonctionnelle 
expérimentale  des  neurones. 

Si  on  rattache  en  s,  figure  3,  le  bout  central  1 du 
grand  hypoglosse  g.  h.  (moteur),  au  bout  périphérique  i 


2 de  la  corde  du  tympan  c.  t.  (sécrétrice)  par  l’intermé- 
diaire du  lingual  (sensoriel)  avec  lequel  cette  corde  se 
fusionne  peu  après  sa  sortie  de  la  boîte  crânienne  (1), 
les  fibres  de  l’hypoglosse  prennent,  en  bourgeonnant, 
la  place  laissée  libre  par  les  fibres  dégénérées  de  la 
corde  du  tympan,  et  se  rendent,  par  conséquent,  soit 
dans  le  ganglion  sous-maxillaire,  gg.  s.-m.,  soit  dans 
la  glande  sous-maxillaire  g.  s.-m.  Dès  lors,  tout  ébran- 
lement lancé  dans  le  grand  hypoglosse,  au  lieu  de  déter- 
miner comme  auparavant  la  contraction  des  muscles 


(1)  Le  lingual  nVst  pas  figuré  dans  notre  schéma,  et  nous  avons  supposé 
que  les  fibres  de  la  corde  du  tympan  viennent  du  facial  (VU)  et  ont  leurs  cel- 
lules d’origine  dans  la  protubérance  annulaire. 


l’élément  nerveux 


197 


de  la  langue  provoque  une  abondante  sécrétion  de  la 
glande  sous-maxillaire  g,  s. -ni.  C'est  donc  l’org-ane 
terminal,  glande  ou  muscle,  qui  spécifie  le  résultat  des 
ébranlements  qui  se  propagent  dans  l’hjpoglosse. 

On  a même  tenté  un  autre  genre  de  transposition, 
destiné  à montrer  qu’un  ébranlement  sensoriel  est 
capable  de  présider  à des  fonctions  de  motricité,  pourvu 
qu’on  puisse  le  dériver  dans  des  organes  moteurs.  On 
a réalisé  l’expérience  en  rattachant  en  s,  figure  4,  le 
bout  central  1 du  lingual  li,  au  bout  périphérique  2 du 
grand  hypoglosse^^.  h.  Quand  les  fibres  du  lingual  ont 


bourgeonné  et  remplacé  les  fibres  disparues  du  tronçon 
périphérique  de  l’hypoglosse,  l’excitation,  par  exemple, 
en  i,  du  nerf  nouveau  ainsi  constitué,  donne  une  con- 
traction des  muscles  de  la  langue  L,  par  le  bout  péri- 
phérique, et  une  sensation  par  le  bout  central,  dont  les 
connexions  corticipètes  ne  sont  pas  indiquées  dans  le 
schéma. 

Le  résultat  de  cette  expérience  de  Philippeaux  et 
’Wdpian  est,  il  est  vrai,  fort  contesté,  à cause  des  fibres 
d’origine  étrangère  qui  sont  mêlées  aux  fibres  du  lin- 
gual : les  fibres  constitutives  de  la  corde  du  tympan. 
Le  schéma  de  la  figure  5 rend  compte  de  cette  com- 
plication (1).  Les  fibres  de  la  corde  du  tympan. 


(1)  Nous  avons  négligé  de  représenter  dans  ce  schéma  les  ramifications 
qui  se  rendent  aux  organes  glandulaires. 


198 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


c.  t.,  sont  de  deux  sortes  : sécrétrices  et  gustatives. 
Les  premières,  f.  s.,  ou  bien  viennent  d’un  ganglion 
sympathique  en  rapport  avec  le  facial  F.  (VII),  ou  bien 
ont  leurs  cellules  d’origine  parmi  celles  du  facial  lui- 
même,  dans  la  protubérance  annulaire,  p.  a.  Quant 
aux  fibres  gustatives,  f.  g.,  elles  dépendent  du  nerf 
intermédiaire  de  Wrisberg,  ;?.Tr.,  Celui-ci,  accolé  au 
facial  presque  au  sortir  du  tronc  cérébral,  présente 
sur  son  parcours  un  renflement  triangulaire,  véritable 
ganglion  (ganglion  géniculé  g,  g.)  où  se  trouvent  pré- 
cisément les  corps  cellulaires  d’origine  des  fibres  gus- 
tatives de  la  corde  du  tympan.  L’ensemble  du  nerf 


lingual  n.  L comprend  donc  : 1°  des  fibres  gustatives 
et  des  fibres  de  sensibilité  générale  propres,  f,  p.  L, 
dont  le  corps  cellulaire  est  dans  le  ganglion  de  Gasser 
g.  G.,  ou  ganglion  de  la  racine  sensitive  du  trijumeau  ; 
2°  des  fibres  amenées  par  la  corde  du  U'inpan,  et  qui 
sont,  les  unes  à fonction  sécrétrice,  les  autres  à fonction 
gustative.  Lorsque  le  tronçon  du  lingual  coupé  en  5, 
envoie  ses  fibres  régénérées  dans  les  gaines  myéli- 
niques  du  tronçon  périphérique  pj.  auparavant  occupé 
par  les  fibres  (motrices)  du  grand  hypoglosse  g.  h.,  ce 


l’élément  nerveux 


199 


ne  sont  pas  seulement  des  prolongements  sensoriels 
qui  envahissent  ces  gaines,  mais  aussi  des  prolonge- 
ments sécréteurs.  Ne  seraient-ce  pas  précisément  ces 
derniers  qui  détermineraient  la  contraction  des  muscles 
de  la  langue,  à la  suite  d’une  excitation  du  lingual  ? 
Dans  ce  cas,  nous  aurions  encore  affaire  à une  trans- 
position fonctionnelle,  inverse  de  celle  de  la  figure  3, 
où  c’est  un  ébranlement  moteur  qui  devient  sécréteur. 
Mais  rien  ne  prouve  que  la  contraction  des  muscles  de 
la  langue  n’est  pas  due  aux  fibres  gustatives,  soit  du 
lingual,  soit  de  la  corde  du  tympan.  Le  fait  que  cette 
contraction  ne  se  produit  plus  quand  on  a sectionné  la 
corde  de  manière  à empêcher  la  régénération  de  ses 
fibres  sur  le  trajet  de  l’hypoglosse,  même  s’il  est  con- 
stant, tient  peut-être  à ce  que  parmi  ces  fibres,  cer- 
taines, d’origine  sympathique,  sont  trophique ment 
indispensables  pour  que  les  fibres  du  lingual  puissent 
bourgeonner  dans  le  tronçon  p^  de  manière  à assurer 
l’innervation  motrice  des  muscles  commandés  par  ce 
tronçon. 

Lors  même  d’ailleurs  qu’il  serait  prouvé  que  dans  le 
cas  de  la  suture  sensorio-motrice  en  question  ce  sont 
les  fibres  de  la  corde  du  tympan  qui  remplacent  fonc- 
tionnellement les  fibres  de  l’hj’poglosse,  il  n’en  résul- 
terait pas  que  le  même  ébranlement  nerveux  est  essen- 
tiellement incapable  de  présider  à la  fois  à des  fonctions 
motrices  et  à des  fonctions  sensorielles.  Nous  avons  eu 
déjà  l’occasion  d’observer,  en  traitant  d’autres  sujets, 
que  l’argument  selon  nous  le  plus  propre  à démontrer 
péremptoirement  la  possibilité  d’un  pareil  cumul  fonc- 
tionnel, et,  par  suite,  rindifférence  essentielle  de 
l’ébranlement,  est  celui  que  nous  semble  pouvoir  fournir 
la  simple  inspection  de  ce  qui  se  passe  normalement 
toutes  les  fois  qu’une  seule  et  même  excitation,  par 
exemple  une  piqûre  de  la  plante  du  pied,  détermine  en 
même  temps  un  phénomène  réfiexe,  comme  la  flexion 


200 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


en  dedans  des  orteils,  et  un  phénomène  psj'chique, 
comme  une  sensation  de  tact.  L’ébranlement  qui  par- 
court alors  le  neurone  périphérique  est  bien  réellement 
inditiérent,  puisqu’il  va  être  la  cause  prochaine  de 
réactions  si  diverses.  Or,  il  n’est  }>as  plus  spécifié  dans 
les  autres  neurones  de  la  voie,  qu’il  ne  Test  dans  le 
jiremier.  Le  fait  est  surtout  frappant  pour  ceux  de  ces 
neurones  qui  sont  chargés  de  relier  à l’écorce  cérébrale 
les  appareils  périphéiâques  de  la  sensorialité.  Ainsi, 


dans  le  schéma  que  nous  avons  déjà  donné,  ligure  1, 
et  que  nous  reproduisons  ligure  6,  l’ébranlement  déter- 
miné en  *5”,  en  se  communiquant  au  neurone  8,  par  la 
liranche  de  bifurcation  C.  a,  du  neurone  7,  détermine 
un  rétlexe  dont  la  nature  dépend  de  la  nature  môme 
de  l’organe  terminal  fl;.  Le  même  ébranlement,  par 
la  branche  c.  h.  se  communique  aux  neurones  centraux 
ascendants,  sans  suliir  encore  aucune  spécification 


l’éliîment  nerveux 


201 


fonctionnelle.  La  preuve  en  est  que  cet  ébranlement, 
en  excitant  une  cellule  corticale  sensorielle,  3,  ])rovo- 
quera  une  sensation,  et  en  s’articulant  par  les  dernières 
raniitications  cellulifuges  du  neurone  corticipète,  à 
quelques-unes  des  fines  arborisations  descendantes  de 
la  cellule  nerveuse  horizontale,  5,  déterminera  en 
même  temps,  par  la  voie  5,  3,  7,  un  phénomène  en 
rapport  avec  la  difterenciation  de  l’organe  périphérique 
0>.  Du  reste  les  cellules  sensorielles  elles-mêmes,  après 
avoir  réagi  spécitiquement,  sont  capaldes  de  communi- 
quer l’ébranlement  qu’elles  ont  reçu  à d’autres  élé- 
ments dont  la  réaction  sera  toute  différente. 

Rien  ne  nous  paraît  donc  mieux  établi  que  le  carac- 
tère neutre  de  l’ébranlement  nerveux,  au  point  de  vue 
fonctionnel,  et  la  dévolution  aux  organes  terminaux  de 
la  fonction  de  spécification  de  l’activité  nerveuse.  Gela 
permet  précisément  de  comprendre  pourquoi  il  est  pos- 
sible d’obtenir  le  ])hénomène  spécifique  sans  utiliser  le 
fonctionnement  de  Lavoie  neurale.  Au  lieu,  par  exemple, 
de  porter  au  point  5”,  figure  6,  une  excitation  qui  se 
propagera  Jusqu’en  (fi,  par  la  voie  neurale  7 et  8,  ou 
jusqu’en  .9  par  la  voie  7,...,  ou  jusqu’en  0^  par  la  voie 
7,...,  5,  6,  7,  je  puis  exciter  directement  D,,  .5,  0.,  et 
obtenir,  dans  ses  caractères  essentiels,  un  phénomène 
identique  à celui  qu’aurait  déterminé  l’excitation  trans- 
mise par  les  divers  chaînons  nerveux.  C’est  dans  le 
muscle  D,,  par  exemple,  que  réside  la  propriété  de 
contractilité,  dans  la  cellule  3,  que  réside  la  faculté  de 
sensorialité,  etc...  Pour  que  le  phénomène  propre  à 
ces  éléments  puisse  se  produire,  il  faut  et  il  suffit  que 
leur  activité  soit  mise  en  jeu  par  une  excitation  con- 
venable. Cette  excitation,  je  puis  la  leur  fournir  direc- 
tement, et  alors  le  muscle  se  contracte,  la  cellule  sen- 
sorielle réagit  suivant  le  mode  sensoriel  (lumineux, 
sonore,  etc.),  qui  lui  est  particulier,  la  glande  sécrète, 
etc.  Dans  les  conditions  de  fonctionnement  normal. 


REVUE  DES  QUESTIONS  S:iENTIFIQUES 


2i)2 

c’est  par  la  voie  nerveuse  que  cette  excitation  leur 
arrive  ; et  c’est  là  toute  la  fonction  de  la  voie  nerveuse, 
depuis  son  chaînon  le  plus  périphérique  Jusqu’au 
point  le  plus  éloigné,  où  se  trouve  l’organe  terminal 
auquel  elle  est  chargée  de  faire  passer  l’ébranlement  : 
elle  conduit,  et  dans  le  fonctionnement  complexe  auquel 
elle  prend  part,  elle  n’est  ditiérenciée  que  ])Oiir  cela. 

Parmi  les  conclusions  à tirer  de  ces  faits  fondamen- 
taux, signalons  seulement  la  suivante  : puisque  c’est 
l’organe  terminal  qui  réagit  spécifiquement,  et  puisque 
la  voie  nerveuse  ne  fait  que  conduire  un  ébranle- 
ment indifiérent  de  sa  nature,  il  est  absolument  évi- 
dent que  la  sensation  s’opère  dans  les  seules  cellules 
corticales  adaptées  à cette  fonction,  et  non  point  dans 
ce  qu’on  appelle  les  organes  des  sens,  en  entendant 
])ar  là  le  dispositif  périjdiérique  des  voies  dites  senso- 
rielles. A prendre  les  choses  en  rigueur,  comme  nous 
devons  le  faire  ici,  dire,  par  exemple,  (pie  mon  œil 
voit,  que  mon  oreille  entend,  serait  affirmer  un  véri- 
table non-sens  physiologique  et  témoigner  d’une  igno- 
rance absolue  des  notions  les  plus  élémentaires  et  les 
plus  fermement  établies  de  la  neurologie. 

Mais  si  l’acte  sensoriel  se  pose  dans  l’écorce  céré- 
brale, et  s’il  y est  déterminé  par  l’influence  sur  des 
cellules  spéciales  d’une  modification  d’équilibre  molé- 
culaire transmise  de  la  périphérie,  on  voit  ce  qu’il  faut 
penser  de  la  théorie  de  la  perception  immédiate  des 
qualités  de  la  cause  externe  de  nos  sensations,  et  ce 
qu’il  faut  penser  aussi  de  la  nature  môme  de  ces  qua- 
lités en  dehors  de  nos  facultés  sensorielles.  Ce  sont  là 
des  questions  fort  discutées  dans  certains  milieux  ; 
dans  le  monde  des  physiologistes  on  leur  permet  à 
peine  de  se  poser.  Les  excitants  des  voies  neurales 
étant  astreints,  comme  nous  l’avons  dit,  à réduire  leur 
action  à un  ébranlement  de  la  substance  nerveuse,  il 
est  clair  qu’ils  ne  se  présentent  pas,  pour  ainsi  dire. 


l’ÉLÉMKN'T  nerveux 


203 


en  nature^  à nos  cellules  corticales  de  sensorialité,  et, 
par  conséquent,  ce  ne  sont  pas  ces  excitants  eux- 
mêmes,  et  directement,  que  nos  facultés  sensorielles 
peuvent  saisir  ; tout  au  plus  serait-ce  l’ébranlement 
que  ces  excitants  ont  provoqué.  Mais  cet  ébranlement, 
lui  non  plus,  ne  peut  être  atteint  immédiatement,  car 
il  appartient  à la  voie,  et  la  voie  est  extérieure  à l’or- 
gane (cellule  ou  groupe  cellulaire)  qui  perçoit  senso- 
riellement. De  même  que  l’excitant  n’est  représenté 
dans  nos  voies  nerveuses  que  par  la  modification,  ou 
ébranlement,  qu’il  y a produit,  de  même  cet  ébranle- 
ment n’est  représenté  dans  l’organe  sensoriel  cortical 
terminal  que  par  la  modification  qu’il  y produit  à son 
tour,  et  c’est  cette  modification,  de  nature  inconnue, 
qui  provoque  l’entrée  en  activité  de  l’organe.  Or  l’ac- 
tivité de  l’organe  terminal  sensoriel  provoque,  non  une 
contraction,  comme  l’activité  de  l’organe  terminal  de 
la  voie  motrice,  ni  une  sécrétion,  comme  l’activité  de 
l’organe  terminal  de  la  voie  glandulaire,  mais  un  état 
conscient  spécial  que  nous  apjielons  sensation  ; état 
spécial  variable  suivant  la  diversité  des  organes 
(visuels,  auditifs,  etc.),  et  variable  aussi  pour  chaque 
organe,  soit  suivant  l’intensité,  soit  suivant  quelque 
autre  modalité  de  la  modification  produite  par  l’ébran- 
lement venu  de  la  périphérie  ou  produit  sur  place. 
Ainsi,  à l’état  conscient  spécial  que  j’exprime  en  disant 
que  je  vois  du  rouge,  correspond  un  caractère  de  l’ac- 
tivité de  l’organe  cortical,  différent  de  celui  qui  est 
réalisé  quand  j’éprouve  ce  quelque  chose,  d’inconnu 
en  soi,  autre  état  conscient  spécial,  que  je  traduis  en 
disant  que  je  vois  du  bleu.  A chacun  de  ces  caractères 
particuliers  d’activité  visuelle  corticale  correspond 
aussi  un  caractère  different  de  l’ébranlement  amené 
par  les  neurones  corticipètes  ; et  enfin  à ce  caractère 
spécial  de  l’ébranlement  qui  a pris  naissance  dans  mes 
cellules  rétiniennes  doit  correspondre  un  mode  d’exci- 


204 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


tation  spécial  aussi  de  la  part  de  l’agent  (éther  en 
vibration)  qui  a induencé  mon  dis])Ositif  oculaire 
récepteur. 

Une  théorie  qui  refuserait  d’admettre  ce  processus 
de  nos  perceptions  sensorielles  ne  serait  pas  recevable 
à discussion,  et  pour  toute  théorie  qui  l’admet,  la  ques- 
tion de  rimmédiatisme  de  la  percejdion  est  jugée,  tout 
comme  celle  de  la  projection  dans  la  réalité  extérieure 
au  moi,  des  caractères  tels  quels  de  nos  sensations  (1). 

11  est  trop  évident,  en  effet,  que  si  les  déterminants 
extérieurs  de  nos  sensations  ne  sont  représentés  en  fin 
de  compte  dans  nos  cellules  corticales  que  par  les 
excitations  qu’ils  leur  ont  envoyées  sous  forme  de  rup- 
ture d’équilibre  moléculaire  vital,  et  si  la  sensation 
n’est  pas  autre  chose  que  l’état  conscient  où  ces  exci- 
tations mettent  nos  facultés,  — ces  déterminants  ne 
sauraient  être  directement  appréhendés  par  nos  per- 
ceptions sensorielles. 

11  n’est  pas  moins  évident  que  les  qualités  de  ces 
déterminants  ne  se  transmettent  pas  telles  quelles, 
pour  y être  directement  perçues,  dans  nos  facultés 
encéphaliques  de  sensorialité,  puisqu’elles  ne  peuvent 
même  pénétrer  telles  quelles  dans  nos  organes  péri- 
phériques de  réception  et  de  transmission  centri- 
pète. Par  suite  nous  ne  pouvons  pas,  renversant  les 
termes,  affiianer  que  les  qualités  de  nos  sensations 
correspondent  telles  quelles  à celles  des  objets  qui  ont 
ébranlé  nos  terminaisons  nerveuses  périphériques. 


0)  Nous  entendons  ii-i  par  immédialisme  la  théorie  d’après  la(iuelle  nos 
sensations  saisiraient,  appréhenderaient  immèdiatemenl  une  réalité  qui  leur 
serait  extérieure.  \’ immèdiationisme  qu’a  proposé  dans  cette  même  Revue 
(avril,  octobre  1913)  notre  collègue  le  P.  de  Sinéty,  s’accorde  parfaitement 
avec  les  idées  que  nous  exposons  nous-même  ici.  Sans  y attacher,  croyons- 
nous,  beaucoup  d’importance,  le  P.  de  Sinéty  propose  simplement  de  réser- 
ver la  dénomination  d’objet  de  la  perception  externe  à la  réalité  extérieure 
que  le  vulgaire  désigne  ainsi.  La  couleur  formelle,  qui  est  identique  à la  sen- 
sation visuelle,  ne  devrait  donc  plus  être  dénommée  objet  de  la  vision.  De 
l’aveu  de  l’auteur,  il  y a là  une  pure  question  de  terminologie. 


l’élément  nervet:x 


205 


Qui  oserait,  par  exemple,  soutenir  que  Y amerfunie 
est  une  qualité  inhérente,  telle  quelle,  cà  certaines  par- 
ticules sapides,  de  telle  sorte  que  ces  particules  soient 
amères  en  elles-mêmes,  indépendamment  de  toute 
action  sur  nos  facultés  sensorielles  gustatives  ?..  11  est 
clair  que  l’amertume,  modalité  de  la  sensation  du 
goût,  a sa  cause  dans  une  qualité,  d’ailleurs  complète- 
ment inconnue,  des  particules  sapides,  mais  elle  n’est 
pas  elle-même  cette  qualité. 

Qui  oserait  soutenir  encore  que  la  qualité  aiguë  ou 
grave  existe,  telle  quelle,  dans  l’endol jmphe  qui  ébranle 
les  cils  de  nos  cellules  de  Gorti  ?..  Sans  doute,  au  carac- 
tère grave  ou  aigu  de  l’audition  correspond  une  cause 
qui  réside  dans  l’excitant  de  nos  voies  acoustiques, 
mais  cette  cause  n’est  assurément  pas  l’aigu  ou  le 
grave,  existant  sous  cette  formalité  dans  le  liquide  de 
l’oreille  interne. 

De  même,  il  serait  par  trop  naïf  de  soutenir  que  la 
qualité  douloureuse  ou  agréable  de  la  sensation  tactile 
existe,  telle  quelle,  dans  l’objet  même  qui  entre  en  con- 
tact avec  notre  surface  cutanée,  et  avant  toute  action 
sur  mes  appareils  sensoriels.  Assurément,  il  y a dans 
cet  objet  une  qualité  spéciale  qui  fait  que  son  applica- 
tion sur  nos  téguments  détermine  une  sensation  de 
tact  agréable  ou  douloureux,  mais  cette  qualité  ne 
s’identifie  pas,  dans  son  être  formel,  avec  la  qualité 
de  nos  perceptions  tactiles. 

Il  en  est  absolument  de  même  dans  le  domaine  de 
nos  sensations  olfactives. 

Pourquoi  les  sensations  visuelles  seules  feraient-elles 
exception  ?..  iV  priori  on  ne  le  voit  pas,  et  de  très  nom- 
breuses observations  prouvent  en  efiêt  qu’elles  se  com- 
portent comme  toutes  les  autres.  Il  n’est  pas  douteux, 
par  exemple,  que  la  sensation  de  rouge,  tout  comme  la 
sensation  éCamer,  s’explique  causalement  par  l’exis- 
tence, hors  de  nos  organes,  dans  les  excitants  rétiniens 


2U(3 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


cMix-inêmes,  comme  dans  les  excitants  de  la  cellule 
neuro-épithéliale  du  bourgeon  gustatif,  de  quelque 
chose  qui  nous  donne  l’impression  de  rouge  ou  l’im- 
pression d’amer,  mais  la  qualité  sensorielle  de  rouge, 
pas  plus  que  la  qualité  sensorielle  d’amer,  ne  se  con- 
fond formellement  avec  ce  quelque  chose  qui  la  produit. 

M ‘i.  — FONCTIONS  NERVEUSES 

fie  que  nous  venons  de  dire  de  la  nature  et  des  carac- 
tères généraux  de  l’ébranlement  nerveux  nous  dispense 
de  nous  étendre  longuement  sur  les  fonctions  spéciales 
assurées  j)ar  cet  ébranlement.  Sauf,  en  eflét,  certaines 
variantes  anatomiques,  sans  intérêt  pour  nous  au  point 
de  vue  ovi  nous  nous  sommes  placés  dans  ce  travail, 
l'étude  des  fonctions  nerveuses  nous  mettrait  toujours 
en  présence  de  dispositifs  essentiellement  les  mêmes  et 
de  processus  physiologiques  se  développant  suivant  les 
mêmes  lois.  Aussi  notre  intention  est-elle  de  surcharger 
le  moins  possible  notre  description  et  de  nous  en  tenir 
aux  grandes  lignes  du  sujet  en  disant  quelques  mots 
du  fonctionnement  physiologique  et  du  fonctionnement 
])sychique  de  l’élément  nerveux. 

A.  — FONCTIONNEMENT  NEURO-PIIYSIOURilQUE 

A la  physiologie  seule  ap])artiennent  tous  les  phéno- 
mènes vitaux  qui  n’atteignent  pas  le  seuil  de  la  con- 
science. f)n  les  ajqielle  encore  jdiénomènes  de  la  vie 
végétative,  parce  qu’ils  sont  caractéristiques  du  fonc- 
tionnement vital  des  végétaux  : il  n’}’  a pas  de  vie 
psychique  chez  la  })lante.  Or,  si  nous  enlevons  de  l’en- 
semble des  phénomènes  nerveux  tous  ceux  qui  s’ac- 
com])agnent  essentiellement  de  conscience,  c’est-à-dire 
tous  les  phénomènes  de  sensorialité  et  tous  les  phéno- 
mènes ([ui  sont  sous  la  dépendance  immédiate  de  la 


l’élément  nerveux 


201 


volonté,  il  nous  reste,  comme  manifestations  neiiro- 
])hvsiologiques,  le  groupe,  de  beaucoup  le  plus  riche, 
des  réflexes. 

Nous  devons  entendre  par  réflexe  l’ensemble  des 
phénomènes  vitaux  nerveux  qui  assurent,  en  réponse 
à une  excitation  donnée,  la  production  d’une  réaction 
spéciale,  sans  intervention,  à titre  essentiel,  ni  de  la 
conscience,  ni  de  la  volonté. 

Prenons  quelques  exem])les  pour  bien  dégager  cette 
notion. 

Quand  un  faisceau  lumineux  qui  tombe  sur  ma  rétine 
diminue  d'intensité,  l’ouverture  pupillaire  de  mon  iris 
se  dilate  ; elle  se  rétrécit,  au  contraire,  si  l’éclaire- 
ment devient  plus  intense  : cette  accommodation  est  le 
résultat  d’un  mécanisme  neuro-phjsiologique  pur,  dans 
lequel  ni  ma  conscience,  ni  ma  volonté  ne  sont  inter- 
venues à aucun  titre. 

Nombreux  sont  les  dispositifs  qui  peuvent  fonction- 
ner ainsi  automatiquement,  sans  que  j’en  aie  aucune 
connaissance,  sans  qu’il  soit  nécessaire  que  j’en  règle 
la  marche  par  une  influence  volontaire  directe  : c’est 
de  la  sorte  que  s’exécutent  les  mouvements  péristal- 
tiques de  l'intestin,  que  s’accomplissent  les  phénomènes 
de  vaso-motricité,  que  le  cœur  bat,  que  le  rythme 
respiratoire  s’entretient,  que  les  glandes  élaborent  et 
excrètent,  que  toutes  les  cellules  reçoivent  du  système 
nerveux  les  excitations  qui  les  maintiennent  dans  un 
degré  d’activité  suffisant,  pour  assurer  leur  nutri- 
tion (i),  etc... 

Sans  doute,  certains  de  ces  phénomènes  peuvent 

(1)  A moins  que  la  nutrition  ne  soit  sous  la  dépendance  de  nerfs  spéciaux, 
appelés  ))cr/is’  trophiques,  comme  certains  physiologistes  l’ont  soutenu,  ou 
que,  plus  simplement,  elle  n’ait  avec  le  système  nerveux  que  des  relations 
indirectes,  celui-ci  étant  chargé,  en  gouvernant  la  vaso-motricité,  de  fournir 
aux  éléments  anatomiques,  en  temps  opportun,  les  matériaux  dont  ils  ont 
besoin  pour  se  refaire.  Dans  tous  ces  cas,  d’ailleurs,  ce  seraient  encore  des 
fonctions  réflexes  qui  pourvoiraient  directement  ou  indirectement  à la 
nutrition. 


208 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


tomber,  indirectement  du  moins,  sons  rinflnence  de  la  r. 
volonté.  Je  puis,  j)ar  exemjde,  volontairement,  m’entre-  T 
tenir  dans  des  idées,  me  ])rocurer  des  émotions,  qui  v 

modifieront  le  rythme  cardiaque  et  l’amplitude  du  î 

pouls,  qui  amèneront  la  dilatation  ou  la  constriction  des  k 
vaisseaux  sanguins,  qui  pourront  même  influer  éner-  C 
giquement  sur  l’activité  des  organes  glandulaires  ; 2 

mais  rintervention  volontaire  n’est  pas  essentiellement  \ 
requise  pour  que  ces  phénomènes  se  produisent  noiana-  y 
lement,  et,  pour  l’ordinaire,  tout  leur  processus  est  | 
automatique  et  fatal,  purement  réflexe.  | 

De  même,  si  on  effleure  sur  un  homme  sain  cer-  I 
taines  régions  de  prédilection  de  la  peau,  cette  excita- 
tion  amènera  la  contraction  instantanée  d’un  certain  f; 
nombre  de  muscles,  et  le  sujet  aura  parfaitement  con- 
science et  de  l’ap})lication  de  l’excitant  et  de  la  réaction 
musculaire  qui  en  résulte.  Mais  si  une  lésion  acciden- 
telle vient  à séparer  anatomiquement  la  moelle  des 
centres  encéphaliques,  ou  si  ces  centres  sont  mis  psy- 
chiquement hors  de  fonction,  comme  dans  le  sommeil 
profond  naturel  ou  provoqué,  la  même  excitation  déter- 
minera les  mêmes  mouvements,  ou  même  des  mouve- 
ments plus  énergiques  et  plus  étendus,  sans  que  le 
sujet  ait  la  moindre  conscience  de  ce  qui  s’est  produit. 

En  résumé,  il  existe  des  phénomènes  nerveux  sur 
lesquels  la  volonté  ne  ])uut  avoir  aucune  influence 
directe,  et  qui  échappent  toujours  à notre  conscience  : 
ce  sont  de  purs  réflexes.  Il  en  est  d’autres,  dont  au  con- 
traire l’exécution  peut  être  initialement  volontaire,  et 
dont  la  conscience  peut  s’emparer  ; mais  ces  phéno- 
mènes peuvent  se  produire  aussi,  les  mêmes  dans  leur 
marche  et  leur  résultat,  en  dehors  de  toute  intervention 
volontaire  et  consciente,  aussi  les  traite-t-on  comme 
de  véritables  réflexes. 

On  conçoit,  théoriquement,  la  possibilité  de  la  réali- 
sation d’un  dispositif  réflexe  }>ar  un  seul  neurone  ; dans 


l'ÊLÉ-MEXT  nerveux 


209 


ce  cas,  Texcitation,  partie  d’un  organe  oii  se  termine 
un  prolongement  neuronien  cellulij)ète,  par  exemple, 
la  ])eau,  traverserait  ce  prolongement,  puis  le  corps 
cellulaire,  et  s’engagerait  dans  le  prolongement  cellu- 
lifuge  pour  gagner  l’organe,  par  exeiii})le,  un  muscle, 
innervé  par  ce  prolongement.  Peut-être  un  ])areil  dis- 
])Osit if  est-il  réalisé  chez  certains  organismes,  inférieurs 
dans  l’échelle  zoologique,  mais  assez  développés  toute- 
fois })our  posséder  un  système  nerveux  ditierencié.  En 
fait,  ra])pareil  réflexe  le  plus  simple  ([ue  l’on  ait  observé, 


Fig.  7 


est  celui  qui  est  constitué  par  un  arc  anatomi([ue  com- 
portant deux  neurones,  1 et  '2,  figure  7.  On  peut  du 
moins,  par  des  sections  méthodiques  de  la  moelle,  par- 
venir à isoler  les  éléments  de  ce  réflexe  simple  (1). 
L’excitation  portée  en  p.,  sur  la  surface  de  la  peau. 


(1)  On  comprend  d’ailleurs  qu’on  n’opère  jamais  sur  deux  seuls  neurones, 
comme  nous  l'avons  schématisé  dans  notre  ligure,  mais  sur  des  nerfs,  et 
par  conséquent  sur  des  groupes  neuroniens;  mais  ces  groupes  étant  constitués 
par  des  éléments  de  même  nature  physiologique,  ou  du  moins  ceux  qui 
seraient  de  nature  différente  ayant  été  mis  expérimentalement  hors  de 
fonction,  on  peut  ne  considérer,  dans  chacune  des  branches  de  l’arc,  qu'une 
seule  de  ses  unités  anatomiques. 

IIR  SÉRIE.  T.  X.Ul. 


14 


REVUE  DES  QUESTKJXS  SCIENTIFIQUES 


:^10 


détermine  un  éln-anleinent  qui  tinit,  après  passage 
[lar  la  moelle  épinière,  par  aboutir  à un  organe  termi- 
nal, par  exemple  un  muscle,  m. 

On  pourrait  d’ailleurs  simplifier  encore  ce  dispositif 
en  siqtp  là  niant  l’organe  de  départ,  la  peau,  et  l’organe 
d’arrivée,  le  muscle.  Alors  le  neurone  1 serait  excité 
directement  en  a,  jiar  exemple,  et  l’ébranlement,  sui- 
vant la  voie  rétlexe,  arriverait  en  è,  oii  il  ne  jiroduirait 
évidemment  l'ieii,  l’organe  percepteur  ayant  disjiaru  ; 
mais  on  jiourrait  constatei'  qu’il  ari-ive  bien  au  terme, 
en  le  dérivant,  ])ar  exemple,  dans  un  galvanomètre. 

Les  comjdications  ([ui  pratiipiement  surchargent 
toujours  ce  dispositif  élémentaire  sont  fort  nombreuses, 
surtout  dans  certains  cas  de  passage  par  la  voie  sym- 
patbi<[ue.  ( )n  peut  toutefois  les  grouper  sous  deux  chefs 
jirincipaux.  ( )u  liien  le  réfiexe  reste  sinqde  à son  point 
d’arrivée  comme  à son  point  de  départ,  mais  nécessite, 
pour  pouvoir  produii’c  dans  l’organe  terminal  la  réac- 
tion spécifique,  l’intervention  d’autres  éléments  dont 
l’action  est  d’ailleurs  assez  obscure.  Ainsi  les  réflexes 
tendineux  exigent,  en  plus  d’un  dispositif  médullaire 
semblable  à celui  de  la  figure  7,  l’intégrité  des  fibres 
ludiro-spinales , des  fibres  vestibulo-spinales  et  des 
fibres  du  faisceau  longitudinal  postérieur.  Les  réflexes 
cutanés  des  cliniciens  (réflexes  cutanés  su])érieurs,  ou 
réflexes  cutanés  corticaux)  sont  abolis  par  la  mise  hors 
de  service  des  tilires  des  cellules  pyramidales  de  l’écorce 
cérébrale.  — • Ou  l)ien  le  réflexe,  simple  à son  point  de 
départ,  s’exprime  à l’arrivée  j)ar  une  réaction  intéres- 
sant un  nombre  d’organes  plus  ou  moins  grand.  C’est 
que  l’ébranlement  qui  a parcouru  le  neurone  7,  ne  se 
communique  pas  seulement  au  neurone  2,  le  seul  que 
nous  ayons  schématisé,  mais  à jdusieurs  autres,  qui 
le  conduisent  directement  dans  leurs  organes  termi- 
naux respectifs,  ou  le  trans|)ortent  à d’autres  niveaux 


l’élément  nerveux 

des  centres,  d’où  il  peut  s’irradier  sur  des  neurones 
encore  plus  nomljreux. 

B.  — FONCTIONNEMEMT  NEURO-PSYCIIIQUE 

L’exercice  des  fonctions  purement  })li_vsiologi(pies  ne 
nécessite  pas,  à considérer  ces  fonctions  dans  leurs 
seuls  caractères  essentiels,  la  présence  d’un  système 
nerveux,  (le  sont  Inen,  en  effet,  des  fonctions  de  cette 
nature  qui  s’accomplissent,  par  exemple,  dans  les  cel- 
lules de  n’importe  quel  tissu  animal  séparées  de  l’orga- 
nisme et  maintenues  vivantes  en  milieu  artificiel,  sans 
aucune  excitation  d’ordre  nerveux  (1).  D’ailleurs,  chez 
le  végétal  lui-même,  toutes  les  fonctions  vitales  sont 
des  fonctions  physiologiques,  et  certaines  se  présentent 
même  avec  les  caractères  essentiels  de  véritables 
réflexes  : le  végétal  ne  possède  pouidant  pas  de  système 
nerveux. 

Poussant  plus  loin  l’observation,  il  faut  même 
admettre  que  le  système  nerveux  n’est  pas  absolument 
nécessaire  à l’exercice  de  toute  fonction  physiologico- 
psychique.  En  fait,  le  seul  caractère  qui  puisse  être 
universellement  invoqué  quand  il  s’agit  d’établir,  entre 
animaux  et  végétaux,  une  ligne  de  démarcation  valable 
pour  tous  les  cas,  est  celui  de  la  sensation  : ])artout  où 
il  y a vie  animale  il  y a capacité  radicale  de  sentir, 
c’est-à-dire  d’êti-e  établi  dans  des  états  conscients  déter- 
minés par  des  modiflcations  subjectives  à cause  externe 
ou  interne.  ()r,  il  existe  des  organismes  inférieurs 
légitimement  classés,  semble-t-il,  })armi  les  animaux, 
à qui  par  conséquent  il  faut  reconnaître  une  certaine 


(1;  Ce  fait  nous  semble  appuyer  l’opinion  de  ceux  qui  pensent  que  les 
neurones  n’ont  qu’une  iniluence  indirecte  sur  l’activité  trophique,  dans  ce 
sens  qu’ils  ne  feraient  que  rég-ler  l’apport  des  matériaux  nutritifs,  par  l’inter- 
médiaire des  phénomènes  vaso-moteurs. 


212 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


vio  psychique,  la  vie  de  sensation,  et  qui,  pourtant, 
sont  (Uqiourvus  de  système  nerveux,  tout  au  moins  de 
système  nerveux  constitué  par  ragencement  sj)écial 
de  cellules  dilierenciées  en  neurones.  Cela  est  de  toute 
évidence  pour  ceux  de  ces  organismes  qui  sont  unicel- 
lulaires.  (Juant  aux  autres,  jiarmi  les  cellules  qui  les 
(‘onstituent,  et  ([ui  nous  paraissent  toutes,  à ]>eu  de 
chose  [irès,  du  même  tyjte  morphologi([ue,  peut-être 
certaines,  par  une  adaptation  délicate  (pn*  nous  ne 
])ouvons  saisir,  sont-elles  aptes  à exercer,  à l’exclusion 
des  antres,  les  fonctions  de  réception,  de  trans])ort, 
d’émission,  de  percejition.  etc.,  dévolues,  (diez  les  êtres 
})lus  hautement  différenciés,  aux  cellules  nerveuses 
telles  que  nous  les  avons  décrites.  Peut-être  aussi, 
chez  l’animal  unicellulaire,  une  adaptation  jilus  délicate 
encore  a-t-elle  spécialisé  certaines  régions  du  cyto- 
})lasme  ou  du  noyau  en  vue  de  l'exercice  des  dilférents 
modes  de  sensibilité  eonseiente. 

l)e  cela,  nous  ne  saurons  ])rol)al)lement  jamais  rien, 
et  nous  devons  ici.  pour  ne  jias  nous  engager  en  des 
lu'pothèses  sans  fondement  expérimental  suffisant, 
nous  en  tenir  aux  manifestations  de  la  vie  physiologico- 
psychique  telles  qii’idles  nous  apparaissent  dans  les 
organismes  supérieurs,  oii  leur  étude  est  ])lus  facile- 
ment aliordahle. 

(yielques  idées  générales  dominent  la  question.  .Nous 
nous  bornerons  à les  indiquer  très  sommairement. 

P'ahord,  la  fonction  neuro-psychique,  ou  fonction 
sensorielle,  est  une  fonction  cellulaire,  et  c’est  pour- 
quoi la  biologie  regarde  son  étude  comme  faisant  partie 
(le  son  domaine  propre,  alors  qu’elle  se  désintéresse 
complètement  des  phénomènes  jiurement  psychiques, 
ou  spirituels,  dans  les([uels  l’activité  cellulair(‘  n’inter- 
vient qu’à  titre  de  ])hase  pré]>aratoire. 

Il  faut  concevoir,  ensuite,  que  c’est  h'  même  prin- 


213 


l’éliîmext  nerveux 


cipe  de  vie,  chez  nous  Tàme  raisonnal)le,  qui  informe 
toutes  nos  cellules,  quelle  que  soit  leur  fonction;  mais 
si  c’est  la  même  âme  i[ue  nous  retrouvons  partout 
dans  roro’anisme,  dans  la  totalité  de  son  essence  et  de 
son  essentielle  perfection,  elle  n’est  pas  présente  dans 
chacun  de  nos  éléments  anatomiques  selon  tous  ses 
modes  d’activité.  C’est  à peu  ])rès  la  formule  dont  se 
servait  saint  Thomas,  sauf  que  l’illustre  docteur  par- 
lait de  partias  là  ou  nous  parlons  de  cellules,  la  consti- 
tution cellulaire  de  l’organisme  étant  alors  inconnue  ( 1). 

Nous  devons,  en  tenant  compte  de  ces  principes  in- 
contestables, nous  faire  de  la  mai’che  du  phénomène 
sensoriel  l’idée  suivante  : dans  les  terminaisons  péri- 
phériques des  voies  centripètes  se  pi^oduit  un  ébranle- 
ment qui  n’est,  anatomiquement,  qu’une  riqiture  de 
l’équililDre  moléculaire  de  la  substance  nerveuse.  Cette 
substance,  toutefois,  est  vivante,  et  c’est  pourquoi  nous 
observons,  dans  la  façon  dont  se  comporte  la  rupture 
d’équilibre,  des  caractères  spéciaux  dont  on  ne  rend 
compte  qu’en  admettant  l’existence  d’un  principe  de  vie, 
l’ânie,  essentiellement  différent  des  principes  jdijsico- 
chimiques.  La  production  de  l’ébranlement,  la  propaga- 
tion de  l’ébranlement,  relèvent  donc  d’une  activité  au 
moins  physiologique.  Cette  activité  n’est  d’ailleurs  que 
cela,  car  aucune  des  modifications  vitales  qui  la  carac- 
térisent ne  comporte  encore  de  })hénomène  de  con- 
science ; il  faut,  pour  que  ce  phénomène  se  produise, 
que  l’ébranlement,  arrivé  au  terminus  de  la  voie  cen- 
tripète, se  communique  à un  organe  informé,  comme 
tous  les  autres  éléments  de  la  voie,  ])ar  un  principe 
vital,  mais  dont  l’activité  se  manifeste  différemment. 


(1)  «Anima  Iota  est  in  qualil)et  parte  corporis  seciiniliim  totalitatem  ])er- 
fectionis,  et  essentiae,  non  anteni  seciindiim  totalitatem  virtntis  : quia  non 
secumluni  (piamiibet  suam  potentiam  est  in  qiialiliet  parle  corporis  ».  Sum. 
theol.,  p.  I‘',  q.  LXXVI.  art.  8. 


214 


REVUE  UES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Si  Tàme  est,  là  eoiimie  ailleurs,  unie  d’une  union  sub- 
stantielle à réléinent  matériel  du  composé,  elle  y déploie 
cependant  une  « vertu  » qu’elle  ne  déploie  point  ail- 
leurs, et  c’est  pourquoi  la  modilication  cellulaire,  au 
lieu  d’être,  ici,  une  simple  réaction  physiologique,  sera 
d’emblée  une  réaction  psychi([ue,  nous  entendons  une 
réaction  essentiellement  consciente  : une  sensation.  Ce 
serait  donc  se  tromper  étrangement  que  de  se  repré- 
senter le  pliénoniène  sensoriel  comme  constitué  par 
deux  actes  vitaux  distincts  : d’abord  un  acte  physiolo- 
gique, la  modification  de  l’organe  terminal,  j)uis  un 
acte  j)sycbi([ue,  la  prise  de  conscience  vague  de  cette 
modification.  L’ébranlement  venu  de  la  périphérie,  en 
modifiant  un  organe  encépliali([ue  constitué  de  manière 
à s’adapter  à une  activité  s])éciale  de  l’àme,  l’activité 
sensorielle  ou  neuro-psychique,  fait  entrer  en  exercice 
cette  activité  ([ui  j)Ose  là,  du  coup,  son  acte  propre, 
spécifique  de  l’organe  en  question  : cet  acte  propre 
n’est  })as  autre  chose  ([ue  la  perce])tion  sensorielle  elle- 
même,  ou  état  conscient  })articulier  répondant  à la 
modilication  particulière  de  l’organe. 

Du  fait  que  l’ànie,  bien  qu’elle  soit  partout  quant  à 
la  totalité  de  son  essence,  n’est  que  dans  certains 
organes  déteianinés  ([liant  à certains  motles  de  son 
activité,  il  suit  nécessairement  ([ue  cette  activité  ne 
[lourra  [loser  son  acte  que  là  où  se  trouve  l’organe  qui 
lui  est  spécialement  adapté.  Il  y a donc  une  localisation 
des  actes  sensoriels  : ce  n’est  pas  partout,  ni  n’importe 
où,  dans  l’organisme,  que  se  constitue  l’état  conscient 
([Lie  nous  appelons  sensation  auditive,  ou  autre,  mais 
là  même  et  là  seulement  où  se  trouve  la  faculté  senso- 
rielle alléctée  à ces  phénomènes  spécifiques. 

Cette  dernière  observation  ouvrirait  tout  naturelle- 
ment la  voie  à une  étude  sur  les  régions  corticales  des 
localisations  sensoidelles  percejitrices  et  des  localisations 


l’élément  nerveux 


215 


sensorielles  mnésiques,  où  une  grande  place  devrait 
être  faite  à la  psyclio-phjsiologie  et  à la  neurologie 
pathologique.  Mais,  outre  que  la  discussion  des  faits  sur 
lesquels  ces  questions  sont  fondées  demanderait  des 
développements  trop  considérables,  nous  avons  déjà, 
à plusieurs  reprises,  dans  cette  Revue  même,  exposé 
sur  ces  différents  sujets  quelques  idées  auxquelles  nous 
nous  permettons  de  renvo3'er  nos  lecteurs. 


L.  Boule,  S.  J. 


VARIETES 


I 

A PHOPOS 

D’PX  OUVKAGK  UÉlT:XT  Sl'U  L’ASTKOXO.MIK  XAUTIQl'K 
Al’  POKTPGAL 

A i;KP0nrF>  l'I^^  GIUXDS  YOYACKS  DK  DKCOl’YKKTK  (1) 


.M.  Densaïule  esl  por'iigais  et  édite,  dans  la  Suisse  allemande, 
lin  ouvrage  éeiâl  en  IVançais.  Ceci  snilit  ampleminil  pour  excu- 
ser ([iieliines  négligences  d’impression  et  de  style,  d’ailleurs 
sans  importance  réelle. 

l,a  lecture  de  V Aslvnno)i)ie  nniitlqiie  est  i)leine  d’intérêt, 
mais  laisse  une  iin[)ression  coni[)lexe  et  élrange.  L’auteur 
lait  preuve  de  talent.  Chercheur  érudit,  il  exhume  du  l'ond  des 
hihliothèfpies  nomhre  de  volumes  rares,  et  se  plait  à appeler 
notre  attention  sur  des  textes  curieux  peu  connus.  .Malheureuse- 
ment le  sujet  ti'aité  appartient  à l’astronomie  et  M.  Mensande 
n’est  ni  astronome  ni  mathématicien.  Il  nous  en  prévient  loyale- 
ment, je  me  plais  à le  dire  ; mais,  cet  aveu  sullit-il  ? Oui,  si  l’on 
se  place  au  [)oint  de  vue  de  riionnéteté  scientillqiie  ; non,  si 
l’on  se  met  à celui  de  la  valeur  des  raisonnements.  Lu  astro- 
nome les  ei'it  conduits  autrement. 

.M.  liensaude  plaide  un  procès.  La  i)arlie  dont  il  prend  ei* 


(I)  \.'As)  roïioniic  mintiqne  au  Vovtuqal  à l'ùijoqur  îles  qi  amies  ilécnu- 
rei'tes,  p:tr  .loiuiuim  Meiisaiiile.  liiTii,  .Akadeniisrlie  tiiiclihaiidlmig  von  .Max 
|li-ficlisel,  lOli!.  l'n  vol.  in-i"  (te  ])ag'e.s. 


VARIÉTÉS 


217 


mains  les  in(éiaM<  a peut-être  raison  ; qnelques-imes  de  ses 
preuves  à ra|)[)ni  sont  en  tons  cas  excellentes  : mais  apres  avoir 
entendu  le  plaidoyer  de  l’avocat,  le  jnge,  je  veux  dire  le  lecteur, 
ne  sait  pas  à (pioi  s’en  tenir. 

L’objet  du  procès  [)orte  sur  le  [)roV)lème  de  la  détermination 
<le  la  latitude  en  mer.  Les  grands  navigateurs  portugais  de  la 
lin  du  xv“  siècle  savaient-ils  le  résoudre?  Jadis  on  le  niait,  mais 
à tf)rt.  La  vérité  est  (pie  la  Jimla  clos  mulheinaticos,  espèce  de 
Bureau  des  Longititiides  (pii  l'onctiomiait  à Lisbonne,  tenait 
secrétes  ses  tables  nautiques  et  la  manière  de  s’en  servir.  De  ce 
qn’on  ne  connaissait  [las  les  l’ègles  l'ormulées  par  la  Juiiltt  poiii’ 
ses  marins,  on  concluait  que  ces  règles  n’existaient  pas.  Lins 
P 'rsonne  ne  le  soutiendrait  sérieusement  aujourd’hui. 

Mais  sur  ([iielles  données  la  Junta  calculait-elle  ses  tailles 
nautiques?  Voilà  la  question  précise  (pii  l'orme  l’objet  du  litige. 

« Iav  Janio  puisait  à des  sources  allemandes,  disent  la  plupart 
des  historiens  ; c’étaient  les  Éphémérides  de  Regiomontanus  et 
d’autres  documents  analogues  que  lui  Ibiirnissait  un  savant 
allemand,  membre  Ini-mème  de  la  Jiinia,  Martin  Behaim  de 
Nuremberg.  » 

.M.  Bensande  conteste  cette  allégation.  Je  crois  qu’il  a raison, 
mais  un  des  arguments  auxquels  il  attache  le  plus  d’importance 
est  peu  concluant.  Présenté  autrement,  c’est-à-dire  débarrassé 
des  erreurs  d’astronomie  sphériijue  ([ni  l’énervent,  il  pourrait 
devenir  décisif,  soit  pour,  soit  contre  la  thèse  de  l’auteur.  Nous 
y reviendrons. 

UAsirouomic  nauli(pæ  se  divise  en  trois  parties  liien  dis- 
tinctes, assez  indépendantes  l’ime  de  l’autre  : une  étude  sur  un 
volume  rare  de  la  Bibliothè([ue  d’Lvora  ; un  projet  de  préface 
destiné  à servir  d’introduction  à la  reproduction  en  l'ac-similè 
d’nn  incunalile  de  la  BiMiothèque  Royale  de  Munich  ; un  clmix 
de  pièces  rares  et  de  documents  relatifs  à l’histoire  de  la  marine 
portugaise. 

Le  mémoire,  consacré  au  volume  de  la  Bibliothèque  d’iù'ora, 
porte  la  date  de  Berne,  décendvre  J DH. 

« Il  est  fort  dillicile  de  savoir,  dit  l’auteur,  quelles  étaient  au 
juste  les  connaissances  scientifiques  et  astronomiques  des 
grands  marins  portugais  de  la  fin  du  xv’  siècle.  » 

D’accord,  et  c’est  la  conséquence  naturelle  du  soin  jaloux 
avec  lequel  la  Junta  dos  rmthemalicos  tenait  secrètes  ses  tables 
nautiques.  .Aussi  l’ai-je  déjà  dit,  on  a pu  soutenir  longtemps,  avec 


'21S 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


grande  vraisemlilaiice,  que,  la  Jnnhi  n'ayani  pas  de  labiés 
|)fopres,  les  marins  [)oi’lngais  se  sei'vaienl  des  Ephémérides  de 
llcgiomonfainis. 

Or,  en  1888,  M.  lairien  Oordeiro  |)uhliail  dans  le  Bolletim 
i)\  SociEDADE  DE  GEOriHAi’inA  DE  LisiîOA,  1111  ai'lirle  inlilnlé  un 
peu  pompensenient  ; De  coiiin  ii  irefjdrdiu  os  Dofldtjtiezes  no 
conieço  do  secnio  XVI  (pp.  J().'3-J88).  La  solennité  du  lili'e  se 
jnstiliail  assez  bien  par  rimporlanre  de  la  déconverle  (pie  M.  Gor- 
deiro  venait  de  l'aire  <à  la  Bibliolhè;|ue  d’ivvora.  L’était  un  volume 
renrermanl  pbisienrs  ouvrages  paraissant  indépendants  les  mis 
des  antres,  notamment  ; Le  Hcfjlenienl  de  VAslrohdte  et  du  Qua- 
drant, et  une  traduetion  portugaise  du  Traité  de  ta  Sphère  de 
Sarro  Bosco,  traduction  anii'rienre  à celle  ipie  iniblia  en  1587 
l’edro  Xunes.  Dès  1888,  M.  Lordeiro  éniibtait  une  conjectui’e,  qui, 
aujour’d’hui,  touche  presejue  à la  certitude  ; c’est  que  le  volume 
d’Kvora  était  un  exemplaire  rarissime  des  instructions  nauticpies 
données  jadis  par  la  danta  aux  amiraux  portugais.  Il  contient 
en  ell'el  toutes  les  connaissances  astronomiipies  alors  indispen- 
sables à un  marin  ; la  théorie,  dans  le  Traité,  de  la  Sphère; 
la  pratique,  dans  le  Uèplemenl  de  l'Astrolabe  et  da  Quadrant. 
Dublié  en  portugais,  le  mémoire  de  .M.  Lordeiro  passa  beaucoup 
trop  inaperçu  ; s’il  avait  été  écrit  dans  une  des  grandes  langue.^ 
européennes,  anglais,  allemand  on  l'rançais,  il  eût  lait  sensation. 

Dans  la  première  partie  de  l'Astronomie  naaticpie,  M.  Ben- 
saude  reprend  le  travail  de  .M.  Lordeiro  et  groupe  ses  considéra- 
tions sons  quatre  lili’es;  1”  Introiluction,  '2’  Les  tables  nautiques, 
8’  l.es  instruments  astronomiijnes,  L (/astronomie  péninsulaire. 
Les  titres  ne  sont  [>as  très  adéquats  aux  sujets  ti-aités.  I>’autenr 
nous  donne,  tantôt  plus,  tantôt  moins  que  ce  ([ue  le  titre 
annonce.  Le  plan  n’est  pas  toujours  nettement  tracé  et  les 
matières  des  chapitres  empiètent  parfois  les  unes  sur  les  autres. 
Boni'  ne  pas  me  répéter  en  suivant  .M  Bensaude,  chapitre  par 
clnqiitre,  je  me  contenterai  de  quelques  observations  générales, 
qui  s’appliiiueut  d’ailleurs  aussi  pour  la  plupart  au  second 
mémoire. 

.M.  Bensaude  est  un  habitué  des  bibliothèques.  On  doit  lui 
reconnaître  le  llair  et  le  coup  d’œil  (jui  font  faire  les  tiouvailles. 
(>’liistoire  de  la  géographie  lui  est  familière.  One  n’en  puis-je 
dire  autant  de  celle  de  la  trigonométrie  et  de  l’astronomie  ! S’il 
a lu  VHistoire  de  T Astronomie  de  Delambre  et  les  Vorlesiingen- 
vber  Geschichte  der  Trigonométrie  de  von  Braunmühl,  c’est 
en  tout  cas  d’une  façon  bien  distraite.  .M.  Bensaude  nous  avertit, 


VARIÉTÉS 


•21!) 


je  le  rejiète,  qu’il  n'e>t  pas  aslroiionie.  Mais,  relie  (Icrlaratioii 
laite,  [lonniiioi  ne  pas  se  tenir  en  yardeV  l'onrqnoi  quitter 
aussitôt  les  terrains  de  la  bibliographie  et  de  la  géographie  qu’il 
connaît,  |)onr  s’aviuiturer  sni'  celui  de  rastronornie,  qui  est,  poiii’ 
lui,  singulièrement  glissant? 

Les  raisonnements  de  M.  Hensaude  sont,  en  effet,  parfois  bien 
étranges.  Lu  voici  un  exemple  prisait  hasard.  Peut-être  a-t-il 
cependant,  plus  que  d’autres,  appelé  mon  attention,  parce  que 
M.  Bensaude  a pris  soin  lui-même  d’en  imprimer  en  caractères 
gras  les  passages  les  plus  surprenants,  (ju’on  en  juge.  11  s’agit 
des  tables  nautiques.  Les  marins  portugais  employaient-ils  les 
Éphémérides  de  Kegiomontanus?  Cela  parait  peu  vraisemblable. 
Le  Rèfileinent  de  rastrolabe  semble  avoir  été  calculé  ix  leur 
intention.  Puis,  il  était  évidemment  plus  commode  de  faire 
usage  du  Règlement,  et  de  ses  tables  de  déclinaisons  solaires 
toutes  calculées,  que  de  se  servir  des  Éphémévides  et  de  leur 
table  des  longitudes.  Je  dis  plus  commode  et,  intentionellernent, 
je  ne  dis  rien  de  plus.  Mais  .M.  Bensaude  va  beaucoup  plus  loin. 
11  soutient  que  l’emploi  des  Éphémérides  était  impossible.  Voici, 
en  effet,  en  quels  termes  il  parle  des  tables  de  ce  recueil  (p.  J 9)  ; 

«Ces  tables,  dit-il,  contenaient  les  positions  du  soleil,  de  la 
lune,  (le  Caput)  des  5 planètes  (Saturne,  Jupiter,  Mars,  Vénus  et 
Mercure)  dans  les  signes  du  zodiaque,  calculées  jour  par  jour, 
pour  ans.  Chaque  mois  occupe  une  page.  La  page  opposée 
contient  une  indication  sur  les  dates  des  éclipses,  conjonctions, 
oppositions,  etc.  par  rapporta  ces  mêmes  mois.  Cette  deuxième 
page  porte  comme  titre  ; Aspectus  bmae  ad  solem  et  planetas  ; 
solis  et  planetariim  inter  se. 

» On  ti’ouve  dans  les  Éphémérides  la  position  journalière  de 
chacune  des  7 planètes  par  rapport  aux  12  signes  du  zodiaque 
où  à leurs  maisons  astrologiques. 

» On  n’y  trouve  aucune  indication  sur  le  problème  des  lati- 
tudes ; bien  plus  on  ne  trouve  pas  les  éléments  indispensables  à 
ce  ccdcnl.  Un  élémenl  important  y manciue  : les  tables  de  décli- 
naisons. )) 

Les  phrases  sont  soulignées  dans  le  texte  et  ne  l’ont  pas  été 
par  moi.  .Mais  .M.  Bensaude  ne  semble  pas  se  douter,  que  même 
pour  un  marin  de  la  tin  du  xv°  siècle,  une  fois  la  longitude  solaire 
donnée,  déterminer  la  déclinaison  de  l’astre  n’était  qu’un  jeu. 
L’angle  de  l’écliptique  et  de  l’équateur  était  connu.  M.  Bensaude 
nous  apprend  lui-même  que  les  astronomes  portugais  l’esti- 
maient, les  uns  à 23’30',  les  autres  à 23V33'.  C’est  là,  en  effet. 


RKVUK  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQT^ES 


la  valeur  qu’ils  allrihuaieiit  à l’aiigle  de  la  déeliiiaison  solaire 
maxima,  par  le(|iiel  les  astronomes  ont,  de  tout  temps,  déter- 
miné l’aiigie  de  l’é([uatenr  et  de  l’écliptique,  (leci  posé,  soit  d,  la 
déclinaison  cherchée  du  soleil  ; l,  sa  longitude;  m,  la  déclinaison 
solaire  maxima  ou  l’angle  de  l’écliptitiue  et  de  l’éfpiateur  : 
llegiomontanus  et  Ions  les  astronomes  el  les  astrologues  de  son 
temps  calcidaient  d,  pai'  la  Ibrrnule  alors  de'jà  Irès  ancienne 

sin  d sin  / 

sin  m sin  hÜ’ 

Les  tables  de  sinus  circulaient  en  manuscrit  et  n’étaient  pas 
rares.  L’imprimerie  venait  d’élre  inventée  ; mais  ce  serait  la 
plus  grossiéi'e  des  ei  reurs  historiques,  que  de  limiter  déjtà  aux 
volumes  imprimés  les  ouvrages  d’un  usage  courant  à cette 
épo(jue. 

On  se  .servail  alors  de  tables  de  sinus  naturels,  telles 
celles  de  Kegiomoulamis  et  de  bien  d’aiUres.  Tous  ceux  qui 
s’occupaient  d’astronomie  possédaient  cet  iusirument  de  travail 
indisi)ensahle  ; ce  n’est  pas  à .M.  IJensaude  que  je  dois  l’ap- 
prendre. Pour  ma  pari,  j’eus  admis  sans  dilliculté,  que  des 
expéditions  aussi  bien  organisées  que  celle  d’un  Yasco  de 
(lama,  par  exemple,  avaient  à bord  quelques  tables  de  sinus 
et  desolliciers  ca[)ables  de  s’en  servir.  Les  lal)les  astronomiques 
donnaient  tout  au  plus  la  minute  des  longitudes  solaires,  et  les 
déclinaisons  ne  se  calculaient  pas  avec  une  a[)i)roximation  plus 
grande.  Pans  ces  limites,  les  tables  de  sinus  pouvaient  s’employer 
sans  interpolations,  ce  qui  rendait  leur  maniement  tout  à l'ait 
simple  et  élémentaire.  Le  calcul  d’une  déclinaison  ne  supposait 
guère  d’autre  prali([ue  des  mathématiques  que  celle  delà  mul- 
tiplication des  nombres  entiers,  par  un  nombre  entier  toujours 
le  même,  le  sinus  de  :2«}':3()'  (ou  i.j'drj').  Le  [)roduit  obtenu  devait 
se  diviser  ensuite  par  siii  DO'’,  c’est-à-dire  [)ar  le  nombre  très 
sini[)le  qui  mesurait  le  rayon  des  tables  J(P  ou  (l.JO"  (1).  Pareille 


(I)  On  le  sait,  les  i)lns  anciennes  tables  iinprhiiéi’X  de  sinns  naturels  sont 
celles  de  Keg'ioinonlanus  (|ui  jiarurent  à AngsboncH’,  en  11911,  dans  son 
Opus  Tabhlanun  tlireclionum  profcctiomuiujue.  I.es  sinus  sont  calculés  au 
rayon  60  000  et  les  tangentes  naturelles  au  rayon  100  000.  I.es  premières 
tal)les  de  sinus  naturels  imprimées,  <[ui  soient  indéi>endantes  de  ta  division 
sexagésimale  du  rayon,  se  trouvent  dans  Vlnstnuiicntum  primi  mobilis  a 
Ih'tro  Apiano  mine  primiim  inrenhim  et  in  Inci’in  eilitiim...  .\orimi)ergae, 
apud  toannem  Petreium,  .MIlWXllI.  Encore  untï  lois,  il  ne  s’agit  là  bien 

4 


VARIETES 


•>21 

division  mérilc-l-elle  viniment  le  nom  de  calcnl?  Même  pour 
nn  mathématicien  dn  siècle,  tonies  ces  opérations  étaient, 
des  pins  laciles.  Aussi  n’est-ce  pas  moi,  c’est  M.  llensande,  qui 
semble  les  regarder  comme  an  dessus  de  la  portée  d’nn  Vasco 
de  (lama  on  de  ses  olliciei’s. 

A’iiisistons  pas,  car,  je  l’accorde,  il  ent  mieux  vain  melli'e 
entre  les  mains,  des  marins,  des  tables  de  déclinaisons  tonies 
calcidées.  La  Jnnlu  s'en  rendait  compte.  La  consirnclion  de  ces 
tables  rentrant  dans  ses  attributions,  est-ce  aux  sources  alle- 
mandes qu’elle  en  puisa  les  (‘léments?  Yoiiïi  nn  second  point  à 
éclaircir. 

Lt  tout  d’al)ord  la  Jtnita  ponvail-elle  ignorer  qne  les  meil- 
liMires  tables  de  longitudes,  portugaises,  ai'ahes,  juives  on  alle- 
mandes, qn’impoi'te?  — qne  les  meilleures  tables  de  longitudes, 
dis-je,  loi  donneraient  les  meilleures  tables  de  déclinaisons? 
Le  serait  Ini  l'aire  injure.  A moins  de  preuves  positives,  je  ne 
l’admettrai  pas.  (jnand  Ledro  Aunes,  dont  M.  Bensaïule  nous 
parle  avec  l’aison  en  termes  si  élogienx,  quand  Aimes  écrivit  son 
admirable  algèbre,  il  prit  son  bien  partout  on  il  le  trouva,  chez 
Jordan  de  A'émore,  chez  Cardan,  chez  Laccivolo  ; ce  n’élaient 
ni  des  Portugais,  ni  des  Juifs,  mais  peu  lui  importait.  S’il  s’était 
laissé  dominer  par  queb[ues-unes  des  préoccupations  qui  ban- 
lent,  par  moments,  M.  Ben.saude,  jamais  Aunes  n’eùt  écrit  le 
petit  chef-d’œuvre  qu’est  le  Libro  de  Algebra.  J’ai  trop  d’estime 
de  la  Jiüita  pour  ne  pas  croire  qu’elle  agit  comme  Aunes. 
Mais,  en  fait,  à quelles  tables  de  longitudes  donna-t-elle  la  pré- 
férence? En  réalité,  jusqu’ici  on  n’en  sait  rien  ; car  voilà  ce  que 
les  raisonnements  de  M.  Bensaude  continuent  à laisser  obscur; 
j’allais  ajouter,  ne  font  parfois  qu’embrouiller  davantage,  (ju’on 
me  comprenne  bien,  je  veux  dire  que  si  M.  Bensaude  avait  été 
astronome,  il  eût  raisonné  autrement.  En  elfet,  une  expérience, 
d’ailleurs  aisée  à faire,  efit  été  ici  probablement  décisive.  Les 
tables  de  déclinaisons  adoptées  par  h\  Junla  existent.  M.  Ben- 
saude prouve  fort  bien  qu’on  les  trouve  dans  l’incunable  de 
Munich,  objet  principal  de  son  élude  actuelle,  (jiie  le  savant 


entendu  que  de  fables  imprimées.  Ptoléniée  lui-même  a déjà  d(‘s  tailles  de 
cordes  qui  se  transformèrent  peu  à peu,  chez  les  .\ralies,  en  tailles  de  sinus 
naturels.  .M.  Nallino  a publié  les  tables  de  sinus  naturels  (l'.tlbategnius  dans 
son  édition  d'Al-Battàni,  sire  Albateriii  Opus  Astrommicinii.. . t.  '2... 
Mediolani  Insubrum.  Prostant  apud  Ulricbum  Hoepli,  litOT  ; pp.  55-5(5; 
volume  qui  forme  la  2®  partie  du  n®  40  des  PcBiiuc.AZiOM  riEi.  Iîe.ale  Osskb- 
V.ATORIO  DI  BrERA  IN  .MlL.ANO. 


0-)0 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


aiileiir  lasse  donc  le  travail  inverse  clerelni  qui  Int  oicloiiiié  par 
la  Jintla  ; (pi’il  [)arte  des  déclinaisons  pour  détei  miner  les  lon- 
gitudes. Il  serait  bien  siirimenant  (pie  le  résultat  de  ses  calculs 
ne  lui  apprenne  pas  à coup  sur  (pielles  tables  de  longitudes 
servirent  jadis  de  point  de  départ  aux*  travaux  de  la  Junla.  Et 
que  M.  Hensaude  ne  in’olçjecte  pas  la  longueur  d’une  pareille 
épreuve.  Il  ne  s’agit  pas  de  reconstruire  totde  une  table  des 
longitudes.  En  cboisissant  bien  (piehjues  exemples  : en  s’arrê- 
tant notamment  à ceux  où  les  données  numériiiues  des  diverses 
tables  de  longitudes  dillerenl  entre  elles,  il  saurait,  fort  vite, 
selon  toute  apparence,  à (juoi  s’en  tenir. 

Voici  des  remar(|ues  d’un  autre  genre.  A projjos  du  Boteiro 
de  don  .loao  de  Castro,  M.  Hensaude  écrit  ces  lignes  très  inté- 
ressantes (p.  o.')j  ; 

« Hans  ce  Houtier  de  J53(S,  don  .loao  de  Castro  parle  des 
sabliei's  (relogios  d’areia)  utilisés  pour  observer  l’heure  des 
éclipses  ainsi  (pie  des  cadrans  solaires  (relogios  do  sol  ) tous  laits 
en  Elandre  et  en  Allemagne,  mais  il  ne  mentionne  même  pas  la 
balestrilba,  sur  laquelle  on  ne  tardera  [irobablement  pas  à réunir 
de  nombreux  éléments  historiques,  dans  une  séi'ie  d’ouvrages 
portugais  du  xvU  et  du  xvii''  siècles,  (pu  n’ont  pas  cncoi'e  été 
consultés.  » 

Ces  horloges  llamandes  à sablier  utilisées  par  les  l’ortugais 
pour  déterminer  l’heure  des  éclipses  et  [lar  conséquent  très 
probablement  aussi  les  longitudes  géogiapbiques  ; ces  horloges 
les  marins  portugais  les  employaient-ils  aussi  pour  calculer,  en 
mer,  la  longitude  du  vaisseau  ? I.a  chose  vaudrait  la  peine  d’étre 
examinée.  Les  l'ortugais  auraient  alors  l’honneur  d’avoir  les 
premiers  appli(pié  la  méthode  de  Gemma  Erisius.  On  sait,  en 
effet,  que  le  célèbre  professeur  de  l’Eniversité  de  Louvain 
l’avait  publiée  huit  ans  auparavant,  en  JudO,  dans  son  petit 
traité  De  I sii  filobi  imprimé  en  annexe  à son  ouvrage  De  Prin- 
cipiis  Aslroiwhitae  et  Cos)iiofjrapliiae. 

Le  même  passage  de  M.  Hensaude  me  permet,  en  outre,  de 
signaler  une  dithculté  à laquelle  l’auteur  n’a  pas,  à mon  avis, 
prêté  toute  l'attention  qu’elle  mérite.  A l’époque  des  grandes 
décou vei'tes,  l’arbalestrille  (balestrilba)  et  l’astrolabe  étaient 
simultanément  employées,  dans  la  Héninsule  hispani(pie.  Ce 
lait  est  admis,  je  crois,  depuis  longtemps  par  les  historiens  de 
l’asti’onomie  ; mais  ,M.  Hensaude  met  une  certaine  insistance  à 
le  démontrer  aux  géographes,  dont  plusieurs,  paraît-il,  doutent 
encore.  Il  est  d’autre  [(art  incontestable  que  la  Jtnila  préféra 


VARIÉTÉS 


223 


l'astrclabe  à l'arhalesli  ilii*.  La  raison  mérilerail  d’en  être  reclier- 
ehée.  Car,  an  pi'emier  al)ord,  VaJuhUi  pourrait  sembler  avoii’ 
rejeté  un  instrument  simplement  médiocre,  l’arballeslrille,  pour 
en  adopter  un  franchement  incommode,  l’astrolabe.  Voici,  en 
etlet,  comment  la  pren?itn-e  autorité  de  Fi'ance,  feu  le  colonel 
Laussedat . direcleui’  du  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers, 
membre  de  l’Institut,  appréciait,  en  J898,  la  valeur  relative  des 
deux  instruments  (J  ). 

c(  L’arbalestrille,  ti'ès  populaire  autrefois  jusque  chez  les 
maçons  et  les  cbarpentiers,  a été  pendant  longtemps  employée 
par  les  marins,  souvent  même  de  préférence  à l’astrolabe,  quand 
l’horizon  était  Inen  net,  parce  que  en  visant  simultanément  à 
cet  horizon  et  à l'astre  on  évitait  les  mouvements  d’oscillation 
du  disque  suspendu  de  l’astrolabe. 

» On  comprend  aussi,  que  dans  les  reconnaissances  topogra- 
phiques, cet  instrument  très  portatif  et  facile  h improviser,  ait 
dù  être  souvent  utile  aux  voyageurs  et  aux  militaires,  pour  éva- 
luer rapidement  les  distances  et  les  hauteurs.  » 

Je  me  contente  d’énoncer  le  problème,  sans  la  moindre  idée 
préconçue  sur  le  sens  dans  lequel  il  faut  le  résoudre  ; mais,  il 
vaudrait  la  peine  de  le  discuter  à fond.  Pour  préférer  l’astrolabe 
à l’arballestrille,  la  Jiiuta  dut  avoir  ses  raisons. 

Avant  de  qiutter  le  premier  mémoire  de  M.  llensaude,  voici, 
à regret,  une  dernière  réllexion.  A l’improviste  et  sans  y être 
jiaturellement  amené  par  le  sujet,  l’auteur  a des  hors  d’œuvres 
en  l’honneur  de  la  science  juive  et  d’autres  où  il  s’élève  en 
anathèmes  contre  l'ignorance  des  jésuites.  Ces  tirades  déclama- 
toires, compréhensibles  et  de  mise  peut-être  dans  un  pamphlet 
politique  nuisent  toujours  aux  ouvrages  de  critique  scientifique. 
Elles  font  croire  au  parti  pris  chez  l’auteur  et  mettent  le  lecteur 
impartial  en  défiance.  Aussi  bien,  énoncées  dans  les  termes 
vagues  et  généraux  de  M.  llensaude,  les  deux  thèses  sont  égale- 
ment fausses.  Juifs  et  Jésuites  eurent  les  uns  et  les  autres  quel- 


(1)  lieclioxlies  sar  les  htstnimoüs,  les  Méthodes  et  le  Dessin  topogra- 
phiiincs.  T.  l,  Paris,  Gautliiei’-Villars,  pj).  59  et  60. 

Maître  Joao,  pilote  la  Hotte  de  Cal)ral  se  servait  de  l’Astrolabe  pour 
]irendi-e  les  hauteurs.  Or  voici  en  cpiels  termes  il  se  plaint  de  l’inlluence  du 
roulis  sur  l’emiiloi  de  l’Astrolabe  : 

« Il  me  semJMe  prescpie  impossible  de  prendre  la  hauteur  des  étoiles  en 
mer,  parce  que,  pour  peu  que  le  navire  roule,  on  fait  des  erreurs  de  l à 
5 degrés  de  façon  qu'on  ne  peut  1a  prendre  qu'à  terre.  Astronomie  Xau- 
tiijne.p.  102. 


22A 


REVUE  DES  Ql’ESTIUNS  S(.;i ENTIl’K^lUES 


(|iios  asirononies  el  (|iiel(nies  niallii'inaliciriis  inar(|naiils,  de 
livs  grande  valeur;  ilseiirenl  en  pin."  grand  noinhre  des  savants 
dislingnés,  paifaiteinent  an  conrani  de  la  seience  de  leur  leinps; 
ils  eurent  aussi,  les  uns  el  les  autres,  (|uel(|iies  hommes  qui 
eussent  mi(*u\  l'ail  de  ne  pas  écrire.  Soyorrs  sérieux!  (|ue  peuvent 
l)ien  faire  les  eonviclions  religieuses  de  raulenr,  (iiiand  il  s'agit 
d’une  démonsli'alion  d'aslronomie  ou  de  géonn'drie  ? l'our  moi, 
j’avoue  adnurei'  également  les  li'avaux  seienlili(|ues  dn  pa’i’eii 
Arehimède,  du  luahoniélan  Alhalégnius,  dn  lulli('‘rien  Slifel,  du 
i hanoiiie  Copernic  et  du  jésuite  (îrégoiic  di*  Sainl-VineenI . 
.l’allais  ajoider  : du  jiuf  l’edro  \unes.  Il’ailleurs,  l'id-il  vraiment 
juif?  ou  {)lut(')l  jtuf  eonverli?  ou  même  simplement  issu  de 
parents  juifs?  nuand,  à deux  re{)rises  déjà,  j’ai  (‘ssayé;  d’ap|)eler 
raltcniion  sur  son  Alfjèhre,  ces  (pieslions  m’ont  i)aru  oiseuses, 
.le  puis  me  rendie  le  témoignage  d’avoir  jugé  eel  ouvrage 
remar(|uahle,  sans  me  pi  éoecnper  de  la  religion  de  l’aulenr. 

■M.  Itensaudc  eût  tout  gagné  à en  faiie  (h;  même. 

l’edi‘0  Aunes  ap[iarait  dans  l’Iiisloii'e  de  la  science  portugaise, 
comme  un  hrillani  météore  (pie  rien  n’annoneait  el  (pii  ne  laissa 
aucune  trace  derrière  lui.  .M.  .Maniice  Cantor  a remarcpié,  dans 
ses  Vorlesinifien,  combien  un  pareil  fait  ('fait  rai’e. 

.l’ai  lonjours  cm  que  .\unes  avait  eu  des  préeiu'seurs.  .le  vois 
avec  plaisir  .M.  Hensaude  parlagiu’  la  même  idée.  Il  nous  promet 
en  outre  de  montrer  chez  les  mallu'maliciens  juifs  les  précur- 
seurs de  Aunes.  C’est  fort  bien,  .ladis  Sieinschneider,  avec  moins 
de  fougue,  plus  de  critiipu',  plus  de  connaissanci*  des  manus- 
ci'its  que  .M.  Hensaude,  a mis  en  pleine  lumière  riniluence  très 
ap[)réciahle  des  juifs  du  moyen  âge  sur  le  dévelopjiemenl  de  la 
science.  Mais,  nous  sommes  en  Kspagne  el  en  Corlugal  ; fin- 
llnence  arabe  doit  y avoii'  été  bien  plus  grande  (pic  celle  des 
.Inifs.  Kntin  il  me  [larail  inlinimeni  pi obable  (jne  .luifs  cl  Arabes 
ne  furent  pour  Aunes  que  des  inécnrseurs  éloignés,  el  que 
celui-ci  puisa  immédiatement  sa  science,  dans  des  sources 
chrétiennes.  Cuisse  .M.  Hensaude.  libre  de  pn’'jugés,  nous  donner 
un  li'avail  documenté,  impartial  et  bien  raisonm'  qui  soit  déb- 
nilif  ! 

Le  second  mémoire  de  V Aslrononric  est  une  pn'- 

face  écrite  en  guise  d’iiilroduclion  à la  reproduction  en  f;;c- 
sirnilé  d’un  incunalile  de  la  Hibliolbèque  Hoyale  de  Mnnicb. 
X plusieurs  reprises  déjà,  l’allenlion  avait  été  appelée  sur  (C 
pi'écieux  volume  ; mais  c’est  par  un  article  publié,  (m  JtJUS, 
dans  son  Hislorischcs  Jahrbmh  (pp.  304- HoH)  que  M.  Crauci  t 


VARIETES 


225 


en  signala  Ionie  l’importance.  Cel  article  inlitnlé  : Die  Enlde- 
cknng  eines  Verstorhenen  zur  Geschichie  der  gnmeu  Ldnderenl- 
deckungen  était  suivi  d’une  note  de  M.  llartig  consacrée  prin- 
cipalement à la  description  bibliographique  de  l’incunable 
(pp.  384-3l37). 

A la  suite  de  ce  double  travail,  la  reproduction  en  (ac-similé 
du  volume  de  Munich  a été  décidée.  Il  contient  trois  traités  : 
Le  Règlonent  de  l'Astrolabe  et  du  (J lutdr an l ; wne  traduction 
portugaise  de  la  Sphère  de  Sacro  liosco  ; une  Lettre  de  Jérôme 
Münzer  (llieronyinus  .Monetarius)  au  roi  don  .loao  II,  [jour  lui 
recommander  Martin  Bebaim.  Cel  te  dernière  pièce  a déjà  soulevé, 
à plusieurs  reprises,  d’assez  vives  polémicjues. 

Le  volume  d’Evora  peut  être  regardé  comme  une  réédition 
revue  de  l’incunable  de  Munich.  Les  tables  numériques  d’P5’ora 
sont  moins  rudimentaires  que  celles  de  l’incunable  ; par  contre, 
les  règles  de  leur  emploi  sont  plus  concises  et  les  exemples  des 
calculs  moins  multipliés. 

L’introduction  à la  reproduction  de  l’incunable  éci'ite  par 
M.  Bensaude  peut  se  diviser  en  quatre  parties,  auxquelles,  pour 
la  clarté,  l’auteur  eût  bien  l'ait  de  joindre  un  numérotage  : 

Introduction  et  généralités  ; 2“  Le  Règlement  de  V Astrolabe  et 
du  Quadrant  ;‘S°  I>a  Sphère  de  Sacro  Bosco  ; 4”  La  lettre  de 
Mi'inzer. 

Les  réllexions  suggérées  ci-dessus  par  le  premier  mémoire 
reviennent  spontanément  à l’esprit  quand  on  lit  le  second,  .l’ai 
bâte  d’ajouter  cependant  que  ce  second  mémoire  est  supérieur 
au  premiei'.  D’abord,  les  chapitres  où  l’auteur  se  cantonne  dans 
l’histoire  de  la  géographie  sans  toucher  à celle  de  rastronomie- 
sont  plus  étendus.  Or,  en  nous  faisant  l’histoire  de  la  géographie 
M.  Bensaude  nous  parle  de  choses  qu’il  connait.  Il  a mis  la  main 
sur  des  documents  curieux  et  les  commente  de  manière  à en 
mettre  bien  le  prix  en  relief. 

Ensuite,  l’auteur  a recouru  parfois  à l’aide  d’un  astronome. 
Quand  même  M.  Bensaude  ne  nous  en  eût  pas  avertis,  on  eût 
immédiatement  reconnu  dans  quelques  pages  la  plume  d’un 
homme  du  métier.  Ce  n’est  pas  lui  (pii  eût  écrit  certaines  des 
na'ivetés  qu’on  lit  à regret  dans  le  premier  mémoire.  Qu’il  nous 
soit  donc  permis  de  reprocher  à M.  Bensaude  de  ne  pas  lui 
avoir  confié  la  révision  de  son  manuscrit  entier.  Gomhien  le 
travail  y eût  gagné  ! 

Les  passages  intéressants  ne  manquent  pas.  Voici,  par 
exemple,  d’après  le  Règlement  de  l'Astrolabe  et  du  Quadrant, 
ItPSÉmE.  T.  .WVI.  15 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


2-^6 


comment  le  marin  connaît  la  longueur  de  la  route  parcourue 
par  le  vaisseau,  lorsque  celui-ci  s’est  déplacé  d’un  degré  de  lati- 
tude. Les  Portugais  atlril)uaient  à l’arc  de  méridien  d’un  degré 
une  longueur  de  17,5  lieues  portugaises. 

Leci  posé,  imaginons  que  cet  arc  de  17,5  lieues  soit  le  côté 
de  l’angle  droit  d’un  triangle  rectangle.  Le  Règlement  donne  1(^ 
tableau  de  la  longueur  de  toutes  les  hypoténuses  formant  avec 
ce  côté  un  angle  qui  soit  multiple  de  11”15'  tout  en  restant 
iidérieur  à un  droit.  Pour  évaluer  la  longeur  du  chemin  par- 
couru, il  suffisait  d’observer  l’angle  sous  lequel  le  vaisseau  cou- 
pait le  méridien.  A l’aide  de  la  boussole  ce  n’était  pas  fort 
dillicile  puisqu’on  opéiait  par  multiples  entiers  d’un  angle  snfli- 
samment  grand.  Plus  tard  les  nombres  fournis  parle  Règlement 
furent  corrigés  par  Pedro  Aunes. 

« Pedro  Aunes,  dit  à ce  propos  M.  Bensaude  (p.  J51),  écrit 
dans  le  Tradado  em  defensam  que  les  nombres  de  la  table  sont 
des  valeurs  approximatives,  étant  des  racines  carrées  qui  ne 
sont  pas  calculables  exactement.  Cependant,  les  ei’reurs  n’étant 
pas  considérables,  il  n’y  a pas  lieu  de  s’en  impiiéter.  y> 

.M.  Hensaude  passe  ici,  sans  [laraitie  s’en  douter,  à côté  du 
problème  le  [tins  intéressant  de  l’astronomie  nautique  portu- 
gaise. (juand  le  vaisseau  coupe  tous  les  méridiens  sous  le  même 
angle,  il  ne  parcoui’t,  ni  une  ligne  di’oite,  ni  un  arc  de  grand 
cercle,  mais  une  loxodromie.  Or,  cette  découverte  Aunes  l’a 
faite  ; c’est  le  plus  beau  titre  de  gloire  du  grand  géomètre  et  le 
moins  discuté.  Comment  Aunes  corrigea-t-il  les  nombres  du 
Règlement  Comment  calculait-il  la  longueur  d’un  arc  de  loxo- 
di-omie  ? 

11  est  temps  de  terminer  cefte  étude;  quoique  la  troisième 
partie  de  V Astronomie  Aantique  soit  peut-èti'e  pour  nous  la 
plus  utile,  je  ne  m’y  arrêterai  pas  ; mais  je  suis  heureux  de 
n’avoir,  cette  lois,  que  des  félicitations  à adresser  à l’auteur. 
Lue  énumération  des  pièces  rares  rééditées  serait  sans  intérêt  ; 
je  préfère  engagei'  le  lecteur  à prendre  directement  connais- 
sance des  documents,  dans  V Astronomie  JSnutique  elle-même, 
.le  veux  cependant  lui  signaler  les  deux  textes  du  Règlement  de 
V Astrolabe  et  du  Quadrant  réédités  d’après  les  exemplaires 
d’Lvora  et  de  Munich.  Toutefois  les  tables  numériques  ne  sont 
pas  reproduites  en  entier. 

lîésumons.  La  lecture  de  V Astronomie  Nautique  olfre  de  Tin- 
ti'rêt,  et  beaucoup.  On  y trouve  des  documents  importants  rela- 
tifs à Tliistoire  de  la  navigation  et  de  l’astronomie  portugaises. 
Il  faut  savoir  gré  à M.  hensaude  de  nous  les  avoir  rendus  aisé- 


VARIETi;s 


227 


ment  accessibles.  Trop  perdus  jusqu'ici  dans  des  ouvrages  por- 
tugais souvent  rares,  ils  iTavaient  pas  attiré  Tattention  qu’ils 
méritent. 

M.  Hensaude,  dans  deux  mémoires,  met  ces  documents  en 
œuvre,  (le  iTest  pas  toujours  avec  le  même  bonheur;  il  n’est  pas 
assez  resté  sur  les  terrains  qu’il  connaît,  l’histoire  des  naviga- 
teurs portugais  et  celle  de  la  géographie.  Pour  traiter  avec 
sûreté  le  sujet  sur  le  plan  très  large  qu’il  s’était  tracé,  M.  Ben- 
saude  ignorait  trop  les  mathématiques,  l’astronomie  et  surtout 
leur  histoire.  La  suppression  de  quelques  raisonnements 
erronés,  loin  de  nuire  à V Astronomie  Nautique,  en  eût  plutôt 
corroboré  les  conclusions  générales  que  je  crois  exactes. 

11.  Bosm.\>s,  s.  J. 


II 

ROGER  BACON 

SEPTIÈME  CENTE.XAIRE  DE  SA  NAISSANCE 


On  n’est  point  fixé  de  façon  certaine  sur  la  date  de  la  nais- 
sance du  célèbre  Franciscain,  Roger  Racon;  on  s’accorde  toute- 
Ibis,  assez  généralement,  à la  placer  vers  l’an  i:21-4.  La  date  de  sa 
mort  semble  plus  solidement  établie  : Roger  Racon  mourut  à 
Oxford,  en  129:2,  et  fut  enterré  le  \\  juin,  dans  l’enceinte  du 
monastère  de  son  ordre. 

C’est  à Oxford  qu’il  fit  ses  premières  études  universitaires. 
Il  les  poursuivit  à fUniversité  de  Paris,  où  il  séjourna  à plusieurs 
reprises;  c’est  là  que  son  brillant  enseignement  lui  mérita  le 
titre  de  doctor  admirabilis.  .Vprès  son  retour  définitif  en  .\ngle- 
lerre,  c’est  à Oxford  qu’il  poursuivit  ses  travaux. 

C’est  assez  pour  justifier  la  date  du  10  juin  1014,  choisie  par 
l’Université  d’Oxford  (1),  pour  l’inauguration  dans  VUniversitij 

(1)  The  Commemoraiion  of  Roger  Bacon  at  Oxford.  N.CTURE.June  18, 
l‘)U,  p.  -i05. 


22S 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Mifsevm  de  la  statue  de  l’illustre  moine  et  la  célébration  d’une 
cérémonie  que  l’on  appela  son  « septième  centenaire  ». 

De  nombreux  représentants  de  différentes  nations  s’y  trou- 
vèrent réunis  i)our  rendre  hommage  au  grand  travailleur, 
à l’écrivain  fécond,  au  vaillant  promoteur  de  la  science  expé- 
rimentale dont  :M.  Dubem  inscrivait,  au  frontispice  de  son 
ouvrage  sur  Lo  système  du  monde,  cette  judicieuse  sentence  : 
nunqnam  rn  atiqun  relate  inventa  fait  aliqua  scientia,sed  a prin- 
cipio  Mxmdi  paulatim  crevit  sapientia,  et  adlnic  non  est  com- 
pléta in  hac  vita  (J). 

On  n’a  conservé,  semble-t-il,  aucun  trait  caractéristique  de  la 
physionomie  physique  de  Bacon;  dans  la  statue  inaugurée  le 
10  juin,  écrit  la  Nature,  l’artiste,  M.  Ilope  Pinker,  s’est  efforcé 
de  traduire,  dans  les  traits  du  visage,  une  expression  de  vivacité, 
de  tinesse,  de  combativité,  qualités  qu’il  serait  difficile  de  dénier 
au  héros, de  la  fête.  Un  sourire  discret  anime  la  figure  et  pro- 
voque l’impression  d’une  bonhomie  un  peu  dédaigneuse  : elle 
sied  à l’homme  qui  prétendait  enseigner  le  grec  à n’importe  qui, 
en  trois  jours,  et  qui  volontiers®  eût  jeté  au  feu  toutes  les  traduc- 
tions d’.\ristote  » très  médiocres  d’ailleurs  et  fort  incomplètes 
à cette  époque  ; « Si  enim  haberem  potestatem  super  libros 
Aristotelis,  ego  facerem  omnes  cremari  ».  Ce  n’est  pas  au  philo- 
sophe qu’il  en  veut  ; si,  ne  l’ayant  pas  toujours  compris,  il  s’en 
est  écarté  jiarfois  en  des  points  essentiels,  il  n’a  cessé  de  lui 
vouer  grande  estime  et  d’invoquer  son  autorité.  C’est  le  latin 
dont  on  l’a  affublé  qui  l’horripile. 

Dans  le  discours  qui  précéda  l’inauguration  de  la  statue. 
Sir  Archihald  Ceikie,  P.  B.  S.  célébra  en  Boger  Bacon  le  pionnier 
de  la  méthode  .scientifique  expérimentale.  Abandonnant,  dit-il, 
les  subtilités  dialectiques  de  l’Ecole  de  son  temps,  il  s’efforça  de 
concentrer  toute  son  attention  sur  les  choses  plutôt  que  sur  les 
mots.  11  ouvrit  la  voie  à cette  conception  nouvelle  de  la  science 
qui  en  fait  l’étude  inductive  de  la  Nature  basée  sur  l’expérience 
et  contrôlée  pai'  elle.  — 11  serait,  sans  dotite,  plus  exact  de  dire 
que  les  abords  de  cette  voie  étaient  ouverts  et  fréquentés;  et 
que  le  très  réel  mérite  de  Bacon  fut  d’y  entrer  avec  une  belle 
ardeur,  qui  eût  pu  être  moins  belliqueuse.  Mais  un  discoui-s 
académicpic  n’a  pas  toujours  toute  la  rigueui’  d’une  page 
d’histoire. 


(1)  CompemUiaii  stndii,  cap.  V. 


VARIÉTÉS 


220 

(le  ([iii  en  est  le  contre-pied,  ce  sont  ces  déclamations  creuses 
d’écrivains  en  mal  de  copie,  qui  nous  montrent  Roger  Bacon 
proclamant,  en  vain  et  à ses  dépens,  les  droits  et  les  vrais  prin- 
cipes de  la  Science,  dans  le  désert  de  l’ignorance  générale. 

Bacon  a disserté  sur  les  sources  de  l’ignorance  de  ses  contem- 
porains : ils  s’appuient,  dit-il,  sur  des  autorités  insullisanles  ; ils 
cèdent  à la  routine  ; ils  se  contient  à l’opinion  aveugle  des 
masses;  ils  prétendent  savoir  quand  ils  ignorent.  — Ces  sources 
d’erreur  ont  coulé  dans  tous  les  temps  ; ceux-là  dont  nous  parlons 
s’y  abreuvent  aujourd’hui.  Elles  n’ont  pas  empêché  le  xiiC  siècle 
d’être  l’un  des  plus  glorieux,  des  plus  intellectuellement  actifs, 
des  plus  féconds  en  grands  hommes.  C’est  assez,  pour  la  gloire 
de  Bacon,  de  prendre  rang  parmi  eux,  bien  qu’il  les  ait  traités 
trop  souvent  en  parents  pauvres. 

L’importance  qu'il  attachait  aux  études  positives,  son  culte 
pour  la  science,  la  direction  expérimentale  qu’il  préconisa  en 
philosophie,  son  zèle  pour  l’observation,  son  érudition,  que  sa 
connaissance  des  langues  lui  permit  d’étendre  aux  auteurs 
grecs  et  arabes,  en  ont  fait  run  de  ces  savants  que  les  recherches 
historiques  de  M.  Duhem  nous  ont  révélés,  au  xiii®  et  au 
xiv“  siècle,  comme  les  précurseurs  de  la  science  moderne  : il  se 
trouve  là  en  excellente  compagnie  (J). 

Ses  contemporains  lui  furent-ils  véritablement  hostiles?  — 
Nous  n’avons  d’autres  raisons  de  le  penser  que  ce  qu’en  dit 
Bacon  lui-même  dans  des  passages  de  ces  écrits  où  il  juge  de 
très  haut  les  institutions  et  les  hommes  de  son  temps,  et  que 
gâtent  manifestement  ses  intempérances  de  langage.  B est  très 
possible  qu’il  n’ait  pas  compté  beaucoup  d’amis  ; mais  faut-il  en 
incriminer  ses  travaux  .‘Scientifiques?  11  est  certain  qu’ils  lui 


(1)  Pans  Vüpus  tertiniii,  Bacon  nous  donne  un  aperçu  de  ce  que  lui  ont 
coûté,  depuis  :20  ans,  ses  études  expérimentales  et  ses  observations, 
« in  studio  sapientiae  « : citons  ceci  : « ...  Oportuit  plus  quam  sexaginta  libras 
l'arisienses  effundi  pro  hoc  negotio  » Cap.  lit  ; « plus  quam  duo  milia 
iibrarum  ego  posui  in  his  »,  et  il  spécifie  : « propter  libros  secretos  et  expe- 
rientias  varias  et  linguas  et  instrumenta  et  tabulas,  et  alia,  tum  ad  inquiren- 
dum  amicitias  sapientum,  tum  propter  instruendos  adjulores  in  linguis,  in 
liguris,  in  numeris,  et  tabulis  et  instrumeptis  et  multis  aliis.  » Cap.  XVII. 
Bacon  écrivait  cela  en  l“267,  alors  que,  au  dire  des  écrivains  dont  nous 
parlons,  il  venait  d’être  soustrait,  par  Clément  IV,  aux  persécutions  de 
ses  supérieurs  qui,  depuis  10  ans,  l’empêchaient  d’écrire,  d’enseigner, 
d'entretenir  des  relations  au  dehors.  Pour  un  moine  mendiant  et  reclus,  le 
budget  était  de  taille  et  les  occupations  nombreuses. 


230 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


valurent  au  moins  l’amitié  et  la  protection  de  Clément  lY:  nous 
en  parlerons  plus  loin. 

■Mais  que  dire  de  ses  supérieurs?  N’est-il  pas  établi  par  le 
témoignage  même  de  Bacon  qu’ils  furent  imlms  <à  son  égard  des 
préjugés  les  plus  malveillants  qui  lui  ont  valu,  de  leur  part, 
d’iniques  persécutions? 

11  est  certain  qn’.à  deux  éjioiiues  de  sa  vie,  vers  et  en  J:278, 
Bacon  eut,  avec  ses  supérieurs,  de  graves  conllits.  11  rappelle 
le  premier,  et  avec  amertume,  dans  VOpns  terliiim,  mais 
il  ne  nous  dit  rien  de  précis  sui-  les  causes  de  ces  conllits.  La 
Constitulio  gravis  dont  il  parle  au  cbapitre  11  de  VOpus  levtium 
était  une  défense  portée  par  un  chapitre  général  de  son  ordre  et 
à un  fin  générale,  visant  en  gros  a les  écrits  sur  la  physique  ou 
les  sciences  naturelles  et,  en  particulier,  les  écrits  sur  la  magie, 
l’astrologie  judiciaire,  l’alchimie,  siqierslitions  ou  erreurs  gros- 
sières qui  étaient  alors  trop  en  faveur.  Il  était  donc  interdit  de 
communiquer,  en  dehors  de  l’ordre,  les  livres  traitant  de  ces 
matières  et  dus  à des  plumes  franciscaines,  et  la  peine  qui  devait 
Irapper  la  désobéissance  était  la  confiscation  de  l’écrit  et  le 
jeûne  au  pain  et  <à  l’eau  pendant  plusieurs  jours  ( j)  ». 

Bacon  aurait  donc  enfreint  deux  fois  cette  Constitution.  Mais 
rien  ne  prouve  ([ue  Vhomine  de  science  fût  ici  en  cause;  au 
moins,  en  H78,  c’est  Vastrologiie  convaincu  et  impétueux 
qu’était  Bacon  que  la  vraisemblance  accuse. 

Si  le  Speciduin  astronoinia\  longtemps  attribué  à Albert  le 
grand,  est  bien  de  Bacon,  c’est  dans  ce  pamphlet,  écrit  pour  la 
défense  de  l’astrologie  et  opposé  à la  condamnation  portée  par 
l’évêque  de  Paris,  Etienne  Tempier,  en  collaboration  avec  divers 
membres  de  la  Faculté  de  Théologie,  le  7 mars  Mil,  qu’il  faut 
chercher  la  cause  du  contlit  (:2). 

Encore  la  Consliluiio  gravis  lui  fut-elle,  les  deux  fois,  rigou- 
reusement appIiquée?Bien  plus,  Bacon  n’eut-il  pas, par  deux  fois, 
et  pendant  dix  ans  et  douze  ans,  à subir  l’emprisonnement,  l’in- 
terdiction d’écrire,  d’enseigner,  de  communiquer  avec  ses 
amis? 

On  l’a  dit  et  très  souvent  répété.  M.  P.  Feret  (3)  a étudié  cette 


(1)  P.  Ferel.  Les  enipi  isoiniemeiits  de  Roqer  Bacon  ; dans  la  Revce  iies 
Questions  iustoiuuues,  26“  année,  nouvelle  série,  t.  VI,  t.  L de  la  collection, 
pp.  121-P25. 

(“2)  Le  P.  Mandonnel, /to.i/cr  Bacon  et  le  Spéculum  Astronomiir 
dans  la  Revue  Néo-Scol.vstique,  dix-septième  année,  1910,  pp.  312-395. 

(3)  Art.  cité  de  la  Revue  iies  Questions  iustoiuques,  t.  I,  de  la  collection, 
pp.  119-li“2, 


VARIÉTÉS 


23i 


(}uestion  des  emprisonnements  de  Bacon,  de  leur  durée  et  de 
leur  rigueur,  du  poitit  de  vue  strictement  histori(iue,  avec  une 
loyauté,  une  érudition  et  une  compétence  qui  dispensent  d’y 
i-evenir;  voici  sa  conclusion  : « Chateaubiâand  a parlé  quelque 
part  de  « vieux  mensonges  historiques  qui  deviennent  des 
vérités  ci  force  d’être  redits  (1)  ».  Les  fameux  emprisonnements 
de  Roger  Bacon  nous  paraissent  rentrer,  l’un  complètement, 
l’autre  en  très  grande  partie,  dans  cette  catégorie  de  mensonges 
historiques.  Mais  il  appartient  à l’étude  sincère  des  faits  et  des 
documents  de  les  contraindre  <à  cesser  d’ètre  des  vérités  ». 

Et  c’est  ainsi  que  Bacon  est  devenu  « un  martyr  de  la  science  »; 
c’est  à cela  qu’il  doit  pas  mal  d’articles  pas.sionnés,  dont  les 
auteurs  ne  se  soucieraient  ni  de  sa  personne,  ni  de  ses  travaux, 
s’ils  ne  trouvaient  Là  l’occasion  d’alimenter  leurs  polémiques. 

Ap  rès  le  discours  de  sir  .Vrchibald  Geikie,  Lord  Curzon,  en  sa 
qualité  de  Chancelier,  reçut  la  statue  au  nom  de  l’Lniversité 
(l’Oxford.  Son  discours  met  en  un  relief  un  peu  poussé,  les  traits 
caractéristiques  du  génie  de  son  héros.  11  énuméré  les  diverses 
branches  du  savoir  étudiées  par  Bacon,  énumération  (lui 
embrasse  non  seulement  tout  ce  que  nous  entendons  aujourd’hui 
par  sciences  physiques  et  beaucoup  d’autres,  mais  aussi  la  philo- 
sophie morale,  r(iconomie  politique,  etc.  Le  Chancelier  lit  voir 
([ue  Bacon  ne  les  avait  pas  parcourues  en  simple  dilettante,  en 
guise  de  passe-temps  aux  jours  de  fête;  mais  qu’elles  furent  de  sa 
part  l’objet  d’une  étude  approfondie.  C’est  avec  un  accent 
d’ardente  conviction,  dit-il,  qu’il  mit  en  lumière  les  liens 
essentiels  de  dépendance  qui  les  unissent  entre  elles. 

Après  la  cérémonie  de  l’inauguration  de  la  statue,  l’orateur 
public  de  rEniversité,  .M.  A.  B.  Godley,  de  Magdalen  College, 
lut  une  adresse  où,  en  d’élégantes  périodes  latines,  il  rendit 
bommage  à l’activité  intrépide  (fue  mit  Bacon  à accomplir  son 
(fiuvre.  Se  tournant  vers  la  statue  : Soyez  le  bienvenu.  Frère 
Bacon,  à votre  retour  à Oxford,  dit-il,  vous  voyez  ici  le  fruit  de 
vos  labeurs. Votre  edigie  avait  sa  place  marquée  dans  ce  sanctuaire 
de  la  science  où  se  trouve  réalisé  aujourd’hui  l’objet  de  vos 
aspirations.  One  votre  esprit  demeure  en  nous  toujours  et  par- 
tout ; ([u’il  garde  nos  intelligences  de  l’erreur,  qu’il  nous  fortifie 
et  nous  confirme  dans  la  poursuite  de  la  vérité. 

La  cérémonie  s’acheva  par  la  lecture  de  deux  adresses,  l’une 


(1  ) Etude  lüst. 


232 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(lu  Prolesseur  James  \Vard,au  nom  de  TlTiiversité de  Cambridge, 
J’aiiiredn  U.  P.  Pavid  Fleming,  représentant  le  Ministre-Général 
de  rOi'dre  des  Franciscains. 

An  lunch  (jui  fui  donné  par  .Merton  College,  sous  la  présidence 
du  Warden,  le  bibliothécaire  de  la  Hodléienne  rappela  les 
encouragemenis  (jue  Iloger  Ilacon  reçut  du  Pape  Clément  IV. 

C’est  peul-ètre,  pendant  (|u’il  était  légat  du  Saint-Siège,  en 
Angleterre,  de  Htir’)  à l:2()5,  ipie  le  tiardinal  Guy  de  Foulques, 
d’origine  Irançai.se  et  grand  ami  des  sciences,  connut  Hacon, 
apprécia  ses  travaux  et  s’intéressa  aux  réformes  qu’il  préconisait 
dans  les,  études  ecclésiastiques,  l’enseignement  de  l’écriture 
sainte  et  la  prédication. 

Devenu  pape  sous  le  nom  de  Clément  IV,  en  Hüo,  l’ancien 
légat  lit  remettre  à son  protégé  une  lettre  datée  du  juin  J266, 
dans  laquelle  se  lisent  ces  lignes  : « Nous  vous  mandons  et 
enjoignons  — telle  est  notre  volonté  — par  rescrit  apostolique, 
de  nous  adresser  le  plus  tôt  possible,  nonobstant  toute  défense 
de  n’importe  quel  prélat  et  toute  Constitution  de  votre  ordre, 
l’ouvrage  que,  établi  dans  un  moindre  office,  nous  vous  avions 
])rié  de  remettre  à notre  cher  tils  Uaymond  de  Laon.  Vous 
n’oublierez  pas  de  nous  indiquer  par  une  missive  les  moyens  à 
employer  pour  remédier  à cette  triste  situation  que  vous  nous 
Rvez  fait  connai Ire,  et  cela  sans  relaial  et  en  tenant  la  chose  au.ssi 
secrète  tpie  vous  i)Ourrez  ». 

liacon  s’était  donc  l'ecommandé  à la  bienveillance  du  pape. 
Cette  lettre  si  amicale  et  si  pressante  lui  donna  de  nouvelles 
ardeurs  au  travail. 

Pour  y satisfaire,  il  éci'ivit  VOpiis  majus,  son  (Uiivre  princi- 
pale, (lui  fut  portée  au  Saint  Père  par  Jean  de  Paris  ou  Jean  de 
Londres,  le  disciple  préféré  de  l’auteur.  Bientôt  après,  craignant 
(pie  les  graves  occupations  du  f*onlife  ne  lui  laissent  pas  le 
temps  de  lire  un  aussi  fort  volume,  il  lui  en  adresse  une  sorte 
de  résumé,  VOpiis  iiiiuiis  et,  la  même  année,  VOptis  (eiiium  qui 
devait  être,  pour  les  deux  ouvrages  précédents,  ce  que  le  second 
avait  été  pour  le  premier,  à la  fois  un  résumé  et  un  complément. 
C’est  dans  VOpu.s  tertium  qu’il  faut  chercher  les  plus  précieux 
renseignements  sur  la  biographie  de  Bacon. 

Clément  IV  mourut  le  ^9  novembre  Trois  années  .seule- 
ment d’un  tTgne  très  encombré  d’affaires  politi(iues  ne  lui  ont 
jias  permis  de  tirer  parti  des  idées  de  Bacon  sur  la  réforme  des 


VARIÉTÉS 


233 


études  ecdésiasliqiies  ; mais  il  n’est  pas  interdil  de  penser  qu'on 
s’en  soit  inspiré  plus  tard  (J  ). 

Après  le  discoui's  de  .M.  F.  Madan,  le  hihliolhécaire  de  la  Bod- 
léienne,  M.  G.  Picavet  prit  la  parole  au  nom  de  l’Fniversité 
de  Paris;  et  le  Chancelier  de  l’Université  salua  les  délégués 
étrangers.  Ce  fut  M"*'  Ratti,  délégué  de  la  bibliothèque  du  Vati- 
can, qui  répondit  le  premier.  Pans  son  discours,  qu’il  lit  en  latin, 
il  annonça  la  découverte  récente  d’un  nouveau  manuscrit  de 
Bacon. 

Le  Comte  d’Haussonville  et  M.  Henneguy,  mendares  et  repré- 
sentants de  l’Institut  et  du  Collège  de  Fi-ance,  le  B.  P.  David  Fle- 
ming, au  nom  de  l’Ordre  Franciscain,  et  le  Professeur  .lames 
Ward  pour  l’Université  de  Cambridge,  parlèrent  ensuite.  Enfin, 
Sir  Osler  remercia,  au  nom  des  invités,  le  Warden  et  les  Fello^vs 
de  Merton  College. 

Parmi  les  visiteurs,  les  uns  assistèrent  aux  Romanes  lectures 
sur  la  théorie  atomique,  données  par  Sir  .1.  .1.  Thompson  ; 
d’autres  se  rendirent  cà  la  Bodléienne  où  le  bibliothécaire  avait 
exposé  les  ouvrages  imprimés  ou  manuscrits  de  Bacon  ; ceux-ci 
comprenaient  le  manuscrit  de  YOpus  majus,  de  Opus  tertium 
des  fragments  de  YOpus  minus,  ainsi  que  d’autres  pièces  fort 
intéres.santes,  entre  autres  le  curieux  traité  De  retardandis 
senectutis  accidentibus. 

La  fête  prit  fin  par  une  garden-partij,  dans  les  jardins  du 
Wadham  College. 

La  Clarendon  Press  a publié  le  memorial  de  ce  septième  cen- 
tenaire. Parmi  les  études  qu’il  contient,  nous  signalons  celle, 
sur  la  Yulgate  latine,  due  à S.  É.  le  Cardinal  Casquet. 

Vous  souhaitons  que  ces  fêtes  d’Oxford  stimulent  les  cher- 
cheurs à compléter,  par  de  nouvelles  trouvailles,  ce  que  nous 
possédons  déjà  des  œuvres  de  Bacon,  à en  tirer  parti  pour  l’his- 
toire des  sciences  au  xiiC  siècle,  et  à éclaircir  les  points  encore 
obscurs  de  sa  vie  tourmentée.  Puissent-elles  se  couronner, 
comme  on  nous  le  fait  espérer,  par  une  édition  des  Opéra 
omnia  digne  de  leur  auteur. 

(t)  Voir  CrtI/îo//c  Encyclopiedia,  New-York,  t.  XttI,  article  Roger  Bacon 
<P.  Wilzel). 


REVUE  DES  QUESTIONS  S JIENTIFIQUES 


234 


II 

.Nous  lie  pailei'ons  pas  de  la  philusopltle  de  Uoi>er  Bacon; 
nous  renvoyons  le  leclenr  à nn  mai  Ire,  M.  M.  Me  WnlT,  dans  son 
Histoire  de  la  philosophie  )iiédiëi'ule  (J). 

Le  grand  pnhlic  ne  connail  guère  Boger  Bacon  ipie  pour 
avoir  vu  son  nom  accolé  à qnelqnes  déconvei  les  relenlissanles. 
Les  pages  qui  vont  snivi'e  n’ont  d’anlie  Inil  ipie  de  rappeler  ces 
rapprochements  et  la  valeur  ipie  leur  allrilnieni  ceux  qui  les  ont 
jiesés. 

Le  nom  dn  moine  anglais  est  souvent  mis  en  parallèle  avec 
celui  dn  moine  allemand,  Berlliold  Schwartz,  quand  on  parle 
de  rinvention  de  la  pondre  à canon. 

Il  serait  vraisemhlahlement  oiseux  de  rechercher  le  nom  du 
personnage  (pii  aurait  réalisé  le  premier,  d'un  seul  coup  et  de 
toutes  pièces,  cette  découverte.  Llle  est  l'oMivre  collective  de 
nombreux  chercheurs  de  compositions  incendiaires,  et  le  résultat 
de  multi[)les  tâtonnements.  Ce  ([ui  est  intéressant,  et  ce  (jui  l'nl 
parfois  mis  en  (|ueslion,  c’est  de  savoir  si  Boger  Bacon  a connu 
la  composition  de  la  poudre  à canon. 

On  n’a  pas  fixé  avec  ceiiitiide  l'époipie  à hnpielle  vivait 
Schwartz.  L’année  1354  est  souvent  donnée  comme  date  de  son 
invention  ; mais  il  parait  certain  ipie  l’-Viiglelerre  fabriquait  la 
pondre  dès  J344,  et  (pi’oii  usait  du  canon  en  Kranciè,  en 
J33S,  à Llorence  en  J3:ri(),  etc.;  on  parle  d'un  manuscrit  de 
J33.5,  Deof/iciis  renain,  où  l’on  [lourrait  voir  la  représentation 
d’un  canon.  On  avait  donc',  avant  JBôi,  non  seulement  inventii 
la  jioudre,  mais  reconnu  sa  force  d’ex[)ansion  et  le  moyen 
de  l’utiliser  pour  lancer  un  projectile.  L’est  de  cette  dernière 
invention  (jne  certains  érudits  ont  fait  honneur  à Schwartz. 
11  est  vraisemhlahie,  en  effet,  (pie  ces  deux  découvertes,  celle  de 
la  [loudre  et  celle  du  canon,  soient  distinctes  et  même  très  di.s- 
tantes  rime  de  l’antre;  il  conviendrait  en  tous  cas  de  reculer  la 
date  de  Jdô'p  attribuée  à rinvention  quelle  ([u’elle  soit,  du 
moine  allemand. 

Lue  chose  est  certaine,  c’est  que  celte  invention  de 
Schwartz  n’est  pas  celle  de  la  poudre.  Lue  communication  de 


(I)  Volume  VI  du  Coio'S  de  philosophie  puljlié  ]iar  flustitut  jiliilosopluquft 
(le  rUniversiti!  de  Louvain,  quatrièmie  édition,  1013,  ji)>.  i87-l9(i. 


VARIETES 


23: 


M.  Dahem  à l’Aradémie  des  Sciences  (J  ),  a Iranclié  la  qiieslion  ; 
un  siècle  avani,  lîerthold  Schwartz,  Roger  Racon  connaissail  la 
composition  de  la  poudre  à canon. 

On  nous  permettra  de  reproduire  ici  cette  communication  dr 
M.  Duhem  ; elle  encouragera  les  chercheurs,  auxquels  les  écrits 
de  Racon  réservent  sans  doute  plus  d’une  trouvaille  intéressante. 

« Le  beau  manuscrit  conservé  à la  Rihliothèque  Nationale 
sous  le  iR  Rl:^i6  (tonds  latin)  provient  de  la  hihliothéque  de. 
Louis  XIV.  11  contient  line  série  de  pièces  sur  diverses  Sciences, 
toutes  copiées  à Xaples,  en  la  seconde  moitié  du  xv"  siècle,  par 
.\rnautl  de  Rruxelles. 

» L’une  de  ces  pièces  a été  transcrite  par  le  copiste,  comme  il 
nous  l’apprend  lui-même,  d’après  un  manuscrit  en  mauvais  état 
et  dont  la  lin  manquait.  Terminée  le  li  décembre  147(),  cette 
copie  s’étend  du  loi.  J86  recto  au  loi.  recto;  elle  occupe 
donc  81  grandes  pages. 

» L’Ouvrage  qu’elle  reproduit  porte  le  titre  -.Liber  iertiiis 
Alpetragii.  In  qno  tractat  de  per.spectiva.  De  comparatione 
scienliae  ad  sapientiani.  De  niotibns  corporum  cælestiinn  seciin- 
duni  ptolemeum.  De  opinione  Alpetragii  cnnlra  opinionem 
ptoleniei  et  aliorum.  De  scientia  experimentnrum  natvralium. 
De  scienlia  morali.  De  arlicutis  Jidei.  De  All;hnia. 

» Ce  titre,  qui  est  en  même  temps  un  sommaire,  est  fort 
exact,  saut  en  ce  qui  concerne  le  nom  de  l’auteur.  L’écrit  en 
question  n’est  nullement  de  l’astronome  arabe  Al  Ritrogi 
(.Alpetragiiis);  une  bonne  partie  de  cet  écrit  est  consaci’ée  à une 
comparaison  entre  le  système  astronomique  d’Al  Ritrogi  et  le 
système  de  Rtolémée.  Une  lecture,  même  superficielle,  de  l’Ou- 
vrage révèle  aussitôt  qu’il  est  de  Roger  Bacon;  les  indicationsque 
l’auteur  donne  lui-mème,  .à  maintes  repidses,  nous  apprennent 
en  outre  qu’il  est  un  fragment  de  VOpus  tertium. 

» Ce  fragment  n’a  aucune  partie  commune  avec  le  fragment 
considérable  de  VOpus  tertium  que  l.-S.  Rrevver  a publié  à 
Londres,  en  1859,  dans  le  volume  intitulé  : Fr.  Dogerii  Bacou 
Opéra  quaedam  hactemis  inedita.  Rans  l’ouvrage  complet,  il 
prenait  place,  médiatement  ou  immédiatement,  après  le  frag- 
ment publié  par  Brewer,  auquel  il  renvoie  à plusieurs 
reprises...  » 

En  attendant  qu’il  puisse  publier  le  Liber  tertius  Alpetragii, 
avec  les  données  que  l’on  peut  tirer  de  ce  document  pour 


(1)  Co.MPTES  RENDUS,  lome  ('.M.,  190S,  spance  du  27  janvier,  p.  15(). 


23G 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Thistoire  des  Sciences  au  xiiU  siècle,  M.  Duliem  lui  emprunte 
ce  renseignement  : 

« La  pièce  nouvelle  fixe  la  réponse  à une  question  souvent 
débattue  : Bacon  connaissait-il  la  composition  de  la  poudre  à 
canon?  Dans  VOpns  niajus,  il  parlait  d’une  poudre  explosive 
(jui  se  formait  au  moyen  du  salpêtre.  Dans  \e  De  mirabiU  potes- 
tnte  arlis  et  nnhirae,  publié  en  154:2,  <à  Paris,  par  Oronce  Binée, 
parmi  d’autres  énigmes  alchimiques,  il  enseigne  en  ces  termes 
(fol.  52)  un  moyen  d’imiter  le  tonnerre  et  les  éclairs  : « Salis 
petrae  lurn  vo  po  vir  can  ntri  et  sulpburis  »,  ce  qui  veut  dire, 
paraît-il,  salispetrœ  carùomtm  pulvere  et  snlplnivis  (1)  ; mais 
le  livre  édité  par  Oronce  Finée  n’est  qu’une  reproduction  très 
fautive  de  la  lettre  : De  secretis  openhus  artis  et  naturae  et 
de  nnUitate  marjiae,  dont  Brewer  a publié  le  texte  dans  l’Ou- 
vrage déjà  mentionné  ; or  ce  texte  correct  pai’le  bien  (p.  536)  de 
la  poudre  explosive,  mais  n’indique  nullement,  même  sous 
forme  d’énigme,  ([uelle  en  est  la  composition  ; il  est  donc  permis 
de  suspecter  l’authenticité  de  la  formule  donnée  en  De  mirabüi 
polestdte. 

» Au  contraire,  le  texte  que  nous  avons  étudié  ne  nous  permet 
plus  de  douter  ([ue  Bacon  n’ait  connu  la  poudre  à canon.  Au 
recto  du  folio  213,  sous  ce  titre  : De  la  poudre  des  Lombards,  il 
reproduit  ce  qu’il  a dit  dans  VOpus  majus  des  propriétés  explo- 
sives de  cette  poudre  ; mais  il  nous  apprend  en  outre  qu’elle  est 
connue  dans  les  diverses  parties  du  monde,  et  qu’elle  se  com- 
pose de  salpêtre,  de  soufre  et  de  charbon  de  saule  : « exemplum 
» est  puerüe  de  sono  et  igné  qui  fiunt  in  niundi  partibus  diversis 
» per  piUverem  salis  petra\  et  sulpbtiris,  et  carbonum  salicis  ». 

» Le  rapprochement  des  termes  dont  Bacon  se  sert  pour 
décrire  les  elïéts  de  la  poudre  explosive  en  la  lettre  De  secrelis 
operibus  naturœ,  en  VOpus  majus  et  en  VOpus  tertium  montre 
([ii’il  s’agit  bien,  dans  ces  trois  écrits,  de  la  meme  poudre.  Or  la 


(t)  « Émile  Charles,  RofU'r  Bacon,  sa  vie,  ses  ouvrages,  ses  doctrines,  1861, 
1>.  :299.  » — Dans  le  De  secretis  operibus  artis  et  naturae,  imprimé  à Ham- 
bourg en  1618,  on  lit  (chap.  11)  : «Item  ponderis  totum  30  sed  tamen  salis 
petrae  luru  vopo  vir  can  ntri  et  sulphuris  ; et  sic  faciès  tonitruum  et  corus- 
cationem,  si  scias  artificiiim.  Videas  tamen  utrum  loquar  aenigmate  aut 
secundum  veritatem.  » Quelques  auteurs  ont  voulu  lire  ; luru  mope  can  ubre, 
anagramme  de  pulvere  carbonum.  tl.  XV.  L.  Hime,  Gunpoicder  and  Ammu- 
nition,  190i,  intei'prète  ainsi  l’énigme  : « Salis  petrae  r(ecipe)  Vit  part(es), 
V iiov(ellae)  corul(i)  V et  sulphuris  » : prends  sept  parties  de  salpêtre,  cinq 
de  jeune  coudrier,  et  V de  soufre.  The  Encgclojniedia  Britanica,  eleventh 
édition,  au  mot  Gunpoicder. 


VARIÉTÉS 


237 


lettre  De  secrelis  operibns  natiirœ  parait  avoir  été  écrite  à (liiil- 
laume  d’Auvergne,  évêque  de  Paris,  qui  mourut  en  12i8  ou  en 
i249.  Il  semble  donc  que  les  propriétés  explosives  de  la  poudre 
noire  fussent  connues,  en  France  et  en  Angleterre,  avant  le 
milieu  du  xiiP  siècle;  en  tous  cas,  en  VOpKS  tertium  en 

faisait  connaiire  la  composition  ». 

Remarquons  que  rien  ne  dit  que  Bacon  ait  connu  aussi  la 
puissance  projective  de  la  poudre,  bridant  en  vase  clos,  et  qu’il 
ait  songé  h en  tirer  parti  ; nulle  part  en  effet,  dans  ces  écrits, 
il  n’y  est  faif  allusion,  et  c’est,  nous  l’avons  dit,  beaucoup  plus 
tard  que  l’on  voit  apparaître  les  premiei’s  canons.  Bacon  et  ses 
contemporains  n’ont  vu,  sans  doute,  dans  ce  mélange  explo- 
sive, qu’une  nouvelle  composition  incendiaire  propre  à effrayer 
bêtes  et  gens. 

Fne  autre  invention,  que  l’on  a attribuée  parfois  à Roger 
Bacon,  est  celle  du  microscope  et  de  la  lunette.  Il  faut,  semble- 
t-il,  chercber  l’origine  de  cette  légende  dans  la  Dioplrica  nova 
de  Molineux  J()92,  et  il  y a beau  temps  que  Itobert  Smith  en  a 
fait  justice  (1). 

Les  passages  des  œuvres  de  Bacon  sur  lesquels  Molineux  base 
son  opinion  se  lisent  dans  VOpus  rnajus,  Londres,  1733,  page 
352  et  page  357.  Ils  sont  cités  par  Smith  qui  les  discute  ; nous 
nous  bornerons  à transcrire  sa  conclusion  : 

« Cet  auteur  (bacon)  ne  parle  que  par  hypothèse  et  se  boine 
à dire  qu'on  pourrait  figurer  les  verres  et  grossir  les  objets  de 
telle  ou  telle  manière  ; sans  assurer  jamais  qu’il  en  ait  fait  une 
seule  expérience  sur  le  Soleil,  la  Lune  (ou  toute  autre  chose) 
quoiqu’il  fasse  mention  expresse  de  ces  deux  astres.  D’un  autre 
côté,  il  attribue  aux  télescopes  des  effets  dont  ils  sont  inca- 
pables. 

» Si  l’on  me  demande  comment  est-ce  qu’il  a pu  parvenir  à 
toutes  ces  notions?  .le  réponds  que  c’est  par  la  théorie  com- 
mune de  la  réfraction  et  de  la  rétlexion,  surtout  sur  le  miroir 
concave  dont  il  connaissait  bien  les  effets,  tant  par  les  relations 
des  anciens  que  par  sa  propre  expérience.  Ce  qui  sullit  à un 
homme  de  bon  sens  pour  avancer  tout  ce  qu’il  a dit  ». 


(1)  Cours  complet  d'optique,  traduclion  française  par  !..  P.  P(ezenas), 
professeur  royat  d’Hydrographie,  à Atarseitle,  17()7,  tonie  I,  p.  .5(i  tmicro- 
scope)  et  p.  76  (télescope). 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


•J:J8 


11  l'aiil  en  dire  autaiil,  ou  heaucoiip  moins,  d’aulres  invcnlions 
atlrilniées  à llacon  (1). 

Mais  le  mérite  scienlili(iue  de  ces  anticipations  de  l’esprit,  de 
ces  rêves  de  savants,  n’est  pas  nécessairement  nul  : ils  ont  pu, 
en  se  transmettant,  retenir  l’attention,  provoipier  des  essais, 
des  tâtonnements  qui  ont  abouti  à la  découverte  qu’ils  conte- 
naient en  g-erme. 

C’est  ainsi  (jiie  lloger  bacon  a exercé  indirectement  une 
intluence  sur  la  vision  qui  hantait  l’esprit  de  Christophe  Colomb 
et  lui  lit  tenter  la  traversée  de  l’Atlantique.  Ceux  qui  ont  parlé 
avec  éloge  des  écrits  géographiques  du  moine  li’anciscain  en  ont 
plusieurs  lois  l'ait  la  remarque  ; nous  empruntons  ce  qui  va 
suivre  à un  article  de  M.  Duhem  (:2). 

« Ptolémée  pensait  que  la  Terre,  dont  les  Iles  Fortunées  mar- 
quaient l’extrémité  occidentale,  s’étendait,  vers  l’Orient,  jusqu’à 
JSO'  de  ces  lies  ; l’Océan  occupait  les  J80"  qui  restaient.  Un  na- 
vigateur partant  des  Iles  Fortunées  et  cinglant  vers  l’Ouest, 
aurait  dû  parcourii’  la  moitié  du  tour  du  monde  avant  de  ren- 
contrer une  côte. 

» Les  géogra[)hes  arabes  et,  après  eux,  les  géogi'aphes  chré- 
tiens du  .Moyen-.Vge,  partageaient,  en  général,  l’opinion  de 
l’tolémée...  Cependant  bien  des  hommes  se  sentaient  attii’és  vers 
l’auti'e  rive  de  cet  Océan  ampiel  venait  se  terminer  l’Europe. 
Peut-être  celte  rive  était-elle  moins  éloignée  que  Ptolémée  ne 
l’avait  allirmé.  On  se  souvenait  que  Martin  de  Tyr,  avant  lui, 
étendait  bien  davantage  notre  continent;  ([u’il  lui  faisait  couvrir 
non  pas  JcStP,  mais  :2:25'’  de  ré(juateur.  On  parlait  d’iles,  situées 
en  plein  Océan,  que  certains  navigateurs  avaient  parfois 
atteintes  (8)... 

» Au  xui  siècle,  Albert  le  Crand  acceptait  comme  certain 
l’enseignement  de  Ptolémée  et  voulait  que  les  longitudes 
extrêmes  de  la  terre  ferme  dilférassent  exactement  de  J80-  (T). 

(1)  On  a tout  vil  dans  ses  écrits  : la  niacliine  inieumatiiiiie,  le  sous-marin, 
le  char  et  le  liateaii  à vaiieur,  l’aéroplane  et...  la  radioactivité  ; on  y trouvera 
sans  doute  demain  les  trois  lettres  magiques  T.  S.  F.  On  comprend  après 
cela  qu’on  ait  jm  dire  « qu'il  était  en  avance,  sur  ses  contemporains,  de  trois 
et  même  de  si.\  siècles  ». 

r2)  Ce  ([ue  l’on  disait  des  Indes  occidentales  avant  Christophe  Colomb, 
^lans  la  IIevuiî  gé.xéu.vle  des  Seienxes,  t.  Xl.\,  1908,  p.  402. 

(3)  « lieati  .\nselmi  Liber  de  Iina(/ine  mundi,  1.  Il,  Cap.  XX  : tte  insulis.» 

(4)  « lîeati  .Xlberti  .Magni  Liber  de  natura  loci  ex  lonçiilndine  et  laiitudine 
proveniente,  tract.  1,  Cap.  l.\.  » 


VARIÉTÉS 


230 


.Mais  Roger  Racon,  son  contemporain  et  son  émule,  voulait 
<ine  les  deux  rives  de  l’Océan  Rissent  beanconp  pins  rap- 
prochées (]). 

» Racon  rappelle  l’opinion  émise  par  Aristote  an  second  livre 
de  son  traité  Du  Ciel  : L’Inde  orientale  et  l’Afrique  occidentale 
produisent  des  animaux  semblables,  notamment  des  éléphants; 
cette  similitude  en  la  faune  de  ces  deux  régions  du  Monde 
suppose  que  les  inlluences  astrales,  causes  de  toute  génération, 
s’y  exercent  à peu  près  de  la  même  manière  ; il  faut  donc  que 
l’Inde  et  l’Afrique  soient,  en  réalité,  peu  distantes  l'une  de 
l’autre... 

» A l’appui  de  cette  opinion.  Bacon  accumule  les  autorités-;  il 
cite,  en  particulier,  celle  de  Sénèque  ; celui-ci  prétendait,  au 
cinquième  livre  de  ses  Questions  naturelles,  qu’avec  un  vent 
favorable  on  pourrait  traverser  l’Océan  en  peu  de  jours. 

» r/est  sous  l’équateur  que  la  distance  est  la  plus  faible  entre 
les  deux  rives  de  l’Océan;  l.à^  en  effet,  l’ardeur  du  Soleil  dessèche 
la  surface  de  notre  globe  ; aux  deux  pôles  au  contraire,  les  eaux 
abondent.  » Cette  théorie  conduit  Bacon  (2)  à dessiner  la  forme 
de  l’Océan  en  ne  laissant,  à l’équateur,  entre  le  principium 
Hispaniae  et  le  principium  Indiue,  qu’une  sorte  de  goulot  rela- 
tivement étroit,  reliant  les  parties  plus  larges  de  l’Océan  qui 
entourent  les  pôles. 

« Les  divers  passages  (3)  de  VOpus  majus  qui  se  rapportent 
au  système  du  monde,  tel  que  se  le  figurait  Roger  Racon,  furent 
repi'oduils  plus  tard  par  le  Cardinal  Pierre  d’.\illy,  dans  son 
traité  intitulé  Imago  mundi,  chapitre  XV.  Pierre  d’.Villy,  qui 
écrivait  vers  l’an  1410,  c’est-à-dire  plus  d’un  siècle  après  Roger 
Racon,  jouissait  d’une  grande  réputation  au  xv®  siècle.  Le 
hasard  fit  que  le  traité  du  Cardinal  tomba  entre  les  mains  de 
Christophe  Colomb,  au  moment  où  cet  illustre  navigateur  était 
livré  à ses  profondes  recherclies  sur  l’existence  du  nouveau  con- 
tinent, et  celui-ci  en  adopta  les  diverses  idées. 

» La  bibliothèque  de  Séville  garde  pieusement  V Imago  Mundi 
d(‘  Pierre  d’Ailly  portant  les  annotations  de  Christophe  Colomb. 
Par  Pierre  d’.\illy,  donc,  l’intluence  de  Roger  Racon  s’est  exer- 

( I)  « Opm  majus,  Lonclini,  I73à,  pp.  183-185,  p.  194.  » 

c2)  « Opus  majus,  pl.  1,  tig-.  '27.  » 

(3)  « Heiiiaïul,  Mémoire  géographique,  historique  et  scientifique  sur  l'Inde, 
Mkm.  de  i.’.Xc.vd.  des  Insc.  et  I.ELi.ES-i.ETTDES,  t.  .WIII,  deuxième  partie, 
1849,  p.  387. .) 


240 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


cée  sui'  Clirisloplie  Colomb;  elle  a ( Oiilribiié  à lui  suggérer  la 
pensée  de  traverser  l’Océan.  » 

L’ieuvi-e  de  Uoger  bacon  est  considérable  ; tous  les  manuscrits 
connus  qui  la  renlérment  n’ont  pas  été  imprimés  et  il  en  reste, 
nombreux  peut-être,  enfouis  dans  les  Inbliolhèques.  11  sera  mal- 
aisé d’y  melti’e  de  l’ordre  et  impossible  d’en  Ibrmer  un  tout  collè- 
rent. La  vie  tourmentée  du  moine  franciscain,  son  activité  dévo- 
rante, son  prosélytisme  combattif  l’ont  amené  à polémiquer 
beaucoup,  à se  répéter  souvent  et  à s’étendre  sur  toutes  choses. 

Des  projets  grandioses  ont  hanté  son  esprit  ; il  a rêvé  d’une 
vaste  encyclopédie  des  sciences  : il  en  a accumulé  les  matériaux 
mais  ne  nous  en  a donné  qu’une  ébauche. 

Le  vulgaire  le  considéi  a comme  un  ingénieux  alchimiste  et 
une  sorte  de  magicien  blanc  ; et  nous  avons  dit  que  son  zèle  à 
défendre  l’astrologie  judiciaire  donna  pi'ise  contre  lui.  « Apud 
imperitum  vulgus,  dit  de  lui  un  de  ses  contemporains,  haberetur 
mirus  præsiigiatoi',  apud  (fuosdam  etiam  non  indoclos  de 
magicis  artibus  vebementer  fuerit  suspeclus  (J)  ».  11  a certes 
répudié  la  magie  avec  indignation,  et  il  faut  le  croire  ; il  n’a 
pas  accepté  non  plus,  sans  réserves  et  sans  précautions,  les 
superstitions  de  l’astrologie  ; mais  ici,  il  est  souvent  malaisé 
de  le  mettre  d’accord  avec  lui-même  (2). 

La  publication  de  ses  œuvres  principales  nous  a donné  une 
conception  plus  juste  des  visées  qu’il  poursuivait,  de  .sa  puis- 
sante intelligence,  de  son  érudition,  de  ses  travaux  personnels, 
de  ses  efforts  surtout  pour  promouvoii'  l’étude  expérimentale 
de  la  nature.  Malheureusement,  redisons-le,  l’astrologue  a l'ait 
tort  au  savant;  l’écrivain  n’a  pas  connu  les  ménagements  néce.s- 
saires,  et  il  a praticpié  l’exagéi’ation  et  la  diatribe  : on  comprend 
ses  mésaventures. 

.1.  T. 


(I)  (ülé  i)ar  Wiuliting-,  .tjui.  mimnun,  nii.  I27S,  c.  X.W'l. 

(:2)  Vuii'  farlicle  cité  du  I*.  .ttandoiinet,  Hoger  Bacon  et  le  speculiun  asli  o- 
nomia'. 


BIBLIOGRAPHIE 


I 


Coulis  DU  m lAiMQUE  l'iiüFussÉ  A l’École  IV)lvtechmque  par 
L.  Lecoua'U,  .Membre  de  rinstituC  Inspecteur  ^miiéral  des 
Mines.  Tome  I.  Un  vol.  gr.  in-H"  de  53(3  pages.  — Paris, 
Cantliier-Villars,  J9I  4. 

Après  dix  ans  d’exercice,  M.  Lecornu  a enlreiiris  la  publication 
du  cours  de  mécani([ue  qu’il  professe  avec  tant  de  distinction 
à l’Ecole  Polytechnique.  L’ouvrage  comprendra  trois  volumes. 
Le  premier  vient  de  paraître. 

A la  vérité,  le  cadre  du  livre  déborde  quel(|ue  peu  celui  de 
l’enseignement  oral  auquel  il  se  réfère,  en  ce  sens  que  cer- 
taines Ihéories,  traditionnellement  rattachées  à la  mécanique, 
et([ui,  [)ai-  suite  d’exigences  spéciales  de  l’organisation  de  l’Ecole 
Polyteclmiqiie,  ont  dù  être  reportées  dans  d’autres  cours, 
tigureni,  à très  juste  litre,  dans  l’exposé  de  M.  Lecornu;  tel  est  le 
cas  de  la  cinématique  des  mécanismes  et  de  la  tbéoiae  du 
potentiel  newionien,  respectivement  affectées  aux  cours  de  géo- 
métrie et  d’analyse  de  l’Ecole. 

Le  même  souci  d’écrire  un  traité  complet  a conduit  l’auteur  à 
y comprendre  la  cinématique  du  point  ainsi  que  la  statique 
des  corps  solides,  rattachées,  au  moins  pour  la  plus  grosse  part, 
au  i)rogramme  de  la  classe  de  mathématiques  si)éciales,  prépa- 
ratoire à l’Ecole. 

Dans  son  ensemble,  l’ouvrage  doit  être  tenu  pour  un  traité  de 
mécanique  rationnelle,  orienté,  mais  avec  mesure,  dans  le  sens 
de  la  préparation  aux  applications  techniques.  I/auteur  proteste, 
d’ailleurs,  contre  la  tendance,  qui  se  manifeste  parfois  chez  cer- 
tains techniciens,  à réclamer  une  part  de  plus  en  plus  gi'ande 
pour  la  mécani([ue  a|)pliquée  au  détriment  de  la  mécani((ue 
rationnelle.  « Agir  de  la  sorte,  dit-il,  ce  serait  méconnaître  la 
SÉtUE.  T.  .\XV1.  16 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


•24*i 

vérita]>le  portée  de  l’eiiseignemeal  polyleelinicieii  '»  destiné  à 
assurer  une  liante  culinre  aux  dirigeants  des  grands  services 
techniques  (civils  et  militaires)  de  l’Etat,  .\yant  cité,  sur  les 
avantages  d’une  telle  haute  culture,  des  passages  caractéris- 
tiques du  général  Langlois,  de  Henan  et  de  Schopenhauer,  il 
ajoute  : 

« Il  y aurait  d’ailleui’s  plus  d’inconvénients  (jue  d’avantages  à 
dévelopjier  outre  mesure  la  partie  technique.  Il  l'aul  s’en  tenir 
aux  méthodes  générales,  sans  accabler  la  mémoire  des  élèves  par 
des  détails  trop  circonstanciés,  dépourvus  de  valeur  éducative, 
détails  qui  doivent  être  réservés  aux  écoles  d’application  et  qu’il 
leur  sera  facile,  au  suiqihis,  de  trouver,  quand  ils  le  voudi’ont, 
dans  les  ouvrages  spéciaux,  tandis  qu’ils  u’aui'aient  plus  l’occa- 
sion de  se  pénétrer  des  principes  de  la  science. 

» .le  pense,  en  résumé,  ([ue  si  l’enseignement  polytechnicien 
peut  et  doit  évoluer  progressivement  pour  répondre  aux  besoins 
des  services  publics,  c’est  à la  condition  d’en  maintenir  intactes 
les  grandes  lignes.  L’Ecole  ne  saurait,  sans  déchoir,  abandonner 
des  traditions  ([ui  ont  sullisamment  fait  leurs  j>i-euves  ». 

Cette  citation  est  de  nature  à bien  faire  saisir  l’esprit  dans 
lequel  est  rédigé  ce  cours  qui  ne  s’égare  pas  dans  les  développe- 
ments analyti([ues  propres  à n’intéresser  que  les  purs  mathé- 
maticiens, mais  qui,  tout  en  visant  à la  formation  de  futurs 
techniciens,  ne  néglige  rien  de  ce  qui  est  essentiel  dans  les  par- 
ties élevées  de  la  théorie.  Avant  tout,  il  teiitl  à éveiller  chez 
l’étudiant  le  sens  de  la  mécanique  sans  laisser  son  attention  se 
perdre  sur  des  questions  d’un  intérêt  simplement  mathéma- 
tique; mais  si  le  jeu  de  l’analyse  n’y  apparaît  pas  comme  un 
but,  aucune  des  ressources  qu’elle  peut  olfrir  en  tant  que  moyen 
n’est  laissée  dans  l’ombre.  Avec  un  tel  guide,  l’étudiant  ne  risque 
pas  d’être  réduit  à ne  voir  dans  les  problèmes  de  la  mécanique 
que  des  prétextes  à intégrations  plus  ou  moins  élégantes;  il  ne 
perd  pas  de  vue  ce  qui  constitue  leur  objet  propre  et  prend 
conscience  de  leur  véritable  portée. 

Ce  premier  volume  se  divise  en  ([uatre  livres  qui  traitent  res- 
pectivement des  préliminaires  géométriques  relatifs  d’une  part 
aux  grandeurs  vectorielles,  de  l’autre  à la  théorie  du  déplace- 
ment d’un  système  invariable,  de  la  cinématique  pure  et  appli- 
quée aux  machines,  de  la  statique  et  de  la  dynamique  du  point, 
de  la  statique  des  systèmes. 

S’il  s’agissait  de  faire  ici  une  étude,  détaillée,  intéressante 
pour  les  seuls  spécialistes,  du  volume  en  question,  on  rencon- 


BIlîLIUGRAPIIIE 


2i3 


(ferait  à cha([tio  ])asdes  occasions  de  faire  ressortir  le  souci  qui 
n’abandonne  jamais  M.  Lecornn  d’envisager  !(?s  choses  sons 
i’ang'le  où  les  doit  voir  le  mécanicien.  Fn  peu  an  hasard,  nous 
cneillerons  dans  l’ensemble  qnehines. paragraphes  on  s’accuse 
pai'licidièrement  ce  souci,  on  l’anlenr  pousse  même  la  discussion 
jusqu’aux  détails  qui  importent  à la  technique,  on  bien  encore 
où  il  insiste  sur  cei'laines  notions  fondamentales  plus  qu’on 
n’est  dans  l’habitude  de  le  faire  : dans  les  n""  1 W <à  14(3.  calcids 
pratiques  sur  la  manivelle  et  la  tige  guidée  ou  sur  le  balan- 
cier à bride;  11°^"  173  à 18(1,  développements  remarquables  sur 
les  champs  de  forces,  les  fonctions  de  forces,  les  surfaces  de 
niveau  ; n'“  181  à l!)7,  substantiel  exposé,  d’après  Sai-rau,  de 
la  théorie  de  l’attraction  universelle;  n""  à :215,  élude  des 
oscillations  d’un  ressoi't  et  de  leur  amortissement,  avec  appli- 
cation aux  ressorts  de  suspension;  iF*  .à  , propriétés  de 
la  courbe  balistique  dans  l’air  dans  le  cas  d’un  projectile 
sphérique  (le  cas  d'un  projectile  non  sphérique  devant  cire 
examiné  ultéi-ieurement)  ; :230  à :139,  discussion  assez  serrée 

de  la  forme  des  trajectoires  parcourues  sous  l’action  des  forces 
centrales;  iF"  ;2(3.j  et  :^t3(),  mouvement  d’un  point  pesant  sur  une 
surface  de  révolution  à axe  vertical  avec  application  au  pendule 
sphérique  pour  lequel  l’auteur  reproduit  une  remaiapiable 
démonstration  de  M.  de  Sparre  ; n”^  :270  à tl73.  mouvements  la 
surface  de  la  terre  avec  application  à la  déviation  dans  la  chute 
des  graves,  à la  dérivation  des  projectiles,  à la  rotation  des 
cyclones,  à l’expérience  de  Foucanit;  iF  3(3(1,  étude  des  roule- 
ments sur  billes. 

11  va  sans  dire  que  ces  quelques  indications  relatives  à 
des  passages  sur  lesquels  notre  attention  s’est  fortuitement 
portée  ne  sont  pas  le  moins  du  monde  exclusives  de  l’intérêt 
spécial  que  peuvent  olfrir  d’autres  parties  de  ce  bel  ouvrage 
destiné  <à  se  ranger  en  bonne  place  parmi  les  classiques  de  la 
mécani([ue. 

M.  0. 


11 


Les  CooRno-NiNÉES  intrinsèques.  Théorie  et  .vrn.ic.vTioNs, 
par  L.  liR.vuDE,  docteur  ès  sciences  (volume  faisant  partie  de  la 
collection  Scieiitia).  Fn  volume  in-8'’  de  100  pages.  — Paris, 
Ga  U t h i e r- Y i 1 1 a r s , 1 01 4 . 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


L’a(lmiral)le;^yslème  des  coordonnées  caiiésiennes,  (|ni  resdî 
l’ontil  [)ar  excel!ence  de  la  g-éoinéii'ie  analyliqne,  peut  présenter 
quelques  inconvénients  dans  l’élude  de  certaines  propriétés  des 
conrhcs  par  suite  de  rintrodnction  d’éléments  étrangers  à 
celles-ci,  tenant  an  système  de  rélérence. 

(i’est  pourquoi  divers  géomèli-es  se  sont  applicpiés  à didinii' 
analytiquement  les  conihes,  par  les  relations,  unissant  l’nn  à 
l’anti’e,  deux  éléments  attachés  à la  coni  he  même,  tels  (pie  l’aicx- 
compté  SOI'  la  conrhe  jusqu’au  point  I',  à partir  d’un  [loint  tixe 
I',;,  l’angle  qp  de  la  tangente  en  1’  avec  la  tangente  en  le 
rayon  de  courhni'e  en  I‘. 

De  là  trois  principaux  systèmes  de  coordonnées  attacliées  à la 
coui'he,  constitués  respectivement  jiar  et  cp,  D et  cp,  a- et  H. 
On  en  peut  d’ailleurs  imaginer  d’autres;  c’est  ainsi  que  (ler- 

gonne  a recommandé  l’nnploi  de  I!  et  ou  de  U et 

Le  système  (li,  qp)  a sui  lout  éti'  utilisé  jiar  l’ahhé  Aousl,  dans 
ses  reclierclies  bien  connues  sur  la  géométrie  inlinitésimale  des 
courbes  planes. 

L’est  plutôt  au  système  {s,  H)  ([ue  l’on  a l’ecours  depuis  (pie, 
dans  une  suite  d’importants  travaux,  Lrnest  Lesaro  en  a mis  en 
relier  l’extrême  l'écondité,  et  c’est  celui  (pii  est  plus  [larliculiè- 
l’emenl  désigm’'  aujourd’biii  pai‘  le  vocable  de  coordonnées  inlrin- 
séfjnes. 

Dans  un  premier  chapitre  de  généralités,  l’aulenr  l'ait  con- 
naitre  b.>s  l'ormules  rondamentales  relatives  aux  coordonnées 
intrinsè([ues  et  indiipie  les  méthodes  à suivre  dans  les  études 
l'ondées  sur  leur  emploi.  .Notons,  en  passant,  (pie  cei'taines 
«({ualions  de  Lesaro,  dont  le  rôle  est  essentiel  en  celle  théorie, 
peuvent  être  regardées  comme  provenant  — sans,  bien  proha- 
lilemenl,  que  leur  autiMir  s’en  soit  douli'  — de  la  particulari- 
sation, pour  le  cas  du  plan,  de  certaines  rormules  primordiales 
di‘  la  périmorphie  de  lîihaucour,  applicables,  elles,  au  cas  de 
l’es[)ace.  L’application  de  ces  l’ormules  est  particulièrement 
l'éconde  dans  l’étude  des  développées,  dévelo[)panles,  dévelop- 
[loïdes  (enveloppes  de  droites,  menées  par  les  [loinis  d’une 
courbe  et  raisani  avec  ses  normales  un  angle  constant)  et  autres 
courbes  se  rattachant  aux  précédentes.  L’auteur  le  montre  par 
des  exemples  nombreux  et  intéressants. 

Mais  il  s’attache  surtout  à mettre  en  lumière  les  rapports  des 
courbes  définies  en  coordonnées  intrinsèques  avec  certaines 
courbes,  qui  leur  sont  adjointes  par  interprétation  de  leurs 


BIBLIOGRAPHIE 


(k[iiations  dans  d’autres  syslènies  de  coordonnées.  Si,  par 
exemple,  dans  l’équation  en  s et  U d’une  courbe  C,  on  remplace 
ces  variables  paipr  et  //,  on  définit,  en  coordonnées  cartésiennes, 
une  nouvelle  courbe  que  l’auteur  appelle  la  courbe  de  d/nnn- 
heim  de  Cl,  et  (jue  l’on  peut  définir  géométnbpiemeid  comme  le 
lien  du  ceidre  de  courbure  l'épondant  au  point  de  contact  de  la 
courbe  G,  roidant  sur  une  droite.  Ce  mode  de  génération  con- 
duit, au  reste,  immédiatement  aux  généralisations  obtenues  en 
faisant  rouler  la  courlie  G,  non  plus  sur  une  di’oite,  mais  sur 
tonte  autre  courbe,  sur  un  cercle  en  [lai  ticulier. 

De  même,  l’équation  en  U et  cp,  lorsqu’on  y regarde  ces  varia- 
bles comme  des  coordonnées  polaires,  définit  la  radiale  de  C, 
et  l’équation  en  x-  et  cp,  lorsqu’on  y regarde  ces  variables  comme 
des  coordonnées  axiales  (J),  définit  son  arca/de. 

Les  relations  d’une  courbe  G avec  sa  courbe  de  Mannbeim,  sa 
radiale  et  son  ai’cuïde  sont  étudiées  par  l’auteur  dans  les  deux 
chapitres  suivants  où  se  rencontrent  une  foule  d’élégantes  pro- 
positions sur  maintes  courbes  classifpies. 

Un  dernier  chapitre  est  consacré  à l’a[)i)lication  des  coordon- 
nées intrinsèques  à la  théorie  générale  des  roulettes  pour 
laquelle  elle  ne  se  montre  pas  moins  féconde. 

Ouiconque  a le  goût  de  la  géométrie  des  courbes  spéciales, 
fertile  en  surprises,  ti’ouvera,  dans  le  petit  livre  de  M.  flraude, 
un  agréable  aliment  cà  sa  curiosité. 

.M.  0. 


III 

l.xïRODUirno.N  Ci1';o.m étriqué  a quelques  théories  physiques, 
par  Émile  Horei,,  Pi'ofesseur  à la  Faculté  des  Sciences  de  l'aris. 
Un  vol.  gr.  in-8’,  de  IG?  pages.  — Paris,  Gaulhier-Yillars,  1PJ4. 

M.  Émile  Dorel,  chez  qui  l’analyste,  éminent  se  double  d’un 
philosophe  des  plus  avertis,  est  à l’avant-garde  des  mathémati- 
ciens que  hante  la  préoccupation  d’adapter  constamment  l’outil 
analytique  aux  besoins  si  rapidement  variables  de  la  physique 


(t)  La  Ihéorie  des  coordonnées  axiates  a été  développée  par  M.  d’Ocagne, 
dans  un  travail  paru  en  188i,  dans  les  Nouvelles  .\nn.\les  de  .M.atiiéma- 
TiouES,  et  qui  a pris  place  ensuite  dans  la  l)rocluire  Coi^rdonnées  paralli'les 
et  axiales  de  cet  auteur.  — Paris,  Gauthier-Villai's,  1885. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQI^ES 


•240 

inalliéinali([ue.  Oette  préocnipalion  l’a  coiidiiiL  iiun  .seulement  à 
écrire,  en  divers  recueils,  une  série  de  remaiapiahles  articles  où 
sont  traitées  avec  niaitiise  divei'ses  importantes  questions  de 
pliilosophie  ou  de  méthodologie  mathématiques  se  rapportant 
à cet  objet,  mais  encore  à faire  à la  Sorbonne,  en  décembre  J!)J2 
et  janvier  i!)13,  (pielques  leçons  touchant  des  théories  de  géo- 
métrie à (piatre  ou  à un  très  grand  nornhi’e  de  dimensions,  ([ui 
intéresseid  soit  les  déductions  du  principe  de  relntivilé  sous  la 
foi'me  nouvelle  (pie  lui  ont  donnée  les  travaux  de  Lorentz,  Min- 
kowski,  Kinstein,  soit  ce  ([u’on  ap|)elle  aujourd’hui  la  méccntique 
slatislique,  c’est-à-dire  l’étude  des  propi  iétés  des  systèmes  d’un 
nombre  très  considérable  de  iiai'ticules  dont  les  vitesses,  ou 
telles  autres  grandeurs  [)hysi(iues  qui  s’y  rattachent,  sont  répar- 
ties d’après  la  loi  du  hasard. 

(les  leçons,  recueillies  par  .M.  Deltheil,  élève  à l’Kcole  normale 
supéi  ienre,  ont  été  réiiarties  en  ciii(|  chapitres  dont  nous  allons 
sommairement  indi(|uer  la  substance. 

Le  chapiti-e  1 expose  la  théorie  analytique  des  déplacements 
euclidiens  à deux  et  à trois  dimensions,  mettant  en  évidence  le 
rôle  fondamental  ([u’y  jouent  la  dioite  et  le  [dan  de  l’inlini,  avec 
les  ombilics  d’une  [)art,  la  coni([ue  ombilicale  de  l’aidi'e,  de 
façon  à faire  entrevoir  la  genèse  des  géométries  non  eucli- 
diennes étudiant  des  groiq)es  de  transformation  analogues  mais 
dans  lesipiels  ces  éléments  invariants  sont  remplacés  par 
d’autres  de  même  espèce  arbitrairement  choisis. 

Au  chapitre  11,  (ixtension  est  faite  des  mêmes  princi[)es  au  cas 
de  la  géométrie  euclidienne  à (piatre  dimensions.  (Jn  y len- 
contre,  pour  les  seize  cosinus  qui  entrent  dans  les  formules  du 
déplacement  le  plus  généi'al  de  l’es[tace  à ([uatre  dimensions, 
une  détermination  très  élégante  en  fonction  des  six  paramètres 
([ui  généralisent  dans  ce  cas  les  trois  [laramètres  d’Olinde 
llodrigues  pour  le  cas  des  trois  dimensions.  Ces  expressions 
sont,  bien  entendu,  é((iiivalentes  à celles  (pie  Cayley  avait  d’abord 
découvertes,  mais  elles  sont  atteintes  [>ar  une  voie  [iliis  géomé- 
trique. 

Ifevenant  au  cas  de  deux  dimensions,  l'auteur  ('tudie  au 
cha[)itre  III  une  gi'ométrie  hyperholiipie  s[iéciale  dans  la(|uelle 
les  points  à l’intini  sur  les  axes  coordonnés  remplissent  le  l'ôle 
précédemment  joué  [lar  les  ombilics,  et  il  en  fait  aussitôt  une 
ingénieuse  application  à la  théorie  [ihysiipie  de  la  relativité 
grâce  à un  modoparticidiei' de  l’eprésentation,  sous  forme  d’une 


BIBLIOGRAPHIE 


247 


certaine  géométrie  à deux  dimensions,  de  la  relation  entre  la 
position  d’im  point  mobile  sur  une  droite  fixe  et  le  temps. 

Le  chapitre  IV  est  consacré  de  même  à des  géométries  hyper- 
boliques spéciales  à trois  ou  quatre  dimensions,  et  l’inlroduction 
de  cette  dernière  permet  k l’auteur  de  reprendre,  par  une  voie 
géométrique,  l’étude  de  quelques  points  de  la  théorie  physique 
de  la  relativité  en  lui  rournissant  une  représentation  commode 
de  la  synthèse  des  deux  notions  fondamentales  de  l’esiiace  et  du 
temps  en  celle  unique  de  Vunivers  au  sens  de  Minkowski.  En 
utilisant  cette  représentation  particulièi’e,  M.  Borel  reprend,  à 
partir  du  principe  de  relativité,  l’étude  du  groupe  de  transforma- 
tions des  équations  de  l’électromagnétisme,  puis  aborde  le  pro- 
blème de  la  composition  des  vitesses.  Grâce  à l’introduction 
d’une  notion  nouvelle  h laquelle  il  donne  le  nom  d’espace  cinê- 
ma t iq-a e (en?emh\e  des  extrémités  des  vecteurs  équipollents  aux 
vitesses  de  tous  les  mouvements  rectilignes  et  uniformes),  il 
obtient  une  représentation  simple  du  résultat  de  tout  problème 
de  changement  du  système  de  comparaison. 

l.e  chapitre  se  termine  par  de  très  curieuses  i-emarques  tou- 
chant les  rapports  de  la  cinématique  avec  la  théorie  de  la  rela- 
tivité sous  la  forme  que  lui  a donnée  Minkowski. 

Les  progrès  de  la  physique  ayant  conduit  reconnaître  l’uti- 
lité d’envisager  des  fonctions  dépendant  d’un  très  grand  nombre 
de  variables  indépendantes,  l’auteur  est  amené,  dans  un  dernier 
chapitre,  à faire  voir  comment  se  peuvent  établir  les  propriétés 
des  êtres  géométriques  les  plus  simples  d’un  espace  à dimen- 
sions en  tant  d’ailleurs  qu’elles  se  lient  au  fait  que  ce  nombre 
des  dimensions  est  très  grand.  L’auteur,  pour  fixer  les  idées,  le 
suppose  d’ailleurs  de  l’ordre  de  JO'^,  nombre  auquel  conduisent, 
d’après  M.  Jean  Perrin,  les  évaluations  du  nombre  des  molécules 
et  du  nombre  des  paramètres  dont  elles  dépendent.  Il  traite 
complètement,  dans  cette  hypothèse,  la  flétermination  de  faire 
et  du  volume  de  la  sphère  et  de  l’ellipsoïde. 

S’appuyant  sur  ces  exemples,  M.  Borel  fait  remarquer,  en 
terminant,  que  « d’une  manière  générale,  il  ne  parait  pas  dou- 
teux que  l’emploi  du  langage  et  du  raisonnement  géométrique 
peut  être  très  utile  dans  les  recherches  de  mécanique  statis- 
tique, relatives  aux  systèmes  d’un  nombre  très  considéralde  de 
particules  dont  les  vitesses,  ou  d’autres  grandeurs  physiques, 
sont  réparties  d’après  les  lois  du  hasard  ». 

Mais,  même  si  l’on  fait  abstraction  de  ces  visées  particulières. 


248 


REVUE  DES  QI;EST10NS  SCIENTIFIQUES 


les  théories  développées  par  M.  Horel  sont  de  nature  à vivement 
intéresser  (pticonqne  a le  goût  de  la  géométrie. 

Le  reste  du  volume  (qui  n’en  constitue  pas  loin  de  la  moitié) 
est  occupé  par  la  réimpression  de  plusieurs  notes  de  l’auteur, 
disséminées  en  divers  recueils,  et  (pie  l’on  a plaisir  à retrouver 
ainsi  groupées. 

La  note  I,  relative  aux  jirincipes  de  la  théorie  cinéticpie  des 
des  gaz,  est  une  défense  très  habile  et  tr(';s  serrée  de  1a  méthode 
statistique  instaurée  par  Maxwell  et  qui,  à une  certaine  époque, 
n’avait  pas  échappé  à l’emprise  de  la  verve  sarcasticpie  de  Joseph 
Bertrand. 

La  note  II  contient  une  discussion  très  subtile  des  difficultés 
que  soulève  l’explication  mécanicpie  des  phénomènes  iri'éver- 
sihles  et  l’indication  d'une  voie  dans  laquelle  on  peut  avoir 
chance  d’en  trouver  la  solution. 

La  note  III  renferme  la  mise  au  point,  d’après  raiiteni-,  des 
idées  d’Henri  Poincaré  concernant  la  relativité  de  l’espace. 

La  note  IV  a pour  but,  [lar  un  exemjile  emprunté  à la  théorie 
des  résonateurs,  de  signalei’  les  dangers  qu’il  peut  parfois  y 
avoir  à raisonner  sur  certaines  écpiations  approchées,  (pii  se 
rencontrent  en  physiipie,  comme  si  elles  étaient  exactes,  en 
montrant,  sur  un  exemple  précis,  comment  la  présence  de 
termes  aii'si  petits  ([iie  l’on  veut  peut  modifier  complètement 
l’allure  d’un  phénomène  régi  par  une  équation  dilférentielle 
très  simple. 

La  note  V fait  connaiire  une  ingénieuse  solution  élémentaire 
d’un  problème  de  probabilité  géométrique  qui  se  pose  à l’occa- 
sion de  la  théorie  de  certains  phénomènes  physiipies,  comme 
l’émission  des  particules  a du  radium. 

Pans  la  note  VI,  railleur  précise  ce  ipii,  dans  l’étude  des  rap- 
ports de  la  théorie  de  la  relativité  et  de  la  cinématique,  dis- 
tingue son  point  de  vue  de  celui  ampiel  s’était  précédemment 
placé  .M.  Varicalv. 

Knlin,  la  note  VII  reproduit  une  belle  conférence  laite  à l’oi'- 
casion  de  l’inauguration  de  l’Institut  Uice,  à Houston  (Texas), 
où,  sous  une  forme  brillante  et  dans  un  esprit  vraiment  philo- 
sophique, sont  mis  en  pleine  lumière  les  points  de  contact 
entre  la  physiipie  moléculaire  et  les  mathématiques,  auxquels 
pourront  être  ratlachés  d’importants  progrès  pour  l’une  et 
l’autre  science. 


M.  0. 


HIHLIÜGRAPriIH 


219 


IV 


I^EISPIELE  ZUR  (lESCFUCirrE  DEU  M aTIIEMATIK  . Vas  .M.VniEMAÏISCH- 

HiSTüRiscHEs  Leserucii,  Il  Teil,  von  Alexander  Witïing  niid 
Martin  (’rERHART.  Tu  vol.  iii-l:2  de  vni-lil  pages.  — [.ei[)zig'  el, 
Berlin,  Teidmer,  lüJ.'). 

Ce  petit  volume  est  le  tome  XV  de  la  Matiiem.atisciie 
Birliotiiek  de  .M.M.  Lietzmann  el  Wilting-,  colleclioii  destinée, 
on  le  sait,  à procurer,  à bon  marché,  aux  mathématiciens  des 
lectures  distrayantes  et  ag-réahles  relatives  aux  mathématicpies. 
Les  éditeurs  "du  tome  XV,  MM.  Wilting  et  (lel)hardl,  nous 
donnent  une  chrestomathie  composéedecourls  exiraitsd’auteurs 
du  moyen  âge  et  du  xvV  siècle. 

I*our(pioi  les  grands  géomètres  de  la  (irèce  antique  en 
paraissent-ils  systématiquement  exclus?  Peut-être  pai'ce  que  la 
deuxième  partie  de  cette  chrestomathie  parait  avant  la  première 
et  que  celle-ci,  encore  inédite,  leur  sera  consacrée. 

Dans  un  recueil  de  ce  genre,  limité  à un  petit  nombre  déter- 
miné de  pages,  il  n’y  a pas  lieu  de  discuter  le  choix  des  moi'- 
ceaux.  Ils  doivent  être  courts  et  présenter  quelque  intérêt.  On 
ne  peut  guère  dénier  aux  pièces  du  recueil  celte  double 
qualité.  En  voici,  au  surplus,  la  liste.  Les  exti’aits  écrits  en 
allemand  sont  reproduits  dans  la  langue  originale,  les  autres  le 
sont  dans  une  traduction. 

En  tête  une  gravure  tirée  d’une  édition  de  ]5()8  de  V Arithmé- 
tique Ao.  Gemma  Eiâsius  ; puis  viennent  le  litre,  la  préface,  et 
une  petite  pièce  de  vers,  signée  .Adam  Uiese,  J.V29. 

1.  Le  livre  du  caicid  des  cordes  du  cercle  par  Ahu’l  Baihan 
Muh.  El  Biruni.  ( Birliotheca  M.atiieii.atica,  o"  sér.  t.  J J , JOiO-J  J .) 
Extrait  de  la  traduction  allemande,  faite  sur  l’arabe,  par 
H.  Suter.  11  s’agit  du  calcul  de  la  corde  (A  + B)  connaissant 
Corde  A et  Corde  B.  (A'ers  l’an  J 1)00.) 

2.  Extrait  du  livre  de  la  grandeur  des  surfaces  (liber  emha- 
dorum)  d’Ahraham  bar  Chijja  Savasorda.  D’après  la  traduction 
allemande  de  M.  Curtze,  faite  sur  la  version  latine  de  Platon  de 
Tivoli.  (Abh.andlungen  zur  Geschichte  der  Mathem.atischen 
WTssenschaften,  t.  12,1902.)  Résolution  géométrique  d’équa- 
tions du  2'^  degré,  (xii®  siècle.) 

3.  Extrait  du  livre  des  calculs  d’Abu  Zakarija  el  Ilassar.  Tra- 


250 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(luit  (le  l’arabe  pai'  II.  Saler.  (Bim..  M.\the.m.,  3'’  sér.  t.  2,  19ÜJ.) 
Uésobilina  (rét|iialions  dii  premier  deg-ré.  (xiU  si(’>cle.) 

4.  Exemple  de  division  sexagésimale  tiré  d’im  anlenr  arabe. 
Tradiiclion  allemande  l'aile  sur  la  version  Train, -aise  de  Earra  de 
Vaux.  (liiüL.  .M.vth.,  '2’  ser.  t.  13,  J8U8.)  (xv®  siècle.) 

5.  Exli’ail  (In  Irailé  d’.Vrpenlage  de  F^eonard  de  Anlonüs  de 
Erémone.  Extraiis  divers  d’après  l’édition  italienne  de  Max 
(’mrtze  ; (.\im.vM).  zl'k  Gesch.  der  M.vni.  Wisse.xs.,  t.  13,  11)0^.) 

t).  Extraits  d’iine  algèbre  manuscrite  allemande  de  14(31, 
publiée  par  MaxCiirtze.  (Arii.xxd.  zur  Gescii.  der  M.vni.  Wissens., 
1.  7,  1895.)  Uésolutions  d’é([uations  du  degré. 

Note  de  .M.  Witling  sur  les  « Notations  cossiques  »,  c’est- 
à-dire,  sur  les  manières  de  représenter  les  diverses  puissances 
de  rinconnue  sans  l’emploi  des  exposants. 

7.  Extrait  d’une  lettre  de  Kegiomontanus  à (iiovanni  Bianchini 
(14(53).  Traduit  sur  le  texte  latin  publié  par  Curtze.  (Anii.XjXD.  zur 
Gescii.  der  M.vni.  Wissexs.,  t.  1:2,  1902.)  Exemple  de  la  résolu- 
tion numérique  détaillée  d’une  équation  du  2'  degré. 

8.  Usages  divei-s  du  compas  et  de  la  règle,  par  Albert  Durer 
(1525). 

9.  Galculs  arithmétiques  à l’aide  du  boulier  et  de  la  plume, 
par  Adam  Hiese  ( 1525). 

10.  Divers  exemples  de  calcul  aritbmétique,  par  .\dain  Hiese 
(1550). 

11.  \ ' Aritiniielica  integra  de  Michel  Stil'el  (1544).  I.a  quadra- 
ture du  cercle  tirée  de  l’Appendice  du  livre  11.  Traduit  du  latin, 
par  Witting.  Ce  choix  n’est  pas  très  heureux.  11  y avait  mieux  à 
prendre  dans  VArithmetica  integra,  qu’un  extrait  de  la  seule 
partie  de  l’ouvrage  qui  soit  absolument  ratée.  Pourquoi  ne  pas 
nous  donner  plutôt  la  résolution  d’un  système  d’équations  à 
plusieurs  inconnues,  par  exemple? 

12.  L’extraction  des  racines,  par  .b_\an  Scheubel  (1(545).  Tra- 
duit du  latin  par  Witling. 

13.  La  Hègle  d’oi',  d’après  l’Ar.s'  Mag>ia  de  Jérôme  Cardan 
(1(545).  Traduite  du  latin  par  Witting. 

14.  La  «Coss»  par  Christophe  Hudollï (1553).  Extraits  relatifs 
aux  progressions  arithmétiques  et  géométriques. 

15.  \j\Arithnieticus  Lihelins  de  Victor  Strigel  (15(55).  De  la 
table  de  multiplication;  traduit  du  latin  par  Gebhardt. 

1(5.  L’Aritlnneticae  practicae  Methoilus  facitis  par  Gemma 
Erisius.  Calcul  de  la  surface  d’un  triangle  dont  on  connaît  les 


lUIîLIUORAPIIIE 


251 


trois  rôles.  Traduit  du  latin  par  Geldiardt,  d’après  l’édilioii  de 

J5t)8. 

17.  L’.VIgèbi'e  de  Bomhelli  (157:2).  L’extraction  des  racines 
carrées  par  les  l'ractioiis  continues.  D'après  la  ti’aduclion 
allemande  de  Wei'tlieim  (.Vüh.xnd.  zur  Gesch.  der  .AI.xtii.  Wis- 
sENscn.,  t.  8,  18i)8). 

Il  ne  faut  pas  demander  à ce  petit  volume  plus  qu'il  ne  pro- 
met, c’est-à-dii'e,  une  lecture  attrayante  destinée  aux  mathéma- 
ticiens qui  ne  se  font  pas  une  spécialité  de  l’histoire  de  leur 
hranclie.  Mais  limité  à ce  point  de  vue,  il  est  recommandahle  et 
donnei'a  à plus  d’un  lecteur  le  désir  d’en  connaitre  davantage. 

H.  B. 


A IllSÏORY  ÜF  J.YP.YNESE  .M.VTHE.M.YTICS,  hv  D.VVID  EuGEAE  SmITH 
and  VüSHio  .AIik.vmi.  En  vol.  in-8“  de  viii-288  pag-es  et  74  figures 
géométriques  ou  illustrations.  — Chicago,  The  open  court 
pnhlishing  Coiopany,  1914. 

Dans  le  Bulletin  d’IIistoire  des  M.xtiié.m.\tiques  du  mois 
d’octohre  1913,  j’ai  signalé  au  lecteur  VIIisÉo/'re  des  Mathéma- 
tiques en  Chine  et  an  Japon  par  .\1.  Yoshio  Mikami.  (The  Deve- 
lopment of  Mathematics  in  China  and  Japan.  Leipzig,  Teuhner, 
1913.)  Essai  intéressant,  important  même  parce  qu’il  était  le 
premier  de  ce  genre,  mais  qui  néanmoins  ne  fut  pas  fort  heureux. 

Les  textes  des  mathématiciens  chinois,  inahordahles  pour 
nous  dans  la  langue  originale,  rehutent  heaucoup  de  sinologues 
et  n’ont  guère  été  traduits.  Aussi  est-il  malaisé  en  Europe  de  se 
faire  une  idée  précise  des  mathématiques  du  Céleste  Empire. 
Xous  ignorons  moins  les  mathématiciens  japonais  récents. 
M.  Mika  mi  a heaucoiqi  contrihué  à nous  les  faire  connaitre  par 
ses  Mathematical  Papers  from  the  Far  East  (Leipzig,  Teuhner, 
1910).  Mais  quand  il  s’agit  de  l’élude  des  géomètres  japonais 
anciens,  la  ditlicullé  est  presque  aussi  grande  que  pour  les  géo- 
mètres chinois. 

De  nos  jours  les  savants  japonais  sont  hien  informés  de  ce  qui 
se  publie  en  Europe.  C’est  insullisant  pour  étahlir  déjà  im  paral- 
lèle entre  le  déveloiipemenl  de  leurs  mathématiques  nationales 
et  celui  des  nôtres. 

11  faut  le  dire,  le  sujet  est  dillicile. 


REVUE  DES  questions  SCIEXTIITQUES 


I.0-5  malliéniati(|ues  de  l’Occident  et  celles  de  ri‘Atrènie-( trient 
paraissent  an  premier  aboial  dilTérer  les  unes  des  antres  antanl 
qn'il  est  possible.  An  dii’e  des  géoinêli’es  .japonais  et  chinois, 
leur  science,  à l’abri  de  tonte  innilialion  étraiiyvi'e,  s’esi  entièi'e- 
inenl  dévelo[)pée  |>arses  [)roi)rcs  moyens. 

I‘]st-ce  bien  exact?  Il  ne  semble  pas  el  il  l'ant  même  le  rt'voqner 
en  doute  a priori.  Les  .lésniles  n’occnpèreni  pas  [)endant  nn 
siècle  et  demi  les  Ibnctions  de  direcleni's  de  l’Observatoire  de 
Léking,  premier  établissement  scienliti(|ne  de  l’empire,  sans  (pn; 
les  ini'tbodes  enropéennes  ne  réagissent  sur  les  matbémati(ines 
chinoises  et  de  là  (pielqne  peu  snr  celles  du  .lapon. 

.An  .lapon  même,  il  est  vrai,  l’action  scientiliqne  directe  des 
.lésnites  bit  moindre  ([ii’en  Lbine.  .Mais  il  y eut  une  conq)ensa- 
tion,  l’inllnence  des  maicbands  hollandais,  f.enrs  intérêts  mer- 
cantiles les  engageaient  à l’cndre  à leurs  clients  tons  les  genres 
de  services.  A’oiontiers  ils  se  faisaient  courtiers  en  livres  de 
sciences  enropéennes  comme  en  tonte  antre  marebandise.  A l’oc- 
casion ils  ne  rel'nsaient  pasd’interpréterces  livres.ipiand quelque 
savant  .japonais  le  leni’  demandait. 

Tons  ces  problèmes  si  délicats,  .M.  .Mikami,  et  pour  cause,  dans 
son  Ifistoire  des  Malliéinaliqi(es  en  Chine  el  au  Japon , les  avait 
à iieine  elllenrés.  A’’est-il  i>as  prématuré  de  vonloir  dé.jà  les 
résoudre  complètement?  .Aussi,  n’est-ce  pas  encoi'e  le  but  [)onr- 
snivi  pai'  le  savant  Japonais  dans  le  nouvel  ouvrage  (pt’il  nous 
donne  ; il  a plnlôt  vonin  j)lanter  les  premiers  .jalons  de  la  solu- 
tion. 

La  bonne  Ibi'tnne  Ini  a lait  rencontrer  nn  conseiller  et  nn  col- 
laborateur cbez  nn  de  ses  anciens  maîtres.  J’ai  nommé  M.  David 
Engène  Smitli  de  .New-York,  l’nn  des  savants  de  la  grande 
Uépnblitpie  Américaine,  qui  coimai-sscnt  le  mieux  riiistoire  des 
inatbémalicpies. 

Les  deux  géomètres-liistoriens  se  sont  |)ai'tagé  le  travail. 
M.  .\likami  a [iris  à sa  charge  la  recherclie  des  documents  .japo- 
nais et  leur  traduction;  .M.  Smith  s’est  réservé  la  mise  en  œuvre. 
Lbacnn  des  deux  savants  entend  conserver  sa  responsabilité 
personnelle.  Acceptant  les  documents  tels  ([ne  .M.  .Mikami  les  Ini 
présente,  .M.  Smith  les  discnie  an  double  point  de  vue  des 
inathémaliqnes  et  de  l’Iiistoire.  Sans  doute,  la  méthode  n’est 
pas  parfaite,  mais  c’est  inconlestaldement  la  meillenredans  l’état 
actuel  de  la  science. 

Nous  n’avons  encore  anjoiird’lini  ([ne  le  volume  consacré  aux 
mathématiciens  .ja[)onais.  Eue  impression  d’ensemble  s’en 


11IBLIÜGRAPIIIE 


553 


ili’sjage.  Le  .lai)üiuiis  est  plutôt  nu  virtuose  du  calcul,  qu’uu 
logicien:  plutôt  uii  amateur  de  récréations  matliématicpies  (|ui 
retourne  sous  toutes  ses  lôrmes  attrayantes  le  môme  prol)lèine, 
([ii’un  g'énie  généralisateur  cherchant  la  solution  simple  qui 
s’applicpie  à tous  les  cas  particuliei's. 

Pour  terminer  signalons  la  prorusion  et  la  beauté  de  l’illustra- 
tion.  Le  volume  est  ini[>rimé  avec  une  richesse  toute  améi'icaine. 
Mais  ce  n’est  pas  simple  plaisir  de  nous  donner  nn  ouvi'age  de 
grand  luxe.  Les  notations  japonaises  dillérent  tant  des  nôti’es 
(pie  ces  nombreuses  figures  sont  des  plus  utiles  pour  nous  l'aire 
comprendi'e  les  méthodes  de  démonstration  et  de  calcul. 

(Ju’il  nous  soit  permis  de  Ibnmder  un  vu'u  ; c’est  d’avoir 
bientôt  nn  volume  analogue  consacré  aux  mathématiques 
chinoises. 

II.  B. 


M 


lîlliLlOTIIEC.V  SClilPTORU.M  (ju.VECÜKUM  ET  BOM.XiXOHUM  TeUBAER- 
— J)e^  Clitudius  Ploleiivnix  Ilandbuch  der  Astronomie. 
Ans  dem  Griechischen  l'djersetz  und  mit  erkhirenden  Anmer- 
kungen  versehen  von  Karl  Manilius.  Deux  vol.  pet.  in-8"  (J) 
d(î  xxviii-i()J  pages,  1 planche  hors  texte  et  iAfi  pages.  — 
lanpzig,  Teuhner,  19J5  et  l'Jlo. 

Voilà  plus  de  dix  ans  que  dans  le  volume  I de  ses  Claudii 
Plolemaei  Opéra  Oninin,  .M.  Heiberg  a publié  le  texte  gi'ec  de 
V Alma  geste  de  Ptolémée.  Ce  premier  volume,  divisé  en  deux 
tomes,  parut  à Leipzig,  en  J8t)8  et  1D08,  dans  la  Bibliotiiec.v 
Sc.Bii‘TOBU.M  Gr.xecoblm  ET  FtOM.v.xoRUM  Teub.xeri.vîx.v.  Le  texte  de 
.M.  Heiberg  constitue  nn  grand  progi'ès  sur  celui  qui  fut  édité  à 
Paris,  en  J8J3  et  J81fi,  ])ar  l’abbé  Halm.  (Jnant  à ce  dernier,  il 
avait  pratiquement  lemplacé  le  texte  de  l’édition  princeps 
donnée  en  1538,  chez  Yalderus  à Bâle,  par  Simon  Gauricus.  .Vu 


(I)  Ces  (leux  ouvrages  font  partie  de  ta  liiiîuoTitEC.x  Scru’torcm  Gh.veco- 
tii  M ET  ItOM.XNOiic.M  Teubneui.vxa.  Eli  voici  les  litres  : demnita 

asi roiKOfiiac  ad  codicuni  fniau  recemvit,  gennanica  iiiterpndaiionn  et  com- 
iiicnlariis  instni.rit  Cau'ohis  .Manilius.  Lipsiae.  1S'J8.  — llipi>arclii  in  Arali 
et  Enda.ci  phaenonwna  Comment arior uni  libri  très.  Ad  codiann  faleni 
recensait  gennanica  interpretatione  et  commentariis  instru.rit  Carolus 
.Manilius.  I.i])siae,  1801. 


251 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


témoignage  de  M.  Maintins,  celte  édilion  de  riatnicns  est  aussi 
correcte  ([iie  pouvait  l’étre  une  édilion  dn  xvU  siecle.  Le  texte 
grec,  de  V Ahangeste  n’a  élé  impi’inié  en  entier  jnsqn’ici  que 
trois  fois. 

L’édition  de  llalma  conserve  néanmoins  lieanconj)  de  vogue, 
tant  à cause  des  notes  et  éclaircissements  qu’y  ajouta  Delamhre, 
que  iiarce  que  le  texte  y est  accompagné  d’une  traduction 
française,  dette  vogue  se  comprend,  cai'  combien  rares  sont 
les  spécialistes,  à la  fois  astronomes  et  philologues,  capables 
d’utiliser  avec  aisance  le  texte  grec  d’Ileilierg  ! .\ussi,  malgré 
ses  incorrections,  la  traduction  française  d’Ilalma  est-elle  encore 
lieaucoup  recberebée. 

Dans  la  langue  oiignalc,  l’Iolémée,  il  i'aul  b?  leconnailre,  est 
un  auteur  diflicile,  même  [tour  un  bellénisle.  A preuve  cet  aveu 
de  M.  Ileiberg  à la  lin  de  sa  p.réface  (p.  ^’l)  : 

« Inteiqirelalionibus  coinmentariiscpie  Arabibus  iili  non 
potui,  Lalinis  nolui.  Inlerprelalionem  meam,  sive  latinam,  sive 
linguae  recenlioris,  in  tanta  rerum  dilîicullale  addere  ausus 
non  siim.  De  ea  re  videant  asli-onomi  si  inlerprelationem  desi- 
deraverinl.  » 

De  en  re  videmil  axlronomi  si  interprétât ionem  desideraverint^ 
reprend  M.  .Manilius,  c’est  vile  dit,  mais  vraiment  par  li'op 
exiger  des  astronomes  ! Lotir  faire  celle  traduction,  il  leur 
l'audrait  une  connaissance  du  grec  qu’on  ne  [leut  raisonnaltle- 
menl  exiger  d’eux.  Lt  puis,  est-il  plus  aisé  [tour  un  astronome 
d’apprendre  à fond  le  grec,  ([uc  [tour  un  helléniste  d’arriver  à 
comprendre  l’astronomie  ? 

Heureusement  pour  nous,  M.  Maintins  joint  les  qualités  de 
l’astronome  à celles  du  philologue.  Il  l’a  montré  dans  ses  belles 
éditions  de  Geminus  et  d’lli[i[tar([ue,  dont  il  nous  a jadis  donné 
un  texte  critiipie  avec  une  traduction  allemande.  l'eu  nom- 
Itreux  sont  aujourd’hui  les  savants,  capables  de  traduire  comme 
lui  VAlmngeste.  Il  faut  lui  savoir  gré  de  ne  pas  avoir  reculé 
devant  un  travail  aussi  ardu. 

Gomme  base  de  sa  traduction,  le  savant  bellénisle  de  Dresde 
a naturellement  choisi  le  texte  d’ileiberg.  .Mais,  il  l’a  cru  parfois 
susceptible  d’amendements  de  détail  ; notamment  dans  les 
ligures,  tro[)  servilement  reproduites  [>ar  Ileiberg,  dit-il,  d’après 
le  Codex  D (Valicanus  J80). 

Gnant  à la  version  allemande,  a(lirme-t-il  avec  assurance,  les 
critiques  ne  [lourront  celle  fois  lui  re[)rocber  d’être  « frei  wie 
immer  »,  lro[)  libre  comme  toujours.  Les  mots  sont  mis  entre 


BIHLIOÜRAPHIE 


guillemets  par  M.  Manltiiis  Ini-même.  Serrer  de  près  le  texte 
qu’on  traduit  est  parfait  ; mais,  il  faut  rester  intelligible.  Trois 
genres  d’éclaircissements  ont  donc  été  employés  ; de  simples 
mots  entre  parenthèses  intercalés  dans  les  phrases  mêmes  du 
mot  à mot,  de  courtes  notes  au  bas  des  pages,  des  commen- 
taires plus  étendus  renvoyés  à la  lin  de  chacun  des  deux  volumes. 

« Un  souhait  avant  tout,  dit  le  traducteur  vers  la  fin  de  la 
préface.  Puisse  l’étude  de  la  version  allemande  de  VAhnageste, 
mettre  un  terme  à trop  de  jugements  erronés  défavorables 
portés  sur  l’auteur  de  la  Sguta.relAeh  sont  notamment  ceux  de 
Delamhre,  dans  son  Histoire  de  l'Astronomie,  qui  ont  trouvé 
un  si  large  crédit.  Ptolémée  n’a  sans  doute  pas  eu  de  grandes 
qualités  personnelles  d’observateur  ; mais  il  faut  admirer  la 
solidité  et  la  science  avec  lesquelles  il  a élaboré  les  matériaux 
rassemblés  par  ses  prédécesseurs.  Il  ne  mérite  pas  sa  réputation 
de  simple  compilateur,  ou  de  plagiaire  de  son  illustre  devancier 
Hipparque. 

II.  B. 


VII 


L.x  Forme  de  l.v  Terre  et  s.\  CoNSTiTUTiOix  interne,  par 
Alex.  Yéronnet,  docteur  en  .sciences.  Un  vol.  in-(S“  de  3:2  pages. 
— Paris,  Hermann  et  Fils,  1914. 

Si  la  Terre  était  immobile,  si  elle  était  et  avait  toujours 
été  solide  et  timide,  sa  forme  pourrait  être  quelconque  : la  Géo- 
désie se  réduirait  à la  Géographie  et  à la  Topographie.  Mais 
elle  tourne  sur  elle-même  ; elle  fut  fluide  jadis  et  elle  s’est 
refroidie  au  cours  des  âges  en  obéissant  aux  lois  de  la  contrac- 
tion ; aujourd’hui  les  mers  qui  l’environnent  .sont  en  équililbre 
sous  l’action  de  la  pesanteur  et  de  la  force  centrifuge,  et  leur 
surface  de  niveau  prolongée  s’écarte  peu  de  celle  des  continents. 
La  Géodésie  n’est  donc  pas  une  science  sans  objet. 

Par  les  travaux  qu’elle  a suscités,  l’étude  théorique  de  la 
forme  de  la  Terre  se  rattache  aux  idées  que  l’on  s’est  laites  de 
la  pesanteur,  à l’bistoire  de  la  gravitation  universelle  surtout, 
dont  elle  a été,  à l’origine,  une  des  plus  éclatantes  confirma- 
tions ; elle  nous  a valu  des  chefs-d’œuvre,  le  Traité  de  Clai- 
raut  sur  la  figure  de  la  Terre,  entre  autres,  que  l’on  a comparé 
et  même  égalé  aux  plus  beaux  chapitres  du  livre  des  Principes. 


25(3 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Klle  n’a  pas  (.'onlriliiié  seulement  an  progrès  des  grandes 
11)éories  aslrononiicines,  elle  a aussi  pnissaininent  aidé,  par  les 
nomhi'enses  ex[)édilions  ([u’elle  a provo(piées,  an  peri'eclionne- 
nient  des  instruments  et  des  méthodes  d’ohservation  et  nous  a 
l’oiirni,  sur  l’intérieur  de,  notre  globe,  des  notions  précieuses 
dont  la  géologie  a hénélicié. 

C’est  à ces  travaux  et  à leni-s  conclusions  que  .M.  Yéronnet 
consacre  une  étude  Instoricpie  et  criticpie  dont  les  éléments  sont 
puisés  aux  meilleui's  sources. 

Sans  se  perdre  dans  les  détails,  il  s’est  attaclié  à mettieen 
lumière  les  traits  essentiels  de  ces  recherches,  et  à en  peseï'  les 
apports.  Il  en  i-ésulte  une  monographie  excellente,  mise  à la 
portée  du  gland  public  auquel  nous  la  recommandons  volon- 
tiers. 

« Il  tant  diie  en  somme,  conclut  l’auteur,  que  la  Terre  aiïecte, 
dans  son  ensemble,  la  forme  d’une  .surface  sphériipie,  qui  s’est 
déformée  légèrement,  et  à peu  près  également,  dans  deux  sens 
dilférents  ; dans  le  sens  ellipsoïdal  sous  l’action  de  la  rotation 
on  de  la  lorce  centrifuge,  et  dans  le  sens  tétraédiiqne  sous 
l’action  du  refroidissement  eide  la  contraction.  Ces  deux  pous- 
sées de  défnnnalion  de  la  surface  siihériipie  atteignent  exté- 
rieurement à peu  près  les  mêmes  valeurs  de  kilomètres,  du 
moins  si  l'on  ne  regarde  ([ue  la  surface  .solide  pour  la  l'orme 
tétraédri([ue.  » La  différence  entre  les  deux  rayons  de  l’ellipsoïde 
terrestre  est  en  effet  de  'iO  kilomètres,  et  la  dillerence  entre  les 
sommets  des  plus  hautes  montagnes  et  les  fonds  des  mers  les 
plus  bas  atteint  à peu  piès  la  même  valeui'.  (t  Le  sphéroïde  ter- 
restre est  téli’aédrique  aussi  bien  qu’ellipsoïdal,  et  cela  au 
même  titie,  aussi  peu,  mais  autant.  » 

.V  .\. 


Mil 

I.  — Les  lois  empuîioies  nu  systè.me  solaire  et  les  har.mo- 
îsTQUES  TOUiîRiLLON.vAiRES,  par  F.  BuTAVAM),  ingénieur  des  Ponts 
et  Chaussées.  Un  vol.  in-8'’  de  43  pages.  — [’aris,  Cauthier- 
Villars,  UIJ3. 

II.  — I31Iah.mo.me  ïuurrillo.vxaihe  de  l’atome.  Les  spectres 
et  les  éléments,  par  F.  LIutavamj,  ingénieur  des  Ponts  et 
Chaussées.  Un  vol.  in-S"  de  50  pages.  — Paris,  Cautliier- 
Villars,  ion. 


BIBLIOGRAPHIE 


1.  — Ou  ai)pelle  «-lois  eotpiriijues  du  sffslème  solaire,  (les 
relalions  (ilahlics  en  dehors  de  tonte  théorie  cosmogonique  et 
par  des  méthodes  totalement  artificielles,  permettant  d’obtenir, 
avec  une  approximation  pins  on  moins  grande,  les  éléments  des 
planètes  en  fonction  dn  rang,  on,  à la  rignenr,  en  fonction  de 
la  distance  an  Soleil.  » La  loi  de  liode,  qne  l'on  trouve  dans  tons 
les  traités  de  Cosmographie,  est  une  loi  empirique  relative  aux 
distances  des  planètes  an  Soleil. 

De  nombreux  chercheurs  se  sont  livrés  à ce  jen  de  patience, 
sontenns  par  la  conviction  qne  la  répartition  des  éléments  dn 
système  solaire  n’est  pas  due  an  hasard. 

M.  Dntavand  précise  davantage.  « Il  semble  bien,  dit-il,  (pi’il 
se  passe,  i)oni'  ces  (jnantités,  nn  fait  analogue  à celui  qu’on 
observe  en  chimie,  on  les  projn  iétés  des  corps  paraissent  être 
des  fonctions,  à période  pins  on  moins  apparente,  d’nne  seule 
et  même  variable  ; le  rang  de  l’élément  dans  la  classification 
générale,  on  dans  la  famille.  » 

Il  est  malaisé,  sinon  impossible,  à qui  cherche  une  loi  empi- 
rique, de  ne  pas  joindre  aux  données  objectives  dn  proldème, 
comme  le  fait  ici  M.  Dntavand,  une  anticipation  de  l’esprit  qui 
oriente  les  calculs,  suggère  les  interprétations  et  parfois  les 
égare.  Képler  n’a-t-il  pas  voulu  voir  une  relation  entre  la  répar- 
tition des  distances  des  planètes  an  Soleil  et  le  problème  de 
l’inscription  des  polyèdres  régidiers? 

D’autre  part,  tons  ceux  qin  jnsqn’ici  se  sont  donnés  à la 
recherche  des  lois  empiriques  dn  système  solaire,  ont  porté 
leurs  efforts,  non  sur  tons  ses  éléments,  mais  sur  nn  certain 
nombre  d’entre  eux  pins  facilement  accessibles  on  qui  leur 
paraissaient  pouvoir  être  moins  arbitrairement  isolés  et  étudiés 
séparément.  Cette  disjonction  d’éléments  intimement  enchainés, 
peut  aussi  ne  pas  être  sans  inconvénient  et  justitie  certaine 
réserve. 

f’aut-il  en  conclure  qne  ces  lois  empiriques  sont  simplement 
curieuses?  — Leurs  auteurs  eux-mêmes  en  ont  parfois  jugé  ainsi  ; 
mais,  le  plus  souvent  ils  y ont  vu  de  lu'écieuses  indications 
.sur  les  origines  de  notre  système  solaire,  ou  d'éloquentes  contir- 
mations  de  telle  ou  telle  hypothèse  cosmogonique  qu’elles  s’accor- 
daient à vérifier.  C’est  ainsi  que  l’astronome  américain,  Hinrichs, 
a vu,  dans  la  loi  de  Dode,  une  conséquence  de  la  condensation 
progressive,  régulière  et  proportionnelle  au  temps,  de  la  nébu- 
leuse solaire  telle  que  Laplace  l’avait  conçue  ; en  sorte  que  les 
IIP  SÉIUE.  T.  XXVI.  J 7 


258 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


iiom])res  (|iii  mesurent  les  dislaiires  des  planètes,  mesureraient 
aussi  les  durées  qui  ont  séparé  leur  lormalion. 

C’est  sur  les  distances  des  planètes,  leurs  masses  et  leurs 
rotations  que  s’est  exercée  suiTout  la  sagacilé  de  M.  Butavand. 
Il  a réussi  d’excellente  l'açon  ; la  vérilication  des  lois  qu’il  for- 
mule est,  en  général,  très  satisfaisante  ; son  livre,  très  intime- 
ment soudé  à V Essai  de  cosmo(/o)iie  tourbillonnaire  deM.  Belot, 
lui  apporte  une  contribution  de  valeur. 

II.  Boincai'é,  dans  ses  Leçons  sur  les  hypothèses  cosmogo- 
)iiques(\),  termine  ainsi  l’étude  qu’il  consacre  à la  théorie  de 
.M.  Belot  : 

« Ouelles  ([ue  soient  les  criti([ues  (pie  nous  avons  cru  devoir 
formuler  sur  divers  points  de  cette  tbéoiie,  cette  tentative 
mérite  l’attention.  Si  on  peut  reprocher  à M.  Belot  d’avoir  été 
un  peu  plus  audacieux  qu’il  ne  convient  de  l’étre  dans  l’état 
actuel  de  la  Science  et  d’avoir  voulu  prématurément  trop 
emhrasseï-,  et  si  ses  idées  ne  semblent  pas  pouvoir  être  acceptées 
sous  leur  forme  actuelle,  il  semble  cpi’il  lient  être  utile  de  les 
faire  connaître,  parce  (pie  l’on  pourra  un  jour  y trouver  à 
g-laner  d’intéressantes  vérités».  En  terminant  sa  brochure, 
.M.  Butavand  rapiielle  ce  jugement  de  l’illustre  mathématicien. 
« La  conliance  témoignée  par  ces  paroles  à la  conception  tour- 
billonnaire, dit-il,  était  bien  placée;  on  en  a une  nouvelle 
jireuve,  [luisqu’il  sullit  d’y  ajouter  riiypotbèse  d’harmoniques 
pour  obtenir  une  ainiile  moisson  de  résultats  qu’aucune  théorie 
-cosmogonique  n’avait  pu  produire  jusqu’à  maintenant  : explica- 
tion sommaire,  mais  simple,  des  lois  des  masses,  des  densités, 
des  excentricités,  des  rotations;  explication  des  particularités 
des  Astéroïdes  et  même  des  inégalités  de  la  loi  exponentielle 
des  distances.  » 

11.  — Dans  sa  seconde  lirocbure,  M.  Butavand  abandonne  la 
<-osmogonie  pour  appliquer  le  principe  de  rharmonie  tourbil- 
lonnaire à l’atome,  constitué  conformément  à la  conception  de 
.M.  Belot,  en  vue  d’obtenir  un  schéma  général  dans  lequel  pren- 
draient place  les  lois  et  les  particularités  des  spectres  de  lignes, 
des  spectres  de  bandes,  des  phénomènes  de  Zeeman  et  de  la 
dassitication  des  éléments. 

Voici  un  aperçu  de  la  table  des  matières  ; La  théorie  tourbil- 
lonnaire. Les  lois  spectrales.  La  théoi’ie  de  Bitz.  Le  tourbillon 


(t)  Seconde  édition,  p.  i79,  1913. 


BIBLIOGRAPHIE 


259 


atomique  et  les  raies  spectrales.  Les  harmoniques  tourbillon- 
naires. La  formule  de  fiydberg  et  l’e-xposant  Képlérien.  L’évo- 
lution adiabatique  des  nappes.  Les  spectres  de  bandes  et  les 
harmoniques.  Les  lois  des  spectres  de  bandes.  Les  effets  de 
Zeeman  et  les  harmoniques.  La  gamme  chimique  et  la  classifi- 
cation des  éléments.  Les  propriétés  générales  de  l’atome.  La 
valence.  Conclusion. 

« On  a pu  dire  avec  raison  que  le  secret  de  la  constitution  de 
l’atome  est  inscrit  dans  1e  spectre  en  hiéroglyphes  que  nous  ne 
savons  pas  déchilfrer...  L’harmonie  tourbillonnaire  nous 
apporte  la  clef,  imparfaite  encore  sans  doute,  mais  très  simple, 
de  ce  mystère... 

» L’harmonie  tourbillonnaire  constitue  un  cadre  simple  et  très 
général  dans  lequel  viennent  se  caser  naturellement  toutes  les 
particularités  des  spectres  de  lignes,  des  spectres  de  bandes  et 
des  effets  de  Zeeman.  Elle  nous  a même  conduit  cà  des  aperçus 
significatifs  concernant  la  périodicité  atomique  et  le  classement 
des  éléments  par  famille...  Avec  l’harmonie  tourbillonnaire,  une 
foule  de  phénomènes  qui  paraissaient  énigmatiques  et  dispa- 
rates, deviennent  familiers;  on  a l’impression  qu’un  coin  du 
voile  qui  nous  cachait  le  secret  de  la  genèse  des  mondes  et  de 
celle  de  la  matière  se  soulève  enfin. 

))  C’est  le  même  phénomène  de  balistique  qui  a donné  nais- 
sance aux  mondes  et  aux  atomes,  et,  du  très  petit  au  très  grand, 
tout  est  dans  l’univers  bâti  sur  le  même  modèle...  Dans  l’atome 
les  corpuscules  se  repoussent;  dans  le  monde  solaire,  les  par- 
ticules de  matière  s’attirent,  ce  qui  donne  à chacun  d’eux  sa 
physionomie  propre...  L’évolution  des  nappes  aurait  été  adia- 
bati([ue  pour  l'atome,  et  isothermique  pour  le  .système  solaire. 
Malgré  ces  dissemblances,  les  analogies  restent  considérables  et 
significatives.  Les  variations  immédiates  et  les  alternances  qui 
jouent  un  rôle  important  dans  le  cas  des  astéroïdes,  se  retrou- 
vent pour  ainsi  dire  telles  quelles  dans  les  spectres  de  bandes 
et  dans  le  phénomène  de  Zeeman.  » 

Ceux  qui  ont  accordé  quelque  attention  aux  idées  exposées 
par  l’auteur  dans  son  précédent  ouvrage  sur  les  Lois  empiriques 
du  système  solaire  et  les  harmoniques  tourbillonnaires,  liront 
avec  intérêt  le  nouveau  travail  qu’on  leur  présente. 


L.  U. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


2()0 


IX 


0.  I)  CinvoLSON,  itrolesseur  à l’rniversilé  impériale  de 
Sl-l*étersbonrg.  Tuaité  de  Physique,  ouvrage  traduit  sur  les 
éditions  russe  et  allemande  par  E.  Davaux,  ingénieur  de  la 
Marine.  I^dition  i-evue  et  considérablement  augmentiie  par  l’au- 
teur, suivie  de  notes  sur  la  IMiysique  Ibéorique  par  K.  Cosser.aï 
et  E.  CossEUAï.  Tome  IV,  Deuxième  lascicule.  Cluunp  magné- 
tique constant.  Un  vol.  grand  in-(S"  de  4ol-JJ0:2  pages,  avec 
:284  figures  dans  le  texte. 

Tome  Y,  Premier  fascicule.  Champ  magnétique  variable.  Un 
vol.  grand  in-8°  de  ^fifi  pages,  avec  dfi  figures  dans  le  texte. 
— Paris,  .\.  Hermann  el  Pils,  J!H8,  JDJ4. 

La  traduction  française  du  Traité  de  Physique  de  (ihwolson 
se  poursuit  avec,  la  même  ampleur  de  doctiâne  et  la  même 
abondance  de  renseignements  bibliograpbiiiues.  De  tels  déve- 
loppemenls  ont  élé  donnés  à l’exposition  de  l’Electricité  et  du 
■Magnétisme,  que  seules  l’étude  du  cbamp  électrique  constant  et 
celle  dn  cbamp  magnétiipie  constant  ont  pu  être  comprises  dans 
le  tome  IV  qid  devait  piimitivement  contenir  tout  ce  qui  se 
ra[)porte  à Vénergie  électrique. 

.\ous  avons  signalé  déjà  la  publication  du  premier  fascicule 
de  ce  tome  IV,  consaci’é  au  champ  électrique  constant.  Le 
second  fascicule,  qui  achève  ce  tome,  traite  du  champ  magné- 
ti(pie  constant  ; voici  le  résumé  de  la  table  des  matières. 

Eli.  I.  Propriétés  do  champ  magnéti(iae  constant.  — Ch.  II.  Sources  du 
champ  inagnétiiine.  .\imants.  — Ch.  III.  Sources  du  champ  magnéticiue.  Cou- 
rant électricpie.  — Ch.  IV.  Phénomènes  thermiques  et  mécatiiques  à l’inté- 
rieur d’un  circuit.  — Ch.  V.  Phénomènes  chimiques  à l’intéi-ieur  d’un  circuit. 
Electrolyse.  'l'héorie  du  courant  hydro-électrique.  — Ch.  VI.  Phénomènes 
thermo-électri(pies  à l’intérieur  d'un  circuit.  — Ch.  VII.  .\ctions  ponderomo- 
trices  du  chauq)  magnétique.  — Ch.  VIII.  Induction  de  l’État  magnétique 
dans  les  corps.  On  trouve  dans  ce  chapitre  l’exposé  des  nouvelles  théories 
moléculaires  du  magnétisme  de  .1.  .1.  Thomson,  \V.  Voigt,  P.  Langevin, 
P.  Weiss  (Théorie  des  magnétons).  — Ch.  IX.  .\ction  du  champ  magnétique 
sur  les  corps  qu’il  contient.  — Ch.  X.  Mesure  des  résistances  électriques. 
.Méthodes  et  résultats.  — Ch.  XL  Mesure  de  l’intensité  d’un  courant,  de  la 
force  électromotrice  et  de  l’intensité  du  champ  magnéti(iue. 

Le  premier  fa.'^cicnle  dn  tome  V,  traite  dit  champ  magné- 
tique varicdAe.  L’exposé  objectif  et  le  rapprochement  des  théo- 


BIBLIOGRAPHIE 


2()i 


lies  les  plus  récentes,  et  aussi  les  plus  controversées,  l’endent 
ce  fascicule  particulièrement  intéressant. 

il  s’ouvre  par  un  chapitre  d’introduction  où  sont  exposées  les 
propriétés  des  scalaires  et  des  vecteurs,  les  relations  mutuelles 
entre  les  champs,  et  quelques  notions  préliminaires  sur  les 
phénomènes  radioactifs. 

Le  chapitre  II  est  consacré  au  phénomène  d’induction  et  à 
ses  applications  : Énergie  du  champ  magnélicpie  ; modèles.  Théo- 
rie approchée  de  la  hohine  d’induction.  Le  courant  alternatif: 
Théorie  approchée  du  transformateur.  Courants  de  Foucault. 
Induction  unipolaire. 

La  théorie  de  Maxwell  fait  l’objet  du  cliapitre  III  : Equations 
de  Maxwell.  Théorème  de  f^oynting  et  Ilux  d’énergie.  Diélec- 
triques et  aimants.  Conducteurs  et  semi-conducteurs.  Equations 
de  Hertz  pour  les  corps  en  mouvement.  Détermination  expé- 
rimentale de  la  grandeur  v. 

On  aliorde,  dans  le  chapitre  lY,  les  fondements  de  la  théorie 
électronique  et  la  dynamique  des  électrons.  Un  paragraphe, 
ajouté  là  l’édition  française  par  MM.  E.  et  F.  Cosserat,  expose  la 
notion  (Vaction  dans  la  dynamique  de  l’électron,  d’après  les 
recherches  de  H.  A.  Lorentz,  K.  Schwarzschild  et  H.  Poincaré. 

Enfin,  un  chapitre  nouveau,  rédigé  par  l’auteur,  est  consacré 
au  principe  de  relntivité  : Le  principe  de  relativité  dans  la 
mécanique  newtonienne.  Milieux  de  propagation  ; l’air  et 
l’éther.  Uecherches  expérimentales.  Hypothèses  de  Fitzgerald 
et  de  Lorentz.  Temps  local  de  Lorentz.  Les  idées  d’Einstein. 
Conséquences  du  principe  de  relativité.  La  théorie  de  Minkowski. 
Les  idées  relativistes  au  point  de  vue  mathématique  : ce  para- 
graphe a été  ajouté  par  MM.  E.  et  F.  Cosserat.  La  question  des 
horloges.  Conclusion  ; « On  peut  exposer  ce  qu’il  y a d’essentiel 
dans  la  théorie  de  la  relativité  sans  avoir  recours  à des  illustra- 
tions qui  exigent  la  considération  de  l’heure  ; c’est  ce  que  je  me 
suis  efforcé  de  laire  dans  les  pages  précédentes. 

» Le  tableau  de  l’état  actuel  (1914)  de  la  théorie  de  la  relati- 
vité serait  incomplet,  si  nous  ne  parlions  pas,  pour  finir,  du 
désaccord  qui  existe  entre  les  physiciens  sur  la  .signification  de 
cette  théorie  et  sur  la  réalité  physique  de  ses  conséquences. 
Beaucoup  la  regardent  comme  détniitivement  établie,  comme 
ne  pouvant  donner  lieu  cà  aucun  doute  et  enfin  comme  introduite 
pour  toujours  dans  le  trésor  de  la  Science.  Mais  il  existe  aussi 
des  savants,  et  non  en  petit  nombre,  qui  traitent  cette  théorie 
avec  scepticisme  et  même  la  repoussent  absolument,  l’envi- 


2(32 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


sageant  comme  un  simple  jeu  d’esprit  (ein  drolliger  Wilz).  En 
toute  rigueur,  (luand  on  ne  renonce  pas  à l’existence  de  l’éther, 
on  ne  peut  rester  complètement  d’accord  avec  la  théorie  de  la 
relativité. 

» 11  tant  attendre  de  l’avenir  la  solution  des  questions  en 
litige,  et  l’explication  de  la  véritable  signification  phi/sique  du 
principe  de  relativité.  » 

J.  T. 


X 


Hadi.xtions  visiiiLES  ET  i.wisiiiLEs.  r-onléreiices  laites  à l’Insti- 
tution royale  de  la  (jrande-Bretagne,  augmentées  de  conférences 
nouvelles,  par  Silv.anus  P.  Thompson,  traduites  et  annotées  par 
L.  Dunoyeii.  Seconde  édition,  revue  et  augmentée.  Un  vol.  iii-8’ 
de  iii-37()  pages  avec  J9ti  ligures.  — Paris,  A.  Hermann  et 
Fils,  1914. 

Il  y a près  d’un  siècle,  le  12  décembre  1825,  l’Institution  royale 
de  la  Grande-Bretagne  instituait  des  conférences  destinées  à la 
jeunesse,  où  des  maîtres  éminents  exposeraient  en  un  langage 
simple  et  en  s’aidant  d’expériences,  dans  la  mesure  la  plus  large 
possible,  les  principes  et  les  faits  relatifs  à quelques  progrès 
récents  de  la  science.  Les  Christmas  lectures  sont  restées  jus- 
qu’ici en  grand  honneur,  et  elles  n’ont  rien  perdu  de  la  valeur 
et  de  l’attrait  qu’ont  su  leui-  donner  des  savants,  tels  que  Fara- 
day, Tyndall,  lord  Kelvin,  .Maxwell,  Tait,  Lodge,  etc. 

Bien  de  plus  instructif,  rien  de  plus  captivant  que  ces  leçons 
où  la  rigueur  des  principes  s’allie  à la  simplicité  de  l’exposition 
et  au  charme  d’une  mise  en  scène  expérimentale  toujours  très 
riche,  souvent  originale,  et  où  se  déploie  l’art,  très  cultivé  par 
les  physiciens  anglais,  de  la  construction  de  modèles  destinés 
à peindre  aux  yeux  les  phénomènes  les  plus  cachés. 

Telle  est  l’origine  et  telles  sont  les  qualités  du  livre  excellent 
publié,  en  1897,  par  .M.  le  Professeur  Silvanus  Thompson,  sous 
le  titre  Light  visible  and  invisible  : il  reproduisait  les  Christmas 
lectures  de  189(3.  Une  seconde  édition  anglaise  parut  en  1910, 
enrichie  de  deux  conférences  nouvelles.  C’est  de  cette  seconde 
édition  que  M.  L.  Bunoyer  nous  offre  une  traduction  française 
lidèle,  élégante,  digne  en  un  mot  de  l’original,  et  augmentée 
de  notes  et  d’appendices  qui  précisent  certaines  indications, 


BIBLIOGRAPHIE 


2G3 


ajoutent  quelques  détails  sur  les  techni([ues  nouvelles  et  expo- 
sent les  conquêtes  les  plus  récentes  de  la  physiipie  dans  les 
limites  qu’embrassent  les  conférences  de  M.  S.  Thompson. 

Il  en  résulte  un  exposé  bien  tà  jour  et  très  clair,  basé  sur 
l’expérience  et  ordonné  avec  le  souci  constant  d’établir  entre  les 
phénomènes  une  parfaite  coordination  de  tout  ce  qu’il  y a 
d’essentiel  dans  le  domaine,  aujourd’hui  si  riche  et  si  complexe, 
des  radiations  ; ce  mol,  (pie  M.  Dunoyer  substitue  avec  raison 
au  mot  lifjht  de  l’édition  anglaise,  comprenant  non  seulement 
les  perturbations  de  l’éther,  périodiques  ou  solitaires,  telles  que 
les  ondes  hertziennes  de  toutes  les  longueurs,  l’infra-rouge,  la 
lumière  visible,  l’ultra-violet,  les  rayons  Roentgen  et  les  rayons 
T du  Radium,  mais  aussi  les  rayonnements  de  nature  corpus- 
culaire ; les  rayons  cathodiques,  les  rayons  canaux,  les  rayons 
a et  P des  corps  radioactifs,  etc.,  dont  les  propriétés  sont  celles 
de  trajectoires  de  particules  douées  d’une  charge  électrique, 
positive  ou  négative,  et  d’une  masse  réelle  ou  apparente. 

Sans  doute,  la  matière  d’un  aussi  vaste  sujet  n’est  pas  épuisée  ; 
le  but  même  de  ces  conférences,  l’auditoire  auquel  elles  s’adres- 
saient imposaient  un  choix,  assignaient  des  limites  que  l’on  eût 
pu  franchir  sans  porter  atteinte  à Tunité  synthétique  de  l’en- 
semble. « Bien  des  branches  de  l’optique,  écrit  M.  S.  Thompson, 
ont  été  nécessairement  omises  dans  un  si  rapide  exposé  : c’est 
le  cas  de  l’analyse  spectrale  tout  entière,  de  la  construction  et 
de  la  théorie  des  instruments  d’optique,  delà  majeure  partie  de 
ce  qui  concerne  la  vision  colorée.  On  n’a  fait  aucune  tentative 
pour  les  y introduire  et  leur  omission  n’invoque  aucune  excuse. 
On  voudra  bien  juger  de  ces  conférences  par  ce  qu’elles  con- 
tiennent, et  non  par  ce  qu’elles  ne  contiennent  pas.  » Or,  ce 
(lu’elles  contiennent,  le  charme  et  le  profit  qui  s’attachent  à leur 
lecture,  en  font  tout  autre  chose  qu’une  œuvre  de  vulgarisation, 
d’où  la  rigueur  et  les  vues  synthétiques  sont  généralement  ban- 
nies et  qu’on  parcourt  en  courant  sans  autre  résultat,  le  plus 
souvent,  que  celui  de  perdre  son  temps.  A l’étudiant  qui  médi- 
tera les  conférences  de  .M.  S.  Thompson,  la  doctrine  qu’elles 
renferment  et  les  dispositions  expérimentales  dont  elles  abon- 
dent, il  sera  donné  d’enrichir  son  esprit,  de  clarifier  ses  idées, 
d’apprendre  et  de  comprendre  beaucoup  de  choses,  sans  se 
mettre  la  tête  en  capilotade. 

Il  suffit  pour  en  faire  la  preuve,  de  parcourir  les  sommaires 
des  huit  conférences  qui  se  partagent  l’ouvrage. 


REVI'E  DES  gUESTIOXS  SCIENTIFigUES 


•26  i 

La  première  a pour  litre  Lumière  et  omhre  : 

l'.ommeiil  se  propagent  les  ondes  lumineuses.  — E.xpériences  de  production 
d'oniles  à la  surface  d’une  cuve.  — Comment  se  forment  les  ombres.  — 
Comment  les  ondes  lumineuses  convergent  et  divergent.  — Mesure  de  l’inten- 
sité de  la  lumière.  — llétlexion  de  la  lumière  par  les  miroirs.  — Formation 
des  itiiages.  — Hélle-viou  régulière  et  réllexion  irrégulière.  — Réllexion 
diffuse  par  le  papier  et  les  surfaces  rugueuses.  — Images  multiples.  — lïéfrar- 
tion  de  la  lumière.  — Lentilles.  — L’udl  en  tant  ipCinstrument  d’optirjue.  — 
Quehiues  expériences  curieuses.  — lîetjversement  des  images.  — Les  miroirs 
magiijnes  du  .Iaj)on.  — Les  miroirs  magiipies  anglais.  — Apimidice.  l.a 
méthode  générale  de  l'opti(pie  géométri(iue. 

« I.es  itlées  dévelopitée.s  dans  celle  première  leçon,  écrit 
M.  S.  Thompson,  ont  leur  origine  dans  la  conviction  qtie  ren- 
seignement traditionnel  de  l’oplitpte  géométrique  fait  complète- 
ment lansse  roule,  en  ignorant  systématiqitement  la  nature 
ondtilatoire  delà  Itimière.  Lotir  les  élndiants  et  les  proresseurs, 
on  a ajotilé,  à la  première  leçon,  tm  appendice  dans  lequel  les 
idées  nouvelles  ont  été  développées.  » Voici  les  litres  des  para- 
graphes princiitatix  de  cet  appendice  : Hase  de  la  méthode 
ondtilaire.  Détermination  de  la  conrhnre.  .Notations.  Relation 
entre  cotirhnres  successives.  Formtdes  de  réfraction.  Formnles 
des  lentilles.  Formules  générales.  Formtdes  relatives  à deux 
lentilles  minces  à une  certaine  distance  Tune  de  l’antre.  For- 
mnles pour  ht  réllexion. 

D'antres  a[)pendices  font  suite  aux  antres  leçons  et  tendent 
an  même  hnl  : comhler,  dans  une  cerltiine  mesure,  les  lacunes 
inévitables  dans  ce  genre  de  conférences. 

I.;t  seconde  s’intitule  : Le  spectre  visible  et  l’œil  : 

Couleur  et  longueur  (l’omle.  — Nuances  de  l’arc-en-cipl.  — l,e  spectre  des 
couleurs  visibles.  — Specti’es  produits  par  un  pristne.  — Spectres  produits 
par  un  réseau.  — Composition  de  la  lumière  blanclie.  — Expéi-iences  sur  le 
mélange  des  couleurs.  — .Vnalyse  des  couleurs.  — l.e  bleu  et  le  jaune,  mêlés, 
font  du  blanc  et  non  du  vert.  — Teintes  complémentaires.  - Teintes  de  con- 
traste causées  par  la  fatigue  de  rudl.  — .\utres  phénomènes  de  persistance 
(le  la  vision.  — Zoétrope.  — .\nimatographe  (Cinémalograpliet.  — A])pen- 
dice.  KélVaction  anormale  et  dispersion. 

Troisième  conférence,  Polarisnlion  de  la  lumière  : 

Sens  du  mol  Polarisation-  — Comment  on  polarise  les  ondes  lumineuses. 
— Illustration  sur  des  modèles.  — Polariseurs  en  verre,  en  spath  calcaire, 
lamelles  de  tourmaline.  — Comment  un  polariseur  peut  supprimer  la  lumière 
])olarisée.  — I*roprièlé  des  cristaux.  — Emploi  de  la  lumière  polarisée  pour 
déceler  de  fausses  pierres  précieuses.  - Rubis,  saphirs  et  améthystes.  — 
Polarisalion  par  doidjle  réfraction.  — (Nirieux  phénomènes  de  coloration,  en 


BIBLIOGRAPHIE 


2() 


)0 


hiinirre  polarisée,  produite  par  des  lames  cristallines  minces,  incolores,  pla- 
cées entre  polarisenr  et  analyseur.  — Étude  plus  complote  des  teintes  com- 
plémentaires et  snpi)lémentaires.  — Mise  en  éviilence  lie  glissements  par  la 
lumière  polarisée.  — ElTets  produits  sur  le  verre  par  la  compression  et 
réchaullèment.  — Appemlice.  La  théorie  élastique  de  la  lumière. 

Au  sujet  de  celte  Iroisième  cotilerence,  M.  S.  Thompson  écrit 
dans  l’introduction  de  son  livre  : « l’iusieurs  des  idées  qn’il  est 
indispensable  de  bien  saisir,  celle  de  la  [tolarisatioti  de  la  lumière 
par  exemple,  sont  communément  considérées  comme  d’une 
extrême  ililüculté  ; or  ce  n’est  pas  tant  dans  les  idées  elles- 
mêmes  ((ue  git  la  dilbculté,  que  dans  le  langage  dans  lequel 
elles  sont  généralement  exprimées.  Une  expérience  d’un  bon 
nombre  d’années  a convaincu  l’auteur,  que  les  caractères  essen- 
tiels des  phénomènes  de  polarisation  sont  très  aisément  saisis 
parties  [tersonnes d’intelligence  moyenne,  même  par  des  entants, 
pourvu  tpi’ils  soient  présentés  sous  une  l’orme  moderne,  dénuée 
de  termes  pédants,  et  illustrés  par  des  modèles  convenables, 
[.a  même  remarque  pourrait  s’appliquer  aux  autres  parties  de 
l’optitpie,  comme  les  interférences  ou  la  ditfraction,  auxquelles 
il  est  simplement  fait  allusion  dans  ces  conférences.  » 

Ouatrième  conférence.  Le  invisible  {véÿ\o\\  ultra-vio- 

lette) : 

Le  spectre  s'élenil,  d'une  manière  invisible,  de  part  et  d’autre  de  la  partie 
visitée.  — En  deyà  de  l’extrémité  rouge  se  trouvent  des  ondes  invisil)les  et 
jilus  longues,  qui  produisent  un  échautfernent  des  corps  sans  les  illuminer. 
— On  les  appelle  ondes  calorifiques  infra-rouge.  — .\u  delà  de  l’extrémité 
violette  du  spectre  visible  sont  les  ondes  invisibles  plus  courtes,  ([ui  pro- 
duisent les  ellets  chimiques.  — Ou  les  appelle  ondes  actiniques  ou  nltra-vio- 
lettes.  — Lomment  on  peut  tamiser  la  lumière  ultra-violette  invisible  et  la 
séparer  de  la  lumière  visilile.  — Comment  on  peut  rendre  visilile  la  lumière 
ultra-violette  invisible.  — Emploi  d’écrans  fluorescents.  — Itéflexion,  réfrac- 
tion, polarisation  de  la  lumière  ultra-violette  invisible.  — Luminescence  ; 
luminescence  temporaire  ou  lluorescence  ; luminescence  persistante  ou  |)hos- 
phorescence.  — Comment  on  peut  faire  de  la  « peinture  lumineuse  ».  — 
Expériences  sur  les  corps  phosphorescenU.  — Autres  propriétés  de  la  lumière 
ultra-violette  invisible.  — Son  pouvoir  de  décharger  les  corps  chargés  néga- 
tivement. — .\ction  photographique  de  la  lumière  visible  et  de  la  lumière 
invisible.  — La  photographie  des  couleurs.  — Mécouverte  par  Lippman  de 
la  véritable  photographie  des  couleurs.  — La  reproduction  de  la  couleur  des 
objets  par  la  photographie  trichrome.  — Photochromoscope  d’Yves. — Appen- 
(Uce.  Table  des  longueurs  d’ondes  (en  microcenlimètres)  et  de  fréquences. 

M.  Dttnoyet'  complète  cette  table  en  donnant  en  note  les  ren- 
seignementssnivants:«l)epuisla  publication  de  l’édition  anglaise 
d’on  ce  lableati  est  extrait,  le  domaine  des  grandes  longueurs 


4.^  )l) 


REVUE  DES  QUESTIONS  SOIENTIFIQUES 


d’onde  s’est  considéral)lement  eni’irhi.  Après  les  rayons  ft  res- 
tants D de  la  llnorine  on  :2'(-00  micro-rentimèlres),  ont 

(Ué  déronverts  ceux  du  sel  gemme  (X  = A7  p et  oi  p),  de  la  syl- 
vine  (ü:2  p el  70  p),  du  hromnre  de  polassium  (X  = 7(5  p et  8(5  p) 
et  de  l’iodure  de  polassium  (X  = !)l5p).  Kniin  .MM.  lluhens  et 
Wood  ont  pu  isoler,  dans  le  rayonnement  du  manrlion  Auer, 
des  radiations  dont  la  longueur  d’onde  moyenne  alteint  J08  p. 
.Mais  re  n’est  [>as  encoi’e  tout;  .MM.  Huhens  et  von  Haeyer  ont 
montré  réremment  (IDll)  (jne  la  lampe  à vapeur  de  mercure 
en  quartz  émet  un  rayonnement  quiconlienl,en  quantité  notable, 
des  radiations  dont  la  longueur  d’onde  est  d’environ  31A  p,  soit 
1/3  de  millimètre.  La  continuité  entre  les  ondes  heriziennes... 
et  les  ondes  lumineuses,  est  [)resque  complètement  établie.  » 

Lin(]u:ème  conférence,  Le  spectre  invisible  fiidra-rouge)  : 

Comment  on  p(‘nl  séparer  la  lumière  inl'ra-rong-e  invisible  de  la  lumière 
visible.  — E\i)ériences  sur  rab.sorjition  et  la  transmission  de  la  Inmière  invi- 
sible infra-roug-e.  - Le  verre,  transparent,  l'arrête  ; l’ébonite,  o))a(iue,  la 
transmet.  — Emploi  du  radiomètre.  — Emploi  de  la  pile  ihermoélertriipie  et 
du  Itolomètn;.  Enduit  thermo-indicateur.  — Ex])ériences  sur  la  rèllexion, 
la  réfraction  et  la  polaiàsation  de  la  lumière  invisil)le  infra-rouge.  — Décou- 
vei  te  par  Hertz  de  la  propagation  des  ondes  électriques.  — l.es  ondes  hert- 
ziennes sont  en  réalité  de  gigantesques  ondes  de  lumière  invisible.  — Expé- 
riences sur  les  pi’opriétés  des  ondes  heriziennes  ; leur  réltexion,  leur  réfrac- 
tion et  leur  polarisation.  — (jènéralisation  : tontes  les  ondes,  visibles  et 
invisibles,  sont  en  réalité  des  ondes  électi'i([ues  de  longueurs  diverses.  — 
A/ipinulice.  I.a  théorie  électrornagnéticiue  de  la  lumière. 

Dans  ce(,  appendice,  l’auteur  expose  (|uelqiies-unes  des  expé- 
riences sur  lestjuelles  repose  la  démonstralion  de  la  nature 
électromagnétique  de  la  lumière.  «.  Le  l'ait,  dit-il,  qu’on  a pu 
exposer  sans  aucune  réelle  complication  dans  le  fond  ni  dans 
la  forme  ces  ([iiestions  fondamentales,  constitue  le  plus  fort 
argument  pour  faire  de  cette  démonstration  un  point  essentiel 
de  l’enseignement  élémentaire.  » 

La  description  d’un  modèle  de  mouvement  ondulatoire  destiné 
à donner  une  image  de  la  manière  dont  se  [tropage  une  onde 
entre  un  oscillateur  et  un  résonnateiir  de  Hertz,  termine  cette 
leçon. 

Sixième  conférence,  les  Rayons  de  Roentyen  (rayons  X)  : 

Découverte  de  Uocntgeu.  — Production  de  la  lumière  dans  les  tubes  à vide 
par  les  décharges  électriques.  — Comment  on  fait  le  vide  dans  un  tube.  — 
Pliénomènes  lies  tubes  de  Geissler.  — I.a  pompe  à mercure.  — Phénomènes 
des  tid)cs  de  Crookes.  — Propriétés  de  la  lumière  caltiodi(|ue.  — Ombres  de 
Crookes.  — Déviation  de  la  radiation  cathodique  par  un  aitnant.  — Lumines- 


BIBI.IOGRAPHIE 


267 


cence  et  effets  iiiécaiii([iies.  — lîeclierches  de  Lenard  sur  les  rayons  eallio- 
diques  dans  l’air.  — Recherches  de  l!oentg-en.  — La  dtkoiiverte  des  rayons  \ 
I)ar  les  phénomènes  de  luminescence.  — ünd)res  sur  un  écran  luminescent. 
— Transparence  de  raluminium.  — Opacité  des  mélau.x  lourils.  — Trans- 
parence de  la  chair  et  de  la  i)cau.  — Opacité  des  os  — .‘\hsence  de  réllexion. 
de  réfraction  et  de  polarisation  ( I).  — Phénomènes  de  décharge  i)roduits  par 
les  rayons  lioenigen.  — l’erl'ectionnement  au.\  tubes  de  lloentgen.  — Consi- 
dération sur  la  nature  de  la  radiation  de  Roentgen.  — La  vision  de  l’invi- 
sible. - Appendice,  .\utres  rayonnements  invisibles. 

Les  rayonnnements  dont  il  est  ici  question  sont  les  rayuns  de 
Becquerel,  la  lumière  du  phosphore,  celle  des  insecles  luisants, 
les  rayons  de  Wiedeniann  (rayons  de  décharge),  les  nouvelles 
espèces  de  rayons  cathodiques  et  les  rayons  canaux.  Dans  une 
note,  le  traductetir  allonge  cette  série  et  procède  au  classement  de 
ses  radiations  en  deitx  catégories  : les  perturbations  de  l’éther 
et  les  trajectoires  de  particides  électrisées. 

Les  Christrnas  lectures  de  1890  s’arrêtaient  ici.  I.,orsqu’elles 
furent  rééditées,  en  1910,  l’atiteur  y ajouta  deux  conférences  ; l.a 
première  sur  \eRadiunt,qn'\\  avait  donnée  en  plusieurs  occasions 
en  1903-1904  ; la  seconde  sur  VIndustrie  de  la  lumière  ïuhe  i\ 
York,  en  1900,  à l’assemblée  générale  de  l’Association  britan- 
nique. Elles  forment  les  chapitres  sept  et  huit  de  l’édition  fran- 
çaise. 

Septième  conférence,  Le  Radiuni  et  ses  rayons  : 

Emission  par  certaines  substances  de  radiations  qui  pénètrent  les  écrans 
opaques.  — Propriétés  des  sels  d’Üranium.  — Les  rayons  de  Becquerel.  — 
Radio-activité.  — Étude  à l’électroscope.  — Recherches  des  Curie.  — M‘“®  Curie 
découvre  le  Polonium  et  le  Radium  dans  la  pechblende.  — Expériences  avec 
le  Radium.  — Séparation  par  le  champ  magnétique  des  trois  espèces  de 
rayons  émis  par  le  Radium.  — Horloge  au  radium  de  Struck.  — Spintha- 
riscope  de  Crookes.  — Recherches  de  P.  Curie  sur  la  chaleur  émise  par  le 
radium,  et  de  Rutherford  sur  la  désagrégation  de  l’atome. 

Depui.s  que  M.  S.  Thompson  a écrit  cette  conférence,  la  radio- 
activité a fait  bien  des  progrès,  il  importait  d’en  tenir  compte. 

(l)Al.  Dunoyer  corrige  ce  que  cette  affirmation  pourrait  avoir  d’excessif 
en  rappelant  des  expériences  récentes  qui  semblent  bien  montrer  que  les 
rayons  X peuvent  être  diffractés  dans  des  conditions  qui  leur  assigneraient 
une  longueur  d’onde  100  OUI)  ou  200  ÜUO  fois  plus  petite  que  celle  de  la  lu- 
mière jaune.  11  n’est  donc  plus  absolument  certain  que  les  rayons  X ne  soient 
pas  de  la  lumière  ultra-violette  d’ordre  très  élevé,  comme  on  l’avait  supposé 
d’abord.  Cette  hypothèse,  que  l’on  avait  abandonnée  pour  celle  d’impulsions 
ou  lYondes  séparées,  a vu  tout  récemment  sa  probabilité  grandir,  grâce  aux 
belles  expériences  de  M.  de  Broglie,  en  France. 


2G8 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


AI.  Dunoyer  y a poiirvii  dans  un  apj)endice  consacré  aux  décou- 
verles  récentes  sur  les  rayons  du  Radium. 

Huitième  conlérence,  la  production  industrielle  de  la  lu- 
mière : 

Süiirres  principales  de  lumière.  — Invention  du  gaz  d’éclairage.  — Pro- 
duction de  l'incandescence.  — Incandescence  jiar  réleciricilé.  — Lumines- 
cence. — Elficacité  Inminense.  — Photométrie.  — Le  Photomètre.  — 
Inégalité  dans  la  dislrihntion  de  la  lumière  d’une  lampe.  — Inégalité  dans  la 
composition  des  lumières.  — (jC  qu’enseigne  le  spectre.  — Spectres  des 
solides  incandescents  et  des  vapeurs.  — Sensiltilité  de  l’œil  aux  radiations  de 
certaines  longueurs  d'onde.  — .\hsorption  et  émission.  — .Mesure  de  l’émis- 
sion. — Mauvais  rendement  des  souiTes  ordinaires  de  lumière.  — Lumière 
du  ver  luisant.  — Tem|)érature  et  qualité  du  rayonnement.  — Pouvoir  émissif 
des  terres  rares.  — Incandescence  par  le  gaz  surpressé.  — Puissance  des 
liées  à incandescence.  — .Nouveaux  modèles  de  liées.  — Nouveaux  modèles 
de  lampes  à arc.  — Lampes  électriiiues  à vapeur  incandescente.  — Prix  de 
la  lumière.  — Le  mode  d'éclairage  le  plus  économi([ue.  — Progrès  futurs. 
— La  lumière  du  Soleil  avant  tout. 

Par  son  alltire  pltis  technique,  celle  conférence  tranche  sur 
les  précédentes  et  ne  se  rattache  ati  plan  général  de  l’ouvrage 
(|tte  par  un  lieti  un  peu  hàche.  Elle  n’en  est  pas  moins  très  inté- 
ressante en  elle-même  potir  les  techniciens  et  même  pour  le 
grand  pttblic. 

L’auteur  y insiste  sur  cette  idée  tpie  le  mode  d’éclairage  de 
l’avenir  sera  fondé  sttr  la  luminescence  et  non  stir  l’incandes- 
ceiice.  -M.  Dunoyer  en  {trend  occasion  pour  appuyer  cette  ma- 
nière de  voir  dans  un  appendice  consacré  aux  proyr'es  récents 
dans  l’éclairaye  par  luminescence  : la  htmière  Aloore,  les  arcs 
au  mercure  et  l’éclairage  ati  néon  imaginé  par  AI.  Georges  Claude. 

Les  lecteurs  français  .sattront  gré  à AL  Dunoyer  delà  peine 
tpt’il  s’est  donnée  de  tradtiire  et  de  mettre  à jotir  l’otivrage 
excellent  de  AL  S.  Thompson.  Niotis  souhaitons  à la  tradtiction 
française  tout  le  sticcès  qti’a  rencontré  l’original  dans  les  pays 
de  langue  anglaise  ; i)uisse-l-elle  trouver  place  dans  les  biblio- 
thèques de  nos  collèges  et  de  nos  universités  ! 

.1.  T. 


BIBLIOGRAPHIE 


269 


. XI 

L’Kstiiétique  de  la  Llaiière,  par  I’aul  Souriau.  Tn  vol.  in-8” 
de  xii-469  pages.  — Paris,  llachetle,  éditeur,  1UJ3. 

La  nouvelle  œuvre  de  l’aiiteiu-  de  l’Esthétique  du  Mouvement 
est  assurément  digne  de  ses  devancières,  mais  il  nous  semble  que 
M.  Souriau  s’y  est  trop  abandonné  à son  esprit  dogmatique,  lan- 
çant, sur  mainte  question  controversée,  des  allirmatiojis  tran- 
chantes, sans  y joindre  aucun  argument  à l’appui. 

Quand  nous  aurons  dit  que  l’ouvrage  comprend  32  chapitres, 
répartis  entre  quatre  parties  qui  ont  pour  titres  respectifs:  Esthé- 
tique des  Sensations  lumineuses,  l’Eclairement  esthétique. 
Représentation  de  la  Lumière,  l’Expression  de  la  Lumière,  on 
comprendra  que  nous  renoncions  à en  donner  une  analyse,  et 
que  nous  nous  bornions  cà  donner  quel((ues  exemples  de  cet 
esprit  dogmatique  que  nous  signalions  tout  à l’heure.  Mais  nous 
prions  le  lecteur  de  se  souvenir  que,  par  là-mème,  nous  nous 
condamnons  à ne  mettre  en  lumière  que  des  points  sur  lesquels 
nous  contestons  les  assertions  de  M.  Souriau  : sans  cette  réserve 
essentielle,  on  se  ferait  une  idée  très  inexacte  de  notre  opinion 
d’ensemble  sur  un  ouvrage  dont  nous  sommes  le  premier  à re- 
connaître la  haute  valeur. 

.-Vujourd’hui,  rares  sont  les  partisans  de  la  loi  dite  de  F’echner 
sur  la  proportionnalité  de  l’intensité  des  sensations  au  loga- 
rithme naturel  de  l’excitation.  .Mais  M.  Souriau  s’en  montre  un 
adversaire  particulièrement  implacahle.  Ici  d’ailleurs  il  apparaît 
moins  autoritaire  qu’à  l’égard  de  mainte  autre  question,  con- 
descendant à raisonner.  D’après  lui,  sous  un  éclairage  d’inten- 
sité moyenne,  la  clarté  relative  de  diverses  surfaces  simultané- 
ment perçues  est  proportionnelle  à leur  luminosité  relative.  11 
invoque  en  faveur  de  cet  énoncé  l’expérience  suivante  : « Soient, 
dit  M.  Souriau,  une  série  de  surfaces  dont  par  tâtonnement  on 
aura  réglé  l’éclairage  de  telle  manière  que  leurs  clartés  appa- 
rentes semblent  former  une  progression  régulière.  L’expérience 
est  facile  à réaliser.  Que  l’on  dispose  sui'  une  table  une  série 
d’écrans  blancs,  placés  à diverses  distances  d’un  foyer  lumineux. 
L’observateur,  l’œil  placé  prés  du  foyer  lumineux,  mais  préservé 
de  son  rayonnement  direct,  aperçoit  devant  lui  la  série  des 
écrans  étagés  les  uns  derrière  les  autres.  En  les  approchant  ou 
les  éloignant  un  peu,  on  amènera  facilement  leur  clarté  relative 


•210 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIF’IQUES 


à la  valeur  que  l’on  voudra.  Disposoiis-les  donc  de  (elle  manière 
que,  de  run  à l’autre,  la  clarté  nous  semble  toujours  décroître 
dans  la  même  proportion,  l’our  prévenii'  toute  erreur  d’inter- 
prétation, Il  faut  préciser  les  choses,  .le  ne  cherche  pas  h mettre 
les  degrés  de  clarté  en  progi'ession  arithmétique,  mais  bien  en 
progression  géométrique.  Il  ne  s’agit  pas  qne  les  clartés  me 
paraissent  décroître  d’une  quantité  de  lumière  constante,  mais 
qu’elles  me  paraissent  décroître  ilans  le.  même  rapport.  Si  par 
exemple  B me  donne  rimpre.ssion  d’être  deux  fois  moins  clair 
que  il  faudra  que  C me  semble  deux  fois  moins  clair  (pie  B. 
Xous  sommes  bien  obligé  d’insister,  pour  qu’on  s’en  gai'de,  sur 
cette  confusion  possible,  puisqu’elle  risquerait,  si  elle  se  pro- 
duisait, de  vicier  toutes  nos  évaluations,  et  qu’en  fait  bon 
nomlire  d’observateurs  l’ont  commise.  Tout  étant  ainsi  réglé  et 
les  écrans  placés,  après  une  série  de  tâtonnements,  de  telle 
manière  ((ue  leurs  clartés  l'elatives  nous  semblent  en  progres- 
sion aussi  régulière  cpie  possible,  mesurons  les  distances  de 
cbaciin  d’eux  au  foyer  ; nous  trouvei’ons  qu’elles  aussi  sont  en 
progression  géométrique  assez  l'égulière,  ce  qui  met  également 
les  luminosités  en  proportion  : de  l’une  à l’autre  le  rap{)ort  est  <à 
peu  près  constant.  Les  écarts  constates  sont  de  même  maire  que 
les  incertitudes  de  l’évaluation  subjective  (pp.  :20-3J)  ». 

Bien  que  la  pensée  de  M.  Souriau  apparaisse  clairement,  il  a 
craint  évidemment  des  malentendus,  car  il  a ajouté  la  note 
suivante  : « Be  ces  mêmes  expériences,  interprétées  différem- 
ment, on  a tiré  une  tout  autre  loi.  Si  l’on  supposait  que  les 
sensations,  ainsi  graduées  de  telle  sorte  (pie  l’une  d’entre  elles 
n«us  semble  former  un  juste  milieu  entre  les  deux  antres,  se 
succèdent  en  réalité  en  progression  arithmétique,  on  aboutirait 
à la  loi  logarithmique  de  Fecbner.  Mais  cette  supposition  est 
tout  arbitraire  et  rend  fort  mal  notre  sentiment,  qui  est  plutôt 
(pie  nos  sensations  ainsi  graduées  sont  entre  elles  dans  un 
même  rapport.  Non  moins  arbitraire  est  l’interprétation  que  l’on 
donne  aux  expériences  sur  la  plus  petite  dilférence  perceptible  : 
on  suppose  qu’aux  dilférents  degrés  de  l’échelle  des  luminosités, 
l’aperception  d’une  dilférence  marque  toujours  un  même  accrois- 
sement de  l’intensité  de  la  sensation  ; et  en  conséquence  on 
interprète  les  résultats  de  ces  expériences  comme  une  confirma- 
tion de  la  loi  logarithmique.  Mais  ne  serait-il  pas  beaucoup  plus 
naturel  de  supposer  qu’à  une  sensation  plus  inten.^^e  il  faut  un 
accroissement  plus  fort  pour  que  nous  y percevions  une  moditi- 
ration  quelconque  ? Le  moindre  surcroît  perceptible  dans  une 


BIBLIOGRAPHIE 


^7i 

luminosité  très  vive  ne  nous  donne-t-il  pas  l'impression  (run 
prodigieux  accroissement  d’éclat  ? La  loi  de  Feclmer  repose,  en 
somme,  sur  deux  postulats  également  arbitraires  elle  peut 
être  décidément  abandonnée.  » 

D’abord  fort  humilié  de  notre  impuissance  à réaliser  une 
expérience  déclarée  facile  pai'  M.  Souriau,  nous  nous  sommes 
souvenu,  fort  opportunément  pour  notre  amour-propi'e,  que 
c’est  un  lieu  commun  chez  les  physiciens  que,  selon  la  formule 
employée  par  M.  .loannis,  « l’œil  n’est  pas  capable  d’évaluer  un 
rapport  de  lumière,  mais  seulement  d’apprécier  l’égalité  de  deux 
lumières  ».  Cette  simple  constatation  réduit  à sa  véritable  auto- 
rité l’expérience  invoquée  par  notre  auteur.  Mais  il  y a plus  : on 
sait  que,  bien  antérieurement  à Weber  et  à Fechner,  on  admet- 
tait d’une  façon  générale  que  les  intervalles  musicaux  obéissent 
à la  loi  logarithmique.  Eh  ! bien,  M.  Souriau  ne  nous  dit  pas  si, 
dans  le  cas  de  ces  intervalles,  comme  dans  celui  des  intensités 
<les  sensations,  lumineuses  par  exemple,  il  prétend  qu’on  s’est 
trompé  et  ([ue  notre  oreille  se  rend  compte  que  les  intervalles 
dits  égaux  n’accusent  qu’une  égalité  de  rapports.  Cela  pourrait 
se  soutenir  à un  point  de  vue  purement  mathématique,  car, 
étant  donnée  une  série  de  sensations  ordonnées  en  un  sens  déter- 
miné, on  est  libre  de  définir  arbitrairement  les  nondires  qui 
•répondront  aux  divers  degrés  de  cette  échelle  pourvu  qu’ils 
suivent  le  sens  de  celle-ci.  C’est  ainsi  que  les  degrés  thermo- 
métriques n’ont  aucune  prétention  à correspondre  à des  sensa- 
tions également  espacées.  C’est  ainsi  encore  qu’en  géométrie 
projective  toute  notion  de  distance  disparait  à vrai  dire  et  que 
le  Général  de  Tilly,  en  géométrie  lobatchefskienne,  atin  de  con- 
server h la  droite  son  équation  euclidienne,  a défini  l’abscisse  x 
d’un  point,  en  fonction  de  son  abscisse  ordinaire  X,  par  la 
relation  : 

x = \ — J tg  kX. 

Mais,  précisément,  M.  Souriau  entend  mesurer  vraiment  les 
intensités  lumineuses  et  ne  pas  se  borner  à leur  donner  des 
numéros  d’ordre  astreints  seulement  à suivre  le  sens  de  leur 
variation.  Or  il  est  bien  certain  qu’il  y a accord,  au  point  de  vue 
musical,  sur  ce  que  deux  intervalles  dits  égaux  le  sont  au  sens 
où  le  sont  deux  intervalles  spatiaux.  Aussi  serions-nous  curieux 
de  savoir  si  .M.  Souriau  leur  étend  sa  critique  de  la  loi  de  Fech- 
ner. Nous  ajouterons  que,  si  l’on  s’en  rapporte  aux  vagues 
impressions  que  l’on  a généralement  en  ce  qui  concerne  les 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


272 


inleiisilés  des  sensalions,  il  ne  semble  pas  (iii’i!  soil  dans  le  vrai  : 
(•’est  ainsi,  par  exemple,  que  les  orcbesires  monslres,  si  chei’s  à 
berlioz,  n’üiit  jamais  produit  im  elle!  proportionnel  an  nombre 
des  musiciens. 

.Mais  c’est  nous  arrêter  beaucoup  sur  cette  (piestion  (l’inter- 
prétation  des  sensations.  Aboi'dons  et  passons  rajiidement  sur 
la  minime  question  de  la  grosseur  appai'ente  du  Soleil  et  de  la 
lame  à l’Iiorizon.  Il  ne  [)araît  pas  douteux  à M.  Souriau  (pi'une 
moindre  clarté  d’un  asti'e  doive  le  faire  paraiti’e  plus  gros  : sans 
doute,  il  pourrait  iuuxpier  l’autorité  de  .M.  Stroobant  ; mais 
nous  aimerions  mieux  tpi’il  pût  s’ai)puyer  sur  l’obsei  vation.  Or 
celle-ci  lui  donne  nettement  tort  : ainsi  que  nous  l’indi(ptions, 
dans  la  Revue  Rhilosophique  de  juillet  JS8(S,  la  Lune,  si  peu 
lumineuse  au  moment  des  éclipses  totales,  semble  très  petite, 
si  elle  apparait  près  du  zénith,  si  bien  (pi’une  personne  sans 
idée  préconçue  nous  en  lit  spontanément  la  remarque.  Mais  est- 
il  l)esoin  de  rccourii’ à une  obseivation  en  somme  assez  rare? 
(Jni  n'a  lemaiapié,  un  joui’  de  lirouillard,  (pie  le  Soleil,  vu  à 
travers,  peut  l'oi't  bien  paraître  tel  (pi’un  ti'ès  modeste  pain  à 
cacbeter  blanc  ? .Nous  ne  prétendons  inpiosi'r  aucune  théorie, 
car  nous  savons  combien  la  question  est  complexe,  mais 
nous  pouvons  dire  (jue  .M.  Sonrian  afiirme  contre  l’expérience  : 
tout  au  moins  devrait-il  discuter  les  observations  qui  semblent 
contraires  à ses  idées.  De  même,  il  nous  parait  bien  aliii'inatif 
([uand  il  condamne  les  peintres  qui,  pour  remb'e  le  grossissement 
apparent  des  astres  à l’Iiorizon,  augmentent  leurs  diamètres  sur 
la  toile.  Il  dit  (pie  cette  illusion,  due  à la  perspective  aérienne, 
« se  lu'oduira  également  dans  le  tableau  si  celte  pej'spedive  est 
exactement  observée»  (page  Nous  ne  disons  pas  non; 

mais  nous  aimei'ions  voir  un  lalilean  in  ésenlant  cet  effet,  et  nous 
ne  pouvons  que  regretter  l’absence  de  tonte  rélérence. 

J.a  même  intrépidité  d’allirmation  se  manifeste  à jiropos  de 
la  grosse  question  de  l’iiarmonie  des  couleurs.  Après  celle  néga- 
tion absolue  : « Entre  la  série  des  couleui'S  dans  le  spectre  et  la 
série  des  sons  dans  la  gamme,  on  ne  jieut  trouver  aucune  ana- 
logie ))  (page  JRI  ),  nous  voyons  posés  deux  principes  d’harmonie 
des  couleurs  : riiarmonie  par  allinité  et  l’baimonie  par  con- 
traste. «L’harmonie  [lar  affinité,  c’est  le  lien  que  met  entre 
deux  couleurs  l’existence  de  quelque  élément  commun.  L’effet 
est  comparalile  à celui  que  produit  dans  deux  sons  musicaux  la 
pi'ésence  d’barmoni({ues  communs  ries  deux  sons  s’emboilent 


BIBLIOGRAPHIE 


273 


pour  ainsi  dire  l’un  dans  l’aulre,  ils  ont  une  consonance  per- 
ceplilde,  ils  s’accoi'denl  par  tout,  ce  qu’ils  ont  d’identique.  Il  en 
sera  de  même  dans  le  jeu  des  sensations  colorées,  (piand  elles 
auront  quelque  élément  commun  : elles  s’accorderont  par  là  ; 
et  plus  il  y aura  entre  elles  d’allinité  sensible,  plus  elles  nous 
sembleront  harmonieuses.  » 

Que  de  diüicultés  soulève  une  telle  anirmation  ! S’il  s’ai>issait 
de  couleurs  spectrales,  on  sait  qu’elles  ne  présenteraient  jamais 
d’éléments  communs,  tandis  que  des  couleurs-pigments  de 
même  coloris  que  les  couleurs  spectrales  en  présentent  géné- 
ralement d’autant  plus  qu’elles  sont  plus  voisines,  puisque  les 
pigments  réllécliissent  une  série  de  radiations  voisines.  Mais 
alors  M.  Souriau  nierait  que  deux  couleurs  voisines  peuvent 
jurer  l’une  près  de  l’autre  : telle  paraît  liien  être  sa  pensée, 
d’après  les  développements  dans  lesquels  il  entre,  et  cette  pensée 
nous  surprend. 

Combinant  d’ailleurs  riiarmonie  par  contraste  avec  l’iiar- 
monie  par  allinité,  on  conçoit  du  reste  qu’il  puisse  se  livrer  à 
d’agréables  développements  littéraires,  s’adaptant  vaguement 
à certaines  constatations  non  moins  vagues. 

« La  lumière  solaii'e  intégrale  est  l)lancbe.  » Voilà  une  allir- 
mation  en  nette  opposition  avec  celle  des  physiciens  qui 
prétendent  classer  le  Soleil  parmi  les  étoiles  vieillissantes,  jaunes. 
N’y  aurait-il  pas,  dans  cette  contradiction,  une  simple  consé- 
quence de  ce  que,  en  l’absence  d’un  terme  de  comparaison,  la 
lumière  jaune  tend  à provoquer  une  sensation  de  clarté,  sans 
perception  d’une  couleur? 

Ce  rapide  coup  d’œil  sur  quelques  affirmations  deM.  Souriau 
suffit  sans  doute  à montrer  combien  son  œuvre  pourrait  gagner 
à revêtir  une  forme  moins  dogmatique,  car,  même  s’il  a raison, 
il  choque  plus  qu’il  n’éclaire  celui  qui  incline  vers  des  idées  dil- 
férentes,  et  ceux  qui  sont  enclins  à accepter  sa  manière  de  voir 
auraient  tout  avantage  à connaître  les  arguments  qu’on  peut 
l'aire  valoir  à l’appui  de  ces  conceptions.  Nous  tenons  d’ailleurs 
à répéter  que  nous  avons  choisi  des  points  où  la  pensée  de 
iM.  Souriau  nous  a paru  particuliérement  contestable. 

G.  Leciial.xs. 


IIP  SÉniE.  T.  X.Wl. 


18 


274 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


XII 

Annuaiiie  météorologique  de  la  Station  de  Géographie 
.Mathématique  de  l’I'niversité  de  G.and,  Année  méléorolo(]iqne, 
mars  1913-février  1914;  préparé  par  les  soins  de  M.  L.  N. 
Vandevyver,  prol'esseiir  à ITiiiversilé  de  Gaiid,  directeur  de  la 
Station.  — Th  vol.  iii-8°  de  !)4  pages.  — Roulers,  Jules 
lie  Meester,  li)J4. 

G’esl  le  septième  volume  de  cette  e.xcellente  collection  ; le  plan 
est  resté  le  même  : on  y trouve  le  relevé  des  observations  laites 
méthodiquement  h la  station  de  Géographie  mathématique 
depuis  le  1 mars  19JG  jusqu’au  28  janvier  JIJIA,  comparées  à la 
moyenne  des  résultats  obtenus  pendant  la  période  des  six  années 
précédentes.  De  ce  parallèle  et  des  déductions  qui  découlent  de 
^ensemble  des  observations,  se  dégagent  peu  à peu  les  caracté- 
ristiiiues  météorologiques  et  climatologiques  de  la  station,  et 
c’est  bien  là  le  but  principal  que  poursuit  son  zélé  directeur. 
L’iiWuve  deVannée  niéléorologique,  mars  1913-février  1914,  est 
nettement  caractérisée  dans  une  notice  qui  analyse  les  observa- 
tions corresimndantes. 

Deux  autres  notices  terminent  le  volume.  La  première, intitulée 
A propos  de  T.  S.  F.,  rappelle  d’intéressantes  expériences  faites 
pai'  M.  .Maurice  Vandevyver,  avocat  à la  Cour  d’appel  de  Gand, 
chez  lui  et  à l’Observatoire  astronomique  de  la  Station  géogra- 
phique sur  la  possibilité  d’établir  une  installation  de  fortune 
pour  la  réception  des  signaux  hertziens  : une  planche  recou- 
verte de  feuilles  de  papier  d’étain,  placée  sur  deux  chaises  à 
l’intérieur  d’un  grenier  ; le  toit  en  zinc  d’une  véranda  ; la 
coupole  de  1’Obsei‘vatoire,  son  équatorial,  etc.  ont  été  pris 
successivement  pour  antenne.  « Aous  sommes,  à vol  d’oiseau, 
écrit  .M.  Vandevyver,  à 285  kilomètres  de  la  Tour  Eiffel  et  à R50 
kilomètres  de  Norddeisch,  et  il  ressort  des  expériences  ci-dessus 
que,  même  à de  pareilles  distances,  on  peut  se  passer  de 
toute  espèce  d’antenne,  à condition  de  se  relier  à une  masse 
métallique  un  peu  importante  et  plus  ou  moins  isolée.  » 

l^a  seconde  notice  a pour  titre  La  niéléorolofjie  et  la  Presse. 
Ecrite  dans  la  note  gaie,  elle  n’en  donne  pas  moins  une  leçon 
sérieuse  aux  détracteurs  de  la  météorologie.  Puissent-ils  en 
profiter  ! 


J.  T. 


BIBLIOGRAPHIE 


275 


XIII 

La  silice  et  les  silicates,  par  Henry  Le  Ciiatelier.  Ln  vol. 
grand  in-8”  de  574  pages.  — Paris,  A.  Hermann  et  Fils,  iOJ4. 

Une  monographie  de  la  silice  et  des  silicates  due  à la  plume 
autorisée  de  M.  Le  Chàtelier  .sera,  nous  n’en  doutons  pas,  reçue 
avec  empressement  et  une  vive  satisfaction  par  tous  les  chi- 
mistes et  les  minéralogues.  Oui,  en  elïet,  en  étudiant  la  chimie 
iva  constaté  avec  étonnement  d’une  part  la  profusion  avec 
laquelle  l’anhydride  silicique,  soit  seul,  soit  combiné  avec  l’eau, 
soit  lié  aux  bases  les  plus  diverses,  est  répandu  dans  le  règne 
minéral,  et  d’autre  part  la  place  restreinte  qu’il  occupe  dans  les 
traités  de  chimie,  même  fort  développés,  où  on  lui  consacre  à 
peine  quelques  pages?  fit  cette  disproportion  entre  l’importance 
dn  sujet  et  l’ampleur  qu’on  donne  à son  étude  ne  devient-elle 
pas  plus  manifeste  encore  quand  on  songe  au  développement 
qu’a  pris,  durant  le  dernier  siècle,  l’étude  des  composés  du 
carbone  ? A quoi  tient  cette  divergence  ? 

On  pourrait  en  donner  plus  d’une  raison.  Dans  l’introduction 
qui  ouvre  son  ouvrage,  .M.  Le  Chàtelier,  après  avoir  énuméré 
les  nombreux  titres  par  lesquels  la  silice  et  les  silicates  s’im- 
posent à notre  attention,  examine  les  causes  du  désintéresse- 
ment général  à l’égard  de  ces  substances.  11  les  trouve  surtout 
dans  les  difhcultés  du  sujet  ; elles  sont,  en  effet,  considérables. 
Ainsi  leur  insolubilité  presque  complète  rend  malaisée  la  sépa- 
ration des  silicates  les  uns  des  autres  ; leur  peu  de  fusibilité 
oppose  un  obstacle  sérieux  à leur  synthèse  ; et  leur  facilité  à 
prendre  l’état  amorphe,  vitreux,  a rendu  impossible  la  repro- 
duction artificielle  d’un  bon  nombre  de  silicates  naturels  cris- 
tallisés ; ajoutons  à cela  la  difficulté  ou  l’impossibilité  de  par- 
venir à la  connaissance  de  leur  constitution,  et  on  aura  une 
idée  des  obstacles  que  rencontre  sur  sa  route  le  chimiste  qui 
veut  entreprendre  une  étude  de  ce  sujet.  Toutefois,  conclut 
M.  Le  Chàtelier,  «ce  qui  est  arrivé  pour  la  chimie  organique 
se  passera  également  pour  la  chimie  des  silicates.  Après  s’être 
pendant  longtemps  contenté  d’étudier  les  matières  naturelles, 
ne  croyant  pas  à la  possibilité  de  les  reproduire  en  dehors  des 
êtres  vivants,  on  est  arrivé  finalement,  non  seulement  à les 
reproduire  presque  toutes  au  laboratoire,  mais  en  outre  à obte- 
nir une  infinité  de  composés  inconnus  dans  la  nature.  » 


276 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Pour  nous  faire  une  idée  du  contenu  et  de  la  valeur  de  l’ou- 
vrage de  M.  Le  Chàtelier,  il  ne  sulîit  pas  d’énoncer  simplement 
les  titres  des  vingt-trois  chapitres  dont  il  se  compose,  il  faudrait 
en  faire  une  analyse  complète  ; c’est  ce  que  nous  voudrions 
tenter,  dans  les  limites  imposées  à ce  compte  rendu. 

Dans  les  deux  premiers  chapitres  l’auteur  étudie  les  pro- 
priétés chimiques  des  composés  oxygénés  du  silicium  et  de 
leurs  hydrates.  Parmi  ces  composés  c’est  évidemment  l’anhy- 
dride silicique,  la  silice.  Si  Oj,  qui  étant  le  plus  important,  fait 
aussi  l’objet  principal  de  cet  examen.  L’auteur  y trouve  l’occa- 
sion de  discuter  cette  question  ; l’anhydride  forme-t-il  des 
hydrates  définis  ? en  d’autres  termes,  ce  qu’on  appelle  l’acide 
normal  Si  O4,  l’acide  ordinaire  Si  O3  a-t-il  une  existence 
réelle?  .M.  Le  Lhàtelier  le  nie.  11  n’admet  pas  plus  l’existence  de 
ces  acides  simples  que  celle  des  acides  poly-siliciques  qui  se 
formeraient  par  la  condensation  d’un  certain  nombre  de  molé- 
cules d’acide  normal  avec  élimination  d’une  ou  de  plusieurs 
molécules  d’eau.  La  raison  de  rejeter  ces  hydrates  définis  est, 
d’après  lui,  l’impossibilité  d’établir  une  discontinuité  dans  la 
composition  des  bydrates  et  dans  leurs  propriétés.  Pour  le  pre- 
mier, l’auteur  rappelle  d’abord  des  travaux  déjà  anciens,  puis 
les  recbercbes  plus  récentes  de  M.  Yan  Bemmelen,  cbimiste 
bollandais,  qui  a démontré  que  la  teneur  en  eau  de  la  silice 
précipitée  varie  d’une  manière  continue  sans  qu’on  aperçoive 
à aucun  moment  une  discontinuité  permettant  de  conclure  à 
l’existence  de  composés  définis.  11  était  d’autant  plus  utile 
d’attirer  l’attention  sur  ce  point,  que  dans  la  plupart  des  traités 
de  cbimie  on  enseigne  le  contraire. 

L’anhydride  silicique  est-il  la  seule  combinaison  oxygénée  du 
silicium  ?'Yoici  la  réponse  de  àl.  Le  Chàtelier  : « 11  paraît  exister 
également  des  oxydes  inférieurs  de  silicium  ; à l’état  anhydre, 
cependant,  leur  existence  est  restée  jusqu’ici  douteuse  ; on  en 
connaît,  d’une  façon  certaine,  au  contraire,  un  certain  nombre 
à l’état  hydraté.  Ils  sont  connus  sous  le  nom  de  silicones  et  de 
leucones  ; ce  sont  des  corps  peu  stables,  tendant  à se  transfor- 
mer en  silice  et  ne  donnant  jusqu’ici  aucune  combinaison 
connue  qui  permette  de  définir  leur  fonction  cbimique.  » En 
quelques  pages,  l’auteur  expose  la  formation  de  ces  composés 
et  leurs  transformations  connues. 

Le  troisième  chapitre,  intitulé  Silice  amorphe,  présente  un 
intérêt  spécial  d’actualité.  L’auteur  y étudie  la  silice  calcinée,  la 
fusion  du  (piartz,  la  fabrication  et  les  propriétés  des  fils  de 


BIBLIOGRAPHIE 


silice,  les  lentilles  en  silice  ; la  fabrication  industrielle,  les  pro- 
priétés physiques  et  chimiques  de  ditférents  objets  en  quartz 
transparent  ou  opaque.  \ul  n’ignore  l’importance  que  la  fabri- 
cation de  ces  objets  a acquise  dans  ces  dernières  années,  ni  les 
applications  scientifiques  et  industrielles  très  importantes  de 
ces  articles  en  quartz,  .\ussi  lira-t-on  avec  un  vif  intérêt  les 
di.v-huit  pages  que  .M.  Le  Chàtelier  leur  consacre.  On  y trouvera 
du  reste  bien  des  indications  fort  pratiques  concernant  l’usage 
des  objets  en  quartz. 

Les  quatre  chapitres  suivants  traitent  de  la  cristallisation, 
des  propriétés  thermiques,  électriques  et  surtout  optiques  du 
quartz.  Les  chapitres  six  et  sept,  dans  lesquels  M.  Le  Chàtelier 
étudie  la  polarisation  rotatoire  et  la  double  réfraction  dans  le 
quartz,  méritent  une  mention  spéciale  pour  la  clarté  et  l’élé- 
gance avec  lesquelles  l’auteur  expose  ces  questions  ardues. 

Les  chapitres  huit  et  neuf  sont  consacrés  à la  calcédoine  et 
aux  variétés  de  silice  de  faible  densité,  la  tridymite  et  la  cris- 
tobalite. 

-\près  avoir  ainsi  passé  en  revue  les  dift'érentes  variétés  allo- 
tropiques de  la  silice  cristallisée,  M.  Le  Chàtelier  expose  au 
chapitre  dix  nos  connaissances,  peu  avancées  encore,  sur  la 
transformation  même  de  ces  diverses  modifications  du  quartz 
l’une  dans  l’autre.  Ensuite  il  relate  plus  longuement  les  essais 
tentés  en  vue  de  reproduire  artificiellement  la  silice  cristallisée. 
Les  premières  tentatives  dans  ce  sens  furent  faites  par  voie 
humide.  Depuis  les  travaux  de  Sénarmont,  qui  remontent  <à 
1851,  jusqu’aux  recherches  expérimentales  de  M.  Le  Chàtelier 
lui-même,  tous  ces  essais  n’ont  fourni  que  des  cristaux  micro- 
scopiques de  quartz.  De  meilleurs  résultats  ont  été  obtenus  en 
abandonnant  la  voie  humide,  et  en  chauffant,  dans  des  tubes 
en  verre  scellés  à la  lampe,  de  la  silice  précipitée  et  mélangée  à 
un  alcali.  La  température  la  plus  favorable  semble  être  de  300 
à 350  degrés.  M.  Ilautefeuille,  et  après  lui  d’autres  savants,  ont 
voulu  reproduire  du  quartz  en  soumettant  à l’action  de  la  cha- 
leur de  la  silice  parfaitement  sèche  mélangée  à des  sels  fondus. 
Tout  en  obtenant  ainsi  par  voie  sèche  de  petits  cristaux  de 
quartz,  ces  savants  constatèrent  que  la  formation  du  quartz 
exige  que  la  température  ne  dépasse  pas  une  certaine  limite  ; 
sans  cela  on  obtient  les  variétés  de  silice  de  faible  densité. 

Les  cinq  chapitres  qui  suivent  sont  donnés  à l’étude  du  verre  : 
propriétés  générales,  chimiques  et  physiques  des  verres  ; leur 
dilatation  et  leurs  propriétés  optiques. 


278 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


En  commençant,  an  chapitre  onze,  l’étude  des  propriétés 
générales  des  verres,  M.  Le  Chàtelier  examine,  d’un  point  de  vue 
général,  le  caractère  de  l’état  vitreux  en  opposition  avec  celui 
de  l’état  cristallin.  Le  premier  est  stable  à de  hautes  tempéra- 
tures, alors  que  le  second  répond  aux  basses  températures.  Le 
point  de  transition  n’est  autre  que  la  température  de  fusion  ou 
de  cristallisation.  La  silice  et  un  certain  nombre  de  silicates  ont 
ceci  de  particulier  que  leur  point  de  cristallisation  est  à une 
température  où,  étant  encore  cà  l’état  amorphe,  ils  ont  déjà 
perdu,  à un  certain  degré,  leur  Iluidité;  ils  sont  déjà  visqueux 
et  leurs  molécules  ne  possèdent  plus  cette  mobilité  i]ui  caracté- 
rise l’état  liquide  parfait.  C’est  pourquoi  il  est  facile  d’amener 
ces  corps  à l’état  solide,  sans  qu’ils  aient  pu  cristalliser  : ils 
prennent  l’état  vitreux,  ils  forment  des  verres.  La  dévitrification 
qu’on  observe  parfois  dans  les  vieux  verres,  et  qu’on  peut  pro- 
voquer artificiellement,  repose,  comme  le  montre  l’observation 
microscopicpie,  sur  une  cristallisation  partielle.  L’auteur  examine 
ensuite  tout  ce  ([ui  a rapport  à la  fusibilité  et  à la  ti-empe  des 
verres.  C’est  encore  une  étude  fort  intéressante  et  très  instructive. 
Enfm  il  donne  la  composition  exacte  de  plusieurs  espèces  de 
verres  les  plus  importants. 

Le  chapitre  douze  traite  des  propriétés  chimiques  des  verres. 
Après  avoir  rappelé  brièvement  (pielques  notions  générales  sur 
les  équilibres  chimiques,  M.  Le  Chàtelier  en  fait  ici  l’application 
en  examinant  certains  changements  qui  surviennent  dans  des 
verres  contenant  du  manganèse,  de  for,  du  cuivre  et  quelques 
autres  métaux.  Pour  étudier  ensuite  la  perméabilité  du  verre 
pour  les  gaz,  l’auteur  établit  que  les  verres,  comme  toutes  les 
solutions  solides  amorphes,  donnent  lieu  à des  phénomènes  de 
ditfusion  intérieure.  Cette  ditfusion  se  constate  aisément  dans  le 
verre  ramolli  par  la  chaleur;  mais  elle  devient  généralement 
imperceptible  dans  le  verre  solidifié.  Toutefois,  même  lorsi]ue 
le  verre  est  complètement  durci,  la  dilTusion  des  gaz  n’y  est  pas 
entièrement  supprimée.  De  même  la  vapeur  d’eau  pénétre,  par 
dilfusion,  dans  certains  verres,  et  cela  d’autant  plus  rapidement, 
que  les  verres  sont  moins  siliceux.  M.  Le  Chàtelier  cite  à ce  pro- 
pos ses  propres  observations  et  les  expériences  fort  intéressantes 
de  Schott. 

Uninze  pages  que  liront  avec  beaucoup  d’intérêt  surtout  les 
hommes  de  laboratoire  et  certains  imlustriels,  sont  consacrées 
à l’altérabilité  chimique  du  verre.  On  y examine  spécialement 
l’action  de  l’eau,  des  réactifs  chimiques,  surtout  des  acides  et  des 


BIBLIOGRAPHIE 


279 


alcalis,  ainsi  que  rinlluence  de  la  température.  11  nous  est  mal- 
heureusement impossible  d’entrer  dans  les  détails  ; contentons- 
nous  de  dire  que,  de  toutes  les  recherches  expérimentales,  se 
dég-age  la  conclusion  que  c’est  le  verre  de  léna  qui  est  le  moins 
altérable,  et  qui,  par  conséquent,  répond  le  mieux  aux  besoins 
du  physicien  et  du  chimiste. 

Le  chapitre  treize  contient  l’étude  de  certaines  propriétés 
physiques  des  verres.  L’auteur  y examine  successivement  la 
chaleur  spécifique,  la  conductibilité  calorifique,  la  densité,  la 
conductibilité  électrique  et  les  propriétés  mécaniques  de  plu- 
sieurs sortes  de  verre. 

Parmi  les  propriétés  physiques  il  en  est  une  qui  présente  un 
intérêt  spécial  tant  au  point  de  vue  scientifique  qu’au  point  de 
vue  pratique  : c’est  la  dilatation  thermique.  M.  Le  Chàtelier 
l’examine  au  chapitre  quatorze.  Cette  propriété  des  verres  est 
d’une  importance  considérable  pour  la  confection  des  tbermo- 
mèlres,  des  baromètres,  des  ballons  jaugés,  etc.  .Mais  l’impor- 
tance de  la  dilatation  thermique  devient  encore  plus  grande, 
parce  que  d’application  beaucoup  plus  fréquente,  dans  la  fabri- 
cation de  tous  les  produits  céramiques.  Leurs  couverts,  en  etfet, 
sont  de  véritables  verres  qui  doivent  avoir  rigoureusement  le 
même  coefficient  de  dilatation  que  la  p.àte  argileuse.  M.  Le 
Chàtelier  donne  la  description  détaillée  de  l’appareil  qui  sert, 
dans  son  laboratoire,  à la  mesure  de  la  dilatation  des  verres.  Il 
ajoute  ensuite  les  coetlicients  de  dilatation  d’un  grand  nombre 
de  verres.  Une  étude  spéciale  est  faite  du  déplacement  du  zéro 
des  thermomètres,  phénomène  causé  en  grande  partie  par  la 
dilatation  du  verre. 

.\u  chapitre  quinze  : Propriétés  optiques  des  verres,  .M.  Le 
Chàtelier  étudie  surtout  l’indice  de  réfraction,  la  dispersion  et 
l’achromatisme,  la  transparence  et  la  coloration,  le  pouvoir 
absorbant,  particulièrement  des  radiations  invisibles. 

Très  intéressant  est  le  chapitre  seize  sur /ex-  silicates  métalli- 
ques. L’auteur,  après  avoir  rappelé  le  nombre  considérable 
d’espèces  dans  les  silicates  naturels,  et  les  divergences  extra- 
ordinaires (jue  révèlent  les  analyses  chimiques  quantitatives 
dans  la  composition  des  échantillons  d’une  même  espèce, 
cherche  l’explication  de  ce  phénomène.  Il  admet  que  ces  innom- 
brables silicates  sont  en  réalité  de?~mélaages  d’un  certain  nombre 
de  combinaisons  définies  relativement  simples.  Mais,  deman- 
dera-t-on, comment  de  pareils  mélanges,  si  dilférents  dans  leur 
composition,  peuvent-ils  cristalliser  ensemble,  alors  que  la  loi  de 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


•-^so 

r isomorphisme  semble  s’y  opposer  al)Sokimeiit  ? — Pour  répon- 
dre à cette  (pieslion,  M.  LeChàtelier  examine  d’abord  la  valeur  de 
la  loi  de  Milscberlich  sur  l’isomorphisme  qui  établit  que  pour 
pouvoir  cris'talliser  ensemble,  deux  corps  doivent  avoir  une 
composition  chimique  analogue  et  une  forme  cristalline  identi- 
([ue.  Il  montre  qu’on  peut  très  bien  obtenir,  et  qu’il  existe  dans 
la  nature,  des  cristaux  renl'ermant  des  sidistances  (pu  n’ont  pas 
de  composition  chimique  analogue  et  qui  ne  possèdent  géné- 
l'alement  pas  la  même  forme  cristalline.  Il  conclut  que  la  loi  de 
Mitsclierlicb  repose  sur  des  observations  incomplètes,  pour  ne 
pas  dire  inexactes,  et  (pie  dès  lors  elle  doit  être  abandonnée.  Se 
basant  alors  sur  les  célèbres  recherches  de  Tschermak  concer- 
nant les  feldspaths,  ainsi  que  sur  les  travaux  d’autres  savants, 
M.  Le  Cdiàtelier  arrive  à la  conclusion,  que  les  différents  silicates 
complexes  qu’on  rencontre  dans  la  nature  sont  des  cristaux 
mixtes,  ou  mieux  encore  des  solutions  solides. 

Au  chapitre  dix-sept  rauteui-  aborde  la  question  de  la  classi- 
fication des  silicates.  C’est  une  (juestion  bien  épineuse,  comme 
le  prouve  déjà  le  fait  (pi’à  son  sujet  les  chimistes  et  les  minéra- 
logistes sont  eu  désaccord  et  que  d’autre  part  ni  les  minéralo- 
gistes, ni  les  chimistes  ii’oiit  trouvé  une  classification  réellement 
satisfaisante.  D’après  M.  \,e  Chàtelier,  la  difficulté  résulte  prin- 
cipalement de  ce  fait,  (pie  malgré  le  très  grand , nombre  de 
silicates  déjà  connus,  les  lacunes,  résultant  des  silicates  encore 
inconnus,  sont  absolument  trop  nomlireuses. 

Dans  les  ({iialre  chapitres  suivants,  l’auteur  étudie  successive- 
ment les  silicates  des  métaux  alcalins,  ceux  du  calcium,  du 
magnésium  et  de  raluminium.  Il  nous  est  malheureusement 
impossible  de  résumer  ici  ces  chapiti'es;  ils  renferment  cepen- 
dant bien  des  a[)en;us  fort  instructifs. 

Le  ciiapilre  vingt-deux  donne,  en  45  pages,  une  étude  inté- 
ressante de  la  cérami(pie;  les  bO  dernièi-es  pages,  constituant  le 
ciiapilre  vingt  trois,  sont  consacrées  à l’étude  des  roches  et  des 
laitiers. 

Let  exposé,  trop  sommaire,  donnera  du  moins  an  lecteur  une 
idée  des  matières  traitées  dans  La  silice  et  les  silicates  de 
-M.  Le  Lbàlelier.  L’est  un  ouvrage  de  haute  valeur,  présentant 
un  vif  intérêt  aussi  bien  pour  le  chimiste  (pie  pour  le  minéra- 
logiste, le  géologue  et  l’industriel.  Aoiis  ne  saurions  assez  leur 
en  recommander  l’étude.  Ajoutons  qu’ils  y trouveront  autant  de 
plaisir  que  de  [irofil,  tant  l’exposé  est  clair  et  le  style  agréable. 


IL  De  Limeeee,  S.  .1. 


BIBLIOGRAPHIE 


•J81 


XIV 

Il  Metodü  degli  Equivalenti.  Contrilnilo  allô  studio  dei 
processi  di  conlroiilo.  llicerche  speriinentali  del  Doit.  Agostlno 
Ge.melli.  lin  vol.  grand  in-H”  de  344  pages.  — Florence,  Lihreria 
éditrice  tiorentina,  1914. 

L'ouvrage  que  nous  avons  l’honneur  de  présenter  aux  lecteurs 
de  la  Revue,  fit  brillamment  son  entrée  dans  le  monde,  il  y a 
quelques  mois,  par  devant  le  jui-y  d’agréation  de  l’Université  de 
Turin.  A son  docte  et  lécond  auteur,  au  R.  P.  Gemelli,  0.  F.  M., 
déjà  docteur  en  médecine  et  professeur  honoraire  d’histologie, 
il  valut  d’être  pour  ainsi  dire  réintégré  dans  FUniversité  ita- 
lienne, au  litre  nouveau  de  libero  docente  de  psychologie.  Succès 
mérité,  assurément,  dont  se  réjouirent,  sans  d’ailleurs  s’en 
étonner,  les  nombreux  amis  de  l’éminent  directeur  de  la  Bivista 
di  Filosofia  neoscolaslica. 

Le  présent  travail  est  un  travail  technique,  au  sens  le  meilleur 
du  terme.  Ft  il  réunit,  à un  degré  très  honorable,  les  qualités 
maîtresses  des  deux  psychologues  de  marque  qui  en  suivirent  la 
confection  avec  une  attention  sympathique  et  une  bienveillance 
efficace  : les  professeurs  Kiesow  (Turin)  et  Külpe  (alors  à Bonn). 
En  effet,  la  première  partie  du  mémoire,  plutôt  dans  la  manière 
de  Kiesow,  est  une  application  très  poussée  d’une  de  ces 
méthodes  psychophysiques,  qui  exigent  la  précision  minutieuse 
des  observations  et  la  rigueur  schématique  du  raisonnement 
inductif;  tandis  que  la  seconde  partie  consiste  surtout  à pro- 
mener en  tous  sens,  sur  celle  hase  bien  triangulée,  l’instrument 
souple  et  pénétrant  qu’a  si  parfaitement  mis  au  point  le  fonda- 
teur de  l’Ecole  de  Wiir/.burg  : l’introspection  provo([uée  et 
dirigée. 

Donnons  quelque  idée,  à la  fois,  du  l’objet  de  la  recherche  et 
de  la  portée  des  principaux  résultats. 

J.  On  connaît  la  « méthode  des  équivalents  »,  appliquée  par 
Fechner  à la  détermination  topographique  des  seuils  spatiaux 
tactiles.  Un  stimulus  constant,  par  exemple  la  distance  qui  sépare 
les  deux  pointes  d’un  esthésiomètre,  étant  posé  sur  une  région  de 
la  peau,  le  sujet  en  expérience  doit  apprécier,  par  compai-aison, 
un  second  stimulus,  variable  celui-ci,  affectant  une  autre  région 
cutanée.  Divers  procédés,  expérimentaux  ou  statistiques,  per- 


282 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


mettent  d’obtenir,  avec  assez  d’exactitnde,  les  valeurs  respec- 
tives que  prennent  les  deux  stimuli  lorsque  le  sujet  les  juge 
équivalents.  Le  rapport  de  ces  deux  valeurs,  «rapport  d’équi- 
valence 9,  varie  avec  la  localisation  des  excitations  reçues. 

Si  cette  variation  locale  ent  été  la  seule,  la  méthode  des  équi- 
valents se  fut  montrée  d’une  extrême  commodité  pour  apprécier 
la  variation,  rigoureusement  parallèle,  des  seuils  spatiaux  en 
diflerents  points  d’nn  sensorium.  .Mais  on  constata  bientôt  que 
la  valeur  numérique  du  rapport  d’écpiivalence  est  aussi  fonction 
d’auti'es  circonstances,  p.  ex.  de  l’intensité,  ou  de  la  grandeur 
absolue  des  stimuli  applicpiés.  El  l’on  abandonna  le  procédé 
sans  chercher  même  à épuiser  ses  possibilités  d’emploi. 

Le  1*.  Eemelli  — dont  le  but  n’était  pas,  comme  celui  des 
premiers  psycbophysiciens,  la  détermination  des  seuils  — réha- 
bilite, d’un  point  de  vue  plus  large,  la  méthode  des  équivalents. 

Les  stimidi  qu’il  utilise  sont  des  distances  tactiles,  créées  par 
l’écartement  de  deux  pointes.  Non  seulement  il  établit  impec- 
cablement, en  s’aidant  des  travaux  de  ses  devanciers,  sa  tech- 
nique de  recherches,  mais  il  étend  le  champ  traditionnel  d’in- 
vestigation, grâce  à l’em[)loi  d’un  esthésioinètre  (du  type 
Ehhinghaus-.Michotte),  qui  lui  permet  l’essai  d’écai  fements  con- 
sidérables. 

Lue  partie  des  résultats  bruts  confinnent  ceux  qu’obtinrent 
d’autres  expérimentateurs.  Sur  un  point,  le  P.  Gemelli  complète 
notablement,  et  corrige  : disposant  d’une  gamme  plus  étendue 
de  distances  tactiles,  il  rectitie  et  achève  le  tracé  de  la  courbe 
qui  ligure  les  variations  du  rapport  d'é(iuivalence  en  fonction 
de  la  valeur  absolue  des  distances  confrontées.  Tenu  compte  de 
celte  variation,  et  en  outre  de  celle  qui  rellèle  la  pression  plus 
ou  moins  grande  exercée  par  les  pointes  de  l’esthésiomètre,  on 
peut  dire  que  la  valeur  du  rapport  d’équivalence  dépend  de 
deux  conditions  principales  : 1"  la  sensibilité  discnininntive  des 
diverses  régions  cutanées  ; rJ’ les  circonstances  psychologiques 
qui  facilitent  ou  enti’avent  le  jntjement  compnrntif  exprimant 
l’éfinivalence  snbjective  des  distances  tactiles.  Parmi  ces  der- 
nières circonstances,  relevons  : la  position  proximale  (habituelle) 
ou  distale  des  membres  stimulés;  le  rôle  adjuvant  des  images 
visuelles  ; le  degré  d’attention  active;  la  fatigue.  Il  eût  été  ditïi- 
cile  d’être  totalement  oi'iginal  dans  l’analyse  de  pareilles  condi- 
tions ; dn  moins  fournit-on  toujours  des  données  de  première 
main,  et,  sur  nombre  de  points,  des  résultats  délinitifs. 


BIBLIOGRAPHIE 


II.  Mais  cette  première  partie,  si  estimables  (pi’en  soient  la 
méthode  et  les  résultats,  ne  dépasserait  pas,  en  intérêt,  une 
bonne  recherche  expérimentale  (jnelconqiie,  si  ranteur  n’en 
faisait  la  hase  d’une  investigation  de  plus  haute  j)ortée  théori- 
que. Comme  il  le  remarque  très  bien,  la  méthode  psychophysique 
des  équivalents,  avec  sa  précision  chitîrable,  vient  admirable- 
ment compléter,  en  laboratoire,  1’  « introspection  provoquée  », 
qu’elle  aide  à délimiter,  tà  guider,  à contrôler,  bref,  à constam- 
ment « canaliser  ». 

Que  de  Ibis  l’on  a reproché  à l’Ecole  de  Külpe  de  s’attaquer 
d’emblée  cà  des  états  internes  trop  complexes  et  trop  fuyants  1 
Cette  critique  atteignit  surtout  des  travaux,  d’ailleurs  remar- 
quables, comme  ceux  de  Buehler  : Ueber  Getbwken;  instinctive- 
ment l’on  se  méfiait  d’une  analyse  assez  téméraire  pour 
prétendre  dégager  immédiatement  les  éléments  formels  de  la 
pensée,  au  sein  d’enchevêtrements  psychologiques  non  encore 
dissociés  en  leurs  menues  relations  structurales.  Personnelle- 
ment, nous  trouvons  le  reproche  exagéré,  d’autant  plus  que  le 
premier  travail  de  Buehler  eut  toute  l’utilité  positive  de  ces 
razzias  brillantes,  qui  préludent  à une  occupation  méthodique  et 
définitive.  Mais  il  fallait,  avouons-le,  que  cette  dernière  suivît. 
Buehler  lui-mème  s’est  remis  patiemment  en  campagne  dans 
son  récent  ouvrage  : Die  Geslaltivcihnœhmiwgen. 

C’est  bien  à cette  seconde  phase  du  développement  conquérant 
de  l’introspection,  sur  le  terrain  de  la  pensée,  que  se  rattache  le 
travail  du  P.  Cemelli.  La  comparaison  des  distances  tactiles  lui 
olfre  un  processus  relativement  simple,  étudié  minutieusement 
dans  ses  éléments  descriptifs  et  ses  variations  : tout  y est  cà  point 
pour  une  analyse  interne  poussée  plus  avant.  Que  nous 
apprend-elle? 

c\e  pouvant  transcrire  des  pages  entières  du  livre  que  nous 
analysons,  nous  nous  bornerons  aux  constatations  de  majeure 
importance. 

Dans  le  processus  de  confrontation  des  distances,  tout  l’inté- 
rêt théorique  se  concentre  autour  du  ((jugement  de  compaiai- 
son  » sur  lequel  se  fonde  le  rapport  psychophysi([ue  d’équi- 
valence. 

Or,  ici,  le  jugement  est  émis  en  dépendance  d’une  ((consigne» 
(tâche,  Anfgabe)  explicitement  donnée  au  sujet  et  ellicacement 
acceptée  par  lui.  Le  but  assigné,  c’est  la  formulation  d’un 
jugement  comparatif,  ou,  plus  exactement  peut-être,  c’est  ce 
jugement  lui-même,  en  ordre  principal,  et  secondairement  son 


284 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


expression.  Oii  se  meut  donc  dans  le  cadre  même  des  expérien- 
ces de  Wall,  Messer,  Acli,  MiclioLte,  Hovet,  et  de  tant  d’autres, 
Kt  l’on  ne  s’étonnera  pas  de  parcourir  à nouveau  les  grandes 
étapes,  devenues  prescjue  classiques  : intelligence  de  la  consigne 
générale  ; application  de  cette  consigne  générale  aux  conditions 
])articnlières  de  l’expérience  (particularisation  de  VAufçjabe, 
dans  la  perception  du  premier  slimulus)  ; puis,  orientation 
psychologique  conforme  à la  consigne  particularisée  {Einstel- 
iinij],  dont  l’aspect  formel  et  spécifiant  se  trahit  dans  le 
Bewusslseinsl(ige);  maintien  de  cette  orientation  pendant  l’inter- 
valle de  deux  stimulations;  enfin,  exécution  de  la  consigne  à la 
réception  du  second  stimulus. 

Chacun  de  ces  stades  prête  à des  constatations  intéressantes  ; 
voici  les  principales  : 

Sous  l’inlluence  de  la  consigne,  le  premier  stimulus  — ici 
la  distance  qui  sert  de  repère  fixe  — est  perçu  en  relation  anti- 
cipée avec  le  jugement  de  comparaison  et  selon  les  caractères 
précis  qui  doivent  faire  l’objet  de  ce  jugement.  Comme  on  le 
voit,  nous  sommes  dans  le  cas  général  de  toute  consigne 
acceptée. 

Lors  de  la  perception  du  second  stimulus  (distance  variable 
à comparer  avec  la  distance  fixe),  plusieurs  cas  se  présentent, 
d’après  la  dilférence  plus  ou  moins  marquée  des  deux  stimuli  : 
ou  bien  la  comparaison  s’elTectue  immédiatement  entre  l’image 
remémorée  du  prerniei’  stimulus  et  la  représentation  perçue  du 
second  ; ou  bien  elle  s’elfectue  à l’aide  de  représentations  sym- 
boliques des  deux  distances  ; ou  bien  encore,  l’appréciation  est 
à la  fois  médiate  et  indirecte,  basée  sur  l’estimation  d’éléments 
secondaires  non  tacliles  ; ou  bien,  enfin,  et  ce  cas  est  très  net 
malgi'é  son  ap[)arence  paradoxale,  la  comparaison  se  fait  instan- 
tanément, en  l’absence  de  tonie  représentation  du  premier  sti- 
mulus, par  la  perception  directe,  dans  le  second  stimulus,  d’une 
relation  unilatérale  de  « plus  grand  »,  de  « moins  gr'and  », 
d’ « égalité  ».  Le  jugement  ne  fail  qu’exprimer  cette  perception 
« relative  ». 

Le  P.  Gemelli  attache  à juste  titre  une  grande  impoiTance  à 
cette  perception  directe  de  la  relativité  comme  telle.  Si  nous 
nous  en  rapportons  à nos  observations  personnelles,  un  fait  est 
hors  de  conteste  : <à  la  base  de  la  plupart  de  nos  jugements 
comparatifs,  se  rencontre  la  perception  d’une  relation  entre  deux 
termes,  dont  l’un  n’est  point  actuellement  représenté  dans  la 
conscience  claire.  En  ceci,  nous  sommes  i)leinement  d’accord 


BIBLIOGRAPHIE 


2S5 


avec  le  V.  Gemelli,  avec  Brunswig' (dont  nous  signalâmes  jadis 
aux  lecteurs  de  cette  Revue  Texcellent  travail  : Dus  Yergleichen 
nnd  die  Relalionserkenntnis,  J910)  et  avec  plusieurs  autres. 
Avec  eux,  aussi,  nous  concluons  qu’il  n’y  a pas  identité  entre 
l’acte  (ou  les  actes?)  de  comparaison  et  la  double  aperception 
des  termes  comparés  : simple  corollaire  de  la  constatation  qui 
précède.  On  peut,  de  plus,  croyons-nous,  démontrer,  avec  le 
F^.  Gemelli,  et  en  général  avec  les  psychologues  de  l’I^cole  de 
Külpe,  que  V inter inédiaire  réel  entre  deux  termes  successifs  de 
comparaison  est  une  «attitude»  (Binet)  caractéristique,  créée 
par  la  coalescence  de  VAufg(d)e  et  du  terme  principal  de  com- 
paraison, et  que  celte  « attitude  » est  elle-même  décomposable 
en  deux  éléments  abstraits:  un  sapere  latente  [latentes  Wissen  — 
nous  préférerions,  pour  notre  part,  éviter  ici  le  mot  « savoir  », 
qui  préjugé  une  question  non  tranchée,  et  parler  seulement  de 
quelque  chose  comme  une  « forme  spéciflcatrice  » ou  un 
« schème  »)  ; puis,  en  second  lieu,  une  direzione  (Ricfihmg, 
aktive  Reziehung,  c’est-à-dire  une  référence  active  à l’opération 
qui  doit  être  effectuée  sur  le  second  terme  de  comparaison). 

Ces  résultats  des  observations  de  laboratoire  sont  gros  de 
conséquences  théoriques.  Mais  oserions-nous  en  conclure, 
comme  le  P.  Gemelli,  « che  la  appercezione  délia  relazione  è 
dovuta  ad  iina  attività  differente  da  quella  alla  quale  è dovuta 
Fappercezione  del  contenu to  delle  due  sensazioni,  e che  il  pro- 
cesso  di  confronto  è dovuto  ad  una  particolare  attività  psichica 
di  confronto  » (p.  :289)? 

Distinguons.  Si  l’on  veut  dire  simplement  que  l’aperception 
de  la  « relation  » n’est  pas  identiquement  la  double  aperception 
sensorielle  des  « termes  » de  la  relation,  et  si  les  mots  « partico- 
lare attività  psichica  di  confronto  » ne  sont  qu’une  étiquette, 
soulignant  l’originalité  globale  d’un  processus  psychologique, 
sans  nulle  prétention  à définir,  par  dilférence  spécifique,  une 
fonction  intellectuelle  homogène  et  distincte,  alors,  sans  doute, 
nous  admettons  volontiers  cette  ultime  conclusion  d’un  savant 
mémoire.  Mais  si  l’on  allait  plus  loin,  c’est-à-dire,  si  l’on  espérait 
déduire  de  l’analyse  introspective  l’existence  d’une  fonction 
intellectuelle  de  comparaison,  jarcerrwtnrHc,  à l’état  de  virtualité 
définie,  avant  même  toute  aperception  sensorielle,  nous  nous 
excuserions  de  devoir  faire  quelques  réserves  d’ordre  théorique 
aussi  bien  que  d’ordre  expérimental.  Et  nous  souhaiterions,  de 
plus,  qu’un  chercheur  aussi  bon  philosophe  que  le  P.  Gemelli 
ne  bornât  point  son  horizon  par  cette  formule  arbitraire  et  limi- 


286 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


tatrice:  ai'bitraire,  car  elle  dépasse,  selon  nous,  les  expériences 
dont  on  la  tii’e  ; limilalrice,  car  elle  refoule,  du  même  coup,  en 
<(  achevant  » prématurément  la  question,  des  séries  entières 
d’expériences  possibles. 

L’induction  psychologique  là  phts  consciencieuse  va-t-elle, 
vraiment,  nous  livrer,  comme  dernier  produit,  un  «intellect» 
figé,  par  essence,  dans  une  armature  de  fonctions  judicatives 
spécialisées,  de  « catégories  » ? On  se  prend  — en  bon  thomiste, 
nous  dirons  : à le  redouter,  en  lisant  quelques-unes  des  meil- 
leures pages  des  élèves  de  Ivülpe.  Certes,  ils  eurent  l’immense 
mérite  de  nous  débarrasser  de  l’empirisme  sensualiste  en 
psychologie  ; et  l’on  peut  aussi  leur  savoir  gré  de  ne  pas 
chercher  — plus  sages  en  cela  que  maint  philosophe  spiri- 
tualiste — à réintroduire  subrepticement,  dans  l’esprit  comme 
tel,  une  diversité  « matéiâelle  »,  à peine  transposée,  ^lais  ne 
subsisterait-il  pas,  malgré  tout,  à leur  insu,  un  reste  subtil  d’in- 
tuition sensible  dans  la  diversité  même  de  ces  fonctions  particu- 
lières — tel  le  pouvoir  de  comparaison  — dont  ils  semblent 
revêtir  l’intelligence  humaine  comme  d’une  parure  qui  lui  soit 
propre? 

Pour  nous,  nous  estimons  que  toute  particulavisalion  fonction- 
nelle de  l’intelligence  repose,  en  dernière  analyse,  sur  la  diver- 
sité de  l’expérience  sensible,  externe  et  interne  : seuls  deux 
aspects  formels,  corrélatifs  et  absolument  qénéraux  de  l’activité 
psychologique  supérieure,  se  montrent  réfractaires  à toute 
origine  empirique  : l’unité  et  la  finalité,  la  capacité  pure  de  la 
spéculation  et  la  forme  pure  de  la  tendance,  la  synthèse  et  le 
vouloir.  Tout  ce  qui  est  diversification  dans  la  synthèse  et  mor- 
cellement dans  le  vouloir  trahit,  à quelque  degré,  une  dépen- 
dance de  la  « matière  ». 

Si  nous  avons  raison  — et  il  n’est  pas  sûr,  nous  le  répétons, 
que  le  I’.  Gemelli  nous  donne  tort  — le  mystère  du  «jugement 
<le  comparaison  »,  qui  est  d’ailleurs  le  mystère  général  de 
l’entendement  par  opposition  à l’intelligence  pure,  n’est  point 
encore  totalement  élucidé.  Il  existe  une  « attività  di  confronto  », 
mais  ne  se  ramènerait-elle  pas  à des  fonctions  intellectuelles 
plus  simples  et  plus  primitives? 

Le  fait  que  de  pareilles  questions  soient  soulevées  par  un 
travail  de  psychophysique,  montre  assez  l’intérêt  philosophique 
que  peut  présenter  l’étude  expérimentale  des  fonctions  supé- 
rieures de  l’esprit.  Sans  doute,  on  ne  doit  point  espérer  aboutir 
à des  conclusions  imprévues  : même,  en  un  sens,  les  résultats 


BIBLIOGRAPHIE 


287 


seront  d’autant  plus  précieux  qu’ils  se  confondront  avec  les 
thèses  les  plus  banales  d’une  quelconque  des  philosophies  tra- 
ditionnelles. Effort  superllu,  alors?  A'ullement,  car  il  établira 
solidement,  s’il  aboutit,  le  lien  multiple  et  continu  qui  relie 
toute  la  hiérarchie  des  phénomènes  internes  aux  allirmations 
supérieures,  fondement  de  la  métaphysique.  Ces  airirmations 
valent  par  elles-mêmes  : il  n’en  est  pas  moins  d’un  puissant 
intérêt  de  les  situer  exactement  dans  notre  expérience  totale. 


J.  Maréch.\l,  s.  J. 


XV 

L\  Eer.meat.vtioa  .alcoolique,  par  Arthur  Harden  (F.  R.  S.). 
Traduit  de  l’anglais  par  G.  Schaefer.  Un  vol.  in-8’,  de  la  collec- 
tion des  Questions  biologiques  actuelles,  163  pages.  — Paris, 
Hermann,  19J3. 

Ce  nouveau  volume  ne  fait  certes  pas  déchoir  l’excellente  col- 
lection de  monographies  publiées  sous  la  direction  de  M.  Dastre. 
11  est  écrit  par  un  spécialiste  anglais  bien  connu,  qui  possède 
admirablement  son  sujet.  L’exposé,  clair,  ferme,  soulignant  ce 
qui  vaut  d’être  souligné,  est  aux  antipodes  de  la  vulgarisation 
imprécise  et  tâtonnante. 

On  sait  l’intérêt  qui  s’attache  à la  fermentation  alcoolique, 
non  seulement  à cause  de  son  importance  industrielle,  mais 
sui’tout  (du  moins  aux  yeux  du  biochimiste)  par  le  fait  qu’elle 
retlète  très  directement,  dans  son  histoire,  les  étapes  successives, 
ou,  si  l’on  nous  permet  celte  expression,  le  développement 
oscillatoire  de  la  théorie  générale  des  ferments. 

.A.  la  vieille  conception  mécaniste  de  Stahl,  qui  voyait  dans  la 
fermentation  la  transmission  d’un  mouvement  interne,  se  sub- 
stitue, après  les  recherches  purement  analytiques  de  Lavoisier 
et  d’autres  chimistes  éminents,  une  théorie  biologique  du 
phénomène:  Schvvann  surtout,  et  Cagniard-Latour,  reconnais- 
sent, dans  la  levure,  de  véritables  cellules,  capables  de  se 
reproduire  par  bourgeonnement;  la  fermentation  devenait,  pour 
eux,  un  simple  contre-coup  du  métabolisme  cellulaire.  Mais  à 
ce  moment  même,  Berzélius  le  père  de  la  catalyse,  s’inscrit  en 
lâux  contre  la  thèse  biologiste  et  propose  une  théorie  p/q^/^/co- 
chiniique  : la  fermentation  ne  pouvait  évidemment  représenter 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


qu’une  action  catalyli([ue.  Bientôt  les  critiques  de  Berzélius  se 
doul)lent  de  celles  — très  dures  — de  Liebig  et  de  Woeliler,  qui 
prônent,  de  leur  côté,  une  interprétation  purement  chimique. 
La  discorde  règne  au  laboratoire,  et  les  vues  de  Scbwann,  peut- 
être  surtout  à cause  de  leur  teinte  vitaliste,  rallient  à peine 
encore  une  minorité.  Api’ès  des  vicissitudes  diverses,  la  roue  de 
la  Fortune  a de  nouveau  l'ait  un  tour  complet  : Pasteur  inaugure 
ses  recherches  sur  les l'ermental ions  lactique  et  alcoolique;  plus 
de  doute,  l'agent  nécessaire  de  ces  processus  est  bien  un  micro- 
organisme. Liel)ig,  atteint  d’un  coup  di’oit,  essaie  d’une  répli- 
que, mais  est  Inentôt  réduit  au  silence.  Et  pourtant,  l’avenir 
devait  lui  donner  partiellement  raison,  sans  toutefois  infirmer 
la  valeur  des  expériences,  sinon  de  tontes  les  interprétations, 
de  Pasteur.  Eu  elfet,  l’idée  se  lit  jour,  et  s’accrédita  de  plus  en 
plns,quel’agentLun/éryû//de  la  fermentation  alcoolique  était  une 
diastase,  un  ferment  chimique,  sécrété,  à vrai  dire,  par  des 
micro-organismes  (Traube).  Mais  la  preuve  expérimentale, 
décisive,  de  cette  conception  nouvelle  et  conciliatrice,  ne  fut 
donnée  qu’en  J8B7,  par  E.  Buchner,  qui  réussit  à isoler,  des 
cellules  de  levure,  une  diastase,  la  zymase,  capable  de  provoquer 
en  leur  absence  la  fermentation. 

J)ès  lors,  la  fermentation  alcoolique,  réintégrée  dans  les 
cadres  généi'aux  de  la  fermentation  chimicpie,  devient  l’objet 
d’expériences  nombreuses  et  précises.  Son  mécanisme  apparaît 
de  plus  en  plus  complexe  : <à  côté  du  ferment  principal,  se  range 
un  ferment  complémentaire,  une  co-zymase,  indispensable  à la 
fermentation  ; puis,  c’est  la  présence  d’un  phosphate  qui 
apparaît  nécessaire  pour  la  décomposition  du  sucre  à feimenter  : 
le  cycle  du  phosphore,  pendant  la  durée  de  la  fermentation, 
passe  par  la  formation  d’un  bexosepbos[)bate  et  se  termine 
par  la  libération  du  métalloïde  sous  l’action  d’une  enzyme  spé- 
ciale; enfin,  à côté  de  la  zymase,  surgit  un  cortège  de  ferments 
destructeui's,  normalement  paralysés  par  leurs  anliferments... 
Bref,  la  fermentatiou  alcoolique  nous  fait  entrer  au  cœur  de  ce 
chapitre  nouveau,  et  souvent  déconcertant,  de  Biochimie,  ofi 
les  réactions  fermentaires  allichent,  au  sein  d’une  étonnante 
complexité,  des  liens  de  parenté  non  équivoques  avec  les  phéno- 
mènes d’immunité  d’une  {lart,  et  d’autre  part  avec  les  phéno- 
mènes catalytiques. 

M.  Ilarden  nous  rapporte  liés  exactement  ces  recherches 
anciennes  et  récentes,  leur  mise  en  œuvre  expérimentale,  leurs 
résultats  et  leur  portée. 


J.  M.4rkchal,  s.  J. 


BIBLIOGRAPHIE 


289 


XVI 


Restauration  des  Montagnes.  — Correction  des  torrents. 
Reboisement,  par  E.  Thiéry,  prolesseiir  à l’Ecole  Nationale 
des  Eaux  et  Eorèts.  Avec  une  introduction  par  M.  E.  Lechalas. 

édition,  revue  et  augmentée.  Un  vol.  in-8",  i80  pp.  — Paris 
et  Liège,  Librairie  polytechnic]ue  de  Ch.  Béranger. 

Xet  important  ouvrage  tait  partie  de  la  collection  Encyclo- 
pédie des  T ravaux  ptd)lics,  fondée  par  M.  C.  Lechalas,  inspecteur 
général  des  Ponts  et  Chaussées. 

De  l’introduction,  dont  le  très  savant  et  très  érudit  fondateur 
de  YEncyclopédie  a honoré  ce  compact  volume,  il  résulterait 
que  les  exposés  et  les  descriptions  de  l’ingénieur  Surell,  trop 
simplistes  et  trop  sobres  de  détails,  seraient  aujourd’hui  vieux 
jeu,  démodés  et  demanderaient  à être  complétés,  mises  à point. 
C’est  ce  à quoi,  sans  doute,  a voidu  répondre  l’auteur,  lequel, 
forestier,  a fait  principalement  œuvre  d’ingénieur. 

Cette  œuvre  comprend  trois  parties,  dont  l’une,  sous  ce  titre  : 
Description  du  phénomène  torrentiel,  traite  de  la  question  que 
nous  avions  abordée  jadis,  ici-mème  (janvier  J882),  d’après 
Surell,  Scipion-Gras,  Philippe  Breton,  Costa  de  Bastelica  et 
Demontreux,  sous  le  titre  de,  Lois  générales  de  la  torrentinlité. 
On  doit  dire  que  cette  « De.scription  du  phénomène  torrentiel  » 
est  développée  avec  une  grande  hauteur  de  vues  et  à l’aide  de 
nombreuses  observations  nouvelles  d’ensemble  et  de  détails, 
faites  dans  les  régions  montagneuses  tant  en  France  qu’à  l’étran- 
ger, ce  qui  implique  naturellement  un  progrès  sur  les  nombreux 
travaux  analogues,  antérieurement  publiés. 

Là,  tous  les  phénomènes  de  la  montagne,  tous  les  détails  de 
chacun  d'eux,  minutieusement  observés  et  décrits,  sont  soumis 
au  calcul.  Sur  ces  données  est  établie  une  nouvelle  classification 
des  torrents,  ou  plus  exactement,  des  cours  d’eau  torrentiels,  le 
régime  de  ces  cours  d’eau,  la  formation  des  pentes  de  compen- 
sation et  le  profil  qui  en  résulte.  Les  lits  de  déjection  ont  ici 
remplacé  les  cônes,  l’auteur  estimant  que  ces  sortes  de  remblais 
qui  se  forment  à l’issue  des  canaux  d’écoulement,  se  rapprochent 
clavantage  de  la  forme  de  la  pyramide  que  de  celle  du  cône;  il 
en  décrit  la  formation,  puis  expose  les  divers  ravages  causés  par- 
les torrents  ; cônes  ou  pyramides,  ce  sont  toujours  des  lits. 

IIP  SÉRIE.  T.  XXVI.  19 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:-^90 

Les  Travaux  de  correction  des  torrents  occupent  la  seconde 
partie  dn  volnine.Sons  nn  titre  différent,  la  Revue  des  Questions 
SCIENTIFIQUES  avait  aussi  abordé  ce  sujet,  en  juillet  1882,  d’une 
manière  plus  sommaire,  il  est  vrai.  La  fameuse  question  des 
barrages  est,  ici,  envisagée  sous  toutes  ses  faces  : barrages  rec- 
tilignes, barrages  curvilignes,  en  maçonnerie,  en  pierre  sèche,  en 
bois,  en  farcinages  et  clayonnages,  barrages  vivants;  l’utilité  de 
ces  barrages;  leurs  rôles  respectifs  suivant  qu’il  s’agit  de  la 
correction  de  torrents  à affouillements,  à glissements  ou  à 
clappes,  glaciaires  ou  mixtes;  leur  hauteur,  la  forme  et  les 
dimensions  de  la  cuvette,  le  radier,  le  contre-barrage,  tout  cela 
est  exposé  mathématiquement  et  avec  figures  et  graphiques  à 
l’appui. 

Parmi  les  Travaux  divers,  quelques  pages  sont  consacrées  à 
la  forêt  de  protection  et  à l’utilité  du  reboisement;  mais  c’est 
d’une  façon  qui  semble  incidente. 

Cette  seconde  partie,  qui  se  termine  à la  page  880,  forme, 
avec  la  première,  la  très  majeure  part  du  volume. 

La  troisième,  qui  a i)Our  objet  les  Travaux  de  reboisement,  ne 
comprend  pas  beaucoup  plus  de  80  pages.  L’auteur  y envisage 
d’abord  les  diflicidtés,  tant  morales  (pie  climatiques  (1)  et  celles 
surtout  (pii  résultent  de  la  disposition  et  de  la  constitution 
extrêmement  compli(piées  des  terrains,  surtout  dans  les  Alpes. 

Ce  qui  suit,  rentre  plus  spécialement  dans  le  domaine  de  la 
sylviculture,  mais  dans  son  application  exclusive  aux  boisements 
en  terrains  montagneux;  choix  des  essences  suivant  les  altitudes 


(t)  I.  auteur  emploie,  et  nous  avions  jatlis  employé  nous-mènie  l’expression 
(le  cliiuatériquc.  Mais  elle  n’est  pas  applicable  à l’état  climatologique  d’un 
pays  ou  d’une  région. Ouvrons  le  dictionnaire  de  l’Académie,  à ce  mot,  nous  y 
tisons  : « .\djectif  des  deux  genres;  il  n’est  usité  que  dans  ces  locutions  : 
An  climatérique,  année  climatérique,  (’.liaque  septième  année  de  la  vie 
humaine,  et  pai’ticulièrement  la  soixante-troisième  qu’on  appelle  aussi  la 
grande  climatérique,  et  absolument  la  climatérique...  etc.  » 

Dictionnaire  l.arive  et  Fleury  : 

« Climatérique,  se  dit  des  âges,  des  années  de  la  vie  liumaine  regardés 
comme  dangereux  pour  la  santé  ». 

Le  dictionnaire  de  I ittré,  et  tous  les  autres  donnent,  sous  une  forme  ou  sous 
une  autre,  la  même  détinition. 

Il  est  vrai  que  le  mot  c/iiiK/OVyi/c  ne  se  trouve  dans  aucun  dictionnaire; 
mais  il  peut  être  considéré  comme  une  abréviation  ou  contraction  de 
climatologique,  qui  est  un  peu  long. 


BIBLIOGRAPHIE 


29i 


et  les  expositions,  des  graines  pour  les  semis;  création  et 
entretien  de  pépinières,  plantations,  tracé  de  chemins  et  de 
sentiers  (1). 

Le  volume  se  termine  par  un  XW*"  chapitre,  d’un  grand  inté- 
rêt dans  sa  brièveté  (il  n’a  que  3 pages),  car  il  donne  la  statis- 
tique de  tous  les  travaux  accomplis  jusqu’ici  par  l’Administration 
pour  l’Œuvre  de  la  restauration  des  montagnes,  avec  indication 
des  dépenses  qui  seraient  nécessaires  pour  l’achèvement  des  tra- 
vaux, lesquelles  se  monteraient  à 60  186  000  francs. 

^ Le  travail  de  M.  E.  Thiéry  est  assurément  remarquable.  11 
dénote  une  observation  abondante  et  minutieuse,  servie  par  la 
science  spéciale  de  l’ingénieur.  La  restauration  de  la  montagne 
par  des  tiavaux  d’art  parait  être  son  principal  objectif,  le 
reboisement  intervenant  comme  le  couronnement  et  l’élément 
conservatoire  de  l’œuvre,  plutôt,  semble-t-il,  que  comme 
l’œuvre  principale. 

C’est  ici  que  se  rencontre  le  point  douteux. 

11  y a quelque  douze  ou  quinze  ans,  il  y eut  grand  émoi  dans 
le  public  forestier  administratif,  du  fait  qu’un  de  ses  membres 
avait  publié,  dans  la  Revue  des  Eaux  et  Eorèts,  une  charge  à 
fond  contre  les  travaux  de  consolidation  des  versants  mon- 
tagneux à l’aide  de  barrages  monumentaux  coûtant  fort  cher  et 
ne  résistant  que  pour  un  temps  tà  la  poussée  des  matériaux  qui 
finissaient  par  les  emporter.  Conclusion  logique  : toutes  tenta- 
tives d’éteindre  les  torrents  par  des  travaux  d’art,  étaient  vaines, 
dispendieuses  et  inutiles. 

A elle  seule,  la  démarche  de  l’écrivain  de  la  revue  forestière 
avait  peut-être  pu  passer  pour  une  boutade  paradoxale.  Mais 
quelques  années  plus  tard,  au  congrès  du  Sud-Ouest  navig.able, 
tenu  à Bergerac  ( Dordogne)  en  juillet  1906,  un  autre  forestier, 
M.  L.  A.  Eabre,  inspecteur,  soutint  une  thèse  analogue  daris  un 
brillant  mémoire  intitulé  : Les  dérivations  à l’Idée  des  Beboise- 
ments  des  montagnes  (i).  Sans  doute  l’auteur  du  mémoire  ne 
proscrit  pas  systématiquement  toute  espèce  de  barrages;  mais 
bien  qu’en  rendant  hautement  hommage  à l’œuvre  considé- 


(1)  Nous  avions  traité  ce  sujet  dans  la  Revue  des  Questions  scienti- 
EiUUES,  (le  juillet  et  octobre  1884,  juillet  1886. 

(2)  Cf.  le  Compte  l endu  des  travaux  du  congrès,  p.  416.  Bergerac,  Inipru 
inerie  générale  du  Sud-Ouest,  19U6. 


292 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rable,  réalisée  par  Demontzey,  dont  il  fut  d’ailleurs  l’élève,  il 
considère  les  grands  bai  rages  et  autres  travaux  de  maçonnerie 
comme  une  erreur  du  grand  reboiseur,  erreur  qu’il  aurait,  sur 
la  fin  de  sa  carrière,  reconnue  implicitement  lui-même,  en 
reconnaissant  l’etïicacité  des  barrages  vivants  par  opposition  aux 
barrages  de  maçonnerie.  La  thèse  de  M.  Fabre  est  étayée  par 
l’apport  de  très  nombreux  faits  à l’appui. 

îf’autre  part,  l’initiative  privée,  sous  la  haute  impulsion  de 
M.  l’aul  Descombes  (un  ancien  élève  de  l’École  polytechnique) 
obtient,  dans  les  montagnes  pyrénéennes  et  même  dans  les 
.Mpes,  des  résultats  que  je  ne  craindrais  pas  d’appeler  mer- 
veilleux, par  la  restauration  des  pâturages  et  le  reboisement  (1), 
sans  d’ailleurs  recourir  à ces  grands  travaux  d’art  que  l’Admi- 
nistration publique  est  seule  en  état  d’entreprendre. 

Loin  de  nous  la  pensée  d’opposer  M.  Fabre  et  M.  Descombes 
à MM.  Lechalas  et  Thiéry.  Mais  on  peut,  d’une  part,  se  deman- 
der si  une  partie  au  moins  des  très  savants,  mais  aussi  très  dis- 
pendieux travaux  proposés  par  M.  Thiéry,  ne  pourraient  pas  être 
remplacés  avantageusement  par  des  opérations  plus  simples; 
tandis  que,  d’autre  part,  l’expérience  acquise  et  une  observa- 
tion plus  serrée  des  détails  rendent  plausible  et  vraisemblable 
un  perfectionnement  des  gros  œuvres,  atténuant,  sinon 
annulant  les  défauts  et  inconvénients  signalés  notamment  par 
M.  L.  A.  Fabre  et  autres. 

Le  compact  volume  de  M.  E.  Thiéry  n’en  est  pas  moins,  au 
point  de  vue  de  l’hydrologie  et  de  la  mécanique  appliquées  à la 
consolidation  des  terrains  en  pente,  à la  lutte  contre  les  ava- 
lanches et  les  chutes  de  matériaux,  un  ouvrage  de  premier 
ordre  qu’étudieront  et  consulteront  avec  fruit,  tous  ceux  qui 
collaborent  à l’œuvre  grandiose  de  la  restauration  de  nos  mon- 
tagnes forestières  et  pastorales. 

G.  DE  Kirw.vn. 


(1)  Voir  notiirnnient,  parmi  les  nombreux  écrits  de  M.  Paul  llescombes  : Lu 
thifeme  forestier  e et  pastorale.  Paris,  (iauthier-Villars,  1911;  Éléments  de 
Sj/tvonomie  (Agronomie  forestière);  Economie  et  Politique  forestières.  Bor- 
deaux, tiounouilhou,  1913. 


BIBLIOGRAPHIE 


293 


X^ll 

Économie  FORESTIÈRE,  par  G.  IIuffel,  sons-directeur  et  pro- 
fesseur à l’École  nationale  des  Eaux  et  Forêts.  Tome  premier, 
Deuxième  p.xrtie.  — Seconde  édition,  revue  et  corrigée.  Fasci- 
cule premier  : Propriété  et  législation  forestières.  En  volume 
in-S"  de  J63  p.  s.  d.  — Paris,  Librairie  agricole. 

Le  nom  de  M.  IIuffel,  professeur  (et,  en  plus,  aujourd’hui 
sous-directeur)  à l’École  nationale  des  Eaux  et  Forêts  de  Nancy, 
ejjt  bien  connu  des  lecteurs  de  la  Revue  des  Questions  scienti- 
fiques. En  J905,  d006  et  1907  nous  les  avons  longuement  entre- 
tenus de  la  première  édition  de  son  vaste  ouvrage.  Économie 
forestière,  lequel  tient  plus  encore  que  ne  promet  son  titre. 

En  avril  1911,  nous  analysions,  dans  un  article  de  Variétés,  le 
premier  volume  — ou  plutôt  le  premier  demi-volume  — d’une 
deuxième  édition  du  même  ouvrage.  Ce  « tome  P’’,  Première 
partie  »,  ne  contenait  pas  moins  de  342  pages.  Le  premier  fasci- 
cule du  « tome  l".  Deuxième  partie  »,  en  contient  163,  ce  qui 
fait  présumer  pour  la  totalité  de  cette  « Deuxième  partie  »,  une 
consistance  sensiblement  égale  à la  Première. 

Dans  celle-ci,  une  « Première  Étude  » était  affectée  à exposer 
l’utilité  (on  pourrait  dire  à la  nécessité)  des  forêts  aux  divers 
points  de  vue  économique,  physique,  climatologique,  du  main- 
tien des  terres  et  de  l’utilisation  des  sols  incultes.  11  en  est  de 
même  dans  la  deuxième  édition  qui,  sauf  quelques  intéressantes 
additions,  diffère  peu,  sur  ce  point,  delà  première. 

Les  innovations  particulièrement  heureuses  sur  l’histoire  et 
la  condition  forestière  de  la  Gaule  romaine  et  de  la  Gaule 
franque  sous  les  Mérovingiens  et  les  Carolingiens,  qui  occupent 
le  dernier  tiers  du  volume  précédent,  se  poursuivent,  dans  le 
nouveau  fascicule,  quant  à la  France  féodale  pendant  toute  la 
durée  effective  du  régime  de  ce  nom. 

A la  suite  des  invasions  qui,  du  v'"  au  x®  siècle,  avaient  suc- 
cessivement traversé  ou  occupé  la  vaste  contrée  qui  devait  bien- 
tôt devenir  la  France,  la  notion  du  droit  de  propriété  s’était, 
suivant  les  lieux,  plus  ou  moins  obscurcie,  obnubilée  un  peu 
partout.  Ici,  le  seigneur  se  disait  propriétaire  des  terres  et 
forêts  de  sa  seigneurie  dont  jouissaient,  même  héréditairement, 
les  (c’est-à-dire  les  habitants  des  villages  dépendants  de 

la  villa)  sauf  une  modique  redevance,  se  réservant  les  droits 


294 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


de  pèclie  et  de  chasse  ; ailleurs  c’étaient  d’anciens  alleux  des 
temps  mérovingiens  et  carolingiens  qui  s’étaient  perpétués  à 
travers  l’évolution  féodale  ; ou  bien  c’étaient  d’anciennes  forêts 
communes  qu'l  peu  à peu  s’étaient  transformées  en  propriétés  de 
fait  de  telles  et  telles  communautés,  soit  à titre  indivis  entre  les 
habitants,  soit  plus  souvent,  à litre  collectif;  sur  certains  points, 
comme  dans  le  Nord,  l’Ouest  et  le  Centre,  la  petite  propriété  indi- 
viduelle dominait,  et  cela  dès  avant  le  xiC  siècle,  à l’encontre 
de  l’Kst,  du  Nord-Est  et  du  Midi  où  des  étendues  considérables  de 
forêts  et  de  terres  se  partageaient  entre  un  petit  nombre  de  maî- 
tres. Il  y avait  aussi,  en  forêt,  des  concessions  de  droits  d’usage  en 
des  conditions  telles  que,  dans  les  cas  de  procès,  les  magistrats 
se  trouvaient  fort  embarrassés  pour  déterminer  quel  était,  de 
l’auteur  des  concessions  ou  de  l’usager,  le  véritable  propriétaire. 
Enfin  il  y eut  aussi,  par  la  suite,  des  forêts  dites  roturières,  qui 
ne  devaient  foi  et  hommage  <à  aucun  seigneur. 

On  voit  par  là  combien,  sous  la  constitution  féodale,  la  notion 
de  propriété  était  confuse,  embrouillée.  Et  comme  chaque  pro- 
priété, ou  plutôt  chaque  groupement  de  terres  comprenait  une 
part  considérable,  souvent  prépondérante,  de  forêts,  on  voit  que 
la  question  de  propriété  et  de  législation  forestière,  dans  la 
France  féodale,  est  intimement  mêlée  à celle  de  la  propriété  et 
de  la  législation  en  général. 

Aussi  l’auteur  a-t-il  été  forcément  amené,  pour  traiter  la  ques- 
tion forestière  du  x”  au  xvU  siècle,  à dessiner  le  tableau  de 
toute  l’organisation  leodale.  En  sorte  que,  intéressant  au  pre- 
mier chef  pour  tout  ce  qui  touche  aux  forêts,  ce  travail  ne  l’est 
pas  moins  pour  quiconque  s’intéresse  aux  choses  de  l’histoire 
sociale. 

On  y voit  s’organiser  lentement  les  campagnes  et  se  former  la 
plupart  des  communes  rurales.  On  n’est  pas  peu  surpiâs  d’ap- 
prendre qu’en  plein  x®  siècle,  quand  les  chefs  de  la  féodalité 
naissante,  les  seigneurs  terriens  et  leurs  adeptes,  se  faisaient 
une  guerre  acharnée  les  uns  aux  autres,  — les  pay.sans,  les 
vilains,  jouissaient,  au  point  de  vue  de  leurs  intérêts  locaux, 
en  même  temps  que  d’une  sécurité  et  d’un  ordre  relatifs,  « d’une 
liberté  que  ne  connurent  plus  leurs  successeurs,  y compris  nos 
paysans  du xx® siècle  »(1  ).  Ils  se  réunissaient,  à certaines  époques, 
en  plaids,  présidés  par  fun  d’eux  au  titre  de  représentant  du 
seigneur,  mais  qui  était,  en  fait,  autant  l’homme  de  ses  conci- 


(t)  ()p.  cit.,  p.  “2“2. 


BIBLIOGRAPHIE 


295 


toyeas  (il  serait  pins  exact  de  dire  ses  covillageois)  que  celui  du 
seigneur.  C’était  dans  ces  plaids  que  se  jugeaient  les  procès,  que 
se  rendait  la  justice  par  l’assemblée  des  paysans,  etc. 

Les  grandes  forêts  se  partageaient  entre  le  roi,  en  tant  que 
seigneur  du  domaine  royal,  les  seigneurs  laïques  ou  ecclésias- 
tiques vassaux  du  roi,  les  vassaux  de  ces  seigneurs  et  les  vassaux 
de  leurs  vassaux;  car  l’organisation  sociale  comprenait  une 
hiérarchie  très  compliquée.  Parfois  tel  vassal  d’un  seigneur 
pour  une  seigneurie  déterminée,  pouvait  se  trouver  être  son 
suzerain  sur  un  autre  domaine. 

La  gestion  de  ces  forêts  était  elle-même  assez  compliquée  et 
le  mode  en  variait  d’une  contrée  à une  autre,  parfois  dans  la 
même  contrée,  entre  deux  seigneuries.  Elle  présentait  plus 
d’unité  dans  le  domaine  royal.  Des  droits  bizarres  grevaient 
certaines  forêts,  tels  que  les  droits  de  (jnierie,  de  triage,  de  tiers 
et  danger  ou  de  tiers-denier,  qui  consistaient  dans  le  prélè- 
vement, au  profit  d’un  tiers  (ordinairement  le  roi  ou  un  haut 
seigneur),  d’une  partie  du  produit  des  coupes  de  bois  de  telle  ou 
telle  forêt. 

Les  famines,  les  guerres  intérieures,  rendaient  souvent 
désertes  de  vastes  contrées.  Pour  y attirer  les  habitants,  les 
seigneurs  de  ces  pays  dévastés  accordaient  à ceux  qui  venaient 
s’y  établir,  de  grands  avantages  dont  les  forêts  faisaient  les  frais. 
C’est  ainsi  que  s’est  opéré,  peu  à peu,  ce  que  M.  llutfel  appelle 
le  « démembrement  des  forêts  seigneuriales  »,  dont  une  grande 
partie  devint  soit  forêts  communales,  au  lieu  d’être  seulement 
forêts  communes,  soit  forêts  bourgeoises  ou  paysannes,  autre- 
ment dit  roturières. 

Suivent,  dans  le  travail  de  M.  Huffel,  un  tableau  très  étudié  de 
la  législation,  ou  plutôt  des  législations  très  variées  et  coutumes 
locales,  concernant  les  forêts  au  moyen  âge,  et  enfin  une  vue 
d’ensemble  sur  l’état  de  boisement  de  la  France  féodale  aux 
différents  siècles  écoulés  du  x”  au  xvP. 

[.es  références  auxquelles  renvoie  l’auteur  sont  innombrables. 
Tous  les  vieux  cartuiaires  d’abbayes  et  de  châteaux  ont  été  par 
lui  dépouillés  et  annotés.  De  même,  les  édits  royaux,  les  chartes, 
les  documents  de  toute  nature.  11  n’est  pas  jusqu’à  la  Somme 
de  saint  Thomas,  qui  ne  lui  ait  procuré  quelque  lumière.  Les 
auteurs  qui,  plus  près  de  nous,  ont  étudié  à divers  points  de  vue 
la  propriété  durant  la  période  féodale,  ont  également  fourni 
à l’auteur  d’utiles  références. 

11  n’y  a rien  d’exagéré  à dire  que  nous  avons,  dans  ce  fasci- 


296 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


cule,  le  l'ragment  d’une  œuvre  dont  la  seconde  édition  semble 
devoir  être  vraiment  monumentale. 

Nous  sera-t-il  permis  d’exprimer,  sur  deux  points,  une  opinion 
ditïerente  de  celle  de  l’auteur? 

On  lit,  dans  une  note,  au  bas  de  la  page  35  ; 

« On  sait  assez  que  Saint  Louis,  par  l’inexplicable  (sic)  traité 
de  Paris  (1^:258),  remit  spontanément  (?)  à son  beau-frère,  le  roi 
d’Angleterre,  sans  même  que  celui-ci  l’eût  demandé  (??)  toutes 
les  terres  françaises,  (pie  son  aïeul  Pbilippe-Auguste...  avait 
enlevées  aux  Plantagenet...  Les  scrupules  de  Saint  Louis  eurent 
les  consécpiences  les  plus  funestes  pour  notre  pays  : en  y conso- 
lidant la  puissance  anglaise,  il  compromit  l’existence  même  de 
la  patrie,  que  seule  put  sauver  l’intervention  miraculeuse  de 
Jeanne  d’Arc.  » 

Ln  jugement  aussi  sévère,  est-il  de  tous  points  bien  exact? 

Il  est  bien  vrai  que  Saint  Louis  restitua  à l’Angleterre  le  Li- 
mousin, le  Ouercy  et  le  Périgord.  .Mais  il  est  également  vrai  que, 
(le  son  c()té,  le  roi  d’.Angleterre  renonça  à tous  ses  droits  sur  la 
.Xorrnandie,  l’Anjou,  la  Touraine,  le  Poitou,  qu’il  renonça  égale- 
ment à l’hommage  du  Berry,  de  la  Bretagne,  de  l’Auvergne,  de 
la  .Marche  et  de  l’Angoumois;  les  domaines  que  le  roi  de  France 
lui  rendait,  Henri  III  d’Angleterre  reconnaissait  les  recevoir 
comme  vassal,  et  il  prit  l’engagement  d’en  faire  hommage-lige 
au  roi  de  France,  en  (jualité  de  pair  de  France  et  de  duc  d’Aqui- 
taine, ce  ([ui  fut  exécuté  lors  de  la  signature  solennelle  du  traité, 
le  i décemhre  H5!L  Ft  il  est  vrai  aussi,  (pi’en  septembre  J557, 
une  ambassade  solennelle  du  roi  d’Anglejerre  arrivait  en  France 
pour  réclamer  à Louis  L\  la  restitution  des  provinces  conquises 
par  Philippe-.Vuguste,  sur  Jean-sans-Terre.  Ce  n’était  donc  pas 
« spontanément  » et  «sans  même  que  le  roi  d’Angleterre  l’eût 
demandé  »,  (jue  Saint  Louis  restitua  les  provinces  sus-désignées. 

Ft  ce  qui  semble  bien  prouver  que  ce  traité  ne  fut  pas  si 
défavorable  à la  France,  c’est  (pi’il  produisit  le  plus  vif  mécon- 
tentement en  Angleterre.  Indignés  de  ce  qu’ils  considéraient 
comme  une  faiblesse  de  la  part  d’Henri  III,  les  barons  anglais, 
(induits  par  le  comte  de  Leicester,  se  révoltèrent,  tandis  que 
le  peiqile  de  Londres  chantait  des  couplets  satiriques  « sur  la 
bonne  paix  faite  par  le  roi  (J  ) ». 

(1)  Cf.  Edinoiiit  Demotiiis,  Histoire  de  France,  Saint  t.ouis.  - Paris,  t879. 
« lèavantag'e  itu  traité  de  Paris,  (tit  cet  auteur,  était  tout  entier  en  faveur  de 
la  France,  » t.  It,  i>.  ‘2'23. 


BIBLIOGRAPHIE 


297 


Les  avis  sont  donc  tout  au  moins  partagés  dans  l’appréciation 
du  traité  de  1:258-1259. 

Le  second  point  de  notre  désaccord  est  plutôt  la  réfutation 
d’une  fausse  légende  qu’une  différence  d’appréciation. 

Nous  lisons,  page  186  : 

« ...Luis  survint  la  grande  terreur  de  l’an  mille.  Les  popula- 
tions, convaincues  de  l’approche  de  la  fin  du  monde,  se  rél'u- 
giaient  dans  les  cloîtres,  abandonnant  la  charrue.  » 

Hommes  de  ma  génération,  comme  ceux  des  générations 
suivantes,  nous  avons  tous  été  élevés  dans  la  croyance  aux  ter- 
reurs des  approches  de  l’an  mille.  Mais  il  se  trouve  que  nous 
avons  tous  été,  et  nombre  de  générations  avant  nous,  dupes 
d’iuie  pure  mystilication. 

Dès  1873,  la  Revue  des  Questions  historiques,  par  la  plume 
du  savant  Dom  Plaine,  avait  démontré  que  cette  fable,  remise 
en  honneur  par  l’auteur  anglais  Robertson,  dans  la  Préface  de 
son  Histoire  de  Charles-Qidnt,  était  une  légende  sans  fon- 
dement. M.  Godefroid  Kurth,  l’illustre  historien  belge,  dans  un 
opuscule  intitulé  : Qu’est-ce  que  le  moyen  âge?  (Paris,  Rloud, 
1905),  a de  nouveau  réfuté  cette  erreur. 

Enfin,  en  1908,  un  archiviste  paléographe,  M.  Frédéric 
Duval,  en  une  brochure  in-12  de  94  pages,  a,  sous  ce  titre  : Les 
terreurs  de  l’an  mille  {\),  repris  la  question  ob  ovo.  11  établit,  à 
l’aide  d’une  documentation  très  complète,  et  appuyé  sur  une 
bibliographie  comprenant  plus  d’une  douzaine  d’auteurs,  qu’il 
n’y  a jamais  eu,  au  x“  siècle,  de  terreurs  motivées  par  l’approche 
de  l’an  mille  ; que  c’est  là  une  légende  dont  les  premiers  symp- 
tômes ont  apparu  seulement  dans  le  cours  du  xiiP  siècle,  plus 
de  trois  cents  ans,  par  conséquent,  après  l’an  mille. 

Ces  deux  réserves  portant  l’une  sur  une  simple  note  de  bas 
de  page,  l’autre  sur  une  proposition  incidente  sont,  relativement 
à l’ensemble  du  sujet,  sans  importance,  et  n’atténuent  en  rien 
nos  appréciations  très  favorables  sur  ce  fascicule. 

G.  DE  Kirwan. 


(1)  Bloud  et  C‘°,  Paris. 


298 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


XVIIl 

The  Ban-Vna.  Ils  caUa'ulhn ,distrii)nÜon  and  commercial  uses, 
by  \V.  FAWCETr.  ITi  vol.  iii-8’  de  187  pages  et  avec  planches.  — 
Dnckworth  et  G",  Henrietta  Street,  London  \V.  G. 

La  banane  a,  dans  ces  derniers  temps,  lait  beaucoup  parler 
d’elle  en  Belgiciue,  parce  que  beaucoup  ont  cru  voir  en  elle  nn 
objet  capable  de  rentbrcer  les  exploitations  congolaises.  Gel 
espoir  est-il  Ibndé?  .\ous  n’oserions  l’adirmer,  mais  nous 
croyons  ti  ès  utile  de  signaler  aux  lecteurs  delallEVUEcet  ouvrage 
qui  est  capable  de  donner  à tous  des  indications  précises  sur  les 
conditions  de  la  culture  et  l’état  actuel  du  commerce. 

Gertes  nous  n’avons  pas  envie  d’entrer  dans  le  détail  de 
l’analyse  de  ce  livre,  que  tous  ceux  qui  s’intéressent  <à  la 
(piestion  des  plus  importantes,  « Bananes  »,  devraient  posséder  ; 
nous  rappellerons  simplement  quelques-uns  des  points  traités  en 
faisant  ressortir  leur  importance. 

Dans  un  des  chapitres  du  livre,  l’auteur,  bien  connu  d’aillenrs 
par  ses  études  d’agricultiu'e  tropicale,  expose  dans  leurs  grandes 
lignes  les  opérations  nécessaires  pour  obtenir  avec  cette  culture 
un  rendement  rémunérateur,  et  il  insiste  en  particulier  sur  les 
soins  à apporter  à la  préparation  du  sol  de  la  future  plantation. 
On  ne  pourrait,  en  elTet,  assez  insister  sur  ce  point,  car  très  fré- 
quemment on  croit  que  les  bananiers,  et  les  autres  essences 
tropicales,  n’ont  qu’à  être  confiés  à la  terre  pour  que  peu  de 
mois  après  on  puisse  récolter  des  fruits.  .Naturellement  l’auteur 
arrive  à parler  de  deux  phases  de  la  culture  auxquelles  il  faut 
attacher  une  grande  importance.  La  première  est  le  choix  des 
rejets  qui  devront  servir  à multiplier  les  plantes  ou  à les  rem- 
placer après  fructification.  La  sélection  doit  largement  interve- 
nir dans  cette  culture,  comme  dans  toutes  les  autres  cultures 
tropicales;  sans  elle  on  ne  peut  être  assuré  de  bons  résultats,  on 
peut  au  contraire  être  certain  d’un  rendement  très  inégal  en 
quantité  et  qualité. 

La  deuxième  des  phases  de  la  culture  est  celle  des  amende- 
ments à apporter  au  sol.  Question  des  plus  importantes,  qui  a 
été  solutionnée  par  des  planteurs  de  manière  tout  à lait  f)pposée. 
Les  uns  prétendent  que  l’apport  des  engrais  chimiques  est 
nécessaire,  les  autres,  au  contraire,  et  nous  croyons  qu’ils  ont 
raison,  que  les  engrais  chimiques  n’ont  guère  d’action  sur  la 


BIBLIOGRAPHIE 


299 


production  de  la  banane,  les  bananiers  demandant  surtout  de 
l’humus.  Cela  ne  veut  naturellement  pas  dire  qu’en  l’absence 
de  certains  composés  chimiques  dans  un  sol  donné,  il  ne  pour- 
rait être  utile  de  l’ajouter  au  sol  par  la  voie  des  engrais 
chimiques.  .Mais  ce  qu’il  convient  de  faire  remarquer,  c’est  que 
ces  derniers  ne  devraient  être  ajoutés  à une  terre  donnée  qu’après 
des  analyses,  car  il  semble  que  leur  apport  soit  non  .seulement 
inutile,  mais  dans  certains  cas  nuisible. 

Faut-il  dire  que  .M.  Fawrett  s’est  occupé  de  la  valeur  alimen- 
taire de  la  banane?  11  est  certain  que  les  produits  d’origine 
végétalequi  possèdent  une  valeur  alimentaire  équivalente  à celle 
de  ce  fruit  ne  sont  pas  nombreux;  qu’outre  sa  valeur  alimen- 
taire proprement  dite,  la  banane  peut  servir  à fabriquer  des 
lique^irs  alcooliques  et  même  de  l’alcool.  Cette  dernière 
production  pourrait  devenir  la  base  d’une  industrie  probable- 
ment très  rémunératrice,  plus  forte  peut-être  que  celle  de 
la  farine  de  bananes  dont  on  a également  beaucoup  parlé  dans 
ces  derniers  temps,  mais  au  sujet  de  laquelle  on  a,  somme 
toute,  il  faut  bien  le  reconnaître,  peu  de  documents  précis,  sans 
lesquels,  malgré  les  belles  promesses,  il  est  diflicile  d’engager 
des  capitalistes  dans  cette  industrie  nouvelle  dont  on  connaît 
mal  les  débouchés. 

F’aut-il  rappeler  encore  que  l’auteur  signalela  valeur  des  fibres 
de  certains  bananiers  : autre  question,  sans  conteste,  de  grande 
importance  i\  laquelle  les  planteurs  n’ont  peut-être  pas  toujours 
accordé  l’attention  qu’elle  mérite? 

-M.  Fawcett  a donné  dans  son  livre  un  aperçu  de  l’état  actuel 
de  la  culture  de  la  banane  et  des  résultats  économiques  de  cette 
culture  de  par  le  monde,  en  particulier  en  Amérique  centrale,  ovi 
le  commerce  de  ce  fruit  s’est  développé  surtout,  on  le  sait, 
grâce  à la  « United  Fruit  Company  » de  Boston. 

Nous  n’insisterons  pas  davantage  ; ces  quelques  indications 
suffisent  amplement  pour  faire  voir  l'intérêt  de  l’ouvrage  que 
M.  Fawcett  a consacré  au  bananier. 

É.  I).  W. 

XIX 

Le  C.voutchouc.  Sa  Chi.mie  nouvelle.  Ses  Synthèses,  par 
.\.  Duiiosc  et  A.  Luttringer.  Un  vol.  in-8'’  de  fi05  pp.  — Paris, 
A.  D.  Cillard. 


300 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(>et  ouvrage  vient  à un  moment  où  la  question  du  caoutchouc, 
qui  fait  couler  des  Ilots  d’encre,  est,  au  dire  de  beaucoup,  entrée 
(lans  une  phase  nouvelle.  Suivant  les  uns,  le  caoutchouc  sauvage 
a vécu,  tué  par  la  « plantation  » ; suivant  les  autres,  les  deux 
genres  de  produits  vont  devoir  disparaître  devant  le  « produit 
synthétiipie  ». 

Je  pense  qu’il  y a place  encore,  et  pour  longtemps,  pour  le 
caoutchouc  sauvage  ; le  caoutchouc  de  cueillette,  qui  deviendra 
un  produit  de  semi-culture,  et  pour  le  caoutchouc  de  grande 
culture.  (Juant  au  caoutchouc  de  synthèse,  son  règne  ne  semble 
pas  encore  près  d’être  arrivé.  C’est  d’ailleurs  la  conclusion,  très 
encourageante  pour  les  planteurs  et  pour  les  exploitants,  à 
laquelle  arrivent  les  deux  auteurs  dans  le  livre  signalé  ci-dessus. 

Itans  cet  ouvrage,  après  un  aperçu  des  diverses  questions  rela- 
tives au  caoutchouc  naturel,  sa  production  et  la  situation  du 
marché,  les  auteurs  examinent  les  propriétés  physiques  et 
chimiques  du  produit  brut  et  sa  constitution  pour  arriver  à 
l’étude  des  diverses  méthodes  préconisées  pour  obtenir  du 
caoutchouc  par  synthèse. 

Nous  ne  suivrons  pas  les  auteurs  dans  leur  exposé,  car  faire 
un  résumé,  même  succinct,  de  l’étude  historique  très  approfon- 
die qu’ils  ont  faite  de  ce  sujet  de  la  discussion  des  méthodes,  nous 
entraînerait  trop  loin. 

Comme  les  auteurs,  nous  pensons  donc  que  si  l’on  n’est  point 
encore  parvenu  à la  synthèse  parfaite,  on  commence  à voir  clair 
dans  la  question.  Mais,  dans  cette  synthèse  la  matière  pre- 
mière joue  le  rôle  important,  et  après  elle  vient  la  méthode.  Si 
elle  est  compliquée,  la  synthèse  n’est  plus  pratique. 

Happelons  la  phrase  que  reproduisent  MM.  Dubosc  et  Luttrin- 
ger;  elle  a été  prononcée  par  le  D''  Duisberg,  le  directeur  géné- 
ral des  usines  Bayer,  celles  qui,  dans  ces  dernières  années,  ont 
dépensé  des  millions  pour  des  recherches  dans  la  voie  synthé- 
tique : « Si  vous  me  demandez  de  répondre,  en  toute  honnêteté 
et  en  toute  vérité,  quand  le  caoutchouc  synthétique  apportera 
les  millions  que  certains  prophètes  voient  dans  son  exploitation, 
je  vous  répondrai  que  je  n’en  .sais  rien.  Sans  doute  pas  demain, 
quoique  le  caoutchouc  synthétique  doive  apparaître,  sur  le 
marché,  dans  un  très  bref  délai,  et  que  j’espère  vivre  assez 
pour  voir  ce  triomphe  nouveau  de  VArt  sur  la  Nature  ». 

Il  y a deux  ans  que  ces  paroles  furent  prononcées  ! 

Je  pense  que  tout  le  monde  sera  d’accord  avec  les  deux 
auteurs  français  quand  ils  concluent  : « Comme  entre  la  coupe 


BIBLIOGRAPHIE 


301 


et  les  lèvres,  entre  le  laboratoire  et  rusine,  il  y a encore  de  la 
place  pour  quelques  mécomptes  et  pour  beaucoup  de  travail  ». 

Les  cultures  et  les  caontcboutiers  sauvages  pourront  d’ici  là 
continuer  à alimenter  le  commerce  mondial,  qui  pourra  encore 
largement  s’étendre  probablement  avant  que  le  « synthétique  » 
puisse  être  produit  régulièrement,  et  en  qualité  totalement  équi- 
valente au  « naturel  ». 

Néanmoins,  comme  on  peut  s’en  convainci'e  par  la  lecture  du 
très  consciencieux  exposé  de  MM.  Dubosc  et  Luttringer,  le  plan- 
teur doit  veiller  au  grain  et  l'aire  des  efforts,  comme  les  associa- 
tions caoutchoutilëres  le  lui  recommandent,  pour  améliorer  et 
uniformiser  la  qualité  du  produit. 

É.  D.  \Y. 
XX 


La  Notion  de  Temps,  par  D.  Nvs,  professeur  à TLiiiversilé 
catholique  de  Louvain,  deuxième  édition,  revue,  remaniée  et 
augmentée  (Tome  11  du  Volume  VII  du  Cours  de  Philosophie), 
in-8°,  808  pages.  — Louvain,  Institut  de  Philosophie,  et  Paris, 
Alcan,  1918. 

M.  Nys  avait  déjà  publié  à part  quelques  études  sur  des  sujets 
n’entrant  pas  dans  le  cadre  de  sa  Cosmologie,  notamment  sur 
l’espace  et  le  temps.  11  reprend  ces  deux  dernières  pour  en  faire 
des  tomes  complémentaires  de  son  ouviage  de  fond.  Cette 
méthode  a bien  un  peu  l’inconvénient  de  diminuer  la  valeur 
synthétique  du  traité,  inconvénient  sérieux,  au  point  de  vue 
pédagogique  surtout;  mais  par  ailleurs  elle  permet  à l'auteur  de 
donner  plus  d’ampleur  au  développement  des  théories  qu’il 
expose. 

L’élude  sur  le  temps  est  foil  bien  construite.  Suivant  l’usage 
qui  aujourd’hui  tend  heureusement  à se  généraliser,  M.  Nys 
expose  d’abord  sa  théorie,  qui  est  celle  d’.Aristole  et  de  S.  Tho- 
mas, très  fidèlement  exposée  et  solidement  établie  ; il  passe 
ensuite  à la  discussion  des  théories  diverses,  qu’il  divise  en  deux 
catégories,  selon  qu’elles  s’inspirent  d’une  tendance  idéaliste, 
ou  au  contraire  d’un  réalisme  exagéré.  Ce  plan  a l’avantage  de 
faire  ressortir  le  mérite  de  la  solution  péripatéticienne  : elle  est 
un  réalisme  modéré  ; elle  se  tient,  pour  le  concept  de  temps,  à 
égale  distance  des  deux  excès  opposés  du  nominalisme  et  du 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:^02 


réalisme  exagéré.  Le  temps,  pour  Aristote  et  S.  Thomas,  n’est 
ni  une  création  de  TKsprit,  puisqu’il  a poui'  l'ondement  la  réa- 
lité mouvante  du  changement  continu,  ni  une  entité  distincte, 
substantielle  ou  accidentelle,  puisqu’il  ne  prend  sa  formalité  de 
nombre  du  mouvement  que  par  l’opération  de  l’esprit  frac- 
tionnant d’aliord  la  durée  du  mouvement,  puis  en  réunissant 
les  parties  par  une  synthèse  mentale  (1). 

N’étant,  sur  aucun  des  points  traités  par  M.  N'ys,  d’un  avis 
différent  du  sien,  il  me  serait  dillicile  de  lui  adresser  des  cri- 
tiques foncières.  Voici  seulement  quelques  minuscules  deside- 
rata. On  aurait  pu,  ce  me  semble,  dire  plus  nettement  (p.  15), 
que  la  durée  successive  est  un  mode  particuliei'  d’existence,  que 
nous  ne  pouvons  décrire  sans  le  supposer,  à cause  de  sa  simpli- 
cité même  : c’est  une  notion  acquise,  comme  celle  d’espace,  par 
une  intuition  immédiate,  ([ue  l’analyse  ne  peut  guère  rendre 
plus  claire. 

Pour  montrer  comment  la  notion  thomiste  du  temps  ne  sup- 
prime pas  la  contingence  des  ci-éatures,  il  n’y  a pas  de  réponse 
[ilus  péremptoire  (jue  de  préciser  ce  qu’est  la  persistance  dans 
l’être  chez  la  créature,  comme  le  fait  Lessius  dans  ce  beau  texte  ; 
« (’/esI  donc  une  erreur  d’imaginer  la  créature  comme  je  ne  sais 
(}uel  solide  réellement  distinct  de  Tintlux  de  Dieu,  capable  de 
subsister  après  soustraction  ou  partielle  ou  totale  de  son 
intluencfî.  Ce  n’est  j)as  ainsi  qu’il  faut  la  concevoir  à Tégard  de 
Dieu,  mais  comme  le  terme  intrinsèque  de  l’action  divine,  tout 
comme  la  lumière  est  le  terme  inti'insèque  de  l’action  du  soleil,  d 
{De  perfectioiiihas  iiwribasqae  diviais,  I.  X,  c.  IV,  n.  o9.) 

Pour  expli(|uer  comment  les  i)sychologues  modernes  peuvent 
atti'ibuer  au  présent  une  certaine  durée,  M.  Nys  distingue  le 
point  de  vue  objectif  et  le  point  de  vue  subjectif  (p.  59);  ces 
expressions  conviennent-elles  en  l’occurrence?  Ne  serait-il  pas 
plus  simple  et  plus  juste  de  distinguer  un  sens  strict  et  un  sens 
large  du  mot  préseat  ? 

(1)  M.  Nys  cite  plusieurs  fois  le  passage  de  l’opuscule  thomiste  Jh  Tempore 
(cai).  1),  011  l’auteur,  pour  prouver  que  le  temps  n’est  pas  dans  l’esprit,  pose 
ainsi  son  principe  : « Cum  tempus  sit  numerus  motus,  et  sil  numerus  nume- 
ratus...  » Au  lieu  de  mimemius,  qui  désigne  plutôt  l’élaboration  subjective 
du  concept,  c’est  nnmerubilis  qu’on  attendrait,  .le  m’étonne  que  Al.  Nys  n’ait 
pas  fait  allusion  à cette  petite  dilliculté  d’interpi'étation,  qui  peut-être  exige- 
rait une  révision  du  texte.  Au  reste  il  conviendrait,  avant  d’utiliser  l’opuscule 
Ile  Tempore,  comme  celui  qui  s’intitule  De  Instantibus,  de  rechei’cber  s’ils 
sont  bien  de  S.  Thomas;  même  remarque  au  sujet  de  la  Tolius Logicae Summa. 


IÎII5LI0GRAIMIIE 


303 


Le  problème  de  la  vérificaLion  du  mouvement  uniforme  sei’ait 
peut-être  à poser  autrement  que  ne  fait  l’auteur  (p.  80)  ; (jiie 
faut-il  entendre  exactement  par  des  intervalles  de  temps  égaux? 
Là  est,  je  crois,  la  dilliculté,  et  c’est  p.  que  je  la  trouve  le  plus 
nettement  posée.  De  même,  en  quoi  consiste  au  juste  le  pro- 
blème de  la  réversibilité  du  mouvement?  Dans  les  exemples 
cités  p.  lÜo,  il  n’est  question  que  de  la  réversibilité  des  phéno- 
mènes, problème  connexe,  mais  non  identi(iue  ; les  deux  sont 
d’ailleurs  distingués  et  exactement  résolus  pp.  107  et  suiv. 

A propos  des  vues  déconcertantes  émises  par  M.  Langevin 
dans  son  fameux  article  de  la  ItEVUE  de  Métaphysique  et  de 
Morale,  et  relatées  p.  loO,  note,  on  pourrait  contester  que  la 
théorie  électro-magnétique  exige  absolument  de  telles  conclu- 
sions ; cette  théorie  ne  s’impose  pas  sans  doute,  et  il  est  permis 
de  se  montrer  défiant  à son  égard,  mais  elle  contient  pourtant 
des  éléments  incontestables,  qu’il  y aurait  lieu  de  dégager  des 
hypothèses  risquées. 

En  lisant  ce  qui  est  dit  de  la  distance  temporelle  (p.  133),  on 
s’étonne  de  ne  pas  trouver  mention  de  la  théorie  du  mode  de 
quandocation,  analogue  au  mode  d’ubication,  et  ayant  pour  effet 
de  situer  l’être  à un  certain  moment  de  la  durée,  comme  l’ubica- 
tion  le  situe  en  un  point  de  l’espace.  L’auteur  rencontrera  cette 
théorie,  professée  par  le  P.  De  San,  dans  son  examen  des  sys- 
tèmes ; mais  là  même  il  ne  la  serrera  pas  d’aussi  près  qu’on 
s’attendrait  à le  voir  faire,  surtout  quand  on  se  rappelle  avec 
quelle  force  M.  Nys  a admis,  dans  son  étude  sur  l’espace,  la  doc- 
ti'ine  de  l’ubication  réelle. 

La  difficile  question  de  la  création  ah  aeterno  et  de  la  multi- 
tude infinie  est  très  heureusement  traitée  ; pourtant  à certains 
endroits  on  voudrait  une  discussion  plus  profonde.  La  multitude, 
en  tant  que  telle,  peut-elle  être  déterminée  autrement  que  par 
son  nombre?  de  même  l’étendue  corporelle  autrement  que  par 
sa  figure?  S.  Thomas  en  certains  endroits  parait  fortement 
impressionné  par  cet  argument  des  finitistes  : il  est  à peine 
touché  ici.  Un  couple  de  vivants  corporels  créé  ah  aeterno  et 
suivi  d’une  multitude  infinie  de  générations  successives,  donc 
une  série  infinie  ayant  un  premier  et  un  dernier  terme  : c’est  là 
une  hypothèse  qui  ne  paraît  pas  à l’auteur  offrir  de  dillicullé 
spéciale  (p.  17^)  ; je  doute  que  ses  lecteurs  en  jugent  comme  lui, 
et  des  explications  complémentaires  n’auraient  pas  été  inutiles. 

Enfin  dans  l’exposé  des  systèmes,  les  scolastiques  anciens 
n’occupent  aucune  place,  et  le  lecteur  garde  l’impression  que  la 


304 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


thèse  péripatético-thomiste  a rallié  tous  les  suffrages  ; ce  n’est 
pas  tout  à tait  cela.  Les  savants  articles  que  publie  en  ce  moment 
Duhem  dans  la  Revue  de  Philosophie  donnent  une  bien  autre 
impression.  .M.  Nys  en  fera  son  profit  dans  la  troisième  édition, 
que  le  succès  de  son  beau  livre  nous  vaudra  sans  doute,  avant 
qu’il  soit  longtemps. 

P.  Geny. 


XXI 

Semaine  Sociale  d’octobre  1918.  L’Évolution  des  .Vssoci.a- 
TiONS  ET  DES  INSTITUTIONS  (liistitut  Solvav).  Compte  rendu  par 
.M.  Vauthier.  — Librairie  Misch  et  Thron,  Bruxelles. 

L’association  dans  la  petite  bourgeoisie.  — L’organisation  des 
cultivateurs.  — L’assurance  mutuelle  dans  l’industrie  textile.  — 
Les  groupements  professionnels  chez  les  patrons  et  les  ouvriers 
verriers.  — Une  justice  nouvelle  pour  les  enfants.  — L’élargis- 
sement des  attributions  pour  la  province.  — L’élargissement 
des  attributions  de  la  commune.  — Voibà  les  divers  points  du 
programme  de  la  Semaine  Sociale  Solvav,  1913.  Les  organismes 
sociaux  ainsi  étudiés  forment  autant  de  sujets  distincts,  souvent 
.sans  liaison,  même  lointaine,  entre  eux.  Mais  M.  NYaxweiler, 
directeur  de  la  Semaine,  considérait  moins  ces  associations  et  ces 
institutions  comme  des  phénomènes  existant  pour  eux-mêmes, 
que  comme  des  facteurs  d’une  structure  sociale,  dont  il  a conçu 
l’ensemble.  « Le  programme  de  cette  année  tend  à montrer 
comment  dans  la  pression  des  nécessités  nouvelles,  des  change- 
ments se  préparent  dans  les  cadres  mêmes  de  la  société  actuelle. 
Les  faits  seront  étudiés  dans  deux  domaines  différents.  On 
observera,  d’une  part,  les  groupements  professionnels  si  variés 
qui,  dans  toutes  les  classes,  coordonnent  des  activités  re.stées 
longtemps  isolées.  A ([uels  besoins  répondent  les  unions  d’arti- 
sans ou  de  commerçants,  les  ligues  de  cultivateurs,  les  syndi- 
cats de  patrons  et  d’ouvriers?  Quel  régime  réclament  ces  associa- 
tions ? Quel  rôle  jouent-elles  dans  la  vie  publique?  Quelles 
aspirations  développent-elles  parmi  les  membres? On  s’attachera, 
d’autre  part,  à surprendre  dans  les  institutions  un  mouvement 
général  de  réadaptation,  dont  on  trouve  notamment  des 
témoignages  caractéristiques  dans  l’élargissement  des  pouvoirs 
publics...  » 


BIBLIOGRAPHIE 


305 


Ce  livre  veut  donner  l’impression  que  nous  assistons  là  une 
évolution  étonnante  dans  l’ordre  social.  Si  l’on  veut,  tout  est. 
évolution  dans  la  vie,  qu’elle  soit  publique  ou  privée.  Huant  à 
l’étonnement  que  nous  ressentons  en  étudiant  notre  époque,  il 
ressemble  à celui  qu’avaient  nos  ancêtres  avant  la  création  des 
compagnonnages,  ou  à la  veille  de  la  révolution  française;  à 
celui  qu’auront  nos  petits  neveux  quand  la  société  aura  poussé 
plus  avant  les  relations  internationales.  En  somme,  toute  acti- 
vité sociale  est  inspirée  par  un  désir  de  mieux-être  dans  l’ordre 
moral  ou  dans  l’ordre  matériel.  Cette  activité  est  le  fait  des 
initiatives  privées  ou  de  l’intervention  de  l’Etat  à des  degrés 
divers  et  selon  les  temps.  Si  aujourd’bui  l’Etat  se  montre  impa- 
tient de  légiférer  sur  toutes  les  questions  et  ci  tout  propos,  c’est, 
ou  bien  parce  que  les  individus  sont  incapables  de  se  guérir 
eux-mêmes,  ou  bien  parce  que  la  démocratie  grandissante  rap- 
pelle aux  gouvernants  et  aux  législateurs  que  pour  rester  au 
pouvoir  ils  doivent  mériter  de  plus  en  plus  les  faveurs  du 
peuple.  En  tous  cas,  toute  association  ou  institution  répond  là 
un  besoin  soit  réel,  soit  imaginaire.  On  ne  voit  pas,  sans  cela, 
ce  qui  pousserait  à les  mettre  en  existence. 

A part  une  tendance  trop  visible  à la  systématisation  philo- 
sophique, les  considérations  du  présent  ouvrage  sur  chacune 
des  œuvres  passées  en  revue,  sont  très  suggestives  et  enseignent 
à l’élève  à aiguiser  sa  curiosité  et  à chercher  le  pourquoi  des 
choses.  Nous  ne  pouvons  admettre  non  plus  que  tout  ce  qui  est 
transformation  et  évolution  est  progrès.  Sur  le  terrain  de  la 
bienfaisance  et  de  l’instruction,  par  exemple,  les  pouvoirs 
publics  peuvent  facilement,  par  trop  de  zèle,  porter  atteinte  aux 
droits  de  la  famille,  dont  l’institution  et  la  conservation  dans 
son  véritable  esprit,  sont  la  condition  fondamentale  du  bien-être 
de  l’État.  Lès  autorités  communales  sont  les  mandataires  de  la 
population,  elles  travaillent  à l’intérêt  général  et  non  à la  satis- 
faction d’idées  personnelles. 

La  Semaine  Sociale  Solvay  1913  a eu  certainement  le  mérite 
d’éveiller  l’attention  des  auditeurs  sur  des  problèmes  vitaux. 
L’homme  instruit  n’a  plus  qu’à  aider,  par  ses  efforts  personnels 
et  dans  sa  sphère,  à la  réalisation  des  idées  dont  on  lui  a 
montré  la  grandeur  et  le  caractère  bienfaisant. 

IL  D. 


ItB  SERIE.  T.  XXVI. 


T 


30()  REVUE  DES  gl'ESTIOXS  SCIEXTIFK^UES 


XXII 


UeCIIEHCIIKS  Slll  LE  PAGAVISME  DE  LlJîA.MOS,  par  .1.  MiSSON, 

S.  .1.  Tu  vol.  (le  XVI  -J-  KiO  pp.  — Hnixelles,  DexviL,  11)14. 

('.es  ret'herches  se  distinguent  pai-  une  nnithode  rigonrense- 
menl  objective,  f.’auteur  a scruté  avec  une  scrupulense  exacti- 
tude les  (l'uvres  du  rhéteur  grec  Liliauios  ; il  a soigneusement 
exploité  tous  les  résultats  de  l’érudition  moderne.  On  ne  peut 
donc  (pdadmirer  la  réserve  avec  laipielle  il  nuance  ses  conclu- 
sions. Oes  nuances  d’ailleurs  semblent  bien  rendre  exactement 
la  réalité. 

Nous  avons  ici  comme  un  essai  de  psychologie  religieuse.  Le 
type  éludié  esl  un  homme  de  lettres  du  iV  siècle  ; d’aucuns  l’ont 
pris  pour  un  philosoidie  ; en  l'ait  il  se  contenta  d’avoir,  sur  la 
[)hilosoi)hie,  (piehiues  clartés.  Il  as.sociait  dans  la  même  véné- 
ration les  lettres  grecques  et  la  religion  ti'aditionnelle  à une 
époque  où  le  paganisme,  après  le  suiirème  elî'ort  de  l’empereur 
.lulien,  achevait  d’expiier.  l’ar  sa  cidtuia;  intellectuelle,  il  se 
trouve  èti’e  le  représentant  d’un  groupe  assez  nombreux.  On 
devine  dès  lors  l’intérêt  de  la  présente  étude. 

Il  est  Tort  instructil'  de  voir  l’attitude  ((ue  Lihanios  prenait 
devant  les  récits  des  poètes  vénérables,  inspirés  des  dieux,  édu- 
caleui's  attilrés  de  la  jeunesse  grecque  : altitude  singulièrement 
mêlée  de  vénération  sincère  et  d’indé|»endance  raisonneuse. 
L’est  l’objet  de  la  première  partie.  Dans  la  seconde  (pii  analyse 
sa  conception  de  l’Olympe  et  décrit  sa  dévotion  à Tyché,  la 
célèbre  déesse  d’Anliocbe,  nous  signalons  l’étude  très  bien  con- 
duite sur  le  sens  du  mot  6eôç.  La  troisième  partie  étudie  l’action 
des  dieux  sur  l’homme.  Soulignons  entin,  dans  la  quatrième 
partie,  le  chapitre  consacré  à la  prière  : il  nous  a paru  particu- 
lièrement intéressant.  L’ensemble  d’ailleurs  nous  ouvre,  sur  la 
situation  religieuse  de  la  société  païenne  au  iv'  siècle,  des  per- 
spectives intéressantes. 


.1.  IL  Herman. 


BIBLIOGRAPHIE 


307 


XXIII 

Le  portrait  du  Christ,  par  Kené  Golson.  — Une  brochure 
gr.  in-8’  de  50  pages.  — Paris  et  I^oitiers,  Oudin,  PI14. 

Lorsque  parut,  en  J 90:2,  l’importante  étude  scientifique  de 
M.  Paul  Yignon  sur  le  Linceul  du  ChrisL  nous  en  avons,  dans 
un  article  de  Yariélés,  donné  le  résumé  aux  lecteurs  de  cette 
Revue  (1). 

Rappelons,  en  deux  mots,  qu’il  s’agit  de  la  précieuse  relique 
dite  le  Saint- Suaire  de  Turin  (parce  que  conservée,  depuis 
1694,  à la  cathédrale  de  cette  ville)  qu’une  photographie  prise 
par  le  chevalier  Pia,  lors  de  la  dernière  ostension  publique  qui 
eut  lieu  du  25  mai  au  2 juin  1898,  révéla  êire  très  rigoureuse- 
ment un  négatif.  Le  positif  produit  par  l’inversion  photogra- 
phique permit  à M.  Paul  Vignon,  docteur  ès  sciences  naturelles, 
attaché  au  laboratoire  de  biologie  de  la  Sorbonne,  de  se  livrer  <à 
une  longue  suite  de  recherches,  relatée  en  son  intéressant 
volume,  d’où  il  tira  la  conclusion  solidement  motivée  que 
l’image  fixée  sur  le  Saint-Suaire  ne  pouvait  en  aucune  laçon  être 
regardée  comme  une  peinture  faite  de  main  d’homme,  mais 
([u’on  devait  y voir  une  trace  laissée  sur  le  linceul  par  le  corps 
qu’il  avait  servi  à recouvrir,  trace  non  produite  par  simple  con- 
tact mais  résultant  d’un  processus  physico-chimique  dont  il  ne 
semblait  pas  impossible  de  percer  le  mystère. 

Pour  cette  dernière  partie  de  ses  études,  M.  Yignon,  biolo- 
giste avant  tout,  avait  trouvé  un  précieux  collaborateur  en  la 
personne  du  chef  de  bataillon  du  génie  René  Colson,  répétiteur 
de  physique  à l’École  Polytechnique,  et  auteur  de  curieuses 
recherches  sur  l’action  de  certaines  émanations  chimiques  sur 
la  plaque  photographique.  Partant  des  faits  qu’il  avait  été  tà 
même  de  constater  expérimentalement  et  procédant  par  voie 
d’analogie,  ce  savant  avait  été  conduit  à reconnaître  comme 
principal  agent  de  la  production  du  négatif  découvert  la  vapeur 
ammoniacale  dégagée  du  corps  du  divin  supplicié,  vapeur  fai- 
sant virer  du  jaune  pâle  au  brun  rougeâtre  (avec  une  intensité 
variable  suivant  l’éloignement  des  diverses  parties  du  corps  pai' 
rapport  au  linceul)  la  mixture  à base  d’aloès  qui,  d’après  les 
Saintes  Ecritures,  avait  été  répandue  sur  le  linceul. 


U)  I.ivraison  de  juillet  1902,  pp.  231-245. 


308 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Ayant,  après  sa  mise  à la  retraite,  continué  à s’absorber  dans 
l’étude  de  cette  question  passionnante,  le  Commandant  Colson 
a cru  le  moment  venu  de  faire  connaître,  en  une  courte  bro- 
chure, l’état  où  elle  est  actuellement  parvenue,  tout  en  en 
reprenant  l’exposé  d’ensemble  sous  une  forme  condensée  qui 
permît  au  lecteur  nouveau  venu  de  s’en  faire  rapidement  une 
idée  précise. 

C’est  cette  brochure,  très  bien  venue  et  d’une  lecture  particu- 
lièrement attachante,  que  nous  signalons  aujourd’hui  au  public 
de  la  Revue  avec  le  sincère  désir  de  la  voir  se  répandre  le  plus 
largement  possible. 

L’ordre  très  judicieusement  adopté  par  l’auteur  comme  se 
prêtant  le  mieux  à l’enchaînement  des  faits  dans  un  exposé  gé- 
néral est  tout  simplement  l’ordre  chronologique  : 1"  description 
du  Saint-Suaire  ; 2“  récit  de  l’ensevelissement  du  Christ  d’après 
les  textes  évangéliques  ; 3“  indications  historiques  jusqu’à 
l’époque  actuelle  ; V révélation  produite  par  la  photographie  en 
1898  ; 5“  étude  scientifique  montrant  que  le  Saint-Suaire  n’est 
autre  que  le  linceul  du  Christ,  et  expliquant  comment  l’image  a 
pu  se  former  dans  les  circonstances  décrites  par  les  F.vangiles  ; 
6“  objections  et  réponses  ; 7“  conclusion. 

Pour  ceux  qui  ont  été  au  courant  des  précédents  du  débat  qui 
s’est  poursuivi  autour  de  la  relique,  le  chapitre  VI  offre  un 
intérêt  tout  spécial  en  raison  des  réponses  très  simples  et  très 
sages  qu’il  apporte  aux  objections  soulevées  contre  l’authenticité 
du  Saint-Suaire,  dont  la  plus  frappante  (pour  ceux  du  moins 
qui  n’ont  pas  approfondi  le  côté  physique  de  la  question)  est 
celle  que  M.  l’abbé  Ulysse  Chevalier  a prétendu  tirer  de  l’aveu 
que,  d’après  l’évêque  de  Troyes  Pierre  d’Arcis  (vivant  au  déclin 
du  XIV'’  siècle),  son  antéprédécesseur  aurait  obtenu  de  l’artiste 
qui  avait  « peint  » le  Suaire. 

Outre  que  toutes  les  particularités  susceptibles  d’être  scienti- 
fiquement contrôlées,  qu’une  patiente  étude  a permis  de  relever 
sur  le  Saint-Suaire,  sont  d’une  exactitude  qui  exclut  a priori 
l’hypothèse  d’une  fraude  commise  par  un  imagier  du  moyen 
âge,  il  suffit,  pour  infirmer  la  thèse  de  M.  Chevalier,  de  faire 
remarquer  que  les  constatations  dont  le  Saint-Suaire  a été 
l’objet  permettent  de  conclure  qu’?7  7i'est  pas  une  peinture.  Dès 
lors,  ou  bien  il  faut  penser  avec  le  Baron  du  Theil,  M.  Yignon, 
M.  Loth  et  le  R.  P.  Eschbach,  que  le  soi-disant  aveu  ne  repose 
pas  sur  une  preuve  sullisante,  ou,  s’il  a pourtant  été  formulé, 
qu’il  s’applicpie  à quelqu’une  des  imitations  connues  du  Saint- 


BIBLIOGRAPHIE 


309 


Suaire  et,  plus  particulièrement,  comme  le  suggère,  avec  beau- 
coup de  sens,  M.  Colson,  à celle  qui,  vers  l’époque  même  où 
l’aveu  aurait  été  reçu,  fit  son  apparition  à Besançon  pour  y sub- 
sister jusqu’en  J 794,  époque  où  elle  fut  convertie  en  charpie  sur 
l’ordre  de  la  Convention. 

Nous  pensons,  en  tout  cas,  que  nul  ne  saurait  désormais  se 
faire  une  opinion  sur  cette  question  si  passionnante  sans  avoir 
lu  l’excellent  exposé  qu’en  cette  brochure,  avec  une  si  parfaite 
compétence,  M.  Colson  a su  en  donner. 


P.  DU  P. 


REVUE 

DES  RECUEILS  PÉRIODIQUES 


SCIENCES  TECHNIQUES 


L’état  actuel  de  la  traction  électrique  (1).  — Les  premières 
applications  de  l’électricité  à la  traction  des  véhicules  ne  re- 
montent guère  à plus  de  25  ans.  C’est  en  elfet,  vers  1887,  qu’aux 
États-Unis,  Sprague,  Van  Depoel,  Daft  et  Bentley  Knight,  pour 
ne  citer  que  les  principaux  promoteurs  de  cette  industrie  nou- 
velle, eurent  l’idée  de  remplacer  les  tramways  à traction  cheva 
line  par  d’autres  propulsés  à l’aide  de  moteurs  électriques.  A 
cette  époque,  où  l’électroteclmie  naissante  sortait  à peine  du 
laboratoire,  et  se  trouvait  encore  dans  la  période  expérimentale 
préliminaire,  cette  initiative  était  hardie.  Le  développement 
merveilleux  et  l’essor  prodigieux  que  la  traction  électrique  a 
pris  dans  le  monde  entier,  démontrent  à l’évidence  combien  cette 
entreprise  fut  couronnée  de  succès  et  combien  elle  fut  féconde 
en  ses  résultats. 

Depuis  les  premières  installations,  beaucoup  de  progrès  et  de 
perfectionnements  ont  été  réalisés  dans  la  génération  et  la  distri- 
bution du  courant,  dans  la  construction  des  moteurs  et  l’appa- 
reillage des  voitures.  On  s’est  continuellement  elforcé  de  réduire 
le  coût  d’établissement  et  les  frais  d’exploitation  tout  en  aug- 
mentant le  confort  et  la  rapidité  de  ce  mode  de  locomotion. 
Anciennement,  l’agencement  complet  d’une  voiture  de  tramway, 
consistant  en  deux  moteurs  électriques  de  80  chevaux  avec  leurs 
accessoires,  revenait  à 22  000  frs  environ.  On  peut  aujourd’hui 

(1)  General  Electric  Review,  novembre  1913. 


REVUE  DES  REGT’EILS  PERIODIQUES 


311 


pour  6000  francs  avoir  une  installation  de  même  puissance, 
d’une  construction  meilleure  et  d’un  rendement  plus  avantageux. 
Il  est  intéressant  de  noter  à ce  propos,  qu’alors  qu’au  début  de 
la  traction  électrique,  l’équipement  d’une  voiture  coûtait  plus 
cher  pai'  le  nouveau  système  qu’avec  les  chevaux,  actuellement 
c’est  le  contraire  qui  se  passe. 

Dans  sa  forme  moderne,  le  tramway  électrique  urbain  ordi- 
naire à trolley,  ne  s’écarte  pas  essentiellement  des  principes 
fondamentaux  qui  avaient  été  posés  dès  le  début.  Un  seul 
élément  s’est  modifié  : le  voltage,  d’abord  égal  à 500  volts,  s’est 
graduellement  élevé.  Pétant  donnés  les  moyens  dont  on  disposait 
à l’origine  pour  l’isolation  des  moteurs  et  le  réglage  de  la  com- 
mutation, ain.si  que  la  nécessité  de  réduire  la  perte  en  ligne,  il 
faut  reconnaître  que  le  choix  de  la  tension  de  500  volts  fut  on 
ne  peut  plus  heureux,  et  jusqu’en  1907  on  n’éprouva  pas  le  besoin 
de  dépasser  600  volts.  Cependant,  dans  ces  six  dernières  années 
les  conditions  de  la  traction  électrique  se  sont  si  profondément 
modifiées  que  l’on  a été  amené  à envisager  l’emploi  de  voltages 
plus  élevés.  Les  réseaux  des  villes  se  sont  beaucoup  étendus,  on 
a construit  des  lignes  pour  desservir  leurs  banlieues,  et  le  trafic 
interurbain  s’est  fortement  développé.  Les  progrès  réalisés  dans 
la  construction  des  machines  et  de  l’appareillage  ont  permis 
d’utiliser  des  moteurs  à collecteur  monophasés  et  des  moteurs 
à courant  continu  fonctionnant  parfaitement  sous  J^0(t,  1500  et 
même  sous  '2100  volts.  Ces  deux  derniers  types  de  distribution 
du  courant  ont  été  fréquemment  appliqués,  et  il  est  maintenant 
établi  que  le  courant  continu  à 1200  volts  ne  le  cède  en  rien  au 
courant  alternatif  monophasé.  Souvent  même,  il  s’est  montré  plus 
avantageux  que  ce  dernier,  qui  coûte  cher  d’entretien  et  donne 
lieu  facilement  à des  dérangements.  On  a choisi  1200  volts  poul- 
ies lignes  interurbaines,  dans  le  but  d’utiliser  le  même  équipe- 
ment sur  le  réseau  en  ville  à 600  volts  et  hors  ville  <à  1200.  On 
fait  alors  usage  de  moteurs  enroulés  pour  600  volts  mais  isolés 
pour  une  tension  double  ; suivant  les  cas  on  les  connecte  en 
série  ou  en  parallèle,  de  manière  à conserver  une  vitesse  con- 
stante. De  plus,  le  matériel  fixe  de  la  centrale  et  des  sous-stations 
reste  le  même  qu’avant  ; il  sutfit  de  disposer  les  machines  en 
série  et  de  les  isoler  pour  la  tension  maxima.  On  emploie  plus 
rarement  1500  volts,  potentiel  de  ligne  qui  n’est  adopté  que 
(piand  il  y a un  avantage  marqué  à faire  une  économie  sur  le 
cuivre,  et  que  l’on  ne  doit  pas  se  raccorder  à un  réseau  existant 
à 600  volts. 


312 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


11  est  à présent  ac([uis,  que  pour  les  exploitations  de  métro- 
politains ainsi  que  pour  les  voies  suburbaines  à grand  trafic,  le 
système  dit  à unités  midtiples  est  celui  qui  convient  le  mieux. 
Les  trains  sont  formés  d’une  série  de  voitures  portant  chacune 
un  équipement  électrique  complet,  qui  peut  être  commandé  de 
l’une  quelconque  d’entre  elles,  ordinairement  celle  de  tête.  On 
prend  usuellement  le  courant  continu  à 600, 1:200  ou  1500  volts. 
Ln  ce  moment  une  installation  de  l’espèce  à 2400  volts  est  en 
construction.  Beaucoup  d’exploitations  de  ce  genre  ont  été  pré- 
cédemment montées  avec  courant  alternatif  monophasé,  mais  il 
est  fort  probable  que  l’on  n’équipera  plus  de  ligne  avec  ce 
système  qui  a dû  céder  le  pas  au  courant  continu. 

Le  remplacement  de  la  traction  à vapeur  par  la  traction 
électri(jue  sur  les  grandes  lignes  de  chemins  de  fer,  commence  tà 
faire  des  progrès  marqués.  Les  conditions  sont  ici  tout  autres 
que  pour  les  tramways  et  il  est  nécessaire  de  faire  une  étude 
détaillée  de  chaque  cas  particulier.  Les  types  d’électrification  les 
plus  couramment  employés  sont  : le  courant  continu  tà  1200  et 
2400  volts,  le  courant  triphasé  avec  moteurs  asynchrones  et  le 
courant  monophasé  avec  moteurs  à collecteur. 

Lu  quatiâème  système  est  en  ce  moment  expérimenté  ; il  est 
caractérisé  par  l’emploi  d’un  moteur  d’induction  triphasé  qui 
reçoit  le  courant  d’une  ligne  monophasée.  Un  transformateur 
statique  spécial  disposé  sur  la  locomotive,  a pour  effet,  au 
moyen  d’enroulements  judicieusement  établis,  de  créer  les  trois 
phases  nécessaires  au  bon  fonctionnement  du  moteur.  On  retire 
ainsi  tous  les  avantages  des  machines  triphasées  : vitesse  con- 
stante et  récupération  de  puissance,  tout  en  ne  faisant  usage  que 
de  deux  conducteurs  au  lieu  de  trois.  Le  retour  du  courant 
pouvant  s’effectuer  par  les  rails,  un  seul  fil  de  ligne  suffit  pour 
ce  nouveau  système  qui  est  appelé  à remplacer  le  triphasé  par- 
tout où  son  emploi  serait  jugé  avantageux. 

Le  courant  monophasé  permet  de  réaliser  des  distributions 
à potentiel  élevé  ; seulement,  il  est  indispensable  alors  de  prévoir 
un  transformateur  sur  la  locomotive,  les  moteurs  à collecteur 
ne  s’accommodant  que  d’une  tension  relativement  basse.  Leur 
capacité  étant  limitée  par  suite  des  difficultés  de  réaliser  une 
commutation  convenable,  il  est  à prévoir  que  l’application  du 
monophasé  aux  grandes  lignes  ne  se  développera  guère. 

Le  convertisseur  à vapeur  de  mercure  s’est  montré  si  pratique 
pour  la  transformation  du  courant  alternatif  en  continu,  qu’il 
est  probable  qu’en  suite  des  nouvelles  recherches  entreprises  en 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


313 


ce  moment,  sa  capacité  pourra  être  augmentée  de  telle  sorte, 
qu’il  puisse  se  trouver  à même  de  rendre  des  services  en  trac- 
tion électrique.  11  remplacerait  avantageusement  les  groupes 
moteur-générateur  dans  les  sous-stations  ou,  mieux  encore,  il 
pourrait  être  disposé  sur  les  locomotives  équipées  avec  des 
moteurs  à courant  continu  et  alimentées  en  monophasé  à voltage 
élevé. 

Les  lignes  de  distribution  de  courant  alternatif  avec  retour 
par  les  rails,  surtout  en  monophasé,  ont  une  action  inductrice 
assez  prononcée  sur  les  circuits  voisins.  F^our  y soustraire  les 
lils  télégraphiques  et  téléphoniques,  on  est  souvent  obligé  de 
faire  des  dépenses  importantes  qui  gi'évent  lourdement  les  frais 
de  premier  établissement.  Le  courant  continu  ne  donne  de  ce 
chef  aucun  ennui  et  présente  d’autre  part  une  sécurité  et  une 
régularité  plus  grandes.  C’est  là  encore  une  raison  pour  entre- 
voir l’extension  qu’il  est  appelé  à prendre  en  traction  électrique. 
La  tension  élevée  de  :2400  volts  à laquelle  on  l’utilise  déjà,  le 
rend  aussi  économique  que  l’alternatif,  et  des  expériences  en 
cours  montrent  que,  seules  des  considérations  économiques  et 
non  la  dilliculté  de  construction,  limiteront  dans  l’avenir  la 
tension  acceptable. 

Four  l’électriücation  des  chemins  de  fer,  deux  systèmes 
restent  aujourd’hui  en  présence,  chacun  ayant  ses  avantages 
propres,  qui  décideront  du  choix  dans  les  cas  particuliers.  Ce 
sont  : le  courant  continu  et  le  type  mono-triphasé  avec  trans- 
formateur spécial  sur  la  locomotive.  Ce  premier  présentant 
cependant  une  complication  plus  grande  que  l’autre,  on  peut 
affirmer,  sans  craindre  de  se  tromper,  que  dans  la  majorité 
des  cas,  ici  encore,  le  courant  continu  sera  préféré. 

L’Éclairage  public  au  gaz  surpressé  à Paris  (1).  — I^es 
besoins  de  la  vie  moderne,  dans  les  grandes  villes,  ont  imposé 
aux  Municipalités  l’obligation  d’assurer  un  éclairage  intense  des 
rues.  Cette  nécessité  s’est  surtout  fait  sentir  par  suite  de  l’iiabi- 
tude  qu’ont  prise  les  grands  magasins  à prodiguer  la  lumière 
dans  leurs  luxueux  étalages  en  vue  d’attirer  la  clientèle.  L’œil 
accoutumé  à ces  éclairages  éblouissants,  supporte  de  moins  en 
moins  facilement  la  demi-obscurité  des  voies  publiques  et  l’aug- 
mentation de  la  puissance  de  leurs  foyers  d’éclairage  a été 

(1)  Compte  RENDU  du  40™®  Congrès  de  l.\  Société  technique  de  l’in- 
dustrie du  gaz  en  Fdance.  • 


314 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


recoiimie  indispensable.  Dans  cet  ordre  d’idées,  Paris  vient  de 
donner  nn  exemple  intéressant  qne  beaucoup  de  villes  telles  que 
Lyon,  Marseille,  Toulouse,  etc.  se  mettent  à imiter.  Le  gaz  sur- 
pressé est  venu  à point  pour  lavoriser  ce  développement  de 
l’éclairage  public  et  il  est  actuellement  de  i)liis  en  plus  utilisé 
à la  place  de  l’électricité  pour  cette  a[)plication.  Ün  des  prin- 
cipaux avantages  ({u’il  présente,  est  la  l'acilité  de  pouvoir  réduire 
la  puissance  des  foyers  aux  heures  de  moindre  activité,  sans 
cependant  diminuer  le  nombre  des  points  lumineux. 

Les  lampes  à gaz  surpressé  comimrtent  habituellement  plu- 
sieurs becs  ; pour  chacun  d’eux,  on  trouve  un  injecteur  h gaz, 
une  arrivée  d’air  réglable,  une  cbambi'e  de  réchaulï'age,  un 
brûleur  à grille  ; entin  pour  l’ensemble,  il  y a une  gaine  poul- 
ies fumées,  une  cheminée  de  tirage,  une  veilleuse,  un  dôme  et 
un  chapiteau.  Deux  allumeurs  automatiques  permettent  d’effec- 
tuer rallumage  des  manchons  et  l’extinction  de  la  veilleuse  au 
moment  de  la  mise  en  pression,  le  rallumage  de  la  veilleuse  et 
l’extinction  des  manchons  au  moment  du  retour  de  la  pression 
ordinaire  de  la  ville.  Les  lampes  à trois  bec.s,  des  types  à 4(100 
et  :I000  bougies,  sont  montées  sur  des  candélabres  grand  modèle 
de  4 à 5 mèti-es  de  hauteur.  Elles  reçoivent  deux  alimentations 
réunies  tlans  le  socle  au  branchement  unique  par  un  robinet, 
(iette  disposition  permet  l’allumage  automatique  des  trois  man- 
chons cà  la  fois  ; à minuit  un  homme  passe  au  pied  de  chaque 
appareil  et,  par  la  manœuvre  du  robinet,  éteint  deux  brûleurs. 
Le  troisième  continue  à éclairer  jusqu’au  moment  de  l’arrêt  des 
surpi-esseurs.  Les  lampes  à deux  becs,  du  type  JOOO  bougies,  ont 
également  deux  alimentations  dans  la  lanterne.  Un  robinet  à trois 
voies  permet  d’éteindre  un  manchon  sur  deux  à minuit.  En 
utilisant  des  appareils  à mouvement  d’horlogerie,  toutes  ces 
manœuvres  d’allumage  et  d’extinction  peuvent  être  rendues 
entièrement  automatiques. 

Les  chambres  de  surpression  sont  actuellement  au  nombre  de 
trois,  ce  qui  est  sullisant  pour  assurer  l’alimentation  complète 
du  réseau.  La  première  est  établie  en  souterrain  au  Boulevard 
Haspail,  entre  les  rues  de  Yaugirard  et  de  Fleurus.  Elle  est  reliée 
à la  seconde  située  au  Marché  du  Temple.  La  troisième,  du 
•Marché  Saint-Didier,  sera  prochainement  raccordée  aux  deux 
précédentes.  Chacune  de  ces  stations  comprend  plusieurs  unités 
de  surpression  constituées  par  un  moteur  là  gaz,  un  surpresseur, 
et  un  régulateur  à cloche  ; les  premières  machines  avaient  une 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


315 


paissance  de  100  mètres  cubes  de  gaz  suri)cessé  à l’iieure  ; les 
dernières  installées  peuvent  fournir  lOOO  mètres  cubes  à riieure. 

A la  tin  de  J9J3,  la  puissance  totale  de  cbacune  des  stations 
était  de  : Uaspail,  1800  m^,  '2  moteurs  à gaz,  1 moteur  électri- 
que. Temple,  2000  m®.,  2 moteurs  à gaz.  Saint-Didier,  400  m^., 
1 moteur  à gaz. 

La  pression  adoptée  est  de  1,(30  mètre  d’eau.  La  canalisation 
est  constituée  par  des  tuyaux  en  fonte  de  0,162  mètre  de 
diamètre  qui  réunissent  les  cabines  de  surpression,  et  par  des 
conduites  de  0,108  et  0,081  mètre  de  diamètre  qui  desservent 
les  voies  éclairées. 

Le  développement  de  l’éclairage  public  par  le  gaz  surpressé  a 
été  à Paris  très  rapide  et  très  important,  comme  le  témoigne  le 


tableau  ci-dessous. 

Nombre  de  lampes 

Années 

de  1000,  2000  et  iOOO  bougies 

Fin  1910 

104 

» 1911 

373 

» 1912 

670 

» 1913 

1298 

N.-D.  — 75  7o  environ  des  foyers  installés  ont  une  puissance 
de  2000  bougies. 

La  Turbine  à Gaz  (1).  — La  production  de  l’énergie  méca- 
nique fait  en  ce  moment  l’objet  de  recherches  continuelles  et 
les  progrès  se  suivent  avec  une  rapidité  remarquable.  Parmi 
tant  d’idées  nouvelles  qui  sont  émises,  il  devient  dillicile  de 
distinguer  à première  vue  les  meilleures  solutions  proposées  et 
l’on  se  méprend  parfois  sur  l’importance  de  certains  facteurs. 
11  est  cependant  des  cas,  où  les  résultats  déjà  acquis  permettent 
de  se  former  une  opinion  et  de  prévoir  la  tendance  de  l’avenir. 
L’évolution  des  machines  à gaz  nous  en  offre  un  exemple  carac- 
téristique. Sans  crainte  de  se  tromper,  on  peut  affirmer  que  ce 
que  l’on  recherche  surtout  aujourd’hui  dans  ces  engins,  c’est  de 
réduire  leur  poids  pour  une  puissance  donnée.  Les  merveilleux 
exploits  réalisés  par  l’aviation  n’ont  d’ailleurs  pu  l’être  qu’à 
partir  du  moment  où  ce  problème  a été  examiné  avec  soin  et 
résolu  d’une  manière  satisfaisante.  Pour  diminuer  la  masse  des 


(1)  CiVSsiEn’s  Engineering  monthly,  octobre  1913,  vol.  Xl.IV,  n“  4. 


316 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


machines,  deux  méthodes  peuvent  être  suivies  : alléger  autant 
(jue  possible  leurs  dilïérents  organes  constitutifs,  ou  les  utiliser 
(ians  de  meilleures  conditions  en  vue  du  but  à atteindre.  C’est 
principalement  dans  cette  voie  ([ue  le  progrès  doit  être  cherché, 
et  c’est  à cette  méthode  que  l’on  doit  les  moteurs  à cylindres 
rotatifs. 

Ce  raisonnement  a amené  tout  naturellement  les  inventeurs  à 
reconnaître  l’avantage  (}u’il  y aurait  à réaliser  la  continuité  de 
l’etfort  moteui',  et  de  cette  façon  on  est  arrivé  à la  conception  de 
la  turbine  à gaz.  D’autre  part,  les  résultats  splendides  obtenus 
avec  la  turbine  à vapeur  étaient  bien  faits  pour  encourager  les 
esprits  scientifiques  à réaliser  son  équivalent  avec  les  gaz.  Mal- 
heureusement, les  difficultés  à surmonter  ici  sont  bien  plus 
grandes  qu’avec  la  vapeur,  et  le  choix  seul  du  cycle  thermo- 
dynamique à adopter,  n’est  pas  des  plus  aisés.  Si  on  admet  que 
la  température  des  gaz  à la  fin  de  la  détente  est  voisine  de 
700  degrés,  on  trouve  les  rendements  suivants  pour  les  différents 
cycles  applicables  aux  turbines. 


)lumc  initial 
pression 

MACHINES  A EXPLOSION  SOUS 
VOLUME  CONSTANT 

M.ACIIINES  A COMBUSTION  SOUS 
PRESSION  CONSTANTE 

Compression 

adiabatique 

Compression 

isbthermi(iue 

Compression 

adiabatique 

Compression 
isothermique  . 

« :j> 

P O 

Rendements 

Rendements 

Rendements 

Rendements 

S 2 

a;  1 O) 

05 

05 

_S- 

-H’ 

53 

? 

‘S 

« 

S 

« 

'53 

C 

05 

b" 

C3 

O 

'05 

S 

5 

0,505 

0,380 

0,510  0,520 

0,370 

0,160 

0,360 

0,360 

10 

0,595 

0,340 

0,610  0,540 

0,490 

0,160 

0,450 

0,390 

15 

0,645 

0,320 

0,660  0,550 

0,540 

0,150 

0,490 

0,420 

“20 

0,654 

0,300 

0,680  ' 0,560 

0,580 

0,150 

0,530 

0,440 

25 

— 

— 

— ! — 

0,630 

0,150 

0,540 

0,445 

30 

— 

— 

— — 

— 

— 

0,560 

0,450 

40 

— 

— 

— — 

— 

— 

0,590 

0,470 

REVUE  DES  RECUEILS  PÊRI(3I)IQUES  317 

D’après  cette  table,  on  voit  qu’un  rendement  thermique  élevé 
est  toujours  compensé  par  un  rendement  mécanique  minime. 
Le  cycle  à combustion  isotherme  demandant  une  compression 
exagérée  doit  être  écarté  à priori.  Le  cycle  à combustion  sous 
volume  constant  donne  avec  la  même  compression  initiale  un 
rendement  supérieur  à celui  pour  lequel  la  combustion  se  lait 
sous  pression  constante.  Cependant,  l’ellêt  utile  final  n’est  pas 
meilleur,  par  suite  de  ce  que  la  température  limite  maximum  de 
combustion  est  rapidement  atteinte.  Le  principal  avantage  qu’il 
peut  revendiquer  pour  son  application  aux  turbines  à gaz,  con- 
siste à permettre  l’emploi  d’un  compresseur  de  dimensions 
réduites.  En  pratique,  cependant,  les  résultats  ne  sont  pas  aussi 
favorables  que  l’indique  la  théorie,  à cause  de  l’intermittence 
du  courant  gazeux  créé  par  les  explosions  successsives,  ce  qui 
augmente  les  pertes  calorifiques.  En  conséquence,  les  turbines 
à combustion  discontinue  s’indiquent  uniquement  pour  les 
faibles  puissances,  quand  il  n’est  pas  nécessaire  de  procéder  à 
une  compression  préalable  du  mélange  gazeux,  et  pour  les- 
quelles le  rendement  est  d’importance  secondaire.  Le  cycle  à 
combustion  sous  pression  constante  (type  Diesel)  avec  compres- 
sion isothermique  préalable  au  moyen  de  compresseurs  multi- 
cellulaires, s’impose  donc  dans  la  majorité  des  cas. 

La  turbine  à gaz  comporte  essentiellement  un  espace  fermé 
dans  lequel  se  produit  l’explosion  ou  la  combustion  d’un 
mélange  gazeux,  qui  est  ensuite  dirigé  sur  des  organes  appro- 
priés pour  recueillir  l’énergie  cinétique  développée.  Comme 
pour  les  turbines  à vapeur,  on  distingue  des  machines  fonc- 
tionnant par  « action  » et  d’autres  par  « réaction  ».  Dans  les 
premières,  le  tluide  moteur  est  entièrement  détendu  avant  de 
venir  en  contact  avec  les  aubes  sur  lesquelles  il  agit  quand  il  a 
atteint  sa  vitesse  la  plus  grande.  Dans  les  types  à réaction,  au 
contraire,  l’énergie  cinétique  est  utilisée  au  Dir  et  tà  mesure  de 
sa  production,  et  la  vitesse  des  gaz  n’arrive  jamais  à des  valeurs 
aussi  élevées  que  dans  la  machine  d’action.  Par  suite  de  son 
principe  même,  elle  doit  nécessairement  comprendre  plusieurs 
roues. 

Pour  réaliser  une  détente  adiabatique,  il  faut  utiliser  une 
tuyère  dont  la  longueur  exacte  se  détermine  expérimentalement. 
Si  elle  est  trop  courte,  la  détente  est  incomplète;  si  elle  est  trop 
longue,  il  se  produit  des  pertes  d’énergie  cinétique.  On  voit  par 
là,  combien  il  est  difficile  d’obtenir  un  rendement  élevé  avec 
une  turbine  à explosion  ; la  pression  et  la  température  initiale 


318 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


varianl  à cbacjiie  instant,  la  tnyôre  est  tantôt  trop  grande,  tantôt 
trop  petite  et  ira  (pie  rarement  les  dimensions  convenables.  On 
ponri-ait  surmonter  cette  dillicnlté  en  disposant  plnsienrs  cbam- 
bres  d’explosion  qui  viendraient  alimenter  nn  réservoir  maintenu 
à pression  constante  et  où  déboncberait  la  tuyère.  Seulement, 
en  prati([ue,  cette  solution  ne  donnerait  pas  de  bons  résultats, 
par  suite  des  pertes  énormes  de  cbaleur  qu’elle  entraînerait  et 
du  système  de  valves  d’une  conservation  et  d’une  manœuvre 
compliquées  (pii  seraient  nécessaires. 

Turbines  à explosion.  — (iette  l'onne  de  turbines  a attiré 
un  nombre  d’inventeurs  plus  considérable  que  le  modèle  h 
combustion  continue,  à cause  de  sa  ressemblance  plus  grande 
avec  le  moteur  à gaz  usuel.  On  peut  les  classer  en  deux  caté- 
gories, suivant  ([ne  le  mélange  gazeux  est  on  n’est  pas  comprimé 
avant  cba([iie  exjilosion.  lœs  [irincipaux  tyjies  de  cette  classe 
sont  ceux  de  : Griepe,  Gsnault-Pelterie,  Armengaud,  Saint- 
H(uive,  de  Karavodine,  etc.  Une  de  ces  macbines  les  plus  intéres- 
santes est  celle  de  M.  de  Karavodine.  Klle  comporte  (piatre 
cbambres  d’explosion  prolongées  par  une  tuyère  et  munies  d’une 
enveloppe  de  circulation  d’eau.  Les  gaz  et  l’air  sont  admis  [lar 
l’intermédiaire  de  soupapes  réglaliles.  A la  mise  en  marcbe, 
l’allumage  est  assuré  par  une  étincelle  électri([ue.  La  première 
explosion  est  suivie  de  l’expulsion  des  produits  gazeux,  ce  qui  a 
pour  eb'et  de  [iroduire  un  vide  relatif  (jui  [)rovo(|ue  le  remplis- 
sage automati(|ue  de  la  cbambre  avec  du  mélange  frais.  La 
jiartie  supéi  ieure,  (pii  n’est  pas  nd'roidie  [lar  l’eau,  est  bientôt 
[)ortée  au  rouge  et  sert  à rallumage  (pii  se  produit  à [lartir  de 
ce  moment  sans  le  secours  d’une  étincelle.  Les  détonations  qui 
s’y  produisent  ont  été  comparées  à celles  d’un  canon  Maxim, 
dette  turbine  l'ait  10  0(10  tours  [lar  minute.  Des  essais  très  sérieux 
ont  fourni  les  résultats  suivants  : Duissance  au  frein  de  l’rony  : 
J,(j  IIP.  Résistances  passives  : 0,5  HP.  Puissance  totale  dévelop- 
pée par  la  macbine  : ^,1  HP.  Consommation  d’air  par  beure  : 
0:2,5  mètres  cubes.  Consommation  de  pétrole  par  beure  : 0,5  lit. 
soit  A, 7 kilos.  Consommation  spécilique  par  cbeval-beure  : 
2,4  kilos  de  pétrole. 

11  est  cà  noter  que  dans  ce  type  de  turbine,  la  cbambre  de 
combustion  n’est  pas  fermée  au  moment  de  l’introduction  du 
mélange  gazeux.  Dans  ces  conditions,  la  compression  [iréalable 
est  im[)Ossible  et  les  pertes  de  combustible  sont  élevées.  Avec  les 
modèles  où  le  mélange  d’air  et  de  gaz  est  comprimé  avant 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


310 


chaque  explosion,  il  est  à craindre  que  la  température  de  l’en- 
ceinte de  comhustion  ne  s’élève  pai'  trop.  Pour  éviter  cet 
inconvénient,  certains  inventeurs  ont  réalisé  des  dispositifs 
spéciaux  à soupapes.  La  meilleure  construction  de  ce  genre  est 
celle  de  la  turbine  llolzwart,  étudiée  par  les  établissements 
llrown  et  Boveri  de  Mannheim.  Cette  machine  a été  conçue  pour 
une  puissance  de  1000  chevaux  à une  vitesse  de  3000  tours  par 
minute.  Elle  comporte  une  série  de  chambres  d’explosion  où 
l’air  et  du  gaz  pauvre  de  1000  à J'^00  calories  au  mètre  cube  sont 
admis  par  des  soupapes  spéciales.  La  pression  initiale  obtenue 
au  moyen  de  pom[)es  est  de  1,5  kilo  par  centimètre  carré  ; elle 
est  portée  à 7 ou  8 kilos  au  moment  de  l’explosion.  Quand  celle- 
ci  se  produit,  un  clapet,  pourvu  d’un  relai  <à  huile  destiné  <à 
retarder  sa  fermeture,  s’ouvre  et  donne  accès  aux  produits  de 
la  combustion  vei'S  une  tuyèi’e  de  détente  qui  les  conduit  à la 
roue  à aubages.  Loi’squela  pi'ession  est  devenue  égale  à celle  de 
l’atmospbère,  le  clapet  qui,  par  suite  de  la  présence  de  la  cata- 
racte à buile,  n’est  pas  encoi'e  l'evenu  sur  son  siège,  laisse  passer 
un  certain  volume  d’air  qui  balaye  et  l’afi’aichit  l’intérieur  de 
la  turbine.  Celte  macbine  a encoi’e,  malgi'é  tout,  un  i-endement 
fort  bas  : 11, % d’après  l’inventeur  même. 

Parmi  les  autres  appareils  basés  sur  des  principes  analogues, 
citons  ceux  de  MM.  Busch,  Piiyeuyol,  Fasbender,  Floran, 
de  Yillepigne,  Breuils,  etc.  Dans  tous  ces  types  les  frottements 
sont  considérables  et  le  l'endement  mécanique  est  minime.  En 
l’ésumé,  les  tinliines  à explosion  n’ont  pas  jusqu’tà  présent  fourni 
une  solution  satisfaisante  du  problème,  excepté  pour  de  faibles 
puissances  (luand  la  question  du  rendement  est  secondaire. 

Turbines  à combustion  continue.  — Avec  ces  macbines  le 
mélange  gazeux  est  toujours  comprimé  avant  son  introduction 
dans  la  chambre  de  combustion  au  moyen  d’appareils  indépen- 
dants. On  utilise  souvent  dans  ce  Imtdes  compresseurs  à pistons 
(pii  sont  d’une  construction  simple  et  robuste.  Ils  s’indiquent 
très  bien  pour  les  hautes  pressions,  mais  leur  encombrement 
devient  vite  fort  grand  quand  leur  débit  est  considérable.  Dans 
ce  cas,  les  compresseurs  rotatifs  multicellulaires  les  remplacent 
avantageusement.  Ils  conviennent  parfaitement  pour  les  turbines 
à gaz  et  peuvent  souvent  être  disposés  sur  le  même  axe  que 
celui  de  la  macbine  principale.  La  pression  de  l’air  y croit  tbéo- 
riquement  en  progression  géométrique  suivant  le  nombre  de 
roues,  de  sorte  que  sans  devoir  en  arriver  à des  vitesses  péripbé- 


320 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


riques  élevées,  il  est  impossible  de  réaliser  de  fortes  compres- 
sions. Les  principaux  modèles  des  appareils  de  ce  système  ont 
été  établis  par  MM.  Lemale,  Bateau,  Brown-Boveri,  etc. 

Quelques  firmes,  entre  autres  la  Société  .\rmengaud-Lemale, 
utilisent  pour  comprimer  l’air,  une  sorte  d’injecteur  alimenté  au 
moyen  de  gaz  provenant  de  la  chambre  de  combustion  princi- 
pale, ou  d’une  chambre  secondaire.  C’est  là  un  disfiosilif 
particulier  qui  ne  s’est  pas  autant  généralisé  que  l’emploi  des 
compresseurs. 

Un  certain  nombre  d’inventeurs  ont  étudié  la  turbine  à com- 
bustion, sans  prendre  des  précautions  toutes  spéciales  pour  le 
refroidissement  interne  de  l’appareil.  11  en  est  résulté  des  échecs 
qu’un  examen  plus  attentif  des  conditions  du  problème  aurait 
certainement  fait  éviter. 

Pour  obtenir  un  rendement  satisfaisant,  il  convient  de 
diminuer  autant  que  faire  se  peut  le  travail  de  compression  qui 
vient  en  décompte  de  la  puissance  utile  ; dans  ce  but,  il  faut 
opérer  sur  un  volume  de  gaz  aussi  faible  que  possible  et  à ce 
point  de  vue  il  parait  logique  de  faire  usage  de  mélanges  riches, 
peu  dilués,  dont  on  limite  la  température  de  combustion  ou 
celle  linale  de  détente.  On  y arrive,  en  refroidissant  énergi([ue- 
ment  la  chambre  de  combustion  par  une  circulation  d’eau  ; cette 
dernière  emporte  alors  avec  elle  une  quantité  de  chaleur  sulli- 
sante  pour  produire  .sa  vaporisation  au  moins  partielle.  Au  lieu 
de  perdre  la  vapeur  ainsi  obtenue,  on  peut  la  mélanger  au  gaz 
qui  va  travailler  dans  la  turbine.  C’est  ce  qui  est  réalisé  dans 
le  type  .\rmengaud-Lemale.  La  chambre  de  combustion  porte 
un  revêtement  en  carborandum,  séparé  de  la  paroi  extérieure 
en  acier  par  un  garnissage  isolant  formé  d’asbeste  et  de  magnésie 
calcinée.  Par  suite  de  la  chaleur  dégagée,  le  revêtement  en  car- 
borandum porté  au  rouge,  entlamme  les  gaz  au  fur  et  à mesure 
de  leur  arrivée. 

Pour  réduire  la  température  à la  fin  de  la  détente,  on  dirige 
sur  la  roue  de  la  turbine  de  la  vapeur  d’eau  en  même  temps  que 
le  gaz.  Cette  disposition  est  réalisée  dans  la  machine  de 
.M.  Windhausen,  qui  prévoit  une  injection  d’eau  dans  les  produits 
de  la  combustion  au  moment  où  ils  entrent  dans  la  tuyère  de 
détente.  Cette  eau  se  vaporise  instantanément  et  agit  concur- 
remment avec  les  gaz  sur  les  aubages  de  la  roue  mobile.  Des 
solutions  analogues  ont  été  proposées  par  Holzwarth,  Klotzen, 
Parsons  et  Teyssedou. 

La  possibilité  de  remplacer  Pair  atmosphérique  par  de  l’oxy- 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


321 


gène,  en  vue  d’arriver  à un  rendement  supérieur,  a été  égale- 
ment envisagée.  En  fait,  on  a rencontré  certaines  ditlicidlés 
d’ordre  technique  et  économique  dans  la  mise  en  pratique  de 
cette  idée,  qui  pour  ces  raisons  n’est  pas  encore  sortie  du  domaine 
de  la  théorie. 

Les  aubages  de  roues,  qui  sont  en  acier  spécial  au  tungstène 
ou  au  vanadium,  étant  soumis  <à  des  températures  qui  atteignent 
et  dépassent  üOO  degrés,  doivent  être  refroidis.  Dans  la  turbine 
de  M.  Fullagar,  ces  pièces  sont  découpées  hors  de  tubes  d’acier 
et  martelées  en  forme  de  croissants.  On  les  maintient  à basse 
température  par  une  circulation  intérieure  d’air  ou  de  vapeur. 
M.  VVei.ss  utilise  un  procédé  analogue.  MM.  Armengaud  et 
Lemale,  comme  M.  Kerkau  ont  essayé,  dans  le  même  but,  une 
réfrigération  au  moyen  d’eau. 

On  voit,  d’après  ce  qui  précède,  que  la  question  des  turbines 
à gaz  préoccupe  actuellement  beaucoup  d’esprits  scientifiques. 
De  nombreuses  solutions  de  ce  captivant  problème  moderne  ont 
déjà  été  proposées,  mais  aucune  d’elles  ne  semble  jusqu’à  pré- 
sent avoir  donné  des  résultats  bien  satisfaisants.  L’avenir  dira 
si  sa  réalisation  pratique  doit  rester  un  rêve  ou  est  devenue 
réalité. 

La  chaudière  à vapeur  de  mercure  (j).  — Le  mercui  e, 
liquide  dans  les  conditions  ordinaires,  bout  à 358  degrés  et  ses 
vapeurs  dont  la  densité  est  égale  à 6,58  se  condensent  dans  le 
vide  à 235  degrés.  Ce  corps  se  prête  donc  bien  à la  réalisation 
d’un  cycle  thermodynamique,  entre  des  températures  sensible- 
ment plus  élevées  que  celles  qui  délimitent  les  transformations 
thermiques  auxquelles  on  soumet  usuellement  l’eau.  Partant  de 
là,  M.  W.  L.  R.  Emmet  a cherché  à faire  usage  du  mercure 
pour  atteindre  un  rendement  meilleur  que  celui  que  l’on 
obtient  avec  la  vapeur  d’eau.  Le  dispositif  qu’il  a étudié  dans  ce 
but,  peut  se  schématiser  comme  suit  : L’on  chauffe  du  mercure 
contenu  dans  une  petite  chaudière  disposée  au  dessus  d’un 
foyer  ordinaire;  les  vapeurs  qui  prennent  naissance  à une  pres- 
sion égale  ou  très  voisine  de  celle  de  l’atmosphère,  sont  dirigées 
vers  une  turbine  spéciale  qui  entraîne  un  générateur  électrique. 
Elles  passent  ensuite  dans  un  condenseur  où,  au  contact  de  tubes 
remplis  d’eau,  le  mercure  revient  à l’état  liquide.  A cause  de  la 
température  élevée  à la(juelle  cette  condensation  se  produit, 

(I)  General  Electric  Ueview,  janvier  et  février  19t4. 

IIP  SÉRIE.  T.  XXVI. 


21 


REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


3:^2 

l’eau  est  poiTée  à rébullitiou  et  la  vapeur  (pii  se  dégage  sert  à 
alimenter  une  seconde  turbine  du  type  courant.  On  dispose  l’in- 
stallation de  manière  (pie  le  condenseur  se  trouve  à un  niveau 
plus  élevé  ([ue  celui  de  la  chaudière,  de  sorte  (pie  le  métal 
li(pnde  puisse  y l'etourner  aisément  sous  le  seul  effet  de  la 
pesanteur,  sans  le  secours  d’une  pompe. 

La  vaporisation  du  mercure  se  faisant  à une  température 
beaucoup  plus  élevée  (pie  celle  de  l’eau,  l’allure  de  la  combustion 
au  foyer  de  la  chaudière  devra  inévitablement  être  très  vive  et 
si  on  ne  prend  pas  de  précautions  on  risijiie  fort  de  perdi'e,  par 
le  tirage,  une  notable  (piantité  de  la  chaleur  dégagée.  Pour 
évitei’  cet  inconvénient,  à côté  des  appareils  luincipaux  on  en 
installe  d’autres  de  récupération.  Ceux-ci,  au  nombre  de  trois, 
comprennent  tout  d’abord  un  l écliaulfeur  où  le  mercure,  venant 
du  condenseur,  est  déjà  amené  à une  température  voisine  de 
son  point  d’ébullition;  ensuite,  un  surcliauffeur  pour  la  vapeur 
d’eau  et  finalement  un  économiseur  ({iii  échauffe  l’eau  du  réfri- 
gérant. 1)(*  cette  façon,  on  retire  toute  la  chaleur  possible  des 
produits  de  la  combustion,  et  on  ne  les  laisse  s’échapper  à l’air 
(pi’à  la  température  strictement  sullisante  pour  assurer  le 
tirage. 

Pour  cette  api»lication  nouvelle,  le  mercure  présente  ({uekpies 
inconvénients  ipii,  à première  vue,  semblent  écarter  toute  idée 
d’utilisation  prati(iiie  ; ce  métal  coûte  foi't  cher  (il  vaut  main- 
tenant à peu  près  (5,50  francs  le  kilo)  ; ses  vapeurs,  même  en 
très  petite  (piantité,  sont  capables  de  vicier  l’alrnosphére  des 
places  où  elles  se  répandent  et  peuvent  ainsi  entrainer  la  mort 
par  asphyxie.  De  plu.^,  il  n’est  pas  aisé  de  tenir  le  li(juide  et  ses 
vapeurs  dans  une  enceinte  herméticpiement  close  et  d’empêcher 
radicalement  les  fuites. 

Les  nombreuses  expériences  ipii  ont  été  réalisées,  ont  princi- 
palement eu  pour  objet  de  chercher  à éviter  ces  difficultés  et 
l’on  peut  dire  (pi’actiiellement  celle.s-ci  sont  pres(pie  complète- 
ment éliminées.  Il  n’y  a [las  de  doute  d’ailleurs  (pie  les  essais 
encore  en  cours  n’écartent  les  tout  derniers  petits  ennuis.  La 
chaudière  a été  combinée  pour  réduire  autant  (iiie  faire  se  peut 
la  masse  de  mercure  nécessaire  et  pour  éviter  les  pertes.  De  ce 
côté,  on  a maintenant  tous  ses  apaisements  et  au  point  de  vue 
hygiéni(pie  l’appai'eil  n’offre  pas  plus  de  danger  (jue  beaucoup 
d’autres  d’un  emploi  courant  dans  l’industrie. 

Les  avantages  (pi’otfre  le  mercure  comme  véhicule  de  la  cha- 
leur sont  des  plus  importants  et  valent  largement  la  peine  (jue 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


323 


l’on  s’est  donnée  de  lever  tontes  les  diflicnltés  qui  s’opposaient 
à son  utilisation.  >ious  énumérerons  ici  les  principaux  d’entre 
eux. 

ï.  — Le  point  d’ébullition  de  ce  liquide  est  fort  élevé  et  cela 
pour  une  pression  basse  facilement  accessible.  Ce  n’est  pas  le 
cas  pour  l’eau  qui  conduit  immédiatement  à envisager  de  fortes 
pressions,  si  on  désire  avoir  une  température  initiale  assez  haute. 

2.  — La  grande  densité  de  ce  corps  permet  de  compter  sur 
la  gravité  pour  son  déplacement,  la  fermeture  des  soupapes, 
etc.  De  plus,  elle  permet  l’emploi  d’un  modèle  de  turbine  très 
simple  ne  comportant  qu’une  seule  roue. 

O.  — Aux  températures  envisagées,  il  est  complètement 
neutre  vis-cà-vis  de  l’air,  de  l’eau,  de  l’acier,  etc.,  en  général  de 
toutes  les  substances  avec  lesquelles  il  pourrait  venir  en 
contact. 

4.  — Comme  il  ne  contient  aucun  corps  en  solution,  il  ne 
peut  se  produire  ni  adhérences  ni  incrustations  sur  les  surfaces 
actives  de  la  chaudière  qui  demeure  toujours  parfaitement 
propre. 

5.  — 11  ne  mouille  pas  les  aubages  de  la  turbine,  de  sorte 
(|u’il  n’y  a pas  de  corrosions  à craindre  de  ce  côté. 

0.  — A la  température  de  condensation,  son  volume  est  tel 
(pi’il  n’exige  pas,  comme  la  vapeur  d’eau,  des  dimensions  exces- 
sives des  organes  mobiles  de  la  turbine. 

Kn  résumé,  par  la  présence  du  mercure  comme  convoyeur  de 
chaleur  entre  le  foyer  et  le  condenseur,  il  est  permis  de  tra- 
vailler à basse  i)ression  et  d’avoir  une  distribution  très  uniforme 
de  la  température,  deux  conditions  impossibles  à réaliser  avec 
les  chaudières  ordinaires.  Toute  la  chaleur  fournie  au  mercure, 
à l’exclusion  de  celle  qui  a été  transformée  en  travail  dans  la 
turbine,  est  retournée  à l’eau  du  condenseur.  On  voit  donc  que 
l ien  n’est  perdu  et  que,  par  ce  fait,  pour  un  nombre  donné  de 
calories  mises  en  œuvre  on  retire  une  puissance  mécanique  plus 
grande  qu’avec  les  générateurs  usuels.  Si  pour  une  cause  quel- 
conque la  turbine  à mercure  ne  peut  fonctionner,  l’appareil  ne 
<loit  cependant  pas  être  arrêté.  11  sullit  de  diriger  directement  la 
vapeur  de  mercure  par  une  tuyauterie  de  by-pass  vers  le  réfri- 
gérant, pour  avoir  la  vapeur  d’eau  dans  des  conditions  aussi 
économiques  qu’avec  les  chaudières  ordinaires. 

Si  l’on  soumet  le  problème  au  calcul,  on  trouve  que  dans  les 
conditions  normales,  l’addition  de  la  turbine  à mercure  donne 
lieu  à une  augmentation  de  force  motrice  d’environ  66  %,  avec 
seulement  une  dépense  supplémentaire  de  combustible  de  15  7o- 


324 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


En  d’autres  termes,  le  gain  net  réalisé  est  un  accroissement  de 
44  ",  O de  la  puissance  produite  par  kilo  de  charbon  consommé. 
L’emplacement  nécessité  par  la  chaudière  nouvelle  et  ses  appa- 
reils accessoires,  n’étant  pas  sensiblement  plus  grand  que  celui 
autrefois  occupé  par  des  générateurs  de  même  capacité,  on 
pourra  bien  souvent  en  l’adoptant  augmenter  la  puissance  dis- 
ponible d’une  station  centrale,  sans  devoir  ériger  des  construc- 
tions nouvelles.  Des  recherches  expérimentales  ont  montré  qu’il 
fallait  en  moyenne  évaporer  JO  kilos  de  mercure  par  kilo  de 
vapeur  d’eau  produite.  Dans  ces  conditions  la  dépense  serait 
d’environ  50  francs  de  mercure  par  kilowatt  produit  à la  turbine 
auxiliaire.  11  est  cependant  fort  probable  que  cette  somme  pourra 
encore  être  notablement  réduite. 

L’application  généralisée  de  ce  nouveau  procédé  demanderait 
des  quantités  énormes  de  mercure.  Il  n’y  a pas  toutefois  lieu  de 
s’effrayer  de  cette  circonstance,  car  ce  métal  est  sullisamment 
abondant  pour  que  l’on  soit  à même  de  faire  aisément  face  à la 
demande  sans  donner  lieu  à.  une  augmentation  exagérée  du  prix. 

Les  expériences  qui  ont  été  entreprises  ont  montré,  que  pour 
faire  absorber  facilement  au  mercure  la  grande  chaleur  néces- 
saire à sa  vaporisation,  il  était  indispensable  de  prévoir  une 
circulation  active  du  liquide.  Comme  il  ne  mouille  pas  les  parois 
avec  lesquelles  il  vient  en  contact,  si  on  ne  le  force  pas  à se 
déplacer  continuellement,  la  vapeur  produite  en  un  point  se 
surchautfe  fortement,  et  empêche  la  libre  transmission  de 
chaleur  au  restant  de  la  masse.  Dour  éviter  cet  écueil,  on  a com- 
biné une  chaudière  spéciale  comprenant  essentiellement  deux 
séries  de  collecteurs  disposés  dans  deux  plans  horizontaux  et 
reliés  par  de  petits  tubes  aplatis  incurvés.  On  diminue  ainsi  le 
volume  de  mercure  en  jeu,  on  assure  son  évaporation  rapide  et 
on  met  l’appareil  h l’abri  des  tensions  excessives  résultant  d’un 
chaulïage  irrégulier.  Tous  les  joints  sont  soudés  à l’autogène  au 
moyen  de  l’acétylène,  de  façon  à avoir  des  raccords  étanches  et 
résistants.  Le  métal  liquide  parcourt  les  différents  éléments  dont 
se  compose  le  générateur  et  est  tout  d’abord  dirigé  vers  les 
unités  qui  reçoivent  le  plus  directement  l’action  du  foyer. 

Une  installation  d’essai  d’une  puissance  de  100  chevaux  a déjà 
été  construite  suivant  les  principes  ci-dessus  développés.  A part 
les  petites  diliicultés  inévitables  à la  mise  en  pratique  d’un  pro- 
cédé aussi  nouveau,  elle  a donné  des  résultats  très  satisfaisants 
qui  font  bien  augurer  de  l’avenir  qui  est  réservé  au  générateur 
à vapeur  de  mercure. 

.M.  Demanet, 

Ingénieui’. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


325 


MÉÏÉüROLO(ilE 


Le  « Weather  Bureau  » des  États-Unis  (J).  — üii  service 
météorologique  comporte  deux  ionctions  essentielles  : la  con- 
centration des  renseignements  météorologiques  recueillis  par 
les  postes  d’observation  ; la  mise  en  œuvre  de  ces  matériaux 
et  la  dilfusion  dans  le  public  des  résultats  intéressants.  Un 
double  courant  s’établit  ainsi  : le  premier,  courant  centripète, 
issu  de  tous  les  points  du  réseau  météorologique,  et  aboutis- 
sant à un  organisme  ou  bureau  central;  l’autre,  courant  cen- 
trifuge, portant  au  plus  grand  nombre  possible  de  points  du 
territoire  intéressé  la  connaissance  des  caractères  essentiels  de 
l’état  météorologique  du  jour  et  les  conséquences  qu’on  en  peut 
espérer  ou  qu’il  faut  redouter,  au  point  de  vue  de  l’agriculture, 
de  l’industrie  et  du  commerce. 

Décrivons  dans  ses  grands  traits  cette  double  activité  du 
Wealher  Bureau  des  États-Unis  d’Amérique,  rorgani.sation  la 
plus  puissante  et  la  plus  libéralement  dotée  qui  existe. 

On  peut  juger  d’abord  de  son  importance  aux  crédits  qu’elle 
réclame.  Elle  émarge  au  budget  du  Ministère  de  l’Agriculture 
pour  une  somme  annuelle  de  huit  millions  de  francs  environ. 
Son  personnel  compte  plus  de  800  fonctionnaires,  et  près  de 
IXlOO  personnes  lui  prêtent  leur  concours  gratuit  ou  rémunéré 
par  des  indemnités  mensuelles. 

En  vue  d’assurer  et  de  faciliter  la  récolte  et  la  concentration 
des  observations  quotidiennes,  les  Américains  ont  divisé  le  ter- 
ritoire de  l’Union  en  six  districts  météorologiques,  possédant 
cbacun  une  station  primaire.  Chacune  de  ces  stations  concentre 
les  données  transmises  par  les  stations  secondaires  du  district 
qui  lui  est  dévolu.  Celles-ci  sont  au  nombre  de  34  en  moyenne 
par  district. 

(1)  La  plupart  des  éléments  de  cette  notice  sont  empruntés  à une  étude  de 
M.M.  .Manley-Bendall  et  H.  Perrotin,  publiée  dans  la  PiEVL  E gé.nérale  des 
Sciences  du  15  février  1914.  — Voir  aussi  .M.  Vandevyver,  Lc.s'  nouvelles 
cartes  du  « Weather  Bureau  » de  Washington,  avec  spécimens  de  la  Dailg 
U'eather  map  et  de  la  Weather  inap  of  the  Northern  hemisphere  du  1 mai 
1914;  dans  Ciel  et  Terre,  P>ulletin  de  la  Société  belge  d’Astrono.mie, 
XXXV®  année,  n®  6,  juin  1914,  pp.  169-172. 


326 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Les  observations  se  font  partout  aux  memes  heures  : 8 heures 
et  20  heures  (temps  du  fuseau  horaire  de  Washington).  Elles 
sont  expédiées  sous  forme  de  télégrammes  chiffrés  aux  stations 
primaires,  qui,  après  les  avoir  réduites  en  tableaux,  les  commu- 
niquent au  bureau  central  établi  à Washington.  11  est  à peine 
besoin  d’ajouter  que  Washington  reçoit  aussi  les  informations 
météorologiques  des  services  étrangers.  Mais  en  outre,  le 
Weather  Bureau  possède  des  stations  météorologiques  à lui  en 
.\hska,  aux  îles  Hawaï,  au  .lapon,  en  Chine  et  aux  Philippines. 

A côté  du  service  météorologique  proprement  dit,  le  Weather 
Bureau  dirige  encore  un  ré.seau  de  stations  climatologiques 
très  important.  Douze  districts  climatologiques  se  partagent  le 
territoire  des  Etats-Lnis.  Chacun  d’eux  est  divisé  en  7,  8 ou 
t)  sections,  lesquelles  concentrent  les  observations  de  4500  sous- 
stations. 

A ces  informations  météorologiques  générales  le  Bureau 
central  a joint  encore  un  service  spécial  d’avertissement  des 
tempêtes.  Cent  quarante  et  une  stations  établies  sur  les  côtes  de 
l’Atlantique,  41  stations  sur  les  côtes  du  Pacifique,  recueillent 
les  nouvelles  météorologiques  rapportées  et  communiquées  par 
les  navires  arrivant  au  port;  en  outre,  42  postes  de  T.  S.  E.  sur 
la  côte  de  l’.-Vtlantique,  10  sur  le  Pacifique,  5 dans  l’Alaska,  et 
2 à Porto-Hico  reçoivent  les  informations  venant  du  large  et 
transmises  par  les  postes  de  bord.  A cet  effet,  le  Weather 
Bureau  a conclu  un  accord  avec  les  grandes  Compagnies  de 
Navigation  transocéanique  : désormais  les  paquebots  font  en 
mer  des  observations  régulières  à midi  (heure  internationale  de 
Greenwich)  et  les  communiquent  par  T.  S.  F.  à Washington. 
A l’heure  actuelle,  2291  observateurs  marins  appartenant  <à 
2i  nationalités  différentes  sont  chargés  de  ces  observations. 

De  l’avis  des  météorologistes  américains,  l’immense  documen- 
fation  ainsi  rassemblée  est  encore  insuffisante  pour  assurer  la 
connaissance  des  régimes  météorologiques  et  la  prévision  de 
leurs  caprices.  Toutes  ces  indications,  en  effet,  sont  recueillies 
au  niveau  du  sol  ; or,  c’est  dans  la  profondeur  de  l’atmosphère, 
dans  la  couche  de  la  troposphère  s’étendant  jusqu’à  la  zone  des 
cirrus,  à 1(1  OOU  mètres,  qu’entrent  en  jeu  les  forces  dont  le 
conflit  crève  les  nuages  et  déchaîne  la  tempête.  La  solution  de 
l’énigme  étant  là-haut,  c’est  là  qu’il  faut  aller  la  chercher. 

Depuis  1902,  au  sommet  du  Mont  Weather,  à une  altitude  de 
575  mètres,  fut  mis  en  service  un  poste  de  sondage  de  l’afmo- 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


327 


sphère.  Le  programme  de  cet  Institut  aérologique  est  très  vaste; 
il  s’étend  à tout  ce  qui  peut  intéresser  la  vie  de  l’atmosphère  : 
depuis  les  études  néphologiques  jusqu’à  l’ohservationde  la  radia- 
tion solaire  et  de  l’ionisation.  Le  poste  est  astreint  en  outre 
à un  service  journalier  d’information  de  la  haute  atmosphère. 
\ huit  heures  du  matin,  quand  le  vent  le  permet,  un  train  de 
cerfs-volants  Ilargrave,  de  ti  à J i mètres  carrés  de  surface  por- 
tante, suivant  la  force  du  vent,  enlève  jusqu’à  une  hauteur  de' 
1500  à 2000  mètres,  les  appareils  enregisti-eurs  de  la  tempéra- 
ture, de  la  pression  barométrique,  de  l’humidité  de  l’air  et  de 
la  vitesse  du  vent.  Par  temps  calme,  quand  le  lancer  des  Mar- 
grave est  impossible,  des  ballons-sondes  captifs,  de  1,50  à 
2 mètres  de  diamètre,  remplacent  les  cerfs-volants  pour  cette 
exploration.  Au  cours  des  ascensions,  les  appareils  sont  main- 
tenus arrêtés  pendant  une  dizaine  de  minutes  à dilTérentes  alti- 
tudes, afin  de  permettre  aux  enregistreurs  de  prendre  leurs 
indications  en  régime  « d’équilibre  ». 

Enfin,  dernier  organe  d’information  du  Wealher  Bureau,  un 
service  de  crues  des  grands  fleuves  synthétise  les  résultats  des 
observations  effectuées  dans  450  stations,  qui  télégraphient 
chaque  jour  à huit  heures  l’étiage  actuel  du  fleuve,  la  variation 
du  niveau  des  eaux  depuis  la  veille,  la  quantité  d’eau  et  de  neige 
tombée  dans  la  région  drainée  par  le  cours  d’eau.  Ces  informa- 
tions sont  dirigées  sur  60  postes  primaires  chai’gés  de  faire  les 
pronostics  et  de  les  communiquer  en  temps  utile  aux  riverains 
des  régions  dont  ils  ont  la  charge.  Mans  certaines  parties  de 
l’Union,  comme  la  Californie  et  la  Floride,  où  la  culture  des 
fruits  est  grandement  intéressée  à la  connaissance  des  périodes 
de  pluies  et  de  gelées  subites,  le  Wealher  Bureau  organise  des 
services  locaux  chargés  de  faire  sur  place  des  prévisions  locales 
rigoureuses. 

Cette  arborescence  magnifique  et  si  abondamment  ramifiée 
des  canaux  d’information  de  la  grande  météorologique  améri- 
caine fait  songer  au  système  nerveux  de  l’organisme  vivant, 
dont  les  artères,  se  rejoignant  de  plus  en  plus,  font  confluer  vers 
le  cerveau  la  multitude  des  impressions  isolées  recueillies  à la 
périphérie.  11  ne  sera  pas  d’un  moindre  intérêt,  pensons-nous, 
de  voir  avec  quelle  généreuse  libéralité  et  par  combien  de  voies 
inverses,  l’organe  central  disperse  ensuite  vers  la  périphérie 
le  flux  des  informations  accumulées  et  sagement  élaborées, 
de  constater  aussi  quel  rôle  directeur  et  moteur  important 


328 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


jouent  ces  communications  météorologiques  dans  la  vie  écono- 
mique du  peuple  américain. 

Vers  huit  heures  et  demie  du  matin,  le  télégraphe  apporte 
au  bureau  central  de  Washington,  les  données  météorologiques, 
recueillies  une  heure  plus  tôt  et  déjà  partiellement  synthétisées 
par  les  six  stations  centrales  de  districts.  Elles  sont  immédiate- 
ment mises  en  œuvre,  d’abord  pour  la  confection  des  cartes 
météorologiques,  ensuite  pour  la  prévision  du  temps. 

Un  mot  d’abord  des  cartes  météorologiques.  Le  bulletin 
météorologique,  publié  chaque  jour  par  le  Weather  Bureau, 
a (il  centimètres  de  largeur  et  48  centimètres  de  hauteur.  D’un 
côté  est  tracée  la  Daihi  Weather  Map,  carte  météorologique 
s’étendant  au  territoire  entier  des  États  de  l’Union.  Cette  carte 
porte  les  indications  suivantes  : isobares  ou  lignes  d’égale  pres- 
sion barométrique  (en  traits  continus  noirs  ; les  hauteurs  baro- 
métriques sont  inscrites  en  pouces  anglais)  ; les  isothermes  ou 
lignes  d’égale  température  (en  traits  continus  rouges  ; les  indi- 
cations numériques  sont  données  suivant  l’échelle  Fahrenheit); 
la  position  actuelle  des  centres  de  dépression  ou  de  pression 
avec  le  trajet  suivi  pendant  les  derniers  vingt-quatre  heures 
et  la  direction  actuelle  de  leur  mouvement  de  déplacement 
ttiaits  noirs  interrompus);  les  zones  de  variation  brusque  de  la 
température  (entourées  d’un  contour  pointillé  rouge);  les  zones 
nyant  reçu  île  la  pluie  ou  de  la  neige  depuis  la  publication  du 
bulletin  de  la  veille  (zones  teintées  de  gris);  en  chacune  des 
21)0  stations,  l’étal  du  ciel  au  point  de  vue  de  la  nébulosité,  de 
la  direction  du  vent,  de  la  présence  d’orages.  On  peut  regretter 
pourtant  ipie  les  tlèches  qui  marquent  la  direction  du  vent  ne 
portent  pas  en  même  temps  l’indication  de  sa  vitesse.  Il  est  de 
plus  en  plus  important  en  vue  des  prévisions  de  pouvoir  estimer 
rapidement  et  de  ?;/*•?<  dans  quel  azimut,  par  rapport  aux  centres 
de  pression  et  de  dépression,  se  présentent  les  vitesses  « anor- 
males »,  qui  jouent  un  rôle  capital  dans  la  prévision  des  dépla- 
cements, deiuiis  que  M.  Guilbert  a énoncé  à leur  sujet  des  lois 
relativement  très  précises  et  très  sûres.  11  existe  d’ailleurs  des 
moyens  très  simples  de  faire  figurer,  sur  les  cartes,  sans  les 
charger,  des  indications  de  la  vitesse  du  vent.  Les  cartes  météo- 
rologiques quotidiennes,  publiées  par  l’Institut  royal  de  Météo- 
rologie de  Belgique,  utilisent  très  heureusement  à cet  effet 
l’empennage  des  tlèches  qui  marquent  la  direction  du  vent.  Cet 
empennage  est  formé  d’un  nombre  de  traits  proportionnel  à la 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


329 


vitesse  du  vent.  La  carte  du  Weather  Bureau  porte  en  cartouche 
des  indications  plus  précises  sur  la  pression  barométrique,  sur  la 
températui-e,  sur  les  vents  observés  en  chacune  des  stations,  sur 
l’étiage  des  cours  d’eau  dans  les  grandes  villes  riveraines.  Un 
tableau  résume  aussi  les  pronostics  météorologiques.  Nous 
aurons  h revenir  plus  loin  sur  les  prévisions. 

Pour  le  moment,  retournons  la  carte.  Nous  avons  sous  les 
yeux  la  Weather  Map  of  the  Northern  Hemisphere,  grande  carte 
météorologique  synthétique  très  suggestive  de  tout  l’hémisphère 
boréal.  C’est  une  « projection  anglaise  équidistante  » centrée 
sur  le  pôle.  Le  lecteur  peu  familiarisé  avec  ce  genre  de  repré- 
sentations cartographiques  poui  ra  se  la  figurer  de  la  manière 
suivante  : Au  centre  de  la  carte,  le  pôle  nord.  De  ce  point  un 
faisceau  de  7'2  droites  rayonnantes  représente  le  système  des 
méridiens  de  cinq  en  cinq  degrés.  Les  parallèles,  tracés  aussi  de 
cinq  en  cinq  degrés,  sont  des  circonférences  concentriques 
équidistantes  ayant  le  pôle  pour  centre.  La  trame  géographique 
des  méridiens  et  des  parallèles  ainsi  constituée,  et  dans  laquelle 
viennent  s’inscrire  les  contours  des  trois  grands  continents 
boréaux,  fait  bien  image  et  respecte  sullisamment  bien  les  aires 
et  la  forme  des  contours.  La  carte  américaine  porte  les  indica- 
tions suivantes  : les  isobares, qui  sont  gradués  en  millibars,  unité 
d’introduction  assez  récente  dans  la  science  et  dont  les  météo- 
rologistes européens  ont  dit  trop  de  mal.  Le  bar  est  une  unité 
C.  G.  S.  dérivée,  équivalant  à un  million  d’unités  G.  G.  S.  nor- 
males, soit  donc  10®  dynes  par  centimètre  carré.  Le  bar  est 
égal  à la  pression  d’une  colonne  de  mercure  de  750"'00  de  hau- 
teur, donc,  à très  peu  de  chose  près,  à la  pression  barométrique 
moyenne.  Les  météorologistes  ont  donc  assez  mauvaise  grâce  à 
lui  faire  si  pauvre  accueil.  Leurs  préférences  iraient-elles  à une 
graduation  barométrique  universelle  en  pouces  anglais? 

Sur  la  Weather  Map  les  isobares  sont  tracés  en  noir,  et  de 
plus,  innovation  heureuse,  les  centres  cycloniques  et  anticyclo- 
niques portent  en  grands  caractères  les  indications  respectives 
« low  » et  « high  »,  en  sorte  que  l’on  peut  juger  d’un  coup  d’œil 
rapide  de  la  répartition  des  cratères  et  des  protubérances  atmo- 
sphériques, comme  aussi,  par  le  gradient,  de  la  déclivité  des  sur- 
faces isobares  qui  forment  leurs  lianes  et  sur  lesquelles  glisse 
le  vent. 

Les  isothermes  sont  tracés  en  rouge  et  gradués  h l’échelle  des 
températures  absolues  (graduation  centigrade  augmentée  de 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


278  degrés).  Nous  ne  devinons  pas  l’avantage  qui  résulte  de  cet 
emploi,  inspiré  sans  doute  par  un  souci  de  purisme  scientiliqne. 
Peut-être  pourtant  a-t-on  voidn  éviter  les  températures  néga- 
tives ; mais  l’avantage  n’est-il  pas  neutralisé  par  l’inconvénient 
d’avoir  à considérer  tonjonrs  des  nombres  de  trois  clniïres? 

Kn  tout  cas  il  tant  savoir  gré  aux  dirigeants  dn  service  améri- 
cain, d’avoir  voulu  l'aire  (eiivre  scientifique  internationale  en 
sacritiant  leurs  unités  locales  pour  adopter  des  unités  peu 
usitées,  il  est  vrai,  par  le  commun  des  mortels,  mais  avec 
lesquelles  les  hommes  de  science  sont  familiarisés  sous  toutes 
les  latitudes  et  à tonte  distance  du  méridien  de  Washington. 

Dans  un  coin  de  la  carte  nous  pouvons  lire  le  tableau  des 
éléments  météorologiques  ; pression,  température,  direction  et 
vitesse  du  vent,  nébulosité  et  précipitations  atmosphériques, 
recueillis  par  42  stations  non-américaines,  réj)arties  sur  toute  la 
surface  du  globe. 

Ce  bulletin  météorologique  porte  donc  à ses  lecteurs,  sous 
une  forme  très  intuitive,  quantité  de  renseignements  météorolo- 
gicpies  intéressants.  Xous  ignorons  quel  est  le  tirage  du  bulletin. 
Il  se  chiffre  probablement  par  dizaines  de  mille,  et  les  journaux 
américains  le  reproduisent  chaque  jour  sous  format  réduit.  Nous 
savons  en  tout  cas  qu’on  le  rencontre  partout  aux  États-Unis  ; 
il  est  allicbé  dans  les  moindres  gares,  dans  les  « parlours  » de 
tous  les  hôtels,  dans  les  ascenseurs  publics,  etc.;  et  il  y a ses 
lecteurs  assidus  et  attentifs.  Gageons  pourtant  que  leurs  regards 
sont  attirés  surtout  par  le  tableau  des  « prévisions  n).  C’est  de  ce 
sujet  qu’il  nous  faut  dire  un  mol. 

Tl  y a d’abord  des  prévisions  générales,  faites  pour  un  jour,  qui 
s’étendent  à tout  le  territoire  des  Ctals-Unis  ; elles  annoncent  les 
déplacements  des  centres  cycloniques,  leur  aggravation  ou  leur 
résorption,  et  donnent  une  vue  d’ensemble  sur  l’état  de  l’atmo- 
sphère au-dessus  du  continent  américain.  Viennent  ensuite  des 
prévisions  locales,  faites  séparément  pour  3(5  Etats  différents. 
Dans  la  durée  elles  ont  une  portée  tantôt  d’un  jour,  tantôt  de 
deux  et  parfois  de  plus  encore. 

Nous  ignorons  quelles  règles  président  à l’établissement  de  ces 
pronostics.  Nous  savons  seulement  qu’on  enregistre  en  moyenne 
de  succès,  dont  quelques-uns  semblent  au  non-initié  tenir 
du  prodige.  En  particulier,  comme  les  troubles  atmosphériques 
se  déplacent  presque  toujours  de  l’ouest  à l’est,  les  prévisions 
pour  les  régions  orientales  du  vaste  territoire  sont  rarement 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


331 


Ironvôes  en  défaut,  car  elles  sont  basées  sur  les  observations 
recueillies  dans  les  l^tats  de  l’Ouest  en  amont  du  courani  des 
dépressions.  La  proportion  des  prévisions  exactes  y est  de  9:2  “/o- 

Les  prévisions  météorologiques  sont  transmises  chaque, jour 
à 10  heures  du  matin  des  centres  de  district  à i2059  points  prin- 
cipaux, cbarg'és  de  les  disséminer  à leur  tour.  De  plus,  les 
54()0000  abonnés  du  réseau  téléphonique  américain  en  reçoivent 
communication  orale  sur  simple  demande  adressée  au  bureau 
central  téléphonique  de  leur  section. 

Outre  le  service  des  prévisions  générales,  le  Weather  Bureau 
a organisé  une  série  de  services  de  prévisions  spéciaux  répon- 
dant cà  des  nécessités  locales  ou  aux  besoins  de  telle  ou  telle 
industi’ie.  Citons  d’abord  les  prévisions  de  tempêtes.  Les  avis 
sont  dirigés  par  télégraphe  sur  plus  de  200  stations  côtières, 
qui  les  transmettent  à leur  tour  par  signali.'^ation  optique 
ou  par  T.  S.  F.  aux  navires  de  la  rade,  lesquels  se  chargent 
de  les  faire  passer  de  proche  en  proche  jusqu’aux  navires 
du  large. 

Les  pi’évisions  des  crues  sont  laites  par  17  bureaux  centraux, 
soit  d’une  manière  continue,  soit  par  intermittence.  Elles  se 
font  journellement  et  signalent  généralement  les  crues  une 
semaine  à l’avance. 

Dans  les  territoires  producteurs  de  fruits,  où  l’on  doit  en 
assurer  la  dessiccation  au  soleil,  la  prévision  des  pluies  est  d’une 
souveraine  importance,  car  il  suflit  parfois  d’une  pluie  impor- 
tante pour  ruiner  la  plupart  des  planteurs.  Dans  ces  mêmes 
régions  les  gelées  tardives  ne  sont  pas  moins  désastreuses.  On 
parvient  généralement  à les  annoncer  12  ou  24  heures  h l’avance. 
Quand  la  gelée  menace,  les  bureaux  régionaux  du  service  météo- 
rologique restent  ouverts  toute  la  nuit  et  reçoivent  par  le  télé- 
phone tous  les  renseignements  relatifs  au  déplacement  des 
courants  atmosphériques.  A l’approche  d’une  vague  de  l'roid,  le 
cultivateur  est  averti  par  télégraphe  ou  téléphone  de  tenir  pi  êts 
ses  foyers  d’huile  lourde,  qui,  convenablement  disposés  dans  les 
champs,  pourront  pendant  la  nuit  couvrir  les  vergers  d’une 
épaisse  couche  de  fumée  et  protéger  ainsi  les  plantations  contre 
le  refroidissement  dû  au  rayonnement  nocturne.  Vers  le  soir, 
le  bureau  régional  transmet,  s’il  y a lieu,  l’avis  d’allumer  les  feux. 

Des  services  analogues  fonctionnent  dans  les  régions  coton- 
nières où  des  bulletins  journaliers  de  prévisions  sont  distribués 
à profusion. 


332 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Le  service  dimalologique  édile  le  Monthly  Wealher  Review 
contenant  les  observations  climatériques  moyennes  du  mois 
écoulé  ; températures  maxima  et  minima,  moyennes  diverses, 
pluies  et  neiges,  orages,  nébulosité  du  ciel,  direction  dominante 
du  vent.  La  revue  publie  en  outjre  de  nombreux  documents 
statistiques,  suivis  de  notices  ayant  souvent  rapport  à'  rulilisa- 
tion  industrielle  des  agents  naturels,  eaux  d’irrigation,  chutes 
d’eau,  etc. 

Pendant  la  période  d’hiver,  parait  tous  les  mardis  le  Show  and 
Ice  Bulletin.  Une  carte  du  pays  porte  la  limite  des  neiges,  l’épais- 
seur de  cette  dernière,  et  celle  de  la  glace  sur  les  rivières  et  sur 
les  lacs. 

Lutin,  la  section  nautique  du  Wealher  Bureau  éà\ie]o\\rne\- 
lement  les  Meteoroloyical  Charts  des  océans.  Ces  caries  four- 
nissent aux  navigateurslesplus  précieuses  indications  concernant 
la  distribution  des  courants  aériens,  de  la  température,  leurs 
variations  probables,  les  zones  tà  icebergs,  etc.  Les  routes  ma- 
rines les  plus  avantageuses,  étant  donnée  la  distribution  des 
vents,  sont  indiquées  aux  voiliers  ainsi  que  les  moyens  de  se 
dégager  des  vents  dangereux  ou  de  les  éviter.  En  les  suivant,  les 
navires  à voiles  abrègent  souvent  de  50  % 1h  durée  de  la  tra- 
versée, et  les  indications  sont  si  sûres  que  pour  la  traversée  de 
l’Atlantique,  par  exemple,  les  armateurs  peuvent  compter  actuel- 
lement en  tout  temps  sur  une  vitesse  commerciale  moyenne  de 
7 à 8 no'uds  à l’heure. 

Le  résumé,  trop  succinct  peut-être,  que  nous  venons  de  mettre 
sous  les  yeux  du  lecteur,  est  cependant  de  nature  à lui  donner 
une  idée  approximative  de  la  libéralité  prodigieuse  du  Wealher 
Bureau  dans  la  dilïusion  des  connais.sances  météorologiques  et 
des  prévisions  ; mais  il  est  naturel  et  légitime  de  se  demander 
si  cette  magnifique  activité  a un  but  précis  et  sérieux,  et  dans 
quelle  mesure  elle  parvient  à le  réaliser  en  fait. 

N’insistons  pas,  c’est  évidemment  inutile,  sur  le  côté  purement 
scientifuiue  de  l’action  exercée  par  le  Wealher  Bureau  ; elle  a 
pour  effet  nécessaire  d’abord  d’intéresser  de  plus  en  plus  le 
public  aux  problèmes  à la  fois  si  attrayants  et  si  déconcertants  de 
la  dynamique  atmosphérique  ; ensuite,  la  multitude  des  maté- 
riaux accumulés  permet  de  temps  en  temps  de  discerner  quelque 
loi  nouvelle  générale  ou  particulière  de  la  physique  de  l’atmo- 
sphère, autant  de  rayons  qui,  un  à un,  finiront  par  dissiper  les 
ténèbres  et  les  mystères  de  l’aérologie.  C’est  ainsi,  par  exemple, 
que  le  trajet  des  grandes  vagues  de  froid  se  formant  dans 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


les  régions  du  nord-ouest  de  l’Union  et  celui  des  vagues  du  sud 
qu’on  appelle  « Northers  » du  Texas,  est  déjà  fort  bien  connu  et 
que  Ton  commence  à démêler  les  causes  de  leur  formation.  On 
a pu  établir  aussi  que  des  variations  brusques  de  pression  sur 
le  Pacifique,  à hauteur  des  îles  Hawaï,  entraînent  cinq  ou  six 
jours  plus  tard  certains  mouvements  cycloniqnes  sur  la  côte 
occidentale  de  l’Amérique.  Les  déplacements  de  ces  cyclones  au 
dessus  du  continent  se  font  à la  vitesse  de  15  à 18  nœuds  à 
l’heure  et  dépendent,  suivant  des  lois  que  l’on  est  parvenu  à 
formuler  d’une  manière  déjà  très  précise,  de  la  distribution 
préalable  des  pressions  sur  le  continent. 

Tout  grand  qu’il  soit,  cet  intérêt  évident  de  la  dilTusion  des 
connaissances  météorologiques,  assurée  par  les  soins  du  Wealher 
Bureau,  le  cède  peut-être  encore  à l’intérêt  économique  de  ses 
« prévisions  ».  L’habitant  de  la  vieille  et  traditionnelle  Europe 
a peine  à concevoir  l’inlluence  d’un  facteur  comme  la  prévision 
de  la  pluie  ou  du  beau  temps  sur  les  entreprises  d’ordre  écono- 
mique. Cela  tient  d’abord,  sans  doute,  à ce  que  les  exploitations 
agricoles  n’ont  pas  chez  nous  l’étendue  et  l’homogénéité  qu’elles 
ont  en  Amérique.  Si,  dans  nos  contrées,  la  pluie  ou  la  séche- 
resse dévastent  une  récolte,  il  arrivera  presque  toujours  que  les 
mêmes  conditions  auront  été  favorables,  au  contraire,  à la  cul- 
ture de  l’exploitation  voisine,  généralement  dilTérente  de  la  pre- 
mière; si  bien  que  les  plaintes  d’un  producteur  se  trouvent 
pratiquement  compensées  par  la  satisfaction  de  son  voisin.  Il 
n’en  est  pas  de  même  aux  États-Unis,  où  des  régions  immenses 
sont  exclusivement  consacrées  à une  même  culture  et  où  la  pluie 
et  le  beau  temps  font  souvent  la  ruine  générale  ou  la  prospérité. 
Un  autre  motif  de  notre  inertie  européenne  est  le  scepticisme 
avec  lequel  nous  accueillons  trop  souvent  les  prévisions  des 
météorologistes.  Ceci  tient  un  peu,  il  est  vrai,  à la  météorologie 
européenne  elle-même,  qui  s’éveille  à grand’peinedu  sommeil  de 
la  routine  et  qui  manque  d’esprit  d’organisation  et  d’ensemble. 

Citons  quelques  exemples  de  l’importance  économique  d’un 
service  de  prévisions  sérieux  et  des  avantages  qui  en  rejaillissent 
à la  fois  sur  le  commerce,  sur  l’industrie  et  sur  la  navigation. 

En  J 897,  les  riverains  du  Bas-Mississipi,  prévenus  environ 
une  semaine  à l’avance  de  la  crue  du  tleuve,  purent  sauver  de 
l’inondation  environ  75  millions  de  francs  de  bétail  et  de 
récoltes.  Les  entreprises  de  navigation,  de  flottage  des  bois,  les 


334 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


iiislallatioiis  hydrauliques  de  force  niolrice  le  long  des  rivières, 
recourent  à chaque  instant  aux  prévisions  du  Weat lier  Bureau 
avant  d’accepter  une  entreprise  ou  de  signer  un  contrat.  Les 
compagnies  de  chemins  de  fer  n’organisent  leurs  expéditions  en 
masse  de  marchandises  sensibles  comme  les  fruits  et  le  poisson, 
exposées  à être  gâtées  par  quelques  heures  d’insolation,  que 
d’après  les  indications  du  service  du  bureau  météorologique. 
Les  expéditeurs  d’onds  et  les  brasseurs  mettent  aussi  à profit 
l’annonce  des  vagues  de  froid  pour  faire  leurs  envois.  A Saint- 
Louis,  centre  cotonnier,  la  Bourse  ne  commence  ses  travaux 
qu’après  la  réception  du  Bulletin  du  Ministère  de  l’Agriculture. 

Dans  les  régions  fructifères  de  la  Californie,  le  succès  d’une 
récolte  dépend  presque  uniquement  du  bureau  central  voisin  et 
de  l’exactitude  de  ses  informations.  Un  estime  à JfiO  millions  les 
pertes  évitées  en  cinq  ans  aux  planteurs  de  Californie  par  le 
seul  bureau  de  San  Krancisco.  Bien  (ju’e)i  1!)10,  la  Californie  a pu 
.sauver,  grâce  aux  prévisions  météorologiques,  pour  200  millions 
de  fruits,  fin  Floride,  l’annonce  d’une  tempête  a fait  sauver  en 
une  nuit,  par  une  cueillette  hâtive,  500  000  francs  de  fraises.  La 
prévision  d’une  vague  de  froid  s’abattant  sur  les  côtes  du 
.Mexique  a épargné  i)lus  de  15  millions  de  francs. 

Il  est  impossible  d’évaluer  le  nombre  de  désastres  maritimes 
évités  grâce  aux  renseignements  sur  la  marche  des  cyclones 
communiqués  aux  navires  en  partance.  Enfin  l’essor  nouveau 
pr  is  en  ces  derniei'S  temps  par  la  navigation  à la  voile  est  di'i  en 
gi'ande  pai'tie  à la  sécurité  et  à la  i-égidarité  de  mai’che  des 
navires  qui  résultent  de  la  prévision  des  conditions  météoi’olo- 
girpies  et  du  régime  des  vents,  soit  normal,  soit  ti’oublé,  à la 
surface  des  océans. 

L’omvi'e  entreprise  par'  le  Weat  lier  Bureau  est  donc  aussi 
bierd'aisante  (pt’elle  est  immense.  Elle  a pu  se  réaliser  gr-âce  à 
rrrnité  de  vires  qui  gr'oujie  tous  les  Etats  de  l’imion.  Elle  laisse 
loin  derrièr'e  elle,  les  institutions  météor’oiogiques  eui’opéennes, 
confinées,  par  la  force  des  choses,  à l’intérieur  d’étroites  fr'on- 
tières,  hélas  ! tr-op  jalousement  gar  dées. 

Souhaitons  'voir  .se  l'éaliser  un  jour  une  entente  plus  com- 
plète des  institrrtions  météorologiques  européennes  en  vue  de  la 
constitution  d’un  Wealher  Bureau  européen,  pendant  de  la 
magnifique  or’ganisation  trans-atlantique  ! 


W.  T. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


335 


ASÏROXOMII*: 


Les  Hypothèses  cosmogoniques  modernes.  — Ce  n’est 
point  une  cosmogonie  nouvelle  que  nous  propose  M.  Véronnet 
dans  la  Revue  de  Philosophie  (1),  mais  une  étude  sur  les 
cosmogonies.  Son  élude  relève  des  Leçons  sur  les  Hypothèses 
cosmoyoniques  de  II.  Poincaré,  qu’elle  tend  à compléter. 

« Poincaré  était  trop  mathématicien,  écrit  M.  Véronnet,  pour 
se  contenter  de  l’â  peu  près  dans  la  solution  du  problème 
(cosmogonique),  et  ici  ce  ne  sont  guère  que  des  aperçus  plus  ou 
moins  plausibles  qui  nous  sont  permis.  Aussi  Poincaré  s’est-il 
cantonné  fort  sagement  dans  un  rôle  de  critique.  11  a déblayé 
ainsi  le  terrain  de  toutes  les  constructions  caduques,  en  ne 
laissant  que  les  parties  solides  sur  lesquelles  on  pourra  dé.sor- 
mais  essayer  de  construire. 

» Chi’il  me  soit  permis  ici  d'e.xprimer  un  regret.  C’est  que  les 
exigences  d’un  cours  de  mathématique  (2)  n’aient  peut-être  pas 
permis  à H.  Poincaré  de  donner  le  même  développement  aux 
conditions  physiques  des  problèmes  et  aux  objections  que  l’on 
peut  en  tirer  contre  certaines  hypothèses,  comme  celle  de 
Laplace  en  particulier,  ou  certains  détails  de  ces  hypothèses.  » 
Le  but  de  M.  Véronnet  est  de  combler  cette  lacune,  de  « com- 
pléter la  critique  mathématique  des  hypothèses  par  l’étude 
scientilique  de  leui-s  conditions  physiques.  » 

En  outre,  il  lui  a paru  que  Poincaré  n’avait  pas  donné  « à 
l’hypothèse  de  Kant,  la  première  en  date  et  celle  qui  contient 
tous  les  éléments  essentiels  de  la  solution,  le  développement 
que  son  importance  semblait  lui  valoir.  » Pour  M.  Véronnet 
Kant  ne  fut  pas  seulement  un  «précurseur»,  son  œuvre  n’a 
pas  uniquement  aujourd’hui  une  valeur  historique,  « elle  mérite 
de  rester  et  d’être  plus  connue  ». 


(1)  Avrit  1913-, janvier  1914.  Tiré  à part  : Les  Hypothèses  cosmogoniques 
modernes,  par  .Alex.  A'éronnet,  docteur  en  sciences.  Un  vol.  in-8°  de  171  pages. 
— Paris,  A.  Hermann  et  Fils,  1914. 

(:2)  l.es  Leçons  de  Poincaré  reproduisent  son  cours  de  .Mécanique  Céleste  à la 
Sorl)onne,  en  1911. 


33(3 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Cinq  chapitres  se  partagent  le  livie  de  M.  Véronnet.  Dans  le 
premier,  intitulé  Les  données  du  problème,  il  rappelle  les  lois  de 
Képler,  le  principe  de  l’attraction  universelle  et  « les  trois 
quantités  invariables  ou  indépendantes  de  toute  hypothèse  ; la 
masse  totale,  le  moment  de  rotation,  l’énergie  de  condensation, 
ou  l’énergie  dépensée  )). 

Le  second  chapitre  est  consacré  à un  ample  exposé  de 
V/iypolhèse  de  Kant,  «précurseur  de  Laplace  sur  beaucoup  de 
points  ». 

Vient  ensuite,  dans  le  troisième  chapitre,  Vhypothèse  de 
Laplace.  « L’étude  scientifuiue  (de  cette  hypothèse)  n’a  été  faite 
qu’après  lui  » ; ses  défenseurs  « ont  dû  la  corriger  sur  des  points 
essentiels.  Les  corrections  dans  ce  qu’elles  ont  de  bon,  la  rap- 
prochent de  celle  de  Kant.  » 

I.es  autres  hypothèses,  celles  de  Faye,  du  Colonel  du  Ligondès, 
de  M.  Belot,  de  M.  See  et  de  Darwin  sont  brièvement  exposées 
dans  le  chapitre  quatrième. 

p]nfin,  le  dernier  chapitre  aborde  Vévolution  du  Soleil  et  de 
la  Terre  : Condensation  d’une  nébuleuse  cosmique.  Histoire 
spéciale  du  Soleil.  Histoire  de  la  Terre  et  de  sa  chaleur.  Kvohi- 
tion  des  étoiles  et  des  nébuleuses. 

On  le  voit,  c’est  le  problème  cosmogonique  général,  qui  est 
ici  envisagé,  du  moins  dans  ses  grandes  lignes;  l’auteur  n’a  pas 
la  prétention  de  l’épuiser.  S’inspirant  d’un  sage  éclectisme,  il  a 
choisi  dans  les  dillérents  systèmes,  et  cherché  à grouper  les 
éléments  qui  lui  ont  paru  les  plus  solides,  et  les  conjectures  les 
plus  vraisemblables  <à  ses  yeux.  Voici  ses  conclusions  ; nous 
nous  bornons  tà  les  transcrire. 

«Dans  cette  criti(pie  des  hypothèses  cosmogoniques  modernes, 
je  me  suis  efforcé  d’abord  de  résumer  et  de  mettre  en  relief  les 
résultats  du  magistral  travail  de  Poincaré,  pour  bien  monirer  les 
limites  qu’il  avait  tracées  à la  probabilité  de  ces  différentes 
hypothèses  et  de  leurs  lignes  principales.  On  m’excusera  d’avoir 
essayé,  en  certains  points  de  détail,  d’y  ajouter  l’cpiivi'e  d’un 
modeste  calculateur  plutôt  que  mathématicien.  Ces  calculs  pra- 
tiques et  simples  n’ont  aucune  prétention,  sinon  celle  de  préciser, 
par  des  chiffres  réels,  les  résultats  des  formules  mathématicpies. 
On  peut  ainsi  se  rendre  compte  d’une  fa^on  plus  nette  de 
l’importance  relative  de  tel  ou  tel  phénomène,  de  l’inlluence  de 
telles  ou  telles  conditions  i)hysiques. 

»Ceci  est  surtout  frappant  dans  l’histoire  spéciale  du  Soleil 
et  de  la  Terre  étudiée  dans  le  dernier  chapiti'e.  Par  exemple,  le 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


337 


refroidissement  d’un  astre  est  certainement  retardé  par  le  tra- 
vail de  contraction  qui  se  produit  quand  il  diminue  de 
volume,  travail  qui  se  transforme  en  chaleur.  Mais,  pour  la 
Terre,  ce  travail  est  insignifiant  et  ne  régénère  pas  le  dixiéme 
de  la  chaleur  perdue  par  refroidissement.  Pour  le  Soleil  au 
contraire,  eu  égard  à sa  masse,  ce  travail  est  énorme.  11  four- 


mais  les  j'qqq  chaleur  perdue  par 


9 . 999 

nit,  non  pas  les  ' 

son  rayonnement.  Le  refroidissement  demande  lO(X)  fois  plus 
de  temps,  et  ce  phénomène  suffit  pour  explicpier  la  conserva- 
tion de  sa  chaleur  pendant  des  millions  d’années. 

» C’est  ainsi  encore  que  le  calcul  montre  comment  la  nébu- 
leuse gazeuse  et  chaude  de  Laplace  était  impossible,  car  les 
éléments  qui  ont  donné  naissance  à la  Terre  exigeraient  une 
température  d’au  moins  30Ü(P  pour  se  maintenir  à l’état  gazeux. 
Or  l’astre  central  ne  pouvait  foui-nir  la  quantité  de  chaleur 
nécessaire  sans  perdre,  en  quelques  années  seulement,  toute 
l’énergie  que  sa  condensation  a pu  lui  fournir  depuis  l’origine. 

» Si  nous  parcourons  maintenant  d’un  coup  d’œil  rapide  le 
double  travail  accompli,  nous  pouvons  résumer  ainsi  qu’il  suit 
les  différentes  idées  à con.server,  les  grouper  en  un  tout  assez 
cohérent  dans  sa  généralité,  et  mettre  dès  lors  en  relief  la  part 
contributive  de  chaque  auteur  dans  Vessai  provisoire,  qui 
semble  actuellement  rendre  le  mieux  compte  de  l’origine  de 
notre  univers,  si  grandiose  dans  son  admii'able  et  si  simple 
organisation. 

» Gomme  point  de  départ,  nous  adopterons  nécessairement  la 
nébuleuse  primitive  de  Kant.  Nous  supposerons  toute  la  matière 
qui  forme  actuellement  le  Soleil,  les  planètes  et  les  étoiles 
disséminée  dans  l’espace  occupé  par;  ces  astres.  La  densité  est 
tellement  faible  que  les  molécules  élémentaires  n’exercent 
aucune  action  directe  les  unes  sur  les  autres,  aucune  pression. 
Nous  n’avons  pas  un  gaz,  mais  une  poussière  d’éléments.  Toute 
la  nébuleuse  est  froide,  absolument  froide,  au  zéro  absolu.  Ces 
molécules  ne  sont  soumises  qu’à  une  seide  force,  l’attraction  (l). 


(1)  « Ces  molécules  sont  elles-mêmes  des  systèmes  très  complexes,  plus  com- 
plexes peut-être  que  nos  systèmes  stellaires,  et  dont  la  formation  par  voie 
d’évolution  a peut-être  été  encore  plus  longue.  Mais  nous  manquons  d’élé- 
ments pour  l’étude  vraiment  scientifique  de  cette  évolution,  que  Crookes  a 
essayé  de  retracer.  Nous  prenons  donc,  faute  de  mieux,  les  molécules  toutes 
formées,  plongées  dans  le  milieu  d’électrons  répulsifs,  en  équilibre  et  immo- 
biles, qui  leur  a donné  naissance,  et  que  nous  appelons  l'éther,  transmetteur 
général  des  ondes  lumineuses,  calorifiques,  électriques,  etc.  » 

IIP  SÉRIE.  T.  XXVI. 


22 


33S 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


4’hacune  d’elles  attire  toutes  les  autres  et  est  attirée  par  toutes, 
fùilin  toutes  ces  molécules  sont  au  repos.  11  est  inutile  du  moins 
■<le  leur  supposer  un  mouvement  quelconque,  de  leur  donner 
une  vitesse  déterminée,  dans  une  direction  déterminée.  La 
matière  et  son  attraction,  voilà  les  seuls  éléments  dont  nous 
iivons  besoin,  pour  expliquer  tous  les  mouvements  et  toutes  les 
Jbrmations  ultérieurs. 

» Nous  n’admettrons  pas  de  limite  pour  notre  nébuleuse. 
iNous  ne  lui  donnerons  aucune  forme  spéciale.  Nous  admettrons 
-seulement  qu’il  s’y  trouve,  de  loin  en  loin,  des  régions  où  la 
<lensité  est  plus  forte  que  la  moyenne,  d’autres  où  elle  est 
moindre.  Que  la  dilférence  soit  excessivement  faible,  peu 
importe.  Le  temps  seul  en  sera  accru,  l.es  régions  à faible  den- 
siité  seront  des  zones  de  déchirure,  les  régions  à forte  densité 
<ies  centres  d’attraction  prépondérante,  c’est-à-dire  des  centres 
4\e  condensation,  germes  des  étoiles  futures. 

))  Chacun  de  ces  centres,  par  son  attraction,  fait  le  vide  au- 
tour de  lui,  en  absorbant  peu  à peu  les  molécules  de  sa  région. 
.Vlors  se  dessinent  les  nébuleuses  particulières  qui  donneront  les 
«étoiles,  les  amas  stellaires  se  séparent,  les  voies  lactées  se  diffé- 
rencient. lie  plus,  chacun  de  ces  centres  agit  sur  tous  les  autres. 
tSi  l’amas  stellaire  n’est  pas  absolument  sphérique,  le  mouve- 
ment de  chacun  d’eux  se  traduira  par  une  rotation  complexe 
^autour  du  centre  de  l’amas,  comme  dans  la  condensation  d’un 
ellipsoïde,  par  exemple.  Il  en  sera  de  même  pour  le  mouvement 
des  amas  stellaires  à l’intérieur  de  la  Voie  lactée  (1). 

» Il  en  sera  de  même  également  pour  les  molécules  des  nébu- 
leuses paiticidières.  .Attirées  par  leur  centie,  qui  lui-même  se 
iléplace,  elles  transforment  leur  trajectoire  presque  rectiligne 
en  une  trajectoire  curviligne.  Ces  divers  mouvements  de  rota- 
tion se  combinent,  pour  chaque  nébuleuse,  en  un  mouvement 
de  rotation  unique,  tel  que  le  moment  de  rotation  total  de 
toutes  les  nébuleuses  soit  nul. 

» .Mais  des  centres  de  condensation  plus  faibles  se  sont  égale- 
ment formés  à l’intérieur  de  chaque  nébuleuse  particulière,  pen- 
dant sa  condensation.  Ils  tendaient  vers  le  centre  suivant  des 
trajectoires  allongées,  comme  les  autres  éléments  de  la  nébu- 


(1)  « li’étiiile  lies  trajectoires  des  molécules  ou  des  étoiles  l'ormaiit  utt 
ellipsoïde  homogène,  est  due  au  Colonel  du  l.igondès.  — .Vu  moment  du 
maximum  de  concentration  en  disque,  comme  la  Voie  lactée  actuellement, 
les  étoiles  seraient  heaucoup  plus  rapprochées  les  unes  des  autres  qu’à 
l’origine.  » 


Revue  des  recueils  périodiques 


389 


leuse,  comme  nos  comètes  actuelles.  En  arrivant  vers  le  centre, 
ils  ont  l’encontré  le  milieu  résistant  de  la  nébuleuse  plus  dense, 
ce  qui  a eu  pour  etl'et  de  les  rapprocher  du  centre  et  de  rendre 
leur  trajectoire  à peu  près  circulaire.  La  démonstration  de  ce 
lait  est  due  tà  Faye  et  à See.  Telle  est  l’origine  de  la  Ibrmalion 
des  planètes. 

» -V  leur  tour,  elles  donnèrent  naissance  à leurs  satellites  et 
de  la  même  manière,  (leux-ci  durent  se  former  en  elfet  à l’inté- 
rieur de  la  nébuleuse  de  la  planète,  comme  celle-ci  h l’intérieur 
de  la  nébuleuse  solaire.  Les  satellites  rétrogrades,  cependant, 
durent  être  captés  (f’oincaré),  mais  avant  que  la  planète  fut 
complètement  condensée,  alors  que  sa  nébuleuse  ollVait  un 
milieu  suffisamment  résistant.  Nous  n’avons  nulle  part  besoin 
des  anneaux  de  Laplace,  qui  ne  pourraient  ni  se  former  ni  se 
concentrer,  comme  on  l’a  vu. 

» Nous  avons  vu  également  que  la  rotation  des  planètes  pour- 
rait être  directe  ou  rétrograde,  aussi  bien  dans  le  cas  de  Laplace 
que^dans  celui  de  Faye,  suivant  le  point  où  se  forme  le  centre 
de  condensation.  Fn  tout  cas,  Faye  a sutlisamment  expliqué  la 
rotation  rétrograde  des  planètes  extérieures,  en  admettant 
qu’elles  se  sont  formées  à l’extérieur  de  la  nébuleuse,  et  la 
rotation  directe  des  autres  formées  à l'intérieur.  Avec  la  forma- 
tion des  planètes  indiquées  plus  haut  l’explication  est  simple. 
C’est  la  résistance  du  milieu  qui  a rendu  leurs  orbites  circu- 
laires. ("Jr  cette  résistance  était  plus  grande  vers  l’intérieur  à 
cause  de  la  densité  croissante.  De  Là  la  rotation  directe  de  la 
nébuleuse  planétaire  et  de  la  planète,  avec  exception  possible 
pour  les  plus  éloignées,  dont  nous  ne  connaissons  pas  le  sens 
de  la  rotation.. 

» L’anneau  de  Saturne  s’est  formé,  comme  l’explique  Kant, 
des  éléments  de  l’é([uateur  de  la  planète  encore  liquide,  quand, 
par  la  contraction,  la  force  centrifuge  est  arrivée  à contre- 
balancer la  pe.santeur.  On  doit  à Laplace  l’idée  fondamentale 
que  la  contraction  augmente  la  vitesse  de  rotation  et  par  consé- 
quent la  force  centrifuge.  Si  la  Lune  nous  tourne  toujours  la 
même  face,  c’est  que  le  frottement  dû  aux  marées  produites 
par  la  Terre  sur  la  Lune,  a rivé  les  deux  rotations  l’une  à 
l’autre  (Kant),  il  ne  semble  pas  que  cette  action  des  marées, 
généralisée  par  Darwin,  ait  exercé  une  autre  action  cosmogo- 
nique appréciable. 

» Les  comètes  se  sont  formées  à la  périphérie  de  la  nébuleuse 
solaire,  ou  plutôt  ce  sont  des  lambeaux  chaotiques  qui  se  sont 


340 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


détachés  tardivement  des  régions  où  l’attraction  de  deux  centres 
tendait  à se  taire  équilibre.  Ainsi  retardés,  ils  sont  venus 
elfectuer  leur  premier  virage  autour  du  Soleil,  quand  la  nébu- 
leuse était  déjà  condensée.  Ils  ont  rencontré  un  milieu  vide  sans 
résistance,  et  conservé  la  même  trajectoire  allongée. 

» On  ])eut  admettre  également  (|u’un  immense  lambeau,  resté 
suspendu  entre  deux  centres  d’altraclion,  a fini  par  être  attiré 
|iar  l’un  d’eux,  iiour  pénétrer  dans  sa  nébideuse  en  produisant 
des  Irainées  en  s[)iiales,  puis  linalement  par  donner  naissance 
aux  planètes.  Ce  serait  un  rajeunissement  de  la  vieille  hypothèse 
de  Hulïbn,  expliquant  les  iilanètes  par  l’action  d’une  comète  qui 
.serait  venue  frôler  la  surface  du  Soleil. 

» .Nous  n’avons  indiqué  ipie  les  grandes  lignes  de  la  forma- 
tion du  monde  et  des  mondes.  La  plupart  de  ces  grandes  lignes, 
pour  ne  pas  dire  toutes,  avaient  déjà  été  tracées  magistralement 
par  Kant.  11  sutlisait  de  les  remettre  an  point.  11  a donné,  en 
elfet,  de  la  genèse  des  astres,  à partir  de  la  nébuleuse  primi- 
tive, également  de  lui,  une  vue  d’ensemble  qui  est  encore 
extrêmement  satisfaisante,  comme  on  vient  de  le  voir.  11  a essayé 
d’expliquer  les  mouvements  de  concentration  et  de  rotation  par 
la  seule  attraction.  .Aucun  autre  après  lui  ne  l’a  même  tenté.  En 
tout  cas  son  hypothèse  est  incomparablement  plus  simple  et 
plus  générale  (pie  la  nébuleuse  de  Laplace  avec  son  Soleil  déjà 
condensé,  son  mouvement  de  rotation  déjà  acquis  on  ne  sait 
comment  et  tinalement  les  fameux  anneaux  qui  seraient  restés 
éternellement  des  anneaux,  comme  ceux  de  Saturne,  c’est-à-dire 
des  essaims  plus  ou  moins  denses  de  [ilanètes  télescopiques, 
sans  jamais  donner  naissance  à de  vraies  planètes. 

1)  Il  semble  bien,  comme  le  remarque  Poincaré  quelque  part, 
([u’il  soit  téméraire  pour  le  moment  de  vouloir  pousser  plus 
loin  les  essais  d’explication,  d’essayer  de  rendre  compte  de  plus 
de  détails,  de  la  masse  ou  de  la  densité  des  planètes,  de  l’incli- 
naison de  leurs  axes  de  rotation  ou  des  plans  de  leurs  orbites. 
Il  faut  signaler  toutefois  les  formules  remarquablement  précises 
sur  quelques-uns  de  ces  points,  (pie  Belot  a déduites  de  son 
hypothèse,  la  pénétration  d’un  tube  tourbillon  dans  une  nébu- 
leuse amorphe.  Il  semble  qu’on  obtiendrait  plus  facilement  et 
de  fa(}on  plus  plausible  les  mêmes  formules  par  la  pénétration 
d’un  lambeau  périphérique  à l’intérieur  d’une  nébuleuse,  avec 
épanouissement  en  éventail  dans  le  plan  de  l’écliptique,  suivant 
l’hypothèse  indiquée  plus  haut.  En  tout  cas,  ces  formules,  qui 
resteront,  doivent  être  une  base  de  recherches  pour  l’avenir.  » 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIÜDRJUES 


34i 


,1e  laisse  au  lecteur  le  soin  de  peser  ces  conclusions  (jui,  sous 
leur  simplicité  apparente  couvrent  maints  problèmes  bien 
embarrassants. 

M.  Alex.  Yéronnet  ne  parle  pas,  dans  son  étude,  de  William 
llerscbel  ; la  raison  en  est  évidente  : rillustre  asti’onome  anglais, 
qui  a tant  observé  le  ciel,  ne  nous  a pas  donné,  à proprement 
parler,  d’hypothèse  cosmogonique.  Mais  il  a ajouté  cà  ses  décou- 
vertes les  remarques  suggestives  sur  la  genèse  et  l’évolution 
des  amas  d’étoiles  et  des  nébuleuses.  Ses  idées  sont  dispersées 
dans  ses  nombreux  mémoires  des  Philosophic.\l  Tr.\ns.\ctions, 
et  c’est  à cela,  sans  doute,  qu’elles  doivent  de  n’avoir  pas  retenu 
l’attention. 

.M.  G.  .1.  G.  See  étudia  les  mémoires  de  AV.  Herschel  en  1901), 
au  moment  de  terminer  le  second  volume  de  ses  Hesearches  on 
Ihc  Evolution  of  lhe  stellav  Systems,  i9i0.  Il  les  a trouvés  très 
importants  pour  l’étude  de  l’évolution  céleste  ; il  s’en  est  inspiré 
et,  par  les  développements  qu’il  leur  a donnés,  il  en  a tiré  un 
parti  excellent.  On  lira  avec  intérêt  l’article  The  law  of  nature 
in  celestial  évolution  que  l’astronome  américain  a publié  sur  ce 
sujet  dans  la  revue  SclE^’TI.\  1,  III,  1914,  pp.  1159-186.  A'oici  les 
différents  paragraphes  qui  se  partagent  cet  article  : 

1.  L’étude  des  amas  d’étoiles  conduit  à la  loi  fondamentale  de 
l’évolution  sidérale.  — II.  Les  vues  d’Iierschel  auraient  dû  être 
préférées  à celles  de  Laplace.  — III.  Idées  d’IIerschel  sur  l’ori- 
gine des  amas.  — IV.  La  méthode  d’ilerschel  pour  la  détermi- 
nation de  l’àge  d’un  amas.  — A'.  La  théorie  d’IIerschel-See  de 
la  capture  des  étoiles  grâce  au  pouvoir  de  la  gravitation  uni- 
verselle de  former  des  amas.  — Ad.  Le  phénomène  de  la  capture 
produit  aussi  l’arrangement  de  la  structure  interne  d’une  néhu- 
leuse  en  couches  concentriques  d’éclat  uniforme.  — VU.  La  lu- 
mière des  nébuleuses  est  due  en  partie  à la  lumine.scence  à basse 
température,  comme  dans  les  décharges  électriques  dans  le  vide. 
— VIII.  La  théorie  de  la  cai)ture  dans  l’évolution  sidérale  est 
essentiellement  un  développement  des  idées  d’Herschel.  — 
IX.  Les  conceptions  cosmogonitiues  d’ilerschel  négligées  à 
cause  de  la  plus  grande  accessibilité  des  œuvres  de  Laplace.  — • 
.X.  Le  récent  mouvement  pour  la  réédition  des  œuvres  com- 
plètes d’ilerschel.  — XL  Liste  succincte  des  principales  autorités 
en  cosmogonie  destinée  à faciliter  l’étude  de  celle-ci.  — 
XII.  I œs  systèmes  sidéraux  sont  mis  à l’abri  de  la  force  destruc- 
tive provenant  de  la  gravité  par  l’action  des  forces  projectives. 


342 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


L’exposé  (le  M.  See  n’est  ni  très  (^lidactiqiie,  ni  très  clair; 
mais  le  désir  qu’il  éveille  de  lire  les  mémoires  d’Herschel  est 
excellent  : on  y trouvera  plaisir  et  profil. 

Ce  que  l’on  disait  du  mouvement  de  la  Terre  au 
XIV“  siècle  (1).  — « Les  historiens  de  la  science  et  ceux  de  la 
philosophie  ont  trop  longtemps  représenté  le  moyen  âge,  faute 
de  l’avoir  étudié,  comme  une  èrt'  d’indifférence  scientifique, 
comme  une  ahdicatioii  de  la  raison  humaine,  comme  une  longue 
nuit  sans  étoiles.. . 

« Les  admirahles  éludes  historiques  de  M.  Didiem  ('2)  sont 
venues,  au  prix  d’un  inlassable  labeur,  faire  justice  de  cette 
légende...  C’est,  pour  toute  une  époque,  l’histoire  des  origines 
scientifiques  et  des  théories  philosophicpies  entièrement  renou- 
velée )). 

Copernic,  Calilée  et  même  Léonard  de  Vinci  ont  eu,  au 
xiv'=  siècle,  surtout  au  sein  de  rCniversité  de  Paris,  des  « précur- 
seurs » de  grand  mérite. 

« .Vu  premier  rang,  parmi  ces  bons  ouvriers,  .M.  Duhem  a très 
justement  distingué  : .lean  Huridan,  l’inspirateur  de  Léonard  de 
Vinci  et  de  (ialilée,  l’im  des  fondateurs  authentiques  de  la 
dynamique  moderne;  .Nicole  Oresme  ([ui  près  de  deux  siècles 
avant  Copernic,  soutient  avec  une  inébranlable  fermeté  la  possi- 
bilité de  la  rotation  de  la  terre,  et  ([ui,  trois  siècles  avant 
Descartes,  imagine  et  a[)pli(|iie  la  théorie  des  coordonnées. 

» Malheureusement,  iioui  suit  le  H.  P.  Hulliot,  leurs  écrits  sont 
presque  introuvables.  niieh|ues  rares  exemplaires  des  œuvres 
imprimées,  jalousement  conservés  par  les  grandes  bihlio- 
thè([ues;  pour  le  reste,  c’est-à-dire  [(our  une  part  très  considé- 
rable, encore  inédite,  des  manuscrits  en  petit  nombre,  dispersés 
par  toute  l’Lurope  : et  c’est  tout.  Pour  remédier,  dans  la  faible 
mesure  de  nos  forces,  à celle  extrême  pénurie,  pour  faciliter 
aux  maiires  de  l’enseignement  chrétien,  ainsi  qu’aux  éiaidils. 


(I)  .1.  Ilulliol,  Jean  liin  iilan  et  le  inoueeinent  de  la  Terre,  (luextîon  ‘22’'  du 
xecond  livre  du  v.  De  6V/o»;ilans  la  Uevce  de  I’iulosoi'Hie,  XI V®  aiini'o, 
11"  7,  1 jiiillel  1914,  PI).  5-'2i. 

(:2)  Tc.s  Drif/ines  de  la  Stali(iiie,  dans  la  Iîevue  des  Questions  scient. 
Oflol)i-e  liH)!}  à jnillel  I90();  tii-és  à jiart,  2 vol.,  Paris,  \ tlermaim.  - ÊIndea 
sur  Leonard  de  t inci,  3 vol.,  Paris,  ,V.  Hermann,  I90H-I9I3.  — Le  Sj/slènie 
du  Monde.  “2  vol.  parus,  l*aris,  A.  Hermann,  1913-1914.  - .\rtirles  sur  le 
Mouvement  absolu  el  le  Mouvement  relatif,  sur  le  Temps  et  le  Mouvement 
chez  les  Scolastiques,  dans  la  Hevue  de  Piui.osorniE,  etc. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


343 


curieux  des  origines  de  nos  sciences,  l’accès  de  celte  scolasti(iue 
inconnue,  nous  avons  projeté  de  commencer  à partir  d’octobre 
prochain,  avec  l’aide  d’un  collaborateur  également  dévoué  à 
leur  mémoire,  la  publication  des  œuvres  les  plus  importantes 
d’Oresme  et  de  Huridan. 

))  Mous  otlVons  aujourd’hui  aux  lecteurs  de  la  Uevue  ue  Philo- 
sophie la  primeur  d’un  des  chapitres  les  plus  curieux  d’un 
commentaire  inédit  du  De  Cælo.  Buridan  y traite  avec  ampleur 
la  question,  déjà  très  débattue  de  son  temps,  du  mouvement  de 
la  terre.  11  y prend  encore  parti,  il  est  vrai,  pour  l’immobilité 
relative  de  la  terre,  à cause  des  nombreuses  attaches  de  cette 
thèse  avec  l’ensemble  de  l’aristotélisme  ; mais  du  moins  est-il 
loin  de  méconnaître  la  valeur  des  raisons  qui  militent  en  faveur 
de  la  thèse  opposée. 

» Cette  discussion  d’ailleurs  met  en  lumière  un  lait  historique 
de  haute  importance  déjà  signalé  par  M.  Duhem.  Elle  montre 
combien,  au  milieu  du  xiv‘‘  siècle,  le  problème  du  mouvement 
de  la  terre  était  ardemment  et  librement  discuté  par  des  hommes 
d’Eglise  au  sein  et  autour  de  l’Eniversité  de  Paris.  » 

Nous  empruntons  à Buridan  les  pas.^ages  suivants  : 

Contre  l’immobilité  de  la  terre,  dit-il,  on  argumente  ainsi  — 
suivent  quatre  rai,sons  à priori.  — Le  problème  est  ardu,  pour- 
suit-il.  11  y a,  en  ell'et,  plusieurs  dilficultés  sérieuses  — il  en 
propose  brièvement  trois,  et  insiste  sur  la  quatrième  : 

4"  Entin  la  théorie  d’après  laquelle  la  tei're  se  meut  en  cercle 
autour  de  son  centre  et  sur  ses  propres  pôles,  peut-elle  se  conci- 
lier avec  les  phénomènes  que  nous  percevons'?  El  c’est  cette 
dernière  question  que  nous  allons  discuter. 

Beaucoup  ont  tenu  pour  probable  qu’on  peut,  sans  contredire 
à nos  perceptions,  admettre  que  la  lei’re  se  meut  ainsi  en  cercle; 
que  si  l’on  désigne  une  partie  quelconque  de  la  terre,  cette  par- 
tie achève  chaque  jour  une  révolution  ([ni  part  de  l’occicient 
pour  aller  à l’orient,  et  revenir  à l’occident.  Bès  lors  il  faudrait 
admettre  aussi  ((ue  la  sphère  des  étoiles  est  immobile  : c’est  le 
mouvement  de  la  terre  qui  nous  donnerait  le  jour  et  la  nuit,  et 
constituerait  le  mouvement  diurne.  .Xoti'e  cas  serait  pareil  à 
celui  d’un  navigateur  (|ui,  sur  son  vaisseau  en  marche,  se  croirait 
immobile,  et  attribuerait  le  mouvement  à un  autre  vaisseau, 
réellement  en  repos  : car  pour  l’onl  de  l’observateur,  l’impres- 
sion est  la  même,  quel  que  soit  celui  des  deux  navires  qui  se 
meut.  Ainsi,  supposé  cjue  la  terre,  en  nous  portant,  tourne 


344 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


autour  du  soleil,  sans  aucun  doute  le  soleil  se  lèverait  et  se  cou- 
cherait pour  nous  tout  aussi  bien  que  si  nous  sommes  immobiles 
et  le  soleil  en  mouvement. 

Cependant,  si  cette  sphère  des  étoiles  est  immobile,  il  faut 
absolument  accorder  que  les  sphères  des  planètes  sont  en  mou- 
vement ; car  autrement  les  planètes  ne  changeraient  pas  de 
position  les  unes  par  rapport  aux  autres  et  relativement  aux 
étoiles  fixes.  Aussi  a-t-on  émis  l’hypothèse  que  toute  sphère 
planétaire  .se  meut  comme  la  terre,  de  l’occident  à l’orient; 
mais,  comme  le  cercle  de  la  terre  est  plus  petit,  son  mouve- 
ment circulaire  s’achève  en  moins  de  temps  ; de  même  la  lune 
met  moins  de  temps  que  le  soleil  à parlaii’e  son  cercle,  et  ainsi 
de  suite  ; de  telle  sorte  que  la  révolution  de  la  terre  s’opère  en 
un  jour  naturel,  celle  de  la  lune  en  nn  mois,  celle  du  soleil  en 
nn  an.  Il  est  incontestable  (pie  si  les  choses  se  pas.saient  ainsi, 
notre  perception  du  ciel  serait  quand  même  exactement  ce 
qu’elle  est. 

Ceux  (pii  soutiennent  cette  opinion  ajoutent  en  sa  faveur  — 
peut-être  pour  le  plaisir  de  discuter  — (pielques  raisons  de 
convenance  — Huridan  en  cite  ciiui,  puis  il  conclut  ; 

Kt  cependant  cette  théorie  n’est  pas  acceptable,  d’abord  parce 
qu’elle  a contre  elle  l’autorité  d’.Vristote  et  de  tons  les  astro- 
nomes. Il  est  vrai  ([ue  ses  délênsenrs  répondent  : l’autorité  ne 
fait  pas  preuve  ; et  d’ailleurs  il  siiHit  aux  astronomes  de  sauver 
les  apparences,  (pi’elles  correspondent  on  non  <à  la  réalité  ; 
comme  elles  se  trouvent  sauvegardées  dans  les  deux  théories, 
ils  peuvent  choisir  à leur  gré. 

D’autres  l'aisonnent  ainsi  d’a[)rés  les  témoignages  de  nos  sens: 
D’abord  les  sens  nous  attestent  (pie  les  étoiles  se  meuvent  de 
l’orient  à l’occident.  — On  leur  répond  (pie  l’apparence  serait  la 
même  si  les  étoiles  étaient  immobiles  et  la  terre  en  mouvement 
de  l’occident  à l’orient. 

D’antre  part,  disent-ils,  il  semble  que  si  la  terre  était  animée 
d’nn  mouvement  très  rapide,  nous  devrions  sentir  une  violente 
résistance  de  l’air,  tout  comme  le  cavalier  sur  son  cheval  qui 
riunporte  dans  une  course  rapide.  — Mais  on  leur  réplique  que 
la  terre,  et  l’eau,  et  l’air  des  régions  inférieures  sont  enlrainés 
ensemble  dans  le  mouvement  diurne,  ce  qui  snllit  à expliquer 
pourquoi  nous  n’éprouvons  pas  la  résistance  de  l’air. 

Suivant  les  données  de  nos  sens,  le  mouvement  local  produit 
de  la  chaleur  ; si  la  terre  se  mouvait  rapidement,  elle  devrait 
s’échaulfer  rapidement,  et  nous  avec  elle.  — On  répond  que  le 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


345 


mouvement  n’échaufîe  que  par  le  IVottement  des  corps,  ou  par 
leur  broiement  ou  par  leur  désagrégation,  ce  qui  n’a  pas  lieu 
dans  l’espèce,  puisque  l’air,  l’eau  et  la  terre  se  meuvent  tous 
ensemble. 

Eiilin  un  dernier  pbénomène,  signalé  par  Aristote,  est  plus 
démonstratif  ; la  tiècbe  lancée  verticalement  par  l’arc  retombe 
ensuite  au  même  lieu  de  la  terre  d’où  elle  est  partie;  il  n’en 
serait  pas  ainsi  si  la  terre  se  mouvait  avec  tant  de  rapidité, 
mais  avant  la  cbute  de  la  llèche,  la  partie  de  la  terre  d’où  elle  a 
été  lancée  se  trouverait  transportée  tà  une  lieue  de  distance.  — 
L-à  encore  on  veut  répondre  qu’il  en  est  ainsi  parce  que  l’air, 
entraîné  dans  le  même  mouvement  que  la  terre,  emporte  la 
flèche  avec  lui,  quoique  la  flèche,  à en  juger  par  notre  percep- 
tion, ne  paraisse  animée  que  d’un  mouvement  vertical,  le  mou- 
vement qu’elle  partage  avec  l’air  n’étant  pas  perceptible. 

Mais  cette  échappatoire  est  insuflisante,  car  le  violent  élan 
ascensionnel  de  la  flèche  opposerait  une  résistance  au  mouve- 
ment latéral  de  l’air,  de  telle  sorte  que  sa  propre  translation 
latérale  serait  moindre  que  celle  de  l’aii'  ; de  même  que  par  un 
vent  violent,  une  flèche  lancée  par  l’arc  n’est  entraînée  dans  le 
mouvement  latéral  de  l’air  qu’avec  une  vitesse  inférieure  à celle 
du  vent. 

Ici,  remarque  le  U.  P.  Bulliot,  Buridan  aurait  sans  doute 
conclu  tout  autrement  s’il  avait  su  utiliser  ce  qu’il  a si  claire- 
ment formulé  lui-même  dans  les  passages  suivants  de  sa 
Physique  : « Tandis  que  le  moteur  meut  le  mobile,  il  lui  imprime 
un  certain  impetus,  une  certaine  puissance  capable  de  mouvoir 
ce  mobile  dans  la  direction  même  où  le  moteur  meut  le  mobile, 
que  ce  soit  vers  le  haut,  ou  vers  le  bas,  ou  de  côté,  ou  circu- 
lairement...  On  pourrait  dire  que  Dieu,  lorsqu’il  a créé  le  monde, 
a mû  comme  il  lui  a plu  chacun  des  orhes  célestes  ; il  a imprimé 
à chacun  d’eux  un  impetus  qui  le  meut  depuis  lors...  Ces 
impetus,  que  Dieu  a imprimés  aux  corps  célestes,  ne  se  sont  pas 
affaiblis  ni  détruits  dans  la  suite  du  temps,  parce  qu’il  n’y  avait 
en  ces  corps  célestes,  aucune  inclination  vers  d’autres  mouve- 
ments, et  ([u’il  n’y  avait  non  plus  aucune  résistance  qui  pùt 
corrompre  et  réprimer  ces  ivipetus  (1).  » 

A cette  expérience  (cum  ista  experientia),  poursuit  Buridan, 


(1)  Questiones  octavi  libri  physicorum,  duodecima  qe.ustio.  Cité  et  traduit 
par  .M.  üuheni,  dans  Études  sur  Léonard  de  Vinci,  IIP  série  : Les  précur- 
seurs parisiens  de  Galilée,  Paris,  A.  Hermann,  1913,  p.  42. 


346 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


joignez  quelques  raisons  pi’obables.  Il  en  donne  deux,  répond 
aux  arguments  des  partisans  du  inouvernent  de  la  Terre,  el 
examine  les  diüicultés  qu’ils  opposent  à l’opinion  contraire. 
■Manifestement,  c’est  « l’expérience  » de  la  lléche  surtout  qui  le 
fait  pencher  vers  l’immobilité  de  la  Terre. 

Nicole  Oresme,  contemporain  de  Huridan,  avec  qui  il  était  en 
relation,  fut  plus  clairvoyant  (J).  11  avait  composé  en  français, 
un  Traicté  de  l’Espère  (de  la  Spbère),  quand  « très  excellent 
Prince  Charles  (juini  de  ce  nom,  par  la  grâce  de  Dieu  Roy  de 
France  »,  le  chargea  de  traduire  et  de  commenter  ([uelques-uns 
des  écrits  d’.Vristote.  11  donna,  entre  autres  traités  qui  lurent 
imprimés  au  xvU  siècle,  la  traduction,  avec  commentaires,  des 
quatre  livres  Dit  Ciel  et  du  .l/ondc  d’.Vristote  ; cette  traduction 
n’a  pas  été  imprimée,  mais  on  en  pos.sède  diverses  copies 
manuscrites. 

Au  second  livre  du  De  Coelo,  Aristote  établit  que  la  Terre 
demeure  immobile  au  milieu  du  monde.  .Vprès  avoir  traduit  et 
« glousé  » les  raisons  qu’il  en  donne,  Oresme  fait  connaître  sa 
propre  opinion.  File  tient  dans  ces  trois  [)iopositions  : 

J.  One  l’on  ne  pourrait  prouver  par  quelconque  expérience 
(|ue  le  Ciel  soit  meu  de  mouvement  journal  et  la  Terre  non. 

2.  (Jue  ce  ne  pourrait  estre  prouve  par  raison 

R.  Plusieurs  belles  persuasions  à montrer  que  la  Terre  est 
meue  de  mouvement  journal  el  le  Ciel  non. 

Après  avoir  montré  très  clairement,  comme  nous  avons  vu 
plus  haut  que  le  faisait  Biu  idan,  ({ue  l’experience  ne  peut  donner 
un  sens  précis  à la  question  : (ju’est-ce  qui  est  immobile,  qu’est- 
ce  ([ui  se  meut,  de  la  terre  ou  du  ciel,  parce  que  se  mouvoir  ou 
être  immobile  sont  des  termes  tout  relatifs,  il  passe  « à la  tierce 
expérience,  ([ui  semble  plus  forte,  delà  .saecte (llèche)  ou  pierre 
jetée  en  haut,  etc. 

11  faut  dire  ce  que  la  saecb;  traicte  en  haut,  ouvecques  ce  trait, 
est  meue  vers  orieut  très  isvelment  (rapidement)  ouvecques 
l’aer  par  my  lequel  elle  pas.se  et  ouvecques  toute  la  masse  de  la 
basse  partie  du  monde  devant  signée  qui  est  meue  de  mouve- 
ment journal  ; et  pom-  ca  la  saecte  rechiet  au  lieu  de  terre  dont 
elle  est  partie. 

Et  telle  chouse  appert  possible  par  semblable,  car,  si  un 


(1)  P.  Duhein,  t'n  précurseur  français  de.  Copernic  : Nicole  Oresme  ( 1377). 
dans  la  llEVUE  génér.cle  des  Sciences  pures  et  appliquées,  20®  année, 
1909,  pp.  806-873. 


RKVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


347 


homme  esloil  en  une  naif  meue  vers  orient  très  isvelment  sans 
ce  qu’il  apperceust  ce  mouvement,  et  il  troit  sa  main  en  descen- 
dant et  en  descrivant  une  droite  ligne  contre  le  maast  de  la 
nail,  il  lui  semblerait  que  sa  main  ne  leust  meue  fors  de  mou- 
vement droit;  et  ainsi,  selon  reste  oppinion,  nous  semble  de 
la  saecte  qui  descend  ou  monte  droit  en  bas  ou  en  haut. 

Item,  dedans  la  naif  ainsi  meiuî  comme  dit  est,  peuvent 
etre  mouvements  du  long,  du  travers,  en  haut,  en  bas,  en 
toutes  maniérés,  et  semblent  estre  du  tout  comme  si  la  nail 
reposas!.. . 

Et  il  arrive  ainsi  au  principe  de  la  « Composition  ou  mixtion 
de  mouvements  d. 

Oresme  passe  tà  sa  seconde  proposition  et  rétorque  les  argu- 
ments à jormr?  que  l’on  apporte  pour  prouver  l’immobilité  de 
la  Terre  ; citons  celui-ci  : 

Au  Ouint,  ou  est  dit  que,  si  le  Ciel  ne  faisait  un  circuit  de 
jour  en  jour,  toute  astrologie  serait  faulse  etc.,  je  dis  que  non, 
car  tous  regars,  toutes  conjonctions,  toutes  oppositions,  con- 
stellacions,  ligures  et  inlluences  du  Ciel  seraient  auxi  comme  ils 
sont  du  tout  en  tout,  si  comme  il  appert  par  ce  que  fut  dit  en  la 
reponce  de  la  première  expérience.  Et  les  tables  des  mouve- 
ments, et  tous  autres  livres  auxi  vrais  comme  ils  sont,  fors  tant 
seulement  que  du  Ciel  selon  apparence  et  en  Terre  selon  vérité; 
et  ne  s’ensuit  autre  effet  de  l’un  plus  que  de  l’autre. 

Parmi  les  « belles  persuasions  à montrer  que  la  Terre  est 
meue  de  mouvement  journal  et  le  Ciel  non  »,  il  en  est  de  plai- 
santes ; elles  répondent  du  tic  au  tac  aux  belles  persuasions  que 
ses  adversaires  apportaient  en  faveur  de  la  thèse  conti-aire  ; 

Auxi,  à parler  familièrement,  comme  la  cbouse  qui  est 
roustie  au  feu  reçoit  environ  elle  la  chaleur  du  feu  pour  ce  que 
elle  est  tournée,  et  non  pas  pour  ce  que  le  feu  soit  tourné 
environ  elle... 

» Item,  en  signe  que  repos  vault  mieux,  nous  prions  pour  les 
mors  que  Dieu  leur  donne  repos  ; Requiem  aeteniam  etc....  » 

Et  Oresme  conclut  ; « Considéré  tout  ce  que  dit  est,  on  pour- 
rait par  ce  croire  que  la  Terre  est  ainsi  meue  et  le  Ciel  non  ; et 
n’est  pas  évident  du  contraire.  » 

Quand  on  lit  ce  que  Copernic  a écrit  pour  établir  la  possibilité 
et  la  vraisemblance  du  mouvement  diurne  de  la  terre,  remarque 
M.  Duhern,  « on  est  frappé  des  analogies  qui  rapprochent  la 
pensée  du  chanoine  de  Thorn  de  celle  de  l’évêque  de  Lisieux  ; 
volontiers  on  prendrait  les  chapitres  du  De  Revolulionihus 
Orbium  coelexlium  pour  un  résumé,  trop  concis  et  quelque  peu 


3i8 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIEIQUES 


obscur,  de  ceux  que  nous  avons  trouvés  au  Traité  du  Ciel  et  du 
Monde  ». 

Les  passages  que  nous  avons  cités  des  écrits  de  Buridan  et 
d’Oresme  n’en  donnent  qu'une  idée  très  incomplète  ; il  laut  les 
lire  en  entier,  celui  d’Oresme  surtout,  qu’il  est  intéressant  de 
comparer  aux  G.  Vil  et  VIII  du  De  Revolutionibus  de  Copernic. 

Parmi  les  objections  que  Ptolémée  oppose  à l’bypotbèse  de  la 
rotation  de  la  Terre,  il  en  est  une  qui  a dii  lui  sembler  très 
séi  ieuse  et  peut-être  sans  réplique  : 

Si  la  Terre  tournait  en  vingt-quatre  heures,  dit-il,  les  points 
de  sa  surface  seraient  animés  d’une  vitesse  énorme  et,  de  leur 
rotation  naîtrait  une  i'orcc  de  projection  capable  d’arracber  de 
leurs  fondements  les  édilices  les  plus  solides  et  de  disperser 
leurs  débris  dans  les  airs  ( I). 

Copernic  crut  pouvoir  tout  concilier  par  une  distinction  qu’il 
emprunte  cà  Aristote  : qui  admet  la  rotation  de  la  Terre,  dit-il, 
admet  aussi  que  ce  mouvement  est  naturel,  produit  par  sa 
nature  même;  on  ne  peut  donc  assimilei’  ses  effets  <à  ceux  du 
mouvement  violent  de  la  roue  qu’une  force  extérieure  a lancé. 

Buridan  n’eût  pas  admis  cette  distinction  ; pour  lui  le  mouve- 
ment naturel  de  la  Terre  est  rectiligne  ; si  ft  la  ligure  sphérique 
convient  aux  corps  auxquels  est  dû  un  mouvement  circulaire, 
elle  convient  aussi  à un  corps  naturellement  immobile  au  centre 
d’un  .système.  » — Oresme  eût,  sans  doute,  répondu  comme  le 
lit  plus  tard  Copernic  ; mais  ni  Buridan  ni  Oresme  ne  rencontrent 
l’objection  de  Ptolémée. 

N.  N. 


(1)  l/ol)jection  repose  sur  une  confusion  que  les  vrais  principes  de  la 
mécanique  pouvaient  seuls  dissiper.  Il  faut  distinguer,  dans  un  corps  (jui 
tourne,  la  vitesse  absolue  v des  points  situés  à sa  surface,  et  la  vitesse  angu- 
laire u)  de  la  rotation,  l.a  force  projective,  qu’invoque  Ptolémée,  et  que  nous 
nommons  force  centrifuge,  a pour  expression  à l’Équateur,  oii  elle  est  la  plus 

U"  V 

grande,  j,,  li  étant  le  rayon  équatorial  de  la  Terrt'  ; or  on  a u»  = gî  d’où 


=^i)  = ujr,  ou  encore  uu'qt.  Il  est  vrai  que  r est  très  grand,  mais  eu  est 

extrêmement  petit  : la  moitié  de  la  vitesse  angulaire  de  l’aiguille  des  heures 
qui  fait  deux  fois  le  tour  du  cadran  en  '2i  heures.  En  poussant  le  calcul  à 
bout,  on  voit  que  cette  force  de  projection  diminue  le  poids  des  corps,  à 
l’Équateur,  de  3 grammes  environ  par  kilogramme.  .Mais  ce  calcul  (léi)assait 
de  beaucoup  les  connaissances  mécaniques  de  Copernic  et  même  de  Galilée. 


s.  s.  LE  PAPE  BENOIT  XV 


Lorsqu’au  mois  de  Juillet  de  l’amiée  dernière  la 
Revue  des  Questions  scientifioues  publiait  sa  der- 
nière livraison,  rien  n’annonçait  encore  le  deuil  qui, 
peu  de  semaines  plus  tard,  allait  atteindre  l’Eglise  en 
la  personne  de  son  chef  suprême.  Sa  Sainteté  le 
Pape  Pie  X.  Rien  non  plus  ne  permettait  de  prévoir 
les  tragiques  circonstances  qui  nous  empêcheraient 
de  saluer  l’avènement  de  son  successeur.  Depuis  lors, 
les  mois  ont  succédé  aux  mois;  le  monde  catholique 
s’est  habitué  à répéter  le  nom  de  Benoît  X^^,  et  il 
est  maintenant  trop  tard  pour  venir  dire  sur  quoi 
se  fondaient  les  espérances  que  ce  nom  a fait  naître 
et  qui  ont  déjà  reçu  un  premier  accomplissement. 

Celui  qui,  avant  de  monter  sur  le  siège  de  S.  Pierre, 
devait,  pendant  quelques  mois  à peine,  s’appeler  le 
Cardinal  Giacomo  délia  Chiesa,  naquit  à Pegli,  dans 
le  diocèse  de  Gênes,  le  2i  novembre  185L  Ordonné 


11 


prêtre  le  2i  décembre  1878,  élevé  peu  de  temps 
après  aux  honneurs  de  la  prélature  romaine,  il  rem- 
plit, de  1883  à 1887,  les  fonctions  de  secrétaire  de 
la  Nonciature  à Madrid.  Rapjielé  ensuite  à Rome, 
il  entra  aussitôt  à la  Secréta irerie  d’Etat,  où  le  car- 
dinal Rampolla  se  l’attacha  comme  secrétaire  parti- 
culier. Durant  }U‘ès  de  dix-sept  années,  il  fut  le 
collaborateur  et  le  confident  de  l’illustre  cardinal, 
([ui  fut  lui-mème  associé  si  activement  au  gdorieux 
pontificat  de  Léon  XIII.  Dès  cette  époque,  des  esprits 
avisés  se  plaisaient  à dire  que  l’on  verrait  un  jour 
Mgr  délia  Chiesa  jouer  un  rôle  agrandi  dans  une 
situation  plus  élevée.  Ces  prévisions  semblèrent 
d’abord  mises  en  défaut,  quand  au  conclave  d’août 
1U03,  la  dij)lomatie  austro-hongroise  eut  opposé  son 
véto  à l’élection  du  cardinal  Rampolla  au  trône  pon- 
tifical. En  réalité,  les  événements  avaient  conspiré 
})Our  préparer  Mgr  délia  Ghiesa  à sa  mission  future. 
En  décembre  1907,  il  ({iiittait  la  chancellerie  Apos- 
tolique pour  le  siège  archiépiscopal  de  Bologne  devenu 
vacant  par  la  mort  du  cardinal  Svampa.  Les  sept 
années  qu’il  passa  dans  l’administration  de  cet  impor- 
tant diocèse  lui  donnèrent  de  connaître  j>ar  expérience 
toutes  les  nécessités  du  ministère  pastoral.  Aussi, 
lorsqu’au  mois  de  mai  de  l’année  191 1,  il  reçut  la 
poutqire  romaine,  dans  le  dernier  consistoire  du  pape 
Pie  X,  son  élévation  ne  laissa  jias  de  provoquer  un 
mouvement  d’attention  chez  ceux  qui  se  rappelaient 
l’ancien  secrétaire  du  cardinal  Rampolla.  Moins  de 


III 


quatre  mois  après,  le  Sacré-Collège,  dans  les  rangs 
duquel  il  venait  à jieine  d’entrer,  l’appelait  au  gou- 
vernement de  l’Eglise. 

La  Société  scientifique  de  Bruxelles  dé])Ose  aux 
pieds  de  Sa  Sainteté  Benoît  rhommage  de  son 
]>lus  profond  i*espect  et  de  son  filial  dévouement. 


-Vf' 


• -'I 


h - * ^ .itri^J  ItM  f rMîîTj^^î'  ■ 1 

''■■Cifeiw  fil' 't%;îaiM<wf O'^' 


««■»jv4.  ■ I'*.  wj  U;i;im"  ■*('’•:'*•  j#i^ ■ **"ilu»n! 


B-*? 


X<i).’t 


->  "»  J ‘ .■.-',1^ 


■rV  -to'-i 


1 1 1. 


r.-v- 


■■  ■ ' 

..  ^r<|iyii|^[jTiÀ  i*'i  ^‘i 
‘‘•--  ^0(53®  içflUfcji 

. . . ■ • j ■ ^':  " ’ •'  ' I ï j *'4® ■ 

* ' ■'  “ ''  ' ti 

k : •ï*' 

|i^.î^  nV  J I -‘ ‘'ni  ' A ,j 

î«>  * 'iÿ  ^ '•4  U I^^l'  ,V 

|ÿ  ..,.  i«|  V*  jîl  . 

•'  -**■  iiii-i^.lf  ■«iliiK’  o»îüX 

ü-  1 _ " ' ' -'Ai  _ 


L’Astroloaie  au  Moyen  Age 

C_  *J  c y 


Au  Moyen  Age,  ([ue  pensait-on  de  l’Astrologie  ? 
Avant  de  tenter  de  donner  la  moindre  réponse  à cette 
question,  il  convient  de  circonscrire  la  trop  large  indé- 
termination que  comporte  le  mot  : on. 

Que  pensaient  de  l’Astrologie  tous  ceux,  nobles  ou 
vilains  qui,  n’étant  ])as  clercs,  se  trouvaient  livrés, 
par  leur  ignorance,  aux  plus  ridicules  excès  de  la 
superstition  ? 

Que  pensaient  de  l’Astrologie  les  charlatans  qui 
vivaient  de  cette  prétendue  science,  en  dupant  les  gens 
crédules  l 

(Jue  pensaient  enfin  de  l’Astrologie  les  hommes 
versés  dans  la  Science  et  accoutumés  à la  réflexion, 
les  philosophes  et  les  théologiens  l 

Telles  sont  les  trois  formes  que  peut  prendre,  en  se 
précisant,  la  question  que  nous  avons  posée  tout 
d’abord. 

De  multiples  raisons,  au  premier  rang  desquelles  se 
doivent  placer  la  rareté  et  l’imprécision  des  documents, 
nous  engagent  à délaisser,  sans  essayer  d’y  répondre, 
les  deux  premières  questions.  La  troisième  seule  nous 
retiendra.  Nous  nous  contenterons  de  retracer  l’ensei- 
gnement que  les  esprits  les  plus  éminents  du  Mo}'en 
Age  ont  donné  tout  haut  de  l’Astrologie  ; encore  res- 
treindrons-nous notre  enquête  en  interrogeant  presque 
exclusivement  les  savants  qui  ont  professé  à Paris  ou 
qui  ont  subi  l’influence  de  l’Université  parisienne. 

L’histoire  que  nous  nous  proposons  de  retracer 
III'  SÉRIE.  T.  XXVI.  “23 


350 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


crune  manière  extrêmement  sommaire  peut  se  diviser 
en  deux  périodes. 

Durant  une  première  période,  qui  s’étend  du  milieu 
du  xiD  siècle  au  milieu  du  xiv®  siècle,  les  docteurs  ne 
songent  guère  à contester  aux  astrologues  le  pouvoir 
de  deviner  l’avenir  pai*  l’examen  des  constellations  ; 
mais,  chrétiens  orthodoxes,  ils  se  contentent  de  borner 
la  portée  de  cette  divination  et  de  lui  soustraire  tout 
présage  incompatible  avec  le  libre  arbitre  de  rhoinme. 
Cette  première  période  est  donc  consacrée  à la  consti- 
tution d’une  Astrologie  chrétienne. 

C’est  seulement  dans  la  seconde  période,  après  le 
milieu  du  xiv^  siècle,  que  nous  vo}’ons  surgir  des 
Adversaires  de  V Astrologie.  Ceux-ci,  s’autorisant  du 
bon  sens,  contestent  ou  dénient  à l’art  Judiciaii-e 
l’aptitude  à prédire  les  événements  à venir,  même 
dans  les  circonstances  où  ces  prédictions  ne  contre- 
viendraient en  rien  à la  doctrine  chrétienne. 


I^REMIÉRE  PARTIE 


L'Astrologie  chrétienne 

§ L — ABOI’  MASAR  ET  l/lIORUSCOPE  DES  RELIGIONS 

Les  principes  sur  lesquels  il  avait  établi  sa  Dyna- 
mique conduisaient  Aristote  à ce  corollaire  : chaque 
orbe  céleste  est  mû  par  une  intelligence  séjiarée  de  la 
matière.  Eternelle  et  immualile,  cette  intelligence  ne 
peut  être  qu’un  Dieu.  Ainsi,  la  Physique  péripatéti- 
cienne justitiait  la  seule  religion  que,  déjà,  Platon 
regardât  comme  véritable,  la  religion  qui  adore  les 
astres.  Après  Aristote,  les  diverses  écoles  néo-jdatoni- 
ciennes  avaient  continué  de  regarder  comme  divines 
aussi  I)ien  les  sphères  célestes  que  les  intelligences  et 


L ASTROLOGIE  AU  MOYEN  AGE 


351 


les  àines  qui  président  à leurs  mouvements  ; tout  au 
plus,  ceux  des  Xéo-platoniciens  auxquels  rislamisme, 
le  Judaïsme  ou  le  Christianisme  avaient  enseigné  qu'il 
nV  a qu’un  Dieu,  consentaient-ils  à ramener  au  rang 
d’anges  les  intelligences  et  les  âmes  qui  meuvent  les 
orbes. 

En  même  temps  qu’elle  divinisait  les  moteurs  des 
cieux.  la  Physique  péripatéticienne  trouvait,  dans  les 
révolutions  uniformes  et  éternelles  des  orlies,  les 
causes  de  toutes  les  générations,  de  toutes  les  destruc- 
tions, de  tous  les  changements  qui  se  produisent  dans 
la  cavité  circonscrite  par  la  sphère  de  la  Lune;  elle 
déclarait  que  tout  ce  qui  se  passe  dans  le  monde 
inférieur  est  produit  et  déterminé,  d’une  manière 
nécessaire,  par  les  circulations  du  monde  supérieur  : 
en  même  temps  que  l’Astrolâtrie,  Aristote  Justifiait 
l’Astrologie.  Les  diverses  philosophies  qui  avaient 
succédé  au  Péripatétisme,  le  Stoïcisme  aussi  bien  que 
le  Xéo-platonisme,  s'étaient,  d’ailleurs,  empressées  de 
recueillir  cet  héritage  aristotélicien,  et  de  soumetti’e 
toutes  les  choses  de  la  région  sulilunaire  à l’infiexihle 
destinée  dont  les  mouvements  des  astres  promulguent 
les  lois. 

Après  avoir  ébranlé  les  fondements  de  la  Dynamique 
péripatéticienne,  après  leur  avoir  substitué  des  prin- 
cipes dont,  un  jour,  découlera  la  mécanique  moderne, 
la  Physique  parisienne  du  xiv®  siècle  était  pai’venue  à 
chasser  des  cieux  les  intelligences  qu’Aristote  y avait 
introduites.  Mis  en  branle  par  Dieu  au  jour  de  la 
création,  disait-elle,  les  corps  célestes  se  meuvent, 
depuis  ce  temps,  comme  se  meut  la  toupie  que  l’enfant 
a lancée  ou  l’horloge  que  l’homme  a montée.  La  nou- 
velle science  du  mouvement  avait  enfin  débarrassé  la 
Philosophie  des  restes  de  l’Astrolàtrie  hellénique. 

Restait  à la  débarrasser  de  l’Astrologie. 

C’était  une  rude  besogne  qu’il  fallait  accomplir. 


352 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(Contre  l’Astrologie,  les  Pères  de  l’Église  avaient 
mené  un  combat  acharné  ; aussi,  tant  que  les  Écoles 
(lu  Moyen  Age  avaient  demandé  au  seul  enseignement 
})atristique  d’inspirer  leur  philosophie,  les  doctrines  de 
l’art  généthliaque  étaient-idles  demeurées  exclues  de 
la  Science  ; le  vulgaire  seul  donnait  dans  l’Astrolooie. 

En  978,  par  exemple,  Helpéric  semble  regarder 
avec  quelque  mépris  les  astrologues,  ceux  qui  traitent 
du  hasard,  tractatores  hasartis,  comme  il  les 
nomme  (i).  Ses  considérations  sur  les  signes  du  Zo- 
diaque ne  présentent  aucune  trace  de  superstition 
asti-ologique. 

Au  milieu  du  xii''  siècle,  Guillaume  de  Couches  lit 
déjà  Julius  Firmicus  et  un  traité  astrologique  de  Pto- 
lémée,qui  est  vraisemblablement  la  TerpàpipXioçcrûvTaEiç. 
Ces  écrits  sont,  pour  lui,  ceux  où  l’on  parle  des  corps 
du  Ciel  suivant  la  méthode  qu'il  nomme  astronomique, 
ceux  où  l’on  révèle  la  nature  véritable  de  ces  corps, 
([u'elle  apparaisse  ou  non,  « dicere  ea  de  illis  quœ  sunt, 
sioe  lia  zideatur^  sive  mm  » (2).  Il  entend,  par  là, 
([u’on  y établit  les  propriétés  physiques  réelles  de 
chaque  astre,  qu’on  \ examine  s’il  est  chaud  ou  froid, 
sec  ou  humide. 

Cette  connaissance  qui  constitue,  selon  lui,  l’Astro- 
nomie, il  ne  la  regarde  pas  comme  la  suite  de  s])écula- 
lions  métaphysiques  sur  la  substance  céleste,  sur  les 
intelligences  ou  les  âmes  qui  la  meuvent,  sur  l’influence 

( I)  ljibliothè(]ue  nationale,  fonds  latin,  ms.  n“  1518,  fol.  -i,  v".  Voir  : Seconde 
])artie,  ch.  III,  S VI  ; t.  III. 

i"2)  Philosopliicarum  et  asU  ommirariim  inslituiionuni  Guiliebni  Hivsun- 
(jiensis  ülitn  abbatix,  libri  très,  Ilasilea*  excudebat  llenricus  Petrus,  Mense 
Augusto,  .\nno  MDXX.M,  Lib.  I : (Juot  modis  tractatnr  de  superioribus  ; 
p.  30.  — Venerabilis  liedir  Elementoruiti  Philosophiæ  libri  quuinor,  lib.  II. 
[\’i;xF.RAniLis  llEitÆ  Oi’Eii.x.  .Vccucante  .Migne,  t.  1.  (I’atrolo(;iæ  latinæ, 
t \C)  coll.  Il.sn-11'ilj  — Honora  Avr/usiodunensis  De  PhUosophia  Mimdi 
libri  quatuor.  Lib.  11,  cap.  : Qnot  modis  auctoritas  loquatur  de  superio- 
ribus. (llo.xoRii  Augustodunensis  Opéra,  .\ccurante  Migne.  (Patrülogiæ 
I.ATI.VÆ,  t.  CLXXII)]. 


L’ASTROLÜ(iIE  ATT  MOYEN  AGE 


35M 

qui  en  émane  ; il  veut  qu'elle  soit  une  conquête  do 
l’observation.  Gomment,  par  exemple,  à son  avis,  est- 
on  parvenu  à reconnaître  que  la  planète  Saturne  est 
froide  ? « Voici  comment  les  anciens  astrologues  ont 
prouvé  que  cette  étoile  est  froide  : en  ceidaines  années, 
ils  ont  vu  que  le  Soleil,  alors  qu’ils  le  savaient  dans 
le  signe  du  Cancer,  brûlait  les  terres  moins  que  de 
coutume  ; comme  ils  savaient,  d’ailleurs,  que  cela  ne 
pouvait  provenir  de  la  nature  du  Soleil,  ils  se  sont 
enquis  de  la  planète  qui  était  dans  le  même  signe  que 
le  Soleil;  trouvant  que  c’était  Saturne,  ils  ont  dit  qu’en 
Saturne,  était  une  cause  de  froid.  » 

Ainsi  mises  en  évidence,  les  qualités  phj’siqiies  des 
planètes  donnent  l’explication  des  autres  propriétés  que 
les  astrologues  ont  attribuées  à cés  astres  ; ils  ont  dit, 
par  exemple,  que  Saturne  était  une  planète  nuisible. 
« C’est  à cause  de  sa  froideur  qu’elle  est  dite  nui- 
sible (1)  ». 

Les  fables  des  païens  sur  ces  planètes  divinisées  ne 
sont  que  symboles  des  qualités  physiques  dont  elles 
sont  douées  : «On  dit  (2)  que  Mars  est  le  Seigneui* 
des  combats,  parce  qu’il  confère  chaleur  et  sécheresse, 
qualités  d’oii  provient  le  courage  ; ce  sont,  en  effet, 
les  tempéraments  chauds  et  secs  qui  sont  courageux.  » 
C’est,  de  même,  parce  qu’elle  communique  la  chaleur 
unie  à l’humidité  que  ’Wnus  est  dite  déesse  de  la 
volupté,  car  les  voliqitueux  sont  de  tempérament  chaud 
et  humide. 


(1)  Philosophicarum  et  astronomiccmnn  imtitutionum,  Giiilieimi  Hirsan- 
giemix  olim  abbatis,  libri  très.  Basileæ  exrudebat  Henricus  Petrus,  Meuse 
Augustü,  Aiino  .MDXXXI.  Lih.  I : De  Stella  nociva,  et  Satunio  falcigero, 
p.  36.  — Vencrabilis  Bedæ  Elementorum  Phüosophùp  libri  quatuor,  lib.  II. 
[Vener.\bius  P)Edæ  Oper.x.  Accurante  .Migne,  t.  I (Patrologiæ  l.\tl\.e. 
t.  XC),  col.  1115].  — Honora  A agustodunensis  De  Phitosophia  Mundi  libri 
quatuor.  Lib.  II,  cap.  XVII  ; De  Satunio.  [IloNORii  Augustodunensis  Opéra. 
Accurante  Migne  (P.atrologiæ  LATI^^^;,  t.  CLXXII)  col.  62]. 

(2)  Hirsangiensis,  lib.  I.  De  Marte  tertio  }}lanetarim,  p.  36.  — Beda, 
lib.  11,  col.  1U5.—  Honorius,  lib.  II.  cap.  XIX  : De  Marte  ; col.  63. 


354 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Ainsi  réduite  par  Uiiillaunie  de  Gonches  à n’être 
qu’une  Astronomie  physique,  l’Astrologie  abandonne 
toute  prétention  à la  divination  de  l’avenir  ; en  fait,  le 
TTepi  bibaEéuuv  ne  renferme  pas  la  moindre  allusion  aux 
horoscopes  et  aux  autres  j)ratiques  de  l’art  judiciaire  ; 
la  })rétendue  science  des  généthliaques  demeure 
entièrement  exclue  de  l’encyclopédie  scientifique  com- 
posée par  le  maître  chartrain. 

Cet  exemple  nous  montre  clairement  que  la  raison 
des  Cdirétiens  d’Occident,  ou,  du  moins,  des  plus 
instruits  d’entre  eux,  échaj)pa  à l’emprise  de  la  super- 
stition astrologique,  tant  qu’elle  demeura  étrangère  à 
la  Science  du  monde  hellène  et  du  monde  musulman. 

Il  en  fut  autrement  à partir  du  moment  où  les 
traducteurs  eurent  commencé  de  révéler  à la  Chré- 
tienté latine  ce  qu’on  jiensait  chez  les  Arabes. 

La  pensée  des  sages  de  l’Islam,  en  etfet,  était  toute 
embrumée  de  rêveries  astrologiques  ; l’Astrologie 
s’insinuait  partout,  aussi  bien  dans  les  systèmes  des 
philosophes  que  dans  les  calculs  des  Astronomes  ; à 
dire  vrai,  les  systèmes  des  philoso])hes  semblaient  avoir 
pour  principal  objet  d’assurer  les  principes  de 
l’Astrologie,  et  les  instruments,  les  canons,  les  tables 
des  Astronomes  tendaient  uniquement  à rendre  possibles 
et  aisées  les  opérations  de  cet  art. 

Ces  doctrines  dont  l’art  généthliaque  semblait  le 
couronnement,  envahirent,  au  xii®  siècle,  les  écoles 
chrétiennes  d’Occident.  Avant  que  ce  siècle  fût  au 
milieu  de  son  cours,  Hermann  le  second  adressait  à 
Robert  de  Rétines  sa  traduction  alirégée  de  Vlntro- 
ductorinm  in  Astroaomiani  où  Abou  Masar  avait 
exposé  tous  les  ju’incijies  essentiels  de  la  fausse  science 
astrologique. 

L’Astrologie,  telle  que  la  présentait  Abou  Masar, 
n’invoquait  plus  le  fatalisme  rigide  et  absolu  dont  se 
réclamaient  les  doctrines  des  Stoïciens  et  des  Chai- 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


355 


déens;  elle  ne  supposait  plus  le  déterminisme,  négateur 
de  toute  liberté,  dont  s’indignaient  les  Pères  de  l’Eglise. 
Albumasar,  nous  l’avons  vu  (1),  admettait  qu’il  y eût, 
parmi  les  choses  à venir,  des  effets  contingents,  dont  la 
production  ou  la  non  existence  résulterait  du  choix  de 
notre  libre  arbitre.  A la  vérité,  sur  ce  choix  même  que 
nous  accomplissons  librement  entre  deux  futurs  con- 
tingents également  possibles,  les  étoiles  ne  sont  pas 
dépouillées  de  toute  influence,  mais  cette  influence  ne 
s’exerce  que  d’une  manière  indirecte  ; les  astres  ont  le 
pouvoir  de  modifier  riiarmonie  qui  existe  entre  le 
corps  et  l’àme  de  l’homme  et,  par  là,  d’incliner  l’âme 
à choisir  dans  tel  sens  plutôt  que  dans  le  sens  opposé  ; 
d’ailleurs,  cette  intluence  indirecte,  il  semble  bien  que 
notre  astrologue  la  regarde  comme  limitée  ; il  la  tient 
pour  capable  de  solliciter  notre  décision  ; il  ne  paraît 
pas  croire  qu’elle  suffise  à la  derminer  entièrement. 

Ainsi  définie,  l’Astrologie  n’avait  plus  rien  qui 
s’opposât  essentiellement  aux  enseignements  de  l’Eglise 
catholique  ; les  docteurs  chrétiens  pouvaient  l’admettre 
ou,  tout  au  moins,  la  tolérer  ; c’est,  nous  le  verrons, 
ce  qu’ont  fait  la  plupart  d’entre  eux. 

En  revanche,  lorsqu’ Abou  Masar,  non  content 
d’avoir  posé  les  principes  de  la  Science  astrologique, 
passe  en  revue  les  principales  applications  qu’on  en 
peut  faire  à la  prévision  des  événements  futurs,  il  lui 
arrive  d’apporter  des  affirmations  ou  des  conjectures 
dont  les  croyants  de  toute  religion,  et  donc,  en  parti- 
culier, les  Chrétiens  pouvaient,  ajuste  titre,  s’inquiéter. 

C’est  qu’en  effet  des  évènements  que  l’astrologue  a 
le  pouvoir  de  prédire,  Abou  Masar  n’exclut  pas,  bien 
au  contraire,  la  naissance  ou  le  déclin  des  religions  ; 
bien  souvent,  dans  ses  écrits,  il  prend  soin  d’affirmer 


(Il  Voir  : Le  Sijstkme  du  Monde,  Première  Partie,  Ch.  XIII,  S XIV;  t.  II, 
pp.  373-376. 


356 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


que  tel  phénomène  astronomique  annonce  les  change- 
ments des  sectes  religieuses,  permutationes  et  vices 
sectay'um. 

11  est,  par  exemple,  un  phénomène  céleste  auquel 
tous  les  astrologues  arabes  attribuaient,  dans  leurs 
pronostics,  une  extrême  im])ortance  ; c’est  la  conjonc- 
tion de  Saturne  et  de  Jupiter  avea  la  tête  du  Bélier. 
Le  Liber  de  proprietatihus  elementorum,  que  le 
]\Ioyen  Age  attribuait  fort  naïvement  à Aristote,  entre- 
tenait déjà  ses  lecteurs  des  graves  conséquences  des 
conjonctions  en  général,  et  de  cette  conjonction-là  en 
particulier  (1).  Parlant  de  ceux  qui  croient  à une  lente 
permutation  des  continents  et  des  océans,  rauteur  du 
Livre  des  éléments  écrivait  : 

« Ils  admettent  que  les  évènements  qui  se  produisent 
sur  la  terre  ont  pour  cause  le  mouvement  des  corps 
célestes,  de  l’élément  nolile  qui  est  l’orbe,  et  ce  qui 
découle  de  ces  corps  ; car  ceci  est  l’agent  qui  opère  en 
toutes  choses. 

» Ainsi,  prétendent-ils,  le  déluge  qui  a eu  lieu  sur 
la  terre  n’a  pas  eu  d’autre  cause  que  la  conjonction 
des  étoiles  [errantes]  dans  le  signe  des  Poissons;  le 
vent  qui,  dans  Iladramotb,  a fait  })érir  les  nations  a 
été  produit  })ar  la  conjonction  qui  s’est  faite  dans  le 
signe  des  (Témeaux  ; la  conjonction  qui  a eu  lieu  dans 
le  signe  de  la  A'ierge  est  la  seule  cause  de  la  peste  qui 
a désolé  la  terre  de  Lamen  ; il  en  est  de  même  des 
autres  événements  qui  surviennent  au  moment  des 
rassemblements  d’étoiles  et  des  conjonctions... 

» Les  années  de  stérilité  et  les  années  d’abondance 
proviennent  uniquement  de  la  permutation  des  étoiles 

(1)  Aristotelis  Liber  de  proprietatihus  elementorum  (cité  d’après  les 
Aristotelis  Opéra  que  termine  le  colophon  suivant  : Impra'ssum  (sic)  est 
præsens  opus  Venetiis  per  (îregorium  de  Gregoriis  expensis  Bencdicti  Fon- 
tanæ  Anno  salutifere  incarnationis  doiuini  nostri  MGCCCXCVI.  Die  vero  XIll 
Julii.  Fol.  3()6  (marqué  460),  v".  et  fol.  367  (marqué  467),  r“. 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


357 


[errantes],  d’un  signe  à l’autre,  au-dessus  des  sept 
climats. 

» La  mortalité  qui  fait  disparaître  les  nations  et  les 
vacances  des  royaumes  se  font  au  moment  de  la  con- 
jonction de  deux  des  planètes,  savoir  de  Saturne  et  de 
Jupiter.  C’est  lorsqu’elles  passent  d’une  triplicité  à 
une  autre  qu’adviennent  les  grands  accidents.  » 

Abou  Masar  partage  toutes  les  croyances  des  astro- 
logues dont  parle  le  Livre  des  éléments  ; s’il  est  un 
phénomène  céleste  dont  il  attend  les  effets  les  plus 
considérables,  c’est,  assurément  (1),  « la  conjonction 
des  deux  planètes  supérieures,  » c’est-à-dire  de  Saturne 
et  de  Jupiter,  « au  point  équinoxial  mobile  du  prin- 
temps, conjonction  qui  se  reproduit  toutes  les  900 
années  solaires.  » Or,  « pour  le  temps  de  la  conjonction 
des  deux  planètes  supérieures  dans  le  Bélier  (2),  se 
trouve  annoncé  le  commencement  de  quelqu’une  des 
choses  universelles,  ...,  d’une  secte  ou  d’une  autre 
chose  senildable  ». 

Mais  Albumasar  ne  se  contente  pas  de  ces  indica- 
tions générales  ; il  va  plus  loin  ; il  précise  et  détaille. 

« Certains  astrologues,  écrit-il  (3),  ont  dit  que  l’in- 
tervalle de  temps  au  bout  duquel  la  fortune  passe 
d’une  secte  à une  autre  secte  comprend  dix  révolutions 
de  Saturne...  Ils  prétendent,  en  effet,  que  la  permuta- 
tion de  Saturne  se  produit  lorsque  dix  révolutions  de 
cet  astre  sont  accomplies.  » Tous  les  290  ans,  donc, 
doit  se  produire  quelque  grand  changement  dans  la 

(1)  Albumasar  de  magnis  conjunctionibus  : unnoriun  revolutionibus  : ac 
eonnn  profectionibus  : octo  continens  tractatm.  Colophoii  : Opus  all)umaza- 
ris  de  magiiis  coniunclionibus  explicit  féliciter.  Impressum  Venetijs  Mandate 
et  expensis  .Melchiorem  (sic)Sessa.  Per  .lacobum  pentium  de  Leuebo.  Anne 
domini  1515.  Pridie  kal.  Junii.  Tract.  I,  differentia  1,  fol.  sign.  Aiii,  r“. 

(2)  Albumasaris,  Op.  luud.,  Tract.  I,  ditf.  1,  fol.  sign.  .\iiii,  r”. 

(3)  .\lbumasaris.  Op.  laud.,  Tract.  II,  ditf.  Vlll,  fol.  précédant  de  deux 
rangs  le  fol.  sign.  L),  v“,  et  fol.  précédant  immédiatement  le  fol.  sign.  I),  r°. 


358 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


distribution  des  empires  ou,  mieux  encore,  quelque 
grande  innovation  religieuse. 

Selon  notre  auteur,  c’est  à la  fin  d’une  de  ces 
périodes,  formées  de  dix  révolutions  de  Saturne, 
« qu’apparut  le  noble  Alexandre,  fils  de  Philippe,  et 
que  la  chance  quitta  les  Perses.  Lorsque  Saturne  eut 
accomplit  dix  autres  révolutions,  apparut  Jésus,  fils  de 
Marie,  qui  est  l’objet  de  prières,  et  il  y eut  un  change- 
ment de  secte.  Après  dix  nouvelles  révolutions,  appa- 
rut Manès,  et  il  vint,  apportant  une  loi  intermédiaire 
entre  celle  des  Nazaréens  et  celle  des  Païens.  Et  parce 
que  dix  révolutions  de  Saturne  étaient  de  nouveau 
accomplies,  le  Prophète  vint,  avec  la  loi  manifeste  des 
Maures.^ — Qxia  completæ  sunt  10  revolutiones  Sa- 
turni,  in  (liehus  Darihindar,  fuit  apparitio  Alexanâri, 
fia  PhUippi  nobilis,  et  remotio  vicis  Persarum.  Et 
quia  completæ  sunt  ei  10  revolutiones  alice  ex  revo- 
lutione  sua,  apparuit  Jésus,  flius  Mariœ,  super 
quem  fiunt  orationes,  curn  perinutatione  sectœ.  Et 
quia  completæ  sunt  W alice  revolutiones  ex  revolu- 
tione  S7fci,  apparuit  Meni,  et  venit  cum  lecje  quæ  est 
inter  Paganos  et  Nazarenos.  Et  quia  complétée  sunt 
10  alice  revolutiones  ei  ex  revolutione  sua,  venit  Pro- 
pheta  cum  lege  Maurorum  manifesta  ». 

Né  en  356,  Alexandre  mourut  en  323  av.  J. -G. 
Manès  fut  mis  à mort  en  274  de  J. -G.  Né  vers  570, 
Mahomet  s’enfuit  à Médine  en  l’an  622  qui  ouvrit  l’ère 
de  y hégire,  et  il  mourut  en  632.  Il  faut  quelque  bonne 
volonté  pour  découvrir,  dans  les  dates  que  nous  venons 
de  citer,  la  période  de  200  ans  qu’Abou  Masar  croit  j 
voir. 

Notre  astrologue,  d’ailleurs,  a soin  de  nous  prévenir 
que  les  vicissitudes  des  religions  ne  suivront  pas  avec 
une  entière  rigueur  la  loi  périodique  que  leur  assignent 
les  révolutions  de  Saturne. 

« Peut-être,  dit-il,  ce  changement  se  produira-t-il 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


359 


avant  raclièvement  des  dix  révolutions,  en  sorte  que 
l’accident  se  produira  durant  la  neuvième  révolution  ; 
peut  être,  aussi,  l’accident  aura-t-il  lieu  après  l’accom- 
plissement des  dix  révolutions,  en  sorte  qu’il  se  ])ro- 
duira  dans  la  seconde  révolution.  » 

A cette  latitude  qu’on  accorde  à la  loi,  si  l’on  a soin 
de  joindre  une  indétermination  suffisante  de  la  prédic- 
tion,* il  faudrait  être  bien  malechanceux  pour  se 
trouver  désappointé. 

CiQi horoscope  des  religions  était  bienfait  })Our  piquer 
la  curiosité  des  Chrétiens  qui  lisaient  les  œuvres 
d’Abou  Masar  ; il  était  bien  fait  aussi  pour  inquiéter 
leur  orthodoxie. 

L’ojiinion  d’un  fidèle  à l’égard  de  cette  suite  de  pré- 
dictions pouvait  varier  selon  les  principes  par  lesquels 
l’astrologue  la  prétendait  justifier. 

Entendait-il  affirmer  que  les  astres  sont  les  causes 
des  événements  qu’ils  annoncent  l Que  Saturne,  par 
conséquent,  détermine  et  produit,  par  son  influence, 
les  religions  nouvelles  qui  se  manifestent  chaque  fois 
qu’il  a accompli  dix  révolutions  l La  religion  apportée 
au  monde  par  -Jésus,  fils  de  Marie,  n’est  plus,  alors, 
qu’un  efiêt  fatal  des  mouvements  du  Ciel.  Une  telle 
impiété  mérite  tous  les  anathèmes. 

L’astrologue,  au  contraire,  déclare-t-il  que  les  astres 
ne  sont  point  causes  des  événements  qu’ils  annoncent, 
que  ces  événements  sont  œuvres  de  Dieu,  et  que  les  mou- 
vements célestes,  simples  signes,  n’ont  d’autre  rôle 
que  de  manifester  aux  hommes  ce  que  la  Providence 
divine  a ordonné  ? 11  semble  alors,  que  l’horoscope 
des  religions  perde  tout  caractère  blasphématoire,  et 
qu’un  chrétien  lui  puisse  accorder  crédit  sans  péril 
pour  sa  foi. 

Voilà  donc  que  les  esprits  soucieux  de  savoir  si 
l’Astrologie  se  peut  accorder  avec  la  religion  chré- 
tienne, sont  ramenés  à ce  débat,  si  fortement  agité  au 


360 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


temps  du  Néo-platonisme  hellénique  (1)  : les  astres 
sont-ils  causes  des  événements  qu'ils  annoncent,  ou 
bien  n’en  sont-ils  que  les  signes  ? 

11.  — LES  Tables  de  Marseille  ET  l’astROLOGIE 
PIERRE  ABAILARl).  — SAINT-JEAN  DAMASCENE 

Bien  avant  qu’ils  n'eussent  connaissance  des  livres 
d’Abou  Masar  et  des  astrologues  musulmans,  les  Chré- 
tiens (l’Occident  lisaient  saint  Augustin  et  Macrobe. 
Us  savaient  donc  (pie,  pour  échapper  au  matéria- 
lisme des  Stoïciens  sans  renoncer  à l’Astrologie, 
certains  philosophes  anciens  avaient  affirmé  cette 
doctrine  : que  les  astres  ne  sont  point  causes  des 
évènements  ([u’ils  annoncent  ; ils  se  bornent  à les 
signifier.  11  était  naturel  qu’à  ces  Chrétiens  d'Occident 
l’idée  vînt  de  reprendre  la  thèse  soutenue  par  Plotin 
et  d’en  user  pour  éviter  toute  contradiction  entre  les 
enseignements  de  la  foi  catholique  et  les  théories  de 
l’Astrologie. 

liés  l’an  1110,  dès  l’année,  donc,  où  Hermann  le 
second  révélait  aux  Chrétiens  V Introfluctoriinn  in 
Astronomiam  d’Allmmasar,  cette  idée  (Hait  conçue  et 
exposée  avec  une  extrême  clarté  par  l’auteur  des 
Tables  de  Marseille  ( 2f. 

Au  préambule  de  ces  Tables^  l’auteur  consacre  deux 
chapitres,  le  troisième  (3)  et  le  quatrième  (4),  à justifier 
les  principes  de  l’Astrologie  ; le  troisième  chapitre  se 
termine  par  une  suite  de  textes  de  la  Bible  que  l’auteur 


(1)  Voir  : Le  Su  sterne  du  Monde,  Première  partie.  Ch.  \I1I,  Vil  et  IX  ; 
t.  11.  pp.  300-318  et  P]).  ,3:2i-34l. 

(2)  Au  sujet  de  ces  Tables,  voir  : Le  Sj/stème  du  Monde,  neuvième  partie, 
Ch.  IV,  § \ï;  t.  ill. 

(3)  Rildiothèque  nationale,  fonds  latin.  Ms.  iP  14704,  fol.  112,  col,  a à 
fol.  113,  col.  b. 

(4)  .Ms.  cit.,  fol.  113,  col.  b,  à fol.  113,  col.  d. 


L ASTROLOGIE  \V  MOYEN  AGE 


361 


juge  favorables  à la  science  qu'il  cultive  et  le  quatrième 
chapitre  est,  en  entier,  consacré  à invoquer  l’autozaté 
des  auteurs  païens. 

C’est  au  troisième  chapitre  ([ue  nous  lisons  ce  qui 
suit  (1)  : 

« Personne  ne  doit  douter,  personne  ne  doute  que 
Dieu  n’ait  créé  tout  ce  qui  existe,  ni  qu’avant  de  faire 
ce  qui  doit  être,  il  ne  l’ait  prévu  ou  prédéterminé  ; dès 
lors,  certaines  des  choses  futures  qu’il  a prévues  ou 
jirédestinées,  il  peut,  avant  qu’elles  ne  soient  produites, 
les  montrer,  par  le  mo3’en  des  planètes,  aux  êtres 
doués  de  raison  ; il  le  fait,  afin  que  l’intelligence 
humaine,  voyant  les  merveilles  que  Dieu  produit,  et 
connaissant  les  œuvres  qu’il  accomplit,  hn'de  de 
l’amour  qui  s’allume  en  elle  à l’égard  de  son  Créateur... 

» Lors  donc  que  nous  disons  : Telle  planète  signifie 
d’avance  qu’un  méchant  homme  doit  advenir,  nous 
n’avons  pas  d’autre  sentiment  que  celui-ci  : les  planètes 
agissent  sur  l’ordre  de  leur  Créateur  ; c’est  à titre  de 
créatures  mises  à son  service,  qu’elles  imitent  sa 
prescience  et  qu’elles  nous  manifestent  ce  méchant 
homme.  Il  ne  faut  donc  dire  d’aucune  manière  que 
les  planètes  exercent  sur  cet  homme  une  force  destinée 
à le  rendre  méchant,  pas  plus  que  la  prescience  de 
Dieu  n’a  une  semblable  action.  Si  les  hommes  allaient 
accuser  les  prédictions  figurées  par  les  planètes,  ils 
accuseraient  par  là  même  la  Providence  ; les  planètes, 
en  effet,  ne  nous  signifient  rien  que  Dieu  n’ait  prévu 
ou  prédestiné.  » 

Les  astres  n’ont  aucune  action  sur  les  choses  d’ici- 
bas  ; par  leurs  mouvements  et  leurs  configurations, 
ils  sont  simplement  un  langage  dont  lïieu  se  sert  poui- 
révéler  d’avance  à l’homme  quelques-uns  des  décrets 
de  sa  Providence  ; telle  est  la  thèse  que  beaucoup  de 


(l)-Ms.  cit.,  fol.  ll!2,  coll.  b et  c. 


362 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Chrétiens  vont  soutenir,  et  par  laquelle  ils  penseront 
concilier  leur  foi  avec  la  croj-ance  aux  prédictions  de 
l’Astrologie,  fût-ce  à l’hoi’oscope  des  religions. 

lAautres  garderont,  à l’égard  de  l'Astrologie,  une 
attitude  moins  confiante  ; ils  restreindront  davantage 
le  domaine  des  événements  ([ue  l’oliservation  des 
planètes  et  des  étoiles  jteut  annoncer  d’avance  ; ils 
demeureront  plus  étroitement  unis  à la  pensée  des 
Pères  de  l’Eglise  et,  en  particulier,  de  saint  Augustin. 
De  ce  nombre  sera  Pierre  Aliailard. 

C’est  dans  son  Exposition  de  l’œuvre  des  six  jours 
qu’Abailard  discute  la  légitimité  et  la  valeur  de  l’Astro- 
logie. Cette  oeuvre  est,  croit-on,  la  dernière  à laquelle 
il  ait  mis  la  main  ; elle  a dû  précéder  de  peu  sa  mort, 
survenue  en  l’an  1142;  elle  doit  donc  être  presque 
exactement  contemporaine  des  Tables  de  Marseille. 

Aon  seulement  Pierre  Abailard  ne  veut  pas  que  les 
astres  soient  tenus  pour  causes  des  futurs  contingents  ; 
mais,  d’une  façon  très  formelle,  il  leur  dénie  tout 
pouvoir  d’annoncer  d’avance  ces  événements  ; sa  thèse 
s’oppose  nettement  à celle  que  soutenait  l’auteur  des 
Tables  de  Marseille. 

«Certaines  gens,  dit-il  (1),  prisent  cà  tel  point  la 
Science  astronomique  et  exaltent  à tel  degré  la  force 
des  astres,  qu’à  leur  avis,  les  futurs  contingents  eux- 
mêmes  peuvent  être  signifiés  d'avance  par  ces  astres  ; 
ils  croient  pouvoir  Juger,  [>ar  cet  art,  même  des  événe- 
ments que  les  jdiilosophes  déclarent  inconnus  à la 
nature  : en  sorte  que  les  astres  joueraient  le  rôle  de 
signes  non  seulement,  comme  nous  l’avons  dit,  pour 
les  efiéts  naturels,  mais  encore,  selon  la  mensongère 
afiiianation  de  ces  gens,  pour  les  futurs  contingents.  » 
Aotre  auteur  a lu  Aristote;  il  sait  que  le  Stagi- 

(I)  Peiri  AbæhufU  E.rpoxifio  in  Uexucmeron.  Do  qiiarla  die.  [Petp.i 
Abæl.\iu)1  Üper.\  (Patkülooiæ  L.\tinæ,  accuraiite  J.  I'.  Migiie,  t.  CLXXVIII), 
coll.  753-75()J. 


L ASTROLOGIE  AU  MOYEN  AGE 


363 


rite  désigne  les  futurs  contingents  par  l’expression  : 
ad  utrum  lihef  (ÔTrôTepa)  ; il  les  définit  comme  les  définit 
le  traité  De  V inter prètation  : « Les  futurs  contingents 
sont  ceux  qui  se  comportent  indifiéremment  à l’égard 
de  ces  deux  alternatives  : advenir  et  ne  pas  advenir 
{fleri  et  non  fieri)  ; il  n’v  a d’avance,  dans  la  nature 
des  choses,  aucune  cause  qui  les  oblige  d'advenir  ou 
de  ne  pas  advenir  ; et  personne  ne  peut  savoir  d’avance 
s’ils  adviendront  ou  n’adviendront  pas,  si,  par  exem- 
ple, je  lirai  [ou  ne  lirai  pasj  aujourd’hui  ; il  en  est 
ainsi  de  tout  ce  que  notre  libre  arbitre  a le  pouvoir  de 
faire  ou  de  ne  pas  faire. 

> 11  y a des  futurs  naturels  ; leur  venue  est,  pour 
ainsi  dire,  déterminée  ; on  les  peut  prévoir,  pourvu 
seulement  qu’à  leurs  causes,  qui  préexistent,  on  adjoigne 
quelque  moyen  naturel  ; c’est  pourquoi  l’on  dit  qu’ils 
sont,  dès  maintenant,  connus  de  la  nature... 

» Des  futurs  contingents,  au  contraire,  on  dit  que 
la  nature  même  ne  les  connaît  pas,  car  aucune  opéra- 
tion ou  institution  naturelle  ne  permet  de  les  prévoir. 

« Aussi  m’étonné-je  d’entendre  certaines  gens  dé- 
clarer qu’ils  les  connaissent  par  le  moyen  de  l’Astro- 
nomie, qu’ils  en  peuvent  juger  et  que,  pour  ainsi  dire, 
ils  les  devinent.  L’Astronomie,  en  effet,  est  une  des 
espèces  de  la  Phj’sique,  c’est-à-dire  de  la  Philosophie 
naturelle  ; comment  peuvent-ils,  à l’aide  de  cette 
science,  savoir  ce  que  la  nature  même  ignore,  au  dire 
des  philosophes,  c’est-à-dire  ce  que  la  nature  d’aucune 
chose  ne  permet  de  prévoir  ? » 

La  conclusion  d’Abailard  est  celle  que  formulaient 
nombre  de  Pères  de  l’Eodise  : 

O 

« Quelqu’un  promet-il  d’obtenir,  par  les  enseigne- 
ments de  l’Astronomie,  quelque  certitude  au  sujet  des 
futurs  contingents  que,  comme  nous  l’avons  dit,  la 
nature  elle-même  ne  connaît  pas  ? (Jn  ne  doit  pas  le 
regarder  comme  faisant  de  l’Astronomie,  mais  comme 


364 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


taisant  de  la  diablerie  {non  tam  astronomus  cjuam 
diaholicus  hahendns  est)...  Que  personne  n’attribue 
les  divinations  de  ce  genre  à l’art  astronomique  mais 
à une  machination  diabolique.  » 

Tout  en  déniant  à l’Astrologie  le  pouvoir  d’annoncer 
aucun  futur  contingent.  Abailard  lui  concède  large- 
ment la  faculté  de  prévoir  les  futurs  naturels. 

« Nous  ne  nions  pas,  dit-il,  que  certains  futurs  natu- 
rels ne  soient  connus  par  l’Astrologie  comme  il  en  est 
de  connus  par  la  Médecine.  D’après  la  complexion  du 
corps,  les  médecins  j)euvent  former  nombre  de  j)ro- 
nostics  touchant  les  malades  ; ils  peuvent  prévoir  si 
un  malade  se  tirera  d’atlaire  ou  non.  De  même,  ceux 
qui  ont  l’expérience  des  astres  ; qui  en  connaissent  les 
natures,  causes  du  chaud  et  du  froid,  du  sec  et  de 
riiumide  ; ceux  auxquels  l’Astronomie  a fait  connaitre 
ces  parties  du  ciel  qu’on  appelle  les  maisons  des  pla- 
nètes, et  d’oii  ces  astres,  lorsqu’ils  y résident,  exercent 
au  plus  haut  point  leur  action,  ceux-là  peuvent  former, 
au  sujet  des  futurs  naturels,  nombre  de  pronostics  ; 
ils  peuvent  annoncer,  j)ar  exemple,  s’il  y aura,  dans 
l’avenir,  grande  sécheresse  ou  abondance  de  pluie, 
forte  chaleur  ou  froid  excessif;  ces  prévisions  sont  de 
grande  valeur,  non  seulement  pour  qui  doit  pourvoir 
à la  culture  de  la  terre,  mais  encore  pour  qui  doit 
administrer  avec  jirécaution  un  médicament,  à'oilà 
jtourquoi  les  philosophes  ont  osé  donner  aux  })lanètes 
le  nom  de  dieux,  et  les  regarder,  en  quelque  sorte, 
comme  les  directeurs  du  monde  ; en  effet,  notre  situa- 
tion ici-bas  éprouve  de  grandes  variations  selon  leurs 
natures  et  qualités  ; c’est  en  vertu  de  ces  natures  et  de 
ces  qualités,  comme  nous  l’avons  dit,  que  nous  avons 
tantôt  la  famine  et  tantôt  l’abondance  ; qu’il  faut  faire 
les  semailles  tantôt  dans  les  terres  sèches  et  tantôt 
dans  les  terres  humides  ; qu’il  faut,  par  l’application 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


365 


des  médicaments,  tantôt  procurer  la  sécheresse  au 
malade,  et  tantôt  riiumidité.  » 

Accorder  plein  crédit  à l’Astrologie,  pourvu  qu’elle 
se  contente  de  prédire  les  effets  naturels,  qu’elle  ne 
prétende  pas  annoncer  les  futurs  contingents,  qu’elle 
ne  porte  aucune  atteinte  au  libre  arbitre,  voilà  ce 
qu’Abaüard  recommande  à ses  disciples  et  à ses  lec- 
teurs. 

Abailard  était  mort  depuis  peu  d’années  lorsque 
Burgundion,  entre  1145  et  1153,  traduisit  T'Ex^ocriç  Tfjç 
ôp0o5ô£ou  TTîcjTeuuç  de  saint  Jean  Deniascène.  Dans  cet 
ouvrage,  qui  eut  de  suite,  auprès  d’eux,  la  plus  grande 
autorité,  les  maîtres  de  la  Scolastique  latine  trou- 
vèrent, au  sujet  des  jugements  d’Astronomie,  une 
doctrine  toute  semblable  à celle  du  Dialecticien  armo- 
ricain ; ils  y lurent,  en  effet,  un  passage  où  saint  Jean 
de  Damas  résumait,  avec  beaucoup  de  clarté  et  de 
fidélité,  l’enseionement  des  Pères  de  l’j^olise  touchant 
l’Astrologie.  Transcrivons  ici  ce  passage  dont  les  doc- 
teurs chrétiens  s’autoriseront  bien  souvent  (T)  : 

« Les  Grecs  affirment  que  toutes  choses,  ici-bas, 
sont  gouvernées  par  le  lever,  le  coucher,  la  conjonc- 
tion des  astres,  du  Soleil  et  de  la  Lune  ; c’est,  en  effet, 
de  cela  que  s’occupe  l'Astrologie.  Pour  nous,  nous 
disons  que  ces  astres  fournissent  des  signes  de  la  pluie 
ou  du  temps  serein,  de  la  chaleur  ou  du  froid,  de  l’hu- 
midité ou  de  la  sécheresse,  des  vents  et  de  toutes 
choses  semblables  ; mais  de  nos  propres  actions,  non 
pas.  Le  Démiurge,  en  effet,  nous  a créés  libres,  en 
sorte  que  nous  sommes  les  maîtres  de  nos  propres 
actions.  Si  nous  agissions  en  vertu  du  mouvement  des 
astres,  c’est  par  nécessité  que  nous  ferions  tout  ce  que 
nous  faisons  ; or  ce  qui  est  fait  par  nécessité  n’est  ni 


(1)  s.  Joannis  Daniasceni,  De  pde  orthodosa.  lib.  II,  cap.  VII  [S.  Joannis 
Damasceni  Opéra  o.mxia  quæ  exstaxt,  t.  I (P.^trologiæ  Gr.ecæ,  accuraïUe 
J.  P.  Migiie,  t.  XCIV),  coll.  891-894). 

I1I«  SÉRIE.  T.  XXVI. 


“24 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


30() 

vertu  ni  vice  ; exemj)ts  de  vertu  comme  de  vice,  nous 
ne  mériterions  ni  récompense  ni  châtiment  ; il  se 
trouverait  donc  que  Dieu  est  injuste  en  donnant  le 
bonheur  aux  uns,  le  malheur  aux  autres.  D’ailleurs, 
si  tout  est  fait  et  mû  par  nécessité.  Dieu  n’exerce  plus 
ni  gouvernement  ni  providence  sur  les  choses  qu’il  a 
créées.  Enfin,  c’est  inutilement  que  se  trouvera,  en 
nous,  la  faculté  de  raisonner  ; puisqu’en  efiét,  nous  ne 
sommes  maîtres  d’aucune  action,  il  serait  vain  pour 
nous  de  délibérer  ; or,  si  la  faculté  de  raisonner  nous 
a été  attribuée,  c’est  uniquement  pour  que  nous  puis- 
sions délibérer  ; aussi  tout  être  raisonnable  est-il, 
aussi,  un  être  libre. 

» Nous  disons  donc  que  les  astres  ne  sont  les  causes 
(raucun  des  êtres  soumis  à la  génération,  qu’ils  ne 
sont  causes  ni  de  la  production  ni  de  la  génération  des 
choses  qui  naissent  et  meurent.  Nous  disons  plus 
volontiers  qu’ils  sont  (seulementj  les  signes  des  pluies 
et  des  changements  de  temps.  Peut-être  pourrait-on 
dire  aussi  C'Icruuç  b’  dv  tiç  eÏTToi)  que,  tout  en  n’étant  point 
causes  des  guerres,  ils  en  constituent  des  signes  ; que 
la  qualité  de  l’air,  produite  par  l’action  du  Soleil,  de 
la  Lune  et  des  astres,  détermine,  suivant  les  circon- 
stances, des  constitutions,  dispositions  et  tempéraments 
dittérents  ; et  que  nos  tempéraments  influent  sur  les 
actes  qui  dé))endent  de  nous  ; ceux-ci,  en  efiét,  sont 
soumis  à l’empire  de  la  raison  qui  les  accomplit  comme 
il  lui  convient.  » 

Pierre  Lombard,  qui  avait  assurément  lu  ce  texte, 
se  montre  plus  ])rudent  et  plus  réservé  que  Pierre 
Abailard  et,  surtout,  que  saint  .Jean  Damascène  ; tout 
ce  qu’il  accorde  à l’Astrologie  (1),  c’est  que  les  astres 
« sont  signes  du  temps  serein  ou  du  mauvais  temps.  » 
I.es  docteurs  cbi'étiens  seront  portés  à lui  concéder  un 


(1)  Pétri  Lonibanli  Soitentiannii  lib.  II,  dist.  XIV. 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


367 


pouvoir  plus  étendu  lorsqu’ils  auront  médité  les  écrits 
d’Aristote  et  des  philosophes  aralies. 

§ III.  — GUILLAUME  d’aUYERGNE  ET  l’aSTROLOGIE 
Le  De  legibus 

L’auteur  des  Tables  de  Marseille  a été,  seinble-t-il, 
le  premier  des  astronomes  du  Monde  latin  qui  ait  usé 
des  Tables  de  Tolède  ; introducteur  de  l’Astronomie 
arabe  dans  la  Chrétienté  occidentale,  il  avait,  sans 
doute,  éprouvé,  des  premiers,  la  séduction  de  l’Astro- 
logie à laquelle  la  plupart  des  savants  de  l’Islam 
s’adonnaient  avec  une  véritable  fureur.  Les  discussions 
qu’il  nous  conte  en  son  ouvrage  semblent  prouver  que, 
dès  ce  moment,  cette  séduction  entraînait  nombre  de 
Chrétiens  par  de  puissants  attraits.  Mais  l’entraîne- 
ment de  l’Astrologie  devint  autrement  intense  au 
XIII®  siècle,  lorsque  la  Chrétienté  latine  n’eut  pas 
seulement  en  mains  les  nombreux  traités  oii  Ptolémée 
et  les  Arabes  avaient  tracé  les  règles  de  1’  « art  judi- 
ciaire »,  mais  encore  les  livres  oîi  les  Métaphysiques 
du  Péripatétisme  et  du  Néoplatonisme  établissaient  le 
gouvernement  des  circulations  célestes  sur  toutes  les 
choses  du  monde  inférieur  ; aux  Chrétiens  d’Occident, 
l’Astrologie  parut  être  ce  qu’elle  avait  semblé  aux 
philosophes  hellènes  et  musulmans,  le  suprême  cou- 
ronnement de  toute  la  Sagesse. 

A ce  moment,  un  homme  se  rencontra  qui  vit,  dans 
leur  plénitude,  les  dangers  que  les  Métaphysiques 
d’Aristote  et  d’Avicenne  allaient  faire  courir  à la  foi 
catholique  ; ce  même  homme  aperçut  clairement  ce 
qu'il  y avait,  dans  les  pratiques  de  l’Astrologie,  d’hété- 
rodoxe et,  tout  à la  fois,  d’insensé.  En  même  temps, 
donc,  qu’il  déclarait  la  guerre  « à Aristote  et  à ceux  de 
sa  suite  »,  Guillaume  l’Auvergnat,  évêque  de  Paris, 


368 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


mena  rudement  le  combat  contre  les  « jugements 
d’Astronomie  ». 

Dans  cette  lutte,  Guillaume  se  montrait  le  continua- 
teur des  Pères  de  TEgiise,  le  gardien  de  la  tradition 
scolastique  des  Latins,  qui  n’avait  fait,  jusqu’alors,  que 
prolonger  l’enseignement  patristique  ; aussi,  les  argu- 
ments dressés  par  les  Pères  contre  les  « Glialdéens  », 
les  « Mathématiciens  »,  les  « Généthliaques  » se  recon- 
naissent-ils, parfois,  dans  la  discussion  qu’il  mène  ; 
mais  plus  encore  qu’aux  autorités  traditionnelles,  il 
demande  des  armes  à son  bon  sens  d’enfant  d’Auril- 
lac;  bon  sens  un  peu  gros,  peut-être,  mais  solide,  mais 
sùr  et,  souvent,  bien  défendu  par  un  joyeux  éclat  de 
rire  contre  les  conclusions  fallacieuses  des  Métaphysi- 
ques suldiles. 

La  première  attaque  de  (fuillaume  d’Auvergne 
contre  l’Astrologie  se  lit  dans  son  traité  Des  relif/ions 
(De  lefiihns).  Ce  qui  excite  au  combat  l’Evêque  de 
Paris,  c’est,  en  effet,  l’impiété  de  ceux  qui  font,  de 
toutes  les  religions,  sans  en  excepter  ni  la  religion 
juive,  ni  la  religion  chrétienne,  des  résultats  de  l’action 
des  planètes. 

La  forme  sous  laquelle  Guillaume  présente  cette 
doctrine  n’est  pas  celle  de  l’horoscope  des  religions 
qu’Abou  Masar  nous  a fait  connaître;  mais  ce  change- 
ment de  forme  n’ôte  rien  au  caractère  blasphématoire 
de  la  thèse  qu’il  va  combatire. 

« Parlons  maintenant,  dit-il  (1),  de  la  diversité  des 
religions,  et  racontons  les  o})inions  de  ceux  qui,  dans 
le  monde,  ont  la  ré])utation  de  savants... 

» 11  en  est  qui  attribuent  aux  cieux  et  aux  étoiles  la 
diversité  des  religions,  comme  ils  leur  attribuent  les 


( 1 1 (iuillelriii  l'arisiensis  episcopi  De  legibus,  cap.  XX  (Guillelnii  Parisiensis 
episcopi  Opéra,  ed.  Parisiis,  1516,  t.  I,  pars  I,  fol.  XXVII,  col.  b,  à fol.  XXVlll, 
col.  d.) 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


369 


autres  différences  et  conditions  qui  affectent  les 
hommes. 

» Ils  disent  que  la  religion  des  Hébreux  est  issue  de 
Saturne  et  de  son  ciel  ; c’est  pourquoi  les  Juifs  célè- 
brent particulièrement  le  jour  de  Saturne  qui  est  le 
jour  du  sabbat.  » Par  des  diverses  propriétés  de 
Saturne,  ils  expliquent  les  caractères  de  la  Loi  mosaï- 
que et  les  vicissitudes  éprouvées  par  le  peuple  juif. 

» Ils  pensent  de  la  même  façon  au  sujet  de  la  religion 
des  Sarrasins  et  de  leur  roj'aume  ; ils  croient  et 
affirment  nettement  que  cette  loi  a été  promulguée  le 
jour  de  ^^énus,  et  c’est  par  Vénus,  c’est-à-dire  par  la 
luxure,  qu’elle  demeure  en  vigueur;  c’est  pour  cette 
raison,  disent-ils,  que  les  Sarrasins  célèbrent  particu- 
lièrement, chaque  semaine,  le  jour  de  à'énus... 

» De  la  religion  chrétienne,  ils  prétendent  qu’elle  est 
la  religion  du  Soleil  et  que  son  royaume  est  le  royaume 
du  Soleil.  C’est  pourquoi  le  peuple  chrétien  célèbre 
particulièrement  le  jour  du  Soleil  ; c’est  pourquoi  celui 
qui,  dans  ce  royaume,  préside  aux  choses  spirituelles, 
c’est-à-dire  le  pontife  romain,  siège  dans  la  ville  du 
Soleil... 

» Quant  aux  sectes  particulières,  c’est-à-dire  aux 
hérésies  qui  existent  outre  ces  trois  religions,  elles  ont 
pour  causes,  disent-ils,  les  conjonctions  et  les  partici- 
pations diverses  des  planètes  les  unes  avec  les  autres. 
Ils  pensent,  dès  lors,  qu’ils  peuvent  deviner  d’avance 
et  pronostiquer  les  changements  des  religions,  des 
sectes  et  des  royaumes,  qu’il  s’agisse  des  grandes  reli- 
gions, qui  sont  les  trois  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut,  ou  des  religions  moindres.  On  peut  lire  beaucoup 
de  choses  à ce  sujet  dans  les  livres  qui  traitent  des 
jugements  d’Astronomie.  » 

Voilà  l’hérésie  contre  laquelle  Guillaume  s’élève 
avec  indignation. 


370 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Nous  n’énumérerons  pas  tous  les  arguments  qu’il  lui 
oppose  ; nous  choisirons  seulement  les  plus  marquants. 

En  voici  un,  tout  d’abord,  que  l’Evêque  de  Paris 
regardait  comme  essentiel,  car  il  le  rappellera  plus 
tard,  lorsqu’il  écrira  son  De  unicerso  : 

11  est  impossible  qu'une  chose  plus  vile  soit  la  cause 
d’une  chose  plus  noble.  Partant,  il  est  impossible  que 
les  vertus  des  deux,  des  étoiles  et  des  luminaires 
soient,  en  nous,  causes  de  la  science,  des  vertus  et  des 
bonnes  mœurs,  car  toutes  ces  choses  là  sont  plus 
nobles  que  les  vertus  attribuées  aux  cieux  par  ces 
auteurs. 

» En  outre,  les  vertus  dont  proviennent  ces  opéra- 
tions sont  ou  bien  corporelles  ou  bien  spirituelles.  » Et 
Guillaume  va  examiner  successivement  ces  deux 
hypothèses. 

« à'ous  avez  déjà  appris  ailleurs  que  les  vertus  cor- 
porelles n’agissent  que  par  le  contact  | direct]  de  l’agent 
et  du  patient,  ou  bien  par  le  contact  de  chacun  d’eux 
avec  un  milieu  ; ce  milieu,  il  faut  qu’il  touche  l’agent 
et  le  patient  et  qu’il  transporte  une  propriété  de  celui- 
là  à celui-ci... 

» Les  opérations  des  vertus  corporelles  seront  donc 
interrompues  par  l’interposition  d’un  obstacle,  à moins 
que  l’obstacle  interposé  ne  soit,  lui-même,  apte  à pâtir 
de  la  part  de  cet  agent.  Lors  donc  qu’un  homme  entre 
dans  sa  maison  ou  dans  quelque  abri,  voilà  que  toutes 
les  opérations  célestes  sont,  pour  lui,  interrompues, 
tout  comme  se  trouve  interrompue,  lorsqu’il  entre  dans 
sa  maison,  l’opération  par  laquelle  le  Soleil  l’éclairait... 
Les  vertus  célestes  ne  peuvent  donc  rien  sur  les 
hommes,  si  ce  n’est  lorsque  ceux-ci  sont  hors  de  leurs 
demeures.  Dès  lors,  chaque  fois  qu’un  homme  entrera 
dans  sa  demeure,  il  lui  arrivera  de  changer  de  mœurs, 
de  religion  et  de  secte;  ou  du  moins,  s’il  y reste  quel- 
que temps  et  s’y  repose,  en  lui  se  détruiront  tous  les 


l’astrologie  AT'  MOYEN  AGE 


371 


effets  reçus  des  vertus  célestes,  comme  il  perd,  par  le 
séjour  et  le  repos  dans  une  maison  fraîche  et  obscure, 
tout  ce  qu’il  avait  éprouvé  de  la  chaleur  et  de  la 
lumière  du  Soleil.  » 

Dirons-nous,  alors,  que  les  actions  exercées  par  les 
astres  sont  des  actions  spirituelles  ? ()ue  les  astres 
façonnent  à leur  guise  les  choses  d’ici-has  comme 
l’intelligence  de  l’artiste  façonne  la  matière  * (Tiiil- 
laume  observe  alors  que  notre  intelligence  ne  saurait 
produire  au  dehors  aucune  opération  purement  spiri- 
tuelle. L’opération  spirituelle  intérieure  à notre  âme 
met  en  mouvement  les  organes  de  notre  corps  et 
ceux-ci,  à leur  tour,  meuvent  leurs  instruments. 
« Telle  est  donc  la  manière  d’opérer  des  substances 
spirituelles  qui  sont  conjointes  à ces  corps  ; ces  sub- 
stances effectuent  d’abord,  en  elles-mêmes,  des  opéra- 
tions purement  spirituelles  ; par  ces  opérations,  elles 
accomplissent  alors  des  opérations  corporelles  sur  les 
corps  qui  leur  sont  conjoints  ; par  ces  premières  opé- 
rations corporelles,  elles  en  accom})lissent  d’autres 
dans  les  corps  qui  leur  sont  étrangers  ; l’ordre  suivant 
lequel  procèdent  ces  opérations  est  tel  : au  fur  et  à 
mesure  qu’elles  s’éloignent  de  la  subtilité  et  de  la 
noblesse  spirituelle,  on  les  voit,  pour  ainsi  dire, 
devenir  de  plus  en  plus  grossières.  » 

Dès  lors,  il  est  manifeste  que  cette  façon  d’opérer 
ne  peut  être  celle  à laquelle  on  attribue  l’influence  des 
astres  sur  les  mœurs  et  les  religions.  « L’àme  du 
Soleil  n’use  du  corps  du  Soleil  que  pour  agir  sur  les 
corps,  en  les  éclairant  et  les  échauffant...  De  cette 
manière,  donc,  ne  peuvent  être  imprimées  que  des 
dispositions  corporelles  dénuées  de  toute  noblesse,  et 
nullement  les  sciences,  les  arts,  le  don  de  prophétie  ni 
aucune  vertu.  » 

Partant,  il  faudra  que  les  astrologues  admettent  une 
action  spirituelle  que  les  âmes  des  astres  exercent 


372 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


directement  sur  nos  âmes  ; mais  « ces  âmes  ne 
peuvent  faire  découler  en  nous  que  ce  qu’elles  pos- 
sèdent ou  des  dispositions  semblables  à celles  qu’elles 
possèdent  ».  Alors,  ou  bien  un  astre  infusera  sans 
cesse  les  mêmes  dispositions  spirituelles  dans  les  choses 
d’ici-bas  ; ou  bien  il  faudra  supposer  que  les  vertus  de 
l’Ame  de  cet  astre  changent  suivant  la  diversité  des 
opérations  effectuées  dans  ces  êtres  inférieurs  ; voilà 
donc  ces  vertus  contraintes  fl’ètre  différentes  selon  que 
l’astre  est  dans  son  ascension,  ou  au  méridien,  ou 
dans  telle  ou  telle  des  maisons  que  distinguent  les 
astrologues,  dans  tel  ou  tel  des  angles  et  des  lieux 
qu’ils  marquent  au  ciel. 

Ainsi,  de  quelque  manière  qu’on  la  veuille  prendre, 
la  suj)position  que  les  religions  et  les  mœurs  résultent 
de  rinriuence  des  astres  conduit  à des  absurdités. 

Assurément  Guillaume  a rencontré  des  Chrétiens 
qui,  comme  l’auteur  des  Tables  de  Marseille^  pen- 
saient concilier  l’Astrologie  et  la  foi  en  regardant  les 
astres  comme  de  simples  signes  de  l’avenir.  L’Evêque 
de  Paris  va  leur  montrer  que  le  faux-fuyant  auquel  ils 
recourent  est  impuissant  à les  sauver  du  fatalisme. 

« Ou  bien,  dit-il,  les  constellations,  les  positions  des 
étoiles  et  des  luminaires  ne  sont  que  signes  des  événe- 
ments d’ici-bas,  ou  liien  ils  en  sont,  à la  fois,  signes  et 
causes. 

» Si  ces  phénomènes  en  sont  seulement  signes,  ou 
bien  la  chose  signifiée  les  accompagnera  nécessaire- 
ment ou  bien  non. 

» Si  oui,  comme  les  signes  sont  nécessaires,  que 
rien  ne  les  ])eut  détourner  ni  changer,  les  événements 
seront,  eux  aussi,  incapables  d’être  changés  ni  détour- 
nés ; tout  arrivera  donc  d’une  manière  nécessaire 
dans  le  domaine  des  choses  morales. 

» Si  ce  sont,  au  contraire,  des  signes  que  n’accom- 
pagnent pas  nécessairement  les  événements  d’ici-bas, 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


373 


il  sera  possible  de  disjoindre  les  événements  de  leurs 
signes  ; mais  un  sione  dont  la  chose  signifiée  est  dis- 
jointe,  [en  sorte  qu’elle  ne  l’accompagne  plus],  est  un 
signe  menteur,  car  un  semblable  signe  peut  tromper  ; 
dès  lors,  des  significations  de  semblables  signes,  il  ne 
saurait  y avoir  de  science  ; la  science  ni  l’art,  en  efiet, 
ne  porte  sur  ce  qui  est  sujet  à erreur... 

» Si  ces  phénomènes  sont,  à la  fois,  signes  et  causes 
des  événements  d’ici-bas,  comme  ces  phénomènes, 
considérés  en  eux-mêmes,  sont  nécessaires,  il  faudra 
bien  que  lej?  événements  le  soient  aussi.  En  efiet,  le 
mouvement  des  deux,  avec  toutes  les  dispositions  qui 
en  résultent,  est  nécessaire  et  ne  peut  être  changé... 
En  même  temps,  donc,  tous  les  événements  créés  par 
les  constellations  seront  nécessaires,  et  rien  ne  les 
pourra  détourner.  » 

§IV.  — GUILLAUME  d’aUVERGNE  ET  l’aSTROLOGIE 
Le  De  universo 

Au  De  legihus,  vers  la  fin  de  sa  discussion  contre 
l’Astrologie,  (xuillaume  d’Auvergne  écrivait  : 

« Quelle  est  la  vérité  au  sujet  des  jugements  d’Astro- 
nomie  ; jusqu’à  quel  point  s'y  peut-on  fier  sans  danger 
pour  la  foi  et  la  piété,  ce  sont  questions  à la  solution 
desquelles  je  surseois.  C’est,  en  effet,  une  affaire  qui 
requiert  un  traité  plus  long  et  une  discussion  plus 
complète.  » Ce  traité  plus  long  et  cette  discussion  plus 
complète,  l’Evêque  de  Paris  les  devait  donner  dans, 
son  De  universo. 

Le  De  universo  est  un  traité  plus  savant  que  le  De 
legihus  ; Guillaume  d’Auvergne  y cite  nombre  d’au- 
teurs dont  il  admet  ou  combat  les  opinions.  Nous 
avons  dit  ailleurs  quels  philosophes  il  connaissait  et 
réunissait  sous  cette  désignation  collective  : Aristoteles 


374 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


et  ejus  sequaces.  Mais  il  n’a  pas  lu  que  les  œuvres  des 
philosophes  ; au  sujet  des  marées,  par  exemple,  il  nous 
apprend  (1)  « qu’il  a lu  ce  qu’Albumasar  a écrit  dans 
son  livre  ({u’il  nomme  : Introductoiniua  judiciorum 
astyonomorurn  ».  Ailleurs,  il  cite  le  Centiloquium 
attribué  à Ptolémée  (2). 

hitrodiictoriurn  d’Abou  Masar  n’était  d’ailleurs 
pas,  très  certainement,  la  source  unique  de  ses  con- 
naissances touchant  les  principes  de  l’Astrologie  ; ces 
principes,  en  effet,  il  les  possède  avec  une  plénitude  et 
une  précision  que  cet  ouvrage  n’eût  pas  suffi  à lui 
donner. 

C’est  à propos  de  la  (xrande  Année  que  Guillaume 
expose  (3)  le  système  par  lequel  les  philosophes  justi- 
haient  non  seulement  le  retour  périodique  de  l’état  du 
Monde  au  bout  de  cette  Grande  Année,  mais  encore 
le  gouvernement  des  circulations  célestes  sur  les 
choses  d’ici-bas. 

Ce  que  dit  à ce  sujet  l’Evêque  de  Paris  mérite 
d’être  rapporté  en  entier.  Nous  y verrons,  tout 
d’abord,  avec  quelle  exactitude  il  était  informé  des 
doctrines  qu’il  se  proposait  de  combattre.  Nous  ver- 
rons aussi,  au  sujet  de  la  définition  astronomique  de 
la  Grande  Année,  quelle  opinion  avait  cours  de  son 
temps. 

« Après  ce  que  nous  venons  de  dire,  écrit-il,  il  est 
logique  d’examiner  s’il  y a renouvellement  du  Monde, 
s’il  n’y  a qu’un  Monde  ou  s’il  y en  a plusieurs... 

» Je  vous  exposerai  donc,  tout  d’abord,  l’opinion  des 


(1)  Guillelmi  Parisiensis  De  universo,  Primæ  partis  principalis  pars  1 
(Guillelmi  Parisiensis  Opéra,  ecl.  1516,  tract,  lll,  cap.  XX.XIX,  1. 11,  fol.  cxxviii, 
col.  d.). 

(2)  Guillelmi  Parisiensis  De  univerxo,  Primæ  partis  principalis  pars  I 
(Guillelmi  Parisiensis  Opéra,  ecl.  1510,  tract.  III,  cap.  XXXI,  t.  Il,  fol.  cxxviii, 
col.  b.). 

(3)  Guillelmi  Parisiensis  De  universo,  Primæ  partis  principalis  pars  II 
(Guillelmi  Parisiensis  Opéra,  ecl.  1516,  t.  II,  fol.  cxlvii,  coll.  c.  et  d.). 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


375 


Anciens.  L’opinion  de  ces  Anciens,  des  astronomes  et 
de  quelques  poètes  est  donc  la  suivante  : 

» Au  bout  de  l’Année  qu’ils  nomment  Année  c\'- 
clique  (1),  il  y aura  rénovation  de  TUnivers  ; toutes 
choses  seront  alors  comme  elles  étaient  au  début  même 
de  la  création  de  l’Univers  ; pendant  la  seconde 
Grande  Année,  les  siècles  s’écouleront  tous  de  la 
même  façon  qu’ils  se  sont  écoulés  durant  la  première  ; 
en  chacun  des  nouveaux  siècles,  on  verra  revenir  les 
mêmes  choses  qui  ont  existé  au  cours  des  premiers 
siècles. 

» (3n  verra,  par  exemple,  revenir  le  même  Platon, 
le  même  Aristote  ; tous  les  autres  hommes  revien- 
dront les  mêmes  ; ils  renaîtront  dans  le  même  ordre, 
accomplissant  exactement  les  mêmes  actions,  subis- 
sant les  mêmes  passions  qu’ils  ont  accomplies  ou 
subies  en  leurs  temps  ; d’une  manière  générale,  dans 
chaque  partie  du  Monde,  tous  les  événements  seront 
identiques  à ceux  qui  les  ont  précédés.  Cette  rénova- 
tion, donc,  c’est  simplement  le  retour  de  toutes  choses 
non  seulement  à leur  état  antérieur,  mais  encore  à 
tout  leur  cours  antérieur,  actions,  passions  et  événe- 
ments de  toutes  sortes. 

» A leur  avis,  cette  Grande  année  contient  36  000 
ans.  Il  en  est  ainsi,  parce  que,  selon  ce  qu’a  démontré 
Ptolémée,  chacune  des  étoiles  fixes  se  meut  d’un  degré 
en  cent  ans  ; or  tout  cercle  céleste  contient  trois  cent 
soixante  degrés  ; chacune  des  susdites  étoiles  accom- 
plira donc  sa  révolution  totale,  et  décrira  tout  un 
cercle  céleste  en  autant  de  centaines  d’années  que  le 
cercle  contient  de  degrés,  partant  en  trois  cent  soi- 
xante centaines  d’années.  La  Grande  Année  des  étoiles 
fixes  contient  donc  36  000  ans.  Quant  aux  sept  astres 
errants,  ils  pensent  qu’au  bout  de  ce  même  nombre 


< 1)  Au  lieu  de  : annum  verientem,  le  texte  de  1516  porte  : annum  virtutem. 


376 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


d’années,  ils  reviennent  aussi,  sans  aucun  change- 
ment, à leur  état  primitif.  La  durée  dont  nous  avons 
parlé  est  donc  celle  de  la  révolution  du  ciel  entier  et 
du  retour  de  tous  ses  mouvements  à leur  point  de 
départ. 

» ^'enons  maintenant  au  monde  de  la  nature,  au 
monde  de  la  génération  et  de  la  destruction  qui  est 
contenu  dans  la  sphère  de  la  Lune  et  que,  pour  cette 
raison,  on  nomme  suhlunaire.  Selon  leur  opinion,  ce 
monde  admet  le  monde  supérieur  pour  chef,  pour  cause 
de  tous  ses  mouvements  et  de  tous  ses  changements  ; le 
monde  suhlunaire  suit  donc  nécessairement  le  monde 
supérieur  ou  céleste  ; en  même  temps  que  ce  dernier, 
])ris  en  sa  totalité  et  dans  chacune  des  choses  qui  lui 
apjiartiennent,  il  reprendra  son  état  primitif. 

» Gela  veut  dire  que  tous  les  hommes,  que  tous  les 
animaux,  que  toutes  les  autres  choses  contenues  dans 
ce  monde  suhlunaire  seront  régénérés  et  réparés,  de 
façon  à redevenir  les  mêmes  ; à partir  de  ce  moment, 
toutes  ces  choses  suivront  leur  cours,  soumises,  par 
l’etfet  de  révolutions  célestes  qui  seront  les  mêmes,  aux 
mêmes  destructions,  aux  mêmes  générations,  aux 
mêmes  événements  de  toutes  sortes  ; il  en  sera  ainsi 
jusqu’au  moment  où  le  Monde  et  la  durée  de  trente- 
six  mille  ans  atteindront  une  seconde  fois  leur  accom- 
plissement. Cet  accomplissement  sera  suivi  d’une 
ré})étition  semblable,  et  il  en  sera  de  même  à l’infini. 

» Parmi  les  hommes  qui  admettent  cette  opinion,  les 
uns  ont  supposé  le  Monde  éternel  ; d’autres,  au  con- 
traire, ont  pensé  qu’il  avait  été  créé  depuis  un  certain 
temps.  Les  uns,  donc,  ont  été  contraints  de  supposer 
qu’il  J avait  eu,  déjà,  une  infinité  de  rénovations  de  ce 
genre  et  qu’il  y en  aurait,  à l’avenir,  une  infinité.  Les 
autres,  au  contraire,  ont  supposé  qu’il  y avait  une 
infinité  de  rénovations  à venir,  mais  qu’il  n’y  avait  pas 
eu  une  infinité  de  rénovations  passées  ; le  fait  que  le 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


377 


Monde  a été  innové,  qu’il  a eu  un  commencement,  ne 
le  permet  pas. 

» 11  vous  faut  savoir,  en  outre,  qu’au  dire  de  certains, 
cette  Grande  Année,  nommée  aussi  Année  du  Monde, 
comprend  une  durée  de  40  (J0(3  ans  ; et  je  crois  que 
s’ils  le  disent,  c’est,  peut-être,  à cause  de  la  diversité 
que  présente  le  retour  des  sept  astres  errants.  Quelle 
est,  à ce  sujet,  la  vérité,  il  vous  est  facile  de  le  voir, 
car  on  connaît  les  mouvements  des  planètes,  et  on 
trouve  aisément  ce  qu’ils  seront  à n’importe  quelle 
époque  donnée  ; mais  cela  n’a  point  trait  à l’objet  du 
présent  traité.  » 

Nous  vojmns  que  les  astronomes  et  astrologues 
auprès  desquels  Guillaume  d’Auvergne  s’était  enquis 
de  la  Grande  Année  regardaient  comme  égales  entre 
elles  deux  périodes  distinctes  : 

1°  La  durée  attribuée  par  Ptolémée  à la  lente  révo- 
lution des  étoiles  fixes. 

2°  La  durée  qui  s’écoule  entre  deux  dispositions 
identiques  des  astres  errants  par  rapport  aux  étoiles 
fixes. 

La  valeur  commune  de  ces  deux  durées,  trente-six 
mille  ans,  mesurait  la  Grande  Année  ou  Année  du 
INIonde. 

Les  Chrétiens  avaient  certainement  reçu  des  Arabes 
cette  définition  de  la  Grande  Année.  Nous  avons  vu  (1) 
que  les  Frères  de  la  Pureté  et  de  la  Sincérité  profes- 
saient très  exactement  à cet  égard,  la  doctrine  que 
Guillaume  vient  de  nous  exposer.  Les  Arabes,  d’ail- 
leurs, tenaient  sans  doute  cette  définition  des  Indiens. 

Que  la  durée  de  trente-six  mille  ans  fût,  au  temps  de 
Guillaume  d’Auvergne,  regardée  comme  l’évaluation 
la  plus  probable  de  la  Grande  Année,  Joannes  de 


(1)  Voir  : Le  Système  du  Monde,  Première  Partie,  ch.  XII,  § V;  t.  II. 
pp.  215-220. 


378 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Sacro-Bosco  nous  en  est  témoin.  Dans  son  traité  du 
Comput  ecclésiastique,  ([ui  fut  rédigé  soit  du  vivant  de 
(Guillaume  d’Auvergne,  soit  peu  de  temps  après  la 
mort  de  ce  prélat,  voici  comment  il  s’exprime  au 
sujet  des  années  (i)  : 

« Parmi  les  années,  on  distingue  l’année  particulière 
de  chaque  astre  errant,  et  l’année  commune  à tous  ces 
astres  ; celle-ci  reçoit  spécialement  le  nom  d’Année  du 
Monde  ou  Année  parfaite... 

» La  Grande  Année  est  l’esjiace  de  temps  au  bout 
duquel  tous  les  astres  errants,  avec  les  étoiles  fixes  de 
tout  le  firmament,  reviennent  aux  places  qu’ils  occu- 
j)aient  lors  de  la  jiremière  origine  du  Monde.  C’est 
de  cette  Année  que  dosèphe  a fait  mention  en  ces 
termes  ; ...  > 

Après  avoir  cité  le  texte  où  l’Historien  Juif  jiarle 
d'une  Grande  Année  de  six  cents  ans,  notre  auteur 
poursuit  ainsi  : 

« Il  existe  un  avis  plus  véritable  des  Philosophes, 
définissant  par  une  durée  de  15  0()(J  ans  la  Grande 
Année,  qui  est  l’Année  du  Monde  tout  entier  ; d’où  ces 
vers  : 

Milliii  1er  (juinque  Mmidiis  complectitur  annos, 

Ut  Plalo  testatur,  (jiios  Maginim  nunciipat  Aniiuin. 

Ex  his  l)is  centum  minus  uno,  millia  ([uinepie 
Ura^cessere  tua’  nova'  legis  tempora,  Christe. 

» Toutefois,  l’Année  parfaite  du  Monde  paraît  con- 
tenir 30  0(J()  révohitions  du  Soleil.  » 

Nous  avons  trouvé  un  enseignement  qu’on  peut 
rapprocher  du  précédent  dans  un  très  coind  opusctde 
manuscrit  (fui  nous  a été  communiqué  par  M.  Jacques 
Rosenthal,  le  savant  libraire  de  Mtmich. 


(1)  làbellus  loannis  de  Sacro  Husto,  ])e.  arini  rutione,  sen  ui  vocaiur 
vnl(/o  Computus  Ecclesimticus.  Ciun  Præfatione  l'hilippi  Melantlionis, 
1545.  Coloplion  ; Impressum  Vitel)erga',  apud  Vitum  Creutzer.  Anrio  MDXIA’. 
— De  aiiiiis,  fo!.  sign.  I.  3,  V",  et  fol.  sign.  1.,  4,  r"et  v". 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


379 


Cet  opuscule  est  intitulé  : Quid  sit  anmis  Solaris 
Rub. 

(v)uel  est  ce  Robert  (Ruhertus)  qui  s’est  proposé 
de  définir  l’année  solaire  ? Serait-ce  Roliert  Grosse- 
Teste,  évêque  de  Lincoln,  que  souvent,  dans  les 
manuscrits,  désigne  le  simple  prénom  de  Robert,  et 
qui  avait  ainsi  coutume  de  rédiger  de  très  courtes 
pièces  ? L’hypothèse  est  assez  vraisemblable  ; mais  elle 
n’est  point  certitude. 

L’opuscule  débute  par  cette  définition  de  l’année 
solaire  : 

« Annus  est  Solaris  anfractus  cum^  peractis  tre- 
rentis  sexaf/inta  quinqiœ  diehvs,  [S'o/]  ad  eadem  loca 
siderium  (sic)  redit  ». 

11  prend  fin  par  ces  paroles  : 

« Quoi  autem  sunt  anni  ah  origine  Miindi  dictuni 
est  sub  hoc.  » 

Or,  dans  ce  ])etit  écrit  nous  lisons  le  passage  que 
voici  : 

« Magnus  autem  amius  completur  reversis  planetis 
omnibus  ad  loca  sue  creationis^  quod  fit  annis  non 
pauciorilnis  CCCCt'XXX.  Alundi  vero  a7inus  erit 
omnibus  stellis  ad  prima  loca  reversis  quod  fit  demum 
post  A T"  millia  annorum.  Alagister  dicit  in  historia 
Gen.,  ubi  agit  de  ebrietate  Noe,  quod  magnus  annus 
impletur  j)er  circula  sex-centorurn  annorum.  — La 
Grande  Année  est  accomplie  lorsque  tous  les  astres 
errants  sont  revenus  aux  lieux  qu’ils  occupaient  lors 
de  leur  création,  ce  qui  ne  se  fait  pas  en  moins  de  cinq 
cent  trente  ans.  Quant  à l’Année  du  Monde,  elle  sera 
accomplie  lorsque  toutes  les  étoiles  seront  revenues  à 
leurs  places  primitives,’  ce  qui  a lieu  après  quinze 
mille  ans.  Dans  l’histoire  de  la  Genèse,  là  où  il  traite 
de  l’ivresse  de  Noé,  le  Maître  (Moïse)  dit  que  la 
Grande  Année  s’accomplit  par  cycles  de  six  cents  ans.  » 

Cet  enseignement  de  Joannes  de  Sacro  Bosco  et  de 


380 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Robert  s’accorde  visiblement  avec  celui  de  Guillaume 
d’Auvergne,  bien  qu’il  soit  moins  clair  et  moins  com- 
plet. Il  nous  apprend  que  la  pensée  de  la  (xrande 
Année  platonicienne,  de  l’Année  qu’embrasse  la  vie  du 
Monde,  hantait  les  écoles  du  Moyen  Age  ; les  computs 
versifiés  qu’y  apprenaient  les  jeunes  élèves  n’avaient 
garde  d’omettre  la  détermination  de  cette  période  ; la 
tradition  la  plus  communément  répandue  lui  attribuait 
une  durée  de  quinze  mille  ans  ; mais  les  hommes  plus 
instruits  regardaient  la  durée  de  trente-six  mille  ans 
comme  plus  probable.  En  combattant  donc  la  croyance 
à la  Grande  Année,  Guillaume  d’Auvergne  ne  se  bat- 
tait pas  contre  une  chimère  ; l’erreur  qu’il  condamnait 
était  bien  vivante  chez  ses  contemporains. 

Nous  ne  suivrons  pas  dans  tous  ses  détails  la  lutte 
que  l’Evêque  de  Paris  mène  contre  la  superstition 
astrologique  ; plusieurs  longs  chapitres  du  De  tmiverso 
sont  consacrés  à cette  discussion,  dont  nous  ne  retien- 
drons que  quelques  chefs  principaux. 

11  est,  d’ailleurs,  des  parties  de  cette  discussion  où 
l’auteur  reprend  ce  qu’il  avait  déjà  dit  au  De  legihv.s, 
et  il  a soin  d’en  faire  la  remarque  (1)  : 

« Déjà,  dans  un  autre  traité,  vous  m’avez  entendu 
dire  beaucoup  de  choses  à ce  sujet,  et  je  vous  ai  donné 
les  principes  propres  à détruii-e  ces  o])inions. 

» Le  premier  de  ces  principes  était  le  suivant  : Au- 
cune vertu  ne  saurait  donner  ce  qui  est  plus  grand  ou 
plus  noble  qif elle-même.  Tous  les  ]»hilosophes  s’ac- 
cordent en  ce  point,  car  tout  don  est  meilleur  et  plus 
gi-and  dans  celui  qui  donne  que  dans  celui  qui  reçoit. 

» Dans  ce  même  traité,  j’ai  également  fait  usage  de 
cet  autre  principe  : Les  vertus  spirituelles  et  les  dons 
s])irituels,  tels  que  les  arts,  les  sciences  et  les  autres 

(1)  Guillelnii  Parisieiisis  De  universo.  priiiiæ  partis  principalis  pars  1 (Guil- 
lelmi  Parisieiisis  Opéra,  ed.  15K),  tract.  111,  cap.  .\.\X1,  t.  11,  fol.  c.x.xiii, 
col.  b). 


i 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


381 


perfections  des  âmes  humaines  ne  proviennent  point 
(le  corps  pris  en  eux-mêmes  et  en  tant  c[ue  corps.  » 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  aux  passages  où  le  l)e 
uniüerso  reprend  en  les  expliquant,  les  détaillant,  les 
illustrant  d'exemples,  les  arguments  que  le  l)e  legihus 
avait  opposés  à l’Astrologie  ; de  cette  discussion, 
renouvelée  et  étendue,  nous  nous  bornerons  à citer 
deux  passages  : dans  l’im,  nous  verrons  (Tiiillaume 
user  de  sa  verve  spirituelle  ; dans  l’autre,  nous  l’en- 
tendrons faire  appel  à son  bon  sens. 

Voici  d’abord  pour  l’esprit  (1)  : 

« Quelqu’un,  qui  me  l’a  conté  en  personne,  s’est 
joliment  moqué  d’un  mage  qui  lui  promettait  une 
haute  dignité...  » — « Si  Dieu,  lui  répondit-il,  ne  veut 
pas  que  j’obtienne  cette  dignité,  pourrez-vous  faire  que 
je  l’obtienne  ?»  — « Si  Dieu  ne  le  veut  pas,  je  ne  le 
pourrais  faire  d’aucune  façon.  » — « Et  si  Dieu  veut 
que  je  l’obtienne,  pourrez-vous  empêcher  que  cela  ne 
soit  ?»  — « Ni  moi  ni  personne  d’autre  ne  le  peut.  » 
Alors  notre  homme  de  dire  au  mage  : « Tout  est  donc 
à la  volonté  de  Dieu  ; aussi,  je  m’en  remets  à lui  pour 
tout  ce  qu’il  a décrété.  » 

Voici  maintenant  comment  le  bon  sens  renverse  la 
supposition  de  la  Grande  Année  (2)  : « Pourquoi  cette 
intention  naturelle  se  portera-t-elle  à deux  objets  con- 
traires ? Pourquoi  la  nature  tendra-t-elle  non  seule- 
ment à engendrer,  mais  aussi  à corrompre  et  détruire 
ce  qu’elle  a engendré  ? Il  ne  paraît  pas  possible  qu’une 
seule  et  même  nature  ait  l’intention  de  produire  deux 
effets  contraires  ; cette  intention  serait  ridicule,  comme 
serait  ridicule,  chez  un  maçon,  l’intention  de  bâtir  et 
de  démolir  une  même  maison  ; un  homme  qui  bâtit 

(1)  Guillaume  tl’Auvergne,  loc.  cit.  ; écl.  1516,  t.  11,  fol.  cx.wii  (marqué 
cxvii),  col.  b. 

(2)  Guillelmi  Parisiensis  De  unicerso,  primæ  partis  principalis  pars  II 
[Guillelmi  Parisiensis  Opéra,  ed.  1516,  t.  II,  fol.  cl,  col.  c]. 

IIP  SÉRIE.  T.  XXVI.  -25 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


une  maison  et  qui,  en  même  temps  qu’il  la  bâtit,  la 
démolit,  fait  comme  s’il  ne  la  bâtissait  pas... 

» J’ai  dit  qu’une  vertu  de  ce  genre  tendait  à pro- 
duire un  effet  infini  ; mais  on  aurait  pu  dire  semblable- 
ment, comme  il  paraît,  qu’elle  tend  au  néant  ; de 
même,  en  effet,  (pi’elle  tend  à l’existence  par  une 
génération  continuelle,  de  même,  par  une  destruction 
continuelle,  tend -elle  au  non-être,  c’est-à-dire  au 
néant.  » 

Par  une  admirable  intuition,  Guillaume  a compris 
que  l’œuvre  de  la  nature  doit  se  poursuivre  dans  un 
sens  bien  déterminé  et  toujours  le  même  ; que  cette 
(Duvre  ne  peut  consister  en  deux  opérations  alternatives 
et  de  sens  opposés  qui  se  compensent  l’une  l’autre.  Cet 
éclair  met  en  évidence  rim])ossibilité  d’un  Monde  qui, 
éternellement  et  périodiquement,  parcourrait  le  même 
cycle,  du  Monde  que  concevaient  la  plupart  des  philo- 
sophies antiques  ; en  même  temps,  il  fait  entrevoir  le 
Monde  de  la  Science  moderne,  le  Monde  qui  n’admet 
])as  de  mouvement  perpétuel,  qui  se  soumet  aux  lois 
de  Sadi  Carnot,  de  Clausius,  de  \Villiam  Thomson. 

Mais  laissons  les  objections  de  Guillaume  contre 
l'Astrologie  et  demandons  lui  ce  qu’il  regarde  comme 
véritable  dans  les  actions  qu’on  prête  aux  astres. 

« Afin  que  je  vous  donne  l’exposé  complet  des  prin- 
<-ipes  relatifs  aux  jugements  astronomiques,  écrit 
l'Kvêque  de  Paris  (1),  voici  ce  que  je  vousylirai  par 
un  bref  discours  : Ce  qui  semble  le  plus  probable  tou- 
chant les  vertus  et  effets  des  étoiles  et  des  astres,  on  le 
déduit  des  opérations  qu’exercent  les  vertus  des  autres 
choses  telles  que  les  animaux,  leurs  diverses  parties, 
les  herbes,  les  médecines,  les  pierres  précieuses  ; les 

(1)  Guillelnii  l’arisiensis  De  universo,  priniæ  partis  principalis  pars  I 
(Guillelmi  Parisiensis  O/iera,  ed.  1516,  tract.  111,  cap.  XXXI  ; t.  il,  fol.  cxxii, 
col.  d). 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


383 


vertus  de  ces  choses  sont  comme  leurs  aspects  et 
manières  d’ètre  à l’égard  des  autres  choses.  » 

Guillaume  va  donc  étudier  les  actions  mutuelles, 
attractives  ou  répulsives,  que  les  choses  d’ici-bas 
exercent  les  unes  sur  les  autres. 

Dans  cette  étude,  nous  pourrions  peut-être  nous 
attendre  à trouver,  de  la  part  de  notre  auteur,  une 
attitude  quelque  peu  sceptique  à l’égard  des  innom- 
braldes  s^unpathies  et  antipathies  qu’admettait  la 
science  du  Moyen  Age.  11  venait,  en  effet,  de  se  mon- 
trer sévère  envers  ceux  qui  invoquent  sans  cesse  de 
nouvelles  actions  de  ce  genre.  A la  suite  d’une  objec- 
tion qu’il  avait  opposée  aux  partisans  de  l’Astrologie, 
il  avait  dit  (1)  : 

« Ici,  ils  n’ont,  pour  fuir,  que  deux  voies,  dont  une 
n’est  autre  que  les  ténèlires  ; ces  ténèbres,  beaucoup 
de  gens  les  regardent  comme  une  retraite  et  un  refuge 
pour  leur  ignorance  ; toutes  les  fois,  en  effet,  qu’on  les 
interroge  au  sujet  d’une  cause  qu’ils  ne  connaissent 
pas,  ils  recourent  à des  vertus  occultes  ; cette  cause, 
disent-ils,  c’est  une  cause  occulte  et  une  vertu  cachée 
par  laquelle  telle  chose  est  de  cette  façon.  » 

Le  bon  sens  de  Guillaume  lui  montre  qu’on  n’expli- 
que rien  en  invoquant  une  cause  occulte  ; mais  sa 
crédulité  se  montre  tro])  accueillante  aux  fables  qui  se 
débitaient  communément  autour  de  lui.  La  première 
action  répulsive  dont  il  invoque  l’exemple  (2)  n’est-elle 
pas  celle  par  laquelle  cette  innocente  bête  qu’est  le 
basilic  tuerait  rhomme  à distance,  par  son  simple 
regard  ? Pouvons-nous,  toutefois,  demander  à notre 
auteur  de  ne  point  être  de  son  temps  ? 

Ne  nous  étonnons  donc  pas  trop  de  l’entendre  attri- 
buer aux  gemmes  une  foule  d’actions  phj^siologiques  qui 


(1)  Guillaume  d’Auvergne,  loc.  cit.,  éd.  1516,  p.  cxxii,  col.  b. 

(:2)  Guillaume  d’Auvergne,  loc.  cit.,  éd.  1516,  t.  11,  fol.  cx.\ii,  col.  d. 


384 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


font  aujourd’hui  sourire  notre  science  mieux  informée. 
Ces  attributions,  d’ailleurs,  il  est  trop  prudent  pour  les 
prendre  à son  compte  ; par  les  « on  dit»,  « on  suppose  », 
« les  médecins  attestent  »,  qui  émaillent  son  discours, 
il  laisse  à qui  de  droit  la  responsabilité  des  enseigne- 
ments qu’il  nous  transmet.  Le  jaspe  et  les  sardoines 
arrêtent  les  hémorragies,  écrit-il  (1),  « si  ce  que  les 
expérimentateurs  en  disent  est  vrai,  si  vera  sunt  quæ 
dicunt  eœperimentatores  de  eis.  » 

Sa  crédulité  a des  bornes,  d’ailleurs  ; elle  s’arrête 
au  moment  où  les  effets  attribués  à certains  corps 
excèdent  nettement  ce  qu’on  peut  attendre  d’actions 
physiques  : « On  a étendu,  dit-il  (2),  ces  aspects  et 
vertus  des  pierres  précieuses  ; par  une  supposition  en 
faveur  de  laquelle  on  ne  peut  opiner  {ponentes  inopi- 
nabiliter),  on  en  a fait  des  êtres  spirituels  ; ainsi  on  a 
imposé  à l’émeraude  un  aspect  à l’égard  des  richesses, 
un  asjiect  attractif,  dis-je,  car  on  a prétendu  qu’elle 
attirait  la  richesse  vers  son  possesseur.  » 

Les  superstitions  de  ce  genre  se  reliaient,  d’ailleurs, 
à l’Astrologie  ; on  donnait  l’action  des  pierres  pré- 
cieuses pour  une  participation  de  l’action  céleste  ; 
« selon  ceux  qui  y croyaient,  toute  vertu  d’une  })ierre 
réside  en  cette  pierre  parce  ([u’en  elle,  il  y a de  la 
cinquième  essence  (3).  » 

L’erreur  séduit  l’esprit  par  la  part  de  vérité  qu’elle 
contient  ; si  les  charlatans  obtenaient  crédit  pour  toutes 
les  vertus  merveilleuses  qu’ils  attribuaient  aux  pierres 
précieuses,  c’est  qu’ils  en  pouvaient  montrer  certaines 
propriétés  bien  réelles.  « Toutes  les  pierres  précieuses 

(1)  Guillelmi  l'arisiensis  De  unirerso,  prima'  partis  principalis  pars  I 
(Guillelmi  Parisieiisis  üperu,  ed.  1516,  tract.  III.  cap.  XXXl.X,  toni.  11,  fol. 
cx.xviii,  col.  d). 

(2)  Guillelmi  Parisieiisis  De  vniverso  primæ  partis  principalis  pars  I (Guil- 
lelmi Parisieiisis  Opéra,  ed.  1516,  tract.  111,  cap.  XXXI  ; t.  11,  fol.  cxxii, 
col.  d). 

(3)  Guillaume  d’Auvergne,  loc.  cit-,  éd.  1516,  t.  II,  fol,  cxxiii,  col.  b. 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


385 


et  bien  polies  ont  un  certain  aspect  d’ainour  à l’égard 
des  fétus  de  paille  très  légers  (1).  » Si  l’émeraude  bien 
polie  et  frottée  attirait  un  fétu  à distance,  ne  pouvait- 
on,  aussi  bien,  la  croire  capalde  d’attirer  les  riches- 
ses ? 

Guillaume  connaît  les  attractions  qu’exercent  les 
corps  électrisés  ; il  se  montre  également  informé  des 
actions  magnétiques. 

Parmi  les  actions  à distance  qu’il  énumère,  et  qu’il 
nomme  des  aspects,  il  distingue  deux  espèces,  l’aspect 
d’amour  et  l’aspect  de  haine,  c’est-à-dire  l’attraction 
et  la  répulsion. 

« A l’égard  de  la  pierre  d’aimant,  dit-il  (2), le  fer  a 
deux  aspects  et,  en  outre,  un  troisième  qui  est,  pour 
ainsi  dire,  intermédiaire  entre  les  deux  premiers  et 
formé  de  leur  inélano-e. 

» Par  le  premier  aspect,  le  fer  se  comporte,  en 
quelque  sorte,  à l’égard  de  la  pierre,  comme  l’amant 
à l’égard  de  l’objet  aimé  ; de  quelque  façon  qu’on 
déplace  cette  pierre,  il  la  suit,  pourvu  qu’il  en  soit  à 
une  distance  limitée. 

» 11  y a un  aspect  contraire,  une  manière  d’être 
opposée  du  fer  à l’égard  d’une  pierre  d’aimant  d’un 
autre  genre  ; il  la  fuit  comme  il  fuirait  un  ennemi. 

» Il  J a,  enfin,  un  troisième  aspect  à l’égard  d’un 
troisième  genre  de  pierre  magnétique;  celle-ci,  par 
une  de  ses  parties,  attire  le  fer  ; par  l’autre,  elle  le 
repousse  et  le  met  en  fuite.  Get  aspect  est,  en  quelque 
sorte,  composé  des  deux  premiers.  » 

Guillaume  sait  qu’on  peut  observer  non  seulement 
des  attractions  magnétiques,  mais  encore  des  répul- 
sions ; il  sait  aussi  qu’une  pierre  d’aimant  pent,  par 
ses  deux  pôles,  manifester  des  propriétés  contraires. 


(1)  Guillaume  d’Auvergne,  loc.  cit.,  éd.  1516,  t.  II,  fol.  c.'ixii,  col.  d. 

(2)  Guillaume  d’Auvergne,  loc.  cit.,  éd.  1516,  t.  II,  fol.  cxxii,  col.  d. 


386 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Mais  ses  connaissances,  bien  que  véridiques,  sont 
encore  confuses.  Elles  ne  se  })récisent  pas  en  ces  deux 
lois  : 

Deux  pôles  magnétiques  de  même  nature  se  re- 
poussent ; 

Deux  pôles  magnétiques  de  natures  contraires  s’at- 
tirent. 

L’ignorance  de  Guillaume  à l’égard  de  ces  deux  lois 

O C 

lui  est-elle  particulière  ? Lui  est-elle,  au  contraire, 
commune  avec  ses  contemporains  ? Comme  l’Evêque 
de  Paris  paraît  avoir  été  l’un  des  hommes  les  plus 
instruits  de  son  temps,  la  seconde  supposition  est  plus 
vraisemblable  que  la  première.  Si  elle  est  exacte,  la 
science  des  actions  magnétiques  va  faire  des  progrès 
rapides,  car  en  1269,  dans  sa  célèbre  Lettre  sur  l'ai- 
mant^ Pierre  de  Maricourt,  dit  le  Pèlerin,  connaîtra 
exactement  les  deux  lois  des  actions  magnétiques  et 
les  étalilira  cà  l’aide  d’expériences  très  claires. 

Les  attractions  et  répulsions  très  réelles  des  corps 
aimantés,  les  forces  très  réelles  qu’exercent  les  corps 
électrisés,  tels  sont,  nous  le  voyons,  les  exemples  qui 
accréditaient,  auprès  des  hommes  du  Moyen  Age,  tant 
de  sympathies  et  d’antipathies  fabuleuses  entre  corps 
terrestres  ; de  même,  l’action  très  véritable  que  la 
Lune  et  le  Soleil  exercent  sur  les  eaux  de  la  mer 
garantissait  la  créance  que  les  astrologues  accor- 
daient aux  influences  célestes.  Si  l’homme  ne  possède 
jamais  l’entière  vérité,  jamais,  non  plus,  il  ne  se 
trompe  tout  à fait. 

« Outre  les  opérations  (i),  les  aspects  et  les  rela- 
tions que  nous  avons  cités,  on  en  peut  trouver  une 
foule  d’autres  qui  favorisent  l’avis  de  ceux  qui  veulent 
opiner  avec  les  astronomes...  En  raisonnant  donc 
d’après  la  réunion  de  tous  ces  faits  {aggregata  ratio- 


(1)  Guillaume  d’Auvergne,  \oc.  cit.  ; éd.  1516,  fol.  cxxiii,  coll.  a et  b. 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


387 


cinaiione),  on  pourrait  dire  comme  par  une  sorte  de 
conjecture  : S’il  y a,  dans  les  corps  terrestres,  dés 
vertus  si  nombreuses  et  si  puissantes,  qui  sont  occultes, 
bien  que  les  opérations  en  soient  manifestes,  il  n’est 
pas  étonnant  qu’il  y ait,  dans  les  corps  célestes  ou 
dans  les  deux,  une  multitude  de  vertus  admirables  et 
occultes. 

» Je  vais  donc  vous  dire  s’il  y a quelque  vérité  dans 
les  opinions  des  astronomes,  quelle  elle  est,  et  de 
quelle  manière  elle  est  vraie. 

» Il  est  manifeste  que  l’aspect  de  la  Lune  agit  sur  ce 
qui  est  froid  et  humide,  sur  le  froid  même  et  sur  l’hu- 
midité même  ; aussi  la  Lune  agit-elle  sur  l’humidité 
pour  l’augmenter  ou  la  diminuer,  sur  le  froid  pour  en 
faire  croître  ou  décroître  l’intensité. 

» Gela  est  très  évident  pour  le  plus  grand  des  corps 
froids  et  humides  qui  est  la  mer  ; la  mer  augmente 
ou  diminue  suivant  que  la  lumière  de  la  Lune  aug- 
mente ou  diminue. 

» 11  est  manifeste  que  les  choses  se  passent  de  la 
même  manière  pour  le  cerveau  et  la  moelle  des  ani- 
maux ; les  bouchers  et  les  chirure-iens  l’ont  reconnu 
par  une  expérience  très  certaine. 

> (ju’il  en  soit  encore  de  même  pour  la  moelle  des 
arbres,  c’est-à-dire  pour  les  humeurs  qu’ils  renferment, 
cela  se  manifeste  aux  bûcherons. 

» Mais  ce  qui  arrive  accidentellement  par  suite  de 
ces  accroissements  et  de  ces  flux  ne  peut  être  prédit, 
si  ce  n’est  d’une  manière  conjecturale  ; ainsi  en  est-il, 
par  exemple,  de  la  destruction  des  maisons  ou  des 
petits  villages  proches  de  la  mer,  des  submersions  et 
bris  de  navires,  des  noyades  d’hommes  et  d’animaux 
[qui  peuvent  résulter  de  la  marée].  De  bien  des  ma- 
nières, en  effet,  on  peut  empêcher  que  ces  résultats 
ne  se  produisent  par  suite  du  flux  de  la  mer  ; à l’aide 
de  digues  et  de  barrages,  on  résiste  à la  mer  et  on  en 


388 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


évite  riiiondation  ; les  hommes  et  les  animaux  fuient, 
en  sorte  que  la  mer  ne  les  prend  pas  ; d’une  foule  de 
manières,  connues  des  navigateurs  et  des  hommes  de 
mer  expérimentés,  on  veille  au  salut  des  vaisseaux... 

» ( )n  doit  penser  de  même  au  sujet  des  inondations 
Ignées  que  produisent  trois  montagnes,  savoir  le  A^ol- 
can,  l’Etna  et  la  Cdiimère.  Mais  ces  éruptions  ne  sont 
pas  toujours  égales  et  ne  se  font  pas  d’une  manière 
unique  ; il  est  donc  manifeste  qu’elles  ne  proviennent 
pas  de  la  seule  vertu  de  la  Lune  ; ...  il  en  résulte 
nécessairement  que  d’autres  planètes  ou  étoiles  fixes 
participent  avec  le  Soleil  aux  opérations  de  ce  genre.  » 

Telles  sont  donc  les  actions  que  Guillaume  regarde 
comme  provenant  certainement  de  la  Lune  et  des  astres  ; 
ce  sont  celles  c[iie,  depuis  l’Antiquité,  personne  ne  leur 
contestait  ; parmi  ces  actions,  il  en  est  une,  celle  qui 
détermine  le  flux  et  le  reflux  de  la  mer,  qui  est  très 
certaine  ; ([liant  aux  autres,  la  croyance  populaire  leur 
accorde,  encore  aujourd’hui,  un('  fréquente  confiance  ; 
si  l’on  tient  compte  de  la  commune  crédulité  au  temps 
où  vivait  Guillaume,  on  le  peut,  semble-t-il,  féliciter 
de  sa  réserve. 

Mais  plus  encore  que  la  prudence  des  conclusions, 
la  forme  du  raisonnement  qui  les  a fournies  mérite 
d’être  louée. 

L’Evê([ue  de  Paris  a commencé  par  réunir  tout  ce 
que  l’expérience  enseigne  au  sujet  des  actions  que  les 
corps  d’ici-has  peuvent,  à distance,  exercer  les  uns 
sur  les  autres.  Une  induction  conjecturale  l’a  conduit, 
alors,  à admettre  que  les  astres  pouvaient,  sur  les 
corps  terrestres,  produire  des  effets  de  même  nature. 
Mais  c’est  encore  à l’observation  et  à l’expérience 
qu’il  demande  de  manifester  quelles  actions  émanent 
réellement  de  la  Lune  ou  des  autres  astres. 

La  méthode  suivie  par  Guillaume  est  rigoureuse- 
ment scientifique.  Sans  doute,  elle  ne  l’empêche  pas 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


389 


de  professer  des  erreurs  ; il  se  trompe,  parce  que  ses 
contemporains,  auxquels  il  se  fie,  parce  que  médecins, 
chirurgiens,  bouchers,  bûcherons  lui  donnent  des  pro- 
positions imaginaires  ou  douteuses  pour  vérités  con- 
firmées par  une  expérience  constante  ; mais,  en  dépit 
de  ces  erreurs  qu'il  lui  eût  été  bien  malaisé  d’éviter,  sa 
méthode  le  conduit  à une  affirmation  dont  l’importance 
est  grande,  et  c’est  celle-ci  : L’action  par  laquelle 
la  Lune  meut  la  mer  est  semblable  à celle  par  la- 
quelle l’aimant  attire  ou  repousse  le  fer,  à celle  par 
laquelle  une  pierre  précieuse  frottée  attire  les  fétus  de 
paille.  Lorsque  nous  traiterons  des  marées,  nous  l’en- 
tendrons reprendre  et  développer  cette  analogie. 

Si  Guillaume  d’Auvergne  admet  la  réalité  de  cer- 
taines actions  exercées  par  les  astres,  c’est  parce  que 
ces  actions  sont  de  même  nature  que  celles  dont  les 
corps  terrestres  nous  offrent  des  exemples.  (Jue  nous 
voici  loin  des  principes  à l’aide  desquels  le  Péripaté- 
tisme ou  le  Néoplatonisme  justifiait  l’Astrologie  ! Pour 
ces  philosophies,  en  effet,  si  les  mouvements  célestes 
gouvernaient  les  choses  d’ici-bas,  c’est  parce  que  les 
orbes  et  les  astres  étaient  éternels,  immuables  et  divins, 
absolument  difterents,  par  leur  nature,  des  choses 
sublunaires. 

Guillaume  sait,  d’ailleurs,  combien  le  raisonnement 
inductif  par  lequel  il  rend  vraisemblable  l’existence  de 
certaines  actions  émanées  des  astres  diftere  de  ceux 
par  lesquels  les  Astrologues  prétendent  justifier  leurs 
principes.  Ils  eussent  pu,  dit-il,  employer  cette  argu- 
mentation conjecturale,  s'ils  y avaient  sonyê  : « Ag- 
gregata  igitur  ratio cinatio ne  tanquarn  per  aliquam 
conjecturani  dicere potuissent,  si animadvertissent...  » 

Notre  auteur  a parlé,  jusqu’ici,  en  physicien  ; il  a 
dit  quelles  actions  le  raisonnement  inductif  lui  per- 
mettait d’attribuer  à la  Lune  et,  peut-être,  à certains 
autres  astres.  Ces  actions  sont-elles  les  seules  qui 


390 


REVUE  DES  QUESTIOr\’S  SCIENTIFIQUES 


émanent  des  corps  célestes  ? « Aux  deux  luminaires, 
aux  étoiles,  voire  même  aux  cieux,  peut-on  attribuer 
des  vertus  qui  ne  soient  pas  semldables  à celles  que  je 
vous  ai  nommées  ?...  Là  est  la  question.  » Une  longue 
discussion  des  prétentions  des  astrologues  et  devins  va 
conduire  l’Evêque  de  Paris  à sa  conclusion  définitive  ; 
il  ne  va  plus  dire  en  physicien  quelles  actions  astrales 
lui  semblent  réelles  ; il  va,  en  philosophe  et  en  théo- 
logien, tracer  la  frontière  entre  les  influences  qu’il  est 
permis  d’attribuer  aux  astres  et  celles  qu’on  ne  leur 
saurait  concéder. 

« Dans  deux  autres  traités,  écrit-il  (1),  vous  m’avez 
entendu,  déjà,  développer  de  nombreuses  objections 

contre  cette  erreur Te  vais  donc  mettre  fin  à cette 

discussion  et  je  dirai  : 

» On  doit,  comme  je  vous  l’ai  démontré  dans  les 
précédents  chapitres,  accorder  que  des  vertus  célestes 
s’exercent  sur  les  choses  contenues  ])ar  la  sphère  de  la 
Lune;  ces  vertus  ont  pouvoir  sur  les  natures  radicales, 
c’est-à-dire  sur  les  éléments,  sur  les  humeurs  et  sur 
les  corps  qui  en  sont  composés  ; comme  je  vous  l’ai 
dit  précédemment,  elles  ont  aussi  pouvoir  sur  les  êtres 
animés  ; sur  les  lirutes  animées,  elles  exercent  leur 
action  avec  force  et  d’une  façon  dominante,  car  ces 
êtres  animés  suivent,  d’une  manièi’e  nécessaire,  les 
natures  radicales.... 

» Il  en  est  de  même  pour  les  hommes  ; elles  ont  un 
certain  pouvoir  sur  les  hommes,  mais  elles  ne  l’exer- 
cent qu’autant  que  les  hommes  le  veulent;  ce  n’est  pas, 
en  effet,  d’une  manière  naturelle  que  les  hommes 
suivent  ou  fuient  les  natures  radicales,  mais  lhen  par 
une  libre  volonté. 

» Mais  le  vulgaire  et  la  multitude,  par  suite  de  la 

(1)  Guillelmi  Parisiensis  De  imivevso,  priniæ  partis  principalis  pars  I 
(Guillelmi  Parisieiisis  Opéra,  ed.  1516,  tract.  111,  cap.  XXXII,  t.  II,  fol.  cxxvi, 
col.  d,  et  fol.  cxxvii,  col.  a. 


l’astrologie  au  moyen  AGE 


391 


pauvreté  et  d’autres  dispositions  mauvaises,  suivent,  en 
majorité,  les  natures  radicales  presque  à la  façon  des 
brutes....  Ainsi,  durant  les  chaleurs  prolongées  du 
mois  de  juin,  la  bile  s’aigrit;  les  hommes  se  mettent 
plus  aisément  et  plus  violemment  en  colère  ; de  là  des 
rixes,  des  conflits,  des  guerres;  ces  troubles,  d’ailleurs, 
se  trouvent  surtout  excités  dans  les  pays  chauds — 
Ceux  donc  qui  prévoient  ces  causes  peuvent  prédire 
qu’il  y a aura  des  troubles  dans  ces  pays,  mais  ils 
ne  les  peuvent  prédire  que  d’une  façon  conjecturale, 
et  en  parlant  d’une  manière  générale  ; pour  chaque 
homme  pris  en  particulier,  ils  ne  sauraient  prévoir  ni 
prédire  rien  de  tel  ; les  sages,  en  effet,  ceux  qui 
dominent  leurs  esprits,  savent  qu’il  ne  faut  pas  suivre 
ces  passions  ; volontairement,  à l’aide  d’une  force  libre, 
ils  ne  les  suivent  pas  ; ils  les  compriment  et  les 
éteignent  en  eux-mêmes  ; ils  pourront  bien,  cela  est 
manifeste,  souffrir  à l’occasion  de  l’excès  du  froid  ou 
de  la  chaleur,  ....;  mais,  s’ils  cèdent  à ces  afflictions 
ou  à ces  passions,  c’est  d’une  manière  libre  et  volon- 
taire ; ils  ne  peuvent  donc  pas  être  contraints  par  les 
opérations  célestes,  et  aucune  nécessité  ne  leur  est 
imposée.  » 

En  laissant  ainsi  champ  ouvert  aux  suppositions  des 
astrologues  pourvu  que  le  libre  arbitre  de  l’homme 
soit  sauf,  Guillaume  d’Auverene  suit  la  tradition  des 
Pères  de  l’Eglise  et,  notamment,  de  saint  Augustin  ; à 
son  tour,  il  sera  généralement  suivi  par  les  docteurs 
catholiques  du  xiii''  siècle  et,  en  particulier,  par  l’Uni- 
versité de  Paris. 


P.  Duhem. 


LES  FORETS  CONGOLAISES 


Parmi  les  questions  qui  intéressent  le  plus  vivement 
l'avenir  agricole,  et  par  suite  l’avenir  économique  de 
notre  colonie,  il  faut  comjiter  celles  qui  se  rapportent 
aux  forets. 

Bien  souvent  nous  sommes  revenu  sur  la  forêt  tro- 
picale congolaise,  et  nous  avons  même  été  amené  à 
entamer  à ce  sujet  une  discussion  avec  notre  confrère 
berlinois  le  1)''  Mildbraed,  Ixdaniste  de  l’Expédition 
scientifique  centro-africaine  du  Prince  Ad.  de  Meck- 
lenbourg.  Dans  le  dernier  fascicule  du  livre  consacré 
par  le  IP  Mildliraed  à la  botanique  de  cette  importante 
expédition  qui  a traversé  la  partie  nord-est  de  notre 
colonie,  depuis  la  Ruzizi  jusqu’à  Stanley  ville,  notre 
confrère  examine  quelques-uns  des  arguments  que 
nous  avons  présentés  contre  une  de  ses  thèses  : la  forêt 
tropicale  vierge  congolaise  est  très  étendue,  elle  occupe 
non  seulement  des  galeries  le  long  des  rivières,  mais 
s’étend  loin  au  delà  des  rives  des  cours  d’eau  dans 
l’intérieur  des  terres;  les  habitants  du  }>a3"s  n’ont  eu, 
jusqu’à  ce  jour,  que  peu  d’action  sur  elle. Gela  au  moins 
dans  le  nord  du  Congo  (1). 

Dans  nos  Documents  sur  la  Géo-hotanique  con- 
go/afsc,  nous  avons  exposé  notre  avis  sur  divers  points 
de  cette  thèse,  montrant  entre  autres  que,  dans  bien 
des  cas,  l’indigène,  suivi  par  le  blanc  — ce  que  nous 


(1)  Wiss.  Ergebn.  d.  Deutsch  Z entrai- Afrika  £.r/)ed.,  1907-1908.  Bd.  II, 
Bot.  Lief.  7,  1914. 


LES  FORETS  CONGOLAISES 


393 


avons  désigné  sous  le  nom  global  de  « civilisation  )»  — 
tend  à détruire  la  forêt;  non  seulement  celle-ci  s’appau- 
vrit en  essences  typiques  de  la  forêt  vierge  primitive, 
mais  elle  diminue  en  surface  (1). 

Or  cela  n’est-il  pas  des  plus  préjudiciable  à l’avenir 
de  la  colonie  ? 

M.  le  D’’  Mildbraed,  dans  l’étude  très  documentée 
dont  nous  parlons,  a bien  voulu  reproduire  certains 
passages  des  analyses  que  nous  avions  consacrées  à son 
premier  travail  paru  peu  après  le  retour  de  la  mission. 
Nous  disions  dans  la  Chronique  coloniale  et  finan- 
cière du  7 novembre  1909  : « Le  long  de  la  rivière 
(Aruwimi-Ituri),  dans  la  zone  fréquemment  soumise 
aux  crues,  la  forêt  est  certes  encore  à peu  près  vierge, 
mais  à une  certaine  distance  du  fleuve,  la  forêt  que  le 
D'’  Mildbraed  compare  aux  forêts  riches  de  l’Amazonie, 
l’est-elle  encore  ? En  un  mot,  existe-t-il  i)artout  de 
la  forêt  primaire?  Nous  ne  le  pensons  pas.  La  forêt 
tropicale  primitive  disparait  rapidement,  et,  si  nous  ne 
prenons  des  mesures  spéciales  de  conservation,  il  ne 
nous  sera  bientôt  plus  possible  de  déterminer  exacte- 
ment quels  sont  les  types  végétaux  qu’il  faut  considérer 
comme  caractéristiques  de  cette  forêt  primaire,  vrai- 
ment vierge.  La  civilisation  qui  a pénétré  partiellement 
dans  l’Ituri,  comme  dans  toute  la  partie  orientale  du 
Congo  — nous  faisions  allusion  ici  à la  civilisation  indi- 
gène, à la  pénétration  des  indigènes  venant  du  nord  —, 
a dû  modifier  l’aspect  de  ces  forêts  et  faire  apparaître 
des  types  végétaux  que  l’on  rencontre,  actuellement, 
dans  toute  la  forêt  congolaise,  et  qui  sont  admis  par  la 
plupart  des  botanistes-voyageurs  comme  des  types 
caractéristiques  des  forêts  tropicales  secondaires. 

» Certes,  comme  le  dit  M.  Mildbraed,  la  forêt 


(1)  Documents  sur  la  Géo-botanique  congolaise.  Bruxelles  1913,  p.  107 
et  suiv. 


394 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


s’étend  à l’ouest  vers  celles  du  Cameroun  et  de  la 
(^ôte  occidentale  d’Afrique;  mais  si,  ce  qui  est  possible, 
elle  a été  continue  dans  le  temps,  elle  est  interrompue 
de  nos  Jours,  et  cela,  ou  pourrait  presque  l’affirmer, 
par  l’action  de  riiomme  qui,  à l’aide  des  incendies  et  de 
ses  cultures  irrationnelles,  a réussi  à diminuer  forte- 
ment l’aire  de  dispersion  de  la  forêt,  laissant  tout 
envahir  par  la  brousse  dont  il  peut  difficilement  tirer 
profit.  » 

M.  le  !)*■  Mildbraed  objecte  à cette  manière  de  voir, 
que  l’Arnwimi-lturi  n’est  guère  soumis  aux  crues  et 
que  la  civilisation  n'a  pas  pu  agir  sur  la  forêt.  Nous 
jtouvons  admettre  jusqu’à  un  certain  point  la  première 
objection,  bien  que,  au  dire  de  nomlireux  ingénieurs, 
dans  la  forêt  noixl-est  du  Congo,  un  peu  pins  à bouest 
peut-être  de  la  partie  visitée  par  l’expédition  alle- 
mande, la  forêt  est  inondée  partiellement  pendant  une 
partie  de  l’année,  ce  qui  favorise  grandement  sa 
conservation,  en  empêchant  l’indigène  de  s’3'  fixer 
on  d’  y faire  des  cultures.  Mais  nous  ne  pouvons  admet- 
tre la  seconde  partie,  car  il  existe  là  des  indigènes  qui 
cultivent,  et  toutes  les  cultures  sont  faites  après  des- 
truction de  la  forêt.  Cela  ne  change  donc  rien  à ce  que 
nous  avons  écrit,  nous  maintenons  notre  appréciation, 
en  la  renforçant,  car  actuellement  nous  ne  dirions  cer- 
tainement pins  « on  pourrait  presque  l’affirmer  »,  mais 
bien  « on  peut  l’affirmer  ». 

I)’une  de  nos  études  parue  dans  laREvuE  des  Quest. 
SCIENT.,  octobre  1912,  le  D’’  Mildbraed  reprend  ceci  : 
« Nous  crojmns  cependant  que  dans  la  région  de  l’ituri, 
la  grande  forêt  tropicale  est  réduite  à des  rideaux 
forestiers,  plus  ou  moins  épais,  et  nous  sommes  per- 
suadé que  cette  grande  forêt  trojûcale  n’est  pas,  dans 
le  Congo,  aussi  compacte  qn’on  l’a  fréquemment  dit  et 
écidt,  et  qu’en  outre  elle  est  rarement  vierge  ». 

Contre  cette  appréciation  notre  confrère  doit,  dit-il. 


LES  FORETS  CONOÜLAISES 


395 


fortement  s’élever  ; de  même  contre  celle  que  nous  avons 
émise  dans  nos  Documents  iiom'  r étude  de  la  Géo-ho- 
tanique  congolaise,  p.  173,  oii  nous  disions  : « Il  faut 
bien  noter  que  dans  ses  pérégrinations,  le  botaniste  de 
l’Expédition  allemande  a surtout  exploré  les  galeries 
des  rivières  et  que  cette  circonstance  a peut-être 
influencé  son  appréciation  de  la  flore  de  l’est  de  la 
zone  indiscutablement  forestière,  car  ce  sont  certaine- 
ment les  bords  des  rivières  qui  ont  vu,  nous. en  avons 
indiqué  les  raisons,  leur  flore  le  moins  modiflée  par 
l’action  de  rhonmie  ». 

M.  Mildbraed  insiste  sur  le  caractère  très  net 
de  grande  forêt  de  haute  futaie  que  présentent  les  bois 
de  rituri;  « 11  semble,  ajoute-t-il,  que  De  Wildeman  a 
comparé  la  région  de  l’Ituri  avec  celle  du  Bas-  et 
Moj^en-Gongo  ».  Puis  il  constate  qu’il  n’existe  pas  de 
galerie  le  long  de  l’Armvimi,  mais  bien  la  forêt  con- 
tinue. 

Admettons-le  ; il  paraît  actuellement  peut-être  assez 
bien  établi  que  l’Arinvimi  et  une  bonne  partie  de 
ses  affluents,  se  trouvent  dans  la  grande  forêt;  mais 
faisons  remarquer  que  M.  le  D’’  Mildbraed  dit 
lui-même  que  cette  situation  n’est  pas  celle  que 
l’on  rencontre  partout  dans  le  Congo.  11  dit  même 
expressément  (1),  à propos  des  galeries  forestières  du 
Bas-Congo  et  de  l’Angola,  dont  la  flore  est,  d’après  lui, 
très  semblable  à celle  de  la  « Hylaea  »,  qu’on  peut 
considérer  ces  galeries  comme  des  reliques,  des  restes 
d’une  époque  oîi  la  forêt  était  beaucoup  plus  étendue. 
Toutefois  cette  diminution  de  la  forêt  ne  serait  pas  due, 
d’après  lui,  à l'intervention  de  l’homme,  mais  surtout 
à une  diminution  de  la  chute  d’eau  et  à une  augmenta- 
tion de  la  température. 


(1  ) Mildbraed,  loc.  cit.,  p.  H90. 


396 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Certes  ces  facteurs  ont  pu  agir  dans  le  passé,  mais 
actuellement  leur  action,  si  elle  se  fait  peut-être  encore 
sentir,  nous  paraît  bien  moins  importante  que  celle  de 
l’homme. 

Si,  comme  le  dit  M.  le  D"  Mildbraed,  pour  essayer 
de  prouver  le  peu  d’influence  de  rhomme  et  de  l’intro- 
duction de  ses  cultures  sommaires,  on  doit  faire  des 
étapes  de  dix,  vingt  et  souvent  trente  kilomètres  pour 
trouver  des  traces  de  villages  indigènes  autour  des- 
quels la  forêt  est  plus  ou  moins  détruite,  il  faut  recon- 
naître que  les  photographies  publiées  sur  la  région, 
entre  autres  ]>ar  M.  Mildbraed  lui-même,  nous  mon- 
trent pas  mal  de  plantes  considérées  par  les  forestiers 
africains  comme  typiques  de  la  forêt  secondaire.  Cette 
constatation  n’impose-t-elle  pas  la  question  : « La  forêt 
est-elle  encore  vierge  ? » 

On  peut  affirmer  en  tout  cas  qu’autour  des  postes, 
peu  nombreux,  nous  voulons  bien  l’accepter,  la  forêt 
a subi  et  subit  encore  journellement  l’action  de 
l’homme,  même  dans  la  région  de  l’Aruwimi-Ituri. 

Nous  pourrions  citer  à l’appui  de  notre  appréciation 
de  l’oriffine  secondaire  de  certaines  brousses  de  l’in- 
térieur  de  la  grande  forêt  congolaise,  les  observations 
de  M.  F.  Thonner.  Il  a remarqué,  surtout  vers  la 
limite  nord  de  cette  forêt,  le  morcellement  qu’elle 
présente.  Dans  la  description  sommaire  de  son  voyage 
de  Mandungu  vers  le  Nord,  il  écrit  : « I)’Abumonbazi, 
je  me  mis  en  route  vers  Yakoma.  Après  avoir  quitté 
les  plantations  et  traversé  l’Ebole,  on  marche  d’abord 
sous  la  haute  futaie,  mais  après  deux  heures  de  marche, 
la  forêt  cesse  brusquement  et  on  entre  presque  sans 
transition  dans  une  savane  formée  de  graminées  de 
deux  mètres  de  hauteur  où  quelques  arbustes  sont  dis- 
persés. Puis  on  rentre  dans  la  forêt...  (iraduellement 
les  grands  arbres  deviennent  plus  rares,  et  on  se  trouve 


LES  FORÊTS  CONGOLAISES 


397 


de  nouveau  parmi  les  broussailles  qui  s’étendent  jus- 
qu’au village  du  Congo  (1).  » 

D’autre  part,  M.  G.  Janssen,  secrétaire  général  de 
l’Institut  colonial  international,  vient  d’exposer,  dans 
Le  Régime  forestier  aux  Colonies,  ses  idées  relative- 
ment à l’action  des  halûtants  du  Congo,  sur  la  forêt 
du  centre  africain  (2).  « Les  forêts  de  cette  colonie, 
dit-il,  à propos  du  Congo  belge,  ne  sont  exploitées  que 
par  les  indigènes  qui  y coupent  les  arbres  destinés  à 
la  confection  de  leurs  pirogues  et  le  bois  nécessaire  à 
la  construction  de  leurs  cases  et  aux  autres  usages 
domestiques;  les  Européens  y coupent,  de  leur  côté, 
le  bois  nécessaire  à la  construction  de  leurs  habitations 
et  à l’alimentation  des  chaudières  des  vapeurs  navi- 
guant sur  le  haut  fleuve  et  ses  affluents.  Une  exploita- 
tion intense  n’était  donc  pas  à redouter;  le  seul  danger 
consistait  dans  l’incendie  des  forêts  provenant  soit  de 
l’imprudence  des  indigènes,  soit  de  l’extension  des 
feux  de  brousse  que  les  natifs  ont  l’habitude  d’allumer 
à certaine  saison  pour  préparer  des  terrains  de  cul- 
ture, fumer  leurs  terres,  détruire  les  animaux  para- 
sites ou  se  livrer  à la  chasse.  Mais  il  ne  paraît  pas  que 
ce  danger  se  soit  jamais  produit  et  que  de  vastes  por- 
tions de  forêts  aient  été  détruites  par  le  feu.  On  com- 
prend que,  dans  ces  conditions,  le  Gouvernement  n’ait 
pas  cru  devoir  légiférer  savamment  en  matière  fores- 
tière et  constituer,  dès  à présent  et  à grands  frais,  tout 
un  cadre  d’agents  forestiers,  occasionnant  des  dépenses 
qu’il  a cru  affecter  à des  nécessités  plus  utiles  et  plus 
urgentés.  » 

M.  G.  Janssen  n’attache  donc  pas  une  grande  impor- 
tance aux  actions  destructives  de  l’homme  sur  la  forêt. 

(1)  F.  Thonner  in  De  ^VildeInan,  Études  Flore  du  district  des  Bangala  et 
Ubangi,  p.  xv. 

(2)  C.  Janssen,  Le  Régime  forestier  aux  Colonies,  Bruxelles,  vol.  111, 
pp.  198-201,  et  Le  Mouvement  géogk.vphique,  5 avril  1914,  p.  193. 

IID  SÉRIE.  T.  XXVI.  “26 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQT ' ES 


:î98 

Nous  ne  sommes  ni  de  son  avis,  ni  de  celui  de 
M.  Mildbraed.  On  reconnaît  que  l’indigène  congolais, 
encore  très  nomade,  détruit  la  forêt  pour  ses  cultures 
qu’il  déplace  constamment.  On  a même  très  régulière- 
ment admis  qu’il  n’est  pas  possible  actuellement  de 
maintenir  l’indigène  dans  des  limites  étroites,  qu’il 
fallait  le  laisser  se  mouvoir  sur  de  vastes  espaces  sur 
lesquels  d’ailleurs  il  semble  avoir  acquis  certains  droits. 
Or,  s’il  se  déplace  dans  une  région  forestière,  com- 
ment cette  région  pourrait-elle  être  conservée  intacte? 

D’ailleurs  nous  ne  sommes  pas  seul  à attribuer  aux 
pratiques  indigènes  une  très  large  part  dans  la  des- 
truction des  forêts  et  à la  constitution  en  leur  lieu  et 
place  de  ces  brousses  qui  deviennent  rapidement  sans 
utilisation  possible  au  point  de  vue  agricole. 

M.  Maury  qui  a voyagé  entre  Irumu  et  Béni,  nous 
a,  dans  une  lettre,  donné  du  pays  la  description  sui- 
vante : « Les  villages  que  j’ai  rencontrés  en  forêt  entre 
Irumu  et  Béni,  par  exemple,  occupaient  en  général 
des  clairières  (sauf  pour  les  NVambiti).  Les  indigènes 
les  créaient  souvent  eux-mêmes  en  abattant  les  arbres 
aux  endroits  où  ils  désiraient  cultiver  ; ils  attaquaient 
pour  cela  les  plus  gros  par  le  feu,  mis  à la  base.  Quand 
le  village  émigre,  par  suite  de  diverses  circonstances, 
le  terrain  ne  tarde  pas  à être  envahi  par  une  brousse 
intense,  où  l’on  retrouve  dans  les  premiers  temps  cer- 
taines plantes  caractéristiques,  telles  que  des  bananiers 
et  des  ricins.  > 

Inutile  d’insister  sur  ces  genres  de  plantes  qui 
accompagnent  les  indigènes,  et  sont  une  })reuve  irré- 
futable de  leur  présence  antérieure  dans  la  brousse 
considérée. 

Etudiant  au  Congrès  colonial  de  Gand,  en  août  1913, 
la  protection  de  la  tlore  et  de  la  faune,  dans  les  régions 
tropicales  (1),  M.  le  baron  F.  Fallon  a pu  citer  ce  pas- 

( I)  L’Agronomie  trof>icaiæ,  V1«  année,  janv.  1914,  part.  Il,  p.  4. 


à 


LES  FORÊTS  CONGOLAISES 


399 


sage  très  suggestif  d’un  rapport  du  conservateur  des 
Forêts  de  l’Afrique  orientale  anglaise  (i)  : « L’une 
des  choses  les  plus  difficiles,  écrit  M.  Hutchins,  dans 
tout  pa^'s  neuf,  où  les  terres  sont  concédées  à une 
population  nouvelle,  c’est  d’empêcher  l’aliénation,  avec 
les  terres,  des  forêts  de  valeur  qui  devraient  être  con- 
servées comme  domaine  de  l’Etat.  Une  fois  les  forêts 
aliénées,  on  n’a  jamais  trouvé  le  moyen  de  veiller  effi- 
cacement à leur  conservation...  Il  3'  aurait  lieu  de  se 
montrer  plus  sévère  dans  l’octroi  des  concessions  fores- 
tières et  de  réserver  d’urgence,  au  profit  de  l’Etat,  de 
grandes  étendues  de  forêts  contenant  encore  de  beaux 
peuplements.  » 

Nous  avons  là  des  opinions  très  nettes  sur  l’action 
dévastatrice  de  l’homme,  indigène  et  colon,  et  nous 
pouvons  en  conclure,  comme  nous  l’avons  fait  anté- 
rieurement, non  seulement  la  nécessité  d’empêcher 
ces  destructions  souvent  inutiles,  mais  aussi  celle 
d’enra\'er  l’extension  des  feux  de  brousses,  qui,  quel 
que  soit  leur  but,  viennent  se  greffer  sur  une  première 
destruction  de  forêt,  et  sont  toujours  nuisibles.  De  fait, 
tous  les  gouvernements  coloniaux  se  sont  préoccupés 
de  ces  feux  de  brousses  ; il  faut  chercher  à les  res- 
treindre en  appliquant  le  plus  sévèrement  possible  les 
règlements  promulgués. 

(ùn  nous  répondra  à coup  sûr  que  le  terrain  dont 
la  couverture  forestière  a été  détruite,  soit  par  les 
indigènes  pour  l’extension  ou  le  déplacement  de  ses 
cultures,  soit  par  le  blanc  pour  la  création  de  stations 
ou  de  grandes  cultures  de  rapport, pourra^s’il  est  aban- 
donné à lui-même,  ce  qui  sera  rapidement  le  cas  pour 
les  champs  des  cultures  indigènes,  se  recouvrir  spon- 
tanément d’une  nouvelle  forêt.  Cela  peut  être  partiel- 
lement vrai  si  des  conditions  éminemment  favorables 


(t)  Report  on  tlie  Forest  of  Brit.  East  Africa,  London,  1909,  Colon.  ofTice  . 


-iOO 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


à la  reforestation  se  présentent  ; elles  sont,  ne  l’oublions 
pas,  très  rares  sous  les  tropiques.  Mais  jamais  la  forêt 
qui  se  reproduit  dans  ces  conditions,  il  ne  faudrait  pas 
non  plus  le  perdre  de  vue,  ne  prend  les  caractères  de 
la  sjlve  primitive;  jamais,  si  l’homme  n’intervient  pas 
par  des  mesures  protectrices,  nous  ne  verrons  réap- 
paraitre  les  bois  durs  à végétation  lente,  qui  sont, 
parmi  les  plantes  de  l’association  forestière  primitive, 
celles  qui  ont  le  plus  de  valeur. 

On  semble  aussi  perdre  de  vue  ce  que  disait  en  1908, 
le  !)'■  Busse,  dans  son  étude  : Die  periodischen  Gras- 
hrcinde  in  tropischen  Afrika,  paru  dans  les  Mittei- 
LUNGEN  Aus  DEN  DEUTSCHEN  ScHUTZGEBiETEN,  en  exami- 
nant, p.  118,  les  suites  directes  de  la  déforestation  en 
Afrique.  « Man  Kami  es  als  mit  Gewissheit  erwisen 
betrachten,  dass  sich  nur  in  hesti)nniten,  relative 
seltener  Fdllen  und  unter  aimiahnistceise  gunstigen 
Bedingungen  auf  dcr  einmal  freigelegten  Flache 
eine  natürliche  Begeneration  des  Waldhestandes  in 
seiner  ursprunglichen  zusammensetzung  volzieht.  » 
Et  après  avoir  souligné  cette  phrase  il  ajoute  que  cela 
n’est  d’ailleurs  possilde  que  si  le  développement  des 
arbres  n’est  pas  empêché  par  de  nouveaux  incendies. 

M.  I muvel,  garde  général  des  Eaux  et  Forêts  à 
Madagascar,  a récemment  appuyé  fortement,  dans  une 
étude  sur  les  forêts  de  l'ouest  de  la  grande  île,  sur  la 
manière  dont  se  sont  constitués,  dans  cette  région,  les 
taillis,  les  clairières  et  les  vastes  savanes.  Les  feux  de 
brousse  })roduisent  d’après  lui  les  transformations  sui- 
vantes (1)  : au  premier  incendie,  les  essences  à écorce 
lisse  et  mince  sont  détruites;  ne  peuvent  résister  que 
celles  dont  les  écorces  sont  puissantes  et  le  bois  protégé 


(1)  Louvel.  Les  forêts  de  l’Ouest  de  Madagascsir.  Paris,  Challamel,  191i. 
1 vol.  in  8°,  69  p.,  fig.  dans  le  texte,  1 carte  en  couleurs  hors  texte. 


LES  FORÊTS  CONGOLAISES 


401 


par  un  liège  épais,  crevassé  irrégulièrement  et  parfois 
plus  ou  moins  gorgé  d’eau. 

C’est  ce  que  l’on  voit  dans  la  plupart  des  brousses 
africaines  actuelles  : tous  les  arbres  qui  ont  résisté  sur 
les  confins  de  la  forêt  ou  dans  la  brousse  sont  des 
arbres  relativement  réduits,  à écorce  épaisse  tels  que 
certains  ErytJu'ina. 

Dans  l’ouest  de  Madagascar,  les  arbres  forestiers 
possèdent  un  enracinement  profond,  moyen  naturel  de 
lutter  contre  la  sécheresse  et  de  reformer  des  rameaux 
aériens  aux  dépens  des  racines,  si  la  tige  principale 
vient  à être  détruite. 

Il  en  est  certainement  de  même  dans  notre  Congo, 
où,  dans  les  brousses,  les  plantes  buissonnantes  possè- 
dent indiscutablement  cette  propriété. 

Il  suffit  de  rappeler  comme  possédant  ce  mode  de 
végétation  les  Laadolphia  Thollonii  Dew.  et  Lanclol- 
phia  humüislv.  Sclium.,  si  abondants  dans  les  brousses 
congolaises  ou  à la  lisière  des  forêts  ; c’est  grâce  au 
développement  de  leur  pivot  radical  que  ces  plantes 
ont  pu,  jusqu’à  présent,  résister  aux  incendies  pério- 
diques des  herbes  de  la  plaine  (I). 

D’ailleurs  cette  structure  n’est  pas  spéciale  à l’Afri- 
que et  très  souvent  elle  a été  décrite  pour  des  plantes 
des  régions  désertiques  de  l’Amérique  ; ces  déserts 
n’ont  peut-être  pas  les  mêmes  origines  que  nos  brousses 
africaines,  mais  les  conditions  extérieures  y étant  les 
mêmes,  les  plantes  ont  pris  les  mêmes  aspects  et  se 
sont  protégées  de  même  façon  (2). 

A Madagascar,  comme  au  Congo,  le  feu,  soit  dès 


(1)  Cf.  De  Wildeman,  3/m/on  Èm.  Laurent,  vol.  I,  p.  154,  fig.  84,  p.  491, 
fîg.  lOB  et  De  Wildeman,  Mission  permanente  de  la  C‘*  du  Kasai,  p.  80,  pl.  VI. 

(2)  W.  A.  Cannon,  The  root  habits  of  desert  plants.  Carnegie  Institution 
of  Washington,  p.l31. — Fr.  E.  Lloyd.  Guayule.  A Rubberplant  of  the  Chih%i- 
huan  Desert.  Carnegie  Institution  of  Washington,  n.  139.  — W.  A.  Cannon, 
Botanical  features  of  the  Alyerian  Sahara.  Carnegie  Institution  of  Was- 
hington, n.  178. 


402  REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES  S 

la  première  apparition,  soit  après  une  reprise,  détruit 

la  tige  principale  ; il  se  forme  alors  après  les  pluies  1 

une  cépée  de  rejets,  plus  ou  moins  vigoureux,  qui  vont  ,* 

permettre  à la  plante  de  continuer  à vivre.  \’ienne  un  j; 

nouvel  incendie,  les  rejets  sont  infailliblement  détruits  i 

car  ils  sont  trop  faibles  pour  résister  ; ils  peuvent  cepen-  1 

dant,  grâce  à la  force  vitale  des  racines,  être  reformés  c 

après  la  saison  des  pluies,  mais  leur  vigueur  est  forte-  I 

ment  atténuée.  1 

On  voit  ainsi  se  substituer  à la  forêt  un  taillis  qui  / 

petit  à petit  disparaîtra,  pour  faire  place  à la  brousse  f 

d’où  émergera  de-ci  de-là  un  arl)re  raliougri  dont  les 

extrémités  seront,  à chaque  feuillaison,  rôties  par  les  v 

feux  de  brousse,  mais  dont  l’écorce  éj)aisse,  gorgée  de  f 

suc  protégera  le  tronc  et  permettra  la  conservation, 

dans  les  racines,  d’une  force  suffisante  pour  maintenir  4 

la  plante.  | 

Et  M.  Louvel,  n’hésite  pas  à ajouter  que  c’est  là  j 

ce  que  « quelques  personnes,  peu  initiées  aux  choses  ® 

forestières,  considèrent  comme  étant  la  forêt  en  voie 

. . . y 

de  reconstitution,  alors  que  c’est  le  dernier  stade  par  * 

lequel  elle  ])asse  avant  de  disparaître  ».  t 

11  déclare  en  outre  que  1’  « on  peut  évaluer  sans 

exagération,  à deux  mille  hectares  la  surface  boisée 

détruite  annuellement  dans  la  province  de  Morandava.  » 

Sans  avoir  eu  connaissance  des  travaux  de  M.  le 

\y  Busse,  M.  Louvel  arrive  donc  comme  lui  à la  con-  ! 

clusion  que  la  forêt,  une  fois  détruite,  c’est  la  brousse  ' 

qui  s’enqiare  du  terrain.  Certes  M.  le  D’’  Busse  est  ' 

amené  à dire  que  l’épaisse  forêt  tropicale  humide  n’est  ■ 

que  peu  attaquée  par  le  feu,  qu’elle  peut  résister  par 

ses  constituants  à structure  spéciale,  mais  il  reconnaît 

qu’à  la  lisière  l’attaque  se  produit,  et  que  cette  attaque 

répétée  doit  finir  par  faire  reculer  la  forêt. 

Or  elle  le  fera  d’autant  plus  vite  que  les  populations 

seront  mieux  outillées,  et  déjà  l’intluence  du  blanc,  qui 


I 


LES  FORÊTS  CONCiÜLAlSES 


403 


a apporté  des  outils  plus  perfectionnés,  se  fait  sentir 
sur  la  destruction  des  forêts.  Aussi,  cette  reformation 
forestière  que  Pechuel-Loesche  décrivait,  eu  1887, 
dans  la  région  de  Tshiloango  et  du  Kwilu  ne  s’observe- 
t-elle  plus  guère. 

Mais  supposons,  malgré  tout  ce  que  nous  venons  de 
rappeler,  que  les  conditions  de  la  reconstitution  fores- 
tière soient  des  plus  favorables  et  qu’après  la  destruc- 
tion par  le  feu,  au  lieu  d’une  brousse,  une  forêt  secon- 
daire apparaisse.  Il  se  pose  alors  un  nouveau  problème 
que  nous  ne  pouvons  pas  actuellement  élucider  com- 
plètement, mais  à la  solution  duquel  il  faudrait  s’atta- 
cher. 

Quelles  sont  les  essences  à considérer  comme  carac- 
téristiques de  la  forêt  vierge  ? Quelles  sont  celles 
d’entre  elles  qu’il  convient  de  protéger  ? Et  d’autre 
part,  quelles  sont  les  plantes  dont  la  présence  permet 
d’affirmer  une  déforestation  ? Pour  répondre  à cette 
dernière  question  — la  seule  que  nous  envisageons  ici 
— on  a signalé  un  certain  nombre  de  végétaux  parmi 
lesquels  le  Musanga  SmitJni  ou  parasolier.  Ce  dernier 
paraît  en  effet  très  P^pique  des  forêts  secondairs.  On 
a renseigné  aussi  V Elaeis,  qui  lui  indiquerait  la  forêt 
secondaire  due  à la  présence  antérieure,  en  un  endroit 
donné,  de  l’indigène  qui  aurait  amené  avec  lui  le  pal- 
mier à huile  pour  tirer  de  celui-ci  des  produits  utiles. 

A l’appui  de  cette  thèse  il  faut  remarquer  que  fré- 
quemment, comme  me  le  signalait  dans  une  lettre, 
M.  Maury,  du  Service  cartographique  du  Congo,  au 
Ministère  des  colonies  : « les  confins  de  la  grande  forêt 
sont  marqués  par  de  grandes  palmeraies  ».  Cette 
observation  a été  faite  dans  l’Ituri  et  dans  le  Maniema 
par  exemple.  Mais  vers  le  Ruwenzori  et  vers  Irumu, 
elle  n’a  pu  être  constatée,  argument  en  faveur  de 
l’opinion  du  D’’  Mildbraed  que  dans  l’Ituri  la  forêt 


404 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


aurait  sur  sa  lisière  mieux  conservé  que  presque 
partout  ailleurs,  ses  caractères  primitifs. 

M.  Fr.  Thon  lier  sio-nale  és-alement  vers  la  lisière  de 
la  forêt  dans  la  région  Abumonhazi-Gugo  de  nombreux 
Elaeis,  autour  des  villages,  « palmiers  à huile  qui  sont 
très  clairsemés  vers  le  sud  » (1). 

On  peut  refaire  la  même  observation  dans  le  nord 
de  l’Entre-Gongo-Ubangi  où,  sur  toute  la  limite  de  la 
forêt,  il  existe  de  grands  peuplements  de  palmiers  à 
huile. 

Mais  à ce  propos,  et  pour  cette  région,  il  faut  aussi 
remarquer  que  l’on  trouve  des  Elaeis  dans  des  endroits 
où  l’indigène  n’a  pu  se  fixer,  par  exemple  dans  les 
vastes  marais  de  cet  Entre-Ubangi-Gongo.  Cela  est  en 
particulier  le  cas  dans  le  bassin  de  la  rivière  Giri,  un 
de  ces  cours  d’eau,  assez  nombreux  en  Afrique,  dont 
le  lit  actuel  très  large,  peu  jirofond  et  sinueux  ne  s’est 
])as  définith’ement  fixé  (A  oyez  pl.  I-III). 

[j  Elaeis,  dont  il  est  tant  question  de  nos  jours,  n’est 
donc  peut-être  pas  un  type  excellent  pour  caractériser 
les  forêts  secondaires,  puisqu’il  pourrait  apparaître 
spontanément  dans  une  région. 

Dans  le  cas  de  l’Entre-Ubangi-Gongo,  il  indiquerait 
simplement  la  présence  d’une  terre  ferme  s’élevant 
au-dessus  du  niveau  des  hautes  eaux;  il  formerait  pour 
ainsi  dire  le  noyau  d’une  nouvelle  forêt  s’installant  sur 
une  terre  ferme  de  plus  en  plus  développée;  terre 
ferme  qui  arriverait  à influencer  les  courants  et  à 
isoler  la  rivière. 

Quels  seront  les  caractères  définitifs  de  cette  nou 
velle  forêt;  sera-t-elle  à comparer  à la  forêt  vierge 
primaire,  à celle  que  l’on  a si  souvent  décrite,  mais 
que  l’on  connaît  scientifiquement  fort  mal;  sera-t-elle 


(1)  Fr.  Thonner  in  L)e  Wildeman,  Études  sur  la  Flore  des  districts  des 
Rangala  et  de  l’Vbangi,  p.  xv. 


rLXNCAIE  I 


(Jlichi’  A.  Sd/iin.  19 IA 

L.\  ('tIHI  KNTKE  ÜOMAXA  et  1-E  VlEEAr.E  ('.1111 


Cliché  A.  Sapin,  101 A 

LA  omi  PRES  BOSESERA 

LA  PLAINE  HERBEUSE  ET  MARÉCAGEUSE.  A LA  PLAINE  HERBEUSE  FAIT  SUITE 
LA  GALERIE  A PALMIERS 


PLANCHE  If 


Cliché  A.  Sapin,  U)  12 

LA  C.IUI  Ar\  LNVIUUNS  DL  liOMAXA 

LA  l'LAINIC  .MAIU"r.A(;KL’SE  A HAUTES  IIEIIÜES  AU  HELA  HE  LAOUELLE  SE  TROUVE 
LA  r.ALEUiE  A Klacîn 


P LA  M:  HE  III 


(AicIL  A.  Sui)i)i.  lois 

VILLAGE  MOLEXGA  PRÈS  BOSESERA.  SLR  l.A  GIRI 


CUchi’  A.  Supin,  lois 


ASPECT  L)E  LA  GIRI  ENTRE  BOMANA  ET  BOSESERA 


LES  FORÊTS  CONGOLAISES 


i05 


de  constitution  analoo’ue  aux  forêts  secondaires,  et  cela 
en  particulier  par  le  fait  que,  plus  rapidement  envahie 
par  rhoinme,  elle  n’aura  pas  le  temps  d’atteindre  le 
stade  le  plus  avancé  de  son  évolution? 

Ce  sont-là  des  questions  auxquelles  il  est  de  toute 
impossibilité  de  répondre  pour  le  moment  et  dont  nous 
n’aurons,  fort  probablement,  jamais  le  dernier  mot. 

11  convient  cependant  d’envisager  ces  problèmes, 
car,  de  leur  solution  approchée  dépend  largement 
l’avenir  de  la  colonie  congolaise.  C’est  pourquoi  nous 
persistons  à penser  qu’il  est  loin  d’être  inutile,  comme 
beaucoup  le  pensent,  de  créer,  pour  notre  Congo,  un 
service  forestier  sérieux,  capable  de  faire  marcher  de 
pair  les  études  scientifiques,  techniques  et  pratiques, 
relatives  au  maintien,  et  à la  mise  en  valeur,  de  notre 
forêt  tropicale  congolaise. 

On  ne  pourrait  d’ailleurs  assez  insister  sur  la  très 
grande  importance  de  la  conservation  des  forêts  : on 
l’oublie  trop  souvent,  les  forêts  ont  une  très  grande 
action  sur  le  climat  et  l’hydrologie,  surtout  dans  les 
régions  tropicales. 

Gela  a été  démontré  à plus  d’une  reprise  et  récem- 
ment encore  M.  Th.  Altona,  forestier  à Lawang 
(Indes  Néerlandaises),  publiait  dans  les  « notes  de  la 
réunion  des  planteurs  de  .Java  (29  novembre  1913),  à 
Blitar  » une  étude  sur  cette  question.  Nous  voj'oiis 
que  la  surface  forestière  n’atteint  à Java  et  Madoera 
que  18  à 20  ° o-  Oi‘  on  estime  qu’en  Europe,  sous  un 
climat  beaucoup  plus  favorable  à la  conservation  des 
propriétés  culturales  du  sol,  la  réserve  forestière 
devrait  atteindre  au  moins  20  “ o-  Java  se  trouverait 
donc  dans  une  situation  inférieure  à celle  de  l’Europe  ; 
aussi  de  plusieurs  côtés  réclame-t-on  du  reboisement 
et  non  sans  raison. 

Pareille  conséquence  s’impose  pour  la  plupart  des 
régions  tropicales,  que  l’on  considère  souvent  à tort. 


m 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


comme  vierges  ; il  faut  donc  à tout  prix  éviter  à l’avenir 
les  déboisements  et  multiplier  les  réserves.  A Java 
celles-ci  atteignent  7 ° „ seulement  ; au  Congo  il  en  est 
à peine  question. 

On  compare  souvent  la  forêt  tropicale  africaine  avec 
celles  du  Brésil  ; mais  à la  suite  d(^  certaines  enquêtes, 
on  a sur  ces  dernières  des  données  qui,  tout  en  étant 
peut-être  un  peu  au-dessus  de  la  vérité,  sont  cependant 
a})prochées  : elles  font  voir  que  la  Hylaea  hrasiliana 
est  bien  plus  dense  qu’en  Afrique  et  que  dans  les 
autres  pays  du  monde  ; il  y a là  incontestablement,  si 
on  les  met  en  exploitation  rationnelle,  des  réserves 
considérables  comme  le  fait  voir  le  tableau  ci-contre(l). 

Trouverons-nous  encore  au  Congo  lielge  de  tels 
pourcentages  de  forêts  * Nous  en  doutons  fort. 

Et  cejtendanl  si  l’on  veut  dans  tous  les  paj's,  aussi 
bien  au  Congo,  que  dans  nos  régions  tempérées,  con- 
server l’eau  dans  les  rivières  ; si  l’on  veut  j)rotéger  les 
sources,  régulariser  les  courants,  c’est  non  seulement 
sur  les  bords  de  ces  derniers  et  autour  des  sources 
qu’il  faudra  maintenir  des  arbres,  mais  sur  de  grandes 
surfaces,  en  particulier  dans  les  ])arties  montagneuses 
et  même  sur  les  coteaux,  qui  sont  plus  facilement 
dégradés,  en  l’absence  de  couverture,  par  les  rayons 
solaires. 

M.  Altona  considère  l’état  actuel  à Java,  auquel 
nous  avons  fait  allusion  plus  haut,  comme  si  grave, 
qu'il  souhaiterait  qu’il  ne  fut  })lus  permis  de  détruire 
désormais  le  moindre  terrain  boisé,  sans  avoir  pu 
s’assurer,  par  des  recherches  })récises,  que  la  forêt 
à supprimer  peut  l’être  sans  porter  préjudice  au 
régime  des  eaux  ou  à la  production  future  du  bois. 

Cette  dernière  condition  ])ourrait  être  considérée 


(1)1)''  Pedro  de  Toledo.  Relatorio  apresentado  an  Présidente  da  Republica 
dos  Estados  Unidos  do  Brasil.  Vol.  lil.  Rio  de  .Janeiro,  1911,  p.  75. 


LES  FORETS  CONGOLAISES 


•107 


ÉTATS 

Surface  totale 
liilorn.  carrés 

Forêts 

kiloni.  carrés 

Campos 
et  autres 
formations 

kilom.  carrés 

Pourcentage 
des  forêts 
par  rapport 
à la  surface 
totale 

Acre 

19-2  000 

192000 

0000 

100  00 

Amazones 

1 832  800 

1 683  427 

149  373 

91  85 

Para 

1 220000 

921  954 

298  046 

75  57 

Maranhao 

340  360 

1 45  368 

194  992 

42  71 

Piauhy 

231  180 

62  419 

168  761 

27  00 

Ceara  

157  660 

67  951 

89  709 

4310 

Rio  grande  do  Norte  . . 

56  290 

14  314 

41  976 

25  43 

Parahyba  

52  250 

19  087 

33  163 

36  53 

Pernambuco 

95  260 

32521 

62  739 

3414 

Alagôas 

30  500 

8 525 

21975 

27  95 

Sergipe 

21  840 

8 970 

12  870 

41  07 

Bahia 

587  500 

2Î5  436 

372064 

36  67 

Espirito  Santo 

39  120 

29  942 

9 178 

76  54 

Rio  de  Janeiro  .... 

44  350 

35  981 

8 360 

81  13 

S.  Paulo 

250000 

161  750 

88259 

64  70 

Parana  

180  340 

160  350 

19990 

83  37 

Santa  Catharina  .... 

110620 

86  789 

23  53 1 

78  67 

Rio  Grande  do  Sul  . . . 

283  410 

89  132 

194  278 

31  45 

Minas  Geraes 

607  940 

278  619 

329321 

45  83 

Goyaz 

640  580 

179  362 

461  218 

2800 

Matto  Grosso 

1 554  300 

606  799 

947  501 

3804 

Total  du  Brésil  . . 

8 528  000 

5000  696 

3 527  304 

58  63 

comme  secondaire,  bien  qu’elle  ait  une  importance 
notable,  le  bois  étant  une  matière  qui  devient  de  plus 


•i08 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


en  plus  rare  sur  les  marchés;  mais  le  régime  des  eaux 
est  de  loin  la  considération  la  plus  importante. 

Cette  situation  est-elle  si  particulière  à Java  ? Nous 
ne  le  pensons  pas.  Au  contraire  nous  croyons  que  la 
situation  est  la  même  presqvie  partout.  Dans  les  posses- 
sions anglaises,  dans  les  Etats  tedérés  malais  on  se 
plaint  déjà  vigoureusement  des  modifications  sensibles 
du  climat  par  suite  des  déboisements  faits  pour  l’in- 
stallation des  plantations. 

Si  nous  pouvions  envisager  ce  côté  de  la  question, 
nous  observerions  certainement  la  même  chose  au 
Congo  où,  dans  bien  des  régions,  certaines  cultures 
sont  impossibles  faute  de  régularité  dans  les  chutes 
d’eau  ou  dans  le  niveau  des  rivières. 

Il  est  certainement  désirable  de  faire  de  la  culture, 
mais  avant  de  l’entreprendre  il  s’agit  de  savoir  si  les 
conditions  aml)iantes,  à première  vue  très  favorables, 
se  maintiendront.  11  faut  se  demander  si  un  beau 
terrain  forestier,  une  fois  en  partie  épuisé  par  la  végé- 
tation nouvelle  qu’on  lui  impose,  brûlé  en  grande 
partie  par  le  soleil  trojûcal,  pourra  continuer  à nourrir 
les  récoltes  de  l’avenir. 

Malheureusement  ce  que  nous  connaissons  de  la 
forêt  tropicale  congolaise  se  traduit  en  des  opinions 
divergentes  ; une  connaissance  insuffisante  de  la  flore 
et  de  la  Géo-l)otanique  de  l’Afrique  tropicale  ne  permet 
ni  de  les  apjirouver  ni  de  les  désapprouver. 

Nous  ne  connaissons  même  pas  dans  ses  détails  la 
limite  de  la  grande  forêt  centro-congolaise,  tant  on 
s’est  peu  préoccupé  de  tracer  sur  une  carte  les  limites 
de  son  extension.  Certaines  cartes  ont  bien  été  publiées, 
donnant  soit  pour  l’ensemble  de  la  colonie,  soit  pour 
certaines  de  ses  parties,  la  limite  de  la  forêt,  mais 
quand  on  compare  entre  elles  ces  données  géo-bota- 
niques on  est  frappé  des  oppositions  qu’elles  présentent; 
et  cependant  la  connaissance,  relativement  très  exacte, 


LES  FORÊTS  CONGOLAISES 


409 


des  limites  de  la  forêt  et  des  brousses  plus  ou  moins 
étendues  que  l’on  y rencontre,  a pour  l’avenir  agricole 
de  la  colonie  une  importance  considérable. 

Cette  conclusion  que  nous  tirons  à propos  de  la 
grande  forêt  centro-congolaise,  s’applique  aussi  aux 
bois  du  sud  du  Congo,  du  Haut-Kasai-Kwango  et  du 
Katanga  qui  ne  peuvent  cependant  être  comparés  au 
point  de  vue  floristique  avec  ceux  qui  constituent  la 
Hylaea  africana  comparable  elle,  jusqu’à  un  certain 
point,  à la  Hylaea  americana,  en  particulier  à celle 
de  l’Amazonie  dont  le  volume  111  du  Relatorio  ajire- 
sentado  ao  Présidente  da  Repnhlica  dos  Estados 
Unidos  do  Brasü  par  le  ministre  Don  Pedro  de  Toledo, 
s’est  occupé  très  spécialement.  Là  nous  trouvons 
une  carte  forestière  destinée,  dit  le  rapport,  à oflrir 
une  base  aux  premières  études  pour  la  création  de 
réserves. 

11  est  vrai  qu’en  1910,  en  annexe  à la  brochure 
publiée  par  le  Ministère  des  Colonies  à l’occasion  de 
l’inauguration  du  Musée  du  Congo  belge,  on  trouve 

une  carte  physique  au  ^ qqo  Q0(p  laquelle  on  a traçé 

la  limite  de  la  forêt  d’après  les  documents  reçus  du 
Congo.  Mais  il  est  certain  que  la  forêt  tropicale  n’est 
pas  aussi  étendue  qu’elle  est  figurée  sur  cette  carte  ; 
il  ne  peut,  en  effet,  être  question  de  considérer  comme 
forêt  tropicale  les  galeries,  souvent  de  très  faible  épais- 
seur qui  bordent  les  rivières  descendant  de  la  crête  de 
séparation  du  bassin  Congo-Zambèse. 

Sans  doute  nous  savons  actuellement  que  la  forêt 
centrale  pousse  des  prolongements  en  galerie  très  loin 
du  centre  et  qu’il  n’y  a pas  à la  forêt  une  limite,  for- 
mant sur  la  carte  un  contour  régulier,  mais  bien  une 
ligne  très  sinueuse. 

Mais  il  serait  bien  facile  à un  connaisseur,  botaniste 
ou  forestier,  de  reconnaître  qu’il  n’y  a dans  ces  gale- 


410 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


ries,  plus  ou  moins  éloignées  du  centre,  que  fort  peu  de 
types  végétaux  tout  à fait  caractéristiques  de  la  forêt 
vierge,  et  au  contraire  beaucoup  de  plantes  à large 
dis})ersion  africaine,  ou  encore,  suivant  les  régions,  des 
plantes  de  transition  entre  la  plaine  et  la  forêt,  celles 
de  la  plaine  augmentant  au  fur  et  à mesure  que  l’on 
s’éloigne  de  l’embouchure  des  rivières  et  que  l’on  se 
ra})proche  des  brousses. 

I.e  Ministère  des  Colonies  possède  évidemment, 
sur  la  distribution  actuelle  des  forêts  dans  le  Congo 
belge,  des  documents  nouveaux,  et  s’il  faisait  publier 
une  nouvelle  carte,  elle  différerait  sensiblement  de 
celle  de  1910.  Un  croquis  établi  d’après  des  rapports 
de  fonctionnaires  nous  a d’ailleurs  été  obligeamment 
communiqué  par  M.  Maury. 

Grosso  iiwih  nous  pourrions,  d’après  ce  document, 
établir  la  limite  de  la  forêt  comme  suit.  Au  nord,  de 
l’übangi  jusqu’au  24'“®  degré  de  longitude,  la  limite 
est  parallèle  au  4"'®  degré  de  latitude  nord  ; à partir  du 
^l"'®  degré,  la  limite  s’infléchit  irrégulièrement  vers  le 
sud  })our  atteindre  à l’est  Kilo.  A l’est  elle  forme,  à 
partir  de  Kilo,  une  ligne  oblique  jusqu’à  l’intersection 
du  3'"®  deo'ré  de  latitude  sud  et  du  28"'®  dea’ré  de  longi- 
tude,  présentant  entre  l’Equateur  et  le  1''  degré  sous 
l’Equateur  une  indentation  profonde.  Au  sujet  de  cette 
indentation  M.  Maury  voulait  bien  nous  écrire  : 
« Elle  est  occupée  par  les  villages  d’Opedi  sur  la  crête 
Congo-Nil,  mais  je  ne  saurais  dire  si  le  recul  de  la  forêt 
en  ce  jioint  est  dû  aux  indigènes,  ou  si  les  indigènes 
ont  ])roflté  de  ce  recul  pour  s’établir.  En  tout  cas  cette 
boucle  correspond  également  à un  changement  de 
niveau,  assez  marqué,  jtrovenant  d’un  contre-fort  qui 
domine  toute  la  plaine  de  la  Semliki  et  la  forêt  envi- 
ronnante. » 

Nous  avons  tenu  à reproduire  cette  appréciation 
pour  bien  faire  voir  combien  il  sera  difficile  de  tirer 
au  clair  l’origine  des  lirousses  congolaises  actuelles. 


LES  FORETS  CONOOLAISES 


411 


A partir  du  point  d’intersection  du  3'"®  degré  de  lati- 
tude sud  et  du  28"’*'  degré  de  longitude,  la  limite  de  la 
forêt,  fort  mal  connue  encore,  et  présentant  indiscuta- 
blement plus  de  prolongements  vers  le  sud  que  vers 
le  nord  sous  forme  de  galeries,  oblique  vers  l’ouest 
jusque  vers  Lusambo,  d’où  elle  se  dirige  irrégulière- 
ment vers  Bena-Makima  pour  obliquer  vers  le*  nord- 
ouest  et  se  terminer,  en  galeries,  le  long  du  Congo, 
entre  Lukolela  et  Yumbi. 

Mais  si,  considéré  dans  ses  grandes  lignes,  ce  tracé 
semble  nous  donner  une  assez  bonne  idée  de  la  disper- 
sion de  la  forêt  congolaise,  quand  on  l’examine  de 
près,  on  doit  reconnaître  qu’il  est  en  bien  des  points 
assez  peu  exact  et  que  parfois  il  donne  une  trop  grande 
étendue  à la  forêt.  Nous  citerons  en  particulier  le 
cas  de  l’Entre-Ubangi-Gongo,  là,  indiscutablement  la 
limite  de  la  forêt  s’infléchit  beaucoup  plus  fortement 
vers  le  sud  que  ne  l’indique  la  délimitation  ci-dessus, 
et  comme  le  démontrent  la  carte  publiée  par 
M.  Fr.  Thonner  (J),  les  itinéraires  manuscrits  de 
M.  A.  Sapin  et  les  planches  I-III  ci-jointes,  dont  les 
clichés  ont  été  faits  en  1913. 

Dans  toute  cette  zone  les  rivières  sont  à courant  très 
lent  ; elles  forment  de  vastes  marais  entrecoupant  for- 
tement la  forêt  de  leurs  innombrables  méandres,  au 
point  qu’elle  est  même  tout  à fait  absente,  dans  la  zone 
dite  forestière,  sur  de  très  vastes  espaces. 

C’est  dans  cette  région  que  l’on  pourrait  peut-être  le 
mieux  étudier,  comme  nous  l’avons  ra])pelé  plus  haut, 
la  formation  de  la  forêt  sur  les  terres  sortant  du  sein  de 
l’eau,  se  relevant  d’abord  par  la  constitution  de  bancs 
d’herbes,  puis  par  la  naissance  de  Raphia  qui  végètent 
dans  la  vase  retenue  par  la  végétation  herbacée  ; à 


(1)  Cf.  De  Wildeman,  Éludes  sur  la  flore  des  districts  des  Bangata  et  de 
l'I'bungi,  Bruxelles,  1911. 


412 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l’intérieur  de  cette  ceinture  de  Raphia,  pourraient 
prendre  pied  des  Elaeis  dont  la  couronne  se  remarque 
de  loin  dominant  les  autres  palmiers. 

Les  quelques  clichés  photographiques  dont  nous 
offrons  des  reproductions  dans  les  planches  I à III, 
donnent  une  bonne  idée  de  l’aspect  de  ces  vastes  éten- 
dues d’eau  s’étendant  dans  une  région  considérée 
comme  forestière,  en  même  temps  qu’elles  font  voir 
la  constitution  d’îlots  herbeux,  sortes  d’îles  plus  ou 
moins  flottantes,  dans  l’intérieur  desquelles  on  voit 
apjiaraître  les  Raphia  et  des  Elaeis  spontanés. 

Pour  en  revenir  à notre  sujet,  nous  pensons  donc 
que  la  limite  de  la  forêt  est  un  peu  différente  de  celle 
que  nous  pourrions  établir  d’après  les  données  aux- 
quelles nous  avons  fait  allusion. 

Mais  encore,  à l’intérieur  de  ces  limites  la  forêt  est- 
elle  continue?  On  peut  affirmer  que  non  ! Nous  venons 
de  le  rappeler  à propos  de  l’Entre-Ubangi-Congo.  Dans 
la  Giri,  par  exemple,  on  serait  forcé,  si  l’on  pouvait 
tenir  compte  du  détail,  de  laisser  dans  le  coloriage 
d’une  carte  de  nomlireux  vides,  comme  on  devrait  en 
laisser  autour  de  chaque  village  localisé  dans  la  forêt. 

(i)n  serait  aussi  amené  à établir  des  interruptions  de 
forêt  dans  d’autres  parties  de  la  cuvette  centrale  du 
Congo  ; interruptions  qui  ne  sont  peut-être  pas  le  résul- 
tat des  agissements  irrationnels  de  l’indigène.  Il  se 
pourrait  en  effet  que  les  arêtes  de  séparation  des  bas- 
sins des  divers  affluents  du  Congo,  fréquemment  enva- 
hies ]>ar  la  brousse,  soient  naturellement  privées  de 
forêt;  comme  il  se  pourrait  aussi  que  ces  endroits 
ayant  été  primitivement  choisis  par  les  indigènes  pour 
l’établissement  de  leurs  villages  et  de  leurs  cultures,  à 
cause  de  leur  situation  favorable,  soient  ceux  qui  pré- 
sentent le  dernier  stade  de  transtormation  forestière 
auquel  M.  Louvel  faisait  allusion  dans  les  termes  que 
nous  avons  rapportés  plus  haut. 


LES  FORETS  CONGOLAISES 


413 


Nous  pouvons  donc  affirmer  qu’au  Congo  belge  la 
surface  recouverte  de  forêts,  même  à l’état  secondaire, 
est  beaucoup  moins  étendue  qu’on  le  suppose  fréquem- 
ment. Atteint-elle  les  ° „ fie  la  surface  totale  ? 
Personne  ne  pourrait  le  dire,  mais  ce  qui  est  indé- 
niable c’est  que  cette  surface  est  en  décroissance  et 
que  dès  lors  il  convient  de  la  jirotéger. 

11  faut  donc,  malgré  quelques  avis  contraires,  régle- 
menter la  destruction  de  la  forêt  tant  par  le  lilanc  que 
par  l’indigène. 

Certes  il  ne  peut  être  question  d’ajipliquer  rigou- 
reusement, dans  une  colonie  encore  en  enfance,  des 
lois  forestières  ; mais  des  règlements  peuvent  être 
imposés  dès  maintenant  dans  certains  centres  où  l’ad- 
ministration est  suffisamment  établie,  et  leur  applica- 
tion peut  s’étendre,  si  on  le  veut,  assez  rapidement. 

Le  meilleur  moyen  d'ailleurs  d’arriver  à appliquer 
les  règlements  relatifs  à la  conservation  des  forêts  est 
d’amener  le  noir  à modifier  ses  méthodes  de  culture 
tout  à fait  irrationnelles,  et  à cultiver  suivant  des  pro- 
cédés de  plus  en  plus  modernes,  sans  devoir,  après 
épuisement  de  son  terrain,  rechercher  dans  la  forêt 
des  terres  projires  à la  production  de  })lantes  comes- 
tibles. 

Le  travail  })lus  profond  du  sol,  les  assolements, 
l'apport  d’amendements  permettront  d’arriver  à ce 
résultat,  et  du  coup  les  forêts  seront  protégées.  Elles 
]>ourront  alors  être  régulièrement  aménagées  et  ex- 
]tloitées,  non  seulement  pour  le  bois  d’oeuvre,  mais 
encore  et  surtout  pour  les  nombreux  autres  produits 
utilisables  qu’elles  renferment. 

Nous  attachons  donc  une  immense  importance  à la 
formation  de  l'indigène;  nous  ne  pourrions  assez  le 
répéter,  c’est  de  cette  formation  que  dépend  l’avenir 
des  colonies  tropicales.  Nous  devons  employer  tous  les 
moyens  pour  fixer  le  noir  au  sol,  pour  changer  cet 
1II«  SÉIUE.  T.  XXVI.  “27 


414 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


indigène  nomade  en  un  véritable  paysan,  ayant  appris 
à connaître  la  valeur  du  sol  sur  lequel  il  vit  (1). 

On  ne  pourrait  donc,  quel  que  soit  le  point  de  vue 
où  l’on  se  place,  assez  insister  sur  l’importance  de 
l’étude  de  la  forêt  tropicale  congolaise. 

La  plupart  des  gouvernements  coloniaux  de  l’Afrique 
tropicale  qui  possèdent  sur  leurs  territoires  des  ramiti- 
cations  de  notre  Hylaea  africana  ont  compris  cette 
importance;  ils  ont  non  seulement  visé  à protéger 
leurs  forêts  par  la  mise  au  jour  de  décrets,  mais  ont 
également  envoyé  sur  place  des  missions  spéciales 
dont  les  résultats,  sans  être  toujours  des  plus  riches 
au  point  de  vue  de  l’application  immédiate,  ont  été  en 
tout  cas  intéressants,  car  ils  ont  ouvert  des  horizons 
peu  soupçonnés. 

Nous  ne  devons  pas  nous  le  dissimuler,  de  vastes 
enquêtes,  prolongées  pendant  un  certain  temps,  sont 
seules  capables  de  nous  faire  connaître  la  vraie  valeur 
économique  des  forêts  coloniales. 

Souhaitons  dans  l’intérêt  de  l’avenir  de  notre 
Colonie  que  de  telles  enquêtes  soient  entreprises,  sans 
tarder,  en  divers  points  de  notre  Congo. 

E.  De  ^^4LDEMAN. 


(1)  De  Wildeman.  Ressources  végétales  du  Congo  in  La  Revue  Généhai.e, 
mai  1008,  p.  032,  et  De  Wildeman,  Sciences  biologiques  ei  colonisation,  Bru- 
xelles, 1909,  p.  34. 


QUOTITÉ  DE  VIE  D’UNE  NATION 

PAR 

KILOMÈTRE  CARRÉ 


Nous  avons  publié  dans  le  n°  d’octobre  1911  de  la 
Revue  des  Questions  scientifiques  (3®  série,  t.  XX. 
pp.  509-524)  un  article  intitulé  : La  quotïté  de  vie 
d'une  nation  comme  index  imiqiie  de  sa  situation 
économique  et  morale.  Nous  nous  proposons  de  le 
compléter,  en  utilisant  pour  la  Belgique  les  données 
du  recensement  du  31  décembre  1910  ; elles  n’étaient 
pas  publiées  quand  notre  article  a paru.  Nous  indi- 
quons en  même  temps  le  moyen  de  comjiarer  la  quotité 
de  vie  dans  des  pays  dont  les  ressources  naturelles 
sont  analogues.  Enfin  nous  faisons  remarquer  le  peu 
de  portée  d’un  autre  procédé  de  comparaison. 

La  quotité  de  vie  est  le  produit  de  la  vie  moyenne 
des  habitants  d’un  pays  à un  jour  donné  par  le  nombre 
de  ces  habitants  ; ou  si  l'on  aime  mieux  c’est  la  somme 
des  années  de  vie  de  tous  ces  habitants  au  jour  choisi. 

La  détermination  du  nombre  des  habitants  des  pays 
civilisés  de  l’Europe  se  fait  maintenant  avec  soin  par 
recensement,  tous  les  dix  ou  tous  les  cinq  ans. 

La  détermination  de  la  vie  moyenne  se  déduit  des 


il(3 


REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


données  de  la  statistique  d'une  inanière  assez  pénible, 
j)arce  que  ces  données  ne  sont  pas  recueillies  avec  la 
précision  nécessaire  })ar  les  organes  administratifs  qui 
en  sont  chargés. 

Pour  la  Belgique,  la  vie  moyenne  a été  déterminée 
quatre  fois  seulement,  en  1829,  en  1856,  en  1890  et 
en  1901.  Gomme  nous  l’avons  dit  dans  l’article  anté- 
rieur, on  [leut  représenter  par  une  expression  algé- 
brique simple,  la  loi  d’accroissement  de  la  vie  moyenne 
pour  notre  pays,  depuis  1829,  jusqu’à  l’année  a?, 
}>ar  la  formule 

U'  = :\\ , W + {x  — 18“i!»  lOg24()B7  — 0,000(B  {x  — lS5(i)]. 

Pour  olitenir  cette  formule,  nous  avons  emjiloyé  la 
seconde  règle  d'inteiqiolation  de  Newton  (1). 

(^n  en  déduit  18,-18  pour  la  vie  moyenne  en  1910. 

Le  recensement  du  81  décembre  1910  a donné  pour 
la  po])ulation  de  la  Belgique  à cette  date  7 128  781 
habitants. 

Ce  chitfre  nous  a jiermis  de  corriger-  les  indications 
relatives  à la  po])ulation  de  notre  pays  obtenues  au 
moj'en  des  excédents  du  nombre  des  naissances  sur 
celui  des  décès,  de  1900  à 1910.  Nous  avons  }>u  ainsi 
formel-  le  tableau  suivant  : 

(I)  Pour  arriver  à ce  résultat  simple,  nous  avons  anginenlé  de  0,07  la 
valeur  île  la  vie  moyenne  que  nous  avions  trouvée  pour  1001.  Dans  le  te.xte 
du  premier  article,  nous  avons  écrit  par  erreur  -I-  0,00008  au  lieu  de 
— 0,00008  ; mais  les  calculs  ont  été  laits  avec  la  formule  exacte  telle  que 
nous  la  donnons  ici.  Voici  l’indication  de  quelques  autres  fautes  d’impression  : 
p.  510,  la  vie  moyenne  indiquée  est  celle  de  1880,  non  de  1881  ; p.  5'21,  la 
vie  moyenne  pour  rannée  1903  est  .i7,3l  et  non  i7,il.  A la  page  5i0,  les 
accroissements  de  population  de  1901  à 1909  contiennent  à tort  au  début  le 
nondjre  04743  iini  doit  être  barré  ; les  nombres  (jui  viennent  ensuite  doivent 
être  remontés  tons  d’une  ligne  ; le  dernier  doit  être  remplacé  par  01870  et  il 
aurait  du  être  suivi  de  l’excédent  du  nombre  des  naissances  sur  les  décès 
en  1909,  savoir  58800.  L’excédent  analogue  pour  1910,  donné  dans  I’.Anxu.virk 
iiE  ST.XTiSTiquE  pour  1911,  page  1 10,  est  03587. 


LA  QUOTITÉ  DE  VIE  d’uNE  NATION 


417 


1900.  Recensement 

6 693  548 

Accroissements 

1901 

6 780  875 

87  327 

1902 

6 860  742 

79  867 

1903 

6 937  695 

76  953 

1904 

7 013  236 

75  541 

1905 

7 085  657 

72  121 

1906 

7 156  370 

70  713 

1907 

7 229  188 

73  118 

1908 

7 294  684 

65  196 

1909 

7 356  87 1 

62  187 

1910.  Recensernent 

7 423  784 

66  913 

L’accroissemeut  de  la  population  en  dix  ans  est  de 
730  236  hommes,  donc  en  moyenne  de  73  024.  Nous 
disons  comme  en  1911  : « On  ne  peut  pas  ne  pas  être 
frappé  de  la  diminution  progressive  des  accroissements 
annuels  dans  la  dernière  période.  Elle  provient  de  la 
décroissance  du  nombre  annuel  des  naissances  ».  Il 
était  de  200077  en  1901,  de  176  413  en  1910. 


Au  moyen  des  résultats  précédents  et  des  valeurs  de 
la  vie  moyenne  de  1900  à 1910,  on  trouve  la  quotité 
de  vie  pour  ces  années,  savoir  : 


Population 

Quotité  de  vie 

en  milliers 

Vie  moyenne 

en  milliers 

Accroissement 

d’habitants 

d’années 

1900 

6694 

46,81 

313,35 

1901 

6781 

46,98 

318,57 

5,22  ou  1,6 

7.. 

1902 

6861 

47,14 

.323,43 

4,86  ou  1 ,5 

» 

1903 

6938 

47,31 

328,24 

4,81  ou  1 ,5 

« 

1904 

7013 

47,47 

332,91 

4,67  ou  1,4 

» 

1905 

7086 

47,63 

337,51 

4,60  ou  1 ,4 

» 

1906 

7156 

47,80 

342,06 

4,55  ou  1 ,3 

» 

1907 

7229 

47,96 

346,70 

4,68  ou  1,4 

» 

1908 

7295 

48,11 

350,96 

4,26  ou  1,2 

» 

1909 

7357 

355,12 

4,16  ou  1,2 

» 

1910 

im 

48,43 

,359, .54 

4,42  ou  1,2 

■» 

418 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


L’accroissement  en  dix  ans  est  de  46,1^  millions 
d’années,  près  de  15  ” „ de  la  quotité  de  vie  en  1900. 


La  Belgique,  l’Allemagne,  la  France  ont  respective- 
ment 11,  9,  14  7o  de  terres  stériles,  18,  26,  16  % 
de  forêts  à moitié  proiluctives,  ce  qui  égalise  à peu 
près  entre  elles  les  conditions  économiques.  L’Angle- 
terre avec  le  pav!^  de  Galles  est  dans  une  situation 
un  peu  meilleure  (v.  Sevdlitz-Oelilman,  Georfraphie, 
1908,  p.  510). 

Comparons  ces  divers  pays  au  point  de  vue  de  la 
([uotité  de  vie  par  kilomètre  carré.  On  trouve  ainsi 
les  résultats  suivants  pour  les  années  1880  ou  1881, 
d’après  des  données  empruntées  à l’ouvrage  de  Leclerc 
(Tables  de  mortalité  ou  de  surrie  et  table  de  popula- 
tion pour  la  Belf/iq'ite,  pp.  6(),  81). 


Belgique 

Angleterre 

Allemagne 

France 


8075  années 
7345  » 

3200  » 

2935  » 


Nous  ne  })ouvons  faire  la  môme  comparaison  poui- 
ces  quatre  pays  en  1901,  j)arce  (fue  nous  ne  con- 
naissons pas  la  vie  moyenne  à cette  date  en  Angleterre 
et  en  Allemagne.  Mais  voici  la  quotité  de  vie  en 
Belgique  et  en  France,  par  kilomètre  carré,  en  1901. 

Belgique  10  8(X)  années 

France  3 450  » 

On  ne  peut  j)as  évidemment  comparer  la  quotité  de 
vie  par  kilomètre  carré  de  la  Belgique  avec  celle  de 
pays  comme  la  Suisse,  le  Danemark,  la  Suède,  la 
Norvège,  la  Russie  où  les  conditions  de  la  vie  écono- 
mique sont  complètement  ditiérentes.  Mais  on  pourrait 


LA  QUOTITÉ  DE  VIE  d’uNE  NATION 


419 


peut-être  les  comparer  au  point  de  vue  des  accroisse- 
ments annuels  en  pour  cent  de  la  quotité  de  vie. 

Parmi  les  bases  de  comparaison  souvent  emploj-ées, 
il  y en  a une  qui  n’a  vraiment  qu’une  faible  valeur 
quand  on  l’applique  à la  fois  à de  petits  et  à de  grands 
pays  ; c’est  celle  du  commerce  avec  les  pays  étran- 
gers (exportation,  importation,  transit)  des  uns  et  des 
autres. 

La  France  et  rxlllemagne  sont  dix-huit  fois  plus 
étendues  que  la  Belgique.  Supposez-les  divisées  l’une 
et  l’autre  en  dix-huit  districts  à peu  près  égaux  en 
superficie  à la  Belgique.  Pour  pouvoir  comparer 
raisonnablement  le  commerce  de  la  France  ou  de 
l’i^llemagne  à celui  de  la  Belgique,  il  faudrait  évidem- 
ment ajouter  aux  données  habituelles  le  commerce  des 
dix-huit  districts  les  uns  avec  les  autres  : on  ne  le  fait 
Jamais  et  on  ne  conçoit  pas  comment  on  pourrait  le 
faire.  Les  comparaisons  du  commerce  des  nations 
grandes  et  petites  n’ont  donc  guère  la  portée  qu’on 
leur  attribue  souvent  dans  notre  pays. 


Paul  Mansion. 


LES  PLEIADES 


Pendant  les  belles  soirées  d’hiver,  on  aperçoit  dans 
la  constellation  du  Taureau  une  lueur  discrète,  vapo- 
reuse qui  semble  un  lambeau  perdu  de  la  ’V'oie  lactée. 
L’attention  et  surtout  de  bons  yeux  y découvrent  un 
groupe  de  petites  étoiles  frissonnantes  : ce  sont  les 
Pléiades. 

Ce  nom  traduit  vraisemblablement  l’impression  que 
nous  donnent,  au  premier  regard,  leur  nombre  et  leur 
disposition  : « bine  nomen  Pléiades,  dit  un  vieil  auteur, 
quia  plures  et  turmatim  apparent,  quasi  TrXeîoveç  » (i). 

l)e  tout  temps  et  sous  tous  les  climats,  elles  ont  attiré 
et  retenu  l’attention.  Jadis  elles  rendaient  aux  marins 
et  aux  laboureurs  d’excellents  services  ; aujourd’hui 
les  découvertes  des  astronomes  en  ont  fait  une  des 
merveilles  de  l’Univers  stellaire. 

Nous  nous  proposons  de  raconter  leur  histoire  ; 
mais  nous  devons  rappeler  d’abord  les  visées  pratiques 
que  poursuivait  l’astronomie  primitive. 

I 

La  science  du  Ciel,  comme  toutes  les  autres,  est  née 
de  la  nécessité.  Avant  de  devenir  l’objet  d’une  curiosité 
savante  et  de  profonds  calculs,  l’observation  des  astres 
eut  un  but  purement  utilitaire. 


(1)  Vous  verrons  qu’on  ne  s’est  point  contenté  de  cette  étymologie. 


r.ES  PLEIADES 


421 

Socrate,  nous  dii  Xénophon  dans  ses  Mèvioires  (1), 
recommandait  d’apprendre  assez  d’astronomie  ])Our 
pouvoir  connaître  !('  moment  (oipa)  de  la  nuit,  du  mois 
ou  de  l’année,  eu  cas  de  voyage,  de  navigation,  de 
garde  ou  pour  tout  ce  qui  se  fait  après  le  coucher  du 
Soleil,  dans  le  mois  ou  au  cours  de  l’année.  Ce  qu’il 
importe,  disait-il,  c'i'st  d’avoir  « des  repères  permettant 
de  distinguer  des  moments  dans  ces  divers  tenqis  ; 
mais  il  est  facile  de  les  apprendre  des  chasseurs  de 
nuit,  des  marins  et  de  bien  d’autres  personnes  qui  ont 
intérêt  à les  connaît i-e.  » 

L’astronomie,  à l’origine,  était  donc  chose  purement 
pratique  ; on  observait  le  ciel  comme  nous  consultons 
nos  calendriers  et  nos  montres,  sans  autre  but  que 
celui  de  connaître  la  date  et  l’heure,  et  avec  bien  moins 
de  souci  de  l’exaclitude  ; aujourd’hui  les  trains  partent 
à l’heure...  parfoi>,  quelques  minutes  de  retard  nous 
exposent  à les  manquer  ; les  anciens  ignoraient  ces 
préoccupations. 

Le  mot  oipa  qu’i'inploie  Xénophon  n’était  nullement, 
comme  pour  nous  le  mot  heure,  un  instant  précis  ou 
une  durée  absolument  constante,  mais  l’indication 
vague  des  phases  successives  du  jour  et  de  la  nuit,  ou 
une  fraction  de  hairs  durées  variables  suivant  les 
saisons.  Encore  le  mot  « saison  » ne  doit-il  pas'  s’en- 
tendre, au  début  <h'  l’astronomie,  d’une  partie  déter- 
minée de  l’année  solaire,  mais  des  époques  assignées, 
sous  un  climat  donné,  à quelque  travail  agricole  ou 
à quelqu’expédition  lointaine  : la  saison  des  labours, 
de  la  navigation,  etc. 

Pour  atteindre  le  but  qu’elle  poursuivait,  cette 
astronomie  pratique  dut  se  donner  des  repères  sur  la 

(1)  IV,  7 ; cité  par  P.  Tnnnery,  Rechercher  xur  Vflistoire  de  V Astronomie 
ancienne,  Paris,  1S93,  p.  b. 


422 


RKVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


voûte  étoilée,  ce  qui  l’amena  à partager  le  ciel  en 
constellations. 

Ce  partage  ne  fut  évidemment  ni  l’œuvre  d’un  jour 
ni  celle  d’un  seul  homme.  On  le  retrouve,  rudimentaire 
et  varié,  chez  tous  les  [teuples  où  il  reflète  les  préoccu- 
}»ations  locales  et  présente  certains  traits  communs 
dont  l’aspect  du  flrmament  suffit  généralement  à rendre 
raison.  Partout  aussi  ses  origines  remontent  à la  plus 
haute  antiquité  et  son  achèvement-,  au  sein  des  nations 
civilisées,  fut  l’œuvre  des  siècles.  Il  est  certain,  par 
exemple,  que  la  division  du  ciel  telle  que  les  Cfrecs 
la  connurent  ne  se  compléta  qu’au  cours  des  vf  et 
V®  siècles  avant  notre  ère. 

C'est  cette  sphère  grecque  que  les  modernes  ont 
adoptée  ; ils  ont  précisé  les  limites  de  ses  constellations 
et  en  ont  créé  de  nouvelles  en  étendant  au  ciel  entier 
ce  groiqæment  des  étoiles  ; mais  les  procédés  d’obser- 
vation se  sont  complètement  transformés. 

C’est  la  culmination  des  astres,  à l’instant  précis  de 
leur  passage  au  méridien,  que  les  modernes  observent 
en  s’aidant  d’instruments  et  avec  toute  l’exactitude 
qu’exigent  les  visées  singulièrement  élargies  de  l’as- 
tronomie. Les  anciens,  au  contraire,  observaient  les 
astres  à l’horizon,  au  moment  de  leur  lever  et  de  leur 
(îouchei-  ; la  précision  de  ces  observations  n’avait 
évidemment  rien  de  mathématique,  mais  elle  suffisait 
au  but  ])ratique  que  l’on  avait  en  vue. 

A qui  sait  s’orienter,  la  situation  du  Soleil  sur 
l’horizon  permet  d’évaluer  approximativement  la  frac- 
tion écoulée  de  la  durée  du  jour  ; la  nuit,  les  étoiles 
]»euvent  lui  rendre  le  même  service.  Au  moment,  en 
effet,  où  le  Soleil  se  couche,  la  constellation  zodiacale 
qui  lui  est  opposée  se  lève  ; elle  présidera  à la  nuit  qui 
commence,  comme  le  Soleil  a présidé  au  jour  qui 
s’achève,  entraînant  après  elle  d’autres  constellations. 

Peu  à peu,  on  en  vint  à la  division  complète  du 


LES  PLÉIADES 


423 


zodiaque  en  douze  signes  égaux,  ou  supposés  tels.  Dès 
lors,  le  partage  de  la  durée  de  la  nuit  fut  rendu  à la 
fois  plus  facile  et  moins  conjectural  pour  qui  connais- 
sait le  dénombrement  des  astres  qui  se  lèvent  ou  se 
couchent  pendant  que  se  lève  ou  se  couche  chaque 
signe  du  zodiaijue.  C’est  sur  ce  dénombrement  qu’in- 
sistent les  premiers  écrits  astronomiques,  les  ancêtres 
de  la  Connaissance  des  temps,  destinés  aux  marins, 
mais  où  les  agriculteurs  trouvaient  aussi  leur  part. 

On  sait  qu’au  cours  de  l’année  les  constellations  du 
zodiaque  se  dégagent  tour  à tour  des  rayons  du  Soleil, 
brillent  quelque  temps  pendant  la  nuit  et  se  perdent 
ensuite  dans  la  clarté  du  jour.  Chaque  astre  — étoile 
ou  constellation,  en  dehors  des  circompolaires  - passe 
donc  par  quatre  phases  fixant  quatre  repères  dans  la 
durée  de  l’année,  un  peu  comme  les  phases  de  la  Lune 
au  cours  du  mois. 

La  première  phase  stellaire  est  le  lever  apparent  du 
matin,  ou  le  lever  hèliaque  de  l’étoile  ou  de  la  constel- 
lation : elle  a lieu  quand,  pour  la  première  fois  au 
cours  de  l’année,  on  aperçoit  l’astre  à l’horizon  oriental 
un  peu  avant  le  lever  du  Soleil  (i). 

La  seconde  est  le  coucher  apqyarent  du  soir,  ou 
le  coucher  hèliaque  : elle  se  produit  quand,  pour  la 
dernière  fois  au  cours  de  l’année,  l’astre  apparaît  à 
l’horizon  occidental  un  peu  après  le  coucher  du  Soleil. 

De  même  la  troisième  et  la  quatrième  phase,  le 
lever  apparent  du  soir  et  le  coucher  apparent  du 
matin,  ont  lieu  respectivement  quand  on  voit  l’astre 
se  le\"er  pour  la  deimière  fois  peu  après  le  coucher  du 

(1)  Le  lever  vrai  du  matin,  ou  le  lever  cosmique,  a lieu  quand  l’astre  est  à 
l’horizon  oriental  en  même  temps  que  le  Soleil  : il  échappe  à l’observation  ; 
l’éclat  du  Soleil  absorbe  celui  de  l’étoile.  Il  faut  que  le  Soleil  soit  abaissé  d'un 
certain  nombre  de  degrés  sous  l’horizon  pour  que  les  étoiles  puissent  être 
aperçues.  Les  anciens  supposaient  que  cet  abaissement  devait  être  de  18® 
environ  pour  les  petites  étoiles  et  de  10®  à 12"  pour  les  étoiles  principales. 


r'4 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Soleil,  et  quand  on  le  voit  pour  la  première  fois  se 
coucher  peu  avant  son  lever. 

Un  choix  convenalile  et  suffisamment  fourni  d’étoiles 
ou  de  constellations  permettait  donc  de  multiplier  et 
de  distribuer  ces  repères  dans  l’année  de  façon  à éta- 
blir une  concordance,  pour  un  climat  donné,  entre  ces 
phases  stellaires  et  les  travaux  agricoles  ou  les  époques 
intéressant  [)lus  spécialement  la  vie  publique.  Au- 
jourd’hui, grâce  à notre  calendrier  solaire  fixe, 
l’énoncé  d'une  date  suffit  cà  tous  ces  besoins;  mais 
« avec  une  année  lunisolaire  d’une  longueur  variable 
et  dont  le  commencement  se  déplaçait  dans  l’intervalle 
d’un  mois,  écrit  P.  Tannerj  (1),  les  Grecs  devaient 
nécessairement,  [lour  assigner  et  prévoir  les  moments 
des  travaux  de  la  vie  pratique,  recourir  à un  autre 
moyen  que  la  fixation  d’une  date  du  comput  civil. 
Ce  moyen,  ils  l’avaient  trouvé  dans  l’observation  des 
levers  et  des  couchers  du  matin  et  du  soir  des  constel- 
lations les  })lus  remarquables.  » 

Toutes  ces  observations,  celles-ci  et  celles  qui  con- 
cernaient la  division  du  jour  et  de  la  nuit,  se  faisaient 
sans  instrument,  voire  en  se  promenant  : témoin 
Thalès  qui  tombe  dans  un  puits  pendant  qu’il  astrono- 
niise.  Beaucoup  de  patience  et  un  peu  d’habitude,  de 
bons  j^eux  et  un  horizon  libre  suffisaient  à tout,  et  tout 
le  monde  était  astronome. 


II 

Parmi  les  constellations  que  l’astronomie  pratique 
a de  tout  temps  utilisées,  figure  très  honorablement  le 
groupe  des  Pléiades.  On  a cru  les  trouver  renseignées 


(1)  P.  Tannery,  Rechercher  sur  l’Histoire  de  l’Astronomie  ancienne,^.  15. 


LES  PLÉIADES 


125 


déjà  dans  la  Bible ;\q^  Septante  ont,  en  effet,  non  sans 
vraisemblance,  donné  leur  nom  à l’ime  des  constella- 
tions dont  parle  Job  (i).  (^bi’il  nous  suffise  de  faire 
remonter  leur  histoire  aux  monuments  les  jJus  anciens 
des  lettres  grecques,  aux  poèmes  d’Homère  et  d’Hésiode. 

Quand  Homère  fait  voyager  le  divin  Ulysse  de  l’île 
de  Calypso  vers  la  terre  des  Phéaciens,  il  nous  le 
montre,  la  nuit,  -au  gouvernail  du  radeau  qu’il  s’est 
construit  et  dont  il  vient  de  larguer  les  voiles,  « con- 
templant les  Pléiades  et  le  Bouvier  lent  à se  coucher, 
avant  Y Ourse  que  l’on  appelle  aussi  vulgairement  (lia- 
riot,  celle  qui  tourne  sur  place  en  se  gardant  ééOriorr 
et  seule  n’a  })oint  part  aux  bains  de  l’Océan  (2)  ». 
Ulysse  cherchait-il  l’oubli  de  ses  malheurs  en  rêvant 
aux  étoiles?  — Xullement,  il  leiu‘  demandait  l’heure 
et  la  route  à suivre,  il  consultait  sa  monti-e  et  sa 
boussole. 

Si  aux  Pléiades,  au  Bouvier,  à Y Ourse  et  à Orion, 
nous  ajoutons  les  Hyades  et  le  Chien  d’Orion  (3),  nous 
aurons  vraisemlilablenient  toutes  les  constellations 
connues  d’Homère  ( i)  ; nous  n’en  voyons  point  d’autres 
sur  le  bouclier  d’Achille  (5)  où  à'ulcain  « avait  repré- 
senté la  Terre,  le  Ciel  et  la  Mer,  le  Soleil  infatigable 
et  la  Lune  dans  son  plein,  et  tous  les  astres  dont  le  Ciel 

(1)  Job,  IX,  9;  XXXVllI,  31. 

(2)  Odyssée,  V.  272-275. 

(3)  Iliade,  XXII,  25-31. 

(4)  Et,  à très  peu  ])rès,  toute  son  astronomie.  On  a cru  voir  dans  VOdyssée. 
XV,  403-404,  une  allusion  aux  solstices  (voir  ; .Martin,  Commeni  Homère 
s’orientait,  Mé.m.  iik  i.’Ac.vn.  des  Lnsciuptions  et  Belles-Lettues,  XXIX. 
t.  2,  1879.  pp.  1-28),  mais  elle  n’est  pas  certaine  (voir  : Tli.  Ileath,  Aristar- 
clnis  of  Sa)iios,  Oxford,  1913,  pp.  9-10).  Homère  parle  de  VÉtoile  du  malin 
(Iliade.  XXlll,  220)  et  de  l’Étoile  du  soir  (Ibid.,  XXII,  318)  « la  plus  belle 
du  ciel  »,  mais  l'idenlilication  avec  la  planète  Vénus  n’est  point  faite.  Il  n’est 
question  dans  ses  poèmes  ni  des  comètes,  ni  des  étoiles  (Hantes  ; inie  fois 
cependant  (Iliade,  IV,  75-79),  la  chute  d’un  météore  fournit  une  image  poé- 
tique ; c’est  tout. 

(5)  Iliade,  XVIII.  483-490. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


m 


se  couronne  : les  Pléiades,  les  Hyades, ...  »,  et  le  poète 
nomme  ici  les  seules  constellations  que  nous  venons 
d’indiquer. 

Vraisemblablement,  plusieurs  de  ces  constellations 
devaient  être  plus  étendues  que  celles  qui,  dans  les 
temps  postérieurs,  ont  porté  les  mêmes  noms.  Si 
\ Ourse,  en  particulier,  était  seule  à ne  pas  se  coucher, 
c'est  qu’elle  comprenait  sans  doute  toutes  les  étoiles  du 
cercle  de  perpétuelle  vision  ; cet  enseinble  de  constella- 
tions suffisait  cependant,  par  une  nuit  sereine  et  pour  un 
(eil  exercé,  à s’orienter  et  à évaluer  la  portion  écoulée 
de  la  nuit.  Quant  aux  Pléiades  dont  parlent  V Iliade  et 
X Odyssée,  ce  sont  bien  les  nôtres  ; à part  peut-être 
quelque  variation  individuelle  d’éclat,  leur  groupe  se 
montrait  au  divin  Ulysse  tel  qu’il  nous  apparaît  aujoiii'- 
d’iiui,  nous  en  aurons  ]dus  loin  la  preuve. 

1/astronomie  d’IIésiode  est  un  peu  plus  avancée  que 
celle  d’Homère,  mais  ses  constellations  sont,  en 
somme,  les  mêmes;  il  connaît  le  nom  du  Chien  d’Orion, 
Sù'ius,  celui  éé Arcturtfs  (dpKTou  oùpà).  et  celui  d’Hrcto- 
yhylax,  le  Gardien  de  l’Ourse,  qui  a dû  s’étendre 
originairement  à toute  la  constellation  du  Bouvier-, 
c’était  ce  gardien  et  ( )rion  qui  empêchaient  l’Ourse  de 
se  baigner. 

Comme  le  titre  du  poème  d’Hésiode,  Les  Travaux 
et  les  Jours,  permet  de  s’y  attendre,  l’auteur  s’étend 
plus  que  ne  ])0uvait  le  faire  Homère,  dans  VIliade  et 
XOdi/ssée,  sur  la  distribution  annuelle  des  travaux  des 
champs  par  l’observation  des  phases  des  étoiles,  bâ 
encoi’e  les  levers  et  les  couchers  des  Pléiades  jouent 
un  rôle  important  quand  il  s’agit  de  tixer  l’é])oque  des 
semailles,  celles  de  la  moisson,  du  battage  en  grange, 
etc.  Nous  ne  reproduirons  j)as  le  détail  de  ces  rappro- 
chements; ils  n’ont  de  sens  que  pour  le  climat  envisagé 


LES  PLÉIADES 


427 


par  Hésiode  et  pour  son  tem])s,  et  n’intéressent  plus 
aujourd’hui  le  grand  public  (1). 

« On  attribue  à Hésiode,  écrit  P.  Tannery  (2),  une 
Astronomie  {Athénée,  XI,  491),  déjà  connue  d’IIygin 
(sous  Auguste).  La  seule  donnée  précise  qui  nous  en 
ait  été  conservée  est  due  à Pline  (H.  X.,  XVHI,  c.  25, 
§ 213).  L’auteur  aurait  fait  coïncider  le  coucher  du 
matin  des  Pléiades  avec  l’équinoxe  d’automne  ; à 
moins  d’une  mauvaise  interju-étation  de  vers  peut-être 
obscurs,  il  faudrait  supposer  que  le  faussaire  aurait 
pris  plaisir  à exagérer  l’ignorance  du  vieil  Aède 
d’Ascra;  celui-ci  au  reste,  dans  ses  Travaux,  ne  parle 
pas  des  équinoxes.  » 

On  attribua  d’abord  à cette  astronomie  une  origine 
alexandrine,  on  la  croit  aujourd’hui  plus  ancienne;  si 
l’on  en  juge  par  le  ]>assage  de  Pline,  peut-être  serait- 
elle  antérieure  à Thalès  (3).  Xous  n’en  retiendrons 
que  ce  détail  : 

Le  nom  des  Pléiades  serait  écrit  TTeXeicibeç  ('TréXeia, 
pigeon  ramier)  ; on  trouve  la  même  version  dans 
d’autres  auteurs.  Elle  a rappelé  à certains  érudits  les 
vers  de  Y Odyssée  (XII,  61 -(>3)  où  Homère  parle  des 
écueils  (roches  errantes)  que  les  dieux  ont  nommés 
TTXaYKtàç  ; les  oiseaux  ne  les  traversent  pas  en  vain, 
pas  même  les  timides  colombes  (TréXeiai  ipripdjveç)  qui 
portent  l’ambroisie  à Jupiter;  l’une  d'elles,  dit-on,  s’est 
perdue  en  les  survolant.  De  là  une  autre  étymologie 
du  mot  Pléiades  et  une  explication  mythologique  de  la 
légende  de  la  Pléiade  perdue  dont  va  nous  jiarler  Ara- 
tus,  l’auteur  de  la  plus  ancienne  description  de  constel- 
lations que  nous  possédions. 


(1) Voir,  entre  autres  ouvrages,  Petau,  l'runolof/.,  Paris,  18P>0:  Idelc-r, 
llandbuch  der  math,  und  techn.  Chronol.,  ISri.'j. 

(2)  P.  Tannery,  Recherches  sur  VHisloire  de  iAstronmnie  aucienne,  p.  8. 
3)  Thomas  Heath,  Aristtuchns  of  Samos,  i).  II. 


42S  REVUE  DES  QUESTIONS  SUIl'.NTIFIQUES 

Araius  de  Sales  (iii®  siècle  avant  J. -C.)  n’était  pas 
astronome,  dit  P.  Tannery,  il  a seulement  versifié, 
dans  son  poème  didacti([ue  intitidt'  les  Phénomènes, 
un  ouvrage  en  prose  comjtosé  un  siècle  auparavant, 
sous  le  même  titre,  ]>ar  Eudoxe  de  (Inide  ou,  plus  pro- 
hablement,  réédité  [lour  un  climat  un  peu  difiérent  un 
ouvrage  de  cet  asti'onome  intitule  le  Mirow  et  con- 
sacré au  même  sujet. 

Les  Phénomènes  ont  été  cori-igés  et  expliqués  ]>ar 
llij)])arqu<‘,  et  ce  commentaire  le  seul  ouvrage  du 
célèbre  astronome  de  Rhodes  qm  nous  soit  parvenu. 
Il  nous  reste  aussi  ([uelques  fragimuits  de  la  traduction 
d’ Aral  us  en  vers  latins  ({ue  Cicéi-ou  composa  dans  sa 
jeunesse. 

( let  ouvrage,  essentiellement  d'  rdre  pratique,  était 
destiné  a\ix  marins  et  aux  agric  dteurs.  Aous  ne  le 
suivrons  ni  dans  la  description  d('s  'onstellations,  qui  se 
sont  beaucoup  multijdiées  de[)ui^  Homère  et  Hésiode, 
ni  dans  la  solution  des  problèmes  ue  la  connaissance  de 
l’heure  pendant  la  nuit,  }>ar  rinsj=->ction  du  ciel,  et  de 
la  détermination  des  travaux  agr;coles  et  des  expédi- 
tions saisonnières  par  les])hases  d 's  étoiles;  nous  nous 
bornerons  à transcrire  ce  qu’il  dil  des  Pléiades. 

« Au-dessous  du  genou  gaïudu^  de  Persée,  écrit 
Ai*atus,  se  trouvent  les  Pléiades.  ( hi  dit  communément 
qu’elles  sont  au  nomlire  de  sejit,  quoiqu’on  n’en  voie 
que  six;  la  septième  n'est  pourtani  pas  perdue,  aucune 
étoile  ne  se  perd.  Leurs  noms  sont  Alcyone,  Mérope 
(lelaeno,  Electre,  Astérope,  Taygète  et  Maïa  (1).  » 

Sur  le  nombre  des  Pléiades  visibles,  IIi})parque  ne 
}iartage  i>as  l’avis  d'Aratus;  par  une  belle  nuit  sans 
Lune,  il  n’a  point  de  peine  à en  compter  sept  : il  avait 
sans  doute  de  meilleurs  yeux  que  le  poète  de  Sales  qui, 
sans  être  astronome,  a bien  du  paid'ois  regarder  le  ciel. 


< I ) [’liisiiMirs  il(;  ces  noms  oui  été  donnés  de  nos  Jours  à des  petites  planètes. 


LES  PLEIADES 


4-29 


Longtemps  les  poètes  s’intéressèrent  à la  Pléiade 
perdue.  Trois  siècles  après  Aratiis,  les  Fastes  d'Ovide, 
parlant  des  Pléiades,  répètent  en  latin  ce  que  les  Phé- 
nomènes avaient  dit  en  erec  : 

O 


Qiiae  septem  dici,  seac  tanien  esse  soient. 

« on  dit  qu’elles  sont  sept,  mais  on  n’en  voit  habituel- 
lement que  sij}  »,  et  Ovide  cherche,  dans  la  mythologie, 
l’explication  de  cette  anomalie  : c’est  peut-être  Mérope 
qui  se  cache,  dit-il,  honteuse  d’avoir  épousé  Sisyphe, 
un  mortel,  alors  que  ses  sœurs  ont  été  aimées  des 
dieux;  ou  bien  Electre  qui  s’est  voilé  la  face  devant  la 
ruine  de  Troie.  Nous  reviendrons  sur  cette  tradition 
pour  en  donner  une  interprétation  moins  poétique. 

Les  noms  dont  on  a baptisé  les  Pléiades  sont  ceux 
des  sept  filles  d’Atlas  et  de  Pléione;  de  là  le  nom  com- 
mun d’Atlantides  qu’on  leur  a parfois  donné;  de  là 
aussi,  a t-on  dit,  leur  nom  commun  de  Pléiades, 
« les  filles  de  Pléione  ».  On  a même  prétendu  remonter 
à l’oriii'ine  de  ces  dénominations  : Atlas  aurait  été 
le  premier  observateur  de  l’astre  aux  sept  étoiles 
(éTTTÔKTTepàç),  et  lui-même  aurait  donné  à ces  étoiles  les 
noms  de  ses  filles.  La  morale  de  cette  fable  est  vraie  : 
l’observation  des  Pléiades  remonte  à la  plus  haute 
antiquité. 

La  distribution  de  ces  noms  propres  entre  les 
Pléiades  fut  longtemps  imprécise  et  cajtricieuse  ; il 
semble  qu’elle  n’ait  été  fixée  qu’au  xviL  siècle,  peut- 
être  par  F.  y an  Langren  qui,  certainement,  donna  les 
noms  de  leur  père  et  de  leur  mère,  Atlas  et  Pléione, 
à deux  étoiles  du  même  groupe.  La  figure  ci-jointe 
indique  la  position  et  la  grandeur  des  Atlantides  et  de 
leurs  parents;  nous  y avons  joint  cinq  autres  Pléiades 
dont  l’éclat,  compris  entre  la  sixième  et  la  septième 
grandeur,  les  rapproche  de  Pléione  et  de  Celaeno  et 
HD  .SÉRIE.  T.  XXVI.  i2s 


-430 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(les  étoiles  visililes  à r(PÜ  nu  dans  d’excellentes  condi- 
tions. 

Un  couj)  d'(Pil  Jeté  sur  cette  tigure  — et  mieux 
encore  sur  la  réalité  qu’elle  représente  — permet  de 
comprendre  que  l’imagination  populaire  ait  vu,  dans 


6 4 


• 

6,9 

^têrope  • 

• 

Toÿgéte 

7 

• 

Maloy  • 

Celaeno 

Plêîom. 

• 

• 

Ahcyone 

• 

Eiedre 

AU/u 

• 

• 

6.7 

Méropt 

• 6,1 


Fig.  1.  — I.es  Pléiades  principales 

les  Pléiades,  une  jioule,  Alcyone,  accoinjiagnée  de  ses 
poussins;  d’où  les  noms  de  Poussinière.  de  Brood-hen, 
de  Brutlicnne,  de  Gallinella  qu’on  leur  donne  en 
l''rance,  en  Angleteri-e,  en  Allemagne  et  en  Italie. 

« Bien  ([ue  leur  lumière  soit  faible,  poursuit  Aratus, 
les  Pléiades  n’en  sont  pas  moins  renommées  parce 


LES  PLEIADES 


431 


qu’elles  annoncent  et  l’été,  et  l’hiver,  et  les  approches 
du  labour  »,  et  beaucoup  d’autres  choses  encore. 

(Citons,  par  exemple,  ces  vers  de  'N’irgile  parlant  des 
abeilles  (1)  : 


Bis  gr.'tvidos  cogimt  l'etns,  duo  lempora  inessis; 

Taygete  simul  ns  lerris  ostendil  honestum 
l’ieias,  et  Oceani  spretos  pede  reppulil  aniiies; 

Aut  eadeni  sidus  fugieiis  ul)i  Piscis  atpiosi 
Tristior  hibernas  codo  desrerulil  in  undas. 

1 

« Deux  fois  les  ruches  condensent  le  miel  dont  elles 
sont  pleines,  double  époque  de  récolte,  quand  la  Pléiade 
Taj’gète  repousse  d’un  pied  dédaigneux  les  tlots  de 
l’(3céan  et  nous  montre  son  beau  visage,  et  quand  elle 
fuit  le  Poisson  pluvieux  en  descendant  toute  triste  du 
Ciel  dans  l’onde  placée.  » 

Nous  pourrions  multiplier  ces  rapprochements;  mais 
c’est  comme  astres  des  navigateurs  que  les  Pléiades 
furent  surtout  célèbres. 

Incajtables  d’affronter  tous  les  temps,  les  marins 
attendaient,  pour  j)rendre  la  mer,  la  saison  favorable  ; 
elle  leur  était  annoncée  par  le  lever  héliaque  des 
Pléiades.  Les  auteurs  anciens  sont  remplis  d’allusions 
à ce  rôle  des  filles  d’Atlas  ; il  nous  a valu  une  cinquième 
interprétation  de  leur  nom.  De  même  que  leur  rapport 
avec  le  printemps  les  fit  appeler  4'ergillae  (2)  par  les 
Romains,  les  Grecs  les  auraient  appelées  Pléiades 
(ttAeiv,  naviguer)  à cause  du  service  qu'elles  rendaient 
aux  marins.  L’ingéniosité  des  chercheurs  d’ét\inolo^ 
gies  est  inépuisable. 

Ce  n’est  point  }>ar  leur  éclat,  dit  Aratus,  que  les 
Pléiades  ont  retenu  l’attention.  Ceci  nous  intéresse 


(1)  Georu;  IV,  23l-'2.35. 

(2)  «A  \ ere  extremo  qiio  qiiondam  oi'iehaiitnr »,  dit  lüccioli;  ou  encore 
<lu  verbe  vergere,  « a vergente  vere  ». 


432 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


davantage,  et  on  soiihaitei-ait  sur  ce  point  des  ren- 
seignements plus  précis. 

Que  le  lecteur  veuille  bien  se  reporter  à la  figure  i 
où  nous  avons  indiqué  les  grandeurs  des  quatorze 
étoiles  principales  du  groupe. 

Il  reste  vrai,  d’une  façon  générale,  que  « leur 
lumière  est  faible  ».  Aujourd’hui,  comme  autrefois,  la 
vue  normale  ordinaire  compte  six  Pléiades  ; des  yeux 
excellents,  comme  ceux  d'IIijtparque  sans  doute,  en 
distinguent  sept  ; seules  quelques  vues  exceptionnelle- 
ment puissantes  vont  })lus  loin. 

Ivépler  nous  apprend  que  son  vieux  maître,  Michel 
Moestlin,  put  un  soir,  sous  le  ciel  de  Tubingue,  distin- 
guer onze  Pléiades  assez  nettement  pour  en  dresser  la 
carte  exacte.  Par  un  ciel  très  pur,  Heis  en  voyait  dix  ; 
Marchand,  à l’observatoire  du  Pic  du  midi,  en  séparait 
ordinairement  onze,  et  Miss  Airy,  qui  d’ordinaire  en 
comptait  sept,  en  vit  une  lois  très  nettement  douze. 
Manifestement,  leur  assemblage  gêne  la  vue  distincte, 
et  ce  (pie  disait  un  astronome  du  xiii®  siècle,  Kazwini, 
est  tou  jours  vrai  : « ( )n  voit  dans  les  Pléiades  six  étoiles 
brillantes  et,  entre  elles,  qiudques  obscures  ».  Aratus, 
sans  doute,  n’y  contredirait  ]»as,  mais  on  voudrait  avoir 
le  témoignage  d’un  observateur  ancien  plus  familier 
que  lui  avec  les  choses  du  ciel  et  mieux  à même  d(' 
nous  donner  des  détails  jirécis. 

On  s’est  adressé  à Ptolémée  dont  Y Almaffeste  con- 
tient un  catalogue  d’étoiles  visibles  à l’ocil  nu,  donnant 
leur  grandeur,  la  descrijition  verbale  de  leur  situation 
relative  dans  la  constellatiim  à laquelle  elles  apj>ar- 
tiennent,  leur  longitude  et  leur  latitude  (1). 

Une  première  déception  attendait  ici  les  chercheurs  : 
Ptolémée  m;  renseigne  <[ue  quatre  Pléiades  (p.  53). 

(1)  XùvTaSiç,  tradmiion  llalina,  Paris  -181(1,  t II,  jip.  W 

et  siiiv. 


r LA  yen  K i 


Fig.  — LES  NÉBULEUSES  DES  PLÉIADES 


Aslèropo 


Akyone 


Mdhi 


Tiiyiit'le 


Celaeno 

Electre 


Mérope 


LES  PLEIADES 


433 


A en  juger  uniquement  par  leur  description  verbale, 
« celle  de  l’extréinité  boréale  du  côté  occidental  de  la 
Pléiade  » pourrait  être  Taygète;  « celle  de  l’extrémité 
méridionale  du  côté  occidental  » semble  être  Mérope  ; 
« celle  de  l’extrémité  suivante  et  très  étroite  de  la 
IHéiade  » fait  songer  à Alcyone  et  plus  encore  à Atlas, 
(juant  à la  quatrième,  « une  extérieure  et  petite  de  la 
Pléiade,  du  côté  des  ourses  »,  on  hésite  à y reconnaître 
Pléione. 

Peut-être  les  positions  et  les  grandeurs  que  Ptolémée 
donne  à ces  étoiles  nous  tireront-elles  d’embarras. 
A*oici  ce  tableau  : 


Lmujitnde 

fAitihide  Grandeur 

1 

32'MO' 

i"30'  5 

(1)  “2 

32"30' 

3"40'  5 

3 

33"  iO' 

3"40'  5 

4 

mm 

T)"  4 

Nouvelle  déconvenue  ! Alcyone,  la  plus  brillante  de 

nos  Pléiades,  ne  semble  pas  avoir  trouvé  place  dans  ce 
tableau;  d’autre  part,  la  quatrième  de  ces  étoiles,  celle 
que  Ptolémée  appelle  « petite  »,  serait  la  plus  brillante 
et  irait  se  perdre^  loin  du  quadrilatère  formé  par 
Alc^’one,  Mérope,  Electre  et  ^laïa. 

Delambre,  qui  reproduit  le  catalogue  de  X Alma- 
(jeste  (i)  avec  quelques  changements,  remplace  la 
description  que  donne  Ptolémée  de  cette  quatrième 
étoile  par  celle-ci  : « Petite  et  sixième  de  la  Pléiade 
comptée  de  l’ourse  »,  et  il  lui  assigne  non  plus  la 
quatrième  mais  la  sixième  grandeur.  Il  ajoute  en  note  : 
« il  serait  singulier  que  la  luisante  de  la  Pléiade 
(Alcyone)  ne  fût  pas  dans  ce  catalogue  ; il  faut  que  les 
erreurs  l’aient  rendue  méconnaissable.  » 


( 1 ) Histoire  de  l’Astronomie  ancienne,  t.  Il,  pp.  et  suiv. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


43 'I 


M,  Flaininai-ion,  dans  son  livre  Les  Etoiles  (1), 
a longuement  étudié  cette  énigme.  Partant  des  ascen- 
sions droites  et  des  déclinaisons,  pour  1S80,  0,  de  cha- 
cune des  Pléiades  princi[»ales,  il  calcule,  pour  la  même 
é})0([ue,  leurs  longitudes  et  leurs  latitudes,  il  retranche 
des  longitudes  les  dont  la  ])récession  les  a fait 

rétrogi'ader  au  cours  des  1750  ans  (pii  séjiarent 
l’année  1S80,  U de  réjioque  de  Ptolémée  (180)  et  il 
conserve  les  latitudes  (:i).  Il  olitient  ainsi  le  tableau 
suivant  auquel  nous  ajoutons  Pléione  et  les  grandeurs 
actuelles  de  chacune  de  ces  étoiles. 

L’an  130 


le)  n (fit  ode 

Lui  i tilde 

(ira  ndeiir 

Kleclre 

rld"l()' 

PIO' 

4,5 

helaeno 

S;]  18 

4 21 

6,5 

Taygèle 

A]  -2(1 

ldi 

5,8 

Maïa 

dd  d2 

4 2d 

5,0 

■Métope 

dd  dd 

d 56 

5,5 

■\stérope 

dd  d7 

4 d4 

6,8 

-Alcyone 

dd  51 

i.  42 

d,o 

Atlas 

d 'i  Id 

d54 

4,6 

Pléione 

3P)d40" 

d"59' 

6,3 

11  l’este  à comparer  ce  tableau  à celui  des  positions 
renseignées  dans  V Almageste  (tableau  I). 

Le  « résultat  est  fantastique,  écrit  M.  Flammarion  : 
il  n'y  a aucune  correspondance  entre  ces  positions  et 
celles  de  Ptolémée  ».  En  eliét,  les  écarts  en  longitude, 
pour  ne  rien  dire  des  latitudes  moins  sûres,  sont 
énormes. 

Mais  on  admet  généralement  (3)  qu’en  réduisant  à 

(1)  Paris,  18S2,  pp.  :2'J()  et  suiv. 

(“2)  Le  peu  d’exactitude  du  Catalogue  de  l’tolémée  rend  superllu  un  calqid 
plus  rigoureux. 

(3)  Delambre,  Histov  e de  l'Astronomie  ancienne,  l II,  p.  2(i2. 


LES  PLEIADES 


435 


son  époque  le  catalogue  crilip})ai-({ue  qu'il  rejiroduit, 
Ptolémée  a supposé  la  précession  égale  à 36"  seulement 
au  lieu  de  50".  Or  entre  Ilipparque  et  Ptolémée,  il  s’est 
écoulé  265  années.  Toutes  les  longitudes  du  catalogue 
de  V Ahnageste  seraient  donc  troj)  faibles  de  l'’2'  environ. 
Si  nous  tenons  compte  de  cette  correction,  que  néglige 
M.  Flammarion,  le  tableau  (1)  devient  : 


Lonf/itiidc 

Lalilude 

Grandeur 

1 

V’do' 

dd  2'2' 

d 40 

5 

3 

,-14  42 

d 40 

4 

d,4“42' 

5" 

4 ou  0 

Le  résultat  s’améliore  un  peu,  mais  il  faut  faire 
appel  à toute  l’indulgence  que  l’on  doit  aux  observations 
des  anciens,  surtout  dans  l’estimation  des  grandeurs 
stellaires  qui  ont  pu  d’ailleurs  varier,  et  tenir  compte 
des  descriptions  verbales,  pour  en  tirer  des  conclusions 
vraisemblables. 

La  première  Pléiade  de  Ptolémée  peut  être  Electre 
ou  Taygète,  la  seconde  est  Mérope  ; il  est  bien  difficile 
sinon  impossible  de  reconnaître  Alcjone  dans  la  troi- 
sième, c’est  Atlas  sans  doute  qu’il  faut  y voir;  quant 
à la  quatrième,  de  même  longitude  qu'Atlas  et  plus  au 
nord,  il  faut  admettre  une  bien  grosse  erreur  sur  la 
latitude  pour  y voir  Pléione;  c’est  liien  le  cas  de  répéter 
avec  Delambre,  que  l’identification  des  étoiles  de 
V Almageste  a souvent  embarrassé  : « Quand  Terreur 
de  Ptolémée  est  assez  considérable  pour  rendre  l’étoile 
méconnaissable,  toutes  les  conjectures  deviennent  assez 
inutiles;  on  ne  tirera  jamais  rien  d’une  étoile  mal 
observée  ou  transcrite  infidèlement.  » 

En  résumé,  Ptolémée  ne  nous  apprend  rien  ou  fort 
peu  de  chose.  Du  fait  ([u’il  ne  renseigne  que  quatre 
i^léiades,  il  n’y  a rien  à tirer  : Ovide,  son  contempo- 


436 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rain,  en  comptait  six  et  llipparque,  dont  il  reproduit 
le  catalogue,  en  voyait  sept.  Almageste  n’est  pas  un 
traité  d’astronomie  pratique;  les  Pléiades  intéressaient 
moins  Ptolémée  qu’IIésiode  et  Aratus.  S’il  n’en  signale 
que  quatre,  comme  le  fit  plus  tard  Tycho-Brahé  qui 
cite  Klectre,  Alcyone,  Atlas  et  peut-être  Mérope,  c’est 
que  l’observation  des  occultations,  par  exemple,  ne  lui 
a pas  fourni  l’occasion  d’en  mesurer  un  plus  grand 
nombre. 

Il  n’est  pas  impossible  — rien  n’est  impossible  quand 
il  s’agit  d’un  catalogue  exposé  à tant  d’incorrections  — 
mais  il  paraît  très  peu  probable  qu’Alcyone  soit  au 
nombre  des  Pléiades  de  V Almageste.  Peut-être  son 
éclat  ne  l’emportait-il  ]>as  alors,  comme  il  l’emporte 
depuis  le  xvi®  siècle,  sur  celui  de  ses  sœurs.  Elles- 
mêmes  d’ailleurs  n’ont  pas  toujours  paru  également 
brillantes  (1),  et  d’autres  étoiles  du  même  groupe  ont 
pu  s’exalter  ou  déchoir  ; la  légende  de  la  « Pléiade 
perdue  » est  susceptible,  nous  le  verrons,  d’une  inter- 
})rétation  littérale. 


III 

A l’époque  de  l’invention  de  la  lunette,  les  Pléiades 
avaient  cessé  de  régler  les  travaux  des  champs  et  de 
donner  le  signal  des  expéditions  maritimes;  on  ne  sur- 
veillait })lus  leurs  levers  et  leurs  couchers,  les  astro- 
nomes avaient  d’autres  soins,  mais  ils  continuaient  à 
s’intéresser  à cette  région  du  ciel  un  peu  mystérieuse. 

Elle  fut  l’une  des  premières  vers  lesquelles  Galilée 
dirigea  la  lunette  qui  venait  de  lui  révéler  l’existence 
des  montagnes  de  la  Lune,  des  satellites  de  .Jupiter  et 
la  nature  de  la  A oie  lactée.  Le  spectacle  que  lui  offrit 


(1)  Voir  FlaniiiKirioi),  Ur.s  AToi/r.s,  loc.  cil. 


LES  PLÉIADES 


137 


la  famille  d’ Atlas  rémerveilla;  il  en  fit  un  dessin  qu’il 
se  hâta  de  jmblier  dans  son  Sido-eus  Nimtius. 

Cette  première  esquisse  télesco])ique  des  Pléiades 
compte  36  étoiles;  leur  nombre  ne  cessera  plus  désor- 
mais d’augmenter,  tous  les  perfectionnements  de  la 
lunette  et  tous  les  ])i*ogrès  des  procédés  d’observation 
y ont  contribué. 

Moins  de  vingt-cinq  ans  après  (lalilée,  ce  nombre  est 
déjà  plus  que  doublé  : Robert  Ilooke,  en  1664,  compte 
en  ertét  78  Pléiades.  Un  siècle  plus  tard,  en  1767, 
Michell  n’hésite  pas  à jirédire  qu’on  arrivera  au  millier; 
cette  prévision  fut  bientôt  très  largement  dépassée. 

En  1S7(),  C.  Wolf,  à l’observatoire  de  Paris,  cata- 
loguait 625  étoiles  de  la  3*"  à la  14®  grandeur,  dans  un 
espace  de  131'  d’ascension  droite  et  90'  de  déclinaison 
dont  Alcyone  occupe  le  centre. 

Quelques  années  plus  tard,  en  1885,  Paul  et  Prosjier 
Henry  fixaient  sur  la  plaque  photographique,  dans  un 
espace  moindre,  1421  étoiles  ; et  au  cours  de  l’hiver  de 
1887,  une  exjiosition  de  4 heures  leur  en  donnait  2326 
dont  les  plus  faibles  étaient  probablement  voisines  de 
la  16®  grandeur  photographique.  Nous  reviendrons  sur 
l’application  de  la  photographie  aux  Pléiades  ; elle 
nous  a révélé  bien  d’autres  merveilles  que  l’accumula- 
tion des  étoiles  dans  ce  coin  du  ciel. 

A cette  époque  et  depuis  longtemps  déjà,  on  ne 
doutait  plus  que  tant  d’étoiles  réunies  en  un  si  petit 
espace  n’aient  entre  elles  des  liaisons  physiques  réelles. 

Au  commencement  de  notre  ère,  le  poète  Marcus 
Manilius,  dans  son  livre  intitulé  Astronouiicon^  avait 
donné  aux  Pléiades  le  nom  de  « Glomerabile  sidus  > ; 
certes,  il  ne  pensait  pas  si  bien  dire,  mais  son  épithète 
a fait  fortune  : les  progrès  de  l’astronomie  nous  ont 
montré,  dans  le  ciel,  de  nombreux  groupes  et  amas 
globulaires  d’étoiles,  contenant  d’une  centaine  à plu- 


438 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


sieurs  milliers  de  membres  et  ne  se  résolvant,  le  plus 
souvent,  en  astres  distincts  que  dans  les  très  grands 
instruments.  Les  idéiades  rentrent  dans  cette  catéo-orie 

O 

d'objets  célestes,  mais  des  mesures  précises  et  le  con- 
tnMe  du  temps  pouvaient  seuls  nous  en  fournir  la 
preuve  et  nous  donner  le  moyen  de  discerner,  dans  ce 
fouillis  d’étoiles,  celles  que  la  nature  a réellement  unies 
entre  elles,  de  celles  que  les  erreurs  de  la  perspective 
y introduisent. 

Lu  jouroù  la  lunette  fut  adaptée  aux  observations 
méridiennes,  les  astronomes  s’apjtliquèrent  à dresser 
des  catalogues  ou  à tracer  des  cartes  des  Pléiades, 
basées  sur  les  positions  directement  déterminées  par 
les  instruments  méridiens  d’un  certain  nombre  d’entre 
elles;  citons  les  cartes  de  La  Ilire  (1()D3),  de  Gassini 
et  Maraldi  (1708),  de  Le  Monnier  (1748),  de  Jeaurat 
(17()(3)  et,  plus  tard,  les  observations  de  Piazzi,  de 
Baily,  de  Rumker,  etc.  La  précision  de  ces  travaux 
est  celle  des  observations  méridiennes  de  l’époque  où 
ils  furent  exécutés,  et  le  nomlii’e  des  étoiles  fondamen- 
tales directement  mesurées  y est  relativement  l'estreint. 

Le  travail  fondamental  d’où  devait  sortir  la  connais- 
sance exacte  du  groupe  des  Pléiades  est  celui  que 
Bessel  inaugura  à Kienigsberg,  en  1829,  et  qu’il  publia 
en  18  U (1)" 

G’est  le  catalogue  fondé  sur  les  mesures  diHéren- 
tielles  liéliométriques  des  52  étoiles  les  plus  brillantes 
comprises  dans  le  cercle  dont  n Tauri  (Alcyone)  est  le 
centre  et  dont  le  rayon  mesure  18'.  On  devine  le  profit 
que  le  temps  allait  pmanettre  aux  astronomes  de  tirer 
d’un  travail  aussi  étendu  et  dont  la  précision  n’a  pas 
été  surpassée. 

(l)  Astron.  Nachrichten,  11"  130  : le  catalog-ue  roncln;  le  mémoire  com- 
plet se  trouve  dans  les  Astrox.  UxtersuchcnTtEX,  I,  'î'09,  et  dans  les 
ABHANllU'xr.EX  de  r.  Hessel  (éd.  Eng'elmanni.  11, 


LE!^  PLEIADES 


439 


Lorsqu'on  a affaire  à un  système  stellaire  simple  — 
au  plus  simpi'  de  tous,  par  exemple,  à une  étoile 
double  — l’ex  ence  d’un  lien  physique  réel  entre  ses 
composantes  u us  est  démontrée  par  le  mouvement 
orbital  de  l’mi'  d’elles  autour  de  sa  compagne.  Dans 
ce  cas,  les  d<  nées  d’une  observation  suffisamment 
]»rolongée,  le  lois  d^^  Newton  et  les  ressources 
actuelles  de  1 lalyse  mathématique  suffisent  à nous 
dévoiler  la  str  -ture  interne  et  le  mécanisme  du  sys- 
tème. Mais  il  ! m va  plus  ainsi  pour  un  amas  de  quel- 
([ues  centaine-  m de  quelques  milliers  d’étoiles. 

Ici  nous  de  is  renoncer,  provisoirement  du  moins 
et  vraisemblal  unent  pour  longtemps  encore,  à péné- 
trer les  secret-  le  la  mécanique  céleste,  infiniment  plus 
compliquée  qu  la  nôtre,  qui  préside  à la  stabilité  et  à 
l’évolution  d'u  tel  système;  mais  la  jireuve  de  l’exis- 
tence d’une  1 ison  réelle  entre  ces  étoiles,  de  leur 
unité  physiqur  peut  nous  être  fournie  par  une  sorte 
de  rigidité  de  l’ensemble,  compatible  avec  certains 
])etits  mouveii  eiits  individuels,  d’apparence  irrégu- 
lière, se  supei'  usant  à un  mouvement  commun  à tous 
les  astres  de  1 unas.  Si  la  perspective  y fait  voir  quel- 
ques éléments  -trangers,  ([ui  échap])ent  dès  lors  à ce 
mouvement  d nseml)le,  le  temj)s  nous  les  signale,  il 
se  charge  mêu  e de  chasser  ces  intruses  siir  d’autres 
routes  du  ciel.  Telle  nous  apparaît  une  foule  marchant 
de  concert  vei  . un  but  déterminé.  Chacune  des  per- 
sonnes qui  la  c umposent  n’est  ])as  invariablement  fixée 
à la  place  qu’u  le  occupe  relativement  à ses  voisines, 
elle  peut  en  changer  sans  cesser  de  participer  à la 
marche  de  l’eusemble;  mais  si  elle  est  étrangère  au 
cortège,  si  elh*  ne  va  pas  là  oii  vont  les  autres,  elle 
finira  fatalement  par  les  abandonner. 

Or,  en  1865,  un  quart  de  siècle  après  la  publication 
du  travail  de  Bessel,  une  photogra})hie  des  Pléiades 
prise  par  Rutherford,  de  New-York,  jtermit  au  doc- 


440 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


teur  (jroukl  de  déterminer  à nouveau  les  positions  rela- 
tives à Alcyone  de  39  étoiles  du  catalogue  de  l’astro- 
nome de  K(enigsberg  ; elles  n’avaient  point  changé  de 
façon  a})préciable  : la  rigidité  du  groupe  se  manifes- 
tait donc  nettement. 

11  est  vrai  que  vingt-cinq  ans  est  une  durée  bien 
(;ourte  pour  asseoir,  en  pareille  matière,  une  conclusion 
définitive  ; mais  cette  conclusion  n’a  cessé  d’être  con- 
firmée'et  étendue  à un  nombre  de  plus  en  plus  grand 
de  Pléiades.  Rappelons,  sans  entrer  dans  une  analyse 
qui  ne  peut  trouver  place  ici  (i),  les  mesures  micromé- 
triques de  C.  Wolf,  de  G.  Rayet  et  de  Pritchard  ; les 
mesures  héliométriques  d’Elkin,  de  Battermann  et 
d’Ambroun,  les  mesures  photographiques  de  Jacobi, 
Turner,  (fould,  Olsson,  etc.  Toutes  aboutissent  au 
même  résultat  qu’il  faut  accepter  aujourd’hui  comme 
définitif. 

Ce  ne  sont  pas  les  hasards  de  la  perspective  qui  nous 
font  voir,  dans  la  région  des  Pléiades,  tant  d’astres 
réunis.  Il  y a là  un  amas  réel  d’étoiles,  mais  un  amas 
irrégulier,  comme  il  y en  a beaucoup  dans  le  ciel.  Le 
plan  sur  lequel  il  est  construit  nous  échappe  ; par  son 
éclat,  Alcyone  domine  ses  sieurs,  mais  le  rôle  de  Soleil 
central  régissant  les  mouvements  internes  de  ce  monde 
stellaire  qu’on  serait  tenté  de  lui  attribuer,  })eut  très 
bien  n’avoir  rien  de  réel. 

Les  étoiles  lirillantes  du  groupe,  toutes  celles  dont 
les  grandeurs  dépassent  le  neuvième,  à très  peu  d’ex- 
ceptions près,  font  partie  de  l’amas  ; mais  parmi  les 
étoiles  inferieures  à la  neuvième  grandeur  — qui  ne 
semblent  pas  plus  nombreuses  là  que  dans  une  autre 
région  équivalente  du  ciel  — il  en  est  vraisemblable- 
ment beaucoup  qui  lui  sont  étrangères. 

De  plus,  Alcyone,  le  centre  des  mesures  qui  ont 


( 1)  Voir  Ch.  ,\n(iré,  Tniiti'  (rAslrouomii’  sli'llaire,  deuxième  partie,  pp.  31SI 


PLANCHE  U 


Fig.  3.  — i.a  néhl'geuse  me.-^siek  8 dans  le  sagittaiue 


LES  PLPÎIADES 


441 


abouti  à cette  conclusion,  n’est  point  fixe  sur  la  voûte 
céleste  : elle  a un  mouvement  propre  apparent  dont 
/e  sens  est  directement  oj)posé  à celui  de  la  translation 
de  notre  Soleil  et  de  son  cortège  de  Planètes  et  dont 
la  grandeur  séculaire  a été  estimée  égale  à 6"  ])ar 
Newcomb  ; telles  sont  donc  aussi  la  direction  et  la 
grandeur  du  mouvement  propre  apparent  de  l’amas 
tout  entier,  puisqu’il  défile  sous  nos  3’eux  du  même  pas 
et  dans  la  même  direction  que  la  plus  brillante  de  ses 
étoiles. 

Nous  ne  connaissons  pas  la  distance  qui  nous  sépare 
d’Alcjone  ; les  tentatives  que  l’on  a faites  pour  déter- 
miner directement  sa  parallaxe  ont  échoué.  Il  n’j  a 
rien  là  d’étrange  : un  tel  objet  se  prête  mal  à pareille 
recherche,  sans  compter  que  ceüe  parallaxe,  à en 
juger  par  l’extrême  petitesse  du  mouvement  proj)re 
apparent,  doit  être  très  faible.  Mais  une  hypothèse,  que 
suggère  la  direction  du  mouvement  propre  apparent 
d’Alcyone,  va  nous  permettre  de  tourner  ces  difficul- 
tés (1). 

On  sait  que  le  mouvement  propre  apparent  d’une 
étoile  résulte  de  son  mouvement  propre  particulier, 
si  elle  en  possède  un  — c’est  le  cas  général  — et  de 
son  mouvement  parallactique,  c’est-à-dire  du  mouve- 
ment égal  et  directement  opposé  à la  translation  qui 
nous  emporte  avec  le  Soleil  et  que  nous  attribuons,  en 
sens  inverse,  aux  étoiles.  C'est  ainsi  que  le  mouvement 
apparent  d’un  objet  que  nous  observons  d’un  train  en 
marche,  résulte  du  mouvement  particulier  de  cet  objet, 
s’il  en  possède  un  — si  c'est  un  autre  train  en  marche 
par  exemple  — et  de  son  mouvement  parallactûpie , 
c’est-à-dire  de  notre  propre  mouvement  que  nous  pas- 
sons, en  le  renversant,  à tout  ce  qui  ne  participe  pas 

II)  Agnes  M.  Clercke.  The  siisteiii  of  the  Stars,  seconde  édit.,  I.ondon, 
1905,  ch.  XVII,  p.  !2“21. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENT  TQUES 


à notre  déplacement.  Si  le  mou  veine- 
l'objet  observé  est  nul  — si  c'est  un  ar 
— son  mouvement  jiropre  ajiparent  s 
mouvement  parallactique. 

( )r  le  mouvement  propre  apparent  i 
l'avons  vu,  est  (Hrcrto nient  opposé  à m 
L’hypothèse  la  plus  simple  qui  rend 
])artieularité,  c’est  que  l’amas  des  1 
relativement  à la  trajectoire  du  Se 
arbres  et  les  maisons  le  sont  relativeu 
train  qui  nous  empoide;  dans  ce  cas,  ( 
tion  de  son  mouvement  ju'opre  appare 
de  son  mouvement  jtarallactique. 

Mais  s’il  en  est  ainsi,  les  0"  que  m 
ment  jiropre  ajqiarent  séculaire  d’A 
aussi  l'angle  sous  lequel  on  verrait,  d 
trajet  etléctué,  en  'nn  siècle,  par  le 
voj  age  à travers  l’espace.  Nous  conn 
kilométri([ue  de  cette  translation,  s 
seconde  ; ce  trajet  séculaire  mesure  d( 

17,5 . 00’  . . o(). ) . K)'  kih 

DU,  en  années  de  lumière, 

J 7,5 
d.l(b 

11  est  aisé  de  calcuh'r  à (jiielle  distani 
est  vue  sous  l’angle  de  (V;  on  trouve 

17,5 . ()' 

? 

TT 

soit  'JOÜ  années  de  lumière,  en  chilï'i 
correspond  à une  parallaxe  de  ü',Ulb. 

Transporté  dans  ces  jtrofondeurs 
Soleil  n’apparaîtrait  plus  que  comm 


particulier  de 
tre,  une  maison 
i réduit  à son 

i'Alcvone,  nous 
/■c  translation . 
•ompte  de  cette 
'iades  est  fixe 
il,  comme  les 
nt  à la  voie  du 
effet,  la  direc- 
doit  être  celle 

lire  le  mouve- 
\'one  mesurent 
cette  étoile,  le 
oleil  dans  son 
■sons  la  vitesse 
t 17'^'’b5  à la 
c 

lèti-es 


cette  longueur 


ronds,  ce  qui 

e l’espace,  le 
une  étoile  de 


Li:s  PL  Kl  AD  ES 


143 


grandeur  8, U : il  cesserait  d’être  visible  à l’œil  nu  d). 
Atlas,  Pléione  et  toutes  les  Atlautides  dont  les  gran- 
deurs surpassent  8,9  seraient  donc  des  Soleils  plus 
brillants  que  le  nôtre  ; l’éclat  d’Alcyone,  ([ui  est  de 
troisième  grandeur,  surpasserait  l’éclat  global  de 
25Ü  étoiles  de  neuvième  grandeur,  et  celui  d’Atlas, 
qui  est  pour  nous  à la  limite  de  la  vision  à l’feil  nu, 
dominerait  celui  de  11  Soleils. 

En  partant  toujours  de  la  même  hy  pothèse  : le  rnov- 
vement  propre  ap) parent  d’Alcyone  se  r échut  à son 
moucenient  parallactiqiie  et  ce  nioveeonent  est  de  (>' 
par  siècle,  nous  |)ouvons  nous  faire  une  idée  des 
dimensions  réelles  de  l’amas  des  Pléiades.  Sa  j)artie  la 
plus  dense  se  projette  sur  la  sphère  céleste  en  un 
cercle  dont  Alcyone  est  le  centre  et  dont  le  rayon 
vaut  48'  ; sachant  que  200  années  de  lumière  nous 
séparent  du  centre  de  ce  cercle,  la  grandeur  réelle  de 
son  rayon  est  de  2,8  années  de  lumière,  soit  2(1,8  tril- 
lons  de  kilomètres  ou  (KJOtd  fois  la  distance  du  Soleil  à 
Neptune. 

Dans  un  aussi  vaste  espace,  il  y a place  poiu*  bien 
des  mondes.  De  fait,  on  a cru  y trouver  plusieurs 
étoiles  doubles  ou  multiples;  mais  le  temps  n’a  pas 
toujours  contirmé  ces  découvertes. 

(1)  Par  (léfiiiition,  l’éclat  d’une  étoile  rie  graïuieur  vaut 

(l^'^  lOO)””’”  fois  l’éclat  d'une  étoile  de  grandeur,  d’oii 

log.  (?„;  — log.  r„  — m). 

Pour  une  même  étoile  d’éclat  à la  distance  et  d’éclat  e,^  à la  distance 
lt„.  on  ar„,D2„,  = e„lP,,,  d’où 

log.  I)„—  log.  0,'2(»  — m).  (1) 

Or  la  grandeur  stellaire  m du  Soleil  est  — à la  distance  1),„  de 
S minutes  lîJ  secondes  de  lumière  qui  nous  en  sépare;  il  est  facile  de  tirer 
de  la  relation  (1)  sa  grandeur  stellaire  n à la  distance  1)„  de  ^00  années  de 
lumière  qui  nous  sépare  des  Pléiades;  on  trouve  S, P. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


i44 

Kn  182G,  F.  Striive  soupçonnait  en  Atlas  une  double 
très  serrée;  il  la  revit  telle  en  18-40,  mais  ses  compo- 
santes n’ont  plus  été  séparées  depuis.  En  1847,  Struve 
lui-même  écrivait  à propos  de  cette  Pléiade  : « Stella 
simplex  in  optima  nocte  ».  Il  est  vrai  que,  en  1876,  un 
astronome  de  Strasbourg,  Hartwig,  observant  une 
occultation  des  Pléiades  par  la  Lune,  note  que  « la  dis- 
parition d’Atlas  ne  fut  pas  instantanée  ». 

D’autre  part,  au  cours  de  recherches  entreprises  en 
UK )4- 1904,  sur  les  vitesses  radiales  des  six  Pléiades 
principales,  Walter  Adams,  de  l'observatoire  Yerkes, 
constata  que  le  spectre  de  Maïa  présente  les  traits 
caractéristiques  d'une  étoile  double  spectroscopique (1). 
Quant  aux  cinq  autres  Pléiades,  leurs  vitesses  radiales 
sont  positives  ; leur  distance  au  Soleil  augmente  donc, 
et  cela  dans  une  proportion  qui  s’accorde  bien  ave(î 
l'hypothèse  que  nous  énoncions  }>lus  haut  : le  mouve- 
ment propre  apparent  des  Pléiades  se  réduit  à leur 
mouvement  parai  lactique;  elles  sont  relativement  fixes, 
c'est  le  Soleil  qui  s'éloigne  d'elles. 

En  1886,  le  IVofesseur  Pickering  a conclu  de  l’étude 
des  spectrogrammes  de  quarante  étoiles  de  l’amas  des 
Pléiades  à l’identité  de  nature  de  leur  lumière  ; « il  y 
a là,  dit-il,  une  solide  confirmation  de  leur  commu- 
nauté d’origine  ».  Ces  spectres  sont  ceux  des  étoiles 
dites  « à hélium  ».  étoiles  blanches,  rangées  autrefois 
dans  la  classe  I de  Secchi  et  qui  forment  aujourd’hui 
les  groupes  H et  PA  de  Harvard  ou  plus  spécialement, 
dans  le  cas  qui  nous  occupe  ici,  les  groupes  4'  à Vil 
de  Miss  A.  C.  Maury.  Les  raies  d’absoiqdion  do 
l'héliujn  et  de  l’hydrogène  dominent  dans  ces  spectres 
et  le  stade  d’évolution  des  étoiles  corres})ondantes  suc- 


(1)  On  donnf'  ce  nom  aux  syslèmes  doiiJjles  lieancoup  Irop  s<3ri'és  pour 
l)Oiivoir  être  séparés  par  les  procédés  ordinaires,  mais  dont  la  composition 
lions  est  révélée  par  le  dédoublement  périodiipn'  des  raies  de  leur  spectre. 


LES  PLÉIADES 


445 


céderait,  d’après  Mac  Clean,  à celui  des  nébuleuses 
gazeuses. 

Des  recherches  postérieures  ont  apporté  quelques 
précisions  à ces  données.  Il  existerait  une  relation 
étroite  entre  la  nature  du  spectre  d’une  Pléiade  et  son 
éclat  ou  sa  grandeur  stellaire.  On  savait  que  les  étoiles 
les  plus  brillantes  de  cet  amas  accusent,  Jusqu’à  la  sep- 
tième grandeur,  une  variation  progressive  du  type 
spectral  allant  de  la  classe  4"  à la  classe  Vil  de  Miss 
Maury.  Or  Rosenberg  a constaté  que  cette  variation 
continue  à s’accentuer  jusqu’à  la  neuvième  grandeui-; 
plus  loin,  les  modifications  sont  telles  qu’on  ne  retrouve 
plus  les  traits  caractéristiques  des  étoiles  à hélium  ; 
cette  transformation  serait  assez  nette  pour  permettre 
de  distinguer,  au  sein  du  groupe,  les  vraies  Pléiades 
des  étoiles  étrangères  à l’amas. 

Enfin,  l’anal^'se  spectrale  nous  donnerait-elle  la  clef 
de  la  légende  de  la  Pléiade  perdue  ? 

(àn  a reconnu  que  le  sjiectre  de  Pléione  est  celui 
des  étoiles  à hélium,  mais  à lignes  biillantes,  caracté- 
risé par  la  présence  des  raies  d’émission  de  l’hydro- 
gène, G et  F surtout,  et  de  l’hélium.  Or  cette  classe 
est  formée  entièrement  de  variables  ou  même  d’étoiles 
teni})oraires  ; on  y trouve  entre  autres  P du  Cygne, 
dont  l’histoire  est  très  suggestive. 

C’est  une  ancienne  variable  qui  brille  aujourd’hui 
d’un  éclat  modeste  - elle  est  de  grandeur  5,5  — mais 
constant.  En  IfitJO,  elle  se  montra  momentanément  de 
troisième  grandeur,  ce  qui  lui  valut  d’être  appelée 
« étoile  temporaire  de  .lanson,  1600  ».  En  1659,  elle 
passa  par  un  nouveau  maximum  qui  l’éleva  jusqu’à  la 
seconde  grandeur,  mais  ce  fut  pour  descendre  bientôt 
jusqu’à  la  limite  des  astres  visibles  à l’œil  nu.  Depuis 
le  commencement  du  xix®  siècle  elle  a pris  et  conservé 
son  éclat  actuel. 

La  similitude  des  spectres  autorise  à penser  que 
IID  SÉRIE.  T.  XXVI.  29 


m 


REVFE  DES  QT'ESTIONS  SCIENTIFIQUES 


riiistoire  de  Pléione  a })u  répéter  celle  de  P du  Cygne. 
Mais  si  la  mère  des  Pléiades  a connu  ces  variations 
d’éclat,  elle  a brillé  aux  Jours  de  sa  splendeur  à l’égal 
des  })lus  belles  de  ses  filles,  pour  se  voiler  plus  tard  et 
ne  plus  se  montrer  qu'aux  observateurs  attentifs  et 
doués  de  très  bons  yeux.  Telle  serait  l’origine  de  la 
légende  de  la  Idéiad(‘  pertlue  ; elle  raconterait  les 
métamorphoses  de  Pléione.  C’est  l’interprétation  que 
suggère  le  Professeur  Ihckering,  et  elle  n’est  pas 
dépourvue  de  vraisemldance. 

Mai.s  il  est.  dans  ce  lointain  fouillis  d’étoiles,  bien 
d’autres  merveilles  longtemps  insoupçonnées  et  dont 
nous  devons  la  connaissance  aux  pertèctionnements  de 
la  lunette  et,  surtout,  à l’application  de  la  photogra- 
phie aux  observations  astrononii(pies. 

Le  P)  octolire  1859,  M'.  Teinpel,  alors  à Venise, 
constate  ({ue  Mérope  s’entoure  d’une  matière  nébu- 
leuse que  personne  jusque-là  n'avait  signalée.  Il 
n'annonça  cette  découverte  que  le  décembre  1860, 
dans  une  lettre  écrite  de  Marseille  (1). 

« ...  L’an  j>assé,  à à’enise,  écrit  Teinpel,  ajirès  avoir 
cessé  d’observer  les  Pléiades  pendant  six  mois,  je 
trouvai  sur  Mérope,  le  19  octobre,  une  grande  et  bril- 
lante nébuleuse,  qu'au  premier  coup  d’ieil  je  pris  pour 
une  belle  et  grande  comète:  mais  Je  me  convainquis 
le  soir  suivant.  octobre,  de  son  immobilité.  Je  l’ai 
observée  ici  (à  Marseille)  à plusieurs  reprises,  et  plu- 
sieurs personnes,  iM.  A’alz  entre  autres,  l’ont  vue  avec 
une  lunette.  J’ai  vu  distinctement,  depuis  quelque 
temps,  de  petites  étoiles  isolées  étincteler  ]iar  instants 
sur  cette  nébuleuse,  et  elle  est  plus  brillante  en  un 
endroit.  » 


(I)  Astron.  Naciir.,  I(S()|.  Il"  lrl!)().  p.  !2Sri.  Nous  ('iii]>i’uiiloiis  .sa  Iraductioii 
à liigounlan.  Les  néhiileiisrs  de  la  nà/ion  des  Pléiades,  üui.i.etin  .\stron., 
t.  XXVlll,  1911,  p.  117. 


LES  PLi:i.U)ES 


i47 


L’annonce  de  la  découverte  d’une  nébuleuse  «grande 
et  brillante  » dans  une  région  du  ciel  si  souvent  ex- 
])lorée  et  où  rien  de  semblable  n’avait  été  soupçonné, 
était  bien  faite  pour  piquer  la  curiosité  des  astronomes 
au  moment  surtout  où  un  événement  récent  retenait 
leur  attention  sur  les  nébuleuses  variables,  imitant  non 
les  étoiles  variables  périodiques,  mais  plutôt  les  étoiles 
temporaires.  A^oici  cet  événement. 

Dans  son  Catalogue  de  1S()4,  Sir  J.  Herscliel  décri- 
vait ainsi  une  nébuleuse  de  la  constellation  du  Taureau 
où  habitent  précisément  les  Pléiades  : « ! ! ! ; y F;  S; 
variable  (Hind)  » ; ce  qui  signifie  « olqet  extrêmement 
remarquable  : très  faible  ; petit  ; trouvé  variable  pai- 
Hind».  11  s’agissait  d’une  nébuleuse  ronde, de  l'environ 
de  diamètre,  avec  condensation  centrale,  découverte 
[>ar  Hind  le  li  octobre  non  loin  du  groiq)e  des 

Hjades.  Il  l’avait  suivie  de  1852  à 1850  et  la  cro^mit 
variable. 

Or,  au  moment  oii  Tempel  faisait  |)art  de  la  décou- 
verte de  la  nél)uleuse  de  Mérope,  d’Arrest  venait  d’an- 
noncer, le  3 octobre  1861,  la  disparition  de  la  nébu- 
leuse de  Hind;  ni  Le  ’\^errier  et  Chacornac,  à Paris,  ni 
Secclii,  à Rome,  ni  d’autres  encore  ne  purent  la 
retrouver  (1).  Mérope  allait-elle  offrir  un  nouvel 
exemple  d’une  nébuleuse  temporaire  ? 

Les  résultats  des  observations  qui  suivirent  l'an- 
nonce de  la  découverte  ile  Tenqiel  furent  d'abord 
déconcertants.  Tandis  que  Pape,  à Altona,  avait  peine 
à apercevoir  « la  grande  et  l)rillante  nélnileuse  » et 
([lie  d’Arrest  et  Schjellenqi  la  cherchaient  en  vain, 

(I  » Voici  la  suite  de  l'Iiistoice  de  cett(3  nébuleuse.  .\pcès  (Mce  restée  inlrou- 
vable  j)endaiit  un  ([uart  de  siècle  environ,  même  dans  le  réllecteur  de 
-ix  pieds  de  bord  liosse,  on  la  revit  à peine,  on  1S9U,  dans  la  lunette  do 
dl)  pouces  de  l’observaioiro  bick  où  elle  redevint  insaisissable  on  l(St)r)ol  on 
1X117.  b’année  suivanto,  en  ISdX,  la  lunette  de  40  pouces  d’Verkos  |)ermit  d’on 
saisir  quebjue  trace  que  Iveeler,  en  bS!)9,  parvint  à lixer  par  la  photograpbie 
à l'aide  du  célèbre  réllectour  Crossley  de  l’observatoire  bick. 


■148 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Auwers  la  voyait  assez  nettement  pour  tenter  d’en 
reconnaître  la  forme,  qu’il  juge  triangulaire,  et  d’en 
mesurer  l’étendue,  qu’il  évalue  à 5'.  Bientôt  cependant 
les  observations  heureuses  se  multiplient  et  se  pré- 
cisent ; aujourd’hui  qu’on  n’a  point  cessé  de  la  voir 
depuis  plus  d’un  demi-siècle,  l’hypothèse  de  sa  varia- 
bilité est  au  moins  fort  douteuse  : mais  il  semble  que 
’rempel  ait  un  peu  exagéi'é  en  annonçant  sa  décou- 
verte. La  grande  diffusion  de  la  nébuleuse  de  Mérope, 
son  faible  éclat,  le  voisinage  d’étoiles  relativement 
brillantes  donnent  aux  qualités  de  l’œil  qui  la  regarde, 
à celles  de  la  lunette  qu’on  emploie  et  aux  conditions 
atmosphériques  une  importance  qui  suffit  à expliquer 
les  premières  hésitations. 

Le  7 mars  1871,  André  et  B.  Baillaud  crurent  voir 
cette  nébuleuse  composée  de  deux  noyaux  « dont  l’un, 
presque  concentrique  à l’étoile  (Mérope),  s’étale  un 
peu  vers  l’Est,  l’autre,  plus  lumineux,  est  à une  dis- 
tance de  l’étoile  de  7®  à peu  près,  sui*  le  môme  parallèle 
et  en  arrière  ; son  diamètre  est  d’environ  L de  temps». 

Outre  ces  deux  condensations,  Barnard,  à l’obser- 
vatoire Lick,  en  a découvert  ])lus  tard,  en  1890,  une 
troisième  très  voisine  aussi  de  Mérope,  vers  le  Sud  et 
un  })eu  en  arrière. 

En  1875,  Searle,  à Harvard,  avait  remarqué 
([u’Alcyone  s’entoure  aussi  d’une  auréole  vaporeuse. 
D’autre  part  Schiaparelli  à Milan  et  Maxwell  Hall  à 
la  Jamaïque,  constatent  (]ue  la  néliuleuse  de  Mérope 
s’étend  très  loin,  qu’elle  atteint  Electre  et  même 
Celaeno.  Déjà  (Toldschmidt,  en  1803,  avait  annoncé 
({lie  la  matière  nébuleuse  qui  acconqiagne  les  Pléiades 
les  entoure  de  tous  côtés  et  couvre  une  surface  de  5°  de 
diamètre  où  l’on  relève  deux  maxima  {irincipaux,  l’un 
vers  Mérope,  l’autre  dans  la  région  symétrique  par 
ra})port  à Alcyone. 


LES  PLEIADES 


449 


11  était  réservé  à la  photographie  de  confirmer  ces 
observations,  d’y  introduire  un  peu  d’unité  et  surtout 
d’y  ajouter  de  nouvelles  merveilles.  Signalons  les 
photographies  de  Paul  et  Prosper  IleniT,  en  1885 
et  1888,  celles  du  1)'’  Pvoberts,  en  1880,  et  celles  de 
J.  E.  Keeler,  en  1899.  (3n  trouvera  la  carte  des 
Pléiades  dressée  }>ar  les  frères  Henry  d’après  leurs 
photographies,  dans  le  Traité  (V Astronomie  stellaire 
de  Ch.  André  (seconde  partie).  Nous  reproduisons 
(PI.  1)  la  région  la  plus  intéressante  des  Pléiades  telle 
(|ue  nous  la  montrent  les  photographies  de  J.  E.  Keeler. 
Nous  empruntons  cette  planche  au  superbe  Atlas 
d’amas  stellaires  et  de  nébuleuses  publié  par  J.  E. 
Keeler  en  1908  (1). 

Une  vaste  formation  nébuleuse  couvre  tout  le  côté 
ouest  de  l’arnas  en  se  concentrant  autour  des  étoiles 
principales.  Maïa  et  Electre  s’ornent  d’appendices  en 
spirales  tourmentées  qui  rappellent  les  remous  des 
nuages  heurtant  les  sommets  des  montagnes.  Du  sein 
de  la  matière  nébuleuse  où  Alcyone  est  plongée, 
partent  des  filaments  rectilignes  larges  parfois  de 
8"  à 4"  et  s’étendant  sur  des  longueurs  énormes.  11  en 
est  d’autres  plus  remarquables  encore;  l’un  d’eux,  qui 
se  rattache  à la  nébuleuse  de  Maïa,  rencontre  sur  son 
trajet  sept  étoiles  de  diverses  grandeurs  qu’il  relie  les 
unes  aux  autres,  nous  offrant  ainsi  le  spectacle  de 
mondes  stellaires  communiquant  entre  eux.  Ailleurs  ce 
sont  des  enchevêtrements  de  queues  de  comète,  des 
fragments  de  collier  dont  les  perles  sont  des  étoiles,  des 
jets  capricieux  qui  défient  toute  description. 

Le  groupe  des  Pléiades  n’est  pas  le  seul  des  amas 
irréguliers  où  la  matière  nébuleuse  semble  s’insinuer 
entre  ses  étoiles.  La  nébuleuse  M 8 (PL  II),  par 

(1)  Cet  Allas  forme  le  l.  VIII  des  Pablications  of  the  Lick  observaiory 
(University  of  Californu  publications,  Sacramento,  \V  W.  Shannon, 
1908). 


45() 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


exemple,  paraît  bien  engagée  dans  un  brillant  amas 
irrégulier  du  Sagittaire  (1)  ; mais  il  n’en  est  aucun  à 
notre  connaissance  où  la  matière  nébuleuse  se  relie 
aussi  intimement  à certaines  étoiles  que  dans  les 
Pléiades. 

Un  dans  son  ensemble,  l’amas  des  Pléiades  est  donc 
infiniment  varié  dans  ses  détails  : c'est  un  musée  de 
merveilles  célestes.  Dans  cette  immense  collection 
d’étoiles,  il  semble  bien  qu’il  n’en  est  aucune  dont  la 
masse  l'emporte  tellement  sur  la  masse  mo^'enne  des 
autres  qu’elle  puisse  être  comparée  à notre  Soleil 
dans  le  système  planétaire  qu’il  gouverne,  mais  elles 
dépendent  les  unes  des  autres  et  le  lien  qui  les  unit 
n’est  autre,  sans  doute,  que  celui  que  Newton  a S3mi- 
bolisé  sous  le  nom  à' uHi'action  miicerselle  ; ce  sont  ces 
attractions  réciproques  et  les  conditions  initiales  de  la 
Ibrmation  de  ces  soleils  qui  déterminent  leurs  mouve- 
ments particuliers  et  président  à l’équilibre  dynamique 
de  l’ensemble. 

Or,  de  même  que  pour  un  corps  pesant  à la  surface 
de  la  terre,  il  existe  un  point  mathématique,  qui  ne 
lui  appartient  pas  nécessairimient  — son  centre  de 
gracitê — où  son  poids  est  virtuellement  attaché,  ainsi 
dans  un  système  d’étoiles  soumises  aux  lois  de  Newton, 
il  existe  un  centre  d'action,  qui  [)eut  n’appartenir  à 
aucune  d’elles  — ce  n’est  aussi  qu’une  abstraction,  une 
expression  mathématique  — et  qui  joue  le  même  rôle 
à l’égard  de  chacune  des  étoiles  du  système  que  notre 
Soleil  vis-<à-vis  de  ses  planètes. 

Si  nous  connaissions,  à un  moment  donné,  les  posi- 
tions, les  masses,  les  grandeurs  et  les  directions  des 
vitesses  de  chacun  des  astres  qui  composent  l’amas  des 
Pléiades,  nous  })ourrions  déterminer  son  centre  d’ac- 


(1)  AU.  I7h57m43^  D.  — “2T'“23’,  190Ü,0. 


LES  PLÉIADES 


iol 


tion  en  partant  des  lois  de  l’attracdion  ; mais  nous 
ignorons  tout  des  données  du  problème,  et  ce  jiremier 
pas  dans  le  domaine  fermé  de  la  mécanique  des  sys- 
tèmes stellaires  nous  est  interdit. 

On  a tenté  cependant,  par  une  voie  indirecte,  d’ob- 
tenir une  solution  approximative  d’un  problème  ana- 
logue, mais  plus  vaste  encore  : dcterminer  le  centre 
d'action  du  système  de  la  Voie  lactée. 

On  ne  se  souvient  guère  aujourd’hui  de  cette  entre- 
prise, trop  grandiose  pour  ne  pas  être  stérile  ; mais 
c’est  un  épisode  de  l’histoire  des  Pléiades  et,  à ce  titre, 
il  convient  de  le  rappeler  brièvement  ici. 

L’hypothèse  d’un  Soleil  central  autour  duquel  gra- 
viterait l’Univers  a hanté  non  seulement  l’imagination 
des  poètes  — on  la  trouve  en  germe  dans  Lucrèce  — 
mais  aussi  la  pensée  des  philosophes,  témoin  Kant 
dans  son  Histoire  naturelle  générale  et  théorie  du 
Ciel,  et  celle  de  quelques  astronomes  ; les  noms  de 
Sirius  et  de  Fomalhaut  (a  du  Poisson  austral)  ont 
même  été  prononcés. 

Tout  cela  n’était  que  rêveries  creuses  ; mais  de  1841) 
à 1858,  Madler  publia  à Dorpat  une  série  de  mémoires 
qui  semblaient  leur  donner  une  base  dans  l’observa- 
tion. 11  y est  question  de  la  constitution  de  la  A"oie 
lactée,  des  directions  et  des  grandeurs  des  mouvements 
propres  des  étoiles  et  de  leur  classification.  Nous 
n’analj’serons  pas  ces  mémoires  (1),  leur  conclusion 
seule  nous  intéresse. 

Nous  avons  admis  tantôt  l’hypothèse,  suggérée  par 
l’observation,  que  le  mouvement  propre  apparent 
d’Alcyone  et,  par  suite,  de  l’amas  des  Pléiades,  se 
réduit  à son  mouvement  ])arallactiqiie.  Or  il  en  serait 
ainsi  si  la  translation  du  Soleil  et  de  son  cortège  de 


(1)  Voir  Ch.  André,  Traité  d'Axironnmie  stellaire,  t.  II,  rh.  XXIV,  p.  -ill 
et  suiv. 


4b2 


revt:e  des  questions  scientifiques 


planètes  était  en  réalité  une  révolution  autour  d’un 
centre  situé  très  loin  de  nous,  da?is  la  région  des 
Pléiades  sup])Osées  fixes,  et  d’une  période  si  longue 
que  des  siècles  d’observation  sutfi raient  à peine  à nous 
dévoiler  la  courlnire  de  sa  trajectoire.  Eh  bien,  Madler 
étend,  en  soinine,  cette  considération  à tous  les  soleils 
qui  peuplent  l’espace.  L’étude  de  leurs  mouvements 
propres  apparents,  leurs  grandeurs  et  leurs  directions 
l’amènent  à penser  que  tous  gravitent  autour  d’un 
centre  d’action  situé  dans  Vanias  des  Pléiades.  Ce 
centre  peut  être  vide  de  matière,  il  ne  se  confond  pas 
nécessairement  avec  quelqu’une  des  étoiles  de  l’amas, 
mais  comme  Alcyone  en  est  le  plus  liel  ornement,  on 
lui  a donné  parfois  le  nom  de  « Soleil  central  de 
l’Univers  ». 

Ni  Alcyone.  ni  aucune  de  ses  s(eurs  n’ont  de  telles 
prétentions;  elles  sont  assez  belles,  assez  riches  jtour 
se  passer  d’un  titre  contestable.  Si  les  marins  et  les 
agriculteurs  ne  les  consultent  plus,  comme  au  temps 
d’Homère  et  d'Hésiode,  les  astronomes  de  tous  les 
siècles  ne  cesseront  }>as  de  les  admirer. 


.1.  Thirion,  s.  J. 


UNE  ENQUETE 


SUJi 

I;ASSüRANCE  populaire  sur  la  vie  (1) 

(ASSURANCE  DE  CAPITAUX) 


Au  Congrès  des  actuaires  tenu  à Berlin  en  1906,  les 
chiffres  suivants,  relatifs  aux  assurances  sur  la  vie 
adaptées  à la  condition  des  salariés  et,  par  extension, 


(i)  Les  définitions  suivantes  permettront  aux  lecteurs  non  complètement 
initiés  aux  choses  de  l’assurance  la  compréhension  facile  de  certains  passages 
de  cet  article. 

Axsurance-vie.  Contrat  obligeant  l’assureur,  moyennant  le  versement  de 
primes  déterminées,  à payer  une  somme  convenue  en  cas  de  vie  ou  de  décès 
de  l’assui’é. 

Asxuré-  Personne  sur  la  vie  de  laquelle  repose  l’assurance. 

Preneur  d’assurance.  Personne  qui  conclut  l’assurance  et  paie  les  primes. 

Béné/h'iaire.  Personne  à qui  le  capital  assuré  devra  être  payé. 

Assurance  vie-entière.  Carantit  le  paiement  du  capital  au  décès  de  l’assuré, 
à quelque  époque  qu’il  se  produise. 

Assurance  temporaire.  Garantit  le  paiement  d’un  capital,  si  le  décès  de 
l’assuré  se  produit  avant  une  éiioque  fixée. 

Assurance  mixte  ou  alternative.  Garantit  le  paiement  du  capital  à une 
époque  déterminée,  ou  au  décès  de  l’assuré,  s’il  survient  avant  cette  épociue. 

Assurance  à terme  fixe.  Garantit  le  paiement  d’un  capital  à une  époque 
déterminée,  que  l’assuré  soit  en  vie  ou  non  ; la  prime  peut  cesser  d’être 
payable,  si  l’assuré  meurt  avant  l’époque  fixée. 

Assurance  temporaire  de  capitaux  décroissants.  Garantit  au  décès  le 
paiement  d’un  capital  qui  diminue  au  cours  de  la  durée  du  contrat,  suivant 
l’une  ou  l’autre  loi. 

Assurance  à effet  immédiat.  Prend  cours  dès  la  conclusion  du  coutrat. 

A.ssiirance  à effet  différé.  Ne  prend  cours  qu’après  un  temps  déterminé. 

Assurance  de  capitaux  différés.  Garantit  le  paiement  d’un  capital,  en  cas 
de  vie  de  l’assuré,  à une  époque  fixée. 

Assura.nce-Épari/ne.  Type  d’assurance  à lerme  fixe,  comportant  fréquem- 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


454 

à celles  des  personnes  qui  ne  jouissent  que  de  faibles 
revenus,  ont  été  produits.  Ces  assurances  sont  dites, 
en  Angleterre  et  aux  F]tats-Unis  d’Amérique,  « Indus- 


trial  Insuranœs  ». 

^ ^ ^ 
S S 

^ S 

2 1 g 

PAYS 

ir  ^ - 

"S  ^ 2 ^ 

.Cî  C 2= 

0 ^ 

III 

2 -i. 

^ 

États-Unis  dWmériqiie 

17 

15  700  000 

1 1 milliards 

700(1) 

.Angletfirrc*.  . . . . 

“20 

-24  800  000 

5.7  id. 

240 

.Vllemagne  . . . . 

14 

oOOOOlK) 

1,1  id. 

220 

-\ustralie  ("i) . . . . 

(i 

400  000 

165  millions 

550 

Uanada  

400  000 

172  id. 

575 

inent,  en  cas  île  décès  de  Fassuié  avant  le  terme,  le  remboursement  des 
primes  versées,  augmentées  ou  non  de  leurs  intérêts  composés. 

Axxuraucp  automatique.  En  cas  de  cessation  du  paiement  des  primes  après 
un  temps  déterminé,  la  réserve  mathérna'ique  est  employée  d’oifice  à main- 
tenir l’assurance  pour  le  montant  intégral  du  capital  assuré. 

Priinex.  Prix  de  l’assurance  ou  cotisations  à payer  à l’assureur. 

Primes  constantes.  Primes  invariables  et  payables  périodiquement  pendant 
un  temps  déterminé. 

Primes  variables.  Primes  ijiii  croissent  ou  décroissent  suivant  des  règles 
fixées. 

Priynes  temporaires.  Primes  payables  pendant  un  certain  temps. 

Primes  uniques.  Primes  payables  une  senle  fois. 

Primes  pures.  Prix  coûtant  de  l’assurance. 

Police.  Contrat  spécifiant  les  droits  et  obligations  de  l’assureur  et  de 
l'assuré. 

Police  lib‘’rée.  Police  ne  comportant  plus  le  paiement  de  primes. 

Police  réduite.  Police  dont  le  capital  assuré  et  la  prime  ont  été  diminués. 

Police  Iransformèe.  Police  dont  certaines  conditions  initiales  ont  été  modi- 
fiées : prime,  capital  assui’é,  durée  du  contrai,  etc. 

Chargements.  Parties  des  primes  destinées  à couvrii-  les  frais  généraux  de 
l'assureur. 

Déchéance.  Annulation  du  contrat  entraînant  la  perte  des  droits  acquis. 

Rachat.  Liquidation  anticipée  du  contrat  d’assurance. 

Valeur  de  rachat.  Somme  remise  au  preneur  d’assurance,  compensant 
l'abandon  de  ses  droits  acquis  par  les  versements  antérieurs  de  primes. 

Réserves  mathématiques.  Poste  du  passif  de  l’assureur  représentant  la 
valeur,  à la  date  du  bilan,  des  engagements  de  l’assureur  envers  ses  assurés 
dépassant  ceux  des  assurés  envers  l’assureur  du  chef  des  primes  encore 
à échoir. 

(1)  Cette  moyenne  relativement  élevée  s'accorde  avec  le  prix  de  la  vie  aux 
États-Unis. 

(2)  Pour  19U3. 


l’assurance  [‘OPULAIRE  SI’R  la  vie 


455 


Le  tableau  précédent  montre  Te  développement  pris 
chez  les  Anglo-Saxons  par  l’assurance  populaire  sur 
la  vie.  M.  Ed.  Demolins,  dans  son  livre  « A quoi 
tient  la  supériorité  des  Anglo-Saxons  »,  en  trouvait  la 
cause  dans  leur  caractère  particiilariste  et  individua- 
liste, qui  leur  fait  rechercher  l’indépendance,  qui  les 
porte  à donner  une  assiette  solide  à leur  foyer.  Se 
sentant  par  l’assurance  à l’ahri  de  graves  éventualités, 
ils  sont  plus  libres  de  poursuivre  l’amélioration  de  leur 
installation  domestique. 

Après  les  nations  anglo-saxonnes,  les  Pays-Bas  et 
l’Allemagne  tiennent  le  second  rang.  Les  autres  pa^vs, 
pour  autant  que  l’assurance  populaire  sur  la  vie  y soit 
pratiquée,  se  placent  beaucoup  plus  loin.  Je  n’ai  en 
vue,  pour  le  moment,  que  le  montant  total  des  capitaux 
assurés  eu  égard  au  chiffre  de  la  pojuilation. 

Sur  le  Continent,  depuis  quelques  années,  l’attention 
des  sociologues  et  des  hommes  d’œuvres  s’est  arrêtée 
presque  partout  sur  l’assurance  populaire  sur  la  vie  ; 
on  y voit  un  complément  utile,  voire  indispensable,  de 
l’assurance  oblinatoire  ; on  la  rattache  aux  assurances 
sociales  ( 1 ),  espérant  que,  dans  un  avenir  plus  ou  moins 
éloigné,  elle  sera  généralement  l’objet  des  encouragi'- 
ments  et  des  subsides,  tant  publics  que  privés. 

C’est  pour  consacrer  l’importance  reconnue  actuelle- 
ment à l’assurance  populaire  sur  la  vie,  que  le  Comité 
permanent  inteimational  des  Assurances  sociales  l’avait 
portée  au  programme  de  la  Conférence  qui  devait  se 
réunir  à Paris  en  septembre  dernier,  il  en  avait  fait 
l’objet  d’une  enquête,  préalable  aux  travaux  de  la 


(1)  Iæs  assurances  sociales  sont  des  institutions  qui  substituent  à l’attente 
d’une  aumône  incertaine,  la  certitude  d’une  indemnité,  organisant  suivant 
des  règles  scientifiques  le  secours  mutuel  contre  les  risques  communs,  géné- 
ralisant l’acte  de  prévoyance  par  l’encouragement  public  ou  même  par 
l’obligation  et  accroissant  l’effort  des  sacrifices  individuels  par  des  subsides 
patronaux  ou  nationaux. 


456 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(.'onféreiice,  oriianiséê  suivant  un  plan  oi'i  se  reflète  la 
iig'ure  de  l’assurance  populaire  sur  la  vie  telle  que, 
dans  les  conditions  les  plus  diversement  favorables, 
elle  pourrait  un  Jour  fonctionner. 

Définir  l'assii rance  populaire  reviendrait,  semble- 
t-il,  à définir  ce  qu'il  faut  entendre  par  classes  popu- 
laires. Mais,  sous  cet  aspect,  l’assurance  ne  se  restreint 
pas  exclusivement  aux  assurances  de  très  petits  capi- 
taux à primes  minimes.  Certains  ouvriers  gagnent 
davantage  que  de  petits  commerçants,  par  exemple,  et 
peuvent,  si  leur  existence  est  sagement  conduite,  con- 
tracter des  assurances  d’un  montant  relativement 
élevé  (plusieurs  milliers  de  francs). 

Si,  d’autre  part,  l’on  voulait  caractériser  l’assurance 
jtopulaire  par  le  faible  chiffre  des  sommes  assurées  et 
des  primes,  on  ne  jiourrait  nécessairement  en  exclure 
les  classes  non  populaires  et  il  conviendrait  d’j  déclarer 
accessibles  toutes  les  jiersonnes  à revenus  modestes  et 
incertains. 

(^ue  l'assurance  populaire  soit  envisagée  au  point  de 
vue  de  ses  effets  à l'échéance  des  contrats,  aucune  dis- 
tinction de  classes  n'est  admissilile.  Aussi  bien,  nul  ne 
j)eut  affirmer  que  lui  ou  les  siens  ne  se  trouveront  pas 
un  jour  en  face  des  mêmes  besoins  et  des  mêmes  néces- 
sités que  les  ])lus  pauvres  gens. 

A cet  égard,  l’assurance  populaire  ne  devrait  pas 
uniquement  s’entendre  de  celle  qui,  en  raison  de  la  con- 
dition des  assurés,  personnes  soumises,  par  exemple, 
aux  lois  d'assurance  oldigatoire  ou  })Ouvant  en  béné- 
ficier, serait  l’objet  des  encouragements  et  des  subsides 
des  pouvoirs  publics. 

De  quelque  côté  que  l’on  se  tourne,  l’on  voit  donc 
que  l’assurance  populaire  ne  souffre  aucune  limitation 
absolue  de  clientèle.  Pratiquement,  et  sans  vouloir 
chercher  des  précisions  qui  seraient  incompatibles 
avec  les  différences  inévitables  tenant  aux  milieux 


l’assurance  P(JPULAIRE  sur  la  vie 


457 


considérés,  l’on  admettra  que  l’assurance  populaire 
aura  comme  expression  la  plus  générale  « un  système 
d’assurances  mises  à la  portée  des  bourses  les  plus 
humbles  et  des  revenus  les  plus  instables  ».  Elle  se 
caractérisera  par  la  faiblesse  des  capitaux  assurés, 
la  petitesse  des  primes  et  leur  mode  de  perception. 
Elle  sera  placée  sous  la  sauvegarde  des  pouvoirs 
publics  et  se  recommandera,  vu  son  utilité  sociale, 
à tous  les  appuis  matériels  et  moraux. 

Mais,  il  faut  le  spécifier  encore,  il  arrivera  que  l’as- 
surance po])ulaire  élargira  son  domaine,  procurera  à 
l’élite  des  travailleurs  de  notables  ressources  familiales 
et,  même,  la  constitution  de  biens  ])atrimoniaux.  Ainsi, 
entre  la  grande  assurance  et  l’assurance  populaire  la 
plus  commune,  il  existera  comme  un  terrain  de  tran- 
sition, sans  contours  nettement  définis,  où  les  méthodes 
de  l’une  et  de  l’autre  s’intluenceront  mutuellement. 
Ce  sera,  si  l’on  veut  marquer  par  des  mots  la  gradua- 
lité des  choses,  le  terrain  de  la  petite  assurance. 

Quels  buts  se  proposera  l’assurance  ])opulaire  sur  la 
vie?  Dans  ses  manifestations  élémentaires,  les  buts  les 
plus  simples  : le  paiement  des  frais  de  funérailles  et  de 
dernière  maladie;  la  couverture  des  dépenses  occa- 
sionnées par  certains  événements  de  la  vie  familiale, 
la  première  communion,  la  confirmation,  le  mariage. 
Puis  des  objets  plus  importants  : pourvoir  à la  sécurité 
des  survivants  en  cas  de  décès  prématuré  du  gagne- 
pain  ; constituer,  même  du  vivant  de  celui-ci,  un 
capital-argent.  Mais,  à ces  assurances  qui  sont  de  pre- 
mière nécessité,  ou  qui  donnent  satisfaction  à des  sen- 
timents de  bienséance,  ou  qui,  encore,  correspondent 
à des  préoccupations  générales  touchant  le  sort  de  la 
famille,  viennent  s’en  adjoindre  beaucoup  d’autres  de 
destinations  précises,  et  qui  trouvent  généralement  leur 
fondement  dans  la  poursuite  d’une  élévation  sociale.  Ce 
sont  des  assurances  dotales,  des  assurances  concernant 


Î58 


revi:p:  ues  qi'estioxs  scientifiques 


Tapprentissage  ou  rëducation  des  enfants,  des  assu- 
rances relatives  à l'achat  d’un  outillage  ])rofessionnel, 
à rétablissement  d’un  petit  commerce  ou  d’un  atelier, 
des  assurances-crédit  favorisant  l'achat  ou  la  construc- 
tion d’une  habitation,  des  assurances  de  service  mili- 
taire permettant  l’incorporation  dans  certaines  catégo- 
ries privilégiées,  des  assurances  de  célibat  préservant 
de  déchéance  les  filles  non  mariées.  J’en  passe  encore. 
Pas  plus  ([ue  contre  les  pei'sonnes,  l’assurance  popu- 
laire ne  prononce  d’exclusion  contre  les  objets.  Toute- 
fois, les  assurances  cà  caractère  spécial,  pour  autant 
qu’elles  soient  otiértes  au  public,  ne  seront  pratiquées 
que  par  les  personnes  les  plus  prévoyantes,  les  plus 
économes  et  les  plus  à leur  aise. 

L’assurance  populaire  dans  sa  structure  intrinsèque 
et  technique  peut  être  assez  complexe,  mais  on  doit 
chercher  à lui  donner  les  formes  extérieures  les  plus 
compréhensibles  et  les  plus  simples.  Les  systèmes  à 
primes  rapju’ochées  et  c-onstantes,  payables  pendant 
une  durée  jtroportionnée  au  chitfre  du  capital  assuré, 
auront  la  préférence,  jiarce  ([ii'ils  soutiendront  par 
l’obligation  contractuelle  l'etfort  de  })i-évoyance  des 
assurés  (J  ne  les  astreindront  ([u’à  des  paiements 
successifs  relativement  minimes.  Toutefois,  on  ne 
rejettera  pas  dans  certain.''  cas  les  primes  variables, 
ni  les  primes  uniques. 

On  cherebera  à obvier  le  j»lus  conq)lètement  pos- 
sible aux  déchéances,  aux  annulations  et  aux  réduc- 
tions de  police  par  des  coml)inaisons  permettant  l’exo- 
nération jiartielle  ou  totale  du  paiement  des  primes  en 
cas  de  chômage,  de  maladie  ou  d’accident. 

Les  assurances  populaires  seront,  suivant  leurs 
objets  et  les  circonstances,  dés  assurances  vie-entière, 
des  assurances  mixtes  ou  alternatives,  des  assurances 
de  capitaux  différés,  des  assurances  à terme  fîx('.  des 


l’assi  rance  populaire  sur  la  vie 


459 


assurances  temporaires,  des  assurances-épargne,  des 
assurances  de  capitaux  décroissants. 

Dans  le  choix  des  formes  et  des  comliinaisons,  il 
faudra,  au  besoin,  user  du  plus  large  éclectisme,  mais, 
sans  que,  dans  la  pratique,  il  en  résulte  des  complica- 
tions et  des  difficultés  pour  les  assurés.  Tout  système 
technique  peut,  d’ailleurs,  s’exprimer  dans  des  tarifs 
simples  et  se  concilier  avec  des  procédés  administratifs 
clairs  et  expéditifs. 

Les  nombreux  paiements  de  primes  à intervalles 
rapprochés,  le  mode  de  perception  des  })rimes,  géné- 
ralement encaissées  à domicile,  les  dépenses  de  propa- 
gande et  de  recrutement  des  assurés,  les  annulations 
jiréniaturées  de  contrat  avant  que  les  primes  paj'ées 
n’en  aient  couvert  tous  les  frais  de  conclusion  et  de 
gestion,  l’exemption  habituelle  de  l’examen  médical, 
rendent  les  tarifs  unitaires  des  sociétés  d’assurances 
populaires,  toutes  autres  choses  égales,  plus  onéreux 
<[ue  ceux  des  autres  sociétés  d’assurance,  même  lors- 
que, par  le  Jeu  de  la  concurrence,  ils  sont  descendus 
à un  niveau  qui  n’excède  nullement  les  nécessités  d'une 
lionne  gestion  hnancière.  Parfois,  à ce  })oint  de  vue, 
ils  s’abaissent  à l'excès  ; alors,  il  faut  craindre  qu'une 
grande  partie  des  assurés  ne  soient  lésés,  soit  par  des 
annulations  ou  des  déchéances  abusives,  soit  par  la 
<léfaillance  des  sociétés  elles-mêmes. 

Lorsque  des  sociétés  puissantes  pratiquent  à la  fois 
l’assurance  ordinaire  et  l’assurance  populaire,  elles 
pourraient  réserver  à celle-ci  des  conditions  de  faveur. 
< les  sociétés  sont  malheureusement  peu  nombreuses. 

On  estime  extrêmement  avantageux  pour  les  clients 
de  l’assurance  pojiulaire  qu'ils  forment  des  collectivités 
organisées  vis-à-vis  des  organismes  assureurs,  et  ce, 
afin  de  dégager  ceux-ci  d’une  grande  partie  des  frais 
de  propagande,  do  recrutement,  de  perception  des 


460 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


primes  et  de  comptabilité  iiitéi-ieiirc.  Le  rôle  du 
patronat  et  de  la  mutualité  est  ici  tout  indiqué. 

On  recommande,  d’autre  jtart,  la  formation  de 
mutuelles  d’assurances  ou  de  sociétés  d’assurances 
d’intérêt  public  qui  fonctionneraient,  soit  sans  béné- 
fices, soit  avec  rémunération  modérée  des  capitaux 
investis. 

Enfin,  on  est  d’avis  que  l’assurance  populaire  doit 
être  l’objet,  sinon  d’une  réglementation,  tout  au  moins 
d’une  surveillance  légale  s’exerçant  en  matière  de 
droit  j)ublic  et  de  droit  privé  et  jiortant,  pai*  ailleurs, 
sur  ses  jirocédés  de  fonctionnement  et  de  })ublicité. 

Le  Comité  permanent  international  des  Assurances 
sociales  avait,  au  mois  de  juin  dernier,  reçu  sept 
rapports  sur  le  fonctionnement  et  la  situation  dé 
l’assurance  populaire  sur  la  vie  dans  les  pays 
suivants  : Allemafjne,  Autriche,  Ihlgiquc^  Finlande^ 
France,  Graad-Daehé  de  Liroceiuhourf/,  Pays-Bas. 
J’en  ferai  l’analyse  documentaire.  Je  parlerai  de  ces 
difiérents  pays,  et  aussi  de  l’Italie,  dans  une  suite 
alphabétique  ri  sans  vouloir  les  classer  dans  un  ordre 
d’importance  quelconque.  Cherchant  à revêtir  mon 
analyse  du  caractère  des  rapj)orts  originaux,  je  ne 
suivrai  pas  pour  chaque  pays  le  mêmei)lan  d’exposition. 


ALLEMAGNE 


En  Allemagne,  jusque  dans  (;es  derniers  temps, 
l’assurance  po})ulaire  a été  exclusivement  pratiqué(' 
par  des  compagnies  privées,  piâncipalement  pai‘  des 
sociétés  par  actions.  Les  nombreuses  ('disses  funé- 
raires., régionales  ou  professionnelles,  et  les  Caisses 
d'assistance  d’un  fonctionnement  grossièrement  empi- 
rique ne  sont  pas  rangées,  bien  qu’elles  satisfassent 


l'assurance  populaire  sur  la  vie 


401 


dans  line  certaine  mesure  à des  liesoins  d’assurance, 
parmi  les  organismes  d’assurance  populaire. 

Le  développement  de  l’assurance  populaire  en  Alk*- 
magne  date  des  environs  de  ISS.ô.  La  compagnie 
d’assurances  sur  la  vie  par  actions  Friedrich  Wilhelm^ 
à Berlin,  a ouvert  la  voie.  En  1892,  la  compagnie 
Victoria  décida  d’adapter  son  organisation  à l’assu- 
rance populaire  et  commem-a  en  faveur  de  celle-ci 
une  vigoureuse  propagande  dont  les  résultats  furent 
considérables.  La  \dctoria  devint  — et  est  restée  — 
la  plus  grande  compagnie  d’assurances  populaires  en 
Allemagne.  La  seconde  place  appartient  à la  Friedrich 
Wilhelm.  Les  autres  sociétés  se  tiennent  loin  derrière 
leurs  deux  puissantes  rivales. 

Fin  1911,  l’assurance  populaire  était  pratiquée  ]>ar 
10  sociétés  par  actions  et  2 sociétés  mutuelles. 

Entre  l’assurance  populaire  proprement  dite  et  la 
grande  assurance  sur-  la  vie,  on  inteiqiose  en  Alle- 
magne « la  petite  assurance  sur  la  vie  » à examen 
médical  simplifié  et  à paiement  de  primes  jiar  quotités 
mensuelles,  et  qui  couvre  des  ca])itaux  variant  de  3(KJ 
à plusieurs  milliers  de  marks.  La  petite  assurance 
peut  se  rattacher  à l'assurance  populaire  proprement 
dite  ; elle  est  pratiquée  par  des  sociétés  par  actions, 
des  compagnies  mutuelles  et  des  associations  profes- 
sionnelles. 

. 11  convient,  enfin,  de  ne  pas  passer  sous  silence  les 
assurances  funéraires  des  abonnés  aux  Journaux,  qm 
se  sont  considérablement  étendues  dans  ces  derniers 
temps. 

Fin  1911,  le  tableau  des  assurances  directes  conclues 
personnellement  était  le  suivant  : 


:i() 


IIU  SÉIllE.  T.  XXVI. 


402 


RE]VUE  DES  gUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


A.  — .\SSUHAi\CKS  l'OI'ULAlKliS  IMiOPKEMENT  DITES 


Organismes 

assureurs 

Sombre 
de  polices 

Montant  des 
capitaux  assurés 

Mogenne 
par  police 

Sociétés  par  actions 

7 087 .200 

1 .274  221  000  mks 

104  mks 

t iom  pagnies  m u 1 1 ici  les 

404  00.2 

00  004  000  » 

172 

ï) 

Kiisemhie  pour  A : 

7 401  072 

1 444  205  000  » 

102 

n 

H.  - 

- PETITES 

ASSURANCES 

Sociétés  par  actions 

1 12  070 

48 .500  000  mks 

420  mks 

Compagnies  mutuelles 

.227  ».).2U 

1 .28 .5.57  ( H 10  » 

422 

» 

Associations  prol'ession. 

rl22  000 

182.288  000  » 

505 

» 

Knsemble  poui-  H : 

702518 

200  454  000  » 

484 

C.  — ASSURANCES  Surveillées  d’aronnés  aux  .iournaux 

Sociétés  ; 

1 .'142  000 

1 12000  000  mks 

82  mks 

IVjur  tin  1012,  le  talileau  ne  peut  encore  être  dressé 
r-oinplèteinent.  Les  cliitlVes  connus  sont  les  suivants  : 

A.  — ASSl  IiVNCES  POPULAIRES  PROPREMENT  DITES 

Oryaniami's  Sombre  Montant  des  Moyenne 

assureurs  de  polices  capitaux  assurés  par  police 

Sociétés  par  actions  7.”)r)<S950(l  ) 1 4457dd(K)0(:2)  mks  19H  mks 
Compagnies  mutuelles  440  W9  77tld:2000  » 177  » 

Knsemhie  pour  A : 7 700:{!)!)  1 il 55 000  » J07  » 

1).  — PETITES  ASSURANCES 
(sans  les  associations  profession neiles) 

Sociétés  [lar  actions  l!l^  45(S  .50  047  OOO  mks  414  mks 

Comiiagnies  mutuelles  r’vlG  .5.50  ]4(S<SO,5  000  d 442  » 

Knsemhie  pour  1)  : 4.50  008  100.542  000  » 4d5  » 

(I)  Uonl  S 80H0DD  pmir  la  Victoria  et '2iM^D0D  j)our  la  lô/c'/c/c/i  Wilhehn. 
(ri)  Donl  84.5  OOD  DUO  pour  la  \'ictoria  el  452  000  HDD  jumu-  la  Friedrich 
Wilhelm. 


i/aSSURANCE  POl'T’LAIRE  SUR  LA  VIE 


463 


Pour  liu  1913,  la  statisti({iie  jtrovisoire  accuse,  pour 
l’assurance  populaire  proprement  dite,  un  total  approxi- 
matif de  1 650000(0.)  mks  (1). 

Depuis  1902  les  capitaux  assurés  par  l’assni'ance 
populaire  projtrement  dite  sont  devenus  2 1/2  fois  plus 
considérahles  et  le  nombre  d’assurés  a doublé. 

En  Allemagne,  on  n’admet  pas  en  matière  d’assu- 
rance populaire  de  limitation  absolue  quant  aux  per- 
sonnes, de  destination  foianelle  quant  aux  objets, 
l/assurance  populaire  se  caractérise  par  la  petitesse 
des  capitaux  assurés,  l'exemption  de  l’examen  médical, 
le  paiement  des  primes  par  minimes  fractions  et  par 
des  procédés  spéciaux  (le  fonctionnement.  Elle  cherche 
son  équilibre  dans  son  adaptation  aux  conditions 
économiques  des  catégories  sociales  les  moins  certaines 
de  pourvoir,  par  leurs  ressources  ordinaires,  aux  dé- 
]ienses  exceptionnelles  de  la  vie. 

On  tend  de  plus  eu  plus  à sauvegarder  par  l’assu- 
rance le  sort  des  survivants  en  cas  de  décès  du  chef 
de  famille  et,  même,  à concilier  cette  perspective  avec 
celle  de  la  disponiliilité  d’un  capital  à une  époque 
librement  choisie.  Aussi,  c’est  l’assurance  mixte  ou 
alternative  qui  obtient  la  plus  grande  faveur  auprès 
du  public. 

L’assurance  infantile  comporte  régulièrement  une 
assurance  au  décès  (frais  de  funérailles^  combinée  avec 
une  assurance  en  cas  de  vie  conti-actée  en  prévision  de 
certaines  éventualités  ; contirmation.  ])remièi‘e  com- 
munion, éducation.  C’est  depuis  l’emploi  de  cette  com- 
binaison que  l’assurance  infantile  a })ris  tout  son  essoix 

Eu  égard  à l’exemption  de  l'examen  médical,  il  est 
imposé  aux  assurés  un  délai  d’attente  ordinairement 

(1)  Dont  environ  3 00(»(X)Ü  pour  la  Société  « l'A.ssnrance  populaire  alle- 
mande » et  IdOOüDOO  pour  la  « l’révoyance  ])opulaire  » dont  il  sera  parlé 
plus  loin.  D’après  les  journaux,  les  Institutions  puhlitpies  d'assurance  dont  il 
sera  aussi  parlé  plus  loin  auraient  assuré  en  IDDÎ  environ  7 DOt)  tiOO  marks. 


■464 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


I 


divisé  en  deux  périodes,  la  première,  ])endant  laquelle, 
en  cas  de  décès,  les  primes  payées  sont  ristournées,  la 
seconde,  pendant  laquelle  une  partie  seulement  de  la 
somme  assurée  est  liquidée.  Dans  l’assurance  infantile, 
si  l’enfant  meurt  avant  l’àge  de  sept  ans,  la  loi  ne 
permet  que  le  remboursement  des  primes  paA’ées  ou  la 
liquidation  d’une  somme  re])i*ésentant  le  montant  réel 
des  frais  de  funérailles. 

La  perception  des  primes  à domicile  est  de  règle 
générale.  Après  l’échéance,  il  est  accordé  un  délai  d(‘ 
deux  mois,  au  maximum.  Pour  éviter  de  charger  l’as- 
surance de  frais  excessifs,  la  loi  permet,  sous  l’appro- 
bation des  autorités  de  contrôle,  d’exonérer  l’assureur 
des  dénonciations  et  avertissements  formels  en  cas  de 
retard  de  })aiement,  de  réduction  d’assurance,  etc.  La 
remise  en  vigueur  des  contrats  est  autorisée,  sans 
j)aiement  des  arriérés,  sous  réserve  de  diminution  du 
capital  assuré  ou  de  prolongation  de  la  durée  du 
jtaiement  des  primes. 

Après  un  certain  tem])s  — trois  ans  au  jilus  — toute 
annulation  pour  défaut  de  ))aiement  est  j)rohihée.  11  est 
délivré  une  police  libérée. 

Le  plus  souvent  le  rachat  et  le  pi*èt  sur  police  ne 
sont  }>as  autorisés.  Les  nouvelles  compagnies  en  accoi'- 
dent  la  faculté. 

Le  fonctionnement  des  gi-andes  coiiqiagnies  d’assu- 
rances populaires  repose  sur  l’activité  de  nombreux 
agents  subalternes  rémunérés,  s’occupant  du  recruti'- 
ment  des  assurés  et  de  la  perception  des  primes.  11  est 
constitué  des  agences  centrales  d’encaissement. 

Jus([ii’en  1912,  l’assurance  ]>0}>ulaire  a été  presque 
exclusivement  |»ratiquée  en  Allemagne  par  des  entre- 
]trises  à but  lucratif.  De])uis  191o,  trois  créations  nou- 
velles ont  vu  le  Jour  : P Les  Ktablissements  })ublics 
d’assurance  ; 2°  L’Assurance  j)0])ulaire  allemande  ; 
tL  La  Prévoyance  populaire. 


l’assuraxgk  populaire  sur  la  vie 


465 


Ges  organismes  nouveaux  ont  assumé  la  tâche  de 
pratiquer  l’assuraiice  pojiulaire  dans  des  vues  d’utilité 
publique.  Ajirès  l’attribution  d’un  intérêt  de  4 °i\,  au 
capital  social  et  le  paiement  des  frais  d’administration, 
tous  les  excédents  d’actif  sont  acquis  aux  assurés. 

Les  établissements  puldics  d’assurance  s’appuient 
sur  les  fédérations  provinciales  prussiennes  fondées 
par  la  loi  ; leur  fédération  pratique  l’assurance  directe 
dans  les  états  allemands  (sauf  la  Prusset  où  permission 
leur  en  est  donnée. 

« L’Assurance  populaire  allemande  »,  société  par 
actions,  a été  formée  par  30  sociétés  particulières. 

« La  Prévoyance  popidaire  » doit  son  existence  à 
une  réunion  de  sociétés  ouvrières  de  consommation  et 
de  corporations  libres  (syndicats). 

Les  conditions  accordées  aux  assurés  par  les  nou- 
velles entreprises  d'assurances  sont  particulièrement 
avantageuses.  Elles  tendent  à écarter  les  préjudices 
que  les  clients  de  l’assurance  populaire  avaient  pu  subir 
avant  leur  création  du  chef  des  commissions,  des  con- 
trats de  faveur,  de  la  politique  des  tarifs  et  des  divi- 
dendes, du  système  des  tantièmes,  et  elles  s’attachent 
à remplacer  l’intermédiaire  des  agents  par  celui  des 
patrons,  des.  administrations  et  des  sociétés  de  secours 
mutuels. 

lies  principales  objections  qui  ont  été  dirigées  en 
Allemagne  contre  l’assurance  pojiulaire  sont  relatives 
aux  frais  d’administration  et  aux  déchéances. 

En  ibil,  les  frais  d’administration  des  compagnies 
d’assurances  populaires  se  sont  élevés  à 28,03°,  odes 
])rimes  touchées  : pour  la  grande  assurance,  le  chiffre 
était  de  13,26  La  coopération  d’organismes  sociaux, 
ou  autres,  rechei'chée  par  les  nouvelles  entreprises 
d’assurance  est  de  nature  à abaisser  les  frais  d’admi- 
nistration, mais  l’extension  de  leurs  affaires  obligera 


4(3G 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


ces  entreprises  à recourir,  dans  l’a  venir,  à un  nombre 
(le  plus  en  plus  grand  d’emplogés  de  profession. 

Les  déchéances  sont  dues  à l’incapacité  permaneiite 
ou  temporaire  de  travail,  au  chômage,  au  relâchement 
de  l’esprit  de  prévijyance  et,  aussi,  fré([uenmient,  au 
fait  ([ue  l’assurance  a été  conclue  dans  des  conditions 
qui  ue  sont  pas  en  rapport  avec  la  situation  de  l’assuré. 

Abstraction  faite  des  polices  dont  la  })reniière  prime 
n’a  pas  été  payée  — perte  pour'  l’assuré  d’un  léger 
droit  d'admission  — 1,4  ° o 4('s  polices  existantes,  re[iré- 
sentant  ô,'i  ° „ des  sommes  assurées,  ont  été  résiliées  en 
IDii  sans  indemnité  : les  chitl'res  corres])ondants  sont, 
respectivement,  de  ::i,l  ° „ et  de  1,1  dans  la  grande 
assurance.  Les  résiliations  avec;  indemnité  (rachat  — 
réduction  — transfoiTiiationi  ont  été  de  0,2  7.,  4es 
polices  et  de  l,ô  ” „ des  sommes  assurées  jioiir  l’assu- 
rance pojtulaire  et  de  l.d  ° ^ et  1.5  ° „ pour  la  grande 
assurance. 

On  ne  considère  pas  (jue  les  résiliations  procurent 
des  hénétices  aux  compagnies.  Aussi  bien,  la  conclusion 
de  nouvelles  assurances  entraine  relativement  de 
grands  fiais.  Irais  ([ui  ne  sont  cTiuverts  cpi’après  une 
certaine  dui*ée  contractuelle.  Lc^s  assurés  défaillants  les 
supportent,  et  il  le  faut  bien,  car,  si  lors  de  la  résilia- 
tion d’une  assurance  ayant  ]ieu  duré,  on  remboursait 
une  fraction  importante  des  primes  payées,  les  assurés 
tidèles  à leurs  oblmations  seraient  indirectement  lésés. 

Lc's  abus  commis  par  les  agents  inférieurs,  dont  le 
choix  olfre  des  difficultés  spéciales,  sont  exceptionnels 
et  vigoureusement  réjirimés  par  les  compagnies.  On 
ne  relève  pas  d’abus  systématicjues  dans  l’exploitation 
de  l’assurance  populaire  par  les  compagnies,  notam- 
ment, en  matièi-e  de  perception  des  primes  et  de  paie- 
ment des  sommes  assurées. 

( )n  n’est  pas,  en  Allemagne,  partisan  du  monojiole 
des  assurances.  La  libre  concurrem^e  doit  garantir  le 


L ASSURANCE  POIR'LAIRE  SUR  LA  VIE 


ir>7 

progrès,  et  elle  sera  d’autant  [dus  efficace  qu’elle  se 
développera  entre  les  anciens  et  les  nouveaux  orga- 
nismes, les  entre[)rises  à hut  lucratif,  d’une  part,  et  les 
entreprises  d’utilité  [)uhlique,  d'autre  paid. 

Si  on  n’escompte  jias  avant  longtemps  des  subsides 
de  l’Etat  en  faveur  de  l’assurance  populaire,  on  cherche 
à obtenir  l'appui  du  patr-onat  et  de  certains  établisse- 
ments officiels,  de  bienfaisance  ou  autres. 

On  n'estime  pas  nécessaire  une  réglementation  légale 
de  l’assurance  populaire.  La  surveillance  exercée  par 
l’Etat  [laraît  suffisante. 


AT^ÏRlCdlE 


L'assurance  po]>ulaire  est  exploitée  en  Autriche  par 
7 grandes  sociétés  — H nationales  et  1 étrangère  — - et 
.501  petites  sociétés,  celles-ci  à forme  mutuelle  ; 
536.5  caisses  de  maladie,  organisées  conformément  à 
la  loi,  et  'i2  caisses  de  secours  enregistrées  assurent 
les  frais  de  funérailles.  11  existe,  aussi,  de  nombreuses 
sociétés  d’enterrement,  de  dotation,  etc...,  qui  ne  sont 
pas  de  véritables  organismes  d’assurance. 

L’assurance  au  décès  ou  l’assurance  d’un  capital 
ditféré  sont,  en  Autriche,  les  formes  d’assurance  les 
plus  anciennes  ; la  tendance  à l’assurance  mixte  est 
aujourd’hui  manifeste. 

Les  caractéristiques  de  l’assurance  populaire  sont  : 
l’exemption  de  rexamen  médical,  la  faiblesse  des  capi- 
taux assurés,  des  primes  minimes  et  rajtprochées. 
généralement  perçues  à domicile.  Les  tarifs  sont  les 
mêmes  que  ceux  de  l'assurance  ordinaire. 

L’examen  médical  est  remplacé  par  un  délai  d’at- 
tente de  deux  à trois  années,  pendant  lequel  on  ne 
rembourse  que  les  primes  ou  l’on  ne  paie  qu’une  partie 
du  capital  assuré  ; ces  conditions  sont  atténuées  si  l’as- 


m 


REVI'E  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


siiré  se  soumet  à l'examen.  En  cas  de  non  paiement 
des  primes,  l'assuré  Jouit  d’un  délai  de  répit  de  six  à 
neuf  mois.  Si  l’assurance  est  en  vigueur  depuis  plus  de 
trois  ans.  le  (îoiitrat  ne  peut  être  annulé  et  l’assurance 
est  réduite  d’api-ès  des  règles  fixes. 

A la  fin  de  iltl'-:?,  les  grandes  sociétés  d’assurance 
jiopulaire  possédaient  65S  984  contrats,  les  deux  sexes 
s’équilihrant  à peu  près,  couvrant  184  095  905  cou- 
i-onnes. 

Les  caj)itaux  assurés  par  les  petites  sociétés  s’élèvent 
à environ  dtjOOOtlOO  couronnes. 

A la  fin  de  1910,  les  caisses  de  maladie  assuraient, 
pour  3 3(JÜ  000  contrats,  un  montant  total  de  54 IXX)  000 
couronnes  de  frais  funéraires.  A la  même  date,  les  Cais- 
ses de  secours  enregistrées  assuraient,  })Our  61  609 
contrats,  IlOOOOOO  couronnes  de  frais  funéraires 
et,  pour  798  contrats,  1 300  000  couronnes  de  fonds 
dotaux. 

I/assurance  pojtulaire  couvre,  donc,  en  Autriche 
280  ( JOO  000  cou r< )niies. 

6S  des  assurances  sont  des  assurances  mixtes, 
18,2  “,o  assurances  au  décès,  12  " „ <^es  assurances 
à terme  fixé,  1.8  " „ des  assurances  infantiles. 

Les  assurances  multijdes  sont  assez  nombreuses, 
4,8  “/'o  si  on  ne  considère  que  les  assurances  prises  à la 
même  société. 

L’assurance  jKq)ulaire  n’est  }>as  subventionnée  en 
Autriche  par  les  pouvoirs  publics.  Actuellement,  l’as- 
surance poj)ulair(‘  fonctionne  d’une  façon  à peu  jtrès 
ii‘ré})rocbable.  11  _v  a quelques  années,  les  agents  des 
compagnies  commettaient  des  abus  qui  avaient  attiré 
l’attention  publique:  des  difié rends  entre  les  compagnies 
et  leur  clientèle  en  résultèrent,  ils  furent  vidés  sans 
préjudice  ]»our  les  assurés. 

Mais  il  existe  des  vices  inhérents  à la  nature  même 
de  l’assurance  jtopulaire  : déchéances  nombreuses. 


i/assuraxck  populaire  sur  la  vie 


i69 


grands  frais  d’administration,  primes  relativement  éle- 
vées, cherté  de  l’assurance.  Il  faut  signaler,  surtout, 
les  opérations  dommageables  de  nombreuses  sociétés 
d’assistance  (pii,  sous  le  couvert  de  la  bienfaisance,  et 
en  opposition  avec  leurs  statuts.  pratif[uent  l’assurance 
par  voie  de  répartition.  A'is-à-vis  de  ces  sociétés,  on 
réclame  la  suppression  de  toute  indulgence,  le  maintien 
strict  des  dispositions  légales  c[ui  les  concernent. 

De  1852  à 1880,  les  institutions  d’assurances  n’étaient 
l'objet  ([Lie  d'une  surveillance  officielle.  Depuis  1880, 
elles  sont  soumises  à réglementation  : cette  réglemen- 
tation, d’abord  de  droit  public,  devint  de  droit  privé  en 
1896  et  s’étendit  au  mérite  intrinsèque  des  assurances. 
Le  projet  de  loi  sur  le  contrat  d’assurance  rédigé  en 
1904-1905  établit  des  conditions  dont  les  avantages 
sont,  en  pratique,  actuellement  dépassés. 

Ce  projet  de  loi  n’expi-ime,  d’ailleurs,  en  ce  qui  con- 
cerne l’assurance  poquilaire,  que  les  principes  spéciaux 
suivants  : les  ])rinies  ne  peuvent  être  exigées  par  voie 
judiciaire  ; le  })rix  de  la  résiliation  ne  peut  dépasser  le 
montant  d’une  prime  trimestrielle. 


BKLGIQUE 


En  Belgique,  l'assurance  populaire  comprend  des 
assurances  patrimoniales  destinées  à constituer  un 
capital-argent,  des  assurances  garantissant  le  rem- 
])oursement  d'un  prêt  contracté  en  vue  de  l’achat  ou 
de  la  construction  d’une  maison,  des  assurances  pour 
frais  de  funérailles,  des  assurances  de  première  com- 
munion, des  assurances  dotales.  Les  assurances  con- 
cernant l’apprentissage  des  enfants,  l’établissement 
d’un  petit  commei'ce  ou  d’un  atelier,  l’achat  d’un  outil- 
lage professionnel,  ramortissenient  d’un  prêt  contracté 
vis-à-vis  d’un  organisme  de  crédit  populaire  — sociétés 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


i7(J 


d'habitations  ouvrières  exceptées  — ne  sont,  pour  ainsi 
dire,  pas  pi*atiquées. 

( )n  admet  en  Belgi({ue  que  l’assurance  })Oj)ulaire  ait 
une  (dientèle  variée  et  on  ne  liorne  pas  son  domaim*, 
ni  ses  coinl)inaisons  à des  limites  absolues. 

Idn  Belgique,  la  clientèle  de  l'assurance  populaire 
sur  la  vie  se  jiartage,  à peu  de  choses  près,  en  trois 
catégories  : d'ahord  une  masse  inorganisée  de  2 à 
3 millions  d'individus,  tidbutaires,  en  général,  des 
compagnies  qui  s’occupent,  spécialement,  dans  un  but 
mercantile,  (le  l'assurance  de  petits  capitaux  ; ensuite, 
450000  personnes  que  l’esprit  de  parti  ou  d’association 
})Ousse  à s’assurer  à des  oi-ganismes  de  leur  choix 
déclarés  fondés  sur  le  principe  de  la  sauvegarde  de 
ré})argne  jmpulaire  ; enfin,  les  clients  de  la  Caisse 
d’Assurances  sous  la  garantie  de  l’Ktat,  un  faible 
noyau  de  li  à 12  000  personm^s  (non  compté  les 
36  000  assurés  memlires  de  sociétés  d’habitations 
ouvrières)  et  qui,  pour  la  phqtarl,  ont  formé  des  grou- 
jiements  en  vue  de  l’assurance. 

On  comptait,  au  1'“'' janvier  lOli,  71  comiiagnies 
d’assurances  ])opulaires  sur  la  vie,  dont  57  belges  et 
1 i étrangères;  des  57  eom])agnies  belges,  32  étaient 
anonymes,  22  coopératives  et  3 mutuelles. 

AssHi'ances  pa/f^'/uo/nales.  — L(^s  sociétés  d’assu- 
rances poj)ulaires  possèdent  parmi  les  artisans,  les 
petits  négociants,  les  ouvriers  hoidlleui-s  et.  surtout,  les 
cultivateurs  une  assez  nombi-euse  (dientèle,  dont  le 
(diitl're  ne  peut  être  déterminé,  assurée,  généralement, 
sous  la  forme  de  l’assurance  mixte  pour  des  capitaux 
s’élevant,  parfois,  à 1000  francs,  et  plus.  Jusque 
500  francs,  les  primes  sont  helxlomadaires  ou  men- 
suelles, au-dessus  de  50Ü  francs,  mensuelles.  Pas 
d’examen  médical  ; il  est  remplacé  par  des  mesures 
diverses  : léger  différé  de  l’assurance,  deux  mois,  par 
exemple,  les  jirimes  payées  restant  acquises  à la  Coin- 


L ASSURANCE  POPI  LAIRE  SI’R  LA  VIE 


471 


pagnie  ; réduction  du  cajtital  assuré,  si  le  décès  se 
])roduit  avant  un  certain  âge,  ou  sans  que  le  contrat 
ait  une  certaine  durée  ; coassurance  des  enfants  et  des 
vieillards  avec  les  autres  lueinbres  de  la  famille.  En- 
cas  de  cessation  de  [)aiement  des  primes,  les  primes 
versées  sont  perdues  et  le  contrat  est  annidé  ; il  n’est 
remis  en  vigueur  qu’à  des  conditions  onéreuses.  La 
libération  des  polices  est  subordonnée  au  paiement 
d’un  assez  orand  nombre  de  mensualités,  15  au  moins, 
et  occasionne  une  forte  réduction  des  droits  acquis.  Ces 
conditions  sont  dures,  la  façon  dont  on  les  applique 
peut  les  accentuer,  mais  il  _v  a des  excejdions.  D’ail- 
leurs, des  sociétés  d’assurances,  dont  l’activité  ne  se 
déploie  pas  spécialement  dans  la  branche  po}>ulaire. 
admettent,  aussi,  la  conclusion  de  petites  assurances 
patrimoniales.  11  dépend  du  public  de  bien  s’adresser  ; 
malheureusement,  les  grandes  (Auiqiagnies  ne  se  préoc- 
cupent pas  d’une  propagande  à l'adresse  des  gens  de 
condition  modeste. 

La  Caisse  d’ Assurances  sous  la  garantie  de  l’Etat, 
dont  le  statut  est  très  libéral  en  matière  de  cessation 
de  paiement  de  primes,  de  réduction  ou  de  liliération 
de  police,  a un  assez  grand  nombre  d'affiliés  titulaires 
d’une  assurance  patrimoniale.  Les  assurances  patri- 
moniales sont,  souvent,  conclues  sous  la  forme  d’assu- 
rances globales  de  collectivités,  généralement  collecti- 
vités mutualistes  créées  au  sein  d’établissements  pi'ivés 
ou  d’administrations  publi([ues.  La  Caisse  d’Assurances 
accorde  à ces  groupements  des  conditions  iiarticulière- 
nient  favorables.  Ainsi,  elle  se  contente  d’uu  examen 
médical  d’ensemble  et  sommaire,  grâce  à quoi,  cer- 
tains individus,  qui,  examinés  séparément,  auraient  été 
écartés,  sont  admis  dans  la  masse.  Pour  bénéficier 
de  cet  examen  sommaire,  il  suffit  que  les  nouveaux 
membres  des  groupements  susdits  soient  ])résentés  suc- 
cessivement à l’assurance  en  nombre  suffisant.  L’iisase 


Î72 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


consacre  ce  système  de  jihis  en  plus  ; on  compte,  actuel- 
lement, 34  établissements  industriels  ou  commerciaux 
<“t  17  administrations  communales  ou  provinciales  qui 
affilient  collectivement  tout  ou  partie  de  leur  personnel 
à la  Caisse  d’Assurances  : ensemble,  70  )0  assurés  pour 
un  montant  de  (1200000  francs.  La  Caisse  d’Assurances 
possède,  en  outre,  environ  1800  assurés  isolés  titu- 
laires d’assurances  patrimoniales  pour  un  total  de 
.')  500  OOO  francs. 

Les  assurances  patrimoniales  globales  conclues  à la 
Caisse  d’Assurances  sont  des  assurances  mixtes  (86  %) 
et  des  assurances  vie  entière  (11  %)  • ces  proportions 
sont  7.5  7o  et  25  " „ })oui*  les  assurances  patrimoniales 
individuelles. 

Pour  environ  60  ° o de  leur  nombre  et  50  " o de  leur 
montant  total,  les  assurances  patrimoniales  de  ces  deux 
catégories  reposent  sur  la  tête  de  personnes  apjiarte- 
nant  aux  classes  sociales  les  plus  modestes. 

Assurances  Hahitations  ouvrières.  — Les  assu- 
rances garantissant  le  remboui'sement  d’un  prêt  en 
vue  de  l’ac([uisitiou  ou  de  la  construction  d’une  maison 
ouvrière  sont,  pour  ainsi  dire,  exclusivement  contrac- 
tées à la  Caisse  d" Assurances  sous  la  garantie  de  l’Etat 
et  pour  des  immeuldes  acquis  ou  construits  à l’inter- 
vention des  sociétés  d’habitations  ouvrières  agréées 
par  la  Caisse  Générale  d’Epargne.  Les  capitaux  assurés 
par  la  Caisse  Générale  ont 'permis  la  construction  ou 
l’acquisition  de  61  200  maisons,  environ  ; pour  plus  de 
80  ,>  de  ces  maisons,  une  assurance  de  garantie  a été 
conclue. 

Au  début,  l’assurance  mixte  a servi  à garantir  les 
prêts  « habitations  ouvrières  » ; depuis  quelque  dix 
ans,  la  Caisse  d’Assurances  y a substitué  l’assurance 
temporaire  de  capitaux  décroissants  à jirime  unique, 
prime  généralement  incorporée  dans  le  prêt.  Presque 


l’assurance  POI'ULAIRE  Sl'R  LA  VIE 


473 


tous  les  anciens  contrats  d'assurance  mixte  ont  été 
transformés. 

Actuellement,  il  existe  361KÂ)  (chiffres  ronds)  con- 
trats d’assurance  « habitations  ouvrières  ». 

Assurances  'pour  frais  de  funérailles.  Assurances 
dotales  et  de  première  communioa.  — L’assurance 
pour  frais  de  funérailles  est  d’une  pratique  pour  ainsi 
dire  générale,  surtout  dans  les  villes,  parmi  les  plus 
pauvres  gens  ; c’est  une  assurance  au  décès  d’un 
capital  de  100  francs,  parfois  4?00  francs.  Le  pins 
souvent,  ce  sont  les  femmes,  les  mères  de  famille  qui, 
désirant  procurer  à ceux  qu'elles  aiment  des  funé- 
railles décentes,  assurent  la  famille  entière,  même  à 
l’insu  de  leurs  maris.  Elles  économisent  chaque 
semaine,  sur  le  budget  du  ménage,  les  20,  30,  50  cen- 
times (parfois  davantage)  nécessaires  au  paiement  des 
primes  hebdomadaires  qui  sont  perçues  à domicile. 

Certaines  assurances  en  cas  de  vie  à une  époque 
déterminée,  généralement  à la  première  communion, 
sont,  aussi,  assez  répandues.  Elles  garantissent  ordi- 
nairement le  paiement  d’un  caj)ital  de  50  à iOO  francs. 

Pour  l’ensemble  du  pays,  le  montant,  des  primes 
encaissées  annuellement  parles  compagnies  pour  toutes 
les  petites  assurances  dont  il  est  question  ici  dépasse- 
rait 10  00(3  000  francs  et  le  nombre  des  assurés  serait 
de  2 1 2 à 3 millions. 

Les  assurances  pour  frais  de  funérailles  sont  géné- 
ralement des  assurances  vie-entière  à plûmes  tempo- 
raires, ou  ît  primes  viagères,  si  l’assuré  a dépassé  un 
certain  Age.  Moyennant  un  supplément  de  prime,  une 
certaine  somme  est  paj’ée  au.  décès  des  enfants  : par- 
fois, ce  droit  est  concédé  sans  snpjilément  après  le 
})aiement  de  quelques  primes. 

Moyennant  supplément,  le  capital  assuré  est  doul)lé 
en  cas  de  mort  accidentelle  et  une  indemnité  est  accor- 
dée en  cas  d’incajiacité  de  travail  }trolongée. 


REVUE  DES  gUESTIÜXS  SCIENTIFIQUES 


L’assurance  est  soumise  à un  différé,  pai'  exemple, 

I mois  par  100  francs  : les  primes  sont,  de  convention 
formelle,  pavaldes  au  siège  social,  et  l’assuré  ne  peut  se 
prévaloir  des  facilités  de  j>erce]ition  qui  lui  sont  accor- 
dées. Tout  non-paiemenl  de  pi-ime  entraîne  déchéance, 
sous  réserve  de  réintégi-ation  sur  demande  et  à titre 
onéreux.  La  libération  n’est  concédée  qu’après  au  moins 
une  année  de  versement  et  à des  conditions  spéciales  : 
par  exemple,  les  primes  payées  forment  pécule  récu- 
jtérahle  dix  ans  seulement  a})rès  l'émission  de  la  police. 

II  n’est  remboursé  qu’une  partie  des  primes  versées, 
si  le  décès  se  produit  par  suicidiç  avortement,  guerre, 
alcoolisme  invétérf*.  gi'ossesse  ou  accouchement  au 
cours  du  jiremier  semestre  d’assurance,  etc.  Tout  ceci 
comme  indication  générale,  sans  vouloir  présenter  un 
cas  comjilet  et  concret,  ni  embrasser,  en  raccourci, 
tous  les  cas. 

Le  fonctionnement  des  sociétés  d’assurance  })opu- 
laire  repose  sur  l’activité  de  nombreux  agents  ; les 
sociétés  ne  connaissent  ipi’eux  et  n’ont  ]tas  de  rapports 
directs  avec  leurs  assurés.  Le  recrutement  de  ces  agents 
ne  fait  ]tas  l’objet,  en  généi-al.  d’une  sélection  sérieuse. 

Ce  qui  jirécède  se  rapporte  aux  sociétés  à but  mer- 
cantile, mais  toutes  les  sociétés  d’assurance  jiopulaire 
n'ont  ])as  ce  but. 

Kn  iDOü,  le  Parti  ouvrier  belge  institua  dans  son 
sein  une  société  d’assurance,  la  «Prévoyance  sociale», 
de  forme  coojiérative  ; elle  s’occupe  principalement  des 
assurances  de  [letits  cajiitaux.  Au  31  décembre  1913, 
elle  conqdait  127  339  assurés  pour  2i  791  33-1,93  fr. 
de  ca])itaux.  La  Ib-évoyânce  sociale  place  ses  fonds 
dans  les  œuvres  du  Parti  ouvrier  ; ses  2U0  agents  sont 
des  pi-opagandistes  du  }>arti.  La  société  admet  la  sus- 
pension des  contrats  en  cas  de  maladie  grave,  grève, 
lock-out,  service  militaii“e:  l'assurance  est  gratuite  peu- 


LASsniANCE  PUPI  LAIRE  SUR  LA  VIE 


175 


(lant  la  détention  des  assurés  du  chef  do  fait  j»oliti({ne 
on  économique. 

En  1912,  sous  les  auspices  de  l’Alliance  nationale 
des  mutualités  chrétiennes,  fut  créée  l’«  Alliance  Natio- 
nale »,  société  anon)  nie  d’assurances  popvdaires.  Cette 
société  conclut  des  assurances  collectives  et  ([uelques 
assurances  individuelles.  En  tout  2500  assurés  — dont 
■10  assurés  individuellement  — ])our  envii-on  200  00<J 
francs  de  ca[)itaux.  Les  primes  sont  perçues  par  les 
sociétés  mutualistes.  En  fait,  l'«  Alliance  Nationale  » 
n’assure  })as  elle-même,  (die  sert  d’intermédiaire  entre 
ses  assurés  (A  une  compai2ni('  jirivée. 

En  1913  fut  fondée,  à l’initiative  du  Syndicat  général 
des  Syndicats  chrétiens,  une  société  coopérative  d’assii- 
l'ances  populaires,  l'«  Assurance  sociale  ».  Elle  assure 
directement  de  très  petits  capitaux,  mais  avec  garantie 
de  réassurance,  soit  collectivement,  soit  individuelle- 
ment. Pour  des  capitaux  plus  importants,  elle  repi*é- 
:sente  la  compagnie  à laquelle  elle  se  réassure. 

r.es  assurances  collectives  (primes  mensuelles)  sont 
conclues  au  protit  de  syndicats,de  mutualités,  de  cercles 
ouvriers,  qui  reçoivent  une  commission  de  8 7o  '-^cs 
primes  j(Our  frais  de  perception  et  d’administration. 
Les  assurances  individuelles  (primes  hebdomadaires) 
}>rocurent  certaines  ressources  de  propagande  aux 
intermédiaires  (organismes  sociaux).  L’«  Assurance 
sociale  » accorde  des  sursis  de  jtaiement  et  ne  prononce 
}>as  de  déchéance. 

La  « Prévoyance  sociale  »,  l’«  Alliance  Nationale  » 
et  L«  Assurance  sociale  » sont  au  nombre  des  7i  sociétés 
recensées  au  P'  janvier  1914.  11  n’en  est  pas  de  même 
(le  la  « Com])agnie  d’assurances  mutuelles  sur  la  vie  », 
individualité  civile,  créée  en  190()  sous  les  ausjdces 
■de  r«  Union  nationale  des  Fédérations  mutualistes 
.neutres  ».  Cette  compagnie  pratique  l’assurance  collec- 
tive des  sociétés  affiliées  (100  à 2(K)  francs  par  tête)  et 


i76 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


l’assurance  individuelle  des  nieinhres  de  ces  sociétés 
(5000  francs  au  maximum  par  tète).  I^a  compagnie 
possède  actuellement  IG  135  assurés  collectifs,  repré- 
sentés par  120  sociétés,  pour  1 007  iiO  francs  de  capi- 
taux et  1(353  assurés  individuels  jiour  312  (XK3  francs 
de  capitaux. 

Un  certain  nombre  de  sociétés  mutualistes  reconnues 
réassurent  collectivement  leurs  membres  à la  « Caisse 
d’Assurances  sous  la  garantie  de  l’Etat  ».  11  faut  citer 
comme  ty])e  la  « Bonne  assurance  populaire  » (plus  de 
2200  assurés)  créée  à Bruxelles  à l’initiative  de  l’«  xA.s- 
sociation  pour  l’amélioration  des  logements  ouvriers». 

La  « (baisse  d’Assurances  sous  la  garantie  de  l’Etat  » 
otfrc  aux  classes  populaires  certaines  combinaisons 
d'assurances  collectives  pour  frais  de  funérailles,  sans 
examen  médical.  Ce  sont  des  assurances  vie-entière  à 
})rimes  payables  Jusque  .55,  GO  ou  <)5  ans,  à l’usage 
des  sociétés  mutualistes  reconnues  et,  en  général,  de 
tout  groupement  présentant  des  garanties  suffisantes. 
Ces  assurances  sont  accessibles  dès  l’àge  de  IG  ans. 
Ensuite,  depuis  le  1®''  janvier  11311.  des  assurances 
réservées  aux  seules  sociétés  mutualistes  reconnues, 
les  unes,  assurances  vie-entièi‘0  à primes  j)ayables 
pendant  5 ou  1(3  années,  accessibles  dès  l’âge  de  1 ans, 
les  autres,  assurances  temporaires  à primes  uniques, 
de  5 à 15  années,  suivant  les  cas,  et  accessibles  tle 
râge  de  1 ans  à l’àge  de  15  ans.  Ces  assurances  com- 
portent un  stage  d'un  an  ; dès  leur  souscription,  il  est 
|)erçu  un  droit  d’entrée  de  (3.25  fr.  à 1 fr.  récupérable 
sur  le  montant  de  la  première  prime,  qui  est  payée  à 
la  fin  du  stage,  (.les  assurances  s])éciales  sont  actuelle- 
ment au  nombre  d’envii-on  (i(30(3. 

Enün,  la  Caisse  de  Retraite  sous  la  garantie  de 
l’Etat  alloue  pour  Irais  funéraires  d('s  assurés  décédés 
en  état  d’indigence  ])Ostéi‘ieu renient  à l’entrée  en  jouis- 
sance de  la  rente  une  somme  de  25  francs,  à condition 


L ASSURANCE  POPULAIRE  SUR  LA  ME 


477 


qu’il  n’ait  pas  été  fait  réserve  du  capital,  dette  somme 
est  réduite  au  montant  des  versements  etfectués,  s’ils 
sont  inférieurs  à 2r>  francs. 

L’intervention  de  l’Etat  en  matière  d'assurance  sur 
la  vie  s’est  surtout  manifestée  jiar  l’institution  d’une 
Caisse  d’Assurances  placée  sous  sa  garantie.  La  loi 
sur  les  sociétés  mutualistes  accorde  la  reconnaissance 
légale  aux  sociétés  constituées  pour  faidliter  à leurs 
membres  l’affiliation  à la  Caisse  d’Assurances,  ainsi 
qu’à  celles  qui  pourvoient  aux  frais  funéraires,  but 
qui  peut  être  atteint  par  l’assurance  collective  à la 
Caisse  d’Assurances.  Tous  ces  organismes  reçoivent 
un  subside  de  premier  établissement  de  la  part  de 
l’Etat  et  de  certaines  provinces.  La  Caisse  d’Assurances 
réserve  des  conditions  particulières  aux  collectivités 
et,  spécialement,  aux  sociétés  mutualistes. 

Cet  exposé  a déjà  fait  ressortir  la  plupart  des  défauts 
de  l’assurance  poptdaire  en  Belgique.  On  reproche 
aux  sociétés  d’assurances  populaires  des  abus  divers  : 
large  supputation  des  annulations,  insuffisance  de 
capital  versé,  non  publication  de  bilan,  réclames  men- 
songères et  ambiguës,  prébendes  directoriales  exagé- 
rées, manœuvres  louches  et  illicites  des  agents.  Sans 
généraliser,  il  reste  que  l’atmosphère  dans  laquelle 
fonctionne  l’assurance  populaire  sur  la  vie  devrait 
être  })uritiée. 

Des  remèdes  doivent  être  cherchés  dans  l’associa- 
tion. Ij’association  peut  organiser  elle-même  l’assu- 
rance ou  servir  d’intermédiaire  entre  les  assurés  et 
l’assureui-  afin  de  faciliter  l'assurance  et  d'en  diminuer 
le  prix. 

Le  rôle  de  la  mutualité  est  ici  tout  indiqué,  de  même 
que  celui  du  jtatronat  et  des  administrations  publiques. 

Le  législateur  doit  intervenir  pour  supprimer  un 
régime  de  liberté  excessive  gi'àce  auquel  les  institu- 
tions d’assui-ance  les  plus  malsaines  peuvent  prendre 
IIU  SÉRIE.  T.  XXVI.  31 


■178 


REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


naissance  et  se  développer.  Certaines  sociétés  d’assu- 
rances réclament  elles-mêmes  l’intei'vention  de  la  loi, 
préférant  la  ])erte  de  leur  indépendance  à la  concur- 
rence condamnable  ([ue  leur  font  les  autres. 

Le  jU'incipe  d’une  rég'lementation  légale  des  assu- 
rances a été  l'cconnu  par  le  (fouvernement  en  1918. 
Lu  Office  de  l’assurance  et  de  la  prévoyance  sociales, 
rattaché  au  Ministère  de  l’Industrie  et  du  Travail,  a 
été  créé  le  L'  janvier  1911.  Dans  le  rajiport  au  Roi, 
préalable  à cetle  création,  on  lit  : « 11  paraît  nécessaire 
d’élaborer  au  plus  tôt  une  solution  législative  propre  à 
protéger  le  juddic,  en  général,  et.  spécialement,  la 
))etite  épargne  contre  les  abus  reprochés  à certaines 
entrejirises  d’assui-ances,  de  solvabilité  et  de  loyauté 
douteuses  ». 

FINLANDE 


En  général,  les  assui-ances  j)0[)ulaires  en  Finlande 
ont,  comme  traits  distinctifs,  la  limitation  du  capital 
assuré,  l’exemption  de  la  visite  médicale,  les  primes 
j*ériodiques  hebdomadaires  ou  mensuelles,  la  percep- 
tion des  primes  au  domicile  de  l’assuré. 

La  faiblesse  de  la  concentration  urbaine  et  le  peu  de 
densité  de  la  population  rurale  font  au  développement 
de  l’assurance  [lopulaire  des  conditions  défavorables 
dont  les  so(détés  ont  du  tenir  compte,  notamment,  en 
groupant  leurs  agents  par  cercles  à la  tête  desquels  se 
trouvent  des  fonctionnaires  attitrés. 

Les  seules  sociétés  prati([uant  l’assurance  populaire 
en  Finlande  sont  des  sociétés  finlandaises,  au  nombre 
de  quatre.  A la  tin  de  1913,  elles  assuraient,  environ, 
.V)(iOO  personnes  pour  42Ü0(JÜ0Ü  francs  de  capitaux. 
Ces  chiffres  ne  sont  pas  élevés  ; mais  l’assurance 
populaire  en  Finlande  n’est  en  somme  qu'à  ses  débuts. 
Les  chances  de  son  extension  résident  dans  le  fait  de 


l’assuraxck  POPT'LAIRE  sur  la  vie 


479 


la  diminution  proiiuessive  du  capital  moyen  assuré  })ai- 
les  compagnies  finlandaises.  En  1891,  ce  capital  moyen 
était  de  5934  francs  : en  1912,  il  était  inférieur  à 
2000  francs. 

11  faut  noter  que,  par  suite  d’une  évolution  vers  l'as- 
surance populaire,  les  sociétés  linlandaises  admettent 
des  contrats  de  500  tVancs,  seulement,  à primes  trimes- 
trielles, éventuellement,  sans  examen  médical,  et  ayant 
la  même  valeur  intrinsèque  que  n'importe  quelle  autre 
assurance  d’un  montant  ]dus  considérable. 

Ce  sont  là  des  assurances  intermédiaires  entre  la 
grande  assurance  et  l’assurance  populaire  proprement 
dite. 

Les  assurances  populaires  sont  conclues  en  Finlande 
sur  les  mêmes  bases  de  tarification  que  les  autres  ; 
l’exemption  de  l’examen  médical  est  généralement 
compensée  par  les  limitations  suivantes  : simple  rem- 
l)Oursement  des  pidmes,  si  le  décès  se  produit  pendant 
la  première  année  d’assurance,  paiement  ])artiel  du 
capital  assuré,  si  le  décès  se  produit  au  cours  des 
deuxième  et  troisième  années  d’assurance;  Il  est  à 
remarquer  que  les  tables  de  mortalité  accusent  dans 
les  assurances  ordinaires  une  mortalité  très  supérieure 
à la  mortalité  réelle.  En  se  soumettant  à l’examen 
médical,  l’assuré,  dans  certains  cas,  peut  obtenir  immé- 
diatement le  bénélice  des  pleins  effets  de  l’assurance. 
Trois  compagnies  jtaient  l’entièreté  du  capital  assuré, 
({uelle  que  soit  la  durée  du  contrat,  si  le  décès  est  dû  à 
un  accident  ou  à certaines  maladies  infectieuses  à déve- 
loppement rapide. 

Toutes  les  sociétés,  en  cas  d’invalidité  complète  et 
permanente,  accordent  la  libération  totale  du  paiement 
des  primes  et.  movennant  un  faible  supplément  de 
prime,  la  libération  paidielle,  si  l’invalidité  n’est  point 
complète. 

Parfois,  le  système  de  continuation  automatique  de 


Î80 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rassLirance  est  appliqué,  à savoir  Tatiéctation  au  paie- 
ment des  primes,  si  l’assuré  ne  peut  j)lus  les  payer,  de 
la  réserve  mathématique. 

Les  primes  ne  sont  pas  strictement  exigées  à 
l’échéance  ; il  est  accordé  un  délai  de  yràce  de  deux  à 
neuf  semaines  ; parfois,  ce  délai  est  suivi  d’un  sursis, 
après  l’expiration  duquel  il  est  exigé  un  versement 
supplémentaire  à titre  d’amende. 

Le  rachat  est  refusé  ou  très  limité.  Les  conditions 
de  libération  des  polices  sont  varialdes. 

Dans  ioutes  les  compagnies,  les  assurances  popu- 
laires partici])ent  aux  bénéfices. 

L’assurance  la  ])lus  répandue  est  l’assurance  en  cas 
de  vie  ; elle  est  six  fois  plus  frécjuente  ([ue  l’assurance 
au  décès. 

iNi  les  pouvoirs  publics,  ni  le  })atronat  n’accordent 
de  subsides  aux  assurances  populaires. 

L’exploitation  des  assurances  populaires  étant  ré- 
cente, il  serait  dillicile  de  faii-e  le  départ  des  défauts 
(jui  leur  sont  jtropres.  On  a remarqué,  cependant, 
([ii’elles  subissaient  de  fort  nombreuses  déchéances  et 
([ue  les  agents  y commettaient  plus  d’abus  que  dans  les 
assurances  ordinaires. 

Lue  inspection  d’Etat  contnMe  la  comptabilité  des 
compagnies  d’assurances.  Une  loi  réglant  le  fonction- 
nement des  assuranc('s  populaires  est  en  ])réparation. 

FRANCE 


En  France,  la  distinction  entre  l’assurance  })0})ulaire 
et  l’assurance  ordinaire  tient  plutôt  au  mode  de  recou- 
vrement des  ]»rimes  et  à leui-  taux  (pi’au  montant  du 
capital  assuré.  Ce  n’est  pas  par  la  catégorie  à laquelle 
elles  ajtpartiennent  que  les  personnes  dépendent  de 


l’assurance  populaire  sur  la  vie 


481 


l’une  ou  de  l’autre  de  ces  assurances,  mais  par  l’effort 
de  prévoyance  qu’elles  peuvent  ou  entendent  faire. 

On  n’assigne  comme  Imt  précis  à l’assurance  popu- 
laire que  le  paiement  des  frais  de  funérailles,  la  con- 
stitution au  décès  du  chef  de  famille  d’iim^  somme 
permettant  aux  survivants  d’organiser  leur  existence 
nouvelle,  la  dotation  des  enfants,  l’amortissement  de  la 
somme  restant  due  sur  un  prêt  contracté  près  d’un 
organisme  de  crédit  }iopulaire.  En  dehors  de  ces  éven- 
tualités, on  estime  que  l’assuré  ignore,  au  juste,  ce  qu’il 
fera  d’un  capital  lui  échéant  à un  certain  moment. 

On  consi(lère  que  l’assurance  la  jilus  digne  d'être 
encouragée  est  l'assurance  au  décès  et  que  l’assurance 
mixte  et  l’assurance  en  cas  de  vie  conviennent  plutôt 
à l’élite.  Ce  sont,  cependant,  ces  dernières  assurances 
qui  ont  le  plus  de  chance  de  se  développer  ; l’on 
donne  la  préférence  à l’assurance  mixte,  car  l’assu- 
rance en  cas  de  vie,  même  avec  remboursement  des 
primes  versées,  ne  procure  aucune  ressource  à la 
famille,  ou  n’en  procure  presque  pas,  si  son  chef 
meurt  jeune. 

On  oudrait  que  1 assurance  au  deces.  la  seule  qui 
soit  vraiment  accessible  aux  personnes  les  plus 
modestes,  fVit  subsidiée  et  que  l’assurance  mixte  fût 
vulgarisée.  On  ne  se  refuse,  d’ailleurs,  systématique- 
ment à aucune  combinaison  adéquate  aux  différents 
objets  que  peut  poursuivre  l’assurance  populaire  et 
qu’elle  poursuit  dans  d’autres  pays. 

L’assurance  populaire  devant  être  d’un  fonctionne- 
ment simple,  on  préfère  les  primes  constantes  hebdo- 
madaires, bi-mensuelles  ou  mensuelles.  On  ne  rejette 
pas  des  contrats  additionnels  à primes  uniques. 

L’assurance  populaire  n’est  réellement  pratiquée  en 
France,  et  dans  des  proportions  restreintes,  que  près  de 
la  Caisse  Nationale  d’ Assurance  et  de  certaines  com- 
pagnies étrangères.  Beaucoup  de  sociétés  de  secours 


482 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


mutuels  allouent  une  certaine  somme  au  décès  de  leurs 
membres  ; toutefois,  en  général,  il  ne  s’agit  pas  là  de 
véritables  assurances,  mais  d’allocations  spéciales  et 
accessoires.  Peu  de  sociétés  tiennent  en  cette  matière 
une  comptabilité  séparée  et  technique. 

Bien  que  les  sociétés  à forme  tontinière  et  les  sociétés 
de  ca})italisation.  inconnues  ou  proscrites  presque  par- 
tout ailleurs  ([u'en  France,  ne  soient  pas  de  pures  insti- 
tutions d'assurance,  ou  n’en  aient  que  l'ajiparence,  on 
ne  peut  les  passer  sous  silence.  Elles  ont  pris  une  place 
que  personne  n’avait  essayé  de  ju-endre  et  ont  acquis 
droit  de  cité. 

La  (laisse  Nationale  d'Assurance.  créée  en  1808,  ne 
s'est  réellement  dévelopjiée  ({ue  dans  ces  dernières 
années.  Au  début,  ses  tarifs  étaient  limités  à des  assu- 
rances vie-entière  individuelles  et  à des  assurances 
temporaires  d’une  année  au  profit  des  sociétés  de 
secours  mutuels.  Successivement,  les  oj)érations  sui- 
vantes lui  furent  permises  : en  1891.  assurances  tem- 
poraires sur  la  tète  d'acquéreurs  de  jtetites  ju'opriétés; 
en  1S97.  assurances  mixtes;  en  1910,  assurances  de 
capitaux  différés  pouvant  être  transférés  en  une  seule 
fois  à la  (laisse  Nationale  des  Retraites  })Our  la  vieil- 
lesse en  vue  de  l’acipiisition  de  rentes  viagères,  soit 
personnelles,  soit  réversibles  sur  la  tète  du  conjoint 
survivant.  (Jette  dernière  disposition  a été  étendue  aux 
capitaux  constitués  par  l'assurance  mixte.  Enfin,  la 
(Jaisse  Nationale  jteut.  res[»ectivemenf  depuis  DIO  et 
depuis  1911,  passer  des  contrats  d'assurance  tempo- 
raire pour  garantir  le  i-emboursement  des  prêts  con- 
sentis par  les  sociétés  de  crédit  agricole  et  les  sociétés 
de  crédit  maritime. 

Il  y a dix  ans,  les  caj)itaux  assurés  par  la  (laisse 
Nationale  atteignaient  à peine  le  chitlre  de  11  OOOC0J 
fram;s;  au  31  décembre  1913,  ils  s’étaient  élevés  à 
.07  6()5  0'K)  francs  se  répartissant  comme  il  suit  : 


l’assurance  POPT’LAIRE  si  r la  vie 


483 


Assurances  vie-eutière  indivi- 
duel les  

Assurances  collectives  tempo- 
raires des  sociétés  de  se- 
cours mutuels 

Assurances  mixtes  . . . . 

Assurances  de  capitaux  dif- 
férés   

Assurances  temporaires  de 
crédit  populaire  .... 

Totaux  : 


Montunt  uxxnri' 
en  francii 

Sombre 

tt'iiasiirés 

i 00(1 

8 701 

18  198000 

t5  504  ^ 
/ 

1 881  000 

718 

8 89-2  000 

28  848 

24  J 77  000 

4 455 

57  005  000 

82  781 

Les  assurances  vie-entière,  limitées  à 30rX)  francs, 
sont  à jiriines  uniques  ou  à primes  annuelles  viagères 
ou  temporaires.  La  visite  médicale  n’est  pas  obliga- 
toire, elle  peut  être  remplacée  par  un  .stage  de  deux 
années. 

liCs  assurances  collectives  des  sociétés  de  secours 
mutuels  sont  limitées  à lOOü  francs  par  tète  de  membre 
et  tous  les  membres  des  sociétés  assurées  doivent  être 
assujettis  à l’assurance.  Les  assurances  sont  conclues 
pour  un  an  ; il  est  tenu  compte,  dans  une  certaine 
mesure,  pour  une  même  société,  des  résultats  des  assu- 
rances antérieures.  En  1903,  les  sociétés  ont  obtenu  la 
faculté  rie  se  grouper  afin  d’équilibrer  les  risques  de 
mortalité. 

Les  assurances  mixtes  ne  peuvent  dé])asser  3(XKj  fr.  ; 
leur  conclusion  est  subordonnée  à un  examen  médical. 
Les  primes  sont  annuelles, trimestrielles  ou  mensuelles. 

Les  assurances  de  capitaux  différés  sont  limitées  à 
5000  francs,  l^es  versements  de  primes  sont  effectués, 
au  gré  de  l’assuré,  à des  intervalles  aussi  rapprochés 
ou  aussi  éloignés  qu’il  le  désire  ; ces  versements  ne 
doivent  pas  être  d’un  montant  constant,  mais  ils  ne 
peuvent  être  inférieurs  à un  franc. 


184 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Les  assurances  se  cuiiuilent  entre  elles  en  respectant 
les  limites  indiquées  ci-dessus.  Sont  atiranchies  de 
limitations  les  assurances  souscrites  en  vertu  d’une  loi 
ou  d’un  déci-et  imposant  pour  un  personnel  déterminé 
la  constitution  de  retraites  ou  d'allocations  au  décès. 

Les  assurances  de  crédit  poj)ulaire  n’ont  d’autres 
limitations  (pie  celles  ([ui  sont  appliquées  aux  montants 
des  jiréts  eux- mêmes.  Ces  assui-ances  sont  à primes 
uniques  ou  à primes  annuelles  constantes  ou  variables. 
Dans  ce  dernier  cas,  les  primes  sont  jiroportionnées 
aux  ris([ues  de  l'année  d'assurance  considérée  et  elles 
sont  généralement  décroissantes.  Le  mode  le  plus 
employé  est  celui  de  la  [u-inie  uniifue  incorporée  au  prêt. 

Les  compagnies  d’assurances  françaises  ne  se  sont 
pas  intéressées  au  déveloitpement  de  l’assurance  popu- 
laire : ce  sont  des  comjiagnies  étrangères  qui,  princi- 
palement dans  le  Nord  de  la  France,  en  ont  commencé 
l’exploitation. 

Actuellement,  grâce  à la  loi  de  contr(Me  du  17  mars 
190b,  les  assurés  trouvent  auprès  des  compagnies  des 
garanties  qui  n’existaient  pas  auparavant  ; toutefois, 
si  le  contrôle  s'ap[)li({ue  au  fonctionnement  technique 
des  assurances,  il  ne  s’adresse  nidlenient  aux  condi- 
tions des  polices. 

Les  compagnies  les  jilus  importantes  assurent  envi- 
ron ()9  OüJ  ÜOJ  francs  (hï  capitaux  jiour  250  000  [)olices. 

Les  sociétés  tontinières  sont  formées  d'un  certain 
nomljre  d’associations  tontinières  constituées  ordinaire- 
ment ])ar  les  personnes  ayant  souscrit  durant  un  exer- 
cice déterminé  (l'"*'  janvier-31  décembre)  un  certain 
nombre  de  parts.  Chaque  [)art  comporte  l’obligation 
de  j)a\'er  des  cotisations  i»ériodiques,  généralement 
mensuelles.  Lin  type  courant  est  la  part  de  KJOO  francs 
payables  en  13  annuités  de  72  francs  (0  fr.  ))ar  mois) 
et  une  annuité  (la  deimière)  de  04  fr. 

A une  épo([ue  bxe,  dans  le  cas  ci-dessus,  15  ans 


l'assurance  populaire  sur  la  vie 


48:) 

après  la  fondation,  toutes  les  valeurs  appaidenant  à 
l’association  sont  vendues  et  le  produit  de  la  vente  est 
réparti  entre  les  membres  survivants.  Le  barème  de 
répartition  tient  compte  de  l’age  et  de  dittérentes  cir- 
constances. Ceux  qui  ont  suspendu  leurs  versements 
perdent  tout  ou  partie  de  leurs  droits. 

A côté  des  associations,  dites  en  cas  de  vie,  qui  sont 
définies  ci-dessus,  fonctionne  toujours  une  association, 
dite  en  cas  de  décès.  L’association  en  cas  de  décès 
s'ouvre  le  L’’ janvier  de  chaque  année  pour  se  dissoudre 
le  31  décembre  suivant  ; cette  association  assure,  au 
minimum,  à ses  membres,  moyennant  une  cotisation 
dépendant  de  l’Age  et  de  la  somme  à percevoir  éven- 
tuellement, le  remboursement  au  décès  des  sommes 
versées  à l’association  en  cas  de  vie.  Les  cotisations 
comprennent  les  frais  de  gestion  et  un  chargement  de 
.üO  ° O de  la  })rime  pure.  Grâce  aux  circonstances  sui- 
vantes : délais  imposés  aux  personnes  nouvellement 
affiliées,  déchéances,  bénéfices  de  mortalité,  les  répar- 
titions en  cas  de  décès  sont  très  libérales  et  servent  la 
pro[)agande  de  la  société. 

Si  dans  les  opérations  des  assurances  tontinières 
l’àge  des  membres  est.  pris  en  considération,  il  n’inter- 
vient niilleinent  dans  celles  des  sociétés  de  capitalisa- 
tion. Ces  dernières  s'engagent  à payer  au  liout  d’un 
certain  tenqis  un  capital  déterminé  à la  généi-alité  de 
leurs  meml)res  ; ])ar  voie  de  tirage  au  sort,  ce  capital 
est  payé  à un  certain  nombre  d’entre  eux  avant 
l’échéance.  Le  type  le  plus  répandu  est  celui  du  bon 
de  capitalisation  de  1030  fr.  remlioursable  au  bout  de 
15  ans  ; les  tirages  portent  sur  deux  titres  par  mille 
et  par  an.  La  cotisation  mensuelle  est  de  5 francs. 

Les  sociétés  tontinières  et  les  sociétés  de  capitalisa- 
tion sont  soumises  au  contrôle  de  l’Etat.  Leurs  comptes 
rendus  ne  donnent  pas  de  renseignements  sur  le  nombre 
et  la  qualité  de  leurs  membres. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


iHi) 


Voici,  an  décembre  1912  quelques  renseigne- 
ments statisti([ues  : 

Sociétés  tontmières  (Association  en  cas  de  vie).  — 
Polices  avec  indication  du  montant  des  ]>arts  : nombre 
(parts  de  120  à 1000  fr.)  : 1 221  P)9  ; montant  des 
parts  : S85  492  156  fr.  Polices  sans  indication  du  mon- 
tant des  parts  : nombre  de  polices  : 76  886  ; montant 
des  polices  : 817  118  000  fr. 

Sociétés  (te  capitalisation.  — Nombre  de  titres  : 
1 664  51  4 ; montant  des  titres  : 1 132  922  865  fr. 

Pn  Fi'ance,  rassurance  po})ulaire  est  soutenue  jiar 
l’Etat.  Aussi  Inen,  la  Caisse  Nationale  d’Assurances 
en  cas  de  décès  est  gérée  gratuitement  par  la  Caisse 
des  Dépôts  et  Consignations;  ses  tarifs  sont  dressés  en 
judines  pures  et  sont  sensiblement  moins  élevés  que 
ceux  des  compagnies  privées.  Les  opérations  de  la 
Caisse  Jouissent  des  privilèges  suivants  : délivrance 
gi'atuite  de  différents  certificats  et  d'actes  de  notoriété, 
dispense  des  droits  de  timbre  et  d'eni'egistrement, 
franchise  postale.  Toutefois,  la  clientèle  de  la  Caisse 
n'augmente  que  grâce  aux  colh'ctivités  ; les  isolés 
s'abstiennent. 

r.es  l)é[)artements  et  les  Communes  n'encouragent 
rassurance  pO[)ulaire  que  par  quehpies  subventions 
accordées  aux  sociétés  de  secours  mutuels.  Le  patronat 
intervient  rarement  ; son  aide  est  plutôt  acquise  à 
l'épargne  et  à la  retraite. 

Le  }trincipal  alms  de  fonctionnement  de  l’assurance 
populaire  en  France  consiste  dans  la  pré])ondérance 
des  combinaisons  tontinières  et  de  ré))artition.  Ces 
combinaisons  ont  souvent  fait  des  victimes  ([ui  sont 
devenues  des  adversaires  de  la  véiàtable  assurance, 
(pliant  à celle-ci,  on  ne  jieut  dénoncei*  de  défauts 
excessifs  relativement  au  recrutement  des  assurés, 
à la  percejttion  des  primes,  aux  clauses  de  déchéance 
et  de  réduction  et  au  i*aiement  des  ca})itaux.  En 


l’assurance  populaire  sur  la  vie 


487 


général,  la  concurrence  a fait  aux  assurés  des  condi- 
tions suffisamment  avantageuses. 

Dans  le  domaine  des  frais  d’administration,  des  abus 
ont  été  reprochés  aux  sociétés  de  gestion  qui,  mo_yen- 
nant  une  part  sur  les  souscriptions  ou  les  cotisations,  se 
chargent  de  gérer  les  sociétés  d’assurance.  La  société 
de  gestion  a intérêt  à recruter  de  nouveaux  adhérents, 
elle  en  a moins,  ou  pas  du  tout,  à les  garder.  C’est  un 
vice  fondamental.  Si,  par  ailleurs,  la  société  de  gestion 
fait  de  mauvaises  affaires,  la  société  d’assurance  est 
mise  en  préjudice. 

On  ne  croit  pas  en  France  à la  }u)ssibilité  d’intertlire 
les  opérations  des  sociétés  tontinières  et  de  cajdtalisa- 
tion,  opérations  qui  sont,  d’ailleurs,  contrôlées  de  façon 
à éviter  les  abus  graves.  C’est  au  temps  à faire  son 
œuvre  en  faveur  de  modes  de  prévoyance  ])lus  logiques 
et  plus  équitables.  En  attendant,  l’Etat  doit  par  une 
réglementation  de  plus  en  [dus  étroite  tem[)érer  et  sup- 
primer la  propagande  exagérée  de  ces  institutions  et 
empêcher  l’action  préjudiciable  des  sociétés  de  gestion. 

A l’initiative  privée  de  s’employer  à vulgariser  et  à 
améliorer  l’assurance  populaire  sur  la  vie  et  de  mani- 
fester surtout  son  initiative  auprès  des  sociétés  de 
secours  mutuels.  Il  faudra  faire  quelque  peu  violence 
au  sentiment  du  ])ublic  ; les  préférences  du  travail- 
leur français  en  matière  de  prévoyance  s’adressent  à 
l’épargne  ; aussi,  les  succès  oldenus  par  l’assurance 
populaire  dans  les  pays  anglo-saxons  et  germaniques 
ne  doivent  pas  faire  illusion. 

11  n’existe  pas  en  P’rauce  de  réglementation  spéciale 
des  assurances  de  petits  cajiitaux  ; il  n’existe  qu’une 
réglementation  générale  des  entreprises  d’assurance 
sur  la  vie  et  des  sociétés  tontinières,  de  cajiitalisation 
et  d’épargne.  Les  différentes  lois  qui  forment  cette 
réglementation  contrôlent  le  fonctionnement  des  orga- 


REVUE  DES  QT'ESTIOXS  SCIENTIFIQUES 


iS8 

nismes,  mais  ne  réglementent  pas  le  contrat  d’assu- 
rance. Toutefois,  se  reposant  sur  l’action  salutaire  de 
la  libre  concurrence,  on  estime  qu’il  n’esl  pas  néces- 
saire, })our  le  moment,  d’étendre  la  réglementation  à 
de  nouveaux  chapitres. 


rrALiE 

L’assurance  populaii“e  à primes  minimes  hebdoma- 
daires sans  visite  médi(*ale  ou  à visite  médicale  atté- 
nuée, n’existe  pas  en  Italie.  On  peut  seulement  con- 
stater une  certaine  tendance  cà  cette  assurance  ; à l’Etat 
de  l’accentuer  et  d’en  former  des  réalités  avec  l’aide  de 
la  loi  du  4 avril  iOl'i  sur  le  monopole  des  assurances. 

Les  sociétés  mutualistes  comptant  au  moins  lOOmem- 
bres  ont  la  faculté  d’obtenir  la  personnalité  Juridique 
et  de  s’assujettir  au  droit  commun,  pour  entreprendre 
des  opérations  d’assurance.  Le  Conseil  de  Prévoyance 
estime  qu’elles  peuvent  traiter  des  assurances  au  décès 
et  des  assui’ances  à terme  fixe. 

Ne  sont  pas  soumises  au  monopole,  les  assurances  à 
base  technique  des  Caisses  de  l’révoyance,  constituées 
en  sociétés  mutualistes  et  qui,  antérieurement  à la  loi, 
avaient  obtenu  la  pei’sonnalité  juridique,  de  même  que 
les  assurances  ne  déliassant  jias  100  lire,  des  sociétés 
<le  secours  mutuels. 

lies  sociétés  d’assurances  étrangères  avaient  acca- 
paré en  Italie  les  plus  grosses  affaires  ; les  sociétés 
nationales,  au  nombre  de  04  au  01  décembre  1909, 
n’ont  commencé  à traiter  l’assurance-vie  qu’en  1901. 
S’adressant  à une  clientèle  moins  aisée,  le  chiffre 
moyen  de  leurs  polices  est,  en  général,  moins  élevé 
que  celui  des  polices  des  sociétés  étrangères.  C’est  ce 
que  montre  le  tableau  suivant  : 


l’assurance  populaire  sur  la  vie 


489 


Capital  moyen  ass%iré 

Sociétés  Sociétés 
nationales  étrangères 

Assurances  (le  capitaux  (lillerés  . . . (iT^O  lire  i0  05!2  lire 

Assurances  temporaires J J 18  » 8172  » 

Assurances  mixtes  ou  à termes  fixes  . 4505  » o(i07  » 

Cet  abaissement  du  cajiital  moj'en  assuré  mai'que  le 
chemin  parcouru  vers  la  petite  assurance,  voire  vers 
l’assurance  populaire. 

La  loi  sur  le  monopole  a ordonné  la  liquidation  des 
associations  tontinières  et  de  répartition  qui  avaient  été 
légalement  organisées,  en  1902,  sur  la  base  de  la  mutua- 
lité et  de  la  coopération.  Les  membres  de  ces  asso- 
ciations peuvent  être  repris  par  l’Institut  national  de 
prévoyance  ou  par  l’Institut  national  d'assurances. 

Les  opérations  des  associations  tontinières  et  de 
répartition  avaient  pris  un  développement  rapide,  parce 
qu'elles  présentaient  les  caractères  suivants  : fraction- 
nement des  primes  en  quotités  mensuelles,  modicité 
du  capital  assuré,  atténuation  ou  suppression  de  la 
visite  médicale. 

Pour  l’exercice  1910,  ces  associations  avaient  percju 
()4  8.5G25  lire  de  droits  d’entrée  et  82.5  680  21  lire  de 
versements  pour  des  assurances  en  cas  de  vie  et  en 
cas  de  décès.  Le  départ  entre  ces  deux  espèces  d’assu- 
rances n'est  pas  connu. 


GRAND-DUCHÉ  DE  LUXEMBOURG 


Les  assurances  ])opulaires  luxembourgeoises  com- 
prennent : des  assurances  pour  frais  de  funérailles  de 
300  à 600  francs,  pratiquées  par  les  sociétés  mutua- 
listes ; des  assurances  habitations  ouvrières,  conclues 
près  d’une  société  étrangère  à l'intervention  de  la 


190 


REVI’K  DES  (jil'ESTIOXS  SCIENTIFIQUES 


Caisse  d’Epargne  du  (Irand- Duché  ; de  petites  assu- 
rances contractées  }trés  d’une  société  privée. 

Les  assurances  pour  frais  de  funérailles  (8732  per- 
sonnes assurées)  ne  comportent  pas  d’examen  médical  ; 
les  assurés  sont  déchus  de  leurs  droits  par  exclusion 
de  la  société  mutualiste  en  cas  de  non  paiement  des 
(ïotisations  malgré  avertissement.  Les  cotisations  sont 

O 

adressées  directement  aux  sociétés  ou  perçues  par 
l’intermédiaire  de  la  i)Oste. 

Les  petites  assurances  les  plus  fréquentes  sont  des 
assurances  mixtes  de  ÔO  à 25(1)  francs,  à primes  heb- 
domadaires sur  la  tête  d’un  enfant.  Les  primes  sont 
encaissées  à domicile,  soit  par  les  agents  de  la  com- 
pagnie, soit  ])ar  mandat. 

L’Etat  alloue  aux  sociétés  mutualistes  des  subven- 
tions calcuh'es  sur  la  base  du  nombre  des  membres  et 
du  montant  des  recettes  et  des  dépenses.  Les  sociétés 
jouissent  de  la  framdiise  })Ostale  pour  leurs  correspon- 
dances avec  certaines  autorités. 

Les  agents  d(i  la  compagnie  privée  ])rès  de  laquelle 
sont  conclues  les  petites  assurances  doivent  être  agréés 
par  le  (Gouvernement  ( irand-Ducal.  L’agréation  est 
retirée  aux  agents  qui  font  l’objet  de  ])laintes  justifiées. 

Afin  d’éviter  de  trop  nomfireuses  déchéances,  on  a 
})rescrit  que  la  perception  des  primes  se  ferait  à domi- 
cile à des  dates  clairement  fixées  par  les  polices  et 
que  les  assurés  ne  pourraient  être  déchus  ({u’a}>rès  un 
certain  délai  et  a})i‘ès  un  avertissement  recommandé. 

La  déchéance  est  intei-dite  après  une  certaine  durée 
de  contrat:  dans  ce  cas,  la  libération  de  la  jtolice  est 
de  règle. 


PAYS-BAS 

L'assurance  populaii*e  a }uis  dans  les  Pays-Bas  un 
dévelo])pement  extraordinaire,  mais  elle  y est  ce  que 
les  com[tagnies  d’assurances  l’ont  faite.  AYrs  1890, 


L ASSI'RANCE  POITLAIRE  SUR  LA  VIE 


491 


l’opinion  publique,  vivement  occupée  de  rassimince 
populaire,  provoqua  une  empiète  très  ajiprofondie. 
Actuellement  la  ({uestion  de  l’assurance  obligatoire  a 
relégué  dans  l’ombre  celle  de  l’assurance  populaire  et 
retient  l’attention  presque  tout  entière  des  sociologues 
et  des  hommes  d’œuvres.  Leur  abstention  exjilique 
celle  des  pouvoirs  jmblics. 

Dans  les  Pays-Bas,  on  n’entend  par  assurance  pojm- 
laire  que  l’assui-ance  de  très  faibles  capitaux  à [irimes 
hebdomadaires.  En  moyenne,  la  somme  assurée  n’ex- 
cède }ias  (m  tlorins.  Presijue  toujours  elle  est  destinée 
au  paiement  de  frais  de  funérailles.  Généi-alement, 
toute  la  famille  est  assurée  et.  Jusqu’à  un  certain  âge, 
les  enfants  sont  compris  dans  l’assurance  des  parents. 

L’assurance  pojmlaire  n’est  pratiquée  que  par  des 
compagnies  [irivées  et  par  des  caisses  funéraires  re- 
montant aux  Guildes  et  d(.)iit  quelques-unes  datent  du 
XIV®  siècle.  Lors  de  la  Révolution  fi-ançaise,  la  ])lu])art 
des  anciennes  caisses  disjtarui-ent,  d’autres  les  rempla- 
cèrent. 

Les  caisses  funéraires,  basées,  toutes,  sur  le  jirin- 
cipe  de  la  mutualité,  jirésentèrent,  cependant,  de 
grandes  ditlérences  quant  à leur  importance,  à leur 
organisation  et  à leur  gestion.  On  peut  leur  reprocher 
bien  des  abus,  mais  ces  abus  ne  firent  pas  scandale. 

Jusqu’en  lN()0,les  caisses  funéraires  eurent  le  mono- 
])ole  de  l’assurance  populaire.  Après  1800,  des  sociétés 
furent  fondéi^s  pour  l’exploitation  simultanée  de  la 
grande  assurance-vie  et  de  l’assurance  populaire  ; elles 
ne  tardèrent  jias  à i-éunii*  une  clientèle  nombreuse  et, 
après  quelques  délniires,  réalisèrent  de  très  beaux 
bénéfices. 

Les  caisses  funéraires  perdirent  du  terrain.  Les  plus 
fortes,  les  mieux  gérées,  souvent  en  se  réunissant 
entre  elles,  se  réorganisèrent  en  sociétés  anonymes  ou 
en  compagnies  mutuelles.  Dans  l’entretemps.  de  nou- 
velles sociétés  })rivées  virent  le  Jour  et,  par  le  Jeu  d'une 


192 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


intense  concurrence,  l’assurance  des  trais  de  funé- 
railles prit  un  développement  considérable. 

En  1891,  il  existait  24  sociétés  anonymes,  9 com- 
pagnies mutuelles  et  400  caisses  funéraires  pratiquant 
l’assurance  populaire  ; 315  de  ces  organismes,  dont  le 
recensement  des  opérations  avait  été  possible,  assu- 
raient 1 959  906  personnes  pour  127  031  155  tlorins. 

En  tenant  compte  des  enfants  compris  dans  l’assu- 
rance des  ]mrents,  on  estimait,  alors,  à 2 212  407  le 
nombre  des  personnes  assurées,  soit  la  moitié  de  la 
population. 

Après  1891.  on  continua  de  fonder  de  nouvelles 
sociétés  et  la  concurrence  dépassa  toute  limite.  On 
enrfda  les  assurés  sans  contrôle,  ni  garantie;  le  nombre 
des  déchéances  aimmenta,  les  Irais  de  réclame  et  de 
perception  de  primes  montèrent,  rimportance  des  agents 
devint  excessive.  Les  petites  caisses  funéraires  pâtirent, 
d’abord,  de  la  situation,  puis,  les  petites  compagnies. 
Les  grandes  et  anciennes  compagnies  souH'rirent  moins 
et,  en  général,  demeurèrent  tlorissantes. 

Actuellement,  le  plus  grave  de  la  crise  est  passé. 
Lepuis  une  dizaine  d’années  on  n’a  ])resque  plus  fondé 
de  compagnies  ; plusieurs  ont  disparu.  Toutefois,  le 
nombre  des  compagnies  existantes  est  encoi-e  troj)  élevé. 

Il  est  impossible  d’établir  à ce  jour  la  statistique  de 
rassui-ance  populaire  pro])rement  dite  (assurance  de 
très  petits  cajiitaux  à primes  hebdomadaii'es).  En  con- 
sidérant globalement  cette  assurance  et  l’assurance  de 
petits  capitaux,  on  jieut,  ]iour  1912.  dresser  le  tableau 
apjtroximatif  suivant  : 


D(’SH/)tntion  des  or-  yonibre  des 
nanismes  d'assurances  organismes 

iSombre  de 
contrais 

Sommes  assurées 

Sociétés  aiionvines  54 

3 380  000 

320  500  000  lloriiis 

» mutuelles  23 

J 021  (iOO 

80  885  000 

» 

» coopératives  2 

22  205 

J 831  000 

» 

(laisses  funéraires  25 

338  000 

22 130  000 

n 

Totaux  J 04 

4 7()'i  805 

m 430  000 

)> 

l’assuranck  popt^laire  sur  la  vie 


493 


Pour  5 sociétés  et  48  (1)  caisses  funéraires  les  chif- 
fres manquent. 

En  tenant  compte  de  ce  ([ue  des  milliers  d’assurés 
possèdent  plus  d’un  contrat,  on  peut  admettre  que 
\ 3 '4  millions  de  personnes  forment  la  clientèle  de 
l'assurance  pojiulaire  proprement  dite  et  de  la  petite 
assurance.  On  peut  admettre,  aussi,  que  dans  les  milieux 
auxquels  convient  une  assurance  de  05  llorins,  tout  le 
monde,  hommes,  femmes  et  enfants,  est  assuré. 

(Quelques  compagnies  ont  une  clientèle  très  étendue. 
L’«ütrecht  »,  au  31  décembre  1913,  possédait  827  317 
contrats  en  cours. 

Par  suite  de  la  concurrence,  les  tarifs  ont  beaucoup 
baissé.  L’«  Utrecht  » demande  quatre  cents  par 
semaine  jusqu’au  décès  pour  une  assurance  de 
100  florins,  réduite  à 20  tiorins  par  année  d’àge  si 
le  décès  se  produit  avant  l’àge  de  cinq  ans. 

r/examen  médical  n’est  prescrit  que  rarement  et  est 
toujours  très  sommaire.  La  déchéance  est  encourue 
par  le  non-])aiement  des  primes  pendant  quehpies 
semaines,  ordinairement  quatre,  parfois  six,  ou  plus. 

Plusieurs  compagnies  et  des  plus  grandes  admettent, 
sur  demande,  le  rétablissement  des  contrats  dans  un 
délai  de  quelques  mois,  six,  en  mo_yenne.  Presqiu'  tonies 
les  compagnies  excluent  le  rachat.  Quelques  compa- 
gnies importantes  autorisent,  sur  ilemande,  et  à des 
conditions  diverses,  la  libération  des  polices. 

Exception  faite  pour  les  rares  caisses  funéraires, 
organisées  par  des  sociétés  ouvrières,  les  assurés  sont 
recrutés  par  des  agents.  L’agent  est  le  pivot  de  l'assu- 
rance po})ulaire  dans  sa  forme  actuelle.  Les  assurés  et 
l'assureur  ne  connaissent  que  lui.  Sa  rétribution  est, 
ordinairement,  de  i florin  [)ar  enrôlement  et  de  20  ‘’O 
des  primes,  I^es  primes  se  pei’çoivent  à domicile. 

il)  Nomlire  iipjiroximiUif  d'assurés  : loOdlHI. 

IIl<=SÉlilE.  T.  XXVI.  :r> 


494 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


L’assurance  au  décès  à primes  viagères  est  la  plus 
fréquente,  mais  l’assurance  au  décès  à primes  tempo- 
raires gagne  de  plus  en  plus  de  terrain.  Les  autres 
combinaisons  d’assurance,  assurance  temporaire,  assu- 
rance mixte,  assurance  de  capitaux  diitérés  ou  à terme 
tixe,  sont  peu  usitées. 

L’assurance  populaire  souffre  beaucoup  de  la  défail- 
lance des  assurés  et  des  déchéances.  Une  grande  partie 
des  déchéances  sont  onéreuses  pour  les  compagnies, 
mais  on  prétend  qu’elles  trouvent  compensation  dans 
les  autres. 

Pas  d’ahus  quant  aux  frais  d’administration.  Ceux-ci 
sont  élevés  : 40  °/o  des  primes. 

En  1912,  le  législateur  a été  saisi  d’un  projet  de  loi 
sur  l’assurance- vie  qui  restreint  la  liberté  presque  abso- 
lue laissée  jusqu’à  présent  aux  assureurs,  mais  qui  ne 
s’applique  pas  aux  contrats  de  moins  de  200  florins. 
En  pratique,  les  caisses  funéraires,  c’est-à-dire  les 
organismes  qui  offrent  le  moins  de  garantie,  continue- 
raient d’échapper  an  contrôle  et  à la  réglementation, 
d’autant  jdus  qu’il  n’existe  pas  de  loi  sur  les  sociétés 
mutualistes. 

Quelles  conclusions  générales  jtourrait-on  tirer  des 
aperçus  précédents  sur  l’état  de  l’assurance  populaire 
en  Allemagne,  en  Autriche,  en  Belgique,  en  Finlande, 
en  France,  en  Italie,  dans  le  Grand  Duché  de  Luxem- 
bourg, dans  les  Pays-Bas,  en  tenant  compte,  aussi, 
pour  les  formuler,  du  développement  de  cette  assui“ance 
chez  les  nations  anglo-saxonnes  et  des  circonstances 
de  ce  développement  ? D’abord,  il  semble  bien  que  l’on 
ne  puisse  concevoir  une  sorte  de  système  universel 
d’assurance  populaire,  auquel  s’opposent,  comme  dans 
la  plupart  des  domaines,  les  diversités  nationales  de 
tempérament,  d’habitudes  et  de  traditions.  Quelque 
qualité  ou  quelque  tendance  inhérente  à la  race  ou  au 


l’assurance  l’OPULAlRE  Sl^R  LA  VIE 


495 


milieu  influence  toujours  les  institutions,  tant  publiques 
que  privées  : ici,  ce  sera  l’individualisnie,  là,  l’esprit 
d’association,  ailleurs,  un  sentiment  jtarticulier  de  la 
discipline.  Disons,  dans  cet  ordre  d’idées,  que  des  dis- 
cussions d’école  entre  les  mérites  abstraits  de  tel  et  de 
tel  système  sont  de  vains  débats  sans  portée  pratique. 
Des  faits,  nous  pouvons  évidemment  dégager  quelques 
conséquences,  mais,  si  elles  sont  heureuses,  nous  ne 
pouvons  vouloir,  ni  même  espérer,  que  les  faits  dont 
elles  découlent  se  généralisent  partout. 

Disons  encore  qu’il  faut  se  garder  de  confusion  de 
cause  à effet,  en  attribuant  trop  d’importance,  par 
exemple,  dans  le  développement  de  l’assurance  et  dans 
son  épuration,  à un  statut  coordonnant  des  procédés 
fragmentaires  consacrés  par  l’usage  et  à des  prescrip- 
tions légales  ou  administratives  qui  ne  seraient,  sous 
l’apparence  d’une  intervention  étatiste,quedes  mesures 
régulatrices  ou  consolidantes. 

Lorsque  le  sentiment  populaire  se  prête  au  dévelo})- 
pement  de  l’assurance,  et  que  les  assurés  ne  s’orga- 
nisent pas  ou  ne  sont  pas,  au  pi-éalable,  organisés  pour 
se  défendre  contre  les  abus  des  compagnies,  si  celles-ci 
ne  sont  soumises  à une  réglementation,  ou  tout  au 
moins  à une  surveillance  officielle,  la  libre  concurrence 
pousse  à l'exagération  du  nombre  des  organismes 
assureurs.  La  valeur  intrinsèque  de  l’assurance  et  son 
mérite  moral  diminuent. 

On  ne  peut,  en  général,  méconnaître  l’importance, 
l’utilité,  la  nécessité  de  lois  ou  de  règlements  couvrant 
de  leur  égide  l’assurance  populaire  et  i[iii,  sans  porter 
une  atteinte  injustiflée  à l’initiative  des  entreprises 
privées,  tempèrent  leur  action  et  la  maintiennent  dans 
le  cadre  d’opérations  licites,  où  l’assuré  et  l’assureur 
trouvent  tous  deux  leur  compte  et  s’accordent  dans  des 
rapports  d’honnêteté  et  de  confiance  réciproques. 

Lorsque  par  la  force  de  la  loi  ou  du  règlement,  ou 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


j)ar  celle  de  l'iisage  et  des  traditions,  rassurance  popu- 
laire vit  d'une  vie  saine,  il  existe  des  probabilités  en 
faveur  de  rabsori)tion  coininerciale  de  l'assurance  par 
quelques  puissantes  compagnies.  On  tend  à un  mono- 
pole de  fait  ; or,  tout  monopole,  si  consciencieusement 
exercé  qu'il  soit,  appelle  des  réserves  ; il  est  avanta- 
geux de  lui  faire  contrepoids.  Aussi,  doit-on  approuver 
l’existence,  à côté  des  entrejudses  d’assu ranci'  à but 
lucratif,  d’institutions  ne  poursuivant  aucun  bénéfice 
])écuniaire,  caisses  ofiicielles  d’assurances  — orga- 
nismes d’Etat  ou  placés  sous  la  garantie  de  l'Etat  — 
entre}>rises  d'utilité  publique  ou  associations  mutuelles. 

Presque  partout,  l'importance  des  caisses  officielles 
est  restreinte,  ]»arce  que  leurs  moyens  de  propagande 
sont  limités  l't  qu'elles  peuvent  difficilement,  abandon- 
nées à elles-mêmes,  organiser  et  maintenir  un  contact 
constant  et  actif  avec  le  public.  Mais  elles  agissent  favo- 
i-ablement  sur  les  conditions  générales  de  l’assurance. 

Avec  plus  de  sou})lesse,  peut-être,  (pie  b^s  caisses 
ofiicielles,  les  entrejirises  d’assurances  sans  but  lucratif, 
cbercbant  leur  clientèle  dans  des  milieux  spéciaux, 
rempliront  leur  rôle  sur  le  terrain  de  la  concurrence, 
d’outefois.  ces  enti-eprises  ne  se  développeront  et  ne 
prospéreront  qu’en  s'adressant  à une  population  suffi- 
samment nombreuse. 

Ces  entreprises,  d’ailleurs,  ainsi  (jue  les  caisses  offi- 
cudles,  ne  semblent  cajiables  d’une  action  étendue 
4[u'en  escomptant  l’intervention  gratuite  ou  modéré- 
ment rémunérée  d’organismes  intermédiaires  aidant 
au  recrutement,  à la  concentration  des  assurés  et  à 
l'administration  de  l’assurance. 

L’on  ne  saurait  trop  insister  sur  les  bienfaits  que 
sont  capables  d’apporter  à l’assurance  populaire  la 
mutualit('  et  le  jiatronat.  La  mutualité  etlepalronat 
sont  des  auxiliaires  précieux  ])Our  les  entre})i'ises 
d’assurances  à Imt  non  lucratif. 


L ASSURAXCli:  POITLAIRE  SUR  LA  VIE 


497 


Jusqu'à  présent  Tassu rance  populaire  ne  bénéficie 
pas,  peut-on  dire,  de  subventions  directes  des  jiouvoirs 
publics,  ces  subventions  s’entendant,  surtout,  dr  sub- 
sides attachés  aux  versements,  et  l’on  ne  doit  pas 
espérer  que  l’avenir  modifiera  bientôt  cette  situation. 
Dans  le  domaine  de  la  pi-évoyance,  l’Etat,  les  Pro- 
vinces et  les  Communes  sont  sollicitées  par  des  besoins 
plus  urgents  que  ceux  de  l’assurance,  et  on  ne  cesse  de 
demander  ([ii’ils  y pourvoient  plus  largement. 

Mais  les  j)Ouvoirs  publics  doivent  jirendre  l’assu- 
rance popidaire  sous  leur  sauvegarde,  et  l’on  est 
unanime  à souhaiter  que  cette  assurance  soit  l'objet 
d’une  surveillance,  d’un  contrôle  ou  d’une  réglemen- 
tation. Là  où  des  mesures  protectrices  n’existent  pas 
ou  sont  insuffisantes,  on  les  réclame  avec  plus  ou 
moins  d’insistance  et  dans  une  proportion  plus  ou 
moins  grande. 

En  résumé,  il  est  permis  de  dire  que  l’extension  de 
l’assurance  populaire  et  l’amélioration  de  son  fonc- 
tionnement sont  corrélatives  au  jeu  de  la  concurrence 
entre  organismes  assureurs  de  différentes  espèces,  à 
la  protection  des  pouvoirs  j)ublics,  et  à la  force  d’orga- 
nisation des  assurés.  Ces  conditions  sont  celles  d’un 
sj'stème  idéal,  mais  il  est  téméraire  d’affirmer  que  ce 
système  soit  réalisable  partout  ou  qu’il  fonctionnera 
toujours  avec  plénitude  et  harmonie. 


(1.  Beat  JEAN. 


VARIETES 


I 

Iî,\  MÉMOIHK  D’AMPÈHK  TIU)P  PKLÎ  GOAMf 
Sri{  I.A  liPIXE  Di;  .lOUEPH 


1 

André-Marie  Ampère  (né  à Lyon,  le  janvier  \llh,  mor  t à 
Marseille,  le  Kl  juin  esl  le  pins  prodigieux  des  autodi- 

dacles.  Depuis  les  jours  lointains  de  son  adolescence,  oi’i  il  Int 
d’un  bout  à l’anli'e  l’Encyclopédie  du  xvuP  siècle,  jusqu’à  sa 
niorl,  il  n’a  cessé  d’élndier,  dans  Ions  les  sens,  les  connaissances 
hnniaines  Ibndamenlales. 

Dans  maintes  dii'ectioiis,  Arnpèi’e  a l'ait  des  déconveiies  qui 
ont  été,  pour  ses  contempoi’ains  et  les  savants  (pii  sont  venus 
après  lui,  le  point  de  départ  de  rechercbes  fécondes.  On  connaît 
snrtoni  la  gi’ande  part  qu’il  a jrrise  à la  création  de  l’électro- 
dynamicpie  : ainsi,  suivant  le  mot  de  Dabinet,  il  a simplifié  la 
nnhire,  en  ramenant  le  magnétisme  à l’électricité.  Il  était  méta- 
physicien et  il  a grandement  aidé  .Maine  de  Mir'an  dans  sa  lutte 
victorieuse  conli’e  le  sensualisme  condillacien  ; il  a écrit  une 
classification  des  sciences  pi-ès  de  laquelle  pâlissent  tons  les 
essais  antéi'ieurs  et  ultéi'ienrs,  paire  que,  depuis  Leibniz,  per- 
sonne n’a  tenu,  comme  .Ampère,  sous  le  regard  de  son  esprit, 
nn  ensemble  aussi  étendu  des  trésor.s  de  la  science.  De  plus,  il 
a été  mathématicien  original  : on  lui  doit  surtout,  en  analyse 
infinitésimale,  un  .Mémoire  étendu  sur  les  équations  aux  dérivées 
partielles.  M.  Oour.sat,  dans  la  Préface  de  son  ouvrage  sur  la 


VARIÉTÉS 


499 


matière  (Paris,  Hermann,  en  a dit,  il  y a vingt  ans  : 

« On  n’a  pas  assez  remarqué  ees  {)rotbndes  recherclies  du  grand 
géomètre,  où  sont  employées  des  transibrmations  de  contact 
tout  à lait  générales,  un  derni-siécle  avant  Sophiis  Lie.  » 

Personne  que  nous  sachions  n’a  jamais  étudié  l’œuvre  mathé- 
matique d’Ampère.  .M.  Valson,  dans  sa  biographie  de  l’illustre 
savant  (1),  analyse  siiccinclement  ses  travaux  sur  la  physique  et 
sur  la  philosophie,  mais  non  ceux  qui  ont  trait  aux  mathéma- 
tiques. Toutefois,  il  parle  longuement  de  son  .Mémoire  sur  la 
théorie  du  jeu,  parce  que  cet  écrit  marque  un  tournant  dans  la 
vie  familiale  (i’.\mi)ère,  mais  il  n’en  indique  pas  l’olqet  précis. 
L’est  ce  .Mémoire  [)resque  inconnu  ([ue  nous  allons  analyser, 
parce  qu’il  contient  pour  la  première  fois,  croyons-nous,  une 
théorie  généraledii  jen  au  point  de  vue  du  calcul  des  prohahilltés. 

.\mpère,  après  avoir  maintes  fois  remanié  son  premier  exposé, 
pour  le  généraliser  et  le  simplifier,  le  lit  imprimera  Inon  en  un 
petit  in-quarto  et  l’envoya  à l’Institut  de  France.  11  avait  laissé 
dans  son  texte  impiâmé  une  erreur  de  transcription,  rectifiée 
d’ailleurs  dans  la  suite  du  Mémoire.  Le  Mémoire  fut  examiné 
par  Laplace  et  Lacroix.  Laplace,  qui  l’avait  lu  et  approuvé,  en 
lit  féloge,  mais  à propos  de  cette  erreur,  pourtant  sans  portée, 
il  reprit  l’auteur  avec  peu  d’indulgence(!2).  Lacroix,  plus  humain, 
se  contenta  de  lui  transmettre  les  remerciments  de  l’Institut. 

Le  .Mémoire  est  intitulé  : « Considérations  1 sur  la  | 'fhéorie 
malhéunatique  ] du  jeu.  | Far  A.  M.  .Ampère,  de  r.Vthénée  de 
Lyon,  et  de  la  Société  | d’Finulation  et  d’.Agriculture  du  départe- 
ment de  l’.Vin,  Ih'ofesseiir  | de  Physique  à l’Ecole  centrale  du 
même  département.  | A Lyon,  | chez  les  Frères  Périsse,  Inipri- 
meurs-Lihraires,  Grande  rue  | .Mercière,  iP  15.  | Et  se  trouve  à 
Paris,  I chez  la  Veuve  Périsse,  lûhraire,  rue  St-.\ndré-des-.\rts, 
n%S4  I Et  chez  Duprat,  lâhraire, quai  des  Augustins, iP71  | Anil. 
— 1802.  » (ln-4°  de  iv-68  pages,  dont  les  cinq  premières  non 
numéi'otées). 

Il  est  resté  inti-ouvahle  et  inconnu  jusqu’à  ce  que  .M.  Hermann 
en  ait  publié,  il  y a (pieh[ues  années,  une  édition  photographique 
en  fac-siniüe,  déjà  épuisée  aussi  d’ailleurs.  Gouraud  (1848), 

(l)h'i  vie  et.  les  Iravimx  il' André-Marie  Ampère.  Nouvelle,  édition. 
I.yon,  Vitte,  t897  ln-8“  de  vui-130  pp. 

('2)  l.a  solution  du  prolilème  presque  identique  de  la  durée  du  jeu,  exposée 
par  l.aplace  dans  son  grand  ouvrage,  renferme  dans  les  trois  éditions  suc- 
cessives (1812,  1814.  1820),  une  erreur  qu’il  n’a  signalée  et  corrigée  que  plus 
tard,  dans  le  quatrième  supplément  de  son  livre. 


REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


5(X) 

Todliunler  ( IcSlir)),  M.  (Izubei-  n’oiil  donc  pu  en  parler 

dans  lents  histoires  du  calcul  des  prohahilités.  ha  l'aiile  en  est  à 
haphue  : ni  dans  la  Théorie  analyliqoe  des  probabilités,  ni 
dans  la  Xolice  historique  tpii  la  précède,  il  n’a  signalé  les 
théorèmes  démontrés  par  Ampère.  Lacroix  a été  plus  conscien- 
cieux. Dans  son  Trailé  élémentaire  da  Calcul  des  probabilités 
(quatrième  édition,  Druxelles,  Hemy,  J835;  voir  p.  93,  note), 
il  dit  ; « .M.  .Vmpère,  dans  ses  Considérations  sur  la  théorie 
mathémali(iue  du  jeu,  est  parvenu  à celte  loi,  par  un  procédé 
purement  algéhritpie  ».  Il  s’agit  de  la  prohahilité  qn’a  un  joueur 
de  [terdre  sa  rorlune  à un  coiqi  quelconque,  cetti*  prohahilité 
étant  déterminée  sans  passer  ftar  les  prohahilités  analogues 
relatives  aux  coups  antérieurs.  Au  tond,  c’est  la  l'ormule  fonda- 
mentale (l’Ampère. 


Il 

Diissaulx  et  d’autres,  dit  .Vmpère  dans  son  Introduction,  ont 
prouvé  par  les  laits  que  la  passion  du  jeu  conduit  à la  l’uine  ; 
mais  leurs  écrits  n’ont  converti  pei'sonne  : les  joueiii's  attrihuent 
leui's  malheurs  au  hasard  ([ui,  selon  eux,  aui’ait  pu  faire  tourner 
les  chances  eu  leur  faveur. 

liiilfou  a ('ntn’vu  le  piemier  que  la  ruine  du  joueur  est  la  suite 
nécessaiif"  de  la  cornhinaison  des  chances;  mais  il  n’a  pas  réussi 
à le  prouver  malhémali(|uement,  parce  (|u’il  a estimé  arhilraire- 
menl  la  valeur  d’une  perte  ou  d’un  gain,  en  la  supposant  fonc- 
tion de  la  fortune  du  joueur. 

Le  hul  principal  du  mémoire  d’.Vmpèi'e  est  de  démontrer  avec 
rigueur  la  vérité  de  la  conjecture  de  Hidfon.  Doiir  cela,  il  étudie 
avec  grand  soin  la  prohahilité  de  la  ruine  d’un  joueur  qui 
expose  à chaipie  partie  (|u’il  joue  la  partie  de  sa  fortune. 

La  mise  de  l’adversaire  est  égale  à la  sienne.  Il  définit  avec  .soin 
la  certitude  morale  : il  appelle  ainsi  celle  qui  correspond  à une 
prohahilité  I — a,  a pouvant  devenir  aussi  petit  ([u’on  le  veut  : 
ainsi,  il  est  moralement  certain  que  le  jet  indéfini  de  deux  dés 
amènera  simultanément  les  deux  six,  un  .sonnez,  comme  on  dit. 
Ln  effet,  la  prohahilité  d’un  sonnez  est  donné  pai’  une  progres- 
sion indéfinie  dont  la  somme-limite  est  l’unité. 

.Am[)ère  consacre  dix  pages  à l’étahlissement  d’une  formule 
comhinatoire  hase  de  tout  son  travail.  Désignons  avec  lui  par 
A^  le  nombre  de  fois  (jue  t parties  peuvent  amener  la  ruine  du 


VARIÉTÉS 


501 


joueur  à la  dernière  d’entre  elles,  à rexcliision  des  précédentes. 
Puisipie,  dans  l’hypothèse  d’Ampère,  le  joueur  risque  cha({ue 
fois  la  partie  de  sa  for  (une,  nous  poserons  t = m -, 

il  gagne  p parties,  il  en  perd  m p.  Si  ('4  désigne  le  nonihredes 
combinaisons  de  k objets  / à /,  on  aura  Am+jp  = moins  le 

nombre  des  parties  où  la  ruine  du  joueui'  arrive  à une  des 
parties  qui  précède  la  (n?  + par  exemple,  à la  (/n 

r étant  égal  à 0,  1,4,...  p 1.  (les  parties  sont  en  nombre 
atin  que  l’on  ait  considéré  en  tout  m + 4p  parties, 
on  joint  à chacune  d’elles  p — y parties  gagnées,  p — r parties 
perdues,  ce  qui  peut  se  faire  de  manières.  On  a donc  enfin 


A = (’^ 


SA, 


,.p-r 


(1) 


S étant  un  signe  sommatoire  relatif  à r qui  doit  prendre  tontes 
les  valeurs  de  0 à y?  — 1 . 

Ampère  obtient  une  seconde  expression  de  .A»,+5p  en  observant 
que  ce  nombre  est  aussi  celui  des  parties  en  nombre  m + — 1 

qui  aurait  réduit  le  joueur  à ne  plus  posséder  que  la  m'®™®  partie 
de  sa  fortune.  Pu  calculant  ce  nombre  par  le  procédé  qui  a 
donné  la  Ibrmule  (1),  l’auteur  trouve  une  seconde  expression  de 
Aw+2p,  qui,  comparée  à la  première,  donne  enfin 


Am+2p 


IH 

m,  + 


pi> 

^in+îpi 


relation  facile  à trouver  par  induction,  dit  .Ampère. 

La  formide  (1)  donne  comme  une  somme  de  nombres 

combinatoires  ampériens  Am+?)'  multipliés  par  des  nombres 
combinatoires  ordinaires.  .Ampère,  en  changeant  m + 'ip  suc- 
cessivement en  m + + J,  né  + 4p  + 2,  ...,  m -f  4p  -f- 

trouve  la  formule  suivante  : 


p * I ti'  à I ”1  ^ '-^4  1 X 

j ' A»?,-f-2p -2“r  ^ A??î-f-2j')-i“T 

Arrivé  là,  .Ampère,  en  vrai  analyste  observe  que  celte  formule 
démontrée  pour  u entier  positif  est  vraie  aussi  pour  u fraction- 
naire ou  négatif,  parce  qu’elle  est  une  identité  entre  deux 
polynômes  en  ti.  11  y a des  cas  particidiers  remarquables,  par 
exemple,  celui  où  l’on  donne  à u une  valeur  négative  ([ui  annule 
le  premier  membre  et  aussi  celui  où  u = — m. 


502 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


III 

Après  ces  préliminaires  analyliques,  Ampère  aborde  la  ques- 
tion de  la  ruine  du  joueur,  en  premier  lieu,  quand  celui-ci  joue 
indélinimenl  conire  loul  venanl.  Si  sa  probabilité  do  gagner  une 


f)arüe  est  sa  probabilité  de  se  ruiner  est  la  somme,  de 

P = 0 à /J  = x; , de  la  série  ayant  pour  ternie  général 


r 

^ q)m+ip 


Klle  est  convergente.  On  la  transforme  aisémeni  eu  une  série 
double.  On  trouve  qu'elle  a pour  limite  j,  si  7 est  inférieur  ou 

égal  à I,  si  q est  supérieur  à runité.  Cela  signifie  qu’un 

joueui'  qui  joue  iudéliniment  à mise  égale,  avec  une  probabilité 


ou  une  probabilité  moindre,  de  gagner  à chaque  [lartie,  se 

ruine  infailliblernenl  ; il  n’en  est  pas  ainsi,  en  général,  si  sa 

1 

probabilité  de  gagner  une  partie  est  siqiérieure  à ^ ; cependant 

tout  danger  n’est  pas  écarté,  s’il  risque  une  partie  notable  de  sa 
fortune,  car  il  est  clair  (|ii’un  petit  nombre  de  parties  malheu- 
reuses successives  peuvent  le  ruiner  dans  ce  cas.  Kn  particulier, 
il  perdra  infailliblernenl  toute  sa  fortune,  quelle  que  soit  la 
valeur  de  7,  s’il  la  joue  loul  entière  à cha(iue  partie,  ([uitte  ou 
double,  comme  on  dit  : on  trouve,  en  elfet,  dans  celte  hypo- 
thèse, (|ue  la  probabilité  de  ruine  est  e.Kprimée  par  une  progres- 
sion géomélri([ue  illimitée  de  somme  égale  <à  l’unité. 

Ampère  traite  en  second  lieu  le  problème  de  la  ruine  d’un 
joueur  H,  quand  il  a un  seul  adversaire  C,  de  fortune  égale  ou 
supérieure  à la  sienne;  la  ni'®'”®  partie  de  la  fortune  de  Best 
supposée  égale  à la  de  la  fortune  de  C,  n étant  égal  ou 

supérieur  à m.  Les  préliminaires  analyticpies  de  la  solution  de 
ce  problème  i-essemblent  ci  ceux  du  problème  précédent,  mais 
ils  sont  plus  compliqués,  parce  que  l’on  doit  tenir  compte  de  la 
situation  du  second  joueur.  Si  les  i)robabilités  de  gagner  une 
partie  pour  H et  C .sont  respectivement 


J!  „ ^ 

f + (f  1+7 


VARIÉTÉS 


503 


les  limites  des  probabilités  contraires  à B et  à B sont 


</"  — 1 
qin+n  — I ’ 

et,  en  particniier, 


q>n+n  — qii 
qm+n  — j 


n ni 

m + n ’ m + n 


si  q est  égal  à rmiité.  D’après  ce  dernier  résidlat,  c’est  le  joueur  B 
le  moins  riche  qui  court  le  plus  grand  danger  de  se  ruiner  si 

1 

q=  \ ou  si  les  chances  de  gagner  une  partie  sont  égales  à ^ 

pour  lui  et  pour  B.  Il  en  sera  de  meme  a fortiori,  si  q est  infé- 
rieur à runité.  Les  probabilités  de  se  ruiner  seront  égales  si  q 
a une  valeur  supérieure  à l’unité  et  telle  que  1 = q”^+”— 
ou 

qm+n__^qn  | =()^ 

mais  alors  B aura  une  probabilité  moins  grande  que  B de 
gagner  chaque  partie  et  le  jeu  ne  sera  pas  équitable. 

Tels  sont  les  résultats  ilu  travail  d’Ainpère  sur  la  théorie 
mathématique  du  jeu.  Ils  contiennent  tous  les  principes  géné- 
rau.K  essentiels  sur  la  ruine  du  joueur  dans  le  cas  où  les  mises 
sont  égales. 

.Ampère  se  montre  d’une  habileté  consommée  dans  le  manie- 
ment du  calcul  algébrique,  des  séries  récurrentes  et  des  séries; 
en  même  temps,  il  est  vraiment  perspicace  en  calcul  des  pro- 
babilités : il  ne  laisse  écbapi»er  aucun  cas  parmi  ceux  (|ue  com- 
porte la  question.  Bu  note,  à la  i)age  J 7,  il  fait  remarquer 
qu’une  des  séries  convergentes  qu’il  obtient  est  une  fonction 
discontinue  de  la  variablr,  phénomène  analytique  non  eiicoie 
signalé  à cette  époriue.  Son  exposé  est  un  peu  ti’op  bref  touchant 
la  convergence  de  la  première  sér  ie  qu’il  a obtenue  et  sirr  la 
légitimité  des  calculs  qu’il  fait  sirr  la  série  double  équivalente, 
mais  au  débirt  de  sorr  mémoire  (p.  5)  il  arrnonce  « un  ouvr-age 
sur  les  séries,  auquel  le  professeur  de  mathématirjues  de  l’.Ain 
et  moi  tr'availlons  de  concert,  et  qui  ser-a  probablement  bientôt 
publié  (iet  ortvi’age,  qui  n’a  jamais  paru,  air  moins  sous  le 
nom  d’Arnpèr'e,  devait  contenir  « des  démonstrations  directes  et 
génér'ales  des  théoi'èrnes  » de  la  théorie  des  séries,  « particuliè- 
r-ement  de  ceux  ipii  n’ont  été  encoi'e  démontrés  que  d’une 


r>04 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


manière  vague  ou  par  induction  ».  C’est  là  sans  doute  (|u’Am- 
père  aurait  Justitié  la  rigueur  de  ses  procédés  de  calcul  sur  la 
limite  des  séries. 


IV 

Le  mémoire  d’.Ampère  se  termine  par  un  appeudic(>,  de  qua- 
torze pages  sur  la  résolution  etfective  des  équations  qui  ne  se 
rattache  (|ue  par  un  lien  bien  ténu  à la  théorie  mathématique 
du  jeu.  Ce  (|ui  forme  la  transition  d’un  sujet  à l’autre,  c’est  la 
formule  inverse  du  hinome 

a”  -j- b^^={a -f  /j)”  — ab{a  + b olc.. 


(pii  n’avait  pas  été  établie  jusque  là  avec  une  rigueur  sufli- 
sante.  Kii  développant  les  puissances  indiquées  dans  le  second 
membre,  Ampère  montre  qu’il  se  réduit  au  premier,  grâce  à 
une  formule  relativi^  aux  nombres  combinatoires  nuis, 
signalée  [ilus  haut.  Mais  il  établit  directement  celte  formule  à la 
liii  du  Mémoire,  en  multipliant  le  développement  de  (l  — (i)~^ 
par  celui  de  ( 1 — a)‘,  ce  qui  rend  sou  appendice  indépendant 
du  Mémoire  sur  la  ruine  du  joueur. 

La  formule  inverse  du  binôme  sert  d’abord  à l’auteur  dans 
le  calcul  des  l'onclions  symétriques  et  dans  la  i‘éduction  des 
éipiations  réci[iro(pies. 

Il  y fait  ensuite  ((  -\-  b — z,  nb  - h,  n”  — k,  ce  (pii  lui 
donne  deux  éapialions 


-n  _ " /nn-i  ^ 3 , 


((*”  — A(t"  + A,”  = 0, 


dont  les  racines  dépendent  les  unes  des  autres  de  manière  que 
si  l’on  lient  résoudre  l’une,  même  partiellement,  on  peut 
résoudre  l’autre.  Les  é(pialions  du  o'"  et  du  5'-  degré  peuvent  se 
ramener  toujours  au  type  de  la  première.  Mais  dans  maints  cas, 
on  ii’a  pas  assez  remarqué  que  la  seconde,  quand  ses  racines 
s’expriment  au  moyen  de  radicaux  d’ordre  impair  [lorlant  sur 
des  expressions  imaginaires,  ne  peut  en  rien  aider  à la  solution 
effective  de  ia  première,  à moins  de  recourir  aux  expressions 
trigonomctri(pies  imaginaires. 


VARIKTES 


505 


Au  coiiliaii'e,  ohseive  loiiLe  sohilioii  réelle  de  la 

pi'emière  [)ermet  de  trouver  les  racines  de  la  seconde,  et,  dans 
certains  cas,  de  résoudre  eirectivenient  les  é(iuations  trinômes 
réductibles  aux  é([ualions  du  second  degré  et,  en  particulier, 
celles  auxquelles  on  est  conduit  quand  on  cherche  une  racine 
d’ordi'e  impair  d’une  expression  imaginaire. 

Dans  ses  spéculations  et  ses  calculs,  Ampèi-e  se  montre  plei- 
nement au  courant  de  la  théorie  des  équations  et  algéhriste 
habile;  mais  il  y a quel((ues  traces  de  hâte  et  ([uelque  confusion 
dans  la  rédaction  de  certains  alinéas,  pai-  exemple  du  n”  8.5. 
On  peut  voir  dans  la  biographie  d’Ampère  par  Valson  l’explica- 
tion de  ces  légères  négligences  : il  travaillait  dans  les  circon- 
stances les  plus  dilliciles  et  les  plus  pénibles  à Hourg,  loin  de  sa 
famille  et  de  l’impiMineur  de  son  .Mémoire. 

Il  est  ])rohahle  qu’il  y a maintes  vues  originales  à glanerdans 
l’œuvre  d’Ampère,  sur  les  principes  du  calcul  élémentaire  ou  de 
l’analyse,  sur  le  calcul  des  variations  ou  la  mécanique,  outre  ce 
([ui  a été  signalé  par  M.  Ooursat  dans  la  théorie  des  équations 
aux  dérivées  partielles.  .\ous  croyons  donc  bien  faire  en  donnant 
ici  une  Liste  des  œuvres  niathémutiques  de  A.-M.  Ampère  (i  ), 
publiées  dans  des  journaux  scientifi(|ues.  Klle  permettra  à 
([uelqne  jeune  géomètre  de  tiouver  aisément  pour  l’étudier  et 
l’analyser  run  ou  l’autre  des  Mémoires  trop  oubliés,  dus  à 
l’illustre  savant,  et  peut-être  inconnu  comme  sa  théorie  mathé- 
matique du  jeu. 

1.  Démonstration  de  l’égalité  de  volume  des  polyèdres  symé- 
triques. CoRii.  Ec.  Dolyt.,  I,  pp.  184-J87,  1804-J8Ô8. 

'2.  Recherches  sur  (pielques  points  de  la  théorie  des  fonctions 
dérivées  qui  conduisent  à une  nouvelle  démonstration  de  la 
série  de  Taylor,  et  à l’expression  linie  des  ternies  qu’on  néglige 
lorsqu’on  arrête  cette  série  à un  tenue  ([uelconqne.  .Iouraal  de 
l’Ec.  l’Oi.YT.,  1800,  VI,  pp.  148-181. 

O.  Démonstration  générale  du  principe  de.s  vitesses  virtuelles, 

(t)  Extrait  du  C.xt.yi.oiu  e of  Sciextific  P.4f>ers  ( I(SUU-1S63).  Eonipiled  and 
publislied  bv  lhe  Royal  Society  ol  l.oiidon.  Vol.  I.  I.ondon,  Eiji'e  and  Spottis- 
icooile.  181)7,  pj).  58-111 . Vous  conservons  le  numérotage  du  Catalogue. 


506 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


dégagée  de  la  coiisidéralion  des  inniiinieiit  petits.  1b., 
pp.  247-2B9. 

4.  Recherche  sur  l’application  des  l'ormules  générales  du 
Ralcnl  des  variations  aux  problèmes  de  la  mécanique  [1M03]. 
■Mé.m.  des  s.w.  étb.,  ISüh,  1,  pp.  498-523. 

5.  Sur  les  avantages  (in’on  peut  retirei’  dans  la  théorie  des 
r.oni'hes,  de  la  considération  des  paraboles  oscnlalrices,  avec 
des  réllexions  sur  les  fonctions  ditïérentielles  dont  la  valeur  ne 
change  pas  lors  de  la  transformation  des  axes  [1803].  .Iournal 
DE  l’Ec.  polyt.,  1808,  Yll,  pp.  159-181. 

8.  Sur  rintégration  des  équations  aux  dilférentielles  partielles. 
Bull,  de  la  Soc.  I'mil.,  1814,  pp.  107-109. 

9.  Sur  les  équations  aux  dillérences  partielles.  Ib.,  pp.  103-165. 
13.  Eonsidéralions  générales  sur  les  intégrales  des  équations 

aux  dilférentielles  partielles.  .Iournal  de  l’Ec.  polyt.,  1815,  X, 
pp.  .549-011  ; 1820,  XI,  pp.  1-188. 

15.  Problème  des  quadratures.  Rapport  à l’.Vcadémie  royale 
des  Sciences  sur  un  Mémoire  de  .M.  Rérai'd.  .\n.n.  de  Gerconne, 
1817-1818,  VI!  1,  pp.  117-124. 

23.  .Mémoires  sur  ([iielqnes  nouvelles  propriétés  des  axes  per- 
manents de  rotation  des  corps  et  des  plans  directeurs  de  ces 
axes.  .Mém.  de  l’Institut,  1821-1822,  pp.  80-1.52.  Ouart.  .Iourn. 
Sci.,  1822,  XI 1,  pp.  41.5-410. 

32.  .\n;dogie  entre  les  Eacultés  numériques  et  les  puis.sances; 
démonstration  générale  de  la  formule  du  binôme  de  Newton; 
dévelopi)ement  des  fonctions  ex[)onentielles  et  circulaires.  .\nn. 
DE  Gergonne.  1824-1825,  t.  XV,  pp.  .309-387. 

.3t>.  Exposition  (h;s  principes  du  calcul  des  variatioiLs.  lie, 
1825-1820,  t XVI,  pp.  133-1()7. 

.37.  Essai  sur  un  nouveau  mode  d’ex[)osilion  des  princi{)es  du 
Galcul  dilférentiel,  du  calcul  des  dillérences  et  de  l’interpolation 
des  suites,  considérés  comme  dérivant  d’une  source  commune. 
Ib.,  pp.  .329-349. 

40.  Nouvelle  démonstration  du  principe  des  vitesses  virtuelles. 
Gorr.  math,  et  dhys.,  1826,  11,  pp.  270-281. 

41.  Démonstration  du  théorème  de  Taylor  pour  les  fonctions 
d’un  nombre  ([uelcomine  de  variables  indépendantes  avec  la 
détermination  de  l’erreur  (pie  l’on  commet  lorsque  l’on  arrête 
la  série  donnée  par  ce  théorème  h l’nn  quelconque  de  ses  termes. 
;Vnn.  de  Gergonne,  1820-1827,  XVII,  pp.  .317-.329. 

44.  Solution  d’un  problème  de  dynami([u<}  suivi  de  considé- 


VARIÉI’ÉS 


507 


rations  sur  le  problème  général  des  forces  centrales.  Ann.  de 
(tergonne,  J829-1880,  XX,  pp.  37-58. 

45.  Démonstration  élémentaire  du  principe  de  la  gravitation 
universelle.  1b.,  pp.  89-9Ü. 

49.  Mémoire  sur  les  équations  générales  du  mouvement 
[1826].  JouRN.VL  DE  Liouville,  1836,  I,  pp.  211-228. 

50.  Recherches  mathémali(iues  inédites.  Corr.  math.,  1837, 
IX,  pp.  144-148. 

51.  Nouvelle  discussion  de  l’équation  générale  des  couches  du 
.second  degré.  1r.,  1838,  X,  pp.  90-103. 

52.  Théorie  du  calcul  élémentaire.  N.  Ann.  m.vth.,  1845,  IV, 
pp.  105-109,  161-164,  209-213,  278-285. 


Paul  Mansion. 


Il 

LA  LUMIÈRE  « FRDIDE  » 

d’apbès  i.e  procédé  dussaud 


Les  moyens  usuellement  employés  pour  produire  l’éclairage 
artificiel,  ne  nous  donnent  la  lumière  qu’au  prix  d’une  quantilé 
énorme  de  chaleur  inutilement  dégagée.  11  est  incontestable 
que  pour  beaucoup  d’applications,  c’est  là  un  grave  désagré- 
ment, et  l’on  comprend  que  nombre  de  chercheurs  aient  tenté 
de  solutionner  ce  captivant  problème  : léaliser  une  source  de 
lumière  qui  soit  exempte  de  rayons  calorifiques.  En  toute 
rigueur,  cela  est  impossible  : la  lumière  absolument  froide  est 
un  mythe.  C’est,  qu’en  elfet,  la  lumière  et  la  chaleur  sont  iden- 
tiques dans  leui'  essence,  inséparables,  et  ne  constituent  que 
des  aspects  différents  de  l’énergie  que  propagent  les  vibrations 
de  l’éther. 

(U  milieu  subtil,  impondérable,  qui  subsiste  dans  un  espace 
dont  toute  matière  est  enlevée,  remplit  ce  que  nous  appelons 
improprement  le  vide,  et  doit  exister  également  à l’intérieur  des 
corps  matériels.  Ses  oscillations,  (piand  elles  sont  comprises 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rm 

entre  .‘iTr)  et  7ÔIJ  trilüoii.s  de  périodes  par  seconde,  impiession- 
nenl  notre  rétine.  Ces  limites  extrêmes  correspondent  respecti- 
vement à des  long'iieiirs  d’ondes  de  liiiit  dix-rnillièmes  et  quatre 
dix-millièmes  de  millimètre,  rai-actéristicpies  d’ime  part  du 
rouge  sombre,  d’autre  j)art  du  violet.  Ces  deux  couleurs  sont 
celles  que  l’on  trouve  aux  extrémités  du  spectre  solaire,  et  entre 
elles  viennent  se  classeï'  tous  les  rayons  résultant  de  la  décom- 
position de  la  lumière  blanche. 

,\u  delà  du  spectre  visible,  dans  l’ultra-violet,  s’étend  une 
bande  de  radiations  (pu  se  manilésteut  particulièrement  par  des 
actions  cbimiques.  la;  nombre  des  vibrations  par  seconde  s’y 
élève, jusque  IblK)  Irillions.  Itaus  l’inlia-i'Oiige,  au  contraire,  on 
se  trouve  eu  présence  d’oscillations  plus  lentes,  perceptibles 
surtout  par  leurs  eUets  caloriti([ues. 

Dans  l(‘s  systèmes  d’éclairage  que  l’on  emploie  babituellement, 
on  dépense  la  majeure  partie  de  l’énergie  mise  en  œuvre,  sous 
forme  de  chaleui'  invisible  avant  d’atteindre  le  plus  minime 
rayonnement  lumineux.  Il  n’est  pas  possible  cl’arrivei’  aux 
tempiu'atures  élevées  nécessitées  par  les  vibrations  lumineuses 
sans  déchaîner  à la  Ibis  toutes  les  oscillations  inférieures  que 
l’uni  ne  perçoit  pas. 

Si  l’on  j)Ouvait  [)rodiiire,  à l’exclusion  de  tout(;s  autres,  les 
radiations  [)Our  lesijiielles  l’onl  [)résente  le  maximum  de  sensi- 
bilité, ou  ti’aiirail,  comme  peite,  ([iie  la  minime  dépense  de 
chaleur  (pii  leur  correspond,  (;t  ainsi  se  trouverait  réalisé  ce 
qu’il  .serait  permis  d’aiipiiler  la  lumière  froide.  Théoriquement 
on  arriverait  à ce  résultat,  en  idilisant  des  rayons  de  couleur 
.jaune-verdàtre  seulement,  d’une  longueur  d’onde  d’environ 
50  cent-millièmes  de  millimèti-e.  La  quantité  de  chaleur  inhé- 
rente à la  lumière,  émise  dans  ces  conditions,  serait  excessive- 
ment faible  et  la  bougie  s’obtiendrait  avec  une  dépense  de 
(1,0:2  Watt,  ce  cpii  constitue  la  limite  tliéorique  du  rend(;ment 
de  l’éïK'rgie  appliipiée  à l’éclairage.  — .luscpi’à  présent,  seids  les 
insectes  lumineux,  tels  que,  le  ver  luisant,  s’en  rapprochent 
d’assez  près.  Les  radiations  (pi’ils  émettent  sont,  en  effet,  com- 
prises dans  la  ])ortion  du  spectre  où  règne  la  plus  grande 
activité  lumineuse  avec  le  minimum  d’action  calorifique  ou 
rhimirpie.  Toutefois,  cette  fumière  idilitaire  est  incomplète  et, 
pour  donner  aux  ob,j(*ts  de  coul(;urs  complexes  leur  véritable 
a[)parence,  il  est  nécessain;  d’y  ad.joindi'e  d’autres  radiations 
(|iii  donneni  lieu  à un  (h'gagement  de  chaleur  beaucoup  plus 
jirononcé. 


VAJRIETES 


509 


Co  comt  exposé  lhéori({ue  montre  combien  grande  est  la 
complexité  du  prol)léme  de  la  lumière  dite  « froide  »,  et  met  en 
évidence  les  difficidtés  insurmontables  aux(pielles  viennent  se 
heurter  les  chercheurs.  fMusieurs  ont  cependant  essayé  d’en 
donner  une  solution  approchée  ayant  pour  but  une  meilleure 
utilisation  de  l’énergie  dépensée  dans  les  foyers  d’éclairage. 
Signalons,  par  exemple,  les  intéressants  ti'avanx([ui  ont  conduit 
à la  réalisation  de  la  lampe  à vapeur  de  mercure  et  des  tubes 
luminescents. 

La  solution  proposée  par  M.  Dussaud,  pari  d’un  tout  autre 
principe. -\u  lieu  de  chercher  à réduire  les  ondes  calorifiques 
inutiles,  il  se  contente  de  les  séparer  des  rayons  lumineux,  à 
Vendroit  d’ulilisatian.  11  ne  peut  évidemment  pas  être  question 
de  diviser  ces  ondes  au  foyer  d’éclairage  même,  piusqu’elles 
prennent  naissance  simultanément,  mais  il  est  possible  de  faire 
une  sorte  de  triage  dans  l’ensemble  des  rayons  émis. 

Il  est  lacile  de  reconnaîtn^  expérimentalement  ([ue  si  l’on 
allume  une  lampe  à incandescence,  de  préférence  à tilament 
métallique,  pendant  un  temps  très  court  setdement,  la  chaleur 
ne  fait  sentii'  son  inlluence  à l’extérieur  de  l’ampoule  qu’aj)rès 
rextinclion.  De  celte  façon,  on  voit  la  lumière,  sans  avoir  perçu 
les  elfets  de  l’énergie  calorifique,  qui  pourlant  s’est  développée 
en  même  temps.  L’explication  de  ce  fait  inléressant  léside  dans 
la  propriété  que  présentent  les  radiations  obscures  Iransmettant 
uniquement  la  chaleur,  de  se  propager  moins  rapidement  à 
travers  le  verre  que  les  l'adiations  lumineuses  dont  la  période 
est  plus  courte.  Dratiquement,  on  a observé  ([ue  les  premières 
mett(,‘nl  un  temps  environ  double  de  celui  [U'is  pai' la  lumière, 
pour  s’échappol'  de  l’ampoule. 

Partant  de  là,  on  a réalisé  une  soui'ce  de  lumière  a froide  » 
en  disposant  trois  lampes  à incandescence  à 1^:10  degrés  l’une  de 
l'autre, sur  un  disque  animé  d’un  mouvement  de  rotation  rapide. 
Les  choses  sont  arrangées  pour  (pie  l’allumage  de  chaque  lampe 
se  produise  toujours  dans  la  même  région  de  l’espace,  et  dure 
pendant  un  tiers  de  tour,  de  sorte  que  chaque  ampoule  dispose 
d’un  temps  double  de  celui  de  son  fonctionnement  pour  dissiper 
à l'extérieur  la  chaleur  qui  s’est  développée.  L’œil  gardant  pen- 
dant J/iO  de  .seconde  environ  les  impressions  lumineu.ses  qu’il 
reçoit,  si  l’on  imprime  au  disque  une  vitesse  de  rotation  de 
Ib  tours  à la  seconde,  on  réalisera  4<S  interruptions  [lendant  ce 
temps,  et  l’éclairage  ain.si  obtenu  ne  présentera  pas  le  moindre 
vacillement.  On  voit  donc  que  par  ce  dispositif  très  simple,  on 
ltl<>SKRIE.  T.  .XXVI.  33 


RHVrE  DES  QI'ESTIOX^  SCIENTIFIQUES 


510 


enipèche  la  clialeiir  de  se  maiiilester  d’iiiie  laçon  praliqiiement, 
sensible  pondanl  la  durée  de  l’éclairage,  de  soi’te(|iie  l’élévation 
de  température  île  la  lampe  est  i»resfpie  imperceptible. 

Le  moyen  purement  mécanique  dont  nous  venons  d’esquisser 
à grands  traits  le  principe,  n’est  pas  le  seul  qui  ait  été  employé 
pour  arriver  au  résultat  cheiv-lié.  Pour  r|ia(|ue  a[)i)lication  par- 
ticulière, on  a étudié  les  combinaisons  ([ui  permettaient  d’obte- 
nir le  plus  simplement  et  le  plus  rationnellement,  une  source 
d’éclairage  qui  ne  s’i'cbaidîe  guère  durant  son  Ibnctionnement. 
Iians  ce  but,  on  ne  laisse  jamais  une  lampe  en  activité  qu’un 
temps  très  court,  et  l’on  prévoit  toujours  des  repos  pour  la 
dissipation  de  l’énergie  calorilique  inévitablement  produite.  Lu 
sus  du  brevet  princii)al  qui  consacre  le  principe  de  l’invention, 
il  a été  accordé  à M.  Dus.saud  toute  une  série  de  brevets  de 
|)ert'ectioimement,  ayant  Irait  à l’application  du  système  aux 
ditlérents  cas  particuliers. 

Les  lampes  idilisées  n’étant  allumées  ((ue  [)endant  une  l'rac- 
tion  de  seconde,  il  n’y  a pas  d’inconvénient  à les  survolter, 
même  très  fort,  surtout  s’il  s’agit  de  types  pour  faibles  tensions, 
<lont  les  lilamenls  sont  très  robustes,  (lomme,  d’autre  part,  on 
.sait  que  la  consommation  spécifique  d’une  lampe  donnée  est 
d’autant  plus  petite  (|ue  le  voltage  est  élevé,  on  comprend  que 
par  ce  moyen  on  [)ourra  réaliseï’  une  économie  considérable. 

l'our  pouvoir  survolter  .sans  dangei',  on  fait  usage  de  modèles 
spécialement  étudiés  dans  ce  but  et  dont  le  vide  est  poussé  fort 
loin.  Le  tilament  rigoureusement  bomogéne  est  ramassé  en 
minu.scules  spirales  placées  cùl(“  à côte,  de  manière  à former 
un  petit  cylindre  de  5 mm.  environ  de  longueur  et  de  J mm. 
de  diamètre.  On  obtient  de  cette  façon  une  source  de  lumière 
presque  ponctiforme,  ipii  p(*ut  facilement  être  disposée  au  foyer 
géométrique  d’un  miroir  sphérique  ou  parabolique,  de  telle 
sorte  que  toute  la  lumièi'e  rayonnée  se  réi>artisse  sur  une  sur- 
face donnée,  dans  une  direction  voulue.  Par  suite  , de  cette  dis- 
j)o<ition,  il  est  possible  avec  une  minime  dépense  de  '■JO 
correspondant  à l,:2r)  .Vmpères  sons  1(5  volts,  d’avoir  des  foyers 
lumineux  très  intenses  qui,  par  les  moyens  usuels,  exigeraient 
certainennmt  de  HOO  à :2(l()n  Watts.  Lel  exempb;  typique  n’a 
pas  besoin  de  comnnmtaires  pour  monlrei-  les  avantages  que 
pi'ésente  ce  nouveau  mode  d’éclairage. 

Les  ap[)lications  de  la  lumière  « fioide  » sont  multiples  ; nous 
ne  parlerons  ici  que  des  pi’inci])ales  et  des  plus  intéi'essantes. 


VARIÉTÉS 


511 


En  tout  premier  lieu,  il  convient  de  citer  son  emploi  pour  les 
projections  lixes  et  cinématographitpies.  Grâce  à l’absence  de 
vhalenr,  on  peut  faire  usage  de  vues  sur  cellnloïde,  sans  danger 
de  les  voii’  s’enflammer  on  se  recrocpieviller.  Les  cofitenx  et 
pesants  clicliés  en  verre  sont  remplacés  par  des  bandes  de  pelli- 
cides,  disposées  sur  une  bobine  qu’il  sutlil  de  dérouler  devant 
l’appareil  pour  faire  passeï',  sui’ l’écran,  la  succession  des  vues, 
nuand  on  songe  au  bon  marché  avec  lequel  il  est  possible  de 
fournir  ces  photographies,  on  conçoit  l’essor  extraordinaire 
que  ce  procédé  peut  donner  à cette  industrie.  A peu  de  frais, 
à l’aide  de  piles  ou  d’accumulateurs,  chacun  est  à même  chez 
soi  de  projeter  ses  vues  préférées,  prises  sur  pellicules  avec  un 
appareil  photographique  quelconque.  De  plus,  les  clichés  en 
l'ouleur  si  ditliciles  à réaliser  sur  verre  se  font  aisément  sur 
celluloïde  ; mais,  jusqu’à  présent,  il  était  dangereux  de  s’en 
servir  couramment  à cause  de  leur  intlammabilité. 

Dans  les  projections  lixes,  on  a étudié  un  type  spécial  de  lan- 
terne pour  y réaliser  simplement  te  principe  de  la  source  de 
lumière  froide.  11  est  fait  usage  de  deux  lampes  dont  l’une 
seulement  est  en  activité,  l’autre  se  repo.sant  et  dissipant  à 
l’extérieur  la  chaleur  accumulée  dans  l’ampoule.  En  pas.sant 
d’un  cliché  au  suivant,  la  manœuvre  du  tiroir  provoque  le 
{léboîtement  de  la  chambre  noire  de  l’appareil,  qui  est  faite  en 
deux  pièces.  La  lampe  ([ui  avait  servi  à l’éclairage  glisse  à 
l’extérieur  poin-  se  refroidir  au  contact  de  l’air,  tandis  que,  en 
même  temps,  l’autre  est  amenée  devant  l’objectif  et  allumée. 

Les  vues  fondantes  ipie  l’on  réalise  hahitnellement  au  moyen 
<le  deux  appareils  superposés,  s’obtiennent  par  la  manœuvre 
d'obturateurs  dits  « œils  de  chat  »,  dont  l’elïet  est  pins  ou 
moins  bon.  Avec  la  méthode  nouvelle  on  arrive  le  plus  simple- 
ment du  monde  à des  l’ésidtats  merveilleux.  Il  sullit  de  disposer 
un  minuscule  rhéostat  dans  le  circuit  de  chacune  des  lanternes 
à projections.  L’on  peut  ainsi  augmenter  progressivement  le 
cuui'ant,  et  par  ^luile  l’éclairage  de  la  première,  tandis  que  l’on 
diminue  insensiblement  celui  de  la  seconde.  L’évanouissement 
et  l’apparition  des  images  sont  tout  à fait  progressifs  et  [leuvent 
être  réglés  avec  toute  la  précision  désirable.  Pour  les  projections 
cinématographiques,  on  profite  du  moment  où  l’oliLurateur 
passe  devant  la  photographie,  pour  laisser  refroidir  la  lampe 
(jiii  n’est,  par  consé([UPnl,  active  que  dînant  la  période  utile. 
Gomme  on  le  sait,  l’elfet  de  l’obtiii'ateur  est  de  cacher  l’image 
au  moment  où  elle  descend  pour  faire  place  à la  suivante.  La 


512 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


maison  Pathé  utilise  im  dispositif  analogue  dans  le  petit  appa- 
reil domeslique  « F^athé-Kock  » qu’elle  a créé;  cependant,  la 
commission  du  l’atentamt  allemand,  dont  rautorité  est  indis- 
cutable, a reconnu  l’originalité  du  procédé  Dussaud. 

(Iràce  à la  lumière  froide,  les  préparations  microscopiques 
peuveni  être  projetées  sans  crainte  de  les  voir  se  détériorer,  ni 
risque  de  faire  fondre  le  baume  de  (lanada.  11  est  également 
[lossible  de  faire  apparaiire  sur  l’écran  l’image  d’insectes  vivants 
sans  danger  de  les  griller,  avec  un  grossissement  énorme  de 
l)lusieurs  millions  de  fois  leur  grandeur.  Il  est  ainsi  loisible  à 
chacun  d’éludier  la  vie  et  les  mœurs  de  ces  inliniment  petits 
si  intéressants  à observer.  Jusqu’ici,  à cause  de  la  forte  chaleur 
dégagée  par  les  arcs  intenses  nécessaires  pour  les  projections, 
il  ne  fallait  pas  songei-  à pareil  résultat. 

l'iie  autre  a|)f)lication  importante  de  la  lumière  « froide  » est 
son  utilisation  dans  les  phares  et  les  projecteurs.  Par  suite  de 
l’absence  de  rayons  calorifiques,  il  est  permis  de  ra[)pi-ocher 
beaucoui)  les  lampes  des  lentilles.  Hans  ces  conditions,  celles-ci 
peuvent  être  à distance  focale  réduite,  et  avec  une  intensité 
moindre  de  la  source  de  lumière  on  atteint  les  mêmes  résultats 
f[ue  précédemment. 

Dans  les  phares  à feu  tournant,  ou  prolite  de  l’oi'ientation 
l)ériodi(|ue  du  systènie  mobile  vers  la  terre  poui'  interrompre 
le  courant  et  laisseï'  refroidir  la  lampe.  Ce  repos  permettant, 
comme  ou  l’a  déjà  fait  observer,  de  survolter  fortement  le 
lilament,  on  obtient,  avec  une  dépense  insignifiante  d’énergie, 
une  lumière  extrêmement  puissante  dont  l’intensité  dépasse 
celle  des  arcs  les  plus  forts  cpie  l’on  ait  réussi  à employer.  On 
est,  en  effet,  limité  dans  la  puissance  (|u’on  peut  leur  donne)', 
par  la  chaloir  vi'aiment  éiioi'ine  qu’ils  dégagimt  et  qui  fait 
éclater  les  systèmes  optiipies.  D’autre  part,  un  avantage  des 
lampes  à incandescences  survoltées,  réside  dans  les  qualités  de 
[lénéti'ation  toutes  spéciales  de  leur  lumièi'e,  ce  (pii,  en  l’occiii'- 
l'ence,  en  augmente  singulièrement  la  valeui'. 

I.a  lumièi’e  « Iroide  » est  aussi  appelée  à i-endie  d’importants 
sei’vices  à rarmée.  Ses  cai'actérisliipies  la  désignent  immédiate- 
nient  poiii'  les  [irojecteui's  de  guerre.  Plie  possède  une  fixité 
supéi’ieure  à celle  des  ar'cs  actuellement  en  usage,  et  nécessite 
un  groupe  électrogène  moins  pesant  (d  moins  encombrant. 
Cette  dei'iiièi'e  l'aison  la  fei'a  également  adopter  à bord  des 
dirigeables  et  des  avions,  dont  les  moteui's  ont  besoin  de  toute 
leiii'  puissance  poui'  actionner  les  hélices. 


VARIÉTÉS 


513 


Elle  s’indique  encore  pour  la  lélégraphie  opiique  entre  deux 
corps  d’armée  en  cami)agiie.  .lusqu'à  présent,  dans  tous  les 
appareils  préconisés  pour  cet  usage,  la  source  de  lumière  en 
Jeu  restait  constamment  allumée,  et  les  indications  étaient  pro- 
iluites  en  la  masquani  au  moyen  d’un  écran  pendant  un  temps 
plus  ou  moins  long,  suivant  que,  d’après  l’alphabet  Morse,  on 
voulait  transmettre  un  signal  long  ou  hrel'.  Avec  la  lumière 
froide,  les  écrans  deviennent  inutiles.  La  lampe  n’est  allumée 
que  pendant  le  temps  strictement  nécessaire,  et  reste  éteinte 
entre  chaque  émission  de  signaux.  On  profite  de  ce  repos  pour 
la  laisser  se  refroidir  et  dissiper  la  chaleur  produite.  Itans  ces 
conditions,  la  télégraphie  optique  peut  se  faire  avec  une  petite 
ampoule  de  dimension  fort  réduite,  un  manipulateur  et  une 
pile  minuscule,  trois  objets  qu’un  soldat  emporte  facilement 
dans  son  sac. 

11  n’est  pas  Jus(|u’en  médecine  où  l’invention  nouvelle  ne 
trouve  des  applications  inattendues.  On  sait  toute  l’importance 
qu’a  prise  récemment  la  photothérapie  ou  mode  de  traitement 
par  bains  de  lumière.  L’action  de  la  chaleur  étant  souvent  irri- 
tante, on  conçoit  tout  l’avantage  qu’il  y a à la  séparer  de  celle 
de  la  lumière,  seule  bienfaisante.  De  plus,  par  suite  de  la  faible 
dépense  de  courant  nécessitée  par  le  procédé  préconisé,  il  devient 
possible  tà  chacun  d’applicpier  chez  soi,  à peu  de  frais,  ce  traite- 
ment autrefois  très  coûteux.  Dans  l’endoscopie  et  l’exploration 
des  organes  internes,  le  médecin  se  servira  aussi  avec  avantage 
de  cette  source  nouvelle  d’éclairage,  qui  lui  permettra  d’avoir, 
sous  un  volume  fort  réduit,  une  lumière  très  puis.sante. 

lùi  résumé,  les  applications  de  l’éclairage  artificiel  suivant  les 
procédés  de  M.  Dussaud,  se  rencontrent  dans  tous  les  domaines 
et  il  y est  appelé  à un  grand  avenir.  Le  Ministère  de  l’Instruc- 
tion publique  en  France,  l’a  adopté  pour  les  écoles  officielles. 
Lette  décision,  qui  consacre  définitivement  l’invention,  a été 
prise  à la  suite  du  rapport  remis  par  une  commission  de  spé- 
cialistes, chargés  d’examiner  à fond  la  question.  D’auti'es  essais 
sont  en  cours  au  département  de  la  guerre,  et  ont  Jusqu’ici 
donné  toute  satisfaction. 

E.  Demamet, 

Ingénieur  Klectricien. 


BIBLIOGRAPHIE 


I 


\VAin{S(:iiEi.M,i(;iiKKiTSRK(;iL\rN(;  von  A.  A.  M\iiKOKK.  Nach  det 
zvveiton  Anllago  des  nissischen  Werkes  iib<‘isetzt  von  H.  Lieh- 
MANN.  — Leipzii^-  iind  Berlin,  B.  (’■.  Tenliner,  lîM!2  (in-8'  de  vii- 
317  pp.).  l'rix  ; l)roclié,  \"i  marcs;  cartnnné,  13  marcs  (1). 

L’aulenr  indicjne  nelLemenI  dans  sa  préface  le  but  de  son 
traité  : exposer  avec  rigueur,  au  point  de  vue  analytique,  les 
théorèmes  fondamenlaux  du  calcul  des  probabilités,  sans  en 
discuter  minutieusement  les  principes  et  sans  en  étudier  les 
applications.  Les  principes  admis  soni  d’ailleurs  indiqués  expli- 
citement et  réduits  au  nond)re  minimum.  Les  théorèmes  prin- 
cipaux sont  prouvés  seulement  comme  lliéorèmes  asymptotiques, 
sans  indication  des  approximations  précises  obtenues  avant  le 
passage  à la  limite.  .Maintes  démonstrations  sont  empruntées 
à des  travaux  peu  connus  en  Occident  (d  dus  à Tchebychef  et 
à ses  continuateurs,  Markof,  Liapounof,  etc. 

Dans  le  [)remier  cha(»itre.  Notions  et  théorèmes  fondamentaux 
(pp.  1-17),  l'auteur  donne  la  définition  de  la  probabilité  mathé- 

(1)  L’ofigiiiat  russe  a paru  en  l'JOS.  en  seconde  édition,  sous  le  titre  ; 
l.STCniSI.ÉN'Ili  VÉKOÏAT.NOSTEÏ.  A.  .MAHKOV.  VtOHUÏE  IZDANIÉ  (S.  [’éters- 
boiirg-,  inipi'irnerie  de  l'.Vradémie  impéi  iale  des  Sciences,  1908  ; in-8'’ de  iv- 
‘âSi  ])p.).  — l.a  troisième  édition  russe  va  on  vient  de  paraître.  I^’auteur 
a put)lié  en  mênie  temps  une  hrochure  intilnlée  : « liicentenaire  de  la  loi  des 
grands  nombres.  1719-1913.  Démonstration  du  second  théorème-limite  du 
Calcul  des  [irobabilités  par  la  métiiode  des  moments.  Supplément  à la  3'  édi- 
tion russe  du  Calcul  des  jtrobaliilités  par  A.  Markolt  (Markov).  .Avec  un  por- 
trait de  .lacques  Bernoulli.  St-Pétersbourg,  imprimerie  de  l’Académie  impé- 
riale des  Sciences.  Vass.-Ostr.,  9'"  ligne,  N°  12,  1913  » (in-8“  de  iv-fiO  pp.). 

Nous  écrivons  le  nom  de  l’auteur  avec  un  seul  /,  parce  que  le  second  est 
inutile.  En  russe,  il  y a un  ii  comme  l’auteur  l’indique  dans  le  titre  du 
supplément. 


BIBLIOGRAPHIE 


515 


mati(jiif3  en  partant,  du  concept  d’événements  également  pos- 
sibles; à propos  d’mi  exemple  élémentaire,  il  lait  connaître  les 
deux  principes  relatil's  à l’addition  et  à la  mnitipliralion  des 
probabilités.  Il  a[)pelle  rattention  sur  ce  (jn’il  nomme  l’axiome 
de  l’indépendance  ; « l’arrivée  d’nn  événement  exclut  tons  les 
cas  dél'avorables  à celte  arrivée,  sans  changer  la  probabilité  des 
cas  favorables  r>.  Onand  il  s’occupe  de  la  probabilité  des  événe- 
ments composés  d’événements  simples  indépendants,  il  lait 
observer  (pi’il  est  bien  dilficile  de  donner  des  exemples  pi‘aliqnes 
où  cela  se  présente. 

Le  second  chapitre  est  consacré  aux  épreuves  répétées  et  au 
théorème  f asymptotique)  de  Bernoidli  (pp.  l(S-44),  que  les 
limites  soient  on  ne  soient  pas  symétriques  par  rapport  an 
terme  le  pins  grand.  La  démonstration  est  celle  de  Laplace 
modifiée  par  Tcbebychef.  Cette  démonstration  est  applicable 
même  à la  loi  des  grands  nombres  de  F'oisson,  dont  il  est  que.s- 
tion  dans  le  chapitre  III.  Elle  peut  être  rendue  inattaquable  au 
point  de  vne  de  la  rigueur,  bien  qn’il  semble,  au  premier  abord, 
([ue  l’on  y néglige  un  nombre  indéfini  de  quantités  infiniment 
petites,  sans  justification  sidlisante. 

Le  chapitre  suivant  intitulé  Somme  de  grandeurs  indépe)i- 
dantes  (pp.  45-9J)  est  le  plus  original  de  l’ouvrage.  On  y trouve 
les  recherches  des  géomètres  russes  sur  des  généi'alisations 
diverses  du  théorème  de  Hernoidli,  au  moyen  de  la  théorie  de 
l’espérance  mathématique.  Comme  le  remarque  .M.  Pizetli  dans 
son  analyse  du  livre  de  M.  Alarkof  (Hollettino  di  iüblioCtRAFIa 
E m STORIA  DELLE  SCIEXZE  MATEM.ATICHE  de  C.  LoHa,  1913, 
pp.  17-21),  il  est  plus  simple  d’appeler  valeur  moyenne  i\\\ne 
quantité  variable  accidentellement  la  somme  des  valeurs  pos- 
sibles de  cette  quantité  multipliées  par  leurs  probabilités  res- 
pectives que  de  donner  à cette  somme  de  produits  le  nom 
d'espérance  mathématique  de  cette  quantité  ; ce  terme  technique 
doit  plutôt  être  réservé  à la  théorie  des  jeux. 

Voici  la  suite  des  propositions  établies  dans  ce  chapitre  111  ; 
Valeur  moyenne  d’une  somme,  d’un  produit.  Lemme.  Si  A est 
la  valeur  moyenne  d’une  grandeur  l’,  la  probabilité  que  U<A(^ 
est  plus  grande  quel  — t~-,  (étant  quelconque.  Inégalité  de 
Tchebyehef  .•  Si  a,  ù,  c,  ai,  ù,,  c,,  ...,  l^  sont  les  valeurs 
moyennes  des  variables  indépendantes  X,  V,  Z,  ...,  W,  et  de 
leurs  carrés  X^,  V^,  Z^,  ...,  VV^,  la  probabilité  que  SX  = X-f-Y-f 
Z -f-  •••  + W est  comprise  entre  Sa  — t \/Sa,  — Sa  et  Sa  -f 
/\/Srti  — Sa  surpasse  1 — t~-,  t étant  quelconque.  Un  a posé 


516 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


— fit  -f-  -j-  • • • -j-  /,  S^?i  — “1“  6“  ^'i  • • • “1“  6 • Théo- 

rème de  BernooUi  généralisé  : Si  Ifts  ([iiantités  a^,  h^,  c^,  ..., 
dont  le  iioiuhre  |a  esl  aussi  grand  qu’oii  le  veni,  sont  inl'érienres 
à li,  alors  pour  p snHisainmenl  grand,  e et  q étant  des  quantités 
positives  (|nelconqnes,  la  prohabililé  que  l’on  ail 

— e<  ^ SX  — ^ Se<e 
M M 

surpasse  J — q.  Corollaire.  Si  a,  h,  c,  /,  soûl  Ions  plus 
grands  que  G,  {)our  p sudisamineni  grand,  SX  surpasse  toute 
grandeur.  Théorème  de  Poisson  (appelé  loi  des  grainls  nombres 
en  Occident.  .Markof  ilonne  ce  nom  au  tbéorème  de  Rernoulli 
généralisé).  Pour  un  nombre  p d’épreuves,  il  y a une  [u'obabi- 
lité  supérieui-e  à 1 — q (jin*  l’on  a 

m />,  + Ps  H h 

e<  — <e 

P P 

si  pe^q  > I ; ni  est  le  nombi'e  (rarriv(‘(“  des  événements  X,,  X,, 
...,  Xy  de  probabilité  p.^,  ...,  p^.  Oiiand  ces  i>robabilités  sont 
égales,  on  a le  théorème  oi'dinaire  de  Bernoulli.  — Exemple 
numéri(pie.  — lntrf)duction  de  l’intégrale  de  Iia[)lace  dans  l’esti- 
mation des  probabilités.  — Limite  de 

1 (SX  — Srt)  : \/3Sc]"', 

c,,  étant  les  valeurs  moyennes  des  (X  — a).  — Théorie 

du  risque  eu  général,  du  ris([ue  au  jeu,  des  jeux  équitables  ou 
non. 

Il  y a lieu  di^  l'aire  maintes  observations  sur  ce  chapitre 
important. 

Le  début  et  la  lin  en  sont  [)res([ue  trop  ébunentaires  comparés 
au  reste  de  l’ouvrage. 

La  partie  centrale,  c’est-.à-dire  tout  ce  qui  dépend  de  l’inéga- 
lité de  Tchebychef,  est  élémentaire  aussi,  en  ce  sens  que  les 
théorèmes  sont  démontrés  au  moyen  de  relations  algébriques 
très  simples.  Mais  leur  portée  est  moindre,  croyons-nous,  que 
celle  des  théoi-èmes  correspondants  obtenus  par  Laplace,  Poi.s- 
son  et  leurs  continuateurs  au  moyen  du  calcul  intégral.  Dans  un 
exemple  nurnéri(iue  relatif  au  théorème  de  Bernoulli,  donné  au 
§ 15,  on  trouve  que  la  probabilité  de  la  double  inégalité 


BIBLIOGRAPHIE 


517 


— 0,02  ■<[(//?  : ü)  — 0,6]  <0,02  est  plus  grande  que  0,999,  si 
M =(i0l)000,  d’après  les  inégalités  de  ïcliebycher;  par  la  inélhode 
de  Laplace,  il  sndit  que  g soit  égal  à 6520,  c’est-à-dire  92  fois 
pins  petit. 

Dans  le  § 16,  l’antenr  introduit  l’intégrale  de  Laplace  dans 
restiinalion  des  piobabilités  étudiées,  en  recourant  à l’analyse 
intinitésiinale.  Oi-,  après  nenl' pages  de  calcul,  il  fait  remarquer 
(p.  76)  ([lie  la  démonstration  ne  permet  nullement  d’estimer  le 
degré  d’approximation  des  formules  obtenues,  ce  qui  est  une 
lacune. 

Les  travaux  de  .M.  Ch.  de  la  Vallée  Poussin  et  les  nôtres, 
publiés  depuis  longtemps  déjà,  donnent  ce  degré  d’a[)proxima- 
tion  tant  pour  le  théorème  de  liernoulli  que  pour  la  loi  des 
grands  nombres  de  Poisson.  Comme  ces  recherches  publiées  en 
Helgique  sont  trop  peu  connues  en  dehors  de  notre  pays,  nous 
croyons  devoir  les  signaler  ici. 

Vous  avons  publié  dans  les  Annales  de  la  Société  scienti- 
fique DE  Bruxelles  en  1902,  une  démonstration  du  théorème 
de  Bernoulli,  pour  une  valeur  finie  de  g.  Nous  avons  enfermé  la 
probabilité  cherchée  entre  l’unité  et  l’intégrale  de  Laplace,  dimi- 
nuée d’nne  fraction  dont  l’expression  est  assez  compliquée;  nous 
avons,  dans  la  suite,  simplifié  cette  démonstration  (Annales, 
etc.,  1912, 19JB).  Dès  1907  (même  recueil),  M.  de  la  Vallée  Pous- 
sin, par  deux  méthodes  différentes,  a resserré  la  même  proba- 
bilité entre  des  limites  plus  rapprochées  et  de  forme  plus 
élégante. 

En  1910  (.Vnnales  ; de  plus,  sans  calcul  dans  le  Bulletin  de 
LA  Classe  des  Sciences  de  l’.-Vcadémie  de  Belgique)  nous  avons 
montré  que  la  démonstration  de  la  loi  des  grands  nombres  de 
Poisson,  pour  q /ini,  peut  se  déduire  de  toute  démonstration  du 
théorème  de  Bernoulli.  Voici  cette  preuve  en  abrégé  : Soit 
{p-\-(jY-=  Ep  .M(  P, g)  -f  Er/,  M(p,fy)  se  composant  des  termes 
moyens  du  binôme  qui  donnent  la  probabilité  considérée  dans 
le  théorème  de  Bernoulli,  Ep  les  termes  qui  précédent  M(Pi(/) 
et  dont  le  premier  est  p^,  V.q  les  termes  qui  suivent  M(Pi7)  et 
dont  le  dernier  est  q^  -,  Ep,  Eg  sont  évidemment  des  fonctions 
croissantes  avec  p ou  q.  On  suppose,  dans  la  Loi  des  grands 
nombres,  que  p varie  de  pj  à p^,  q de  q^  k q^,  p,  étant  supérieur 
à P2,  9.2  à (/,.  11  est  évident  que  la  probabilité  à calculer  pour 
établir  cette  loi  est  supérieure  à 1 — Epj  — Eq^  et,  a fortiori, 
à 1 — Ep,  — E7,  — Epj  — E^.,  ou  M(p,,  r/,)  -f  M(p^,  q.2)  — 1 . Or 
la  seconde  méthode  de  M.  de  la  Vallée  l'oussin  permet  d’évaluer 


518 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Kpi,  Er/,;  la  première  et  la  nôtre,  M(p,,  M(  Pa,  ^/j)  a'’«c  une 
approximation  (léterminée  pour  une  valeur  <lonuée  de  p.  — 
S’il  s’agissait  de  la  loi  des  grands  nombi-es  comme  théorème 
asymptotique,  pour  |u  = oc,  on  peut,  d’a[)rès  (‘e  ipii  précède,  la 
déduire  de  la  démonstralion  élémentaire  que  .laccpies  Hernoulli 
a donnée  de  son  théorème,  puisque,  dans  ce  cas,  pour  p=oc, 
Hi)  t>nt  rnnité  pour  limite. 

Dans  le  chapitre  lY,  intitulé  ; Exemples  des  diverses  méthodes 
du  calcul  des  probabililés  (pp.  9;i-J47),  rantenr  donne  la  solu- 
tion de  huit  ]n-ohlèmes  classi(ines  bien  choisis,  soit  par  la  théo- 
rie des  combinaisons,  soit  par  le  calcul  des  ditlérences,  avec  des 
indications  sur  l’évalnation  des  fonctions  de  grands  nombres  au 
moyen  de  l’intégrale  de  Laplace;  au  fond,  il  revient  aussi 
(pp.  J85-H1)  sur  le  théorème  de  Dernotdli.  l.oterie  de 
(lènes  et  généralisation.  3’  Cinq  (piestions  sur  des  tirages  répé- 
tés d’une  urne.  /U-h"  Problème  des  i)arlis  dans  le  cas  de  deux 
on  de  trois  jomnirs.,  (î'’-7“  Problème  de  la  mine  du  joueur  avec 
des  corrections  importantes  à la  sohdion  de  Pionché  et  Bertrand. 
8'’  .len  des  trois  dés  généralisés. 

Pai'lbis  les  explications  de  M.  Markofsont  élémentaires,  par- 
fois elles  siq)posent  une  connaissance  étendue  du  calcul  des  dif- 
férences. Il  aurait  fallu  introduire,  dans  ce  chapitre,  ce  nous 
semble,  la  solution  de  Pascal  pour  le  problème  des  partis,  sous 
forme  de  citation  : elle  est  identi([ue  an  fond  à celle  qin  repose 
sur  le  calcul  des  dilféi'encccs,  mais  elle  fait  vraiment  connaître 
l’esprit  de  la  sobilion  et  est  merveillensernenl  claire. 

I.e  chapitre  V traite  des  probabiii lés-limites  et  des  probabilités 
continues  (pp.  148-J77).  L’antenr  définit  avec  précision,  dans 
les  cas  qu’il  considère,  la  probabilité-limite  d’un  événement 
limite  d’antres  événements,  les  probabilités  continues  dans  un 
espace  à une  on  deux  dimensions  et  l’espérance  mathématique 
l orrespondante.  Il  applique  ces  notions  à qnebjues  problèmes 
traités  avec  grand  soin  : tirobabililé  (in’nne  fraction  soit  ir.f’é- 
dnctible;  probabilité  que  trois  droites,  choisies  arbitrairement, 
mais  de  deux  manières  ditîerentes,  puissent  former  un  triangle; 
problème  de  l’aignille  dans  un  plan  divisé  en  bandes  égales  ou 
en  triangles  égaux,  problème  du  disque  dans  le  premier  cas; 
probabilité  qu’une  somme  de  vecteurs  soit  comprise  entre  des 
limites  données. 

.\1.  .Markof  fait  très  bien  comprendre  pourquoi  les  problèmes 
relatifs  aux  probabilités  continues  peuvent  avoir  plusieurs  solu- 
tions distinctes  : les  hypothèses  du  point  de  départ  sont  diffé- 


BIBLIOGRAPHIE 


511) 


rentes  dans  les  diverses  manières  de  les  liai  1er,  comme  il  en 
donne  un  exemple  <à  propos  du  triangle  <à  tormer  avec  trois 
droites.  Dans  ce  dernier  problème,  l’auteur  introduit  des 
expressions  approchées  en  taisant  rernarquei',  avec  sa  conscience 
habituelle,  qu’il  ne  donne  pas  les  limites  de  l’approximation. 

Le  chapitre  VI  est  consacré  cà  la  probabilité  dex  omises  et  des 
événements  déduite  des  événements  observés  (pp.  178-'300).  Il 
contient  toutes  les  questions  générales  cla.ssiques  relatives  à ce 
sujet.  Dans  le  cas  d’un  nombre  illimité  de  causes,  l’ouvrage  ne 
contient  pas  les  Ibrmules  approchées  de  Poisson,  ni  nos  for- 
mules plus  précises  mais  moins  élégantes  sur  la  question 
(Bulletin  ue  l.v  liasse  des  sciences  de  l’Ac.\démie  de  Belcioue, 
1904,  1907).  L’auteur  a soin  de  faire  remarquer  (p.  J9B)  la 
faible  portée  objective  de  toute  cette  théorie  et  il  en  donne  les 
raisons.  Nous  ne  croyons  pas  que  l’on  puisse  en  conclure  l’incer- 
titude des  bases  théoriques  de  la  statistique  : on  peut  fonder 
celle-ci  sur  la  loi  des  grands  nombres  de  Poisson. 

Dans  le  dernier  paragraphe  du  chapitre,  on  trouve  un  exemple 
de  calcul  des  probabilités  des  témoignages  traité  avec  grand 
soin  de  manière  à mettre  en  évidence  toutes  les  hypothèses 
arbitraires  sur  lesquelles  il  repose.  Selon  nous,  contrairement  à 
l’avis  de  l’auteur,  on  ne  peut  rien  en  déduire  sur  l’incertitude 
de  l’histoire  ; la  probabilité  des  événements  historiques  repose 
sur  le  principe  de  l’accumulation  des  probabilités  indépendantes 
de  Newman,  trop  ignoré  des  mathématiciens.  Les  actes  impor- 
tants de  la  vie  de  l’humanité  à une  époque  donnée  ont  sur 
toutes  les  époques  ultérieures,  un  retentissement  qui  se  prolonge 
parfois  avec  des  conséquences  toujours  grandissantes  jusqu’à 
l’époque  contemporaine. 

Dans  le  chapitre  Vil,  l’auteur  expose  la  méthode  des  moindres 
carrés  (pp.  ^01-^40),  principalement  d’après  Gauss  dans  ses 
derniers  mémoires  sur  la  question  et  non  d’après  la  Theoria 
motus  ; il  se  rapproche  encore  plus  que  Gauss  d’une  méthode 
purement  algébrique.  Il  indique  avec  grand  soin  les  hypothèses 
admises  comme  point  de  départ,  en  disant  quand  il  le  faut,  que 
ces  hypothèses  ne  sont  pas  toujours  réalisées  en  pratique  et  que 
plusieurs  sont  introduites  uniquement  pour  rendre  les  calculs 
plus  faciles.  Il  fait  remarquer  que  la  loi  exponentielle  des 
erreurs  peut  se  justifier  plus  ou  moins  par  l’hypothèse  de 
Ilagen,  ou,  dans  certains  cas,  par  les  observations  ; mais  au 
fond,  elle  ne  sert  guère  qu’à  définir  l’erreur  probable.  Comme 
Gauss,  après  qu’il  eut  abandonné  la  théorie  des  erreurs  exposée 


520 


REVU  K DES  QUESTIONS  SOIENT!  KIQUES 


(l;ms  \a  Thenria  motus,  M.  Markol' n’attache  aiicmie  importance 
■à  cette  notion  crerrenr  probable  ; la  connaissance  de  la  précision 
des  observations  se  déduit  aussi  clairement  de  celle  de  l’erreur 
qiiadratiipie  moyenne,  (pii  van!  une  fois  et  demie  l’erreur 
probable,  dans  l’iiypothèse  de  la  loi  exponentielle  des  erreurs. 

La  subdivision  de  ce  chapitre  VII  est  la  suivante  ; Diverses 
soi'tes  d’erreurs,  détinitions  et  hypothèses  ; cas  d’une  inconnue  ; 
cas  de  plusieurs  inconnues  ; cas  où  il  existe  des  relations  exactes 
entre  les  inconnues  ; exempb;  du  calcul  des  angles  d’un  triangle, 
les  trois  angles  ayant  été  mesurés  plusieurs  Ibis.  (Juebpies  autres 
exemples  ipiand  il  y a une  seule  inconnue  ou  plusieurs  incon- 
nues indépendantes  aui'aient  été  les  bienvenus.  Çà  et  là,  au 
point  de  vue  algébricpie,  l’exposition  pourrait  être  simplifiée. 

Le  huitième  et  dernier  chapitre,  tes  assurances  sur  la  vie 
(pp.  247-258),  (hume  la  solution  de  nenl' pi'oblèmes  tbndamen- 
taiix  sur  la  matière  ; quand  il  y a deux  assurés,  l’auteur  suppose 
([u’ils  ressortissent  de  labiés  dilïérentes  de  mortalité. 

Les  trois  appendices  de  l’édition  allemande  (pp.  250-811)  et 
le  Siqiplément  de  la  troisième  édition  russe  traitent,  sons  des 
litres  divers,  de  (piestions  d’analyse  ou,  si  l’on  veut,  de  calcul 
des  [(robabililés.  Dar  des  calcids  très  complexes,  l’auteur  prouve 
<iue  certaines  sommes  peuvent  s’exprimer  par  l’intégrale  de 
2 r'^ 

Laplace  I e~'‘d(. 

\ TT  jo 

line  table  des  valeurs  de  cette  intégrale,  refaite  par  l’auteur 
avec  grand  soin,  de  x = 0,  à x = 2,5,  de  millième  en  millième, 
avec  six  décimales  ; de  x = 2,5  à x = 3,70,  de  centième  en 
centième,  avec  7 décimales,  termine  l’ouvrage  (pp.  312-317), 
avec  un  court  index  des  définitions  et  des  théorèmes  (p.  318). 

L’ouvrage  de  .VL  .Markof,  au  [)oint  de  vue  de  la  rigueur,  est 
évidemment  siq)érieui-  aux  [)lus  célèbres,  je  veux  dire  à ceux 
de  Bertrand  et  de  Poincaré,  où  les  hypothèses  fondamentales, 
les  théorèmes  et  leurs  démonstrations  ne  sont  pas  exposés  avec 
une  précision  sulfisante. 

.Vu  point  de  vue  didactique,  le  traité  du  savant  russe  est  un 
peu  inégal  : parfois  les  raisonnements  même  élémentaires  sont 
exposés  tout  au  long,  parfois  des  déductions  difficiles  ne  sont 
({u’esquissées.  .Mais  c’est  là  un  petit  défaut  en  comparaison  du 
grand  mérite  de  l’ouvrage  : il  fait  rélléchir  sur  l’enchaînement 
des  définitions,  des  {(rincipes  et  des  conclusions  que  l’on  en  tire  ; 
il  permet  à ceux  ([ui  l’étudient  avec  soin  d’avoir  des  idées  justes 
sur  la  portée  objective  du  calcul  des  probabilités. 

P.\ui.  M.\nsion 


BIBLIOGRAPHIE 


5^1 


11 

Leoahardi  Kl'lehi  Opéra  omnia  ser  atjspiciis  Societatis 
SciENTiARUM  iNATERALiUM  IIelveticae  ccleiula  ciiraveniiit  Fer- 
DiNAîND  Rudio,  Adole  Krazer,  Paul  Staeckel. 

Sériés  I,  Opéra  Matheiaalica.  Yolumen  XII.  — Leonhardi 
Fuleri  Institutiones  Calcl'li  Integr.alis  edideriml  Friedrich 
Fngel  et,  Ludwig  Schlesinger.  Yohimen  seriindurn.  Adiectae 
surit  Laureaïii  Mascherümi  Adaotatio.nes  ad  Lalculum  Inte- 
GRALEM  Fuleri.  Lipsiae  el  Rerolini,  iti  aedibus  J>.  G.  Teubneri. 
MGMXIY.  Fil  vol.  in-4”  de  xvi  et  54'2  pages. 

Sériés  I,  Opéra  Mathematica.  Yolumen  XXL  — Leonhardi 
Fuleri  Go.m.mentationes  Analyticae  ad  Theoriam  Inïegralium 
Fllipticorum  pertinentes  edidit  Adole  Krazer.  Yolumen  pos- 
terius.  MCMXlll.  Un  vol.  iii-4"  de  xii  el  380  [lages. 

Il  y a un  an,  dans  la  livraison  du  mois  d’octobre,  j’ai  rendu 
compte  ici  des  premiers  volumes  de  ces  deux  ouvrage.s;  il  m’est 
donc  permis  d’entrer  en  matière  sans  préambules,  notamment 
sans  m’étendre  en  généralités  sur  le  grand  Traité  de  Calcul 
Différentiel  el  Intégral  d’Fuler. 

Le  second  volume  du  Calcul  Intégral  est  réédité  d’après  les 
Institulionurn  Calcuii  Intégral is  Volunien  seaindum,  in  quo 
rnethodus  inveniendi  functiones  unius  variabilis,  ex  data  rela- 
tione  di(ferentialium  secundi  altiorisre  gradus,  perlraclatur. 
Auctore  Leonhardo  Fulero,  Acad.  Scient.  Boiaissiae  directore 
vicennali  et  socio  Acad.  Petrop.  Parisin.  et  Londin.  Petropoli, 
Impensis  Acaderniæ  Imperialis  Scientiarum,  1769.  La  première 
édition  du  tome  11  l'orme  un  fort  volume  in-A",  de  (4),  526  et 
(8)  pages,  dont  je  connais  un  exemplaire  à la  Bibliotbèque  de 
l’Observatoire  Royal  de  Belgique.  Il  eut  une  [iremière  réédition 
à Saint-Pétersbourg,  en  1792,  une  autre,  dans  la  même  ville, 
en  1827,  et  une  traduction  allemande,  par  .lose[)h  Salomon, 
publiée  à Yienne,  en  1829  ; mais  il  n’a  jamais  eu  d’édition 
française. 

La  première  partie  du  livre  1 du  Calcul  Intégral  fait,  on  se 
le  rappelle,  l’objet  du  tome  I.  Elle  est  intitulée  : Méthode  pour 
rechercher  les  fonctions  d’une  variable,  connaissant  une  relation 
quelconque  des  différentielles  du  premier  degré  ; le  volume 
actuel  est  consacré  à la  seconde  partie  du  même  livre. 


Ri:vrE  DES  QUESTIONS  SCIEXTJFIQUES 


;) 


•>9 


Livre  1,  Seconde  dartie,  ou  Méthode  pour  trouver  les  fonctions 
d’une  variidde,  conunissunt  une  relation  du  second  degré,  ou 
d'un  degré  supérieur,  entre  les  dilférenlielles. 

Sectdjn  I.  — Késoliilioii  des  équations  (liHérenlielles  du 
second  degré,  qui  ne  renrermeni  (fue  deux  variables.  — Ch.  1. 
Intégration  des  formules  ditl'éreutielles  simples  du  second  degré. 

- - Ch.  Des  éijualions  ditférenlio-difïérenlielles  (ditfei'cntio- 
dilTerenlialibus)  dans  lesquelles  une  des  variables  fait  défaut. — 
Ch.  .’L  Des  équations  ditférenlio-dilférentielles  homogènes,  et 
de  celles  qui  peuvent  être  ramenées  à cette  forme.  — Ch.  4.  Des 
é(|uations  ditférentio-diiférentielles,  dans  lesquelles  une  des 
variables  n'a  (pi’une  seide  dimension.  — Ch.  5.  De  l’intégration 
des  équations  ditlérentielles  du  second  degré,  dans  lesquelles 
une  des  variables  ne  dépasse  i>as  le  premier  degré,  par  facteurs. 

— Ch.  I).  De  l'intégration  des  autres  équations  dilférentio-dilfé- 
renlielles,  à clfectuer  par  des  mulliplicateui’s  convenables.  — 
Ch.  7.  De  la  résolution  de  l’équation  ddg  ax"gdx~  = par 
d(!s  séi’ies  inlinies.  — Ch.  8.  .Vôtres  é([uations  dillëreidio-diffé- 
l'cntielles,  résolues  [>ai'  séides  infinies.  — Ch.  9.  De  la  transfor- 
mation des  équations  dilférentio-dilférentielles  de  la  forme 

\jldg  -f-  Mdxdg  + = (I. 


Ch.  JO.  De  la  construction  des  équations  ditféi’entio-dilféren- 
tielles,  par  les  (|uadratures  des  courbes. — Ch.  11.  De  la  construc- 
tion des  équations  dilTérentio-dilférentielles,  par  leur  réduction 
en  séries  intinies.  — Ch.  1:2.  De  l’intégration  des  équations 
ditlérentio-diiférentielles,  par  approximations. 

Section  11. — De  la  résolution  des  équations  dilférentielles  du 
troisième  degré  et  de  degrés  supérieui-s,  qui  ne  renferment  que 
lieux  variables.  — Ch.  \.  De  rintégiation  des  formules  dilTéren- 
tielles  sim[)les  du  troisième  degré  ou  d’un  degré  supérieur.  — 
Ch.  0.  De  la  résolution  des  éipiations  de  la  foiane 


\g  ~ 


Udg 

dx 


Ohlg 

dx- 


I hCg  , ^-d*y 


+ etc. 


en  regardant  l’élément  dx  comme  constant. 

Ch.  8.  De  rintégration  des  équations  dilférentielles  de  la  forme 


X 


A.V  -r 


B(/^  Cddg 
dx  d.r^ 


\)dCj  KdCj  , 

d:c^  d.x^  ^ 


etc. 


BIBLIOGRAPHIE 


52:5 


Ch.  4.  A[)|)li(':ili()ii  de  l.i  mélliode  de  l’inlégralioii  doimée  au 
chapilre  piécédenl,  à des  exemples.  — Ch.  5.  Iiilugralion  des 
é(]ualions  dilTémitielles  de  la  Ibrme 


..  . I Vixdii  I Cv^rlchi  . \);r^(Cii 


\\x'(Cy 

(Ix^ 


+ etc. 


Ix  Traité  de  Catcat  dijl'éreidiel  et  ôi/eV/ee/ d’Kuler  comprend, 
je  le  rappelle,  cinq  i'orts  volumes  in-4'’;  un  pour  le  C(dcnl 
Wiféreniiel , el  quaire  pour  le  Calcul  Intéyral.  Ils  parureni 
respeclivemeni,  en  J755,  J708,  I7()0,  J77U  el  I7!l'i-;  ce  dernier 
api'ès  la  mort  de  railleur.  De  ces  cinq  volumes,  celui  qui  est 
consacré  au  Calnd  Différeatiel  et  les  deux  [)remiers  volumes  du 
Calcul  hdcfjral,  sont  aujourd’hui  réé(iilés  dans  les  Œuvres 
cn/njo/è/ei' d’Kulei'.  Il  faut  bien  l’avouer,  cependani,  ce  n’est  pas 
loul  (|ue  de  posséder  celte  réédition  ! l’onr  le  mathématicien 
(pie  rehutent  souvent  les  longnies  recherches  hihliographiques, 
l’immensité  de  l’onivre  d’KnIer  la  rend  pénible  à consulter. 
(Jue  de  temps  [larl'ois  on  consume  inutilement  avani  de  réussir 
à mettre  la  main  sur  le  volume  fpii  conlieni  le  mémoii'e  ou  le 
chapitre  cherclié  ! 

Voilà  pour([uoi,  relativement  au  lome  II  du  Calcul  Intégral 
d’Euler,  je  signalerai  tout  d’ahoi'd  la  Verzeichnis  der  Schriften 
Leonhard  Eulers,  jiar  M.  Enestrorn  (.l.vimESisEiuciiT  deh  Deut- 
scHEN.\l.\TtiEMATiKEiiYEHEii\iGUAG,  lier  ei'gànzuiigshànde  1 V.Ilancl, 
Leipzig-,  Teuhner,  11)10  el  1013).  l‘our  s’oî'ienter  dans  l’onivre 
d’Enler  il  l'ant  toujours  commencer  [lar  ('onsulter  celle  biblio- 
graphie du  savant  suédois.  Le  lecteur  y trouvera  (p.  0(S)  le  texte 
original  latin  des  litres  des  chapiti-es,  dont  j’ai  donné  ci-dessus 
la  traduction;  renseignement  parlbis  iirécieux  pour  pouvoir 
contr()ler  les  citations. 

.Après  la  Verzeichnis  d'Enestrom,  vient  le  tome  IV  des  Vorle- 
sungen  über  Ce.schichte  der  Maiheiuallh,  de  .M.  .Maurice  Lantor 
(Leipzig,  Teuhner,  1008).  M.  Lantor  y donne  Ini-mème  une 
courte,  mais  bonne  analyse  des  Inslllullones  d’Euler  (pj).  1001 
et  100;2).  En  outre,  dans  la  XXVL  section  du  même  ouvrage, 
M.  Vivaldi  étudie,  à plusieurs  reprises,  d’une  manière  plus 
ap[)rolbndie,  les  parties  principales  des  In^lHuliones  (pp.  030- 
800). 

En  a[)pendice  au  lome  111  du  Calcul  Intégral  d’Euler,  les  édi- 
teurs nous  donnent  deux  ouvrages  de  Laurent  .Mascheroni  : 

Adnolaliones  ad  Calculuin  Iniegralein  Culeri  in  quibus  non- 


524 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQI'ES 


nidla  problemata  ab  FAilero  proposila  remlvnnlnr,  Aiictore 
l.aiirentio  Mascheroiiio,  in  R.  archigyninasio  Ticinensi  niathem. 
prof.  Acad.  Pataviiiae  ac  I{.  Mantnanae  socio.  Tioiiii.  Kx  typogra- 
phia  Pétri  Galealii,  praesid.  rei  litter.  pmniltenle.  AiinoMtKiGXC. 
Ge  voliiine  renlerme  six  notes,  dont  |)lnsienrs  ont  l’éleiulne  de 
vérital)les  mémoires. 

Adnolnlionum  ad  Cakuhnn  Integraleai  Eideri,  in  fjaibus 
nunnidlae  fonnulae  ab  Ealero  propositae  pleniax  evolvunlvr, 
paî'S  altéra.  Anclore  l.anrentio  .Ma.scheronio  in  U.  archigymna.sio 
Ticinensi  matliem.  prof.  .Vcad.  l’atavinae,  li.  .Mantnanae  atcpie 
Italicae  socio.  Ticini,  .MltGG.XPdl.  Kx  typographia  liaerednm 
Pétri  (ialeatii,  [iraesid.  rei  litter.  permitt.  P.e  volume  rcnrerme 
deux  notes,  on  pins  exactement,  deux  mémoires. 

Les  deux  titres  des  Adnotatioaes  de  .Mascheroni,  comme  d’ail- 
leurs celui  du  Calcul  Intégral  d’Euler  transcrit  ci-dessus,  sont 
reproduits  [)ar  le  procédé  anastatique. 

I.aurent  .Mascheroni  na(iuit  à Gastagnena,  lires  de  Hergame, 
le  15  mai’s  1750,  et  mourut  à l’aris,  le  14  juin  LSOO.  11  est  sur- 
tout connu  comme  mathématicien,  mais  d lut  aus.si  poète  et 
philologue.  Ses  premières  études  furent  même  purement  litté- 
raires et  il  avait  vingt-sept  ans  quand  il  sentit  naître  en  lui  le 
goût  des  mathémati(iues.  Son  umvre  .scientilique  est  considé- 
rable; mais,  parmi  tous  ses  ouvrages  La  gcninelria  del  compasso 
( Pavie,  1707)  contribua  le  plus  à sa  réputation.  La  Géomélrie  du 
compas  traduite  en  français  par  Garette,  ollirier  du  génie,  eut 
deux  éditions  à Paris,  i’une  en  1798,  l’autre  en  18:^8. 

Rééditer  les  Aiinolationes  de  Mascheroni  en  appendice  au 
tome  11  du  Calcul  IntégraLsoWb  sans  doute  une  idée  heureuse; 
mais,  pour  heaucoiqi  de  lecteurs,  une  note  (pii  en  efit  donné 
les  raisons  n’eùt-elle  pas  été  de  mise,  soit  dans  la  préface,  soit 
au  bas  des  pages?  Tout  au  moins,  n’aurait-il  pas  convenu  de 
donner  une  indication  hihliogi'aphique  renvoyant  à quelque 
travail  sur  le  sujet  ? .\  la  lin  de  .sa  vie  Euler  avait  perdu  la  vue, 
tous  les  mathématiciens  le  savent.  Ils  ignorent  souvent  com- 
ment l’illustre  aveugle  composait  ses  mémoires  et  la  part  con- 
sidérable qu’amis  et  élèves  ])renaient  parfois  à leur  l'édaction. 
Cette  part  variait,  allant  de  la  simple  écriture  sous  la  dictée, 
jusqu’à  une  conti  ihution  personnelle  sufli.sante  pour  permettre 
aux  collaborateurs  de  signer  de  leui'  nom  le  développement 
((u’ils  avaient  donné  aux  idées  du  maître.  Ge  fut  souvent  le  cas 
d’un  des  fils  d’Euler,  .lean-Alhert,  dont  .M.  Enestrom  met  avec 
raison  une  catégorie  d’ouvrages  à la  lin  de  la  bibliographie  des 


l51HL10(iRAl‘lIlH 


o’J;> 


œuvres  de  Léonard  fpp.  ::îl8-22:2)  en  vue  de  leur  réédilion  dans 
les  Opéra  omnia. 

Pour  quelles  raisons  précises  Mascheroni  est-il  réédité  ici  ? 
Lncore  une  fois  l’idée  est  heureuse  et  il  ne  s’agit  pas  de  la  cri- 
liqner.  Mais  il  eut  d’autant  mieux  valu  la  justifier,  qu’on  donne 
parfois  une  imi)ortance  trop  grande  à Mascheroni  dans  l’histoire 
de  la  seconde  édition  des  Insliluliones  Calcnli  Differeutialis 
d’Euler.  Qu’on  se  rappelle,  pour  s’en  convaincre,  les  notes  sur 
ce  sujet,  publiées  i)ar  MM.  Enestrom  et  Vivauti,  dans  la  Biblio- 
THECA  Mathe.m.atigâ  (S^séi’.,  t IX,  læipzig,  Teuhner,  l!)08-JOOU, 
pp.  175,  17()  et  '266). 

Les  Adnolationes  de  .Maschei'oni  ont  été  analysées  par  M.  Yi- 
vanti,  au  tome  IV  des  Vorlesurujea  i'iber  Geschichte  dcr  Mttthe- 
matik  de  M.  .Maurice  Lantor,  cité  ci-dessus  (p[>.  7:11  et  735). 
Linq  savants  moins  connus  que  Mascheroni  ont  collaboré  aux 
Adiiotationes ; ce  sont  : G.  Fontana,  G.  Gratognini,  L.  Lotteri, 
F.  Paoli,  F.  Speroni.  .M.  Schlesinger,  qui  en  fait  la  remaïque 
dans  son  avant-propos,  se  contente  de  nous  dire  qu’ils  étaient 
tous  admirateurs  et  lecteurs  assidus  d’Euler.  Ils  formaient  avec 
.Mascheroni  un  groupe  de  géomètres  dont  ce  dernier  était  le 
centre  et  l’àme.  Tous  s’étaient  donné  pour  but  fie  propager  le 
plus  possible  les  idées  d’Euler.  M.  Schlesinger  ne  nous  en 
apprend  pas  davantage. 


En  rendant  comple  de  certains  volumes  des  Opéra  omnia 
d’Euler,  il  importe  tout  spécialement  de  mettre  le  lecteur  à 
même  d’identitier  aisément  les  mémoires  que  ces  volumes 
contiennent,  sans  l’obliger  d’avoir  le  volume  lui-méme  entre  les 
mains.  C’est  le  cas  pour  le  tome  11  des  Comrnentaliones  anal;i- 
ticae  ad  theoriam  integralium  ellipticoriim  pertinentes.  Pour 
atteindre  ce  but,  je  sinvrai  la  même  méthode  qu’en  rendant 
compte  du  tome  I ; c’est-à-dire,  qu’outre  la  traduction  française 
du  titre  de  chaque  mémoire,  j’en  donnerai  le  texte  original 
latin  ; j’y  ajouterai  la  référence  exacte  du  recueil  où  le  mémoire 
fut  publié  pour  la  première  fois  et  son  numéro  d’ordre  dans  la 
Verzeichnis  der  Schriften  Leonhard  Enlers  de  M.  Enestrom. 

506.  Eclaircissements  sur  une  méthode  très  élégante 
employée  par  l’illustre  de  la  Grange  pour  intégrer  l’équation 


dx 


différentielle  -7=^  = 


dy 

v'x^vv 

lissima,  qua  illustris  de 
IIP  SÉRIE.  T.  XXVI. 


(i)ilucidationes  super  methodo  elegan- 
a Grange  usus  est  in  integianda  aequa- 


REVl'E  DES  QUESTIONS  SCIENTIEIqUES 


tione  tliiïereiiliali  1.  Acta  Acade.miae  Scientiaiu  m 

\x  vy 

l’CTROPOLIl  A.NAE,  177(S  : I (17S0),  pp.  !Î0-r)7. 

Aîsl.  Kclaircissenienl  tillérienr  relatil'  à la  comparaison 
(les  quanlités  contenues  (lans  la  formule  intégrale 


J \ ( J + mzz  + nz^) 


on  Z re[)résente  une  fonction  rationnelle  (inelcompie  de  tc. 
( l’Ienior  explicalio  circa  comparationern  (piantilalnm  in  formula 
integra  li 

J \ ( I + mzz  + nz') 

contentarnm,  dénotante  Z funclionem  qnamcnimjne  rationalem 
i[»sius  Z2).  Acta  I’eth.,  17SJ  ; 11,  (1785;,  pp. 

N“  .58i.  ltévelopi)ement  complémentaire  de  la  comparaison 
(jn’il  est  {(ossihle  de  faire  entre  les  arcs  des  sections  coniques, 
(l'herior  evointio  comparationis,  (piam  inter  arcns  sectionnm 
conicarnrn  inslilnere  licel).  Acta  I’etic,  1781  II  (1785), 

l)I>. 

590.  nnel(|nes  théorèmes  analytiques,  dont  la  démonstra- 
tion n’est  pas  encore  trouvée.  (Tlieoremala  quaedam  analytica, 
quorum  demonstratio  adhuc  desideraturj.  Oitscuea  Aaaeytica, 
’i.  1785,  pp.  70-90. 

\°  605.  Des  propriétés  remar([uables  de  la  courbe  élastique 
représentée  par  ré(|ualion 

/ xxdx 

(De  miris  proprielalihus  cnrvae  elasticae  suh  aecpiatione 

I*  xxdx 

(1  — x^) 

contentae).  Acta  I’etiu,  1782  : Il  (1786),  pp.  "lA-Ol. 

.N“  024.  De  la  surface  du  c(')ne  scalène,  où  on  discute  princi- 
palement les  immenses  dillicultés  qui  se  rencontrent  dans  cette 
recherche.  (De  snperlicie  coni  scaleni,  uhi  imprimis  ingentes 
dillicultates,  (jnae  in  hac  invesligatione  occurrnnt,  perpendun- 


BIBLIOGRAPHIE 


Iiir).  XovA  Acta  Acaüemiae  Scientiarum  Petropolitaaae,  3, 
(1785),  1788,  pp.  ()!)-89. 

,V  (133.  Sur  la  recherche  de  deux  couches  algébriciues,  dont 
les  arcs  seraient  indéfiniment  ('gaux  entre  eux.  (fie  hinis  curvis 
algehraicis  inveniendis  quarum  arciis  indelinite  inter  se  sint 
aequales).  Nov.  Acta  I^etr.,  4 (178(1),  1789,  pp.  90-103. 

xV  (138.  Sur  d’innomhrahles  courbes  algébriques,  dont  la  lon- 
gueur peut  se  mesurer  par  des  arcs  paraboliques,  (fie  innumeris 
curvis  algehraicis,  quarum  longitudinem  per  arcus  paraboliços 
metii'i  licet).  Nov.  Acta  Petr.,  5 (1787),  1789,  pp.  59-70. 

.\"  639.  Sur  d’innombrables  courbes  algébriques,  dont  la 
longueur  peut  se  mesui'er  par  des  arcs  elliptiques,  (fie  innu- 
meris curvis  algehraicis,  quarum  longitudinem  per  arcus  ellip- 
ticos  metiri  licet).  Aov.  Acta  Petr.,  5(1787),  1789,  pp.  71-85. 

N“  645.  fies  courbes  algébriques,  dont  la  longueur  s’exprime 
f»ar  cette  formule  d’intégration 


(fie  curvis  algehraicis,  quarum  longitudo  exprimitur  bac  for- 
mula integrali 


*\ov.  ,\cTA  Petr.,  6 (1788),  1790,  pp.  36-(l::2. 

676.  Méthode  abrégée  pour  trouver  la  compar-aison  des 
<[uantités  transcendantes  contenues  dans  la  forme 


(.Methodus  succinctior  comparationes  (piantitatum  transcenden- 
tium  in  forma 


j \ (A  4-  “2B:  -f  Ctz  + -21):^  -f  K4) 

contentarum  inveniendi).  Iastitutio.nes  Calceu  Iatecralis,  4, 
1794,  pp.  504-524. 

.\°  714.  Exemples  de  (pielques  équations  dilférentielles 
l’emarqnables,  qu’on  peut  intégrer  algébriquement,  quoiqu’on 
ne  trouve  aucun  moyen  de  séparer  les  variables.  (Bxempla 


I*  v'‘^~'dv 

J \ 


528 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


quarumdani  meinorabiliuni  apquationiim  diliorentialium,  qnas 
adeo  algebraice  iiitegrare  lioel,  etianisi  mdla  via  pateat  varia- 
l)i|ps  a se  iiivicem  sepaiaiidi).  \ov.  Acta  Pi:tr.,  13  (1795/6), 
J8(b2,  pp.  3-J3. 

.\°780. D’une  inliuilédecourbes  algébriques,  dont  nue  longueur 
indéfinie  s’égale  à nu  arc  elliptique.  (De  iuliuilis  curvis  alge- 
braicis,  quariini  lougiludo  iudetiuita  arcui  elliptico  aequatur). 
.Mémoires  de  l’Académie  des  Sciences  de  Saint-Pétersbourg, 
IJ,  1830,  pp.  95-99. 

.V  781 . D’une  iufinilé  de  courbes  algébriipies,  dont  la  longueur 
s’égale  à un  arc  paraboli((ue.  (De  infinitis  curvis  algebraicis, 
((uarum  lougiludo  arcui  parabolico  aequatur).  Mém.  de  l’Ac.  de 
S.  Peters.,  11,  18r)0,  pp.  lOO-KlJ. 

.\®  78:2.  De  deux  courbes  algébriques,  qui  ont  la  même  recti- 
licatiou.  (De  biiiis  curvis  algebraicis  eadem  rectificatione 
gaudeutibus).  .Mém.  de  l’Ac.  de  S. -Peters.,  11,  1830,  pp.  102-113. 

.\"  783.  Des  courbes  algébriques,  dont  tous  les  arcs  peuvent 
se  mesurer  [lar  des  arcs  circulaires.  (De  curvis  algebraicis, 
quarum  omnes  amis  per  arcus  circvdares  metiri  licet).  Mém.  de 
l’Ac.  de  S.-Péters,  11,  1830,  pp.  111-124. 

X'’  817.  Des  ligues  courbes,  dont  la  rectification  peut  se 
mesurer  par  une  quadrature  donnée.  (De  lineis  curvis,  quaium 
rectiticalio  per  datam  (luadraturam  metiri  licet).  Opéra  Pos- 
TUMA,  1,  Petro[)oli,  1862,  pp.  139-451. 

X’”  818.  De  la  comparaison  des  arcs  de  courbes  irrectifiables. 

( De  comparalione  arcuum  curvarum  irrectilicabilium  ).0p.  Post., 
1,  l’etrop.,  1862,  pp.  452-486. 

.X"  819.  Fragment  tiré  des  Ativer.saria  rnalfienioHca,  ou 
Mélaufjes  mfithémnliques.  (Fragment uni  ex  Adversariis  Muthe- 
D?u//cÉy  depronqilum ).  Op.  Post.,  1,  Pelrop.,  1862,  pp.  497-502. 

A propos  de  ces  Adver.saria,  voici  un  passage  assez  curieux 
tiré  de  la  prél'ace  ipie  Xicolas  Fuss,  le  Jeune,  mit  en  tète  de  son 
l'dition  des  Opero  poshuua  d’Kuler.  « Outre  les  écrits  posthumes 
rédigés  par  Fuler  lui-mêmi‘,  dit-il,  écrits  pour  la  plupart  auto- 
graphes, il  existe  trois  volumes  intitulés  Adrermria  Mathonn- 
(iai.  Les  collaborateurs  et  les  discifiles  d’Kuler  avaient  l’iiabilude 
de  noter  dans  ces  Adversaria , certaines  thèses  et  certaines 
propositions,  énoncées  brièvement  par  le  maiire,  qu’ils  déve- 
loppaient ensuite  eux-mêmes  après  coup.  Ouebiues-unes  de  ces 
thèses,  choisies  parmi  les  plus  importantes,  ont  été  insérées 
leur  place  dans  les  (Kuvres  posthuniex.  Ouatre-vingt-dix  d’entr’- 
elles  ont,  de  prime  abord,  été  jugées  dignes  de  l’impression. 


BIBLIOGRAPHIE 


529 


Plus  tard,  le  très  illustre  Tschebyschel',  ayant  de  nouveau  par- 
couru les  dits  volumes,  nota  encore  six.  thèses  qu’il  jugea  digne 
d’être  ajoutées  aux  précédentes.  On  les  trouve  au  tome  I sous  le 
n"  XXlll,  pp.  îST-iOS.  Dans  ce  même  volume,  on  a encore 
emprunté  aux  Adversaria  huit  Ihèses  de  géométrie,  quatre 
thèses  sur  des  sujets  d’analyse  et  deux  qui  se  rapportent  au 
calcul  intégral.  .Vinsi  le  tome  I contient,  en  tout,  110  thèses 
tii'ées  des  Adversaria.  » 

.\  ce  passage  de  Fuss,  .M.  Krazer  ajoute  que  le  tome  1 des 
Adversarin  va  de  l’année  1700  jusqu’au  milieu  du  mois  d’avril 
1775;  le  tome  II,  de  cette  dernière  date  jusqu’en  juin  1779; 
enlin,  le  tome  III,  de  juin  1779  jusqu’à  la  mort  d’Euler,  en  178o. 

Le  tome  11  des  Collecliones  anali/ticae  ad  theoriaia  hdegra- 
Unm  elUpticonun  pertinentes,  se  Terme  sur  trois  fragments 
inédits  tirés  des  Adversaria  d’Euler,  que  .M.  Krazer  publie 
maintenant  poui-  la  [n'emière  fois.  Le  manuscrit  des  Adversaria 
se  conserve  aujourd’hui,  on  le  sait,  à la  Bibliothèque  de  l’Aca- 
démie Impériale  des  Si  lences  de  Saint-Pétersbourg. 


11.  B. 


III 


Etudes  sur  Léo.n.vru  de  Vinci,  par  Pierre  Duheji,  correspon- 
dant de  l’Institui  de  France,  professeur  à la  Faculté  des  Sciences 
de  Bordeaux.  Troisième  série.  I.es  précurseurs  parisiens  de 
Lalilée.  — Paris,  A.  Hermann  et  fils,  1913.  En  vol.  in-8“  de 
xiv-005  pages  (1  ). 

Voilà  bien  l’un  des  sujets  les  plus  neufs  qui  se  puissent 
imaginer.  L’auteur  l’a  traité  avec  une  incomparable  maîtrise. 
A peine  mérite-t-il  une  critique  unique  ; encore  est-elle  légère. 
Le  que  je  reprocherais  à M.  Duhem,  c’est  le  choix  du  titre,  ou 
plus  exactement,  celui  de  la  première  partie  du  titre.  Pourquoi 
y avoir  mis  par  dessus  tout  en  évidence  les  mots  : Études  sur 
Léonard  de  Vinci  Ce  volume  en  formerait  sensément  la  3*' 
série.  La  première  (Paris,  Hermann,  1904)  avait  vraiment 
Léonard  pour  objet.  Dans  la  2''  (Paris,  Hermann,  1906),  le  Vinci 


(,t)  Ces  études  parurent  d'aljord  dans  le  tlULLETiN  italien  et  dans  le 
Bulletin  hisp.vnique. 


530 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


occupait  encore  le  centre  de  l’onvrage,  consacré  (ju’il  était  tout 
entier  « à ceux  qu’il  a 1ns  et  à ceux  (jui  l’ont  lu  ».  Mais  dans  la 
3'’  série,  Léonard  de  Vinci  disparait  à {)en  pi’ès,  ou  du  moins, 
passe  tout  à l'ail  au  second  plan.  A.  .1/.  G.  Mechanicae  nos- 
trae  Scient ine  cerne  (jenitricis,  Fncnltnlis  Arliuni  qune  in 
Universitate  Parisiensi  snecnlo  XIV  /lorehal.  X la  plus  grande 
gloire  de  la  vi'aie  mère  de  notre  Scienci*  de  la  .Mécani([iie,  dit 
M.  Duhein,  dans  la  page  dédicaloire  ; à la  Faculté  des  .Vrts  qui 
tlorissait  à l’I'ni versité  de  Faris  au  xiv'‘  siècle  ! l>’liistoire  de  la 
l>ynanii([ue  au  xiv''  siècle,  principalement  à l’Université  de 
[’aris  : tel  est  le  titia^  (pi’ent  dù  porter  le  volume  de  M.  Didiem. 
Cette  11111(1116  n’enlève  rien  à la  valeur  du  travail  de  notre 
éminent  collègue  ; cl  cependant  j’y  insiste,  l’arler  simplement 
(VKtndes  sur  Léonard  de  Vinci,  on  même  des  Précurseurs 
parisiens  de  Galilée,  c’est  vraiment  par  trop  mal  avertir  le 
lecteur  de  tout  ce  ([u’il  trouvei'a  dans  h;s  nouvelles  études  du 
professeur  de  Cordeaux. 

«Jus(|u’en  ces  dernières  années  la  science  du  .Moyen  Age 
était  tenm;  pour  inexistante  »,  dit  M..  Duliein.  Ce  n’est  que  trop 
vrai.  J’ai  souvenir,  il  y a beau  temps  de  cela  — c’était  alors 
(|n’étudiant  en  pliiloso|)lne  et  en  théologie,  occupé  de  recherche.s 
fort  éloignées  de  la  Mécaniiuie,  j’avais  entre  les  mains  quelques- 
uns  des  anti([nes  volumes  dont  nous  entretient  M.  Dnhem — j’ai 
souvenir  (jue  pour  nous  reposeï'  de  la  .Métaphysique  des  maitre.s 
du  .Moyen  Age,  disons  le  mot,  pour  rire  jiar  distraction  pen- 
dant un  instant,  mes  camarades  et  moi  nous  lisions  à hante 
voix  une  {lage  de  la  « l'hysi(|ue  » de  ces  vieux  Scolastiques, 
l'onr  rire!  C’était  bien  cela;  et  tout  le  monde  pensait  alors 
comme  nous.  .V  la  i-éllexion  nous  étions  depuis  longtemps 
revenus  de  ces  accès  de  gaîté.  Le  livre  de  M.  Ituhem  m’a  appris 
combien  de  préjugés  il  me  restait,  néanmoins,  encore  à rectifier. 

Ce  souvenir  serait-il  cause  d’un  certain  embarras  que  j’éprouve 
aujourd’hui  pour  écrire  ce  compte  rendu?  Il  m’en  faut  sortir 
cependant,  et  je  n’en  vois  qu’un  moyini  ; faire  table  rase  de  mes 
idées  anciennes  et  parler  an  lecteur  comme  s’il  ignorait  tout 
des  maîtres  parisiens  du  xiv''  siècle.  .M.  Didiem  me  facilite  la 
tâche.  Hans  la  jirélace  il  esquisse  lui-rnème  à grands  traits  le 
tableau  de  leur  enseignement  de  la  ltynami([ue.  J’y  ferai  de 
larges  emprunts,  bien  assuré  que  je  suis  de  ne  pas  déplaire  au 
lecteur  en  passant  [ilnsieurs  fois  la  plume  à M.  Dnhem. 

« La  science  mécanique  imaginée  par  Caillée,  par  ses  émules, 
par  ses  disciples,  les  Haliani,  les  ’l’orricelli,  les  Descartes,  les 


BIBLIOGRAPHIE 


5H1 


Beeclvin;uiii,  les  (iasseiuli,  n’est  pas  une  eiéation  ; riiilelligeiice 
moderne  ne  l’a  pas  produite  de  prinn'  sani  el  de  tonies  pièces 
dès  cpie  la  lecture  d’Archiinède  lui  eut  révélé  l’art  d’ap|)liqner 
la  géométrie  aux  effets  naturels.  I/hal)ilelé  mathématique 
ac([nise  dans  le  commerce  des  géomètres  de  l’anliqiiité,  Galilée 
et  ses  eontemporains  en  ont  usé  pour  préciser  et  dévelop|)er 
une  Science  mècani([ne  dont  le  Moyen  Age  chrétien  avait  posé 
les  principes  et  lormulé  les  propositions  les  plus  essentielles. 
Cette  .M(';cani([ue,  les  physiciens  qui  enseignaient  au  xiv''  siècle 
à rUniversité  de  Paris  l’avaient  conçue  en  prenant  l’ohservation 
pour  guide  ; ils  Pavaient  sidistituée  à la  Dynamique  d’Aristote 
convaincue  d’impuissance  à sauvei'  les  phénomènes.  Au  temps 
de  la  Henaissance  l’archaïsme  superstitieux  où  se  complaisaient 
également  le  hel  esprit  des  Humanistes  et  la  routine  averroïste 
d’une  Scolastique  rétrograde,  repoussa  celte  doctrine  des 
« modernes  ».  I^a  réaction  lïit  puissante,  particulièrement  en 
Italie,  contre  la  Dynamique  des  Parisiens,  en  laveur  de  l’inad- 
missihle  Dynamicpie  du  Stagirite.  Mais,  en  dépit  de  cette  rési.s- 
tance  têtue,  la  tradition  parisienne  trouva,  hors  des  écoles  aussi 
bien  que  dans  les  Ijniversités,  des  maîtres  et  des  savants  pour  la 
maintenir  et  la  développer.  C’est  de  celte  tradition  parisienne 
que  Galilée  et  ses  émules  lurent  les  héritiers.  IvOixpie  nous 
voyons  la  science  d’un  Galilée  triompher  du  [»éripalétisme  buté 
d’un  Cremonini,  nous  croyons,  mal  inlbrmès  de  l’histoire  de  la 
pensée  humaine,  que  nous  assistons  à la  victoire  de  la  jeune 
Science  moderne  sur  la  Philosophie  médiévale,  obstinée  dans 
son  psittacisme  ; en  vérité  nous  contemplons  le  triomphe, 
longuement  prèpai’é,  de  la  science  qui  est  née  cà  Paris  au  xiV 
siècle,  sur  les  doctrines  d’Aristote  el  d’Averroès,  remises  en 
honneur  par  la  Henaissance  italienne.  » 

Tout  mouvement  exige  un  moteur;  il  faut  l’accorder.  Mais 
Aristote  va  beaucoup  plus  loin.  D’après  lui,  nul  mouvement  ne 
peut  durer  s’il  n’est  entretenu  par  l’action  continue  d’une  force 
motrice  directement  et  immédiatement  appliquée  au  mobile. 
Soit  une  tlèche,  par  exem[)le,  qui  continue  de  voler  après  avoir 
quitté  l’arc.  Conformément  à son  pi’incipe,  le  Stagirite  veut 
qu’il  existe  une  force  extérieure  et  permanente  qui  la  transporte. 
Cette  force,  il  la  trouve  dans  l’air  ébranlé  ; c’est  l’air  frappé  par 
la  main  ou  par  la  machine  balistique,  qui  soutient  et  entretient 
le  mouvement  du  projectile. 

« Cette  hypothèse,  dit  M.  Duhem,  qui  nous  semble  pousser 
l’invraisemblance  jusqu’au  ridicule,  parait  avoir  été  admise 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


5:-5:> 

presque  à l’unaiiimilé  [>ar  les  pliysicieiis  de  raiitiquité  ; un  seul 
d’entre  eux  s’esi  elaireineni  pronuncé  eonti'eelle,  et  celui-là  que 
le  temps  place  aux  dernières  années  de  la  Philosophie  grecque, 
se  trouve,  par  sa  ldi  chrétienne,  pres(iue  séparé  de  celte  Philo- 
sophie ; nous  avons  nommé'  Jean  d’Alexandrie  surnommé 
Philopon.  A[trés  avoir  monli’(''  ce  (ju’a  d’inadmissible  la  théorie 
péripatéticienne  du  mouvement  des  projectiles,  Jean  Philopon 
déclare  que  la  llèche  continue  de  se  mouvoir  sans  qu’aucun 
moteur  lui  soit  appli((ué,  parce  ipie  la  corde  de  l’arc  y a 
engendré  une  énergie  (|ui  joue  le  rôle  de  vertu  motrice.  » 

.Ni  les  derniers  penseurs  grecs,  ni  les  Arabes,  ni  le  Moyen 
.Vge  chrétien  ne  prêtèrent  attention  à la  docli'ine  de  Jean 
Philopon. 

« Saint  Thomas  d’Aquin  ne  la  mentionne  cpie  pour  mettre  en 
garde  contre  elle  ceux  (pi’elle  pounait  séduire.  .Mais,  à la  suite 
de  la  condamnation  portée,  en  1577,  par  l'évèfpie  de  Paris, 
Ktienne  Tempier,  contre  une  Ibule  de  thèses  ([ue  soutenaient 
« Arislole  et  ceux  de  sa  suite  »,  voici  (lu’un  grand  mouvement  se 
dessine  qui  va  libérer  la  i)ensée  chrélienne  du  joug  du  Péripa- 
tétisme et  du  Néo[)lalonisme,  et  produire  ce  (pH!  l’archaïsme  de 
la  Pienaissance  ap[)elail  la  Science  des  « Modernes  ». 

» Guillaume  d’Ockam  atta((ue,  avec  sa  vivacité  coutumière, 
la  théorie  du  mouvement  des  projectiles  ]>roposée  par  Aristote  ; 
il  se  contente  d’ailleurs  de  détruire  sans  iden  édifier  ; mais 
ses  critiques  remettent  en  honneur,  aiqirès  de  certains  disciples 
de  l)uns  Scot,  la  doctrine  de  Jean  Philopon  ; l’énergie,  la  vertu 
motrice  dont  cehu-ci  avait  i)arh',  re|)arail  sous  le  nom  cVinipetus. 
Gelte  hypothèse  de  Vhnpetus  im[)rim(‘  dans  le  projectile  i>ar  la 
main  ou  [>ar  la  machine  qui  l’a  lancé,  un  maitre  séculier  de  la 
Faculté  des  .Arts  de  Paris,  un  physicien  de  génie  s’en  empare  ; 
Jean  Huridan  la  prend,  vers  le  milieu  du  xiv"  siècle,  pour 
Ibndement  d’une  Pynamiipie  avec  hniuelle  s’accordent  tous  les 
phénomènes. 

» Le  rôle  que  ['impetus  en  celle  mécani(|ue  de  Huridan, 
c’est  très  exactement  celui  (pie  Galilée  altrihue  à Vîinpeto  ou 
momento,  Pescarles  à la  (piantité  de  mouvement.  Leibniz  enfin 
à la  force  vire.  Si  exacte  est  cette  correspondance,  que  pour 
exposer,  en  ses  Leçons  académiques,  la  Dynamique  de  Galilée, 
Tori'icelli  reprend  souvent  les  raisonnements  (>t  presque  les 
paroles  de  Huridan. 

» Get  inipetus  ipii  demeurerait  sans  changement  au  sein  du 
[U'ojeclile,  s’il  n’était  incessamment  détruit  ))ar  la  résistance 


BIBLIOGRAPHIE 


533 

(lu  milieu  el  par  l’ac'tion  de  la  pesanteur  contraire  au  mouve- 
ment, cet  iinpelus,  disons-nous,  Buridan  le  prend,  à vitesse 
(igale,  comme  proportionnel  à la  «.quanlilé  de  matière  première  » 
(jue  le  corps  l'enlerme.  Cette  quantité,  il  la  conçoit  et  la  décril 
en  des  termes  presque  identiques  à ceux  dont  use  Newton  pour 
délinir  la  masse.  masse  égale,  VimpeUis  est  d’autant  plus 
grand  que  la  vitesse  est  [)lus  grande.  Prudemment  Buridan 
s’abslieni  de  préciser  davantage  la  relation  qui  existe  entre  la 
grandeur  de  Vimpelus  et  celle  de  la  vitesse  ; plus  osés  (.îalilée  et 
Descartes  admettent  que  cette  relation  se  réduit  à la  propor- 
tionnalité ; ils  obtiendront  ainsi  de  Vimpefiis  de  la  quantité  de 
mouvement  une  évaluation  erronée  que  Leibniz  devra  rectifier. 

» Comme  la  résistance  du  milieu,  la  gravité  atténue  sans 
cesse  el  finit  par  anéantir  Vimpetas  d’un  mobile  que  l’on  a 
lancé  vers  le  liant,  parce  qu’un  tel  mouvement  est  contraire  à 
la  tendance  naturelle  de  cette  gravité.  Mais,  dans  un  mobile 
((ui  tombe,  le  mouvement  est  conforme  à la  tendance  de  la 
gravité  ; aussi  Vimpelus  doit-il  aller  sans  cesse  en  augmentant, 
et  la  vitesse,  au  cours  du  mouvement,  doit  croître  constamment. 
Telle  est,  au  gré  de  Buridan,  l’exiilication  de  l’accélération  que 
l’on  observe  en  la  ebute  d’un  grave;  accélération  que  la  science 
d’Aristote  connaissait  déj.à,  mais  dont  les  commenta teui's 
hellènes,  arabes  ou  chrétiens  du  Stagirite  avaient  donné  d’inac- 
ceptables raisons. 

» Cette  Dynamicpie  exposée  par  Jean  Eluridan  présente  d’une 
manière  purement  ([ualitative,  mais  toujours  exacte,  les  vérités 
que  les  notions  de  force  vive  et  de  travail  nous  permettent  de 
formuler  en  langage  quantitatif.  y> 

Les  disciples  les  plus  brillants  de  Buridan,  les  .Mliert  de 
Saxe  et  les  Nicolas  Oresme,  adoptèrent  la  Dynamique  de  leur 
maître  et  la  firent  connaîlie. 

« Lorsque  aucun  milieu  résistant,  lorsque  aucune  tendance 
natuielle  analogue  à la  gravité  ne  s’oppose  au  mouvement, 
Vimpelus  garde  une  intensité  invariable,  le  mobile  auquel  on  a 
communiqué  un  mouvement  de  translation  ou  de  rotation  con- 
tinue indéfiniment  à se  mouvoir  avec  une  vitesse  invariable, 
tl’est  sous  cette  forme  que  la  loi  d’inertie  se  présente  à l’esprit 
de  Buridan  ; c’est  sous  cette  forme  qu’elle  sera  encore  reçue  de 
Câblée.  » 

De  cette  loi  d’inertie,  Buridan  lire  un  corollaire  alors  bien 
neuf.  Pour  .\ristote,  si  les  orbes  célestes  se  meuvent  éternelle- 
ment d’une  manière  constante,  c’est  que  des  moteurs  intelli- 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Ô34 

gents  séparés  de  la  matière  eontiniieiil  à les  mouvoir.  Les 
Scolasliipies  du  xiiU  sièch*  n’hésitérenl  pas  à recevoir,  en  leurs 
systèmes  chrétiens,  cet  héritage  des  théologies  païennes.  0i\ 
voici  cpie  lînridan  a randace  d’écrire  ces  lignes  : 

« Dès  la  création  du  monde,  Dieu  a imï  les  cieiix  de  mouve- 
ments identiques  à ceux  dont  ils  se  meuvent  actuellement  ; il 
leur  a imi)rimé  alors  des  impetus  par  lescpiels  ils  continuent  à 
être  mus  unirormément  ; ces  impetus,  en  ell'el,  ne  rencontrant 
aucune  résistance  (jui  leur  soit  contraire,  ne  sont  jamais  ni 
détruits,  ni  allaihlis.  Selon  celte  imagination,  il  n’est  pas  néces- 
saire de  poser  l’existence  d’intelligences  qui  meuvent  les  corps 
célestes  d’une  manière  a[)[)ropriée.  » 

« O.lte  pensée,  dit  .M.  Duhem,  Ihiridan  rènonce  en  diverses 
circonstances  ; .\lhert  de  Saxe  l’expose  à son  tour,  et  A’icolas 
Oresme,  pour  la  l'ormuler,  trouve  cette  comparaison  : a Excepté 
la  violence,  cesl  aucunement  semblable  quand  un  homme  a fait 
une  horloge,  et  le  lesse  aller  estre  meu  par  soi/.  » 

« Si  l’on  voidait,  par  une  ligue  précise,  séparer  le  règne  de  la 
Science  antiipie,  du  règne  de  la  Science  moderne,  il  la  laudrait 
tracer,  croyons-nous,  à l’instant  où  .lean  Huridan  a conçu  cette 
théorie,  à l’instant  où  l’on  a cessé  de  regarder  les  astres  comme 
mus  par  des  êtres  divins,  où  l’on  a admis  (pie.  les  mouvements 
célestes  (H  les  mouvements  suhhmaires  dê|)endaient  d’une 
même  Mécanique.  » 

Durant  tout  le  xiv''  siècle,  il  se  trouva  des  physiciens  pour 
soutenir  qu’en  supposant  la  terre  mohile  et  le  ciel  des  étoiles 
lixes  immobile,  on  constiaiirait  un  système  aslronomi(pie  plus 
satisfaisant  cpie  celui  où  la  terre  est  supposée  stable  au  centre 
du  monde.  Nicolas  Oresme,  notamment,  en  développe  les  raisons 
avec  une  clarté,  une  plénitude,  une  précision  ipie  n’atteindra 
pas  Copernic. 

« Pendant  que  l’on  fonde  la  Dynamicpie,  on  déi'.ouvre  peu  à 
peu  les  lois  qui  l'égissent  la  chul(‘  des  corps.  Kn  1368,  .VIbert 
de.  Saxe  propose  ces  deux  hy[)othèses  : la  vitesse  de  la  chute  est 
proportionnelle  au  temps  écoulé  de[)uis  le  départ  ; — la  vitesse 
de  la  chute  est  proportionnelle  au  chemin  [larcouru.  Kntre  ces 
deux  lois  il  ne  fait  pas  de  choix.  Le  théologien  Pierre  Tataret, 
qui  enseigne  à Paris  vers  la  lin  du  xv'  sièchu  reproduit  textuel- 
lement ce  qu’avait  dit  .\lhert  de  Saxe.  Crand  lecteur  d’.Ubert 
de  Saxe,  Léonard  de  Vinci,  après  avoir  admis  la  seconde  de  ces 
deux  hypothèses,  se  rallie  à la  première  ; mais  il  ne  parvient 
pas  à découvrir  la  loi  des  espaces  parcourus  [lar  un  grave  qui 


BIBLIOGRAPHIE 


535 


tombe.  D’iin  raisoiinemenl  que  Üaliaiii  repieiulra,  il  conclut, 
(jue  les  espaces  parcourus  en  des  laps  de  temps  égaux  et  succes- 
sifs soid  comme  la  série  des  noml)res  entiers,  tandis  qu’ils  sont 
en  vérité  comme  la  série  des  nombres  impairs. 

» On  connaissait  depuis  longtemps,  cependant,  la  régie  qui 
[lermel  d’évaluer  l’es[)ace  [larcouru,  eu  un  cei  lain  tem[is,  par 
un  mobile  mù  d’un  mouvement  unilbrmiMnent  varié  ; que  celle 
règle  ait  été  découverte  à l’aris  au  temps  de  .lean  Huridan,  ou 
à Oxford  au  temps  de  Swinesbead,  elle  se  trouve  clairement 
formidée  dans  l’ouvrage  où  .Nicolas  Oresme  pose  les  principes 
essentiels  de  la  géométrie  analytique  ; de  plus,  la  détermination 
([ui  sert  <à  l’y  justifier  est  identique  h celle  que  donnera  Galilée. 

» Du  temps  de  .Nicolas  Oresme  à celui  de  Léonard  de  Vinci, 
cette  règle  ne  fut  nullement  oubliée.  Formulée  dans  la  plupart 
des  traités  produits  par  la  Dialectique  épineuse  d’Oxford,  elle  se 
trouve  discutée  dans  les  nombreux  commentaires  dont  ces 
traités  ont  été  l’objet,  au  commencement  du  xv''  siècle,  en  Italie; 
puis,  dans  les  divers  ouvrages  de  Physique  composés  au  débid. 
du  xvP  siècle,  par  la  Scolastique  pai  isienne. 

» ,\ucun  des  traités  ilont  nous  venons  de  pai  ler  n’a,  cepen- 
dant, l’idée  d’appli([iier  cette  règfi'  à la  chute  des  corps.  Cette 
idée,  nous  la  rencontrons,  pour  la  première  fois,  dams  les 
Questions  sur  la  l^hysiqne  d’Aristote,  publiées,  en  1545,  par 
Dominique  Soto.  Élève  des  Scolastiques  parisiens  dont  il  a été 
l’hôte,  et.  dont  il  adopte  la  plupart  des  théories  physiques,  le 
dominicain  espagnol  Soto  admet  que  la  chute  des  graves  est 
uniformément  accélérée  ; que  l’ascension  verticale  d’un  projec- 
tile est  uniformément  retardée  ; et,  pour  calculer  le  chemin 
parcouru  en  chacun  de  ces  deux  mouvements,  il  nse  correcte- 
ment de  la  règle  formulée  par  Oresme.  C’est  dire  qu’il  connait 
les  lois  de  la  chute  des  corps  dont  on  attribue  la  découverte  .à 
Galilée.  Ces  lois,  il  n’en  revendique  pas  l’invention  ; bien  i)lutôt 
il  semble  les  donner  comme  vérités  communément  reçues.  » 

Parmi  ceux  qui,  avant  Galilée,  ont  hérité  de  la  tradition  de  la 
Scolastique  parisienne,  .M.  Duhem  met  en  première  ligne  Léo- 
nard de  Vinci.  (7est  sur  cette  considération  que  se  clôt  la  Pré- 
face. Encore  une  fois,  dans  un  sujet  aussi  nouveau,  je  me 
garderai  d’ajouter  ou  de  critiquer  quoi  que  ce  soit;  mais,  pour 
donner  aussi  brièvement  que  possible  une  idée  plus  complète 
et  plus  précise  de  l’ouvrage  entier,  je  transcris  les  titres  des 
divers  chapitres  avec  leurs  subdivisions.  Le  numérotage  des 
chapitres  est  la  suite  de  celui  des  tomes  I et  11. 


REVUE  DES  QITESTIONS  SCIENTIFIQUES 


r)3() 


XIII.  I Huridan  (de  Hktiiune)  et  Léonard  de  Vinci.  — 
1.  (Jne  date  relative  à .Maître  .Vlhert  de  Saxe.  ^2.  Jean  I Huridaii 
(de  lîétliime).  3.  One  la  théorie  du  rentre  de  gi'avité  enseignée 
[)ar  .Mbert  de  Saxe,  n’est  ancnnement  empruntée  à Jean  Buridaii. 
•i.  La  ltynami(|iie  de  Jean  Ihiridan.  5.  (Jiie  la  Dynamique  de  Léo- 
nard dr  Vinci  pi-orèdc  par  l’intermédiaire  d’.VIhert  de  Saxe,  dr 
celle  de  Jean  Diu'idau.  Ln  (piel  point  elle  s’eu  écarte  et  poui  - 
(fuoi.  Les  diverses  explications  de  la  chute  accélérée  des  graves 
(]ui  ont  été  proposées  avant  Léonard. 

XIV.  La  'I'raditdin  de  Duridan  et  i.a  Science  italienne  au 
xvU  SIÈCLE.  — J.  La  Dynamique  des  Italiens  an  temps  de  Léo- 
nard de  Vinci.  Averroïsles,  .VIexandrinistes  et  Humanistes. 
^2.  [/esprit  de  la  Scolastiipie  parisienne  au  terniis  de  Léonard  de 
Vinci.  S.  [.a  Dynamique  parisienne  au  temps  de  Léonard  de 
Vinci.  4.  La  décadence  de  la  Scolastique  pari.sienne  après  la  mort 
de  Léonard  de  Vinci,  l^es  attaques  de  l’Ilnmanisme.  Didier 
Lrasme  et  l.onis  Vives.  5.  ('iOmment,aii  xvÈ'  siècle,  la  Dynainiqm* 
de  Jean  Ihiridan  s’est  réiiandue  en  Italie.  H.  Des  premiers  {iro- 
g’rès  accomplis  en  la  Dynamique  parisienne  par  les  Italiens, 
(îiovanni  Dattista  Denedetti.  7.  .Même  sujet.  (îiordano  Bruno. 

XV.  Do.minique  Soto  et  la  Scolastique  parisienne. —I.  Avant- 
propos.  2.  Vie  de  Dominicpie  Soto,  frère  prêcheur.  B.  Dominique 
Soto  et  le  Xominalisme  parisien.  -4.  L’Iidini  potentiel  et  l’Inlini 
actuel.  5.  l/Kipiilihre  de  la  Terre  et  des  Mers.  (5.  l.a  Dynamique 
de  Jean  Ihiridan  et  la  Dynamique  de  Soto.  7.  Solo  tente  d’ac- 
corder les  opinions  d’.\ristote  et  de  saint  Thomas  avec  l’hypo- 
thèse de  Vfinppfus.  <S.  Les  origines  de  la  (anématique.  Le  traité 
De  proportionalilalf  molunm  et  iiiagniludiiinm.  !l.  Même  sujet- 
Thomas  Bradwardine.  Jean  de  .Meurs.  Jean  Ihiridan.  JO.  Même 
sujet.  .Vlhert  de  Saxe.  1 1 . .\lhert  de  Saxe  et  la  loi  suivant  laquelle 
s’accélère  la  chute  d’un  grave.  J(2.  De  intentiom  et  remiysione 
formnrum.  JB.  .Nicolas  Oresme.  J 4.  lai  Dynamique  d’Oresme  et 
la  Ityiiamique  de  Ihiridan.  J5.  l,e  centre  de  gravité  de  la  Terre 
et  le  centre  du  .Monde.  10.  lia  pluralité  des  .Mondes  et  le  lieu 
naturel  selon  .Nicolas  Oresme.  17.  .Nicolas  Oresme,  inventeur  de 
la  Géométrie  aiialyli([ue.  J8.  Lomment  Nicolas  Oresme  a établi 
la  loi  du  mouvement  unirorinément  varié.  JO.  L’iniluence  de 
.Nicolas  Oresme  à l’Université  de  Paris.  Le  traité  De  Intüvdinibus 
formarum.  Vlhert  de  Saxe.  .Marsile  d’Inghen.  ^2(1.  L’Ucole  d’Ox- 
l'ord  au  milieu  du  xiv'  siècle.  (luillaume  lleytesbury.  Jean  de 
Diimbleton.  Swineshead.  Les  Calculateurs.  Le  traité  Desex  incon- 
venientibus.  Guillaume  de  (iolligham.  '2J.  L’Ksprit  de  l’École 


HIBLIOGRAI'IIIE 


537 


(l’Oxford  an  milieu  du  xiv'"  siècle,  a)  La  l'iiysicjne.  Même 
sujet,  b)  La  Logiciue.  La  foi  du  mouvement  uniformémenl 
varié  à l’Ecole  d’Oxlbrd.  a)  Le  De  primo  molore  de  Swinesliead 
et  les  Dubia  Parisiensia.  b)  La  Sinmna  de  Jean  de  Dumbleton. 
c)  Les  Jiefjvlae  solvendi  sophismola  et  les  ProbiUiones  de  Guil- 
laume lleyti;shurv-  dj  Le  Traclaliis  de  sex  inconveineutibns. 
e)  L’opuscule  intitulé  : A est  uninn  calidiim.  f)  Le  Liber  calcn- 
lationnm  de  Kichardus  de  Gblyini  Esbedi.  27.  (fomment  les 
doctrines  de  Nicolas  Oresme  se  sont  répandues  eu  Italie. 
25.  Gomment  les  doctrines  <le  l’Ecole  d’OxI'ord  se  sont  répan- 
dues en  Italie.  26.  Léonard  de  Vinci  et  les  lois  de  la  chute  des 
graves.  27.  Ibétude  de  la  latitude  des  l'ormes  à l’Université  de 
Paris  au  délnit  du  xvU  siècle.  Jean  Majoris.  Jean  Itullaert  de 
Gand.  2<S.  Même  sujet.  Alvarès  Thomé  de  Lisbonne.  29.  Même 
sujet.  I.e  inaitre  espagnol  Jean  de  (ielaya.  Louis  Goronel. 
30.  Dominictue  Solo  et  les  fois  de  la  chute  des  graves.  81.  La 
tradition  parisienne  et  Galilée. 

II.  Ijosm.xns,  s.  J. 


1\ 


Encyolopkdië  des  Sciences  matiiém.vtiques  pures  et  .appli- 
quées, publiée  sous  les  auspices  des  Académies  des  Sciences  de 
Gbttingue,  de  Leipzig,  de  Munich  et  de  Vienne,  avec  la  collabo- 
ration de  nombreux  savants.  Édition  française,  rédigée  et 
publiée  d’après  l’édition  allemande  sous  la  direction  de  Jules 
Mole,  professeur  <à  l’Université  de  Nancy:  et  pour  ce  (pti  con- 
cerne la  mécanique  sous  la  direction  scientifique  deP.vuL  Appell, 
professeur  à l’Université  de  Paris.  — Tome  11.  Gimpiième 
volume.  Développements  en  série.  Eascicule  2.  — Jome  III. 
Deuxième  volume.  Géométrie  descriptive.  Géométrie  élémen- 
T.AiRE.  Eascicule  1. — Tome  IV.  Cin(|uièine  volume.  Systèmes 
déformables.  Eascicule  2.  — Tome  IV.  Sixième  volume.  Balis- 
tique. Hydraulique.  Eascicide  1.  — Paris,  Gauthier-Villars. 
Leipzig,  Teubner,  1912-1914. 

Depuis  le  compte  rendu  des  derniers  l'ascicules  de  VEocydo- 
pédie,  donné  ici  par  M.  d’Ocagne,  au  mois  de  janvier  1914,  les 
souscripteurs  belges  ont  reçu  quatre  nouveaux  l'ascicules  de 
cette  grande  publication.  La  Rédaction  de  la  Revue  se  voyant 
dans  l’impossibilité  de  s’adresser,  comme  d’habitude,  à 


RKVUE  DES  QT'ESTIOXS  SCIEXTIFigl  ES 


r>38 


M.  d’Oragiie,  j'ai  acceplé  avec  |)laisir  de  pi'éseitlei',  pour  cette 
fois,  ces  nouveaux  l'ascicides  au  lecteur. 

Ou  peut  faire  à [)riori  et  de  contiance,  l’éloge  de  tout  ce  qui 
se  piil)lie  dans  V Encyclopédie,  et  cet  éloge  a été  répété  à satiété; 
aussi,  je  m’abstiendrai  de  le  l'ecommencer  ici  une  fois  de  plus. 

To.mk  II.  tijNQiiÈ.ME  voLC.ME.  F.\sck;ui,e  il.  — [11,  :^8.]  Fonc- 
tions seiiÉiiiQi  ES.  Fxposé  d’après  l’article  allemand  de  A.  Wan- 
gerin  (Halle),  par  A.  l.amhert  (l’aris),  avec  une  note  de  1‘.  Appell 
(Paris)  et  .\.  Lambert  (Paris).  Le  sont  des  recherches  de 
mécanique  céleste  (|ui  ont  introduit  les  fonctions  sphériques 
dans  l’analyse.  Files  se  présentèrent  dès  qu’on  voulut  déve- 
lopper en  série  l’inverse  de  la  distance  de  deux  [loints. 

A.  .M.  Legendre  et  P.  S.  Laplace  sont  les  fondateurs  de  la 
théorie;  c’est  dans  leui's  mémoires  sui'  l’attraction  des  sphé- 
roïdes et  sur  la  ligui'e  d’é(|uilibre  des  [ilanètes,  que  se  trouvent 
exposées  les  principales  propriétés  des  fonctions  sphériques. 
Les  fonctions  satisfaisant  à l’é(|uation  de  Laplace 

AV  = (I 


Miggéraient  des  solutions  d’équations  voisines,  et  c’est  ainsi 
<|u’on  les  rencontre  avec  .1.  IL  .1.  Foncier  dans  la  théorie  analy- 
tique de  la  chaleur,  avec  L.  Lejeune-Dirichlet  dans  ses 
recherches  d’hydrodynami(|ue. 

A.  .M.  Legendre  et  P.  S.  Laplace  avaient  ouvert  la  voie  à 
L.  Lamé.  Lelui-ci  créa  les  fonctions  qui  portent  aujourd’hui  son 
nom,  en  traitant  pour  l’ellipsoïde  le  problème  de  l’équilibre  des 
températures  que  ses  devanciers  avaient  traité  pour  la  sphère. 
Les  fonctions  de  Lamé  comprenaient  d’ailleurs  les  fonctions 
.-'phérifiues  comme  cas  particuliers. 

Les  fonctions  cyliiulriques  qu’introduisit  .l.li.  J.  Fourier, 
puis  F.  \V.  Bi'ssel  dans  un  numéro  sur  les  pertnrbntions  plané- 
tnires,  sont  des  cas  limites  analogues. 

L’article  de  V Kncyclopédie  sur  les  fonctions  sphéri(|ues  est 
divisé  en  70  nnméj'os,  et  suivant  l’usage  constant  de  VE)tcyclo- 
pédie,  chacun  de  ces  numéros  a en  vedette  un  titre  qui  en 
indique  l’objet.  Transcrire  tous  ces  titres  serait  à la  fois  le 
moyen  le  plus  sûr  et  même  le  [)lus  bref  de  donner  une  analyse 
complète  de  l’ai  ticle;  mais  cette  simple  transcription  ne  laisse- 
rait pas  que  de  dépasser  les  bornes  imposées  à un  compte  rendu. 
Voici,  du  moins,  les  litres  généraux  des  chapitres  sous  lesquels 
les  70  titres  sfiéciaux  ont  été  groupés. 


BIHLIOGRAPIIIE 


5:-i9 

I.  Délinilioii  des  roiietioiis  sj)héii(|iies.  II.  La  l'onclion  splié- 
riqiie  primitive  X„.  III.  Les  ronctions  spliéiâciiies  roiidameiitales. 
IV.  Les  fbnctiuiis  sphéi'i(iues  générales.  Y.  Les  tbnctions  sphé- 
riques de  deii.vième  espère.  VI . (Jnelqiies  e.xteiisions.  VIL  Fonc- 
tions rylindriqnes  on  Ibiiclions  de  Hessel.  VIII.  Fonctions  des 
cylindi’es  elliptiques  et  pai'aboliques. 

l^enl-êlre  n'est-il  pas  inutile  d’avertii'  le  lecteur  qne  les  sept 
premières  pages  de  l'article  se  trouvent  dans  le  lascicide  J. 

111,  a.)  ('iKMbULlS.VTIOAS  DIVERSES  DES  FO.NET10.\S  SPHÉ- 

RIQUES. Exposé  pai-  I'.  ,\{)pell  (Paris),  et  A.  I,ambert  (Paris). 
L’est  la  note  dont  il  est  (piestion  dans  le  titre  de  l’article  pré- 
cédent. 

La  tbéorie  des  tbnctions  spbériqnes  a été  généralisée  à deux 
points  de  vue  dill'éi'ents. 

Certains  autenis  ont  étudié  les  Ibnctions  iVune  variable  ana- 
logues aux  polynômes  \„  de  Legendre,  soit  en  considérant  des 
polynômes  délinis  par  des  dérivées  d’oi'dre  n,  soit  en  formant 
des  polynômes  dont  la  fonction  génératrice  se  rapproche  de 
celle  des  polynômes  \„,  soit  en  étudiant  des  fonctions  définies 
par  des  équations  dilférentielles  linéaires  du  type  bypergéomé- 
Irique  à une  variable,  du  second  ordre  on  d’ordre  supérieur, 
soit  enfin  en  appliqiKint  la  théorie  des  fonctions  orthogonales 
correspondant  à une  fonction  génératrice  donnée. 

D’autres  ont  cherché  à généraliser  les  polynômes  X„  et  les 
fonctions  semblables  d'une  variable  par  des  considérations  ana- 
logues tà  celles  qui  permettent  de  passer  des  fonctions  0 d’une 
variable  aux  fonctions  0 de  deux  ou  plusieurs  variables,  soit 
par  la  considération  de  potentiels  dans  l’hyperespace,  soit  par 
la  voie  des  dérivées  partielles,  soit  par  celle  des  fonctions  géné- 
ratrices, soit  par  celle  des  fonctions  hypergéométriques  de  deux 
variables,  soit  enfin  par  la  théorie  des  fondions  orthogonales 
de  plusieurs  vai'iahles. 

Cette  note  de  M.  Ap[»ell  relativement  assez  étendue  (elle  ne 
comprend  pas  moins  de  88  pages)  est  divisée  en  fi  numéros, 
i.  Fonctions  d’une  variable.  iL.  Fonctions  de  Laplace  de  n varia- 
bles. Fonctions  barmoniipies  générales.  8.  Dolynomes  d’Ilermite 
et  analogues.  4.  Séries  by[)ergéométriques  à deux  variables  et 
polynômes  qui  s'y  rattachent.  5.  Représentation  des  fonctions 
hypergéométriques  par  des  intégrales  définies.  Généralisation 
du  problème  de  Kiemann  pour  la  série  de  Gauss,  fi.  Fractions 
continues  et  quadratures  mécaniques. 

Il  y a queb|ues  fautes  d’impression  dans  le  numérotage  des 


540 


REVUP]  DES  QT’ESTIÜNS  SCIENTIFIQUES 


snl)(livisioiis  e(  (luelques  discordances  entre  les  titres  répétés 
an  haut  des  pages  et  les  matières  (jui  y sont  en  réalité  traitées, 
(ai  n’est  pas  bien  grave  ; mais  peut-être  y aurait-il  lieu  de  signaler 
la  chose  dans  nn  errata. 

To.VIE  III.  DeLXIÈ.ME  volume.  (jÉOMÉTIUE  DESElill'TIVE.  (jÉOMÉ- 
ïltlE  ÉLÉMENTAIHE.  KaSGICULE  I.  — III,  (S. j (’iÉoMÉTHIE  PROJEC- 
TIVE. hxposé  d’après  l’article  allemand  de  A.  Schoentlies 
(Franclbii),  par  .\.  Tiesse  (Paris).  — Sans  doute,  le  point  de  vue 
historiipie  n’a  jamais  été  négligé  par  les  rédacteurs  de  VEncy- 
clopcdie,  loin  de  là;  mais  ils  lui  ont,  comme  c’i'st  naturel, 
attaché  une  importance  inégale.  Itans  les  volumes  consacrés 
aux  mathémati([ues  [aires,  rencliainement  des  théories  et  l’ordre 
logiipie  des  idées  abstraites  rem[)ortent  presijue  toujours  exclu- 
sivement. Cela  doit  être  et  on  s’y  attend  ; aussi,  l’article  consacré 
à la  ycomélrie  projective  ménage-t-il  par  moments  des  surprises; 
car,  cette  lois,  il  n’en  est  [ilus  tout  à l'ail  de  même  et  l’ordre 
historiipie  des  ilécouvertes  y a souvent  été  suivi.  Il  l'aut  dire 
([lie  le  sujet  s’y  [irêtail. 

Les  auteurs  commencent  par  un  résumé  de  l’iiistoire  des  pro- 
jections centrales.  C’est  le  dévelo[)[)ement  des  théories  de  la 
perspective,  disent-ils,  ifui  a donné  naissance  à la  géométrie 
pi'ojective.  I>u  jour  où,  en  ell'el,  .1.  II.  Lambert  et  (j.  iMonge,  en 
créant  la  géométrie  de.scri[)tive,  eurent  substitué  des  principes 
et  des  règles  générales  aux  règles  empiriques  ipii  constituaient 
jus([ii’alors  l’art  de  la  pers|)ective,  une  élude  particulière  de 
leurs  méthodes  de  [nojeclion  s’im[)osail  nalmellement.  Mais,  en 
réalité,  l’usage  ell'eclil'ile  la  projection  centrale  remonte  beau- 
coii[)  plus  haut.  » 

.M.  T resse,  car  ce  passage  est  de  lui,  croit  ipCon  en  trouve, 
peut-être,  un  [iremier  exemple  dans  Pap[)us.  « Plus  tard,  dit-il, 
C.  Desargues  introduisit  dans  l’art  de  la  perspective  une  méthode 
rationnelle  se  rap[nochant  des  procédés  employés  aujonnl’hui 
dans  la  géométrie  cotée;  malheureusement,  ses  idées  méconnues 
de,  son  temps  restèrent  sans  inlluence  ; le  mérite  de  les  avoir 
soustraites  à l’oubli  appartient  en  premier  lieu  à un  contempo- 
rain de  (î.  Desa/gnes,  le  graveur  et  géoméire  A.  bosse,  qui  en 
Jt)48  a répandu  la  l*erspective  de  lObli  et  en  1(56.0  s’en  est 
occupé  à nouveau. 

» A la  même  éqioijue.  Biaise  Pascal  démontrait  son  théorème 
sur  l’hexagone  en  considérant  une  conique  comme  la  projection 
d’un  cercle. 

» Un  peu  plus  lard,  Ph.  de  La  llire  et  .1.  I’.  Le  Poivre  élu- 


BIBLIOGRAPHIE 


541 


(liaient  encore  les  propriétés  projectives  des  coniques  en  se 
plaçant  au  point  de  vue  d’Apollonius,  consistant  à regarder 
toute  conique  comme  une  section  plane  d’un  cône  à base 
circulaire. 

» L’introduction  de  la  notion  de  point  à l’inlini  devait  être 
d’une  importance  considérable  dans  les  représentations  projec- 
tives des  ligures.  Héjà,  vers  1000,  Guidobaldo  del  Monte 
enseigne  que,  dans  une  projection  centrale,  des  droites  pai'al- 
lèles  sont  représentées  par  des  droites- concourantes  en  un 
même  point  (point  de  faite)  ; puis,  quarante  ans  après  seule- 
ment, ti.  Oesargues  considère  des  droites  pai'allèles  comme 
passant  par  un  même  point  à rinfmi  ; lieaucoiqi  plus  tard, 
enfin,  au  xviii'’ siècle,  dans  les  travaux  de  IL  Taylor  et  de  .1.  II. 
Lambert,  la  ligne  de  l’uile  d’un  plan  appai'ait  comme  étant  le 
lieu  de  tous  ses  points  de  l'nite.  C’est  à partir  de  cette  époque 
que  l’on  i-encontre  divers  essais  d’application  systématique  de  ce 
procédé,  qui,  dans  le  but  de  simplilier  une  démonstration,  con- 
siste à projeter  une  figure  de  façon  que  certains  de  ses  éléments 
passent  à l’infini  ou  affectent  des  dispositions  spéciales.  » 

Toutes  cos  anciennes  méthodes  n’avaient  à l’oi'igine  d’autre 
caractère  que  celui  d’ailifices  ingénieux.  C’est  .!.  Y.  Loncclet 
qui  devait  pai'venir  à les  coordonner  et  à leur  imprimer  ralbn-e 
générale  des  théories  de  la  géométrie  pi'ojedive. 

Poncelet,  Chasles,  von  Staudt  ; Poncelet  et  von  Staudt 
surtout,  tiennent  une  place  hors  de  pair  dans  l’histoire  de  la 
géométrie  [)rojeclive.  Poncelet  avec  son  Traité  des  propriétés 
projectives  des  figures  fut  le  créateur  de  celle  hraiiche  de  la 
géométrie.  « Son  hut  capital,  en  écrivant  son  Traité.,  était  de 
ramener  toute  propriété  concernant  les  coniciues  ou  les  qua- 
driques  à une  proposition  relative  à la  circonférence  ou  à la 
sphère,  et  cela  à l’aide  de  projections  convenahles  ou  d’apidi- 
calions  du  principe  de  continuité.  .Mais  le  fait  de  chercher 
d’ahord,  pour  y arriver,  quelles  sont,  [)armi  les  propriétés  d’une 
ligure  géométrique,  celles  qui  se  conservent  en  projection,  de 
se  poseï'  ainsi  un  prolilème  d’une  importance  aujourd’hui  fonda- 
mentale, donne  à sa  méthode  une  portée  beaucoup  plus  pro- 
fonde et  lui  attribue  un  rôle  capital  dans  le  (léveloi)poment  des 
idées  modernes. 

».L  V.  Poncelet  constate,  d’aljord,  (pie  les  pro[)riétés,  dites 
|)rojectives,  ne  comprennent  pas  seulement  des  |)ropi  iélés  dites 
de  position  ou  descriptives,  wvaï?,  encore  des  propriétés  métriques. 

» L’une  de  ces  dernières  qu’il  met  en  évidence,  possède  un 
lit'  SÉIUE.  T.  XXVI.  35 


542 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


grand  caractère  de  généralité  : c’est  celle  qui  s’exprime  par  une 
relation  ou  un  rapport  entre  un  produit  de  deux  segments 
linéaires,  relation  ou  rapport  Ibrmé  de  telle  façon  que  ses  deux 
termes  comprennent  chacun  une  même  lettre  le  même  nombre 
de  fois,  et  que  chaque  segment  appartenant  à l’un  de  ces  deux 
termes  soit  parallèle  à un  segment  appartenant  à l’autre.  Cette 
propriété  générale  établit,  en  paiiiculiei-,  le  caractère  projectif, 
soit  de  la  division  harmonique  et  du  rapport  anharmonique, 
soit  des  équations  de  l’involution  et  de  leurs  applications  au 
([uadrilatère  inscrit  dans  une  coni(|ue,  soit  enfin  des  proposi- 
tions de  la  théorie  des  transversales  et  de  la  théorie  des  pôles 
et  polaires. 

» Passant  plus  avant  dans  ses  recherches,  J.  Y.  Poncelet 
introduit  ensuite  la  notion  de  perspective  entre  deux  plans  ou 
deux  espaces  qui  coïncident  et  des  fiçjtires  homologiqves  ; il  y 
est  conduit  par  l’étude  des  relations  de  similitude  entre  deux 
circonférences  (ou  deux  sphères),  pour  lesquelles  la  droite  de 
l’infini  (ou  le  plan  de  l’infini)  constitue  un  axe  d’homologie 
(ou  un  plan  d’homologie),  le  centre  d’homologie  étant  un  des 
centres  de  similitude  des  deux  circonférences  (ou  des  deux 
sphères).  Il  arrive  ainsi  à regarder  deux  coniques  d’un  même 
plan  comme  étant  deux  figures  homologiques,  l'axe  d’homologie 
étant  une  de  leurs  sécantes  communes  et  le  centre  d’homologie 
le  point  d’intersection  de  deux  de  leurs  tangentes  communes  ; 
c’est,  en  [)articulier,  dans  cette  voie  qn’il  découvre  que  toutes 
les  coniques  ayant  un  foyer  commun  admettent  deux  tangentes 
communes  imaginaires. 

» (æs  considérations  étendues  à l’espace  donnent  ce  que 
,1.  Y.  Poncelet  appelle  Ut  perxpedive-reh'ef ; une  quadrique 
([uelconque  peut  alors  être  envii^agée  comme  la  perspective- 
relief,  ou  figure  homologi([ue,  d’une  sphère  ; de  là  les  propriétés 
(les  quadriques  ayant  une  conique  commune.  Puis,  remaïquant 
(|ue  deux  (piadriques  homologi([ues  coupent  le  plan  d’homo- 
logie suivant  la  même  conique,  ,1.  Y.  Poncelet  s’élève  à la  con- 
ception de  Vombilicale  (cercle  imaginaire  de  l’infini)  ; il  en 
déduit  que  deux  quadriques  semblables  et  semblablement 
[(lacées  peuvent  toujours  être  considéi  ées  comme  la  perspective- 
relief  de  deux  sphères,  ainsi  que  d’autres  propriétés  projectives 
intéressantes.  » 

(le  passage  sur  l’œuvre  de  .1.  Y.  Poncelet  est  transcrit, 
ci-dessus,  sans  abréviations  et  au  complet,  (juant  à la  notice 
analogue  que  MM.  Schoentlies  et  Tre.sse  consacrent  à l’œuvre 


BIBLIOGRAPHIE 


543 


de  von  Staudt,  son  étendue  ne  me  permet  pas  de  la  reproduire 
de  même.  En  voici,  cependant,  un  passage  saillant.  11  caractérise 
bien,  en  etïét,  le  développement  pris  par  la  théorie  de  la  géo- 
métrie projective  depuis  Poncelet  jusqu’à  von  Staudt. 

« K.-G.-Ghr.  von  Staudt  s’est  proposé  de  développer  toutes  les 
théories  de  la  géométrie  projective  sans  recourir  en  rien  aux 
notions  métriques  d’angles  et  de  distances,  ni  par  conséquent, 
à l’idée  capitale  de  rapport  anliarmonique.  Il  a donné  de  ce  pro- 
blème une  solution  qui  pouvait  être  regardée  comme  irrépro- 
chable à son  épocpie,  où  les  axiomes  tbndamentaux  de  la  géo- 
méti'ie  n’avaient  pas  encore  été,  comme  aujourd’hui,  soumis 
à une  discussion  approfondie,  et  qui,  malgré  (|iiel(|ues  lacunes, 
n’en  donne  pas  moins  les  points  essentiels  d’une  sulution  rigou- 
reuse. )) 

Parmi  les  noms  des  savants  qui  perfectionnèrent  les  méthodes 
de  von  Staudt,  il  nous  plaît  de  mettre  en  relief  ceux  de 
.M.M.  Lepaige  et  Deruyts.  Voici  maintenant,  pour  terminer 
l’examen  de  cet  article  de  Y Encyclopédie,  quel  eu  est  le  plan. 

I.  Aperçu  historique.  I.  La  projection  centrale.  ~1.  La  théorie 
des  transversales  de  Carnot.  3.  Le  principe  de  continuité. 

II.  Méthodes  et  notions  générales.  4.  Poncelet,  créateur  de  la 
géométrie  projective.  (C’est  le  numéro,  qu’à  l’exception  toute- 
fois des  notes  bibliographiques,  nous  avons  reproduit  intégra- 
lement ci-dessus.)  5.  Polaires  réciproques  et  dualité.  6.  La 
notion  générale  de  correspondance.  7.  Le  rapport  anharmo- 
nique.  8.  Les  ligures  fondamentales  et  leur  transformation 
homographique.  !).  Propriétés  métriques  de  la  correspondance 
homographique.  JO.  Les  méthodes  i)rojectives  de  génération 
des  figures.  U.  Correspondances  homograpliiques  ou  réci- 
proques entre  les  éléments  d’une  même  tigure  fondamentale. 

III.  Cas  remarquable  des  traiisformations  hoinoyraphiques 
corrélatives.  J3.  Positions  iemar([uahles  de  deux  ligures  homo- 
grapliiques.  13.  figures  en  involution.  14.  Projectivités  cy- 
cliques. J5.  Homographies  et  corrélations  évanouissantes.  10.  Le 
problème  de  la  projectivité. 

IV.  Les  principes  fondamenlaux.  17.  La  géométrie  projective 
établie  avec  Staudt  sur  des  hases  indépendantes  de  la  géométrie 
métrique.  18.  L’importance  fondamentale  des  théorèmes  de 
disposition.  J!).  Les  éléments  imaginaires.  30.  .àntiprojectivité 
ou  symétralité.  21.  Le  calcul  des  jets.  22.  Les  diverses  manières 
d’envisager  les  problèmes  de  la  géométrie  projective. 

Y.  Les  transformations  homograpliiques  prises  pour  objet 


.)ïï 


REVUE  DES  QT'ESTIOXS  SCIENTIFIQUES 


opération.  5o.  Le  calcul  des  translbrnialioiis  homographiqiies. 

Faisceaux  et  réseaux  de  correspondances  honiographiques 
ou  corrélatives. 

VI.  Les  génération};  de  correspondances  projectives.  ':25.  L’ho- 
mographie trilinéaii'e  entre  les  figures  de  rang  nn.  '2fi.  Les  cor- 
respondances quadratiques  les  plus  simples. 

Tome  IV.  Linouième  volume.  F.vscicule  Systèmes  uéfor.m.y- 
isLES.  — Le  premier  lascicule  du  tome  IV,  ciru|uième  volume, 
contenait  deux  articles  ; ;IV,  JfiJ.  AbDYuuv  géninétricpies  fonda- 
mentales. Exposé,  d’après  l’article  allemand  de  M.  .Vhraham 
(.Milan),  par  I’.  Langevin  (l'aris).  [IV,  17. | Hydrodynamique 
(Partie  élémentaire).  Exposé,  d’apiVxs  l’aiMicle  allemand  de 
.V.  E.  IL  Love  (Oxford),  par  F.  .\ppell  (Paris)  et  II.  Heghin 
(lirest).  La  fin  de  ce  dernier  article,  c’est-à-dire  cinq  pages, 
commence  le  fascicule  dont  nous  nous  occupons  ici.  Tout  le 
reste  de  ce  fascicule  est  consacré  à l'ai  ticle  suivant  : 

[IV,  18.  I l)l';VEL01>PEMENTS  CONUEIiN.WT  I.TI VDROUY.X AMIQUE. 
Exposé,  d’a[>rcs  Faiiicle  allemand  de.\.  E.  II.  Love  (Oxford),  par 
P.  .\[)pell  (Pai'i.'^),  II.  Beghin  (BresI)  et  11.  Villat  ( Monipellier). 
-■  1.  .Mouvement  irrolationnel  d’un  li(pii(h‘  incompressihie. 
a.)  (iénéralités  sur  la  distribution  des  vilesses.  h)  Sources  et 
doublets,  c)  Images,  d)  Mouvements  à deux  dimensions,  e)  Mou- 
vements discontinus  à deux  dimensions  ( mouvements  glissants). 
f)  .Moiivements  à trois  dimensions. 

’I.  .Mouvement  de  corps  solides  dans  un  liquide  incompie.s- 
sihle.  a)  Einématiciue.  b)  Energie  cinématique,  c)  Symétrie 
hydrocinéti(iue.  d)  E([iiations  du  mouvement,  e)  .Mouvements 
acycli([ues.  Sphères  pidsantes.  f)  Mouvements  cyclicpies. 

B.  .Mouvements  tonrhillonnaires.  aj  Pétennination  des  vitesses 
en  fonction  des  tourhillons.  h)  Tourbillons  circulaires,  c)  Ehamps 
plans  de  tourhillons.  d)  Vibration  des  tourbillons,  e)  .\ction 
mutuelle  d’anneaux  ((uelcompies  infiniment  minces,  f)  Tourhil- 
lons de  section  finie. 

L Ellipsoïdes  liquides  soumis  à leur  jiropre  gravité,  a)  Théo- 
l'ie  générale,  h)  Etude  particulière  des  figures  d’équilibre 
relatif.  Stabilité. 

.*).  .Mouvements  ondulatoires  fies  tluides  incompressibles. 
a)  Nature  du  mouvement  omlulatoire  d’un  lifpiide  pesant. 
h)  Ondes  longues,  c)  Ondes  oscillatoires,  d!  Energie  d’un  mou- 
vement oiulnlatoire.  Vitesse  de  groupes,  ej  Ondes  stationnaires. 
f)  Oscillations  stationnaires  dans  des  l)assins.  g)  Détermination 
plus  rigoureuse  de  niffiivements  ondulatoires,  h)  Onde  solitaire. 


BIBLIOGRAPHIE 


545 


ij  Soliilioiis  rigoureuses  des  mouvements  ondulatoires  dans  des 
bassins  quelconques.  Oscillation  d’une  sphère  tluide. 

().  Fluides  visqueux.  <i)  Transt'ormation  des  équations  du 
mouvement,  h)  .Mouvements  permanents,  cj  .Mouvements  varia- 
bles et  périodi(pies.  d)  .Mouvernenls  par  lames,  e)  Mouvements 
turbulents,  fl  Instabilité  du  mouvement  régulier  par  lames. 
gj  L’hydrodynamique  de  P.  Duhem. 

Ouaud  il  s’agit  «le  savants  encore  en  vie,  VKiicgdopédie  est 
d’ordinaire  tort  sobre  d’éloges.  Je  m’en  voudrais  donc  de  ne  pas 
donnei’  ici  son  appréciation  de  VHgdrodipiamique  de  [*.  Duhem. 
« Il  est  impossible,  dit-elle,  pour  terminer  (;ette  étude  de  ne  pas 
faire  une  place  tout  à fait  à part  aux  travaux  de  P.  Duhem  sur 
l’hydrodynamique  générale  des  fluides  visqueux  ou  non.  Cet 
auteur,  après  avoir  donné  à la  Mécanique  rationnelle  une  forme- 
nouvelle  et  beaucoup  plus  générale  que  celle  considérée  jus- 
qu’alors, a procédé  tà  une  révision  des  principes  de  l’Hydro- 
dynamiipie,  ce  qui  l’a  conduit  à la  construclion  de  théories 
nouvelles  des  plus  importantes.  » 

Tome  IV.  Sixiè.me  volume.  F.xscicule  1.—  H.xlistique.  Hydr.xu- 
LiQUE.  — [IV,  21.1  B.xlistique  EXTÉRIEURE.  Fxposé  d’apt'ès 
l’article  allemand  de  C.  Granz  (Charlottenhourg),  par  F.  Yallier 
(Versailles). 

Les  circonstances  appellent  d’une  manière  toute  spéciale 
l’attention  sur  ce  fascicule,  ({ui  parut  le  25  novembre  191.4, 
moins  d’un  an  avant  la  guerre.  Pour  le  juger  avec  compétence 
il  faudrait  être  artilleur;  aussi  me  garderai-je  de  formuler  une 
appréciation  quelconque,  .\utre  chose  est,  cependant,  de  me 
contenter  de  dire  que,  même  pour  beaucoup  de  savants  étran- 
gers h l’artillerie,  le  travail  de  .MM.  Granz  et  Vallier  sera  d’une 
lecture  vraiment  intéressante  ; car,  pour  le  comprendre,  h l’ex- 
ce[)tion  parfois  de  quelques  détails  trop  techniques,  il  suffit  de 
ne  pas  être  arrêté  par  des  formule.s  telles  qu’on  les  rencontre 
couramment  dans  tous  les  traités  relatifs  à une  partie  quelconque 
de  l’art  de  l’ingénieur. 

La  balistique  est  la  science  du  mouvement  des  corps  pesants 
lancés  dans  l’espace  suivant  une  direction  quelconipie  et  plus 
particulièrement  l’étude  du  mouvement  des  projectiles  tirés  des 
bouches  à feu. 

On  distingue  la  balistHjue  intérieure  qui  a pour  objet  l’étude 
du  mouvement  du  projectile  dans  Pâme  de  la  pièce,  et  la  balis- 
tique extérieure  qui  traite  du  mouvement  de  ce  projectile 
lorsque,  sorti  de  la  bouche  à feu,  il  est  soumis  .à  l’action  de  la 


546 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


pesanteur  et  de  la  résistance  du  milieu  dans  lequel  il  se  meut. 
Celte  dernière  étude  se  complète  par  celle  des  elîets  des  projec- 
tiles au  but  et  de  la  répartition  de  leurs  points  de  chute  sur  le 
terrain. 

La  balistiipie  iiitfUMeure  fait  l’objet  de  l’article  suivant  et  nous 
en  parlerons  tantôt;  mais,  dans  ce  prejuier  article,  ^IM.  Ci'anz 
et  Vallier  traitent  exclusivement  de  la  balistique  extérieure. 
« Dans  le  présent  article,  disent-ils,  on  donnera  un  aperçu  de 
l'état  actuel  de  celte  branche  de  la  science,  permettant  de  se 
rendre  compte  de  l’importance  des  i-ésultats  olitenus  et  des 
(fueslions  (pii  restent  encore  à résoudre.  » Voici  le  plan  suivi 
par  les  auteurs. 

I.  Inlrodvclion.  I.  Dréliminaires.  2.  Délinitions  et  notations. 

II.  De  la  résistance  de  l’air  au  inonrement  des  projectiles. 
3.  Exposé  théoriipie.  4.  Formules  empiricpies  de  la  résistance 
de  l’air.  5.  Expériences  ayant  servi  à l’établissement  des  for- 
mules précédentes.  (>.  Variation  de  la  résistance  de  l’air  avec 
la  forme  de  l’ogive  et  l’inclinaison  de  l’axe  du  projectile  sur  la 
tangente.  Densité  transversale  ou  poids  par  unité  de  la  section 
droite. 

III.  Prohlème  essentiel  de  la  balistique.  Principales  méthodes 
d’approximation  employées  po)ir  le  résoudre.  7.  Préliminaires. 
.Mouvement  dans  le  vide.  8.  Exposé  du  [iroblème  et  propriétés 
générales  de  la  trajectoire.  !).  lléduction  du  iiroblème  à des* 
équations  dilféreulielles  intégrables.  10.  Solution  aiiprochée 
des  équations  ditïérentielles  fondamentales.  JJ.  Méthodes  gra- 
phiques. 12.  Hésolution  exacte  des  éipiations  différentielles 
apiirochées.  13.  .Méthode  de  Didion.  J4.  Formules  semi-empi- 
riques. 15.  .Méthode  de  Siacci.  10.  Discussion  des  méthodes 
ci-dessus. 

IV.  Déviation  régulière  des  projectiles.  Leurs  causes.  J 7.  Fixposé 
des  causes.  J8.  Variation  de  la  vitesse  initiale.  19.  Variation  de 
l’angle  de  projection.  20.  Variation  du  poids  s[)écifique  de  l’air. 
21.  Iniluence  du  vent. 

V.  Mouvements  complémentaires.  22.  Iniluence  de  la  rotation 
de  la  terre. 

VI.  Mouvements  seco)ulai.res  des  projectiles.  Conséquences  de 
leur  rotation.  Dérivation.  23.  .Mouvements  secondaires.  24.  Déri- 
vation des  projectiles  oblongs.  25.  Etude  analytique  de  la 
dérivation. 

Vil.  Dérivations  accidentelles  des  projectiles.  2t>.  Dérivations 


BIBLIOGRAPHIE 


547 


accidentelles,  'il.  Pénétration  des  projectiles  dans  un  milieu 
résistant.  28.  ElTets  contre  les  êtres  animés.  29.  Perforation. 

Ylll.  Tables  de  Tir.  30.  Cénéralités.  31.  Différents  genres  de 
tir.  32.  Tables  de  tir  d’artillerie  navale.  33.  Tir  courbe. 
34.  Trajectoire  purement  empirique. 

IX.  Appareils  et  méthodes  de  mesure  de  la  halislique  exté- 
rieure. 35.  Mesure  de  l’angle  de  relèvement.  30.  Mesure  de  la 
vitesse  initiale  par  les  a[)pareils  anciens  et  nouvean.x.  37.  Mesure 
d’autres  grandeurs. 

X.  Résumé  et  Conclusion.  38.  Sur  la  po.sition  actuelle  du 
problème  balistique. 

[IV,  22.]  R.vlistiql'e  intérieure.  Exposé,  d'après  l’article 
allemand  de  C.  Cranz  (Charlottenbourg),  par  G.  Denoit  (Paris). 
Pour  lancer  des  projectiles  on  a utilisé  autrefois,  et  on  utilise 
encore  aujourd’hui,  des  forces  très  diverses,  nommons  : 1,  la 
force  musculaire  ; l’engin  est  une  lance,  une  massue,  une 
fronde,  etc.  ; 2,  la  force  d’élasticité  ; le  projecteur  est  un  arc, 
une  arbalète,  un  baliste.  une  catapulte  ; 3,  la  force  élastique  de 
l’air  comprimé,  comme  dans  le  fusil  à vent  ; 4,  les  forces  élec- 
triques ; 5,  les  forces  chimiques.  Dans  cet  article  les  auteurs  se 
limitent  à étudier  ce  dernier  genre  de  force  ; c’est-à-dire,  l’éner- 
gie chimique  que  possèdent  les  matières  explosives.  Le  problème 
est  complexe. 

» Une  matière  explosive,  disent  M.M.  Cranz  et  Benoit,  éprouve 
par  inllammation  ou  bien  par  choc  et  secousse  une  transforma- 
tion chimique  d’où  résulte  en  peu  de  temps  une  grande  quantité 
de  produits  gazeux  à haute  température.  Si  ces  gaz  sont 
entlammés  dans  un  petit  volume,  ils  exercent  du  fait  de  cette 
compression,  joint  au  dégagement  de  chaleur  qui  se  produit 
pendant  la  réaction  chimique,  une  pression  qui  peut  fournir  du 
travail. 

» Dans  la  technique  de  l’explosion,  le  travail  fourni  par  la 
matière  explosive  consiste  à vaincre  les  forces  de  cohésion  ; 
c’est  pourquoi  il  importe  avant  tout  de  produire  de  hautes 
tensions  maxima  des  gaz,  qui  n’agissent  qu’un  temps  très  court. 
Ce  but  est  atteint  au  moyen  de  matières  explosives  brisantes 
qui  permettent,  par  exemple,  de  faire  sauter  des  masses  de 
pierre  et,  en  même  temps,  de  ne  pas  trop  les  fracasser,  d’une 
part,  et  de  ne  pas  les  projeter  trop  loin  d’autre  part. 

» Au  contraire,  dans  la  balistique  du  canon  et  du  fusil  que 
nous  traitons  seule  ici,  la  pression  du  gaz  doit  être  employée 
à donner  au  projectile  à l’intérieur  du  canon  et  progressivement. 


548 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


une  force  vive,  surtout  de  translation,  sans  compromettre  la 
résistance  du  canon  et  du  pi’ojectile.  Pour  atteindre  ce  but,  il 
faut  évidemment  faire  usage  de  matières  explosives  (pii  se 
décomposent  plus  lentement  et,  par  consé(|uent,  produisent  des 
elfets  moins  brusques  qu’on  ne  les  envisage  dans  la  technique 
des  modes  d’éclatement. 

B On  a reconnu  que  les  meilleurs  modes  d’explosion  ne  sont 
pas  les  meilleurs  modes  de  lancement  des  projectiles.  La  vitesse 
du  projectile,  (pi’il  y a intérêt  à avoir,  toutes  choses  égales  d’ail- 
leurs, aussi  grande  que  possible  à la  sortie  du  canon,  ne  croît 
pas  en  général  avec  la  force  brisante  d’une  matière  explosive. 
I.e  plus  souvent  même  à la  production  de  la  pins  petite  tension 
maxima  des  gaz  corresj)ond  la  vitesse  initiale  maxima. 

B Les  gaz  de  la  poudre  doivent  aussi,  autant  que  possible, 
produire  une  pression  uniforme  sur  le  projectile.  Or,  si  toutes 
les  poudres  étaient  transformées  en  gaz  avant  le  départ  du  pro- 
jectile, la  tension  du  gaz  irait  constamment  en  décroissant  pen- 
dant le  trajet  du  projectile  dans  le  canon,  parce  que  l’espace 
réservé  aux  gaz  de  la  poudre  et  situé  entre  le  culot  du  projec- 
tile et  le  fond  de  l’àme,  ci'oit  au  l'ur  et  à mesure  que  le  projectile 
s’avance  vers  la  bouche  du  canon.  Il  faut  donc  faire  en  sorte  que 
la  poudre  ne  soit  transtormée  que  progressivement  en  gaz,  de 
façon  que  la  diminution  continuelle  de  pression  du  gaz  prove- 
nant de  l’angjucntation  de  volume  et  de  la  production  de  tra- 
vail soit  compensée,  autant  que  possible,  par  de  continuels 
appoints  de  gaz  propulseurs. 

B Dans  ce  but  il  est  nécessaire  d’emiiloyer  une  poudre  bi’ùlant 
avec  une  lenteur  suffisante;  le  mode  de  combustion  de  la  poudre 
doit  être  réglé  d’après  la  valeur  de  la  charge,  l’espace  de  com- 
bustion, le  calibre  et  la  longueur  du  canon,  enfin  d’après  la 
foire  d’inertie  du  projectile,  de  telle  façon  que  la  poudre  con- 
tinue à bri'iler  jusqu’au  moment  où  le  projectile  quitte  le  canon; 
mais,  de  façon  aussi  (pie  la  poudre  soit  alors  complètement 
bridée  et  que  le  jirojectile  possède  son  maximum  d’énergie  à 
sa  sortie. 

B 11  est  clair  que  pour  parvenir  à ce  résultat,  au  moins  d’une 
façon  ap[)rocliée,  il  doit  exister,  entre  les  grandeurs  précitées, 
poids  du  projectile,  longueur,  calibre  du  canon  ou  du  fusil,  etc., 
des  relations  bien  déterminées.  Il  est  de  même  nécessaire  lors- 
qu’on établit  un  projet,  ou  encore  lorsqu'on  examine  un  type 
déterminé  de  canon  ou  de  fusil,  de  connaître  ce  qui  se  passera 
dans  l’àme  pendant  le  tir.  Les  techniciens  des  armes  à feu 


BIBMOGRAPHIK 


549 


élablisseiit  ces  rapports  par  des  considérations  nii-pratiqnes, 
mi-théoriques.  On  a été  ainsi  amené  à formuler  le  problème  spé- 
cial de  la  balistique  intérieure  de  la  manière  suivante  : 

» Dans  un  cas  déterminé  quelcomiue,  exprimer  en  fonction 
du  temps,  ou  du  trajet  déjà  accompli  par  le  projectile  dans  le 
canon,  d'une  part  la  pression  qui  rcqne  dans  l'àme  du  canon, 
d’autre  part  l’accélération  et  la  vitesse  du  projectüe,  et  enfin  la 
température  des  gaz  de  la  poudre.  » 

Comme  on  le  remarquera  par  le  plan  de  l’article  et  sans  qu’il 
faille  y insister  ici,  à côté  du  problème  principal  de  la  balistique, 
il  s’en  présente  plusieurs  autres  d’un  caractère  plus  particulier. 

I.  Introduction.  1.  Problème  de  la  balistique  intérieure. 
2.  Notations. 

II.  Bases  thermochimiques  et  thermodynamiques  de  la  balis- 
tique intérieure.  3.  Oualité  des  poudres.  4.  Capacité  calorilique 
et  énergie  des  poudres.  5.  Température  de  combustion  des  gaz 
de  la  poudre.  6.  Volume  spécifique.  Pression  spécitique.  Covo- 
lume. Densité  de  chargement.  7.  Pression  du  gaz  sous  volume 
constant.  8.  Mode  et  vitesse  de  combustion  de  la  poudre. 

III.  Étude  théorique  du  problème  dynamique.  9.  Cas  de  la 
détonation.  10.  Cas  de  la  combustion  graduelle  de  la  poudre. 

IV.  Résolution  pratique  du  problème  dynamique.  11.  Re- 
marques générales.  12.  Formules  de  Sarrau.  13.  Dernières  expé- 
riences et  derniers  diagrammes.  14.  Les  formules  de  Vallier. 

V.  Conditions  auxquelles  doivent  satisfaire  la  pièce  et  ses 
accessoires.  15.  Résistance  du  canon.  10.  Rainures.  17.  Recul. 
Conditions  auxquelles  doivent  satisfaire  les  affûts. 

VI.  Appareils  de  mesure  et  méthodes  de  )nesure  de  la  balistique 
intérieure.  18.  Méthodes  statiques  de  mesure  de  la  pression  des 
gaz.  19.  Méthodes  dynamiques  pour  mesurer  la  pression  des  gaz. 
20.  Remarques  critiques  concernant  la  mesure  de  la  pression 
des  gaz.  21.  Autres  appareils  et  méthodes  de  mesure.  22.  Con- 
clusion. 

Cette  conclusion  mériterait  d’étre  transcrite  ici  en  entiei',  tant 
elle  est  intéressante,  tant  elle  renferme  aussi  de  l’éllexions  mar- 
quées au  coin  du  bon  sens  et  s’appliquant  à beaucoup  de 
branches  de  la  mécanique.  En  voici,  du  moins,  deux  passages  ; 

« On  a fait  remarquer  dans  cet  article  et  dans  le  précédent, 
disent  les  auteurs,  qu’en  balistique  les  expériences  systéma- 
tiques, jointes  à une  juste  appréciation  des  erreurs  commises, 
doivent  jouer  un  rôle  beaucoup  plus  grand  ([ue  celui  qu’on  leui- 
a attribué  dans  les  dix  dernières  années.  On  n’est  arrivé  que  peu 


550 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


à peu  à s’en  rendre  compte  et  il  faut  bien  avouer  qu’anjourd’hui 
encore  plusieurs  balisticiens  n’en  semblent  pas  encore  entière- 
ment convaincus.  » 

Et  plus  loin  : « il  importe  d’être  très  prudent  lorsqu’on  se 
propose  de  contrôler  une  théorie  par  des  données  empiriijucs. 
Le  but  à atteindre  (lar  la  balistique  (aussi  bien  extérieure  qu’in- 
térieure) serait  (après  avoir  déterminé  les  constantes  du  canon 
ou  du  fusil,  du  projectile  et  de  la  poudre,  ainsi  que  les 
éléments  météorologiques)  de  fournir  à l’avance  en  fonction  du 
temps,  la  position  et  la  vitesse  du  projectile  en  grandeur  et  en 
direction  et,  aussi,  l’intensité  de  la  pression  du  gaz  avec  une 
erreur  probable  (jui  soit  plus  petite  que  l’erreur  probable 
d’observation  dans  une  application  pratique  quelconque.  La 
balisti([ue  s’approchera  vraisemblablement  d’autant  plus  de  ce 
but  qu’on  imitera  mieux  les  méthodes  de  recherches  qu’emploie 
l’astronomie  dans  le  cas  des  perturbations,  en  reliant  de  plus  en 
plus  les  calculs  à etïectiier,  avec  les  observations  déjà  effectuées. 
11  semble  d’ailleui's  ([uc,  pour  le  moment,  ce  soit  à ces  observa- 
tions directes  qu’il  faille  faire  jouer  un  rôle  prépondérant.  » 

[IV,  Développements  concern.vnt  quelques  recherches 
DE  R.VLisTiQUE  EXÉCUTÉES  EN  Fr.vnce.  Exposé  par  F.  Gossot  (Paris) 
et  H.  Liouville  (Paris). — a)  .Mesures  des  vitesses,  b)  .Mesure  des 
pressions,  c)  .Mode  de  combustion  des  poudres,  d)  Équation 
ditïérentielle  du  mouvement  des  projectiles,  e)  Propriétés  de 
l’équation  dilférentielle  du  mouvement  et  variables  caractéris- 
tiques. f)  .Notes  historiques. 

Ges  notes  sont  tout  ce  qu’il  y a d’intéressant  et,  n’était  leur 
longueur,  on  se  laisserait  une  fois  de  plus  entraîner  à les  tran.s- 
crire.  En  voici  un  i>assage  (jui  en  résume  les  plus  grandes  lignes. 

« I^a  balistique  intérieure  est  une  science  relativement  récente. 
-Née  des  nécessités  de  la  pratique  courante,  elle  était  vers  le 
milieu  du  siècle  dernier  réduite  aux  constatations  les  plus 
immédiates  de  l’expérience.  Sans  bases  théoriques,  sans  autre 
but  que  de  faciliter  le  travail  journalier  des  commissions  d’ar- 
tillerie, elle  consistait  alors  en  ((uelques  formules  dues  à la 
<‘ommission  de  Gàvre  et  à E.  Hélie,  dans  lesquelles  la  vites.se  du 
boulet  était  liée,  pour  une  poudre  et  une  bouche  à feu  déter- 
minées, aux  seides  données  dont  le  praticien  pouvait  alors  dis- 
poser. t^es  formules  avaient  été  naturellement  choisies  parmi 
celles  qui  se  prêtaient  aux  calculs  les  plus  simples  ; elles  suppo- 
saient la  vitesse  proportionnelle  à certaines  puissances  des  poids 
de  la  poudre  et  du  projectile.  Rien  n’était  fait  encore  pour  tenir 


BIBLIOGRAPHIE 


5')! 


compte,  d’nne  façon  explicite,  de  la  nature  de  la  poudre  ou  du 
calibre  de  l’ànie. 

))  Pour  faire  des  progrès  véritables,  il  manquait  à la  balistique 
intérieure  deux  choses  essentielles  : des  moyens  de  mesure  plus 
complets,  fournissant  le  contrôle  expérimental  des  prévisions 
relatives  à tous  les  éléments  importants  du  tir;  une  méthode 
permettant  de  rattacher  la  théorie  à des  principes  généraux 
incontestables.  » 

II.  IlOSM.XNS,  S.  .1. 


A 

.V.XiNUAiRE  POUR  LAN  1914,  publié  par  le  Bureau  des  longitudes. 
— Paris,  Gauthier- A'illars. 

Conformément  aux  dispositions  inaugurées  en  1904,  le  pré- 
sent .Vnnuaire  contient  des  tableaux  détaillés  relatifs  aux  don- 
nées physiques  et  chimiques,  mais  ne  fournit  aucune  donnée 
géographique  ou  statistique.  Ce  sera  le  contraire  pour  1’.\n- 
N U AI  RE  de  1915. 

En  vertu  de  ces  mêmes  dispositions,  la  partie  astronomique 
du  présent  volume  renléi  me  des  notes  sur  la  sismologie  (G.  Bi- 
gourdan),  les  cadrans  solaires  (P.  Ilatt)  et  la  phy.sique  solaire 
(II.  Deslandres)  ; une  notice  très  détaillée  sur  les  comètes  appa- 
rues en  1912  ( E.  Schulhof)  et  les  données  relatives  aux  spectres 
stellaires  (de  Gramont). 

Parmi  les  Données  physiques  et  chimiques,  signalons  une  note 
excellente,  due  h M.  E.-H.  Amagat  sur  l’équation  d’état,  le  point 
critique  et  les  états  correspondants  pour  les  fluides  : cette  note, 
entièrement  nouvelle,  remplace  celle  de  Sarrau  sur  le  point 
critique  des  fluides. 

Les  tableaux  qui  renferment  les  données  physiques  et  chi- 
miques ont  été  entièrement  refondus  par  MM.  C.  Baveau  et 
Ch.  .Marie,  et  mis  en  harmonie  avec  le  Recueil  de  Constantes 
physiques,  publié  en  19Bj  par  la  Société  française  de  Physique, 
tout  en  profitant  des  précieux  renseignements  fournis  par  les 
Tables  annuelles  de  Constantes  et  données  numériques,  de  Chi- 
mie, de  Physique  et  de  Technologie  (Vol.  1 et  11),  et  la  dernière 
édition  des  Physihalisch-Chemische  Tabellen  de  Landolt-Bôrn- 
stein. 

M.  Gandechon  a fourni  le  tableau  de  la  compo.sition  des 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTII-TQI'ES 


532 


cendres  de  diverses  plantes  cnltivées  ; Mesnager  les  données 
relatives  à la  résistance  des  inatérianx,  et  M.  .\ottin  des  docu- 
ments se  rapportant  à l’analyse  des  bières,  vins  et  cidres,  ainsi 
qn’à  la  composition  moyenne  des  céréales,  à celle  des  scories  de 
déphosphoration  et  des  phosphates  naturels. 

Trois  notices  scientiliqnes  terminent  le  volume. 

La  première,  due  à M.  Ilatt,  a pour  litre  La  dëfonnalion  des 
images  dans  les  lunettes.  La  déformation,  dont  il  est  ici  ques- 
tion, n’est  pas  due  à une  défectuosité  de  l’instrument  d’optique, 
mais  aux  conditions  essentiellement  différentes  de  la  vision  à 
l’œil  nu  et  de  la  vision  armée  ; c’est  la  défoi-mation  que  présente 
« nn  tableau  examiné  d’un  point  plus  rapproché  que  le  point  de 
vue  du  peintre  ». 

» Notre  (cil  forme  sur  la  rétine  le  |)lns  délicat  et  fidèle  tableau 
au  moyen  duquel  se  manifeste  à notre  entendement  le  monde 
extérieur,  dette  conception  de  l’espace  à trois  dimensions  au 
moyen  d’une  représentation  qui  n’en  a que  deux,  exige  une 
interprétation  rendue  à peu  près  parfaite  par  l’éducation  du 
sens  de  la  vue  dans  les  circonstances  hahituelhis.  Mais  l’inter- 
prétation est  faussée  quand  on  sort  des  conditions  familières, 
([uand,  par  exemple,  l’emploi  d’nne  lunette  substitue  à l’image 
normale  de  la  rétine  une  image  grossie  dont  les  dimensions  et 
la  forme  ne  cadrent  plus  avec  la  distance  focale  de  l’appareil 
optique  de  notre  œil.  .V  cette  image  anormale  correspondent 
des  impressions  faussées  qui  nous  apparaissent  comme  des 
déformations  des  objets  extérieurs. 

» Ne  faut-il  pas  conclure  de  là  que  tout  grossissement  appli- 
qué à la  représentation  d’un  espace  à trois  dimensions  entraîne 
une  déformation,  et  que  même  il  n’existe  aucun  moyen  pratique 
d'obvier  à cet  inconvénient?  » 

Le  jour  et  ses  divisions.  Les  fuseau.r  horaires  et  C association 
internationale  de  Vheure,  font  l’objet  de  la  seconde  notice, 
écrite  par  M.  (L  Ihgourdan. 

l'oni'  régler  ses  occupations,  l’homme  a toujours  eu  besoin 
de  diviser  le  temps.  Cette  division  est  dominée  par  deux  mou- 
vements apparents  du  Soleil  ; sa  rotation  qui  produit  les  alter- 
natives du  jour  et  de  la  nuit;  et  sa  révolution  autour  de  la 
Terre, (jui  produit  les  saisons, etdont  la  durée  constitue  l’année... 
.\insi  ces  deux  unités,  le  jour  et  Vannée,  sont  imposées  à 
l’homme  pour  l’évaluation  du  temps,  et  les  règles  suivies  pour 


BIBLIOGRAPHIE 


553 


ies  diviser  et  les  coordonner  constituent  en  grande  paitie  le 
(lalendrier. 

Il  n’est  (|iiesLioii,  dans  cette  notice,  que  de  la  première  de 
ces  deux  unités,  le  jour,  de  ses  divisions,  des  conventions  qui 
ont  été  laites  pour  nniCormiser  la  mesure  du  temps,  et  des 
moyens  employés  pour  mettre  h la  portée  de  tous  la  connais- 
sance de  l’heure  exacte. 

Voici  un  aperçu  rapide  de  cette  excellente  notice  de  lecture 
très  facile. 

Ch.  I.  Le  .iol'k  et  ses  divisions. — J.  Diverses  espèces  de  jour. 
Ce  sont  le  jour  solaire  vrai  de  longueur  variable,  et  \q  jour  solaire 
moyeu  de  durée  constante,  correspondant  à un  Soleil  hctil',  ([ui 
parcourrait  Véipiateur  d’un  mouvement  uniforme,  et  se  trou- 
verait aux  équinoxes  en  même  temps  que  le  Soleil  vi'ai.  La 
différence  entre  le  temps  solaire  vrai  et  le  temps  solaire  moyen 
s’appelle  Véqualio)t  du  temps  : elle  est  sensiblement  la  même 
pour  toutes  les  années,  et  varie  graduellement  d’un  jour  à 
l’autre  suivant  une  loi  connue.  — "2.  Substitution  du  temps 
moyen  an  temps  vrai.  Les  astronomes  ont  toujours  été  obligés 
d’employer  un  temps  égal  ou  uniforme  ; c’est  pour  cette  raison 
qu’ils  ont  créé  le  temps  moyen.  Mais  Vér/uation  du  temjjs 
n’excédant  guère  IH  minutes,  la  différence  entre  le  temps  moyen 
et  le  temps  vrai  passa  longtemps  inaperçue  ou  étrangère  aux 
usages  ordinaires.  On  ne  sentit  le  besoin  d’en  tenir  compte  qu’à 
la  tin  du  xviiC  siècle.  — Des  divisions  primitives  du  jour. 
Elles  fui’ent  ti'ès  rudimentaires  et  très  vagues,  chez  tous  les 
peuples,  jusqu’à  l’apparition  des  premiers  instruments  qui  ont 
servi  à mesurei-  le  temps.  Auparavant  on  jugeait  de  l’état 
d’avancement  du  jour  ou  de  la  nuit  d’après  les  aspects  de  la 
sphère  céleste  et  les  i)hénomènes  de  la  nature  animée  qui  s'y 
rattachent.  Les  heures  étaient  alors  simplement  conjecturâtes 
et  la  manière  d’en  juger  était  fort  dilférente  selon  qu’il  s’agis- 
sait du  jour  ou  de  la  nuit.  — 4.  Premiers  instruments  employés 
pour  diviser  le  jour.  Ce  sont  le  ynornon,  que  les  Chinois  pré- 
tendent avoir  employé  vingt-quatre  siècles  avant  notre  ère,  et 
([ue  les  Grecs  reçurent  des  Babyloniens  pai-  l’intermédiaire, 
semble-t-il,  d’Anaximandre  ((ilO-547  av.  ,I.-C.);  les  cadrans 
solaires  que  l’on  trouve  à Athènes  au  temps  de  l'ériclès  (4!)9-4:29 
av.  .I.-C.)  et  à Rome  après  la  seconde  Guerre  punique  (:^0()  ans 
av.  .l.-C.);  enfin,  les  clepsydres,  premiers  instruments  méca- 
niques employés  pour  mesurer  le  temps.  On  en  trouve  des 
traces  chez  les  Égyptiens  quinze  siècles  avant  notre  ère,  et  chez 


554 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


les  Chinois  dès  le  xiU  siècle  avaiil  J.-C.  [Mus  lard,  on  inventa  les 
horloges  à poids,  plus  tard  encore  les  horloges  à ressort  ; elles 
sont  devenues  nos  pendules  astronomiques  et  nos  chronomètres 
qui  conservent  l’heure  à quelques  dixièmes  de  seconde  près.  — 
5.  Division  du  jour  en  heures.  Il  y eut  autrel'ois  des  peuples  qui 
partageaient  le  jour  total,  le  nuchlkémère  des  Crées,  en  douze 
parties  seulement  ; mais  à partir  du  moment  où  commence 
l’emploi  des  instruments  horaires,  on  trouve,  presque  partout, 
la  période  de  lumière,  entre  le  lever  et  le  coucher  du  Soleil,  et  la 
période  d’obscurité,  du  coucher  au  lever  du  Soleil,  divisées  cha- 
cune en  douze  parties  égales  entre  elles,  variables  par  consé- 
quent d’une  date  à l’autre,  pour  un  même  lieu,  et  d’une  latitude 
à l’autie  [)our  une  même  date.  On  les  appelait  heures  tempo- 
raires, par  oiipositioii  avec  les  heures  é(juinoxiales,  employées 
surtout  par  les  asti'onomes.  Comme  leur  nom  l’indique, celles-ci 
correspondaient  aux  époipies  des  équinoxes  ; le  jour  étant  alors 
égal  partout  à la  nuit,  les  heures  équinoxiales  avaient  pai'tout 
la  même  durée,  celle  de  nos  heures  actuelles.  Leur  usage  dans 
la  vie  pratique  fut  lent  à s’imposer.  Les  éphémérides  de  Kégio- 
montanus  (i4oO-J476L  aimoiiçaienl  encore  les  phénomènes 
aslronomi(iues  en  heures  temporaires.  — G.  Nomenclature  des 
heures.  l*i-esque  partout,  le  jour  étant  divi.sé  en  parties 
distrihuiies  en  deux  périodes  comprenant  chacune  1:2  parties, 
on  comptait  celles-ci  de  1 à 12  ; (juehiues  peuples  cependant, 
et  surtout  les  astronomes,  comptaient  à la  suite,  de  1 à 21,  les 
heures  du  jour  et  celles  de  la  nuit.  De  nos  jours,  cette  manière 
(le  coiu[)ter  s’est  introduite  dans  la  vie  |)rati(|ue,  d’abord  poul- 
ies moyens  de  Iranspoi't,  ensuite  pour  toutes  les  relations  de  la 
vie  civile,  en  vue  d’obvier  à divers  inconvénients  qu’on  n’évite 
[>as  toujours  [lar  la  distinction  des  heures  du  matin  et  des 
heures  du  soir.  — 7.  Subdivision  des  heures.  Les  anciens,  à 
part  les  Hindous,  n’ont  guère  poussé  c(!tle  division  au  delà  de 
la  demi-heure.  Chez  les  modernes,  héritiers  des  Grecs,  on  a 
étendu  au  temps  les  subdivisions  déjà  employées  pour  les 
angles,  en  allant,  comme  les  Hindous,  de  GO  en  (iO.  .Mais  depuis 
Bessel  les  astronomes  arréleni  cette  division  sexagésimale  à la 
seconde,  en  ajoutant  au  besoin  la  rraclion  décimale  de  cette 
dernière  sididivision.  — <S.  Décimalisation  des  parties  du  jour. 
On  y a songé  depuis  longtemps.  Une  tentative  l'ut  faite  lors  de 
la  création  du  Calendrier  l'épublicain  ; elle  échoua.  Depuis  1884, 
la  question  fut  reprise  plusieurs  l'ois  ; divers  .systèmes  furent 
proposés,  des  es.sais  pratiques  furent  institués  ; malgré  leurs 


BIBLIOGRAPHIE 


00.) 


résultats  l'avorables,  aucune  décision  l'ernie  n’est  intervenue 
jusqu’ici.  — il.  Origine  du  jour.  Théoriquement,  cette  origine 
est  arbitraire  ; certains  peuples  l’ont  placée  au  lever  dn  Soleil, 
d’antres  <à  son  coucher  ; elle  variait  donc,  en  lui  même  lien, 
suivant  les  saisons,  l’areil  choix  Int,  de  bonne  heure,  rejeté  par 
les  astronomes.  Ainsi  Ptolémée  fait  commencer  le  jour  cà  midi 
vrai  ; il  a été  suivi  jusqu’à  nos  jours  par  les  astronomes  ; toute- 
fois, depuis  longtemps,  ils  ont  substitué  au  midi  vrai,  le  midi 
moyen  : ce  joui'  astronomique  commence  au  midi  qui  suit  le 
minuit,  origine  du  jour  civil  adoptée  depuis  longtemps  par 
les  modei'iies  pour  tous  les  usages  de  la  vie  pratique.  — 
jO.  Unification  du  jour  astronomique  et  du  jour  civil.  Au  cours 
du  XIX"  siècle  et  dans  ces  dernières  années  encore,  on  a maintes 
fois  proposé  de  l'aire  commencer  le  jour  astronomique  au 
même  minuit  (pie  le  jour  civil.  Les  objections  à ce  changement 
ne  sont  pas  décisives  ; il  est  probable  que  les  partisans  de  l’uni- 
tication  tiniront  par  l’emporter.  — J 1 . L’Iievre  loccde  et  les  heures 
nationales.  En  l'aison  même  de  la  forme  et  de  la  rotation  de  la 
Terre,  chaque  méridien  a son  heure  propre,  c’est  l’henre  locale. 
Pour  qu’au  même  instant  physique,  des  horloges  qui  se  trouvent 
sur  des  méridiens  différents  marquent  la  même  heure,  cer- 
taines conventions  sont  indispensables.  Chaque  Etat  adopta, 
généralement,  comme  heure  unif[ue  pour  tout  son  territoire, 
celle  de  son  principal  observatoire  : ainsi  naquirent  les  diverses 
heures  nationcdes.  — 15.  La  loi  française  du  J4  mars  1891 . 
L’heure  légale  en  France  et  en  Algérie  fut,  jusqu’à  ces  derniers 
temps,  l’heure  temps  moyen  de  Paris.  — 13.  L’heure  univer- 
selle. L’insiiflisance  d’une  heure  nationale  unique.,  dans  les  pays 
très  étendues  dans  le  sens  Est-Ouest,  est  manifeste.  On  voulut 
d’ahoi’d  y suppléer  par  l’adoption  d’une  heure  universelle.  Plu- 
sieurs congrès,  depuis  18(S1,  agitèrent  cette  question  qui  de- 
meura en  suspens  parce  qu’elle  en  soulevait  une  autre,  alors 
vivement  discutée,  savoir  le  choix  d’un  méridien  d’origine.  — 
IL  Choix:  du  premier  méridien.  Les  cartes  primitivement  tra- 
cées par  les  Grecs  n’avaient  ni  méi  idiens,ni  parallèles.  Dicéarque 
figura  le  premier,  sur  la  carte  du  monde  connu,  le  méridien 
de  Pihodes.  Les  géographes  arabes  et  les  astronomes  indiens 
comptaient  les  longitudes  à partir  d’un  point  fictif  placé  à égale 
distance  des  lies  P^ortunées  et  de  l’extrême  .A-sie.  P’armi  les 
méridiens  employés,  on  trouve  aussi  ceux  de  Gibraltar,  du  Gap 
Vert,  etc.  Au  xvir  siècle,  Richelieu  fit  choisir  comme  premier 
méridien  celui  de  Plie  de  P'er,  la  plus  occidentale  des  Canaries. 


556 


RKVUE  L)i:s  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Plus  tard,  les  principales  nations  ado[)tèrent  diacnne,  pour  pre- 
mier méridien,  celui  de  leur  observatoire  principal. 

Depuis  1875,  des  eiïbrts  furent  tentés  pour  l'evenir  à un 
méridien  unique  ; ils  aboutirent,  en  j884,  an  choix  du  méridien 
de  (ireenvvicb. 

(’ih.  11.  1j<:s  Puse.xux  horaires.  — J.  Définition  des  fuseaux 
horaires.  — Avantages  et  inconvénients  du  système  des 
fuseaux  horaires.  Des  avantages  sont  manifestes  pour  toutes  les 
relalions  internationales,  chemins  de  fer,  postes,  télégraphes, 
etc.  Mais  il  favorise  un  nombre  relativement  restreint  de  per- 
sonnes, et  il  lu’ésente  des  inconvénients  pour  les  populations 
sédentaires;  strictement  appliqué,  il  ne  s’écarte  jamais,  il  est 
vrai,  de  l’heure  locale  de  plus  d’une  demi-heure,  ce  qui  est  tout 
juste  acceptable  ; mais  celte  limite  moyenne  est  souvent  dépas- 
sée pour  donner  la  même  heure  à tout  le  territoire  d’un  pays 
((ui  d(‘horde  le  fuseau.  Kn  outre,  liai'  rapport  à l’heure  vraie, 
l’éipiatioii  du  temps  vient  s’y  ajouter,  |)ortant  la  dilférence  à 
[)lus  de  50  minutes,  ce  (pu  est  très  gênant.  Aussi,  en  certains 
endroits,  a-t-on  i»ratiquement  sididivisê  les  fuseaux  en  les  limi- 
tant à 80  mimdos  de  teni[)s,  de  manière  à ne  jias  atteindre  un 
écart  d’une  demi-heure.  — 8.  Nohdion  conventionnelle  des 
fuseaux  horaires.  — 4.  Jjt  loi  française  du  0 mars  1911. 
têlieure  légale  eu  France  et  en  .Mgérie  est  l’heure,  temps  moyen 
de  Paris,  retardée  de  0 minutes  5!  secondes,  valeur  en  temps 
de  la  longitude  lÀ.  de  Paris  par  ra[)porl  au  méridien  de  (Ireen- 
wicli. 

Ch.  IIP  Tra.xsmission  de  l’heure.  — J.  Méthodes  diverses. 
rdles  sont  fort  nombreuses  ; nous  n’indicjuerons  que  celles  qui 
.''Onl  susceiitihles  de  se  généraliser  pour  les  usages  de  la  vie 
prati(jue.  — 8.  Méthode  des  signaux  optiques,  (pu  fut  employée 
.''Urtoiil  dans  les  opérations  géodésiipies.  — 8.  Méthode  des 
signaux  électriques  ; on  lin  doit  [iresque  toutes  les  longitudes 
astrouomiipies  aujourd’hui  connues  avec  pré'cision.  — 4.  Mé- 
Ihodc  des  signaux  télégraphiques.  — 5.  Horloges  électriques. 
Sgnchronisalion  des  horloges  par  réteclvicité.  — 0.  Disirihntion 
lie  l’heure  par  télégraphie  sans  fi!  (T.  S.  F.).  Les  [iremières 
tentatives  concluantes  remontent  à 1800.  On  sait  combien  celte 
merveilleuse  découverte  a simplilié  et  étendu  les  moyens  de 
distribution  de  l’heure  à distance,  imune  avec  toute  la  précision 
(pi’exigent  rasironomie  et  la  géodésie. 

Ch.  IV.  Pa  eo.xeérexee  i.nter.xatio.xale  de  l’heure.  Pa  Uevue 


BIBLIOGRAPHIE 


557 


a consacré  un  arlicle  à cette  conlérence,  nous  y renvoyons  le 
lecteur  (1). 

A partir  du  1 janvier  1915,  les  heures  (rémission  utilisées 
en  1914  seront  probablement  modifiées  de  la  façon  suivante  (2)  : 

Les  signaux  ordinaires  anciens  (10'‘44'^  cà  1()’‘49'”,  et  23^44"’ 
à 23*'49"*)  seront  supprimés.. 

Les  signaux  horaires  ordinaires  automaligues  (9*'57  à 10^’) 
seront  émis  à 10‘*  et  <à  minuit. 

Les  signaux  horaires  scientifiques  ('23'‘30”9  seront  faits  à 
(5o'l45"’)  et  les  signaux  de  mesure  à 9*’55“'‘  et  <à  23*’55'". 

La  troisième  notice  scientifique  de  I’Aanuaire  est  consacrée, 
par  M.  B.  Baillaud,  à la  I7‘^  Conférence  de  t’ Association  Géodé- 
sique  internationale.  Cette  notice  continue  celles  que,  dans 
I’Annuaire  de  1889  et  dans  les  volumes  suivants,  Faye,  Bouquet 
de  la  (irye  et  IL  Poincaré  ont  consacrées  aux  origines,  aux  déve- 
loppements et  aux  travaux  de  cette  célèbre  association  qui 
compte  plus  d’un  demi-siècle  d’existence. 

J.  T. 


\1 

Le  téléphone  instrument  de  mesure.  Oscillograpbie  inter- 
férentielle,  par  Augustin  Guyau,  Docteur  ès  Sciences,  Ingénieur. 
2 édition. — Paris,  Gautbier-Villars,  1914.  (Collection  des  AcDm- 
lités  scientifiques)  160  pages,  50  fig.  et  1 planche. 

,M.  Guyau  a écrit,  sur  le  téléphone  instrument  de  mesure, 
une  monographie  extrêmement  intéressante.  Elle  se  divise  en 
deux  parties  bien  distinctes. 

La  première,  qui  comprend  les  deux  premiers  chapitres,  se 
rattache  aux  travaux  antérieurs  sur  le  téléphone.  M.  Guyau 
rappelle  d’abord  (Chap.  1)  les  recherches  de  Mercadier  sur  la 
sensibilité  du  téléphone  en  fonction  de  l’épaisseur  de  la  mem- 
brane, etc...  ; puis  celles,  toutes  récentes,  de  Kennelly  et  Pierce 
sur  les  variations  de  la  résistance  et  de  l’inductance  du  récep- 


(1)  Conférence  internationale  de  l'heure,  Paris  t.o-23  octobre  1912,  par 
le  h.  P.  D.  Lucas,  S.  J.,  Revue  des  Quest.  scient.,  3''  série,  t.  XIV,  1913, 
livraison  du  2U  octobre,  pp.  442-494. 

(2)  La  guerre  a retardé  l’exécution  de  ce  projet. 

IIP  SÉRIE.  T.  XXVI.  36 


REVL’K  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


:)r>8 

leur  téléphoni(iue.  Il  établit  ensuite  d’une  façon  simple  ses 
('([nations  mécanique  et  électrique. 

Le  Chap.  11  débute  par  une  étude  complète  du  pont  de 
Wbeatstone  en  courant  alternatif,  d’où  M.  Guyau  déduit  la 
condition  générale  du  silence  télépbonique.  Ce  silence  ne  peut 
être  complet  que  p(>iir  l’un  des  harmoniques  du  courant  alter- 
natif employé.  D'où,  comme  corollaire,  il  suit  qu’il  y a utilité  à 
employer,  comme  source  de  courant,  un  alternateur  à tension 
sinusoïdale  à peu  près  pure  et,  pour  la  réception,  un  téléphone 
à elfets  sélectifs  (ou  mieux,  dans  les  mesures  de  haute  précision, 
un  galvanomètre  à résonance)  accordé  sur  rharmoni((ue  fonda- 
mental. En  outre,  le  minimum  télé[)honi([ue  étant  fonction  et 
de  la  fréquence  et  des  éléments  constitutifs  des  bras,  on  a,  si 
on  connait  ceux-ci,  le  moyen  de  calculer  celle-là. 

Vient  ensuite  l’exposé  des  principales  méthodes  de  mesure 
où  le  téléphone  intervient  en  tant  qu’indicateur  de  maximum 
ou  de  minimum,  méthodes  classiques  ou  tout  récemment  intro- 
duites dans  les  laboratoires  et  dans  la  pratique  industrielle, 
(résistivité  des  électrolytes,  capacités,  self-inductance,  mutuelle 
inductance,  longueurs  d’onde  ; emploi  en  photométrie  ; recherche 
des  défauts  d’isolement  dans  les  canalisations  èlectri([ues,  loca- 
lisation des  branchements  souterrains  des  conduites  de  distri- 
bution d’eau,  etc...) 

■Mais  la  partie  la  [)lus  importante  de  celte  belle  monographie 
( t’ili.  111  et  IV,  pp.  .')7-147)  consiste  dans  l’étude  approfondie  des 
très  petits  mouvements  de  la  membrane  téléphonique  par  le 
moyen  des  interférences.  vSur  la  surface  vibrante  est  collé  un 
jietit  miroir  plan  argenté.  Un  miroir  fixe  semi-argenté  est  placé 
en  face  du  miroir  mobile,  de  façon  à l'ormcr  entre  eux  une  lame 
d’air  mince  de  J ':20  de  millimètre.  Un  faisceau  lumineux,  fourni 
[>ar  une  lampe  à mercure,  concentré  sur  la  lame  mince,  dessine 
sur  celle-ci  des  franges  d’interférence.  Ges  franges  se  déplacent 
quand,  en  consé([uence  des  vibrations  de  la  plaque,  l’épaisseur 
de  la  lame  d’air  varie.  Les  déplacements  des  franges  sont  enre- 
gistrés photographiquement. 

Le  téléphone,  jusiju’ici  simple  indicateur  de  maximum  ou  de 
minimum,  est  ainsi  transformé  en  un  véritable  galvanomètre  ou, 
d’une  façon  plus  précise,  en  un  « oscillogi-a[)he  interférentiel  ». 

Le  l'onctionnement  de  cet  oscillographe  soulève  une  foule  de 
problèmes  dont  l’auteur  fait  une  élude  détaillée  ; calcul  du 
mouvement  des  surfaces  interférentiellcs  en  fonction  de  celui 
des  franges,  séparation  des  raies  de  l’arc  au  mercure,  conditions 


BIBLIOGRAPHIE 


559 


d’éclairement  maximum  des  miroirs  interférentiels,  netteté  des 
franges  en  lumière  non  parallèle,  ordre  de  grandeur  des  temps 
de  pose  en  fonction  de  la  période  du  mouvemenl. 

Au  point  de  vue  de  la  sensibilité,  les  mesures  de  l’auteur  lui 
ont  montré  qu’un  téléphone  de  1^7  ohms  transformé  en  oscil- 
lographe, décèle,  à la  fréquence  de  42  (courant  du  secteur), 
une  vinglaine  de  microampères  efficaces  ; un  téléphone  de 
4000  ohms,  à la  même  fréquence,  permet  d’atteindre  quelques 
microampères  ; enfin  la  sensibilité  d’un  monotéléphone  de 
5650  ohms  pourrait  s’évaluer,  en  basse  fréquence,  à quelques 
centièmes  de  microampère.  (Soit  dit  en  passant,  le  galvano- 
mètre k corde  à petit  électro-aimant,  dont  le  maniement  est 
extrêmement  simple,  donne  facilement  des  sensilnlités  au  moins 
équivalentes.) 

Par  les  qualités  de  méthode,  de  précision  et  de  clarté,  la 
monographie  de  M.  Guyau  rappelle  les  mémoires  des  maîtres 
de  la  science  expérimentale  française. 

.1.  D.  L. 


MI 

L’Afrique  équ.vtoiuaue  FRA.xg.AisE,  par  Maurice  Ho.ndeï-Saint. 
Préface  de  M.  Marcel  SAiNT-tiERiiAiN,  sénateur.  — Paris,  Plon, 
1911,  in-8",  iv-312  pp.  et  une  carte. 

Désirant  faire  connaître  à ses  compatriotes  la  valeur  de 
l’Afrique  équatoriale  française  et  ses  éléments  d’avenir, 
M.  Mau  rice  Kondel-Saint  est  allé,  pendant  trois  mois  et  sans 
aucun  esprit  de  lucre,  observer,  analyser,  enquêter  sur  place. 
G’est  le  l'ruit  de  son  travail,  sincère,  bien  documenté,  et  où  les 
questions  africaines  urgentes  sont  loyalement  discutées,  qu’il 
nous  donne  en  ce  livre  attrayant  et  bien  fait.  S’il  formule 
quehpies  critiques,  il  le  fait  de  bonne  foi,  dans  l’intérêt  du 
bien  général,  et  avec  la  volonté  d’aider  <à  la  formation  d’une 
opinion  métropolitaine  avertie. 

Dès  le  début,  il  fait  au  sujet  du  joyau  colonial,  objet  de  ses 
études,  une  constatation  qu’il  faut  retenir  : « Il  n’est  peut-être 
plus  de  pays  au  monde,  on  rien  soit  moins  connu,  depuis  les 
conditions  de  mise  en  exploitation  jusqu’à  la  démographie  elle- 
même  de  ces  contrées,  où  la  question  du  statut  indigène  est 
cependant  la  base  essentielle  de  notre  action  ; je  dirai  plus  : la 


560 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


raison  de  notre  présence  en  ces  pays.  Les  détenteurs  eux-même.s 
des  intérêts  dominants  en  Afrique  équatoriale  française  en  sont 
encore,  et  plus  que  jamais,  actuellement,  à la  période  des 
recherches  d’une  doctrine  stable  et  définitive  sous  ce  rapport 
(p.  3).  » 

Suit  une  série  de  chapitres,  ou  mieux  de  monographies, 
bourrées  de  données  qui  font  honneur  à la  sagacité  de  l’auteur. 

Comme  il  convient,  nous  avons  d’abord  l’exposé  des  relations 
maritimes  entre  la  métropole  et  l’Afrique  équatoriale  française, 
complété  par  des  notes  intéressantes  (pp.  28-52)  sur  Dakar, 
dont  le  rôle,  comme  port  militaire,  sei  a toujours  secondaire, 
mais  dont  le  port  commeicial  et  d’escale  demeurera  dans 
l’avenir  fonction  directe  de  l’expansion  économique  française 
dans  l’Afrique  occidentale.  L’organisation  de  ces  relations 
maritimes  « constitue  l’une  des  assises  essentielles  de  tout 
empire  colonial  » (p.  fi)  ; elle  embrasse  à la  fois  la  combinaison 
des  tarifs,  le  choix  des  ports  de  départ  et  d’escale,  la  fréquence 
des  services  et  le  matériel  lui-même.  Or  les  paquebots  de  la 
Compagnie  française  des  Chargeurs  Réunis  pai'tent  du  Havre, 
où  ils  pi'ennent  une  partie  de  leur  chargement  qu’ils  complètent 
à Dauillac,  dotés  d’une  mauvaise  organisation  locale.  Il  y a là, 
dit  l’auteur,  une  faute  de  tactique.  Ils  devraient  aller  concur- 
rencer leurs  rivaux  chez  eux,  en  reportant  le  plus  à l’Kst  possible, 
aux  centres  producteurs  de  fret,  à Dunkerque,  à Anvers,  où  c’est 
fait  pour  certaines  compagnies  de  navigation,  à Hambourg 
même,  la  tête  de  ligne,  nous  ne  disons  pas  le  point  d’armement, 
et  en  rapprochant  les  marchandises  importées  de  leurs  marchés 
de  destination  ou  de  consommation  : centres  métallurgiques, 
lissages,  grandes  industries.  Le  complément  du  fret  venant  de 
la  région  parisienne  et  du  centre  aurait  lieu  au  Havre  ; le  solde 
à bordeaux.  On  porterait  ainsi  remède  à la  situation  géogra- 
phique de  la  France  (pii  la  met,  comme  le  faisait  un  jour 
remarquer  .M.  Charles  Itoiix,  dans  un  état  d’infériorité  vis- 
à-vis  de  ses  concurrents  directs  sui'  mer;  les  pays  de  grande 
production,  donc  de  grande  consommation,  sont  tons  situés  au 
.Nord  et  à l’Est  des  côtes  françaises.  Leurs  Hottes  commerciales 
[lassent  déjà  chargées,  devant  les  ports  que  ces  côtes  présentent, 
y font  escale,  et  recueillent,  sans  grande  augmentation  de 
dépense,  le  complément  de  lem-  fret,  au  détriment  de  l’arme- 
ment indigène,  réduit  à la  production  nationale. 

Sans  nous  attarder,  quels  que  soient  les  beautés  naturelles 
signalées  et  le  côté  utilitaire  envisagé,  à la  question  de  tourisme. 


BIBLIOGRAPHIE 


561 


c’est-à-dire  de  pénétration  aisée  et  à la  portée  de  tons  en 
Afrique  équatoriale  française  (pp.  53-88)  ; sans  nous  occuper  de 
la  domestication  de  l’éléphant  au  Congo,  domestication  dont 
l’auteur  n’est  guère  partisan  (pp.  8D-95),  ni  du  débouché  que 
l’Afrique  occidentale  et  équatoriale  peut  olfrir  à rindustrie 
automobile  terrestre  ou  nautique  en  France  (pp.  142-151), 
voyons  plutôt  ce  qu’il  faut  penser  de  l’ensemble  des  conditions 
économiques  et  démographiques,  présentes  et  futures,  de 
l’Afrique  équatoriale  française  (pp.  06-141). 

Il  n’est  guère  facile  de  solutionner  cette  grosse  question, 
lorsqu’on  n’a  passé  que  quelques  mois  dans  un  pays  encore  si 
imparfaitement  connu  : mais  grâce  à une  sage  documentation, 
corroborée  par  l’avis  éclairé  de  personnalités  compétentes,  on 
peut  entrevoii'  la  vérité. 

Depuis  trente  ans,  l’Afrique  équatoriale  l'rançaise  s’est  trans- 
formée; on  y a créé  des  villes  (tel  Brazzaville),  établi  des  facto- 
reries, lancé  une  llottille  active  de  vapeurs;  enfin  les  régions 
mystérieuses  et  farouches  sont  devenues  un  champ  d’action 
économique  important,  riche  des  plus  hautes  promesses. 

L’exploitation  du  pays  s’est  limitée  aux  richesses  minières  du 
massif  de  N’goué  (tiabon),  à l’ivoire,  dont  la  production,  foi  t 
précieuse  dans  les  débuts  de  l’œuvre  de  pénétration,  ira  en 
diminuant,  et  surtout  au  caoutchouc,  matière  industrielle,  qui 
soulève  une  série  de  problèmes  délicats  que  l’auteur  étudie  : 
la  main-d’œuvre;  la  plantation  de  lianes  ou  d’arbres  caoutchou- 
tiers  et  leur  exploitation  régulière  et  scientifique;  l’exploitation 
rationnelle  de  la  forêt,  voir  l’aménagement  forestier. 

.M.  Rondet-Saint  conseille  de  songer  à d’autres  produits,  car 
la  monoculture  peut  être  une  ruine  pour  la  colonie  ; les  entre- 
prises agricoles,  qui  n’ont  guère  tenté  les  capitalistes  français 
dans  l’AI'rique  équatoriale,  bien  qu’elles  soient  essentielles, 
pourraient  s’occuper  des  noix  de  palme,  des  arachides,  de  la 
vanille,  du  cacao,  des  cultures  vivrières,  des  cultures  indus- 
trielles : jute,  coton,  enfin  de  l’élevage. 

.Mais  deux  conditions  essentielles  s’imposent,  si  l’on  veut  que 
l’effort  tenté  ne  soit  pas  stérile  : la  main-d'œuvre,  et  Voutülage 
économique  de  la  colonie. 

Quant  à l’aménagement  de  la  colonie,  il  est  trop  rudimentaire 
pour  plusieurs  raisons;  il  ne  comprend  que  : 

1)  Deux  jardins  d’essai  coloniaux:  Dakar  etsurtoul  Camayenne, 
près  de  Conathry  ; 

2)  Une  installation  des  plus  sommaires  pour  la  navigation  à 


562 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Libreville,  el  tout  le  long  de  la  côte  et  du  lleuve  Congo.  A la 
rive  française  du  Pool,  il  n’existe  ni  bouée,  ni  appontenienl  fixe 
ou  flottant  pour  passagers  ou  marchandises.  Or  la  navigation 
fluviale  et  maritime  est  la  base  même  des  relations  commer- 
ciales en  ces  pays  ; 

8)  Des  sentiers  indigènes.  Des  routes  sont  indispensables  ; 

4)  Enfin  une  voie  étroite  (0"'()0)  de  150  kilomètres  de  dévelop- 
pement, par  laipielle  une  entreprise  industrielle  relie  le  massif 
minier  île  .Mindoidi  cà  Brazzaville  et  au  Pool.  I.a  colonie  possède 
un  réseau  télégraphique  étendu,  mais  d’un  fonctionnement 
irrégulier,  par  la  précarité  de  la  ligne  Brazzaville-labreville. 

L’auteur  recherche  les  causes  de  cet  aménagement  ultra- 
sommaire,  détaille  l’objet  de  diverses  missions  hydrographiques, 
radio-télégraphiques,  d’études  de  voies  ferrées,  etc.  (pp.  159- 
J81),  et  expose  quel  devrait  être  l’ensemble  de  l’outillage 
économiipie  de  l’empire  congolais  de  la  Erance  (voie  ferrée  de 
1000  kilomètres  reliant  Brazzaville  <à  Ca[>  Lopez;  — organisation 
du  port  naturel  de  Cap  Lopez,  où  devrait  être  établie  une  cale 
sèche  ; utilisation  des  forces  hydrauliipies)  (pp.  181-211). 

Toutefois  il  ne  sullit  pas  d’outiller  la  colonie  ; il  lui  faut  aussi 
et  surtout  de  la  main-d’œuvre  (pp.  222-275).  C’est  l’étude  de 
cette  grosse  question  que  M.  Bondet-Saint  entreprend  dans  la 
dernière  partie  de  son  travail. 

L’Afrique  équatoriale  française  manque  de  bras;  c’est  le 
principal  motif  de  sa  stagnation  coloniale.  Ce  fait  repose  sur 
trois  raisons  : la  faible  densité  de  la  population,  dont  le  recense- 
ment est  impossible  et  dont  le  cbilfre  va  diminuant  sans  cesse 
pour  plusieurs  causes  : traite,  gueri’es,  alcool,  prostitution, 
syphilis,  avortement,  poison  ; la  difliculté  d’utilisation  de  la 
main-d’œuvie  ; le  noir  bat  en  retraite  dans  la  forêt,  devant  le 
blanc  dont  il  repousse  le  contact,  notamment  parce  qu’il  est 
impropre  au  travail  qu’on  devrait  lui  imposer,  et  qu’il  ne  veut 
pas  supporter  l’impôt  qui  a donné  lieu  à quelques  abus  ; enfin 
les  maux  qui  happent  cette  population,  dont  l’état  physiolo- 
gique est  cause  d’un  déchet  considérable  de  main-d’œuvre 
utilisable. 

L’imtiortation  de  bras  étrangers  semble  une  nécessité  inéluc- 
table, et  c’est  dans  l’Inde  et  dans  la  Chine  méridionale  qu’il 
faudra  les  chercher.  Un  essai  devrait  êtr  e tenté  dans  des  condi- 
tions normales.  Le  Couvenieur  général  est  tout  indiqué  pour 
traiter  la  question  avec  les  Gouvernements  étrangers.  11  y va  du 
salut  de  l’Afrique  équatoriale  française  ! 


Kern.  Van  Ortroy. 


BIBLIOGRAPHIE 


5<)3 


A III 

Études  AitciiÉouoGDjLES  et  ethnolügkjues.  I'udllatioiNS  piu- 
MiTivEs  de  la  Mongolie  Orientale,  par  U.  Torii,  chargé  du 
cours  d’Anthropologie  à l’Université  Impériale  de  Tokyo,  et 
attaché  au  Gouvernement  général  de  Corée,  et  Ivimiko  Torh, 
Membre  de  la  Société  d’Anthropologie  de  Tokyo.  Tokyo,  Impri- 
merie de  TUniversilé,  1914.  — Un  vol.  in-^"  de  JOO,  (!2())  pages  ; 
13  planches  et  1 carte  hors  texte  ; 75  illustrations  dans  le  corps 
de  l’ouvrage.  — Ce  volume  forme  le  4'"  Article  du  tome  XXXVl 
du  Journal  of  tue  College  of  Science,  Uiperjal  University  of 
Tokyo. 

Pendant  un  séjour  en  Mongolie  d’environ  deux  ans  et  demi, 
M.  Torii,  chargé  du  cours  d’.\nthropologie  à l’Université  de 
Tokyo,  et  sa  femme  ont  eu  l’occasion  d’étudier,  surtout  au 
point  de  vue  anthropologique,  les  peuplades  relativement  assez 
nombreuses  qui  séjournent  aujourd’hui  dans  ces  vastes  con- 
trées. En  contact  journalier  avec  les  habitants,  ils  ont  appris 
leur  langue,  observé  leurs  coutumes,  noté  leurs  caractères 
physiques  et  la  diversité  des  races. 

Au  cours  de  leur  voyage  dont  ils  nous  donnent  un  récit  rapide, 
M.  et  M™''  Torii  ont  fait  une  ample  moisson  de  documents 
anthropologiques  modernes  de  toutes  sortes.  « Ces  documents, 
disent-ils,  devaient  tout  naturellement  faire  l’objet  du  premier 
fascicule.  Cependant  frappés  par  l’incroyable  quantité  de  ves- 
tiges et  de  ruines  laissés  partout  dans  ces  régions  par  les 
l’aces  aborigènes,  croyons-nous,  mais  aujourd’hui  disparues,  ou 
du  moins  transformées,  des  anciens  Tong-Ilou,  c’est  de  ces 
derniers  dont  nous  allons  d’abord  nous  occiqier.  C’est  plus 
logique,  semble-t-il.  » 

D’après  cette  entrée  en  matière,  le  volume  actuel  consacré 
exclusivement  aux  anciens  Tong-Hou  n’est  qu’une  première 
partie  d’un  ouvrage  qui  aura  sous  peu  une  suite.  En  attendant 
que  les  auteurs  nous  la  donnent,  voici  comment  ils  ont  traité  ce 
qu’ils  publient  aujourd’hui  de  leur  sujet. 

Le  volume  s’ouvre  par  un  « Avant-propos  » et  se  divise  en 
sept  chapitres.  Le  Chap.  I n’a  pas  de  titre,  mais  contient  des 
généralités  sur  les  Tong-Hou.  11  se  subdivi.se  en  trois  parties, 
I.  Distribution  géographique  des  ruines  et  des  vestiges  Tong- 


564 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Mou.  11.  Hiiine.s  el  vestiges  Tong-lloii.  111.  Ktal  acluel  des 
stations  Tong-lloii. 

Ch.\p.  11.  Iiistruiueul-s  el  outils  trouvés  dans  les  stations 
Tong-Hou.  Les  restes  ardiéologiques  anciens  trouvés  dans  les 
stations  Tong-llou  sont  de  trois  sortes.  1.  Les  instruments  ou 
outils  en  pierre;  notaininent  a)  des  haches,  b)  des  ciseaux, 
c)  des  couteaux,  d)  des  rasoirs,  e)  des  racloirs,  f)  des  marteaux, 
g)  des  lances  en  [)ierre,  h)  des  pointes  de  llèche,  i)  des  sahres 
en  silex,  jV  <Jes  colliers.  Chacun  de  ces  groupes  d’ohjets  l'ait  le 
sujet  d’une  courte  notice.  11.  Instruments  en  os.  Les  instru- 
ments en  os  de  mammirères  el  d’oiseaux  laissés  en  place  par  les 
anciens  Tong-llou  sont  moins  ahondants  que  les  objets  en  silex. 
Les  auteurs  n’en  ont  trouvé  que  deux  spécimens,  des  pointes 
de  tléche,  ou  du  moins,  des  pointes  (pii  semhlent  avoir  pu 
servir  à cet  usage  ; ensuite  des  cornes  de  cerf  travaillées. 
III.  literies.  Les  historiens  chinois  ne  l'ont  aucune  mention  de 
la  poterie  des  Tong-llou.  On  en  rencontre  cependant  d’assez 
nomhreux  déhris  dans  toutes  les  régions  de  la  Mongolie  Orien- 
tale. Cette  {)oterie  est  grossièi'c,  sans  émail,  aux  t'ormes  et  aux 
dessins  relativement  très  variés.  Llle  montre  iiartout  un  type 
national  caractéristique  el  fort  original.  Ces  poteries  paraissent 
accuser  trois  espèces  d’industries  assez  distinctes  les  unes  des 
autres,  en  progrès  continu.  Dans  la  première  es[)èce,  la  poterie 
est  grossière,  l'ragile  et  de  couleur  hrune.  Dans  la  seconde,  elle 
est  mieux  cuite,  plus  résistante,  de  meilleure  ipialité  et  grise. 
Dans  la  troisième,  assez  semhlahie  à la  précédente  et  de  la 
même  couleur,  la  cuisson  est  encore  plus  soignée.  Les  objets 
portent  (ptehpies  dessins  et  les  l'oi  nies  en  sont  pins  variées.  Les 
auteurs  entrent  ensuite  dans  le  détail  et  nous  parlent  en  autant 
de  paragraphes,  Ij  du  mode  de  t'ahrication  de  la  poterie 
Tong-llou  ; des  l'orrnes  des  f)oteries  Tong-llou  ; o)  de  la  forme 
des  bords  des  poteries  Tong-llou  ; '4)  de  la  forme  du  fond  des 
poteries  Tong-llou  ; 5)  de  la  forme  des  anses  de  la  poterie 
Tong-llou  ; ü)  des  motifs  de  décoration  des  poteries  Tong-llou  ; 
7)  de  la  distribution  géographicpie  des  dessins  ou  motifs  déco- 
ratifs de  la  poterie  Tong-llou  ; (S)  des  dessins  de  la  poterie 
Tong-llou  comparés  avec  les  dessins  décoratifs  des  indigènes  de 
l’Amour,  du  Saghalien  et  du  Yéso.  Comme  le  lecteur  peut  le 
deviner  par  ce  résumé,  le  chapitre  11  est  le  plus  étendu  du 
volume. 

Ch.-vp.  III.  Scories  de  fer  laissées  par  les  Tong-llou.  Les  Tong- 
llou  eurent  un  âge  de  la  pierie,  mais  il  ne  fut  pas  exclusif; 


BIBLIOGRAPHIE 


565 


alors  même  que  ces  barbares  étaient  encore  dans  cet  état  de 
civilisation  peu  avancée,  ils  connaissaient  les  métaux  et  en 
taisaient  un  certain  usage. 

Chap.  IV.  Objets  en  bronze  laissés  par  les  Tong-Hou.  Dans  les 
stations  en  ruine  Tong-Ilou  de  la  Mongolie  Orientale,  on  ren- 
contre un  peu  partout  de  nombreux  objets  en  bronze  mêlés  aux 
poteries  grossières  et  aux  silex.  Ce  sont  pour  la  plupart  des 
pointes  de  tlêche,  des  bracelets,  des  bagues,  des  agrafes  de 
ceinture,  etc.  qui  tous  sont  de  fabrication  et  d’importation 
chinoises.  Les  anciens  Tong-Hou  ne  travaillaient  pas  le  bronze. 
Ces  antiques  objets  en  bronze  étaient  en  usage  à la  fin  de  l’âge 
néolithique  Tong-Hou.  Par  les  dessins  qu’ils  portent,  on  peut  les 
dater  du  temps  qui  va  des  Han  antérieurs  aux  Han  postérieurs. 

Chap.V.  Objets  en  or.  11  s’agit,  dans  ce  chapitre,  d’une  boucle 
de  ceinturon.  Cette  boucle  en  or  a été  ramas.sée  sur  les  rives 
d’Oulgi-kol. 

Chap.  VI.  Verroterie  soufflée.  Les  auteurs  ont  trouvé  mêlés  à 
des  instruments  en  silex,  et  à des  débris  de  poteries  de  toutes 
sortes,  trois  grains  en  verre  souillé  très  mince  et  qui  eux  aussi 
sont  certainement  d’importation  chinoise. 

Chap.  VH.  Monnaies  anciennes.  Dans  les  stations  abandonnées 
en  .Mongolie  Orientale  par  les  Tong-Hou,  on  rencontre  ici  et  là 
mêlée  à divers  instruments  en  pierre,  de  la  menue  monnaie  du 
temps  de  la  deuxième  dynastie  des  Han. 

Conclusion.  « D’après  nos  recherches  à travers  les  ruines  et 
les  vestiges  laissés  en  place  en  Mongolie,  disent  M.  et  .M'^Torii, 
surtout  dans  les  régions  des  monts  Khin-gan  et  dans  le  bassin 
du  lleuve  Shira-.Mouren,  par  les  antiques  Tong-Hcu,  les 
premiers  habitants  de  ces  vastes  contrées,  nous  croyons  pouvoir 
conclure  qu’au  point  de  vue  archéologique,  la  vie  sociale  de 
ces  intéressantes  peuplades  a dû  traverser  trois  époques  bien 
distinctes  et  de  durée  très  inégale  ; I.  une  époque  préhistorique, 
ou  âge  de  pierre,  plus  longue  ; H.  une  première  époque  histo- 
rique ou  époque  des  Wou-lnvang  et  des  Sien-Pi  ; HL  enfin  une 
dernière  époque  historique  ou  époque  de  Liao  ou  Kitan.  » 
.M.  et  .M"""  Torii  développent  cette  triple  conclusion  en  autant  de 
paragraphes  distincts. 

Le  mémoire  sur  les  populations  Tong-Hou  est  imprimé  avec 
luxe,  l’illustration  est  soignée,  ce  que  je  me  plais  à dire,  non 
seulement  des  planches  hors  texte,  mais  aussi  des  figures  inter- 
calées dans  le  corps  de  l’ouvrage.  Elles  y ont  été  semées  avec 
profusion,  au  nombre  de  75  pour  100  pages  d’impression.  C’est 


566 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


tout  bénéfice  pour  le  lecteur  ; en  archéologie,  rien  ne  vaut  une 
figure  pour  se  taire  comprendre.  On  en  demeure  d’accord,  mais 
que  de  fois  ne  recule-t-on  pas  devant  la  dépense?  .le  ne  vou- 
drais pas  qu’on  se  méprît  sur  le  sens  de  ma  réllexion  quand 
je  parle  de  clarté  ; car  le  professeur  de  l’I'niver.sité  de  Tokyo 
écrit,  en  français,  d’une  plume  correcte  et  très  claire.  Son 
mémoire,  malgré  les  nombreu.K  textes  chinois  qn’il  renferme, 
est  d’une  lecture  aisée  et  agréable. 

I.  S. 


IX 

Étude  sur  l’écriture  .artificielle  dans  les  documents  forgés. 
par  Cl.  Pallier.  — Bruxelles,  chez  rauteur,  1918. 

Ce  livre  contient  deux  idées  fort  fécondes  ; l’une  relative  à 
l’organisation  de  l’expertise  en  écriture;  l’antre  à une  concep- 
tion plus  large  de  la  science  paléographique.  Elles  sont  exposées 
respi^ctivement  dans  la  .seconde  et  la  troisième  parties.  La  pre- 
mière, qui  compte  .54  pages  sur  les  98,  est  une  introduction, 
une  analyse  minutieuse  du  « mécanisme  de  l’écriture  dans  sa 
manifestation  ultime,  dans  les  rapports  de  la  plume  et  du 
papier  d.  Sans  avoir  tu  ces  définitions,  on  tenterait  vainement 
de  comprendre  le  reste  de  l’ouvrage.  Nous  nous  bornerons  à 
ti-anscrire  à l’occasion  celles  qui  sont  indis[)ensables  à l’intelli- 
gence de  ce  résumé. 

Les  experts  d’aujourd’hui  affectent  de  ne  pas  prendre  au 
sérieux  l’application  des  procédés  du  dessin  à la  reproduction 
des  graphismes.  En  d’autres  termes,  ils  négligent  le  faux 
artificiel  pour  te  faux  naturel,  tracé  à main  libre.  A tort, 
déclare  .\1.  Pautier.  L’exécution  du  faux  artificiel  est  une  besogne 
facile  surtout  pour  les  autographistes,  les  lithographes,  les  gra- 
veurs et  les  miniaturistes.  11  croit  rendre  service  en  démasquant 
des  méthodes  certainement  employées  par  tes  laussaires.  S» 
première  conclusion  est  que  certains  experts  au  moins  doivent 
être  des  artistes-spécialistes.  Mais  comme  on  ne  peut  se  passer 
non  plus  de  calligraphes,  de  paléographes,  de  graphologues, etc., 
il  demande  que  l’on  organise  dans  les  grandes  villes  des  5ert'îce.s 
centraux  d’expertise  en  écriture;  et  qu’on  y attache  à titre 
d’experts  permanents  des  diplômés,  calligraphes,  paléographes. 


BIBLIOGRAPHIE 


567 


graphologues,  médecins  spécialistes,  ingénieurs  chimistes, 
artistes  spécialistes. 

Quelles  sont  donc  ces  méthodes  de  confection  par  le  dessin 
des  documents  forgés  ? 

Elles  comportent  deux  séries  d’opérations  : la  délimitation  de 
la  forme  et  l’exécution  du  graphisme. 

On  choisira  d’ahord  une  certaine  (piantité  de  documents  ori- 
ginaux ; mais  homogènes,  c’est-à-dire  exécutés  dans  des  condi- 
tions identiques,  en  particulier  sous  le  rapport  de  la  nature, 
de  la  hauteur  (1),  de  l’aplomh  (2)  et  de  l’orientation  (3),  de  la 
plume  qui  a servi  à les  composer.  On  recherchera  et  on  décou- 
pera chaque  mot  dont  on  a besoin.  Si  ces  mots  ne  se  trouvent 
pas  tout  faits,  on  les  compo.sera  avec  des  groupes  de  lettres, 
collées  l’une  à côté  de  l’autre.  Une  lettre  de  la  fin  d’un  mot  ne 
figurera  jamais  au  commencement,  ni  réciproquement.  Il  ne 
faudra  pas  choisir  plusieurs  fois  le  même  mot  ou  la  même  lettre  : 
une  similitude  absolue  de  deux  mots  ou  de  deux  signatures 
dénote  la  fraude. 

Pour  un  faussaire  habile  le  transport  direct,  l’exécution  simul- 
tanée du  travail  de  groupement  et  de  celui  du  graphisme  est 
le  moyen  le  plus  simple  et  le  meilleur.  Si  la  transparence  directe 
ne  suffit  pas,  on  aura  recours  à la  glace  à calciner.  La  lampe  à 
acétylène  (lampe  Hélios),  placée  sous  la  vitre  en  forme  de  table, 
rend  transparents  tous  les  papiers. 

Une  seconde  manière  de  groupement  des  lettres  et  des  mots 
— distincte  celle-là  de  l’exécution  du  graphisme  — recourtaux 
procédés  photographiques.  On  découpe  les  mots  ou  fragments 

(1)  l.a  hauteur  de  la  planie,  c’est  l'angle  formé  entre  elle  et  le  papier.  Il 
doit  être  d’au  moins  45°  pour  que  la  tenue  de  la  plume  soit  correcte. 

(2)  La  plume  est  ù’aplomb  quand  la  projection  de  sa  fente  se  place  exacte- 
ment au  milieu  de  sa  projection,  à elle.  Les  mouvements  du  porte-plume 
sur  lui-même  dérangent  cet  aplomb  ; le  mouvement  de  droite  à gauche  sur 
le  bec  gauche,  le  mouvement  de  gauche  à droite  sur  le  Ijec  droit. 

(3)  « Si  en  maintenant  la  plume  sur  un  point  à une  hauteur  fixe,  on  la 
fait  évoluer  par  rapport  à un  plan  vertical,  on  décrit  un  segment  de  cône 
renversé.  En  prenant  comme  point  de  départ  de  l’évolution,  le  plan  perpen- 
diculaire au  réglage,  la  plume  située  dans  ce  plan  a ses  deux  becs  horizon- 
taux sur  le  réglage  : elle  est  à face.  Si  l’on  dirige  l’évolution  vers  la  gauche, 
on  fait  remonter  le  bec  gauche  au-dessus  du  réglage  : la  plume  est  oblique 
à gauche.  Si  l’on  dirige  l’évolution  vers  la  droite,  c’est  le  bec  droit  qui 
remonte  et  la  plume  est  oblique  à droite.  l>a  main  est  libre  vers  la  droite  et 
peut  amener  l’instrument  à angle  droit  de  son  point  de  départ  dans  la  direc- 
tion du  réglage  : la  plume  est  dite  de  tracera  » (p.  6).  Dans  ces  diverses 
orientations  de  la  plume,  on  ne  tient  aucun  compte  de  la  position  de  la  main. 


568 


REVUE  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


de  mots  des  documents  ou  bien  d’une  photographie  des  docu- 
ments, si  ceux-ci  doivent  être  conservés.  On  les  colle  en  les 
rapprochant.  La  retouche  peut  être  tentée  avec  un  hon  grattoir 
et  une  plume  line.  Klle  portera  principalement  sur  la  liaison  et 
les  tînales.  ^].  Depoin  a démontré  pratiquement  que  le  décou- 
page et  la  idiotogi'apliie  donnaient  la  perl'ection  absolue  de  la 
l'orme. 

.Mais  ce  système  parait  fort  compliqué.  Beaucoup  aimeront 
mieux  le  simple  décal({uage,soit  à l’aide  d’un  papier  transparent 
mince,  enduit  de  mine  de  plomb,  placé  entre  le  décalque  et  le 
papier  définitif,  soit  à l’aide  d’une  feuille  de  gélatine  sur  laquelle 
le  trait  se  creuse  au  moyen  d’une  pointe  sèche,  d’une  aiguille 
ou  d’un  diamant.  Le  décalque  sur  gélatine,  destiné  au  tirage, 
doit  s’exécuter  avec  une  image  retournée,  par  exemple  avec 
l’envers  d’un  cliché  photographique.  Le  transport  se  fait  à la 
presse  sur  un  papier  humecté  d’alcool. 

Nous  voici  arrivés  à la  seconde  série  d’opérations,  à l’e.xécu- 
lion  (lu  graphisme.  Klle  se  fera  par  Vécriture  écrite  ou  pai‘ 
Vécrihire  dessinée-  Dans  le  premier  cas  « l’exécutant  final,  celui 
qui  doit  parfaire  le  faux  sera  nécessairement  un  spécialiste  de 
l’écriture,  en  connaissant  bien  les  lois.  11  déterminera  avant  tout 
le  genre  de  plume  dont  celui  qu’il  imite  avait  l’babilude,  les 
qualités  i)articulières  de  cette  plume...  11  définira  ensuite  la 
hauteur,  l’aplomb  et  l’orientation  de  cette  plume.  11  analysera 
encore  le  dynamisme  de  la  main,  son  mode  d’action  dans  l’elfort; 
il  devra  même  tâcher  de  deviner  la  nature  physiologique  du 
mouvement,  la  pari  ]>rise  par  les  doigts,  le  poignet  et  le  bras. 
Buis  il  étudiera  à la  loupe  chaque  lettre  h reproduire  ; il  en 
cherchera  l’allure  par  des  exercices  répétés  à main  libre.  Et 
c’est  alors  .seulement  qu’il  commencera  son  travail  et  qu’il 
s’aidera  de  la  transparence, d’un  tirage  ou  d’un  décalquage  pour 
maintenir  sa  main  dans  le  mouvement  de  la  forme  à imiter  ; les 
pleins  et  les  déliés  (1)  devront  se  placer  pour  ainsi  dire  d’eux- 
mêmes  aux  bons  endroits,  de  façon  qu’il  n’y  ait  plus  à exercer 
qu’une  sorte  de  surveillance  générale.  L’écueil  connu  de  ce  pro- 
cédé étant  surtout  le  tâtonnement,  les  sursauts  et  les  reprises, 
le  faussaire  devra  être  hardi,  et,  plutôt  qu’une  hésitation,  risquer 


(1)  Le  délié  est  tout  tr.icé  grêle  indécomposable.  Le  plein  est  le  tracé 
maximum  (le  plus  large  i de  la  plume.  Le  demi-plein  est  la  transition  du  délié 
au  plein  et  réciproquement. 


BIBLIOGRAPHIE 


569 


quelque  altération  de  la  Ibrine  qivune  explication  grapholo- 
gique pourra  toujours  justitier  » (p.  üO). 

Far  Vécrilure  dessinée  on  évite  l’écueil  qui  vient  d’être  signalé. 
Dessiner  l’écriture,  c’est  dessiner  séparément  les  sillons  (J)  qui 
cerclent  et  enserrent  la  l'orme  au  moyen  d’une  plume  fine,  telle 
que  la  plume  Brandow  ou  la  lit  quill  Gillott.  La  pointe  de  ces 
instruments  vaut  celle  des  meilleures  aiguilles  anglaises.  Après 
l’exécution  du  double  sillon,  vient  le  remplissage  du  plein. 
L’auteur  conseille  de  le  faire  précéder  d’une  ébauche.  « Cette 
première  esquisse  devra  tracer  le  plein  en  évitant  toute  super- 
épaisseur d’encre  sur  les  bords  ; on  se  servira  d’une  plume  très 
douce  et  peu  chargée  d’encre,  une  plume  de  ronde,  lorsque 
cela  sera  possible,  ou  mieux  une  plume  d’oie  spécialement  taillée 
pour  l’écriture  qu’on  veut  reproduire.  On  se  guidera  soit  direc- 
tement avec  un  tirage  éclairci  pris  sur  cuivre  ou  sur  pierre,  ou 
avec  un  simple  décalque  ; soit  par  transparence  avec  une  épreuve 
photographique  des  mots  assemblés  ou  avec  les  pièces  vraies 
elles-mêmes.  Si  le  graphisme  est  irrégulier,  lourd  et  accidenté, 
on  tracera  le  plein  seulement,  les  déliés  s’indiqueront  séparé- 
ment avec  un  pointillé  léger  à la  plume  line.  Sur  cette  ébauche 
de  l’écriture  on  reviendra  avec  la  lit  quill  et  on  marquera  tous 
les  sillons,  ceux  du  plein  comme  ceux  du  délié,  en  accentuant 
les  détails  caractéristiques,  après  avoir  bien  étudié  la  construc- 
tion intime  du  modèle.  Si  l’on  a affaire  à une  écriture  légère  et 
régulière,  on  l’exécutera  souplement  sans  presser  la  plume,  de 
préférence  avec  la  main  levée  appuyée  sur  le  petit  doigt;  on 
marquera  ensrdte  quelques  sillons  qui  corrigeront  au  besoin  les 
faux  mouvements  et  donneront  du  relief.  Ce  procédé  est  cei  tai- 
nement  le  plus  subtil  et  le  plus  varié  dans  ses  ressources.  » 

Dans  la  dernière  partie  de  son  livre,  l’auteur  fait  l’histoire 
de  l’écriture.  Jusqu’ici,  dit-il,  les  paléographes  se  sont  bornés  à 
considérer  la  direction  générale  du  trait.  Pourquoi  ne  pas  s’at- 
tacher aussi  au  rapport  entre  le  plein  parfait  et  la  hauteur  de 
l’éci'ilure  (épaisseur  du  graphisme)  et  à la  tenue  de  l’instru- 
ment,  c'est-à-dire  à l’orientation,  à la  hauteur,  à l’aplomb  de  la 
plume  et  à la  pression  dont  résulte  le  développement  extérieur? 
Cela  me  paraît  fort  exact.  11  y a là  des  éléments  de  dilférencia- 


(t)  « La  partie  (le  ta  plume  qui  presse  le  papier  le  creuse  et  l’imprègne 
d’encre  profondément  ; les  becs  écartés  pour  la  formation  du  plein  l’enca- 
drent ainsi  sur  les  deux  bords  de  deux  traits  fins  plus  marqués.  Ces  trajets 
des  becs  ont  été  appelés  par  M.  Persifor  Frazer  les  sillons  » (p.  5). 


570 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


lion  des  écritures  dont  ne  lient  compte  aucun  des  manuels 
classiques  de  paléograpliie.  Kn  s'appliquant  à réaliser  cette 
conception  plus  large,  l’auteur  arrive  sans  doute  à des  résultats 
intéressants,  mais  il  présente  peu  de  conclusions  générales.  Je 
lui  conseille  donc  de  reprendre  cette  troisième  partie  et  de 
l’approfondir.  Toulelois,  il  devrait  aupaiavant  se  livrer  à une 
étude  beaucoup  [)lus  sérieuse  de  la  paléographie.  Sa  connais- 
sance en  est  très  sommaire.  Et  que  dire  d’allirmations  comme 
celle-ci  ; « .Vu  moyen  Age,  aux  temps  où  les  seigneurs  signaient 
d’une  croix  et  mettaient  dans  leur  scel  des  poils  de  leur  barbe, 
les  faussaires  ne  pouvaient  guère  s’exercer  que  sur  les  livres  » 
(p.  66)?  .Vllons  donc  ! Il  n’est  pas  un  monastère  un  peu  ancien 
qui,  dans  son  trésor  de  chartes,  n’en  compte  plusieurs  tout  à 
fait  fausses.  La  bibliographie  du  faux  au  moyen  âge  est  fort 
coinsidéi’able  et  j’engage  .M.  Paulier  à la  consulter. 


E.  DE  .VlouEAi:,  S.  J. 


RF.VUE 

DES  RECUEILS  PÉRIODIQUES 


ASTRONOMIK 


Annuaire  de  l’Observatoire  royal  de  Belgique,  pour 
1915.  — Par  arrêté  royal  en  date  du  oJ  juillet  J913,  l’Observa- 
toire de  l’État,  établi  à Ucde,  a été  .scindé  en  deux  établissements 
distincts  : VObservatoire  royal  de  Belgique  et  Ylnslüiil  royal 
météorologique  de  Belgique. 

VObservatoire  et  Vlnstitul  météorologique  ont  respectivement 
dans  leurs  attributions,  le  premier,  l’astronomie  de  position, 
l’astrophysique,  la  géodésie,  la  gravité  et  la  sismologie  ; le 
second,  la  météorologie,  la  climatologie,  le  magnétisme  ter- 
restre, l’électricité  atmosphérique  et  terrestre  ainsi  que  les 
branches  connexes.  La  bibliothèque  est  commune  aux  deux 
établissements. 

Le  directeur  de  VObservatoire  est  M.  O.  Lecointe  ; celui  de 
Vlnstitul  météorologique,  M.  .1.  Vincent. 


L’Annu.xire  de  l’Ousehvatoike  roy.al  de  Belgique  pour  j915 
a été  concu  d’après  un  plan  identique  à celui  du  volume  pré- 
cédent. On  y donne  pour  la  dernière  fois  des  renseignements  sur 
le  magnétisme  terrestre  et  l’électricité  atmosphérique  ; ce  qui 
concerne  ces  branches  devra  être  cherché  désormais  dans 
I’Annu-Uire  de  l’Institut  royal  météorologique. 

Parmi  les  notices  scientifiques  qui  contribuent  à l’intérêt  de 
cette  publication  et  lui  assurent  une  valeur  permanente,  nous 


572 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


signalerons  spécialement  celle  que  P.  Stroobants  consacre 
aux  Progrès  récents  de  V astronomie.  Elle  t'ait  suite  aux  cinq 
notices  publiées  par  le  même  auteur  et  sous  le  même  litre 
dans  les  Annüaihes  précédents,  et  se  rapporte  aux  découvertes 
et  aux  travaux  astronomiques  de  l’année  1012.  L’abondance  des 
renseignements,  les  tableaux,  cartes,  diagrammes  et  planches 
qui  les  complètent,  rendent  ces  notices — un  peu  toufTues  peut- 
être  pour  le  grand  public  — éminemment  recommandables  et 
très  commodes  à consulter.  Au  point  de  vue  documentaire,  qui 
intéresse  surtout  les  gens  du  métier,  on  les  souhaiterait  moins 
sobres  d’indications  bibliographiques  précises. 

Hésumons  brièvement  la  dernière. 


Le  Soleil.  — Activité  sol.vike  Ei\  1012.  La  diminution  de 
l’activité  solaire,  (|iii  s’était  manifestée  en  1010  et  s’était  accen- 
tuée en  1011,  s’est  marquée  plus  encore  en  1012. 


L.\  KoT.vnoN  DU  Soleil.  Elle  a été  étudiée  iiar  1.  il.  Ilubrecht,  à 
l’Observatoire  de  Lambridge  (Angleterre),  par  la  méthode  spec- 
trographique,  conrormément  aux  décisions  de  la  conférence 
( 1010)  de  riJnion  internationale  pour  les  recherches  solaires. 

Ces  mesures  ont  donné  180:1  km.  par  seconde  pour  la  vitesse 
équatoriale  du  Soleil,  et  elles  mettent  en  lumière  l’excès  des 
vitesses  de  riiémisplière  austral  sur  celles  de  l’hémisphère 
boréal. 

Suit  une  étude  de  S.  Ilirayama  sur  le  mouvement  systéma- 
tique des  taches  solaires  basée  sur  les  observations  elfectuées  à 
Creemvicb  de  1870  à 1001. 

E.  W.  Dyson  et  E.  \V.  .Maunder  ont  déterminé  la  position  de 
l’axe  de  rotation  du  Soleil  d’après  les  photographies  prises  de 
187A  à 1011  et  mesurées  à l’Observatoire  de  Greenwich.  Ils 
trouvent,  pour  l’époque  187)0,  0,  1 étant  l’incliiiaison  de  l’Equa- 
teur solaire  et.N  la  longitude  du  nœud  ascendant  sur  l’écli[)tique; 

I ^ 7'’10',0  et  A = 7:j'’53',0. 

Pour  la  même  époque,  llarrington  avait  donné 


I = T'\b'  et  A = 73" 40' 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


573 


PiiYsiguE  SOL.YIKE.  L(3  P.  S.  Chevalier,  S.  J a entrepris  en  1905, 
â l’Observatoire  de  Zô-Sé  (Chine)  une  étude  photographique  de 
la  photosphère  solaire.  On  ne  trouve  pas  sur  ces  photographies 
les  formes  désignées  par  Xasmyh  sous  le  nom  de  feuilles  de 
Saul,  mais  on  y voit  les  granules  ou  grains  de  riz  (1).  Leur 
diamètre  moyen  est  de  1",5,  et  il  en  est  de  tous  les  diamètres 
c ompris  entre  0",5  et  8".  Leur  aspect  )ie  présente  aucune  dilTé- 
rence  systématique  aux  diverses  phases  du  cycle  solaire.  Ils  se 
forment  et  se  déforment  rapidement,  et  les  mouvements  de 
granules  voisins  ont  lieu  en  tous  les  sens,  ce  qui  exclut  l’idée 
d’un  courant  de  matière  à la  surface  de  la  photosphère.  Le 
P.  Chevalier  considère  la  photosphère  comme  une  couche  con- 
tinue, mais  très  accidentée,  de  nuages  incandescents.  Chaque 
<mlonne  de  vapeurs  chaudes,  arrivant  de  l’intérieur  à la  surface 
inférieure  de  cette  couche,  la  soulève  en  formant  une  sorte 
de  bulle  immense,  de  forme  plus  ou  moins  arrondie  ou  ovale. 
La  partie  soulevée  doit  augmenter  d’éclat  par  surélévation  de  sa 
température  et  surtout  par  diminution  de  l’épai.sseur  du  gaz 
absorbant  qui  la  recouvre  : c’est  le  granule  brillant.  Cette 
manière  de  voir  rappelle  celle  de  Paye,  reprise  plus  tard  par 
Ekholm. 

Des  observations  de  Slonim  ont  montré  i|ue  les  taches 
exercent  à longue  portée  une  forte  attraction  sur  certaines 
proéminences  qui  leur  sont  associées. 

H.  Desland  res  a continué  ses  recherches  sur  les  lilaments  et 
les  alignements,  et  a étudié  leur  l'elation  avec  les  [)rotubé- 
rances.  Haie  et  Lverstied  considèrent  les  tilameiits  coinine  la 
projection  des  protubérances  sur  le  discpie  du  Soleil  ; d’après 
Deslandres,  on  peut  dire  seulement  (pie  les  lilaments  annoncent 
ou  jalonnent  des  liles  de  piotubérance. 

Les  phénomènes  solaires  et  le  magnétisme  terresti'e  ont  été 
étudiés  par  .^1.  .1.  Kosler  sur  les  diagrammes  publiés,  depuis 
trente  ans,  par  l’Observatoire  de  Greenwich.  Les  éruptions 

(t)  C'est  Secchi,  croyons-nous,  (jui  teiir  a (tonné  te  premier  ce  nom.  Sctiei- 
nec  comparaît  t'aspecl  rt(‘  ta  surface  (tu  Soteil  à celui  du  « lait  caillé  » et 
\V.  Herschel  à la  « peau  d'une  orange  ». 

ItU  SÉRIE.  T.  XXVI. 


:i7 


574 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


solaires  seraient  insiitlisanfes  à provoquer  directement  des  per- 
turbations magnétiques  ; mais  elles  pourraient  produire  des 
variations  dans  les  courants  telluricpies,  variations  qui  seraient 
capables  de  troubler  les  instruments  magnétiques  dans  leur 
voisinage.  I.e  champ  directement  perturbateur  aurait  donc  son 
siège,  non  dans  le  Soleil,  mais  dans  le  sol  tei-restre. 

Le  P.  Lorlie  a comparé  les  vai’iations  de  Tactivité  solaire  et 
celles  du  magnétisme  durant  la  période  1<S!)8-I!)11.  L’inclinaison 
de  l’écliptique  sur  le  plan  de  l’équateur  solaire,  amenant  des 
changements  dans  la  i)osition  de  la  Tene  par  lapport  aux  zones 
des  taches,  serait  la  cause  de  la  variation  annuelle  dans  le 
nombre  des  perturbations  magnéti(|ues. 

Les  observations  cinématographiques  de  l’éclipse  du  Soleil 
du  17  avril  liH:;!,  indiqueraient  un  faible  aplatissement  de  la 
Lune  dans  le  sens  de  son  axe  de  rotation  (1  ). 

Les  grosses  planètes  et  les  satellites.  — Il  s’agit  surtout 
des  observations  des  surfaces  planétaires  dues  à .larry  Desloges, 
(i.  et  V.  Koiirnier. 

Mercure.  L(;s  plages  sond)res  paraissent  formées  de  détails 
permanents  d’une  gi'ande  stabilité. 

Vénus.  Dans  le  cas  problémati(iue  d’une  rotation  rapide,  on 
ne  pourrait  admettre  (|u'ime  période  très  voisine  de^4heures(2). 

Mars.  Six  dessins  et  un  planisphère  de  la  idanète  reproduisent 
les  observations  faites,  en  U)t)7.  DH)!),  J!)l  1-1*2,  aux  Observa- 
toires du  Kévard,  du  .Massegros,  de  Toury  et  de  SetiL  — .\utres 
observations  de  F.  LeLoultre,  11.  Wirtz,  Lowell  et  Sliphei'. 

Jupiter.  Obsei’vations  du  Sc/deler  (.i),  de  la  tache  rouge  et  des 
bandes  de  Jupiter’. 

(I)  Voir  lii':vcE  des  Qi  e.<t.  .'^(.ient.,  srrie.  t.  X.\ll,  juillet  lt)l:2,  p.  17S. 

(!2)  I.es  durées  des  rotalioiis  de  Mercui'e  el  de  \ émis  sont  toujours  très 
incertaines.  D'après  Schiaparelli  el  l.owell,  res  planètes,  comme  la  l.une, 
tourneraient  sui’  elles-mêmes  en  un  temj)s  è-jal  à relui  de  leur  révolution 
sidérale,  soit  en  SS  jours  envii-on  pour  la  première  et  ‘ttn  jours  pour  la 
seconde.  Pour  d'auti’es,  la  durée  de  rotation  serait  voisine  de  heures.  On 
trouvera  un  hou  résumé  des  travaux  qu’a  provoqués  ce  prottlème  intéressant 
dans  Cti.  André,  />c.s  Plunrh's,  pp.  18  et  siiiv.  Paris,  (iaulliier-\  illars,  1909. 

(3)  On  appelle  Schleier  ou  Voile  une  tache  de  latitude  plus  basse  que  la 
tache  roiuje,  de  forme  elliptirpie,  de  teirde.  jaunâti'e.  plus  claire  au  centre 
que  sur  les  ))ords  ; il  est  extrêmement  diflicile  d’y  iliscerium  quelque  détail, 
l/intervalle  qui  la  sèt>are  de  la  tache  rouge,  appelé  parlbis  Paie,  est  vai'ialtle, 
le  Voile  el  la  laclu?  rouge  ayant  des  mouvements  dillérents  en  longitude. 


REVUE  DES  RECUEILS  IM-'.RIODlgUES 


.)  iD 


Saturne.  (Juatf’e  dessins  de  .larry  Desioges.  Observations 
diverses  sur  la  planète  et  ses  anneaux  (1). 

Urnnus.  Dorée  de  la  rotation  ; 10''45"'  environ  (!’.  f.ouell); 
dianièti’e  à la  distance  dn  demi-grand  axe  de  l’orbite  de  la 
planète,  3'',5o7  (Wirtz). 

Neptune.  Diamètre  à la  distance  moyenne  de  la  planète  au 
Soleil,  5'', 20  ((1.  Abetti). 

La  Lune.  Analyse  des  Becherche.'i  sur  le  monvemenl  de  ta 
Lune,  le  dernier  ouvrage  de  Aewcoinb,  publié  dans  les  Astron. 
I’apers  (t.  IX,  1 [)art.)  de  Washington  avec  la  collaboration  de 
Frank  E.  Kuss.  Fne  planche  traduit  les  Iluctuations  inexpli- 
([uées  dans  la  longitude  moyenne  de  noire  satellite,  DiSO-iOOS. 

Absorplion  sélective  de  la  lumière  à la  surface  de  la  Lune. 
Uecbei'ches  [)hotographi([ues  de  H.  'Ü  . Wood.  La  combinaison 
de  photographies  de  la  Lune  prises  avec  des  radiations  appai- 
tenant  à trois  régions  dilï’érentes  du  spectre,  permet  une  étude 
pétrographique  de  la  surl'ace  de  la  Lune.  .Vinsi,  trois  images 
obtenues  avec  des  radiations  jaunes,  violettes  et  ultra-violettes 
du  spectre  présentent  des  dilïérences  dans  l’intensité  de  cer- 
taines taches  sombres  comparables  à celles  (jue  montrent  des 
photographies,  prises  dans  les  memes  conditions,  d’un  l'ragment 
de  lave  volcanicpie  (2). 


(l)Sepl  divisions  onl  été  notées  dons  l’onnexe  tie  Saturne  : « Six  d'entre 
elles  paraissent  particulièrement  instables,  tant  dans  leur  emplacement  que 
dans  leur  aspect.  11  seitddc  que,  sous  des  influences  dont  il  nous  est  bien 
dillicile  de  pénétrer  la  cause,  ces  divisions  sont  plus  ou  moins  larges  et  donc 
visibles  et  invisibles  ; de  plus,  les  matériaux  (pii  composent  l’anueau  paraissent 
se  séparer,  tantôt  à une  place,  tantôt  à une  autre. 

» Si  en  outre  nous  envisageons  les  plages  sombres  ou  claires  observées 
dans  l’anneau  et  se  déplaçant  au  coui-s  de  sa  rotation,  l’anneau  lumineux,  en 
dehors  du  plan,  découvert  eti  1907  à mon  observatoire  du  Itevard  par 
M.  G.  Fournier,  les  corpuscules  brillants  suivis  sur  le  bord  de  l'anneau  cette 
même  année  au  Itevard,  les  plages  sombres  et  les  régions  claires  de  l’anneau 
de  lîoud  si  variables  dans  leur  aspect,  tout  concourt  à nous  donner  l’impres- 
sion de  l’instabilité  du  système  des  anneaux  de  Saturne.  » It.  .larry-Desloges, 
J.es  anneaux  de  Saturne,  ücli.f.tix  astronomiocc  (Paris),  t.  .\X.\I  (avril 
1914),  pp.  149-1.70. 

(i)  Sur  le  procédé  employé  par  le  l’rofesseur  américain,  on  peut  lire  ; la 
Lecture  qu’il  a donnée  <à  la  Roijal  Institution  le  19  mai  191 1,  reproduite  dans 
r.VxxuAi.  Uei'ORT  (Smithsonian  In.stitution,  1911), pji.  l.Ô.'T-KiO  avec  0 planches, 
y compi’is  les  photographies  de  la  l.une  dont  il  est  question  ici. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


rm 

Les  petites  planètes.  — Tableau  de  petites  planètes 
nouvelles  qui  ont  été  numérotées  délinitivenient  et  ont  reçn  des 
noms.  — Tableau  des  éléments  ellipti(iues  des  21  astéroïdes, 
à 754.  Heeberebes  diverses. 

Les  comètes.  — (Juatre  comètes  ont  été  découvertes  en  1912. 
I.’une  d’entre  elles  (1912  a)  a été  visible  cà  l’onl  nu  ; une  autre 
(1912  h)  est  la  comète  périodique  de  Tultle. 

Recherches  relu  lires  à diverses  comètes.  Halley,  .Morehouse, 
brooks  (1911  c),  Holmes,  Woll' ; orbites  définitives  de  1910rt, 
1849  VII,  1905  11. 

Univers  sidéral.  — Catalogues  et  cartes.  Les  l'euilles  de  la 
cai’te  pholograjihique  du  (bel  parues  en  1912  portent  le  nombre 
des  cartes  publiées  par  les  divers  observatoires,  à la  lin  de  cette 
année,  aux  totaux  suivants. 


ÏAme 

Caries 

l’ccle.  . . . 

. . . -f  39'’  à + .^52'’ 

19 

l’aris  .... 

. . . -r  24  à + 18 

144 

bordeaux 

. . . +17  à + 1 1 

201 

Toulouse 

. . . + 10  à + 5 

251 

Alger.  . . . 

. . . . + i à — 2 

411 

San  Francisco  . 

...  - 3 à - 9 

.300 

l’acubava 

...  — 10  à - 10 

rl0.'5 

Etoiles  variables.  — Photométrie  stellaire.  Observations  de 
Mira  Ceti  (o  liabûne).  — Hésumé  de  très  nombreuses  recherclies, 
théoriques  (;t  pratiques,  sur  les  variables  de  dilTérenls  tyjies. 

Hans  le  cours  de  l’année  1912,  34  variables  nouvelles  ont  été 
annoncées.  — Tableau  des  141  variables  nouvelb's  cataloguées 
(létîniti veinent  par  la  commission  de  VAsIronomisrhe  (ieselt- 
schaft,  — .Moiiogra]>liie  de  Nova  (iemi uorum  2 (I),  découverte 
par  S.  Lnebo  à Dombass  (.Norvège),  le  12  mars  1012.  Lue 
planche  donne  divers  aspects  du  spectre  de  cette  étoile. 

.M.  Oiebeler  a obtenu  dix  spectrogrammes  de  iVorn  Cemino- 
nun  2,  du  15  marsan  4 avril  1912.  Il  trouve  un  certain  nombre 
de  coïncidences  avec  les  raies  du  i-adiuni.  de  riiraniiim  et  de 
rémanalion.  Küstner  et  Kayser,  (|ui  ont  examiné  ces  sjiectro- 

(I)  tlistiiiclc  (ti!  .Yorn  Iit’i/o/nn  /o//  ilécoin  cric  [)iU’ Turner  sur  une  jpIidIu- 
^raptiie  prise  à Oxlurd,  le  1(5  mars  ItHO. 


REVT’E  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


577 


grammes,  estiment  que  la  présence  des  éléments  radioactifs 
dans  la  Nova  est  très  probable.  Kayser  montre  qu’un  certain 
nombre  de  particularités  présentées  par  les  étoiles  nouvelles 
s’expliqueraient  par  les  processus  radioactifs.  Il  estime  que  la 
Nova  Geminorum  2 ne  düTère  pas  essentiellement  des  autres  ; 
si  les  raies  des  corps  radioactifs  ont  pu  être  aperçues  dans 
son  spectre,  c’est  uniquement  grâce  à un  en.semble  de  condi- 
tions favorables. 

Ludendorlf,  travaillant  sur  un  spectrogramme  obtenu  le 
15  mars  1912,  à l’Obsei'vatoire  de  Postdam,  a trouvé  lui  aussi 
une  coïncidence  assez  satisfaisante  entre  certaines  raies  de  la 
Nova,  trois  raies  du  radium  et  les  quatre  les  plus  marquées  de 
l’émanation.  Toutefois  les  écarts  entre  les  vitesses  radiales  con- 
clues des  raies  du  radium,  par  Giebeler  et  lui,  l’amènent  à penser 
que  la  présence  des  substances  radioactives  dans  le  spectre  de 
la  Nova,  est  une  question  non  résolue.  C’est  à une  conclusion 
analogue  que  sont  arrivés  W.  S.  Adams  et  A.  Kohlscliütter,  qui 
ont  fait  une  étude  approfondie  des  spectrogrammes  de  la  Nova 
obtenus,  du  22  mars  au  27  mai  1912,  au  .Mont  Wilson  : la  pré- 
sence du  radium  et  de  son  émanation  n’y  est  pas  établie. 

A la  suite  des  communications  de  11.  Giebeler  et  de  Küstner 
sur  la  présence  du  radium  dans  la  Nova,  Dyson  l’a  rechercbé 
dans  le  Soleil  en  comparant  les  principales  raies  du  spectre 
d’étincelle  du  radium  (Ilunge  et  Prédit)  et  les  lignes,  diroino- 
spliériques  relevées  dans  les  dernières  éclipses.  Il  conclut  que  la 
présence  du  radium  dans  la  chromosphère  est  probable  ; celle 
de  l’émanation  laisse  plus  de  place  au  doute.  A.  S.  Mitchell  et 
Eversched,  qui  ont  étudié  la  même  question,  se  prononcent  pour 
la  négative  dans  les  deux  cas. 

Pholométrie  et  Colorimétrie.  Généralités.  D’après  Geraski,  la 
grandeur  stellaire  du  Soleil  serait  voisine  de  — 27,1  en  pre- 
nant pour  grandeur  de  a Leonis  1,58.  — Xomlireuses  observa- 
tions sur  les  grandeurs  photographiques  et  visuelles  des  étoiles 
et  sur  leur  coloration. 

11.  Deslandres  a cherché  une  explication  simple  des  étoiles 
temporaires  en  rapprochant  certaines  particularités  (|u’elles  pré- 
sentent de  ce  que  l’on  observe  sur  le  Soleil.  Il  arrive  à cette 
conclusion  ; une  Nova  est  une  étoile  déjà  refroidie,  présentant 
une  écorce  solide  relativement  mince.  Sous  l’inlluence  d’une 
cause  interne,  l’écorce  se  brise  et  les  gaz  iatéi  ieurs  incandes- 
cents font  brusquement  irruption  à l’extérieur  et  forment  peu- 


578 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


dant  quelque  temps  une  atmosphère  très  dense,  très  lirillante, 
animée  de  mouvements  analogues  à ceuxde  l’atmosphère  solaire, 
mais  heauroup  plus  l'apides.  Puis  l’écorre  se  reforme  et  l’atmo- 
sphère se  refroidit,  se  condense  et  perd  peu  à peu  son  éclat. 
Les  ions  et  les  électrons  des  deux  signes  se  mouvant  verticale- 
ment dans  l’atmosphère  de  l’étoile  nouvelle,  les  uns  dans  un 
sens,  les  autres  eu  sens  inverse,  peuvent  exi)liquer  en  partie  les 
grands  déplacements  des  raies  s[)ectrales  vers  le  rouge  et  vers 
le  violet. 

Dans  cette  hypothèse,  ou  peut  facilement  expliquer  la  pre- 
mière partie  du  phénomène  des  étoiles  nouvelles;  (|uant  à la 
transformation  tiuale  en  néhnleuse,  elle  reste  toujours  mysté- 
rieuse. 

L’étude  des  transformations  du  spectre  de  Nova  (reminorum  2 
a suggéré  au  P.  Cortie  une  autre  explication  qui  supprimerait 
ce  mystère  : le  phénomène  des  étoiles  nouvelles  ne  serait  pas  la 
transformation  d’une  étoile  en  néhnleuse,  mais  le  résultat  d’une 
éruption  gigantesque,  d’une  tempête  chromosphérique  énorme 
s(^  présentant  dans  une  étoile  nébuleuse  ; la  tempête  se  calme 
et  l’étoile  revient  à son  état  i)rimitif. 

flroiLFS  Douiii.ES  VISUELLES.  Mesurcs  micrométriques  ; obser- 
vations photographiques  ; déterminations  d’orbites  : -7  Aquavii, 
T Coronæ  auslralis,  t Cygni  : en  admettant  pour  valeur  de  la 
parallaxe  absolue  de  cette  dernière  étoile  tt  = -f- (r,0()!l,  on 
obtient,  pour  ce  couple,  nue  luminosité  égale  à !),^5  fois  celle  du 
Soleil  et  pour  la  somme  des  masses  l,'2(i  fois  la  masse  du  Soleil 
répartie  de  la  manière  suivante  ; composante  A(gr.5,0)n«=0,71  ; 
composante  D (gr.  (S,l  ) m = d,;").'). 

Etoiles  douiiles  spectroscopiques.  — Vitesses  h.vduvles. 
Tableau  des  éléments  d’un  certain  nombre  d’étoiles  doubles 
spectroscopiques,  récemment  déterminés  ou  calculés  à nou- 
veau. — Tableau  des  étoiles  dont  la  variabilité  de  la  vitesse 
radiale  a été  établie  ou  annoncée  en  J 91 2,  etc. 

DiST.VNCES,  .MOUVE.MENTS  ET  I)ISTRIHUTION  DES  ÉTOILES.  P.  SloCUIll 

a elfectué  une  détermination  photographique  de  la  parallaxe 
de  Nova  Lacertæ,  1910.  Elle  serait  très  faible,  comme  celles 
des  Novœ  en  général.  — Tableau  de  244  parallaxes  obtenues  à 
l’Observatoire  de  l’i  niversité  Yale.  — Liste  de  124  parallaxes 
stellaires  déduites,  par  A.  S.  Elint,  des  observations  de  passage 


REVU  K DES  REGl'EILS  PERIODIQUES 


579 

effectuées  à l’Observatoire  Washburn,  à Maclisoii  (Wisconsin). — 
Liste  analogue  de  41  parallaxes  stellaires  déduites,  par  0.  Abetti, 
des  observations  de  passage  effectuées  à l’Observatoire  de  Hei- 
delberg. — Tableau  de  .57  parallaxes  stellaires  délerininées  par 
.\.  lewdokiinow  au  cercle  méridien  de  l’Observatoire  de  Khar- 
kow.  — S.  Kostinsky  a appliqué  à la  recherche  de  [)arallaxes 
la  méthode  stéréoscopicpie  : 

Pour  61  du  Cygne,  il  a obtenu  les  valeurs  moyennes  suivantes  : 
Parallaxe  = -(-0’',rJ6  ; mouvement  propre  annuel  total  5", 64. 

Mouvement  propre  de  la  Polaire  (rpdegraff  ).  — Mouvement 
propre  de  160  étoiles  de  la  région  des  Pléiades  (F.  Kromm)  : 
le  déplacement  général  du  groupe  s’ell'ectue  suivant  un  giand 
cercle  ayant  poui’  angle  de  position  17.5'’  46',  et  pour  valeur 
4", 0:24  par  siècle. 

Coumnls  d’éloiles,  Ijpe  spectral  et  vitesse  radiale.  Une  liaison 
existe  entre  la  vitesse  et  la  classe  spectrale  ; il  semblerait  que  la 
matière  cosmique  ne  devient  sujette  à la  gravitation  qu’à  partir 
d’un  certain  degré  d’évolution.  — F.  P.  P>ross  a déterminé  la 
vitesse  du  système  solaire  relativement  aux  étoiles  du  type 
spectral  A (1),  d’après  les  vitesses  radiales  de  38  d’entre  elles  : 
il  a obtenu  17  km.  par  seconde.  — Ktude  des  vitesses  radiales 
de  225  étoiles  à hélium  (2)  l'angées  suivant  la  classification  de 
Lockyer  (3),  où  les  étoiles  sont  ordonnées  non  seulement  d’après 
leui'  nature  chimique,  mais  aussi  suivant  leur  âge  et  leur  tem- 
pérature (Ludendorff)  : les  longueurs  d’onde  des  raies  dans  les 
étoiles  à hélium  varient  avec  les  conditions  de  l’étoile  et  sont  en 
rapport  avec  la  classification  de  Lockyer;  celles  à vitesse  radiale 
positive  se  rangent  parmi  les  étoiles  à température  croissante, 
celles  à vitesse  radiale  négative  parmi  les  étoiles  à température 
décroissante. 

Dans  ses  études  de  statistique  stellaire,  Charlier  a divisé  le 
Ciel  en  48  carrés  de  même  aire.  Un  de  ces  carrés  situé  dans 
la  Voie  lactée,  renferme  de  30  000  00(1  à 250  000  000  étoiles, 
tandis  que  pour  le  carré  renfermant  un  pôle  de  la  Voie  lactée, 
ces  limites  sont  600  000  à 2 OOO  000.  11  estime  que  la  limite  de 
notre  système  solaire  dans  la  direction  de  la  Voie  lactée  est 

(1)  Classification  fies  catalogues  de  tlarvard.  \'üir  rA.NXCAiiiE  nu  Bureau 
DES  Longitudes,  1913,  p.  "297. 

(2)  Croupe  B et  B.V  de  Harvard. 

(3)  Sur  les  idées  de  Lockyer,  voir  son  livre  V Evolution  inorganique.  Trad. 
franç.  Paris,  Alcaii  (Bihl.  .st.  intern.). 


580 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


comprise  entre  ()00  et  J 400  siriomètres,  le  siriomètre  valant  un 
million  de  lois  la  distance  moyenne  du  Soleil  à la  Terre.  Cette 
(}uestion  a lait  également  Tohjet  des  recherches  de  K.  Schwar- 
schild,  résumées  dans  TAnnuaire. 

G.  A.  TikhotT  a poursuivi  ses  études  photographiques  faites 
à l’aide  de  4 filtres  sélecteurs,  laissant  passer  respectivement 
Tnltra-violet,  l’indigo-violet,  le  jaune-vert  et  l’orangé.  Il  en  a 
déduit  des  résultats  généraux  relatifs  au  groupe  des  Pléiades  : 
l’éclat  des  étoiles  principales  de  cette  constellation  croît  de 
Tnltra-violet  à Torangé  ; le  nombre  et  l’éclat  des  étoiles  faibles, 
an  contraire,  augmentent  en  passant  de  Tnltra-violet  aux  radia- 
tions moins  réfrangihles.  (îes  résultats  concordent  avec  les  obser- 
vations d’antres  régions  duCdel  : la  différence  d’éclat  des  étoiles 
augmenterait  donc, en  général, avec  la  diminntionde  la  longueur 
d’onde. 

La  couleur  d’une  étoile  dépend  essentiellement  de  la  tempé- 
rature. It’après  des  expériences  de  lahoratoii'e  sur  des  sources 
terrestres  de  lumière,  la  couleur  d’une  étoile  à spectre  continu 
se  rapproche  d’autant  pins  du  l’onge  (pie  sa  temiiératnre  est 
plus  basse.  Par  contre,  les  étoiles  bleuâtres  ont  la  tempéi’atnre 
la  plus  élevée.  L’atmosphère  des  étoiles  est  une  deuxième  cause 
d’où  déiiend  leur  couleur  : l’absorption  sélective  de  cette  atmo- 
sphère donne  naissance  aux  raies  de  Traunhofer,  et  elle  aug- 
mente d’une  façon  continue  avec  la  diminution  de  la  longueur 
d’onde.  La  troisième  cause  ipii  agit  sur  la  couleur  des  étoiles 
est  l’absorption  sélective  de  la  lumière  dans  l’espace  ; elle  dépend 
de  la  dislance  des  étoiles.  La  méthode  suivie  par  Tikholf  lui  a 
permis  de  négliger  Tiniluence  de  Talmosphére  terrestre.  La 
tenqiérature  elïective  du  Soleil  et  des  étoiles  se  déduit  de  la  loi 
de  Wien,  par  la  longueur  d’onde  du  maximum  de  l’énergie 
du  spectre  ; on  la  calcule  par  extrapolation,  les  températures 
des  étoiles  étant  bien  supérieures  à celles  ipie  Ton  obtient  dans 
les  laboratoires  pour  lesquelles  la  loi  a été  établie.  Tikholf  ti  onve 
pour  Téloile  la  plus  rouge  ^(SOtT  et  pour  la  plus  bleue  17  700’. 
On  constate  que  la  couleur  des  étoiles  est  très  bien  expli([uée 
par  la  température  jus([u’à  la  classe  fùti  inclusivement,  dette 
notation  et  les  suivantes  se  rapportent  à la  clas.silication  des 
spectres  stellaires  employée  dans  les  publications  de  l’Observa- 
toire de  Harvard.  La  classe  G (étoiles  solaires)  montre  un  écart 
sensible,  et  les  classes  G^K  et  K sont  très  mal  représentées. 


RKVUE  DES  RECEEILS  PERIODIQEES 


581 


Amas  stellairp^s  et  .néruleuses.  Ilertzspniiig  a déterminé  les 
coordonnées  équatoriales  des  pôles  des  grands  cercles  de  plus 
grande  concentration  pour  diverses  catégories  d’objets  célestes  : 
Voie  lactée,  étoiles  à hélium,  variables  binaires,  nébuleuses 
gazeuses  etc.  Le  grand  cercle  de  concentration  des  amas  globu- 
laires aurait  son  pôle  vers  a = '265“, 0 et  6 = — 5^2”, 7 ; Hinks 
avait  trouvé  a = 260'  et  b = — 52'.  Parmi  les  étoiles  à hélium, 
72  7o  ont  leurs  longitudes  galactiques  compri.'^es  entre  248“  ±00”, 
etc. 

D’après  48  photographies  obtenues  par  Fath  avec  le  rétlecteur 
de  60  pouces  de  l’observatoire  du  Mont  Wilson,  une  pose  <l’une 
heure  et  des  plaques  Lumière  Z,  on  trouverait,  pour  l’ensemble 
du  Ciel,  164  000  nébideuses  spirales. 

Suivant  Nicholson,  il  existe,  dans  le  spectre  des  nébuleuses, 
deux  raies  que  la  constitution  de  l’atome  du  nébulium  qu’il  a 
imaginée  n’explique  pas  ; ce  sont  : X 4685,7  et  X 3729,0.  Or 
M.  WoH'a  trouvé  que  la  partie  centrale  obscure  de  la  nébuleuse 
de  la  Lyre  affecte,  après  une  longue  exposition,  la  plaque  photo- 
graphique : la  radiation  X 4686  provient  de  cet  espace  et  non 
de  l’anneau  brillant.  Le  maximum  d’émission  de  la  longueur 
d’onde  3729  vient,  au  contraire,  du  bord  externe  de  ranneaii, 
et  s’étend  faiblement  sur  l’anneau  entier. 

D’après  les  recherches  elfectuées  à l’observatoire  de  Harvard, 
portant  sur  32  000  étoiles,  on  a trouvé  : 1“  que  52  % environ 
de  ces  étoiles  sont  du  type  A (étoiles  type  de  cette  classe  : Sirius, 
Véga,  etc.);  2“  (|ue  le  rapport  du  nombre  d’étoiles  du  type  A 
au  nombre  d’étoiles  de  tous  les  autres  types  augmente  quand 
l’éclat  diminue;  3“  que  dans  la  Voie  lactée  les  deux  tiers  des 
étoiles  sur  lesquelles  ont  porté  les  recherches  sont  du  type  A. 
Il  semble  résulter  de  l.à  que  le  spectre  de  la  lumière  stellaire  et, 
en  particulier,  celui  de  la  lumière  globale  de  la  Voie  lactée 
serait  du  type  A.  — E.  A.  Fath  a cherché  à déterminer  directe- 
ment le  spectre  de  la  lumière  globale  de  la  Voie  lactée,  en  pho- 
tographiant au  .Mont  Wilson  trois  régions  brillantes  de  la  galaxie. 
Les  temps  de  pose  ont  été,  respectivement,  de  65  heures  13  mi- 
nutes, 67E52'"  et  74'^IJ"L  Les  résultats  obtenus  sont  concor- 
dants, et  il  en  résulte  que  le  spectre  de  la  lumière  globale  de  la 
Voie  lactée  serait  approximativement  du  type  solaire. 

Le  globe  terrestre  ; coordoa'nées  géograriiiques  ; variatiox 
DES  latitudes.  On  nomme  Inmière  de  la  Terre  l’éclal  du  Ciel 
à minuit,  abstraction  faite  de  la  lumièie  des  étoiles.  C’est  une 


5S2 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


lueur  dill’use,  éclairani  même  les  régions  du  Ciel  les  plus  som- 
bres et  qui,  vraisemblablement,  a son  siège  dans  l’atmosphère 
terrestre.  Voici  les  conclusions  d’un  travail  de  Yntema  l'ait  en 
Hollande  sui-  cette  (piestion  : 

1“  La  lumière  du  (bel  la  niiil  est  due  en  parlie  à celle  venant 
<lirectemenl  des  étoiles,  et  en  paiTie  à celle  pi'ovenant  de  l’atmo- 
sphèi  e ; :2’ celle  qui  ne  provient  pas  de  la  lumièi'e  dilLuse  des 
étoiles  doit  être  attribuée  en  tout  ou  en  partie  à une  aurore 
permanente  ; o"  la  lumière  générale  du  Liel  est  vaiâable  au 
cours  d’une  même  nuit,  d’une  nuit  à l’autre  ('t  augniente  vers 
riiorizon. 

Des  lecherches  d’.^ibas  au  Mont  Wbitney,  à 4420  mètres 
d’altitude,  ont  confirmé  les  résultats  de  Yntema  ; il  a trouvé 
seulement  que  l’intensité  de  la  lumière  nocturne  est  plus  faible 
dans  le  rapport  de  10  à 7 environ.  D’après  Yntema,  l’éclat  de  la 
lumière  de  la  Terre  est  de  J 10  de  celui  d’une  étoile  de  première 
grandeur,  par  degré  carré. 

On  a invocpié,  en  faveur  de  l’e.vplication  basée  sur  l’existence 
d’une  aurore  permanente,  la  présence  de  la  raie  vertiï  X 5770 
(celle  de  l’aurore  boréale)  reconnue  par  Campbell  dans  la 
lumière  de  toutes  les  parties  du  Ciel.  Ilunqilireys  a calculé  la 
lumière  qui  serait  [)ioduite  par  le  bombardement  de  la  haute 
atmosphère  par  des  corpuscules  et  des  poussières  cosmiques 
arrivant  avec  la  vitesse  j)arabolique  de  42  kilomètres  à la 
seconde.  11  a trouvé  (pi’il  sullit  d’une  masse  de  trois  kilogrammes 
par  seconde  pour  ex[)li(pier  le  phénomène  observé.  Cette  masse 
semble  n’avoir  rifii  d’exagéré. 

Ch.  Calinot  a étudié,  à l’observatoiie  de  Lyon,  l’absorption 
sélective  de  l’atmosphère  terrestre  à l’aide  du  photomètre  hété- 
rochome  de  .Xordmanii,  entre  4"  et  88°  de  distance  zénithale. 
L’extinction  atmosphérique  croit  d’autant  plus  vite  avec  la  dis- 
tance zénithale  que  la  longueur  d’onde  est  plus  courte.  Les 
écarts  ('onstatés  entre  l’ol)servation  et  le  calcul,  à diverses 
distances  zénithales,  ne  peuvent  s’expliquer  en  admettant  que 
l’absorption  ne  dépend  que  de  la  masse  d’air  traversé.  11  semble 
([ue  l’on  doive  admettre  une  dilïVaction  i)roduite  par  des  parti- 
cules de  plus  grandes  dimensions  que  les  molécules  d’air. 

L.  de  Hall  a comparé  les  valeurs  de  la  constante  de  la  réfrac- 
tion déduites  de  diverses  séries  d’observations  (l’ouikovo, 
Creenvvich,  Munich,  Heidelberg,  (Odessa);  la  moyenne  de  ces 
<léterminations  est  (iO'',L4. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


58: 


Coordonnées  geoi^raphiqnes  ; Station  astronomique  du  Pic 
du  Midi  de  Bigorre  (E.  Habioulle)  ; centre  de  la  coupole,  longi- 
tude ouest  de  Paris  : 8'’’46^,t)4,  latitude  nord  42'5t)'31'',5. 
Longitude  de  l’observatoire  de  Lille  : 3™2o%51ü  E de  Par  is,  etc. 
— Th.  Albrecht  a publié  les  l'ésultats  provisoii’es,  conceniant  la 
variation  des  latitudes,  tirés  des  observations  des  six  stations 
de  .Mizusawa,  Tchaidjui,  Carlol'orte,  Gaithersburg,  Cincinnati 
et  Ükiah.  L’Ax.xuaike  repi’oduit  la  courbe  décrite  par'  le  pôle 
de  190b, 0 à J9J3,0.  Ituiant  l’année  1915,  l’amplitude  de  la 
variation  a encore  diminué.  — Recherches  se  rappoiiaiiL  à la 
même  question  : G.  L.  Doolittle  (Philadelphie);  G.  Boccai’di 
(Turin),  etc. 

A.  X. 


HISTOIRE  DES  MATIIÉMATIOLES 


Comment  s'y  prendre  pour  éviter  d’accréditer  l'erreur 
dans  l’histoire  des  mathématiques,  par  M.  G.  Enestrbm  (1  ). 
— Pour  empêcher  la  propagation  des  erreurs,  avant  tout  il 
convient  de  n’en  pas  commettre  soi-même.  Or,  si  l’on  veut  ne 
pas  s’exposer  à trop  d’erreurs  dans  l’étude  de  l’histoire  des 
mathématiques,  il  n’est  au  fond  qu’une  méthode  ; lire  et  relire 
sans  cesse  les  auteurs  originaux.  On  les  lira  dans  leur  langue, 
si  c’est  possible  ; faute  de  quoi,  on  se  contentera  d’une  traduc- 
tion. .Mais,  une  traduction  n’est  déjcà  plus  le  texte  primitif;  il 
importe  de  ne  pas  l’oublier. 

Depuis  longtemps  ces  pensées  me  hantent  l’esprit  devant  la 
persistance  avec  laquelle  M.  Enestrom  attaque  M.  Mauiice 
Cantor,  par  ses  « kleine  Bemerkungen  » sur  les  Vorlesnngen 
tiber  Geschichte  der  Mathematik  du  professeur  d’Heidelberg. 
M.  Eue  strom  a tort  et  cède,  je  le  crains,  à un  trop  long  accès 

(t)  Wie  kann  die  weilere  Verbreitnng  unzuveilfissiger  matlieinaliscli- 
historischer  Angaben  verlündert  icerden  ? von  G.  Enestrom.  tiiBLiOTHEC.\ 
M.\them.\tic.\,  3®  série,  t.  13,  Leipzig,  Teubner,  t912-1913  ; pp.  1-13. 

Kleine  Bemerkungen  zur  letzten  Aufhige  von  Cantors  Vorlesnngen  nber 
Geschichte  der  Mathematik  : von  G.  Enestrom.  .Même  volume,  pp.  65-8i, 
15i-177,  “261>27l,  339-351. 


584 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


d’humeur.  L’expérience  désagréable  cju’il  parait  avoir  faite  en 
étudiant  les  Vorlesungen,  et  qu’il  devait,  je  crois,  faire  fatale- 
ment, expli([ue  pourquoi,  selon  moi,  M.  Enestrom  se  tromp»;. 

L’histoire  est  souvent  bâtie  sur  des  [nobahilités  ; les  mathé- 
mati([ues  s’édifient  sur  des  certitudes.  Vouloii',  dans  les  moindres 
détails,  se  servir  en  toute  confiance  d’un  manuel  d’histoire, 
comme  on  se  sert  d’un  manuel  de  rnathémati(|ues,  sera  toujours 
une  méprise,  quand  bien  même  cette  histoire  serait  celle  des 
mathématniues.  En  manuel  de  mathématiques  peut  atteindre 
un  degré  de  perfection  définitif  auquel  un  manuel  d’histoire  ne 
saurait  prétendre.  .M.  Eneslrom  a tru  le  contraire,  du  moins 
a-t-il  agi  comme  s’il  l’avait  cru.  (Juand  il  connut  les  Vorlesungen 
de  -M.  Cantor,  il  é[)rouva  d’abord  pour  elles  une  admiration 
profonde.  Elles  étaient,  d’après  lui,  le  « standard  hook  » qu’un 
historien  des  mathématiques  devait  toujours  avoir  sur  sa  table 
de  travail.  M.  Enestrom  avait  raison  et  jugeait  bien  l’œuvre  du 
maître  il’lleidelherg.  Son  admiration,  je  l’ai  insinué  ci-dessus, 
le  fit  choir  dans  un  piège!  11  ouvrit  la  Hii!Liotheca  M.xtiiem.vtic.v 
aux  savants,  leur  demandant  de  [)elites  corrections,  de  petites 
remarques  sur  les  Vorlesuugen  — « kleine  nemerkungen  ».  — 
Après  amendement,  les  historiens  des  mathématiques  pren- 
draient les  Leçons  de  Canloi’  (a»mme  une  hase,  désormais 
inébranlable,  sur  laquelle  ils  bâtiraient  leurs  travaux  ultérieurs. 
C’était  vouloir  édilier  sur  un  manuel  d’histoire,  comme  un 
géomètre  bâtirait  la  géométrie  (h^scriptive  sur  les  Eléments 
d’Euclide.  Illusion  de  mathématicien  ! Car  seul  un  mathémati- 
cien pouvait  à ce  point  se  tromi)er  sur  ce  que  l'o)!  doit,  sur  ce 
({ue  l’on  peut  demander  à un  [)récis  d’histoire. 

Cette  illusion,  je  n’ai  pas  été  moi-même  sans  la  partager 
([uehpie  peu.  .le  n’en  éprouve  guère  d’embarras,  elle  était 
naturelle  ; mais,  en  l’avouant,  j’épargne  à M.  Enestrom  rennui 
de  devoir  me  la  rappeler.  J’ai  donc  suivi  la  tentative  du  direc- 
teur de  la  lîiüLioTiiKC.v  Mathem.vtica  avec  intérêt  et  curiosité 
d’abord,  avec  scepticisme  plus  tard,  avec  une  parfaite  incré- 
didité  maintenant,  (jue  doit-on  demander,  en  effet,  à un  manuel 
embrassant  dans  son  plan  l’histoire  des  mathémati(iues  tout 
entière,  sinon  un  résumé  fidèle  de  l’état  de  cette  science?  Oi', 
pareil  résumé  est  beaucoup  plus  une  recherche  d’érudit,  qu’un 
travail  de  mathématicien.  Dans  celte  recherche,  .M.  Cantor  est 
venu  le  premier,  .M.  Enestrom  l’a  suivi,  l’our  les  juger  avec 
équité,  il  faut  donc  ne  pas  oublier  la  règle  si  chère  à Paul 
Tannery  : « Dans  les  recherches  d’érudition,  celui  qui  vient  le 


RUVUh:  DES  RECrEILS  DERIÜDIQTIES 


585 


second  prend  aiséineni  l'avantage.  « Soyons  de  bon  compte  el 
ayons  la  loyauté  de  l’avoner  ! Historiens  des  malhématicpies,  où 
en  serions-noiis  tous,  où  en  serait  M.  Knestroni  lui-même,  si 
nous  n’avions  pas  eu  pour  guider  nos  premiers  pas  les  Vorle- 
sungen  de  M.  Gant  or? 

Mais,  voilà  ! Après  avoir  admiré  M.  Gantor,  M.  Enestrôm 
s’avisa  un  jour  de  remonter  aux  sources  et  de  le  contrôler.  Ge 
faisant,  il  remanpia,  non  sans  surprise  semble-l-il,  des  inexac- 
titudes dans  son  modèle,  voire  des  fautes.  Il  y en  a,  en  effet,  et 
d’assez  nombreuses,  (juoi  d’étonnant  dans  un  ouvrage  aussi 
considérable  ? 

Plus  fréquemment,  cependant,  lecture  faite,  il  arriva  à 
M.  Enestrôm  de  juger  les  géomètres  anciens  autrement  que 
M.  Gantor.  ftueslion  d’ap[)ré('iation  personnelle,  où  il  est  bien 
libre  aux  juges  de  dilférer  d’avis.  Souvent  enfin  le  savant 
suédois  crut  pouvoir’  li’aduii’e  les  textes  en  seri’ant  le  sens  de 
plus  près  que  le  savant  allemand.  Mais,  encoi’e  une  fois,  descen- 
dant le  second  dans  la  lice,  pour  un  bomme  aitssi  solidement 
ai  mé  que  M.  Enesti’ôm,  était-ce  fort  diflicile? 

]>e  toutes  ces  gloses  et  rectilications  aux  Vorlesiingen, 
.M.  E nesti’ôm  désii-erait  nous  làii’e  conclui’e  qu’elles  sont  un 
ouvrage  surfait,  à ne  manii'r  qu’avec  la  plus  gi’ande  précaution. 

Un  ouvrage  surfait  ! Xoii  ! En  écrivant  ses  Yorles-ungen, 
.M.  (iantor  a exécuté  un  tour  de  foi’ce  <{ui  ne  ser’a  probablement 
pas  l’épété  de  si  tôt.  Je  ne  crois  pas  ([u'il  faille  èti-e  prophète 
pour  le  prédire. 

Mais,  (ju’il  soit  bon  de  consulter  les  Vorlesnngeit  avec  discer- 
nenienl,  voire  avec  précaution,  voilà  qui  est  dilférent.  Les 
Vorlesungen  sont  à la  fois  un  précis  el  une  encyclopédie.  Or, 
se  servir  d’un  précis  d’bistoii'e  et  d’une  encyclopédie  avec 
discernement  et  précaution  est  dans  l’ordi-e  des  choses. 

Dans  ses  Yorlesuugen  iiher  (ieschicfite  dey  'Trigonométrie, 
von  Brauiirniibl  (I)  venant  après  Gantor,  n’a  pas  eu  grande 
]reine  à ètr’e  plus  exact  que  lui.  « On  sait  (|ue  son  ouvrage  doit 
èti’e  employé  avec  gi’ande  prudence»,  dit  néanmoins  fort  bien 
M.  Enestrôm,  en  parlant  île  von  Hi’aiinmühl  (2).  G’est  que  von 
Hraunrniilil  ivéci’ivif  pas  une  trigonométrie,  mais  un  livre  d’his- 


( I ) l,eipzig,  Tfubner,  t.  1 , 11)01.)  ; 1.  '2,  190t>.  Pour  le  but  (jiie  j’iii  en  vue,  il 
iinpoi’te  assez  peu  ipie  von  lîrannnuihl  ne  cite  pas  toujours  la  dernière 
édition  des  Vo)  i(;sinuii’»  de  Canlor  que  nous  i)ossédons  actuellement. 

(2)  üiiîuoTiMo  ■>  .M  vriti'CM.vncA.  I.  i:>,  p.  261. 


586 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


toire.  G’esl  surtout  que  ce  livre  d’iiistoii'e  fut  écrit  pour  les 
mathéuiaticieiis.  Or,  habitué  à pouvoir  se  tier,  sans  y mettre 
de  nuances,  h la  vérité  d’un  théorème,  tout  mathématicien  doit 
utiliser  les  livres  d’histoire  avec  précaution,  même  ceux  de 
.M.  K nestrom.  Malgré  son  très  louable,  son  méticuleux  souci  de 
l’exactitude,  l’inexoï’ahle  censeur  n’échappe  pas  à cette  loi.  \ 
preuve,  au  moment  même  où  il  nous  met  en  gai-de  contre  les 
inexactitudes  de  von  Hraunmühl,  M.  Gnestrom  lui  attribue  des 
Vo7iesnnfieii  hber  Gescliichte  der  Mathe.m.vtik  (J)  ([ui  n’existent 
pas.  Kn  oidre,  à la  même  page  de  la  IhiiLiOTiiECA  M.athematica, 
l)arlant  de  la  célèhn;  approximation  du  nombre  tt  calculée  par 
.\drien  .Vnthonisz,  il  lui  donne,  sans  s’en  apcrci'voir,  les  deux 


valeurs 


.155 
H 3 


et 


.’lri  ) 

m 


i^l).  « Medice,  cura  te  i])sum  «,  me  ripostera 


sans  doute  M.  Knestrüm.  .Mon  llieu,  oui  ! .Me  rappelant  certaines 
conclusions,  aussi  erronées  (pi’imprévues  par  moi,  déduites  de 
mes  écrits,  plus  ou  moins  par  ma  faute,  il  me  faut  l'econnaître 
([lie  moi  aussi  je  suis  comme  les  autres. 

Précisons,  car  je  regretterais  qu’on  se  [)ùt  méprendre  sui' 
le  sens  de  mes  observations.  .M.  Gnestrom  est,  je  crois,  l’érudit 
d’aujourd’hui  le  mieux  au  coiii'ant  de  l’histoire  des  malhéma- 
ti([iies  ; je  le  dis  sans  aucune  arrière-pensée.  Oiiand  il  annonça 


(I)  Il  faut  évi(ti'mnuuil  der  Triijonoiiidrie,  coniine  il  est  au  surplus  aisé 
de  s’en  assurer  en  consultant  ce  dernier  ouvragi*  à l’endroil  iuiliqué  par  la 
référence,  l/erreur  de  M.  I]neslroiu  n'einliarrassera  jias  l)eaucoup  les  profes- 
sionnels de  riiistoire  des  malhémaliques  au  courant  de  la  liihliograpliie  de 
leur  science.  .Mais,  oserail-on  (;n  dire  de  luéuie  du  grand  nond)re  des  mathé- 
maticiens? On  sait  le  i)eu  d'heures  de  loisir  qu’ils  peuvent  d’ordinaire  con- 
sacrer à riiistoire. 


(î)  U’esl  la  valeur  n = (|ui 
I I O 


est  exact(‘.  \'oir  sur  le  sujet  un  excellent 


article  de  M.  Mansion,  .Sur  l>>  calctil  de  ir,  puhlié  dans  Matiiksis.  t.  !28,  (îand. 
1908,  pp.  I,'auteur  y dit  ([ue  la  valeur  approchée  calculée  par 

.Adrien  .Anthonisz  fut  publiée  pai’  son  lits,  .Adrien  Aletius,  en  Kill,  dans  son 
Arillniieticae  el  (ïeo)iietihie  Pnictica  (Franekerae.  Excudehal  Itomhertus 
Doyema  ; I.  Il,  ji.  Ki'i  et  ]>.  (19).  .le  saisis  cette  occasion  de  contirnier  l’exacti- 
tude de  la  date  de  Kilt  donnée  ici  par  .M.  Mansion,  (’.onime  tant  d’autres 
volumes  d'un  prix  inestimahie  i>our  l’histoire  de  la  science  dans  les  Pays-lîas, 
un  des  exemplaires  de  cette,  première  édition  de  VAridniieticue  et  Geome- 
h'iae  Vvaclicu,  que  je  connaissais,  a péri  dans  l’incendie  de  la  lühliothèque 
de  riniversité,  lors  du  sac  de  la  ville  de  Louvain  par  l’armée  allemande, 
le  :2()  aoi’it  191  i.  Il  y en  a un  second  exemplaire  à la  lîihliolhèque  Hoyale  de 
lielgique,  coté  : cl.  ; I ; F.  I . a ; Met. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


587 


son  intention  de  corriger  les  quelques  imperfections  des  Vorle- 
sungen  de  M.  Cantor,  tous  ceux  qui  s’inléressaient  à l’histoire 
des  mathématiques  y collaborèrent  au  début  (1).  .Mais,  au  lipii 
de  se  contenter  de  rectifier  ce  qui  était  à proprement  parler 
fautif,  au  lieu  de  s’arrêter  là  la  date  où  parurent  les  Vor/esungen, 
et  de  prendre  celles-ci  pour  point  de  départ  des  recherches  ulté- 
rieures, comme  semblait  l’indiquer  le  plan  primitif,  M.  Enes- 
trom  s’est  insensiblement  laissé  entraîner  à mêler  à ses  correc- 
tions, de  simples  rétlexions,  des  remarques  à côté,  des 
découvertes  personnelles,  des  résultats  de  nouvelles  études 
d’autres  mathématiciens  ; tout  cela  en  petites  notes  déchiquetées, 
sans  liaison  entre  elles,  disséminées  non  seulement  dans  treize 
volumes,  mais  à quatre  endroits  dilférents  de  ces  volumes  ! 
J’admire  la  grande,  l’in  vraisemblable  patience  déployée  par 
l’auteur  de  ces  remarcpies  ; je  ne  discute  pas  leur  intérêt  ; mais 
leur  ensemble  a fini  par  former  un  des  i)lus  inextricables  fouillis 
qui  se  puisse  imaginer.  .Malgré  les  tables  qui  y sont  annexées, 
c’est  tout  ce  qu’il  y a d’incommode  à consulter.  Treize  volumes 
pour  la  moindre  recherche  ! Combien  n’y  a-t-il  pas  de  biblio- 
thèques où  les  règlements  prohibent  l’emploi  simultané  d’un 
pareil  nombre  de  volumes  7 

Ceci  n’est  qu’un  simple  inconvénient  ; mais  voici  où  M.  Enes- 
trôm  a,  semble-t-il,  vraiment  tort. 

Le  ton  des  « kleine  Bemerkungen  » a peu  tà  peu  perdu  de  sa 
sérénité.  Sans  tourner  tout  à fait  cà  l’aigre,  il  dégénère  trop 
souvent  en  chicanes  dans  lesquelles  perce  le  désir  de  ti-ouver 
M.  Cantor  malgré  tout  en  défaut,  même  quand  il  ne  l’est  pas. 
Bourquoi?  Je  n’en  sais  rien  et  il  ne  me  convient  pas  de  le 
rechercher  ; mais,  je  le  regrette  et  plusieurs  des  amis  et  des 
admirateurs  de  M.  Enestrôm  ne  m’ont  pas  caché  qu’ils  le 
regrettent  comme  moi.  \ ne  pas  reconnaître  les  services  d’un 
homme  comme  M.  Cantor,  la  science  n’a  rien  à gagner. 

Soyons  équitables.  Peut-on  reprocher  à .\1.  Cantor  de  n’avoir 
pas  sn  dès  1900,  ce  qn’après  tant  de  travaux  ultérieurs  nous 
savons  aujourd’hui  7 Ce  serait  cependant  la  conclusion  logique 
de  beaucoup  des  « kleine  Bemerkungen  » de  .M.  Enestroin. 

.Mais,  m’objectera-t-on,  .M.  Cantor  a-t-il  sulïisamment  tenu 

(I)  En  UK)Ü,  dans  le  premier  volume  de  la  série  de  la  Hibliüthkca 
.M.\the.matic.\,  huit  savants  collaborèrent  aux  Klrini'  Bruterkungen  ; en  1001, 
j’en  compte  10;  dans  le  volume  actuel  M.  Enesti-om  est  seul. 


r>8S 


RKA’T’K  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


<'ompte  des  « kleine  Bemerknngen  » dans  la  iV  tklilion  de  son 
premier  volume  V (1) 

Le  vénérable  maître  ent,  peut-être,  été  mieux  inspiré  en  se 
contentant  d’une  édition  inchangée  conforme  à la  comme  il 
vient  de  le  faire  pour  le  second  volume  (ii).  Son  grand  âge,  ses 
longs  services  l’y  autorisaient.  Personnellement  j’eusse  fait  le 
vœu  de  voir  une  3'’  édition  des  Vorlesungeii  revue  et  annotée 
par  M.  f]nestrom,  avec  l’approbation  de  M.  (’-antor.  C’est  mal- 
heureusement désormais  impossible.  11  faut  donc  autre  chose. 

Pendant  (jnelque  temps,  la  librairie  Teubner  a annoncé  la 
préparation  d’un  précis  d’histoire  des  mathématiques,  par 
M.  Lnestrom  (3).  Pourquoi  l’érudit  critique  tarde-t-il  tant  à 
faire  paraître  ce  volume?  C’est,  il  est  vrai,  inliniment  plus 
diÜicile  que  de  se  borner  à annoter  les  Vovlesungen  de  (iantor. 
.Mais,  le  précis  de  M.  Cnestroin  pourrait  être  écrit  sur  un  plan 
réduit,  .l’ai  traité  de  tour  de  force,  je  ne  l’oublie  pas,  un  nouvel 
ouvrage  de  l’envergure  des  \orlesungen  ; ce  tour  de  force,  je 
ne  songe  [>as  à prier  .M.  Knestrom  de  l’exécutei'. 

Mettons  les  choses  au  mieux  : ce  précis  n’est  (pie  l’avenir. 
Kn  attendant  (lue  nous  ayons  Lnestrbm,  il  faut  bien  nous  con- 
tenter de  (’.antor.  .\u  surplus,  ni‘  nous  laissons  pas  émouvoir 
outre  mesure  par  les  criticpies.  I^es  Vorlesinuien  restent  un 
admirable  instrument  de  travail  pour  ([ui  sait  s’en  servir;  pour 
(|ui  ne  leur  demande  pas  ce  (ju’aucune  histoire  des  mathéma- 
tiques n’a  jamais  donné  et  ne  doiinei’a  jamais  ; (dies  sont  une 
introduction  et  un  guide,  rien  de  plus  : mais,  (|uelle  introduc- 
tion et  quel  guide  ! 

C-ette  rélb'xion  me  ramène  à ma  thèse  initiale,  la  nécessité  de 
lire  les  auteuis  originaux.  .N’avoir  pris  connaissance  des  géo- 
mètres anciens  (pi’â  travei-s  le  [U'isme  Knestrom,  en  donm^  une 
image  pres({ue  aussi  ditfoi'ine,  qu’en  les  regardant  à travers  le 
prisme  (iantor.  Pour  les  voir  tels  (|u’ils  sont,  il  faut  les  examiner 
à l’œil  nu,  dirai-je,  et  sans  prisme. 


(!)  Voir  à re  |>ioiios  ti‘  comijtp  l■(>Il(l^l  de  ta  3®  é(tilion  (te  ce.  premi(‘r 
voimne  doiuK'-  [lar  M.  HnesliaMii  dans  ta  tilHi.luTilECA  M.\TlllvM.\TlC.\,  3®  sio’ie, 
1.  7,  I.eipzig,  T(îid)iier.  1900-11)07,  pji.  39S-i00. 

{~i)  Al)Sotiim(Mit  parlant,  la  3'-’  ('‘dilion  de  ce  lireniier  voimne  l’emporte 
n(‘anmoins  l)eaiiconp  sur  la  seconde;  mais,  vu  l’état  relalil  de  la  science  aux 
années  oi'i  ces  éditions  parurent,  la  troisième  est  moins  aclievée  (pie  la 
seconde. 

(3)  Notamm(mî  : H.  G.  Ti’iilnn'i  'x  VerUifi  aiif  ilew  Grliiet  ih'r  Mathoiialil,... 
I.eiiizig  und  i!e?  lin.  I90S.  p.  SO. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


589 


Kntre  mille  antres,  en  voici  une  raison  péremptoire.  Sons 
peine  d’étre  inintelligible,  nn  historien  des  mathématiques  doit 
conformer  son  style  aux  usages  de  son  temps  ; dans  une  certaine 
mesure  parler  et  écrire,  comme  parlent  et  écrivent  ses  lecteurs. 
Liberté  d’écriture  et  de  langage  très  légitime  sans  doute,  qui 
n’en  est  pas  moins  une  cause  d’appréciations  peu  justes,  souvent 
même  d’erreurs  véritables. 

-Mais,  je  dis  beaucoup  de  mal  des  manuels  d’histoire  des 
mathématiques  1 

Pas  tant  ([ue  cela.  Leurs  défauts  ne  sont  pas  le  propre  des 
manuels  de  l’histoire  de  cette  science,  (ju’on  se  renseigne  dans 
la  plus  exacte,  la  mieux  documentée  des  histoires  littéraires,  la 
lecture  d’un  discours  de  Cicéron  rései’ve  des  surprises.  Le 
(•riti({ue  littéraire  peut  aider  à en  faire  apprécier  l’art  et  la 
beauté,  dès  lors  son  rôle  est  terminé.  Euclide,  Stevin,  Descartes, 
Iluygens,  Newton,  pour  peu  qu’on  les  ait  fréquentés,  conduisent 
bientôt  à une  conclusion  analogue.  La  meilleure  histoire  des 
mathématiques  ne  fait  pas  mieux  connaitre  de  pareils  maîtres, 
qu’une  histoire  littéraire,  si  bonne  soit-elle,  ne  donne  l’idée 
adéquate  d’un  discours  de  Cicéron. 

M.  Enestrôm  écrira-t-il  un  manuel  assez  parfait  pour  prouver 
<pie  je  me  trompe?  .le  le  désire  vivement,  car,  qu’il  m’en  croie, 
personne  f)lus  (jue  moi  n’admire  sa  vaste  érudition  et  son  beau 
talent. 

La  Bibliotheea  Mathematica.  — Voici  les  titres  des  autres 
articles  de  grand  texte  avec,  au  besoin,  quehjues  lignes  d’éclair- 
cissements ou  de  remarques. 

Antiquitk.  — L’époque  où  vécut  Euclide,  par  M.  H.  Vogt  (J), 
<à  Breslau.  M.  lleiberg  et  après  lui  la  plupart  des  historiens 
mettent  l’apogée  de  la  vie  d’Euclide  vers  l'an  rlUO;  mais,  M.  Vogt 
croit,  preuves  à l’appui,  devoir  le  recider  jusque  vers  .3:20.  Son 
argumentation  consiste  surtout  dans  la  discussion  d’un  passage 
du  Commenluire  du  pveuiier  livre  des  Eléuienls  d’Euclide,  par 
l*roclus(2);  passage, qui  nous  fournit  le  meilleur  document  jetant 
un  peu  de  lumière  sur  la  date  où  vécut  Euclide.  — Sur  l'origine 
de  lu  théorie  des  polyèdres  semi-réguliers,  par  M.  (3.  Loria,  à 

(1)  Die  Lebenszi'il  Eukliih.  von  tt.  pp.  19.3-20^. 

(:2)  Pvocli  Diailoclii  iii  priininn  Eiiclidis  Elemevtorum  lihriim  Coiinnen- 
tcirii,  ex  recognitioiie  (loilotVedi  Friedlein.  Idpsiae,  iii  aedil)us  H.  (1.  Teiihneri, 
1873,  p.  (58. 

ItU  SÉtUE.  T.  XXVI. 


38 


590 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(iênes  (1).  D’une  phrase  des  Définitions  de  Héron  (%,  on  conclut 
que  les  polyèdres  semi-réguliers  ont  été  étudiés  par  Archimède  ; 
mais  quelques-uns  au  moins  d’entre  eux  étaient  probahlement 
déjà  connus  antérieurement. 

.Moyen  âge.  — Le  Trisatiha  of  Sridhitracaryn , par  A.  Rama- 
nujacharia,  à .Madras  et  (1.  R.  Ivaye,  à Simla  (8)-  Le  Trisatikn 
est  un  traité  de  calcul  composé  par  Sridharacaraya,  géomètre 
que  la  tradition  indoue  l'ait  vivre  au  xU  siècle  de  notre  ère.  Le 
texte  sanscrit  du  T7'isatika  t'ul  publié  en  JSM'.l,  mais  sans  tra- 
duction en  langue  euiopéenne.  .M.  Ramanujacharia  nous  en 
donne  maintenant  une  version  anglaise;  M.  Kaye  y ajoute  des 
noli's  et  une  introduction.  — Chiffres  indous  chez  les  Ai’abes, 
par  .M.  Karpinski,  à ,\nn  .Vrhor  (i).  — L’  « algorisnins  de  inte- 
(jris  ))  de  inaih'e  Cernnrdus,  par  (L  Knestrom,  à Stockholm  (5). 
— Algorisnins  denionsiralns,  dont  V Algorisnins  de  inlegris  est 
la  première  partie,  jouit  d’une  trop  grande  noloi-iété  pour  devoir 
être  présenté  au  lecteur.  Rappelons,  cependant,  qu’il  a déjà  lait, 
dans  la  Ribi.iotheca  .Mathematica,  l’ohjet  de  plusieurs  articles 
par  .M.M.  Duhem  et  Knestrom  (h).  L’auteur  de  V Algorisnins  est 
douteux.  On  a nommé,  tantôt  Regiomontanus,  tantôt  .lordan  de 
.Xémore,  tantôt  Oérard  de  Crémone,  tantôt  un  certain  maître 
Gernardus,  personnage  dont  au  surplus  on  ne  sait  rien.  C’est 
à cette  dernière  opinion  que  se  range  M.  Knestrom.  Kst-ce  à 
tort  ou  à raison?  Il  importe  assez  peu,  car  V Algorisnins  conser- 
verait sa  valeur  entière,  (piand  bien  même  il  lesterait  définiti- 
vement anonyme.  Regiomontanus  ne  crut  pas  perdre  son  temps 
en  le  transcrivant  de  sa  propre  main,  et  sa  copie  se  conserve 

(1)  Sxdle  orijfhii  ilella  teoriii  ilci  poliedri  seuii-regohiri,  ili  (î.  I.oria, 
pp.  I.'i-I6. 

Ci)  I.es  Définitions  de  Héron  viennent  d’être  publiées  dans  Heronis  .-t  le.ro n- 
(Irini  Opéra  tinae  siipersunl  oinnia,  vol.  IV.  Heronis  Definiliones  ciini 
variis  collcctionibus  iptae  feruninr  (leomelrica.  Copiis  G.  Schmidt  usus 
edidit  .1.  !..  Heihcrg,  l.ijisiae,  lüli. 

(3)  The  Trisatikci  of  Sridliuracurna,  hy  N.  Hamanajarharia  and 
G.  U.  Kaye,  pp.  203-:2l7. 

(i)  Hindii  nnmerals  amon<i  lhe  Axabs,  by  I,.  G.  Karpinski,  pj).  97-98. 

(5)  Dex  « Ali/orisxnxts  de  Iixtegris  » des  Meistexs  Gerxiardxts,  von  G.  Enes- 
trom,  pp.  :289-332. 

(li)  Ist  Jordanxis  Xexno)  arixts  Verfassex'  derSchrift  <>■  Ahjorilhxnns  demon- 
strutxxsy>  f von  (i.  Enestrëin,  3"  sér.,  t.  5,  199i.  pp.  9-14. 

Sur  l’a  Algoritixxnxx.s  dexnonslxalxis  »,  par  I’.  Dnhem,  3®  sér,  t.  ti,  1905, 
]ip.  9-15. 

Voir  aussi  : l'eber  die  « DemonsI ratio  Jordani  de  Algorismo»,  von  G.  Enes- 
trom,  3''  sér.,  t.  7,  190()-I9()7,  pp.  î2i-37. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODK^UES 


591 


à la  Bibliothèque  Impériale  de  Vienne.  Jean  Sclidner,  éditeur 
de  tant  d’ouvrages  laineux,  publia  VAIfjorismns  en  1534,  chez 
l’etreius  à Xuremberg;  mais  les  exemplaires  en  sont  devenus 
à peu  près  introuvables.  M.  Enestrom  rend  donc  service  en  réé- 
ditant VAlgorümus.  11  nous  en  donne  aujourd’hui  la  première 
partie,  VAlgorismus  de  integris,  d’après  un  manuscrit  de  la 
lÜbliothèque  Yaticane.  C’est  ce  manuscrit  (|ui  attribue  VxUgo- 
rismus  au  maitre  Cernardus.  — Le  Qundriparlilum  Nume- 
rorum  y>  de  Jean  de  Meurs,  par  L.  Karpinski  (J).  Jean  de  .Meurs, 
savant  normand  du  xiv"  siècle,  plus  connu  sous  le  nom  latinisé 
de  Joannes  de  .Mûris,  composa  une  algèbre  sous  le  titre  de 
(Juadriparlitum  Mit/neroriim.  .M.  .\Hred  Vagi  l’éludia  en  189U(::lj; 
.M.  Karpinski  reprend  cette  étude,  mais  sur  un  plan  plus  large. 
— « De  latitudinihus  formaruin  » de  Nicole  Oresme,  par 
.M.  11.  Wieleitner,  à Pirmasen  (3j.  Ouand  .Maximilien  Curtze 
appela  jadis  l’attention  sur  ce  traité  de  l’évèque  de  Lisieux,  ce 
l'ut  une  surprise;  j’allais  dire,  ce  lut  chez  plusieurs  comme  un 
instant  de  stupéfaction.  Un  génie  tel  qu’üresme  s’était-il  vrai- 
ment rencontré  en  plein  xiv®  siècle?  L’étonnement  des  historiens 
des  mathémati((ues  prouve  plutôt  qu’ils  connaissaient  mal  le 
XIV''  siècle;  qii’alors,  comme  souvent  encor-e  aujourd’hui,  ils 
abandonnaient  à tort  les  vieux  écrivains  de  ce  siècle  à la  curio- 
sité des  théologiens  et  des  philosophes.  .V  i[ui  ci’oirait  que 
j’exagère,  je  conseillerais  la  lecture  des  études  de  .M.  Pierre 
Ituhem  sur  Léonard  de  Vinci.  Au  troisième  volume  (4j  notam- 
ment, où  l’auteur  a réuni  des  tirés  à part  publiés  dans  le  Bul- 
LETi.x  Italien  ou  le  Bui.letin  Hispaxique,  on  ti’ouve  de  nom- 
breuses pages  consacrées  à Oresme  et  à son  De  Laiiiudinibus 
fiinnanun.  .M.  Wieleitner  n’a  malheureusement  pas  connu  ce 
troisième  volume  et  son  travail  y perd.  Il  me  faut  bien  en  l'aire 
l’observation,  quoique  ce  soit  à contre-cœur,  car  le  mémoire 
très  fouillé  du  professeur  de  Pirma.'^en  a beaucoup  de  bon.  On 


(1)  The  « QnadriiHniilnm  nn])a’i  ont)ii  » of  John  of  Meurs,  )jy  !..  C.  Kar- 
pinski,  PP-  99  tt4. 

(!2)  Dus  « Quadripartituin  » des  loannes  de  Muids  und  dus  praklische 
Hechnen  im  vierzelinten  Jahrhumle)i,  voii  IP  .Alfred  Vagi.  .Ai’.handlungex 
zcR  Geschichte  DEH  M.vthematik,  t.  5,  Leipzig-,  Teuhner,  IS90,  pp.  t35-li(). 

(3)  Der  « Tractains  de  latdudinibus  fonnannu  » <les  Oresme,  von  tl.  AVie- 
leitner,  pp.  1 15-145. 

(4)  Éludes  sur  JJonard  de  Vinci,  par  Pierre  Diihem,  S*"  sér.  Les  précur- 
seurs parisiens  de  Galilée,  Paris,  Hermann.  1913. 


i39‘i  REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


éprouve  quelque  ennui  à ne  pouvoir  le  louer  sans  réserve.  — 
Sur  une  ahjèbre  du  .VP  siècle,  par  M.  K.  Uath,  à StuUgart  (J). 

Temps  modernes.  — Sur  la  formation  et  l'usage  des  nombres 
dans  les  langues  italiennes  de  CAmérigue  du  Nord,  par  M.  W\ 
<’i.  Eells,  à Tarama  ( Ktats-llnis)  ('2).  — « The  Whelstone  of  mille  » 
! 1551),  par  .M.  L.  Karpinski  (3).  The  Whetstone  of  ivitte,  littéra- 
lement, La  pierre  à aiguiser  l'esprit,  parut  en  J557,  à Londres, 
rhez  Jean  Kingslon.  L’est  la  première  algèbre  anglaise  qui  ait  été 
imprimée.  --  Sur  T intégration  d'une  fonction  trigonomélrique 
attribuée  à tort  à Kepler,  par  .M.  Enesirom  (T),  bon  article. 
En  J88.S,  M.S.  Lüniher  publia,  dans  la  biRUOTiiEC.v  Matiiem.\tic.v, 
une  note  (5)  où  il  attribuait  à Kepler  l’intégrale  définie 


.\l.  Enestrùm  .s’excuse,  avec  quebjue  insistance,  d’avoir  admis 
alors  dans  .sa  ItEvrE,  l’article  de  M.  riüntber.  11  n’y  a pas  de  quoi. 
On  était,  je  viens  de  le  dire,  en  1888  et  .M.  Enestrom  regardait, 
à très  juste  tilie,  .M.  S.  (rüntbi'r  comme  l’un  des  princes  de  la 
science.  .Mais,  ,M.  S.  Oünther  lui-mème  écriiait-il  encore  cet 
article  en  lillô?  Ouoi  qu’il  en  soit,  j’abonde  aujourd’hui  pleine- 
ment dans  le  sens  de  .M.  Enestrom.  Le  directeur  de  la  Hirlio- 
TiiEC.A  observe,  en  ellét,  très  justement,  que  parmi  les  passages 
de  Kepler  signalés  pai'  .M.  (iünther,  les  uns  sont  relatifs  <à  la 
sommation  d’une  suite  limitée  de  sinus,  (pu  ne  mérite  donc  en 
aucune  l'ai'on  le  nom  d’intégrale.  Les  autres  concernent,  il  est 
vrai,  des  suites  illimitées  ; mais,  la  règle  donnée  par  Keplei- 
pour  trouver 


(piand  Aqp  tend  vers  O est  fautive.  En  l’apidiquant  on  ne  trouve 
pas  pour  réponse  1 — cos  cp.  .\ux  deux  arguments  de  M.  Enes- 

(I)  l’ehcr  ein  ^ll•lltsclu’s  liechoihuch  ans  tteiu  15.  JuhiliiiniUtri,  von 
E.  tlalti,  pj). 

(^2)  On  formation  and  use  of  nrmrvuls  in  Indian  langnur/es  of  Nortii 
America,  l)y  \V.  C.  fiotls,  pp. 

(3)  The  n hetstoneof  iritte  ( 1557).  1)\  !..  C.  Karpinski,  pp. 

(■i)  Ueber  die  anf/ehliche  InU-oruiion  einer  trigonomelrischen  Funldion 
bei  Kepler,  von  C.  Énoslrimi,  jip.  220-241. 

(ô)  Ueber  eine  merkn  nrdige  Heziehnng  zirischen  Pappns  and  Kepler, 
2'’  sér.,  t.  2 ; pp.  SI -ST. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


593 


trôm,  j’en  ajouterais  volontiers  un  troisième.  Dans  l’iiisloire  des 
origines  du  calcul  inlinitésinial,  c’est  prêter  aux  malentendus 
que  de  regarder  comme  éiiuivalentes,  soit  les  notations 


soit  les  expressions  « intégrales  définies))  et  «somme  de  rec- 
tangles infinitésimaux  en  nombre  illimité  )).  Si  on  les  désirait, 
on  trouverait  mes  raisons  dans  le  dernier  Ihdlelin  d’histoire 
des  Mathématiques  (1  ),  à propos  des  (luadratures  d’Archimède. 
Inutile  de  tomber  dans  une  redite.  — Marina  Ghetaidi  et  les 
débuts  de  la  géométrie  des  coordonnées,  par  M.  11.  Wieleitner  (2). 
En  1882,  M.  Eugène  Gelcich  publia  une  élude  très  développée 
sur  le /le  résolut ione  et  compositione  mathematica  de(îbetaldi(3), 
étude  dans  laquelle  il  se  mettait  au  point  de  vue  spécial  des 
débuts  de  la  géométrie  analytique.  M.  \Yieleitner  estime  que 
cette  étude  a vieilli  et  la  remet  au  point.  — Deux  lettres  de 
Desargues  et  de  Bosse,  par  .M.  G.  Yalentin,  à Berlin  (4).  Rendant 
compte  naguère  de  la  brochure  consacrée  par  M.  11.  Brocard  à 
Desargues  (5),  j’ai  signalé  la  trouvaille  du  bil)liothécaire  delà 
Bibliothè(iue  Royale  de  Bei  lin,  dans  le  dépôt  dont  il  a la  garde. 
— Remarques  sur  la  démonstration  de  Newton  relative  à la  rota- 
tion du  solide  de  moindre  résistance,  par  M.  0.  Bolza,  à Fri- 
bourg en  Brisgau  (fi).  — Les  recherches  de  Leibniz  sur  une  équa- 
tion générale  relative  aux  )iombres  premiers,  par  M.  D.  .Mahnke, 
à Stade  (7).  — La  notation  par  indices  chez  Leibniz,  exemple  de 

(t)  Uüv.  DES  Qlest.  scient.,  t.  74,  19t3,  pp.  643-048.  Pans  t’analyse  ite 
l’articte  de  M.  A.  .\ul)ry  : Le  Calcul  Infinitésimal  avant  Descartes  et  Fermât. 

Ç2)  Marina  Ghetaidi  und  die  Anfiinge  der  Koordinatenyeometrie,  von 
H.  Wieteitner,  pp.  242-247. 

(3)  Fine  Studie  iiber  die.  Entdeckang  der  anahjtischen  Geometrie  mit 
Berücksichtigung  eines  Werkes  îles  Marina  Ghelaldi  Palrizier  Ragusaer, 
ans  dem  Jahre  1630.  voii  Eugen  Getcich.  Abiiandlunc.en  zuk  Geschichte 
DEi\  M.athem.atik,  t.  4,  Leipzig,  Teuhner.  1882,  pp.  191-231. 

(4)  Zicci  Briefe  van  Desargues  und  Basse,  von  G.  Valentin,  pp.  23-28. 

(5)  Analyse  d’autagraphes  et  d’autres  ikrits  de  Girard  Desargues,  par 
H.  Brocard,  Bar-le-Duc,  Cointe-Jacquet,  1913.  Voir  mon  dernier  Bulletin 
d’Histaire  des  Mathématiques,  dans  la  Rev.  des  Quest.  scient.,  t.  74,  1913, 
pp.  649  et  6.)0. 

(6)  Bemerkungen  zu  Neivtans  Beueis  seines  Satzes  über  den  Batatians- 
kiirper  kleinsten  Wiederstandes,  von  O.  Rolza,  pp.  146-149. 

(7)  Leibniz  auf  der  Sache  nach  einer  allgemeinen  Primzuhlgleichung, 
von  Ü.  Mahnke,  pp.  29-61. 


O 


cp 

sin  qpdcp  et 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


5<)4 

sa  caractéristique  combinatoire,  par  le  même  (1  — Lagrange 

et  l’histoire  des  Mathétnatiqties,  par  G.  Loria  (2);  avec  un  beau 
portrait  de  Lagrange.  — Pour  llnsloire  de  l’interpolation  par 
les  fonctions  erponentieltes,  par  .M.M.  IL  Hurkhard  et  U.  Klee- 
berg,  à .Municli  (G).  — Snr  l’introduction  du  mot  ((  groupe  y> 
comme  ternie  technique  en  mathématiques,  par  M.  (i.  Miller, 
à Lrbana  (i).  Le  sens  tecbiiique,  c’est-à-dire,  propre  aux 
matbématiciues,  a été  donné  au  mot  « groupe  par  Galois.  Telle 
était  du  moins  l’opinion  courante  quand  M.  K.  Itortollotti  crut 
devoir  la  révoquei-  en  doute  dans  le  N”  22  de  la  Trihune  purmque 
de  l’édition  l'ranraise  de  Y Encyclopédie  des  sciences  mathéma- 
tiques. Il  y t'ait  remonter  à Poinsot  l’emploi  du  mot  « groupe 
au  sens  s[técial  (pie  lui  donnent  les  mathématiciens.  L(^s  pas- 
sages de  Poinsol  cités  à l’appui  par  .M.  Hortollotti  sont  peu  con- 
cluants. 

- Isis  ».  — Revue  consacrée  à 1 Histoire  de  la  science, 
publiée  par  George  Sarton  (5).  — Dans  un  Ilulletin  d’His- 
toire  des  Mathématiques,  convient-il  de  mentionner  la  nouvelle 
llevue  belge  Isis?  ,1e  m’y  décide,  d’abord  pour  ne  pas  paraître 
ignorer  une  publication  nationale;  ensuite  à cause  (Je  l’exemple 
que  me  donne  M.  Lnestrom,  dans  la  Riruothkc.v  M.\them.\tic.\ ; 
enlin  et  surtout  à raison  du  titre  : Isis,  lievue  consacrée  à VHis- 
toire  de  la  science.  Le  litre  promettait  beaucoup!  Lue  revue 
consacrée  à l’histoire  de  la  science!  On  n’en  possède  pas  publiée 
en  langue  française.  Isis  comblait  une  vraie  lacune.  Malheureu- 
sement, dès  le  second  fascicule,  le  titre  change  et  devient  : Isis, 
Revue  consacrée  à l’histoire  et  à l’organisation  de  la  science. 
Encore  ce  titre  est-il  trompeur.  D’histoire  de  la  science,  j’en- 
tends de  l’histoire  vraie,  fruit  de  recherches  appuyées  sur  pièces 
et  documents;  de  cette  histoire  là,  il  n’est  presque  pas  question. 


(1)  Die  l)ulexbezeiclinu)i(/  hei  Ixibniz  als  Bei.spiel  seiner  tiombinatori- 
scben  Charakleristik.  voii  P.  Mahnke,  ]>p.  :250-;2()0. 

C2)  lAigruntie  e la  storiu  delle  niutematiche,  di  G.  Loria,  pp.  ;i33-338. 

(3)  Zur  Geschicble  (1er  Interitolaliou  durcli  E.rponenlialfunktionen,  voii 
H.  Iturkhardt  uiid  K.  Kleeberg,  pp.  150-153. 

(l)  On  tbe  intruductinn  nf  the  Word  « grnit})  » as  a technical  matherna- 
tical  terni,  by  G.  .\.  .Miller,  pp.  (i'2-()4. 

(5)  Wondelgein-lez-Gand,  ttelgique,  1913-1914. 

I.es  articles  de  la  revue  sont  publiés  en  (luatre  langues  : en  français,  anglais, 
allemand  et  italien. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


595 


Oiiant  à l’orgaiiisalion  de  la  science,  malgré  sa  bonne  volonté, 
le  directeur  d’isis  pai’ait  plein  d’illusions. 

.Mais,  en  lait,  est-ce  bien  d’histoire  de  la  science,  d’organisa- 
tion même  de  la  science,  <[u’il  s’agit  dans  la  revue  de  M.  George 
Sarton?  Je  ne  .sais;  .i’hésile  à me  prononcer,  la  clarté  n’étant 
pas  ici  la  qualité  maitresse  du  rédacteur  en  chet.  Quel  est  en 
réalité  son  programme?  Il  y revient  à plusieurs  reprises,  sous 
prétexte  de  le  préciser,  en  se  plaignant,  et  pour  cause,  de  n’avoir 
pas  été  sudisamment  compris  ( 1 ).  Malgré  ces  nouvelles  préci- 
sions, je  ne  suis  pas  encore  assuré  de  comprendre.  S’il  m’était, 
cependani,  permis  d’essayer  une  formule,  je  dii-ais  qu’lsis  a 
pour  but  la  philosophie  de  la  science  dégagée  de  toute  idée 
métaphysique  et  religieuse.  Philosophie  inconsistante,  vague, 
sans  avenir;  comme  toute  philosophie  qui  exclut  a priori  les 
idées  métaphysiques. 

Celte  note  cai'actérislique  du  programme  d’isis,  je  ne  voudrais 
l>as  trop  la  généralise!'  en  l’étendant  indistinctement  à tous  les 
articles.  Je  ra[)pli((ue  surtout  à ceux  de  .M.  Sarton  lui-même, 
qui  remplissent,  au  surplus,  une  bonne  partie  du  volume.  Quant 
aux  articles  de  ses  collaborateurs,  ([uelques-uns  sont  de  la  bonne 
école,  objectifs  et  vraiment  historiques.  Ils  donnent  au  premier 
volume  d’isis  sa  valeur.  Voici  le  titre  de  ceux  que  l’on  peut  citer 
dans  un  Bulletin  d'Irisloire  des  mathématiques.  11  faudrait  en 
ajouter  d’autres,  si  ce  Bulletin  s’étendait  aux  sciences  naturelles. 

La  géométrie  des  Hindous,  par  David  Eugène  Smith  (2).  — 
Le  «.  Carmen  de  ponderibns  » de  Guarino  Veronese,  par  Antonio 
Favaro  (3).  — yicolo  Tartaglia.  A propos  de  l’ impression  de 
quelques-uns  de  ses  ouvrages,  notamment  de  la  « Travagliata 
Inventione  »,  par  le  même  (-'Q.  — Les  gloires  mathématiques  de 


(1)  L’histoire  de  lu  science,  par  George  Sarton,  pp.  3-40. 

Le  but  d’isis,  par  George  Sarton,  pp.  t93-l96. 

.Mais,  le  programme  du  directeur  de  la  revue  parait  se  dégager  surtout  d’un 
article  qui  n’est  pas  à proprement  parler  un  article  programme  ; Comment 
augmenter  le  rendement  intellectuel  de  l'humanité,  par  George  Sarton, 
pp.  !219-'24‘2  et  416-473.  I. 'article  est  divisé  en  cinq  chapitres  dont  voici  les 
titres  : 1''®  partie.  Introduction.  — I.  I,e  génie  scientifique.  — II.  Le  génie  et 
la  race. — 2®  partie,  lit.  F/tiérédité.  — IV.  L’hérédité  des  aptitudes  intellec- 
tuelles. — V.  Le  milieu  et  l'hérédité. 

(2)  The  geometrn  of  the  Hindus,  pp.  197-204. 

(3)  U « Carmen  de  ponde ribus  » di  Guarino  Veronese,  pp.  205-207. 

(4)  Di  Nicolo  Tartaglia  e délia  stampa  di  alcune  delle  sue  opéré  con 
particolare  riguardo  alla.  « Travagliata  Inventione  »,  pp.  329-'340. 

Outre  cette  étude,  .M.  P'avaro  vient  de  donner,  dans  I’Archivio  Storico 


59G 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


la  Grande-Bretagne,  par  Gino  Loi'ia(J).  C’esl  la  conimiiniralion 
faite  à Londres,  le  4 avril  1913,  an  Congrès  International  d’IIis- 
toire.  — L’origine  du  concept  de  l’intégrale  définie  d’après 
Cauchg  et  l’origine  de  celui  de  la  contiimilé,  par  Philippe- 
E.-H.  iourdain  (il). 

D’nn  genre  très  dillërent  est  l’article  dfi  à la  plume  de 
M.  George  Sarton  lui-même.  Sur  les  tendances  actuelles  de  Ihis- 
loire  des  inathé]naligues  (o).  Etude  ne  maïupiant  pas  d’intérêt, 
mais  dont  le  titre  est  ti'op  général.  Dans  les  tendances  de  l’his- 
tüire  des  matliématiqnes  telles  que  les  décrit  .M.  Sarton,  on  ne 
retrouve  certainement,  ni  l’esitrit  de  Cantor,  ni  celui  d’Enestrom, 
ni  celui  de  Eavaro,  ni  celui  de  Zeuthen,  ni  celui  de  Ileatli,  ni 
celui  de  Loria  ; je  ne  cite  que  les  maîtres  vivants,  dont  les  noms 
me  reviennent  les  inemiers  à la  mémoire.  .M.  Sarton  les  con- 
naît, car  à l’e-vceiitioii  de  M.  (î.  Enestrüm,  tous  font  partie  du 
comité  de  pati'onage  d’Isis.  En  réalité,  .M.  Sarton  nous  commu- 
nique les  réilexions  que  lui  suggère  la  lecture  de  deux  ouvrages 
récents  ; Les  étapes  de  la  philosopitie  malhématigue,  par 
.M.  1 „éon  lirunsclivicg  (4)  et  les  Principes  de  lanalyse  malhénia- 
tûpie,  par  .M.  l^ierre  lioutroux  (5).  Voilà  le  fait.  Je  le  signale 
sans  commentaires.  A insister  davantage  sur  le  plus  ou  moins 
d’à-propos  des  remarques  de  .M.  Sarton,  je  risquerais  de  me 
tromjier.  C’est  que,  pour  les  bien  juger,  il  me  faudrait  connaître 
les  ouvrages  originaux  de  .M.M.  Léon  Hriinschvicg  et  Pierre 
Hoiitroux,  qui  leur  servent  de  base.  Or,  je  n’ai  pas  eu  l’occasion 
de  les  lire  et  riuterruption  des  communications  entre  Bruxelles 
et  l’aris,  m’en  rend  l’acquisition  impossible. 

Force  m’est  donc  de  m’abstenir  pour  le  moment.  Quand  les 
circonstances  auront  cbangé,  peut-être  |)Ourrai-je,  (luelque  jour, 
revenir  sur  le  sujet. 

En  terminant  cette  revue  des  principaux  articles  d’isis,  je 
signale,  comme  utile  à consulter,  le  Bulletin  aiuüytûpie  des 
puOlications  relatives  à Ihistoire  des  sciences  parues  depuis  le 


Itauano,  une  notice  biographique  de  Tartaglia  intitulée  : Per  la  biograjia 
di  Nicolo  Tartaglia,  lloine,  1913.  Ce  travail,  écrit  avec  le  soin  cpi’y  met  tou- 
jours le  savant  éditeur  des  OEuvres  de  Galilée,  a 4U  pages. 

(I)  Le  glorie  matematkhe  délia  (îranbretagmi,  pp.  (i37-()54. 

(2;  The  origin  of  Cauchg' s conception  of  a de/initive  intégral  and  of  the 
continuitg  of  a function,  pj).  GGl-TOB. 

(3)  Pp.  ôTi-ôü9. 

(4)  Paris,  Félix  .Ucan,  1912. 

(5)  Paris,  Hermann,  1914. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


597 


janvier  1912,  par  George  Sartoii  (J),  l ne  observation, 
cependant,  imposée  par  le  titre.  M.  Sarton  conçoit  sa  Ijibliogra- 
phie  sur  un  plan  très  vaste.  .\us.si  les  diverses  parties  en  sont- 
elles  de  mérite  assez  inégal.  embrasser  des  sujets  si  différents 
et  si  étendus,  on  risque  beaucoup  de  rester  incomplet. 

Sur  les  connaissances  géométriques  des  Grecs  avant  la 
réforme  platonicienne,  par  H.  G.  Zeuthen  {2).  — Les  mathé- 
matiques se  développèrent  par  une  suite  de  progrès  insensibles. 
Voilà  une  vérité  qu’on  ne  saurait  trop  répéter.  Llle  est  un  des 
principaux  critères  utilisés  par  M.  Zeuthen  pour  essayer  de 
reconstituer  la  géométrie  grecque  pré-Euclidienne.  11  faut  rn’y 
arrêter  un  instant  à un  point  de  vue  spécial. 

Soit  un  théorème  quelconque,  soit  mieux  encore  une  théorie 
dont  les  démonstrations  sont  difiiciles  et  délicates  : le  calcul 
différentiel  ou  la  géométrie  analyticpie,  par  exemple,  (jui  en  est 
l’auteur?  11  est  presque  toujours  impossible  de  répondi'e  par 
un  nom  propre.  C’est  que,  posée  en  ces  termes,  la  question  est 
mal  posée.  Elle  provoque,  en  effet,  la  plupart  du  temps,  au 
moins  deux  réponses.  Pour  les  uns,  l’auteur  est  celui  qui,  lé 
premier,  a eu  l’idée  du  théorème  ou  de  la  théorie  ; je  l’entends 
évidemment  d’une  idée  suffisamment  exacte  et  claire.  Pour 
d’autres,  celui-là  seul  mérite  le  nom  d’auteur  d’un  théoième, 
qui,  le  premier,  en  a donné  la  démonstration  iiréprochable. 
A ces  deux  réponses  ne  faudrait-il  pas  même  en  ajouter  souvent 
une  troisième?  Si  Descartes,  par  exemple,  mérite,  à juste  titre, 
d’être  nommé  le  créateur  de  la  Géométrie  analytique,  n’est-ce 
pas  simplement  pour  avoir  mis  en  pleine  valeur  des  méthodes 
dont  les  premiers  inventeurs  n’avaient  pas  vu  la  fécondité? 

Mai  s,  avec  M.  Zeuthen,  je  m’arrête  aujourd’hui  aux  deux 
premières  réponses.  La  question  posée  comme  ci-dessus,  pré- 
sente une  suprême  ambiguité  dans  l’iiistoire  de  la  formation 
de  la  géométrie  grecque,  notamment,  quand  on  veut  retrouver 
la  manière  dont  s’est  développée  la  théorie  des  irrationnelles 
ou  celle  des  proportions.  Ces  théories  aboutirent  aux  deux 

(1)  Pp.  13G-188;  293-3:25;  543-574  et  757-791. 

(2)  Sur  les  connaissances  géométri(jues  des  Grecs  uvuni  la  Héfurnie 
Platonicienne,  par  II.  G.  Zeuthen,  Bulletin  de  l’Académie  royale  des 
Sciences  et  des  Lettres  de  D.anemark,  Copenhague,  1913  ; jip.  431-473. 

Ce  mémoire  est  le  neuvième  présenté,  depuis  1893,  à l’Académie  de  Dane- 
mark, par  M.  Zeuthen,  sous  le  titre  général  de  Xotes  sur  l'Histoire  des 
Mathématiques. 


598 


REVT'E  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


chefs-d’œuvre  que  nous  lisons  encore  anjourd’lini  dans  les 
Eléments  d’Euclide,  mais  elles  furent  l’une  et  l’autre  le  résultat 
de  longs  tâtonnements  ( J ). 

Heux  savants,  .MM.  Vogt  de  Breslau  et  Zeulhen  de  Copenhague, 
se  soni  attachés  à débrouiller  l’histoire  des  irrationnelles,  .le 
n’y  reviens  pas  ; j'ai  raconté  leur  discussion  dans  mon  BnUelin 
de  juillet  1911  {il),  (ju’il  me  sullise  de  rapi)eler  que  tout  en 
admii-ant  le  tlair  du  chercheur  et  la  patience  de  l’érudit  chez 
M.  Vogt,  je  me  suis  rallié  aux  conclusions  de  .M.  Zeuthen.  La 
philosophie  des  mathématicpies  a donné  au  professeur  de 
Copenhague  un  sens  exquis  des  étapes  par  lesquelles  doit  passer 
une  théorie  mathémati(|ue  pour  se  constituer.  Suivons  .Al.  Zeu- 
then dans  son  nouveau  mémoire. 

Archimède,  dit-il,  nous  apprend  dans  son  traité  récemment 
retrouvé  sur  la  Métiioite  (o),  que  Uémocrite  connaissait  le  rap- 
port 1/.’]  de  la  pyramide  ou  du  cône,' au  prisme  ou  au  cylindre 
de  même  hase  et  de  tnéme  hauteur.  Dans  l’introduction  tlu  pre- 
mier livre  De  In  Sphère  et  du  Ci/lindre  (4),  il  dit  au  contraire, 
qu’avant  Eudoxe  personne  n’avait  cette  connaissance.  Est-ce 
une  contradiction  ? Du  tout.  C’est  (jue  le  Syracusain  distingue 
entre  un  savoir  mal  fondé  selon  lui,  tel  que  celui  de  Démocrite, 
et  un  savoir  géométrique  bien  fondé,  tel  que  celui  d’Eudoxe. 
.Mais,  avant  la  découverte  du  traité  de  la  Méthode,  on  pouvait, 
on  devait  (“roire,  sur  la  foi  d’Archimède,  que  le  rapport  l/.”3  en 
(juestion  n’avait  jamais  été  énoncé  avant  Eudoxe. 

Pour  les  géomètres  grecs,  la  plus  abondante  source  histoiâque 
d’information  était  l’historien  des  mathématiques  de  profession, 
Eudéme.  Cette  source  était  aussi  la  meilleure  ; et  néanmoins 
Eudème,  comme  tous  les  historiens  des  mathématiques,  a 
contribué  involontairement  à semer  l’erreur.  C’était  fatal. 
Toujours  il  y a eu,  toujours  il  y aura  des  mathématiciens,  pour 
ne  connaître  le  passé  de  leur  branche  que  par  les  livres  d’his- 
toire. Or,  je  l’ai  dit  ci-dessus  en  parlant  de  Al.  Enestrôrn  et  je  le 
répète  à propos  d’Eudème,  un  histoiien  qui  veut  rester  intelli- 


(1)  Sur  la  constitulion  des  éléments  (TEuclide,  voir  : Die  Mathemalik  im 
Altertum  und  im  Mittelalter,  von  H.  G.  Zeuthen;  dans  la  collection  UiE 
Kultuh  [)ER  Gegenvvart,  herausgegeben  von  Paul  Hinnenberg;  l.eipzig, 
Teubner  1912,  pp.  33-.10. 

(2)  T.  LXX,  1911,  pp.  330-335. 

{‘6)  Arcliimediis  opéra  nmnia,  cum  commentariis  Euiocii.  Iterum  edidit 
J.  L.  Heiberg.  lâpsiae,  in  aedibus  B.  G.  Teubneri,  I.  11,  1913,  pp.  430-431. 

(4)  Même  édition,  t.  1,  1910,  pp.  4 et  5. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


599 


gihle  doit  adopter  le  langage  de  ses  contemporains.  f*ar  le  lait 
même,  il  doit  se  contenter  d’être  exact  dans  les  grandes  lignes 
de  son  exposition,  sans  fatiguer  les  lecteurs  par  un  style  et  des 
notations  archaïques;  sans  les  perdi'e  à tout  instant  sous  prétexte 
d’e.xactitude,  dans  un  dédale  de  minuties  accessoires.  L’histo- 
rien Ludème  agit  en  cela  comme  les  autres,  .\insi,  il  attrihue 
quelque  part  les  fondements  de  la  théorie  des  proportions  à 
Thaïes.  Depuis  lors,  il  a été  longtemps  d’usage  de  répéter 
sans  commentaii'O  cette  information  d’Kudème.  Mais,  Paul 
Tannery  a excellemment  montré,  dans  sa  Géométrie  grecque  {ï), 
qu’énoncé  en  ces  termes  c’était  une  erreur,  l^es  théorèmes  dont 
Thalès  eut  connaissance  sont  tout  au  plus  ceux  qui  lui  servirent 
à exécuter  quelques  constructions  pratiques.  Ce  serait  se 
tromper  que  d’y  voir  le  commencement  de  la  formation  d’un 
système  géométriciue.  Dès  le  moment  où  on  s’est  mis  à dessiner, 
on  a eu  l’idée  générale  de  la  similitude  des  figures.  11  a fallu 
plusieurs  siècles  pour  faire,  avec  Euclide,  de  la  théorie  de  la 
similitude  le  couronnement  de  la  géométrie  plane  élémentaire. 
Thalès  n’en  était  pas  là. 

Ce  sont  Platon  et  ses  disciples  qui  créèrent  délinitivement 
l’exposition  de  la  géométrie  telle  que  la  pratique  Euclide. 
« Dans  la  méthode  platonicienne  — je  laisse  ici  la  parole  à 
.M.  Zeuthen  — les  notions  géométriques  primitives  sont  nos 
propres  créations.  Nous  leur  donnons  une  existence,  soit  par 
nos  définitions,  soit  par  les  postulats  qui  achèvent  l’énuméra- 
tion des  propriétés  que  nous  voulons  leur  attribuer  sans  démon- 
stration. Leurs  autres  propriétés,  ainsi  que  l’existence  et  les 
propriétés  des  figures  qu’on  construit  en  faisant  u.sage  des  pos- 
tulats, demandent  des  démonstrations  reposant  sur  les  postulats 
et  certaines  notions  générales  énoncées  de  même  (pie  les  pos- 
tulats au  commencement.  » 

En  d’autres  termes,  dans  le  système  platonicien,  la  géométrie 
part  de  définitions  et  de  postulats  en  nombre  minimum  et, 
autant  que  possible,  indépendants  les  uns  des  autres;  ceux-ci 
admis,  elle  en  tire  des  conséquences  logiques  par  des  démon- 
strations rigoureuses. 

.Mais,  pour  avoir  une  pareille  conception  de  la  géométrie, 
il  fallait  déjà  se  trouver  en  possession  d’une  science  très  par- 
faite. C’est  la  voie  contraire,  ou  du  moins  une  voie  toute  ditfé- 

(t)  La  géométrie  grecque,  comment  son  histoire  nous  est  parvenue  et  ce 
que  nous  en  savons.  Paris,  (lauthier-Villars,  l<S87  ; pp.  89  et  suiv. 


600 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQl’ES 


rente  qu’ont  suivie  les  premiers  créateurs  de  la  géométrie.  La 
connaissance  des  vérités  géométriques  a commencé  par  s’atta- 
cher à des  figures  concrètes.  On  en  a successivement  découvert 
les  propriétés.  Les  premières  durent  même  commencer  par  se 
présenter  sous  une  l'orme  assez  complexe.  C’est  seulement  par 
une  décomposition  des  vérités  complexes  que  l’on  est  parvenu 
aux  vérités  simples  (jui  forment  la  hase  du  système  platonicien, 
tel  ([ue  l’a  perfectionné  Kuclide. 

La  démonstration  géométi'ique  a existé  aussi  bien  longtemps 
avant  la  formation  d’un  système  géométrique.  Son  but  est  de 
persuader  ceux  qui  concèdent  les  [trémisses;  peu  importe  d’ail- 
leurs ((lie  ces  prémisses  soient  des  véi'ités  sim{)l(‘S  ou  des  vérités 
complexes. 

Ces  princi[)es  posés,  ,M.  Zeuthen  entre  au  cceur  de  son  sujet. 
Le  but  du  [)résent  mémoire  est  de  déterminer  ce  que  renfer- 
mèrent probablement  les  Eléments  de  géométrie  d’Ilippocrale 
de  Chio(l).  Ln  seni  fragment  de  (pielque  étendue  nous  en  a été 
conservé.  11  est  relatif  aux  (piadratures  des  blindes  et  nous  le 
devons  à Sim[)licius,  (jui  le  raiiporte  d’après  riiistorien  des 
matbémati({ues  Eudème.  F'Iusieurs  fois  édité  à part  il  l’a  été 
récemment  encore,  par  .\1.  Rudio  de  Zurich,  sous  le  titre  : Der 
Bericht  des  Simplicius  nher  die  Quadrature»  des  Antiphon  und, 
des  H ippokrates  (2).  En  rendant  compte  de  cette  édition  (8)  j’ai 
raconté  dans  la  IIevue  les  longues,  mais  courtoises,  controverses 
auxquelles  donna  lieu  rétablissement  dn  texte.  Leur  nombre  et 
leur  durée  s’expliquent  [lar  l’importance  de  ce  [lassage  de  Sim- 
plicius. .\ous  ne  possédons,  sur  l’état  des  mathématiques  avant 
l’Iaton,  aucun  texte  ([ni  puisse  être  mis  en  parallèle  avec  celui-Là. 

M.  Zeuthen  en  reprend  ici  l’examen.  Une  discussion  appro- 
fondie l’amène  à présenter,  [lour  certains  [tassages,  une  inter- 
prétation nouvelle.  Elle  est,  en  Ions  cas,  non  seulement  très 
ingénieuse,  mais  aussi,  semble-t-il,  très  vraisemblable  et  incon- 
testablement plus  satisfaisante  que  colles  que  l’on  en  avait 
données  jusqu’ici.  Il  s’agit  notamment  de  la  lunule  circonscrite 
au  trapèze  isoscèle  (4).  Mais,  il  faut  me  borner. 


(1)  Nous  connaissons  l’existence  des  Éléments  d’Hippocrate,  notaintnent  par 
Proclus.  Procii  Diudochi  in  pritnnin  Euclidis  etementorum  librum  commen- 
tarii,  ex  recoffiiitione  G.  Friedlein,  p.  W>. 

(2)  Coltection  des  Uhkunden  zuii  GESf.iiiciiTE  dek  Mathe.m.xtik  im  Alter- 
TUME,  t.  I,  Ijeipzig,  Teuliner,  1907. 

(3)  T.  I.XV\  .janvier  1909,  pp.  291-301. 

(4)  En  rendant  compte  dans  Mathesis  (t.  .\.\IX,  Gand  1909,  pp.  11-14)  de 
l’édition  du  fragment  de  Simplicius,  par  M.  Hudio,  .j’ai  donné  en  style  et  nota- 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


601 


Voici  donc  les  conclusions  du  mémoire  de  M.  Zenthen. 

I^es  connaissances  étendues  dont  témoigne  la  quadrature  des 
lunules  montrent  que,  comme  tond,  les  Éléments  d’Hippocrate 
peuvent  avoir  contenu  la  plupart  des  « faits  » géométriques  qui 
se  trouvent  dans  les  Éléments  d’Euclide;  mais,  comme  forme, 
les  Éléments  des  deux  auteurs  doivent,  au  contraire,  avoir  été 
fort  diiïérents.  En  élaborant  le  plan  de  ses  Eléments,  Euclide 
a été  très  intluencé  par  la  théorie  des  pro[)ortions  d’Eudoxe, 
par  celle  des  iirationnelles,  et  davantage  encore  par  les  habi- 
tudes d’extrême  rigueur  introduites  en  mathématiques  par 
l’école  de  Elaton.  Ses  Eléments  sont  le  résultat  d'une  refonte 
complète  des  Éléments  d’Hippocrate,  refonte  commencée  par 
Léon  et  Theusius,  achevée  par  Euclide.  Cela  n’empéche  pas 
pourtant  que  beaucoup  de  démonstrations  particulières  n’aient 
passé  d’un  traité  à l’autre;  notamment  celles  des  3'  et  -4®  livres 
d’Euclide.  Les  constructions  géométricpies  données  dans  les 
Eléments  d’Hippocrate  doivent  avoir,  elles  aussi,  été  les  mêmes 
que  celles  qui  se  lisent  dans  les  Éléments  d’Euclide.  .Alais,  chez 
ce  dernier,  les  constructions  effectuées  par  la  règle  et  le  compas 
jouent  un  rôle  nouveau,  celui  de  démontrer  l’existence  de  la 
ligure  construite.  .V  ce  rôle,  Hippocrate,  sans  doute,  n’avait 
jamais  songé.  C’est  que  l’idée  de  faire  cet  usage  des  construc- 
tions par  la  règle  et  le  compas  n’a  pu  naiti’e  qu’après  que  les 
géomètres  eurent  une  longue  pratique  de  ces  constructions. 
.Mais,  d’un  autre  côté,  où  chercher  cette  pratique,  sinon  dans 
les  Éléments  d’Hippocrate?  Le  géomètre  de  Chio  en  carrant  la 
lunule  circonscrite  au  trapèze  isoscèle,  suppose  que  l’on  connaît 
la  construction  d’un  trapèze  dont  on  donne  les  quatre  côtés.  Ce 
fait  indique,  ou  bien  qu’il  explique  cette  construction  dans  ses 
Eléments,  ou  bien,  peut-être,  qu’il  la  regarde  déjà  comme  trop 
simple  pour  devoir  être  donnée.  Mais  alors,  trop  simple,  pour 
(lui?  Précisément  pour  les  lecteurs  de  ces  mêmes  Éléments. 

D’autre  part,  aucune  considération  systématique  ne  prescrivait 
encore  à Hippocrate  de  construire  les  figures  par  l’emploi 
exclusif  des  droites  et  des  cercles.  Il  est  donc  possible,  vrai.sem- 
hlable  même,  que  ses  Éléments  contenaient  d’autres  construc- 
tions que  celles  qui  peuvent  s’exécuter  par  la  règle  et  le  compas. 


lions  modernes,  les  démonstrations  imaginées  par  Hippocrate  pour  carrer 
scs  lunules.  J’y  renvoie  le  lecteur  (juc  le  sujet  intéresserait.  Il  va  de  soi  cepen- 
dant que  ce  n’est  pas  sur  des  démonstrations  ainsi  rajeunies  (ju’on  peut 
juger  le  bien  fondé  des  déductions  de  .M.  Zeutlien. 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


602 


Dans  ses  Eléments,  Hippocrate  s’occupait  évidemment  aussi 
des  tig-ures  semblal)les.  On  sait  l’emploi  ingénieux  qu’il  en  a fait 
pour  carrer  les  lunules.  .Mais,  la  théorie  de  la  similitude  doit, 
avoir  eu  entre  ses  mains  une  forme  bien  différente  de  celle 
(pi’Euclide  lui  donna  dans  son  Cf  livnc  Obez  Euclide  le  {f  livre 
fait  suite  au  5%  qui  contient  la  théorie  géomélri(pie  des  propor- 
tions due  à Eudoxe;  en  d’autres  termes,  la  théorie  de  la  simili- 
tude s’appuie  sur  une  théorie  rigoureuse  des  proportions.  Hip- 
pocrate, au  contl-aire,  aura  eu  besoin  de  la  considération,  plus 
ou  moins  intuitive,  des  ligures  semblables,  poui-  établir  une 
théoi'ie  des  angles  et  des  [larallèles.  (’.ette  ébauche  de  théorie 
dut  lui  permettre  d’a[)pli(pier  les  [iroportions  à la  géométrie. 
11  en  aura,  en  tous  cas,  eu  besoin,  sous  une  forme  ou  sous  une 
autre,  pour  démontrer  le  théorème  de  l’\  tliagore.  La  démon- 
stration générale  de  la  pro[)osilion  du  carré  de  l’hypoténuse 
doit,  en  (dfet,  s’èlre  faite  d’abord  par  les  triangles  semblables; 
par  exern|)le,  en  décomposant  le  triangle  rectangle  en  deux 
autres,  au  moyen  d’une  jierpendiculaire  abai.ssée  du  sommet  de 
l’angle  droit  sur  riiyiioléiiuse.  Le  genre  de  démonstration  est, 
en  etfet,  relativement  fort  simple,  tandis  que  la  démonstration 
ingénieuse,  mais  artilicielle,  dont  se  sert  Eiidide  à la  lin  de  son 
!'■  livre,  — démonstration  restée  classique,  et  qu’on  trouve 
encore  aujourd’hui  dans  tous  nos  manuels  de  géométrie,  — 
cette  démonstration,  dis-je,  semble  avoir  été  inventée  iiar 
Eucfide,  [lour  les  besoins  de  son  système.  Car,  il  fui  fallait, 
tl’une  part,  renvoyer  le  plus  loin  [lO-ssible  tout  ce  qui  concerne 
les  proportions,  et  de  l’autre,  avoir  néanmoins  à sa  disposition 
le  thf’orème  de  Pythagore. 

Ouant  à l’algèbre  géométrique,  connue  probalilement  déjà 
par  les  pythagoriciens,  elle  semble  ne  pas  avoir  été  utilisée  jiar 
Hipi»ocrate.  11  ne  parait  pas  s’ètre  ocrupé  davantage  de  la  théo- 
rie arithmétique  des  proportions.  En  revanche,  d’après  la  lettre 
attrilmée  [lar  Eutocius  à Eralosthènes  (J),  Hipiiocrate  aurait 
réduit  les  problèmes  de  la  duplication  du  cube  et  de  la  trisec- 
tion de  l’angle  à celui  de  l’insertion  de  deux  moyennes  propor- 
tionnelles. 

Les  derniers  travaux  du  R.  P.  Van  Hée,  S.  J.,  sur  l'his- 
toire des  mathématiques  chinoises  (i).  — Le  K.  P.  Van  Hée 

(1)  Publiée  par  llf  iberg-,  dans  ses  Archiiueilis  Ojn’i  a ouinia,  cvm  commcn- 
lariis  Entocii,  l.  lit,  Leipzig,  Teubner,  ISSI,  pp.  tUït-lll. 

(2)  liibliothecii  Mallieiiiatica  Sinensis  Pé-Foti,  j>ar  le  P.év.  Père  Van  liée, 

S.  J.  Même  recueil,  t.  .\V,  l.eyde,  lOLi,  pp.  1 It-Kli. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


6ü3 


continue,  clans  le  T’Ouvg-I’ao,  ses  études  sur  l’histoire  des 
mathématiques  chinoises.  J’ai  à signaler  aujourd’hui  deux  nou- 
veaux travaux. 

Le  premier  est  intitulé  : Li-Yé,  malhématicien  chinois  du 
XIH^  siècle  (J).  Li-Yé  vécut  de  J 178  à l:^(ir).  Les  Chinois  le  consi- 
dèrent comme  un  de  leurs  plus  habiles  géomètres.  Il  nous  l este 
de  lui  deux  traités  fort  curieux. 

Le  premier,  daté  de  1248,  est  une  espèce  d’algèbre  et  de  tri- 
gonométrie. 11  porte  le  titre  de  Ts^é  tjuen  tnd  king,  c’est-à-dire. 
Miroir  pour  calculer  les  cercles.  Le  second,  daté  de  125Ü,  est  un 
recueil  de  problèmes,  avec  solutions  raisonnées,  sur  le  quadri- 
latère et  les  cercles.  11  est  connu  sous  les  quatre  monosyllabes 
I kou  gen-toan.  C’est  ce  dernier  ouvrage  (lui  forme  l’objet  du 
travail  du  P.  Yan  Hée.  Nous  y trouvons  l’énoncé  chinois  de 
f)4  problèmes,  avec  la  traduction  française  ; quelques  solutions 
raisonnées,  celles-ci  aussi  avec  la  traduction  française;  enfin  la 
préface  et  la  postface  de  Li-Yé,  mais  cette  fois,  malheureuse- 
ment, sans  la  traduction.  L’omission  est  regrettable,  car  ces 
traductions,  indispensables  pour  la  plupart  des  lecteurs,  eussent 
à peine  allongé  le  travail  d’une  page  ou  deux  au  plus. 

Le  deuxième  mémoire  du  P.  Yan  liée  est  intitulé  Bibliotheca 
Maihemalica  Sinensis  Pé-Fou.  Yoici  en  ([uels  termes  l’auteur 
le  présente  au  lecteur  : « Les  jésuites  apportèrent  à la  Chine 
la  science  eui’opéenne  : arithmétique,  algèbre,  géométiie,  tri- 
gonométrie, logarithmes,  mécanique,  physique,  géographie, 
philosophie,  astronomie  surtout,  eureiit  désormais  des  livres 
classi((ues  dictés  par  les  missionnaires  et  mis  en  beau  style  par 
leurs  illustres  élèves,  la  plupart  grands  mandarins  et  grands 
lettrés. 

» Pour  se  faire  une  idée  nette  de  l’intluence  exercée  sur  l’es- 
prit des  Chinois,  par  cet  enseignement  oral  et  écrit,  pour 
démêler  ce  que  les  mathématiciens  jaunes  y ont  puisé,  ajouté 
ou  modifié,  pour  être  à même  de  porter  un  jugement  impartial 
et  définitif  sur  les  productions  chinoises,  qui  s'échelonnent  de 
la  fin  des  .Ming  à la  dernière  période  des  T’sing  — soit  un  espace 
de  trois  siècles  environ  — il  faut  absolument  connaître  les 
ouvrages  scientifiques  de  l’imprimerie  Sino-Européenne. 

» Pendant  mon  long  séjour  en  Chine,  j’ai  lu  et  relu,  annoté 
et  admiré  ces  beaux  travaux,  et  j’en  donnerai  plus  tard  un 

(I)  Li-Yé,  malhématicien  chinois  <lu  XlIP  siècle,  par  le  ttév.  Père  \ aii 
liée,  S.  .1.  T’ounopao,  I.  XIV,  Leyde,  E.  J.  lirill,  1913,  pp.  537-5ti8. 


REVf’K  DES  questions  SCIENTIFIQUES 


f)04 

aperru  clair  et  concis,  anquel,  pour  le  moment,  la  bibliographie 
de  Gordier  peut  sei-vir  de  premiers  jalons,  combien  exactement 
placés,  il  est  inutile  de  le  (lire. 

» J’oflVe  anjourd’hni  l’analyse  de  la  collection  Pè-fov.  Elle  fera 
voir  au  lecteur  la  tournure  générale  des  travaux  exécutés  par 
bîs  mathématiciens  jaunes;  nomenclatures,  procédés,  notations, 
idées  maîtresses,  avec  cet  avantage  immense  de  donner  les 
textes  originaux  caractéristiques,  sans  lesquels  notre  manière 
de  penser  se  substitue  trop  lacilement  à celle  que  nous  sommes 
chargés  de  traduire.  y> 

Le  P.  Van  liée  analyse  alors  les  traités  qui  composent  la 
collection.  Il  est  malaisé  d’analyseï'  cette  analyse  et  de  résumer 
encore  ce  résumé.  La  simple  transcription  des  titres  a[)pren- 
drait  peu  de  chose  au  lecteur.  Aller  plus  loin  serait  s’exposer 
à dépasser  les  bornes  re(;ues  dans  un  compte  rendu.  Le  mémoire 
dn  P.  Van  liée  est  bourré  de  citations  chinoises;  en  les  tradui- 
sant, rauteui-  fait  un  etfort  visible  pour  suivre  le  texte  de  près, 
mais  il  vient  de  nous  dire  combien  le  style  et  les  raisonnements 
mathématiques  des  Ghinois  dilTérent  des  nôtres.  Il  est  presque 
impossible  d’abréger  le  traducteur  en  restant,  à la  fois,  exact, 
court  et  clair,  force  nous  est  donc  de  renvoyer  le  lecteur  au 
mémoire  même  du  P.  Van  liée,  .l’y  signalerai,  comme  particu- 
lièrement curieuse,  l’analyse  du  LV'  traité,  dans  lequel  il  est 
(piestion  du  calcul  de  tt.  L’auteur  Ts’eng  Ki-hong,  qui  vécut  au 
xviiU  siècle,  abandonne  la  vieille  méthode  par  extraction  d<; 
racines  cari  ées  et  par  calcul  dii’ect  des  périmètres  des  polygones 
réguliers  inscrits  et  circonscrits,  pour  se  servir  d’un  développe- 
ment en  série  de  fractions  rationnelles,  développement  que  le 
P.  Van  liée  nomme  formtde  du  P.  .lartroux. 

Les  travaux  de  M.  Louis  Karpinski  sur  l’algèbre  d’Abu- 
Kamil  (]).  — Pans  mon  dernier  Hallelin  ('2),  j’ai  signalé  l’étude 
publiée  par  .M.  Karpinski,  sur  VAlqèbre  d’Abu  Kamil,  dans  la 
liniLiOTHECA  .Mathem.vtica,  mais  en  me  contentant  d’en  traduire 
le  titre,  ('/était  vraiment  bien  peu  pour  un  si  bon  travail.  Un 
nouveau  mémoire  du  professeur  de  l’Université  du  Michigan, 

(1)  The  Algabra  of  Abu  hamil  Shoja’  ben  Aslani,  hy  l.ouis  C.  Karpinski, 
Ü1BLIOÏHECA  MatiuvMATICA,  sér.,  t.  Xll,  Leipzig-,  Utll-IOtS,  pj).  iü-.%. 

The  AU/ebra  of  Abu  Kamil,  by  l>.  U.  Karpinski,  Universily  of  .Michigan, 
The  .Ameiucan  Matiie.maticai.  .Monthi.v,  t.  f(>v.  Ulli,  j)p.  .le  cite 
le  tiré  à part. 

(ïl)  T.  LXXIV,  Unixelles,  |>.  (üO. 


REVT'E  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


(3U5 


publié,  cette  lois,  dans  The  .Mathematical  American  Monthly, 
me  donne  l’occasion  de  revenir  sur  le  sujet. 

C’est  Michel  Chasles,  en  184J,  d’après  M.  Karpinski,  qui 
appela  le  premier  l’attention  sur  une  algèbre  du  moyen  âge 
contenue  dans  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  .Nationale  coté  : 
Paris,  7377,  A.  .Michel  Chasles  se  bornait  à signaler  l’importance 
de  cette  algèbre  et  l’intérêt  qu’elle  présentait,  mais,  chose  assez 
étrange,  le  nom  de  l’auteur  lui  échappa.  On  ne  s’explique  pas 
bien  cette  distraction  de  .sa  part  ; car  on  lit  au  !'"  93  v“  : 
« Explicil.  Dixit  .\buchamel  Ssagia,  lilius  Ahraliim,  aggregator 
hujus  hbri.  » 

Steinschneider  et  Sutei’  avaient,  eux  aussi,  après  (ihasles, 
appelé  l’attention  sur  VAlfjèbre  d’Ahu  Kamil  ; mais  les  choses 
n’allèrent  pas  plus  loin.  C’était  i-egrettable.  Ou’allendait-on  pour 
publier  le  texte  de  la  Bibliothèque  .Nationale?  La  rédaction 
originale  arabe  d’Ahu  Kamil  était  perdue  ; du  moins  les  biblio- 
graphes les  mieux  documentés  sur  les  manuscrits  arabes,  tel 
Suler  (1),  n’en  connaissaient  pas  d’exemplaire.  Baison  sutîisante 
pour  en  publier  sans  plus  de  l'etard  la  version  latine,  puisque 
c’était  tout  ce  qui  nous  en  restait.  C’est  à quoi  se  ré.^olut,  du 
moins  en  partie,  .M.  L.  Karpinski,  dans  le  tome  .\ll  de  la 
Bibliotheca  Mathematica.  Il  nous  y donna  le  texte  même  de 
quelques-uns  des  principaux  passages  de  V Aluèhre  d’.-Vbu-Kamil 
et  l’analyse  des  autres. 

.A  l’ouvertui-e  de  VAlfièbve  du  géomètre  arabe,  on  reconnait 
du  premier  coup  d’œil  plusieurs  des  figures  du  .second  livre  des 
Eléments  d’Euclide.  WAlgèbre  d’.Abu-Kamil  est  effectivement 
consacrée  à la  résolution  des  équations  du  degi'é;  mais,  sui- 
vant la  coutume  arabe,  aux  démonstrations  graphiques  d’Eu- 
clide, Abu  Kami!  ajoute  des  exemples  numériipies. 

L histoire  des  logarithmes,  par  F.  Cajori  (iilj  — { ;^  .!//)•/- 
fica  loganthniormn  canonis  descriptio  de  Néper,  parut  à Edim- 
bourg, chez  .André  Hart,  en  1H14.  L’Ecosse  et  l’Angleterre  entière 


(t)  yachlviige  loid  fkrichtif/unf/eii  zn  « Die  Matliemafiker  uiul  As'lio- 
nomen  der  Araher  nnd  dire  Wevke  ».  Aiiii.\.\di.ungex  zi  k Geschichte  der 
M.XTHE.MATlSr.HEX  WlSSEXSCH AETEX  MIT  ElXSCHI.lSS  IHKER  AXWEXDEXGEX, 
begrünftel  von  .Moritz  Cantor,  t.  XtV,  Leipzig,  Teut)ner,  tilt:!,  j).  Ki.l. 

{'i)  History  of  the  exponeiiiial  and  loyarithiuic  concepts,  by  l'torian 
Cajori,  Colorado  College,  Colorado  Springs,  The  .Vmericax  .Mathem.aticae 
.Moxthly,  t.  XX,  Janvier-juillet  et  septembre,  1913,  I.anrasler,  Pa.,  et  Chi- 
cago, pp.  5-U,  :i5-47.  75-84,  107-117,  148-1.51,  173-I8“2,  20.5-210. 

IIU  SÉRIE.  T.  XXVI. 


39 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


(;06 

ont  célébré  dignement,  nu  mois  de  juillet  dernier,  à Edimbo\irg, 
le  800"  anniversaire  de  la  publication  de  cet  immortel  ouvrage, 
l’un  de  ceux  qui  ont  eu  rintluence  la  plus  prol'onde  sur  le  déve- 
loppement des  mathématiques.  Je  me  proposais  de  décrire, 
dans  la  IIevl'i:,  les  l'êtes  qui  eurent  lieu  à cette  occasion,  d’y 
résumer  les  travaux  historiques  et  scientiliques  écrits  récemment 
à la  mémoire  du  baron  de  Merchiston.  La  guerre  est  venue  y 
mettre  obstacle,  .le  n’ai  pu  entrer  en  possession  des  documents 
que  j’avais  tâché  de  réunir.  Seule  l’étude  de  M.  Florian  Lajori 
sur  l’état  actuel  du  château  de  Merchiston  m’est  parvenue  (J). 

.Mais  le  prol'esseur  de  C(tlorado-Springs  avait  voidu  prévenir 
les  fêtes  de  ranniversaire  de  Xéper,  en  écrivant,  dès  1018,  pour 
le  public  américain  un  précis  de  l’bistoire  des  logarithmes.  Ce 
n’est  pas  un  récit  des  étapes  (pii  précédèrent  la  découverte, 
mais  l’exposé  des  développements  (pi’elle  prit  après  la  mort  de 
l’inventeur.  Le  travail  de  M.  Cajori  se  divise  en  cinq  chapitres. 

I.  De  iVéper  à Leibniz  et  Jean  I BernonUi,  J()J4-J7H.  — 
Logaiithmes  des  nombres  positifs.  .Xotation  exponentielle  mo- 
derne. 

II.  De  Leibniz  et  Jean  / Bernonilli  à Dater,  17J2-J747.  — 
Essais  infructueux  pour  édilier  une  théoiâe  des  logarithmes  des 
nombres  négatifs.  Identité  des  deux  concepts  : expo.sant  et 
logarithme. 

III.  Création  de  ta  théorie  des  logaritinnes  des  nombres  com- 
plexes, par  Enter,  17i7-J7'dl. 

IV.  D'Euler  à Wessel  el  Argand,  174!)-J(SO().  En  demi  siècle 
de  discussion  sur  la  nature  des  logarithmes.  Encore  de  l’identité 
des  concepts,  expo.sant  et  logarithme. 

V.  Généralisations  et  rectifications  faites  an  cours  du 
■VLV®  siècle.  — Heprésentation  graphique.  Les  puissances  en 
général  et  les  logarithmes.  Eniformisation.  Valeurs  principales 
des  puissances  et  des  logarithmes.  Classitication  des  divers  sys- 
tèmes de  logarithmes.  I.es  logarithmes  fonctions  complexes. 

L’abbé  Bossut,  par  E.  Doublet  (2).  — L’ahbé  Charles  Hossut 
est  mort  le  Ji  janvier  1814.  Voilà  pourquoi  il  a semblé  à 

( 1 ) Merchiston  castle  and  .lohn  Xuijier.  Tiré  à piirt  ite  Tiii;  .Meuchistom.xx, 
t',ll^-l!)EE  14  p|).  rictuMiH'iil  illiistréf's  e(  doux  plancties  hors  texte. 

(2)  L'abbé  Hossnt.  l'occasion  du  centenaire,  de  su  mort),  par.M.  E.  tlou- 
lilet,  astronome  à l’Observatoire  de  Rordeaux,  Ruu.eti.n  des  .Seie.xces 
.■MATHÉM.XTIQCES,  l2''  sér.,  l.  XXX Mil,  Paris,  mars-inillet  IPI 4,  pp.  P3-U(>,  l-t- 
l'ir),  158-160,  186-P,I(I,  “2“20-2“2i. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


607 


M.  E.  Dotiblel,  astronome  à l’Observatoire  de  Bordeaux,  que  le 
inomeut  était  bien  choisi  poui'  raviver  le  souvenir  de  cet  homme 
distingué.  Sachons  eu  gré  <à  M.  Doublet,  car  Bossul  est  assez 
oublié  aujourd’hui  ; il  l’est  même  beaucoup  plus  qu’il  ne  le 
devrait  être. 

Voici  d’abord  quelques  souvenirs  sur  les  premières  années  de 
sa  jeunesse.  « 11  était  né  le  11  août  17ri0,  à Tartaras,  village  de 
la  banlieue  immédiate  de  Lyon  selon  Lalande,  et  selon  d’autres 
<à  Tarare,  près  de  Saint-Etienne.  11  n’avait  que  six  ans  quand  il 
perdit  son  père,  Barthélemy  Bossut.  Heureusement  un  des 
oncles  paternels  du  pauvre  orphelin  se  cliargea  de  veiller  sur 
lui  et  de  lui  donner  les  éléments  d’instruction  nécessaii'e  pour 
qu’il  pût  entrer  au  collège  de  Lyon,  ce  qu’il  (it  à l’àge  de  IV  ans. 

» Ses  études  lurent  excellentes  et  une  véi'itable  bonne  Ibrtune 
pour  lui,  c’est  que  dans  ce  collège  dirigé  par  les  jésuites,  le  pro- 
fesseur de  mathématiques  était  un  homme  remarquable,  le 
1’.  Béraud,  né  tà  Lyon  en  1702,  mort  dans  la  même  ville  eu  1777. 

» Une  preuve  du  mérite  du  1*.  Béraud,  c’est  qu’il  a formé 
quatre  élèves  dont  les  noms  survivent,  .Montucla,  Bossut, 
Lalande  et  le  chevalier  de  Eleurieu,  oüicier  du  plus  haut  mérite, 
à qui  la  .\ation  n’a  pas  encore  payé  sa  dette,  car  aucun  de  nos 
navires  de  guerre  ne  porte  son  nom,  bien  qu’il  ait  rendu  des 
services  incomparables  à la  marine.  » 

l.e  D.  Béraud  était  bien  le  maître  qu’il  fallait  à des  élèves 
d’élite,  tels  que  ceux  que  nous  venons  de  nommer.  .Mathémati- 
cien, numismate,  astronome,  ses  connaissances  étaient  aussi 
étendues  que  variées.  Il  avait  clahli,  dans  l’enceinte  du  collège, 
un  petit  observatoire,  où  ses  disciples  favoris  pouvaient  s’initier 
à l’astronomie  pratique.  C’est  Là  que  Lalande  se  forma  en  partie. 
.Mais,  revenons  à Bossut. 

« Ses  études  achevées  au  collège  de  Lyon,  il  alla  à Paris,  où  il 
rendit  visit(;  à Fontenelle,  alors  dans  toute  la  gloire  de  sa  mer- 
veilleuse vieillesse.  Fontenelle  lui  fil  hon  accueil  et  le  présenta 
à Clairaut  et  à d’.Vlembert. 

» Dès  la  tin  de  sa  philosophie,  Bossut  avait  pris  l'hahit  ecclé- 
siastique; toutefois.  Bien  qu’il  ait  gardé  cet  habit  et  le  titre 
d’abbé  jus([u’en  1792,  il  ne  semble  pas  qu’il  ail  dépassé  les 
ordres  mineurs.  11  n’est  pas  sans  importance,  puisqu’il  s’agit 
d’un  homme  du  xciiU  siècle,  d’ajouter  qu’il  a été  un  catholique 
convaincu  d’un  bout  de  sa  vie  à l’autre.  11  n’a  rien  de  commun 
avec  les  abbés  si  nombreux  de  son  temps,  qui  scandalisaient 
à la  fois  le  monde  et  l’Église.  » 


608 


RKVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Bossul  était  donc  très  éloigné  de  d’Aleinhert  par  ses  convic- 
tions philosophiques  et  religieuses  ; mais,  comme  mathémati- 
ciens, ces  deux  hommes  s’estimaient.  Au  sujet  de  leurs  relations, 
on  a parfois  raconté  un  trait  curieux,  qu’il  est  intéressant  de 
rappeler.  Arrivé  <à  Paris,  Bossut  avait  abordé  l’étude  de  V Analyse 
des  Infmimenl  petits,  ouvrage  publié  par  le  marquis  de  l’Hô- 
pital, en  1686.  Il  y trouva  quel(|ue  dilliculté,  ayant  de  la  peine 
à concevoii'  ([u’on  pût  négliger  sans  une  erreur  c|uelconque  une 
quantité  intiniment  petite  eu  comparaison  d’une  quantité  tinie. 
Il  confia  son  emhai'ras  à un  « fameux  géomètie  » — apparem- 
ment à d’.Alemhert,  dit  .M.  Doublet.  — 6elui-ci  lui  répondit  : 
« .Vdmettez  les  intiniment  petits  comme  une  hypothèse,  étudiez 
la  pratique  des  inliniment  petits;  la  foi  vous  viendia.  » La  foi 
vint,  en  effet;  mais,  pas  comme  l’entendait  d’Alemhert.  Bossut 
se  convain(|uit  que  la  métaphysi([ue  de  l’analyse  infinitésimale 
est  la  même  au  fond  (|ue  celle  de  la  méthode  d’exhaustion  des 
anciens. 

Paris,  Bossut  se  lia  aussi  avec  l’académicien  Camus,  qui  le 
présenta  à d’.Argenson,  ministre  de  la  guern'.  Celui-ci  reconnut 
le  mérite  du  jeune  homme  et  le  nomma,  en  ïlïi'i,  i)rofesseur 
à l’Kcole  du  génie  de  .Mézières.  Plie  venait  d’ètre  fondée  quatre 
ans  auparavant,  et  on  sait  combien  Monge  devait  l’illustrer. 

.Nous  ne  suivrons  pas  Bossut  dans  les  péripéties  de  sa  carrière 
professorale,  ni  plus  tard,  dans  celle  de  membre  de  l’Académie 
des  Sciences.  Cette  doid)le  carrière  lui  fournit  l’occasion  de 
beaucoup  écrire.  La  majeure  pai'lie  île  la  notice  de  .M.  Doublet 
est,  cela  va  de  soi,  consacrée  à une  revue  rapide  de  ces  ouvrages. 
Deux  d’entre  eux  suilout  ont  conservé,  aujourd’hui  encore 
(iuel([ue  notoriété  : VHistoire  des  nnit/iénaitiiines  et  l’édition  des 
(Kuvres  complètes  de  Biaise  Pascal.  Pouriiuoi  ? C’est  dillicile  à 
diie.  .Ni  l’une,  ni  l’autre  ne  manquent  de  valeiii'  ; mais,  elles  ne 
sont  pas  les  meilleures  production.^  de  l’élève  du  P.  Béraud. 

Bossut  avait  le  caractère  triste  et  morose.  Sou  commerce 
assidu  avec  les  leuvres  de  Pa.scal  conliihua-l-il  à accentuer  le 
côté  chagiin  de  .sou  esprit?  Oui  sait  ? Toujours  est-il  (pi’il  pro- 
fessait pour  le  grand  écrivain  la  plus  vive  admiration.  Lt  ce 
n’était  [las  seulement  le  mathématicien,  h;  physicien,  h*  polé- 
miste de  génie  que  Bossut  admirait  dans  Biaise  Pascal  ; c’était 
aussi  le  théologien.  Il  ne  se  lassait  pas  de  transcrii'e  les  Pensées. 

<i  Ceci  nous  amène  à croire,  dit  .M.  Doublet,  que  Charles 
Bossut,  l’ami  de  d’Alemhert  et  aussi  de  Condorcet,  a été  un  des 
derniers  jansénistes.  D’ailleurs  cela  est  bien  d’accord  avec  ce 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


()09 

que  nous  savons  de  son  caractère  somhre,  de  son  humeur 
atrabilaire.  On  lisait,  en  etïet,  dans  un  manusci'it  de  Hossut  que 
Delainhre  a eu  entre  les  mains  — qu’est  devenu  ce  manuscrit? 
— qu’il  avait  toujours  eu  ((  une  raideur  de  caractère  qui  lui  a 
souvent  nui  auprès  de  ceux  qui  ne  le  connaissaient  que  super- 
ficiellement ».  11  n’accordait  pas  facilement  sa  contiance  ; il 
croyait  en  général  les  hommes  dissimulés  et  trompeurs  ; mais, 
quand  il  croyait  pouvoir  s’abandonner  à la  franchise  naturelle 
de  son  <àme,  il  mettait  dans  le  commerce  de  la  vie  une  effusion 
de  sentiments  vrais,  qui  lui  ont  fait  une  foule  d’amis  dévoués, 
surtout  dans  le  corps  militaire  du  génie.  » 

« 11  abhorrait  les  charlatans  de  toute  espèce,  nous  dit-il 
encore,  et  ([uelquefois  il  avait  eu  l’imprudence  ou  la  maladresse 
de  leur  donner  à connaitre  son  opinion.  .Mais,  il  cherchait  par- 
tout le  vrai  mérite  ; il  était  obligeant  et  il  se  plaint  amèrement 
des  ingrats.  11  se  persuada  que  des  hommes,  qin  lui  devaient 
leur  première  existence,  avaient  montré  l’acharnement  le  plus 
soutenu,  et  s’étaient  donné  bien  des  peines  qu’ils  auraient  pu 
s’épargner,  pour  l’écarter  de  places  auxquelles  il  n’avait  jamais 
aspiré.  » 

Les  derniers  temps  de  la  vie  de  Bossut  furent  sans  doute  bien 
tristes.  Les  malheurs  publics  du  mois  de  janvier  1814  ne  pou- 
vaient que  redoubler  ses  chagrins.  11  ne  vit  pas  le  retour  de 
cette  paix  qui  selon  son  espérance  devait  rétablir  « la  libre 
communication  entre  les  membres  de  la  République  universelle 
des  Sciences  et  des  Belles-Lettres».  Bossut,  nous  l’avons  dit  en 
commençant,  moui’ut  le  1 i janvier  J8J4,  âgé  de  88  ans  et  5 mois. 


IL  Büs.vi.xns,  s.  .1. 


610 


RKYUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


IJOTAMQÜE  INDUSTRIELLE 


K\['I,01T.\Ti().\  DES  MANES  CA()ET(:ilOETI EÈDES 
EN  AEKinl  E CENTHAI.E 


Eu  J'JJI,  lors  (le  la  [)i(Mni('re  lajniiioii  iiileniatioiiale  eaoiil- 
rhoutière  tenue  à Eoiulres,  nous  avons  iusist('î  sur  riiit(h'(3t  qu’il 
y avait,  eu  Arri([iie,  à couliiiiier  la  culture  et  rexploitatiou  des 
essences  caoutrIioutilVMes  iudig(''iies.  Dans  VOfficiat  Guide  hook, 
nous  terminions  notre  notice  Salive  or  exolic  ruhber  Irecs  par  la 
consi(l(’'i’ation  (ju’il  l'allait  à chaque  pays  ses  produits  propres  et 
ses  prodiicteui's  bien  adaptés  là  la  région. 

Dans  l’une  des  séances  tenues  au  local  de  l’Exposition,  nous 
sonniies  entré  davantage  dans  le  détail  du  sujet  en  nous  éten- 
dant sur  notre  manière  de  corn[)rendi'(!  l’exploitation  et  la  cid- 
ture  des  lianes  congolaises  basées  sur  des  procédés  d’extraction 
mécaniciue  du  caoidcbouc  contenu  dans  les  tissus,  et  nous  fai- 
sions voir  (pie  ci'tte  méthode  était  tout  indi(piée  pour  le  déve- 
loppement économi(pie  du  centre  et  de  l’ouest  du  eontinent  noir. 

Ee  n’était  |>as  la  première  fois  que  nous  préconisions  ces 
idées,  nous  les  avons  défendues  depuis  de  nomlireuses  années, 
mais  celle  méthode  a trouvé  parmi  les  agronomes  olliciels  de 
diverses  colonies  plusieurs  contradicteurs  et  l’on  n’a  pas  jusqu’à 
ce  jour  appli([ué  en  Afrique  le  pi’océdé  sur  le(piel  nous  sommes 
revenu  si  souvent. 

.Vu  contraire  la  crise  récente  a provo(pié  de  nouvelles  cri- 
tiques de  la  part  des  opposants  irréductibles  de  la  culture,  et 
même  de  l’exploitation  des  lianes,  et  on  a vu  conseiller  leur 
abandon  total.  On  a été  jusqu’à  dire  que  cette  exploitation  pou- 
vait être  considérée  comme  de  nulle  valeur  pour  les  indigènes 
et  qu’il  était  très  aisé  de  supprimer  le  droit  qu’ils  ont  acquis  de 
récolter  du  caoutchouc  dans  les  forêts  si  on  leur  offrait  en 
échange  un  travail  rémunéré,  plus  facile,  dans  les  entreprises 
agricoles  de  tous  genres  (pu  pourraient  être  créées  par  le  blanc. 

Ee  sont  là  naturellement  pures  conjectures,  car  rien  ne  prouve 
que  l’indigène  abandonne  si  l'acilement  ses  droits  de  culture. 


REVUE  DES  RECUEILS  UERRJDIQUES 


611 


Mais  en  supposant  même  qu’elles  soient  Ibndées,  serait-il  utile 
pour  la  colonie  elle-même  et  pour  le  commerce  de  la  métropole^ 
de  s’engager  dans  une  voie  qui  aboutirait  à la  suppression  d’un 
des  postes  importants  du  tableau  de  son  commerce,  et  à un 
changement  radical  et  relativement  brusque  dans  les  habitudes 
du  noir? 

Heureusement,  à côté  des  contradicteurs,  un  c(U'tain  nombre 
de  coloniaux  partagent  tout  à fait  notre  manière  de  voir,  et 
récemment  nous  avons  vu  un  de  nos  conl'rères  français, 
M.  Haudon,  écrire,  à piopos  de  la  production  du  caoutchouc 
au  Congo  français,  une  étude  sur  le  caoutchouc  pilonné  des 
rhizomes  du  Landolpliia  owan'eiisis,  dans  laquelle  il  arrive, 
comme  nous,  à conseiller  la  multiplication  de  la  liane  pour  sa 
mise  en  exploitation  réglée  en  enlevant  du  sol,  à leur  maturité, 
les  racines  qui  devront  être  traitées  mécaniquement  (1). 

M.  le  Gouverneur  Merlin,  de  l’Afrique  française,  a récemment, 
lui  aussi,  insisté  sur  cette  méthode  d’exploitation  ; ses  idées  ont 
fait  le  tour  de  la  presse  spéciale  pt  ont  été  reproduites,  sans 
grands  commentaires  il  est  vrai,  même  dans  les  revues  alle- 
mandes consacrées  au  caoutchouc  (2). 

La  lecture  du  ti'avail  de  M.  Liaudon  et  du  rapport  du  Gouvei- 
neui'  Merlin,  nous  a amené  à reprendre  la  question  et  tout 
d’abord  à rappeler  quelques  dates  ayant,  ce  nous  semble,  un 
certain  intérêt  pour  l’histoire  du  caoutchouc. 

C’est  en  1907,  dans  une  communication  faite  à la  Société 
scientilique  de  Jh'uxelles,  publiée  dans  ses  Ava.\les  et  repro- 
duite par  la  Société  de  Géographie  de  l’Est,  que  nous  avons 
publié,  peut-être  pour  la  première  fois,  l’idée  de  mettre  des 
lianes  à caoutchouc,  croissant  dans  les  forêts,  en  véritable  coupe 
réglée,  L’exploitation  caoutchoutifére,  disions-nous,  du  moins 
celle  des  lianes  les  plus  communément  cultivées  au  Congo 
{Landolpliia  omudensis,  Kiainei  et  espèces  voisines)  doit  se 
borner  aux  opérations  coupe  et  battage.  Après  la  coupe  on 
laissera  repousser.  En  un  mot,  on  devra  mettre  la  réserve 
caoutchoutifére  en  coupe  réglée.  » 

.Nous  ne  nous  faisions  pas  l’illusion,  à cette  époque,  de  voir 
ce  principe  admis  d’emblée;  la  plupart  des  gouvernements  colo- 
niaux avaient,  par  décrets,  défendu  la  coupe  de  lianes  et,  dans 

(1)  k.  Baudon,  Le  caoutchouc  pilonné  des  rhizomes  du  Landolphia  owa- 
riensis.  Pal.  Beanv-,  sa  production,  son  avenir,  .\n\ai.es  de  l’Lxstitut 
r.OLONI.AL  DE  BORDEAUX  1913. 

(2)  Cf.  Gum.mi-Zeituxg,  1914,  n®  30,  24  avril,  p.  1167. 


612 


REVUK  DES  yrESTIONS  SCIENTIFIQUES 


certaines  colonies,  cette  dérense  persiste  encore.  Mais  an- 
jonrd’hiii,  comme  en  19t)7,  nous  sommes  persuadé  que  le  jour 
viendra  — puisse-t-il  ne  pas  être  trop  éloigné!  — où  l’on  recon- 
naîtra que  la  cou|)e  tait  moins  de  tort  et  donne  i)lus  de  bénéfices 
([lie  la  saignée.  « Le  jour,  disions-nous  en  1907,  on  la  coupe  sera 
permise,  où  les  l'orèts  à caoutchouc  auront  été  mises  en  coupes 
réglées  comme  nos  l'orèts  européennes,  où  l'on  aura  déterminé 
le  roulement  et  où  l’on  connaîtra  exactement  l’étendue  de  la 
région  qui  iieiit  être  mise  en  exploitation,  bien  des  abus  criants 
cesseront  d’eiix-mèmes,  et  peul-éti  e arrivera-t-on  <â  éviter  dans 
le  commerce  ces  tluctuations  de  prix  si  désagréables  pour  la 
bonne  mandie  des  all'airixs.  » 

Dès  avant  1907,  nous  avions  à diverses  reprises,  dans  des 
cours,  des  conlénMK'es  ou  des  [Miblications,  dél'endu  le  principe 
de  la  coupe  réglée  et  du  procédé  mécaiù(|ue,  qui  n’est  pas  de 
notre  invention.  L’idée  [iremière  en  revient  aux  recherches  de 
Godefroy-LeboMif,  basées  elles-mêmes  sur  les  prati(jiies  des  indi- 
gènes africains.  .Mais,  répétons-le,  c’est  dès  1997  siu'tont  ([lie 
nous  avons  [iréconisé  cette  mise  en  coupes  n'glées  des  réserves 
caoiitclioiitil'ères  : lianes  et  caoutchoutiers  des  herbes,  et  depuis 
lors  nous  avons  souvent  l'iqiris  le  dévelop[)ernenl  de  ces  idées, 
entre  autres  dans  la  revue  française  : Li:  (Lvoutchouc  et  l.\ 
(li'TT-\-l’HR(;n.\  ( 1). 

.Nous  avons  été  très  heureux  de  voir,  il  n’y  a [)as  fort  long- 
tem[>s,  un  fonctionnaire  du  service  forestier  de  Madagascar, 
s’ap[Miyant  sur  notre  manière  de  voir,  [)ro[)oser  un  projet 
d’aménagement  des  forêts  à essences  caoiitchoutifères  et  de  leur 
exploitation  rationnelle. 

.Mais  cette  question  de  l’exiiloitation  des  lianes  est,  comme 
toutes  celles  qui  se  rattachent  aux  caoutchoutiers,  beaucoup 
plus  complexe  ([ii'on  ne  se  l’imagine  fréquemment;  elle  soulève, 
en  etfet,  une  série  de  ([iiestions  accessoires,  malheureusement 
trop  [leii  étudiées. 

.\dmettant,  ce  qui  nous  paraît  certain,  que  l’exploitation  est 
possible,  est-elle  économique,  les  frais  ne  seront-ils  pas  trop 
élevés,  dans  les  conditions  actuelles  surtout,  pour  laisser  au 
collecteur  et  au  négociant  des  bénéfices  siitlisants? 

C’est,  p(‘iison.^-nous,  pour  n’avoir  [las  assez  approfondi  ces 
questions,  que  beaucoup  ont  conclu  d’emblée  à l’impossibilité 

(1)  t.F,  C.xnUïciincc.  ET  I..V  Gutta-F'ercha.  Paris,  nie  des  Vinaigriers,  49. 
1904-9114. 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


613 


de  la  rentabilité  d’une  telle  exploitation,  et  r’esl  ainsi  (pi’ils 
sont  arrivés  à déclarer,  sans  hésitation,  ipril  t'allait  abandonnei' 
non  seulement  la  culture,  mais  l’exploitation  des  lianes  existant 
à l’état  sauvage  dans  la  forêt,  et  remplacer  cette  production 
par  celle  de  cultures,  faites  [>ar  des  sociétés  européennes,  (VHevea 
brcmiiensis  ou  de  Manihot,  qui  seuls  seraient  capables,  le  pre- 
mier sui'tout,  de  fournir  du  caoutchouc  à un  prix  sufîisamment 
rémunérateui'. 

En  ra[)port  avec  cette  idée,  nous  avons  vu  M.  K.  Yautliier, 
membre  du  Conseil  colonial  du  Congo  Belge,  écrire  à {)i'opos 
d’un  décret  appi'ouvant  une  convention  conclue  enti'e  des 
tirmes  belges  et  anglaises  et  le  Gouvernement  de  la  Colonie  : 
« La  cueillette  du  caoutchouc  sauvage  n’a  étf'  qu’un  mode  d’ex- 
ploitation provisoire  en  attendant  mieux.  Elle  porte  sur  des 
ressources  naturelles  qui  sont  destinées  à s’('q)uiser  plus  ou 
moins  lapidement  ; avant  même  cette  échéance  fatale,  il  s’est 
produit,  dans  la  valeur  du  caoutchouc,  une  baisse  notable  des 
prix.  Il  en  est  résulté  une  crise  qui  retentit  durement  sur  les 
finances  de  la  colonie  » (J). 

Nous  ne  pouvons  partager  cette  manière  de  voir;  le  Congo  ne 
s’appauvrit  pas  tellement  en  caoutchouc  qu’il  faille  envisagei- 
la  suppression  de  cet  article  de  commerce.  Nous  pensons  au 
contraire  ((ue  la  cueillette  se  continuei’a,  si  on  le  veut,  non  plus 
peut-être  sur  des  plantes  tout  à l'ait  sauvages,  mais  sur  des 
plantes  dé.jcà  soignées  par  le  noir;  cela  naturellement  si  les 
gouvernements  prennent  en  main  la  réglementation  de  la 
cueillette,  et  démontrent  à l’indigène,  ([ui  de  lui-même  l’a  d’ail- 
leurs souvent  très  bien  compris,  l’intérêt  qu’il  a à protéger  les 
plantes  productrices. 

Nous  avons  dit  que  nous  considérions  le  caoutchouc  prove- 
nant des  essences  indigènes  africaines  comme  capable  de  donner 
au  collecteur  et  au  négoriani  des  bénétices  rémunérateurs,  et 
cela  même  avec  des  taux  de  vente  aussi  bas  que  ceux  que  l’on 
obtient  actuellement.  Gela  est-il  bien  exact? 

11  faut,  en  matière  coloniale  et  surtout  (juand  on  considère  le 
caoutchouc,  se  méfier  des  idées  préconçues,  il  faut  au  contraire 
chercher  à mûrir  le  sujet  et  éviter  de  donner  une  solution  im- 
médiate, dans  un  sens  ou  dans  un  autre,  qui  risquerait  de  devoir 
être  rapportée  ultérieurement,  alors  qu’un  courant  nouveau, 
néfaste  peut-être,  aurait  être  créé. 


(1)  Le  Mouvement  géogr.cpiiique,  Hruxelles,  28  déc.  1913,  p.  66. 


614 


REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


Dans  lin  discours  prononcé  en  le  général  Thys,  dont  la 

compétence  coloniale  est  reconnue,  a pn  dire  avec  grande  jus- 
tesse à propos  du  caoutchouc  congolais  : « (Juant  à nos  sociétés 
caontchontifères,  je  crois  qu’elles  devroni  apporter  beaucoup 
de  soins  dans  leurs  exploitations,  s’appliipier  rigoureusement 
à tâcher  de  réduire  leurs  frais  généraux  et,  dans  tous  les  cas, 
mettre  leurs  prix  d’achat  à la  hauteur  des  [irix  auxquels  elles 
peuvent  réaliser  leurs  produits  en  Kiirope.  Kntin  et  surtout, 
elles  devront  apporter  le  plus  grand  soin  dans  le  choix  de  leur 
liersonnel  européen,  car,  de  tous  les  dangers  signalés,  il  y en  a 
peu  (|ui  elfrayent,  mais  il  y en  a un  aiupiel  on  ne  pense  pas 
beaucoup  et  dont  on  parle  peu,  et  qui,  à mon  sens,  est  peut- 
(ître  le  [dus  grand,  c’est  de  trouver  un  bon  personnel  européen 
en  A trique,  .le  considère  que,  de  toutes  les  dillicullés  de  l’heure 
présente,  celle-là  est  peut-être  la  plus  grave  (J).  » 

Nous  n’avons  nullement  l’intention  de  développer  les  divers 
[loints  soulevés  par  le  général  Thys,  bien  qu’ils  mériteraient,  vu 
leur  importance,  d’être  discutés.  Nous  retenons  .simplement 
l’impression  (jue  la  crise  caoutchoutilére  n’est  pas  aussi  grave 
([ue  beaucoup  l’ont  pensé. 

6et  avis  est  <railleiirs  partagé  [lar  .\1.  (1.  Lamy-Torrilhon  : 
« Il  ne  faut  pas  trop  s’alaiiner,  dit-il,  de  cette  situation  qui  se 
tassera,  qui  s’éijuilihrera  à un  moimuit  donné  sans  trop  de 
dommage,  espérons-le,  pour  les  récolleurs  aussi  bien  de  « plan- 
tation » que  du  « l’ara  sauvage  »,  il  faut  au  contraire  tirer  un 
enseignemeitl  de  ce  (jui  se  passe  en  ce  moimnit.  ('.elle  crise,  qui 
semble  plutôt  alfecter  le  Brésil  et  le  Bongo,  s’atténuera.  On 
s’était  habitué  trop  vite  à des  bénéfices  exagérés,  on  dépensait 
sans  compter  un  argent  trofi  facile  à rentrer,  il  va  falloir  main- 
tenant réduire  les  frais  généraux  et  le  coût  de  la  main-d’œuvre 
au  strict  nécessaire,  se  restreindre  de  tous  côtés  (:2).  » 

Bour  lutter  contre  cette  crise,  tous  b>s  gouvei'iiements  inté- 
ressés ont  cherché  à modilier  les  règlements  en  vigueur,  à 
diminuer  les  frais  de  transport  de  manière  à amener’  les  produits 
de  cueillette,  sur  les  marchés,  à un  prix  cafiahle  d’entrer  en 
concurrence  avec  la  « plantation  ». 

La  crise  qui  s’atténue  déjà,  nous  voyons  en  elfet  les  prix 
augmenter,  ne  doit  donc  pas  faire  abandonner  la  culture  ni  même 


(1)  la:  Mouvement  géogiiai'Hique,  linixetles,  H déc.  t91à,  p.  (UB. 

(2)  G.  I.amy-Torrilhon,  fji  situation  économique  du  raovtchouc.  Journal 
D’Agriculture  tropicale,  n®  149,  30  novernlire  1913. 


REVUE  DES  RECT'EILS  PERIODIQUES 


6ir> 


l’exploitation  des  essences  indigènes.  Itii  tait  que  le  Brésil  va  se 
voir  dépassé  dans  la  production  du  caoutchouc,  par  l’Extrème- 
Orient,  faut-il  conclure  que  le  Brésil  ne  doit  plus,  et  ne  pourra 
plus,  exporter  du  caoutchouc?  Ce  serait  là,  nous  semhle-l-il, 
une  conclusion  outrée  , que  l’on  parait  avoir  été  très  pressé 
d’émettre.  Il  en  est  de  même  pour  le  C-ongo  Belge,  par  exemple, 
qui  depuis  des  années  exporte  par  an  environ  40111)  tonnes  de 
caoutchouc.  Caut-il  brusquement  admettre  que  par  suite  d’une 
simple  baisse  de  t>i'ix  cette  vaste  région  n’est  plus  capable  de 
produire  économiquement  la  gomme  et,  partant,  aliandonnei' 
la  cueillette  qui  seule  a fourni  jusqu’à  ce  jour  cette  quantité 
notable  de  caoutchouc?.\ous pensons  au  contraire  qu’en  étudiant 
soigneusement  la  question,  en  faisant  de  sages  économies,  en 
réglant  surtout  le  prix  d’achat  suivant  le  prix  de  vente,  il  sera 
possible  de  maintenir  le  poste  « caoutchouc  » dans  les  éx[)orta- 
tions  de  notre  colonie  et  (|u’il  y aura  encore,  pour  les  commer- 
çants de  tout  genre,  moyen  de  faii-e  des  hénéfices  raisonnables. 

Les  propositions  de  diminutio)i  faites  par  le  Couvernement 
de  l’Afrique  équatoriale  française  porteraient  un  dégrèvement 
de  0,7<S5  fr.  au  kilo,  soit  785  fr.  à la  tonne,  ce  qui  laisserait  la 
tonne  de  caoutchouc  à '2750  — 785  = 1965  fr.,  chiffre  auquel 
il  faudrait  natiii'ellement  ajouter  les  frais  de  ti'anspor!  jus(|ue 
sur  le  marché  européen  ( J ). 

Dans  ce  chilfre,  le  prix  d’achat  du  caoutchouc  est  fixé  à i h ., 
chiffre  olficiel  proposé  par  le  ministre  des  Colonies  de  France 
dans  le  JouRN.XL  ofkiciel  du  14  mars  dernier  (Oui.nz.xi.ne  colo- 
niale, 25  mars  1914,  p.  203).  Mais  le  ministre  des  Colonies  de 
France  a eu  soin  de  faii’e  remarquer  que  ce  prix  est  « généra- 
lement supérieur  à celui  que  payent  les  commerçants  au  lieu  de 
production  ». 

Lorsque  nous  avons  examiné  la  question  de  la  rentahilité  des 
essences  caoutchoutifères  indigènes  congolaises,  en  nous  basant 
sur  le  prix  de  1381,25  fr.  à la  tonne  pour  le  caoutchouc  congo- 
lais rendu  à .Anvers,  nous  avions  ajouté  750  fr.  de  prix  d’achat 
à l’indigène, ce  qui  portait  la  tonne  à 2131,25  fr.  rendue  à Anvers. 
Or  le  plus  bas  prix  obtenu  en  décembre  1913  est  de  3,50  fr.  au 
kilo,  soit  3500  fr.  la  tonne,  ce  qui  laisse  un  bénéfice  net  de  plus 
de  1300  fr.  à la  fonne. 

-Admettons  même  qu’il  faille  payer  lOOf)  fr.  à la  tonne  lors  de 

(1)  Cf.  Hulletin  de  l’.Association  des  Planteuhs  de  Caoutchouc,  vol.  VI, 
mars  19U,  n”  2,  p.  35  ; voyez  également  p.  39. 


616 


REVüK  DES  questions  scientifiqup:s 


radial,  ce  qui  porterait,  le  caoutcliouc  à Anvers  à i2.i8J,^l  fr.  ; il 
y aurait  encore  un  béiiélice  très  appréciable  à la  tonne.  11  faut 
<l’ailleiirs  compter  (pie  la  moyenne  très  basse  du  pri.s  d’achat 
sur  le  marché  d’Anvers  est  de  4 i'r.,  ce  (pii  rachète  la  dépense 
supplémenlaire  [mur  l’achat  de  la  malière  bruh*  au  (iongo. 

Le  jiriK  de  vente  s’esi  d'ailleurs  eiicon*  relevé  et  le  4b  avril 
on  notait,  à .Vnvers,  pour  les  caoutchoucs  congolais  de  belle 
(pialité  très  recherchés  : 


(ànigo  Maiit-rbangi  rouge  . . 5,!H)  — H 

11.  (L  rouge  ordinaire 5,(15  — 5,75 

II.  (î.  noir 5,80  - 5,90 

basai  rouge  et  noir  1 ;i,75  — 5,8. i 

Sanga  Lbangi  noir 5,90  — (i 

Ivatanga  noir  et  rouge  I . . . . 5,85  — 5,95 

Alima  ..........  4,05 


G’est-à-dii’c  (jue  le  plus  bas  prix  du  produit  vendu  dépassait 
le  cbitl're  (pie  nous  avons  cité. 

Il  l'aut,  il  est  vrai,  l'aire  remarquer  (prune  [lartie  de  la  mar- 
chandise a été  retirée  de  la  vente,  les  vendeurs  ne  voulant 
accepter  des  oll'nvs  en  baisse  lro[)  sensible. 

.Mais  le  [irix  de  vente  du  caoutchouc  africain  pourrait  être 
facilement  maintenu  autour  de  4, .50  fr.  le  kilo  et  même  dépasser 
ce  taux,  il  siillirait  [lour  cela  de  relever  la  qualité.  Le  relèvement 
[leut  déjà  se  faire  par  un  simple  lavage,  et  on  l’obtiendra  avec 
[ilus  de  sûreté,  en  instruisant  l’indigène  comme  on  l’a  fait  dans 
certaines  colonies  africaines. 

Ne  faut-il  pas  tenir  compte,  comme  l’a  fait  remar([uer  .M.  le 
('louverneur  .Merlin,  du  fait  que  certaines  puissantes  lirmes  telles 
que  la  « Provodnik  » de  Uiga,  tout  en  reconnaissant  les  supé- 
riorités que  [irésente  le  caoutchouc  de  plantation  sur  le  caout- 
chouc .sauvage,  ont  inianmoins  allirmé  (pie  la  substitution  ne 
saurait  avoir  lieu  de  longtemps  encore,  elles  ont  au  contraire 
signalé  l’intérêt  (pi’elles  verraient  à recevoir  des  es[)èces  congo- 
laises, surtout  si  celles-ci  devaient  être  de  qualité  meilleure  que 
beaucoup  de  celles  (pii  ont  été  introduites  jusqu’ici. 

Nous  tenons  cependant  à faire  remarquer  que  pour  les  sortes 
du  Gongo  tielge  la  mauvaise  qualité  est  exagérée.  Il  suffirait 
pour  s’en  persuader  de  jeter  un  coup  d’œil  sur  les  taxations  des 
caoutchoucs  présentés  sur  le  marché  d’Anvers  en  avril  1914 
((Circulaire  Grisar  40  mars,  n°  7).  Nous  y voyons  les  prix  du 


REVUE  DES  RECUEILS  PERIODIQl’ES 


617 


caoutchouc  sylvestre  congolais  Iluctuer  entre  2,50  l'r.  et  0 t'r.  le 
kilo  et  ceux  dn  caontchonc  de  plantation  varier  de  4,80  à 6,85  l'r. 

Comme  le  montre  le  tableau  que  nous  avons  reproduit  plus 
haut,  le  Congo  français  (Alima)  parait  se  trouver  dans  des 
conditions  moins  tavorahles  que  le  Congo  belge. 

11  n’y  a donc  pas  là  un  très  grand  écart  entre  le  « plantation  » 
et  le  « sylvestre  )),  et  il  est  sans  conteste  (jue  la  purification  sur 
place,  l’éducation  de  l’indigène  et  la  mise  en  auivre  de  procédés 
de  préparation  de  plus  en  plus  rationnels  permettraient  d’obtenir 
des  produits  congolais  de  (jualité  de  plus  en  plus  belle,  toujours 
semblables  à eux-mêmes,  et  de  valeur  au  moins  égale  aux  maxi- 
mums obtenus  actuellement,  et  capables  dès  lors  de  lutter  de 
mieux  en  mieux  contre  le  caoutchouc  de  plantation. 

C’est  d’ailleurs  le  but  vers  lequel  doivent  tendre  tous  les 
etforls  : diminuer  le  nombre  de  variétés  de  caoutclioucs  appor- 
tés sur  le  marché  et  augmenter  leur  qualité,  faire  de  la  » stan- 
dardisation »,  comme  le  veut  la  Ihibber  Groirers  Association  de 
Londres.  Mais  c’est  là  un  aspect  encore  très  obsciii-  de  la  question 
caoutcboutifère  et  qui  ne  peut  être  abordé  f[ue  pai'  de  nom- 
breuses recbercbes  de  science  [)ure,  de  technique  et  de  pratique 
industrielle  (1  ). 

Indiscutablement,  la  lutte  entre  les  deux  genres  de  produits 
sera  âpre,  mais  nous  prétendons  qu’ils  pei’sisteront  tous  les  deux. 
Cependant,  il  faut  admettre  tpie  les  producteurs  de  l’un  ou  de 
l’auli'e  genre,  ([ui  ne  seront  pas  assez  forts,  c’esl-à-dire  qui  ne 
seront  pas  sullisamment  préparés,  disparaîtront,  malheureuse- 
ment pour  eux,  heureusement  pour  la  cause  générale. 

C’est  d’ailleui's  ce  que  l’on  observe  déjà  ; les  sociétés  caout- 
choulifères  montées  au  moment  du  « boom  »,  et  tranchement 
surcapitalisées,  doivent  tombei’,  car  les  conditions  actuelles  ne 
leur  permettent  pas  de  rémunérer  les  capitaux  engagés  ; mais 
il  en  est  tout  autrement  des  exploitations  de  plantes  sauvages, 
fondées  sur  la  collaboration  des  indigènes. 

Nous  pensons  donc  que  l’exploitation  et  la  culture  des  lianes 
sont  rentalîles  ; les  essais  que  nous  avons  ra[)portés  dans  des 
études  antérieures.  Mission  Laurent,  Mission  permanente 
d’études  de  ta  Compagnie  du  Kasai,  ont  démontré  la  possibilité 
de  la  multiplication  de  diverses  essences  caoulcboutifères,  tant 
de  lianes  à tige  aérienne  capable  de  produire  du  caoutchouc, 

(I)  Cf.  ItUU.ETIN  riK  rWsSOC.IATIOX  DES  l’i.ANTECKS  DE  CaOUïCHOIC, 
vol.  Vt,  niiii  I9t4,  n"  IV. 


REVl'E  DES  DEESTIOXS  SCIENTIFIQUES 


f)18 


que  (le  lianes  dans  lesquelles  la  j-omme  s’esl  réfugiée  dans  les 
rhizomes,  par  suite  de  l’habitat  partic'idier  de  ces  plantes,  telles 
([ue  les  caoutchoutiers  des  herbes  et  certaines  formes  de  Lan- 
(iolphia  sur  lesquelles  .M.  Raudon  a fait  ses  expé- 

riences tirs  sigiiiiicatives. 

Mais  il  est  indiscutable  que  pour  obtenir  des  résultats  avec 
res  essences,  il  faut  non  seulement  mettre  les  réserves  caout- 
■choutifères  en  cou|)cs  réglées,  comme  nous  l’avons  dit  et  comme 
l’ont  dit  api'(‘s  nous  M.  Louvel  à Madagascar,  et  M.  Raudon  au 
(iongo  Français,  mais  traiter  les  tissus  par  un  procédé  mécanique. 

C’est  la  seule  imithode  pour  réaliser,  à l’aide  de  ces  plantes, 
une  eN|doilation  méthodique  et  industrielb'. 

M.  Raudon  estime  que  l’exploitation  des  ressourc(^s  eaout- 
cboutiléres  indigènes  de  l’Cbangi-Cbari  est  impossible  par  les 
l)articidiers,  à caus(!  de  l’éloignement  des  pays  où  il  faut  tra- 
vailler, des  dillicidtés  de  tendes  soldes  (|u’on  y rencontre  et  de 
la  rareté  de  la  main-d’anivre.  11  croit  aussi  que  [)Our  réussir  il 
faudrait  dis|ioser  de  terrains  [larliculièremenl  ('tendus  et  d’un 
capital  énorme  (pu,  d’après  lui,  ne  serait  pas  rémunéré  par  le 
rendement.  .Mais  il  considère  que  la  question  se  présente  tout 
dilféremment  si  l’on  envisage  la  possibilité  de  faire  exécuter  le 
travail  par  l’Administration  ([ui,  dit-il,  agirait  dans  « l’intérêt 
de  l’indigène  ('ii  exigeant  de  lui  un  elfort  dont  il  retirerait  le  plus 
gros  bi'uélice  ». 

Nous  ne  pouvons  partager  romplètement  cette  manière  de 
voir  ; une  entreprise  particulière  bien  gérée  pourrait,  nous  en 
sommes  persuadé,  faire,  pai’ ce  genre  d’exploitation,  des  béné- 
tices  qui  seraient  sulllsants  [lour  rémunérer  convenablement  un 
capital  proportionné  aux  possibilités  économi(pies  de  l’exploita- 
tion. Certes  une  telle  entreiirise  devi-ait  être  organisée  un  peu 
ditféremmeid  de  celles  (pie  l’on  a eu  riiabitiide  d’installer  dans 
les  colonies  africaines,  et  dilféremment  aussi  des  Fstates  de 
rCxtrême-Orienl . Il  est  indiscutable,  par  exenqde,  qu’il  ne  pour- 
lait  être  (luestion  de  traiter  des  lianes  si  la  coupe  des  tiges 
aériennes  et  leur  utilisation  n’étaient  jias  jiennises,  et  si  l’arra- 
chement des  racines,  comme  la  coiqie  des  tiges  iitilisaliles, 
n’étaient  pas  faites  par  zones.  Mais  rien  ne  serait  plus  facile,  pour 
une  société  (pii  posséderait  une  concession  forestière,  ou  des 
terrains  recouverts  par  une  brousse  à essences  caoutcboutifèi-es, 
de  mettre  celles-ci  en  coupes  r(\glées  et  de  transporter  succes- 
sivement dans  les  zones  exploitées  les  appareils  nécessaires  à 
l’extraction  mècaniipie  du  caoutchouc.  Si  ce  procédé  ne  [touvait 


REVI'K  DES  RECUEILS  PERIODIQUES 


619 


donner  de  résultat,  ne  serait-il  pas  possible  de  faire  amener  par 
les  indigènes  la  matière  première  à une  usine  installée  dans  un 
endroit  favorablement  dioisi  de  la  concession? 

Dans  ce  dernier  cas,  le  noir  n’aurait  qu’à  soigner  les  réserves 
et  <à  récolter  la  matière  brute  qu’il  livrerait  à l’usine  contre 
payement  proportionnel  soit  aux  tiges  et  racines  apportées,  soit 
au  caoutchouc  obtenu  du  produit  brut. 

Cette  métbüde,  <à  notre  sens,  très  recommandable,  n’exigerait 
pas  un  travail  bien  considérable  de  l’indigène  ; elle  a pour 
d’autres  produits,  par  exemple  pour  le  cacao,  donné  de  fort 
bons  résultats  dans  certaines  colonies  de  l’Afrique  occidentale. 

C’est  d’ailleurs,  ne  l’onblions  pas,  dans  notre  intérêt  que 
nous  devons  amener  le  noir  à travailler  sur  place  an  progrès 
des  industries  actuellement  existantes  ; cela  vaudra  mieux,  pen- 
>ons-nous,  que  de  créer,  de  toutes  pièces,  des  industries  ou  des 
cultures  nouvelles  pour  lesquelles  l’indigène  ne  possède  actuelle- 
ment aucune  aptitude. 

encore,  si  l’on  craignait  (pie  même  dans  ces  conditions  le 
capital  européen  ne  puisse  être  suflisamment  l'émunéré,  il  reste 
la  ressource,  (pie  l’on  ne  devrait  en  aucune  façon  négliger,  de 
favoriser  directement  chez  l’indigène  le  travail  de  la  liane  par 
le  pilonnage  à la  main,  et  de  faire  acheter  par  des  salariés  de  la 
factorerie,  blancs  ou  capitas  noirs,  le  caoutchouc  ainsi  obtenu, 
comme  cela  a été  pratiqué  depuis  des  années  par  quelques 
fortes  sociétés  capitalistes  européennes.  Peut-être  aurait-on,  clans 
ce  cas,  avantage  à purilier  le  caoutchouc  dans  une  usine  cen- 
trale avant  de  l’envoyer  en  Purope  en  vue  d’améliorer  et  d’uni- 
formiser, si  possible,  la  cpialité  du  produit. 

D’ailleurs,  nous  ne  devons  pas  nous  le  di.ssimuler,  dans  bien 
des  régions,  qui  pendant  de  longues  années  resteront  encore 
éloignées  des  métropoles,  les  cultures  intensives  de  rapport 
ne  pourront  être  introduites  avec  succès,  et  le  caouchouc,  s’il 
existe,  dans  ces  régions,  sera  toujours  un  produit  qui  trouvera 
preneur  dans  des  conditions  satisfaisantes. 

.Naturellement  dans  des  circonstances  pareilles  les  Gouverne- 
ments devraient  intervenir,  mais  uniquement  pour  examiner 
si  les  conditions  dans  lesquelles  les  indigènes  exploitant  poin- 
le  compte  des  sociétés  particulières,  restent  dans  la  limite  des 
règlements  que  la  colonie  aurait  édictés  pour  assurer  la  conser- 
vation des  réserves.  Cela  ne  soulève,  pensons-nous,  aucune 
dilliculté.  Les  sociétés  commerciales  concessionnaires  ont,  dans 
la  plupart  des  colonies,  à observer  dans  les  exploitations  fores- 


620 


REVTTK  DES  gUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


tières  un  cahier  des  charges.  Le  travail  du  caoutchouc  de  lianes 
même  en  dehors  des  forêts,  dans  les  hi-ousses  africaines,  devrait 
être  mis  sur  le  même  pied  (|ue  rex{)loi(ation  d’autres  produits 
forestiers. 

Madagascar  a réglementé  dans  ce  sens  l’obtention  de  caout- 
chouc, dans  son  décret  du  aofd  ]!fld.  I.e  Président  de  la 
Hépuhiiqm'  Lrançaise,  sur  le  rai)porl  du  Ministre  Morel,  y a fait 
inscrire  ces  articles  : 

Art.  At).  — Les  récoltes  de  gommes,  résines,  gutta,  caout- 
chouc, latex  divers  et  tous  autres  i)r()duits  accessoires,  se  feront 
suivant  les  indications  du  service  de  colonisation  afin  de  ne  pas 
détruii’e  les  végétaux  producteurs.  Les  cahiei's  des  clauses  spé- 
ciales devront  être  établis  pour  ces  exploitations  (pii  demeurent 
soumises  aux  règles  générales  ci-aprês  : 

J”  L’ahalage  des  arbres  à caoutchouc  est  rigoureusement 
interdit,  seules  les  lianes  à caoutchouc  dont  le  diamètre  est 
supérieur  à centimèli'es  [KHirronl  être  coufiées.  La  lécolte  du 
caoutchouc  d’arbre  ne  pourra  avoir  lieu  ipie  jiar  saignée. 

Art.  47.  — Kn  ce  qui  con.eriie  le  ('aoutchouc,  le  concession- 
naire sera  en  outre  tenu  de  planter  chaipie  aimée,  dans  les 
parcelles  exploitées,  un  nombre  de  lianes  et  d’arbres  à caout- 
chouc ipii  ne  sera  (las  inférienr  à 1511  pieds  |)ai  hectare.  Un 
cahier  des  (danses  spéciales  indiipiiu'a  dans  qmdles  conditions 
s’elfect lieront  ces  plantations. 

Nous  sommes  cependant  d’avis  (pie  rahatagede>  arbres  pour- 
rait fort  bien  être  toh'ré;  nous  avons  démontré  antérieurement, 
et  .M.  ragronoine  Larrenc  a repris  la  même  thèse,  ipie  le  Fun- 
hunia  elitslicd  pouvait,  avec  avantage,  être  abattu  et  ses  écorces 
traitées  mécaniipiiMmmt  (I). 

Il  siillirait  d’inscrire  au  chapitre  de  la  récolte  du  caoutchouc  la 
restriction  introduite  par  le  décret  de  .Madagascar  pour  les 
gommes  et  résines,  savoir  : « Le  concessiomiaii  e pourra,  em- 
ployer telle  méthode  d’extraction  (pii  lui  conviiMidra,  iiourvu 
(pi’elle  ne  soit  [las  [)r(qudiciahle  <à  l’avenir  de  la  foret.  » 

Peut-être  faudrait-il  remplacer  le  mol  « concessionnaire  » par 
celui  de  c(  colleideiir  «,  applirpier  le  (pialiticalif  « ('conoiniipie  » 
à « avenir  de  la  forêt  » et  ajouter  : « ou  de  la  région  ». 

L’exploitation  des  lianes  a donc  encore  d(“  l’avenir  ; elle 
demande  surtout  à êlr(‘  étudiée  ; elle  devrait  être  soumise  à 


(I)  (T.  Ile  Wildeman,  in  l,K  (^aoütchocc  et  i..v  Oeti  a-I'EHCHA,  15  février 
191-i  8019,  oii  l’on  Iroiivera  des  indications  liiljliograjilnciues  sur  le  sujet. 


REVUE  DES  RECUEILS  uÈRIODIqUES 


(321 


unft  enquête,  sans  idée  préconçue.  De  celte  élude  découlerait 
nalurellement  une  réglementation  bien  définie  que  les  États, 
les  sociétés  commerciales  et  les  indigènes  auraient  le  plus  grand 
intérêt  à voir  a[)pliquer  rigoureusement. 

Dette  régiementation  devi'ait  tenir  compte  des  plantes  exploi- 
tées qui,  nous  avons  eu  roccasion  de;  le  dir<^  l'réciuemment,  sont 
très  variables. 

Nous  avons  donc  ici  une  raison  de  plus  de  réclamer,  poui' 
toutes  les  ressources  des  colonies  ti'opicales,  des  enquêtes  scien- 
tifiques et  économiipies  ap{)rol'nndies  sans  lesquelles,  nous  ne 
devons  pas  nous'le  dissimuler,  toutes  nos  enti-eprises  culturales 
resteront  basées  sur  l’empirisme  et,  dans  la  plu|)art  des  cas, 
vouées  à un  échec. 

D’est  d’ailleui's  une  des  conclusions  auxcpielles  aboutit  notre 
confrère  M.  Haudon  : « Il  faudrait,  dit-il,  reconnaître  au  préa- 
lable tous  les  peuplements  im[)ortanls,  les  limiter  dans  leurs 
gi'andes  lignes  et  les  porter  sur  les  cai'tes  locales.  De  serait  là 
le  plus  gros  travail,  mais  il  pourrait  être  fait  assez  l'apidement 
pai'  les  agents  de  l’.Administration  au  cours  des  tournées  qu’ils 
doivent  faire  dans  leurs  régions  l'espectives  » (i). 

Lorsque,  à la  première  conférence  du  caoutchouc  à Londres, 
en  1911,  nous  avons  insisté  sur  l’intérêt  de  la  culture  et  de 
l’exploitation  des  caoutciioutiers  indigènes,  nous  avons  émis 
l’idée  que  cette  ex[)loitation  rationnelle  devait  avoir  pour  résul- 
tat d’attacher  le  noir  au  sol  et  qu’elle  aurait  l'ait  faii’e  ])lus  de 
progrès  à la  civilisation  qu'en  amenant  l’indigène  à travailler, 
l)our  le  capitaliste  blanc,  dans  une  plantation  ou  une  usine. 

De  plus,  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  mise  en  valeur  ration- 
nelle des  forêts  et  des  bi'ousses  africaines,  aurait  le  grand 
avantage  de  conserver  ces  forêts,  de  donner  à ces  terres  une 
couverture  de  végétation,  et  d’empêcher  ainsi  la  modification  du 
climat  et  le  ravinement,  qui  ont,  sur  l’avenir  économique  des 
régions  tropicales,  la  plus  gi'ande  action. 

Nous  voyons  déjà  dans  les  Indes  Anglaises,  dans  les  Indes 
.Néerlandaises,  à .Madagascar,  les  agronomes  attirer  l’ai tention 
sur  les  nombreux  inconvénients  des  déboisements  qui  entrainent 
avec,  eux  des  cliangements  contre  lesquels,  bêlas,  la  culture 
faite  par  le  civilisé  ne  peut  lutter.  M.  Louvel  n’a-t-il  pas  fixé, 
pour  une  seule  province  de  Madagascar  (Morondava)  à ^UÜU 
hectares  la  surface  boisée  détruite  annuellement  par  les  indi- 


(1)  Loc.  cit.,  page  “20. 
IIP  SÉRIE.  T.  XXVI. 


40 


(]22  REVUE  DES  QUESTKJXS  SCIENTIFIQUES 

gôiies?  Ajoulez-y  les  hectares  de  Ibrèts  (|iie  le  blanc  supprime 
Itour  rétablissement  de  cultures,  souvent  aléatoires,  et  songez 
à ce  qui  restera  dans  (pielques  années  des  Ibrèts  tropicales  et 
de  leurs  l'essources  sur  lesquelles  nous  comptions  tant. 

11  serait  à souhaiter  (jue  les  vœux  émis  récemment  encore 
par  ,M.  Altona.  du  service  Ibrestier  de  Java,  et  M.  Harold 
llamel-Smitb  de  Londres,  lussent  largement  pris  en  considéra- 
tion. Leui-  exécution  forcerait  naturellement  les  gouvernements 
des  pays  tropicaux  à prendre  des  mesures  pour  mettre  en 
exploitation  rationnelle  les  ressources  de  leurs  Ibrèts. 


K.  llL  W ILDEMA.X. 


TABLE  DES  MATIÈRES 

DU 

I N GT- SIXIÈME  ^'()LüME  (troisième  série) 
Tome  LXXVl  de  la  CoLLEcnoiN 


Livraison  de  .luillet  191^ 

Origine  et  Histoire  d’une  CiiaiNiE  de  Montagnes  : Les 

Alpes,  par  M.  G.  Delépine 5 

Le  Milieu  interstellaire,  par  le  R.  P.  F.  Willaert, 

S.  J 33 

La  Fièvre  typhoïde  et  la  Vaccination  antityphoïdique, 

par  le  D’’  A.  Haibe 77 

Les  Ondes  hertziennes  atmosphériques,  par  le  R.  P.  Marc 

Dechevrens,  S.  J 1J3 

Les  Actions  catalytiques  en  Chimie,  par  M.  P.  Bruylants  J J9 
Les  Paratonnerres  a l’Association  électrotechntque 

allemande,  par  le  R.  P.  J.  D.  Lucas,  S.  J.  . . . 136 
L’Élément  nerveux  (fin),  par  le  R.  P.  L.  Boule,  S.  J.  . J6ô 
Variétés.  — LA  propos  d’un  ouvrage  récent  sur  l’astro- 
iioinie  nautique  au  Portugal  r l'époque  des  grands 
voyages  de  découverte,  par  le  R.  P.  H.  Bosmans, 

S.  J “216 

IL  Loger  Bacon,  septième  centenaire  de  sa  naissance, 

par  J.  T 227 

lîiRLioGRAPHiE.  — 1.  Cours  de  Mécanique  professé  à l’École 

Polytechnique,  par  L.  Lecornu,  tome  1,  M.  O.  . 2'iJ 

1 1 .  Les  coordonnées  intrinsèques.  Théorie  et  applica- 
tions, par  L.  Draude,  M.  0 2'i3 

III.  Introduction  géométrique  à quelques  théories 

[ihysiques,  par  Emile  Borel,  M.  0 245 

IV.  Beispiele  zur  Ceschichle  der  Mathematik.  Ein 
mathematisch-historisches  Lesebuch,  11  Teil,  von 
Alexander  ^Vilting  und  Martin  Gebhart,  H.  B.  249 


(32  i REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 

V.  A Ilistory  of  .lapanese  Matliematics,  by  Eiigene 

Smith  and  Yoshio  Mikaini,  H.  B 251 

VI.  Bihliotheca  scriptonim  Graeconim  et  Ronia- 
nornm  Teiibiieriana.  — Des  Clodiiis  Dtolemaus 
llandbuch  der  Astronomie.  Ans  dem  Grieschi- 
sclien  übersetzt  und  mit  erklarenden  Anmer- 


kimgen  verselien  von  Karl  Maintins,  H.  B.  . . 253 

VII.  La  forme  de  la  Terre  et  sa  constitution  interne, 

par  Alex.  Véronnet,  N.  N 2.55 


VIII.  I.  Les  lois  empiri(ines  du  système  solaire  et  les 
barmonicjnes  toni'billonnaires,  par  F.  Dntavand. 

— II.  L’harmonie  tourbillonnaire  de  l’atome.  Les 
spectres  et  les  éléments,  par  F.  Butavand,  L.  R.  2.5G 

IX.  Traité  de  Physicpie,  par  O.  1).  Gbwolson.  Traduc- 

tion de  F.  Davaux.  Tome  IV,  Deuxième  fascicule. 
Champ  magnéticpie  constant.  Tome  V,  Premier 
fascicule.  Champ  magnéticpie  variable,  J.  T.  . 260 

X.  Radiations  visibles  et  invisibles,  par  Silvanus 

P.  Thompson.  Traduction  et  annotations  de  L.  Du- 
noyer,  J . T 262 

XL  L’esthéti(|ue  de  la  lumière,  par  I^aul  Souriau, 

G.  Leehalas 269 

XII.  A nnuaire  météorologicjue  de  la  Station  de  (iéo- 

grapbie  mathématiipie  de  l’Fniversité  de  Garni. 

Année  météorologicpie  mars  1913-février  1914, 
par  M.  L.  X.  Vandevyver,  J.  T 274 

XIII.  La  silice  et  les  silicates,  par  Henry  Le  Chàtelier, 

H.  De  Greeff,  S.  J 275 

XIV.  11  Metodo  degli  F((uivalenti.  Contribulo  allô  studio 
dei  iM'ocessi  di  confronlo.  Ricerclie  sperinientali 

del  Dott.  Agostino  Gemelli,  J.  Maréchal,  S.  J.  281 

XV.  La  fermentation  alcoolicpie,  par  Arthur  Haï den 
(F.  S.  B.).  Traduit  de  l’anglais,  par  G.  Schaefer, 

J.  Maréchal,  S.  J 287 

XVI.  Restauration  des  montagnes.  Correction  des  tor- 
rents. Behoisement,  par  F.  Thiéry,  C.  de  Kirwan  289 

XVII.  Fconomie  forestière.  Tome  I,  deuxième  partie, 
fascicule  1.  Propriété  et  législation  forestière,  par 


G.  Hutïel,  G.  de  Kirwan 293 

XVI H.  The  Banana.  Its  cultivation,  distrihution  and  com- 
mercial uses,  by  \V.  Fawcett,  É.  D.  W.  . . . 298 


TABLE  DES  MATIERES 


f)25 


XIX.  Le  caoutchouc.  Sa  chimie  nouvelle.  Ses  synthèses, 

par  A.  Duhosc  et  A.  Luttringer,  É.  D.  W.  . . 290 

XX.  La  notion  de  temps,  par  I).  Xys,  P.  Geny  . . . yOJ 

XXL  Semaine  sociale  d’octobre  1913.  L’évolution  des 
Associations  et  des  Institutions  (Institut  Solvay). 
Compte  rendu  par  M.  Yauthier,  H.  D.  . . . oH4 

XXI 1.  Recherches  sur  le  Paganisme  de  Lihanios,  par 

J.  Misson,  J.  B.  Herman 30(5 

XXI IL  Le  portrait  du  Christ,  par  René  Colson,  P.  du  Ph.  307 
Revue  des  Recueils  périodiques. 

Sciences  techniques,  par  M.  M.  Demanet.  . . . 310 

Météorologie,  par  W.  T 32.5 

Astronomie,  par  N.  N 335 


Livraison  cl’Octobre  1014 


S.  S.  Le  P.\pe  Rendit  XY i 

L’Astrologie  au  Moyen  Age,  par  M.  P.  Duhem.  . . . .359 

Les  Forêts  congolaises,  par  M.  É.  De  Wildeman.  . . 392 

La  Quotité  de  Yie  d’une  Xation  par  Kilomètre  carré,  par 

M.  Paul  Mansion 415 

Les  Pléiades,  par  le  R.  P.  J.  Thirion,  S.  J 420 

Lne  Enquête  sur  l’Assurance  populaire  sur  la  Yie  (Assu- 
rance DE  Capitaux),  par  M.  G.  Beau  jean  ....  453 

A'ariétés.  — I.  Un  mémoire  d’Ampére  trop  peu  connu  sur 

la  ruine  du  joueur,  par  M.  Paul  Mansion  ....  49(5 

IL  La  lumière  « froide  » d’après  le  procédé  Pussaud, 

par  M.  E.  Demanet .507 

Birliographie.  — I.  Wahrscheinlichkeitsrechnung  von 
A.  A.  Markotf.  Xach  der  zweiten  Autlage  des 
russischen  AVerkes  ühersetzt  von  IL  Liebmann, 

Paul  Mansion 514 

IL  Leonhardi  Euleri  opéra  omnia  suh  auspiciis 
Societatis  Scientiarum  naturalium  llelveticae 
edenda  curaverunt  Ferdin.  Rudio,  Adolf  Krazer, 

Paul  Staeckel,  H.  Bosmans,  S.  J .521 

111.  fitudes  sur  Léonard  de  A'inci,  par  Pierre  Duhem, 

H.  Bosmans,  S.  J 529 


626 


REVISE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


n . Encycloppflie  des  Scienees  mathématiques  pures 
et  appli((uées,  publiée  sous  les  auspices  des  Aca- 
démies des  Sciences  de  (iül lingue,  de  Leipzig,  de 
.Munich  et  de  Vienne,  H.  Bosmans,  S.  J.  . . .ô37 

V.  I/.\nnuaire  pour  l’an  1014,  piddié  par  le  Bureau 

des  Longitudes,  J.  T .‘)51 

^ I.  Le  télé[)hone  instrument  de  mesure,  par  .Augustin 

Guyau,  J.  D.  L 557 

VIL  L’Afrique  é([uatoiiale  française,  par  .Maurice 
Hondet-Saint,  préface  de  Marcel  Saint-Germain, 

Fern.  Van  Ortroy 559 

VIII.  Etudes  archéologiques  et  ethnologiques.  Popula- 
tions primitives  de  la  .Mongolie  firientale,  par 

K.  Toiü  et  Kiniiko  Torii,  I.  S 563 

IX.  Etude  sur  l’écriture  artiticielle  dans  les  documents 

torgés,  |)ar  Gl.  Paulicr,  E.  de  Moreau,  S.  J.  . 566 

Revue  des  Hecueh.s  péhiüdioles. 

-VsTHo.NO.MiE,  j>ar  N.  N 571 

lliSTOiHE  DES  .M.\THÉ.M.\TiouEs,  [)ar  H.  Bosmans,  S.  J.  583 
Bot.x.mqle  iNDi'STiUELLE,  par  M.  Éd.  De  Wildeman.  610 


lmp  Fr.  Ceuterick,  rue  Vital  Decoster,  (50,  Louvain. 


v;_  -j  ^ 


REVUE 


DES 

QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 

PUBLIÉE 

PAR  LA  SOCIÉTÉ  SCIENTIFIQUE  DE  BRUXELLES 


Nulla  unquam  inter  fidem  et  rationem- 
vera  dissensio  esse  potest. 

Const.  de  Fid.  Cath.,  c.  IV. 


TROISIÈME  SÉRIE 

TOME  XXVI  — 20  JUILLET  19  14: 

(trente-huitième  année  ; tome  lxxvi  de  la  collection) 


LOUVAIN 

SECRÉTARIAT  DE' LA  SOCIÉTÉ  SCIENTIFIQUE 

(M.  J.  Thirion) 

II,  RUE  DES  RÉCOLLETS,  II 


1914 


LIVRAISON  DE  JUILLET  1914 

1.  — Or.IGINE  ET  IIISTOIIIE  D’UNE  CHAINE  DE  MONTAGNES  : LES  ALPES, 

par  M.  ï>el<^pîne.  p.  5. 

IL  — LE  MILIEU  INTERSTELLAIRE,  par  le  R.  ■».  F.  VVîllaei-t,  J., 
p.33. 

III.  — LA  FIÈVRE  TYPIIOIDE  ET  LA  VACCINATION  ANTITYPHOIDIQUE,  par 

M-  le  I>oeietii*  Uuil>e,  p.  77. 

IV.  — LES  ONDES  HERTZIENNES  ATMOSPHÉRIQUES,  par  le  R.  I».  M. 

Reelieveeus,  S.  ,1.,  p.  95. 

V.  — LES  ACTIONS  CATALYTIQUES  EN  CHIMIE,  par  M.  R.  Onij- 

iitiits,  p.  119. 

VI.  - LES  PARATONNERRES  A L’ASSOCIATION  ÉLECTROTECHNIQÜE  ALLE- 
MANDE, par  le  R.  R I.,ucsi8,  S.  j.,  p.  136. 

VIL  — L’ÉLÉ.MENT  NERVEUX  (Suite  et  fin),  par  le  R.  R.  t..  Roule, 
•!..  p.  165. 

VIII.  — VARIÉTÉS.  — I.  A propos  d'un  ouvrage  récent  sur  l'astronomie  nau- 
tique au  Portugal  à l’époque  des  grands  voyages  de  découverte,  par 
le  R.  P.  H.  Bosmans,  S.  J.,  p.  illR.  — H.  Roger  Bacon,  septi'eme 
centenaire  de  sa  naissance,  par  J.  T.,  p.  2^7. 

IX.  — BIBLIOGR.YPHIE.  — I.  Cours  de  .Mécani(pie  professé  à TÉcole  Polytech- 
nique par  L.  Lecornu,  tome  I,  M.  O.,  p.  241.  — H.  Les  coordonnées 
intrinsèques.  Théorie  et  applications,  par  L.  Rraude,  M.  O.,  p.  243. 
— 111.  Introduction  géométrique  à quelques  théories  physiques,  par 
Émile  Rorel,  M.  O.,  j).  245.  — IV.  Beispiele  zur  (Jeschichte  der  Mathe- 
matik.  Ein  mathemalisch-historisches  Lesehuch,  11  Teil,  von  Alexander 
Wittingund  .Martin  Gebharl,  H.  B.,  p.  249.  — V.  A History  of  Japanese 
Mathematics,  by  Eugene  Smith  and  Yoshio  Mikami,  H.  B.,  p.  251.  — 
VL  Bihliolheca  scriptorum  Graecorum  et  Romanorum  Teubneriana. 
— Des  Clodius  Ptolemiius  Handbuch  der  Astronomie.  .\us  dem  Grieschi- 
schen  ühersetzt  und  mit  erkiarenden  Anmerkungen  versehen  von  Karl 
Maintins,  H.  B.,  p.  253.  — VIL  La  Forme  de  la  Terre  et  sa  Constitution 
interne,  par  Alex.  Véronnet,  N.  N.,  p.  255.  — VllL  — i.  Les  lois  em- 
piriques du  système  solaire  et  les  harmoniques  tourbillonnaires,  par 
F.  Butavand.  — il.  L’Harmonie  tourbillonnaire  de  l’atome.  Les  spectres 
et  les  éléments,  par  F.  Butavand,  L.  R.,  p.  256.  — IX.  Traité  de 
Physique,  par  Ô.  D.  Chvvolson.  Traduction  de  E.  Davaux.  Tome  IV, 
Deuxième  fascicule.  Champ  magnétique  constant.  Tome  V,  Premier 
fascicule.  Champ  magnétique  variable,  J.  T.,  p.  268.  — X.  Radiations 
visibles  et  invisibles,  par  Silvanus  P.  Thompson.  Traduction  et  annota- 
tions de  L.  Dunoyer,  J.  T.,  p.  260.  — XL  L’Esthétique  de  la  Lumière, 
par  Paul  Souriau,  G.  Lechalas,  p.  269.  — XII.  Annuaire  météorolo- 
gique de  la  Station  de  Géographie  .Mathématique  de  l’Université  de 
Gand.  Année  météorologique  mars  1913-février  1914,  par  .M.  L.  N. 
Vandevyver,  J.  T.,  p.  274.  — XIII.  La  silice  et  les  silicates,  par  Henry 
Le  Châfelier,  H.  de  Greefif,  S.  J.,  p.  275.  — XIV.  11  iMetodo  degli 
Equivalenti,  Contrihuto  allô  studio  dei  processi  di  confronto.  Ricerche 
sperirnentali  del  Dott.  Agostino  Gemelli,  J.  Maréchal,  S.  J.,^  p.  280. 
— XV.  La  Fermentation  alcoolique,  par  .Yrthur  Harden  F.  R.  S. 
Traduit  de  l’anglais  par  G.  Schaefer,  J.  Maréchal,  S.  J.,  p.  287.  — 
XVI.  Restauration  des  .Montagnes.  Correction  des  torrents.  Reboise- 
ment, par  E.  Thiéry,  C.  de  Kirwan,  p.  291.  — XVH.  Économie  fores- 
tière Tome  1,  deuxième  partie,  fascicule  I.  Propriété  et  législation 
forestière,  par  G.  Huffel,  C.  de  Kirwan,  p.  293.  — XVHI.  The  Banana. 
Us  cultivation,  distribution  and  commercial  uses,  by  \V.  Fawcett, 
E.  D.  W.,  p.  298.  — XIX.  Le  caoutchouc.  Sa  chimie  nouvelle.  Ses  syn- 
thèses, par  A.  Dnbosc,  et  A.  Luttringer,  É.  D.  W.,  p.  299.  — .XX.  La 
notion  de  temps,  par  D.  Nys,  P.  Geiiy,  p.  301.  — XXL  Semaine  sociale 
d’octobre  1913.  L’Évolution  des  Associations  et  des  Institutions  (Institut 
Solvay).  Compte  rendu  par  M.  Vauthier,  H.  D.,  p.  304.  — XXII. 
Recberches  sur  le  Paganisme  de  Libanios,  par  .1.  Misson,  J.  B.  Her- 
man, p.  306.  — XXIII.  Le  portrait  du  Christ,  par  René  Colson, 
P.  du  Ph.,  p.  307. 

X.  — REVUE  DES  RECUEILS  PÉRIODIQUES.  — Sciences  techniques,^  par 
M.  M.  Demanet,  p.  310.  — Météorologie,  par  W.  T.,  p.  325.  — 
Astronomie,  par  N.  N.,  p,  335. 


PUBLICATIONS  DE  LA  SOCIÉTÉ  SCIENTIFIQUE 


ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  SCIENTIFIQUE  DE  BRUXELLES,  t.  I à 

t.  XXXV,  1875  à 1911.  Chaque  vol.  in-8’  de  400  à 600  pages  fr.  20  00 
TABLE  ANALYTIQUE  des  vingt-cinq  premiers  volumes  des  Ann.vles  de  l.\ 
Société  scientifique  (1875-1901).  Un  vol.  10-8”  de  250  pages  (1904),  en 

vente  au  prix  de fr.  3 00 

REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES.  Première  série,  1877  à 1891. 
Trente  volumes.  Seconde  série,  1892  à 1901.  Vingt  volumes.  Troisième 
série,  commencée  en  1902.  Les  deux  volumes  annuels,  de  700  pages  in-8“ 

chacun, fr.  20  00 

TABLE  ANALYTIQUE  des  cinquante  premiers  volumes  de  la  Revue  des 
Questions  scientifiques  (1877-1901).  Un  vol.  in-8’ de  xii-168  pages,  petit 
texte  (1904),  en  vente  au  prix  de  5 fr.  ; pour  les  abonnés  . . fr.  2 00 

Ph.  Gilbert.  Mémoire  sur  l’applicalion  de  la  méthode  de  Lagrange  à divers 
problèmes  de  mouvement  relatif.  Deuxième  édition  (1889).  Un  vol.  in-8"  de 

150  pages fr.  7 50 

DISCUSSION  SUR  LE  FGETICIDE  MÉDICAL.  Brochure  in-8"  de  38  pages 

(1904) fr.  1 00 

LA  CRISE  DU  LIBRE-ÉCHANGE  EN  ANGLETERRE.  Rapports  de 
MM.  G.  Blondel,  Ch.  De.jace,  A.  Viallate,  Emm.  de  Meester,  P.  de  Laveleye, 
Éd.  Van  der  Smissen.  Brochure  in-8"  de  121  pages  (1905).  . fr.  2 00 

LES  PORTS  ET  LEUR  FONCTION  ECONOMIQUE  ; T.  I.  Introduction,  Éd.  Van  der 
Smissen.  t.  La  Fonction  économique  des  Ports  dans  l’Antiquité  grecque,  H.  Francotte. 
II.  Bruges  au  Moyen  âge,  G.  Eeckhout.  III.  Barry,  H.  Laporte.  IV.  Beira,  Ch,  Morisseaux. 
V.  Liverpool,  P.  de  Bousiers.  VI.  Anvers,  E.  Dubois  et  M.  Theunissen.  VII.  Les  Ports  et  la 
vie  économique  en  France  et  en  Allemagne,  G.  Blondel.  Un  vol.  in-S”  de  183  pages,  figures 
et  plans  (Épuisé).  T.  II,  A'III.  Londres,  G.  Eeckhout.  IX.  Délos,  A.  Roersch.  X.  Rot- 
terdam, J.  Charles.  XL  Gênes  au  Moyen  âge,  .1.  Hanquet.  XII.  Marseille,  G.  Blondel.  Un 
vol.  in-8“  de  123  pages,  figures  et  plans.  Prix  : 3 francs.  T.  III.  XIII.  Le  Port  moderne  de 
Gênes,  M.  Theunissen.  XIV.  Ostende.  L.-Th.  Léger.  XV.  Jaffa,  P.  Gendebien.  XVI.  Lis- 
bonne, Ch.  Morisseaux.  XVIL  Le  Havre,  G.  Blondel.  XVHI.  Hambourg,  P.  de  Bousiers  et 
J.  Charles.  XIX.  Rio-de-Janeiro,  F.  Georlette.  XX.  Han-Ivow.  A.  Vanderstichele.  Prix: 
3 francs.  T.  IV.  XXL  Barcelone  et  Bilbao,  J.  Charles.  XXH.  Buenos-.Xires,  M.  Theunissen. 
XXIII.  Brême,  J.  Charles.  XXIV.  Xew-York,  Paul  Hagemans.  XXV.  Le  Port  de  Pouzzoles 
dans  r.Antiquitê,  d’après  un  livre  récent,  Alphonse  Roersch.  XXVI.  Shanghaï,  A.  A.  Fauvel. 
XXVII.  Zeebrugge,  J.  Xyssens-Hart.  Un  vol.  in-8’  de  181  pages,  figures  et  plans.  Prix  : 
3 francs.  T.  V.  XXVHI.  Rouen,  G.  Blondel.  XXI.X.  Montréal,  M.  Dewavrin.  XXX.  Seattle 
et  Tacoma,  M.  Rondet-Saint.  XXXI.  Trieste,  Fiume,  Venise,  M.  Dewavrin.  .XXXH.  Venise 
au  moyen  âge,  G.  Terlinden.  XXXHI.  Les  ports  du  Xord-Est  de  l’Angleterre,  J.  Meuwissen. 
— Conclusions,  G.  Blondel.  — .Appendices  : L’administration  des  Ports,  J.  Charles,  S.  J. 
L’industrie  des  transports  maritimes,  H.  Mansion.  Prix  : 3 francs. 

SUR  QUELQUES  POINTS  DE  MORALE  SEXUELLE  DANS  SES 
RAPPORTS  AVEC  LA  MÉDECINE.  Rapport  de  M.  le  X.  Francotte. 

Brochure  in-8"  de  48  pages  (1907) fr.  O 75 

DE  LA  DÉPOPULATION  PAR  L’INFÉCONDITÉ  VOULUE.  Rapport 
de  M.  le  D’’  Henri  Desplats,  et  discussion.  Brochure  in-8"  de  29  pages  (1908) 

fr.  O 75 


TtEVÜE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 

rUBLIÉE  PAR 

LA  SOCIÉTÉ  SCIENTIFIQUE  DE  BRUXELLES 


Celte  revue  de  haute  vulgarisation,  fondée  en  1877  par  la  Société 
scientifique  de  Bruxelles,  se  compose  actuellement  de  deux  séries  : 
la  première  série  comprend  30  volumes  (1877-1891);  la  deuxième, 
20  volumes  (1892-1901).  La  livraison  de  janvier  1902  a inauguré  la 

troisième  série. 

La  revue  paraît  en  livraisons  trimestrielles  de  352  pages,  à la  fin  de 
janvier,  d’avril,  de  juillet  et  d’octobre.  Chaque  livraison  renferme 
trois  parties  principales. 

La  première  partie  se  compose  d’Articles  originaux,  où  sont 
traités  les  sujets  les  plus  variés  se  rapportant  à l’ensemble  des 
sciences  mathématiques,  physiques,  naturelles,  sociales,  etc. 

La  deuxième  partie  consiste  en  une  Bibliographie  scientifique, 
où  l’on  trouve  un  compte  rendu  détaillé  et  l’analyse  critique  des 
principaux  ouvrages  scientifiques  récemment  parus. 

La  troisième  partie  consiste  en  une  Revue  des  Revues  et  des 
Publications  périodiques,  où  des  écrivains  spéciaux  résument  ce 
qui  paraît  de  plus  intéressant  dans  les  archives  scientifiques  et 
littéraires  de  notre  temps. 

Chaque  livraison  contient  ordinairement  aussi  un  ou  plusieurs 
articles  de  Variétés. 

CONDITIONS  D’ABONNEMENT 

Le  prix  d’abonnement  à la  Bevue  des  Questions  scientifiques  est 
de  20  francs  par  an.  Les  membres  de  la  Société  scientifique  de 
Bruxelles  ont  droit  à une  réduction  de  25  % ; le  prix  de  leur 
abonnement  est  donc  de  15  francs  par  an. 

Table  analytique  des  cinquante  premiers  volumes  de  la 
Revue.  Un  vol.  du  format  de  la  Revue  de  xii-168  pages.  Prix  : 
5 francs  ; pour  les  abonnés,  2 francs. 

Des  volumes  isolés  seront  fournis  aux  nouveaux  abonnés  à des 
conditions  très  avantageuses. 

S’adresser  pour  tout  ce  (jui  concerne  la  Rédaction  et  TAdminis- 
tration  au  secrétariat  de  la  Société  scientifiqîie,  i i,  rue  des  Récol- 
lets,  Louvain. 

Une  I%nlice  ^ui*  la  Société  scientifique,  son  but,  ses  ti*a- 
vuux,  est  envoyée  gi'atuiteinent  à ceux  qui  en  fiant  la 
demande  au  seci’étariat. 


Louvain.  — lmp.  F.  Ceuterick,  rue  Vital  Decoster,  60. 


•t- 


HEV  UK 

QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 


PUBLIÉE 

PAR  LA  SOCIÉTÉ  SClEATlFigL'E  DE  BRUXELLES 


Nulla  unquam  inter  lidem  et  rationem 
vera  dissensio  esse  potest. 

Const.  de  Fid.  Cath.,  c.  IV. 


TROISIÈME  SÉRIE 

TOME  XXVI  — 20  OCTOBRE  1914 

(trente-huitième  .année  ; tome  lxxvi  de  la  collection) 


LOUVAIN 

SECRÉTARIAT  DE  LA  SOCIÉTÉ  SCIENTIFIQUE 

(M.  J.  Thirion) 

II,  RUE  DES  RÉCOLLETS,  II 


1914 


• -V 

LIVRAISON  ‘ D’OCTOBRE 


I.  — s.  s.  LE  PAPE  BENOIT  XV,  p.  i. 

II.  — I.’ASTUOI.OOIE  AU  MOYEN  AGE,  par  M-  l*.  Duliem,  p.  349. 

III.  — LES  FOBETS  GONGOL.AISEIS,  par  M.  É.  De  %Vildeiiis«n,  p.  392. 

IV.  — LA  OUOTITÉ  ItE  VIE  D’UNE  N.ATION  PAR  KILOMÈTP.E  CABRÉ,  par 

M.  DmiiI  Muii^ion,  p.  415. 

V.  — LES  PLÉI.VDES,  par  le  D.  I*.  .1.  Xhîi'îoii,  S.  J.,  p.  420. 

VL  — UNE  ENQUÊTE  SUR  l/.ASSURANCE  POPUL.YIRE  SUR  LA  VIE  (ASSU- 
RANCE DE  CAPITAUX),  par  C.  Beaujeaii,  p.  453. 

VU.  — V.ARIÉTÉS. — I.  Un  mémoire  d’ Ampère  trop  peu  connu  sur  la  ruine  du 
joueur,  par  M.  Paul  Mansion,  p.  490.  — 11.  La  lumière  « froide  » 
d’ajirès  le  procédé  Dussnud,  par  M.  E.  Demanet,  p.  507. 

VIII.  — BIRIAOGRAPIIIE.  — I.  Wahr.scheiiilichkeitsrechnuiig  von  A.  .A.  .MarkolL 
.Naeh  (1er  zweiten  .Aullage  des  nissischen  Werkes  übersetzt  von  IL  Lieb- 
inaiin,  Paul  Mansion,  p.  511.  — II.  Léonard!  Euler!  opéra  omn!a  sub 
ausp!ci!s  Sof!etal!s  Scient!arum  naturalium  Helvet!cae  eclenda  cnrave- 
runl  Ferd!n.  Rudio,  .\dolf  Krazer.  Paul  Staeckel,  H.  Bosmans,  S.  J., 
p.  521.  — 111.  Etudes  sur  Léonard  de  V!nc!,  par  Pierre  Duliem, 
H.  Bosmans,  S.  J.,  p.  529.  — IV.  Encyclopédie  des  Sciences  mathé- 
matiques pures  et  appliquées,  publiée  sous  les  auspices  des  Académies 
des  Sciences  de  {iüllingue,  de  Leipzig,  de  .Munich  et  de  Vienne, 
H.  Bosmans,  S.  J.,  p.  537.  — V.  L’.Annuaire  pour  l’an  1914,  publié 
par  le  Bureau  des  Longitudes,  J.  T.,  p.  551.  — VL  Le  téléphone 
instrument  de  mesure,  par  .Vugustin  Guyau,  J.  D.  L.,  p.  557.  — 
VU.  L’Afrique  équatoriale  française,  par  Maurice  Rondet-Saint,  préface 
de  Marcel  Saint-Germain,  Fern.  Van  Ortroy,  559.  — VllI.  Études 
archéologiques  et  ethnologiques.  Populations  primitives  de  la  Mongolie 
Orientale,  par  R.  Torii  et  Kimiko  Torii,  I.  S.,  p.  563.  — IX.  Etude  sur 
l’écriture  artificielle  dans  les  documents  forgés,  par  CL  Paulier,  E.  de 
Moreau,  S.  J.,  p.  566. 

IX.  — REVUE  DES  RECUEILS  PÉRIODIQUES.  — .Astronomie,  par  N.  N., 
p.  571.  — Histoire  des  mathématiques,  par  H.  Bosmans,  S.  J., 
p.  583.  — Rotaniiiue  industrielle,  par  M.  Éd.  de  Wildeman,  p.  610. 


PUBLICATIONS  DE  LA  SOCIÉTÉ  SCIENTIFIQUE 


ANNALES  DE  LA  SOCIÉTÉ  SCIENTIFIQUE  DE  BRUXELLES,  t.  1 à 

t.  XXXV,  1875  à 1911.  Chaque  vol.  in-8’  de  400  à 600  pages  fr.  20  00 
TABLE  ANALYTIQUE  des  vingt-cinq  premiers  volume.^  des  Ann.vles  de  l.a 
Société  scientifique  (1875-1901).  Un  vol.  in-8’’  de  250  pages  (1904),  en 

vente  an  prix  de Ir.  3 00 

REVUE  DES  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES.  Première  .série,  1877  h 1891. 
Trente  volumes.  Seconde  série,  1892  à 1901.  Vingt  voluines.  Troisième 
série,  commencée  en  1902.  Les  deux  volumes  annuels,  de  700  pages  in-8“ 

chacun,  h'-  20  00 

TABLE  ANALYTIQUE  des  cinquante  premiers  volumes  de  la  Revue  des 
Questions  scientifiques  (1877-1901).  Un  vol.  in-8’ de  xii-168  pages,  petit 
texte  (1904),  en  vente  au  prix  de  5 l'r.;  pour  les  abonnés  . . l'r.  2 00 

Ph.  Gilbert.  Mémoire  sur  l’applicalioii  de  la  méthode  de  l.agrange  à divers 
problèmes  de  mouvement  relatif.  Deuxième  édition  (1889).  Un  vol.  in-8“  de 

150  pages fr.  7 50 

DISCUSSION  SUR  LE  FŒTICIDE  MÉDICAL.  Brochure  in-8’  de  38  pages 

(1904) fr.  1 00 

LA  CRISE  DU  LIBRE-ÉCHANGE  EN  ANGLETERRE.  Rapports  de 
MM.  G.  Blondel,  Ch.  Dejace,  A.  Viallate,  Umm.  de  Meester,  P.  de  Laveleye, 
Ûd.  Van  der  Smissen.  Brochure  în-8'’  de  121  pages  (1905).  . fr.  2 00 

LES  PORTS  ET  LEUR  FONCTION  ECONOMIQUE  ; T.  I.  Introduction,  Éd.  Van  der 

Smissen.  t.  I.a  Fonction  économique  des  Ports  dans  l’Antiquité  grecque,  H.  Francotte. 
II.  Bruges  au  Moyen  âge,  G.  Eeckhout.  III.  Barry,  II.  I.aporte.  IV.  Beira,  CIi.  Morisseaiix. 
V.  Liverpool,  P.  de  Bousiers.  VI.  Anvers,  E.  Dubois  et  M.  Tlieunissen.  VII.  Les  Ports  et  la 
vie  économique  en  France  et  en  Allemagne,  G.  Blondel.  Un  vol.  in-8®  de  183  pages,  figures 
et  plans  (Epuisé).  T.  II.  Vlll.  Londres,  G.  Eeckhout.  IV.  Délos,  A.  Roersch.  X.  Rot- 
terdam, J.  Charles.  .VI.  Gènes  au  Moyen  âge,  .1.  Ilanquet.  XII.  .Marseille,  G.  Blondel.  Un 
vol.  iu-8®  de  123  pages,  figures  et  plans.  Prix  : 3 francs.  T.  III.  Xlll.  Le  Port  moderne  de 
Gênes,  M.  Theunissen.  .XIV.  Ostende.  L.-Tli.  Léger.  .XV.  .laffa,  P.  Gendebien.  XVI.  Lis- 
bonne, Ch.  Morisseaux.  .XVII.  Le  Havre,  G.  Blondel.  XVIII.  Hambourg,  P.  de  Rousiers  et 
.1.  Charles.  XIX.  Rio-de-laneiro,  F.  Georlette.  .XX.  Hau-Ivow.  .A.  Vanderstichele.  Prix: 
3 francs.  T.  IV.  XXL  Barcelone  et  Bilbao, .).  Charles.  XXII.  Buenos-.Aires,  M.  Theunissen. 
.XXIII.  Brème,  J.  Charles.  XXIV.  Xew-York,  Paul  Hagemans.  .XXV.  Le  Port  de  Pouzzoles 
dans  l’.Antiquité,  d’après  un  livre  récent,  .Alphonse  Roersch.  XXVI.  Shanghaï,  .A.  .A.  Fauvel. 
XXVII.  Zeebrugge,  ,1.  Nyssens-Hart.  Un  vol.  in-8®  de  184  pages,  figures  et  plans.  Prix  : 
3 francs.  T.  V.  XXVIII.  Rouen,  G.  Blondel.  XXl.X.  Montréal,  M.  Dewavrin.  XXX.  Seattle 
et  Tacoma,  M.  Rondet-Saint.  XXXI.  Trieste,  Fiume,  Venise,  M.  Dewavrin.  .XXXIl.  Venise 
au  moyen  âge,  C.  Terlinden.  XXXIII.  Les  ports  du  Nord-Est  de  l’.Angleterre,  J.  Meuwissen. 
— Conclusions,  G.  Blondel.  — Appendices  : L’administration  des  Ports,  J.  Charles,  S.  J. 
L’industrie  des  transports  maritimes,  H.  Mansion.  Prix  : 3 francs. 

SUR  QUELQUES  POINTS  DE  MORALE  SEXUELLE  DANS  SES 
RAPPORTS  AVEC  LA  MÉDECINE.  Rapport  de  M.  le  D-’  X.  Francotte. 

Brochure  in-B”  de  48  pages  (1907) fr.  O 75 

DE  LA  DÉPOPULATION  PAR  L’INFÉCONDITÉ  VOULUE.  Rapport 
de  M.  le  R’’  Henri  Desplats,  et  discussion.  Brochure  in-8“  de  29  pages  (4908) 

fr.  O 75 


liËVUE  DKS  QUESTIONS  SCIENTIFIQUES 

PUBLIÉE  PAR 

LA  SOCIÉTÉ  SCIENTIFIQUE  DE  BRUXELLES 

THOISIÈ3SÆE  SÈME 

Celte  revue  tle  haute  vulgarisation,  l'ondée  en  1877  par  la  Société 
scientilique  de  Bruxelles,  se  compose  actuellement  de  deux  séries  : 
la  première  série  comprend  30  volumes  (J877-J891)  ; la  deuxième, 
20  volumes  (1892-1901).  La  livraison  de  janvier  1902  a inauguré  la 

troisième  série. 

La  revue  paraît  en  livraisons  trimestrielles  de  352  pages,  à la  lin  de 
janvier,  d’avril,  de  juillet  et  d’octobre.  Chaque  livraison  renferme 
trois  parties  principales. 

La  première  partie  se  < ompose  d’Articles  originaux,  où  sont 
traités  les  sujets  les  plus  variés  se  rapportant  à l’ensemble  des 
sciences  mathématiques,  physiques,  naturelles,  sociales,  etc. 

La  deuxième  partie  consiste  en  une  Bibliographie  scientifique, 
où  l’on  trouve  un  compte  rendu  détaillé  et  l’analy.se  critique  des 
principaux  ouvrages  scientiliques  récemment  parus. 

La  troisième  partie  consiste  en  une  Revue  des  Revues  et  des 
Publications  périodiques,  où  des  écrivains  spéciaux  résument  ce 
qui  paraît  de  plus  intéres.sant  dans  les  archives  .scientifiques  et 
littéraires  de  notre  temps. 

Chaque  livraison  contient  ordinairement  aussi  un  ou  plusieurs 
articles  de  Variétés. 

C 0 N 1 ) IT 1 0 iN  S D’ABONNE  M E N T 

Le  prix  d’abonnement  à la  Bevue  des  Questions  scientifiques  est 
de  20  francs  par  an.  Les  membres  de  la  Société  scientifique  de 
Bruxelles  ont  droit  à une  réduction  de  25  % ; le  prix  de  leur 
abonnement  est  donc  de  15  francs  par  an. 

Table  analytique  des  cinquante  premiers  volumes  de  la 
Revue,  lin  vol.  du  format  de  la  Revue  de  xii-d68  pages.  Prix  : 
5 francs  ; pour  les  abonnés,  2 francs. 

Des  volumes  isolés  seront  fournis  aux  nouveaux  abonnés  à des 
conditions  très  avantageuses. 

S’ adresser  pour  tout  ce  qui  concerne  la  Rédaction  el  /'Adminis- 
tration au  secrétariat  de  la  Société  scientifique,  1i,  rue  des  Bécol- 
lets,  Louvain. 

Une  IVeliee  fiiii*  la  Société  6cieiilific|tie,  «ion  but,  sew  t i-a- 
vaux,  ciiv«>yée  gi'al uiteiiieut  à ceux  qui  en  font  la 

deinauiJc  au  secrétariat. 


I.oiivain.  — lmp.  F.  Ceuterick,  rue  A llai  Decoster,  60.