FOR THE PEOPLE
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FOR SCIENCE
LIBRARY
OF
THEAMERiaN MUSEUM
OF
NATURAL HISTORY
REVUE
DES
QUESTIONS SCIENTIFIQUES
KEVIË
DES
QUESTIONS SCIENTIFIQUES
S.ob^Mrq.'îi')
PUBLIEE
PAR LA SOCIÉTÉ SCIEATIFIQUE DE BRLXEI.LES
Nulla unquani iiiler fitlem et ralionem
vera dissensio esse potest.
Const. de Fid. Cath., c. IV.
TROISIÈME SÉRIE
TOME XXVI — 20 JUILLET 1914
(trente-huitième année ; tome lxxvi de la collection)
LOUVAIN
SECRÉTARIAT DE LA SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE
(M. J. Thirion)
II, RUE DES RÉCOLLETS, II
1914
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Origine et Histoire d’une Chaîne de Montagnes
La chaîne des Alpes couvre sur la carte d’Euro})e
une surface considérable, étendue d’Ouest en Est sur
1000 kilomètres de longueur, entre (tènes et A'ienne,
large en mojmnne de 200 à 250 kilomèti-es ; ses som-
mets les plus élevés atteignent une altitude supérieure
à iOOO mètres, et les crêtes principales se maintiennent
à peu près partout à plus de 3000 mètres. Cette
(îhaîne forme comme un bourrelet gigantesque jeté à
travers l’Europe centrale, et dont l’origine, le mode de
formation ont été l’un des problèmes les plus discutés,
— l’un des plus difficiles à résoudre aussi — dès
l’époque, qui remonte à un siècle à peine, où l’on s'est
essayé à l’étude géologique des régions de montagnes.
Avant de retracer l’histoire des Alpes dans le passé,
il importe d’en fixer d’abord les traits actuels; non
point que ceux-ci soient invariables, ils sont au con-
traire en voie de perpétuel remaniement sous l’action
des agents atmosphériques, des glaciers, des rivières,
mais ces modifications ne s’opèrent que lentement, et
les lignes demeurent assez stables, même dans leurs
<létails, pour que l’on ait pu figurer sur les cartes géo-
(1) Conférence faite à l’assemlilée g’énéralo de la Société scientiliqiie, le
:2‘2 avril 1914.
6
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
;^raplii([ues leurs contours qui nous sont devenus fami-
liers.
Dans les Alpes occidentales^ entre la France (d
ritalie, on }teut distinguer quatre zones parallèles,
allongées du Sud au Nord, mises en évidence sur les
cartes géologiques par les couleurs variées ([ui
indiquent les diderents terrains ;
1. I.a zone subalpine formée d’abord jtar des chaines
à peu près parallèles : leVercors, la (îrande Chartreuse,
les Bauges; })uis, dans leur prolongement, au Nord de
l'Arve, les Préalpes du Chablais, auxquelles font suite
au delà du Rhône, les Préalpes romandes. Toutes ces
montagnes sont constituées par des terrains tertiaires,
crétacés et Jurassiques.
2. La zone des massifs eristallins : le Mercantour,
le Pelvoux, les Rrandes Rousses, Belledonne, le
Mont-Blanc, où les roches graniti([ues, les gneiss et les
micaschistes, tiennent la plus grande place. Ces
massifs s'alignent en série discontinue, laissant entre
eux des espaces où l’on rencontre par lambeaux très
réduits, ou par nappes assez largement étalées, des
terrains de même âge <[ue ceux de la première ou de
la troisième zone.
d. La zone du lleicinçonnais, où l’on retrouve non
seulement des terrains tertiaires et des terrains Juras-
si({ues, mais aussi du trias et des terrains paléozoïques,
([iii sont largement représentés. Cette zone, bien déve-
lopjtée dans le Dauphiné et en Savoie (massif de la
à'anoise), se resserre et se réduit à une bande étroib* à
l'Est du Mont-Blanc et dans les Alpes Maritimes.
4. La zone du Piémont, où prédominent de nouveau
les roches cristallines, et où il existe en particuliei-
une formation schisteuse enrichie d’éléments cristal-
lins et désignée sous le nom de schistes lustrés. De
cette dernière zone font }>artie les massifs du Mont-
LES AI.PES
/
Viso et (lu grand Paradis; en Suisse, celui du Mont-
Rose se trouve dans son prolongement.
Cette structure si complexe des Alpes françaises, se
retrouve dans la partie occidentale des Alpes suisses;
mais à mesure qu’on s’avance vers l’Est, elle devient
en apparence plus simple, et entre Innsbriick et
Vienne, les Alpes autrichiennes paraissent comprendre',
si l’on sVn tient aux grandes lignes d’une carte géolo-
gique, trois zones seulement : une partie axiale con-
stituée par des roches cristallines et des terrains
])aléozoïques ; puis, de chaque côté, au Nord et au Sud,
des chaînes formées par des terrains secondaires et
tertiaires ; marnes, calcaires ou dolomies du trias et
du jurassique, tljsch et mollasse. L’architecture des
Alpes orientales serait donc caractérisée, à la difié-
rence de celle des Alpes occidentales, par une espèce
de S3’métrie, par une ordonnance régulière des terrains
]dus récents, qui viennent tlanquer de chaque C(ôté un
axe formé par les roches les plus anciennes.
Ces différences de structure, à première vue si accen-
tuées, et perçues dès l’origine, ont-elles influé sur les
conceptions que se sont faites au sujet des Alpes les
géologues des différents pays? Toujours est-il que les
savants allemands et autrichiens se sont généralement
montrés plus disposés à présenter ou à accepter les
solutions plus simplistes, ou à les garder plus long-
temps, tandis que Français et Suisses ont montré plus
souvent un sens mieux averti de la variété et de la
complexité des phénomènes. Ces divergences, où l'on
a vu parfois à tort une simple question d’école, se
marquent en effet à travers tout le xix® siècle, dans les
théories qui se sont succédé pour expliquer la forma-
tion des Alpes.
Dans une première partie, je rappellerai les princi-
]>ales hypothèses qui ont été proposées pour expliquer la
<s
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Ibi iiiation des Alpes. La deuxième jtartie, plus déve-
lo[»pée,sera consacrée à l’exposé des idées actuelles sur
l’origine et l’iiistoire des chaînes alpines.
1
Léopold de Bucli, en attribue la formation des
chaînes de montagnes à une poussée s’exerçant verti-
calement de bas en haut, et soulevant l’écorce solide
en un point du glolie. Cette explication pouvait trouver
un semblant de preuve dans la distribution régulière
des terrains stratifiés de chaque côté des massifs cris-
tallins, et comme ajqjuyés sur eux, dans les Alpes
orientales. O ne pouvait suffii-e à rendre conqde de
renchevêtrement des massifs cristallins et des bandes
sédimentaires qui existe dans les Al})es occidentales.
La théorie proposée en 1(S29 par Elie de Beaumont
est plus souple et déjà mieux adaptée aux faits. Une
chaîne de montagnes serait, d’après Elie de Beaumont,
une sorte de bourrelet qui se forme [)ar suite de la con-
traction due au refroidissement du noyau du globe
terrestre. l)e cette contraction résulte en effet une
rupture d’équilibre, et l'écorce, devenue trop grande
jiour le noyau qu’elle habille, se plisse, les chaînes de
montagnes ainsi produites dessinant comme des rides
à sa surface. — Cette formule d’Elie de Beaumont ren-
fermait en germe la notion du plissement ])ar refoule-
immt latéral qui fut après lui, et qui demeure encore
aujourd’hui généralement acceptée pour exjiliquer la
formation des montagnes, les idées plus récentes sur
les charriages n'aj’ant fait que la compléter et la
mettre au point, nous aurons l’occasion de le montrer
dans la suite de cette conférence.
L’expérience suivante, facile à réaliser, peut donner
une idée assez juste de l’in'pothèse d’un plissement dû
LES ALPES
1)
à des pressions latérales exercées sur un coinpartiinent
de l’écorce terrestre. Empilez sur une table des téuilles
de papier, et coinpriinez-les au moyen d’une jdanche
sur laquelle vous mettrez des poids, puis serrez la pile
ainsi maintenue entre les deux branches d’un étau. Les
feuilles subissant déjà la pression verticale des poids,
et soumises en même tenij)s à une compression laté-
rale énergique, se plissent en une infinité de plis diffé-
rents les uns des autres, les uns droits et verticaux,
d'autres ])encliés et irréguliers, d’autres couchés ; si
l’on opérait avec des couches d’argile, on verrait ]>ar
endroits des étirements, des brisures, se produire, et
certains lambeaux chevaucher les uns au-dessus des
autres. — C’est à des pressions du même genre que
l’on attribue les plissements qui donnent naissance aux
montagnes. La pression verticale qui pèse sur les
terrains sédimentaires, comparés aux feuillets de
papier, c’est la pesanteur ([ui tend à les attirer vers le
centre de la teri*e. ( )i-, supposez qu’un vide se produise
sous eux, causé par le refroidissement et la contrac-
tion de couches plus profondes du globe, ces terrains
sédimentaires s’affaissent sous l’action de la pesanteur.
Mais, se rapprochant du centre de la sphère, ils
devront occuper un arc de sphère plus étroit; ils
subissent de ce fait une pression latérale, exercée par
les compartiments qui les encadrent, et qui les oblige
à se plisser.
Dans cette théorie, le dura représentait la montagne-
type : les terrains autochtones, c’est-à-dire déposés
dans des cuvettes marines qui se trouvaient sur l’em-
placement actuel de ses chaînons, ont été comprimés
latéralement par suite de l'affaissement des socles cris-
tallins situés sous les plaines ou les bassins tertiaires
environnants, sous la plaine de la Saône et sous le
plateau suisse. La force tangentielle qui a créé les
rides qui forment le rebord des plateaux jurassiques à
iO
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
l’( )uest, provenait de la plaine de la Saône, tandis qu’à
l’Est une poussée horizontale de même ordre, déter-
minée par le mouvement de descente du plateau suisse,
créait les plis du faisceau helvétique. « Sans la plaine
de la Saône, le Jura n’existerait }>as du tout, il ne for-
merait qu’une région non plissée, sur le prolongement
occidental de la Rauhe Alb et du Randen » (1). —
Cette théorie s’appliquait d’ailleurs très bien aux
chaînes des Alpes elles-mêmes : leur jtlissement pro-
viendrait aussi de l’atiaissement de leur masse entre
deux bassins d’etfondrement, la })laine du Pô et le
plateau helvéto-havarois. Cette explication d’ailleurs
rendait compte d’une manière suffisante non seulement
de l'existence de séries d’anticlinaux et de synclinaux
régulièrement dessinés, mais encore de la présence de
plis déversés, de plis isoclinaux avec chevauchements,
déterminant une structure imbriquée, que l’on obser-
vait fréquemment dans le Jura argovien ou dans le
Jura méridional, et dans les montagnes de la (Jrande
Chaidreuse et du A'ercors, de chaque côté de la cluse
de A’oreppe, et dont les exemjtles se multipliaient à
mesure que l'on étudiait de plus pi’ès les chaînes sub-
alpines, en particulier.
Toutefois, quand on remontait jilus au Nord et à
l'Est, dans les Préalpes, surtout quand on pénétrait
plus avant dans la chaîne alpine, et à mesure qu’on
apjirenait à la mieux connaître dans son ensemble, les
laits nouveaux devenaient plus noml)reux, qui ne trou-
vaient point une explication suffisante, ou qu’il était
impossible d’interpréter convenablement dans la théorie
des refoulements tangentiels, telle qu’on la formulait
vers la fin du xix® siècle.
Parmi ces faits, quelques-uns exerçaient depuis
( 1 ) Uollier, Le plissement de la chaîne du Jura. Ann. lie (îeogr. XII. pp. 403-
410, 1903.
LES ALPES
il
longtemps la sagacité des géologues. Ainsi, les Mythen
de Schwjz, ces montagnes sans racines, lambeaux de
calcaire mésozoïque dont on ne pouvait reconnaître les
points d’attache dans le voisinage immédiat, et qui
reposaient sur du lljscli d’âge éocène, donc beaucoup
plus récent. Ainsi encore la région du Ghablais, où
l’étude géologique révélait sur de grandes étendues
des superpositions aussi anormales que celles des
Mythen, des modes de structure tout à fait inattendus,
des roches bréchoïdes enfin dont on ne retrouvait les
types que beaucoup plus loin dans l’intérieur des Alpes.
Dans les Alpes romandes, des sommets comme ceux
des Diablerets, comme celui de la Dent de Mordes en
particulier, sont constitués par des couches presque
horizontales, presque toujours disposées en série ren-
versée, et plus bas, sur la tranche des parois abruptes,
des terrains relativement récents viennent se terminer
en coins au milieu de couches plus anciennes. Plus à
l’Est, dans les Alpes de (flaris, des séries appartenant
au jurassique, au crétacé, voire à Téocène. sont em-
boîtées au milieu de terrains paléozoïques et plongent
en-dessous d’eux ; l’un des plus célèljres parmi les
géologues suisses, M. A. Ileim, ne croj'ait pouvoir ex-
pliquer le fait qu’en imaginant l’existence d'un double
pli avec effondrement de la partie centrale. r)isposition
analogue à l’Est du Rhin, dans le Prâttigau, où les
calcaires jurassiques viennent surplomI)er et recouvrii-
le fiysch d’âge moins ancien.
En s’enfonçant plus avant dans l’intérieur des Alpes,
les mêmes superpositions anormales se révélaient.
M. Baltzer découvrait des coins de calcaire jurassique
et de grès tertiaire enfoncés dans les gneiss de la Jung-
frau. En Savoie lè mont Joly se montrait formé par
des couches presque horizontales, où des séries de
schistes et de calcaires noirs du trias et du lias se
répètent plusieurs fois, en alternant les unes avec
12
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
les autres, et sans que l’on aperçoive sur les versants
les charnières ni surtout les racines des plis couchés
et plusieurs fois répétés qu’il fallait imaginer pour
expliquer cette structure. — Dans la zone du Piémont,
on découvrait au milieu des schistes lustrés une faune
établissant définitivement l’âge mésozoïque de ces
schistes, si longteni})s considérés comme archéens, ou
tout au moins paléozoïques. — Sur le versant méri-
dional des Alpes orientales, Ed. Suess attirait l’atten-
tion sur la structure si singulière de ces chaînes qu’il
désignait sous le nom de Dinarides, et dont il montrait
qu’elles avaient tenu une place à part et joué un rôle
important dans l’histoire des Alpes. — Ed. Suess
signalait encore la prédominance générale, dans toutes
les Alpes, de la poussée s’exerçant de l’intérieur vers
l’extérieur de la chaîne, dans toutes les directions,
vers le Nord, le Aord-Ouest et l’Ouest.
Les faits nouveaux s’accumulaient ainsi, à mesure
({ue progressaient les méthodes paléontologïques, une
connaissance plus approfondie des fossiles et de la
i‘é})artition des espèces permettant de dater à coup sûr,
non seulement les étages mais les zones étroitement
limitées ; — à mesure aussi que s’étendait la science
pétrographique, instrument indispensable pour dé-
brouiller le complexe des terrains cristallins, qui appa-
raissait chaque jour plus varié, où l’analyse de détail
révélait, au point de vue de la composition, des pas-
sages gradués aux roches sédimentaires, schistes, cal-
caires, grès, tandis que la stratigraphie montrait à
l’évidence le passage latéral de ces terrains cristallins
à des formations d’âge paléozoïque, mésozoïque, voire
tertiaire. La géologie des Alpes s’enrichissait d’un
capital de faits, chaque jour plus considérable, au
récolement desquels concouraient les progrès mêmes
de l’alpinisme, permettant à des savants courageux et
exercés de pénétrer au cœur de la montagne et jus-
LES ALI’ES
13
qu’aux aiguilles réputées les plus difficiles d’accès,
pour en reconnaître et en noter la structure et l’âge
géologique.
Il fallait dès lors une formule qui permît de relier
entre eux tous ces faits accumulés ])ar un travail
d’anal3^se minutieuse. La notion du plissement par
simple refoulement latéral de couches sur l’empla-
cement même où elles s’étaient déposées, n’était plus
un cadre assez large pour y faire entrer toutes les
acquisitions obtenues ; il fallait une théorie nouvelle.
Celle-ci fut présentée d’une manière en quelque sorte
officielle à la IX"'® Session du Congrès géologique inter-
national, tenue à Vienne en 1903, où la question de la
tectonique des Alpes avait été mise à l’ordre du jour,
et oîi la théorie nouvelle, l’hypothèse des tiappes de
charriage, greffée sur la théorie du plissement par
refoulement latéral, apparut tout de suite comme un
véritable corps de doctrine, résultat d’études longue-
ment poursuivies et fortement étayées, grâce à l’effort
commun des maîtres de la géoloo-ic al})ine.
xM. I ^ugeon, professeur à l’Université de Lausanne,
exposait à Ahenne (1) les résultats d’ensemble de scs
beaux travaux sur les Alpes romandes ; il montrait
dans ces chaînes aux formes tourmentées qui s’étendent
entre l’Arve et la Reuss, entre la Reuss et le Rhin, la
trace et les restes de gigantesques plissements venus
du Sud, déversés vers le Nord, et qui cheminant dans
le sens horizontal s’étaient empilés les uns au-dessus
des autres, cachant le soubassement primitif et formant
ainsi, à la lettre, comme autant de ncippjes de recou-
vrement. — M. Haug, professeur à la Sorlmnne, pré-
sentait de son côté un mémoire sur les charriages de
l\) Compte vendu de lu 7A'™® Session du Congrès gèol. Intevn., Vienne,
1913, l®® faso., p. 477.
14
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
rEinbninais et de TUbaye (1), et M. le professeur
Kilian, de Grenoble, une étude sur les phénomènes de
charriage dans les Alpes delphino-provençales, accom-
pagnée d’une remarquable discussion et mise au point
des théories nouvelles. — Enfin, M. Termier, profes-
seur à l'Ecole des Mines de Paris (2), dans une confé-
rence très écoutée, traitait de l’origine métamorphique
des terrains cristallins des Alpes occidentales (3) et
spécialement des schistes lustrés, et il rattachait étroi-
tement cette explication aux idées nouvelles que l’on
se faisait de la tectonique alpine.
L’émotion fut vive au Congrès et la discussion très
chaude, du côté surtout des savants allemands et autri-
chiens, car il avait paru à quelques-uns que la science
allemande fut en question, et qu’il s’agissait là d’une
question d’école. En fait, dans ce concours sur une
même question, de savants de langue française, bientôt
appuyés d’ailleurs par M. A. Heiin de Ziirich, et par
Ed. Suess de \'ienne — l’auteur si justement exalté
de la })lus vaste synthèse géologique qu’on ait tentée
)us([u’ici (4) — il fallait voir une de ces rencontres qui
ne sont point rares dans le domaine des sciences d’ob-
servation ou d’ex])érimentation, et qui se produisent
chaque fois ([u’un problème scientifique est à l’ordre
du jour et qu'il sollicite })lus particulièrement l’atten-
tion des chercheurs. A un moment donné, les efforts
faits, les résultats ])artiels déjà obtenus, tout cela crée
une sorte d’ambiance favorable. 11 arrive alors pre.sque
toujours que ])lusieurs esprits distingués, venus de
(1) Compte reiiilii de la /A'™'' Session du Congrès géol. Intern., Vienne,
I9i:i, 1" lasc., p. iiCI.
(2) M. I*. Teritiier est aujourd’hui directeur tlu Service de la Carie géolo-
{fique de France.
(3) Ibid., ^2"“^ fascicule, p. 571. — M. I*. Termier a repris plus récemment
cette question dans une étude intitulée : Sur la genèse des terrains cristallo-
phglliens et publiée par la Revue scientieique, 11 mai 1912, pp. 577-5S1.
(4) La Face de la Terre (trad. E. de Margerie, Paris). — Ed. Suess avait
pro])osé i)our expli(]uer l’architecture des chaînes de monlagnes et en parti-
culier des Alpes, la théorie dite du Iforst.
LES ALPES
lÂ
})oints différents, découvrent à ])eu près en inêine
temps les solutions décisives. Il suffit qu’à un moment
<lonné un trait de lumière jaillisse ; des choses qui
n'avaient point apparu jusque là sont mises très rajii-
<lement en pleine clarté, et la science enregistre une
acquisition nouvelle, non pas détinitive sur tous les
points, mais qui marque un progrès réel sur ce que
l’on savait et admettait jusque là.
Dans l’espèce, dans ce prohlème de la tectonique des
Alpes, le rayon de lumière, l’idée féconde avait été
émise par Marcel Bertrand. Chose intéressante à
signaler ici, c’est dans la géologie de la Belgique que
Marcel Bertrand avait puisé le fait qui devait être, par
l'interprétation qu’il en proposa, le point de dé])art des
théories nouvelles introduites dans la tectonique alpine.
Les géologues belges Cornet et Briart avaient fait con-
naître l’existence d’un laml)eau de terrain earlionifère
et dévonien qui dans le bassin de Mons, à Boussu, se
trouve au-dessus des schistes houillers, sans attaches
directes avec le bord du bassin. Marcel Bertrand pro-
posa d’expliquer le fait par un pli couché dont la tête,
au lieu d’être simplement déversée vers le Nord, aurait
été charriée et poussée sur une longue distance par
dessus le terrain houiller, jusqu’au centre du bassin de
Namur. C’était l’idée-mère, la découverte du larnhecm
<h> charria(je^ de la nappe rercn>vrenu’nt, formules
heureuses (jui ont fait fortune depuis, pour exjtrinier
les conceptions nouvelles que l’on se fit un peu plus
tard de la stiaicture des chaînes alpines. Car cette
explication, l’esprit généralisateur de Marcel Bertrand,
si admiraldernent disposé aux conceptions de grande
envergure, rap})li([ua d’emblée aux plis dévei'sés que
les géologues suisses avaient décrits dans les Alpes de
< tlaris (1). Et c’était le résultat de ]>rès de vingt années
(1) M, Bertrand, Rajjjiorts de struciurr des Alpes de (Uai is et du ISassin
houiüei du Nord. Bull. Soc. géol. Fn., 3® série, Ml, pp. 31S-330, 1881.
16
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
de recherches, orientées sur cette voie nouvelle et
couronnées par le succès, que ceux ([ui s’honoraient de
le nommer comme leur Maître, venaient apporter en
1903 au Coimrès de Menne.
O
Depuis, la théorie des charriages, des nappes de
recouvrement, n’a fait que se compléter, se préciser et
s’affermir. Encore qu’il y subsiste bien des points
obscurs et des questions dont il faut attendre la solution
de l’avenir — s’il est possible de l’obtenir jamais —
elle se formule au jourd’hui en une synthèse séduisante
et magnifique de la formation des Alpes. — Après
avoir retracé l’histoire des efforts qui ont préparé cette
belle conquête de la géologie actuelle, je puis essayer
maintenant d’esquisser à grands traits cette histoire
même des Alpes, telle que les savants qui se sont appli-
qués à la géologie aljiine ont su la reconstituer.
II
( )n peut distinguer dans l’histoire des Alpes, trois
phases successives : une de préparation^ de
beaucoup la plus longue, pendant laquelle se sont
déposés et modifiés au fond des mers de l’époque secon-
daire, j)uis de l’époque tertiaire, les terrains qui forment
les Al])es; — une pjèriode de surreetion, qui fut plus
brève, encore qu’elle ait duré pendant une grande
partie des temps tertiaires, et au cours de laquelle se
dessinèrent les plis et les accidents multiples, puis le
relief, ])endant laquelle en un mot la chaîne des Alpes
fut créée, et prit forme de montagne; — \me période
de destruetion, qui commença dès que les Alpes sur-
girent des eaux, puis s’accentua quand le relief fut
totalement formé, et qui se continue ('ncore aujourd’hui.
LES ALPES
17
Si paradoxale ([iie la chose puisse })araître, les régions
où se dressent les Alpes ont commencé par être une
mer profonde. Pendant la })lus grande })artie de l’ère
secondaire ou mésozoïque, et au commencement de
l’ère tertiaire, il existait une sorte de fosse étroite ou
cuvette profonde qui couvrait non seulement la place
occupée en Europe par les Alpes ))roprement dites,
mais encore par les Karpathes et les Balkans, qui les
prolongent à l’Est, et par les chaînes qui divergent à
partir du golfe de Gênes : Apennins, Atlas, — et
auxquelles on a donné par extension le nom de
chaînes alpines. Cette sorte de Méditerranée agrandie
s’étendait encore plus loin vers l’Est, sur tous les pays
où se trouvent à notre époque les montagnes les plus
élevées du globe : Caucase, Taurus, Himalaya, et toutes
les chaînes qui se détachent du Pamir pour encadrer
comme autant de guirlandes les hauts plateaux de
l’Asie centrale, et s’épanouissent en cette traînée de
presqu’îles et d’îles qui se succèdent depuis l’Indo-
Chine et les détroits de la Sonde jusqu’aux Philippines
et au Japon. Le phénomène n’était donc pas spécial à
l’Europe, et si l’on réunit les deux continents d’Europe
et d’Asie sous le nom d’Eurasie qu’emploj'ent volontiers
les géographes modernes, on peut dire qu’au début du
tertiaire une mer couvrait toute la partie actuellement
montagneuse de l’Eurasie. — C'est dans les profon-
deurs de cette plus r/ratule Mediterranée que se sont
lentement préparées et comme élaboiAes les chaînes de
montagnes, en particulier la mieux connue de nous,
cette chaîne des Alpes, dont les altitudes et la variété
de terrains et de structui’e font aujourd’hui l’étonne-
ment et l’admiration des touristes.
Les géologues qui ont étudié d’une manière détaillée
la région des Alpes occidentales, estiment qu’il y exis-
tait deux cuvettes parallèles ou (jèosynclinaux, —
terme technique employé pour désigner une cuvette
111* SÉRIE. T. XXVI. I
18
REVUE DES yl^ESTIONS SCIENTIFIQUES
([ui se forme }iar enfoncement graduel dn fond, et où
s’accumulent les sédiments. De ces deux g'éosynlinaux
alpins, run était limité à l’Est par un territoire ancien,
dont on connait seulement quelques restes dans cette
bordure méridionale des Al])cs (ju’on a appelée les
Dinarides, et dont la })lus grande partie est effondrée
et cachée sous les alluvions récentes de la plaine du Pô.
(le premier géosynclinal occupait en largeur l’espace
aujourd’hui couvert par la zone du Piémont et la zone
du Idriançonnais. Du côté de l’Ouest, il était limité par
une chaîne d’îlots ([ue constituaient les massifs cristal-
lins (Mont-Blanc, Belledonne, P(dvoux) qui représen-
taient eux -mêmes les restes disloqués, et peut-être la
partie axiale, d’une chaîne bien antérieure aux Alpes
et de même âge que l’Ardenne belge et que l’Eifel
allemand. Ces massifs ont formé, à certains moments
de l’éjtoque secondaire, une barrière discontinue, dont
les îlots s’alignaient en chapelet, entre le ])remier géo-
synclinal et un second, situé plus à l’Ouest. Celui-ci
était pêrial'pin., car il comprenait tout le territoire qui
correspond aujourd'hui à la périphérie des Alpes :
l'emplacement des chaînes suhaljtines, du Chahlais, des
j»réalpes romandes, le Sentis, les Alpes glaronnaises,
le Priittigau, la Bavière et la Haute-Autriche. En lar-
geur, ce second géos^’iiclinal variait ({uelque peu, et il
a pu, en France, s’étendre parfois jusqu’au bord orien-
tal du massif Outrai et jusqu’au dura, occupant ainsi
toute la vallée actuelle du Rhône.
Dans ces géosynclinaux, la sédimentation se pour-
suivit activement, comme dans toute cuvette marine où
des cours d’eau importants viennent jeter les débris
arrachés à une montagne voisine en voie de destruction.
De ces terrains, les plus grossiers, conglomérats ou
saldes, s’accumulent au bord ; c’est également à pro-
ximité du rivage, ou du moins à des profondeurs peu
considérables, que les organismes, algues à squelette
LES ALPES
19
calcaire ou poh’])iers, trouvaient dans ces mers à tem-
pérature élevée les conditions favorables à leur épa-
nouissement, et édifiaient leurs récifs; plus loin enfin,
en avançant vers la partie centrale plus profonde, les
(;aux, qui tiennent en suspension les boues j)lus fines,
se décantent j»our ainsi dire, lentement mais d’une
manière continue. Sur ces fonds s’accumulent ainsi
des sédiments qui sont en général de nature calcaire
ou marneuse, dans lesquels vivent des animaux qui
s’accommodent ou ([ui ont besoin d’une grande j)rofon-
deur d’eau.
Or, ces dépôts peuvent se superposer, dans le
centre du géosjmclinal, sur des épaisseurs qui vont à
plusieurs milliers de mètres; on connaît dans des ter-
rains anciens des séries de ces schistes à grain fin, qui
représentent ce])endant des formations qui ont été sou-
vent et fortement com}irimées, et qui atteignent 10 000
et jusqu’à 15 000 mètres d’éjtaisseur. — Gomment de
telles accumulations sont-elles possibles dans une même
dépression ? Car les fosses marines les plus ju'ofbndes
de nos Océans ne dépassent guère 8000 à 9000 mètres,
et il s’agit là de couloirs ou même d’ombilics étroite-
ments localisés. Enfin et surtout, à de telles j)rofon-
deurs, l’étude des fonds marins a démontré que la
sédimentation est ])resque nulle. Ges considérations, et
celles que l’on })eut tirer aussi des cai*actères de la
faune retrouvée dans les dépôts calcaréo-vaseux des
géosynclinaux, portent à croire que la }>r()fondeur
moyenne de ceux-ci oscillait et se tenait probablement
entre 1000 et 2500 à 5000 mètres. — Gomment dès
lors le géosynclinal n’a-t-il pas été bientôt coinldé ? Il
semble bien qu’on doive admettre pour rex})li({iier que
le fond des géosynclinaux s’affaissait, qu’au fur et à
mesure que les sédiments s’y accumulaient, ils ten-
daient, par la pression même qu'ils exerçaient, à déter-
miner une descente qui s’etfectuait par saccades, par
20
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
des tassements brusques au-dessus des vides qui
pouvaient exister dans les profondeurs de l’écorce (1).
Cet affaissement progressif du fond des géosynclinaux
alpins peut seul faire comprendre que les dépôts y
aient gardé de la base au sommet, sur des épaisseurs
très considéraliles, le caractère de formations calcaréo-
vaseuses, sans qu’il y ait trace d’interruptions ni de
changements importants dans la sédimentation, et que
l’on trouve de la base au sommet les restes des mêmes
animaux de grande profondeur, ceux-ci servant en
quelque manière de témoins de la iiermanence des con-
ditions où s’effectuait le dépôt. C’est ainsi que des tei--
rains déposés d’abord à lOfX) ou 2000 mètres de pro-
fondeur ont })u descendre progressivement, au cours
des périodes du secondaire ou au début du tertiaire.
Jusqu’à 5000, 7(XX), iO 000 mètres et j)lus.
A vrai dire, ces terrains n’étaient plus, à partir de
ce moment, dans la condition de sédiments marins
ordinaires. Ils faisaient partie à proprement parler de
l’écorce terrestre. Ils subissaient une j)ression considé-
rable qui allait en croissant continuellement, et de ce
fait ils perdaient une grande jiartie de l'eau qu’ils pou-
vaient contenii'; de ce fait aussi, ils prenaient cette dis-
jtosition en assises grossièrement parallèles, plus
exactement en lianes minces ou en feuillets, qui carac-
térise les schistes. Mais surtout, ils i*encontraient des
températures de plus en plus élevées.
C’est un fait universellement connu que la tempéra-
(I) Les beaux travaux de M. de Monfessus de Hallore sur les séismes, où ce
savant a si nettement mis en évidence les relations (lui existent entre la répar-
tition des aires g'éosynriinales et la distribution des tremblements de terre,
ces travaux pourraient donner à penser que certains tremblements de terre,
tels (lue ceux de la côte occidentale des États-Unis, du Pérou et du Chili,
représenteraient peut-être le contre-coup de tassements de ce g-enre se pro-
duisant dans les é])aisseurs de l’écorce au large des côtes de la Californie ou
du Chili.
Li:s ALPES
2i
tare s’élève à mesure ([ue l’on s’enfonce dans les pro-
fondeurs du sol, ([ue cette progression est constante, et
({u’elle offre une certaine régularité. Ces chiffres rele-
vés dans les ex})loitations minières, dans les sondages,
dans les constructions de tunnels, ont permis d’évaluer
cette augmentation à i" par 33 mètres, chiffre moyen
(pi’il est convenu d’ap})eler le degré géothermique. (Jr,
le degré géothermique se manifeste quand on s’enfonce
dans le sol à partir du fond de la mer, comme à la sur-
face du continent. Au fond de l’océan, la surface du
sol est toujours i-eprésentée par le terrain le plus
récemment ap})orté et qui, déposé au-dessus des
autres, est venu augmenter d’autant l'épaisseur de
l’écorce solide. Dès lors, par l’effet du mouvement
d’affaissement, les sédiments les plus anciennement
formés d’un géosynclinal plongent dans des zones de
température de plus en plus élevée. Un calcul simple
montre qu’une fois descendus à 10 0:J0 mètres, ils
peuvent être soumis à une température qui n’est pas
inférieure à 300 degrés ; ceux qui descendent à une
plus grande profondeur subissent une température
encore plus considérable. De là dérivent pour ces ter-
rains une série de changements d’état qui ont pour
résultat de les transformer plus ou moins complète-
ment en terrains cristallins. A l’ensemble de ces phé-
nomènes qui moditient si radicalement les roches
sédimentaires, on a donné le nom de méiainorphisme.
En voici une notion sommaire. — Les sédiments
amenés par le jeu des géosvnclinaux aux plus grandes
profondeurs, peuvent être entièrement fondus et trans-
formés en un magma igné, (leux qui atteignent des
isogéothermes correspondant à des températures moins
élevées ne subissent qu’une fusion partielle qui leur
confère une sorte de semi-fluidité ou d’état plastique. Les
uns et les autres, le magma igné et le milieu incomplè-
tement fluide situé au-dessus de lui, sont soumis, dans
22
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
les conditions les plus favorables à une action efficace,
à l’intluence d’éléments provenant des masses fluides
sous-jacentes qui existent dans les profondeurs de
l’écorce — l’existence en est démontrée d’une manière
évidente }>ar les jihénomènes éruptifs, ( les éléments : la
silice, les alcalis, potasse, chaux, magnésie et d’autres
bases telles que l’oxyde de fei% puis l’acide borique, des
composés fluorés et chlorés, jouent le rôle de minéra-
lisateurs et viennent enrichir et transformer en quartz,
en feldspath, ou en mica, la plus gi-ande ])artie des
schistes, en amphibolite les calcaires.
Après refroidissement qui se jtroduit très lentement,
au fur et à mesure que par la suite ce fond de géosyn-
clinal va peu à })eii se soulever, puis surgir de l’océan
pour former la montagne, les éléments de la solution
nouvelle, ainsi modifiée et enrichie, se solidifient ou
prennent la forme cristalline — comme il arrive de
toute solution abandonnée à elle-même et s<; refroidis-
sant lentement : les molécules obéissent à leurs attrac-
tions récipro([ues et se disposent en construisant des
édifices moléculaires orientés par ra]>port à des plans
et cà des axes de symétrie. Dans les parties complète-
ment fluides, la cristallisation se fait sans orientation
privilégiée, et produit des roches massives, dans les-
quelles il n’y a plus trace de stratification. Dans les
milieux incomplètement fluides, les cristaux, et en
])articulier les micas, s’orientent, de sorte que la roche
métamoi-phisée, tout en étant une imche cristalline,
présente ce})endant une structure feuilletée (1). Ainsi
les roches sédimentaires qui étaient disposées primiti-
(1) M, 1*. Ti'nnier dans un artirle que nous avons déjà cité. Sur la genèse
des terrains cristallophglUens {We\. scient., 11 tuai 1!)I2), traite en parti-
culier cette question de ia solidification des milieux incomplètement lluides
au fond des géosyiu linaux et de l'orientation des micas (pp. 579-580). Dans
cet exposé sommaire des phénomènes de mélamorpliisme, je me suis inspiré
largement de cet article et de la belle étude consacrée à ces questions par
M. llaug dans le premier volume de sou Traite île géologie (chapitre Ml).
LES ALPES
veinent dans le fond on au centre du géosynclinal, s('
trouvent tinaleinent remplacées, suivant leur nature,
par des granités ou par des diorites : celles qui se
trouvaient plus haut et latéralement sont remplacées
par d’autres roches, cristallines mais feuilletées, qui
sont des gneiss, des micaschistes, des amphibolites, des
schistes lustrés, suivant la distance à laquelle elles se
trouvaient du magma igné, et suivant la limite qu’ont
pu atteindre ou les directions privilégiées qu’ont suivies
les colonnes fUtranfes de minéralisateurs qui ont
imprégné et transfonné les sédiments, à la manière
d’une tache d'huile qui s’étend au travers des feuillets
d’un livre.
Sur le bord extrême de la zone métamorphisée, on
passe insensiblement aux roches sédimentaires qui ont
conservé leur structure primitive. C’est l’étude atten-
tive, délicatement menée, de ces zones de passage qui
a permis à M. Termier de reconnaître et d’établir que
les schistes lustrés passent latéralement à des forma-
tions d’àge mésozoïque et même éocène. — Mais il y a
mieux, et il subsiste des preuves plus évidentes de ces
transformations : au milieu des roches cristallines,
feuilletées ou massives, il a subsisté des îlots de roches
sédimentaires, qui constituent de véritables certificats
d’origine des schistes cristallins au milieu desquels on
les découvre ; c’est dans des calcschistes ainsi épargnés
par le métamorphisme au milieu des schistes lustrés,
qu’on a découvert dans les Alpes franco-italiennes les
fossiles qui ont permis d’établir d’une manière indiscu-
table l’àge mésozoïque des schistes lustrés.
Ce qu’on peut appeler, dans l’histoire de la chaîne
des Alpes, \d. période de prêpjaration, comprend donc
deux phénomènes principaux : 1° la sédimentation sur
de grandes épaisseurs, dans des géosynclinaux en voie
d’atfaissement ; 2" le métamorphisme exercé sous l’in-
fluence de la température et de la ])ression, dans les
■^4
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
régions })rotbmlos de ces géosvnclinaux. — Nous
arrivons maintenant à une deiixièmc phase, plus
anciennement connue, et dans un certain sens la plus
importante dans la formation d’une montagne, celle du
plissemenf et de la si'rrcrtwn ou élévation de la chaîne.
Idissement et surrection sont en effet deux actes dis-
tincts dont on pourrait presque dire, j)Our la chaîne
alpine, qu’ils se sont succédé dans le temps. Tant qu’ils
sont soumis simplement à l’action de la pesanteur, les
géos3'nclinaux }>rononcent leur mouvement de des-
cente. Mais un moment vient oîi les voussoirs latéraux,
qui eux-mêmes s’affaissent lentement, exercent l’éner-
gique compression latérale dont il a été jiarlé à propos
de la théorie du plissement par refoulement tangentiel.
Dès lors le mouvement d(‘ descente s'arrête, et le géo-
synclinal ne tarde pas à être comblé : le fait s'accuse
{)ai- des changements iiii})ortants dans la faune, et par
le dépôt de saldes, degrés, ou d'autres formations indi-
quant une failde profondeur. Puis, la pression exercée
sur les pai’ois des géosynclinaux l'emportant sur celle
de la pesanteur et se composant avec elle, les terrains
commencent à présenter des ondulations ou des bossel-
lements élémentaires qui accidentent la surface. Ainsi
se forment des dômes et des cuvettes, de structure à
peu près régulière, dont le D pe est assez commun dans
certaines régions du Jura et des chaînes sulialpines. —
Les ex})ériences de plissement dont il a été question
plus haut, où l’on cherche cà réaliser les conditions qui
se rencontrent dans la nature, montrent que le maxi-
mum de com}dication du plissement intervient en
profondeur, (vbiand. au cours de ces expériences, on
ajoute des poids à la surface des feuillets de papier
empilés, il tend à se former des plis irréguliers. Or un
pli, pourvu qu’il soit légèrement dissymétrique, doit en
s’exagérant passer en profondeur à un pli couché avec
LES ALPES
rianc étiré. Ce sont des ])hénomènes qui ont pu se
passer dans les profondeurs du géosynclinal, sur les-
quelles pesait la masse énorme représentée par les
sédiments accumulés. Ainsi se forment, à côté des anti-
clinaux ou des dômes réguliers, d’autres plis qui sont
déversés, et qui se succèdent parfois en séries comme
autant de vagues déferlant toutes dans une même direc-
tion ; les géologues ont défini cette disposition en dési-
gnant les séries plissées de cette manière sous le nom
de plis isocUnavx.
Ceux-ci peuvent être affectés par des cassures suivies
d’un véritable décrochement, et si le mouvement se
continue, le danc supérieur du pli ckecav.che au-dessus
du flanc inférieur ; et quand le phénomène se ré])ète
pour chacun des plis d’une série isoclinale, celle-ci
flnit par ])résenter une structure imliriquée. bien
connue par exemple dans la chaîne du ’N’ercors et dans
le Jura méridional.
Enfin, quand la poussée s’exerce d’une manière con-
tinue dans un même sens — et l’on a vu que cette
poussée prédominante s’est ]>roduite dans les Alpes, de
l’Est vers l’( )uest et du Sud vers le Nord — elle peut
être assez énergique pour coucher entièrement les plis
et entraîner leurs têtes non plus à quelques centaines
de mètres, mais cà des dizaines de kilomètres du point
où ces plis s’étaient d’al)ord prononcés. C’est alors une
véritable nappe de terrains qui auraient été comme
arrachés des régions oîi ils s’étaient formés et charriés
d’Est en Ouest dans les Alpes occidentales, ou du Sud
au Nord dans les Alpes orientales, sur des parcours
qui ont été parfois de 40 à 60 kilomètres dans le Dau-
phiné, qui ont }tu atteindre dans certains cas IDJ et
120 kilomètres, d’après l’estimation de quelques géo-
logues. — Dans le Salzkammergut en particulier, une
partie des calcaires triasiques qui forment les chaînes
REVUE DES QUESTIONS SCI EN T UNIQUES
2()
du Daclistein proviendraient de la région des Alpes
située à l’Est du Lac de Garde, des iJinarides, de la
A allée du Gail ])ar exemple : la poussée tangentielle
les aurait amenés jusque sur le bord septentrional en
passant par-dessus toute la région oi'i se trouve Taxe
cristallin des Alpes.
C’est à des plis de ce genre déversés d’une manière
exagérée, fortement étirés, puis entraînés à des dis-
tances considérables des régions oii ils s’enraci-
naient, ([u’on a donné le nom de nappes de charriarfe,
termes qui dépeignent le mécanisme auquel on attribue
leur formation. On emploie aussi le nom de napjpes de
recouvrement, [>arce que trans})ortés au-dessus des
autres terrains — dans l’exemple du Salzkammergut,
au-dessus des terrains cristallins, dans d’autres cas,
comme sur le bord du Priittigau, au-dessus du flysch
— ces })lis charriés peuvent aussi recouvrir ces terrains
comme d’une carapace, que l’érosion pourra d’ailleurs
entamer d’autant ])lus facilement que cette couverture
est amincie et souvent disloquée par l'étirement qu’elle
a subi. Aussi, la ])lu})art du temps, il ne subsiste d’une
nappe de charriage que des lambeaux, tels ces Mvtlien
de Sclnvyz que nous avons eu occasion île mentionner
déjà.
De plus, au cours de la striction aljiine, ce n’est pas
une seule fois ([ue ces phénomènes se seraient produits,
et une seule nappe i{ui se serait constituée ; mais, de
même qu’il existe des plis isoclinaux, il se serait formé
des séries de nappes, parties successivement de zones
de plus en plus intenies, et qui se seraient empilées
les unes au-dessus des autres, les plus anciennes
recouvertes par les plus récentes. Dans cette hypo-
thèse. les restes de ces nappes sei-aient représentés
par ces traînées horizontales de terrains, qui se ré-
pètent plusieurs fois les uns au-dessus des autres, au
sommet ou dans l’épaisseur de certaines montagnes
LES ALLES
27
des Alpes — le mont Joly et la chaîne des I)iablerets
par exemple, qui ont été cités comme ayant une struc-
ture de ce genre. MM. Lugeon, Termier, Kilian.
Ilaug, ont pu reconnaître ainsi Jusqu’à quatre et cinq
nappes superposées, sous lesquelles apparaissent, à
peine dégagés par l’érosion à l’époque actuelle, les
terrains en place, affectés de simples hossellemeuts ou
de plissements plus anciens.
D’ailleurs, on n’a pas seulement cherché à déter-
miner l’emplacement et la supeiq)osition des nappes
aux points extrêmes qu’elles aient atteints, mais les
observateurs sagaces qui se sont employés à résoudre
les énigmes de la tectonique alpine, se sont attachés à
découvrir aussi les racines de chacune de ces nappes.
Ainsi a-t-on reconnu, dans le Beautbrtin, et sur le ver-
sant occidental du massif du Mont-Blanc, les racines
des nappes empilées qui forment le mont Joly. De
même, M. Lugeon a découvert contre Tarôte centrale
des Alpes les racines de la na})pe de terrains juras-
siques dont les lambeaux, charriés sur le ffysch,
forment les sommets du massif des Wildstrubel. —
Problèmes difficiles à résoudre que ces raccordements,
car l’étirement au cours de ces gigantesques chevau-
chements et opérations de traînage, puis l’action de
l’érosion, ont souvent fait disparaître toutes les parties
intermédiaires entre la tête d’un pli et ses racines ; il
faut, par un long et patient travail d’analyse, dater les
quelques fragments qui peuvent siil)sister, reconnaître
leurs roches, leur structure, et rattacher enfin à la
nappe à laquelle elles appartenaient ces menues bribes
d’une couverture autrefois continue.
Par contre, il est des zones plus favorables à la con-
servation relative des nappes de charriage. Telles sont
les régions situées entre les massifs cristallins, entre
le Mercantour et le Pelvoux en pnrticulier, oii les
nappes poussées de l’intérieur vers l’extérieur de la
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
•-iS
chaîne alpine, n'ayant point rencontré d’obstacle, ont
pu cheminer et s’étaler largement. Aussi les terrains
charriés forment-ils encore une grande partie des mas-
sifs de rEmbrunais et de l’Uhaye, situés pourtant au
cœur de la chaîm' des Alpes. — Au contraire, la
chaîne de Belledonne et le Pelvoux ont probablement
joué le rôle d'une barrière contre laquelle les pre-
mières najtpes de charriage sont venues buter et
s'arrête!* ; les plus récentes seulement, escaladant les
autres, ont jui déferler par-dessus les massifs, et pour-
suivre leur cheminement dans la direction de l’Ouest
— et peut-être faut-il attribuer à l’intiuence du traî-
nage subi par ces nappes, le déversement vers l’Ouest
qui s’accuse, d’ajirès M. Termier, dans le profil des
plis du l’elvoux.
Cet edbrt gigantesque qui créait les plissements, les
écailles imln-iqiiées, les na}>pes de charriage, s’accom-
pagnait en même temps et peu à peu d’un phénomène
d’émersion. Mais les Alpes qui surgissaient des eaux de
la Méditerranée vers le milieu du tertiaire, n’avaient
nullement l’asjtect des Alpes actuelles. Les prodigieuses
dislocations qu’on peut étudier aujourd’hui dans ses
vallées, étaient encore cachées en profondeur ; les
vallées elles-mêmes n'existaient pas. Le pays alpin qui
émergeait, ne formait qu’une sorte d’îlot, ou jieut-être
plusieurs îlots allongés et peu élevés au-dessus du
niveau de la mer. et dont les ondulations de surface
n’étaient qu’un écho très affaibli de celles des nappes
profondes.
C’est j)lus tard seulement, un peu après le milieu de
l’époque tertiaire, qu’eut lieu, en même temps qu’un
dernier effort de plissement très localisé qui créa
notamment les chaînons orîentaux du Jura, c’est alors
seulement que se produisit la surrection proprement
dite, c’est-à-dire l’élévation en masse de l’espèce de
bourrelet un ]>eu ondulé qu’avait été d’abord la chaîne
des Alpes. — Le mouvement d’élévation s’est jtrolonpé
probablement jusque vers la fin du tertiaire, presqu<‘
à l’aurore du quaternaire. Les éruptions du Massif
Central de la France, dont l’homme a connu les plus
récentes, en furent très probablement l’une des consé-
quences, comme les tremblements de terre du Sud de
l’Europe pourraient en être les derniers échos.
Ce mouvement de surrection, dernier terme du
refoulement latéral, a donné aux Alpes leur altitude
considérable au-dessus du niveau de la mer, et a rejeté
définitivement vers le Sud une Méditerranée amoin-
drie. — 11 faut observer enfin que le mouvement n’a
pas dû être uniforme dans toute la longueur de la
chaîne : le maximum de relèvement se serait produit
dans les Alpes franco-italiennes, le minimum dans les
Alpes orientales ; l’érosion étant moins intense dans
les zones de moindre relief, ces difiérences auraient eu
leur contre-coup sur la topographie et la structure des
Alpes actuelles, et expliqueraient en partie leurs
variations d’une région à l’autre.
Les Alpes actuelles avec leurs vallées profondes et
variées, leurs crêtes majestueuses, leurs aiguilles
déchiquetées à côté de sommets massifs, leurs terrains
si capricieusement plissés, ont des aspects profondément
difiérents de ceux (|ue présentait la chaîne des Alpes
quand elle surgit de la Méditerranée. Les agents de
cette transformation sont multiples ; ce sont ceux que
l’on voit encore à l’œuvre aujourd'hui, et dont les eftéts
se traduisent par les phénomènes d'érosion. Et l’on
désigne ainsi l’action du gel et du dégel sur les sommets,
des glaciers sur les versants supérieurs, celle des eaux
courantes, des torrents, des rivières, sur les versants
inférieurs et au fond des vallées. — Les ondulations
de surface du dôme alpin au moment de sa surrection
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
:^0
orientèrent les lignes primitives du réseau hydro-
graphique ; elles furent en particulier les amorces de
ces grandes vallées, transversales, qui sont Tun des
traits caractéristi([ues de la géogra}diie des Alpes, et
dont les directions s’harmonisent si j)eu avec la tecto-
nique actuelle des Alpes, celle du moins que met en
évidence une simple carte géologique (1).
(Comment s’est etiéctué le gigantesque travail de
destruction qui a eu }»our résultat de transformer la
physionomie des Alpes dejuiis le moment de leur for-
mation ? C’est ce que disent les arêtes déchiquetées en
aieuilles sous l’influence alternée du froid extrême et
des rayons solaires ; les cônes d’éboulis avec leurs
blocs de plusieurs mètres cubes et leurs pierrailles
couvrant le tianc des montagnes; les amas morainiques
qui forment partout des monticules, des barrages, des
terrasses, œuvre des glaciers qui ont recouvert à cer-
taines époques les Aljtes }u*es([ue tout entières ; l’acti-
vité incessante des torrents qui charrient les boues
glaciaires et roulent les pierres sur les versants, au
jtied desquels ils édifient leurs cônes de déjection ; les
rivières enfin, qui acheminent à travers leurs vallées
('t jus([u’à la mer, où les tieuves construisent leurs
deltas, les roches arrachées à la monta£;ne. L’immense
travail de creusement qui se poursuit d’une manière
incessante, aboutit à la formation de vallées nouvelles,
('t abaisse peu à jteu les massifs par l’enlèvement de
tranches successives. La couverture du dôme alpin a
été ainsi peu à peu dispersée, et l’érosion a mis au jour
la structure complexe qu'il recélait.
Sous l’action de ce travail de nivellement, la chaîne
<les Alpes continuera d’être modifiée ; elle est destinée
(1) Dos travaux réconts ont monlrô qu’en réalité la position de ces vallées
transversales coïncide en beaucoup de points avec des abaissements d'axes
anticlinaux.
LES ALPES
:n
à être finalement transformée en une sorte de liant
plateau du genre de ceux que les géographes ajipellent
des pén’plai'r/es, à la surface accidentée d’ondulations
à grand rayon, assez semblable à ce que sont les
Ardennes, la Bretagne, le Massif Central. Ces jiéné-
plaines sont ce])endant des chaînes de montagnes
anciennes, oîi l’on A'oit encore, dans les A^allées les plus
profondément creusées, des terrains plissés à la ma-
nière de ceux des Alpes ; et ces montagnes furent
probablement aussi éleA’ées que les Alpes le sont de
nos Jours.
La seule }diase de l’histoire des Alpes qu’il nous soit
donné de voir se dérouler sous nos yeux, est donc celle
de sa destruction. Des deux autres périodes, l’effort des
savants, qui pendant jirès d’un siècle se sont attachés à
résoudre le problème de la formation des Alpes, permet*
de fixer du moins les dates principales et de reconsti-
tuer dans une certaine mesure les faits les plus sail-
lants : la préparation et la transformation des terrains
au fond des géosynclinaux méditerranéens, les plisse-
ments et les charriages eftéctués dans ces mêmes
profondeurs, puis le relèvement en masse à l’époque
tertiaire. Dans le détail, un ^rand nombre de traits de
la structure géologique des Alpes et de leurs formes
géographiques sont aussi éclairés et reçoivent une
interprétation rationnelle.
Reconstituer ainsi le passé, encore que ce soit d’une
manière imparfaite, voir dans un avenir même res-
treint, c’est, pour rhomme qui passe au milieu de ces
évolutions à jiortée indéfinie, faire (cuvi-e de science,
et cette œuvre est déjà grande et belle. Il y a plus : le
savant pourra reconnaître aussi, pour peu ([u’il y veuille
rendre son esprit attentif, que les phénomènes gran-
dioses qu’il entrevoit ne sont pas à notre mesure : la
32
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
touche divine se révèle dans cette sagesse qui obtient,
jtar le jeu de causes simples, les effets infiniment
variés, qui jusqu’à la fin des temps justifieront l’adhé-
sion si hautement raisonnable du croyant et mériteront
le tribut de nos admirations.
(t. Delépine,
l'rofesseur de Géologie
à l’Université catholique de Lille.
LE MILIEU INTERSTELLAIRE
En dictant anx astres, dont elle prétend régir la
course, les lois de leur mouvement, la Mécanique
Céleste suppose formellement qu’ils se meuvent dans
un vide parfait sous l’intluence des seules attractions
newtoniennes ; et la ponctualité que, sauf de rares
caprices, ils ont toujours mis à obéir, consacre, d’une
façon magnifique et, semble-t-il, définitive, la légitimité
de l’hypothèse du « vide interastral ».
D’autre part, cependant, les progrès de la Plyysique
terrestre, aussi bien que les découvertes de l’Astrono-
mie physique, paraissent devoir aboutir naturellement
à troublei’ un peu cet empire absolu de la gravitation
universelle; sans aller jusqu’à révolutionner le gou-
vernement des mouvements célestes, ils tendent à
revendiquer une certaine part en faveur de nouvelles
influences, à réclamer certains amendements à la loi
de Newdon qui fait jusqu’à présent tout son code.
Nous voyons en effet le « vide » interastral se peu-
pler petit à petit d’éléments perturbateurs autrefois
inconnus. Sans doute, leur action sur la course des
grosses masses célestes, même si elle a pu accumulei*
ses effets à loisir au cours de périodes multiséculaires,
est si minime qu’elle échappe au contrôle des observa-
tions les plus précises et leur échappera, c’est pro-
bable, pendant des milliers d’années encore. Mais cette
action du milieu pourrait n’être pas négligeable quand
elle s’exerce sur des masses célestes plus légères ou
plus rapides : astéroïdes, comètes, traînées météoriques.
Iir SÉRIE. T. XXVI. 3
34
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Lorsque nous parlerons d’intluenees perturbatrices,
([ue le lecteur veuille donc bien songer aussi à ces élé-
ments plus mobiles et moins inq)assibles, menu peuple
du monde astral.
D’ailleurs, en dehors de ses ettéts dynamiques, le
milieu interastral }»eut révéler sa jirésence, nous le
dirons, }>ar d’autres manifestations encore; en tout cas,
son existence et sa nature intéressent la connaissance
descriptive de l’univers, et, à ce titre au moins, si les
autres semblaient trop insignifiants, nous avons cru
utile de réunir tlans cet article, quelques idées, cer-
taines, probables ou simplement conjecturales, qui se
sont fait jour à ce sujet (lans les spéculations astrono-
miques récentes.
Dans l’ancienne physique — à notre é})oque une
conception jdiysique vieillit en trente ans — un milieu
interastral à réaction dynamique ne pouvait être conçu
([ue comme un milieu pondérable. I.’impondérable
était, en effet, comme tel, incapalile d’action dyna-
mique sur le pondérable. L’étlier de Young et de Fres-
nel, par exenq)le, trame élastique chargée de porter
dans l’esjiace et de propager l’onde lumineuse, se lais-
sait traverser et pénétrer sans résistance par la
matière. L’énergie radiante dont il était le siège était
incaj)able d’effets pondéromoteurs et n’engendrait tout
au plus([ue des mouvements stationnaires de molécules.
Mais il n’en va ]>as de même du nouvel éther où le
génie imaginatif et concret de Maxwell devina le jeu
superposé des chanijis électrique et magnéti([ue, dont
les variations se })ro}tagent par une sorte d’engendre-
ment mutuel et continu. De l’hypothèse de Maxwell,
il suit en effet, qu’une onde éthérée — rayon lumineux,
radiation calorifique ou ébranlement hertzien — exerce
sur les corps matériels qu’elle rencontre une })ression
de natuie mécanique. Maxwell l’avait prévue, Bartoli
LK .MILIEU I.\TERSTELL.\IRE
35
l’établit par voie tlierinodvnamique et la ])récisa par le
calcul ; les retentissantes expériences de Lebedeff, puis
celles de Nichols et de Hull, en vérifiant de tout point
les prévisions théoriques, ont établi définitivement
l’existence de la prrssio7i de la hnuiere. S’il en est
ainsi, les corps célestes, petits et grands, reçoivent des
soleils rapprochés ou lointains un appoint de force
lumineuse pondéroinotrice, et leur course en est, dans
une mesure, perceptilde ou non, mais réelle, accélérée,
retardée ou infiécbie. Ce n’est donc pas dans le «vide »
([u’ils cheminent, puisque le milieu, quoique impondé-
rable, qui les enveloppe leur communique sous forme
cinétique une partie de l'énergie qu’il porte en lui.
Cet exemple — car nous n’avons pas fait plus que
citer un exemple — nous montre qu’une étude du
milieu interastral, entreprise au point de vue dyna-
mique, doit tenir compte, non seulement des éléments
doués de masse qui peuvent se rencontrer dans l’espace
et qui agiraient par attraction, chocs ou frottements,
mais aussi des champs de force électrodynamiques qui
])euvent y exercer leur action.
Nous commencerons notre étude par ces derniers.
Nous verrons d’ahurd l’action dynamique due à la
convection de masses électriques, charges propres des
soleils et des planètes ou courants électroniques ; en-
suite celle qui résulte des variations périodiques du
chaiii}» constituant les radiations lumineuses et calori-
fiques. Passant, dans une seconde j>artie, aux éléments
matériels projirement dits, nous aurons à signaler,
suivant l’ordre des grandeurs décroissantes, les météo-
rites, les poussières, les molécules gazeuses et les ions
<[ui peuplent l’espace.
Supposons deux corps entre lesquels existe la gra-
vitation newtonienne et chargés d’électricité. ( )n serait
tout d’abord tenté de penser que l’attraction ou la
36
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
répulsion électrique, s’exerçant entre ces corps d’après
la loi de Coulomb, en raison inverse du carré des dis-
tances, vient se superposer, sans plus, à la <iravitation
qui suit la même loi : les deux causes fusionneraient
leur action suivant une loi résultante, identique à cha-
cune des lois composantes, à la valeur })rès d’un coeffi-
cient numérique de proportionnalité; en sorte que le
mouvement des corps graves chargés d’électricité
serait encore régi d’une manière rigoureuse par les
équations de la mécanique newtonienne et obéirait par
conséquent aux lois de Ke}der.
Kn réalité, depuis Maxwell, nous savons que la
réaction djmamique due au déplacement relatif de
corps électrisés est heaucouji plus complexe et qu’elle
ne copie ]>as simplement celle de la gravitation. Celle-ci.
en effet, est instantanée et s’exerce à distance, tandis
(pie l’autre se projtage avec une vitesse finie dans un
milieu, l’éther. Il résulte de là que l'action d’un astre
sur un autre, au moment oit elle atteint ce dernier,
n'est ]tas dirigée suivant la di-oitc géométrique qui les
unit, mais est déviée de celle-ci d'un certain angle
(Maherratioit.
L’effet de cette aberration est équivalent, on jieut
le démontrer aisément, à celui d'une résistance de
milieu, projtortionnelle à la vitesse, qui écarterait
l’astre de son orliite elliptiipie et modifierait l’allure
de sa vitesse kejdérienne.
Ilàtons-nous de le dire : s’il est probable que les
astres portent des charges électriques (1) et si même,
ce qui est ])robable aussi, ces charges sont sujettes à
des variations, on n’a jamais constaté, au point de vue
qui nous occupe, le moindi*e effet électromagnétique
(1) D’apn's U. Haie (Astropiiysical .Ioüiixal. Vol. XXXVHI (1913), p. 37 1,
le soleil et la terre seraient chargés tous deux négativement. L’action de
gravitation serait donc partiellement contrariée par la répulsion existant entre
les charges électriijues de même signe.
LE Î^IILIEU INTERSTELLAIRE
37
qui puisse leur êti'e attribué. Cet effet, s il existait,
serait d’ailleurs analoinie à celui qui se manifesterait si
la vitesse de transmission de l’action gravitationnelle
était finie; or, on le sait, aucune observation n’a con-
tredit jusqu’à présent riiyjiothèse de l’action instan-
tanée de l’attraction newtonienne.
Nous pouvons donc conclure que, s’il existe, le champ
électromagnétique dû aux charges solaires et })lané-
taires est absolument négligeable vis-à-vis du champ
de la gravitation. Remarquons en passant et sans vou-
loir attacher trop d'importance à cette conjecture,
qu’une charge électrique j)ortée par la terre aurait
}»our etiét d’amener petit à petit dans l'atmosphère les
météorites dont les orlhtes seraient voisines de l'orbite
ti'rrestre.
A cet endroit de notre étude, nous ne ferons que
signaler l’action électrodynamique des courants élec-
troniques dont nous aurons à parler plus loin. Nous ne
possédons aucun moyen de l’évaluer, même d’une
façon approximative. Il nous suffit de savoir que ses
effets sont en tout cas très minimes et sont restés jus-
qu'à présent inaperçus.
Passons à la question plus intéressante et mieux
connue de l’action dynamique des rayons lumineux.
La pression exercée par la radiation d’une source
lumineuse sur une surface donnée est proportionnelle
à l’éclairement de la surface. L’éclairement, on le sait,
varie lui-même en raison inverse du carré de la dis-
tance à la source, et il en est de même, par conséquent,
de la pression lumineuse. Ce fait est important : voici
})Ourquoi. Imaginons, au repos, une planète de forme
sphérique, soumise à l’action d’un soleil lumineux.
Elle est attirée par lui en vertu de la gravitation, et
en même temjis re]»oussée par les ra,yons qui émanent
<le lui. Mais, comme chacune de ces forces opposées
38
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
varie de même façon avec la distance, (-'est-à-dire en
raison inverse de son carré, il s'ensuit de là que la
différence de ces forces, leur résultante, force efficace
à laquelle obéira la })lanète, est }»ro})ortionnelle, elle
aussi, à l’inverse du carré de la distance. L’action
combinée des deux causes de nitiuvement se résout
donc tinalement en une force uni([ue de forme newto-
nienne. En })articulier, si nue planète, à une certaine
distance du soleil, est attirée ]>ar lui malgré la répul-
sion lumineuse, elle sera attirée aussi à toute autre
distance ; et inversement, repoussée en un point di"
l’esjiace, elle le sera partout.
Mais si nous voulons déterminer ensuite, pour un
corps céleste donné, celle des deux actions, gravitation
ou pression lumineuse, qui renqtorte sur l’autre, il nous
faut fixer notre attention sur un autre élément du
problème, sur le rajiport entre la surface et la niasse
du corps.
Sup])Osons rangés sur une même circonférence au-
tour du soleil une série de corps sjdiériijues, de même
densité, mais de rayons variés. Les ])lus petits ont
seulement quelques centièmes de micron de diamètre,
les plus grands ont les dimensions des grosses pla-
nètes. Leurs masses, comme leurs volumes, sont pro-
portionnelles aiu: enhes de leurs leurs surfaces
ou leurs demi-surfaces, hémisphères éclairés, le sont
aux carres des mêmes rai/ous. Le là, une conséquence
importante : l’attraction, efiét de masse, et la répul-
sion, etiét de surface, ne vaiâent }>as dans la même
proportion, lorsque varie le rayon des corjts considérés.
Si le rayon est suffisamment grand, l’action de mass(%
proportionnelle au cube du rayon, l’emporte sur l’effet
de surface, })roportionnelle seulement à son carré.
Mais inversement, quand le rayon est petit et décroît,
c’est le cube du rayon qui tend vers zéro plus raj)i-
dement que son carré et, jvar conséquent, c’est la
LE MILIEU I^’TERSTELLAIRE
39
répulsion lumineuse (pii triomphe de l’attraction.
Donc, parmi les corps célestes qui font cercle autour
du soleil, et que nous rendons libres d'obéir aux forces
qui les sollicitent, nous veiTons les uns. les plus gros,
se précipiter vers le centre avec une vitesse d’autant
plus grande que leurs dimensions sont ]dus grandes ;
d’autres, de rayons moindres, n’y tendre que pares-
seusement ; d’autres au contraire fuir l'astre central,
et d’autant plus rapidement que leur rayon est plus
petit. Enfin il s'en trouvera, de dimensions intermé-
diaires, qui resteront en place ; ce seront ceux en qui
l’attraction sera balancée exactement par la répulsion
lumineuse.
En langage mathématique ces faits se résument très
aisément. Si l’on désigne par R le rayon de la parti-
cule, par d sa distance au soleil, par k et par l des
coefiicients numériques convenables, l'attraction sera
représentée par
kVd
(f-
et la répulsion par
æ'
La résultante, différence de ces deux forces de direc-
tions opposées, comptée positivement dans le sens du
soleil attirant, aura ])our valeur :
(k\{ — l).
Si R >■ ^ , la résultante est positive ; l’attraction l’emporte ;
si K --= ^ , la résultante est nulle ; il y a équilibre ;
si K < I , la résultante est négative : il y a répulsion.
40
REVrE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
(]es formules montrent encore, effet déjà signalé,
que Taction résultante — attraction, répulsion ou équi-
libre — ne change pas de nature avec la distance au
soleil ; que, jiar exemple, une jtarticule de dimensions
et de masse telles qu’à une certaine distance du soleil,
la répulsion lumineuse équililn-e exactement l’attrac-
tion, sera en équililire en tout point de l’espace et se
trouvera donc, fait étrange, pratiquement soustraite
à la loi de la gravitation univei-selle.
Précisons ces notions par quel([ues données numé-
riques.
Dans le système solaire, le diamètre d’une de ces
particules en é([uilil)re. de densité égale à celle de l’eau,
serait d’environ 112 micron (1). Avec la densité
moyenne de la terre, il serait de 27 centièmes de
micron. Cette exiguité du rayon critique nous fait }>res-
sentir combien faible est la jiression de la lumière, non
seulement en reganl des forces généralement mises
eu Jeu dans l’imivers astronomique, mais même en
comparaison d(' celles que peuvent balancer ou mesurer
les instrumenls de laboratoire b's plus délicats. C’est
ainsi qu'à la distance moyenne de la terre au soleil,
la lumière solaire, tombant d’aploml) sur un centimètre
carré de surface, exerce une pression, variable d’ail-
leurs avec le jtouvoir rédecteur de la surface, de 4 à
(S millièmes de milligramme. Si l'on calcule la pres-
sion lumineuse totale que suliit la terre, on trouve
75 000 tonnes environ. Sur une masse que maîtrise une
force de gravitation de trois milliards et demi de mil-
liards de tonnes, c'est une quantité franchement insigni-
tiante, et, en la négligeant, la Mécanique Céleste ne
s’expose guère à être surprise en désaccord avec les
faits observés. Ainsi, si le soleil venait brusquement
à s’éteindre, la disparition de la pression lumineuse
(I) Micron = niillièmo de millimètre.
LE MILIEE INTERSTELLAIRE
41
raccourcirait le rayon de l’orbite terrestre d'un jieu
plus de 6 niilliniùtres et l'année d’un dix-inillionièine
de seconde !
Lorsque nous avons affirmé, il y a quelques instants,
que l’action de la pression de la lumière sur un corps
céleste est directement opposée à celle de la gravita-
tion, nous avons, on s’en souvient, supposé le coiqis
immobile par rapport à la source éclairante. S’il ne
l’est pas, ou au moins si sa vitesse n’est jtas parallèle à
la direction des rayons lumineux — et c’est le cas géné-
ral en Astronomie — les choses changent un peu. En
effet, le faisceau d'énergie radiante progresse dans
l’espace avec une vitesse finie et atteint par conséquent
l’astre mobile suivant la direction de la vitesse relative,
résultante de celle du faisceau et de la vitesse de l’astre
prise en sens contraire. (v)ue le lecteur nous passe ici
une comparaison un peu familière : quand nous nous
hâtons sous une averse, les gouttes de pluie, ({uoique
tombant verticalement, semblent arriver sur nous obli-
quement, de devant ; et c’est en avant, si nous avons
le bonheur d’en avoir un, que nous inclinons le para-
pluie. Il ne nous reste qu’à prendre les filets d’eau de
l’averse pour des rayons de soleil et la surface du para-
pluie crépitant sous les gouttes pour la surface enso-
leillée d’une planète, et nous nous serons rendu compte,
par comparaison ou, si l’on veut, par contraste, de la
déviation d’un faisceau de lumière solaire rencontrant
une planète en monvement. La même constatation
peut se présenter d'une manière un peu différente.
Supposons achevée en forme de sphère complète la
surface du parapluie. La demi-sphère battue par l’averse
n’est point celle dont le })ôle est exactement au-dessus
de nous, dans la direction réelle d’oii pleuvent les
gouttes, mais elle est un peu déviée en avant dans le
sens de la marche. Pareillement, l’hémisphère éclairé
d’une planète n’est pas la demi-sphère géométrique-
42
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
ment opposée au soleil, mais un hémisphère dont le pôle
est dévié dans le sens du mouvement de la planète. Et
de là cette conséquence : la résultante de la pression
de la lumière sur une planète qui se ment perpendicu-
lairement à la direction des rayons solaires est inclinée
sur l’orbite dans un sens tel qu’elle tend à retarder le
mouvement de la planète. La lumière remplissant l’es-
pace interastral joue donc le rôle d'un milieu résis-
tant (1).
Si nous avons la curiosité de calculer pour la terre
la composante retardatrice de la lumière solaire, nous
la trouvons égale à 7 1 2 tonnes environ. Sur Mercure
elle est de 11 1/2 tonnes. Sur une petite planète de
20 kilomètres de diamètre et qui circulerait autour du
soleil à la distance et avec la vitesse moyennes de
l'essaim des petites planètes, cette forcir retardatrice
dépasserait à peine un gramme. Les perturbations
causées par de telles actions sont insignifiantes au
point de défier tout contrôle. Mais toutes minimes que
soient ces causes, sur des corps célestes plus légers,
plus petits et plus rapides, sur des comètes peut-être,
sur des essaims météoriques, ces actions pourraient à
la longue déterminer un efièt observable. Elles sont
sensibles, par exemple, sur les ([ueues cométaires
qu’elles refoulent dans la direction opposée à celle du
soleil.
( )n pourrait montrer encore, mais nous ne nous
attarderons pas sui* ce point, que la ))ression lumineuse
sur les corps célestes qui décri venl des orbites ellip-
tiques tend à diminuer l’excentricité de ces orbites et à
faire réti'ograder le jiérihélie.
(I) l>c ralciil montre que la résislanre de ce milieu lictil' serait proportion-
nelle à la vitesse. Dans ces conditions, on trouve, résultat remarquable, que la
vitesse aréolaire , J'n lieu d’être constante comme dans le mouvement
képlerien, est une fonction linéaire de 6.
LE MILIEU INTERSTELLAIRE
43
Ayant examiné les actions pondéroinotrices dues aux
champs électromagnétiipies qui font de res])ace inter-
astral un milieu réce}tteur et transmetteur d’énergie,
il nous faut passer à l’étude des éléments pondérables
qui en font un milieu matériel dans l’acception la plus
concrète du mot. Aous tâcherons, dans la mesure du
possible, de nous faire une idée de la concentration de
ses divers éléments, des mouvements qui les animent
et dès lors de l’action qu’ils peuvent exercer sur le
déplacement des corps célestes.
Groupons d’abord en une première catégorie et sous
le nom de météorites (1) toutes les variétés de cor}»s
célestes qui, venant de l’espace, pénètrent dans notre
atmosphère, soit qu’ils s’y révèlent sous la forme fugace
mais brillante d’étoiles filantes et de bolides, soit qu’ils
nous laissent le témoignage permanent de leur chute
dans les « pierres du ciel » trouvées à la surface du
soletdontla structure cristalline caractéristique atteste,
sans laisser place au doute, la provenance extrater-
restre.
Un mot d’aboi‘d de leur origine, car elle est en rap-
port étroit avec leur répartition actuelle dans l’espace et
le mouvement dont ils y sont animés. D’après les hypo-
thèses les mieux accréditées, les météorites doivent leur
existence soit à la condensation locale de petits noyaux
primitifs au sein du chaos originel — ce qui leur donne
donc rang de soleils minuscules, mais indépendants, —
soit à la dislocation d’une masse cométaire, soit à la
rupture d’un anneau planétaire, soit à l’explosion
d’astres plus grands, soit à leurs éruptions volca-
niques. Les deux jiremières hypothèses définissent des
météorites d’origine cosmique ; ils seraient représentés
parmi ceux qui ont atteint le sol jiar les sidérites et les
(1) Cette acception est plus compréhensive (|ue l'acceplion d’usage, mais
elle simpliliera notre exposé.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
4i
sidérolitlies à forte teneur de ter. Les dernières hypo-
thèses détinissent, an contraire, des météorites d’ori-
gine interne au système solaii*e ; on reconnaîtrait de
préférence comme tels les aérolithes })roprement dits,
dont la com})osition chimique et la microstructure rap-
pellent les ro(dies éruptives terrestres.
Qu'il existe des météorites de la première catégorie,
déchets de l’élalioration des mondes par la condensation
d’amas nébuleux primitifs, les théories cosmogoniques
nous laissent liln-es de le supposer; mais elles sont
muettes sur leur distrifmtion dans l’espace et sur leurs
mouvements, l’orce nous est donc de voiler notre
ignorance, ou jilutot d’en tirer parti, en admettant une
distribution uniforme de ces corps et de leurs vitesses.
S’il en est ainsi, les étoiles filantes qu’elles forment en
})énétrant dans noti'e atmosphère ne doivent manifes-
ter aucune tendance à des groupements systématiques.
Si 011 corrige leur position et leur trajectoire appa-
rentes en tenant compte de la com])Osante due au
mouvement })roj)re de la terre, elles doivent se répartir
d’une manière uniforme à la surface de la vofite céleste
et leurs traînées lumineuses y doivent ])rendre indif-
féremment toutes les directions.
La dislocation des comètes, au contraire, conduit à
des groiqiements naturels. Les fragments cométaires,
après la désagrégation de l’astre, voyagent en bandes
ou en tiles, s'échelonnant, sans Jamais s’en écarter
notablement, le long de l’orbite primitive. Les trajec-
toires des fragments étant parallèles, elles se pro-
jettent sur le ciel suivant des lignes divergentes, issues
d’un même })oint de fuite, leur radiant. De même que
celles des comètes, les orliites des traînées de filantes
seront distribuées au hasard dans l’espace et leurs élé-
ments orbitaux ont. de fait, toutes les valeurs possibles.
11 y a donc ici groiqtement par radiants, mais aucun
groupement systématique de radiants, si, bien entendu.
LE MILIEU INTERSTELLAIRE
45
Ton fait abstraction de*reffet d’accu ululation apparente
dérivant du déplacement projire de la terre.
On ne peut en dire autant des météorites nés du sys-
tème solaire. Ceux-ci circulent isolément ou jiresque
isolément autour du soleil. Leurs orbites sont générale-
ment peu inclinées sur réclipti([ue et leur moiivemeni
est généralement direct. Elles ne jieuvent être entraî-
nées dans notre atmosphère qu’à la suite de perturba-
tions produites par le voisinage des planètes ou par
l’action d’un milieu résistant, qui, en déformant leurs
trajectoires, leur font couper parfois l’orbite tei-restre.
Encore, ne viennent-elles s’enliser dans notre atmo-
sphère ou y faire ricochet que si elles se présentent
au point d’intersection ou nœud des orbites au moment
même où y passe la terre. Le nomlire de celles qui sont
effectivement captées n’est donc qu’une très minime
fraction de leur nombre total.
En résumé donc, en dehors du système solaire, nous
voj'ons les météorites sporadiques distribués dans
l’espace d’une manière uniforme et leurs déplacements
s’effectuer au hasard, indifféremment dans toutes les
directions, tandis que les météorites cométaires, alignés
en files ou groupés en essaims serrés, y dessinent des
traînées régulières.
A ce fond cosmique général, le système solaire super-
pose les météorites, probablement beaucoup plus
nombreux qui lui doivent leur origine, font partie de sa
grande famille et participent en presque totalité à la
circulation planétaire générale.
Pourrait-on, en cette matière, dont l’étude repose
sur des données statistiques encore très incomplètes,
risquer un dosage de l’espace en météorites ? P’aisons
le calcul suivant : divisons le nombre de météorites
que rencontre annuellement la terre par le volume du
tore hélicoïdal que cette dernière engendre dans sa
révolution annuelle combinée avec la translation du
REVUE DES questions SCIENTIFIQUES
■i()
système solaire. D’après l'évaluation de \Voodward,
l’atmosphère terrestre recueillerait Journellement
20 millions de météorites (1). On déduit de là une con-
centration de 42 météorites par cube de 1000 kilom.,
de côté, soit encore dôOO météorites dans un volume
égal à celui de la terre.
Ce résultat doit être interprété. 11 serait rigoureux
si l’on pouvait supposeï* annulée l’attraction de la terre
sur les météorites et si ceux-ci étaient tous ])réalable-
ment au repos. Alors, en ellét, la terre ne recueillerait
<[ue ceux qu’elle-même irait heurter et ramasser dans
sa course. Mais faisons d’abord entrer en li«ne de
O
<‘ompte l’attraction, en laissant encore de côté les mou-
vements propres des météorites. Pour faciliter l’exposé,
renversons les rôles des corps en présence en suppo-
sant la terre immobile et en attribuant aux météorites
uniformément ré})andus dans l’espace une vitesse
initiale, 32 kilomètres [>ar seconde, égale à celle de la
translation terrestre, mais de sens contraire. En vertu
<les lois deNe\vton,les météorites décrivent des coniques
ayant })Our foyer le centre de la terre. Nous négli-
geons, bien entendu, les perturbations réciproques des
météorites, vis-à-vis de l’attraction terrestre. Ne seront
captés que ceux d’entre eux, dont la distance au périgée
est inférieure au rayon de la terre augmentée de l’épais-
seur de la couche atmosphéri({ue, oii ils sont arrêtés,
dette couche a envii-on 3(30 kilomètres d’épaisseur. Or,
remai‘([uons-Ie d’abord, la vitesse initiale des météo-
rites, 32 kilomètres pai‘ seconde, est supérieure à la
vitesse })aral)oli(pie, la({uelle n’est que de 11 kilomètres,
mêiiK' à la surface de la terre (2). Toutes les trajec-
(I ) Pour une étoile filante visil)le à PumI nu, H en est :2:2 visibles seulement
an télescope.
(:2) Le lecteur se rappellera (|u’en vertu des lois de la mécanique newlonienne
la nature elliptique, parabolique ou hyperbolique de la section conique
décrite ]iar un astre g'i’avitant autour d’un autre, dépend uniquement de sa
LE MILIEU INTERSTELLAIRE
47
toires seront donc des hyperboles. De là résulte: aussi-
tôt que tout météorite qui. en vertu de sa position et de
sa vitesse initiales, ne se rapproche pas actuellement
de la terre, s’en éloignera, et indéfiniment ; échapjiera
par conséquent à la capture. Le lecteur veri*a aisément
que la moitié des météorites de l’espace, ceux ((ui sont
situés d’un même côté du plan normal à la trajectoire
de la terre et passant par le centi*e de la terre, sont
dans ce cas. Ensuite, la vitesse initiale étant notable-
ment supérieure à la vitesse jiarabolique, les trajec-
toires h vperlioliques seront généralement très tendues.
Pour peu donc que la position initiale du météorite se
trouve éloignée de la trajectoire terrestre, la distance
du périgée, conclusion confirmée d’ailleurs jiar le calcul,
sera plus grande que le rayon terrestre, et le météorite
échappera. Dans ces conditions, on obtient donc une
approximation admissible du nombre de météorites
captés en négligeant l’influence de l’attraction et en ne
tenant compte que de l’action de « lialayage ». Il est
])lus difficile, sans recourir au calcul, de se faire une
idée de l’influence introduite par la vitesse propre des
météorites ; mais on arriverait à la conclusion que le
nombre de météorites captés en raison de cette nouvelle
condition est [>etit, relativement à celui des météorites
recueillis par suite de la translation. Nous pouvons
donc tenir la concentration calculée de A2 météorites
par mille kilomètres cubes pour une limite supérieure
très approchée de la concentration réelle.
Mais une interprétation physique ultérieure de ce
résultat est encore nécessaire. Nous avons donc oldenu
le nombre de météorites recueillis, à l’intérieur du
vitesse. Pour chaque dislaiice de l’astre attirant, il existe une vitesse critique
déterniiiiée, appelée vitesse parabolique. Si l’astre attiré possède une vitesse
moindre, il décrit une ellipse ; s’il possède une vitesse plus grande, il décrit
une hypei’hole ; à la vitesse parabolique, il décrirait une parabole.
48
REVUE DES QUESTIONS SUIEXTIEIQUES
système solaire, par un astre qui [iartici})e à la circu-
lation d’ensemble du système. Si nous avons égard au
fait que les météorites faisant ])artie du même système
sont, en général, entraînés dans la même circulation
(orbites ]>eu excentriijues et mouvements directs) et
qu’il faut un concours exceptionnel de circonstances
])our les conduire dans notre atmosphère (1), nous
devrons conclure que, parmi tous les météorites qui
nous atteignent, la grande majorité sont de nature cos-
mique et que le nombre obtenu plus haut représente
une moyenne de la concentration en météorites de l’es-
pace interastral en dehors du système solaire, quoique
au voisinage de ce dernier, (gluant à la population
météori([iie du système solaire lui-même, elle serait
beaucoiq) jdus dense. 11 est établi en tous cas qu’elle
n’est }»as uniforme, mais qu’elle est répartie suivant
des zones annulaires. C’est ainsi, par exemple, que la
terre rencontre un plus grand nombre de météorites
à l’aphélie <pi’au périhélie. Signalons à ce sujet une
étude intéressante de M. Fessenko}tf (2), sur la distri-
Imtion des courants de matière cosmique dans le sys-
tème solaire. L’auteur suppose que des millions de
comètes captées par* le système terrestre depuis son
origine ont pu se réduire en fragments météoriques
très petits, qui se sont dis})ersés sur leurs orbites pri-
mitives. Kn supposant arbiti’airement distribués dans
tous les sens les éléments de ces orbites, il calcule la
densité météorique relative à l’intérieur du système
solaire. En pi’enant pour unité de densité, la densité à
la distance mo3'enne de la terre au soleil, prise elle-
même pour unité de distance, il ti'ouve les résultats
suivants :
(1) Voir ). Carl)onellc, S. .1. Étoiles filantes et météorites. Rev. des Qüest.
SCIENT., t. XXIV (1888), p. 419; t. X.W (1889), p. I8r>.
(:2) C. 11., I) avril 1914.
L1-: MILIEr INTERSTELLAIRE
49
Distance an soleil
Densité météorique
Ü,i0
1,00
0,75
0,50
0,95
0,90
0,15
Ces résultats — faut-il l'ajouter ^ — sont purement
hypothétiques; ils n’ont encore rencontré dans l’obser-
A'ation aucune conlirmation.
Il nous faudrait encore être fixés sur l’ordre de gran-
deur des météorites. En l'éalité, parmi les 700 échan-
tillons qu’on a retrouvés à la surface de la terre, il en
est de tailles et de poids très dittérents. Tandis que les
plus petits n’atteignent ([ue quelques centigrammes,
d’autres pèsent plusieurs tonnes, comme le Willamette,
qui en pèse 10 et le Anighito qui en })èse 30 1 9. Il
faut ajouter d’ailleurs que les météorites de nos musées
ne sont en général que le noyau résiduel des coiqts
captés dans l’atmosphère, car l’échaufiément dû au
frottement volatilise la surface du météorite. La por-
tion volatilisée est d’ailleurs relativement plus considé-
rable pour les petits que pour les grands météorites.
Aussi la pluj)art des météorites engagés dans l’atmo-
sphère, surtout ceux d’origine cosmique, plus petits en
général que les autres, sont-ils conqdètement volati-
lisés bien avant qu’ils n’aient pu atteindre le sol. 11
peut se faire même que la lumière émise par les plus
t>etits d’entre eux soit trop faible pour que nous
])uissions en percevoir l’éclat. M. Ilumphre^ys a proposé
récemment (1) une exjilication de la « lumière de terre »
(1) Astrophysical Journal, t. XXXVl, 191:2, p. 2S(î.
IIR SÉUIE. T. XXVI. .i
50
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
fondée sur cette considération. On sait que par les
nuits sans nnaiies « l'obscnre clarté qui descend des
étoiles » est siqtérieure à la soinine des éclairements
dns à toutes les étoiles qui brillent au-dessus de Thori-
son ; en d’autres tenues, que le fond du ciel n’est pas
absolument oliscnr, mais qu’il nous envoie une certaine
quantité de lumière ditfnse.
Oelle-ci ne serait-elle jtas produite, se demande
M. linnqihrevs, par des myriades d'étoiles filantes
minuscules, individuellement impercejdibles, et qui
seraient dues à des nuées de })oussières météoriques
envahissant continuellement l’atmosphère ? L’hypothèse
est plausible et rexjilication élégante. Il faut avouer
})ourtant qu’on ne manque }>as d’autres interprétations.
I.es conditions et la répartition de l’éclat de minuit dans
les différentes zones du firmament n’onl ]>as encore fait
l’objet d’une étiidi' systématique suffisante ; celle-ci
limiterait vraisemblablement le choix entre les expli-
cations proposées. Le l’hypothèse de Humphreys
résulte, par exemple, ipie l’éclat de minuit doit être
jdus grand du coté de l’apex relatif que du côté opposé.
Si l’on admet i[ue les jtoussières météoriques font partie
du système solaire, l’apivx relatif correspondant sera
situé sur récli}»tique à 90" du soleil dans le sens rétro-
grade ; si les poussières sont d’origine intersidérale, la
direction de l'apex l'clatif résultera de la composition
de la vitesse de révolution de la terre avec la vitesse
du système solaii'e. Si l’on }>ent regarder comme suffi-
samment délicates et décisives, les dernières expé-
riences d’Angstrom sur la radiation tellurique, elles
seraient de nature à écarter l’inqtothèse de Hum-
phreys (1). Angstrom trouve, en effet, une radiation
nocturne, distidhuée symétriijuement autour du zénith
(!) The nocturmil nuUaHon /o AsTiiui'iiYsicAL .Iih k., vol.
1, p. 95 (lui 4).
LE MILIEU INTERSTELLAIRE
51
et non autour de l’apex. Mais il faut remarquer qu’il
enregistrait surtout la i-adiation calorifique de grande
longueur d’onde et non la radiation lumineuse. Une
étude bolométrique du rayonnement nocturne, qui
jiermettrait d’isoler la déperdition propre de chaque
radiation en difierentes zones de la voûte céleste, jiour-
rait fournir ici un experinicntam cmcis.
Tout imparfaites et tout imprécises qu’elles soient,
nos connaissances sur les météorites distribués dans
l’espace interastral nous permettent cependant de con-
clure que les masses célestes un peu importantes n’ont
guère à se soucier de la jirésence de ce milieu météo-
rique et que leur course n’en est pas troublée d’une
manière appréciable.
11 faut pourtant mentionner ici une élégante étude
de MM. Tomasetti et Zarlatti, publiée dans le Bul-
letin Astronomioue (avril 1914, p. 150), et qui résout
le problème astronomique des deux corps lorsque leurs
masses sont variables. Les auteurs traitent en particu-
lier le cas du système terre-soleil en supposant que les
deux astres voient leur masse augmenter par l’apport
<les météorites. Ln admettant pour l’accroissement de
masse de la terre '-^0 033 tonnes par an — estimation
d'Arrhenius — et pour le soleil un accroissement
annuel de 300 milliaials de tonnes, ils arrivent à cette
c( )nclusion que l’année se raccourcit de 32/100 de seconde
en 8000 ans. Les auteurs n’ont ])as tenu compte dans
cette évaluation de la variation d’énergie cinétique
([ii’entraîne la capture des météorites. Un calcul som-
maire, fait en tenant compte de ce facteur, nous montre
([ue la variation de l’année qui en résulterait ne serait
que de 10 milliardièmes de seconde pour la même
période de 8000 ans.
Puisqu’il est un fait (jue des essaims météoriques
peuvent posséder la masse et l’énergie cinétique de la
comète dont ils sont issus, on peut s’attendre de leur
})art à des effets sérieux, tant physiques que méca-
52
REVI E DES Q1;EST10\s SCIENTIFK^UES
niques, si Tessaiin entrait en collision avec un astéroïde
ou avec une comète. Cet évéïnmient a une [)robabilité
très minime, mais il est possil)l(\ et de pareilles ren-
contn's, de moins importantes même, pourraient con-
tribuei’ à expliquer soit certaines singularités dans la
vitesse des comètes, soit même, conjointement à
d’autres causes, la désagrégation de leurs noyaux ou
les étranges irrégularités de leurs panaches lumineux.
Nous devons revenir à la pression de la lumière.
Klle va nous intéresser maintenant non plus au point
de vue de son action dynamique immédiate sur les
masses célestes, mais parce qu'elle a pour effet de dis-
séminer dans l'espace et d’y maintenir en suspension
des poussières matérielles très tines, second élément
constitutif du milieu interastral.
Tandis ([ue la gravitation subjugue les grandes
masses planétaires et les tient enchaînées dans le
système solaire, malgré l’action répulsive de la pres-
sion lumineuse, il doit se faire, nous l’avons montré,
({ue, sur des particules sutiisamment petites, le Jeu
de ces actions se trouvera pi'écisément renversé. Et
d'abord de telles particides (“xistent-elles dans l'espace^
11 serait difficile actuelleimmt de mettre la chose en
doute. Elles proviennent soit de la désagrégation
cométaire, })Ouvant aller jus([u'à la pulvérisation, soit
des i-emous gigantesipies, ([ui, témoin notre soleil,
soulèvent ratmos]ihèi-e d('s étoiles et })rojettent la
matière jus([u’à d'immenses distances de l’astre. Dans
le nuage de matière soulevée, il doit se rencontrer ou
se former par condensation des particules solides ou
liquides (1). Les unes, les moins légères, retombent
(l) On rroil en reconnaître rexistenre dans la couronne solaire, ün sait
d’ailleurs ijue le spectre d’émission de la couronne, comme celui de la
lumière zodiacale, se détache sur un fond continu, révélateur de substance
solide ou liquide émettant ou rélléchissant de la lumière. L’amplitude et le
nombre des jets coronaux sont du reste en correspondance étroite avec les
bouleversements superliciels du soleil, manifestés par la formation des taches.
LE MILIEL INTERSTELLAIRE
53
sur le soleil, les autres, plus petites, dont le rayon a
précisément la valeui* cidtique dont nous avons parlé
et qu’aucune force ne sollicite à monter ou à descendre,
ont tôt fait de dissijier dans des chocs la lorce AÛve
qu’elles })Ossédaient, et i-estent flotter immobiles dans
le voisinage du soleil. l)’autres enfin, plus jyetites encore,
aussitôt saisies ]iar l'énergie dynamique du rayonne-
ment solaire, sont portées au loin sur les ailes imma-
térielles de la lumière et vont peupler l’espace intei-as-
tral. ^'ont-elles s’enfoncer dans ses profondeurs intinies
déflniti veinent et sans espoir de retour ? Non. et pour
plusieurs motifs.
D’abord, remanpions-le, dans l’explication esquissée
jtlus haut et qui nous a conduits à cette affirmation
([u’une particule repoussée, à une certaine distance du
soleil, sera repoussée à toute autre distance, et, par con-
séquent, s’éloignera de lui indéflniment, nous n’avons
pas tenu compte de la circonstance que voici ; le centre
qui attire la particule n’est pas situé au môme point
que la surface qui la repousse. Dans nos raisonne-
ments, nous avons supposé, en eftét, que la réjmlsion
émanait du centre du soleil, comme nous savons, par
un théorème de mécaniipie, qu’en émane équivalem-
ment l’attraction de la sphère solaire. Cette approxi-
mation, plausible si l’on considère les particules cà des
distances très grandes du soleil, fausse complètement
les conclusions quand il s’agit de particules prises dans
le voisinage de sa surface : elles sont repoussées par
les rayons issus d’une zone sphérique plusAmisine d’elles
([ue le centre qui les attire. Nous ne pouvons entrer
dans la discussion détaillée du problème de mécanique
qui se pose à ce sujet ; mais il est facile de concevoir
que des particules de rayon plus grand que le rayon
critique ( i ) et qui, par conséquent, à grande distance du
(1) En appelant ainsi le rayon d iine particule équilibrée à une distance
infinie du soleil.
54
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
soleil, seront attirées maliiré la ré])ulsion, pourront se
trouver au contraire repoussées, malgré l’attraction,
quand elles se rapprocheront du soleil. La répulsion,
en effet, variant en sens inverse de la distance à la sur-
face du soleil, dislance qui tmid vers zéro, croît alors
intîniment plus vite que l’attraction d’un centre distant
toujours au moins de (>95 kilomètres, rayon de la
sphère solaire. Mais, s’il en est ainsi, entre les régions
de l’espace où la particule est attirée par le soleil et
celles où elle est repoussée, s’mi rencontre une où
elle est en écpiilihre stable. Lt tle là cette conséquence :
il se forme autour du soleil une atmosphère de parti-
cules distribuées en comdies sphériques concentriques,
où les particules trouvent leur équilibre à une distance
d’autant jdus grande du soleil ([u’elles sont plus fines.
A \ine distance du soleil égale à son rayon, soit
69.5 (XKJ kilomètres, une particule de densité égale à
celle de l’eau et de diamètre égal à 6 |u serait eu équi-
libre ; à 70 (JtX) kilomètres, s(‘ (léveloj)perait la zone,
d’équilihrc' des particules de iü m ; à 10 ( MX) kilomètres,
celle d’un dixième de milhmèti-e de diamètre. Théori-
quement ces zones de repos s'étagent depuis la surface
du soleil jusqu'à l’infini. Pratiquement, elles ne peuvent
exister qu'à une distance de la surface solaire où ne
se font plus trop sentir les bouleversements de la
surface : et d’autre part, à une distance un peu grande
du soleil, les causes }>erturhatrices extérieures — celles
dont nous avons parlé et celles dont nous aurons à
parler dans la suite — rompent trop aisément cet équi-
libre pour qu’il })uisse exister. En efiét, on montrerait
aisément (pie la force qui ranu'un' vers sa zone d’équi-
libre une particule qui en aurait (îté écartée, est con-
sidéralile dans le voisinage du soleil, mais excessivo-
ment faible à une distance un ]teu grande, en sorte
qu’une influence perturbatiâce étrangère, s’exerçant
là, aurait nécessairement une action prédominante.
LE MILIEU INTERSTELLAIRE
o;>
Suivons maintenant dans leur eoui-se les particules
lieaucoup plus petites, de rayon moindre que le ra\’on
critique et qui, à toute distance, sont repoussées par le
soleil. Fuiront elles indéfiniment ?
11 se téra souvent d'ahord, que, dans leur fuite, elles
iront à la rencontre de la répulsion lumineuse émanée
d’autres soleils. Alors leur course se trouvei-a progres-
sivement ralentie et elles s’arrêteront en quelque région
d’équilibre stable, repoussées également dans tous les
sens par les soleils qui les entourent. Ces zones d’équi-
libre deviendront aisément , grâce à l’attraction mutuelle
des particules, des zones de condensation; et, retour
des choses, dans les novaux ainsi condensés, la £>ra-
vitation, qui ne perd Jamais ses droits, l’emportant
à son tour sur la répulsion lumineuse amoindrie par la
fusion des surfaces, ramènera vers quelque soleil plus
voisin, pour le soumettre à son empire, l’essaim
ramassé des particules fugitives. Nous touchons peut-
être ici l’origine de comètes ou d’essaims météoriques.
Mais d’autres circonstances peuvent aussi se rencon-
trer, qui altèrent profondément les précédentes prévi-
sions. Si l’on suppose que l’ensemble des étoiles est
groupé en un 'système et qu’elles sont réparties suivant
un plan plus ou moins régulier, ]>ar exemple, en forme
de grande lentille galactique, les poussières émises et
repoussées par le s_ystème d’étoiles suivant une direc-
tion normale à la surface enveloppant le système, s’en
écarteront indéfiniment et avec une vitesse croissante.
Mais, à mesure qu’ils s’éloignent, ces immenses cou-
rants de poussières issus de milliers de soleils se con-
centrent sous l’influence de l’attraction mutuelle de
leurs particules, se heurtent, se com[iénètrent, s’en-
roulent les uns autour des auti*es en de gigantesques
tourbillons. Telle serait, d’après M. See, l’origine des
nébuleuses aux aspects si variés, souvent si invraisem-
blablement tourmentés. En un stade ultérieur de con-
REVI'E DES yr-ESTIONS SCIEXTIFIQUES
(lensation. los nébuleuses engeiulfei-aient les étoiles,
qui, reprises par la nravitatiou rauiinieraient, concen-
trée. vers le centre du système dont elle émane, la
matière autrefois exindsée, à l’état d’extrême division,
par les rayons de la lumière.
< )n peut cliei-clier à a])i>uyer ces vues à longue jior-
tée sur le fait ([ue les régions à nébuleuses et cà étoiles
en formation sont situées vers les pèles du système
galactique, tandis ([ue la voie lactée, zone la plus riche
en étoiles, est la plus pauvre en nébuleuses. C'est bien
ce que la théorie esquissée ci-dessus semble exiger, si
les étoiles sont tlistribuées suivant une couche galac-
tique d’épaisseui- relativement fail)le. Ces conceptions
engageantes semblent encore bien con jecturales. En tout
cas, sans aller Juseju’à de si lointaines conséquences, ou
voit que le mécanisme de la condensation progressive
des tiux de poussièi*e met de lui-même une limite à la
fuite et à l'éparpilbunent de la matière cosmiqiu' et la
ramène automatiquement vers les centres d’émission.
Mais, outre ragglomération spontanée des poussièi-es
sous l’intluence de la gravitation, il est encore un autre
facteur capable d’assigner un terme à la fuite des par-
ticules à travers res])ace : c’est l’absorption de la
lumière dans le milieu intersidéral. L’existence de
l'absorption est actuellement une question ardemment
étudiée. Il semble bien que les arguments a]q)ortés en
contirmation de son existence lui garantissent au moins
une probabilité d’aspect négatif : il y a des raisons
plausibles de l'admettre, aucune de la rejeter, sinon
]»eut-être celle-ci ([u’on s’en est [>assé jusqu’à jtrésent.
l)’a illeurs, si l'on admet l’existence des jioussières cos-
miques dont nous venons de ])arleix il est bien difficile
d’échapper à l'alisorption. Ces particules sont, en effiet,
autant de petits résonnateurs al)sorbant en }»artie la
radiation lumineuse qui dépense son énergie à les pous-
ser en avant, et ([ui, par conséquent, s’en trouve atfai-
LL-: MILIHI’ IXTERSTKLLAIRE
.) l
blie plus loin de la source. 11 s’ensuit de là que la pres-
sion lumineuse décroît itlus rapidement que l'inverse
du carré de la distance à la source, tandis que l’attrac-
tion, indifférente à tous les obstacles, agit impertur-
bablement en raison de cette même grandeur. La par-
ticule errante, en s'écartant du soleil ou du système
de soleils, arrivera donc nécessairement 'à une distance
telle que l’attraction y sera égale à la pression lumi-
neuse amoindrie ; elle restera en équilibre. Si le i*ayon
de la particule n’est que légèrement inférieur au rayon
critique, elle trouvera sa zone d’é([uilibre non loin du
soleil, en une région où l’action des autres soleils est
encore pratiquement insensible. Si, au contraire, le
rayon est notal)lement }»lus petit que la valeur cri-
tique, la zone d’équilibre existera seulement en dehors
du groupe d’étoiles auquel appartient le soleil qui l’a
émise ou même, nous l'avons indiqué plus haut, en
dehors d’un système lieaucoup plus vaste, comme le
serait, par exemple, le système galactique. 11 se for-
merait donc ainsi Jusqu’à une immense distance du
soleil ou du groupe stellaire auquel il appartient, une
atmos})hère en équililire dont les couches concentriques
seraient constituées de poussières d’autant plus éloi-
gnées du centre qu’elles sont plus ténues.
Mais cette conception statique du phénomène, en
tant qu’elle semble aboutir à un état général d’équi-
libre, n’est }»as rigoureusement réalisée. Nous en avons
déjà indiqué une cause : l’attraction mutuelle ([ui agglo-
mère les particules. 11 en est une autre. Les étoiles,
centres d’où émanent les forces qui devraient se
résoudre en un équililu-e. non seulement ne sont pas
immobiles, et ].»ar conséquent, la résultante de leur
action *de gravitation n’est pas constante, mais leur
éclat, source de la répulsion lumineuse, est lui-même
variable. Les expériences récentes exécutées simulta-
nément en Algérie et au Mont àVilson par Abbot.
58
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Fowle et Al(lrich,ont établi de façon péi'eiii}»toire Texis-
tence de variations objectives de près de 10 °o dans
la radiation solaire ; et quant aux étoiles, le nombre
des variables reconnues est immense et ne fait que
croître, (diq Ton sait combien sont importantes les
variations, certainement objectives dans les étoiles à
variations lentes, d’un grand nomlire d'entre elles. Or
chacune de ces variations se répercute sur la position
d’équililire des jionssières tenues en suspension par la
pression lumineuse. Chaque fois que l’éclat s’atténue,
les particules se rapprochent de l’astre ([ui les repousse:
chaque fois qu’il augmente, elles s'en éloignent. Donc,
au double courant général de particules, les unes
récemment expulsées qui fuient, les autres, petits
noyaux déjà condensés, qui descendent et viennent
chercher en un jtoint ])lus i-ap})roché de l’astre central
ou même à sa surface l’équilibre perdu, se superposent
un hux et un rehux périodiques, qui traduisent au loin
dans l'espace en mouvements matériels, mais avec un
retard projHirtionnel à la distance, toutes les oscilla-
tions du jiouvoir éclairant de la soui‘ce lumineuse.
Malgré son extrême petitesse, un à deux microns de
diamètre, le grain de poussière équilibré })ar la pres-
sion lumineuse est un édifice énorme par rajq)ort aux
molécules qui le constituent au nombre de quelque
t»(J milliards. Si on diminue les dimensions de la parti-
cule en lui enlevant un certain nombre de molécules,
l'action dynamique de la lumière gagnera en prépon-
dérance, nous l’avons vu, sur celle de la gravitation ;
en sorte que moins la }»articule compte de molécules,
mieux elle donne prise au l'ayon lumineux. Mais en
sera-t-il encore ainsi, si l'agrégat moléculaire dimi-
nue au ))oint de ne compter ])lus que quelques
milliers, voire quelques dizaines de molécules? Non.
LE MILIEU INTERSTELLAIRE
W
l)’après les recherches de Schwarzschihl, la pression
lumineuse unitaire ]tasse pai‘ un maximum, lorsque h‘
diamètre de la particule est ég-al au tiers de la loug'ueui-
d’onde de la radiation lumineuse qui la porte ( 1 ). Pour
des dimensions moindres, la pression décroît rapide-
ment et s’annule. Une particule de diamètre 0,174 m,
soit le tiers de la longueur d’onde, 0,54 u, de la radia-
tion d’énergie maximum du spectre solaire, l’enferme
encore 7 milliards de molécules. Il y a moyen, on le
yoit, d’en soustraire quelques-unes, et l’on peut ad-
mettre que, sur les agrégats de KJO millions de molé-
cules et moins, la pression lumineuse est pratiquement
nulle. Nous sayons d’ailleurs, par les belles recherclu^s
sur les couches monomoléculaires et leur condensation,
que ces groupements peuyent exister et former des
édifices moléculaires stables. Nous n’ayons aucune
raison de ne pas admettre leur- présence dans la ma-
tière rejetée dans l’espace par les tourbillons solaires :
en sorte que parmi les particules solides ou liquides
expulsées par le soleil, les plus petites aussi bien que
les plus grandes finissent par retomlier à sa surface (2).
Mais de nouvelles conditions de mouvement vont
intervenir ici. A mesure, en eftét, que les agrégats
moléculaires se simplifient et tendent à se réduire à la
molécule isolée, les conditions de leur existence et les
lois de leurs mouvements, les rapproclient de l’état
gazeux ; ils n’échappent à la théorie électromagné-
tique de la lumière ([iie pour ]»asser dans le ressoi-t
(1 ) Dans une étude ])lus récente, Nicholson, et après lui Prouduian (Montiii^y
Notices of tue Roy. Astr. Soc., t. L.W. p. 544 et t. L.XXIll [1!)I3], p. 535)
aiioutisseut à la iiiême conclusion ; seulement le maximum se présenterait
pour un diamètre des particules près de une lois plus petit. Ces déductions
sont d’ailleurs purement théoriques et ne s’appuient sur aucune expérience.
C2) Il faut pourtant mentionner ici les recherches expérimentales récentes
(1910) de Lehedeff, d’après lesquelles la pression de radiation, nulle sur de
petits agi'égats, reparaîtrait dans la molécule isolée. Les gaz seraient, eux
aussi, repoussés dans une certaine mesure par le rayonnement.
60
REVUE DES QUESTION'S SCIEXTIFIQl'ES
d’une auti-e théoi-ie pliysi({ue : la théorie cinétique des
gaz.
Considérée du }ioint de vue de la théorie cinétique,
que de i‘écents trioniphes ont inq)Osée aux esj)rits les
plus prévenus, une masse gazeuse est foianée de molé-
cules. animées (ui tous sens de rapides mouvements de
translation et séparées les unes des autres par des
intervalles très grands jtar i-ap})ort aux dimensions
}tropres des molécules. Sans action les unes sur les
autres à leur distance moyenne (sauf l’action de la
gravitation), ces molécules se repoussent lorsque le
hasard de leur course les rapproche, en sorte qu’on
jteut les regardei- alors ])ratiquement comme des
sphères élastiques (pii se heurtent. Leurs vitesses,
groiqiées autour d'une valeur moyenne, fonction de la
tenqtérature du gaz. sont ré}»arties de part et d’autre
de cette moyenne suivant une loi exponentu'lle établie,
ou plutôt devinée par Maxwell. Enfermées dans une
enceintig les inoh>cules du gaz sont repoussées ]iar les
molécules des parois et rebondissent sur celles-ci
suivant les lois des chocs élastiques (i). I me masse
gazeuse isolée et libre, véritable essaim de molécules,
tend à se réi)andre dans tout l’espace et à s’_p diffuser
entièi'ement : mais la gravitation, attraction d’un
noyau central ]dus dense ou attraction mutuelle des
particules d'une masse homogène, travaille en sens
opposé et réussit à maintenir l'essaim ramassé. Le
premier cas se trouve réalisé dans le soleil et les
planètes douées d'une atmosjdière; le second le serait
dans les amas gazeux de certaines nébuleuses sans
noyaux de condensation.
Mais, dans l’un et l’autre cas, la théorie cinétique
j)ermet de ])enser ([u'un certain nombre de molécules
(I) Nous sommes o))lig(i ici de considérer seulemenl en yros ces hypo-
thèses. 11 est impossible, i>ar exemple, d'entrer dans la délicate (luestion du
« glissement aux parois », et dans celle du « choc ».
LE MILIEU interstellaire
61
finiront par s’échapper de la masse «lazense à laquelle
elles apjiartenaient. Voici dans quelles circonstances
se produirait rémancipation.
Parmi les molécules de gaz (pie le hasard du mou-
vement cinétique égare dans les couches extrêmes de
l’atmosphère, et dont la vitesse }u’opre est accrue
encore de la composante périphérique de la rotation
de l’astre, il en peut exister un certain nomlire de
vitesse suftisamment grande et de direction assez heu-
reuse })Our se trouver entraînées })ar ce mouvement
loin de leurs voisines retenues jiar rattractiou. Elles
décrivent alors dans l’espace, soit des orbites ellipti([ues
qui les ramèneront et les replongeront un Jour dans
l’atmosphère dont elles se sont échap}tées, soit des
orbites hyperboliques, qui les en éloigneront définiti-
vement et en feront de libres chovennes de l’espace.
C’est en appliquant de telles considérations aux nébu-
leuses qu’Arrhenius veut expliquer la foiaiiation spon-
tanée de nébuleuses chaudes à partir de néluileuses
froides et tente d’étayer sa théorie des cycles ({ui doit
assurer à l’univers vieilli le retour jiériodique de la
jeunesse.
(juoi qu’il en soit de ces « extrapolations » hardies et
sujettes à caution, n’allons point chercher si loin et
étudions plus jirès de nous et de plus près cette sorte
d’évaporation des atmosphères qui peiqderait l’espace
de molécules et en ferait un milieu gazeux.
D’aliord, la théorie cinétique nous fournit-elle un
argument a itriori certain en faveur de la réalité de
cette diffusion lente des atmosphères? Si l’on ne tient
compte que des conditions que la théorie cinétique
prescrit à l'équilibre d’une atmosphère, il faudrait
répondre négativement.
Supposons d’abord la masse gazeuse immobile, sans
rotation d’ensemble. La théorie nous apprend que la
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
masse jii'end un volume s[)héri([ue tiiii. La vitesse
movenne des molécules décroît du centre à la [)éri-
jdiérie, oii elle est nulle. Cette conséquence de la
théorie, nous pouvons la prévoir, dès que nous admet-
tons que la masse li'azeuse ne se dütiise }>as indétini-
ment. Ln etiét, si la composante normale de la
vitesse des molécnles à la périphérie n’était pas
nulle, les molécules s’élèveraient au-dessus de la sur-
face-limite, ce qui est contradictoire; si la coni])osante
tangentielle à la surface n’était pas nulle, il suffirait
d’un choc pour la transformer en com})osante normale
et l’on retrouverait le cas déjà exclu. l)ans ces condi-
tions, il est évident que la ditiusion est impossible.
Si nous sujijtosons ensuite que la masse gazeuse
entière est entraînée dans une rotatîon d'ensemble,
la conclusion précédente subsivste; car la vitesse }>éri-
pliérique de rotation ne peut être transformée jiar choc
en vitesse normale, toutes les molécules participant à
la même i-otation.
A quoi les partisans de la diffusion ré})ondent ou
|»euvent répondre : d’abord, que la conclusion théo-
ricpie a été établie en supjiosant toutes les molécules
animées de la même vitesse moyenmg ce qui n’est
l»as le cas dans la réalité. Les vitesses sont réparties
autour de la vitesse movenne suivant une loi exponen-
tielle. Sans doute, les écarts permis jtar la loi sont
petits ; mais la loi ne considère que les écarts de
//toiff’nnes de particules. Le nombre de molécules étant
immense, des écarts individuels, même énormes,
jiasseront ina}ierçus dans les moyennes, et l'ieii n’em-
jiêche donc de supposer qu’ils existent. ( )r, ces excej)-
tions sont suffisantes pour entretenir la ditfusion atmo-
sphérique. On dira ensuite que la théorie fait abstrac-
tion de diverses conditions jthysiques ; tel serait le
rayonnement qui relève irrégulièrement les tem]»éra-
LE MILIEE INTERSTELLAIRE
r>3
tu res et, })ar conséquent, les vitesses; les inouve-
nients ou remous de l’atmosphère ; le bomliardement
des couches su])érieures par les météorites, les pous-
sières radiantes, les ions. C’est vrai. Mais on ne peut,
d’autre part, perdre de vue ceci : si l’atmosphère est
isolée dans un vide }>arfait, une molécule ne peut s’en
échap])er définitivement que si elle possède, au point
où elle la ([uitte. la vitesse parabolique correspondante.
Or, cette vitesse est beaucoup plus grande ([ue la vitesse
]>ropre des molécules, même à une temjiérature élevée.
Si l’atmosphère terrestre, par exemple, a KXKJ kilo-
mètres d’épaisseur, la vitesse parabolique à la péri-
jihérie est de 11 kilomètres à la seconde. Or, aux tem-
pératures ordinaires, Iieaucoup plus élevées jiourtant
([lie celles qui régnent dans les couches extrêmes, la
vitesse movenne des molécules o-azeuses est seulement
». CT
de l’ordre du kilomètre. En supposant une atmosphèi-e
de (1000 kilomètres, comme la réclament certains
astronomes, la vitesse parabolique libératrice à la
périphérie devrait encore atteindre 8 kilomètres. Il y a
donc là une sérieuse difficulté. On l’écarterait jieut-être
en supposant la diffusion déjà amorcée, l'espace, non
parfaitement vide, mais déjà sillonné de molécules. Il
suffirait alors qu’une molécule s’aventurât quelque peu
en dehors de l’atmosphère pour être immédiatement
accaparée par la foule anonyme des molécules de
l’espace et pour se }>erdre au milieu d’elles. L’espace
trouverait d'ailleurs à s’alimenter en molécules à
d'autres sources encore. Ce seraient les comètes et les
météorites dont la fragmentation met en lilierté les gaz
occlus (1). ce seraient les poussières expulsées des
soleils lumineux par la pression de radiation et entraî-
nant avec elles des molécules isolées qu’elles sèiiie-
(1) Il résulte des analyses de météorites, que ceux-ci renfeianent environ
six lois leur volume en gaz occlus.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
6i
raient dans res])ace ; ce seraient (nidn les molécules
de vapeur émises par tous les corps lirpddes ou solides
existant dans l’espace.
Cette interprétation basée sui' la préexistance d’un
milieu g'a/eux a pourtant son revers : si les j)lanètes
à atmosphère froide se déjdacent au sein d’un espace
peuplé de molécules, elles poui'raient liien ca})ter plus
de molécules ([u'elles n’en libèrent et appauvrir sur
leur passap-e, loin de l’enriidiir. le milieu qu’elles tra-
versent. Il faudrait même admettre que tout coiqis
céleste refroidi et privé d’atmosphère doit en acquérir
une aux dépens du milieu, en attirant et en recueillant
les molécules épai'ses. l)’où vient alors, par exemple,
que la lune n'ait pas encore réussi à se créer une atmo-
sphère M )n ne ]iossède actuellement, pour trancher
ces sortes de questions, que des inti'rprétations plus ou
moins probables ou ])lausihles, tant on est peu ren-
seigné sur les conditions ph_vsi({ues des gaz à la
limite des atmosphères jtlanétaires. tant aussi la théorie
cinétique, science statistique, perd de sa }u-écision et de
sa rigueur quand le nombre d’éléments ([u’elle inanii'
jiar le calcul cesse d’ètre immense. Dans le cas de la
lune on peut faire intervenir, pour répondre à la
dilficulté, la haute température à laquelle est })orté
périodiquement chacun des jtoints de la surface lunaire.
Il ne faut }>as perdre de vue que le jour lunaire vaut
quatorze de nos jours, pendant lesquels 1(> soleil darde
ses rayons sur un même point du sol. sans que rien,
ni nuages, ni atmosphère ahsorliante, ne vienne atté-
nuer l’intense rayonnement. S’il en est ainsi, les molé-
cules gazeuses de res])ace ({ui viennent au contact de
riiémisphère éclairédela lune s’échautfent, c’est-à-dire,
en termes de la théorie cinétique, qu’elles acquièrent
une vitesse })lus gi-ande que celles dont elles étaient
animées, et sont rejetées dans l'espace. A la hauteur
moj'enne des jtics lunaires, la vitesse [)araholique est
de 2 à d kilomètres iiar seconde. ( )r, à O déjà, la
LE MILIEU IXTER.STELLAIKE
()5
vitesse des molécules (rhydro«ène est de 1,7 km. Elle
serait exactement de 2,4, km., vitesse jtarabolique, à la
température de 227° centigrades. A cette températui-e
aucune molécule d’hydrogène ne pourrait donc être
retenue à la surface de la lune. Mais, jiour les motifs
mentionnés plus haut, il n’est }»as même nécessaire
d’admettre une température si élevée pour expliquer le
rejet des molécules dans le milieu interplanétaire.
( )n peut donc admettre qu'il ne se forme aucune atmo-
sphère sensible en un point de la surface lunaire soumis
à l’insolation.
Mais au cours de la nuit lunaire, suit pendant une
durée de quatorze jours terrestres, la lune n’accumule-
rait-elle ])as au fond de ses vallées redevenues glacées
assez de molécules ])our y constituer une couche atmo-
sphérique que l’insolation suivante serait incapable de
disperser l Remarquons d’abord que la densité gazeuse
du milieu interastral est très faible (nous verrons plus
loin qu’il est au plus de l'ordre de K.)— de la densité
normale). Il résulte de là que la formation d’une
atmosphère est très lente. Faisant ici une observation
semblalde à celle qui nous a permis de négliger en
première approximation l’attraction de la terre sur les
météorites pour ne retenir que relièt de captation par
« balayage », nous pourrons aisément évaluer la quan-
tité de gaz ramassée par unité de surface sur l’hémi-
sphère obscur de la lune (1). Nous trouvons ainsi qu’à
la pression atmosphérique, la couche gazeuse formée
à la surface de la lune pendant 14 Jours de 24 heures
serait seulement de trois cent millionièmes de micron.
Il ne faudra pas de longues heures au soleil pour
(I) En réalité, il faudrait tenir conii)te du fait suivant : ce n’est yuère que
le quart de la surface lunaire qui agit etlicacement dans la captation. La lune
ayant une vitesse sensiblement normale à la ligne lune-soleil, ne présente
vers son ape.v relatif, d’où lui vient le Ilux des molécules qu'un demi-hémi-
sphère obscur. On peut donc de ce chef regariler l’évaluation donnée comme
trop forte.
IIU SÉRIE. T. .WVI.
5
REVUE DES qITESTR)NS SCIEXTIFIQUES
()()
échauffer à son lever cette pellicule et en dispei'ser les
molécules dans l'espace.
A ces considérations a priori, hien imprécises encore
et bien peu sûres, on pourrait ajouter, en faveur de
rexistence d'un milieu gazeux interastral, certaines
confirmations tirées des observations. M. Newall a été
conduit, pai' exemjde, par ses études spectroscopiques
à admettre dans le milieu interjilanétaire l'existence
de cyanogène en }»etite quantité. L’absence presque
complète d’hydrogène et d’hélium dans les atmo-
sphères ])lanétaires s’explique aisément dans l’hypo-
thèse de la diffusion; car, pour ces gaz très légers, la
vitesse libératrice est atteinte à une moindre tempéra-
ture et, de plus, l'effet de la pesanteur les porte à la
surface externe de l’atmosphère (1). On peut hiAmquer
aussi une recherche intéressante de M. Courvoisier,
hmdant à établir ({ue les rayons lumineux (jui nous
arrivent des étoiles et qui passent dans le voisinage du
soleil y seraient incurvés. En étudiant la variation des
latitudes, M. Courvoisier mit en évidence un terme
périodique indépendant de la latitude de la station
d’observation, et fit la remarque qu’il pourrait s’expli-
({uer si l’on admettait dans le milieu interjilanétaire une
(lensité d’éther, ou, ce qui reviendrait au même, une
densité gazeuse, ci-oissante dans les environs du soleil,
l/étude des jtositions de X'énus de 1S5S à 11)01), con-
firma l’existence de cette « réfi-action ». M. Ross
i-eprit récemment avec }>lus de soin la discussion des
données et fut conduit à la même conclusion, mais avec
une valeur légèrement plus forte de la réfraction. Or,
cette augmentation du jiouvoii' réfringent de l'esjiace
(I) M. (iouyn niontn* réceiiiment combien est lente l’action tie la pesanteur
IKinr stratilier dans les hautes couches de raluiosphère les gaz de densités dif-
férentes. .Mais n'oublions pas (pie dans l’interprétalion ipie nous repi’odui-
sons ici, cette action s'exerci', depuis que la terre existe.
LE iULIEU INTERSTELLAIRE
67
I dans le voisinage du soleil a son interprétation toute
I trouvée dans riiypotlièse de la diffusion. Le soleil serait
alors, en effet, une source puissante de molécules ali-
mentant le milieu planétaire. La prochaine éclipse
totale de soleil, en aofit 1014, permettra peut-être une
vérification directe de cette hypothèse. Il se produira
en effet, pendant la pliase de totalité, une occultation
I d’étoile ou plutôt une réapparition d’étoile que le disque
opaque de la lune démasquera pendant qu'il maintient
encore caché le disque du soleil. Les rayons émanés
lie l’étoile en frôlant le disque luminaire auront donc
] tassé dans le voisinage très immédiat du disque
solaire éclipsé. Si la réfraction circumsolaire de
M. Gourvoisier existe, les rayons auront été déviés
près du soleil et la réapparition de l’étoile occultée ne
se fera que trois ou quatre secondes après l’instant de
l'apparition théorique (1).
Bref, jusqu’à preuve du contraire, il y a lieu de
penser que l’espace interastral est un milieu gazeux.
Gette preuve du contraire existerait-elle ? Il est deux
faits où l’on serait tenté de la voir : les corps célestes,
<lans leurs déplacements, ne paraissent pas avoir à
triompher de la résistance d’un milieu ; les rayons de la
lumière ne semblent pas affaiblis, malgré les immenses
])arcours qu’ils effectuent dans un milieu gazeux natu-
rellement absorbant. Il est aisé d'esquiver la difficulté.
Kn conjecturant l’existence d’un milieu gazeux, on ne
s'f'st pas interdit de supposer sa densité assez faible
}K)ur que ses effets perturliateurs soient ramenés à des
grandeurs inférieures aux erreurs d’observation, et par
conséquent soustraites, par définition, au contrôle
expérimental. Mais par le fait aussi, et c’est ce qui
( h Ce relanl serait accentué èt porté à 14 ou 15 secondes si la ifravitation
produisait sur la propagation de la lumière l’elfet que prévoit la théorie de la
relativité d’Kinstein. Nous n’avons pas à nous attarder à ce point de vue
relativiste, que nous avons d’ailleurs délibérément exclu de cet article.
68
REVT’E DES yl'ESTIOXS SCIENTIFIQUES
nous intiu'esse, on est amené ainsi à fixer une limite
supérieure à la densité du milieu aazeux interastral.
llirn avait déjà calculé ([ii’iin milieu de densité égale
à 1, i 10“'' ferait varier la durée de rannée de 3 iCMJ de
seconde jiar an. 11 faudrait un intervalle de temps
déjà notable pour mettre cette variation en évidence
])ar comparaison avec d'autres durées astronomiques.
( )r, cette valeur de la densité est encore trop élevée,
comme nous allons le voir. En etiét, des deux actions
perturbatrices signalées, ri'sistanee mécanique du
milieu et absorption de la lumiènc la seconde nous
fournit la limite supérieure la plus petite et par consé-
quent la plus serrée. C’est donc celle qui mérite d’être
précisée.
Si elle existe, l’absorption du milieu est très faible et
absolument ina})préciable sur des distances de l’oixlre
des dimensions du système solaire. En etiét, que la
jdanète Neptune soit à sa }dus grande distance de la
terre ou à sa plus jætite distance, la variation d’éclat
observée n’est ]ias difierentede celle qui résulte, d’après
la loi géométrique connue, de la différence de ces dis-
tances. La question de l’absoiqition ne se ])ose donc
que })our les distances stellaires, celles qui séparent les
étoiles et les systèmes d’étoiles.
Mais alors il semlile bien ([ue la question soit inso-
luble. En effet, comment jn-ouver l'existence de l’ab-
sorption, sinon ])ar la conqiaraison de l’éclat d’un
même astre à deux distances différentes du lieu d’ob-
servation f Or, les variations de distance que jieiit
éprouver l’astre par rajqioi t à nous sont seulement de
l’ordre des dimensions du système stellaire auquel il
apjiartient et dans lequel il se meut; et nous venons de
dire ([ue ces variations sont probablement insuffisantes
pour entraîner une variation d’éclat appréciable et
mettre en évidence l’absoiqition. Imjiossible aussi de
compter sur b' mouvement projtre d’une étoile pour la
LE MILIEU INTERSTELLAIRE
09
rapprocher ouréloipner suffisamment de nous. Ce mou-
vement est trop lent ; car si. au liout d’une période for-
(îément longue, on constate une variation d’éclat, il
sera toujours loisilde d'attribuer cette variation à une
modification de l’éclat intrinsèque de l’étoile. La ques-
tion semble sans issue. 11 en est une })Ourtant, encore
([u’assez étroite, du côté de la statistique stellaire. Si,
à mesure que l'on considère des astres plus lointains,
le nombre de ceux (jui restent visibles est inférieur à
ce qu’il serait en vertu du seul éloignement, ce serait,
on faveur de l’absorption, une présoiii]»tion sérieuse'.
Et si l’éclat unitaire a[)parent de celles des nébuleuses
<[u’on a des raisons d'admettre comme plus lointaines
que les autres était, règle générale, plus faible que
l’éclat des nébuleuses plus voisines, ce serait une con-
firmation (i). D'ailleurs on j»eut surprendre l’absorp-
tion, non seulement dans ses etfets intensifs, mais aussi
dans ses effets sélectifs. < )r, on a constaté que parmi
les étoiles du même type spectral, les plus lointaines
ont un spectre moins étendu du côté des radiations plus
absorbables que celles qui sont plus proches (2). Autre
confirmation du même fait, et susceptible de la même
interjirétation : les étoiles rouges sont relativement plus
nomlireuses parmi les étoiles de faible grandeur que
parmi les autres. Malgré ces indices divers, et d’autres
encore, l’accord n’est pas fait })armi les astronomes au
sujet de l’absorption. Il n'entre pas dans le cadre de
cette étude de discuter cette question délicate et encore
moins de la trancher. Mais de cette incertitude même
résulte, et ceci nous intéresse, que l’absorption, si elle
existe, est excessivement }>etite, et qu'il faut la consi-
dérer comme presque négligeable. On peut donc
(1) Brown K. U. Moxthi.v notices of tue Boyal Astroxomical Society,
vol. XXII ( I9I;2), p. 195 et j>. 7IS.
Very \V. Astroxo.misciie X'aciirichtex, n“ i53(i.
C2) Astrophysical .lOl RXAI.. vol. -N'XVl.
70
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
partir de là pour tenter une évaluation de la densité
maximum du milieu interastral.
M. Fournier d’Albe a calculé (juelle serait cette den-
sité, si l’on admettait que l’absorption sur certaines
distances qu’il s’est choisies, est épale à celle de notre
atmos]»hère. 11 prend d’abord jioiir distance 8000 mil-
lions de kilomètres et trouve une densité égale à la
cent millionième partie de la densité de l’air à la
surface de la terre dans les conditions ordinaires de
température et de pression. Kn pai-tant de cette éva-
luation, on jieut estimer approximativement à 2 mil-
liardièmes de la densité normale un état gazeux tel
que l’alisorption depuis le centre du système solaire
jusqu’à l’orbite de Neptune soit égale à l’absorption
mo}'enne de ratmosjihère terresti'e. Cet état gazeux
est encore pour les laboratoires un idéal de « vide »
qu’aucun appareil exhaiisteur n’a la })rétention ni l’es-
poir de réaliser. Pourtant à ce degré de raréfaction
et à la température de 0" centigrade, le gaz contient
encore jiar centimètre cube milliards de molé-
cules (1) !
Calculons ensuite le nombre de molécules par centi-
mètre cube en suiqiosant le gaz alisorbant répandu dans
une sphère ayant pour rayon notre distance à l’étoile
la plus proche (3,5 années de lumière) ; nous trouvons
encore 8f)(J(3(XKJ molécules par cmk Enfin, si nous
supposons l’absorjition égale à celle de l’atmosphère
sur une longueur égale au rayon de la voie lactée
(.50(30 années de lumière), nous trouverons encore par
centimètre cube 57(X3 molécules.
Ce nombre représente donc une limite supérieure
de la population unitaire dans les milieux intersidéraux.
(1) Cette valeur et celles qui vont suivre s’écarlent un peu de celles qu’a
données M. Fournier d’Albe (Sciextia, juillet, I913t Four le calcul nous nous
sommes servi des données numériques contenues dans le Recueil des Con-
stiinies phi/siques tl913), publié par la Société française de Physique.
LE MILIEE INTERSTELLAIRE
71
On pourrait en rabattre lieaucoup, sans arriver au vide
idéal, au néant parfait. 11 importe d'ailleurs de se rap-
peler que ces évaluations ne représentent que des pos-
sibilités. Mais si les raisons théoriques qut' nous avons
exposées en faveur de l’existence d’un milieu gazeux
interastral, si la confirmation qu'on en jieiit trouver
dans l’absorption probable du milieu n’emportent pas
la conviction, du moins les astronomes ont-ils le droit
de s’appuyer sur la présence de ce milieu pour inter-
préter hypothétiquement certains faits astronomiques
ou étayer sur elle certaines théories. Signalons comme
intéressante dans cet ordre d’idées l’étude de M. Picke-
ring sur raccumulation des aphélies coinétaires (1). Si
le soleil avec son cortège de planètes et tle comètes
périodiques se déplace à travers un milieu résistant,
l’action de ce milieu sur les plus légères de ces masses
satellites, les comètes, se manifestera ]>ar une accumu-
lation de leurs aphélies sur la trajectoire du soleil,
dans le sens opposé à son déplacement, c’est-à-dire
vers l’antiapex. La statistique confirme assez bien ces
vues ; seulement raccumulation se constate à une
petite distance de l’anliapex. M. Pickering verrait une
explication de cet écart dans la supposition que la
translation du soleil n’est pas rectiligne. Le point d’ac-
cumulation des aphélies serait le vestige de l’ancien
antiapex ; la courïnire de la trajectoire solaire serait
ainsi inscrite dans le ciel (2).
On peut rappeler à cet endroit les spéculations de
M.See sur l’origine des planètes. 11 demande à l’action
d’un milieu résistant d’arrondir les orliites planétaires
qui, sans cela, auraient, d’après sa théorie, les valeurs
les plus variées.
(1) MoNTHLY NOTICES OF THE ItOYAL ASTMONOMICAL SOCIETY, vol. LXXII
(191 “2), p. '270.
(2) Il serait intéressant de rechercher si les radiants d'étoiles filantes ne
présentent pas un groupement analogue.
72
RKYTTE DES DTTESTIOXS SCIEXTIFIdEES
Nous ne ferons ([ue mentionner en bloc les innom-
l)i‘ables tentatives qui ont été faites, certaines déjà au
xviii‘’siècle. pour ex})liquer j)ar une résistance de milieu
les irré.o'ularités de la lune, de Mercure et de plusieurs
comètes })ériodi([ues.
Les radiations nouvelles dont la tlécouverte a révo-
lutionné si profondément la physique moderne, en res-
suscitant à leur profit la théorie ancienne de l’émission,
ont attiré l’attention des astronomes sur les transports
de masses matérielles et de charges électriques qu’elles
peuvent établir entre les corps célestes. Rayons a,
rayons P. émis dans le })i‘ocessus de désagrégation
s])ontanée des éléments radioactifs ou créés par les
champs ionisants, sont formés de particules matérielles
emportant des charges électiàques ou bien même ne
sont que des charges électriques isolées, sans support
matériel. Malgrf* leur vitesse d’émission énorme, voi-
sine parfois de celle de la lumière. MOOOtK) kilomètres
à la seconde, l’énergi(' de ces particules a tôt fait de
se dissiper dans les gaz à la densité ordinaire, par suite
des millions de chocs ]tar seconde qui se produisent
entre elles et les moh^cules du gaz. Après avoir franchi
({uelques centimètres, elles s’arrêtent épuisées et inertes.
Mais si le gaz est très raréfié, comme il l’est certaine-
ment dans l’espace interstellaire, les particules élec-
trisées expidsées d’une atmosphère astrale radioactive
ou ionisée, pourront parcourir des distances beaucoup
plus considérables entre les molécules i)lus disséminées
sans en rencontrer aucune et, a}>rès un nombre très
restreint de chocs, jiarvenir dans l’atmosphère d’un
autre coiqis céleste, y déverser à la fois leur charge
électrique, leur niasse et leur énergie cinétique.
Ces rapides et minuscules messagers qui sillonnent
l’es})ace sont le^ derniers constituants du milieu inter-
LK .MILIEr INTERSTELLAIRE
73
astral. Ils méritent à 0(' titre une place, la dernière,
dans cet article.
La seule confirmation expérimentale solide des com-
munications électroniqiK's entre le soleil et la terre
réside, crovons-nous. dans la lielle théorie des aurores
boréales, amorcée jtar Laulsen en iSÎ)4, développée
récemment }iar Stormer et Birkeland. Le mystérieux
jiliénomène a fait de la part de ces savants l'objet d'une
étude profonde, et il serait désormais certain que
l’aurore est provoquée par l'arrivée dans notre atmo-
sphère de niuyues d’électrons expulsés du soleil lors
des cataclysmes qui se révèlent, aux périodes d’activité
de l’astre, par la présence des taches. Il y a en effet
entre le passaye des taches au méridien central du
soleil et l’apparition des aurores une connection évi-
dente et, le décalage nécessaire étant mis en ligne de
compte, une coïncidence remarquable. Pas parfaite
])Ourtant ; il y a des exceptions. Mais Arrhenius en a
très ingénieusement tiré parti pour tenter une déter-
mination de la densité du milieu gazeux interplané-
taire. Si les électrons émis i»ar le soleil n’atteignent
}ias toujours notre atmosphère, c’est, suppose Arrhe-
nius, que dans les conditions normales, la densité du
milieu interplanétaire a jirécisément la valeur limite
qui permet encore la transmission. Dans ces conditions
en effet, il suffit qu'entre le soleil et la terre s’inter-
pose accidentellement, soit une nuée météorique, soit
une région gazeuse un peu plus dense, pour ([ue le tiux
ionique, quoique n’ayant perdu, dans la rencontre avec
les éléments anormaux du milieu, qu’une partie minime
de son énergie, ne parvienne plus jusque dans l’atmo-
sphère terrestre. Arrhenius conclut de là que la densité
du milieu interplanétaire a pour valeur i0-‘" de la
densité normale de l’air à la surface de la terre. La
concentration en molécules dans l’esjiace seraitj ainsi
de 3000 au centimètre cube, et la distance moyenne
74
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
des molécules de U, 7 millimètre. Mali>'ré cela, les
dimensions propres des molécules sont tmcore si petites
par rapport à leurs distances mutuelles ([u’un électron
trouve devant lui un parcours libre moyen de un mil-
lion de kilomètres avant de rencontrer un molécule.
Il poui*ra donc, en moyenne, franchir les 150 millions
de kilomètres ([ui noius séparent du soleil au prix de
1.50 collisions avec les molécules gazeuses. Or, si l’on
tient compte de ceci que l’électron possède une énergie
ionisanti^ telle, qu’il peut moyennement bousculer et
rompre sur son passage 12(.)(J(J molécules avant de
s'arrêter épuisé, on voit qu'en abordant notre atmo-
s})hère il se présentera encore ti'ès dispos et tout prêt
à Jouer son rôle en faisant jaillir sur son passage et
en déjtloyant les arcs et les dra}ieries luminescentes de
l'aurore boréale.
La jirésence des électrons dans l'esjiace interplané-
taire, encore confirmée }»ar la luminescence des gaz
de la couronne solaire qu’ils ionisei'aient et par la faible
luminescence gazeuse de la lumière zodiacale, semble
actuellement généralement admise.
Nous n’avons parlé jusqu’à jirésent que des électrons
ou ions négatifs. Les ions ]>ositifs ont une masse beau-
coup plus grande, mais ])ar contre une vitesse d’émis-
sion beaucoup moindre. Aussi, ceux ({u’émet le soleil
voient leur énergie épuisée bien avant ([u’ils n’aient
[tu atteindre la terre. Ils retombent sur le soleil ou se
combinent dans l’espace avec des ions négatifs, y
demeurant à l’état de molécules neutres isolées.
La présence des ions dans le milieu inteiqtlanétaire
est, moins encore que la présence du milieu gazeux,
un obstacle ou une gêne aux mouvements des coiqis
célestes. Les ions positifs ont une masse de l’ordre de
celle de la molécule ; mais, comme nous l’avons dit,
ils ne peuvent s’aventurer fort loin du soleil. Les élec-
LE MILIEU INTERSTELLAIRE
L)
trous, qui pai'viennent à de plus grandes distances, ont
une masse ou un équivalent de masse MHOO fois plus
petite que celle de la molécule d’ipydrogène, 58 CMX) fois
plus petite ([ue celle de la molécule d'oxygène.
Dans l’électron, nous avons atteint la plus extrême
division de la matière ; et depuis ce fragment d'atome
jusqu’aux masses énormes de certains météorites, nous
avons vu représentée dans l’espace interastral toute
l’échelle des grandeurs.
De l’électron, en effet, élément des courants ioniques,
nous passons à la molécule, élément constitutif du
milieu «-azeux. Puis, franchissant la lacune intéres-
santé qui sépare la molécule de la plus [»etite des
particules équilibrées par la radiation, nous remontons
d’une manière continue la série des dimensions, attei-
gnant d’abord les plus grosses des ])articules équili-
brées, où nous nous rattachons déjà aux poussières
météoriques, pour arriver enfin, ]iar un nouvel accrois-
sement continu de masses, jusqu’aux aérolithes géants,
et, }>ar eux, jusqu’aux comètes elles-mêmes.
Au point de vue où nous nous sommes ]dacés en
écrivant cet article, les éléments divers qui, dans
la conception astrophysique moderne, rem]dissent le
« vide » où circulent les astres, font donc de l’espace
interastral un milieu à réaction dynamiipie. Par les
énergies immatérielles qu’il propage, aussi bien que
par la matière pondérable qu’il tient en suspension, le
milieu interastral devrait donc indiier sur le mouA^e-
ment des corps célestes pour les écarter de la trajec-
toire que leur assigne la mécanique neM'tonienne,
explicitée dans les lois de Képler. (les lois ne seraient
donc pas l’expression rigoureuse de la vérité objective
et n’en seraient qu’une approximation plus ou moins
76
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
provisoire (1). En particulier, les grandioses solutions
périodiques, oii se complaît la Mécanique céleste et en
vertu desquelles les systèmes sidéraux semldaient
devoir échapjier seuls à la loi fatale qui dégrade toute
énergie, seraient finalement illusoires. Le mouvement
des cieux lui-mème s’userait et s’achèverait un jour
dans le re})os. La ]diilosopliie grecque l’avait cru pour-
tant impérissable, comme ce qui est naturel; les pre-
miers âges chrétiens y avaient deviné le vol jamais
lassé d’esprits divins ; la pensée de Itescartes y lisait
l’indestructihilité essentielle du mouvement ; la méca-
nique de Newton y suivait avec complaisance les con-
séquences de la loi }>rimordiale et peut-être unique de
la matière. Mais les théoides astrophysiques modernes,
riches de l’apport des autres sciences, n’y reconnais-
sent plus qu’une vie ([ui s'alanguit et que la mort
attend.
En signalant les influences qui jieuvent hâter l’en-
gourdissement des cieux. ces pages ont dfi montrer
aussi avec quelle infinie lenteur runivers est poussé
vers le terme fatal.
E. WiLLAERT, S. J.
(l>Aous négligeons ici cl nous avons négligé dans tout le cours de cet
article, le point de vue de la iiéoinécanique, aux yeux de latiuelle la mécanique
classique n’est qu'une mécanique limite, jamais rigoureusement réalisée.
Aussi liien les idées et les théories « relativistes » suhisscnt en ce moment
une crise dont il convient d'attendre l'issue.
LA FIEVRE typhoïde
ET
LA VACCINATION ANTITYPHOibiQüE
I/extension rapide de la })ratique de la vaccination
antityphoïdique chez les peuples civilisés; le vote
récent, par le Sénat français, d’une loi rendant cette
mesure préventive obligatoire dans l’année; le nombre
sans cesse croissant des personnes de toutes conditions
qui s’y soumettent spontanément, au Ijénéfice de leur
santé et de la santé publique, assurent au sujet de cette
causerie, en dépit de son aridité, un intérêt d’actualité
et une importance pratique que vous ne manquerez ]>as
d’apprécier.
Vous n’ignorez pas que la fièvre typhoïde est une
maladie redoutable et par sa morbidité — elle multiplie
les coups — et par sa mortalité, elle tue souvent ceux
qu’elle atteint. Chaque année, en France, on lui impute
plus de dOCKX) cas et environ 4U00 décès.
Si elle est aujourd’hui moins fréquente et moins
meurtrière qu’elle ne l’était il y a vingt ans. nous le
devons certes aux progrès de la théra]>eutique, qui en
ont diminué la gravité, mais surtout aux efforts de la
prophylaxie et aux bienfaits de l’hygiène, qui ont gran-
(1) Conférence faite à rassemblée générale de la Société scientifique, le
22 avril ItH 'i.
78
REVUE DES gUESTIONS SCIEXTIFlyUES
(lement contribué à restreindre sa fréquence et à
enrayer sa marche envaliissante. C’est ainsi que, dans
l’armée belge, pendant une période de quatre ans, de
188() à 189(3. on enregistra 33(3 cas de typhus; vingt
ans plus tard, pendant une période de même durée, de
19(3() à 1910. on en relevait 37 seulement, soit dix fois
moins environ.
(Test aux distributions d’eau en grande }>artie que
sont dus ces heureux résidtats. L’expérience a montré,
en effet, que les épidémies de typhus rétrocèdent rapi-
dement dans les villes et les villages jmurvus de bonne
eau potable. (3e. sera l’honneur du gouvernement belge,
j)oussé dans cette voie par son éminent ministre, M. Ber-
ryei‘, d’avoir été le premier à créer une Société natio-
nale poui- la distribution d’eau, avec la mission de doter
toutes les communes belges, même les plus jiauvres,
de cet inestimable bienfait.
C’est de la vaccination antityphoïdique que Je vou-
drais surtout vous entretenir ; mais avant d’aborder
ce sujet. Je dois vous dire un mot de l’ennemi à com-
battre, le bacille ty])hique, et de la maladie qu’il pro-
voque, la hèvre typhoïde.
1
Le bacille ty])hi»[ue fut découvert et identifié j)ar
deux savants allemands, Eberth et Gaft'ky ; de là le
nom (pi'on lui donne, de bacille d’Plberth-Gaffky.
C’est un microI)e allongé en forme de bâtonnet ; il se
développe bien dans les milieux usuels de culture, sur-
tout dans la l)ile. 11 est d’ordinaire ti‘ès mobile : il se
déplace, dans le chaiiq) du microscopcq à la façon du
]>oisson dans l'eau ; ces mouvements sont dus à des
]»rolongements }»roto})lasmatiques, apjtelés cils vibra-
LA VACCIXATIOX AXTITA'PIIUIDIQUE
79
tiles, qui battent le liquide où il est })longé, en le puo-
J étant en avant.
Le bacille d’Eberth est un germe peu résistant; les
cultures typhiques, ex])osées au soleil, sont stérilisées
en 4 à 8 heures : les rayons ultra-violets épui-ent, en
quelques minutes, une eau ty])hique. Une température
de 68°, le tue en 10 à 20 minutes. Les antisejitiques,
même très dilués, en ont très rapidement raison : nous
l’avons vu succomber, en r> à 10 minutes, dans des
solutions de crésol savonneux à 1 ° o- Un dit aussi que
le vin, surtout le vin blanc, lui est mortel ; de là le rôle
important du vin blanc chez le consommateur d’huîtres,
exposé parfois à la contagion.
Mais dans l’eau et dans le sol, le bacille tyj)hi([ue
conserve assez longtemps sa vitalité, et c’est là une des
raisons qui le rendent })articulièrement dangereux.
Nous ne connaissons pas encore, d’une façon })récise.
les conditions qui rendent l’homme accessible à l’enva-
hissement du bacille typhique; mais nous savons que les
animaux s’y montrent réfractaires : il n’existe aucun
nas, scientifiquement démontré, de fièvre ty})hoïde
spontanée chez les animaux. Tout ce que l’on peut
signaler, dans cet ordre d'idées, se réduit à des expé-
riences récentes de Metchnikoff et Besredka sur les
chimpanzés : ces singes contracteraient, d’a}très ces
auteurs, des attéctions d’allure typhique quand on leur
fait ingurgiter des microbes virulents.
Une des })ro}»riétés les plus intéressantes des l)acilles
typhiques — projiriété qu’ils partagent d’ailleurs avec
d’autres germes — fut découverte, en 1806. à la fois
par Widal, en France, et (triiber, en Allemagne, d’oii
le nom de « réaction àVidal-Griiber » qu’on lui donne.
A'oici en quoi elle consiste : les bacilles de la fièvre
typhoïde, parfaitement isolés dans un bain de culture,
se collent, s’agglutinent ensemble, lorsque, à ce
bouillon, on ajoute du sérum d’animaux immunisés
80
RKVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
contre le liacille typhique ou. simplement, du sérum
provenant de personnes atteintes detv])hus. Cette der-
nière réaction est capitale : elle a permis d’instituer
une conti'e-épreuve de la lièvre tyjihoïde que les méde-
cins réclament souvent des services d’analyse hacté-
riolo<ii([ue, en vue de contirmer ou d’infirmer leur
diagnostic au lit des malades. Cette méthode se réduit
O
essentiellement à ceci : à une émulsion de bacilles, on
in'or|)ore une trace du sang suspect; si ce sang})rovient
d’un malade atteint de typhus, on V(jit les microbes
frajtpés p('u à peu d’immobilité tandis qu’ils se réu-
nissent Jusqu’à former des groiqies sei rés. Bientôt on
n'ajierçoit jdus, dans le champ du microscope, que de
rares bacilles isolés, immobiles ou peu s’en faut; le reste
forme des amas compacts. ( lette réaction est parfois si
intense, ([ue le sérum du malade dilué à 1 ‘’/ooo? e't même
plus encore (1 ), suffit à la jirovoquer. C’est vers le
huitième jour de la maladie ([ii’elle ap|)araît, et il est
rare qu’elle fasse défaut.
( )n considère aujourd’hui la fièvre tyjihoïde comme
une se}tticémie, c’est-à-dire comme une maladie micro-
bienne dont l’agent spécifique envahit l’organisme tout
entier. Avant l’ère pasteurienne on en faisait une affec-
tion de l’intestin ; c’est dans cet organe, en ehét, que
le mici-obe se localise surtout.
Le mal qu’il produit n’éclate j)as en coup de foudre;
le plus souvent il traîne assez longtemps avant de se
déclarer nettement. Cette période d'inculiation peut se
prolonger pendant deux et même trois semaines, en
s’acconqiagnant de signes jtrémonitoires très insidieux:
le malade accuse de la lassitude, de l’inappétence, de
l’inaptitiub' au travail, de légers maux de tête, de
U) Ilcniièrunient eiu'oi’e nous avons exaininô le sérum d’un lyphi(|ue, pour-
tant peu atteint, ipii dilué à I : E2 UUO donnait une agglutination intense.
LA VACCINATION ANTITYPIIOlDlyî’K
SI
petits frissons et assez souvent aussi des saignements
de nez.
Après cette période de début, se déclarent les symp-
tômes caractéristiques : le mal de tête s’exaspère au
point d’enlever tout repos au malade ; l’abattement
devient de la prostration et parfois même de l’hébétude.
Tout cela donne au patient un faciès particulier que
les médecins appellent l’« aspect typhique », et qui ne
trompe pas un œil exercé. Getie description clinique
est une description type de laquelle s’écartent bien des
cas de typhus.
Il est d’autres signes révélateurs qui rentrent davan-
tage dans le domaine médical ; nous n’avons pas à en
parler ici, non plus que de la thérapeutique de la tîèvi'e
typhoïde ; qu’il nous suffise de rappeler qu’elle est une
des maladies entraînant avec elle les complications les
plus graves et les plus variées : complications ner-
veuses, pulmonaires (pneumonie, pleurésie) ; complica-
tions intestinales (perforation de l’intestin, hémorra-
gies) ; com}ilications dans le système circulatoire
(affection du cœur et des vaisseaux), etc. Chose digne
de remarque, il n’est pas rare de voir se produire les
mêmes complications au cours d’une même épidémie.
Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, au cours de la
dernière épidémie de typhus qui sévit à Ciney, dans la
province de Xamur, ce furent les hémorragies intesti-
nales qui furent surtout fréquentes et particulièrement
meurtrières.
On a préconisé certaines médications spécifiques pour
guérir cette afiéction. On connaît le sérum de Ghan-
temesse et les vaccins (Vincent, Ghantemesse, etc.).
Cette méthode de traitement n’a pas dit son dernier mot
et il est bien difficile de donner une appréciation adé-
quate à son sujet.
III' SÉRIE. T. XXVI.
0
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
On conçoit que la durée d’une alfection aussi com-
plexe soit (les ])lus variables : si, dans les cas normaux,
le mal évolue en trois à quatre semaines; dans les cas
compliqués, il peut se prolonger pendant plusieurs
mois.
>Sa grucitè oscille aussi entre de larges limites. En
général, le typhus contracté dans la quarantaine et au
delà, est très grave ; chez les enfants, au contraire, il
se montre bénin. Les statistiques le révèlent plus grave
chez la fenune que chez riiomiiK', et plus grave aussi
— pour des raisons faciles à comprendre — dans les
ménages ])auvres que dans les familles aisées.
"foutes les éjiidémies de typhus ne sont pas également
redoutables, non plus que tous les cas observés au
cours d’une même éjtidémie ne sont également g raves.
•Fai suivi Fan dernier l’évolution de deux petites épi-
démies rurales, à àlaz^’ et à AVarêt-la-Cdiaussée : elles
comptèrent chacune une quinzaine de cas. et la morta-
lité atteignit .'>0 ° Au contraire, à Ciney, en 1912, on
n’enregistra pas moins de 400 cas et on n’eut à déplorer
([u'une vingtaine de décès, ce qui fixe la mortalité à
5 7o seulement.
11 arrive aussi ([u’un cas en a})parence bénin et
évoluant normalement, se transforme, en un temps
très court, en un cas compliqué très grave. .J’ai dans
mes souvenirs l’histoire d’un homme, oecu})ant une
haute situation, ([ui s’était senti indisposé en rentrant
chez lui d’un voyage d’affaires. Le mal })arut suspect,
mais les symptômes L phiques étaient tellement légers
f[ue le médecin traitant hésitait à se prononcer. .Te pris
du sang du malade, et quelques heures jdus tard Je
pouvais télégrajdiier à mon confrère ([u’il s’agissait
])ien de fièvre tyjdnàde. Le lendemain matin J'étais
informé que, peu de temps après mon dé])art, une hé-
morragie intestinale s'était déclarée qui avait emporté
le malade pendant la nuit.
LA VACCINATION ANTITYPHOIDIOUE
83
T.e typhus est donc une maladie grave. 11 importe de
savoir comment on le contracte, et surtout comment on
l’évite.
( )n contracte la fièvre typhoïde en avalant le germe
([ui la produit. Le microbe pénètre de la bouche dans
l’estomac et, s’il n’est jias atteint par les sucs digestifs,
il passe de là dans l’intestin où il se met à pulluler si
le sujet est réceptif.
On peut porter directement le microbe à la bouche,
quand les mains en sont souillées ; on l’y introduit indi-
rectement en ingérant des aliments qui le contiennent :
tels sont l’eau polluée par le bacille t3’phique, les huîtres
([ui ont séjourné en un pareil milieu, les légumes crus
qui J ont été lavés, etc.
àlais le véritable jiropagateur du typhus, c’est le
malade qui en est atteint, et cela non seulement au
cours de sa maladie, mais après son retour à la santé.
11 peut, en effet, en dépit des apparences, continuer à
abriter dans son organisme et à rejeter au dehors les
germes du mal dont il a soufiért ; il devient ainsi un
fbyer de contagion.
Parmi les moyens })ropres à }»révenir la fièvre
typhoïde et à enrag er sa propagation, figureront tout
d’abord des mesures d’h.ygiène sociale et individuelle
d’une importance capitale ; je me bornerai à énumérer
les principales.
.Je l’ai dit déjà, paiani les mesures générales qui ont
le plus contribué à ])i-évenir les épidémies de typhus,
il faut signaler les fHstrihvtions d’eau potahle. Il faut
y joindre les travaux effectués en vue de V évacuation
rapide des eaux usées : construction d'égouts, amélio-
ration de la voirie, etc ; la création, dans les hôpitaux,
de pavillons pour infectieux^ qui permettent il’isoler,
dans les meilleures conditions, les malades contagieux
des grandes villes ; V assainisse ruent des quartiers
84
REVUE DES QUES'i'IüXS SCIENTIFIQUES
populeux et ^instruction du peuple qui se montre de
plus en plus accessible aux conseils qui lui sont donnés
en vue de sauvegarder sa santé.
A ces mesures générales, viennent s’en ajouter
d’autres, plus spéciales, et dont l’application s’impose
dès {[\\un cas de fièvre tiiphoule relate au sein d’une
famille ; deux mots les résument : isolement et désin-
fection.
Isoler le malade, consiste ici à le faire soigner par un
garde-malade expérimenté, dans une chambre éloignée
des a})})artements de la maison les plus fréquentés, en
interdisant toute visite inutile, (l’est le «arde-malade
lui-môme qui devra assurer la désinfection des produits
infectieux rejetés par le patient, et des linges qui ont
pu en être souillés.
Après la guérison, le malade devra prendre un grand
bain savonneux, et on procédera à la désinfection
soignée de l’appartement oii il a séjourné, afin de sté-
riliser les germes qui auraient échappé aux mesures
prises au cours de la maladie.
Cette prophylaxie, sévèrement observée, produit les
résultats les plus heureux. Me liasant sur mes observa-
tions personnelles, je crois pouvoir affirmer que. de
toutes les maladies inlèctieuses. la fièvre typhoïde est
celle dont on peut le plus sûrement empêcher l’exten-
sion. (l’est pour y pourvoir, qu’un grand nombre d('
communes de la jirovince de Aamur possèdent des
caisses de secours contenant les ustensiles et les pro-
duits nécessaires à la désinfection au cours de la ma-
ladie, et nomment des agents communaux qu’elles font
initier à la pratique de ce service. De plus, la province
dispose de quinze équipes de désinfection, disséminées
sur son territoire, et dont le soin jirincipal est d’initier
les agents communaux à la }>ratique de la désinfection
en cours de maladie et de jtrocéder à la désinfection
des ajijiartements où le iimlade a séjourné. Dès que le
LA VACCINATION ANTITYPHOIDIQUE
85
diagnostic du typhus est posé dans une commune, l’In-
stitut bactériologique [jrovincial se met en rajiport
avec le médecin traitant afin d’assurer l’application
de ces mesures prophylacti([ues, et des infirmiers ex})é-
rimentés sont mis à sa dis[»osition. Si le personnel de
l'infîrmerie officielle ne suffit pas à la tâche, nous
recourons à la collaboration dévouée de la monitrice
sanitaire du Gouvernement et de celle des sœurs de
charité de Namur. Après la maladie, le service pro-
vincial se charge de la désinfection terminale. Grâce à
cette organisation, des épidémies de typhus qui mena-
çaient, l’an dernier, de s’étendre rapidement, ont pu être
étouffées dans leur germe à AVarêt-la-Ghaussée, à
Maz3% à A'onêche et à A'erlée.
Mais toutes ces ressources de la prophylaxie ne sont
pas les seules armes que nous possédions aujourd’hui
contre l’invasion typhi([ue. Les conquêtes de la bacté-
riologie nous en fournissent une autre, qui nous per-
met, non seulement de lutter contre \ extension du
fléau au sein d’une famille dont un membre est atteint,
mais de préceni)' le mal, de protéger l’individu lui-
même contre toute atteinte : c’est la vaccination anti-
typhoïdique.
Il
On assure cette pi-otection contre la fièvre typhoïde
en inoculant, à l’organisme, des germes de la maladie
tués ou atténués, qui lui confèrent des propriétés
immunisantes spécifiques, et en font ainsi un terrain
impropre, pendant un temps plus ou moins long, au
développement de ces mêmes germes vivants et viru-
lents.
De toutes les maladies infectieuses il n’en est aucune
dont l’arsenal des vaccins soit plus abondamment pourvu
que celui de la fii'vre typhoïde : on n’en compte pas
86
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
moins d’une vingtaine; chaque grand pays ale sien.
C’est que la préparation de ces vaccins peut subir des
modalités très variées. Tantôt ils sont constitués de
bacilles tués par des procédés divers ; tantôt ce sont
leurs produits solubles que l'on utilise; tantôt enfin on
s’adresse aux bacilles vivants aflaiblis par l’action de
la chaleur ou l’intervention d’une opération sensibili-
satrice. Citons à titre d’exemple le vaccin de Ghante-
messe, qui est un vaccin bacillaire tué par la chaleur;
le vaccin de Adncent, où le bacille est stérilisé }>ar
l’éther, et celui de Besredka, formé par une émulsion
de bacilles t \q»hiques vivants, atlaiblie par son mélange
avec un sérum antityphique, mélange qui produit la
sensibilisation.
Sans enti'ei' dans de longs détails historiques sur la
découverte et les premières apjdications de la vaccina-
tion antityphoïdique, il convient de rapjieler ici qu’elle
eut pour ])oint de déjiart les recherches de Ghantemesse
et de ^^hdal, en France. Dès 1SS8 et Jusqu’en 1892,
les travaux de ces savants montraient qu’il était pos-
sible de procurer aux animaux rimmunité active contre
le bacille typhique, en leur injectant des cultures de ce
même luici-obe, stérilisées par la chaleur poussée à
100 degrés et au delà. ( )n re})rocha à ces produits sur-
chaullés leur [)eu de valeur vaccinante, mais on ne
tarda à y remédier.
G’est àAVriglit, en Angleteri-e. ([ue revient le mérite
d’avoii- a}ipli([ué avec succès cette vaccination à
rhomme, tandis que Ptéittér et Kolle, en Allemagne,
ont beaucoup contribué à perfectionner et à répandre
cette ])rati([ue en pays germanupies.
A ces noms, il faut ajouter celui du professeur \’in-
cent du à’al-de-Gràce, à Paris. (|ui s’est fait l’a})ôtre
de cette vaccination ; c’est grâce aux efforts incessants
de ce savant ([ue cette méthode doit, en France surtout,
sa rapide extension ; « depuis deux ans et demi, écri-
LA VACCINATION ANTITYIMlOlDKjrE
S7
vait récemment le professeur Vincent, mon laboratoire
a fourni du tyiiho-vaccin pour ()(300(JO personnes, non
seulement à l’armée française, mais encore à la pojui-
lation civile de France et d’un grand nombre de pays. »
Le vaccin de Vincent est celui qui a été jusqu’ici le
plus employé en Belgique. Grâce à l’intelligente initia-
tive de M. le Directeur-général ^ elghe. le service de
santé le met gratuitement à la disposition de nos méde-
cins, de meme qu’il assure, pour la classe nécessiteuse,
la délivrance gratuite du sérum antidiphtbérique.
Le vaccin antitypboïde préparé au lalioratoire du
Val-de-Gràce, résulte du im'dange d'une dizaine de
races de bacilles typhiques de provenances différentes ;
c’est ce qui lui vaut son nom de vaccin polyvalent.
M. Mncent estime que cette polyvalence constitue un
perfectionnement sensible : il est impossible de se pro-
noncer, scientifiquement, sur ce point. Le vaccin de
"\bncent est stérilisr par Vèth.er. A cette fin, l’émulsion
bacillaire est soumise pendant un temps déterminé à
l’action de cet antiseptique dont on se délia rrasse ensuite
par la chaleur. L’émulsion ainsi stéi-ilisée est scellée
dans de petites ampoules de capacités différentes. Grâce
aux traces d’éther (pi’il contient, le vaccin se conserve
assez bien ; toutefois — nous y reviendrons plus loin —
il ne garde pas indéfiniment ses [)ro]niétés immuni-
santes ; une étiquette jointe à l’ampoule indique la
durée limite de sa conservation.
Ce vaccin s’in jecte sous la peau ; on choisit généra-
lement la région de l’épaule gauche, deux centimètres
en arrière et au-dessus de l’aisselle. Dans ces derniers
temps, Vincent a également indiqué la région corres-
pondant au tiers inférieur de l’omojilate.
L’immunisation complète nécessite (piatre injections,
faites à huit jours d’intervalle, et comprenant succes-
sivement un demi, un, un et demi et deux centimètres
cubes de ce vaccin.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
SS
J’ai eu l’occasion, de})uis le début de l’année der-
nière, de faire un assez gi*and nombre de vaccinations
antityphiques; J'ai surtout employé le vaccin de 'Vin-
cent; dans certains cas spéciaux, j’ai eu recours au
vaccin de Besredka. AV)ici un ajtei'cu rapide de mes
observations.
En règle ge'mérale. les réactions que nous avons con-
statées, après ces injections, ont été peu intenses; dans
bien des cas, elles ont été très faibles ou même milles.
Parfois le sujet vacciné accuse une sensation d’engour-
dissement. comparable à celle que produit une contu-
sion. C’est le lendemain de l'injection que s’est
manifestée cette sensation, mais, le [ilus souvent,
vingt-quatre heures ajirès, elle avait disparu.
Rarement nous avons observé, chez nos vaccinés,
des réactions générales sérieuses; assez souvent,
cependant, nous avons noté, le lendemain d'une injec-
tion, une réaction fébrile généralement légère, mais
([ui, parfois, a atteint Jb et même iO degrés; on a pu
la combattre avec succès par les médicaments anti-
fébriles, et leur disjiarition fut toujoui's rapide.
11 importe, jtoiir éviter ces i*éactions fébriles intenses,
de ne vacciner que des sujets jeunes, parfaitement
sains, n’ayant jamais eu le typhus, et que la fatigue et
le surmenage n’ont pas dél)ilités. Nous signalerons,
parmi nos observations, un cas de réactions locales et
générales d’allure grave. Il s’est présenté chez une
mère de famille qui soignait son mari atteint du typhus.
Nous lui avions conseillé la vaccination antityi>hoïdique;
elle lui fut }>ratiquée à un moment oii des veilles ré-
jtétées l’avaient fatiguée. La troisième injection fut
suivie d’une nhaction telle ([u’elle refusa absolument
de se soumettre à la quatrième. Heureusement, l’inci-
dent n’eut [>as de suites fâcheuses. Nous avons égale-
ment observé un (Hat syncopal assez sérieux, consé-
LA VACCINATION ANTITYPHOIDIOUE
89
cutif à la deuxième in jection chez une Jeune tille bien
portante.
Nous avons dit }tlus haut que nous avions employé
aussi, dans certains cas, le vaccin vivant de Besredka.
C’est avec cet antigène que nous avons vacciné nos
agents désinfecteurs. Besredka réduit à deux les inocu-
lations préventives : on injecte la première fois deux,
et la seconde fois trois centimètres cubes de son vaccin.
Nous avons noté que les réactions locales et géné-
rales étaient plus fortes avec ce vaccin qu’avec celui de
Vincent. Nous avons observé, dans un cas, la produc-
tion d’un pseudo-phlegmon qui n’a dis^iaru qu’a})rès
trois .jours, en éA’obiant aATC une fièAT-e de 39 degrés :
le Amcciné fut forcé de s’aliter.
Besredka estime que son vaccin confère jilus rapi-
dement et plus solidement l’immunité spécifique ; il
assure d’ailleurs qu’il a appliqué sa méthode à plus de
10 000 personnes, sans se heurter à aucun inconvé-
nient sérieux. Les réactions intenses que l’on observe
parfois seraient dues à une sorte d’hvjiersensibilité
organique dont on ignore la cause.
Nos observations ont confirmé, ce que d’autres nous
avaient apjiris dès longtemps, que les enfants sup-
portent parfaitement ces injections antiB’pbiques. Il
est très rare qu’ils aient à souffrir de réactions locales
ou générales ; aussi se prêtent-ils aisément au traite-
ment complet.
Complétons ces données par un emprunt fait au pro-
fesseur Vincent. Parmi les observations qu'il relève.
11 en est oii le hasard s'est chargé de démontrer l’inno-
cuité de son A^accin, même lorsqu’il a été injecté à (loue
trop forte. En voici un exemple. Un médecin en a ino-
culé, par erreur, vingt centimètres culies d'emblée à
une jeune fille de 19 ans, et dix centimètres à deux
enfants plus jeunes. Ces doses sont quarante fois plus
fortes que la dose normale. Or il en est résulté seule-
90
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
ment pour les jiatients une vive douleur locale et un
ou deux jours de céphalée.
La vaccination antitjphique, par la méthode de Vin-
cent, pratiquée chez des sujets jeunes et bien portants,
semble donc dépourvue de danger sérieux. Nous répé-
tons qu'il y a lieu d’être prudent quand il s’agit de per-
sonnes fatiguées, dépassant la ({uarantaine ou pouvant
avoir eu le ty})hus. Mais est-elle réidlement efficace?
Confère-t-elle au vacciné une immunité moralement
certaine ?
llàtons-nous de dire qu’il ne faut ]>oint chercher la
preuve de son efficacité dans les l'éactions spécifiques
(lu sang des vaccinés. D’expériences assez nombreuses
que nous avons faites, il résulte que, de ({uinze jours à
un mois, après la dernière injection, le sang du vac-
ciné agglutine le bacille typhi([ue à 1 : 100, à 1 : 2(1),
à i : iOO et même parfois à des dilutions plus étendues.
Son titi-e bactéricide est plus élevé : il atteint, en géné-
ral, 1 : i(XX) et, dans plusieurs cas, nous l’avons pour-
suivi jusqu’à i : 6(X)0. Mais nous avons constaté,
d'autre part, que ces réactions s’affaiblissent peu à peu
à mesure que l’on s’éloigne de l’(q)oque de la vaccina-
tion, au point que. trois à (piati*e mois après la dernière
injection, le sang de certaines personnes vaccinées ne
révèle plus ([u'un pouvoir agglutinant et bactéricide
trùs faible. Aussi, conclurons-nous avec le D*" Vincent,
que la [)reuve essentielle de l'efficacâté du vaccin anti-
typhique doit être cherchée dans la résistance qu’offre
le sujet vacciné à l’infection éberthique.
( )n constate d’abord cette résistance au cours des
infections typhiques, dites de laboratoire, contractées à
la suite d’absorption accidentelle ou volontaire de ba-
cilles typhiques virulents et, souvent, à doses consi-
dérables. Bien des médecins et des garçons de labora-
toire ont succombé victimes de c<'s accidents. f)r le
LA VACCINATION ANTITYCIK )1L)IQÜE
91
D'' Vincent signale que sur sejit médecins, étudiants ou
garçons de laboratoire, ayant involontairement alisorbé
des quantités considérables de liacilles typhiques, tous
ont triomphé de l’infection grâce à la vaccination préa-
lable ou à la vaccination pratiquée un, deux ou trois
jours après l’accident.
Un cas analogue nous est jtei-sonnel. Un de nos gar-
çons de laboratoire, en janvier 1913, absorba par
mégarde deux centimètres culies environ d’une émul-
sion épaisse de bacilles typhiques, isolés depuis peu
d’un organisme malade. Le sujet était jeune, il n’avait
Jamais souffert du typhus ni d’aucune affection appa-
rentée. Nous recourûmes à la vaccination trente-six
heures après l’accident : elle fut absolument efficace ;
seulement, après la deuxième inoculation le patient
présenta une réaction thermi(|ue de 39 degrés, et les
phénomènes locaux furent très acx-entués.
Dans une conférence qu'il donna à Bruxelles, le
D'' ^dncent signala d’autres faits. A Paris, des jeunes
gens, vaccinés par sa méthode, se sont laissé injectei-,
sous la peau, des bacilles typhiques virulents, ou ont
avalé l’équivalent d’un verre à Bordeaux d’une é}»aisse
émulsion de ce microbe : tous sont sortis indemnes de
l’épreuve.
Ces faits témoignent en faveur de l'efficacité de la
vaccination antityphique, mais elle ressort mieux
encore des constatations épidémiologi([ues.
Nous empruntons à divers écrits du D'' Vincent les
renseignements qui vont suivre, sur un grand nombre
d’épidémies typhiques observées dans l’armée fran-
^çaise et dans la ])opulation civile.
Le premier emploi du typho-vaccin polyvalent fut
fait au Maroc oriental, en 1911, au début d'une
épidémie fort sévère, chez environ 11 7o des soldats de
cette région : tandis que la morbidité typhoïdique chez
92
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQlîES
les non-vaccinés s’éleva à (>4,97 " avec une iiiorta-
lité de 8,35 ° riininunité fut complète chez les
vaccinés.
Au COUPS de l’année 1912, 31 380 militaires (troupes
de la guerre ou des colonies) ont été vaccinés en
France : aucun d'entre eux n’a été atteint de la fièvre
typhoïde. D’autre part, l’ensemhle des non-vaccinés a
comjdé 2,22 cas et 0,30 décès 7„ü dans l’armée colo-
niale.
Fendant l’été de 1912, une épidémie formidable de
Ix plius éclate à Avignon. (ïette ville compte 49 000
halhtants; elle possédait à ce moment une garnison de
2053 hommes. Il y eut, dans la population civile, de 5100
à 2000 cas et04 morts et, parmi les militaires, 155 cas
avec 22 décès. Le nombre des militaires vaccinés avant
l'épidémie était de 525; 841 demandèrent à être vac-
cinés au cours même de l’épidémie, ce qui donna au
total 13()0 vaccinés et (387 non-vaccinés. Or, aucun
des vaccinés n’a })ris la lièvre typhoïde, même légère;
et ceux des habitants ([ui se sont fait vacciner sont
également demeurés indemnes.
L’etlicacité du vaccin polyvalent s’est affirmée égale-
ment, en 1912 et en 1913, au Maroc occidental, en
Algérie et en Tunisie : alors que les non-vaccinés ont eu
à souffrir d’une morbidité et d’une mortalité souvent
élevées, atteignant au Maroc occidental 1(38,44 cas et
21,13 décès ° les vaccinés ont offert une immunité
[u-esque complète : en Algérie-Tunisie, on a constaté un
cas de lièvre ty[)hoïde, sans décès, })armi les 1031 vac-
cinés, soit 0,09 Loo; encore l’homme atteint avait-il
reçu du vaccin périmé et, jtar conséquent, sans effica-
cité. « Je ne saurais trop insister, dit à ce sujet le
l)*' Vincent, sur la nécessité de rejeter tout vaccin
ancien. Son âèlai de conservation est an plus de trois
mois, à la (jlacière et à V ohseu rite . » De même au
Maroc occidental, au cours de l’épidémie meurtrière
LA VACGIXATION ANTITYI'HOIDK^U E
93
que nous rappelions plus haut, sur 10 79 1 vaccinés on
ne compta que 0,18 cas et 0,09 décès
Dans (les épidémies récentes, à Issoudun, Montau-
ban, Marseille, Tours, Saintes, la vaccination a protégé
tous les militaires vaccinés et a (vxercé une action
d’arrêt très marquée, en huit à dix Jours, sur la
marche du fléau.
Des constatations semblables ont été faites à l’occa-
sion d’épidémies ayant régné, dans la population civile,
à Puy-rÉvêque, Paimpol, Jargeau, Rouffignac, Saint-
Lattier, (Irans, Bengy, Margency, Sermaizes, etc.
Ainsi, à Puy-l’Evêque, gros bourg du département
du Lot, on releva 62,85 cas et 7,11 décès "/oo habitants
non- vaccinés. Sur les instructions du 1)'' Vincent, « des
vaccinations furent faites exclusivement sur les jeunes
gens, les jeunes filles et les enfants, en un mot chez les
sujets les plus réceptifs pour la fièvre t3qdioïde ». Or,
cette mesure suffit pour arrêter, en quinze jours, l’ex-
tension de l’épidémie, et aucun des 312 vaccinés ne fut
atteint. Les cas survenus ultérieurement se sont mani-
festés chez les non-vaccinés seuls.
A Paimpol, à l’occasion d’une é}ûdémie qui a sévi à
la même époque, les non-vaccinés eurent une propor-
tion de 41,66 cas avec 4,58 décès " tandis que di's
100 vaccinés aucun ne fut frappé.
Nous pourrions allonger beaucoup cette statistique;
elle deviendrait plus persuasive encore, mais les faits
que nous avons ra]>pelés suffisent à notre but.
Aous nous en sommes tenu surtout à la méthode de
!)'■ Vincent, et aux résultats qu'elle a donnés, parce
qu’elle est celle que nous avons le plus souvent appli-
quée et dont nous avons pu contr(7ler l’efficacité. 11 eût
été intéressant sans doute de comparer ces résultats
à ceux qu’ont donnés des vaccins diffiérents. Gela nous
eût conduit trop loin; du reste, à l’heure actuelle, bien
REVUE DES QT' ESTIONS SCIENTIFIQUES
D-4
des méthodes nouvelles ont été troj) jieu expérimentées
pour qu'on puisse se faire à leur sujet une ojiinion
définitive. L’avenir, sans doute, nous réserve encore
])ien des progrès, soit dans la préjiaration du vaccin
antityphique, soit dans ses apjdications, et c’est de lui
<[u’il faut attendre des indications plus précises que
celles ([ue nous possédons aujourd’hui sur la durée de
l'immunité qu’il confère. Certains auteurs lui assignent
une limite maxima de trois ans; d'autres, plus nom-
hreux, la réduisent à une année.
Quoi qu’il en soit, nous jiouvons conclure, dès mainte-
nant, que la vaccination jiréventive contre la fièvre
typhoïde nous met entre les mains une arme de choix
contre cette affection redoutable. Nous y recourons
surtout pour protéger les membres des familles au sein
desquelles un cas de typhus a éclaté; nous vaccinons
les « réceptifs », et Jusqu'ici, nous n’avons eu qu’à nous
louer de cette mesure de prophylaxie. Acclamons cette
nouvelle victoire de rex[)érimentation jiasteuiienne à
ajouter à tant d’autres, remportées par elle sur les
maladies infectieuses et virulentes.
Recueillons ses bienfaits; mais n'oublions pas que la
nécessité des mesures hygiéniques préventives n’a pas
cessé de s’imposer. Redisons-le encore une fois ; les
distributions d’eau, en particulier, constituent et consti-
tueront toujours le remjiart le plus sur contre l’invasion
des maladies infectieuses d'origine hydrique. D’ail-
leurs, la vaccination antityphique ne jieut s’appli({uer
à toute une population : c’est aux sujets jeunes et bien
portants qu’elle s’adresse surtout; tandis que l’hygiène
générale protège tout le monde.
(iràce à ses progrès et à cette nouvelle conquête de
la prophylaxie microbienne, il y a lieu d’espérer, comme
le jiroclamait le professeur (ïhantemesse, que le siècle
])résent- triomphera de la fièvre typhoïde, comme le
LA VACCIXATION AXTITYPIIOIDIQUE
siècle passé a vaincu la variole. L’évolution heureuse
qui s’est produite jtour la variole, est en marche pour
le typhus et voici ({ue nous faisons un pas de j)lus
« vers cet idéal inaccessible, toujours poursuivi, écrit
le D‘’ Vincent, jamais atteint, qui veille comme une
lampe sacrée au c<eur de tout hygiéniste : affranchir
l’homme de la maladie évitable ».
l)’’ A. Haibe,
Itirecteiir de l’Inslilut Bactériologitiue rrovincial
de N a mur.
LES
ONDES HERTZIENNES ATMOSPHÉHIQIIIÎS
Enroi;istrres A robsei-vatoiro St-Lniiisde Jersey, Manclie,
(l(‘ nov(Miibre LUI à octobre LH3
Une antenne de iO tils de l)ron/e de iOO mètres de
long- chacun, pendant du sommet de la Tour métallique
St-1-.ouis, à 50 mètres du sol. est reliée, en bas, à un
détecteur électrolytique à réception intégrale, à un
condensateur, à un ampèremètre relais-trembleur et
à un cbronographe totalisateur. I/idée du relais-trem-
bleur est neuve ; elle est bonne puisqu’elle m’a donné,
après deux années d’un tbnctionnement continu et
satisfaisant, les résultats consignés principalement
dans les tableaux qui vont suivre.
Ces résultats paraîtront, sans doute, aussi importants
qu’iivtéressants, du moment (pi'ils sont les premiers, du
moins à ma connaissance, à èti'e j)ul)liés sur ce phéno-
mène des Ondes hertziennes atmosphériques qui est
assez nouveau en météorologie.
U’est après avoir vu, pendant jdusieurs mois, fonc-
tionner l’ampèremètre, relié au voltamètre électroly-
tique à réce})tion intégrale (d à l’antenne, comme
enregistreur direct des ondes soit gra})biquement sur-
papier blanc ou sur papier enfumé, soit photographi-
quement sur j)apier au gélatino-bromure, que j’ai vu
la nécessité de modifier le fonctionnement même de
LES ONDES HERTZIENNES ATMUSDIIERIL)1:ES
U7
l’appareil. I.e retard du voltamètre à se décohérei-,
disons mieux, à se repolariser ajiiès le passage de
chaque onde, était la cause de l’inutilité de tous les
efforts précédents. Il pouvait devenii’ l’origine de nou-
velles séries d'observations de plus grande valeur que
que celles qu’on s’était d’abord jtroposé de faire.
En effet, ayant dûment constaté que le retard du
détecteur à se refermer au courant auxiliaii’e était
Première forme : A ynttMinc ; D détecteur à soupape électrolytique ; G cadre
mobile d’un ampèremètre ; /' mince pla([ue de fer-blanc ; b bascule à
pointe line au-dessus d’une goutte de mercure ; E électro de l appel de
l’aiguille ; c condensateur ; p et p' piles ; enregistreur chronographe.
Seconde forme : f \)h\que de fer-blanc; b pointe line fixée (isolée) à la tige
oscillante et piquant dans une gouttelette de mercure (|uand la tige est
déviée; cette pointe est reliée par fil lin flexible au pôle négatif de la pile.
d’autant plus long que les ondes s’étaient signalées
à l’enregistrement par des traits plus longs eux-mêmes,
j’en conclus que la dépolarisation opérée était propor-
III' SÉRIE. T. XXVI. 7
98
REVCE DES QUESTIOXs SCIEXTIFIQUES
tionnelle à l'êiK'rgie de vil)ration de ces ondes. Dès
lors cette durée du courant à travers l’électrolvte pou-
vait être prise coniine mesure de leui* énergie ou de
leur importance relative et pouvait assez facilement
s’évaluer ou s’enregistrer.
Après quelques essais Je compris vite (ju’il fallait
iVactionner cette durée du courant et la fractionner de
telle sorte qu’une première onde en train de s’enre-
gistrer ne voilât ])as, ne dissimulât pas une seconde,
une troisième, qui viendraient coup sur cou]) ajouter
leur énergie propre à la jtrécédente. Je crois par mon
relais-tremhIei>/‘ avoir fort heureusement résolu le
])rol)lème.
J’ai remplacé à l’extrémité libre de l’aiguille du gal-
vanomètre la plume ou le style inscripteur par une
fine pointe de })latine soigneusement isolée de cette
aiguille, mais reliée par un fil de cuivre fin au pôle
négatif d’un accumulateur. Cette pointe de platine,
(juand ra]q)areil est en plein fonctionnement, mais en
l’absence de toute onde, est presqu’en contact avec
une goutte de mercure placée dans le même circuit de
l’accumulateur avec le clironogra})he enregistreur et
un électro-aimant de rappel installé derrière l’aiguille
à laquelle on a, en face, soudé une petite plaque de fer-
blanc. Le relais-treml)leur ainsi établi est prêt à fonc-
tionner. Une onde traverse le détecteur et dévie le
galvanomètre ; son aiguille à l’instant entre en vibra-
tion plus ou moins rapidement et chaque contact avec
le mercure fait monter d’un millimètre la plume du
chronographe. Les vibrations, vives au premier mo-
ment, se ralentissent et s’éteignent bientôt. Si une
nouvelle onde survient avant la cessation de ces pre-
mières vibrations, on s’en aperçoit aussitôt à la recru-
descence même de l’agitabon de l’aiguille et de l’enre-
gistreur ; rien donc n’est perdu ou dissimulé, et la loi
de l’indé})endance des effets des forces en jeu a ici son
application réelle.
LES ONDES HERTZIENNES ATMOSPHERIQUES 99
Ainsi, la somme des avancements de la plume du
chronographe dans un temps donné représentera Lien
l'intensité moyenne des ondes qui ont }>assé par le dé-
tecteur.
Ce curieux mode d’enregistrement des ondes hert-
ziennes atmosphériques s’est montré d’une grande
sensibilité, en ce sens qu’il ne laisse pour ainsi dire
rien échapper. L'enregistrement est comme continu
tout le long de l’année. Il v a assurément des Journées
de forte agitation qui sont les journées orageuses soit
locales, soit à distance dans un rayon cependant qui
ne m’a pas semblé avoir dépassé iOO ou .hlX) kilom.
iMais il y a nombre de journées aussi oii la mo^^nne
horaire des battements enregistrés a été réduite à i et
à moins encore ; toutefois en deux années nous n’avons
compté que 3 ou 1 journées de calme absolu.
Gomme exemples de journées très orageuses, citons
le 13 Juillet 1912 avec ses 48 360 oscillations enregis-
trées dans les 24 heures, et le 29 aofit 1913 avec 48 750.
Le 11 h. du soir à minuit, le 16 Juillet 1912, nous
avons relevé 6700 oscillations. Ges différents nomlires
ne représentent pas des ondes distinctes, mais com-
parés à d’autres relevés à d’autres épo([ues et dans des
conditions atmosphériques différentes, ils donnent une
forte impression des valeurs relatives que [leut jtrendre
le champ hertzien, c'est-à-dire les conditions de l’air,
au lieu d’observation, créées sjiécialement par ces
ondes électro-magnétiques qui se croisent de diffé-
rentes directions sur l’horizon.
Gomme Je vais l’indiquer dans des tableaux qui ré-
sumeront deux années d’observations régulièrement
faites à Jerse}^ le champ hertzien atmosphérique, que
je viens de nommer, constitue un ]»hénomène en quel-
([ue sorte continu qui obéit, comme tout autre phéno-
mène météorologique, à des lois certaines : il a une
variation diurne parfaitement marquée, mais à double
caractère correspondant aux deux grandes saisons de
lOo
Rt:vrK DES QrESTlOXS SCIENTIFIQUES
l’année, ce qui le distingue de ces ]diénoinènes dont la
variation est fixe, coinnu' la jiression, la température
et riuiinidité de l’air.
Je suis d’autant mieux autorisé à introduire cette
notion, nouvelle en météoi-ologie. d’un champ hert-
zien atmosphériiiue normal, ({ue j'en ferai constater
l’existence sur un autre ]K)int du globe, bien ditiérent
de Jersey, et oii se trouveront véi-ifiées les mêmes lois
de variation du phénomène des ondes.
J’ajoute maintenant que. m’ajipuyant sur ces
diverses considérations, j'ai cru [tou voir désigner, au
moins l'ajqjareil dont je me suis sm*vi à Jerse\’, d’un
nom plus ex})ressif et plus compréhensif que celui de
détecteur d’orages, généralement employé : je l’appel-
lerai titrfèoroiulefirapJie dans la discussion de nos
observations.
Tne remarque encore pour })révenir une objection.
Le détecteur électrolytique, ajtpliqué uniquement à
l’observation des ondes atmos})hériques, comporte
normalement, en l’absence de toute onde ou séparé de
l’antenne, un certain courant ([ui maintient le cadi*e
galvanométrique en une constante mais faible agita-
tion ; mesuré aux bornes il a toujours été trouvé de
U,1 à Ü,'J volt, (ie faible courant pourrait occasionner
des battements isolés de l’eni-egistreur ; on s’arrangera
pour les siqtprimei', en réglant, dans un moment de
grand calme, la distance entre la pointe oscillante et le
mercure.
L’île de Jersey n'a ni industrie, ni commerce ([ui lui
amène des navires assez inqiortants pour ]>osséder un
appareil de télégrajfiiie sans fil. Ln seul, pendant l’été
de 1913, avait été mis sur la ligne d’Angleterre poul-
ie transport des touristes avi'c ce moyen rapide (U*
communication qui servait à signaler aux armateurs
son entrée au port de St-Héliei-. la capitale de l’île. Or,
les signaux émis à cette occasion, à lil.hUO mètres envi-
ron de la Tour St-Louis, ont jdusieurs fois été inscrits
LES OXDES HERTZIENNE^ ATMOSIMIERlgl ES 101
par le chronoi^raplie et toujours il a été très facile d*eii
faire la distinction. Les signaux de la Tour Eiffel,
d’ailleurs entendus A'igoureusenient dans notre télé-
phone de 5000 ohms de résistance, sont sans etlét
appréciable sur l’enregistreur. Donc les traces laissées
sur les feuilles quotidiennes de notre météorondegraphe
sont vraiment et uniquement les traces des ondes
hertziennes d’origine atmosphérique. 11 est l)on de
faire cette renia l’qiie.
1
^R)YENN£S INTENSITÉS MENSUELLES DES ONDES
COMPARÉES A LA FRÉQUENCE DES ORAGES
Dans les tableaux qui vont suivre, tous les nomlires
présentés comme intensité relative moyenne des ondes
lie passage à .Jersey sont les moyennes sommes d’oscil-
lations du relais-trembleur edèctuées en une heure de
temps.
MOYENNES INTENSITÉS MENSUELLES DES ONDES
N DJ F M A M J)! M A S 0 année
(191 1-191'2) 31 .7 30.7 16.4 9 5 34 0 23. 1 3S. 1 76.2 394.4 52 0 23.7 36.7 63.9
(1912-1913) 26.3 16.6 25.4 1 1 .7 15.2 25.4 37.S 30.3 99.7 109.3 90. 1 3S.S 43.9
NOMHRES DE .TOURNÉES OR.AGEUSES A .lERSEV
(1911-1912) 3 1 10 -2 0 12 7 2 0 4 23
(1912-1913) 2 1 (I 0 0 0 10 4 3 2 5 IR
(20 années) 21 21 17 9 IR 11 31 42 53 -IR 51 51 376
Entre les deux ordres de phénomènes on ne recon-
naît guère que cette connexion générale : ondes et
orages ont leur minimum de fréquence en hiver, en
février surtout, et leur maximum en été, en Juillet
])rincipalement.
Je dois dire que j’ai compté comme journées ora-
102
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
geuses aussi l)ien celles oii l’orage, dans le voisinage
(le l’île, ne s’est manifesté que par des éclairs à l’hori-
zon, que les journées avec tonnerre, indice certain que
l’orage était sur nous, ou du moins tout près de la
station d’observation.
Un’on associe maintenant, si l’on veut, à ce petit
nombre de journées orageuses pour Jersey (11),
moyenne des 20 années 1894-1013) les 30 qui ressor-
tissent à la France prise dans son ensemble, les 10 à
l’Angleterre et les quelques orages ([ui peuvent encore
éclater à l’()uest, sur l’Atlantique, on n’expli([uera pas
avec tout cela la continuité presque absolue des ondes
enregistrées dans cette île. FJles exigent une source en
quelque sorte permanente, un foyei' de décharges élec-
triques modérées, mais fré({uentes, comme je l’ai dit
plus haut, foyer assurément })lacé en dehors de la zone
des orages bruyants et violents, et du moment que ces
derniers éclatent dans les couches inféideures de l’air,
les autres doivent se ])roduire haut dans les couches
supérieures régulatrices de tous h's mouvements qui
ont lieu dans les jiremières.
11
MOYENNES VARIATIONS DIURNES DES (tNDES HERTZIENNES
Les journées jiroprement orafi<>uses sont caractéri-
sées par une si grande abondance d’ondes énergiques
que leur séparation d’avec les autres, ([ue nous a})pel-
lerons journées calmes^ s’impose quand on entreprend
d’étudier la variation diurne du champ hertzien. Cela
n’empêchera pas, d’ailleurs, de rechercher la variation
diurne également des ondes orageuses.
Le tableau suivant résume les observations des deux
années sous une forme un peu condensée, sans doute,
mais fort claire dans ses détails et dans son ensemble.
JERSEY. — ONDES HERTZIENNES ATMOSPHÉRIQUES (nOV. lOM A OUT. dl)J3)
Moneanes variations horaires de l’intensilé des Ondes (1)
LES ONDES HERTZIENNES AT.MOSDHÉRIQIIES 103
( 1 ) Le calcul de ces variations horaires a porté sur
318 journées calmes et 31 journées orageuses pour la saison froide.
331 » I) et 37 » » ])Our la saison chaude.
104
RKVIM-: DKs qukstioxs scientifiques
Au pied des diderentes colonnes on trouve des nombres
qui représentent les intensités moyennes horaires du
champ en cha([ue saison et dans l’année, et ees colonnes
elles-mêmes sont constituées j»ar les écarts, positifs ou
négatifs, de la vahuir du ehani}), h clia([ue heure du
Jour, sur la moyenne intensité diurne.
lia division de l’année en deux grandes saisons n’a
pas. ici. l'inconvénient de confondre des variations qui
demanderaient à è1 re distinguées les unes des autres.
La variation diurm* du champ hertzien au printem])S
a jiris assez hi-iisquement, dans le courant du mois de
mars, la forme qu'elle a fermement dans les trois mois
d'été ; semhlahlement sa forme en automne, dès le
mois de septembre, est déjà celle des mois d’hiver.
Ce tableau nous apprend ([u’en hiver le champ hert-
zien, calme ou troublé, a un minimum d’intensité en
plein Jour, vers 10 h. on 1 i h. du matin, et acquiert son
maximum de force au milieu de la nuit, vers 10 ou
11 h.' du soir. On n'observerait, à ])roprenient parler,
que cette seule oscillation de l'intensité des ondes dans
les 21 heures.
En été, c'est moins simple : le chanq» y présente une
double oscillation dans la Journée. Celle de Jour se pro-
duit aux mêmes heures pour les ondes calmes et les
ondes orageuses : minimum d'intensité de 7 à 8 h. du
matin, maximum de .‘l à 5 h. de l’après-midi. C’est
surtout par leur oscillation de nuit que ditfèrent les
deux ordres de ])h(‘nomènes : les ondes orageuses y
acquièrent une très grande intensité, })lus grande
même que dans l'ajirès-midi. Juste au moment, vers
11 h. du soir, où h‘s ondes calmes se montrent fort
atfaililies, moins cependant que dans la matinée. Cette
oscillation nocturne a commencé, pour les ondes ora-
geuses, par un léger minimum de 7 à 8 h. du soir; elle
s’achèvera. }ioui- les ondes calmes, par un léger maxi-
mum entre minuit et 1 h. du matin.
LES ONDES HERTZIENNES ATMOSPHÉRIQUES 105
vSi l’on exce})te ces gros orages de nuit, en été, qui
semblent pro}>res à nos jiarages de la Manche, la varia-
tion diurne du champ hertzien pendant la saison
chaude est bien concordante aA^ec celle de la fréquence
des orages en France et sur le continent, (^uant aux
ondes de la saison froide, leur maximum d’intensité au
milieu de la nuit et leur minimum au milieu du jour
les rapprochent singulièrement des orages qui éclatent,
en hiver, dans le nord de l’Atlantique, sur les côtes
LES ONDES HERTZIENNES ATMOSDIIÊRIQUES 107
' ouest (le l’Ecosse et en Islande, sur le passage des
; grandes dépressions atmospliériques.
'I Je puis donner, dans le tableau suivant, une preuve
i bien intéressante de renchaînement naturel des phé-
! nomènes électriques orageux et électro-magnétiques
de l’air.
VARIATIONS DIURNES DU CHAMP HERTZIEN A JERSEY
ET DE LA FRÉQUENCE DES ORA(JES EN ÉCOSSE ET A PARIS (1)
HEURES
HIVER
. ÉTÉ
Jerseg ^
Écosse
Jerseg
Paris
de minuit à 3 h. m.
Ri
53
— Il
-73
3-G
5
3
-39
— 85
(î-9
— 17
— 24
— 51
-82
0-midi
— ii
— 29
-28
— 72
de midi à 3 h. s.
— U
— ïo
(iÜ
117
— 1
J
17(i
179
(i-9
19
3
8
18
9-minuit
■>o
41
— Di
-32
Il m’a semblé utile de chercher la variation des
intensités relatives des deux sortes d’ondes, en hiver
et en été. Le taldeau de la page suivante montre les
rapports que j’ai cru utile cependant d’adoucir et de
régulariser en les composant ]»ar groupes de 5.
En hiver, il j aurait concordance entre les varia-
tions d’intensité des ondes orageuses et des ondes
calmes à toutes les heures de la jouniée, sauf un léger
excès dans les ondes calmes vers 1 h. du matin et 1 h.
de l’après-midi et dans les ondes orageuses à 8 h. du
(1) J’einprunte les données, pour l’Écosse, aux Bases de la météorologie
dgnamique de Hildebrandsson ; pour Paris à Loisel, Les orages. Ondes et
orages ont été uniformément réduits à lüOO par jour. Ce sont les séries des
journées calmes qui ont été mises à prolit pour notre comparaison ; ces
séries représentent mieux la variation du champ hertzien normal.
108
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
HAIM'UKTS DES INTENSITÉS
DES ONDES OHAfiEl'SES ET DES ONDES CALMES
INTER-
VALLES
HORAIRES
HIVER
ETE
INTER-
VALLES
HORAIRES
HIVER
ÉTÉ
Min.-lm.
6.3
19.5
Milli-\ S.
6.9
7.7
i-i
6.3
18.'2
l-“2
ü.o
6.8
'2-3
r>.iî
17.7
2-3
11.5
6.8
3-4
i>.i
18 4
3-4
6.6
7.5
4-5
6.9
19.3
4-5 '
6.7
8.6
5-Ü
7.‘i
U..T
5-(i
0.7
9.8
l)-7
7.9
19. i
(i-7
7.0
11.8
7-8
8.3
18.3
7-8 1
7.0
14.4
8-9
8.4
Ki.l
8-9
6.9
17.2
9-10
8.1
13.6
9-10 !
6.8
19.6
ID-ll
7.*»
11.4
10-11 ■
6.8
20.9
\l-Midi
7.1
9.4
11-4//)).
1
0.5
' '20.7
lîapitoiTs moyens : Hiver T.ü — Eté I i.7.
matin et 8 h. du soir. Cotte double oscillation des varia-
tions relatives des intensités des deux sortes d’ondes
est intéressante à noter, quoique la sii>nificatioii m’en
échajqie.
En été nous retrouvons la même double oscillation
diurne, mais bien autrement marquée. A"ers 2 à 3 h.
du matin et 1 à 3 h. du soir surtout, le rapport des inten-
sités tléchit en faveur des ondes calmes qui se ren-
forcent; versO h. du matin et il h. du soir, le rapport
se relève avec un débordement extraordinaire d’ondes
orageuses signalé dans notre tableau des variations
diui-nes du champ hertzien.
Au risque de paraître un peu long. Je vais essayer
une ex})lication de ces faits. De 7 à 9 h. du matin,
moment où les couches atmosphériques sont en équi-
libre sur terre et sur mer, le champ hertzien est de
toutes façons calme. Mais bientôt, vivement portées
LES ONDES HERTZIENNES ATMOSl’Hl'RloUES 109
haut avec une imjtortante eliai-ge de vapeur et d’élec-
tricité les masses d’air échauffées au contact du sol
entrent en contact avec les masses supérieures relati-
vement sèches et électrisées différemment : de là de
nombreuses décharges, silencieuses })Our nos oreilles,
et émission des ondes calmes (|u’on observe en excès
vers 2 et 3 h. de l’après-midi. Avec le déclin du Soleil
les courants ascensionnels se modèrent vite et s'an-
nulent ; les couches relevées s'affaissent et les masses
aériennes supérieures, s’alourdissant à leur tour,
viennent en contact avec les couches moyennes et les
couches basses, les unes et les autres très humides et
toujours chargées d’électricité. L)e 5 à 0 h. du soir
c’est l’heure des orages sur le continent avec émission
des abondantes ondes orageuses ([ui sont signalées à
Jersey. Ici, l’heure des orages n'est pas encore venue:
ils éclateront avec force un peu avant minuit.
Je vois la raison de ce retard dans les deux faits
suivants. D’une part, sur l’île, d’après nos 20 années
d’observation de la vitesse des vents au sommet de la
Tour St-Louis, à 111 m. du niveau de la mer, la coin-
110
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
posante liorizontale du mouvement de l’air, au fort de
l’été, a sa jdiis grande valeur entre 10 li. du soir et
minuit dans une direction générale de l’WN W à l’ESE :
les couches moyennement élevées viennent donc de la
mer. D’autre ]»art, sur le continent à l’Est de Jersey,
par l’effet du refroidissement nocturne qui a gagné
toutes les couches atmosphériques, les supérieures
comme les inférieures, leur affaissement est général et
accompagné d’un écoulement, par le has, vers la mer
dont la température s’est notablement moins abaissée.
On voit tout de suite le contlit des deux masses d’air
de directions opposées qui cherchent à se pénétrer,
à se déplacer ; on voit les tourbillonnements qui s’en
suivent, les décharges qui égalisent leurs potentiels
différents et les ondes furieuses qui sont émises de
foyers à grande proximité et même locaux. Telle serait
l’explication qui peut être donnée des valeurs très
élevées du champ hertzien, au milieu de la nuit au
cours de l’été ])roprement dit.
111
COMPARAISON TRES INSTRUCTIVE
DU CHAMP HERl'ZIEN A .lERSEY ET A TORTOSA
On n’aura })as été sans faire la remarque que la
division que j’ai faite de l’année en deux grandes
saisons d’ajirès la similitude des variations diurnes du
champ hertzien, d’un coté, au printemps et en été, de
l’autre, en automne et en hiver, mettait directement ce
phénomène météorologique nouveau sous la dépen-
dance de la déclinaison du Soleil. Et par là il se dis-
tingue de tous les autres depuis longtemps étudiés.
dette singularité même ne serait-elle pas un argu-
ment ('Il faveur de la réalité d’un champ hertzien
I
1
112
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
normal, indépendamment des irrégularités brusques et
impétueuses qu’il présente accidentellement à la
manière des deux autres champs (pii lui sont mani-
festement apparentés, le champ magnétique terrestre
et le chanqi électrique atmosphérique ?
Une autre ^ireuve, très objective celle-là, de l’exis-
tence d’un champ hertzien normal m’est fournie par
les deux années et demie (Janvier 19iO-Juillet 1912}
d’observations des ondes hertziennes ([ue J’ai heureuse-
ment trouvées et pu étudier dans les Bulletins men-
suels de n )])servatoire de l’Ebre, à Tortosa, obser-
vations faites sous la direction du R. P. Cirera S. J.
Je dis heureusement trouvées, puisque Je n’en connais
pas d’auti'es faites ailleurs d’une façon continue et
utilisable.
A Tortosa, on a en service, avec l’antenne et le
chronographe, un cohéreur à pointes de Branly qui
exige l'addition d’un frapjieur (1). On sait ([ue les cohé-
reurs, quels qu’ils soient, sont moins sûrs que le
détecteur électroljtique comme fonctionnement régu-
lier. Mais, à moins d’useï- d’un artifice plus ou
moins ingénieux qui transfoianera en avantage, comme
à Jersey, le défaut cajiital du détecteur électroljiiquc
de ne pouvoii* se décohérer instantanément, il faut
renoncer à s'en servir autrement que poui“ l’audition
à distance avec le téléphone.
Le P. Cirera, dans son Bulletin mensuel, donne le
(1) Dans ces observations de Toidosa, la moyenne l'ré(|uence relative (esti-
mée à l’échelle tl-l) des ondes, dans les 3 étés, ne se trouve représentée que
|iar l,:2i pour un intervalle de i heures, tandis que celle des 3 hivqrs s’élève-
rait à 1,38. La saison des orages aurait donné moins d’ondes <|ue celle où
ils ont rares. Pour me rendre compte de cette bizarre anomalie, j’ai calculé les
moyennes fréiiuences des ondes dans les 7 premiers mois des 3 années
d’observations avec le nombre des orages correspondants : voici ce que j’ai
trouvé: 1910 1,79 et iô orages — 1911 et 39 orages — 1912 0,77 et
38 orages.
Il est évident (|ue la sensibilité du cohéreur llranly, employé à Tortosa, a
graduellement lléchi au cours des .71 mois d’observations.
LES ONDES HERTZIENNES ATMOSPIlÊRIorES 113
relevé des ondes sur les diagrammes de 2 en 2 li.
mais seulement à l’estime, au jugé, et à l’échelle Lien
maigre de 0 à 4. Malgré cela, les moyennes que J’ai dù
calculer (elles ne sont pas fournies dans le Bulletin)
sont bien intéressantes. Pour leur comparer les nôtres,
j’ai ramené celles-ci aux-mèmes intervalles de 2 h.
( )n voudra bien remarquer ({ue les deux séries com-
parées dans le tableau suivant ne correspondent pas
aux mêmes années. C’est important à noter.
Moyennes comparées des variations des Ondes hertziennes
< <
>
.JEHSEV, .MANXHE
(de nov. 1011 à ort. 1013)
.\ TUllTOS.A, ESP.AGiNE
(de janv. 1910 à juillet 1912»
^ i
Hicer
Été
Année
Hiver
Été
Année
min. -'2 ni.
22,8
29,7
25,7
0,46
0,09
0,27
2-4
Il.O
— 8.0
1,9
0,41
- 0,0.1
0,18
4-(î
2,9
- 42,3
- 19,7
0.20
— 0,44
— 0,12
()-8
— 13.5
-66,1
— 35.8
— 0,25
- 0..56
- 0.40
8- Kl
— 2(3,0
— 74,6
— .50.7
-0.48
— 0,45
— 0,47
I0-nii(Ji
- 28,3
- 54,8
— 41,6
— (.>.46
— 0,18
- 0,32
niidi-2 s.
-21,1
- 6.2
— 7,5
- 0.33
0,11
- 0.11
2-4
- 11.1
66,8
27,8
— 0,31
0,38
0,04
4-6
1,3
61,5
31,3
— 0,09
0,35
0,13
(3-8
16,6
19,5
18,1
0,18
0.2:3
0.21
8-10
^5,7
20.8
23.2
0,33
0,26
0,29
lO-min.
'2'2,7
42,4
32,5
0,40
0,19
0,30
moyennes
(les ondes
Ô9,6
154.2
106,8
1,38
1,24
1,31
De cette coni])araison la seule conclusion qui s’im-
pose n’est-ce pas la suivante : c’est bien le même
phénomène qui a été observé à Jersey et à Tortosa,
quoique avec des appareils ditlérents, dans des années
différentes, dans des conditions générales différentes.
IIR SÉRIE. T. XXVI.
8
114
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Les deux stations sont séparées, du Nord au Sud, par
900 kilomètres, celle du Nord a le continent à l’Est et
Idlcéan à l’Ouest, celle du Sud a toute la largeur de la
péninsule Ibérique (<S00 kilomètres) à l’( )uest et la
Méditerranée à l’Est ; la ]»remière doit voir affluer les
ondes orageuses parties du Nord de la France, de la
Helgique. des Iles Britanniques et du Nord de l’Atlan-
ti({ue : la seconde les reçoit de l’Espagne, de la Médi-
terranée, du Maroc et de l’Afflérie.
Malgré tant de causes réunies à la fois pour rendre
discordants les résultats généraux de ces années d’ob-
servation, il y a })ai*faite similitude des variations les
moins aptes, en apparence, à s'accorder dans de telles
conditions, les variations diurnes d'un phénomène qu’on
ne connaissait guère jusqu’ici que par une de ses faces,
sa brusquerie, sa violence, son irrégularité.
Je pense donc être maintenant l)ien autorisé à parler
d’un chanq) hertzien atmosphéri([ue toujours existant,
partout existant, et dont les manifestations acciden-
tellement tapageuses se plient cependant encore elles-
mêmes à suivre une même loi générale de vaiâation
imposée j)ar les divers mouvements du Soleil par
rappcjrt à l’hori/on et à l’équateur
IV
CURIEUSE RELATION DT' CFIAMU HERTZIEN
AVEC LE CHAMP MAUNÈTKM-H-:
Les variations diurnes du chanq» hertzien dans le
cours de l’année sont assez particulières pour ne s’accor-
der avec aucun autre des jihénomènes météorologiques
ordinaires. Seul le champ magnétique terrestn' aurait
avec lui une connexion fort remarquable, quoique
détournée, et, chose curieuse, cette connexion n’est
LES ONDES Hertziennes atmosi*hêriqi;es 115
pas à chercher dans la force magnétique, mais dans la
déclinaison de raiguille aimantée.
Cette connexion est détournée, non directe, puisque
la variation diurne de la déclinaison magnétique ne
change pas de forme dans l’année ; mais elle change
d’amplitude et c'est cela qu’il faut considérer. Une
même cause interviendrait qui renverserait ses effets,
d’une saison à l’autre, à la fois sur les mouvements de
ejt ■ù- eij ^ au. cdort^ex-
■ ^3e-&2.dcts^
raiguille aimantée et sur la pro})agation des ondes
hertziennes atmosphériques.
A défaut d’observations magnétiques continues à
•Tersej, j’ai emjirunté celles de A’al Joyeux, succursale
de l’( )bservatoire du Parc St-Maur,près Paris, publiées
dans les Annales du Bureau Central de Paris. Nos
deux années d’observation des ondes 1912 et 19P3
étant des années de minimum des taches solaires.
J’ai choisi pour la comparaison à faire avec la décli-
naison deux années analogues, 1902 et 190;-).
116
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Avec toutes ces observations horaires j’ai préparé
un tableau des variations horaires de la déclinaison
pour les deux grandes saisons de l’année, semblable à
Vue même Inégalité semi-annuelle
HEUHES
VAE JOYEUX (1901-1903)
Déclinaison magnétique
JERSEY (nov. 1911-oct. 1913)
Champ hertzien
Saison ~Sâison
froide chaude
Suism Saison
froide chaude
1 III.
— 0',09
— 2,0
0,0 i -
1,7 —
-.i
0,16 —
5,0 —
■ï
0,29 —
8.3 -
5
0,46 -
11,3 —
I)
0,69 —
12,4 -
7
0,90 -
12,7 —
,s
1,01 —
12,8 -
il
0,96 —
12,0 —
Kl
0,71 -
10,1 -
11
0,31 -
6,6 —
midi
— 0,18
0,9 —
1 s.
— 0,63
— 6,8
ÎL
— 0,94
— 14,8
3
— 1,04
- 19.5
i
— 0,89
— 19,6
5
— 0,.Ÿ9
— 15,1
()
— 0,27
— 7,2
7
— 0,06
- 0,7
s
- 0,02
1,9 —
9
- 0,11
l,“i -
1(1
- 0,23
- -2.3
11
— 0,28
— 5,0
min.
— 0,21
— 4,5
moyennes
valeurs
I5«.10’,31
53,5
LES ONDES HERTZIENNES ATMOSPHÉRIQUES 117
l’un des trois de la page 103, au premier, qui regarde
l’ensemble de toutes les ondes oliservées. Si, pour les
deux phénomènes, on calcule l’inégalité saisonnière,
on arrive aux deux séries indiquées à la jiage précé-
dente avec leurs signes.
Quelle pourrait bien être la cause qui produit cette
remarquable inégalité semi-annuelle des deux phéno-
mènes ? Elle est certainement unique, car tout ici est
absolument parallèle. Pourrait-on y voir une vérifica-
tion inattendue des conclusions de Trouvelot et Nord-
man qui feraient résider la cause des perturliations
magnétiques sur notre globe dans une émission par
les taches solaires d'ondes hertziennes plutôt que de
rayons cathodiques ?
Il J aurait encore plus à dire sur le même sujet,
mais je ne veux qu’indiquer un autre point de ressem-
blance des deux champs en question. Si l’on calcule
l’inégalité semi-annuelle de la variation horaire de la
fréquence des déviations extraordinaires (au moins 3')
de l’aiguille aimantée à l'est ou à l’ouest de sa position
moyenne diurne, on est porté à conclure que les excur-
sions à l’est, les plus fréquentes et les plus fortes aussi,
ont lieu aux heures préférées par les ondes orageuses,
et les excursions à l’ouest à celles des ondes calmes.
CONCLUSION
L’observation habituelle et continue des ondes hert-
ziennes d’origine atmosphérique, ainsi qu’en témoigne
assez, je pense, l’étude qui vient d’être faite de ce phé-
nomène, pour la première fois, semble bien s’imposer
aux météorologistes à l’égal de celle de tout autre
phénomène de l’atmosphère.
Les résultats obtenus par nos deux années d’obser-
vations à Jersey, déjà contrôlés et corroborés par les
118
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
observations faites à Tortosa, demandent cependant
à être confirmés plus pleinement par une semblable
étude sur des documents analogues cherchés plus à
l’intérieur du continent et sur d'autres venant de l’ex-
térieur.
Malheureusement un gros obstacle au succès viendra
de la sensibilité des appareils qui, en beaucoup de
lieux, ne pourront })as distinguer les ondes d’origine
atmosphérique des ondes artificiellement produites,
dans leur voisinage, pour les liesoins de la T. S. F.
Pour le présent je me félicite de l’isolement, sous ce
rapport, de notre petite station de Jersey ; j’en profi-
terai pour poursuivre nos observations si fructueuse-
ment commencées.
Marc I)echevrens, S. J.
LES ACTIOXS CATALYTIQUES EN CBIMIEi‘>
Dès le comineiiceiiient du siècle dernier, on avait
remarqué que certains corps, par leur seule présence,
semblaient déterminer des réactions chimiques.
Dans son magistral traité de chimie, Derzéliiis rap-
procha tous les phénomènes de ce genre, et les groupa
sous le nom de phénomènes catalytiques.
J’exposerai ici, d’une façon sommaire, le dévelojipe-
nient de nos connaissances sur l’ensemlile de ces phé-
nomènes ; Je dirai ensuite, en quelques mots, les
diverses inteiqirétations des actions catalytiques et ce
que la chimie physique nous apprend à ce sujet. Je
signalerai pourterminer quelques-unes des a])plications
les plus importantes de la catalyse.
L’histoire des actions catahdiques est intimement
liée à celle des transformations chimiques. Il semble
à l’heure actuelle, qu’il soit impossilde de concevoir
une réaction dont la vitesse ne soit induencée [lar des
substances, à première vue, étrangères et même les
réactions d’ions qui sont les plus i-apides subissent
probablement des intiuences analogues.
11 n’est pas étonnant dès lors, que beaucoup de pro-
cédés techniques paiani les plus anciens aient été des
applications d’actions catalytiques.
Faut-il rappeler à ce sujet la fermentation alcoolique
et acétique, et même la préparation de l’éther sulfu-
rique, déjà connue des Arabes ?
Il est évident que la notion d’accélération de vitesse
(1) Conférence faite à l’assemblée générale île la Société scientifique,
h 23 avril 1914.
120
REVUE DES questions SCIENTIFIQUES
(le réaction est plus moderne et était totalement
inconnue des anciens.
Elle date ce})endant d'il y a loniitemjts. En 1811 en
edét, Kirchoff constata que les acides minéraux pro-
voquent à chaud, la transformation de l’amidon en
dextrines et en sucre et ne subissent eux-mêmes de ce
chef aucune modification ; quel({ues années après, de
Saussure montre que la décomposition de l'amidon qui
se fait lentement par l'eau est notablement accélérée
]»ar l’addition de certains coiqts.
A la fin du xviii" siècle déjà, Giittling montrait que
le phosphore ne devient plus luminescent dans une
atmosphère d’oxygène pur préjiaré à l’aide de l’oxyde
mercurique.
En 1817, lliimphry l)avv observe qu’une spirale de
platine, légèi-ement chaufîée, peut provoquer l’oxyda-
tion de certains gaz combustibles mélangés à l’air. Peu
de temps a})rès, Edmond l)avy montrait que le noir de
[datine peut endammer l’alcool dont on l’humecte et
est capalde de ju-ovoquer certaines oxydations, sans
sul)ir de modification visible. En 1831, Philips lireveta
reinj)loi de la mousse de platine, pour réaliser l’oxyda-
tion de l’anhydride sulfureux au moyen de l’air.
Depuis, le nomlire des ])hénomènes catalytiques s’est
accru de plus en plus, par les progrès incessants de la
chimie et les résultats obtenus, tant au point de vue
scientifique qu’au point de vue industriel, ont été d’une
fécondité remai-([ual)le. Parmi les travaux récents il
faut princijtalement citer ceux de Sabatier et de Sen-
derens, qui ont mené à la découverte de méthodes
générales d’hydrogénation et de dédoublement molé-
culaires : ceux de Senderens sur la déshydratation des
alcools et l’obtention catalytique des cétones aux dépens
des acides; ceux de Ipatiew sur l’hydrogénation à haute
hmipérature et sous forte pression en présence de
Nickel divisé ou d’oxvde de Nickel ; ceux de Paal sur
LES ACTIONS CATALYTIQUES EN CHIMIE
121
riiydrogénation en présence de métaux colloïdaux,
ceux de AVillstaetter sur l’hydrogénation en présence
de noir de platine, en solution alcooliijue ou éthérée.
Les théories de la catalyse sont très nombreuses.
L’extrême diversité des réactions catalytiques tait }>ré-
voir qu’on doit éprouver de grandes diflicultés à en
donner une exj)lication générale cajtahle de s'ada})ter
à tous les cas.
Laissant de côté les interprétations assez g rossières
du début, nous signalerons en particulier quel([ues
théories plus récentes.
D’après Loew la décomposition catalytique de l’eau
oxygénée au contact de noir de platine, serait due aux
])ointes et aux arêtes aiguës des molécules de platine.
De même la combinaison plus aisée de l’hjTlrogène et
de l’oxj’gène, en })résence de ce métal, serait due à la
décomposition des molécules en atomes, et la combi-
naison des éléments qui se trouvent à l’état naissant.
Cette conception est évidemment assez bizarre, car
on se demande avec raison, ce qui préservera d’une
action analogue les molécules d’eau formées.
Cette bj’pothèse contient cependant un élément de
vérité, car il semble bien ([ue le platine et les éléments
de son groupe soient capables de provoquer la disso-
ciation des molécules de plusieurs gaz. On pourrait
ainsi considérer ces métaux comme des dissolvants de
force dissociante considérable ; or, on sait que beaucoup
d’actions catalytiques de beau sont ramenées à son
énorme force dissociante.
Les dissociations moléculaires au contact de ces
métaux, sont d’ailleurs établies sur une base expéri-
mentale sérieuse.
On a quelquefois tâché d'expliquer les phénomènes
catalytiques par des actions de condensation : le cata-
lyseur agirait ainsi en augmentant les concentrations
122
RKVUE DES QUESTIONS SITENTIFIQUES
des produits en réaction. On voit que riiydrogène et
l'oxygène se combinent déjà vers 150’ en présence de
charbon ; la température de réaction de ce mélange est
également fortement abaissée par la [)résence de pla-
tine; mais s’agit-il là d’un simple phénomène de conden-
sation ? Ce n’est pas j)robable, car dans ce cas l’action
du palladium devrait être plus prononcée que celle du
jdatine. Il semble d’ailleurs, d’après les expériences de
Hodenstein, qu’au contact du catalyseur la concentra-
tion d’un des gaz réagissants soit toujours voisine de
zéro.
11 n’est pas douteux cependant que dans certaines
actions catalytiques, les actions de condensation ne
soient très notables et ne se superposent à l’action
spécifique du catalyseur.
Rascliig admet au contact du catalyseur une trans-
formation de la molécule, qui la rend plus apte à entrer
en réaction. Il ne s’agit pas, comme dans les anciennes
concejdions de Ilufner, de simjdes déformations phy-
siques de la molécule, provoquées jtar d’inégales
attractions atomiques; l’idée fondamentale de Raschig
est la transformation en une modification tautomère
plus réactionnelle.
Cette conception n'est pas alisolument nouvelle ;
Arrlienius admet déjà en I8SÎ). à la suite de ses
recherches sur les vitesses d’inversion, que le sucre de
canne est d’abord transformé en une modification plus
active, de dédoulilement plus aisé.
11 est de fait ([ue par des translbrmations intra-
moléculaires, ou des tautomérisations, on obtient
souvent des substances à projiriétés réactionnelles bien
[)lus marquées; la chimie organique nous en offre de
nombreux exemples.
Cette théorie peut être transportée dans le domaine
de la chimie minérale : si une sulistance peut exister
en solution sous une forme active et une forme inac-
LES ACTIONS CATALYTIOl'ES EN CHIMIE
123
tive, l’action du catalyseur se manifesterait en exerçant
la transformation en moclitîcation active; ceci se con-
statera notamment, par le passage de molécules neutres
à l’état ionisé. Le catalyseur exercerait ainsi une
action de masse indirecte, en augmentant la concentra-
tion du composant actif.
C’est à la catalyse de la saponification des éthers et
de l’inversion du sucre, que cette théorie a d’abord
été appliquée.
Euler développe de la façon suivante le cas de
l’inversion du sucre : le saccharose comme le dextrose
et le lévulose seraient des corps à fonction très faible-
ment acide, par conséquent présentant en solution un
nombre, assez faible il est vrai, d’ions hydrogène ;
ceux-ci sont, comme on le sait, des agents catal_ytiques
très puissants pour le phénomène d’inversion.
L’influence des sels neutres se manifesterait dans le
renforcement de la fonction acide.
Ce qui rend cette interprétation plausible, c’est qu’il
est établi que pour les acides fail)les, des solutions
salines concentrées sont des dissolvants de propriété
dissociante très marquée. Ainsi, une solution saturée de
chlorure de sodium est pour l’acide carbonique un
dissolvant environ 100 fois plus dissociant que l’eau
pure : l’acide carbonique acquiert, en solution de chlo-
rure de sodium, des propriétés acides plus marquées
que celles de l’acide acétique dans l’eau pure.
L’influence catalytique des acides sur la décomposi-
tion des éthers s’explique d’une façon tout à fait
analogue.
L’éther pourrait, d’après Stieglitz. être considéré
comme une base oxonienne peu dissociée :
H
CII3 - G — 0 — 0 — GII3
I
011
124
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
qui sous rinfiuencp des acides se transformerait en sel
oxonien fortement dissocié :
H
1
Cil, - c — 0 — 0 — CH,
Cl
et l’ion positif serait lieaucoup plus l'éactionnel que la
l)ase lilire : l’intluence des acides se ferait sentir par
l'augmentation du nomlire d’ions lilires actifs.
Cette tliéorie réunit d’une façon heureuse les élé-
ments de plusieurs autres interprétations de la cata-
lyse. ( )n y ti-ouve l’idée de l’augmentation de masse
active des composants réactionnels, celle de la trans-
formation en substance active sous l’influence du
catah'seur, et enfin celle de la formation de corps
intermédiaires.
La majeure j)artie des phénomènes catalytiques
semble pouvoir s’interpréter }>ar des réactions intermé-
diaires. Cette théorie est une des plus anciennes ; on la
retrouve formulée ex])licitement par Clément et
Desormes, pour interpréter l’action des nitrates sur
roxjalation de l'acide sulfureux ; on la retrouve pour
inter})i‘éter la falirication de l’acide sulfurique dans les
chambres de ploml): la falirication de l’éther sulfurique
aux dépens d’alcool et d’acide sulfurique, etc., etc., ce
(]ui faisait déjà dire à de la Rive, en 1840, que pour l’in-
terprétation de ces phénomènes il n'est pas nécessaire
de recourir à une foi'ce mystérieuse semblable à celle
que Berzélius a admise sous le nom de force catalytique.
C’est à cette hyjtothèse également que s’aiu’êtent
Sabatier et Senderens, pour l’interprétation des hydro-
génations et des déshydrogénations par les métaux
divisés.
M. Lapie, i-ecteur de l’université de Toulouse, lors
LES ACTIONS CATALYTIQUES EN CHIMIE
125
d’une manifestation récente organisée en l’honneur de
Sabatier, expose de la façon suivante les idées du grand
chimiste toulousain :
« Puisque la présence- du métal est nécessaire à la
catalyse, ce métal ne saurait être un spectateur inerte,
il doit jouer un rôle dans l’opération. Puisque le Nickel,
par exem})le, est indispensalile à la combinaison de
l’acétylène et de l’hydrogène, cette comlnnaison n’est
pas simple; il faut supposer que le Nickel commence
par attirer l’hydrogène, mais que l’hydrogène capri-
cieux rompt bientôt avec le métal jxnir s’unir à l’acé-
tylène. Les yeux n’aperçoivent sous la présence du
métal passif, qu’une combinaison ; l’esprit ne peut
expliquer les faits que par deux mai‘iages séparés par
un divorce. »
La transformation catalytique des acides organiques
en cétones sous l’influence de la thorine ou de la zircone
est attribuée, par Senderens, à la formation de combi-
naisons temporaires de ces catalyseurs avec les acides,
suivie de la destruction de ces combinaisons, d’oii
résultent la formation de la cétone et la régénération
du catalyseur.
Ostwald critique la conception des réactions inter-
médiaires, parce qu’elle ne repose pas sur une connais-
sance suflisamment précise des transformations, et il
ajoute qu’il faudrait encore prouver que l’action directe
est moins rapide que la succession des échelons qui
sont supposés utiles pour l’accomplir.
Cette théorie des réactions intermédiaires a le défaut
de s’appuyer parfois sur les considérations des com-
posés hy]iothétiques ; dans de nombreux cas cepen-
dant, les produits intermédiaires ont été isolés et en
dehors de cette théorie il est impossible, à l’heure
actuelle, de donner aucune ex]»lication générale des
actions catalytiques.
RKVT'E DES QT’ESTIONS SCIENTIFIQUES
i2V)
C’est un des grands mérites de Berzélius d’avoir
reconnu dans plusieurs phénomènes, en apparence très
différents, une cause commune. D’après sa conception,
dans tous les phénomènes catalytiques, le corps ou le
système de corps qui provoque la transformation, reste
inaltéré et agit par une force propre qui n’est pas con-
nue; Berzélius la désigne sous le nom de force catalv-
tique. C’était }>our lui un fait important que le
catalyseur restait inaltéré, ou du moins ne subissait pas
de transformation visible et à ce point de vue les idées
du chimiste suédois ne s’écartent pas des idées
modernes. Mais d’une part, Berzélius n’a pas tenu
compte des rajiports (juantitatifs entre le catalyseur et
les substances catalysées, quoiqu’il en fût déjà fait
mention par Clément et Desormes, dans leurs travaux
sur les i-éactions des chambres de plomb, et d'autre
jiart, il croyait aussi ([ue le catalyseur était capable de
provoquer des réactions qui n’auraient jui se faire en
son absence.
Or, s’il en était ainsi, ou bien le catalyseur devrait
fournir au système une quantité d’énergie suffisante,
jH)ur amorcei- la réaction et, dans ce cas, cette énergie
serait fournie par une transformation du catalyseur ;
ou bien le pi-occssus en question pourrait s’effectuer de
lui-même, mais une cause quelconque s’y opposerait
et arrêterait momentanément sa marche normale. La
première hypothèse ne se justifie guère, puisque le
catalyseur se retrouve inaltéré après la transforma-
tion. Le catalyseur ne jteut donc infiuencer l’affinité
d’une réaction, ceci serait en opposition avec le second
principe de thermodynamique.
De la seconde hypothèse découle comme conséquence
immédiate, que la vitesse du phénomène catalysé doit
êti-e indépendante de la force qui aura détruit la résis-
tance opposée à la réaction : une fois que l'on aura
LES ACTIONS CATALYTIQUES EN CHIMIE
127
ajouté une quantité suffisante du catalyseur, un excès
n’aura plus d’action.
Or, l’expérience a montré des rapports quantitatifs
bien déterminés entre la masse du catalyseur et celle
des substances en réaction ; la vitesse d’une réaction
catalysée augmente avec la quantité du catalyseur et,
dans la plupart des cas, presque proportionnellement.
Ceci a été j)rouvé notamment par Ostwald et ses
élèves dans le cas de l'inversion du sucre et de la
décomposition des éthers, et depuis, ce phénomène a
été observé par divers ex])érimentateurs dans de nom-
hreux cas.
On en revient ainsi aux idées émises ]iar de Saussure
et par Liebig, que les réactions catalysées sont aussi
des réactions qui peuvent se produire sans le concours
du catalyseur, mais avec une vitesse en général
beaucoup moindre.
Ostwald a donc }m définir la catalyse, en disant que
c’est l’accélération par la présence de substances
étrangères, de réactions très lentes.
On peut admettre que le catalyseur diminue ou su})-
))rime le frottement ou la résistance chimique, qui
ralentit la vitesse de l’exercice spontané des affinités.
La présence d’une matière catalysante ne modifie donc
pas, en général, la nature d’une réaction, sauf en ce
qui concerne sa vitesse. Effectivement, on constate que
dans les réactions limitées, l’introduction d’un cataly-
seur ne modifie pas la valeur de la limite de i-éacfion,
mais diminue simjilement, dans des proportions plus ou
moins notables, le temps nécessaire pour atteindre
cette limite. Lemoine en a fait la constatation, })our
l'acide iodhydrique, où la présence de mousse de
])latine permet d’atteindre immédiatement à 350". l'état
d’équililire qui, en l’absem^e du catalyseur, n'est atteint
qu’au bout de 250 à 300 heures.
Berthelot a fait la même observation pour l’éthérifi-
128
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
cation des alcools jiai* l’acide acétique : en présence de
traces d’acide minéral, l’équilibre est atteint à la tein-
})érature ordinaire, en quelques heures ; en l’absence
du catalyseur, le même équilibre n’est atteint qu’au
bout de plusieurs années.
Tbie consé(pience de ce qui précède, est ([ue dans
les réactions limitées, la valeur de l’équilibre est indé-
])endante de la nature du catalyseur.
C’est ce ([u’on a vérifié, par exenq)le, dans la con-
densation de l’akléhyde acéticfue en pai-aldéhyde :
quelle que soit la nature du catalyseur, on arrive tou-
jours à la même ])roportion de manière transformée.
Le facteur important dans l’action catalytique est
donc l’accélération de la vitesse de réaction.
On peut considérer la vitesse d’une réaction, comme
le quotient de l’énerpie chimique, j)ar la résistance ou
le frottement chimique.
Les vitesses d’une réaction ])euvent se re}>résenter
]tar la formule générale — = KC” où /?. désigne
l'ordi'e de la i“éaction.
l^arfois. certaines intluem;es j)erturbatrices se font
sentir; il faut alors substituer à la formule précédente,
la formule })lus générale — Cette expres-
sion intégrée entre deux limites et et les concen-
trations corres])ondantes donne :
K((q _ c^) = _ /,).
Pour la même réaction catalysée, la constante de
vitesse devient K' et on a
Pb'j — (’/p = K'ffj — f j.
Si j)Our la réaction catalysée et non catalysée, on
ojière la même ti-ansformation de façon que :
LES ACTIONS CATALYTIQUES EN CHIMIE
129
on aura
K _ l\ — 1\
K “ t\ - h
L’accélération de la vitesse de réaction sous l’intluence
du catalyseur sera donnée par la différence :
a ^ K' — K = J
* 2
1 _
- t\
\ _
Si K est négligeable, comme c’est le cas dans de
nombreux phénomènes catalytiques, on a :
D’après la définition de la catalyse, la résistance
chimique est le seul facteur qui puisse être modifié par-
les agents catalytiques : et dès lors, si la résistance
chimique est diminuée, on aura une catalyse positive ;
si la résistance est augmentée, on aura une catalyse
négative.
Ostwald fait à ce sujet une comparaison très ingé-
nieuse : le catalyseur d’une réaction est comparable à
l’agent lubréfiant d'une machine ; sans huile la
machine ne tourne que très lentement, les résistances
de frottement sont considérables : si on les diminue
par le graissage, la vitesse de rotation augmente sen-
siblement, sans que l’on ait modifié la force de la
machine. L’augmentation de vitesse résultant du
graissage est comparable à une catalyse positive. Au
lieu d’huile, mettons du sable dans les engrenages et
les paliers de la machine ; sans modifier sa force on
diminue notablement sa vitesse, et ceci est comparable
à une catalyse négative.
Supposons maintenant une machine qui, à sa mise en
marche, ne soit guère lubréfiée, mais qui possède un
nu SÉRIE. T. XXVI. 9
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
i:^()
sy stème automatique de graissage : sa vitesse, faible à
Torigine, augmentera peu à peu sans aucune interven-
tion étrangère. La cliimie nous offre des exemples
analogues : il existe des réactions dont la marche
entraîne une variation positive ou négative de la
masse du catalyseur, et évidemment de ce chef il y a
augmentation on diminution de vitesse de réaction
durant la transformation ; ce sont des réactions auto-
catalytiques que l’on pourra diviser en deux classes,
suivant que c’est le produit initial ou final qui est l’agent
catalytique. Ln exemple très instructif de ce genre de
catalyse nous est donné dans la formation ou la décom-
position des lactones. T"n autre exemple est donné ]>ar
la comliinaison de l’oxygène et de l’hydrogène; lorsque
ces deux gaz sont parfaitement secs, elle ne s’ettéctue
pas encore à KJOO"; mais si elle a (ïommencé, elle
donne lieu à une formation de vapeur d’eau, dont la
présence favorise beaucoup la réaction et la nmd
excessivement rajtide et explosive.
Leu après la découverte des catalyseurs, on con-
stata que certaines substances exercent, }>ar leur pré-
sence dans un système chimique, une action défavorable
ou retardatrice, et les premièi-('S observations, dans ce
sens, furent })récisément faites par ceux qui avaient
reconnu les premières actions catalytiques.
(les substances, dont l’infiuence accroît le frottement
chimique au lieu de le diminuer et peut parfois para-
lyser com})lètement le Jeu normal des affinités, ont
reçu le nom de catalyseurs négatifs.
r/action des catalyseurs négatifs peut être fort difié-
rente; d’une façon générale ils mettent hors d’action le
catalyseur positif. A ce })oint de vue on peut les rame-
ner à quelques tyjies jirincipaux; ou bien ils produisent
une décomposition conq)lète du catalyseur, ou bien ils
donnent lieu à la foi-mation permanente ou passagère
LES ACTIONS CATALYTIOUES EX CHIMIE
131
d’une combinaison stable ou labile avec le catalyseur;
enfin, la mise hors d’action du catalyseur })ositif peut
encore résulter d'actions purement physiques.
Déjà en 1824, Turner avait reconnu que des traces
de diverses siilistances suppriment l’activité cataly-
tu[ue du platine divisé ; il indiquait comme telles, le
sulfure d’ammonium, le sulfure de carbone, l’acide
sulfhydrique.
Dans la fabrication de l’acide sulfurique par le j)ro-
cédé de contact, la jirésence dans les gaz, de vapeurs
de mercure, de ))bosphore, mais surtout d’arsenic,
suffit pour faire disparaître rapidement l’activité cata-
lytique de l’amiante jéatinée.
Dans l’emploi du Nickel divisé comme catalj'seur
d’hydrogénation, des traces de chlore, de brome, d’iode
et de produits sulfurés, suffisent pour empêcher la
réaction et constituent un véritable poison pour le
feianent minéral qu’est le Nickel.
La comliinaison du catalyseur positif avec le négatif
peut être directe. Ce fait se produit pour les cataly-
seurs ions, lorsque ceux-ci passent à l’état de complexe;
ou bien la combinaison est indirecte, en ce sens que le
catalyseur négatif jtrovoque la combinaison du cataly-
seur positif avec un autre corps : ceci peut de nouveau
êti*e le cas pour un catalyseur ion ; par l’addition d’un
électrolyte à un ion commun, la concentration de l’ion
catalyseur peut être suffisamment diminuée pour que
son activité catalytique disparaisse totalement.
D’autres catalyseurs négatifs semblent agir en stabi-
lisant un système chimique et en rendant leiii* trans-
formation plus difficile ; ces catalyseurs ont été moins
étudiés ; on en connaît cependant de nomlireux
exemples.
Dans les systèmes autocatalytiques, les matières qui
])ourront fournir des combinaisons stables avec les
catalyseurs engendrés par la réaction, empêcheront
132
REVUE DES QT’ESTIONS SCIENTIFIQUES
leur effet et seront ])ar conséquent des stabilisateurs ou
catalyseurs négatifs. Ainsi j>ar exemple, vis-à-vis des
poudres à base de dérivés nitrés organiques, toutes les
substances, capables de tixei* ou de décomposer les pro-
duits acides résultant de la dénitration spontanée, sont
des stabilisateurs.
La définition donnée par ( )st\vald de la catalyse con-
duit à considérer, comme catalyseurs, une infinité de
substances. Les dissolvants sont des catal3’seurs, lors-
qu’ils n’interviennent ]>as dans la réaction qu’ils per-
mettent d’effectuer. La natui’e du dissolvant a d’ailleurs
une influence parfois très mai-quée sur les vitesses de
réaction.
En jjratiqne, la dénomination de catalyseur n’est
appliquée qu’aux substances dont une petite quantité
suffit à provoquer la réaction de quantités (considé-
rables de substances, .luscprici nous n’avons considéré
que l’a(‘tion accélérante ou retardatrice due à un seul
catalyseur.
On a observé égalenumt des variations de vitesse de
réaction, j)rovoquées ]»ar la ])résence simultanée de
plusieurs catalyseurs, soit jtositifs, soit négatifs.
On aurait pu s’attendre, jtar analogie avec d’autres
réactions, à ce que l’influence de chaque catalyseur se-
fit sentir comme s’il était seul ; l’accélération totale-
de la réaction se composerai! alors, additivement, des
accéléi-ations positives ou m^gatives des deux cataly -
seurs, et en fait, ceci a été trouvé })ar Brode dans
l’action de l’eau oxygénée sur l’acide iodhydrique, en
présence de sels ferreux (d d’acide molybdique comnu’-
catalyseurs.
Mais cette addition des ac-fions catalytiques n’est
cependant pas la règle dans la majeure partie des cas.
En général, on a trouvé des relations beaucoup plus
compliquées, résultant souvent de l’action mutuelle des
deux catalyseurs.
LES ACTIONS CATALYTIC'T’ES EN CHIMIE
133
Les catalyseurs, en etiet, ont les projiriétés d’activer
mntuelleinent leur action, soit directement, soit indi-
rectement : directement, en ce sens qu’un des cataly-
seurs modifie dans d’énormes propositions l’action de
l’autre; indirectement, en ce sens que l’im modifie les
produits de la réaction. })Our que ceux-ci subissent plus
facilement l’action de l’autre catalyseur.
La propriété d’activation manque souvent à des
catalyseurs énergiques, alors que des substances qui,
par elles-mêmes, ne modifient ([ue faiblement la vitesse
d’une réaction. Jouissent de la propriété d’augmenter,
dans des proportions énormes, l’activité catalytique
d’autres substances.
Les applications techniques et scientifiques de la
catalyse sont de la plus haute importance.
De nombreuses industries sont basées sur les actions
catalytiques. Faut-il rappeler le procédé Deacon, pour
la préparation du chlore, la méthode des chambres de
plomb, pour la préparation de l’acide sulfurique et la
méthode du contact, la fabrication de l’éther sulfurique
et les nombreuses industries de fermentation où inter-
viennent des zymases bactérielles ? Tous ces procédés
sont trop connus, il est inutile d’y insister. Mais je
voudrais signaler le brevet Sabatier pour la fabrication
du gaz d’éclairage. Le célèbre professeur de Toulouse
a montré, que la ])roduction du méthane par hydrogé-
nation directe sur le nickel, de l’oxyde de carbone et
de l’anhydride carbonique, peut être utilisée pour la
préparation industrielle d’un gaz riche en méthane.
Le gaz à l’eau préparé cà la température du rouge
cerise a la composition
CO, GO^, 311,.
En éliminant l’anhydride carboni(jue, par une méthode
d’absorption quelconque, il reste un mélange de
134
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
CO + 3I1„ qui, passant sm* du Nic'kel vers 230-250,
fournit du méthane pur.
Espérons que, dans un avenir prochain, le gaz
méthane chassera des usines et des haliitations, le trop
délétère gaz de houille et le gaz à l’eau })lus délétère
encore.
.Te m’en vomirais de passer sous silence un des
points importants de l’œuvre de Sabatier et Senderens :
en hydrogénant l’acétylène, ils ont obtenu un composé
qni possède les jiropriétés du pétrole. En faisant varier
les conditions de l’expérience, ils ont obtenu non pas
un pétrole de laboratoire, mais toute la série des
pétroles naturels : pétrole d’Amérique, pétrole du
Caucase, pétrole de Roumanie, pétrole de (falicie.
Non seulement ce travail a un intérêt scientifique
considérable, puisqu’il nous révèle la genèse probable
des pétroles, mais encore il nous permet d’espérer que
nous ne man([uerons Jamais de ces produits précieux.
Parmi les applications scientifiques de la catalyse,
il faut citer encore celles qui résultent des travaux de
l’école Toulousaine.
Les différentes méthodes d’hydrogénation et de
dédoublement des procédés Sabatier et Senderens sont
d’une fécondité remarqualile. Avec les métaux divisés
ils ont obtenu des hydrogénations et des déshydrogé-
nations qui, par les méthodes ordinaires, ne s’efiéc-
tuaient qu’avec des difficultés souvent considérables et
des rendements dérisoires.
Avec des oxydes, tels que la silice et l’alumine, et des
sels minéraux, tels que le silicate d’alumine, Senderens
a réalisé avec facilité la désbj’dratation d’un grand
nomlire d’alcools; avec des oxydes il a réalisé le
dédoublement moléculaire des acides organiques et il a
fourni une méthode précieuse pour la pré])aration des
cétones grasses et aromatiques.
Il n’est }>as douteux que ces procédés, qui ont déjà
LES ACTIONS CATALY'ITQUES EN CHIMIE
135
donné lieu à des applications nombreuses, ne rendent
encore à l’industrie des services considérables, car ils
permettent l’obtention de tous ces cor[)S avec des ren-
dements sur[)renants. ( )r, les faits nous ont appris
que des produits auxquels ne semblait dévolue, à pre-
mière vue, aucune industrialisation, sont devenus l’objet
de fabrications importantes, à raison de la facilité avec
laquelle on a réussi à les obtenir : je me contente de
citer l’acide salycilique de Kolbe et l’anhydride ortlio-
sulfamine-benzoïque ou saccharine d’ira Remsen.
V. Brl'ylants.
LES PARATONNERRES
A L’ASSOCIATION ÉLEOTROTECHNIQUE ALLEMANDE (1)
Nulle part, sans doute, autant qu'en Allemagne, on
ne s’est préoccupé, dans ces derniers temps, de la
question des paratonnerres. Nulle part on n’a poussé
cette étude avec plus de compétence, plus de persévé-
rance, avec un sens j>liis aiguisé des réalisations pra-
tiques.
Chaque année, la foudre tue des hommes et cause
des dégâts qui. pour l’Allemagne senle, s’élève à un
nombre considéral)le tle millions. C’est un terrible
tiéau dont il importe de limiter le ])lus possible les
ravages. l)epuis plus d’un siècle et demi. Franklin
nous a mis entre les mains une arme, le paratonnerre,
dont l’erticacdé est incontestable, encore que des détails
de sa construction puissent être sujets à discussion. Il
serait grandement à souhaiter pour le bien de riiuina-
nité, que ces appareils protecteurs fussent mnltipliés
à profusion et même universellement répandus.
Malheui'eusement, telle qu’elle est souvent préconisée
par les praticiens ou même encore par des autorités
scientifiques insiifiisamment informées, la construction
des paratonnerres entraîne des frais considérables, tels
qu’il faudrait renoncer à espérer une très grande dif-
fusion de ces moyens [u’éservatifs. En effet, chacun en
(l)Pi’ot. Dipl. Ing.- S. Paippcl-Fi-ankfurl a. M. Geboudvbtitzscluttz. dam
E. 'I'. Z. 1913. lleft. “23. S. S. (U3-647.
LES PARATONNERRES
i:n
particulier est, coniinunément, assez tenté de considé-
rer comme très éloigné le danger que court son habi-
tation d’être frappée par le tonnerre. Et si, pour la
protéger, on vient vous conseiller un appareillage
d’une installation compliquée, comportant des tiges
difficiles à fixer, des pointes de }>latine très coûteuses
— d’un prix presqu'inabordable aujourd’hui — volon-
tiers on remet la chose à plus tard, si on n’en aban-
donne pas tout simj)lement le projet.
Mais ces organes sont-ils bien indispensables, cette
complication est-elle si rigoureusement requise pour
assurer une sérieuse protection contre le tonnerre ?
Les arguments a]>portés par leurs partisans sont-ils
certains, indiscutal)les ?
A bien des reprises déjà, tout cela a été révoqué en
doute. Le problème vaut d’être repris à nouveau ;
Etudions-le donc, non pas sur la foi de théories plus ou
moins légitimement appliquées, ni même à la seide
lumière d’expériences de laboratoire exécutées à une
échelle forcément microscopique au regard des puis-
sances formidalfies en jeu dans les orages. Recourons
avant tout à l’observation des faits que nous présente
la nature. Sans avoir tout le développement désirable,
les rapports des sociétés d’assurances contre l'incendie
et le tonnerre nous fournissent déjà une ample collec-
tion d’accidents suffisamment détaillés pour guider nos
recherches et nous livrer d’utiles leçons.
Tel fut, en somme, le raisonnement des savants
d’Outre-Rhin. La très active Association électrotech-
nique allemande (« ^’erband Deutscher Elektrotechni-
ker » ou encore « Elektrotechnisclier \*erein », en
abrégé E. T. Y.) fut saisie de la question, et nomma,
en 1885, une sous-commission chargée de son étude.
L’année suivante. l’E. T. V. publiait, sous le titre de
« Die Blitzgefahr » ( = le danger des coups de foudre)
13S
REVUE DES QT^ESTIONS SCIENTIFIQUES
une jtrcniière lirochure où,d’aj)rès l’expéiTence acquise
à cette é])oque, des conseils étaient donnés sur la ma-
nière (Tétablir les jiaratonnerres sur les bâtiments.
Une deuxième brochure suivit en 1891 ; elle traitait
du raccordement des paratonnerres aux canalisations
de i>az et d’ean.
En vue d’atteindre un public plus étendu, l’E. T. A',
rédigea, en 1901, des règles très sim})les pour la con-
struction des paratonnerres et intitulées : Leitsâtze
des Elektrotechnischen Vereins über den Schutz
der Gebâude gegen den Blitz.
Cette publication définit, avec toute l’autorité de la
célèbre Association, comment on peut concevoir le para-
tonnerre ; elle dit clairement le détail de son installa-
tion ; et la chose apparaît si sinq)le et si peu coûteuse
qu’aucune excuse ne peut s’opposer à son adoption
partout et jusque sur les constructions les plus humbles.
E'intérèt que porte l’E. T. à cette importante
question n’a pas langui après ce vigoureux effort.
Périodiquement, elle y consacre des études dont depuis
des années le Professeur S. Ruppel de Francfort sur
le Main s'est fait une spécialité. Le Professeur Ruppel
est devenu, en Allemagne, le grand pi'Ojiagandiste des
paratonnerres simplifiés.
Les débuts si orageux de la jirésente saison nous
invitent à attirer l’attention de nos lecteurs sur le ra]t-
porf qu’il a présenté à la session de l’E. T.â . à Breslau,
l’an passé. Nous rattacherons notre analyse à un exposé
des Tjcitsiitze de LE. T. ex})Osé qui s'inspirera lui-
môme avant tout des commentaires ({u'en a écrits le
même auteur (i). Ces règles sont assez peu connues
dans nos j)ays de langue française. Leur diffusion con-
tribuera certainement à détruire de fâcheux préjugés.
(1) l.e inr-nie, Veheixfachte Blitzableiter. Berlin, Springer, éd., 1912.
LES PARATONNERRES
139
Nous estimons taire œuvre oramleiiient utile en les
À?
donnant ici.
Au préalable, afin de préciser quelques données du
problème, soulignons avec le Professeur Ruj)pel (Rap-
port de 1913) d’importantes leçons des statistiques
allemandes.
Elles montrent que les jtaratonnerres sont plus
répandus dans les villes qu’à la camj)agne — et pour-
tant c’est à la campagne que le danger est le plus
grand. Ij’ensemble des dommages causés par la foudre,
en Allemagne, au cours de ces dernières années,
s’élève à environ 12 millions de marks ; la part
des campagnes dans ce total est de 11,4 millions,
soit 95 °'o-
On peut utilement introduire ici une nouvelle pré-
cision.
La presque totalité des dommages causés par les
coups de foudre est due aux incendies qu’ils allument.
Ainsi, en Prusse, de 1885 à 1909, les coups de foudre
incendiaires ont causé un dommage de 128,7 millions
de marks sur un total de 131,3 millions, soit 98 “ o. Or,
en somme, le danger d’incendie n’est grand que là oii
se rencontrent des matières facilement intlammables
telles que la paille et le foin. Le Professeur Ruppel a
montré, en 1912, que précisément ces matières, paille
et foin, ont été, dans 80 ° „ des cas, la cause de l’in-
cendie.
D’autre part, des nombreuses observations relatées
dans les rapports des sociétés d’assurance se dégage
clairement le fait que des pièces métalliques peu nom-
breuses, même non connectées entre elles, ont exercé
une action protectrice. Gomme, généralement, dans
les installations rurales, on ne trouve à l’intérieur
aucune masse métallique importante, un appareillage
des plus simples suffirait, nous le verrons, à leur
assurer une protection écartant tout dommage notable.
140
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
\'oici maintenant, avec quelques remarques à l’appui,
le texte des Leitsatzr annoncé ci-dessus. Evidemment
nous ne pouvons pas ici entrer dans les détails tech-
niques de rexécution des jiaratonnerres. Le lecteur les
trouvera tout au lonp dans la brochure du Professeur
Rupjiel : \'ereixfachte .Blitzableiter, déjà men-
tionnée.
RÈGLES RELATIVES A LA PROTECTION DES BATIMENTS
CONTRE LA F’OUDRE
i‘:tablies par l’elektroteciinischer verein
Utilité des paratonnerres. — « 1. Le ])aratonnerre
protège les bâtiments et leur contenu contre les dégâts
et contre l’incendie causés par la foudre. Il y a lieu
de s’etforcer de répandre de plus en plus son emploi
par la siiiqilitication de sa construction et la réduction
de ses frais d’établissement. »
Les divers systèmes de paratonnerres se ramènent,
en somme, à deux : celui de (fay-Lussac et celui de
notre coinj)atriote Melsens (Louvain).
Le système de (fay-Lussac est le jiaratonnerre à tige
de Franklin perfectionné. Gay-Lussac en a décrit en
détail la construction dans son rapport agréé par l’In-
stitut de France en (1).
Melsens a étudié son système en vue de la protection
de riIôtel-de-Ville de Bruxelles (1863). Ecartant le
dogme de la zone de protection, le professeur de phy-
sique à l’Ecole vétérinaire de Guregbem-Bruxelles,
s'est avant tout basé sur le principe de la cage de Fara-
day qu’il a été le premier à appliquer à la protection
des édibces contre la foudre. Ainsi que Faraday l’a
montré, les plus fortes décharges électriques que nous
(l) Instruction sur les I'aratonxerres adoptée par l’Académie des
Sciences, 1904. Paris, Gaulhier-Villars. Pp. 19-70.
LES PARATONNERRES
141
sachions produire ne réussissent jtoint à pénétrer dans
une cage métallique, ni meme à v faire sentir leur
influence sur les appareils très délicats qu’on peut y
l'-enfermer. Melsens entoure donc le bâtiment à préser-
ver d’une véritable cage, d’un réseau en flls de fer de
4 à ô mm. de diamètre — à mailles d’ailleurs fort
larges — dont il réunit soigneusement à la terre, les
conducteurs de descente de chacune des faces. I^oiir la
mise à la terre, il se raccorde volontiers aux canalisa-
tions de gaz et d’eau. Tous les sommets de cette cage
sont en outre armés d’aigrettes à pointes multi}»les. A
la condition que ces aigrettes soient fort nombreuses,
Melsens leur attribue une importance considérable,
sans doute, mais secondaire au regard de la protection
assui’ée par la cage soigneusement mise à la terre.
L’oeuvre de INIelsens a été continuée par )tlusieurs
physiciens, ])armi lesquels il faut citer en premièi‘e
ligne Findeisen (Stuttgart, 1897). Ici les aigrettes sont
abandonnées, mais le principe de la cage mise à la
terre, princi})e inattaquable aussi bien en fait qu’en
théorie, subsiste toujours. Pareille cage, met le bâti-
ment presque certainement à l’abri de tout dommage
par la foudre. C’est le paratonnerre idéal. Findeisen
s’eflbrce de réaliser la cage en utilisant au mieux les
parties métalliques entrant dans la construction, ce
qui simplifle notablement le ])roblènie et en rend la
solution pratique beaucoup moins cofiteuse.
C’est précisément dans ce même ordre d’idées qu’ont
été dirigés les travaux de l’E. d’. â*., c’est ce même
esprit qui a dicté, ses Leitsatz-e.
Parties essentielles du paratonnerre. — « 11. Le
paratonnerre comporte :
» 1. les dispositifs « capteurs » ( Auflângevorricht-
ungen) ;
» 2. les conducteurs de descente, et
» .3. les prises de terre.
142
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
» 1. Les (hüj)osiiifs captent /‘S sont des jtièces métal-
liques qui occupent les parties élevées du bâtiment.
Elles peuvent être d’une forme quelconque : blocs
massifs, feuilles, liarres ou câbles, etc... L’expérience
a démontré que la foudre se Jette de préférence sur les
[•ointes des tours ou tles pignons, les faîtes des toits, les
têtes de hautes cheminées ou autres parties du bâti-
ment spécialement en saillie au-dessus des objets envi-
ronnants. Le mieux est de construire ces parties en
métal ou de les garnir de métal de façon à les faire
servir de dis|)Ositifs ca[»teurs. »
Ainsi donc il n’est [)lus question de tiges [)lus ou
moins hautes, ni de [)ointes de quelque nature que ce
soit.
Ces pointes doivent leur vogue aussi persistante
([u’injustifiée à une [troi^riété très réelle, mais dont
rinijmrtance est insignifiante dans le fonctionnement
des ])aratonnerres.
Certes, là m'i il existe des différences de potentiel
suffisantes, le classique « ])Ouvoir des pointes » jirodiiit
un écoulement d’électricité tendant à neutraliser les
régions voisines. Sous l’influence d’un nuaye orageux,
la pointe du [laratonnerre des modèles courants
donnera de l’électricité et d’autant plus qu’elle sera
[•lus aigue. Dans l’obscurité, cette décharge [>ouri-a
même parfois se montrer lumineuse. La quantité en
Jeu n’en reste [•as im^ins relativement minime ed l'effet
qu’on se plaisait à attribuer à la pointe ('st
illusoire et [•ratiquement nul.
Dans les débuts, beaucoiqi de physiciens avaient
voué aux pointes acérées ce culte dont, aujoui-d’hui
encore, nous retrouvons trop souvent des restes vivaces
et c’était poui' assurer la persistance de la finesse des
[•ointes qu’ils exigeaient — que beaucoup exigent encore
aujourd’hui — des bouts de tiges en matières inoxy-
dables et très difficilement fusibles comme le [•latine.
LES PARATONNERRES
143
Tous, néanmoins, étaient loin de partager cette super-
stition. Par exemple, Le Rov, membre de rinstitut,
dans son rapport de 1799, souscrivait à l’opinion du
Général Aboville qui soutenait, avec preuves à l’appui,
que « quoique les pointes soient émoussées, elles ne
cessent pas pour cela d’attirer la foudre d('s nuages et
à la déterminer à se Jeter sur elle de préférence aux
autres objets qui les environnent » (Instrection etc.,
p. 11). Gay-Lussac, de son côté, croit à l’avantage
marqué des pointes aiguës sur les tours ari-ondies à
leur extrémité. « Cependant, ajoute-t-il, loi-sque la
pointe d’un ])aratonnerre aura été émoussée, par la
foudre ou par une cause quelconque, il ne faudra pas
croire... qu’elle ait aussi perdu son efficacité pour
protéger le bâtiment qu’elle est destinée à défendre »
(Rapport de 1323, Instruction etc., p. 09). Pouillet
est plus affirmatif encore. « Lorsque, dit-il, un para-
tonnerre a perdu sa })ointe aiguë et que son sommet
n’est plus qu’un large liouton de fusion d’or ou de
jilatine, on doit se demander s’il est ou s’il n’est pas
hors de service.
« A cette question nous répondons : non, le para-
tonnerre n’est ])as hors de service, pourvu qu’il conti-
nue d’ailleurs à remplir les deux conditions essentielles,
savoir :
» L Que le conducteur soit sans lacunes ;
» 2” (^ue par son extrémité inférieure il communique
largement avec la nappe souterraine. » (Rajiport de
1867, Instruction etc., ]>. 123).
L’Académie des Sciences de Berlin se prononçait
dans le même sens ytar la voix de Helmholtz, Kirch-
hotf et Siemens : « Aous ne pouvons, écrivent-ils,
adopter l’opinion des anciens physiciens sur le pouvoir
des pointes. Ce pouvoir est relativement insignitiant. »
Et les illustres savants ajoutent cette importante
remarque malheureusement trop oubliée : « Nous
144
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
croyons devoir insister sur cette ([uestion. En effet, les
pointes de j)latine sont d’un prix élevé ; ensuite, d’après
la théorie du cône de protection, ces pointes doivent
être portées par de hautes ti^es, lesquelles, pour être
fixées solidement, exigent un travail dispendieux.
Autant de considérations qui font obstacle à l’adoption
générale des paratonnerres. »
La dernière citation nous amène à la question des
tiges et de leur s])hère d’action. Arago la posait dans
ces termes : « l)ans quelle étendue un paratonnerre
hien construit exerce -t-il avec efficacité son action
préservatrice? A quelle distance de la tige, mesurée
dans le sens horizontal^ ])eut-on avoir la jiresque cer-
titude de n’être point foudroyé ? » Utilisant les relations
précises de coups de foudre qu’il possédait, il arrivait
à cette conclusion : « On est autorisé par l’en-
semhle de tous ces faits, à ])orter l’amplitude de l’action
})réservatrice des paratonnerres imj)lantés sur les par-
ties culminantes des édifices, au douhle de la hauteur
des tifies au-dessus de leurs points d'attache. » (Notice
sur le tonnerre dans I’Annuaire du Bureau des
Longitudes pour l'an 1838, pp. .570-.577.)
dette règle que réjiètent encore bon nombre de
manuels de physique, l’expérience a montré ({u’elle
n’est pas exacte. A mesure que l’observation des
coups de foudre se faisait })lus attentive, la zone de
protection dut être restreinte de plus en |)lus. Preece
montra qu’il fallait la définir do telle sorte ([ue, sur un
bcàtiment de 40 mètres de hauteur, il eût été nécessaire
d'établir tous les o mètres une tige haute de 10 m. !
Inutile d’insister.
Aussi voyons-nous le rapport du Comité anglais des
llecherches sur la Foudre (Lightning Research
Committee) déclarer, en lOO.”), ({u’il n’apparaît pas que
la théorie de la zone de protection ait une valeur pra-
LES PARATONNERRES
1 ir>
tique. Dès 1888, Sir O. Lodge, une des autorités l('s
plus reconnues en ces matières, la qualifiait d'illusoire.
Du passage d’Arago, cité plus haut relativement à
la zone de protection, on conclurait à tort que ce
savant considérât ces tises comme essenfielles à l’etfi-
cacité d’un paratonnerre. Pour lui les tiges à pointes
aiguës sont très avantageuses mais non point indispen-
sables. Son opinion à ce sujet est très nettement tbi--
mulée dans le passage suivant de sa notice, que nous
croyons intéressant de citer en entier : « Toutes choses
égales, la foudre, en général, se dirige de }U’éférence
sur les parties les plus élevées des édifices. Ainsi, c’est
dans ces parties que les moyens préservatifs, quels
qu’ils soient, doivent être établis.
« Toutes choses égales, la foudre se porte de préfé-
rence sur les métaux. Lorsqu’une masse de métal
occupera le jioint culminant d’une maison, on sera donc
à peu près certain que la foudre, si elle tombe, ira la
frapper.
« La foudre qui a pénétré dans une masse métal-
lique, ne produit de dégâts qu’au moment de sa sortie
et aux points par lesquels cette sortie s’opère. Une
maison sera donc garantie, du faîte aux fondations, si
les pièces métalliques du toit se prolongent sans solu-
tion de jusqu’à terre.
« La terre humide otfre à la matière fulminante,
dont une barre métallique s’est imprégnée, un écoule-
ment qui s’opère sans effort, sans détonation, sans
dégât d’aucune sorte, lorsque cette barre plonge un
peu profondément dans la terre. En enfonçant jusqu’au
sol toujours humide^ la barre continue qui avait déjà
préservé de tout dégât la portion extérieure d’un édi-
fice, on préservera de même les fondations ou, en
général, l’ensemble des parties souterraines de la
bâtisse.
« Quand il y a sur le toit, sur le faîte d’un édifice',
IIR SÉRIE. T. XXVI. 10
REVUE DES QUESTIOXS SCIENTIFIQUES
li(3
jilusieiü's masses métalliques distinctes, comjdètement
séparées les unes des antres, il est difficile et même
impossible de dire laquelle de ces masses sera foudroyée
de préférence, car le ]ioint de dé]>art des nuéi's ora-
geuses, le sens et la vitesse de leur pro})agation, ne
doivent pas, à beaucoup près, être sans intluence. Le
seul moven de sortir (remliarras est d’unir toutes ces
masses entre elles par des tringles de fer, de cuivre, ou
])ar des bandes de plomb, de zinc, etc., de manière
([u’on ne ]niisse dire d’aucune d’elles qu’elle ne commn-
ni(jue ])oint tnrtalliquetnent , si l’expression m’est ]>er-
mise, avec la barre destinée à ti’ansmettre la foudre au
sol liumide et qui descend le long d’un des murs verti-
caux lie l’éditice.
« Nous voilà arrivés, jiar la seule observation, sans
l'ien emjirnnter à la théorie, à un moyen simple, uni-
forme et rationnel de garantir les bâtiments, grands et
])etits, des etlcts de la foudi'e.
« A ([uelles distances, des jdfuines de métal distri-
buées sur le toit iruiie maison, doivent-elles être les
unes des autres, pour qu’il y ail certitude qu'aucun
jmint intermédiaire ne sera directement foudroyé?
(lette question ne saurait recevoir une solution abso-
lue. Il est clair, en effet, ([ue ])lus ce métal aura de
masse ou de surface, et })lus sa sphère d'action sera
étendue et intense. On peut aliinner, seulement, que si
on établit les communications voulues, entre les lames
de plomb, de zinc, etc., qui dans les bâtiments con-
struits avec quelque soin recouvrent pres([ue toujours
les arêtiers; entre les tuyaux métalliques des chemi-
nées; entre les mains courantes et les ci'anqions desti-
nés aux couvreurs; entre les gouttières et les tuyaux
de décharge des eaux; que si rensemble des jiièces se
lie, en outre, avec un conducteur conreuable, on aura
fait tout ce que la ])rudence la jdus timide ])Ouvait com-
mander pour se garantir de la foudre.
LES PARATONNERRES
147
« Par conducteur convenahle, j’entends, d’nne part,
celui qui s’enfonce dans le sol jusqu’au terrain humide,
et de l’autre un conducteur assez massif pour trans-
mettre les plus violents cou])s de foudre sans se
fondre. » {Xotice citée, pp. .000-552).
Un seul conducteur de descente, une seule terre,
certes c’est se montrer parcimonieux — mais, pour le
reste, voilà une description qui se ra])proche singulière-
ment de celle du paratonnerre moderne. Et, comme
nous l’annoncions, il n’v est question ni de tiges ni
de pointes.
Pouillet à son tour n'était pas éloigné de croire à
l’efficacité d’un paratonnerre sans tiges (Instruction,
etc., p. 149).
Aujourd’hui l’opinion est faite à cet égard : hautes
ou basses, les lises sont inutiles.
Pour conclure : d’après ce qui ])récède, le pouvoir
des pointes étant pratiquement nul et la zone de pro-
tection n’existant pas, tiges et aigrettes doivent être
considérées comme un luxe sans raison — et d’ailleurs
souvent antiesthétique.
Nous sommes communément si habitués à nous
représenter la tige de Franklin ou tout au moins les
aigrettes de àlelsens comme partie essentielle de tout
paratonnerre qu’on ne -peut trop insister sur leur non
nécessité, pour ne pas dire leur inutilité. C’est la raison
pour laquelle nous nous sommes attardés sur cette
question. Un grand progrès sera réalisé quand on
aura réussi à débarrasser la conception du paraton-
nerre de ce gros iiapediiuentuïu.
II (suite). « 2. Les conducteurs de descente établissent
une connexion métallique continue entre les capteurs
et les prises de terre. Ils doivent, aussi complètement
que faire se peut, envelopper la construction de tous les
côtés et notamment le toit et depuis les capteurs con-
148
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
(luire aux })i‘ises de terre ])ar les chemins praticables
les plus courts, mais en évitant, le plus possible, de se
courber en angles aigus. »
^'oilà, clairement énoncé, le principe fondamental
du jiaratonnerre de Melsens : la cage mise à la terre.
Nous n’avons pas à y revenir.
Mais remaiTjuons la recommandation finale : éviter
les angles aigus.
Sait-on cpie, guidé par la seule étude attentive des
relations de coups de foudre, Arago indiquait déjà
cette précaution ?« Jusqu’ici, dit-il, les physiciens ne
paraissent pas avoir attaché aucune imjiortance à la
forme des inflexions qu’on est obligé de faire subir au
conducteur, pour l’amener du comble parallèlement
auquel il est descendu, vers le mur vertical de l’édifice.
Au l)ord mfune du laianier du toit, au liord des cor-
niches, la liarre conductrice est pliée de telle manière
qu’au lieu de se trouver sur une même droite, la par-
tie du comble et celle (jui va rejoindre le mur, font
entre elles un angle de 90" et môme ({uelquefois un
angle aigu. » Or on connaît des coups de foudre où
l’on vit «la foudre suivre régulièrement un conduc-
teur, l’abandonner ensuite dans le point oii la barre
était ploj’ée de telle sorte que ses parties formaient un
angle aigu, pour aller, à travers l’air, frapper des
objets situés sur le prolongement du ])remier coté de
l’angle. » {Notice cih^e, ]t. TOd). — On sait à l’heure
actuelle que l’objet fra})pé n’est pas nécessairement situé
sur le })rolongement du premier côté de l’angle, mais, à
part ce détail, on voit ([ue nous avons ahàire à une
décharné latérale.
En pareil cas, nos ])raticiens ont au sujet de l’insuffi-
sance du paratonnerre une explication toute prête ; il
devait y avoir un mauvais contact dans le pai’atonnerre,
proclament-ils, ou bien une mauvaise terre. Echappa-
LES PARATONNERRES
149
toire facile ! Goiiiine si une décharge à haut potentiel,
telle la foudre, refusait de suivre un conducteur pour un
défaut de contact ou même une brisure nette ! Comme
si, d’autre part, on pouvait admettre « que l’électricité
([uitte à un certain point un bon conducteur, parce
quü na pas une bonne terre, pour choisir un conduc-
teur plus mauvais (mur, air, etc.) qui n’a pas une
terre meilleure » (1).
Arago était mieux inspiré quand il concluait :
« Maintenant que la question est posée, des expé-
riences de cabinet ne manqueront pas de faire ])rompte
Justice des considérations précédentes si elles ne sont
pas fondées ; en attendant, il ne pourra j avoir que
de l’avantage à éviter, dans la forme du conducteur,
des angles aigus, à ne passer d’une direction à une
autre très différente, qu’à l’aide de courbes de raccord
exemptes de tout changement brusque ». {Notice citée,
p. 595).
Ce sage conseil ne fut pas entendu des praticiens.
Du moins les expériences vinrent-elles — moins promp-
tement, il est vrai, qu’Arago ne le souhaitait — expé-
riences non seulement de cabinet mais de technique à
grande échelle qui mirent les exploitants de réseaux de
distribution d’électricité à haute tension, quasi jour-
nellement, en présence d’un phénomène tout à fait
analogue. I/électricité -atmosphérique risque-t-elle de
provoquer sur une ligne de distribution aérienne une
décharge qui endommagerait les appareils de l’exploi-
tation, il suffit, à l’entrée des bâtiments qui renferment
ces appareils, d’intercaler dans la ligne une bobine de
quelques spires. La décharge foudroyante qui suit la
ligne, butant contre cet obstacle, sera rejetée, à travers
un intervalle d'air, vers une branche de parafoudre
qui l’éconduit à la terre.
(1) Pescetto : ttoU sur l' établissement des paratonnerres dans Bull.
Assoc. Ingéx. Instit. Moxtefiore, t. II. p. 313.
150
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIEIQUES
Ce phénomène, étrange au premier aliord, est dù à
Vimpédance. On sait qu'à un courant très ])ref ou
encore à oscillations rapides les conducteurs contour-
nés en bobine ou même simplement repliés en angle pro-
noncé offrent une résistance de réactance, une résis-
tance de refoulement, ])Ourrait-on dire, incomparable-
ment supérieure ii la résistance du même conducteur
à régai'd d’un courant continu. Cette résistance de
refoulement est d’autant ]dus grande que la courbure
est plus forte ou l’angle plus aigu et que la rapidité do
variation du courant est plus grande. Or, jtrécisément,
la décharge foudroyante jieut être à haute fréquence,
tout au moins tombe-t-elle très brus({uement d’une très
haute valeur à zéro. Si donc l’angle formé par le con-
ducteur foudro_yé est aigu, sa résistance de refoulement
en ce point pourra être énorme et une décharge laté-
rale pourra se produire.
On voit combien est Justifiée la l'ecommandation
des Leitsà'tz-e.
Il (suite). « 5. Les prises de ferre, ou simplement,
les terres, consistent en des conducteurs métalliques
connectés aux extrémités inféideures des descentes et
pénétrant dans le sol oii ils doivent s’étendre le plus
loin possible, de préférence à travers les couches
humides. »
La nécessité d’une mise à la teri'e du réseau protec-
teur est reconnue par tout le monde et il n’y a pas lieu
d’y insistei'. Melsens veut que ces prises de terre soient
aussi nombreuses que jiossible afin d’offrir au flux
foudroyant, qui peut être formidable, un grand nombre
de chemins et de le subdiviser en un grand nombre de
décharges inoffensives. Divide et impera, tel est son
j>rinci[»e fondamental. Personne ne peut se refuser à en
reconnaître le bien fondé.
Mais à quel signe reconnaître que l’on a une « bonne
LES PARATONNERRES
151
terre », une « terre suffisante » ^ Quelle est la valeur
inaxhnuni admissible ])Our la résistance de la « terre »,
d’un paratonnerre f Le rapj)ort de Melinholtz, Kircli-
lioffet Siemens déjà cité nous donne la réponse qui, en
Allemagne, continue à faire loi en cette matière : « 11
n’y a pas lien de donner ici des chiffres absolus. Le seul
point important est ({ue la terre du paratonnerre soit
meilleure que celle de tout autre olqet conducteur
voisin que la foudre pourrait atteindre i)ar décharge
latérale. »
Puisque nous avons en vue tout particulièrement l’éta-
blissement de paratonnerres simples, mais néanmoins
efficaces, résumons d’une manière concrète, la i-ègle que
nous commentons en montrant comment le Prof. Pvup[)el
imagine la protection d’une maison de modeste cultiva-
teur. La construction est supposée ne comporter comme
pièces métalliques utilisables pou rleparatonnerre qu’une
gonttièi’e avec tuyau de descente sur chacun des deux
versants du toit. Le rôle de capteur est confié à un 111
de fer bien galvanisé de G mm. de diamètre (Règle A'j,
([ui court le long du faîte, fixé à même le toit, — par
exemple, en contrebas de la tuile faîtière; un conduc-
I teur identique, raccordé à cehn du faite, monte le long
de la cheminée et la dépasse un peu afin d’en être le
I point le pins élevé. On peut également rattacher ce con-
i dncteur soit à une }»laque de fonte remplaçant, sur la
I base supérieure de la cheminée, la dalle de pierre
usuelle, soit à un fer cornière appliqué le long d’un
j côté de cette base ou mieux à un cadre en fer cornière
l’entourant tout entière. A une des extrémités du
bâtiment, le tuyau de descente sert de conducteur vers
la terre. Le long du pignon cori-espondant le conduc-
teur de faîte descend et vient se raccorder à la gout-
I tière et, par suite, au tinmii de descente en question.
Le second tuyau de descente sert également de con-
ducteur vers la terre. S’il est placé à l’extrémité diamé-
152
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
ti’aleinent o})posée à celle occupée par le premier tuyau
ili; descente, on le raccorde au faîte de la même
manière et cela suffit. Sinon, on y établit un second
<-onducteur de descente aâ hoc que Ton raccorde au
capteur du faîte. — En général, on met ainsi deux des-
centes.
(gluant aux prises de terre, s’il se trouve dans le
voisinage une canalisation souterraine de grande éten-
due (ce qui, en Belgique, n’est pas rare même à la cam-
pagne, et y deviendra de })liis en plus commun grâce à
la nouvelle Société Nationale des distributions d’eau)
une au moins des descentes est raccordée à cette
« terre » idéale qu'est pareille canalisation. A son
défaut, là où la nappe d’eau souterraine est à peu de
])rofondeur, on dispose dans les couches ioujoun> hu-
mùles, les conducteurs de terre, (üe sont par exemple
d(vs tiges ou des tuyaux métalliques qu’on y enfonce^
mieux, un treillis métallique. Ces « terres » sont
évidemment raccordées à leurs descentes respectives.
11 est excellent de les réunir entre elles ]»ar un fil de
cuivre étamé de b mm. de diamèti*e ou une bande de
tôle bien galvanisée enfouie au même niveau et faisant
la moitié du tour de la maison à une distance d’un mètre
environ des murs. Si ce raccordement des terres fait
1(' tour com[)let, cela vaut mieux, et mieux encore, si
d’un ou de plusieurs jioints du circuit et normalement à
ee circuit, part un conducteur de même nature qui
s'étmid à quehpies mètres de distance. — Les couches
toujours humides sont elles assez profondes, on se con-
t(‘ute de disposer les conducteurs de terre dans riiumus,
à ({uelqiies décimèti‘es de profondeur. Les orages sont
généralement accompagnés de [iluie, de sorte que
rapidement ces couches siqierficielles sont humidifiées.
Evidemment, [lareils dispositifs sont faciles à étalilir
et jieu disjiendieux. Le Ih'ofesseur Ruppel donne le
ih'vis détaillé d’un jiaratonnerre de ce genre installé
LES PARATONNERRES
153
sur une habitation rurale avec étalhe ; il s’élève à
69 marks, soit 75 francs. Ce n’est pas ruineux — et
rexj)éi‘ience montre que ces paratonnerres sont par-
faitement efficaces.
Simplifications éventuelles. — « III. Les pièces
métalliques entrant dans la construction du bâtiment,
de même que les masses métalliques importantes qu’il
renferme ou qui l’avoisinent — particulièrement, celles
qui ont de notaI)les surfaces de contact avec la terre,
tels les tuyaux d’une canalisation — doivent être
connectées métalliquement entre elles et avec le para-
tonnerre. Cet ensemble de pièces métalliques satisfait-
il à lui seid aux prescriptions relatives aux capteurs
telles qu’elles sont énoncées dans les règdes 11, V
et M, on peut se dispenser d’en établir de spéciales.
Même remarque au sujet des conducteurs, des des-
centes et des prises de terre. »
Gomme « terres » rien n’égale les canalisations d’eau
et de gaz recommandées, nous le savons, par Melsens.
Le })i‘ofesseur Neesen, dont la compétence en matière
de paratonnerres est reconnue, a, au nom de l’E.T.V.,
étudié spécialement cette question dans tous ses détails :
« Le raccordement du paratonnerre aux canalisations
d’eau et de gaz, s’impose, dit-il, non seulement dans
l’intérêt de la bâtisse, mais aussi dans l’intérêt des
canalisations elles-mêmes. » Et la Commission roy ale
de Saxe est tout à fait du même avis : « Grâce à la
section relativement grande de leurs parois métalli-
ques et surtout à cause de leur grande surface de con-
tact avec le sol, les tuyaux de distribution doivent être
considérés comme des prises de terre au moins aussi
efficaces que celles établies ad hoc. Le plus souvent
elles valent infiniment mieux que ces dernières. L’ex-
périence prouve en effet que les conduites d’eau et de
gaz sont souvent foudroyées. Si une maison n’a pas de
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFK,)UES
15 i
paratonnerre, la foudre tombe sur les parties situées
au-dessus des conduites d'eau ou de gaz qu’elle ren-
ternie. Si elle a un paratonnerre, mais ([ui ne soit ]ias
raccordé aux conduites, ou qui n’ait [las une autre
excellente terre (équivalente à celle des conduites et
nous venons de voir (jue cela est très rare), la foudre
quitte le paratonnerre pour se porter sur la distribu-
tion ».
« ( )nne compi'end donc |)as, continue le l’rof. Rupjiel,
pourquoi certaines compagnies des eaux ou du gaz
s’opposent àce raccordement ou y font cUtbculté. N’est-il
pas évident que si le ]*aratonnerre est relié métallique-
ment aux tuyaux, la décharge suivra ceux-ci sans les
endommagei- le moins du monde, tandis ([ue, si elle y
saute avec fracas, elle peut aisément la fondre ou la
briser en morceaux ? »
Insistons, la ([uestion en vaut la ])eine.
1 *our Justitier leur conduite, des compagnies objectent
que la liaison enti’e les tuyaux n’est j*as, partout, par-
faitement métallique; il s’ensuivrait, dit-on, du danger
pour les bâtisses et la canalisation. Cette objection est
inopérante. Nous lisons en effet dans le mémoire du
A'erhand deutsciier Arciiitekten- UNI) Inoenieur-
VEREINE, rédigé par les Ib-ofesseurs 1)'’ Kohlranscb,
I)" Ulbricht, etc. : « Ce n’est pas parce que la mesure de
la résistance au ])assage à la terre accuse une valeur
i*elativement considéralde qu’une canalisation assez
étendue perd toute sa valeur comme conducteur de terre.
Ni la mince couche isolante constituée pai* rasj)lialtago
des tuyaux, ni les raccords de mauvaise conductibilité
n’enlèvent au réseau ses qualités excellentes comme
conducteur de terre des décharges foudrovantes. Cràce
O
à leur haute tension, celles-ci passent en perçant la
mince couche isolante d’une infinité de minuscules
étincelles. Si même elle est posée en terrain presque
sec, la canalisation d’eau ou de gaz reste une excel-
LES PARATONNERRES
155
lente terre pour les paratonnerres : abstraction faite
de la condiictil)ilité du sol, même légèrement humide,
le réseau par sa capacité électrostatique possède la
propriété d’attirer à lui et d’enifiiagasiner l’électricité
de la décharge. »
Ce que nous venons de dire des canalisations d’eau
et de gaz s’applique au même titre aux réseaux de cen-
trales électriques qui, aujourd’hui, sillonnent nos villes,
nos bourgades et même nos campagnes. Lignes de
tramways ou de distribution d’énergie électrique pour
la force ou l’éclairage sont à même de collaborer très
activement à la diffusion des paratonnerres. En effet,
leurs supports de lignes aériennes doivent être mis à
la terre. En réunissant à ceux de ces supports qui
sont fixés aux bâtiments, les pièces métalliques de
ceux-ci, tels que gouttières, tuyaux de descente, cana-
lisations d’eau, etc..., on réaliserait des paratonnerres
à immense développement, à multiples conducteurs de
descente, à terres extrêmement étendues. Le prix de
revient par bâtiment protégé serait des plus réduits.
Ces installations de paratonnerres contribueraient
d’ailleurs à la sécurité du réseau de distribution, lequel
a presque toujours à soufi'rir de l’incendie des bâtiments,
auxquels sont fixés leurs supports.
Le IIP des Leitsatze se continue par une remarque
qu’il serait souhaitable de voir les architectes mettre
en pratique. Par profession, ils sont tout désignés pour
être les promoteurs des paratonnerres. Avec un peu de
bonne volonté à suivre la recommandation des Leitsatze,
leur propagande serait la plus efficace de toutes et, ce
faisant, ils rendraient un service signalé à l’humanité.
III (suite). « Pour les bâtiments à édifier, il y a
tout avantage à prévoir, dans le projet même de con-
struction, la meilleure utilisation possible des pièces
métalliques, tuyaux de canalisation et autres sein-
150
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
lilables, en vue de la protection contre les coups de
foudre. On pourra réaliser ainsi, à frais très réduits,
un paratonnerre parfait. »
C’est le princijie de Findeisen justifié ]>ar les consta-
tations des coni])ag'nit s d’assurance.
Degré de sécurité. — « IV. La protection assurée par
un paratonnerre est d’autant plus certaine que toutes les
parties ex})osées aux coups de foudre sont plus parfai-
tement jirotégées par des capteurs, que le nombre des
conducteurs de liaison et de descente sont plus nom-
breux et que les pidses de terre sont plus abondantes
et plus étendues. Par elles-mêmes, du reste, les par-
ties métalliques d’étendue notable, celles surtout qui
réunissent à la terre les endroits les plus élevés du
bâtiment, contribuent, en règde générale, à diminuer
les dégâts qu’entraînerait un coup de foudre, alors
même qu’aucune jiréoccupation de ce genre n’aurait
servi de guide dans leur mode d’exécution.
» Pour l’ordinaire, il n’y a ])as lieu de craindre que
les imperfections d’un paratonnerre augmentent le
danser. »
Ce dernier alinéa vaut d’être relevé. On affirmait
autrefois qu’un paratonnerre défectueux augmentait
le danger au lieu de le diminuer. Cette légende se
survit à elle-même dans maints ouvrages de physique
et on la voit, chaque })rinteni})S, au retour des orages,
faire le tour des journaux quotidiens, qui se la passent
avec une naïveté aussi touchante qu’inconsidérée. Les
efforts de l’E. T. ont été. Jusqu’ici, impuissants à la
détruire.
Mais on peut distinguer divers degrés de protection.
Prétend-on mettre à l’abri de la foudre j'usqu’au
moindre coin de cheminée. Jusqu’au moindre détail
d’une corniche, veut-on fermer l’accès de l’intérieur
LES PARATONNERRES
157
du ])àtiinent à toutes les ondes électroniagnétiques que
pourrait susciter un coup de tonnerre formidable, les-
quelles ondes seraient peut-être susceptibles de faire
éclater une étincelle entre deux pièces métalliques
trop voisines et enfouies, par un fâcheux hasard,
dans un tas de matières inflammables, ou bien noyées
dans une fuite de gaz malencontreusement concomi-
tante d’un orage épouvantable... Ah ! pour répondre
à de pareilles exigences, pour assurer pareille sécurité,
il n’y a — et encore? — que la cage métallique her-
métiquement fermée, sans la moindre fente. Oui, sans
la moindre fente! car si, par malheur, cette fente est
parallèle au plan de vibration de ces terribles ondes
électromagnétiques, elles en proflteront pour ])énétrer
à travers le blindage et compromettre la protection
absolue qu’on aspirait à se ménager.
I Pareilles prétentions sont absurdes, et sous le futile
I prétexte qu’il n’y peut être satisfait, renoncer à des
procédés praticables et peu coCiteux, mais vraiment
efficaces contre les dangers communs de la foudre, est
i dépourvu de tout bon sens.
I Ges dangers communs et particulièrement pressants
! en dehors des villes, ce sont l’incendie et les coups
mortels — et ceux-là, l’expérience le prouve, ne sont
plus à craindre à l’abri d’un paratonnerre simple, tel
î qu’il a été défini ci-dessus (pp. 151, 152). En vérité,
c’est folie que de refuser d’aussi précieux services
garantis à si bon compte.
Nature, dimensions et fixage des conducteurs.
— « à'. Les conducteurs de liaison ou de descente en
fer ne peuvent pas avoir moins de 5U mm. carrés de
section (soit 4 mm. de diamètre), s’ils sont ramifiés,
ni moins de 100 (soit 5,6 mm. de diamètre), s’ils sont
j uniques.
« Avec des conducteurs en cuivre, des sections
158
REVUE DES DÜESTR)XS SCIENTIFIQUES
moindres de moitié sont sutiisantes. Pour le zinc, il
faut au moins 1 12 fois la section indiipiée pour le fer
et, ])Our le ploinh, 3 fois.
« La forme et le mode de lixaee des conducteurs
O
doivent être tels ([u’ils ]iuissent résister aux ouragans. »
Après Melsens, est-il nécessaire, en Belgique du
moins, de faire remarquer ([ue l’enqiloi du cuivre, si
tentant jiour les voleurs, n'est nullement de rigueur
dans la construction des paratonnerres? Ci-dessus, du
reste, nous avons entendu Arago, recommander indif-
féremment comme conducteurs de liaison des tringles
de fer, de cuivre, des Landes de jdoinL, de zinc, etc.
(p. 1-iG). Les sections seules changent avec les métaux
employés, ainsi ([ue le précise la règle
Liaisons des conducteurs. — « M. Les ligatures
et connexions doivent être durables, solides, étanches,
et présenter les surfaces de contact les plus grandes
possible. Là oii les conducteurs ne sont ni soudés ni
brasés entre eux, ils doivent avoir des surfaces de con-
tact d’au moins 10 cniL »
Certains jirospectus de constructeurs proclament
avec tierté ([ue leurs ])aratonnerres sont faits d’une
seule pièce. Le cofit en sera donc passablement élevé.
A'oilà tout ce ([ue l’on peut conclure.
I/important, comme, après tant d’autres, ne cesse de
le ré})éter le Professeur Ru})})el, l’inqiortant, disons-
nous, ce n’est ])as la perfection de la soudure autogène
ou hétérogène : la soudure n’est pas nécessairement
requise. Iles contacts étendus — 10 cné au moins —
et bien assurés au point de vue mécanique, voilà ce
à (pioi il faut veiller avec soin.
Vérifications. — « à IL Alin de s’assurer que le
jtaratonnerre reste en bon état, il im])orte de le faire
vérifier assez souvent }iar des jiersonnes compétentes
les; paratonnerres
159
et (le prendre garde (|ue, si des inodiücations sont
apportées au ])àtiment, il peut y avoir lieu de modifier
ou de compléter le paratonnerre. »
D’après le Professeur Ruppel, aussi longtemps qu’il
ne s’agit pas de LAtinients exigeant une protection par-
ticulièrement méticuleuse, tels que les poudrières etc.,
une inspection tous les cinq ans peut suffire. Elle con-
sistera en une visite attentive des conducteurs et de
leurs liaisons ainsi qu’en une mesure de la résistance
des « terres », celle-ci interprétée dans le sens précisé
au commentaire de la règle II, 3 (p. I5I).
Nous avons fini l’exposé des Leitsatze.
A considérer la vie intense de l’E. T. 55 dont les
réunions groupent, chaque année, des centaines de
membres, venus de tous les ])oints des pays de langue
allemande, étant donnée l’autorité incontestée dont elle
jouit universellement, son intervention si catégorique,
si précise, en faveur d’a])pareils si hautement utiles,
indispensables même, d’une installation désormais si
facile et si peu coûteuse, devait, ce semble, lever tous
les doutes et emporter toutes les adhésions.
Malheureusement il n’en est rien. Il y a, tout au
plus, de 3 à 5 maisons pour cent protégées contre la
foudre.
On pouvait espérer du moins que les administrations
gouvernementales et communales, non moins que les
sociétés d’assurance intéressées, s’inspireraient des
Leitslifie pour introduire ])lus d’unité clans leurs pre-
scriptions et pour en biffer toutes les exigences arln-
traires et purement tracassières.
Ilélas ! l’enquête à laquelle le D'' Ruppert s’est livré
en I9II, a démontré une fois de plus la tyrannie de la
routine. Em questionnaire fut envo3'é à 302 villes
d’Allemagne. Parmi les 280 ré]ionses reçues, on relève
les détails suivants : Les rèsdes de l’E. T. 55 ne sont
160
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
mentionnées que dans 10 cas. La connexion des jiara-
tonnerres n’est peiTiiise aux canalisations d’eau que
dans 201 villes, à celles de gaz que dans 00. Elle est
f'onnellement interdite (!) aux canalisations d’eau dans
."lO villes, à celles de gaz dans 145. Plusieurs adminis-
trations la permettent, mais sous des conditions pra-
t iq uenient p roh i b it i ves .
Dans beaucouj) de])rescriptions les tiges et les pointes
sont encore indiquées comme les parties les plus essen-
tielles du ])aratonnerre. On lit souvent des passages
de ce genre : « Il est interdit de souder les conducteurs
à la pointe, afin que celle-ci j)uisse à tout instant être
enlevée aux fins de contrôle ou d’appointage aj)rès un
coup de foudre ».
I)i^ "erses administi-ations exigent encore des pointes
en platine ou en or, etc...
La conséquence naturelle de tout cela est que beau-
coup de propriétaires ont renoncé à établir des paraton-
nerres. Bien mieux, plusieurs installations très conve-
nablement exécutées ont été démontées, parce que les
propriétaires ne les transformaient pas au gré des
rèolements ou refusaient de se soumettre à l’ennui des
O
fréquentes vérifications. Cela doit s’ajipeler une absur-
dité et, très justement, un méfait.
Dans son rap})ort de 1915, le Protesseur Ruppel
résume l’iiistoire des débuts du |)aratonnerre en insis-
tant, et c’est justice, sur le rôle important que jouèrent
là les physiciens allemands. Ce coup d’œil rétros])ectif
est fort intéressant (1).
Le xviiC siècle inventa le paratonnerre. Bien jilus,
il précisa les princi])es de sa construction avec un tel
bonheur que le xix® n’y a rien ajouté d’essmitiel : des
(1) Le lecteur trouvera une histoire j)lus détaillée des déhuts du jiaratou-
nerre dans l’intéressant Esso? sur les parai onnerres des I‘l*. Thiriou et Vat?
Tricht, S. J. Celte Hevüe, IKIll, livraison de janvier.
LES PARATONNERRES
i(U
détails, beaucoup de vains détails de construction de
tig’es et de j»ointes, voilà tout.
Quelques dates suffiront à nous en convaincre.
En 17.52, Franklin érige le premier paratonnerre
sur sa maison. Dès ce début, il considère que le fer en
raison de son bon marché et de son point de fusion
élevé est le métal le plus convenable à employer.
Pour les conducteurs, il admet un diamètre de un quart
de pouce (environ 6,4 mm.), tout en indiquant qu’on
serait vraisemblablement amené à prendre des diamè-
tres plus forts, d’après les leçons de l’expérience. —
Cette prévision ne s’est pas réalisée, nous l’avons vu
(Règle V).
En 1758, Franklin signale que, sur les maisons de
grande longueur, il faut élever deux paratonnerres,
vers les extrémités, et les réunir entre eux par un fil
courant le lons' de la crête.
En 1762, il se déclare d’accord avec Russe! qui pro-
pose d’employer comme conducteurs les tuyaux de
descente des eaux de phtie (il s’agissait de tu3’aux en
plomb).
En 1772, dans son avis au sujet de la protection du
magasin à poudre de Purfleet, il insiste sur l’impor-
tance de la bonne liaison à établir entre les deux tices
O
de paratonnerre en garnissant de métal le faite inter-
médiaire.
En Amérique, dès 1752, on établit un grand nombre
de paratonnerres et, en 1760, on citait déjà trois coups
de foudre atteignant des paratonnerres qui les condui-
saient correctement à la terre sans subir d’autre dom-
mage que la fusion de leurs pointes.
T/Europe mit quelque retard à adopter le nouveau
mode de protection. En 1760, le phare d’Eddystone,
près de Plymouth, reçut un paratonnerre et le médecin
IIR SÉRIE. T. XXVI. Il
162
IU;YUE des questions SCIENTIFIQT’ES
Watson en établit un, en 1762, sur sa maison de cam-
jiagne près de Londres.
L’année 1766 fut marquée par un terrilile accident.
La foudre fit sauter le magasin à poudre de Brescia :
le sixième de la ville fut détruit et 3000 personnes furent
tuées. C’est à j)artir de cette date que les magasins à
poudre du continent furent armés de jiaratonnerres.
En Europe, T Allemagne, la première, suivit l’exem-
}»le de l’Angleterre dans l’établissement des paraton-
nerres et bientôt dépassa sa devancière.
Le premier paratonnerre j fut placé, en 1769, sur
la tour de l’église St-Jacques à Hambourg, d’après les
indications du médecin Reimarus et un autre sur la
tour de l’église abbatiale de Sagan, en Silésie, par
ordre de Taldié von Eelbinger.
Toute une série de savants allemands, parmi lesquels
le même Reimarus et llemmer, s’occupèrent dès lors
de faire établir des paratonnerres et, ])ar leurs écrits
(1768 178')). contrilmèrent ]niissamment à les faire
adopter de divers côtés. Il est intéressant de remarquer
que les installations de cette époque sont d’une construc-
tion tout à fait semblable à celle que nous recomman-
dons actuellement.
A preuve quelques extraits des premières publica-
tions sur ce sujet :
Reimarus 1768 : « Une bande métallique continue
écarte du bois et de la pierre, les dégâts de la foudre
à la condition que cette liande atteigne le sol. Pourvu
qu’elle couvre toutes les parties élevées et qu’elle soit
conduite jusqu’à la terre sans solution de continuité, elle
])rotège l’ensemble du bâtiment, sans même qnon
ait besoin it'ij élever de tige mètaUàjiie . Parfaite-
ment abrité, sans dispositif spjécial, serait aussi un
bâtiment dont le toit serait couvert de métal d’où des
I
LES PARATONNERRES
163
tuyaux métalliques de descente ou des bandes de métal
atteindraient jusqu’à terre.
» C’est un préjugé à coml)attre que de croire que le
I métal dont est fait un paratonnerre doit subir une
préparation spéciale^ ou, en })articulier, qu’il y faut
employer des tiges de fer. ( )n a montré ci-dessus que
toute pièce métallique \ est propre et, par conséquent,
les endroits où il s’en trouve déjà ou bien s’en place
facilement n’ont pas besoin de recevoir une autre pro-
tection.
» Les feuilles de plomb ou de cuivre qui ne doivent
pas être bien épaisses, ou encore des feuilles de tôle
étamées de trois pouces à un demi-pied de largeur,
sont, pour la plupart des cas, beaucoup plus à recom-
mander que des tiges. La foudre s’écoule plus facile-
ment sur la grande surface de pareilles lames métal-
liques : elles sont plus faciles à réunir entre elles et plus
aisées à fixer à la toiture que les tiges. Sur le toit
elles peuvent être commodément employées pour
couvrir la tuile faîtière ou encore la tuile cornière à
l’intersection de deux combles.
» Trouve-t-on sur la surface extérieure du bâtiment
des pièces métalliques descendantes reliées entre elles,
Y a-t-il en particulier des toits à couverture métallique,
des gouttières ou des tuyaux en cuivre, plomb ou fer,
tout cela peut, très facilement, être utilisé pour la con-
stitution du paratonnerre.
» Pareilles surfaces métalliques, gouttières ou des-
centes en plomb, lames de plomb ou de cuivre, tiges,
etc., ont souvent joué à la qjerfection le rôle de para-
tonnerres. Si parfois elles ont été endommagées, ce ne
fut qu’aux extrémités où la foudre les a frappées ou bien
les a quittées — nous l’avons montré plus haut. A ussi, à la
seule condition de les réunir soigneusement, par le haut
et par le bas, avec le reste de l’armature protectrice,
pourrait-on s’épargner le soin de munir ces endroits
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
16 i
(le dispositifs spéciaux. Pour l’ordinaire, les tuyaux de
descente peuvent être commodément utilisés comme
conducteurs de descente.
» Il existe des relations dignes de foi et très instruc-
tives d’où il ressort c[ue des coups de foudre ont été, au
grand profit du bâtiment, conduits à la terre même
par des armatures métalliques défectueuses.
» Quicom[ue voudra donc réfléchir attentivement à
la question, reconnaîtra qu’un paratonnerre impar-
fait vaut tout de même mieux que l’ahsence de tout
paratonnerre .
» Le fait pour un bâtiment de se trouver en terrain
dégagé à la campagne l’expose particulièrement aux
accidents orageux. Si son toit est en chaume, il a énor-
mément à craindre de la foudre dont une décharge le
mettra communément tout en flammes. Aussi les habi-
tants des campagnes devraient-ils qdus eyicore que les
citadins se j)réoccuper de préserver les bâtiments
contre les coups de foudre. »
11 est certes profondément regrettable que des recom-
mandations si utiles, si précises, si simples à suivre
soient tombées dans l’oubli. Le problème des para-
tonnerres était dès lors résolu dans ce qu’il a d’es-
sentiel. A observer les jirescriptions de Reimarus,
d’innombraldes accidents, des pertes immenses eussent
été évités.
,1. I). Lucas, S. J.,
Collège N. -Il- lie la Paix, Namur (lielgiqiie).
L’ÉLÉMENT NERVEUX
ARTICLE SECOND
PHYSIOLOGIE DE L’ÉLÉMENT NEUYEUX
Nous avons, dans deux articles précédents, consi-
déré la cellule nerveuse soit en elle-même, soit dans
les rapports qu’elle contracte avec d’autres éléments
de même type histologique, pour constituer les voies
de projection et d’association du système nerveux, et
nous avons tâché de résumer les principales données
anatomiques de la neurologie sur ces questions.
Autant que la nature du sujet nous l’a permis, nous
avons laissé de côté le point de vue fonctionnel, dans
le dessein de le traiter à part : c’est ce que nous
faisons aujourd’hui.
§ J . — Courant électrique nerveux et ébranlement
physiologique nerveux
A. — COURANT ÉLECTRIQUE NERVEUX
Le vocabulaire de la physiologie, quand il s’agit
d’exprimer la nature et les lois de l’activité nerveuse,
donne presque à penser que le fonctionnement du sys-
tème nerveux n’est pas autre chose qu’un simple
chapitre d’électricité phtisique : on parle de courant
(1) Voir Revue des Questions scientifiques, livraisons de janvier 1914,
pp. 5-1)3, et d’avril 1914, pp. 53^-581.
16(3
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
nerveux, d’influx nerveux, de transmetteur et de
récepteur nerveux, de décharge nerveuse, de polaiàsa-
tion nerveuse, etc...
Il faut avouer que l’allure des ])liénoinènes, aussi
])ien que le dis])ositif structural lui-même, semblent se
prêter, au premier abord, à cette assimilation. 11
existe, en effet, des postes de départ : les apjiareils de
sensorialité et certaines cellules corticales ; des lignes
conductrices : les voies nerveuses ; des postes de ré-
ce])tion : certaines cellules nerveuses centrales et
beaucoup d’appareils non nerveux, périjdiériques
(superficiels ou jirofonds : muscles, glandes, etc.).
(,)uand tout cela est intact, il suflit, comme dans une
installation électrique, d’établir un contact efficace, en
un point quelconque du circuit, ]»our que le courant
arrive au bout de la ligne et j provoque des phéno-
mènes en rapport avec la nature des appareils termi-
naux : phénomènes tbermi({ues, jdiénomènes lumineux,
jdiénoniènes mécaniques, phénomènes chimiques, phé-
nomènes physiologiques, etc.
Et il faut, en eflét, admettre l’existence, dans le sys-
tème nerveux, d’une véritalfle énergie électrique; mais
c’est là une question qui exige d’être immédiatement
précisée.
Si l’on réunit, par l’intermédiaire d’un fil métallique,
les deux extrémités d’une pile de à olta, il se produit
un courant ([u’on peut mettre en évidence en interca-
lant dans le circuit un galvanomètre ou un électro-
scope condensateur. On dit que les corps mis ainsi en
relation, zinc d’une part et ciiivi*e de l’autre (en négli-
geant les disques intermédiaires), ne j)ossèdent pas le
même potentiel, la même tension, ou, pour employer
une comparaison à laquelle on a souvent recours, ne
sont pas au même niveau électrique. 11 doit donc s’éta-
blir un flux d’électricité allant du corj)S dont le niveau
est le })liis élevé à celui dont le niveau est le plus bas,
l’élément nerveux
167
tout coinine il s’établit un écoulement de liquide entre
deux vases communicants, tant que persiste, entre les
liquides de ces deux vases, une inégalité de niveau.
Or il n’est pas nécessaire, pour réaliser ce phénomène,
d’avoir recoui's à un sjjstèrne hétérogène. ()n conçoit,
en etlét, que deux régions d’un seul et même corps
peuvent se trouver, à un moment donné, dans des
conditions diti'é rentes, déterminant des états de tension
différents eux aussi, et qu’en les reliant l’une à l’autre
par un conducteur approprié, il peut s'établir un cou-
rant entre les deux, jusqu’à constitution d'un potentiel
uniforme. On comprend aussi que si la conductibilité du
corps lui-même était parfaite, un courant semblable
interne, allant d'une région à l’autre, devrait se pro-
duire toutes les fois qu’une cause quelconque mettrait
ces deux régions en déséquilibre, et persister jusqu'au
moment où, après un certain nombre d'oscillations
l’équilibre s’établirait à nouveau. Tout courant^
disait déjà Galvani en 17t)l, a pour hut le rétahlisse-
ment de rèquilihre èlect)‘ique préalahlement rompu.
Or, la substance organisée étant, plus que toute autre,
soumise à de nombreux changements, par suite des
incessantes réactions qui se passent dans son sein, si
bien que l’instabilité physico-chimique est un des
caractères les plus apparents de tout substratum vital,
il n’est pas étonnant que cette substance soit le siège
de constantes ruptures d’équilibre, et qu’il existe, par
conséquent, une électricité organique, animale et végé-
tale. L’observation prouve d’ailleurs qu'il en est bien
ainsi.
L’électricité animale est connue depuis longtemps.
Avant même ([ue Galvani publiât son grand ouvrage :
De üirihus eleclricilatis iu niotu musculari conimen-
farius (1701), l’idée était déjà venue à certains natura-
listes d’expliquer par une circulation d’électricité à
travers l'organisme toutes les fonctions du vivant. Si
168
REVUE DES QUESTIONS SOIENT IFiQUES
les recherches de rillustre professeur de Bologne ne
confirmèrent pas ces vues, par trop générales et impré-
cises, elles mirent cependant hors de doute l’existence
d'une énergie électrique intrinsèque à certains tissus.
Ces recherches, et les controverses auxquelles elles
donnèrent lieu, méritent d’être rappelées. Calvani, au
début, semble avoir borné sa curiosité scientifique à
« étudier T influence de T électricité sur les nerfs des
aniniaux », comme il le raconte lui-même. Ce fut au
cours d'une expérience de cette nature qu’un de ses
élèves ayant apjtroché accidentellement la lame d’un
scalpel des nerfs cruraux d’une grenouille, au moment
où une étincelle Jaillissait d’une machine électrique,
les muscles se contractèrent, entraînant le déplace-
ment du memlire inférieur : « phénomène eætro.ordi-
naire et inconnu jusque-lù ». Le fait, pris en lui-même,
ne semblait })Ourtant pas comporter d'autre explica-
tion que celle déjà connue de l’influence sur le sys-
tème nerveux d'une force électriipie étrangère à ce
système, (l'était un simple phénomène de choc en re-
tour. Galvani ])cnsait-il alors que l’i'fiicacité du choc
sur le système neuro-musculaire nécessitait l’existence
dans ce système d’un fiux électriipie jiropre?... Nous
l'ignorons, mais peut-être faut-il expliquer ]iar quelque
idée de ce genre l'intérêt qu'il porta, à partir de ce
Jour, à l’étiide du phénomène en question. Dès l’année
suivante (1781), il Jugea que ses expériences lui per-
mettaient d'afiirmer la réalité d’une électricité orga-
nique « agent très mobile, préexistant dans le nerf et
excitant la force nercéo-musculaire ». Dui'ant cinq
années encore. Galvani devait se livrer avec })assion à
l'étude de cet agent mystérieux, Jusqu’au Jour oîi une
nouvelle circonstance accidentelle vint fixer définitive-
ment son opinion. (.)n sait comment, le 2(3 septembre
1786, ayant déjiosé sur la balustrade eu fer de la ter-
rasse du ]>alais Zambeccari une grenouille fraîchement
l’élê.mext nerveux
169
disséquée, retenue par un crochet de fer passé à
travers la moelle, et ennuyé de ne voir se produire
aucune contraction, il mit le crochet en contact avec
la balustrade, et détermina immédiatement, par cette
intervention, une secousse musculaire. Les conditions
de l’expérience ne permettant de mettre en cause au-
cune décharge électrique extérieure, Galvani se crut
en mesure de pouvoir conclure à l’existence d'une
électricité inhérente à ranimai : au moment de la
contraction^ il s’établissait un courant du fluide ner-
veux des nerfs aux muscles, semblable au courant
électrique de la bouteille de Leyde ».
L’expérience pouvait cependant, au premier abord,
supporter une autre interprétation. Galvani avait en
effet remarqué que les contractions étaient beaucoup
plus énergiques quand l'arc métallique reliant les nerfs
aux muscles n’était pas homogène, mais constitué de
deux métaux différents (par exemple zinc et cuivre).
L’arc avait donc dans la production du phénomène une
influence directe, tenant à sa nature même, et qu’il ne
fallait point négliger. Peut-être même était-ce lui, au
fond, qui était la vraie source électrique, les nerfs et les
muscles faisant simplement office de conducteur indif-
férent, pour relier deux corps hétérogènes, c’est-à-dire
pour mettre en communication deux substances à un
potentiel différent. Le fait que le phénomène se pro-
duisait essentiellement avec un conducteur métallique
homogène ne tranchait pas la difficulté, car on pouvait
objecter, comme le fit à olta, qu’il y avait toujours
hétérogénéité — qu'on employât soit un conducteur
métallique, soit une simple ficelle mouillée — au point
où ce conducteur entrait en contact avec l’oro-anisme.
La préexistence dans le nerf d’une électricité mhérente
à l’aniniaf n’était donc pas péremptoirement démon-
trée. Galvani répondit à cette objection en réalisant
170
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
rexpérience après suppression de tout conducteur
étranger, par le seul contact de parties organiques.
Aucun des deux adversaires ne réussit cependant à
convaincre son contradicteur, et ils eurent tort tous
les deux : le jthvsiologiste Ualvani en ne voulant
admettre que l’électricité animale, et le physicien ^Alta
en tenant exclusivement jiour l’électricité de contact.
Mais s’il est établi au jourd’hui que dans les substances
organisées, tant qu’elles sont vivantes, se développe une
force électrique propre, j)articulièrement remarquable
chez certains animaux, comme les poissons électriques,
il ne suit point de là que tous les phénomènes nerveux
soient réductibles à de purs phénomènes électriques.
Tout ce que l’on peut conclure des nombreuses
recherches auxquelles cette question a donné heu
depuis (talvani, c’est que le tissu nerveux, comme tous
les autres tissus vivants, animaux ou végétaux, en plus
de l’action spécifi([ue qu’il exerce dans l’organisme, en
présente une autre, commune à tous les éléments :
celle de pouvoir manifester, dans certaines conditions,
une énergie qu’on est en droil d’assimiler, de par ses
caractères essentiels, à l’énergie électri([ue dégagée
par la matière brute. Comme l’oi^ganisme vivant, ])ar
celui de ses constituants qui est en lui le support maté-
riel de ses opérations, peut être le siège de véritables
réactions chimiques, ainsi peut-il devenir, sans qu’il y
ait autrement heu de s’en étonner, une source très
active de phénomènes })ui*ement physiques.
C’est à la physico-chimie qu’il a])partient de pro-
noncer sur le bien fondé de la théorie actuelle qui veut
que tout atome de corps simple soit constitué « par vu
afjrrfjat de particules matérielles positives, 'unies entre
elles électrostatù[uenient par l'interposition d’èlec-
trons, agissant éi la manière (Viin cèritnhJe ciment » ( 1 ).
(I ) Achalme, Électronique et Biologie, 1913 ; i). 5.").
Les électrons sont des atomes d'électricité négative (ions négatifs), doués
de masse et existant comme tels (p. 8). (duanl aux particules matérielles posi-
l’élément nerveux
171
C’est à cette science qu’il convient aussi (rétal)lir si le
courant électrique doit être regardé coinine un véri-
table transport, à travers les conducteurs, d’électrons,
ou atomes d’électricité négative, libérés de leurs asso-
ciations intra- et interatomiques (1). Ces tbéoides une
fois bien assises, il restera à en faire l’application aux
phénomènes électriques du tissu nerveux. Beaucoup
de points, sans doute, présenteront des difficultés dont
la solution se fera longtenqts attendre, mais on sera du
moins fort à l’aise tant qu’il ne s’agira que d’assigner
des causes suffisantes de désagrégation atomique, de
libération d’électrons, et, par suite, de constitution de
champs électriques et magnétiques [2). Les phéno-
mènes physiologiques et psycho-physiologiques, et les
phénomènes purement spirituels eux-mêmes, qui sup-
posent l’exercice préalalile de l’activité du substratum
organique, s’accompagnent en effet, nécessairement,
de modifications ph^’siques et chimiques susceptibles de
réaliser les conditions ordinaires de rétablissement
d’un courant. Mais le fait, par exemple, qu’une con-
traction volontaire détermine dans les nerfs et les
muscles des réactions intra-moléculaires d’où résultent,
soit la production d’un flux d'électricité, soit des varia-
tions plus ou moins accentuées dans des courants élec-
triques préexistants, ne prouve nullement que le phé-
nomène de contraction, consécutif au phénomène de
Yolition, soit adéquatement explicable par une simple
influence électrique ; pas plus d’ailleurs qu’une in-
fluence de ce genre n’explique à elle seule l’apparition
tives, spécifiques de l’atome du corps considéré, on peut se demander si leur
caractère électrique positif est dù à « une propriété même du support maté-
riel », ou « à un corpuscule particulier très adhérent à l'atome et qui serait
l’électron positif» (p. 36) ; et dans le cas où il résulterait d’une propriété de
la matière, on peut se dernamler encore s'il s’agit d’une propriété électrique
à part, ou simplement d’ « une propriété de la matière ayant perdu des élec-
trons négatifs » (p. 8).
(1) Ibid., pp. 7:2. 249.
(2) Ibid., pp. 8, 255.
172
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
d’un phénomène sensoriel, liien qu’une excitation élec-
trique puisse être le point de déjiart de processus ])sjclio-
])hysiologiques.
Notre dessein n’est pas de nous arrêter longtemps
sur les raisons qui interdisent d’assimiler tous les phé-
nomènes nerveux du vivant à de simples transforma-
tions de l’énergie électrique. A cette question pour-
raient s’appliquer certains jugements fort judicieux
d’Armand Gautier dans son article : Les manifesta-
tions de la vie dérivent-elles toutes des forces maté-
rielles{V) Les découvertes récentes n’ont rien fait
perdre de leur à-propos à ces rétiexions vieilles de dix-
sept ans, car elles s’appuient sur un principe qui n’est
pas plus discuté de nos jours qu’il ne l’était alors :
« Les forces matérielles se reconnaissent donc ci ce
([Il elles communiquent éi la matière de l’énergie, mais
avec expresse condition qu’une des formes : chimicque,
élastique, calorifique, 'mécanique, etc., de cette énergie
venant à apqjaraitre, la forme précédente disparaîtra
en quantité écquivalente ». Le problème qui se pose est
donc celui-ci : « Les forces ([ue manifestent les êtres
vivants ont-elles toutes ces dxux caractères essentiels
des forces matérielles è » L’examen des faits amène
Arm. (tautier à formuler une réponse négative. Les
phénomènes vitaux s’accompagnent bien de réactions
mécaniques, physiques, chimiques, qui ne sont que des
transformations équivalentes de quehpie énergie maté-
rielle mise en œuvre pour les produire, mais à ces
réactions se superposent ce que l’auteur appelle ailleurs
des formes, c’est-à-dire un ordre, un pjlan, une direc-
tion, qui n’a pas son équivalent dans la force maté-
rielle initiale, celle-ci s’étant dépensée tout entière à la
production des phénomènes concomitants ])hysiques,
(1) Uevce oéxéraee [»es SciExVces pures et appliquées, 1897, pp. 491-298.
l'élément nerveux
173
chimiques, mécaniques (1). Mais si les faits j'arleut en
faveur de cette interprétation, c’est surtout quand il
s’agit d’expliquer les phénomènes supérieurs de la vie,
la pensée, la volonté, le sens estliétùiue , le sens mo-
ral {2).
Or, le fonctionnement nerveux manifeste, comme
tout fonctionnement vital, un ordre immanent, un plan,
une direction ; il n’est donc pas un phénomène, ou un
ensemble de phénomènes purement jthysiques. Et
d’autre part, il est dans de telles relalions avec nos
facultés psychiques, par les neurones auxquels notre
volonté commande, et par ceux aussi où s’accom-
plissent les phénomènes sensoriels, qu’il faut néces-
sairement le regarder comme tout autre chose qu’un
simple flux d’électricité circulant le long d’un conduc-
teur organique.
INlais si le dynamisme nerveux suppose l’action
intrinsèque d’une force que des savants consciencieux
se refusent à identifier avec des forces matérielles, il
serait pourtant illégitime d’en conclure qu’aucune force
matérielle n’intervient dans le fonctionnement de nos
neurones.
Les conditions anatomiques, physiques, chimùpies,
mécaniques, dont la réalisation est nécessaire pour
que le phénomène nerveux se produise, attestent que la
(1) A. Gautier, Leçons de Chimie biologique, Paris, 1897, p. i, en noie.
(2) « Qu’un animal, qui consomme durant les vingt-quatre heures une quan-
tité constante d’aliments, pense ou non, qu’il se détermine à agir ou non
(pourvu qu’il n’agisse pas), qu’il soit amibe, chien ou homme, pour une même
quantité d’aliments et d’oxygène consommée, il produira la même quantité
de chaleur et de travail, ou d’énergie totale équivalente. Il n’y a donc pas eu,
pour créer la pensée ou la détermination d’agir, détournement d’une partie
des forces mécaniques ou chimiques, transformation de l’énei’gie matérielle
en énergie de raisonnement, de délibération, de pensée. Ces actes exclusi-
vement propres aux êtres doués de vie n’ont pas d’équivalent mécanique.
« Les actes psychiques, conclut avec nous M. Chauveau, ne peuvent rien
détourner de l’énergie que fait naître le travail physiologique et qui est inté-
gralement restitué sous forme de chaleur sensible. » .\rm. Gautier, art. cité,
Rev. Gén. des Sc., p. 294.
174
REVUE DES questions SCIENTIFIQUES
force supra-matèrielle, quelle qu'elle soit, à laquelle
il faut recourir pour Texplication adéquate des faits,
ne se suffit pas. Nous pouvons inèine aller plus loin, et
alliriner que ces conditions matérielles ne sont pas de
pures circonstances, i-equises sans doute, mais n’en-
trant }>as dans la constitution essentielle du ])liéno-
mène. Partout oii nous avons affaire, en effet, à des
processus intrinsèquement organiques, qu’ils soient
])urement physiologiques comme une élaboration glan-
dulaire, ou psychi([ues comme un acte de sensorialité
ou de motricité volontaire, rorganisme intervient essen-
tiellement dans ces })rocessus ]>ar des énergies maté-
rielles. Mais ce ([ui, matériellement, constitue le
courant nerveux, ce n’est })as un courant électrique,
bien qu’il soit indéniable qu’un courant électrique
existe ou puisse exister.
« On a lonf/temps, écrivait déjà àlatbias Duval, non
seulement comparé, mais nuhne identifié ce qui se
passe alors dans les nerfs arec un courant électri<iue ;
aujourd'hui il est proucé que l'influx nerveux n'a
rien de commun avec V électricité (i).
En effet, à l’état de repos physiologique spécifique,
on peut constater l’existence, dans le nerf, d’un courant
électrique ; or quand le nerf fonctionne, c’est-à-dire
([uand le courant physiologique s’établit ou s’accentue,
ce coui-ant électrique s’affaiblit ou disparaît. Courant
pbysiologi([ue (nerveux) et courant électrique ne se
confondent donc pas. De plus, si l’on sectionne un
nerf, et qu’on ra})procbe ensuite au contact les deux
surfaces de section, le courant nerveux ne passe plus;
or un courant électrique peut toujours circuler dans un
conducteur, même quand ce conducteur a été coupé,
})Ourvu que les deux bouts soient mis en relation de
(1) Cours (le Physiologie, p. 33. 0' édition, 1887 (la première édition est
de 1872).
l'élément nerveux
175
contiguïté. Une simple ligature, d’ailleurs, sur le trajet
du nerf, sup])riine la conductibilité nerveuse, en lais-
sant subsister la conductibilité électrique (i). Enfin, le
flux électrique s’écoule dans un sens défini : d’un point
appelé pôle positif, à un autre point appelé pôle néga-
tif (2), et l’observation a démontré que ce sens, pour
le courant électrique nerveux axial, était normale-
ment centrifuge dans les nerfs centripètes, et centri-
])ète dans les nerfs centrifuges (3). Or, dans un nerf
excité en un point quelconque de son parcours, il se
])roduit un influx nerveux qui se propage à la fois dans
le sens centripète et le sens centrifuge. Cela n’est vrai
])ourtant que dans un neurone pris à part ; si l’on con-
sidère une association de deux neurones, l’influx ner-
veux, comme nous l’avons déjà signalé, s’il passe du
neurone A au neurone B, ne passe jamais du neu-
rone B au neurone A : il v a irréversibilité du sens du
*j
courant nerveux. Mais précisément le sens dans lequel
un courant électrique parcourt un conducteur composé
d’autant de segments que l’on voudra, est toujours
expérimentalement réversible.
Beaucoup d’autres considérations encore nous per-
mettraient d’étal)lir entre le flux électrique et l’influx
nerveux, des oppositions qui excluent l’identification
des deux genres de courants.
Nous n’avons d’ailleurs à nous occuper ici que du
courant ou ébranlement phj'siologique nerveux.
(I ) Expérience du pistolet électrique de Du Bois-Reymond.
(2) Ceux qui admettent que le flux électrique est constitué par un trans-
])ort, non pas d’électricité positive, mais d’ions négatifs ou électrons, doivent
inverser le sens du courant; le déplacemeut, dans ce cas, se fait donc du
jiôle négatif au pôle positif (de la cathode à l’anode).
(3) Ici encore la théorie électronique introduit une modification : le cou-
rant devient centripète dans les nerfs centripètes et centrifuge dans les nerfs
centrifuges.
176
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
B. — ÉBRANLEMENT PIIYSIOLOGI(,)UE NERVEUX
I. — Nature de V ébranlement y siolorjiqve nervevx
Tout protoplasme est doué éé irritabilité ^ et nous
entendons par ii‘rital)ilité une propriété générale, qui
consiste dans une aptitude à réagir citalement à une
excitation proportionnée.
L’irritaliilité se manifeste par des réactions com-
munes et par des réactions spécifiques.
Les premières, qui pourvoient aux besoins fonda-
mentaux de toute substance vivante, se retrouvent,
par le fait, dans tous les éléments de n’importe quel
tissu : telles les réactions qui assurent la nutrition cel-
lulaire.
Les réactions spécifiques sont particulières à cer-
taines cellules. Ainsi, les cellules musculaires jouissent
de la propriété de répondre par des phénomènes de
contraction active à des excitations de nature diverse :
leur irritaliilité se traduit spécifiquement par de la
contractilité. De même, dans les éléments nerveux,
aux manifestations communes de l’irritabilité s’en su-
perpose une qui est spécifique : la ncurilité.
A la jiropriété de contractilité répond, comme effet
physiologique, la contraction. La neurilité, elle, se tra-
duit, physiologiquement, par des phénomènes éé inner-
vation ; mais la signification de ce dernier terme est un
peu plus complexe que celle du précédent. La contrac-
tion est l’état particulier du muscle qui résulte de la
fusion d’une série de secousses très rapprochées ; elle
consiste, au point de vue morphologique, en un rac-
courcissement transitoire ou persistant de la filire. Il
ne s’agit donc là que d’un seul mode d’action physio-
logique aboutissant à un eflèt toujours essentiellement
l’élément nerveux
177
le iiiênie. L’innervation, au contraire, comprend tout
un ensemble d’actions à résultats fort divers.
Définissons-la en nous aidant de quelcjues exemples.
Considérons la cellule nerveuse périphérique 7,
atiéctée au service de la sensorialité tactile, fio'. 1. Un de
ses prolongements aboutit dans l’épaisseur de la peau -S’;
l’autre gagne la moelle épinière dans laquelle il se ter-
mine, soit en a, soit en è, après s’être bifurqué en e.
On dit de cette cellule qu’elle innerve la surface cuta-
née. Gela veut dire que la cellule nerveuse en question
est apte à subir l’influence des excitations qui tombent
sur cette surface, et à la transmettre aux centres sous
une certaine forme.
Mais la cellule 7, par l’une de ses branches de bifur-
cation s’articule, en a, avec la cellule 6’, dont le prolon-
gement cellulifuge va s’épuiser dans un organe termi-
nal périphérique Oj, soit directement, soit par l’intermé-
IIR SÉRIE. T. XXVI. L2
178
REVUE DES (^'ESTIONS SCIENTIFIQUES
diaire du s)^stème sympathique que nous avons négdigé
de scliéinatiser dans notre figure. Cet organe terminal
peut être un muscle, une glande, un a])pareil photo-
gène ou électrogène, etc... Le neurone 8 innerve cet
organe, et cela veut dire qu’il lui communique une
excitation qu’il a lui-mème reçue, et qui va mettre enjeu
son activité propre. L’éhranlement parti de 8’, et qui
aboutit en O,, après avoir franchi en a l’articulation
interneuronienne, a parcouru une sorte d’arc anato-
mique, \arc réflexe, et il a déterminé un phénomène,
réflexe lui aussi, dépendant de la fonction d’innervation
qu’on a appelée excito-molricité. Mais on voit, d’ahord,
que le terme de motricité est assez mal choisi, l’organe
n’étant pas nécessairement un muscle; ])uis, que l’ex-
pression elle-même tout entière peut prêter à confu-
sion. En effet, en empruntant la voie des neurones G
et 7, qui va du cerveau C à l’organe fL, Je puis, volon-
tairement, déterminer dans cet organe, que Je suppose
être un muscle, un phénomène éé ex cito- motricité .
Cette expression, employée sans correctif qui la spécifie,
ne peut donc, d’elle-même, désigner un processus
nécessairement réflexe. On se rend compte aussi que
l’innervation, dans ces cas, n’est j)as différente de ce
qu’elle était dans le neurone 7. Tous ces neurones, en
eflét : 8, G, 7, ne manifestent d’autres ]u-opriétés que
celles que nous avons constatées dans le neurone en
relation avec la surface 8. Le ])hénomène terminal :
contraction musculaire, élaboration et excrétion glan-
dulaires, production de lumière, d’électricité, etc...,
n’est pas, en effet, un [diénomène du neurone, mais un
phénomène propre à l’organe où le nerf se termine.
Le neurone n’a fait que recevoir, conduire et émettre
une excitation.
Jusqu'ici, donc, l’innervation nous apparaît comme
caractérisée par trois ordres de réactions : la réception.
l’élément nerveux
179
la conduction et l’émission : rèce'[)tixitè, conductivité^
émissivité.
Mais les manifestations delà neurilité peuvent atiécter
d’autres formes encore. Ainsi les excitations cutanées,
dont nous ])arlions tout à l’heure, déterminent dans le
neurone 1 des modifications qui, de proche en proche, par
la branche de bifurcation h, et par les chaînons médul-
laires, cérébelleux et thalamiques (remplacés par un
pointillé dans notre schéma), gagnent les centres encé-
phaliques corticaux. Là, elles produisent à leur tour,
dans des cellules spéciales, A, par exemple, des trans-
formations particulières d’où procède l’état conscient
que nous appelons sensation. De même que l’on
dit que les muscles sont innervés, que les glandes sont
innervées, on doit dire que ces cellules corticales sont
innervées : elles reçoivent normalement, des neurones
sous-jacents, des excitations qui mettent en activité leur
aptitude à des réactions s])éciales, réactions qui les carac-
térisent comme organes proprement dits de la sensation.
A ce titre, les cellules sensorielles de l’écorce sont com-
parables aux muscles, aux glandes, à tous les organes
terminaux où aboutissent des incitations nerveuses, et
cela n’ajoute rien à ce que nous savions déjà. Mais il
faut observer que l’innervation, qui provoque ailleurs
un phénomène moteur, un phénomène sécrétoire, etc...,
détermine ici un phénomène nerveux, et différent des
autres phénomènes nerveux dont nous venons de par-
ler. Le neurone cortical en question n’est pas seulement
récepteur et transmetteur : il est sensoriel. La senso-
rialité, projjriété organique comme la réceptivité et la
transmissivité, est une nouvelle manifestation de la
neurilité.
A cette même propriété de l’élément nerveux se
rattache encore directement une autre manifestation
psychique essentiellement organique : la j^ropriété
sensorio-mnésique. On sait que notre écorce cérébrale
1<S0
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
est apte à conserver, sous une forme dont la connais-
sance intime nous échappe, le souvenir de nos percep-
tions sensorielles. On sait aussi que les centres de
souvenirs de sensations sont d’ordinaire distincts des
centres de perception sensorielle actuelle, si liien
([ue ces derniers venant à être mis hors de fonc-
tion, toute sensation, spécifique de ces centres, cesse,
alors que persistent les souvenirs de sensations de
même ordre autrefois éprouvées. En schématisant
fortement les dis])Ositifs, nous pourrions représenter
le centre mnésique par une de ses cellules, 2^ la
cellule 4 figurant un élément d’association interposé
entre ce centre mnésique et le centre de perception
actuelle, cellule 3. Im cellule 2, comme la cellule .V,
est apte à recevoir et h transmettre, mais à ces pro-
priétés nerveuses communes s’en ajoute une autre,
qui lui est propre : celle de garder des traces de cer-
tains processus psycho-phjsiologiques. Gomme l’étude
de ces traces est difiicilement ahordable à l’observation
directe, ainsi d’ailleurs que celle des modifications
organiques qui accompagnent la perception sensorielle
actuelle et la conditionnent intrinsèquement, de toutes
les manifestations de la neurilité, la réceptivité et la
conductivité sont les seules qui paraissent intéresser
les physiologistes.
Tm autre phénomène mériterait cejiendant de rete-
nir leur attention. L’élément nerveux n’est pas seule-
ment réceptif et conductif, il est encore èmissif,
comme nous l'avons signalé tantôt. L’excitation qu’il
a reçue et qu’il conduit, il est apte à la passer à
d’autres éléments, que ces éléments soient, comme lui,
des neurones, ou qu’ils soient des cellules de nature et
de fonctions diverses : cellules musculaires, cellules
glandulaires, etc... Ce pouvoir d’émission, il est vrai,
n’est pas, absolument parlant, exclusivement propre à
l’élément nerveux, ]ias plus d’ailleurs que le pouvoir
l’élément nerveux
iSi
de recevoir et de conduire ; tout protoplasme, en eflet,
est excitalde, et tout protoplasme est conducteur de
l'excitation qu’il a reçue ; mais dans la cellule ner-
veuse ces fonctions sont devenues })répondérantes, et
il est manifeste que c’est en vue de leur accomplisse-
ment que cette cellule s’est différenciée. De plus, les
cellules non nerveuses ne sont excitables et conduc-
trices que pour leur propre compte : leur excitabilité
et leur conductivité ne regardent qu’elles et se ter-
minent en elles ; si l’ébranlement dont elles sont le
siège se communique parfois aux éléments voisins, ce
n’est point en raison d’une fonction spéciale, mais par
le fait d’une transmission toute mécanique tenant au
fait de la contiguïté des éléments, tout comme un corps
brut communique le choc qu’il a reçu au corps brut
qui le touche. La cellule nerveuse, au contraire, de
par les relations qu’elle contracte, soit avec les élé-
ments de même nature, pour constituer les voies d’in-
nervation, soit avec les organes terminaux, se présente
comme spécialement construite pour assurer le trans-
port aux divers appareils de l’organisme des incitations
dont ils ont besoin pour entrer en activité physiolo-
gique ou psychique. iNfais nos connaissances sur l’émis-
sivité, considérée dans ses rapports avec cette activité
spécifique des appareils, sont encore entourées de
beaucoup trop de mystère pour que nous soyons tentés
de nous y attarder.
Nous n’aurons donc en vue, en |)arlant de l’ébranle-
ment nerveux, que les deux fonctions de réception et
de conduction.
Nous entendons par ébranlement nerveux^ en nous
plaçant au point de vue des seuls constitutifs matériels
de cet ébranlement, \m^ i^erturbation dans les relations
mutuelles des molécules qui constituent le protoplasme
nerveux. Le courant nerveux, l’influx nerveux, l’onde
182
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
nerveuse, ne sont ]tas autre cliose que la propagation,
de proche en proche, à travers tout le neurone, et d’un
neurone à l’autre dans un sens prédéterminé, d’une
sorte de vibration moléculaire (i). Il n’y a pas trans-
port de particules comme dans l’électricité (transport
d’électrons). La molécule qu’une excitation mécanique,
chimique ou autre, portée en .8, figure 1, fait vibrer, ne
se déplace pas le long des neurones 1, ..., 4, 2, mais
elle communique son mouvement aux molécules adja-
centes, qui le transmettent à leur tour à d’autres molé-
cules. Pendant que la vibration moléculaire progresse
ainsi à la manière d’une onde lumineuse ou sonore,
les premières molécules tirées de leur position d’équi-
lilire, reviennent au repos après une série d’oscillations
de durée variable. On a constaté qu'une seconde exci-
tation ne produit aucun résultat quand elle suit la pre-
mière de trop près. Le temps (pü doit s’écouler entre
deux excitations, pour qu’elles soient efficaces, est
peut-être mesuré précisément pai- celui que les molé-
cules ébranlées mettent à retrouver l’équilibre : « en
mesurant la. période réfractaire, dit F. Bottazzi, on
mesure protxihlement le temps dont la substance
vivante du tissu a besoin pour revenir éi la position
d’équilibre troiddée par le chanr/ement qui constitue
la base de la proparjation et qui doit être nomnalement
réversdde » (2).
Cela n’est pourtant }>as absolument sur, et peut-être
une sérieuse raison d’en douter nous est-elle fournie
par le fait que là où une seconde excitation, de même
intensité que la première, n’obtient aucune réponse,
une excitation plus forte provoque une réaction immé-
(t) Nous ne prétendons pas. en employant cette expression, allirnier que la
perturhation dont il s'agit est strictement assimilable, et dans tous les cas, à
une vibration ju’oprement dite ; nous ne voulons cependant j)as davantage
nier la possibilité de cette assimilation.
(2) Les activités physiologiques fondauientah’S. Scientia, 1-V-19U, p. 172.
l’élément nerveux
183
diate. Si les molécules, à cet instant, avaient retrouvé
leur position relative d’équilibre, l’état réfractaire ne
s’explique donc pas par la persistance de la vibration
moléculaire ; et si les molécules vibraient encore, on
ne comprend pas pourquoi une excitation de même
intensité que celle qui les avait mises en mouvement, ne
réussit pas à les y maintenir ; il semble même, dans
cette hypothèse, que la seconde excitation, bénéficiant
de ce qui persiste de l’impulsion moléculaire donnée
par la première, n’aurait pas besoin d’être aussi
intense qu’elle. Mais ou peut concevoir que le
travail accompli par les molécules, durant leur dépla-
cement, a)mnt amené une dépense d’énergie, l’aptitude
à la réaction s’en trouve affaiblie, et qu’un temps, d’ail-
leurs très court, soit indispensable à la réparation de
ces pertes, pour que le neurone puisse réagir de nou-
veau dans les mêmes conditions.
D’ailleurs, même à l'état d’équilibre de ses molé-
cules, le neurone est réfractaire à l’égard de certaines
excitations : celles qui n’atteignent pas le seuil \ et on
entend par seuil le degré minimum d’intensité d’une
excitation, au-dessous duquel il ne se produit plus de
réaction. Mais en faisant agir à intervalles suffisam-
ment rapprochés des excitations dont chacune est infé-
rieure au seuil, on finit par déterminer l’ébranlement
nerveux. « Ou croit, remarque Bottazzi, (jue cela
(Icpend (Je la propriété inhérente à la substance
virante de garder des traces même des stimuli ineffi-
caces lesquels, en s’additionnant, atteignent la valeur
du seuil et excitent le processus doué de la propriété
de se propager le long des fibres nerveuses » ( 1 ). Bien
que vitaliste très convaincu, nous ne pensons pas qu’il
soit nécessaire de faire appel ici à une propriété carac
téristique de la substance vivante. Une intervention
(I) Ln activités ph;jsiolo(ji(ines fondamentales. Sc.ientia, l-v-1914, p. 171.
184
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
physique, inécani([ue ou autre, trop faillie pour pro-
duire le déséquilihre complet, peut cependant l’amorcer,
en réalisant déjà un déplacement relatif que les inter-
ventions ultérieures n’auront qu’à accentuer pour venir
à bout de la liaison inter-moléculaire.
Quant à l’opinion de K. Lucas, rajiportée au même
endroit par Bottazzi, à savoii- que « couime il a etc dé-
montré que des qjrocessiis excitatoires locaux ineffi-
caces aucune trace, pas meme la qdus minime, ne se
propage au delà du point où ils ont été engendrés, il
est permis de conclure que processus excitatoire local
et pjerturhation propagée ne sont pas la meme chose »,
il nous semble qu’il n’y a peut-être là qu’une simple
question de mots. Ce qui se propage le long du sys-
tème nerveux, c’est l’effet produit par le processus
excitatoire local. Localement, ce processus provoque
une ])erturliation moléculaire, et c'est cette perturba-
tion qui, se transmettant de molécule à molécule,
gagne ainsi, de proche en jiroche, l’extrémité opposée
de la voie nerveuse.
(ilue les phénomènes nerveux d’excitation et de con-
duction comportent des réactions rédiudibles à des
changements dans les relations mutuelles des molé-
cules de la substance intéressée, cela ne fait aucun
doute, si nous considérons ceux de ces phénomènes
que nous produisons artificiellement ; or nous n’avons
aucune raison de croire que nous n’obtenons ]>as, dans
ce cas, des manifestations neurales essentiellement
semblables à celles ipie détermine le fonctionnement
naturel de nos facultés, d’autant que les procédés
d’exjiérimentation psycho-})hysiologi([ue ne mettent en
œuvre aucun excitant qui ne soit capable d’agir sur
nos organes dans le cours de la vie normale, en dehors
de toute recherche ex]iérimentale.
(les excitants sont nomlireux. Les uns relèvent
d’une inliuence purement mécanique : tractions, chocs.
l’élément nerveux
185
piqûres, compressions, écrasements, etc... Il est Lien
évident que l’interAmntion de pareils agents d’excitation
ne peut d’elle-même déterminer autre chose, dans
les éléments nerveux qu’ils atteignent, qu’une ])ertur-
Lation ])lus ou moins brutale des relations inter-molé-
culaires tant de leur substance structurée que de leur
substance amorphe. Or, que ce soit cette perturbation,
communiquée de proche en proche, qui arrive à l’or-
gane innervé et provoque l’exercice de son activité
spécifique, nous en avons pour preuve le fait que le
môme résultat peut être obtenu en appliquant directe-
ment l'excitant sur l’organe terminal (cellules senso-
rielles encéphaliques, muscles, etc.), en portant immé-
diatement, en d’autres termes, dans cet organe, la
perturbation que nous lui faisons normalement trans-
mettre par la voie nerveuse.
L’effet produit dans le tissu nerveux par les exci-
tants chimiques est essentiellement le même que celui
produit par les excitants mécaniques, bien que les
modalités d’action de ces deux genres d’excitants
soient sans doute fort diflerentes. L’application, sur le
parcours d’un nerf, d’une solution de chlorure de sodium
ou d’une solution de sucre, d’éther, de chloroforme,
etc..., ne peut produire autre chose, en effet, qu’une
action inter- ou inti*a-moléculaire, troublant l’équilibre
atomique de la substance organisée. Tel est aussi, sans
aucun doute, mais réalisé beaucoup plus massivement,
le résultat de l’action sur le nerf des vibrations molé-
culaires tlærmiques. Il faut enfin concevoir de la même
façon toutes les perturbations nerveuses succédant à
l’application d’un \YviXdii\\. pJtysique quelconque.
Tous ces agents mécaniques, phj'siques et chimiques,
peuvent être qualifiés de fiénèraiix : leur action est
efficace sur tous les éléments nerveux. 11 en est au
contraire de spèciaux, dans ce sens que leur applica-
tion n’est efficace que si elle est portée sur certaines
18(3
REVUE DES QUESTIOXS SCIENTIFIQUES
voies, et, dans ces voies elles-mêmes, en certains
points : leur extrémité péri])hériqiie. Ainsi la lumière
excite les terminaisons rétiniennes de la voie optique,
à rexclusion du reste de la voie, et à Texclusion de
tout autre appareil de sensorialité. De même les ondes
aériennes (et les vibrations solidiennes), par l’inter-
médiaire des milieux otiques, excitent les seules cel-
lules de Gorti; les particules sapides, les seules cellules
du o’ofit, et les émanations odorantes, les seules cellules
olfactives. Mais cette spécification de l’excitant ne
comporte jtas nécessairement la spécificité de l’ébran-
lement. Dans ces cas comme dans les autres, tout le
processus se réduit à une perturbation transmissible
de l’équilibre moléculaire, perturbation d’orig'ine mé-
canique dans l’audition, d'origine chimique dans la
gustation et l’olfaction, d'origine physique dans la
vision.
Pouvons-nous aller plus loin dans l’étude de l’ébran-
lement nerveux et nous rendre comjite, d’une façon
plus précise, de la nature du déséquililire provoqué
par l’action de l’excitant ?..
Bottazzi, dans le travail que nous avons déjà cité,
propose à ce sujet l’opinion de Brailsford Robertson
comme la plus probable des hypothèses formulées jus-
qu'ici. Tâchons d’en saisir les jirincipales idées.
(vbiand nous excitons le prolongement cellulipète
d’un neurone périphérique, par exemple le prolonge-
ment cp du neurone 7, en un point a, figure 2, il se
produit en ce point une modification d’ordre chimique,
une rupture d’équililire moléculaire, destinée à envahir
progressivement toute la voie. La question qui se pose
est de savoir dans quelles conditions se fait cet enva-
hissement.
On regarde comme vraisemblable que la réaction
provoquée au point a s’accompagne de production de
substances acides. Celles-ci joueraient le rôle de cata-
l’élément NERVEL’X
1.S7
Ijseurs, activant la réaction d’où elles dérivent, c’est-
à-dire accentuant le déséquilibre moléculaire initial,
par son extension rapide aux groupements molécu-
laires voisins. D’ailleurs, à mesure que cette réaction
s’active, l’auto-catalvse devient })lus intense, d’où une
suractivité de plus en plus grande des ]>rocessus
d’ébranlement. Cela expliquerait précisément pourquoi
les phénomènes nerveux présentent au début une phase
d’exaltation. S’il n’intervenait, en effet, d’autre énergie
que celle mise en œuvre au point a par le stimulus
Fig. “2.
excitatoire, la réaction devrait présenter, à partir de
son début et au fur et à mesure qu’elle se déploie,
une décroissance continue et progressive.
Les mêmes phénomènes se passent au niveau des
jonctions soit inter-neurales, à, soit inter-organiques, c
(neuro-musculaires, neuro-glandulaires, etc.). L’ébran-
lement nerveux qui arrive en à, à l’extrémité des
ramifications du prolongement cellulifuge du neu-
rone i, excite à ce niveau l’arborisation cellulipète ar
du neurone 2. La perturbation moléculaire qui en
188
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
résulte s’accom])agne, comme en a, de phénomènes
anto-catalyti([ues, et les mêmes pi’ocessus de réaction
mutuelle se déroulent entre catalyseurs et substance
nerveuse réagissante. Quand rébranlement apporté par
le neurone arrive à l’organe innervé, par exemple
au muscle m, des phénomènes identit[ues doivent se
passer dans cet organe, d’oii raugmentation pimgres-
sive d’intensité de la réaction (par exemple de la con-
traction musculaire), dans la première phase de la
réponse à l’excitation.
Si les choses se passent réellement ainsi, on peut
prévoir l’allure que vont prendre les phénomènes dans
une phase ultérieure. A mesure, en etiét, que la per-
turbation gagne du terrain, la quantité de substance
nerveuse demeurée intacte, et qui persiste dans son
équilibre moléculaire, diminue. On conçoit donc qu’un
moment doit venir oii, faute de matière réagissante,
l’intensité des processus nerveux, cessant de croître,
entrera dans une phase de régression aboutissant à
l’état réfractaire. Peut-être même ne sera-t-il pas
nécessaire, pour en arriver là, que toute la substance
ait été modifiée, ce qui en reste pouvant être mis
dans une sorte d’« incapacité fonctionnelle » par l’in-
fiuence des acides catalyseurs en excès (?). Les voies
nerveuses seront ainsi comme bloquées, jusqu’à recon-
stitution de la substance des neurones dans son pre-
mier état, sous l’action énergique d’enzymes exhalants.
Si cette restauration ne peut s’accomplir, les éléments
nerveux resteront épuisés, incapables, par conséquent,
de réactions nouvelles.
La théorie de l’auto-catalvse, dont nous venons d’ex-
poser le mécanisme, })rétend expliquer aussi certains
autres jihénomènes assez surjirenants, tels que la
canalisation centrale des ébranlements nerveux et les
dissociations fonctionnelles du sommeil, des états hyp-
notiques, etc.
l’élément nerveux
189
Si intéressantes que soient de pareilles hypothèses,
elles nous seinhlent se heurter à des difficultés qui eu
diminuent, croyons-nous, singulièrement la valeur.
D’abord, elles ne nous apprennent rien sur la nature
de la réaction initiale qui précède la production des
acides catalytiques, et qui est déterminée directement
par l’action de l’excitant. Or c’est cette réaction qui se
propage le long des voies ; les catalyseurs ne font qu’en
accélérer la marche au début, })Our l’entraver ensuite ;
et c’est elle aussi qui, se communiquant aux appareils
terminaux, les incite à l’action : c’est donc la connais-
sance intime de cette réaction qui intéresse au premier
chef le neurologiste. Nous en sommes encore à la con-
cevoir comme une rupture d’équilibre au sein de l’édi-
fice moléculaire. Et sans doute cette conception est
exacte, mais nous voudrions bien savoir encore quels
changements de propriétés, s’il s’en jjroduit, accompa-
gnent la perturbation dans la position locale relative
des dernières particules de la substance nerveuse. Peut-
être, d’ailleurs, avons-nous tort de demander à quelque
théorie que ce soit une explication de cette nature,
sans doute impossible à donner.
La théorie auto-catalytique nous paraît présenter quel-
ques difficultés beaucoup plus graves que cette lacune
inévitable. La première est l’accumulation des réactions
chimiques qu’elle suppose. Appliquons ses données à un
exemple concret. Un léger frottement ou une piqûi'e de
la plante des pieds est suivie de la contraction d’un cer-
tain nombre de muscles du membre inférieur, mais sur-
tout des fléchisseurs des orteils. Or on sait que les prolon-
ments nerveux excités ont leurs corps cellulaires dans
les ganglions rachidiens de la région sacrée : fibres
sensorielles cutanées plantaires du nerf tibial, ou scia-
tique poplité interne; et on sait aussi que les fibres
motrices qui président à la flexion des orteils, sont des
branches terminales centrifue’es du même nerf tibial.
190
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
L'ébranlement nerveux doit donc parcourir un arc
réflexe dont les deux branches mesui-ent, chez un homme
de taille moyenne, une long’ueur d’environ 2"', iO. Or ce
parcours s’accom})lit avec une telle rapidité que la réac-
tion ]>araît se produire à l’instant précis où est posée
l’excitation. En réalité, une fraction de seconde sépare
les deux phénomènes, un dixième approximativement,
en tenant compte des 0"03 qui mesurent le temps perdu
de la transmission du neurone centripète au neurone
centrifuge. On sait, d’autre part, que la phase réfrac-
taire, c’est-à-dire le temps employé par la substance
nerveuse pour revenir à l’état d’équilibre, est excessive-
ment réduite. Le nombre des stiinuli efficaces d’égale
intensité pouvant être, dans certains cas, de 500 par
seconde, il faut que l’équilibre, à chaque excitation, se
l'établisse en 0"(X)2. 11 serait donc nécessaire qu’en
0’102, sur une longueur de 2‘",40, se produisissent
toutes les réactions dont nous avons parlé : déséquilibre
excitatoire initial, production de substances acides cata-
lytiques, extension des jirocessus réactionnels à toute
la substance du neurone centripète et du neurone cen-
trifuge, production d’enzymes, intervention de réactions
oxydatives aboutissant à la destruction des substances
acides des réactions antérieures, enfin restauration de
la substance nerveuse dans son jiremier état tout le
long de la voie qui va de la plante du pied à la moelle
lombaire et revient de la moelle lombaire à la plante
du pied (1).
Sans doute, le monde inorganique nous offre des
exeni])les de phénomènes s'accomplissant avec une
exti'aordinaire rapidité : ainsi, tandis que la vitesse de
l’ébranlement nerveux n’est que de 30 à 35 mètres en
moyenne par seconde, chez riiomme, elle est de plus de
( 1) Pour se faire une idée complète du i)hénomène (jue nous avons pris
comme exemple, il faudrait faire intervenir l’action des neurones corticaux,
le rétlexe plantaire étant un réllexe cutané supérieur.
i9i
l’élkment nerveux
!)00 mètres pour les vil)rations de l’air, et de près de
dOO OÜÜ kilomètres pour celles de l’éther (i), et l’on
comprend que si l’ébranlement nerveux consiste en un
simple mouA’ement vibratoire, un dixième de seconde
])uisse lui suffire pour parcourir l’arc réflexe dont nous
avons parlé. Mais si Ton fait intervenir toutes les réac-
tions chimiques exigées par Thypotbèse auto-catal}’-
tique, on se demande comment ces opérations si com-
plexes peuvent se réaliser dans un intervalle de temps
si restreint. On dira peut-être, comme l’écrit Bottazzi
interprétant Brailsford Robertson, que « cette réaction
chimique qui s’effectue (V abord d’autant plus {de plus
en plus) rapjidement, à la suite de son déroulement
antérieur, )nais qui, ét une période ultérieure, se trouve
inhibée, du fait même de ses progrès... ne 'peut être
(pue la réaction auto-catalgtique, c est-éi-dire celle qui
est acc(Hérée par un de ses propres produits ; aucune
((, litre espèce de réactions chimiques ne présente d’ac-
célération 'positive pendant la période de son dc'velop-
qiement » (2). Mais une théorie n’offre pas grand avan-
tage, qui soulève des difficultés aussi irréductibles que
celles qu’elle prétend résoudre. A la prendre absolu-
ment, d’ailleurs, et en dehors de la question de temps, il
paraîtra toujours un peu contradictoire qu’une réaction
abandonnée à ses propres forces s’exalte à la suite
d’une auto-production de substances qui augmente-
raient son avoir énergétique par un apport tiré d’elle-
même (3).
Si le fait de l’exaltation est inexplicable par des rai-
(1) 300 000 kilomètres à la seconde est aussi la vitesse de propagation de
l’ébranlement électrique, ce qui est une preuve de plus que cet ébranlement
électrique ne peut être assimilé à l’ébranlement nerveux,
pi) SciENTi.v, loc.cit., p. ISl.
(3) L’explication donnée par U. Bohn, de cette réaction « qui commence
spontanément » et « se renforce elle-même », n’est guère 'faite iiour tran-
(luilliser un chimiste tant soit peu scrupuleux. Revue philosophique, juin
1914 : L’Activité chimique du cerveau, p. 565.
192
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
sons d’ordre physico-chimique, n’est-cc pas une preuve
({lie l’intlux nerveux, en plus de la riqdure d’équilibre
moléculaire, comporte l’action d’un coefficient d’ordre
vital ? Ce fait n'est pas d’ailleurs le seul qui justifie
cette façon devoir. ?sous avons déjà fait {dus haut une
semblable remarque. Notons, dans le même ordre
d'idées, quelques autres caractères propres à la nature
de l’ébranlement nerveux.
Une excitation aridvant au muscle {>ar l’intermé-
diaii'C du neurone qui l’innerve, et j’uste assez forte
pour déterminer une contraction de ce muscle, est
inefficace quand elle lui est ap{diquée directement. Le
muscle est cependant directement excitalile par les
mêmes agents qui excitent le neurone, et en fait, si l’on
fait agir sur lui le même excitant, tout à l’heure ineffi-
cace, mais en augmentant l’intensité de son action, la
contraction se produit. Or cette anomalie ne ]ieut<pas
s’ex{diquer {lar l’h iqiothèse que l’excitation lancée dans ,
le neurone a augmenté d’intensité {'tendant qu’elle le
traversait, et qu’elle arrive, par suite, considérabh'-
ment renforcée dans la plaque motrice du muscle. La :
théorie de l’avalanche (1) de I^fiiiger, en effet, a été 1
démontrée fausse : s’il est vrai que l’intensité de l’ébran- I
lement, comme aussi sa vitesse, croissent au début, |
elles s’atténuent progressivement en se ra{qu‘ochant de ’)
l’organe terminal. A moins, donc, que l’excitation ne |
{)orte en un point très voisin de cet organe, l’ébranle-
(1) Celte théoi'ie soutient que I’él)ranlenient i;erveu\ devient «le plus en
plus intense à mesure qu'il progresse le long des nerfs : il fait bouli’ de neif/e.
D’après cette conception, plus le point d’excitation est éloigné de la termi-
naison du nerf dans l'organe, ])lus le chemin à parcourir est long, et plus,
par conséquent, réhraidemenl communiqué à l’organe doit être énergique.
C’est en elfet ce qu’on avait observé, et ce qui avait été précisément l’origine
de la théorie de l’avalanche. Des observations mieux conduites ont prouvé le
contraire, et on sujtpose que dans les expériences où le maximum de con-
traction d’un rmiscle correspondait au maximum d’éloignement du point
d’excitation, l’activité du nerf avait été exaltée par les manipulations qui
avaient accompagné la préparation du dispositif neuro-musculaire.
l’élément nerveux
193
ment, quand il arrive au bout de sa course, par exemple
dans les terminaisons intra-musculaires, a beaucoup
perdu de son énergie initiale, si bien que la distance
peut être telle que l’excitation neurale expérimentale
ne produise aucune réaction appréciable dans le muscle.
Dans le cas où l’ébranlement nerveux, avec une
énergie physique moindre, détermine une contraction
qu’une excitation musculaire directe plus forte (égale
à celle qui a provoqué l’ébranlement nerveux initial),
ne réussit pas à produire, il faut donc admettre l’inter-
vention d’une énergie spéciale, et conclure que « la
conductibilité nerveuse nest... nullement comparable
aux conductibilités physiques » (i). L’anto-catalyse,
ici, n’explique évidemment rien.
Elle n’explique pas davantage le fait de la marche
pour ainsi dire spécifique, de l’ébranlement nerveux
dans les centres. Pour comprendre la difficulté du pro-
blème, il faut se représenter l’inextricable enchevêtre-
ment des terminaisons des neurones à tous les niveaux
de l’axe cérébro-spinal. Gomment l’ébranlement arrive-
t-il, non pas à se frayer un chemin dans cette sorte de
maquis nerveux, mais tel chemin, destiné à assurer
infailliblement les communications entre tel point de
la périphérie ou de la profondeur, et telle zone de la
substance corticale ? Brailsford Robertson trouve tout
simple d’expliquer le phénomène par la formation d’une
plus grande quantité de catalyseur sur certains trajets
que sur certains autres. Mais d’où procède la détermi-
nation du trajet sur lequel les substances catalytiques
s’accumuleront en quantité prépondérante ? Et d’ctù
vient que ce trajet est toujours le même pour une fonc-
tion donnée ? Qu’est-ce qui fait, par exemple, qu’à une
excitation portée sur la rétine correspondra toujours
la formation d’une plus grande quantité de catalyseur
(1) M. Arthiis, Éléments de Physiologie, p. 648, Pai'is, 1902.
IIP SÉRIE. T. X.WI.
13
194
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
sur le chemin qui va du fond de Tceil à la fissure cal-
carine, en jiassant par le corps genouillé externe de
la couche optique? Et quand plusieurs excitations péri-
phériques se produisent à la fois et que, par sinte, il y
a accumulation de catalyseurs sur plusieurs voies ner-
veuses, quelle est l’infinence qui aiguille réhranlenient
sur Tune, de préférence à l’autre, et toujours d’ailleurs
sur celle exigée ])ar raccomplissement de la fonction ?
Si la quantité de catalyseur est la même sur toutes les
voies intéressées en même temps par des phénomènes
sensoriels spécificpiement difierents, à quoi tient le
choix du trajet ? Et si la quantité est })lus considérable
sur une voie, pourquoi tous les ébranlements ne pas-
sent-ils point jtar celle-là? D’ailleurs, la théorie siipjiose
que la production du catalyseur est un des résultats de
la rupture d’équilibre déterminée dans la voie nerveuse
par l’excitation : le catalyseur ne se forme que là où
il y a ébranlement ; c’est dom; la direction prise par
l’ébranlement qui explique la ])résence du catalyseur
sur tel trajet, et non l’inverse.
Ici encore il faut renoncer à vouloir tout expliquer
par la physiijue et la chimie, et admettre l’existence,
dans les processus nerveux, d’une énergie d’un autre
ordre. Et de même, ce n’est point par l’hypothèse de
la production de substances catal3Üques ou autres,
qu’on éclairera d’un Jour bien lumineux la question si
oliscure de XirrcciprocHê de la conduction nerveuse
au niveau des Jonctions inter-neuronales et neuro-
organi([ues, pas jtlus que celle de la nature de l’action
exercée par la volonté sur les neurones corticaux de
nos voies motrices.
II. — Caractères (jènèraux
de r èh ranlement physiolofjique nerveux
En traitant de la nature de l’ébranlement nerveux,
nous avons été forcément amenés à parler de certains
l'élément nerveux
195
des caractères généraux de cet ébranlement, et même
du plus important de tous au point de vue anatomique
et physico-chimique, à savoir que tout ébranlement
nerveux, quel qu’il soit, a pour point de départ un
phénomène toujours le même, malgré la diversité des
causes qui peuvent le provoquer : un changement dans
l'état d’équilibre relatif des molécules constitutives de
la substance nerveuse.
On voit immédiatement les conséquences de ce fait.
Tout excitant, soit mécanique, soit physique, soit chi-
mique, soit physiologique, soit psychique, quand il
aborde le système nerveux, doit se réduire à n’être
qu’un simple producteur d’ébranlement moléculaire.
11 serait sans doute intéressant de connaître la nature
intime de cet excitant, c’est-à-dire, la nature intime soit
de la cause externe dont l’action ébranle nos appareils
de sensorialité, soit de la cause interne qui agit sur
nos dispositifs centrifuges ; mais cela, pour le neuro-
physiologiste, est secondaire. Je sais bien, par exemple,
que ce n’est pas du vert, du rouge, du bleu... qui se
propagent le long de mes voies optiques, et je sais bien
aussi, quelle que soit la nature de ce vert, de ce rouge,
de ce bleu... qu’ils sont assujétis, comme tous les autres
asents excitateurs, à ne déterminer autre chose dans
mes organes sensoriels, qu’une rupture d’équilibre apte
à provoquer l’activité de mes cellules corticales : cela,
])Our moi, est l’essentiel, au point de vue de la connais-
sance de mes processus nerveux. Je sais que la cou-
leur, propriété jjhysique, n’est pas, comme telle, en
moi, et que seule la modification moléculaire dont elle
est la cause la représente dans mes appareils de per-
ception. Qu’est-elle hors de moi?.. C’est aux sciences
physico-chimiques à trancher la question.
I.es divers ébranlements nerveux ne peuvent donc
être conçus comme spécifiques. Considéré en lui-même,
un ébranlement nerveux non seulement n’est ni vert,
196
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
ni ])leu, ni rouge..., mais il n’est ni lumineux, ni
sonore, ni gustatif..., ni même sensoriel ou moteur.
S’il détermine des phénomènes moteurs ou des phéno-
mènes sensoriels, et tels ou tels phénomènes senso-
riels, cela tient à la nature des dispositifs terminaux
dont il excite l’activité. C’est là ce que la physiologie
entend dire quand elle parle de V indifférence de
l’éhranlement nerveux. Une preuve de cette indiffé-
rence est la possibilité de la transposition fonctionnelle
expérimentale des neurones.
Si on rattache en s, figure 3, le bout central 1 du
grand hypoglosse g. h. (moteur), au bout périphérique i
2 de la corde du tympan c. t. (sécrétrice) par l’intermé-
diaire du lingual (sensoriel) avec lequel cette corde se
fusionne peu après sa sortie de la boîte crânienne (1),
les fibres de l’hypoglosse prennent, en bourgeonnant,
la place laissée libre par les fibres dégénérées de la
corde du tympan, et se rendent, par conséquent, soit
dans le ganglion sous-maxillaire, gg. s.-m., soit dans
la glande sous-maxillaire g. s.-m. Dès lors, tout ébran-
lement lancé dans le grand hypoglosse, au lieu de déter-
miner comme auparavant la contraction des muscles
(1) Le lingual nVst pas figuré dans notre schéma, et nous avons supposé
que les fibres de la corde du tympan viennent du facial (VU) et ont leurs cel-
lules d’origine dans la protubérance annulaire.
l’élément nerveux
197
de la langue provoque une abondante sécrétion de la
glande sous-maxillaire g, s. -ni. C'est donc l’org-ane
terminal, glande ou muscle, qui spécifie le résultat des
ébranlements qui se propagent dans l’hjpoglosse.
On a même tenté un autre genre de transposition,
destiné à montrer qu’un ébranlement sensoriel est
capable de présider à des fonctions de motricité, pourvu
qu’on puisse le dériver dans des organes moteurs. On
a réalisé l’expérience en rattachant en s, figure 4, le
bout central 1 du lingual li, au bout périphérique 2 du
grand hypoglosse^^. h. Quand les fibres du lingual ont
bourgeonné et remplacé les fibres disparues du tronçon
périphérique de l’hypoglosse, l’excitation, par exemple,
en i, du nerf nouveau ainsi constitué, donne une con-
traction des muscles de la langue L, par le bout péri-
phérique, et une sensation par le bout central, dont les
connexions corticipètes ne sont pas indiquées dans le
schéma.
Le résultat de cette expérience de Philippeaux et
’Wdpian est, il est vrai, fort contesté, à cause des fibres
d’origine étrangère qui sont mêlées aux fibres du lin-
gual : les fibres constitutives de la corde du tympan.
Le schéma de la figure 5 rend compte de cette com-
plication (1). Les fibres de la corde du tympan.
(1) Nous avons négligé de représenter dans ce schéma les ramifications
qui se rendent aux organes glandulaires.
198
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
c. t., sont de deux sortes : sécrétrices et gustatives.
Les premières, f. s., ou bien viennent d’un ganglion
sympathique en rapport avec le facial F. (VII), ou bien
ont leurs cellules d’origine parmi celles du facial lui-
même, dans la protubérance annulaire, p. a. Quant
aux fibres gustatives, f. g., elles dépendent du nerf
intermédiaire de Wrisberg, ;?.Tr., Celui-ci, accolé au
facial presque au sortir du tronc cérébral, présente
sur son parcours un renflement triangulaire, véritable
ganglion (ganglion géniculé g, g.) où se trouvent pré-
cisément les corps cellulaires d’origine des fibres gus-
tatives de la corde du tympan. L’ensemble du nerf
lingual n. L comprend donc : 1° des fibres gustatives
et des fibres de sensibilité générale propres, f, p. L,
dont le corps cellulaire est dans le ganglion de Gasser
g. G., ou ganglion de la racine sensitive du trijumeau ;
2° des fibres amenées par la corde du U'inpan, et qui
sont, les unes à fonction sécrétrice, les autres à fonction
gustative. Lorsque le tronçon du lingual coupé en 5,
envoie ses fibres régénérées dans les gaines myéli-
niques du tronçon périphérique pj. auparavant occupé
par les fibres (motrices) du grand hypoglosse g. h., ce
l’élément nerveux
199
ne sont pas seulement des prolongements sensoriels
qui envahissent ces gaines, mais aussi des prolonge-
ments sécréteurs. Ne seraient-ce pas précisément ces
derniers qui détermineraient la contraction des muscles
de la langue, à la suite d’une excitation du lingual ?
Dans ce cas, nous aurions encore affaire à une trans-
position fonctionnelle, inverse de celle de la figure 3,
où c’est un ébranlement moteur qui devient sécréteur.
Mais rien ne prouve que la contraction des muscles de
la langue n’est pas due aux fibres gustatives, soit du
lingual, soit de la corde du tympan. Le fait que cette
contraction ne se produit plus quand on a sectionné la
corde de manière à empêcher la régénération de ses
fibres sur le trajet de l’hypoglosse, même s’il est con-
stant, tient peut-être à ce que parmi ces fibres, cer-
taines, d’origine sympathique, sont trophique ment
indispensables pour que les fibres du lingual puissent
bourgeonner dans le tronçon p^ de manière à assurer
l’innervation motrice des muscles commandés par ce
tronçon.
Lors même d’ailleurs qu’il serait prouvé que dans le
cas de la suture sensorio-motrice en question ce sont
les fibres de la corde du tympan qui remplacent fonc-
tionnellement les fibres de l’hj’poglosse, il n’en résul-
terait pas que le même ébranlement nerveux est essen-
tiellement incapable de présider à la fois à des fonctions
motrices et à des fonctions sensorielles. Nous avons eu
déjà l’occasion d’observer, en traitant d’autres sujets,
que l’argument selon nous le plus propre à démontrer
péremptoirement la possibilité d’un pareil cumul fonc-
tionnel, et, par suite, rindifférence essentielle de
l’ébranlement, est celui que nous semble pouvoir fournir
la simple inspection de ce qui se passe normalement
toutes les fois qu’une seule et même excitation, par
exemple une piqûre de la plante du pied, détermine en
même temps un phénomène réfiexe, comme la flexion
200
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
en dedans des orteils, et un phénomène psj'chique,
comme une sensation de tact. L’ébranlement qui par-
court alors le neurone périphérique est bien réellement
inditiérent, puisqu’il va être la cause prochaine de
réactions si diverses. Or, il n’est }>as plus spécifié dans
les autres neurones de la voie, qu’il ne Test dans le
jiremier. Le fait est surtout frappant pour ceux de ces
neurones qui sont chargés de relier à l’écorce cérébrale
les appareils périphéiâques de la sensorialité. Ainsi,
dans le schéma que nous avons déjà donné, ligure 1,
et que nous reproduisons ligure 6, l’ébranlement déter-
miné en *5”, en se communiquant au neurone 8, par la
liranche de bifurcation C. a, du neurone 7, détermine
un rétlexe dont la nature dépend de la nature môme
de l’organe terminal fl;. Le même ébranlement, par
la branche c. h. se communique aux neurones centraux
ascendants, sans suliir encore aucune spécification
l’éliîment nerveux
201
fonctionnelle. La preuve en est que cet ébranlement,
en excitant une cellule corticale sensorielle, 3, ])rovo-
quera une sensation, et en s’articulant par les dernières
raniitications cellulifuges du neurone corticipète, à
quelques-unes des fines arborisations descendantes de
la cellule nerveuse horizontale, 5, déterminera en
même temps, par la voie 5, 3, 7, un phénomène en
rapport avec la difterenciation de l’organe périphérique
0>. Du reste les cellules sensorielles elles-mêmes, après
avoir réagi spécitiquement, sont capaldes de communi-
quer l’ébranlement qu’elles ont reçu à d’autres élé-
ments dont la réaction sera toute différente.
Rien ne nous paraît donc mieux établi que le carac-
tère neutre de l’ébranlement nerveux, au point de vue
fonctionnel, et la dévolution aux organes terminaux de
la fonction de spécification de l’activité nerveuse. Gela
permet précisément de comprendre pourquoi il est pos-
sible d’obtenir le ])hénomène spécifique sans utiliser le
fonctionnement de Lavoie neurale. Au lieu, par exemple,
de porter au point 5”, figure 6, une excitation qui se
propagera Jusqu’en (fi, par la voie neurale 7 et 8, ou
jusqu’en .9 par la voie 7,..., ou jusqu’en 0^ par la voie
7,..., 5, 6, 7, je puis exciter directement D,, .5, 0., et
obtenir, dans ses caractères essentiels, un phénomène
identique à celui qu’aurait déterminé l’excitation trans-
mise par les divers chaînons nerveux. C’est dans le
muscle D,, par exemple, que réside la propriété de
contractilité, dans la cellule 3, que réside la faculté de
sensorialité, etc... Pour que le phénomène propre à
ces éléments puisse se produire, il faut et il suffit que
leur activité soit mise en jeu par une excitation con-
venable. Cette excitation, je puis la leur fournir direc-
tement, et alors le muscle se contracte, la cellule sen-
sorielle réagit suivant le mode sensoriel (lumineux,
sonore, etc.), qui lui est particulier, la glande sécrète,
etc. Dans les conditions de fonctionnement normal.
REVUE DES QUESTIONS S:iENTIFIQUES
2i)2
c’est par la voie nerveuse que cette excitation leur
arrive ; et c’est là toute la fonction de la voie nerveuse,
depuis son chaînon le plus périphérique Jusqu’au
point le plus éloigné, où se trouve l’organe terminal
auquel elle est chargée de faire passer l’ébranlement :
elle conduit, et dans le fonctionnement complexe auquel
elle prend part, elle n’est ditiérenciée que ])Oiir cela.
Parmi les conclusions à tirer de ces faits fondamen-
taux, signalons seulement la suivante : puisque c’est
l’organe terminal qui réagit spécifiquement, et puisque
la voie nerveuse ne fait que conduire un ébranle-
ment indifiérent de sa nature, il est absolument évi-
dent que la sensation s’opère dans les seules cellules
corticales adaptées à cette fonction, et non point dans
ce qu’on appelle les organes des sens, en entendant
])ar là le dispositif périjdiérique des voies dites senso-
rielles. A prendre les choses en rigueur, comme nous
devons le faire ici, dire, par exemple, (pie mon œil
voit, que mon oreille entend, serait affirmer un véri-
table non-sens physiologique et témoigner d’une igno-
rance absolue des notions les plus élémentaires et les
plus fermement établies de la neurologie.
Mais si l’acte sensoriel se pose dans l’écorce céré-
brale, et s’il y est déterminé par l’influence sur des
cellules spéciales d’une modification d’équilibre molé-
culaire transmise de la périphérie, on voit ce qu’il faut
penser de la théorie de la perception immédiate des
qualités de la cause externe de nos sensations, et ce
qu’il faut penser aussi de la nature môme de ces qua-
lités en dehors de nos facultés sensorielles. Ce sont là
des questions fort discutées dans certains milieux ;
dans le monde des physiologistes on leur permet à
peine de se poser. Les excitants des voies neurales
étant astreints, comme nous l’avons dit, à réduire leur
action à un ébranlement de la substance nerveuse, il
est clair qu’ils ne se présentent pas, pour ainsi dire.
l’ÉLÉMKN'T nerveux
203
en nature^ à nos cellules corticales de sensorialité, et,
par conséquent, ce ne sont pas ces excitants eux-
mêmes, et directement, que nos facultés sensorielles
peuvent saisir ; tout au plus serait-ce l’ébranlement
que ces excitants ont provoqué. Mais cet ébranlement,
lui non plus, ne peut être atteint immédiatement, car
il appartient à la voie, et la voie est extérieure à l’or-
gane (cellule ou groupe cellulaire) qui perçoit senso-
riellement. De même que l’excitant n’est représenté
dans nos voies nerveuses que par la modification, ou
ébranlement, qu’il y a produit, de même cet ébranle-
ment n’est représenté dans l’organe sensoriel cortical
terminal que par la modification qu’il y produit à son
tour, et c’est cette modification, de nature inconnue,
qui provoque l’entrée en activité de l’organe. Or l’ac-
tivité de l’organe terminal sensoriel provoque, non une
contraction, comme l’activité de l’organe terminal de
la voie motrice, ni une sécrétion, comme l’activité de
l’organe terminal de la voie glandulaire, mais un état
conscient spécial que nous apjielons sensation ; état
spécial variable suivant la diversité des organes
(visuels, auditifs, etc.), et variable aussi pour chaque
organe, soit suivant l’intensité, soit suivant quelque
autre modalité de la modification produite par l’ébran-
lement venu de la périphérie ou produit sur place.
Ainsi, à l’état conscient spécial que j’exprime en disant
que je vois du rouge, correspond un caractère de l’ac-
tivité de l’organe cortical, différent de celui qui est
réalisé quand j’éprouve ce quelque chose, d’inconnu
en soi, autre état conscient spécial, que je traduis en
disant que je vois du bleu. A chacun de ces caractères
particuliers d’activité visuelle corticale correspond
aussi un caractère different de l’ébranlement amené
par les neurones corticipètes ; et enfin à ce caractère
spécial de l’ébranlement qui a pris naissance dans mes
cellules rétiniennes doit correspondre un mode d’exci-
204
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
tation spécial aussi de la part de l’agent (éther en
vibration) qui a induencé mon dis])Ositif oculaire
récepteur.
Une théorie qui refuserait d’admettre ce processus
de nos perceptions sensorielles ne serait pas recevable
à discussion, et pour toute théorie qui l’admet, la ques-
tion de rimmédiatisme de la percejdion est jugée, tout
comme celle de la projection dans la réalité extérieure
au moi, des caractères tels quels de nos sensations (1).
11 est trop évident, en effet, que si les déterminants
extérieurs de nos sensations ne sont représentés en fin
de compte dans nos cellules corticales que par les
excitations qu’ils leur ont envoyées sous forme de rup-
ture d’équilibre moléculaire vital, et si la sensation
n’est pas autre chose que l’état conscient où ces exci-
tations mettent nos facultés, — ces déterminants ne
sauraient être directement appréhendés par nos per-
ceptions sensorielles.
11 n’est pas moins évident que les qualités de ces
déterminants ne se transmettent pas telles quelles,
pour y être directement perçues, dans nos facultés
encéphaliques de sensorialité, puisqu’elles ne peuvent
même pénétrer telles quelles dans nos organes péri-
phériques de réception et de transmission centri-
pète. Par suite nous ne pouvons pas, renversant les
termes, affiianer que les qualités de nos sensations
correspondent telles quelles à celles des objets qui ont
ébranlé nos terminaisons nerveuses périphériques.
0) Nous entendons ii-i par immédialisme la théorie d’après la(iuelle nos
sensations saisiraient, appréhenderaient immèdiatemenl une réalité qui leur
serait extérieure. \’ immèdiationisme qu’a proposé dans cette même Revue
(avril, octobre 1913) notre collègue le P. de Sinéty, s’accorde parfaitement
avec les idées que nous exposons nous-même ici. Sans y attacher, croyons-
nous, beaucoup d’importance, le P. de Sinéty propose simplement de réser-
ver la dénomination d’objet de la perception externe à la réalité extérieure
que le vulgaire désigne ainsi. La couleur formelle, qui est identique à la sen-
sation visuelle, ne devrait donc plus être dénommée objet de la vision. De
l’aveu de l’auteur, il y a là une pure question de terminologie.
l’élément nervet:x
205
Qui oserait, par exemple, soutenir que Y amerfunie
est une qualité inhérente, telle quelle, cà certaines par-
ticules sapides, de telle sorte que ces particules soient
amères en elles-mêmes, indépendamment de toute
action sur nos facultés sensorielles gustatives ?.. 11 est
clair que l’amertume, modalité de la sensation du
goût, a sa cause dans une qualité, d’ailleurs complète-
ment inconnue, des particules sapides, mais elle n’est
pas elle-même cette qualité.
Qui oserait soutenir encore que la qualité aiguë ou
grave existe, telle quelle, dans l’endol jmphe qui ébranle
les cils de nos cellules de Gorti ?.. Sans doute, au carac-
tère grave ou aigu de l’audition correspond une cause
qui réside dans l’excitant de nos voies acoustiques,
mais cette cause n’est assurément pas l’aigu ou le
grave, existant sous cette formalité dans le liquide de
l’oreille interne.
De même, il serait par trop naïf de soutenir que la
qualité douloureuse ou agréable de la sensation tactile
existe, telle quelle, dans l’objet même qui entre en con-
tact avec notre surface cutanée, et avant toute action
sur mes appareils sensoriels. Assurément, il y a dans
cet objet une qualité spéciale qui fait que son applica-
tion sur nos téguments détermine une sensation de
tact agréable ou douloureux, mais cette qualité ne
s’identifie pas, dans son être formel, avec la qualité
de nos perceptions tactiles.
Il en est absolument de même dans le domaine de
nos sensations olfactives.
Pourquoi les sensations visuelles seules feraient-elles
exception ?.. iV priori on ne le voit pas, et de très nom-
breuses observations prouvent en efiêt qu’elles se com-
portent comme toutes les autres. Il n’est pas douteux,
par exemple, que la sensation de rouge, tout comme la
sensation éCamer, s’explique causalement par l’exis-
tence, hors de nos organes, dans les excitants rétiniens
2U(3
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
cMix-inêmes, comme dans les excitants de la cellule
neuro-épithéliale du bourgeon gustatif, de quelque
chose qui nous donne l’impression de rouge ou l’im-
pression d’amer, mais la qualité sensorielle de rouge,
pas plus que la qualité sensorielle d’amer, ne se con-
fond formellement avec ce quelque chose qui la produit.
M ‘i. — FONCTIONS NERVEUSES
fie que nous venons de dire de la nature et des carac-
tères généraux de l’ébranlement nerveux nous dispense
de nous étendre longuement sur les fonctions spéciales
assurées j)ar cet ébranlement. Sauf, en eflét, certaines
variantes anatomiques, sans intérêt pour nous au point
de vue ovi nous nous sommes placés dans ce travail,
l'étude des fonctions nerveuses nous mettrait toujours
en présence de dispositifs essentiellement les mêmes et
de processus physiologiques se développant suivant les
mêmes lois. Aussi notre intention est-elle de surcharger
le moins possible notre description et de nous en tenir
aux grandes lignes du sujet en disant quelques mots
du fonctionnement physiologique et du fonctionnement
])sychique de l’élément nerveux.
A. — FONCTIONNEMENT NEURO-PIIYSIOURilQUE
A la physiologie seule ap])artiennent tous les phéno-
mènes vitaux qui n’atteignent pas le seuil de la con-
science. f)n les ajqielle encore jdiénomènes de la vie
végétative, parce qu’ils sont caractéristiques du fonc-
tionnement vital des végétaux : il n’}’ a pas de vie
psychique chez la })lante. Or, si nous enlevons de l’en-
semble des phénomènes nerveux tous ceux qui s’ac-
com])agnent essentiellement de conscience, c’est-à-dire
tous les phénomènes de sensorialité et tous les phéno-
mènes ([ui sont sous la dépendance immédiate de la
l’élément nerveux
201
volonté, il nous reste, comme manifestations neiiro-
])hvsiologiques, le groupe, de beaucoup le plus riche,
des réflexes.
Nous devons entendre par réflexe l’ensemble des
phénomènes vitaux nerveux qui assurent, en réponse
à une excitation donnée, la production d’une réaction
spéciale, sans intervention, à titre essentiel, ni de la
conscience, ni de la volonté.
Prenons quelques exem])les pour bien dégager cette
notion.
Quand un faisceau lumineux qui tombe sur ma rétine
diminue d'intensité, l’ouverture pupillaire de mon iris
se dilate ; elle se rétrécit, au contraire, si l’éclaire-
ment devient plus intense : cette accommodation est le
résultat d’un mécanisme neuro-phjsiologique pur, dans
lequel ni ma conscience, ni ma volonté ne sont inter-
venues à aucun titre.
Nombreux sont les dispositifs qui peuvent fonction-
ner ainsi automatiquement, sans que j’en aie aucune
connaissance, sans qu’il soit nécessaire que j’en règle
la marche par une influence volontaire directe : c’est
de la sorte que s’exécutent les mouvements péristal-
tiques de l'intestin, que s’accomplissent les phénomènes
de vaso-motricité, que le cœur bat, que le rythme
respiratoire s’entretient, que les glandes élaborent et
excrètent, que toutes les cellules reçoivent du système
nerveux les excitations qui les maintiennent dans un
degré d’activité suffisant, pour assurer leur nutri-
tion (i), etc...
Sans doute, certains de ces phénomènes peuvent
(1) A moins que la nutrition ne soit sous la dépendance de nerfs spéciaux,
appelés ))cr/is’ trophiques, comme certains physiologistes l’ont soutenu, ou
que, plus simplement, elle n’ait avec le système nerveux que des relations
indirectes, celui-ci étant chargé, en gouvernant la vaso-motricité, de fournir
aux éléments anatomiques, en temps opportun, les matériaux dont ils ont
besoin pour se refaire. Dans tous ces cas, d’ailleurs, ce seraient encore des
fonctions réflexes qui pourvoiraient directement ou indirectement à la
nutrition.
208
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
tomber, indirectement du moins, sons rinflnence de la r.
volonté. Je puis, j)ar exemjde, volontairement, m’entre- T
tenir dans des idées, me ])rocurer des émotions, qui v
modifieront le rythme cardiaque et l’amplitude du î
pouls, qui amèneront la dilatation ou la constriction des k
vaisseaux sanguins, qui pourront même influer éner- C
giquement sur l’activité des organes glandulaires ; 2
mais rintervention volontaire n’est pas essentiellement \
requise pour que ces phénomènes se produisent noiana- y
lement, et, pour l’ordinaire, tout leur processus est |
automatique et fatal, purement réflexe. |
De même, si on effleure sur un homme sain cer- I
taines régions de prédilection de la peau, cette excita-
tion amènera la contraction instantanée d’un certain f;
nombre de muscles, et le sujet aura parfaitement con-
science et de l’ap})lication de l’excitant et de la réaction
musculaire qui en résulte. Mais si une lésion acciden-
telle vient à séparer anatomiquement la moelle des
centres encéphaliques, ou si ces centres sont mis psy-
chiquement hors de fonction, comme dans le sommeil
profond naturel ou provoqué, la même excitation déter-
minera les mêmes mouvements, ou même des mouve-
ments plus énergiques et plus étendus, sans que le
sujet ait la moindre conscience de ce qui s’est produit.
En résumé, il existe des phénomènes nerveux sur
lesquels la volonté ne ])uut avoir aucune influence
directe, et qui échappent toujours à notre conscience :
ce sont de purs réflexes. Il en est d’autres, dont au con-
traire l’exécution peut être initialement volontaire, et
dont la conscience peut s’emparer ; mais ces phéno-
mènes peuvent se produire aussi, les mêmes dans leur
marche et leur résultat, en dehors de toute intervention
volontaire et consciente, aussi les traite-t-on comme
de véritables réflexes.
On conçoit, théoriquement, la possibilité de la réali-
sation d’un dispositif réflexe }>ar un seul neurone ; dans
l'ÊLÉ-MEXT nerveux
209
ce cas, Texcitation, partie d’un organe oii se termine
un prolongement neuronien cellulij)ète, par exemple,
la ])eau, traverserait ce prolongement, puis le corps
cellulaire, et s’engagerait dans le prolongement cellu-
lifuge pour gagner l’organe, par exeiii})le, un muscle,
innervé par ce prolongement. Peut-être un ])areil dis-
])Osit if est-il réalisé chez certains organismes, inférieurs
dans l’échelle zoologique, mais assez développés toute-
fois })our posséder un système nerveux ditierencié. En
fait, ra])pareil réflexe le plus simple ([ue l’on ait observé,
Fig. 7
est celui qui est constitué par un arc anatomi([ue com-
portant deux neurones, 1 et '2, figure 7. On peut du
moins, par des sections méthodiques de la moelle, par-
venir à isoler les éléments de ce réflexe simple (1).
L’excitation portée en p., sur la surface de la peau.
(1) On comprend d’ailleurs qu’on n’opère jamais sur deux seuls neurones,
comme nous l'avons schématisé dans notre ligure, mais sur des nerfs, et
par conséquent sur des groupes neuroniens; mais ces groupes étant constitués
par des éléments de même nature physiologique, ou du moins ceux qui
seraient de nature différente ayant été mis expérimentalement hors de
fonction, on peut ne considérer, dans chacune des branches de l’arc, qu'une
seule de ses unités anatomiques.
IIR SÉRIE. T. X.Ul.
14
REVUE DES QUESTKJXS SCIENTIFIQUES
:^10
détermine un éln-anleinent qui tinit, après passage
[lar la moelle épinière, par aboutir à un organe termi-
nal, par exemple un muscle, m.
On pourrait d’ailleurs simplifier encore ce dispositif
en siqtp là niant l’organe de départ, la peau, et l’organe
d’arrivée, le muscle. Alors le neurone 1 serait excité
directement en a, jiar exemple, et l’ébranlement, sui-
vant la voie rétlexe, arriverait en è, oii il ne jiroduirait
évidemment l'ieii, l’organe percepteur ayant disjiaru ;
mais on jiourrait constatei' qu’il ari-ive bien au terme,
en le dérivant, ])ar exemple, dans un galvanomètre.
Les comjdications ([ui pratiipiement surchargent
toujours ce dispositif élémentaire sont fort nombreuses,
surtout dans certains cas de passage par la voie sym-
patbi<[ue. ( )n peut toutefois les grouper sous deux chefs
jirincipaux. ( )u liien le réfiexe reste sinqde à son point
d’arrivée comme à son point de départ, mais nécessite,
pour pouvoir produii’c dans l’organe terminal la réac-
tion spécifique, l’intervention d’autres éléments dont
l’action est d’ailleurs assez obscure. Ainsi les réflexes
tendineux exigent, en plus d’un dispositif médullaire
semblable à celui de la figure 7, l’intégrité des fibres
ludiro-spinales , des fibres vestibulo-spinales et des
fibres du faisceau longitudinal postérieur. Les réflexes
cutanés des cliniciens (réflexes cutanés su])érieurs, ou
réflexes cutanés corticaux) sont abolis par la mise hors
de service des tilires des cellules pyramidales de l’écorce
cérébrale. — • Ou l)ien le réflexe, simple à son point de
départ, s’exprime à l’arrivée j)ar une réaction intéres-
sant un nombre d’organes plus ou moins grand. C’est
que l’ébranlement qui a parcouru le neurone 7, ne se
communique pas seulement au neurone 2, le seul que
nous ayons schématisé, mais à jdusieurs autres, qui
le conduisent directement dans leurs organes termi-
naux respectifs, ou le trans|)ortent à d’autres niveaux
l’élément nerveux
des centres, d’où il peut s’irradier sur des neurones
encore plus nomljreux.
B. — FONCTIONNEMEMT NEURO-PSYCIIIQUE
L’exercice des fonctions purement })li_vsiologi(pies ne
nécessite pas, à considérer ces fonctions dans leurs
seuls caractères essentiels, la présence d’un système
nerveux, (le sont Inen, en effet, des fonctions de cette
nature qui s’accomplissent, par exemple, dans les cel-
lules de n’importe quel tissu animal séparées de l’orga-
nisme et maintenues vivantes en milieu artificiel, sans
aucune excitation d’ordre nerveux (1). D’ailleurs, chez
le végétal lui-même, toutes les fonctions vitales sont
des fonctions physiologiques, et certaines se présentent
même avec les caractères essentiels de véritables
réflexes : le végétal ne possède pouidant pas de système
nerveux.
Poussant plus loin l’observation, il faut même
admettre que le système nerveux n’est pas absolument
nécessaire à l’exercice de toute fonction physiologico-
psychique. En fait, le seul caractère qui puisse être
universellement invoqué quand il s’agit d’établir, entre
animaux et végétaux, une ligne de démarcation valable
pour tous les cas, est celui de la sensation : ])artout où
il y a vie animale il y a capacité radicale de sentir,
c’est-à-dire d’êti-e établi dans des états conscients déter-
minés par des modiflcations subjectives à cause externe
ou interne. ()r, il existe des organismes inférieurs
légitimement classés, semble-t-il, })armi les animaux,
à qui par conséquent il faut reconnaître une certaine
(1; Ce fait nous semble appuyer l’opinion de ceux qui pensent que les
neurones n’ont qu’une iniluence indirecte sur l’activité trophique, dans ce
sens qu’ils ne feraient que rég-ler l’apport des matériaux nutritifs, par l’inter-
médiaire des phénomènes vaso-moteurs.
212
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
vio psychique, la vie de sensation, et qui, pourtant,
sont (Uqiourvus de système nerveux, tout au moins de
système nerveux constitué par ragencement sj)écial
de cellules dilierenciées en neurones. Cela est de toute
évidence pour ceux de ces organismes qui sont unicel-
lulaires. (Juant aux autres, jiarmi les cellules qui les
(‘onstituent, et ([ui nous paraissent toutes, à ]>eu de
chose [irès, du même tyjte morphologi([ue, peut-être
certaines, par une adaptation délicate (pn* nous ne
])ouvons saisir, sont-elles aptes à exercer, à l’exclusion
des antres, les fonctions de réception, de trans])ort,
d’émission, de percejition. etc., dévolues, (diez les êtres
})lus hautement différenciés, aux cellules nerveuses
telles que nous les avons décrites. Peut-être aussi,
chez l’animal unicellulaire, une adaptation jilus délicate
encore a-t-elle spécialisé certaines régions du cyto-
})lasme ou du noyau en vue de l'exercice des dilférents
modes de sensibilité eonseiente.
l)e cela, nous ne saurons ])rol)al)lement jamais rien,
et nous devons ici. pour ne jias nous engager en des
lu'pothèses sans fondement expérimental suffisant,
nous en tenir aux manifestations de la vie physiologico-
psychique telles qii’idles nous apparaissent dans les
organismes supérieurs, oii leur étude est ])lus facile-
ment aliordahle.
(yielques idées générales dominent la question. .Nous
nous bornerons à les indiquer très sommairement.
P'ahord, la fonction neuro-psychique, ou fonction
sensorielle, est une fonction cellulaire, et c’est pour-
quoi la biologie regarde son étude comme faisant partie
(le son domaine propre, alors qu’elle se désintéresse
complètement des phénomènes jiurement psychiques,
ou spirituels, dans les([uels l’activité cellulair(‘ n’inter-
vient qu’à titre de ])hase pré]>aratoire.
Il faut concevoir, ensuite, que c’est h' même prin-
213
l’éliîmext nerveux
cipe de vie, chez nous Tàme raisonnal)le, qui informe
toutes nos cellules, quelle que soit leur fonction; mais
si c’est la même âme i[ue nous retrouvons partout
dans roro’anisme, dans la totalité de son essence et de
son essentielle perfection, elle n’est pas présente dans
chacun de nos éléments anatomiques selon tous ses
modes d’activité. C’est à peu ])rès la formule dont se
servait saint Thomas, sauf que l’illustre docteur par-
lait de partias là ou nous parlons de cellules, la consti-
tution cellulaire de l’organisme étant alors inconnue ( 1).
Nous devons, en tenant compte de ces principes in-
contestables, nous faire de la mai’che du phénomène
sensoriel l’idée suivante : dans les terminaisons péri-
phériques des voies centripètes se pi^oduit un ébranle-
ment qui n’est, anatomiquement, qu’une riqiture de
l’équililDre moléculaire de la substance nerveuse. Cette
substance, toutefois, est vivante, et c’est pourquoi nous
observons, dans la façon dont se comporte la rupture
d’équilibre, des caractères spéciaux dont on ne rend
compte qu’en admettant l’existence d’un principe de vie,
l’ânie, essentiellement différent des principes jdijsico-
chimiques. La production de l’ébranlement, la propaga-
tion de l’ébranlement, relèvent donc d’une activité au
moins physiologique. Cette activité n’est d’ailleurs que
cela, car aucune des modifications vitales qui la carac-
térisent ne comporte encore de })hénomène de con-
science ; il faut, pour que ce phénomène se produise,
que l’ébranlement, arrivé au terminus de la voie cen-
tripète, se communique à un organe informé, comme
tous les autres éléments de la voie, ])ar un principe
vital, mais dont l’activité se manifeste différemment.
(1) «Anima Iota est in qualil)et parte corporis seciiniliim totalitatem ])er-
fectionis, et essentiae, non anteni seciindiim totalitatem virtntis : quia non
secumluni (piamiibet suam potentiam est in qiialiliet parle corporis ». Sum.
theol., p. I‘', q. LXXVI. art. 8.
214
REVUE UES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Si Tàme est, là eoiimie ailleurs, unie d’une union sub-
stantielle à réléinent matériel du composé, elle y déploie
cependant une « vertu » qu’elle ne déploie point ail-
leurs, et c’est pourquoi la modilication cellulaire, au
lieu d’être, ici, une simple réaction physiologique, sera
d’emblée une réaction psychi([ue, nous entendons une
réaction essentiellement consciente : une sensation. Ce
serait donc se tromper étrangement que de se repré-
senter le pliénoniène sensoriel comme constitué par
deux actes vitaux distincts : d’abord un acte physiolo-
gique, la modification de l’organe terminal, j)uis un
acte j)sycbi([ue, la prise de conscience vague de cette
modification. L’ébranlement venu de la périphérie, en
modifiant un organe encépliali([ue constitué de manière
à s’adapter à une activité s])éciale de l’àme, l’activité
sensorielle ou neuro-psychique, fait entrer en exercice
cette activité ([ui j)Ose là, du coup, son acte propre,
spécifique de l’organe en question : cet acte propre
n’est })as autre chose ([ue la perce])tion sensorielle elle-
même, ou état conscient })articulier répondant à la
modilication particulière de l’organe.
Du fait que l’ànie, bien qu’elle soit partout quant à
la totalité de son essence, n’est que dans certains
organes déteianinés ([liant à certains motles de son
activité, il suit nécessairement ([ue cette activité ne
[lourra [loser son acte que là où se trouve l’organe qui
lui est spécialement adapté. Il y a donc une localisation
des actes sensoriels : ce n’est pas partout, ni n’importe
où, dans l’organisme, que se constitue l’état conscient
([Lie nous appelons sensation auditive, ou autre, mais
là même et là seulement où se trouve la faculté senso-
rielle alléctée à ces phénomènes spécifiques.
Cette dernière observation ouvrirait tout naturelle-
ment la voie à une étude sur les régions corticales des
localisations sensoidelles percejitrices et des localisations
l’élément nerveux
215
sensorielles mnésiques, où une grande place devrait
être faite à la psyclio-phjsiologie et à la neurologie
pathologique. Mais, outre que la discussion des faits sur
lesquels ces questions sont fondées demanderait des
développements trop considérables, nous avons déjà,
à plusieurs reprises, dans cette Revue même, exposé
sur ces différents sujets quelques idées auxquelles nous
nous permettons de renvo3'er nos lecteurs.
L. Boule, S. J.
VARIETES
I
A PHOPOS
D’PX OUVKAGK UÉlT:XT Sl'U L’ASTKOXO.MIK XAUTIQl'K
Al’ POKTPGAL
A i;KP0nrF> l'I^^ GIUXDS YOYACKS DK DKCOl’YKKTK (1)
.M. Densaïule esl por'iigais et édite, dans la Suisse allemande,
lin ouvrage éeiâl en IVançais. Ceci snilit ampleminil pour excu-
ser ([iieliines négligences d’impression et de style, d’ailleurs
sans importance réelle.
l,a lecture de V Aslvnno)i)ie nniitlqiie est i)leine d’intérêt,
mais laisse une iin[)ression coni[)lexe et élrange. L’auteur
lait preuve de talent. Chercheur érudit, il exhume du l'ond des
hihliothèfpies nomhre de volumes rares, et se plait à appeler
notre attention sur des textes curieux peu connus. .Malheureuse-
ment le sujet ti'aité appartient à l’astronomie et M. Mensande
n’est ni astronome ni mathématicien. Il nous en prévient loyale-
ment, je me plais à le dire ; mais, cet aveu sullit-il ? Oui, si l’on
se place au [)oint de vue de riionnéteté scientillqiie ; non, si
l’on se met à celui de la valeur des raisonnements. Lu astro-
nome les ei'it conduits autrement.
.M. liensaude plaide un procès. La i)arlie dont il prend ei*
(I) \.'As) roïioniic mintiqne au Vovtuqal à l'ùijoqur îles qi amies ilécnu-
rei'tes, p:tr .loiuiuim Meiisaiiile. liiTii, .Akadeniisrlie tiiiclihaiidlmig von .Max
|li-ficlisel, lOli!. l'n vol. in-i" (te ])ag'e.s.
VARIÉTÉS
217
mains les in(éiaM< a peut-être raison ; qnelques-imes de ses
preuves à ra|)[)ni sont en tons cas excellentes : mais apres avoir
entendu le plaidoyer de l’avocat, le jnge, je veux dire le lecteur,
ne sait pas à (pioi s’en tenir.
L’objet du procès [)orte sur le [)roV)lème de la détermination
<le la latitude en mer. Les grands navigateurs portugais de la
lin du xv“ siècle savaient-ils le résoudre? Jadis on le niait, mais
à tf)rt. La vérité est (pie la Jimla clos mulheinaticos, espèce de
Bureau des Longititiides (pii l'onctiomiait à Lisbonne, tenait
secrétes ses tables nautiques et la manière de s’en servir. De ce
qn’on ne connaissait [las les l’ègles l'ormulées par la Juiiltt poiii’
ses marins, on concluait que ces règles n’existaient pas. Lins
P 'rsonne ne le soutiendrait sérieusement aujourd’hui.
Mais sur ([iielles données la Junta calculait-elle ses tailles
nautiques? Voilà la question précise (pii l'orme l’objet du litige.
« Iav Janio puisait à des sources allemandes, disent la plupart
des historiens ; c’étaient les Éphémérides de Regiomontanus et
d’autres documents analogues que lui Ibiirnissait un savant
allemand, membre Ini-mème de la Jiinia, Martin Behaim de
Nuremberg. »
.M. Bensande conteste cette allégation. Je crois qu’il a raison,
mais un des arguments auxquels il attache le plus d’importance
est peu concluant. Présenté autrement, c’est-à-dire débarrassé
des erreurs d’astronomie sphériijue ([ni l’énervent, il pourrait
devenir décisif, soit pour, soit contre la thèse de l’auteur. Nous
y reviendrons.
UAsirouomic nauli(pæ se divise en trois parties liien dis-
tinctes, assez indépendantes l’ime de l’autre : une étude sur un
volume rare de la Bibliothè([ue d’Lvora ; un projet de préface
destiné à servir d’introduction à la reproduction en l'ac-similè
d’nn incunalile de la BiMiothèque Royale de Munich ; un clmix
de pièces rares et de documents relatifs à l’histoire de la marine
portugaise.
Le mémoire, consacré au volume de la Bibliothèque d’iù'ora,
porte la date de Berne, décendvre J DH.
« Il est fort dillicile de savoir, dit l’auteur, quelles étaient au
juste les connaissances scientifiques et astronomiques des
grands marins portugais de la fin du xv’ siècle. »
D’accord, et c’est la conséquence naturelle du soin jaloux
avec lequel la Junta dos rmthemalicos tenait secrètes ses tables
nautiques. .Aussi l’ai-je déjà dit, on a pu soutenir longtemps, avec
'21S
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
grande vraisemlilaiice, que, la Jnnhi n'ayani pas de labiés
|)fopres, les marins [)oi’lngais se sei'vaienl des Ephémérides de
llcgiomonfainis.
Or, en 1888, M. lairien Oordeiro |)uhliail dans le Bolletim
i)\ SociEDADE DE GEOriHAi’inA DE LisiîOA, 1111 ai'lirle inlilnlé un
peu pompensenient ; De coiiin ii irefjdrdiu os Dofldtjtiezes no
conieço do secnio XVI (pp. J().'3-J88). La solennité du lili'e se
jnstiliail assez bien par rimporlanre de la déconverle (pie M. Gor-
deiro venait de l'aire <à la Bibliolhè;|ue d’ivvora. L’était un volume
renrermanl pbisienrs ouvrages paraissant indépendants les mis
des antres, notamment ; Le Hcfjlenienl de VAslrohdte et du Qua-
drant, et une traduetion portugaise du Traité de ta Sphère de
Sarro Bosco, traduction anii'rienre à celle ipie iniblia en 1587
l’edro Xunes. Dès 1888, M. Lordeiro éniibtait une conjectui’e, qui,
aujour’d’hui, touche presejue à la certitude ; c’est que le volume
d’Kvora était un exemplaire rarissime des instructions nauticpies
données jadis par la danta aux amiraux portugais. Il contient
en ell'el toutes les connaissances astronomiipies alors indispen-
sables à un marin ; la théorie, dans le Traité, de la Sphère;
la pratique, dans le Uèplemenl de l'Astrolabe et da Quadrant.
Dublié en portugais, le mémoire de .M. Lordeiro passa beaucoup
trop inaperçu ; s’il avait été écrit dans une des grandes langue.^
européennes, anglais, allemand on l'rançais, il eût lait sensation.
Dans la première partie de l'Astronomie naaticpie, M. Ben-
saude reprend le travail de .M. Lordeiro et groupe ses considéra-
tions sons quatre lili’es; 1” Introiluction, '2’ Les tables nautiques,
8’ l.es instruments astronomiijnes, L (/astronomie péninsulaire.
Les titres ne sont [>as très adéquats aux sujets ti-aités. I>’autenr
nous donne, tantôt plus, tantôt moins que ce ([ue le titre
annonce. Le plan n’est pas toujours nettement tracé et les
matières des chapitres empiètent parfois les unes sur les autres.
Boni' ne pas me répéter en suivant .M Bensaude, chapitre par
clnqiitre, je me contenterai de quelques observations générales,
qui s’appliiiueut d’ailleurs aussi pour la plupart au second
mémoire.
.M. Bensaude est un habitué des bibliothèques. On doit lui
reconnaître le llair et le coup d’œil (jui font faire les tiouvailles.
(>’liistoire de la géographie lui est familière. One n’en puis-je
dire autant de celle de la trigonométrie et de l’astronomie ! S’il
a lu VHistoire de T Astronomie de Delambre et les Vorlesiingen-
vber Geschichte der Trigonométrie de von Braunmühl, c’est
en tout cas d’une façon bien distraite. .M. Bensaude nous avertit,
VARIÉTÉS
•21!)
je le rejiète, qu’il n'e>t pas aslroiionie. Mais, relie (Icrlaratioii
laite, [lonniiioi ne pas se tenir en yardeV l'onrqnoi quitter
aussitôt les terrains de la bibliographie et de la géographie qu’il
connaît, |)onr s’aviuiturer sni' celui de rastronornie, qui est, poiii’
lui, singulièrement glissant?
Les raisonnements de M. Hensaude sont, en effet, parfois bien
étranges. Lu voici un exemple prisait hasard. Peut-être a-t-il
cependant, plus que d’autres, appelé mon attention, parce que
M. Bensaude a pris soin lui-même d’en imprimer en caractères
gras les passages les plus surprenants, (ju’on en juge. 11 s’agit
des tables nautiques. Les marins portugais employaient-ils les
Éphémérides de Kegiomontanus? Cela parait peu vraisemblable.
Le Rèfileinent de rastrolabe semble avoir été calculé ix leur
intention. Puis, il était évidemment plus commode de faire
usage du Règlement, et de ses tables de déclinaisons solaires
toutes calculées, que de se servir des Éphémévides et de leur
table des longitudes. Je dis plus commode et, intentionellernent,
je ne dis rien de plus. Mais .M. Bensaude va beaucoup plus loin.
11 soutient que l’emploi des Éphémérides était impossible. Voici,
en effet, en quels termes il parle des tables de ce recueil (p. J 9) ;
«Ces tables, dit-il, contenaient les positions du soleil, de la
lune, (le Caput) des 5 planètes (Saturne, Jupiter, Mars, Vénus et
Mercure) dans les signes du zodiaque, calculées jour par jour,
pour ans. Chaque mois occupe une page. La page opposée
contient une indication sur les dates des éclipses, conjonctions,
oppositions, etc. par rapporta ces mêmes mois. Cette deuxième
page porte comme titre ; Aspectus bmae ad solem et planetas ;
solis et planetariim inter se.
» On ti’ouve dans les Éphémérides la position journalière de
chacune des 7 planètes par rapport aux 12 signes du zodiaque
où à leurs maisons astrologiques.
» On n’y trouve aucune indication sur le problème des lati-
tudes ; bien plus on ne trouve pas les éléments indispensables à
ce ccdcnl. Un élémenl important y manciue : les tables de décli-
naisons. ))
Les phrases sont soulignées dans le texte et ne l’ont pas été
par moi. .Mais .M. Bensaude ne semble pas se douter, que même
pour un marin de la tin du xv° siècle, une fois la longitude solaire
donnée, déterminer la déclinaison de l’astre n’était qu’un jeu.
L’angle de l’écliptique et de l’équateur était connu. M. Bensaude
nous apprend lui-même que les astronomes portugais l’esti-
maient, les uns à 23’30', les autres à 23V33'. C’est là, en effet.
RKVUK DES QUESTIONS SCIENTIFIQT^ES
la valeur qu’ils allrihuaieiit à l’aiigle de la déeliiiaison solaire
maxima, par le(|iiel les astronomes ont, de tout temps, déter-
miné l’aiigie de l’é([uatenr et de l’écliptique, (leci posé, soit d, la
déclinaison cherchée du soleil ; l, sa longitude; m, la déclinaison
solaire maxima ou l’angle de l’écliptitiue et de l’éfpiateur :
llegiomontanus et Ions les astronomes el les astrologues de son
temps calcidaient d, pai' la Ibrrnule alors de'jà Irès ancienne
sin d sin /
sin m sin hÜ’
Les tables de sinus circulaient en manuscrit et n’étaient pas
rares. L’imprimerie venait d’élre inventée ; mais ce serait la
plus grossiéi'e des ei reurs historiques, que de limiter déjtà aux
volumes imprimés les ouvrages d’un usage courant à cette
épo(jue.
On se .servail alors de tables de sinus naturels, telles
celles de Kegiomoulamis et de bien d’aiUres. Tous ceux qui
s’occupaient d’astronomie possédaient cet iusirument de travail
indisi)ensahle ; ce n’est pas à .M. IJensaude que je dois l’ap-
prendre. Pour ma pari, j’eus admis sans dilliculté, que des
expéditions aussi bien organisées que celle d’un Yasco de
(lama, par exemple, avaient à bord quelques tables de sinus
et desolliciers ca[)ables de s’en servir. Les lal)les astronomiques
donnaient tout au plus la minute des longitudes solaires, et les
déclinaisons ne se calculaient pas avec une a[)i)roximation plus
grande. Pans ces limites, les tables de sinus pouvaient s’employer
sans interpolations, ce qui rendait leur maniement tout à l'ait
simple et élémentaire. Le calcul d’une déclinaison ne supposait
guère d’autre prali([ue des mathématiques que celle delà mul-
tiplication des nombres entiers, par un nombre entier toujours
le même, le sinus de :2«}':3()' (ou i.j'drj'). Le [)roduit obtenu devait
se diviser ensuite par siii DO'’, c’est-à-dire [)ar le nombre très
sini[)le qui mesurait le rayon des tables J(P ou (l.JO" (1). Pareille
(I) On le sait, les i)lns anciennes tables iinprhiiéi’X de sinns naturels sont
celles de Keg'ioinonlanus (|ui jiarurent à AngsboncH’, en 11911, dans son
Opus Tabhlanun tlireclionum profcctiomuiujue. I.es sinus sont calculés au
rayon 60 000 et les tangentes naturelles au rayon 100 000. I.es premières
tal)les de sinus naturels imprimées, <[ui soient indéi>endantes de ta division
sexagésimale du rayon, se trouvent dans Vlnstnuiicntum primi mobilis a
Ih'tro Apiano mine primiim inrenhim et in Inci’in eilitiim... .\orimi)ergae,
apud toannem Petreium, .MIlWXllI. Encore untï lois, il ne s’agit là bien
4
VARIETES
•>21
division mérilc-l-elle viniment le nom de calcnl? Même pour
nn mathématicien dn siècle, tonies ces opérations étaient,
des pins laciles. Aussi n’est-ce pas moi, c’est M. llensande, qui
semble les regarder comme an dessus de la portée d’nn Vasco
de (lama on de ses olliciei’s.
A’iiisistons pas, car, je l’accorde, il ent mieux vain melli'e
entre les mains, des marins, des tables de déclinaisons tonies
calcidées. La Jnnlu s'en rendait compte. La consirnclion de ces
tables rentrant dans ses attributions, est-ce aux sources alle-
mandes qu’elle en puisa les (‘léments? Yoiiïi nn second point à
éclaircir.
Lt tout d’al)ord la Jtnita ponvail-elle ignorer qne les meil-
liMires tables de longitudes, portugaises, ai'ahes, juives on alle-
mandes, qn’impoi'te? — qne les meilleures tables de longitudes,
dis-je, loi donneraient les meilleures tables de déclinaisons?
Le serait Ini l'aire injure. A moins de preuves positives, je ne
l’admettrai pas. (jnand Ledro Aunes, dont M. Bensaïule nous
parle avec l’aison en termes si élogienx, quand Aimes écrivit son
admirable algèbre, il prit son bien partout on il le trouva, chez
Jordan de A'émore, chez Cardan, chez Laccivolo ; ce n’élaient
ni des Portugais, ni des Juifs, mais peu lui importait. S’il s’était
laissé dominer par queb[ues-unes des préoccupations qui ban-
lent, par moments, M. Ben.saude, jamais Aunes n’eùt écrit le
petit chef-d’œuvre qu’est le Libro de Algebra. J’ai trop d’estime
de la Jiüita pour ne pas croire qu’elle agit comme Aunes.
Mais, en fait, à quelles tables de longitudes donna-t-elle la pré-
férence? En réalité, jusqu’ici on n’en sait rien ; car voilà ce que
les raisonnements de M. Bensaude continuent à laisser obscur;
j’allais ajouter, ne font parfois qu’embrouiller davantage, (ju’on
me comprenne bien, je veux dire que si M. Bensaude avait été
astronome, il eût raisonné autrement. En elfet, une expérience,
d’ailleurs aisée à faire, efit été ici probablement décisive. Les
tables de déclinaisons adoptées par h\ Junla existent. M. Ben-
saude prouve fort bien qu’on les trouve dans l’incunable de
Munich, objet principal de son élude actuelle, (jiie le savant
entendu que de fables imprimées. Ptoléniée lui-même a déjà d(‘s tailles de
cordes qui se transformèrent peu à peu, chez les .\ralies, en tailles de sinus
naturels. .M. Nallino a publié les tables de sinus naturels (l'.tlbategnius dans
son édition d'Al-Battàni, sire Albateriii Opus Astrommicinii.. . t. '2...
Mediolani Insubrum. Prostant apud Ulricbum Hoepli, litOT ; pp. 55-5(5;
volume qui forme la 2® partie du n® 40 des PcBiiuc.AZiOM riEi. Iîe.ale Osskb-
V.ATORIO DI BrERA IN .MlL.ANO.
0-)0
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
aiileiir lasse donc le travail inverse clerelni qui Int oicloiiiié par
la Jintla ; (pi’il [)arte des déclinaisons pour détei miner les lon-
gitudes. Il serait bien siirimenant (pie le résultat de ses calculs
ne lui apprenne pas à coup sur (pielles tables de longitudes
servirent jadis de point de départ aux* travaux de la Junla. Et
que M. Hensaude ne in’olçjecte pas la longueur d’une pareille
épreuve. Il ne s’agit pas de reconstruire totde une table des
longitudes. En cboisissant bien (piehjues exemples : en s’arrê-
tant notamment à ceux où les données numériiiues des diverses
tables de longitudes dillerenl entre elles, il saurait, fort vite,
selon toute apparence, à (juoi s’en tenir.
Voici des remar(|ues d’un autre genre. A projjos du Boteiro
de don .loao de Castro, M. Hensaude écrit ces lignes très inté-
ressantes (p. o.')j ;
« Hans ce Houtier de J53(S, don .loao de Castro parle des
sabliei's (relogios d’areia) utilisés pour observer l’heure des
éclipses ainsi (pie des cadrans solaires (relogios do sol ) tous laits
en Elandre et en Allemagne, mais il ne mentionne même pas la
balestrilba, sur laquelle on ne tardera [irobablement pas à réunir
de nombreux éléments historiques, dans une séi'ie d’ouvrages
portugais du xvU et du xvii'' siècles, (pu n’ont pas cncoi'e été
consultés. »
Ces horloges llamandes à sablier utilisées par les l’ortugais
pour déterminer l’heure des éclipses et [lar conséquent très
probablement aussi les longitudes géogiapbiques ; ces horloges
les marins portugais les employaient-ils aussi pour calculer, en
mer, la longitude du vaisseau ? I.a chose vaudrait la peine d’étre
examinée. Les l'ortugais auraient alors l’honneur d’avoir les
premiers appli(pié la méthode de Gemma Erisius. On sait, en
effet, que le célèbre professeur de l’Eniversité de Louvain
l’avait publiée huit ans auparavant, en JudO, dans son petit
traité De I sii filobi imprimé en annexe à son ouvrage De Prin-
cipiis Aslroiwhitae et Cos)iiofjrapliiae.
Le même passage de M. Hensaude me permet, en outre, de
signaler une dithculté à laquelle l’auteur n’a pas, à mon avis,
prêté toute l'attention qu’elle mérite. A l’époque des grandes
décou vei'tes, l’arbalestrille (balestrilba) et l’astrolabe étaient
simultanément employées, dans la Héninsule hispani(pie. Ce
lait est admis, je crois, depuis longtemps par les historiens de
l’asti’onomie ; mais ,M. Hensaude met une certaine insistance à
le démontrer aux géographes, dont plusieurs, paraît-il, doutent
encore. Il est d’autre [(art incontestable que la Jtnila préféra
VARIÉTÉS
223
l'astrclabe à l'arhalesli ilii*. La raison mérilerail d’en être reclier-
ehée. Car, an pi'emier al)ord, VaJuhUi pourrait sembler avoii’
rejeté un instrument simplement médiocre, l’arballeslrille, pour
en adopter un franchement incommode, l’astrolabe. Voici, en
etlet, comment la pren?itn-e autorité de Fi'ance, feu le colonel
Laussedat . direcleui’ du Conservatoire des Arts et Métiers,
membre de l’Institut, appréciait, en J898, la valeur relative des
deux instruments (J ).
c( L’arbalestrille, ti'ès populaire autrefois jusque chez les
maçons et les cbarpentiers, a été pendant longtemps employée
par les marins, souvent même de préférence à l’astrolabe, quand
l’horizon était Inen net, parce que en visant simultanément à
cet horizon et à l'astre on évitait les mouvements d’oscillation
du disque suspendu de l’astrolabe.
» On comprend aussi, que dans les reconnaissances topogra-
phiques, cet instrument très portatif et facile h improviser, ait
dù être souvent utile aux voyageurs et aux militaires, pour éva-
luer rapidement les distances et les hauteurs. »
Je me contente d’énoncer le problème, sans la moindre idée
préconçue sur le sens dans lequel il faut le résoudre ; mais, il
vaudrait la peine de le discuter à fond. Pour préférer l’astrolabe
à l’arballestrille, la Jiiuta dut avoir ses raisons.
Avant de qiutter le premier mémoire de M. llensaude, voici,
à regret, une dernière réllexion. A l’improviste et sans y être
jiaturellement amené par le sujet, l’auteur a des hors d’œuvres
en l’honneur de la science juive et d’autres où il s’élève en
anathèmes contre l'ignorance des jésuites. Ces tirades déclama-
toires, compréhensibles et de mise peut-être dans un pamphlet
politique nuisent toujours aux ouvrages de critique scientifique.
Elles font croire au parti pris chez l’auteur et mettent le lecteur
impartial en défiance. Aussi bien, énoncées dans les termes
vagues et généraux de M. llensaude, les deux thèses sont égale-
ment fausses. Juifs et Jésuites eurent les uns et les autres quel-
(1) lieclioxlies sar les htstnimoüs, les Méthodes et le Dessin topogra-
phiiincs. T. l, Paris, Gautliiei’-Villars, pj). 59 et 60.
Maître Joao, pilote la Hotte de Cal)ral se servait de l’Astrolabe pour
]irendi-e les hauteurs. Or voici en cpiels termes il se plaint de l’inlluence du
roulis sur l’emiiloi de l’Astrolabe :
« Il me semJMe prescpie impossible de prendre la hauteur des étoiles en
mer, parce que, pour peu que le navire roule, on fait des erreurs de l à
5 degrés de façon qu'on ne peut 1a prendre qu'à terre. Astronomie Xau-
tiijne.p. 102.
22A
REVUE DES Ql’ESTIUNS S(.;i ENTIl’K^lUES
(|iios asirononies el (|iiel(nies niallii'inaliciriis inar(|naiils, de
livs grande valeur; ilseiirenl en pin." grand noinhre des savants
dislingnés, paifaiteinent an conrani de la seience de leur leinps;
ils eurent aussi, les uns el les autres, (|uel(|iies hommes qui
eussent mi(*u\ l'ail de ne pas écrire. Soyorrs sérieux! (|ue peuvent
l)ien faire les eonviclions religieuses de raulenr, (iiiand il s'agit
d’une démonsli'alion d'aslronomie ou de géonn'drie ? l'our moi,
j’avoue adnurei' également les li'avaux seienlili(|ues dn pa’i’eii
Arehimède, du luahoniélan Alhalégnius, dn lulli('‘rien Slifel, du
i hanoiiie Copernic et du jésuite (îrégoiic di* Sainl-VineenI .
.l’allais ajoider : du jiuf l’edro \unes. Il’ailleurs, l'id-il vraiment
juif? ou {)lut(')l jtuf eonverli? ou même simplement issu de
parents juifs? nuand, à deux re{)rises déjà, j’ai (‘ssayé; d’ap|)eler
raltcniion sur son Alfjèhre, ces (pieslions m’ont i)aru oiseuses,
.le puis me rendie le témoignage d’avoir jugé eel ouvrage
remar(|uahle, sans me pi éoecnper de la religion de l’aulenr.
■M. Itensaudc eût tout gagné à en faiie (h; même.
l’edi‘0 Aunes ap[iarait dans l’Iiisloii'e de la science portugaise,
comme un hrillani météore (pie rien n’annoneait el (pii ne laissa
aucune trace derrière lui. .M. .Maniice Cantor a remarcpié, dans
ses Vorlesinifien, combien un pareil fait ('fait rai’e.
.l’ai lonjours cm que .\unes avait eu des préeiu'seurs. .le vois
avec plaisir .M. Hensaude parlagiu’ la même idée. Il nous promet
en outre de montrer chez les mallu'maliciens juifs les précur-
seurs de Aunes. C’est fort bien, .ladis Sieinschneider, avec moins
de fougue, plus de critiipu', plus de connaissanci* des manus-
ci'its que .M. Hensaude, a mis en pleine lumière riniluence très
ap[)réciahle des juifs du moyen âge sur le dévelopjiemenl de la
science. Mais, nous sommes en Kspagne el en Corlugal ; fin-
llnence arabe doit y avoii' été bien plus grande (pic celle des
.Inifs. Kntin il me [larail inlinimeni pi obable (jne .luifs cl Arabes
ne furent pour Aunes que des inécnrseurs éloignés, el que
celui-ci puisa immédiatement sa science, dans des sources
chrétiennes. Cuisse .M. Hensaude. libre de pn’'jugés, nous donner
un li'avail documenté, impartial et bien raisonm' qui soit déb-
nilif !
Le second mémoire de V Aslrononric est une pn'-
face écrite en guise d’iiilroduclion à la reproduction en f;;c-
sirnilé d’un incunalile de la Hibliolbèque Hoyale de Mnnicb.
X plusieurs reprises déjà, l’allenlion avait été appelée sur (C
pi'écieux volume ; mais c’est par un article publié, (m JtJUS,
dans son Hislorischcs Jahrbmh (pp. 304- HoH) que M. Crauci t
VARIETES
225
en signala Ionie l’importance. Cel article inlitnlé : Die Enlde-
cknng eines Verstorhenen zur Geschichie der gnmeu Ldnderenl-
deckungen était suivi d’une note de M. llartig consacrée prin-
cipalement à la description bibliographique de l’incunable
(pp. 384-3l37).
A la suite de ce double travail, la reproduction en (ac-similé
du volume de Munich a été décidée. Il contient trois traités :
Le Règlonent de l'Astrolabe et du (J lutdr an l ; wne traduction
portugaise de la Sphère de Sacro liosco ; une Lettre de Jérôme
Münzer (llieronyinus .Monetarius) au roi don .loao II, [jour lui
recommander Martin Bebaim. Cel te dernière pièce a déjà soulevé,
à plusieurs reprises, d’assez vives polémicjues.
Le volume d’Evora peut être regardé comme une réédition
revue de l’incunable de Munich. Les tables numériques d’P5’ora
sont moins rudimentaires que celles de l’incunable ; par contre,
les règles de leur emploi sont plus concises et les exemples des
calculs moins multipliés.
L’introduction à la reproduction de l’incunable éci'ite par
M. Bensaude peut se diviser en quatre parties, auxquelles, pour
la clarté, l’auteur eût bien l'ait de joindre un numérotage :
Introduction et généralités ; 2“ Le Règlement de V Astrolabe et
du Quadrant ;‘S° I>a Sphère de Sacro Bosco ; 4” La lettre de
Mi'inzer.
Les réllexions suggérées ci-dessus par le premier mémoire
reviennent spontanément à l’esprit quand on lit le second, .l’ai
bâte d’ajouter cependant que ce second mémoire est supérieur
au premiei'. D’abord, les chapitres où l’auteur se cantonne dans
l’histoire de la géographie sans toucher à celle de rastronomie-
sont plus étendus. Or, en nous faisant l’histoire de la géographie
M. Bensaude nous parle de choses qu’il connait. Il a mis la main
sur des documents curieux et les commente de manière à en
mettre bien le prix en relief.
Ensuite, l’auteur a recouru parfois à l’aide d’un astronome.
Quand même M. Bensaude ne nous en eût pas avertis, on eût
immédiatement reconnu dans quelques pages la plume d’un
homme du métier. Ce n’est pas lui (pii eût écrit certaines des
na'ivetés qu’on lit à regret dans le premier mémoire. Qu’il nous
soit donc permis de reprocher à M. Bensaude de ne pas lui
avoir confié la révision de son manuscrit entier. Gomhien le
travail y eût gagné !
Les passages intéressants ne manquent pas. Voici, par
exemple, d’après le Règlement de l'Astrolabe et du Quadrant,
ItPSÉmE. T. .WVI. 15
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
2-^6
comment le marin connaît la longueur de la route parcourue
par le vaisseau, lorsque celui-ci s’est déplacé d’un degré de lati-
tude. Les Portugais atlril)uaient à l’arc de méridien d’un degré
une longueur de 17,5 lieues portugaises.
Leci posé, imaginons que cet arc de 17,5 lieues soit le côté
de l’angle droit d’un triangle rectangle. Le Règlement donne 1(^
tableau de la longueur de toutes les hypoténuses formant avec
ce côté un angle qui soit multiple de 11”15' tout en restant
iidérieur à un droit. Pour évaluer la longeur du chemin par-
couru, il suffisait d’observer l’angle sous lequel le vaisseau cou-
pait le méridien. A l’aide de la boussole ce n’était pas fort
dillicile puisqu’on opéiait par multiples entiers d’un angle snfli-
samment grand. Plus tard les nombres fournis parle Règlement
furent corrigés par Pedro Aunes.
« Pedro Aunes, dit à ce propos M. Bensaude (p. J51), écrit
dans le Tradado em defensam que les nombres de la table sont
des valeurs approximatives, étant des racines carrées qui ne
sont pas calculables exactement. Cependant, les ei’reurs n’étant
pas considérables, il n’y a pas lieu de s’en impiiéter. y>
.M. Hensaude passe ici, sans [laraitie s’en douter, à côté du
problème le [tins intéressant de l’astronomie nautique portu-
gaise. (juand le vaisseau coupe tous les méridiens sous le même
angle, il ne parcoui’t, ni une ligne di’oite, ni un arc de grand
cercle, mais une loxodromie. Or, cette découverte Aunes l’a
faite ; c’est le plus beau titre de gloire du grand géomètre et le
moins discuté. Comment Aunes corrigea-t-il les nombres du
Règlement Comment calculait-il la longueur d’un arc de loxo-
di-omie ?
11 est temps de terminer cefte étude; quoique la troisième
partie de V Astronomie Aantique soit peut-èti'e pour nous la
plus utile, je ne m’y arrêterai pas ; mais je suis heureux de
n’avoir, cette lois, que des félicitations à adresser à l’auteur.
Lue énumération des pièces rares rééditées serait sans intérêt ;
je préfère engagei' le lecteur à prendre directement connais-
sance des documents, dans V Astronomie JSnutique elle-même,
.le veux cependant lui signaler les deux textes du Règlement de
V Astrolabe et du Quadrant réédités d’après les exemplaires
d’Lvora et de Munich. Toutefois les tables numériques ne sont
pas reproduites en entier.
lîésumons. La lecture de V Astronomie Nautique olfre de Tin-
ti'rêt, et beaucoup. On y trouve des documents importants rela-
tifs à Tliistoire de la navigation et de l’astronomie portugaises.
Il faut savoir gré à M. hensaude de nous les avoir rendus aisé-
VARIETi;s
227
ment accessibles. Trop perdus jusqu'ici dans des ouvrages por-
tugais souvent rares, ils iTavaient pas attiré Tattention qu’ils
méritent.
M. Hensaude, dans deux mémoires, met ces documents en
œuvre, (le iTest pas toujours avec le même bonheur; il n’est pas
assez resté sur les terrains qu’il connaît, l’histoire des naviga-
teurs portugais et celle de la géographie. Pour traiter avec
sûreté le sujet sur le plan très large qu’il s’était tracé, M. Ben-
saude ignorait trop les mathématiques, l’astronomie et surtout
leur histoire. La suppression de quelques raisonnements
erronés, loin de nuire à V Astronomie Nautique, en eût plutôt
corroboré les conclusions générales que je crois exactes.
11. Bosm.\>s, s. J.
II
ROGER BACON
SEPTIÈME CENTE.XAIRE DE SA NAISSANCE
On n’est point fixé de façon certaine sur la date de la nais-
sance du célèbre Franciscain, Roger Racon; on s’accorde toute-
Ibis, assez généralement, à la placer vers l’an i:21-4. La date de sa
mort semble plus solidement établie : Roger Racon mourut à
Oxford, en 129:2, et fut enterré le \\ juin, dans l’enceinte du
monastère de son ordre.
C’est à Oxford qu’il fit ses premières études universitaires.
Il les poursuivit à fUniversité de Paris, où il séjourna à plusieurs
reprises; c’est là que son brillant enseignement lui mérita le
titre de doctor admirabilis. .Vprès son retour définitif en .\ngle-
lerre, c’est à Oxford qu’il poursuivit ses travaux.
C’est assez pour justifier la date du 10 juin 1014, choisie par
l’Université d’Oxford (1), pour l’inauguration dans VUniversitij
(1) The Commemoraiion of Roger Bacon at Oxford. N.CTURE.June 18,
l‘)U, p. -i05.
22S
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Mifsevm de la statue de l’illustre moine et la célébration d’une
cérémonie que l’on appela son « septième centenaire ».
De nombreux représentants de différentes nations s’y trou-
vèrent réunis i)our rendre hommage au grand travailleur,
à l’écrivain fécond, au vaillant promoteur de la science expé-
rimentale dont :M. Dubem inscrivait, au frontispice de son
ouvrage sur Lo système du monde, cette judicieuse sentence :
nunqnam rn atiqun relate inventa fait aliqua scientia,sed a prin-
cipio Mxmdi paulatim crevit sapientia, et adlnic non est com-
pléta in hac vita (J).
On n’a conservé, semble-t-il, aucun trait caractéristique de la
physionomie physique de Bacon; dans la statue inaugurée le
10 juin, écrit la Nature, l’artiste, M. Ilope Pinker, s’est efforcé
de traduire, dans les traits du visage, une expression de vivacité,
de tinesse, de combativité, qualités qu’il serait difficile de dénier
au héros, de la fête. Un sourire discret anime la figure et pro-
voque l’impression d’une bonhomie un peu dédaigneuse : elle
sied à l’homme qui prétendait enseigner le grec à n’importe qui,
en trois jours, et qui volontiers® eût jeté au feu toutes les traduc-
tions d’.\ristote » très médiocres d’ailleurs et fort incomplètes
à cette époque ; « Si enim haberem potestatem super libros
Aristotelis, ego facerem omnes cremari ». Ce n’est pas au philo-
sophe qu’il en veut ; si, ne l’ayant pas toujours compris, il s’en
est écarté jiarfois en des points essentiels, il n’a cessé de lui
vouer grande estime et d’invoquer son autorité. C’est le latin
dont on l’a affublé qui l’horripile.
Dans le discours qui précéda l’inauguration de la statue.
Sir Archihald Ceikie, P. B. S. célébra en Boger Bacon le pionnier
de la méthode .scientifique expérimentale. Abandonnant, dit-il,
les subtilités dialectiques de l’Ecole de son temps, il s’efforça de
concentrer toute son attention sur les choses plutôt que sur les
mots. 11 ouvrit la voie à cette conception nouvelle de la science
qui en fait l’étude inductive de la Nature basée sur l’expérience
et contrôlée pai' elle. — 11 serait, sans dotite, plus exact de dire
que les abords de cette voie étaient ouverts et fréquentés; et
que le très réel mérite de Bacon fut d’y entrer avec une belle
ardeur, qui eût pu être moins belliqueuse. Mais un discoui-s
académicpic n’a pas toujours toute la rigueui’ d’une page
d’histoire.
(1) CompemUiaii stndii, cap. V.
VARIÉTÉS
220
(le ([iii en est le contre-pied, ce sont ces déclamations creuses
d’écrivains en mal de copie, qui nous montrent Roger Bacon
proclamant, en vain et à ses dépens, les droits et les vrais prin-
cipes de la Science, dans le désert de l’ignorance générale.
Bacon a disserté sur les sources de l’ignorance de ses contem-
porains : ils s’appuient, dit-il, sur des autorités insullisanles ; ils
cèdent à la routine ; ils se contient à l’opinion aveugle des
masses; ils prétendent savoir quand ils ignorent. — Ces sources
d’erreur ont coulé dans tous les temps ; ceux-là dont nous parlons
s’y abreuvent aujourd’hui. Elles n’ont pas empêché le xiiC siècle
d’être l’un des plus glorieux, des plus intellectuellement actifs,
des plus féconds en grands hommes. C’est assez, pour la gloire
de Bacon, de prendre rang parmi eux, bien qu’il les ait traités
trop souvent en parents pauvres.
L’importance qu'il attachait aux études positives, son culte
pour la science, la direction expérimentale qu’il préconisa en
philosophie, son zèle pour l’observation, son érudition, que sa
connaissance des langues lui permit d’étendre aux auteurs
grecs et arabes, en ont fait run de ces savants que les recherches
historiques de M. Duhem nous ont révélés, au xiii® et au
xiv“ siècle, comme les précurseurs de la science moderne : il se
trouve là en excellente compagnie (J).
Ses contemporains lui furent-ils véritablement hostiles? —
Nous n’avons d’autres raisons de le penser que ce qu’en dit
Bacon lui-même dans des passages de ces écrits où il juge de
très haut les institutions et les hommes de son temps, et que
gâtent manifestement ses intempérances de langage. B est très
possible qu’il n’ait pas compté beaucoup d’amis ; mais faut-il en
incriminer ses travaux .‘Scientifiques? 11 est certain qu’ils lui
(1) Pans Vüpus tertiniii, Bacon nous donne un aperçu de ce que lui ont
coûté, depuis :20 ans, ses études expérimentales et ses observations,
« in studio sapientiae « : citons ceci : « ... Oportuit plus quam sexaginta libras
l'arisienses effundi pro hoc negotio » Cap. lit ; « plus quam duo milia
iibrarum ego posui in his », et il spécifie : « propter libros secretos et expe-
rientias varias et linguas et instrumenta et tabulas, et alia, tum ad inquiren-
dum amicitias sapientum, tum propter instruendos adjulores in linguis, in
liguris, in numeris, et tabulis et instrumeptis et multis aliis. » Cap. XVII.
Bacon écrivait cela en l“267, alors que, au dire des écrivains dont nous
parlons, il venait d’être soustrait, par Clément IV, aux persécutions de
ses supérieurs qui, depuis 10 ans, l’empêchaient d’écrire, d’enseigner,
d'entretenir des relations au dehors. Pour un moine mendiant et reclus, le
budget était de taille et les occupations nombreuses.
230
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
valurent au moins l’amitié et la protection de Clément lY: nous
en parlerons plus loin.
■Mais que dire de ses supérieurs? N’est-il pas établi par le
témoignage même de Bacon qu’ils furent imlms <à son égard des
préjugés les plus malveillants qui lui ont valu, de leur part,
d’iniques persécutions?
11 est certain qn’.à deux éjioiiues de sa vie, vers et en J:278,
Bacon eut, avec ses supérieurs, de graves conllits. 11 rappelle
le premier, et avec amertume, dans VOpns terliiim, mais
il ne nous dit rien de précis sui- les causes de ces conllits. La
Constitulio gravis dont il parle au cbapitre 11 de VOpus levtium
était une défense portée par un chapitre général de son ordre et
à un fin générale, visant en gros a les écrits sur la physique ou
les sciences naturelles et, en particulier, les écrits sur la magie,
l’astrologie judiciaire, l’alchimie, siqierslitions ou erreurs gros-
sières qui étaient alors trop en faveur. Il était donc interdit de
communiquer, en dehors de l’ordre, les livres traitant de ces
matières et dus à des plumes franciscaines, et la peine qui devait
Irapper la désobéissance était la confiscation de l’écrit et le
jeûne au pain et <à l’eau pendant plusieurs jours ( j) ».
Bacon aurait donc enfreint deux fois cette Constitution. Mais
rien ne prouve ([ue Vhomine de science fût ici en cause; au
moins, en H78, c’est Vastrologiie convaincu et impétueux
qu’était Bacon que la vraisemblance accuse.
Si le Speciduin astronoinia\ longtemps attribué à Albert le
grand, est bien de Bacon, c’est dans ce pamphlet, écrit pour la
défense de l’astrologie et opposé à la condamnation portée par
l’évêque de Paris, Etienne Tempier, en collaboration avec divers
membres de la Faculté de Théologie, le 7 mars Mil, qu’il faut
chercher la cause du contlit (:2).
Encore la Consliluiio gravis lui fut-elle, les deux fois, rigou-
reusement appIiquée?Bien plus, Bacon n’eut-il pas, par deux fois,
et pendant dix ans et douze ans, à subir l’emprisonnement, l’in-
terdiction d’écrire, d’enseigner, de communiquer avec ses
amis?
On l’a dit et très souvent répété. M. P. Feret (3) a étudié cette
(1) P. Ferel. Les enipi isoiniemeiits de Roqer Bacon ; dans la Revce iies
Questions iustoiuuues, 26“ année, nouvelle série, t. VI, t. L de la collection,
pp. 121-P25.
(“2) Le P. Mandonnel, /to.i/cr Bacon et le Spéculum Astronomiir
dans la Revue Néo-Scol.vstique, dix-septième année, 1910, pp. 312-395.
(3) Art. cité de la Revue iies Questions iustoiuques, t. I, de la collection,
pp. 119-li“2,
VARIÉTÉS
23i
(}uestion des emprisonnements de Bacon, de leur durée et de
leur rigueur, du poitit de vue strictement histori(iue, avec une
loyauté, une érudition et une compétence qui dispensent d’y
i-evenir; voici sa conclusion : « Chateaubiâand a parlé quelque
part de « vieux mensonges historiques qui deviennent des
vérités ci force d’être redits (1) ». Les fameux emprisonnements
de Roger Bacon nous paraissent rentrer, l’un complètement,
l’autre en très grande partie, dans cette catégorie de mensonges
historiques. Mais il appartient à l’étude sincère des faits et des
documents de les contraindre <à cesser d’ètre des vérités ».
Et c’est ainsi que Bacon est devenu « un martyr de la science »;
c’est à cela qu’il doit pas mal d’articles pas.sionnés, dont les
auteurs ne se soucieraient ni de sa personne, ni de ses travaux,
s’ils ne trouvaient Là l’occasion d’alimenter leurs polémiques.
Ap rès le discours de sir .Vrchibald Geikie, Lord Curzon, en sa
qualité de Chancelier, reçut la statue au nom de l’Lniversité
(l’Oxford. Son discours met en un relief un peu poussé, les traits
caractéristiques du génie de son héros. 11 énuméré les diverses
branches du savoir étudiées par Bacon, énumération (lui
embrasse non seulement tout ce que nous entendons aujourd’hui
par sciences physiques et beaucoup d’autres, mais aussi la philo-
sophie morale, r(iconomie politique, etc. Le Chancelier lit voir
([ue Bacon ne les avait pas parcourues en simple dilettante, en
guise de passe-temps aux jours de fête; mais qu’elles furent de sa
part l’objet d’une étude approfondie. C’est avec un accent
d’ardente conviction, dit-il, qu’il mit en lumière les liens
essentiels de dépendance qui les unissent entre elles.
Après la cérémonie de l’inauguration de la statue, l’orateur
public de rEniversité, .M. A. B. Godley, de Magdalen College,
lut une adresse où, en d’élégantes périodes latines, il rendit
bommage à l’activité intrépide (fue mit Bacon à accomplir son
(fiuvre. Se tournant vers la statue : Soyez le bienvenu. Frère
Bacon, à votre retour à Oxford, dit-il, vous voyez ici le fruit de
vos labeurs. Votre edigie avait sa place marquée dans ce sanctuaire
de la science où se trouve réalisé aujourd’hui l’objet de vos
aspirations. One votre esprit demeure en nous toujours et par-
tout ; ([u’il garde nos intelligences de l’erreur, qu’il nous fortifie
et nous confirme dans la poursuite de la vérité.
La cérémonie s’acheva par la lecture de deux adresses, l’une
(1 ) Etude lüst.
232
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
(lu Prolesseur James \Vard,au nom de TlTiiversité de Cambridge,
J’aiiiredn U. P. Pavid Fleming, représentant le Ministre-Général
de rOi'dre des Franciscains.
An lunch (jui fui donné par .Merton College, sous la présidence
du Warden, le bibliothécaire de la Hodléienne rappela les
encouragemenis (jue Iloger Ilacon reçut du Pape Clément IV.
C’est peul-ètre, pendant (|u’il était légat du Saint-Siège, en
Angleterre, de Htir’) à l:2()5, ipie le tiardinal Guy de Foulques,
d’origine Irançai.se et grand ami des sciences, connut Hacon,
apprécia ses travaux et s’intéressa aux réformes qu’il préconisait
dans les, études ecclésiastiques, l’enseignement de l’écriture
sainte et la prédication.
Devenu pape sous le nom de Clément IV, en Hüo, l’ancien
légat lit remettre à son protégé une lettre datée du juin J266,
dans laquelle se lisent ces lignes : « Nous vous mandons et
enjoignons — telle est notre volonté — par rescrit apostolique,
de nous adresser le plus tôt possible, nonobstant toute défense
de n’importe quel prélat et toute Constitution de votre ordre,
l’ouvrage que, établi dans un moindre office, nous vous avions
])rié de remettre à notre cher tils Uaymond de Laon. Vous
n’oublierez pas de nous indiquer par une missive les moyens à
employer pour remédier à cette triste situation que vous nous
Rvez fait connai Ire, et cela sans relaial et en tenant la chose au.ssi
secrète tpie vous i)Ourrez ».
liacon s’était donc l'ecommandé à la bienveillance du pape.
Cette lettre si amicale et si pressante lui donna de nouvelles
ardeurs au travail.
Pour y satisfaire, il éci'ivit VOpiis majus, son (Uiivre princi-
pale, (lui fut portée au Saint Père par Jean de Paris ou Jean de
Londres, le disciple préféré de l’auteur. Bientôt après, craignant
(pie les graves occupations du f*onlife ne lui laissent pas le
temps de lire un aussi fort volume, il lui en adresse une sorte
de résumé, VOpiis iiiiuiis et, la même année, VOptis (eiiium qui
devait être, pour les deux ouvrages précédents, ce que le second
avait été pour le premier, à la fois un résumé et un complément.
C’est dans VOpu.s tertium qu’il faut chercher les plus précieux
renseignements sur la biographie de Bacon.
Clément IV mourut le ^9 novembre Trois années .seule-
ment d’un tTgne très encombré d’affaires politi(iues ne lui ont
jias permis de tirer parti des idées de Bacon sur la réforme des
VARIÉTÉS
233
études ecdésiasliqiies ; mais il n’est pas interdil de penser qu'on
s’en soit inspiré plus tard (J ).
Après le discoui's de .M. F. Madan, le hihliolhécaire de la Bod-
léienne, M. G. Picavet prit la parole au nom de l’Fniversité
de Paris; et le Chancelier de l’Université salua les délégués
étrangers. Ce fut M"*' Ratti, délégué de la bibliothèque du Vati-
can, qui répondit le premier. Pans son discours, qu’il lit en latin,
il annonça la découverte récente d’un nouveau manuscrit de
Bacon.
Le Comte d’Haussonville et M. Henneguy, mendares et repré-
sentants de l’Institut et du Collège de Fi-ance, le B. P. David Fle-
ming, au nom de l’Ordre Franciscain, et le Professeur .lames
Ward pour l’Université de Cambridge, parlèrent ensuite. Enfin,
Sir Osler remercia, au nom des invités, le Warden et les Fello^vs
de Merton College.
Parmi les visiteurs, les uns assistèrent aux Romanes lectures
sur la théorie atomique, données par Sir .1. .1. Thompson ;
d’autres se rendirent cà la Bodléienne où le bibliothécaire avait
exposé les ouvrages imprimés ou manuscrits de Bacon ; ceux-ci
comprenaient le manuscrit de YOpus majus, de Opus tertium
des fragments de YOpus minus, ainsi que d’autres pièces fort
intéres.santes, entre autres le curieux traité De retardandis
senectutis accidentibus.
La fête prit fin par une garden-partij, dans les jardins du
Wadham College.
La Clarendon Press a publié le memorial de ce septième cen-
tenaire. Parmi les études qu’il contient, nous signalons celle,
sur la Yulgate latine, due à S. É. le Cardinal Casquet.
Vous souhaitons que ces fêtes d’Oxford stimulent les cher-
cheurs à compléter, par de nouvelles trouvailles, ce que nous
possédons déjà des œuvres de Bacon, à en tirer parti pour l’his-
toire des sciences au xiiC siècle, et à éclaircir les points encore
obscurs de sa vie tourmentée. Puissent-elles se couronner,
comme on nous le fait espérer, par une édition des Opéra
omnia digne de leur auteur.
(t) Voir CrtI/îo//c Encyclopiedia, New-York, t. XttI, article Roger Bacon
<P. Wilzel).
REVUE DES QUESTIONS S JIENTIFIQUES
234
II
.Nous lie pailei'ons pas de la philusopltle de Uoi>er Bacon;
nous renvoyons le leclenr à nn mai Ire, M. M. Me WnlT, dans son
Histoire de la philosophie )iiédiëi'ule (J).
Le grand pnhlic ne connail guère Boger Bacon ipie pour
avoir vu son nom accolé à qnelqnes déconvei les relenlissanles.
Les pages qui vont snivi'e n’ont d’anlie Inil ipie de rappeler ces
rapprochements et la valeur ipie leur allrilnieni ceux qui les ont
jiesés.
Le nom dn moine anglais est souvent mis en parallèle avec
celui dn moine allemand, Berlliold Schwartz, quand on parle
de rinvention de la pondre à canon.
Il serait vraisemhlahlement oiseux de rechercher le nom du
personnage (pii aurait réalisé le premier, d'un seul coup et de
toutes pièces, cette découverte. Llle est l'oMivre collective de
nombreux chercheurs de compositions incendiaires, et le résultat
de multi[)les tâtonnements. Ce ([ui est intéressant, et ce (jui l'nl
parfois mis en (|ueslion, c’est de savoir si Boger Bacon a connu
la composition de la poudre à canon.
On n’a pas fixé avec ceiiitiide l'époipie à hnpielle vivait
Schwartz. L’année 1354 est souvent donnée comme date de son
invention ; mais il parait certain ipie l’-Viiglelerre fabriquait la
pondre dès J344, et (pi’oii usait du canon en Kranciè, en
J33S, à Llorence en J3:ri(), etc.; on parle d'un manuscrit de
J33.5, Deof/iciis renain, où l’on [lourrait voir la représentation
d’un canon. On avait donc', avant JBôi, non seulement inventii
la jioudre, mais reconnu sa force d’ex[)ansion et le moyen
de l’utiliser pour lancer un projectile. L’est de cette dernière
invention (jne certains érudits ont fait honneur à Schwartz.
11 est vraisemhlahie, en effet, (pie ces deux découvertes, celle de
la [loudre et celle du canon, soient distinctes et même très di.s-
tantes rime de l’antre; il conviendrait en tous cas de reculer la
date de Jdô'p attribuée à rinvention quelle ([u’elle soit, du
moine allemand.
Lue chose est certaine, c’est que celte invention de
Schwartz n’est pas celle de la poudre. Lue communication de
(I) Volume VI du Coio'S de philosophie puljlié ]iar flustitut jiliilosopluquft
(le rUniversiti! de Louvain, quatrièmie édition, 1013, ji)>. i87-l9(i.
VARIETES
23:
M. Dahem à l’Aradémie des Sciences (J ), a Iranclié la qiieslion ;
un siècle avani, lîerthold Schwartz, Roger Racon connaissail la
composition de la poudre à canon.
On nous permettra de reproduire ici cette communication dr
M. Duhem ; elle encouragera les chercheurs, auxquels les écrits
de Racon réservent sans doute plus d’une trouvaille intéressante.
« Le beau manuscrit conservé à la Rihliothèque Nationale
sous le iR Rl:^i6 (tonds latin) provient de la hihliothéque de.
Louis XIV. 11 contient line série de pièces sur diverses Sciences,
toutes copiées à Xaples, en la seconde moitié du xv" siècle, par
.\rnautl de Rruxelles.
» L’une de ces pièces a été transcrite par le copiste, comme il
nous l’apprend lui-même, d’après un manuscrit en mauvais état
et dont la lin manquait. Terminée le li décembre 147(), cette
copie s’étend du loi. J86 recto au loi. recto; elle occupe
donc 81 grandes pages.
» L’Ouvrage qu’elle reproduit porte le titre -.Liber iertiiis
Alpetragii. In qno tractat de per.spectiva. De comparatione
scienliae ad sapientiani. De niotibns corporum cælestiinn seciin-
duni ptolemeum. De opinione Alpetragii cnnlra opinionem
ptoleniei et aliorum. De scientia experimentnrum natvralium.
De scienlia morali. De arlicutis Jidei. De All;hnia.
» Ce titre, qui est en même temps un sommaire, est fort
exact, saut en ce qui concerne le nom de l’auteur. L’écrit en
question n’est nullement de l’astronome arabe Al Ritrogi
(.Alpetragiiis); une bonne partie de cet écrit est consaci’ée à une
comparaison entre le système astronomique d’Al Ritrogi et le
système de Rtolémée. Une lecture, même superficielle, de l’Ou-
vrage révèle aussitôt qu’il est de Roger Bacon; les indicationsque
l’auteur donne lui-mème, .à maintes repidses, nous apprennent
en outre qu’il est un fragment de VOpus tertium.
» Ce fragment n’a aucune partie commune avec le fragment
considérable de VOpus tertium que l.-S. Rrevver a publié à
Londres, en 1859, dans le volume intitulé : Fr. Dogerii Bacou
Opéra quaedam hactemis inedita. Rans l’ouvrage complet, il
prenait place, médiatement ou immédiatement, après le frag-
ment publié par Brewer, auquel il renvoie à plusieurs
reprises... »
En attendant qu’il puisse publier le Liber tertius Alpetragii,
avec les données que l’on peut tirer de ce document pour
(1) Co.MPTES RENDUS, lome ('.M., 190S, spance du 27 janvier, p. 15().
23G
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Thistoire des Sciences au xiiU siècle, M. Duliem lui emprunte
ce renseignement :
« La pièce nouvelle fixe la réponse à une question souvent
débattue : Bacon connaissait-il la composition de la poudre à
canon? Dans VOpns niajus, il parlait d’une poudre explosive
(jui se formait au moyen du salpêtre. Dans \e De mirabiU potes-
tnte arlis et nnhirae, publié en 154:2, <à Paris, par Oronce Binée,
parmi d’autres énigmes alchimiques, il enseigne en ces termes
(fol. 52) un moyen d’imiter le tonnerre et les éclairs : « Salis
petrae lurn vo po vir can ntri et sulpburis », ce qui veut dire,
paraît-il, salispetrœ carùomtm pulvere et snlplnivis (1) ; mais
le livre édité par Oronce Finée n’est qu’une reproduction très
fautive de la lettre : De secretis openhus artis et naturae et
de nnUitate marjiae, dont Brewer a publié le texte dans l’Ou-
vrage déjà mentionné ; or ce texte correct pai’le bien (p. 536) de
la poudre explosive, mais n’indique nullement, même sous
forme d’énigme, ([uelle en est la composition ; il est donc permis
de suspecter l’authenticité de la formule donnée en De mirabüi
polestdte.
» Au contraire, le texte que nous avons étudié ne nous permet
plus de douter ([ue Bacon n’ait connu la poudre à canon. Au
recto du folio 213, sous ce titre : De la poudre des Lombards, il
reproduit ce qu’il a dit dans VOpus majus des propriétés explo-
sives de cette poudre ; mais il nous apprend en outre qu’elle est
connue dans les diverses parties du monde, et qu’elle se com-
pose de salpêtre, de soufre et de charbon de saule : « exemplum
» est puerüe de sono et igné qui fiunt in niundi partibus diversis
» per piUverem salis petra\ et sulpbtiris, et carbonum salicis ».
» Le rapprochement des termes dont Bacon se sert pour
décrire les elïéts de la poudre explosive en la lettre De secrelis
operibus naturœ, en VOpus majus et en VOpus tertium montre
([ii’il s’agit bien, dans ces trois écrits, de la meme poudre. Or la
(t) « Émile Charles, RofU'r Bacon, sa vie, ses ouvrages, ses doctrines, 1861,
1>. :299. » — Dans le De secretis operibus artis et naturae, imprimé à Ham-
bourg en 1618, on lit (chap. 11) : «Item ponderis totum 30 sed tamen salis
petrae luru vopo vir can ntri et sulphuris ; et sic faciès tonitruum et corus-
cationem, si scias artificiiim. Videas tamen utrum loquar aenigmate aut
secundum veritatem. » Quelques auteurs ont voulu lire ; luru mope can ubre,
anagramme de pulvere carbonum. tl. XV. L. Hime, Gunpoicder and Ammu-
nition, 190i, intei'prète ainsi l’énigme : « Salis petrae r(ecipe) Vit part(es),
V iiov(ellae) corul(i) V et sulphuris » : prends sept parties de salpêtre, cinq
de jeune coudrier, et V de soufre. The Encgclojniedia Britanica, eleventh
édition, au mot Gunpoicder.
VARIÉTÉS
237
lettre De secrelis operibns natiirœ parait avoir été écrite à (liiil-
laume d’Auvergne, évêque de Paris, qui mourut en 12i8 ou en
i249. Il semble donc que les propriétés explosives de la poudre
noire fussent connues, en France et en Angleterre, avant le
milieu du xiiP siècle; en tous cas, en VOpKS tertium en
faisait connaiire la composition ».
Remarquons que rien ne dit que Bacon ait connu aussi la
puissance projective de la poudre, bridant en vase clos, et qu’il
ait songé h en tirer parti ; nulle part en effet, dans ces écrits,
il n’y est faif allusion, et c’est, nous l’avons dit, beaucoup plus
tard que l’on voit apparaître les premiei’s canons. Bacon et ses
contemporains n’ont vu, sans doute, dans ce mélange explo-
sive, qu’une nouvelle composition incendiaire propre à effrayer
bêtes et gens.
Fne autre invention, que l’on a attribuée parfois à Roger
Bacon, est celle du microscope et de la lunette. Il faut, semble-
t-il, chercber l’origine de cette légende dans la Dioplrica nova
de Molineux J()92, et il y a beau temps que Itobert Smith en a
fait justice (1).
Les passages des œuvres de Bacon sur lesquels Molineux base
son opinion se lisent dans VOpus rnajus, Londres, 1733, page
352 et page 357. Ils sont cités par Smith qui les discute ; nous
nous bornerons à transcrire sa conclusion :
« Cet auteur (bacon) ne parle que par hypothèse et se boine
à dire qu'on pourrait figurer les verres et grossir les objets de
telle ou telle manière ; sans assurer jamais qu’il en ait fait une
seule expérience sur le Soleil, la Lune (ou toute autre chose)
quoiqu’il fasse mention expresse de ces deux astres. D’un autre
côté, il attribue aux télescopes des effets dont ils sont inca-
pables.
» Si l’on me demande comment est-ce qu’il a pu parvenir à
toutes ces notions? .le réponds que c’est par la théorie com-
mune de la réfraction et de la rétlexion, surtout sur le miroir
concave dont il connaissait bien les effets, tant par les relations
des anciens que par sa propre expérience. Ce qui sullit à un
homme de bon sens pour avancer tout ce qu’il a dit ».
(1) Cours complet d'optique, traduclion française par !.. P. P(ezenas),
professeur royat d’Hydrographie, à Atarseitle, 17()7, tonie I, p. .5(i tmicro-
scope) et p. 76 (télescope).
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
•J:J8
11 l'aiil en dire autaiil, ou heaucoiip moins, d’aulres invcnlions
atlrilniées à llacon (1).
Mais le mérite scienlili(iue de ces anticipations de l’esprit, de
ces rêves de savants, n’est pas nécessairement nul : ils ont pu,
en se transmettant, retenir l’attention, provoipier des essais,
des tâtonnements qui ont abouti à la découverte qu’ils conte-
naient en g-erme.
C’est ainsi (jiie lloger bacon a exercé indirectement une
intluence sur la vision qui hantait l’esprit de Christophe Colomb
et lui lit tenter la traversée de l’Atlantique. Ceux qui ont parlé
avec éloge des écrits géographiques du moine li’anciscain en ont
plusieurs lois l'ait la remarque ; nous empruntons ce qui va
suivre à un article de M. Duhem (:2).
« Ptolémée pensait que la Terre, dont les Iles Fortunées mar-
quaient l’extrémité occidentale, s’étendait, vers l’Orient, jusqu’à
JSO' de ces lies ; l’Océan occupait les J80" qui restaient. Un na-
vigateur partant des Iles Fortunées et cinglant vers l’Ouest,
aurait dû parcourii’ la moitié du tour du monde avant de ren-
contrer une côte.
» Les géogra[)hes arabes et, après eux, les géogi'aphes chré-
tiens du .Moyen-.Vge, partageaient, en général, l’opinion de
l’tolémée... Cependant bien des hommes se sentaient attii’és vers
l’auti'e rive de cet Océan ampiel venait se terminer l’Europe.
Peut-être celte rive était-elle moins éloignée que Ptolémée ne
l’avait allirmé. On se souvenait que Martin de Tyr, avant lui,
étendait bien davantage notre continent; ([u’il lui faisait couvrir
non pas JcStP, mais :2:25'’ de ré(juateur. On parlait d’iles, situées
en plein Océan, que certains navigateurs avaient parfois
atteintes (8)...
» Au xui siècle, Albert le Crand acceptait comme certain
l’enseignement de Ptolémée et voulait que les longitudes
extrêmes de la terre ferme dilférassent exactement de J80- (T).
(1) On a tout vil dans ses écrits : la niacliine inieumatiiiiie, le sous-marin,
le char et le liateaii à vaiieur, l’aéroplane et... la radioactivité ; on y trouvera
sans doute demain les trois lettres magiques T. S. F. On comprend après
cela qu’on ait jm dire « qu'il était en avance, sur ses contemporains, de trois
et même de si.\ siècles ».
r2) Ce ([ue l’on disait des Indes occidentales avant Christophe Colomb,
^lans la IIevuiî gé.xéu.vle des Seienxes, t. Xl.\, 1908, p. 402.
(3) « lieati .\nselmi Liber de Iina(/ine mundi, 1. Il, Cap. XX : tte insulis.»
(4) « lîeati .Xlberti .Magni Liber de natura loci ex lonçiilndine et laiitudine
proveniente, tract. 1, Cap. l.\. »
VARIÉTÉS
230
.Mais Roger Racon, son contemporain et son émule, voulait
<ine les deux rives de l’Océan Rissent beanconp pins rap-
prochées (]).
» Racon rappelle l’opinion émise par Aristote an second livre
de son traité Du Ciel : L’Inde orientale et l’Afrique occidentale
produisent des animaux semblables, notamment des éléphants;
cette similitude en la faune de ces deux régions du Monde
suppose que les inlluences astrales, causes de toute génération,
s’y exercent à peu près de la même manière ; il faut donc que
l’Inde et l’Afrique soient, en réalité, peu distantes l'une de
l’autre...
» A l’appui de cette opinion. Bacon accumule les autorités-; il
cite, en particulier, celle de Sénèque ; celui-ci prétendait, au
cinquième livre de ses Questions naturelles, qu’avec un vent
favorable on pourrait traverser l’Océan en peu de jours.
» r/est sous l’équateur que la distance est la plus faible entre
les deux rives de l’Océan; l.à^ en effet, l’ardeur du Soleil dessèche
la surface de notre globe ; aux deux pôles au contraire, les eaux
abondent. » Cette théorie conduit Bacon (2) à dessiner la forme
de l’Océan en ne laissant, à l’équateur, entre le principium
Hispaniae et le principium Indiue, qu’une sorte de goulot rela-
tivement étroit, reliant les parties plus larges de l’Océan qui
entourent les pôles.
« Les divers passages (3) de VOpus majus qui se rapportent
au système du monde, tel que se le figurait Roger Racon, furent
repi'oduils plus tard par le Cardinal Pierre d’.\illy, dans son
traité intitulé Imago mundi, chapitre XV. Pierre d’.Villy, qui
écrivait vers l’an 1410, c’est-à-dire plus d’un siècle après Roger
Racon, jouissait d’une grande réputation au xv® siècle. Le
hasard fit que le traité du Cardinal tomba entre les mains de
Christophe Colomb, au moment où cet illustre navigateur était
livré à ses profondes recherclies sur l’existence du nouveau con-
tinent, et celui-ci en adopta les diverses idées.
» La bibliothèque de Séville garde pieusement V Imago Mundi
d(‘ Pierre d’Ailly portant les annotations de Christophe Colomb.
Par Pierre d’.\illy, donc, l’intluence de Roger Racon s’est exer-
( I) « Opm majus, Lonclini, I73à, pp. 183-185, p. 194. »
c2) « Opus majus, pl. 1, tig-. '27. »
(3) « Heiiiaïul, Mémoire géographique, historique et scientifique sur l'Inde,
Mkm. de i.’.Xc.vd. des Insc. et I.ELi.ES-i.ETTDES, t. .WIII, deuxième partie,
1849, p. 387. .)
240
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
cée sui' Clirisloplie Colomb; elle a ( Oiilribiié à lui suggérer la
pensée de traverser l’Océan. »
L’ieuvi-e de Uoger bacon est considérable ; tous les manuscrits
connus qui la renlérment n’ont pas été imprimés et il en reste,
nombreux peut-être, enfouis dans les Inbliolhèques. 11 sera mal-
aisé d’y melti’e de l’ordre et impossible d’en Ibrmer un tout collè-
rent. La vie tourmentée du moine franciscain, son activité dévo-
rante, son prosélytisme combattif l’ont amené à polémiquer
beaucoup, à se répéter souvent et à s’étendre sur toutes choses.
Des projets grandioses ont hanté son esprit ; il a rêvé d’une
vaste encyclopédie des sciences : il en a accumulé les matériaux
mais ne nous en a donné qu’une ébauche.
Le vulgaire le considéi a comme un ingénieux alchimiste et
une sorte de magicien blanc ; et nous avons dit que son zèle à
défendre l’astrologie judiciaire donna pi'ise contre lui. « Apud
imperitum vulgus, dit de lui un de ses contemporains, haberetur
mirus præsiigiatoi', apud (fuosdam etiam non indoclos de
magicis artibus vebementer fuerit suspeclus (J) ». 11 a certes
répudié la magie avec indignation, et il faut le croire ; il n’a
pas accepté non plus, sans réserves et sans précautions, les
superstitions de l’astrologie ; mais ici, il est souvent malaisé
de le mettre d’accord avec lui-même (2).
La publication de ses œuvres principales nous a donné une
conception plus juste des visées qu’il poursuivait, de .sa puis-
sante intelligence, de son érudition, de ses travaux personnels,
de ses efforts surtout pour promouvoii' l’étude expérimentale
de la nature. Malheureusement, redisons-le, l’astrologue a l'ait
tort au savant; l’écrivain n’a pas connu les ménagements néce.s-
saires, et il a praticpié l’exagéi’ation et la diatribe : on comprend
ses mésaventures.
.1. T.
(I) (ülé i)ar Wiuliting-, .tjui. mimnun, nii. I27S, c. X.W'l.
(:2) Vuii' farlicle cité du I*. .ttandoiinet, Hoger Bacon et le speculiun asli o-
nomia'.
BIBLIOGRAPHIE
I
Coulis DU m lAiMQUE l'iiüFussÉ A l’École IV)lvtechmque par
L. Lecoua'U, .Membre de rinstituC Inspecteur ^miiéral des
Mines. Tome I. Un vol. gr. in-H" de 53(3 pages. — Paris,
Cantliier-Villars, J9I 4.
Après dix ans d’exercice, M. Lecornu a enlreiiris la publication
du cours de mécani([ue qu’il professe avec tant de distinction
à l’Ecole Polytechnique. L’ouvrage comprendra trois volumes.
Le premier vient de paraître.
A la vérité, le cadre du livre déborde quel(|ue peu celui de
l’enseignement oral auquel il se réfère, en ce sens que cer-
taines Ihéories, traditionnellement rattachées à la mécanique,
et([ui, [)ai- suite d’exigences spéciales de l’organisation de l’Ecole
Polyteclmiqiie, ont dù être reportées dans d’autres cours,
tigureni, à très juste litre, dans l’exposé de M. Lecornu; tel est le
cas de la cinématique des mécanismes et de la tbéoiae du
potentiel newionien, respectivement affectées aux cours de géo-
métrie et d’analyse de l’Ecole.
Le même souci d’écrire un traité complet a conduit l’auteur à
y comprendre la cinématique du point ainsi que la statique
des corps solides, rattachées, au moins pour la plus grosse part,
au i)rogramme de la classe de mathématiques si)éciales, prépa-
ratoire à l’Ecole.
Dans son ensemble, l’ouvrage doit être tenu pour un traité de
mécanique rationnelle, orienté, mais avec mesure, dans le sens
de la préparation aux applications techniques. I/auteur proteste,
d’ailleurs, contre la tendance, qui se manifeste parfois chez cer-
tains techniciens, à réclamer une part de plus en plus gi'ande
pour la mécani([ue a|)pliquée au détriment de la mécani((ue
rationnelle. « Agir de la sorte, dit-il, ce serait méconnaître la
SÉtUE. T. .\XV1. 16
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
•24*i
vérita]>le portée de l’eiiseignemeal polyleelinicieii '» destiné à
assurer une liante culinre aux dirigeants des grands services
techniques (civils et militaires) de l’Etat, .\yant cité, sur les
avantages d’une telle haute culture, des passages caractéris-
tiques du général Langlois, de Henan et de Schopenhauer, il
ajoute :
« Il y aurait d’ailleui’s plus d’inconvénients (jue d’avantages à
dévelopjier outre mesure la partie technique. Il l'aul s’en tenir
aux méthodes générales, sans accabler la mémoire des élèves par
des détails trop circonstanciés, dépourvus de valeur éducative,
détails qui doivent être réservés aux écoles d’application et qu’il
leur sera facile, au suiqihis, de trouver, quand ils le voudi’ont,
dans les ouvrages spéciaux, tandis qu’ils u’aui'aient plus l’occa-
sion de se pénétrer des principes de la science.
» .le pense, en résumé, ([ue si l’enseignement polytechnicien
peut et doit évoluer progressivement pour répondre aux besoins
des services publics, c’est à la condition d’en maintenir intactes
les grandes lignes. L’Ecole ne saurait, sans déchoir, abandonner
des traditions ([ui ont sullisamment fait leurs j>i-euves ».
Cette citation est de nature à bien faire saisir l’esprit dans
lequel est rédigé ce cours qui ne s’égare pas dans les développe-
ments analyti([ues propres à n’intéresser que les purs mathé-
maticiens, mais qui, tout en visant à la formation de futurs
techniciens, ne néglige rien de ce qui est essentiel dans les par-
ties élevées de la théorie. Avant tout, il teiitl à éveiller chez
l’étudiant le sens de la mécanique sans laisser son attention se
perdre sur des questions d’un intérêt simplement mathéma-
tique; mais si le jeu de l’analyse n’y apparaît pas comme un
but, aucune des ressources qu’elle peut olfrir en tant que moyen
n’est laissée dans l’ombre. Avec un tel guide, l’étudiant ne risque
pas d’être réduit à ne voir dans les problèmes de la mécanique
que des prétextes à intégrations plus ou moins élégantes; il ne
perd pas de vue ce qui constitue leur objet propre et prend
conscience de leur véritable portée.
Ce premier volume se divise en ([uatre livres qui traitent res-
pectivement des préliminaires géométriques relatifs d’une part
aux grandeurs vectorielles, de l’autre à la théorie du déplace-
ment d’un système invariable, de la cinématique pure et appli-
quée aux machines, de la statique et de la dynamique du point,
de la statique des systèmes.
S’il s’agissait de faire ici une étude, détaillée, intéressante
pour les seuls spécialistes, du volume en question, on rencon-
BIlîLIUGRAPIIIE
2i3
(ferait à cha([tio ])asdes occasions de faire ressortir le souci qui
n’abandonne jamais M. Lecornn d’envisager !(?s choses sons
i’ang'le où les doit voir le mécanicien. Fn peu an hasard, nous
cneillerons dans l’ensemble qnehines. paragraphes on s’accuse
pai'licidièrement ce souci, on l’anlenr pousse même la discussion
jusqu’aux détails qui importent à la technique, on bien encore
où il insiste sur cei'laines notions fondamentales plus qu’on
n’est dans l’habitude de le faire : dans les n"" 1 W <à 14(3. calcids
pratiques sur la manivelle et la tige guidée ou sur le balan-
cier à bride; 11°^" 173 à 18(1, développements remarquables sur
les champs de forces, les fonctions de forces, les surfaces de
niveau ; n'“ 181 à l!)7, substantiel exposé, d’après Sai-rau, de
la théorie de l’attraction universelle; n"" à :215, élude des
oscillations d’un ressoi't et de leur amortissement, avec appli-
cation aux ressorts de suspension; iF* .à , propriétés de
la courbe balistique dans l’air dans le cas d’un projectile
sphérique (le cas d'un projectile non sphérique devant cire
examiné ultéi-ieurement) ; :230 à :139, discussion assez serrée
de la forme des trajectoires parcourues sous l’action des forces
centrales; iF" ;2(3.j et :^t3(), mouvement d’un point pesant sur une
surface de révolution à axe vertical avec application au pendule
sphérique pour lequel l’auteur reproduit une remaiapiable
démonstration de M. de Sparre ; n”^ :270 à tl73. mouvements la
surface de la terre avec application à la déviation dans la chute
des graves, à la dérivation des projectiles, à la rotation des
cyclones, à l’expérience de Foucanit; iF 3(3(1, étude des roule-
ments sur billes.
11 va sans dire que ces quelques indications relatives à
des passages sur lesquels notre attention s’est fortuitement
portée ne sont pas le moins du monde exclusives de l’intérêt
spécial que peuvent olfrir d’autres parties de ce bel ouvrage
destiné <à se ranger en bonne place parmi les classiques de la
mécani([ue.
M. 0.
11
Les CooRno-NiNÉES intrinsèques. Théorie et .vrn.ic.vTioNs,
par L. liR.vuDE, docteur ès sciences (volume faisant partie de la
collection Scieiitia). Fn volume in-8'’ de 100 pages. — Paris,
Ga U t h i e r- Y i 1 1 a r s , 1 01 4 .
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
L’a(lmiral)le;^yslème des coordonnées caiiésiennes, (|ni resdî
l’ontil [)ar excel!ence de la g-éoinéii'ie analyliqne, peut présenter
quelques inconvénients dans l’élude de certaines propriétés des
conrhcs par suite de rintrodnction d’éléments étrangers à
celles-ci, tenant an système de rélérence.
(i’est pourquoi divers géomèli-es se sont applicpiés à didinii'
analytiquement les conihes, par les relations, unissant l’nn à
l’anti’e, deux éléments attachés à la coni he même, tels (pie l’aicx-
compté SOI' la conrhe jusqu’au point I', à partir d’un [loint tixe
I',;, l’angle qp de la tangente en 1’ avec la tangente en le
rayon de courhni'e en I‘.
De là trois principaux systèmes de coordonnées attacliées à la
coui'he, constitués respectivement jiar et cp, D et cp, a- et H.
On en peut d’ailleurs imaginer d’autres; c’est ainsi que (ler-
gonne a recommandé l’nnploi de I! et ou de U et
Le système (li, qp) a sui lout éti' utilisé jiar l’ahhé Aousl, dans
ses reclierclies bien connues sur la géométrie inlinitésimale des
courbes planes.
L’est plutôt au système {s, H) ([ue l’on a l’ecours depuis (pie,
dans une suite d’importants travaux, Lrnest Lesaro en a mis en
relier l’extrême l'écondité, et c’est celui (pii est plus [larliculiè-
l’emenl désigm’' aujourd’biii pai‘ le vocable de coordonnées inlrin-
séfjnes.
Dans un premier chapitre de généralités, l’aulenr l'ait con-
naitre b.>s l'ormules rondamentales relatives aux coordonnées
intrinsè([ues et indiipie les méthodes à suivre dans les études
l'ondées sur leur emploi. .Notons, en passant, (pie cei'taines
«({ualions de Lesaro, dont le rôle est essentiel en celle théorie,
peuvent être regardées comme provenant — sans, bien proha-
lilemenl, que leur autiMir s’en soit douli' — de la particulari-
sation, pour le cas du plan, de certaines rormules primordiales
di‘ la périmorphie de lîihaucour, applicables, elles, au cas de
l’es[)ace. L’application de ces l’ormules est particulièrement
l'éconde dans l’étude des développées, dévelo[)panles, dévelop-
[loïdes (enveloppes de droites, menées par les [loinis d’une
courbe et raisani avec ses normales un angle constant) et autres
courbes se rattachant aux précédentes. L’auteur le montre par
des exemples nombreux et intéressants.
Mais il s’attache surtout à mettre en lumière les rapports des
courbes définies en coordonnées intrinsèques avec certaines
courbes, qui leur sont adjointes par interprétation de leurs
BIBLIOGRAPHIE
(k[iiations dans d’autres syslènies de coordonnées. Si, par
exemple, dans l’équation en s et U d’une courbe C, on remplace
ces variables paipr et //, on définit, en coordonnées cartésiennes,
une nouvelle courbe que l’auteur appelle la courbe de d/nnn-
heim de Cl, et (jue l’on peut définir géométnbpiemeid comme le
lien du ceidre de courbure l'épondant au point de contact de la
courbe G, roidant sur une droite. Ce mode de génération con-
duit, au reste, immédiatement aux généralisations obtenues en
faisant rouler la courlie G, non plus sur une di’oite, mais sur
tonte autre courbe, sur un cercle en [lai ticulier.
De même, l’équation en U et cp, lorsqu’on y regarde ces varia-
bles comme des coordonnées polaires, définit la radiale de C,
et l’équation en x- et cp, lorsqu’on y regarde ces variables comme
des coordonnées axiales (J), définit son arca/de.
Les relations d’une courbe G avec sa courbe de Mannbeim, sa
radiale et son ai’cuïde sont étudiées par l’auteur dans les deux
chapitres suivants où se rencontrent une foule d’élégantes pro-
positions sur maintes courbes classifpies.
Un dernier chapitre est consacré à l’a[)i)lication des coordon-
nées intrinsèques à la théorie générale des roulettes pour
laquelle elle ne se montre pas moins féconde.
Ouiconque a le goût de la géométrie des courbes spéciales,
fertile en surprises, ti’ouvera, dans le petit livre de M. flraude,
un agréable aliment cà sa curiosité.
.M. 0.
III
l.xïRODUirno.N Ci1';o.m étriqué a quelques théories physiques,
par Émile Horei,, Pi'ofesseur à la Faculté des Sciences de l'aris.
Un vol. gr. in-8’, de IG? pages. — Paris, Gaulhier-Yillars, 1PJ4.
M. Émile Dorel, chez qui l’analyste, éminent se double d’un
philosophe des plus avertis, est à l’avant-garde des mathémati-
ciens que hante la préoccupation d’adapter constamment l’outil
analytique aux besoins si rapidement variables de la physique
(t) La Ihéorie des coordonnées axiates a été développée par M. d’Ocagne,
dans un travail paru en 188i, dans les Nouvelles .\nn.\les de .M.atiiéma-
TiouES, et qui a pris place ensuite dans la l)rocluire Coi^rdonnées paralli'les
et axiales de cet auteur. — Paris, Gauthier-Villai's, 1885.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQI^ES
•240
inalliéinali([ue. Oette préocnipalion l’a coiidiiiL iiun .seulement à
écrire, en divers recueils, une série de remaiapiahles articles où
sont traitées avec niaitiise divei'ses importantes questions de
pliilosophie ou de méthodologie mathématiques se rapportant
à cet objet, mais encore à faire à la Sorbonne, en décembre J!)J2
et janvier i!)13, (pielques leçons touchant des théories de géo-
métrie à (piatre ou à un très grand nornhi’e de dimensions, ([ui
intéresseid soit les déductions du principe de relntivilé sous la
foi'me nouvelle (pie lui ont donnée les travaux de Lorentz, Min-
kowski, Kinstein, soit ce ([u’on ap|)elle aujourd’hui la méccntique
slatislique, c’est-à-dire l’étude des propi iétés des systèmes d’un
nombre très considérable de iiai'ticules dont les vitesses, ou
telles autres grandeurs [)hysi(iues qui s’y rattachent, sont répar-
ties d’après la loi du hasard.
(les leçons, recueillies par .M. Deltheil, élève à l’Kcole normale
supéi ienre, ont été réiiarties en ciii(| chapitres dont nous allons
sommairement indi(|uer la substance.
Le chapiti-e 1 expose la théorie analytique des déplacements
euclidiens à deux et à trois dimensions, mettant en évidence le
rôle fondamental ([u’y jouent la dioite et le [dan de l’inlini, avec
les ombilics d’une [)art, la coni([ue ombilicale de l’aidi'e, de
façon à faire entrevoir la genèse des géométries non eucli-
diennes étudiant des groiq)es de transformation analogues mais
dans lesipiels ces éléments invariants sont remplacés par
d’autres de même espèce arbitrairement choisis.
Au chapitre 11, (ixtension est faite des mêmes princi[)es au cas
de la géométrie euclidienne à (piatre dimensions. (Jn y len-
contre, pour les seize cosinus qui entrent dans les formules du
déplacement le plus généi'al de l’es[tace à ([uatre dimensions,
une détermination très élégante en fonction des six paramètres
([ui généralisent dans ce cas les trois [laramètres d’Olinde
llodrigues pour le cas des trois dimensions. Ces expressions
sont, bien entendu, é((iiivalentes à celles (pie Cayley avait d’abord
découvertes, mais elles sont atteintes [>ar une voie [iliis géomé-
trique.
Ifevenant au cas de deux dimensions, l'auteur ('tudie au
cha[)itre III une gi'ométrie hyperholiipie s[iéciale dans la(|uelle
les points à l’intini sur les axes coordonnés remplissent le l'ôle
précédemment joué [lar les ombilics, et il en fait aussitôt une
ingénieuse application à la théorie [ihysiipie de la relativité
grâce à un modoparticidiei' de l’eprésentation, sous forme d’une
BIBLIOGRAPHIE
247
certaine géométrie à deux dimensions, de la relation entre la
position d’im point mobile sur une droite fixe et le temps.
Le chapitre IV est consacré de même à des géométries hyper-
boliques spéciales à trois ou quatre dimensions, et l’inlroduction
de cette dernière permet k l’auteur de reprendre, par une voie
géométrique, l’étude de quelques points de la théorie physique
de la relativité en lui rournissant une représentation commode
de la synthèse des deux notions fondamentales de l’esiiace et du
temps en celle unique de Vunivers au sens de Minkowski. En
utilisant cette représentation particulièi’e, M. Borel reprend, à
partir du principe de relativité, l’étude du groupe de transforma-
tions des équations de l’électromagnétisme, puis aborde le pro-
blème de la composition des vitesses. Grâce à l’introduction
d’une notion nouvelle h laquelle il donne le nom d’espace cinê-
ma t iq-a e (en?emh\e des extrémités des vecteurs équipollents aux
vitesses de tous les mouvements rectilignes et uniformes), il
obtient une représentation simple du résultat de tout problème
de changement du système de comparaison.
l.e chapitre se termine par de très curieuses i-emarques tou-
chant les rapports de la cinématique avec la théorie de la rela-
tivité sous la forme que lui a donnée Minkowski.
Les progrès de la physique ayant conduit reconnaître l’uti-
lité d’envisager des fonctions dépendant d’un très grand nombre
de variables indépendantes, l’auteur est amené, dans un dernier
chapitre, à faire voir comment se peuvent établir les propriétés
des êtres géométriques les plus simples d’un espace à dimen-
sions en tant d’ailleurs qu’elles se lient au fait que ce nombre
des dimensions est très grand. L’auteur, pour fixer les idées, le
suppose d’ailleurs de l’ordre de JO'^, nombre auquel conduisent,
d’après M. Jean Perrin, les évaluations du nombre des molécules
et du nombre des paramètres dont elles dépendent. Il traite
complètement, dans cette hypothèse, la flétermination de faire
et du volume de la sphère et de l’ellipsoïde.
S’appuyant sur ces exemples, M. Borel fait remarquer, en
terminant, que « d’une manière générale, il ne parait pas dou-
teux que l’emploi du langage et du raisonnement géométrique
peut être très utile dans les recherches de mécanique statis-
tique, relatives aux systèmes d’un nombre très considéralde de
particules dont les vitesses, ou d’autres grandeurs physiques,
sont réparties d’après les lois du hasard ».
Mais, même si l’on fait abstraction de ces visées particulières.
248
REVUE DES QI;EST10NS SCIENTIFIQUES
les théories développées par M. Horel sont de nature à vivement
intéresser (pticonqne a le goût de la géométrie.
Le reste du volume (qui n’en constitue pas loin de la moitié)
est occupé par la réimpression de plusieurs notes de l’auteur,
disséminées en divers recueils, et (pie l’on a plaisir à retrouver
ainsi groupées.
La note I, relative aux jirincipes de la théorie cinéticpie des
des gaz, est une défense très habile et tr(';s serrée de 1a méthode
statistique instaurée par Maxwell et qui, à une certaine époque,
n’avait pas échappé à l’emprise de la verve sarcasticpie de Joseph
Bertrand.
La note II contient une discussion très subtile des difficultés
que soulève l’explication mécanicpie des phénomènes iri'éver-
sihles et l’indication d'une voie dans laquelle on peut avoir
chance d’en trouver la solution.
La note III renferme la mise au point, d’après raiiteni-, des
idées d’Henri Poincaré concernant la relativité de l’espace.
La note IV a pour but, [lar un exemjile emprunté à la théorie
des résonateurs, de signalei’ les dangers qu’il peut parfois y
avoir à raisonner sur certaines écpiations approchées, (pii se
rencontrent en physiipie, comme si elles étaient exactes, en
montrant, sur un exemple précis, comment la présence de
termes aii'si petits ([iie l’on veut peut modifier complètement
l’allure d’un phénomène régi par une équation dilférentielle
très simple.
La note V fait connaiire une ingénieuse solution élémentaire
d’un problème de probabilité géométrique qui se pose à l’occa-
sion de la théorie de certains phénomènes physiipies, comme
l’émission des particules a du radium.
Pans la note VI, railleur précise ce ipii, dans l’étude des rap-
ports de la théorie de la relativité et de la cinématique, dis-
tingue son point de vue de celui ampiel s’était précédemment
placé .M. Varicalv.
Knlin, la note VII reproduit une belle conférence laite à l’oi'-
casion de l’inauguration de l’Institut Uice, à Houston (Texas),
où, sous une forme brillante et dans un esprit vraiment philo-
sophique, sont mis en pleine lumière les points de contact
entre la physiipie moléculaire et les mathématiques, auxquels
pourront être ratlachés d’importants progrès pour l’une et
l’autre science.
M. 0.
HIHLIÜGRAPriIH
219
IV
I^EISPIELE ZUR (lESCFUCirrE DEU M aTIIEMATIK . Vas .M.VniEMAÏISCH-
HiSTüRiscHEs Leserucii, Il Teil, von Alexander Witïing niid
Martin (’rERHART. Tu vol. iii-l:2 de vni-lil pages. — [.ei[)zig' el,
Berlin, Teidmer, lüJ.').
Ce petit volume est le tome XV de la Matiiem.atisciie
Birliotiiek de .M.M. Lietzmann el Wilting-, colleclioii destinée,
on le sait, à procurer, à bon marché, aux mathématiciens des
lectures distrayantes et ag-réahles relatives aux mathématicpies.
Les éditeurs "du tome XV, MM. Wilting et (lel)hardl, nous
donnent une chrestomathie composéedecourls exiraitsd’auteurs
du moyen âge et du xvV siècle.
I*our(pioi les grands géomètres de la (irèce antique en
paraissent-ils systématiquement exclus? Peut-être pai'ce que la
deuxième partie de cette chrestomathie parait avant la première
et que celle-ci, encore inédite, leur sera consacrée.
Dans un recueil de ce genre, limité à un petit nombre déter-
miné de pages, il n’y a pas lieu de discuter le choix des moi'-
ceaux. Ils doivent être courts et présenter quelque intérêt. On
ne peut guère dénier aux pièces du recueil celte double
qualité. En voici, au surplus, la liste. Les exti’aits écrits en
allemand sont reproduits dans la langue originale, les autres le
sont dans une traduction.
En tête une gravure tirée d’une édition de ]5()8 de V Arithmé-
tique Ao. Gemma Eiâsius ; puis viennent le litre, la préface, et
une petite pièce de vers, signée .Adam Uiese, J.V29.
1. Le livre du caicid des cordes du cercle par Ahu’l Baihan
Muh. El Biruni. ( Birliotheca M.atiieii.atica, o" sér. t. J J , JOiO-J J .)
Extrait de la traduction allemande, faite sur l’arabe, par
H. Suter. 11 s’agit du calcul de la corde (A + B) connaissant
Corde A et Corde B. (A'ers l’an J 1)00.)
2. Extrait du livre de la grandeur des surfaces (liber emha-
dorum) d’Ahraham bar Chijja Savasorda. D’après la traduction
allemande de M. Curtze, faite sur la version latine de Platon de
Tivoli. (Abh.andlungen zur Geschichte der Mathem.atischen
WTssenschaften, t. 12,1902.) Résolution géométrique d’équa-
tions du 2'^ degré, (xii® siècle.)
3. Extrait du livre des calculs d’Abu Zakarija el Ilassar. Tra-
250
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
(luit (le l’arabe pai' II. Saler. (Bim.. M.\the.m., 3'’ sér. t. 2, 19ÜJ.)
Uésobilina (rét|iialions dii premier deg-ré. (xiU si(’>cle.)
4. Exemple de division sexagésimale tiré d’im anlenr arabe.
Tradiiclion allemande l'aile sur la version Train, -aise de Earra de
Vaux. (liiüL. .M.vth., '2’ ser. t. 13, J8U8.) (xv® siècle.)
5. Exli’ail (In Irailé d’.Vrpenlage de F^eonard de Anlonüs de
Erémone. Extraiis divers d’après l’édition italienne de Max
(’mrtze ; (.\im.vM). zl'k Gesch. der M.vni. Wisse.xs., t. 13, 11)0^.)
t). Extraits d’iine algèbre manuscrite allemande de 14(31,
publiée par MaxCiirtze. (Arii.xxd. zur Gescii. der M.vni. Wissens.,
1. 7, 1895.) Uésolutions d’é([uations du degré.
Note de .M. Witling sur les « Notations cossiques », c’est-
à-dire, sur les manières de représenter les diverses puissances
de rinconnue sans l’emploi des exposants.
7. Extrait d’une lettre de Kegiomontanus à (iiovanni Bianchini
(14(53). Traduit sur le texte latin publié par Curtze. (Anii.XjXD. zur
Gescii. der M.vni. Wissexs., t. 1:2, 1902.) Exemple de la résolu-
tion numérique détaillée d’une équation du 2' degré.
8. Usages divei-s du compas et de la règle, par Albert Durer
(1525).
9. Galculs arithmétiques à l’aide du boulier et de la plume,
par Adam Hiese ( 1525).
10. Divers exemples de calcul aritbmétique, par .\dain Hiese
(1550).
11. \ ' Aritiniielica integra de Michel Stil'el (1544). I.a quadra-
ture du cercle tirée de l’Appendice du livre 11. Traduit du latin,
par Witting. Ce choix n’est pas très heureux. 11 y avait mieux à
prendre dans VArithmetica integra, qu’un extrait de la seule
partie de l’ouvrage qui soit absolument ratée. Pourquoi ne pas
nous donner plutôt la résolution d’un système d’équations à
plusieurs inconnues, par exemple?
12. L’extraction des racines, par .b_\an Scheubel (1(545). Tra-
duit du latin par Witling.
13. La Hègle d’oi', d’après l’Ar.s' Mag>ia de Jérôme Cardan
(1(545). Traduite du latin par Witting.
14. La «Coss» par Christophe Hudollï (1553). Extraits relatifs
aux progressions arithmétiques et géométriques.
15. \j\Arithnieticus Lihelins de Victor Strigel (15(55). De la
table de multiplication; traduit du latin par Gebhardt.
1(5. L’Aritlnneticae practicae Methoilus facitis par Gemma
Erisius. Calcul de la surface d’un triangle dont on connaît les
lUIîLIUORAPIIIE
251
trois rôles. Traduit du latin par Geldiardt, d’après l’édilioii de
J5t)8.
17. L’.VIgèbi'e de Bomhelli (157:2). L’extraction des racines
carrées par les l'ractioiis continues. D'après la ti’aduclion
allemande de Wei'tlieim (.Vüh.xnd. zur Gesch. der .AI.xtii. Wis-
sENscn., t. 8, 18i)8).
Il ne faut pas demander à ce petit volume plus qu'il ne pro-
met, c’est-à-dii'e, une lecture attrayante destinée aux mathéma-
ticiens qui ne se font pas une spécialité de l’histoire de leur
hranclie. Mais limité à ce point de vue, il est recommandahle et
donnei'a à plus d’un lecteur le désir d’en connaitre davantage.
H. B.
A IllSÏORY ÜF J.YP.YNESE .M.VTHE.M.YTICS, hv D.VVID EuGEAE SmITH
and VüSHio .AIik.vmi. En vol. in-8“ de viii-288 pag-es et 74 figures
géométriques ou illustrations. — Chicago, The open court
pnhlishing Coiopany, 1914.
Dans le Bulletin d’IIistoire des M.xtiié.m.\tiques du mois
d’octohre 1913, j’ai signalé au lecteur VIIisÉo/'re des Mathéma-
tiques en Chine et an Japon par .\1. Yoshio Mikami. (The Deve-
lopment of Mathematics in China and Japan. Leipzig, Teuhner,
1913.) Essai intéressant, important même parce qu’il était le
premier de ce genre, mais qui néanmoins ne fut pas fort heureux.
Les textes des mathématiciens chinois, inahordahles pour
nous dans la langue originale, rehutent heaucoup de sinologues
et n’ont guère été traduits. Aussi est-il malaisé en Europe de se
faire une idée précise des mathématiques du Céleste Empire.
Xous ignorons moins les mathématiciens japonais récents.
M. Mika mi a heaucoiqi contrihué à nous les faire connaitre par
ses Mathematical Papers from the Far East (Leipzig, Teuhner,
1910). Mais quand il s’agit de l’élude des géomètres japonais
anciens, la ditlicullé est presque aussi grande que pour les géo-
mètres chinois.
De nos jours les savants japonais sont hien informés de ce qui
se publie en Europe. C’est insullisant pour étahlir déjà im paral-
lèle entre le déveloiipemenl de leurs mathématiques nationales
et celui des nôtres.
11 faut le dire, le sujet est dillicile.
REVUE DES questions SCIEXTIITQUES
I.0-5 malliéniati(|ues de l’Occident et celles de ri‘Atrènie-( trient
paraissent an premier aboial dilTérer les unes des antres antanl
qn'il est possible. An dii’e des géoinêli’es .japonais et chinois,
leur science, à l’abri de tonte innilialion étraiiyvi'e, s’esi entièi'e-
inenl dévelo[)pée |>arses [)roi)rcs moyens.
I‘]st-ce bien exact? Il ne semble pas el il l'ant même le rt'voqner
en doute a priori. Les .lésniles n’occnpèreni pas [)endant nn
siècle et demi les Ibnctions de direcleni's de l’Observatoire de
Léking, premier établissement scienliti(|ne de l’empire, sans (pn;
les ini'tbodes enropéennes ne réagissent sur les matbémati(ines
chinoises et de là (pielqne peu snr celles du .lapon.
.An .lapon même, il est vrai, l’action scientiliqne directe des
.lésnites bit moindre ([ii’en Lbine. .Mais il y eut une conq)ensa-
tion, l’inllnence des maicbands hollandais, f.enrs intérêts mer-
cantiles les engageaient à l’cndre à leurs clients tons les genres
de services. A’oiontiers ils se faisaient courtiers en livres de
sciences enropéennes comme en tonte antre marebandise. A l’oc-
casion ils ne rel'nsaient pasd’interpréterces livres.ipiand quelque
savant .japonais le leni’ demandait.
Tons ces problèmes si délicats, .M. .Mikami, et pour cause, dans
son Ifistoire des Malliéinaliqi(es en Chine el au Japon , les avait
à iieine elllenrés. A’’est-il i>as prématuré de vonloir dé.jà les
résoudre complètement? .Aussi, n’est-ce pas encoi'e le but [)onr-
snivi pai' le savant Japonais dans le nouvel ouvrage (pt’il nous
donne ; il a plnlôt vonin j)lanter les premiers .jalons de la solu-
tion.
La bonne Ibi'tnne Ini a lait rencontrer nn conseiller et nn col-
laborateur cbez nn de ses anciens maîtres. J’ai nommé M. David
Engène Smitli de .New-York, l’nn des savants de la grande
Uépnblitpie Américaine, qui coimai-sscnt le mieux riiistoire des
inatbémalicpies.
Les deux géomètres-liistoriens se sont |)ai'tagé le travail.
M. .\likami a [iris à sa charge la recherclie des documents .japo-
nais et leur traduction; .M. Smith s’est réservé la mise en œuvre.
Lbacnn des deux savants entend conserver sa responsabilité
personnelle. Acceptant les documents tels ([ne .M. .Mikami les Ini
présente, .M. Smith les discnie an double point de vue des
inathémaliqnes et de l’Iiistoire. Sans doute, la méthode n’est
pas parfaite, mais c’est inconlestaldement la meillenredans l’état
actuel de la science.
Nous n’avons encore anjoiird’lini ([ne le volume consacré aux
mathématiciens .ja[)onais. Eue impression d’ensemble s’en
11IBLIÜGRAPIIIE
553
ili’sjage. Le .lai)üiuiis est plutôt nu virtuose du calcul, qu’uu
logicien: plutôt uii amateur de récréations matliématicpies (|ui
retourne sous toutes ses lôrmes attrayantes le môme prol)lèine,
([ii’un g'énie généralisateur cherchant la solution simple qui
s’applicpie à tous les cas particuliei's.
Pour terminer signalons la prorusion et la beauté de l’illustra-
tion. Le volume est ini[>rimé avec une richesse toute améi'icaine.
Mais ce n’est pas simple plaisir de nous donner nn ouvi'age de
grand luxe. Les notations japonaises dillérent tant des nôti’es
(pie ces nombreuses figures sont des plus utiles pour nous l'aire
comprendi'e les méthodes de démonstration et de calcul.
(Ju’il nous soit permis de Ibnmder un vu'u ; c’est d’avoir
bientôt nn volume analogue consacré aux mathématiques
chinoises.
II. B.
M
lîlliLlOTIIEC.V SClilPTORU.M (ju.VECÜKUM ET BOM.XiXOHUM TeUBAER-
— J)e^ Clitudius Ploleiivnix Ilandbuch der Astronomie.
Ans dem Griechischen l'djersetz und mit erkhirenden Anmer-
kungen versehen von Karl Manilius. Deux vol. pet. in-8" (J)
d(î xxviii-i()J pages, 1 planche hors texte et iAfi pages. —
lanpzig, Teuhner, 19J5 et l'Jlo.
Voilà plus de dix ans que dans le volume I de ses Claudii
Plolemaei Opéra Oninin, .M. Heiberg a publié le texte gi'ec de
V Alma geste de Ptolémée. Ce premier volume, divisé en deux
tomes, parut à Leipzig, en J8t)8 et 1D08, dans la Bibliotiiec.v
Sc.Bii‘TOBU.M Gr.xecoblm ET FtOM.v.xoRUM Teub.xeri.vîx.v. Le texte de
.M. Heiberg constitue nn grand progi'ès sur celui qui fut édité à
Paris, en J8J3 et J81fi, ])ar l’abbé Halm. (Jnant à ce dernier, il
avait pratiquement lemplacé le texte de l’édition princeps
donnée en 1538, chez Yalderus à Bâle, par Simon Gauricus. .Vu
(I) Ces (leux ouvrages font partie de ta liiiîuoTitEC.x Scru’torcm Gh.veco-
tii M ET ItOM.XNOiic.M Teubneui.vxa. Eli voici les litres : demnita
asi roiKOfiiac ad codicuni fniau recemvit, gennanica iiiterpndaiionn et com-
iiicnlariis instni.rit Cau'ohis .Manilius. Lipsiae. 1S'J8. — llipi>arclii in Arali
et Enda.ci phaenonwna Comment arior uni libri très. Ad codiann faleni
recensait gennanica interpretatione et commentariis instru.rit Carolus
.Manilius. I.i])siae, 1801.
251
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
témoignage de M. Maintins, celte édilion de riatnicns est aussi
correcte ([iie pouvait l’étre une édilion dn xvU siecle. Le texte
grec, de V Ahangeste n’a élé impi’inié en entier jnsqn’ici que
trois fois.
L’édition de llalma conserve néanmoins lieanconj) de vogue,
tant à cause des notes et éclaircissements qu’y ajouta Delamhre,
que iiarce que le texte y est accompagné d’une traduction
française, dette vogue se comprend, cai' combien rares sont
les spécialistes, à la fois astronomes et philologues, capables
d’utiliser avec aisance le texte grec d’Ileilierg ! .\ussi, malgré
ses incorrections, la traduction française d’Ilalma est-elle encore
lieaucoup recberebée.
Dans la langue oiignalc, l’Iolémée, il i'aul b? leconnailre, est
un auteur diflicile, même [tour un bellénisle. A preuve cet aveu
de M. Ileiberg à la lin de sa p.réface (p. ^’l) :
« Inteiqirelalionibus coinmentariiscpie Arabibus iili non
potui, Lalinis nolui. Inlerprelalionem meam, sive latinam, sive
linguae recenlioris, in tanta rerum dilîicullale addere ausus
non siim. De ea re videant asli-onomi si inlerprelationem desi-
deraverinl. »
De en re videmil axlronomi si interprétât ionem desideraverint^
reprend M. .Manilius, c’est vile dit, mais vraiment par li'op
exiger des astronomes ! Lotir faire celle traduction, il leur
l'audrait une connaissance du grec qu’on ne [leut raisonnaltle-
menl exiger d’eux. Lt puis, est-il plus aisé [tour un astronome
d’apprendre à fond le grec, ([uc [tour un helléniste d’arriver à
comprendre l’astronomie ?
Heureusement pour nous, M. Maintins joint les qualités de
l’astronome à celles du philologue. Il l’a montré dans ses belles
éditions de Geminus et d’lli[i[tar([ue, dont il nous a jadis donné
un texte critiipie avec une traduction allemande. l'eu nom-
Itreux sont aujourd’hui les savants, capables de traduire comme
lui VAlmngeste. Il faut lui savoir gré de ne pas avoir reculé
devant un travail aussi ardu.
Gomme base de sa traduction, le savant bellénisle de Dresde
a naturellement choisi le texte d’ileiberg. .Mais, il l’a cru parfois
susceptible d’amendements de détail ; notamment dans les
ligures, tro[) servilement reproduites [>ar Ileiberg, dit-il, d’après
le Codex D (Valicanus J80).
Gnant à la version allemande, a(lirme-t-il avec assurance, les
critiques ne [lourront celle fois lui re[)rocber d’être « frei wie
immer », lro[) libre comme toujours. Les mots sont mis entre
BIHLIOÜRAPHIE
guillemets par M. Manltiiis Ini-même. Serrer de près le texte
qu’on traduit est parfait ; mais, il faut rester intelligible. Trois
genres d’éclaircissements ont donc été employés ; de simples
mots entre parenthèses intercalés dans les phrases mêmes du
mot à mot, de courtes notes au bas des pages, des commen-
taires plus étendus renvoyés à la lin de chacun des deux volumes.
« Un souhait avant tout, dit le traducteur vers la fin de la
préface. Puisse l’étude de la version allemande de VAhnageste,
mettre un terme à trop de jugements erronés défavorables
portés sur l’auteur de la Sguta.relAeh sont notamment ceux de
Delamhre, dans son Histoire de l'Astronomie, qui ont trouvé
un si large crédit. Ptolémée n’a sans doute pas eu de grandes
qualités personnelles d’observateur ; mais il faut admirer la
solidité et la science avec lesquelles il a élaboré les matériaux
rassemblés par ses prédécesseurs. Il ne mérite pas sa réputation
de simple compilateur, ou de plagiaire de son illustre devancier
Hipparque.
II. B.
VII
L.x Forme de l.v Terre et s.\ CoNSTiTUTiOix interne, par
Alex. Yéronnet, docteur en .sciences. Un vol. in-(S“ de 3:2 pages.
— Paris, Hermann et Fils, 1914.
Si la Terre était immobile, si elle était et avait toujours
été solide et timide, sa forme pourrait être quelconque : la Géo-
désie se réduirait à la Géographie et à la Topographie. Mais
elle tourne sur elle-même ; elle fut fluide jadis et elle s’est
refroidie au cours des âges en obéissant aux lois de la contrac-
tion ; aujourd’hui les mers qui l’environnent .sont en équililbre
sous l’action de la pesanteur et de la force centrifuge, et leur
surface de niveau prolongée s’écarte peu de celle des continents.
La Géodésie n’est donc pas une science sans objet.
Par les travaux qu’elle a suscités, l’étude théorique de la
forme de la Terre se rattache aux idées que l’on s’est laites de
la pesanteur, à l’bistoire de la gravitation universelle surtout,
dont elle a été, à l’origine, une des plus éclatantes confirma-
tions ; elle nous a valu des chefs-d’œuvre, le Traité de Clai-
raut sur la figure de la Terre, entre autres, que l’on a comparé
et même égalé aux plus beaux chapitres du livre des Principes.
25(3
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Klle n’a pas (.'onlriliiié seulement an progrès des grandes
11)éories aslrononiicines, elle a aussi pnissaininent aidé, par les
nomhi'enses ex[)édilions ([u’elle a provo(piées, an peri'eclionne-
nient des instruments et des méthodes d’ohservation et nous a
l’oiirni, sur l’intérieur de, notre globe, des notions précieuses
dont la géologie a hénélicié.
C’est à ces travaux et à leni-s conclusions que .M. Yéronnet
consacre une étude Instoricpie et criticpie dont les éléments sont
puisés aux meilleui's sources.
Sans se perdre dans les détails, il s’est attaclié à mettieen
lumière les traits essentiels de ces recherches, et à en peseï' les
apports. Il en i-ésulte une monographie excellente, mise à la
portée du gland public auquel nous la recommandons volon-
tiers.
« Il tant diie en somme, conclut l’auteur, que la Terre aiïecte,
dans son ensemble, la forme d’une .surface sphériipie, qui s’est
déformée légèrement, et à peu près également, dans deux sens
dilférents ; dans le sens ellipsoïdal sous l’action de la rotation
on de la lorce centrifuge, et dans le sens tétraédiiqne sous
l’action du refroidissement eide la contraction. Ces deux pous-
sées de défnnnalion de la surface siihériipie atteignent exté-
rieurement à peu près les mêmes valeurs de kilomètres, du
moins si l'on ne regarde ([ue la surface .solide pour la l'orme
tétraédri([ue. » La différence entre les deux rayons de l’ellipsoïde
terrestre est en effet de 'iO kilomètres, et la dillerence entre les
sommets des plus hautes montagnes et les fonds des mers les
plus bas atteint à peu piès la même valeui'. (t Le sphéroïde ter-
restre est téli’aédrique aussi bien qu’ellipsoïdal, et cela au
même titie, aussi peu, mais autant. »
.V .\.
Mil
I. — Les lois empuîioies nu systè.me solaire et les har.mo-
îsTQUES TOUiîRiLLON.vAiRES, par F. BuTAVAM), ingénieur des Ponts
et Chaussées. Un vol. in-8'’ de 43 pages. — [’aris, Cauthier-
Villars, UIJ3.
II. — I31Iah.mo.me ïuurrillo.vxaihe de l’atome. Les spectres
et les éléments, par F. LIutavamj, ingénieur des Ponts et
Chaussées. Un vol. in-S" de 50 pages. — Paris, Cautliier-
Villars, ion.
BIBLIOGRAPHIE
1. — Ou ai)pelle «-lois eotpiriijues du sffslème solaire, (les
relalions (ilahlics en dehors de tonte théorie cosmogonique et
par des méthodes totalement artificielles, permettant d’obtenir,
avec une approximation pins on moins grande, les éléments des
planètes en fonction dn rang, on, à la rignenr, en fonction de
la distance an Soleil. » La loi de liode, qne l'on trouve dans tons
les traités de Cosmographie, est une loi empirique relative aux
distances des planètes an Soleil.
De nombreux chercheurs se sont livrés à ce jen de patience,
sontenns par la conviction qne la répartition des éléments dn
système solaire n’est pas due an hasard.
M. Dntavand précise davantage. « Il semble bien, dit-il, (pi’il
se passe, i)oni' ces (jnantités, nn fait analogue à celui qu’on
observe en chimie, on les projn iétés des corps paraissent être
des fonctions, à période pins on moins apparente, d’nne seule
et même variable ; le rang de l’élément dans la classification
générale, on dans la famille. »
Il est malaisé, sinon impossible, à qui cherche une loi empi-
rique, de ne pas joindre aux données objectives dn proldème,
comme le fait ici M. Dntavand, une anticipation de l’esprit qui
oriente les calculs, suggère les interprétations et parfois les
égare. Képler n’a-t-il pas voulu voir une relation entre la répar-
tition des distances des planètes an Soleil et le problème de
l’inscription des polyèdres régidiers?
D’autre part, tons ceux qin jnsqn’ici se sont donnés à la
recherche des lois empiriques dn système solaire, ont porté
leurs efforts, non sur tons ses éléments, mais sur nn certain
nombre d’entre eux pins facilement accessibles on qui leur
paraissaient pouvoir être moins arbitrairement isolés et étudiés
séparément. Cette disjonction d’éléments intimement enchainés,
peut aussi ne pas être sans inconvénient et justitie certaine
réserve.
f’aut-il en conclure qne ces lois empiriques sont simplement
curieuses? — Leurs auteurs eux-mêmes en ont parfois jugé ainsi ;
mais, le plus souvent ils y ont vu de lu'écieuses indications
.sur les origines de notre système solaire, ou d'éloquentes contir-
mations de telle ou telle hypothèse cosmogonique qu’elles s’accor-
daient à vérifier. C’est ainsi que l’astronome américain, Hinrichs,
a vu, dans la loi de Dode, une conséquence de la condensation
progressive, régulière et proportionnelle au temps, de la nébu-
leuse solaire telle que Laplace l’avait conçue ; en sorte que les
IIP SÉIUE. T. XXVI. J 7
258
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
iiom])res (|iii mesurent les dislaiires des planètes, mesureraient
aussi les durées qui ont séparé leur lormalion.
C’est sur les distances des planètes, leurs masses et leurs
rotations que s’est exercée suiTout la sagacilé de M. Butavand.
Il a réussi d’excellente l'açon ; la vérilication des lois qu’il for-
mule est, en général, très satisfaisante ; son livre, très intime-
ment soudé à V Essai de cosmo(/o)iie tourbillonnaire deM. Belot,
lui apporte une contribution de valeur.
II. Boincai'é, dans ses Leçons sur les hypothèses cosmogo-
)iiques(\), termine ainsi l’étude qu’il consacre à la théorie de
.M. Belot :
« Ouelles ([ue soient les criti([ues (pie nous avons cru devoir
formuler sur divers points de cette tbéoiie, cette tentative
mérite l’attention. Si on peut reprocher à M. Belot d’avoir été
un peu plus audacieux qu’il ne convient de l’étre dans l’état
actuel de la Science et d’avoir voulu prématurément trop
emhrasseï-, et si ses idées ne semblent pas pouvoir être acceptées
sous leur forme actuelle, il semble cpi’il lient être utile de les
faire connaître, parce (pie l’on pourra un jour y trouver à
g-laner d’intéressantes vérités». En terminant sa brochure,
.M. Butavand rapiielle ce jugement de l’illustre mathématicien.
« La conliance témoignée par ces paroles à la conception tour-
billonnaire, dit-il, était bien placée; on en a une nouvelle
jireuve, [luisqu’il sullit d’y ajouter riiypotbèse d’harmoniques
pour obtenir une ainiile moisson de résultats qu’aucune théorie
-cosmogonique n’avait pu produire jusqu’à maintenant : explica-
tion sommaire, mais simple, des lois des masses, des densités,
des excentricités, des rotations; explication des particularités
des Astéroïdes et même des inégalités de la loi exponentielle
des distances. »
11. — Dans sa seconde lirocbure, M. Butavand abandonne la
<-osmogonie pour appliquer le principe de rharmonie tourbil-
lonnaire à l’atome, constitué conformément à la conception de
.M. Belot, en vue d’obtenir un schéma général dans lequel pren-
draient place les lois et les particularités des spectres de lignes,
des spectres de bandes, des phénomènes de Zeeman et de la
dassitication des éléments.
Voici un aperçu de la table des matières ; La théorie tourbil-
lonnaire. Les lois spectrales. La théoi’ie de Bitz. Le tourbillon
(t) Seconde édition, p. i79, 1913.
BIBLIOGRAPHIE
259
atomique et les raies spectrales. Les harmoniques tourbillon-
naires. La formule de fiydberg et l’e-xposant Képlérien. L’évo-
lution adiabatique des nappes. Les spectres de bandes et les
harmoniques. Les lois des spectres de bandes. Les effets de
Zeeman et les harmoniques. La gamme chimique et la classifi-
cation des éléments. Les propriétés générales de l’atome. La
valence. Conclusion.
« On a pu dire avec raison que le secret de la constitution de
l’atome est inscrit dans 1e spectre en hiéroglyphes que nous ne
savons pas déchilfrer... L’harmonie tourbillonnaire nous
apporte la clef, imparfaite encore sans doute, mais très simple,
de ce mystère...
» L’harmonie tourbillonnaire constitue un cadre simple et très
général dans lequel viennent se caser naturellement toutes les
particularités des spectres de lignes, des spectres de bandes et
des effets de Zeeman. Elle nous a même conduit cà des aperçus
significatifs concernant la périodicité atomique et le classement
des éléments par famille... Avec l’harmonie tourbillonnaire, une
foule de phénomènes qui paraissaient énigmatiques et dispa-
rates, deviennent familiers; on a l’impression qu’un coin du
voile qui nous cachait le secret de la genèse des mondes et de
celle de la matière se soulève enfin.
)) C’est le même phénomène de balistique qui a donné nais-
sance aux mondes et aux atomes, et, du très petit au très grand,
tout est dans l’univers bâti sur le même modèle... Dans l’atome
les corpuscules se repoussent; dans le monde solaire, les par-
ticules de matière s’attirent, ce qui donne à chacun d’eux sa
physionomie propre... L’évolution des nappes aurait été adia-
bati([ue pour l'atome, et isothermique pour le .système solaire.
Malgré ces dissemblances, les analogies restent considérables et
significatives. Les variations immédiates et les alternances qui
jouent un rôle important dans le cas des astéroïdes, se retrou-
vent pour ainsi dire telles quelles dans les spectres de bandes
et dans le phénomène de Zeeman. »
Ceux qui ont accordé quelque attention aux idées exposées
par l’auteur dans son précédent ouvrage sur les Lois empiriques
du système solaire et les harmoniques tourbillonnaires, liront
avec intérêt le nouveau travail qu’on leur présente.
L. U.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
2()0
IX
0. I) CinvoLSON, itrolesseur à l’rniversilé impériale de
Sl-l*étersbonrg. Tuaité de Physique, ouvrage traduit sur les
éditions russe et allemande par E. Davaux, ingénieur de la
Marine. I^dition i-evue et considérablement augmentiie par l’au-
teur, suivie de notes sur la IMiysique Ibéorique par K. Cosser.aï
et E. CossEUAï. Tome IV, Deuxième lascicule. Cluunp magné-
tique constant. Un vol. grand in-(S" de 4ol-JJ0:2 pages, avec
:284 figures dans le texte.
Tome Y, Premier fascicule. Champ magnétique variable. Un
vol. grand in-8° de ^fifi pages, avec dfi figures dans le texte.
— Paris, .\. Hermann el Pils, J!H8, JDJ4.
La traduction française du Traité de Physique de (ihwolson
se poursuit avec, la même ampleur de doctiâne et la même
abondance de renseignements bibliograpbiiiues. De tels déve-
loppemenls ont élé donnés à l’exposition de l’Electricité et du
■Magnétisme, que seules l’étude du cbamp électrique constant et
celle dn cbamp magnétiipie constant ont pu être comprises dans
le tome IV qid devait piimitivement contenir tout ce qui se
ra[)porte à Vénergie électrique.
.\ous avons signalé déjà la publication du premier fascicule
de ce tome IV, consaci’é au champ électrique constant. Le
second fascicule, qui achève ce tome, traite du champ magné-
ti(pie constant ; voici le résumé de la table des matières.
Eli. I. Propriétés do champ magnéti(iae constant. — Ch. II. Sources du
champ inagnétiiine. .\imants. — Ch. III. Sources du champ magnéticiue. Cou-
rant électricpie. — Ch. IV. Phénomènes thermiques et mécatiiques à l’inté-
rieur d’un circuit. — Ch. V. Phénomènes chimiques à l’intéi-ieur d’un circuit.
Electrolyse. 'l'héorie du courant hydro-électrique. — Ch. VI. Phénomènes
thermo-électri(pies à l’intérieur d'un circuit. — Ch. VII. .\ctions ponderomo-
trices du chauq) magnétique. — Ch. VIII. Induction de l’État magnétique
dans les corps. On trouve dans ce chapitre l’exposé des nouvelles théories
moléculaires du magnétisme de .1. .1. Thomson, \V. Voigt, P. Langevin,
P. Weiss (Théorie des magnétons). — Ch. IX. .\ction du champ magnétique
sur les corps qu’il contient. — Ch. X. Mesure des résistances électriques.
.Méthodes et résultats. — Ch. XL Mesure de l’intensité d’un courant, de la
force électromotrice et de l’intensité du champ magnéti(iue.
Le premier fa.'^cicnle dn tome V, traite dit champ magné-
tique varicdAe. L’exposé objectif et le rapprochement des théo-
BIBLIOGRAPHIE
2()i
lies les plus récentes, et aussi les plus controversées, l’endent
ce fascicule particulièrement intéressant.
il s’ouvre par un chapitre d’introduction où sont exposées les
propriétés des scalaires et des vecteurs, les relations mutuelles
entre les champs, et quelques notions préliminaires sur les
phénomènes radioactifs.
Le chapitre II est consacré au phénomène d’induction et à
ses applications : Énergie du champ magnélicpie ; modèles. Théo-
rie approchée de la hohine d’induction. Le courant alternatif:
Théorie approchée du transformateur. Courants de Foucault.
Induction unipolaire.
La théorie de Maxwell fait l’objet du cliapitre III : Equations
de Maxwell. Théorème de f^oynting et Ilux d’énergie. Diélec-
triques et aimants. Conducteurs et semi-conducteurs. Equations
de Hertz pour les corps en mouvement. Détermination expé-
rimentale de la grandeur v.
On aliorde, dans le chapitre lY, les fondements de la théorie
électronique et la dynamique des électrons. Un paragraphe,
ajouté là l’édition française par MM. E. et F. Cosserat, expose la
notion (Vaction dans la dynamique de l’électron, d’après les
recherches de H. A. Lorentz, K. Schwarzschild et H. Poincaré.
Enfin, un chapitre nouveau, rédigé par l’auteur, est consacré
au principe de relntivité : Le principe de relativité dans la
mécanique newtonienne. Milieux de propagation ; l’air et
l’éther. Uecherches expérimentales. Hypothèses de Fitzgerald
et de Lorentz. Temps local de Lorentz. Les idées d’Einstein.
Conséquences du principe de relativité. La théorie de Minkowski.
Les idées relativistes au point de vue mathématique : ce para-
graphe a été ajouté par MM. E. et F. Cosserat. La question des
horloges. Conclusion ; « On peut exposer ce qu’il y a d’essentiel
dans la théorie de la relativité sans avoir recours à des illustra-
tions qui exigent la considération de l’heure ; c’est ce que je me
suis efforcé de laire dans les pages précédentes.
» Le tableau de l’état actuel (1914) de la théorie de la relati-
vité serait incomplet, si nous ne parlions pas, pour finir, du
désaccord qui existe entre les physiciens sur la .signification de
cette théorie et sur la réalité physique de ses conséquences.
Beaucoup la regardent comme détniitivement établie, comme
ne pouvant donner lieu cà aucun doute et enfin comme introduite
pour toujours dans le trésor de la Science. Mais il existe aussi
des savants, et non en petit nombre, qui traitent cette théorie
avec scepticisme et même la repoussent absolument, l’envi-
2(32
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
sageant comme un simple jeu d’esprit (ein drolliger Wilz). En
toute rigueur, (luand on ne renonce pas à l’existence de l’éther,
on ne peut rester complètement d’accord avec la théorie de la
relativité.
» 11 tant attendre de l’avenir la solution des questions en
litige, et l’explication de la véritable signification phi/sique du
principe de relativité. »
J. T.
X
Hadi.xtions visiiiLES ET i.wisiiiLEs. r-onléreiices laites à l’Insti-
tution royale de la (jrande-Bretagne, augmentées de conférences
nouvelles, par Silv.anus P. Thompson, traduites et annotées par
L. Dunoyeii. Seconde édition, revue et augmentée. Un vol. iii-8’
de iii-37() pages avec J9ti ligures. — Paris, A. Hermann et
Fils, 1914.
Il y a près d’un siècle, le 12 décembre 1825, l’Institution royale
de la Grande-Bretagne instituait des conférences destinées à la
jeunesse, où des maîtres éminents exposeraient en un langage
simple et en s’aidant d’expériences, dans la mesure la plus large
possible, les principes et les faits relatifs à quelques progrès
récents de la science. Les Christmas lectures sont restées jus-
qu’ici en grand honneur, et elles n’ont rien perdu de la valeur
et de l’attrait qu’ont su leui- donner des savants, tels que Fara-
day, Tyndall, lord Kelvin, .Maxwell, Tait, Lodge, etc.
Bien de plus instructif, rien de plus captivant que ces leçons
où la rigueur des principes s’allie à la simplicité de l’exposition
et au charme d’une mise en scène expérimentale toujours très
riche, souvent originale, et où se déploie l’art, très cultivé par
les physiciens anglais, de la construction de modèles destinés
à peindre aux yeux les phénomènes les plus cachés.
Telle est l’origine et telles sont les qualités du livre excellent
publié, en 1897, par .M. le Professeur Silvanus Thompson, sous
le titre Light visible and invisible : il reproduisait les Christmas
lectures de 189(3. Une seconde édition anglaise parut en 1910,
enrichie de deux conférences nouvelles. C’est de cette seconde
édition que M. L. Bunoyer nous offre une traduction française
lidèle, élégante, digne en un mot de l’original, et augmentée
de notes et d’appendices qui précisent certaines indications,
BIBLIOGRAPHIE
2G3
ajoutent quelques détails sur les techni([ues nouvelles et expo-
sent les conquêtes les plus récentes de la physiipie dans les
limites qu’embrassent les conférences de M. S. Thompson.
Il en résulte un exposé bien tà jour et très clair, basé sur
l’expérience et ordonné avec le souci constant d’établir entre les
phénomènes une parfaite coordination de tout ce qu’il y a
d’essentiel dans le domaine, aujourd’hui si riche et si complexe,
des radiations ; ce mol, (pie M. Dunoyer substitue avec raison
au mot lifjht de l’édition anglaise, comprenant non seulement
les perturbations de l’éther, périodiques ou solitaires, telles que
les ondes hertziennes de toutes les longueurs, l’infra-rouge, la
lumière visible, l’ultra-violet, les rayons Roentgen et les rayons
T du Radium, mais aussi les rayonnements de nature corpus-
culaire ; les rayons cathodiques, les rayons canaux, les rayons
a et P des corps radioactifs, etc., dont les propriétés sont celles
de trajectoires de particules douées d’une charge électrique,
positive ou négative, et d’une masse réelle ou apparente.
Sans doute, la matière d’un aussi vaste sujet n’est pas épuisée ;
le but même de ces conférences, l’auditoire auquel elles s’adres-
saient imposaient un choix, assignaient des limites que l’on eût
pu franchir sans porter atteinte à Tunité synthétique de l’en-
semble. « Bien des branches de l’optique, écrit M. S. Thompson,
ont été nécessairement omises dans un si rapide exposé : c’est
le cas de l’analyse spectrale tout entière, de la construction et
de la théorie des instruments d’optique, delà majeure partie de
ce qui concerne la vision colorée. On n’a fait aucune tentative
pour les y introduire et leur omission n’invoque aucune excuse.
On voudra bien juger de ces conférences par ce qu’elles con-
tiennent, et non par ce qu’elles ne contiennent pas. » Or, ce
(lu’elles contiennent, le charme et le profit qui s’attachent à leur
lecture, en font tout autre chose qu’une œuvre de vulgarisation,
d’où la rigueur et les vues synthétiques sont généralement ban-
nies et qu’on parcourt en courant sans autre résultat, le plus
souvent, que celui de perdre son temps. A l’étudiant qui médi-
tera les conférences de .M. S. Thompson, la doctrine qu’elles
renferment et les dispositions expérimentales dont elles abon-
dent, il sera donné d’enrichir son esprit, de clarifier ses idées,
d’apprendre et de comprendre beaucoup de choses, sans se
mettre la tête en capilotade.
Il suffit pour en faire la preuve, de parcourir les sommaires
des huit conférences qui se partagent l’ouvrage.
REVI'E DES gUESTIOXS SCIENTIFigUES
•26 i
La première a pour litre Lumière et omhre :
l'.ommeiil se propagent les ondes lumineuses. — E.xpériences de production
d'oniles à la surface d’une cuve. — Comment se forment les ombres. —
Comment les ondes lumineuses convergent et divergent. — Mesure de l’inten-
sité de la lumière. — llétlexion de la lumière par les miroirs. — Formation
des itiiages. — Hélle-viou régulière et réllexion irrégulière. — Réllexion
diffuse par le papier et les surfaces rugueuses. — Images multiples. — lïéfrar-
tion de la lumière. — Lentilles. — L’udl en tant ipCinstrument d’optirjue. —
Quehiues expériences curieuses. — lîetjversement des images. — Les miroirs
magiijnes du .Iaj)on. — Les miroirs magiipies anglais. — Apimidice. l.a
méthode générale de l'opti(pie géométri(iue.
« I.es itlées dévelopitée.s dans celle première leçon, écrit
M. S. Thompson, ont leur origine dans la conviction qtie ren-
seignement traditionnel de l’oplitpte géométrique fait complète-
ment lansse roule, en ignorant systématiqitement la nature
ondtilatoire delà Itimière. Lotir les élndiants et les proresseurs,
on a ajotilé, à la première leçon, tm appendice dans lequel les
idées nouvelles ont été développées. » Voici les litres des para-
graphes princiitatix de cet appendice : Hase de la méthode
ondtilaire. Détermination de la conrhnre. .Notations. Relation
entre cotirhnres successives. Formtdes de réfraction. Formnles
des lentilles. Formules générales. Formtdes relatives à deux
lentilles minces à une certaine distance Tune de l’antre. For-
mnles pour ht réllexion.
D'antres a[)pendices font suite aux antres leçons et tendent
an même hnl : comhler, dans une cerltiine mesure, les lacunes
inévitables dans ce genre de conférences.
I.;t seconde s’intitule : Le spectre visible et l’œil :
Couleur et longueur (l’omle. — Nuances de l’arc-en-cipl. — l,e spectre des
couleurs visibles. — Specti’es produits par un pristne. — Spectres produits
par un réseau. — Composition de la lumière blanclie. — Expéi-iences sur le
mélange des couleurs. — .Vnalyse des couleurs. — l.e bleu et le jaune, mêlés,
font du blanc et non du vert. — Teintes complémentaires. - Teintes de con-
traste causées par la fatigue de rudl. — .\utres phénomènes de persistance
(le la vision. — Zoétrope. — .\nimatographe (Cinémalograpliet. — A])pen-
dice. KélVaction anormale et dispersion.
Troisième conférence, Polarisnlion de la lumière :
Sens du mol Polarisation- — Comment on polarise les ondes lumineuses.
— Illustration sur des modèles. — Polariseurs en verre, en spath calcaire,
lamelles de tourmaline. — Comment un polariseur peut supprimer la lumière
])olarisée. — I*roprièlé des cristaux. — Emploi de la lumière polarisée pour
déceler de fausses pierres précieuses. - Rubis, saphirs et améthystes. —
Polarisalion par doidjle réfraction. — (Nirieux phénomènes de coloration, en
BIBLIOGRAPHIE
2()
)0
hiinirre polarisée, produite par des lames cristallines minces, incolores, pla-
cées entre polarisenr et analyseur. — Étude plus complote des teintes com-
plémentaires et snpi)lémentaires. — Mise en éviilence lie glissements par la
lumière polarisée. — ElTets produits sur le verre par la compression et
réchaullèment. — Appemlice. La théorie élastique de la lumière.
Au sujet de celte Iroisième cotilerence, M. S. Thompson écrit
dans l’introduction de son livre : « l’iusieurs des idées qn’il est
indispensable de bien saisir, celle de la [tolarisatioti de la lumière
par exemple, sont communément considérées comme d’une
extrême ililüculté ; or ce n’est pas tant dans les idées elles-
mêmes ((ue git la dilbculté, que dans le langage dans lequel
elles sont généralement exprimées. Une expérience d’un bon
nombre d’années a convaincu l’auteur, que les caractères essen-
tiels des phénomènes de polarisation sont très aisément saisis
parties [tersonnes d’intelligence moyenne, même par des entants,
pourvu tpi’ils soient présentés sous une l’orme moderne, dénuée
de termes pédants, et illustrés par des modèles convenables,
[.a même remarque pourrait s’appliquer aux autres parties de
l’optitpie, comme les interférences ou la ditfraction, auxquelles
il est simplement fait allusion dans ces conférences. »
Ouatrième conférence. Le invisible {véÿ\o\\ ultra-vio-
lette) :
Le spectre s'élenil, d'une manière invisible, de part et d’autre de la partie
visitée. — En deyà de l’extrémité rouge se trouvent des ondes invisil)les et
jilus longues, qui produisent un échautfernent des corps sans les illuminer.
— On les appelle ondes calorifiques infra-rouge. — .\u delà de l’extrémité
violette du spectre visible sont les ondes invisibles plus courtes, ([ui pro-
duisent les ellets chimiques. — Ou les appelle ondes actiniques ou nltra-vio-
lettes. — Lomment on peut tamiser la lumière ultra-violette invisible et la
séparer de la lumière visilile. — Comment on peut rendre visilile la lumière
ultra-violette invisible. — Emploi d’écrans fluorescents. — Itéflexion, réfrac-
tion, polarisation de la lumière ultra-violette invisible. — Luminescence ;
luminescence temporaire ou lluorescence ; luminescence persistante ou |)hos-
phorescence. — Comment on peut faire de la « peinture lumineuse ». —
Expériences sur les corps phosphorescenU. — Autres propriétés de la lumière
ultra-violette invisible. — Son pouvoir de décharger les corps chargés néga-
tivement. — .\ction photographique de la lumière visible et de la lumière
invisible. — La photographie des couleurs. — Mécouverte par Lippman de
la véritable photographie des couleurs. — La reproduction de la couleur des
objets par la photographie trichrome. — Photochromoscope d’Yves. — Appen-
(Uce. Table des longueurs d’ondes (en microcenlimètres) et de fréquences.
M. Dttnoyet' complète cette table en donnant en note les ren-
seignementssnivants:«l)epuisla publication de l’édition anglaise
d’on ce lableati est extrait, le domaine des grandes longueurs
4.^ )l)
REVUE DES QUESTIONS SOIENTIFIQUES
d’onde s’est considéral)lement eni’irhi. Après les rayons ft res-
tants D de la llnorine on :2'(-00 micro-rentimèlres), ont
(Ué déronverts ceux du sel gemme (X = A7 p et oi p), de la syl-
vine (ü:2 p el 70 p), du hromnre de polassium (X = 7(5 p et 8(5 p)
et de l’iodure de polassium (X = !)l5p). Kniin .MM. lluhens et
Wood ont pu isoler, dans le rayonnement du manrlion Auer,
des radiations dont la longueur d’onde moyenne alteint J08 p.
.Mais re n’est [>as encoi’e tout; .MM. Huhens et von Haeyer ont
montré réremment (IDll) (jne la lampe à vapeur de mercure
en quartz émet un rayonnement quiconlienl,en quantité notable,
des radiations dont la longueur d’onde est d’environ 31A p, soit
1/3 de millimètre. La continuité entre les ondes heriziennes...
et les ondes lumineuses, est [)resque complètement établie. »
Lin(]u:ème conférence, Le spectre invisible fiidra-rouge) :
Comment on p(‘nl séparer la lumière inl'ra-rong-e invisible de la lumière
visible. — E\i)ériences sur rab.sorjition et la transmission de la Inmière invi-
sible infra-roug-e. - Le verre, transparent, l'arrête ; l’ébonite, o))a(iue, la
transmet. — Emploi du radiomètre. — Emploi de la pile ihermoélertriipie et
du Itolomètn;. Enduit thermo-indicateur. — Ex])ériences sur la rèllexion,
la réfraction et la polaiàsation de la lumière invisil)le infra-rouge. — Décou-
vei te par Hertz de la propagation des ondes électriques. — l.es ondes hert-
ziennes sont en réalité de gigantesques ondes de lumière invisible. — Expé-
riences sur les pi’opriétés des ondes heriziennes ; leur réltexion, leur réfrac-
tion et leur polarisation. — (jènéralisation : tontes les ondes, visibles et
invisibles, sont en réalité des ondes électi'i([ues de longueurs diverses. —
A/ipinulice. I.a théorie électrornagnéticiue de la lumière.
Dans ce(, appendice, l’auteur expose (|uelqiies-unes des expé-
riences sur lestjuelles repose la démonstralion de la nature
électromagnétique de la lumière. «. Le l'ait, dit-il, qu’on a pu
exposer sans aucune réelle complication dans le fond ni dans
la forme ces ([iiestions fondamentales, constitue le plus fort
argument pour faire de cette démonstration un point essentiel
de l’enseignement élémentaire. »
La description d’un modèle de mouvement ondulatoire destiné
à donner une image de la manière dont se [tropage une onde
entre un oscillateur et un résonnateiir de Hertz, termine cette
leçon.
Sixième conférence, les Rayons de Roentyen (rayons X) :
Découverte de Uocntgeu. — Production de la lumière dans les tubes à vide
par les décharges électriques. — Comment on fait le vide dans un tube. —
Pliénomènes lies tubes de Geissler. — I.a pompe à mercure. — Phénomènes
des tid)cs de Crookes. — Propriétés de la lumière caltiodi(|ue. — Ombres de
Crookes. — Déviation de la radiation cathodique par un aitnant. — Lumines-
BIBI.IOGRAPHIE
267
cence et effets iiiécaiii([iies. — lîeclierches de Lenard sur les rayons eallio-
diques dans l’air. — Recherches de l!oentg-en. — La dtkoiiverte des rayons \
I)ar les phénomènes de luminescence. — ünd)res sur un écran luminescent.
— Transparence de raluminium. — Opacité des mélau.x lourils. — Trans-
parence de la chair et de la i)cau. — Opacité des os — .‘\hsence de réllexion.
de réfraction et de polarisation ( I). — Phénomènes de décharge i)roduits par
les rayons lioenigen. — l’erl'ectionnement au.\ tubes de lloentgen. — Consi-
dération sur la nature de la radiation de Roentgen. — La vision de l’invi-
sible. - Appendice, .\utres rayonnements invisibles.
Les rayonnnements dont il est ici question sont les rayuns de
Becquerel, la lumière du phosphore, celle des insecles luisants,
les rayons de Wiedeniann (rayons de décharge), les nouvelles
espèces de rayons cathodiques et les rayons canaux. Dans une
note, le traductetir allonge cette série et procède au classement de
ses radiations en deitx catégories : les perturbations de l’éther
et les trajectoires de particides électrisées.
Les Christrnas lectures de 1890 s’arrêtaient ici. I.,orsqu’elles
furent rééditées, en 1910, l’atiteur y ajouta deux conférences ; l.a
première sur \eRadiunt,qn'\\ avait donnée en plusieurs occasions
en 1903-1904 ; la seconde sur VIndustrie de la lumière ïuhe i\
York, en 1900, à l’assemblée générale de l’Association britan-
nique. Elles forment les chapitres sept et huit de l’édition fran-
çaise.
Septième conférence, Le Radiuni et ses rayons :
Emission par certaines substances de radiations qui pénètrent les écrans
opaques. — Propriétés des sels d’Üranium. — Les rayons de Becquerel. —
Radio-activité. — Étude à l’électroscope. — Recherches des Curie. — M‘“® Curie
découvre le Polonium et le Radium dans la pechblende. — Expériences avec
le Radium. — Séparation par le champ magnétique des trois espèces de
rayons émis par le Radium. — Horloge au radium de Struck. — Spintha-
riscope de Crookes. — Recherches de P. Curie sur la chaleur émise par le
radium, et de Rutherford sur la désagrégation de l’atome.
Depui.s que M. S. Thompson a écrit cette conférence, la radio-
activité a fait bien des progrès, il importait d’en tenir compte.
(l)Al. Dunoyer corrige ce que cette affirmation pourrait avoir d’excessif
en rappelant des expériences récentes qui semblent bien montrer que les
rayons X peuvent être diffractés dans des conditions qui leur assigneraient
une longueur d’onde 100 OUI) ou 200 ÜUO fois plus petite que celle de la lu-
mière jaune. 11 n’est donc plus absolument certain que les rayons X ne soient
pas de la lumière ultra-violette d’ordre très élevé, comme on l’avait supposé
d’abord. Cette hypothèse, que l’on avait abandonnée pour celle d’impulsions
ou lYondes séparées, a vu tout récemment sa probabilité grandir, grâce aux
belles expériences de M. de Broglie, en France.
2G8
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
AI. Dunoyer y a poiirvii dans un apj)endice consacré aux décou-
verles récentes sur les rayons du Radium.
Huitième conlérence, la production industrielle de la lu-
mière :
Süiirres principales de lumière. — Invention du gaz d’éclairage. — Pro-
duction de l'incandescence. — Incandescence jiar réleciricilé. — Lumines-
cence. — Elficacité Inminense. — Photométrie. — Le Photomètre. —
Inégalité dans la dislrihntion de la lumière d’une lampe. — Inégalité dans la
composition des lumières. — (jC qu’enseigne le spectre. — Spectres des
solides incandescents et des vapeurs. — Sensiltilité de l’œil aux radiations de
certaines longueurs d'onde. — .\hsorption et émission. — .Mesure de l’émis-
sion. — Mauvais rendement des souiTes ordinaires de lumière. — Lumière
du ver luisant. — Tem|)érature et qualité du rayonnement. — Pouvoir émissif
des terres rares. — Incandescence par le gaz surpressé. — Puissance des
liées à incandescence. — .Nouveaux modèles de liées. — Nouveaux modèles
de lampes à arc. — Lampes électriiiues à vapeur incandescente. — Prix de
la lumière. — Le mode d'éclairage le plus économi([ue. — Progrès futurs.
— La lumière du Soleil avant tout.
Par son alltire pltis technique, celle conférence tranche sur
les précédentes et ne se rattache ati plan général de l’ouvrage
(|tte par un lieti un peu hàche. Elle n’en est pas moins très inté-
ressante en elle-même potir les techniciens et même pour le
grand pttblic.
L’auteur y insiste sur cette idée tpie le mode d’éclairage de
l’avenir sera fondé sttr la luminescence et non stir l’incandes-
ceiice. -M. Dunoyer en {trend occasion pour appuyer cette ma-
nière de voir dans un appendice consacré aux proyr'es récents
dans l’éclairaye par luminescence : la htmière Aloore, les arcs
au mercure et l’éclairage ati néon imaginé par AI. Georges Claude.
Les lecteurs français .sattront gré à AL Dunoyer delà peine
tpt’il s’est donnée de tradtiire et de mettre à jotir l’otivrage
excellent de AL S. Thompson. Niotis souhaitons à la tradtiction
française tout le sticcès qti’a rencontré l’original dans les pays
de langue anglaise ; i)uisse-l-elle trouver place dans les biblio-
thèques de nos collèges et de nos universités !
.1. T.
BIBLIOGRAPHIE
269
. XI
L’Kstiiétique de la Llaiière, par I’aul Souriau. Tn vol. in-8”
de xii-469 pages. — Paris, llachetle, éditeur, 1UJ3.
La nouvelle œuvre de l’aiiteiu- de l’Esthétique du Mouvement
est assurément digne de ses devancières, mais il nous semble que
M. Souriau s’y est trop abandonné à son esprit dogmatique, lan-
çant, sur mainte question controversée, des allirmatiojis tran-
chantes, sans y joindre aucun argument à l’appui.
Quand nous aurons dit que l’ouvrage comprend 32 chapitres,
répartis entre quatre parties qui ont pour titres respectifs: Esthé-
tique des Sensations lumineuses, l’Eclairement esthétique.
Représentation de la Lumière, l’Expression de la Lumière, on
comprendra que nous renoncions à en donner une analyse, et
que nous nous bornions cà donner quel((ues exemples de cet
esprit dogmatique que nous signalions tout à l’heure. Mais nous
prions le lecteur de se souvenir que, par là-mème, nous nous
condamnons à ne mettre en lumière que des points sur lesquels
nous contestons les assertions de M. Souriau : sans cette réserve
essentielle, on se ferait une idée très inexacte de notre opinion
d’ensemble sur un ouvrage dont nous sommes le premier à re-
connaître la haute valeur.
.-Vujourd’hui, rares sont les partisans de la loi dite de F’echner
sur la proportionnalité de l’intensité des sensations au loga-
rithme naturel de l’excitation. .Mais M. Souriau s’en montre un
adversaire particulièrement implacahle. Ici d’ailleurs il apparaît
moins autoritaire qu’à l’égard de mainte autre question, con-
descendant à raisonner. D’après lui, sous un éclairage d’inten-
sité moyenne, la clarté relative de diverses surfaces simultané-
ment perçues est proportionnelle à leur luminosité relative. 11
invoque en faveur de cet énoncé l’expérience suivante : « Soient,
dit M. Souriau, une série de surfaces dont par tâtonnement on
aura réglé l’éclairage de telle manière que leurs clartés appa-
rentes semblent former une progression régulière. L’expérience
est facile à réaliser. Que l’on dispose sui' une table une série
d’écrans blancs, placés à diverses distances d’un foyer lumineux.
L’observateur, l’œil placé prés du foyer lumineux, mais préservé
de son rayonnement direct, aperçoit devant lui la série des
écrans étagés les uns derrière les autres. En les approchant ou
les éloignant un peu, on amènera facilement leur clarté relative
•210
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIF’IQUES
à la valeur que l’on voudra. Disposoiis-les donc de (elle manière
que, de run à l’autre, la clarté nous semble toujours décroître
dans la même proportion, l’our prévenii' toute erreur d’inter-
prétation, Il faut préciser les choses, .le ne cherche pas h mettre
les degrés de clarté en progi'ession arithmétique, mais bien en
progression géométrique. Il ne s’agit pas qne les clartés me
paraissent décroître d’une quantité de lumière constante, mais
qu’elles me paraissent décroître ilans le. même rapport. Si par
exemple B me donne rimpre.ssion d’être deux fois moins clair
que il faudra que C me semble deux fois moins clair (pie B.
Xous sommes bien obligé d’insister, pour qu’on s’en gai'de, sur
cette confusion possible, puisqu’elle risquerait, si elle se pro-
duisait, de vicier toutes nos évaluations, et qu’en fait bon
nomlire d’observateurs l’ont commise. Tout étant ainsi réglé et
les écrans placés, après une série de tâtonnements, de telle
manière ((ue leurs clartés l'elatives nous semblent en progres-
sion aussi régulière cpie possible, mesurons les distances de
cbaciin d’eux au foyer ; nous trouvei’ons qu’elles aussi sont en
progression géométrique assez l'égulière, ce qui met également
les luminosités en proportion : de l’une à l’autre le rap{)ort est <à
peu près constant. Les écarts constates sont de même maire que
les incertitudes de l’évaluation subjective (pp. :20-3J) ».
Bien que la pensée de M. Souriau apparaisse clairement, il a
craint évidemment des malentendus, car il a ajouté la note
suivante : « Be ces mêmes expériences, interprétées différem-
ment, on a tiré une tout autre loi. Si l’on supposait que les
sensations, ainsi graduées de telle sorte (pie l’une d’entre elles
n«us semble former un juste milieu entre les deux antres, se
succèdent en réalité en progression arithmétique, on aboutirait
à la loi logarithmique de Fecbner. Mais cette supposition est
tout arbitraire et rend fort mal notre sentiment, qui est plutôt
(pie nos sensations ainsi graduées sont entre elles dans un
même rapport. Non moins arbitraire est l’interprétation que l’on
donne aux expériences sur la plus petite dilférence perceptible :
on suppose qu’aux dilférents degrés de l’échelle des luminosités,
l’aperception d’une dilférence marque toujours un même accrois-
sement de l’intensité de la sensation ; et en conséquence on
interprète les résultats de ces expériences comme une confirma-
tion de la loi logarithmique. Mais ne serait-il pas beaucoup plus
naturel de supposer qu’à une sensation plus inten.^^e il faut un
accroissement plus fort pour que nous y percevions une moditi-
ration quelconque ? Le moindre surcroît perceptible dans une
BIBLIOGRAPHIE
^7i
luminosité très vive ne nous donne-t-il pas l'impression (run
prodigieux accroissement d’éclat ? La loi de Feclmer repose, en
somme, sur deux postulats également arbitraires elle peut
être décidément abandonnée. »
D’abord fort humilié de notre impuissance à réaliser une
expérience déclarée facile pai' M. Souriau, nous nous sommes
souvenu, fort opportunément pour notre amour-propi'e, que
c’est un lieu commun chez les physiciens que, selon la formule
employée par M. .loannis, « l’œil n’est pas capable d’évaluer un
rapport de lumière, mais seulement d’apprécier l’égalité de deux
lumières ». Cette simple constatation réduit à sa véritable auto-
rité l’expérience invoquée par notre auteur. Mais il y a plus : on
sait que, bien antérieurement à Weber et à Fechner, on admet-
tait d’une façon générale que les intervalles musicaux obéissent
à la loi logarithmique. Eh ! bien, M. Souriau ne nous dit pas si,
dans le cas de ces intervalles, comme dans celui des intensités
<les sensations, lumineuses par exemple, il prétend qu’on s’est
trompé et ([ue notre oreille se rend compte que les intervalles
dits égaux n’accusent qu’une égalité de rapports. Cela pourrait
se soutenir à un point de vue purement mathématique, car,
étant donnée une série de sensations ordonnées en un sens déter-
miné, on est libre de définir arbitrairement les nondires qui
•répondront aux divers degrés de cette échelle pourvu qu’ils
suivent le sens de celle-ci. C’est ainsi que les degrés thermo-
métriques n’ont aucune prétention à correspondre à des sensa-
tions également espacées. C’est ainsi encore qu’en géométrie
projective toute notion de distance disparait à vrai dire et que
le Général de Tilly, en géométrie lobatchefskienne, atin de con-
server h la droite son équation euclidienne, a défini l’abscisse x
d’un point, en fonction de son abscisse ordinaire X, par la
relation :
x = \ — J tg kX.
Mais, précisément, M. Souriau entend mesurer vraiment les
intensités lumineuses et ne pas se borner à leur donner des
numéros d’ordre astreints seulement à suivre le sens de leur
variation. Or il est bien certain qu’il y a accord, au point de vue
musical, sur ce que deux intervalles dits égaux le sont au sens
où le sont deux intervalles spatiaux. Aussi serions-nous curieux
de savoir si .M. Souriau leur étend sa critique de la loi de Fech-
ner. Nous ajouterons que, si l’on s’en rapporte aux vagues
impressions que l’on a généralement en ce qui concerne les
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
272
inleiisilés des sensalions, il ne semble pas (iii’i! soil dans le vrai :
(•’est ainsi, par exemple, que les orcbesires monslres, si chei’s à
berlioz, n’üiit jamais produit im elle! proportionnel an nombre
des musiciens.
.Mais c’est nous arrêter beaucoup sur cette (piestion (l’inter-
prétation des sensations. Aboi'dons et passons rajiidement sur
la minime question de la grosseur appai'ente du Soleil et de la
lame à l’Iiorizon. Il ne [)araît pas douteux à M. Souriau (pi'une
moindre clarté d’un asti'e doive le faire paraiti’e plus gros : sans
doute, il pourrait iuuxpier l’autorité de .M. Stroobant ; mais
nous aimerions mieux tpi’il pût s’ai)puyer sur l’obsei vation. Or
celle-ci lui donne nettement tort : ainsi que nous l’indi(ptions,
dans la Revue Rhilosophique de juillet JS8(S, la Lune, si peu
lumineuse au moment des éclipses totales, semble très petite,
si elle apparait près du zénith, si bien (pi’une personne sans
idée préconçue nous en lit spontanément la remarque. Mais est-
il l)esoin de rccourii’ à une obseivation en somme assez rare?
(Jni n'a lemaiapié, un joui’ de lirouillard, (pie le Soleil, vu à
travers, peut l'oi't bien paraître tel (pi’un ti'ès modeste pain à
cacbeter blanc ? .Nous ne prétendons inpiosi'r aucune théorie,
car nous savons combien la question est complexe, mais
nous pouvons dire (jue .M. Sonrian afiirme contre l’expérience :
tout au moins devrait-il discuter les observations qui semblent
contraires à ses idées. De même, il nous parait bien aliii'inatif
([uand il condamne les peintres qui, pour remb'e le grossissement
apparent des astres à l’Iiorizon, augmentent leurs diamètres sur
la toile. Il dit (pie cette illusion, due à la perspective aérienne,
« se lu'oduira également dans le tableau si celte pej'spedive est
exactement observée» (page Nous ne disons pas non;
mais nous aimei'ions voir un lalilean in ésenlant cet effet, et nous
ne pouvons que regretter l’absence de tonte rélérence.
J.a même intrépidité d’allirmation se manifeste à jiropos de
la grosse question de l’iiarmonie des couleurs. Après celle néga-
tion absolue : « Entre la série des couleui'S dans le spectre et la
série des sons dans la gamme, on ne jieut trouver aucune ana-
logie )) (page JRI ), nous voyons posés deux principes d’harmonie
des couleurs : riiarmonie par allinité et l’baimonie par con-
traste. «L’harmonie [lar affinité, c’est le lien que met entre
deux couleurs l’existence de quelque élément commun. L’effet
est comparalile à celui que produit dans deux sons musicaux la
pi'ésence d’barmoni({ues communs ries deux sons s’emboilent
BIBLIOGRAPHIE
273
pour ainsi dire l’un dans l’aulre, ils ont une consonance per-
ceplilde, ils s’accoi'denl par tout, ce qu’ils ont d’identique. Il en
sera de même dans le jeu des sensations colorées, (piand elles
auront quelque élément commun : elles s’accorderont par là ;
et plus il y aura entre elles d’allinité sensible, plus elles nous
sembleront harmonieuses. »
Que de diüicultés soulève une telle anirmation ! S’il s’ai>issait
de couleurs spectrales, on sait qu’elles ne présenteraient jamais
d’éléments communs, tandis que des couleurs-pigments de
même coloris que les couleurs spectrales en présentent géné-
ralement d’autant plus qu’elles sont plus voisines, puisque les
pigments réllécliissent une série de radiations voisines. Mais
alors M. Souriau nierait que deux couleurs voisines peuvent
jurer l’une près de l’autre : telle paraît liien être sa pensée,
d’après les développements dans lesquels il entre, et cette pensée
nous surprend.
Combinant d’ailleurs riiarmonie par contraste avec l’iiar-
monie par allinité, on conçoit du reste qu’il puisse se livrer à
d’agréables développements littéraires, s’adaptant vaguement
à certaines constatations non moins vagues.
« La lumière solaii'e intégrale est l)lancbe. » Voilà une allir-
mation en nette opposition avec celle des physiciens qui
prétendent classer le Soleil parmi les étoiles vieillissantes, jaunes.
N’y aurait-il pas, dans cette contradiction, une simple consé-
quence de ce que, en l’absence d’un terme de comparaison, la
lumière jaune tend à provoquer une sensation de clarté, sans
perception d’une couleur?
Ce rapide coup d’œil sur quelques affirmations deM. Souriau
suffit sans doute à montrer combien son œuvre pourrait gagner
à revêtir une forme moins dogmatique, car, même s’il a raison,
il choque plus qu’il n’éclaire celui qui incline vers des idées dil-
férentes, et ceux qui sont enclins à accepter sa manière de voir
auraient tout avantage à connaître les arguments qu’on peut
l'aire valoir à l’appui de ces conceptions. Nous tenons d’ailleurs
à répéter que nous avons choisi des points où la pensée de
iM. Souriau nous a paru particuliérement contestable.
G. Leciial.xs.
IIP SÉniE. T. X.Wl.
18
274
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
XII
Annuaiiie météorologique de la Station de Géographie
.Mathématique de l’I'niversité de G.and, Année méléorolo(]iqne,
mars 1913-février 1914; préparé par les soins de M. L. N.
Vandevyver, prol'esseiir à ITiiiversilé de Gaiid, directeur de la
Station. — Th vol. iii-8° de !)4 pages. — Roulers, Jules
lie Meester, li)J4.
G’esl le septième volume de cette e.xcellente collection ; le plan
est resté le même : on y trouve le relevé des observations laites
méthodiquement h la station de Géographie mathématique
depuis le 1 mars 19JG jusqu’au 28 janvier JIJIA, comparées à la
moyenne des résultats obtenus pendant la période des six années
précédentes. De ce parallèle et des déductions qui découlent de
^ensemble des observations, se dégagent peu à peu les caracté-
ristiiiues météorologiques et climatologiques de la station, et
c’est bien là le but principal que poursuit son zélé directeur.
L’iiWuve deVannée niéléorologique, mars 1913-février 1914, est
nettement caractérisée dans une notice qui analyse les observa-
tions corresimndantes.
Deux autres notices terminent le volume. La première, intitulée
A propos de T. S. F., rappelle d’intéressantes expériences faites
pai' M. .Maurice Vandevyver, avocat à la Cour d’appel de Gand,
chez lui et à l’Observatoire astronomique de la Station géogra-
phique sur la possibilité d’établir une installation de fortune
pour la réception des signaux hertziens : une planche recou-
verte de feuilles de papier d’étain, placée sur deux chaises à
l’intérieur d’un grenier ; le toit en zinc d’une véranda ; la
coupole de 1’Obsei‘vatoire, son équatorial, etc. ont été pris
successivement pour antenne. « Aous sommes, à vol d’oiseau,
écrit .M. Vandevyver, à 285 kilomètres de la Tour Eiffel et à R50
kilomètres de Norddeisch, et il ressort des expériences ci-dessus
que, même à de pareilles distances, on peut se passer de
toute espèce d’antenne, à condition de se relier à une masse
métallique un peu importante et plus ou moins isolée. »
l^a seconde notice a pour titre La niéléorolofjie et la Presse.
Ecrite dans la note gaie, elle n’en donne pas moins une leçon
sérieuse aux détracteurs de la météorologie. Puissent-ils en
profiter !
J. T.
BIBLIOGRAPHIE
275
XIII
La silice et les silicates, par Henry Le Ciiatelier. Ln vol.
grand in-8” de 574 pages. — Paris, A. Hermann et Fils, iOJ4.
Une monographie de la silice et des silicates due à la plume
autorisée de M. Le Chàtelier .sera, nous n’en doutons pas, reçue
avec empressement et une vive satisfaction par tous les chi-
mistes et les minéralogues. Oui, en elïet, en étudiant la chimie
iva constaté avec étonnement d’une part la profusion avec
laquelle l’anhydride silicique, soit seul, soit combiné avec l’eau,
soit lié aux bases les plus diverses, est répandu dans le règne
minéral, et d’autre part la place restreinte qu’il occupe dans les
traités de chimie, même fort développés, où on lui consacre à
peine quelques pages? fit cette disproportion entre l’importance
dn sujet et l’ampleur qu’on donne à son étude ne devient-elle
pas plus manifeste encore quand on songe au développement
qu’a pris, durant le dernier siècle, l’étude des composés du
carbone ? A quoi tient cette divergence ?
On pourrait en donner plus d’une raison. Dans l’introduction
qui ouvre son ouvrage, .M. Le Chàtelier, après avoir énuméré
les nombreux titres par lesquels la silice et les silicates s’im-
posent à notre attention, examine les causes du désintéresse-
ment général à l’égard de ces substances. 11 les trouve surtout
dans les difhcultés du sujet ; elles sont, en effet, considérables.
Ainsi leur insolubilité presque complète rend malaisée la sépa-
ration des silicates les uns des autres ; leur peu de fusibilité
oppose un obstacle sérieux à leur synthèse ; et leur facilité à
prendre l’état amorphe, vitreux, a rendu impossible la repro-
duction artificielle d’un bon nombre de silicates naturels cris-
tallisés ; ajoutons à cela la difficulté ou l’impossibilité de par-
venir à la connaissance de leur constitution, et on aura une
idée des obstacles que rencontre sur sa route le chimiste qui
veut entreprendre une étude de ce sujet. Toutefois, conclut
M. Le Chàtelier, «ce qui est arrivé pour la chimie organique
se passera également pour la chimie des silicates. Après s’être
pendant longtemps contenté d’étudier les matières naturelles,
ne croyant pas à la possibilité de les reproduire en dehors des
êtres vivants, on est arrivé finalement, non seulement à les
reproduire presque toutes au laboratoire, mais en outre à obte-
nir une infinité de composés inconnus dans la nature. »
276
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Pour nous faire une idée du contenu et de la valeur de l’ou-
vrage de M. Le Chàtelier, il ne sulîit pas d’énoncer simplement
les titres des vingt-trois chapitres dont il se compose, il faudrait
en faire une analyse complète ; c’est ce que nous voudrions
tenter, dans les limites imposées à ce compte rendu.
Dans les deux premiers chapitres l’auteur étudie les pro-
priétés chimiques des composés oxygénés du silicium et de
leurs hydrates. Parmi ces composés c’est évidemment l’anhy-
dride silicique, la silice. Si Oj, qui étant le plus important, fait
aussi l’objet principal de cet examen. L’auteur y trouve l’occa-
sion de discuter cette question ; l’anhydride forme-t-il des
hydrates définis ? en d’autres termes, ce qu’on appelle l’acide
normal Si O4, l’acide ordinaire Si O3 a-t-il une existence
réelle? .M. Le Lhàtelier le nie. 11 n’admet pas plus l’existence de
ces acides simples que celle des acides poly-siliciques qui se
formeraient par la condensation d’un certain nombre de molé-
cules d’acide normal avec élimination d’une ou de plusieurs
molécules d’eau. La raison de rejeter ces hydrates définis est,
d’après lui, l’impossibilité d’établir une discontinuité dans la
composition des bydrates et dans leurs propriétés. Pour le pre-
mier, l’auteur rappelle d’abord des travaux déjà anciens, puis
les recbercbes plus récentes de M. Yan Bemmelen, cbimiste
bollandais, qui a démontré que la teneur en eau de la silice
précipitée varie d’une manière continue sans qu’on aperçoive
à aucun moment une discontinuité permettant de conclure à
l’existence de composés définis. 11 était d’autant plus utile
d’attirer l’attention sur ce point, que dans la plupart des traités
de cbimie on enseigne le contraire.
L’anhydride silicique est-il la seule combinaison oxygénée du
silicium ?'Yoici la réponse de àl. Le Chàtelier : « 11 paraît exister
également des oxydes inférieurs de silicium ; à l’état anhydre,
cependant, leur existence est restée jusqu’ici douteuse ; on en
connaît, d’une façon certaine, au contraire, un certain nombre
à l’état hydraté. Ils sont connus sous le nom de silicones et de
leucones ; ce sont des corps peu stables, tendant à se transfor-
mer en silice et ne donnant jusqu’ici aucune combinaison
connue qui permette de définir leur fonction cbimique. » En
quelques pages, l’auteur expose la formation de ces composés
et leurs transformations connues.
Le troisième chapitre, intitulé Silice amorphe, présente un
intérêt spécial d’actualité. L’auteur y étudie la silice calcinée, la
fusion du (piartz, la fabrication et les propriétés des fils de
BIBLIOGRAPHIE
silice, les lentilles en silice ; la fabrication industrielle, les pro-
priétés physiques et chimiques de ditférents objets en quartz
transparent ou opaque. \ul n’ignore l’importance que la fabri-
cation de ces objets a acquise dans ces dernières années, ni les
applications scientifiques et industrielles très importantes de
ces articles en quartz, .\ussi lira-t-on avec un vif intérêt les
di.v-huit pages que .M. Le Chàtelier leur consacre. On y trouvera
du reste bien des indications fort pratiques concernant l’usage
des objets en quartz.
Les quatre chapitres suivants traitent de la cristallisation,
des propriétés thermiques, électriques et surtout optiques du
quartz. Les chapitres six et sept, dans lesquels M. Le Chàtelier
étudie la polarisation rotatoire et la double réfraction dans le
quartz, méritent une mention spéciale pour la clarté et l’élé-
gance avec lesquelles l’auteur expose ces questions ardues.
Les chapitres huit et neuf sont consacrés à la calcédoine et
aux variétés de silice de faible densité, la tridymite et la cris-
tobalite.
-\près avoir ainsi passé en revue les dift'érentes variétés allo-
tropiques de la silice cristallisée, M. Le Chàtelier expose au
chapitre dix nos connaissances, peu avancées encore, sur la
transformation même de ces diverses modifications du quartz
l’une dans l’autre. Ensuite il relate plus longuement les essais
tentés en vue de reproduire artificiellement la silice cristallisée.
Les premières tentatives dans ce sens furent faites par voie
humide. Depuis les travaux de Sénarmont, qui remontent <à
1851, jusqu’aux recherches expérimentales de M. Le Chàtelier
lui-même, tous ces essais n’ont fourni que des cristaux micro-
scopiques de quartz. De meilleurs résultats ont été obtenus en
abandonnant la voie humide, et en chauffant, dans des tubes
en verre scellés à la lampe, de la silice précipitée et mélangée à
un alcali. La température la plus favorable semble être de 300
à 350 degrés. M. Ilautefeuille, et après lui d’autres savants, ont
voulu reproduire du quartz en soumettant à l’action de la cha-
leur de la silice parfaitement sèche mélangée à des sels fondus.
Tout en obtenant ainsi par voie sèche de petits cristaux de
quartz, ces savants constatèrent que la formation du quartz
exige que la température ne dépasse pas une certaine limite ;
sans cela on obtient les variétés de silice de faible densité.
Les cinq chapitres qui suivent sont donnés à l’étude du verre :
propriétés générales, chimiques et physiques des verres ; leur
dilatation et leurs propriétés optiques.
278
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
En commençant, an chapitre onze, l’étude des propriétés
générales des verres, M. Le Chàtelier examine, d’un point de vue
général, le caractère de l’état vitreux en opposition avec celui
de l’état cristallin. Le premier est stable à de hautes tempéra-
tures, alors que le second répond aux basses températures. Le
point de transition n’est autre que la température de fusion ou
de cristallisation. La silice et un certain nombre de silicates ont
ceci de particulier que leur point de cristallisation est à une
température où, étant encore cà l’état amorphe, ils ont déjà
perdu, à un certain degré, leur Iluidité; ils sont déjà visqueux
et leurs molécules ne possèdent plus cette mobilité i]ui caracté-
rise l’état liquide parfait. C’est pourquoi il est facile d’amener
ces corps à l’état solide, sans qu’ils aient pu cristalliser : ils
prennent l’état vitreux, ils forment des verres. La dévitrification
qu’on observe parfois dans les vieux verres, et qu’on peut pro-
voquer artificiellement, repose, comme le montre l’observation
microscopicpie, sur une cristallisation partielle. L’auteur examine
ensuite tout ce ([ui a rapport à la fusibilité et à la ti-empe des
verres. C’est encore une étude fort intéressante et très instructive.
Enfm il donne la composition exacte de plusieurs espèces de
verres les plus importants.
Le chapitre douze traite des propriétés chimiques des verres.
Après avoir rappelé brièvement (pielques notions générales sur
les équilibres chimiques, M. Le Chàtelier en fait ici l’application
en examinant certains changements qui surviennent dans des
verres contenant du manganèse, de for, du cuivre et quelques
autres métaux. Pour étudier ensuite la perméabilité du verre
pour les gaz, l’auteur établit que les verres, comme toutes les
solutions solides amorphes, donnent lieu à des phénomènes de
ditfusion intérieure. Cette ditfusion se constate aisément dans le
verre ramolli par la chaleur; mais elle devient généralement
imperceptible dans le verre solidifié. Toutefois, même lorsi]ue
le verre est complètement durci, la dilTusion des gaz n’y est pas
entièrement supprimée. De même la vapeur d’eau pénétre, par
dilfusion, dans certains verres, et cela d’autant plus rapidement,
que les verres sont moins siliceux. M. Le Chàtelier cite à ce pro-
pos ses propres observations et les expériences fort intéressantes
de Schott.
Uninze pages que liront avec beaucoup d’intérêt surtout les
hommes de laboratoire et certains imlustriels, sont consacrées
à l’altérabilité chimique du verre. On y examine spécialement
l’action de l’eau, des réactifs chimiques, surtout des acides et des
BIBLIOGRAPHIE
279
alcalis, ainsi que rinlluence de la température. 11 nous est mal-
heureusement impossible d’entrer dans les détails ; contentons-
nous de dire que, de toutes les recherches expérimentales, se
dég-age la conclusion que c’est le verre de léna qui est le moins
altérable, et qui, par conséquent, répond le mieux aux besoins
du physicien et du chimiste.
Le chapitre treize contient l’étude de certaines propriétés
physiques des verres. L’auteur y examine successivement la
chaleur spécifique, la conductibilité calorifique, la densité, la
conductibilité électrique et les propriétés mécaniques de plu-
sieurs sortes de verre.
Parmi les propriétés physiques il en est une qui présente un
intérêt spécial tant au point de vue scientifique qu’au point de
vue pratique : c’est la dilatation thermique. M. Le Chàtelier
l’examine au chapitre quatorze. Cette propriété des verres est
d’une importance considérable pour la confection des tbermo-
mèlres, des baromètres, des ballons jaugés, etc. .Mais l’impor-
tance de la dilatation thermique devient encore plus grande,
parce que d’application beaucoup plus fréquente, dans la fabri-
cation de tous les produits céramiques. Leurs couverts, en etfet,
sont de véritables verres qui doivent avoir rigoureusement le
même coefficient de dilatation que la p.àte argileuse. M. Le
Chàtelier donne la description détaillée de l’appareil qui sert,
dans son laboratoire, à la mesure de la dilatation des verres. Il
ajoute ensuite les coetlicients de dilatation d’un grand nombre
de verres. Une étude spéciale est faite du déplacement du zéro
des thermomètres, phénomène causé en grande partie par la
dilatation du verre.
.\u chapitre quinze : Propriétés optiques des verres, .M. Le
Chàtelier étudie surtout l’indice de réfraction, la dispersion et
l’achromatisme, la transparence et la coloration, le pouvoir
absorbant, particulièrement des radiations invisibles.
Très intéressant est le chapitre seize sur /ex- silicates métalli-
ques. L’auteur, après avoir rappelé le nombre considérable
d’espèces dans les silicates naturels, et les divergences extra-
ordinaires (jue révèlent les analyses chimiques quantitatives
dans la composition des échantillons d’une même espèce,
cherche l’explication de ce phénomène. Il admet que ces innom-
brables silicates sont en réalité de?~mélaages d’un certain nombre
de combinaisons définies relativement simples. Mais, deman-
dera-t-on, comment de pareils mélanges, si dilférents dans leur
composition, peuvent-ils cristalliser ensemble, alors que la loi de
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
•-^so
r isomorphisme semble s’y opposer al)Sokimeiit ? — Pour répon-
dre à cette (pieslion, M. LeChàtelier examine d’abord la valeur de
la loi de Milscberlich sur l’isomorphisme qui établit que pour
pouvoir cris'talliser ensemble, deux corps doivent avoir une
composition chimique analogue et une forme cristalline identi-
([ue. Il montre qu’on peut très bien obtenir, et qu’il existe dans
la nature, des cristaux renl'ermant des sidistances (pu n’ont pas
de composition chimique analogue et qui ne possèdent géné-
l'alement pas la même forme cristalline. Il conclut que la loi de
Mitsclierlicb repose sur des observations incomplètes, pour ne
pas dire inexactes, et (pie dès lors elle doit être abandonnée. Se
basant alors sur les célèbres recherches de Tschermak concer-
nant les feldspaths, ainsi que sur les travaux d’autres savants,
M. Le Cdiàtelier arrive à la conclusion, que les différents silicates
complexes qu’on rencontre dans la nature sont des cristaux
mixtes, ou mieux encore des solutions solides.
Au chapitre dix-sept rauteui- aborde la question de la classi-
fication des silicates. C’est une (juestion bien épineuse, comme
le prouve déjà le fait (pi’à son sujet les chimistes et les minéra-
logistes sont eu désaccord et que d’autre part ni les minéralo-
gistes, ni les chimistes ii’oiit trouvé une classification réellement
satisfaisante. D’après M. \,e Chàtelier, la difficulté résulte prin-
cipalement de ce fait, (pie malgré le très grand , nombre de
silicates déjà connus, les lacunes, résultant des silicates encore
inconnus, sont absolument trop nomlireuses.
Dans les ({iialre chapitres suivants, l’auteur étudie successive-
ment les silicates des métaux alcalins, ceux du calcium, du
magnésium et de raluminium. Il nous est malheureusement
impossible de résumer ici ces chapiti'es; ils renferment cepen-
dant bien des a[)en;us fort instructifs.
Le ciiapilre vingt-deux donne, en 45 pages, une étude inté-
ressante de la cérami(pie; les bO dernièi-es pages, constituant le
ciiapilre vingt trois, sont consacrées à l’étude des roches et des
laitiers.
Let exposé, trop sommaire, donnera du moins an lecteur une
idée des matières traitées dans La silice et les silicates de
-M. Le Lbàlelier. L’est un ouvrage de haute valeur, présentant
un vif intérêt aussi bien pour le chimiste (pie pour le minéra-
logiste, le géologue et l’industriel. Aoiis ne saurions assez leur
en recommander l’étude. Ajoutons qu’ils y trouveront autant de
plaisir que de [irofil, tant l’exposé est clair et le style agréable.
IL De Limeeee, S. .1.
BIBLIOGRAPHIE
•J81
XIV
Il Metodü degli Equivalenti. Contrilnilo allô studio dei
processi di conlroiilo. llicerche speriinentali del Doit. Agostlno
Ge.melli. lin vol. grand in-H” de 344 pages. — Florence, Lihreria
éditrice tiorentina, 1914.
L'ouvrage que nous avons l’honneur de présenter aux lecteurs
de la Revue, fit brillamment son entrée dans le monde, il y a
quelques mois, par devant le jui-y d’agréation de l’Université de
Turin. A son docte et lécond auteur, au R. P. Gemelli, 0. F. M.,
déjà docteur en médecine et professeur honoraire d’histologie,
il valut d’être pour ainsi dire réintégré dans FUniversité ita-
lienne, au litre nouveau de libero docente de psychologie. Succès
mérité, assurément, dont se réjouirent, sans d’ailleurs s’en
étonner, les nombreux amis de l’éminent directeur de la Bivista
di Filosofia neoscolaslica.
Le présent travail est un travail technique, au sens le meilleur
du terme. Ft il réunit, à un degré très honorable, les qualités
maîtresses des deux psychologues de marque qui en suivirent la
confection avec une attention sympathique et une bienveillance
efficace : les professeurs Kiesow (Turin) et Külpe (alors à Bonn).
En effet, la première partie du mémoire, plutôt dans la manière
de Kiesow, est une application très poussée d’une de ces
méthodes psychophysiques, qui exigent la précision minutieuse
des observations et la rigueur schématique du raisonnement
inductif; tandis que la seconde partie consiste surtout à pro-
mener en tous sens, sur celle hase bien triangulée, l’instrument
souple et pénétrant qu’a si parfaitement mis au point le fonda-
teur de l’Ecole de Wiir/.burg : l’introspection provo([uée et
dirigée.
Donnons quelque idée, à la fois, du l’objet de la recherche et
de la portée des principaux résultats.
J. On connaît la « méthode des équivalents », appliquée par
Fechner à la détermination topographique des seuils spatiaux
tactiles. Un stimulus constant, par exemple la distance qui sépare
les deux pointes d’un esthésiomètre, étant posé sur une région de
la peau, le sujet en expérience doit apprécier, par compai-aison,
un second stimulus, variable celui-ci, affectant une autre région
cutanée. Divers procédés, expérimentaux ou statistiques, per-
282
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
mettent d’obtenir, avec assez d’exactitnde, les valeurs respec-
tives que prennent les deux stimuli lorsque le sujet les juge
équivalents. Le rapport de ces deux valeurs, «rapport d’équi-
valence 9, varie avec la localisation des excitations reçues.
Si cette variation locale ent été la seule, la méthode des équi-
valents se fut montrée d’une extrême commodité pour apprécier
la variation, rigoureusement parallèle, des seuils spatiaux en
diflerents points d’nn sensorium. .Mais on constata bientôt que
la valeur numérique du rapport d’écpiivalence est aussi fonction
d’auti'es circonstances, p. ex. de l’intensité, ou de la grandeur
absolue des stimuli applicpiés. El l’on abandonna le procédé
sans chercher même à épuiser ses possibilités d’emploi.
Le 1*. Eemelli — dont le but n’était pas, comme celui des
premiers psycbophysiciens, la détermination des seuils — réha-
bilite, d’un point de vue plus large, la méthode des équivalents.
Les stimidi qu’il utilise sont des distances tactiles, créées par
l’écartement de deux pointes. Non seulement il établit impec-
cablement, en s’aidant des travaux de ses devanciers, sa tech-
nique de recherches, mais il étend le champ traditionnel d’in-
vestigation, grâce à l’em[)loi d’un esthésioinètre (du type
Ehhinghaus-.Michotte), qui lui permet l’essai d’écai fements con-
sidérables.
Lue partie des résultats bruts confinnent ceux qu’obtinrent
d’autres expérimentateurs. Sur un point, le P. Gemelli complète
notablement, et corrige : disposant d’une gamme plus étendue
de distances tactiles, il rectitie et achève le tracé de la courbe
qui ligure les variations du rapport d'é(iuivalence en fonction
de la valeur absolue des distances confrontées. Tenu compte de
celte variation, et en outre de celle qui rellèle la pression plus
ou moins grande exercée par les pointes de l’esthésiomètre, on
peut dire que la valeur du rapport d’équivalence dépend de
deux conditions principales : 1" la sensibilité discnininntive des
diverses régions cutanées ; rJ’ les circonstances psychologiques
qui facilitent ou enti’avent le jntjement compnrntif exprimant
l’éfinivalence snbjective des distances tactiles. Parmi ces der-
nières circonstances, relevons : la position proximale (habituelle)
ou distale des membres stimulés; le rôle adjuvant des images
visuelles ; le degré d’attention active; la fatigue. Il eût été ditïi-
cile d’être totalement oi'iginal dans l’analyse de pareilles condi-
tions ; dn moins fournit-on toujours des données de première
main, et, sur nombre de points, des résultats délinitifs.
BIBLIOGRAPHIE
II. Mais cette première partie, si estimables (pi’en soient la
méthode et les résultats, ne dépasserait pas, en intérêt, une
bonne recherche expérimentale (jnelconqiie, si ranteur n’en
faisait la hase d’une investigation de plus haute j)ortée théori-
que. Comme il le remarque très bien, la méthode psychophysique
des équivalents, avec sa précision chitîrable, vient admirable-
ment compléter, en laboratoire, 1’ « introspection provoquée »,
qu’elle aide à délimiter, tà guider, à contrôler, bref, à constam-
ment « canaliser ».
Que de Ibis l’on a reproché à l’Ecole de Külpe de s’attaquer
d’emblée cà des états internes trop complexes et trop fuyants 1
Cette critique atteignit surtout des travaux, d’ailleurs remar-
quables, comme ceux de Buehler : Ueber Getbwken; instinctive-
ment l’on se méfiait d’une analyse assez téméraire pour
prétendre dégager immédiatement les éléments formels de la
pensée, au sein d’enchevêtrements psychologiques non encore
dissociés en leurs menues relations structurales. Personnelle-
ment, nous trouvons le reproche exagéré, d’autant plus que le
premier travail de Buehler eut toute l’utilité positive de ces
razzias brillantes, qui préludent à une occupation méthodique et
définitive. Mais il fallait, avouons-le, que cette dernière suivît.
Buehler lui-mème s’est remis patiemment en campagne dans
son récent ouvrage : Die Geslaltivcihnœhmiwgen.
C’est bien à cette seconde phase du développement conquérant
de l’introspection, sur le terrain de la pensée, que se rattache le
travail du P. Cemelli. La comparaison des distances tactiles lui
olfre un processus relativement simple, étudié minutieusement
dans ses éléments descriptifs et ses variations : tout y est cà point
pour une analyse interne poussée plus avant. Que nous
apprend-elle?
c\e pouvant transcrire des pages entières du livre que nous
analysons, nous nous bornerons aux constatations de majeure
importance.
Dans le processus de confrontation des distances, tout l’inté-
rêt théorique se concentre autour du ((jugement de compaiai-
son » sur lequel se fonde le rapport psychophysi([ue d’équi-
valence.
Or, ici, le jugement est émis en dépendance d’une ((consigne»
(tâche, Anfgabe) explicitement donnée au sujet et ellicacement
acceptée par lui. Le but assigné, c’est la formulation d’un
jugement comparatif, ou, plus exactement peut-être, c’est ce
jugement lui-même, en ordre principal, et secondairement son
284
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
expression. Oii se meut donc dans le cadre même des expérien-
ces de Wall, Messer, Acli, MiclioLte, Hovet, et de tant d’autres,
Kt l’on ne s’étonnera pas de parcourir à nouveau les grandes
étapes, devenues prescjue classiques : intelligence de la consigne
générale ; application de cette consigne générale aux conditions
])articnlières de l’expérience (particularisation de VAufçjabe,
dans la perception du premier slimulus) ; puis, orientation
psychologique conforme à la consigne particularisée {Einstel-
iinij], dont l’aspect formel et spécifiant se trahit dans le
Bewusslseinsl(ige); maintien de cette orientation pendant l’inter-
valle de deux stimulations; enfin, exécution de la consigne à la
réception du second stimulus.
Chacun de ces stades prête à des constatations intéressantes ;
voici les principales :
Sous l’inlluence de la consigne, le premier stimulus — ici
la distance qui sert de repère fixe — est perçu en relation anti-
cipée avec le jugement de comparaison et selon les caractères
précis qui doivent faire l’objet de ce jugement. Comme on le
voit, nous sommes dans le cas général de toute consigne
acceptée.
Lors de la perception du second stimulus (distance variable
à comparer avec la distance fixe), plusieurs cas se présentent,
d’après la dilférence plus ou moins marquée des deux stimuli :
ou bien la comparaison s’elTectue immédiatement entre l’image
remémorée du prerniei’ stimulus et la représentation perçue du
second ; ou bien elle s’elfectue à l’aide de représentations sym-
boliques des deux distances ; ou bien encore, l’appréciation est
à la fois médiate et indirecte, basée sur l’estimation d’éléments
secondaires non tacliles ; ou bien, enfin, et ce cas est très net
malgi'é son ap[)arence paradoxale, la comparaison se fait instan-
tanément, en l’absence de tonie représentation du premier sti-
mulus, par la perception directe, dans le second stimulus, d’une
relation unilatérale de « plus grand », de « moins gr'and »,
d’ « égalité ». Le jugement ne fail qu’exprimer cette perception
« relative ».
Le P. Gemelli attache à juste titre une grande impoiTance à
cette perception directe de la relativité comme telle. Si nous
nous en rapportons à nos observations personnelles, un fait est
hors de conteste : <à la base de la plupart de nos jugements
comparatifs, se rencontre la perception d’une relation entre deux
termes, dont l’un n’est point actuellement représenté dans la
conscience claire. En ceci, nous sommes i)leinement d’accord
BIBLIOGRAPHIE
2S5
avec le V. Gemelli, avec Brunswig' (dont nous signalâmes jadis
aux lecteurs de cette Revue Texcellent travail : Dus Yergleichen
nnd die Relalionserkenntnis, J910) et avec plusieurs autres.
Avec eux, aussi, nous concluons qu’il n’y a pas identité entre
l’acte (ou les actes?) de comparaison et la double aperception
des termes comparés : simple corollaire de la constatation qui
précède. On peut, de plus, croyons-nous, démontrer, avec le
F^. Gemelli, et en général avec les psychologues de l’I^cole de
Külpe, que V inter inédiaire réel entre deux termes successifs de
comparaison est une «attitude» (Binet) caractéristique, créée
par la coalescence de VAufg(d)e et du terme principal de com-
paraison, et que celte « attitude » est elle-même décomposable
en deux éléments abstraits: un sapere latente [latentes Wissen —
nous préférerions, pour notre part, éviter ici le mot « savoir »,
qui préjugé une question non tranchée, et parler seulement de
quelque chose comme une « forme spéciflcatrice » ou un
« schème ») ; puis, en second lieu, une direzione (Ricfihmg,
aktive Reziehung, c’est-à-dire une référence active à l’opération
qui doit être effectuée sur le second terme de comparaison).
Ces résultats des observations de laboratoire sont gros de
conséquences théoriques. Mais oserions-nous en conclure,
comme le P. Gemelli, « che la appercezione délia relazione è
dovuta ad iina attività differente da quella alla quale è dovuta
Fappercezione del contenu to delle due sensazioni, e che il pro-
cesso di confronto è dovuto ad una particolare attività psichica
di confronto » (p. :289)?
Distinguons. Si l’on veut dire simplement que l’aperception
de la « relation » n’est pas identiquement la double aperception
sensorielle des « termes » de la relation, et si les mots « partico-
lare attività psichica di confronto » ne sont qu’une étiquette,
soulignant l’originalité globale d’un processus psychologique,
sans nulle prétention à définir, par dilférence spécifique, une
fonction intellectuelle homogène et distincte, alors, sans doute,
nous admettons volontiers cette ultime conclusion d’un savant
mémoire. Mais si l’on allait plus loin, c’est-à-dire, si l’on espérait
déduire de l’analyse introspective l’existence d’une fonction
intellectuelle de comparaison, jarcerrwtnrHc, à l’état de virtualité
définie, avant même toute aperception sensorielle, nous nous
excuserions de devoir faire quelques réserves d’ordre théorique
aussi bien que d’ordre expérimental. Et nous souhaiterions, de
plus, qu’un chercheur aussi bon philosophe que le P. Gemelli
ne bornât point son horizon par cette formule arbitraire et limi-
286
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
tatrice: ai'bitraire, car elle dépasse, selon nous, les expériences
dont on la tii’e ; limilalrice, car elle refoule, du même coup, en
<( achevant » prématurément la question, des séries entières
d’expériences possibles.
L’induction psychologique là phts consciencieuse va-t-elle,
vraiment, nous livrer, comme dernier produit, un «intellect»
figé, par essence, dans une armature de fonctions judicatives
spécialisées, de « catégories » ? On se prend — en bon thomiste,
nous dirons : à le redouter, en lisant quelques-unes des meil-
leures pages des élèves de Ivülpe. Certes, ils eurent l’immense
mérite de nous débarrasser de l’empirisme sensualiste en
psychologie ; et l’on peut aussi leur savoir gré de ne pas
chercher — plus sages en cela que maint philosophe spiri-
tualiste — à réintroduire subrepticement, dans l’esprit comme
tel, une diversité « matéiâelle », à peine transposée, ^lais ne
subsisterait-il pas, malgré tout, à leur insu, un reste subtil d’in-
tuition sensible dans la diversité même de ces fonctions particu-
lières — tel le pouvoir de comparaison — dont ils semblent
revêtir l’intelligence humaine comme d’une parure qui lui soit
propre?
Pour nous, nous estimons que toute particulavisalion fonction-
nelle de l’intelligence repose, en dernière analyse, sur la diver-
sité de l’expérience sensible, externe et interne : seuls deux
aspects formels, corrélatifs et absolument qénéraux de l’activité
psychologique supérieure, se montrent réfractaires à toute
origine empirique : l’unité et la finalité, la capacité pure de la
spéculation et la forme pure de la tendance, la synthèse et le
vouloir. Tout ce qui est diversification dans la synthèse et mor-
cellement dans le vouloir trahit, à quelque degré, une dépen-
dance de la « matière ».
Si nous avons raison — et il n’est pas sûr, nous le répétons,
que le I’. Gemelli nous donne tort — le mystère du «jugement
<le comparaison », qui est d’ailleurs le mystère général de
l’entendement par opposition à l’intelligence pure, n’est point
encore totalement élucidé. Il existe une « attività di confronto »,
mais ne se ramènerait-elle pas à des fonctions intellectuelles
plus simples et plus primitives?
Le fait que de pareilles questions soient soulevées par un
travail de psychophysique, montre assez l’intérêt philosophique
que peut présenter l’étude expérimentale des fonctions supé-
rieures de l’esprit. Sans doute, on ne doit point espérer aboutir
à des conclusions imprévues : même, en un sens, les résultats
BIBLIOGRAPHIE
287
seront d’autant plus précieux qu’ils se confondront avec les
thèses les plus banales d’une quelconque des philosophies tra-
ditionnelles. Effort superllu, alors? A'ullement, car il établira
solidement, s’il aboutit, le lien multiple et continu qui relie
toute la hiérarchie des phénomènes internes aux allirmations
supérieures, fondement de la métaphysique. Ces airirmations
valent par elles-mêmes : il n’en est pas moins d’un puissant
intérêt de les situer exactement dans notre expérience totale.
J. Maréch.\l, s. J.
XV
L\ Eer.meat.vtioa .alcoolique, par Arthur Harden (F. R. S.).
Traduit de l’anglais par G. Schaefer. Un vol. in-8’, de la collec-
tion des Questions biologiques actuelles, 163 pages. — Paris,
Hermann, 19J3.
Ce nouveau volume ne fait certes pas déchoir l’excellente col-
lection de monographies publiées sous la direction de M. Dastre.
11 est écrit par un spécialiste anglais bien connu, qui possède
admirablement son sujet. L’exposé, clair, ferme, soulignant ce
qui vaut d’être souligné, est aux antipodes de la vulgarisation
imprécise et tâtonnante.
On sait l’intérêt qui s’attache à la fermentation alcoolique,
non seulement à cause de son importance industrielle, mais
sui’tout (du moins aux yeux du biochimiste) par le fait qu’elle
retlète très directement, dans son histoire, les étapes successives,
ou, si l’on nous permet celte expression, le développement
oscillatoire de la théorie générale des ferments.
.A. la vieille conception mécaniste de Stahl, qui voyait dans la
fermentation la transmission d’un mouvement interne, se sub-
stitue, après les recherches purement analytiques de Lavoisier
et d’autres chimistes éminents, une théorie biologique du
phénomène: Schvvann surtout, et Cagniard-Latour, reconnais-
sent, dans la levure, de véritables cellules, capables de se
reproduire par bourgeonnement; la fermentation devenait, pour
eux, un simple contre-coup du métabolisme cellulaire. Mais à
ce moment même, Berzélius le père de la catalyse, s’inscrit en
lâux contre la thèse biologiste et propose une théorie p/q^/^/co-
chiniique : la fermentation ne pouvait évidemment représenter
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
qu’une action catalyli([ue. Bientôt les critiques de Berzélius se
doul)lent de celles — très dures — de Liebig et de Woeliler, qui
prônent, de leur côté, une interprétation purement chimique.
La discorde règne au laboratoire, et les vues de Scbwann, peut-
être surtout à cause de leur teinte vitaliste, rallient à peine
encore une minorité. Api’ès des vicissitudes diverses, la roue de
la Fortune a de nouveau l'ait un tour complet : Pasteur inaugure
ses recherches sur les l'ermental ions lactique et alcoolique; plus
de doute, l'agent nécessaire de ces processus est bien un micro-
organisme. Liel)ig, atteint d’un coup di’oit, essaie d’une répli-
que, mais est Inentôt réduit au silence. Et pourtant, l’avenir
devait lui donner partiellement raison, sans toutefois infirmer
la valeur des expériences, sinon de tontes les interprétations,
de Pasteur. Eu elfet, l’idée se lit jour, et s’accrédita de plus en
plns,quel’agentLun/éryû//de la fermentation alcoolique était une
diastase, un ferment chimique, sécrété, à vrai dire, par des
micro-organismes (Traube). Mais la preuve expérimentale,
décisive, de cette conception nouvelle et conciliatrice, ne fut
donnée qu’en J8B7, par E. Buchner, qui réussit à isoler, des
cellules de levure, une diastase, la zymase, capable de provoquer
en leur absence la fermentation.
J)ès lors, la fermentation alcoolique, réintégrée dans les
cadres généi'aux de la fermentation chimicpie, devient l’objet
d’expériences nombreuses et précises. Son mécanisme apparaît
de plus en plus complexe : <à côté du ferment principal, se range
un ferment complémentaire, une co-zymase, indispensable à la
fermentation ; puis, c’est la présence d’un phosphate qui
apparaît nécessaire pour la décomposition du sucre à feimenter :
le cycle du phosphore, pendant la durée de la fermentation,
passe par la formation d’un bexosepbos[)bate et se termine
par la libération du métalloïde sous l’action d’une enzyme spé-
ciale; enfin, à côté de la zymase, surgit un cortège de ferments
destructeui's, normalement paralysés par leurs anliferments...
Bref, la fermentatiou alcoolique nous fait entrer au cœur de ce
chapitre nouveau, et souvent déconcertant, de Biochimie, ofi
les réactions fermentaires allichent, au sein d’une étonnante
complexité, des liens de parenté non équivoques avec les phéno-
mènes d’immunité d’une {lart, et d’autre part avec les phéno-
mènes catalytiques.
M. Ilarden nous rapporte liés exactement ces recherches
anciennes et récentes, leur mise en œuvre expérimentale, leurs
résultats et leur portée.
J. M.4rkchal, s. J.
BIBLIOGRAPHIE
289
XVI
Restauration des Montagnes. — Correction des torrents.
Reboisement, par E. Thiéry, prolesseiir à l’Ecole Nationale
des Eaux et Eorèts. Avec une introduction par M. E. Lechalas.
édition, revue et augmentée. Un vol. in-8", i80 pp. — Paris
et Liège, Librairie polytechnic]ue de Ch. Béranger.
Xet important ouvrage tait partie de la collection Encyclo-
pédie des T ravaux ptd)lics, fondée par M. C. Lechalas, inspecteur
général des Ponts et Chaussées.
De l’introduction, dont le très savant et très érudit fondateur
de YEncyclopédie a honoré ce compact volume, il résulterait
que les exposés et les descriptions de l’ingénieur Surell, trop
simplistes et trop sobres de détails, seraient aujourd’hui vieux
jeu, démodés et demanderaient à être complétés, mises à point.
C’est ce à quoi, sans doute, a voidu répondre l’auteur, lequel,
forestier, a fait principalement œuvre d’ingénieur.
Cette œuvre comprend trois parties, dont l’une, sous ce titre :
Description du phénomène torrentiel, traite de la question que
nous avions abordée jadis, ici-mème (janvier J882), d’après
Surell, Scipion-Gras, Philippe Breton, Costa de Bastelica et
Demontreux, sous le titre de, Lois générales de la torrentinlité.
On doit dire que cette « De.scription du phénomène torrentiel »
est développée avec une grande hauteur de vues et à l’aide de
nombreuses observations nouvelles d’ensemble et de détails,
faites dans les régions montagneuses tant en France qu’à l’étran-
ger, ce qui implique naturellement un progrès sur les nombreux
travaux analogues, antérieurement publiés.
Là, tous les phénomènes de la montagne, tous les détails de
chacun d'eux, minutieusement observés et décrits, sont soumis
au calcul. Sur ces données est établie une nouvelle classification
des torrents, ou plus exactement, des cours d’eau torrentiels, le
régime de ces cours d’eau, la formation des pentes de compen-
sation et le profil qui en résulte. Les lits de déjection ont ici
remplacé les cônes, l’auteur estimant que ces sortes de remblais
qui se forment à l’issue des canaux d’écoulement, se rapprochent
clavantage de la forme de la pyramide que de celle du cône; il
en décrit la formation, puis expose les divers ravages causés par-
les torrents ; cônes ou pyramides, ce sont toujours des lits.
IIP SÉRIE. T. XXVI. 19
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
:-^90
Les Travaux de correction des torrents occupent la seconde
partie dn volnine.Sons nn titre différent, la Revue des Questions
SCIENTIFIQUES avait aussi abordé ce sujet, en juillet 1882, d’une
manière plus sommaire, il est vrai. La fameuse question des
barrages est, ici, envisagée sous toutes ses faces : barrages rec-
tilignes, barrages curvilignes, en maçonnerie, en pierre sèche, en
bois, en farcinages et clayonnages, barrages vivants; l’utilité de
ces barrages; leurs rôles respectifs suivant qu’il s’agit de la
correction de torrents à affouillements, à glissements ou à
clappes, glaciaires ou mixtes; leur hauteur, la forme et les
dimensions de la cuvette, le radier, le contre-barrage, tout cela
est exposé mathématiquement et avec figures et graphiques à
l’appui.
Parmi les Travaux divers, quelques pages sont consacrées à
la forêt de protection et à l’utilité du reboisement; mais c’est
d’une façon qui semble incidente.
Cette seconde partie, qui se termine à la page 880, forme,
avec la première, la très majeure part du volume.
La troisième, qui a i)Our objet les Travaux de reboisement, ne
comprend pas beaucoup plus de 80 pages. L’auteur y envisage
d’abord les diflicidtés, tant morales (pie climatiques (1) et celles
surtout (pii résultent de la disposition et de la constitution
extrêmement compli(piées des terrains, surtout dans les Alpes.
Ce qui suit, rentre plus spécialement dans le domaine de la
sylviculture, mais dans son application exclusive aux boisements
en terrains montagneux; choix des essences suivant les altitudes
(t) I. auteur emploie, et nous avions jatlis employé nous-mènie l’expression
(le cliiuatériquc. Mais elle n’est pas applicable à l’état climatologique d’un
pays ou d’une région. Ouvrons le dictionnaire de l’Académie, à ce mot, nous y
tisons : « .\djectif des deux genres; il n’est usité que dans ces locutions :
An climatérique, année climatérique, (’.liaque septième année de la vie
humaine, et pai’ticulièrement la soixante-troisième qu’on appelle aussi la
grande climatérique, et absolument la climatérique... etc. »
Dictionnaire l.arive et Fleury :
« Climatérique, se dit des âges, des années de la vie liumaine regardés
comme dangereux pour la santé ».
Le dictionnaire de I ittré, et tous les autres donnent, sous une forme ou sous
une autre, la même détinition.
Il est vrai que le mot c/iiiK/OVyi/c ne se trouve dans aucun dictionnaire;
mais il peut être considéré comme une abréviation ou contraction de
climatologique, qui est un peu long.
BIBLIOGRAPHIE
29i
et les expositions, des graines pour les semis; création et
entretien de pépinières, plantations, tracé de chemins et de
sentiers (1).
Le volume se termine par un XW*" chapitre, d’un grand inté-
rêt dans sa brièveté (il n’a que 3 pages), car il donne la statis-
tique de tous les travaux accomplis jusqu’ici par l’Administration
pour l’Œuvre de la restauration des montagnes, avec indication
des dépenses qui seraient nécessaires pour l’achèvement des tra-
vaux, lesquelles se monteraient à 60 186 000 francs.
^ Le travail de M. E. Thiéry est assurément remarquable. 11
dénote une observation abondante et minutieuse, servie par la
science spéciale de l’ingénieur. La restauration de la montagne
par des tiavaux d’art parait être son principal objectif, le
reboisement intervenant comme le couronnement et l’élément
conservatoire de l’œuvre, plutôt, semble-t-il, que comme
l’œuvre principale.
C’est ici que se rencontre le point douteux.
11 y a quelque douze ou quinze ans, il y eut grand émoi dans
le public forestier administratif, du fait qu’un de ses membres
avait publié, dans la Revue des Eaux et Eorèts, une charge à
fond contre les travaux de consolidation des versants mon-
tagneux à l’aide de barrages monumentaux coûtant fort cher et
ne résistant que pour un temps tà la poussée des matériaux qui
finissaient par les emporter. Conclusion logique : toutes tenta-
tives d’éteindre les torrents par des travaux d’art, étaient vaines,
dispendieuses et inutiles.
A elle seule, la démarche de l’écrivain de la revue forestière
avait peut-être pu passer pour une boutade paradoxale. Mais
quelques années plus tard, au congrès du Sud-Ouest navig.able,
tenu à Bergerac ( Dordogne) en juillet 1906, un autre forestier,
M. L. A. Eabre, inspecteur, soutint une thèse analogue daris un
brillant mémoire intitulé : Les dérivations à l’Idée des Beboise-
ments des montagnes (i). Sans doute l’auteur du mémoire ne
proscrit pas systématiquement toute espèce de barrages; mais
bien qu’en rendant hautement hommage à l’œuvre considé-
(1) Nous avions traité ce sujet dans la Revue des Questions scienti-
EiUUES, (le juillet et octobre 1884, juillet 1886.
(2) Cf. le Compte l endu des travaux du congrès, p. 416. Bergerac, Inipru
inerie générale du Sud-Ouest, 19U6.
292
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
rable, réalisée par Demontzey, dont il fut d’ailleurs l’élève, il
considère les grands bai rages et autres travaux de maçonnerie
comme une erreur du grand reboiseur, erreur qu’il aurait, sur
la fin de sa carrière, reconnue implicitement lui-même, en
reconnaissant l’etïicacité des barrages vivants par opposition aux
barrages de maçonnerie. La thèse de M. Fabre est étayée par
l’apport de très nombreux faits à l’appui.
îf’autre part, l’initiative privée, sous la haute impulsion de
M. l’aul Descombes (un ancien élève de l’École polytechnique)
obtient, dans les montagnes pyrénéennes et même dans les
.Mpes, des résultats que je ne craindrais pas d’appeler mer-
veilleux, par la restauration des pâturages et le reboisement (1),
sans d’ailleurs recourir à ces grands travaux d’art que l’Admi-
nistration publique est seule en état d’entreprendre.
Loin de nous la pensée d’opposer M. Fabre et M. Descombes
à MM. Lechalas et Thiéry. Mais on peut, d’une part, se deman-
der si une partie au moins des très savants, mais aussi très dis-
pendieux travaux proposés par M. Thiéry, ne pourraient pas être
remplacés avantageusement par des opérations plus simples;
tandis que, d’autre part, l’expérience acquise et une observa-
tion plus serrée des détails rendent plausible et vraisemblable
un perfectionnement des gros œuvres, atténuant, sinon
annulant les défauts et inconvénients signalés notamment par
M. L. A. Fabre et autres.
Le compact volume de M. E. Thiéry n’en est pas moins, au
point de vue de l’hydrologie et de la mécanique appliquées à la
consolidation des terrains en pente, à la lutte contre les ava-
lanches et les chutes de matériaux, un ouvrage de premier
ordre qu’étudieront et consulteront avec fruit, tous ceux qui
collaborent à l’œuvre grandiose de la restauration de nos mon-
tagnes forestières et pastorales.
G. DE Kirw.vn.
(1) Voir notiirnnient, parmi les nombreux écrits de M. Paul llescombes : Lu
thifeme forestier e et pastorale. Paris, (iauthier-Villars, 1911; Éléments de
Sj/tvonomie (Agronomie forestière); Economie et Politique forestières. Bor-
deaux, tiounouilhou, 1913.
BIBLIOGRAPHIE
293
X^ll
Économie FORESTIÈRE, par G. IIuffel, sons-directeur et pro-
fesseur à l’École nationale des Eaux et Forêts. Tome premier,
Deuxième p.xrtie. — Seconde édition, revue et corrigée. Fasci-
cule premier : Propriété et législation forestières. En volume
in-S" de J63 p. s. d. — Paris, Librairie agricole.
Le nom de M. IIuffel, professeur (et, en plus, aujourd’hui
sous-directeur) à l’École nationale des Eaux et Forêts de Nancy,
ejjt bien connu des lecteurs de la Revue des Questions scienti-
fiques. En J905, d006 et 1907 nous les avons longuement entre-
tenus de la première édition de son vaste ouvrage. Économie
forestière, lequel tient plus encore que ne promet son titre.
En avril 1911, nous analysions, dans un article de Variétés, le
premier volume — ou plutôt le premier demi-volume — d’une
deuxième édition du même ouvrage. Ce « tome P’’, Première
partie », ne contenait pas moins de 342 pages. Le premier fasci-
cule du « tome l". Deuxième partie », en contient 163, ce qui
fait présumer pour la totalité de cette « Deuxième partie », une
consistance sensiblement égale à la Première.
Dans celle-ci, une « Première Étude » était affectée à exposer
l’utilité (on pourrait dire à la nécessité) des forêts aux divers
points de vue économique, physique, climatologique, du main-
tien des terres et de l’utilisation des sols incultes. 11 en est de
même dans la deuxième édition qui, sauf quelques intéressantes
additions, diffère peu, sur ce point, delà première.
Les innovations particulièrement heureuses sur l’histoire et
la condition forestière de la Gaule romaine et de la Gaule
franque sous les Mérovingiens et les Carolingiens, qui occupent
le dernier tiers du volume précédent, se poursuivent, dans le
nouveau fascicule, quant à la France féodale pendant toute la
durée effective du régime de ce nom.
A la suite des invasions qui, du v'" au x® siècle, avaient suc-
cessivement traversé ou occupé la vaste contrée qui devait bien-
tôt devenir la France, la notion du droit de propriété s’était,
suivant les lieux, plus ou moins obscurcie, obnubilée un peu
partout. Ici, le seigneur se disait propriétaire des terres et
forêts de sa seigneurie dont jouissaient, même héréditairement,
les (c’est-à-dire les habitants des villages dépendants de
la villa) sauf une modique redevance, se réservant les droits
294
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
de pèclie et de chasse ; ailleurs c’étaient d’anciens alleux des
temps mérovingiens et carolingiens qui s’étaient perpétués à
travers l’évolution féodale ; ou bien c’étaient d’anciennes forêts
communes qu'l peu à peu s’étaient transformées en propriétés de
fait de telles et telles communautés, soit à titre indivis entre les
habitants, soit plus souvent, à litre collectif; sur certains points,
comme dans le Nord, l’Ouest et le Centre, la petite propriété indi-
viduelle dominait, et cela dès avant le xiC siècle, à l’encontre
de l’Kst, du Nord-Est et du Midi où des étendues considérables de
forêts et de terres se partageaient entre un petit nombre de maî-
tres. Il y avait aussi, en forêt, des concessions de droits d’usage en
des conditions telles que, dans les cas de procès, les magistrats
se trouvaient fort embarrassés pour déterminer quel était, de
l’auteur des concessions ou de l’usager, le véritable propriétaire.
Enfin il y eut aussi, par la suite, des forêts dites roturières, qui
ne devaient foi et hommage <à aucun seigneur.
On voit par là combien, sous la constitution féodale, la notion
de propriété était confuse, embrouillée. Et comme chaque pro-
priété, ou plutôt chaque groupement de terres comprenait une
part considérable, souvent prépondérante, de forêts, on voit que
la question de propriété et de législation forestière, dans la
France féodale, est intimement mêlée à celle de la propriété et
de la législation en général.
Aussi l’auteur a-t-il été forcément amené, pour traiter la ques-
tion forestière du x” au xvU siècle, à dessiner le tableau de
toute l’organisation leodale. En sorte que, intéressant au pre-
mier chef pour tout ce qui touche aux forêts, ce travail ne l’est
pas moins pour quiconque s’intéresse aux choses de l’histoire
sociale.
On y voit s’organiser lentement les campagnes et se former la
plupart des communes rurales. On n’est pas peu surpiâs d’ap-
prendre qu’en plein x® siècle, quand les chefs de la féodalité
naissante, les seigneurs terriens et leurs adeptes, se faisaient
une guerre acharnée les uns aux autres, — les pay.sans, les
vilains, jouissaient, au point de vue de leurs intérêts locaux,
en même temps que d’une sécurité et d’un ordre relatifs, « d’une
liberté que ne connurent plus leurs successeurs, y compris nos
paysans du xx® siècle »(1 ). Ils se réunissaient, à certaines époques,
en plaids, présidés par fun d’eux au titre de représentant du
seigneur, mais qui était, en fait, autant l’homme de ses conci-
(t) ()p. cit., p. “2“2.
BIBLIOGRAPHIE
295
toyeas (il serait pins exact de dire ses covillageois) que celui du
seigneur. C’était dans ces plaids que se jugeaient les procès, que
se rendait la justice par l’assemblée des paysans, etc.
Les grandes forêts se partageaient entre le roi, en tant que
seigneur du domaine royal, les seigneurs laïques ou ecclésias-
tiques vassaux du roi, les vassaux de ces seigneurs et les vassaux
de leurs vassaux; car l’organisation sociale comprenait une
hiérarchie très compliquée. Parfois tel vassal d’un seigneur
pour une seigneurie déterminée, pouvait se trouver être son
suzerain sur un autre domaine.
La gestion de ces forêts était elle-même assez compliquée et
le mode en variait d’une contrée à une autre, parfois dans la
même contrée, entre deux seigneuries. Elle présentait plus
d’unité dans le domaine royal. Des droits bizarres grevaient
certaines forêts, tels que les droits de (jnierie, de triage, de tiers
et danger ou de tiers-denier, qui consistaient dans le prélè-
vement, au profit d’un tiers (ordinairement le roi ou un haut
seigneur), d’une partie du produit des coupes de bois de telle ou
telle forêt.
Les famines, les guerres intérieures, rendaient souvent
désertes de vastes contrées. Pour y attirer les habitants, les
seigneurs de ces pays dévastés accordaient à ceux qui venaient
s’y établir, de grands avantages dont les forêts faisaient les frais.
C’est ainsi que s’est opéré, peu à peu, ce que M. llutfel appelle
le « démembrement des forêts seigneuriales », dont une grande
partie devint soit forêts communales, au lieu d’être seulement
forêts communes, soit forêts bourgeoises ou paysannes, autre-
ment dit roturières.
Suivent, dans le travail de M. Huffel, un tableau très étudié de
la législation, ou plutôt des législations très variées et coutumes
locales, concernant les forêts au moyen âge, et enfin une vue
d’ensemble sur l’état de boisement de la France féodale aux
différents siècles écoulés du x” au xvP.
[.es références auxquelles renvoie l’auteur sont innombrables.
Tous les vieux cartuiaires d’abbayes et de châteaux ont été par
lui dépouillés et annotés. De même, les édits royaux, les chartes,
les documents de toute nature. 11 n’est pas jusqu’à la Somme
de saint Thomas, qui ne lui ait procuré quelque lumière. Les
auteurs qui, plus près de nous, ont étudié à divers points de vue
la propriété durant la période féodale, ont également fourni
à l’auteur d’utiles références.
11 n’y a rien d’exagéré à dire que nous avons, dans ce fasci-
296
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
cule, le l'ragment d’une œuvre dont la seconde édition semble
devoir être vraiment monumentale.
Nous sera-t-il permis d’exprimer, sur deux points, une opinion
ditïerente de celle de l’auteur?
On lit, dans une note, au bas de la page 35 ;
« On sait assez que Saint Louis, par l’inexplicable (sic) traité
de Paris (1^:258), remit spontanément (?) à son beau-frère, le roi
d’Angleterre, sans même que celui-ci l’eût demandé (??) toutes
les terres françaises, (pie son aïeul Pbilippe-Auguste... avait
enlevées aux Plantagenet... Les scrupules de Saint Louis eurent
les consécpiences les plus funestes pour notre pays : en y conso-
lidant la puissance anglaise, il compromit l’existence même de
la patrie, que seule put sauver l’intervention miraculeuse de
Jeanne d’Arc. »
Ln jugement aussi sévère, est-il de tous points bien exact?
Il est bien vrai que Saint Louis restitua à l’Angleterre le Li-
mousin, le Ouercy et le Périgord. .Mais il est également vrai que,
(le son c()té, le roi d’.Angleterre renonça à tous ses droits sur la
.Xorrnandie, l’Anjou, la Touraine, le Poitou, qu’il renonça égale-
ment à l’hommage du Berry, de la Bretagne, de l’Auvergne, de
la .Marche et de l’Angoumois; les domaines que le roi de France
lui rendait, Henri III d’Angleterre reconnaissait les recevoir
comme vassal, et il prit l’engagement d’en faire hommage-lige
au roi de France, en (jualité de pair de France et de duc d’Aqui-
taine, ce ([ui fut exécuté lors de la signature solennelle du traité,
le i décemhre H5!L Ft il est vrai aussi, (pi’en septembre J557,
une ambassade solennelle du roi d’Anglejerre arrivait en France
pour réclamer à Louis L\ la restitution des provinces conquises
par Philippe-.Vuguste, sur Jean-sans-Terre. Ce n’était donc pas
« spontanément » et «sans même que le roi d’Angleterre l’eût
demandé », (jue Saint Louis restitua les provinces sus-désignées.
Ft ce qui semble bien prouver que ce traité ne fut pas si
défavorable à la France, c’est (pi’il produisit le plus vif mécon-
tentement en Angleterre. Indignés de ce qu’ils considéraient
comme une faiblesse de la part d’Henri III, les barons anglais,
(induits par le comte de Leicester, se révoltèrent, tandis que
le peiqile de Londres chantait des couplets satiriques « sur la
bonne paix faite par le roi (J ) ».
(1) Cf. Edinoiiit Demotiiis, Histoire de France, Saint t.ouis. - Paris, t879.
« lèavantag'e itu traité de Paris, (tit cet auteur, était tout entier en faveur de
la France, » t. It, i>. ‘2'23.
BIBLIOGRAPHIE
297
Les avis sont donc tout au moins partagés dans l’appréciation
du traité de 1:258-1259.
Le second point de notre désaccord est plutôt la réfutation
d’une fausse légende qu’une différence d’appréciation.
Nous lisons, page 186 :
« ...Luis survint la grande terreur de l’an mille. Les popula-
tions, convaincues de l’approche de la fin du monde, se rél'u-
giaient dans les cloîtres, abandonnant la charrue. »
Hommes de ma génération, comme ceux des générations
suivantes, nous avons tous été élevés dans la croyance aux ter-
reurs des approches de l’an mille. Mais il se trouve que nous
avons tous été, et nombre de générations avant nous, dupes
d’iuie pure mystilication.
Dès 1873, la Revue des Questions historiques, par la plume
du savant Dom Plaine, avait démontré que cette fable, remise
en honneur par l’auteur anglais Robertson, dans la Préface de
son Histoire de Charles-Qidnt, était une légende sans fon-
dement. M. Godefroid Kurth, l’illustre historien belge, dans un
opuscule intitulé : Qu’est-ce que le moyen âge? (Paris, Rloud,
1905), a de nouveau réfuté cette erreur.
Enfin, en 1908, un archiviste paléographe, M. Frédéric
Duval, en une brochure in-12 de 94 pages, a, sous ce titre : Les
terreurs de l’an mille {\), repris la question ob ovo. 11 établit, à
l’aide d’une documentation très complète, et appuyé sur une
bibliographie comprenant plus d’une douzaine d’auteurs, qu’il
n’y a jamais eu, au x“ siècle, de terreurs motivées par l’approche
de l’an mille ; que c’est là une légende dont les premiers symp-
tômes ont apparu seulement dans le cours du xiiP siècle, plus
de trois cents ans, par conséquent, après l’an mille.
Ces deux réserves portant l’une sur une simple note de bas
de page, l’autre sur une proposition incidente sont, relativement
à l’ensemble du sujet, sans importance, et n’atténuent en rien
nos appréciations très favorables sur ce fascicule.
G. DE Kirwan.
(1) Bloud et C‘°, Paris.
298
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
XVIIl
The Ban-Vna. Ils caUa'ulhn ,distrii)nÜon and commercial uses,
by \V. FAWCETr. ITi vol. iii-8’ de 187 pages et avec planches. —
Dnckworth et G", Henrietta Street, London \V. G.
La banane a, dans ces derniers temps, lait beaucoup parler
d’elle en Belgiciue, parce que beaucoup ont cru voir en elle nn
objet capable de rentbrcer les exploitations congolaises. Gel
espoir est-il Ibndé? .\ous n’oserions l’adirmer, mais nous
croyons ti ès utile de signaler aux lecteurs delallEVUEcet ouvrage
qui est capable de donner à tous des indications précises sur les
conditions de la culture et l’état actuel du commerce.
Gertes nous n’avons pas envie d’entrer dans le détail de
l’analyse de ce livre, que tous ceux qui s’intéressent <à la
(piestion des plus importantes, « Bananes », devraient posséder ;
nous rappellerons simplement quelques-uns des points traités en
faisant ressortir leur importance.
Dans un des chapitres du livre, l’auteur, bien connu d’aillenrs
par ses études d’agricultiu'e tropicale, expose dans leurs grandes
lignes les opérations nécessaires pour obtenir avec cette culture
un rendement rémunérateur, et il insiste en particulier sur les
soins à apporter à la préparation du sol de la future plantation.
On ne pourrait, en elTet, assez insister sur ce point, car très fré-
quemment on croit que les bananiers, et les autres essences
tropicales, n’ont qu’à être confiés à la terre pour que peu de
mois après on puisse récolter des fruits. .Naturellement l’auteur
arrive à parler de deux phases de la culture auxquelles il faut
attacher une grande importance. La première est le choix des
rejets qui devront servir à multiplier les plantes ou à les rem-
placer après fructification. La sélection doit largement interve-
nir dans cette culture, comme dans toutes les autres cultures
tropicales; sans elle on ne peut être assuré de bons résultats, on
peut au contraire être certain d’un rendement très inégal en
quantité et qualité.
La deuxième des phases de la culture est celle des amende-
ments à apporter au sol. Question des plus importantes, qui a
été solutionnée par des planteurs de manière tout à lait f)pposée.
Les uns prétendent que l’apport des engrais chimiques est
nécessaire, les autres, au contraire, et nous croyons qu’ils ont
raison, que les engrais chimiques n’ont guère d’action sur la
BIBLIOGRAPHIE
299
production de la banane, les bananiers demandant surtout de
l’humus. Cela ne veut naturellement pas dire qu’en l’absence
de certains composés chimiques dans un sol donné, il ne pour-
rait être utile de l’ajouter au sol par la voie des engrais
chimiques. .Mais ce qu’il convient de faire remarquer, c’est que
ces derniers ne devraient être ajoutés à une terre donnée qu’après
des analyses, car il semble que leur apport soit non .seulement
inutile, mais dans certains cas nuisible.
Faut-il dire que .M. Fawrett s’est occupé de la valeur alimen-
taire de la banane? 11 est certain que les produits d’origine
végétalequi possèdent une valeur alimentaire équivalente à celle
de ce fruit ne sont pas nombreux; qu’outre sa valeur alimen-
taire proprement dite, la banane peut servir à fabriquer des
lique^irs alcooliques et même de l’alcool. Cette dernière
production pourrait devenir la base d’une industrie probable-
ment très rémunératrice, plus forte peut-être que celle de
la farine de bananes dont on a également beaucoup parlé dans
ces derniers temps, mais au sujet de laquelle on a, somme
toute, il faut bien le reconnaître, peu de documents précis, sans
lesquels, malgré les belles promesses, il est diflicile d’engager
des capitalistes dans cette industrie nouvelle dont on connaît
mal les débouchés.
F’aut-il rappeler encore que l’auteur signalela valeur des fibres
de certains bananiers : autre question, sans conteste, de grande
importance i\ laquelle les planteurs n’ont peut-être pas toujours
accordé l’attention qu’elle mérite?
-M. Fawcett a donné dans son livre un aperçu de l’état actuel
de la culture de la banane et des résultats économiques de cette
culture de par le monde, en particulier en Amérique centrale, ovi
le commerce de ce fruit s’est développé surtout, on le sait,
grâce à la « United Fruit Company » de Boston.
Nous n’insisterons pas davantage ; ces quelques indications
suffisent amplement pour faire voir l'intérêt de l’ouvrage que
M. Fawcett a consacré au bananier.
É. I). W.
XIX
Le C.voutchouc. Sa Chi.mie nouvelle. Ses Synthèses, par
.\. Duiiosc et A. Luttringer. Un vol. in-8'’ de fi05 pp. — Paris,
A. D. Cillard.
300
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
(>et ouvrage vient à un moment où la question du caoutchouc,
qui fait couler des Ilots d’encre, est, au dire de beaucoup, entrée
(lans une phase nouvelle. Suivant les uns, le caoutchouc sauvage
a vécu, tué par la « plantation » ; suivant les autres, les deux
genres de produits vont devoir disparaître devant le « produit
synthétiipie ».
Je pense qu’il y a place encore, et pour longtemps, pour le
caoutchouc sauvage ; le caoutchouc de cueillette, qui deviendra
un produit de semi-culture, et pour le caoutchouc de grande
culture. (Juant au caoutchouc de synthèse, son règne ne semble
pas encore près d’être arrivé. C’est d’ailleurs la conclusion, très
encourageante pour les planteurs et pour les exploitants, à
laquelle arrivent les deux auteurs dans le livre signalé ci-dessus.
Itans cet ouvrage, après un aperçu des diverses questions rela-
tives au caoutchouc naturel, sa production et la situation du
marché, les auteurs examinent les propriétés physiques et
chimiques du produit brut et sa constitution pour arriver à
l’étude des diverses méthodes préconisées pour obtenir du
caoutchouc par synthèse.
Nous ne suivrons pas les auteurs dans leur exposé, car faire
un résumé, même succinct, de l’étude historique très approfon-
die qu’ils ont faite de ce sujet de la discussion des méthodes, nous
entraînerait trop loin.
Comme les auteurs, nous pensons donc que si l’on n’est point
encore parvenu à la synthèse parfaite, on commence à voir clair
dans la question. Mais, dans cette synthèse la matière pre-
mière joue le rôle important, et après elle vient la méthode. Si
elle est compliquée, la synthèse n’est plus pratique.
Happelons la phrase que reproduisent MM. Dubosc et Luttrin-
ger; elle a été prononcée par le D'' Duisberg, le directeur géné-
ral des usines Bayer, celles qui, dans ces dernières années, ont
dépensé des millions pour des recherches dans la voie synthé-
tique : « Si vous me demandez de répondre, en toute honnêteté
et en toute vérité, quand le caoutchouc synthétique apportera
les millions que certains prophètes voient dans son exploitation,
je vous répondrai que je n’en .sais rien. Sans doute pas demain,
quoique le caoutchouc synthétique doive apparaître, sur le
marché, dans un très bref délai, et que j’espère vivre assez
pour voir ce triomphe nouveau de VArt sur la Nature ».
Il y a deux ans que ces paroles furent prononcées !
Je pense que tout le monde sera d’accord avec les deux
auteurs français quand ils concluent : « Comme entre la coupe
BIBLIOGRAPHIE
301
et les lèvres, entre le laboratoire et rusine, il y a encore de la
place pour quelques mécomptes et pour beaucoup de travail ».
Les cultures et les caontcboutiers sauvages pourront d’ici là
continuer à alimenter le commerce mondial, qui pourra encore
largement s’étendre probablement avant que le « synthétique »
puisse être produit régulièrement, et en qualité totalement équi-
valente au « naturel ».
Néanmoins, comme on peut s’en convainci'e par la lecture du
très consciencieux exposé de MM. Dubosc et Luttringer, le plan-
teur doit veiller au grain et l'aire des efforts, comme les associa-
tions caoutchoutilëres le lui recommandent, pour améliorer et
uniformiser la qualité du produit.
É. D. \Y.
XX
La Notion de Temps, par D. Nvs, professeur à TLiiiversilé
catholique de Louvain, deuxième édition, revue, remaniée et
augmentée (Tome 11 du Volume VII du Cours de Philosophie),
in-8°, 808 pages. — Louvain, Institut de Philosophie, et Paris,
Alcan, 1918.
M. Nys avait déjà publié à part quelques études sur des sujets
n’entrant pas dans le cadre de sa Cosmologie, notamment sur
l’espace et le temps. 11 reprend ces deux dernières pour en faire
des tomes complémentaires de son ouviage de fond. Cette
méthode a bien un peu l’inconvénient de diminuer la valeur
synthétique du traité, inconvénient sérieux, au point de vue
pédagogique surtout; mais par ailleurs elle permet à l'auteur de
donner plus d’ampleur au développement des théories qu’il
expose.
L’élude sur le temps est foil bien construite. Suivant l’usage
qui aujourd’hui tend heureusement à se généraliser, M. Nys
expose d’abord sa théorie, qui est celle d’.Aristole et de S. Tho-
mas, très fidèlement exposée et solidement établie ; il passe
ensuite à la discussion des théories diverses, qu’il divise en deux
catégories, selon qu’elles s’inspirent d’une tendance idéaliste,
ou au contraire d’un réalisme exagéré. Ce plan a l’avantage de
faire ressortir le mérite de la solution péripatéticienne : elle est
un réalisme modéré ; elle se tient, pour le concept de temps, à
égale distance des deux excès opposés du nominalisme et du
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
:^02
réalisme exagéré. Le temps, pour Aristote et S. Thomas, n’est
ni une création de TKsprit, puisqu’il a poui' l'ondement la réa-
lité mouvante du changement continu, ni une entité distincte,
substantielle ou accidentelle, puisqu’il ne prend sa formalité de
nombre du mouvement que par l’opération de l’esprit frac-
tionnant d’aliord la durée du mouvement, puis en réunissant
les parties par une synthèse mentale (1).
N’étant, sur aucun des points traités par M. N'ys, d’un avis
différent du sien, il me serait dillicile de lui adresser des cri-
tiques foncières. Voici seulement quelques minuscules deside-
rata. On aurait pu, ce me semble, dire plus nettement (p. 15),
que la durée successive est un mode particuliei' d’existence, que
nous ne pouvons décrire sans le supposer, à cause de sa simpli-
cité même : c’est une notion acquise, comme celle d’espace, par
une intuition immédiate, ([ue l’analyse ne peut guère rendre
plus claire.
Pour montrer comment la notion thomiste du temps ne sup-
prime pas la contingence des ci-éatures, il n’y a pas de réponse
[ilus péremptoire (jue de préciser ce qu’est la persistance dans
l’être chez la créature, comme le fait Lessius dans ce beau texte ;
« (’/esI donc une erreur d’imaginer la créature comme je ne sais
(}uel solide réellement distinct de Tintlux de Dieu, capable de
subsister après soustraction ou partielle ou totale de son
intluencfî. Ce n’est j)as ainsi qu’il faut la concevoir à Tégard de
Dieu, mais comme le terme intrinsèque de l’action divine, tout
comme la lumière est le terme inti'insèque de l’action du soleil, d
{De perfectioiiihas iiwribasqae diviais, I. X, c. IV, n. o9.)
Pour expli(|uer comment les i)sychologues modernes peuvent
atti'ibuer au présent une certaine durée, M. Nys distingue le
point de vue objectif et le point de vue subjectif (p. 59); ces
expressions conviennent-elles en l’occurrence? Ne serait-il pas
plus simple et plus juste de distinguer un sens strict et un sens
large du mot préseat ?
(1) M. Nys cite plusieurs fois le passage de l’opuscule thomiste Jh Tempore
(cai). 1), 011 l’auteur, pour prouver que le temps n’est pas dans l’esprit, pose
ainsi son principe : « Cum tempus sit numerus motus, et sil numerus nume-
ratus... » Au lieu de mimemius, qui désigne plutôt l’élaboration subjective
du concept, c’est nnmerubilis qu’on attendrait, .le m’étonne que Al. Nys n’ait
pas fait allusion à cette petite dilliculté d’interpi'étation, qui peut-être exige-
rait une révision du texte. Au reste il conviendrait, avant d’utiliser l’opuscule
Ile Tempore, comme celui qui s’intitule De Instantibus, de rechei’cber s’ils
sont bien de S. Thomas; même remarque au sujet de la Tolius Logicae Summa.
IÎII5LI0GRAIMIIE
303
Le problème de la vérificaLion du mouvement uniforme sei’ait
peut-être à poser autrement que ne fait l’auteur (p. 80) ; (jiie
faut-il entendre exactement par des intervalles de temps égaux?
Là est, je crois, la dilliculté, et c’est p. que je la trouve le plus
nettement posée. De même, en quoi consiste au juste le pro-
blème de la réversibilité du mouvement? Dans les exemples
cités p. lÜo, il n’est question que de la réversibilité des phéno-
mènes, problème connexe, mais non identi(iue ; les deux sont
d’ailleurs distingués et exactement résolus pp. 107 et suiv.
A propos des vues déconcertantes émises par M. Langevin
dans son fameux article de la ItEVUE de Métaphysique et de
Morale, et relatées p. loO, note, on pourrait contester que la
théorie électro-magnétique exige absolument de telles conclu-
sions ; cette théorie ne s’impose pas sans doute, et il est permis
de se montrer défiant à son égard, mais elle contient pourtant
des éléments incontestables, qu’il y aurait lieu de dégager des
hypothèses risquées.
En lisant ce qui est dit de la distance temporelle (p. 133), on
s’étonne de ne pas trouver mention de la théorie du mode de
quandocation, analogue au mode d’ubication, et ayant pour effet
de situer l’être à un certain moment de la durée, comme l’ubica-
tion le situe en un point de l’espace. L’auteur rencontrera cette
théorie, professée par le P. De San, dans son examen des sys-
tèmes ; mais là même il ne la serrera pas d’aussi près qu’on
s’attendrait à le voir faire, surtout quand on se rappelle avec
quelle force M. Nys a admis, dans son étude sur l’espace, la doc-
ti'ine de l’ubication réelle.
La difficile question de la création ah aeterno et de la multi-
tude infinie est très heureusement traitée ; pourtant à certains
endroits on voudrait une discussion plus profonde. La multitude,
en tant que telle, peut-elle être déterminée autrement que par
son nombre? de même l’étendue corporelle autrement que par
sa figure? S. Thomas en certains endroits parait fortement
impressionné par cet argument des finitistes : il est à peine
touché ici. Un couple de vivants corporels créé ah aeterno et
suivi d’une multitude infinie de générations successives, donc
une série infinie ayant un premier et un dernier terme : c’est là
une hypothèse qui ne paraît pas à l’auteur offrir de dillicullé
spéciale (p. 17^) ; je doute que ses lecteurs en jugent comme lui,
et des explications complémentaires n’auraient pas été inutiles.
Enfin dans l’exposé des systèmes, les scolastiques anciens
n’occupent aucune place, et le lecteur garde l’impression que la
304
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
thèse péripatético-thomiste a rallié tous les suffrages ; ce n’est
pas tout à tait cela. Les savants articles que publie en ce moment
Duhem dans la Revue de Philosophie donnent une bien autre
impression. .M. Nys en fera son profit dans la troisième édition,
que le succès de son beau livre nous vaudra sans doute, avant
qu’il soit longtemps.
P. Geny.
XXI
Semaine Sociale d’octobre 1918. L’Évolution des .Vssoci.a-
TiONS ET DES INSTITUTIONS (liistitut Solvav). Compte rendu par
.M. Vauthier. — Librairie Misch et Thron, Bruxelles.
L’association dans la petite bourgeoisie. — L’organisation des
cultivateurs. — L’assurance mutuelle dans l’industrie textile. —
Les groupements professionnels chez les patrons et les ouvriers
verriers. — Une justice nouvelle pour les enfants. — L’élargis-
sement des attributions pour la province. — L’élargissement
des attributions de la commune. — Voibà les divers points du
programme de la Semaine Sociale Solvav, 1913. Les organismes
sociaux ainsi étudiés forment autant de sujets distincts, souvent
.sans liaison, même lointaine, entre eux. Mais M. NYaxweiler,
directeur de la Semaine, considérait moins ces associations et ces
institutions comme des phénomènes existant pour eux-mêmes,
que comme des facteurs d’une structure sociale, dont il a conçu
l’ensemble. « Le programme de cette année tend à montrer
comment dans la pression des nécessités nouvelles, des change-
ments se préparent dans les cadres mêmes de la société actuelle.
Les faits seront étudiés dans deux domaines différents. On
observera, d’une part, les groupements professionnels si variés
qui, dans toutes les classes, coordonnent des activités re.stées
longtemps isolées. A ([uels besoins répondent les unions d’arti-
sans ou de commerçants, les ligues de cultivateurs, les syndi-
cats de patrons et d’ouvriers? Quel régime réclament ces associa-
tions ? Quel rôle jouent-elles dans la vie publique? Quelles
aspirations développent-elles parmi les membres? On s’attachera,
d’autre part, à surprendre dans les institutions un mouvement
général de réadaptation, dont on trouve notamment des
témoignages caractéristiques dans l’élargissement des pouvoirs
publics... »
BIBLIOGRAPHIE
305
Ce livre veut donner l’impression que nous assistons là une
évolution étonnante dans l’ordre social. Si l’on veut, tout est.
évolution dans la vie, qu’elle soit publique ou privée. Huant à
l’étonnement que nous ressentons en étudiant notre époque, il
ressemble à celui qu’avaient nos ancêtres avant la création des
compagnonnages, ou à la veille de la révolution française; à
celui qu’auront nos petits neveux quand la société aura poussé
plus avant les relations internationales. En somme, toute acti-
vité sociale est inspirée par un désir de mieux-être dans l’ordre
moral ou dans l’ordre matériel. Cette activité est le fait des
initiatives privées ou de l’intervention de l’Etat à des degrés
divers et selon les temps. Si aujourd’bui l’Etat se montre impa-
tient de légiférer sur toutes les questions et ci tout propos, c’est,
ou bien parce que les individus sont incapables de se guérir
eux-mêmes, ou bien parce que la démocratie grandissante rap-
pelle aux gouvernants et aux législateurs que pour rester au
pouvoir ils doivent mériter de plus en plus les faveurs du
peuple. En tous cas, toute association ou institution répond là
un besoin soit réel, soit imaginaire. On ne voit pas, sans cela,
ce qui pousserait à les mettre en existence.
A part une tendance trop visible à la systématisation philo-
sophique, les considérations du présent ouvrage sur chacune
des œuvres passées en revue, sont très suggestives et enseignent
à l’élève à aiguiser sa curiosité et à chercher le pourquoi des
choses. Nous ne pouvons admettre non plus que tout ce qui est
transformation et évolution est progrès. Sur le terrain de la
bienfaisance et de l’instruction, par exemple, les pouvoirs
publics peuvent facilement, par trop de zèle, porter atteinte aux
droits de la famille, dont l’institution et la conservation dans
son véritable esprit, sont la condition fondamentale du bien-être
de l’État. Lès autorités communales sont les mandataires de la
population, elles travaillent à l’intérêt général et non à la satis-
faction d’idées personnelles.
La Semaine Sociale Solvay 1913 a eu certainement le mérite
d’éveiller l’attention des auditeurs sur des problèmes vitaux.
L’homme instruit n’a plus qu’à aider, par ses efforts personnels
et dans sa sphère, à la réalisation des idées dont on lui a
montré la grandeur et le caractère bienfaisant.
IL D.
ItB SERIE. T. XXVI.
T
30() REVUE DES gl'ESTIOXS SCIEXTIFK^UES
XXII
UeCIIEHCIIKS Slll LE PAGAVISME DE LlJîA.MOS, par .1. MiSSON,
S. .1. Tu vol. (le XVI -J- KiO pp. — Hnixelles, DexviL, 11)14.
('.es ret'herches se distinguent pai- une nnithode rigonrense-
menl objective, f.’auteur a scruté avec une scrupulense exacti-
tude les (l'uvres du rhéteur grec Liliauios ; il a soigneusement
exploité tous les résultats de l’érudition moderne. On ne peut
donc (pdadmirer la réserve avec laipielle il nuance ses conclu-
sions. Oes nuances d’ailleurs semblent bien rendre exactement
la réalité.
Nous avons ici comme un essai de psychologie religieuse. Le
type éludié esl un homme de lettres du iV siècle ; d’aucuns l’ont
pris pour un philosoidie ; en l'ait il se contenta d’avoir, sur la
[)hilosoi)hie, (piehiues clartés. Il as.sociait dans la même véné-
ration les lettres grecques et la religion ti'aditionnelle à une
époque où le paganisme, après le suiirème elî'ort de l’empereur
.lulien, achevait d’expiier. l’ar sa cidtuia; intellectuelle, il se
trouve èti’e le représentant d’un groupe assez nombreux. On
devine dès lors l’intérêt de la présente étude.
Il est Tort instructil' de voir l’attitude ((ue Lihanios prenait
devant les récits des poètes vénérables, inspirés des dieux, édu-
caleui's attilrés de la jeunesse grecque : altitude singulièrement
mêlée de vénération sincère et d’indé|»endance raisonneuse.
L’est l’objet de la première partie. Dans la seconde (pii analyse
sa conception de l’Olympe et décrit sa dévotion à Tyché, la
célèbre déesse d’Anliocbe, nous signalons l’étude très bien con-
duite sur le sens du mot 6eôç. La troisième partie étudie l’action
des dieux sur l’homme. Soulignons entin, dans la quatrième
partie, le chapitre consacré à la prière : il nous a paru particu-
lièrement intéressant. L’ensemble d’ailleurs nous ouvre, sur la
situation religieuse de la société païenne au iv' siècle, des per-
spectives intéressantes.
.1. IL Herman.
BIBLIOGRAPHIE
307
XXIII
Le portrait du Christ, par Kené Golson. — Une brochure
gr. in-8’ de 50 pages. — Paris et I^oitiers, Oudin, PI14.
Lorsque parut, en J 90:2, l’importante étude scientifique de
M. Paul Yignon sur le Linceul du ChrisL nous en avons, dans
un article de Yariélés, donné le résumé aux lecteurs de cette
Revue (1).
Rappelons, en deux mots, qu’il s’agit de la précieuse relique
dite le Saint- Suaire de Turin (parce que conservée, depuis
1694, à la cathédrale de cette ville) qu’une photographie prise
par le chevalier Pia, lors de la dernière ostension publique qui
eut lieu du 25 mai au 2 juin 1898, révéla êire très rigoureuse-
ment un négatif. Le positif produit par l’inversion photogra-
phique permit à M. Paul Vignon, docteur ès sciences naturelles,
attaché au laboratoire de biologie de la Sorbonne, de se livrer <à
une longue suite de recherches, relatée en son intéressant
volume, d’où il tira la conclusion solidement motivée que
l’image fixée sur le Saint-Suaire ne pouvait en aucune laçon être
regardée comme une peinture faite de main d’homme, mais
([u’on devait y voir une trace laissée sur le linceul par le corps
qu’il avait servi à recouvrir, trace non produite par simple con-
tact mais résultant d’un processus physico-chimique dont il ne
semblait pas impossible de percer le mystère.
Pour cette dernière partie de ses études, M. Yignon, biolo-
giste avant tout, avait trouvé un précieux collaborateur en la
personne du chef de bataillon du génie René Colson, répétiteur
de physique à l’École Polytechnique, et auteur de curieuses
recherches sur l’action de certaines émanations chimiques sur
la plaque photographique. Partant des faits qu’il avait été tà
même de constater expérimentalement et procédant par voie
d’analogie, ce savant avait été conduit à reconnaître comme
principal agent de la production du négatif découvert la vapeur
ammoniacale dégagée du corps du divin supplicié, vapeur fai-
sant virer du jaune pâle au brun rougeâtre (avec une intensité
variable suivant l’éloignement des diverses parties du corps pai'
rapport au linceul) la mixture à base d’aloès qui, d’après les
Saintes Ecritures, avait été répandue sur le linceul.
U) I.ivraison de juillet 1902, pp. 231-245.
308
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Ayant, après sa mise à la retraite, continué à s’absorber dans
l’étude de cette question passionnante, le Commandant Colson
a cru le moment venu de faire connaître, en une courte bro-
chure, l’état où elle est actuellement parvenue, tout en en
reprenant l’exposé d’ensemble sous une forme condensée qui
permît au lecteur nouveau venu de s’en faire rapidement une
idée précise.
C’est cette brochure, très bien venue et d’une lecture particu-
lièrement attachante, que nous signalons aujourd’hui au public
de la Revue avec le sincère désir de la voir se répandre le plus
largement possible.
L’ordre très judicieusement adopté par l’auteur comme se
prêtant le mieux à l’enchaînement des faits dans un exposé gé-
néral est tout simplement l’ordre chronologique : 1" description
du Saint-Suaire ; 2“ récit de l’ensevelissement du Christ d’après
les textes évangéliques ; 3“ indications historiques jusqu’à
l’époque actuelle ; V révélation produite par la photographie en
1898 ; 5“ étude scientifique montrant que le Saint-Suaire n’est
autre que le linceul du Christ, et expliquant comment l’image a
pu se former dans les circonstances décrites par les F.vangiles ;
6“ objections et réponses ; 7“ conclusion.
Pour ceux qui ont été au courant des précédents du débat qui
s’est poursuivi autour de la relique, le chapitre VI offre un
intérêt tout spécial en raison des réponses très simples et très
sages qu’il apporte aux objections soulevées contre l’authenticité
du Saint-Suaire, dont la plus frappante (pour ceux du moins
qui n’ont pas approfondi le côté physique de la question) est
celle que M. l’abbé Ulysse Chevalier a prétendu tirer de l’aveu
que, d’après l’évêque de Troyes Pierre d’Arcis (vivant au déclin
du XIV'’ siècle), son antéprédécesseur aurait obtenu de l’artiste
qui avait « peint » le Suaire.
Outre que toutes les particularités susceptibles d’être scienti-
fiquement contrôlées, qu’une patiente étude a permis de relever
sur le Saint-Suaire, sont d’une exactitude qui exclut a priori
l’hypothèse d’une fraude commise par un imagier du moyen
âge, il suffit, pour infirmer la thèse de M. Chevalier, de faire
remarquer que les constatations dont le Saint-Suaire a été
l’objet permettent de conclure qu’?7 7i'est pas une peinture. Dès
lors, ou bien il faut penser avec le Baron du Theil, M. Yignon,
M. Loth et le R. P. Eschbach, que le soi-disant aveu ne repose
pas sur une preuve sullisante, ou, s’il a pourtant été formulé,
qu’il s’applicpie à quelqu’une des imitations connues du Saint-
BIBLIOGRAPHIE
309
Suaire et, plus particulièrement, comme le suggère, avec beau-
coup de sens, M. Colson, à celle qui, vers l’époque même où
l’aveu aurait été reçu, fit son apparition à Besançon pour y sub-
sister jusqu’en J 794, époque où elle fut convertie en charpie sur
l’ordre de la Convention.
Nous pensons, en tout cas, que nul ne saurait désormais se
faire une opinion sur cette question si passionnante sans avoir
lu l’excellent exposé qu’en cette brochure, avec une si parfaite
compétence, M. Colson a su en donner.
P. DU P.
REVUE
DES RECUEILS PÉRIODIQUES
SCIENCES TECHNIQUES
L’état actuel de la traction électrique (1). — Les premières
applications de l’électricité à la traction des véhicules ne re-
montent guère à plus de 25 ans. C’est en elfet, vers 1887, qu’aux
États-Unis, Sprague, Van Depoel, Daft et Bentley Knight, pour
ne citer que les principaux promoteurs de cette industrie nou-
velle, eurent l’idée de remplacer les tramways à traction cheva
line par d’autres propulsés à l’aide de moteurs électriques. A
cette époque, où l’électroteclmie naissante sortait à peine du
laboratoire, et se trouvait encore dans la période expérimentale
préliminaire, cette initiative était hardie. Le développement
merveilleux et l’essor prodigieux que la traction électrique a
pris dans le monde entier, démontrent à l’évidence combien cette
entreprise fut couronnée de succès et combien elle fut féconde
en ses résultats.
Depuis les premières installations, beaucoup de progrès et de
perfectionnements ont été réalisés dans la génération et la distri-
bution du courant, dans la construction des moteurs et l’appa-
reillage des voitures. On s’est continuellement elforcé de réduire
le coût d’établissement et les frais d’exploitation tout en aug-
mentant le confort et la rapidité de ce mode de locomotion.
Anciennement, l’agencement complet d’une voiture de tramway,
consistant en deux moteurs électriques de 80 chevaux avec leurs
accessoires, revenait à 22 000 frs environ. On peut aujourd’hui
(1) General Electric Review, novembre 1913.
REVUE DES REGT’EILS PERIODIQUES
311
pour 6000 francs avoir une installation de même puissance,
d’une construction meilleure et d’un rendement plus avantageux.
Il est intéressant de noter à ce propos, qu’alors qu’au début de
la traction électrique, l’équipement d’une voiture coûtait plus
cher pai' le nouveau système qu’avec les chevaux, actuellement
c’est le contraire qui se passe.
Dans sa forme moderne, le tramway électrique urbain ordi-
naire à trolley, ne s’écarte pas essentiellement des principes
fondamentaux qui avaient été posés dès le début. Un seul
élément s’est modifié : le voltage, d’abord égal à 500 volts, s’est
graduellement élevé. Pétant donnés les moyens dont on disposait
à l’origine pour l’isolation des moteurs et le réglage de la com-
mutation, ain.si que la nécessité de réduire la perte en ligne, il
faut reconnaître que le choix de la tension de 500 volts fut on
ne peut plus heureux, et jusqu’en 1907 on n’éprouva pas le besoin
de dépasser 600 volts. Cependant, dans ces six dernières années
les conditions de la traction électrique se sont si profondément
modifiées que l’on a été amené à envisager l’emploi de voltages
plus élevés. Les réseaux des villes se sont beaucoup étendus, on
a construit des lignes pour desservir leurs banlieues, et le trafic
interurbain s’est fortement développé. Les progrès réalisés dans
la construction des machines et de l’appareillage ont permis
d’utiliser des moteurs à collecteur monophasés et des moteurs
à courant continu fonctionnant parfaitement sous J^0(t, 1500 et
même sous '2100 volts. Ces deux derniers types de distribution
du courant ont été fréquemment appliqués, et il est maintenant
établi que le courant continu à 1200 volts ne le cède en rien au
courant alternatif monophasé. Souvent même, il s’est montré plus
avantageux que ce dernier, qui coûte cher d’entretien et donne
lieu facilement à des dérangements. On a choisi 1200 volts poul-
ies lignes interurbaines, dans le but d’utiliser le même équipe-
ment sur le réseau en ville à 600 volts et hors ville <à 1200. On
fait alors usage de moteurs enroulés pour 600 volts mais isolés
pour une tension double ; suivant les cas on les connecte en
série ou en parallèle, de manière à conserver une vitesse con-
stante. De plus, le matériel fixe de la centrale et des sous-stations
reste le même qu’avant ; il sutfit de disposer les machines en
série et de les isoler pour la tension maxima. On emploie plus
rarement 1500 volts, potentiel de ligne qui n’est adopté que
(piand il y a un avantage marqué à faire une économie sur le
cuivre, et que l’on ne doit pas se raccorder à un réseau existant
à 600 volts.
312
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
11 est à présent ac([uis, que pour les exploitations de métro-
politains ainsi que pour les voies suburbaines à grand trafic, le
système dit à unités midtiples est celui qui convient le mieux.
Les trains sont formés d’une série de voitures portant chacune
un équipement électrique complet, qui peut être commandé de
l’une quelconque d’entre elles, ordinairement celle de tête. On
prend usuellement le courant continu à 600, 1:200 ou 1500 volts.
Ln ce moment une installation de l’espèce à 2400 volts est en
construction. Beaucoup d’exploitations de ce genre ont été pré-
cédemment montées avec courant alternatif monophasé, mais il
est fort probable que l’on n’équipera plus de ligne avec ce
système qui a dû céder le pas au courant continu.
Le remplacement de la traction à vapeur par la traction
électri(jue sur les grandes lignes de chemins de fer, commence tà
faire des progrès marqués. Les conditions sont ici tout autres
que pour les tramways et il est nécessaire de faire une étude
détaillée de chaque cas particulier. Les types d’électrification les
plus couramment employés sont : le courant continu tà 1200 et
2400 volts, le courant triphasé avec moteurs asynchrones et le
courant monophasé avec moteurs à collecteur.
Lu quatiâème système est en ce moment expérimenté ; il est
caractérisé par l’emploi d’un moteur d’induction triphasé qui
reçoit le courant d’une ligne monophasée. Un transformateur
statique spécial disposé sur la locomotive, a pour effet, au
moyen d’enroulements judicieusement établis, de créer les trois
phases nécessaires au bon fonctionnement du moteur. On retire
ainsi tous les avantages des machines triphasées : vitesse con-
stante et récupération de puissance, tout en ne faisant usage que
de deux conducteurs au lieu de trois. Le retour du courant
pouvant s’effectuer par les rails, un seul fil de ligne suffit pour
ce nouveau système qui est appelé à remplacer le triphasé par-
tout où son emploi serait jugé avantageux.
Le courant monophasé permet de réaliser des distributions
à potentiel élevé ; seulement, il est indispensable alors de prévoir
un transformateur sur la locomotive, les moteurs à collecteur
ne s’accommodant que d’une tension relativement basse. Leur
capacité étant limitée par suite des difficultés de réaliser une
commutation convenable, il est à prévoir que l’application du
monophasé aux grandes lignes ne se développera guère.
Le convertisseur à vapeur de mercure s’est montré si pratique
pour la transformation du courant alternatif en continu, qu’il
est probable qu’en suite des nouvelles recherches entreprises en
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
313
ce moment, sa capacité pourra être augmentée de telle sorte,
qu’il puisse se trouver à même de rendre des services en trac-
tion électrique. 11 remplacerait avantageusement les groupes
moteur-générateur dans les sous-stations ou, mieux encore, il
pourrait être disposé sur les locomotives équipées avec des
moteurs à courant continu et alimentées en monophasé à voltage
élevé.
Les lignes de distribution de courant alternatif avec retour
par les rails, surtout en monophasé, ont une action inductrice
assez prononcée sur les circuits voisins. F^our y soustraire les
lils télégraphiques et téléphoniques, on est souvent obligé de
faire des dépenses importantes qui gi'évent lourdement les frais
de premier établissement. Le courant continu ne donne de ce
chef aucun ennui et présente d’autre part une sécurité et une
régularité plus grandes. C’est là encore une raison pour entre-
voir l’extension qu’il est appelé à prendre en traction électrique.
La tension élevée de :2400 volts à laquelle on l’utilise déjà, le
rend aussi économique que l’alternatif, et des expériences en
cours montrent que, seules des considérations économiques et
non la dilliculté de construction, limiteront dans l’avenir la
tension acceptable.
Four l’électriücation des chemins de fer, deux systèmes
restent aujourd’hui en présence, chacun ayant ses avantages
propres, qui décideront du choix dans les cas particuliers. Ce
sont : le courant continu et le type mono-triphasé avec trans-
formateur spécial sur la locomotive. Ce premier présentant
cependant une complication plus grande que l’autre, on peut
affirmer, sans craindre de se tromper, que dans la majorité
des cas, ici encore, le courant continu sera préféré.
L’Éclairage public au gaz surpressé à Paris (1). — I^es
besoins de la vie moderne, dans les grandes villes, ont imposé
aux Municipalités l’obligation d’assurer un éclairage intense des
rues. Cette nécessité s’est surtout fait sentir par suite de l’iiabi-
tude qu’ont prise les grands magasins à prodiguer la lumière
dans leurs luxueux étalages en vue d’attirer la clientèle. L’œil
accoutumé à ces éclairages éblouissants, supporte de moins en
moins facilement la demi-obscurité des voies publiques et l’aug-
mentation de la puissance de leurs foyers d’éclairage a été
(1) Compte RENDU du 40™® Congrès de l.\ Société technique de l’in-
dustrie du gaz en Fdance. •
314
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
recoiimie indispensable. Dans cet ordre d’idées, Paris vient de
donner nn exemple intéressant qne beaucoup de villes telles que
Lyon, Marseille, Toulouse, etc. se mettent à imiter. Le gaz sur-
pressé est venu à point pour lavoriser ce développement de
l’éclairage public et il est actuellement de i)liis en plus utilisé
à la place de l’électricité pour cette a[)plication. Ün des prin-
cipaux avantages ({u’il présente, est la l'acilité de pouvoir réduire
la puissance des foyers aux heures de moindre activité, sans
cependant diminuer le nombre des points lumineux.
Les lampes à gaz surpressé comimrtent habituellement plu-
sieurs becs ; pour chacun d’eux, on trouve un injecteur h gaz,
une arrivée d’air réglable, une cbambi'e de réchaulï'age, un
brûleur à grille ; entin pour l’ensemble, il y a une gaine poul-
ies fumées, une cheminée de tirage, une veilleuse, un dôme et
un chapiteau. Deux allumeurs automatiques permettent d’effec-
tuer rallumage des manchons et l’extinction de la veilleuse au
moment de la mise en pression, le rallumage de la veilleuse et
l’extinction des manchons au moment du retour de la pression
ordinaire de la ville. Les lampes à trois bec.s, des types à 4(100
et :I000 bougies, sont montées sur des candélabres grand modèle
de 4 à 5 mèti-es de hauteur. Elles reçoivent deux alimentations
réunies tlans le socle au branchement unique par un robinet,
(iette disposition permet l’allumage automatique des trois man-
chons cà la fois ; à minuit un homme passe au pied de chaque
appareil et, par la manœuvre du robinet, éteint deux brûleurs.
Le troisième continue à éclairer jusqu’au moment de l’arrêt des
surpi-esseurs. Les lampes à deux becs, du type JOOO bougies, ont
également deux alimentations dans la lanterne. Un robinet à trois
voies permet d’éteindre un manchon sur deux à minuit. En
utilisant des appareils à mouvement d’horlogerie, toutes ces
manœuvres d’allumage et d’extinction peuvent être rendues
entièrement automatiques.
Les chambres de surpression sont actuellement au nombre de
trois, ce qui est sullisant pour assurer l’alimentation complète
du réseau. La première est établie en souterrain au Boulevard
Haspail, entre les rues de Yaugirard et de Fleurus. Elle est reliée
à la seconde située au Marché du Temple. La troisième, du
•Marché Saint-Didier, sera prochainement raccordée aux deux
précédentes. Chacune de ces stations comprend plusieurs unités
de surpression constituées par un moteur là gaz, un surpresseur,
et un régulateur à cloche ; les premières machines avaient une
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
315
paissance de 100 mètres cubes de gaz suri)cessé à l’iieure ; les
dernières installées peuvent fournir lOOO mètres cubes à riieure.
A la tin de J9J3, la puissance totale de cbacune des stations
était de : Uaspail, 1800 m^, '2 moteurs à gaz, 1 moteur électri-
que. Temple, 2000 m®., 2 moteurs à gaz. Saint-Didier, 400 m^.,
1 moteur à gaz.
La pression adoptée est de 1,(30 mètre d’eau. La canalisation
est constituée par des tuyaux en fonte de 0,162 mètre de
diamètre qui réunissent les cabines de surpression, et par des
conduites de 0,108 et 0,081 mètre de diamètre qui desservent
les voies éclairées.
Le développement de l’éclairage public par le gaz surpressé a
été à Paris très rapide et très important, comme le témoigne le
tableau ci-dessous.
Nombre de lampes
Années
de 1000, 2000 et iOOO bougies
Fin 1910
104
» 1911
373
» 1912
670
» 1913
1298
N.-D. — 75 7o environ des foyers installés ont une puissance
de 2000 bougies.
La Turbine à Gaz (1). — La production de l’énergie méca-
nique fait en ce moment l’objet de recherches continuelles et
les progrès se suivent avec une rapidité remarquable. Parmi
tant d’idées nouvelles qui sont émises, il devient dillicile de
distinguer à première vue les meilleures solutions proposées et
l’on se méprend parfois sur l’importance de certains facteurs.
11 est cependant des cas, où les résultats déjà acquis permettent
de se former une opinion et de prévoir la tendance de l’avenir.
L’évolution des machines à gaz nous en offre un exemple carac-
téristique. Sans crainte de se tromper, on peut affirmer que ce
que l’on recherche surtout aujourd’hui dans ces engins, c’est de
réduire leur poids pour une puissance donnée. Les merveilleux
exploits réalisés par l’aviation n’ont d’ailleurs pu l’être qu’à
partir du moment où ce problème a été examiné avec soin et
résolu d’une manière satisfaisante. Pour diminuer la masse des
(1) CiVSsiEn’s Engineering monthly, octobre 1913, vol. Xl.IV, n“ 4.
316
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
machines, deux méthodes peuvent être suivies : alléger autant
(jue possible leurs dilïérents organes constitutifs, ou les utiliser
(ians de meilleures conditions en vue du but à atteindre. C’est
principalement dans cette voie ([ue le progrès doit être cherché,
et c’est à cette méthode que l’on doit les moteurs à cylindres
rotatifs.
Ce raisonnement a amené tout naturellement les inventeurs à
reconnaître l’avantage (}u’il y aurait à réaliser la continuité de
l’etfort moteui', et de cette façon on est arrivé à la conception de
la turbine à gaz. D’autre part, les résultats splendides obtenus
avec la turbine à vapeur étaient bien faits pour encourager les
esprits scientifiques à réaliser son équivalent avec les gaz. Mal-
heureusement, les difficultés à surmonter ici sont bien plus
grandes qu’avec la vapeur, et le choix seul du cycle thermo-
dynamique à adopter, n’est pas des plus aisés. Si on admet que
la température des gaz à la fin de la détente est voisine de
700 degrés, on trouve les rendements suivants pour les différents
cycles applicables aux turbines.
)lumc initial
pression
MACHINES A EXPLOSION SOUS
VOLUME CONSTANT
M.ACIIINES A COMBUSTION SOUS
PRESSION CONSTANTE
Compression
adiabatique
Compression
isbthermi(iue
Compression
adiabatique
Compression
isothermique .
« :j>
P O
Rendements
Rendements
Rendements
Rendements
S 2
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05
05
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S
«
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C
05
b"
C3
O
'05
S
5
0,505
0,380
0,510 0,520
0,370
0,160
0,360
0,360
10
0,595
0,340
0,610 0,540
0,490
0,160
0,450
0,390
15
0,645
0,320
0,660 0,550
0,540
0,150
0,490
0,420
“20
0,654
0,300
0,680 ' 0,560
0,580
0,150
0,530
0,440
25
—
—
— ! —
0,630
0,150
0,540
0,445
30
—
—
— —
—
—
0,560
0,450
40
—
—
— —
—
—
0,590
0,470
REVUE DES RECUEILS PÊRI(3I)IQUES 317
D’après cette table, on voit qu’un rendement thermique élevé
est toujours compensé par un rendement mécanique minime.
Le cycle à combustion isotherme demandant une compression
exagérée doit être écarté à priori. Le cycle à combustion sous
volume constant donne avec la même compression initiale un
rendement supérieur à celui pour lequel la combustion se lait
sous pression constante. Cependant, l’ellêt utile final n’est pas
meilleur, par suite de ce que la température limite maximum de
combustion est rapidement atteinte. Le principal avantage qu’il
peut revendiquer pour son application aux turbines à gaz, con-
siste à permettre l’emploi d’un compresseur de dimensions
réduites. En pratique, cependant, les résultats ne sont pas aussi
favorables que l’indique la théorie, à cause de l’intermittence
du courant gazeux créé par les explosions successsives, ce qui
augmente les pertes calorifiques. En conséquence, les turbines
à combustion discontinue s’indiquent uniquement pour les
faibles puissances, quand il n’est pas nécessaire de procéder à
une compression préalable du mélange gazeux, et pour les-
quelles le rendement est d’importance secondaire. Le cycle à
combustion sous pression constante (type Diesel) avec compres-
sion isothermique préalable au moyen de compresseurs multi-
cellulaires, s’impose donc dans la majorité des cas.
La turbine à gaz comporte essentiellement un espace fermé
dans lequel se produit l’explosion ou la combustion d’un
mélange gazeux, qui est ensuite dirigé sur des organes appro-
priés pour recueillir l’énergie cinétique développée. Comme
pour les turbines à vapeur, on distingue des machines fonc-
tionnant par « action » et d’autres par « réaction ». Dans les
premières, le tluide moteur est entièrement détendu avant de
venir en contact avec les aubes sur lesquelles il agit quand il a
atteint sa vitesse la plus grande. Dans les types à réaction, au
contraire, l’énergie cinétique est utilisée au Dir et tà mesure de
sa production, et la vitesse des gaz n’arrive jamais à des valeurs
aussi élevées que dans la machine d’action. Par suite de son
principe même, elle doit nécessairement comprendre plusieurs
roues.
Pour réaliser une détente adiabatique, il faut utiliser une
tuyère dont la longueur exacte se détermine expérimentalement.
Si elle est trop courte, la détente est incomplète; si elle est trop
longue, il se produit des pertes d’énergie cinétique. On voit par
là, combien il est difficile d’obtenir un rendement élevé avec
une turbine à explosion ; la pression et la température initiale
318
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
varianl à cbacjiie instant, la tnyôre est tantôt trop grande, tantôt
trop petite et ira (pie rarement les dimensions convenables. On
ponri-ait surmonter cette dillicnlté en disposant plnsienrs cbam-
bres d’explosion qui viendraient alimenter nn réservoir maintenu
à pression constante et où déboncberait la tuyère. Seulement,
en prati([ue, cette solution ne donnerait pas de bons résultats,
par suite des pertes énormes de cbaleur qu’elle entraînerait et
du système de valves d’une conservation et d’une manœuvre
compliquées (pii seraient nécessaires.
Turbines à explosion. — (iette l'onne de turbines a attiré
un nombre d’inventeurs plus considérable que le modèle h
combustion continue, à cause de sa ressemblance plus grande
avec le moteur à gaz usuel. On peut les classer en deux caté-
gories, suivant ([ne le mélange gazeux est on n’est pas comprimé
avant cba([iie exjilosion. lœs [irincipaux tyjies de cette classe
sont ceux de : Griepe, Gsnault-Pelterie, Armengaud, Saint-
H(uive, de Karavodine, etc. Une de ces macbines les plus intéres-
santes est celle de M. de Karavodine. Klle comporte (piatre
cbambres d’explosion prolongées par une tuyère et munies d’une
enveloppe de circulation d’eau. Les gaz et l’air sont admis [lar
l’intermédiaire de soupapes réglaliles. A la mise en marcbe,
l’allumage est assuré par une étincelle électri([ue. La première
explosion est suivie de l’expulsion des produits gazeux, ce qui a
pour eb'et de [iroduire un vide relatif (jui [)rovo(|ue le remplis-
sage automati(|ue de la cbambre avec du mélange frais. La
jiartie supéi ieure, (pii n’est pas nd'roidie [lar l’eau, est bientôt
[)ortée au rouge et sert à rallumage (pii se produit à [lartir de
ce moment sans le secours d’une étincelle. Les détonations qui
s’y produisent ont été comparées à celles d’un canon Maxim,
dette turbine l'ait 10 0(10 tours [lar minute. Des essais très sérieux
ont fourni les résultats suivants : Duissance au frein de l’rony :
J,(j IIP. Résistances passives : 0,5 HP. Puissance totale dévelop-
pée par la macbine : ^,1 HP. Consommation d’air par beure :
0:2,5 mètres cubes. Consommation de pétrole par beure : 0,5 lit.
soit A, 7 kilos. Consommation spécilique par cbeval-beure :
2,4 kilos de pétrole.
11 est cà noter que dans ce type de turbine, la cbambre de
combustion n’est pas fermée au moment de l’introduction du
mélange gazeux. Dans ces conditions, la compression [iréalable
est im[)Ossible et les pertes de combustible sont élevées. Avec les
modèles où le mélange d’air et de gaz est comprimé avant
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
310
chaque explosion, il est à craindre que la température de l’en-
ceinte de comhustion ne s’élève pai' trop. Pour éviter cet
inconvénient, certains inventeurs ont réalisé des dispositifs
spéciaux à soupapes. La meilleure construction de ce genre est
celle de la turbine llolzwart, étudiée par les établissements
llrown et Boveri de Mannheim. Cette machine a été conçue pour
une puissance de 1000 chevaux à une vitesse de 3000 tours par
minute. Elle comporte une série de chambres d’explosion où
l’air et du gaz pauvre de 1000 à J'^00 calories au mètre cube sont
admis par des soupapes spéciales. La pression initiale obtenue
au moyen de pom[)es est de 1,5 kilo par centimètre carré ; elle
est portée à 7 ou 8 kilos au moment de l’explosion. Quand celle-
ci se produit, un clapet, pourvu d’un relai <à huile destiné <à
retarder sa fermeture, s’ouvre et donne accès aux produits de
la combustion vei'S une tuyèi’e de détente qui les conduit à la
roue à aubages. Loi’squela pi'ession est devenue égale à celle de
l’atmospbère, le clapet qui, par suite de la présence de la cata-
racte à buile, n’est pas encoi'e l'evenu sur son siège, laisse passer
un certain volume d’air qui balaye et l’afi’aichit l’intérieur de
la turbine. Celte macbine a encoi’e, malgi'é tout, un i-endement
fort bas : 11, % d’après l’inventeur même.
Parmi les autres appareils basés sur des principes analogues,
citons ceux de MM. Busch, Piiyeuyol, Fasbender, Floran,
de Yillepigne, Breuils, etc. Dans tous ces types les frottements
sont considérables et le l'endement mécanique est minime. En
l’ésumé, les tinliines à explosion n’ont pas jusqu’tà présent fourni
une solution satisfaisante du problème, excepté pour de faibles
puissances (luand la question du rendement est secondaire.
Turbines à combustion continue. — Avec ces macbines le
mélange gazeux est toujours comprimé avant son introduction
dans la chambre de combustion au moyen d’appareils indépen-
dants. On utilise souvent dans ce Imtdes compresseurs à pistons
(pii sont d’une construction simple et robuste. Ils s’indiquent
très bien pour les hautes pressions, mais leur encombrement
devient vite fort grand quand leur débit est considérable. Dans
ce cas, les compresseurs rotatifs multicellulaires les remplacent
avantageusement. Ils conviennent parfaitement pour les turbines
à gaz et peuvent souvent être disposés sur le même axe que
celui de la macbine principale. La pression de l’air y croit tbéo-
riquement en progression géométrique suivant le nombre de
roues, de sorte que sans devoir en arriver à des vitesses péripbé-
320
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
riques élevées, il est impossible de réaliser de fortes compres-
sions. Les principaux modèles des appareils de ce système ont
été établis par MM. Lemale, Bateau, Brown-Boveri, etc.
Quelques firmes, entre autres la Société .\rmengaud-Lemale,
utilisent pour comprimer l’air, une sorte d’injecteur alimenté au
moyen de gaz provenant de la chambre de combustion princi-
pale, ou d’une chambre secondaire. C’est là un disfiosilif
particulier qui ne s’est pas autant généralisé que l’emploi des
compresseurs.
Un certain nombre d’inventeurs ont étudié la turbine à com-
bustion, sans prendre des précautions toutes spéciales pour le
refroidissement interne de l’appareil. 11 en est résulté des échecs
qu’un examen plus attentif des conditions du problème aurait
certainement fait éviter.
Pour obtenir un rendement satisfaisant, il convient de
diminuer autant que faire se peut le travail de compression qui
vient en décompte de la puissance utile ; dans ce but, il faut
opérer sur un volume de gaz aussi faible que possible et à ce
point de vue il parait logique de faire usage de mélanges riches,
peu dilués, dont on limite la température de combustion ou
celle linale de détente. On y arrive, en refroidissant énergi([ue-
ment la chambre de combustion par une circulation d’eau ; cette
dernière emporte alors avec elle une quantité de chaleur sulli-
sante pour produire .sa vaporisation au moins partielle. Au lieu
de perdre la vapeur ainsi obtenue, on peut la mélanger au gaz
qui va travailler dans la turbine. C’est ce qui est réalisé dans
le type .\rmengaud-Lemale. La chambre de combustion porte
un revêtement en carborandum, séparé de la paroi extérieure
en acier par un garnissage isolant formé d’asbeste et de magnésie
calcinée. Par suite de la chaleur dégagée, le revêtement en car-
borandum porté au rouge, entlamme les gaz au fur et à mesure
de leur arrivée.
Pour réduire la température à la fin de la détente, on dirige
sur la roue de la turbine de la vapeur d’eau en même temps que
le gaz. Cette disposition est réalisée dans la machine de
.M. Windhausen, qui prévoit une injection d’eau dans les produits
de la combustion au moment où ils entrent dans la tuyère de
détente. Cette eau se vaporise instantanément et agit concur-
remment avec les gaz sur les aubages de la roue mobile. Des
solutions analogues ont été proposées par Holzwarth, Klotzen,
Parsons et Teyssedou.
La possibilité de remplacer Pair atmosphérique par de l’oxy-
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
321
gène, en vue d’arriver à un rendement supérieur, a été égale-
ment envisagée. En fait, on a rencontré certaines ditlicidlés
d’ordre technique et économique dans la mise en pratique de
cette idée, qui pour ces raisons n’est pas encore sortie du domaine
de la théorie.
Les aubages de roues, qui sont en acier spécial au tungstène
ou au vanadium, étant soumis <à des températures qui atteignent
et dépassent üOO degrés, doivent être refroidis. Dans la turbine
de M. Fullagar, ces pièces sont découpées hors de tubes d’acier
et martelées en forme de croissants. On les maintient à basse
température par une circulation intérieure d’air ou de vapeur.
M. VVei.ss utilise un procédé analogue. MM. Armengaud et
Lemale, comme M. Kerkau ont essayé, dans le même but, une
réfrigération au moyen d’eau.
On voit, d’après ce qui précède, que la question des turbines
à gaz préoccupe actuellement beaucoup d’esprits scientifiques.
De nombreuses solutions de ce captivant problème moderne ont
déjà été proposées, mais aucune d’elles ne semble jusqu’à pré-
sent avoir donné des résultats bien satisfaisants. L’avenir dira
si sa réalisation pratique doit rester un rêve ou est devenue
réalité.
La chaudière à vapeur de mercure (j). — Le mercui e,
liquide dans les conditions ordinaires, bout à 358 degrés et ses
vapeurs dont la densité est égale à 6,58 se condensent dans le
vide à 235 degrés. Ce corps se prête donc bien à la réalisation
d’un cycle thermodynamique, entre des températures sensible-
ment plus élevées que celles qui délimitent les transformations
thermiques auxquelles on soumet usuellement l’eau. Partant de
là, M. W. L. R. Emmet a cherché à faire usage du mercure
pour atteindre un rendement meilleur que celui que l’on
obtient avec la vapeur d’eau. Le dispositif qu’il a étudié dans ce
but, peut se schématiser comme suit : L’on chauffe du mercure
contenu dans une petite chaudière disposée au dessus d’un
foyer ordinaire; les vapeurs qui prennent naissance à une pres-
sion égale ou très voisine de celle de l’atmosphère, sont dirigées
vers une turbine spéciale qui entraîne un générateur électrique.
Elles passent ensuite dans un condenseur où, au contact de tubes
remplis d’eau, le mercure revient à l’état liquide. A cause de la
température élevée à la(juelle cette condensation se produit,
(I) General Electric Ueview, janvier et février 19t4.
IIP SÉRIE. T. XXVI.
21
REVUE DES questions SCIENTIFIQUES
3:^2
l’eau est poiTée à rébullitiou et la vapeur (pii se dégage sert à
alimenter une seconde turbine du type courant. On dispose l’in-
stallation de manière (pie le condenseur se trouve à un niveau
plus élevé ([ue celui de la chaudière, de sorte (pie le métal
li(pnde puisse y l'etourner aisément sous le seul effet de la
pesanteur, sans le secours d’une pompe.
La vaporisation du mercure se faisant à une température
beaucoup plus élevée (pie celle de l’eau, l’allure de la combustion
au foyer de la chaudière devra inévitablement être très vive et
si on ne prend pas de précautions on risijiie fort de perdi'e, par
le tirage, une notable (piantité de la chaleur dégagée. Pour
évitei’ cet inconvénient, à côté des appareils luincipaux on en
installe d’autres de récupération. Ceux-ci, au nombre de trois,
comprennent tout d’abord un l écliaulfeur où le mercure, venant
du condenseur, est déjà amené à une température voisine de
son point d’ébullition; ensuite, un surcliauffeur pour la vapeur
d’eau et finalement un économiseur ({iii échauffe l’eau du réfri-
gérant. 1)(* cette façon, on retire toute la chaleur possible des
produits de la combustion, et on ne les laisse s’échapper à l’air
(pi’à la température strictement sullisante pour assurer le
tirage.
Pour cette api»lication nouvelle, le mercure présente ({uekpies
inconvénients ipii, à première vue, semblent écarter toute idée
d’utilisation prati(iiie ; ce métal coûte foi't cher (il vaut main-
tenant à peu près (5,50 francs le kilo) ; ses vapeurs, même en
très petite (piantité, sont capables de vicier l’alrnosphére des
places où elles se répandent et peuvent ainsi entrainer la mort
par asphyxie. De plu.^, il n’est pas aisé de tenir le li(juide et ses
vapeurs dans une enceinte herméticpiement close et d’empêcher
radicalement les fuites.
Les nombreuses expériences ipii ont été réalisées, ont princi-
palement eu pour objet de chercher à éviter ces difficultés et
l’on peut dire (pi’actiiellement celle.s-ci sont pres(pie complète-
ment éliminées. Il n’y a [las de doute d’ailleurs (pie les essais
encore en cours n’écartent les tout derniers petits ennuis. La
chaudière a été combinée pour réduire autant (iiie faire se peut
la masse de mercure nécessaire et pour éviter les pertes. De ce
côté, on a maintenant tous ses apaisements et au point de vue
hygiéni(pie l’appai'eil n’offre pas plus de danger (jue beaucoup
d’autres d’un emploi courant dans l’industrie.
Les avantages (pi’otfre le mercure comme véhicule de la cha-
leur sont des plus importants et valent largement la peine (jue
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
323
l’on s’est donnée de lever tontes les diflicnltés qui s’opposaient
à son utilisation. >ious énumérerons ici les principaux d’entre
eux.
ï. — Le point d’ébullition de ce liquide est fort élevé et cela
pour une pression basse facilement accessible. Ce n’est pas le
cas pour l’eau qui conduit immédiatement à envisager de fortes
pressions, si on désire avoir une température initiale assez haute.
2. — La grande densité de ce corps permet de compter sur
la gravité pour son déplacement, la fermeture des soupapes,
etc. De plus, elle permet l’emploi d’un modèle de turbine très
simple ne comportant qu’une seule roue.
O. — Aux températures envisagées, il est complètement
neutre vis-cà-vis de l’air, de l’eau, de l’acier, etc., en général de
toutes les substances avec lesquelles il pourrait venir en
contact.
4. — Comme il ne contient aucun corps en solution, il ne
peut se produire ni adhérences ni incrustations sur les surfaces
actives de la chaudière qui demeure toujours parfaitement
propre.
5. — 11 ne mouille pas les aubages de la turbine, de sorte
(|u’il n’y a pas de corrosions à craindre de ce côté.
0. — A la température de condensation, son volume est tel
(pi’il n’exige pas, comme la vapeur d’eau, des dimensions exces-
sives des organes mobiles de la turbine.
Kn résumé, par la présence du mercure comme convoyeur de
chaleur entre le foyer et le condenseur, il est permis de tra-
vailler à basse i)ression et d’avoir une distribution très uniforme
de la température, deux conditions impossibles à réaliser avec
les chaudières ordinaires. Toute la chaleur fournie au mercure,
à l’exclusion de celle qui a été transformée en travail dans la
turbine, est retournée à l’eau du condenseur. On voit donc que
l ien n’est perdu et que, par ce fait, pour un nombre donné de
calories mises en œuvre on retire une puissance mécanique plus
grande qu’avec les générateurs usuels. Si pour une cause quel-
conque la turbine à mercure ne peut fonctionner, l’appareil ne
<loit cependant pas être arrêté. 11 sullit de diriger directement la
vapeur de mercure par une tuyauterie de by-pass vers le réfri-
gérant, pour avoir la vapeur d’eau dans des conditions aussi
économiques qu’avec les chaudières ordinaires.
Si l’on soumet le problème au calcul, on trouve que dans les
conditions normales, l’addition de la turbine à mercure donne
lieu à une augmentation de force motrice d’environ 66 %, avec
seulement une dépense supplémentaire de combustible de 15 7o-
324
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
En d’autres termes, le gain net réalisé est un accroissement de
44 ", O de la puissance produite par kilo de charbon consommé.
L’emplacement nécessité par la chaudière nouvelle et ses appa-
reils accessoires, n’étant pas sensiblement plus grand que celui
autrefois occupé par des générateurs de même capacité, on
pourra bien souvent en l’adoptant augmenter la puissance dis-
ponible d’une station centrale, sans devoir ériger des construc-
tions nouvelles. Des recherches expérimentales ont montré qu’il
fallait en moyenne évaporer JO kilos de mercure par kilo de
vapeur d’eau produite. Dans ces conditions la dépense serait
d’environ 50 francs de mercure par kilowatt produit à la turbine
auxiliaire. 11 est cependant fort probable que cette somme pourra
encore être notablement réduite.
L’application généralisée de ce nouveau procédé demanderait
des quantités énormes de mercure. Il n’y a pas toutefois lieu de
s’effrayer de cette circonstance, car ce métal est sullisamment
abondant pour que l’on soit à même de faire aisément face à la
demande sans donner lieu à. une augmentation exagérée du prix.
Les expériences qui ont été entreprises ont montré, que pour
faire absorber facilement au mercure la grande chaleur néces-
saire à sa vaporisation, il était indispensable de prévoir une
circulation active du liquide. Comme il ne mouille pas les parois
avec lesquelles il vient en contact, si on ne le force pas à se
déplacer continuellement, la vapeur produite en un point se
surchautfe fortement, et empêche la libre transmission de
chaleur au restant de la masse. Dour éviter cet écueil, on a com-
biné une chaudière spéciale comprenant essentiellement deux
séries de collecteurs disposés dans deux plans horizontaux et
reliés par de petits tubes aplatis incurvés. On diminue ainsi le
volume de mercure en jeu, on assure son évaporation rapide et
on met l’appareil h l’abri des tensions excessives résultant d’un
chaulïage irrégulier. Tous les joints sont soudés à l’autogène au
moyen de l’acétylène, de façon à avoir des raccords étanches et
résistants. Le métal liquide parcourt les différents éléments dont
se compose le générateur et est tout d’abord dirigé vers les
unités qui reçoivent le plus directement l’action du foyer.
Une installation d’essai d’une puissance de 100 chevaux a déjà
été construite suivant les principes ci-dessus développés. A part
les petites diliicultés inévitables à la mise en pratique d’un pro-
cédé aussi nouveau, elle a donné des résultats très satisfaisants
qui font bien augurer de l’avenir qui est réservé au générateur
à vapeur de mercure.
.M. Demanet,
Ingénieui’.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
325
MÉÏÉüROLO(ilE
Le « Weather Bureau » des États-Unis (J). — üii service
météorologique comporte deux ionctions essentielles : la con-
centration des renseignements météorologiques recueillis par
les postes d’observation ; la mise en œuvre de ces matériaux
et la dilfusion dans le public des résultats intéressants. Un
double courant s’établit ainsi : le premier, courant centripète,
issu de tous les points du réseau météorologique, et aboutis-
sant à un organisme ou bureau central; l’autre, courant cen-
trifuge, portant au plus grand nombre possible de points du
territoire intéressé la connaissance des caractères essentiels de
l’état météorologique du jour et les conséquences qu’on en peut
espérer ou qu’il faut redouter, au point de vue de l’agriculture,
de l’industrie et du commerce.
Décrivons dans ses grands traits cette double activité du
Wealher Bureau des États-Unis d’Amérique, rorgani.sation la
plus puissante et la plus libéralement dotée qui existe.
On peut juger d’abord de son importance aux crédits qu’elle
réclame. Elle émarge au budget du Ministère de l’Agriculture
pour une somme annuelle de huit millions de francs environ.
Son personnel compte plus de 800 fonctionnaires, et près de
IXlOO personnes lui prêtent leur concours gratuit ou rémunéré
par des indemnités mensuelles.
En vue d’assurer et de faciliter la récolte et la concentration
des observations quotidiennes, les Américains ont divisé le ter-
ritoire de l’Union en six districts météorologiques, possédant
cbacun une station primaire. Chacune de ces stations concentre
les données transmises par les stations secondaires du district
qui lui est dévolu. Celles-ci sont au nombre de 34 en moyenne
par district.
(1) La plupart des éléments de cette notice sont empruntés à une étude de
M.M. .Manley-Bendall et H. Perrotin, publiée dans la PiEVL E gé.nérale des
Sciences du 15 février 1914. — Voir aussi .M. Vandevyver, Lc.s' nouvelles
cartes du « Weather Bureau » de Washington, avec spécimens de la Dailg
U'eather map et de la Weather inap of the Northern hemisphere du 1 mai
1914; dans Ciel et Terre, P>ulletin de la Société belge d’Astrono.mie,
XXXV® année, n® 6, juin 1914, pp. 169-172.
326
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Les observations se font partout aux memes heures : 8 heures
et 20 heures (temps du fuseau horaire de Washington). Elles
sont expédiées sous forme de télégrammes chiffrés aux stations
primaires, qui, après les avoir réduites en tableaux, les commu-
niquent au bureau central établi à Washington. 11 est à peine
besoin d’ajouter que Washington reçoit aussi les informations
météorologiques des services étrangers. Mais en outre, le
Weather Bureau possède des stations météorologiques à lui en
.\hska, aux îles Hawaï, au .lapon, en Chine et aux Philippines.
A côté du service météorologique proprement dit, le Weather
Bureau dirige encore un ré.seau de stations climatologiques
très important. Douze districts climatologiques se partagent le
territoire des Etats-Lnis. Chacun d’eux est divisé en 7, 8 ou
t) sections, lesquelles concentrent les observations de 4500 sous-
stations.
A ces informations météorologiques générales le Bureau
central a joint encore un service spécial d’avertissement des
tempêtes. Cent quarante et une stations établies sur les côtes de
l’Atlantique, 41 stations sur les côtes du Pacifique, recueillent
les nouvelles météorologiques rapportées et communiquées par
les navires arrivant au port; en outre, 42 postes de T. S. E. sur
la côte de l’.-Vtlantique, 10 sur le Pacifique, 5 dans l’Alaska, et
2 à Porto-Hico reçoivent les informations venant du large et
transmises par les postes de bord. A cet effet, le Weather
Bureau a conclu un accord avec les grandes Compagnies de
Navigation transocéanique : désormais les paquebots font en
mer des observations régulières à midi (heure internationale de
Greenwich) et les communiquent par T. S. F. à Washington.
A l’heure actuelle, 2291 observateurs marins appartenant <à
2i nationalités différentes sont chargés de ces observations.
De l’avis des météorologistes américains, l’immense documen-
fation ainsi rassemblée est encore insuffisante pour assurer la
connaissance des régimes météorologiques et la prévision de
leurs caprices. Toutes ces indications, en effet, sont recueillies
au niveau du sol ; or, c’est dans la profondeur de l’atmosphère,
dans la couche de la troposphère s’étendant jusqu’à la zone des
cirrus, à 1(1 OOU mètres, qu’entrent en jeu les forces dont le
conflit crève les nuages et déchaîne la tempête. La solution de
l’énigme étant là-haut, c’est là qu’il faut aller la chercher.
Depuis 1902, au sommet du Mont Weather, à une altitude de
575 mètres, fut mis en service un poste de sondage de l’afmo-
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
327
sphère. Le programme de cet Institut aérologique est très vaste;
il s’étend à tout ce qui peut intéresser la vie de l’atmosphère :
depuis les études néphologiques jusqu’à l’ohservationde la radia-
tion solaire et de l’ionisation. Le poste est astreint en outre
à un service journalier d’information de la haute atmosphère.
\ huit heures du matin, quand le vent le permet, un train de
cerfs-volants Ilargrave, de ti à J i mètres carrés de surface por-
tante, suivant la force du vent, enlève jusqu’à une hauteur de'
1500 à 2000 mètres, les appareils enregisti-eurs de la tempéra-
ture, de la pression barométrique, de l’humidité de l’air et de
la vitesse du vent. Par temps calme, quand le lancer des Mar-
grave est impossible, des ballons-sondes captifs, de 1,50 à
2 mètres de diamètre, remplacent les cerfs-volants pour cette
exploration. Au cours des ascensions, les appareils sont main-
tenus arrêtés pendant une dizaine de minutes à dilTérentes alti-
tudes, afin de permettre aux enregistreurs de prendre leurs
indications en régime « d’équilibre ».
Enfin, dernier organe d’information du Wealher Bureau, un
service de crues des grands fleuves synthétise les résultats des
observations effectuées dans 450 stations, qui télégraphient
chaque jour à huit heures l’étiage actuel du fleuve, la variation
du niveau des eaux depuis la veille, la quantité d’eau et de neige
tombée dans la région drainée par le cours d’eau. Ces informa-
tions sont dirigées sur 60 postes primaires chai’gés de faire les
pronostics et de les communiquer en temps utile aux riverains
des régions dont ils ont la charge. Mans certaines parties de
l’Union, comme la Californie et la Floride, où la culture des
fruits est grandement intéressée à la connaissance des périodes
de pluies et de gelées subites, le Wealher Bureau organise des
services locaux chargés de faire sur place des prévisions locales
rigoureuses.
Cette arborescence magnifique et si abondamment ramifiée
des canaux d’information de la grande météorologique améri-
caine fait songer au système nerveux de l’organisme vivant,
dont les artères, se rejoignant de plus en plus, font confluer vers
le cerveau la multitude des impressions isolées recueillies à la
périphérie. 11 ne sera pas d’un moindre intérêt, pensons-nous,
de voir avec quelle généreuse libéralité et par combien de voies
inverses, l’organe central disperse ensuite vers la périphérie
le flux des informations accumulées et sagement élaborées,
de constater aussi quel rôle directeur et moteur important
328
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
jouent ces communications météorologiques dans la vie écono-
mique du peuple américain.
Vers huit heures et demie du matin, le télégraphe apporte
au bureau central de Washington, les données météorologiques,
recueillies une heure plus tôt et déjà partiellement synthétisées
par les six stations centrales de districts. Elles sont immédiate-
ment mises en œuvre, d’abord pour la confection des cartes
météorologiques, ensuite pour la prévision du temps.
Un mot d’abord des cartes météorologiques. Le bulletin
météorologique, publié chaque jour par le Weather Bureau,
a (il centimètres de largeur et 48 centimètres de hauteur. D’un
côté est tracée la Daihi Weather Map, carte météorologique
s’étendant au territoire entier des États de l’Union. Cette carte
porte les indications suivantes : isobares ou lignes d’égale pres-
sion barométrique (en traits continus noirs ; les hauteurs baro-
métriques sont inscrites en pouces anglais) ; les isothermes ou
lignes d’égale température (en traits continus rouges ; les indi-
cations numériques sont données suivant l’échelle Fahrenheit);
la position actuelle des centres de dépression ou de pression
avec le trajet suivi pendant les derniers vingt-quatre heures
et la direction actuelle de leur mouvement de déplacement
ttiaits noirs interrompus); les zones de variation brusque de la
température (entourées d’un contour pointillé rouge); les zones
nyant reçu île la pluie ou de la neige depuis la publication du
bulletin de la veille (zones teintées de gris); en chacune des
21)0 stations, l’étal du ciel au point de vue de la nébulosité, de
la direction du vent, de la présence d’orages. On peut regretter
pourtant ipie les tlèches qui marquent la direction du vent ne
portent pas en même temps l’indication de sa vitesse. Il est de
plus en plus important en vue des prévisions de pouvoir estimer
rapidement et de ?;/*•?< dans quel azimut, par rapport aux centres
de pression et de dépression, se présentent les vitesses « anor-
males », qui jouent un rôle capital dans la prévision des dépla-
cements, deiuiis que M. Guilbert a énoncé à leur sujet des lois
relativement très précises et très sûres. 11 existe d’ailleurs des
moyens très simples de faire figurer, sur les cartes, sans les
charger, des indications de la vitesse du vent. Les cartes météo-
rologiques quotidiennes, publiées par l’Institut royal de Météo-
rologie de Belgique, utilisent très heureusement à cet effet
l’empennage des tlèches qui marquent la direction du vent. Cet
empennage est formé d’un nombre de traits proportionnel à la
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
329
vitesse du vent. La carte du Weather Bureau porte en cartouche
des indications plus précises sur la pression barométrique, sur la
températui-e, sur les vents observés en chacune des stations, sur
l’étiage des cours d’eau dans les grandes villes riveraines. Un
tableau résume aussi les pronostics météorologiques. Nous
aurons h revenir plus loin sur les prévisions.
Pour le moment, retournons la carte. Nous avons sous les
yeux la Weather Map of the Northern Hemisphere, grande carte
météorologique synthétique très suggestive de tout l’hémisphère
boréal. C’est une « projection anglaise équidistante » centrée
sur le pôle. Le lecteur peu familiarisé avec ce genre de repré-
sentations cartographiques poui ra se la figurer de la manière
suivante : Au centre de la carte, le pôle nord. De ce point un
faisceau de 7'2 droites rayonnantes représente le système des
méridiens de cinq en cinq degrés. Les parallèles, tracés aussi de
cinq en cinq degrés, sont des circonférences concentriques
équidistantes ayant le pôle pour centre. La trame géographique
des méridiens et des parallèles ainsi constituée, et dans laquelle
viennent s’inscrire les contours des trois grands continents
boréaux, fait bien image et respecte sullisamment bien les aires
et la forme des contours. La carte américaine porte les indica-
tions suivantes : les isobares, qui sont gradués en millibars, unité
d’introduction assez récente dans la science et dont les météo-
rologistes européens ont dit trop de mal. Le bar est une unité
C. G. S. dérivée, équivalant à un million d’unités G. G. S. nor-
males, soit donc 10® dynes par centimètre carré. Le bar est
égal à la pression d’une colonne de mercure de 750"'00 de hau-
teur, donc, à très peu de chose près, à la pression barométrique
moyenne. Les météorologistes ont donc assez mauvaise grâce à
lui faire si pauvre accueil. Leurs préférences iraient-elles à une
graduation barométrique universelle en pouces anglais?
Sur la Weather Map les isobares sont tracés en noir, et de
plus, innovation heureuse, les centres cycloniques et anticyclo-
niques portent en grands caractères les indications respectives
« low » et « high », en sorte que l’on peut juger d’un coup d’œil
rapide de la répartition des cratères et des protubérances atmo-
sphériques, comme aussi, par le gradient, de la déclivité des sur-
faces isobares qui forment leurs lianes et sur lesquelles glisse
le vent.
Les isothermes sont tracés en rouge et gradués h l’échelle des
températures absolues (graduation centigrade augmentée de
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
278 degrés). Nous ne devinons pas l’avantage qui résulte de cet
emploi, inspiré sans doute par un souci de purisme scientiliqne.
Peut-être pourtant a-t-on voidn éviter les températures néga-
tives ; mais l’avantage n’est-il pas neutralisé par l’inconvénient
d’avoir à considérer tonjonrs des nombres de trois clniïres?
Kn tout cas il tant savoir gré aux dirigeants dn service améri-
cain, d’avoir voulu l'aire (eiivre scientifique internationale en
sacritiant leurs unités locales pour adopter des unités peu
usitées, il est vrai, par le commun des mortels, mais avec
lesquelles les hommes de science sont familiarisés sous toutes
les latitudes et à tonte distance du méridien de Washington.
Dans un coin de la carte nous pouvons lire le tableau des
éléments météorologiques ; pression, température, direction et
vitesse du vent, nébulosité et précipitations atmosphériques,
recueillis par 42 stations non-américaines, réj)arties sur toute la
surface du globe.
Ce bulletin météorologique porte donc à ses lecteurs, sous
une forme très intuitive, quantité de renseignements météorolo-
gicpies intéressants. Xous ignorons quel est le tirage du bulletin.
Il se chiffre probablement par dizaines de mille, et les journaux
américains le reproduisent chaque jour sous format réduit. Nous
savons en tout cas qu’on le rencontre partout aux États-Unis ;
il est allicbé dans les moindres gares, dans les « parlours » de
tous les hôtels, dans les ascenseurs publics, etc.; et il y a ses
lecteurs assidus et attentifs. Gageons pourtant que leurs regards
sont attirés surtout par le tableau des « prévisions n). C’est de ce
sujet qu’il nous faut dire un mol.
Tl y a d’abord des prévisions générales, faites pour un jour, qui
s’étendent à tout le territoire des Ctals-Unis ; elles annoncent les
déplacements des centres cycloniques, leur aggravation ou leur
résorption, et donnent une vue d’ensemble sur l’état de l’atmo-
sphère au-dessus du continent américain. Viennent ensuite des
prévisions locales, faites séparément pour 3(5 Etats différents.
Dans la durée elles ont une portée tantôt d’un jour, tantôt de
deux et parfois de plus encore.
Nous ignorons quelles règles président à l’établissement de ces
pronostics. Nous savons seulement qu’on enregistre en moyenne
de succès, dont quelques-uns semblent au non-initié tenir
du prodige. En particulier, comme les troubles atmosphériques
se déplacent presque toujours de l’ouest à l’est, les prévisions
pour les régions orientales du vaste territoire sont rarement
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
331
Ironvôes en défaut, car elles sont basées sur les observations
recueillies dans les l^tats de l’Ouest en amont du courani des
dépressions. La proportion des prévisions exactes y est de 9:2 “/o-
Les prévisions météorologiques sont transmises chaque, jour
à 10 heures du matin des centres de district à i2059 points prin-
cipaux, cbarg'és de les disséminer à leur tour. De plus, les
54()0000 abonnés du réseau téléphonique américain en reçoivent
communication orale sur simple demande adressée au bureau
central téléphonique de leur section.
Outre le service des prévisions générales, le Weather Bureau
a organisé une série de services de prévisions spéciaux répon-
dant cà des nécessités locales ou aux besoins de telle ou telle
industi’ie. Citons d’abord les prévisions de tempêtes. Les avis
sont dirigés par télégraphe sur plus de 200 stations côtières,
qui les transmettent à leur tour par signali.'^ation optique
ou par T. S. F. aux navires de la rade, lesquels se chargent
de les faire passer de proche en proche jusqu’aux navires
du large.
Les pi’évisions des crues sont laites par 17 bureaux centraux,
soit d’une manière continue, soit par intermittence. Elles se
font journellement et signalent généralement les crues une
semaine à l’avance.
Dans les territoires producteurs de fruits, où l’on doit en
assurer la dessiccation au soleil, la prévision des pluies est d’une
souveraine importance, car il suflit parfois d’une pluie impor-
tante pour ruiner la plupart des planteurs. Dans ces mêmes
régions les gelées tardives ne sont pas moins désastreuses. On
parvient généralement à les annoncer 12 ou 24 heures h l’avance.
Quand la gelée menace, les bureaux régionaux du service météo-
rologique restent ouverts toute la nuit et reçoivent par le télé-
phone tous les renseignements relatifs au déplacement des
courants atmosphériques. A l’approche d’une vague de l'roid, le
cultivateur est averti par télégraphe ou téléphone de tenir pi êts
ses foyers d’huile lourde, qui, convenablement disposés dans les
champs, pourront pendant la nuit couvrir les vergers d’une
épaisse couche de fumée et protéger ainsi les plantations contre
le refroidissement dû au rayonnement nocturne. Vers le soir,
le bureau régional transmet, s’il y a lieu, l’avis d’allumer les feux.
Des services analogues fonctionnent dans les régions coton-
nières où des bulletins journaliers de prévisions sont distribués
à profusion.
332
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Le service dimalologique édile le Monthly Wealher Review
contenant les observations climatériques moyennes du mois
écoulé ; températures maxima et minima, moyennes diverses,
pluies et neiges, orages, nébulosité du ciel, direction dominante
du vent. La revue publie en outjre de nombreux documents
statistiques, suivis de notices ayant souvent rapport à' rulilisa-
tion industrielle des agents naturels, eaux d’irrigation, chutes
d’eau, etc.
Pendant la période d’hiver, parait tous les mardis le Show and
Ice Bulletin. Une carte du pays porte la limite des neiges, l’épais-
seur de cette dernière, et celle de la glace sur les rivières et sur
les lacs.
Lutin, la section nautique du Wealher Bureau éà\ie]o\\rne\-
lement les Meteoroloyical Charts des océans. Ces caries four-
nissent aux navigateurslesplus précieuses indications concernant
la distribution des courants aériens, de la température, leurs
variations probables, les zones tà icebergs, etc. Les routes ma-
rines les plus avantageuses, étant donnée la distribution des
vents, sont indiquées aux voiliers ainsi que les moyens de se
dégager des vents dangereux ou de les éviter. En les suivant, les
navires à voiles abrègent souvent de 50 % 1h durée de la tra-
versée, et les indications sont si sûres que pour la traversée de
l’Atlantique, par exemple, les armateurs peuvent compter actuel-
lement en tout temps sur une vitesse commerciale moyenne de
7 à 8 no'uds à l’heure.
Le résumé, trop succinct peut-être, que nous venons de mettre
sous les yeux du lecteur, est cependant de nature à lui donner
une idée approximative de la libéralité prodigieuse du Wealher
Bureau dans la dilïusion des connais.sances météorologiques et
des prévisions ; mais il est naturel et légitime de se demander
si cette magnifique activité a un but précis et sérieux, et dans
quelle mesure elle parvient à le réaliser en fait.
N’insistons pas, c’est évidemment inutile, sur le côté purement
scientifuiue de l’action exercée par le Wealher Bureau ; elle a
pour effet nécessaire d’abord d’intéresser de plus en plus le
public aux problèmes à la fois si attrayants et si déconcertants de
la dynamique atmosphérique ; ensuite, la multitude des maté-
riaux accumulés permet de temps en temps de discerner quelque
loi nouvelle générale ou particulière de la physique de l’atmo-
sphère, autant de rayons qui, un à un, finiront par dissiper les
ténèbres et les mystères de l’aérologie. C’est ainsi, par exemple,
que le trajet des grandes vagues de froid se formant dans
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
les régions du nord-ouest de l’Union et celui des vagues du sud
qu’on appelle « Northers » du Texas, est déjà fort bien connu et
que Ton commence à démêler les causes de leur formation. On
a pu établir aussi que des variations brusques de pression sur
le Pacifique, à hauteur des îles Hawaï, entraînent cinq ou six
jours plus tard certains mouvements cycloniqnes sur la côte
occidentale de l’Amérique. Les déplacements de ces cyclones au
dessus du continent se font à la vitesse de 15 à 18 nœuds à
l’heure et dépendent, suivant des lois que l’on est parvenu à
formuler d’une manière déjà très précise, de la distribution
préalable des pressions sur le continent.
Tout grand qu’il soit, cet intérêt évident de la dilTusion des
connaissances météorologiques, assurée par les soins du Wealher
Bureau, le cède peut-être encore à l’intérêt économique de ses
« prévisions ». L’habitant de la vieille et traditionnelle Europe
a peine à concevoir l’inlluence d’un facteur comme la prévision
de la pluie ou du beau temps sur les entreprises d’ordre écono-
mique. Cela tient d’abord, sans doute, à ce que les exploitations
agricoles n’ont pas chez nous l’étendue et l’homogénéité qu’elles
ont en Amérique. Si, dans nos contrées, la pluie ou la séche-
resse dévastent une récolte, il arrivera presque toujours que les
mêmes conditions auront été favorables, au contraire, à la cul-
ture de l’exploitation voisine, généralement dilTérente de la pre-
mière; si bien que les plaintes d’un producteur se trouvent
pratiquement compensées par la satisfaction de son voisin. Il
n’en est pas de même aux États-Unis, où des régions immenses
sont exclusivement consacrées à une même culture et où la pluie
et le beau temps font souvent la ruine générale ou la prospérité.
Un autre motif de notre inertie européenne est le scepticisme
avec lequel nous accueillons trop souvent les prévisions des
météorologistes. Ceci tient un peu, il est vrai, à la météorologie
européenne elle-même, qui s’éveille à grand’peinedu sommeil de
la routine et qui manque d’esprit d’organisation et d’ensemble.
Citons quelques exemples de l’importance économique d’un
service de prévisions sérieux et des avantages qui en rejaillissent
à la fois sur le commerce, sur l’industrie et sur la navigation.
En J 897, les riverains du Bas-Mississipi, prévenus environ
une semaine à l’avance de la crue du tleuve, purent sauver de
l’inondation environ 75 millions de francs de bétail et de
récoltes. Les entreprises de navigation, de flottage des bois, les
334
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
iiislallatioiis hydrauliques de force niolrice le long des rivières,
recourent à chaque instant aux prévisions du Weat lier Bureau
avant d’accepter une entreprise ou de signer un contrat. Les
compagnies de chemins de fer n’organisent leurs expéditions en
masse de marchandises sensibles comme les fruits et le poisson,
exposées à être gâtées par quelques heures d’insolation, que
d’après les indications du service du bureau météorologique.
Les expéditeurs d’onds et les brasseurs mettent aussi à profit
l’annonce des vagues de froid pour faire leurs envois. A Saint-
Louis, centre cotonnier, la Bourse ne commence ses travaux
qu’après la réception du Bulletin du Ministère de l’Agriculture.
Dans les régions fructifères de la Californie, le succès d’une
récolte dépend presque uniquement du bureau central voisin et
de l’exactitude de ses informations. Un estime à JfiO millions les
pertes évitées en cinq ans aux planteurs de Californie par le
seul bureau de San Krancisco. Bien (ju’e)i 1!)10, la Californie a pu
.sauver, grâce aux prévisions météorologiques, pour 200 millions
de fruits, fin Floride, l’annonce d’une tempête a fait sauver en
une nuit, par une cueillette hâtive, 500 000 francs de fraises. La
prévision d’une vague de froid s’abattant sur les côtes du
.Mexique a épargné i)lus de 15 millions de francs.
Il est impossible d’évaluer le nombre de désastres maritimes
évités grâce aux renseignements sur la marche des cyclones
communiqués aux navires en partance. Enfin l’essor nouveau
pr is en ces derniei'S temps par la navigation à la voile est di'i en
gi'ande pai'tie à la sécurité et à la i-égidarité de mai’che des
navires qui résultent de la prévision des conditions météoi’olo-
girpies et du régime des vents, soit normal, soit ti’oublé, à la
surface des océans.
L’omvi'e entreprise par' le Weat lier Bureau est donc aussi
bierd'aisante (pt’elle est immense. Elle a pu se réaliser gr-âce à
rrrnité de vires qui gr'oujie tous les Etats de l’imion. Elle laisse
loin derrièr'e elle, les institutions météor’oiogiques eui’opéennes,
confinées, par la force des choses, à l’intérieur d’étroites fr'on-
tières, hélas ! tr-op jalousement gar dées.
Souhaitons 'voir .se l'éaliser un jour une entente plus com-
plète des institrrtions météorologiques européennes en vue de la
constitution d’un Wealher Bureau européen, pendant de la
magnifique or’ganisation trans-atlantique !
W. T.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
335
ASÏROXOMII*:
Les Hypothèses cosmogoniques modernes. — Ce n’est
point une cosmogonie nouvelle que nous propose M. Véronnet
dans la Revue de Philosophie (1), mais une étude sur les
cosmogonies. Son élude relève des Leçons sur les Hypothèses
cosmoyoniques de II. Poincaré, qu’elle tend à compléter.
« Poincaré était trop mathématicien, écrit M. Véronnet, pour
se contenter de l’â peu près dans la solution du problème
(cosmogonique), et ici ce ne sont guère que des aperçus plus ou
moins plausibles qui nous sont permis. Aussi Poincaré s’est-il
cantonné fort sagement dans un rôle de critique. 11 a déblayé
ainsi le terrain de toutes les constructions caduques, en ne
laissant que les parties solides sur lesquelles on pourra dé.sor-
mais essayer de construire.
» Chi’il me soit permis ici d'e.xprimer un regret. C’est que les
exigences d’un cours de mathématique (2) n’aient peut-être pas
permis à H. Poincaré de donner le même développement aux
conditions physiques des problèmes et aux objections que l’on
peut en tirer contre certaines hypothèses, comme celle de
Laplace en particulier, ou certains détails de ces hypothèses. »
Le but de M. Véronnet est de combler cette lacune, de « com-
pléter la critique mathématique des hypothèses par l’étude
scientilique de leui-s conditions physiques. »
En outre, il lui a paru que Poincaré n’avait pas donné « à
l’hypothèse de Kant, la première en date et celle qui contient
tous les éléments essentiels de la solution, le développement
que son importance semblait lui valoir. » Pour M. Véronnet
Kant ne fut pas seulement un «précurseur», son œuvre n’a
pas uniquement aujourd’hui une valeur historique, « elle mérite
de rester et d’être plus connue ».
(1) Avrit 1913-, janvier 1914. Tiré à part : Les Hypothèses cosmogoniques
modernes, par .Alex. A'éronnet, docteur en sciences. Un vol. in-8° de 171 pages.
— Paris, A. Hermann et Fils, 1914.
(:2) l.es Leçons de Poincaré reproduisent son cours de .Mécanique Céleste à la
Sorl)onne, en 1911.
33(3
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Cinq chapitres se partagent le livie de M. Véronnet. Dans le
premier, intitulé Les données du problème, il rappelle les lois de
Képler, le principe de l’attraction universelle et « les trois
quantités invariables ou indépendantes de toute hypothèse ; la
masse totale, le moment de rotation, l’énergie de condensation,
ou l’énergie dépensée )).
Le second chapitre est consacré à un ample exposé de
V/iypolhèse de Kant, «précurseur de Laplace sur beaucoup de
points ».
Vient ensuite, dans le troisième chapitre, Vhypothèse de
Laplace. « L’étude scientifuiue (de cette hypothèse) n’a été faite
qu’après lui » ; ses défenseurs « ont dû la corriger sur des points
essentiels. Les corrections dans ce qu’elles ont de bon, la rap-
prochent de celle de Kant. »
I.es autres hypothèses, celles de Faye, du Colonel du Ligondès,
de M. Belot, de M. See et de Darwin sont brièvement exposées
dans le chapitre quatrième.
p]nfin, le dernier chapitre aborde Vévolution du Soleil et de
la Terre : Condensation d’une nébuleuse cosmique. Histoire
spéciale du Soleil. Histoire de la Terre et de sa chaleur. Kvohi-
tion des étoiles et des nébuleuses.
On le voit, c’est le problème cosmogonique général, qui est
ici envisagé, du moins dans ses grandes lignes; l’auteur n’a pas
la prétention de l’épuiser. S’inspirant d’un sage éclectisme, il a
choisi dans les dillérents systèmes, et cherché à grouper les
éléments qui lui ont paru les plus solides, et les conjectures les
plus vraisemblables <à ses yeux. Voici ses conclusions ; nous
nous bornons tà les transcrire.
«Dans cette criti(pie des hypothèses cosmogoniques modernes,
je me suis efforcé d’abord de résumer et de mettre en relief les
résultats du magistral travail de Poincaré, pour bien monirer les
limites qu’il avait tracées à la probabilité de ces différentes
hypothèses et de leurs lignes principales. On m’excusera d’avoir
essayé, en certains points de détail, d’y ajouter l’cpiivi'e d’un
modeste calculateur plutôt que mathématicien. Ces calculs pra-
tiques et simples n’ont aucune prétention, sinon celle de préciser,
par des chiffres réels, les résultats des formules mathématicpies.
On peut ainsi se rendre compte d’une fa^on plus nette de
l’importance relative de tel ou tel phénomène, de l’inlluence de
telles ou telles conditions i)hysiques.
»Ceci est surtout frappant dans l’histoire spéciale du Soleil
et de la Terre étudiée dans le dernier chapiti'e. Par exemple, le
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
337
refroidissement d’un astre est certainement retardé par le tra-
vail de contraction qui se produit quand il diminue de
volume, travail qui se transforme en chaleur. Mais, pour la
Terre, ce travail est insignifiant et ne régénère pas le dixiéme
de la chaleur perdue par refroidissement. Pour le Soleil au
contraire, eu égard à sa masse, ce travail est énorme. 11 four-
mais les j'qqq chaleur perdue par
9 . 999
nit, non pas les '
son rayonnement. Le refroidissement demande lO(X) fois plus
de temps, et ce phénomène suffit pour explicpier la conserva-
tion de sa chaleur pendant des millions d’années.
» C’est ainsi encore que le calcul montre comment la nébu-
leuse gazeuse et chaude de Laplace était impossible, car les
éléments qui ont donné naissance à la Terre exigeraient une
température d’au moins 30Ü(P pour se maintenir à l’état gazeux.
Or l’astre central ne pouvait foui-nir la quantité de chaleur
nécessaire sans perdre, en quelques années seulement, toute
l’énergie que sa condensation a pu lui fournir depuis l’origine.
» Si nous parcourons maintenant d’un coup d’œil rapide le
double travail accompli, nous pouvons résumer ainsi qu’il suit
les différentes idées à con.server, les grouper en un tout assez
cohérent dans sa généralité, et mettre dès lors en relief la part
contributive de chaque auteur dans Vessai provisoire, qui
semble actuellement rendre le mieux compte de l’origine de
notre univers, si grandiose dans son admii'able et si simple
organisation.
» Gomme point de départ, nous adopterons nécessairement la
nébuleuse primitive de Kant. Nous supposerons toute la matière
qui forme actuellement le Soleil, les planètes et les étoiles
disséminée dans l’espace occupé par; ces astres. La densité est
tellement faible que les molécules élémentaires n’exercent
aucune action directe les unes sur les autres, aucune pression.
Nous n’avons pas un gaz, mais une poussière d’éléments. Toute
la nébuleuse est froide, absolument froide, au zéro absolu. Ces
molécules ne sont soumises qu’à une seide force, l’attraction (l).
(1) « Ces molécules sont elles-mêmes des systèmes très complexes, plus com-
plexes peut-être que nos systèmes stellaires, et dont la formation par voie
d’évolution a peut-être été encore plus longue. Mais nous manquons d’élé-
ments pour l’étude vraiment scientifique de cette évolution, que Crookes a
essayé de retracer. Nous prenons donc, faute de mieux, les molécules toutes
formées, plongées dans le milieu d’électrons répulsifs, en équilibre et immo-
biles, qui leur a donné naissance, et que nous appelons l'éther, transmetteur
général des ondes lumineuses, calorifiques, électriques, etc. »
IIP SÉRIE. T. XXVI.
22
33S
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
4’hacune d’elles attire toutes les autres et est attirée par toutes,
fùilin toutes ces molécules sont au repos. 11 est inutile du moins
■<le leur supposer un mouvement quelconque, de leur donner
une vitesse déterminée, dans une direction déterminée. La
matière et son attraction, voilà les seuls éléments dont nous
iivons besoin, pour expliquer tous les mouvements et toutes les
Jbrmations ultérieurs.
» Nous n’admettrons pas de limite pour notre nébuleuse.
iNous ne lui donnerons aucune forme spéciale. Nous admettrons
-seulement qu’il s’y trouve, de loin en loin, des régions où la
<lensité est plus forte que la moyenne, d’autres où elle est
moindre. Que la dilférence soit excessivement faible, peu
importe. Le temps seul en sera accru, l.es régions à faible den-
siité seront des zones de déchirure, les régions à forte densité
<ies centres d’attraction prépondérante, c’est-à-dire des centres
4\e condensation, germes des étoiles futures.
)) Chacun de ces centres, par son attraction, fait le vide au-
tour de lui, en absorbant peu à peu les molécules de sa région.
.Vlors se dessinent les nébuleuses particulières qui donneront les
«étoiles, les amas stellaires se séparent, les voies lactées se diffé-
rencient. lie plus, chacun de ces centres agit sur tous les autres.
tSi l’amas stellaire n’est pas absolument sphérique, le mouve-
ment de chacun d’eux se traduira par une rotation complexe
^autour du centre de l’amas, comme dans la condensation d’un
ellipsoïde, par exemple. Il en sera de même pour le mouvement
des amas stellaires à l’intérieur de la Voie lactée (1).
» Il en sera de même également pour les molécules des nébu-
leuses paiticidières. .Attirées par leur centie, qui lui-même se
iléplace, elles transforment leur trajectoire presque rectiligne
en une trajectoire curviligne. Ces divers mouvements de rota-
tion se combinent, pour chaque nébuleuse, en un mouvement
de rotation unique, tel que le moment de rotation total de
toutes les nébuleuses soit nul.
» .Mais des centres de condensation plus faibles se sont égale-
ment formés à l’intérieur de chaque nébuleuse particulière, pen-
dant sa condensation. Ils tendaient vers le centre suivant des
trajectoires allongées, comme les autres éléments de la nébu-
(1) « li’étiiile lies trajectoires des molécules ou des étoiles l'ormaiit utt
ellipsoïde homogène, est due au Colonel du l.igondès. — .Vu moment du
maximum de concentration en disque, comme la Voie lactée actuellement,
les étoiles seraient heaucoup plus rapprochées les unes des autres qu’à
l’origine. »
Revue des recueils périodiques
389
leuse, comme nos comètes actuelles. En arrivant vers le centre,
ils ont l’encontré le milieu résistant de la nébuleuse plus dense,
ce qui a eu pour etl'et de les rapprocher du centre et de rendre
leur trajectoire à peu près circulaire. La démonstration de ce
lait est due tà Faye et à See. Telle est l’origine de la Ibrmalion
des planètes.
» -V leur tour, elles donnèrent naissance à leurs satellites et
de la même manière, (leux-ci durent se former en elfet à l’inté-
rieur de la nébuleuse de la planète, comme celle-ci h l’intérieur
de la nébuleuse solaire. Les satellites rétrogrades, cependant,
durent être captés (f’oincaré), mais avant que la planète fut
complètement condensée, alors que sa nébuleuse ollVait un
milieu suffisamment résistant. Nous n’avons nulle part besoin
des anneaux de Laplace, qui ne pourraient ni se former ni se
concentrer, comme on l’a vu.
» Nous avons vu également que la rotation des planètes pour-
rait être directe ou rétrograde, aussi bien dans le cas de Laplace
que^dans celui de Faye, suivant le point où se forme le centre
de condensation. Fn tout cas, Faye a sutlisamment expliqué la
rotation rétrograde des planètes extérieures, en admettant
qu’elles se sont formées à l’extérieur de la nébuleuse, et la
rotation directe des autres formées à l'intérieur. Avec la forma-
tion des planètes indiquées plus haut l’explication est simple.
C’est la résistance du milieu qui a rendu leurs orbites circu-
laires. ("Jr cette résistance était plus grande vers l’intérieur à
cause de la densité croissante. De Là la rotation directe de la
nébuleuse planétaire et de la planète, avec exception possible
pour les plus éloignées, dont nous ne connaissons pas le sens
de la rotation..
» L’anneau de Saturne s’est formé, comme l’explique Kant,
des éléments de l’é([uateur de la planète encore liquide, quand,
par la contraction, la force centrifuge est arrivée à contre-
balancer la pe.santeur. On doit à Laplace l’idée fondamentale
que la contraction augmente la vitesse de rotation et par consé-
quent la force centrifuge. Si la Lune nous tourne toujours la
même face, c’est que le frottement dû aux marées produites
par la Terre sur la Lune, a rivé les deux rotations l’une à
l’autre (Kant), il ne semble pas que cette action des marées,
généralisée par Darwin, ait exercé une autre action cosmogo-
nique appréciable.
» Les comètes se sont formées à la périphérie de la nébuleuse
solaire, ou plutôt ce sont des lambeaux chaotiques qui se sont
340
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
détachés tardivement des régions où l’attraction de deux centres
tendait à se taire équilibre. Ainsi retardés, ils sont venus
elfectuer leur premier virage autour du Soleil, quand la nébu-
leuse était déjà condensée. Ils ont rencontré un milieu vide sans
résistance, et conservé la même trajectoire allongée.
» On ])eut admettre également (|u’un immense lambeau, resté
suspendu entre deux centres d’altraclion, a fini par être attiré
|iar l’un d’eux, iiour pénétrer dans sa nébideuse en produisant
des Irainées en s[)iiales, puis linalement par donner naissance
aux planètes. Ce serait un rajeunissement de la vieille hypothèse
de Hulïbn, expliquant les iilanètes par l’action d’une comète qui
.serait venue frôler la surface du Soleil.
» .Nous n’avons indiqué ipie les grandes lignes de la forma-
tion du monde et des mondes. La plupart de ces grandes lignes,
pour ne pas dire toutes, avaient déjà été tracées magistralement
par Kant. 11 sutlisait de les remettre an point. 11 a donné, en
elfet, de la genèse des astres, à partir de la nébuleuse primi-
tive, également de lui, une vue d’ensemble qui est encore
extrêmement satisfaisante, comme on vient de le voir. 11 a essayé
d’expliquer les mouvements de concentration et de rotation par
la seule attraction. .Aucun autre après lui ne l’a même tenté. En
tout cas son hypothèse est incomparablement plus simple et
plus générale (pie la nébuleuse de Laplace avec son Soleil déjà
condensé, son mouvement de rotation déjà acquis on ne sait
comment et tinalement les fameux anneaux qui seraient restés
éternellement des anneaux, comme ceux de Saturne, c’est-à-dire
des essaims plus ou moins denses de [ilanètes télescopiques,
sans jamais donner naissance à de vraies planètes.
1) Il semble bien, comme le remarque Poincaré quelque part,
([u’il soit téméraire pour le moment de vouloir pousser plus
loin les essais d’explication, d’essayer de rendre compte de plus
de détails, de la masse ou de la densité des planètes, de l’incli-
naison de leurs axes de rotation ou des plans de leurs orbites.
Il faut signaler toutefois les formules remarquablement précises
sur quelques-uns de ces points, (pie Belot a déduites de son
hypothèse, la pénétration d’un tube tourbillon dans une nébu-
leuse amorphe. Il semble qu’on obtiendrait plus facilement et
de fa(}on plus plausible les mêmes formules par la pénétration
d’un lambeau périphérique à l’intérieur d’une nébuleuse, avec
épanouissement en éventail dans le plan de l’écliptique, suivant
l’hypothèse indiquée plus haut. En tout cas, ces formules, qui
resteront, doivent être une base de recherches pour l’avenir. »
REVUE DES RECUEILS PERIÜDRJUES
34i
,1e laisse au lecteur le soin de peser ces conclusions (jui, sous
leur simplicité apparente couvrent maints problèmes bien
embarrassants.
M. Alex. Yéronnet ne parle pas, dans son étude, de William
llerscbel ; la raison en est évidente : rillustre asti’onome anglais,
qui a tant observé le ciel, ne nous a pas donné, à proprement
parler, d’hypothèse cosmogonique. Mais il a ajouté cà ses décou-
vertes les remarques suggestives sur la genèse et l’évolution
des amas d’étoiles et des nébuleuses. Ses idées sont dispersées
dans ses nombreux mémoires des Philosophic.\l Tr.\ns.\ctions,
et c’est à cela, sans doute, qu’elles doivent de n’avoir pas retenu
l’attention.
.M. G. .1. G. See étudia les mémoires de AV. Herschel en 1901),
au moment de terminer le second volume de ses Hesearches on
Ihc Evolution of lhe stellav Systems, i9i0. Il les a trouvés très
importants pour l’étude de l’évolution céleste ; il s’en est inspiré
et, par les développements qu’il leur a donnés, il en a tiré un
parti excellent. On lira avec intérêt l’article The law of nature
in celestial évolution que l’astronome américain a publié sur ce
sujet dans la revue SclE^’TI.\ 1, III, 1914, pp. 1159-186. A'oici les
différents paragraphes qui se partagent cet article :
1. L’étude des amas d’étoiles conduit à la loi fondamentale de
l’évolution sidérale. — II. Les vues d’Iierschel auraient dû être
préférées à celles de Laplace. — III. Idées d’IIerschel sur l’ori-
gine des amas. — IV. La méthode d’ilerschel pour la détermi-
nation de l’àge d’un amas. — A'. La théorie d’IIerschel-See de
la capture des étoiles grâce au pouvoir de la gravitation uni-
verselle de former des amas. — Ad. Le phénomène de la capture
produit aussi l’arrangement de la structure interne d’une néhu-
leuse en couches concentriques d’éclat uniforme. — VU. La lu-
mière des nébuleuses est due en partie à la lumine.scence à basse
température, comme dans les décharges électriques dans le vide.
— VIII. La théorie de la cai)ture dans l’évolution sidérale est
essentiellement un développement des idées d’Herschel. —
IX. Les conceptions cosmogonitiues d’ilerschel négligées à
cause de la plus grande accessibilité des œuvres de Laplace. — •
.X. Le récent mouvement pour la réédition des œuvres com-
plètes d’ilerschel. — XL Liste succincte des principales autorités
en cosmogonie destinée à faciliter l’étude de celle-ci. —
XII. I œs systèmes sidéraux sont mis à l’abri de la force destruc-
tive provenant de la gravité par l’action des forces projectives.
342
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
L’exposé (le M. See n’est ni très (^lidactiqiie, ni très clair;
mais le désir qu’il éveille de lire les mémoires d’Herschel est
excellent : on y trouvera plaisir et profil.
Ce que l’on disait du mouvement de la Terre au
XIV“ siècle (1). — « Les historiens de la science et ceux de la
philosophie ont trop longtemps représenté le moyen âge, faute
de l’avoir étudié, comme une èrt' d’indifférence scientifique,
comme une ahdicatioii de la raison humaine, comme une longue
nuit sans étoiles.. .
« Les admirahles éludes historiques de M. Didiem ('2) sont
venues, au prix d’un inlassable labeur, faire justice de cette
légende... C’est, pour toute une époque, l’histoire des origines
scientifiques et des théories philosophicpies entièrement renou-
velée )).
Copernic, Calilée et même Léonard de Vinci ont eu, au
xiv'= siècle, surtout au sein de rCniversité de Paris, des « précur-
seurs » de grand mérite.
« .Vu premier rang, parmi ces bons ouvriers, .M. Duhem a très
justement distingué : .lean Huridan, l’inspirateur de Léonard de
Vinci et de (ialilée, l’im des fondateurs authentiques de la
dynamique moderne; .Nicole Oresme ([ui près de deux siècles
avant Copernic, soutient avec une inébranlable fermeté la possi-
bilité de la rotation de la terre, et ([ui, trois siècles avant
Descartes, imagine et a[)pli(|iie la théorie des coordonnées.
» Malheureusement, iioui suit le H. P. Hulliot, leurs écrits sont
presque introuvables. niieh|ues rares exemplaires des œuvres
imprimées, jalousement conservés par les grandes bihlio-
thè([ues; pour le reste, c’est-à-dire [(our une part très considé-
rable, encore inédite, des manuscrits en petit nombre, dispersés
par toute l’Lurope : et c’est tout. Pour remédier, dans la faible
mesure de nos forces, à celle extrême pénurie, pour faciliter
aux maiires de l’enseignement chrétien, ainsi qu’aux éiaidils.
(I) .1. Ilulliol, Jean liin iilan et le inoueeinent de la Terre, (luextîon ‘22’' du
xecond livre du v. De 6V/o»;ilans la Uevce de I’iulosoi'Hie, XI V® aiini'o,
11" 7, 1 jiiillel 1914, PI). 5-'2i.
(:2) Tc.s Drif/ines de la Stali(iiie, dans la Iîevue des Questions scient.
Oflol)i-e liH)!} à jnillel I90(); tii-és à jiart, 2 vol., Paris, \ tlermaim. - ÊIndea
sur Leonard de t inci, 3 vol., Paris, ,V. Hermann, I90H-I9I3. — Le Sj/slènie
du Monde. “2 vol. parus, l*aris, A. Hermann, 1913-1914. - .\rtirles sur le
Mouvement absolu el le Mouvement relatif, sur le Temps et le Mouvement
chez les Scolastiques, dans la Hevue de Piui.osorniE, etc.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
343
curieux des origines de nos sciences, l’accès de celte scolasti(iue
inconnue, nous avons projeté de commencer à partir d’octobre
prochain, avec l’aide d’un collaborateur également dévoué à
leur mémoire, la publication des œuvres les plus importantes
d’Oresme et de Huridan.
)) Mous otlVons aujourd’hui aux lecteurs de la Uevue ue Philo-
sophie la primeur d’un des chapitres les plus curieux d’un
commentaire inédit du De Cælo. Buridan y traite avec ampleur
la question, déjà très débattue de son temps, du mouvement de
la terre. 11 y prend encore parti, il est vrai, pour l’immobilité
relative de la terre, à cause des nombreuses attaches de cette
thèse avec l’ensemble de l’aristotélisme ; mais du moins est-il
loin de méconnaître la valeur des raisons qui militent en faveur
de la thèse opposée.
» Cette discussion d’ailleurs met en lumière un lait historique
de haute importance déjà signalé par M. Duhem. Elle montre
combien, au milieu du xiv‘‘ siècle, le problème du mouvement
de la terre était ardemment et librement discuté par des hommes
d’Eglise au sein et autour de l’Eniversité de Paris. »
Nous empruntons à Buridan les pas.^ages suivants :
Contre l’immobilité de la terre, dit-il, on argumente ainsi —
suivent quatre rai,sons à priori. — Le problème est ardu, pour-
suit-il. 11 y a, en ell'et, plusieurs dilficultés sérieuses — il en
propose brièvement trois, et insiste sur la quatrième :
4" Entin la théorie d’après laquelle la tei're se meut en cercle
autour de son centre et sur ses propres pôles, peut-elle se conci-
lier avec les phénomènes que nous percevons'? El c’est cette
dernière question que nous allons discuter.
Beaucoup ont tenu pour probable qu’on peut, sans contredire
à nos perceptions, admettre que la lei’re se meut ainsi en cercle;
que si l’on désigne une partie quelconque de la terre, cette par-
tie achève chaque jour une révolution ([ni part de l’occicient
pour aller à l’orient, et revenir à l’occident. Bès lors il faudrait
admettre aussi ((ue la sphère des étoiles est immobile : c’est le
mouvement de la terre qui nous donnerait le jour et la nuit, et
constituerait le mouvement diurne. .Xoti'e cas serait pareil à
celui d’un navigateur (|ui, sur son vaisseau en marche, se croirait
immobile, et attribuerait le mouvement à un autre vaisseau,
réellement en repos : car pour l’onl de l’observateur, l’impres-
sion est la même, quel que soit celui des deux navires qui se
meut. Ainsi, supposé cjue la terre, en nous portant, tourne
344
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
autour du soleil, sans aucun doute le soleil se lèverait et se cou-
cherait pour nous tout aussi bien que si nous sommes immobiles
et le soleil en mouvement.
Cependant, si cette sphère des étoiles est immobile, il faut
absolument accorder que les sphères des planètes sont en mou-
vement ; car autrement les planètes ne changeraient pas de
position les unes par rapport aux autres et relativement aux
étoiles fixes. Aussi a-t-on émis l’hypothèse que toute sphère
planétaire .se meut comme la terre, de l’occident à l’orient;
mais, comme le cercle de la terre est plus petit, son mouve-
ment circulaire s’achève en moins de temps ; de même la lune
met moins de temps que le soleil à parlaii’e son cercle, et ainsi
de suite ; de telle sorte que la révolution de la terre s’opère en
un jour naturel, celle de la lune en nn mois, celle du soleil en
nn an. Il est incontestable (pie si les choses se pas.saient ainsi,
notre perception du ciel serait quand même exactement ce
qu’elle est.
Ceux (pii soutiennent cette opinion ajoutent en sa faveur —
peut-être pour le plaisir de discuter — (pielques raisons de
convenance — Huridan en cite ciiui, puis il conclut ;
Kt cependant cette théorie n’est pas acceptable, d’abord parce
qu’elle a contre elle l’autorité d’.Vristote et de tons les astro-
nomes. Il est vrai ([ue ses délênsenrs répondent : l’autorité ne
fait pas preuve ; et d’ailleurs il siiHit aux astronomes de sauver
les apparences, (pi’elles correspondent on non <à la réalité ;
comme elles se trouvent sauvegardées dans les deux théories,
ils peuvent choisir à leur gré.
D’autres l'aisonnent ainsi d’a[)rés les témoignages de nos sens:
D’abord les sens nous attestent (pie les étoiles se meuvent de
l’orient à l’occident. — On leur répond (pie l’apparence serait la
même si les étoiles étaient immobiles et la terre en mouvement
de l’occident à l’orient.
D’antre part, disent-ils, il semble que si la terre était animée
d’nn mouvement très rapide, nous devrions sentir une violente
résistance de l’air, tout comme le cavalier sur son cheval qui
riunporte dans une course rapide. — Mais on leur réplique que
la terre, et l’eau, et l’air des régions inférieures sont enlrainés
ensemble dans le mouvement diurne, ce qui snllit à expliquer
pourquoi nous n’éprouvons pas la résistance de l’air.
Suivant les données de nos sens, le mouvement local produit
de la chaleur ; si la terre se mouvait rapidement, elle devrait
s’échaulfer rapidement, et nous avec elle. — On répond que le
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
345
mouvement n’échaufîe que par le IVottement des corps, ou par
leur broiement ou par leur désagrégation, ce qui n’a pas lieu
dans l’espèce, puisque l’air, l’eau et la terre se meuvent tous
ensemble.
Eiilin un dernier pbénomène, signalé par Aristote, est plus
démonstratif ; la tiècbe lancée verticalement par l’arc retombe
ensuite au même lieu de la terre d’où elle est partie; il n’en
serait pas ainsi si la terre se mouvait avec tant de rapidité,
mais avant la cbute de la llèche, la partie de la terre d’où elle a
été lancée se trouverait transportée tà une lieue de distance. —
L-à encore on veut répondre qu’il en est ainsi parce que l’air,
entraîné dans le même mouvement que la terre, emporte la
flèche avec lui, quoique la flèche, à en juger par notre percep-
tion, ne paraisse animée que d’un mouvement vertical, le mou-
vement qu’elle partage avec l’air n’étant pas perceptible.
Mais cette échappatoire est insuflisante, car le violent élan
ascensionnel de la flèche opposerait une résistance au mouve-
ment latéral de l’air, de telle sorte que sa propre translation
latérale serait moindre que celle de l’aii' ; de même que par un
vent violent, une flèche lancée par l’arc n’est entraînée dans le
mouvement latéral de l’air qu’avec une vitesse inférieure à celle
du vent.
Ici, remarque le U. P. Bulliot, Buridan aurait sans doute
conclu tout autrement s’il avait su utiliser ce qu’il a si claire-
ment formulé lui-même dans les passages suivants de sa
Physique : « Tandis que le moteur meut le mobile, il lui imprime
un certain impetus, une certaine puissance capable de mouvoir
ce mobile dans la direction même où le moteur meut le mobile,
que ce soit vers le haut, ou vers le bas, ou de côté, ou circu-
lairement... On pourrait dire que Dieu, lorsqu’il a créé le monde,
a mû comme il lui a plu chacun des orhes célestes ; il a imprimé
à chacun d’eux un impetus qui le meut depuis lors... Ces
impetus, que Dieu a imprimés aux corps célestes, ne se sont pas
affaiblis ni détruits dans la suite du temps, parce qu’il n’y avait
en ces corps célestes, aucune inclination vers d’autres mouve-
ments, et ([u’il n’y avait non plus aucune résistance qui pùt
corrompre et réprimer ces ivipetus (1). »
A cette expérience (cum ista experientia), poursuit Buridan,
(1) Questiones octavi libri physicorum, duodecima qe.ustio. Cité et traduit
par .M. üuheni, dans Études sur Léonard de Vinci, IIP série : Les précur-
seurs parisiens de Galilée, Paris, A. Hermann, 1913, p. 42.
346
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
joignez quelques raisons pi’obables. Il en donne deux, répond
aux arguments des partisans du inouvernent de la Terre, el
examine les diüicultés qu’ils opposent à l’opinion contraire.
■Manifestement, c’est « l’expérience » de la lléche surtout qui le
fait pencher vers l’immobilité de la Terre.
Nicole Oresme, contemporain de Huridan, avec qui il était en
relation, fut plus clairvoyant (J). 11 avait composé en français,
un Traicté de l’Espère (de la Spbère), quand « très excellent
Prince Charles (juini de ce nom, par la grâce de Dieu Roy de
France », le chargea de traduire et de commenter ([uelques-uns
des écrits d’.Vristote. 11 donna, entre autres traités qui lurent
imprimés au xvU siècle, la traduction, avec commentaires, des
quatre livres Dit Ciel et du .l/ondc d’.Vristote ; cette traduction
n’a pas été imprimée, mais on en pos.sède diverses copies
manuscrites.
Au second livre du De Coelo, Aristote établit que la Terre
demeure immobile au milieu du monde. .Vprès avoir traduit et
« glousé » les raisons qu’il en donne, Oresme fait connaître sa
propre opinion. File tient dans ces trois [)iopositions :
J. One l’on ne pourrait prouver par quelconque expérience
(|ue le Ciel soit meu de mouvement journal et la Terre non.
2. (Jue ce ne pourrait estre prouve par raison
R. Plusieurs belles persuasions à montrer que la Terre est
meue de mouvement journal el le Ciel non.
Après avoir montré très clairement, comme nous avons vu
plus haut que le faisait Biu idan, ({ue l’experience ne peut donner
un sens précis à la question : (ju’est-ce qui est immobile, qu’est-
ce ([ui se meut, de la terre ou du ciel, parce que se mouvoir ou
être immobile sont des termes tout relatifs, il passe « à la tierce
expérience, ([ui semble plus forte, delà .saecte (llèche) ou pierre
jetée en haut, etc.
11 faut dire ce que la saecb; traicte en haut, ouvecques ce trait,
est meue vers orieut très isvelment (rapidement) ouvecques
l’aer par my lequel elle pas.se et ouvecques toute la masse de la
basse partie du monde devant signée qui est meue de mouve-
ment journal ; et pom- ca la saecte rechiet au lieu de terre dont
elle est partie.
Et telle chouse appert possible par semblable, car, si un
(1) P. Duhein, t'n précurseur français de. Copernic : Nicole Oresme ( 1377).
dans la llEVUE génér.cle des Sciences pures et appliquées, 20® année,
1909, pp. 806-873.
RKVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
347
homme esloil en une naif meue vers orient très isvelment sans
ce qu’il apperceust ce mouvement, et il troit sa main en descen-
dant et en descrivant une droite ligne contre le maast de la
nail, il lui semblerait que sa main ne leust meue fors de mou-
vement droit; et ainsi, selon reste oppinion, nous semble de
la saecte qui descend ou monte droit en bas ou en haut.
Item, dedans la naif ainsi meiuî comme dit est, peuvent
etre mouvements du long, du travers, en haut, en bas, en
toutes maniérés, et semblent estre du tout comme si la nail
reposas!.. .
Et il arrive ainsi au principe de la « Composition ou mixtion
de mouvements d.
Oresme passe tà sa seconde proposition et rétorque les argu-
ments à jormr? que l’on apporte pour prouver l’immobilité de
la Terre ; citons celui-ci :
Au Ouint, ou est dit que, si le Ciel ne faisait un circuit de
jour en jour, toute astrologie serait faulse etc., je dis que non,
car tous regars, toutes conjonctions, toutes oppositions, con-
stellacions, ligures et inlluences du Ciel seraient auxi comme ils
sont du tout en tout, si comme il appert par ce que fut dit en la
reponce de la première expérience. Et les tables des mouve-
ments, et tous autres livres auxi vrais comme ils sont, fors tant
seulement que du Ciel selon apparence et en Terre selon vérité;
et ne s’ensuit autre effet de l’un plus que de l’autre.
Parmi les « belles persuasions à montrer que la Terre est
meue de mouvement journal et le Ciel non », il en est de plai-
santes ; elles répondent du tic au tac aux belles persuasions que
ses adversaires apportaient en faveur de la thèse conti-aire ;
Auxi, à parler familièrement, comme la cbouse qui est
roustie au feu reçoit environ elle la chaleur du feu pour ce que
elle est tournée, et non pas pour ce que le feu soit tourné
environ elle...
» Item, en signe que repos vault mieux, nous prions pour les
mors que Dieu leur donne repos ; Requiem aeteniam etc.... »
Et Oresme conclut ; « Considéré tout ce que dit est, on pour-
rait par ce croire que la Terre est ainsi meue et le Ciel non ; et
n’est pas évident du contraire. »
Quand on lit ce que Copernic a écrit pour établir la possibilité
et la vraisemblance du mouvement diurne de la terre, remarque
M. Duhern, « on est frappé des analogies qui rapprochent la
pensée du chanoine de Thorn de celle de l’évêque de Lisieux ;
volontiers on prendrait les chapitres du De Revolulionihus
Orbium coelexlium pour un résumé, trop concis et quelque peu
3i8
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIEIQUES
obscur, de ceux que nous avons trouvés au Traité du Ciel et du
Monde ».
Les passages que nous avons cités des écrits de Buridan et
d’Oresme n’en donnent qu'une idée très incomplète ; il laut les
lire en entier, celui d’Oresme surtout, qu’il est intéressant de
comparer aux G. Vil et VIII du De Revolutionibus de Copernic.
Parmi les objections que Ptolémée oppose à l’bypotbèse de la
rotation de la Terre, il en est une qui a dii lui sembler très
séi ieuse et peut-être sans réplique :
Si la Terre tournait en vingt-quatre heures, dit-il, les points
de sa surface seraient animés d’une vitesse énorme et, de leur
rotation naîtrait une i'orcc de projection capable d’arracber de
leurs fondements les édilices les plus solides et de disperser
leurs débris dans les airs ( I).
Copernic crut pouvoir tout concilier par une distinction qu’il
emprunte cà Aristote : qui admet la rotation de la Terre, dit-il,
admet aussi que ce mouvement est naturel, produit par sa
nature même; on ne peut donc assimilei’ ses effets <à ceux du
mouvement violent de la roue qu’une force extérieure a lancé.
Buridan n’eût pas admis cette distinction ; pour lui le mouve-
ment naturel de la Terre est rectiligne ; si ft la ligure sphérique
convient aux corps auxquels est dû un mouvement circulaire,
elle convient aussi à un corps naturellement immobile au centre
d’un .système. » — Oresme eût, sans doute, répondu comme le
lit plus tard Copernic ; mais ni Buridan ni Oresme ne rencontrent
l’objection de Ptolémée.
N. N.
(1) l/ol)jection repose sur une confusion que les vrais principes de la
mécanique pouvaient seuls dissiper. Il faut distinguer, dans un corps (jui
tourne, la vitesse absolue v des points situés à sa surface, et la vitesse angu-
laire u) de la rotation, l.a force projective, qu’invoque Ptolémée, et que nous
nommons force centrifuge, a pour expression à l’Équateur, oii elle est la plus
U" V
grande, j,, li étant le rayon équatorial de la Terrt' ; or on a u» = gî d’où
=^i) = ujr, ou encore uu'qt. Il est vrai que r est très grand, mais eu est
extrêmement petit : la moitié de la vitesse angulaire de l’aiguille des heures
qui fait deux fois le tour du cadran en '2i heures. En poussant le calcul à
bout, on voit que cette force de projection diminue le poids des corps, à
l’Équateur, de 3 grammes environ par kilogramme. .Mais ce calcul (léi)assait
de beaucoup les connaissances mécaniques de Copernic et même de Galilée.
s. s. LE PAPE BENOIT XV
Lorsqu’au mois de Juillet de l’amiée dernière la
Revue des Questions scientifioues publiait sa der-
nière livraison, rien n’annonçait encore le deuil qui,
peu de semaines plus tard, allait atteindre l’Eglise en
la personne de son chef suprême. Sa Sainteté le
Pape Pie X. Rien non plus ne permettait de prévoir
les tragiques circonstances qui nous empêcheraient
de saluer l’avènement de son successeur. Depuis lors,
les mois ont succédé aux mois; le monde catholique
s’est habitué à répéter le nom de Benoît X^^, et il
est maintenant trop tard pour venir dire sur quoi
se fondaient les espérances que ce nom a fait naître
et qui ont déjà reçu un premier accomplissement.
Celui qui, avant de monter sur le siège de S. Pierre,
devait, pendant quelques mois à peine, s’appeler le
Cardinal Giacomo délia Chiesa, naquit à Pegli, dans
le diocèse de Gênes, le 2i novembre 185L Ordonné
11
prêtre le 2i décembre 1878, élevé peu de temps
après aux honneurs de la prélature romaine, il rem-
plit, de 1883 à 1887, les fonctions de secrétaire de
la Nonciature à Madrid. Rapjielé ensuite à Rome,
il entra aussitôt à la Secréta irerie d’Etat, où le car-
dinal Rampolla se l’attacha comme secrétaire parti-
culier. Durant }U‘ès de dix-sept années, il fut le
collaborateur et le confident de l’illustre cardinal,
([ui fut lui-mème associé si activement au gdorieux
pontificat de Léon XIII. Dès cette époque, des esprits
avisés se plaisaient à dire que l’on verrait un jour
Mgr délia Chiesa jouer un rôle agrandi dans une
situation plus élevée. Ces prévisions semblèrent
d’abord mises en défaut, quand au conclave d’août
1U03, la dij)lomatie austro-hongroise eut opposé son
véto à l’élection du cardinal Rampolla au trône pon-
tifical. En réalité, les événements avaient conspiré
})Our préparer Mgr délia Ghiesa à sa mission future.
En décembre 1907, il ({iiittait la chancellerie Apos-
tolique pour le siège archiépiscopal de Bologne devenu
vacant par la mort du cardinal Svampa. Les sept
années qu’il passa dans l’administration de cet impor-
tant diocèse lui donnèrent de connaître j>ar expérience
toutes les nécessités du ministère pastoral. Aussi,
lorsqu’au mois de mai de l’année 191 1, il reçut la
poutqire romaine, dans le dernier consistoire du pape
Pie X, son élévation ne laissa jias de provoquer un
mouvement d’attention chez ceux qui se rappelaient
l’ancien secrétaire du cardinal Rampolla. Moins de
III
quatre mois après, le Sacré-Collège, dans les rangs
duquel il venait à jieine d’entrer, l’appelait au gou-
vernement de l’Eglise.
La Société scientifique de Bruxelles dé])Ose aux
pieds de Sa Sainteté Benoît rhommage de son
]>lus profond i*espect et de son filial dévouement.
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ü- 1 _ " ' ' -'Ai _
L’Astroloaie au Moyen Age
C_ *J c y
Au Moyen Age, ([ue pensait-on de l’Astrologie ?
Avant de tenter de donner la moindre réponse à cette
question, il convient de circonscrire la trop large indé-
termination que comporte le mot : on.
Que pensaient de l’Astrologie tous ceux, nobles ou
vilains qui, n’étant ])as clercs, se trouvaient livrés,
par leur ignorance, aux plus ridicules excès de la
superstition ?
Que pensaient de l’Astrologie les charlatans qui
vivaient de cette prétendue science, en dupant les gens
crédules l
(Jue pensaient enfin de l’Astrologie les hommes
versés dans la Science et accoutumés à la réflexion,
les philosophes et les théologiens l
Telles sont les trois formes que peut prendre, en se
précisant, la question que nous avons posée tout
d’abord.
De multiples raisons, au premier rang desquelles se
doivent placer la rareté et l’imprécision des documents,
nous engagent à délaisser, sans essayer d’y répondre,
les deux premières questions. La troisième seule nous
retiendra. Nous nous contenterons de retracer l’ensei-
gnement que les esprits les plus éminents du Mo}'en
Age ont donné tout haut de l’Astrologie ; encore res-
treindrons-nous notre enquête en interrogeant presque
exclusivement les savants qui ont professé à Paris ou
qui ont subi l’influence de l’Université parisienne.
L’histoire que nous nous proposons de retracer
III' SÉRIE. T. XXVI. “23
350
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
crune manière extrêmement sommaire peut se diviser
en deux périodes.
Durant une première période, qui s’étend du milieu
du xiD siècle au milieu du xiv® siècle, les docteurs ne
songent guère à contester aux astrologues le pouvoir
de deviner l’avenir pai* l’examen des constellations ;
mais, chrétiens orthodoxes, ils se contentent de borner
la portée de cette divination et de lui soustraire tout
présage incompatible avec le libre arbitre de rhoinme.
Cette première période est donc consacrée à la consti-
tution d’une Astrologie chrétienne.
C’est seulement dans la seconde période, après le
milieu du xiv^ siècle, que nous vo}’ons surgir des
Adversaires de V Astrologie. Ceux-ci, s’autorisant du
bon sens, contestent ou dénient à l’art Judiciaii-e
l’aptitude à prédire les événements à venir, même
dans les circonstances où ces prédictions ne contre-
viendraient en rien à la doctrine chrétienne.
I^REMIÉRE PARTIE
L'Astrologie chrétienne
§ L — ABOI’ MASAR ET l/lIORUSCOPE DES RELIGIONS
Les principes sur lesquels il avait établi sa Dyna-
mique conduisaient Aristote à ce corollaire : chaque
orbe céleste est mû par une intelligence séjiarée de la
matière. Eternelle et immualile, cette intelligence ne
peut être qu’un Dieu. Ainsi, la Physique péripatéti-
cienne justitiait la seule religion que, déjà, Platon
regardât comme véritable, la religion qui adore les
astres. Après Aristote, les diverses écoles néo-jdatoni-
ciennes avaient continué de regarder comme divines
aussi I)ien les sphères célestes que les intelligences et
L ASTROLOGIE AU MOYEN AGE
351
les àines qui président à leurs mouvements ; tout au
plus, ceux des Xéo-platoniciens auxquels rislamisme,
le Judaïsme ou le Christianisme avaient enseigné qu'il
nV a qu’un Dieu, consentaient-ils à ramener au rang
d’anges les intelligences et les âmes qui meuvent les
orbes.
En même temps qu’elle divinisait les moteurs des
cieux. la Physique péripatéticienne trouvait, dans les
révolutions uniformes et éternelles des orlies, les
causes de toutes les générations, de toutes les destruc-
tions, de tous les changements qui se produisent dans
la cavité circonscrite par la sphère de la Lune; elle
déclarait que tout ce qui se passe dans le monde
inférieur est produit et déterminé, d’une manière
nécessaire, par les circulations du monde supérieur :
en même temps que l’Astrolâtrie, Aristote Justifiait
l’Astrologie. Les diverses philosophies qui avaient
succédé au Péripatétisme, le Stoïcisme aussi bien que
le Xéo-platonisme, s'étaient, d’ailleurs, empressées de
recueillir cet héritage aristotélicien, et de soumetti’e
toutes les choses de la région sulilunaire à l’infiexihle
destinée dont les mouvements des astres promulguent
les lois.
Après avoir ébranlé les fondements de la Dynamique
péripatéticienne, après leur avoir substitué des prin-
cipes dont, un jour, découlera la mécanique moderne,
la Physique parisienne du xiv® siècle était pai’venue à
chasser des cieux les intelligences qu’Aristote y avait
introduites. Mis en branle par Dieu au jour de la
création, disait-elle, les corps célestes se meuvent,
depuis ce temps, comme se meut la toupie que l’enfant
a lancée ou l’horloge que l’homme a montée. La nou-
velle science du mouvement avait enfin débarrassé la
Philosophie des restes de l’Astrolàtrie hellénique.
Restait à la débarrasser de l’Astrologie.
C’était une rude besogne qu’il fallait accomplir.
352
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
(Contre l’Astrologie, les Pères de l’Église avaient
mené un combat acharné ; aussi, tant que les Écoles
(lu Moyen Age avaient demandé au seul enseignement
})atristique d’inspirer leur philosophie, les doctrines de
l’art généthliaque étaient-idles demeurées exclues de
la Science ; le vulgaire seul donnait dans l’Astrolooie.
En 978, par exemple, Helpéric semble regarder
avec quelque mépris les astrologues, ceux qui traitent
du hasard, tractatores hasartis, comme il les
nomme (i). Ses considérations sur les signes du Zo-
diaque ne présentent aucune trace de superstition
asti-ologique.
Au milieu du xii'' siècle, Guillaume de Couches lit
déjà Julius Firmicus et un traité astrologique de Pto-
lémée,qui est vraisemblablement la TerpàpipXioçcrûvTaEiç.
Ces écrits sont, pour lui, ceux où l’on parle des corps
du Ciel suivant la méthode qu'il nomme astronomique,
ceux où l’on révèle la nature véritable de ces corps,
([u'elle apparaisse ou non, « dicere ea de illis quœ sunt,
sioe lia zideatur^ sive mm » (2). Il entend, par là,
([u’on y établit les propriétés physiques réelles de
chaque astre, qu’on \ examine s’il est chaud ou froid,
sec ou humide.
Cette connaissance qui constitue, selon lui, l’Astro-
nomie, il ne la regarde pas comme la suite de s])écula-
lions métaphysiques sur la substance céleste, sur les
intelligences ou les âmes qui la meuvent, sur l’influence
( I) ljibliothè(]ue nationale, fonds latin, ms. n“ 1518, fol. -i, v". Voir : Seconde
])artie, ch. III, S VI ; t. III.
i"2) Philosopliicarum et asU ommirariim inslituiionuni Guiliebni Hivsun-
(jiensis ülitn abbatix, libri très, Ilasilea* excudebat llenricus Petrus, Mense
Augusto, .\nno MDXX.M, Lib. I : (Juot modis tractatnr de superioribus ;
p. 30. — Venerabilis liedir Elementoruiti Philosophiæ libri quuinor, lib. II.
[\’i;xF.RAniLis llEitÆ Oi’Eii.x. .Vccucante .Migne, t. 1. (I’atrolo(;iæ latinæ,
t \C) coll. Il.sn-11'ilj — Honora Avr/usiodunensis De PhUosophia Mimdi
libri quatuor. Lib. 11, cap. : Qnot modis auctoritas loquatur de superio-
ribus. (llo.xoRii Augustodunensis Opéra, .\ccurante Migne. (Patrülogiæ
I.ATI.VÆ, t. CLXXII)].
L’ASTROLÜ(iIE ATT MOYEN AGE
35M
qui en émane ; il veut qu'elle soit une conquête do
l’observation. Gomment, par exemple, à son avis, est-
on parvenu à reconnaître que la planète Saturne est
froide ? « Voici comment les anciens astrologues ont
prouvé que cette étoile est froide : en ceidaines années,
ils ont vu que le Soleil, alors qu’ils le savaient dans
le signe du Cancer, brûlait les terres moins que de
coutume ; comme ils savaient, d’ailleurs, que cela ne
pouvait provenir de la nature du Soleil, ils se sont
enquis de la planète qui était dans le même signe que
le Soleil; trouvant que c’était Saturne, ils ont dit qu’en
Saturne, était une cause de froid. »
Ainsi mises en évidence, les qualités phj’siqiies des
planètes donnent l’explication des autres propriétés que
les astrologues ont attribuées à cés astres ; ils ont dit,
par exemple, que Saturne était une planète nuisible.
« C’est à cause de sa froideur qu’elle est dite nui-
sible (1) ».
Les fables des païens sur ces planètes divinisées ne
sont que symboles des qualités physiques dont elles
sont douées : «On dit (2) que Mars est le Seigneui*
des combats, parce qu’il confère chaleur et sécheresse,
qualités d’oii provient le courage ; ce sont, en effet,
les tempéraments chauds et secs qui sont courageux. »
C’est, de même, parce qu’elle communique la chaleur
unie à l’humidité que ’Wnus est dite déesse de la
volupté, car les voliqitueux sont de tempérament chaud
et humide.
(1) Philosophicarum et astronomiccmnn imtitutionum, Giiilieimi Hirsan-
giemix olim abbatis, libri très. Basileæ exrudebat Henricus Petrus, Meuse
Augustü, Aiino .MDXXXI. Lih. I : De Stella nociva, et Satunio falcigero,
p. 36. — Vencrabilis Bedæ Elementorum Phüosophùp libri quatuor, lib. II.
[Vener.\bius P)Edæ Oper.x. Accurante .Migne, t. I (Patrologiæ l.\tl\.e.
t. XC), col. 1115]. — Honora A agustodunensis De Phitosophia Mundi libri
quatuor. Lib. II, cap. XVII ; De Satunio. [IloNORii Augustodunensis Opéra.
Accurante Migne (P.atrologiæ LATI^^^;, t. CLXXII) col. 62].
(2) Hirsangiensis, lib. I. De Marte tertio }}lanetarim, p. 36. — Beda,
lib. 11, col. 1U5.— Honorius, lib. II. cap. XIX : De Marte ; col. 63.
354
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Ainsi réduite par Uiiillaunie de Gonches à n’être
qu’une Astronomie physique, l’Astrologie abandonne
toute prétention à la divination de l’avenir ; en fait, le
TTepi bibaEéuuv ne renferme pas la moindre allusion aux
horoscopes et aux autres j)ratiques de l’art judiciaire ;
la })rétendue science des généthliaques demeure
entièrement exclue de l’encyclopédie scientifique com-
posée par le maître chartrain.
Cet exemple nous montre clairement que la raison
des Cdirétiens d’Occident, ou, du moins, des plus
instruits d’entre eux, échaj)pa à l’emprise de la super-
stition astrologique, tant qu’elle demeura étrangère à
la Science du monde hellène et du monde musulman.
Il en fut autrement à partir du moment où les
traducteurs eurent commencé de révéler à la Chré-
tienté latine ce qu’on jiensait chez les Arabes.
La pensée des sages de l’Islam, en etfet, était toute
embrumée de rêveries astrologiques ; l’Astrologie
s’insinuait partout, aussi bien dans les systèmes des
philosophes que dans les calculs des Astronomes ; à
dire vrai, les systèmes des philoso])hes semblaient avoir
pour principal objet d’assurer les principes de
l’Astrologie, et les instruments, les canons, les tables
des Astronomes tendaient uniquement à rendre possibles
et aisées les opérations de cet art.
Ces doctrines dont l’art généthliaque semblait le
couronnement, envahirent, au xii® siècle, les écoles
chrétiennes d’Occident. Avant que ce siècle fût au
milieu de son cours, Hermann le second adressait à
Robert de Rétines sa traduction alirégée de Vlntro-
ductorinm in Astroaomiani où Abou Masar avait
exposé tous les ju’incijies essentiels de la fausse science
astrologique.
L’Astrologie, telle que la présentait Abou Masar,
n’invoquait plus le fatalisme rigide et absolu dont se
réclamaient les doctrines des Stoïciens et des Chai-
l’astrologie au moyen AGE
355
déens; elle ne supposait plus le déterminisme, négateur
de toute liberté, dont s’indignaient les Pères de l’Eglise.
Albumasar, nous l’avons vu (1), admettait qu’il y eût,
parmi les choses à venir, des effets contingents, dont la
production ou la non existence résulterait du choix de
notre libre arbitre. A la vérité, sur ce choix même que
nous accomplissons librement entre deux futurs con-
tingents également possibles, les étoiles ne sont pas
dépouillées de toute influence, mais cette influence ne
s’exerce que d’une manière indirecte ; les astres ont le
pouvoir de modifier riiarmonie qui existe entre le
corps et l’àme de l’homme et, par là, d’incliner l’âme
à choisir dans tel sens plutôt que dans le sens opposé ;
d’ailleurs, cette intluence indirecte, il semble bien que
notre astrologue la regarde comme limitée ; il la tient
pour capable de solliciter notre décision ; il ne paraît
pas croire qu’elle suffise à la derminer entièrement.
Ainsi définie, l’Astrologie n’avait plus rien qui
s’opposât essentiellement aux enseignements de l’Eglise
catholique ; les docteurs chrétiens pouvaient l’admettre
ou, tout au moins, la tolérer ; c’est, nous le verrons,
ce qu’ont fait la plupart d’entre eux.
En revanche, lorsqu’ Abou Masar, non content
d’avoir posé les principes de la Science astrologique,
passe en revue les principales applications qu’on en
peut faire à la prévision des événements futurs, il lui
arrive d’apporter des affirmations ou des conjectures
dont les croyants de toute religion, et donc, en parti-
culier, les Chrétiens pouvaient, ajuste titre, s’inquiéter.
C’est qu’en effet des évènements que l’astrologue a
le pouvoir de prédire, Abou Masar n’exclut pas, bien
au contraire, la naissance ou le déclin des religions ;
bien souvent, dans ses écrits, il prend soin d’affirmer
(Il Voir : Le Sijstkme du Monde, Première Partie, Ch. XIII, S XIV; t. II,
pp. 373-376.
356
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
que tel phénomène astronomique annonce les change-
ments des sectes religieuses, permutationes et vices
sectay'um.
11 est, par exemple, un phénomène céleste auquel
tous les astrologues arabes attribuaient, dans leurs
pronostics, une extrême im])ortance ; c’est la conjonc-
tion de Saturne et de Jupiter avea la tête du Bélier.
Le Liber de proprietatihus elementorum, que le
]\Ioyen Age attribuait fort naïvement à Aristote, entre-
tenait déjà ses lecteurs des graves conséquences des
conjonctions en général, et de cette conjonction-là en
particulier (1). Parlant de ceux qui croient à une lente
permutation des continents et des océans, rauteur du
Livre des éléments écrivait :
« Ils admettent que les évènements qui se produisent
sur la terre ont pour cause le mouvement des corps
célestes, de l’élément nolile qui est l’orbe, et ce qui
découle de ces corps ; car ceci est l’agent qui opère en
toutes choses.
» Ainsi, prétendent-ils, le déluge qui a eu lieu sur
la terre n’a pas eu d’autre cause que la conjonction
des étoiles [errantes] dans le signe des Poissons; le
vent qui, dans Iladramotb, a fait })érir les nations a
été produit })ar la conjonction qui s’est faite dans le
signe des (Témeaux ; la conjonction qui a eu lieu dans
le signe de la A'ierge est la seule cause de la peste qui
a désolé la terre de Lamen ; il en est de même des
autres événements qui surviennent au moment des
rassemblements d’étoiles et des conjonctions...
» Les années de stérilité et les années d’abondance
proviennent uniquement de la permutation des étoiles
(1) Aristotelis Liber de proprietatihus elementorum (cité d’après les
Aristotelis Opéra que termine le colophon suivant : Impra'ssum (sic) est
præsens opus Venetiis per (îregorium de Gregoriis expensis Bencdicti Fon-
tanæ Anno salutifere incarnationis doiuini nostri MGCCCXCVI. Die vero XIll
Julii. Fol. 3()6 (marqué 460), v". et fol. 367 (marqué 467), r“.
l’astrologie au moyen AGE
357
[errantes], d’un signe à l’autre, au-dessus des sept
climats.
» La mortalité qui fait disparaître les nations et les
vacances des royaumes se font au moment de la con-
jonction de deux des planètes, savoir de Saturne et de
Jupiter. C’est lorsqu’elles passent d’une triplicité à
une autre qu’adviennent les grands accidents. »
Abou Masar partage toutes les croyances des astro-
logues dont parle le Livre des éléments ; s’il est un
phénomène céleste dont il attend les effets les plus
considérables, c’est, assurément (1), « la conjonction
des deux planètes supérieures, » c’est-à-dire de Saturne
et de Jupiter, « au point équinoxial mobile du prin-
temps, conjonction qui se reproduit toutes les 900
années solaires. » Or, « pour le temps de la conjonction
des deux planètes supérieures dans le Bélier (2), se
trouve annoncé le commencement de quelqu’une des
choses universelles, ..., d’une secte ou d’une autre
chose senildable ».
Mais Albumasar ne se contente pas de ces indica-
tions générales ; il va plus loin ; il précise et détaille.
« Certains astrologues, écrit-il (3), ont dit que l’in-
tervalle de temps au bout duquel la fortune passe
d’une secte à une autre secte comprend dix révolutions
de Saturne... Ils prétendent, en effet, que la permuta-
tion de Saturne se produit lorsque dix révolutions de
cet astre sont accomplies. » Tous les 290 ans, donc,
doit se produire quelque grand changement dans la
(1) Albumasar de magnis conjunctionibus : unnoriun revolutionibus : ac
eonnn profectionibus : octo continens tractatm. Colophoii : Opus all)umaza-
ris de magiiis coniunclionibus explicit féliciter. Impressum Venetijs Mandate
et expensis .Melchiorem (sic)Sessa. Per .lacobum pentium de Leuebo. Anne
domini 1515. Pridie kal. Junii. Tract. I, differentia 1, fol. sign. Aiii, r“.
(2) Albumasaris, Op. luud., Tract. I, ditf. 1, fol. sign. .\iiii, r”.
(3) .\lbumasaris. Op. laud., Tract. II, ditf. Vlll, fol. précédant de deux
rangs le fol. sign. L), v“, et fol. précédant immédiatement le fol. sign. I), r°.
358
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
distribution des empires ou, mieux encore, quelque
grande innovation religieuse.
Selon notre auteur, c’est à la fin d’une de ces
périodes, formées de dix révolutions de Saturne,
« qu’apparut le noble Alexandre, fils de Philippe, et
que la chance quitta les Perses. Lorsque Saturne eut
accomplit dix autres révolutions, apparut Jésus, fils de
Marie, qui est l’objet de prières, et il y eut un change-
ment de secte. Après dix nouvelles révolutions, appa-
rut Manès, et il vint, apportant une loi intermédiaire
entre celle des Nazaréens et celle des Païens. Et parce
que dix révolutions de Saturne étaient de nouveau
accomplies, le Prophète vint, avec la loi manifeste des
Maures.^ — Qxia completæ sunt 10 revolutiones Sa-
turni, in (liehus Darihindar, fuit apparitio Alexanâri,
fia PhUippi nobilis, et remotio vicis Persarum. Et
quia completæ sunt ei 10 revolutiones alice ex revo-
lutione sua, apparuit Jésus, flius Mariœ, super
quem fiunt orationes, curn perinutatione sectœ. Et
quia completæ sunt W alice revolutiones ex revolu-
tione S7fci, apparuit Meni, et venit cum lecje quæ est
inter Paganos et Nazarenos. Et quia complétée sunt
10 alice revolutiones ei ex revolutione sua, venit Pro-
pheta cum lege Maurorum manifesta ».
Né en 356, Alexandre mourut en 323 av. J. -G.
Manès fut mis à mort en 274 de J. -G. Né vers 570,
Mahomet s’enfuit à Médine en l’an 622 qui ouvrit l’ère
de y hégire, et il mourut en 632. Il faut quelque bonne
volonté pour découvrir, dans les dates que nous venons
de citer, la période de 200 ans qu’Abou Masar croit j
voir.
Notre astrologue, d’ailleurs, a soin de nous prévenir
que les vicissitudes des religions ne suivront pas avec
une entière rigueur la loi périodique que leur assignent
les révolutions de Saturne.
« Peut-être, dit-il, ce changement se produira-t-il
l’astrologie au moyen AGE
359
avant raclièvement des dix révolutions, en sorte que
l’accident se produira durant la neuvième révolution ;
peut être, aussi, l’accident aura-t-il lieu après l’accom-
plissement des dix révolutions, en sorte qu’il se ])ro-
duira dans la seconde révolution. »
A cette latitude qu’on accorde à la loi, si l’on a soin
de joindre une indétermination suffisante de la prédic-
tion,* il faudrait être bien malechanceux pour se
trouver désappointé.
CiQi horoscope des religions était bienfait })Our piquer
la curiosité des Chrétiens qui lisaient les œuvres
d’Abou Masar ; il était bien fait aussi pour inquiéter
leur orthodoxie.
L’ojiinion d’un fidèle à l’égard de cette suite de pré-
dictions pouvait varier selon les principes par lesquels
l’astrologue la prétendait justifier.
Entendait-il affirmer que les astres sont les causes
des événements qu’ils annoncent l Que Saturne, par
conséquent, détermine et produit, par son influence,
les religions nouvelles qui se manifestent chaque fois
qu’il a accompli dix révolutions l La religion apportée
au monde par -Jésus, fils de Marie, n’est plus, alors,
qu’un efiêt fatal des mouvements du Ciel. Une telle
impiété mérite tous les anathèmes.
L’astrologue, au contraire, déclare-t-il que les astres
ne sont point causes des événements qu’ils annoncent,
que ces événements sont œuvres de Dieu, et que les mou-
vements célestes, simples signes, n’ont d’autre rôle
que de manifester aux hommes ce que la Providence
divine a ordonné ? 11 semble alors, que l’horoscope
des religions perde tout caractère blasphématoire, et
qu’un chrétien lui puisse accorder crédit sans péril
pour sa foi.
Voilà donc que les esprits soucieux de savoir si
l’Astrologie se peut accorder avec la religion chré-
tienne, sont ramenés à ce débat, si fortement agité au
360
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
temps du Néo-platonisme hellénique (1) : les astres
sont-ils causes des événements qu'ils annoncent, ou
bien n’en sont-ils que les signes ?
11. — LES Tables de Marseille ET l’astROLOGIE
PIERRE ABAILARl). — SAINT-JEAN DAMASCENE
Bien avant qu’ils n'eussent connaissance des livres
d’Abou Masar et des astrologues musulmans, les Chré-
tiens (l’Occident lisaient saint Augustin et Macrobe.
Us savaient donc (pie, pour échapper au matéria-
lisme des Stoïciens sans renoncer à l’Astrologie,
certains philosophes anciens avaient affirmé cette
doctrine : que les astres ne sont point causes des
évènements ([u’ils annoncent ; ils se bornent à les
signifier. 11 était naturel qu’à ces Chrétiens d'Occident
l’idée vînt de reprendre la thèse soutenue par Plotin
et d’en user pour éviter toute contradiction entre les
enseignements de la foi catholique et les théories de
l’Astrologie.
liés l’an 1110, dès l’année, donc, où Hermann le
second révélait aux Chrétiens V Introfluctoriinn in
Astronomiam d’Allmmasar, cette idée (Hait conçue et
exposée avec une extrême clarté par l’auteur des
Tables de Marseille ( 2f.
Au préambule de ces Tables^ l’auteur consacre deux
chapitres, le troisième (3) et le quatrième (4), à justifier
les principes de l’Astrologie ; le troisième chapitre se
termine par une suite de textes de la Bible que l’auteur
(1) Voir : Le Su sterne du Monde, Première partie. Ch. \I1I, Vil et IX ;
t. 11. pp. 300-318 et P]). ,3:2i-34l.
(2) Au sujet de ces Tables, voir : Le Sj/stème du Monde, neuvième partie,
Ch. IV, § \ï; t. ill.
(3) Rildiothèque nationale, fonds latin. Ms. iP 14704, fol. 112, col, a à
fol. 113, col. b.
(4) .Ms. cit., fol. 113, col. b, à fol. 113, col. d.
L ASTROLOGIE \V MOYEN AGE
361
juge favorables à la science qu'il cultive et le quatrième
chapitre est, en entier, consacré à invoquer l’autozaté
des auteurs païens.
C’est au troisième chapitre ([ue nous lisons ce qui
suit (1) :
« Personne ne doit douter, personne ne doute que
Dieu n’ait créé tout ce qui existe, ni qu’avant de faire
ce qui doit être, il ne l’ait prévu ou prédéterminé ; dès
lors, certaines des choses futures qu’il a prévues ou
jirédestinées, il peut, avant qu’elles ne soient produites,
les montrer, par le mo3’en des planètes, aux êtres
doués de raison ; il le fait, afin que l’intelligence
humaine, voyant les merveilles que Dieu produit, et
connaissant les œuvres qu’il accomplit, hn'de de
l’amour qui s’allume en elle à l’égard de son Créateur...
» Lors donc que nous disons : Telle planète signifie
d’avance qu’un méchant homme doit advenir, nous
n’avons pas d’autre sentiment que celui-ci : les planètes
agissent sur l’ordre de leur Créateur ; c’est à titre de
créatures mises à son service, qu’elles imitent sa
prescience et qu’elles nous manifestent ce méchant
homme. Il ne faut donc dire d’aucune manière que
les planètes exercent sur cet homme une force destinée
à le rendre méchant, pas plus que la prescience de
Dieu n’a une semblable action. Si les hommes allaient
accuser les prédictions figurées par les planètes, ils
accuseraient par là même la Providence ; les planètes,
en effet, ne nous signifient rien que Dieu n’ait prévu
ou prédestiné. »
Les astres n’ont aucune action sur les choses d’ici-
bas ; par leurs mouvements et leurs configurations,
ils sont simplement un langage dont lïieu se sert poui-
révéler d’avance à l’homme quelques-uns des décrets
de sa Providence ; telle est la thèse que beaucoup de
(l)-Ms. cit., fol. ll!2, coll. b et c.
362
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Chrétiens vont soutenir, et par laquelle ils penseront
concilier leur foi avec la croj-ance aux prédictions de
l’Astrologie, fût-ce à l’hoi’oscope des religions.
lAautres garderont, à l’égard de l'Astrologie, une
attitude moins confiante ; ils restreindront davantage
le domaine des événements ([ue l’oliservation des
planètes et des étoiles jteut annoncer d’avance ; ils
demeureront plus étroitement unis à la pensée des
Pères de l’Eglise et, en particulier, de saint Augustin.
De ce nombre sera Pierre Aliailard.
C’est dans son Exposition de l’œuvre des six jours
qu’Abailard discute la légitimité et la valeur de l’Astro-
logie. Cette oeuvre est, croit-on, la dernière à laquelle
il ait mis la main ; elle a dû précéder de peu sa mort,
survenue en l’an 1142; elle doit donc être presque
exactement contemporaine des Tables de Marseille.
Aon seulement Pierre Abailard ne veut pas que les
astres soient tenus pour causes des futurs contingents ;
mais, d’une façon très formelle, il leur dénie tout
pouvoir d’annoncer d’avance ces événements ; sa thèse
s’oppose nettement à celle que soutenait l’auteur des
Tables de Marseille.
«Certaines gens, dit-il (1), prisent cà tel point la
Science astronomique et exaltent à tel degré la force
des astres, qu’à leur avis, les futurs contingents eux-
mêmes peuvent être signifiés d'avance par ces astres ;
ils croient pouvoir Juger, [>ar cet art, même des événe-
ments que les jdiilosophes déclarent inconnus à la
nature : en sorte que les astres joueraient le rôle de
signes non seulement, comme nous l’avons dit, pour
les efiéts naturels, mais encore, selon la mensongère
afiiianation de ces gens, pour les futurs contingents. »
Aotre auteur a lu Aristote; il sait que le Stagi-
(I) Peiri AbæhufU E.rpoxifio in Uexucmeron. Do qiiarla die. [Petp.i
Abæl.\iu)1 Üper.\ (Patkülooiæ L.\tinæ, accuraiite J. I'. Migiie, t. CLXXVIII),
coll. 753-75()J.
L ASTROLOGIE AU MOYEN AGE
363
rite désigne les futurs contingents par l’expression :
ad utrum lihef (ÔTrôTepa) ; il les définit comme les définit
le traité De V inter prètation : « Les futurs contingents
sont ceux qui se comportent indifiéremment à l’égard
de ces deux alternatives : advenir et ne pas advenir
{fleri et non fieri) ; il n’v a d’avance, dans la nature
des choses, aucune cause qui les oblige d'advenir ou
de ne pas advenir ; et personne ne peut savoir d’avance
s’ils adviendront ou n’adviendront pas, si, par exem-
ple, je lirai [ou ne lirai pasj aujourd’hui ; il en est
ainsi de tout ce que notre libre arbitre a le pouvoir de
faire ou de ne pas faire.
> 11 y a des futurs naturels ; leur venue est, pour
ainsi dire, déterminée ; on les peut prévoir, pourvu
seulement qu’à leurs causes, qui préexistent, on adjoigne
quelque moyen naturel ; c’est pourquoi l’on dit qu’ils
sont, dès maintenant, connus de la nature...
» Des futurs contingents, au contraire, on dit que
la nature même ne les connaît pas, car aucune opéra-
tion ou institution naturelle ne permet de les prévoir.
« Aussi m’étonné-je d’entendre certaines gens dé-
clarer qu’ils les connaissent par le moyen de l’Astro-
nomie, qu’ils en peuvent juger et que, pour ainsi dire,
ils les devinent. L’Astronomie, en effet, est une des
espèces de la Phj’sique, c’est-à-dire de la Philosophie
naturelle ; comment peuvent-ils, à l’aide de cette
science, savoir ce que la nature même ignore, au dire
des philosophes, c’est-à-dire ce que la nature d’aucune
chose ne permet de prévoir ? »
La conclusion d’Abailard est celle que formulaient
nombre de Pères de l’Eodise :
O
« Quelqu’un promet-il d’obtenir, par les enseigne-
ments de l’Astronomie, quelque certitude au sujet des
futurs contingents que, comme nous l’avons dit, la
nature elle-même ne connaît pas ? (Jn ne doit pas le
regarder comme faisant de l’Astronomie, mais comme
364
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
taisant de la diablerie {non tam astronomus cjuam
diaholicus hahendns est)... Que personne n’attribue
les divinations de ce genre à l’art astronomique mais
à une machination diabolique. »
Tout en déniant à l’Astrologie le pouvoir d’annoncer
aucun futur contingent. Abailard lui concède large-
ment la faculté de prévoir les futurs naturels.
« Nous ne nions pas, dit-il, que certains futurs natu-
rels ne soient connus par l’Astrologie comme il en est
de connus par la Médecine. D’après la complexion du
corps, les médecins j)euvent former nombre de j)ro-
nostics touchant les malades ; ils peuvent prévoir si
un malade se tirera d’atlaire ou non. De même, ceux
qui ont l’expérience des astres ; qui en connaissent les
natures, causes du chaud et du froid, du sec et de
riiumide ; ceux auxquels l’Astronomie a fait connaitre
ces parties du ciel qu’on appelle les maisons des pla-
nètes, et d’oii ces astres, lorsqu’ils y résident, exercent
au plus haut point leur action, ceux-là peuvent former,
au sujet des futurs naturels, nombre de pronostics ;
ils peuvent annoncer, j)ar exemple, s’il y aura, dans
l’avenir, grande sécheresse ou abondance de pluie,
forte chaleur ou froid excessif; ces prévisions sont de
grande valeur, non seulement pour qui doit pourvoir
à la culture de la terre, mais encore pour qui doit
administrer avec jirécaution un médicament, à'oilà
jtourquoi les philosophes ont osé donner aux })lanètes
le nom de dieux, et les regarder, en quelque sorte,
comme les directeurs du monde ; en effet, notre situa-
tion ici-bas éprouve de grandes variations selon leurs
natures et qualités ; c’est en vertu de ces natures et de
ces qualités, comme nous l’avons dit, que nous avons
tantôt la famine et tantôt l’abondance ; qu’il faut faire
les semailles tantôt dans les terres sèches et tantôt
dans les terres humides ; qu’il faut, par l’application
l’astrologie au moyen AGE
365
des médicaments, tantôt procurer la sécheresse au
malade, et tantôt riiumidité. »
Accorder plein crédit à l’Astrologie, pourvu qu’elle
se contente de prédire les effets naturels, qu’elle ne
prétende pas annoncer les futurs contingents, qu’elle
ne porte aucune atteinte au libre arbitre, voilà ce
qu’Abaüard recommande à ses disciples et à ses lec-
teurs.
Abailard était mort depuis peu d’années lorsque
Burgundion, entre 1145 et 1153, traduisit T'Ex^ocriç Tfjç
ôp0o5ô£ou TTîcjTeuuç de saint Jean Deniascène. Dans cet
ouvrage, qui eut de suite, auprès d’eux, la plus grande
autorité, les maîtres de la Scolastique latine trou-
vèrent, au sujet des jugements d’Astronomie, une
doctrine toute semblable à celle du Dialecticien armo-
ricain ; ils y lurent, en effet, un passage où saint Jean
de Damas résumait, avec beaucoup de clarté et de
fidélité, l’enseionement des Pères de l’j^olise touchant
l’Astrologie. Transcrivons ici ce passage dont les doc-
teurs chrétiens s’autoriseront bien souvent (T) :
« Les Grecs affirment que toutes choses, ici-bas,
sont gouvernées par le lever, le coucher, la conjonc-
tion des astres, du Soleil et de la Lune ; c’est, en effet,
de cela que s’occupe l'Astrologie. Pour nous, nous
disons que ces astres fournissent des signes de la pluie
ou du temps serein, de la chaleur ou du froid, de l’hu-
midité ou de la sécheresse, des vents et de toutes
choses semblables ; mais de nos propres actions, non
pas. Le Démiurge, en effet, nous a créés libres, en
sorte que nous sommes les maîtres de nos propres
actions. Si nous agissions en vertu du mouvement des
astres, c’est par nécessité que nous ferions tout ce que
nous faisons ; or ce qui est fait par nécessité n’est ni
(1) s. Joannis Daniasceni, De pde orthodosa. lib. II, cap. VII [S. Joannis
Damasceni Opéra o.mxia quæ exstaxt, t. I (P.^trologiæ Gr.ecæ, accuraïUe
J. P. Migiie, t. XCIV), coll. 891-894).
I1I« SÉRIE. T. XXVI.
“24
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
30()
vertu ni vice ; exemj)ts de vertu comme de vice, nous
ne mériterions ni récompense ni châtiment ; il se
trouverait donc que Dieu est injuste en donnant le
bonheur aux uns, le malheur aux autres. D’ailleurs,
si tout est fait et mû par nécessité. Dieu n’exerce plus
ni gouvernement ni providence sur les choses qu’il a
créées. Enfin, c’est inutilement que se trouvera, en
nous, la faculté de raisonner ; puisqu’en efiét, nous ne
sommes maîtres d’aucune action, il serait vain pour
nous de délibérer ; or, si la faculté de raisonner nous
a été attribuée, c’est uniquement pour que nous puis-
sions délibérer ; aussi tout être raisonnable est-il,
aussi, un être libre.
» Nous disons donc que les astres ne sont les causes
(raucun des êtres soumis à la génération, qu’ils ne
sont causes ni de la production ni de la génération des
choses qui naissent et meurent. Nous disons plus
volontiers qu’ils sont (seulementj les signes des pluies
et des changements de temps. Peut-être pourrait-on
dire aussi C'Icruuç b’ dv tiç eÏTToi) que, tout en n’étant point
causes des guerres, ils en constituent des signes ; que
la qualité de l’air, produite par l’action du Soleil, de
la Lune et des astres, détermine, suivant les circon-
stances, des constitutions, dispositions et tempéraments
dittérents ; et que nos tempéraments influent sur les
actes qui dé))endent de nous ; ceux-ci, en efiét, sont
soumis à l’empire de la raison qui les accomplit comme
il lui convient. »
Pierre Lombard, qui avait assurément lu ce texte,
se montre plus ])rudent et plus réservé que Pierre
Abailard et, surtout, que saint .Jean Damascène ; tout
ce qu’il accorde à l’Astrologie (1), c’est que les astres
« sont signes du temps serein ou du mauvais temps. »
I.es docteurs cbi'étiens seront portés à lui concéder un
(1) Pétri Lonibanli Soitentiannii lib. II, dist. XIV.
l’astrologie au moyen AGE
367
pouvoir plus étendu lorsqu’ils auront médité les écrits
d’Aristote et des philosophes aralies.
§ III. — GUILLAUME d’aUYERGNE ET l’aSTROLOGIE
Le De legibus
L’auteur des Tables de Marseille a été, seinble-t-il,
le premier des astronomes du Monde latin qui ait usé
des Tables de Tolède ; introducteur de l’Astronomie
arabe dans la Chrétienté occidentale, il avait, sans
doute, éprouvé, des premiers, la séduction de l’Astro-
logie à laquelle la plupart des savants de l’Islam
s’adonnaient avec une véritable fureur. Les discussions
qu’il nous conte en son ouvrage semblent prouver que,
dès ce moment, cette séduction entraînait nombre de
Chrétiens par de puissants attraits. Mais l’entraîne-
ment de l’Astrologie devint autrement intense au
XIII® siècle, lorsque la Chrétienté latine n’eut pas
seulement en mains les nombreux traités oii Ptolémée
et les Arabes avaient tracé les règles de 1’ « art judi-
ciaire », mais encore les livres oîi les Métaphysiques
du Péripatétisme et du Néoplatonisme établissaient le
gouvernement des circulations célestes sur toutes les
choses du monde inférieur ; aux Chrétiens d’Occident,
l’Astrologie parut être ce qu’elle avait semblé aux
philosophes hellènes et musulmans, le suprême cou-
ronnement de toute la Sagesse.
A ce moment, un homme se rencontra qui vit, dans
leur plénitude, les dangers que les Métaphysiques
d’Aristote et d’Avicenne allaient faire courir à la foi
catholique ; ce même homme aperçut clairement ce
qu'il y avait, dans les pratiques de l’Astrologie, d’hété-
rodoxe et, tout à la fois, d’insensé. En même temps,
donc, qu’il déclarait la guerre « à Aristote et à ceux de
sa suite », Guillaume l’Auvergnat, évêque de Paris,
368
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
mena rudement le combat contre les « jugements
d’Astronomie ».
Dans cette lutte, Guillaume se montrait le continua-
teur des Pères de TEgiise, le gardien de la tradition
scolastique des Latins, qui n’avait fait, jusqu’alors, que
prolonger l’enseignement patristique ; aussi, les argu-
ments dressés par les Pères contre les « Glialdéens »,
les « Mathématiciens », les « Généthliaques » se recon-
naissent-ils, parfois, dans la discussion qu’il mène ;
mais plus encore qu’aux autorités traditionnelles, il
demande des armes à son bon sens d’enfant d’Auril-
lac; bon sens un peu gros, peut-être, mais solide, mais
sùr et, souvent, bien défendu par un joyeux éclat de
rire contre les conclusions fallacieuses des Métaphysi-
ques suldiles.
La première attaque de (fuillaume d’Auvergne
contre l’Astrologie se lit dans son traité Des relif/ions
(De lefiihns). Ce qui excite au combat l’Evêque de
Paris, c’est, en effet, l’impiété de ceux qui font, de
toutes les religions, sans en excepter ni la religion
juive, ni la religion chrétienne, des résultats de l’action
des planètes.
La forme sous laquelle Guillaume présente cette
doctrine n’est pas celle de l’horoscope des religions
qu’Abou Masar nous a fait connaître; mais ce change-
ment de forme n’ôte rien au caractère blasphématoire
de la thèse qu’il va combatire.
« Parlons maintenant, dit-il (1), de la diversité des
religions, et racontons les o})inions de ceux qui, dans
le monde, ont la ré])utation de savants...
» 11 en est qui attribuent aux cieux et aux étoiles la
diversité des religions, comme ils leur attribuent les
( 1 1 (iuillelriii l'arisiensis episcopi De legibus, cap. XX (Guillelnii Parisiensis
episcopi Opéra, ed. Parisiis, 1516, t. I, pars I, fol. XXVII, col. b, à fol. XXVlll,
col. d.)
l’astrologie au moyen AGE
369
autres différences et conditions qui affectent les
hommes.
» Ils disent que la religion des Hébreux est issue de
Saturne et de son ciel ; c’est pourquoi les Juifs célè-
brent particulièrement le jour de Saturne qui est le
jour du sabbat. » Par des diverses propriétés de
Saturne, ils expliquent les caractères de la Loi mosaï-
que et les vicissitudes éprouvées par le peuple juif.
» Ils pensent de la même façon au sujet de la religion
des Sarrasins et de leur roj'aume ; ils croient et
affirment nettement que cette loi a été promulguée le
jour de ^^énus, et c’est par Vénus, c’est-à-dire par la
luxure, qu’elle demeure en vigueur; c’est pour cette
raison, disent-ils, que les Sarrasins célèbrent particu-
lièrement, chaque semaine, le jour de à'énus...
» De la religion chrétienne, ils prétendent qu’elle est
la religion du Soleil et que son royaume est le royaume
du Soleil. C’est pourquoi le peuple chrétien célèbre
particulièrement le jour du Soleil ; c’est pourquoi celui
qui, dans ce royaume, préside aux choses spirituelles,
c’est-à-dire le pontife romain, siège dans la ville du
Soleil...
» Quant aux sectes particulières, c’est-à-dire aux
hérésies qui existent outre ces trois religions, elles ont
pour causes, disent-ils, les conjonctions et les partici-
pations diverses des planètes les unes avec les autres.
Ils pensent, dès lors, qu’ils peuvent deviner d’avance
et pronostiquer les changements des religions, des
sectes et des royaumes, qu’il s’agisse des grandes reli-
gions, qui sont les trois dont nous avons parlé plus
haut, ou des religions moindres. On peut lire beaucoup
de choses à ce sujet dans les livres qui traitent des
jugements d’Astronomie. »
Voilà l’hérésie contre laquelle Guillaume s’élève
avec indignation.
370
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Nous n’énumérerons pas tous les arguments qu’il lui
oppose ; nous choisirons seulement les plus marquants.
En voici un, tout d’abord, que l’Evêque de Paris
regardait comme essentiel, car il le rappellera plus
tard, lorsqu’il écrira son De unicerso :
11 est impossible qu'une chose plus vile soit la cause
d’une chose plus noble. Partant, il est impossible que
les vertus des deux, des étoiles et des luminaires
soient, en nous, causes de la science, des vertus et des
bonnes mœurs, car toutes ces choses là sont plus
nobles que les vertus attribuées aux cieux par ces
auteurs.
» En outre, les vertus dont proviennent ces opéra-
tions sont ou bien corporelles ou bien spirituelles. » Et
Guillaume va examiner successivement ces deux
hypothèses.
« à'ous avez déjà appris ailleurs que les vertus cor-
porelles n’agissent que par le contact | direct] de l’agent
et du patient, ou bien par le contact de chacun d’eux
avec un milieu ; ce milieu, il faut qu’il touche l’agent
et le patient et qu’il transporte une propriété de celui-
là à celui-ci...
» Les opérations des vertus corporelles seront donc
interrompues par l’interposition d’un obstacle, à moins
que l’obstacle interposé ne soit, lui-même, apte à pâtir
de la part de cet agent. Lors donc qu’un homme entre
dans sa maison ou dans quelque abri, voilà que toutes
les opérations célestes sont, pour lui, interrompues,
tout comme se trouve interrompue, lorsqu’il entre dans
sa maison, l’opération par laquelle le Soleil l’éclairait...
Les vertus célestes ne peuvent donc rien sur les
hommes, si ce n’est lorsque ceux-ci sont hors de leurs
demeures. Dès lors, chaque fois qu’un homme entrera
dans sa demeure, il lui arrivera de changer de mœurs,
de religion et de secte; ou du moins, s’il y reste quel-
que temps et s’y repose, en lui se détruiront tous les
l’astrologie AT' MOYEN AGE
371
effets reçus des vertus célestes, comme il perd, par le
séjour et le repos dans une maison fraîche et obscure,
tout ce qu’il avait éprouvé de la chaleur et de la
lumière du Soleil. »
Dirons-nous, alors, que les actions exercées par les
astres sont des actions spirituelles ? ()ue les astres
façonnent à leur guise les choses d’ici-has comme
l’intelligence de l’artiste façonne la matière * (Tiiil-
laume observe alors que notre intelligence ne saurait
produire au dehors aucune opération purement spiri-
tuelle. L’opération spirituelle intérieure à notre âme
met en mouvement les organes de notre corps et
ceux-ci, à leur tour, meuvent leurs instruments.
« Telle est donc la manière d’opérer des substances
spirituelles qui sont conjointes à ces corps ; ces sub-
stances effectuent d’abord, en elles-mêmes, des opéra-
tions purement spirituelles ; par ces opérations, elles
accomplissent alors des opérations corporelles sur les
corps qui leur sont conjoints ; par ces premières opé-
rations corporelles, elles en accom})lissent d’autres
dans les corps qui leur sont étrangers ; l’ordre suivant
lequel procèdent ces opérations est tel : au fur et à
mesure qu’elles s’éloignent de la subtilité et de la
noblesse spirituelle, on les voit, pour ainsi dire,
devenir de plus en plus grossières. »
Dès lors, il est manifeste que cette façon d’opérer
ne peut être celle à laquelle on attribue l’influence des
astres sur les mœurs et les religions. « L’àme du
Soleil n’use du corps du Soleil que pour agir sur les
corps, en les éclairant et les échauffant... De cette
manière, donc, ne peuvent être imprimées que des
dispositions corporelles dénuées de toute noblesse, et
nullement les sciences, les arts, le don de prophétie ni
aucune vertu. »
Partant, il faudra que les astrologues admettent une
action spirituelle que les âmes des astres exercent
372
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
directement sur nos âmes ; mais « ces âmes ne
peuvent faire découler en nous que ce qu’elles pos-
sèdent ou des dispositions semblables à celles qu’elles
possèdent ». Alors, ou bien un astre infusera sans
cesse les mêmes dispositions spirituelles dans les choses
d’ici-bas ; ou bien il faudra supposer que les vertus de
l’Ame de cet astre changent suivant la diversité des
opérations effectuées dans ces êtres inférieurs ; voilà
donc ces vertus contraintes fl’ètre différentes selon que
l’astre est dans son ascension, ou au méridien, ou
dans telle ou telle des maisons que distinguent les
astrologues, dans tel ou tel des angles et des lieux
qu’ils marquent au ciel.
Ainsi, de quelque manière qu’on la veuille prendre,
la suj)position que les religions et les mœurs résultent
de rinriuence des astres conduit à des absurdités.
Assurément Guillaume a rencontré des Chrétiens
qui, comme l’auteur des Tables de Marseille^ pen-
saient concilier l’Astrologie et la foi en regardant les
astres comme de simples signes de l’avenir. L’Evêque
de Paris va leur montrer que le faux-fuyant auquel ils
recourent est impuissant à les sauver du fatalisme.
« Ou bien, dit-il, les constellations, les positions des
étoiles et des luminaires ne sont que signes des événe-
ments d’ici-bas, ou liien ils en sont, à la fois, signes et
causes.
» Si ces phénomènes en sont seulement signes, ou
bien la chose signifiée les accompagnera nécessaire-
ment ou bien non.
» Si oui, comme les signes sont nécessaires, que
rien ne les ])eut détourner ni changer, les événements
seront, eux aussi, incapables d’être changés ni détour-
nés ; tout arrivera donc d’une manière nécessaire
dans le domaine des choses morales.
» Si ce sont, au contraire, des signes que n’accom-
pagnent pas nécessairement les événements d’ici-bas,
l’astrologie au moyen AGE
373
il sera possible de disjoindre les événements de leurs
signes ; mais un sione dont la chose signifiée est dis-
jointe, [en sorte qu’elle ne l’accompagne plus], est un
signe menteur, car un semblable signe peut tromper ;
dès lors, des significations de semblables signes, il ne
saurait y avoir de science ; la science ni l’art, en efiet,
ne porte sur ce qui est sujet à erreur...
» Si ces phénomènes sont, à la fois, signes et causes
des événements d’ici-bas, comme ces phénomènes,
considérés en eux-mêmes, sont nécessaires, il faudra
bien que lej? événements le soient aussi. En efiet, le
mouvement des deux, avec toutes les dispositions qui
en résultent, est nécessaire et ne peut être changé...
En même temps, donc, tous les événements créés par
les constellations seront nécessaires, et rien ne les
pourra détourner. »
§IV. — GUILLAUME d’aUVERGNE ET l’aSTROLOGIE
Le De universo
Au De legihus, vers la fin de sa discussion contre
l’Astrologie, (xuillaume d’Auvergne écrivait :
« Quelle est la vérité au sujet des jugements d’Astro-
nomie ; jusqu’à quel point s'y peut-on fier sans danger
pour la foi et la piété, ce sont questions à la solution
desquelles je surseois. C’est, en effet, une affaire qui
requiert un traité plus long et une discussion plus
complète. » Ce traité plus long et cette discussion plus
complète, l’Evêque de Paris les devait donner dans,
son De universo.
Le De universo est un traité plus savant que le De
legihus ; Guillaume d’Auvergne y cite nombre d’au-
teurs dont il admet ou combat les opinions. Nous
avons dit ailleurs quels philosophes il connaissait et
réunissait sous cette désignation collective : Aristoteles
374
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
et ejus sequaces. Mais il n’a pas lu que les œuvres des
philosophes ; au sujet des marées, par exemple, il nous
apprend (1) « qu’il a lu ce qu’Albumasar a écrit dans
son livre ({u’il nomme : Introductoiniua judiciorum
astyonomorurn ». Ailleurs, il cite le Centiloquium
attribué à Ptolémée (2).
hitrodiictoriurn d’Abou Masar n’était d’ailleurs
pas, très certainement, la source unique de ses con-
naissances touchant les principes de l’Astrologie ; ces
principes, en effet, il les possède avec une plénitude et
une précision que cet ouvrage n’eût pas suffi à lui
donner.
C’est à propos de la (xrande Année que Guillaume
expose (3) le système par lequel les philosophes justi-
haient non seulement le retour périodique de l’état du
Monde au bout de cette Grande Année, mais encore
le gouvernement des circulations célestes sur les
choses d’ici-bas.
Ce que dit à ce sujet l’Evêque de Paris mérite
d’être rapporté en entier. Nous y verrons, tout
d’abord, avec quelle exactitude il était informé des
doctrines qu’il se proposait de combattre. Nous ver-
rons aussi, au sujet de la définition astronomique de
la Grande Année, quelle opinion avait cours de son
temps.
« Après ce que nous venons de dire, écrit-il, il est
logique d’examiner s’il y a renouvellement du Monde,
s’il n’y a qu’un Monde ou s’il y en a plusieurs...
» Je vous exposerai donc, tout d’abord, l’opinion des
(1) Guillelmi Parisiensis De universo, Primæ partis principalis pars 1
(Guillelmi Parisiensis Opéra, ecl. 1516, tract, lll, cap. XX.XIX, 1. 11, fol. cxxviii,
col. d.).
(2) Guillelmi Parisiensis De univerxo, Primæ partis principalis pars I
(Guillelmi Parisiensis Opéra, ecl. 1510, tract. III, cap. XXXI, t. Il, fol. cxxviii,
col. b.).
(3) Guillelmi Parisiensis De universo, Primæ partis principalis pars II
(Guillelmi Parisiensis Opéra, ecl. 1516, t. II, fol. cxlvii, coll. c. et d.).
l’astrologie au moyen AGE
375
Anciens. L’opinion de ces Anciens, des astronomes et
de quelques poètes est donc la suivante :
» Au bout de l’Année qu’ils nomment Année c\'-
clique (1), il y aura rénovation de TUnivers ; toutes
choses seront alors comme elles étaient au début même
de la création de l’Univers ; pendant la seconde
Grande Année, les siècles s’écouleront tous de la
même façon qu’ils se sont écoulés durant la première ;
en chacun des nouveaux siècles, on verra revenir les
mêmes choses qui ont existé au cours des premiers
siècles.
» (3n verra, par exemple, revenir le même Platon,
le même Aristote ; tous les autres hommes revien-
dront les mêmes ; ils renaîtront dans le même ordre,
accomplissant exactement les mêmes actions, subis-
sant les mêmes passions qu’ils ont accomplies ou
subies en leurs temps ; d’une manière générale, dans
chaque partie du Monde, tous les événements seront
identiques à ceux qui les ont précédés. Cette rénova-
tion, donc, c’est simplement le retour de toutes choses
non seulement à leur état antérieur, mais encore à
tout leur cours antérieur, actions, passions et événe-
ments de toutes sortes.
» A leur avis, cette Grande année contient 36 000
ans. Il en est ainsi, parce que, selon ce qu’a démontré
Ptolémée, chacune des étoiles fixes se meut d’un degré
en cent ans ; or tout cercle céleste contient trois cent
soixante degrés ; chacune des susdites étoiles accom-
plira donc sa révolution totale, et décrira tout un
cercle céleste en autant de centaines d’années que le
cercle contient de degrés, partant en trois cent soi-
xante centaines d’années. La Grande Année des étoiles
fixes contient donc 36 000 ans. Quant aux sept astres
errants, ils pensent qu’au bout de ce même nombre
< 1) Au lieu de : annum verientem, le texte de 1516 porte : annum virtutem.
376
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
d’années, ils reviennent aussi, sans aucun change-
ment, à leur état primitif. La durée dont nous avons
parlé est donc celle de la révolution du ciel entier et
du retour de tous ses mouvements à leur point de
départ.
» ^'enons maintenant au monde de la nature, au
monde de la génération et de la destruction qui est
contenu dans la sphère de la Lune et que, pour cette
raison, on nomme suhlunaire. Selon leur opinion, ce
monde admet le monde supérieur pour chef, pour cause
de tous ses mouvements et de tous ses changements ; le
monde suhlunaire suit donc nécessairement le monde
supérieur ou céleste ; en même temps que ce dernier,
])ris en sa totalité et dans chacune des choses qui lui
apjiartiennent, il reprendra son état primitif.
» Gela veut dire que tous les hommes, que tous les
animaux, que toutes les autres choses contenues dans
ce monde suhlunaire seront régénérés et réparés, de
façon à redevenir les mêmes ; à partir de ce moment,
toutes ces choses suivront leur cours, soumises, par
l’etfet de révolutions célestes qui seront les mêmes, aux
mêmes destructions, aux mêmes générations, aux
mêmes événements de toutes sortes ; il en sera ainsi
jusqu’au moment où le Monde et la durée de trente-
six mille ans atteindront une seconde fois leur accom-
plissement. Cet accomplissement sera suivi d’une
ré})étition semblable, et il en sera de même à l’infini.
» Parmi les hommes qui admettent cette opinion, les
uns ont supposé le Monde éternel ; d’autres, au con-
traire, ont pensé qu’il avait été créé depuis un certain
temps. Les uns, donc, ont été contraints de supposer
qu’il J avait eu, déjà, une infinité de rénovations de ce
genre et qu’il y en aurait, à l’avenir, une infinité. Les
autres, au contraire, ont supposé qu’il y avait une
infinité de rénovations à venir, mais qu’il n’y avait pas
eu une infinité de rénovations passées ; le fait que le
l’astrologie au moyen AGE
377
Monde a été innové, qu’il a eu un commencement, ne
le permet pas.
» 11 vous faut savoir, en outre, qu’au dire de certains,
cette Grande Année, nommée aussi Année du Monde,
comprend une durée de 40 (J0(3 ans ; et je crois que
s’ils le disent, c’est, peut-être, à cause de la diversité
que présente le retour des sept astres errants. Quelle
est, à ce sujet, la vérité, il vous est facile de le voir,
car on connaît les mouvements des planètes, et on
trouve aisément ce qu’ils seront à n’importe quelle
époque donnée ; mais cela n’a point trait à l’objet du
présent traité. »
Nous vojmns que les astronomes et astrologues
auprès desquels Guillaume d’Auvergne s’était enquis
de la Grande Année regardaient comme égales entre
elles deux périodes distinctes :
1° La durée attribuée par Ptolémée à la lente révo-
lution des étoiles fixes.
2° La durée qui s’écoule entre deux dispositions
identiques des astres errants par rapport aux étoiles
fixes.
La valeur commune de ces deux durées, trente-six
mille ans, mesurait la Grande Année ou Année du
INIonde.
Les Chrétiens avaient certainement reçu des Arabes
cette définition de la Grande Année. Nous avons vu (1)
que les Frères de la Pureté et de la Sincérité profes-
saient très exactement à cet égard, la doctrine que
Guillaume vient de nous exposer. Les Arabes, d’ail-
leurs, tenaient sans doute cette définition des Indiens.
Que la durée de trente-six mille ans fût, au temps de
Guillaume d’Auvergne, regardée comme l’évaluation
la plus probable de la Grande Année, Joannes de
(1) Voir : Le Système du Monde, Première Partie, ch. XII, § V; t. II.
pp. 215-220.
378
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Sacro-Bosco nous en est témoin. Dans son traité du
Comput ecclésiastique, ([ui fut rédigé soit du vivant de
(Guillaume d’Auvergne, soit peu de temps après la
mort de ce prélat, voici comment il s’exprime au
sujet des années (i) :
« Parmi les années, on distingue l’année particulière
de chaque astre errant, et l’année commune à tous ces
astres ; celle-ci reçoit spécialement le nom d’Année du
Monde ou Année parfaite...
» La Grande Année est l’esjiace de temps au bout
duquel tous les astres errants, avec les étoiles fixes de
tout le firmament, reviennent aux places qu’ils occu-
j)aient lors de la jiremière origine du Monde. C’est
de cette Année que dosèphe a fait mention en ces
termes ; ... >
Après avoir cité le texte où l’Historien Juif jiarle
d'une Grande Année de six cents ans, notre auteur
poursuit ainsi :
« Il existe un avis plus véritable des Philosophes,
définissant par une durée de 15 0()(J ans la Grande
Année, qui est l’Année du Monde tout entier ; d’où ces
vers :
Milliii 1er (juinque Mmidiis complectitur annos,
Ut Plalo testatur, (jiios Maginim nunciipat Aniiuin.
Ex his l)is centum minus uno, millia ([uinepie
Ura^cessere tua’ nova' legis tempora, Christe.
» Toutefois, l’Année parfaite du Monde paraît con-
tenir 30 0(J() révohitions du Soleil. »
Nous avons trouvé un enseignement qu’on peut
rapprocher du précédent dans un très coind opusctde
manuscrit (fui nous a été communiqué par M. Jacques
Rosenthal, le savant libraire de Mtmich.
(1) làbellus loannis de Sacro Husto, ])e. arini rutione, sen ui vocaiur
vnl(/o Computus Ecclesimticus. Ciun Præfatione l'hilippi Melantlionis,
1545. Coloplion ; Impressum Vitel)erga', apud Vitum Creutzer. Anrio MDXIA’.
— De aiiiiis, fo!. sign. I. 3, V", et fol. sign. 1., 4, r"et v".
l’astrologie au moyen AGE
379
Cet opuscule est intitulé : Quid sit anmis Solaris
Rub.
(v)uel est ce Robert (Ruhertus) qui s’est proposé
de définir l’année solaire ? Serait-ce Roliert Grosse-
Teste, évêque de Lincoln, que souvent, dans les
manuscrits, désigne le simple prénom de Robert, et
qui avait ainsi coutume de rédiger de très courtes
pièces ? L’hypothèse est assez vraisemblable ; mais elle
n’est point certitude.
L’opuscule débute par cette définition de l’année
solaire :
« Annus est Solaris anfractus cum^ peractis tre-
rentis sexaf/inta quinqiœ diehvs, [S'o/] ad eadem loca
siderium (sic) redit ».
11 prend fin par ces paroles :
« Quoi autem sunt anni ah origine Miindi dictuni
est sub hoc. »
Or, dans ce ])etit écrit nous lisons le passage que
voici :
« Magnus autem amius completur reversis planetis
omnibus ad loca sue creationis^ quod fit annis non
pauciorilnis CCCCt'XXX. Alundi vero a7inus erit
omnibus stellis ad prima loca reversis quod fit demum
post A T" millia annorum. Alagister dicit in historia
Gen., ubi agit de ebrietate Noe, quod magnus annus
impletur j)er circula sex-centorurn annorum. — La
Grande Année est accomplie lorsque tous les astres
errants sont revenus aux lieux qu’ils occupaient lors
de leur création, ce qui ne se fait pas en moins de cinq
cent trente ans. Quant à l’Année du Monde, elle sera
accomplie lorsque toutes les étoiles seront revenues à
leurs places primitives,’ ce qui a lieu après quinze
mille ans. Dans l’histoire de la Genèse, là où il traite
de l’ivresse de Noé, le Maître (Moïse) dit que la
Grande Année s’accomplit par cycles de six cents ans. »
Cet enseignement de Joannes de Sacro Bosco et de
380
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Robert s’accorde visiblement avec celui de Guillaume
d’Auvergne, bien qu’il soit moins clair et moins com-
plet. Il nous apprend que la pensée de la (xrande
Année platonicienne, de l’Année qu’embrasse la vie du
Monde, hantait les écoles du Moyen Age ; les computs
versifiés qu’y apprenaient les jeunes élèves n’avaient
garde d’omettre la détermination de cette période ; la
tradition la plus communément répandue lui attribuait
une durée de quinze mille ans ; mais les hommes plus
instruits regardaient la durée de trente-six mille ans
comme plus probable. En combattant donc la croyance
à la Grande Année, Guillaume d’Auvergne ne se bat-
tait pas contre une chimère ; l’erreur qu’il condamnait
était bien vivante chez ses contemporains.
Nous ne suivrons pas dans tous ses détails la lutte
que l’Evêque de Paris mène contre la superstition
astrologique ; plusieurs longs chapitres du De tmiverso
sont consacrés à cette discussion, dont nous ne retien-
drons que quelques chefs principaux.
11 est, d’ailleurs, des parties de cette discussion où
l’auteur reprend ce qu’il avait déjà dit au De legihv.s,
et il a soin d’en faire la remarque (1) :
« Déjà, dans un autre traité, vous m’avez entendu
dire beaucoup de choses à ce sujet, et je vous ai donné
les principes propres à détruii-e ces o])inions.
» Le premier de ces principes était le suivant : Au-
cune vertu ne saurait donner ce qui est plus grand ou
plus noble qif elle-même. Tous les ]»hilosophes s’ac-
cordent en ce point, car tout don est meilleur et plus
gi-and dans celui qui donne que dans celui qui reçoit.
» Dans ce même traité, j’ai également fait usage de
cet autre principe : Les vertus spirituelles et les dons
s])irituels, tels que les arts, les sciences et les autres
(1) Guillelnii Parisieiisis De universo. priiiiæ partis principalis pars 1 (Guil-
lelmi Parisieiisis Opéra, ed. 15K), tract. 111, cap. .\.\X1, t. 11, fol. c.x.xiii,
col. b).
i
l’astrologie au moyen AGE
381
perfections des âmes humaines ne proviennent point
(le corps pris en eux-mêmes et en tant c[ue corps. »
Nous ne nous arrêterons pas aux passages où le l)e
uniüerso reprend en les expliquant, les détaillant, les
illustrant d'exemples, les arguments que le l)e legihus
avait opposés à l’Astrologie ; de cette discussion,
renouvelée et étendue, nous nous bornerons à citer
deux passages : dans l’im, nous verrons (Tiiillaume
user de sa verve spirituelle ; dans l’autre, nous l’en-
tendrons faire appel à son bon sens.
Voici d’abord pour l’esprit (1) :
« Quelqu’un, qui me l’a conté en personne, s’est
joliment moqué d’un mage qui lui promettait une
haute dignité... » — « Si Dieu, lui répondit-il, ne veut
pas que j’obtienne cette dignité, pourrez-vous faire que
je l’obtienne ?» — « Si Dieu ne le veut pas, je ne le
pourrais faire d’aucune façon. » — « Et si Dieu veut
que je l’obtienne, pourrez-vous empêcher que cela ne
soit ?» — « Ni moi ni personne d’autre ne le peut. »
Alors notre homme de dire au mage : « Tout est donc
à la volonté de Dieu ; aussi, je m’en remets à lui pour
tout ce qu’il a décrété. »
Voici maintenant comment le bon sens renverse la
supposition de la Grande Année (2) : « Pourquoi cette
intention naturelle se portera-t-elle à deux objets con-
traires ? Pourquoi la nature tendra-t-elle non seule-
ment à engendrer, mais aussi à corrompre et détruire
ce qu’elle a engendré ? Il ne paraît pas possible qu’une
seule et même nature ait l’intention de produire deux
effets contraires ; cette intention serait ridicule, comme
serait ridicule, chez un maçon, l’intention de bâtir et
de démolir une même maison ; un homme qui bâtit
(1) Guillaume tl’Auvergne, loc. cit. ; écl. 1516, t. 11, fol. cx.wii (marqué
cxvii), col. b.
(2) Guillelmi Parisiensis De unicerso, primæ partis principalis pars II
[Guillelmi Parisiensis Opéra, ed. 1516, t. II, fol. cl, col. c].
IIP SÉRIE. T. XXVI. -25
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
une maison et qui, en même temps qu’il la bâtit, la
démolit, fait comme s’il ne la bâtissait pas...
» J’ai dit qu’une vertu de ce genre tendait à pro-
duire un effet infini ; mais on aurait pu dire semblable-
ment, comme il paraît, qu’elle tend au néant ; de
même, en effet, (pi’elle tend à l’existence par une
génération continuelle, de même, par une destruction
continuelle, tend -elle au non-être, c’est-à-dire au
néant. »
Par une admirable intuition, Guillaume a compris
que l’œuvre de la nature doit se poursuivre dans un
sens bien déterminé et toujours le même ; que cette
(Duvre ne peut consister en deux opérations alternatives
et de sens opposés qui se compensent l’une l’autre. Cet
éclair met en évidence rim])ossibilité d’un Monde qui,
éternellement et périodiquement, parcourrait le même
cycle, du Monde que concevaient la plupart des philo-
sophies antiques ; en même temps, il fait entrevoir le
Monde de la Science moderne, le Monde qui n’admet
])as de mouvement perpétuel, qui se soumet aux lois
de Sadi Carnot, de Clausius, de \Villiam Thomson.
Mais laissons les objections de Guillaume contre
l'Astrologie et demandons lui ce qu’il regarde comme
véritable dans les actions qu’on prête aux astres.
« Afin que je vous donne l’exposé complet des prin-
<-ipes relatifs aux jugements astronomiques, écrit
l'Kvêque de Paris (1), voici ce que je vousylirai par
un bref discours : Ce qui semble le plus probable tou-
chant les vertus et effets des étoiles et des astres, on le
déduit des opérations qu’exercent les vertus des autres
choses telles que les animaux, leurs diverses parties,
les herbes, les médecines, les pierres précieuses ; les
(1) Guillelnii l’arisiensis De universo, priniæ partis principalis pars I
(Guillelmi Parisiensis O/iera, ed. 1516, tract. 111, cap. XXXI ; t. il, fol. cxxii,
col. d).
l’astrologie au moyen AGE
383
vertus de ces choses sont comme leurs aspects et
manières d’ètre à l’égard des autres choses. »
Guillaume va donc étudier les actions mutuelles,
attractives ou répulsives, que les choses d’ici-bas
exercent les unes sur les autres.
Dans cette étude, nous pourrions peut-être nous
attendre à trouver, de la part de notre auteur, une
attitude quelque peu sceptique à l’égard des innom-
braldes s^unpathies et antipathies qu’admettait la
science du Moyen Age. 11 venait, en effet, de se mon-
trer sévère envers ceux qui invoquent sans cesse de
nouvelles actions de ce genre. A la suite d’une objec-
tion qu’il avait opposée aux partisans de l’Astrologie,
il avait dit (1) :
« Ici, ils n’ont, pour fuir, que deux voies, dont une
n’est autre que les ténèlires ; ces ténèbres, beaucoup
de gens les regardent comme une retraite et un refuge
pour leur ignorance ; toutes les fois, en effet, qu’on les
interroge au sujet d’une cause qu’ils ne connaissent
pas, ils recourent à des vertus occultes ; cette cause,
disent-ils, c’est une cause occulte et une vertu cachée
par laquelle telle chose est de cette façon. »
Le bon sens de Guillaume lui montre qu’on n’expli-
que rien en invoquant une cause occulte ; mais sa
crédulité se montre tro]) accueillante aux fables qui se
débitaient communément autour de lui. La première
action répulsive dont il invoque l’exemple (2) n’est-elle
pas celle par laquelle cette innocente bête qu’est le
basilic tuerait rhomme à distance, par son simple
regard ? Pouvons-nous, toutefois, demander à notre
auteur de ne point être de son temps ?
Ne nous étonnons donc pas trop de l’entendre attri-
buer aux gemmes une foule d’actions phj^siologiques qui
(1) Guillaume d’Auvergne, loc. cit., éd. 1516, p. cxxii, col. b.
(:2) Guillaume d’Auvergne, loc. cit., éd. 1516, t. 11, fol. cx.\ii, col. d.
384
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
font aujourd’hui sourire notre science mieux informée.
Ces attributions, d’ailleurs, il est trop prudent pour les
prendre à son compte ; par les « on dit», « on suppose »,
« les médecins attestent », qui émaillent son discours,
il laisse à qui de droit la responsabilité des enseigne-
ments qu’il nous transmet. Le jaspe et les sardoines
arrêtent les hémorragies, écrit-il (1), « si ce que les
expérimentateurs en disent est vrai, si vera sunt quæ
dicunt eœperimentatores de eis. »
Sa crédulité a des bornes, d’ailleurs ; elle s’arrête
au moment où les effets attribués à certains corps
excèdent nettement ce qu’on peut attendre d’actions
physiques : « On a étendu, dit-il (2), ces aspects et
vertus des pierres précieuses ; par une supposition en
faveur de laquelle on ne peut opiner {ponentes inopi-
nabiliter), on en a fait des êtres spirituels ; ainsi on a
imposé à l’émeraude un aspect à l’égard des richesses,
un asjiect attractif, dis-je, car on a prétendu qu’elle
attirait la richesse vers son possesseur. »
Les superstitions de ce genre se reliaient, d’ailleurs,
à l’Astrologie ; on donnait l’action des pierres pré-
cieuses pour une participation de l’action céleste ;
« selon ceux qui y croyaient, toute vertu d’une })ierre
réside en cette pierre parce ([u’en elle, il y a de la
cinquième essence (3). »
L’erreur séduit l’esprit par la part de vérité qu’elle
contient ; si les charlatans obtenaient crédit pour toutes
les vertus merveilleuses qu’ils attribuaient aux pierres
précieuses, c’est qu’ils en pouvaient montrer certaines
propriétés bien réelles. « Toutes les pierres précieuses
(1) Guillelmi l'arisiensis De unirerso, prima' partis principalis pars I
(Guillelmi Parisieiisis üperu, ed. 1516, tract. III. cap. XXXl.X, toni. 11, fol.
cx.xviii, col. d).
(2) Guillelmi Parisieiisis De vniverso primæ partis principalis pars I (Guil-
lelmi Parisieiisis Opéra, ed. 1516, tract. 111, cap. XXXI ; t. 11, fol. cxxii,
col. d).
(3) Guillaume d’Auvergne, loc. cit-, éd. 1516, t. II, fol, cxxiii, col. b.
l’astrologie au moyen AGE
385
et bien polies ont un certain aspect d’ainour à l’égard
des fétus de paille très légers (1). » Si l’émeraude bien
polie et frottée attirait un fétu à distance, ne pouvait-
on, aussi bien, la croire capalde d’attirer les riches-
ses ?
Guillaume connaît les attractions qu’exercent les
corps électrisés ; il se montre également informé des
actions magnétiques.
Parmi les actions à distance qu’il énumère, et qu’il
nomme des aspects, il distingue deux espèces, l’aspect
d’amour et l’aspect de haine, c’est-à-dire l’attraction
et la répulsion.
« A l’égard de la pierre d’aimant, dit-il (2), le fer a
deux aspects et, en outre, un troisième qui est, pour
ainsi dire, intermédiaire entre les deux premiers et
formé de leur inélano-e.
» Par le premier aspect, le fer se comporte, en
quelque sorte, à l’égard de la pierre, comme l’amant
à l’égard de l’objet aimé ; de quelque façon qu’on
déplace cette pierre, il la suit, pourvu qu’il en soit à
une distance limitée.
» 11 y a un aspect contraire, une manière d’être
opposée du fer à l’égard d’une pierre d’aimant d’un
autre genre ; il la fuit comme il fuirait un ennemi.
» Il J a, enfin, un troisième aspect à l’égard d’un
troisième genre de pierre magnétique; celle-ci, par
une de ses parties, attire le fer ; par l’autre, elle le
repousse et le met en fuite. Get aspect est, en quelque
sorte, composé des deux premiers. »
Guillaume sait qu’on peut observer non seulement
des attractions magnétiques, mais encore des répul-
sions ; il sait aussi qu’une pierre d’aimant pent, par
ses deux pôles, manifester des propriétés contraires.
(1) Guillaume d’Auvergne, loc. cit., éd. 1516, t. II, fol. c.'ixii, col. d.
(2) Guillaume d’Auvergne, loc. cit., éd. 1516, t. II, fol. cxxii, col. d.
386
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Mais ses connaissances, bien que véridiques, sont
encore confuses. Elles ne se })récisent pas en ces deux
lois :
Deux pôles magnétiques de même nature se re-
poussent ;
Deux pôles magnétiques de natures contraires s’at-
tirent.
L’ignorance de Guillaume à l’égard de ces deux lois
O C
lui est-elle particulière ? Lui est-elle, au contraire,
commune avec ses contemporains ? Comme l’Evêque
de Paris paraît avoir été l’un des hommes les plus
instruits de son temps, la seconde supposition est plus
vraisemblable que la première. Si elle est exacte, la
science des actions magnétiques va faire des progrès
rapides, car en 1269, dans sa célèbre Lettre sur l'ai-
mant^ Pierre de Maricourt, dit le Pèlerin, connaîtra
exactement les deux lois des actions magnétiques et
les étalilira cà l’aide d’expériences très claires.
Les attractions et répulsions très réelles des corps
aimantés, les forces très réelles qu’exercent les corps
électrisés, tels sont, nous le voyons, les exemples qui
accréditaient, auprès des hommes du Moyen Age, tant
de sympathies et d’antipathies fabuleuses entre corps
terrestres ; de même, l’action très véritable que la
Lune et le Soleil exercent sur les eaux de la mer
garantissait la créance que les astrologues accor-
daient aux influences célestes. Si l’homme ne possède
jamais l’entière vérité, jamais, non plus, il ne se
trompe tout à fait.
« Outre les opérations (i), les aspects et les rela-
tions que nous avons cités, on en peut trouver une
foule d’autres qui favorisent l’avis de ceux qui veulent
opiner avec les astronomes... En raisonnant donc
d’après la réunion de tous ces faits {aggregata ratio-
(1) Guillaume d’Auvergne, \oc. cit. ; éd. 1516, fol. cxxiii, coll. a et b.
l’astrologie au moyen AGE
387
cinaiione), on pourrait dire comme par une sorte de
conjecture : S’il y a, dans les corps terrestres, dés
vertus si nombreuses et si puissantes, qui sont occultes,
bien que les opérations en soient manifestes, il n’est
pas étonnant qu’il y ait, dans les corps célestes ou
dans les deux, une multitude de vertus admirables et
occultes.
» Je vais donc vous dire s’il y a quelque vérité dans
les opinions des astronomes, quelle elle est, et de
quelle manière elle est vraie.
» Il est manifeste que l’aspect de la Lune agit sur ce
qui est froid et humide, sur le froid même et sur l’hu-
midité même ; aussi la Lune agit-elle sur l’humidité
pour l’augmenter ou la diminuer, sur le froid pour en
faire croître ou décroître l’intensité.
» Gela est très évident pour le plus grand des corps
froids et humides qui est la mer ; la mer augmente
ou diminue suivant que la lumière de la Lune aug-
mente ou diminue.
» 11 est manifeste que les choses se passent de la
même manière pour le cerveau et la moelle des ani-
maux ; les bouchers et les chirure-iens l’ont reconnu
par une expérience très certaine.
> (ju’il en soit encore de même pour la moelle des
arbres, c’est-à-dire pour les humeurs qu’ils renferment,
cela se manifeste aux bûcherons.
» Mais ce qui arrive accidentellement par suite de
ces accroissements et de ces flux ne peut être prédit,
si ce n’est d’une manière conjecturale ; ainsi en est-il,
par exemple, de la destruction des maisons ou des
petits villages proches de la mer, des submersions et
bris de navires, des noyades d’hommes et d’animaux
[qui peuvent résulter de la marée]. De bien des ma-
nières, en effet, on peut empêcher que ces résultats
ne se produisent par suite du flux de la mer ; à l’aide
de digues et de barrages, on résiste à la mer et on en
388
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
évite riiiondation ; les hommes et les animaux fuient,
en sorte que la mer ne les prend pas ; d’une foule de
manières, connues des navigateurs et des hommes de
mer expérimentés, on veille au salut des vaisseaux...
» ( )n doit penser de même au sujet des inondations
Ignées que produisent trois montagnes, savoir le A^ol-
can, l’Etna et la Cdiimère. Mais ces éruptions ne sont
pas toujours égales et ne se font pas d’une manière
unique ; il est donc manifeste qu’elles ne proviennent
pas de la seule vertu de la Lune ; ... il en résulte
nécessairement que d’autres planètes ou étoiles fixes
participent avec le Soleil aux opérations de ce genre. »
Telles sont donc les actions que Guillaume regarde
comme provenant certainement de la Lune et des astres ;
ce sont celles c[iie, depuis l’Antiquité, personne ne leur
contestait ; parmi ces actions, il en est une, celle qui
détermine le flux et le reflux de la mer, qui est très
certaine ; ([liant aux autres, la croyance populaire leur
accorde, encore aujourd’hui, un(' fréquente confiance ;
si l’on tient compte de la commune crédulité au temps
où vivait Guillaume, on le peut, semble-t-il, féliciter
de sa réserve.
Mais plus encore que la prudence des conclusions,
la forme du raisonnement qui les a fournies mérite
d’être louée.
L’Evê([ue de Paris a commencé par réunir tout ce
que l’expérience enseigne au sujet des actions que les
corps d’ici-has peuvent, à distance, exercer les uns
sur les autres. Une induction conjecturale l’a conduit,
alors, à admettre que les astres pouvaient, sur les
corps terrestres, produire des effets de même nature.
Mais c’est encore à l’observation et à l’expérience
qu’il demande de manifester quelles actions émanent
réellement de la Lune ou des autres astres.
La méthode suivie par Guillaume est rigoureuse-
ment scientifique. Sans doute, elle ne l’empêche pas
l’astrologie au moyen AGE
389
de professer des erreurs ; il se trompe, parce que ses
contemporains, auxquels il se fie, parce que médecins,
chirurgiens, bouchers, bûcherons lui donnent des pro-
positions imaginaires ou douteuses pour vérités con-
firmées par une expérience constante ; mais, en dépit
de ces erreurs qu'il lui eût été bien malaisé d’éviter, sa
méthode le conduit à une affirmation dont l’importance
est grande, et c’est celle-ci : L’action par laquelle
la Lune meut la mer est semblable à celle par la-
quelle l’aimant attire ou repousse le fer, à celle par
laquelle une pierre précieuse frottée attire les fétus de
paille. Lorsque nous traiterons des marées, nous l’en-
tendrons reprendre et développer cette analogie.
Si Guillaume d’Auvergne admet la réalité de cer-
taines actions exercées par les astres, c’est parce que
ces actions sont de même nature que celles dont les
corps terrestres nous offrent des exemples. (Jue nous
voici loin des principes à l’aide desquels le Péripaté-
tisme ou le Néoplatonisme justifiait l’Astrologie ! Pour
ces philosophies, en effet, si les mouvements célestes
gouvernaient les choses d’ici-bas, c’est parce que les
orbes et les astres étaient éternels, immuables et divins,
absolument difterents, par leur nature, des choses
sublunaires.
Guillaume sait, d’ailleurs, combien le raisonnement
inductif par lequel il rend vraisemblable l’existence de
certaines actions émanées des astres diftere de ceux
par lesquels les Astrologues prétendent justifier leurs
principes. Ils eussent pu, dit-il, employer cette argu-
mentation conjecturale, s'ils y avaient sonyê : « Ag-
gregata igitur ratio cinatio ne tanquarn per aliquam
conjecturani dicere potuissent, si animadvertissent... »
Notre auteur a parlé, jusqu’ici, en physicien ; il a
dit quelles actions le raisonnement inductif lui per-
mettait d’attribuer à la Lune et, peut-être, à certains
autres astres. Ces actions sont-elles les seules qui
390
REVUE DES QUESTIOr\’S SCIENTIFIQUES
émanent des corps célestes ? « Aux deux luminaires,
aux étoiles, voire même aux cieux, peut-on attribuer
des vertus qui ne soient pas semldables à celles que je
vous ai nommées ?... Là est la question. » Une longue
discussion des prétentions des astrologues et devins va
conduire l’Evêque de Paris à sa conclusion définitive ;
il ne va plus dire en physicien quelles actions astrales
lui semblent réelles ; il va, en philosophe et en théo-
logien, tracer la frontière entre les influences qu’il est
permis d’attribuer aux astres et celles qu’on ne leur
saurait concéder.
« Dans deux autres traités, écrit-il (1), vous m’avez
entendu, déjà, développer de nombreuses objections
contre cette erreur Te vais donc mettre fin à cette
discussion et je dirai :
» On doit, comme je vous l’ai démontré dans les
précédents chapitres, accorder que des vertus célestes
s’exercent sur les choses contenues ])ar la sphère de la
Lune; ces vertus ont pouvoir sur les natures radicales,
c’est-à-dire sur les éléments, sur les humeurs et sur
les corps qui en sont composés ; comme je vous l’ai
dit précédemment, elles ont aussi pouvoir sur les êtres
animés ; sur les lirutes animées, elles exercent leur
action avec force et d’une façon dominante, car ces
êtres animés suivent, d’une manièi’e nécessaire, les
natures radicales....
» Il en est de même pour les hommes ; elles ont un
certain pouvoir sur les hommes, mais elles ne l’exer-
cent qu’autant que les hommes le veulent; ce n’est pas,
en effet, d’une manière naturelle que les hommes
suivent ou fuient les natures radicales, mais lhen par
une libre volonté.
» Mais le vulgaire et la multitude, par suite de la
(1) Guillelmi Parisiensis De imivevso, priniæ partis principalis pars I
(Guillelmi Parisieiisis Opéra, ed. 1516, tract. 111, cap. XXXII, t. II, fol. cxxvi,
col. d, et fol. cxxvii, col. a.
l’astrologie au moyen AGE
391
pauvreté et d’autres dispositions mauvaises, suivent, en
majorité, les natures radicales presque à la façon des
brutes.... Ainsi, durant les chaleurs prolongées du
mois de juin, la bile s’aigrit; les hommes se mettent
plus aisément et plus violemment en colère ; de là des
rixes, des conflits, des guerres; ces troubles, d’ailleurs,
se trouvent surtout excités dans les pays chauds —
Ceux donc qui prévoient ces causes peuvent prédire
qu’il y a aura des troubles dans ces pays, mais ils
ne les peuvent prédire que d’une façon conjecturale,
et en parlant d’une manière générale ; pour chaque
homme pris en particulier, ils ne sauraient prévoir ni
prédire rien de tel ; les sages, en effet, ceux qui
dominent leurs esprits, savent qu’il ne faut pas suivre
ces passions ; volontairement, à l’aide d’une force libre,
ils ne les suivent pas ; ils les compriment et les
éteignent en eux-mêmes ; ils pourront bien, cela est
manifeste, souffrir à l’occasion de l’excès du froid ou
de la chaleur, ....; mais, s’ils cèdent à ces afflictions
ou à ces passions, c’est d’une manière libre et volon-
taire ; ils ne peuvent donc pas être contraints par les
opérations célestes, et aucune nécessité ne leur est
imposée. »
En laissant ainsi champ ouvert aux suppositions des
astrologues pourvu que le libre arbitre de l’homme
soit sauf, Guillaume d’Auverene suit la tradition des
Pères de l’Eglise et, notamment, de saint Augustin ; à
son tour, il sera généralement suivi par les docteurs
catholiques du xiii'' siècle et, en particulier, par l’Uni-
versité de Paris.
P. Duhem.
LES FORETS CONGOLAISES
Parmi les questions qui intéressent le plus vivement
l'avenir agricole, et par suite l’avenir économique de
notre colonie, il faut comjiter celles qui se rapportent
aux forets.
Bien souvent nous sommes revenu sur la forêt tro-
picale congolaise, et nous avons même été amené à
entamer à ce sujet une discussion avec notre confrère
berlinois le 1)'' Mildbraed, Ixdaniste de l’Expédition
scientifique centro-africaine du Prince Ad. de Meck-
lenbourg. Dans le dernier fascicule du livre consacré
par le IP Mildliraed à la botanique de cette importante
expédition qui a traversé la partie nord-est de notre
colonie, depuis la Ruzizi jusqu’à Stanley ville, notre
confrère examine quelques-uns des arguments que
nous avons présentés contre une de ses thèses : la forêt
tropicale vierge congolaise est très étendue, elle occupe
non seulement des galeries le long des rivières, mais
s’étend loin au delà des rives des cours d’eau dans
l’intérieur des terres; les habitants du }>a3"s n’ont eu,
jusqu’à ce jour, que peu d’action sur elle. Gela au moins
dans le nord du Congo (1).
Dans nos Documents sur la Géo-hotanique con-
go/afsc, nous avons exposé notre avis sur divers points
de cette thèse, montrant entre autres que, dans bien
des cas, l’indigène, suivi par le blanc — ce que nous
(1) Wiss. Ergebn. d. Deutsch Z entrai- Afrika £.r/)ed., 1907-1908. Bd. II,
Bot. Lief. 7, 1914.
LES FORETS CONGOLAISES
393
avons désigné sous le nom global de « civilisation )» —
tend à détruire la forêt; non seulement celle-ci s’appau-
vrit en essences typiques de la forêt vierge primitive,
mais elle diminue en surface (1).
Or cela n’est-il pas des plus préjudiciable à l’avenir
de la colonie ?
M. le D’’ Mildbraed, dans l’étude très documentée
dont nous parlons, a bien voulu reproduire certains
passages des analyses que nous avions consacrées à son
premier travail paru peu après le retour de la mission.
Nous disions dans la Chronique coloniale et finan-
cière du 7 novembre 1909 : « Le long de la rivière
(Aruwimi-Ituri), dans la zone fréquemment soumise
aux crues, la forêt est certes encore à peu près vierge,
mais à une certaine distance du fleuve, la forêt que le
D'’ Mildbraed compare aux forêts riches de l’Amazonie,
l’est-elle encore ? En un mot, existe-t-il i)artout de
la forêt primaire? Nous ne le pensons pas. La forêt
tropicale primitive disparait rapidement, et, si nous ne
prenons des mesures spéciales de conservation, il ne
nous sera bientôt plus possible de déterminer exacte-
ment quels sont les types végétaux qu’il faut considérer
comme caractéristiques de cette forêt primaire, vrai-
ment vierge. La civilisation qui a pénétré partiellement
dans l’Ituri, comme dans toute la partie orientale du
Congo — nous faisions allusion ici à la civilisation indi-
gène, à la pénétration des indigènes venant du nord —,
a dû modifier l’aspect de ces forêts et faire apparaître
des types végétaux que l’on rencontre, actuellement,
dans toute la forêt congolaise, et qui sont admis par la
plupart des botanistes-voyageurs comme des types
caractéristiques des forêts tropicales secondaires.
» Certes, comme le dit M. Mildbraed, la forêt
(1) Documents sur la Géo-botanique congolaise. Bruxelles 1913, p. 107
et suiv.
394
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
s’étend à l’ouest vers celles du Cameroun et de la
(^ôte occidentale d’Afrique; mais si, ce qui est possible,
elle a été continue dans le temps, elle est interrompue
de nos Jours, et cela, ou pourrait presque l’affirmer,
par l’action de riiomme qui, à l’aide des incendies et de
ses cultures irrationnelles, a réussi à diminuer forte-
ment l’aire de dispersion de la forêt, laissant tout
envahir par la brousse dont il peut difficilement tirer
profit. »
M. le !)*■ Mildbraed objecte à cette manière de voir,
que l’Arnwimi-lturi n’est guère soumis aux crues et
que la civilisation n'a pas pu agir sur la forêt. Nous
jtouvons admettre jusqu’à un certain point la première
objection, bien que, au dire de nomlireux ingénieurs,
dans la forêt noixl-est du Congo, un peu pins à bouest
peut-être de la partie visitée par l’expédition alle-
mande, la forêt est inondée partiellement pendant une
partie de l’année, ce qui favorise grandement sa
conservation, en empêchant l’indigène de s’3' fixer
on d’ y faire des cultures. Mais nous ne pouvons admet-
tre la seconde partie, car il existe là des indigènes qui
cultivent, et toutes les cultures sont faites après des-
truction de la forêt. Cela ne change donc rien à ce que
nous avons écrit, nous maintenons notre appréciation,
en la renforçant, car actuellement nous ne dirions cer-
tainement pins « on pourrait presque l’affirmer », mais
bien « on peut l’affirmer ».
I)’une de nos études parue dans laREvuE des Quest.
SCIENT., octobre 1912, le D’’ Mildbraed reprend ceci :
« Nous crojmns cependant que dans la région de l’ituri,
la grande forêt tropicale est réduite à des rideaux
forestiers, plus ou moins épais, et nous sommes per-
suadé que cette grande forêt trojûcale n’est pas, dans
le Congo, aussi compacte qn’on l’a fréquemment dit et
écidt, et qu’en outre elle est rarement vierge ».
Contre cette appréciation notre confrère doit, dit-il.
LES FORETS CONOÜLAISES
395
fortement s’élever ; de même contre celle que nous avons
émise dans nos Documents iiom' r étude de la Géo-ho-
tanique congolaise, p. 173, oii nous disions : « Il faut
bien noter que dans ses pérégrinations, le botaniste de
l’Expédition allemande a surtout exploré les galeries
des rivières et que cette circonstance a peut-être
influencé son appréciation de la flore de l’est de la
zone indiscutablement forestière, car ce sont certaine-
ment les bords des rivières qui ont vu, nous. en avons
indiqué les raisons, leur flore le moins modiflée par
l’action de rhonmie ».
M. Mildbraed insiste sur le caractère très net
de grande forêt de haute futaie que présentent les bois
de rituri; « 11 semble, ajoute-t-il, que De Wildeman a
comparé la région de l’Ituri avec celle du Bas- et
Moj^en-Gongo ». Puis il constate qu’il n’existe pas de
galerie le long de l’Armvimi, mais bien la forêt con-
tinue.
Admettons-le ; il paraît actuellement peut-être assez
bien établi que l’Arinvimi et une bonne partie de
ses affluents, se trouvent dans la grande forêt; mais
faisons remarquer que M. le D’’ Mildbraed dit
lui-même que cette situation n’est pas celle que
l’on rencontre partout dans le Congo. 11 dit même
expressément (1), à propos des galeries forestières du
Bas-Congo et de l’Angola, dont la flore est, d’après lui,
très semblable à celle de la « Hylaea », qu’on peut
considérer ces galeries comme des reliques, des restes
d’une époque oîi la forêt était beaucoup plus étendue.
Toutefois cette diminution de la forêt ne serait pas due,
d’après lui, à l'intervention de l’homme, mais surtout
à une diminution de la chute d’eau et à une augmenta-
tion de la température.
(1 ) Mildbraed, loc. cit., p. H90.
396
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Certes ces facteurs ont pu agir dans le passé, mais
actuellement leur action, si elle se fait peut-être encore
sentir, nous paraît bien moins importante que celle de
l’homme.
Si, comme le dit M. le D" Mildbraed, pour essayer
de prouver le peu d’influence de rhomme et de l’intro-
duction de ses cultures sommaires, on doit faire des
étapes de dix, vingt et souvent trente kilomètres pour
trouver des traces de villages indigènes autour des-
quels la forêt est plus ou moins détruite, il faut recon-
naître que les photographies publiées sur la région,
entre autres ]>ar M. Mildbraed lui-même, nous mon-
trent pas mal de plantes considérées par les forestiers
africains comme typiques de la forêt secondaire. Cette
constatation n’impose-t-elle pas la question : « La forêt
est-elle encore vierge ? »
On peut affirmer en tout cas qu’autour des postes,
peu nombreux, nous voulons bien l’accepter, la forêt
a subi et subit encore journellement l’action de
l’homme, même dans la région de l’Aruwimi-Ituri.
Nous pourrions citer à l’appui de notre appréciation
de l’oriffine secondaire de certaines brousses de l’in-
térieur de la grande forêt congolaise, les observations
de M. F. Thonner. Il a remarqué, surtout vers la
limite nord de cette forêt, le morcellement qu’elle
présente. Dans la description sommaire de son voyage
de Mandungu vers le Nord, il écrit : « I)’Abumonbazi,
je me mis en route vers Yakoma. Après avoir quitté
les plantations et traversé l’Ebole, on marche d’abord
sous la haute futaie, mais après deux heures de marche,
la forêt cesse brusquement et on entre presque sans
transition dans une savane formée de graminées de
deux mètres de hauteur où quelques arbustes sont dis-
persés. Puis on rentre dans la forêt... (iraduellement
les grands arbres deviennent plus rares, et on se trouve
LES FORÊTS CONGOLAISES
397
de nouveau parmi les broussailles qui s’étendent jus-
qu’au village du Congo (1). »
D’autre part, M. G. Janssen, secrétaire général de
l’Institut colonial international, vient d’exposer, dans
Le Régime forestier aux Colonies, ses idées relative-
ment à l’action des halûtants du Congo, sur la forêt
du centre africain (2). « Les forêts de cette colonie,
dit-il, à propos du Congo belge, ne sont exploitées que
par les indigènes qui y coupent les arbres destinés à
la confection de leurs pirogues et le bois nécessaire à
la construction de leurs cases et aux autres usages
domestiques; les Européens y coupent, de leur côté,
le bois nécessaire à la construction de leurs habitations
et à l’alimentation des chaudières des vapeurs navi-
guant sur le haut fleuve et ses affluents. Une exploita-
tion intense n’était donc pas à redouter; le seul danger
consistait dans l’incendie des forêts provenant soit de
l’imprudence des indigènes, soit de l’extension des
feux de brousse que les natifs ont l’habitude d’allumer
à certaine saison pour préparer des terrains de cul-
ture, fumer leurs terres, détruire les animaux para-
sites ou se livrer à la chasse. Mais il ne paraît pas que
ce danger se soit jamais produit et que de vastes por-
tions de forêts aient été détruites par le feu. On com-
prend que, dans ces conditions, le Gouvernement n’ait
pas cru devoir légiférer savamment en matière fores-
tière et constituer, dès à présent et à grands frais, tout
un cadre d’agents forestiers, occasionnant des dépenses
qu’il a cru affecter à des nécessités plus utiles et plus
urgentés. »
M. G. Janssen n’attache donc pas une grande impor-
tance aux actions destructives de l’homme sur la forêt.
(1) F. Thonner in De ^VildeInan, Études Flore du district des Bangala et
Ubangi, p. xv.
(2) C. Janssen, Le Régime forestier aux Colonies, Bruxelles, vol. 111,
pp. 198-201, et Le Mouvement géogk.vphique, 5 avril 1914, p. 193.
IID SÉRIE. T. XXVI. “26
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQT ' ES
:î98
Nous ne sommes ni de son avis, ni de celui de
M. Mildbraed. On reconnaît que l’indigène congolais,
encore très nomade, détruit la forêt pour ses cultures
qu’il déplace constamment. On a même très régulière-
ment admis qu’il n’est pas possible actuellement de
maintenir l’indigène dans des limites étroites, qu’il
fallait le laisser se mouvoir sur de vastes espaces sur
lesquels d’ailleurs il semble avoir acquis certains droits.
Or, s’il se déplace dans une région forestière, com-
ment cette région pourrait-elle être conservée intacte?
D’ailleurs nous ne sommes pas seul à attribuer aux
pratiques indigènes une très large part dans la des-
truction des forêts et à la constitution en leur lieu et
place de ces brousses qui deviennent rapidement sans
utilisation possible au point de vue agricole.
M. Maury qui a voyagé entre Irumu et Béni, nous
a, dans une lettre, donné du pays la description sui-
vante : « Les villages que j’ai rencontrés en forêt entre
Irumu et Béni, par exemple, occupaient en général
des clairières (sauf pour les NVambiti). Les indigènes
les créaient souvent eux-mêmes en abattant les arbres
aux endroits où ils désiraient cultiver ; ils attaquaient
pour cela les plus gros par le feu, mis à la base. Quand
le village émigre, par suite de diverses circonstances,
le terrain ne tarde pas à être envahi par une brousse
intense, où l’on retrouve dans les premiers temps cer-
taines plantes caractéristiques, telles que des bananiers
et des ricins. >
Inutile d’insister sur ces genres de plantes qui
accompagnent les indigènes, et sont une })reuve irré-
futable de leur présence antérieure dans la brousse
considérée.
Etudiant au Congrès colonial de Gand, en août 1913,
la protection de la tlore et de la faune, dans les régions
tropicales (1), M. le baron F. Fallon a pu citer ce pas-
( I) L’Agronomie trof>icaiæ, V1« année, janv. 1914, part. Il, p. 4.
à
LES FORÊTS CONGOLAISES
399
sage très suggestif d’un rapport du conservateur des
Forêts de l’Afrique orientale anglaise (i) : « L’une
des choses les plus difficiles, écrit M. Hutchins, dans
tout pa^'s neuf, où les terres sont concédées à une
population nouvelle, c’est d’empêcher l’aliénation, avec
les terres, des forêts de valeur qui devraient être con-
servées comme domaine de l’Etat. Une fois les forêts
aliénées, on n’a jamais trouvé le moyen de veiller effi-
cacement à leur conservation... Il 3' aurait lieu de se
montrer plus sévère dans l’octroi des concessions fores-
tières et de réserver d’urgence, au profit de l’Etat, de
grandes étendues de forêts contenant encore de beaux
peuplements. »
Nous avons là des opinions très nettes sur l’action
dévastatrice de l’homme, indigène et colon, et nous
pouvons en conclure, comme nous l’avons fait anté-
rieurement, non seulement la nécessité d’empêcher
ces destructions souvent inutiles, mais aussi celle
d’enra\'er l’extension des feux de brousses, qui, quel
que soit leur but, viennent se greffer sur une première
destruction de forêt, et sont toujours nuisibles. De fait,
tous les gouvernements coloniaux se sont préoccupés
de ces feux de brousses ; il faut chercher à les res-
treindre en appliquant le plus sévèrement possible les
règlements promulgués.
(ùn nous répondra à coup sûr que le terrain dont
la couverture forestière a été détruite, soit par les
indigènes pour l’extension ou le déplacement de ses
cultures, soit par le blanc pour la création de stations
ou de grandes cultures de rapport, pourra^s’il est aban-
donné à lui-même, ce qui sera rapidement le cas pour
les champs des cultures indigènes, se recouvrir spon-
tanément d’une nouvelle forêt. Cela peut être partiel-
lement vrai si des conditions éminemment favorables
(t) Report on tlie Forest of Brit. East Africa, London, 1909, Colon. ofTice .
-iOO
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
à la reforestation se présentent ; elles sont, ne l’oublions
pas, très rares sous les tropiques. Mais jamais la forêt
qui se reproduit dans ces conditions, il ne faudrait pas
non plus le perdre de vue, ne prend les caractères de
la sjlve primitive; jamais, si l’homme n’intervient pas
par des mesures protectrices, nous ne verrons réap-
paraitre les bois durs à végétation lente, qui sont,
parmi les plantes de l’association forestière primitive,
celles qui ont le plus de valeur.
On semble aussi perdre de vue ce que disait en 1908,
le !)'■ Busse, dans son étude : Die periodischen Gras-
hrcinde in tropischen Afrika, paru dans les Mittei-
LUNGEN Aus DEN DEUTSCHEN ScHUTZGEBiETEN, en exami-
nant, p. 118, les suites directes de la déforestation en
Afrique. « Man Kami es als mit Gewissheit erwisen
betrachten, dass sich nur in hesti)nniten, relative
seltener Fdllen und unter aimiahnistceise gunstigen
Bedingungen auf dcr einmal freigelegten Flache
eine natürliche Begeneration des Waldhestandes in
seiner ursprunglichen zusammensetzung volzieht. »
Et après avoir souligné cette phrase il ajoute que cela
n’est d’ailleurs possilde que si le développement des
arbres n’est pas empêché par de nouveaux incendies.
M. I muvel, garde général des Eaux et Forêts à
Madagascar, a récemment appuyé fortement, dans une
étude sur les forêts de l'ouest de la grande île, sur la
manière dont se sont constitués, dans cette région, les
taillis, les clairières et les vastes savanes. Les feux de
brousse })roduisent d’après lui les transformations sui-
vantes (1) : au premier incendie, les essences à écorce
lisse et mince sont détruites; ne peuvent résister que
celles dont les écorces sont puissantes et le bois protégé
(1) Louvel. Les forêts de l’Ouest de Madagascsir. Paris, Challamel, 191i.
1 vol. in 8°, 69 p., fig. dans le texte, 1 carte en couleurs hors texte.
LES FORÊTS CONGOLAISES
401
par un liège épais, crevassé irrégulièrement et parfois
plus ou moins gorgé d’eau.
C’est ce que l’on voit dans la plupart des brousses
africaines actuelles : tous les arbres qui ont résisté sur
les confins de la forêt ou dans la brousse sont des
arbres relativement réduits, à écorce épaisse tels que
certains ErytJu'ina.
Dans l’ouest de Madagascar, les arbres forestiers
possèdent un enracinement profond, moyen naturel de
lutter contre la sécheresse et de reformer des rameaux
aériens aux dépens des racines, si la tige principale
vient à être détruite.
Il en est certainement de même dans notre Congo,
où, dans les brousses, les plantes buissonnantes possè-
dent indiscutablement cette propriété.
Il suffit de rappeler comme possédant ce mode de
végétation les Laadolphia Thollonii Dew. et Lanclol-
phia humüislv. Sclium., si abondants dans les brousses
congolaises ou à la lisière des forêts ; c’est grâce au
développement de leur pivot radical que ces plantes
ont pu, jusqu’à présent, résister aux incendies pério-
diques des herbes de la plaine (I).
D’ailleurs cette structure n’est pas spéciale à l’Afri-
que et très souvent elle a été décrite pour des plantes
des régions désertiques de l’Amérique ; ces déserts
n’ont peut-être pas les mêmes origines que nos brousses
africaines, mais les conditions extérieures y étant les
mêmes, les plantes ont pris les mêmes aspects et se
sont protégées de même façon (2).
A Madagascar, comme au Congo, le feu, soit dès
(1) Cf. De Wildeman, 3/m/on Èm. Laurent, vol. I, p. 154, fig. 84, p. 491,
fîg. lOB et De Wildeman, Mission permanente de la C‘* du Kasai, p. 80, pl. VI.
(2) W. A. Cannon, The root habits of desert plants. Carnegie Institution
of Washington, p.l31. — Fr. E. Lloyd. Guayule. A Rubberplant of the Chih%i-
huan Desert. Carnegie Institution of Washington, n. 139. — W. A. Cannon,
Botanical features of the Alyerian Sahara. Carnegie Institution of Was-
hington, n. 178.
402 REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES S
la première apparition, soit après une reprise, détruit
la tige principale ; il se forme alors après les pluies 1
une cépée de rejets, plus ou moins vigoureux, qui vont ,*
permettre à la plante de continuer à vivre. \’ienne un j;
nouvel incendie, les rejets sont infailliblement détruits i
car ils sont trop faibles pour résister ; ils peuvent cepen- 1
dant, grâce à la force vitale des racines, être reformés c
après la saison des pluies, mais leur vigueur est forte- I
ment atténuée. 1
On voit ainsi se substituer à la forêt un taillis qui /
petit à petit disparaîtra, pour faire place à la brousse f
d’où émergera de-ci de-là un arl)re raliougri dont les
extrémités seront, à chaque feuillaison, rôties par les v
feux de brousse, mais dont l’écorce éj)aisse, gorgée de f
suc protégera le tronc et permettra la conservation,
dans les racines, d’une force suffisante pour maintenir 4
la plante. |
Et M. Louvel, n’hésite pas à ajouter que c’est là j
ce que « quelques personnes, peu initiées aux choses ®
forestières, considèrent comme étant la forêt en voie
. . . y
de reconstitution, alors que c’est le dernier stade par *
lequel elle ])asse avant de disparaître ». t
11 déclare en outre que 1’ « on peut évaluer sans
exagération, à deux mille hectares la surface boisée
détruite annuellement dans la province de Morandava. »
Sans avoir eu connaissance des travaux de M. le
\y Busse, M. Louvel arrive donc comme lui à la con- !
clusion que la forêt, une fois détruite, c’est la brousse '
qui s’enqiare du terrain. Certes M. le D’’ Busse est '
amené à dire que l’épaisse forêt tropicale humide n’est ■
que peu attaquée par le feu, qu’elle peut résister par
ses constituants à structure spéciale, mais il reconnaît
qu’à la lisière l’attaque se produit, et que cette attaque
répétée doit finir par faire reculer la forêt.
Or elle le fera d’autant plus vite que les populations
seront mieux outillées, et déjà l’intluence du blanc, qui
I
LES FORÊTS CONCiÜLAlSES
403
a apporté des outils plus perfectionnés, se fait sentir
sur la destruction des forêts. Aussi, cette reformation
forestière que Pechuel-Loesche décrivait, eu 1887,
dans la région de Tshiloango et du Kwilu ne s’observe-
t-elle plus guère.
Mais supposons, malgré tout ce que nous venons de
rappeler, que les conditions de la reconstitution fores-
tière soient des plus favorables et qu’après la destruc-
tion par le feu, au lieu d’une brousse, une forêt secon-
daire apparaisse. Il se pose alors un nouveau problème
que nous ne pouvons pas actuellement élucider com-
plètement, mais à la solution duquel il faudrait s’atta-
cher.
Quelles sont les essences à considérer comme carac-
téristiques de la forêt vierge ? Quelles sont celles
d’entre elles qu’il convient de protéger ? Et d’autre
part, quelles sont les plantes dont la présence permet
d’affirmer une déforestation ? Pour répondre à cette
dernière question — la seule que nous envisageons ici
— on a signalé un certain nombre de végétaux parmi
lesquels le Musanga SmitJni ou parasolier. Ce dernier
paraît en effet très P^pique des forêts secondairs. On
a renseigné aussi V Elaeis, qui lui indiquerait la forêt
secondaire due à la présence antérieure, en un endroit
donné, de l’indigène qui aurait amené avec lui le pal-
mier à huile pour tirer de celui-ci des produits utiles.
A l’appui de cette thèse il faut remarquer que fré-
quemment, comme me le signalait dans une lettre,
M. Maury, du Service cartographique du Congo, au
Ministère des colonies : « les confins de la grande forêt
sont marqués par de grandes palmeraies ». Cette
observation a été faite dans l’Ituri et dans le Maniema
par exemple. Mais vers le Ruwenzori et vers Irumu,
elle n’a pu être constatée, argument en faveur de
l’opinion du D’’ Mildbraed que dans l’Ituri la forêt
404
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
aurait sur sa lisière mieux conservé que presque
partout ailleurs, ses caractères primitifs.
M. Fr. Thon lier sio-nale és-alement vers la lisière de
la forêt dans la région Abumonhazi-Gugo de nombreux
Elaeis, autour des villages, « palmiers à huile qui sont
très clairsemés vers le sud » (1).
On peut refaire la même observation dans le nord
de l’Entre-Gongo-Ubangi où, sur toute la limite de la
forêt, il existe de grands peuplements de palmiers à
huile.
Mais à ce propos, et pour cette région, il faut aussi
remarquer que l’on trouve des Elaeis dans des endroits
où l’indigène n’a pu se fixer, par exemple dans les
vastes marais de cet Entre-Ubangi-Gongo. Cela est en
particulier le cas dans le bassin de la rivière Giri, un
de ces cours d’eau, assez nombreux en Afrique, dont
le lit actuel très large, peu jirofond et sinueux ne s’est
])as définith’ement fixé (A oyez pl. I-III).
[j Elaeis, dont il est tant question de nos jours, n’est
donc peut-être pas un type excellent pour caractériser
les forêts secondaires, puisqu’il pourrait apparaître
spontanément dans une région.
Dans le cas de l’Entre-Ubangi-Gongo, il indiquerait
simplement la présence d’une terre ferme s’élevant
au-dessus du niveau des hautes eaux; il formerait pour
ainsi dire le noyau d’une nouvelle forêt s’installant sur
une terre ferme de plus en plus développée; terre
ferme qui arriverait à influencer les courants et à
isoler la rivière.
Quels seront les caractères définitifs de cette nou
velle forêt; sera-t-elle à comparer à la forêt vierge
primaire, à celle que l’on a si souvent décrite, mais
que l’on connaît scientifiquement fort mal; sera-t-elle
(1) Fr. Thonner in L)e Wildeman, Études sur la Flore des districts des
Rangala et de l’Vbangi, p. xv.
rLXNCAIE I
(Jlichi’ A. Sd/iin. 19 IA
L.\ ('tIHI KNTKE ÜOMAXA et 1-E VlEEAr.E ('.1111
Cliché A. Sapin, 101 A
LA omi PRES BOSESERA
LA PLAINE HERBEUSE ET MARÉCAGEUSE. A LA PLAINE HERBEUSE FAIT SUITE
LA GALERIE A PALMIERS
PLANCHE If
Cliché A. Sapin, U) 12
LA C.IUI Ar\ LNVIUUNS DL liOMAXA
LA l'LAINIC .MAIU"r.A(;KL’SE A HAUTES IIEIIÜES AU HELA HE LAOUELLE SE TROUVE
LA r.ALEUiE A Klacîn
P LA M: HE III
(AicIL A. Sui)i)i. lois
VILLAGE MOLEXGA PRÈS BOSESERA. SLR l.A GIRI
CUchi’ A. Supin, lois
ASPECT L)E LA GIRI ENTRE BOMANA ET BOSESERA
LES FORÊTS CONGOLAISES
i05
de constitution analoo’ue aux forêts secondaires, et cela
en particulier par le fait que, plus rapidement envahie
par rhoinme, elle n’aura pas le temps d’atteindre le
stade le plus avancé de son évolution?
Ce sont-là des questions auxquelles il est de toute
impossibilité de répondre pour le moment et dont nous
n’aurons, fort probablement, jamais le dernier mot.
11 convient cependant d’envisager ces problèmes,
car, de leur solution approchée dépend largement
l’avenir de la colonie congolaise. C’est pourquoi nous
persistons à penser qu’il est loin d’être inutile, comme
beaucoup le pensent, de créer, pour notre Congo, un
service forestier sérieux, capable de faire marcher de
pair les études scientifiques, techniques et pratiques,
relatives au maintien, et à la mise en valeur, de notre
forêt tropicale congolaise.
On ne pourrait d’ailleurs assez insister sur la très
grande importance de la conservation des forêts : on
l’oublie trop souvent, les forêts ont une très grande
action sur le climat et l’hydrologie, surtout dans les
régions tropicales.
Gela a été démontré à plus d’une reprise et récem-
ment encore M. Th. Altona, forestier à Lawang
(Indes Néerlandaises), publiait dans les « notes de la
réunion des planteurs de .Java (29 novembre 1913), à
Blitar » une étude sur cette question. Nous voj'oiis
que la surface forestière n’atteint à Java et Madoera
que 18 à 20 ° o- Oi‘ on estime qu’en Europe, sous un
climat beaucoup plus favorable à la conservation des
propriétés culturales du sol, la réserve forestière
devrait atteindre au moins 20 “ o- Java se trouverait
donc dans une situation inférieure à celle de l’Europe ;
aussi de plusieurs côtés réclame-t-on du reboisement
et non sans raison.
Pareille conséquence s’impose pour la plupart des
régions tropicales, que l’on considère souvent à tort.
m
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
comme vierges ; il faut donc à tout prix éviter à l’avenir
les déboisements et multiplier les réserves. A Java
celles-ci atteignent 7 ° „ seulement ; au Congo il en est
à peine question.
On compare souvent la forêt tropicale africaine avec
celles du Brésil ; mais à la suite d(^ certaines enquêtes,
on a sur ces dernières des données qui, tout en étant
peut-être un peu au-dessus de la vérité, sont cependant
a})prochées : elles font voir que la Hylaea hrasiliana
est bien plus dense qu’en Afrique et que dans les
autres pays du monde ; il y a là incontestablement, si
on les met en exploitation rationnelle, des réserves
considérables comme le fait voir le tableau ci-contre(l).
Trouverons-nous encore au Congo lielge de tels
pourcentages de forêts * Nous en doutons fort.
Et cejtendanl si l’on veut dans tous les paj's, aussi
bien au Congo, que dans nos régions tempérées, con-
server l’eau dans les rivières ; si l’on veut j)rotéger les
sources, régulariser les courants, c’est non seulement
sur les bords de ces derniers et autour des sources
qu’il faudra maintenir des arbres, mais sur de grandes
surfaces, en particulier dans les ])arties montagneuses
et même sur les coteaux, qui sont plus facilement
dégradés, en l’absence de couverture, par les rayons
solaires.
M. Altona considère l’état actuel à Java, auquel
nous avons fait allusion plus haut, comme si grave,
qu'il souhaiterait qu’il ne fut })lus permis de détruire
désormais le moindre terrain boisé, sans avoir pu
s’assurer, par des recherches })récises, que la forêt
à supprimer peut l’être sans porter préjudice au
régime des eaux ou à la production future du bois.
Cette dernière condition ])ourrait être considérée
(1)1)'' Pedro de Toledo. Relatorio apresentado an Présidente da Republica
dos Estados Unidos do Brasil. Vol. lil. Rio de .Janeiro, 1911, p. 75.
LES FORETS CONGOLAISES
•107
ÉTATS
Surface totale
liilorn. carrés
Forêts
kiloni. carrés
Campos
et autres
formations
kilom. carrés
Pourcentage
des forêts
par rapport
à la surface
totale
Acre
19-2 000
192000
0000
100 00
Amazones
1 832 800
1 683 427
149 373
91 85
Para
1 220000
921 954
298 046
75 57
Maranhao
340 360
1 45 368
194 992
42 71
Piauhy
231 180
62 419
168 761
27 00
Ceara
157 660
67 951
89 709
4310
Rio grande do Norte . .
56 290
14 314
41 976
25 43
Parahyba
52 250
19 087
33 163
36 53
Pernambuco
95 260
32521
62 739
3414
Alagôas
30 500
8 525
21975
27 95
Sergipe
21 840
8 970
12 870
41 07
Bahia
587 500
2Î5 436
372064
36 67
Espirito Santo
39 120
29 942
9 178
76 54
Rio de Janeiro ....
44 350
35 981
8 360
81 13
S. Paulo
250000
161 750
88259
64 70
Parana
180 340
160 350
19990
83 37
Santa Catharina ....
110620
86 789
23 53 1
78 67
Rio Grande do Sul . . .
283 410
89 132
194 278
31 45
Minas Geraes
607 940
278 619
329321
45 83
Goyaz
640 580
179 362
461 218
2800
Matto Grosso
1 554 300
606 799
947 501
3804
Total du Brésil . .
8 528 000
5000 696
3 527 304
58 63
comme secondaire, bien qu’elle ait une importance
notable, le bois étant une matière qui devient de plus
•i08
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
en plus rare sur les marchés; mais le régime des eaux
est de loin la considération la plus importante.
Cette situation est-elle si particulière à Java ? Nous
ne le pensons pas. Au contraire nous croyons que la
situation est la même presqvie partout. Dans les posses-
sions anglaises, dans les Etats tedérés malais on se
plaint déjà vigoureusement des modifications sensibles
du climat par suite des déboisements faits pour l’in-
stallation des plantations.
Si nous pouvions envisager ce côté de la question,
nous observerions certainement la même chose au
Congo où, dans bien des régions, certaines cultures
sont impossibles faute de régularité dans les chutes
d’eau ou dans le niveau des rivières.
Il est certainement désirable de faire de la culture,
mais avant de l’entreprendre il s’agit de savoir si les
conditions aml)iantes, à première vue très favorables,
se maintiendront. 11 faut se demander si un beau
terrain forestier, une fois en partie épuisé par la végé-
tation nouvelle qu’on lui impose, brûlé en grande
partie par le soleil trojûcal, pourra continuer à nourrir
les récoltes de l’avenir.
Malheureusement ce que nous connaissons de la
forêt tropicale congolaise se traduit en des opinions
divergentes ; une connaissance insuffisante de la flore
et de la Géo-l)otanique de l’Afrique tropicale ne permet
ni de les apjirouver ni de les désapprouver.
Nous ne connaissons même pas dans ses détails la
limite de la grande forêt centro-congolaise, tant on
s’est peu préoccupé de tracer sur une carte les limites
de son extension. Certaines cartes ont bien été publiées,
donnant soit pour l’ensemble de la colonie, soit pour
certaines de ses parties, la limite de la forêt, mais
quand on compare entre elles ces données géo-bota-
niques on est frappé des oppositions qu’elles présentent;
et cependant la connaissance, relativement très exacte,
LES FORÊTS CONGOLAISES
409
des limites de la forêt et des brousses plus ou moins
étendues que l’on y rencontre, a pour l’avenir agricole
de la colonie une importance considérable.
Cette conclusion que nous tirons à propos de la
grande forêt centro-congolaise, s’applique aussi aux
bois du sud du Congo, du Haut-Kasai-Kwango et du
Katanga qui ne peuvent cependant être comparés au
point de vue floristique avec ceux qui constituent la
Hylaea africana comparable elle, jusqu’à un certain
point, à la Hylaea americana, en particulier à celle
de l’Amazonie dont le volume 111 du Relatorio ajire-
sentado ao Présidente da Repnhlica dos Estados
Unidos do Brasü par le ministre Don Pedro de Toledo,
s’est occupé très spécialement. Là nous trouvons
une carte forestière destinée, dit le rapport, à oflrir
une base aux premières études pour la création de
réserves.
11 est vrai qu’en 1910, en annexe à la brochure
publiée par le Ministère des Colonies à l’occasion de
l’inauguration du Musée du Congo belge, on trouve
une carte physique au ^ qqo Q0(p laquelle on a traçé
la limite de la forêt d’après les documents reçus du
Congo. Mais il est certain que la forêt tropicale n’est
pas aussi étendue qu’elle est figurée sur cette carte ;
il ne peut, en effet, être question de considérer comme
forêt tropicale les galeries, souvent de très faible épais-
seur qui bordent les rivières descendant de la crête de
séparation du bassin Congo-Zambèse.
Sans doute nous savons actuellement que la forêt
centrale pousse des prolongements en galerie très loin
du centre et qu’il n’y a pas à la forêt une limite, for-
mant sur la carte un contour régulier, mais bien une
ligne très sinueuse.
Mais il serait bien facile à un connaisseur, botaniste
ou forestier, de reconnaître qu’il n’y a dans ces gale-
410
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
ries, plus ou moins éloignées du centre, que fort peu de
types végétaux tout à fait caractéristiques de la forêt
vierge, et au contraire beaucoup de plantes à large
dis})ersion africaine, ou encore, suivant les régions, des
plantes de transition entre la plaine et la forêt, celles
de la plaine augmentant au fur et à mesure que l’on
s’éloigne de l’embouchure des rivières et que l’on se
ra})proche des brousses.
I.e Ministère des Colonies possède évidemment,
sur la distribution actuelle des forêts dans le Congo
belge, des documents nouveaux, et s’il faisait publier
une nouvelle carte, elle différerait sensiblement de
celle de 1910. Un croquis établi d’après des rapports
de fonctionnaires nous a d’ailleurs été obligeamment
communiqué par M. Maury.
Grosso iiwih nous pourrions, d’après ce document,
établir la limite de la forêt comme suit. Au nord, de
l’übangi jusqu’au 24'“® degré de longitude, la limite
est parallèle au 4"'® degré de latitude nord ; à partir du
^l"'® degré, la limite s’infléchit irrégulièrement vers le
sud })our atteindre à l’est Kilo. A l’est elle forme, à
partir de Kilo, une ligne oblique jusqu’à l’intersection
du 3'"® deo'ré de latitude sud et du 28"'® dea’ré de longi-
tude, présentant entre l’Equateur et le 1'' degré sous
l’Equateur une indentation profonde. Au sujet de cette
indentation M. Maury voulait bien nous écrire :
« Elle est occupée par les villages d’Opedi sur la crête
Congo-Nil, mais je ne saurais dire si le recul de la forêt
en ce jioint est dû aux indigènes, ou si les indigènes
ont ])roflté de ce recul pour s’établir. En tout cas cette
boucle correspond également à un changement de
niveau, assez marqué, jtrovenant d’un contre-fort qui
domine toute la plaine de la Semliki et la forêt envi-
ronnante. »
Nous avons tenu à reproduire cette appréciation
pour bien faire voir combien il sera difficile de tirer
au clair l’origine des lirousses congolaises actuelles.
LES FORETS CONOOLAISES
411
A partir du point d’intersection du 3'"® degré de lati-
tude sud et du 28"’*' degré de longitude, la limite de la
forêt, fort mal connue encore, et présentant indiscuta-
blement plus de prolongements vers le sud que vers
le nord sous forme de galeries, oblique vers l’ouest
jusque vers Lusambo, d’où elle se dirige irrégulière-
ment vers Bena-Makima pour obliquer vers le* nord-
ouest et se terminer, en galeries, le long du Congo,
entre Lukolela et Yumbi.
Mais si, considéré dans ses grandes lignes, ce tracé
semble nous donner une assez bonne idée de la disper-
sion de la forêt congolaise, quand on l’examine de
près, on doit reconnaître qu’il est en bien des points
assez peu exact et que parfois il donne une trop grande
étendue à la forêt. Nous citerons en particulier le
cas de l’Entre-Ubangi-Gongo, là, indiscutablement la
limite de la forêt s’infléchit beaucoup plus fortement
vers le sud que ne l’indique la délimitation ci-dessus,
et comme le démontrent la carte publiée par
M. Fr. Thonner (J), les itinéraires manuscrits de
M. A. Sapin et les planches I-III ci-jointes, dont les
clichés ont été faits en 1913.
Dans toute cette zone les rivières sont à courant très
lent ; elles forment de vastes marais entrecoupant for-
tement la forêt de leurs innombrables méandres, au
point qu’elle est même tout à fait absente, dans la zone
dite forestière, sur de très vastes espaces.
C’est dans cette région que l’on pourrait peut-être le
mieux étudier, comme nous l’avons ra])pelé plus haut,
la formation de la forêt sur les terres sortant du sein de
l’eau, se relevant d’abord par la constitution de bancs
d’herbes, puis par la naissance de Raphia qui végètent
dans la vase retenue par la végétation herbacée ; à
(1) Cf. De Wildeman, Éludes sur la flore des districts des Bangata et de
l'I'bungi, Bruxelles, 1911.
412
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
l’intérieur de cette ceinture de Raphia, pourraient
prendre pied des Elaeis dont la couronne se remarque
de loin dominant les autres palmiers.
Les quelques clichés photographiques dont nous
offrons des reproductions dans les planches I à III,
donnent une bonne idée de l’aspect de ces vastes éten-
dues d’eau s’étendant dans une région considérée
comme forestière, en même temps qu’elles font voir
la constitution d’îlots herbeux, sortes d’îles plus ou
moins flottantes, dans l’intérieur desquelles on voit
apjiaraître les Raphia et des Elaeis spontanés.
Pour en revenir à notre sujet, nous pensons donc
que la limite de la forêt est un peu différente de celle
que nous pourrions établir d’après les données aux-
quelles nous avons fait allusion.
Mais encore, à l’intérieur de ces limites la forêt est-
elle continue? On peut affirmer que non ! Nous venons
de le rappeler à propos de l’Entre-Ubangi-Congo. Dans
la Giri, par exemple, on serait forcé, si l’on pouvait
tenir compte du détail, de laisser dans le coloriage
d’une carte de nomlireux vides, comme on devrait en
laisser autour de chaque village localisé dans la forêt.
(i)n serait aussi amené à établir des interruptions de
forêt dans d’autres parties de la cuvette centrale du
Congo ; interruptions qui ne sont peut-être pas le résul-
tat des agissements irrationnels de l’indigène. Il se
pourrait en effet que les arêtes de séparation des bas-
sins des divers affluents du Congo, fréquemment enva-
hies ]>ar la brousse, soient naturellement privées de
forêt; comme il se pourrait aussi que ces endroits
ayant été primitivement choisis par les indigènes pour
l’établissement de leurs villages et de leurs cultures, à
cause de leur situation favorable, soient ceux qui pré-
sentent le dernier stade de transtormation forestière
auquel M. Louvel faisait allusion dans les termes que
nous avons rapportés plus haut.
LES FORETS CONGOLAISES
413
Nous pouvons donc affirmer qu’au Congo belge la
surface recouverte de forêts, même à l’état secondaire,
est beaucoup moins étendue qu’on le suppose fréquem-
ment. Atteint-elle les ° „ fie la surface totale ?
Personne ne pourrait le dire, mais ce qui est indé-
niable c’est que cette surface est en décroissance et
que dès lors il convient de la jirotéger.
11 faut donc, malgré quelques avis contraires, régle-
menter la destruction de la forêt tant par le lilanc que
par l’indigène.
Certes il ne peut être question d’ajipliquer rigou-
reusement, dans une colonie encore en enfance, des
lois forestières ; mais des règlements peuvent être
imposés dès maintenant dans certains centres où l’ad-
ministration est suffisamment établie, et leur applica-
tion peut s’étendre, si on le veut, assez rapidement.
Le meilleur moyen d'ailleurs d’arriver à appliquer
les règlements relatifs à la conservation des forêts est
d’amener le noir à modifier ses méthodes de culture
tout à fait irrationnelles, et à cultiver suivant des pro-
cédés de plus en plus modernes, sans devoir, après
épuisement de son terrain, rechercher dans la forêt
des terres projires à la production de })lantes comes-
tibles.
Le travail })lus profond du sol, les assolements,
l'apport d’amendements permettront d’arriver à ce
résultat, et du coup les forêts seront protégées. Elles
]>ourront alors être régulièrement aménagées et ex-
]tloitées, non seulement pour le bois d’oeuvre, mais
encore et surtout pour les nombreux autres produits
utilisables qu’elles renferment.
Nous attachons donc une immense importance à la
formation de l'indigène; nous ne pourrions assez le
répéter, c’est de cette formation que dépend l’avenir
des colonies tropicales. Nous devons employer tous les
moyens pour fixer le noir au sol, pour changer cet
1II« SÉIUE. T. XXVI. “27
414
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
indigène nomade en un véritable paysan, ayant appris
à connaître la valeur du sol sur lequel il vit (1).
On ne pourrait donc, quel que soit le point de vue
où l’on se place, assez insister sur l’importance de
l’étude de la forêt tropicale congolaise.
La plupart des gouvernements coloniaux de l’Afrique
tropicale qui possèdent sur leurs territoires des ramiti-
cations de notre Hylaea africana ont compris cette
importance; ils ont non seulement visé à protéger
leurs forêts par la mise au jour de décrets, mais ont
également envoyé sur place des missions spéciales
dont les résultats, sans être toujours des plus riches
au point de vue de l’application immédiate, ont été en
tout cas intéressants, car ils ont ouvert des horizons
peu soupçonnés.
Nous ne devons pas nous le dissimuler, de vastes
enquêtes, prolongées pendant un certain temps, sont
seules capables de nous faire connaître la vraie valeur
économique des forêts coloniales.
Souhaitons dans l’intérêt de l’avenir de notre
Colonie que de telles enquêtes soient entreprises, sans
tarder, en divers points de notre Congo.
E. De ^^4LDEMAN.
(1) De Wildeman. Ressources végétales du Congo in La Revue Généhai.e,
mai 1008, p. 032, et De Wildeman, Sciences biologiques ei colonisation, Bru-
xelles, 1909, p. 34.
QUOTITÉ DE VIE D’UNE NATION
PAR
KILOMÈTRE CARRÉ
Nous avons publié dans le n° d’octobre 1911 de la
Revue des Questions scientifiques (3® série, t. XX.
pp. 509-524) un article intitulé : La quotïté de vie
d'une nation comme index imiqiie de sa situation
économique et morale. Nous nous proposons de le
compléter, en utilisant pour la Belgique les données
du recensement du 31 décembre 1910 ; elles n’étaient
pas publiées quand notre article a paru. Nous indi-
quons en même temps le moyen de comjiarer la quotité
de vie dans des pays dont les ressources naturelles
sont analogues. Enfin nous faisons remarquer le peu
de portée d’un autre procédé de comparaison.
La quotité de vie est le produit de la vie moyenne
des habitants d’un pays à un jour donné par le nombre
de ces habitants ; ou si l'on aime mieux c’est la somme
des années de vie de tous ces habitants au jour choisi.
La détermination du nombre des habitants des pays
civilisés de l’Europe se fait maintenant avec soin par
recensement, tous les dix ou tous les cinq ans.
La détermination de la vie moyenne se déduit des
il(3
REVUE DES questions SCIENTIFIQUES
données de la statistique d'une inanière assez pénible,
j)arce que ces données ne sont pas recueillies avec la
précision nécessaire })ar les organes administratifs qui
en sont chargés.
Pour la Belgique, la vie moyenne a été déterminée
quatre fois seulement, en 1829, en 1856, en 1890 et
en 1901. Gomme nous l’avons dit dans l’article anté-
rieur, on [leut représenter par une expression algé-
brique simple, la loi d’accroissement de la vie moyenne
pour notre pays, depuis 1829, jusqu’à l’année a?,
}>ar la formule
U' = :\\ , W + {x — 18“i!» lOg24()B7 — 0,000(B {x — lS5(i)].
Pour olitenir cette formule, nous avons emjiloyé la
seconde règle d'inteiqiolation de Newton (1).
(^n en déduit 18,-18 pour la vie moyenne en 1910.
Le recensement du 81 décembre 1910 a donné pour
la po])ulation de la Belgique à cette date 7 128 781
habitants.
Ce chitfre nous a jiermis de corriger- les indications
relatives à la po])ulation de notre pays obtenues au
moj'en des excédents du nombre des naissances sur
celui des décès, de 1900 à 1910. Nous avons }>u ainsi
formel- le tableau suivant :
(I) Pour arriver à ce résultat simple, nous avons anginenlé de 0,07 la
valeur île la vie moyenne que nous avions trouvée pour 1001. Dans le te.xte
du premier article, nous avons écrit par erreur -I- 0,00008 au lieu de
— 0,00008 ; mais les calculs ont été laits avec la formule exacte telle que
nous la donnons ici. Voici l’indication de quelques autres fautes d’impression :
p. 510, la vie moyenne indiquée est celle de 1880, non de 1881 ; p. 5'21, la
vie moyenne pour rannée 1903 est .i7,3l et non i7,il. A la page 5i0, les
accroissements de population de 1901 à 1909 contiennent à tort au début le
nondjre 04743 iini doit être barré ; les nombres (jui viennent ensuite doivent
être remontés tons d’une ligne ; le dernier doit être remplacé par 01870 et il
aurait du être suivi de l’excédent du nombre des naissances sur les décès
en 1909, savoir 58800. L’excédent analogue pour 1910, donné dans I’.Anxu.virk
iiE ST.XTiSTiquE pour 1911, page 1 10, est 03587.
LA QUOTITÉ DE VIE d’uNE NATION
417
1900. Recensement
6 693 548
Accroissements
1901
6 780 875
87 327
1902
6 860 742
79 867
1903
6 937 695
76 953
1904
7 013 236
75 541
1905
7 085 657
72 121
1906
7 156 370
70 713
1907
7 229 188
73 118
1908
7 294 684
65 196
1909
7 356 87 1
62 187
1910. Recensernent
7 423 784
66 913
L’accroissemeut de la population en dix ans est de
730 236 hommes, donc en moyenne de 73 024. Nous
disons comme en 1911 : « On ne peut pas ne pas être
frappé de la diminution progressive des accroissements
annuels dans la dernière période. Elle provient de la
décroissance du nombre annuel des naissances ». Il
était de 200077 en 1901, de 176 413 en 1910.
Au moyen des résultats précédents et des valeurs de
la vie moyenne de 1900 à 1910, on trouve la quotité
de vie pour ces années, savoir :
Population
Quotité de vie
en milliers
Vie moyenne
en milliers
Accroissement
d’habitants
d’années
1900
6694
46,81
313,35
1901
6781
46,98
318,57
5,22 ou 1,6
7..
1902
6861
47,14
.323,43
4,86 ou 1 ,5
»
1903
6938
47,31
328,24
4,81 ou 1 ,5
«
1904
7013
47,47
332,91
4,67 ou 1,4
»
1905
7086
47,63
337,51
4,60 ou 1 ,4
»
1906
7156
47,80
342,06
4,55 ou 1 ,3
»
1907
7229
47,96
346,70
4,68 ou 1,4
»
1908
7295
48,11
350,96
4,26 ou 1,2
»
1909
7357
355,12
4,16 ou 1,2
»
1910
im
48,43
,359, .54
4,42 ou 1,2
■»
418
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
L’accroissement en dix ans est de 46,1^ millions
d’années, près de 15 ” „ de la quotité de vie en 1900.
La Belgique, l’Allemagne, la France ont respective-
ment 11, 9, 14 7o de terres stériles, 18, 26, 16 %
de forêts à moitié proiluctives, ce qui égalise à peu
près entre elles les conditions économiques. L’Angle-
terre avec le pav!^ de Galles est dans une situation
un peu meilleure (v. Sevdlitz-Oelilman, Georfraphie,
1908, p. 510).
Comparons ces divers pays au point de vue de la
([uotité de vie par kilomètre carré. On trouve ainsi
les résultats suivants pour les années 1880 ou 1881,
d’après des données empruntées à l’ouvrage de Leclerc
(Tables de mortalité ou de surrie et table de popula-
tion pour la Belf/iq'ite, pp. 6(), 81).
Belgique
Angleterre
Allemagne
France
8075 années
7345 »
3200 »
2935 »
Nous ne })ouvons faire la môme comparaison poui-
ces quatre pays en 1901, j)arce (fue nous ne con-
naissons pas la vie moyenne à cette date en Angleterre
et en Allemagne. Mais voici la quotité de vie en
Belgique et en France, par kilomètre carré, en 1901.
Belgique 10 8(X) années
France 3 450 »
On ne peut j)as évidemment comparer la quotité de
vie par kilomètre carré de la Belgique avec celle de
pays comme la Suisse, le Danemark, la Suède, la
Norvège, la Russie où les conditions de la vie écono-
mique sont complètement ditiérentes. Mais on pourrait
LA QUOTITÉ DE VIE d’uNE NATION
419
peut-être les comparer au point de vue des accroisse-
ments annuels en pour cent de la quotité de vie.
Parmi les bases de comparaison souvent emploj-ées,
il y en a une qui n’a vraiment qu’une faible valeur
quand on l’applique à la fois à de petits et à de grands
pays ; c’est celle du commerce avec les pays étran-
gers (exportation, importation, transit) des uns et des
autres.
La France et rxlllemagne sont dix-huit fois plus
étendues que la Belgique. Supposez-les divisées l’une
et l’autre en dix-huit districts à peu près égaux en
superficie à la Belgique. Pour pouvoir comparer
raisonnablement le commerce de la France ou de
l’i^llemagne à celui de la Belgique, il faudrait évidem-
ment ajouter aux données habituelles le commerce des
dix-huit districts les uns avec les autres : on ne le fait
Jamais et on ne conçoit pas comment on pourrait le
faire. Les comparaisons du commerce des nations
grandes et petites n’ont donc guère la portée qu’on
leur attribue souvent dans notre pays.
Paul Mansion.
LES PLEIADES
Pendant les belles soirées d’hiver, on aperçoit dans
la constellation du Taureau une lueur discrète, vapo-
reuse qui semble un lambeau perdu de la ’V'oie lactée.
L’attention et surtout de bons yeux y découvrent un
groupe de petites étoiles frissonnantes : ce sont les
Pléiades.
Ce nom traduit vraisemblablement l’impression que
nous donnent, au premier regard, leur nombre et leur
disposition : « bine nomen Pléiades, dit un vieil auteur,
quia plures et turmatim apparent, quasi TrXeîoveç » (i).
l)e tout temps et sous tous les climats, elles ont attiré
et retenu l’attention. Jadis elles rendaient aux marins
et aux laboureurs d’excellents services ; aujourd’hui
les découvertes des astronomes en ont fait une des
merveilles de l’Univers stellaire.
Nous nous proposons de raconter leur histoire ;
mais nous devons rappeler d’abord les visées pratiques
que poursuivait l’astronomie primitive.
I
La science du Ciel, comme toutes les autres, est née
de la nécessité. Avant de devenir l’objet d’une curiosité
savante et de profonds calculs, l’observation des astres
eut un but purement utilitaire.
(1) Vous verrons qu’on ne s’est point contenté de cette étymologie.
r.ES PLEIADES
421
Socrate, nous dii Xénophon dans ses Mèvioires (1),
recommandait d’apprendre assez d’astronomie ])Our
pouvoir connaître !(' moment (oipa) de la nuit, du mois
ou de l’année, eu cas de voyage, de navigation, de
garde ou pour tout ce qui se fait après le coucher du
Soleil, dans le mois ou au cours de l’année. Ce qu’il
importe, disait-il, c'i'st d’avoir « des repères permettant
de distinguer des moments dans ces divers tenqis ;
mais il est facile de les apprendre des chasseurs de
nuit, des marins et de bien d’autres personnes qui ont
intérêt à les connaît i-e. »
L’astronomie, à l’origine, était donc chose purement
pratique ; on observait le ciel comme nous consultons
nos calendriers et nos montres, sans autre but que
celui de connaître la date et l’heure, et avec bien moins
de souci de l’exaclitude ; aujourd’hui les trains partent
à l’heure... parfoi>, quelques minutes de retard nous
exposent à les manquer ; les anciens ignoraient ces
préoccupations.
Le mot oipa qu’i'inploie Xénophon n’était nullement,
comme pour nous le mot heure, un instant précis ou
une durée absolument constante, mais l’indication
vague des phases successives du jour et de la nuit, ou
une fraction de hairs durées variables suivant les
saisons. Encore le mot « saison » ne doit-il pas' s’en-
tendre, au début <h' l’astronomie, d’une partie déter-
minée de l’année solaire, mais des époques assignées,
sous un climat donné, à quelque travail agricole ou
à quelqu’expédition lointaine : la saison des labours,
de la navigation, etc.
Pour atteindre le but qu’elle poursuivait, cette
astronomie pratique dut se donner des repères sur la
(1) IV, 7 ; cité par P. Tnnnery, Rechercher xur Vflistoire de V Astronomie
ancienne, Paris, 1S93, p. b.
422
RKVUE DES questions SCIENTIFIQUES
voûte étoilée, ce qui l’amena à partager le ciel en
constellations.
Ce partage ne fut évidemment ni l’œuvre d’un jour
ni celle d’un seul homme. On le retrouve, rudimentaire
et varié, chez tous les [teuples où il reflète les préoccu-
}»ations locales et présente certains traits communs
dont l’aspect du flrmament suffit généralement à rendre
raison. Partout aussi ses origines remontent à la plus
haute antiquité et son achèvement-, au sein des nations
civilisées, fut l’œuvre des siècles. Il est certain, par
exemple, que la division du ciel telle que les Cfrecs
la connurent ne se compléta qu’au cours des vf et
V® siècles avant notre ère.
C'est cette sphère grecque que les modernes ont
adoptée ; ils ont précisé les limites de ses constellations
et en ont créé de nouvelles en étendant au ciel entier
ce groiqæment des étoiles ; mais les procédés d’obser-
vation se sont complètement transformés.
C’est la culmination des astres, à l’instant précis de
leur passage au méridien, que les modernes observent
en s’aidant d’instruments et avec toute l’exactitude
qu’exigent les visées singulièrement élargies de l’as-
tronomie. Les anciens, au contraire, observaient les
astres à l’horizon, au moment de leur lever et de leur
(îouchei- ; la précision de ces observations n’avait
évidemment rien de mathématique, mais elle suffisait
au but ])ratique que l’on avait en vue.
A qui sait s’orienter, la situation du Soleil sur
l’horizon permet d’évaluer approximativement la frac-
tion écoulée de la durée du jour ; la nuit, les étoiles
]»euvent lui rendre le même service. Au moment, en
effet, où le Soleil se couche, la constellation zodiacale
qui lui est opposée se lève ; elle présidera à la nuit qui
commence, comme le Soleil a présidé au jour qui
s’achève, entraînant après elle d’autres constellations.
Peu à peu, on en vint à la division complète du
LES PLÉIADES
423
zodiaque en douze signes égaux, ou supposés tels. Dès
lors, le partage de la durée de la nuit fut rendu à la
fois plus facile et moins conjectural pour qui connais-
sait le dénombrement des astres qui se lèvent ou se
couchent pendant que se lève ou se couche chaque
signe du zodiaijue. C’est sur ce dénombrement qu’in-
sistent les premiers écrits astronomiques, les ancêtres
de la Connaissance des temps, destinés aux marins,
mais où les agriculteurs trouvaient aussi leur part.
On sait qu’au cours de l’année les constellations du
zodiaque se dégagent tour à tour des rayons du Soleil,
brillent quelque temps pendant la nuit et se perdent
ensuite dans la clarté du jour. Chaque astre — étoile
ou constellation, en dehors des circompolaires - passe
donc par quatre phases fixant quatre repères dans la
durée de l’année, un peu comme les phases de la Lune
au cours du mois.
La première phase stellaire est le lever apparent du
matin, ou le lever hèliaque de l’étoile ou de la constel-
lation : elle a lieu quand, pour la première fois au
cours de l’année, on aperçoit l’astre à l’horizon oriental
un peu avant le lever du Soleil (i).
La seconde est le coucher apqyarent du soir, ou
le coucher hèliaque : elle se produit quand, pour la
dernière fois au cours de l’année, l’astre apparaît à
l’horizon occidental un peu après le coucher du Soleil.
De même la troisième et la quatrième phase, le
lever apparent du soir et le coucher apparent du
matin, ont lieu respectivement quand on voit l’astre
se le\"er pour la deimière fois peu après le coucher du
(1) Le lever vrai du matin, ou le lever cosmique, a lieu quand l’astre est à
l’horizon oriental en même temps que le Soleil : il échappe à l’observation ;
l’éclat du Soleil absorbe celui de l’étoile. Il faut que le Soleil soit abaissé d'un
certain nombre de degrés sous l’horizon pour que les étoiles puissent être
aperçues. Les anciens supposaient que cet abaissement devait être de 18®
environ pour les petites étoiles et de 10® à 12" pour les étoiles principales.
r'4
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Soleil, et quand on le voit pour la première fois se
coucher peu avant son lever.
Un choix convenalile et suffisamment fourni d’étoiles
ou de constellations permettait donc de multiplier et
de distribuer ces repères dans l’année de façon à éta-
blir une concordance, pour un climat donné, entre ces
phases stellaires et les travaux agricoles ou les époques
intéressant [)lus spécialement la vie publique. Au-
jourd’hui, grâce à notre calendrier solaire fixe,
l’énoncé d'une date suffit cà tous ces besoins; mais
« avec une année lunisolaire d’une longueur variable
et dont le commencement se déplaçait dans l’intervalle
d’un mois, écrit P. Tannerj (1), les Grecs devaient
nécessairement, [lour assigner et prévoir les moments
des travaux de la vie pratique, recourir à un autre
moyen que la fixation d’une date du comput civil.
Ce moyen, ils l’avaient trouvé dans l’observation des
levers et des couchers du matin et du soir des constel-
lations les })lus remarquables. »
Toutes ces observations, celles-ci et celles qui con-
cernaient la division du jour et de la nuit, se faisaient
sans instrument, voire en se promenant : témoin
Thalès qui tombe dans un puits pendant qu’il astrono-
niise. Beaucoup de patience et un peu d’habitude, de
bons j^eux et un horizon libre suffisaient à tout, et tout
le monde était astronome.
II
Parmi les constellations que l’astronomie pratique
a de tout temps utilisées, figure très honorablement le
groupe des Pléiades. On a cru les trouver renseignées
(1) P. Tannery, Rechercher sur l’Histoire de l’Astronomie ancienne,^. 15.
LES PLÉIADES
125
déjà dans la Bible ;\q^ Septante ont, en effet, non sans
vraisemblance, donné leur nom à l’ime des constella-
tions dont parle Job (i). (^bi’il nous suffise de faire
remonter leur histoire aux monuments les jJus anciens
des lettres grecques, aux poèmes d’Homère et d’Hésiode.
Quand Homère fait voyager le divin Ulysse de l’île
de Calypso vers la terre des Phéaciens, il nous le
montre, la nuit, -au gouvernail du radeau qu’il s’est
construit et dont il vient de larguer les voiles, « con-
templant les Pléiades et le Bouvier lent à se coucher,
avant Y Ourse que l’on appelle aussi vulgairement (lia-
riot, celle qui tourne sur place en se gardant ééOriorr
et seule n’a })oint part aux bains de l’Océan (2) ».
Ulysse cherchait-il l’oubli de ses malheurs en rêvant
aux étoiles? — Xullement, il leiu‘ demandait l’heure
et la route à suivre, il consultait sa monti-e et sa
boussole.
Si aux Pléiades, au Bouvier, à Y Ourse et à Orion,
nous ajoutons les Hyades et le Chien d’Orion (3), nous
aurons vraisemlilablenient toutes les constellations
connues d’Homère ( i) ; nous n’en voyons point d’autres
sur le bouclier d’Achille (5) où à'ulcain « avait repré-
senté la Terre, le Ciel et la Mer, le Soleil infatigable
et la Lune dans son plein, et tous les astres dont le Ciel
(1) Job, IX, 9; XXXVllI, 31.
(2) Odyssée, V. 272-275.
(3) Iliade, XXII, 25-31.
(4) Et, à très peu ])rès, toute son astronomie. On a cru voir dans VOdyssée.
XV, 403-404, une allusion aux solstices (voir ; .Martin, Commeni Homère
s’orientait, Mé.m. iik i.’Ac.vn. des Lnsciuptions et Belles-Lettues, XXIX.
t. 2, 1879. pp. 1-28), mais elle n’est pas certaine (voir : Tli. Ileath, Aristar-
clnis of Sa)iios, Oxford, 1913, pp. 9-10). Homère parle de VÉtoile du malin
(Iliade. XXlll, 220) et de l’Étoile du soir (Ibid., XXII, 318) « la plus belle
du ciel », mais l'idenlilication avec la planète Vénus n’est point faite. Il n’est
question dans ses poèmes ni des comètes, ni des étoiles (Hantes ; inie fois
cependant (Iliade, IV, 75-79), la chute d’un météore fournit une image poé-
tique ; c’est tout.
(5) Iliade, XVIII. 483-490.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
m
se couronne : les Pléiades, les Hyades, ... », et le poète
nomme ici les seules constellations que nous venons
d’indiquer.
Vraisemblablement, plusieurs de ces constellations
devaient être plus étendues que celles qui, dans les
temps postérieurs, ont porté les mêmes noms. Si
\ Ourse, en particulier, était seule à ne pas se coucher,
c'est qu’elle comprenait sans doute toutes les étoiles du
cercle de perpétuelle vision ; cet enseinble de constella-
tions suffisait cependant, par une nuit sereine et pour un
(eil exercé, à s’orienter et à évaluer la portion écoulée
de la nuit. Quant aux Pléiades dont parlent V Iliade et
X Odyssée, ce sont bien les nôtres ; à part peut-être
quelque variation individuelle d’éclat, leur groupe se
montrait au divin Ulysse tel qu’il nous apparaît aujoiii'-
d’iiui, nous en aurons ]dus loin la preuve.
1/astronomie d’IIésiode est un peu plus avancée que
celle d’Homère, mais ses constellations sont, en
somme, les mêmes; il connaît le nom du Chien d’Orion,
Sù'ius, celui éé Arcturtfs (dpKTou oùpà). et celui d’Hrcto-
yhylax, le Gardien de l’Ourse, qui a dû s’étendre
originairement à toute la constellation du Bouvier-,
c’était ce gardien et ( )rion qui empêchaient l’Ourse de
se baigner.
Comme le titre du poème d’Hésiode, Les Travaux
et les Jours, permet de s’y attendre, l’auteur s’étend
plus que ne ])0uvait le faire Homère, dans VIliade et
XOdi/ssée, sur la distribution annuelle des travaux des
champs par l’observation des phases des étoiles, bâ
encoi’e les levers et les couchers des Pléiades jouent
un rôle important quand il s’agit de tixer l’é])oque des
semailles, celles de la moisson, du battage en grange,
etc. Nous ne reproduirons j)as le détail de ces rappro-
chements; ils n’ont de sens que pour le climat envisagé
LES PLÉIADES
427
par Hésiode et pour son tem])s, et n’intéressent plus
aujourd’hui le grand public (1).
« On attribue à Hésiode, écrit P. Tannery (2), une
Astronomie {Athénée, XI, 491), déjà connue d’IIygin
(sous Auguste). La seule donnée précise qui nous en
ait été conservée est due à Pline (H. X., XVHI, c. 25,
§ 213). L’auteur aurait fait coïncider le coucher du
matin des Pléiades avec l’équinoxe d’automne ; à
moins d’une mauvaise interju-étation de vers peut-être
obscurs, il faudrait supposer que le faussaire aurait
pris plaisir à exagérer l’ignorance du vieil Aède
d’Ascra; celui-ci au reste, dans ses Travaux, ne parle
pas des équinoxes. »
On attribua d’abord à cette astronomie une origine
alexandrine, on la croit aujourd’hui plus ancienne; si
l’on en juge par le ]>assage de Pline, peut-être serait-
elle antérieure à Thalès (3). Xous n’en retiendrons
que ce détail :
Le nom des Pléiades serait écrit TTeXeicibeç ('TréXeia,
pigeon ramier) ; on trouve la même version dans
d’autres auteurs. Elle a rappelé à certains érudits les
vers de Y Odyssée (XII, 61 -(>3) où Homère parle des
écueils (roches errantes) que les dieux ont nommés
TTXaYKtàç ; les oiseaux ne les traversent pas en vain,
pas même les timides colombes (TréXeiai ipripdjveç) qui
portent l’ambroisie à Jupiter; l’une d'elles, dit-on, s’est
perdue en les survolant. De là une autre étymologie
du mot Pléiades et une explication mythologique de la
légende de la Pléiade perdue dont va nous jiarler Ara-
tus, l’auteur de la plus ancienne description de constel-
lations que nous possédions.
(1) Voir, entre autres ouvrages, Petau, l'runolof/., Paris, 18P>0: Idelc-r,
llandbuch der math, und techn. Chronol., ISri.'j.
(2) P. Tannery, Recherches sur VHisloire de iAstronmnie aucienne, p. 8.
3) Thomas Heath, Aristtuchns of Samos, i). II.
42S REVUE DES QUESTIONS SUIl'.NTIFIQUES
Araius de Sales (iii® siècle avant J. -C.) n’était pas
astronome, dit P. Tannery, il a seulement versifié,
dans son poème didacti([ue intitidt' les Phénomènes,
un ouvrage en prose comjtosé un siècle auparavant,
sous le même titre, ]>ar Eudoxe de (Inide ou, plus pro-
hablement, réédité [lour un climat un peu difiérent un
ouvrage de cet asti'onome intitule le Mirow et con-
sacré au même sujet.
Les Phénomènes ont été cori-igés et expliqués ]>ar
llij)])arqu<‘, et ce commentaire le seul ouvrage du
célèbre astronome de Rhodes qm nous soit parvenu.
Il nous reste aussi ([uelques fragimuits de la traduction
d’ Aral us en vers latins ({ue Cicéi-ou composa dans sa
jeunesse.
( let ouvrage, essentiellement d' rdre pratique, était
destiné a\ix marins et aux agric dteurs. Aous ne le
suivrons ni dans la description d('s 'onstellations, qui se
sont beaucoup multijdiées de[)ui^ Homère et Hésiode,
ni dans la solution des problèmes ue la connaissance de
l’heure pendant la nuit, }>ar rinsj=->ction du ciel, et de
la détermination des travaux agr;coles et des expédi-
tions saisonnières par les])hases d 's étoiles; nous nous
bornerons à transcrire ce qu’il dil des Pléiades.
« Au-dessous du genou gaïudu^ de Persée, écrit
Ai*atus, se trouvent les Pléiades. ( hi dit communément
qu’elles sont au nomlire de sejit, quoiqu’on n’en voie
que six; la septième n'est pourtani pas perdue, aucune
étoile ne se perd. Leurs noms sont Alcyone, Mérope
(lelaeno, Electre, Astérope, Taygète et Maïa (1). »
Sur le nombre des Pléiades visibles, IIi})parque ne
}iartage i>as l’avis d'Aratus; par une belle nuit sans
Lune, il n’a point de peine à en compter sept : il avait
sans doute de meilleurs yeux que le poète de Sales qui,
sans être astronome, a bien du paid'ois regarder le ciel.
< I ) [’liisiiMirs il(; ces noms oui été donnés de nos Jours à des petites planètes.
LES PLEIADES
4-29
Longtemps les poètes s’intéressèrent à la Pléiade
perdue. Trois siècles après Aratiis, les Fastes d'Ovide,
parlant des Pléiades, répètent en latin ce que les Phé-
nomènes avaient dit en erec :
O
Qiiae septem dici, seac tanien esse soient.
« on dit qu’elles sont sept, mais on n’en voit habituel-
lement que sij} », et Ovide cherche, dans la mythologie,
l’explication de cette anomalie : c’est peut-être Mérope
qui se cache, dit-il, honteuse d’avoir épousé Sisyphe,
un mortel, alors que ses sœurs ont été aimées des
dieux; ou bien Electre qui s’est voilé la face devant la
ruine de Troie. Nous reviendrons sur cette tradition
pour en donner une interprétation moins poétique.
Les noms dont on a baptisé les Pléiades sont ceux
des sept filles d’Atlas et de Pléione; de là le nom com-
mun d’Atlantides qu’on leur a parfois donné; de là
aussi, a t-on dit, leur nom commun de Pléiades,
« les filles de Pléione ». On a même prétendu remonter
à l’oriii'ine de ces dénominations : Atlas aurait été
le premier observateur de l’astre aux sept étoiles
(éTTTÔKTTepàç), et lui-même aurait donné à ces étoiles les
noms de ses filles. La morale de cette fable est vraie :
l’observation des Pléiades remonte à la plus haute
antiquité.
La distribution de ces noms propres entre les
Pléiades fut longtemps imprécise et cajtricieuse ; il
semble qu’elle n’ait été fixée qu’au xviL siècle, peut-
être par F. y an Langren qui, certainement, donna les
noms de leur père et de leur mère, Atlas et Pléione,
à deux étoiles du même groupe. La figure ci-jointe
indique la position et la grandeur des Atlantides et de
leurs parents; nous y avons joint cinq autres Pléiades
dont l’éclat, compris entre la sixième et la septième
grandeur, les rapproche de Pléione et de Celaeno et
HD .SÉRIE. T. XXVI. i2s
-430
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
(les étoiles visililes à r(PÜ nu dans d’excellentes condi-
tions.
Un couj) d'(Pil Jeté sur cette tigure — et mieux
encore sur la réalité qu’elle représente — permet de
comprendre que l’imagination populaire ait vu, dans
6 4
•
6,9
^têrope •
•
Toÿgéte
7
•
Maloy •
Celaeno
Plêîom.
•
•
Ahcyone
•
Eiedre
AU/u
•
•
6.7
Méropt
• 6,1
Fig. 1. — I.es Pléiades principales
les Pléiades, une jioule, Alcyone, accoinjiagnée de ses
poussins; d’où les noms de Poussinière. de Brood-hen,
de Brutlicnne, de Gallinella qu’on leur donne en
l''rance, en Angleteri-e, en Allemagne et en Italie.
« Bien ([ue leur lumière soit faible, poursuit Aratus,
les Pléiades n’en sont pas moins renommées parce
LES PLEIADES
431
qu’elles annoncent et l’été, et l’hiver, et les approches
du labour », et beaucoup d’autres choses encore.
(Citons, par exemple, ces vers de 'N’irgile parlant des
abeilles (1) :
Bis gr.'tvidos cogimt l'etns, duo lempora inessis;
Taygete simul ns lerris ostendil honestum
l’ieias, et Oceani spretos pede reppulil aniiies;
Aut eadeni sidus fugieiis ul)i Piscis atpiosi
Tristior hibernas codo desrerulil in undas.
1
« Deux fois les ruches condensent le miel dont elles
sont pleines, double époque de récolte, quand la Pléiade
Taj’gète repousse d’un pied dédaigneux les tlots de
l’(3céan et nous montre son beau visage, et quand elle
fuit le Poisson pluvieux en descendant toute triste du
Ciel dans l’onde placée. »
Nous pourrions multiplier ces rapprochements; mais
c’est comme astres des navigateurs que les Pléiades
furent surtout célèbres.
Incajtables d’affronter tous les temps, les marins
attendaient, pour j)rendre la mer, la saison favorable ;
elle leur était annoncée par le lever héliaque des
Pléiades. Les auteurs anciens sont remplis d’allusions
à ce rôle des filles d’Atlas ; il nous a valu une cinquième
interprétation de leur nom. De même que leur rapport
avec le printemps les fit appeler 4'ergillae (2) par les
Romains, les Grecs les auraient appelées Pléiades
(ttAeiv, naviguer) à cause du service qu'elles rendaient
aux marins. L’ingéniosité des chercheurs d’ét\inolo^
gies est inépuisable.
Ce n’est point }>ar leur éclat, dit Aratus, que les
Pléiades ont retenu l’attention. Ceci nous intéresse
(1) Georu; IV, 23l-'2.35.
(2) «A \ ere extremo qiio qiiondam oi'iehaiitnr », dit lüccioli; ou encore
<lu verbe vergere, « a vergente vere ».
432
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
davantage, et on soiihaitei-ait sur ce point des ren-
seignements plus précis.
Que le lecteur veuille bien se reporter à la figure i
où nous avons indiqué les grandeurs des quatorze
étoiles principales du groupe.
Il reste vrai, d’une façon générale, que « leur
lumière est faible ». Aujourd’hui, comme autrefois, la
vue normale ordinaire compte six Pléiades ; des yeux
excellents, comme ceux d'IIijtparque sans doute, en
distinguent sept ; seules quelques vues exceptionnelle-
ment puissantes vont })lus loin.
Ivépler nous apprend que son vieux maître, Michel
Moestlin, put un soir, sous le ciel de Tubingue, distin-
guer onze Pléiades assez nettement pour en dresser la
carte exacte. Par un ciel très pur, Heis en voyait dix ;
Marchand, à l’observatoire du Pic du midi, en séparait
ordinairement onze, et Miss Airy, qui d’ordinaire en
comptait sept, en vit une lois très nettement douze.
Manifestement, leur assemblage gêne la vue distincte,
et ce (pie disait un astronome du xiii® siècle, Kazwini,
est tou jours vrai : « ( )n voit dans les Pléiades six étoiles
brillantes et, entre elles, qiudques obscures ». Aratus,
sans doute, n’y contredirait ]»as, mais on voudrait avoir
le témoignage d’un observateur ancien plus familier
que lui avec les choses du ciel et mieux à même d('
nous donner des détails jirécis.
On s’est adressé à Ptolémée dont Y Almaffeste con-
tient un catalogue d’étoiles visibles à l’ocil nu, donnant
leur grandeur, la descrijition verbale de leur situation
relative dans la constellatiim à laquelle elles apj>ar-
tiennent, leur longitude et leur latitude (1).
Une première déception attendait ici les chercheurs :
Ptolémée m; renseigne <[ue quatre Pléiades (p. 53).
(1) XùvTaSiç, tradmiion llalina, Paris -181(1, t II, jip. W
et siiiv.
r LA yen K i
Fig. — LES NÉBULEUSES DES PLÉIADES
Aslèropo
Akyone
Mdhi
Tiiyiit'le
Celaeno
Electre
Mérope
LES PLEIADES
433
A en juger uniquement par leur description verbale,
« celle de l’extréinité boréale du côté occidental de la
Pléiade » pourrait être Taygète; « celle de l’extrémité
méridionale du côté occidental » semble être Mérope ;
« celle de l’extrémité suivante et très étroite de la
IHéiade » fait songer à Alcyone et plus encore à Atlas,
(juant à la quatrième, « une extérieure et petite de la
Pléiade, du côté des ourses », on hésite à y reconnaître
Pléione.
Peut-être les positions et les grandeurs que Ptolémée
donne à ces étoiles nous tireront-elles d’embarras.
A*oici ce tableau :
Lmujitnde
fAitihide Grandeur
1
32'MO'
i"30' 5
(1) “2
32"30'
3"40' 5
3
33" iO'
3"40' 5
4
mm
T)" 4
Nouvelle déconvenue ! Alcyone, la plus brillante de
nos Pléiades, ne semble pas avoir trouvé place dans ce
tableau; d’autre part, la quatrième de ces étoiles, celle
que Ptolémée appelle « petite », serait la plus brillante
et irait se perdre^ loin du quadrilatère formé par
Alc^’one, Mérope, Electre et ^laïa.
Delambre, qui reproduit le catalogue de X Alma-
(jeste (i) avec quelques changements, remplace la
description que donne Ptolémée de cette quatrième
étoile par celle-ci : « Petite et sixième de la Pléiade
comptée de l’ourse », et il lui assigne non plus la
quatrième mais la sixième grandeur. Il ajoute en note :
« il serait singulier que la luisante de la Pléiade
(Alcyone) ne fût pas dans ce catalogue ; il faut que les
erreurs l’aient rendue méconnaissable. »
( 1 ) Histoire de l’Astronomie ancienne, t. Il, pp. et suiv.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
43 'I
M, Flaininai-ion, dans son livre Les Etoiles (1),
a longuement étudié cette énigme. Partant des ascen-
sions droites et des déclinaisons, pour 1S80, 0, de cha-
cune des Pléiades princi[»ales, il calcule, pour la même
é})0([ue, leurs longitudes et leurs latitudes, il retranche
des longitudes les dont la ])récession les a fait
rétrogi'ader au cours des 1750 ans (pii séjiarent
l’année 1S80, U de réjioque de Ptolémée (180) et il
conserve les latitudes (:i). Il olitient ainsi le tableau
suivant auquel nous ajoutons Pléione et les grandeurs
actuelles de chacune de ces étoiles.
L’an 130
le) n (fit ode
Lui i tilde
(ira ndeiir
Kleclre
rld"l()'
PIO'
4,5
helaeno
S;] 18
4 21
6,5
Taygèle
A] -2(1
ldi
5,8
Maïa
dd d2
4 2d
5,0
■Métope
dd dd
d 56
5,5
■\stérope
dd d7
4 d4
6,8
-Alcyone
dd 51
i. 42
d,o
Atlas
d 'i Id
d54
4,6
Pléione
3P)d40"
d"59'
6,3
11 l’este à comparer ce tableau à celui des positions
renseignées dans V Almageste (tableau I).
Le « résultat est fantastique, écrit M. Flammarion :
il n'y a aucune correspondance entre ces positions et
celles de Ptolémée ». En eliét, les écarts en longitude,
pour ne rien dire des latitudes moins sûres, sont
énormes.
Mais on admet généralement (3) qu’en réduisant à
(1) Paris, 18S2, pp. :2'J() et suiv.
(“2) Le peu d’exactitude du Catalogue de l’tolémée rend superllu un calqid
plus rigoureux.
(3) Delambre, Histov e de l'Astronomie ancienne, l II, p. 2(i2.
LES PLEIADES
435
son époque le catalogue crilip})ai-({ue qu'il rejiroduit,
Ptolémée a supposé la précession égale à 36" seulement
au lieu de 50". Or entre Ilipparque et Ptolémée, il s’est
écoulé 265 années. Toutes les longitudes du catalogue
de V Ahnageste seraient donc troj) faibles de l'’2' environ.
Si nous tenons compte de cette correction, que néglige
M. Flammarion, le tableau (1) devient :
Lonf/itiidc
Lalilude
Grandeur
1
V’do'
dd 2'2'
d 40
5
3
,-14 42
d 40
4
d,4“42'
5"
4 ou 0
Le résultat s’améliore un peu, mais il faut faire
appel à toute l’indulgence que l’on doit aux observations
des anciens, surtout dans l’estimation des grandeurs
stellaires qui ont pu d’ailleurs varier, et tenir compte
des descriptions verbales, pour en tirer des conclusions
vraisemblables.
La première Pléiade de Ptolémée peut être Electre
ou Taygète, la seconde est Mérope ; il est bien difficile
sinon impossible de reconnaître Alcjone dans la troi-
sième, c’est Atlas sans doute qu’il faut y voir; quant
à la quatrième, de même longitude qu'Atlas et plus au
nord, il faut admettre une bien grosse erreur sur la
latitude pour y voir Pléione; c’est liien le cas de répéter
avec Delambre, que l’identification des étoiles de
V Almageste a souvent embarrassé : « Quand Terreur
de Ptolémée est assez considérable pour rendre l’étoile
méconnaissable, toutes les conjectures deviennent assez
inutiles; on ne tirera jamais rien d’une étoile mal
observée ou transcrite infidèlement. »
En résumé, Ptolémée ne nous apprend rien ou fort
peu de chose. Du fait ([u’il ne renseigne que quatre
i^léiades, il n’y a rien à tirer : Ovide, son contempo-
436
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
rain, en comptait six et llipparque, dont il reproduit
le catalogue, en voyait sept. Almageste n’est pas un
traité d’astronomie pratique; les Pléiades intéressaient
moins Ptolémée qu’IIésiode et Aratus. S’il n’en signale
que quatre, comme le fit plus tard Tycho-Brahé qui
cite Klectre, Alcyone, Atlas et peut-être Mérope, c’est
que l’observation des occultations, par exemple, ne lui
a pas fourni l’occasion d’en mesurer un plus grand
nombre.
Il n’est pas impossible — rien n’est impossible quand
il s’agit d’un catalogue exposé à tant d’incorrections —
mais il paraît très peu probable qu’Alcyone soit au
nombre des Pléiades de V Almageste. Peut-être son
éclat ne l’emportait-il ]>as alors, comme il l’emporte
depuis le xvi® siècle, sur celui de ses sœurs. Elles-
mêmes d’ailleurs n’ont pas toujours paru également
brillantes (1), et d’autres étoiles du même groupe ont
pu s’exalter ou déchoir ; la légende de la « Pléiade
perdue » est susceptible, nous le verrons, d’une inter-
})rétation littérale.
III
A l’époque de l’invention de la lunette, les Pléiades
avaient cessé de régler les travaux des champs et de
donner le signal des expéditions maritimes; on ne sur-
veillait })lus leurs levers et leurs couchers, les astro-
nomes avaient d’autres soins, mais ils continuaient à
s’intéresser à cette région du ciel un peu mystérieuse.
Elle fut l’une des premières vers lesquelles Galilée
dirigea la lunette qui venait de lui révéler l’existence
des montagnes de la Lune, des satellites de .Jupiter et
la nature de la A oie lactée. Le spectacle que lui offrit
(1) Voir FlaniiiKirioi), Ur.s AToi/r.s, loc. cil.
LES PLÉIADES
137
la famille d’ Atlas rémerveilla; il en fit un dessin qu’il
se hâta de jmblier dans son Sido-eus Nimtius.
Cette première esquisse télesco])ique des Pléiades
compte 36 étoiles; leur nombre ne cessera plus désor-
mais d’augmenter, tous les perfectionnements de la
lunette et tous les ])i*ogrès des procédés d’observation
y ont contribué.
Moins de vingt-cinq ans après (lalilée, ce nombre est
déjà plus que doublé : Robert Ilooke, en 1664, compte
en ertét 78 Pléiades. Un siècle plus tard, en 1767,
Michell n’hésite pas à jirédire qu’on arrivera au millier;
cette prévision fut bientôt très largement dépassée.
En 1S7(), C. Wolf, à l’observatoire de Paris, cata-
loguait 625 étoiles de la 3*" à la 14® grandeur, dans un
espace de 131' d’ascension droite et 90' de déclinaison
dont Alcyone occupe le centre.
Quelques années plus tard, en 1885, Paul et Prosjier
Henry fixaient sur la plaque photographique, dans un
espace moindre, 1421 étoiles ; et au cours de l’hiver de
1887, une exjiosition de 4 heures leur en donnait 2326
dont les plus faibles étaient probablement voisines de
la 16® grandeur photographique. Nous reviendrons sur
l’application de la photographie aux Pléiades ; elle
nous a révélé bien d’autres merveilles que l’accumula-
tion des étoiles dans ce coin du ciel.
A cette époque et depuis longtemps déjà, on ne
doutait plus que tant d’étoiles réunies en un si petit
espace n’aient entre elles des liaisons physiques réelles.
Au commencement de notre ère, le poète Marcus
Manilius, dans son livre intitulé Astronouiicon^ avait
donné aux Pléiades le nom de « Glomerabile sidus > ;
certes, il ne pensait pas si bien dire, mais son épithète
a fait fortune : les progrès de l’astronomie nous ont
montré, dans le ciel, de nombreux groupes et amas
globulaires d’étoiles, contenant d’une centaine à plu-
438
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
sieurs milliers de membres et ne se résolvant, le plus
souvent, en astres distincts que dans les très grands
instruments. Les idéiades rentrent dans cette catéo-orie
O
d'objets célestes, mais des mesures précises et le con-
tnMe du temps pouvaient seuls nous en fournir la
preuve et nous donner le moyen de discerner, dans ce
fouillis d’étoiles, celles que la nature a réellement unies
entre elles, de celles que les erreurs de la perspective
y introduisent.
Lu jouroù la lunette fut adaptée aux observations
méridiennes, les astronomes s’apjtliquèrent à dresser
des catalogues ou à tracer des cartes des Pléiades,
basées sur les positions directement déterminées par
les instruments méridiens d’un certain nombre d’entre
elles; citons les cartes de La Ilire (1()D3), de Gassini
et Maraldi (1708), de Le Monnier (1748), de Jeaurat
(17()(3) et, plus tard, les observations de Piazzi, de
Baily, de Rumker, etc. La précision de ces travaux
est celle des observations méridiennes de l’époque où
ils furent exécutés, et le nomlii’e des étoiles fondamen-
tales directement mesurées y est relativement l'estreint.
Le travail fondamental d’où devait sortir la connais-
sance exacte du groupe des Pléiades est celui que
Bessel inaugura à Kienigsberg, en 1829, et qu’il publia
en 18 U (1)"
G’est le catalogue fondé sur les mesures diHéren-
tielles liéliométriques des 52 étoiles les plus brillantes
comprises dans le cercle dont n Tauri (Alcyone) est le
centre et dont le rayon mesure 18'. On devine le profit
que le temps allait pmanettre aux astronomes de tirer
d’un travail aussi étendu et dont la précision n’a pas
été surpassée.
(l) Astron. Nachrichten, 11" 130 : le catalog-ue roncln; le mémoire com-
plet se trouve dans les Astrox. UxtersuchcnTtEX, I, 'î'09, et dans les
ABHANllU'xr.EX de r. Hessel (éd. Eng'elmanni. 11,
LE!^ PLEIADES
439
Lorsqu'on a affaire à un système stellaire simple —
au plus simpi' de tous, par exemple, à une étoile
double — l’ex ence d’un lien physique réel entre ses
composantes u us est démontrée par le mouvement
orbital de l’mi' d’elles autour de sa compagne. Dans
ce cas, les d< nées d’une observation suffisamment
]»rolongée, le lois d^^ Newton et les ressources
actuelles de 1 lalyse mathématique suffisent à nous
dévoiler la str -ture interne et le mécanisme du sys-
tème. Mais il ! m va plus ainsi pour un amas de quel-
([ues centaine- m de quelques milliers d’étoiles.
Ici nous de is renoncer, provisoirement du moins
et vraisemblal unent pour longtemps encore, à péné-
trer les secret- le la mécanique céleste, infiniment plus
compliquée qu la nôtre, qui préside à la stabilité et à
l’évolution d'u tel système; mais la jireuve de l’exis-
tence d’une 1 ison réelle entre ces étoiles, de leur
unité physiqur peut nous être fournie par une sorte
de rigidité de l’ensemble, compatible avec certains
])etits mouveii eiits individuels, d’apparence irrégu-
lière, se supei' usant à un mouvement commun à tous
les astres de 1 unas. Si la perspective y fait voir quel-
ques éléments -trangers, ([ui échap])ent dès lors à ce
mouvement d nseml)le, le temj)s nous les signale, il
se charge mêu e de chasser ces intruses siir d’autres
routes du ciel. Telle nous apparaît une foule marchant
de concert vei . un but déterminé. Chacune des per-
sonnes qui la c umposent n’est ])as invariablement fixée
à la place qu’u le occupe relativement à ses voisines,
elle peut en changer sans cesser de participer à la
marche de l’eusemble; mais si elle est étrangère au
cortège, si elh* ne va pas là oii vont les autres, elle
finira fatalement par les abandonner.
Or, en 1865, un quart de siècle après la publication
du travail de Bessel, une photogra})hie des Pléiades
prise par Rutherford, de New-York, jtermit au doc-
440
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
teur (jroukl de déterminer à nouveau les positions rela-
tives à Alcyone de 39 étoiles du catalogue de l’astro-
nome de K(enigsberg ; elles n’avaient point changé de
façon a})préciable : la rigidité du groupe se manifes-
tait donc nettement.
11 est vrai que vingt-cinq ans est une durée bien
(;ourte pour asseoir, en pareille matière, une conclusion
définitive ; mais cette conclusion n’a cessé d’être con-
firmée'et étendue à un nombre de plus en plus grand
de Pléiades. Rappelons, sans entrer dans une analyse
qui ne peut trouver place ici (i), les mesures micromé-
triques de C. Wolf, de G. Rayet et de Pritchard ; les
mesures héliométriques d’Elkin, de Battermann et
d’Ambroun, les mesures photographiques de Jacobi,
Turner, (fould, Olsson, etc. Toutes aboutissent au
même résultat qu’il faut accepter aujourd’hui comme
définitif.
Ce ne sont pas les hasards de la perspective qui nous
font voir, dans la région des Pléiades, tant d’astres
réunis. Il y a là un amas réel d’étoiles, mais un amas
irrégulier, comme il y en a beaucoup dans le ciel. Le
plan sur lequel il est construit nous échappe ; par son
éclat, Alcyone domine ses sieurs, mais le rôle de Soleil
central régissant les mouvements internes de ce monde
stellaire qu’on serait tenté de lui attribuer, })eut très
bien n’avoir rien de réel.
Les étoiles lirillantes du groupe, toutes celles dont
les grandeurs dépassent le neuvième, à très peu d’ex-
ceptions près, font partie de l’amas ; mais parmi les
étoiles inferieures à la neuvième grandeur — qui ne
semblent pas plus nombreuses là que dans une autre
région équivalente du ciel — il en est vraisemblable-
ment beaucoup qui lui sont étrangères.
De plus, Alcyone, le centre des mesures qui ont
( 1) Voir Ch. ,\n(iré, Tniiti' (rAslrouomii’ sli'llaire, deuxième partie, pp. 31SI
PLANCHE U
Fig. 3. — i.a néhl'geuse me.-^siek 8 dans le sagittaiue
LES PLPÎIADES
441
abouti à cette conclusion, n’est point fixe sur la voûte
céleste : elle a un mouvement propre apparent dont
/e sens est directement oj)posé à celui de la translation
de notre Soleil et de son cortège de Planètes et dont
la grandeur séculaire a été estimée égale à 6" ])ar
Newcomb ; telles sont donc aussi la direction et la
grandeur du mouvement propre apparent de l’amas
tout entier, puisqu’il défile sous nos 3’eux du même pas
et dans la même direction que la plus brillante de ses
étoiles.
Nous ne connaissons pas la distance qui nous sépare
d’Alcjone ; les tentatives que l’on a faites pour déter-
miner directement sa parallaxe ont échoué. Il n’j a
rien là d’étrange : un tel objet se prête mal à pareille
recherche, sans compter que ceüe parallaxe, à en
juger par l’extrême petitesse du mouvement proj)re
apparent, doit être très faible. Mais une hypothèse, que
suggère la direction du mouvement propre apparent
d’Alcyone, va nous permettre de tourner ces difficul-
tés (1).
On sait que le mouvement propre apparent d’une
étoile résulte de son mouvement propre particulier,
si elle en possède un — c’est le cas général — et de
son mouvement parallactique, c’est-à-dire du mouve-
ment égal et directement opposé à la translation qui
nous emporte avec le Soleil et que nous attribuons, en
sens inverse, aux étoiles. C'est ainsi que le mouvement
apparent d’un objet que nous observons d’un train en
marche, résulte du mouvement particulier de cet objet,
s’il en possède un — si c'est un autre train en marche
par exemple — et de son mouvement parallactûpie ,
c’est-à-dire de notre propre mouvement que nous pas-
sons, en le renversant, à tout ce qui ne participe pas
II) Agnes M. Clercke. The siisteiii of the Stars, seconde édit., I.ondon,
1905, ch. XVII, p. !2“21.
REVUE DES QUESTIONS SCIENT TQUES
à notre déplacement. Si le mou veine-
l'objet observé est nul — si c'est un ar
— son mouvement jiropre ajiparent s
mouvement parallactique.
( )r le mouvement propre apparent i
l'avons vu, est (Hrcrto nient opposé à m
L’hypothèse la plus simple qui rend
])artieularité, c’est que l’amas des 1
relativement à la trajectoire du Se
arbres et les maisons le sont relativeu
train qui nous empoide; dans ce cas, (
tion de son mouvement ju'opre appare
de son mouvement jtarallactique.
Mais s’il en est ainsi, les 0" que m
ment jiropre ajqiarent séculaire d’A
aussi l'angle sous lequel on verrait, d
trajet etléctué, en 'nn siècle, par le
voj age à travers l’espace. Nous conn
kilométri([ue de cette translation, s
seconde ; ce trajet séculaire mesure d(
17,5 . 00’ . . o(). ) . K)' kih
DU, en années de lumière,
J 7,5
d.l(b
11 est aisé de calcuh'r à (jiielle distani
est vue sous l’angle de (V; on trouve
17,5 . ()'
?
TT
soit 'JOÜ années de lumière, en chilï'i
correspond à une parallaxe de ü',Ulb.
Transporté dans ces jtrofondeurs
Soleil n’apparaîtrait plus que comm
particulier de
tre, une maison
i réduit à son
i'Alcvone, nous
/■c translation .
•ompte de cette
'iades est fixe
il, comme les
nt à la voie du
effet, la direc-
doit être celle
lire le mouve-
\'one mesurent
cette étoile, le
oleil dans son
■sons la vitesse
t 17'^'’b5 à la
c
lèti-es
cette longueur
ronds, ce qui
e l’espace, le
une étoile de
Li:s PL Kl AD ES
143
grandeur 8, U : il cesserait d’être visible à l’œil nu d).
Atlas, Pléione et toutes les Atlautides dont les gran-
deurs surpassent 8,9 seraient donc des Soleils plus
brillants que le nôtre ; l’éclat d’Alcyone, ([ui est de
troisième grandeur, surpasserait l’éclat global de
25Ü étoiles de neuvième grandeur, et celui d’Atlas,
qui est pour nous à la limite de la vision à l’feil nu,
dominerait celui de 11 Soleils.
En partant toujours de la même hy pothèse : le rnov-
vement propre ap) parent d’Alcyone se r échut à son
moucenient parallactiqiie et ce nioveeonent est de (>'
par siècle, nous |)ouvons nous faire une idée des
dimensions réelles de l’amas des Pléiades. Sa j)artie la
plus dense se projette sur la sphère céleste en un
cercle dont Alcyone est le centre et dont le rayon
vaut 48' ; sachant que 200 années de lumière nous
séparent du centre de ce cercle, la grandeur réelle de
son rayon est de 2,8 années de lumière, soit 2(1,8 tril-
lons de kilomètres ou (KJOtd fois la distance du Soleil à
Neptune.
Dans un aussi vaste espace, il y a place poiu* bien
des mondes. De fait, on a cru y trouver plusieurs
étoiles doubles ou multiples; mais le temps n’a pas
toujours contirmé ces découvertes.
(1) Par (léfiiiition, l’éclat d’une étoile rie graïuieur vaut
(l^'^ lOO)””’” fois l’éclat d'une étoile de grandeur, d’oii
log. (?„; — log. r„ — m).
Pour une même étoile d’éclat à la distance et d’éclat e,^ à la distance
lt„. on ar„,D2„, = e„lP,,, d’où
log. I)„— log. 0,'2(» — m). (1)
Or la grandeur stellaire m du Soleil est — à la distance 1),„ de
S minutes lîJ secondes de lumière qui nous en sépare; il est facile de tirer
de la relation (1) sa grandeur stellaire n à la distance 1)„ de ^00 années de
lumière qui nous sépare des Pléiades; on trouve S, P.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
i44
Kn 182G, F. Striive soupçonnait en Atlas une double
très serrée; il la revit telle en 18-40, mais ses compo-
santes n’ont plus été séparées depuis. En 1847, Struve
lui-même écrivait à propos de cette Pléiade : « Stella
simplex in optima nocte ». Il est vrai que, en 1876, un
astronome de Strasbourg, Hartwig, observant une
occultation des Pléiades par la Lune, note que « la dis-
parition d’Atlas ne fut pas instantanée ».
D’autre part, au cours de recherches entreprises en
UK )4- 1904, sur les vitesses radiales des six Pléiades
principales, Walter Adams, de l'observatoire Yerkes,
constata que le spectre de Maïa présente les traits
caractéristiques d'une étoile double spectroscopique (1).
Quant aux cinq autres Pléiades, leurs vitesses radiales
sont positives ; leur distance au Soleil augmente donc,
et cela dans une proportion qui s’accorde bien ave(î
l'hypothèse que nous énoncions }>lus haut : le mouve-
ment propre apparent des Pléiades se réduit à leur
mouvement parai lactique; elles sont relativement fixes,
c'est le Soleil qui s'éloigne d'elles.
En 1886, le IVofesseur Pickering a conclu de l’étude
des spectrogrammes de quarante étoiles de l’amas des
Pléiades à l’identité de nature de leur lumière ; « il y
a là, dit-il, une solide confirmation de leur commu-
nauté d’origine ». Ces spectres sont ceux des étoiles
dites « à hélium ». étoiles blanches, rangées autrefois
dans la classe I de Secchi et qui forment aujourd’hui
les groupes H et PA de Harvard ou plus spécialement,
dans le cas qui nous occupe ici, les groupes 4' à Vil
de Miss A. C. Maury. Les raies d’absoiqdion do
l'héliujn et de l’hydrogène dominent dans ces spectres
et le stade d’évolution des étoiles corres})ondantes suc-
(1) On donnf' ce nom aux syslèmes doiiJjles lieancoup Irop s<3ri'és pour
l)Oiivoir être séparés par les procédés ordinaires, mais dont la composition
lions est révélée par le dédoublement périodiipn' des raies de leur spectre.
LES PLÉIADES
445
céderait, d’après Mac Clean, à celui des nébuleuses
gazeuses.
Des recherches postérieures ont apporté quelques
précisions à ces données. Il existerait une relation
étroite entre la nature du spectre d’une Pléiade et son
éclat ou sa grandeur stellaire. On savait que les étoiles
les plus brillantes de cet amas accusent, Jusqu’à la sep-
tième grandeur, une variation progressive du type
spectral allant de la classe 4" à la classe Vil de Miss
Maury. Or Rosenberg a constaté que cette variation
continue à s’accentuer jusqu’à la neuvième grandeui-;
plus loin, les modifications sont telles qu’on ne retrouve
plus les traits caractéristiques des étoiles à hélium ;
cette transformation serait assez nette pour permettre
de distinguer, au sein du groupe, les vraies Pléiades
des étoiles étrangères à l’amas.
Enfin, l’anal^'se spectrale nous donnerait-elle la clef
de la légende de la Pléiade perdue ?
(àn a reconnu que le sjiectre de Pléione est celui
des étoiles à hélium, mais à lignes biillantes, caracté-
risé par la présence des raies d’émission de l’hydro-
gène, G et F surtout, et de l’hélium. Or cette classe
est formée entièrement de variables ou même d’étoiles
teni})oraires ; on y trouve entre autres P du Cygne,
dont l’histoire est très suggestive.
C’est une ancienne variable qui brille aujourd’hui
d’un éclat modeste - elle est de grandeur 5,5 — mais
constant. En IfitJO, elle se montra momentanément de
troisième grandeur, ce qui lui valut d’être appelée
« étoile temporaire de .lanson, 1600 ». En 1659, elle
passa par un nouveau maximum qui l’éleva jusqu’à la
seconde grandeur, mais ce fut pour descendre bientôt
jusqu’à la limite des astres visibles à l’œil nu. Depuis
le commencement du xix® siècle elle a pris et conservé
son éclat actuel.
La similitude des spectres autorise à penser que
IID SÉRIE. T. XXVI. 29
m
REVFE DES QT'ESTIONS SCIENTIFIQUES
riiistoire de Pléione a })u répéter celle de P du Cygne.
Mais si la mère des Pléiades a connu ces variations
d’éclat, elle a brillé aux Jours de sa splendeur à l’égal
des })lus belles de ses filles, pour se voiler plus tard et
ne plus se montrer qu'aux observateurs attentifs et
doués de très bons yeux. Telle serait l’origine de la
légende de la Idéiad(‘ pertlue ; elle raconterait les
métamorphoses de Pléione. C’est l’interprétation que
suggère le Professeur Ihckering, et elle n’est pas
dépourvue de vraisemldance.
Mai.s il est. dans ce lointain fouillis d’étoiles, bien
d’autres merveilles longtemps insoupçonnées et dont
nous devons la connaissance aux pertèctionnements de
la lunette et, surtout, à l’application de la photogra-
phie aux observations astrononii(pies.
Le P) octolire 1859, M'. Teinpel, alors à Venise,
constate ({ue Mérope s’entoure d’une matière nébu-
leuse que personne jusque-là n'avait signalée. Il
n'annonça cette découverte que le décembre 1860,
dans une lettre écrite de Marseille (1).
« ... L’an j>assé, à à’enise, écrit Teinpel, ajirès avoir
cessé d’observer les Pléiades pendant six mois, je
trouvai sur Mérope, le 19 octobre, une grande et bril-
lante nébuleuse, qu'au premier coup d’ieil je pris pour
une belle et grande comète: mais Je me convainquis
le soir suivant. octobre, de son immobilité. Je l’ai
observée ici (à Marseille) à plusieurs reprises, et plu-
sieurs personnes, iM. A’alz entre autres, l’ont vue avec
une lunette. J’ai vu distinctement, depuis quelque
temps, de petites étoiles isolées étincteler ]iar instants
sur cette nébuleuse, et elle est plus brillante en un
endroit. »
(I) Astron. Naciir., I(S()|. Il" lrl!)(). p. !2Sri. Nous ('iii]>i’uiiloiis .sa Iraductioii
à liigounlan. Les néhiileiisrs de la nà/ion des Pléiades, üui.i.etin .\stron.,
t. XXVlll, 1911, p. 117.
LES PLi:i.U)ES
i47
L’annonce de la découverte d’une nébuleuse «grande
et brillante » dans une région du ciel si souvent ex-
])lorée et où rien de semblable n’avait été soupçonné,
était bien faite pour piquer la curiosité des astronomes
au moment surtout où un événement récent retenait
leur attention sur les nébuleuses variables, imitant non
les étoiles variables périodiques, mais plutôt les étoiles
temporaires. A^oici cet événement.
Dans son Catalogue de 1S()4, Sir J. Herscliel décri-
vait ainsi une nébuleuse de la constellation du Taureau
où habitent précisément les Pléiades : « ! ! ! ; y F; S;
variable (Hind) » ; ce qui signifie « olqet extrêmement
remarquable : très faible ; petit ; trouvé variable pai-
Hind». 11 s’agissait d’une nébuleuse ronde, de l'environ
de diamètre, avec condensation centrale, découverte
[>ar Hind le li octobre non loin du groiq)e des
Hjades. Il l’avait suivie de 1852 à 1850 et la cro^mit
variable.
Or, au moment oii Tempel faisait |)art de la décou-
verte de la nél)uleuse de Mérope, d’Arrest venait d’an-
noncer, le 3 octobre 1861, la disparition de la nébu-
leuse de Hind; ni Le ’\^errier et Chacornac, à Paris, ni
Secclii, à Rome, ni d’autres encore ne purent la
retrouver (1). Mérope allait-elle offrir un nouvel
exemple d’une nébuleuse temporaire ?
Les résultats des observations qui suivirent l'an-
nonce de la découverte ile Tenqiel furent d'abord
déconcertants. Tandis que Pape, à Altona, avait peine
à apercevoir « la grande et l)rillante nélnileuse » et
([lie d’Arrest et Schjellenqi la cherchaient en vain,
(I » Voici la suite de l'Iiistoice de cett(3 nébuleuse. .\pcès (Mce restée inlrou-
vable j)endaiit un ([uart de siècle environ, même dans le réllecteur de
-ix pieds de bord liosse, on la revit à peine, on 1S9U, dans la lunette do
dl) pouces de l’observaioiro bick où elle redevint insaisissable on l(St)r)ol on
1X117. b’année suivanto, en ISdX, la lunette de 40 pouces d’Verkos |)ermit d’on
saisir quebjue trace que Iveeler, en bS!)9, parvint à lixer par la photograpbie
à l'aide du célèbre réllectour Crossley de l’observatoire bick.
■148
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Auwers la voyait assez nettement pour tenter d’en
reconnaître la forme, qu’il juge triangulaire, et d’en
mesurer l’étendue, qu’il évalue à 5'. Bientôt cependant
les observations heureuses se multiplient et se pré-
cisent ; aujourd’hui qu’on n’a point cessé de la voir
depuis plus d’un demi-siècle, l’hypothèse de sa varia-
bilité est au moins fort douteuse : mais il semble que
’rempel ait un peu exagéi'é en annonçant sa décou-
verte. La grande diffusion de la nébuleuse de Mérope,
son faible éclat, le voisinage d’étoiles relativement
brillantes donnent aux qualités de l’œil qui la regarde,
à celles de la lunette qu’on emploie et aux conditions
atmosphériques une importance qui suffit à expliquer
les premières hésitations.
Le 7 mars 1871, André et B. Baillaud crurent voir
cette nébuleuse composée de deux noyaux « dont l’un,
presque concentrique à l’étoile (Mérope), s’étale un
peu vers l’Est, l’autre, plus lumineux, est à une dis-
tance de l’étoile de 7® à peu près, sui* le môme parallèle
et en arrière ; son diamètre est d’environ L de temps».
Outre ces deux condensations, Barnard, à l’obser-
vatoire Lick, en a découvert ])lus tard, en 1890, une
troisième très voisine aussi de Mérope, vers le Sud et
un })eu en arrière.
En 1875, Searle, à Harvard, avait remarqué
([u’Alcyone s’entoure aussi d’une auréole vaporeuse.
D’autre part Schiaparelli à Milan et Maxwell Hall à
la Jamaïque, constatent (]ue la néliuleuse de Mérope
s’étend très loin, qu’elle atteint Electre et même
Celaeno. Déjà (Toldschmidt, en 1803, avait annoncé
({lie la matière nébuleuse qui acconqiagne les Pléiades
les entoure de tous côtés et couvre une surface de 5° de
diamètre où l’on relève deux maxima {irincipaux, l’un
vers Mérope, l’autre dans la région symétrique par
ra})port à Alcyone.
LES PLEIADES
449
11 était réservé à la photographie de confirmer ces
observations, d’y introduire un peu d’unité et surtout
d’y ajouter de nouvelles merveilles. Signalons les
photographies de Paul et Prosper IleniT, en 1885
et 1888, celles du 1)'’ Pvoberts, en 1880, et celles de
J. E. Keeler, en 1899. (3n trouvera la carte des
Pléiades dressée }>ar les frères Henry d’après leurs
photographies, dans le Traité (V Astronomie stellaire
de Ch. André (seconde partie). Nous reproduisons
(PI. 1) la région la plus intéressante des Pléiades telle
(|ue nous la montrent les photographies de J. E. Keeler.
Nous empruntons cette planche au superbe Atlas
d’amas stellaires et de nébuleuses publié par J. E.
Keeler en 1908 (1).
Une vaste formation nébuleuse couvre tout le côté
ouest de l’arnas en se concentrant autour des étoiles
principales. Maïa et Electre s’ornent d’appendices en
spirales tourmentées qui rappellent les remous des
nuages heurtant les sommets des montagnes. Du sein
de la matière nébuleuse où Alcyone est plongée,
partent des filaments rectilignes larges parfois de
8" à 4" et s’étendant sur des longueurs énormes. 11 en
est d’autres plus remarquables encore; l’un d’eux, qui
se rattache à la nébuleuse de Maïa, rencontre sur son
trajet sept étoiles de diverses grandeurs qu’il relie les
unes aux autres, nous offrant ainsi le spectacle de
mondes stellaires communiquant entre eux. Ailleurs ce
sont des enchevêtrements de queues de comète, des
fragments de collier dont les perles sont des étoiles, des
jets capricieux qui défient toute description.
Le groupe des Pléiades n’est pas le seul des amas
irréguliers où la matière nébuleuse semble s’insinuer
entre ses étoiles. La nébuleuse M 8 (PL II), par
(1) Cet Allas forme le l. VIII des Pablications of the Lick observaiory
(University of Californu publications, Sacramento, \V W. Shannon,
1908).
45()
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
exemple, paraît bien engagée dans un brillant amas
irrégulier du Sagittaire (1) ; mais il n’en est aucun à
notre connaissance où la matière nébuleuse se relie
aussi intimement à certaines étoiles que dans les
Pléiades.
Un dans son ensemble, l’amas des Pléiades est donc
infiniment varié dans ses détails : c'est un musée de
merveilles célestes. Dans cette immense collection
d’étoiles, il semble bien qu’il n’en est aucune dont la
masse l'emporte tellement sur la masse mo^'enne des
autres qu’elle puisse être comparée à notre Soleil
dans le système planétaire qu’il gouverne, mais elles
dépendent les unes des autres et le lien qui les unit
n’est autre, sans doute, que celui que Newton a S3mi-
bolisé sous le nom à' uHi'action miicerselle ; ce sont ces
attractions réciproques et les conditions initiales de la
Ibrmation de ces soleils qui déterminent leurs mouve-
ments particuliers et président à l’équilibre dynamique
de l’ensemble.
Or, de même que pour un corps pesant à la surface
de la terre, il existe un point mathématique, qui ne
lui appartient pas nécessairimient — son centre de
gracitê — où son poids est virtuellement attaché, ainsi
dans un système d’étoiles soumises aux lois de Newton,
il existe un centre d'action, qui [)eut n’appartenir à
aucune d’elles — ce n’est aussi qu’une abstraction, une
expression mathématique — et qui joue le même rôle
à l’égard de chacune des étoiles du système que notre
Soleil vis-<à-vis de ses planètes.
Si nous connaissions, à un moment donné, les posi-
tions, les masses, les grandeurs et les directions des
vitesses de chacun des astres qui composent l’amas des
Pléiades, nous })ourrions déterminer son centre d’ac-
(1) AU. I7h57m43^ D. — “2T'“23’, 190Ü,0.
LES PLÉIADES
iol
tion en partant des lois de l’attracdion ; mais nous
ignorons tout des données du problème, et ce jiremier
pas dans le domaine fermé de la mécanique des sys-
tèmes stellaires nous est interdit.
On a tenté cependant, par une voie indirecte, d’ob-
tenir une solution approximative d’un problème ana-
logue, mais plus vaste encore : dcterminer le centre
d'action du système de la Voie lactée.
On ne se souvient guère aujourd’hui de cette entre-
prise, trop grandiose pour ne pas être stérile ; mais
c’est un épisode de l’histoire des Pléiades et, à ce titre,
il convient de le rappeler brièvement ici.
L’hypothèse d’un Soleil central autour duquel gra-
viterait l’Univers a hanté non seulement l’imagination
des poètes — on la trouve en germe dans Lucrèce —
mais aussi la pensée des philosophes, témoin Kant
dans son Histoire naturelle générale et théorie du
Ciel, et celle de quelques astronomes ; les noms de
Sirius et de Fomalhaut (a du Poisson austral) ont
même été prononcés.
Tout cela n’était que rêveries creuses ; mais de 1841)
à 1858, Madler publia à Dorpat une série de mémoires
qui semblaient leur donner une base dans l’observa-
tion. 11 y est question de la constitution de la A"oie
lactée, des directions et des grandeurs des mouvements
propres des étoiles et de leur classification. Nous
n’analj’serons pas ces mémoires (1), leur conclusion
seule nous intéresse.
Nous avons admis tantôt l’hypothèse, suggérée par
l’observation, que le mouvement propre apparent
d’Alcyone et, par suite, de l’amas des Pléiades, se
réduit à son mouvement ])arallactiqiie. Or il en serait
ainsi si la translation du Soleil et de son cortège de
(1) Voir Ch. André, Traité d'Axironnmie stellaire, t. II, rh. XXIV, p. -ill
et suiv.
4b2
revt:e des questions scientifiques
planètes était en réalité une révolution autour d’un
centre situé très loin de nous, da?is la région des
Pléiades sup])Osées fixes, et d’une période si longue
que des siècles d’observation sutfi raient à peine à nous
dévoiler la courlnire de sa trajectoire. Eh bien, Madler
étend, en soinine, cette considération à tous les soleils
qui peuplent l’espace. L’étude de leurs mouvements
propres apparents, leurs grandeurs et leurs directions
l’amènent à penser que tous gravitent autour d’un
centre d’action situé dans Vanias des Pléiades. Ce
centre peut être vide de matière, il ne se confond pas
nécessairement avec quelqu’une des étoiles de l’amas,
mais comme Alcyone en est le plus liel ornement, on
lui a donné parfois le nom de « Soleil central de
l’Univers ».
Ni Alcyone. ni aucune de ses s(eurs n’ont de telles
prétentions; elles sont assez belles, assez riches jtour
se passer d’un titre contestable. Si les marins et les
agriculteurs ne les consultent plus, comme au temps
d’Homère et d'Hésiode, les astronomes de tous les
siècles ne cesseront }>as de les admirer.
.1. Thirion, s. J.
UNE ENQUETE
SUJi
I;ASSüRANCE populaire sur la vie (1)
(ASSURANCE DE CAPITAUX)
Au Congrès des actuaires tenu à Berlin en 1906, les
chiffres suivants, relatifs aux assurances sur la vie
adaptées à la condition des salariés et, par extension,
(i) Les définitions suivantes permettront aux lecteurs non complètement
initiés aux choses de l’assurance la compréhension facile de certains passages
de cet article.
Axsurance-vie. Contrat obligeant l’assureur, moyennant le versement de
primes déterminées, à payer une somme convenue en cas de vie ou de décès
de l’assui’é.
Asxuré- Personne sur la vie de laquelle repose l’assurance.
Preneur d’assurance. Personne qui conclut l’assurance et paie les primes.
Béné/h'iaire. Personne à qui le capital assuré devra être payé.
Assurance vie-entière. Carantit le paiement du capital au décès de l’assuré,
à quelque époque qu’il se produise.
Assurance temporaire. Garantit le paiement d’un capital, si le décès de
l’assuré se produit avant une éiioque fixée.
Assurance mixte ou alternative. Garantit le paiement du capital à une
époque déterminée, ou au décès de l’assuré, s’il survient avant cette épociue.
Assurance à terme fixe. Garantit le paiement d’un capital à une époque
déterminée, que l’assuré soit en vie ou non ; la prime peut cesser d’être
payable, si l’assuré meurt avant l’époque fixée.
Assurance temporaire de capitaux décroissants. Garantit au décès le
paiement d’un capital qui diminue au cours de la durée du contrat, suivant
l’une ou l’autre loi.
Assurance à effet immédiat. Prend cours dès la conclusion du coutrat.
A.ssiirance à effet différé. Ne prend cours qu’après un temps déterminé.
Assurance de capitaux différés. Garantit le paiement d’un capital, en cas
de vie de l’assuré, à une époque fixée.
Assura.nce-Épari/ne. Type d’assurance à lerme fixe, comportant fréquem-
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
454
à celles des personnes qui ne jouissent que de faibles
revenus, ont été produits. Ces assurances sont dites,
en Angleterre et aux F]tats-Unis d’Amérique, « Indus-
trial Insuranœs ».
^ ^ ^
S S
^ S
2 1 g
PAYS
ir ^ -
"S ^ 2 ^
.Cî C 2=
0 ^
III
2 -i.
^
États-Unis dWmériqiie
17
15 700 000
1 1 milliards
700(1)
.Angletfirrc*. . . . .
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5.7 id.
240
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14
oOOOOlK)
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220
-\ustralie ("i) . . . .
(i
400 000
165 millions
550
Uanada
400 000
172 id.
575
inent, en cas île décès de Fassuié avant le terme, le remboursement des
primes versées, augmentées ou non de leurs intérêts composés.
Axxuraucp automatique. En cas de cessation du paiement des primes après
un temps déterminé, la réserve mathérna'ique est employée d’oifice à main-
tenir l’assurance pour le montant intégral du capital assuré.
Priinex. Prix de l’assurance ou cotisations à payer à l’assureur.
Primes constantes. Primes invariables et payables périodiquement pendant
un temps déterminé.
Primes variables. Primes ijiii croissent ou décroissent suivant des règles
fixées.
Priynes temporaires. Primes payables pendant un certain temps.
Primes uniques. Primes payables une senle fois.
Primes pures. Prix coûtant de l’assurance.
Police. Contrat spécifiant les droits et obligations de l’assureur et de
l'assuré.
Police lib‘’rée. Police ne comportant plus le paiement de primes.
Police réduite. Police dont le capital assuré et la prime ont été diminués.
Police Iransformèe. Police dont certaines conditions initiales ont été modi-
fiées : prime, capital assui’é, durée du contrai, etc.
Chargements. Parties des primes destinées à couvrii- les frais généraux de
l'assureur.
Déchéance. Annulation du contrat entraînant la perte des droits acquis.
Rachat. Liquidation anticipée du contrat d’assurance.
Valeur de rachat. Somme remise au preneur d’assurance, compensant
l'abandon de ses droits acquis par les versements antérieurs de primes.
Réserves mathématiques. Poste du passif de l’assureur représentant la
valeur, à la date du bilan, des engagements de l’assureur envers ses assurés
dépassant ceux des assurés envers l’assureur du chef des primes encore
à échoir.
(1) Cette moyenne relativement élevée s'accorde avec le prix de la vie aux
États-Unis.
(2) Pour 19U3.
l’assurance [‘OPULAIRE SI’R la vie
455
Le tableau précédent montre Te développement pris
chez les Anglo-Saxons par l’assurance populaire sur
la vie. M. Ed. Demolins, dans son livre « A quoi
tient la supériorité des Anglo-Saxons », en trouvait la
cause dans leur caractère particiilariste et individua-
liste, qui leur fait rechercher l’indépendance, qui les
porte à donner une assiette solide à leur foyer. Se
sentant par l’assurance à l’ahri de graves éventualités,
ils sont plus libres de poursuivre l’amélioration de leur
installation domestique.
Après les nations anglo-saxonnes, les Pays-Bas et
l’Allemagne tiennent le second rang. Les autres pa^vs,
pour autant que l’assurance populaire sur la vie y soit
pratiquée, se placent beaucoup plus loin. Je n’ai en
vue, pour le moment, que le montant total des capitaux
assurés eu égard au chiffre de la pojuilation.
Sur le Continent, depuis quelques années, l’attention
des sociologues et des hommes d’œuvres s’est arrêtée
presque partout sur l’assurance populaire sur la vie ;
on y voit un complément utile, voire indispensable, de
l’assurance oblinatoire ; on la rattache aux assurances
sociales ( 1 ), espérant que, dans un avenir plus ou moins
éloigné, elle sera généralement l’objet des encouragi'-
ments et des subsides, tant publics que privés.
C’est pour consacrer l’importance reconnue actuelle-
ment à l’assurance populaire sur la vie, que le Comité
permanent inteimational des Assurances sociales l’avait
portée au programme de la Conférence qui devait se
réunir à Paris en septembre dernier, il en avait fait
l’objet d’une enquête, préalable aux travaux de la
(1) Iæs assurances sociales sont des institutions qui substituent à l’attente
d’une aumône incertaine, la certitude d’une indemnité, organisant suivant
des règles scientifiques le secours mutuel contre les risques communs, géné-
ralisant l’acte de prévoyance par l’encouragement public ou même par
l’obligation et accroissant l’effort des sacrifices individuels par des subsides
patronaux ou nationaux.
456
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
(.'onféreiice, oriianiséê suivant un plan oi'i se reflète la
iig'ure de l’assurance populaire sur la vie telle que,
dans les conditions les plus diversement favorables,
elle pourrait un Jour fonctionner.
Définir l'assii rance populaire reviendrait, semble-
t-il, à définir ce qu'il faut entendre par classes popu-
laires. Mais, sous cet aspect, l’assurance ne se restreint
pas exclusivement aux assurances de très petits capi-
taux à primes minimes. Certains ouvriers gagnent
davantage que de petits commerçants, par exemple, et
peuvent, si leur existence est sagement conduite, con-
tracter des assurances d’un montant relativement
élevé (plusieurs milliers de francs).
Si, d’autre part, l’on voulait caractériser l’assurance
jtopulaire par le faible chiffre des sommes assurées et
des primes, on ne jiourrait nécessairement en exclure
les classes non populaires et il conviendrait d’j déclarer
accessibles toutes les jiersonnes à revenus modestes et
incertains.
(^ue l'assurance populaire soit envisagée au point de
vue de ses effets à l'échéance des contrats, aucune dis-
tinction de classes n'est admissilile. Aussi bien, nul ne
j)eut affirmer que lui ou les siens ne se trouveront pas
un jour en face des mêmes besoins et des mêmes néces-
sités que les ])lus pauvres gens.
A cet égard, l’assurance populaire ne devrait pas
uniquement s’entendre de celle qui, en raison de la con-
dition des assurés, personnes soumises, par exemple,
aux lois d'assurance oldigatoire ou })Ouvant en béné-
ficier, serait l’objet des encouragements et des subsides
des pouvoirs publics.
De quelque côté que l’on se tourne, l’on voit donc
que l’assurance populaire ne souffre aucune limitation
absolue de clientèle. Pratiquement, et sans vouloir
chercher des précisions qui seraient incompatibles
avec les différences inévitables tenant aux milieux
l’assurance P(JPULAIRE sur la vie
457
considérés, l’on admettra que l’assurance populaire
aura comme expression la plus générale « un système
d’assurances mises à la portée des bourses les plus
humbles et des revenus les plus instables ». Elle se
caractérisera par la faiblesse des capitaux assurés,
la petitesse des primes et leur mode de perception.
Elle sera placée sous la sauvegarde des pouvoirs
publics et se recommandera, vu son utilité sociale,
à tous les appuis matériels et moraux.
Mais, il faut le spécifier encore, il arrivera que l’as-
surance po])ulaire élargira son domaine, procurera à
l’élite des travailleurs de notables ressources familiales
et, même, la constitution de biens ])atrimoniaux. Ainsi,
entre la grande assurance et l’assurance populaire la
plus commune, il existera comme un terrain de tran-
sition, sans contours nettement définis, où les méthodes
de l’une et de l’autre s’intluenceront mutuellement.
Ce sera, si l’on veut marquer par des mots la gradua-
lité des choses, le terrain de la petite assurance.
Quels buts se proposera l’assurance ])opulaire sur la
vie? Dans ses manifestations élémentaires, les buts les
plus simples : le paiement des frais de funérailles et de
dernière maladie; la couverture des dépenses occa-
sionnées par certains événements de la vie familiale,
la première communion, la confirmation, le mariage.
Puis des objets plus importants : pourvoir à la sécurité
des survivants en cas de décès prématuré du gagne-
pain ; constituer, même du vivant de celui-ci, un
capital-argent. Mais, à ces assurances qui sont de pre-
mière nécessité, ou qui donnent satisfaction à des sen-
timents de bienséance, ou qui, encore, correspondent
à des préoccupations générales touchant le sort de la
famille, viennent s’en adjoindre beaucoup d’autres de
destinations précises, et qui trouvent généralement leur
fondement dans la poursuite d’une élévation sociale. Ce
sont des assurances dotales, des assurances concernant
Î58
revi:p: ues qi'estioxs scientifiques
Tapprentissage ou rëducation des enfants, des assu-
rances relatives à l'achat d’un outillage ])rofessionnel,
à rétablissement d’un petit commerce ou d’un atelier,
des assurances-crédit favorisant l'achat ou la construc-
tion d’une habitation, des assurances de service mili-
taire permettant l’incorporation dans certaines catégo-
ries privilégiées, des assurances de célibat préservant
de déchéance les filles non mariées. J’en passe encore.
Pas plus ([ue contre les pei'sonnes, l’assurance popu-
laire ne prononce d’exclusion contre les objets. Toute-
fois, les assurances cà caractère spécial, pour autant
qu’elles soient otiértes au public, ne seront pratiquées
que par les personnes les plus prévoyantes, les plus
économes et les plus à leur aise.
L’assurance populaire dans sa structure intrinsèque
et technique peut être assez complexe, mais on doit
chercher à lui donner les formes extérieures les plus
compréhensibles et les plus simples. Les systèmes à
primes rapju’ochées et c-onstantes, payables pendant
une durée jtroportionnée au chitfre du capital assuré,
auront la préférence, jiarce ([ii'ils soutiendront par
l’obligation contractuelle l'etfort de })i-évoyance des
assurés (J ne les astreindront ([u’à des paiements
successifs relativement minimes. Toutefois, on ne
rejettera pas dans certain.'' cas les primes variables,
ni les primes uniques.
On cherebera à obvier le j»lus conq)lètement pos-
sible aux déchéances, aux annulations et aux réduc-
tions de police par des coml)inaisons permettant l’exo-
nération jiartielle ou totale du paiement des primes en
cas de chômage, de maladie ou d’accident.
Les assurances populaires seront, suivant leurs
objets et les circonstances, dés assurances vie-entière,
des assurances mixtes ou alternatives, des assurances
de capitaux différés, des assurances à terme fîx('. des
l’assi rance populaire sur la vie
459
assurances temporaires, des assurances-épargne, des
assurances de capitaux décroissants.
Dans le choix des formes et des comliinaisons, il
faudra, au besoin, user du plus large éclectisme, mais,
sans que, dans la pratique, il en résulte des complica-
tions et des difficultés pour les assurés. Tout système
technique peut, d’ailleurs, s’exprimer dans des tarifs
simples et se concilier avec des procédés administratifs
clairs et expéditifs.
Les nombreux paiements de primes à intervalles
rapprochés, le mode de perception des })rimes, géné-
ralement encaissées à domicile, les dépenses de propa-
gande et de recrutement des assurés, les annulations
jiréniaturées de contrat avant que les primes paj'ées
n’en aient couvert tous les frais de conclusion et de
gestion, l’exemption habituelle de l’examen médical,
rendent les tarifs unitaires des sociétés d’assurances
populaires, toutes autres choses égales, plus onéreux
<[ue ceux des autres sociétés d’assurance, même lors-
que, par le Jeu de la concurrence, ils sont descendus
à un niveau qui n’excède nullement les nécessités d'une
lionne gestion hnancière. Parfois, à ce })oint de vue,
ils s’abaissent à l'excès ; alors, il faut craindre qu'une
grande partie des assurés ne soient lésés, soit par des
annulations ou des déchéances abusives, soit par la
<léfaillance des sociétés elles-mêmes.
Lorsque des sociétés puissantes pratiquent à la fois
l’assurance ordinaire et l’assurance populaire, elles
pourraient réserver à celle-ci des conditions de faveur.
< les sociétés sont malheureusement peu nombreuses.
On estime extrêmement avantageux pour les clients
de l’assurance pojiulaire qu'ils forment des collectivités
organisées vis-à-vis des organismes assureurs, et ce,
afin de dégager ceux-ci d’une grande partie des frais
de propagande, do recrutement, de perception des
460
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
primes et de comptabilité iiitéi-ieiirc. Le rôle du
patronat et de la mutualité est ici tout indiqué.
On recommande, d’autre jtart, la formation de
mutuelles d’assurances ou de sociétés d’assurances
d’intérêt public qui fonctionneraient, soit sans béné-
fices, soit avec rémunération modérée des capitaux
investis.
Enfin, on est d’avis que l’assurance populaire doit
être l’objet, sinon d’une réglementation, tout au moins
d’une surveillance légale s’exerçant en matière de
droit j)ublic et de droit privé et jiortant, pai* ailleurs,
sur ses jirocédés de fonctionnement et de })ublicité.
Le Comité permanent international des Assurances
sociales avait, au mois de juin dernier, reçu sept
rapports sur le fonctionnement et la situation dé
l’assurance populaire sur la vie dans les pays
suivants : Allemafjne, Autriche, Ihlgiquc^ Finlande^
France, Graad-Daehé de Liroceiuhourf/, Pays-Bas.
J’en ferai l’analyse documentaire. Je parlerai de ces
difiérents pays, et aussi de l’Italie, dans une suite
alphabétique ri sans vouloir les classer dans un ordre
d’importance quelconque. Cherchant à revêtir mon
analyse du caractère des rapj)orts originaux, je ne
suivrai pas pour chaque pays le mêmei)lan d’exposition.
ALLEMAGNE
En Allemagne, jusque dans (;es derniers temps,
l’assurance po})ulaire a été exclusivement pratiqué('
par des compagnies privées, piâncipalement pai‘ des
sociétés par actions. Les nombreuses ('disses funé-
raires., régionales ou professionnelles, et les Caisses
d'assistance d’un fonctionnement grossièrement empi-
rique ne sont pas rangées, bien qu’elles satisfassent
l'assurance populaire sur la vie
401
dans line certaine mesure à des liesoins d’assurance,
parmi les organismes d’assurance populaire.
Le développement de l’assurance populaire en Alk*-
magne date des environs de ISS.ô. La compagnie
d’assurances sur la vie par actions Friedrich Wilhelm^
à Berlin, a ouvert la voie. En 1892, la compagnie
Victoria décida d’adapter son organisation à l’assu-
rance populaire et commem-a en faveur de celle-ci
une vigoureuse propagande dont les résultats furent
considérables. La \dctoria devint — et est restée —
la plus grande compagnie d’assurances populaires en
Allemagne. La seconde place appartient à la Friedrich
Wilhelm. Les autres sociétés se tiennent loin derrière
leurs deux puissantes rivales.
Fin 1911, l’assurance populaire était pratiquée ]>ar
10 sociétés par actions et 2 sociétés mutuelles.
Entre l’assurance populaire proprement dite et la
grande assurance sur- la vie, on inteiqiose en Alle-
magne « la petite assurance sur la vie » à examen
médical simplifié et à paiement de primes jiar quotités
mensuelles, et qui couvre des ca])itaux variant de 3(KJ
à plusieurs milliers de marks. La petite assurance
peut se rattacher à l'assurance populaire proprement
dite ; elle est pratiquée par des sociétés par actions,
des compagnies mutuelles et des associations profes-
sionnelles.
. 11 convient, enfin, de ne pas passer sous silence les
assurances funéraires des abonnés aux Journaux, qm
se sont considérablement étendues dans ces derniers
temps.
Fin 1911, le tableau des assurances directes conclues
personnellement était le suivant :
:i()
IIU SÉIllE. T. XXVI.
402
RE]VUE DES gUESTIONS SCIENTIFIQUES
A. — .\SSUHAi\CKS l'OI'ULAlKliS IMiOPKEMENT DITES
Organismes
assureurs
Sombre
de polices
Montant des
capitaux assurés
Mogenne
par police
Sociétés par actions
7 087 .200
1 .274 221 000 mks
104 mks
t iom pagnies m u 1 1 ici les
404 00.2
00 004 000 »
172
ï)
Kiisemhie pour A :
7 401 072
1 444 205 000 »
102
n
H. -
- PETITES
ASSURANCES
Sociétés par actions
1 12 070
48 .500 000 mks
420 mks
Compagnies mutuelles
.227 ».).2U
1 .28 .5.57 ( H 10 »
422
»
Associations prol'ession.
rl22 000
182.288 000 »
505
»
Knsemble poui- H :
702518
200 454 000 »
484
C. — ASSURANCES Surveillées d’aronnés aux .iournaux
Sociétés ;
1 .'142 000
1 12000 000 mks
82 mks
IVjur tin 1012, le talileau ne peut encore être dressé
r-oinplèteinent. Les cliitlVes connus sont les suivants :
A. — ASSl IiVNCES POPULAIRES PROPREMENT DITES
Oryaniami's Sombre Montant des Moyenne
assureurs de polices capitaux assurés par police
Sociétés par actions 7.”)r)<S950(l ) 1 4457dd(K)0(:2) mks 19H mks
Compagnies mutuelles 440 W9 77tld:2000 » 177 »
Knsemhie pour A : 7 700:{!)!) 1 il 55 000 » J07 »
1). — PETITES ASSURANCES
(sans les associations profession neiles)
Sociétés [lar actions l!l^ 45(S .50 047 OOO mks 414 mks
Comiiagnies mutuelles r’vlG .5.50 ]4(S<SO,5 000 d 442 »
Knsemhie pour 1) : 4.50 008 100.542 000 » 4d5 »
(I) Uonl S 80H0DD pmir la Victoria et '2iM^D0D j)our la lô/c'/c/c/i Wilhehn.
(ri) Donl 84.5 OOD DUO pour la \'ictoria el 452 000 HDD jumu- la Friedrich
Wilhelm.
i/aSSURANCE POl'T’LAIRE SUR LA VIE
463
Pour liu 1913, la statisti({iie jtrovisoire accuse, pour
l’assurance populaire proprement dite, un total approxi-
matif de 1 650000(0.) mks (1).
Depuis 1902 les capitaux assurés par l’assni'ance
populaire projtrement dite sont devenus 2 1/2 fois plus
considérahles et le nombre d’assurés a doublé.
En Allemagne, on n’admet pas en matière d’assu-
rance populaire de limitation absolue quant aux per-
sonnes, de destination foianelle quant aux objets,
l/assurance populaire se caractérise par la petitesse
des capitaux assurés, l'exemption de l’examen médical,
le paiement des primes par minimes fractions et par
des procédés spéciaux (le fonctionnement. Elle cherche
son équilibre dans son adaptation aux conditions
économiques des catégories sociales les moins certaines
de pourvoir, par leurs ressources ordinaires, aux dé-
]ienses exceptionnelles de la vie.
On tend de plus eu plus à sauvegarder par l’assu-
rance le sort des survivants en cas de décès du chef
de famille et, même, à concilier cette perspective avec
celle de la disponiliilité d’un capital à une époque
librement choisie. Aussi, c’est l’assurance mixte ou
alternative qui obtient la plus grande faveur auprès
du public.
L’assurance infantile comporte régulièrement une
assurance au décès (frais de funérailles^ combinée avec
une assurance en cas de vie conti-actée en prévision de
certaines éventualités ; contirmation. ])remièi‘e com-
munion, éducation. C’est depuis l’emploi de cette com-
binaison que l’assurance infantile a })ris tout son essoix
Eu égard à l’exemption de l'examen médical, il est
imposé aux assurés un délai d’attente ordinairement
(1) Dont environ 3 00(»(X)Ü pour la Société « l'A.ssnrance populaire alle-
mande » et IdOOüDOO pour la « l’révoyance ])opulaire » dont il sera parlé
plus loin. D’après les journaux, les Institutions puhlitpies d'assurance dont il
sera aussi parlé plus loin auraient assuré en IDDÎ environ 7 DOt) tiOO marks.
■464
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
I
divisé en deux périodes, la première, ])endant laquelle,
en cas de décès, les primes payées sont ristournées, la
seconde, pendant laquelle une partie seulement de la
somme assurée est liquidée. Dans l’assurance infantile,
si l’enfant meurt avant l’àge de sept ans, la loi ne
permet que le remboursement des primes paA’ées ou la
liquidation d’une somme re])i*ésentant le montant réel
des frais de funérailles.
La perception des primes à domicile est de règle
générale. Après l’échéance, il est accordé un délai d(‘
deux mois, au maximum. Pour éviter de charger l’as-
surance de frais excessifs, la loi permet, sous l’appro-
bation des autorités de contrôle, d’exonérer l’assureur
des dénonciations et avertissements formels en cas de
retard de })aiement, de réduction d’assurance, etc. La
remise en vigueur des contrats est autorisée, sans
j)aiement des arriérés, sous réserve de diminution du
capital assuré ou de prolongation de la durée du
jtaiement des primes.
Après un certain tem])s — trois ans au jilus — toute
annulation pour défaut de ))aiement est j)rohihée. 11 est
délivré une police libérée.
Le plus souvent le rachat et le pi*èt sur police ne
sont }>as autorisés. Les nouvelles compagnies en accoi'-
dent la faculté.
Le fonctionnement des gi-andes coiiqiagnies d’assu-
rances populaires repose sur l’activité de nombreux
agents subalternes rémunérés, s’occupant du recruti'-
ment des assurés et de la perception des primes. 11 est
constitué des agences centrales d’encaissement.
Jus([ii’en 1912, l’assurance ]>0}>ulaire a été presque
exclusivement |»ratiquée en Allemagne par des entre-
]trises à but lucratif. De])uis 191o, trois créations nou-
velles ont vu le Jour : P Les Ktablissements })ublics
d’assurance ; 2° L’Assurance j)0])ulaire allemande ;
tL La Prévoyance populaire.
l’assuraxgk populaire sur la vie
465
Ges organismes nouveaux ont assumé la tâche de
pratiquer l’assuraiice pojiulaire dans des vues d’utilité
publique. Ajirès l’attribution d’un intérêt de 4 °i\, au
capital social et le paiement des frais d’administration,
tous les excédents d’actif sont acquis aux assurés.
Les établissements puldics d’assurance s’appuient
sur les fédérations provinciales prussiennes fondées
par la loi ; leur fédération pratique l’assurance directe
dans les états allemands (sauf la Prusset où permission
leur en est donnée.
« L’Assurance populaire allemande », société par
actions, a été formée par 30 sociétés particulières.
« La Prévoyance popidaire » doit son existence à
une réunion de sociétés ouvrières de consommation et
de corporations libres (syndicats).
Les conditions accordées aux assurés par les nou-
velles entreprises d'assurances sont particulièrement
avantageuses. Elles tendent à écarter les préjudices
que les clients de l’assurance populaire avaient pu subir
avant leur création du chef des commissions, des con-
trats de faveur, de la politique des tarifs et des divi-
dendes, du système des tantièmes, et elles s’attachent
à remplacer l’intermédiaire des agents par celui des
patrons, des. administrations et des sociétés de secours
mutuels.
lies principales objections qui ont été dirigées en
Allemagne contre l’assurance pojiulaire sont relatives
aux frais d’administration et aux déchéances.
En ibil, les frais d’administration des compagnies
d’assurances populaires se sont élevés à 28,03°, odes
])rimes touchées : pour la grande assurance, le chiffre
était de 13,26 La coopération d’organismes sociaux,
ou autres, rechei'chée par les nouvelles entreprises
d’assurance est de nature à abaisser les frais d’admi-
nistration, mais l’extension de leurs affaires obligera
4(3G
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
ces entreprises à recourir, dans l’a venir, à un nombre
(le plus en plus grand d’emplogés de profession.
Les déchéances sont dues à l’incapacité permaneiite
ou temporaire de travail, au chômage, au relâchement
de l’esprit de prévijyance et, aussi, fré([uenmient, au
fait ([ue l’assurance a été conclue dans des conditions
qui ue sont pas en rapport avec la situation de l’assuré.
Abstraction faite des polices dont la })reniière prime
n’a pas été payée — perte pour' l’assuré d’un léger
droit d'admission — 1,4 ° o 4('s polices existantes, re[iré-
sentant ô,'i ° „ des sommes assurées, ont été résiliées en
IDii sans indemnité : les chitl'res corres])ondants sont,
respectivement, de ::i,l ° „ et de 1,1 dans la grande
assurance. Les résiliations avec; indemnité (rachat —
réduction — transfoiTiiationi ont été de 0,2 7., 4es
polices et de l,ô ” „ des sommes assurées jioiir l’assu-
rance pojtulaire et de l.d ° ^ et 1.5 ° „ pour la grande
assurance.
On ne considère pas (jue les résiliations procurent
des hénétices aux compagnies. Aussi bien, la conclusion
de nouvelles assurances entraine relativement de
grands fiais. Irais ([ui ne sont cTiuverts cpi’après une
certaine dui*ée contractuelle. Lc^s assurés défaillants les
supportent, et il le faut bien, car, si lors de la résilia-
tion d’une assurance ayant ]ieu duré, on remboursait
une fraction importante des primes payées, les assurés
tidèles à leurs oblmations seraient indirectement lésés.
Lc's abus commis par les agents inférieurs, dont le
choix olfre des difficultés spéciales, sont exceptionnels
et vigoureusement réjirimés par les compagnies. On
ne relève pas d’abus systématicjues dans l’exploitation
de l’assurance populaire par les compagnies, notam-
ment, en matièi-e de perception des primes et de paie-
ment des sommes assurées.
( )n n’est pas, en Allemagne, partisan du monojiole
des assurances. La libre concurrem^e doit garantir le
L ASSURANCE POIR'LAIRE SUR LA VIE
ir>7
progrès, et elle sera d’autant [dus efficace qu’elle se
développera entre les anciens et les nouveaux orga-
nismes, les entre[)rises à hut lucratif, d’une part, et les
entreprises d’utilité [)uhlique, d'autre paid.
Si on n’escompte jias avant longtemps des subsides
de l’Etat en faveur de l’assurance populaire, on cherche
à obtenir l'appui du patr-onat et de certains établisse-
ments officiels, de bienfaisance ou autres.
On n'estime pas nécessaire une réglementation légale
de l’assurance populaire. La surveillance exercée par
l’Etat [laraît suffisante.
AT^ÏRlCdlE
L'assurance po]>ulaire est exploitée en Autriche par
7 grandes sociétés — H nationales et 1 étrangère — - et
.501 petites sociétés, celles-ci à forme mutuelle ;
536.5 caisses de maladie, organisées conformément à
la loi, et 'i2 caisses de secours enregistrées assurent
les frais de funérailles. 11 existe, aussi, de nombreuses
sociétés d’enterrement, de dotation, etc..., qui ne sont
pas de véritables organismes d’assurance.
L’assurance au décès ou l’assurance d’un capital
ditféré sont, en Autriche, les formes d’assurance les
plus anciennes ; la tendance à l’assurance mixte est
aujourd’hui manifeste.
Les caractéristiques de l’assurance populaire sont :
l’exemption de rexamen médical, la faiblesse des capi-
taux assurés, des primes minimes et rajtprochées.
généralement perçues à domicile. Les tarifs sont les
mêmes que ceux de l'assurance ordinaire.
L’examen médical est remplacé par un délai d’at-
tente de deux à trois années, pendant lequel on ne
rembourse que les primes ou l’on ne paie qu’une partie
du capital assuré ; ces conditions sont atténuées si l’as-
m
REVI'E DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
siiré se soumet à l'examen. En cas de non paiement
des primes, l'assuré Jouit d’un délai de répit de six à
neuf mois. Si l’assurance est en vigueur depuis plus de
trois ans. le (îoiitrat ne peut être annulé et l’assurance
est réduite d’api-ès des règles fixes.
A la fin de iltl'-:?, les grandes sociétés d’assurance
jiopulaire possédaient 65S 984 contrats, les deux sexes
s’équilihrant à peu près, couvrant 184 095 905 cou-
i-onnes.
Les caj)itaux assurés par les petites sociétés s’élèvent
à environ dtjOOOtlOO couronnes.
A la fin de 1910, les caisses de maladie assuraient,
pour 3 3(JÜ 000 contrats, un montant total de 54 IXX) 000
couronnes de frais funéraires. A la même date, les Cais-
ses de secours enregistrées assuraient, })Our 61 609
contrats, IlOOOOOO couronnes de frais funéraires
et, pour 798 contrats, 1 300 000 couronnes de fonds
dotaux.
I/assurance pojtulaire couvre, donc, en Autriche
280 ( JOO 000 cou r< )niies.
6S des assurances sont des assurances mixtes,
18,2 “,o assurances au décès, 12 " „ <^es assurances
à terme fixé, 1.8 " „ des assurances infantiles.
Les assurances multijdes sont assez nombreuses,
4,8 “/'o si on ne considère que les assurances prises à la
même société.
L’assurance jKq)ulaire n’est }>as subventionnée en
Autriche par les pouvoirs publics. Actuellement, l’as-
surance poj)ulair(‘ fonctionne d’une façon à peu jtrès
ii‘ré})rocbable. 11 _v a quelques années, les agents des
compagnies commettaient des abus qui avaient attiré
l’attention publique: des difié rends entre les compagnies
et leur clientèle en résultèrent, ils furent vidés sans
préjudice ]»our les assurés.
Mais il existe des vices inhérents à la nature même
de l’assurance jtopulaire : déchéances nombreuses.
i/assuraxck populaire sur la vie
i69
grands frais d’administration, primes relativement éle-
vées, cherté de l’assurance. Il faut signaler, surtout,
les opérations dommageables de nombreuses sociétés
d’assistance (pii, sous le couvert de la bienfaisance, et
en opposition avec leurs statuts. pratif[uent l’assurance
par voie de répartition. A'is-à-vis de ces sociétés, on
réclame la suppression de toute indulgence, le maintien
strict des dispositions légales c[ui les concernent.
De 1852 à 1880, les institutions d’assurances n’étaient
l'objet ([Lie d'une surveillance officielle. Depuis 1880,
elles sont soumises à réglementation : cette réglemen-
tation, d’abord de droit public, devint de droit privé en
1896 et s’étendit au mérite intrinsèque des assurances.
Le projet de loi sur le contrat d’assurance rédigé en
1904-1905 établit des conditions dont les avantages
sont, en pratique, actuellement dépassés.
Ce projet de loi n’expi-ime, d’ailleurs, en ce qui con-
cerne l’assurance poquilaire, que les principes spéciaux
suivants : les ])rinies ne peuvent être exigées par voie
judiciaire ; le })rix de la résiliation ne peut dépasser le
montant d’une prime trimestrielle.
BKLGIQUE
En Belgique, l'assurance populaire comprend des
assurances patrimoniales destinées à constituer un
capital-argent, des assurances garantissant le rem-
])oursement d'un prêt contracté en vue de l’achat ou
de la construction d’une maison, des assurances pour
frais de funérailles, des assurances de première com-
munion, des assurances dotales. Les assurances con-
cernant l’apprentissage des enfants, l’établissement
d’un petit commei'ce ou d’un atelier, l’achat d’un outil-
lage professionnel, ramortissenient d’un prêt contracté
vis-à-vis d’un organisme de crédit populaire — sociétés
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
i7(J
d'habitations ouvrières exceptées — ne sont, pour ainsi
dire, pas pi*atiquées.
( )n admet en Belgi({ue que l’assurance })Oj)ulaire ait
une (dientèle variée et on ne liorne pas son domaim*,
ni ses coinl)inaisons à des limites absolues.
Idn Belgique, la clientèle de l'assurance populaire
sur la vie se jiartage, à peu de choses près, en trois
catégories : d'ahord une masse inorganisée de 2 à
3 millions d'individus, tidbutaires, en général, des
compagnies qui s’occupent, spécialement, dans un but
mercantile, (le l'assurance de petits capitaux ; ensuite,
450000 personnes que l’esprit de parti ou d’association
})Ousse à s’assurer à des oi-ganismes de leur choix
déclarés fondés sur le principe de la sauvegarde de
ré})argne jmpulaire ; enfin, les clients de la Caisse
d’Assurances sous la garantie de l’Ktat, un faible
noyau de li à 12 000 personm^s (non compté les
36 000 assurés memlires de sociétés d’habitations
ouvrières) et qui, pour la phqtarl, ont formé des grou-
jiements en vue de l’assurance.
On comptait, au 1'“'' janvier lOli, 71 comiiagnies
d’assurances ])opulaires sur la vie, dont 57 belges et
1 i étrangères; des 57 eom])agnies belges, 32 étaient
anonymes, 22 coopératives et 3 mutuelles.
AssHi'ances pa/f^'/uo/nales. — L(^s sociétés d’assu-
rances poj)ulaires possèdent parmi les artisans, les
petits négociants, les ouvriers hoidlleui-s et. surtout, les
cultivateurs une assez nombi-euse (dientèle, dont le
(diitl're ne peut être déterminé, assurée, généralement,
sous la forme de l’assurance mixte pour des capitaux
s’élevant, parfois, à 1000 francs, et plus. Jusque
500 francs, les primes sont helxlomadaires ou men-
suelles, au-dessus de 50Ü francs, mensuelles. Pas
d’examen médical ; il est remplacé par des mesures
diverses : léger différé de l’assurance, deux mois, par
exemple, les jirimes payées restant acquises à la Coin-
L ASSURANCE POPI LAIRE SI’R LA VIE
471
pagnie ; réduction du cajtital assuré, si le décès se
])roduit avant un certain âge, ou sans que le contrat
ait une certaine durée ; coassurance des enfants et des
vieillards avec les autres lueinbres de la famille. En-
cas de cessation de [)aiement des primes, les primes
versées sont perdues et le contrat est annidé ; il n’est
remis en vigueur qu’à des conditions onéreuses. La
libération des polices est subordonnée au paiement
d’un assez orand nombre de mensualités, 15 au moins,
et occasionne une forte réduction des droits acquis. Ces
conditions sont dures, la façon dont on les applique
peut les accentuer, mais il _v a des excejdions. D’ail-
leurs, des sociétés d’assurances, dont l’activité ne se
déploie pas spécialement dans la branche po}>ulaire.
admettent, aussi, la conclusion de petites assurances
patrimoniales. 11 dépend du public de bien s’adresser ;
malheureusement, les grandes (Auiqiagnies ne se préoc-
cupent pas d’une propagande à l'adresse des gens de
condition modeste.
La Caisse d’ Assurances sous la garantie de l’Etat,
dont le statut est très libéral en matière de cessation
de paiement de primes, de réduction ou de liliération
de police, a un assez grand nombre d'affiliés titulaires
d’une assurance patrimoniale. Les assurances patri-
moniales sont, souvent, conclues sous la forme d’assu-
rances globales de collectivités, généralement collecti-
vités mutualistes créées au sein d’établissements pi'ivés
ou d’administrations publi([ues. La Caisse d’Assurances
accorde à ces groupements des conditions iiarticulière-
nient favorables. Ainsi, elle se contente d’uu examen
médical d’ensemble et sommaire, grâce à quoi, cer-
tains individus, qui, examinés séparément, auraient été
écartés, sont admis dans la masse. Pour bénéficier
de cet examen sommaire, il suffit que les nouveaux
membres des groupements susdits soient ])résentés suc-
cessivement à l’assurance en nombre suffisant. L’iisase
Î72
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
consacre ce système de jihis en plus ; on compte, actuel-
lement, 34 établissements industriels ou commerciaux
<“t 17 administrations communales ou provinciales qui
affilient collectivement tout ou partie de leur personnel
à la Caisse d’Assurances : ensemble, 70 )0 assurés pour
un montant de (1200000 francs. La Caisse d’Assurances
possède, en outre, environ 1800 assurés isolés titu-
laires d’assurances patrimoniales pour un total de
.') 500 OOO francs.
Les assurances patrimoniales globales conclues à la
Caisse d’Assurances sont des assurances mixtes (86 %)
et des assurances vie entière (11 %) • ces proportions
sont 7.5 7o et 25 " „ })oui* les assurances patrimoniales
individuelles.
Pour environ 60 ° o de leur nombre et 50 " o de leur
montant total, les assurances patrimoniales de ces deux
catégories reposent sur la tête de personnes apjiarte-
nant aux classes sociales les plus modestes.
Assurances Hahitations ouvrières. — Les assu-
rances garantissant le remboui'sement d’un prêt en
vue de l’ac([uisitiou ou de la construction d’une maison
ouvrière sont, pour ainsi dire, exclusivement contrac-
tées à la Caisse d" Assurances sous la garantie de l’Etat
et pour des immeuldes acquis ou construits à l’inter-
vention des sociétés d’habitations ouvrières agréées
par la Caisse Générale d’Epargne. Les capitaux assurés
par la Caisse Générale ont 'permis la construction ou
l’acquisition de 61 200 maisons, environ ; pour plus de
80 ,> de ces maisons, une assurance de garantie a été
conclue.
Au début, l’assurance mixte a servi à garantir les
prêts « habitations ouvrières » ; depuis quelque dix
ans, la Caisse d’Assurances y a substitué l’assurance
temporaire de capitaux décroissants à jirime unique,
prime généralement incorporée dans le prêt. Presque
l’assurance POI'ULAIRE Sl'R LA VIE
473
tous les anciens contrats d'assurance mixte ont été
transformés.
Actuellement, il existe 361KÂ) (chiffres ronds) con-
trats d’assurance « habitations ouvrières ».
Assurances 'pour frais de funérailles. Assurances
dotales et de première communioa. — L’assurance
pour frais de funérailles est d’une pratique pour ainsi
dire générale, surtout dans les villes, parmi les plus
pauvres gens ; c’est une assurance au décès d’un
capital de 100 francs, parfois 4?00 francs. Le pins
souvent, ce sont les femmes, les mères de famille qui,
désirant procurer à ceux qu'elles aiment des funé-
railles décentes, assurent la famille entière, même à
l’insu de leurs maris. Elles économisent chaque
semaine, sur le budget du ménage, les 20, 30, 50 cen-
times (parfois davantage) nécessaires au paiement des
primes hebdomadaires qui sont perçues à domicile.
Certaines assurances en cas de vie à une époque
déterminée, généralement à la première communion,
sont, aussi, assez répandues. Elles garantissent ordi-
nairement le paiement d’un caj)ital de 50 à iOO francs.
Pour l’ensemble du pays, le montant, des primes
encaissées annuellement parles compagnies pour toutes
les petites assurances dont il est question ici dépasse-
rait 10 00(3 000 francs et le nombre des assurés serait
de 2 1 2 à 3 millions.
Les assurances pour frais de funérailles sont géné-
ralement des assurances vie-entière à plûmes tempo-
raires, ou ît primes viagères, si l’assuré a dépassé un
certain Age. Moyennant un supplément de prime, une
certaine somme est paj’ée au. décès des enfants : par-
fois, ce droit est concédé sans snpjilément après le
})aiement de quelques primes.
Moyennant supplément, le capital assuré est doul)lé
en cas de mort accidentelle et une indemnité est accor-
dée en cas d’incajiacité de travail }trolongée.
REVUE DES gUESTIÜXS SCIENTIFIQUES
L’assurance est soumise à un différé, pai' exemple,
I mois par 100 francs : les primes sont, de convention
formelle, pavaldes au siège social, et l’assuré ne peut se
prévaloir des facilités de j>erce]ition qui lui sont accor-
dées. Tout non-paiemenl de pi-ime entraîne déchéance,
sous réserve de réintégi-ation sur demande et à titre
onéreux. La libération n’est concédée qu’après au moins
une année de versement et à des conditions spéciales :
par exemple, les primes payées forment pécule récu-
jtérahle dix ans seulement a})rès l'émission de la police.
II n’est remboursé qu’une partie des primes versées,
si le décès se produit par suicidiç avortement, guerre,
alcoolisme invétérf*. gi'ossesse ou accouchement au
cours du jiremier semestre d’assurance, etc. Tout ceci
comme indication générale, sans vouloir présenter un
cas comjilet et concret, ni embrasser, en raccourci,
tous les cas.
Le fonctionnement des sociétés d’assurance })opu-
laire repose sur l’activité de nombreux agents ; les
sociétés ne connaissent ipi’eux et n’ont ]tas de rapports
directs avec leurs assurés. Le recrutement de ces agents
ne fait ]tas l’objet, en généi-al. d’une sélection sérieuse.
Ce qui jirécède se rapporte aux sociétés à but mer-
cantile, mais toutes les sociétés d’assurance jiopulaire
n'ont ])as ce but.
Kn iDOü, le Parti ouvrier belge institua dans son
sein une société d’assurance, la «Prévoyance sociale»,
de forme coojiérative ; elle s’occupe principalement des
assurances de [letits cajiitaux. Au 31 décembre 1913,
elle conqdait 127 339 assurés pour 2i 791 33-1,93 fr.
de ca])itaux. La Ib-évoyânce sociale place ses fonds
dans les œuvres du Parti ouvrier ; ses 2U0 agents sont
des pi-opagandistes du }>arti. La société admet la sus-
pension des contrats en cas de maladie grave, grève,
lock-out, service militaii“e: l'assurance est gratuite peu-
LASsniANCE PUPI LAIRE SUR LA VIE
175
(lant la détention des assurés du chef do fait j»oliti({ne
on économique.
En 1912, sous les auspices de l’Alliance nationale
des mutualités chrétiennes, fut créée l’« Alliance Natio-
nale », société anon) nie d’assurances popvdaires. Cette
société conclut des assurances collectives et ([uelques
assurances individuelles. En tout 2500 assurés — dont
■10 assurés individuellement — ])our envii-on 200 00<J
francs de ca[)itaux. Les primes sont perçues par les
sociétés mutualistes. En fait, l'« Alliance Nationale »
n’assure })as elle-même, (die sert d’intermédiaire entre
ses assurés (A une compai2ni(' jirivée.
En 1913 fut fondée, à l’initiative du Syndicat général
des Syndicats chrétiens, une société coopérative d’assii-
l'ances populaires, l'« Assurance sociale ». Elle assure
directement de très petits capitaux, mais avec garantie
de réassurance, soit collectivement, soit individuelle-
ment. Pour des capitaux plus importants, elle repi*é-
:sente la compagnie à laquelle elle se réassure.
r.es assurances collectives (primes mensuelles) sont
conclues au protit de syndicats,de mutualités, de cercles
ouvriers, qui reçoivent une commission de 8 7o '-^cs
primes j(Our frais de perception et d’administration.
Les assurances individuelles (primes hebdomadaires)
}>rocurent certaines ressources de propagande aux
intermédiaires (organismes sociaux). L’« Assurance
sociale » accorde des sursis de jtaiement et ne prononce
}>as de déchéance.
La « Prévoyance sociale », l’« Alliance Nationale »
et L« Assurance sociale » sont au nombre des 7i sociétés
recensées au P' janvier 1914. 11 n’en est pas de même
(le la « Com])agnie d’assurances mutuelles sur la vie »,
individualité civile, créée en 190() sous les ausjdces
■de r« Union nationale des Fédérations mutualistes
.neutres ». Cette compagnie pratique l’assurance collec-
tive des sociétés affiliées (100 à 2(K) francs par tête) et
i76
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
l’assurance individuelle des nieinhres de ces sociétés
(5000 francs au maximum par tète). I^a compagnie
possède actuellement IG 135 assurés collectifs, repré-
sentés par 120 sociétés, pour 1 007 iiO francs de capi-
taux et 1(353 assurés individuels jiour 312 (XK3 francs
de capitaux.
Un certain nombre de sociétés mutualistes reconnues
réassurent collectivement leurs membres à la « Caisse
d’Assurances sous la garantie de l’Etat ». 11 faut citer
comme ty])e la « Bonne assurance populaire » (plus de
2200 assurés) créée à Bruxelles à l’initiative de l’« xA.s-
sociation pour l’amélioration des logements ouvriers».
La « (baisse d’Assurances sous la garantie de l’Etat »
otfrc aux classes populaires certaines combinaisons
d'assurances collectives pour frais de funérailles, sans
examen médical. Ce sont des assurances vie-entière à
})rimes payables Jusque .55, GO ou <)5 ans, à l’usage
des sociétés mutualistes reconnues et, en général, de
tout groupement présentant des garanties suffisantes.
Ces assurances sont accessibles dès l’àge de IG ans.
Ensuite, depuis le 1®'' janvier 11311. des assurances
réservées aux seules sociétés mutualistes reconnues,
les unes, assurances vie-entièi‘0 à primes j)ayables
pendant 5 ou 1(3 années, accessibles dès l’âge de 1 ans,
les autres, assurances temporaires à primes uniques,
de 5 à 15 années, suivant les cas, et accessibles tle
râge de 1 ans à l’àge de 15 ans. Ces assurances com-
portent un stage d'un an ; dès leur souscription, il est
|)erçu un droit d’entrée de (3.25 fr. à 1 fr. récupérable
sur le montant de la première prime, qui est payée à
la fin du stage, (.les assurances s])éciales sont actuelle-
ment au nombre d’envii-on (i(30(3.
Enün, la Caisse de Retraite sous la garantie de
l’Etat alloue pour Irais funéraires d('s assurés décédés
en état d’indigence ])Ostéi‘ieu renient à l’entrée en jouis-
sance de la rente une somme de 25 francs, à condition
L ASSURANCE POPULAIRE SUR LA ME
477
qu’il n’ait pas été fait réserve du capital, dette somme
est réduite au montant des versements etfectués, s’ils
sont inférieurs à 2r> francs.
L’intervention de l’Etat en matière d'assurance sur
la vie s’est surtout manifestée jiar l’institution d’une
Caisse d’Assurances placée sous sa garantie. La loi
sur les sociétés mutualistes accorde la reconnaissance
légale aux sociétés constituées pour faidliter à leurs
membres l’affiliation à la Caisse d’Assurances, ainsi
qu’à celles qui pourvoient aux frais funéraires, but
qui peut être atteint par l’assurance collective à la
Caisse d’Assurances. Tous ces organismes reçoivent
un subside de premier établissement de la part de
l’Etat et de certaines provinces. La Caisse d’Assurances
réserve des conditions particulières aux collectivités
et, spécialement, aux sociétés mutualistes.
Cet exposé a déjà fait ressortir la plupart des défauts
de l’assurance poptdaire en Belgique. On reproche
aux sociétés d’assurances populaires des abus divers :
large supputation des annulations, insuffisance de
capital versé, non publication de bilan, réclames men-
songères et ambiguës, prébendes directoriales exagé-
rées, manœuvres louches et illicites des agents. Sans
généraliser, il reste que l’atmosphère dans laquelle
fonctionne l’assurance populaire sur la vie devrait
être })uritiée.
Des remèdes doivent être cherchés dans l’associa-
tion. Ij’association peut organiser elle-même l’assu-
rance ou servir d’intermédiaire entre les assurés et
l’assureui- afin de faciliter l'assurance et d'en diminuer
le prix.
Le rôle de la mutualité est ici tout indiqué, de même
que celui du jtatronat et des administrations publiques.
Le législateur doit intervenir pour supprimer un
régime de liberté excessive gi'àce auquel les institu-
tions d’assui-ance les plus malsaines peuvent prendre
IIU SÉRIE. T. XXVI. 31
■178
REVUE DES questions SCIENTIFIQUES
naissance et se développer. Certaines sociétés d’assu-
rances réclament elles-mêmes l’intei'vention de la loi,
préférant la ])erte de leur indépendance à la concur-
rence condamnable ([ue leur font les autres.
Le jU'incipe d’une rég'lementation légale des assu-
rances a été l'cconnu par le (fouvernement en 1918.
Lu Office de l’assurance et de la prévoyance sociales,
rattaché au Ministère de l’Industrie et du Travail, a
été créé le L' janvier 1911. Dans le rajiport au Roi,
préalable à cetle création, on lit : « 11 paraît nécessaire
d’élaborer au plus tôt une solution législative propre à
protéger le juddic, en général, et. spécialement, la
))etite épargne contre les abus reprochés à certaines
entrejirises d’assui-ances, de solvabilité et de loyauté
douteuses ».
FINLANDE
En général, les assui-ances j)0[)ulaires en Finlande
ont, comme traits distinctifs, la limitation du capital
assuré, l’exemption de la visite médicale, les primes
j*ériodiques hebdomadaires ou mensuelles, la percep-
tion des primes au domicile de l’assuré.
La faiblesse de la concentration urbaine et le peu de
densité de la population rurale font au développement
de l’assurance [lopulaire des conditions défavorables
dont les so(détés ont du tenir compte, notamment, en
groupant leurs agents par cercles à la tête desquels se
trouvent des fonctionnaires attitrés.
Les seules sociétés prati([uant l’assurance populaire
en Finlande sont des sociétés finlandaises, au nombre
de quatre. A la tin de 1913, elles assuraient, environ,
.V)(iOO personnes pour 42Ü0(JÜ0Ü francs de capitaux.
Ces chiffres ne sont pas élevés ; mais l’assurance
populaire en Finlande n’est en somme qu'à ses débuts.
Les chances de son extension résident dans le fait de
l’assuraxck POPT'LAIRE sur la vie
479
la diminution proiiuessive du capital moyen assuré })ai-
les compagnies finlandaises. En 1891, ce capital moyen
était de 5934 francs : en 1912, il était inférieur à
2000 francs.
11 faut noter que, par suite d’une évolution vers l'as-
surance populaire, les sociétés linlandaises admettent
des contrats de 500 tVancs, seulement, à primes trimes-
trielles, éventuellement, sans examen médical, et ayant
la même valeur intrinsèque que n'importe quelle autre
assurance d’un montant ]dus considérable.
Ce sont là des assurances intermédiaires entre la
grande assurance et l’assurance populaire proprement
dite.
Les assurances populaires sont conclues en Finlande
sur les mêmes bases de tarification que les autres ;
l’exemption de l’examen médical est généralement
compensée par les limitations suivantes : simple rem-
l)Oursement des pidmes, si le décès se produit pendant
la première année d’assurance, paiement ])artiel du
capital assuré, si le décès se produit au cours des
deuxième et troisième années d’assurance; Il est à
remarquer que les tables de mortalité accusent dans
les assurances ordinaires une mortalité très supérieure
à la mortalité réelle. En se soumettant à l’examen
médical, l’assuré, dans certains cas, peut obtenir immé-
diatement le bénélice des pleins effets de l’assurance.
Trois compagnies jtaient l’entièreté du capital assuré,
({uelle que soit la durée du contrat, si le décès est dû à
un accident ou à certaines maladies infectieuses à déve-
loppement rapide.
Toutes les sociétés, en cas d’invalidité complète et
permanente, accordent la libération totale du paiement
des primes et. movennant un faible supplément de
prime, la libération paidielle, si l’invalidité n’est point
complète.
Parfois, le système de continuation automatique de
Î80
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
rassLirance est appliqué, à savoir Tatiéctation au paie-
ment des primes, si l’assuré ne peut j)lus les payer, de
la réserve mathématique.
Les primes ne sont pas strictement exigées à
l’échéance ; il est accordé un délai de yràce de deux à
neuf semaines ; parfois, ce délai est suivi d’un sursis,
après l’expiration duquel il est exigé un versement
supplémentaire à titre d’amende.
Le rachat est refusé ou très limité. Les conditions
de libération des polices sont varialdes.
Dans ioutes les compagnies, les assurances popu-
laires partici])ent aux bénéfices.
L’assurance la ])lus répandue est l’assurance en cas
de vie ; elle est six fois plus frécjuente ([ue l’assurance
au décès.
iNi les pouvoirs publics, ni le })atronat n’accordent
de subsides aux assurances populaires.
L’exploitation des assurances populaires étant ré-
cente, il serait dillicile de faii-e le départ des défauts
(jui leur sont jtropres. On a remarqué, cependant,
([ii’elles subissaient de fort nombreuses déchéances et
([ue les agents y commettaient plus d’abus que dans les
assurances ordinaires.
Lue inspection d’Etat contnMe la comptabilité des
compagnies d’assurances. Une loi réglant le fonction-
nement des assuranc('s populaires est en ])réparation.
FRANCE
En France, la distinction entre l’assurance })0})ulaire
et l’assurance ordinaire tient plutôt au mode de recou-
vrement des ]»rimes et à leui- taux (pi’au montant du
capital assuré. Ce n’est pas par la catégorie à laquelle
elles ajtpartiennent que les personnes dépendent de
l’assurance populaire sur la vie
481
l’une ou de l’autre de ces assurances, mais par l’effort
de prévoyance qu’elles peuvent ou entendent faire.
On n’assigne comme Imt précis à l’assurance popu-
laire que le paiement des frais de funérailles, la con-
stitution au décès du chef de famille d’iim^ somme
permettant aux survivants d’organiser leur existence
nouvelle, la dotation des enfants, l’amortissement de la
somme restant due sur un prêt contracté près d’un
organisme de crédit }iopulaire. En dehors de ces éven-
tualités, on estime que l’assuré ignore, au juste, ce qu’il
fera d’un capital lui échéant à un certain moment.
On consi(lère que l’assurance la jilus digne d'être
encouragée est l'assurance au décès et que l’assurance
mixte et l’assurance en cas de vie conviennent plutôt
à l’élite. Ce sont, cependant, ces dernières assurances
qui ont le plus de chance de se développer ; l’on
donne la préférence à l’assurance mixte, car l’assu-
rance en cas de vie, même avec remboursement des
primes versées, ne procure aucune ressource à la
famille, ou n’en procure presque pas, si son chef
meurt jeune.
On oudrait que 1 assurance au deces. la seule qui
soit vraiment accessible aux personnes les plus
modestes, fVit subsidiée et que l’assurance mixte fût
vulgarisée. On ne se refuse, d’ailleurs, systématique-
ment à aucune combinaison adéquate aux différents
objets que peut poursuivre l’assurance populaire et
qu’elle poursuit dans d’autres pays.
L’assurance populaire devant être d’un fonctionne-
ment simple, on préfère les primes constantes hebdo-
madaires, bi-mensuelles ou mensuelles. On ne rejette
pas des contrats additionnels à primes uniques.
L’assurance populaire n’est réellement pratiquée en
France, et dans des proportions restreintes, que près de
la Caisse Nationale d’ Assurance et de certaines com-
pagnies étrangères. Beaucoup de sociétés de secours
482
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
mutuels allouent une certaine somme au décès de leurs
membres ; toutefois, en général, il ne s’agit pas là de
véritables assurances, mais d’allocations spéciales et
accessoires. Peu de sociétés tiennent en cette matière
une comptabilité séparée et technique.
Bien que les sociétés à forme tontinière et les sociétés
de ca})italisation. inconnues ou proscrites presque par-
tout ailleurs ([u'en France, ne soient pas de pures insti-
tutions d'assurance, ou n’en aient que l'ajiparence, on
ne peut les passer sous silence. Elles ont pris une place
que personne n’avait essayé de ju-endre et ont acquis
droit de cité.
La (laisse Nationale d'Assurance. créée en 1808, ne
s'est réellement dévelopjiée ({ue dans ces dernières
années. Au début, ses tarifs étaient limités à des assu-
rances vie-entière individuelles et à des assurances
temporaires d’une année au profit des sociétés de
secours mutuels. Successivement, les oj)érations sui-
vantes lui furent permises : en 1891. assurances tem-
poraires sur la tète d'acquéreurs de jtetites ju'opriétés;
en 1S97. assurances mixtes; en 1910, assurances de
capitaux différés pouvant être transférés en une seule
fois à la (laisse Nationale des Retraites })Our la vieil-
lesse en vue de l’acipiisition de rentes viagères, soit
personnelles, soit réversibles sur la tète du conjoint
survivant. (Jette dernière disposition a été étendue aux
capitaux constitués par l'assurance mixte. Enfin, la
(Jaisse Nationale jteut. res[»ectivemenf depuis DIO et
depuis 1911, passer des contrats d'assurance tempo-
raire pour garantir le i-emboursement des prêts con-
sentis par les sociétés de crédit agricole et les sociétés
de crédit maritime.
Il y a dix ans, les caj)itaux assurés par la (laisse
Nationale atteignaient à peine le chitlre de 11 OOOC0J
fram;s; au 31 décembre 1913, ils s’étaient élevés à
.07 6()5 0'K) francs se répartissant comme il suit :
l’assurance POPT’LAIRE si r la vie
483
Assurances vie-eutière indivi-
duel les
Assurances collectives tempo-
raires des sociétés de se-
cours mutuels
Assurances mixtes . . . .
Assurances de capitaux dif-
férés
Assurances temporaires de
crédit populaire ....
Totaux :
Montunt uxxnri'
en francii
Sombre
tt'iiasiirés
i 00(1
8 701
18 198000
t5 504 ^
/
1 881 000
718
8 89-2 000
28 848
24 J 77 000
4 455
57 005 000
82 781
Les assurances vie-entière, limitées à 30rX) francs,
sont à jiriines uniques ou à primes annuelles viagères
ou temporaires. La visite médicale n’est pas obliga-
toire, elle peut être remplacée par un .stage de deux
années.
liCs assurances collectives des sociétés de secours
mutuels sont limitées à lOOü francs par tète de membre
et tous les membres des sociétés assurées doivent être
assujettis à l’assurance. Les assurances sont conclues
pour un an ; il est tenu compte, dans une certaine
mesure, pour une même société, des résultats des assu-
rances antérieures. En 1903, les sociétés ont obtenu la
faculté rie se grouper afin d’équilibrer les risques de
mortalité.
Les assurances mixtes ne peuvent dé])asser 3(XKj fr. ;
leur conclusion est subordonnée à un examen médical.
Les primes sont annuelles, trimestrielles ou mensuelles.
Les assurances de capitaux différés sont limitées à
5000 francs, l^es versements de primes sont effectués,
au gré de l’assuré, à des intervalles aussi rapprochés
ou aussi éloignés qu’il le désire ; ces versements ne
doivent pas être d’un montant constant, mais ils ne
peuvent être inférieurs à un franc.
184
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Les assurances se cuiiuilent entre elles en respectant
les limites indiquées ci-dessus. Sont atiranchies de
limitations les assurances souscrites en vertu d’une loi
ou d’un déci-et imposant pour un personnel déterminé
la constitution de retraites ou d'allocations au décès.
Les assurances de crédit poj)ulaire n’ont d’autres
limitations (pie celles ([ui sont appliquées aux montants
des jiréts eux- mêmes. Ces assui-ances sont à primes
uniques ou à primes annuelles constantes ou variables.
Dans ce dernier cas, les primes sont jiroportionnées
aux ris([ues de l'année d'assurance considérée et elles
sont généralement décroissantes. Le mode le plus
employé est celui de la [u-inie uniifue incorporée au prêt.
Les compagnies d’assurances françaises ne se sont
pas intéressées au déveloitpement de l’assurance popu-
laire : ce sont des comjiagnies étrangères qui, princi-
palement dans le Nord de la France, en ont commencé
l’exploitation.
Actuellement, grâce à la loi de contr(Me du 17 mars
190b, les assurés trouvent auprès des compagnies des
garanties qui n’existaient pas auparavant ; toutefois,
si le contrôle s'ap[)li({ue au fonctionnement technique
des assurances, il ne s’adresse nidlenient aux condi-
tions des polices.
Les compagnies les jilus importantes assurent envi-
ron ()9 OüJ ÜOJ francs (hï capitaux jiour 250 000 [)olices.
Les sociétés tontinières sont formées d'un certain
nomljre d’associations tontinières constituées ordinaire-
ment ])ar les personnes ayant souscrit durant un exer-
cice déterminé (l'"*' janvier-31 décembre) un certain
nombre de parts. Chaque [)art comporte l’obligation
de j)a\'er des cotisations i»ériodiques, généralement
mensuelles. Lin type courant est la part de KJOO francs
payables en 13 annuités de 72 francs (0 fr. ))ar mois)
et une annuité (la deimière) de 04 fr.
A une épo([ue bxe, dans le cas ci-dessus, 15 ans
l'assurance populaire sur la vie
48:)
après la fondation, toutes les valeurs appaidenant à
l’association sont vendues et le produit de la vente est
réparti entre les membres survivants. Le barème de
répartition tient compte de l’age et de dittérentes cir-
constances. Ceux qui ont suspendu leurs versements
perdent tout ou partie de leurs droits.
A côté des associations, dites en cas de vie, qui sont
définies ci-dessus, fonctionne toujours une association,
dite en cas de décès. L’association en cas de décès
s'ouvre le L’’ janvier de chaque année pour se dissoudre
le 31 décembre suivant ; cette association assure, au
minimum, à ses membres, moyennant une cotisation
dépendant de l’Age et de la somme à percevoir éven-
tuellement, le remboursement au décès des sommes
versées à l’association en cas de vie. Les cotisations
comprennent les frais de gestion et un chargement de
.üO ° O de la })rime pure. Grâce aux circonstances sui-
vantes : délais imposés aux personnes nouvellement
affiliées, déchéances, bénéfices de mortalité, les répar-
titions en cas de décès sont très libérales et servent la
pro[)agande de la société.
Si dans les opérations des assurances tontinières
l’àge des membres est. pris en considération, il n’inter-
vient niilleinent dans celles des sociétés de capitalisa-
tion. Ces dernières s'engagent à payer au liout d’un
certain tenqis un capital déterminé à la généi-alité de
leurs meml)res ; ])ar voie de tirage au sort, ce capital
est payé à un certain nombre d’entre eux avant
l’échéance. Le type le plus répandu est celui du bon
de capitalisation de 1030 fr. remlioursable au bout de
15 ans ; les tirages portent sur deux titres par mille
et par an. La cotisation mensuelle est de 5 francs.
Les sociétés tontinières et les sociétés de capitalisa-
tion sont soumises au contrôle de l’Etat. Leurs comptes
rendus ne donnent pas de renseignements sur le nombre
et la qualité de leurs membres.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
iHi)
Voici, an décembre 1912 quelques renseigne-
ments statisti([ues :
Sociétés tontmières (Association en cas de vie). —
Polices avec indication du montant des ]>arts : nombre
(parts de 120 à 1000 fr.) : 1 221 P)9 ; montant des
parts : S85 492 156 fr. Polices sans indication du mon-
tant des parts : nombre de polices : 76 886 ; montant
des polices : 817 118 000 fr.
Sociétés (te capitalisation. — Nombre de titres :
1 664 51 4 ; montant des titres : 1 132 922 865 fr.
Pn Fi'ance, rassurance po})ulaire est soutenue jiar
l’Etat. Aussi Inen, la Caisse Nationale d’Assurances
en cas de décès est gérée gratuitement par la Caisse
des Dépôts et Consignations; ses tarifs sont dressés en
judines pures et sont sensiblement moins élevés que
ceux des compagnies privées. Les opérations de la
Caisse Jouissent des privilèges suivants : délivrance
gi'atuite de différents certificats et d'actes de notoriété,
dispense des droits de timbre et d'eni'egistrement,
franchise postale. Toutefois, la clientèle de la Caisse
n'augmente que grâce aux colh'ctivités ; les isolés
s'abstiennent.
r.es l)é[)artements et les Communes n'encouragent
rassurance pO[)ulaire que par quehpies subventions
accordées aux sociétés de secours mutuels. Le patronat
intervient rarement ; son aide est plutôt acquise à
l'épargne et à la retraite.
Le }trincipal alms de fonctionnement de l’assurance
populaire en France consiste dans la pré])ondérance
des combinaisons tontinières et de ré))artition. Ces
combinaisons ont souvent fait des victimes ([ui sont
devenues des adversaires de la véiàtable assurance,
(pliant à celle-ci, on ne jieut dénoncei* de défauts
excessifs relativement au recrutement des assurés,
à la percejttion des primes, aux clauses de déchéance
et de réduction et au i*aiement des ca})itaux. En
l’assurance populaire sur la vie
487
général, la concurrence a fait aux assurés des condi-
tions suffisamment avantageuses.
Dans le domaine des frais d’administration, des abus
ont été reprochés aux sociétés de gestion qui, mo_yen-
nant une part sur les souscriptions ou les cotisations, se
chargent de gérer les sociétés d’assurance. La société
de gestion a intérêt à recruter de nouveaux adhérents,
elle en a moins, ou pas du tout, à les garder. C’est un
vice fondamental. Si, par ailleurs, la société de gestion
fait de mauvaises affaires, la société d’assurance est
mise en préjudice.
On ne croit pas en France à la }u)ssibilité d’intertlire
les opérations des sociétés tontinières et de cajdtalisa-
tion, opérations qui sont, d’ailleurs, contrôlées de façon
à éviter les abus graves. C’est au temps à faire son
œuvre en faveur de modes de prévoyance ])lus logiques
et plus équitables. En attendant, l’Etat doit par une
réglementation de plus en [dus étroite tem[)érer et sup-
primer la propagande exagérée de ces institutions et
empêcher l’action préjudiciable des sociétés de gestion.
A l’initiative privée de s’employer à vulgariser et à
améliorer l’assurance populaire sur la vie et de mani-
fester surtout son initiative auprès des sociétés de
secours mutuels. Il faudra faire quelque peu violence
au sentiment du ])ublic ; les préférences du travail-
leur français en matière de prévoyance s’adressent à
l’épargne ; aussi, les succès oldenus par l’assurance
populaire dans les pays anglo-saxons et germaniques
ne doivent pas faire illusion.
11 n’existe pas en P’rauce de réglementation spéciale
des assurances de petits cajiitaux ; il n’existe qu’une
réglementation générale des entreprises d’assurance
sur la vie et des sociétés tontinières, de cajiitalisation
et d’épargne. Les différentes lois qui forment cette
réglementation contrôlent le fonctionnement des orga-
REVUE DES QT'ESTIOXS SCIENTIFIQUES
iS8
nismes, mais ne réglementent pas le contrat d’assu-
rance. Toutefois, se reposant sur l’action salutaire de
la libre concurrence, on estime qu’il n’esl pas néces-
saire, })our le moment, d’étendre la réglementation à
de nouveaux chapitres.
rrALiE
L’assurance populaii“e à primes minimes hebdoma-
daires sans visite médi(*ale ou à visite médicale atté-
nuée, n’existe pas en Italie. On peut seulement con-
stater une certaine tendance cà cette assurance ; à l’Etat
de l’accentuer et d’en former des réalités avec l’aide de
la loi du 4 avril iOl'i sur le monopole des assurances.
Les sociétés mutualistes comptant au moins lOOmem-
bres ont la faculté d’obtenir la personnalité Juridique
et de s’assujettir au droit commun, pour entreprendre
des opérations d’assurance. Le Conseil de Prévoyance
estime qu’elles peuvent traiter des assurances au décès
et des assui’ances à terme fixe.
Ne sont pas soumises au monopole, les assurances à
base technique des Caisses de l’révoyance, constituées
en sociétés mutualistes et qui, antérieurement à la loi,
avaient obtenu la pei’sonnalité juridique, de même que
les assurances ne déliassant jias 100 lire, des sociétés
<le secours mutuels.
lies sociétés d’assurances étrangères avaient acca-
paré en Italie les plus grosses affaires ; les sociétés
nationales, au nombre de 04 au 01 décembre 1909,
n’ont commencé à traiter l’assurance-vie qu’en 1901.
S’adressant à une clientèle moins aisée, le chiffre
moyen de leurs polices est, en général, moins élevé
que celui des polices des sociétés étrangères. C’est ce
que montre le tableau suivant :
l’assurance populaire sur la vie
489
Capital moyen ass%iré
Sociétés Sociétés
nationales étrangères
Assurances (le capitaux (lillerés . . . (iT^O lire i0 05!2 lire
Assurances temporaires J J 18 » 8172 »
Assurances mixtes ou à termes fixes . 4505 » o(i07 »
Cet abaissement du cajiital moj'en assuré mai'que le
chemin parcouru vers la petite assurance, voire vers
l’assurance populaire.
La loi sur le monopole a ordonné la liquidation des
associations tontinières et de répartition qui avaient été
légalement organisées, en 1902, sur la base de la mutua-
lité et de la coopération. Les membres de ces asso-
ciations peuvent être repris par l’Institut national de
prévoyance ou par l’Institut national d'assurances.
Les opérations des associations tontinières et de
répartition avaient pris un développement rapide, parce
qu'elles présentaient les caractères suivants : fraction-
nement des primes en quotités mensuelles, modicité
du capital assuré, atténuation ou suppression de la
visite médicale.
Pour l’exercice 1910, ces associations avaient percju
()4 8.5G25 lire de droits d’entrée et 82.5 680 21 lire de
versements pour des assurances en cas de vie et en
cas de décès. Le départ entre ces deux espèces d’assu-
rances n'est pas connu.
GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG
Les assurances ])opulaires luxembourgeoises com-
prennent : des assurances pour frais de funérailles de
300 à 600 francs, pratiquées par les sociétés mutua-
listes ; des assurances habitations ouvrières, conclues
près d’une société étrangère à l'intervention de la
190
REVI’K DES (jil'ESTIOXS SCIENTIFIQUES
Caisse d’Epargne du (Irand- Duché ; de petites assu-
rances contractées }trés d’une société privée.
Les assurances pour frais de funérailles (8732 per-
sonnes assurées) ne comportent pas d’examen médical ;
les assurés sont déchus de leurs droits par exclusion
de la société mutualiste en cas de non paiement des
(ïotisations malgré avertissement. Les cotisations sont
O
adressées directement aux sociétés ou perçues par
l’intermédiaire de la i)Oste.
Les petites assurances les plus fréquentes sont des
assurances mixtes de ÔO à 25(1) francs, à primes heb-
domadaires sur la tête d’un enfant. Les primes sont
encaissées à domicile, soit par les agents de la com-
pagnie, soit ])ar mandat.
L’Etat alloue aux sociétés mutualistes des subven-
tions calcuh'es sur la base du nombre des membres et
du montant des recettes et des dépenses. Les sociétés
jouissent de la framdiise })Ostale pour leurs correspon-
dances avec certaines autorités.
Les agents d(i la compagnie privée ])rès de laquelle
sont conclues les petites assurances doivent être agréés
par le (Gouvernement ( irand-Ducal. L’agréation est
retirée aux agents qui font l’objet de ])laintes justifiées.
Afin d’éviter de trop nomfireuses déchéances, on a
})rescrit que la perception des primes se ferait à domi-
cile à des dates clairement fixées par les polices et
que les assurés ne pourraient être déchus ({u’a}>rès un
certain délai et a})i‘ès un avertissement recommandé.
La déchéance est intei-dite après une certaine durée
de contrat: dans ce cas, la libération de la jtolice est
de règle.
PAYS-BAS
L'assurance populaii*e a }uis dans les Pays-Bas un
dévelo])pement extraordinaire, mais elle y est ce que
les com[tagnies d’assurances l’ont faite. AYrs 1890,
L ASSI'RANCE POITLAIRE SUR LA VIE
491
l’opinion publique, vivement occupée de rassimince
populaire, provoqua une empiète très ajiprofondie.
Actuellement la ({uestion de l’assurance obligatoire a
relégué dans l’ombre celle de l’assurance populaire et
retient l’attention presque tout entière des sociologues
et des hommes d’œuvres. Leur abstention exjilique
celle des pouvoirs jmblics.
Dans les Pays-Bas, on n’entend par assurance pojm-
laire que l’assui-ance de très faibles capitaux à [irimes
hebdomadaires. En moyenne, la somme assurée n’ex-
cède }ias (m tlorins. Presijue toujours elle est destinée
au paiement de frais de funérailles. Généi-alement,
toute la famille est assurée et. Jusqu’à un certain âge,
les enfants sont compris dans l’assurance des parents.
L’assurance pojmlaire n’est pratiquée que par des
compagnies [irivées et par des caisses funéraires re-
montant aux Guildes et d(.)iit quelques-unes datent du
XIV® siècle. Lors de la Révolution fi-ançaise, la ])lu])art
des anciennes caisses disjtarui-ent, d’autres les rempla-
cèrent.
Les caisses funéraires, basées, toutes, sur le jirin-
cipe de la mutualité, jirésentèrent, cependant, de
grandes ditlérences quant à leur importance, à leur
organisation et à leur gestion. On peut leur reprocher
bien des abus, mais ces abus ne firent pas scandale.
Jusqu’en lN()0,les caisses funéraires eurent le mono-
])ole de l’assurance populaire. Après 1800, des sociétés
furent fondéi^s pour l’exploitation simultanée de la
grande assurance-vie et de l’assurance populaire ; elles
ne tardèrent jias à i-éunii* une clientèle nombreuse et,
après quelques délniires, réalisèrent de très beaux
bénéfices.
Les caisses funéraires perdirent du terrain. Les plus
fortes, les mieux gérées, souvent en se réunissant
entre elles, se réorganisèrent en sociétés anonymes ou
en compagnies mutuelles. Dans l’entretemps. de nou-
velles sociétés })rivées virent le Jour et, par le Jeu d'une
192
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
intense concurrence, l’assurance des trais de funé-
railles prit un développement considérable.
En 1891, il existait 24 sociétés anonymes, 9 com-
pagnies mutuelles et 400 caisses funéraires pratiquant
l’assurance populaire ; 315 de ces organismes, dont le
recensement des opérations avait été possible, assu-
raient 1 959 906 personnes pour 127 031 155 tlorins.
En tenant compte des enfants compris dans l’assu-
rance des ]mrents, on estimait, alors, à 2 212 407 le
nombre des personnes assurées, soit la moitié de la
population.
Après 1891. on continua de fonder de nouvelles
sociétés et la concurrence dépassa toute limite. On
enrfda les assurés sans contrôle, ni garantie; le nombre
des déchéances aimmenta, les Irais de réclame et de
perception de primes montèrent, rimportance des agents
devint excessive. Les petites caisses funéraires pâtirent,
d’abord, de la situation, puis, les petites compagnies.
Les grandes et anciennes compagnies souH'rirent moins
et, en général, demeurèrent tlorissantes.
Actuellement, le plus grave de la crise est passé.
Lepuis une dizaine d’années on n’a ])resque plus fondé
de compagnies ; plusieurs ont disparu. Toutefois, le
nombre des compagnies existantes est encoi-e troj) élevé.
Il est impossible d’établir à ce jour la statistique de
rassui-ance populaire pro])rement dite (assurance de
très petits cajiitaux à primes hebdomadaii'es). En con-
sidérant globalement cette assurance et l’assurance de
petits capitaux, on jieut, ]iour 1912. dresser le tableau
apjtroximatif suivant :
D(’SH/)tntion des or- yonibre des
nanismes d'assurances organismes
iSombre de
contrais
Sommes assurées
Sociétés aiionvines 54
3 380 000
320 500 000 lloriiis
» mutuelles 23
J 021 (iOO
80 885 000
»
» coopératives 2
22 205
J 831 000
»
(laisses funéraires 25
338 000
22 130 000
n
Totaux J 04
4 7()'i 805
m 430 000
)>
l’assuranck popt^laire sur la vie
493
Pour 5 sociétés et 48 (1) caisses funéraires les chif-
fres manquent.
En tenant compte de ce ([ue des milliers d’assurés
possèdent plus d’un contrat, on peut admettre que
\ 3 '4 millions de personnes forment la clientèle de
l'assurance pojiulaire proprement dite et de la petite
assurance. On peut admettre, aussi, que dans les milieux
auxquels convient une assurance de 05 llorins, tout le
monde, hommes, femmes et enfants, est assuré.
(Quelques compagnies ont une clientèle très étendue.
L’«ütrecht », au 31 décembre 1913, possédait 827 317
contrats en cours.
Par suite de la concurrence, les tarifs ont beaucoup
baissé. L’« Utrecht » demande quatre cents par
semaine jusqu’au décès pour une assurance de
100 florins, réduite à 20 tiorins par année d’àge si
le décès se produit avant l’àge de cinq ans.
r/examen médical n’est prescrit que rarement et est
toujours très sommaire. La déchéance est encourue
par le non-])aiement des primes pendant quehpies
semaines, ordinairement quatre, parfois six, ou plus.
Plusieurs compagnies et des plus grandes admettent,
sur demande, le rétablissement des contrats dans un
délai de quelques mois, six, en mo_yenne. Presqiu' tonies
les compagnies excluent le rachat. Quelques compa-
gnies importantes autorisent, sur ilemande, et à des
conditions diverses, la libération des polices.
Exception faite pour les rares caisses funéraires,
organisées par des sociétés ouvrières, les assurés sont
recrutés par des agents. L’agent est le pivot de l'assu-
rance po})ulaire dans sa forme actuelle. Les assurés et
l'assureur ne connaissent que lui. Sa rétribution est,
ordinairement, de i florin [)ar enrôlement et de 20 ‘’O
des primes, I^es primes se pei’çoivent à domicile.
il) Nomlire iipjiroximiUif d'assurés : loOdlHI.
IIl<=SÉlilE. T. XXVI. :r>
494
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
L’assurance au décès à primes viagères est la plus
fréquente, mais l’assurance au décès à primes tempo-
raires gagne de plus en plus de terrain. Les autres
combinaisons d’assurance, assurance temporaire, assu-
rance mixte, assurance de capitaux diitérés ou à terme
tixe, sont peu usitées.
L’assurance populaire souffre beaucoup de la défail-
lance des assurés et des déchéances. Une grande partie
des déchéances sont onéreuses pour les compagnies,
mais on prétend qu’elles trouvent compensation dans
les autres.
Pas d’ahus quant aux frais d’administration. Ceux-ci
sont élevés : 40 °/o des primes.
En 1912, le législateur a été saisi d’un projet de loi
sur l’assurance- vie qui restreint la liberté presque abso-
lue laissée jusqu’à présent aux assureurs, mais qui ne
s’applique pas aux contrats de moins de 200 florins.
En pratique, les caisses funéraires, c’est-à-dire les
organismes qui offrent le moins de garantie, continue-
raient d’échapper an contrôle et à la réglementation,
d’autant jdus qu’il n’existe pas de loi sur les sociétés
mutualistes.
Quelles conclusions générales jtourrait-on tirer des
aperçus précédents sur l’état de l’assurance populaire
en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Finlande,
en France, en Italie, dans le Grand Duché de Luxem-
bourg, dans les Pays-Bas, en tenant compte, aussi,
pour les formuler, du développement de cette assui“ance
chez les nations anglo-saxonnes et des circonstances
de ce développement ? D’abord, il semble bien que l’on
ne puisse concevoir une sorte de système universel
d’assurance populaire, auquel s’opposent, comme dans
la plupart des domaines, les diversités nationales de
tempérament, d’habitudes et de traditions. Quelque
qualité ou quelque tendance inhérente à la race ou au
l’assurance l’OPULAlRE Sl^R LA VIE
495
milieu influence toujours les institutions, tant publiques
que privées : ici, ce sera l’individualisnie, là, l’esprit
d’association, ailleurs, un sentiment jtarticulier de la
discipline. Disons, dans cet ordre d’idées, que des dis-
cussions d’école entre les mérites abstraits de tel et de
tel système sont de vains débats sans portée pratique.
Des faits, nous pouvons évidemment dégager quelques
conséquences, mais, si elles sont heureuses, nous ne
pouvons vouloir, ni même espérer, que les faits dont
elles découlent se généralisent partout.
Disons encore qu’il faut se garder de confusion de
cause à effet, en attribuant trop d’importance, par
exemple, dans le développement de l’assurance et dans
son épuration, à un statut coordonnant des procédés
fragmentaires consacrés par l’usage et à des prescrip-
tions légales ou administratives qui ne seraient, sous
l’apparence d’une intervention étatiste,quedes mesures
régulatrices ou consolidantes.
Lorsque le sentiment populaire se prête au dévelo})-
pement de l’assurance, et que les assurés ne s’orga-
nisent pas ou ne sont pas, au pi-éalable, organisés pour
se défendre contre les abus des compagnies, si celles-ci
ne sont soumises à une réglementation, ou tout au
moins à une surveillance officielle, la libre concurrence
pousse à l'exagération du nombre des organismes
assureurs. La valeur intrinsèque de l’assurance et son
mérite moral diminuent.
On ne peut, en général, méconnaître l’importance,
l’utilité, la nécessité de lois ou de règlements couvrant
de leur égide l’assurance populaire et i[iii, sans porter
une atteinte injustiflée à l’initiative des entreprises
privées, tempèrent leur action et la maintiennent dans
le cadre d’opérations licites, où l’assuré et l’assureur
trouvent tous deux leur compte et s’accordent dans des
rapports d’honnêteté et de confiance réciproques.
Lorsque par la force de la loi ou du règlement, ou
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
j)ar celle de l'iisage et des traditions, rassurance popu-
laire vit d'une vie saine, il existe des probabilités en
faveur de rabsori)tion coininerciale de l'assurance par
quelques puissantes compagnies. On tend à un mono-
pole de fait ; or, tout monopole, si consciencieusement
exercé qu'il soit, appelle des réserves ; il est avanta-
geux de lui faire contrepoids. Aussi, doit-on approuver
l’existence, à côté des entrejudses d’assu ranci' à but
lucratif, d’institutions ne poursuivant aucun bénéfice
])écuniaire, caisses ofiicielles d’assurances — orga-
nismes d’Etat ou placés sous la garantie de l'Etat —
entre}>rises d'utilité publique ou associations mutuelles.
Presque partout, l'importance des caisses officielles
est restreinte, ]»arce que leurs moyens de propagande
sont limités l't qu'elles peuvent difficilement, abandon-
nées à elles-mêmes, organiser et maintenir un contact
constant et actif avec le public. Mais elles agissent favo-
i-ablement sur les conditions générales de l’assurance.
Avec plus de sou})lesse, peut-être, (pie b^s caisses
ofiicielles, les entrejirises d’assurances sans but lucratif,
cbercbant leur clientèle dans des milieux spéciaux,
rempliront leur rôle sur le terrain de la concurrence,
d’outefois. ces enti-eprises ne se développeront et ne
prospéreront qu’en s'adressant à une population suffi-
samment nombreuse.
Ces entreprises, d’ailleurs, ainsi (jue les caisses offi-
cudles, ne semblent cajiables d’une action étendue
4[u'en escomptant l’intervention gratuite ou modéré-
ment rémunérée d’organismes intermédiaires aidant
au recrutement, à la concentration des assurés et à
l'administration de l’assurance.
L’on ne saurait trop insister sur les bienfaits que
sont capables d’apporter à l’assurance populaire la
mutualit(' et le jiatronat. La mutualité etlepalronat
sont des auxiliaires précieux ])Our les entre})i'ises
d’assurances à Imt non lucratif.
L ASSURAXCli: POITLAIRE SUR LA VIE
497
Jusqu'à présent Tassu rance populaire ne bénéficie
pas, peut-on dire, de subventions directes des jiouvoirs
publics, ces subventions s’entendant, surtout, dr sub-
sides attachés aux versements, et l’on ne doit pas
espérer que l’avenir modifiera bientôt cette situation.
Dans le domaine de la pi-évoyance, l’Etat, les Pro-
vinces et les Communes sont sollicitées par des besoins
plus urgents que ceux de l’assurance, et on ne cesse de
demander ([ii’ils y pourvoient plus largement.
Mais les j)Ouvoirs publics doivent jirendre l’assu-
rance popidaire sous leur sauvegarde, et l’on est
unanime à souhaiter que cette assurance soit l'objet
d’une surveillance, d’un contrôle ou d’une réglemen-
tation. Là où des mesures protectrices n’existent pas
ou sont insuffisantes, on les réclame avec plus ou
moins d’insistance et dans une proportion plus ou
moins grande.
En résumé, il est permis de dire que l’extension de
l’assurance populaire et l’amélioration de son fonc-
tionnement sont corrélatives au jeu de la concurrence
entre organismes assureurs de différentes espèces, à
la protection des pouvoirs j)ublics, et à la force d’orga-
nisation des assurés. Ces conditions sont celles d’un
sj'stème idéal, mais il est téméraire d’affirmer que ce
système soit réalisable partout ou qu’il fonctionnera
toujours avec plénitude et harmonie.
(1. Beat JEAN.
VARIETES
I
Iî,\ MÉMOIHK D’AMPÈHK TIU)P PKLÎ GOAMf
Sri{ I.A liPIXE Di; .lOUEPH
1
André-Marie Ampère (né à Lyon, le janvier \llh, mor t à
Marseille, le Kl juin esl le pins prodigieux des autodi-
dacles. Depuis les jours lointains de son adolescence, oi’i il Int
d’un bout à l’anli'e l’Encyclopédie du xvuP siècle, jusqu’à sa
niorl, il n’a cessé d’élndier, dans Ions les sens, les connaissances
hnniaines Ibndamenlales.
Dans maintes dii'ectioiis, Arnpèi’e a l'ait des déconveiies qui
ont été, pour ses contempoi’ains et les savants (pii sont venus
après lui, le point de départ de rechercbes fécondes. On connaît
snrtoni la gi’ande part qu’il a jrrise à la création de l’électro-
dynamicpie : ainsi, suivant le mot de Dabinet, il a simplifié la
nnhire, en ramenant le magnétisme à l’électricité. Il était méta-
physicien et il a grandement aidé .Maine de Mir'an dans sa lutte
victorieuse conli’e le sensualisme condillacien ; il a écrit une
classification des sciences pi-ès de laquelle pâlissent tons les
essais antéi'ieurs et ultéi'ienrs, paire que, depuis Leibniz, per-
sonne n’a tenu, comme .Ampère, sous le regard de son esprit,
nn ensemble aussi étendu des trésor.s de la science. De plus, il
a été mathématicien original : on lui doit surtout, en analyse
infinitésimale, un .Mémoire étendu sur les équations aux dérivées
partielles. M. Oour.sat, dans la Préface de son ouvrage sur la
VARIÉTÉS
499
matière (Paris, Hermann, en a dit, il y a vingt ans :
« On n’a pas assez remarqué ees {)rotbndes recherclies du grand
géomètre, où sont employées des transibrmations de contact
tout à lait générales, un derni-siécle avant Sophiis Lie. »
Personne que nous sachions n’a jamais étudié l’œuvre mathé-
matique d’Ampère. .M. Valson, dans sa biographie de l’illustre
savant (1), analyse siiccinclement ses travaux sur la physique et
sur la philosophie, mais non ceux qui ont trait aux mathéma-
tiques. Toutefois, il parle longuement de son .Mémoire sur la
théorie du jeu, parce que cet écrit marque un tournant dans la
vie familiale (i’.\mi)ère, mais il n’en indique pas l’olqet précis.
L’est ce .Mémoire [)resque inconnu ([ue nous allons analyser,
parce qu’il contient pour la première fois, croyons-nous, une
théorie généraledii jen au point de vue du calcul des prohahilltés.
.\mpère, après avoir maintes fois remanié son premier exposé,
pour le généraliser et le simplifier, le lit imprimera Inon en un
petit in-quarto et l’envoya à l’Institut de France. 11 avait laissé
dans son texte impiâmé une erreur de transcription, rectifiée
d’ailleurs dans la suite du Mémoire. Le Mémoire fut examiné
par Laplace et Lacroix. Laplace, qui l’avait lu et approuvé, en
lit féloge, mais à propos de cette erreur, pourtant sans portée,
il reprit l’auteur avec peu d’indulgence(!2). Lacroix, plus humain,
se contenta de lui transmettre les remerciments de l’Institut.
Le .Mémoire est intitulé : « Considérations 1 sur la | 'fhéorie
malhéunatique ] du jeu. | Far A. M. .Ampère, de r.Vthénée de
Lyon, et de la Société | d’Finulation et d’.Agriculture du départe-
ment de l’.Vin, Ih'ofesseiir | de Physique à l’Ecole centrale du
même département. | A Lyon, | chez les Frères Périsse, Inipri-
meurs-Lihraires, Grande rue | .Mercière, iP 15. | Et se trouve à
Paris, I chez la Veuve Périsse, lûhraire, rue St-.\ndré-des-.\rts,
n%S4 I Et chez Duprat, lâhraire, quai des Augustins, iP71 | Anil.
— 1802. » (ln-4° de iv-68 pages, dont les cinq premières non
numéi'otées).
Il est resté inti-ouvahle et inconnu jusqu’à ce que .M. Hermann
en ait publié, il y a (pieh[ues années, une édition photographique
en fac-siniüe, déjà épuisée aussi d’ailleurs. Gouraud (1848),
(l)h'i vie et. les Iravimx il' André-Marie Ampère. Nouvelle, édition.
I.yon, Vitte, t897 ln-8“ de vui-130 pp.
('2) l.a solution du prolilème presque identique de la durée du jeu, exposée
par l.aplace dans son grand ouvrage, renferme dans les trois éditions suc-
cessives (1812, 1814. 1820), une erreur qu’il n’a signalée et corrigée que plus
tard, dans le quatrième supplément de son livre.
REVUE DES questions SCIENTIFIQUES
5(X)
Todliunler ( IcSlir)), M. (Izubei- n’oiil donc pu en parler
dans lents histoires du calcul des prohahilités. ha l'aiile en est à
haphue : ni dans la Théorie analyliqoe des probabilités, ni
dans la Xolice historique tpii la précède, il n’a signalé les
théorèmes démontrés par Ampère. Lacroix a été plus conscien-
cieux. Dans son Trailé élémentaire da Calcul des probabilités
(quatrième édition, Druxelles, Hemy, J835; voir p. 93, note),
il dit ; « .M. .Vmpère, dans ses Considérations sur la théorie
mathémali(iue du jeu, est parvenu à celte loi, par un procédé
purement algéhritpie ». Il s’agit de la prohahilité qn’a un joueur
de [terdre sa rorlune à un coiqi quelconque, cetti* prohahilité
étant déterminée sans passer ftar les prohahilités analogues
relatives aux coups antérieurs. Au tond, c’est la l'ormule fonda-
mentale (l’Ampère.
Il
Diissaulx et d’autres, dit .Vmpère dans son Introduction, ont
prouvé par les laits que la passion du jeu conduit à la l’uine ;
mais leurs écrits n’ont converti pei'sonne : les joueiii's attrihuent
leui's malheurs au hasard ([ui, selon eux, aui’ait pu faire tourner
les chances eu leur faveur.
liiilfou a ('ntn’vu le piemier que la ruine du joueur est la suite
nécessaiif" de la cornhinaison des chances; mais il n’a pas réussi
à le prouver malhémali(|uement, parce (|u’il a estimé arhilraire-
menl la valeur d’une perte ou d’un gain, en la supposant fonc-
tion de la fortune du joueur.
Le hul principal du mémoire d’.Vmpèi'e est de démontrer avec
rigueur la vérité de la conjecture de Hidfon. Doiir cela, il étudie
avec grand soin la prohahilité de la ruine d’un joueur qui
expose à chaipie partie (|u’il joue la partie de sa fortune.
La mise de l’adversaire est égale à la sienne. Il définit avec .soin
la certitude morale : il appelle ainsi celle qui correspond à une
prohahilité I — a, a pouvant devenir aussi petit ([u’on le veut :
ainsi, il est moralement certain que le jet indéfini de deux dés
amènera simultanément les deux six, un .sonnez, comme on dit.
Ln effet, la prohahilité d’un sonnez est donné pai’ une progres-
sion indéfinie dont la somme-limite est l’unité.
.Am[)ère consacre dix pages à l’étahlissement d’une formule
comhinatoire hase de tout son travail. Désignons avec lui par
A^ le nombre de fois (jue t parties peuvent amener la ruine du
VARIÉTÉS
501
joueur à la dernière d’entre elles, à rexcliision des précédentes.
Puisipie, dans l’hypothèse d’Ampère, le joueur risque cha({ue
fois la partie de sa for (une, nous poserons t = m -,
il gagne p parties, il en perd m p. Si ('4 désigne le nonihredes
combinaisons de k objets / à /, on aura Am+jp = moins le
nombre des parties où la ruine du joueui' arrive à une des
parties qui précède la (n? + par exemple, à la (/n
r étant égal à 0, 1,4,... p 1. (les parties sont en nombre
atin que l’on ait considéré en tout m + 4p parties,
on joint à chacune d’elles p — y parties gagnées, p — r parties
perdues, ce qui peut se faire de manières. On a donc enfin
A = (’^
SA,
,.p-r
(1)
S étant un signe sommatoire relatif à r qui doit prendre tontes
les valeurs de 0 à y? — 1 .
Ampère obtient une seconde expression de .A»,+5p en observant
que ce nombre est aussi celui des parties en nombre m + — 1
qui aurait réduit le joueur à ne plus posséder que la m'®™® partie
de sa fortune. Pu calculant ce nombre par le procédé qui a
donné la Ibrmule (1), l’auteur trouve une seconde expression de
Aw+2p, qui, comparée à la première, donne enfin
Am+2p
IH
m, +
pi>
^in+îpi
relation facile à trouver par induction, dit .Ampère.
La formide (1) donne comme une somme de nombres
combinatoires ampériens Am+?)' multipliés par des nombres
combinatoires ordinaires. .Ampère, en changeant m + 'ip suc-
cessivement en m + + J, né + 4p + 2, ..., m -f 4p -f-
trouve la formule suivante :
p * I ti' à I ”1 ^ '-^4 1 X
j ' A»?,-f-2p -2“r ^ A??î-f-2j')-i“T
Arrivé là, .Ampère, en vrai analyste observe que celte formule
démontrée pour u entier positif est vraie aussi pour u fraction-
naire ou négatif, parce qu’elle est une identité entre deux
polynômes en ti. 11 y a des cas particidiers remarquables, par
exemple, celui où l’on donne à u une valeur négative ([ui annule
le premier membre et aussi celui où u = — m.
502
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
III
Après ces préliminaires analyliques, Ampère aborde la ques-
tion de la ruine du joueur, en premier lieu, quand celui-ci joue
indélinimenl conire loul venanl. Si sa probabilité do gagner une
f)arüe est sa probabilité de se ruiner est la somme, de
P = 0 à /J = x; , de la série ayant pour ternie général
r
^ q)m+ip
Klle est convergente. On la transforme aisémeni eu une série
double. On trouve qu'elle a pour limite j, si 7 est inférieur ou
égal à I, si q est supérieur à runité. Cela signifie qu’un
joueui' qui joue iudéliniment à mise égale, avec une probabilité
ou une probabilité moindre, de gagner à chaque [lartie, se
ruine infailliblernenl ; il n’en est pas ainsi, en général, si sa
1
probabilité de gagner une partie est siqiérieure à ^ ; cependant
tout danger n’est pas écarté, s’il risque une partie notable de sa
fortune, car il est clair (|ii’un petit nombre de parties malheu-
reuses successives peuvent le ruiner dans ce cas. Kn particulier,
il perdra infailliblernenl toute sa fortune, quelle que soit la
valeur de 7, s’il la joue loul entière à cha(iue partie, ([uitte ou
double, comme on dit : on trouve, en elfet, dans celte hypo-
thèse, (|ue la probabilité de ruine est e.Kprimée par une progres-
sion géomélri([ue illimitée de somme égale <à l’unité.
Ampère traite en second lieu le problème de la ruine d’un
joueur H, quand il a un seul adversaire C, de fortune égale ou
supérieure à la sienne; la ni'®'”® partie de la fortune de Best
supposée égale à la de la fortune de C, n étant égal ou
supérieur à m. Les préliminaires analyticpies de la solution de
ce problème i-essemblent ci ceux du problème précédent, mais
ils sont plus compliqués, parce que l’on doit tenir compte de la
situation du second joueur. Si les i)robabilités de gagner une
partie pour H et C .sont respectivement
J! „ ^
f + (f 1+7
VARIÉTÉS
503
les limites des probabilités contraires à B et à B sont
</" — 1
qin+n — I ’
et, en particniier,
q>n+n — qii
qm+n — j
n ni
m + n ’ m + n
si q est égal à rmiité. D’après ce dernier résidlat, c’est le joueur B
le moins riche qui court le plus grand danger de se ruiner si
1
q= \ ou si les chances de gagner une partie sont égales à ^
pour lui et pour B. Il en sera de meme a fortiori, si q est infé-
rieur à runité. Les probabilités de se ruiner seront égales si q
a une valeur supérieure à l’unité et telle que 1 = q”^+”—
ou
qm+n__^qn | =()^
mais alors B aura une probabilité moins grande que B de
gagner chaque partie et le jeu ne sera pas équitable.
Tels sont les résultats ilu travail d’Ainpère sur la théorie
mathématique du jeu. Ils contiennent tous les principes géné-
rau.K essentiels sur la ruine du joueur dans le cas où les mises
sont égales.
.Ampère se montre d’une habileté consommée dans le manie-
ment du calcul algébrique, des séries récurrentes et des séries;
en même temps, il est vraiment perspicace en calcul des pro-
babilités : il ne laisse écbapi»er aucun cas parmi ceux (|ue com-
porte la question. Bu note, à la i)age J 7, il fait remarquer
qu’une des séries convergentes qu’il obtient est une fonction
discontinue de la variablr, phénomène analytique non eiicoie
signalé à cette époriue. Son exposé est un peu ti’op bref touchant
la convergence de la première sér ie qu’il a obtenue et sirr la
légitimité des calculs qu’il fait sirr la série double équivalente,
mais au débirt de sorr mémoire (p. 5) il arrnonce « un ouvr-age
sur les séries, auquel le professeur de mathématirjues de l’.Ain
et moi tr'availlons de concert, et qui ser-a probablement bientôt
publié (iet ortvi’age, qui n’a jamais paru, air moins sous le
nom d’Arnpèr'e, devait contenir « des démonstrations directes et
génér'ales des théoi'èrnes » de la théorie des séries, « particuliè-
r-ement de ceux ipii n’ont été encoi'e démontrés que d’une
r>04
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
manière vague ou par induction ». C’est là sans doute (|u’Am-
père aurait Justitié la rigueur de ses procédés de calcul sur la
limite des séries.
IV
Le mémoire d’.Ampère se termine par un appeudic(>, de qua-
torze pages sur la résolution etfective des équations qui ne se
rattache (|ue par un lien bien ténu à la théorie mathématique
du jeu. Ce (|ui forme la transition d’un sujet à l’autre, c’est la
formule inverse du hinome
a” -j- b^^={a -f /j)” — ab{a + b olc..
(pii n’avait pas été établie jusque là avec une rigueur sufli-
sante. Kii développant les puissances indiquées dans le second
membre, Ampère montre qu’il se réduit au premier, grâce à
une formule relativi^ aux nombres combinatoires nuis,
signalée [ilus haut. Mais il établit directement celte formule à la
liii du Mémoire, en multipliant le développement de (l — (i)~^
par celui de ( 1 — a)‘, ce qui rend sou appendice indépendant
du Mémoire sur la ruine du joueur.
La formule inverse du binôme sert d’abord à l’auteur dans
le calcul des l'onclions symétriques et dans la i‘éduction des
éipiations réci[iro(pies.
Il y fait ensuite (( -\- b — z, nb - h, n” — k, ce (pii lui
donne deux éapialions
-n _ " /nn-i ^ 3 ,
((*” — A(t" + A,” = 0,
dont les racines dépendent les unes des autres de manière que
si l’on lient résoudre l’une, même partiellement, on peut
résoudre l’autre. Les é(pialions du o'" et du 5'- degré peuvent se
ramener toujours au type de la première. Mais dans maints cas,
on ii’a pas assez remarqué que la seconde, quand ses racines
s’expriment au moyen de radicaux d’ordre impair [lorlant sur
des expressions imaginaires, ne peut en rien aider à la solution
effective de ia première, à moins de recourir aux expressions
trigonomctri(pies imaginaires.
VARIKTES
505
Au coiiliaii'e, ohseive loiiLe sohilioii réelle de la
pi'emière [)ermet de trouver les racines de la seconde, et, dans
certains cas, de résoudre eirectivenient les é(iuations trinômes
réductibles aux é([ualions du second degré et, en particulier,
celles auxquelles on est conduit quand on cherche une racine
d’ordi'e impair d’une expression imaginaire.
Dans ses spéculations et ses calculs, Ampèi-e se montre plei-
nement au courant de la théorie des équations et algéhriste
habile; mais il y a quel((ues traces de hâte et ([uelque confusion
dans la rédaction de certains alinéas, pai- exemple du n” 8.5.
On peut voir dans la biographie d’Ampère par Valson l’explica-
tion de ces légères négligences : il travaillait dans les circon-
stances les plus dilliciles et les plus pénibles à Hourg, loin de sa
famille et de l’impiMineur de son .Mémoire.
Il est ])rohahle qu’il y a maintes vues originales à glanerdans
l’œuvre d’Ampère, sur les principes du calcul élémentaire ou de
l’analyse, sur le calcul des variations ou la mécanique, outre ce
([ui a été signalé par M. Ooursat dans la théorie des équations
aux dérivées partielles. .\ous croyons donc bien faire en donnant
ici une Liste des œuvres niathémutiques de A.-M. Ampère (i ),
publiées dans des journaux scientifi(|ues. Klle permettra à
([uelqne jeune géomètre de tiouver aisément pour l’étudier et
l’analyser run ou l’autre des Mémoires trop oubliés, dus à
l’illustre savant, et peut-être inconnu comme sa théorie mathé-
matique du jeu.
1. Démonstration de l’égalité de volume des polyèdres symé-
triques. CoRii. Ec. Dolyt., I, pp. 184-J87, 1804-J8Ô8.
'2. Recherches sur (pielques points de la théorie des fonctions
dérivées qui conduisent à une nouvelle démonstration de la
série de Taylor, et à l’expression linie des ternies qu’on néglige
lorsqu’on arrête cette série à un tenue ([uelconqne. .Iouraal de
l’Ec. l’Oi.YT., 1800, VI, pp. 148-181.
O. Démonstration générale du principe de.s vitesses virtuelles,
(t) Extrait du C.xt.yi.oiu e of Sciextific P.4f>ers ( I(SUU-1S63). Eonipiled and
publislied bv lhe Royal Society ol l.oiidon. Vol. I. I.ondon, Eiji'e and Spottis-
icooile. 181)7, pj). 58-111 . Vous conservons le numérotage du Catalogue.
506
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
dégagée de la coiisidéralion des inniiinieiit petits. 1b.,
pp. 247-2B9.
4. Recherche sur l’application des l'ormules générales du
Ralcnl des variations aux problèmes de la mécanique [1M03].
■Mé.m. des s.w. étb., ISüh, 1, pp. 498-523.
5. Sur les avantages (in’on peut retirei’ dans la théorie des
r.oni'hes, de la considération des paraboles oscnlalrices, avec
des réllexions sur les fonctions ditïérentielles dont la valeur ne
change pas lors de la transformation des axes [1803]. .Iournal
DE l’Ec. polyt., 1808, Yll, pp. 159-181.
8. Sur rintégration des équations aux dilférentielles partielles.
Bull, de la Soc. I'mil., 1814, pp. 107-109.
9. Sur les équations aux dillérences partielles. Ib., pp. 103-165.
13. Eonsidéralions générales sur les intégrales des équations
aux dilférentielles partielles. .Iournal de l’Ec. polyt., 1815, X,
pp. .549-011 ; 1820, XI, pp. 1-188.
15. Problème des quadratures. Rapport à l’.Vcadémie royale
des Sciences sur un Mémoire de .M. Rérai'd. .\n.n. de Gerconne,
1817-1818, VI! 1, pp. 117-124.
23. .Mémoires sur ([iielqnes nouvelles propriétés des axes per-
manents de rotation des corps et des plans directeurs de ces
axes. .Mém. de l’Institut, 1821-1822, pp. 80-1.52. Ouart. .Iourn.
Sci., 1822, XI 1, pp. 41.5-410.
32. .\n;dogie entre les Eacultés numériques et les puis.sances;
démonstration générale de la formule du binôme de Newton;
dévelopi)ement des fonctions ex[)onentielles et circulaires. .\nn.
DE Gergonne. 1824-1825, t. XV, pp. .309-387.
.3t>. Exposition (h;s principes du calcul des variatioiLs. lie,
1825-1820, t XVI, pp. 133-1()7.
.37. Essai sur un nouveau mode d’ex[)osilion des princi{)es du
Galcul dilférentiel, du calcul des dillérences et de l’interpolation
des suites, considérés comme dérivant d’une source commune.
Ib., pp. .329-349.
40. Nouvelle démonstration du principe des vitesses virtuelles.
Gorr. math, et dhys., 1826, 11, pp. 270-281.
41. Démonstration du théorème de Taylor pour les fonctions
d’un nombre ([uelcomine de variables indépendantes avec la
détermination de l’erreur (pie l’on commet lorsque l’on arrête
la série donnée par ce théorème h l’nn quelconque de ses termes.
;Vnn. de Gergonne, 1820-1827, XVII, pp. .317-.329.
44. Solution d’un problème de dynami([u<} suivi de considé-
VARIÉI’ÉS
507
rations sur le problème général des forces centrales. Ann. de
(tergonne, J829-1880, XX, pp. 37-58.
45. Démonstration élémentaire du principe de la gravitation
universelle. 1b., pp. 89-9Ü.
49. Mémoire sur les équations générales du mouvement
[1826]. JouRN.VL DE Liouville, 1836, I, pp. 211-228.
50. Recherches mathémali(iues inédites. Corr. math., 1837,
IX, pp. 144-148.
51. Nouvelle discussion de l’équation générale des couches du
.second degré. 1r., 1838, X, pp. 90-103.
52. Théorie du calcul élémentaire. N. Ann. m.vth., 1845, IV,
pp. 105-109, 161-164, 209-213, 278-285.
Paul Mansion.
Il
LA LUMIÈRE « FRDIDE »
d’apbès i.e procédé dussaud
Les moyens usuellement employés pour produire l’éclairage
artificiel, ne nous donnent la lumière qu’au prix d’une quantilé
énorme de chaleur inutilement dégagée. 11 est incontestable
que pour beaucoup d’applications, c’est là un grave désagré-
ment, et l’on comprend que nombre de chercheurs aient tenté
de solutionner ce captivant problème : léaliser une source de
lumière qui soit exempte de rayons calorifiques. En toute
rigueur, cela est impossible : la lumière absolument froide est
un mythe. C’est, qu’en elfet, la lumière et la chaleur sont iden-
tiques dans leui' essence, inséparables, et ne constituent que
des aspects différents de l’énergie que propagent les vibrations
de l’éther.
(U milieu subtil, impondérable, qui subsiste dans un espace
dont toute matière est enlevée, remplit ce que nous appelons
improprement le vide, et doit exister également à l’intérieur des
corps matériels. Ses oscillations, (piand elles sont comprises
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
rm
entre .‘iTr) et 7ÔIJ trilüoii.s de périodes par seconde, impiession-
nenl notre rétine. Ces limites extrêmes correspondent respecti-
vement à des long'iieiirs d’ondes de liiiit dix-rnillièmes et quatre
dix-millièmes de millimètre, rai-actéristicpies d’ime part du
rouge sombre, d’autre j)art du violet. Ces deux couleurs sont
celles que l’on trouve aux extrémités du spectre solaire, et entre
elles viennent se classeï' tous les rayons résultant de la décom-
position de la lumière blanche.
,\u delà du spectre visible, dans l’ultra-violet, s’étend une
bande de radiations (pu se manilésteut particulièrement par des
actions cbimiques. la; nombre des vibrations par seconde s’y
élève, jusque IblK) Irillions. Itaus l’inlia-i'Oiige, au contraire, on
se trouve eu présence d’oscillations plus lentes, perceptibles
surtout par leurs eUets caloriti([ues.
Dans l(‘s systèmes d’éclairage que l’on emploie babituellement,
on dépense la majeure partie de l’énergie mise en œuvre, sous
forme de chaleui' invisible avant d’atteindre le plus minime
rayonnement lumineux. Il n’est pas possible cl’arrivei’ aux
tempiu'atures élevées nécessitées par les vibrations lumineuses
sans déchaîner à la Ibis toutes les oscillations inférieures que
l’uni ne perçoit pas.
Si l’on j)Ouvait [)rodiiire, à l’exclusion de tout(;s autres, les
radiations [)Our lesijiielles l’onl [)résente le maximum de sensi-
bilité, ou ti’aiirail, comme peite, ([iie la minime dépense de
chaleur (pii leur correspond, (;t ainsi se trouverait réalisé ce
qu’il .serait permis d’aiipiiler la lumière froide. Théoriquement
on arriverait à ce résultat, en idilisant des rayons de couleur
.jaune-verdàtre seulement, d’une longueur d’onde d’environ
50 cent-millièmes de millimèti-e. La quantité de chaleur inhé-
rente à la lumière, émise dans ces conditions, serait excessive-
ment faible et la bougie s’obtiendrait avec une dépense de
(1,0:2 Watt, ce cpii constitue la limite tliéorique du rend(;ment
de l’éïK'rgie appliipiée à l’éclairage. — .luscpi’à présent, seids les
insectes lumineux, tels que, le ver luisant, s’en rapprochent
d’assez près. Les radiations (pi’ils émettent sont, en effet, com-
prises dans la ])ortion du spectre où règne la plus grande
activité lumineuse avec le minimum d’action calorifique ou
rhimirpie. Toutefois, cette fumière idilitaire est incomplète et,
pour donner aux ob,j(*ts de coul(;urs complexes leur véritable
a[)parence, il est nécessain; d’y ad.joindi'e d’autres radiations
(|iii donneni lieu à un (h'gagement de chaleur beaucoup plus
jirononcé.
VAJRIETES
509
Co comt exposé lhéori({ue montre combien grande est la
complexité du prol)léme de la lumière dite « froide », et met en
évidence les difficidtés insurmontables aux(pielles viennent se
heurter les chercheurs. fMusieurs ont cependant essayé d’en
donner une solution approchée ayant pour but une meilleure
utilisation de l’énergie dépensée dans les foyers d’éclairage.
Signalons, par exemple, les intéressants ti'avanx([ui ont conduit
à la réalisation de la lampe à vapeur de mercure et des tubes
luminescents.
La solution proposée par M. Dussaud, pari d’un tout autre
principe. -\u lieu de chercher à réduire les ondes calorifiques
inutiles, il se contente de les séparer des rayons lumineux, à
Vendroit d’ulilisatian. 11 ne peut évidemment pas être question
de diviser ces ondes au foyer d’éclairage même, piusqu’elles
prennent naissance simultanément, mais il est possible de faire
une sorte de triage dans l’ensemble des rayons émis.
Il est lacile de reconnaîtn^ expérimentalement ([ue si l’on
allume une lampe à incandescence, de préférence à tilament
métallique, pendant un temps très court setdement, la chaleur
ne fait sentii' son inlluence à l’extérieur de l’ampoule qu’aj)rès
rextinclion. De celte façon, on voit la lumière, sans avoir perçu
les elfets de l’énergie calorifique, qui pourlant s’est développée
en même temps. L’explication de ce fait inléressant léside dans
la propriété que présentent les radiations obscures Iransmettant
uniquement la chaleur, de se propager moins rapidement à
travers le verre que les l'adiations lumineuses dont la période
est plus courte. Dratiquement, on a observé ([ue les premières
mett(,‘nl un temps environ double de celui [U'is pai' la lumière,
pour s’échappol' de l’ampoule.
Partant de là, on a réalisé une soui'ce de lumière a froide »
en disposant trois lampes à incandescence à 1^:10 degrés l’une de
l'autre, sur un disque animé d’un mouvement de rotation rapide.
Les choses sont arrangées pour (pie l’allumage de chaque lampe
se produise toujours dans la même région de l’espace, et dure
pendant un tiers de tour, de sorte que chaque ampoule dispose
d’un temps double de celui de son fonctionnement pour dissiper
à l'extérieur la chaleur qui s’est développée. L’œil gardant pen-
dant J/iO de .seconde environ les impressions lumineu.ses qu’il
reçoit, si l’on imprime au disque une vitesse de rotation de
Ib tours à la seconde, on réalisera 4<S interruptions [lendant ce
temps, et l’éclairage ain.si obtenu ne présentera pas le moindre
vacillement. On voit donc que par ce dispositif très simple, on
ltl<>SKRIE. T. .XXVI. 33
RHVrE DES QI'ESTIOX^ SCIENTIFIQUES
510
enipèche la clialeiir de se maiiilester d’iiiie laçon praliqiiement,
sensible pondanl la durée de l’éclairage, de soi’te(|iie l’élévation
de température île la lampe est i»resfpie imperceptible.
Le moyen purement mécanique dont nous venons d’esquisser
à grands traits le principe, n’est pas le seul qui ait été employé
pour arriver au résultat cheiv-lié. Pour r|ia(|ue a[)i)lication par-
ticulière, on a étudié les combinaisons ([ui permettaient d’obte-
nir le plus simplement et le plus rationnellement, une source
d’éclairage qui ne s’i'cbaidîe guère durant son Ibnctionnement.
Iians ce but, on ne laisse jamais une lampe en activité qu’un
temps très court, et l’on prévoit toujours des repos pour la
dissipation de l’énergie calorilique inévitablement produite. Lu
sus du brevet princii)al qui consacre le principe de l’invention,
il a été accordé à M. Dus.saud toute une série de brevets de
|)ert'ectioimement, ayant Irait à l’application du système aux
ditlérents cas particuliers.
Les lampes idilisées n’étant allumées ((ue [)endant une l'rac-
tion de seconde, il n’y a pas d’inconvénient à les survolter,
même très fort, surtout s’il s’agit de types pour faibles tensions,
<lont les lilamenls sont très robustes, (lomme, d’autre part, on
.sait que la consommation spécifique d’une lampe donnée est
d’autant plus petite (|ue le voltage est élevé, on comprend que
par ce moyen on [)ourra réaliseï’ une économie considérable.
l'our pouvoir survolter .sans dangei', on fait usage de modèles
spécialement étudiés dans ce but et dont le vide est poussé fort
loin. Le tilament rigoureusement bomogéne est ramassé en
minu.scules spirales placées cùl(“ à côte, de manière à former
un petit cylindre de 5 mm. environ de longueur et de J mm.
de diamètre. On obtient de cette façon une source de lumière
presque ponctiforme, ipii p(*ut facilement être disposée au foyer
géométrique d’un miroir sphérique ou parabolique, de telle
sorte que toute la lumièi'e rayonnée se réi>artisse sur une sur-
face donnée, dans une direction voulue. Par suite , de cette dis-
j)o<ition, il est possible avec une minime dépense de '■JO
correspondant à l,:2r) .Vmpères sons 1(5 volts, d’avoir des foyers
lumineux très intenses qui, par les moyens usuels, exigeraient
certainennmt de HOO à :2(l()n Watts. Lel exempb; typique n’a
pas besoin de comnnmtaires pour monlrei- les avantages que
pi'ésente ce nouveau mode d’éclairage.
Les ap[)lications de la lumière « fioide » sont multiples ; nous
ne parlerons ici que des pi’inci])ales et des plus intéi'essantes.
VARIÉTÉS
511
En tout premier lieu, il convient de citer son emploi pour les
projections lixes et cinématographitpies. Grâce à l’absence de
vhalenr, on peut faire usage de vues sur cellnloïde, sans danger
de les voii’ s’enflammer on se recrocpieviller. Les cofitenx et
pesants clicliés en verre sont remplacés par des bandes de pelli-
cides, disposées sur une bobine qu’il sutlil de dérouler devant
l’appareil pour faire passeï', sui’ l’écran, la succession des vues,
nuand on songe au bon marché avec lequel il est possible de
fournir ces photographies, on conçoit l’essor extraordinaire
que ce procédé peut donner à cette industrie. A peu de frais,
à l’aide de piles ou d’accumulateurs, chacun est à même chez
soi de projeter ses vues préférées, prises sur pellicules avec un
appareil photographique quelconque. De plus, les clichés en
l'ouleur si ditliciles à réaliser sur verre se font aisément sur
celluloïde ; mais, jusqu’à présent, il était dangereux de s’en
servir couramment à cause de leur intlammabilité.
Dans les projections lixes, on a étudié un type spécial de lan-
terne pour y réaliser simplement te principe de la source de
lumière froide. 11 est fait usage de deux lampes dont l’une
seulement est en activité, l’autre se repo.sant et dissipant à
l’extérieur la chaleur accumulée dans l’ampoule. En pas.sant
d’un cliché au suivant, la manœuvre du tiroir provoque le
{léboîtement de la chambre noire de l’appareil, qui est faite en
deux pièces. La lampe ([ui avait servi à l’éclairage glisse à
l’extérieur poin- se refroidir au contact de l’air, tandis que, en
même temps, l’autre est amenée devant l’objectif et allumée.
Les vues fondantes ipie l’on réalise hahitnellement au moyen
<le deux appareils superposés, s’obtiennent par la manœuvre
d'obturateurs dits « œils de chat », dont l’elïet est pins ou
moins bon. Avec la méthode nouvelle on arrive le plus simple-
ment du monde à des l’ésidtats merveilleux. Il sullit de disposer
un minuscule rhéostat dans le circuit de chacune des lanternes
à projections. L’on peut ainsi augmenter progressivement le
cuui'ant, et par ^luile l’éclairage de la première, tandis que l’on
diminue insensiblement celui de la seconde. L’évanouissement
et l’apparition des images sont tout à fait progressifs et [leuvent
être réglés avec toute la précision désirable. Pour les projections
cinématographiques, on profite du moment où l’oliLurateur
passe devant la photographie, pour laisser refroidir la lampe
(jiii n’est, par consé([UPnl, active que dînant la période utile.
Gomme on le sait, l’elfet de l’obtiii'ateur est de cacher l’image
au moment où elle descend pour faire place à la suivante. La
512
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
maison Pathé utilise im dispositif analogue dans le petit appa-
reil domeslique « F^athé-Kock » qu’elle a créé; cependant, la
commission du l’atentamt allemand, dont rautorité est indis-
cutable, a reconnu l’originalité du procédé Dussaud.
(Iràce à la lumière froide, les préparations microscopiques
peuveni être projetées sans crainte de les voir se détériorer, ni
risque de faire fondre le baume de (lanada. 11 est également
[lossible de faire apparaiire sur l’écran l’image d’insectes vivants
sans danger de les griller, avec un grossissement énorme de
l)lusieurs millions de fois leur grandeur. Il est ainsi loisible à
chacun d’éludier la vie et les mœurs de ces inliniment petits
si intéressants à observer. Jusqu’ici, à cause de la forte chaleur
dégagée par les arcs intenses nécessaires pour les projections,
il ne fallait pas songei- à pareil résultat.
l'iie autre a|)f)lication importante de la lumière « froide » est
son utilisation dans les phares et les projecteurs. Par suite de
l’absence de rayons calorifiques, il est permis de ra[)pi-ocher
beaucoui) les lampes des lentilles. Hans ces conditions, celles-ci
peuvent être à distance focale réduite, et avec une intensité
moindre de la source de lumière on atteint les mêmes résultats
f[ue précédemment.
Dans les phares à feu tournant, ou prolite de l’oi'ientation
l)ériodi(|ue du systènie mobile vers la terre poui' interrompre
le courant et laisseï' refroidir la lampe. Ce repos permettant,
comme ou l’a déjà fait observer, de survolter fortement le
lilament, on obtient, avec une dépense insignifiante d’énergie,
une lumière extrêmement puissante dont l’intensité dépasse
celle des arcs les plus forts cpie l’on ait réussi à employer. On
est, en effet, limité dans la puissance (|u’on peut leur donne)',
par la chaloir vi'aiment éiioi'ine qu’ils dégagimt et qui fait
éclater les systèmes optiipies. D’autre part, un avantage des
lampes à incandescences survoltées, réside dans les qualités de
[lénéti'ation toutes spéciales de leur lumièi'e, ce (pii, en l’occiii'-
l'ence, en augmente singulièrement la valeui'.
I.a lumièi’e « Iroide » est aussi appelée à i-endie d’importants
sei’vices à rarmée. Ses cai'actérisliipies la désignent immédiate-
nient poiii' les [irojecteui's de guerre. Plie possède une fixité
supéi’ieure à celle des ar'cs actuellement en usage, et nécessite
un groupe électrogène moins pesant (d moins encombrant.
Cette dei'iiièi'e l'aison la fei'a également adopter à bord des
dirigeables et des avions, dont les moteui's ont besoin de toute
leiii' puissance poui' actionner les hélices.
VARIÉTÉS
513
Elle s’indique encore pour la lélégraphie opiique entre deux
corps d’armée en cami)agiie. .lusqu'à présent, dans tous les
appareils préconisés pour cet usage, la source de lumière en
Jeu restait constamment allumée, et les indications étaient pro-
iluites en la masquani au moyen d’un écran pendant un temps
plus ou moins long, suivant que, d’après l’alphabet Morse, on
voulait transmettre un signal long ou hrel'. Avec la lumière
froide, les écrans deviennent inutiles. La lampe n’est allumée
que pendant le temps strictement nécessaire, et reste éteinte
entre chaque émission de signaux. On profite de ce repos pour
la laisser se refroidir et dissiper la chaleur produite. Itans ces
conditions, la télégraphie optique peut se faire avec une petite
ampoule de dimension fort réduite, un manipulateur et une
pile minuscule, trois objets qu’un soldat emporte facilement
dans son sac.
11 n’est pas Jus(|u’en médecine où l’invention nouvelle ne
trouve des applications inattendues. On sait toute l’importance
qu’a prise récemment la photothérapie ou mode de traitement
par bains de lumière. L’action de la chaleur étant souvent irri-
tante, on conçoit tout l’avantage qu’il y a à la séparer de celle
de la lumière, seule bienfaisante. De plus, par suite de la faible
dépense de courant nécessitée par le procédé préconisé, il devient
possible tà chacun d’applicpier chez soi, à peu de frais, ce traite-
ment autrefois très coûteux. Dans l’endoscopie et l’exploration
des organes internes, le médecin se servira aussi avec avantage
de cette source nouvelle d’éclairage, qui lui permettra d’avoir,
sous un volume fort réduit, une lumière très puis.sante.
lùi résumé, les applications de l’éclairage artificiel suivant les
procédés de M. Dussaud, se rencontrent dans tous les domaines
et il y est appelé à un grand avenir. Le Ministère de l’Instruc-
tion publique en France, l’a adopté pour les écoles officielles.
Lette décision, qui consacre définitivement l’invention, a été
prise à la suite du rapport remis par une commission de spé-
cialistes, chargés d’examiner à fond la question. D’auti'es essais
sont en cours au département de la guerre, et ont Jusqu’ici
donné toute satisfaction.
E. Demamet,
Ingénieur Klectricien.
BIBLIOGRAPHIE
I
\VAin{S(:iiEi.M,i(;iiKKiTSRK(;iL\rN(; von A. A. M\iiKOKK. Nach det
zvveiton Anllago des nissischen Werkes iib<‘isetzt von H. Lieh-
MANN. — Leipzii^- iind Berlin, B. (’■. Tenliner, lîM!2 (in-8' de vii-
317 pp.). l'rix ; l)roclié, \"i marcs; cartnnné, 13 marcs (1).
L’aulenr indicjne nelLemenI dans sa préface le but de son
traité : exposer avec rigueur, au point de vue analytique, les
théorèmes fondamenlaux du calcul des probabilités, sans en
discuter minutieusement les principes et sans en étudier les
applications. Les principes admis soni d’ailleurs indiqués expli-
citement et réduits au nond)re minimum. Les théorèmes prin-
cipaux sont prouvés seulement comme lliéorèmes asymptotiques,
sans indication des approximations précises obtenues avant le
passage à la limite. .Maintes démonstrations sont empruntées
à des travaux peu connus en Occident (d dus à Tchebychef et
à ses continuateurs, Markof, Liapounof, etc.
Dans le [)remier cha(»itre. Notions et théorèmes fondamentaux
(pp. 1-17), l'auteur donne la définition de la probabilité mathé-
(1) L’ofigiiiat russe a paru en l'JOS. en seconde édition, sous le titre ;
l.STCniSI.ÉN'Ili VÉKOÏAT.NOSTEÏ. A. .MAHKOV. VtOHUÏE IZDANIÉ (S. [’éters-
boiirg-, inipi'irnerie de l'.Vradémie impéi iale des Sciences, 1908 ; in-8'’ de iv-
‘âSi ])p.). — l.a troisième édition russe va on vient de paraître. I^’auteur
a put)lié en mênie temps une hrochure intilnlée : « liicentenaire de la loi des
grands nombres. 1719-1913. Démonstration du second théorème-limite du
Calcul des [irobabilités par la métiiode des moments. Supplément à la 3' édi-
tion russe du Calcul des jtrobaliilités par A. Markolt (Markov). .Avec un por-
trait de .lacques Bernoulli. St-Pétersbourg, imprimerie de l’Académie impé-
riale des Sciences. Vass.-Ostr., 9'" ligne, N° 12, 1913 » (in-8“ de iv-fiO pp.).
Nous écrivons le nom de l’auteur avec un seul /, parce que le second est
inutile. En russe, il y a un ii comme l’auteur l’indique dans le titre du
supplément.
BIBLIOGRAPHIE
515
mati(jiif3 en partant, du concept d’événements également pos-
sibles; à propos d’mi exemple élémentaire, il lait connaître les
deux principes relatil's à l’addition et à la mnitipliralion des
probabilités. Il a[)pelle rattention sur ce (jn’il nomme l’axiome
de l’indépendance ; « l’arrivée d’nn événement exclut tons les
cas dél'avorables à celte arrivée, sans changer la probabilité des
cas favorables r>. Onand il s’occupe de la probabilité des événe-
ments composés d’événements simples indépendants, il lait
observer (pi’il est bien dilficile de donner des exemples pi‘aliqnes
où cela se présente.
Le second chapitre est consacré aux épreuves répétées et au
théorème f asymptotique) de Bernoidli (pp. l(S-44), que les
limites soient on ne soient pas symétriques par rapport an
terme le pins grand. La démonstration est celle de Laplace
modifiée par Tcbebychef. Cette démonstration est applicable
même à la loi des grands nombres de F'oisson, dont il est que.s-
tion dans le chapitre III. Elle peut être rendue inattaquable au
point de vne de la rigueur, bien qn’il semble, au premier abord,
([ue l’on y néglige un nombre indéfini de quantités infiniment
petites, sans justification sidlisante.
Le chapitre suivant intitulé Somme de grandeurs indépe)i-
dantes (pp. 45-9J) est le plus original de l’ouvrage. On y trouve
les recherches des géomètres russes sur des généi'alisations
diverses du théorème de Hernoidli, au moyen de la théorie de
l’espérance mathématique. Comme le remarque .M. Pizetli dans
son analyse du livre de M. Alarkof (Hollettino di iüblioCtRAFIa
E m STORIA DELLE SCIEXZE MATEM.ATICHE de C. LoHa, 1913,
pp. 17-21), il est plus simple d’appeler valeur moyenne i\\\ne
quantité variable accidentellement la somme des valeurs pos-
sibles de cette quantité multipliées par leurs probabilités res-
pectives que de donner à cette somme de produits le nom
d'espérance mathématique de cette quantité ; ce terme technique
doit plutôt être réservé à la théorie des jeux.
Voici la suite des propositions établies dans ce chapitre 111 ;
Valeur moyenne d’une somme, d’un produit. Lemme. Si A est
la valeur moyenne d’une grandeur l’, la probabilité que U<A(^
est plus grande quel — t~-, (étant quelconque. Inégalité de
Tchebyehef .• Si a, ù, c, ai, ù,, c,, ..., l^ sont les valeurs
moyennes des variables indépendantes X, V, Z, ..., W, et de
leurs carrés X^, V^, Z^, ..., VV^, la probabilité que SX = X-f-Y-f
Z -f- ••• + W est comprise entre Sa — t \/Sa, — Sa et Sa -f
/\/Srti — Sa surpasse 1 — t~-, t étant quelconque. Un a posé
516
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
— fit -f- -j- • • • -j- /, S^?i — “1“ 6“ ^'i • • • “1“ 6 • Théo-
rème de BernooUi généralisé : Si Ifts ([iiantités a^, h^, c^, ...,
dont le iioiuhre |a esl aussi grand qu’oii le veni, sont inl'érienres
à li, alors pour p snHisainmenl grand, e et q étant des quantités
positives (|nelconqnes, la prohabililé que l’on ail
— e< ^ SX — ^ Se<e
M M
surpasse J — q. Corollaire. Si a, h, c, /, soûl Ions plus
grands que G, {)our p sudisamineni grand, SX surpasse toute
grandeur. Théorème de Poisson (appelé loi des grainls nombres
en Occident. .Markof ilonne ce nom au tbéorème de Rernoulli
généralisé). Pour un nombre p d’épreuves, il y a une [u'obabi-
lité supérieui-e à 1 — q (jin* l’on a
m />, + Ps H h
e< — <e
P P
si pe^q > I ; ni est le nombi'e (rarriv(‘(“ des événements X,, X,,
..., Xy de probabilité p.^, ..., p^. Oiiand ces i>robabilités sont
égales, on a le théorème oi'dinaire de Bernoulli. — Exemple
numéri(pie. — lntrf)duction de l’intégrale de Iia[)lace dans l’esti-
mation des probabilités. — Limite de
1 (SX — Srt) : \/3Sc]"',
c,, étant les valeurs moyennes des (X — a). — Théorie
du risque eu général, du ris([ue au jeu, des jeux équitables ou
non.
Il y a lieu di^ l'aire maintes observations sur ce chapitre
important.
Le début et la lin en sont [)res([ue trop ébunentaires comparés
au reste de l’ouvrage.
La partie centrale, c’est-.à-dire tout ce qui dépend de l’inéga-
lité de Tchebychef, est élémentaire aussi, en ce sens que les
théorèmes sont démontrés au moyen de relations algébriques
très simples. Mais leur portée est moindre, croyons-nous, que
celle des théoi-èmes correspondants obtenus par Laplace, Poi.s-
son et leurs continuateurs au moyen du calcul intégral. Dans un
exemple nurnéri(iue relatif au théorème de Bernoulli, donné au
§ 15, on trouve que la probabilité de la double inégalité
BIBLIOGRAPHIE
517
— 0,02 ■<[(//? : ü) — 0,6] <0,02 est plus grande que 0,999, si
M =(i0l)000, d’après les inégalités de ïcliebycher; par la inélhode
de Laplace, il sndit que g soit égal à 6520, c’est-à-dire 92 fois
pins petit.
Dans le § 16, l’antenr introduit l’intégrale de Laplace dans
restiinalion des piobabilités étudiées, en recourant à l’analyse
intinitésiinale. Oi-, après nenl' pages de calcul, il fait remarquer
(p. 76) ([lie la démonstration ne permet nullement d’estimer le
degré d’approximation des formules obtenues, ce qui est une
lacune.
Les travaux de .M. Ch. de la Vallée Poussin et les nôtres,
publiés depuis longtemps déjà, donnent ce degré d’a[)proxima-
tion tant pour le théorème de liernoulli que pour la loi des
grands nombres de Poisson. Comme ces recherches publiées en
Helgique sont trop peu connues en dehors de notre pays, nous
croyons devoir les signaler ici.
Vous avons publié dans les Annales de la Société scienti-
fique DE Bruxelles en 1902, une démonstration du théorème
de Bernoulli, pour une valeur finie de g. Nous avons enfermé la
probabilité cherchée entre l’unité et l’intégrale de Laplace, dimi-
nuée d’nne fraction dont l’expression est assez compliquée; nous
avons, dans la suite, simplifié cette démonstration (Annales,
etc., 1912, 19JB). Dès 1907 (même recueil), M. de la Vallée Pous-
sin, par deux méthodes différentes, a resserré la même proba-
bilité entre des limites plus rapprochées et de forme plus
élégante.
En 1910 (.Vnnales ; de plus, sans calcul dans le Bulletin de
LA Classe des Sciences de l’.-Vcadémie de Belgique) nous avons
montré que la démonstration de la loi des grands nombres de
Poisson, pour q /ini, peut se déduire de toute démonstration du
théorème de Bernoulli. Voici cette preuve en abrégé : Soit
{p-\-(jY-= Ep .M( P, g) -f Er/, M(p,fy) se composant des termes
moyens du binôme qui donnent la probabilité considérée dans
le théorème de Bernoulli, Ep les termes qui précédent M(Pi(/)
et dont le premier est p^, V.q les termes qui suivent M(Pi7) et
dont le dernier est q^ -, Ep, Eg sont évidemment des fonctions
croissantes avec p ou q. On suppose, dans la Loi des grands
nombres, que p varie de pj à p^, q de q^ k q^, p, étant supérieur
à P2, 9.2 à (/,. 11 est évident que la probabilité à calculer pour
établir cette loi est supérieure à 1 — Epj — Eq^ et, a fortiori,
à 1 — Ep, — E7, — Epj — E^., ou M(p,, r/,) -f M(p^, q.2) — 1 . Or
la seconde méthode de M. de la Vallée l'oussin permet d’évaluer
518
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Kpi, Er/,; la première et la nôtre, M(p,, M( Pa, ^/j) a'’«c une
approximation (léterminée pour une valeur <lonuée de p. —
S’il s’agissait de la loi des grands nombi-es comme théorème
asymptotique, pour |u = oc, on peut, d’a[)rès (‘e ipii précède, la
déduire de la démonstralion élémentaire que .laccpies Hernoulli
a donnée de son théorème, puisque, dans ce cas, pour p=oc,
Hi) t>nt rnnité pour limite.
Dans le chapitre lY, intitulé ; Exemples des diverses méthodes
du calcul des probabililés (pp. 9;i-J47), rantenr donne la solu-
tion de huit ]n-ohlèmes classi(ines bien choisis, soit par la théo-
rie des combinaisons, soit par le calcul des ditlérences, avec des
indications sur l’évalnation des fonctions de grands nombres au
moyen de l’intégrale de Laplace; au fond, il revient aussi
(pp. J85-H1) sur le théorème de Dernotdli. l.oterie de
(lènes et généralisation. 3’ Cinq (piestions sur des tirages répé-
tés d’une urne. /U-h" Problème des i)arlis dans le cas de deux
on de trois jomnirs., (î'’-7“ Problème de la mine du joueur avec
des corrections importantes à la sohdion de Pionché et Bertrand.
8'’ .len des trois dés généralisés.
Pai'lbis les explications de M. Markofsont élémentaires, par-
fois elles siq)posent une connaissance étendue du calcul des dif-
férences. Il aurait fallu introduire, dans ce chapitre, ce nous
semble, la solution de Pascal pour le problème des partis, sous
forme de citation : elle est identi([ue an fond à celle qin repose
sur le calcul des dilféi'encccs, mais elle fait vraiment connaître
l’esprit de la sobilion et est merveillensernenl claire.
I.e chapitre V traite des probabiii lés-limites et des probabilités
continues (pp. 148-J77). L’antenr définit avec précision, dans
les cas qu’il considère, la probabilité-limite d’un événement
limite d’antres événements, les probabilités continues dans un
espace à une on deux dimensions et l’espérance mathématique
l orrespondante. Il applique ces notions à qnebjues problèmes
traités avec grand soin : tirobabililé (in’nne fraction soit ir.f’é-
dnctible; probabilité que trois droites, choisies arbitrairement,
mais de deux manières ditîerentes, puissent former un triangle;
problème de l’aignille dans un plan divisé en bandes égales ou
en triangles égaux, problème du disque dans le premier cas;
probabilité qu’une somme de vecteurs soit comprise entre des
limites données.
.\1. .Markof fait très bien comprendre pourquoi les problèmes
relatifs aux probabilités continues peuvent avoir plusieurs solu-
tions distinctes : les hypothèses du point de départ sont diffé-
BIBLIOGRAPHIE
511)
rentes dans les diverses manières de les liai 1er, comme il en
donne un exemple <à propos du triangle <à tormer avec trois
droites. Dans ce dernier problème, l’auteur introduit des
expressions approchées en taisant rernarquei', avec sa conscience
habituelle, qu’il ne donne pas les limites de l’approximation.
Le chapitre VI est consacré cà la probabilité dex omises et des
événements déduite des événements observés (pp. 178-'300). Il
contient toutes les questions générales cla.ssiques relatives à ce
sujet. Dans le cas d’un nombre illimité de causes, l’ouvrage ne
contient pas les Ibrmules approchées de Poisson, ni nos for-
mules plus précises mais moins élégantes sur la question
(Bulletin ue l.v liasse des sciences de l’Ac.\démie de Belcioue,
1904, 1907). L’auteur a soin de faire remarquer (p. J9B) la
faible portée objective de toute cette théorie et il en donne les
raisons. Nous ne croyons pas que l’on puisse en conclure l’incer-
titude des bases théoriques de la statistique : on peut fonder
celle-ci sur la loi des grands nombres de Poisson.
Dans le dernier paragraphe du chapitre, on trouve un exemple
de calcul des probabilités des témoignages traité avec grand
soin de manière à mettre en évidence toutes les hypothèses
arbitraires sur lesquelles il repose. Selon nous, contrairement à
l’avis de l’auteur, on ne peut rien en déduire sur l’incertitude
de l’histoire ; la probabilité des événements historiques repose
sur le principe de l’accumulation des probabilités indépendantes
de Newman, trop ignoré des mathématiciens. Les actes impor-
tants de la vie de l’humanité à une époque donnée ont sur
toutes les époques ultérieures, un retentissement qui se prolonge
parfois avec des conséquences toujours grandissantes jusqu’à
l’époque contemporaine.
Dans le chapitre Vil, l’auteur expose la méthode des moindres
carrés (pp. ^01-^40), principalement d’après Gauss dans ses
derniers mémoires sur la question et non d’après la Theoria
motus ; il se rapproche encore plus que Gauss d’une méthode
purement algébrique. Il indique avec grand soin les hypothèses
admises comme point de départ, en disant quand il le faut, que
ces hypothèses ne sont pas toujours réalisées en pratique et que
plusieurs sont introduites uniquement pour rendre les calculs
plus faciles. Il fait remarquer que la loi exponentielle des
erreurs peut se justifier plus ou moins par l’hypothèse de
Ilagen, ou, dans certains cas, par les observations ; mais au
fond, elle ne sert guère qu’à définir l’erreur probable. Comme
Gauss, après qu’il eut abandonné la théorie des erreurs exposée
520
REVU K DES QUESTIONS SOIENT! KIQUES
(l;ms \a Thenria motus, M. Markol' n’attache aiicmie importance
■à cette notion crerrenr probable ; la connaissance de la précision
des observations se déduit aussi clairement de celle de l’erreur
qiiadratiipie moyenne, (pii van! une fois et demie l’erreur
probable, dans l’iiypothèse de la loi exponentielle des erreurs.
La subdivision de ce chapitre VII est la suivante ; Diverses
soi'tes d’erreurs, détinitions et hypothèses ; cas d’une inconnue ;
cas de plusieurs inconnues ; cas où il existe des relations exactes
entre les inconnues ; exempb; du calcul des angles d’un triangle,
les trois angles ayant été mesurés plusieurs Ibis. (Juebpies autres
exemples ipiand il y a une seule inconnue ou plusieurs incon-
nues indépendantes aui'aient été les bienvenus. Çà et là, au
point de vue algébricpie, l’exposition pourrait être simplifiée.
Le huitième et dernier chapitre, tes assurances sur la vie
(pp. 247-258), (hume la solution de nenl' pi'oblèmes tbndamen-
taiix sur la matière ; quand il y a deux assurés, l’auteur suppose
([u’ils ressortissent de labiés dilïérentes de mortalité.
Les trois appendices de l’édition allemande (pp. 250-811) et
le Siqiplément de la troisième édition russe traitent, sons des
litres divers, de (piestions d’analyse ou, si l’on veut, de calcul
des [(robabililés. Dar des calcids très complexes, l’auteur prouve
<iue certaines sommes peuvent s’exprimer par l’intégrale de
2 r'^
Laplace I e~'‘d(.
\ TT jo
line table des valeurs de cette intégrale, refaite par l’auteur
avec grand soin, de x = 0, à x = 2,5, de millième en millième,
avec six décimales ; de x = 2,5 à x = 3,70, de centième en
centième, avec 7 décimales, termine l’ouvrage (pp. 312-317),
avec un court index des définitions et des théorèmes (p. 318).
L’ouvrage de .VL .Markof, au [)oint de vue de la rigueur, est
évidemment siq)érieui- aux [)lus célèbres, je veux dire à ceux
de Bertrand et de Poincaré, où les hypothèses fondamentales,
les théorèmes et leurs démonstrations ne sont pas exposés avec
une précision sulfisante.
.Vu point de vue didactique, le traité du savant russe est un
peu inégal : parfois les raisonnements même élémentaires sont
exposés tout au long, parfois des déductions difficiles ne sont
({u’esquissées. .Mais c’est là un petit défaut en comparaison du
grand mérite de l’ouvrage : il fait rélléchir sur l’enchaînement
des définitions, des {(rincipes et des conclusions que l’on en tire ;
il permet à ceux ([ui l’étudient avec soin d’avoir des idées justes
sur la portée objective du calcul des probabilités.
P.\ui. M.\nsion
BIBLIOGRAPHIE
5^1
11
Leoahardi Kl'lehi Opéra omnia ser atjspiciis Societatis
SciENTiARUM iNATERALiUM IIelveticae ccleiula ciiraveniiit Fer-
DiNAîND Rudio, Adole Krazer, Paul Staeckel.
Sériés I, Opéra Matheiaalica. Yolumen XII. — Leonhardi
Fuleri Institutiones Calcl'li Integr.alis edideriml Friedrich
Fngel et, Ludwig Schlesinger. Yohimen seriindurn. Adiectae
surit Laureaïii Mascherümi Adaotatio.nes ad Lalculum Inte-
GRALEM Fuleri. Lipsiae el Rerolini, iti aedibus J>. G. Teubneri.
MGMXIY. Fil vol. in-4” de xvi et 54'2 pages.
Sériés I, Opéra Mathematica. Yolumen XXL — Leonhardi
Fuleri Go.m.mentationes Analyticae ad Theoriam Inïegralium
Fllipticorum pertinentes edidit Adole Krazer. Yolumen pos-
terius. MCMXlll. Un vol. iii-4" de xii el 380 [lages.
Il y a un an, dans la livraison du mois d’octobre, j’ai rendu
compte ici des premiers volumes de ces deux ouvrage.s; il m’est
donc permis d’entrer en matière sans préambules, notamment
sans m’étendre en généralités sur le grand Traité de Calcul
Différentiel el Intégral d’Fuler.
Le second volume du Calcul Intégral est réédité d’après les
Institulionurn Calcuii Intégral is Volunien seaindum, in quo
rnethodus inveniendi functiones unius variabilis, ex data rela-
tione di(ferentialium secundi altiorisre gradus, perlraclatur.
Auctore Leonhardo Fulero, Acad. Scient. Boiaissiae directore
vicennali et socio Acad. Petrop. Parisin. et Londin. Petropoli,
Impensis Acaderniæ Imperialis Scientiarum, 1769. La première
édition du tome 11 l'orme un fort volume in-A", de (4), 526 et
(8) pages, dont je connais un exemplaire à la Bibliotbèque de
l’Observatoire Royal de Belgique. Il eut une [iremière réédition
à Saint-Pétersbourg, en 1792, une autre, dans la même ville,
en 1827, et une traduction allemande, par .lose[)h Salomon,
publiée à Yienne, en 1829 ; mais il n’a jamais eu d’édition
française.
La première partie du livre 1 du Calcul Intégral fait, on se
le rappelle, l’objet du tome I. Elle est intitulée : Méthode pour
rechercher les fonctions d’une variable, connaissant une relation
quelconque des différentielles du premier degré ; le volume
actuel est consacré à la seconde partie du même livre.
Ri:vrE DES QUESTIONS SCIEXTJFIQUES
;)
•>9
Livre 1, Seconde dartie, ou Méthode pour trouver les fonctions
d’une variidde, conunissunt une relation du second degré, ou
d'un degré supérieur, entre les dilférenlielles.
Sectdjn I. — Késoliilioii des équations (liHérenlielles du
second degré, qui ne renrermeni (fue deux variables. — Ch. 1.
Intégration des formules ditl'éreutielles simples du second degré.
- - Ch. Des éijualions ditférenlio-difïérenlielles (ditfei'cntio-
dilTerenlialibus) dans lesquelles une des variables fait défaut. —
Ch. .’L Des équations ditférenlio-dilférentielles homogènes, et
de celles qui peuvent être ramenées à cette forme. — Ch. 4. Des
é(|uations ditférentio-diiférentielles, dans lesquelles une des
variables n'a (pi’une seide dimension. — Ch. 5. De l’intégration
des équations ditlérentielles du second degré, dans lesquelles
une des variables ne dépasse i>as le premier degré, par facteurs.
— Ch. I). De l'intégration des autres équations dilférentio-dilfé-
renlielles, à clfectuer par des mulliplicateui’s convenables. —
Ch. 7. De la résolution de l’équation ddg ax"gdx~ = par
d(!s séi’ies inlinies. — Ch. 8. .Vôtres é([uations dillëreidio-diffé-
l'cntielles, résolues [>ai' séides infinies. — Ch. 9. De la transfor-
mation des équations dilférentio-dilférentielles de la forme
\jldg -f- Mdxdg + = (I.
Ch. JO. De la construction des équations ditféi’entio-dilféren-
tielles, par les (|uadratures des courbes. — Ch. 11. De la construc-
tion des équations dilTérentio-dilférentielles, par leur réduction
en séries intinies. — Ch. 1:2. De l’intégration des équations
ditlérentio-diiférentielles, par approximations.
Section 11. — De la résolution des équations dilférentielles du
troisième degré et de degrés supérieui-s, qui ne renferment que
lieux variables. — Ch. \. De rintégiation des formules dilTéren-
tielles sim[)les du troisième degré ou d’un degré supérieur. —
Ch. 0. De la résolution des éipiations de la foiane
\g ~
Udg
dx
Ohlg
dx-
I hCg , ^-d*y
+ etc.
en regardant l’élément dx comme constant.
Ch. 8. De rintégration des équations dilférentielles de la forme
X
A.V -r
B(/^ Cddg
dx d.r^
\)dCj KdCj ,
d:c^ d.x^ ^
etc.
BIBLIOGRAPHIE
52:5
Ch. 4. A[)|)li(':ili()ii de l.i mélliode de l’inlégralioii doimée au
chapilre piécédenl, à des exemples. — Ch. 5. Iiilugralion des
é(]ualions dilTémitielles de la Ibrme
.. . I Vixdii I Cv^rlchi . \);r^(Cii
\\x'(Cy
(Ix^
+ etc.
Ix Traité de Catcat dijl'éreidiel et ôi/eV/ee/ d’Kuler comprend,
je le rappelle, cinq i'orts volumes in-4'’; un pour le C(dcnl
Wiféreniiel , el quaire pour le Calcul Intéyral. Ils parureni
respeclivemeni, en J755, J708, I7()0, J77U el I7!l'i-; ce dernier
api'ès la mort de railleur. De ces cinq volumes, celui qui est
consacré au Calnd Différeatiel et les deux [)remiers volumes du
Calcul hdcfjral, sont aujourd’hui réé(iilés dans les Œuvres
cn/njo/è/ei' d’Kulei'. Il faut bien l’avouer, cependani, ce n’est pas
loul (|ue de posséder celte réédition ! l’onr le mathématicien
(pie rehutent souvent les longnies recherches hihliographiques,
l’immensité de l’onivre d’KnIer la rend pénible à consulter.
(Jue de temps [larl'ois on consume inutilement avani de réussir
à mettre la main sur le volume fpii conlieni le mémoii'e ou le
chapitre cherclié !
Voilà pour([uoi, relativement au lome II du Calcul Intégral
d’Euler, je signalerai tout d’ahoi'd la Verzeichnis der Schriften
Leonhard Eulers, jiar M. Enestrorn (.l.vimESisEiuciiT deh Deut-
scHEN.\l.\TtiEMATiKEiiYEHEii\iGUAG, lier ei'gànzuiigshànde 1 V.Ilancl,
Leipzig-, Teuhner, 11)10 el 1013). l‘our s’oî'ienter dans l’onivre
d’Enler il l'ant toujours commencer [lar ('onsulter celle biblio-
graphie du savant suédois. Le lecteur y trouvera (p. 0(S) le texte
original latin des litres des chapiti-es, dont j’ai donné ci-dessus
la traduction; renseignement parlbis iirécieux pour pouvoir
contr()ler les citations.
.Après la Verzeichnis d'Enestrom, vient le tome IV des Vorle-
sungen über Ce.schichte der Maiheiuallh, de .M. .Maurice Lantor
(Leipzig, Teuhner, 1008). M. Lantor y donne Ini-mème une
courte, mais bonne analyse des Inslllullones d’Euler (pj). 1001
et 100;2). En outre, dans la XXVL section du même ouvrage,
M. Vivaldi étudie, à plusieurs reprises, d’une manière plus
ap[)rolbndie, les parties principales des In^lHuliones (pp. 030-
800).
En a[)pendice au lome 111 du Calcul Intégral d’Euler, les édi-
teurs nous donnent deux ouvrages de Laurent .Mascheroni :
Adnolaliones ad Calculuin Iniegralein Culeri in quibus non-
524
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQI'ES
nidla problemata ab FAilero proposila remlvnnlnr, Aiictore
l.aiirentio Mascheroiiio, in R. archigyninasio Ticinensi niathem.
prof. Acad. Pataviiiae ac I{. Mantnanae socio. Tioiiii. Kx typogra-
phia Pétri Galealii, praesid. rei litter. pmniltenle. AiinoMtKiGXC.
Ge voliiine renlerme six notes, dont |)lnsienrs ont l’éleiulne de
vérital)les mémoires.
Adnolnlionum ad Cakuhnn Integraleai Eideri, in fjaibus
nunnidlae fonnulae ab Ealero propositae pleniax evolvunlvr,
paî'S altéra. Anclore l.anrentio .Ma.scheronio in U. archigymna.sio
Ticinensi matliem. prof. .Vcad. l’atavinae, li. .Mantnanae atcpie
Italicae socio. Ticini, .MltGG.XPdl. Kx typographia liaerednm
Pétri (ialeatii, [iraesid. rei litter. permitt. P.e volume rcnrerme
deux notes, on pins exactement, deux mémoires.
Les deux titres des Adnotatioaes de .Mascheroni, comme d’ail-
leurs celui du Calcul Intégral d’Euler transcrit ci-dessus, sont
reproduits [)ar le procédé anastatique.
I.aurent .Mascheroni na(iuit à Gastagnena, lires de Hergame,
le 15 mai’s 1750, et mourut à l’aris, le 14 juin LSOO. 11 est sur-
tout connu comme mathématicien, mais d lut aus.si poète et
philologue. Ses premières études furent même purement litté-
raires et il avait vingt-sept ans quand il sentit naître en lui le
goût des mathémati(iues. Son umvre .scientilique est considé-
rable; mais, parmi tous ses ouvrages La gcninelria del compasso
( Pavie, 1707) contribua le plus à sa réputation. La Géomélrie du
compas traduite en français par Garette, ollirier du génie, eut
deux éditions à Paris, i’une en 1798, l’autre en 18:^8.
Rééditer les Aiinolationes de Mascheroni en appendice au
tome 11 du Calcul IntégraLsoWb sans doute une idée heureuse;
mais, pour heaucoiqi de lecteurs, une note (pii en efit donné
les raisons n’eùt-elle pas été de mise, soit dans la préface, soit
au bas des pages? Tout au moins, n’aurait-il pas convenu de
donner une indication hihliogi'aphique renvoyant à quelque
travail sur le sujet ? .\ la lin de .sa vie Euler avait perdu la vue,
tous les mathématiciens le savent. Ils ignorent souvent com-
ment l’illustre aveugle composait ses mémoires et la part con-
sidérable qu’amis et élèves ])renaient parfois à leur l'édaction.
Cette part variait, allant de la simple écriture sous la dictée,
jusqu’à une conti ihution personnelle sufli.sante pour permettre
aux collaborateurs de signer de leui' nom le développement
((u’ils avaient donné aux idées du maître. Ge fut souvent le cas
d’un des fils d’Euler, .lean-Alhert, dont .M. Enestrom met avec
raison une catégorie d’ouvrages à la lin de la bibliographie des
l51HL10(iRAl‘lIlH
o’J;>
œuvres de Léonard fpp. ::îl8-22:2) en vue de leur réédilion dans
les Opéra omnia.
Pour quelles raisons précises Mascheroni est-il réédité ici ?
Lncore une fois l’idée est heureuse et il ne s’agit pas de la cri-
liqner. Mais il eut d’autant mieux valu la justifier, qu’on donne
parfois une imi)ortance trop grande à Mascheroni dans l’histoire
de la seconde édition des Insliluliones Calcnli Differeutialis
d’Euler. Qu’on se rappelle, pour s’en convaincre, les notes sur
ce sujet, publiées i)ar MM. Enestrom et Vivauti, dans la Biblio-
THECA Mathe.m.atigâ (S^séi’., t IX, læipzig, Teuhner, l!)08-JOOU,
pp. 175, 17() et '266).
Les Adnolationes de .Maschei'oni ont été analysées par M. Yi-
vanti, au tome IV des Vorlesurujea i'iber Geschichte dcr Mttthe-
matik de M. .Maurice Lantor, cité ci-dessus (p[>. 7:11 et 735).
Linq savants moins connus que Mascheroni ont collaboré aux
Adiiotationes ; ce sont : G. Fontana, G. Gratognini, L. Lotteri,
F. Paoli, F. Speroni. .M. Schlesinger, qui en fait la remaïque
dans son avant-propos, se contente de nous dire qu’ils étaient
tous admirateurs et lecteurs assidus d’Euler. Ils formaient avec
.Mascheroni un groupe de géomètres dont ce dernier était le
centre et l’àme. Tous s’étaient donné pour but fie propager le
plus possible les idées d’Euler. M. Schlesinger ne nous en
apprend pas davantage.
En rendant comple de certains volumes des Opéra omnia
d’Euler, il importe tout spécialement de mettre le lecteur à
même d’identitier aisément les mémoires que ces volumes
contiennent, sans l’obliger d’avoir le volume lui-méme entre les
mains. C’est le cas pour le tome 11 des Comrnentaliones anal;i-
ticae ad theoriam integralium ellipticoriim pertinentes. Pour
atteindre ce but, je sinvrai la même méthode qu’en rendant
compte du tome I ; c’est-à-dire, qu’outre la traduction française
du titre de chaque mémoire, j’en donnerai le texte original
latin ; j’y ajouterai la référence exacte du recueil où le mémoire
fut publié pour la première fois et son numéro d’ordre dans la
Verzeichnis der Schriften Leonhard Enlers de M. Enestrom.
506. Eclaircissements sur une méthode très élégante
employée par l’illustre de la Grange pour intégrer l’équation
dx
différentielle -7=^ =
dy
v'x^vv
lissima, qua illustris de
IIP SÉRIE. T. XXVI.
(i)ilucidationes super methodo elegan-
a Grange usus est in integianda aequa-
REVl'E DES QUESTIONS SCIENTIEIqUES
tione tliiïereiiliali 1. Acta Acade.miae Scientiaiu m
\x vy
l’CTROPOLIl A.NAE, 177(S : I (17S0), pp. !Î0-r)7.
Aîsl. Kclaircissenienl tillérienr relatil' à la comparaison
(les quanlités contenues (lans la formule intégrale
J \ ( J + mzz + nz^)
on Z re[)résente une fonction rationnelle (inelcompie de tc.
( l’Ienior explicalio circa comparationern (piantilalnm in formula
integra li
J \ ( I + mzz + nz')
contentarnm, dénotante Z funclionem qnamcnimjne rationalem
i[»sius Z2). Acta I’eth., 17SJ ; 11, (1785;, pp.
N“ .58i. ltévelopi)ement complémentaire de la comparaison
(jn’il est {(ossihle de faire entre les arcs des sections coniques,
(l'herior evointio comparationis, (piam inter arcns sectionnm
conicarnrn inslilnere licel). Acta I’etic, 1781 II (1785),
l)I>.
590. nnel(|nes théorèmes analytiques, dont la démonstra-
tion n’est pas encore trouvée. (Tlieoremala quaedam analytica,
quorum demonstratio adhuc desideraturj. Oitscuea Aaaeytica,
’i. 1785, pp. 70-90.
\° 605. Des propriétés remar([uables de la courbe élastique
représentée par ré(|ualion
/ xxdx
(De miris proprielalihus cnrvae elasticae suh aecpiatione
I* xxdx
(1 — x^)
contentae). Acta I’etiu, 1782 : Il (1786), pp. "lA-Ol.
.N“ 024. De la surface du c(')ne scalène, où on discute princi-
palement les immenses dillicultés qui se rencontrent dans cette
recherche. (De snperlicie coni scaleni, uhi imprimis ingentes
dillicultates, (jnae in hac invesligatione occurrnnt, perpendun-
BIBLIOGRAPHIE
Iiir). XovA Acta Acaüemiae Scientiarum Petropolitaaae, 3,
(1785), 1788, pp. ()!)-89.
,V (133. Sur la recherche de deux couches algébriciues, dont
les arcs seraient indéfiniment ('gaux entre eux. (fie hinis curvis
algehraicis inveniendis quarum arciis indelinite inter se sint
aequales). Nov. Acta I^etr., 4 (178(1), 1789, pp. 90-103.
xV (138. Sur d’innomhrahles courbes algébriques, dont la lon-
gueur peut se mesurer par des arcs paraboliques, (fie innumeris
curvis algehraicis, quarum longitudinem per arcus paraboliços
metii'i licet). Nov. Acta Petr., 5 (1787), 1789, pp. 59-70.
.\" 639. Sur d’innombrables courbes algébriques, dont la
longueur peut se mesui'er par des arcs elliptiques, (fie innu-
meris curvis algehraicis, quarum longitudinem per arcus ellip-
ticos metiri licet). Aov. Acta Petr., 5(1787), 1789, pp. 71-85.
N“ 645. fies courbes algébriques, dont la longueur s’exprime
f»ar cette formule d’intégration
(fie curvis algehraicis, quarum longitudo exprimitur bac for-
mula integrali
*\ov. ,\cTA Petr., 6 (1788), 1790, pp. 36-(l::2.
676. Méthode abrégée pour trouver la compar-aison des
<[uantités transcendantes contenues dans la forme
(.Methodus succinctior comparationes (piantitatum transcenden-
tium in forma
j \ (A 4- “2B: -f Ctz + -21):^ -f K4)
contentarum inveniendi). Iastitutio.nes Calceu Iatecralis, 4,
1794, pp. 504-524.
.\° 714. Exemples de (pielques équations dilférentielles
l’emarqnables, qu’on peut intégrer algébriquement, quoiqu’on
ne trouve aucun moyen de séparer les variables. (Bxempla
I* v'‘^~'dv
J \
528
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
quarumdani meinorabiliuni apquationiim diliorentialium, qnas
adeo algebraice iiitegrare lioel, etianisi mdla via pateat varia-
l)i|ps a se iiivicem sepaiaiidi). \ov. Acta Pi:tr., 13 (1795/6),
J8(b2, pp. 3-J3.
.\°780. D’une inliuilédecourbes algébriques, dont nue longueur
indéfinie s’égale à nu arc elliptique. (De iuliuilis curvis alge-
braicis, quariini lougiludo iudetiuita arcui elliptico aequatur).
.Mémoires de l’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg,
IJ, 1830, pp. 95-99.
.V 781 . D’une iufinilé de courbes algébriipies, dont la longueur
s’égale à un arc paraboli((ue. (De infinitis curvis algebraicis,
((uarum lougiludo arcui parabolico aequatur). Mém. de l’Ac. de
S. Peters., 11, 18r)0, pp. lOO-KlJ.
.\® 78:2. De deux courbes algébriques, qui ont la même recti-
licatiou. (De biiiis curvis algebraicis eadem rectificatione
gaudeutibus). .Mém. de l’Ac. de S. -Peters., 11, 1830, pp. 102-113.
.\" 783. Des courbes algébriques, dont tous les arcs peuvent
se mesurer [lar des arcs circulaires. (De curvis algebraicis,
quarum omnes amis per arcus circvdares metiri licet). Mém. de
l’Ac. de S.-Péters, 11, 1830, pp. 111-124.
X'’ 817. Des ligues courbes, dont la rectification peut se
mesurer par une quadrature donnée. (De lineis curvis, quaium
rectiticalio per datam (luadraturam metiri licet). Opéra Pos-
TUMA, 1, Petro[)oli, 1862, pp. 139-451.
X’” 818. De la comparaison des arcs de courbes irrectifiables.
( De comparalione arcuum curvarum irrectilicabilium ).0p. Post.,
1, l’etrop., 1862, pp. 452-486.
.X" 819. Fragment tiré des Ativer.saria rnalfienioHca, ou
Mélaufjes mfithémnliques. (Fragment uni ex Adversariis Muthe-
D?u//cÉy depronqilum ). Op. Post., 1, Pelrop., 1862, pp. 497-502.
A propos de ces Adver.saria, voici un passage assez curieux
tiré de la prél'ace ipie Xicolas Fuss, le Jeune, mit en tète de son
l'dition des Opero poshuua d’Kuler. « Outre les écrits posthumes
rédigés par Fuler lui-mêmi‘, dit-il, écrits pour la plupart auto-
graphes, il existe trois volumes intitulés Adrermria Mathonn-
(iai. Les collaborateurs et les discifiles d’Kuler avaient l’iiabilude
de noter dans ces Adversaria , certaines thèses et certaines
propositions, énoncées brièvement par le maiire, qu’ils déve-
loppaient ensuite eux-mêmes après coup. Ouebiues-unes de ces
thèses, choisies parmi les plus importantes, ont été insérées
leur place dans les (Kuvres posthuniex. Ouatre-vingt-dix d’entr’-
elles ont, de prime abord, été jugées dignes de l’impression.
BIBLIOGRAPHIE
529
Plus tard, le très illustre Tschebyschel', ayant de nouveau par-
couru les dits volumes, nota encore six. thèses qu’il jugea digne
d’être ajoutées aux précédentes. On les trouve au tome I sous le
n" XXlll, pp. îST-iOS. Dans ce même volume, on a encore
emprunté aux Adversaria huit Ihèses de géométrie, quatre
thèses sur des sujets d’analyse et deux qui se rapportent au
calcul intégral. .Vinsi le tome I contient, en tout, 110 thèses
tii'ées des Adversaria. »
.\ ce passage de Fuss, .M. Krazer ajoute que le tome 1 des
Adversarin va de l’année 1700 jusqu’au milieu du mois d’avril
1775; le tome II, de cette dernière date jusqu’en juin 1779;
enlin, le tome III, de juin 1779 jusqu’à la mort d’Euler, en 178o.
Le tome 11 des Collecliones anali/ticae ad theoriaia hdegra-
Unm elUpticonun pertinentes, se Terme sur trois fragments
inédits tirés des Adversaria d’Euler, que .M. Krazer publie
maintenant poui- la [n'emière fois. Le manuscrit des Adversaria
se conserve aujourd’hui, on le sait, à la Bibliothèque de l’Aca-
démie Impériale des Si lences de Saint-Pétersbourg.
11. B.
III
Etudes sur Léo.n.vru de Vinci, par Pierre Duheji, correspon-
dant de l’Institui de France, professeur à la Faculté des Sciences
de Bordeaux. Troisième série. I.es précurseurs parisiens de
Lalilée. — Paris, A. Hermann et fils, 1913. En vol. in-8“ de
xiv-005 pages (1 ).
Voilà bien l’un des sujets les plus neufs qui se puissent
imaginer. L’auteur l’a traité avec une incomparable maîtrise.
A peine mérite-t-il une critique unique ; encore est-elle légère.
Le que je reprocherais à M. Duhem, c’est le choix du titre, ou
plus exactement, celui de la première partie du titre. Pourquoi
y avoir mis par dessus tout en évidence les mots : Études sur
Léonard de Vinci Ce volume en formerait sensément la 3*'
série. La première (Paris, Hermann, 1904) avait vraiment
Léonard pour objet. Dans la 2'' (Paris, Hermann, 1906), le Vinci
(,t) Ces études parurent d'aljord dans le tlULLETiN italien et dans le
Bulletin hisp.vnique.
530
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
occupait encore le centre de l’onvrage, consacré (ju’il était tout
entier « à ceux qu’il a 1ns et à ceux (jui l’ont lu ». Mais dans la
3'’ série, Léonard de Vinci disparait à {)en pi’ès, ou du moins,
passe tout à l'ail au second plan. A. .1/. G. Mechanicae nos-
trae Scient ine cerne (jenitricis, Fncnltnlis Arliuni qune in
Universitate Parisiensi snecnlo XIV /lorehal. X la plus grande
gloire de la vi'aie mère de notre Scienci* de la .Mécani([iie, dit
M. Duhein, dans la page dédicaloire ; à la Faculté des .Vrts qui
tlorissait à l’I'ni versité de Faris au xiv'‘ siècle ! l>’liistoire de la
l>ynanii([ue au xiv'' siècle, principalement à l’Université de
[’aris : tel est le titia^ (pi’ent dù porter le volume de M. Didiem.
Cette 11111(1116 n’enlève rien à la valeur du travail de notre
éminent collègue ; cl cependant j’y insiste, l’arler simplement
(VKtndes sur Léonard de Vinci, on même des Précurseurs
parisiens de Galilée, c’est vraiment par trop mal avertir le
lecteur de tout ce ([u’il trouvei'a dans h;s nouvelles études du
professeur de Cordeaux.
«Jus(|u’en ces dernières années la science du .Moyen Age
était tenm; pour inexistante », dit M.. Duliein. Ce n’est que trop
vrai. J’ai souvenir, il y a beau temps de cela — c’était alors
(|n’étudiant en pliiloso|)lne et en théologie, occupé de recherche.s
fort éloignées de la Mécaniiuie, j’avais entre les mains quelques-
uns des anti([nes volumes dont nous entretient M. Dnhem — j’ai
souvenir (jue pour nous reposeï' de la .Métaphysique des maitre.s
du .Moyen Age, disons le mot, pour rire jiar distraction pen-
dant un instant, mes camarades et moi nous lisions à hante
voix une {lage de la « l'hysi(|ue » de ces vieux Scolastiques,
l'onr rire! C’était bien cela; et tout le monde pensait alors
comme nous. .V la i-éllexion nous étions depuis longtemps
revenus de ces accès de gaîté. Le livre de M. Ituhem m’a appris
combien de préjugés il me restait, néanmoins, encore à rectifier.
Ce souvenir serait-il cause d’un certain embarras que j’éprouve
aujourd’hui pour écrire ce compte rendu? Il m’en faut sortir
cependant, et je n’en vois qu’un moyini ; faire table rase de mes
idées anciennes et parler an lecteur comme s’il ignorait tout
des maîtres parisiens du xiv'' siècle. .M. Didiem me facilite la
tâche. Hans la jirélace il esquisse lui-rnème à grands traits le
tableau de leur enseignement de la ltynami([ue. J’y ferai de
larges emprunts, bien assuré que je suis de ne pas déplaire au
lecteur en passant [ilnsieurs fois la plume à M. Dnhem.
« La science mécanique imaginée par Caillée, par ses émules,
par ses disciples, les Haliani, les ’l’orricelli, les Descartes, les
BIBLIOGRAPHIE
5H1
Beeclvin;uiii, les (iasseiuli, n’est pas une eiéation ; riiilelligeiice
moderne ne l’a pas produite de prinn' sani el de tonies pièces
dès cpie la lecture d’Archiinède lui eut révélé l’art d’ap|)liqner
la géométrie aux effets naturels. I/hal)ilelé mathématique
ac([nise dans le commerce des géomètres de l’anliqiiité, Galilée
et ses eontemporains en ont usé pour préciser et dévelop|)er
une Science mècani([ne dont le Moyen Age chrétien avait posé
les principes et lormulé les propositions les plus essentielles.
Cette .M(';cani([ue, les physiciens qui enseignaient au xiv'' siècle
à rUniversité de Paris l’avaient conçue en prenant l’ohservation
pour guide ; ils Pavaient sidistituée à la Dynamique d’Aristote
convaincue d’impuissance à sauvei' les phénomènes. Au temps
de la Henaissance l’archaïsme superstitieux où se complaisaient
également le hel esprit des Humanistes et la routine averroïste
d’une Scolastique rétrograde, repoussa celte doctrine des
« modernes ». I^a réaction lïit puissante, particulièrement en
Italie, contre la Dynamique des Parisiens, en laveur de l’inad-
missihle Dynamicpie du Stagirite. Mais, en dépit de cette rési.s-
tance têtue, la tradition parisienne trouva, hors des écoles aussi
bien que dans les Ijniversités, des maîtres et des savants pour la
maintenir et la développer. C’est de celte tradition parisienne
que Galilée et ses émules lurent les héritiers. IvOixpie nous
voyons la science d’un Galilée triompher du [»éripalétisme buté
d’un Cremonini, nous croyons, mal inlbrmès de l’histoire de la
pensée humaine, que nous assistons à la victoire de la jeune
Science moderne sur la Philosophie médiévale, obstinée dans
son psittacisme ; en vérité nous contemplons le triomphe,
longuement prèpai’é, de la science qui est née cà Paris au xiV
siècle, sur les doctrines d’Aristote el d’Averroès, remises en
honneur par la Henaissance italienne. »
Tout mouvement exige un moteur; il faut l’accorder. Mais
Aristote va beaucoup plus loin. D’après lui, nul mouvement ne
peut durer s’il n’est entretenu par l’action continue d’une force
motrice directement et immédiatement appliquée au mobile.
Soit une tlèche, par exem[)le, qui continue de voler après avoir
quitté l’arc. Conformément à son pi’incipe, le Stagirite veut
qu’il existe une force extérieure et permanente qui la transporte.
Cette force, il la trouve dans l’air ébranlé ; c’est l’air frappé par
la main ou par la machine balistique, qui soutient et entretient
le mouvement du projectile.
« Cette hypothèse, dit M. Duhem, qui nous semble pousser
l’invraisemblance jusqu’au ridicule, parait avoir été admise
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
5:-5:>
presque à l’unaiiimilé [>ar les pliysicieiis de raiitiquité ; un seul
d’entre eux s’esi elaireineni pronuncé eonti'eelle, et celui-là que
le temps place aux dernières années de la Philosophie grecque,
se trouve, par sa ldi chrétienne, pres(iue séparé de celte Philo-
sophie ; nous avons nommé' Jean d’Alexandrie surnommé
Philopon. A[trés avoir monli’('' ce (ju’a d’inadmissible la théorie
péripatéticienne du mouvement des projectiles, Jean Philopon
déclare que la llèche continue de se mouvoir sans qu’aucun
moteur lui soit appli((ué, parce ipie la corde de l’arc y a
engendré une énergie (|ui joue le rôle de vertu motrice. »
.Ni les derniers penseurs grecs, ni les Arabes, ni le Moyen
.Vge chrétien ne prêtèrent attention à la docli'ine de Jean
Philopon.
« Saint Thomas d’Aquin ne la mentionne cpie pour mettre en
garde contre elle ceux (pi’elle pounait séduire. .Mais, à la suite
de la condamnation portée, en 1577, par l'évèfpie de Paris,
Ktienne Tempier, contre une Ibule de thèses ([ue soutenaient
« Arislole et ceux de sa suite », voici (lu’un grand mouvement se
dessine qui va libérer la i)ensée chrélienne du joug du Péripa-
tétisme et du Néo[)lalonisme, et produire ce (pH! l’archaïsme de
la Pienaissance ap[)elail la Science des « Modernes ».
» Guillaume d’Ockam atta((ue, avec sa vivacité coutumière,
la théorie du mouvement des projectiles ]>roposée par Aristote ;
il se contente d’ailleurs de détruire sans iden édifier ; mais
ses critiques remettent en honneur, aiqirès de certains disciples
de l)uns Scot, la doctrine de Jean Philopon ; l’énergie, la vertu
motrice dont cehu-ci avait i)arh', re|)arail sous le nom cVinipetus.
Gelte hypothèse de Vhnpetus im[)rim(‘ dans le projectile i>ar la
main ou [>ar la machine qui l’a lancé, un maitre séculier de la
Faculté des .Arts de Paris, un physicien de génie s’en empare ;
Jean Huridan la prend, vers le milieu du xiv" siècle, pour
Ibndement d’une Pynamiipie avec hniuelle s’accordent tous les
phénomènes.
» Le rôle que ['impetus en celle mécani(|ue de Huridan,
c’est très exactement celui (pie Galilée altrihue à Vîinpeto ou
momento, Pescarles à la (piantité de mouvement. Leibniz enfin
à la force vire. Si exacte est cette correspondance, que pour
exposer, en ses Leçons académiques, la Dynamique de Galilée,
Tori'icelli reprend souvent les raisonnements (>t presque les
paroles de Huridan.
» Get inipetus ipii demeurerait sans changement au sein du
[U'ojeclile, s’il n’était incessamment détruit ))ar la résistance
BIBLIOGRAPHIE
533
(lu milieu el par l’ac'tion de la pesanteur contraire au mouve-
ment, cet iinpelus, disons-nous, Buridan le prend, à vitesse
(igale, comme proportionnel à la «.quanlilé de matière première »
(jue le corps l'enlerme. Cette quantité, il la conçoit et la décril
en des termes presque identiques à ceux dont use Newton pour
délinir la masse. masse égale, VimpeUis est d’autant plus
grand que la vitesse est [)lus grande. Prudemment Buridan
s’abslieni de préciser davantage la relation qui existe entre la
grandeur de Vimpelus et celle de la vitesse ; plus osés (.îalilée et
Descartes admettent que cette relation se réduit à la propor-
tionnalité ; ils obtiendront ainsi de Vimpefiis de la quantité de
mouvement une évaluation erronée que Leibniz devra rectifier.
» Comme la résistance du milieu, la gravité atténue sans
cesse el finit par anéantir Vimpetas d’un mobile que l’on a
lancé vers le liant, parce qu’un tel mouvement est contraire à
la tendance naturelle de cette gravité. Mais, dans un mobile
((ui tombe, le mouvement est conforme à la tendance de la
gravité ; aussi Vimpelus doit-il aller sans cesse en augmentant,
et la vitesse, au cours du mouvement, doit croître constamment.
Telle est, au gré de Buridan, l’exiilication de l’accélération que
l’on observe en la ebute d’un grave; accélération que la science
d’Aristote connaissait déj.à, mais dont les commenta teui's
hellènes, arabes ou chrétiens du Stagirite avaient donné d’inac-
ceptables raisons.
» Cette Dynamicpie exposée par Jean Eluridan présente d’une
manière purement ([ualitative, mais toujours exacte, les vérités
que les notions de force vive et de travail nous permettent de
formuler en langage quantitatif. y>
Les disciples les plus brillants de Buridan, les .Mliert de
Saxe et les Nicolas Oresme, adoptèrent la Dynamique de leur
maître et la firent connaîlie.
« Lorsque aucun milieu résistant, lorsque aucune tendance
natuielle analogue à la gravité ne s’oppose au mouvement,
Vimpelus garde une intensité invariable, le mobile auquel on a
communiqué un mouvement de translation ou de rotation con-
tinue indéfiniment à se mouvoir avec une vitesse invariable,
tl’est sous cette forme que la loi d’inertie se présente à l’esprit
de Buridan ; c’est sous cette forme qu’elle sera encore reçue de
Câblée. »
De cette loi d’inertie, Buridan lire un corollaire alors bien
neuf. Pour .\ristote, si les orbes célestes se meuvent éternelle-
ment d’une manière constante, c’est que des moteurs intelli-
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Ô34
gents séparés de la matière eontiniieiil à les mouvoir. Les
Scolasliipies du xiiU sièch* n’hésitérenl pas à recevoir, en leurs
systèmes chrétiens, cet héritage des théologies païennes. 0i\
voici cpie lînridan a randace d’écrire ces lignes :
« Dès la création du monde, Dieu a imï les cieiix de mouve-
ments identiques à ceux dont ils se meuvent actuellement ; il
leur a imi)rimé alors des impetus par lescpiels ils continuent à
être mus unirormément ; ces impetus, en ell'el, ne rencontrant
aucune résistance (jui leur soit contraire, ne sont jamais ni
détruits, ni allaihlis. Selon celte imagination, il n’est pas néces-
saire de poser l’existence d’intelligences qui meuvent les corps
célestes d’une manière a[)[)ropriée. »
« O.lte pensée, dit .M. Duhem, Ihiridan rènonce en diverses
circonstances ; .\lhert de Saxe l’expose à son tour, et A’icolas
Oresme, pour la l'ormuler, trouve cette comparaison : a Excepté
la violence, cesl aucunement semblable quand un homme a fait
une horloge, et le lesse aller estre meu par soi/. »
« Si l’on voidait, par une ligue précise, séparer le règne de la
Science antiipie, du règne de la Science moderne, il la laudrait
tracer, croyons-nous, à l’instant où .lean Huridan a conçu cette
théorie, à l’instant où l’on a cessé de regarder les astres comme
mus par des êtres divins, où l’on a admis (pie. les mouvements
célestes (H les mouvements suhhmaires dê|)endaient d’une
même Mécanique. »
Durant tout le xiv'' siècle, il se trouva des physiciens pour
soutenir qu’en supposant la terre mohile et le ciel des étoiles
lixes immobile, on constiaiirait un système aslronomi(pie plus
satisfaisant cpie celui où la terre est supposée stable au centre
du monde. Nicolas Oresme, notamment, en développe les raisons
avec une clarté, une plénitude, une précision ipie n’atteindra
pas Copernic.
« Pendant que l’on fonde la Dynamicpie, on déi'.ouvre peu à
peu les lois qui l'égissent la chul(‘ des corps. Kn 1368, .VIbert
de. Saxe propose ces deux hy[)othèses : la vitesse de la chute est
proportionnelle au temps écoulé de[)uis le départ ; — la vitesse
de la chute est proportionnelle au chemin [larcouru. Kntre ces
deux lois il ne fait pas de choix. Le théologien Pierre Tataret,
qui enseigne à Paris vers la lin du xv' sièchu reproduit textuel-
lement ce qu’avait dit .\lhert de Saxe. Crand lecteur d’.Ubert
de Saxe, Léonard de Vinci, après avoir admis la seconde de ces
deux hypothèses, se rallie à la première ; mais il ne parvient
pas à découvrir la loi des espaces parcourus [lar un grave qui
BIBLIOGRAPHIE
535
tombe. D’iin raisoiinemenl que Üaliaiii repieiulra, il conclut,
(jue les espaces parcourus en des laps de temps égaux et succes-
sifs soid comme la série des noml)res entiers, tandis qu’ils sont
en vérité comme la série des nombres impairs.
» On connaissait depuis longtemps, cependant, la régie qui
[lermel d’évaluer l’es[)ace [larcouru, eu un cei lain tem[is, par
un mobile mù d’un mouvement unilbrmiMnent varié ; que celle
règle ait été découverte à l’aris au temps de .lean Huridan, ou
à Oxford au temps de Swinesbead, elle se trouve clairement
formidée dans l’ouvrage où .Nicolas Oresme pose les principes
essentiels de la géométrie analytique ; de plus, la détermination
([ui sert <à l’y justifier est identique h celle que donnera Galilée.
» Du temps de .Nicolas Oresme à celui de Léonard de Vinci,
cette règle ne fut nullement oubliée. Formulée dans la plupart
des traités produits par la Dialectique épineuse d’Oxford, elle se
trouve discutée dans les nombreux commentaires dont ces
traités ont été l’objet, au commencement du xv'' siècle, en Italie;
puis, dans les divers ouvrages de Physique composés au débid.
du xvP siècle, par la Scolastique pai isienne.
» ,\ucun des traités ilont nous venons de pai ler n’a, cepen-
dant, l’idée d’appli([iier cette règfi' à la chute des corps. Cette
idée, nous la rencontrons, pour la première fois, dams les
Questions sur la l^hysiqne d’Aristote, publiées, en 1545, par
Dominique Soto. Élève des Scolastiques parisiens dont il a été
l’hôte, et. dont il adopte la plupart des théories physiques, le
dominicain espagnol Soto admet que la chute des graves est
uniformément accélérée ; que l’ascension verticale d’un projec-
tile est uniformément retardée ; et, pour calculer le chemin
parcouru en chacun de ces deux mouvements, il nse correcte-
ment de la règle formulée par Oresme. C’est dire qu’il connait
les lois de la chute des corps dont on attribue la découverte .à
Galilée. Ces lois, il n’en revendique pas l’invention ; bien i)lutôt
il semble les donner comme vérités communément reçues. »
Parmi ceux qui, avant Galilée, ont hérité de la tradition de la
Scolastique parisienne, .M. Duhem met en première ligne Léo-
nard de Vinci. (7est sur cette considération que se clôt la Pré-
face. Encore une fois, dans un sujet aussi nouveau, je me
garderai d’ajouter ou de critiquer quoi que ce soit; mais, pour
donner aussi brièvement que possible une idée plus complète
et plus précise de l’ouvrage entier, je transcris les titres des
divers chapitres avec leurs subdivisions. Le numérotage des
chapitres est la suite de celui des tomes I et 11.
REVUE DES QITESTIONS SCIENTIFIQUES
r)3()
XIII. I Huridan (de Hktiiune) et Léonard de Vinci. —
1. (Jne date relative à .Maître .Vlhert de Saxe. ^2. Jean I Huridaii
(de lîétliime). 3. One la théorie du rentre de gi'avité enseignée
[)ar .Mbert de Saxe, n’est ancnnement empruntée à Jean Buridaii.
•i. La ltynami(|iie de Jean Ihiridan. 5. (Jiie la Dynamique de Léo-
nard dr Vinci pi-orèdc par l’intermédiaire d’.VIhert de Saxe, dr
celle de Jean Diu'idau. Ln (piel point elle s’eu écarte et poui -
(fuoi. Les diverses explications de la chute accélérée des graves
(]ui ont été proposées avant Léonard.
XIV. La 'I'raditdin de Duridan et i.a Science italienne au
xvU SIÈCLE. — J. La Dynamique des Italiens an temps de Léo-
nard de Vinci. Averroïsles, .VIexandrinistes et Humanistes.
^2. [/esprit de la Scolastiipie parisienne au terniis de Léonard de
Vinci. S. [.a Dynamique parisienne au temps de Léonard de
Vinci. 4. La décadence de la Scolastique pari.sienne après la mort
de Léonard de Vinci, l^es attaques de l’Ilnmanisme. Didier
Lrasme et l.onis Vives. 5. ('iOmment,aii xvÈ' siècle, la Dynainiqm*
de Jean Ihiridan s’est réiiandue en Italie. H. Des premiers {iro-
g’rès accomplis en la Dynamique parisienne par les Italiens,
(îiovanni Dattista Denedetti. 7. .Même sujet. (îiordano Bruno.
XV. Do.minique Soto et la Scolastique parisienne. —I. Avant-
propos. 2. Vie de Dominicpie Soto, frère prêcheur. B. Dominique
Soto et le Xominalisme parisien. -4. L’Iidini potentiel et l’Inlini
actuel. 5. l/Kipiilihre de la Terre et des Mers. (5. l.a Dynamique
de Jean Ihiridan et la Dynamique de Soto. 7. Solo tente d’ac-
corder les opinions d’.\ristote et de saint Thomas avec l’hypo-
thèse de Vfinppfus. <S. Les origines de la (anématique. Le traité
De proportionalilalf molunm et iiiagniludiiinm. !l. Même sujet-
Thomas Bradwardine. Jean de .Meurs. Jean Ihiridan. JO. Même
sujet. .Vlhert de Saxe. 1 1 . .\lhert de Saxe et la loi suivant laquelle
s’accélère la chute d’un grave. J(2. De intentiom et remiysione
formnrum. JB. .Nicolas Oresme. J 4. lai Dynamique d’Oresme et
la Ityiiamique de Ihiridan. J5. l,e centre de gravité de la Terre
et le centre du .Monde. 10. lia pluralité des .Mondes et le lieu
naturel selon .Nicolas Oresme. 17. .Nicolas Oresme, inventeur de
la Géométrie aiialyli([ue. J8. Lomment Nicolas Oresme a établi
la loi du mouvement unirorinément varié. JO. L’iniluence de
.Nicolas Oresme à l’Université de Paris. Le traité De Intüvdinibus
formarum. Vlhert de Saxe. .Marsile d’Inghen. ^2(1. L’Ucole d’Ox-
l'ord au milieu du xiv' siècle. (luillaume lleytesbury. Jean de
Diimbleton. Swineshead. Les Calculateurs. Le traité Desex incon-
venientibus. Guillaume de (iolligham. '2J. L’Ksprit de l’École
HIBLIOGRAI'IIIE
537
(l’Oxford an milieu du xiv'" siècle, a) La l'iiysicjne. Même
sujet, b) La Logiciue. La foi du mouvement uniformémenl
varié à l’Ecole d’Oxlbrd. a) Le De primo molore de Swinesliead
et les Dubia Parisiensia. b) La Sinmna de Jean de Dumbleton.
c) Les Jiefjvlae solvendi sophismola et les ProbiUiones de Guil-
laume lleyti;shurv- dj Le Traclaliis de sex inconveineutibns.
e) L’opuscule intitulé : A est uninn calidiim. f) Le Liber calcn-
lationnm de Kichardus de Gblyini Esbedi. 27. (fomment les
doctrines de Nicolas Oresme se sont répandues eu Italie.
25. Gomment les doctrines <le l’Ecole d’OxI'ord se sont répan-
dues en Italie. 26. Léonard de Vinci et les lois de la chute des
graves. 27. Ibétude de la latitude des l'ormes à l’Université de
Paris au délnit du xvU siècle. Jean Majoris. Jean Itullaert de
Gand. 2<S. Même sujet. Alvarès Thomé de Lisbonne. 29. Même
sujet. I.e inaitre espagnol Jean de (ielaya. Louis Goronel.
30. Dominictue Solo et les fois de la chute des graves. 81. La
tradition parisienne et Galilée.
II. Ijosm.xns, s. J.
1\
Encyolopkdië des Sciences matiiém.vtiques pures et .appli-
quées, publiée sous les auspices des Académies des Sciences de
Gbttingue, de Leipzig, de Munich et de Vienne, avec la collabo-
ration de nombreux savants. Édition française, rédigée et
publiée d’après l’édition allemande sous la direction de Jules
Mole, professeur <à l’Université de Nancy: et pour ce (pti con-
cerne la mécanique sous la direction scientifique deP.vuL Appell,
professeur à l’Université de Paris. — Tome 11. Gimpiième
volume. Développements en série. Eascicule 2. — Jome III.
Deuxième volume. Géométrie descriptive. Géométrie élémen-
T.AiRE. Eascicule 1. — Tome IV. Cin(|uièine volume. Systèmes
déformables. Eascicule 2. — Tome IV. Sixième volume. Balis-
tique. Hydraulique. Eascicide 1. — Paris, Gauthier-Villars.
Leipzig, Teubner, 1912-1914.
Depuis le compte rendu des derniers l'ascicules de VEocydo-
pédie, donné ici par M. d’Ocagne, au mois de janvier 1914, les
souscripteurs belges ont reçu quatre nouveaux l'ascicules de
cette grande publication. La Rédaction de la Revue se voyant
dans l’impossibilité de s’adresser, comme d’habitude, à
RKVUE DES QT'ESTIOXS SCIEXTIFigl ES
r>38
M. d’Oragiie, j'ai acceplé avec |)laisir de pi'éseitlei', pour cette
fois, ces nouveaux l'ascicides au lecteur.
Ou peut faire à [)riori et de contiance, l’éloge de tout ce qui
se piil)lie dans V Encyclopédie, et cet éloge a été répété à satiété;
aussi, je m’abstiendrai de le l'ecommencer ici une fois de plus.
To.mk II. tijNQiiÈ.ME voLC.ME. F.\sck;ui,e il. — [11, :^8.] Fonc-
tions seiiÉiiiQi ES. Fxposé d’après l’article allemand de A. Wan-
gerin (Halle), par A. l.amhert (l’aris), avec une note de 1‘. Appell
(Paris) et .\. Lambert (Paris). Le sont des recherches de
mécanique céleste (|ui ont introduit les fonctions sphériques
dans l’analyse. Files se présentèrent dès qu’on voulut déve-
lopper en série l’inverse de la distance de deux [loints.
A. .M. Legendre et P. S. Laplace sont les fondateurs de la
théorie; c’est dans leui's mémoires sui' l’attraction des sphé-
roïdes et sur la ligui'e d’é(|uilibre des [ilanètes, que se trouvent
exposées les principales propriétés des fonctions sphériques.
Les fonctions satisfaisant à l’é(|uation de Laplace
AV = (I
Miggéraient des solutions d’équations voisines, et c’est ainsi
<|u’on les rencontre avec .1. IL .1. Foncier dans la théorie analy-
tique de la chaleur, avec L. Lejeune-Dirichlet dans ses
recherches d’hydrodynami(|ue.
A. .M. Legendre et P. S. Laplace avaient ouvert la voie à
L. Lamé. Lelui-ci créa les fonctions qui portent aujourd’hui son
nom, en traitant pour l’ellipsoïde le problème de l’équilibre des
températures que ses devanciers avaient traité pour la sphère.
Les fonctions de Lamé comprenaient d’ailleurs les fonctions
.-'phérifiues comme cas particuliers.
Les fonctions cyliiulriques qu’introduisit .l.li. J. Fourier,
puis F. \V. Bi'ssel dans un numéro sur les pertnrbntions plané-
tnires, sont des cas limites analogues.
L’article de V Kncyclopédie sur les fonctions sphéri(|ues est
divisé en 70 nnméj'os, et suivant l’usage constant de VE)tcyclo-
pédie, chacun de ces numéros a en vedette un titre qui en
indique l’objet. Transcrire tous ces titres serait à la fois le
moyen le plus sûr et même le [)lus bref de donner une analyse
complète de l’ai ticle; mais cette simple transcription ne laisse-
rait pas que de dépasser les bornes imposées à un compte rendu.
Voici, du moins, les litres généraux des chapitres sous lesquels
les 70 titres sfiéciaux ont été groupés.
BIHLIOGRAPIIIE
5:-i9
I. Délinilioii des roiietioiis sj)héii(|iies. II. La l'onclion splié-
riqiie primitive X„. III. Les ronctions spliéiâciiies roiidameiitales.
IV. Les fbnctiuiis sphéi'i(iues générales. Y. Les tbnctions sphé-
riques de deii.vième espère. VI . (Jnelqiies e.xteiisions. VIL Fonc-
tions rylindriqnes on Ibiiclions de Hessel. VIII. Fonctions des
cylindi’es elliptiques et pai'aboliques.
l^enl-êlre n'est-il pas inutile d’avertii' le lecteur qne les sept
premières pages de l'article se trouvent dans le lascicide J.
111, a.) ('iKMbULlS.VTIOAS DIVERSES DES FO.NET10.\S SPHÉ-
RIQUES. Exposé pai- I'. ,\{)pell (Paris), et A. I,ambert (Paris).
L’est la note dont il est (piestion dans le titre de l’article pré-
cédent.
La tbéorie des tbnctions spbériqnes a été généralisée à deux
points de vue dill'éi'ents.
Certains autenis ont étudié les Ibnctions iVune variable ana-
logues aux polynômes \„ de Legendre, soit en considérant des
polynômes délinis par des dérivées d’oi'dre n, soit en formant
des polynômes dont la fonction génératrice se rapproche de
celle des polynômes \„, soit en étudiant des fonctions définies
par des équations dilférentielles linéaires du type bypergéomé-
Irique à une variable, du second ordre on d’ordre supérieur,
soit enfin en appliqiKint la théorie des fonctions orthogonales
correspondant à une fonction génératrice donnée.
D’autres ont cherché à généraliser les polynômes X„ et les
fonctions semblables d'une variable par des considérations ana-
logues tà celles qui permettent de passer des fonctions 0 d’une
variable aux fonctions 0 de deux ou plusieurs variables, soit
par la considération de potentiels dans l’hyperespace, soit par
la voie des dérivées partielles, soit par celle des fonctions géné-
ratrices, soit par celle des fonctions hypergéométriques de deux
variables, soit enfin par la théorie des fondions orthogonales
de plusieurs vai'iahles.
Cette note de M. Ap[»ell relativement assez étendue (elle ne
comprend pas moins de 88 pages) est divisée en fi numéros,
i. Fonctions d’une variable. iL. Fonctions de Laplace de n varia-
bles. Fonctions barmoniipies générales. 8. Dolynomes d’Ilermite
et analogues. 4. Séries by[)ergéométriques à deux variables et
polynômes qui s'y rattachent. 5. Représentation des fonctions
hypergéométriques par des intégrales définies. Généralisation
du problème de Kiemann pour la série de Gauss, fi. Fractions
continues et quadratures mécaniques.
Il y a queb|ues fautes d’impression dans le numérotage des
540
REVUP] DES QT’ESTIÜNS SCIENTIFIQUES
snl)(livisioiis e( (luelques discordances entre les titres répétés
an haut des pages et les matières (jui y sont en réalité traitées,
(ai n’est pas bien grave ; mais peut-être y aurait-il lieu de signaler
la chose dans nn errata.
To.VIE III. DeLXIÈ.ME volume. (jÉOMÉTIUE DESElill'TIVE. (jÉOMÉ-
ïltlE ÉLÉMENTAIHE. KaSGICULE I. — III, (S. j (’iÉoMÉTHIE PROJEC-
TIVE. hxposé d’après l’article allemand de A. Schoentlies
(Franclbii), par .\. Tiesse (Paris). — Sans doute, le point de vue
historiipie n’a jamais été négligé par les rédacteurs de VEncy-
clopcdie, loin de là; mais ils lui ont, comme c’i'st naturel,
attaché une importance inégale. Itans les volumes consacrés
aux mathémati([ues [aires, rencliainement des théories et l’ordre
logiipie des idées abstraites rem[)ortent presijue toujours exclu-
sivement. Cela doit être et on s’y attend ; aussi, l’article consacré
à la ycomélrie projective ménage-t-il par moments des surprises;
car, cette lois, il n’en est [ilus tout à l'ail de même et l’ordre
historiipie des ilécouvertes y a souvent été suivi. Il l'aut dire
([lie le sujet s’y [irêtail.
Les auteurs commencent par un résumé de l’iiistoire des pro-
jections centrales. C’est le dévelo[)[)ement des théories de la
perspective, disent-ils, ifui a donné naissance à la géométrie
pi'ojective. I>u jour où, en ell'el, .1. II. Lambert et (j. iMonge, en
créant la géométrie de.scri[)tive, eurent substitué des principes
et des règles générales aux règles empiriques ipii constituaient
jus([ii’alors l’art de la pers|)ective, une élude particulière de
leurs méthodes de [nojeclion s’im[)osail nalmellement. Mais, en
réalité, l’usage ell'eclil'ile la projection centrale remonte beau-
coii[) plus haut. »
.M. T resse, car ce passage est de lui, croit ipCon en trouve,
peut-être, un [iremier exemple dans Pap[)us. « Plus tard, dit-il,
C. Desargues introduisit dans l’art de la perspective une méthode
rationnelle se rap[nochant des procédés employés aujonnl’hui
dans la géométrie cotée; malheureusement, ses idées méconnues
de, son temps restèrent sans inlluence ; le mérite de les avoir
soustraites à l’oubli appartient en premier lieu à un contempo-
rain de (î. Desa/gnes, le graveur et géoméire A. bosse, qui en
Jt)48 a répandu la l*erspective de lObli et en 1(56.0 s’en est
occupé à nouveau.
» A la même éqioijue. Biaise Pascal démontrait son théorème
sur l’hexagone en considérant une conique comme la projection
d’un cercle.
» Un peu plus lard, Ph. de La llire et .1. I’. Le Poivre élu-
BIBLIOGRAPHIE
541
(liaient encore les propriétés projectives des coniques en se
plaçant au point de vue d’Apollonius, consistant à regarder
toute conique comme une section plane d’un cône à base
circulaire.
» L’introduction de la notion de point à l’inlini devait être
d’une importance considérable dans les représentations projec-
tives des ligures. Héjà, vers 1000, Guidobaldo del Monte
enseigne que, dans une projection centrale, des droites pai'al-
lèles sont représentées par des droites- concourantes en un
même point (point de faite) ; puis, quarante ans après seule-
ment, ti. Oesargues considère des droites pai'allèles comme
passant par un même point à rinfmi ; lieaucoiqi plus tard,
enfin, au xviii'’ siècle, dans les travaux de IL Taylor et de .1. II.
Lambert, la ligne de l’uile d’un plan appai'ait comme étant le
lieu de tous ses points de l'nite. C’est à partir de cette époque
que l’on i-encontre divers essais d’application systématique de ce
procédé, qui, dans le but de simplilier une démonstration, con-
siste à projeter une figure de façon que certains de ses éléments
passent à l’infini ou affectent des dispositions spéciales. »
Toutes cos anciennes méthodes n’avaient à l’oi'igine d’autre
caractère que celui d’ailifices ingénieux. C’est .!. Y. Loncclet
qui devait pai'venir à les coordonner et à leur imprimer ralbn-e
générale des théories de la géométrie pi'ojedive.
Poncelet, Chasles, von Staudt ; Poncelet et von Staudt
surtout, tiennent une place hors de pair dans l’histoire de la
géométrie [)rojeclive. Poncelet avec son Traité des propriétés
projectives des figures fut le créateur de celle hraiiche de la
géométrie. « Son hut capital, en écrivant son Traité., était de
ramener toute propriété concernant les coniciues ou les qua-
driques à une proposition relative à la circonférence ou à la
sphère, et cela à l’aide de projections convenahles ou d’apidi-
calions du principe de continuité. .Mais le fait de chercher
d’ahord, pour y arriver, quelles sont, [)armi les propriétés d’une
ligure géométrique, celles qui se conservent en projection, de
se poseï' ainsi un prolilème d’une importance aujourd’hui fonda-
mentale, donne à sa méthode une portée beaucoup plus pro-
fonde et lui attribue un rôle capital dans le (léveloi)poment des
idées modernes.
».L V. Poncelet constate, d’aljord, (pie les pro[)riétés, dites
|)rojectives, ne comprennent pas seulement des |)ropi iélés dites
de position ou descriptives, wvaï?, encore des propriétés métriques.
» L’une de ces dernières qu’il met en évidence, possède un
lit' SÉIUE. T. XXVI. 35
542
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
grand caractère de généralité : c’est celle qui s’exprime par une
relation ou un rapport entre un produit de deux segments
linéaires, relation ou rapport Ibrmé de telle façon que ses deux
termes comprennent chacun une même lettre le même nombre
de fois, et que chaque segment appartenant à l’un de ces deux
termes soit parallèle à un segment appartenant à l’autre. Cette
propriété générale établit, en paiiiculiei-, le caractère projectif,
soit de la division harmonique et du rapport anharmonique,
soit des équations de l’involution et de leurs applications au
([uadrilatère inscrit dans une coni(|ue, soit enfin des proposi-
tions de la théorie des transversales et de la théorie des pôles
et polaires.
» Passant plus avant dans ses recherches, J. Y. Poncelet
introduit ensuite la notion de perspective entre deux plans ou
deux espaces qui coïncident et des fiçjtires homologiqves ; il y
est conduit par l’étude des relations de similitude entre deux
circonférences (ou deux sphères), pour lesquelles la droite de
l’infini (ou le plan de l’infini) constitue un axe d’homologie
(ou un plan d’homologie), le centre d’homologie étant un des
centres de similitude des deux circonférences (ou des deux
sphères). Il arrive ainsi à regarder deux coniques d’un même
plan comme étant deux figures homologiques, l'axe d’homologie
étant une de leurs sécantes communes et le centre d’homologie
le point d’intersection de deux de leurs tangentes communes ;
c’est, en [)articulier, dans cette voie qn’il découvre que toutes
les coniques ayant un foyer commun admettent deux tangentes
communes imaginaires.
» (æs considérations étendues à l’espace donnent ce que
,1. Y. Poncelet appelle Ut perxpedive-reh'ef ; une quadrique
([uelconque peut alors être envii^agée comme la perspective-
relief, ou figure homologi([ue, d’une sphère ; de là les propriétés
(les quadriques ayant une conique commune. Puis, remaïquant
(|ue deux (piadriques homologi([ues coupent le plan d’homo-
logie suivant la même conique, ,1. Y. Poncelet s’élève à la con-
ception de Vombilicale (cercle imaginaire de l’infini) ; il en
déduit que deux quadriques semblables et semblablement
[(lacées peuvent toujours être considéi ées comme la perspective-
relief de deux sphères, ainsi que d’autres propriétés projectives
intéressantes. »
(le passage sur l’œuvre de .1. Y. Poncelet est transcrit,
ci-dessus, sans abréviations et au complet, (juant à la notice
analogue que MM. Schoentlies et Tre.sse consacrent à l’œuvre
BIBLIOGRAPHIE
543
de von Staudt, son étendue ne me permet pas de la reproduire
de même. En voici, cependant, un passage saillant. 11 caractérise
bien, en etïét, le développement pris par la théorie de la géo-
métrie projective depuis Poncelet jusqu’à von Staudt.
« K.-G.-Ghr. von Staudt s’est proposé de développer toutes les
théories de la géométrie projective sans recourir en rien aux
notions métriques d’angles et de distances, ni par conséquent,
à l’idée capitale de rapport anliarmonique. Il a donné de ce pro-
blème une solution qui pouvait être regardée comme irrépro-
chable à son épocpie, où les axiomes tbndamentaux de la géo-
méti'ie n’avaient pas encore été, comme aujourd’hui, soumis
à une discussion approfondie, et qui, malgré (|iiel(|ues lacunes,
n’en donne pas moins les points essentiels d’une sulution rigou-
reuse. ))
Parmi les noms des savants qui perfectionnèrent les méthodes
de von Staudt, il nous plaît de mettre en relief ceux de
.M.M. Lepaige et Deruyts. Voici maintenant, pour terminer
l’examen de cet article de Y Encyclopédie, quel eu est le plan.
I. Aperçu historique. I. La projection centrale. ~1. La théorie
des transversales de Carnot. 3. Le principe de continuité.
II. Méthodes et notions générales. 4. Poncelet, créateur de la
géométrie projective. (C’est le numéro, qu’à l’exception toute-
fois des notes bibliographiques, nous avons reproduit intégra-
lement ci-dessus.) 5. Polaires réciproques et dualité. 6. La
notion générale de correspondance. 7. Le rapport anharmo-
nique. 8. Les ligures fondamentales et leur transformation
homographique. !). Propriétés métriques de la correspondance
homographique. JO. Les méthodes i)rojectives de génération
des figures. U. Correspondances homograpliiques ou réci-
proques entre les éléments d’une même tigure fondamentale.
III. Cas remarquable des traiisformations hoinoyraphiques
corrélatives. J3. Positions iemar([uahles de deux ligures homo-
grapliiques. 13. figures en involution. 14. Projectivités cy-
cliques. J5. Homographies et corrélations évanouissantes. 10. Le
problème de la projectivité.
IV. Les principes fondamenlaux. 17. La géométrie projective
établie avec Staudt sur des hases indépendantes de la géométrie
métrique. 18. L’importance fondamentale des théorèmes de
disposition. J!). Les éléments imaginaires. 30. .àntiprojectivité
ou symétralité. 21. Le calcul des jets. 22. Les diverses manières
d’envisager les problèmes de la géométrie projective.
Y. Les transformations homograpliiques prises pour objet
.)ïï
REVUE DES QT'ESTIOXS SCIENTIFIQUES
opération. 5o. Le calcul des translbrnialioiis homographiqiies.
Faisceaux et réseaux de correspondances honiographiques
ou corrélatives.
VI. Les génération}; de correspondances projectives. ':25. L’ho-
mographie trilinéaii'e entre les figures de rang nn. '2fi. Les cor-
respondances quadratiques les plus simples.
Tome IV. Linouième volume. F.vscicule Systèmes uéfor.m.y-
isLES. — Le premier lascicule du tome IV, ciru|uième volume,
contenait deux articles ; ;IV, JfiJ. AbDYuuv géninétricpies fonda-
mentales. Exposé, d’après l’article allemand de M. .Vhraham
(.Milan), par I’. Langevin (l'aris). [IV, 17. | Hydrodynamique
(Partie élémentaire). Exposé, d’apiVxs l’aiMicle allemand de
.V. E. IL Love (Oxford), par F. .\ppell (Paris) et II. Heghin
(lirest). La fin de ce dernier article, c’est-à-dire cinq pages,
commence le fascicule dont nous nous occupons ici. Tout le
reste de ce fascicule est consacré à l'ai ticle suivant :
[IV, 18. I l)l';VEL01>PEMENTS CONUEIiN.WT I.TI VDROUY.X AMIQUE.
Exposé, d’a[>rcs Faiiicle allemand de.\. E. II. Love (Oxford), par
P. .\[)pell (Pai'i.'^), II. Beghin (BresI) et 11. Villat ( Monipellier).
-■ 1. .Mouvement irrolationnel d’un li(pii(h‘ incompressihie.
a.) (iénéralités sur la distribution des vilesses. h) Sources et
doublets, c) Images, d) Mouvements à deux dimensions, e) Mou-
vements discontinus à deux dimensions ( mouvements glissants).
f) .Moiivements à trois dimensions.
’I. .Mouvement de corps solides dans un liquide incompie.s-
sihle. a) Einématiciue. b) Energie cinématique, c) Symétrie
hydrocinéti(iue. d) E([iiations du mouvement, e) .Mouvements
acycli([ues. Sphères pidsantes. f) Mouvements cyclicpies.
B. .Mouvements tonrhillonnaires. aj Pétennination des vitesses
en fonction des tourhillons. h) Tourbillons circulaires, c) Ehamps
plans de tourhillons. d) Vibration des tourbillons, e) .\ction
mutuelle d’anneaux ((uelcompies infiniment minces, f) Tourhil-
lons de section finie.
L Ellipsoïdes liquides soumis à leur jiropre gravité, a) Théo-
l'ie générale, h) Etude particulière des figures d’équilibre
relatif. Stabilité.
.*). .Mouvements ondulatoires fies tluides incompressibles.
a) Nature du mouvement omlulatoire d’un lifpiide pesant.
h) Ondes longues, c) Ondes oscillatoires, d! Energie d’un mou-
vement oiulnlatoire. Vitesse de groupes, ej Ondes stationnaires.
f) Oscillations stationnaires dans des l)assins. g) Détermination
plus rigoureuse de niffiivements ondulatoires, h) Onde solitaire.
BIBLIOGRAPHIE
545
ij Soliilioiis rigoureuses des mouvements ondulatoires dans des
bassins quelconques. Oscillation d’une sphère tluide.
(). Fluides visqueux. <i) Transt'ormation des équations du
mouvement, h) .Mouvements permanents, cj .Mouvements varia-
bles et périodi(pies. d) .Mouvernenls par lames, e) Mouvements
turbulents, fl Instabilité du mouvement régulier par lames.
gj L’hydrodynamique de P. Duhem.
Ouaud il s’agit «le savants encore en vie, VKiicgdopédie est
d’ordinaire tort sobre d’éloges. Je m’en voudrais donc de ne pas
donnei’ ici son appréciation de VHgdrodipiamique de [*. Duhem.
« Il est impossible, dit-elle, pour terminer (;ette étude de ne pas
faire une place tout à fait à part aux travaux de P. Duhem sur
l’hydrodynamique générale des fluides visqueux ou non. Cet
auteur, après avoir donné à la Mécanique rationnelle une forme-
nouvelle et beaucoup plus générale que celle considérée jus-
qu’alors, a procédé tà une révision des principes de l’Hydro-
dynamiipie, ce qui l’a conduit à la construclion de théories
nouvelles des plus importantes. »
Tome IV. Sixiè.me volume. F.xscicule 1.— H.xlistique. Hydr.xu-
LiQUE. — [IV, 21.1 B.xlistique EXTÉRIEURE. Fxposé d’apt'ès
l’article allemand de C. Granz (Charlottenhourg), par F. Yallier
(Versailles).
Les circonstances appellent d’une manière toute spéciale
l’attention sur ce fascicule, ({ui parut le 25 novembre 191.4,
moins d’un an avant la guerre. Pour le juger avec compétence
il faudrait être artilleur; aussi me garderai-je de formuler une
appréciation quelconque, .\utre chose est, cependant, de me
contenter de dire que, même pour beaucoup de savants étran-
gers h l’artillerie, le travail de .MM. Granz et Vallier sera d’une
lecture vraiment intéressante ; car, pour le comprendre, h l’ex-
ce[)tion parfois de quelques détails trop techniques, il suffit de
ne pas être arrêté par des formule.s telles qu’on les rencontre
couramment dans tous les traités relatifs à une partie quelconque
de l’art de l’ingénieur.
La balistique est la science du mouvement des corps pesants
lancés dans l’espace suivant une direction quelconipie et plus
particulièrement l’étude du mouvement des projectiles tirés des
bouches à feu.
On distingue la balistHjue intérieure qui a pour objet l’étude
du mouvement du projectile dans Pâme de la pièce, et la balis-
tique extérieure qui traite du mouvement de ce projectile
lorsque, sorti de la bouche à feu, il est soumis .à l’action de la
546
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
pesanteur et de la résistance du milieu dans lequel il se meut.
Celte dernière étude se complète par celle des elîets des projec-
tiles au but et de la répartition de leurs points de chute sur le
terrain.
La balistiipie iiitfUMeure fait l’objet de l’article suivant et nous
en parlerons tantôt; mais, dans ce prejuier article, ^IM. Ci'anz
et Vallier traitent exclusivement de la balistique extérieure.
« Dans le présent article, disent-ils, on donnera un aperçu de
l'état actuel de celte branche de la science, permettant de se
rendre compte de l’importance des i-ésultats olitenus et des
(fueslions (pii restent encore à résoudre. » Voici le plan suivi
par les auteurs.
I. Inlrodvclion. I. Dréliminaires. 2. Délinitions et notations.
II. De la résistance de l’air au inonrement des projectiles.
3. Exposé théoriipie. 4. Formules empiricpies de la résistance
de l’air. 5. Expériences ayant servi à l’établissement des for-
mules précédentes. (>. Variation de la résistance de l’air avec
la forme de l’ogive et l’inclinaison de l’axe du projectile sur la
tangente. Densité transversale ou poids par unité de la section
droite.
III. Prohlème essentiel de la balistique. Principales méthodes
d’approximation employées po)ir le résoudre. 7. Préliminaires.
.Mouvement dans le vide. 8. Exposé du [iroblème et propriétés
générales de la trajectoire. !). lléduction du iiroblème à des*
équations dilféreulielles intégrables. 10. Solution aiiprochée
des équations ditïérentielles fondamentales. JJ. Méthodes gra-
phiques. 12. Hésolution exacte des éipiations différentielles
apiirochées. 13. .Méthode de Didion. J4. Formules semi-empi-
riques. 15. .Méthode de Siacci. 10. Discussion des méthodes
ci-dessus.
IV. Déviation régulière des projectiles. Leurs causes. J 7. Fixposé
des causes. J8. Variation de la vitesse initiale. 19. Variation de
l’angle de projection. 20. Variation du poids s[)écifique de l’air.
21. Iniluence du vent.
V. Mouvements complémentaires. 22. Iniluence de la rotation
de la terre.
VI. Mouvements seco)ulai.res des projectiles. Conséquences de
leur rotation. Dérivation. 23. .Mouvements secondaires. 24. Déri-
vation des projectiles oblongs. 25. Etude analytique de la
dérivation.
Vil. Dérivations accidentelles des projectiles. 2t>. Dérivations
BIBLIOGRAPHIE
547
accidentelles, 'il. Pénétration des projectiles dans un milieu
résistant. 28. ElTets contre les êtres animés. 29. Perforation.
Ylll. Tables de Tir. 30. Cénéralités. 31. Différents genres de
tir. 32. Tables de tir d’artillerie navale. 33. Tir courbe.
34. Trajectoire purement empirique.
IX. Appareils et méthodes de mesure de la halislique exté-
rieure. 35. Mesure de l’angle de relèvement. 30. Mesure de la
vitesse initiale par les a[)pareils anciens et nouvean.x. 37. Mesure
d’autres grandeurs.
X. Résumé et Conclusion. 38. Sur la po.sition actuelle du
problème balistique.
[IV, 22.] R.vlistiql'e intérieure. Exposé, d'après l’article
allemand de C. Cranz (Charlottenbourg), par G. Denoit (Paris).
Pour lancer des projectiles on a utilisé autrefois, et on utilise
encore aujourd’hui, des forces très diverses, nommons : 1, la
force musculaire ; l’engin est une lance, une massue, une
fronde, etc. ; 2, la force d’élasticité ; le projecteur est un arc,
une arbalète, un baliste. une catapulte ; 3, la force élastique de
l’air comprimé, comme dans le fusil à vent ; 4, les forces élec-
triques ; 5, les forces chimiques. Dans cet article les auteurs se
limitent à étudier ce dernier genre de force ; c’est-à-dire, l’éner-
gie chimique que possèdent les matières explosives. Le problème
est complexe.
» Une matière explosive, disent M.M. Cranz et Benoit, éprouve
par inllammation ou bien par choc et secousse une transforma-
tion chimique d’où résulte en peu de temps une grande quantité
de produits gazeux à haute température. Si ces gaz sont
entlammés dans un petit volume, ils exercent du fait de cette
compression, joint au dégagement de chaleur qui se produit
pendant la réaction chimique, une pression qui peut fournir du
travail.
» Dans la technique de l’explosion, le travail fourni par la
matière explosive consiste à vaincre les forces de cohésion ;
c’est pourquoi il importe avant tout de produire de hautes
tensions maxima des gaz, qui n’agissent qu’un temps très court.
Ce but est atteint au moyen de matières explosives brisantes
qui permettent, par exemple, de faire sauter des masses de
pierre et, en même temps, de ne pas trop les fracasser, d’une
part, et de ne pas les projeter trop loin d’autre part.
» Au contraire, dans la balistique du canon et du fusil que
nous traitons seule ici, la pression du gaz doit être employée
à donner au projectile à l’intérieur du canon et progressivement.
548
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
une force vive, surtout de translation, sans compromettre la
résistance du canon et du pi’ojectile. Pour atteindre ce but, il
faut évidemment faire usage de matières explosives (pii se
décomposent plus lentement et, par consé(|uent, produisent des
elfets moins brusques qu’on ne les envisage dans la technique
des modes d’éclatement.
B On a reconnu que les meilleurs modes d’explosion ne sont
pas les meilleurs modes de lancement des projectiles. La vitesse
du projectile, (pi’il y a intérêt à avoir, toutes choses égales d’ail-
leurs, aussi grande que possible à la sortie du canon, ne croît
pas en général avec la force brisante d’une matière explosive.
I.e plus souvent même à la production de la pins petite tension
maxima des gaz corresj)ond la vitesse initiale maxima.
B Les gaz de la poudre doivent aussi, autant que possible,
produire une pression uniforme sur le projectile. Or, si toutes
les poudres étaient transformées en gaz avant le départ du pro-
jectile, la tension du gaz irait constamment en décroissant pen-
dant le trajet du projectile dans le canon, parce que l’espace
réservé aux gaz de la poudre et situé entre le culot du projec-
tile et le fond de l’àme, ci'oit au l'ur et à mesure que le projectile
s’avance vers la bouche du canon. Il faut donc faire en sorte que
la poudre ne soit transtormée que progressivement en gaz, de
façon que la diminution continuelle de pression du gaz prove-
nant de l’angjucntation de volume et de la production de tra-
vail soit compensée, autant que possible, par de continuels
appoints de gaz propulseurs.
B Dans ce but il est nécessaire d’emiiloyer une poudre bi’ùlant
avec une lenteur suffisante; le mode de combustion de la poudre
doit être réglé d’après la valeur de la charge, l’espace de com-
bustion, le calibre et la longueur du canon, enfin d’après la
foire d’inertie du projectile, de telle façon que la poudre con-
tinue à bri'iler jusqu’au moment où le projectile quitte le canon;
mais, de façon aussi (pie la poudre soit alors complètement
bridée et que le jirojectile possède son maximum d’énergie à
sa sortie.
B 11 est clair que pour parvenir à ce résultat, au moins d’une
façon ap[)rocliée, il doit exister, entre les grandeurs précitées,
poids du projectile, longueur, calibre du canon ou du fusil, etc.,
des relations bien déterminées. Il est de même nécessaire lors-
qu’on établit un projet, ou encore lorsqu'on examine un type
déterminé de canon ou de fusil, de connaître ce qui se passera
dans l’àme pendant le tir. Les techniciens des armes à feu
BIBMOGRAPHIK
549
élablisseiit ces rapports par des considérations nii-pratiqnes,
mi-théoriques. On a été ainsi amené à formuler le problème spé-
cial de la balistique intérieure de la manière suivante :
» Dans un cas déterminé quelcomiue, exprimer en fonction
du temps, ou du trajet déjà accompli par le projectile dans le
canon, d'une part la pression qui rcqne dans l'àme du canon,
d’autre part l’accélération et la vitesse du projectüe, et enfin la
température des gaz de la poudre. »
Comme on le remarquera par le plan de l’article et sans qu’il
faille y insister ici, à côté du problème principal de la balistique,
il s’en présente plusieurs autres d’un caractère plus particulier.
I. Introduction. 1. Problème de la balistique intérieure.
2. Notations.
II. Bases thermochimiques et thermodynamiques de la balis-
tique intérieure. 3. Oualité des poudres. 4. Capacité calorilique
et énergie des poudres. 5. Température de combustion des gaz
de la poudre. 6. Volume spécifique. Pression spécitique. Covo-
lume. Densité de chargement. 7. Pression du gaz sous volume
constant. 8. Mode et vitesse de combustion de la poudre.
III. Étude théorique du problème dynamique. 9. Cas de la
détonation. 10. Cas de la combustion graduelle de la poudre.
IV. Résolution pratique du problème dynamique. 11. Re-
marques générales. 12. Formules de Sarrau. 13. Dernières expé-
riences et derniers diagrammes. 14. Les formules de Vallier.
V. Conditions auxquelles doivent satisfaire la pièce et ses
accessoires. 15. Résistance du canon. 10. Rainures. 17. Recul.
Conditions auxquelles doivent satisfaire les affûts.
VI. Appareils de mesure et méthodes de )nesure de la balistique
intérieure. 18. Méthodes statiques de mesure de la pression des
gaz. 19. Méthodes dynamiques pour mesurer la pression des gaz.
20. Remarques critiques concernant la mesure de la pression
des gaz. 21. Autres appareils et méthodes de mesure. 22. Con-
clusion.
Cette conclusion mériterait d’étre transcrite ici en entiei', tant
elle est intéressante, tant elle renferme aussi de l’éllexions mar-
quées au coin du bon sens et s’appliquant à beaucoup de
branches de la mécanique. En voici, du moins, deux passages ;
« On a fait remarquer dans cet article et dans le précédent,
disent les auteurs, qu’en balistique les expériences systéma-
tiques, jointes à une juste appréciation des erreurs commises,
doivent jouer un rôle beaucoup plus grand ([ue celui qu’on leui-
a attribué dans les dix dernières années. On n’est arrivé que peu
550
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
à peu à s’en rendre compte et il faut bien avouer qu’anjourd’hui
encore plusieurs balisticiens n’en semblent pas encore entière-
ment convaincus. »
Et plus loin : « il importe d’être très prudent lorsqu’on se
propose de contrôler une théorie par des données empiriijucs.
Le but à atteindre (lar la balistique (aussi bien extérieure qu’in-
térieure) serait (après avoir déterminé les constantes du canon
ou du fusil, du projectile et de la poudre, ainsi que les
éléments météorologiques) de fournir à l’avance en fonction du
temps, la position et la vitesse du projectile en grandeur et en
direction et, aussi, l’intensité de la pression du gaz avec une
erreur probable (jui soit plus petite que l’erreur probable
d’observation dans une application pratique quelconque. La
balisti([ue s’approchera vraisemblablement d’autant plus de ce
but qu’on imitera mieux les méthodes de recherches qu’emploie
l’astronomie dans le cas des perturbations, en reliant de plus en
plus les calculs à etïectiier, avec les observations déjà effectuées.
11 semble d’ailleui's ([uc, pour le moment, ce soit à ces observa-
tions directes qu’il faille faire jouer un rôle prépondérant. »
[IV, Développements concern.vnt quelques recherches
DE R.VLisTiQUE EXÉCUTÉES EN Fr.vnce. Exposé par F. Gossot (Paris)
et H. Liouville (Paris). — a) .Mesures des vitesses, b) .Mesure des
pressions, c) .Mode de combustion des poudres, d) Équation
ditïérentielle du mouvement des projectiles, e) Propriétés de
l’équation dilférentielle du mouvement et variables caractéris-
tiques. f) .Notes historiques.
Ges notes sont tout ce qu’il y a d’intéressant et, n’était leur
longueur, on se laisserait une fois de plus entraîner à les tran.s-
crire. En voici un i>assage (jui en résume les plus grandes lignes.
« I^a balistique intérieure est une science relativement récente.
-Née des nécessités de la pratique courante, elle était vers le
milieu du siècle dernier réduite aux constatations les plus
immédiates de l’expérience. Sans bases théoriques, sans autre
but que de faciliter le travail journalier des commissions d’ar-
tillerie, elle consistait alors en ((uelques formules dues à la
<‘ommission de Gàvre et à E. Hélie, dans lesquelles la vites.se du
boulet était liée, pour une poudre et une bouche à feu déter-
minées, aux seides données dont le praticien pouvait alors dis-
poser. t^es formules avaient été naturellement choisies parmi
celles qui se prêtaient aux calculs les plus simples ; elles suppo-
saient la vitesse proportionnelle à certaines puissances des poids
de la poudre et du projectile. Rien n’était fait encore pour tenir
BIBLIOGRAPHIE
5')!
compte, d’nne façon explicite, de la nature de la poudre ou du
calibre de l’ànie.
)) Pour faire des progrès véritables, il manquait à la balistique
intérieure deux choses essentielles : des moyens de mesure plus
complets, fournissant le contrôle expérimental des prévisions
relatives à tous les éléments importants du tir; une méthode
permettant de rattacher la théorie à des principes généraux
incontestables. »
II. IlOSM.XNS, S. .1.
A
.V.XiNUAiRE POUR LAN 1914, publié par le Bureau des longitudes.
— Paris, Gauthier- A'illars.
Conformément aux dispositions inaugurées en 1904, le pré-
sent .Vnnuaire contient des tableaux détaillés relatifs aux don-
nées physiques et chimiques, mais ne fournit aucune donnée
géographique ou statistique. Ce sera le contraire pour 1’.\n-
N U AI RE de 1915.
En vertu de ces mêmes dispositions, la partie astronomique
du présent volume renléi me des notes sur la sismologie (G. Bi-
gourdan), les cadrans solaires (P. Ilatt) et la phy.sique solaire
(II. Deslandres) ; une notice très détaillée sur les comètes appa-
rues en 1912 ( E. Schulhof) et les données relatives aux spectres
stellaires (de Gramont).
Parmi les Données physiques et chimiques, signalons une note
excellente, due h M. E.-H. Amagat sur l’équation d’état, le point
critique et les états correspondants pour les fluides : cette note,
entièrement nouvelle, remplace celle de Sarrau sur le point
critique des fluides.
Les tableaux qui renferment les données physiques et chi-
miques ont été entièrement refondus par MM. C. Baveau et
Ch. .Marie, et mis en harmonie avec le Recueil de Constantes
physiques, publié en 19Bj par la Société française de Physique,
tout en profitant des précieux renseignements fournis par les
Tables annuelles de Constantes et données numériques, de Chi-
mie, de Physique et de Technologie (Vol. 1 et 11), et la dernière
édition des Physihalisch-Chemische Tabellen de Landolt-Bôrn-
stein.
M. Gandechon a fourni le tableau de la compo.sition des
REVUE DES QUESTIONS SCIENTII-TQI'ES
532
cendres de diverses plantes cnltivées ; Mesnager les données
relatives à la résistance des inatérianx, et M. .\ottin des docu-
ments se rapportant à l’analyse des bières, vins et cidres, ainsi
qn’à la composition moyenne des céréales, à celle des scories de
déphosphoration et des phosphates naturels.
Trois notices scientiliqnes terminent le volume.
La première, due à M. Ilatt, a pour litre La dëfonnalion des
images dans les lunettes. La déformation, dont il est ici ques-
tion, n’est pas due à une défectuosité de l’instrument d’optique,
mais aux conditions essentiellement différentes de la vision à
l’œil nu et de la vision armée ; c’est la défoi-mation que présente
« nn tableau examiné d’un point plus rapproché que le point de
vue du peintre ».
» Notre (cil forme sur la rétine le |)lns délicat et fidèle tableau
au moyen duquel se manifeste à notre entendement le monde
extérieur, dette conception de l’espace à trois dimensions au
moyen d’une représentation qui n’en a que deux, exige une
interprétation rendue à peu près parfaite par l’éducation du
sens de la vue dans les circonstances hahituelhis. Mais l’inter-
prétation est faussée quand on sort des conditions familières,
([uand, par exemple, l’emploi d’nne lunette substitue à l’image
normale de la rétine une image grossie dont les dimensions et
la forme ne cadrent plus avec la distance focale de l’appareil
optique de notre œil. .V cette image anormale correspondent
des impressions faussées qui nous apparaissent comme des
déformations des objets extérieurs.
» Ne faut-il pas conclure de là que tout grossissement appli-
qué à la représentation d’un espace à trois dimensions entraîne
une déformation, et que même il n’existe aucun moyen pratique
d'obvier à cet inconvénient? »
Le jour et ses divisions. Les fuseau.r horaires et C association
internationale de Vheure, font l’objet de la seconde notice,
écrite par M. (L Ihgourdan.
l'oni' régler ses occupations, l’homme a toujours eu besoin
de diviser le temps. Cette division est dominée par deux mou-
vements apparents du Soleil ; sa rotation qui produit les alter-
natives du jour et de la nuit; et sa révolution autour de la
Terre, (jui produit les saisons, etdont la durée constitue l’année...
.\insi ces deux unités, le jour et Vannée, sont imposées à
l’homme pour l’évaluation du temps, et les règles suivies pour
BIBLIOGRAPHIE
553
ies diviser et les coordonner constituent en grande paitie le
(lalendrier.
Il n’est (|iiesLioii, dans cette notice, que de la première de
ces deux unités, le jour, de ses divisions, des conventions qui
ont été laites pour nniCormiser la mesure du temps, et des
moyens employés pour mettre h la portée de tous la connais-
sance de l’heure exacte.
Voici un aperçu rapide de cette excellente notice de lecture
très facile.
Ch. I. Le .iol'k et ses divisions. — J. Diverses espèces de jour.
Ce sont le jour solaire vrai de longueur variable, et \q jour solaire
moyeu de durée constante, correspondant à un Soleil hctil', ([ui
parcourrait Véipiateur d’un mouvement uniforme, et se trou-
verait aux équinoxes en même temps que le Soleil vi'ai. La
différence entre le temps solaire vrai et le temps solaire moyen
s’appelle Véqualio)t du temps : elle est sensiblement la même
pour toutes les années, et varie graduellement d’un jour à
l’autre suivant une loi connue. — "2. Substitution du temps
moyen an temps vrai. Les astronomes ont toujours été obligés
d’employer un temps égal ou uniforme ; c’est pour cette raison
qu’ils ont créé le temps moyen. Mais Vér/uation du temjjs
n’excédant guère IH minutes, la différence entre le temps moyen
et le temps vrai passa longtemps inaperçue ou étrangère aux
usages ordinaires. On ne sentit le besoin d’en tenir compte qu’à
la tin du xviiC siècle. — Des divisions primitives du jour.
Elles fui’ent ti'ès rudimentaires et très vagues, chez tous les
peuples, jusqu’à l’apparition des premiers instruments qui ont
servi à mesurei- le temps. Auparavant on jugeait de l’état
d’avancement du jour ou de la nuit d’après les aspects de la
sphère céleste et les i)hénomènes de la nature animée qui s'y
rattachent. Les heures étaient alors simplement conjecturâtes
et la manière d’en juger était fort dilférente selon qu’il s’agis-
sait du jour ou de la nuit. — 4. Premiers instruments employés
pour diviser le jour. Ce sont le ynornon, que les Chinois pré-
tendent avoir employé vingt-quatre siècles avant notre ère, et
([ue les Grecs reçurent des Babyloniens pai- l’intermédiaire,
semble-t-il, d’Anaximandre ((ilO-547 av. ,I.-C.); les cadrans
solaires que l’on trouve à Athènes au temps de l'ériclès (4!)9-4:29
av. .I.-C.) et à Rome après la seconde Guerre punique (:^0() ans
av. .l.-C.); enfin, les clepsydres, premiers instruments méca-
niques employés pour mesurer le temps. On en trouve des
traces chez les Égyptiens quinze siècles avant notre ère, et chez
554
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
les Chinois dès le xiU siècle avaiil J.-C. [Mus lard, on inventa les
horloges à poids, plus tard encore les horloges à ressort ; elles
sont devenues nos pendules astronomiques et nos chronomètres
qui conservent l’heure à quelques dixièmes de seconde près. —
5. Division du jour en heures. Il y eut autrel'ois des peuples qui
partageaient le jour total, le nuchlkémère des Crées, en douze
parties seulement ; mais à partir du moment où commence
l’emploi des instruments horaires, on trouve, presque partout,
la période de lumière, entre le lever et le coucher du Soleil, et la
période d’obscurité, du coucher au lever du Soleil, divisées cha-
cune en douze parties égales entre elles, variables par consé-
quent d’une date à l’autre, pour un même lieu, et d’une latitude
à l’autie [)our une même date. On les appelait heures tempo-
raires, par oiipositioii avec les heures é(juinoxiales, employées
surtout par les asti'onomes. Comme leur nom l’indique, celles-ci
correspondaient aux époipies des équinoxes ; le jour étant alors
égal partout à la nuit, les heures équinoxiales avaient pai'tout
la même durée, celle de nos heures actuelles. Leur usage dans
la vie pratique fut lent à s’imposer. Les éphémérides de Kégio-
montanus (i4oO-J476L aimoiiçaienl encore les phénomènes
aslronomi(iues en heures temporaires. — G. Nomenclature des
heures. l*i-esque partout, le jour étant divi.sé en parties
distrihuiies en deux périodes comprenant chacune 1:2 parties,
on comptait celles-ci de 1 à 12 ; (juehiues peuples cependant,
et surtout les astronomes, comptaient à la suite, de 1 à 21, les
heures du jour et celles de la nuit. De nos jours, cette manière
(le coiu[)ter s’est introduite dans la vie |)rati(|ue, d’abord poul-
ies moyens de Iranspoi't, ensuite pour toutes les relations de la
vie civile, en vue d’obvier à divers inconvénients qu’on n’évite
[>as toujours [lar la distinction des heures du matin et des
heures du soir. — 7. Subdivision des heures. Les anciens, à
part les Hindous, n’ont guère poussé c(!tle division au delà de
la demi-heure. Chez les modernes, héritiers des Grecs, on a
étendu au temps les subdivisions déjà employées pour les
angles, en allant, comme les Hindous, de GO en (iO. .Mais depuis
Bessel les astronomes arréleni cette division sexagésimale à la
seconde, en ajoutant au besoin la rraclion décimale de cette
dernière sididivision. — <S. Décimalisation des parties du jour.
On y a songé depuis longtemps. Une tentative l'ut faite lors de
la création du Calendrier l'épublicain ; elle échoua. Depuis 1884,
la question fut reprise plusieurs l'ois ; divers .systèmes furent
proposés, des es.sais pratiques furent institués ; malgré leurs
BIBLIOGRAPHIE
00.)
résultats l'avorables, aucune décision l'ernie n’est intervenue
jusqu’ici. — il. Origine du jour. Théoriquement, cette origine
est arbitraire ; certains peuples l’ont placée au lever dn Soleil,
d’antres <à son coucher ; elle variait donc, en lui même lien,
suivant les saisons, l’areil choix Int, de bonne heure, rejeté par
les astronomes. Ainsi Ptolémée fait commencer le jour cà midi
vrai ; il a été suivi jusqu’à nos jours par les astronomes ; toute-
fois, depuis longtemps, ils ont substitué au midi vrai, le midi
moyen : ce joui' astronomique commence au midi qui suit le
minuit, origine du jour civil adoptée depuis longtemps par
les modei'iies pour tous les usages de la vie pratique. —
jO. Unification du jour astronomique et du jour civil. Au cours
du XIX" siècle et dans ces dernières années encore, on a maintes
fois proposé de l'aire commencer le jour astronomique au
même minuit (pie le jour civil. Les objections à ce changement
ne sont pas décisives ; il est probable que les partisans de l’uni-
tication tiniront par l’emporter. — J 1 . L’Iievre loccde et les heures
nationales. En l'aison même de la forme et de la rotation de la
Terre, chaque méridien a son heure propre, c’est l’henre locale.
Pour qu’au même instant physique, des horloges qui se trouvent
sur des méridiens différents marquent la même heure, cer-
taines conventions sont indispensables. Chaque Etat adopta,
généralement, comme heure unif[ue pour tout son territoire,
celle de son principal observatoire : ainsi naquirent les diverses
heures nationcdes. — 15. La loi française du J4 mars 1891 .
L’heure légale en France et en Algérie fut, jusqu’à ces derniers
temps, l’heure temps moyen de Paris. — 13. L’heure univer-
selle. L’insiiflisance d’une heure nationale unique., dans les pays
très étendues dans le sens Est-Ouest, est manifeste. On voulut
d’ahoi’d y suppléer par l’adoption d’une heure universelle. Plu-
sieurs congrès, depuis 18(S1, agitèrent cette question qui de-
meura en suspens parce qu’elle en soulevait une autre, alors
vivement discutée, savoir le choix d’un méridien d’origine. —
IL Choix: du premier méridien. Les cartes primitivement tra-
cées par les Grecs n’avaient ni méi idiens,ni parallèles. Dicéarque
figura le premier, sur la carte du monde connu, le méridien
de Pihodes. Les géographes arabes et les astronomes indiens
comptaient les longitudes à partir d’un point fictif placé à égale
distance des lies P^ortunées et de l’extrême .A-sie. P’armi les
méridiens employés, on trouve aussi ceux de Gibraltar, du Gap
Vert, etc. Au xvir siècle, Richelieu fit choisir comme premier
méridien celui de Plie de P'er, la plus occidentale des Canaries.
556
RKVUE L)i:s QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Plus tard, les principales nations ado[)tèrent diacnne, pour pre-
mier méridien, celui de leur observatoire principal.
Depuis 1875, des eiïbrts furent tentés pour l'evenir à un
méridien unique ; ils aboutirent, en j884, an choix du méridien
de (ireenvvicb.
(’ih. 11. 1j<:s Puse.xux horaires. — J. Définition des fuseaux
horaires. — Avantages et inconvénients du système des
fuseaux horaires. Des avantages sont manifestes pour toutes les
relalions internationales, chemins de fer, postes, télégraphes,
etc. Mais il favorise un nombre relativement restreint de per-
sonnes, et il lu’ésente des inconvénients pour les populations
sédentaires; strictement appliqué, il ne s’écarte jamais, il est
vrai, de l’heure locale de plus d’une demi-heure, ce qui est tout
juste acceptable ; mais celte limite moyenne est souvent dépas-
sée pour donner la même heure à tout le territoire d’un pays
((ui d(‘horde le fuseau. Kn outre, liai' rapport à l’heure vraie,
l’éipiatioii du temps vient s’y ajouter, |)ortant la dilférence à
[)lus de 50 minutes, ce (pu est très gênant. Aussi, en certains
endroits, a-t-on i»ratiquement sididivisê les fuseaux en les limi-
tant à 80 mimdos de teni[)s, de manière à ne jias atteindre un
écart d’une demi-heure. — 8. Nohdion conventionnelle des
fuseaux horaires. — 4. Jjt loi française du 0 mars 1911.
têlieure légale eu France et en .Mgérie est l’heure, temps moyen
de Paris, retardée de 0 minutes 5! secondes, valeur en temps
de la longitude lÀ. de Paris par ra[)porl au méridien de (Ireen-
wicli.
Ch. IIP Tra.xsmission de l’heure. — J. Méthodes diverses.
rdles sont fort nombreuses ; nous n’indicjuerons que celles qui
.''Onl susceiitihles de se généraliser pour les usages de la vie
prati(jue. — 8. Méthode des signaux optiques, (pu fut employée
.''Urtoiil dans les opérations géodésiipies. — 8. Méthode des
signaux électriques ; on lin doit [iresque toutes les longitudes
astrouomiipies aujourd’hui connues avec pré'cision. — 4. Mé-
Ihodc des signaux télégraphiques. — 5. Horloges électriques.
Sgnchronisalion des horloges par réteclvicité. — 0. Disirihntion
lie l’heure par télégraphie sans fi! (T. S. F.). Les [iremières
tentatives concluantes remontent à 1800. On sait combien celte
merveilleuse découverte a simplilié et étendu les moyens de
distribution de l’heure à distance, imune avec toute la précision
(pi’exigent rasironomie et la géodésie.
Ch. IV. Pa eo.xeérexee i.nter.xatio.xale de l’heure. Pa Uevue
BIBLIOGRAPHIE
557
a consacré un arlicle à cette conlérence, nous y renvoyons le
lecteur (1).
A partir du 1 janvier 1915, les heures (rémission utilisées
en 1914 seront probablement modifiées de la façon suivante (2) :
Les signaux ordinaires anciens (10'‘44'^ cà 1()’‘49'”, et 23^44"’
à 23*'49"*) seront supprimés..
Les signaux horaires ordinaires automaligues (9*'57 à 10^’)
seront émis à 10‘* et <à minuit.
Les signaux horaires scientifiques ('23'‘30”9 seront faits à
(5o'l45"’) et les signaux de mesure à 9*’55“'‘ et <à 23*’55'".
La troisième notice scientifique de I’Aanuaire est consacrée,
par M. B. Baillaud, à la I7‘^ Conférence de t’ Association Géodé-
sique internationale. Cette notice continue celles que, dans
I’Annuaire de 1889 et dans les volumes suivants, Faye, Bouquet
de la (irye et IL Poincaré ont consacrées aux origines, aux déve-
loppements et aux travaux de cette célèbre association qui
compte plus d’un demi-siècle d’existence.
J. T.
\1
Le téléphone instrument de mesure. Oscillograpbie inter-
férentielle, par Augustin Guyau, Docteur ès Sciences, Ingénieur.
2 édition. — Paris, Gautbier-Villars, 1914. (Collection des AcDm-
lités scientifiques) 160 pages, 50 fig. et 1 planche.
,M. Guyau a écrit, sur le téléphone instrument de mesure,
une monographie extrêmement intéressante. Elle se divise en
deux parties bien distinctes.
La première, qui comprend les deux premiers chapitres, se
rattache aux travaux antérieurs sur le téléphone. M. Guyau
rappelle d’abord (Chap. 1) les recherches de Mercadier sur la
sensibilité du téléphone en fonction de l’épaisseur de la mem-
brane, etc... ; puis celles, toutes récentes, de Kennelly et Pierce
sur les variations de la résistance et de l’inductance du récep-
(1) Conférence internationale de l'heure, Paris t.o-23 octobre 1912, par
le h. P. D. Lucas, S. J., Revue des Quest. scient., 3'' série, t. XIV, 1913,
livraison du 2U octobre, pp. 442-494.
(2) La guerre a retardé l’exécution de ce projet.
IIP SÉRIE. T. XXVI. 36
REVL’K DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
:)r>8
leur téléphoni(iue. Il établit ensuite d’une façon simple ses
('([nations mécanique et électrique.
Le Chap. 11 débute par une étude complète du pont de
Wbeatstone en courant alternatif, d’où M. Guyau déduit la
condition générale du silence télépbonique. Ce silence ne peut
être complet que p(>iir l’un des harmoniques du courant alter-
natif employé. D'où, comme corollaire, il suit qu’il y a utilité à
employer, comme source de courant, un alternateur à tension
sinusoïdale à peu près pure et, pour la réception, un téléphone
à elfets sélectifs (ou mieux, dans les mesures de haute précision,
un galvanomètre à résonance) accordé sur rharmoni((ue fonda-
mental. En outre, le minimum télé[)honi([ue étant fonction et
de la fréquence et des éléments constitutifs des bras, on a, si
on connait ceux-ci, le moyen de calculer celle-là.
Vient ensuite l’exposé des principales méthodes de mesure
où le téléphone intervient en tant qu’indicateur de maximum
ou de minimum, méthodes classiques ou tout récemment intro-
duites dans les laboratoires et dans la pratique industrielle,
(résistivité des électrolytes, capacités, self-inductance, mutuelle
inductance, longueurs d’onde ; emploi en photométrie ; recherche
des défauts d’isolement dans les canalisations èlectri([ues, loca-
lisation des branchements souterrains des conduites de distri-
bution d’eau, etc...)
■Mais la partie la [)lus importante de celte belle monographie
( t’ili. 111 et IV, pp. .')7-147) consiste dans l’étude approfondie des
très petits mouvements de la membrane téléphonique par le
moyen des interférences. vSur la surface vibrante est collé un
jietit miroir plan argenté. Un miroir fixe semi-argenté est placé
en face du miroir mobile, de façon à l'ormcr entre eux une lame
d’air mince de J ':20 de millimètre. Un faisceau lumineux, fourni
[>ar une lampe à mercure, concentré sur la lame mince, dessine
sur celle-ci des franges d’interférence. Ges franges se déplacent
quand, en consé([uence des vibrations de la plaque, l’épaisseur
de la lame d’air varie. Les déplacements des franges sont enre-
gistrés photographiquement.
Le téléphone, jusiju’ici simple indicateur de maximum ou de
minimum, est ainsi transformé en un véritable galvanomètre ou,
d’une façon plus précise, en un « oscillogi-a[)he interférentiel ».
Le l'onctionnement de cet oscillographe soulève une foule de
problèmes dont l’auteur fait une élude détaillée ; calcul du
mouvement des surfaces interférentiellcs en fonction de celui
des franges, séparation des raies de l’arc au mercure, conditions
BIBLIOGRAPHIE
559
d’éclairement maximum des miroirs interférentiels, netteté des
franges en lumière non parallèle, ordre de grandeur des temps
de pose en fonction de la période du mouvemenl.
Au point de vue de la sensibilité, les mesures de l’auteur lui
ont montré qu’un téléphone de 1^7 ohms transformé en oscil-
lographe, décèle, à la fréquence de 42 (courant du secteur),
une vinglaine de microampères efficaces ; un téléphone de
4000 ohms, à la même fréquence, permet d’atteindre quelques
microampères ; enfin la sensibilité d’un monotéléphone de
5650 ohms pourrait s’évaluer, en basse fréquence, à quelques
centièmes de microampère. (Soit dit en passant, le galvano-
mètre k corde à petit électro-aimant, dont le maniement est
extrêmement simple, donne facilement des sensilnlités au moins
équivalentes.)
Par les qualités de méthode, de précision et de clarté, la
monographie de M. Guyau rappelle les mémoires des maîtres
de la science expérimentale française.
.1. D. L.
MI
L’Afrique équ.vtoiuaue FRA.xg.AisE, par Maurice Ho.ndeï-Saint.
Préface de M. Marcel SAiNT-tiERiiAiN, sénateur. — Paris, Plon,
1911, in-8", iv-312 pp. et une carte.
Désirant faire connaître à ses compatriotes la valeur de
l’Afrique équatoriale française et ses éléments d’avenir,
M. Mau rice Kondel-Saint est allé, pendant trois mois et sans
aucun esprit de lucre, observer, analyser, enquêter sur place.
G’est le l'ruit de son travail, sincère, bien documenté, et où les
questions africaines urgentes sont loyalement discutées, qu’il
nous donne en ce livre attrayant et bien fait. S’il formule
quehpies critiques, il le fait de bonne foi, dans l’intérêt du
bien général, et avec la volonté d’aider <à la formation d’une
opinion métropolitaine avertie.
Dès le début, il fait au sujet du joyau colonial, objet de ses
études, une constatation qu’il faut retenir : « Il n’est peut-être
plus de pays au monde, on rien soit moins connu, depuis les
conditions de mise en exploitation jusqu’à la démographie elle-
même de ces contrées, où la question du statut indigène est
cependant la base essentielle de notre action ; je dirai plus : la
560
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
raison de notre présence en ces pays. Les détenteurs eux-même.s
des intérêts dominants en Afrique équatoriale française en sont
encore, et plus que jamais, actuellement, à la période des
recherches d’une doctrine stable et définitive sous ce rapport
(p. 3). »
Suit une série de chapitres, ou mieux de monographies,
bourrées de données qui font honneur à la sagacité de l’auteur.
Comme il convient, nous avons d’abord l’exposé des relations
maritimes entre la métropole et l’Afrique équatoriale française,
complété par des notes intéressantes (pp. 28-52) sur Dakar,
dont le rôle, comme port militaire, sei a toujours secondaire,
mais dont le port commeicial et d’escale demeurera dans
l’avenir fonction directe de l’expansion économique française
dans l’Afrique occidentale. L’organisation de ces relations
maritimes « constitue l’une des assises essentielles de tout
empire colonial » (p. fi) ; elle embrasse à la fois la combinaison
des tarifs, le choix des ports de départ et d’escale, la fréquence
des services et le matériel lui-même. Or les paquebots de la
Compagnie française des Chargeurs Réunis pai'tent du Havre,
où ils pi'ennent une partie de leur chargement qu’ils complètent
à Dauillac, dotés d’une mauvaise organisation locale. Il y a là,
dit l’auteur, une faute de tactique. Ils devraient aller concur-
rencer leurs rivaux chez eux, en reportant le plus à l’Kst possible,
aux centres producteurs de fret, à Dunkerque, à Anvers, où c’est
fait pour certaines compagnies de navigation, à Hambourg
même, la tête de ligne, nous ne disons pas le point d’armement,
et en rapprochant les marchandises importées de leurs marchés
de destination ou de consommation : centres métallurgiques,
lissages, grandes industries. Le complément du fret venant de
la région parisienne et du centre aurait lieu au Havre ; le solde
à bordeaux. On porterait ainsi remède à la situation géogra-
phique de la France (pii la met, comme le faisait un jour
remarquer .M. Charles Itoiix, dans un état d’infériorité vis-
à-vis de ses concurrents directs sui' mer; les pays de grande
production, donc de grande consommation, sont tons situés au
.Nord et à l’Est des côtes françaises. Leurs Hottes commerciales
[lassent déjà chargées, devant les ports que ces côtes présentent,
y font escale, et recueillent, sans grande augmentation de
dépense, le complément de lem- fret, au détriment de l’arme-
ment indigène, réduit à la production nationale.
Sans nous attarder, quels que soient les beautés naturelles
signalées et le côté utilitaire envisagé, à la question de tourisme.
BIBLIOGRAPHIE
561
c’est-à-dire de pénétration aisée et à la portée de tons en
Afrique équatoriale française (pp. 53-88) ; sans nous occuper de
la domestication de l’éléphant au Congo, domestication dont
l’auteur n’est guère partisan (pp. 8D-95), ni du débouché que
l’Afrique occidentale et équatoriale peut olfrir à rindustrie
automobile terrestre ou nautique en France (pp. 142-151),
voyons plutôt ce qu’il faut penser de l’ensemble des conditions
économiques et démographiques, présentes et futures, de
l’Afrique équatoriale française (pp. 06-141).
Il n’est guère facile de solutionner cette grosse question,
lorsqu’on n’a passé que quelques mois dans un pays encore si
imparfaitement connu : mais grâce à une sage documentation,
corroborée par l’avis éclairé de personnalités compétentes, on
peut entrevoii' la vérité.
Depuis trente ans, l’Afrique équatoriale l'rançaise s’est trans-
formée; on y a créé des villes (tel Brazzaville), établi des facto-
reries, lancé une llottille active de vapeurs; enfin les régions
mystérieuses et farouches sont devenues un champ d’action
économique important, riche des plus hautes promesses.
L’exploitation du pays s’est limitée aux richesses minières du
massif de N’goué (tiabon), à l’ivoire, dont la production, foi t
précieuse dans les débuts de l’œuvre de pénétration, ira en
diminuant, et surtout au caoutchouc, matière industrielle, qui
soulève une série de problèmes délicats que l’auteur étudie :
la main-d’œuvre; la plantation de lianes ou d’arbres caoutchou-
tiers et leur exploitation régulière et scientifique; l’exploitation
rationnelle de la forêt, voir l’aménagement forestier.
.M. Rondet-Saint conseille de songer à d’autres produits, car
la monoculture peut être une ruine pour la colonie ; les entre-
prises agricoles, qui n’ont guère tenté les capitalistes français
dans l’AI'rique équatoriale, bien qu’elles soient essentielles,
pourraient s’occuper des noix de palme, des arachides, de la
vanille, du cacao, des cultures vivrières, des cultures indus-
trielles : jute, coton, enfin de l’élevage.
.Mais deux conditions essentielles s’imposent, si l’on veut que
l’effort tenté ne soit pas stérile : la main-d'œuvre, et Voutülage
économique de la colonie.
Quant à l’aménagement de la colonie, il est trop rudimentaire
pour plusieurs raisons; il ne comprend que :
1) Deux jardins d’essai coloniaux: Dakar etsurtoul Camayenne,
près de Conathry ;
2) Une installation des plus sommaires pour la navigation à
562
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Libreville, el tout le long de la côte et du lleuve Congo. A la
rive française du Pool, il n’existe ni bouée, ni appontenienl fixe
ou flottant pour passagers ou marchandises. Or la navigation
fluviale et maritime est la base même des relations commer-
ciales en ces pays ;
8) Des sentiers indigènes. Des routes sont indispensables ;
4) Enfin une voie étroite (0"'()0) de 150 kilomètres de dévelop-
pement, par laipielle une entreprise industrielle relie le massif
minier île .Mindoidi cà Brazzaville et au Pool. I.a colonie possède
un réseau télégraphique étendu, mais d’un fonctionnement
irrégulier, par la précarité de la ligne Brazzaville-labreville.
L’auteur recherche les causes de cet aménagement ultra-
sommaire, détaille l’objet de diverses missions hydrographiques,
radio-télégraphiques, d’études de voies ferrées, etc. (pp. 159-
J81), et expose quel devrait être l’ensemble de l’outillage
économiipie de l’empire congolais de la Erance (voie ferrée de
1000 kilomètres reliant Brazzaville <à Ca[> Lopez; — organisation
du port naturel de Cap Lopez, où devrait être établie une cale
sèche ; utilisation des forces hydrauliipies) (pp. 181-211).
Toutefois il ne sullit pas d’outiller la colonie ; il lui faut aussi
et surtout de la main-d’œuvre (pp. 222-275). C’est l’étude de
cette grosse question que M. Bondet-Saint entreprend dans la
dernière partie de son travail.
L’Afrique équatoriale française manque de bras; c’est le
principal motif de sa stagnation coloniale. Ce fait repose sur
trois raisons : la faible densité de la population, dont le recense-
ment est impossible et dont le cbilfre va diminuant sans cesse
pour plusieurs causes : traite, gueri’es, alcool, prostitution,
syphilis, avortement, poison ; la difliculté d’utilisation de la
main-d’œuvie ; le noir bat en retraite dans la forêt, devant le
blanc dont il repousse le contact, notamment parce qu’il est
impropre au travail qu’on devrait lui imposer, et qu’il ne veut
pas supporter l’impôt qui a donné lieu à quelques abus ; enfin
les maux qui happent cette population, dont l’état physiolo-
gique est cause d’un déchet considérable de main-d’œuvre
utilisable.
L’imtiortation de bras étrangers semble une nécessité inéluc-
table, et c’est dans l’Inde et dans la Chine méridionale qu’il
faudra les chercher. Un essai devrait êtr e tenté dans des condi-
tions normales. Le Couvenieur général est tout indiqué pour
traiter la question avec les Gouvernements étrangers. 11 y va du
salut de l’Afrique équatoriale française !
Kern. Van Ortroy.
BIBLIOGRAPHIE
5<)3
A III
Études AitciiÉouoGDjLES et ethnolügkjues. I'udllatioiNS piu-
MiTivEs de la Mongolie Orientale, par U. Torii, chargé du
cours d’Anthropologie à l’Université Impériale de Tokyo, et
attaché au Gouvernement général de Corée, et Ivimiko Torh,
Membre de la Société d’Anthropologie de Tokyo. Tokyo, Impri-
merie de TUniversilé, 1914. — Un vol. in-^" de JOO, (!2()) pages ;
13 planches et 1 carte hors texte ; 75 illustrations dans le corps
de l’ouvrage. — Ce volume forme le 4'" Article du tome XXXVl
du Journal of tue College of Science, Uiperjal University of
Tokyo.
Pendant un séjour en Mongolie d’environ deux ans et demi,
M. Torii, chargé du cours d’.\nthropologie à l’Université de
Tokyo, et sa femme ont eu l’occasion d’étudier, surtout au
point de vue anthropologique, les peuplades relativement assez
nombreuses qui séjournent aujourd’hui dans ces vastes con-
trées. En contact journalier avec les habitants, ils ont appris
leur langue, observé leurs coutumes, noté leurs caractères
physiques et la diversité des races.
Au cours de leur voyage dont ils nous donnent un récit rapide,
M. et M™'' Torii ont fait une ample moisson de documents
anthropologiques modernes de toutes sortes. « Ces documents,
disent-ils, devaient tout naturellement faire l’objet du premier
fascicule. Cependant frappés par l’incroyable quantité de ves-
tiges et de ruines laissés partout dans ces régions par les
l’aces aborigènes, croyons-nous, mais aujourd’hui disparues, ou
du moins transformées, des anciens Tong-Ilou, c’est de ces
derniers dont nous allons d’abord nous occiqier. C’est plus
logique, semble-t-il. »
D’après cette entrée en matière, le volume actuel consacré
exclusivement aux anciens Tong-Hou n’est qu’une première
partie d’un ouvrage qui aura sous peu une suite. En attendant
que les auteurs nous la donnent, voici comment ils ont traité ce
qu’ils publient aujourd’hui de leur sujet.
Le volume s’ouvre par un « Avant-propos » et se divise en
sept chapitres. Le Chap. I n’a pas de titre, mais contient des
généralités sur les Tong-Hou. 11 se subdivi.se en trois parties,
I. Distribution géographique des ruines et des vestiges Tong-
564
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Mou. 11. Hiiine.s el vestiges Tong-lloii. 111. Ktal acluel des
stations Tong-lloii.
Ch.\p. 11. Iiistruiueul-s el outils trouvés dans les stations
Tong-Hou. Les restes ardiéologiques anciens trouvés dans les
stations Tong-llou sont de trois sortes. 1. Les instruments ou
outils en pierre; notaininent a) des haches, b) des ciseaux,
c) des couteaux, d) des rasoirs, e) des racloirs, f) des marteaux,
g) des lances en [)ierre, h) des pointes de llèche, i) des sahres
en silex, jV <Jes colliers. Chacun de ces groupes d’ohjets l'ait le
sujet d’une courte notice. 11. Instruments en os. Les instru-
ments en os de mammirères el d’oiseaux laissés en place par les
anciens Tong-llou sont moins ahondants que les objets en silex.
Les auteurs n’en ont trouvé que deux spécimens, des pointes
de tléche, ou du moins, des pointes (pii semhlent avoir pu
servir à cet usage ; ensuite des cornes de cerf travaillées.
III. literies. Les historiens chinois ne l'ont aucune mention de
la poterie des Tong-llou. On en rencontre cependant d’assez
nomhreux déhris dans toutes les régions de la Mongolie Orien-
tale. Cette {)oterie est grossièi'c, sans émail, aux t'ormes et aux
dessins relativement très variés. Llle montre iiartout un type
national caractéristique el fort original. Ces poteries paraissent
accuser trois espèces d’industries assez distinctes les unes des
autres, en progrès continu. Dans la première es[)èce, la poterie
est grossière, l'ragile et de couleur hrune. Dans la seconde, elle
est mieux cuite, plus résistante, de meilleure ipialité et grise.
Dans la troisième, assez semhlahie à la précédente et de la
même couleur, la cuisson est encore plus soignée. Les objets
portent (ptehpies dessins et les l'oi nies en sont pins variées. Les
auteurs entrent ensuite dans le détail et nous parlent en autant
de paragraphes, Ij du mode de t'ahrication de la poterie
Tong-llou ; des l'orrnes des f)oteries Tong-llou ; o) de la forme
des bords des poteries Tong-llou ; '4) de la forme du fond des
poteries Tong-llou ; 5) de la forme des anses de la poterie
Tong-llou ; ü) des motifs de décoration des poteries Tong-llou ;
7) de la distribution géographicpie des dessins ou motifs déco-
ratifs de la poterie Tong-llou ; (S) des dessins de la poterie
Tong-llou comparés avec les dessins décoratifs des indigènes de
l’Amour, du Saghalien et du Yéso. Comme le lecteur peut le
deviner par ce résumé, le chapitre 11 est le plus étendu du
volume.
Ch.-vp. III. Scories de fer laissées par les Tong-llou. Les Tong-
llou eurent un âge de la pierie, mais il ne fut pas exclusif;
BIBLIOGRAPHIE
565
alors même que ces barbares étaient encore dans cet état de
civilisation peu avancée, ils connaissaient les métaux et en
taisaient un certain usage.
Chap. IV. Objets en bronze laissés par les Tong-Hou. Dans les
stations en ruine Tong-Ilou de la Mongolie Orientale, on ren-
contre un peu partout de nombreux objets en bronze mêlés aux
poteries grossières et aux silex. Ce sont pour la plupart des
pointes de tlêche, des bracelets, des bagues, des agrafes de
ceinture, etc. qui tous sont de fabrication et d’importation
chinoises. Les anciens Tong-Hou ne travaillaient pas le bronze.
Ces antiques objets en bronze étaient en usage à la fin de l’âge
néolithique Tong-Hou. Par les dessins qu’ils portent, on peut les
dater du temps qui va des Han antérieurs aux Han postérieurs.
Chap.V. Objets en or. 11 s’agit, dans ce chapitre, d’une boucle
de ceinturon. Cette boucle en or a été ramas.sée sur les rives
d’Oulgi-kol.
Chap. VI. Verroterie soufflée. Les auteurs ont trouvé mêlés à
des instruments en silex, et à des débris de poteries de toutes
sortes, trois grains en verre souillé très mince et qui eux aussi
sont certainement d’importation chinoise.
Chap. VH. Monnaies anciennes. Dans les stations abandonnées
en .Mongolie Orientale par les Tong-Hou, on rencontre ici et là
mêlée à divers instruments en pierre, de la menue monnaie du
temps de la deuxième dynastie des Han.
Conclusion. « D’après nos recherches à travers les ruines et
les vestiges laissés en place en Mongolie, disent M. et .M'^Torii,
surtout dans les régions des monts Khin-gan et dans le bassin
du lleuve Shira-.Mouren, par les antiques Tong-Hcu, les
premiers habitants de ces vastes contrées, nous croyons pouvoir
conclure qu’au point de vue archéologique, la vie sociale de
ces intéressantes peuplades a dû traverser trois époques bien
distinctes et de durée très inégale ; I. une époque préhistorique,
ou âge de pierre, plus longue ; H. une première époque histo-
rique ou époque des Wou-lnvang et des Sien-Pi ; HL enfin une
dernière époque historique ou époque de Liao ou Kitan. »
.M. et .M""" Torii développent cette triple conclusion en autant de
paragraphes distincts.
Le mémoire sur les populations Tong-Hou est imprimé avec
luxe, l’illustration est soignée, ce que je me plais à dire, non
seulement des planches hors texte, mais aussi des figures inter-
calées dans le corps de l’ouvrage. Elles y ont été semées avec
profusion, au nombre de 75 pour 100 pages d’impression. C’est
566
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
tout bénéfice pour le lecteur ; en archéologie, rien ne vaut une
figure pour se taire comprendre. On en demeure d’accord, mais
que de fois ne recule-t-on pas devant la dépense? .le ne vou-
drais pas qu’on se méprît sur le sens de ma réllexion quand
je parle de clarté ; car le professeur de l’I'niver.sité de Tokyo
écrit, en français, d’une plume correcte et très claire. Son
mémoire, malgré les nombreu.K textes chinois qn’il renferme,
est d’une lecture aisée et agréable.
I. S.
IX
Étude sur l’écriture .artificielle dans les documents forgés.
par Cl. Pallier. — Bruxelles, chez rauteur, 1918.
Ce livre contient deux idées fort fécondes ; l’une relative à
l’organisation de l’expertise en écriture; l’antre à une concep-
tion plus large de la science paléographique. Elles sont exposées
respi^ctivement dans la .seconde et la troisième parties. La pre-
mière, qui compte .54 pages sur les 98, est une introduction,
une analyse minutieuse du « mécanisme de l’écriture dans sa
manifestation ultime, dans les rapports de la plume et du
papier d. Sans avoir tu ces définitions, on tenterait vainement
de comprendre le reste de l’ouvrage. Nous nous bornerons à
ti-anscrire à l’occasion celles qui sont indis[)ensables à l’intelli-
gence de ce résumé.
Les experts d’aujourd’hui affectent de ne pas prendre au
sérieux l’application des procédés du dessin à la reproduction
des graphismes. En d’autres termes, ils négligent le faux
artificiel pour te faux naturel, tracé à main libre. A tort,
déclare .\1. Pautier. L’exécution du faux artificiel est une besogne
facile surtout pour les autographistes, les lithographes, les gra-
veurs et les miniaturistes. 11 croit rendre service en démasquant
des méthodes certainement employées par tes laussaires. S»
première conclusion est que certains experts au moins doivent
être des artistes-spécialistes. Mais comme on ne peut se passer
non plus de calligraphes, de paléographes, de graphologues, etc.,
il demande que l’on organise dans les grandes villes des 5ert'îce.s
centraux d’expertise en écriture; et qu’on y attache à titre
d’experts permanents des diplômés, calligraphes, paléographes.
BIBLIOGRAPHIE
567
graphologues, médecins spécialistes, ingénieurs chimistes,
artistes spécialistes.
Quelles sont donc ces méthodes de confection par le dessin
des documents forgés ?
Elles comportent deux séries d’opérations : la délimitation de
la forme et l’exécution du graphisme.
On choisira d’ahord une certaine (piantité de documents ori-
ginaux ; mais homogènes, c’est-à-dire exécutés dans des condi-
tions identiques, en particulier sous le rapport de la nature,
de la hauteur (1), de l’aplomh (2) et de l’orientation (3), de la
plume qui a servi à les composer. On recherchera et on décou-
pera chaque mot dont on a besoin. Si ces mots ne se trouvent
pas tout faits, on les compo.sera avec des groupes de lettres,
collées l’une à côté de l’autre. Une lettre de la fin d’un mot ne
figurera jamais au commencement, ni réciproquement. Il ne
faudra pas choisir plusieurs fois le même mot ou la même lettre :
une similitude absolue de deux mots ou de deux signatures
dénote la fraude.
Pour un faussaire habile le transport direct, l’exécution simul-
tanée du travail de groupement et de celui du graphisme est
le moyen le plus simple et le meilleur. Si la transparence directe
ne suffit pas, on aura recours à la glace à calciner. La lampe à
acétylène (lampe Hélios), placée sous la vitre en forme de table,
rend transparents tous les papiers.
Une seconde manière de groupement des lettres et des mots
— distincte celle-là de l’exécution du graphisme — recourtaux
procédés photographiques. On découpe les mots ou fragments
(1) l.a hauteur de la planie, c’est l'angle formé entre elle et le papier. Il
doit être d’au moins 45° pour que la tenue de la plume soit correcte.
(2) La plume est ù’aplomb quand la projection de sa fente se place exacte-
ment au milieu de sa projection, à elle. Les mouvements du porte-plume
sur lui-même dérangent cet aplomb ; le mouvement de droite à gauche sur
le bec gauche, le mouvement de gauche à droite sur le Ijec droit.
(3) « Si en maintenant la plume sur un point à une hauteur fixe, on la
fait évoluer par rapport à un plan vertical, on décrit un segment de cône
renversé. En prenant comme point de départ de l’évolution, le plan perpen-
diculaire au réglage, la plume située dans ce plan a ses deux becs horizon-
taux sur le réglage : elle est à face. Si l’on dirige l’évolution vers la gauche,
on fait remonter le bec gauche au-dessus du réglage : la plume est oblique
à gauche. Si l’on dirige l’évolution vers la droite, c’est le bec droit qui
remonte et la plume est oblique à droite. l>a main est libre vers la droite et
peut amener l’instrument à angle droit de son point de départ dans la direc-
tion du réglage : la plume est dite de tracera » (p. 6). Dans ces diverses
orientations de la plume, on ne tient aucun compte de la position de la main.
568
REVUE DES questions SCIENTIFIQUES
de mots des documents ou bien d’une photographie des docu-
ments, si ceux-ci doivent être conservés. On les colle en les
rapprochant. La retouche peut être tentée avec un hon grattoir
et une plume line. Klle portera principalement sur la liaison et
les tînales. ^]. Depoin a démontré pratiquement que le décou-
page et la idiotogi'apliie donnaient la perl'ection absolue de la
l'orme.
.Mais ce système parait fort compliqué. Beaucoup aimeront
mieux le simple décal({uage,soit à l’aide d’un papier transparent
mince, enduit de mine de plomb, placé entre le décalque et le
papier définitif, soit à l’aide d’une feuille de gélatine sur laquelle
le trait se creuse au moyen d’une pointe sèche, d’une aiguille
ou d’un diamant. Le décalque sur gélatine, destiné au tirage,
doit s’exécuter avec une image retournée, par exemple avec
l’envers d’un cliché photographique. Le transport se fait à la
presse sur un papier humecté d’alcool.
Nous voici arrivés à la seconde série d’opérations, à l’e.xécu-
lion (lu graphisme. Klle se fera par Vécriture écrite ou pai‘
Vécrihire dessinée- Dans le premier cas « l’exécutant final, celui
qui doit parfaire le faux sera nécessairement un spécialiste de
l’écriture, en connaissant bien les lois. 11 déterminera avant tout
le genre de plume dont celui qu’il imite avait l’babilude, les
qualités i)articulières de cette plume... 11 définira ensuite la
hauteur, l’aplomb et l’orientation de cette plume. 11 analysera
encore le dynamisme de la main, son mode d’action dans l’elfort;
il devra même tâcher de deviner la nature physiologique du
mouvement, la pari ]>rise par les doigts, le poignet et le bras.
Buis il étudiera à la loupe chaque lettre h reproduire ; il en
cherchera l’allure par des exercices répétés à main libre. Et
c’est alors .seulement qu’il commencera son travail et qu’il
s’aidera de la transparence, d’un tirage ou d’un décalquage pour
maintenir sa main dans le mouvement de la forme à imiter ; les
pleins et les déliés (1) devront se placer pour ainsi dire d’eux-
mêmes aux bons endroits, de façon qu’il n’y ait plus à exercer
qu’une sorte de surveillance générale. L’écueil connu de ce pro-
cédé étant surtout le tâtonnement, les sursauts et les reprises,
le faussaire devra être hardi, et, plutôt qu’une hésitation, risquer
(1) Le délié est tout tr.icé grêle indécomposable. Le plein est le tracé
maximum (le plus large i de la plume. Le demi-plein est la transition du délié
au plein et réciproquement.
BIBLIOGRAPHIE
569
quelque altération de la Ibrine qivune explication grapholo-
gique pourra toujours justitier » (p. üO).
Far Vécrilure dessinée on évite l’écueil qui vient d’être signalé.
Dessiner l’écriture, c’est dessiner séparément les sillons (J) qui
cerclent et enserrent la l'orme au moyen d’une plume fine, telle
que la plume Brandow ou la lit quill Gillott. La pointe de ces
instruments vaut celle des meilleures aiguilles anglaises. Après
l’exécution du double sillon, vient le remplissage du plein.
L’auteur conseille de le faire précéder d’une ébauche. « Cette
première esquisse devra tracer le plein en évitant toute super-
épaisseur d’encre sur les bords ; on se servira d’une plume très
douce et peu chargée d’encre, une plume de ronde, lorsque
cela sera possible, ou mieux une plume d’oie spécialement taillée
pour l’écriture qu’on veut reproduire. On se guidera soit direc-
tement avec un tirage éclairci pris sur cuivre ou sur pierre, ou
avec un simple décalque ; soit par transparence avec une épreuve
photographique des mots assemblés ou avec les pièces vraies
elles-mêmes. Si le graphisme est irrégulier, lourd et accidenté,
on tracera le plein seulement, les déliés s’indiqueront séparé-
ment avec un pointillé léger à la plume line. Sur cette ébauche
de l’écriture on reviendra avec la lit quill et on marquera tous
les sillons, ceux du plein comme ceux du délié, en accentuant
les détails caractéristiques, après avoir bien étudié la construc-
tion intime du modèle. Si l’on a affaire à une écriture légère et
régulière, on l’exécutera souplement sans presser la plume, de
préférence avec la main levée appuyée sur le petit doigt; on
marquera ensrdte quelques sillons qui corrigeront au besoin les
faux mouvements et donneront du relief. Ce procédé est cei tai-
nement le plus subtil et le plus varié dans ses ressources. »
Dans la dernière partie de son livre, l’auteur fait l’histoire
de l’écriture. Jusqu’ici, dit-il, les paléographes se sont bornés à
considérer la direction générale du trait. Pourquoi ne pas s’at-
tacher aussi au rapport entre le plein parfait et la hauteur de
l’éci'ilure (épaisseur du graphisme) et à la tenue de l’instru-
ment, c'est-à-dire à l’orientation, à la hauteur, à l’aplomb de la
plume et à la pression dont résulte le développement extérieur?
Cela me paraît fort exact. 11 y a là des éléments de dilférencia-
(t) « La partie (le ta plume qui presse le papier le creuse et l’imprègne
d’encre profondément ; les becs écartés pour la formation du plein l’enca-
drent ainsi sur les deux bords de deux traits fins plus marqués. Ces trajets
des becs ont été appelés par M. Persifor Frazer les sillons » (p. 5).
570
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
lion des écritures dont ne lient compte aucun des manuels
classiques de paléograpliie. Kn s'appliquant à réaliser cette
conception plus large, l’auteur arrive sans doute à des résultats
intéressants, mais il présente peu de conclusions générales. Je
lui conseille donc de reprendre cette troisième partie et de
l’approfondir. Toulelois, il devrait aupaiavant se livrer à une
étude beaucoup [)lus sérieuse de la paléographie. Sa connais-
sance en est très sommaire. Et que dire d’allirmations comme
celle-ci ; « .Vu moyen Age, aux temps où les seigneurs signaient
d’une croix et mettaient dans leur scel des poils de leur barbe,
les faussaires ne pouvaient guère s’exercer que sur les livres »
(p. 66)? .Vllons donc ! Il n’est pas un monastère un peu ancien
qui, dans son trésor de chartes, n’en compte plusieurs tout à
fait fausses. La bibliographie du faux au moyen âge est fort
coinsidéi’able et j’engage .M. Paulier à la consulter.
E. DE .VlouEAi:, S. J.
RF.VUE
DES RECUEILS PÉRIODIQUES
ASTRONOMIK
Annuaire de l’Observatoire royal de Belgique, pour
1915. — Par arrêté royal en date du oJ juillet J913, l’Observa-
toire de l’État, établi à Ucde, a été .scindé en deux établissements
distincts : VObservatoire royal de Belgique et Ylnslüiil royal
météorologique de Belgique.
VObservatoire et Vlnstitul météorologique ont respectivement
dans leurs attributions, le premier, l’astronomie de position,
l’astrophysique, la géodésie, la gravité et la sismologie ; le
second, la météorologie, la climatologie, le magnétisme ter-
restre, l’électricité atmosphérique et terrestre ainsi que les
branches connexes. La bibliothèque est commune aux deux
établissements.
Le directeur de VObservatoire est M. O. Lecointe ; celui de
Vlnstitul météorologique, M. .1. Vincent.
L’Annu.xire de l’Ousehvatoike roy.al de Belgique pour j915
a été concu d’après un plan identique à celui du volume pré-
cédent. On y donne pour la dernière fois des renseignements sur
le magnétisme terrestre et l’électricité atmosphérique ; ce qui
concerne ces branches devra être cherché désormais dans
I’Annu-Uire de l’Institut royal météorologique.
Parmi les notices scientifiques qui contribuent à l’intérêt de
cette publication et lui assurent une valeur permanente, nous
572
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
signalerons spécialement celle que P. Stroobants consacre
aux Progrès récents de V astronomie. Elle t'ait suite aux cinq
notices publiées par le même auteur et sous le même litre
dans les Annüaihes précédents, et se rapporte aux découvertes
et aux travaux astronomiques de l’année 1012. L’abondance des
renseignements, les tableaux, cartes, diagrammes et planches
qui les complètent, rendent ces notices — un peu toufTues peut-
être pour le grand public — éminemment recommandables et
très commodes à consulter. Au point de vue documentaire, qui
intéresse surtout les gens du métier, on les souhaiterait moins
sobres d’indications bibliographiques précises.
Hésumons brièvement la dernière.
Le Soleil. — Activité sol.vike Ei\ 1012. La diminution de
l’activité solaire, (|iii s’était manifestée en 1010 et s’était accen-
tuée en 1011, s’est marquée plus encore en 1012.
L.\ KoT.vnoN DU Soleil. Elle a été étudiée iiar 1. il. Ilubrecht, à
l’Observatoire de Lambridge (Angleterre), par la méthode spec-
trographique, conrormément aux décisions de la conférence
( 1010) de riJnion internationale pour les recherches solaires.
Ces mesures ont donné 180:1 km. par seconde pour la vitesse
équatoriale du Soleil, et elles mettent en lumière l’excès des
vitesses de riiémisplière austral sur celles de l’hémisphère
boréal.
Suit une étude de S. Ilirayama sur le mouvement systéma-
tique des taches solaires basée sur les observations elfectuées à
Creemvicb de 1870 à 1001.
E. W. Dyson et E. \V. .Maunder ont déterminé la position de
l’axe de rotation du Soleil d’après les photographies prises de
187A à 1011 et mesurées à l’Observatoire de Greenwich. Ils
trouvent, pour l’époque 187)0, 0, 1 étant l’incliiiaison de l’Equa-
teur solaire et.N la longitude du nœud ascendant sur l’écli[)tique;
I ^ 7'’10',0 et A = 7:j'’53',0.
Pour la même époque, llarrington avait donné
I = T'\b' et A = 73" 40'
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
573
PiiYsiguE SOL.YIKE. L(3 P. S. Chevalier, S. J a entrepris en 1905,
â l’Observatoire de Zô-Sé (Chine) une étude photographique de
la photosphère solaire. On ne trouve pas sur ces photographies
les formes désignées par Xasmyh sous le nom de feuilles de
Saul, mais on y voit les granules ou grains de riz (1). Leur
diamètre moyen est de 1",5, et il en est de tous les diamètres
c ompris entre 0",5 et 8". Leur aspect )ie présente aucune dilTé-
rence systématique aux diverses phases du cycle solaire. Ils se
forment et se déforment rapidement, et les mouvements de
granules voisins ont lieu en tous les sens, ce qui exclut l’idée
d’un courant de matière à la surface de la photosphère. Le
P. Chevalier considère la photosphère comme une couche con-
tinue, mais très accidentée, de nuages incandescents. Chaque
<mlonne de vapeurs chaudes, arrivant de l’intérieur à la surface
inférieure de cette couche, la soulève en formant une sorte
de bulle immense, de forme plus ou moins arrondie ou ovale.
La partie soulevée doit augmenter d’éclat par surélévation de sa
température et surtout par diminution de l’épai.sseur du gaz
absorbant qui la recouvre : c’est le granule brillant. Cette
manière de voir rappelle celle de Paye, reprise plus tard par
Ekholm.
Des observations de Slonim ont montré i|ue les taches
exercent à longue portée une forte attraction sur certaines
proéminences qui leur sont associées.
H. Desland res a continué ses recherches sur les lilaments et
les alignements, et a étudié leur l'elation avec les [)rotubé-
rances. Haie et Lverstied considèrent les tilameiits coinine la
projection des protubérances sur le discpie du Soleil ; d’après
Deslandres, on peut dire seulement (pie les lilaments annoncent
ou jalonnent des liles de piotubérance.
Les phénomènes solaires et le magnétisme terresti'e ont été
étudiés par .^1. .1. Kosler sur les diagrammes publiés, depuis
trente ans, par l’Observatoire de Greenwich. Les éruptions
(t) C'est Secchi, croyons-nous, (jui teiir a (tonné te premier ce nom. Sctiei-
nec comparaît t'aspecl rt(‘ ta surface (tu Soteil à celui du « lait caillé » et
\V. Herschel à la « peau d'une orange ».
ItU SÉRIE. T. XXVI.
:i7
574
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
solaires seraient insiitlisanfes à provoquer directement des per-
turbations magnétiques ; mais elles pourraient produire des
variations dans les courants telluricpies, variations qui seraient
capables de troubler les instruments magnétiques dans leur
voisinage. I.e champ directement perturbateur aurait donc son
siège, non dans le Soleil, mais dans le sol tei-restre.
Le P. Lorlie a comparé les vai’iations de Tactivité solaire et
celles du magnétisme durant la période 1<S!)8-I!)11. L’inclinaison
de l’écliptique sur le plan de l’équateur solaire, amenant des
changements dans la i)osition de la Tene par lapport aux zones
des taches, serait la cause de la variation annuelle dans le
nombre des perturbations magnéti(|ues.
Les observations cinématographiques de l’éclipse du Soleil
du 17 avril liH:;!, indiqueraient un faible aplatissement de la
Lune dans le sens de son axe de rotation (1 ).
Les grosses planètes et les satellites. — Il s’agit surtout
des observations des surfaces planétaires dues à .larry Desloges,
(i. et V. Koiirnier.
Mercure. L(;s plages sond)res paraissent formées de détails
permanents d’une gi'ande stabilité.
Vénus. Dans le cas problémati(iue d’une rotation rapide, on
ne pourrait admettre (|u'ime période très voisine de^4heures(2).
Mars. Six dessins et un planisphère de la idanète reproduisent
les observations faites, en U)t)7. DH)!), J!)l 1-1*2, aux Observa-
toires du Kévard, du .Massegros, de Toury et de SetiL — .\utres
observations de F. LeLoultre, 11. Wirtz, Lowell et Sliphei'.
Jupiter. Obsei’vations du Sc/deler (.i), de la tache rouge et des
bandes de Jupiter’.
(I) Voir lii':vcE des Qi e.<t. .'^(.ient., srrie. t. X.\ll, juillet lt)l:2, p. 17S.
(!2) I.es durées des rotalioiis de Mercui'e el de \ émis sont toujours très
incertaines. D'après Schiaparelli el l.owell, res planètes, comme la l.une,
tourneraient sui’ elles-mêmes en un temj)s è-jal à relui de leur révolution
sidérale, soit en SS jours envii-on pour la première et ‘ttn jours pour la
seconde. Pour d'auti’es, la durée de rotation serait voisine de heures. On
trouvera un hou résumé des travaux qu’a provoqués ce prottlème intéressant
dans Cti. André, />c.s Plunrh's, pp. 18 et siiiv. Paris, (iaulliier-\ illars, 1909.
(3) On appelle Schleier ou Voile une tache de latitude plus basse que la
tache roiuje, de forme elliptirpie, de teirde. jaunâti'e. plus claire au centre
que sur les ))ords ; il est extrêmement diflicile d’y iliscerium quelque détail,
l/intervalle qui la sèt>are de la tache rouge, appelé parlbis Paie, est vai'ialtle,
le Voile el la laclu? rouge ayant des mouvements dillérents en longitude.
REVUE DES RECUEILS IM-'.RIODlgUES
.) iD
Saturne. (Juatf’e dessins de .larry Desioges. Observations
diverses sur la planète et ses anneaux (1).
Urnnus. Dorée de la rotation ; 10''45"' environ (!’. f.ouell);
dianièti’e à la distance dn demi-grand axe de l’orbite de la
planète, 3'',5o7 (Wirtz).
Neptune. Diamètre à la distance moyenne de la planète au
Soleil, 5'', 20 ((1. Abetti).
La Lune. Analyse des Becherche.'i sur le monvemenl de ta
Lune, le dernier ouvrage de Aewcoinb, publié dans les Astron.
I’apers (t. IX, 1 [)art.) de Washington avec la collaboration de
Frank E. Kuss. Fne planche traduit les Iluctuations inexpli-
([uées dans la longitude moyenne de noire satellite, DiSO-iOOS.
Absorplion sélective de la lumière à la surface de la Lune.
Uecbei'ches [)hotographi([ues de H. 'Ü . Wood. La combinaison
de photographies de la Lune prises avec des radiations appai-
tenant à trois régions dilï’érentes du spectre, permet une étude
pétrographique de la surl'ace de la Lune. .Vinsi, trois images
obtenues avec des radiations jaunes, violettes et ultra-violettes
du spectre présentent des dilïérences dans l’intensité de cer-
taines taches sombres comparables à celles (jue montrent des
photographies, prises dans les memes conditions, d’un l'ragment
de lave volcanicpie (2).
(l)Sepl divisions onl été notées dons l’onnexe tie Saturne : « Six d'entre
elles paraissent particulièrement instables, tant dans leur emplacement que
dans leur aspect. 11 seitddc que, sous des influences dont il nous est bien
dillicile de pénétrer la cause, ces divisions sont plus ou moins larges et donc
visibles et invisibles ; de plus, les matériaux (pii composent l’anueau paraissent
se séparer, tantôt à une place, tantôt à une autre.
» Si en outre nous envisageons les plages sombres ou claires observées
dans l’anneau et se déplaçant au coui-s de sa rotation, l’anneau lumineux, en
dehors du plan, découvert eti 1907 à mon observatoire du Itevard par
M. G. Fournier, les corpuscules brillants suivis sur le bord de l'anneau cette
même année au Itevard, les plages sombres et les régions claires de l’anneau
de lîoud si variables dans leur aspect, tout concourt à nous donner l’impres-
sion de l’instabilité du système des anneaux de Saturne. » It. .larry-Desloges,
J.es anneaux de Saturne, ücli.f.tix astronomiocc (Paris), t. .\X.\I (avril
1914), pp. 149-1.70.
(i) Sur le procédé employé par le l’rofesseur américain, on peut lire ; la
Lecture qu’il a donnée <à la Roijal Institution le 19 mai 191 1, reproduite dans
r.VxxuAi. Uei'ORT (Smithsonian In.stitution, 1911), pji. l.Ô.'T-KiO avec 0 planches,
y compi’is les photographies de la l.une dont il est question ici.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
rm
Les petites planètes. — Tableau de petites planètes
nouvelles qui ont été numérotées délinitivenient et ont reçn des
noms. — Tableau des éléments ellipti(iues des 21 astéroïdes,
à 754. Heeberebes diverses.
Les comètes. — (Juatre comètes ont été découvertes en 1912.
I.’une d’entre elles (1912 a) a été visible cà l’onl nu ; une autre
(1912 h) est la comète périodique de Tultle.
Recherches relu lires à diverses comètes. Halley, .Morehouse,
brooks (1911 c), Holmes, Woll' ; orbites définitives de 1910rt,
1849 VII, 1905 11.
Univers sidéral. — Catalogues et cartes. Les l'euilles de la
cai’te pholograjihique du (bel parues en 1912 portent le nombre
des cartes publiées par les divers observatoires, à la lin de cette
année, aux totaux suivants.
ÏAme
Caries
l’ccle. . . .
. . . -f 39'’ à + .^52'’
19
l’aris ....
. . . -r 24 à + 18
144
bordeaux
. . . +17 à + 1 1
201
Toulouse
. . . + 10 à + 5
251
Alger. . . .
. . . . + i à — 2
411
San Francisco .
... - 3 à - 9
.300
l’acubava
... — 10 à - 10
rl0.'5
Etoiles variables. — Photométrie stellaire. Observations de
Mira Ceti (o liabûne). — Hésumé de très nombreuses recherclies,
théoriques (;t pratiques, sur les variables de dilTérenls tyjies.
Hans le cours de l’année 1912, 34 variables nouvelles ont été
annoncées. — Tableau des 141 variables nouvelb's cataloguées
(létîniti veinent par la commission de VAsIronomisrhe (ieselt-
schaft, — .Moiiogra]>liie de Nova (iemi uorum 2 (I), découverte
par S. Lnebo à Dombass (.Norvège), le 12 mars 1012. Lue
planche donne divers aspects du spectre de cette étoile.
.M. Oiebeler a obtenu dix spectrogrammes de iVorn Cemino-
nun 2, du 15 marsan 4 avril 1912. Il trouve un certain nombre
de coïncidences avec les raies du i-adiuni. de riiraniiim et de
rémanalion. Küstner et Kayser, (|ui ont examiné ces sjiectro-
(I) tlistiiiclc (ti! .Yorn Iit’i/o/nn /o// ilécoin cric [)iU’ Turner sur une jpIidIu-
^raptiie prise à Oxlurd, le 1(5 mars ItHO.
REVT’E DES RECUEILS PERIODIQUES
577
grammes, estiment que la présence des éléments radioactifs
dans la Nova est très probable. Kayser montre qu’un certain
nombre de particularités présentées par les étoiles nouvelles
s’expliqueraient par les processus radioactifs. Il estime que la
Nova Geminorum 2 ne düTère pas essentiellement des autres ;
si les raies des corps radioactifs ont pu être aperçues dans
son spectre, c’est uniquement grâce à un en.semble de condi-
tions favorables.
Ludendorlf, travaillant sur un spectrogramme obtenu le
15 mars 1912, à l’Obsei'vatoire de Postdam, a trouvé lui aussi
une coïncidence assez satisfaisante entre certaines raies de la
Nova, trois raies du radium et les quatre les plus marquées de
l’émanation. Toutefois les écarts entre les vitesses radiales con-
clues des raies du radium, par Giebeler et lui, l’amènent à penser
que la présence des substances radioactives dans le spectre de
la Nova, est une question non résolue. C’est à une conclusion
analogue que sont arrivés W. S. Adams et A. Kohlscliütter, qui
ont fait une étude approfondie des spectrogrammes de la Nova
obtenus, du 22 mars au 27 mai 1912, au .Mont Wilson : la pré-
sence du radium et de son émanation n’y est pas établie.
A la suite des communications de 11. Giebeler et de Küstner
sur la présence du radium dans la Nova, Dyson l’a rechercbé
dans le Soleil en comparant les principales raies du spectre
d’étincelle du radium (Ilunge et Prédit) et les lignes, diroino-
spliériques relevées dans les dernières éclipses. Il conclut que la
présence du radium dans la chromosphère est probable ; celle
de l’émanation laisse plus de place au doute. A. S. Mitchell et
Eversched, qui ont étudié la même question, se prononcent pour
la négative dans les deux cas.
Pholométrie et Colorimétrie. Généralités. D’après Geraski, la
grandeur stellaire du Soleil serait voisine de — 27,1 en pre-
nant pour grandeur de a Leonis 1,58. — Xomlireuses observa-
tions sur les grandeurs photographiques et visuelles des étoiles
et sur leur coloration.
11. Deslandres a cherché une explication simple des étoiles
temporaires en rapprochant certaines particularités (|u’elles pré-
sentent de ce que l’on observe sur le Soleil. Il arrive à cette
conclusion ; une Nova est une étoile déjà refroidie, présentant
une écorce solide relativement mince. Sous l’inlluence d’une
cause interne, l’écorce se brise et les gaz iatéi ieurs incandes-
cents font brusquement irruption à l’extérieur et forment peu-
578
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
dant quelque temps une atmosphère très dense, très lirillante,
animée de mouvements analogues à ceuxde l’atmosphère solaire,
mais heauroup plus l'apides. Puis l’écorre se reforme et l’atmo-
sphère se refroidit, se condense et perd peu à peu son éclat.
Les ions et les électrons des deux signes se mouvant verticale-
ment dans l’atmosphère de l’étoile nouvelle, les uns dans un
sens, les autres eu sens inverse, peuvent exi)liquer en partie les
grands déplacements des raies s[)ectrales vers le rouge et vers
le violet.
Dans cette hypothèse, ou peut facilement expliquer la pre-
mière partie du phénomène des étoiles nouvelles; (|uant à la
transformation tiuale en néhnleuse, elle reste toujours mysté-
rieuse.
L’étude des transformations du spectre de Nova (reminorum 2
a suggéré au P. Cortie une autre explication qui supprimerait
ce mystère : le phénomène des étoiles nouvelles ne serait pas la
transformation d’une étoile en néhnleuse, mais le résultat d’une
éruption gigantesque, d’une tempête chromosphérique énorme
s(^ présentant dans une étoile nébuleuse ; la tempête se calme
et l’étoile revient à son état i)rimitif.
flroiLFS Douiii.ES VISUELLES. Mesurcs micrométriques ; obser-
vations photographiques ; déterminations d’orbites : -7 Aquavii,
T Coronæ auslralis, t Cygni : en admettant pour valeur de la
parallaxe absolue de cette dernière étoile tt = -f- (r,0()!l, on
obtient, pour ce couple, nue luminosité égale à !),^5 fois celle du
Soleil et pour la somme des masses l,'2(i fois la masse du Soleil
répartie de la manière suivante ; composante A(gr.5,0)n«=0,71 ;
composante D (gr. (S,l ) m = d,;").').
Etoiles douiiles spectroscopiques. — Vitesses h.vduvles.
Tableau des éléments d’un certain nombre d’étoiles doubles
spectroscopiques, récemment déterminés ou calculés à nou-
veau. — Tableau des étoiles dont la variabilité de la vitesse
radiale a été établie ou annoncée en J 91 2, etc.
DiST.VNCES, .MOUVE.MENTS ET I)ISTRIHUTION DES ÉTOILES. P. SloCUIll
a elfectué une détermination photographique de la parallaxe
de Nova Lacertæ, 1910. Elle serait très faible, comme celles
des Novœ en général. — Tableau de 244 parallaxes obtenues à
l’Observatoire de l’i niversité Yale. — Liste de 124 parallaxes
stellaires déduites, par A. S. Elint, des observations de passage
REVU K DES REGl'EILS PERIODIQUES
579
effectuées à l’Observatoire Washburn, à Maclisoii (Wisconsin). —
Liste analogue de 41 parallaxes stellaires déduites, par 0. Abetti,
des observations de passage effectuées à l’Observatoire de Hei-
delberg. — Tableau de .57 parallaxes stellaires délerininées par
.\. lewdokiinow au cercle méridien de l’Observatoire de Khar-
kow. — S. Kostinsky a appliqué à la recherche de [)arallaxes
la méthode stéréoscopicpie :
Pour 61 du Cygne, il a obtenu les valeurs moyennes suivantes :
Parallaxe = -(-0’',rJ6 ; mouvement propre annuel total 5", 64.
Mouvement propre de la Polaire (rpdegraff ). — Mouvement
propre de 160 étoiles de la région des Pléiades (F. Kromm) :
le déplacement général du groupe s’ell'ectue suivant un giand
cercle ayant poui’ angle de position 17.5'’ 46', et pour valeur
4", 0:24 par siècle.
Coumnls d’éloiles, Ijpe spectral et vitesse radiale. Une liaison
existe entre la vitesse et la classe spectrale ; il semblerait que la
matière cosmique ne devient sujette à la gravitation qu’à partir
d’un certain degré d’évolution. — F. P. P>ross a déterminé la
vitesse du système solaire relativement aux étoiles du type
spectral A (1), d’après les vitesses radiales de 38 d’entre elles :
il a obtenu 17 km. par seconde. — Ktude des vitesses radiales
de 225 étoiles à hélium (2) l'angées suivant la classification de
Lockyer (3), où les étoiles sont ordonnées non seulement d’après
leui' nature chimique, mais aussi suivant leur âge et leur tem-
pérature (Ludendorff) : les longueurs d’onde des raies dans les
étoiles à hélium varient avec les conditions de l’étoile et sont en
rapport avec la classification de Lockyer; celles à vitesse radiale
positive se rangent parmi les étoiles à température croissante,
celles à vitesse radiale négative parmi les étoiles à température
décroissante.
Dans ses études de statistique stellaire, Charlier a divisé le
Ciel en 48 carrés de même aire. Un de ces carrés situé dans
la Voie lactée, renferme de 30 000 00(1 à 250 000 000 étoiles,
tandis que pour le carré renfermant un pôle de la Voie lactée,
ces limites sont 600 000 à 2 OOO 000. 11 estime que la limite de
notre système solaire dans la direction de la Voie lactée est
(1) Classification fies catalogues de tlarvard. \'üir rA.NXCAiiiE nu Bureau
DES Longitudes, 1913, p. "297.
(2) Croupe B et B.V de Harvard.
(3) Sur les idées de Lockyer, voir son livre V Evolution inorganique. Trad.
franç. Paris, Alcaii (Bihl. .st. intern.).
580
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
comprise entre ()00 et J 400 siriomètres, le siriomètre valant un
million de lois la distance moyenne du Soleil à la Terre. Cette
(}uestion a lait également Tohjet des recherches de K. Schwar-
schild, résumées dans TAnnuaire.
G. A. TikhotT a poursuivi ses études photographiques faites
à l’aide de 4 filtres sélecteurs, laissant passer respectivement
Tnltra-violet, l’indigo-violet, le jaune-vert et l’orangé. Il en a
déduit des résultats généraux relatifs au groupe des Pléiades :
l’éclat des étoiles principales de cette constellation croît de
Tnltra-violet à Torangé ; le nombre et l’éclat des étoiles faibles,
an contraire, augmentent en passant de Tnltra-violet aux radia-
tions moins réfrangihles. (îes résultats concordent avec les obser-
vations d’antres régions duCdel : la différence d’éclat des étoiles
augmenterait donc, en général, avec la diminntionde la longueur
d’onde.
La couleur d’une étoile dépend essentiellement de la tempé-
rature. It’après des expériences de lahoratoii'e sur des sources
terrestres de lumière, la couleur d’une étoile à spectre continu
se rapproche d’autant pins du l’onge (pie sa temiiératnre est
plus basse. Par contre, les étoiles bleuâtres ont la tempéi’atnre
la plus élevée. L’atmosphère des étoiles est une deuxième cause
d’où déiiend leur couleur : l’absorption sélective de cette atmo-
sphère donne naissance aux raies de Traunhofer, et elle aug-
mente d’une façon continue avec la diminution de la longueur
d’onde. La troisième cause ipii agit sur la couleur des étoiles
est l’absorption sélective de la lumière dans l’espace ; elle dépend
de la dislance des étoiles. La méthode suivie par Tikholf lui a
permis de négliger Tiniluence de Talmosphére terrestre. La
tenqiérature elïective du Soleil et des étoiles se déduit de la loi
de Wien, par la longueur d’onde du maximum de l’énergie
du spectre ; on la calcule par extrapolation, les températures
des étoiles étant bien supérieures à celles ipie Ton obtient dans
les laboratoires pour lesquelles la loi a été établie. Tikholf ti onve
pour Téloile la plus rouge ^(SOtT et pour la plus bleue 17 700’.
On constate que la couleur des étoiles est très bien expli([uée
par la température jus([u’à la classe fùti inclusivement, dette
notation et les suivantes se rapportent à la clas.silication des
spectres stellaires employée dans les publications de l’Observa-
toire de Harvard. La classe G (étoiles solaires) montre un écart
sensible, et les classes G^K et K sont très mal représentées.
RKVUE DES RECEEILS PERIODIQEES
581
Amas stellairp^s et .néruleuses. Ilertzspniiig a déterminé les
coordonnées équatoriales des pôles des grands cercles de plus
grande concentration pour diverses catégories d’objets célestes :
Voie lactée, étoiles à hélium, variables binaires, nébuleuses
gazeuses etc. Le grand cercle de concentration des amas globu-
laires aurait son pôle vers a = '265“, 0 et 6 = — 5^2”, 7 ; Hinks
avait trouvé a = 260' et b = — 52'. Parmi les étoiles à hélium,
72 7o ont leurs longitudes galactiques compri.'^es entre 248“ ±00”,
etc.
D’après 48 photographies obtenues par Fath avec le rétlecteur
de 60 pouces de l’observatoire du Mont Wilson, une pose <l’une
heure et des plaques Lumière Z, on trouverait, pour l’ensemble
du Ciel, 164 000 nébideuses spirales.
Suivant Nicholson, il existe, dans le spectre des nébuleuses,
deux raies que la constitution de l’atome du nébulium qu’il a
imaginée n’explique pas ; ce sont : X 4685,7 et X 3729,0. Or
M. WoH'a trouvé que la partie centrale obscure de la nébuleuse
de la Lyre affecte, après une longue exposition, la plaque photo-
graphique : la radiation X 4686 provient de cet espace et non
de l’anneau brillant. Le maximum d’émission de la longueur
d’onde 3729 vient, au contraire, du bord externe de ranneaii,
et s’étend faiblement sur l’anneau entier.
D’après les recherches elfectuées à l’observatoire de Harvard,
portant sur 32 000 étoiles, on a trouvé : 1“ que 52 % environ
de ces étoiles sont du type A (étoiles type de cette classe : Sirius,
Véga, etc.); 2“ (|ue le rapport du nombre d’étoiles du type A
au nombre d’étoiles de tous les autres types augmente quand
l’éclat diminue; 3“ que dans la Voie lactée les deux tiers des
étoiles sur lesquelles ont porté les recherches sont du type A.
Il semble résulter de l.à que le spectre de la lumière stellaire et,
en particulier, celui de la lumière globale de la Voie lactée
serait du type A. — E. A. Fath a cherché à déterminer directe-
ment le spectre de la lumière globale de la Voie lactée, en pho-
tographiant au .Mont Wilson trois régions brillantes de la galaxie.
Les temps de pose ont été, respectivement, de 65 heures 13 mi-
nutes, 67E52'" et 74'^IJ"L Les résultats obtenus sont concor-
dants, et il en résulte que le spectre de la lumière globale de la
Voie lactée serait approximativement du type solaire.
Le globe terrestre ; coordoa'nées géograriiiques ; variatiox
DES latitudes. On nomme Inmière de la Terre l’éclal du Ciel
à minuit, abstraction faite de la lumièie des étoiles. C’est une
5S2
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
lueur dill’use, éclairani même les régions du Ciel les plus som-
bres et qui, vraisemblablement, a son siège dans l’atmosphère
terrestre. Voici les conclusions d’un travail de Yntema l'ait en
Hollande sui- cette (piestion :
1“ La lumière du (bel la niiil est due en parlie à celle venant
<lirectemenl des étoiles, et en paiTie à celle pi'ovenant de l’atmo-
sphèi e ; :2’ celle qui ne provient pas de la lumièi'e dilLuse des
étoiles doit être attribuée en tout ou en partie à une aurore
permanente ; o" la lumière générale du Liel est vaiâable au
cours d’une même nuit, d’une nuit à l’autre ('t augniente vers
riiorizon.
Des lecherches d’.^ibas au Mont Wbitney, à 4420 mètres
d’altitude, ont confirmé les résultats de Yntema ; il a trouvé
seulement que l’intensité de la lumière nocturne est plus faible
dans le rapport de 10 à 7 environ. D’après Yntema, l’éclat de la
lumière de la Terre est de J 10 de celui d’une étoile de première
grandeur, par degré carré.
On a invocpié, en faveur de l’e.vplication basée sur l’existence
d’une aurore permanente, la présence de la raie vertiï X 5770
(celle de l’aurore boréale) reconnue par Campbell dans la
lumière de toutes les parties du Ciel. Ilunqilireys a calculé la
lumière qui serait [)ioduite par le bombardement de la haute
atmosphère par des corpuscules et des poussières cosmiques
arrivant avec la vitesse j)arabolique de 42 kilomètres à la
seconde. 11 a trouvé (pi’il sullit d’une masse de trois kilogrammes
par seconde pour ex[)li(pier le phénomène observé. Cette masse
semble n’avoir rifii d’exagéré.
Ch. Calinot a étudié, à l’observatoiie de Lyon, l’absorption
sélective de l’atmosphère terrestre à l’aide du photomètre hété-
rochome de .Xordmanii, entre 4" et 88° de distance zénithale.
L’extinction atmosphérique croit d’autant plus vite avec la dis-
tance zénithale que la longueur d’onde est plus courte. Les
écarts ('onstatés entre l’ol)servation et le calcul, à diverses
distances zénithales, ne peuvent s’expliquer en admettant que
l’absorption ne dépend que de la masse d’air traversé. 11 semble
([ue l’on doive admettre une dilïVaction i)roduite par des parti-
cules de plus grandes dimensions que les molécules d’air.
L. de Hall a comparé les valeurs de la constante de la réfrac-
tion déduites de diverses séries d’observations (l’ouikovo,
Creenvvich, Munich, Heidelberg, (Odessa); la moyenne de ces
<léterminations est (iO'',L4.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
58:
Coordonnées geoi^raphiqnes ; Station astronomique du Pic
du Midi de Bigorre (E. Habioulle) ; centre de la coupole, longi-
tude ouest de Paris : 8'’’46^,t)4, latitude nord 42'5t)'31'',5.
Longitude de l’observatoire de Lille : 3™2o%51ü E de Par is, etc.
— Th. Albrecht a publié les l'ésultats provisoii’es, conceniant la
variation des latitudes, tirés des observations des six stations
de .Mizusawa, Tchaidjui, Carlol'orte, Gaithersburg, Cincinnati
et Ükiah. L’Ax.xuaike repi’oduit la courbe décrite par' le pôle
de 190b, 0 à J9J3,0. Ituiant l’année 1915, l’amplitude de la
variation a encore diminué. — Recherches se rappoiiaiiL à la
même question : G. L. Doolittle (Philadelphie); G. Boccai’di
(Turin), etc.
A. X.
HISTOIRE DES MATIIÉMATIOLES
Comment s'y prendre pour éviter d’accréditer l'erreur
dans l’histoire des mathématiques, par M. G. Enestrbm (1 ).
— Pour empêcher la propagation des erreurs, avant tout il
convient de n’en pas commettre soi-même. Or, si l’on veut ne
pas s’exposer à trop d’erreurs dans l’étude de l’histoire des
mathématiques, il n’est au fond qu’une méthode ; lire et relire
sans cesse les auteurs originaux. On les lira dans leur langue,
si c’est possible ; faute de quoi, on se contentera d’une traduc-
tion. .Mais, une traduction n’est déjcà plus le texte primitif; il
importe de ne pas l’oublier.
Depuis longtemps ces pensées me hantent l’esprit devant la
persistance avec laquelle M. Enestrom attaque M. Mauiice
Cantor, par ses « kleine Bemerkungen » sur les Vorlesnngen
tiber Geschichte der Mathematik du professeur d’Heidelberg.
M. Eue strom a tort et cède, je le crains, à un trop long accès
(t) Wie kann die weilere Verbreitnng unzuveilfissiger matlieinaliscli-
historischer Angaben verlündert icerden ? von G. Enestrom. tiiBLiOTHEC.\
M.\them.\tic.\, 3® série, t. 13, Leipzig, Teubner, t912-1913 ; pp. 1-13.
Kleine Bemerkungen zur letzten Aufhige von Cantors Vorlesnngen nber
Geschichte der Mathematik : von G. Enestrom. .Même volume, pp. 65-8i,
15i-177, “261>27l, 339-351.
584
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
d’humeur. L’expérience désagréable cju’il parait avoir faite en
étudiant les Vorlesungen, et qu’il devait, je crois, faire fatale-
ment, expli([ue pourquoi, selon moi, M. Enestrom se tromp»;.
L’histoire est souvent bâtie sur des [nobahilités ; les mathé-
mati([ues s’édifient sur des certitudes. Vouloii', dans les moindres
détails, se servir en toute confiance d’un manuel d’histoire,
comme on se sert d’un manuel de rnathémati(|ues, sera toujours
une méprise, quand bien même cette histoire serait celle des
mathématniues. En manuel de mathématiques peut atteindre
un degré de perfection définitif auquel un manuel d’histoire ne
saurait prétendre. .M. Eneslrom a tru le contraire, du moins
a-t-il agi comme s’il l’avait cru. (Juand il connut les Vorlesungen
de -M. Cantor, il é[)rouva d’abord pour elles une admiration
profonde. Elles étaient, d’après lui, le « standard hook » qu’un
historien des mathématiques devait toujours avoir sur sa table
de travail. M. Enestrom avait raison et jugeait bien l’œuvre du
maître il’lleidelherg. Son admiration, je l’ai insinué ci-dessus,
le fit choir dans un piège! 11 ouvrit la Hii!Liotheca M.xtiiem.vtic.v
aux savants, leur demandant de [)elites corrections, de petites
remarques sur les Vorlesuugen — « kleine nemerkungen ». —
Après amendement, les historiens des mathématiques pren-
draient les Leçons de Canloi’ (a»mme une hase, désormais
inébranlable, sur laquelle ils bâtiraient leurs travaux ultérieurs.
C’était vouloir édilier sur un manuel d’histoire, comme un
géomètre bâtirait la géométrie (h^scriptive sur les Eléments
d’Euclide. Illusion de mathématicien ! Car seul un mathémati-
cien pouvait à ce point se tromi)er sur ce que l'o)! doit, sur ce
({ue l’on peut demander à un [)récis d’histoire.
Cette illusion, je n’ai pas été moi-même sans la partager
([uehpie peu. .le n’en éprouve guère d’embarras, elle était
naturelle ; mais, en l’avouant, j’épargne à M. Enestrom rennui
de devoir me la rappeler. J’ai donc suivi la tentative du direc-
teur de la lîiüLioTiiKC.v Mathem.vtica avec intérêt et curiosité
d’abord, avec scepticisme plus tard, avec une parfaite incré-
didité maintenant, (jue doit-on demander, en effet, à un manuel
embrassant dans son plan l’histoire des mathémati(iues tout
entière, sinon un résumé fidèle de l’état de cette science? Oi',
pareil résumé est beaucoup plus une recherche d’érudit, qu’un
travail de mathématicien. Dans celte recherche, .M. Cantor est
venu le premier, .M. Enestrom l’a suivi, l’our les juger avec
équité, il faut donc ne pas oublier la règle si chère à Paul
Tannery : « Dans les recherches d’érudition, celui qui vient le
RUVUh: DES RECrEILS DERIÜDIQTIES
585
second prend aiséineni l'avantage. « Soyons de bon compte el
ayons la loyauté de l’avoner ! Historiens des malhématicpies, où
en serions-noiis tous, où en serait M. Knestroni lui-même, si
nous n’avions pas eu pour guider nos premiers pas les Vorle-
sungen de M. Gant or?
Mais, voilà ! Après avoir admiré M. Gantor, M. Enestrôm
s’avisa un jour de remonter aux sources et de le contrôler. Ge
faisant, il remanpia, non sans surprise semble-l-il, des inexac-
titudes dans son modèle, voire des fautes. Il y en a, en effet, et
d’assez nombreuses, (juoi d’étonnant dans un ouvrage aussi
considérable ?
Plus fréquemment, cependant, lecture faite, il arriva à
M. Enestrôm de juger les géomètres anciens autrement que
M. Gantor. ftueslion d’ap[)ré('iation personnelle, où il est bien
libre aux juges de dilférer d’avis. Souvent enfin le savant
suédois crut pouvoir’ li’aduii’e les textes en seri’ant le sens de
plus près que le savant allemand. Mais, encoi’e une fois, descen-
dant le second dans la lice, pour un bomme aitssi solidement
ai mé que M. Enesti’ôm, était-ce fort diflicile?
]>e toutes ces gloses et rectilications aux Vorlesiingen,
.M. E nesti’ôm désii-erait nous làii’e conclui’e qu’elles sont un
ouvrage surfait, à ne manii'r qu’avec la plus gi’ande précaution.
Un ouvrage surfait ! Xoii ! En écrivant ses Yorles-ungen,
.M. (iantor a exécuté un tour de foi’ce <{ui ne ser’a probablement
pas l’épété de si tôt. Je ne crois pas ([u'il faille èti-e prophète
pour le prédire.
Mais, (ju’il soit bon de consulter les Vorlesnngeit avec discer-
nenienl, voire avec précaution, voilà qui est dilférent. Les
Vorlesungen sont à la fois un précis el une encyclopédie. Or,
se servir d’un précis d’bistoii'e et d’une encyclopédie avec
discernement et précaution est dans l’ordi-e des choses.
Dans ses Yorlesuugen iiher (ieschicfite dey 'Trigonométrie,
von Brauiirniibl (I) venant après Gantor, n’a pas eu grande
]reine à ètr’e plus exact que lui. « On sait (|ue son ouvrage doit
èti’e employé avec gi’ande prudence», dit néanmoins fort bien
M. Enestrôm, en parlant île von Hi’aiinmühl (2). G’est que von
Hraunrniilil ivéci’ivif pas une trigonométrie, mais un livre d’his-
( I ) l,eipzig, Tfubner, t. 1 , 11)01.) ; 1. '2, 190t>. Pour le but (jiie j’iii en vue, il
iinpoi’te assez peu ipie von lîrannnuihl ne cite pas toujours la dernière
édition des Vo) i(;sinuii’» de Canlor que nous i)ossédons actuellement.
(2) üiiîuoTiMo ■> .M vriti'CM.vncA. I. i:>, p. 261.
586
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
toire. G’esl surtout que ce livre d’iiistoii'e fut écrit pour les
mathéuiaticieiis. Or, habitué à pouvoir se tier, sans y mettre
de nuances, h la vérité d’un théorème, tout mathématicien doit
utiliser les livres d’histoire avec précaution, même ceux de
.M. K nestrom. Malgré son très louable, son méticuleux souci de
l’exactitude, l’inexoï’ahle censeur n’échappe pas à cette loi. \
preuve, au moment même où il nous met en gai-de contre les
inexactitudes de von Hraunmühl, M. Gnestrom lui attribue des
Vo7iesnnfieii hber Gescliichte der Mathe.m.vtik (J) ([ui n’existent
pas. Kn oidre, à la même page de la IhiiLiOTiiECA M.athematica,
l)arlant de la célèhn; approximation du nombre tt calculée par
.\drien .Vnthonisz, il lui donne, sans s’en apcrci'voir, les deux
valeurs
.155
H 3
et
.’lri )
m
i^l). « Medice, cura te i])sum «, me ripostera
sans doute M. Knestrüm. .Mon llieu, oui ! .Me rappelant certaines
conclusions, aussi erronées (pi’imprévues par moi, déduites de
mes écrits, plus ou moins par ma faute, il me faut l'econnaître
([lie moi aussi je suis comme les autres.
Précisons, car je regretterais qu’on se [)ùt méprendre sui'
le sens de mes observations. .M. Gnestrom est, je crois, l’érudit
d’aujourd’hui le mieux au coiii'ant de l’histoire des malhéma-
ti([iies ; je le dis sans aucune arrière-pensée. Oiiand il annonça
(I) Il faut évi(ti'mnuuil der Triijonoiiidrie, coniine il est au surplus aisé
de s’en assurer en consultant ce dernier ouvragi* à l’endroil iuiliqué par la
référence, l/erreur de M. I]neslroiu n'einliarrassera jias l)eaucoup les profes-
sionnels de riiistoire des malhémaliques au courant de la liihliograpliie de
leur science. .Mais, oserail-on (;n dire de luéuie du grand nond)re des mathé-
maticiens? On sait le i)eu d'heures de loisir qu’ils peuvent d’ordinaire con-
sacrer à riiistoire.
(î) U’esl la valeur n = (|ui
I I O
est exact(‘. \'oir sur le sujet un excellent
article de M. Mansion, .Sur l>> calctil de ir, puhlié dans Matiiksis. t. !28, (îand.
1908, pp. I,'auteur y dit ([ue la valeur approchée calculée par
.Adrien .Anthonisz fut publiée pai’ son lits, .Adrien Aletius, en Kill, dans son
Arillniieticae el (ïeo)iietihie Pnictica (Franekerae. Excudehal Itomhertus
Doyema ; I. Il, ji. Ki'i et ]>. (19). .le saisis cette occasion de contirnier l’exacti-
tude de la date de Kilt donnée ici par .M. Mansion, (’.onime tant d’autres
volumes d'un prix inestimahie i>our l’histoire de la science dans les Pays-lîas,
un des exemplaires de cette, première édition de VAridniieticue et Geome-
h'iae Vvaclicu, que je connaissais, a péri dans l’incendie de la lühliothèque
de riniversité, lors du sac de la ville de Louvain par l’armée allemande,
le :2() aoi’it 191 i. Il y en a un second exemplaire à la lîihliolhèque Hoyale de
lielgique, coté : cl. ; I ; F. I . a ; Met.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
587
son intention de corriger les quelques imperfections des Vorle-
sungen de M. Cantor, tous ceux qui s’inléressaient à l’histoire
des mathématiques y collaborèrent au début (1). .Mais, au lipii
de se contenter de rectifier ce qui était à proprement parler
fautif, au lieu de s’arrêter là la date où parurent les Vor/esungen,
et de prendre celles-ci pour point de départ des recherches ulté-
rieures, comme semblait l’indiquer le plan primitif, M. Enes-
trom s’est insensiblement laissé entraîner à mêler à ses correc-
tions, de simples rétlexions, des remarques à côté, des
découvertes personnelles, des résultats de nouvelles études
d’autres mathématiciens ; tout cela en petites notes déchiquetées,
sans liaison entre elles, disséminées non seulement dans treize
volumes, mais à quatre endroits dilférents de ces volumes !
J’admire la grande, l’in vraisemblable patience déployée par
l’auteur de ces remarcpies ; je ne discute pas leur intérêt ; mais
leur ensemble a fini par former un des i)lus inextricables fouillis
qui se puisse imaginer. .Malgré les tables qui y sont annexées,
c’est tout ce qu’il y a d’incommode à consulter. Treize volumes
pour la moindre recherche ! Combien n’y a-t-il pas de biblio-
thèques où les règlements prohibent l’emploi simultané d’un
pareil nombre de volumes 7
Ceci n’est qu’un simple inconvénient ; mais voici où M. Enes-
trôm a, semble-t-il, vraiment tort.
Le ton des « kleine Bemerkungen » a peu tà peu perdu de sa
sérénité. Sans tourner tout à fait cà l’aigre, il dégénère trop
souvent en chicanes dans lesquelles perce le désir de ti-ouver
M. Cantor malgré tout en défaut, même quand il ne l’est pas.
Bourquoi? Je n’en sais rien et il ne me convient pas de le
rechercher ; mais, je le regrette et plusieurs des amis et des
admirateurs de M. Enestrôm ne m’ont pas caché qu’ils le
regrettent comme moi. \ ne pas reconnaître les services d’un
homme comme M. Cantor, la science n’a rien à gagner.
Soyons équitables. Peut-on reprocher à .\1. Cantor de n’avoir
pas sn dès 1900, ce qn’après tant de travaux ultérieurs nous
savons aujourd’hui 7 Ce serait cependant la conclusion logique
de beaucoup des « kleine Bemerkungen » de .M. Enestroin.
.Mais, m’objectera-t-on, .M. Cantor a-t-il sulïisamment tenu
(I) En UK)Ü, dans le premier volume de la série de la Hibliüthkca
.M.\the.matic.\, huit savants collaborèrent aux Klrini' Bruterkungen ; en 1001,
j’en compte 10; dans le volume actuel M. Enesti-om est seul.
r>8S
RKA’T’K DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
<'ompte des « kleine Bemerknngen » dans la iV tklilion de son
premier volume V (1)
Le vénérable maître ent, peut-être, été mieux inspiré en se
contentant d’une édition inchangée conforme à la comme il
vient de le faire pour le second volume (ii). Son grand âge, ses
longs services l’y autorisaient. Personnellement j’eusse fait le
vœu de voir une 3'’ édition des Vorlesungeii revue et annotée
par M. f]nestrom, avec l’approbation de M. (’-antor. C’est mal-
heureusement désormais impossible. 11 faut donc autre chose.
Pendant (jnelque temps, la librairie Teubner a annoncé la
préparation d’un précis d’histoire des mathématiques, par
M. Lnestrom (3). Pourquoi l’érudit critique tarde-t-il tant à
faire paraître ce volume? C’est, il est vrai, inliniment plus
diÜicile que de se borner à annoter les Vovlesungen de (iantor.
.Mais, le précis de M. Cnestroin pourrait être écrit sur un plan
réduit, .l’ai traité de tour de force, je ne l’oublie pas, un nouvel
ouvrage de l’envergure des \orlesungen ; ce tour de force, je
ne songe [>as à prier .M. Knestrom de l’exécutei'.
Mettons les choses au mieux : ce précis n’est (pie l’avenir.
Kn attendant (lue nous ayons Lnestrbm, il faut bien nous con-
tenter de (’.antor. .\u surplus, ni‘ nous laissons pas émouvoir
outre mesure par les criticpies. I^es Vorlesinuien restent un
admirable instrument de travail pour ([ui sait s’en servir; pour
(|ui ne leur demande pas ce (ju’aucune histoire des mathéma-
tiques n’a jamais donné et ne doiinei’a jamais ; (dies sont une
introduction et un guide, rien de plus : mais, (|uelle introduc-
tion et quel guide !
C-ette rélb'xion me ramène à ma thèse initiale, la nécessité de
lire les auteuis originaux. .N’avoir pris connaissance des géo-
mètres anciens (pi’â travei-s le [U'isme Knestrom, en donm^ une
image pres({ue aussi ditfoi'ine, qu’en les regardant à travers le
prisme (iantor. Pour les voir tels (|u’ils sont, il faut les examiner
à l’œil nu, dirai-je, et sans prisme.
(!) Voir à re |>ioiios ti‘ comijtp l■(>Il(l^l de ta 3® é(tilion (te ce. premi(‘r
voimne doiuK'- [lar M. HnesliaMii dans ta tilHi.luTilECA M.\TlllvM.\TlC.\, 3® sio’ie,
1. 7, I.eipzig, T(îid)iier. 1900-11)07, pji. 39S-i00.
{~i) Al)Sotiim(Mit parlant, la 3'-’ ('‘dilion de ce lireniier voimne l’emporte
n(‘anmoins l)eaiiconp sur la seconde; mais, vu l’état relalil de la science aux
années oi'i ces éditions parurent, la troisième est moins aclievée (pie la
seconde.
(3) Notamm(mî : H. G. Ti’iilnn'i 'x VerUifi aiif ilew Grliiet ih'r Mathoiialil,...
I.eiiizig und i!e? lin. I90S. p. SO.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
589
Kntre mille antres, en voici une raison péremptoire. Sons
peine d’étre inintelligible, nn historien des mathématiques doit
conformer son style aux usages de son temps ; dans une certaine
mesure parler et écrire, comme parlent et écrivent ses lecteurs.
Liberté d’écriture et de langage très légitime sans doute, qui
n’en est pas moins une cause d’appréciations peu justes, souvent
même d’erreurs véritables.
-Mais, je dis beaucoup de mal des manuels d’histoire des
mathématiques 1
Pas tant ([ue cela. Leurs défauts ne sont pas le propre des
manuels de l’histoire de cette science, (ju’on se renseigne dans
la plus exacte, la mieux documentée des histoires littéraires, la
lecture d’un discours de Cicéron rései’ve des surprises. Le
(•riti({ue littéraire peut aider à en faire apprécier l’art et la
beauté, dès lors son rôle est terminé. Euclide, Stevin, Descartes,
Iluygens, Newton, pour peu qu’on les ait fréquentés, conduisent
bientôt à une conclusion analogue. La meilleure histoire des
mathématiques ne fait pas mieux connaitre de pareils maîtres,
qu’une histoire littéraire, si bonne soit-elle, ne donne l’idée
adéquate d’un discours de Cicéron.
M. Enestrôm écrira-t-il un manuel assez parfait pour prouver
<pie je me trompe? .le le désire vivement, car, qu’il m’en croie,
personne f)lus (jue moi n’admire sa vaste érudition et son beau
talent.
La Bibliotheea Mathematica. — Voici les titres des autres
articles de grand texte avec, au besoin, quehjues lignes d’éclair-
cissements ou de remarques.
Antiquitk. — L’époque où vécut Euclide, par M. H. Vogt (J),
<à Breslau. M. lleiberg et après lui la plupart des historiens
mettent l’apogée de la vie d’Euclide vers l'an rlUO; mais, M. Vogt
croit, preuves à l’appui, devoir le recider jusque vers .3:20. Son
argumentation consiste surtout dans la discussion d’un passage
du Commenluire du pveuiier livre des Eléuienls d’Euclide, par
l*roclus(2); passage, qui nous fournit le meilleur document jetant
un peu de lumière sur la date où vécut Euclide. — Sur l'origine
de lu théorie des polyèdres semi-réguliers, par M. (3. Loria, à
(1) Die Lebenszi'il Eukliih. von tt. pp. 19.3-20^.
(:2) Pvocli Diailoclii iii priininn Eiiclidis Elemevtorum lihriim Coiinnen-
tcirii, ex recognitioiie (loilotVedi Friedlein. Idpsiae, iii aedil)us H. (1. Teiihneri,
1873, p. (58.
ItU SÉtUE. T. XXVI.
38
590
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
(iênes (1). D’une phrase des Définitions de Héron (%, on conclut
que les polyèdres semi-réguliers ont été étudiés par Archimède ;
mais quelques-uns au moins d’entre eux étaient probahlement
déjà connus antérieurement.
.Moyen âge. — Le Trisatiha of Sridhitracaryn , par A. Rama-
nujacharia, à .Madras et (1. R. Ivaye, à Simla (8)- Le Trisatikn
est un traité de calcul composé par Sridharacaraya, géomètre
que la tradition indoue l'ait vivre au xU siècle de notre ère. Le
texte sanscrit du T7'isatika t'ul publié en JSM'.l, mais sans tra-
duction en langue euiopéenne. .M. Ramanujacharia nous en
donne maintenant une version anglaise; M. Kaye y ajoute des
noli's et une introduction. — Chiffres indous chez les Ai’abes,
par .M. Karpinski, à ,\nn .Vrhor (i). — L’ « algorisnins de inte-
(jris )) de inaih'e Cernnrdus, par (L Knestrom, à Stockholm (5).
— Algorisnins denionsiralns, dont V Algorisnins de inlegris est
la première partie, jouit d’une trop grande noloi-iété pour devoir
être présenté au lecteur. Rappelons, cependant, qu’il a déjà lait,
dans la Ribi.iotheca .Mathematica, l’ohjet de plusieurs articles
par .M.M. Duhem et Knestrom (h). L’auteur de V Algorisnins est
douteux. On a nommé, tantôt Regiomontanus, tantôt .lordan de
.Xémore, tantôt Oérard de Crémone, tantôt un certain maître
Gernardus, personnage dont au surplus on ne sait rien. C’est
à cette dernière opinion que se range M. Knestrom. Kst-ce à
tort ou à raison? Il importe assez peu, car V Algorisnins conser-
verait sa valeur entière, (piand bien même il lesterait définiti-
vement anonyme. Regiomontanus ne crut pas perdre son temps
en le transcrivant de sa propre main, et sa copie se conserve
(1) Sxdle orijfhii ilella teoriii ilci poliedri seuii-regohiri, ili (î. I.oria,
pp. I.'i-I6.
Ci) I.es Définitions de Héron viennent d’être publiées dans Heronis .-t le.ro n-
(Irini Opéra tinae siipersunl oinnia, vol. IV. Heronis Definiliones ciini
variis collcctionibus iptae feruninr (leomelrica. Copiis G. Schmidt usus
edidit .1. !.. Heihcrg, l.ijisiae, lüli.
(3) The Trisatikci of Sridliuracurna, hy N. Hamanajarharia and
G. U. Kaye, pp. 203-:2l7.
(i) Hindii nnmerals amon<i lhe Axabs, by I,. G. Karpinski, pj). 97-98.
(5) Dex « Ali/orisxnxts de Iixtegris » des Meistexs Gerxiardxts, von G. Enes-
trom, pp. :289-332.
(li) Ist Jordanxis Xexno) arixts Verfassex' derSchrift <>■ Ahjorilhxnns demon-
strutxxsy> f von (i. Enestrëin, 3" sér., t. 5, 199i. pp. 9-14.
Sur l’a Algoritixxnxx.s dexnonslxalxis », par I’. Dnhem, 3® sér, t. ti, 1905,
]ip. 9-15.
Voir aussi : l'eber die « DemonsI ratio Jordani de Algorismo», von G. Enes-
trom, 3'' sér., t. 7, 190()-I9()7, pp. î2i-37.
REVUE DES RECUEILS PERIODK^UES
591
à la Bibliothèque Impériale de Vienne. Jean Sclidner, éditeur
de tant d’ouvrages laineux, publia VAIfjorismns en 1534, chez
l’etreius à Xuremberg; mais les exemplaires en sont devenus
à peu près introuvables. M. Enestrom rend donc service en réé-
ditant VAlgorümus. 11 nous en donne aujourd’hui la première
partie, VAlgorismus de integris, d’après un manuscrit de la
lÜbliothèque Yaticane. C’est ce manuscrit (|ui attribue VxUgo-
rismus au maitre Cernardus. — Le Qundriparlilum Nume-
rorum y> de Jean de Meurs, par L. Karpinski (J). Jean de .Meurs,
savant normand du xiv" siècle, plus connu sous le nom latinisé
de Joannes de .Mûris, composa une algèbre sous le titre de
(Juadriparlitum Mit/neroriim. .M. .\Hred Vagi l’éludia en 189U(::lj;
.M. Karpinski reprend cette étude, mais sur un plan plus large.
— « De latitudinihus formaruin » de Nicole Oresme, par
.M. 11. Wieleitner, à Pirmasen (3j. Ouand .Maximilien Curtze
appela jadis l’attention sur ce traité de l’évèque de Lisieux, ce
l'ut une surprise; j’allais dire, ce lut chez plusieurs comme un
instant de stupéfaction. Un génie tel qu’üresme s’était-il vrai-
ment rencontré en plein xiv® siècle? L’étonnement des historiens
des mathémati((ues prouve plutôt qu’ils connaissaient mal le
XIV'' siècle; qii’alors, comme souvent encor-e aujourd’hui, ils
abandonnaient à tort les vieux écrivains de ce siècle à la curio-
sité des théologiens et des philosophes. .V i[ui ci’oirait que
j’exagère, je conseillerais la lecture des études de .M. Pierre
Ituhem sur Léonard de Vinci. Au troisième volume (4j notam-
ment, où l’auteur a réuni des tirés à part publiés dans le Bul-
LETi.x Italien ou le Bui.letin Hispaxique, on ti’ouve de nom-
breuses pages consacrées à Oresme et à son De Laiiiudinibus
fiinnanun. .M. Wieleitner n’a malheureusement pas connu ce
troisième volume et son travail y perd. Il me faut bien en l'aire
l’observation, quoique ce soit à contre-cœur, car le mémoire
très fouillé du professeur de Pirma.'^en a beaucoup de bon. On
(1) The « QnadriiHniilnm nn])a’i ont)ii » of John of Meurs, )jy !.. C. Kar-
pinski, PP- 99 tt4.
(!2) Dus « Quadripartituin » des loannes de Muids und dus praklische
Hechnen im vierzelinten Jahrhumle)i, voii IP .Alfred Vagi. .Ai’.handlungex
zcR Geschichte DEH M.vthematik, t. 5, Leipzig-, Teuhner, IS90, pp. t35-li().
(3) Der « Tractains de latdudinibus fonnannu » <les Oresme, von tl. AVie-
leitner, pp. 1 15-145.
(4) Éludes sur JJonard de Vinci, par Pierre Diihem, S*" sér. Les précur-
seurs parisiens de Galilée, Paris, Hermann. 1913.
i39‘i REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
éprouve quelque ennui à ne pouvoir le louer sans réserve. —
Sur une ahjèbre du .VP siècle, par M. K. Uath, à StuUgart (J).
Temps modernes. — Sur la formation et l'usage des nombres
dans les langues italiennes de CAmérigue du Nord, par M. W\
<’i. Eells, à Tarama ( Ktats-llnis) ('2). — « The Whelstone of mille »
! 1551), par .M. L. Karpinski (3). The Whetstone of ivitte, littéra-
lement, La pierre à aiguiser l'esprit, parut en J557, à Londres,
rhez Jean Kingslon. L’est la première algèbre anglaise qui ait été
imprimée. -- Sur T intégration d'une fonction trigonomélrique
attribuée à tort à Kepler, par .M. Enesirom (T), bon article.
En J88.S, M.S. Lüniher publia, dans la biRUOTiiEC.v Matiiem.\tic.v,
une note (5) où il attribuait à Kepler l’intégrale définie
.\l. Enestrùm .s’excuse, avec quebjue insistance, d’avoir admis
alors dans .sa ItEvrE, l’article de M. riüntber. 11 n’y a pas de quoi.
On était, je viens de le dire, en 1888 et .M. Enestrom regardait,
à très juste tilie, .M. S. (rüntbi'r comme l’un des princes de la
science. .Mais, ,M. S. Oünther lui-mème écriiait-il encore cet
article en lillô? Ouoi qu’il en soit, j’abonde aujourd’hui pleine-
ment dans le sens de .M. Enestrom. Le directeur de la Hirlio-
TiiEC.A observe, en ellét, très justement, que parmi les passages
de Kepler signalés pai' .M. (iünther, les uns sont relatifs <à la
sommation d’une suite limitée de sinus, (pu ne mérite donc en
aucune l'ai'on le nom d’intégrale. Les autres concernent, il est
vrai, des suites illimitées ; mais, la règle donnée par Keplei-
pour trouver
(piand Aqp tend vers O est fautive. En l’apidiquant on ne trouve
pas pour réponse 1 — cos cp. .\ux deux arguments de M. Enes-
(I) l’ehcr ein ^ll•lltsclu’s liechoihuch ans tteiu 15. JuhiliiiniUtri, von
E. tlalti, pj).
(^2) On formation and use of nrmrvuls in Indian langnur/es of Nortii
America, l)y \V. C. fiotls, pp.
(3) The n hetstoneof iritte ( 1557). 1)\ !.. C. Karpinski, pp.
(■i) Ueber die anf/ehliche InU-oruiion einer trigonomelrischen Funldion
bei Kepler, von C. Énoslrimi, jip. 220-241.
(ô) Ueber eine merkn nrdige Heziehnng zirischen Pappns and Kepler,
2'’ sér., t. 2 ; pp. SI -ST.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
593
trôm, j’en ajouterais volontiers un troisième. Dans l’iiisloire des
origines du calcul inlinitésinial, c’est prêter aux malentendus
que de regarder comme éiiuivalentes, soit les notations
soit les expressions « intégrales définies)) et «somme de rec-
tangles infinitésimaux en nombre illimité )). Si on les désirait,
on trouverait mes raisons dans le dernier Ihdlelin d’histoire
des Mathématiques (1 ), à propos des (luadratures d’Archimède.
Inutile de tomber dans une redite. — Marina Ghetaidi et les
débuts de la géométrie des coordonnées, par M. 11. Wieleitner (2).
En 1882, M. Eugène Gelcich publia une élude très développée
sur le /le résolut ione et compositione mathematica de(îbetaldi(3),
étude dans laquelle il se mettait au point de vue spécial des
débuts de la géométrie analytique. M. \Yieleitner estime que
cette étude a vieilli et la remet au point. — Deux lettres de
Desargues et de Bosse, par .M. G. Yalentin, à Berlin (4). Rendant
compte naguère de la brochure consacrée par M. 11. Brocard à
Desargues (5), j’ai signalé la trouvaille du bil)liothécaire delà
Bibliothè(iue Royale de Bei lin, dans le dépôt dont il a la garde.
— Remarques sur la démonstration de Newton relative à la rota-
tion du solide de moindre résistance, par M. 0. Bolza, à Fri-
bourg en Brisgau (fi). — Les recherches de Leibniz sur une équa-
tion générale relative aux )iombres premiers, par M. D. .Mahnke,
à Stade (7). — La notation par indices chez Leibniz, exemple de
(t) Uüv. DES Qlest. scient., t. 74, 19t3, pp. 643-048. Pans t’analyse ite
l’articte de M. A. .\ul)ry : Le Calcul Infinitésimal avant Descartes et Fermât.
Ç2) Marina Ghetaidi und die Anfiinge der Koordinatenyeometrie, von
H. Wieteitner, pp. 242-247.
(3) Fine Studie iiber die. Entdeckang der anahjtischen Geometrie mit
Berücksichtigung eines Werkes îles Marina Ghelaldi Palrizier Ragusaer,
ans dem Jahre 1630. voii Eugen Getcich. Abiiandlunc.en zuk Geschichte
DEi\ M.athem.atik, t. 4, Leipzig, Teuhner. 1882, pp. 191-231.
(4) Zicci Briefe van Desargues und Basse, von G. Valentin, pp. 23-28.
(5) Analyse d’autagraphes et d’autres ikrits de Girard Desargues, par
H. Brocard, Bar-le-Duc, Cointe-Jacquet, 1913. Voir mon dernier Bulletin
d’Histaire des Mathématiques, dans la Rev. des Quest. scient., t. 74, 1913,
pp. 649 et 6.)0.
(6) Bemerkungen zu Neivtans Beueis seines Satzes über den Batatians-
kiirper kleinsten Wiederstandes, von O. Rolza, pp. 146-149.
(7) Leibniz auf der Sache nach einer allgemeinen Primzuhlgleichung,
von Ü. Mahnke, pp. 29-61.
O
cp
sin qpdcp et
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
5<)4
sa caractéristique combinatoire, par le même (1 — Lagrange
et l’histoire des Mathétnatiqties, par G. Loria (2); avec un beau
portrait de Lagrange. — Pour llnsloire de l’interpolation par
les fonctions erponentieltes, par .M.M. IL Hurkhard et U. Klee-
berg, à .Municli (G). — Snr l’introduction du mot (( groupe y>
comme ternie technique en mathématiques, par M. (i. Miller,
à Lrbana (i). Le sens tecbiiique, c’est-à-dire, propre aux
matbématiciues, a été donné au mot « groupe par Galois. Telle
était du moins l’opinion courante quand M. K. Itortollotti crut
devoir la révoquei- en doute dans le N” 22 de la Trihune purmque
de l’édition l'ranraise de Y Encyclopédie des sciences mathéma-
tiques. Il y t'ait remonter à Poinsot l’emploi du mot « groupe
au sens s[técial (pie lui donnent les mathématiciens. L(^s pas-
sages de Poinsol cités à l’appui par .M. Hortollotti sont peu con-
cluants.
- Isis ». — Revue consacrée à 1 Histoire de la science,
publiée par George Sarton (5). — Dans un Ilulletin d’His-
toire des Mathématiques, convient-il de mentionner la nouvelle
llevue belge Isis? ,1e m’y décide, d’abord pour ne pas paraître
ignorer une publication nationale; ensuite à cause (Je l’exemple
que me donne M. Lnestrom, dans la Riruothkc.v M.\them.\tic.\ ;
enlin et surtout à raison du titre : Isis, lievue consacrée à VHis-
toire de la science. Le litre promettait beaucoup! Lue revue
consacrée à l’histoire de la science! On n’en possède pas publiée
en langue française. Isis comblait une vraie lacune. Malheureu-
sement, dès le second fascicule, le titre change et devient : Isis,
Revue consacrée à l’histoire et à l’organisation de la science.
Encore ce titre est-il trompeur. D’histoire de la science, j’en-
tends de l’histoire vraie, fruit de recherches appuyées sur pièces
et documents; de cette histoire là, il n’est presque pas question.
(1) Die l)ulexbezeiclinu)i(/ hei Ixibniz als Bei.spiel seiner tiombinatori-
scben Charakleristik. voii P. Mahnke, ]>p. :250-;2()0.
C2) lAigruntie e la storiu delle niutematiche, di G. Loria, pp. ;i33-338.
(3) Zur Geschicble (1er Interitolaliou durcli E.rponenlialfunktionen, voii
H. Iturkhardt uiid K. Kleeberg, pp. 150-153.
(l) On tbe intruductinn nf the Word « grnit}) » as a technical matherna-
tical terni, by G. .\. .Miller, pp. (i'2-()4.
(5) Wondelgein-lez-Gand, ttelgique, 1913-1914.
I.es articles de la revue sont publiés en (luatre langues : en français, anglais,
allemand et italien.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
595
Oiiant à l’orgaiiisalion de la science, malgré sa bonne volonté,
le directeur d’isis pai’ait plein d’illusions.
.Mais, en lait, est-ce bien d’histoire de la science, d’organisa-
tion même de la science, <[u’il s’agit dans la revue de M. George
Sarton? Je ne .sais; .i’hésile à me prononcer, la clarté n’étant
pas ici la qualité maitresse du rédacteur en chet. Quel est en
réalité son programme? Il y revient à plusieurs reprises, sous
prétexte de le préciser, en se plaignant, et pour cause, de n’avoir
pas été sudisamment compris ( 1 ). Malgré ces nouvelles préci-
sions, je ne suis pas encore assuré de comprendre. S’il m’était,
cependani, permis d’essayer une formule, je dii-ais qu’lsis a
pour but la philosophie de la science dégagée de toute idée
métaphysique et religieuse. Philosophie inconsistante, vague,
sans avenir; comme toute philosophie qui exclut a priori les
idées métaphysiques.
Celte note cai'actérislique du programme d’isis, je ne voudrais
l>as trop la généralise!' en l’étendant indistinctement à tous les
articles. Je ra[)pli((ue surtout à ceux de .M. Sarton lui-même,
qui remplissent, au surplus, une bonne partie du volume. Quant
aux articles de ses collaborateurs, ([uelques-uns sont de la bonne
école, objectifs et vraiment historiques. Ils donnent au premier
volume d’isis sa valeur. Voici le titre de ceux que l’on peut citer
dans un Bulletin d'Irisloire des mathématiques. 11 faudrait en
ajouter d’autres, si ce Bulletin s’étendait aux sciences naturelles.
La géométrie des Hindous, par David Eugène Smith (2). —
Le «. Carmen de ponderibns » de Guarino Veronese, par Antonio
Favaro (3). — yicolo Tartaglia. A propos de l’ impression de
quelques-uns de ses ouvrages, notamment de la « Travagliata
Inventione », par le même (-'Q. — Les gloires mathématiques de
(1) L’histoire de lu science, par George Sarton, pp. 3-40.
Le but d’isis, par George Sarton, pp. t93-l96.
.Mais, le programme du directeur de la revue parait se dégager surtout d’un
article qui n’est pas à proprement parler un article programme ; Comment
augmenter le rendement intellectuel de l'humanité, par George Sarton,
pp. !219-'24‘2 et 416-473. I. 'article est divisé en cinq chapitres dont voici les
titres : 1''® partie. Introduction. — I. I,e génie scientifique. — II. Le génie et
la race. — 2® partie, lit. F/tiérédité. — IV. L’hérédité des aptitudes intellec-
tuelles. — V. Le milieu et l'hérédité.
(2) The geometrn of the Hindus, pp. 197-204.
(3) U « Carmen de ponde ribus » di Guarino Veronese, pp. 205-207.
(4) Di Nicolo Tartaglia e délia stampa di alcune delle sue opéré con
particolare riguardo alla. « Travagliata Inventione », pp. 329-'340.
Outre cette étude, .M. P'avaro vient de donner, dans I’Archivio Storico
59G
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
la Grande-Bretagne, par Gino Loi'ia(J). C’esl la conimiiniralion
faite à Londres, le 4 avril 1913, an Congrès International d’IIis-
toire. — L’origine du concept de l’intégrale définie d’après
Cauchg et l’origine de celui de la contiimilé, par Philippe-
E.-H. iourdain (il).
D’nn genre très dillërent est l’article dfi à la plume de
M. George Sarton lui-même. Sur les tendances actuelles de Ihis-
loire des inathé]naligues (o). Etude ne maïupiant pas d’intérêt,
mais dont le titre est ti'op général. Dans les tendances de l’his-
tüire des matliématiqnes telles que les décrit .M. Sarton, on ne
retrouve certainement, ni l’esitrit de Cantor, ni celui d’Enestrom,
ni celui de Eavaro, ni celui de Zeuthen, ni celui de Ileatli, ni
celui de Loria ; je ne cite que les maîtres vivants, dont les noms
me reviennent les inemiers à la mémoire. .M. Sarton les con-
naît, car à l’e-vceiitioii de M. (î. Enestrüm, tous font partie du
comité de pati'onage d’Isis. En réalité, .M. Sarton nous commu-
nique les réilexions que lui suggère la lecture de deux ouvrages
récents ; Les étapes de la philosopitie malhématigue, par
.M. 1 „éon lirunsclivicg (4) et les Principes de lanalyse malhénia-
tûpie, par .M. l^ierre lioutroux (5). Voilà le fait. Je le signale
sans commentaires. A insister davantage sur le plus ou moins
d’à-propos des remarques de .M. Sarton, je risquerais de me
tromjier. C’est que, pour les bien juger, il me faudrait connaître
les ouvrages originaux de .M.M. Léon Hriinschvicg et Pierre
Hoiitroux, qui leur servent de base. Or, je n’ai pas eu l’occasion
de les lire et riuterruption des communications entre Bruxelles
et l’aris, m’en rend l’acquisition impossible.
Force m’est donc de m’abstenir pour le moment. Quand les
circonstances auront cbangé, peut-être |)Ourrai-je, (luelque jour,
revenir sur le sujet.
En terminant cette revue des principaux articles d’isis, je
signale, comme utile à consulter, le Bulletin aiuüytûpie des
puOlications relatives à Ihistoire des sciences parues depuis le
Itauano, une notice biographique de Tartaglia intitulée : Per la biograjia
di Nicolo Tartaglia, lloine, 1913. Ce travail, écrit avec le soin cpi’y met tou-
jours le savant éditeur des OEuvres de Galilée, a 4U pages.
(I) Le glorie matematkhe délia (îranbretagmi, pp. (i37-()54.
(2; The origin of Cauchg' s conception of a de/initive intégral and of the
continuitg of a function, pj). GGl-TOB.
(3) Pp. ôTi-ôü9.
(4) Paris, Félix .Ucan, 1912.
(5) Paris, Hermann, 1914.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
597
janvier 1912, par George Sartoii (J), l ne observation,
cependant, imposée par le titre. M. Sarton conçoit sa Ijibliogra-
phie sur un plan très vaste. .\us.si les diverses parties en sont-
elles de mérite assez inégal. embrasser des sujets si différents
et si étendus, on risque beaucoup de rester incomplet.
Sur les connaissances géométriques des Grecs avant la
réforme platonicienne, par H. G. Zeuthen {2). — Les mathé-
matiques se développèrent par une suite de progrès insensibles.
Voilà une vérité qu’on ne saurait trop répéter. Llle est un des
principaux critères utilisés par M. Zeuthen pour essayer de
reconstituer la géométrie grecque pré-Euclidienne. 11 faut rn’y
arrêter un instant à un point de vue spécial.
Soit un théorème quelconque, soit mieux encore une théorie
dont les démonstrations sont difiiciles et délicates : le calcul
différentiel ou la géométrie analyticpie, par exemple, (jui en est
l’auteur? 11 est presque toujours impossible de répondi'e par
un nom propre. C’est que, posée en ces termes, la question est
mal posée. Elle provoque, en effet, la plupart du temps, au
moins deux réponses. Pour les uns, l’auteur est celui qui, lé
premier, a eu l’idée du théorème ou de la théorie ; je l’entends
évidemment d’une idée suffisamment exacte et claire. Pour
d’autres, celui-là seul mérite le nom d’auteur d’un théoième,
qui, le premier, en a donné la démonstration iiréprochable.
A ces deux réponses ne faudrait-il pas même en ajouter souvent
une troisième? Si Descartes, par exemple, mérite, à juste titre,
d’être nommé le créateur de la Géométrie analytique, n’est-ce
pas simplement pour avoir mis en pleine valeur des méthodes
dont les premiers inventeurs n’avaient pas vu la fécondité?
Mai s, avec M. Zeuthen, je m’arrête aujourd’hui aux deux
premières réponses. La question posée comme ci-dessus, pré-
sente une suprême ambiguité dans l’iiistoire de la formation
de la géométrie grecque, notamment, quand on veut retrouver
la manière dont s’est développée la théorie des irrationnelles
ou celle des proportions. Ces théories aboutirent aux deux
(1) Pp. 13G-188; 293-3:25; 543-574 et 757-791.
(2) Sur les connaissances géométri(jues des Grecs uvuni la Héfurnie
Platonicienne, par II. G. Zeuthen, Bulletin de l’Académie royale des
Sciences et des Lettres de D.anemark, Copenhague, 1913 ; jip. 431-473.
Ce mémoire est le neuvième présenté, depuis 1893, à l’Académie de Dane-
mark, par M. Zeuthen, sous le titre général de Xotes sur l'Histoire des
Mathématiques.
598
REVT'E DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
chefs-d’œuvre que nous lisons encore anjourd’lini dans les
Eléments d’Euclide, mais elles furent l’une et l’autre le résultat
de longs tâtonnements ( J ).
Heux savants, .MM. Vogt de Breslau et Zeulhen de Copenhague,
se soni attachés à débrouiller l’histoire des irrationnelles, .le
n’y reviens pas ; j'ai raconté leur discussion dans mon BnUelin
de juillet 1911 {il), (ju’il me sullise de rapi)eler que tout en
admii-ant le tlair du chercheur et la patience de l’érudit chez
M. Vogt, je me suis rallié aux conclusions de .M. Zeuthen. La
philosophie des mathématicpies a donné au professeur de
Copenhague un sens exquis des étapes par lesquelles doit passer
une théorie mathémati(|ue pour se constituer. Suivons .Al. Zeu-
then dans son nouveau mémoire.
Archimède, dit-il, nous apprend dans son traité récemment
retrouvé sur la Métiioite (o), que Uémocrite connaissait le rap-
port 1/.’] de la pyramide ou du cône,' au prisme ou au cylindre
de même hase et de tnéme hauteur. Dans l’introduction tlu pre-
mier livre De In Sphère et du Ci/lindre (4), il dit au contraire,
qu’avant Eudoxe personne n’avait cette connaissance. Est-ce
une contradiction ? Du tout. C’est (jue le Syracusain distingue
entre un savoir mal fondé selon lui, tel que celui de Démocrite,
et un savoir géométrique bien fondé, tel que celui d’Eudoxe.
.Mais, avant la découverte du traité de la Méthode, on pouvait,
on devait (“roire, sur la foi d’Archimède, que le rapport l/.”3 en
(juestion n’avait jamais été énoncé avant Eudoxe.
Pour les géomètres grecs, la plus abondante source histoiâque
d’information était l’historien des mathématiques de profession,
Eudéme. Cette source était aussi la meilleure ; et néanmoins
Eudème, comme tous les historiens des mathématiques, a
contribué involontairement à semer l’erreur. C’était fatal.
Toujours il y a eu, toujours il y aura des mathématiciens, pour
ne connaître le passé de leur branche que par les livres d’his-
toire. Or, je l’ai dit ci-dessus en parlant de Al. Enestrôrn et je le
répète à propos d’Eudème, un histoiien qui veut rester intelli-
(1) Sur la constitulion des éléments (TEuclide, voir : Die Mathemalik im
Altertum und im Mittelalter, von H. G. Zeuthen; dans la collection UiE
Kultuh [)ER Gegenvvart, herausgegeben von Paul Hinnenberg; l.eipzig,
Teubner 1912, pp. 33-.10.
(2) T. LXX, 1911, pp. 330-335.
{‘6) Arcliimediis opéra nmnia, cum commentariis Euiocii. Iterum edidit
J. L. Heiberg. lâpsiae, in aedibus B. G. Teubneri, I. 11, 1913, pp. 430-431.
(4) Même édition, t. 1, 1910, pp. 4 et 5.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
599
gihle doit adopter le langage de ses contemporains. f*ar le lait
même, il doit se contenter d’être exact dans les grandes lignes
de son exposition, sans fatiguer les lecteurs par un style et des
notations archaïques; sans les perdi'e à tout instant sous prétexte
d’e.xactitude, dans un dédale de minuties accessoires. L’histo-
rien Ludème agit en cela comme les autres, .\insi, il attrihue
quelque part les fondements de la théorie des proportions à
Thaïes. Depuis lors, il a été longtemps d’usage de répéter
sans commentaii'O cette information d’Kudème. Mais, Paul
Tannery a excellemment montré, dans sa Géométrie grecque {ï),
qu’énoncé en ces termes c’était une erreur, l^es théorèmes dont
Thalès eut connaissance sont tout au plus ceux qui lui servirent
à exécuter quelques constructions pratiques. Ce serait se
tromper que d’y voir le commencement de la formation d’un
système géométriciue. Dès le moment où on s’est mis à dessiner,
on a eu l’idée générale de la similitude des figures. 11 a fallu
plusieurs siècles pour faire, avec Euclide, de la théorie de la
similitude le couronnement de la géométrie plane élémentaire.
Thalès n’en était pas là.
Ce sont Platon et ses disciples qui créèrent délinitivement
l’exposition de la géométrie telle que la pratique Euclide.
« Dans la méthode platonicienne — je laisse ici la parole à
.M. Zeuthen — les notions géométriques primitives sont nos
propres créations. Nous leur donnons une existence, soit par
nos définitions, soit par les postulats qui achèvent l’énuméra-
tion des propriétés que nous voulons leur attribuer sans démon-
stration. Leurs autres propriétés, ainsi que l’existence et les
propriétés des figures qu’on construit en faisant u.sage des pos-
tulats, demandent des démonstrations reposant sur les postulats
et certaines notions générales énoncées de même (pie les pos-
tulats au commencement. »
En d’autres termes, dans le système platonicien, la géométrie
part de définitions et de postulats en nombre minimum et,
autant que possible, indépendants les uns des autres; ceux-ci
admis, elle en tire des conséquences logiques par des démon-
strations rigoureuses.
.Mais, pour avoir une pareille conception de la géométrie,
il fallait déjà se trouver en possession d’une science très par-
faite. C’est la voie contraire, ou du moins une voie toute ditfé-
(t) La géométrie grecque, comment son histoire nous est parvenue et ce
que nous en savons. Paris, (lauthier-Villars, l<S87 ; pp. 89 et suiv.
600
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQl’ES
rente qu’ont suivie les premiers créateurs de la géométrie. La
connaissance des vérités géométriques a commencé par s’atta-
cher à des figures concrètes. On en a successivement découvert
les propriétés. Les premières durent même commencer par se
présenter sous une l'orme assez complexe. C’est seulement par
une décomposition des vérités complexes que l’on est parvenu
aux vérités simples (jui forment la hase du système platonicien,
tel ([ue l’a perfectionné Kuclide.
La démonstration géométi'ique a existé aussi bien longtemps
avant la formation d’un système géométrique. Son but est de
persuader ceux qui concèdent les [trémisses; peu importe d’ail-
leurs ((lie ces prémisses soient des véi'ités sim{)l(‘S ou des vérités
complexes.
Ces princi[)es posés, ,M. Zeuthen entre au cceur de son sujet.
Le but du [)résent mémoire est de déterminer ce que renfer-
mèrent probablement les Eléments de géométrie d’Ilippocrale
de Chio(l). Ln seni fragment de (pielque étendue nous en a été
conservé. 11 est relatif aux (piadratures des blindes et nous le
devons à Sim[)licius, (jui le raiiporte d’après riiistorien des
matbémati({ues Eudème. F'Iusieurs fois édité à part il l’a été
récemment encore, par .\1. Rudio de Zurich, sous le titre : Der
Bericht des Simplicius nher die Quadrature» des Antiphon und,
des H ippokrates (2). En rendant compte de cette édition (8) j’ai
raconté dans la IIevue les longues, mais courtoises, controverses
auxquelles donna lieu rétablissement dn texte. Leur nombre et
leur durée s’expliquent [lar l’importance de ce [lassage de Sim-
plicius. .\ous ne possédons, sur l’état des mathématiques avant
l’Iaton, aucun texte ([ni puisse être mis en parallèle avec celui-Là.
M. Zeuthen en reprend ici l’examen. Une discussion appro-
fondie l’amène à présenter, [lour certains [tassages, une inter-
prétation nouvelle. Elle est, en Ions cas, non seulement très
ingénieuse, mais aussi, semble-t-il, très vraisemblable et incon-
testablement plus satisfaisante que colles que l’on en avait
données jusqu’ici. Il s’agit notamment de la lunule circonscrite
au trapèze isoscèle (4). Mais, il faut me borner.
(1) Nous connaissons l’existence des Éléments d’Hippocrate, notaintnent par
Proclus. Procii Diudochi in pritnnin Euclidis etementorum librum commen-
tarii, ex recoffiiitione G. Friedlein, p. W>.
(2) Coltection des Uhkunden zuii GESf.iiiciiTE dek Mathe.m.xtik im Alter-
TUME, t. I, Ijeipzig, Teuliner, 1907.
(3) T. I.XV\ .janvier 1909, pp. 291-301.
(4) En rendant compte dans Mathesis (t. .\.\IX, Gand 1909, pp. 11-14) de
l’édition du fragment de Simplicius, par M. Hudio, .j’ai donné en style et nota-
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
601
Voici donc les conclusions du mémoire de M. Zenthen.
I^es connaissances étendues dont témoigne la quadrature des
lunules montrent que, comme tond, les Éléments d’Hippocrate
peuvent avoir contenu la plupart des « faits » géométriques qui
se trouvent dans les Éléments d’Euclide; mais, comme forme,
les Éléments des deux auteurs doivent, au contraire, avoir été
fort diiïérents. En élaborant le plan de ses Eléments, Euclide
a été très intluencé par la théorie des pro[)ortions d’Eudoxe,
par celle des iirationnelles, et davantage encore par les habi-
tudes d’extrême rigueur introduites en mathématiques par
l’école de Elaton. Ses Eléments sont le résultat d'une refonte
complète des Éléments d’Hippocrate, refonte commencée par
Léon et Theusius, achevée par Euclide. Cela n’empéche pas
pourtant que beaucoup de démonstrations particulières n’aient
passé d’un traité à l’autre; notamment celles des 3' et -4® livres
d’Euclide. Les constructions géométricpies données dans les
Eléments d’Hippocrate doivent avoir, elles aussi, été les mêmes
que celles qui se lisent dans les Éléments d’Euclide. .Alais, chez
ce dernier, les constructions effectuées par la règle et le compas
jouent un rôle nouveau, celui de démontrer l’existence de la
ligure construite. .V ce rôle, Hippocrate, sans doute, n’avait
jamais songé. C’est que l’idée de faire cet usage des construc-
tions par la règle et le compas n’a pu naiti’e qu’après que les
géomètres eurent une longue pratique de ces constructions.
.Mais, d’un autre côté, où chercher cette pratique, sinon dans
les Éléments d’Hippocrate? Le géomètre de Chio en carrant la
lunule circonscrite au trapèze isoscèle, suppose que l’on connaît
la construction d’un trapèze dont on donne les quatre côtés. Ce
fait indique, ou bien qu’il explique cette construction dans ses
Eléments, ou bien, peut-être, qu’il la regarde déjà comme trop
simple pour devoir être donnée. Mais alors, trop simple, pour
(lui? Précisément pour les lecteurs de ces mêmes Éléments.
D’autre part, aucune considération systématique ne prescrivait
encore à Hippocrate de construire les figures par l’emploi
exclusif des droites et des cercles. Il est donc possible, vrai.sem-
hlable même, que ses Éléments contenaient d’autres construc-
tions que celles qui peuvent s’exécuter par la règle et le compas.
lions modernes, les démonstrations imaginées par Hippocrate pour carrer
scs lunules. J’y renvoie le lecteur (juc le sujet intéresserait. Il va de soi cepen-
dant que ce n’est pas sur des démonstrations ainsi rajeunies (ju’on peut
juger le bien fondé des déductions de .M. Zeutlien.
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
602
Dans ses Eléments, Hippocrate s’occupait évidemment aussi
des tig-ures semblal)les. On sait l’emploi ingénieux qu’il en a fait
pour carrer les lunules. .Mais, la théorie de la similitude doit,
avoir eu entre ses mains une forme bien différente de celle
(pi’Euclide lui donna dans son Cf livnc Obez Euclide le {f livre
fait suite au 5% qui contient la théorie géomélri(pie des propor-
tions due à Eudoxe; en d’autres termes, la théorie de la simili-
tude s’appuie sur une théorie rigoureuse des proportions. Hip-
pocrate, au contl-aire, aura eu besoin de la considération, plus
ou moins intuitive, des ligures semblables, poui- établir une
théoi'ie des angles et des [larallèles. (’.ette ébauche de théorie
dut lui permettre d’a[)pli(pier les [iroportions à la géométrie.
11 en aura, en tous cas, eu besoin, sous une forme ou sous une
autre, pour démontrer le théorème de l’\ tliagore. La démon-
stration générale de la pro[)osilion du carré de l’hypoténuse
doit, en (dfet, s’èlre faite d’abord par les triangles semblables;
par exern|)le, en décomposant le triangle rectangle en deux
autres, au moyen d’une jierpendiculaire abai.ssée du sommet de
l’angle droit sur riiyiioléiiuse. Le genre de démonstration est,
en etfet, relativement fort simple, tandis que la démonstration
ingénieuse, mais artilicielle, dont se sert Eiidide à la lin de son
!'■ livre, — démonstration restée classique, et qu’on trouve
encore aujourd’hui dans tous nos manuels de géométrie, —
cette démonstration, dis-je, semble avoir été inventée iiar
Eucfide, [lour les besoins de son système. Car, il fui fallait,
tl’une part, renvoyer le plus loin [lO-ssible tout ce qui concerne
les proportions, et de l’autre, avoir néanmoins à sa disposition
le thf’orème de Pythagore.
Ouant à l’algèbre géométrique, connue probalilement déjà
par les pythagoriciens, elle semble ne pas avoir été utilisée jiar
Hipi»ocrate. 11 ne parait pas s’ètre ocrupé davantage de la théo-
rie arithmétique des proportions. En revanche, d’après la lettre
attrilmée [lar Eutocius à Eralosthènes (J), Hipiiocrate aurait
réduit les problèmes de la duplication du cube et de la trisec-
tion de l’angle à celui de l’insertion de deux moyennes propor-
tionnelles.
Les derniers travaux du R. P. Van Hée, S. J., sur l'his-
toire des mathématiques chinoises (i). — Le K. P. Van Hée
(1) Publiée par llf iberg-, dans ses Archiiueilis Ojn’i a ouinia, cvm commcn-
lariis Entocii, l. lit, Leipzig, Teubner, ISSI, pp. tUït-lll.
(2) liibliothecii Mallieiiiatica Sinensis Pé-Foti, j>ar le P.év. Père Van liée,
S. J. Même recueil, t. .\V, l.eyde, lOLi, pp. 1 It-Kli.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
6ü3
continue, clans le T’Ouvg-I’ao, ses études sur l’histoire des
mathématiques chinoises. J’ai à signaler aujourd’hui deux nou-
veaux travaux.
Le premier est intitulé : Li-Yé, malhématicien chinois du
XIH^ siècle (J). Li-Yé vécut de J 178 à l:^(ir). Les Chinois le consi-
dèrent comme un de leurs plus habiles géomètres. Il nous l este
de lui deux traités fort curieux.
Le premier, daté de 1248, est une espèce d’algèbre et de tri-
gonométrie. 11 porte le titre de Ts^é tjuen tnd king, c’est-à-dire.
Miroir pour calculer les cercles. Le second, daté de 125Ü, est un
recueil de problèmes, avec solutions raisonnées, sur le quadri-
latère et les cercles. 11 est connu sous les quatre monosyllabes
I kou gen-toan. C’est ce dernier ouvrage (lui forme l’objet du
travail du P. Yan Hée. Nous y trouvons l’énoncé chinois de
f)4 problèmes, avec la traduction française ; quelques solutions
raisonnées, celles-ci aussi avec la traduction française; enfin la
préface et la postface de Li-Yé, mais cette fois, malheureuse-
ment, sans la traduction. L’omission est regrettable, car ces
traductions, indispensables pour la plupart des lecteurs, eussent
à peine allongé le travail d’une page ou deux au plus.
Le deuxième mémoire du P. Yan liée est intitulé Bibliotheca
Maihemalica Sinensis Pé-Fou. Yoici en ([uels termes l’auteur
le présente au lecteur : « Les jésuites apportèrent à la Chine
la science eui’opéenne : arithmétique, algèbre, géométiie, tri-
gonométrie, logarithmes, mécanique, physique, géographie,
philosophie, astronomie surtout, eureiit désormais des livres
classi((ues dictés par les missionnaires et mis en beau style par
leurs illustres élèves, la plupart grands mandarins et grands
lettrés.
» Pour se faire une idée nette de l’intluence exercée sur l’es-
prit des Chinois, par cet enseignement oral et écrit, pour
démêler ce que les mathématiciens jaunes y ont puisé, ajouté
ou modifié, pour être à même de porter un jugement impartial
et définitif sur les productions chinoises, qui s'échelonnent de
la fin des .Ming à la dernière période des T’sing — soit un espace
de trois siècles environ — il faut absolument connaître les
ouvrages scientifiques de l’imprimerie Sino-Européenne.
» Pendant mon long séjour en Chine, j’ai lu et relu, annoté
et admiré ces beaux travaux, et j’en donnerai plus tard un
(I) Li-Yé, malhématicien chinois <lu XlIP siècle, par le ttév. Père \ aii
liée, S. .1. T’ounopao, I. XIV, Leyde, E. J. lirill, 1913, pp. 537-5ti8.
REVf’K DES questions SCIENTIFIQUES
f)04
aperru clair et concis, anquel, pour le moment, la bibliographie
de Gordier peut sei-vir de premiers jalons, combien exactement
placés, il est inutile de le (lire.
» J’oflVe anjourd’hni l’analyse de la collection Pè-fov. Elle fera
voir au lecteur la tournure générale des travaux exécutés par
bîs mathématiciens jaunes; nomenclatures, procédés, notations,
idées maîtresses, avec cet avantage immense de donner les
textes originaux caractéristiques, sans lesquels notre manière
de penser se substitue trop lacilement à celle que nous sommes
chargés de traduire. y>
Le P. Van liée analyse alors les traités qui composent la
collection. Il est malaisé d’analyseï' cette analyse et de résumer
encore ce résumé. La simple transcription des titres a[)pren-
drait peu de chose au lecteur. Aller plus loin serait s’exposer
à dépasser les bornes re(;ues dans un compte rendu. Le mémoire
dn P. Van liée est bourré de citations chinoises; en les tradui-
sant, rauteui- fait un etfort visible pour suivre le texte de près,
mais il vient de nous dire combien le style et les raisonnements
mathématiques des Ghinois dilTérent des nôtres. Il est presque
impossible d’abréger le traducteur en restant, à la fois, exact,
court et clair, force nous est donc de renvoyer le lecteur au
mémoire même du P. Van liée, .l’y signalerai, comme particu-
lièrement curieuse, l’analyse du LV' traité, dans lequel il est
(piestion du calcul de tt. L’auteur Ts’eng Ki-hong, qui vécut au
xviiU siècle, abandonne la vieille méthode par extraction d<;
racines cari ées et par calcul dii’ect des périmètres des polygones
réguliers inscrits et circonscrits, pour se servir d’un développe-
ment en série de fractions rationnelles, développement que le
P. Van liée nomme formtde du P. .lartroux.
Les travaux de M. Louis Karpinski sur l’algèbre d’Abu-
Kamil (]). — Pans mon dernier Hallelin ('2), j’ai signalé l’étude
publiée par .M. Karpinski, sur VAlqèbre d’Abu Kamil, dans la
liniLiOTHECA .Mathem.vtica, mais en me contentant d’en traduire
le titre, ('/était vraiment bien peu pour un si bon travail. Un
nouveau mémoire du professeur de l’Université du Michigan,
(1) The Algabra of Abu hamil Shoja’ ben Aslani, hy l.ouis C. Karpinski,
Ü1BLIOÏHECA MatiuvMATICA, sér., t. Xll, Leipzig-, Utll-IOtS, pj). iü-.%.
The AU/ebra of Abu Kamil, by l>. U. Karpinski, Universily of .Michigan,
The .Ameiucan Matiie.maticai. .Monthi.v, t. f(>v. Ulli, j)p. .le cite
le tiré à part.
(ïl) T. LXXIV, Unixelles, |>. (üO.
REVT'E DES RECUEILS PERIODIQUES
(3U5
publié, cette lois, dans The .Mathematical American Monthly,
me donne l’occasion de revenir sur le sujet.
C’est Michel Chasles, en 184J, d’après M. Karpinski, qui
appela le premier l’attention sur une algèbre du moyen âge
contenue dans le manuscrit de la Bibliothèque .Nationale coté :
Paris, 7377, A. .Michel Chasles se bornait à signaler l’importance
de cette algèbre et l’intérêt qu’elle présentait, mais, chose assez
étrange, le nom de l’auteur lui échappa. On ne s’explique pas
bien cette distraction de .sa part ; car on lit au !'" 93 v“ :
« Explicil. Dixit .\buchamel Ssagia, lilius Ahraliim, aggregator
hujus hbri. »
Steinschneider et Sutei’ avaient, eux aussi, après (ihasles,
appelé l’attention sur VAlfjèbre d’Ahu Kamil ; mais les choses
n’allèrent pas plus loin. C’était i-egrettable. Ou’allendait-on pour
publier le texte de la Bibliothèque .Nationale? La rédaction
originale arabe d’Ahu Kamil était perdue ; du moins les biblio-
graphes les mieux documentés sur les manuscrits arabes, tel
Suler (1), n’en connaissaient pas d’exemplaire. Baison sutîisante
pour en publier sans plus de l'etard la version latine, puisque
c’était tout ce qui nous en restait. C’est à quoi se ré.^olut, du
moins en partie, .M. L. Karpinski, dans le tome .\ll de la
Bibliotheca Mathematica. Il nous y donna le texte même de
quelques-uns des principaux passages de V Aluèhre d’.-Vbu-Kamil
et l’analyse des autres.
.A l’ouvertui-e de VAlfièbve du géomètre arabe, on reconnait
du premier coup d’œil plusieurs des figures du .second livre des
Eléments d’Euclide. WAlgèbre d’.Abu-Kamil est effectivement
consacrée à la résolution des équations du degi'é; mais, sui-
vant la coutume arabe, aux démonstrations graphiques d’Eu-
clide, Abu Kami! ajoute des exemples numériipies.
L histoire des logarithmes, par F. Cajori (iilj — { ;^ .!//)•/-
fica loganthniormn canonis descriptio de Néper, parut à Edim-
bourg, chez .André Hart, en 1H14. L’Ecosse et l’Angleterre entière
(t) yachlviige loid fkrichtif/unf/eii zn « Die Matliemafiker uiul As'lio-
nomen der Araher nnd dire Wevke ». Aiiii.\.\di.ungex zi k Geschichte der
M.XTHE.MATlSr.HEX WlSSEXSCH AETEX MIT ElXSCHI.lSS IHKER AXWEXDEXGEX,
begrünftel von .Moritz Cantor, t. XtV, Leipzig, Teut)ner, tilt:!, j). Ki.l.
{'i) History of the exponeiiiial and loyarithiuic concepts, by l'torian
Cajori, Colorado College, Colorado Springs, The .Vmericax .Mathem.aticae
.Moxthly, t. XX, Janvier-juillet et septembre, 1913, I.anrasler, Pa., et Chi-
cago, pp. 5-U, :i5-47. 75-84, 107-117, 148-1.51, 173-I8“2, 20.5-210.
IIU SÉRIE. T. XXVI.
39
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
(;06
ont célébré dignement, nu mois de juillet dernier, à Edimbo\irg,
le 800" anniversaire de la publication de cet immortel ouvrage,
l’un de ceux qui ont eu rintluence la plus prol'onde sur le déve-
loppement des mathématiques. Je me proposais de décrire,
dans la IIevl'i:, les l'êtes qui eurent lieu à cette occasion, d’y
résumer les travaux historiques et scientiliques écrits récemment
à la mémoire du baron de Merchiston. La guerre est venue y
mettre obstacle, .le n’ai pu entrer en possession des documents
que j’avais tâché de réunir. Seule l’étude de M. Florian Lajori
sur l’état actuel du château de Merchiston m’est parvenue (J).
.Mais le prol'esseur de C(tlorado-Springs avait voidu prévenir
les fêtes de ranniversaire de Xéper, en écrivant, dès 1018, pour
le public américain un précis de l’bistoire des logarithmes. Ce
n’est pas un récit des étapes (pii précédèrent la découverte,
mais l’exposé des développements (pi’elle prit après la mort de
l’inventeur. Le travail de M. Cajori se divise en cinq chapitres.
I. De iVéper à Leibniz et Jean I BernonUi, J()J4-J7H. —
Logaiithmes des nombres positifs. .Xotation exponentielle mo-
derne.
II. De Leibniz et Jean / Bernonilli à Dater, 17J2-J747. —
Essais infructueux pour édilier une théoiâe des logarithmes des
nombres négatifs. Identité des deux concepts : expo.sant et
logarithme.
III. Création de ta théorie des logaritinnes des nombres com-
plexes, par Enter, 17i7-J7'dl.
IV. D'Euler à Wessel el Argand, 174!)-J(SO(). En demi siècle
de discussion sur la nature des logarithmes. Encore de l’identité
des concepts, expo.sant et logarithme.
V. Généralisations et rectifications faites an cours du
■VLV® siècle. — Heprésentation graphique. Les puissances en
général et les logarithmes. Eniformisation. Valeurs principales
des puissances et des logarithmes. Classitication des divers sys-
tèmes de logarithmes. I.es logarithmes fonctions complexes.
L’abbé Bossut, par E. Doublet (2). — L’ahbé Charles Hossut
est mort le Ji janvier 1814. Voilà pourquoi il a semblé à
( 1 ) Merchiston castle and .lohn Xuijier. Tiré à piirt ite Tiii; .Meuchistom.xx,
t',ll^-l!)EE 14 p|). rictuMiH'iil illiistréf's e( doux plancties hors texte.
(2) L'abbé Hossnt. l'occasion du centenaire, de su mort), par.M. E. tlou-
lilet, astronome à l’Observatoire de Rordeaux, Ruu.eti.n des .Seie.xces
.■MATHÉM.XTIQCES, l2'' sér., l. XXX Mil, Paris, mars-inillet IPI 4, pp. P3-U(>, l-t-
l'ir), 158-160, 186-P,I(I, “2“20-2“2i.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
607
M. E. Dotiblel, astronome à l’Observatoire de Bordeaux, que le
inomeut était bien choisi poui' raviver le souvenir de cet homme
distingué. Sachons eu gré <à M. Doublet, car Bossul est assez
oublié aujourd’hui ; il l’est même beaucoup plus qu’il ne le
devrait être.
Voici d’abord quelques souvenirs sur les premières années de
sa jeunesse. « 11 était né le 11 août 17ri0, à Tartaras, village de
la banlieue immédiate de Lyon selon Lalande, et selon d’autres
<à Tarare, près de Saint-Etienne. 11 n’avait que six ans quand il
perdit son père, Barthélemy Bossut. Heureusement un des
oncles paternels du pauvre orphelin se cliargea de veiller sur
lui et de lui donner les éléments d’instruction nécessaii'e pour
qu’il pût entrer au collège de Lyon, ce qu’il (it à l’àge de IV ans.
» Ses études lurent excellentes et une véi'itable bonne Ibrtune
pour lui, c’est que dans ce collège dirigé par les jésuites, le pro-
fesseur de mathématiques était un homme remarquable, le
1’. Béraud, né tà Lyon en 1702, mort dans la même ville eu 1777.
» Une preuve du mérite du 1*. Béraud, c’est qu’il a formé
quatre élèves dont les noms survivent, .Montucla, Bossut,
Lalande et le chevalier de Eleurieu, oüicier du plus haut mérite,
à qui la .\ation n’a pas encore payé sa dette, car aucun de nos
navires de guerre ne porte son nom, bien qu’il ait rendu des
services incomparables à la marine. »
l.e D. Béraud était bien le maître qu’il fallait à des élèves
d’élite, tels que ceux que nous venons de nommer. .Mathémati-
cien, numismate, astronome, ses connaissances étaient aussi
étendues que variées. Il avait clahli, dans l’enceinte du collège,
un petit observatoire, où ses disciples favoris pouvaient s’initier
à l’astronomie pratique. C’est Là que Lalande se forma en partie.
.Mais, revenons à Bossut.
« Ses études achevées au collège de Lyon, il alla à Paris, où il
rendit visit(; à Fontenelle, alors dans toute la gloire de sa mer-
veilleuse vieillesse. Fontenelle lui fil hon accueil et le présenta
à Clairaut et à d’.Vlembert.
» Dès la tin de sa philosophie, Bossut avait pris l'hahit ecclé-
siastique; toutefois. Bien qu’il ait gardé cet habit et le titre
d’abbé jus([u’en 1792, il ne semble pas qu’il ail dépassé les
ordres mineurs. 11 n’est pas sans importance, puisqu’il s’agit
d’un homme du xciiU siècle, d’ajouter qu’il a été un catholique
convaincu d’un bout de sa vie à l’autre. 11 n’a rien de commun
avec les abbés si nombreux de son temps, qui scandalisaient
à la fois le monde et l’Église. »
608
RKVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Bossul était donc très éloigné de d’Aleinhert par ses convic-
tions philosophiques et religieuses ; mais, comme mathémati-
ciens, ces deux hommes s’estimaient. Au sujet de leurs relations,
on a parfois raconté un trait curieux, qu’il est intéressant de
rappeler. Arrivé <à Paris, Bossut avait abordé l’étude de V Analyse
des Infmimenl petits, ouvrage publié par le marquis de l’Hô-
pital, en 1686. Il y trouva quel(|ue dilliculté, ayant de la peine
à concevoii' ([u’on pût négliger sans une erreur c|uelconque une
quantité intiniment petite eu comparaison d’une quantité tinie.
Il confia son emhai'ras à un « fameux géomètie » — apparem-
ment à d’.Alemhert, dit .M. Doublet. — 6elui-ci lui répondit :
« .Vdmettez les intiniment petits comme une hypothèse, étudiez
la pratique des inliniment petits; la foi vous viendia. » La foi
vint, en effet; mais, pas comme l’entendait d’Alemhert. Bossut
se convain(|uit que la métaphysi([ue de l’analyse infinitésimale
est la même au fond (|ue celle de la méthode d’exhaustion des
anciens.
Paris, Bossut se lia aussi avec l’académicien Camus, qui le
présenta à d’.Argenson, ministre de la guern'. Celui-ci reconnut
le mérite du jeune homme et le nomma, en ïlïi'i, i)rofesseur
à l’Kcole du génie de .Mézières. Plie venait d’ètre fondée quatre
ans auparavant, et on sait combien Monge devait l’illustrer.
.Nous ne suivrons pas Bossut dans les péripéties de sa carrière
professorale, ni plus tard, dans celle de membre de l’Académie
des Sciences. Cette doid)le carrière lui fournit l’occasion de
beaucoup écrire. La majeure pai'lie île la notice de .M. Doublet
est, cela va de soi, consacrée à une revue rapide de ces ouvrages.
Deux d’entre eux suilout ont conservé, aujourd’hui encore
(iuel([ue notoriété : VHistoire des nnit/iénaitiiines et l’édition des
(Kuvres complètes de Biaise Pascal. Pouriiuoi ? C’est dillicile à
diie. .Ni l’une, ni l’autre ne manquent de valeiii' ; mais, elles ne
sont pas les meilleures production.^ de l’élève du P. Béraud.
Bossut avait le caractère triste et morose. Sou commerce
assidu avec les leuvres de Pa.scal conliihua-l-il à accentuer le
côté chagiin de .sou esprit? Oui sait ? Toujours est-il (pi’il pro-
fessait pour le grand écrivain la plus vive admiration. Lt ce
n’était [las seulement le mathématicien, h; physicien, h* polé-
miste de génie que Bossut admirait dans Biaise Pascal ; c’était
aussi le théologien. Il ne se lassait pas de transcrii'e les Pensées.
<i Ceci nous amène à croire, dit .M. Doublet, que Charles
Bossut, l’ami de d’Alemhert et aussi de Condorcet, a été un des
derniers jansénistes. D’ailleurs cela est bien d’accord avec ce
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
()09
que nous savons de son caractère somhre, de son humeur
atrabilaire. On lisait, en etïet, dans un manusci'it de Hossut que
Delainhre a eu entre les mains — qu’est devenu ce manuscrit?
— qu’il avait toujours eu (( une raideur de caractère qui lui a
souvent nui auprès de ceux qui ne le connaissaient que super-
ficiellement ». 11 n’accordait pas facilement sa contiance ; il
croyait en général les hommes dissimulés et trompeurs ; mais,
quand il croyait pouvoir s’abandonner à la franchise naturelle
de son <àme, il mettait dans le commerce de la vie une effusion
de sentiments vrais, qui lui ont fait une foule d’amis dévoués,
surtout dans le corps militaire du génie. »
« 11 abhorrait les charlatans de toute espèce, nous dit-il
encore, et ([uelquefois il avait eu l’imprudence ou la maladresse
de leur donner à connaitre son opinion. .Mais, il cherchait par-
tout le vrai mérite ; il était obligeant et il se plaint amèrement
des ingrats. 11 se persuada que des hommes, qin lui devaient
leur première existence, avaient montré l’acharnement le plus
soutenu, et s’étaient donné bien des peines qu’ils auraient pu
s’épargner, pour l’écarter de places auxquelles il n’avait jamais
aspiré. »
Les derniers temps de la vie de Bossut furent sans doute bien
tristes. Les malheurs publics du mois de janvier 1814 ne pou-
vaient que redoubler ses chagrins. 11 ne vit pas le retour de
cette paix qui selon son espérance devait rétablir « la libre
communication entre les membres de la République universelle
des Sciences et des Belles-Lettres». Bossut, nous l’avons dit en
commençant, moui’ut le 1 i janvier J8J4, âgé de 88 ans et 5 mois.
IL Büs.vi.xns, s. .1.
610
RKYUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
IJOTAMQÜE INDUSTRIELLE
K\['I,01T.\Ti().\ DES MANES CA()ET(:ilOETI EÈDES
EN AEKinl E CENTHAI.E
Eu J'JJI, lors (le la [)i(Mni('re lajniiioii iiileniatioiiale eaoiil-
rhoutière tenue à Eoiulres, nous avons iusist('î sur riiit(h'(3t qu’il
y avait, eu Arri([iie, à couliiiiier la culture et rexploitatiou des
essences caoutrIioutilVMes iudig(''iies. Dans VOfficiat Guide hook,
nous terminions notre notice Salive or exolic ruhber Irecs par la
consi(l(’'i’ation (ju’il l'allait à chaque pays ses produits propres et
ses prodiicteui's bien adaptés là la région.
Dans l’une des séances tenues au local de l’Exposition, nous
sonniies entré davantage dans le détail du sujet en nous éten-
dant sur notre manière de corn[)rendi'(! l’exploitation et la cid-
ture des lianes congolaises basées sur des procédés d’extraction
mécaniciue du caoidcbouc contenu dans les tissus, et nous fai-
sions voir (pie ci'tte méthode était tout indi(piée pour le déve-
loppement économi(pie du centre et de l’ouest du eontinent noir.
Ee n’était |>as la première fois que nous préconisions ces
idées, nous les avons défendues depuis de nomlireuses années,
mais celle méthode a trouvé parmi les agronomes olliciels de
diverses colonies plusieurs contradicteurs et l’on n’a pas jusqu’à
ce jour appli([ué en Afrique le pi’océdé sur le(piel nous sommes
revenu si souvent.
.Vu contraire la crise récente a provo(pié de nouvelles cri-
tiques de la part des opposants irréductibles de la culture, et
même de l’exploitation des lianes, et on a vu conseiller leur
abandon total. On a été jusqu’à dire que cette exploitation pou-
vait être considérée comme de nulle valeur pour les indigènes
et qu’il était très aisé de supprimer le droit qu’ils ont acquis de
récolter du caoutchouc dans les forêts si on leur offrait en
échange un travail rémunéré, plus facile, dans les entreprises
agricoles de tous genres (pu pourraient être créées par le blanc.
Ee sont là naturellement pures conjectures, car rien ne prouve
que l’indigène abandonne si l'acilement ses droits de culture.
REVUE DES RECUEILS UERRJDIQUES
611
Mais en supposant même qu’elles soient Ibndées, serait-il utile
pour la colonie elle-même et pour le commerce de la métropole^
de s’engager dans une voie qui aboutirait à la suppression d’un
des postes importants du tableau de son commerce, et à un
changement radical et relativement brusque dans les habitudes
du noir?
Heureusement, à côté des contradicteurs, un c(U'tain nombre
de coloniaux partagent tout à fait notre manière de voir, et
récemment nous avons vu un de nos conl'rères français,
M. Haudon, écrire, à piopos de la production du caoutchouc
au Congo français, une étude sur le caoutchouc pilonné des
rhizomes du Landolpliia owan'eiisis, dans laquelle il arrive,
comme nous, à conseiller la multiplication de la liane pour sa
mise en exploitation réglée en enlevant du sol, à leur maturité,
les racines qui devront être traitées mécaniquement (1).
M. le Gouverneur Merlin, de l’Afrique française, a récemment,
lui aussi, insisté sur cette méthode d’exploitation ; ses idées ont
fait le tour de la presse spéciale pt ont été reproduites, sans
grands commentaires il est vrai, même dans les revues alle-
mandes consacrées au caoutchouc (2).
La lecture du ti'avail de M. Liaudon et du rapport du Gouvei-
neui' Merlin, nous a amené à reprendre la question et tout
d’abord à rappeler quelques dates ayant, ce nous semble, un
certain intérêt pour l’histoire du caoutchouc.
C’est en 1907, dans une communication faite à la Société
scientilique de Jh'uxelles, publiée dans ses Ava.\les et repro-
duite par la Société de Géographie de l’Est, que nous avons
publié, peut-être pour la première fois, l’idée de mettre des
lianes à caoutchouc, croissant dans les forêts, en véritable coupe
réglée, L’exploitation caoutchoutifére, disions-nous, du moins
celle des lianes les plus communément cultivées au Congo
{Landolpliia omudensis, Kiainei et espèces voisines) doit se
borner aux opérations coupe et battage. Après la coupe on
laissera repousser. En un mot, on devra mettre la réserve
caoutchoutifére en coupe réglée. »
.Nous ne nous faisions pas l’illusion, à cette époque, de voir
ce principe admis d’emblée; la plupart des gouvernements colo-
niaux avaient, par décrets, défendu la coupe de lianes et, dans
(1) k. Baudon, Le caoutchouc pilonné des rhizomes du Landolphia owa-
riensis. Pal. Beanv-, sa production, son avenir, .\n\ai.es de l’Lxstitut
r.OLONI.AL DE BORDEAUX 1913.
(2) Cf. Gum.mi-Zeituxg, 1914, n® 30, 24 avril, p. 1167.
612
REVUK DES yrESTIONS SCIENTIFIQUES
certaines colonies, cette dérense persiste encore. Mais an-
jonrd’hiii, comme en 19t)7, nous sommes persuadé que le jour
viendra — puisse-t-il ne pas être trop éloigné! — où l’on recon-
naîtra que la cou|)e tait moins de tort et donne i)lus de bénéfices
([lie la saignée. « Le jour, disions-nous en 1907, on la coupe sera
permise, où les l'orèts à caoutchouc auront été mises en coupes
réglées comme nos l'orèts européennes, où l'on aura déterminé
le roulement et où l’on connaîtra exactement l’étendue de la
région qui iieiit être mise en exploitation, bien des abus criants
cesseront d’eiix-mèmes, et peul-éti e arrivera-t-on <â éviter dans
le commerce ces tluctuations de prix si désagréables pour la
bonne mandie des all'airixs. »
Dès avant 1907, nous avions à diverses reprises, dans des
cours, des conlénMK'es ou des [Miblications, dél'endu le principe
de la coupe réglée et du procédé mécaiù(|ue, qui n’est pas de
notre invention. L’idée [iremière en revient aux recherches de
Godefroy-LeboMif, basées elles-mêmes sur les prati(jiies des indi-
gènes africains. .Mais, répétons-le, c’est dès 1997 siu'tont ([lie
nous avons [iréconisé cette mise en coupes n'glées des réserves
caoiitclioiitil'ères : lianes et caoutchoutiers des herbes, et depuis
lors nous avons souvent l'iqiris le dévelop[)ernenl de ces idées,
entre autres dans la revue française : Li: (Lvoutchouc et l.\
(li'TT-\-l’HR(;n.\ ( 1).
.Nous avons été très heureux de voir, il n’y a [)as fort long-
tem[>s, un fonctionnaire du service forestier de Madagascar,
s’ap[Miyant sur notre manière de voir, [)ro[)oser un projet
d’aménagement des forêts à essences caoiitchoutifères et de leur
exploitation rationnelle.
.Mais cette question de l’exiiloitation des lianes est, comme
toutes celles qui se rattachent aux caoutchoutiers, beaucoup
plus complexe ([ii'on ne se l’imagine fréquemment; elle soulève,
en etfet, une série de ([iiestions accessoires, malheureusement
trop [leii étudiées.
.\dmettant, ce qui nous paraît certain, que l’exploitation est
possible, est-elle économique, les frais ne seront-ils pas trop
élevés, dans les conditions actuelles surtout, pour laisser au
collecteur et au négociant des bénéfices siitlisants?
C’est, p(‘iison.^-nous, pour n’avoir [las assez approfondi ces
questions, que beaucoup ont conclu d’emblée à l’impossibilité
(1) t.F, C.xnUïciincc. ET I..V Gutta-F'ercha. Paris, nie des Vinaigriers, 49.
1904-9114.
REVUE DES RECUEILS PERIODIQUES
613
de la rentabilité d’une telle exploitation, et r’esl ainsi (pi’ils
sont arrivés à déclarer, sans hésitation, ipril t'allait abandonnei'
non seulement la culture, mais l’exploitation des lianes existant
à l’état sauvage dans la forêt, et remplacer cette production
par celle de cultures, faites [>ar des sociétés européennes, (VHevea
brcmiiensis ou de Manihot, qui seuls seraient capables, le pre-
mier sui'tout, de fournir du caoutchouc à un prix sufîisamment
rémunérateui'.
En ra[)port avec cette idée, nous avons vu M. K. Yautliier,
membre du Conseil colonial du Congo Belge, écrire à {)i'opos
d’un décret appi'ouvant une convention conclue enti'e des
tirmes belges et anglaises et le Gouvernement de la Colonie :
« La cueillette du caoutchouc sauvage n’a étf' qu’un mode d’ex-
ploitation provisoire en attendant mieux. Elle porte sur des
ressources naturelles qui sont destinées à s’('q)uiser plus ou
moins lapidement ; avant même cette échéance fatale, il s’est
produit, dans la valeur du caoutchouc, une baisse notable des
prix. Il en est résulté une crise qui retentit durement sur les
finances de la colonie » (J).
Nous ne pouvons partager cette manière de voir; le Congo ne
s’appauvrit pas tellement en caoutchouc qu’il faille envisagei-
la suppression de cet article de commerce. Nous pensons au
contraire ((ue la cueillette se continuei’a, si on le veut, non plus
peut-être sur des plantes tout à l'ait sauvages, mais sur des
plantes dé.jcà soignées par le noir; cela naturellement si les
gouvernements prennent en main la réglementation de la
cueillette, et démontrent à l’indigène, ([ui de lui-même l’a d’ail-
leurs souvent très bien compris, l’intérêt qu’il a à protéger les
plantes productrices.
Nous avons dit que nous considérions le caoutchouc prove-
nant des essences indigènes africaines comme capable de donner
au collecteur et au négoriani des bénétices rémunérateurs, et
cela même avec des taux de vente aussi bas que ceux que l’on
obtient actuellement. Gela est-il bien exact?
11 faut, en matière coloniale et surtout (juand on considère le
caoutchouc, se méfier des idées préconçues, il faut au contraire
chercher à mûrir le sujet et éviter de donner une solution im-
médiate, dans un sens ou dans un autre, qui risquerait de devoir
être rapportée ultérieurement, alors qu’un courant nouveau,
néfaste peut-être, aurait être créé.
(1) Le Mouvement géogr.cpiiique, Hruxelles, 28 déc. 1913, p. 66.
614
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
Dans lin discours prononcé en le général Thys, dont la
compétence coloniale est reconnue, a pn dire avec grande jus-
tesse à propos du caoutchouc congolais : « (Juant à nos sociétés
caontchontifères, je crois qu’elles devroni apporter beaucoup
de soins dans leurs exploitations, s’appliipier rigoureusement
à tâcher de réduire leurs frais généraux et, dans tous les cas,
mettre leurs prix d’achat à la hauteur des [irix auxquels elles
peuvent réaliser leurs produits en Kiirope. Kntin et surtout,
elles devront apporter le plus grand soin dans le choix de leur
liersonnel européen, car, de tous les dangers signalés, il y en a
peu (|ui elfrayent, mais il y en a un aiupiel on ne pense pas
beaucoup et dont on parle peu, et qui, à mon sens, est peut-
(ître le [dus grand, c’est de trouver un bon personnel européen
en A trique, .le considère que, de toutes les dillicullés de l’heure
présente, celle-là est peut-être la plus grave (J). »
Nous n’avons nullement l’intention de développer les divers
[loints soulevés par le général Thys, bien qu’ils mériteraient, vu
leur importance, d’être discutés. Nous retenons .simplement
l’impression (jue la crise caoutchoutilére n’est pas aussi grave
([ue beaucoup l’ont pensé.
6et avis est <railleiirs partagé [lar .\1. (1. Lamy-Torrilhon :
« Il ne faut pas trop s’alaiiner, dit-il, de cette situation qui se
tassera, qui s’éijuilihrera à un moimuit donné sans trop de
dommage, espérons-le, pour les récolleurs aussi bien de « plan-
tation » que du « l’ara sauvage », il faut au contraire tirer un
enseignemeitl de ce (jui se passe en ce moimnit. ('.elle crise, qui
semble plutôt alfecter le Brésil et le Bongo, s’atténuera. On
s’était habitué trop vite à des bénéfices exagérés, on dépensait
sans compter un argent trofi facile à rentrer, il va falloir main-
tenant réduire les frais généraux et le coût de la main-d’œuvre
au strict nécessaire, se restreindre de tous côtés (:2). »
Bour lutter contre cette crise, tous b>s gouvei'iiements inté-
ressés ont cherché à modilier les règlements en vigueur, à
diminuer les frais de transport de manière à amener’ les produits
de cueillette, sur les marchés, à un prix cafiahle d’entrer en
concurrence avec la « plantation ».
La crise qui s’atténue déjà, nous voyons en elfet les prix
augmenter, ne doit donc pas faire abandonner la culture ni même
(1) la: Mouvement géogiiai'Hique, linixetles, H déc. t91à, p. (UB.
(2) G. I.amy-Torrilhon, fji situation économique du raovtchouc. Journal
D’Agriculture tropicale, n® 149, 30 novernlire 1913.
REVUE DES RECT'EILS PERIODIQUES
6ir>
l’exploitation des essences indigènes. Itii tait que le Brésil va se
voir dépassé dans la production du caoutchouc, par l’Extrème-
Orient, faut-il conclure que le Brésil ne doit plus, et ne pourra
plus, exporter du caoutchouc? Ce serait là, nous semhle-l-il,
une conclusion outrée , que l’on parait avoir été très pressé
d’émettre. Il en est de même pour le C-ongo Belge, par exemple,
qui depuis des années exporte par an environ 40111) tonnes de
caoutchouc. Caut-il brusquement admettre que par suite d’une
simple baisse de t>i'ix cette vaste région n’est plus capable de
produire économiquement la gomme et, partant, aliandonnei'
la cueillette qui seule a fourni jusqu’à ce jour cette quantité
notable de caoutchouc?.\ous pensons au contraire qu’en étudiant
soigneusement la question, en faisant de sages économies, en
réglant surtout le prix d’achat suivant le prix de vente, il sera
possible de maintenir le poste « caoutchouc » dans les éx[)orta-
tions de notre colonie et (|u’il y aura encore, pour les commer-
çants de tout genre, moyen de faii-e des hénéfices raisonnables.
Les propositions de diminutio)i faites par le Couvernement
de l’Afrique équatoriale française porteraient un dégrèvement
de 0,7<S5 fr. au kilo, soit 785 fr. à la tonne, ce qui laisserait la
tonne de caoutchouc à '2750 — 785 = 1965 fr., chiffre auquel
il faudrait natiii'ellement ajouter les frais de ti'anspor! jus(|ue
sur le marché européen ( J ).
Dans ce chilfre, le prix d’achat du caoutchouc est fixé à i h .,
chiffre olficiel proposé par le ministre des Colonies de France
dans le JouRN.XL ofkiciel du 14 mars dernier (Oui.nz.xi.ne colo-
niale, 25 mars 1914, p. 203). Mais le ministre des Colonies de
France a eu soin de faii’e remarquer que ce prix est « généra-
lement supérieur à celui que payent les commerçants au lieu de
production ».
Lorsque nous avons examiné la question de la rentahilité des
essences caoutchoutifères indigènes congolaises, en nous basant
sur le prix de 1381,25 fr. à la tonne pour le caoutchouc congo-
lais rendu à .Anvers, nous avions ajouté 750 fr. de prix d’achat
à l’indigène, ce qui portait la tonne à 2131,25 fr. rendue à Anvers.
Or le plus bas prix obtenu en décembre 1913 est de 3,50 fr. au
kilo, soit 3500 fr. la tonne, ce qui laisse un bénéfice net de plus
de 1300 fr. à la fonne.
-Admettons même qu’il faille payer lOOf) fr. à la tonne lors de
(1) Cf. Hulletin de l’.Association des Planteuhs de Caoutchouc, vol. VI,
mars 19U, n” 2, p. 35 ; voyez également p. 39.
616
REVüK DES questions scientifiqup:s
radial, ce qui porterait, le caoutcliouc à Anvers à i2.i8J,^l fr. ; il
y aurait encore un béiiélice très appréciable à la tonne. 11 faut
<l’ailleiirs compter (pie la moyenne très basse du pri.s d’achat
sur le marché d’Anvers est de 4 i'r., ce (pii rachète la dépense
supplémenlaire [mur l’achat de la malière bruh* au (iongo.
Le jiriK de vente s’esi d'ailleurs eiicon* relevé et le 4b avril
on notait, à .Vnvers, pour les caoutchoucs congolais de belle
(pialité très recherchés :
(ànigo Maiit-rbangi rouge . . 5,!H) — H
11. (L rouge ordinaire 5,(15 — 5,75
II. (î. noir 5,80 - 5,90
basai rouge et noir 1 ;i,75 — 5,8. i
Sanga Lbangi noir 5,90 — (i
Ivatanga noir et rouge I . . . . 5,85 — 5,95
Alima .......... 4,05
G’est-à-dii’c (jue le plus bas prix du produit vendu dépassait
le cbitl're (pie nous avons cité.
Il l'aut, il est vrai, l'aire remarquer (prune [lartie de la mar-
chandise a été retirée de la vente, les vendeurs ne voulant
accepter des oll'nvs en baisse lro[) sensible.
.Mais le [irix de vente du caoutchouc africain pourrait être
facilement maintenu autour de 4, .50 fr. le kilo et même dépasser
ce taux, il siillirait [lour cela de relever la qualité. Le relèvement
[leut déjà se faire par un simple lavage, et on l’obtiendra avec
[ilus de sûreté, en instruisant l’indigène comme on l’a fait dans
certaines colonies africaines.
Ne faut-il pas tenir compte, comme l’a fait remar([uer .M. le
('louverneur .Merlin, du fait que certaines puissantes lirmes telles
que la « Provodnik » de Uiga, tout en reconnaissant les supé-
riorités que [irésente le caoutchouc de plantation sur le caout-
chouc .sauvage, ont inianmoins allirmé (pie la substitution ne
saurait avoir lieu de longtemps encore, elles ont au contraire
signalé l’intérêt (pi’elles verraient à recevoir des es[)èces congo-
laises, surtout si celles-ci devaient être de qualité meilleure que
beaucoup de celles (pii ont été introduites jusqu’ici.
Nous tenons cependant à faire remarquer que pour les sortes
du Gongo tielge la mauvaise qualité est exagérée. Il suffirait
pour s’en persuader de jeter un coup d’œil sur les taxations des
caoutchoucs présentés sur le marché d’Anvers en avril 1914
((Circulaire Grisar 40 mars, n° 7). Nous y voyons les prix du
REVUE DES RECUEILS PERIODIQl’ES
617
caoutchouc sylvestre congolais Iluctuer entre 2,50 l'r. et 0 t'r. le
kilo et ceux dn caontchonc de plantation varier de 4,80 à 6,85 l'r.
Comme le montre le tableau que nous avons reproduit plus
haut, le Congo français (Alima) parait se trouver dans des
conditions moins tavorahles que le Congo belge.
11 n’y a donc pas là un très grand écart entre le « plantation »
et le « sylvestre )), et il est sans conteste (jue la purification sur
place, l’éducation de l’indigène et la mise en auivre de procédés
de préparation de plus en plus rationnels permettraient d’obtenir
des produits congolais de (jualité de plus en plus belle, toujours
semblables à eux-mêmes, et de valeur au moins égale aux maxi-
mums obtenus actuellement, et capables dès lors de lutter de
mieux en mieux contre le caoutchouc de plantation.
C’est d’ailleurs le but vers lequel doivent tendre tous les
etforls : diminuer le nombre de variétés de caoutclioucs appor-
tés sur le marché et augmenter leur qualité, faire de la » stan-
dardisation », comme le veut la Ihibber Groirers Association de
Londres. Mais c’est là un aspect encore très obsciii- de la question
caoutcboutifère et qui ne peut être abordé f[ue pai' de nom-
breuses recbercbes de science [)ure, de technique et de pratique
industrielle (1 ).
Indiscutablement, la lutte entre les deux genres de produits
sera âpre, mais nous prétendons qu’ils pei’sisteront tous les deux.
Cependant, il faut admettre tpie les producteurs de l’un ou de
l’auli'e genre, ([ui ne seront pas assez forts, c’esl-à-dire qui ne
seront pas sullisamment préparés, disparaîtront, malheureuse-
ment pour eux, heureusement pour la cause générale.
C’est d’ailleui's ce que l’on observe déjà ; les sociétés caout-
choulifères montées au moment du « boom », et tranchement
surcapitalisées, doivent tombei’, car les conditions actuelles ne
leur permettent pas de rémunérer les capitaux engagés ; mais
il en est tout autrement des exploitations de plantes sauvages,
fondées sur la collaboration des indigènes.
Nous pensons donc que l’exploitation et la culture des lianes
sont rentalîles ; les essais que nous avons ra[)portés dans des
études antérieures. Mission Laurent, Mission permanente
d’études de ta Compagnie du Kasai, ont démontré la possibilité
de la multiplication de diverses essences caoulcboutifères, tant
de lianes à tige aérienne capable de produire du caoutchouc,
(I) Cf. ItUU.ETIN riK rWsSOC.IATIOX DES l’i.ANTECKS DE CaOUïCHOIC,
vol. Vt, niiii I9t4, n" IV.
REVl'E DES DEESTIOXS SCIENTIFIQUES
f)18
que (le lianes dans lesquelles la j-omme s’esl réfugiée dans les
rhizomes, par suite de l’habitat partic'idier de ces plantes, telles
([ue les caoutchoutiers des herbes et certaines formes de Lan-
(iolphia sur lesquelles .M. Raudon a fait ses expé-
riences tirs sigiiiiicatives.
Mais il est indiscutable que pour obtenir des résultats avec
res essences, il faut non seulement mettre les réserves caout-
■choutifères en cou|)cs réglées, comme nous l’avons dit et comme
l’ont dit api'(‘s nous M. Louvel à Madagascar, et M. Raudon au
(iongo Français, mais traiter les tissus par un procédé mécanique.
C’est la seule imithode pour réaliser, à l’aide de ces plantes,
une eN|doilation méthodique et industrielb'.
M. Raudon estime que l’exploitation des ressourc(^s eaout-
cboutiléres indigènes de l’Cbangi-Cbari est impossible par les
l)articidiers, à caus(! de l’éloignement des pays où il faut tra-
vailler, des dillicidtés de tendes soldes (|u’on y rencontre et de
la rareté de la main-d’anivre. 11 croit aussi que [)Our réussir il
faudrait dis|ioser de terrains [larliculièremenl ('tendus et d’un
capital énorme (pu, d’après lui, ne serait pas rémunéré par le
rendement. .Mais il considère que la question se présente tout
dilféremment si l’on envisage la possibilité de faire exécuter le
travail par l’Administration ([ui, dit-il, agirait dans « l’intérêt
de l’indigène ('ii exigeant de lui un elfort dont il retirerait le plus
gros bi'uélice ».
Nous ne pouvons partager romplètement cette manière de
voir ; une entreprise particulière bien gérée pourrait, nous en
sommes persuadé, faire, pai’ ce genre d’exploitation, des béné-
tices qui seraient sulllsants [lour rémunérer convenablement un
capital proportionné aux possibilités économi(pies de l’exploita-
tion. Certes une telle entreiirise devi-ait être organisée un peu
ditféremmeid de celles (pie l’on a eu riiabitiide d’installer dans
les colonies africaines, et dilféremment aussi des Fstates de
rCxtrême-Orienl . Il est indiscutable, par exenqde, qu’il ne pour-
lait être (luestion de traiter des lianes si la coupe des tiges
aériennes et leur utilisation n’étaient jias jiennises, et si l’arra-
chement des racines, comme la coiqie des tiges iitilisaliles,
n’étaient pas faites par zones. Mais rien ne serait plus facile, pour
une société (pii posséderait une concession forestière, ou des
terrains recouverts par une brousse à essences caoutcboutifèi-es,
de mettre celles-ci en coupes r(\glées et de transporter succes-
sivement dans les zones exploitées les appareils nécessaires à
l’extraction mècaniipie du caoutchouc. Si ce procédé ne [touvait
REVI'K DES RECUEILS PERIODIQUES
619
donner de résultat, ne serait-il pas possible de faire amener par
les indigènes la matière première à une usine installée dans un
endroit favorablement dioisi de la concession?
Dans ce dernier cas, le noir n’aurait qu’à soigner les réserves
et <à récolter la matière brute qu’il livrerait à l’usine contre
payement proportionnel soit aux tiges et racines apportées, soit
au caoutchouc obtenu du produit brut.
Cette métbüde, <à notre sens, très recommandable, n’exigerait
pas un travail bien considérable de l’indigène ; elle a pour
d’autres produits, par exemple pour le cacao, donné de fort
bons résultats dans certaines colonies de l’Afrique occidentale.
C’est d’ailleurs, ne l’onblions pas, dans notre intérêt que
nous devons amener le noir à travailler sur place an progrès
des industries actuellement existantes ; cela vaudra mieux, pen-
>ons-nous, que de créer, de toutes pièces, des industries ou des
cultures nouvelles pour lesquelles l’indigène ne possède actuelle-
ment aucune aptitude.
encore, si l’on craignait (pie même dans ces conditions le
capital européen ne puisse être suflisamment l'émunéré, il reste
la ressource, (pie l’on ne devrait en aucune façon négliger, de
favoriser directement chez l’indigène le travail de la liane par
le pilonnage à la main, et de faire acheter par des salariés de la
factorerie, blancs ou capitas noirs, le caoutchouc ainsi obtenu,
comme cela a été pratiqué depuis des années par quelques
fortes sociétés capitalistes européennes. Peut-être aurait-on, clans
ce cas, avantage à purilier le caoutchouc dans une usine cen-
trale avant de l’envoyer en Purope en vue d’améliorer et d’uni-
formiser, si possible, la cpialité du produit.
D’ailleurs, nous ne devons pas nous le di.ssimuler, dans bien
des régions, qui pendant de longues années resteront encore
éloignées des métropoles, les cultures intensives de rapport
ne pourront être introduites avec succès, et le caouchouc, s’il
existe, dans ces régions, sera toujours un produit qui trouvera
preneur dans des conditions satisfaisantes.
.Naturellement dans des circonstances pareilles les Gouverne-
ments devraient intervenir, mais uniquement pour examiner
si les conditions dans lesquelles les indigènes exploitant poin-
le compte des sociétés particulières, restent dans la limite des
règlements que la colonie aurait édictés pour assurer la conser-
vation des réserves. Cela ne soulève, pensons-nous, aucune
dilliculté. Les sociétés commerciales concessionnaires ont, dans
la plupart des colonies, à observer dans les exploitations fores-
620
REVTTK DES gUESTIONS SCIENTIFIQUES
tières un cahier des charges. Le travail du caoutchouc de lianes
même en dehors des forêts, dans les hi-ousses africaines, devrait
être mis sur le même pied (|ue rex{)loi(ation d’autres produits
forestiers.
Madagascar a réglementé dans ce sens l’obtention de caout-
chouc, dans son décret du aofd ]!fld. I.e Président de la
Hépuhiiqm' Lrançaise, sur le rai)porl du Ministre Morel, y a fait
inscrire ces articles :
Art. At). — Les récoltes de gommes, résines, gutta, caout-
chouc, latex divers et tous autres i)r()duits accessoires, se feront
suivant les indications du service de colonisation afin de ne pas
détruii’e les végétaux producteurs. Les cahiei's des clauses spé-
ciales devront être établis pour ces exploitations (pii demeurent
soumises aux règles générales ci-aprês :
J” L’ahalage des arbres à caoutchouc est rigoureusement
interdit, seules les lianes à caoutchouc dont le diamètre est
supérieur à centimèli'es [KHirronl être coufiées. La lécolte du
caoutchouc d’arbre ne pourra avoir lieu ipie jiar saignée.
Art. 47. — Kn ce qui con.eriie le ('aoutchouc, le concession-
naire sera en outre tenu de planter chaipie aimée, dans les
parcelles exploitées, un nombre de lianes et d’arbres à caout-
chouc ipii ne sera (las inférienr à 1511 pieds |)ai hectare. Un
cahier des (danses spéciales indiipiiu'a dans qmdles conditions
s’elfect lieront ces plantations.
Nous sommes cependant d’avis (pie rahatagede> arbres pour-
rait fort bien être toh'ré; nous avons démontré antérieurement,
et .M. ragronoine Larrenc a repris la même thèse, ipie le Fun-
hunia elitslicd pouvait, avec avantage, être abattu et ses écorces
traitées mécaniipiiMmmt (I).
Il siillirait d’inscrire au chapitre de la récolte du caoutchouc la
restriction introduite par le décret de .Madagascar pour les
gommes et résines, savoir : « Le concessiomiaii e pourra, em-
ployer telle méthode d’extraction (pii lui conviiMidra, iiourvu
(pi’elle ne soit [las [)r(qudiciahle <à l’avenir de la foret. »
Peut-être faudrait-il remplacer le mol « concessionnaire » par
celui de c( colleideiir «, applirpier le (pialiticalif « ('conoiniipie »
à « avenir de la forêt » et ajouter : « ou de la région ».
L’exploitation des lianes a donc encore d(“ l’avenir ; elle
demande surtout à êlr(‘ étudiée ; elle devrait être soumise à
(I) (T. Ile Wildeman, in l,K (^aoütchocc et i..v Oeti a-I'EHCHA, 15 février
191-i 8019, oii l’on Iroiivera des indications liiljliograjilnciues sur le sujet.
REVUE DES RECUEILS uÈRIODIqUES
(321
unft enquête, sans idée préconçue. De celte élude découlerait
nalurellement une réglementation bien définie que les États,
les sociétés commerciales et les indigènes auraient le plus grand
intérêt à voir a[)pliquer rigoureusement.
Dette régiementation devi'ait tenir compte des plantes exploi-
tées qui, nous avons eu roccasion de; le dir<^ l'réciuemment, sont
très variables.
Nous avons donc ici une raison de plus de réclamer, poui'
toutes les ressources des colonies ti'opicales, des enquêtes scien-
tifiques et économiipies ap{)rol'nndies sans lesquelles, nous ne
devons pas nous'le dissimuler, toutes nos enti-eprises culturales
resteront basées sur l’empirisme et, dans la plu|)art des cas,
vouées à un échec.
D’est d’ailleui's une des conclusions auxcpielles aboutit notre
confrère M. Haudon : « Il faudrait, dit-il, reconnaître au préa-
lable tous les peuplements im[)ortanls, les limiter dans leurs
gi'andes lignes et les porter sur les cai'tes locales. De serait là
le plus gros travail, mais il pourrait être fait assez l'apidement
pai' les agents de l’.Administration au cours des tournées qu’ils
doivent faire dans leurs régions l'espectives » (i).
Lorsque, à la première conférence du caoutchouc à Londres,
en 1911, nous avons insisté sur l’intérêt de la culture et de
l’exploitation des caoutciioutiers indigènes, nous avons émis
l’idée que cette ex[)loitation rationnelle devait avoir pour résul-
tat d’attacher le noir au sol et qu’elle aurait l'ait faii’e ])lus de
progrès à la civilisation qu'en amenant l’indigène à travailler,
l)our le capitaliste blanc, dans une plantation ou une usine.
De plus, il ne faut pas oublier que la mise en valeur ration-
nelle des forêts et des bi'ousses africaines, aurait le grand
avantage de conserver ces forêts, de donner à ces terres une
couverture de végétation, et d’empêcher ainsi la modification du
climat et le ravinement, qui ont, sur l’avenir économique des
régions tropicales, la plus gi'ande action.
Nous voyons déjà dans les Indes Anglaises, dans les Indes
.Néerlandaises, à .Madagascar, les agronomes attirer l’ai tention
sur les nombreux inconvénients des déboisements qui entrainent
avec, eux des cliangements contre lesquels, bêlas, la culture
faite par le civilisé ne peut lutter. M. Louvel n’a-t-il pas fixé,
pour une seule province de Madagascar (Morondava) à ^UÜU
hectares la surface boisée détruite annuellement par les indi-
(1) Loc. cit., page “20.
IIP SÉRIE. T. XXVI.
40
(]22 REVUE DES QUESTKJXS SCIENTIFIQUES
gôiies? Ajoulez-y les hectares de Ibrèts (|iie le blanc supprime
Itour rétablissement de cultures, souvent aléatoires, et songez
à ce qui restera dans (pielques années des Ibrèts tropicales et
de leurs l'essources sur lesquelles nous comptions tant.
11 serait à souhaiter (jue les vœux émis récemment encore
par ,M. Altona. du service Ibrestier de Java, et M. Harold
llamel-Smitb de Londres, lussent largement pris en considéra-
tion. Leui- exécution forcerait naturellement les gouvernements
des pays tropicaux à prendre des mesures pour mettre en
exploitation rationnelle les ressources de leurs Ibrèts.
K. llL W ILDEMA.X.
TABLE DES MATIÈRES
DU
I N GT- SIXIÈME ^'()LüME (troisième série)
Tome LXXVl de la CoLLEcnoiN
Livraison de .luillet 191^
Origine et Histoire d’une CiiaiNiE de Montagnes : Les
Alpes, par M. G. Delépine 5
Le Milieu interstellaire, par le R. P. F. Willaert,
S. J 33
La Fièvre typhoïde et la Vaccination antityphoïdique,
par le D’’ A. Haibe 77
Les Ondes hertziennes atmosphériques, par le R. P. Marc
Dechevrens, S. J 1J3
Les Actions catalytiques en Chimie, par M. P. Bruylants J J9
Les Paratonnerres a l’Association électrotechntque
allemande, par le R. P. J. D. Lucas, S. J. . . . 136
L’Élément nerveux (fin), par le R. P. L. Boule, S. J. . J6ô
Variétés. — LA propos d’un ouvrage récent sur l’astro-
iioinie nautique au Portugal r l'époque des grands
voyages de découverte, par le R. P. H. Bosmans,
S. J “216
IL Loger Bacon, septième centenaire de sa naissance,
par J. T 227
lîiRLioGRAPHiE. — 1. Cours de Mécanique professé à l’École
Polytechnique, par L. Lecornu, tome 1, M. O. . 2'iJ
1 1 . Les coordonnées intrinsèques. Théorie et applica-
tions, par L. Draude, M. 0 2'i3
III. Introduction géométrique à quelques théories
[ihysiques, par Emile Borel, M. 0 245
IV. Beispiele zur Ceschichle der Mathematik. Ein
mathematisch-historisches Lesebuch, 11 Teil, von
Alexander ^Vilting und Martin Gebhart, H. B. 249
(32 i REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
V. A Ilistory of .lapanese Matliematics, by Eiigene
Smith and Yoshio Mikaini, H. B 251
VI. Bihliotheca scriptonim Graeconim et Ronia-
nornm Teiibiieriana. — Des Clodiiis Dtolemaus
llandbuch der Astronomie. Ans dem Grieschi-
sclien übersetzt und mit erklarenden Anmer-
kimgen verselien von Karl Maintins, H. B. . . 253
VII. La forme de la Terre et sa constitution interne,
par Alex. Véronnet, N. N 2.55
VIII. I. Les lois empiri(ines du système solaire et les
barmonicjnes toni'billonnaires, par F. Dntavand.
— II. L’harmonie tourbillonnaire de l’atome. Les
spectres et les éléments, par F. Butavand, L. R. 2.5G
IX. Traité de Physicpie, par O. 1). Gbwolson. Traduc-
tion de F. Davaux. Tome IV, Deuxième fascicule.
Champ magnéticpie constant. Tome V, Premier
fascicule. Champ magnéticpie variable, J. T. . 260
X. Radiations visibles et invisibles, par Silvanus
P. Thompson. Traduction et annotations de L. Du-
noyer, J . T 262
XL L’esthéti(|ue de la lumière, par I^aul Souriau,
G. Leehalas 269
XII. A nnuaire météorologicjue de la Station de (iéo-
grapbie mathématiipie de l’Fniversité de Garni.
Année météorologicpie mars 1913-février 1914,
par M. L. X. Vandevyver, J. T 274
XIII. La silice et les silicates, par Henry Le Chàtelier,
H. De Greeff, S. J 275
XIV. 11 Metodo degli F((uivalenti. Contribulo allô studio
dei iM'ocessi di confronlo. Ricerclie sperinientali
del Dott. Agostino Gemelli, J. Maréchal, S. J. 281
XV. La fermentation alcoolicpie, par Arthur Haï den
(F. S. B.). Traduit de l’anglais, par G. Schaefer,
J. Maréchal, S. J 287
XVI. Restauration des montagnes. Correction des tor-
rents. Behoisement, par F. Thiéry, C. de Kirwan 289
XVII. Fconomie forestière. Tome I, deuxième partie,
fascicule 1. Propriété et législation forestière, par
G. Hutïel, G. de Kirwan 293
XVI H. The Banana. Its cultivation, distrihution and com-
mercial uses, by \V. Fawcett, É. D. W. . . . 298
TABLE DES MATIERES
f)25
XIX. Le caoutchouc. Sa chimie nouvelle. Ses synthèses,
par A. Duhosc et A. Luttringer, É. D. W. . . 290
XX. La notion de temps, par I). Xys, P. Geny . . . yOJ
XXL Semaine sociale d’octobre 1913. L’évolution des
Associations et des Institutions (Institut Solvay).
Compte rendu par M. Yauthier, H. D. . . . oH4
XXI 1. Recherches sur le Paganisme de Lihanios, par
J. Misson, J. B. Herman 30(5
XXI IL Le portrait du Christ, par René Colson, P. du Ph. 307
Revue des Recueils périodiques.
Sciences techniques, par M. M. Demanet. . . . 310
Météorologie, par W. T 32.5
Astronomie, par N. N 335
Livraison cl’Octobre 1014
S. S. Le P.\pe Rendit XY i
L’Astrologie au Moyen Age, par M. P. Duhem. . . . .359
Les Forêts congolaises, par M. É. De Wildeman. . . 392
La Quotité de Yie d’une Xation par Kilomètre carré, par
M. Paul Mansion 415
Les Pléiades, par le R. P. J. Thirion, S. J 420
Lne Enquête sur l’Assurance populaire sur la Yie (Assu-
rance DE Capitaux), par M. G. Beau jean .... 453
A'ariétés. — I. Un mémoire d’Ampére trop peu connu sur
la ruine du joueur, par M. Paul Mansion .... 49(5
IL La lumière « froide » d’après le procédé Pussaud,
par M. E. Demanet .507
Birliographie. — I. Wahrscheinlichkeitsrechnung von
A. A. Markotf. Xach der zweiten Autlage des
russischen AVerkes ühersetzt von IL Liebmann,
Paul Mansion 514
IL Leonhardi Euleri opéra omnia suh auspiciis
Societatis Scientiarum naturalium llelveticae
edenda curaverunt Ferdin. Rudio, Adolf Krazer,
Paul Staeckel, H. Bosmans, S. J .521
111. fitudes sur Léonard de A'inci, par Pierre Duhem,
H. Bosmans, S. J 529
626
REVISE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
n . Encycloppflie des Scienees mathématiques pures
et appli((uées, publiée sous les auspices des Aca-
démies des Sciences de (iül lingue, de Leipzig, de
.Munich et de Vienne, H. Bosmans, S. J. . . .ô37
V. I/.\nnuaire pour l’an 1014, piddié par le Bureau
des Longitudes, J. T .‘)51
^ I. Le télé[)hone instrument de mesure, par .Augustin
Guyau, J. D. L 557
VIL L’Afrique é([uatoiiale française, par .Maurice
Hondet-Saint, préface de Marcel Saint-Germain,
Fern. Van Ortroy 559
VIII. Etudes archéologiques et ethnologiques. Popula-
tions primitives de la .Mongolie firientale, par
K. Toiü et Kiniiko Torii, I. S 563
IX. Etude sur l’écriture artiticielle dans les documents
torgés, |)ar Gl. Paulicr, E. de Moreau, S. J. . 566
Revue des Hecueh.s péhiüdioles.
-VsTHo.NO.MiE, j>ar N. N 571
lliSTOiHE DES .M.\THÉ.M.\TiouEs, [)ar H. Bosmans, S. J. 583
Bot.x.mqle iNDi'STiUELLE, par M. Éd. De Wildeman. 610
lmp Fr. Ceuterick, rue Vital Decoster, (50, Louvain.
v;_ -j ^
REVUE
DES
QUESTIONS SCIENTIFIQUES
PUBLIÉE
PAR LA SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE DE BRUXELLES
Nulla unquam inter fidem et rationem-
vera dissensio esse potest.
Const. de Fid. Cath., c. IV.
TROISIÈME SÉRIE
TOME XXVI — 20 JUILLET 19 14:
(trente-huitième année ; tome lxxvi de la collection)
LOUVAIN
SECRÉTARIAT DE' LA SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE
(M. J. Thirion)
II, RUE DES RÉCOLLETS, II
1914
LIVRAISON DE JUILLET 1914
1. — Or.IGINE ET IIISTOIIIE D’UNE CHAINE DE MONTAGNES : LES ALPES,
par M. ï>el<^pîne. p. 5.
IL — LE MILIEU INTERSTELLAIRE, par le R. ■». F. VVîllaei-t, J.,
p.33.
III. — LA FIÈVRE TYPIIOIDE ET LA VACCINATION ANTITYPHOIDIQUE, par
M- le I>oeietii* Uuil>e, p. 77.
IV. — LES ONDES HERTZIENNES ATMOSPHÉRIQUES, par le R. I». M.
Reelieveeus, S. ,1., p. 95.
V. — LES ACTIONS CATALYTIQUES EN CHIMIE, par M. R. Onij-
iitiits, p. 119.
VI. - LES PARATONNERRES A L’ASSOCIATION ÉLECTROTECHNIQÜE ALLE-
MANDE, par le R. R I.,ucsi8, S. j., p. 136.
VIL — L’ÉLÉ.MENT NERVEUX (Suite et fin), par le R. R. t.. Roule,
•!.. p. 165.
VIII. — VARIÉTÉS. — I. A propos d'un ouvrage récent sur l'astronomie nau-
tique au Portugal à l’époque des grands voyages de découverte, par
le R. P. H. Bosmans, S. J., p. illR. — H. Roger Bacon, septi'eme
centenaire de sa naissance, par J. T., p. 2^7.
IX. — BIBLIOGR.YPHIE. — I. Cours de .Mécani(pie professé à TÉcole Polytech-
nique par L. Lecornu, tome I, M. O., p. 241. — H. Les coordonnées
intrinsèques. Théorie et applications, par L. Rraude, M. O., p. 243.
— 111. Introduction géométrique à quelques théories physiques, par
Émile Rorel, M. O., j). 245. — IV. Beispiele zur (Jeschichte der Mathe-
matik. Ein mathemalisch-historisches Lesehuch, 11 Teil, von Alexander
Wittingund .Martin Gebharl, H. B., p. 249. — V. A History of Japanese
Mathematics, by Eugene Smith and Yoshio Mikami, H. B., p. 251. —
VL Bihliolheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana.
— Des Clodius Ptolemiius Handbuch der Astronomie. .\us dem Grieschi-
schen ühersetzt und mit erkiarenden Anmerkungen versehen von Karl
Maintins, H. B., p. 253. — VIL La Forme de la Terre et sa Constitution
interne, par Alex. Véronnet, N. N., p. 255. — VllL — i. Les lois em-
piriques du système solaire et les harmoniques tourbillonnaires, par
F. Butavand. — il. L’Harmonie tourbillonnaire de l’atome. Les spectres
et les éléments, par F. Butavand, L. R., p. 256. — IX. Traité de
Physique, par Ô. D. Chvvolson. Traduction de E. Davaux. Tome IV,
Deuxième fascicule. Champ magnétique constant. Tome V, Premier
fascicule. Champ magnétique variable, J. T., p. 268. — X. Radiations
visibles et invisibles, par Silvanus P. Thompson. Traduction et annota-
tions de L. Dunoyer, J. T., p. 260. — XL L’Esthétique de la Lumière,
par Paul Souriau, G. Lechalas, p. 269. — XII. Annuaire météorolo-
gique de la Station de Géographie .Mathématique de l’Université de
Gand. Année météorologique mars 1913-février 1914, par .M. L. N.
Vandevyver, J. T., p. 274. — XIII. La silice et les silicates, par Henry
Le Châfelier, H. de Greefif, S. J., p. 275. — XIV. 11 iMetodo degli
Equivalenti, Contrihuto allô studio dei processi di confronto. Ricerche
sperirnentali del Dott. Agostino Gemelli, J. Maréchal, S. J.,^ p. 280.
— XV. La Fermentation alcoolique, par .Yrthur Harden F. R. S.
Traduit de l’anglais par G. Schaefer, J. Maréchal, S. J., p. 287. —
XVI. Restauration des .Montagnes. Correction des torrents. Reboise-
ment, par E. Thiéry, C. de Kirwan, p. 291. — XVH. Économie fores-
tière Tome 1, deuxième partie, fascicule I. Propriété et législation
forestière, par G. Huffel, C. de Kirwan, p. 293. — XVHI. The Banana.
Us cultivation, distribution and commercial uses, by \V. Fawcett,
E. D. W., p. 298. — XIX. Le caoutchouc. Sa chimie nouvelle. Ses syn-
thèses, par A. Dnbosc, et A. Luttringer, É. D. W., p. 299. — .XX. La
notion de temps, par D. Nys, P. Geiiy, p. 301. — XXL Semaine sociale
d’octobre 1913. L’Évolution des Associations et des Institutions (Institut
Solvay). Compte rendu par M. Vauthier, H. D., p. 304. — XXII.
Recberches sur le Paganisme de Libanios, par .1. Misson, J. B. Her-
man, p. 306. — XXIII. Le portrait du Christ, par René Colson,
P. du Ph., p. 307.
X. — REVUE DES RECUEILS PÉRIODIQUES. — Sciences techniques,^ par
M. M. Demanet, p. 310. — Météorologie, par W. T., p. 325. —
Astronomie, par N. N., p, 335.
PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE
ANNALES DE LA SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE DE BRUXELLES, t. I à
t. XXXV, 1875 à 1911. Chaque vol. in-8’ de 400 à 600 pages fr. 20 00
TABLE ANALYTIQUE des vingt-cinq premiers volumes des Ann.vles de l.\
Société scientifique (1875-1901). Un vol. 10-8” de 250 pages (1904), en
vente au prix de fr. 3 00
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES. Première série, 1877 à 1891.
Trente volumes. Seconde série, 1892 à 1901. Vingt volumes. Troisième
série, commencée en 1902. Les deux volumes annuels, de 700 pages in-8“
chacun, fr. 20 00
TABLE ANALYTIQUE des cinquante premiers volumes de la Revue des
Questions scientifiques (1877-1901). Un vol. in-8’ de xii-168 pages, petit
texte (1904), en vente au prix de 5 fr. ; pour les abonnés . . fr. 2 00
Ph. Gilbert. Mémoire sur l’applicalion de la méthode de Lagrange à divers
problèmes de mouvement relatif. Deuxième édition (1889). Un vol. in-8" de
150 pages fr. 7 50
DISCUSSION SUR LE FGETICIDE MÉDICAL. Brochure in-8" de 38 pages
(1904) fr. 1 00
LA CRISE DU LIBRE-ÉCHANGE EN ANGLETERRE. Rapports de
MM. G. Blondel, Ch. De.jace, A. Viallate, Emm. de Meester, P. de Laveleye,
Éd. Van der Smissen. Brochure in-8" de 121 pages (1905). . fr. 2 00
LES PORTS ET LEUR FONCTION ECONOMIQUE ; T. I. Introduction, Éd. Van der
Smissen. t. La Fonction économique des Ports dans l’Antiquité grecque, H. Francotte.
II. Bruges au Moyen âge, G. Eeckhout. III. Barry, H. Laporte. IV. Beira, Ch, Morisseaux.
V. Liverpool, P. de Bousiers. VI. Anvers, E. Dubois et M. Theunissen. VII. Les Ports et la
vie économique en France et en Allemagne, G. Blondel. Un vol. in-S” de 183 pages, figures
et plans (Épuisé). T. II, A'III. Londres, G. Eeckhout. IX. Délos, A. Roersch. X. Rot-
terdam, J. Charles. XL Gênes au Moyen âge, .1. Hanquet. XII. Marseille, G. Blondel. Un
vol. in-8“ de 123 pages, figures et plans. Prix : 3 francs. T. III. XIII. Le Port moderne de
Gênes, M. Theunissen. XIV. Ostende. L.-Th. Léger. XV. Jaffa, P. Gendebien. XVI. Lis-
bonne, Ch. Morisseaux. XVIL Le Havre, G. Blondel. XVHI. Hambourg, P. de Bousiers et
J. Charles. XIX. Rio-de-Janeiro, F. Georlette. XX. Han-Ivow. A. Vanderstichele. Prix:
3 francs. T. IV. XXL Barcelone et Bilbao, J. Charles. XXH. Buenos-.Xires, M. Theunissen.
XXIII. Brême, J. Charles. XXIV. Xew-York, Paul Hagemans. XXV. Le Port de Pouzzoles
dans r.Antiquitê, d’après un livre récent, Alphonse Roersch. XXVI. Shanghaï, A. A. Fauvel.
XXVII. Zeebrugge, J. Xyssens-Hart. Un vol. in-8’ de 181 pages, figures et plans. Prix :
3 francs. T. V. XXVHI. Rouen, G. Blondel. XXI.X. Montréal, M. Dewavrin. XXX. Seattle
et Tacoma, M. Rondet-Saint. XXXI. Trieste, Fiume, Venise, M. Dewavrin. .XXXH. Venise
au moyen âge, G. Terlinden. XXXHI. Les ports du Xord-Est de l’Angleterre, J. Meuwissen.
— Conclusions, G. Blondel. — .Appendices : L’administration des Ports, J. Charles, S. J.
L’industrie des transports maritimes, H. Mansion. Prix : 3 francs.
SUR QUELQUES POINTS DE MORALE SEXUELLE DANS SES
RAPPORTS AVEC LA MÉDECINE. Rapport de M. le X. Francotte.
Brochure in-8" de 48 pages (1907) fr. O 75
DE LA DÉPOPULATION PAR L’INFÉCONDITÉ VOULUE. Rapport
de M. le D’’ Henri Desplats, et discussion. Brochure in-8" de 29 pages (1908)
fr. O 75
TtEVÜE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES
rUBLIÉE PAR
LA SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE DE BRUXELLES
Celte revue de haute vulgarisation, fondée en 1877 par la Société
scientifique de Bruxelles, se compose actuellement de deux séries :
la première série comprend 30 volumes (1877-1891); la deuxième,
20 volumes (1892-1901). La livraison de janvier 1902 a inauguré la
troisième série.
La revue paraît en livraisons trimestrielles de 352 pages, à la fin de
janvier, d’avril, de juillet et d’octobre. Chaque livraison renferme
trois parties principales.
La première partie se compose d’Articles originaux, où sont
traités les sujets les plus variés se rapportant à l’ensemble des
sciences mathématiques, physiques, naturelles, sociales, etc.
La deuxième partie consiste en une Bibliographie scientifique,
où l’on trouve un compte rendu détaillé et l’analyse critique des
principaux ouvrages scientifiques récemment parus.
La troisième partie consiste en une Revue des Revues et des
Publications périodiques, où des écrivains spéciaux résument ce
qui paraît de plus intéressant dans les archives scientifiques et
littéraires de notre temps.
Chaque livraison contient ordinairement aussi un ou plusieurs
articles de Variétés.
CONDITIONS D’ABONNEMENT
Le prix d’abonnement à la Bevue des Questions scientifiques est
de 20 francs par an. Les membres de la Société scientifique de
Bruxelles ont droit à une réduction de 25 % ; le prix de leur
abonnement est donc de 15 francs par an.
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Revue. Un vol. du format de la Revue de xii-168 pages. Prix :
5 francs ; pour les abonnés, 2 francs.
Des volumes isolés seront fournis aux nouveaux abonnés à des
conditions très avantageuses.
S’adresser pour tout ce (jui concerne la Rédaction et TAdminis-
tration au secrétariat de la Société scientifiqîie, i i, rue des Récol-
lets, Louvain.
Une I%nlice ^ui* la Société scientifique, son but, ses ti*a-
vuux, est envoyée gi'atuiteinent à ceux qui en fiant la
demande au seci’étariat.
Louvain. — lmp. F. Ceuterick, rue Vital Decoster, 60.
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HEV UK
QUESTIONS SCIENTIFIQUES
PUBLIÉE
PAR LA SOCIÉTÉ SClEATlFigL'E DE BRUXELLES
Nulla unquam inter lidem et rationem
vera dissensio esse potest.
Const. de Fid. Cath., c. IV.
TROISIÈME SÉRIE
TOME XXVI — 20 OCTOBRE 1914
(trente-huitième .année ; tome lxxvi de la collection)
LOUVAIN
SECRÉTARIAT DE LA SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE
(M. J. Thirion)
II, RUE DES RÉCOLLETS, II
1914
• -V
LIVRAISON ‘ D’OCTOBRE
I. — s. s. LE PAPE BENOIT XV, p. i.
II. — I.’ASTUOI.OOIE AU MOYEN AGE, par M- l*. Duliem, p. 349.
III. — LES FOBETS GONGOL.AISEIS, par M. É. De %Vildeiiis«n, p. 392.
IV. — LA OUOTITÉ ItE VIE D’UNE N.ATION PAR KILOMÈTP.E CABRÉ, par
M. DmiiI Muii^ion, p. 415.
V. — LES PLÉI.VDES, par le D. I*. .1. Xhîi'îoii, S. J., p. 420.
VL — UNE ENQUÊTE SUR l/.ASSURANCE POPUL.YIRE SUR LA VIE (ASSU-
RANCE DE CAPITAUX), par C. Beaujeaii, p. 453.
VU. — V.ARIÉTÉS. — I. Un mémoire d’ Ampère trop peu connu sur la ruine du
joueur, par M. Paul Mansion, p. 490. — 11. La lumière « froide »
d’ajirès le procédé Dussnud, par M. E. Demanet, p. 507.
VIII. — BIRIAOGRAPIIIE. — I. Wahr.scheiiilichkeitsrechnuiig von A. .A. .MarkolL
.Naeh (1er zweiten .Aullage des nissischen Werkes übersetzt von IL Lieb-
inaiin, Paul Mansion, p. 511. — II. Léonard! Euler! opéra omn!a sub
ausp!ci!s Sof!etal!s Scient!arum naturalium Helvet!cae eclenda cnrave-
runl Ferd!n. Rudio, .\dolf Krazer. Paul Staeckel, H. Bosmans, S. J.,
p. 521. — 111. Etudes sur Léonard de V!nc!, par Pierre Duliem,
H. Bosmans, S. J., p. 529. — IV. Encyclopédie des Sciences mathé-
matiques pures et appliquées, publiée sous les auspices des Académies
des Sciences de {iüllingue, de Leipzig, de .Munich et de Vienne,
H. Bosmans, S. J., p. 537. — V. L’.Annuaire pour l’an 1914, publié
par le Bureau des Longitudes, J. T., p. 551. — VL Le téléphone
instrument de mesure, par .Vugustin Guyau, J. D. L., p. 557. —
VU. L’Afrique équatoriale française, par Maurice Rondet-Saint, préface
de Marcel Saint-Germain, Fern. Van Ortroy, 559. — VllI. Études
archéologiques et ethnologiques. Populations primitives de la Mongolie
Orientale, par R. Torii et Kimiko Torii, I. S., p. 563. — IX. Etude sur
l’écriture artificielle dans les documents forgés, par CL Paulier, E. de
Moreau, S. J., p. 566.
IX. — REVUE DES RECUEILS PÉRIODIQUES. — .Astronomie, par N. N.,
p. 571. — Histoire des mathématiques, par H. Bosmans, S. J.,
p. 583. — Rotaniiiue industrielle, par M. Éd. de Wildeman, p. 610.
PUBLICATIONS DE LA SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE
ANNALES DE LA SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE DE BRUXELLES, t. 1 à
t. XXXV, 1875 à 1911. Chaque vol. in-8’ de 400 à 600 pages fr. 20 00
TABLE ANALYTIQUE des vingt-cinq premiers volume.^ des Ann.vles de l.a
Société scientifique (1875-1901). Un vol. in-8’’ de 250 pages (1904), en
vente an prix de Ir. 3 00
REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES. Première .série, 1877 h 1891.
Trente volumes. Seconde série, 1892 à 1901. Vingt voluines. Troisième
série, commencée en 1902. Les deux volumes annuels, de 700 pages in-8“
chacun, h'- 20 00
TABLE ANALYTIQUE des cinquante premiers volumes de la Revue des
Questions scientifiques (1877-1901). Un vol. in-8’ de xii-168 pages, petit
texte (1904), en vente au prix de 5 l'r.; pour les abonnés . . l'r. 2 00
Ph. Gilbert. Mémoire sur l’applicalioii de la méthode de l.agrange à divers
problèmes de mouvement relatif. Deuxième édition (1889). Un vol. in-8“ de
150 pages fr. 7 50
DISCUSSION SUR LE FŒTICIDE MÉDICAL. Brochure in-8’ de 38 pages
(1904) fr. 1 00
LA CRISE DU LIBRE-ÉCHANGE EN ANGLETERRE. Rapports de
MM. G. Blondel, Ch. Dejace, A. Viallate, Umm. de Meester, P. de Laveleye,
Ûd. Van der Smissen. Brochure în-8'’ de 121 pages (1905). . fr. 2 00
LES PORTS ET LEUR FONCTION ECONOMIQUE ; T. I. Introduction, Éd. Van der
Smissen. t. I.a Fonction économique des Ports dans l’Antiquité grecque, H. Francotte.
II. Bruges au Moyen âge, G. Eeckhout. III. Barry, II. I.aporte. IV. Beira, CIi. Morisseaiix.
V. Liverpool, P. de Bousiers. VI. Anvers, E. Dubois et M. Tlieunissen. VII. Les Ports et la
vie économique en France et en Allemagne, G. Blondel. Un vol. in-8® de 183 pages, figures
et plans (Epuisé). T. II. Vlll. Londres, G. Eeckhout. IV. Délos, A. Roersch. X. Rot-
terdam, J. Charles. .VI. Gènes au Moyen âge, .1. Ilanquet. XII. .Marseille, G. Blondel. Un
vol. iu-8® de 123 pages, figures et plans. Prix : 3 francs. T. III. Xlll. Le Port moderne de
Gênes, M. Theunissen. .XIV. Ostende. L.-Tli. Léger. .XV. .laffa, P. Gendebien. XVI. Lis-
bonne, Ch. Morisseaux. .XVII. Le Havre, G. Blondel. XVIII. Hambourg, P. de Rousiers et
.1. Charles. XIX. Rio-de-laneiro, F. Georlette. .XX. Hau-Ivow. .A. Vanderstichele. Prix:
3 francs. T. IV. XXL Barcelone et Bilbao, .). Charles. XXII. Buenos-.Aires, M. Theunissen.
.XXIII. Brème, J. Charles. XXIV. Xew-York, Paul Hagemans. .XXV. Le Port de Pouzzoles
dans l’.Antiquité, d’après un livre récent, .Alphonse Roersch. XXVI. Shanghaï, .A. .A. Fauvel.
XXVII. Zeebrugge, ,1. Nyssens-Hart. Un vol. in-8® de 184 pages, figures et plans. Prix :
3 francs. T. V. XXVIII. Rouen, G. Blondel. XXl.X. Montréal, M. Dewavrin. XXX. Seattle
et Tacoma, M. Rondet-Saint. XXXI. Trieste, Fiume, Venise, M. Dewavrin. .XXXIl. Venise
au moyen âge, C. Terlinden. XXXIII. Les ports du Nord-Est de l’.Angleterre, J. Meuwissen.
— Conclusions, G. Blondel. — Appendices : L’administration des Ports, J. Charles, S. J.
L’industrie des transports maritimes, H. Mansion. Prix : 3 francs.
SUR QUELQUES POINTS DE MORALE SEXUELLE DANS SES
RAPPORTS AVEC LA MÉDECINE. Rapport de M. le D-’ X. Francotte.
Brochure in-B” de 48 pages (1907) fr. O 75
DE LA DÉPOPULATION PAR L’INFÉCONDITÉ VOULUE. Rapport
de M. le R’’ Henri Desplats, et discussion. Brochure in-8“ de 29 pages (4908)
fr. O 75
liËVUE DKS QUESTIONS SCIENTIFIQUES
PUBLIÉE PAR
LA SOCIÉTÉ SCIENTIFIQUE DE BRUXELLES
THOISIÈ3SÆE SÈME
Celte revue tle haute vulgarisation, l'ondée en 1877 par la Société
scientilique de Bruxelles, se compose actuellement de deux séries :
la première série comprend 30 volumes (J877-J891) ; la deuxième,
20 volumes (1892-1901). La livraison de janvier 1902 a inauguré la
troisième série.
La revue paraît en livraisons trimestrielles de 352 pages, à la lin de
janvier, d’avril, de juillet et d’octobre. Chaque livraison renferme
trois parties principales.
La première partie se < ompose d’Articles originaux, où sont
traités les sujets les plus variés se rapportant à l’ensemble des
sciences mathématiques, physiques, naturelles, sociales, etc.
La deuxième partie consiste en une Bibliographie scientifique,
où l’on trouve un compte rendu détaillé et l’analy.se critique des
principaux ouvrages scientiliques récemment parus.
La troisième partie consiste en une Revue des Revues et des
Publications périodiques, où des écrivains spéciaux résument ce
qui paraît de plus intéres.sant dans les archives .scientifiques et
littéraires de notre temps.
Chaque livraison contient ordinairement aussi un ou plusieurs
articles de Variétés.
C 0 N 1 ) IT 1 0 iN S D’ABONNE M E N T
Le prix d’abonnement à la Bevue des Questions scientifiques est
de 20 francs par an. Les membres de la Société scientifique de
Bruxelles ont droit à une réduction de 25 % ; le prix de leur
abonnement est donc de 15 francs par an.
Table analytique des cinquante premiers volumes de la
Revue, lin vol. du format de la Revue de xii-d68 pages. Prix :
5 francs ; pour les abonnés, 2 francs.
Des volumes isolés seront fournis aux nouveaux abonnés à des
conditions très avantageuses.
S’ adresser pour tout ce qui concerne la Rédaction el /'Adminis-
tration au secrétariat de la Société scientifique, 1i, rue des Bécol-
lets, Louvain.
Une IVeliee fiiii* la Société 6cieiilific|tie, «ion but, sew t i-a-
vaux, ciiv«>yée gi'al uiteiiieut à ceux qui en font la
deinauiJc au secrétariat.
I.oiivain. — lmp. F. Ceuterick, rue A llai Decoster, 60.