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Full text of "Revue des religions"

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BIBLIOTEGA  DEL  SEMINARIO  METROPOLITANO 

di  Toi'ino 


Sala 


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Scaffale  "X  rr  t  f 

piano  N V  1  [L 

nel   piano  ^   jji^ - 

Dono  del 

Teologo  Coll.  Canon ico 

GIOCONDO  FINO 


REVUE   DES  RELIGIONS 


REVUE 


DES 


RELIGIONS 


REVUE  SEMI-MENSUELLE 


ON  S'ABONNNE: 

PARIS.  —  Bureau  de  la  Revue  des  Religions,  37,  rue  du  Bac. 

BELGIQUE.  —  Bruxelles.  —  M.  Oscar  Schepens,  directeur  de  la 
société  belge  de  librairie,  8,  rue  Treurenberg. 

SUISSE.  —  Genève.  —  M.  H.  Trembley,  rue  de  la  Corraterie,  4. 

ALLEMaGiNE.  —Leipzig. —  M.  Welter,  Krenigstrasse,  2. 

ESPAGNE. —Madrid.  —M.  Albert  Gayan,  4,  Puertal  del  sol. 

AMERIQUE.  —  New-York.  —  The  Catholic  Publications  Society, 
9  Barclay  Street. 

CANADA.  —  Montréal.  —  MM.  Gadieux  et  Derome,  rue  Notre- 
Dame,  1603. 


1892 


W-.   c_  r. 


LE   BRAHMANISME 


Deuxième  article 


Si  en  ce  qui  concerne  le  dogme,  le  brahmanisme  n'a  rien  de 
fixe  et  manque  d'unité,  il  en  est  de  même  pour  son  organi- 
sation. Les  brahmes  constituent  la  caste  sacerdotale  et  do- 
minante. A  eux  est  dévolu  le  soin  d'étudier  et  d'enseigner  les 
Védas.  Ceux  qui  sont  spécialement  chargés  des  pratiques 
religieuses,  attachés  à  des  pagodes,  portent  le  nom  de 
poiirohitas.  Mais  ce  serait  une  grande  erreur  que  de  penser 
qu'ils  constituent  un  corps  spécial,  un  clergé.  Les  pouro- 
hitas  exercent  plutôt  un  métier  qu'un  sacerdoce.  Ils  ne 
sont  qu'une  très  faible  partie  de  leur  caste, etse  transmettent, 
de  génération  en  génération,  la  connaissance  de  leurs  rites 
et  les  formules  de  prières  et  de  magie,  se  gardant 
bien  de  les  communiquer  aux  autres  brahmes  dont  la 
concurrence  diminuerait  leurs  bénéfices.  Aussi,  \espouro- 
hitas  ou  brahmes  officiants  sont  loin  de  briller  par  leur 
instruction,  et  il  arrive  parfois  que  dans  leur  caste,  ils  ne 
jouissent  que  d'une  estime  asssez  modérée.  Ajoutons  que 
chez  les  pourohitas^  il  n'existe  à  vrai  dire  aucune  hiérar- 
chie, et  qu'ils  sont  indépendants  les  uns  des  autres. 

Néanmoins,  il  existe  dans  Tlnde  brahmanique  un  clergé, 
si  l'on  donne  à  cette  expression  un  sens  beaucoup  plus 
large  qu'on  ne  lui  donne  habituellement.  Cette  sorte  de 
clergé  est  formée  par  les  Gourous  dont  le  nom  veut  dire 
guide  ou  précepteur.  L'institution  des  po^/ro^^s,  à  l'origine, 


6  LE  BRAHMANISME 

était  étrangère  au  brahmanisme,  elle  a  été  propagée  par 
le  bouddlîisme,  et  depuis  longtemps,  elle  occupe  mie 
place  très  importante  dans  la  société  hindoue.  Au  lieu  de 
la  combattre,  les  brahmes  Pont  acceptée  et  ont  cherché, 
sinon  à  l'absorber,  du  moins  à  la  dominer.  Il, en  résulte 
qu'aujourd'hui  les  gourous  sont,  à  vrai  dire,  la  seule  auto- 
rité religieuse  de  l'Inde  brahmanique.  Les  gourous  ne 
sont  pas  obligatoirement  de  la  caste  des  brahmes  ;  il  y  en 
a  qui  appartiennent  à  deux  autres  castes,  à  celles  des  kcha- 
triyas  et  des  vaïcyas,  et  même  à  celle  des  coudras.  Dans 
la  secte  de  Vichnou,  la  plupart  des  gourous,  et  tous  ceux 
qui  ont  un  certain  rang  dans  la  hiérarchie,  sont  brahmes. 
Ils  possèdent  une  certaine  organisation,  et  ont  tous  pour 
primat  commun  le  grand  gourou  de  Tiroupaly.  Dans  la 
secte  de  Giva,  la  plupart  des  gourous  appartiennent  à  la 
'  caste  des  coudras,  et  l'on  ne  trouve  jamais  un  brahme, 
parmi  eux.  Quoique  les  gourous  soient  en  quelque  sorte 
un  clergé,  il  y  a  néanmoins  des  rites  dont  l'accomplisse- 
ment ne  peut  être  fait  que  par  le  pourohita,  le  brahme 
officiant.  Cette  anomalie  pourrait  faire  supposer  qu'il  existe 
une  rivalité  entre  les  gourous  et  les  pourohitas.  Il  n'en 
est  rien  cependant;  bien  au  contraire.  Les  pourohitas 
aident  souvent  les  gourous  dans  l'exercice  de  leurs 
fonctions,  et  consentent  même  à  être  leurs  agents  subal- 
ternes. 

Bien  que  leur  pouvoir  ne  soit  plus  ce  qu'il  a  été  jadis, 
les  gourous  jouissent  encore  d'une  grande  influence,  et  ils 
occupent  le  premier  rang.  On  les  respecte  à  l'égal  des 
dieux,  et  quelquefois  on  les  craint  davantage;  leur  bénédic- 
tion, et  même  leur  seule  vue  suffit  pour  remettre  les 
péchés  ;  mi  don  de  leur  main  a  un  prix  inestimable.  Le 
plus  souvent  ils  distribuent  de  la  fiente  de  vache,  des 
fruits  déjà  offerts  aux  idoles,  les  restes  de  leur  table, 
l'eau  qui  leur  a  servi  pour  leurs  soins  de  propreté,  et  qui 


I,E  nRAHM.\NISMR  / 

est  conservée  ou  bue  par  ceux  qui  en  sont  gratifiés.  Leur 
malédiction  passe  pour  avoir  des  effets  funestes.  Les 
fonctions  qu'ils  exercent,  tant  au  spirituel  qu'au  temporel, 
leur  donnent  une  grande  importance,etleur  autorité  s'étend 
surtoutela  caste  ousurla  corporation  dontilsontla  direction 
morale.  Ils  en  font  la  police,  y  maintiennent  l'observance 
des  usages  et  des  coutumes.  Les  gourous  perçoivent  cer- 
taines taxes,  pour  les  cérémonies  qu'ils  célèbrent  lors  des 
naissances,  initiations  et  des  décès,  et  en  piême  temps 
ils  font  fréquemment  appel  à  la  charité.  Ils  reçoivent  la 
visite  de  nombreux  dévots,  qui  viennentleur  dénoncer  les 
infractions  aux  rites  et  aux  coutumes.  La  plupart  d'entre 
eux  sont  célibataires,  et  d'habitude,  ils  vivent  dans  des 
ermitages,  des  couvents,  ou  près  des  pagodes.  Leur  prin- 
cipale ccupation  est  ou  passe  pour  être  l'étude  desVédas. 
D'habitude,  ils  se  livrent  à  l'astronomie,  à  la  médecine, 
recherchent  les  simples,  composent  des  chansons  populai- 
res ou  même  parfois  des  poésies. 

Cette  sorte  de  clergé  possède  une  véritable  organisation. 
Chaque  secte  et  chaque  caste  et  même  chaque  corpora- 
tion a  ses  gourous  particuliers,  avec  leurs  pontifes 
ou  grands  gourous^  qui  les  instituent,  les  régissent  et  les 
destituent.  Les  grands  gourous  ont  des  résidences  fixes, 
sortes  de  sièges  épiscopaux.  Ceux  qui  sont  mariés  trans- 
mettent leur  dignité  à  lem's  fils.  Mais,  comme  la  plupart 
sont  célibataires,  ils  se  désignent  des  coadjuteurs  qui  leur 
succèdent.  Chaque  grand  gourou  exerce  une  véritable 
juridiction  sur  un  territoire  plus  ou  moins  étendu,  et  le 
visite  tous  les  cinq  ou  six  ans.  Ce  sont  de  véritables  tour- 
nées pastorales  qu'il  accomplit,  et  partout  pour  le  rece- 
voir, l'on  déploie  la  plus  grande  pompe.  Lorsqu'un  grand 
gourou  entre  dans  une  ville,  il  est  monté  sur  un  éléphant 
richement  caparaçonné,  et  revêtu  d'un  riche  costume. 
Le  plus  habituellement,  marche  devant  lui  un  autre  élé- 


8  LE  BRAHMANISME 

phant,  portant  les  objets  qui  font  la  matière  ordinaire  des 
sacrifices.  Le  cortège  se  compose  de  gardes  à  cheval  avec 
des  lances  et  des  banderolles,  de  porteurs  de  torches 
enflammées,  des  dévots  qui  chantent  des  hymnes  en 
rhonneur  des  dieux,  de  nombreux  musiciens,  de  bayadères 
magnifiquement  parées  et  dansant  devant  la  foule,  de  chars 
plus  ou  moins  richement  ornés.  Le  long  de  la  route,  les 
maisons  sont  tapissées  de  feuillages  et  de  draperies,  les 
rues  jonchées  de  fleurs  et  de  branches  d'arbre,  et  couver- 
tes de  toiles,  pourgarantir  de  la  chaleur.  Sur  le  passage  du 
cortège,  s'élèvent  des  arcs  de  triomphe,  décorés  avec  des 
fleurs  et  des  guirlandes.  L'entrée  d'un  grdind  gourou,  dans 
une  ville,  donne  toujours  lieu  à  un  cérémonial,  bien  fait 
pour  produire  une  vive  impression  sur  l'imagination  des 
Hindous.  Les  gourous  de  la  secte  de  Vichnou  reconnais- 
sent tous  pour  chef  un  pontife  qui  réside  à  Tiroupaty, 
petite  ville  de  12  à  15.000  hab.,  située  dans  le  Carnatic. 
Suivant  les  livres  religieux,  le  vrai  gourou  doit  se  dis- 
tinguer par  la  pratique  de  toutes  les  vertus.  Il  doit  possé- 
der la  sagesse,  mépriser  les  richesses,  extirper  les  raci- 
nes du  péché ^  se  livrer  aux  dévotions  particulières  de  sa 
secte  et  aux  pratiques  de  pénitence  recommandées,  et  faire 
des  pèlerinages  dans  tous  les  lieux  saints.  Malheureuse- 
ment, la  plupart  du  temps,  ces  qualités  lui  font  défaut,  et 
à  part  de  rares  exceptions  il  brille  par  son  ignorance.  La 
rapacité  des  gourous  parfois  est  incroyable.  Dans  ses 
tournées  un  grand  gourou  ne  paraît  pas  avoir  d'autre  but 
que  d'amasser  de  l'argent.  Ses  principaux  revenus  consis- 
tent dans  le  produit  des  amendes,  pour  contraventions  aux 
règlements  de  la  caste,  et  le  tribut  appelé  r offrande  aux 
pieds^  et  qui  naguère  encore  était  excessif.  Depuis  un  cer- 
tain nombre  d'années,  grâce  au  progrès  des  idées  euro- 
péennes, qui  commencent  à  se  faire  jour  dans  l'Inde,  les 
Hindous  n'ont  plus  envers  les  gourous  la  même  soumis- 


LE  BRAHMANISME  9 

sion  d'autrefois,  et  pour  satisfaire  à  leurs  exigences  pécu- 
niaires, le  temps,  où  l'on  voyait  de  pieux  dévots  vendre 
leurs  femmes  et  leurs  filles,  est  passé.  L'influence  des  gou- 
rous diminue.  C'est  un  fait  qn'on  ne  peut  nier,  et  nous 
y  voyons  les  indices  d'une  révolution  religieuse  qui  se 
produira  tôt  ou  tard  dans  cette  partie  de  l'Extrême-Orient. 

Les  monuments  religieux  sont  extrêmement  nombreux 
dans  l'Inde.  Chaque  village  a  son  petit  temple,  avec  un 
étang  sacré.  Tous  les  centres  de  population  de  quelque  im- 
portance ont  des  pagodes  remarquables,  pour  la  plupart, 
par  leur  dimensions  et  leur  architecture.  L'on  trouve 
encore  une  foule  de  temples,  grands  et  petits,  dans  des 
endroits  isolés,  sur  les  grandes  routes,  dans  les  îles,  sur 
le  bord  de  la  mer  et  des  grands  étangs,  dans  les  bois,  et 
surtout  à  la  cime  et  au  pied  des  rochers  escarpés,  des  coU 
lines,  des  montagnes. 

Nous  retrouvons  le  culte  des  hauts  lieux  chez  les  Hin- 
dous ainsi  que  chez  les  Hébreux.  En  outre,  l'on  rencontre 
fréquemment  des  statues  de  terre  cuite  et  de  pierre,  sur- 
tout de  granit,  représentant  des  chevaux,  des  éléphants 
sacrés,  des  dieux  bornes  ;  quelques-unes  de  ces  idoles  sont 
dans  des  niches  ;  beaucoup  sont  à  découvert,  générale- 
ment à  l'ombre  de  bouquets  d'arbres  répandus  dans  les 
campagnes.  L'Inde  est  peut-être  le  pays  où  la  religion  do- 
minante s'affirme  le  plus  par  des  signes  matériels,  et  au 
premier  abord,  il  semble  que  le  brahmanisme  soit  aussi 
florissant  que  par  le  passé. 

Les  temples  diffèrent  entre  eux  comme  grandeur  et  par 
la  richesse  de  leurs  décors.  Mais  cependant  ils  présentent 
certains  caractères  communs;  tous  sont  orientés  vers  l'O- 
rient. Un  temple  est  un  édifice  rectangulaire,  qui  sert  pour  les 
cérémonies  ordinaires  du  culte.  La  plupart  du  temps,  il  est 
compris  entre  quatre  mars  ;  quelquefois,  il  est  ouvert 
par  devant  et  sur  les  deux  côtés,  et  fermé  seulement  dans 


10  LE  BRAHMANISME 

la  partie,  où  se  trouve  Tidole.  La  couverture  est  formée, 
la  plupart  du  temps,  de  dalles  énormes  en  granit,  sou- 
tenues par  des  colonnes  également  en  granit.  Les  murs, 
les  colonnes  sont  ornés  de  sculptures  en  bas-relief,  repré- 
sentant des  dieux,  des  animaux,  des  fleurs,  des  fruits. 
Dans  le  Sud,  les  peintures  sont  assez  rares,  tandis  qu'elles 
sont  nombreuses  dans  le  Nord.  Elles  représentent  des  sujets 
mythologiques  ;  mais  il  est  à  remarquer  que  la  perspective  et 
la  lumière  leur  font  presque  toujours  défaut.  Un  tem- 
ple se  divise  en  trois  parties  :  la  nef,  précédée  quelquefois 
d'une  avant-nef,  qui  en  est  séparée  par  quelques  gradins  ; 
le  sanctuaire  est  au  fond  dans  Paxe  où  se  trouve  la  sta- 
tue de  la  divinité.  Le  sanctuaire  est  obscur,  et  dans  les 
temples  de  quelque  étendue,  entouré  de  plusieurs  rangs  de 
colonnes.  Les  brahmes  seuls  ont  le  droit  d'y  pénétrer,  et 
les  autres  Hindous,  qui  n'appartiennent  "pas  la  à  caste  pri- 
vilégiée, doivent  se  tenir  dans  la  nef. 

Les  statues,  qui  représentent  la  divinité,  sont  bien  faites 
pour  attirer  l'attention.  Elles  doivent  être  de  granit,  de 
cuivre  et  d'or,  jamais  d'argent,  ni  d'autres  métaux,  ni  de 
bois.  Celles  en  pierres  sont  enduites  d'une  couleur  noire; 
quelques-unes  ont  des  yeux,  une  bouche  et  des  oreilles 
d'or.  Parfois,  elles  atteignent  des  dimensions  colossales. 
Leur  aspect  est  généralement  fort  laid,  ou  tout  au  moins 
bizarre.  La  statue,  qui  représente  la  divinité  que  l'on  adore 
spécialement  dans  le  temple,  est  toujours  dans  une  niche, 
et  on  la  pare  magnifiquement  dans  les  grandes  fêtes.  La 
consécration  d'une  idole,  ainsi  que  celle  d'un  temple  donne 
toujours  lieu  à  une  cérémonie  religieuse  où  d'habitude  se 
presse  une  nombreuse  population  Quand  une  idole  a  été 
profanée  ou  dégradée  pour  une  cause  quelconque,  elle  est 
rejetée  ;  il  en  est  de  même  d'un  temple  où  s'est  accom- 
plie une  profanation  ;  il  est  souillé  et  ne  peut  servir  an 
culte. 


LE  BRAHMANISME  H 

En  Europe,  on  confond  généralement  les  temples  et  les 
pagodes,  et  cependant  il  faut  les  distinguer.  Un  temple  est 
rédifice  qui  sert  au  culte,  tandis  que  la  pagode,  qui  com- 
prend une  ou  plusieurs  enceintes,  renferme  non  seulement 
un  ou  plusieurs  temples,  mais  encore  des  étangs,  des 
cours,  des  galeries,  les  habitations  des  brahmes,  des  mu- 
siciens, des  bayadères,  et  parfois  des  bâtiments  où  sont 
entretenus  des  animaux  sacrés,  bœufs,  vaches,  singes, 
aigles,  perroquets,  daims,  etc.  L'on  y  trouve  aussi  des 
chambres  destinées  à  loger  les  voyageurs.  .C'est  une  ville, 
dont  la  population  plus  ou  moins  nombreuse,  atteint  sou- 
vent plusieurs  milliers  d'àmes.  Tout  naturellement  il  existe 
une  grande  différence  entre  le  temple  diin  village  et  celui 
d'une  pagode.  Le  temple  d'une  pagode  est  toujours  pré- 
cédé de  plusieurs  cours  où  se  trouvent  généralement  des 
colonnes  de  granit  monoliihe  de  dix  à  quinze  mètres  de 
haut,  octogones  ou  carrées,  décorées  de  sculptures  et  de 
bas-rehefs,  représentant  des  sujets  de  la  mythologie  hin- 
doue. Ces  colonnes  vont  en  se  rétrécissant  jusqu'à  leur  som- 
met, qui  est  couvert  d'un  chapiteau  ou  d'une  corniche  carrée. 
Aux  quatre  angles  de  ce  chapiteau,  Ton  suspend  des  clo- 
chettes, et  l'on  met  au-dessus  un  réchaud  où  l'on  brûle 
continuellement  de  l'encens.  La  porte  d'entrée,  qui  donne 
accès  à  chacune  des  cours,  traverse  la  base  d'une  pyramide 
quadrangulaire,  tronquée  à  son  sommet,  et  couverte  sur 
ses  faces  défigures  rangées  par  séries  horizontales  et  pla- 
cées les  unes  au  dessus  des  autres,  comme  des  cariatides. 
Ces  figures  représentent  des  sujets  de  la  mythologie  hin- 
doue. Dans  la  cour,  qui  précède  immédiatement  la  porte 
du  temple^  il  y  a  généralement  un  grand  piédestal,  quel- 
quefois en  plein  air,  assez  souvent  recouvert  d'un  toit  en 
dalles  de  granit,  supporté  par  quatre  colonnes.  Sur  ce 
piédestal  se  trouve  un  bœuf,  si  le  temple  est  consacré  à 
Çiva,  le  singe  Hanouma  ou  un  serpent,  s'il  est  dédié  à 


12  LE  BRAHMANISME 

Vichnou.  Toat  à  côté,  est  l'étang  sacré,  bordé  de  gradins 
de  granit  où  les  Hindous  viennent  faire  leurs  ablutions  et 
leurs  purifications.  Quant  à  la  décoration  intérieure  du 
temple,  il  est  facile  de  comprendre  qu'elle  est  infiniment 
plus  riche  que  celle  d'un  temple  de  village.  Il  y  a  entre 
elles  la  même  différence  que  celle  qui  existe  entre  une  de 
nos  basiliques  et  une  modeste  église  de  campagne.  No- 
tons cette  particularité,  que  l'on  ne  rencontre  au  Bengale 
que  de  petites  pagodes,  et  que  l'influence  de  l'islamisme 
s'est  fait  sentir  dans  l'architecture  religieuse.  La  plupart 
des  temples  ont  la  forme  d'une  coupole  musulmane, 
renflée  vers  son  milieu,  se  terminant  en  dôme  écrasé  et 
souvent  recouvert  d'ornements  en  or. 

Nous  ne  pouvons  pas  parler  des  monuments  religieux 
du  brahmanisme,  sans  dire  quelques  mots  des  fameux 
temples  souterrains,  dont  l'origine  est  encore  mystérieuse. 
L'on  est  émerveillé  de  l'immensité  de  ces  travaux,  et  Pé- 
tonnement  qu'on  éprouve  est  à  peine  diminué  par  la  ré- 
flexion que  ces  temples  ont  été  faits,  pendant  une  durée  de 
plusieurs  siècles  ;  l'existence  de  cavités  naturelles  n'enlève 
rien  à  la  difficulté  et  au  mérite  de  l'exécution.  Les  tem- 
ples souterrains  les  plus  célèbres  sont  ceux  d'Eléphanta 
et  d'Ellora.  Eléphanta  est  un  îlot,  près  de  Bombay,  qui  a 
la  forme  d'une  montagne.  Aux  deux  tiers  de  la  hauteur, 
l'on  trouve,  précédé  d'une  magnifique  esplanade,  un  tem- 
ple de  cent  quarante  mètres  de  long,  sur  quarante  et  un 
mètres  de  large,  creusé  dans  le  roc  calcaire,  en  forme  de 
croix,  avec  des  chapelles  latérales,  ornées  d'images  colos- 
sales. 11  contient  vingt-six  piliers  et  seize  pilastres,  tous 
différents  les  uns  des  autres,  et  quoique  massifs,  d'une 
apparence  très  élégante.  Une  statue  gigantesque  de  Çivaest 
placée  en  face  de  l'entrée  principale.  Le  temple  d'Ellora 
est  situé  près  du  Godavery.  Sur  un  immence  hémicycle 
formé  naturellement  par  des  montagnes,  s'ouvrent  des  sou- 


LE  BRAHMANISME  13 

terrains,  des  cours,  des  colonnades  et  des  vestibules  im- 
menses. Un  souterrain  conduit  à  une  place  longue  de 
quatre-vingts  mètres  et  large  de  cinquante,  creusée  à  ciel 
ouvert.  Sur  cette  place,  l'on  a  laissé  un  bloc  isolé  de  trente- 
trois  mètres  de  hauteur,  et  de  cent  soixante-dix  mètres 
de  tour.  Dans  ce  bloc,  l'on  a  taillé  un  temple  consacré 
à  Giva.  Les  soubassements  sont  formés  par  un  beau  cor- 
don d'éléphants,  serrés  les  uns  contre  les  autres,  et  placés 
de  face  à  la  manière  des  cariatides.  Un  magnifique  péris- 
tyle le  précède,  et  aux  deux  côtés  sont  deux  éléphants  gi- 
gantesques et  deux  pyramides  hautes  de  treize  mètres.  Le 
temple  se  compose  d'une  salle  principale,  entourée  de  plu- 
sieurs autres  plus  petites.  Les  murailles  sont  ornées  de 
bas-reliefs  formés  de  groupes  nombreux,  représentant  les 
combats  chantés  par  le  Ramayana  et  le  Mahabharata.  Cer- 
tains temples  souterrains  offrent  une  grande  ressem- 
blance avec  nos  églises  :  tel  est  celui  de  Visouah  Karma. 
Il  en  est  de  même  des  temples  de  l'île  de  Salcette,  tout 
près  d'Eléphanta.L'un  d'eux,  qui  était  dédié  à  Bouddha,  a 
servi  d'éghse  aux  moines  portugais,  aux  XVP  et  XVIP 
siècles,  et  aujourd'hui  encore  l'usage  lui  a  conservé  le  nom 
d'égUse. 

Si  le  brahmanisme  possède  de  nombreuses  divinités 
et  de  nombreux  temples,  les  pratiques  qu'il  prescrit  sont 
également  nombreuses.  Les  pratiques  les  plus  élémentai- 
res sont  les  mantrans  ou  prières.  Les  mantrans  sont  des 
prières  et  formules  consacrées,  auquelles  l'on  attribue 
une  vertu  extraordinaire,  même  celle  d'enchaîner  le  pou- 
voir des  dieux.  Leur  principal  effet  est  d'effacer  les  péchés. 
Mais,  ils  en  ont  encore  d'autres,  bons  et  mauvais.  Ils  pro- 
duisent l'amour  et  la  haine,  la  maladie,  la  guérison  ou  la 
mort,  la  possession  ou  la  dépossession  du  démon,  la  vic- 
toire ou  la  défaite  des  armées.  L'etfet  d'un  mantran  peut 
être  détruit  par  celui  d'un  mantran  opposé.  Quelques-uns 


i4  LE  BRAHMANISME 

sont  de  simples  formules  criiivocation,  d'évocation  et  de 
conjuration.  L'usage  des  mantrans  est  fort  répandu.  (1) 
On  le  considère  comme  indispensable  aux  médecins.  Les 
magiciens,  les  sorciers  et  les  devins  en  ont  tout  un  arse- 
nal. Il  y  a  des  manirans\)<d\\x  découvrir  les  choses  volées 
et  les  voleurs.  Les  agents  de  police  indigènes  ne  manquent 
jamais  d'y  recourir  pour  leurs  perquisitions.  Les  brahmes 
sont  censés  posséder  les  principaux  mantrans.  Il  existe 
une  prière,  ou  plutôt  une  méditation  qui  est  en  quelque 
sorte  réservée  aux  brahmes,  et  leur  sert  d'introduction  à 
toutes  les  cérémonies  qu  ils  accomplissent.  C'est  le  San 
Calpa.  Pour  remplir  cette  obligation  religieuse,  lebrahme 
doit  penser  à  Bralima,  à  Vichnou  et  à  ses  incarnations, 
prononcer  trois  fois  leurs  noms,  les  adorer,  et  méditer  sur 
les  hommes  et  le  Djambou  Douipa^  continent  disparu 
dont  l'Inde  avait  fait  partie. 

Après  les  prières,  viennent  dans  l'ordre  des  pratiques 
religieuses,  les  poudjas  ou  sacrifices  privés.  Il  y  a  trois 
sortes  de  poudjas.,  le  petit,  le  moyen  et  le  grand.  Le  petit 
poudja  consiste  à  offrir  à  la  divinité  du  santal  en  poudre, 
des  fleurs,  deTencens,  une  lampe  allumée,  et  le  neiiceddia, 
offrande  composée  de  bétel,  de  beurre  liquéfié,  de  riz 
bouilli,  de  fruits,  de  sucre  et  autres  comestibles.  Dans  le 
poudja  moyen,  l'on  offre  en  plus  à  la  divinité,  un  breu- 
vage de  lait,  de  sucre  et  de  miel,  dans  un  vase  de  métal, 
un  bain  de  lait  et  des  joyaux  ou  autres  ornements.  Le 
grand  poudja  est  plus  compliqué.  Il  faut  d'abord  évo- 
quer la  divinité,  lui  offrir  un  siège  pour  s'asseoir,  et  lui 
demander  des  nouvelles  de  sa  santé.  Ou  lui  offre  ensuite 
de  l'eau  pure  pour  lui  laver  les  pieds,  et  de  l'eau  mêlée  de 

(1)  Le  plus  célèbre  et  le  plus  puissant  des  mantrans  est  le 
gaiatni  dont  voici  la  signification  :  «  Adorons  la  lumière  sublime 
du  dieu  de  toutes  choses,  de  ce  soleil  placé  dans  les  cieux  comme 
un  œil  pour  diriger  votre  esprit.  » 


LE  BRAHMANISME  15 

fleurs,  de  poudre  de  santal  et  de  safrau,  pour  se  laver  le 
corps;  après  quoi,  on  lui  présente  les  otïrandes  usitées,  en 
ayant  soin  d'asperger,  du  bout  des  doigts,  chaque  objet 
avec  un  peu  d'eau,  et  l'on  se  prosterne  ensuite.  Il  existe  un 
sacrifice  très  usité  par  les  femmes,  pour  détruire  l'efiet  du 
mauvais  regard,  c'est  Varatty.  La  femme,  qui  veut  ac- 
complir cette  cérémonie,  verse,  dans  un  plat  de  métal,  de 
l'eau rougie  avec  du  vermillon, du  safran.  Elle  élève  ensuite, 
avec  les  deux  mains,  le  plat  à  la  hauteur  de  celui  qui  est 
l'objet  du  sacrifice,  et  décrit  alors  un  certain  nombre  de 
cercles.  Quelquefois,  l'eau  rougie  est  remplacée  par  une 
lampe  que  Ton  allume,  après  l'avoir  remplie  d'huile  ou  de 
beurre  liquéfié.  L'aratty  s'accomplit  non  seulement  sur 
les  êtres  humains,  mais  encore  sur  les  idoles,  les  élé- 
phants et  les  chevaux.  La  crainte  des  géants  et  des 
esprits  malins  préoccupe  vivement  les  Hindous.  Aussi, 
pour  se  protéger  de  leurs  attaques,  beaucoup  d'entre  eux 
portent  le  pavitram,  espèce  d'anneau  fait  avec  trois,  cinq 
ou  sept  tiges  de  l'herbe  darba^  tressées  ensemble,  et  que 
l'on  trempe  dans  l'eau  lustrale. 

L'eau  lustrale  se  retrouve  dans  le  brahmanisme,  comme 
dans  la  plupart  des  religions  de  l'antiquité.  Les  Hindous  y 
attachent  une  grande  importance.  Dans  un  endroit  de  la 
maison,  qui  au  préalable  a  été  purifiée,  l'on  place  sur  un 
tas  de  riz,  un  vase  de  cuivre,  rempli  d'eau,  blanchi  exté- 
rieurement de  chaux,  et  couvert  à  son  orifice  de  feuilles 
de  manguier.  Ce  vase  est  appelé  chimhou.  L'on  place  près 
du  chbnbou^  un  petit  tas  de  safran,  qui  représente  Ga- 
nesha,  le  fils  de  Çiva,  le  dieu  lare  par  excellence,  le  Pou- 
léar,  comme  on  l'appelle.  L'on  récite  des  mcntrans^  et  l'on 
offre  le  poudja.  Le  chimbou  devient  alors  une  sorte  de 
divinité.  L'on  jette,  dedans,  de  la  poudre  de  santal.  A  par- 
tir de  ce  moment,  l'eau  qu'il  contient  devient  sacrée, 
comme  l'eau  du  Gange  et  sert  d'eau  lustrale,   qu'on  em- 


16  LE  BRAHMANISME 

ploie  pour  se  purifier,  se  protéger  contre  les  esprits  mau- 
vais, et  se  rendre  les  dieux  favorables. 

Les  purifications  constituent  pour  les  Hindous  des  pra- 
tiques minutieuses.  Toutes  leurs  maisons,  sont  et  doivent 
être  purifiées.  C'est  surtout  l'ouvrage  des  femmes,  qui  le 
font  principalement  avec  de  la  fiente  de  vache  et  l'herbe 
darba.  Elles  mettent  sur  le  plancher  une  couche  de  fiente 
de  vache  délayée  avec  l'eau,  en  dessinant,  avec  cette  subs- 
tance, différentes  figures,  auxquelles  est  attaché  un  sens 
mystérieux.  Elles  tracent  ensuite  par  dessus  de  larges 
raies  blanches  et  rouges,  et  répandent,  après,  de  l'herbe 
darba.  Tous  les  gens,  qui  se  piquent  d'être  fidèles  obser- 
vateurs des  usages  et  des  coutumes  ou  occupent  une  posi- 
tion sociale,  font,  de  la  purification,  un  acte  journafier,  et 
frottent,  tous  les  jours  et  dans  toutes  les  occasions  tant  soit 
peu  importantes,  leurs  maisons  avec  de  la  fiente  de  vache. 
Chaque  matin,  l'on  voit  des  femmes  tracer  machinalement, 
sans  en  comprendre  la  signification,  des  figures  plus  ou 
moins  grossières,  sur  les  façades  de  leurs  demeures,  ou 
les  portiques  qui  les  précèdent.  Cet  emploi  fréquent  de  la 
fiente  de  vache,  s'il  a  l'inconvénient  de  blesser  l'odorat 
européen,  a  l'avantage  de  détruire  nombre  d'insectes,  et 
de  combattre  le  mauvais  effet  produit  par  les  émanations. 
Aussi,  il  est  à  remarquer  que  dans  les  villages  où  la  puri- 
fication des  maisons  avec  de  la  fiente  de  vache  a  lieu  ré- 
gulièrement, les  maladies  contagieuses  s'y  développent 
moins  qu'ailleurs,  et  que  cette  coutume,  qui  nous  semble 
bizarre,  contribue  beaucoup  à  la  salubrité.  Il  ne  faut  donc 
pas  s'étonner,  si  les  Hindous  y  attachent  tant  d'importance 
et  la  considèrent  comme  un  devoir  des  plus  sacrés. 

Un  sacrifice  fort  curieux  est  le  Homan.  Il  se  fait  en  al- 
lumant un  brasier  que  l'on  divinise  par  des  mantrans.  L'on 
y  jette  de  petits  morceaux  de  bois,  provenant  de  l'un  des 
sept  arbres  sacrés  :  on  y  répand  du  riz  bouilli,  du  beurre 


LE  BRAHMANISME  17 

liquéfié;  l'on  récite  les  mdiitrans  voulus,  et  Ton  offre 
ensuite  le /»oz<û(;Vi  ordinaire.  Le  homan  n'est  pas  autre 
chose  que  le  culte  du  feu,  et  il  est  une  des  preuves  de  la 
venue  des  Aryas  de  Plran.L'on  peut  considérer  le  homan, 
comme  un  reste  de  l'ancien  culte  du  feu,  qui  fut  la  reli- 
gion primitive  des  Aryas,  avant  leur  émigration  sur  les 
rives  de  l'Indus. 

Le  sacrifice  domestique  le  plus  important  est  rEkiam.  Il 
ne  peut  être  accompli  que  par  un  brahme.  Aussi  passe-t-il 
pour  être  très  efficace  et vufavorablementpar  les  dieux. Lors- 
qu'un brahme  doit  accomplir  un  ekiam^  il  fait  annoncer 
le  jour  où  aura  heu  la  cérémonie,  et  en  même  temps,  il 
invite  les  brahmes  des  environs  à  y  assister.  Les  coudras 
ne  peuvent  y  prendre  part.  L'on  choisit  un  béUer  de  trois 
ans,  blanc,  gras  et  sans  défauts,  et  on  l'amène  paré  de 
guirlandes  et  de  fleurs,  au  lieu  où  doit  s'accomplir  le  sa- 
crifice. Une  fosse  est  creusée,  et  l'on  y  allume  un  grand 
feu  avec  des  morceaux  de  bois  sacré  et  de  l'herbe  darba  ; 
on  l'arrose  avec  du  beurre  liquéfié.  Le  bélier  est  la  vic- 
time ;  mais,  comme  les  brahmes  ne  peuvent  verser  le 
sang,  on  Tétouffe  par  la  strangulation,  et  on  lui  ouvre 
ensuite  le  ventre.  Le  brahme  place  alors  sur  le  feu,  la 
poitrine  de  l'animal,  dont  la  graisse,  en  coulant,  sert  de  li- 
bation. Le  bélier  est  découpé  en  petits  morceaux  que  l'on 
fait  rôtir  ;  les  brahmes  se  les  partagent,  et  il  paraît  qu'ils 
se  montrent  très  friands  de  ce  manger.  Les  assistants  re- 
çoivent en  présent  quelquefois  de  petites  pièces  de  mon- 
naie, et  la  plupart  du  temps,  des  toiles  auxquelles  ils  atta- 
chent un  grand  prix.  Jadis,  Vekiam  était  beaucoup  plus 
fréquent  que  de  nos  jours.  Ce  sacrifice  avait  la  réputation 
d'assurer  de  la  victoire  ;  le  bélier  n'était  pas  alors  la  seule 
victime.  L'on  pouvait  immoler  une  vache,  un  cheval,  un 
éléphant,  et  même  un  homme.  Il  est  souvent  question 
de  Vekiam  dans  les  livres  sacrés.  L'on  a  remarqué  que, 


18  LE  BRAHMANISME 

depuis  un  certain  nombre  d'années,  Vekiam  était  moins 
usité.  Peut-être,  pourrait-on  en  déduire  qu'il  commence 
à  perdre  tant  soit  peu  de  son  crédit. 

Il  existe  naturellement  un  culte  public.  A  cliaque  temple 
sont  attachés  des  brahmes,  en  qualité  d'officiants,  de 
pourohitas.  Le  brahme  faisant  fonction  de  prêtre,  offre  le 
sacrifice  régulièrement,  matin  et  soir,  et  chaque  jour,  l'on 
va  chercher,  à  la  rivière,  l'eau  destinée  ^  laver  la  statue  de 
la  divinité.  Souvent  les  vases  qui  la  contiennent,  sont  por- 
tés par  un  éléphant,  qui  marche  précédé  des  bayadères  de 
la  pagode.  Le  brahme  officiant  habille  l'idole  et  lui  offre 
le  poudja^  en  faisant  de  temps  en  temps  sonner  une  clo- 
chette. 11  paraît  ensuite  dans  la  nef,  et  distribue  aux  as- 
sistants les  offrandes,  qui  composaient  le  sacrifice.  Les 
bayadères  dansent  devant  l'idole,  lui  font  Varatty^  et  chan- 
tent des  poésies,  en  l'honneur  de  la  divinité  qu'elle  repré- 
sente. Des  musiciens  font  grand  bruit  avec  des  espèces 
de  clarinettes  et  de  hautbois,  des  cymbales  et  des  tambou- 
rins. Si  les  chants  religieux  des  Hindous  sont  monotones, 
empreints  souvent  de  tristesse,  leur  musique  instrumen- 
tale est  toujours  désagréable,  et  le  vacarme  qu'elle  produit 
ne  tarde  pas  à  être  insupportable  pour  une  oreille  euro- 
péenne. Les  sacrilices  sanglants  sont  toujours  accomplis 
par  un  prêtre,  appartenant  à  une  caste  autre  que  celle  des 
brahmes.  L'assistance,  qui  se  presse  journellement  aux  cé- 
rémonies religieuses,  ne  laisse  pas  d'être  nombreuse.  Les 
Hindous  sont  passionnés  pour  l'éclat  et  le  bruit  des  spec- 
tacles et  des  fêtes.  Aussi  leur  religion  leur  en  sert-elle  à 
souhait.  Ils  s'y  rendent  en  foule,  parés  de  leurs  plus  beaux 
ornements.  Les  offrandes  ne  chôment  jamais.  Les  plus  com- 
munes sont  des  lampes  ahmentées  avec  du  beurre  liquéfié. 
Aussi,  en  voit-on  brûler  journellement  des  milliers  dans 
les  pagodes. 

Les  bayadères  jouent  un  grand  rôle  dans  les  cérémo- 


LE  BRAHMANISME  19 

nies  religieuses  aussi  bien  que  dans  la  vie  publique  et  pri- 
vée des  Hindous.  Aussi,  devons-nous  à  leur  sujet  entrer 
dans  quelques  détails.  A  chaque  pagode  de  quelque  im- 
portance est  attachée  une  troupe  de  bayadères,  dont  le 
nombre  n'est  jamais-  au-dessous  de  huit,  et  auxquelles  sont 
toujours  adjoints  des  musiciens.  Leurs  fonctions  consis- 
tent à  danser  et  à  chanter  dans  les  pagodes  et  dans  les 
cérémonies  publiques.  Elles  ont,  pour  habitude  et  même 
pour  obligation,  de  rendre  visite  aux  personnages  haut 
placés,  et  pour  elles,  c'est  l'occasion  de  montrer  leurs 
talents  chorégraphiques,  et  de  recevoir  des  gratifications. 
Il  n'y  a  pas  de  fête  de  famille,  de  mariage,  de  réjouis- 
sances intimes,  où  on  ne  les  invite  à  danser.  La  plus 
grande  partie  des   dons  qu'elles  reçoivent  leur  est  prise 
par  les  brahmes  et  les  musiciens  qui  les  accompagnent. 
Le  plus  net  de  leurs  profits  leur   est  fourni  par  leurs 
amants.  Les  bayadères  sont  dans  l'Inde  ce  que  les  cour- 
tisanes étaient  dans  la  Grèce.  Ce  sont  des  femmes  élé- 
gantes, agréables,  et  à  elles  seules,  il  est  permis  de  danser 
et  d'être  aimables  pour  les  hommes.  Entretenir  une  baya- 
dère  n'est  pas  seulement  chez  les  Hindous  un  luxe  de  bon 
ton  ;  c'est  encore  une  œuvre  méritoire.  Les  brahmes  ensei- 
gnent que  le  commerce  avec  une  bayadère  est  une  vertiL 
qui  efface  les  péchés.  Les  bayadères  se  recrutent  dans 
toutes  les  classes,  mais  principalement  dans  celle  des  tis- 
serands. Quand  une  fille  a  été  agréée  pour  cet  emploi, 
aussi  honoré  que  lucratif,  ses  parents  la  présentent  avant 
qu'elle  soit  nubile,  au  gourou^  qui  l'initie,  par  une  céré- 
monie particulière,  et  la  remet  ensuite  entre  les  mains  du 
maitre  de  danse  de  la  pagode.  Le  costume  des  bayadères 
est  gracieux.  Elles  ont  une  ceinture  d'or,  des  bijoux  en  or 
au  sommet  de  la  tête,  aux  oreilles,  aux  bras  et  aux  pieds  ; 
ceux  qui  sont  attachés  aux  chevilles,  résonnent  d'un  bruit 
qui  accompagne  leur  danse.  Elles  sont  toujours  jolies  et 


20  LE  BRAHMANISME 

gracieuses.  Leur  danse  est  une  pantomime  qu'elles  exécu- 
tent, en  étant  accompagnées  par  des  musiciens.  Leurs 
chants  consistent  surtoutenrhytmes.  En  dehors  des  temples, 
leurs  danses  et  leurs  pantomimes  représentent  des  scènes 
amoureuses,  et  leurs  chansons  sont  loin  de  conserver  le 
caractère  religieux.  Elles  choqueraient  des  oreilles  tant 
soit  peu  pudibondes,  et  pour  les  traduire,  il  faudrait 
avoir  recours  au  latin  qui  dans  ses  mots  peut  braver 
Thonnéteté. 

Toute  pagode  de  quelque  importance  a  une  fête  princi- 
pale, qui  revient  chaque  année,  et  c'est  l'occasion  d'un  cé- 
rémonial dont  le  luxe  ne  laisse  rien  à  désirer.  Il  y  a  une 
procession  où  la  statue  de  la  divinité  du  temple  est  prome- 
née sur  un  grand  char  massif,  posé  sur  d'énormes  roues. 
Le  char  est  recouvert  d'étoffes  précieuses,  de  feuillages, 
de  fleurs,  orné  sur  les  côtés  de  chevaux  et  d'éléphants  en 
bois,  peints  de  couleurs  éclatantes.  Au  sommet  du  char, 
est  placée  l'idole,  et  autour  d'elle  sont  étages  les  brahmes, 
qui  président  la  cérémonie,  et  les  bayadères,  qui  agitent 
en  l'honneur  du  dieu,  des  éventails  de  plumes  de  paon. 
Le  char  est  traîné  par  des  hommes  ;  aussi,  n'avance-t-il 
que  fort  lentement,  et  sur  son  passage,  la  foule  pousse 
des  cris  enthousiastes.  Un  cortège,  toujours  nombreux, 
accompagne  l'idole,  dans  sa  promenade.  Il  se  compose  de 
guerriers  simulant  des  combats,  de  groupes  exécutant  des 
danses,  de  musiciens  dont  le  vacarme  est  pénible  pour 
des  Européens.  Autrefois,  l'on  y  voyait  des  obscénités. 
Mais  la  domination  anglaise  a  fait  disparaître  ce  qu'il  y 
avait  de  plus  choquant  pour  les  mœurs.  Néanmoins,  la 
réforme  est  loin  d'être  complète.  C'est  ainsi,  que  les 
brahmes  de  certaines  pagodes  demandent,  après  la 
procession,  à  leurs  parents,  au  nom  de  la  divinité, 
pour  leur  servir  d'épouses,  les  plus  jolies  fennnes  qu'ils 
ont  remarquées  dans  la  foule.   Ils  en   obtiennent  ainsi 


LE  BRAHMANISME  21 

un  certain  nombre  qu'ils  gardent  aussi  longtemps 
qu'elles  leur  plaisent,  et  les  renvoient  ensuite.  Avant  de 
leur  donner  congé,  ils  leurs  impriment  avec  un  fer  rouge, 
sur  la  poitrine  ou  sur  la  cuisse,  un  signe  symbolique,  qui 
leur  assure  à  perpétuité  le  titre  d'épouses  de  Vichnou  ou 
de  Çiva.  Griice  k  ceUe  difjr?îitc ^  elles  reçoivent,  partout  où 
elles  se  présentent,  un  accueil  favorable,  et  souvent  même 
des  présents.  N'oublions  pas  que  ces  processions  donnent 
généralement  lieu  à  des  collectes  et  à  des  quêtes,  dont  le 
produit  constitue  un  revenu  assez  important  pour  les 
brahmes. 

Outre  les  fêtes  particulières  à  chaque  pagode,  il  y  a  des 
fêtes  générales  qui  se  célèbrent  partout  à  des  époques 
fixes.  Les  principales  sont  le  premier  jour  de  Van  qui 
tombe  au  mois  de  mars  ;  en  février  la  fête  des  serpents^ 
la  nuit  de  Çiva  (Civaratty)  ;  en  juin,  la  fête  du  feu  ;  en 
septembre,  VAyouda  Poudja  ou  fête  des  armes^  en 
l'honneur  des  déesses  Sévarasti,  Latchoumy  et  Parraty, 
épouses  de  Brahma,  de  Vichnou  et  de  Çiva  ;  en  octobre,  la 
fête  des  ancêtres  ou  des  morts  ;  la  fête  des  guerriers  et 
des  écoliers^  le  Ram-Lila^  anniversaire  de  la  prise  de 
Lila  par  Rama  ;  en  novembre,  la  fête  de  Kartekeya^\e>  dieu 
de  la  guerre  ;  la  fête  des  lampes  \  en  décembre,  au  solstice 
d'hiver,  le  Pongol^  ou  fête  de  l'agriculture. 

La  plus  obligatoire  de  toutes  les  fêtes  est  celle  des  an- 
cêtres ou  des  morts  ;  elle  dure  neuf  jours.  Chaque  famille 
fait  à  ses  ancêtres  les  sacrifices  ordinaires  et  des  cadeaux 
de  toile  neuve,  pour  qu'ils  puissent  se  vêtir.  Le  Ram-Lila 
dure  trois  jours,  et  des  spectacles  représentent  en  public 
les  combats  légendaires  des  singes  contre  les  géants,  la 
construction  du  pont  de  Geylan,  et  la  prise  de  Lanka.  La 
fête  des  lampes  donne  lieu  à  de  nombreux  sacrifices  de 
béliers  et  de  boucs,pour  remercier  les  dieux  d'avoir  donné 
la  maturité  aux  fruits  de  la  terre.  A  la  fête  des  serpents^ 


22  LE  BRAHMANISME 

l'on  offre  à  ces  reptiles,  du  lait  et  des  bananes.  A  la  fHe 
des  guerriers  et  des  écoliers^  des  troupes  nombreuses 
parcourent  les  villes  avec  des  palanquins  et  des  chars  ri- 
chenients  décorés,  et  l'on  assiste  à  des  combats  d'hommes 
et  d'animaux  à  la  façon  antique.  A  h  fête  de  Kartekeya, 
le  dieu  de  la  guerre,  il  y  a  profusion  de  feux  d'artifices. 
Au  Po7igol,  les  femmes  font  cuire  en  plein  air  du  riz  dans 
du  lait.  On  arrose  les  vaches  avec  de  l'eau  mêlée  de  grai- 
nes et  de  végétaux  consacrés.  On  leur  peint  les  cornes  en 
rouge  ;  on  leur  présente  des  lanternes  allumées,  et  on  les 
fait  courir  dans  les  rues.  Toutes  ces  fêtes  donnent  heu  à 
des  réjouissances  et  à  des  réunions  toujours  fort  nom- 
breuses. Des  processions,  où  se  presse  une  foule  enthou- 
siaste, parcourent  les  villes  et  les  villages,  et  la  plupart 
se  font  la  nuit,  à  la  lueur  des  lampes  et  des  torches.  La 
population  manifeste  bruyamment  sa  joie,  et  à  ces  mo- 
ments-là, elle  sort  de  son  apathie,  et  montre  une  activité 
fiévreuse,  qui  contraste  avec  son  calme  habituel. 

Les  pèlerinages  existent  dans  le  brahmanisme  comme  dans 
toute  autre  religion.  Ils  ont  pour  but  et  pour  effet  d'absou- 
dre les  péchés,  et  de  gagner  la  faveur  d'une  divinité,  qui 
peut  donner  à  ses  dévotS;,  le  séjour  dans  le  paradis,  le 
ciel  d 'Indra,  la  ville  aérienne  d'Amaravati,  ou  exempter 
de  nouvelles  naissances.  Ils  ont  souvent  pour  objet  l'ac- 
complissement de  quelque  vœu.  Pour  beaucoup  d'Hindous, 
c'est  une  occasion,  sinon  un  but  de  voyage  et  de  plaisir. 
Le  jour  du  départ  et  de  l'arrivée,  le  pèlerin  se  rase  la  tête, 
jeune  et  fait  un  sacrifice  aux  mânes.  Il  voyage  à  pied,  ne 
mange  qu'une  fois  par  jour,  et  seulement  des  végétaux. 
Les  fatigues  qu'ils  supportent  sont  excessives,  et  il  y  en 
a,  qui  font  plusieurs  centaines  de  lieues,  sans  ressources, 
n'ayant  pour  tout  bagage  qu'un  vase  de  cuivre,  qui  leur 
sert  à  puiser  de  l'eau.  Nombre  d'entre  eux  meurent  en 
route,  sur  les  chemins  qui  mènent  aux  grands  pèlerinages. 


LE  BRAHMANISME  23 

L'on  trouve  des  squelettes,  des  ossements,  et  à  l'époque 
des  grandes  fêtes  religieuses,  l'air  est  tellement  empesté 
par  les  exhalaisons  des  cadavres  eu  décomposition,  qu'il 
en  résulte  un  danger  pour  la  salubrité  publique.  Le  pèle- 
rin doit  rester  au  moins  sept  jours  dans  le  lieu  du  pèle- 
rinage. Il  donne  aux  brahmes  du  sanctuaire,  le  plus 
d'argent  qu'il  peut  et  reçoit,  en  échange,  des  feuil- 
les d'arbres  sacrées,  des  cendres  de  fiente  de  vache,  etc., 
des  objets  qui  ont  seni  à  la  toilette  de  la  divinité.  L'on 
se  rend  en  pèlerinage,  à  tous  les  lieux  remarquables,  aux 
sources,  aux  tleuves  sacrés,  aux  montagnes.  Dans  chacun 
de  ces  lieux,  il  y  a  un  sanctuaire.  Les  Hindous  pensent 
que  s'ils  rendent  l'âme,  les  yeux  fixés  sur  un  fleuve  sacré 
ou  sur  une  pagode  en  renom,  ils  vont  droit  au  paradis. 
Les  lieux  de  pèlerinages  les  plus  fréquentés  sont  Gangotri, 
Tiroupaty,  Séringham,  Condjavéram,  et  surtout  Hardwar, 
endroit  où  le  Gange  sort  des  montagnes  pour  entrer  dans  la 
plaine,  Bénarès,  la  ville  sainte  de  l'Inde  par  excellence, 
la  pagode  de  Djaghernault,  et  le  lac  sacré  de  Poshkur. 
Les  rives  des  fleuves  sacrés,  principalement  celles  du 
Gange,  où  certains  jours  désignés,  des  foules  de  pèlerins 
viennent  se  baigner,  sont  également  des  lieux  de  pèlerinages. 
Gangotri  est  situé  dans  une  région  qui  confine  au  Thi- 
bet,  connue  sous  le  nom  de  Garhval,  à  plus  de  trois  mille 
mètres  d'altitude.  Un  torrent,  qui  a  déjà  parcouru  vingt 
kilomètres,  sort  impétueusement  d'une  gorge  au  pied  du 
village.  C'est  là  que  les  Hindous  placent  la  source  de  leur 
fleuve  sacré,  et  aussi  chaque  année,  de  nombreux  pèlerins 
viennent  y  chercher  l'eau,  qui  sert  dans  l'Inde  entière, 
aux  rites  brahmaniques.  Séringham  possède  l'un  des  tem- 
ples les  plus  vastes  de  l'Inde  ;  il.  est  entouré  de  sept  en- 
ceintes. La  légende  raconte  que  Brahma  y  est  venu  prier. 
Condjavéram,  à  soixante-sept  kilomètres  de  Madras,  se 
fait  remarquer  par  deux  temples,  dont  l'un  situé  sur  le 


24  LE  BRAHMANISME 

bord  d'un  étang,  est  une  gigantesque  pyramide,  amas 
prodigieux  de  sculptures.  Tiroupaty  n'est  guère  fréquenté 
que  par  les  sectateurs  de  Vichnou,  qui  viennent  y  visiter 
le  chef  supérieur  de  leurs  gourous.  Hardwar  est  placé 
près  de  l'entrée  méridionale  du  Sivalik,  petite  chaîne  de 
l'Himalaya,  par  où  le  Gange  sort  définitivement  de  son 
berceau  montagneux,  et  débouche  dans  la  plaine.  Aussi, 
cette  ville  est-elle  appelée  la  porte  du  Gange,  et  chaque 
année  alors  que  les  eaux  du  fleuve  sont  basses,  de  mars 
à  avril,  des  milliers  de  pèlerins  viennent  se  plonger  dans 
Ponde  sacrée.  Ce  pèlerinage  est  moins  fréquenté  qu'autre- 
fois. Jadis  des  rixes  sanglantes  avaient  lieu  entre  les 
vichnouistes  et  les  çivaïstes.  C'est  à  HardAvar,  que  com- 
mença en  1847,  la  célèbre  et  terrible  épidémie  de  choléra 
qui  d'Asie  se  propagea  en  Europe. 

Djaghernaut  est  le  temple  le  plus  célèbre  de  toute 
l'Inde.  Il  est  consacré  à  Vichnou  qui,  dit-on,  a  lui-même, 
pour  façonner  son  idole,  pris  l'apparence  d'un  charpentier. 
La  pagode  passe  pour  avoir  été  élevée  au  XII^  siècle  de 
notre  ère.  Elle  est  entourée  d'autres  édifices,  sanctuaires, 
portiques,  étangs  sacrés.  Toute  la  cité  sacrée,  connue 
sous  le  nom  de  Pouri,  couvre  une  superficie  de  huit 
cents  hectares,  et  sa  population  peut  s'élever  à  vingt-cinq 
mille  habitants,  dont  six  mille  prêtres  divisés  en  plusieurs 
ordres,  reconnaissant  tous  un  chef,  le  Radjah  de  Khonda 
dont  les  fonctions  sont  héréditaires.  La  cité  sainte  est  en- 
tourée d'un  mur  crénelé  ;  l'Européen  n'y  est  pas  admis  et 
ne  peut  voir  que  de  loin  le  Baro-Dewal,  grande  tour  res- 
semblant à  une  borne  colossale,  où  sont  logées  les  statues 
du  dieu  Vichnou,  de  son  frère  Balarama  et  de  sa  sœur 
Soubrada  ou  Kali.  La  ville  de  Pouri  vit  du  pèlerin.  Autre- 
trefois,  la  ferveur  des  fidèles  était  plus  grande  que  mainte- 
nant, et  l'on  évaluait,  à  un  milUon  ou  un  million  deux 
cent  mille,  le  nombre  de  fidèles,  qui  visitaient  chaque 


LE  BRAHMANISME  25 

année  la  pagode  de  Djaghernault.  Aujourd'hui,  l'on  n'en 
compte  plus  que  cent  cinquante  mille  à  deux  cent  mille- 
L'on  célèbre  chaque  année  douze  fêtes  k  Pouri.  La  plus 
célèbre  est  celle  de  Rath-Jattra,  qui  tombe  dans  le  mois 
bengalais  d'Asar,  c'est-à-dire  à  l'époque  où  la  chaleur  est 
la  plus  grande,  et  à  l'entrée  de  la  saison  des  pluies.  C'est 
alors  qu'apparaissent  les  trois  fameux  chars,  qui  ont  écra- 
sé tant  de  victimes  volontaires,  précipitées  sous  les  roues. 
Ces  chars  transportent  les  trois  divinités  qu'on  y  a  placées 
avec  toutes  sortes  de  cérémonies,  jusqu'au  petit  temple  et 
à  l'étang  sacré  de  Gondcha,  situé  à  environ  une  lieue  de 
distance,  et  où  le  dieu  va  chaque  année  se  livrer  au  plai- 
sir du  bain.  Le  plus  grand  char  où  Yichnou  est  placé, 
porté  sur  seize  roues  de  sept  pieds  de  diamètre,  mesure 
environ  huit  mètres  de  haut  sur  autant  de  large.  Sur 
cette  vaste  plate-forme,  garnie  d'une  galerie,  on  dépose  le 
dieu,  qui  est  entouré  par  la  foule  des  prêtres.  L'idole  est 
abritée  sous  un  dôme  couvert  d'étoffes  éclatantes.  Par- 
tout la  boiserie  est  travaillée  et  sculptée  ;  mais,  vues  de 
près,  ces  sculptures  sont  bizarres  et  repoussantes.  A  l'a- 
vant du  char,  l'on  voit  une  statue  conduisant  quatre  che- 
vaux ailés  et  dorés.  Les  autres  chars  ne  diffèrent  du  pre- 
mier que  par  leurs  dimensions,  un  peu  mois  grandes.  Six 
forts  cables  sont  attachés  à  chacun  des  chars  que  traî- 
nent des  miniers  d'hommes.  Une  joie  frénétique  éclate 
dans  la  multitude,  dès  qu'elle  peut  voir  et  saluer  ses  dieux. 
.  Les  prêtres  provoquent  ces  transports  par  leurs  gestes  et 
leurs  harangues.  Arrivées  à  leur  maison  de  campagne, 
les  divinités  y  restent  exposées,  plusieurs  jours.  Pendant 
ce  temps,  le  peuple  des  dévots  est  en  délire.  Ce  ne  sont 
que  cris,  vociférations  et  danses  furibondes.  La  nuit  en- 
tière l'on  tire  des  feux  d'artifice.  La  fête  se  termine 
par  la  réintégration  des  idoles  dans  leur  domicile  ordi- 
naire. 


26  LE  BRAHMANISME 

Un  pèlerinage  peu  connu  en  Europe ,  est  celui 
du  lac  de  Poshkur,  le  lac  le  plus  sacré  de  Flnde. 
Ce  lac  est  placé  au  centre  d'une  étroite  vallée  et  entouré 
d'immenses  vagues  de  sable  mouvant,  de  plusieurs  mètres 
de  hauteur.  Sur  ses  bords,  s'élèvent  quelques  pins  isolés, 
d'un  très  grand  effet;  sa  forme  est  presque  parfaitement 
elliptique,  et  il  se  déverse,  au  sud,  par  un  étroit  canal, 
dans  un  vaste  marais.  L'origine  de  ce  lac  est  attribué  à 
Brahma.  La  légende  raconte,  que  le  dieu  ayant  voulu  ac- 
complir quelques  rites,  s'arrêta  au  milieu  de  la  vallée,  après 
avoir  placé  des  génies,  à  l'entrée  des  défilés,  pour  éloigner 
les  mauvais,  esprits.  Au  moment  de  faire  le  sacrifice,  il 
s'aperçut  que  son  épouse  Saravasti  ne  l'avait  pas  accom- 
pagné, et  comme  la  présence  d'une  femme  était  nécessaire, 
il  employa  l'une  des  Apsaras  qui  l'accompagnaient.  Sara- 
vasti fut  tellement  affligée  de  cotte  infidélité,  quelle  se  retira 
dans  la  montagne  pour  pleurer.  Ses  larmes  donnèrent 
naissance  à  une  fontaine,  qui  devint  bientôt  un  bassin,  et 
en  s'élargissant,  un  lac,  celui  de  Poshkur.  Des  guérisons 
miraculeuses  ne  tardèrent  pas  à  s'accomplir,  et  ce  lac  fut 
bientôt  un  but  de  pèlerinage.  Durant  tout  le  Moyen-Age, 
toutes  les  familles  princières  rivahsèrent  entre  elles,  pour 
couvrir  ses  bords,  de  temples  et  de  cénotaphes.  Il  s'y 
forma  une  véritable  ville,  composée  d'édifices  religieux  et 
peuplée  de  brahmes.  Les  pèlerins,  affluant  de  toutes  les 
parties  de  l'Inde,  y  apportèrent  de  nombreuses  richesses, 
et  les  princes  firent  tout  pour  enrichir  les  habitants  de  la 
viUe  sacrée.  Les  monuments  qu'on  y  a  élevés  pendant  des 
siècles,  sont  arrivés  à  former  sur  les  bords  du  lac,  une 
triple  rangée  d'édifices,  dans  lesquels  on  peut  retrouver 
tous  les  styles  de  l'Inde.  Ce  pittoresque  assemblage  de 
portiques,  de  dômes  arrondis,  de  flèches  de  pagodes,  se 
groupant  d'une  façon  fort  compacte,  est  unique  dans 
son  genre  ;  l'on  s'est  disputé  avec  tant  d'acharnement  le 


LE  BRAHMANISME  27 

terrain  sacré,  que  pour  construire,  l'on  a  profité  de  quel- 
que époque  de  sécheresse,  pour  s'avancer  jusque  dans  le 
lit  du  lac  lui-même.  Des  crues  successives,  qui  ont  regagné 
et  même  franchi  les  rives  primitives,  ont  recouvert  un 
nombre  considérable  d'édifices,  dont  on  n'aperçoit  au- 
jourd'liui  que  les  dômes  et  les  pignons  dorés.  Notons  cette 
particularité,  que  Poshkur  possède  le  seul  temple,  qui 
soit  consacré  à  Brahma  dans  toute  l'Inde.  Il  est  situé  au 
sommet  d'un  monticule  qui  domine  le  lac. 

Bénarès  est  la  capitale  de  l'Inde,  le  principal  centre  du 
brahmanisme.  Mille  ans  avant  l'ère  chrétienne,  c'était 
déjà  le  grand  centre  des  études  philosophiques  et  théolo- 
giques. Deux  écoles  rivales,  les  brahmanistes  spiritualistes 
et  les  souastikas  matérialistes,  remplissaient  la  ville  de 
leurs  couvents  et  de  leurs  collèges.  L'apparition  du 
bouddhisme  en  fit  en  quelque  sorte  un  champ  de  bataille, 
et  pendant  plusieurs  siècles,  l'on  pouvait  croire  que  le 
brahmanisme  allait  perdre  sa  ville  sainte.  Il  n'en  fut  rien. 
Le  bouddhisme  a  fini  par  être  vaincu,  et  Bénarès  redevintla 
cité  du  brahmanisme.  La  fréquence  des  guerres  de  reli- 
gion n'a  pas  laissé  debout  de  monuments  antiques.  Le 
Madhoray-Ghar,  escalier  d'une  centaine  de  marches,  dont 
les  brahmes,  autrefois,  ne  montaient  les  degrés  qu'à  ge- 
noux, conduit  à  la  mosquée  d'Aureng-Zeyb,  qui  occupe 
aujourd'hui  l'emplacement  du  temple  de  Vichnou.  La  po- 
pulation de  Bénarès  approche  actuellement  de  deux  cents 
mille  âmes.  Cette  ville  n'est  plus  ce  qu'elle  était  jadis.  Les 
temples  y  sont  toujours  nombreux;  l'on  en  compte  près 
de  mille,  où  se  presse  la  foule  des  pèlerins,  qui  viennent 
se  plonger  au  lever  du  soleil,  dans  l'eau  sacrée  du  Gange, 
accomplir  les  rites  devant  le  lingam  de  Çiva,  boire  l'eau 
fétide  du  puits  de  Gayan,  ou  source  delà  sagesse,  et  assis- 
ter aux  fêtes  dont  la  plus  brillante  est  celle  de  Ganésa,  le 
lils  de  Çiva,  le  dieu  de  la  prudence,  qui  préside  au  com- 


28  LE  BRAHMANISME 

merce,et  qui  ne  possède  pas  moins, à  Bénarès,de  deux  cents 
sanctuaires.  Cette  fête  se  célèbre  par  des  processions, 
qui  se  forment  devant  chacun  des  sanctuaires,  précédées 
de  musiciens  et  de  bayadères,  et  viennent  déboucher  sur 
les  quais.  Les  vastes  gradins,  qui  bordent  le  fleuve,  dispa- 
raissent sous  le  flot  d'une  nombreuse  population.  Le  Gange 
se  couvre  de  milliers  de  barques  pavoisées,  et  la  proces- 
sion se  continue  jusqu'au  coucher  du  soleil.  Dès  que  l'as- 
tre a  disparu,  les  bateaux  s'arrêtent,  et  les  idoles  sont  jetées 
solennellement  dans  l'eau.  Alors,  les  quais  se  couvrent  de 
lumières,  et  les  feux  d'artifice  éclatent  de  tous  côtés. 

Chez  les  Hindous,  les  cérémonies  de  la  vie  privée  pré- 
sentent toutes,  autant  que  le  culte  public,  un  vif  intérêt. 
Comme  les  Hindous  n'ont  dans  leurs  maisons  que  de  très 
petites  pièces, toutes  les  cérémonies  qui  réunissent  un  cer- 
tain nombre  d'invités,  se  font  dans  la  cour  ou  devant  la 
porte  d'enh'ée  de  la  maison,  sous  des  pavillons  de  verdure 
appelés  pandals  qu'on  élève  sur  des  piliers,  au  nombre  de 
onze  ou  douze,  généralement  peints  de  bandes,  alternati- 
vement rouges  et  blanches,  et  couverts  ainsi  que  tout  le 
pourtour  du  paviUon,  de  guirlandes  de  fleurs, de  feuillages, 
et  de  diverses  autres  décorations.  Le  plafond  est  formé 
avec  de  riches  étoffes,  et  des  toiles  peintes,  dans  le  goût 
et  avec  les  objets  qui  conviennent  à  la  circonstance.  C'est 
ainsi  que  pour  un  mariage  figurent  des  paons,  des  tigres 
amoureux.  Les  Européens,  invités  à  ces  fêtes  intimes,  sont 
frappés  de  l'élégance  et  parfois  de  la  richesse  des  pandals. 

Les  cérémonies  qui  suivent  la  naissance  sont  au  nombre 
de  quatre,  le  djatta  carma,  le  nahma  carma,  Vanna- 
prassana  et  le  tchakouda.  Elles  servent  en  quelque  sorte 
d'introduction  dans  la  vie.  Le  djàttâ  carma  se  fait  le  on- 
zième jour  après  l'accouchement.  L'on  purifie  la  maison 
qui  est  restée  souillée  jusqu'à  ce  jour.  Le  brahme  officiant, 
le    pourohita  off"re  un  poudja  aux  dieux  domestiques, 


LE  BRAHMANISME  29 

protecteurs  de  la  maison;  il'consacre  ensuite  l'eau  lus- 
trale, et  en  fait  boire  quelques  gouttes  au  père  et  à  la  mère 
de  l'enfant,  et  termine  la  cérémonie  en  aspergeant  toute 
la  maison  et  ceux  qui  l'habitent.  Le  lendemain,  on  donne 
un  no  m  à  l'enfant,  c'est  le  nahma  carma:  tous  les  parents 
et  amis  sont  invités  à  cette  cérémonie  qui  se  termine  par 
un  festin.  Le  pourohita  commence  par  accomplir  le  ho- 
man  ou  sacrifice  au  bien,  en  l'honneur  des  sept  planètes. 
Le  père  s'assied  sur  un  escabeau,  en  tenant  son  enfant 
dans  ses  bras,  et  près  de  lui  se  trouve  un  plat  de  cuivre, 
plein  de  riz.  Après  avoir  fait  le  sân  câlpâ^  il  écrit  sur  ce 
riz  avec  l'index  de  la  main  droite,  dans  laquelle  il  tient  un 
anneau  d'or,  le  jour  du  mois,  son  nom,  celui  de  la  constel- 
lation sous  laquelle  l'enfant  est  né,  et  enfin  le  nom  qu'il 
veut  lui  donner,  et  appelle  ensuite  trois  fois  l'enfant  par 
ce  nom,  et  le  nahma  carma  est  accompli.  L anna-pra- 
sana  se  fait  au  moment  où  l'on  sèvre  l'enfant,  générale- 
ment six  mois  après  sa  naissance.  Les  parents  et  les  amis 
se  réunissent  sous  un  pandàl  orné  de  feuilles  de  manguier. 
A.U  milieu  de  l'assistance,  sont  assis  le  père  et  la  mère,  et 
cette  dernière  tient  l'enfant  dans  ses  bras.  Le  bralnne  ofli- 
ciant  accomplit  le  homan^  et  accomplit  ensuite  un  sacri- 
fice avec  du  beurre  liquéfié  et  du  bétel.  Les  femmes  ma- 
riées font  Varatty  à  l'enfant,  entonnent  des  cantiques  et 
adressent  des  prières  aux  dieux.  Après  quoi,  elles  appor- 
tent dans  un  vase  de  cuivre,  une  bouillie  de  riz  sucré,  et 
en  versent  tous  tant  soit  peu  dans  la  bouche  de  l'enfant. 
C'est  le  moment  solennel.  Les  bravos  redoublent  et  la  mu- 
sique se  fait  entendre.  L'on  offre  ensuite  le  bétel,  et  la  cé- 
rémonie se  termine  par  un  festin.  Le  tchahouda  ou  la 
première  tonsure  se  fait  trois  ans  après  la  naissance  de 
l'enfant.  Cette  cérémonie  ressemble  beaucoup  à  la  pre- 
mière. La  seule  différence,  c'est  qu'au  Ueu  de  faire  goû- 
ter de  la  bouillie  de  riz  à  l'enfant,  le  barbier  le  tond,  en  ne 


30  LE   BRAHMAMISME 

lui  laissant  au  sommet  de  la  tête,  qu'une  petite  mèche  de 
cheveux  que  les  Hindous  ne  se  font  jamais  couper. 

L'investiture,  Vappanaija  a  une  grande  importance.  A 
l'heure  actuelle,  elle  n'est  plus  guère  pratiquée  que  pai' 
les  brahmes,  qui  la  considèrent  comme  un  moyen  de  se 
séparer  du  reste  delà  population;  aussi  s'en  montrent-ils 
stricts  observateurs.  L'enfant,  appartenant  à  la  caste  des 
brahmes,  reçoit  l'investiture  entre  cinq  et  neuf  ans.  On 
dresse  un  pandal,  et  tous  les  brahmes  des  environs  sont 
convoqués.  Le  premier  jour,  l'on  offre  un  poudja  aux 
dieux  domestiques.  Les  femmes  mariéesfont  une  riche  toi- 
lette au  néophyte,  et  lorsqu'il  paraît  dans  l'assistance,  il 
est  invité  h  monter  sur  une  estrade  de  terre.  Un  repas 
servi  sur  des  feuilles  de  bananier  termine  la  journée.  Le 
lendemain  s'accomplissent  les  cérémonies  essentielles;  on 
ceint  les  reins  du  récipiendaire  d'une  toile  neuve;  un  bra- 
sier allumé  est  divinisé  au  moyen  de  man^ram^  et  neuf 
brahmes  offrent  le  homan.  Les  femmes  mariées  appellent 
solennellement  un  grand  vase  de  cuivre  rempli  d'eau  auquel 
elles  accrochent  des  bijoux  et  des  colliers.  Elles  évoquent 
au  moyen  de  mmitrans  les  dieux  protecteurs  delà  famille; 
après  quoi,  elles  offrent  le  poudja,  et  font  ensuite  une 
procession  autour  du  village.  La  mère  du  néophyte  ligure 
sous  une  espèce  de  dais,  et  devant  elle,  l'on  porte  le  vase 
de  cuivre  qui  est  devenu  sacré.  Le  brahme  offlciant  purifie 
au  moyen  de  mantrans  le  petit  brahme  de  tous  les  péchés 
d'ignorance  qu'il  a  pu  commettre,  lui  fait  une  ceinture 
avec  trois  tours  d'une  tresse  d'herbe  dârbd  ;  il  lui  passe 
ensuite  le  triple  cordon  autour  du  cou,  eu  récitant  le  man- 
tran  d'usage.  A  ce  moment,  les  chants,  la  musique,  les 
clochettes  et  les  coups,  frappés  sur  des  plaques  de  bronze 
par  les  assistants,  font  un  vacarme  assourdissant.  Après 
l'investiture,  le  jeune  brahme  s'assied  parmi  les  autres 
brahmes,  près  de  son  père,  le  visage  tourné  vers  l'Orient 


LE  BRAHMANISME  31 

L'on  tire  sur  eux  un  rideau  qui  les  cache  à  tous  les  regards . 
Les  chants  et  la  musique  recommencent,  et  le  père  dit 
tout  bas  à  son  111s  les  secrets  et  les  mantrans  qu'il  doit  lui 
apprendre.  On  prétend  qu'il  lui  fait  cette  recommandation: 
«  Souviens-toi  qu'il  n"y  a  qu'un  seul  Dieu,  principe  et 
«  souverain  de  toutes  choses.  Tout  brahme  doit  l'adorer 
«  en  secret;  mais,  ce  mystère  ne  doit  être  connu  que  des 
a  brahmes,  et  si  tu  le  violais,  il  t'arriverait  malheur». 
Le  soir,  un  grand  repas  est  servi  aux  invités.  Le  nouveau 
brahme  offre,  pour  la  première  fois,  le  homan^  et  après 
Taccomplissement  de  diverses  cérémonies,  une  promenade 
solennelle  a  Ueu  dans  les  rues  ta  la  lueur  des  flambeaux. 
Le  nouvel  initié  est  porté  sur  un  palanquin.  Pour  les  au- 
tres castes,  la  cérémonie  de  l'investiture  consistait  dans 
un  homan^  et  la  plupart  du  temps,  la  remise  du  cordon 
n'avait  lieu  qu'au  moyen  du  mariage.  Elle  est  aujourd'hui 
à  peu  près  tombée  en  désuétude,  et  l'investiture  n'est  plus 
guère  pratiquée  que  par  les  brahmes. 

Les  cérémonies  du  mariage  sont  à  peu  près  les  mêmes 
dans  les  trois  castes  :  mais  par  suite  de  la  diversité  des 
populations,  elles  varient  eu  quelque  sorte  de  province  à 
province.  Néanmoins,  elles  présentent  dans  leur  ensemble 
une  certaine  unité.  Les  brahmes  choisissent  de  préférence 
pour  leurs  épousailles,  l'équinoxe  du  printemps,  alors 
que  Vénus  et  Mars  sont  en  conjonction  parmi  les  astres. 
Pendant  les  trois  jours  qui  précèdent  la  célébration  du  ma- 
riage, ont  lieu  différentes  cérémonies  préparatoires.  Si  l'on 
habite  près  du  Gange  ou  d'un  fleuve  sacré  quelconque,  on 
conduit  sur  sa  rive  les  futurs  époux,  et  on  leur  fait  subir 
une  série  d'ablutions.  La  célébration  du  mariage  dure 
cinq  jours.  Le  premier  jour  est  consacré  au  Mouhourta,  la 
cérémonie  essentielle.  L'on  commence  par  invoquer  les 
dieux  et  les  ancêtres  et  l'on  offre  un  sacrifice  au  Pouléar. 
Après  quoi,  les  fennnes  mariées  parent  les  deux  tiancés. 


32  LE  BRAHMANISME 

L'époux  sort  comme  s'il  allait  faire  un  pèlerinage  à  Rénarès. 
Son  beau-père  se  trouve  sur  son  passage,  elle  ramène  en 
lui  disant  qu'il  va  lui  donner  une  vierge.  Les  deux  époux 
se  placent  sur  une  estrade  ou  une  peau  d'antilope,  la  face 
tournée  vers  l'Orient,  sous  une  sorte  de  dais,  décoré  avec 
profusion  de  guirlandes,  de  fleurs  et  de  banderolles. 
Les  assistants  frottent  les  mariés  avec  du  safran;  on  leur 
lave  les  pieds  avec  du  miel  ;  on  leur  lie  et  on  leur  délie 
des  nœuds  autour  des  poignets  ;  on  les  oint  d'huile  et  de 
parfums,  et  on  leur  passe  des  pierres  magiques  sur  les 
membres,  en  suppliant  les  dieux  d'éclairer  l'esprit  et  le 
cœur  des  jeunes  époux. 

Le  second  jour,  les  deux  pères,  ou  ceux  qui  en  tiennent 
lieu,  unissent  les  mains  de  leurs  enfants,  puis  leur  versent 
sur  le  corps,  sept  mesures  d'eau,  sept  mesures  de  blé,  sept 
mesures  de  lait,  pendant  que  le  brahme  officiant,  fait  les 
mantrans  d'usage.  Arrive  le  moment  solennel.  Douze 
brahmes  déroulent  devant  les  époux  une  pièce  de  soie,  et 
la  soutiennent  de  manière  à  les  cacher  à  l'assistance.  L'on 
apporte  le  tahly,  grand  anneau,  emblème  du  mariage,  sur 
un  coco,  peint  en  jaune,  qui  repose  sur  deux  poignées  de 
riz  placés  dans  un  vase  de  métal.  On  lui  offre  un  sacrifice 
de  parfums,  et  on  le  fait  toucher  à  tous  les  assistants.  L'on 
place  sur  un  piédestal  quatre  grandes  lampes  à  quatre  mè- 
ches, et  d'autres  lampes  plus  petites,  et  on  les  allume.  Le 
brahme  officiant  récite  des  mantrans  et  passe  au  cou  de  la 
jeune  femme  un  cordon  auquel  est  suspendu  le  tahly  :  c'est 
la  preuve  qu'elle  est  en  puissance  du  mari.  Pendant  tout 
le  cérémonial,  les  musiciens  font  le  plus  de  bruit  possible, 
et  les  femmes,  en  chantant  des  hymnes, les  accompagnent. 

Le  troisième  jour,  les  rites  consistent  à  faire  sept  fois  le 
tour  d'un  feu  consacré  :  à  chaque  fois,  le  mari  prend  de 
sa  main  droite  le  pied  de  sa  femme  et  lui  fait  toucher  la 
pierre  de  santal  qu'il  touche  lui-même,  en  prenant  le  feu  à 


LE  BRAHMANISME  33 

témoin.  Ensuite  les  deux  époux  se  présentent  le  bétel  et 
touchent,  ensemble,  le  beurre  liquéfié,  le  riz,  le  sel,  ali- 
ments journaliers.  Le  quatrième  jour,  les  époux  prennent 
ensemble  un  repas  sur  la  même  feuille  de  bananier.  C'est 
le  signe  de  leur  union.  Un  festin  est  donné  aux  invités.  Le 
cinquième  jourcommence  par  une  offrande  deriz,  brûlé  en 
l'honneur  des  dieux  et  des  ancêtres.  Le  cérémonial  se  pro- 
longe par  des  ablutions  nouvelles  et  des  changements  bi- 
zarres de  costumes,  de  la  part  des  mariés.  Puis,  il  se  ter- 
mine par  une  procession,  qui  parcourt  les  rues  à  la  lueur 
des  torches  ;  l'heureux  couple  est  porté  dans  un  palan- 
quin. Parfois,  les  mariés  sont  assis,  face  à  face, sur  un  élé- 
phant. Il  y  a  toujours,  dans  ces  fêtes  de  famille,  un  étalage 
extraordinaire  de  bijoux  et  de  parures.  L'on  distribue  aux 
pauvres  et  aux  religieux  d'abondantes  aumônes.  Les  dé- 
penses quel'usage  rend  obligatoires  pour  le  mariage  sont 
souvent  une  cause  de  ruine.  La  seule  différence  marquée 
entre  les  différentes  castes  consiste  dans  le  luxe  et  dans 
les  richesses.  Notons  néanmoins  que  dans  les  classes  in- 
férieures, sitôt  qu'une  jeune  fille  atteint  sa  puberté,  ses 
parents  donnent  des  festins  ;  c'est  une  sorte  d'appel  aux 
épouseurs.  Souvent  il  arrive  qu'une  mariée  n'est  pas  nu- 
bile; dans  ce  cas,  quelle  que  soit  la  caste  à  laquelle  elle  ap- 
partient, elle  reste  dans  sa  famille,  jusquà  ce  qu'elle  le 
soit,  et  lorsque  ce  moment  arrive,  ont  heu  de  nouvelles 
fêtes,  semblables  à  celles  du  mariage. 

Les  funérailles  sont  des  plus  curieuses,  comme  rites. 
Contrairement  à  l'opinion  généralement  répandue, qui  veut 
que  tout  soit  immobile,  en  Orient,  il  est  à  remarquer, 
que  les  brahmes  seuls  ont  conservé  les  anciennes  cérémo- 
nies des  morts.  Les  autres  castes  les  pratiquent  plus  ou 
moins  ;  mais,  Ton  remarque  qu'il  y  a  chez  elles  une  cer- 
taine tendance  à  les  laisser  tomber  en  désuétude  et  tout 
au  moins  à  en  négliger  certaines.  Aussi,  si  l'on  veut  connaî- 

3 


34  LE  BRAHMANISME 

tre  l'ancien  cérémonial  des  funérailles,  il  faut  voir  ce  qui 
se  passe  chez  les  brahmes.  Là,  on  retrouve  les  vieilles  tra- 
ditions, aussi  sérieusement  gardées  qu'aux  temps  anti- 
ques. 

On  dépose  le  mourant  sur  une  toile  neuve;  on  lui  ceint 
les  reins  d'une  autre  toile,  et  on  lui  fait  la  cérémonie  de 
l'expiation  totale.  Le  pourokita  et  le  chef  des  funérailles 
qui,  d'ordinaire,  est  son  plus  proche  parent,  lui  font  réci- 
ter plusieurs  mantrans  dont  la  vertu  est  d'effacer  tous  les 
péchés.  On  fait  approcher  une  vache  toute  parée  ;  le  rhala- 
de  en  tient  la  queue,  pendant  que  le  pourohita  récite  un 
mantran^  afin  qu'elle  le  conduise  dans  Vautre  monde 
par  un  bon  chemin.  Le  mourant  donne  cette  vache  à  un 
brahme.  S'il  ne  se  conformait  pas  à  cet  usage,  il  ne  pour- 
rait passer  sur  une  vache  le  fleuve  de  feu,  qui  est  à  l'en- 
trée du  séjour  de  Yama. 

Sitôt  que  le  malade  a  rendu  le  dernier  soupir,  tous  les 
assistants  doivent  pleurer  à  l'unisson.  Le  chef  des  funérail- 
leur  offre  un  homan,  à  l'intention  du  défunt.  Puis,  le  corps 
est  lavé,  rasé  ;  on  le  pare  de  tous  ses  bijoux  et  de  ses  plus 
beaux  vêtements,  et  on  le  place  sur  un  lit  de  parade,  où  il 
reste  exposé,  le  font  saupoudré  de  santal,  la  bouche  rem- 
plie de  bétel,  et  le  cou  entouré  de  guirlandes  de  fleurs. 
Les  préparatifs  terminés,  on  pose  le  mort  sur  un  brancard, 
en  l'enveloppant  d'une  grande  toile  neuve.  S'il  est  marié, 
on  lui  laissé  le  visage  découvert.  Le  chef  des  funérailles 
donne  le  signe  du  départ,  et  prend  la  tête  du  convoi,  por- 
tant du  feu  dans  un  vase  de  terre.  Ses  parents  et  ses  amis 
suivent  la  tête  découverte,  et  le  brancard  s'avance  cou- 
vert de  fleurs,  de  guirlandes  et  de  riches  étoffes.  Les  fem- 
mes restent  à  la  maison, oîi  elles  poussent  des  cris  affreux. 
Arrivé  au  heu  oîi  l'on  brûle  les  morts,  on  creuse  une  fosse, 
et  l'on  y  élève  une  pile  de  bois  sur  lequel  l'on  place  le 
corps.  Le  chef  des  funérailles  accompht  le  homàn  et  ap- 


LE    BRAHMANISME  35 

proche  une  motte  embrasée  de  fiente  de  vache.  Il  met 
dans  la  bouche  du  mort  une  petite  pièce  d'or, et  chaque  as- 
sistant, à  son  tour,  y  dépose  quelques  grains  do  riz  cru 
humecté.  Le  cadavre  est  dépouillé  de  ses  vêtements  ;  on  le 
couvredemenubois,  et  l'on  apporte  une  torche  entlammée. 
Le  chef  des  fnnérailles  se  roule  par  terre  pendant  que  les 
assistants  font  des  démonstrations  de  douleurs  analogues. 
Il  prend  ensuite  la  torche  et  met  le  feu  aux  quatre  coins 
du  bûcher.  Tout  le  monde  se  retire  et  il  ne  reste  plus  que 
les  brahmes  qui  ont  porté  le  corps.  Ils  doivent  attendre 
sur  les  lieux,  qu'il  soit  consommé;  après  quoi,  ils  vont 
prendre  un  bain  pour  se  purifier.  Lorsque  le  corps  est 
brûlé,  le  chef  des  funérailles  jette  des  boules  de  riz  et  des 
pois  aux  corneihes,  très  nombreuses,  dans  l'Inde,  et  qui 
figurent  les  génies  malfaisants.  L'on  espère,  par  cette  of- 
frande, les  empêcher  de  venir  au  défunt. 

Souvent  le  cortège  funèbre  est  accompagné  de  musiciens. 
Parfois,  le  mort  est  placé  dans  une  niche  ornée  de  fleurs, 
ou  exposé  sur  un  palanquin  ouvert.  Dans  certaines  parties 
de  l'Inde,  on  ne  brûle  pas  les  morts  ;  on  les  enterre,  et  cet 
usage  est  suivi  par  tous  les  çivaistes.  Dans  certaines  ré- 
gions,les  Hindous  apportent  leurs  parents  agonisants  sur  les 
bords  de  la  rivière  voisine,  qu'ils  supposent  être  le  Gange. 
Celui  qui  meurt  dans  le  Gange  est  sûr  d'obtenir  la  béatitude 
céleste,  et  parfois  des  fanatiques  s'y  sont  noyés  dans  ce 
but.  Il  est  arrivé  que  des  moribonds  exposés  sur  les  bords 
du  Gange,  pour  être  entraînés  à  la  marée  montante,  étaient 
revenus  à  la  vie,  et  qu'ils  avaient  été  obligés  d'aller  finir 
leurs  jours  dans  un  autre  pays,  leurs  parents  n'ayant  pas 
voulu  les  reconnaître  vivants.  Du  reste  l'usage  de  jeter  les 
morts  dans  le  Gange  a  à  peu  près  disparu.  Il  en  résultait 
à  l'embouchure  du  fleuve,  une  infection  qui  souvent  don- 
nait lieu  à  des  épidémies.  Si  bien  que  les  Anglais  ont  dû 
interdire  cette  coutume.  Il  en  est  de  même  de  celle  qui 


36  LE  BRAHMANISME 

voulait  que  les  veuves  ne  pussent  survivre  à  leurs  maris, 
et  les  condamnait  à  être  brîilées  sur  le  même  bûcher.  Au 
XYII®  siècle,  le  voyageur  Dernier  fut  témoin  de  cet  horri- 
ble spectacle  et  nous  en  fait  un  récit  émouvant.  Aujour- 
d'hui, ces  atrocités  ont  disparu  ;  le  gouvernement  britan- 
nique est  parvenu,  mais  non  sans  peine,  à  les  suppri- 
mer. 

Le  culte  des  ancêtres  existe  aussi  bien  dans  Tlnde 
chez  les  brahmanistes  que  chez  les  bouddhistes  ;  néan- 
moins, il  est  moins  développé.  Le  deuil  dure  générale- 
ment un  an  ;  pendant  ce  temps,  Ton  accomplit  diverses 
cérémonies.  Le  lendemain  des  funérailles,  tous  ceux  qui 
y  ont  assisté  se  rendent  au  heu  où  l'on  brûle  les  morts, 
et  recommencent  toutes  les  cérémonies  du  premier  jour. 
Des  pratiques  semblables  ont  lieu  les  jours  suivants, 
jusqu'au  dixième  jour.  Ce  jour  là,  le  chef  des  funérail- 
les se  rend  de  nouveau  au  champ  funéraire  ;  la  veuve 
et  les  femmes  l'y  accompagnent,  et  toutes  poussent  des 
sanglots,  en  se  frappant  la  poitrine.  Le  chef  des  funérail- 
les, suivi  de  son  cortège,  se  rend  ensuite  sur  les  bords  de 
l'étang  sacré.  Il  y  entre,  et  lorsqu'il  a  de  l'eau  jusqu'au 
cou,  il  fait  une  invocation,  afin  que  le  défunt  jouisse  de  la 
félicité,  aus'si  longtemps  que  le  Gange  coulera.  La  veuve 
quitte  ses  joyaux  et  ses  parures,  détache  de  son  cou  le 
tahly  et  le  place  près  d'une  motte  de  terre  qui  figure  son 
mari.  Elle  indique  ainsi  qu'elle  y  renonce  et  prouve  de  la 
sorte  son  amour  à  son  mari.  Le  onzième  jour  des  funé- 
railles a  lieu  la  délivrance  du  taureau.  On  amène  un 
taureau  de  trois  ans,  blanc,  rouge  ou  noir,  mais  d'une 
seule  couleur.  On  le  baigne,  on  le  pare,  après  quoi,  on  le 
laisse  paître  en  liberté,  et  on  en  fait  don  à  un  brahme, 
après  en  avoir  fait  hommage  à  Giva.  Le  douzième  jour,  on 
fait  une  cérémonie  pour  le  défunt  et  ses  ancêtres,  et  le  trei- 
zième, Phéritier  accomplit  le  homan.^  en  l'honneur  des  sept 


LE    BRAHMANISME  37 

planètes.  Durant  toute  sa  vie,  un  fils  doit  célébrer  l'anniver- 
saire de  la  mort  de  son  père  et  de  sa  mère,  et  au  commen- 
cement de  chaque  nouvelle  lune,  il  offre  à  ses  ancêtres  une 
libation  d'huile  et  d'eau.  Le  culte  des  ancêtres,  qui  est 
l'une  des  principales  prescriptions  du  brahmanisme,  est 
aussi  pratiqué  dans  l'Inde  que  par  le  passé. 

H.  Gastonnet  des  Fosses. 


{A  suivre. 


LE    BOUDDHISME 


(Deuxième  article) 


V.  Le  Fugitif 


25.  Comment  Siddharta  prit-il  congé  de  son  père 
adoptifet  de  ses  femmes  ? 

C'en  est  fait  ;  sa  résolution  est  irrévocable,  Siddharta 
dira  aux  joies  de  ce  monde  un  adieu  éternel.  «  Cepen- 
dant, ceci  vint  à  la  pensée  de  Bôdhisattva  :  cela  ne  se- 
rait pas  convenable,  et,  ce  serait  de  ma  part  de  l'ingra- 
titude, si  je  m'en  allais  sans  avoir  prévenu  le  grand  roi 
Souddhôdana,  et  sans  être  autorisé  par  lui  mon  père  (1).  » 
En  conséquence, 

Sur  le  coup  de  minuit,  il  se  rend  chez  le  roi.  Il  parle, 
il  pleure,  il  supplie.  Peine  perdue.  Souddhôdana  reste 
inflexible,  et  les  Sakyas  mis  en  éveil  font  bonne  garde 
aux  portes  de  la  ville. 

De  retour  dans  son  palais,  le  jeune  prince  traverse 
une  dernière  fois  son  harem.  Rien  ne  lui  plaît,  et  son 
àme  ne  ressent  pour  tout  ce  qui  flatte  les  sens,  pour  tout 
ce  qui  tient  au  corps, qu'un  insurmontable  dégoût.  «  Tou- 
jours tourmenté,  s'écrie-t-il,  par  la  faim  et  la  soif  ;  enfer 
des  créatures,  ayant  plusieurs  ouvertures,  donnant  asile 

i\)  p.  175. 


LE  BOUDDHISME  39 

à  ]a  vieillesse  et  à  la  mort  :  quel  est  le  sage  qui,  après 
l'avoir  vu,  ne  regarderait  pas  son  propre  corps  comme 
un  ennemi  ?  (2)  » 

«  Tch'andaka,  il  ne  faut  pas  tarder,  donne  moi  Kan- 
thaka  le  roi  des  chevaux,  paré  de  ses  ornements.  »  Il 
veut  partir  à  l'instant.  Le  fidèle  écuyer  que  ce  départ 
précipité  inquiète  et  désole,  met  tout  en  œuvre  pour 
faire  revenir  son  maître  sur  sa  résolution  et  engage  avec 
ce  dernier  une  discussion  pathétique  dont  on  va  lire  les 
plus  beaux  passages  et  la  conclusion. 

26.  Quelle  réponse  fit-il  aux  objections  soulevées  à 
V occasion  de  ce  départ  précipité pay^  son  fidèle  écuyer 
Tch'andaka  ? 

Tch'andaka  dit  :  Seigneur,  ce  en  vue  de  quoi  quelques 
uns  ici- bas  entreprennent  des  pénitences  et  des  austé- 
rités diverses,  en  portant  des  vêtements  d'écorce  et  de 
peaux  de  gazelle,  portant  longs  leurs  ongles,  leurs  che- 
veux et  leur  barbe,  soumettant  leur  corps  à  des  austé- 
rités, à  des  austérités  excessives  de  plusieurs  espèces  et 
se  livrant  à  une  pénitence  terrible  de  leur  choix. 

Pourquoi  de  cette  manière  chercherions-nous  à  obte- 
nir la  félicité  des  hommes  et  des  dieux,  quand  cette  féli- 
cité est  acquise,  Seigneur.  Ce  royaume  est  étendu,  flo- 
rissant, prospère,  abondant  en  tout,  réjouissant,  et  rem- 
pli d'une  foule  d'hommes  et  d'êtres  animés.  Et  ces  parcs, 
les  plus  beaux  d'entre  les  plus  beaux  !  ornés  de  toute 
sorte  de  fleurs  et  de  fruits,  où  résonne  le  chant  des  trou- 
pes d'oiseaux  ;  et  ces  étangs  embellis  par  des  lotus 
bleus,  jaunes,  rouges  et  blancs,  animés  par  le  chant  des 
flamants,  des  paons,  des  kôkilas,  des  tchakravàhas, 
des  cigognes  et  des  geais,  dont  les  bords  sont  entourés 

(2)  p.  184  Gathas  :  29-30. 


40  LE  BOUDDHISME 

de  sahakàras,  d'açokas,  de  tchampakas,  de  kourava- 
kas,  de  tilakas,  de  kêçaras  et  autres  arbres  en 
fleurs,  bien  ornés  de  jardins  aux  arbres  de  corail  ;  où 
sont  placés  des  échiquiers  entourés  de  tables  précieuses, 
abrités  par  des  treillages  précieux  ;  dont  on  jouit  sui- 
vant le  temps  de  la  saison,  au  printemps,  en  été,  en  au- 
tomne ou  en  hiver  ;  et  ces  grands  palais  pareils  au  mont 
Kàilàça,  semblables  au  Vàidjayanta,  protégés  par  la 
loi,  la  bonne  loi,  d'où  sont  bannis  les  soucis  et  le  reste. 
(Ces  palais)  ornés  de  terrasses,  de  portiques,  darcades, 
d'œils-de-bœuf,  de  pavillons  à  étages,  où  résonne  le 
bruit  des  treillages  ornés  de  clochettes  ;  et  cet  apparte- 
ment des  femmes,  Seigneur,  où  Ton  sait  si  bien  danser 
en  unissant  les  accords  des  voix  et  des  instruments,  (tels 
que)  les  tambours,  les  tambourins,  les  luths,  les  fliiteset 
les  cymbales  ;  où  l'on  passe  doucement  le  temps  à  rire, 
à  danser,  à  jouer,  à  se  réjouir  ;  et  vous.  Seigneur,  vous 
êtes  jeune,  élancé,  dans  la  fleur  de  la  jeunesse,  votre 
corps  est  gracieux  et  charmant,  votre  chevelure  noire, 
et  vous  n'avez  pas  joué  avec  les  désirs.  Livrez-vous  donc 
quelque  temps  au  plaisir,  comme  Indra,  le  maître  des 
dieux,  et  ensuite  devenus  vieux,  nous  irons  errer  en  re- 
ligieux. 

Le  Bôdhisattva  dit  : 

C'est  assez,  Tch'andaka.  Ces  objets  désirés,  en  vérité, 
ne  durent  pas  ;  ils  sont  passagers,  inconstants  et  de  na- 
ture changeante  ;  comme  la  goutte  de  rosée,  ils  ne 
durent  pas  longtemps  ;  ils  sont  sans  essence  comme  le 
poing  vide  qui  trompe  un  enfant  ;  comme  la  tige  de  la 
plante  kodàU,  il  sont  sans  essence.;  comme  les  vases 
d'argile,  leur  nature,  est  fragile,  comme  les  nuages  d'au- 
tomne ils  paraissent  un  instant  et  ne  sont  plus  ;  ils  ne 
durent  pas  longtemps,  comme  les  éclairs  dans  le  ciel  ; 
comme  un  vase  où  il,y^a_diLPoison,  ils  produisent  les 


LE  BOUDDHISME  41 

misères  des  changements  d'existence  ;  ils  apportent  le 
malaise,  comme  la  liane  Màlouta.  Les  objets  désirés  par 
ceux  qui  ont  Tintelligence  faible,  sont  pareils  à  la  bulle 
d'eau  d'une  nature  qui  change  vite  ;  pareils  à  l'illusion 
et  au  mirage  produits  dune  erreur  de  la  pensée  ;  pareils 
à  l'illusion,  causés  par  l'erreur  de  l'esprit  ;  pareils  à  des 
songes  ;  ils  sont  par  l'union  du  charme  et  de  l'erreur  de 
la  vue,  incapables  de  satisfaire  ;  comme  l'Océan,  ils  sont 
difficiles  à  remplir;  comme  l'eau  salée,  ils  produisent  la 
soif  ;  dangereux  à  toucher  comme  la  iêie  d'un  serpent  ; 
comme  un  précipice,  ils  sont  évités  par  les  sages.  Après 
avoir  reconnu  qu'ils  sont  accompagnés  de  dangers,  ac- 
compagnés de  querelles,  accompagnés  de  fautes,  accom- 
pagnés de  vices,  ils  sont  complètement  évités  par  les 
sages,  blâmés  par  les  savants,  repoussés  par  les  gens 
respectables,  abandonnés  par  les  gens  sensés,  accueillis 
par  les  insensés,  entretenus  par  les  ignorants  (1).  » 

27.  En  quels  termes  Siddartha,  amionça-t-il  à  son 
serviteur,  son  inébranlable  résolution  d'être  moine  ? 

Le  Bôdhisattva  dit  : 

(c  Au  milieu  d'une  pluie  de  pierres,  de  flèches,  de  ha- 
ches, de  foudres  et  de  tonnerre,  un  bloc  de  fer  brûlant, 
brillant  de  l'éclat  de  l'éclair  et  les  sommets  embrasés  des 
montagnes  pourraient  tomber  sur  ma  tête,  que  je  ne  con- 
cevrais pas  de  nouveau  le  désir  d' (avoir)  une  maison  ! 

En  ce  moment  les  dieux  qui  se  tenaient  dans  les  airs 
firent  entendre  de  grands  cris  de  joie  (jetèrent)  une 
pluie  de  fleurs  (en  disant)  :  Victoire,  victoire  à  toi  qui 
possèdes  la  plus  haute  intelligence,  qui  donnes  la  sécu- 
rité au  monde,  ô  guide  !  -^ 

L'esprit  du  meilleur  des  hommes  n'est  pas  plus  agité 

(1)  Lalila,  1.  c.  p.  186,  199, 


42  LE  BOUDDHISME 

que  le  ciel  ne  l'est  par  l'obscurité ,  la  poussière  et  les 
météores,  il  n'est  pas  pris  par  les  objets  des  sens,  lui 
qui  est  sans  tache,  comme  le  lotus  nouveau  dans  Teau 
qui  n'adhère  pas  à  lui.  (1)  » 

28.  Comment  s' êchappa-t-il  du  palais  et  où  se  diri- 
gea-t-il  tout  d'^abord? 

Cela  dit,  les  dieux  plongent  dans  un  profond  sommeil 
la  ville  entière.  Siddartha,  une  fois  encore  demande 
«  le  roi  des  chevaux.  »  11  est  minuit.  Suivi  de  son  fidèle 
écuyer,  le  prince  passe  inaperçu  à  travers  les  rangs  des 
gardes  endormis.  Toute  la  nuit  il  va  de  toute  la  vitesse 
de  l'incomparable  Kanthaka.  Il  était  déjà  bien  loin, 
quand,  le  jour  venu,  mettant  pied  à  terre,  «  il  congédia 
la  grande  foule  des  dieux,  des  Nàgàs,  des  Ghandarbas, 
des  Asouras,  de«  Garoudas,  des  Kinnaras  et  des  Mahô- 
ragas.  »  —  Un  instant  après,  «  il  lui  vint  à  la  pensée  : 
je  vais  congédier  Tch'andaka  en  lui  remettant  entre  les 
mains  ces  ornements  et  Kanthaka.  «  Ainsi  fut  fait.  — • 
L 'écuyer  parti,  «  il  vint  encore  à  la  pensée  du  Bodhi- 
sattva  :  comment  donc  conserver  une  touffe  de  cheveux, 
après  être  devenu  religieux  errant  ?  Et,  coupant,  avec 
son  épée,  sa  touffe  de  cheveux,  il  la  jeta  au  vent.  »  — 
Et  aussitôt  après  «  il  vint  encore  à  la  pensée  de  Bôdhi- 
sattva  :  comment  donc,  après  être  devenu  religieux  er- 
rant conserver  des  vêtements  de  Kaçi  (Bénarès)?  Si  je 
pouvais  avoir  des  vêtements  rougeàtres  convenables 
pour  demeurer  dans  la  forêt,  ce  serait  bien!  »  Et  voilà 
que  le  fils  d'un  dieu,  sous  la  forme  d'un  chasseur,  donne 
au  Bôdhisattva  ses  vêtements  rougeàtres  et  prend  ceux 
de  Kaçi.  »  Immédiatement  le  ciel  et  la  terre  retentissent 

(1)  Lalila,  p.  191. 


LE  BOUDDHISME  43 

des  cris  d'enthousiasme  et  des  chants  d'allégresse  des 
dieux. 

Pendant  ce  temps,  le  palais  et  la  ville  résonnent 
lugubrement  des  clameurs  des  guerriers  et  des  sanglots 
des  femmes. 

Et  le  prince,  au  comble  de  ses  vœux  disparaît  dans 
la  forêt,  au  moment  même  où  son  fidèle  écuyer,  entrait 
dans  la  ville.  (1) 


VI.  L'ASCETE 

29.  Pourquoi  Sakya-Mouni^  traversa-t-il  sans  s'y 
arrêter  les  écoles  des  Brahmmies  les  plus  célèbres  ? 

Sakya-Mouni,  sous  ses  «vêtements  rougeàtres»  de  re- 
ligieux, visita  en  passant  plusieurs  moines  célèbres, 
cherchant  sur  la  terre,  un  idéal  qui  toujours  fuyait  de- 
vant lui.  Un  instant  il  crut  l'avoir  trouvé  à  l'école  d'A- 
râta-Kàlàma  célèbre  brahmane  de  Vaisali.  L'illusion 
dura  peu.  S'apercevant  bientôt  qu'il  n'avait  rien  à  ap- 
prendre de  ce  maître,  il  s'en  alla  dans  la  capitale  du 
pays  de  Maghada.  «  Alors,  un  matin,  à  l'aurore,  m'é- 
tant  habillé  et  ayant  pris  le  manteau  et  le  vase  aux 
aumônes  j'entrai  dans  la  grande  ville  de  Radjagriha, 
par  la  porte  des  eaux  chaudes,  pour  demander  l'au- 
mône. Avec  une  belle  démarche  en  avançant  ou  en  recu- 
lant, en  regardant*  à  droite  et  à  gauche,  en  me  ramas- 
sant sur  moi-même,  et  en  m'étendant  avec  une  belle  dé- 
marche,   en    portant    le   manteau  piéger,   le  manteau 

(1)  Tous  les  détails  de  celte  mémorable  légende,  se  gravèrent  si 
profondément  dans  l'imagination  des  sectateurs  de  Bouddha,  qu'au 
X"  et  au  XII"  siècle  de  l'ère  bouddhique,  les  voyageurs  chinois, 
visitaient  encore  pieusement  et  dans  l'ordre  indiqué  par  la  légende, 
les  lieux  témoins  de  si  édifiantes  merveilles. 


44  LE  BOUDDHISME 

vêtement  de  religieux  et  le  vase  aux  aumônes  ;  avec  des 
sens  non  agités,  un  esprit  qui  ne  va  pas  au  dehors, 
comme  il  convient  à  un  homme  transformé,  comme  celui 
qui  porte  un  vase  d'huile,  et  ne  regardant  pas  au  delà  de 
la  longueur  d'un  joug.  (1)  » 

Son  entrée  dans  la  ville  fit  sensation.  Le  roi  en  per- 
sonne vint  lui  rendre  visite,  et  charmé  de  son  entretien 
lui  offrit  sur  le  champ  la  moitié  de  son  royaume.  Pareil- 
les offres  loin  de  le  tenter,  l'engagèrent  à  aller  s'établir 
ailleurs. 

Un  ascète  fort  en  renom,  Boudraka,  dirigeait  alors, 
sur  les  bords  de  la  rivière  Nairanjanà,  «  une  grande 
réunion  de  disciples  au  nombre  de  sept  cents.  »  Le  Bô- 
dhisattva  lui  offrit  son  concours  «  en  qualité  d'institu- 
teur. »  Peu  après  il  partait  pour  le  mont  Gaya,  suivi  de 
cinq  des  meilleurs  disciples  de  Boudraka. 

30.  Par  quelle  suite  de  privations  effrayantes  arri- 
va-t-il  à  se  convaincre  que  V épuisement  n'est  pas  le 
chemin  de  la  délivrance  ? 

C'est  alors  qu'il  se  résolut  de  savoir  par  expérience  si 
ce  que  disent  certains  Sramanas  et  certains  Brahmanes 
est  vrai,  c'est  à  savoir  :  «  que  ne  pas  prendre  de  la  nour- 
riture c'est  la  pureté.  »  Et  aussitôt,  il  s'adonna  à  la  pra- 
tique de  l'abstinence  la  plus  rigoureuse.  D'abord  il  se 
condamna  à  ne  manger  par  jour  qu'un  grain  de  Kola 
t  et  pas  un  second  »,  puis  il  en  vint  à  ne  prendre  par 
jour  «  qu'un  grain  de  riz  et  pas  un  second  »,  puis  il  «  re- 
connut qu'il  ne  faut  prendre  par  jour  qu'un  grain  de 
sésame  et  pas  un  second  »  et  finalement  il  se  dit,  qu'en 
tout  et  partout  celui  qui  aspire  à  la  perfection  «  doit  s'ap- 
pliquer à  ne  pas  prendre  de  nourriture.  » 

(1)  Lalita,  c.  XVI  p.  206,  7. 


LE  BOUDDHISME  45 

Ces  exercices  durèrent  six  ans. 

«  Et  alors,  de  moi  qui  ne  prenais  pas  de  nourriture,  le 
corps  devint  excessivement  sec,  maigre  et  sans  force. 
Ainsi  par  exemple,  mes  membres  et  leurs  parties  devin- 
rent deux  fois  ou  trois  fois,  quatre  fois,  cinq  fois,  dix 
fois  plus  maigres  que  le  nœud  de  la  plante  Asîtakî  ou  les 
nœuds  de  la  plante  Kàlika.  Les  côtes  devinrent  comme 
celles  du  crabe,  comme  les  solives  du  toit  de  l'écurie  des 
bêtes  de  somme  ;  mon  épine  dorsale  devint  comme  le 
tissu  d  une  tresse  ;  le  crâne  de  ma  tête  comme  une 
gourde,  les  prunelles  de  mes  yeux  comme  des  étoiles 
réfléchies  au  fond  d'un  puits.  Et,  Religieux,  quand  je  me 
disais  :  il  est  bon  que  je  me  lève  et  que  je  secoue  mes 
membres,  courbé,  je  tombe  renversé.  Puis,  relevé  avec 
peine,  de  moi  qui  me  frottais  les  membres,  les  poils  dont 
la  racine  était  corrompue  se  détachèrent.  Et  la  couleur 
belle,  délicate  et  brillante  qui  était  la  mienne,  elle  aussi 
disparut,  et  cela  par  l'effet  du  rude  abandon  de  moi-mê- 
me qui  me  dominait.  Et  les  gens  qui  demeuraient  dans 
le  village  voisin  du  lieu  où  j'étais  pensaient  :  Ah  !  vrai- 
ment, il  est  noir,  le  Sramana  Gautama  !  Ah  !  vraiment, 
il  est  bleuâtre  le  Sramana  Gautama  !  Ah!  vraiment,  il 
a  la  couleur  du  poisson  Madgoura,  le  Sramana  Gauta- 
ma (1).  » 

Et  il  supporta  ces  épreuves  avec  une  constance  que 
rien  ne  put  ébranler. 

I  Et  le  roi  Souddhôdana  envoyait  chaque  jour  un 
messager  auprès  du  Bodhisattva.  »  Il  tint  ferme.  Les 
dieux  alarmés  prévinrent  sa  mère,  qui  accourut,  mais 
le  Bodhisattva  était  si  faible,  qu'il  la  reconnût  à  peine. 
Il  la  consola  et  la  renvoya. 

«  Sans  avoir  l'esprit  abattu,  le  Bodhisattva,  pendant 

(1)  c.  XVII,  p.  221. 


46  LE  BOUDDHISME 

six  ans,  resta  les  jambes  croisées,  de  la  même  manière, 
et  ne  s'écarta  pas  de  la  voie  honorable.  D'un  lieu  brûlé 
par  le  soleil,  il  n'alla  pas  à  l'ombre,  et  de  l'ombre  n'alla 
pas  au  soleil.  Il  ne  se  fit  pas  d'abri  contre  le  vent,  le  so- 
leil ni  la  pluie.  Il  ne  chassa  ni  les  taons,  ni  les  mousti- 
ques, ni  les  serpents.  Il  ne  rendit  ni  excréments,  ni  urine,' 
ni  crachats,  ni  morve  ;  ne  se  ramassa,  ni  ne  s'allongea  ; 
ne  se  tint  pas  couché  sur  le  côté,  ni  étendu  sur  le  ven- 
tre ou  sur  le  dos.  Les  grands  nuages,  les  grandes  ondées, 
la  pluie,  la  grêle,  en  automne,  au  printemps,  en  hiver, 
tombaient  sur  le  corps  de  Bodhisattva  qui.  à  la  fin,  ne 
s'abritait  pas  même  avec  la  main.  Il  ne  combattait  pas 
les  sens  ;  il  n'accueillait  pas  les  objets  des  sens.  Et  ceux 
qui  venaient  là,  jeunes  gens  du  village  ou  jeunes  ailles 
du  village,  ou  pasteurs  de  vaches,  ou  pasteurs  de  bes- 
tiaux, ou  ramasseurs  d'herbes,  ou  ramasseurs  de  bois, 
ou  ramasseurs  de  fiente  de  vache,  pensaient  :  C'est  un 
Pisatcha  de  la  poussière  (esprit  des  cimetières)  ;  et  ils  se 
raillaient  de  lui  et  Je  couvraient  de  poussière.  (1)  » 

31.  Quelles  résolutions  pratiques  lui  dicta  cette 
conviction  ? 

L'épreuve  était  complète,  l'expérience  définitive  ;  ja- 
mais brahmane  ne  poussa  si  loin,  la  pratique  du  renon- 
cement ;  jamais  Sramana  ne  supporta  plus  longtemps 
mortifications  plus  terribles.  Et  cependant,  l'illumina- 
tion tant  désirée  ne  s'est  pas  produite  ;  et  la  vie  conti- 
nue son  oeuvre  à  travers  la  naissance,  la  vieillesse,  la 
maladie,  la  mort  ;  preuve  manifeste  que  l'ascétisme 
«  n'est  pas  la  route  de  l'intelligence  »  et  que  la  déli- 
vrance complète  «  ne  peut-être  obtenue  par  l'épuise- 

(1)  G.  XVII.  p.  822. 


LE  BOUDDHISME  47 

ment.  (1)  »  —  Encore  une  illusion  perdue  !  Non,  l'ascète 
ne  sauve  rien,  ni  personne.  Il  se  fait  souffrir,  et  la  souf- 
france qui  pèse  sur  lui  <(  aigiie,  brûlante,  intolérable, 
extrême  »,  épuise  son  corps  et  dessèche  son  âme.  Fût-il 
d'ailleurs  revêtu,  ce  qui  n'est  pas,  «  de  l'intelligence  par- 
faite »,  quel  avantage  en  résulterait-il  pour  les  créatu- 
res qui  soupirent  après  leur  délivrance  ?  Aurait-il  seule- 
ment le  cœur  et  la  force  de  s'occuper  d'elles?  —  Cette 
dernière  considération,  pour  Sakya-Mouni  était  décisive. 
a  Avec  un  corps  affaibli,  ma  dernière  existence  ne  serait 
pas  vouée  à  la  compassio?i,  et  ce  n'est  vraiment  pas  là 
la  voie  de  Fintelligence.  (2)  » 

La  conséquence  à  tirer  de  ces  belles  considérations, 
saute  aux  yeux.  Le  Lalita  la  formule  ainsi  :  «  Ainsi,  Re- 
ligieux, après  avoir  traversé  six  années  vouées  aux  aus- 
térités, le  Bôdhisattva  s'étant  levé  de  cet  endroit,  pro- 
nonça ces  paroles  :  Je  prendrai  une  nourriture  abon- 
dante, telle  que  de  la  soupe  aux  pois  avec  la  mélasse  et 
de  la  bouillie  de  riz.  (3)  » 

Ici  se  place  un  incident  très  caractéristique.  «  Alors, 
Religieux,  c'est  Bouddha  lui-même  qui  parle,  les  fils  des 
dieux  ayant  de  la  sympathie  pour  un  être  épuisé,  ayant, 
avec  leur  pensée,  bien  compris  ma  pensée  et  ma  délibé- 
ration, vinrent  à  l'endroit  où  j'étais  et  me  dirent  :  cette 
nourriture  abondante  à  laquelle  tu  penses,  ne  la  prends 
pas.  Nous  t'introduirons  de  la  vigueur  par  les  pores.  » 

«  Religieux,  il  me  vint  alors  à  la  pensée  :  je  pourrai 
assurer  que  je  ne  mange  pas,  et  les  gens  qui  habitent 
dans  le  voisinage  du  lieu  où  se  passe  ma  vie,  reconnai- 
traient  que  le  Sramana  Gautama  ne  mange  pas,  tandis 


(DP.  227. 

(2)  Ibid. 

(3)  Ibid.  222,  8. 


48  LE  BOUDDHISME 

que  les  fils  des  dieux,  avant  de  la  sympathie  pour  un 
être  épuisé,  m'introduiraient  de  la  vigueur  par  les  pores  : 
ce  serait  de  ma  part  le  plus  grand  des  mensonges.  Alors 
Bôdhisattva,  afln  d'éviter  le  mensonge,  ayant  refusé  les 
fils  des  dieux,  revint  à  l'idée  de  prendre  une  nourriture 
abondante.  (1)  » 

Au  même  instant  se  présentèrent  pour  le  servir  les 
dix  jeunes  filles  du  chef  de  village.  «  Et  ces  jeunes  filles 
ayant  préparé  pour  le  Bôdhisattva  plusieurs  espèces  de 
mets,  les  lui  offrirent  tous.  Le  Bôdhisattva  les  mangea.  • 
Ce  que  voyant  les  cinq  «  personnages  de  bonne  caste  n 
qui  pendant  six  ans  l'avaient  «  entouré  de  soins,  et  lui 
avaient  donné  le  grain  de  Kola,  le  grain  de  riz,  ou  le 
grain  de  sésame  »  se  dirent  :  «  c'est  un  ignorant,  et  un 
insensé.  Et  à  cette  pensée,  s'éloignant  de  la  présence 
du  Bôdhisattva  et  s'étant  rendus  à  Bénarès,  ils  demeu- 
rèrent à  Richipadana  dans  le  bois  de  Mrigadàna.  » 

Resté  seul,  Sakya-Mouni,  après  s'être  fait  un  vête- 
ment avec  une  vieille  toile  ramassée  dans  un  cimetière, 
reprit  la  vie  errante  du  moine  mendiant.  Il  prit  un  bain 
dans  les  eaux  de  la  rivière  Nairanjana.  «  Et,  Religieux, 
pendant  que  le  Bôdhisattva  se  baignait,  plusieurs  cen- 
taines de  mille  de  fils  des  dieux  remplissaient  la  rivière 
d'onguents  et  de  poudres  de  sandal  etd'aloès,  et  jetaient 
dans  l'eau  des  fleurs  divines  de  différentes  couleurs,  en 
vue  de  rendre  hommage  au  Bôdhisattva.  —  Et,  en  ce 
moment,  la  rivière  Nairanjana  était  toute  remphe  de 
fleurs  et  de  parfums  divins.  Et  des  milliers  de  Niyou- 
tas  de  Kôtis  de  dieux  ayant  recueilU  de  l'eau  avec 
laquelle  le  Bôdhisattva  s'était  lavé,  l'emportèrent,  cha- 
cun dans  sa  demeure,  pour  lui  bâtir  un  Tchâitya  et  pour 
lui  rendre  hommage.    —  Quant   aux  cheveux   et  aux 

(1}  P.  227. 


LE  BOUDDHISME  49 

moustaches  du  Bôdhisattva,  pensant  qu'ils  étaient  tous 
des  objets  de  bénédiction,  Soudjata,  la  fille  du  chef,  les 
emporta  pour  leur  bâtir  un  Tchaitya  et  pour  leur  rendre 
hommage.  (1)  » 

Soudjana  avait  quelques  droits  à  un  souvenir  si  pré- 
cieux. Elle  avait  en  e&et,  le  matin  même,  sous  les  yeux 
de  son  père,  servi  à  Sakya  un  potage  exquis.  «  Elle  prit, 
dit  le  texte  sacré,  le  lait  de  mille  vaches,  en  retira  sept 
fois  la  crème  la  plus  pure,  puis,  versant  cette  crème  et 
le  riz  le  plus  frais  et  le  plus  nouveau  dans  un  pot  de  terre 
neuf,  et  l'ayant  mis  sur  un  foyer  neuf,  elle  prépara  ce 
mets.  (2)  » 

Sakya  se  trouva  bien  de  ce  nouveau  régime.  «  Il  re- 
prit ses  couleurs  et  sa  force  ;  et,  depuis,  le  Bôdhisattva 
fut  appelé  le  beau  Sramana,  le  grand  Sramana.  (3)  » 

Un  professeur  de  grand  séminaire. 

[A  suivre). 


(1)  P.  232. 

(2)  P.  230. 

(3)  P.  228. 


UNE   EPOPEE    BABYLONIENNE 


IS-TU-BAR  -   GILGAMÈS 


Quatrième   article. 


INTRODUCTION   (Suite). 

LE    déluge;  apothéose   de   SAMAS-NAPISTIM;  GUÉRISON 

DE    GILGAMÈS  ;    l'aRBRE    DE   VIE  j    LE    PARADIS 

PERDU  ;    LE    RETOUR. 

C'est  pour  obtenir  sa  guérison  et  échapper  à  cette 
dure  fatalité  de  la  mort,  que  Gilgamès  avait  entrepris 
un  aussi  long  voyage.  Il  était  venu  vers  Samas-napis- 
tim  dans  l'espoir  de  surprendre  le  secret  de  vie ,  car,  il  le 
possédait  sans  doute,  lui  qui  jouissait  du  privilège 
d'immortalité...  Mais  comment  arracher  au  vieillard 
son  secret  ? 

Une  première  fois,  déjà,  comme  Gilgamès  l'interro- 
geait, Samas-napistim  s'était  dérobé  à  la  question  par 
une  réponse  évasive.  Le  héros,  cependant,  sans  se 
déconcerter,  revint  à  la  charge.  Seulement,  cette  fois, 
il  usa  d'un  détour  et  ménagea  avec  art  sa  requête.  Il 
savait  la  coquetterie  que  mettent  les  vieillards  à  pa- 
raître jeunes,  et  le  secret  plaisir  qu'ils  éprouvent  à 
s'entendre   dire  qu'il  ont  gardé,  malgré  les  ans,  leur 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS    •  51 

verdeur  d'autrefois.  Gilgamès  fît  donc  compliment  à 
Samas-napistim  de  sa  bonne  mine,  et  s'extasia  sur  ce 
qu'il  paraissait  tout  rajeuni,  insinuant  parla,  qu'il  vou- 
drait bien  connaître,  lui  aussi,  cette  eau  de  Jouvence, 
où  se  ravivait  sa  vigueur.  C'était,  en  même  temps 
qu'un  moyen  de  s'attirer  les  bonnes  grâces  du  vieil- 
lard, une  manière  adroite  de  revenir  sur  sa  demande  : 
«  A  te  regarder  de  près,  Samas-napistim,  je  ne  te 
trouve  point  vieilli,  tu  parais  aussi  jeune  que  moi. 
Non,  en  vérité  tu  n'es  point  vieilli,  tu  es  aussi  jeune 
que  moi.  Resplendissant  de  santé  comme  tu  es,  tu 
pourrais  encore,  ma  foi,  affronter  la  bataille...  Mais 
dis-moi,  comment  as-tu  mérité  de  siéger  dans  l'assem- 
blée des  dieux,  de  prendre  place  parmi  les  immortels? 
Voyons,  confie-moi  ce  secret...  (1)  » 

Gilgamès  avait  trouvé  le  côté  faible  de  Samas-napis- 
tim. L'aïeul,  doucement  flatté  parles  paroles  câlines  de 
son  petit-fils,  ne  sutplus  résister:  «  Oui,  Gilgamès,  dit-il, 
je  vais  te  découvrir  le  mystère  et  te  révéler  le  décretdes 
dieux  ('2).  »  Alors,  avec  cette  humeur  conteuse  des 
vieillards,  il  prit  les  choses  par  le  commencement  et 
exposa  tout  au  long  son  histoire,  une  terrible  aven- 
ture, dont  il  avait  été  le  héros,  d'oii  il  n'était  revenu 
sauf  que  par  miracle,  et  qui  lui  avait  valu  l'immor- 
talité. 

«  Ceci  se  passait  à  Surippak,  tu  sais,  cette  ville 
assise,  là-bas,  au  bord  de  l'Euphrate.  Oh  !  elle  était 
déjà  bien  ancienne  cette  ville,  lorsque  les  dieux  qui 
l'habitaient,  les  grands  dieux,  conçurent  le  dessein  de 
faire  le  déluge.  Or  donc,  ils  se  réunirent  et  tinrent 
conseil.   L'aspect  était  vraiment  imposant   de    cette 


(l)Tab.  XI,  1.1-7. 
(2)  Tab.  XI,  1.  8-10. 


52  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

assemblée   de   dieux,   que    présidait  Anu,  leur  père 
commun,  où  siégeaient  le  guerrier  Bel,  leur  conseiller 
ordinaire,  Ninib  et  Nergal,  fidèles  exécuteurs  de  leurs 
volontés.  Parmi  eux  se  trouvait  aussi  Ea,  le  dieu  de  la 
sagesse.  Ce  fut  lui  qui,  en  cette  circonstance,  se  fit  le 
héraut  des  dieux  et  publia  leur   décision  :  «  Argile, 
argile,  s'écria-t-il,  amas  de  poussière,  amas  de  pous- 
sière !  Argile,   écoute  ;  amas  de  poussière,  entends  ! 
Homme  de  Surippak,  fils  de  Ubara-Marduk,  construis 
en  hâte  un  vaisseau,  quitte  là  tes  biens,  écarte  tout  ce 
qui  t'est  étranger,  pour  ne  t'occuper  que  de  toi-même 
et  sauver  ta  vie.  Aie   soin,   cependant,  d'embarquer 
avec  toi  les  différentes  espèces  d'êtres  animés.  Quant 
au  vaisseau,  construis-le  suivant  des  proportions  ré- 
glées, de  telle  sorte  que  la  longueur  en  soit  égale  à  la 
largeur.  Dès  qu'il  sera  achevé,  tu  le  mettras  à  flot.  (1)  » 
((  J'avais  tout   compris    d'un    mot.    A   travers    ces 
paroles,  je  devinai   qu'il   se  tramait,   là-haut,   parmi 
les  dieux,  quelque  complot  contre  les  hommes.  Je  dis 
lors    à  Ea,   mon   seigneur   :   «  Mon  dieu   et   maître, 
en  toi,  tu  le  sais,  j'ai  mis  ma  confiance,  je  ferai  ainsi 
que  tu  l'ordonnes.  Mais  ces  préparatifs  attireront,  sans 
doute,  l'attention  des  habitants  de  Surippak.  Me  voyant 
occupé  à  une  telle  besogne,  tous,  le  peuple   et   les 
anciens,  viendront,  en  curieux,  me  demander  à  quelle 
fin  je   destine   ce  bâtiment.  Que  dois-je  leur  répon- 
dre? (2)  » 

((  Le  dieu  Ea  dit  à  son  serviteur  :  «  Tu  leur  répon- 
dras ceci  :  Le  dieu  Bel  ne  m'est  point  propice,  il  me 
traite  en  ennemi.  C'est  pourquoi,  je  ne  veux  point 
séjourner  plus  longtemps  dans  votre  ville,  ni  poser  ma 


(l)Tab.  XI,  1.  11-31. 
^2)  Tab,  XI,  1.  32-35. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  53 

tête  sur  une  terre  vouée  au  dieu  Bel.  Je  vais  plutôt 
descendre  vers  la  ,mer,  établir  ma  demeure  auprès 
d'Ea,  mon  seigneur.  Donne-leur  cependant  de  tels 
avertissements  :  Voici  qu'il  se  prépare  contre  vous  un 
déluge,  qui  détruira  tout  sur  la  face  de  la  terre,  impi- 
toyablement,leshommes,  les  oiseaux,  les  bêtes  jusques 
aux  poissons.  Vous  reconnaîtrez  que  le  déluge  est 
proche  à  ce  signe,  fixé  par  Samas  lui-même  :  Dans  la 
nuit  qui  précédera  un  tel  désastre,  Celui  qui  assemble 
les  nuages  fera  tomber  sur  vous  une  pluie  d'orage. 
Donc,  veillez,  prenez  bien  vos  précautions,  tandis  qu'il 
est  encore  temps...  (1)  » 

«  Le  lendemain,  dès  que  le  jour  parut,  je  m'empres- 
sai d'accomplir  les  ordres  d'Ea,  mon  seigneur.  Tout 
d'abord,  je  prévins  de  ce  qui  allait  arriver,  les  habitants 
de  Surippak.  Mais  jls  m'écoutèrent  d'une  oreille  dis- 
traite, et  ne  tinrent  aucun  compte  de  mes  salutaires 
avertissements.  (2)  Puis,  je  me  mis  à  l'œuvre.  Ayant 
réuni  sous  ma  main  tous  les  matériaux  nécessaires,  je 
travaillai  sans  relâche,  si  bien,  qu'en  moins  de  cinq 
jours,  je  vis  se  dresser  la  charpente  de  mon  navire.  La 
hauteur  des  parois  de  la  coque  était  de  dix  gar^  les 
dimensions  du  toit  mesuraient  pareillement  dix  gar. 
Je  prenais  garde,  en  effet,  de  ne  point  m'écarter  du  plan 
tracé  par  le  dieu  Ea,  et  je  me  souvenais  de  sa  parole  : 
«  Construis  le  vaisseau  suivant  des  proportions  réglées, 
de  telle  sorte  que  la  longueur  soit  égale  à  la  largeur,  « 
«  Une  fois  que  j'eus  ainsi  disposé  la  charpente,  j'en 
reliai   les   parties   entre  elles.    Dans   le  vaisseau,  je 
ménageai  six  étages,  qui  comprenaient  chacun  sept 

(1)  Tab.  XI,  1.  36-47. 

(2)  Ceci,  quoique  ne  se  trouvant  pas  sur  le  texte,  mutilé  à  cet 
endroit,  se  laisse  facilement  suppléer  et  est  exigé  pour  la  suite  natu- 
relle du  récit. 


54  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

chambres  séparées.  Au  milieu,  je  disposai  un  lit  de 
roseaux  épineux,  que  je  fis  fouler  avec  soin.  Je  passai 
en  revue  les  avirons  et  les  mis  en  état.  Enfin,  j'endui- 
sis les  parois,  en  répandant,  à  l'extérieur,  six  sares  de 
bitume  et  trois  sares  de  naphte,  à  l'intérieur  (1). 

«  Le  vaisseau  une  fois  équipé,  pour  couronner 
l'œuvre,  j'organisai  une  fête.  Rien  n'y  manquait.  Les 
hommes-canéphores  me  livrèrent,  pour  la  circons- 
tance, jusqu'à  trois  sares  d'huile.  Or,  là-dessus,  j'en 
prélevai  un  seulement  pour  servir  au  sacrifice,  et  je 
mis  les  deux  autres  à  la  disposition  du  pilote.  Tous 
les  jours,  on  égorgeait  des  bœufs  et  des  moutons. 
Grande  était  la  joie  parmi  mes  hommes.  Ils  faisaient 
couler  à  longs  flots  le  moût,  l'huile  et  le  vin.  Ils  en 
usaient  comme  de  l'eau  du  fleuve.  Une  vraie  fête  de 
nouvel  an...  Pour  moi,  ayant  achevé  mon  œuvre  et 
mené  à  bonne  fin  une  aussi  difficile  entreprise,  je 
trempai  mes  mains,  en  guise  de  purification,  dans 
l'huile  sainte  (2). 

«  La  fête  terminée,  je  fis  mes  derniers  préparatifs. 
Après  avoir,  pour  plus  de  précaution,  garni  de  fas- 
cines, le  haut  et  le  bas  du  vaisseau,  je  procédai  au 
chargement.  Je  le  remplis  de  tout  ce  que  je  possédais, 
j'y  entassai  tout  ce  que  j'avais  en  fait  d'argent  et  d'or; 
j'eus  soin  aussi,  pour  me  conformer  aux  ordres  d'Ea, 
mon  seigneur,  d'embarquer  avec  moi  les  différentes 
espèces  d'êtres  animés.  Je  fis  monter  en  outre  dans  le 
vaisseau  toute  ma  maisonnée,  ma  famille  et  mes  gens  ; 
bêtes  et  hommes  je  fis  tout  monter.  (3) 

«  Puis,  je  me  tins  prêt  à  partir,  n'attendant  plus  que 


(1)  Tab.  XI,  1.  55-67. 

(2)  Tab.  XI,  1.  68-78. 

(3)  Tab.  XI,  1.79-86 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  55 

le  signal  fixé  par  Samas  lui-même.  Elles  retentis- 
saient encore  à  mes  oreilles,  les  paroles  d'Ea,  mon 
seigneur  :  «  Dans  la  nuit  qui  précédera  le  déluge, 
Celui  qui  assemble  les  nuages,  fera  tomber  une 
pluie  d'orage.  Alors,  entre  dans  le  vaisseau  et  fermes- 
en  la  porte  derrière-toi.  (1)  » 

«  Le  signal  annoncé  ne  tarda  pas  à  paraître.  Dans  la 
nuit,  en  effet,  Celui  qui  assemble  les  nuages  fit  tomber 
une  pluie  d'orage,  d'où  je  compris  que  le  déluge  était 
proche.  C'est  pourquoi,  dès  la  pointe  du  jour,  saisi  de 
frayeur,  vite,  j'entrai  dans  le  vaisseau  et  en  fermai  la 
porte  derrière  moi.  La  porte  une  fois  bien  verrouillée, 
je  commis  aux  soins  du  pilote,  Puzur-Bel,  le  navire 
avec  tout  ce  qu'il  renfermait.  (2) 

«  Or,  voici  qu'aux  premières  lueurs  de  l'aube,  je  vis 
de  gros  nuages  noirs  émerger  peu  à  peu  au-dessus  de 
l'horizon,  et  s'avancer  vers  le  haut  du  ciel,  majestueu- 
sement. On  eût  dit  d'une  procession  triomphale  se 
déroulant  dans  les  airs...  Du  sein  de  la  nue,  Ramman 
brandissait  le  tonnerre.  Nabu  et  Marduk  ouvraient  la 
marche.  A  leur  suite,  allaientles  dieux  justiciers  cou- 
rant par  monts  et  par  vaux,  à  grandes  enjambées,  à  la 
façon  des  géants  :  Nergal  arrachant,  brisant  tout  ce 
qui  lui  faisait  obstacle,  Ninib  soulevant  et  faisant  voler 
en  tourbillon  tout  ce  qui  se  rencontrait  sur  son  passage. 
Bientôt  les  émissaires  de  Ramman,  étant  montés  au 
ciel,  chassèrent  la  lumière  et  répandirent  les  ténèbres 
sur  la  face  de  la  terre.  (3) 

«  Dès  le  premier  jour,  l'ouragan  sévit  avec  une 
extrême  violence.  Ce  fut  comme  une  terrible  mêlée. 


(1)  Tab.  XI,  1.  87-89. 

(2)  Tab.  XI,  1.  90-96. 

(3)  Tab.  XI,  1.  97-108. 


56  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

aussitôt  suivie  d'une  débandade  effroyable.  On  eût  dit 
d'une  gigantesque  bataille,  où  Parmée  des  vents  enne- 
mis se  ruait,  d'une  ardeur. insensée,  sur  l'humanité  en 
déroute.  Dans  cette  course  folle,  le  frère  ne  reconnais- 
sait plus  son  frère.  Tous  les  hommes  étaient  emportés 
pêle-mêle  par  le  noir  tourbillon.  Bientôt,  du  ciel  on  ne 
distingua  plus  la  terre.  Alors,  les  dieux  eux-mêmes 
prirent  peur...  Craignant  d'être  atteints  par  les  vagues 
montantes  jusque  dans  leurs  retraites  inaccessibles,  ils 
se  réfugièrent  dans  les  hauteurs  du  ciel,  demeure 
d'Anu.  Ils  se  tinrent  là  tremblants,  accroupis,  comme 
des  chiens  à  l'attache  dans  un  chenil.  (1) 

«  A  la  vue  du  déluge  immense,  Istar  se  mit  à  geindre 
comme  une  femme  en  couche.  Elle  s'écria  dans  sa 
douleur,  la  reine  des  dieux,  la  bonne  déesse  :  «  Voici  que 
l'humanité  est  retournée  en  poussière,  par  ma  faute, 
car  c'est  moi  qui  ai  médit  de  mon  peuple  dans  l'as- 
semblée des  dieux;  oui,  par  ma  faute,  car  c'est  moi 
encore  qui  ai  déclaré  cette  guerre  de  destruction. 
Hélas!  hélas!  où  sont-ils  ceux  que  j'ai  enfantés? 
Comme  du  menu  fretin,  il  remplissentla  vaste  mer  (2).  » 

«  Les  dieux,  voire  même  les  Anunnaki,  se  lamentè- 
rent avec  elle  sur  le  sort  de  la  pauvre  humanité. 
Maintenant,  ils  se  repentaient  d'avoir  fait  le  déluge. 
Ils  étaient  tous  là  immobiles,  versant  des  larmes  et  se 
couvrant  les  lèvres  en  signe  de  deuil.  (3) 

«  Durant  six  jours  et  six  nuits,  le  vent  ne  cessa  de 
souffler,  la  tempête  redoubla  de  violence...  Cependant 
aux  approches  du  septième  jour,  le  vent  se  ralentit, 
latempête  parut  s'apaiser.  Il  touchait  à  sa  fin,  ce  combat 


(1)  Tab.  XI,  1.  109-116. 
(2)Tab.  XI,1.  117-124. 
(3)  Tab.  XI,  1,  125-127. 


IS-TU-BAR —  QILGAMÈS  57 

fatal,  qu'avait  livré  aux  hommes  l'ouragan  en  furie. 
Peu  à  peu  la  mer  se  calma.  Maintenant,  le  vent  était 
tombé,  le  déluge  avait  cessé.  (1) 

Alors,  je  pus  contempler  la  mer.  A  sa  vue,  un  cri 
s'échappa  de  ma  poitrine  oppressée...  Voici  que  l'hu- 
manité était  retournée  en  poussière,  et  que,  devant 
moi,  s'étendait  la  plaine  liquide  semblable  à  un  pla- 
teau désert!...  Maintenant,  j'avais  ouvert  la  lucarne 
du  navire  et  le  jour  venait  frapper  en  plein  mon  visage. 
Atterré,  d'abord,  par  un  aussi  affligeant  spectacle,  je 
m'affaissai  sur  un  siège  et  me  pris  à  pleurer.  Puis, 
étant  un  peu  remis  de  ma  première  émotion,  je  par- 
courus l'horizon  du  regard...  De  toutes  parts,  la  mer 
était  ouverte  ;  seulement,  dans  le  lointain,  une  terre, 
formant  une  sorte  d'îlot  isolé,  émergeait  de  douze 
coudées  au-dessus  des  flots.  (2) 

«  C'est  là  que  vint  échouer  le  vaisseau,  au  pays  de 
Nizir.  Comme  il  s'était  engagé  dans  la  montagne,  il 
s'y  enlisa.  Six  jours  se  passèrent  ainsi...  Aux  approches 
du  septième  jour,  je  lâchai  d'abord  une  colombe  :  la  co- 
lombe s'envola  puis  revint,  car  elle  n'avait  pas  trouvé  de 
place  où  se  poser.  Ensuite,  je  lâchai  une  hirondelle  : 
l'hirondelle  aussi  s'envola  puis  revint,  car  elle  nonplus 
n'avait  pas  trouvé  de  place  où  se  poser.  Enfin,  je 
lâchai  un  corbeau  :  le  corbeau  s'envola  et,  ayant  trouvé 
des  eaux  stagnantes,  il  s'en  approcha,  pataugea  dans 
la  boue  et  ne  revint  pas.  (3) 

«  Alors,  je  procédai  au  débarquement.  Je  dispersai 
aux  quatre  vents  du  ciel,  toutes  les  espèces  d'êtres 
animés  renfermées  dans  l'arche.  Puis,  reconnaissant 


(l)Tab.  XI,  1.  128-132. 

(2)  Tab.  XI,  1.  133-140. 

(3)  Tab.  XI,  I.  141-105. 


58  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

envers  les  dieux  qui  m'avaient  sauvé  la  vie,  j'offris  un 
sacrifice  sur  le  sommet  même  de  la  montagne.  J'avais 
disposé  avec  ordre  et  en  nombre  des  vases  propitia- 
toires, au-dessous  desquels,  je  versai  en  abondance  des 
grains  de  cannelle,  de  résine  et  des  siliques.  La  fumée 
de  mon  holocauste  monta  droit  jusqu'au  ciel,  Ce  sacri- 
fice fut  pour  les  dieux  un  sacrifice  d'agréable  odeur.  Je 
les  vis,  en  effet,  se  ramasser  en  grappe,  comme  un 
essaim  de  mouches,  au-dessus  de  l'autel  et  les  nari- 
nes dilatées,  aspirer  délicieusement  ce  parfum  suave... 
Au  moment  où  s'avança  la  grande  déesse,  revêtue  de 
magnifiques  ornements,  chef-d'œuvre  d'Anu ,  reflet 
de  sa  splendeur,  —  Oh  !  non,  ces  dieux,  pas  plus  que 
mon  collier,  je  ne  saurais  les  oublier  !  Non,  ce  jour  où 
je  fus  initié  à  la  sagesse  ne  sortira  jamais  de  ma  mé- 
moire !  —  je  dis  à  voix  haute  :  «  Oui,  que  les  dieux 
accourent  en  foule  à  mon  sacrifice,  qu'ils  y  viennent 
tous,  à  l'exception  de  Bel,  celui  qui  fit  inconsidéré- 
ment le  déluge  etvoua  mon  peuple  à  la  perdition  (1).  » 

«  Tous  les  dieux  répondirent  à  mon  appel.  Parmi 
eux  se  trouvait  aussi  Bel,  le  guerrier...  Dès  qu'il 
aperçut  le  vaisseau,  il  entra  dans  une  grande  colère, 
digne  des  Igigi  eux-mêmes  :  «  Quel  est  celui  d'entre 
les  dieux,  s'écria-t-il,  qui  a  osé  enfreindre  mes  ordres? 
Qui  donc  s'est  mêlé  de  conserver  la  vie  sur  la  terre? 
Qu'aucun  homme  ne  survive  à  ce  désastre  !  (2)  » 

«  Ninib,  le  premier,  prit  la  parole  et  dit  à  Bel,  le 
guerrier  :  «  Qui  donc  a  pu  faire  la  chose,  si  ce  n'est 
Ea  !  Ea  ne  connaît-il  pas  tous  les  artifices  ?  (3)  » 

«  Ea,  se  trouvant  mis  en  cause,  prit  la  parole  à  son 
tour.  Tout  d'abord,  il  adressa  de  vives  objurgations  au 

(1)  Tab.  XI,  1.  156-170. 

(2)  Tah.  X],  1.  171-175. 

(3)  Tab.  XI,  1.  176-179. 


IS -TU-BAR  —  GIL^AMÈS  59 

dieu  Bel,  sur  ce  qu'il  avait  fait  le  déluge,  sans  y  avoir 
mûrement  réfléchi,  puis  il  nia  la  vérité  du  fait  allégué 
par  Ninib  contre  lui  :  «  Toi,  s'écria-t-il,  le  chef  des 
dieux,  le  puissant  guerrier,  pourquoi  fis-tu  le  déluge 
inconsidérément  ?  Pourquoi  envelopper  ainsi  dans 
une  même  ruine  les  bons  et  les  méchants?  Est-il  juste 
d'imputer  la  faute  à  qui  ne  l'a  pas  commise  ?  Que  le 
pécheur  expie  lui-même  son  péché  !  Que  le  coupable 
subisse  tout  seul  le  châtiment  qu'il  mérite  !  Même 
envers  le  pécheur  et  le  coupable,  use  d'indulgence  et 
de  longanimité;  ne  le  fais  point  périr!  Surtout  ne 
fais  pas  de  nouveau  déluge  !  Plutôt  que  de  faire  un 
nouveau  déluge,  que  les  lions  et  les  léopards  fassent 
irruption  et  diminuent  la  race  nombreuse  des  hommes, 
que  la  famine  et  Nergal  lui-même  surviennent  et  rava- 
gent la  contrée!.  .  Quant  au  décret  des  grands  dieux, 
ce  n'est  pas  moi  qui  l'ai  révélé.  J'envoyai  seulement  à 
Atrahasis  un  songe,  par  où  il  devina,  de  lui-même,  ce 
qui  se  tramait  parmi  les  dieux  contre  les  hommes  (1).  » 
«  Ea  avait  parlé  avec  adresse.  Le  dieu  Bel,  frappé 
par  la  vérité  de  ce  raisonnement,  rentra  en  lui- 
même.  Un  instant,  il  parut  réfléchir,  puis,  prenant 
une  résolution  subite,  il  me  saisit  par  la  main  et  me 
fit  monter  avec  ma  femme  sur  le  vaisseau.  Alors,  ayant 
ordonné  à  celle-ci  de  se  tenir  inclinée  à  côté  de  moi, 
il  nous  toucha  tous  deux  au  front,  et,  s'étant  placé 
entre  nous,  il  nous  bénit,  disant  :  «  Auparavant, 
Samas-napistim  était  un  homme,  désormais,  Samas- 
napistim  et  sa  femme  seront  des  dieux  comme  nous. 
Et  ils  demeureront  au  loin,  à  la  bouche  des  fleuves,  » 
Sur  ce,  Bel,  le  guerrier,  nous  emmena  et  lui-même 
nous  établit  au  loin,  à  la  bouche  des  fleuves.  (2)  » 

(1)  Tab.  XI,  1.  180-196. 

(2)  Tab.  XI,  1.  197-205. 


60  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

Gilgamès  avait  écouté  avidement,  sans  mot  dire, 
cette  merveilleuse  histoire...  Le  récit  du  déluge  une 
fois  terminé,  Samas-napistim  continua  :  a  Et  mainte- 
nant, lequel  d'entre  les  dieux  te  rendra  toi  aussi, 
Gilgamès,  resplendissant  de  santé.  Si  tu  veux  obtenir, 
avec  ta  guérison,  le  don  d'immortalité,  ne  t'embarque 
pas  aussitôt,  attends  seulement...  (1)  » 

«  Alors  Gilgamès,  comme  un  voyageur  harassé  de 
fatigue  après  une  longue  course,  succomba  à  un  pro- 
fond sommeil,  qui  le  coucha  à  terre,  à  la  façon  d'un 
vent  violent,  durant  six  jours  et  sept  nuits  (2). 

«  Or,  tandis  qu'il  dormait,  Samas-napistim  dit  à  sa 
femme  :  ><  Ce  héros,  vois-tu,  est  parti  en  quête  du 
secret  de  la  vie,  et  voilà  que,  au  terme  de  son  voyage, 
le  sommeill'a  dompté  et  couché  à  terre,  à  la  façon  d'un 
vent  violent.  »  Et  sa  femme  de  lui  répondre  :  «  Tou- 
che-le et  fais-lui  goûter  l'aliment  mystérieux,  après 
quoi,  il  reprendra  le  chemin  par  où  il  est  venu^  et, 
dépassant  la  grande  porte,  s'en  retournera  dans  son 
pays.  »  —  «  Tu  souffres,  je  le  vois  bien,  reprit  Samas- 
napistim,  de  la  souffrance  de  l'humanité.  Or  donc, 
apprête  toi-même  l'aliment  mystérieux  et  pose-le  sur 
sa  tête  pour  qu'il  l'emporte  et  s'en  rassasie  (3).  » 

«  zVujour  où  Gilgamès  monta  sur  le  vaisseau,  elle 
apprêta,  en  effet,  le  mystérieux  aliment  et  le  posa  sur 
sa  tête.  Elle  avait  apporté  à  sa  préparation  un  soin 
extrême...  Après  l'avoir  successivement  mélangé, 
travaillé,  détrempé,  elle  le  servit  à  point  sur  un  vase, 
au  préalable  nettoyé,  et  tout  reluisant.  Alors,  Samas- 
napistim,   d'un    geste    brusque,    toucha  le  héros  et 


(1)  Tab.  XI,  1.  206-208. 

(2)  Tab.  XI,  1.  208-210. 

(3)  Tab.  XI,  2il-220. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  61 

celui-ci  goûta  de  ce  mets...  Cet  aliment  mystérieux 
préparé  par  la  femme  de  Samas-napistim  à  l'usage 
deGilgamès,  fait  rêver  involontairement  de  je  ne  sais 
quelles  opérations  magiques  accompagnées  d'étranges 
formules  d'incantation.  On  croirait  assister  aux  apprêts 
d'un  repas,  par  une  sorcière,  sur  une  terre  fantastique, 
vaguement  éclairée  d'un  jour  lunaire,  où  viendraient 
se  mêler,  parmi  les  bruits  de  vaisselle  remuée,  les 
signes  cabalistiques  et  les  paroles  sacramentelles... 
Au  cours  du  repas-,  Gilgamès  devisait  avec  Samas- 
napistim,  l'Eloigné.  Comme  il  se  réveillait  à  peine,  il 
croyait  continuer  un  rêve.  Il  essayait  de  renouer  le  fil 
de  ses  souvenirs  :  «  Voyons,  à  mon  arrivée,  le  som- 
meil m'a  surpris...  Puis,  tu  m'as  touché,  tu  m'as 
frappé.  »  Sur  quoi,  Samas-napistim,  tout  en  l'exhor- 
tant à  prendre  encore  de  la  nourriture,  lui  raconta 
point  par  point  la  préparation  du  mystérieux  aliment 
et  le  mit  au  courant  de  tout  ce  qui  s'était  passé  (1). 

«  Gilgamès,  cependant,  se  préoccupait  de  son  re- 
tour. Comment  ferait-il  pour  s'en  aller?  Il  ne  fallait 
pas  encore  songer  à  partir,  car  son  mal,  loin  de 
guérir,  ne  faisait  qu'empirer.  Pour  combien  de  temps 
était-il  retenu  sur  ces  rivages  ?  Lui  serait-il  donné 
seulement  de  les  quitter  un  jour?  «  Comment  sortirai- 
je  d'ici,  Samas-napistim?  La  maladie  s'est  emparée 
de  tous  mes  membres,  et  la  mort,  l'horrible  mort  est 
là  debout  devant  mon  lit  à  me  guetter.  Oh  !  ce  lieu  que 
j'habite  est  un  lieu  mortel  !  (2)  » 

«  Samas-napistim  prit  le  héros  en  pitié,  et,  s'adres- 
sant  au  pilote  :  «  Amel-Ea,  dit-il,  la  traversée  a  été 
funeste  à  Gilgamès.  Voici  qu'il  se  traîne  languissam- 


(l)Tab.  XI,  1.221-242. 
(2)  Tab.  XI,  1.  243-247, 


62  IS-TU-BAR   —  GILGAMÈS 

meut  celui  que  tu  as  conduit,  le  corps  couvert  de 
pustules,  les  chairs  rongées  par  la  lèpre.  Prends-le, 
Amel-Ea,  mène -le  au  bain.  Tout  d'abord,  qu'il  lave 
lui-même  sa  plaie,  jusqu'à  la  rendre  brillante  comme 
du  métal,  qu'il  se  défasse  de  sa  lèpre  et  livre  aux  flots 
cette  dépouille.  Puis,  qu'il  ait  soin  d'entourer  sa  tête 
d'un  bandeau  neuf.  Quant  au  voile  qui  recouvre  sa 
nudité,  qu'il  ne  le  renouvelle  point  avant  d'arriver  à 
Uruk.  Là  seulement,  il  lui  sera  loisible  de  mettre  un 
voile  tout  neuf.  »  Ce  dont  Amel-Ea  s'acquitta  avec 
un  soin  scrupuleux.  Gilgamès  d'ailleurs  s'y  prêta  sans 
se  faire  prier  et  accomplit  point  par  point  les  indica- 
tions de  Samas-napistim  (1). 

La  purification  une  fois  terminée,  Gilgamès  monta 
sur  le  vaisseau  à  côté  d'Amel-Ea,  et  tous  deux,  de 
concert,  mirent  le  bac  à  flot.  Ils  étaient  prêts  à  partir, 
lorsque  sa  femme  dit  à  Samas-napistim,  l'Eloigné  : 
«  Voici  que  Gilgamès,  à  la  suite  d'un  long  voyage, 
durant  sa  halte,  a  été  grièvement  malade.  Voyons,  le 
laisseras-tu  s'en  retourner  ainsi  dans  son  pays  sans 
lui  avoir  rien  donné  ?  «  Gilgamès,  entendant  cela,  vite 
avait  saisi  l'aviron  et  poussé  son  bac  vers  la  rive... 
Samas-napistim  prit  la  parole  à  son  tour  et  dit  au 
héros  :  «  Gilgamès,  à  la  suite  d'un  long  voyage,  durant 
ta  halte,  tu  as  été  grièvement  malade.  Allons,  avant 
que  tu  retournes  dans  ton  pays,  quête  faut-il  donner? 
Tiens,  Gilgamès,  je  vais  te  découvrir  le  mystère  et  te 
révéler  le  décret  des  dieux.  Cette  plante,  vois-tu,  qui 
ressemble  à  l'épine  et  dont  la  baie  a  une  forme  pa- 
reille à  la  tête  de  la  vipère,  elle  procure  la  vie  à  qui 
la  possède  (2).  » 


(1)  Tab.  XI,  1.  248-271. 

(2)  Tab,  XI,  I.  272-286.  —  Les  1.  287-293  sont  incomplètes  sur 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  63 

Gilgamès,  ne  se  contenant  pas  de  joie,  fit  part  aussi- 
tôt de  son  secret  à  son  compagnon  de  voyage  :  c  Cette 
plante,  vois-tu,  Amel-Ea,  est  la  plante  fameuse  qui 
entretient  la  vie.  Je  vais  l'emporter  soigneusement  à 
Urulv  et  y  faire  participer  les  miens.  Elle  a  nom  :  Le 
rajeunissement  du  vieillard.  J'en  mangerai  moi  aussi, 
afin  de  revenir  aux  jours  de  majeunesse.  (1) 

Là-dessus,  Amel-Ea  et  Gilgamès  partirent.  Après 
une  première  étape  de  quarante  heures,  ils  firent  halte 
un  moment,  puis,  s'étant  remis  en  route,  après  une 
nouvelle  étape  de  vingt  heures,  ils  répandirent  une 
libation.  C'était  aux  abords  du  puits  aux  eaux  jaillis- 
santes... Gilgamès  était  dans  le  puits  occupé  à  verser 
de  l'eau,  lorsque  tout  à  coup,  surgit  un  serpent,  qui, 
d'un  élan  rapide,  se  jeta  sur  la  plante  de  vie  et  l'em- 
porta précipitamment,  non  sans  proférer,  en  s'enfuyant, 
une  malédiction.  Accablé  par  ce  coup  imprévu,  Gilga- 
mès s'affaissa  sur  lui-même,  versant  d'abondantes  lar- 
mes et  laissant  échapper  de  telles  plaintes  :  «  Amel-Ea. 
les  mains  me  tombent  de  fatigue,  le  sang  a  reflué  de 
mon  cœur.  Hélas!  que  ne  me  suis-je  assuré  ce  grand 
bienfait  de  la  vie,  au  lieu  de  me  laisser  supplanter  par 
le  serpent  !  Voici  que,  après  une  étape  de  quarante 
heures,  au  moment  où  j'ouvrais  le  vase  pour  en  verser 
le  contenu,  il  m'a  ravi  mon  bien  àl'improviste,  et  s'est 
approprié,  à  mon  détriment,  cette  plante  salutaire!  Que 
du  moins  la  mer  ne  déchaîne  point  ses  flots  irrités 
contre  moi,  que  je  puisse  m'en  retourner  sain  et 
sauf!  (2)  » 

Tandis  qu'il  se  lamentait  ainsi,  le  bateau  avait  tou- 

l'original.  Ces  lacunes  empêchent  de  savoir  exactement  le  rapport 
de  leur  contenu  avec  ce  qui  précède  et  ce  qui  suit. 

(1)  Tab  XI,  1.  294-299. 

(2)Tab.  XI,  1.  300-316. 


64  IS-TU-BAR.  —  GILGAMÈS. 

elle  au  rivage.  Gilgamès  et  Amel-Ea  ayant  débarqué 
repartirent  aussitôt  Après  une  première  étape  de  qua- 
rante heures,  ils  firent  halte  un  moment,  puis,  s'étant 
remis  en  route,  après  une  nouvelle  étape  de  vingt 
heures,  ils  répandirent  encore  une  libation.  Mainte- 
nant ils  étaient  arrivés  à  Uruk.  (1) 

A  peine  rentré  dans  sa  demeure,  Gilgamès  ordonna 
à  Amel-Ea,  le  pilote,  de  monter  sur  le  rempart  d'Uruk 
et  d'examiner  à  loisir  le  cylindre  de  fondation,  sans 
doute,  afin  de  le  réviser,  peut-être  aussi,  afin  d'en 
ajouter  un  nouveau  ,  relatant  leur  lointaine  expédition 
aux  terres  inconnues.  (2) 

Voici  maintenant  notre  traduction  littérale. 


IS-TU-BAR    —   GILGAMÈS 


LE   DÉLUGE  (3)  ;  APOTHEOSE  DE   SamAS-NAPISTIM. 

GuÉRisoN  DE  Gilgamès  ;  l'arbre  de  vie  ; 

LE  PARADIS  PERDU  ;  LE  RETOUR. 

Gilgamès,  s'adressant  à  Samas-napistim, l'Eloigné, 

lui  dit  : 
«  A  te  regarder  de  près,  Samas-napistim, 
ton  aspect  n'est  point  changé,  tu  es  pareil  à  moi  ; 
non,  tu  n'es  point  changé,  tu  es  en  tout  pareil  à 

moi. 

(l)Tab.XI,  1.  317-320. 

(2)  Tab.  XI,  1.  321-323.  —  Les  1.  324-328  qui  terminent  la  on- 
zième tablelte  sont  très  obscures . 

(3)  La  première  partie  de  la  onzième  tablette,contenant  le  récit  du 
déluge,  l.  8-205  (édit.  Haupt)  a  été  l'objet  de  nombreux  travaux,  en 
France,  en  Angleterre  et  en  Allemagne.  Après  les  premiers  essais 


IS-TU-BAR  —  {^LGAMÈS  65 

5  Tu  aurais  encore  assez  de  vigueur  d'âme  pour  af- 
fronter la  bataille, 

à  en  juger  par  ta  mine  resplendissante. 

comment  sièges-tu  dans  l'assem- 
blée des  dieux,  et  as-tu  obtenu  l'immortalité?  » 

Samas-napistim,  s'adressant  à  Lnlgamès,    lui    dit  : 

«  Je  vais,  Gilgamès,te  découvrir  le  mystère, 
10  et  te  révéler  le  décret  des  dieux. 

La  ville  de  Surippak,  tu  sais,  cette  ville 

assise  sur  le  bord  de  l'Euphrate, 

était  déjà  ancienne,  lorsque  les  dieux   qui   l'habi- 
taient, 

les  grands  dieux,  conçurent  le  dessein  de  faire  le 
déluge. 
15  Là  se  trouvaient  assemblés,  leur  père,  Anu, 

leur  conseiller,  le  guerrier  Bel, 

leur  ministre,  Ninib, 

leur  exécuteur,  Nergal  (1). 

le  dieu  de  la  sagesse  (2),  Ea,  délibérait  aussi  avec 
eux  ; 

de  déchifFreraent,  dus  à  la  sagacité  de  G.  Smith  [Chaldean  Account 
of  the  déluge,  1872;  Tramactiotisoftlie  Society  of  Biblical  Archxo- 
logy,  1874  ;  Assyrian  discoveries  ;  Chaldean  Account  of  Genesis, 
1876.  Cf.  édit.  Delitzsch,  1876  et  Sayce,  1880), parurent  successive- 
ment les  traductions  de  J.  Oppert  (Fra(/me?(<s  de  cosmogonie  ckal- 
déenne,  dans  Ledrain  :  Histoire  d'IsraiH,  t.  I,  1879j,  de  Fr.  Lenor- 
mant  [Origines  de  Vhistoire,  1. 1,  188U),  de  P.  Haupt  {Derkeilins  chrifl- 
liche  Sintflutkbericht,  dans  Schrader  :  Die  Keilinschriften  und  das 
Alte  Testament.  2  Aufl.  1883).  Dans  ces  derniers  temps,  ce  texte  a 
été  étudié  à  nouveau  par  Jensen  [Kosmologie,  1890),  Alf.  Jeremias 
{Izdubar-Nimrod,  1891),  J.  Halévy  {Recherches  bibliques,  VS"  fasc. 
1892),  A.  Loisy  {Les  ^nythes.  chaldéens  de  la  création  et  du  déluge, 
1892). 

(1)  An-en-7iu-gi  «  le  seigneur  du  pays  (où  l'on  s'engage)  sans  re- 
tour, le  dieu  des  enfers.  » 

(■:?)  An-nin-igi-uzag  «  le  seigneur  des  sources  pures,  le  dieu  de 
l'Océan  et  de  la  sagesse.  » 


66  is-tu-b;vr  —  gilgamès 

20  ce  fut  lui  qui  annonça  leur  résolution  à  i'argile  : 
«  Argile,  argile  ;  amas  de  poussière,  amas  de  pous- 
sière ! 
Argile,  écoute;  amas  de  poussière,  entends! 
Homme  de  Surippak,  fils  de  Ubara-Marduk, 
fais  un  bâtiment,  construis  un  vaisseau. 
25  Quitte  là  tes  biens,  conserve  l'existence  ; 
écarte  ce  qui  t'est  étranger,  sauve  la  vie.- 
Fais  monter,  dans  l'intérieur  du   vaisseau,   toutes 

les" espèces  d'êtres  animés  (3). 
Le  vaisseau  que  tu  dois  construire 
aura  une  surface  de  dimensions  déterminées  : 
30  sa  largeur  sera  égale  à  sa  longueur. 

(Le  vaisseau  une  fois  achevé),  mets-le  à  flot.  » 
Moi,  j'avais  compris;  je  dis  lors  à  Ea,  mon  sei- 
gneur : 
«       .       .       .       .       seigneur,  comme  tu  l'ordon- 
nes, 
me  confiant  en  toi,  je  ferai. 
35  Mais  que  répondrai-je  aux  gens  de  la  ville,  au  peu- 
ple et  aux  anciens  ?  » 
Ea,  ayant  ouvert  la  bouche,  parla 
et  me  dit  à  moi,  son  serviteur  : 
«  Voici  ce  que  tu  leur  répondras  : 
Le  dieu  Bel  m'a  repoussé,  il  m'a  rejeté  ; 
40  aussi,  je  ne  veux  point  séjourner  dans  votre  ville, 
je  ne  veux  point  poser  ma  tête  sur  la  terre  de  Bel. 
Je  vais  descendre  vers  la  mer,  et  demeurer  auprès 

d'Ea,  mon  seigneur. 
(Le  dieu  Bel)  versera    sur   vous   une   pluie  abon- 
dante, 


{3j  Mot  à  mol  :  «  la  semence  de  foules  les  vies.  » 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  67 

il  détruira  les  oiseaux,  les  botes,  jus- 
qu'aux poissons, 

45   .       .       . la  moisson. 

Samas  a  fixé   ce    signe  :  Celui   qui    assemble    les 

nuages, 
durant  la   nuit,   fera   tomber   sur  vous  une  pluie 

d'orage.  » 
Aux  premières  lueurs  de  l'aube, 

.       .  .       et     

50 

(Il  manque  ici  quelques  lignes). 


55  l'éclat la  citadelle, 

puissant,  dans  j'apportai  ce  qui  était 

nécessaire. 

Le  cinquième  jour,  je  posai  la  charpente  : 

les  parois  de  la  coque  (?)  avaient  une   hauteur  de 
dix  gar^ 

les  dimensions  du  toit  étaient  pareillement  de  dix 
gar. 
60  Ayant  disposé,  d'après  ce  plan,  la  charpente,  j'en 
reliai  (les  parties). 

J'élevai  six  étages, 

je  divisai en  six  sections, 

je  distribuai  l'intérieur  en  sept  compartiments. 

i\u  milieu  du  vaisseau,  je  fis   un  lit  pressé  de  ro- 
seaux épineux  (?) 
65  Ayant  inspecté   les  avirons  (?),  j'ajoutai   ce  qui  y 
manquait. 

Je  versai  six  sares  de  bitume  à  l'extérieur, 

et  trois  sares  de  naphte  à  Tintérieur. 


68  IS-TU-BAR  —  GILGAMES 

Les  hommes-canéphores,   ayant  livré  trois   sares 

d'huile, 
j'en  réservai  un  pour  le  sacrifice, 
70  et  je  fis  don  des  deux  autres  au  pilote. 

j'égorgeai  des  bœufs, 

j'immolai  des chaque  jour. 

Les  vases  de  liqueur,  d'huile  et  de  vin, 
les  ouvriers  (les  épanchèrent)  comme  (ils  auraient 
fait)  de  l'eau  du  fleuve. 
75  (Je  célébrai)  une  fête,  comme  au  jour  de  VAkitÇi). 
Samas       ....       je    plongeai     ma    main 
dans  les  vases  d'onction  (?). 

le  vaisseau  était  achevé, 

difficile. 

Dans  le  corps  de  vaisseau,  en    haut  et  en  bas,  on 
plaça  des  fascines  (?). 

80 aux  deux  tiers. 

Je  le  remplis  de  tout  ce  que  je  possédais, 
j'amassai  tout  ce  que  j'avais  d'argent, 
je  recueillis  tout  ce  que  j'avais  d'or, 
je  réunis  toutes  les  espèces  d'êtres  vivants. 
85  Je  fis  monter  dans  le  vaisseau,  toute  ma  famille 
et  mes  serviteurs  ; 
bêtes  des  champs,  animaux  des  champs,  ouvriers, 

je  fis  tout  monter. 
Samas  avait  fixé  ce  signe  : 
Celui  qui  assemble  les  nuages,    durant   la    nuit, 

fera  tomber  une  pluie  d'orage. 
Alors,  entre  dans  le  vaisseau  et  ferme  ta  po^te,  » 
90  Le  signe  fixé  se  manifesta  : 

Celui  qui  assemble  les  nuages,  durant  la  nuit,  fit 
tomber  une  pluie  d'orage. 

(l)  On  appeluil  ainsi,  à  Baiiylone,  la  lête  du  nouvel  un. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  6-J 

Dès  que  le  jour  commença  à  poindre, 
sa  seule  vue  m'inspira  la  frayeur, 
vite,  j'entrai  clans  le  vaisseau  et  fermai  ma  porte. 
95  La  porte  une  fois  bien  verrouillée,    aux  soins  de 
Puzur-Bel,  le  pilote, 
je  commis  le  bâtiment,  avec  ce  qu'il  contenait 
Aux  premières  lueurs  de  l'aube, 
du  fond  du  ciel,  s'éleva  un  noir  nuage, 
au  sein  duquel  tonnait  Ptamman. 
100  Nabu  et  Marduk  ouvraient  la  marche. 

Les  dieux   justiciers  allaient  par    monts    et   par 

vaux  : 
Nergal  (1)  arracliant  |        .        .       ], 
Ninib  chassant  tout  devant  lui. 
Les  Anunnaki,  portant  des  flambeaux, 
105  éclairaient  le  paj^s  de  leurs  feux. 

Les   émissaires  (?)    de   Ramman  montèrent    aux 

cieux. 
ils  changèrent  la  lumière  en  ténèbres, 

la  contrée   comme       ...        ils 
couvrirent. 
Dès  le  premier  jour,  l'ouragan.  .... 
110  souffla  violemment  sur  (?).        .la  montagne. 

comme  une  armée  rangée  en  bataille,  fondit  sur 

les  hommes 

Le  frère  ne  vit  plus  son  frère, 
du  ciel,  on  ne  distingua  plus  les  hommes. 
Les  dieux,  eux-mêmes,  pris  de  peur  à  la  vue  du 
déluge, 
115  s'enfuirent  et  gagnèrent  les  hauteurs  du  ciel,  de- 
meure d'Anu. 
Les  dieux,  comme  des  chiens  à  l'attache,    étaient 
accroupis  dans  leur  chenil. 
(1)  Uru-ra-rjnl  a   ht  grainl  minisiro.   » 


70  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

Istar  se  mita  geindre, comme  une  femme  en  cou- 
ches, 
elle  dit  tout  haut,    la   reine    des  dieux,  la  bonne 

déesse,  de  telles  paroles  : 
a  L'humanité  est  retournée  en  poussière, 
120  parce  que  j'ai  médit  d'elle  dans   l'assemblée  des 
des  dieux, 

parce   que,    ayant  ainsi  médit  d'elle  dans  l'as- 
semblée des  dieux, 

i'ai  ordonné  ensuite  le  combat,  pour   faire    périr 

mon  peuple. 
Ceux  que  j'ai  enfantés,  hélas  !  où  sont-ils? 
Comme  du  fretin  j'en  ai  rempli  la  mer.  » 
425  Les  dieux,  voire  même  les  Annurinaki,  pleurèrent 
avec  elle. 
Les  dieux  restèrent  en  place,  versant  des  larmes, 
et  couvrant  leurs  lèvres,       .       .       .        l'avenir. 
Durant  six  jours  et  six  nuits, 
le  vent  souffla,  le  déluge  et  l'ouragan  firent  rage. 
130  Mais,  aux  approches  du  septième  jour,  l'ouragan 
et  le  déluge  cessèrent  le  combat, 
qu'ils  avaient  combattu,  pareils  à  une  armée. 
La  mer  se  calma,   le    vent   s'apaisa,    le   déluge 

s'arrêta. 
Ayant  contemplé  la  mer,  je  ne  pus  retenir  un  cri, 
car  voici  que  toute  l'humanité  était  retournée   en 
poussière, 
135  et  que  (devant  moi  s'étendait)  la  plaine   liquide, 
semblable  à  un  plateau  désert  ! 
J'ouvris  alors  la  lucarne  et  le  jour  vint  frapper 
mon  visage.  (1) 


(1)  Mot  à  mot  :  «  le  mur  de  ma  face.  »  De  même  un  peu  plus  bas 
1.    138. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  71 

Je  m'affaissai  et  m'assis  en  pleurant, 

les  larmes  coulèrent  sur  mes  joues. 

Je  parcourus  du  regard  l'horizon:    la    mer  était 

ouverte, 
140  une  terre  seulement  émergeait  de  douze  (coudées). 
Le  vaisseau  échoua  enfin  au  pays  de  Nizir. 
La  montagne  du  pays  de  Nizir  arrêta  le  navire  et 

l'empêcha  de  se  remettre  à  Ilot. 
Le  premier,  le  second  jour,  la  montagne   de  Ni- 
zir, etc.  ; 
le  troisième,  le  quatrième  jour,   la   montagne  de 

Nizir,  etc. 
145  le  cinquième,  le   sixième  jour,   la   montagne   de 

Nizir,  etc. 
Aux  approches  du  septième  jour, 
d'abord,  je  fis  sortir  une  colombe,  je  la  lâchai  : 
la  colombe  alla  puis  revint  ; 
n'ayant  pas  trouvé  de  place  où  se  poser,  elle  s'en 

était  retournée. 
150  Ensuite,  je  fis  sortir  une  hirondelle,  je  la  lâchai  : 
l'hirondelle  alla  puis  revint  ; 
n'ayant  pas  trouvé  de  place  où  se  poser,  elle  s'en 

était  retournée. 
Enfin,  je  fis  sortir  un  corbeau,  je  le  lâchai  : 
le  corbeau  alla  et  ayant  vu  les  eaux  stagnantes, 
155  il  s'approcha,     pataugea  et  partit  pour    ne   plus 

revenir. 
Ayant  fait  sortir  aussi  (tout  le  reste),  aux  quatre 

vents  (du  ciel),  j'offris  un  sacrifice, 
je  fis  une  libation,  sur  le' sommet  delà  montagne, 
je  rangeai  sept  et  sept  vases  adaguru^ 
au-dessous  desquels,  je  versai  (des  grains)  de  can 

nelle,  de  résine  et  des  siliques. 
160  Les  dieux  respirèrent  cette  odeur, 


72  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

les  dieux  respirèrent  cette  odeur  suave, 

les  dieux,  comme  des  mouches,  s'amassèrent  au- 
dessus  du  sacrificateur. 

Lorsque  s'avança  la  grande  déesse, 

portant  les   grandes   elute^  chef-d'œuvre  d'Anu', 
resplendissantes  comme  lui, 
165  —  Ces   dieux,  pas  plus  que  l'ornement  de  mon 
cou,  je  ne  les  oublierai  ! 

Ce  jour-là  où  je  fus  initié  à  la  sagesse,  je  ne  l'ou- 
blierai jamais  !  —  (je  dis)  : 

«  Que  les  dieux  accourent  à  mon  sacrifice, 

mais  que  Bel  ne  vienne  pas  à  mon  sacrifice, 

car,  inconsidérément,  il  a  fait  le  déluge 
170  et  voué  mon  peuple  à  la  destruction.  » 

Mais  lorsque  Bel  arriva 

et  qu'il  aperçut  le  vaisseau,  il  fut  irrité  Bel 

et  plein  d'un  courroux,  digne  des  Igigi eux-mêmes: 

«  Qui  donc,  (dit-il),  a  conservé  la  vie  ? 
175  Qu'aucun  homme  ne  survive  à  ce  désastre  !  » 

Ninib,  ayant  ouvert  la  bouche,  parla 

et  dit  au  guerrier  Bel  : 

«  Qui  donc,  si  ce  n'est  Ea,  a  pu  faire  la  chose, 

Ea,  en  effet,  connaît  tous  les  artifices.  » 
180  Ea,  ayant  ouvert  la  bouche,  parla 

et  dit  au  guerrier  Bel  : 

«  Toi,  ô  chef  des  dieux,  guerrier, 

pourquoi,  inconsidérément,  as-tu  fait  le  déluge? 

A  l'auteur  du  péché,  impute  son  péché  ; 

185  à  l'auteur  de  la  faute,  impute  sa  faute. 

t 
Sois  indulgent;  qu'il  ne  périsse  pas  !  Sois  patient; 

qu'il  ne  périsse  pas  ! 
Au  lieu  de  faire  le  déluge, 
que  les  lions  fassent   irruption  et   diminuent  la 

race  des  hommes  ; 


IS-TU-BAR  —  GILGÂMÈS  73 

au  lieu  de  faire  le  déluge, 
190  que  les  léopards  fassent  irruption  et  diminuent  la 

race  des  hommes; 
au  lieu  de  faire  le  déluge, 
que  la  famine  survienne  et  ravage  la  contrée  ; 
au  lieu  de  faire  le  déluge, 
que  Nergal  s'avance  et  ravage  la  contrée. 
195  Moi,je  n'ai  point  révélé  le  décret  des  grands  dieux, 
j'ai  envoyé  seulement  à  Atrahasis,  un  songe,  d'où 

il  a  deviné  lui-même  le  décret  des  dieux.   » 
Alors,  se  prenant  à  réfléchir, 
le  dieu  Bel  monta  dans  le  vaisseau  ; 
il  me  saisit  par  la  main  et  me  fit  monter  à  mon 

tour  ; 
200  il  fit  monter  aussi  et  s'incliner  ma  femme  à  mon 

côté. 
Il  nous  toucha  au  front,  et,  se  plaçant  entre  nous, 

il  nous  bénit  (disant)  : 
«  Auparavant,  Samas-napistim  était  un  homme, 
désormais,  Samas-napistim  et  sa  femme  seront 

des  dieux  comme  nous. 
Samas-napistim  demeurera  au  loin  à  la  bouche 

des  fleuves.  » 
205  Alors,  il  nous  emmena  et  nous  établit  au  loin,  à 

la  bouche  des  fleuves. 
Et  maintenant,  lequel  d'entre  les  dieux  te  rendra, 

toi  asssi,  resplendissant  (de  santé)! 
Veux-tu  obtenir  la  vie  que  tu  recherches? 
A  cette  fin,  ne  monte  pas   encore   (sur  le  vais- 
seau). »  Durant  six  jours  et  sept  nuits, 
comme  sur  quelqu'un  qui  fait  halte  au  milieu  de 

sa  course, 
210  sur  lui  fondit  le  sommeil  (?),  à  la  façon  d'un  vent 

violent. 


74  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

Samas-napistim,  s'adressant  à  sa  femme,  lui  dit  : 

«  Regarde  le  héros  qui  recherche  la  vie  : 

sur  lui  a  fondu  le  sommeil  ("?),  à  la  façon  d'un  vent 

violent.  » 
Sa  femme  s'adressant  à  Samas-napistim,  l'Eloi- 
gné, lui  dit  : 
215  «  Touche-le  et   donne  à  manger  à'  ce  héros  du 
td  (1), 
puis,  qu'il  s'en  revienne  guéri  par  le  chemin  qu'il 

a  déjà  parcouru, 
qu'il  passe  par  la  grande  porte  et  retourne  dans 

son  pays.  » 
Samas-napistim,  s'adressant  à  sa  femme,  lui  dit: 
«  Tu  souffres  de  la  souffrance  de  l'humanité. 
220  Or  donc,   ayant  apprêté  la  nourriture  qui  lui  est 
destinée,  pose-la  sur  sa  tête.  » 
Et  au  jour  où  il  monta  sur  le  vaisseau, 
ayant  apprêté  la  nourriture  qui  lui  était  destinée, 

elle  la  posa  sur  sa  tête. 
Et  au  jour  où  il  monta  sur  le  vaisseau,  ce  jour-là 

même, 
premièrement,  son  aliment  fut  mélangé  (?), 
225  deuxièmement,  il  fut  travaillé  (?),  troisièmement, 
il  fut  détrempé, 
quatrièmement,  son  vase  (?)  fut  nettoyé  (?), 
cinquièmement,  le  vieux  résidu  (')  en  fut  rejeté, 
sixièmement,  l'aliment  fut  à  point  (?), 
septièmement,  (Samas-napistim)  toucha  inopiné- 
ment le  héros,  et  celui-ci  mangea  du  ta. 
230  Gilgamès,    s'adressant    à   Samas-napistim,    l'E- 
loigné, lui  dit  : 
«  Etant  allé,  sur  moi  a  fondu  le  sommeil  (?), 

(1)  Une  sorte  d'aliment  magique. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  75 

alors,  inopinément,  toi,  tu  m'as  touché,  tu  m'as 
frappé.  » 

Samas-napistim,  s'adressant  à  GJlgamès,  lui  dit  : 

î<              Gilg'amès,  prends  ta  part  de  nourriture, 
'235 certes,  je  t'ai  frappé,  toi 

premièrement,  ton  aliment  a  été  mélangé  (?), 

deuxièmement,  il   a  été  travaillé   (?),  troisième- 
ment, il  a  été  détrempé, 

quatrièmement,  ton  vase  (?)  a  été  nettoyé  (?), 

cinquièmement,  le  vieux  résidu  (?)  en  a  été  rejeté, 
240  sixièmement,  l'aliment  a  été  à  point  (?), 

septièmement,  moi,   je  t'ai  touché  inopinément, 

et  toi,  tu  as  mangé  du  ta.  » 

Gilgamès,     s'adressant    à     Samas-napistim,   l'E- 
loigné, lui  dit  : 

«       .       .       ferai-je,    Samas-napistim,    comment 
m'en  irai-je? 
245  L'ikkim  (1)  s'est  emparé  de  mes       ...       ; 

dans  ma  chambre  à  coucher  est  assise  la  mort, 

et  le  lieu  .     tu  as  fixé  est  un  lieu  mortel.  » 

Samas-napistim,  s'adressant  à  Amel-Ea,  le  pilote, 
lui  dit  : 

«  Amel-Ea,       ....     la  traversée  t'a  été 
funeste  (?), 

250  car,  à  son  côté sa  force  (?) 

est  privée. 

Le  héros  que  tu  as  conduit. 

aie  corps  couvert  de  pustules  ('?), 

la  lèpre  (?)  a  attaqué  sa  chair  vive. 

Prends-le,  Amel-Ea,  amène-le  au  bain. 
255  Là,  qu'il  lave  sa  plaie  (?)  dans  l'eau,  jusqu'à  \n 
rendre  brillante  comme  du  métal  ; 

(I)  Une  sorte  de  démon. 


76  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

qu'il  jette,  en  outre,  sa  lèpre  (?),  pour  que  la  mer 
remporte  ; 

que  son  corps,  enfin,  resplendisse  de  santé. 

Puis,  qu'il  entoure  sa  tête  d'un  bandeau  (?)  neuf. 

Quant  au  voile  (?) ,  qui  sert  de  vêtement  à  sa  nudité, 
260  jusqu'à  ce  qu'il  soit  arrivé  dans  sa  ville  (natale), 

et  qu'il  ait  été  remis  en  son  chemin, 

qu'il    ne    dépouille    pas    le    vieux  voile   (?)  ;   là, 
seulement,  il  remettra  un  voile  neuf.  » 

Amel-Ea  prit  donc  (le  héros)  et  l'amena  au  bain. 

Là,  il  lava  sa  plaie  (?)  dansl'eau,  jusqu'à  la  rendre 
brillante  comme  du  métal  ; 
265  il  jeta,  en  outre,  sa  lèpre  (?),  que  la  mer  emporta; 

son  corps,  enfin,  resplendit  de  santé. 

Puis,  il  entoura  sa  tête  d'un  bandeau  (?)  neuf, 

Quant  au  voile   (?),  qui  servait  de  vêtement  à  sa 
nudité, 

jusqu'à  ce   qu'il  fût  arrivé  dans  sa  ville  (natale), 
270  et  qu'il  eût  été  remis  en  son  chemin, 

il  ne  dépouilla  pas  le   vieux   voile  (?)  ;  là,  seule- 
ment, il  remit  un  voile  neuf. 

Gilgamès  et  Amel-Ea  montèrent  sur  le  vaisseau, 

ils  mirent  le  bateau  à  flot,  et  eux  montèrent. 

Sa  femme,    s'adressant  à    Samas-napistim,    l'E- 
loigné, lui  dit  : 
275  «  Gilgamès  est  venu,  il  s'est  reposé,  il  a  été  frappé. 

Que  lui  donneras-tu,  avant  qu'il  ne  retourne  dans 
son  pays?  » 

Cependant,  lui,  Gilgamès   prit  l'aviron  (?), 

et  poussa  le  bac  vers  le  rivage. 

Samas-napistim,  s'adressant  à  Gilgamès,  lui  dit  : 
280  «   Gilgamès,  tu  es  venu,  tu  t'es  reposé,  tu  as  été 
frappé. 


IS-TU-BAR  GILGAMÈS  77 

Que  te  donnerai-je,  avant  que  tu   ne  retournes 

dans  ton  pays  ? 
Je  vais,  Gilgamès,  te  découvrir  le  mystère, 
et  te  révéler  le  décret  des  dieux. 
Cette  plante  est  comme  l'épine  avec 
285  sa  baie  estpareilleàla  (tête)  de  la  vipère,  et     . 

Si  ta  main  s'empare  de  cette   plante  " 

Gilgamès,  ayant  entendu  cela, 

ouvrit   le   vase, 

il  lia  ensemble  de  grosses  pierres,       .... 

290  il  le  traîna  vers  l'abîme, 

lui,  prit  un  animal,  il   saisit 

il  brisa  de  grosses  pierres, 

troisièmement,  il  le  saisit  à  bras  le  corps  (?), 
Gilgamès,  s'adressantà  Amel-Ea,  le  pilote,  lui  dit  • 
295  «  Amel-Ea,  cette  plante  est  la  plante  renommée, 
au  cœur  de  laquelle  l'homme  trouve  la  vie. 
Je  veux  l'emporter  au  milieu  d'Uruk-supuri, 
je  veux  en  faire  manger  .    .   .  qu'il  coupe  la  plante. 
Elle  a  nom  :  Le  vieillard  est  rajeuni. 
Moi,  j'en  mangerai  à  mon  tour,  ainsi  reviendrai- 
je  aux  jours  de  ma  jeunesse.  » 
300  Ils  fournirent  d'abord  une  étape  de  quarante  heu- 
res, 
puis,  au  bout  de  soixante  heures  de  marche,  ils  fi- 
rent une  libation. 
Gilgamès  vit  le  puits  aux  eaux  bouillonnantes  (?). 
Etant  descendu  au  sein  du  puits,  il  répandait  de 

l'eau, 
lorsque  un  serpent  sortit  et  lui  ravit  la  plante  ; 
305  .       ,       .       .       il  s'élança  et  emporta  la  plante. 
Tandis  qu'il  s'enfuyait,  il  jeta  une  malédiction. 
Ce  jour-là,  Gilgamès  s'assit  et  pleura  ; 
les  larmes  coulèrent  sur  ses  joues. 


78  IS-TU-BAR  —    GILGAMES 

d'Amel-Ea,  le  pilote  : 
310  «  Pourquoi,    Amel-Ea,  les    mains  me  tombent- 
elles  de  fatigue  ? 
Pourquoi  le  sang  fuit-il  de  mon  cœur? 
Je  ne  me  suis  point  fait  de  bien  à  moi-même  ; 
le  serpent  de  la  terre  s'est  fait  du  bien  à  lui-même! 
Voici  que,  après  une  étape  de  quarante  heures, 

pour  lui  tout  seul  il  a  emporté  la  plante, 
315  tandis  que  j'ouvrais  le  vase  et  que  j'en  versais  le 

contenu. 
Que   du  moins    la   mer    ne    s'élève    pas    contre 

moi 

que  je    puisse    m'en 

retourner!  » 
Or,  il  laissa  le  bateau  sur  le  rivage. 
Ils   fournirent   d'abord   une    étape    de    quarante 

heures, 
puis,  au  bout  de   soixante  heures  de  marche,  ils 

firent  une  libation. 

320  Ils  étaient  enfin  arrivés  au  milieu  d'Uruk  supuri. 

Gilgamès,  s'adressant  à  Amel-Ea,  le  pilote, lui  dit: 

«  Monte,  Amel-Ea,  sur  le  mur  d'Uruk,  allons  !  va. 

Examine  le  cylindre   de   fondation  et  prends  la 

brique.  La  brique  n'est  pas  moulée  (?), 
et  ses  fondements  ne  connaissent  pas   tes    sept 

noms. 
325  Un  sare,  ta  cité,  un  sare,  les  jardins,    un  sare, 

le  bois,  étendue  (?)  du  temple  d'Istar. 
Trois  sares  aussi  l'étendue  d'Uruk     .... 
Au  jour  où  bûhku  dans  le  temple  le  namyar  je 

laissai, 
Au  jour  où  bùkku  dans  le  temple  le  namyar  je 

laissai, 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÊS  79 

330  Onzième  tablette  :   celui  qui  a  vu  l'abime.    His- 
toire (?)  de  Gilgamès. 

Copie  certifiée  conforme  au  texte  ancien. 

Propriété  d'Assurbanipal,  roi  des  légions,  roi  du 
pays  d'Assur. 


certes 

comme  la  voûte  (?)     . 
je  réglerai  en  haut  et  en  bas 

.    ferme 

au  signe  que  je    t'enverrai, 
entre  et  tourne  la  porte  du  vaisseau, 
au  milieu,  tes  provisions,  tes  biens,  ta  fortune, 
ta      .  ,  ta  famille,  tes  serviteurs  et  les  ou- 

vriers, 
10  les  bêtes  des   champs,  les  animaux  des  champs, 
tous  je  les  ferai  venir, 
je  les  enverrai  et  ils  garderont  ta  porte.  » 
Atrahasis,  ayant  ouvert  la  bouche,  parla 
et  dit  à  Ea,  son  seigneur  : 
«      .       certes,  je  n'ai  pas  construit  de  vaisseau, 

sur  le  sol,  trace 

que  je  voie  le    vaisseau 
sur  le  sol  je  ferai     .       .       .       . 
ainsi    que  tu  m'ordonneras 
(!)•  >' 

J.  Sauveplane, 
Ancien  élève  de  l'Ecole  des  Hautes-Etudes. 


(1)  Ce  morceau,  relatif  à  la  construction  de  l'arche,  faisait  partie 
d'une  recension  du  déluge  différente  de  celle  que  nous  avons  tra- 
duite, et.  selon  toute  apparence,  plus  développée. 


CHRONIQUE 


I.  La  science  des  Religions.  —  Dans  un  article  publié 
par  h  Scie7ice  catholique  {sQ^lQmhve  1892),  sur  la  nécessité 
d'étudier  les  langues  des  peuples  ancieHs,  Mgr  de  Harlez  fait  res- 
sortir en  ces  termes,  l'importance  de  la  science  des  religions. 

«  J'ose  le  dire  sans  hésitation,  aujourd'hui  les  problèmes  les 
plus  graves  en  ce  qui  concerne  les  croyances  religieuses 
sont  résolus,  tant  dans  le  monde  savant  que  parmi  les  profanes, 
en  grande  partie,  au  moyen  de  ce  qu'on  appelle  la  Science  des 
religions.  C'est  à  cette  science  que  les  vulgaires  démolisseurs  du 
christianisme  demandent  leurs  armes  de  choix....  Ellen'est  pour 
eux  qu'un  produit  naturel,  spontané  qui  exclut  toute  action,  toute 
intervention  d'une  cause  supérieure.  D'après  ce  système  la  reli- 
gion s'est  développée  dans  rhomme,en  vertu  du  principe  naturel 
de  l'évolution  qui  l'a  fait  naître, en  premier  lieu, dans  les  rudiments 
plus  grossiers  de  l'adoration  de  la  matière  brute,  pour  l'élever  suc- 
cessivement et  fatalement  aux  divers  degrés  de  l'animisme,  du 
polythéisme, de  l'hénothéisme  et  finalement  du  monothéisme. Dans 
cette  évolution,  le  christianisme  a  sa  place,  comme  toute  autre 
doctrine,  et  cette  place  n'est  pas  des  meilleures. 

Ensuite,  et  ceci  est  le  but  final,  on  veut  démontrer  que  le 
christianisme,  le  cathoUcisme  surtout,  n'est  qu'un  système  éclec- 
tique emprunté  aux  religions  païennes  de  l'Orient,  réunissant  en 
lui  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  absurde  dans  ces  dernières  et  leur  de- 
vant même,  sans  conteste,  le  peu  de  choses  raisonnables  qu'il 
professe.  Le  judaïsme  et  le  catholicisme  sont  nés  comme  tous  les 
autres  cultes  et  ont  pris  rang  parmi  les  plus  bizarres  et  les  moins 
élevés,  On  n'hésite  nullement  à  proclamer  bien  haut  que  l'on 


CHRONIQUE  81 

regrette  le  paganisme,  à  donner  la  préférence  au  bouddhisme,  au 
maliométisme  nii^me  sur  les  mythes  et  le  polythéisme  catho- 
lique... 

L'assyriologie  et  l'égyptologie  dont  la  relation  avec  les 
sciences  bibliques  est  des  plus  étroites  sont  exploitées  contre  nous. 
il  s'agit  de  savoir  si  les  données  fournies  par  les  textes  cunéi- 
formes de  Babylone  et  d'Assyrie  n'ont  point  donné  le  coup  de 
mort  à  l'autorité  des  livres  historiques  de  la  Bible,  à  cause  des 
contradictions  que  l'on  parvient  à  établir  entre  les  assertions  des 
monarques  babyloniens  ou  assyriens  et  celle  des  historiographes 
bibliques;  si,  en  outre,  les  croyances  ressuscitées  de  ces  peuples 
antiques  ne  démontrent  pas  que  les  enseignements  de  la  Genèse 
étaient  tout  simplement  les  échos  des  fables  inventées  sur  les 
bords  de  l'Euphrate  ou  du  Tigre. 

Les  récits  de  la  création  divisée  en  époques  déterminées,  de  la 
chute  du  premier  couple  humain,  du  déluge  et  de  ses  diverses 
péripéties  par  exemple,  ont  trouvé  leurs  pendants  parmi  les  mo- 
numents religieux  de  la  Ghaldée.  On  en  conclut  que  les  premiers 
étaient  purement  mythiques  aussi  bien  que  les  seconds  et  que 
les  uns  et  les  autres  ne  méritent  aucune  croyance. 

L'égyptologie  ne  joue  pas  un  rôle  moins  important  dans  le 
jugement  à  porter  sur  la  véracité  des  livres  bibliques.  L'histoire 
de  Joseph  et  de  la  famille  de  Jacob,  celle  du  peuple  d'Israël,  de 
Moïse  et  de  l'Exode,  pour  nous  borner  à  ees  traits  spéciaux, 
reçoivent  des  vieux  textes  hiéroglyphiques  un  démenti  solennel 
ou  une  confirmation  indéniable. 

Si  l'on  consulte  les  éranistesacatholiques,  beaucoup  diront  que 
la  plupart  des  croyances  du  peuple  de  Dieu  ont  été  empruntées  à 
Zoroastre  et  à  l'Avesta.  Si  les  juifs  sont  monothéistes,  ils  le  doi- 
vent à  la  connaissance  d'Ahura-Mazda  qu'ils  ont  faite  pendant 
la  captivité  de  Babylone.  S'ils  croient  à  la  spiritualité  de  l'âme, 
à  son  immortalité,  à  une  rétribution  future,  spécialement  au  châ- 
timent des  fautes  commises  en  cette  vie,  c'est  à  Zoroastre  qu'ils  le 
doivent.  S'ils  ont  espéré  en  un  Messie  rédempteur  et  médiateur 
c'est  qu'ils  avaient  appris  à  connaître,  et  Sôshyant  le  restaurateur 
du  règne  de  la  justice,  après  la  fin  du  monde  actuel,  et  Mithra  le 

2 


82  CHRONIQUE 

médiateur  entre  les  bons  et  les  mauvais  esprits  qui  se  disputent 
l'âme  de  l'homme  au  sortir  de  cette  vie. 

L'Iode  n'a  pas  moins  d'importance  en  ces  trois  grandes 
phases  :  védique,  brahmanique  et  bouddhique.  Aux  Yédas  on 
prend  des  argumèots  contre  ou  pour  les  évolutions  religieuses, 
et  ses  dieux,  on  les  compare  avec  le  vrai  Dieu,  avec  les  person- 
nages célestes  vénérés  des  chrétiens;  on  assimile  les  cérémonies, 
on  donne  une  physionomie  païenne  au  culte  catholique.  Du 
brahmanisme  on  vante  la  civilisahon  supérieure  à  celle  que  le 
christianisme  a  produite. 

C'est  dans  l'Inde  que  l'on  trouvera  également  et  Krishna  et 
Bouddha  dont  les  légendes  ont  enfanté  celles  du  Christ,  avec  tous 
leurs  détails,  dont  les  doctrines  ont  inspiré  les  fondateurs  du 
christianisme,  dont  le  culte  a  engendré  leur  culte,  et  dans  leurs 
leçons,  on  nous  montrera  et  les  croyances  et  la  morale  chré- 
tienne, mais  sous  une  forme  bien  plus  pure  et  bien  plus  ration- 
nelle. Car  la  main  contaminée  du  polythéisme  chrétien  a  dégradé 
tout  ce  qu'elle  a  touché.  On  ira  même,  comme  j'ai  eu  l'honneur 
de  le  dire,  jusqu'à  présenter  le  bouddhisme  comme  l'idéal  reU- 
gieux. 

Un  professeur  de  la  nouvelle  Sorbonne  se  vante,  dans  sa  chaire, 
d'avoir  de  beaucoup  surpassé  le  Christ.  Jésus  n'avait  su  gagner  à 
lui  que  des  pécheurs  et  des  gens  du  peuple.  Lui,  il  a  pu  d'em- 
blée gagner  à  la  foi  de  Gàkiamùni  les  inteUigences  les  plus 
élevées. 

Les  annales  de  la  Chine  ne  sont  pas  moins  exploitées  dans  un 
sens  comme  dans  l'autre.  On  s'est  etïurcé  de  représenter  la  reli- 
gion chinoit.e  à  son  aurore  comme  purement  animiste  ou  repro- 
duisant même  les  charlataneries  grossières  du  shamanisme;  on  se 
débarrassait  ainsi,  en  un  tour  demain,  d'un  fait  dont  l'existence 
seule  est  la  négation  du  système  du  développement,  du  progrès 
nécessaire  et  conlinu.  Cela  fait  que  la  religion  chinoise  primi- 
tive est  tout  ce  que  l'on  veut  :  monothéisme  pur,  animisme,  po- 
lythéisme grossier,  sorcellerie,  selon  l'auteur  qui  s'en  est  occupé 
et  quia  cherché,  dans  cette  étude,  plut<jt  la  confirmation  de  ses 
idées  que  la  réalité  pure. 

Gomme  la  religion  chinoise  a  été  exploitée  pour  avihr  le  christia- 


CHRONIQUE  83 

nisme,rauteur  le  montre  ensuile,  par  quelques  extraits  d'un  livre 
qui  a  eu  un  grand  retentissement,  qui  a  été  publié  en  hollandais 
d'abord,  puis  en  une  traduction  française  dans  les  Annales  du 
musée  Guimet,  d'un  livre  qui  fait  autorité  et  qui  le  mérite  au 
point  de  vue  linguistique.  Je  veux  parler  des  fêtes  annuelles 
célébrées  à  Emoui,  décrites  par  M.  de  Grool,  consul  de  Hollande, 
dans  l'empire  du  Milieu.  » 

Concluons  avec  Mgr  de  Harlez,  que  devant  une  pareille  cons- 
piration, il  ne  suffit  pas  que  nous  soyons  ce  qu'on  appelle  «  au 
courant  de  la  science  «.  Appuyé  sur  cette  autorité  du  savant 
professeur  de  Louvain,  nous  renouvellerons  ici  le  vœu  que  nous 
avons  déjà  émis  ailleurs,  à  savoir  que  la  science  des  religions 
prenne  dans  nos  grands  séminaires  la  place  qui  lui  convient. 
C'est  de  là  que  doit  sortir  celte  jeune  génération  de  savants 
dont  parle  Mgr  de  Harlez,  Il  nous  faut  être  des  «  maîtres  de  la 
science.  » 

11.  SCeligion chrétienne.  —  L'œuvre  de  St-Jérome,  que 
dirige  M. le  comte  de  Charençey,a  pour  but  de  venir  en  aide  à  la 
grande  œuvre  de  la  propagation  de  la  Foi,  en  se  chargeant  de  pu- 
blier d'abord  les  notes  grammaticales  et  les  vocabulaires  que  les 
missionnaires  veulent  bien  lui  adresser,  puis  les  livres  de 
prières,  et  les  autres  ouvrages  nécessaires  aux  écoles. 

Déjà  nous  devons  au  généreux  concours  des  deux  premiers 
fondateurs  la  publication  de  deux  vocabulaires  de  l'Océanie: 
celui  de  Futima,  par  leR.  P.  Grézel,  et  celui  de  Saînoa,  parle 
R.  P.  Violette.  L'Institut  et  le  "Ministère  de  l'instruction  publique 
ont  jugé  ces  travaux  dignes  de  leurs  encouragements. 

L'œuvre  de  St-Jérôme  a  publié  encore:  Les  7ioirs  peints  par 
eux-mêmes,  de  l'abbé  Bouche.  — ^Essai  de  grammaire  de 
la  langue  de  Viti, d'après  les  manuscrits  des  missionnaires  ma- 
risles.— Un  dictioîinaire  tog a- Français  q\.  français-toga-an- 
glais.  —  Un  dictionnaire  latiji-uvéa  et  un  Katékismu 
l'Ede  Yoruba,  traduction  du  catéchisme  de  Cambrai,  par  le 
P.  Baudin. 

—  M.  l'abbé  Richard,  curé  de  Bourbon-l'Archambauli  donne, 
dans  un  ouvrage  récent,  le  fruit  de  ses  recherches  sur  «  l'histoire 


84  CHRONIQUE 

de  l'insigne  relique  de  la  vraie  croix  »  qui  existe  en  cette  ville. 
Après  quelques  renseignements  généraux  sur  Thistorique  du 
signe  de  notre  salut,  l'Invention  par  sainte  Hélène,  la  perie  elle 
recouvrement  (Exaltation)  par  l'empereur  Héraclius,  le  transport 
à  Gonstantinople  et  la  division  en  dix-neuf  parties,  il  aborde  l'é- 
tude spécialede  la  relique. En  1241  l'empereur  Baudoin  en  donne 
trois  gros  fragments  à  Saint-Louis,et  c'est  son  fils  Robert,comtede 
Clermont,  qui  en  otïi  e  une  partie  à  Bourbon. 

—  A  r Académie  des  Inscriptions  el,  Belles-Lettres^  séance 
du  1"  avril  1892,  M.Louis  Havet  lit  un  travail  sur  les  origines 
métriques  du  cuî^sks.  Le  cursus  est  un  agencement  euphonique 
des  mots  de  la  prose  latine,  usité  au  moyen  âge  dans  les 
bulles  des  papes.  11  est  rithmique  c'est-à-dire  fondé  sur  la 
considération  de  l'accent.  Les  règles  de  l'accent  du  cursus  papal 
dérivent  de  règles  plus  anciennes  qui  étaient  métriques,  c'esl-à- 
dire  fondées  sur  la  considération  de  la  prosodie,  et  qu'on  trouve 
observées  à  la  fin  du  quatrième  siècle  dans  la  prose  du  païen 
Symoiaque.  M.  Havet  démontre  qu'au  milieu  du  cinquième  siè- 
cle le  pape  Léon-le-Grand  s'y  est  conformé  dans  ses  bulles. 

—  On  trouvera  d'intéressants  détails  sur  les  divers  problèmes 
que  soulève  l'histoire  de  St-Ghristophe,  dans  la  vie  de  ce  saint, 
que  vient  d'écrire  M.  Mainguet. 

La  vie  de  Saint-Christophe  est  surtout  connue  par  la  scène  du 
passage  du  fleuve.  Voici  ce  qu'en  pense  l'auteur  :  «  Nous  n'é- 
prouverions aucune  répugnance  à  l'admettre  ;  la  seule  raison 
pour  laquelle  on  hésite  n'est  pas  la  présence  du  merveilleux, 
mais  le  manque  d'une  autorité  considérable.  Or,  Ribadeneira, 
assez  indulgent  en  ces  sortes  de  choses,  déclare  qu'il  n'en  trouve 
aucune;  au  contraire,  P.  de  NalaUbus,  fCatalogus  sanctornm, 
"Venetia,  1493)  admet  tout  sans  conteste.  Le  savant  jésuite  Sera- 
rius,  que  Baronius  appelle  lumière  de  l'Église  d'Allemagne^ 
regarde  le  fait  comme  absolument  admissible,  [Litaneutici,  seu 
de  Litaniis  libelli  dno,  Cologne,  1607). 

Le  culte  de  saint  Christophe  fut  en  vogue  durant  tout  le 
moyen  âge.  Jacques  de  Voraglne  a  écrit  sa  vie  dans  sa  Légende 
dorée;  elle  a  été  chantée  par  les  trouvères  el  eut  même  les  hon- 
neurs de  la  scène  :  le  «  Mystère  de  saint  Christophe  »  joué  pour 


CHRONIQUE  85 

la  première  fois  le  9  juin  1327, eut  dans  la  suite  un  grand  succès. 
Les  images  du  saint  étaient  fort  multipliées;  on  était,  en  effet, 
convaincu  d'être  à  l'abri  de  tout  danger  dans  la  journée,  quand  le 
matin  on  avait  jeté  un  regard  sur  une  de  ses  images. 

—  Une  des  cérémomonies  les  plus  intéressantes  de  la  liturgie 
russe  est  la  bénédiction  des  eaux.  Elle  a  lieu  le  jour  de  l'Epi- 
phanie. Voici  la  description  qu'en  donne  un  correspondant  du 
Soleil. 

A  Pétersbourg,  elle  ne  manque  jamais  d'attirer  une  foule  con- 
sidérable et  d'exciter  l'enthousiasme  du  peuple.  Ce  jour-là,  tout  le 
monde  officiel  est  sur  pied.  Le  tzar  y  apparaît  en  grand  uniforme 
militaire  :  il  est  salué  par  les  hourras  prolongés  des  soldats  et  du 
peuple. 

L'empereur  se  rend  à  la  cathédrale  dii  palais,  où  il  est  reçu 
par  l'archevêque  métropolitain  de  Novgorod  et  de  Pétersbourg, 
portant  la  croix  et  l'eau  bénite.  Une  cérémonie  religieuse  est  cé- 
lébrée, pendant  laquelle  les  troupes  s'alignent  sur  le  quai  de  la 
Neva.  L'artillerie  de  la  garde  prend  place  au  Yassili-Ostroff. 
Sur  les  remparts  de  la  forteresse,  toute  la  garnison  est  rangée  en 
bataille;  les  canonnierssont  à  leurs  pièces.  A  midi  sonnant,  l'em- 
pereur, suivi  de  son  cortège  «Je  généraux  et  de  ministres,  des- 
cend le  grand  escalier  du  palais.  Tout  le  corps  diplomatique  l'ac- 
compagne, et  dans  la  foule,  on  se  montre  du  doigt  les  uniformes 
éclatantsdes  attachés  militaires  étrangers.  Déjà  le  clergé  russe 
orthodoxe  a  pris  place  le  long  du  quai.  Les  drapeaux  et  les 
étendards  de  la  garde  flottent  auvent  et  déploient  leurs  couleurs. 
A  deux  pas  du  palais,  juste  en  face  de  la  forteresse,  sur  les  eaux 
glacées  de  la  Neva  s'élève  un  élégant  pavillon  en  style  byzantin, 
élevé  à  la  hâte  en  vue  de  la  cérémonie.  Au  milieu  du  pavillon, 
un  large  trou  béant  a  été  creusé  dans  la  glace,  épaisse  de  plu- 
sieurs centimètres.  Le  tzar  descend  au  bord  du  fleuve  et  pénétre 
sous  le  pavillon  richement  décoré.  Alors  le  métropolitain  de  Nov- 
gorod,au  nom  du  clergé  orthodoxe,  bénit  solennellement  les  eaux 
du  fleuve,  et,  prenant  un  gobelet  en  argent,  le  remplit  de  cette 
eau  glacée:  ill'olTre  à  l'empereur  qui  vide  d'un  trait  la  coupe 
et  la  remplit  d'une  poignée  d'or  qui  sera  distribué  aux 
indigents  par  les  soins  du   clei'gé.  A  ce  moment  une  violente 


86  CHRONIQUE 

salve  d'artillerie  éclate  aux  oreilles  des  assistants.  C'est  la  for- 
teresse de  Pétropavlovsk  qui  fait  feu  de  toutes  ses  grosses  pièces. 
L'artillerie  de  la  garde  rangée  devant  la  Bourse  et  le  long  des 
quais  VassiliOstrofï  répond  à  ce  tonnerre  parune  salve  identique. 
Le  grondement  des  pièces  d'artillerie  annonce  à  la  ville  entière 
que  la  bénédiction  des  eaux  est  terminée.  Alors  l'enthousiasme 
populaire  ne  connaît  plus  de  boraes.  Des  cris,  des  houn-ahs  s'élè- 
vent; les  musiques  militaires  se  font  entendre.  Quelques  fanati- 
ques, rompant  le  cordon  des  sentinelles,  se  précipitent  au  pavillon 
impérial,  se  pressent,  se  culbutent  autour  du  trou  béant  creusé 
dans  la  glace  du  fleuve,  avides  de  boire  à  longs  traits  l'eau  sa- 
crée. 

—  M,  le  professeur  Kihn,  de  Vurtzbourg  a  fait  part  au  dernier 
congrès  des  savants  catholiques  de  ses  nouvelles  publications  pa- 
trologiques.  Il  y  a  fort  peu  d'éditions  des  Pères  appropriées  aux 
besoins  des  étudiants.  Le  Corpus  de  Vienne  contient  un  grand 
apparatiis  criticus,  mais  c'est  tout.  Les  volumes  d'Hurter  sont 
imprimés  dans  un  format  peu  commode,  les  notes  y  sont  rares, 
et  le  texte  grec  n'est  jamais  donné,  comme  cela  devrait  être,  dans 
l'original.  L'abbé  Migne  contient  trop  de  choses,  et  ses  volumes 
lourds,  mal  imprimés,  sont  encombrés  d'une  érudition  vieillie.  Le 
D'  Kihn,  avec  l'aide  du  D'  Ehrhard,  professeur  au  grand  sémi- 
naire de  Strasbourg,  se  proposent  de  publier  en  latin,  des  éditions 
tenant  le  milieu  entre  Hurter  et  Migne,  plus  faciles  à  manier  et 
plus  conformes  aux  besoins  des  théologiens.  On  commence  par 
un  choix  de  traités  historiques  et  dogmatiques  :  Les  Pères 
apostoliqueSfles,  Apologies  de  Justin,  le  Martyre  de  Poly 
carpe,  VApologeticum  de  Tertullien,  etc. 

—  M.  l'abbé  Bigou  nous  annonce  la  prochaine  conversion  du 
monde  entier  par  une  apparition  foudroyante  de  Jésus-Christ  à 
tout  le  genre  humain.  L'ouvrage  est  publié  chez  Vie  à  Paris. 

On  sait  en  effet  que  ce  fut  une  opinion  très  répandue  parmi  les 
chrétiens  des  premiers  siècles  que  le  Christ,  revenant  sur  la  terre, 
y  établirait  un  règne  glorieux  de  mille  ans,  dans  lequel  les  justes 
ressuscites  auraient  une  grande  part  de  puissance  et  d'honneur. 
M.  l'abbé  Bigou  s'efforce  de  ne  pas  toinber  dans  les  exagérations 
du  millénarisme  ou   chilicisme.  Il  admet  toutefois   un   règne 


CHRONIQUE  87 

surnalurel  deJésiis-Christ  dont  l'avènement  serait  assez  prochain. 
La  prédication  de  l'Evangile  au  monde  entier,  l'apostasie  géné- 
rale de  beaucoup  de  nations  chrétiennes,  le  rapatriement  immi- 
minent  des  Juifs  lui  en  semblent  les  pronostics  certains. 

—  i^ons ceiUre:  Essai  sur  l'actiojî  dans  le  passé  et  dans  le 
présent  des  missionnaires  franciscains  eji  Terre  Sainte, 
le  R.  P.  Marcelin  de  Civezza,  auteur  de  nombreux  ouvrages, 
retrace  une  des  plus  belles  pages  de  l'histoire  de  son  ordre. 

A  la  date  du  20  février  1891,  SonEminence  le  Cardinal  Siméoni, 
préfet  de  la  Sacrée  Gongrégration  de  la  Propagande,  écrivait 
d'office,  à  tous  les  évêques  du  monde  catholique,  une  lettre  qui 
rend  hommage  au  fécond  ministère  de  ces  religieux  :  «  C'est 
a  depuis  des  siècles,  dit  le  Cardinal,  qu'est  confiée  à  VOrdre  bien 
a  méritant  des  Frères  Mineurs  la  gestion  des  aumônes  re- 
«  cueillies  pour  les  Saints-Lieux,  et  ils  les  administrent  avec  une 
«  fidélité  et  un  zèle  au-dessus  de  tout  éloge,  en  même  temps 
«  que,  supportant  les  rudes  labeurs  et  versant  leur  sang,  ils 
a  ont,  comme  leur  illustre  fondateur,  répandu  la  foi  chré- 
«  tien7ie  dans  toute  la  Palestine^  la  Syrie  et  r  Egypte.  » 

C'est  qu'en  effet,  la  Sacrée  Congrégation  sait  ce  qu'en  1274,  à 
l'époque  du  Cv^ncile  de  f^yon,  ont  dépensé  d'efforts  les  Francis- 
cains pour  le  retour  des  Grecs  à  l'unité  catholique  ;  elle  sait  qu'elle 
fut  leur  attitude  au  moment  du  concile  de  Florence  et  combien 
laborieux  fut  leur  rôle  dans  l'union  des  Grecs,  des  Arméniens, 
des  Coptes,  etc.  Elle  sait  encore  leurs  travaux  à  une  époque  pos- 
térieure pour  la  conversion  des  Chaldéens  et  des  Syriens-unis  ; 
elle  connaît  en  un  mot,  ce  qui  est  communément  ignoré,  la 
grande  part  qui  leur  revient  dans  la  formation  et  le  déve- 
loppement des  Églises-unies  du  Levajit.  C'est  ce  que  l'on 
retrouvera  dans  le  livre  du  R.  P.  Civezza. 

Nous  devons  encore  au  même  auteur  Vltenarium  brève  ter- 
rse-sanctœ.  Tel  est  le  titre  du  manuscrit  du  XVI^  siècle  absolu- 
ment inédit  que  viennent  de  publier  les  TT.  RR.  PP.  Marcehnde 
Civezza  et  Théophile  Dominichelli.  Authenticité  des  Lieux-Saints  ; 
garde  des  Saint-Lieux  par  les  Franciscains  ;  nombre  des  couvents, 
hospices  el  chapelles  de  la  Custodie  de  Terre-Sainte  et  privilèges 
accordés  par  les  Souverains  Pontifes  ;  concessions  d'Alexandre  VII 


88  CHRONIOUB 

au  Gardien  de  Jérusalem  ;  Mont  Sion  et  mystères  qui  s'y  sont 
opérés  ;  Saint-Sépulcre  et  mystères  du  Calvaire  ;  détails  sur  l'ins- 
titution des  Franciscains  comme  gardiens  officiels  des  Lieux-Saints; 
décrets  de  la  Sacrée-Congrégation  de  la  Propagande  relatifs  aux 
missionnaires  de  Terre-Sainte  ;  processions  quotidiennes  dans  les 
sanctuaires  ;  Saint-Jean  in  Montana  ;  calendrier  des  saints  dont 
on  fait  l'office  à  Saint-Sauveur,  au  Saint-Sépulcre  et  à  Bethléem, 
et  abrégé  de  leur  vie  ;  résumé  historique  de  l'empire  turc  ;  des- 
cription historique  de  la  Ïerre-Sainte,  depuis  l'arrivée  des  Frères 
Mineurs;  extrait  relatif  à  la  Terre-Sainte  tiré  de  l'ouvrage  du  R""" 
P.  François  Gonzague  sur  l'origine  et  les  progrès  de  l'ordre  de 
Saint-François  ;  privilèges  dont  jouit  le  gardien  du  Mont-Sion, 
tels  sont  les  sujets  successivement  traités  en  quinze  chapitres  et 
qui  fournissent  sur  la  Palestine  à  celte  époque  de  très  intéres- 
santes données.  Cinq  planches  intercalées  dans  le  texte  présentent 
l'ensemble  des  sanctuaires  enfermés  dans  la  ville  sainte  ainsi  que 
la  vue  du  Saint-Sépulcre  et  du  Calvaire  en  particulier. 

—  La  Vénérable  Jeanne  de  Lestonac  occupe  une  place  distinguée 
parmi  ces  femmes  d'élite  que  l'on  vit,  au  XVl^  siècle,  surgir  dans 
tous  les  rangs  de  la  société  française,  surtout  dans  les  plus  élevés. 
Le  19  mars  dernier,  Léon  XIII  a  solennellement  proclamé  Vhé- 
roicité  des  vertus  de  l'illustre  servante  de  Dieu  ;  c'est  à  cette 
occasion  qu'a  été  entreprise  l'histoire  de  sa  vie  et  de  sa  béatifica- 
tion parle  R.  P.  Mercier.  Grâce  aux  documents  découverts  la  vie 
de  la  vénérable  Jeanne  de  Lestonac  a  pu  être  racontée,  dans  la 
première  partie  du  présent  ouvrage,  d'une  manière  plus  exacte 
et  plus  complète  qu'elle  ne  l'avait  été  par  les  précédents  biogra- 
phes. Quant  à  la  seconde  partie,  qui  comprend  l'histoire  de  la 
béatification,  elle  est  entièrement  neuve. 

—  Avec  le  cardinal  Manning,  disparait  une  grande  figui'e 
qui  incarnait,  eu  Angleterre,  la  résurrection  presque  le  triomphe 
du  catholicisme,  revivant  et  s'imposant  comme  un  fait  puis- 
sant, dans  un  pays  où  il  semblait  frappé  de  mort  il  y  a 
cinquante  ans.  On  sait  comment  il  s'achemina  vers  le  catho- 
licisme par  la  voie  de  la  doctrine  puséïste.  Archidiacre  de  Chi- 
chester,  il  subit,  comme  beaucoup  des  ecclésiastiques  protes- 
tants connus  au  milieu  de  notre  siècle,  une  frayeur  religieuse  en 


CHRONIQUE  89 

présence  des  progrès  du  rationalisme.  Il  vit  que  le  libre  examen 
conduisait  fatalement  à  l'incroyance  les  esprits  livrés  à  eux-mêmes, 
il  se  rattacha  aux  pratiques  et  aux  enseignements  du  docteur 
Pusey,  qui  tentait  à  celte  époque  une  réforme  à  la  fois  lliéologique 
et  liturgique  au  sein  du  culte  anglican.  Une  pieuse  et  savante 
école  se  formait  autour  du  rénovateur  protestant,  qui  chercliait  à 
renouer  les  traditions  interrompues,  à  reprendre  les  cérémonies 
oubliées,  à  formuler  la  foi  avec  précision  et  dans  des  limites  défi- 
nies. Manning  se  rangea  parmi  les  disciples  les  plus  ardents  de 
Pusey,  avec  Wiseman,  Newman  et  les  plus  illustres  élèves  d'Ox- 
ford. Puis  les  disciples  de  Pusey  dépassèrent  le  maître.  Entraînés 
par  l'implacable  logique  des  choses,  ils  franchirent  la  barrière 
fragile  qui  séparait  encore  leur  maître  de  l'Église  romaine.  Ils 
enseignaientcommeelle,ilsoffîciaientcommeelle:  pourquoi  dès  lors 
ne  pas  la  saluer  comme  leur  mère  et  s'unir  à  elle?  Ce  pas  fui  fran- 
chi. En  I80I,  Manning  renonçait  au  revenu  de  son  bénéfice  et 
venait  demander  la  consécration  du  sacerdoce  catholique  à  son 
ami  'Wiseman,  converti  avant  lui  et  déjà  évêque  catholique. 
Mgr  Manning  laisse  un  grand  nombre  d'ouvrages,  qui  ont  été  tra- 
duits en  français.  Ceux  qui  sont  les  plus  connus  sont  relatifs  au 
Concile  et  aux  questions  qui  furent  agitées  dans  cette  assemblée. 
La  même  logique  si  droite  qui  avait  entraîné  Manning  dans  sa  jeu- 
nesse, faisant  du  fervent  puseïste  un  fervent  catholique,  fît  plus 
tard  du  catholique,  au  milieu  de  divisions  célèbres,  un  ardent 
promoteur  de  l'omnipotence  doctrinale  attribuée  au  Saint-Siège. 

—  La  papauté,  le  socialisme  et  la  c^emocra/jc,  par  Anatole 
Leroy-Beaulieu,  est  comme  tous  les  ouvrages  du  même  auteur, 
un  livre  de  premier  ordre. 

Après  une  introduction  historique,  où  il  établit  comment  le  XIX" 
siècle  avait  prétendu  exclure  l'Église  des  affaires  de  ce  monde, 
M.  Leroy-Beaulieu  rappelle  la  tradition  et  la  doctrine  de  l'Église. 
l'Évangile  signifie  charité  et  justice  sociale.  En  se  retournant  vers 
le  peuple,  l'Église  revient  à  son  principe.  Avant  d'examiner  l'En- 
cyclique, l'auteur  distingue  entre  la  partie  morale  et  la  partie 
économique  des  enseignements  pontificaux  et  il  indique  comment 
les  catholiques  entendent  en  pareille  matière  l'autorité  et  l'infail- 
libilité pontificales.  Il  pénètre  ensuite  dans  le  vif  de  la  question. 


90  CHRONIQUE 

Il  démontre  que,  en  réprouvant  le  socialisme,  la  papauté  reste 
dans  les  traditions  de  l'Église,  que  les  riches  et  les  hautes 
classes  n'entendent  guère  mieux  la  vertu  sociale  du  christianisme 
que  les  classes  ouvrières. 

Les  chapitres  sur  la  législation  sociale  et  sur  la  législation  inter- 
nationale, sur  le  rôle  des  corporations  contiennent  une  foule 
d'aperçus  neufs,  dignes  du  savant,  du  penseur  et  du  chrétien 
qu'est  M.  Leroy-Beaulieu.  Les  pages  consacrées  à  ces  thèses  :  que 
la  papauté  peut  être  un  arbitre  entre  les  classes  en  luttes,  non 
l'alliée  d'une  classe  contre  les  autres  ;  que  l'Église  représente  su- 
périeurement l'Internationale  de  la  paix,  et  qu'avec  la  foi  comme 
mobile  et  comme  moyen,  elle  a  ce  qu'il  faut  aux  «  barbares  de  la 
civilisation  »  sont  d'une  remarquable  élévation  de  pensée. 

—  M.  le  docteur  Dauchez  livre  au  public  le  résultat  de  ses  études 
et  de  ses  recherches  sur  le  culte  de  saint  Luc.  On  sait  que  saint 
Paul  appelle  par  deux  fois  Luc  «  médecin  »,  '.aTpo,-.  Or  au 
moyen -âge  les  facultés  de  médecine  se  réclamèrent  de  ce  puis- 
sant patron  et  plusieurs  lui  vouèrent  un  culte  qui  a  laissé  des 
traces  dans  l'histoire.  Jusqu'à  la  Révolution  l'Université  de  Paris 
célébra  la  fête  de  saint  Luc. 

—  L'Académie  des  inscriptions  et  belles  lettres  mit  au  con- 
cours, en  1885,  pour  le  prix  Bordin  de  189i,  V Histoire  poli- 
tique, religieuse  et  littéraire  d'Edesse  jusqu'à  la  pre- 
mière croisade.  Un  seul  mémoire  fut  déposé  :  il  était  de 
M.  Rubens  Duval.  L'Académie  le  jugea  digne  d'être  couronné. 

L'histoire  d'Edesse  depuis  les  origines  de  la  ville  jusqu'aux 
croisades  peut  se  diviser  en  trois  parties  :  La  première  va  de  la 
reconstruction  de  la  ville  par  Séleucus  Nicanor,  en  304  avant 
Jésus-Christ,  jusqu'à  la  réduction  de  l'Osrhoène  en  province  ro- 
maine, en  216  avant  Jésus-Christ.  La  religion  officielle,  sauf  pen- 
dant les  dernières  années,  est  le  paganisme  sous  la  forme  d'ado- 
ration des  astres.  La  littérature  est  presque  entièrement  inconnue 
ou  perdue.  La  seconde  période  comprend  l'histoire  d'Edesse  sous 
la  domination  romaine  ou  byzantine.  La  ville  devenue  chrétienne 
s'affirme  d'abord  comme  orthodoxe,  penche  un  moment  vers  le 
nestorianisme,  et  enfin  verse  dans  le  monophysisme.  C'est  l'âge 
d'or  de  la  littérature  syriaque.  Enfin,  durant  la  troisième  période 


CHRONIQUE  91 

(638-1097),  Edesse  vit  sous  la  dominalion  arabe  :  on  y  esl  miisiil- 
man  oumonophysite;  la  littérature  est  en  pleine  décadence.  Tel 
est  le  cadre  du  travail  de  M.  Rubens  Duval. 

— M.Gardaira  eu  l'honneur  d'introduire  à  la  Sorbonne  l'ensei- 
gnement de  la  philosophie  scolastique.  Fidèle  à  la  mission  qu'il  s'est 
proposée,  il  a  traité  devant  un  auditoire  nombreux,  d'après  les 
principes  de  la  pliilosophie  d'Aristote  et  de  saint  Thomas,  les  puis- 
sances de  l'âme,  la  pensée  et  ses  conditions  d'exercice  chez 
l'homme,  l'origine  et  la  nature  de  la  connaissance  en  général  et 
enfin  le  libre  arbitre.  Il  publie  aujourd  hui  le  résumé  de  ses  le- 
çons, sous  ce  titre  :  Co7'ps  et  âme. 

—Le  livre  de  M.  Zimmer  :  Denkschriftdes  Koniglich  Preiis- 
zischen  cvangelisch-tlieologischeji  Seminai's  zn  Herborn 
fur  das  Jahr,  1890-1891,  est  un  commentaire  court  et  succinct 
sur  les  deux  Épîtres  de  saint  Paul  aux  Thessaloniciens  Selon 
l'auteur,  saint  Paul  aurait  enseigna  dans  ces  deux  Épîtres  que 
la  fin  du  monde  et  la  venue  de  l'Antéchrist  se  réaliseraient  durant 
la  vie  même  de  l'apôtre.  Ce  sentiment,  qui  ne  saurait  se  concilier 
avec  la  doctrine  de  l'Église  catholique  sur  l'inspiration  de  l'Écri- 
ture sainte,  est  rejetée  par  les  meilleurs  interprètes. 

—  Dans  son  ouvrage  :  Eine  vorkanonische  Uberliejcî'iing 
des  Lit/cas  in  Evnnglium  mid  Apo&ielgeschichte, ,  M.  Feine  re- 
cherche, en  se  plaçantau  point  de  vue  protestant,  à  quelles  sources 
ont  été  puisées  les  narrations  qui  forment  l'évangile  de  saint  Luc 
et  les  Actes  des  Apôtres.  Il  pense  que  saint  Luc  a  puisé  pour  son 
Évangile  dans  saint  Marc  et  dans  un  écrit  beaucoup  plus  étendu  qui 
sert  de  fondement  aux  trois  synoptiques.  C'est  une  pure  conjec- 
ture, car  aucun  témoignage  de  l'antiquité  chrétiehnene mentionne 
un  tel  écrit  et  le  Prologue  du  3"  Évangile  ne  semble  pas  l'appuyer. 
Quant  aux  Actes  des  Apôtres,  la  source  des  douze  premiei's  cha- 
pitres serait  juive,  celle  du  reste  du  livre  viendrait  de  saint  Paul. 
Il  semble  en  effet  que  saint  Luc  a  eu  sous  la  main  non  seulement 
les  renseignements  fournis  par  saint  Paul,  mais  encore  les  récits 
des  autres  Apôtres  ou  de  l'Église  de  Jérusalem.  L'auteur  discute 
ces  points  scientifiquement. 

—  Mgr  Ricard,  connu  par  plusieurs  monographies  dhommes 
célèbres,  nos  contemporains,  La  Mennais,  Lacordaire.  Gerbet,de 


92  CHRONIQUE 

Salinis,  nous  adonné,  moins  de  trois  mois  après  le  décès  de  l'évèque 
d'Angers,  une  vie  de  cet  homme  distingué. 

—  Une  réforme,  assez  sérieuse,  vient  d'être  proposée  par 
le  clergé  orthodoxe  russe.  Il  s'agit  de  l'augmentation  du  nombre 
des  diocèses  et,  par  conséquent,  des  sièges  épiscopaux.  Si  le 
prêtre  orthodoxe  exerce  une  si  grande  puissance  sur  la  société 
russe,  ce  n'est  pas  qu'il  soit  fréquemment  en  communication  avec 
elle.  Il  y  a  en  Russie,  toute  proportion  gardée,  trois  fois  moins 
d'évêques  que  n'en  ont  les  pays  catholiques,  bien  que  la  popula- 
tion soit  beaucoup  plus  dispersée  et  le  territoire  beaucoup  plus 
vaste  que  celui  des  peuples  latins.  L'empire  russe,  dans  son  en- 
semble, ne  comprend  que  soixante- trois  diocèses  orthodoxes,  de 
sorte  que  chacun  des  évêques  compte  en  moyenne,  sous  sa  direc- 
tion spirituelle,  1,200,000  orthodoxes.  Dans  six  diocèses  la  po- 

*  pulation  orthodoxe  dépasse  même  deux  millions  d  âmes,  et  celte 
population  s'accroît  formidablement  chaque  année.  L'Église 
orthodoxe  a  toujours  été  fidèle  à  l'empire.  Elle  est  profondément 
nationale  et  très  gouvernementale.  Tout  fait  donc  supposer  que  la 
nouvelle  répartition  des  diocèses,  proposée  par  le  Saint-Synode, 
s'accomplira  à  la  satisfaction  de  tous. 

—  SignâlonsdenxYoiiimes  :  Les  Bécùs  bibliques  et  leit?'S  beau- 
tés littéraires  et  Les  récits  évangéliques  et  leurs  beautés 
littéraires,  de  M.  l'abbé  Verniolles. 

Donner  quelques  notions  exactes  sur  nos  saints  Livres  et  la 
manière  dont  il  faut  les  étudier  ;  puis  en  extraire  les  récits  prin- 
cipaux, par  une  traduction  fidèle  du  texte  lui-même;  en  montrer 
l'élévation  des  pensées,  les  beautés  littéraires;  enfin  édifier  le 
lecteur  en  l'instruisant  ;  tel  est  le  but  que  s'est  proposé  et  qu'a 
atteint  l'auteur. 

—  Sous  ce  titre  :  Xenia  Bernardina  sancti  Bernardi  primi  abba- 
tis  Glaravallensis  oclavos  natales  sseculares  pia  mente  célébrantes 
ediderunt  anlistiteselconventusCisterciensesprovinciÊeAustriaco- 
Hungaricae,  vient  de  paraître  une  intéressante  édition,  sous  la 
surveillance  do  deux  religieux,  le  P.  Benoît  Gsell,  profès  du  cou- 
vent d'Heiligen-Kreuz  (Sanclse  Grucis  ),  et  le  P.  Léopold  Janaus- 
check,  profès  de  celui  de  Zwettl  (Glarse  Vallis  Austriœ). 

—  Une  association  s'est  fondée,  il  y  a  quelques  années,  sous  le 


CHRONIQUE  93 

nom  de  Cultores  mariyrurrit  pour  honorer  les  marlyrs  dont  les 
tombeaux  se  trouvent  dans  les  catacombes.  Le  jour  de  la  fête  de 
saint  Janvier,  celte  a5f,ociation  a  fait  célébrer  une  messe  solen- 
nelle en  musique  dans  le  cimetière  de  Saint  Prétextai,  dans  la 
crypte  de  Saint-Janvier,  brillamment  ornée  de  fleurs  et  de  lu- 
mières. Après  l'évangile,  on  a  donné  lecture  d'un  rescrit  spécial 
du  Saint-Père,  qui  accorde  au  collège  des  CuUores  martijrum 
de  pouvoir  faire  dire  la  messe  propre  du  saint  dont  on  célèbre  la 
fête  dans  les  diverses  catacombes,  quel  que  soit  le  jour  où  tombe 
cette  fête.  Après  la  messe,  M.  le  commandeur  J.-B.  de  Rossi  a 
fait  une  conférence  sur  les  catacombes  de  Prétextai. 

—  On  connaît  Bernardin  de  Picquigny  et  sa  triple  exposition 
des  Épitres  de  S.  Paul,  publiée  au  siècle  dernier  et  plusieurs  fois 
réimprimée  depuis  lors.  Ce  travail  fait  le  fond  de  celui  que  nous 
annonçons.  Le  P.  Michel  Hetzenauer  n'a  épargné  aucune  peine 
pour  l'agrandir  et  le  perfectionner  de  manière  à  le  mettre  à  la 
hauteur  des  exigences  de  la  critique  biblique  actuelle. 

—  La  seconde  partie  de  V Introduction  aux  sai?ites  Ecri- 
tures de  V Ancien  et  du  Nouveau  Testament  par  le  docteur 
Fr.  Kaulen  a  paru  :  c'est  la  troisième  édition.  L'auteur  l'a  amé- 
liorée et  rais  au  courant  des  récentes  études  critiques.  Gel  ouvrage 
n'est  lui-même  que  la  quintessence  de  nombreux  travaux;  il 
suffira  de  dire  qu'on  y  trouve  discutées  sommairement  toutes  les 
questions  qui  peuvent  être  soulevées  à  propos  de  l'Ancien  Testa- 
ment. 

—  D'après  le  conseil  de  Mgr  Isoard,  évèque  d'Annecy,  et  par 
les  soins  des  religieuses  de  la  Visitation  du  premier  monastère 
d'Annecy,  va  être  publiée  une  édition  complète  des  OEuvres  de 
saint  François  de  Sales.  Les  textes  originaux  sont  reproduits 
en  toute  leur  intégrité  d'après  les  autographes  et  les  premières 
éditions;  on  y  joindra  d'importantes  pièces  inédiles,  ainsi  que 
Y  Histoire  de  saint  François  de  Sales,  d'après  de  nouveaux 
documents.  Le  premier  volume  contiendra  les  Controverses, 
prises  intégralement  sur  le  manuscrit  autographe  conservé  à  Rome 
dans  la  bibliothèque  du  prince  Ghigi,  et  complétées  par  des  parties 
inédites  très  importantes.  La  défense  de  VEstendard  de  la 
Sainte  Croix  formera  le  deuxième  volume.  Reproduisant  l'édi- 


94  CHRO^^IQUE 

tion  princeps  (Lyon,  1600),  celte  nouvelle  édition  sera  augmentée 
des  variantes  d  un  Ms.  autographe. 

—  Voici  la  thèse  que  soutient  M.  Villecrose  dans  son  livre  :  Le 
Christ  et  sa  réforme  sociale  :  «  Me  plaçant  au  point  de  vue 
purement  historique,  c'est-à-dire  excluant  systématiquement 
les  phénomènes  surnaturels  dont  l'Evangile  est  rempli,  je  pré- 
tends que  le  Christ  reste,  malgré  tout,  un  personnage  d'une 
stature  surhumaine...  Quel  que  soit  le  point  de  vue  auquel  on  se 
place,  par  quelque  côté  qu'on  regarde  cette  physionomie,  on  abou- 
tit à  la  conclusion  orthodoxe,  qu'il  y  a  dans  le  Christ  quelque 
chose  de  surnaturel.  »  C'est  à  démontrer  cette  conclusion  que 
notre  auteur  s'attache  dans  les  16  chapitres  que  renferme  son 
travail. 

—  L'apologétique  chrétienne  prouve  d'ordinaire  par  la  raison 
l'existence  de  Dieu,  créateur,  infini,  parfait  et  souverainement 
véridique,  puis  elle  montre  que  c'est  ce  Dieu  qui  nous  parle  par 
les  prophètes,  par  l'Évangile,  par  la  voix  de  l'Église.  C'est  là 
Tordre  logique.  Mais  on  peut  suivre  un  autre  ordre  qui  pourrait 
être  nommé  historique  ou  traditionnel,  et  rechercher  comment 
l'idée  de  Dieu  et  de  ses  attributs  est  née  dans  l'esprit  humain,  et 
s'y  est  développée.  C'est  ce  qu'a  fait  M.  de  Broglie  dans  sept  con- 
férences prèchées  à  l'église  des  Carmes  en  1890,  et  dont  voici  les 
titres  :  Démonstration  rationnelle  et  preuves  traditionnelles  de 
l'existence  du  vrai  Dieu.  —  L'idée  de  Dieu  dans  la  Genèse.  —  Les 
révélations  faites  aux  patriarches  —  à  Moïse-  —  L'alliance  de 
Dieu  avec  le  peuple  d'Israël.  —  Les  lois  cérémonielles  de  Moïse. 
—  Les  lois  sociales  et  civiles  de  Moïse.  La  croyance  au  Dieu 
infini,  personnel  et  vivant  qui  est  la  loi  suprême  de  la  pensée 
chez  les  juifs,  les  chrétiens  et  les  mahométans  a  pour  origine  les 
révélations  divines  authentiques,  faites  aux  patriarches  et  à  Moïse; 
elle  s'est  précisée  par  les  faits  et  par  les  enseignements  des  Pro- 
phètes et  de  Jésus  Christ.  Donc  elle  est  légitime,  puisqu'elle  a 
pour  base  des  faits  et  des  monuments  écrits,  dont  un  peuple  ga- 
rantit l'authenticité  et  la  véracité. 


BIBLIOGRAPHIE 


Le  Rig-Veda.  —  Paul  Reçpiaud.  Aîinales  du  Musée 
Guimet. 

Le  Musée  Guimet  publie  une  bibliothèque  d'études,  dont  le 
tome  premier  vient  de  paraître.  C'est  une  étude  de  M.  Paul  Re- 
gnaud  sur  le  Rig-Veda.  Le  savant  professeur  de  sanscrit  propose 
aux  indianistes  un  système  d'interprétation  du  livre  sacré  tout 
dififérent  de  ceux  qui  ont  eu  cours  jusqu'ici.  C'est  ainsi  que 
d'après  M.  P.  Regnaud,  il  ne  faut  pas  considérer  le  soma  comme 
le  suc  clarifié  d'une  certaine  plante  formant  le  breuvage  des  dieux 
et  des  sacrificateurs,  mais  une  huile  ou  une  liqueur  spiritueuse 
dont  l'usage  consistait  à  alimenter  des  flammes  d'Agni  ou  le  feu 
du  sacrifice.  C'est  sur  une  nouvelle  interprétation  des  textes  qu'il 
appuie  son  opinion.  <  Au  point  de  vue  de  l'interprétation  géné- 
rale des  hymnes,  écrit  l'auteur,  on  m'accordera  sans  peine,  je 
l'espère,  qu'il  n'y  a  rien  d'essentiellement  extraordinaire  ou  illo- 
gique dans  la  position  que  j'ai  prise  entre  MM.  Max  Millier, 
Kuhn,  Roth  et  Bergaigne,  d'une  part,  et  MM.  Oldenberg,  Pischel- 
Geldner  et  Bloomfield,  de  l'autre.  Alors  que  les  premiers  expli- 
quent le  Véda  par  une  hypothèse  mythologique  qui  lui  est  anté- 
rieure et  extérieure,  et  que  les  seconds  font  appel  dans  le  même 
but  à  des  documents  moins  anciens  que  ceux  dont  il  s'agit  de 
trouver  le  mot,  je  considère  les  textes  des  hymnes  comme  origi- 
naux dans  toute  la  force  du  terme,  et  j'y  puise  directement  les 
aliments  d'interprétation  que  ceux-là  demandent  à  leur  imagina- 
lion  et  ceux-ci  à  des  documents  équivoques,  les  uns  et  les  autres 
à  des  données  étrangères  au  domaine  réel  et  propre  des  idées 
védiques.  » 


96  BIBLIOGRAPHIE 

Les  Prophètes  d'Israël.  —  James  Darmesteter. 

La  librairie  Galman-Lévy  a  publié  les  prophètes  d'Israël 
de  M.  James  Darmesteter.  C'est  la  réunion  de  différentes  études 
parues  depuis  onze  ans.  Elles  sont  précédées  d'une  préface  où 
l'auteur  exprime  sa  manière  de  résoudre  la  crise  religieuse  que 
nous  traversons. 

M.  Darmesteter  combat  la  thèse  de  M.  Havet  qui  ramenait  les 
écrits  des  prophètes  à  l'époque  où  l'influence  grecque  a  réagi 
sur  le  génie  juif.  Le  prophétisme  ne  saurait  s'expliquer  par  les 
qualités  de  la  race  sémitique, c'est  au  contraire  la  Bible  qui  a  fait 
Israël.  Malgré  l'indépendance  philosophique  de  son  esprit,  il  y  a 
chez  M.  Darmesteter  une  foi  ardente  et  une  admiration  sans  limi- 
tes pour  les  principes  religieux  :  «  Malheur  au  savant,  s'écriet-il, 
qui  aborde  les  choses  de  Dieu  sans  avoir  au  fond  de  sa  con- 
science, dans  l'arrière- couche  indestructible  de  son  être,  là  où  dort 
Tàme  des  ancêtres,  un  sanctuaire  inconnu,  d'où  s'élance  par  ins- 
tants un  parfum  d'encens,  une  ligne  de  psaume,  un  cri  doulou- 
reux ou  triomphal  qu'enfant  il  a  jeté  vers  le  ciel,  à  la  suite  de 
ses  pères,  et  qui  le  remet  en  communion  soudaine  avec  les  pro- 
Dliètes  d'autrefois.  »  (p.  9). 


Le  Gérant:  7..  PEISSON. 


Amiens.  -  Imprimerie  ROUSSEAU-LEROY.  18,  rue  St-Fuscien. 


DES  NOMBRES  SYMBOLIQUES 

CHEZ  LES  TOLTÈQUES  OCCIDENTAUX. 


Nous  rencontrons  à  peu  près  partout  au  sein  des  socié- 
tés humaines,  quelque  séparées  qu'elles  soient  les  unes 
des  autres  par  le  temps  et  par  l'espace,  l'emploi  de  cor- 
tains  nombres  auxquels  est  attribuée  une  signification 
plus  ou  moins  religieuse.  Les  races  de  l'Amérique  ne  l'ont 
pas,  sur  ce  point,  exception  à  la  règle  commune. 

Toutefois,  leurs  nombres  symboliques  différent  sou- 
vent totalement  de  ceux  que  vénèrent  les  populations 
de  l'Ancien  Monde.  L.  Angrand  avait  déjà  constaté  les 
dissemblances  qui,  à  cet  égard,  doivent  être  signalées  en- 
tre chacun  des  deux  courants  civilisateurs,  Occidental  et 
Oriental  (1).  Les  peuples  appartenant  au  premier  d'en- 
tre eux  semblent  avoir  manifesté  pour  les  groupements  de 
chiffres  et  calculs  cabalistiques,  un  goût  aussi  prononcé 
que  les  populations  sémitiques. 

Les  nombres  impairs  et  parmi  ceux-ci  le  3  et  le  o,  re- 
viennent sans  cesse  dans  leur  symbolique.  Ils  leur  ac- 
cordent une  importance  capitale  au  triple  point  de  vue 
religieux,  politique  et  social.  On  rencontre  surtout  chez 
eux  une  combinaison  fort  originale  de  deux  nombres 
3  et  4  spécialement  affectée  à  l'organisation  nationale 

(1)  L.  Âiigraud,  Notes  manusrrites. 


98  DES  NOMBRES  SYMBOLIQUES 

et  politique,  sur  laquelle  nous  aurons  à  revenir  tout-à- 
riieure 

Faisons  observer,  tout  d'abord,  l'existence  d'une  sorte 
de  triade  à  la  tête  de  l'Olympe  des  Mexicains,  peuple 
incontestablement  de  souche  Toltèque  occidentale  ou  à 
tête  droite.  Elle  se  composaitde  Tezcatlipoca,  Ilaitzilo- 
pochtliet  Camaxtli.  Ajoutons,  qu'au  moins  dans  les  der- 
niers temps,  Tezcatlipoca  et  Camaxtli,  finirent  par  être 
considérés  comme  frères  et  flls  de  Huitzilopochtli  (1).  Ce 
dernier  était  vénéré  d'une  façon  toute  spéciale  à  Mexico, 
de  môme  que  Camaxtli  à  Tlaxcalla  et  le  premier  des 
personnages  sus  mentionnés  à  Tezcuco.  Ajoutons  qu'à 
l'origine  il  n'en  avait  pas  du  être  ainsi.  L'antique  supré- 
matie de  Tezcatlipoca  nous  paraît  ressortir  du  rôle  mê- 
me que  la  mythologie  des  peuples  de  la  Nouvelle  Espa- 
gne continua  à  lui  faire  jouer. 

Le  nom  de  cette  déité  qualifiée  par  un  écrivain  indi- 
gène, «  de  dieu  Occidental  »,  par  opposition  à  Quetzat- 
cohuatl  qui  était  le  «  dieu  Oriental  (2)  »,  c'est-à-dire  des 
émigrants  venus  de  l'Est,  signifie  litt.  «  Albâtre  enfu- 
mée ».  Nous  n'avons  pas  à  rechei'cher  ici  l'origine  de 
cette  bizarre  appellation.  La  guerre  constante  que,  d'a- 
près les  récits  de  la  mythologie  mexicaine,  se  fout  ces 
deux  habitants  de  l'Olympe,  n'est  sans  doute  que  l'em- 
blème des  luttes  qu'eurent  à  soutenir  les  unes  contre  les 
autres  les  tribus  du  courant  Oriental  et  les  tribus  du 
courant  Occidental. 

D'après  Sahagun,  on  vénérait  Tezcatlipoca  comme 
une  divinité  invisible,  pénétrant  en  tous  Ueux,  au  ciel, 

(1)  Roman,  Hepublicas  del  inimdo  ;  (Republicas  de  las  Indias 
occidenlalcs,  lib.  1°,  cap.  2"=;  folio  128). 

(2)  Dominf^'o  Nunez  Gainargo;  Histoire  de  la  République  de  Taxt- 
callan,  trad.  de  Ternaux-Gompans,  pp.  146  et  suiv.  du  tome  98  des 
Nouvelles  Annales  des  Voyages;  (Paris,  1843). 


CHEZ  LES  TOLTÈQUES   OCCIDENTAUX  99 

sur  la  terre  et  dans  les  enfers,  comme  le  créateur  de  tou- 
tes choses.  Il  n'était  qu'air  et  obscurité.  Si  parfois  il  se 
manifestait  aux  mortels,  c'était  comme  une  ombre.  On  le 
trouve  parfois  qualifié  de  «  Tout-Puissant  ».  Il  donnait 
la  richesse  à  qui  il  voulait,  mais  ne  manquait  pas  non 
plus  de  châtier  rigoureusement  quiconque  avait  encouru 
sa  disgrâce.  Une  des  fautes  qu'il  punissait  de  la  façon  la 
plus  sévère,  c'était  Toubli  des  vœux  et  promesses  par  les- 
quels on  s'était  engagé  vis-à-vis  des  dieux.  Son  passe- 
temps  favori,  lorsqu'il  descendait  sur  terre,  consistait  à 
susciter  des  guerres  et  des  troubles  parmi  les  nations. 
De  là,  son  surnom  de  Nêcoc-Yaotl  ou  «  ennemi  des 
deux  parts,  semeur  de  discorde  de  côté  et  d'autre  (1). 
ilapparait,  d'ailleurs,  fréquemment  invoqué  sous  le  nom 
de  Titlacahuariy  litt.  «  Nous  sommes  vos  serviteurs  (2)». 

Tezcatlipoca  constituait  donc,  on  le  constate,  une  déité 
d'un  ordre  élevé.  Plusieurs  de  ses  caractères  convien- 
draient au  Jéhovali  de  la  Bible,  et  l'écrivain  Veytia  n'hé- 
site pas  à  voir  en  lui  un  symbole  de  la  divine  provi- 
dence (3).  A  d'autres  égards,  il  rappellerait  plutôt  l'Odin 
Scandinave,  à  la  fois  personnification  de  l'intelligence 
suprême  et  dieu  de  la  guerre,  toujours  prêt,  en  cette 
qualité,  à  fomenter  les  querelles  et  les  rixes  parmi  les 
mortels  (4). 

On  ne  saurait  donc  guère  douter  qu'à  une  époque  plus 
ancienne,  Tezcatlipoca  n'ait  été  considéré  comme  chef 
de  la  hiérarchie  divine,  une  sorte  de  Zeus  Américain. 

(1)  Sahagun,  Histoire  générale  des  choses  de  la  Nouvejle  Espagne; 
Iraducl.  de  M.  le  docteur  Jourdannel,  livre  l""";  chapitre  IH  p.  14 
et  livre  III  ;  chapitre  II  ;  pp.  206  et  207. 

(21  Abbé  Brasseur,  ilec/te?*c/t(?i'  sur  les  ruines  du  Palenqué;  chapi- 
tre VIII  ;  p.  69  (en  note). 

(3j  Veytia,  Uistoriu  antigua  de  Mejico  ;  tome  1",  cap.  V  ,  p.  43. 

(4jM.  R.  G.  Anderson,  Mijtlwloijie  Scandinave,  2"^  partie;  p.  59  cl 
suivantes  (Paris  1886).  —  M.  E.  Beauvois;  Histoire  légendaire  des 
Francs  et  des  Biirgondes;  l'«  partie,  chap.  VII, p.  99,  (Paris  1867). 


100  DES  NOMBRES  SYMBOLIQUES 

Plus  tard,  Huitzilopochtli  l'aura  supplanté  à  Ténoch- 
titlan,  en  sa  qualité  de  dieu  de  la  guerre  et  de  protecteur 
spécial  de  la  tribu  des  Mexicains.  Un  motif  analogue 
fit  sans  doute  attribuer  la  primauté  à  Camaxtli  chez  les 
gens  de  Tlaxcallan.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'existence  même 
de  la  triade  en  question  remonte  sans  conteste  aux  origi- 
nes de  la  civilisation  chez  les  Toltèques  Occidentaux. 
Nous  la  retrouvons  d'ailleurs,  chez  les  Quiches  du  Guate- 
mala, peuple  incontestablement  de  culture  Toltêque-Na- 
huatle.  Toutefois  elle  y  apparaît  sous  des  traits  plus 
naturalistes,  avec  une  physionomie  plus  archaïque. 
Le  livre  sacré  nous  la  fait  connaître  sous  le  double  nom 
de  «  cœur  du  ciel  »  et  de  «  Hurakans  » .  Voici  en  quels 
termes  il  s'exprime  : 

«  L'éclair  est  le  premier  Hurakan;  le  second,  c'est  le 
«  sillonnement  de  l'éclair,  le  troisième  est  la  foudre,  et 
«  ces  trois  sentie  cœur  du  ciel  (1)  ». 

Ceci  tendrait  à  prouver  qu'originairement  Tezcatlipoca 
et  ses  deux  compagnons  furent  adorés  sous  un  nom  ou 
un  autre,  comme  dieux  de  la  foudre  et  de  l'orage,  comme 
autant  de  personnifications  des  phénomènes  météorolo  - 
giques.  Que,  maintenant,  le  rùle  de  Créateur,  ou  tout 
au  moins  d'organisateur  de  l'Univers,  de  Démiurge  ait 
fini  par  être  attribué  à  l'un  d'entre  eux,  spécialement  à 
celui  qui  symbolisait  le  tonnerre,  cela  s'explique  sans 
peine.  N'est-ce  pas  l'orage  qui  nettoie  l'atmosphère,  fait 
tomber  sur  la  terre  les  eaux  fécondantes,  et  présageant 
le  retour  du  beau  temps  et  du  soleil,  met  un  peu  d'ordre 
dans  la  nature?  Le  Phtah  Egyptien  fut  certainement  à 
l'origine,  un  dieu  de  la  foudre,  puisqu'il  a  pour  souffle 
l'éclair  au  moyen  duquel  il  féconde  une  Génisse  vierge 


(1)   Abbé  Budsseur  de   Bourbourg  ;  Popol-iuh,  le  livre  sacré,  l^^ 
partie,  chapitre  l'^',  p.  9. 


CHEZ  I,ES  TOLTÈQUES  OCCIDENTAUX       101 

et  la  rend  mère  du  taureau  Apis  (1).  Or,  dès  une  époque 
assez  reculée,  nous  voyons  Phtah  honoré  en  qualité  de 
«  Père  du  commencement,  créateur  de  l'oeuf  du  soleil 
et  de  la  lune  (2)  »,  en  un  mot  comme  l'organisateur  de 
l'Univers.  Une  observation  analogue  doit  être  faite  à 
propos  du  Jupiter  de  la  mythologie  Italo-Hellénique,  de 
rindra  Védique.  C'est  parce  qu'ils  avaient  débuté  en 
qualité  de  personnages  lançant  la  foudre,  qu'on  en  fît 
plus  tard,  les  chefs  delà  hiérarchie  céleste  (3). 

Nous  nous  efforcerons  dans  un  prochain  travail  do 
faire  ressortir  le  contraste  qui  existe  au  point  de  vue  de 
la  conception  religieuse  entre  Tezcatlipoca  et  Quetzal- 
coatl.  Ce  dernier  dont  le  nom  signifie  «  serpent  Quetzal, 
serpent  aux  plumes  vertes  »  est  donné  comme  dieu  du 
vent  qui  chasse  devant  lui  les  nuages  chargés  de  pluie, 
comme  inventeur  de  l'agriculture.  L.  Angrand  nous 
paraît  avoir  défini  d'une  façon  très  exacte,  le  rôle  attri- 
bué à  ce  personnage  en  disant  qu'il  représente  «  l'apti- 
tude à  la  fécondation  (4). 

En  tout  cas,  Tezcatlipoca  et  Quetzalcoatl  senties  divi- 
nités principales  de  deux  races  distinctes  ayant  apparu 
au  Mexique,  à  dos  époques  différentes.  Quoiqu'on  ait  pu 
dire  à  ce  sujet,  Tezcatlipoca,  dieu  de  la  nuit  et  de  l'obs- 
curité ne  constitue  pas  plus,  suivant  nous,  l'antithèse  de 
Quetzaicohuatl  regardé  comme  un  génie  lumineux  (5) 

(1)  Herodoti  Historiar.  lib.  III,  cap.  XXVIII —  Pline,  Histoire  na- 
turelle, lib.  VII,  cap.  LXXI  —  Mariette,  Mémoire  sur  le  bœuf  Apis, 
Paris  1856 •  —  Les  traditions  relatives  aux  fih  de  ta  Vierge,  p.  941 
du  tome  IV,  (X'onvellc  série)  des  Annales  de  Vhilosoiihie  chrétienne, 
(Paris  1871). 

(2)  M.  Paul  Pierrel,  Le  Panthéon  Egyptien;  chap.  l<"',  p.4  otsuiv. 
(Paris  1881). 

(3)  M.  Dréal,  Hercule  et  Cacus,  §  (II,  p.  66;  §  V,  p.  87  et  suiv. 
§  VI,p.  119  (Paris  1863). 

(A)  L.  Angrand,  'Sûtes  manmcrites. 

(5)  M.  D.  G.  Brinton,  American  llero  myths;  chap.  III,  §  3,  p.  88 
et suiv. 


102  DES  NOMBRES  SYMBOLIQUES 

que  le  Jupiter  des  Grecs  ne  constitue  la  contre  partie  de 
Yama,  le  Pluton  Indou. 

Au  reste,  l'on  sait  que  dans  les  civilisations  primi- 
tives et  rudimentaires,  les  mondes  céleste  et  terrestre 
sont  volontiers  censés  participer  à  la  même  organi- 
sation.  La  triade   de  l'olympe  mexicain  devait  donc 
avoir  son  calque  dans  la  coîistitution  même  de  l'état. 
De  là,  sans  doute,  dès  l'époque  Toltôque,  l'établissement 
d'une  triarchie  comprenant  les  trois  états  ou  cités  de 
Tulan,  CuUiuacan  et  Otompan  (3).  Et  nous  observons, 
par  parenthèse,  que  la  première  de  ces  villes  est,  sans 
conteste,  identique  au  TuÂan  en  Xocotitlan  de  Sahagun, 
à  quatorze  lieues  N.  0.  environ  de  Mexico,  sur  le  Coaté- 
peCylïtt.  «  A  la  montagne  des  serpents  »  (4).  Quant  à 
Culhuacan  que  nous  devons  soigneusement  distinguer 
du  Eueycolhuacan  de  la  légende  primitive,  il  a  conservé, 
paraît-il,  jusqu'à  ce  jour,  son  nom  antique  et  se  trouve 
situé  au  nord  du  lac  de  Xochimilco,  à  environ  trois  lieues 
sud  de  Mexico.  Reste  enfin  Otompan,  litt.  «  Etendard, 
métropole  des  Othomies  »  ou  «  du  dieu  Oton  ».  Nous  le 
retrouvons  dans  la  cité  actuelle  d'Otompan.  Elle  fait 
aujourd'hui  partie  de  l'état  de  Puebla  et  du  'district  de 
Tépéaca.  Plus  lard,  après  la  chute  de  l'empire  plus  ou 
moins  mythique  des  Toltèques,une  nouvelle  triarchie 
s'élève  sur  les  ruines  de  la  précédente.  C'était  celle  de 
Mexico  ou  Ténochtitlan,  métropole  de  la  tribu  des  Cul- 
huas-Mexicas  ;  Tezcuco,  capitale  de  l'état  Chichimèque 
et,  enfin,  Tlacopan,  aujourd'hui  Tacuba  (3),  à  une  lieue 

(1)  Abbé  Brasseur  de  Bourbourg,  Hist.  des  Nations  civilisées  du 
Mexique,  etc.,  t.  1"  ;  chap.  4%  .^§  '<i48  et  250  —  De  quehiues  idées 
symboliques  se  raUachanl  aux  noms  des  doux-e  fih  de  Jacob,  p.  210 
du  3' vol.  des  Actes  de  la  Société  philologique  (Paris,  1873-74). 

(2)  Sahagun. His/.  gén.  des  choses  de  la  Nouvelle  Espagne\Jv?iû.ÙQ 
M.  le  D''  Jourdannet)  ;  Prologue  du  1"  livre,  §§  6  et  7. 

(3)  Abbé  Brasseur  de  Bourbourg  ;  ffwL  des  Nat.  civil,  t.  3,  livre 
12,    chap.  IV,   p.  57(5. 


CHEZ  LES   TOLTÈQUES  OCCIDENTAUX  103 

et  demie  ou  deux  lieues  environ  à  l'est  de  Mexico.  Cette 
ligue  existait  encore  au  moment  do  la  conquête  espa- 
gnole. Ce  qui  démontre  bien  le  caractère  hiératique 
attribué  à  ce  nombre  cabalistique  de  3,  c'est  que  Tlaco- 
pan  n'avait  été  admise  dans  la  confédération  que  pour  le 
parfaire.  En  effet,  ce  dernier  état,  très  inférieur  en  force 
et  en  population  aux  deux  précédents,  ne  pouvait  leur 
rendre  de  bien  grands  services.  Aussi  se  trouvait-il,  à 
certains  égards,  maintenu  sur  un  pied  incontestable 
d'infériorité.  Lorsque,  par  ex.  les  trois  états  alliés  qui 
devaient  rester  unis  dans  la  paix  comme  dans  la  guerre, 
avaient  fait  une  campagne  heureuse,  Tezcuco  et  Tenoch- 
titlan  se  partageaient  seuls  les  territoires  conquis.  Tla- 
copan  n'était  admis  à  réclamer,  pour  sa  part,  qu'un  tiers 
du  butin. 

Toutefois,  ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux,  c'est  que  le 
grand  conseil  des  trois  étals  se  composait  en  réalité  de 
quatre  membres,  et  constituait  une  espèce  de  tétrarchie. 
On  donnait  aux  chefs  des  cités  confédérées,  un  collègue 
réputé  peut-être  supérieur  aux  précédents,  sous  le  rap- 
port religieux  et  mystique,  bien  qu'il  leur  fut  certaine- 
ment inférieur  au  point  de  vue  politique.  Eclaircissons 
tout  ceci  au  moyen  d'un  exemple.  Les  chefs  militaires 
de  Ténochtitlan,  Tezcuco  et  Tlacopan  admettaient  à 
leurs  délibérations  le  lieutenant- général  des  armées 
mexicaines,  qui  était  en  même  temps  grand  prêtre  de 
Huitzilopochcli  (1).  On  ne  nous  dit  pas,  d'ailleurs,  s'il 
avait  voix  délibérative  ou  consultative.  Ses  fonctions 
sacerdotales  le  revêtaient  visiblement  d'un  caractère 
plus  sacré  que  les  chefs  militaires  des  trois  états  con- 
fédérés. 


(l)Abbé  Brasseur  de  Hourbourg,  Popoî  vuh;  Introduction,  §  VIT, 
p.  CXVII  (on  note). 


iOi  DES  NOMBRES  SYMBOLIQUES 

Peut-être,  mais  nous  n'émettons  cette  opinion  que 
sous  toutes  réserves,  conviendrait-il  de  voir  une  preuve 
des  tendances  gynécocratiques  de  la  religion  mexicaine 
et  du  rôle  cabalistique  attribué  à  la  fois  aux  nombres  3 
et  4  dans  une  mappe  vraisemblablement  antérieure  à  la 
conquête  et  conservée  au  musée  de  Mexico.  Elle  repré- 
sente, dit-on,  les  tribus  émigrantes  à  leur  sortie  de  Col- 
huacan  ou  Huey-Colhuacan.  Ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'elles  sont  figurées  par  trois  hommes  que  guide  une 
femme  portant  un  enfant  sur  son  dos  (1). 

Passons  maintenent  aux  Quiches  du  Guatemala.  Outre 
la  triade  des  Hurakans  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut,  ils  en  connaissaient  une  autre  composée  des  dieux 
Tohil,  Avilix  et  Hagavitz,  laquelle  se  trouve  plus 
d'une  fois  citée  dans  le  livre  sacré  (2).  Toutefois,  on 
doit  l'avouer,  le  langage  de  l'écrivain  indigène  ne  semble 
pas,  sur  ce  point,  d'une  précision  parfaite.  En  effet,  il 
débute  pal:*  donner  comme  compagnons  aux  déités  ci- 
dessus  mentionnées,  .Vic^a/i  -i^a^ra/i, protecteur  spécial  du 
chef  Iqi'bala?n,  litt.  «  Tigre  de  la  lune  »  (3).  Il  est 
vrai  qu'après  l'avoir  nommé  une  seule  fois,  il  n'en  fait 
plus  mention  par  la  suite.  Doit-il  être  considéré  comme 
supérieur,  ou  comme  inférieur  à  ses  trois  compagnons? 
C'est  ce  que  le  silence  du  narrateur  ne  nous  permet  pas 
môme  de  conjecturer.  Ne  retrouverions-nous  pas  toutefois 
ici,  ce  même  mélange  de  triarchie  et  de  tétrarchie  déjà 
signalé  chez  les  Mexicains  du  plateau  d'Anahuac  ?  Le 
système  triarchique  reparaît  également  chez  les  Mams, 


(1)  Â.Garciay  Cubas,  Atlas  geroglifico,  extadistico,  etc.,  de  la  rejm- 
hlica  mexicana/2'^  Cuadro  histortco-geroglifico  de  la  peregrinacion  de 
los  Ax-tecas,  etc.  1''''  registre,  n°  1,  a,  h,  c  et  d. 

(2)  Abbé  Brasseur  de  Bourbourg  ;  Pnpol  vuh,  3"  partie,  chap.  k", 
p.  217  —  chap.  5%  p.  223  —chap.  8,  p.  239  —  chap.  9,  p.  243. 

(3)  Ibid.  ibid.  ;  chap.  4°,  p.  215. 


CHEZ   LKS  TOLTÈQUES   OCCIDENTAUX  105 

autre  peuple  de  civilisation  Occidentale,  lesquels,  au  dire 
de  l'abbé  Brasseur  de  Bourbourg,  dominaient  au  Gua- 
temala vers  le  XIII°  siècle  de  notre  ère.  Toutefois,  on 
ne  saurait  déterminer  d'une  façon  certaine,  les  noms 
des  chefs  ou  des  tribus  qui  en  faisaient  partie.  Au  pre- 
mier rang  d'entre  eux,  nous  devons  incontestablement 
placer  le  prince  de  la  tribu  de  Tamub,  dont  la  capitale 
Amag-dan  ou  mieux  Amac-tan^  litt.  «  Peuplade  de 
Tan  »  était  située,  d'après  toutes  les  apparences,  entre 
les  monts  Tohil  et  Mamah,  à  trois  lieues  à  peine  au 
nord  d'Utatlan  ou  Gumarcaah^  l'antique  métropole  de 
l'état  Quiche.  Cette  dernière  se  trouve  elle-même  tout 
prés  du  Pueblo  actuel  de  Santa  Cruz  del  Quiche,  au 
delà  de  Solola,  à  vingt-cinq  lieues  environ  au  X.  0.  de 
Guatemala.  Ensuite  venait  Ilocab  à  l'ouest  et  au  sud  du 
précédent,  avec  sa  capitale  Uquincat^  htt.  «  Avec  le  fi- 
let à  mettre  le  maïs  ».  Cette  cité  avait  été  construite  sur 
un  plateau  au  N.  0.  d'Utatlan,  dont  elle  n'était  séparée 
que  par  des  ravins.  Les  ruines  d'Uquincat  qui  subsistent 
encore  aujourd'hui  sont  désignées  par  les  gens  du  pays, 
sous  le  nom  de  P'ilocab  ;  litt.  «  en  Ilocab  ». 

La  plus  grande  obscurité  régne  sur  le  point  de  savoir 
quel  était  le  troisième  membre  de  la  ligue  Marne.  L'abbé 
Brasseur  hésite  entre  le  chef  de  la  tribu  d'Akau-Quichê, 
litt.  «  Prince  Quiche  »  qui  aurait  peut-être  donné  son 
nom  à  la  nation  Quichée  et  celui  de  la  puissante  nation 
des  Agaab.  Cette  dernière  était  fixée  sur  la  ri\'e  gauche 
du  Ghixoy  ou  Lacandon  (Rio  grande  de  Sacapulas).  Peut- 
être  enfin,  ce  troisième  prince  n'aurait-il  été  autre  que 
lechofdos  Qanils  (Serpents)de  Sacapulas,  dont  l'an t'quité 
ajoute  notre  docte  compatriote,  remontait  aux  temps 
les  plus  reculés  de  l'histoire  guatémalienne  (1)- 

(1)  Ibid.  Inirod.%  XXV,  pages  262  et  263. 


106  DES  NOMBRES  SYMBOLIQUES 

Nous  croyons,  enfin,  retrouver  une  trace  du  mélange 
des  symboliques  tertiaire  et  quaternaire  dans  divers 
passages  du  livre  sacré  relatifs  aux  chefs  mythiques  de 
la  nation  guatémalienne.  On  en  cite  quatre,  à  savoir  : 
Balam-Quitzè  dont  l'abbé  Brasseur  traduit  le  nom  par 
«  Tigre  au  doux  sourire  »  —  Balam-Agab,  litt.  «  Tigre 
de  la  nuit  »  —  Mahucutah  ou  «  nom  signalé,  illustre  » 
et,  enfin  Iqi-Balam  litt.  «  Tigre  de  la  lune  »  (1).  La  si- 
tuation de  ce  dernier  ne  se  trouve  pas  avoir  été  la  même 
que  celle  de  ses  trois  autres  compagnons.  Ainsi,  le 
dieu  Nictahtagah,  son  protecteur,  n'est,  comme  nous 
l'avons  déjà  dit  plus  haut,  cité  qu'une  seule  fois.  Au 
contraire  les  noms  de  Tohil,  Avilixet  Hagavitz,  patrons 
des  autres  chefs  de  tribus,  le  sont  à  plusieurs  reprises. 
Or,  les  tendances  hiératiques  du  livre  sacré  sont  assez 
prononcées  pour  qu'une  pareille  omission  mérite  de 
passer  pour  significative.  De  plus,  lorsque  les  chefs 
Quiches  rendent  leurs  hommages  au  soleil  levant,  il  se 
trouve  queles  trois  premiers  seuls  ont  apporté  de  l'encens 
ou  du  copal.  Iqi  Balam  manque  de  cette  précieuse  subs- 
tance et  ne  peut,  par  suite,  faire  son  offrande  au  Dieu  (2). 

Plus  loin,  on  nous  parle  des  états  ou  familles  princières 
fondés  par  les  personnages  en  question.  Les  Gentes  des 
Cavek  tirent  leur  origine  de  Balam-Quitzé  ;  celles  de  Ni- 
haïb  reconnaissent  pour  leur  auteur  Balam-Agab.  Enfin, 
Mahucutah  serait  le  premier  père  des  quatre  grandes 
maisons  d'Ahan-Quiché  (3).  Quant  à  Iqi-Balam,  on  ne 
nous  dit  point  qu'il  ait  rien  fondé  du  tout,  et  le  silence 
de  l'auteur  indigène  à  cet  égard,  n'est  certainement  pas 
fortuit.  De  tout  ceci,  il  me  semble  résulter  que  la  triar- 
chie    guatémalienne  était  exactement   fondée  sur  les 

(i)  Ibid.  III«  partie,  chap.  2°,  p.  199  (en  note). 

(2)  Ibid.  IIP  partie,  chap.  9,  p.  24. 

(3)  Ibid.  III   partie,  chap.  3,  p.  207. 


CHEZ  LES  T0LTEQUE5   OCCIDENTAUX  107 

mêmes  principes  que  celles  des  Culhuasde  Mexico,  c'est- 
à-dire  qu'Iqi-Balam  et  le  lieutenant  général  des  armées 
de  Ténochtitlan  remplissaient  un  rôle  identique  au  sein 
du  conseil  fédéral  de    leur  nation.  D'ailleurs,  le  nom 
même  d'Iqi-Balam  semble    justifier  cette  conjecture. 
C'est  évidemment  plutôt  un  titre  de  fonction  que  tout 
autre  chose.  Il  signifie,  nous  l'avons  vu,  «  Tigre  de  la 
lune  1.   Or,  précisément,  l'Ocelot  ou  tigre  américain, 
tout  aussi  bien  que  l'astre  des  nuits,  comme  l'a  établi 
L.  Ang-rand,  étaient  chez  les  Toltèques  occidentaux,  les 
emblèmes  du  principe  féminin,  réputé  plus  sacré,  plus 
divin  que  le  principe  mâle  (1).  Ceci  n'a  pas  trop  lieu  de 
nous  surprendre.  Combien  de  peuples,  en  effet,  à  com- 
mencer par  les  Germains,  ont  vu  spécialement  dans  le 
beau    sexe,   l'intermédiaire    entre   la   divinité    et    les 
simples  mortels  (2)  sans  toutefois  lui  accorder  une  si- 
tuation privilégiée  sous  le  rapport  des  droits  civils.  Iqi- 
Balam,  représentant  du  principe  femelle,  pouvait  donc 
remplir,  mais  au  point  de  vue  religieux  seulement,  des 
fonctions  supérieiu*es  à  celles  de  ses  collègues,  et  cela, 
sans  être  lui-même  chef  de  tribu.  Quoiqu'il  en  soit,  au 
moment  de  la  conquête  espagnole,  nous  trouvons  la  con- 
trée Quichée  divisée  en  trois  peuples  ou  gentes,  unis 
entre  eux  par  une  sorte  de  lien  fédératif  ;  à  savoir  celui 
de  Cavek  dont  Cotuha  se  considérait  comme  le  fondateur, 
celui  de  Nihaïb  ou  Ximhaïb  dont  le  chef  résidait  dans 
la  cité  de  Momostenango  et  enfin,  la  peuplade  d'Ahau- 
Quiché  avec  sa  métropole  de  même  nom  à  cinq  ou  six 
lieues  à  peine  d'Izmachi  et,  par  suite,  tout  près  du  vil- 
lage actuel  de  Rabinal  (3). 

(1)  L.  Angrand,  Lellre  sur  les  antiquités  de  Tiaguanaco.  Extrait 
du  24°  vol.  de  la  Bévue  de  l'Architecture,  p.  28  et  35. 

(2)  Tacite,  de  Moribus  Germnnorum,  §  VIII. 

(3)  Abbé  Brasseur  de  Bourbourg,  Popol  vuh,Introd.  |  XIV,  p.  273. 


108  DES   NOMBRES  SYMBOLIQUES 

Si  nous  tournons  maintenant  nos  regards  du  côté  de 
l'Amérique  du  sud,  des  traces  d'influence  Occidentale  se 
manifestent  chez  les  Zènus  des  bords  du  Rio  Magdalena, 
au  sud  de  l'isthme  de  Panama.  Une  de  leurs  villes,  située 
dans  les  anciennes  province  et  département  de  Cartha- 
gène,  lesquelles  dépendent  aujourd'hui  de  l'état  de  la 
Nouvelle- Grenade,  portait  le  nom  de  Tolu.  Cette  déno- 
mination nous  rappelle  singulièrement  les  Tula,  Tulan 
et  Toltèques  de  la  Nouvelle  Espagne.  Ajoutons,  par  pa- 
renthèse, que  cette  ville  d'origine  indienne  et  antérieure 
à  la  conquête,  fut  quelquefois  qualifiée  de  Yieja  pour  la 
distinguer  de  St-Jago  de  Tolu,  sise,  elle  aussi,  dans  les 
même  province  et  département.  Cette  dernière" fut  bâtie 
en  1534  par  Pedro  de  Heredia,  sur  les  bords  de  la  mer 
des  Antilles.  Il  est  vraisemblable  qu'elle  prit  son  nom  de 
Tolu  de  la  ville  indiquée  plus  haut.  Ajoutons  que  les 
Indiens  habitant  à  l'ouest  de  Zénus,  vers  le  Pacifique, 
s'appelaient  eux-mêmes  Tules. 

Enfin,  une  ville  du  nom  de  Tola  apparaît  dans  la  carte 
publiée  par  l'abbé  Brasseur,  sur  les  rives  du  Rio  Mag- 
dalena, au  nord  du  pays  des  Chibchas  ou  Muyscas  de  la 
Cundinamarca.  Une  autre  Tola  d'ailleurs  est  encore  men- 
tionnée par  Alcedo  comme  faisant  partie  du  gouverne- 
ment et  de  la  province  de  Esmeraldas,  au  royaume  de 
Quito  (1).  Toute  cette  région,  on  le  voit,  apparaît  pleine 
du  souvenir  des  Toltèques  Occidentaux,  qui,  du  reste, 
ont  dû,  nous  le  verrons  tout-à-rheure,  pousser  leur  mi- 
gration bien  plus  loin  encore  vers  le  sud. 

Or,  précisément,  chez  les  Zénus,  nous  retrouvons  un 
système  fédératif  calqué  sur  le  modèle  de  ceux  du  Pla- 
teau d'Anahuac  et  du  Guatemala.  Ils  avaient  à  leur  tête 
un  conseil  composé  des  chefs  des  trois  états  ou  royaumes 

(I)  Alcedo,  Diccionario  Historico  geografico;  art.  Tola,  Tolu-Popol 
Vw//,  introd.    §  XU,  p.    CGII  et    p.  GGXLIX.    (Madrid  1788). 


CHEZ  LES  TOLTBQUES  OCCIDENTAUX  109 

du.  Zénu,  Panzènu  et  Tmzènu,  mais  auquel  s'adjoignait 
une  femme  chef.  Cette  nation,  d'ailleurs,  attribuait  son 
origine  à  trois  dieux,  lesquels  auraient  apparu  à  une  épo  - 
que  fort  ancienne  (1). 

C'est  également  le  système  politique  Toltéque  occiden- 
tal que  l'on  rencontrait  en  vigueur  clioz  les  Chibchas  ou  et 
Muyscas  du  Cundinamarca.  Ce  peuple,  on  le  sait,  habi- 
tait les  environs  de  la  cité  de  Santa  Fé  de  Bogota.  Le 
conseil  suprême  delà  confédération  était,  ici  encore,  com- 
posé des  chefs  de  trois  états  différents,  à  savoir  le  So- 
gomoso^  héritier  du  prophète  de  ce  nom,  lequel  passait 
pour  le  fondateur  de  l'état  Chibcha;  ensuite  le  Zipu,  ré- 
sident à  Muquèta,  aujourd'hui  Funza  ou  Funzha,  sur 
les  bords  delà  grande  rivière  du  même  nom;  enfin  le  Zag2<e 
de  Ramiriqui^  lequel  transféra  plus  tard,  le  siège  de 
sa  domination  à  Hunza  (2).  On  ne  nous  dit  pas  d'ail- 
leurs qu'une  femme  chef  ou  qu'un  Pontife  quelconque  ait 
pris  part  aux  délibérations  du  conseil. 

Nous  n'oserions  pas  toutefois  soutenir  avec  l'abbé 
Brasseur  qu'un  souvenir  de  la  trinité  ou  mieux  de  la  tria- 
de Nahuatle  se  retrouve  dans  la  statue  à  trois  têtes  du 
temple  de  Boyama,  près  de  Tunja  ou  Tunga,  dans  l'an- 
cienne province  et  arrondissement  de  Pasto  (Royaume  de 
Quito),  au  nord-ouesl  de  Bogota,  non  plus  que  dans  la 
semaine  de  trois  jours  en  vigueur  chez  les  Muyscas  (3). 

Enfin,  comme  le  fait  observer  le  docte  ecclésiastique, 
le  suprême  triarchique  d'origine  Nahuatle,  se  maintient 
chez  les  GhanchasdQ  la  côte  Péruvienne,  jusqu'au  XIIP 

(Ij  P(?po/-Vu/t,  introdu€lioii§  VII,  p.  GXIX  et  §  XIII,  p.  CCXLIX. 

(2)  Popol-Vuh,  introd,  S  XIII,  p.  GCXLVII. 

(3)  Pop-vuh,  Inlrod.  §  XIII,  p.  GGXLVIII.  —  Alcedo,  Die.  Hist., 
geogr.  art,  Tunja.  Ajoutons  à  titre  de  simple  bizarrerie,  et  sans 
prétendre  tirer  de  ce  fait,  la  moindre  conclusion,  l'existence  au 
moins  probable  d'une  période  de  trois  jours  chez  les  anciens  Cas- 
ques. Voir  Bulletin  des  actes  delà  société  philologique,  t.  l'-'',  p.  91. 


HO  DBS  NOMBRES  SYMBOLIQUES 

siècle  de  notre  ère,  époque  à  laquelle  ils  furent  assujettis 
parlesincas.  A  leur  tête  se  trouvait  un  Sénat  composé 
de  trois  chefs,  à  savoir  Hiiaiica-Huallu,  Tu?nai  Huara- 
ca  et  Aztu-Hua^raca,  Le  premier  de  ces  personnages 
aima  mieux,  dit-on,  s'exiler  que  de  se  soumettre  à  la  do- 
mination Quichua  (1). 

Le  docteM.  Jimenes  de  la  Espada  signaleavec beaucoup 
raison,  l'affinité  que  présentent  entre  elles,  les  popula- 
tions cotières  du  Pérou,  et  certaines  populations  Asiati- 
ques au  point  de  vue  de  la  croyance  à  une  vierge-mère 
et  à  une  sorte  de  triade  ou  même  de  Trinité.  Nous  ne 
voulons  pas  aborder  ici  la  question  des  rapports  ayant  pu 
exister  entre  les  deux  continents  à  des  époques  plus  ou 
moins  reculés:  l'examen  d'une  pareille  question  nous  en- 
traînerait trop  loin  et  nous  nous  réservons  delà  traiter  plus 
en  détail  par  la  suite.  Bornons-nous  à  le  faire  observer, 
les  deux  particularités  mentionnées  par  le  savant  Améri- 
cain, s'expliquent  de  la  façon  la  plus  satisfaisante  par  cette 
considération  que  des  peuplades   de  civilisation  mexi- 
caine proprement  dite,  avaient  sans  doute  visité  ces  ré- 
gions. On  sait  que  leur  influence  se  fait  sentir  jusque 
dans  le  système  architectural  du  fameux  temple  de  Tia- 
guanaco,  en  Bolivie.  Au  contraire,  l'influence  floridienne 
ou  Tollèque  Orientale  semble  avoir  dominée  seule  chez 
les  Quichuas,  originaires  de  Cusco  et  des  rives  du  lac  de 
Titicaca  (2).  En  un  mot,  chez  la  plupart  des  tribus  d'ori- 
gine Nahuatle,  nous  trouvons  en  vigueur  le  système  de 
fédération  triarchique.  Ce  n'est  guère  que  dans  certains 
rameaux   du  groupe    Toltéque   Oriental,  par  exemple 
chez  les  Natchez  de  la  Louisiane  et  les  Péruviens  propre- 
ment dits  que  règne  l'absolutisme  théocratique  des  en- 
Ci)  Popol-vuh,  iulrod.  §X11I,  p.  GGXXX  et  GCXXXI. 
(2)  Angraiid,  Lettres  sur  les  antiquités  de  Tiaguanaco.  p.  44  et  43* 


CHEZ  LES  TOLTÈQUES  OCCIDENTAUX  111 

fants  du  soleil.  Les  habitants  des  rivages  du  grand  Océan, 
compris  entre  Huira,  au  nord  de  Lima  et  ïruxillo,  dans 
l'ancien  royaume  de  Chimu  ou  Yuncas,  expliquaient  ainsi 
l'origine  de  leur  nation.  Vichama  OMHuichama,  fils  du 
Soleil  et  de  l'Eve  des  Yuncas,  ayant  changé  en  pierres 
toutes  les  créatures  formées  par  son  frère  Pachacamac, 
pria  son  père  de  fabriquer  de  nouveaux  hommes,  afin  de 
repeupler  le  monde.  Celui-ci  aurait  envoyé  trois  œufs, 
l'un  d  or,  l'autre  d'argent,  et  enfin  le  troisième  de  cuivre. 
Du  premier,  sortirent  les  chefs,  les  Caracas,  les  nota- 
bles. Les  épouses  de  ces  personnages  sortiront  de  l'œuf 
d'argent.  Enfin,  l'œuf  de  cuivre  donna  le  jour  à  la  classe 
des  MitayosoM  Plébéiens  (1). 

Le  peu  que  nous  savons  des  anciennes  croyances  des 
Manacicas  du  Paraguay  offre  également  une  physiono- 
mie nahuatle  assez  prononcée.  Sans  doute,  cette  nation 
composée  d'une  vingtaine  de  tribus  indépendantes  les 
unes  des  autres,  ne  formait  point  une  confédération  de 
trois  principautés  comme  les  Chancas  ou  les  Zénus,  mais 
le  système  triarchique  s'y  retrouvait  en  vigueur  au  sein 
de  chaque  peuplade  en  particulier.  La  première  place 
dans  le  conseil  appartenait  au  Cacique  ou  chef  militaire, 
la  seconde  au  Mapono  ou  prêtre  des  idoles.  Le  sorcier 
ou  médecin  ne  venait  qu'ensuite.  Enfin,  les  chefs  infé- 
rieurs figuraient  seulement  au  quatrième  rang.  Du  res- 
te, cette  constitution  politique  semblait  comme  chez  les 
Mexicains  et  Quiches  du  Guatemala  avoir,  été  inspirée 
par  les  données  même  de  la  religion.  Les  Manacicas,  en 
effet  admettaient  trois  dieux  supérieurs  à  tous  les  autres, 
le  premier  s'appelait  O^nécaturiqui  ou  JJy^agosoriso  et 
avait  pour  épouse,  la  déesse  Quipoci,  laquelle,  sans  ces- 


(1)  M.  Jimenes  de  la  Espatla,  MUos  de  las  Yuncas,  p.  132  du  t. 
II  du  Cofigreso  internalional  de  kmericanistan,  Madrid  1883, 


112  DES  NOMBRliS  SYMBOLIQUES 

ser  d"être  vierge,  donna  naissance  à  la  seconde  personne 
de  leur  trinité,  le  dieu  Ursana.  Quant  au  dernier  mem- 
bre de  la  triarchie  divine,  on  l'appelait  Urapo.  Quipoci 
se  montrait  quelquefois  aux  hommes,  toute  resplendis- 
sante de  lumière.  Uragosoriso  ou  le  dieu  père  avait  pour 
attribut  par  excellence  la  justice.  Aussi  faisait-il  sa  prin- 
cipale occupation  du  soin  de  châtier  les  méchants.  Mais 
son  fils,  son  épouse,  ainsi  qu.' Urapo  intercédaient  sans 
cesse  auprès  de  lui  pour  qu'il  consentit  à  pardonner.  On 
•âfO.rmejiu' Uragosoriso  parlait  d'une  voix  haute  et  claire, 
tandis  que  son  fils  parlait  du  nez  et  qu' Urapo  se  faisait 
entendre  avec  un  bruit  comparable  à  celui  du  tonnerre. 
Ne  conviendrait-il  pas  de  voir  dans  ces  particularités  une 
preuve  que  ces  trois  déités,  comme  les  trois  Hurakans  des 
Quiches  du  Guatemala,  constituaient  autant  de  personni- 
fications des  phénomènes  météorologiques?  Uragosoriso 
aurait  figuré  le  grondementdu  tonnerre;  la  voix  nasillarde 
d'Ursana  pouvait  fort  bien  représenter  les  crépitements 
qui  accompagnent  l'éclair  ;  enfin  nous  verrions  volontiers 
dans  le  bruit  haut  et  clair  que  faisait  entendre  Urapo,  un 
symbole  de  la  foudre  qui  éclate.  Ajoutons  que  ces  trois 
divinités  des  Manacicas  portaient  collectivement  le  nom 
de  Téniamicas  {i),  de  même,  nous  l'avons  vu  plus  haut 
qu'au  Guatemala,  les  dieux  de  l'orage  recevaient,  eux 
aussi,  l'appellation  collective  de  «  Cœur  du  ciel  ». 

Si  l'on  ajoute  à  ce  qui  précède,  ce  fait  que  les  Mana- 
cicas admettaient  tout  comme  les  Pimas,  Mexicains, 
Quiches  et  Yuncas,  l'existence  d'un  héros  bienfaiteur, 
ou  Ubérateur  né  d'une  vierge,  (2)  on  ne  pourra  s'empê- 
cher de  trouver  que  les  croyances  de  ce  peuple  offraient 

(1)  Alcedo,  die.  geoyr.  hist,  t.  III.  kdiciones  y  correccioncs,  arl. 
Manacicas,  p.  438  et  suiv. 

(2)  Les  Naissances  (tiiraculeuses  tVaprès  les  traditions  Américaines, 
voy.  Picvue  des  Tàeligions,  a"  de  juillet-aoùl  1892, 


CHEZ  LES  TOLTÈQUiiS  OCCIDENTAUX  113 

une  singulière  saveur  de  christianisme.  C'est  à  se  de- 
mander si  les  Pères  Jésuites  qui  l'évangilisèrent  n'ont 
pas,  à  leur  propre  insu,  quelque  peu  exagéré  les  ressem- 
blances existant  entre  la  religion  des  Manacicas  et  les 
dogmes  évangéliques.  Pour  notre  part,  nous  ne  le  pensons 
guère.  C'est  surtout  en  matière  de  croyance  et  de  tradi- 
tion que  les  similitudes  peuvent  être  nombreuses  sans 
que  l'on  soit  toujours  en  droit  de  conclure  à  un  emprunt 
direct.  D'ailleurs,  les  affinités  entre  les  données  reli- 
gieuses des  Toltèques  occidentaux  et  celles  du  chris- 
tianisme semblent  se  manifester  surtout  dans  ce  que 
nous  pourrions  appeler  les  parties  matérielle  et  exté- 
rieure du  dogme.  L'esprit  en  reste  tout  différent.  Quel 
rapport  réel  peut-il  s'établir  entre  la  triade  guatéma- 
lienne, personnification  de  l'orage  et  de  la  foudre  et  la 
Trinité,  telle  que  nous  l'entendons? 

En  tout  cas,  nous  pouvons,  ce  semble,  d'après  ce  qui 
vient  d'être  exposé,  nous  faire  une  idée  de  la  genèse  des 
principes  sur  lesquels  reposait  la  théologie  des  peuples 
de  civilisation  nahuatle,  aussi  bien  que  leur  organisa- 
tion sociale  et  politique.  A  la  triade  symbolisant  les  phé- 
nomènes météorologiques,  l'on  attribuait  sinon  la  créa- 
tion de  l'univers,  chose  dont  les  indiens  d'Amérique  (1) 
ne  semblent  pas  avoir  plus  eu  l'idée  que  les  philosophes 
de  la  Grèce  antique,  au  moins,  le  débrouillement  du 
chaos,  la  formation  de  l'espèce  humaine  et  peut-être 
même  l'institution  de  la  vie  policée.  Au-dessus  de  la  dite 
triade,  néanmoins,  se  trouvait  placée  la  puissance  su- 
prême, l'auteur  mystérieux  de  la  vie  universelle  repré- 
senté par  le  principe  femelle  et  sans  doute  assimilé  au 
soleil  sous  les  noms  du  Tloque  Nahuaque,liit.  «créateur 

(1)  N.  PeiTol,  Mémoires  sur  les  nvnirs,  coutumes  et  religion  des 
sauvages  deV Amérique  septentrionale  (publiés  par  leR.  P.  Tailhan), 
chap.  I,  p.  5,  (Paris  et  Leipzig,  1864.) 


114  DES  NOMBRES  SYMBOLIQUES 

de  toutes  choses  «  Ipalnénwhuani,  litt.  «  Celui  par  qui 
nous  vivons  et  subsistons.  (1)  » 

L'esprit  hiératique  de  ces  populations  se  plaisait  à 
appliquer  autant  que  possible,  sur  terre,  les  concepts  de  la 
théologie  ;  les  trois  chefs  unis  par  un  lien  fédéral  étaient, 
pour  ainsi  dire,  les  représentants  des  membres  de  la 
triarcliie  divine.  Quant  au  quatrième  collègue  qui  leur 
était  adjoiat,  l'on  doit,  croyons-nous,  voir  en  lui  Tem- 
blême,  à  la  fois,  de  la  puissance  suprême  et  du  principe 
femelle.  Parfois,  en  effet,  ce  rôle  était  dévolu  à  une 
femme,  mais  plus  souvent,  il  est  vrai,  à  un  personnage 
du  sexe  mascuUn.  Ceci  n'offre,  du  reste,  rien  qui  nous 
doive  surprendre.  Est-ce  la  première  fois  qu'au  sein  des 
religions  polythéistes,  l'on  rencontre  une  divinité  mâle 
chargée  de  représenter  ce  même  principe  femelle.  Inutile 
de  rappeler  ici  sous  quelle  forme,  les  adorateurs  du 
Lingam  vénèrent  Wischnou.  (2) 

Diverses  légendes  relatives  à  ce  dieu  nous  le  repré- 
sentent, d'ailleurs,  toujours  disposé  à  se  métamorphoser 
en  femme.  C'est  sous  ce  déguisement  notamment  qu'il 
trompe  les  géants  lorsque  ceux-ci  veulent  ravir  l'am- 
broisie aux  dieux,  qu'il  séduit  les  pénitents  dont  Chiwa 
convoitait  les  épouses.  (3). 

Peut-être  enfin,  mais  nous  n'oserions  rien  affirmer  à 
cet  égard,  est-ce  la  vénération  de  ce  nombre  3,  considéré 
comme  le  nombre  pohtique  par  excellence,  qui  aura 
décidé  les  Mexicains  à  prendre  pour  hiéroglyphes  des 
quatre  années  du  lustre,  les  signes  du  troisième  jour  de 


(1)  Veytia,  Historia  antigua  de  Mejico,  t.  I.,  cap.  I.,p.  7. 

(2)  Sonnerai,  Voyage  aux  Indes  Orientales  et  à  la  Chine,  t.  I,  liv.  2, 
art.  III,  p.  319  (Paris,  1782.) 

(3)  Picart,  Cérémonies  et  coutumes  religieuses  de  tous  les  peu- 
ples, t.  VI,  chap.  IV,  p.  71  (Paris  1808).  —  Sonnerai,  Voyage  aux 
Indes  Orientâtes,  etc.  l.  I,  liv.  2,  arl.  II,  p.  278  el  art.  III,  p.  314. 


CHEZ  LES  TOLTÈQUES  OCCIDENTAUX  115 

chacun  des  quints  entre  lesquels  se  répartissaient  les 
vingt  jours  du  mois  Toltêque.  On  pourra  juger  de  ceci 
par  le  tableau  ci-joint  : 

I"  quint,  lo  Cipactii.  —2'^  Ehécatl.  —  S^'TOCHTLI. 

—  4^  Cuetzpalin.  —  o°  Coati. 

IP  quint.  l^MiquizUi.  —2^  Mazail.  —  'i"  kCk'Vh.  — 
4^  AU.  —  5°  Itzcuintli. 

IIV  quint.  P  Ozomatli.  —  '2°  Malinalli.  —  TEC- 
PATL.  —  4°  Xolotl.  —  5°  Quauhtli. 

IVe  quint.  1°  Cozquavhtli. —2°  Ollin.  —  3'  CALLI. 

—  4"  Quiahvitl.  —  5"  Xochitl. 

Que  la  valeur  cabalistique  attribuée  à  certains  nombres 
ait  été  jugée  assez  importante  pour  servir  de  base  à 
toute  une  organisation  sociale  et  politique,  voilà  ce  qui 
peut,  à  bon  droit,  nous  sembler  étrange.  Ne  Toublions 
pas  cependant,  les  membres  des  sociétés  primitives  ont 
une  bien  autre  autre  façon  déjuger  des  choses  que  nous. 
Leurs  tendances  demeurent  toutes  empreintes  de  hiéra- 
tisme. Les  spéculations  de  l'ordre  abstrait  ne  jouaient 
pas  chez  eux  un  rôle  moins  considérable  peut-être  que 
chez  nos  contemporains.  Seulement,  ils  entendaient 
l'abstraction  d'une  façon  bien  différente.  Tout  ce  qui 
touche  au  symbolisme  revêt  à  leurs  yeux  une  impor- 
tance capitale  et  dont  on  ne  saurait  guère  aujourd'hui 
se  faire  une  idée.  L'esprit  hiératique,  chez  eux,  fait  sen- 
tir son  influence,  non  seulement  dans  les  détails  du 
culte  et  le  cérémonial  religieux,  mais  encore  dans  les 
manifestations  de  la  vie  publique  et  la  constitution  de  la 
cité.  Cette  tendance,  on  peut  le  dire,  a  été  universelle  à  un 
moment  donné  de  la  civilisation.  Ainsi,  nous  voyons  les 
Ioniens  de  TAcha'ie  fonder  une  dodécarchie  sur  les  côtes 
de  r Asie-mineure,  en  souvenir  de  celle  qu'ils  avaient 
fondée  dans  le  Péloponèse,  avant  d'être  expulsés  par  les 
Achéens.  Tel  était  pour  eux,  le  caractère  sacré  attribué 


ll(j  DES  NOMBRES  SYMBOLIQUES 

à  ce  nombre  douze,  qu'ils  ne  consentirent  jamais,  en 
dépit  de  l'accroissement  de  la  population,  à  augmenter 
le  nombre  des  villes  faisant  partie  de  la  ligue  Ionienne  (  1  ). 

Nous  n'avons  pas  d'ailleurs  à  examiner  la  question 
desavoir  si  ce  n'était  pas  la  dodécarchie  asiatique  qui  au  - 
rait  servi  de  prototype  à  celle  de  la  Grèce  européenne.  La 
seule  chose  qui  nous  importe  ici,  c'est  la  valeur  cabalis- 
tique attribuée  au  nombre  en  question.  Citons  encore 
comme  modèle  d'application  des  mêmes  données  sym- 
boliques, l'Amphictyonie  des  Thermopyles  composée,  au 
dire  de  l'orateur  Eschine,  de  douze  cités  ou  peuplades 
du  voisinage  (2).  Enfin,  les  confédérations  formées  par 
les  Etrusques,  l'une  en  Toscane,  l'autre  dans  la  vallée 
du  Pô,  comprenaient  chacune  également  douze  villes 
principales  ou  chefs-lieux  (3).  L'on  croit  d'ailleurs  qu'il 
en  avait  été  exactement  de  même  pour  la  troisième  ligue 
étrusque,  celle  de  la  Campanie,  laquelle  ne  tarda  pas 
à  succomber  sous  les  coups  des  Samnites.  L'on  tenait 
tellement  à  conserver  ce  nombre  fatidique  de  douze,  que 
lorsqu'une  de  ces  métropoles  venait  à  être  conquise  oa  à 
perdre  de  son  importance,  une  autre  était  immédiate- 
ment choisie  pour  la  remplacer  (4). 

Suivant  toutes  les  apparences,  cette  symbolique  du 
nombredouzeseraitd'origine  sémitique.  On  constate  assez 
les  traces  profondes  d'influence  orientale  qui  se  mani- 

(1)  Herodoli  histor.  I,  43-46.  —  M.  H.  FrancoLte,  Les  populations 
primitives  de  la  Grèce,  p.  42  de  la  section  du  compte-rendu  du 
Congrès  scientifique  international  des  catholiques,  (Po^ns,  1871). 

(2)  Clavier,  Histoire  des  premiers  temps  de  la  Grèce,  t.  Il,  p.  35, 
(Paris,  1809.) 

(3)  Tile-Live,  Hist.  lib.  V,  cap.  XXXHl.  —  M.  V.  Duruy,  Histoire 
des  romains  et  des  peuples  soumis  à  leur ^domination,  t.  I,  chap.  11, 
§  V,  p.  37  et  38  (Paris,  1843.) 

(4)Voy.  art.  Etrusques  par  M.  Gobley,  p.  208  et  suiv  du  t.  X,de 
^Encyclopédie  des  gens  du  monde  (Paris,  1838). 


CHEZ  LES  TOLTÈQUES  OCCIDENTAUX  117 

festent  dans  la  civilisation  de  l'antique  Toscane.  Rappe- 
lons-nous,  d'ailleurs,   les    douze    tribus   d'Israël.    La 
meilleure  preuve  que  ce  nombre  n'avait  pas  été  choisi 
au  hasard,  c'est  que  pour  l'obtenir,  il  avait  fallu  attri- 
buer   une  double  part   à   la  postérité    de   Joseph  et 
reconnaître,  comme  phyllarques,  ses  deux  fils  Ephraïm 
et  Manassé.  Au  contraire,  les  enfants  des  autres  patriar- 
ches(Lévi excepté),  n'avaient  chacun  qu'une  seule  portion 
du  territoire  conquis  et  ne  comptaient  que  pour  une  seule 
tribu  (1).  Sans  doute,  les  nombres  cabalistiques  diffèrent 
le  plus  souvent  dans  les  deux  continents,  mais  ne  déri- 
vent-ilspasdescomputsdu  calendrier,  lesquels  n'étaient 
point  les  mêmes  dans  chacun  des  hémisphères  oriental 
et  occidental,  aussi  bien  que  de  l'adoration  des  phéno- 
mènes célestes  ?  Sémites,  Hellènes,  Etrusques  avaient 
consacré  le  nombre  douze,  vraisemblablement  comme 
étant  celui  des  mois  de  l'année.  Ne  se  trouvait-il  pas 
d'ailleurs  formé  du  sept,  symbole  du  monde  céleste  et 
planétaire  et  de  cinq,  emblème  des  points  de  l'espace,  (2) 
y  compris,  bien  entendu,  le  point  central  ?  Au  contraire, 
le  culte  des  phénomènes  météorologiques  aura  conduit 
lesToltèques  occidentaux  à  préférer  le  nombre  trois.  De 
part  et  d'autre,  on  n'est  guère  tombé  d'accord  que  sur 
un  point,  mais  celui-là  d'importance  capitale,  à  savoir, 
la  valeur  politique  et  sociale  à  attribuer  aux  nombres 
consacrés  par  la  religion. 

C'est  surtout  chez  les  Toltéques  occidentaux  que  le 
nombre  cinq  parait  avoir  revêtu  un  caractère  sacré.  A 

H)  De  quelques  idées  symboiques  se  rattachant  au  nom  des  douze 
fils  de  Jacob,  p.  191  et  suiv.  du  4=  vol.  des  Actes  de  la  société  phi- 
lologique, !■■»  série  (Paris,  1873-74.) 

(2)  Essai  sur  la  sijmboUqne  planétaire  ches  les  Sémites,  p.  381  et 
suiv.  du  t.  XI  de  la  Hevue  de  linguistique  et  de  philologie  comparée 
(Paris,  1878.) 


118  DES  NOMBRES  SYMBOLIQUES 

Mexico,  le  Tianquizon  marché  se  tenait  de  cinq  en  cinq 
jours  et  cette  période  a  parfois  même  été  considérée 
comme  une  sorte  de  semaine,  quelque  peu  analogue  à 
notre  semaine  de  sept  jours  (1;.  Ajoutons  qu'à  Meztitlan, 
chaque  habitant  était  tenu  à  fournir,  tous  les  cinq  jours, 
quatre  bûchettes  ou  morceaux  de  bois  destinées  à  l'en- 
tretien d'un  feu  perpétuel  dans  le  principal  temple  de  la 
ville  (2), 

Enfin  les  peuples  de  civilisation  occidentale  admet- 
taient cinq  âges  ou  périodes  cosmiques,  tandis  que  les 
Toltèques  orientaux  n'en  reconnaissaient  que  quatre. 
L.  Angrand  qui,  le  premier,  a  constaté  ce  fait,  le  regarde 
comme  l'un  des  plus  caractéristiques  au  point  de  vue  des 
dogmes  propres  à  chacun  des  deux  grands  courants  ci- 
vihsateurs  de  l'Amérique  (3),  et  aussi,  comme  l'un  de 
ceux  sur  lesquels  reposait  le  grand  schisme  dont  le  my- 
thique Qiietzalcoatl  aurait  été  le  promoteur  originel. 
Nous  avons  étudié  assez  longuement  cette  question 
dans  un  travail  précédent  pour  n'avoir  pas  à  y  re- 
venir ici  (4) . 

On  remarquera  seulement  que  les  habitants  de  Tlaxcal- 
lan,  bien  qu'apparentés  de  très  près  aux  Mexicains  par 
la  langue,  la  religion  et  sans  doute  en  partie  du  moins, 
par  le  sang,  paraissent  néanmoins  n'avoir  admis  que 
quatre  âges  cosmiques,  au  lieu  de  cinq  ;  mais  ceci  ne 
doit  pas  nous  étonner  puisque  leur  pays  avait  été  long- 
temps occupé  par  les  Ulmêques,  peuple  incontestable- 


(1)  Abbé  Brasseur  de  Bourbourg,  His.  des  nat.  civil.,  etc.,  t.  3. 
liv.  12«,  chap.  lo%  p.  464. 

(2)  Lettres  diverses  p.  305  du  2°  livre  des  Pièces  sur  le  Mexique,  de 
la  collect.  Ternaux-Gompars. 

(3)  L.  Angrand,  Lettres  mr  lés  antiquités  de  liaguanaco,  pages 
35  et  36. 

(4)  Bes  âges  ou  soleils,  chap.  13  et  suiv.du  tome  \\  du  Congreso  in- 
ternacional  de  Amer icanistas  (Madrid  1881), 


CHEZ   LES  TOLTÈQUBS  OCCIDENTAUX  119 

ment  de  civilisalion  orientale  et  qui  a  bien  pu  trans- 
mettre à  ses  vainqueurs,  quelques  éléments  du  symbo- 
lisme religieux  (1). 

Il  convient  d'ajouter  qu'une  certaine  corrélation  fût 
établie  entre  le  nombre  des  âges  cosmiques  et  celui  des 
points  de  l'espace  ;  leur  nombre  était  le  même  chez  les 
peuples  appartenant  à  chacun  des  deux  courants  en 
question,  à  savoir  de  quatre  chez  les  Orientaux,  de  cinq 
chez  les  Occidentaux.  Nous  laissons  de  côté,  bien  en- 
tendu, les  Zunis  du  Nouveau  Mexique  dont  la  symbo- 
lique beaucoup  plus  compliquée  faisait  figarer  au  nombre 
des  points  cardinaux,  le  Nadir  et  le  Zénith  (2).  Il  s'agit, 
sans  aucun  doute,  ici,  d'une  addition  d'époque  relative- 
ment récente.  Du  reste,  les  peuples  du  Mexique  et  du 
Centre -Amérique  et  d'autres  encore  s'étaient  plu  à  attri- 
buer à  chacun  de  ces  points,  une  couleur  particulière  et 
le  génie  qui  y  présidait  avait  également  sous  sa  protec- 
tion ,  une  des  années  du  cycle  de  quatre  ans  (3) . 

Une  légende  rapportée  par  Mendieta  expose  d'une  fa- 
çon fort  pittoresque,  les  idées  des  Aztèques  à  cet  égard. 
Le  soleil  n'existant  pas  encore,  les  dieux  se  placèrent 
aux  quatre  côtés  d'un  grand  bûcher.  L'homme  ou  la  di- 
vinité qui  aurait  le  courage  de  s'y  précipiter  serait, 
à  la  vérité  ..dévoré  par  les  flammes,  mais  ensuite,  jouirait 
de  l'honneur  d'être  transformé  en  l'astre  du  jour  (4).  Le 
calendrier  mexicain  avec  ses  quatre  signes  dès  points 
de  l'espace  et  des  années  du  lustre  à  chacun  de  ses  cô- 

{i)Ibii.%.  II,  11°  1,  p.  88. 

(2)  M.  Franck  Hamiltoii  Gushing,  Ziuii  fétiches,  pages  25  et  suiv. 
du  2"=  Aunual  report  of  the  bureau  of  ELhnoloçjy  to  tlie  secretary  of 
Smithsonian  imtitulion,  1880-81  (Wa>liinglon,  1883) 

(3)  Des  couleurs  considérées  comme  symboles  des  points  de  V horizon 
chez  les  peuples  du  Nouveau-Monde,  p.  151  ot  suiv.  du  f.  VIII  des 
Actes  de  la  Société  philologique  (Alcnçon   1879). 

(4)  Mendiela,  Uistoria  ecclesiastica  indiana,  liv.  2",  cap.  H,  p.  79. 


J20  DES  NOMBRES   SYMBOLIQUES 

tés,  et  ayant  au  centre  l'image  du  soleil,  a,  sans  doute 
donné  naissance  à  ce  bizarre  récit. 

Vraisemblablement,  nous  retrouvons  une  trace  de 
cette  symbolique,  jusque  dans  l'Amérique  du  Sud. 
D'après  la  tradition  des  habitants  de  Huaranchi  et  ré- 
gions avoisinantes,  sur  la  côte  Péruvienne,  recueillie  par 
Avila,  cinq  œufs  merveilleux  auraient  apparu  sur  la 
colline  de  Condorcato,  à  une  époque  fort  ancienne  (1). 
En  ce  qui  concerne  la  symbolique  des  nombres  sept  et 
treize,  chez  les  Toltèques  occidentaux  nous  ne  pouvons 
guère  que  renvoyer  le  lecteur  à  nos  mémoires  publiés 
antérieurement  (2).  Mais  un  mot  nous  reste  à  dire,  au 
sujet  du  caractère  sacré  que  revêtait  le  nombre  quatre  ; 
c'est  celui  des  points  de  l'espace  ;  aussi,  presque  partout 
a-t-il  été  un  objet  de  vénération.  On  le  respectait  chez 
les  Toltèques  occidentaux  aussi  bien  que  chez  les  Toltè- 
ques orientaux.  Ainsi,  dans  le  récit  mythique  de  la 
fondation  de  Mexico,  nous  voyons  le  dieu  prescrire  à 
son  peuple  de  se  partager  en  quatre  groupes  qui  de- 
vaient chacun  avoir  leurs  idoles  spéciales  et  habiter 
un  quartier  séparé  (3).  De  même,  au  Mexique  encore, 
les  républiques  aristocratiques  de  Tlaxcallan,  de  Tépé- 
yacac  et  de  Huexotzinco,  apparaissent  gouvernées  par 
un  conseil  de  quatre  chefs  dont  chacun  avait  la  direction 

(1)  M.  J.  de  la  Espada,  Mitos  de  los  luncas  (Ubi  suprâ),  p.  132  — 
Pop.  vuh,  Introd.  §  XIII,  p.  241. 

(2)  De  quelques  idées  symboliques  se  rattachant  aux  noms  des 
douze  fils  de  Jacob,  p.  210  et  suiv.  du  t.  IV  des  Actes  de  la  société 
philologique  —  Les  cités  Votanidas,  p.  373  et  suiv.  du  t.  IV  du 
Muséon,  Louvain,  1834. 

(3)  Herrera,  Histoire  générale  des  voyages  et  conquêtes  des  Castillans, 
etc.,  etc.  Trad.  de  l'Espagnol  par  M.  de  la  Coste,  p.  156  (Paris 
1871)  apud  M.  G.  N.  Slarcke,  La  famille  primitive,  chap.  II,  p.  74 
(Paris)  1891,  t.  LXXI  de  la  Bibliothèque  scientifique  internationale, 
publiée  par  M.  Eûglave. 


CHEZ  LES  TOLTÈQUES  OCCIDENTAUX  421 

spéciale  de  l'un  des  quartiers  de  la  ville  (1),  mais  il  se- 
rait possible  qu'ici  une  certaine  influence  des  idées 
orientales  se  soit  fait  sentir. 

Les  peuples  du  rameau  floridien  ou  toltèque  oriental  ne 
semblent  point  avoir  eu  pour  la  symbolique  et  les  calculs 
cabalistiques  un  goût  aussi  vif  que  les  Occidentaux.  Ce 
qui  est  certain,  c'est  que  chez  eux,  le  nombre  quatre  a 
rempli  parfois  un  rôle  analogue  à  celui  que  jouait  le  trois 
parmi  les  nations  Nahoas  proprement  dites. 

Ainsi,  au  Yucatan,  les  signes  du  quatrième  jour  de 
chacun  des  Quints  entre  lesquels  se  répartissait  le  mois 
de  vingt  jours,  servaient  d"'hiéroglyphes  aux  années  du 
lustre.  C'est  ce  que  démontre  clairement  le  tableau  sui- 
vant. 

V  quint.—  l''  I)7îOx.  —  2°  Ik  — .  3°  Akbal—.  4° KAN. 
—  3°  Qhicchmi.        f 

IP  quint.  —  1°  Cimi.  —  2"  Manik.  —  3"  Lanial.  — 
4°  MULUC.  —  3°  Oc. 

IIP  quint.  —  1°  Chuen.  —  2"  Eb.  —3°  Been.  —  4" 
IX.  —  3°  Men. 

IV^  quint.  —  i°  Cib.  —  V  Caban.  —  3°  Ezanab.  — 
4*^  CAUAC.  —  3°  Ahau, 

On  se  rappelle  d'ailleurs  la  division  quadripartite  de 
l'empire  des  Quichuas,  œuvre,  dit-on,  attribuée  à  Sin- 
chi-Rocha,  le  deuxième  inca.  Elle  mérite  sans  doute 
d'être  déclarée  plus  ancienne  que  le  monarque.  L'empire 
se  trouvait  réparti  en  quatre  grandes  provinces  ou  ré- 
gions répondant  chacune  à  l'un  des  points  de  l'horizon. 
C'étaient;  à  l'Est,  VAnti-Suyu  ou  «  pays  des  Antis  », 
peuple  sauvage  habitant  la  Cordillère  des  Andes  ;  au 
Nord,  le  Chincha-Puyu  ;  à  l'Ouest,  le  Cunti-Suyu  ;  au 
Midi,  enfin,  le  Colla  Siiyu.  Toutes  ces  contrées  réunies 

(1)  Abbé  Brasseur  de  Bourbourg,  Hist.  des  nat.  civil.,  etc.,  t.  III, 
iiv.  12,  chap.  i%  p.  575  (en  note). 


122  DES  NOMBRES  SYMBOLIQUES 

formaient  le  Tahuantin-Suyu,  litt.  «  les  quatre  ré- 
gions »  (1),  c'est-à-dire  non  seulement  les  terres  de  l'em- 
pire Incacique,  mais  encore  toutes  celles  qui  restaient  à 
conquérir  ;  en  un  mot,  l'univers  entier.  Ajoutons,  en 
terminant,  que  le  même  nombre  dut  être  en  honneur  au 
sein  des  populations  Votanides,  qui,  sans  aucun  doute, 
appartenaient  au  courant  Toltèque  oriental.  Votan  avait, 
d'après  les  anciennes  traditions,  établi  une  tétrarchie 
formée  de  quatre  royaumes  secondaires,  àsavoir,  ceuxde 
Yucathan,  Guatemala,  Tulhà  et  Na-Chan  (2).  Sans  doute, 
cette  légende  nous  semble  bien  fabuleuse  ;  jamais  la 
monarchie  fondée  par  le  prince  de  la  lignée  des  Chans 
ou  serpents  n'a  dû  englober  un  territoire  aussi  étendu, 
mais  enfin  elle  nous  renseigne  tout  au  moins  sur  les 
principes  de  symbolisme  en  vigueur  chez  ceux  qui  l'ont 
inventée.  Disons  enfin,  en  terminant,  que  l'on  attribuait 
au  même  personnage,  quatre  voyages  (aller  et  retour) 
de  Valum-Votan^  litt.  «  la  Terre  de  Yotan  »,  le  pays 
Tzendale  dans  la  province  de  Chiapas  »  à  Valmn-Chi- 
vim,  c'est-à-dire  Xibalba  (3).  Cette  ville  célèbre  était 
probablement  identique  à  la  cité  actuelle  de  Xicalanco, 
au  nord-ouest  du  Yucatan.  Elle  paraît  avoir  constitué  le 
premier  des  établissements  fondés  en  ces  régions  par 
les  colons  du  rameau  oriental  (4j. 

COMTB  DE  ChARENCEY. 


(l)E.  Desjardins,  Le  Pérou  avant  la  conquête  espagnole,  III,  p.  49 
et  IV,  p.  117  (Paris  1858)  —  M.  D.  J.  Brinton,  American  hero- 
77iijths,  chap.  Y,  p.  179  et  180  (Pliiladelphia,  1882). 

(2)  Le  Mythe  de  Votan,  p.  10  (2"=  vol.  des  Actes  de  la  société  phi- 
lologique), Alençon  J871.  — De  quelques  idées  symboliques  se  ratta- 
chant au  nom  des  douze  ^Is  de  Jacob,  p.  210  du  t.  III  des  Actes  de 
la  Soc.  phil. 

*(3)  Le  Mtjthe  de  Votan,  p.  13  —  G-ibrcra,  Description  of  the  Ruins 
of  an  ancienlcitij  discovored  near  Pa'enque,  p.  33  et  suiv. 

(4)  Les  cités  Votanides,  l'd,  p.  644  et  suiv.  du  t.  lY  du  Muséon. 


UNE   EPOPEE    BABYLONIENNE 


IS-TU-BxVR  -   GILGAMÈS 


Cinquième   article. 


INTRODUCTION    (Suite). 

Complainte   funèbre  sur  Eabani  ;  son  évocation  ; 
les  enfers. 

Rentré  dans  Uruk,  après  une  aussi  cruelle  décep- 
tion, Gilgamès  ne  paraît  pas  avoir  repris  goût  à  la 
vie.  Dans  son  isolement,  plus  vive  lui  revint  la  douleur 
qu'il  avait  ressentie  de  la  perte  de  son  ami,  plus  grande 
aussi  sa  frayeur  devant  cette  perspective  d'une  mort 
désormais  inévitable.  Dans  son  esprit  inquiet,  intermi- 
nablement, il  roulait  les  mêmes  pensées  sombres, 
pleurant  tour  à  tour  sur  Eabani  et  sur  lui-même,  car, 
la  pitié  n'allait  point  en  lui  sans  égoïsme,  et  le  souvenir 
de  son  ami  lui  remettait  sans  cesse  sous  les  yeux  Timage 
de  la  mort.  Plus  de  doute,  il  aurait  lui  aussi,  Gilgamès, 
le  même  sort  déplorable  qu'Eabani.  Mais  quel  était 
donc  ce  sort  qui  l'attendait?  quelle  était  au  juste  la 
condition  des  morts  dans  l'autre  vie  ?  S'il  pouvait  sa- 
voir seulement...  !  Ainsi,  en  cette  âme  primitive,  aux 
sentiments  mêlés  de  pitié  et  d'égoïsme ,  venait  se  joindre 


d24  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

encore  cet  instinct  de  curiosité,  qui  poussa  l'homme, 
dès  les  premiers  jours,  à  s'enquérir  anxieusement  des 
choses  de  l'autre  monde. 

Nous  le  voyons  d'abord,  absorbé  tout  entier  dans  sa 
douleur,  entonner  un  chant  de  deuil  en  l'honneur 
de  son  ami,  —  une  triste  mélopée,  modulée  sur  un 
rythme  grave,  où  sans  cesse  revient,  parmi  les  souve- 
nirs glorieux  et  familiers,  avec  la  monotonie  d'un 
refrain,  le  thème  éternel  de  la  mort  :  «  Hélas  !  Eabani, 
nous  ne  te  verrons  plus  te  diriger  vers  le  temple,  re- 
vêtu de  blancs  vêtements,  ni  t'oindre  de  la  graisse  du 
taureau  dont  l'odeur  exquise  faisait  courir  après  toi  ! 
Nous  ne  te  verrons  plus  tendre  l'arc  meurtrier  contre 
tes  ennemis,  ni  t'avancer  majestueusement,  le  sceptre 
en. main,  car  voici  que  t'enveloppent  de  toutes  parts 
ceux  que  tu  as  frappés,  et  que  les  mânes  te  poursui- 
vent de  leurs  malédictions  !  Tu  ne  lieras  plus  à  tes 
pieds  des  sandales,  et  tu  n'adresseras  plus  de  fière  pro- 
vocation à  la  terre  !  Désormais,  il  ne  te  sera  point 
donné  d'embrasser  la  femme  que  tu  aimes,  ni  de  battre 
la  femme  que  tu  détestes!  Non,  il  ne  te  sera  point 
donné  d'embrasser  le  fils  que  tu  aimes,  ni  de  battre  le 
fils  que  tu  détestes  !  Hélas,  hélas  !  la  terre  en  rugissant 
s"est  refermée  sur  toi!  Tu  es  devenu  la  proie  de  la 
sombre,  de  la  noire  mère,  la  déesse  Nm-a-zu^  la  té- 
nébreuse, d'aspect  mystérieux  et  redoutable,  avec  son 
visage  voilé  et  sa  poitrine  de  taureau  !  (1)  » 

Gilgamès,  dans  son  affliction,  cria  sa  plainte  à  tous 
les  échos.  Il  courut  de  sanctuaire  en  s.anctuaire  s'adres- 
ser à  tous  ses  dieux,  espérant  trouver  auprès  d'eux 
consolation  et  secours... 

Prosterné  aux  pieds  du  dieu  Nin-gul,  il  lui  confia  sa 

(1)  Tab.  XII.  Col.  1,1.  11-31. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  125 

peine  :  «  Autrefois,  hélas!  il  était  loisible  à  Eabani 
d'embrasserla  femme  qu'il  aimait,  et  de  battre  la  femme 
qu'il  détestait!  Oui,  il  lui  était  loisible  d'embrasser  le 
fils  qu'il  aimait,  et  de  battre  le  fils  qu'il  détestait!  Hélas, 
hélas  !  la  terre  en  rugissant  s'est  refermée  sur  lui  !  Il  est 
devenu  la  proie  de  la  sombre,  delà  noire  mère,  la  déesse 
Nm-a-zu,  la  ténébreuse,  d'aspect  redoutable,  avec  son 
visage  voilé  et  sa  poitrine  de  taureau  !  Voici  que  main- 
tenant Eabani  est  descendu  de  la  terre  aux  enfers... 
Il  est  mort  d'une  mortlamentable  !  Ce  n'est  point  le  dieu 
Namtar  qui  l'a  enlevé,  ni  un  démon  qui  l'a  emporté, 
la  terre  l'a  pris  !  Ce  n'est  point  le  ministre  de  Nergal 
impitoyable  qui  l'a  ravi,  la  terre  l'a  pris  !  Si,  du  moins, 
il  avait  été  frappé  avec  les  braves  sur  le  champ  de 
bataille,  non,  la  terre  l'a  pris  !  »  Si  émouvante  était  la 
prière  de  Gilgamès  que  le  dieu  Nin-gicl  en  fut  touché, 
et  versa  des  larmes  sur  Eabani,  son  serviteur  (1). 

Sans  doute, le  dieu iVi;z-^w^  était  impuissant  à  donner 
remède  à  sa  peine,  car,  aussitôt  après,  nous  voyons 
Gilgamès  se  diriger  tout  seul  vers  le  temple  de  Bel,  et 
recommencer  sa  supplication  :  «  Mon  père,  ô  dieu 
Bel,  me  voici  à  tes  pieds,  brisé,  anéanti  par  la  douleur  ! 
Eabani  est  descendu  de  la  terre  aux  enfers...  Il  est 
mort  d'une  mort  lamentable  !  Ce  n'est  point  le  dieu 
Namtar  qui  l'a  enlevé,  ni  un  démon  qui  l'a  emporté, 
la  terre  l'a  pris  1  Ce  n'est  point  le  ministre  de  Nergal 
impitoyable  qui  l'a  ravi,  la  terre  l'a  pris  !  Si,  du  moins, 
il  avait  été  frappé  avec  les  braves  sur  le  champ  de  ba- 
taille, non,  la  terre  l'a  pris  !  »  Sa  supplication,  hélas  ! 
demeura  encore  une  fois  sans  réponse.  (2) 

Alors,  affolé,  Gilgamès  courut  vers  le  dieu  Sin,vers 


(1)  Tab.XlI.  Col.  II,  1.  lo-27. 

(2)  Tab.  XII.  Col.  II,  1.  28-30  et  Col  III,  I.  1-5. 


126  IS-TU-BÂR  —  GILOAMÈS 

le  dieu  Ea.  Ainsi  que  Bel,   Sin  et  Ea  se  montrèrent 
insensibles  à  ses  larmes  (1). 

Enfin,  dans  son  désespoir,  il  s'adressa  au  dieu  des 
enfers  lui-même,  au  guerrier,  au  héros  Nergal  :  a  0 
toi,  Nergal,  s'écria-t-il,  guerrier,  héros,  relâche  le 
cercle  qui  maintient  l'univers,  de  grâce,  entr'ouvre  la 
terre,  afin  que  l'ombre  d'Eabani,  s'élance,  comme  un 
souffle,  hors  du  tombeau  !  »  Sa  prière,  cette  fois,  ne  fut 
point  vaine.  En  effet,  le  guerrier,  le  héros  Nergal, 
ayant  relâché  le  cercle  qui  maintient  l'univers,  la  terre 
s'entr'ouvrit,  et  aussitôt,  l'ombre  d'Eabani  s'élança, 
comme  un  souffle,  hors  du  tombeau. ..(2) 

Ainsi,  ils  se  retrouvaient  en  présence  l'un  de  l'autre 
Gilgamès  et  Eabani,  ou  plutôt,  la  pâle  image,  l'ombre 
de  ce  qui  fut  Eabani.  Tout  entier  à  ses  préoccupations, 
le  héros  ne  prit  pas  seulement  le  temps  de  manifester 
la  joie  qu'il  éprouvait  de  revoir  son  ami,  après  une 
aussi  longue  séparation,  et,  allant  droit  au  fait,  sans 
autre  préambule,  il  le  supplia  de  lui  révéler  les  mys- 
tères d'outre-tombe  :  «  Dis-moi,  mon  ami,  oh  !  oui, 
mon  ami,  dis-le  moi  ;  de  grâce,  entr'ouvre  la  terre 
sous  mes  yeux  et  raconte  moi  ce  que  tu  as  vu  là-bas 
aux  enfers  !  »  Eabani  opposa  d'abord  quelque  résis- 
tance :  «  Je  ne  te  le  dirai  point,  mon  ami,  non,  je  ne 
te  le  dirai  point,  car  si  j'entr'ouvrais  la  terre  sous  tes 
yeux  et  si  je  te  racontais  ce  que  j'ai  vu  là-bas  aux 
enfers,  que  de  pleurs,  hélas  !  tu  verserais!  »  Gilgamès 
insista:  «  Eh  bien  I  je  pleurerai,  qu'importe?»  Alors 
Eabani,  sans  se  faire  prier  plus  longtemps,  se  rendit 
à  ses  désirs...  (3) 

(1)  ïab  XII.  Col  III,  1.  6-20. 

(2)  Tab.  XII.  Col.  III,  1.  21-28.  Les  1.  29-30  qui  terminent 
cette  colonne  sont  très  oliscures. 

(3)  Tab.  XII.  Col  IV,  1.  1-6.  Les  1.  7-13  sont  fragmentaires  et 
partant  très  obscures. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  127 

Mais,  avant  d'en  venir  au  récit  détaillé  de  ce  qu'il 
avait  vu  aux  enfers,  il  s'emporta,  dans  une  violente 
imprécation,  contre  Zaïdu,  le  chasseur  perfide,  et 
contre  Samliatu,  la  fallacieuse  courtisane,  qui  avait 
causé  son  malheur  :  «  Toi,  Zaïdu,  puissé-je  te  voir 
abattu  et  sans  force  !  Et  toi  aussi  Samhatu,  puissé-je 
te  voir  emmurée  dans  la  vaste  prison  des  enfers,  tra- 
quée de  toutes  parts,  dépouillée  de  tes  charmes,  pri- 
vée d'abri,  gisant  énervée  et  sans  vie  !  (1)  » 

Après  avoir  ainsi  déversé  le  trop  plein  de  son  cœur, 
Eabani  entama  la  description  des  enfers —  un  morceau 
d'une  haute  portée  religieuse,  sur  lequel  vécurent  sans 
doute  de  longues  générations  d'hommes,  où  se  trouvent 
exprimées  les  croyances  du  vieux  monde  sémitique  sur 
la  vie  future,  ses  craintes  et  ses  espérances  ;  un  vaste 
tableau  sans  perspective,  partagé,  à  la  façon  d'un  bas- 
relief  antique,  en  deux  registres,  où  s'étage  au-dessus 
de  la  foule  des  morts  misérables,  le  petit  nombre  des 
bienheureux  :  «  Mon  ami,  le  lieu  où  je  suis  descendu 
est  un  lieu  de  ténèbres,  la  demeure  d'Irkalla.  C'est  la 
maison  où  l'on  entre  pour  ne  plus  en  sortir,  le  chemin 
où  Ton  s'engage  sans  retour.  Malheureux  sont  ceux  qui 
l'habitent  !  Privés  de  lumière,  ils  sont  réduits  à  se 
nourrir  de  poussière  et  de  boue.  Ils  sont  vêtus  d'ailes, 
à  la  façon  des  oiseaux...  Jamais  ils  ne  voient  le  jour, 
toujours  ils  sont  plongés  dans  la  nuit.  Je  suis  entré, 
mon  ami,  dans  cette  maison  et  j'y  ai  rencontré  des  rois, 
les  anciens  maîtres  de  la  contrée,  ceux  à  qui  Anu  et 
Bel  ont  assuré  le  renom  et  une  gloire  durable  sur 
la  terre,  non  loin  de  l'abime  d'où  jaillissent  les  eaux 
vives.  Dans  cette  même  maison,  j'ai  vu  s'agiter  pêle- 
mêle  le  seigneur  et  le  noble,  le  pontife  et  l'homme 

(l)  Tab.  XII.  Col.  (?)  a,  1.  1-L>3. 


128  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

puissant,  le  gardien  de  l'abîme  des  grands  dieux,  et 
Etana,  etNer,  et  Allât,  la  souveraine  des  enfers... (1)  » 
Peu  à  peu  le  récit  s'anime...  Maintenant  Eabani 
déroule  le  merveilleux  spectacle  de  ses  souvenirs,  nets 
et  précis  comme  des  visions,  que  Gilgamès,  l'attention 
surexcitée,  suit,  pour  ainsi  dire,  avec  de  grands  yeux 
tout  ébahis:  «Vois-tu,  Gilgamès? — Oui,  je  vois! — Eten- 
du sur  un  lit  de  repos,  il  boit  l'eau  pure,  celui  qui  a  été 
tué  dans  la  bataille.  Vois-tu,  Gilgamès  ?  — Oui,  je  vois! 
—  Son  père  et  sa  mère  soutiennent  sa  tête  et  sa  femme 
se  penche  sur  lui  avec  amour...  Celui  au  contraire  dont 
le  cadavre  gît  sans  sépulture  dans  la  plaine,  vois-tu, 
Gilgamès?  —  Oui,  je  vois  !  —  celui  dont  l'ombre  ne 
repose  point  dans  la  terre,  et  est  laissée  à  l'aban- 
don, vois-tu  Gilgamès?  —  oui,  je  vois  !  —  eh  bien  ! 
celui-là  est  réduit  à  manger  les  débris  des  plats,  les 
reliefs  de  la  table,  tout  ce  qui  est  jeté  à  la  voi- 
rie 1  (2)  »  Ainsi,  devant  Gilgamès,  une  voie  de  salut 
restait  ouverte  :  chercher  une  mort  glorieuse  dans  de 
nouveaux  combats,  tout  en  ayant  soin  de  se  ménager 
des  amis,  dont  le  cœur  lui  restât  fidèle  jusque  dans  la 
mort  (3). 

Telle  est  la  conclusion  de  ce  poème,  bien  faite  pour 
inspirer  l'amour  des  vertus  guerrières  et  le  respect  des 
morts,  ces  deux  sentiments  sur  lesquels  reposait  toute 
la  vie  antique,  digne  couronnement  d'une  œuvre  desti- 
née à  glorifier  la  race  et  la  religion  chaldéennes. 

(l)Tah.  XII.  Col.  (?)  b,  1.  29  47.  Les  1.  48-50  qui  terminent 
cette  colonne  sont  très  obscures  à  cause  de  leur   état  fragmentaire. 

(2)  Tab.  XII,  Col.  VI,  1  4  iO.  Les  1-3  sont  très  obscures  à  cause  de 
leur  état  fragmentaire. 

(3)  Ce  morceau,  à  cause  de  sa  forme  lyrique  même,  pourrait 
être  regardé  comme  une  vision  prophétique  des  félicités  réservées  à 
Gilgamès  dans  l'autre  vie.  Ainsi  l'épopée  se  terminerait  sur  une 
sorte  d'apothéose  idéale  du  héros. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMES 


■129 


IS-TU-BAR 


GLLGAMÈS 


COMPLAINTE    FUNÈBRE     SUR    EaBANI  ;     SON    ÉVOCATION  ; 
LES    ENB^ERS.   (i) 


XII 

1. 1. 


10 

Gllgamès 

si,  à  . 

au  temple 

un  blanc  vêtement 
15  comme  un  ami    . 

Tu  ne  te  frotteras  plus  de  la  graisse  onctueuse  du 
taureau, 


(1)  La  douzième  tablette,  à  cause  de  son  importance  même,  a  été 
l'objet  de  plusieurs  travaux  en  France,  en  Angleterre  et  en  Allema- 
gne. En  dehors  des  essais  de  G.  Smith  {Assyrian  discoveries  ;  Chal- 
dean  account  of  Genesis,  1876.   Cf.  édit.  Delitzsch,  1876  et  Sayce, 
1880),  Chad  Boscawen  en  a  donné  une  étude  complète  {Notes  on  the 
Religion  and  Mytkologij  of  the  Assyrians  dans  les  Transactions  of 
the  Society  of  Biblical  Archaeoiogy ,  {SIH.  Cf.  Records  of  the  Past.  ix). 
Depuis,  ce  texte  a  été  repris,  en  partie  ou  en  totalité,  par  J.  Halévy 
(La  croyance  à  V immortalité  de  Vâme  chcx-   les  peuples   sémitiques 
dans  les  Mélanges  de  critique  et  d'histoire,  1883),   Alf.    Jercmias 
(Die    babylonisch-assurischen    Vorstellungen  vom    Leben  nach   dem 
Tode,  1887),Cyrus  Adler  (On  thcviews  ofthe  Babylonians  concerning 
Life  after   Death  dans  les   Procecdings  of  the  American   Oriental 
Society,  1887),  P.  Haupt  (Die  zwôtffe  Tafel  des  hahylonischcn  ISimrod- 
Ëpos dana Beit rage  zur  Assyriologie,  1889,  vol.  1)  enlin  par  AU'.  Jere- 
mias  [Izdubar-Nimrod,  1891). 

9 


130  JS-'1U-I5\R  —  OlLGAMkiS 

dont  l'odeur  suave   rassemblait  (les  hommes)  au- 
tour de  toi  ! 
Tu  ne  dirigeras  plus  l'arc  contre  la  terre, 
car,  voici  que  (de  toutes  parts)  t'enveloppent  ceux 
que  l'arc  a  frappés  ! 
20  Tu  ne,  porteras  plus  le  sceptre  en  main, 
l'ekim  (1)  te  poursuit  de  sa  malédiction  ! 
Tu  ne  lieras  plus  à  tes  pieds  des  sandales, 
tu  n'adresseras  plus  de  provocation  à  la  terre  ! 
Tu  n'embrasseras  plus  la  femme  que  tu  aimes, 
25  la  femme  que  tu  détestes,  tu  ne  la  battras  plus  ! 
Tu  n'embrasseras  plus  le  fils  que  tu  aimes, 
le  fils  que  tu  détestes,  tu  ne  le  battras  plus! 
La  terre  rugissante  s'est  emparée  de  toi, 
la  sombre,  la  noire  mère,  la  déesse  Nin-a-zu,  la 
ténébreuse, 
30  dont  le  front  n'est  point  revêtu  d'un  voile  brillant, 
dont  la  poitrine  ne  crie  point  (?),  comme  celle  du 
taureau,  (sous  la  piqûre)  du  taon  (?). 


Tab.  Xll. 
Col.  II. 


10 


(1 


les(?) 


son    . 

son    r 
ils  sont  revenus 
son    . 


Uekim  chez  les  Babyloniens  correspond  à  Vimage  (elocoXo-. 


des  Grecs,  à  Vombre  (umbra)  des  Latins. 


IS-TU-BAR  —  GILGA^JÈS  131 

15  lia  embrassé  la  femme  qu'il  aime, 
la  femme  qu'il  déteste,  il  Fa  battue  ! 
Il  a  embrassé  le  fils  qu'il  aime, 
le  fils  qu'il  déteste,  il  l'a  battu  ! 
La  terre  rugissante  s'est  emparée  do  lui, 
20  la  sombre,  la  noire  mère,  la  déesse  Niii-a-zu,  la 

ténébreuse, 
dont  le  front  n'est  point  revêtu  d'un  voile  brillant, 
dont  la  poitrine  ne  crie  point  (?),  comme  celle  du 

taureau,  (sous  la  piqûre)  du  taon  (?). 
Voici  que  Eabani  (est  descendu)  de  la  terre  vers 

les  ténèbres  ! 
Le  dieu  Namtar  (2)  ne  l'a  pas  enlevé,  Vasak  ne 

l'a  pas  emporté,  c'est  la  terre  qui  l'a  pris  ! 
25  Le  y^ahis  (3)  de  Nergal  (4)  impitoyable  ne  l'a  pas 

ravi,  c'est  la  terre  qui  l'a  pris! 
Il  n'a  point  été  frappé  avec  les  braves  sur  le  champ 

de  bataille,  c'est  la  terre  qui  l'a  pris  ! 

le  dieu  Nin-gul  (5)  pleura  sur  le  sort 

d'Eabani,  son  serviteur. 
Vers  .       le  temple  de  Bel,  il  se  rendit  tout 

seul  : 
«  Mon  père,  ô  dieu  Bel,  le  tambûkku  m'a  jeté  à 

terre  ! 
30  Le  mtkkè  (6)  m'a  jeté  à  terre  ! 


(1)  An-nin-a-xu  «  la  maîtresse  de  l'eau  profonde  (?)  » 
(:2)  An-nam-lar  «  le  dieu  qui  décide  du  sort.  » 

(3)  Une  espèce  de  démon  au  service  de  Nergal. 

(4)  An-ugur  «  seigneur  du  creux  infernal  (?)  » 
(o)  ii  n-»im-giui  «  seigneur  de  destruction  (?)  » 

(t3)  Les  mots  tambiikku  et  mikkc  paraissent  être  des  personnifica- 
tions de  maladies  particulières, dont  Gilgamès  se  sert  ici,  pour  expri- 
mer la  dissolution  et  ranéanlissement  de  tout  son  être  dans  la 
douleur.  Comp.  héb.  pp2  et  '^'^'2- 


132  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

Tab.   XII.       Eabani,  celui  qui  (est  descendu)  vers  les  ombres, 
°  •      •        le  dieu  Namlar  ne  l'a  pas  enlevé,  Vasak  (?)  ne  l'a 
pas  emporté,  c'est  la  terre  qui  l'a  pris  ! 
Le  rdbis  de  Nergal   impitoyable  ne  l'a  pas  ravi, 

c'est  la  terre  qui  l'a  pris  1 
Il  n'a  point  été  frappé  avec  les  braves  sur  le  champ 
de  bataille,  c'est  la  terre  qui  l'a  pris  !  » 

5  Le  père  Bel  ne  répondit  pas 

«  Mon  père,  ô  dieu  Sin,  le  tamhûkku  m'a  jeté   à 

terre  ! 
Le  mikkê  m'a  jeté  à  terre  ! 
Eabani,  celui  qui  (est  descendu)  vers  les  ombres, 
le  dieu  Narntar  ne  l'a  pas  enlevé,  Vasak  (?)  ne  l'a 
pas  emporté,  c'est  la  terre  qui  l'a  pris  ! 
10  Le  rabis  de  Xergal  impitoyable  ne  l'a  pas  ravi, 
c'est  la  terre  qui  l'a  pris  ! 
Il   n'a  point  été    frappé   avec    les  braves    sur   le 
champ  de  bataille,  c'est  la  terre  qui  l'a  pris  !    » 

Le  dieu  Narntar  ne  l'a  pas  enlevé,  Vasak  (?)  ne 

l'a  pas  emporté,  c'est  la  terre  qui  l'a  pris  ! 
Le  y^abis  de  Nergal   impitoyable  ne   l'a  pas  ravi, 

c'est  la  terre  qui  l'a  pris  ! 
Il    n'a   point  été    frappé    avec  les    braves  sur  le 

champ  de  bataille,  c'est  la  terre  qui  l'a  pris  !   » 

^0  Le    père    Ea 

Vers  le  guerrier,  le  héros,  Nergal,  ... 
((  Guerrier,  héros,  ô  dieu  Nergal,  ... 
détends  (?)  le  cercle  (du   monde)  (?),  et  entr'ouvre 

la   terre,    que    l'ombre   d'Eabani,    comme    un 

souffle  (?),  sorte  de  terre  ! 

25  A  côté  (?) " 

Le  guerrier,  le  héros,  Nergal, 

détendit  (?)  le  cercle  (du  monde)  (?),  et  entr'ouvrit 


IS-TU  BAÇ,  —  GILGAMÈS  133 

la  terre;  l'ombre  d'Eabani,  comme  un  souffle  (f), 
sortit  de  terre  ! 

Ils  rugirent  et       ... 

30  ils  résolurent,  il  s'opposa. 


l'ab    XII,       —  «Dis-moi,  mon  ami,  oh  !  oui,  mon  ami,  dis-le 

ol       IV. 

moi; 

ouvre  la  terre  (devant  moi),  raconte-moi  ce  que  tu 

as  vu  !  » 

—  «  Je  ne  te  le  dirai  pas,  mon  ami,  non  je  ne  te  le 
dirai  pas; 

si  j'ouvrais  la  terre  (devant  toi),  si  je  te   racontais 
ce  que  j'ai  vu, 
5 assieds-toi,  pleure  !  » 

—  <..       .       .       que  je  m'asseoie,  que  je  pleure  ! 
Son       .       tu  as  touché  et  son  cœur  a  été  en  joie, 

vieux  le    ver    est   entré, 
tu  as  touché  et  ton  cœur  a  été  en  joie, 

10 rempli  de  poussière, 

[     ■■       •        J 

:      •      •      ] 

.  je  vois, 


:ab.   XII.       Pareil  à  un  beau  siiy^innu 
lo\.    V. 


'ab.    XII. 
loi.     VI. 


—  «  Celui  qui  avec  un 
l'as-tu  vu?  —  Je  le  vois! 

—  J'affaiblis  (?)  pour   (?) 
qui 


bariolé. 


13i  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

t 

l'as-tu  vu?  —  Je  le  vois  ! 

—  Etendu  sur  un  lit,  il  boit  Teau  pure, 
5     celui  qui  a  été  tué  dans  la  mêlée, 

l'as-tu  vu  ?  —  Je  le  vois  ! 

—  Son  père  et  sa  mère  soutiennent  sa  tête, 

et  sa  femme  (penchée)    au-dessus       .... 
Celui  dont  le  cadavre  gît  dans  la  plaine, 
l'as-tu  vu  ?  —  Je  le  vois  ! 

—  dont  Vekîmne  repose  pas  dans  la  terre, 
celui  dont  r^A'i'm  n'a  point  de  protecteur, 

l'as-tu  vu  ?  —  Je  le  vois  ! 
JO  —  (celui-là  mange)  les  débris  des  plats,  les  reliefs 
de  la  table,  il  mange  ce  qui  est  jeté  à  la  voirie  1  » 

Douzième  tablette.  Histoire  (?)  de  Gilgamès. 

Copie  certifiée  conforme  au  texte  ancien. 
15  Palais 


Tab.  XII.       «      .   affaiblis-le,  anéantis  sa  force      [       .       .       ] 
^''^^(■'''^'       .....       son       .       .       on  ta  présence, 

qu'il    sorte   devant  (?)  !  » 

Zaïdu  .      le  trop  plein  de  son  cœur. 

5     .       Samhatu       .       qui    apporta    la   malédiction  : 

«        .       .       Samhatu       .       .       qu'elle   te  place, 

ils  n'ont  pas  frappé  contre       .... 

qu'elle  t'enferme  dans  la  vaste  prison, 

comme  le  glaive,  que  dans  sa  force  elle  te 

serre  de  près, 

10  .       .  .       bêtes,  la  demeure    de   ton  choix, 

de  ton  approche, 

des  servantes, 

qu'elle  dépouille, 


15 


20 


25 


I,^-TU-BAU  —  OILOAMÈS 


135 


qu'elle   mêle, 
euxderensemble, 

elle, 

placé  (?)  dans  la  maison, 
le  chemin,  que  ce  soit  ta  demeure, 
que  ce  soit   ta  résidence, 

tes  pieds, 

ta  puissance, 

qu'elle   dise, 

ils  ont  donné, 


Tah.  XII. 
Col.  (?)  [>. 


il  m'a  ramené, 

comme  un  oiseau  à  mon  côté, 
il  m'a  fait  descendre   dans  un  lieu  de  té- 
nèbres, la  demeure  d'Irkalla, 
30  dans  la   maison    où    l'on  entre   pour  ne   plus   en 
sortir, 
dans  le  chemin  où  l'on  s'engage  sans  retour. 
Les  habitants  de  ce  lieu  sont  privés  de  lumière, 
ils  vivent  de  poussière  et  se  nourrissent  de  boue, 
ils  sont  vêtus  d'ailes,  à  la  façon  des  oiseaux, 
35  ils  ne  voient   pas   le  jour,  ils  sont   assis   dans  la 
nuit. 

où  je  suis  entré, 

(ceux  qui)   ont    ceint  (?)  la  couronne, 
les    porteurs   de   couronnes    qui, 
aux  jours  antiques,  gouvernèrent  la  contrée, 

(à  qui)  Anu  et  P)el  assurèrent 


136  IS-TU-BAR   —  GILGAMÈS 

le  renom  et  une  gloire  durable, 
40  là  (aussi)  se  trouvent  les  eaux   bouillonnantes,  s'é- 
pandent  les  eaux  jaillissantes. 
Dans  la  maison,  mon  ami,  où  je  suis  entré, 
demeurent  le  seigneur  et  le  noble, 
le  pontife  et  l'homme  puissant, 
le  gardien  de  l'abîme  des  grands  dieux 
■\b  et  Etana  et  le  dieu  Ner. 

la  souveraine  des  enfers  Allât  (1), 
la    souveraine  des  enfers,    prosternée 
devant  elle. 

et    elle  parla  en  sa  présence, 

sa  tête,  elle  me  vit, 

50 l'homme  prit  cela.  » 


APPENDICE 


FRAGMENTS    NON    CLASSES 


Tah.    (?) 
r.ûl.  (?)  a. 


il  mit  en  abondance  de  l'encens, 
Eabani,  l'essence  aromatique 
Eabani,le  puissant,  ne     . 

35  maintenant, 

avec  le  don  du  dieu  (?) 
toutes  les  déesses  puissantes 
il  lança  un  trait  (?)  contre 
tous  les  dieux  il  prit 


pas 


(1)  kn-nin-ki-gal  «    la  maîtresse  de  la  grande  terre.   » 


IS-TU-BAR  —    GILGAMÈS 

40  et  la  fille  des  dieux     . 

«  Moi,  Eabani,    .... 

il  prit  pour 

Eabani  vers 


137 


Gilgamès 


45 


jusque  (?) 

certes,     . 
50  certes,  le  pays  (?) 


vers  le  bois 


ab.    (?) 
ol.TIIb. 


.   il  abandonna  son  troupeau, 

ses    .  et  il  descendit  au  fleuve, 

.    il  mit  à  flot  son  bateau, 

5  et  étant il  pleura  amèrement, 

la  villo  de  Ganganna  qu'il  avait  détruite. 

Les  ânesses leurs  petits. 

Les  vaches  délaissaient  leurs  veaux. 
Les  hommes  étaient  mornes  comme  des  bêtes, 
10  les  femmes  gémissaient  comme  des  colombes. 
Les  dieux  d'Uruk  supuri 
se  changèrent  en  mouches,  et  essaimèrent  dans  les 

rues. 
Les  génies  d'Uruk  supuri 

se  changèrent  en  taons  (?),  et  se  répandirent  parmi 
les  plantations. 
15  Durant     trois    ans,    l'ennemi    assiégea    la    ville 
d'T^ruk. 
Les  portes  étaient  fermées,  les  verrous  (?)  étaient 

posés. 
Istar  ne  put  tenir  tête  à  son  ennemi. 


138 


IS-TU-BAR  —  GILGAMES 


20 


25 


Bel,  ayant  ouvert  la  bouche,  parla 

et  manifesta  sa  volonté  à  la  reine  Istar  : 


mon 
mon 


au  milieu  de  Nippur,  mes  mains, 
.  Rabylone,  demeure  de  joie, 
.     j'ai  mis  les  mains, 
se  voit  le  sanctuaire 

la  mer(?), 

les  grands  dieux, 
Sin  . 


Tab.    (?) 
Col.  (?)  c./^5 


50 


Tab.  (?). 
Col.  (?)  d. 


et  le  dieu  (?) 

45  vers  

les  forêts 

les  bêtes  de  la  plaine 

il   espéra 

50  dansf?)    ... 


.     deux  fois, 

le  bélier, 

en  ta  présence.  » 

de  Gilgamès  son  fds, 

elle  entendit. 


Tab.  (?). 
Col.  (?)  e. 


....        qui(?)     .        . 
l'hyène 

et  les  pasteurs    . 
Eabani,  le  pasteur,  aux  poils  hérissés  (?) 


5  . 


IS-TU-BAR  —  GILGAMES 

dans  la  maison  tu  demeures 
Uruk  supuri   sur 


139 


I  (?)    f. 


10  .               .       .       en  présence  .... 
(le  démon)  de  la  maladie  a  maudit 
la  jeunesse  (?)  et  la  vieillesse  (? 
son  .    je  te  comblerai  de  maux  dans  la  demeure 
15  .        .     certes,  que   le  cœur  confiant,  dans  la  de- 
meure de  l'homme 

je  conduirai  les  bêtes,  la  semence 

les  murs  pleins  de    . 

le  champ  rempli  de  fleurs 

comme  l'insecte  ri  ribit.  produit  du  nord 

le  fils  du  palais 

20  .        .     il  a  crié  et  le  cheval  (?)  comme  le  feu    . 

et   tu  iras   vers   le  scorpion    à  la    queue 

malfaisante 

mauvais,   il  a  détruit 

le  possesseur  a  placé  la  brique 


ab.  (?) 


qui 

ton  dieu  qui       .       .       .       . 
et  la  grande  (?)  chevelure  (?) 

certes,  comme 
le  songe 


140 


20 


IS-TU-BAR  —  GILGAMES 

il  a  laissé     . 

la  plainte 
qu'il  glorifie  les  dieux 
ton   dieu 

le  père  des  dieux 
ta  face  (?)     . 


Tab.  i?). 
Col.  (?    h. 


son 
tu  les  as  frappés 
fit  descendre,  sa  semence 
10  .       .       .       .       il  se  réjouit  (à  la  vue)  du  sang 

au  milieu  d'eux,  douze  guerriers  se  séparèrent 

de  moi 

à  leur  suite,  la  valetaille  courut  avec 

empressement 

je  pris  ces  guerriers 
je  fis  revenir  ces  guerriers 
15  je  parlai  ainsi  au  milieu. 


Tab.  (?). 
Col.  (?)  i. 


15 


20 


et  le  chemin 
vers  son  pays 

trente  jours  (?),   Gilgamès 

et 

il  l'ouvrit       .... 
Gilgamès,    roi   puissant, 

deux  tiers,  large  (mesure)  (?) 
Gilgamès,  roi  puissant, 


IS-TU  BAR —  GILGAMÈS  141 

ses  (?)       .       trente  jours  (?) 
dans   la  ville 
cinq  sixièmes,  large  (mesure)  {f, 


ab, 
)1. 


(■?)• 


le  dieu  (?)     . 

le   fauve 

5  qui  sert  de  nourriture  (?)  au  fauve 

Quant  à  moi , 

et  moi,   brillant 

Samas     ..... 

depuis  ce  jour-là,       ... 

10  Pourquoi,  Eabani,     .... 
ce  qu'il  t'a  donné  à  manger 
il  t'a  donné  à  boire  de  l'hydromel 
il  t'a  recouvert  d'un  vêtement, 
et  propice,  le  dieu       .... 

15 


Tab.  (?). 

:oi.(?)  k. 

Recto. 


Gilgamès,  l'œuvre 

scribe  de  Borsippa,  habitant  au  sein  de  la 
ville,  habitant  la  ville  d'Arbèles. 

d'Ekur,   des  temples    de   'Nergal, 
les  tablettes  lie  par  le  milieu, 
les       .       il  plaça  dans  un  étang  (?)  (au  milieu) 
des  roseaux,  les  tablettes  lie  par  le  milieu. 

à  moi  la  couronne  de  ta  tête, 

son  grand  duchef  du  pays  d'Assur, 

la  souveraine  des  cieux  parla,  la  pure  (déesse) 


142 
10  . 


les 


Verso. 


40 


45 


IS-TU-BAR  —   GILGAMES 

Gilgamès  à 
au   chef 
tablette 


dans 
le  roi 
qui        .       . 

Phomme  do  Ninive  (1) 


Tab.  (?). 
Col.  (?)  1. 


10 


j'ai   éloigné        .... 
ce  que  tu  as  ordonné  (?)    . 

Babylone 

grand  ton  côté  (?)... 
pourquoi         .... 
j'ai    pleuré  et  j'ai  porté   vers 

la  montagne   de   l'univers  et 
son  .       Cutha       ... 

Nippur  (2)     . 


(1)  Ce  fragment  ne  fait  point  partie  du  poème  de  Gilgamès, 
ainsi  que  le  reconnaît  Haupt,  Das  babylonische  ISimrodepos,  p.  59. 
Nous  le  donnons  ici  parce  qu'il  y  est  question  de  ce  héros 

(2)  Rien  ne  prouve  non  plus  que  ce  fragment  appartienne  à  l'é- 
popée de  Gilgamès.  Cf.  Haupt.'O/).  cit.  p.  150. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  1  43 


HYMNE    A    GILGAMES 


Recto 


—  «  LTilgamès,  roi  puissant,  juge  des  Anunnaki, 
le  grand  justicier,  le  maître  des  hommes, 
toi  qui  veilles  sur  les  régions  de  l'univers  et  admi- 
nistres la  terre,  seigneur  d'ici-bas, 
tu  exerces  la  justice,  tu  es  aussi  clairvoyant  qu'un 

dieu  ; 
5     tu  as  établi  ton  siège  sur  la  terre,  tu  rends  là  tes 

jugements  ; 
ta  sentence  est  irrévocable,  et  ta  décision  ne  saurait 

être  annulée  ; 
tu  interroges,  tu  examines,  tu  juges,  tu  sondes  et 

tu  fais  régner  l'équité. 
Samas  a  remis  dans  tes  mains  le  pouvoir  et  le 

droit. 
Les  rois,  les  princes  et  les  grands  s'inclinent  devant 

toi, 
10  tu  révises  leurs  arrêts,  tu  inspires  leurs  décisions. 
Moi,  un  tel,  fils  d'un  tel,  dont  le  dieu  (est)  un  tel 
.     et  la  déesse  une  telle  (1)  ; 
que  la  maladie  a  frappé,  pour  me  soumettre  à  un 

jugement, 
et  obtenir  un  arrêt,  je  me  présente  devant  toi. 

Prononce  la  sentence, 

15  extirpe  la  maladie 

triomphe  de  toute  espèce  de  mal,       .... 

(1)  Cette  formule  indique  que  nous  nous  trouvons  ici  en  présence 
d'une  prière  rituélique. 


144  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

tout  le  mal  qui  est  dans  mon  corps. 

—  «  Dès  ce  jour 

il  fera  briller 
20  un  gâteau  pur 

Il  t'offrira  un  sacritice       .... 

il  t'apportera  un  vêtement  bariolé  (?) 

la  barque  d'Ea  (?),  de   bois  de  cèdre. 

d'or  de  toute    espèce       .... 
25 


Verso. 

En    présence    des   Anunnaki 

Incantation  :  «  Vous   autres  Anunnaki  .> 

Copie  certifiée  conforme  au  texte  ancien. 
Suit  la  suscription  :   Palais  d'Assurbanipal,  etc., 
en  11  lignes. 

TITRE    DU    POÈME 

{mscrit  au  catalogue  de  la  bibliothèque  d' Assurbanipal) 

Histoire  (?)  de  Gilgamès  :  de  la  bouche  de  Sin- 
liqiunninni  «  ô  Sin ,  reçois  ma  prière,  » 
homme 

J.  Saliveplane, 
Ancien  élève  de  l'École  des  Haules-Éludes. 


FIN 


LE  BOUDDHISME 

D'APRÈS  LES  BOUDDHISTES 


Puisque  le  bouddhisme  est  plus  en  honneur  auGollège  de 
France  et  au  musée  Guimet  qu'à  Lhassa,  messieurs  les 
Bouddhaphlles  devront  me  savoir  gré  de  leur  fournir  quel  • 
qaes  documents  bouddhistes  pur  sang  et  inédits,  mettant  en 
plein  jour  l'idée  que  les  sectateurs  de  Bouddha  se  forment 
de  leur  grand  docteur,  de  ses  principaux  acolytes  et  de  son 
œuvre.  Les  croire  sur  parole  est  bien  aussi  raisonnable, 
je  pense,  que  de  croire  sur  parole  des  savants  européens 
qui  habillent  le  vrai  Bouddha  à  la  française,  à  l'anglaise,  à 
l'allemande,  et  lui  prêtent  leurs  idées  préconçues,  puisées 
aux  sources  du  puits  de  Grenelle  bien  plus  qu'aux  sources 
de  l'Inde  Gangétique,  des  himalayas  ou  du  Pic  d'Adam. 
Pour  moi  je  ne  puiserai  qu'aux  sources  Himalayenues  re- 
nommées pour  leur  limpidité  et  leur  fraîcheur.  Il  est  vrai 
que,  primitivement,  l'eau  de  ces  sources  était  l'eau  sacrée 
et  déjà  plus  ou  moins  bourbeuse  du  Gange  transportée  par 
les  docteurs  iiidous  sur  les  hauts  plateaux  du  Thibet, 
mais  en  changeant  de  pays  et  de  couleur  elle  n'a  changé 
ni  de  nature  ni  de  saveur.  Jugez- en  par  ces  deux  titres  : 
La  clef  d'or  expliquant  en  abrégé  (le  livre)  qui  donne 
le  sens  propre  des  noms.  La  guirlande  de  NénupJiar 
blanc  enseignant  (le  livre)  qui  donne  le  sens  propre 
des  noms.  Voilà  bien  du  style  sanscrit.  Pour  le  rendre 

10 


146  LE  BOUDDHISME 

conforme  à  leur  génie  les  Thibetains  disent  tout  simple- 
ment :  autres  noms  par  lesquels  on  peut  exprimer  ieWe 
ou  telle  chose.  Nous  Français,  nous  dirions  :  dictionnaire 
des  synonimes,  ou  bien  en  nous  rappelant  les  années  de 
notre  enfance  au  collège  :  Gracias  ad  Parnassuni.  Un 
Gracias  ctd  Parnassum,  quMl  soit  grec,  latin,  sanscrit  ou 
thibetain,  n'est  pas,  je  l'avoue,  un  traité  de  théologie,  pas 
plus  que  ne  le  sont  les  livres  d'histoire  et  surtout  de  lé- 
gendes, mais  dans  les  questions  religieuses,  le  Gradus 
devient  de  la  théologie  ornée,  embellie  des  fleurs  de  la 
poésie.  Ce  n'est  pas  en  ajoutant  de  nouvelles  fleurs  exoti- 
ques aux  guirlandes,  et  de  fausses  pierres  précieuses 
européennes  à  la  clef  d'or  ([iie  l'on  parviendra  à  une  no- 
tion, je  ne  dirai  pas  précise  mais  approximative  du  boud- 
dhisme ;  c'est  au  contraire  en  élaguant,  en  retranchant  ces 
ornements  poétiques  que  la  vérité  pourra  se  dégager  plus 
facilement.  Je  ne  retrancherai  rien  cependant,  je  veux  être 
généreux  envers  Bouddha  et  son  Panthéon,  les  montrant 
dans  leurs  plus  beaux  atours.  En  grattant  la  dorure  ou  la 
peinture,  les  esprits  de  bonne  foi  trouveront  facilement 
que  les  types  bouddhiques  ressemblentbeaucoup  aux  idoles 
qui  les  représentent.  Bien  peu,  et  les  plus  petites,  sont 
faites  de  métal  précieux  compact. 

1°  Bouddha  en  général. 

En  vingt  ans  de  séjour  continuel  au  milieu  des  Thibe- 
tains, je  n'ai  entendu  prononcer  le  nom  sanscrit  de  Boud- 
dha qu'une  seule  fois,  et  encore,  mon  interlocuteur  lama 
le  prononçait  avec  tant  d'hésitation  que  je  le  soupçonnai 
de  ne  pas  trop  savoir  ce  qu'il  disait.  En  effet,  en  ce  mo- 
ment, il  voulait  seulement  parler  du  Datai  lama  de  Lhas- 
sa. Les  géographes,  se  copiant  tous  nuituellement,  disent 
que  le  nom  de  Thibet  (qu'ils  écrivent  Bhod-youl)  signifie  : 


LE   BOUDDHISME  147 

le  pays  de  Bouddha.  S'il  en  était  ainsi,  c'est  Bhou-yiil  qu'il 
fallait  écrire  ce  nom  géographique  pour  être  d'accord  avec 
le  dictionnaire  olliciel  de  l'Académie  Ihibétaine,  et  non  Péu- 
yiil  connue  tout  le  monde  écrit  et  prononce.  En  réalité, 
cette  explication  est  fausse  et  n'empêche  pas  le  nom  sans- 
crit de  Bouddha  d'être  inconnu  au  Thibet. 

Mais  la  traduction  Ihibétaine  de  ce  nom  est  au  contraire 
très  populaire.  Tout  le  monde  connaît  Sang-guié.  Sang  est 
le  passé  des  verbes  Tsàng  et  Sang  qui  l'un  et  l'autre  signi- 
fient :  émonder,  purifier.  Le  mot  Gûié  pris  adjectivement 
signifie  :  abondant,  nombreux,  grand,  et  pris  adverbiale- 
lement  signifie  :  très,  beaucoup.  Réunis,  ces  deux  mots 
signifient  donc  :  celui  qui  est  grandement,   abondam- 
ment, très  purifié,  expression  qui  diffère  essentiellement 
de  celle-ci  :  le  très  pur  ;  la  deuxième  indiquant  un  état  de 
pureté,  de  perfection  native  ;  la  première   indiquant  un 
état  de  pureté  acquise  et  supposant  un  état  antérieur  de 
non  pureté  ou  plutôt  d'imperfection.  Csoma  a  eu  tort  de 
traduire  Sang-guié  au  présent  par  :  parfait,  saint.  Il  aurait 
dû  traduire  l'homme  devenu  parfait,  saint.  Burnouf  lui, 
a    eu   raison   de  le  traduire    au   passé   :  l'homme   qui 
étant  entièrement  affranchi  de  l'Erreur  est  parvenu  à  la 
connaissance  de  la  Vérité  absolue.  Mais  il  a  eu  le  grand 
tort  d'ajouter  de  lui-même  ces  mots  :  de  l'erreur,  et,  à 
la  connaissance  de  la  vérité  absolue^  car  si  la  purifica- 
tion d'un  Bouddha  consiste  principalement  dans  l'affran- 
chissement de  l'erreur  et  dans  l'acquisition  de  la  connais^ 
sance  de  la  vérité  absolue,  elle  consiste  également  dans  la 
purilication  des  imperfections  morales,  comme  nous  le 
verrons   bientôt.  Etymologiquement  parlant,  un  Bouddha 
quelconque  n'est  donc  pas  parfait  par  nature,  mais  il  le 
devient.  Dès  lors  il  n'est  plus  comparable  qu'aux  saints 
du  christianisme,  mais  il  ne  peut  nullement  être  comparé  à 
Dieu,  pas  même  aux  anges. 


148  LE   BOUDDHISME 

Celle  élymologie  est  parfailement  justifiée  par  les  épithè- 
tes  ou  syuonimes  attribués  aux  Bouddhas  en  général.  Trois 
épilhètes  seulement  se  rapportent  à  la  durée  de  leur  exis- 
tence :  Ceux  qui  ont  vécu  pendant  dix  terres  ou  mon- 
des ;  ceux  qui  ont  possédé  le  gouvernement  de  dix 
mondes;  ceux  qui  ont  eu  les  dix  entrées  de  l'existence 
d'au-delà,  c'est-à-dire  ceux  qui  ont  été  dix  fois  incarnés 
et  délivrés.  Si  longue  que  soit  l'existence  de  dix  mondes, 
cette  expression  ne  renferme  pas  l'idée  d'éternité.  Il  y  a 
donc  eu  un  commencement,  et  avant  ce  commencement  il 
ne  pouvait  y  avoir  que  le  néant,  mê-pa,  dont  nous  au- 
rons à  parler  dans  la  suite.  Comment  alors  expliquer  l'ori- 
gine des  êtres  spirituels  et  corporels  '?  Les  bouddhistes  ne 
savent  donc  pas  qu'en  bonne  philosophie  il  n'y  a  pas  d'ef-" 
fet  sans  cause  "?  Mais  leurs  livres  ne  parlant  pas  de  cette 
cause  première,  l'idée  ne  leur  vient  même  pas  de  se 
demander  si  elle  existe  ou  non.  Ils  acceptent  le  fait  accom- 
pli de  l'existence  des  Bouddhas  dont  l'origine  humaine  est 
clairement  indiquée  par  les  synonimes  suivants  :  Lepjlus 
noble  de  la  race  des  hommes  ;  le  lion  des  hommes  ou 
l'homme-lion,  l'homme  supérieur  ou  le  lama  < docteur j 
des  hommes  ;  le  chef  des  bipèdes  (des  hommes;  ; 
l'hommç  de  règle  ;  les  trois  nobles  corps  (la  doctrine, 
les  biens  ecclésiastiques,  les  bouddhas  vivants)  ;  celui  qui 
est  l'enveloppe  des  choses  incorpjorelles.  —  Par  quel 
moyen  deviennent-ils  Bouddhas?  par  la  purihcation  :  Celui 
qui  fut  vainqueur;  qui  a  vaincu  les  démons,  le  monde; 
le  vainqueur  ;  celui  qui  est  sans  désirs,  safis  concupis- 
cence ;  le  grand  ermite  suivant  la  voie  droite.  Entre 
parenthèse,  me  serait-il  permis  de  demandée  aux  apôtres 
du  bouddhisme  européen  s'ils  prêchent  le  même  moyen  de 
sanctification  à  leurs  adeptes  '?  Il  me  semble  que,  sous  ce 
point  de  vue, "Bouddha  est  plus  près  de  la  chaire  de  Noire- 
Dame  que  des  chaires  du  Collège  de  France  !  —  Pourquoi 


LE  BOUDDHISME  HO 

Bouddha  doit-il  se  purifier  lai-mèine  ?  D'abord  pour  gou- 
verner le  monde  et  conduire  les  hommes  à  la  délivrance 
fmale  par  sa  doctrine  et  son  exemple.  En  marchant 
comme  ses  prédécesseurs  il  devient  le  conducteur,  le 
protecteur  du  monde  ;  il  a  une  grcmde  domination  ; 
il  est  puissant,  très  puissant,  il  est  doué  de  dix  forces; 
Il  attire,  conduit  puissamment  ;  Il  parle  sans  ambi- 
guïté ;  Il  est  changé  en  conducteur  des  Jiommes  ;  c'est 
lui  cpd  aide  les  hommes  en  les  instruisant  ;  //  sauve 
les  existences,  les  royaumes;  Il  devient  le  docteur  des 
génies  et  des  hommes.  En  un  mot,  Bouddha  montre  aux 
faibles  mortels  la  voie  qu'ils  doivent  suivre,  mais  nulle 
part  on  ne  voit  qu'il  leur  communique  un  secours  efficace, 
une  grâce  qui,  élevant  la  nature  au-dessus  de  ses  faiblesses, 
donne  la  force  de  les  vaincre.  En  cela  Bouddha  ressemble 
assez  à  nos  philosophes  desXYIIIe  et  XIX^  siècles  et  à  tous 
les  sages  de  Tantiquité  païenne.  —  En  se  purifiant  pour  le 
bonheur  du  genre  humain,  Bouddha  ne  s'oubhe  pas  lui- 
même.  Quel  est,  pour  lui,  felfet  nécessaire  de  cette  puri- 
fication totale  à  laquelle  il  s'est  soumis  pendant  sa  vie  ou 
ses  vies  consécutives  ?  //  marche  majestueusement  à  la 
paix,  à  la  félicité  ;  il  a  trouvé  le  bonheur  ;  Il  possède 
les  six  sciences  ;  Il  contemple  la  sagesse  absolue  ;  Il 
est  omniscient  ;  sans  ténèbres  ;  entièrement  bon  ;  la 
purification  parfaite  ;  l'origine,  la  source  de  toute 
vertu  ;  un  océan  de  bonnes  qualités.  Plusieurs  de  ces 
épithètes  semblent  ne  convenir  qu'au  Dieu  infiniment  par- 
fait, mais  les  poètes  bouddhistes  auront  beau  faire,  on 
ne  devient  pas  Dieu,  l'Infini  ne  se  forme  pas.  Dieu  est^ 
l'Infini  est  éternellement  et  immuablement.  Il  faut  donc 
voir  dans  ces  expressions  ou  de  ces  exagérations  permises 
aux  poètes  à  condition  qu'on  n'essaye  pas  de  les  presser 
dans  le  moule  d'un  syllogisme,  ou  un  manque  de  logique 
et  très  probablement  l'un  et  l'autre. 


150  LE  BOUDDHISME 

Il  existe  une  catégorie  dilTérente  de  Bouddhas  désignés 
par  le  nom  de  Rang-sang-guié,  les  parfaitement  purifiés 
par  eux-mêmes.  Ce  titre,  remarquons-le  en  passant,  pour- 
rait convenir  à  tous  les  Bouddhas  puisque  tous  ne  parvien- 
nent à  cet  état  de  perfection  qne  par  lenr  propre  énergie 
et  constance  à  marcher  dans  la  voie  de  la  purification.  Ce 
n'est  pas  un  secours  surhumain  qui  les  y  pousse  et  les 
fait  triompher;  ils  ne  comptent  que  sur  eux-mêmes;  c'est 
la  présomption  de  leur  excellence  intrinsèque  qui  est  leur 
seul  mobile.  Mais  enfin,  puisque  les  auteurs  bouddhistes 
en  ont  fait  une  classe  à  part,  quels  caractères  spécifiques 
leur  donnent-ils  ?  S(^.  puvi fiant  soi-même  ;  se  vainquant 
soi-même;  cherchant  la  tranquil/ité  ou  la  mansuétude; 
méditant  sur  la  connexion  des  causes  et  des  effets  ; 
administrant  sa-propre  félicité  ;  ne  pensant  qu'à  un 
seul  (h  leur  propre;  avantage  ;  homme  de  rang  moyen; 
Bouddha  solaire  (de  la  dynastie  solaire  ou  dont  la  vie 
est  comme  celle  du  soleil).  De  ces  huit  synonimes,  les 
trois  premiers  sont  vagues  et  conviennent  à  tous  les  Boud- 
dhas ;  le  quatrième  indique  le  moyen  de  purification  qu'ils 
emploient  :  la  méditation  sur  la  connexion  des  causes  et 
des  eftets,  c'est  bien .  abstrait  pour  être  efficace.  Le  cin- 
quième et  le  sixième  nous  montrent  des  êtres  qui  se  puri- 
fient pour  leur  seul  avantage  sans  se  soucier  du  genre  hu- 
main ;  aussi,  pour  les  punir  sans  doute  de  leur  égoïsme, 
sont-ils  par  le  septième  synonime,  rangés  dans  un  état  de 
perfection  moyenne^  et  cependant,  par  le  huitième,  leur 
vie  étant  une  vie  solaire,  semblerait  devoir  êlre  une  vie 
bien  supérieure  à  la  vie  terrestre  des  autres  Bouddhas, 
fut-elle  de  dix  terres  ou  mondes  (1). 

(l)  Lesmêmes  synonimes  étant  attribués  aux  Rang-chiang-kioup, 
nous  pouvons  en  conclure  qu'ils  ne  difîèrent  pas  des  Rang-sang- 
guié,  et  que  Chiang-kioup  kliiou  est  tout  simplement  un  autre 
nom  pour  Sang-guié  ou  Bouddha,  d'autant  plus  que  le  sens  éty- 
mologique est  le  même. 


LE  BOUnDHlSMR  151 

Bien  heureux  ceux  auxquels  est  donnée  l'intelligence  de 
CCS  mystères,  et  croient  pouvoir  expliquer  ces  contradic- 
tions !  Ces  privilégiés  ne  se  rencontrent  pas  au  ïhibet 
mais  en  Europe.  Au  Thibet  on  se  contente  de  lire  sans  ré- 
fléchir et  souvent  même  sans  comprendre.  C'est  là  surtout 
que  le  vieil  adage  est  vrai  :  le  maître  l'a  dit,  donc  c'est 
vrai.  Une  autre  remarque  que  j'ai  pu  faire  à  loisir,  c'est 
que  la  perspective  de  pouvoir  devenir  Bouddha,  et  par 
conséquent  de  parvenir  au  Nirvana,  n'a  absolument  au- 
cune influence  pratiijue  sur  la  conduite  morale  des  boud- 
dhistes Ihibetains.  En  songeant  (ceux  qui  y  songent)  que 
pour  arriver  à  ce  sublime  et  heureux  état  de  Bouddha,  il 
faut  vivre  dix  vies  de  mondes,  et  dans  chaque  vie  de  monde 
subir  des  milliers  et  peut-être  des  millions  de  transmi- 
grations, toutes  regardées  comme  un  malheur  en  elles- 
mêmes  et  plus  souvent  malheureuses  qu'heureuses,  tous 
sans  exception,  même  les  Bouddhas  vivants  se  disent  :  l'un 
qui  dit  :  «  tiens,^)  vaut,  dit-on,  mieux  que  deux  :  «tu  l'au- 
ras,» et  contrairement  au  principe  de  la  purification  conti- 
nue et  totale,  c'est  à  qui  jouira  le  mieux  du  présent  sans  se 
préoccuper  de  l'avenir.  Sous  ce  rapport,  nos  épicuriens  et 
nos  libres  penseurs  modernes  sont  presque  descendus  au 
niveau  des  pieux  l)0uddhisles  thibetains.  Je  ne  leur  en 
ferai  pas  mon  compliment. 

2°  Des  Bouddhas  prédécesseurs. 

Il  est  probal)le,  pour  ne  pas  dire  certain,  que  dans  le 
principe  il  n'y  avait  qu'un  seul  Bouddha,  Sha-kia-mou-ni, 
ou  Sha-kia-Thoup-pa  connue  le  nomment  les  Thibetains. 
Mais,  pour  lui  faire  honneur,  l'imagination  de  ses  secta- 
teurs ne  tarda  pas  à  lui  supposer  sept  prédécesseurs  ayant 
vécu  dans  sept  mondes  précédents.  C'est  sans  doute  pour 
cela 'que  Bouddha  est  souvent  appelé  ;  Celui  qui  marche 


152  LE  BOUDDHISME 

comme  ses  prédécesseurs^  c'est-à-dire  sur  leurs  traces. 
Ces  sept  Bouddhas  antérieurs  sont  désig;nés  par  certains 
auteurs  sous  le  nom  générique  de  Sang-guié-rob-dun,  les 
sept  générations  de  Bouddhas.  Le  révérend  H.  A.  Jaschke 
en  cite  six  dont  voici  les  noms  :  Nam-par-zig  (qui  voit  par- 
faitement), Tsou-tor-kien  (qui  a  les  cheveux  noués  sur  la 
tête),  Tiiam-kié-shiop  (qui  aide,  protège  tout),  Eu-song 
(gardien  de  la  lumière),  Ser-thoup  (puissant  en  or,  ou  par 
Por),  Khor-oua-Guyik  (qui  détruit  la  transmigration). 
D'autres  auteurs,  en  y  comprenant  Slia-kia,  les  nomment: 
Gnié-sen-guié,  les  huit  auditeurs  rapprochés,  c'est-à-dire 
ceux  qui  ont  le  mieux  entendu  et  compris  la  Sagesse  ab- 
solue. Voici  leurs  noms  :  Té-chia-pa,  Nam-par-zig,  Tchrou- 
top-shiop,  Lo-pa,  Té-ser,  Ser-thoup,  Eu-song,  Sha-kia- 
Thou-pa.  Sur  les  six  cités  dans  la  première  liste  il  y  en  a 
trois  dont  les  noms  ne  ressemblent  pas  à  ceux  de  la  se- 
conde, preuve  qu'ils  ne  sont  pas  très  authentiques  même 
pour  les  docteurs  bouddhistes.  Le  dictionnaire  des  syno- 
nimes  était  sans  doute  déjà  composé  quand  ces  sept  Boud- 
dhas prédécesseurs  furent  inventés  car  il  ne  fait  à  aucun 
d'eux  l'honneur  d'une  seule  épithète.  Si  c'est  un  oubli,  il 
faut  avouer  qu'il  est  bien  irrévérencieux! 

Nous  devons  en  dire  autant  de  Thou-mé-Sang-guié,  en 
sanscrit  Adi-Boudha,  expression  qui  peut  signifier  :  Bou- 
dhapiimordial  ou  Bouddali  supérieur  (aux  autres).  Malgré 
sa  supériorité  en  temps  ou  en  dignité,  le  dictionnaire  de 
l'académie  bouddhique  est  complètement  muet  sur  sou 
compte  et  il  est  à  peu  près  inconnu  du  vulgaire  et  même 
des  savants. 

Comme  les  sept  prédécesseurs  de  Bouddha  et  Sha-Kia- 
mouni  lui-même,  sont  aussi  représentés  comme  formant 
la  première  série  des  êtres  surnaturels  après  la  trinité 
bouddhique,  il  est  nécessaire  de  dire  ici  quelques  mots  de 
cette  trinité.  Son  nom  thibetain  est  :  Kun-Khiou-som*  les 


LE  BOUDDHISME  153 

trois  nobles  raretés  ou  excellences.  D'abord  Kun-Khiou, 
noble  excellence,  n'est  qu'un  adjectif,  un  attribut  donné 
principalement  auxèti'es  surnaturels  mais  aussi  aux  grands 
et  puissants  de  ce  monde.  Nulle  part  on  ne  trouve  dans  les 
auteurs  que  ce  soit  un  être  personnel,  distinct,  supérieur 
<à  tous  les  autres  par  sa  nature  ou  ses  qualités.  Aussi,  à 
mon  humble  avis,  les  ministres  protestants  ont-ils  eu  grand 
tort  de  se  servir  de  ce  nom  pour  exprimer  Dieu.  Quelles 
sont  les  trois  excellences  d'après  les  auteurs  bouddhiques  ? 
Il  y  a  deux  explications.  La  première  qui  est  de  beaucoup 
la  plus  commune  est  ainsi  formulée.  Les Sang-gnié  (Boud- 
dhas) P'  excellence  ;  la  doctrine  et  les  livres  qui  la  contien- 
nent, 2'"''  excellence  ;  les  sectateurs  de  Bouddha  (religieux 
et  laïcs)  3""°  excellence.  Dans  la  seconde  explication  la  tri- 
nité  est  appelée  :  Rigs-som-gum-po,  les  trois  sortes  de 
protecteurs  qui  sont  :  Ghin-ré-zig,incarnédans  le  Dalailama 
de  Lhas-sa  ;  Guiam-pé  (ou  pel)  -yong,  incarné  dans  l'em- 
pereur de  Chine  ;  Ghia-na-do-guié,  incarné  dans  le  grand 
lama  de  Tra-chi-thun-po.  D'après  ces  deux  explications, 
qui  ne  se  ressemblent  guère,  il  faudrait  conclure  que  le 
grand  Bouddha  Sha-Kia-mouni,  le  fondateur  du  Boud- 
dhisme, est  en  même  temps  et  son  propre  supérieur  et 
son  propre  inférieur.  Son  supérieur,  comme  membre  de 
la  trinité  puisqu'il  est  Sang-guié,  et  son  inférieur,  puisqu'il 
n'est  aussi  qu'un  des  membres  de  la  V"  série  d'êtres  sur- 
naturels après  la  trinité.  Bien  plus,  comme  membre  de 
cette  série,  il  serait  inférieur;)  la  religion  qu'il  a  établie  et 
aux  livres  qui  la  contiennent,  même  à  ses  sectateurs  qui 
font  partie  intégrante  de  la  trinité.  D'après  la  deuxième  ex- 
plication, il  ne  ferait  pas  même  partie  de  la  trinité  et  serait 
par  conséquent  inférieur  au  Dalailama,  à  l'empereur  de 
Chine  et  au  grand  lama  de  Tra-chi-lhum-po  qui  sont  la  tri- 
nité. Le  voilà  relégué  au  quatrième  rang  dans  la  hiérarchie 
bouddhique  et  même  au  cinquième  pour  ceux  qui  admet- 


15i  LE  BOUDDHISME 

tent  l'existence  de  Thoug-mé-sang-guié,  le  Bouddha  pri- 
mordial ou  supérieur  à  tous  les  autres. 

Peut-être  la  clef  d'or  nous  ouvrira-t-elle  la  porte  qui 
ferme  l'issue  de  ce  labyrintlie  et  la  guirlande  de  nénu- 
phars blancs  nous  fournira-t-elle  quelques  fleurs  de  véri- 
tés qui  éclaireront  ces  ténèbres?  Je  chercbe  Kun-Khiou; 
pas  un  mot.  Je  cherche  Kun-Khiou-Som;  encore  rien. 
Heureusement  voici  un  petit  article  expliquant  clairement 
le  sens  propre  de  Kun-Khiou-Kyi-nê,  la  demeure  de  la 
trinité.  En  sanscrit  cette  demeure  se  nomme  Kon-dha-la, 
pagode,  dont  les  qnalités  distinctives  sont  d'être  :  le  pa- 
lais des  pjarfums;  le  réceptacle  des  parfums  ;  la  de- 
meure de  ceux  qui  son  t par  faite  ment  purifiés  (Boudd  bas) , 
la  maison  des  Lhas  (génies  ou  idoles)  ;  l'école  ;  la  bi- 
bliothèque ;  le  lieu  de  réunion^  et  voilà  tout.  Evidemment 
l'auteur  avait  en  vue  la  première  explication  de  la  trinité, 
les  Bouddhas  dans  les  pagodes  parfumées,  la  doctrine  à 
l'école  et  à  la  bibliothèque,  la  société  des  religieux  et  fi- 
dèles réunis  dans  les  pagodes  ;  mais  il  ne  fait  qu'exprimer 
en  termes  poétiques  ce  que  la  théologie  nous  avait  déjà 
enseigné  dans  son  style  technique  ;  il  n'explique  rien.  Bon 
gré  malgré  il  nous  faut  donc  continuer  de  marcher  dans  le 
labyrinthe  au  milieu  des  ténèbres.  Remarquons  seulement 
que  l'auteur  semble  mettre  sur  le  même  pied  les  Chiang- 
Kioup  (Bouddhas)  et  les  Lhas  (génies  ou  idoles)  puisqu'il 
les  loge  dans  la  même  demeure.  Nous  parlerons  plus  loin 
de  ces  derniers  qui  diffèrent  substantiellement  des  Boud- 
dhas. Mais  puisqu'ils  se  trouvent  bien  ensemble  ici,  soyons 
accommodants. 

5"  Bouddha  Sha-Kia-mouni . 

Théoriquement  parlant,  Sha-Kia-mouni,  est  sans  con- 
tredit le  premier,  le  plus  grand  et  très  probablement  le  seul 


LE   BOUDDHI-SME  155 

vrai  Bouddha.  C'est  lui  qui  a  fondé  la  religion  bouddhique 
et  qui  a  servi  de  type  à  tous  les  autres  Uouddhas  inventés 
depuis  par  les  sectateurs  et  corrupteurs  de  sa  religion.  Il 
semble  donc  naturel  que  la  lyre  des  poètes  bouddhiques 
prodigue  ses  flots  d'harmonie  et  ses  i)lus  beaux  chants 
pour  exalter  un  si  saint,  si  éminent,  si  vénérable  person- 
nage. Écoutez  d'abord  ce  qu'elle  dit  de  son  origine  terres- 
tre. Cesi  G ootaina  (nom  sanscrit).  C'est  le  lion,  leprince^ 
le  roi,  la  sommité,  le  plus  noble  de  la  famille  Sha-Kia  ; 
c'est  le  fils  de  Sè-tson(j  (la  nourriture -pure),  le  fils  de 
Sé-tsonrj  (qui  était  de  la  hmW^)  poii-ram-cliing  (canne  à 
sucre).  —  Voici  maintenant  ses  titres  marquant  la  transi- 
tion de  l'état  purement  humain  à  la  dignité  de  Bouddha. 
C'estz^/?  fils  transfornié,  le  religieux  de  la  famille  Sha- 
Kia,  le  grand  moine.  Voici  son  éloge  comme  Bouddha. 
//  est  né  de  la  race  du  soleil,  descendant  du  soleil, 
parent  du  soleil,  le  génie  des  génies,  le  plus  ancien  ou 
éminent  des  génies,  il  possède  le  trône  de  diamant. 
J'ai  cité  tout  ce  qui  caractérise  la  nature  humaine  et  purifiée 
de  Sha-I\i;i-thoup-pa.  Mais  ses  Œuvres  racontées  dans  les 
108  volumes  du  Ka-gieur,  et  sa  doctrine  expliquée  dans 
les  2^23  volumes  du  Tan-guieur  et  autres  ouvrages  seront 
sans  doute  portées  aux  nues  et  au-delà?  Oui,  par  un  seul 
mot  :  //  a  accompli  toutes  œuvres.  Vraiment,  Sha-Kia  le 
puissant,  Sha-Kia  le  fondateur  de  la  religion  bouddhique 
doit  être  bien  jaloux  de  Brahma,  Wishnu,  Siwa,  Indra, 
Kuvera,  etc.,  etc.,  divinités  l)rahmaniques  s'il  en  fut  ja- 
mais, auxquelles,  dans  le  même  volume,  les  poètes  boud- 
dhiques ont  consacré  des  pages  entières  d'épithètes  et  de 
synonimes  les  plus  élogieux  ! 

Bemarquons  en  passant  que  les  trois  synonimes  qui  font 
descendre  Sha-Kia-Mouni  du  soleil,  le  réduisent  à  la  con- 
dition de  Bang-sang-guié  (Bouddha  par  soi-même)  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut,  lesquels  formentune  catégorie 


156  LE  BOUDDHISME 

(le  Bouddhas  de  perfection  moyenne  seulement,  parce 
qu'ils  ne  songent  qu'à  leur  propre  avantage,  ce  qui  est 
encore  contraire  à  la  notion  qu'on  nous  a  faite  de  la  mis- 
sion toute  de  charité  de  Sha-Kia-Mouni.  Comment  alors 
peut-on  lui  donner  en  même  temps  les  titres  de  :  Génie 
des  Génies,  le  plus  ancien  ou  éminent  des  génies  ?  En 
Asie,  les  peuples  qui  ont  adopté  le  bouddhisme  sans  rien 
retrancher  de  leurs  superstitions  primitives  (ce  qui  forme 
autant  de  bouddhismes  différents  qu'il  y  a  de  pays  boud- 
dhiques), ne  se  sont  pas  même  aperçu  de  ces  montagnes 
de  contradictions.  En  Europe,  chaque  auteur  patient  et 
opiniâtre  (car  il  faut  être  Pun  et  Pautre)  fait  dans  les  gran- 
des compilations  bouddhiques  (et  surtout  dans  les  traduc- 
tions partielles  qui  en  ont  été  déjà  faites)  un  choix  de  mor- 
ceaux se  rapportant  le  mieux  à  ses  idées  préconçues,  lais- 
sant soigneusement  les  idées  contraires  dans  Pombre  du 
texte,  puis  avec  ces  passages  de  choix  composant  un  tout 
historique  ou  doctrinal,  il  s'écrie  triompiialemenl  :  Eurêka, 
j'ai  trouvé  le  vrai  Bouddha  et  sa  doctrine  !  D'autres,  non 
moins  patients,  non  moins  opiniâtres,  puisant  aux  mêmes 
sources,  font  aussi  leur  choix  dans  un  esprit  dilFérent,  et 
s'écrient  pareillement  :  Eurêka,  j'ai  trouvé  le  vrai  Bouddha 
et  sa  doctrine  !  Aux  yeux  du  vulgaire  tous  paraissent  aussi 
savants^  puisque  tous  sont  censés  avoir  puisé  aux  sour- 
ces et  qu'ils  citent  quantité  de  textes.  Ils  se  contredisent 
cependant.  Qu'importe  !  Bref,  Bouddha  fut,  est,  restera  un 
des  grands  inconnus  de  la  science  en  Europe,  comme  il  est 
un  grand  inconnu  pour  ses  sectateurs  en  Asie,  au  moins 
auThibet.  Cette  dernière  assertion  pourra  paraître  d'une 
exagération  presque  monstrueuse  à  ceux  qui  se  figurent 
que  Bouddha,  et  par  conséquent  Sha-Kia-Mouni  est  le  tout 
des  pensées,  des  affections  et  des  aspirations  de  la  religion 
bouddhique.  Eh  bien,  je  ne  crains  pas  de  l'affirmer  sans 
crainte  d'un  démenti,  sur  1,000  personnes  qui  connaissent 


LE  BOUDDHISME  157 

et  honorent  Chiii-rè-zï  il  n'y  en  a  peut-être  pas  une  ou  deux 
qui  connaissent  Sha-Kia,  et  beaucoup  de  Lamas  en  lisant 
sa  légende  sur  les  livres  sacrés  se  figurent  lire  celle  de 
Ghin-rè-zi,  légende  qui,  je  le  crois  du  moins,  n'a  pas  été 
écrite.  C'est  ainsi  que  chaque  secte,  chaque  peuple  appli- 
que la  légende  typique  de  Sha-Kia-mouni  au  Bouddha  paK- 
ticulier  qu'ils  vénèrent  plus  spécialement. 

Voyons  donc  n^intenant,  ce  qu'est  Ghin-rè-zi,  le  grand 
Bouddha  des  Thibetains. 

r  Chin-rè-zi. 

Chin-rè  zi  (celui  qui  regarde  avec  des  yeux  brillants)  est 
le  nom  thibetain  du  Bodhisattwa,  qui  choisit  pour  sa  iO" 
incarnation  Penfant  qui  devait  devenir  le  5'2*  roi  du  Thibet 
sous  le  nom  de  Son-tsan-gara-bo,  027  à  707  de  l'ère  chré- 
tienne. Depuis  cette  époque,  il  n'a  plus  quitté  le  séjour  des 
neiges  perpétuelles,  et  depuis  l'an  1542  il  s'est  toujours 
incarné  dans  la  personne  du  Guiel-oua-rine-po-Khié  ou 
grand  lama  de  Lhassa.  C'est  le  même  dont  nous  avons  déjà 
dit  deux  mots  en  parlant  de  la  trinité  bouddhique. 

Ces  renseignements  sont  tirés  d'une  liste  chronologique 
des  incarnations  de  Ghin-rè-zi  dressée  par  Djrom-tun  qui 
au  commencement  duXP  siècle  était  la  i5°  incarnation  de 
Ghin-rè-zi  depuis  le  commencement,  et  la  S*"  depuis  que  le 
Thibet  était  devenu  sa  demeure  fixe.  Dans  cette  liste,  il  n'est 
pas  fait  la  moindre  allusion  au  nom  de  famille  Sha-Kia,  ni 
au  nom  de  Gootama.  Serait-ce  parce  que  l'auteur  regardait 
Ghin-rè-zi  comme  différent  de  Sha-Kia-mouni?  Il  n'est  rien 
dit  non  plus  de  l'époque  à  laquelle  il  faudrait  faire  remon- 
ter la  première  incarnation  dans  l'Inde.  Mais  en  accordant 
à  chacune  de  ces  40  incarnations  de  Ghin-rè-zi  une  durée 
moyenne  d'environ  50  ans,  ce  (jui  n'a  rien  d'extraordinaire, 
on  arriverait  presque  à  l'année  625  avant  Jésus-Christ,  an- 


158  LE  BOUDDHISME 

née  qui,  selon  l'opinion  la  plus  commune  parmi  les  savants, 
serait  celle  de  la  naissance  de  Sha-Kia-mouni.  Est-ce  que 
Djrom-tun  aurait  pris  tout  simplement  la  généalogie  de 
Sha-Kia  pour  l'appliquer  à  Chin-rè-zi,  ou  les  a-t-il  confon- 
dus Tun  avec  l'autre  ?  Malheureusement  il  y  a  une  difficulté 
insurmontable  ;  c'est  que  la  58^  incarnation  aurait  eu  lieu 
'250  ans  avant  Jésus-Christ,  la  ÔO",  '250  ans  après  Jésus- 
Ciu'ist,  et  la  iO°,  (327  ans  après  Jésus-Christ.  Comment 
combler  ces  vides  de  300  d^abord  et  575  ans  ensuite? 
C'est  aussi  impossible  que  de  faire  concorder  les  divers 
auteurs  bouddhiques  sur  Pépoque  de  la  mort  de  Sha-Kia- 
mouni,  leurs  divergences  s'étendaut  sur  une  période  de 
1500  ans  (voyez  la  grammaire  de  Csoma).  Peut-être 
Djrom-tun  se  trouvant  fort  embarrassé  de  ces  anachronis- 
mes,  aura  fail  vivre  l'un  de  ses  héros  et  prédécesseurs 
pendant  iOO  ans,  Pautre  pendant  575  ans  au  moment  où 
Chin-rè-zi  cessait  de  s^incarner  dans  l'Inde  pour  s'établir 
au  Thibet.  Dans  un  voyage  si  difficile  il  est  bien  permis  de 
s'égarer  un  peu.  Le  tour  fut  bien  joué,  car  personne  au 
Thibet  ne  se  doute  de  cette  mésaventure  ! 

Que  conclure  de  ces  documents?  (les  plus  authentiques!  !  ! 
cependant  que  possède  la  science  bouddhique).  Sha-Kia- 
mouni  et  Chin-rè-zi  sont-ils  une  identité?  sont-ils  une  dua- 
lité ?  Pour  moi  je  n'ose  me  prononcer.  Si  je  consulte  le 
dictionnaire  des  synonimes  j'inclinerais  pour  la  dualité  car 
les  épithètes  qui  caractérisent  les  deux  personnages  ne  se 
ressemblent  guère.  Qu'on  veuille  bien  les  comparer.  Le 
prince  Chin-rè-ù  ;  le  prince  ou  rjouoernear  du  monde  ; 
le  protecteur  du  monde  ;  la  grande  miséricorde  ;  le 
bienveillant  ;  celui  qui  regarde  ce  qui  est  sans  douleur, 
ce  qui  est  heureux  ;  qui  jouit  de  la  paix,  de  la  félicité; 
qui  est  couronné  d'une  immense  lumière  ;  qui  a  le  né- 
nuphar blanc  pour  symbole;  qui  le  porte  dans  la 
main  (exprimé  de  trois  manières)  ;  qui  domine  sur  la 


LE  BOUDDHISME  159 

montagne  du  port  (Polata  à  Lhassa)  ;  qui  aime  le  port  (Po- 
lata)  ;  le  soleil  de  diamant,  —  Chez  Sha-Kia-mouni,  ce 
sont  surtout  sa  descendance  du  soleil,  puis  sa  force,  sa 
puissance  comme  fils  de  la  famille  Sha-Kia  ;  sa  vie  monas- 
tique, sa  glorification  comme  Bouddha  qui  sont  célébrées  ; 
chez  Ghin-rè-zi,  c'est  sa  miséricorde  sur  le  monde  entier 
symbolisée  par  le  nénuphar  blanc,  c'est  sa  prédilection 
pour  le  Potala,  d'où  sans  doute  il  rayonna  sur  le  monde  ; 
il  n'est  pas  seulement  le  descendant  du  soleil  mais  le  soleil 
lui-même  et  le  soleil  de  diamant,  c'est-à-dire  le  plus  pré- 
cieux et  le  plus  riche  des  soleils  ou  Bouddhas  solaires.  Si 
Sha-Kia-Mouni  et  Chin-rè-zi  sont  deux  personnages  diffé- 
rents, nous  voilà  en  présence  de  deux  bouddhismes  aussi 
différents  dans  leur  principe  que  sont  le  christianisme  et  le 
mahométisme  ;  s'il  y  a  identité  de  personnage  il  est  consi- 
déré sous  des  points  de  vue  si  différents  que  nous  aurons 
encore  en  pratique  deux  bouddhismes  plus  différents  que 
sont  le  catholicisme  et  le  protestantisme  ou  toute  autre 
secte  hérétique  ou  schismatique,  car  dans  les  divers  boud- 
dhismes qui  dominent  en  Asie  il  y  a  hérésie  et  schismes, 
et  surtout  des  schismes  puisque  tous  sont  indépendants 
et  n'ont  point  d'autorité  centrale  qui  les  réunisse  en  un 
corps  de  religion. 

A.  Desgodins. 


"I 
Provicaire  du  Thibct, 


[A  suivre). 


CHRONIQUE 


I.  Religion  chrétienne.  —  La  Géographie  publie 
dans  son  numéro  du  10  novembre  dernier  un  intéressant  travail 
sur  la  qiiestioîi  des  Saints  Lieux  par  M.  Castonnet  des 
Fosses  : 

«Il  y  a  quelques  semaines,  écrit  l'auteur,  le  bruit  s'est  répandu 
que  les  Anglais  songeaient  à  se  rendre  acquéreurs  du  Saint-Sé- 
pulcre, et  qu'ils  étaient  en  pourparlers  à  ce  sujet,  avec  la  Porte  Otto- 
mane. Déjà  même,  l'on  indiquait  le  prix  qui  était  offert,  30  à  40,000 
livres  slerlings.  Celte  nouvelle  doit  nous  donner  à  réflécbir.  L'on 
sait  que  l'Angleterre  cberche  à  consolidei*  sa  puissance  en  Orient. 
La  prise  de  possession  de  l'Ile  de  Cbypre,  l'occupation  de 
l'Egypte,  indiquent  que  nos  voisins  d'Outre-Manche  veulent  à 
tout  prix  établir  leur  prépondérance  dans  le  bassin  de  la  Médi- 
terranée. Jérusalem  est  un  centre  de  la  plus  grande  importance. 
En  1841,  un  évêcbé  anglican  y  a  été  créé,  et  depuis,  les  sociétés 
bibliques  se  sont  mises  à  l'œuvre.  Si  l'Angleterre  devenait  pro- 
priétaire du  Saint  Sépulcre,  elle  s'assurerait,  une  influence  consi- 
dérable chez  toutes  les  populations  chrétiennes  de  l'Orient.  Sa 
prépondérance  à  Jérusalem  serait  établie,  et  pour  elle  Jérusalem 
compléterait  Chypre  et  TÉgypte.  La  question  des  Saints-Lieux 
serait  résolue  à  son  profit.  La  France  ne  peut  rester  impassible  à 
ce  nouvel  empiétement.  Pour  nous.  Français,  la  question  des 
Saints-Lieux  est  une  question  nationale,  et  il  est  de  notre  devoir 
de  la  défendre.  La  France  est  depuis  des  siècles  la  protectrice  des 
Saints-Lieux,  eti'enoncer  à  ce  protectorat,  l'abandonner,  ce  serait 
souscrire  à  une  dépossession.  Aussi,  pour  bien  comprendre  cette 
question,  juger  de  son  importance,  il  faut  connaître  les  Saints- 
Lieux,  le  rôle  que  nous  y  jouons,  et  en  même  temps  se  tenir  au 


CHRONIQUE  161 

courant  du  mouvement  qui  se  produit  en  Syrie.  Qu'on  le  sache 
bien,  Jérusalem  a  pris  une  partie  de  son  ancienne  importance,  et 
dans  cette  ville,  la  France,  la  Russie,  l'Angleterre,  l'Allemagne 
s'y  rencontrent.  La  question  des  Saints-Lieux  a  été  le  prétexte  de 
la  guerre  de  Griuiée.  Qui  sait  si  elle  ne  sera  pas  encore  la  cause 
d'un  conflit  entre  puissances  européennes. 

La  question  des  Saints-Lieux  n'est  pas  toute  la  question  d'O- 
rient, mais  elle  en  est  une  partie  considérable  et  tout  à  fait  capi- 
tale. Elle  se  mêle  à  ses  plus^ntimes  profondeurs.  Elle  touche  la 
France,  et  mérite  constamment  sa  sollicitude  et  sa  sympathie, 
non-seulement  par  son  côté  religieux,  mais  encore  parce  que  sa 
politique  et  le  rang  qu'elle  occupe  dans  ce  monde  lui  en  font  une 
loi.  La  Palestine  est  une  terre  où  se  heurtent  les  intérêts  les  plus 
divers,  et  aussi,  chaque  nation,  chaque  communion  chrétienne 
cherche-t-elle  à  agrandir  son  domaine  religieux.  Aussi,  y  a-t-il 
toujours  des  conflits,  plus  ou  moins  apparents,  et  qui  parfois  de- 
viennent des  causes  de  guerre. 

Les  Lieux-Saints  de  la  Palestine  sont  placés  sous  la  protection 
de  toutes  les  puissances  chrétiennes.  Ils  sont  au  nombre  de  qua- 
torze. Trois  sont  communs  à  toutes  les  communions  chrétiennes  : 
1°  à  Jérusalem,  l'église  du  Saint-Sépulcre  ;  2°  à  Bethk'em,  l'église 
de  la  Nativité  ;  3°  à  Gelhsémani,  l'église  où  est  le  tombeau  de 
la  Vierge.  Cinq  appartiennent  aux  catholiques  :  1°  à  Nazareth, 
l'égUse  de  l'Assomption  ;  2"  à  Tibériade,  l'église  où  saint  Pierre 
reçut  ses  pouvoirs  de  Jésus-Christ  ;  3  '  à  Jérusalem,  l'église  de 
la  Flagellation  ;  4°  à  Gethsémani,  la  grotte  de  l'Agonie  ;  o°  l'é- 
glise de  Saint-Jean-Baplisle.  Deux  appartiennent  aux  Grecs  :  à 
Sichem,  l'église  de  la  Samaritaine,  sur  le  puits  de  Jacob  ;  à  Cana, 
l'église  où  Jésus  changea  leau  en  vin.  Quatre  des  Saints-Lieux 
sont  aux  Musulmans  :  à  Jérusalem,  l'église  de  la  Présentation  ; 
Fég!ise  des  Apôtres,  sur  le  mont  Sion  ;  l'église  de  l'Ascension, 
sur  le  mont  des  Oliviers,  et  à  Sébaste,  l'égUse  de  la  Décollation. 
Au  premier  abord,  il  semblerait  que  la  suprématie  appartient 
aux  Catholiques,  et,  cependant,  l'on  se  ferait  d'étranges  illusions, 
si  on  le  croyait.  Plus  que  jamais  les  intérêts  catholiques  sont  me- 
nacés, et  par  la  même,  les  intérêts  de  la  France.  Nous  ne  sau- 
rions trop  le  répéter,  la  question  des  Saints-Lieux  n'est  pas  seu- 
il 


J62  CHRONIQUE 

leraent  une  question  religieuse,  c'est  une  question  nationale.  Ne 
pas  s'en  préoccuper,  la  regarder  comme  chose  négligeable,  c'est 
souscrire  d'avance  à  l'abandon  de  notre  influence  en  Orient.  A 
celte  épojue,  où  la  politique  coloniale  s'impose,  où  nous  nous 
établissons  au  Tonkin,  en  Tunisie,  à  Madagascar,  au  Dahomey, 
devons-nous  abandonner  une  terre  à  moitié  française,  la  Syrie. 
Telle  est  la  question. 

C'est  Gharleraagne  qui,  en  recevant  du  Khalife  Haroun-al-Has- 
chid,  les  clefs   du  Saint-Sépulcre,Jnaugura,  il  y  a  onze  cents 
ans,  le  protectorat  des  Saints-Lieux.  Après  l'existence  éphémère 
du  royaume  latin  de  Jérusalem,  les  seuls  Français,  qui  restèrent 
dans  la  ville  sainte,  furent  des  Franciscains  qui,  moyennant  une 
rançon  payée  par  Robert  d'Anjou,  roi  de  Sicile,  eurent  le  droit  de 
s'établir  sur  le  mont  Sion  ;  une  bulle  pontificale  de   1342  leur 
donna  la  garde  des  Saints  Lieux.  L'église  des  a  poires  où  s'accom- 
plit le  Cénacle,  sur  le  mont  Sion,  leur  appartenait  au  xvi=  siècle. 
Contrairement  aux  capitulations  accordées  par  le  sultan  Soliman 
à  François  1%  les  Turcs  leur  enlevèrent  ce  sanctuaire,  et  le  con- 
vertirent en  mosquée.  L'on  était  à  l'époque  des  guerres  de  reli- 
gion, et  la  France  accordait  peu  d'attention  à  ce  qui  se  passait  en 
Orient.  Au  xvii'^siècle.notrepaysintervintde nouveau, et  LouisXl"V 
conclut  avec  la  porte  ottomane  un  traité  dont  l'article  33  ga- 
rantissait aux  Franciscains  la  possession  de  leurs  sanctuaires,  au- 
dedans,  et  au-dehors  de  la  ville  de  Jérusalem.  L'église  des  Apô- 
tres devait  en  conséquence  leur  être  restituée.  Il  n'en  fut  rien. 
Sous  Louis  XV,  un  traité  était  signé  dans  le  même  sens  que  le 
précédent.  Si  les  Franciscains  furent  moins  sujets  aux  vexations 
des  pachas,  le  mont  Sion  ne  leur  fut  pas  rendu.  Au  xix^  siècle,  a 
lieu  la  guerre  de  Crimée.  La  France  victorieuse  pouvait  parler 
haut.  Elle  n'en  fit  rien.  Si,  elle  obtint  la  cession  de  l'église  Sainte- 
Anne,  elle  ne  fit  rien  pour  obtenir  la  restitution  de  l'église  des 
Apôtres  aux  Franciscains,  et  pourtant  nous  n'avions  qu'à  parler. 
L'on  eut  dit  que  nous  n'osions  pas  nous   servir  du  prestige  que 
nous  donnait  le  succès  de  nos  armes.  En  1878,  le  traité  de  Ber- 
lin a  reconnu  le  protectorat  de  la  France  sur  les  Lieux  Saints. 
Malheureusement,  ce  protectorat  est  devenu  plus  nominal  et  ho- 
norifique que  réel.  Notre  situation  à  Jérusalem  est  restée  la 


CHRONIQUE  .     163 

même,  et  autour  de  nous  a  grandi  l'action  de  la  Russie,  de  l'An- 
.  gleterre  etde  l'Allemagne.  Voilà  ce  qu'on  ignore,  et  nous  croyons 
qu'il  est  utile  et  nécessaire  de  faire  connaître  le  mouvement 
qui  s'accomplit  à  Jérusalem,  et  !a  transformation  que  subit  la  ville 
sainte. 

Depuis  une  vingtaine  d'années,  Jérusalem  a  considérablement 
gagné  comme  importance.  Sa  population  qui,  il  y  a  un  siècle 
pouvait  s'évaluer  h  12  à  lo  000  habitants,  dépasse  actuellement 
75.000  dont  environ  o  à  6.000  Musulmans,  près  de  60.000 
Juifs,  et  plus  de  10.000  Chrétiens  qui  se  répartissent  de  la  façon 
suivante  :  3.000  Catholiques,  6.000  Grecs  orthodoxes,  500  Armé- 
niens, 450  Protestants,  loO  Syriens,  100  Coptes  et  50  Abyssins. 
Les  Musulmans,  à  part  les  fonctionnaires  qui  sont  Turcs,  appar- 
tiennent à  la  race  Arabe.  Les  Juifs  ne  cessent  de  s'accroître.  A 
l'heure  actuelle,  une  émigration  Israélite,  venant  de  la  Russie, 
se  porte  en  Palestine;  l'on  compte  près  de  100. OOO  Juifs  dans  l'an- 
cien royaume  d'Israël,' et  tous  les  ans,  des  achats  de  terrain  sont 
faits  par  ces  nouveaux  venus.  A  Jérusalem,  les  Juifs  se  divisent 
en  trois  groupes  :  1°  Les  As/iénaz/m,  Juifs  allemands,  polonais 
et  russes;  2°  les  Séfardim,  venus  d'Espagne  et  des  différentes 
parties  de  l'Empire  ottoman,  et  dont  le  Grand  Rabbin  est  muni 
de  l'autorité  civile  ;  3°  les  Karaites,  qui  repoussent  l'autorité  du 
Talmud.  Les  Catholiques  se  composent  de  desrendants  des  La- 
tins, restés  après  les  Croisades,  et  de  religieux,  venus  depuis 
peu.  Les  Grecs  orthodoxes  appartiennent  à  la  race  Syrienne  pour 
la  plupart,  et  reconnaissent  pour  chef  spitituel,  le  patriarche 
œcuménique  de  Conslantinople.  Les  Arméniens  viennent  généra- 
lement du  Caucase.  Quant  aux  Protestants,  ce  sont  des  convertis, 
anciens  orthodoxes,  anciens  Juifs,  et  dont  pour  la  plupart,  la  sin- 
cérité laisse  à  désirer.  Telle  est  la  population  de  Jérusalem. 

Cette  statistique  suffit  pour  indiquer  les  Intles,  qui  peuvent  se 
produire  et  se  produisent  journellement.  Les  Catholiques  ont  un 
patriarche.  Malheureusement,  il  est  à  regretter  que  son  titulaire 
ne  soit  pas  Français  et  soit  Italien.  Les  Franciscains  sont  Fran- 
çais, et  leur  patriotisme  est  ardent.  Aussi,  avec  eux,  nous  pou- 
vons être  certains  que  nos  intérêts  seront  défendus.  Au  premier 
abord,  il  semblerait  que  nous  n'avons  rien  à  craindre  des  Grecs 


164  CHRONIQUE 

orthodoxes,  d'autant  plus  qu'ils  sont  divisés.  Les  uns  sont  pour 
l'emploi  du  grec,  comme  langue  liturgique,  et  les  autres,  pour 
celle  de  l'Arabe.  Malheureusement,  derrière  les  Grecs  se  trouve 
la  Russie.  Chaque  année  des  pèlerins  russes  viennent,  depuis 
longtemps,  visiter  les  Lieux  Saints,  et  leur  nombre  ne  cesse  de 
s'accroître.  De  plus  le  gouvernement  de  Pétersbourg  protège 
énergiquement  les  oxlhodoxes,  et  les  soutient,  dans  leurs  luttes 
contre  les  Latins.  En  outre,  voulant  alfimer  sa  puissance,  sa  su- 
prématie à  .lérusalem,  il  a  fait  bâtir  en  dehors  et  à  l'ouest  de  la 
ville,  sur  la  route  de  Jafïa,  un  immense  caravansérail,  qui  ren- 
ferme tout  à  la  fois  le  consulat,  le  palais  de  l'archimandrile,  une 
superbe  cathédrale,  trois  hospices,  un  liôpital  et  une  pharmacie. 

Ces  vastes  constructions,  que  dominent  les  cinq  dômes  dores 
de  la  cathédrale  s'imposent  à  l'étranger,  dès  son  arrivée,  et  sont 
la  preuve  de  la  grandeur  moscovite.  Il  y  a  quarante  ans,  il  n'était 
pas  question  du  Protestantisme  à  Jérusalem.  En  1841,  un  évêché 
prolestant,  dont  le  titulaire  était  nommé  alternativement  par  l'An- 
gleterre et  la  Prusse,  a  été  créé.  Depuis  peu,  chacune  de  ces  deux 
puissances  a  voulu  avoir  un  évOque.  La  propagande  anglaise  est 
fort  active  :  l'évêché  anglican  occupe  l'emplacement  du  palais 
d'Hérode,  une  école  anglicane  a  été  organisée,  et  là  on  y  enseigne 
la  haine  delà  France.  De  son  côté,  l'Allemagne  porte  ses  regards 
vers  Jérusalem  plus  que  jamais  (1).  Une  petite  colonie  allemande 
s'est  établie  à  Caïfa,  et  par  ses  empiétements,  elle  envahit  peu  à 
peu  le  mont  Carmel.  Telle  est  la  situation,  et  elle  n'a  rien  de  ras- 
surant pour  notre  influence. 

N'oublions  pas  que  Jérusaleai  a  cessé  d'être  une  ville  isolée,  où 
l'on  ne  pouvait  se  rendre  que  par  caravanes.  Depuis  le  mois  d'août 
dernier,  un  chemin  qui  relie  la  ville  sainte  à  Jaffa  a  élé  inauguré  ; 
c'est  une  véritable  révolution,  et  si  nous  n'y  prenons  garde,  les 
conséquences  des  cet  événement,  au  lieu  de  nous  servir,  tourne- 
ront contre  nous. 

Il  importe  que  la  France  conserve  son  influence  d'autrefois,  et  il 
faut  que  nous  sachions  suivre  une  politique  énergique. 

Le  traité  de  Berlin  a  reconnu  notre  protectorat  sur  les  Saints- 

(I)  La  Prusse  donne  une  subvention  de  15.000  francs  à  l'évôché 
évangélique. 


CHRONIQUE  165 

lieux.  Usons  de  nos  droits  que  personne  ne  nous  conteste.  Oppo- 
sons-nous aux  empiétements  des  orthodoxes,  encourageons 
les  écoles  des  établissements  catholiques  où  l'on  enseigne  le  fran- 
çais, et  obligeons  la  Porte  Ottomane  à  exécuter  les  clauses  d'un 
traité  qu'elle  n'a  jamais  tenu,  à  restituer  l'église  des  Apôtres  sur 
le  mont  SioU;  aux  Franciscains.  Les  Anglais  veulent  se  rendre 
acquéreurs  du  Saint  Sépulcre  ;  que  notre  diplomatie  s'y  oppose 
énergiquement,  et  au  besoin,  ouvrons  une  souscription,  et  que  la 
France  fasse  ce  que  veut  faire  l'Angleterre.  Cette  souscription  sera 
nationale;  il  s'agit  de  combattre  notre  ennemi  héréditaire. 

Que  l'on  sache  bien  que  Jérusalem  va  grandir,  et  de  cette  ville 
notre  influence  peut  et  doit  rayonner  dans  la  plus  grande  partie 
de  la  Syrie,  où  nons  avons  une  clientèle  politique  formée  par  les 
Maronites  et  les  Melchites.  Sur  deux  millions  d'habitants  que  peut 
compter  la  Syrie,  il  y  a  environ  800.000  Chrétiens,  dont  250.000 
Maronites,  150.000  Melchites,  50.000  Syriens- Unis  et  30.000 Ar- 
méniens Unis.  Les  Maronites  sont  de  véritables  Français.  Quant 
aux  Me'chites,  ce  sont  des  Grecs  unis  avec  Rome  et  dont  toutes 
les  aspirations  sont  françaises.  Leur  patriarche  qui  réside  à  Damas 
fait  une  propagande  des  plus  actives  en  faveur  de  notre  langue. 
Que  l'on  soutienne  ce  mouvement,  et  la  plus  grande  partie  des 
orthodoxes  de  la  Syrie,  qui  sont  200.000,  se  détacheront  du  pa- 
triarcat de  Constantinople,  et  se  réuniront  aux  Melchites.  Le  gou- 
vernement français  a  compnsV importance  des  Melchites.  Depuis 
peu,  la  vieille  église  de  St-Julien  le  Pauvre  à  Paris,  leur  a  été  con- 
cédée pour  y  accomplir  leurs  rites  ;  une  école  y  a  été  annexée,  et 
chaque  année  quelques  jeunes  gens  retournent  en  Syrie,  après 
avoir  passé  leur  jeunesse  dans  la  capitale,  et  être  devenus  de 
vrais  français.  L'on  peut  dkeqneV œuvre  des  Melchites  est  une 
œuvre  française.  Le  ministère  des  affaires  étrangères  lui  accorde 
une  subvention  annuelle  de  4.000  f.. 

—  Sous  l'inspiration  de  M.  l'abbé  Duchesne,  un  comité  vient 
de  se  constituer  en  vue  de  la  publication  d'un  Annuaire  de 
l'histoire  ecclésiastique.  Le  but  est  de  présenter  tous  les  ans, 
en  un  volume,  l'analyse  des  articles  de  revues  et  des  publications 
d'Académies  cuncernant  l'histoire  de  l'Église,  des  origines  à  l'avè- 
nement de  Pie  IX.  Les  directeurs  de  l'entreprise  se  sont  imposé 


166  CHRONIQUE 

la  règle  de  n'admettre  aucune  appréciation  des  travaux  analysés. 
Le  comité  est  composé  de  MM.  Alfred  Baudrillart,  Glolet,  Digard, 
Georges  Goyau,  Hemmer,  Lejay,  Léon  Mirot.  Des  collaborateurs 
ont  promis  leur  concours  en  France  et  à  l'étranger.  Le  succès  de 
l'œuvre  ne  saurait  être  douteux. 

—  Nous  avons  à  signaler  un  important  ouvrage  de  M.  l'abbé  de 
Broglie  :  Le  présent  et  l'avenir  du  catholicisme  en  France. 
De  vives  controverses  ont  eu  lieu  depuis  quelque  temps  sur  l'ave- 
nir religieux  et  spécialement  sur  l'avenir  catholique  de  notre  pays. 
Les  uns  affirment  la  vitalité  persistante  de  l'antique  loi  de  nos 
pères;  les  autres  prédisent  la  déchéance  progressive.  M.  l'abbé  de 
Broglie,  vient  de  se  prononcer  dans  le  débat  par  un  ouvrage 
d'une  science  remarquable.  Ses  conclusions,  basées  sur  des  sta- 
tistiques, des  observations  certaines,  des  documents  empruntés  à 
ses  adversaires  mêmes,  sont  pleines  d'espérances  et  démontrent 
la  force  inébranlable  du  chrislianisme  en  dépit  des  épreuves  qu'il 
traverse.  La  majeure  partie  du  volume  est  consacrée  à  M.  Taine 
qui,  dans  une  étude  célèbre,  constatait  un  actif  imposant,  mais 
prétendait  avoir  découvert  un  passif  supérieur,  et  concluait,  sinon 
à  une  faillite,  du  moins  à  une  grande  diminution  d'importance  et 
d'influence.  M.  l'abbé  de  Broglie  suit  son  adversaire  à  travers  les 
quatre  parties  dont  se  compose  son  étude,  et  passe  les  faits  et  les 
conclusions  au  crible  d'une  logique  précise  et  savante.  On  lira  cet 
ouvrage  avec  autant  d'utilité  que  de  plaisir. 

—  Les  Mystères  du  moyen-àge,  mystères  liturgiques,  for- 
ment un  intéressant  opuscule.  M.  le  baron  d'Avril  a  entrepris  de 
faire  revivre  les  œuvres  charmantes  du  moyen-âge.  Cette  fois,  il 
s'agit  des  mystères  religieux  que  l'on  représentait  jadis,  tantôt  dans 
les  églises,  tantôt  sur  les  places  publiques.  L'auteur  ne  s'est  pas 
contenté  de  traduire  du  latin  et  du  vieux  français  les  textes  primi- 
tifs ;  parfois  il  s'est  donné  la  peine  de  les  adapter  aux  exigences 
scéniques  pour  quon  puisse  les  jouer  dans  les  patronnages  de 
jeunes  gens,  ce  qui  est  notamment  le  cas  de  la  pièce  intitulée  : 
V Adoration  des  Mages.  M.  d'Avril  applaudit  au  retour  qui  se 
manifeste  aujourd'hui  vers  la  littéralure  liturgique,  et  il  explique 
comment  le  théâtre  contemporain  pourrait  y  puiser  des  œuvres 
saines  et  émouvantes. 


CHRONIQUE  167 

—  Sous  ce  titre  :  Conférences  de  Notre-Dame  ;  Retraite 
de  la  Semaine  Sainte  :  Les  fondements  de  la  moralité,  iMgr 
(l'Hulst  publie  son  carême  de  1891.  Déjà  dans  ses  conférences  à 
Notre-Dame,  l'auteur  avait  abordé  les  grands  problèmes  de  l'u- 
nité de  la  morale,  du  libre  arbitre,  du  devoir,  delà  sanction.  Dans 
sa  publication  écrite,  Mgr  d  llulsl  complète  l'examen  de  diverses 
objections  qu'il  n'avait  fait  qu'effleurer  en  chaiie.  Les  soixante- 
quinze  pages  de  noies  substantielles,  parfois  hardies,  ajoutées  à 
ses  conférences,  les  complètent  très  heureusement. 

—  Les  Mélanges  philosophiques  du  même  auteur  consti- 
tuent un  recueil  d'essais  consacrés  à  la  défense  du  spiritualisme 
par  le  retour  à  la  tradition  des  écoles  catlioliques.  Tel  est  en  effet 
le  but  que  poursuit  Mgr  d'Hidst  :  «  Défendre  contre  les  aberra- 
rations  pernicieuses  de  la  pensée  contemporaine  les  principes  du 
spiriluahsme  »  ;  et  il  a  toujours  employé  et  propose  pour  l'at- 
teindre le  même  moyen  :  «  revenir  à  la  tradition  sans  exclure  le 
progrès;  redemander  à  Arislole  et  à  saint  Thomas  la  clef  perdue 
de  la  vraie  métaphysique  et  ouvrir  avec  celte  clef  les  trésors  de  la 
science  moderne.  »  Trois  conférences  sur  la  philosophie  en  géné- 
ral; quatre  sur  la  valeur  scientilique  de  la  philosophie  scolasli- 
que  ;  cinq  sur  Tâme  humaine  et  trois  sur  le  vrai  Dieu  ;  enfin 
quelques  morceaux  détachés,  études  critiques  de  la  philosophie 
de  Yacherot,  de  Renan,  etc.,  tel  est  le  vé^ximé  à.%?,  Mélanges 
philosophiques. 

L'éloge  des  œuvres  du  savant  recteur  de  l'Institut  catholique 
de  Paris  n'est  plus  à  faire. 

—  Mme  de  Flavigny  publie  la  Vie  de  sainte  Brigitte  de 
Suède.  Celte  vie  est  neuve  et  enrichie  de  documents  nouveaux 
que  l'auteur  est  allé  chercher  elle-même  dans  le  pays  de  la  sainte. 
Elle  a  eu  la  communication  de  précieux  manuscrit?  du  xv«  siècle, 
et  de  la  première  biographie  de  la  Vénérable  Veuve  que  les  Pères 
Jésuites  hollandais  cherchèrent  en  vain  et  que  l'historien  danois 
a  négligée  ;  l'auteur  s'est  aidée  aussi  d'études  récentes  sur  le 
moyen-âge  suédois  où  nul  biographe  de  sainte  Brigitte  n'avait 
encore  puisé. 

—  Le  nom  deM.  Ulysse  Chevalier  est  bien  connu  dans  le  monde 
savant.  Il  suffira  de  rappeler  son  Répertoire  des  sources  histo- 


168  CHRONIQUE 

riques  du  moyen-âge  et  son  Bepertoriitm  hynmologicum 
qui  paraît  régulièrement  dans  les  Anahcta  des  bollandisles. 

Mais  nous  devons  une  raenlion  spéciale  à  la  brochure,  le  Bré- 
viaire romain.  On  sait  que  la  Congrégation  des  Rites  a  fait 
publier  chez  Pustet  à  Ratisbonne  des  éditions  typiques  du  bré- 
viaire, du  missel,  du  cérémonial  et  du  pontifical.  M.  le  chanoine 
Chevalier  vient  de  faire  dans  celle  courte  notice  une  critique  de  ce 
travail  à  la  suite  du  R.  P.  Schober,  rédemptorisle.  Celui  ci  a  donné 
en  1891  une  Explanato  critica  editioiiis  breviarii  romani, 
une  sorte  d'exposé  des  motifs  où  il  veut  justifier  les  leçons  adop- 
tées dans  plus  d'un  passage  discuté  et  discutable.  Il  faut  bien  le 
reconnaître,  notre  bréviaire  actuel  doit  encore  subir  bien  des  cor- 
rections par  suite  des  progrès  de  la  critique  historique  et  philo- 
logique. On  en  doutera  encore  moins  après  avoir  lu  le  travail  de 
M.  U.  Chevalier. 

—  Nous  empruntons,  à  la  revue  des  Pères  franciscains,  les 
intéressants  détails  qui  suivent  sur  la  cérémonie  intitulée  :  Les 
Funérailles  du  Christ. 

Le  Vendredi-Saint  a  lieu  la  cérémonie  des  «  funérailles  du 
Christ,  »  Ginâhzat-el-Messih.  A  la  tombée  de  la  nuit  les  por- 
tes du  Temple  Saint  s'ouvrent  un  moment  pour  livrer  pa.ssageaux 
fidèles,  puis  se  referment  aussitôt,  et  l'on  peut  suivre  en  toute 
liberté  la  cérémonie  qui  commence  sur-le-champ. 

Il  est  vrai  de  dire  que  l'affluence  considérable  des  pèlerins 
auxquels  sont  venus  s'adjoindre  les  chrétiens  de  la  ville,  occa- 
sionne bien  en  cette  occasion  quelque  agitation  qui  ne  laisse 
pas  à  l'âme  tout  le  calme  qu'elle  souhaiterait  pour  méditer  à  son 
aise  le  grand  mystère  de  la  croix. 

Mais  les  Franciscains,  de  temps  immémorial,  profitent  de  cette 
circonstance  exceptionnelle  pour  prêcher  en  diverses  langues  aux 
peuples  accourus  là  des  quatres  points  du  monde,  afin  de  vénérer 
les  souvenirs  de  la  Passion,  aux  lieux  mêmes  qui  en  furent  les 
témoins. 

Un  premier  discours  en  langue  italienne  ouvre  la  cérémonie 
dans  la  chapelle  de  l'Apparition,  labuelle  sert  ici  d'Église  aux 
catholiques  de  Jérusalem.  Puis  la  procession  s'organise,  et  les 
assistants,  tenant  chacun  à  la  main  un  cierge  allumé,  se  dirigent 


CHRONIQUE  169 

surdeuxrangs  vers  le  lieu  de  l'Invention  de  la  Croix. Là  se  fait  en 
langue  turque  un  second  sermon, que  paraissent  suivrealtenlivement 
les  soldats  convoqués  pour  maintenir  le  bon  ordre. —Un  troisième, 
en  langue  allemande,  est  prononcé  sur  le  lieu  du  crucifiement, 
au  sommet  du  Calvaire.  Les  catholiques  allemands  deviennent 
de  jour  en  jour  plus  nombreux  à  Jérusalem.  Après  le  quatrième 
en  langue  franc  lise,  à  l'endroit  même  où  fut  planté  la  croix,  vient 
une  cérémonie  touchante,  bien  qu'elle  puisse  au  premier  abord 
semblerassez  bizarre. Des  religieux  munis  de  tenailles,  arrachentun 
à  un  les  clous  qui  retiennent  fixée  à  une  croix  de  buis  l'image  du 
Sauveur,enlèvent  la  couronne  d'épines  qui  entoure  son  chef  sacré, 
et, repliant  contre  le  corps  les  bras  qui  sont  mobiles, ils  le  transpor- 
tent dans  un  linceul  blanc  sur  la  pierre  de  l'onction  La,  le  Rme 
Custode,  assisté  de  ses  Frères,  procède  à  l'embaumement,  sicut 
mos  est  Jiidœis  sepelire.  Après  quoi  on  prononce  un  discours 
en  langue  arabe  qui  est  celle  des  Jérosolymitains.  Enfin  la  pro- 
cession se  dirige  vers  le  saint  tombeau,  où  l'on  dépose  le  corps 
du  Sauveur.  Là  un  des  religieux  présents  termine  par  une  allo- 
cution en  langue  espagnole.  La  cérémonie  a  bien  duré  quatre 
heures. 

Une  autre  cérémonie  non  moins  intéressante  est  celle  du  Feu 
SACRÉ  DES  Grecs. 

Celle  cérémonie  sacrilège  se  fait,  chaque  année,  le  Samedi - 
Saint.  On  évalue  de  cinq  à  six  mille  le  nombre  des  personnes  qui 
viennent  chaque  année  poui-  assister  à  celte  solennité. 

Toute  celte  foule  se  rue,  agitée  et  bruyante,  à  l'intérieur  et  à 
l'extérieur  de  la  vaste  Basilique  du  Très  Saint-Sépulcre.  La 
rotonde  est  comble  :  une  masse  serrée,  compacte,  l'occupe 
tout  entière.  Les  galeries  hautes  appartenant  aux  Grecs  et  aux 
Arméniens,  sont  remplies  de  femmes  et  d'enfants,  installés  là 
depuis  plusieurs  jours,  avec  leurs  matelas  et  batteries  de  cui- 
sine. Chaque  assistant  est  muni  d'un  cierge  ou  d'un  paquet  de 
petites  bougies  :tous  se  pressent  en  dehors  et  sur  la  place  exté- 
rieure. Un  cordon  de  soldats  turcs  lâche  de  maintenir  l'ordre  ;  à 
l'extérieur  une  compagnie  stationne  sur  le  parvis,rarme  au  pied, 
prèle  à  tout  événement.  De  temps  en  temps  pour  se  désennuyer 
la  foulepoussedelongscris, ou  chanteun  refrain  pleind'injures  pour 


170  CHRONIQUE 

les  juifs.  Bientôt  le  clergé  sort  du  chœur  réservé,  avec  les  banniè- 
res: ses  clianls  sont  couverts  par  le  mugissement  de  la  multitude. 
L'évéque  grec  de  Pélra,  dit  Evêque  du  Peu,  et  l'évèque  Ar- 
ménien, entrent  tous  deux,  à  la  suite  du  Patriarche,  dans  le 
Saint-Sépulcre  :  on  ferme  les  portes  derrière  eux,  puis  on  attend 
le  Pacha  de  .Jérusalem,  qui  chaque  année  vient  assister  à  la  céré- 
monie, du  haut  des  Galeries  Latines.  Il  arrive  vers  une  heure 
avec  sa  suite  :  il  est  reçu  par  le  Procureur  laïque  du  couvent 
de  Ïerre-Sainle,  avec  le  cérémonial  accoutumé,  et  conduit  à  la 
tribune  garnie  de  tapis,  puis  on  lui  apporte  lessence  de  rose  pour 
se  parfumer  la  barbe,  le  sorbet,  le  café,  selon  l'étiquette  orientale. 
Il  n'attend  pas  longtemps  :  déjà  la  foule  assiège  les  deux  ouver- 
tures pratiquées  dans  les  parois  latérales  de  la  «  Chambre  de 
l'Ange,  »  ou  vestibule  du  Saint-Sépulcre.  D'un  côté  sont  les 
Arméniens,  de  l'autre  les  Grecs;  les  premiers  arrivés  défendent 
leurs  places  avec  acharnement,  places  privilégiées  s'il  en  fut;  car 
d'après  la  superstition  généralement  admi.se  par  toute  cette  foule: 
celui  qui  parvient  le  premier  à  allumer  son  cierge  à  la 
flamme  miraculeuse  est  assuré,  quelle  que  soit  sa  vie, 
d^ aller  eu  Paradis. 

«  A  la  lucarne  du  Nord,  celle  des  Grecs,  aboutit  un  petit 
passage  libre,  menant  au-dehors  :  là  se  tient  un  diacre,  prêt  à 
recevoir  le  feu  sacré  pour  le  porter  à  un  homme  à  cheval  qui 
stationne  à  l'extérieur  de  l'église  et  doit  l'emporter  à  bride  abat- 
tue jusqu'au  couvent  grec  de  Bethléem.  Tout  à  coup  une  lueur 
brille  à  l'entrée  de  cette  lucarne:  le  diacre  se  précipite,  reçoit  des 
mains  de  l'évèque  une  lanterne  allumée  et  sort  à  toute  jambe  avec 
son  précieux  dépôt.  Un  long  fréiiiissement  parcourt  l'assemblée: 
lemiracle  est  consommé.  L'évèque  du  feu  passe  pour  la  deuxième 
fois  sa  main  par  la  lucarne,  en  tenant  une  torche  allumée.  L'évè- 
que Arménien  en  fait  autant  de  son  côté:  la  foule  se  rue  sur 
cette  flamme.  Les  premiers  allument  les  cierges  qu'ils  por- 
tent à  la  main  et  communiquent  l'étincelle  à  leurs  voisins 
de  main  en  main,  de  cierge  en  cierge,  elle  parcourt  toute 
l'assistance  ;  et,  en  un  clin  d'œil  toute  la  basilique  jusqu'au 
faîte,  présente  l'aspect  d'une  mer  de  feu.  Alors  commence  une 
scène  impossible  à  décrire.  Pour  se  pénétrer  des  vertus  surnatu- 


CHRONIQUE  171 

relies  de  celle  flamme  miraculeuse. les  uns  l'étreignent  dans  leurs 
mains,  se  couvrant  d'éiincelles  el  de  cire  fondue}  d'autres  croyant 
sepuritierde  leurs  fautes,  se  brûlent  impitoyablement,  en  la 
promenant  sur  leurs  corps,  avec  des  cris,  des  chants,  des  gestes 
lrénéli([ues.  Peu  à  peu,  toute  cette  masse  s'enivre  de  bruit,  de 
Jumée  ;  c'est  une  confusion  dont  rien  ne  peut  donner  lidée.  Elle 
danse,  trépigne,  rie,  pleure,  hurle,  vocifère;  les  hommes  s'élagenl 
en  pyramides  vivantes  et  fendent  la  foule  en  secouant  leurs  tor- 
ches embrasées.  Le  délire  esta  son  comble:  une  ronde  immense, 
infernale  s'organise  dans  cette  rotonde  consacréeaux  processions 
pieuses,  emportant  toute  la  multitude  dans  un  tourbillonnement 
frénétique...Oiicroirait  voir  confondus  dans  un  même  sabbat, des 
Ménades  en  furie,  des  Truands  de  la  cour  des  Miracles,  des  Dervi- 
ches Hurleurs  et  Tourneurs,  des  Peaux-Rouges  dansant  la  danse 
du  Scalp  autour  du  Poteau  de  la  Mort. 

—  L'éminenl auteur  de  \ Histoire  du  peuple  allemand^  Mgr 
Janssen  est  décédé  le  23  décembre  1891,  à  Francfort-sur-le-Mein. 
L  ÉgUse  pleure  en  lui  un  de  ses  défenseurs  les  plus  illustres, 
après  Doellinger  le  plus  brillant  apologiste  du  christianisme  en 
Allemagne.  La  science  historique  perd  en  Mgr  Janssen  un  cher- 
clieur  impartial  et  infatigable  qui,  par  la  clarté  de  son  style,  l'a- 
mour du  document,  la  pénétration  de  son  esprit,  occupera  par- 
mi les  historiens  de  l'école  moderne  une  place  de  premier  ordre. 

—  Onliraavec  fruit  et  intérêt, /ô  Mission  duSu-tchuen  au 
XV  Ut  sir  de  ;  Vie  et  apostolat  de  Mgr  Pottier,  son  fondateur, 
par  Léonide  Guiot.  La  Chine  attire  de  plusen  plus  notre  attention. 
Dans  cet  immense  empire,  une  province,  le  Sutchuen,  a  éveillé 
l'attention  de  M.  Guiot  et  dans  l'histoire  du  christianisme  en  celte 
province, une  époque:  cellede  sa  fondation  qui  va  de  1756  à  1792, 
pendant  l'épiscospat  d'un  homme  à  peu  près  inconnu  en  France, 
mais  très  célèbre  dans  l'empire  du  Milieu,  et  dont  le  nom  mérite 
d'ôti'e  placé  à  côté  des  grands  évèques  fondateurs  des  premières 
églises  chrétiennes  :  François  Pottier,  un  Français,  qui  simple 
missionnaire,  est  demeuré  pendant  dix  ans,  seul  Européen,  aidé 
de  quelques  prêtres  indigènes,  au  fond  de  la  Chine,  dans  le  Su- 
Tchuen,  où  l'on  pénétrait  après  un  voyage  d'une  année  et  où  les 
bateaux  à  vapeurs  anglais  et  américains  remonteront  bientôt.  De- 


172  CHRONIQUE 

venu  évoque  en  1767  il  eut  pour  collaborateur  des  prêtres  de 
haute  valeur  intellectuelle,  d'initiative  ardente,  qu'il  dirigea  avec 
un  tact  parfait.  Pour  analyser  leur  vie  Tauteur  a  puisé  aux  meil- 
leures sources.  Lorsqu'on  voudra  connaître  à  fond  le  christianis- 
me en  Extrême-Orient,  il  faudra  nécessairement  consulter  cette 
monographie  d  une  mission  particulière. 

—  Lalibrairie  Gattier  à  Tours  publie  V Invasion  musulmane 
en  Afrique,  suivie  du  Réveil  delà  foi  chrétienne  dans  ces  con- 
trées et  delà  croisade  des  noirs  entreprise  par  S.E.  le  cardinal 
Lavigerie,  par  J.  Bournichon. 

L'idée  qui  inspire  ce  livre  est  très  ingénieuse:  l'auteur  rapproche 
deux  dates:  046  et  1889,  l'invasion  mulsulmane  en  Afrique  et  la 
croisade  anti-esclavagiste  du  cardinal  Lavigerie.  H  en  résulte  une 
division  naturelle  en  deux  parties  :  dans  la  première,  l'au- 
teur raconte,  sous  une  forme  dramatique  et  romanesque,  la  chute 
de  la  domination  grecque  à  Carthage  sous  les  coups  des  sectateurs 
de  l'Islam,  dans  la  seconde,  il  expose  la  régénération  de  l'Afrique 
par  lecatholicisme  et  analyse  les  principaux  discours  du  nouveau 
Pierre  l'Ermite  prêchant  la  croisade  contre  les  musulmans  esclava- 
gistes.C'est  la  revanche  de  la  croix  sur  le  croissant. Les  deux  par- 
ties sont  reliées  enire  elles  par  un  court  historique  de  la  pé- 
riode intermédiaire. 

—  M.  le  D""  Monchamp,  professeur  de  philosophie  au  séminaire 
Saint-Trond  expose  dans  son  livre  :  Galilée  et  la  Belgique,  Vac- 
cueil  fait  en  Belgique  aux  Ihéoiies  de  Copernic  et  de  Galilée. 
En  élucidant  ces  diverses  questions,  l'auteur  s'est  attachéd'une 
manièrespéciale  au  mouvement  des idéesàl'UniversitédeLouvain. 
Une  grande  partiedeson  ouvrage  est  même  consacréeà l'exposé 
d'un  double  procèsqui  s'éleva, à  propos  de  l'enseignement  des  doc- 
trines coperniciennes,  entre  un  professeui-  de  V Aima  Mater, 
Van  Veldeu,  et  les  autorités  académiques.  M.  Monchamp  a  réuni 
sur  ce  point,  comme  sur  beaucoup  d'autres,  une  foule  de  détails 
intéi'essants  et  peu  connus. 

—  L'ouvrage  de  M.  Padovani,//i  S.Pauli  Episto/as  com- 
mentarius  est  un  commentairecomplet  et  résumé  desépitresde 
saint  Paul. Ce  premier  volume  contient  les  Épitres  aux  Ephésians, 
aux  Phihppienset  aux  Golossiens.  Chacune  de  ces  Épitres  est 


CHRONIQUE  173 

précédée  d'une  inlroduclion  dans  laquelle  sont  résumées  d'une 
façon  succincte  toutes  les  questions  qui  concernent  l'aulhenlicité, 
l'origine,  le  but,  le  caractère,  la  division  du  livre  saint.  Puis, 
abordant  le  texte  lui-même,  il  en  fait  un  exposé  simple  mais  com- 
plet. 

—  Dans  la  revue  anglaise  d'Écriture  sainte  The  Exposilor 
M.  Sanday  a  essayé  de  fixer  les  résultats,  qu'il  croit  désormais 
acquis  ou  probables,  sur  les  rapports  des  Évangiles  synoptiques 
eiiire  eux  et  de  discuter  les  hypothèses  qui  ont  été  émises  récem- 
ment. Il  regarde  comme  prouvés  ou  probables  les  points  suivants 
sur  lesquels  saccordent  des  savants  d'opinion  diverse,  travaillant 
indépendamment  les  uns  des  autres.  A  la  base  des  synoptiques 
se  trouvent  deux  documents  qui  leur  ont  fourni  leur  matière 
commune.  Le  premier  serait  cet  écrit  dans  lequel,  au  dire  de  Papias, 
Marc  a  consigné  la  prédication  de  Pierre  ;  l'Évangile  actuel  selon 
saint  Marc  en  serait  le  type  le  plus  fidèle.  Ce  dernier  point,  dit  M. 
Sanday,  n'est  pas  définitivement  fixé.  Le  second  document  con- 
tenait les  discours  du  Seigneur  que  nous  lisons  dans  le  premier 
et  dans  le  troisième  évangile;  ces  Loggia  étaient  reliés  par  de 
courts  récits.  Mais  est-ce  saint  Mathieu  ou  saint  Luc  qui  les  repro- 
duit le  plus  exactement?  Chez  le  premier  ce  sont  des  discours 
suivis,  où  les  idées  semblables  sont  rapprochées,  où  les  ensei- 
gnements de  même  nature  sont  réunis;  il  semble  bien  que  le 
plan  est  artificiel.  Chez  le  second, au  contraire,  les  sentences  sont 
mélangées  à  la  trame  du  récit,  introduites  pour  ainsi  dire  par  les 
faits  eux-mêmes,  tel  que  cela  devait  se  passer  dans  la  réalité.  El 
pourtantM.  Sanday  n'ose  se  prononcer,  cardans  saint  Luc,  il 
découvre  aussi  des  traces  d'arrangement.  En  définitive,  tout  ceci 
s'expliquerait  facilement,  si  l'on  acceptait  l'hypothèse  d'une  tra- 
dition orale,  sourcesdes  Évangilesécrits.  (1) 

—  Le  Pouvoir  Temporel  de  M.  P.  Guérin  est  une  étude  sur  la 
chute  et  sur  le  rétablissement  de  la  souveraineté  territoriale  du 
Pape.  La  première  partie  de  l'ouvrageest  consacrée  à  Texamen  des 
causes  de  la  chute  du  pouvoir  temporel.  La  seconde  partie,  la 
plus  considérable  et  la  plus  importante  traite  du  rétablissement 

(1)  ReMue  Bibliqne. 


174  CHRONIQUE 

du  pouvoir  temporel  du  Pape.  M.  Guérin  rappelle  à  grands  traits 
les  bienfaits  de  la  Papauté,  mère  de  la  civilisation  chrétienne. 
Elle  a  détruit  le  paganisme,  aboli  l'esclavage,  sauvé  la  chré- 
tienté des  invasions  barbares  et  des  conquêtes  des  musulmans. 
Touslespeuplescivilisés  ont  gagné  dans  le  passé;  tous  les  peuples 
sans  exception  ont  à  gagner  dans  l'avenir  à  l'exercice  libre  dumi- 
nistère  de  la  Papauté. 

—  M.  François  Bournand  a  entrepris  une  histoire  de  l'art  chré- 
tien des  origines  à  nos  jours.  C'est  une  synthèse  qu'a  es- 
sayé l'auteur.  L'architecture,  la  sculpture,  la  peinture  y  tiennent 
la  première  place  ;  on  y  trouvera  aussi  des  enseignements  sur  la 
musique,  l'iconographie,  l'orfèvrerie,  les  vitraux,  la  tapisserie  et 
les  différents  arts  décoratifs.  Le  premier  volume  ira  jusqu'à  la 
Renaissance  (1). 

—  Même  après  les  travaux  du  comte  Roselly  de  Lorgues,  sur 
Christophe  Colomb,  M.  Josépha  a  su  nous  émouvoir  au  récit  de 
cette  vie  admirable.  Plus  simplement,  plus  rapidement  racontée, 
elle  ne  perd  rien  de  son  charme  ni  de  sa  grandeur. 

—  Le  titre  de  l'ouvrage  de  M.  Martinez  :  Hll  a?iticnsto  y  il  fin 
delmundo  segmi  las  revelaciones  divinas,  dit  assez  son  but, 
mais  les  preuves  fournies  par  l'auteur,  relativement  à  la  venue 
prochaine  de  l'aiitechrist,  sont  loin  d'être  probantes. 

•—  On  prépare  une  nouvelle  édition  illustrée  des  ouvrages  de 
M.  Henri  Lasserre  :  Notre-Dame  de  Lourdes,  -^  les  épisodes 
miraculeux  de  Lourdes,  — Bernardette. 

—  Les  Études  d'histoire  ecclésiastique  du  P.  Largent,  ne 
sont  que  la  reproduction  de  divers  articles  écrits  par  l'auteur, 
prêtre  de  l'Oratoire,  dans  la  Revue  des  questio7is  historiques 
et  dans  les  Awiales  de  philosophie  chrétiome.  Voici  les  titres 
de  ces  éludes  :  Saint  Cyrille  d'Alexandrie  et  le  Concile  d'Ephèse  ; 
saint  Jean-Chrysostôme  et  la  critique  contemporaine  ;  le  brigan- 
dage d'Ephèse  et  le  Concile  de  Chalcédoine;  programme  d'un  cours 
de  patrologie  ;  une  histoire  du  siècle  apostolique.  L'auteur  se 
montre  constamment  historien  érudit  et  narrateur  attrayant. 

—  Par  ordre  du  Saint-Père,  le  jour  de  l'Annonciation  de  la 

(I)  Paris,  Blond  et  Barrai. 


CHRONIOUK  175 

Vierge,  a  eu  lieu  au  Valican,  la  lecture  solennelle  des  Décrets,  par 
lesquels  on  approuve  les  miracles  opérés  par  les  vénérables  An- 
toine Baldimucci,  jésuite  romain,  François-Xavier  Bianclii,  bar- 
nabilenapolitain,  Gérard  Maiella,rédemploriste  du  diocèse  de  Mure 
Lucano  (Italie  méridionale).  La  cérémonie  aura  lieu  en  la  présence 
du  Pape,  dans  la  salle  du  Trône.  Outre  le  cardinal  Aliosi  Masella, 
préfet  de  la  sacrée  Congrégation  et  les  officiers  de  la  même  con- 
grégation, y  assistaient  les  représentants  des  ordres  religieux 
auxquels  les  trois  Vénérables  appartenaient.  On  sait  que  la  lecture 
des  Décrets  approuvant  les  miracles  est  le  dernier  acte,  après  le- 
quel, quelques  formalités  accomplies,  on  procède  à  la  Béatifica- 
tion. 

—  Mgr  Lamy  est  un  des  savants  (jui  ont  donné,  dans  notre  siècle, 
une  vive  impulsion  aux  études  syriaques.  Il  est  l'auteur  de 
['Histoire  ecclésiastique  de  Bar  Hebrœus,  faite  avec  la 
collaboration  de  Mgr  Abbeloos,  recteur  magnifique  de  l'Univer- 
sité de  Louvain,  et  des  Œuvres  inédites  de  St-Ephrem.  Mgr 
Lamy  croit,  d'après  le  l'apport  de  l'èvèque  d'Edesse,  Mgr  Rahmani, 
qu'il  y  a  au  monastère  de  Had  Haltaï,  prés  de  Mossoul,  un  tas  de 
manuscrits  dans  une  grotte  ou  cave,  et  qu'il  y  a  là  probablement  des 
écrits  de  la  bibliothèque  du  célèbre  grec  Bar-Hebraeus.  Les  familles 
jacobites  de  Tour-Abdin  doivent  posséder  aussi  d'autres  manus- 
crits. La  société  scientifique  de  Bruxelles  a  envoyé  deux  jeunes 
professeurs  de  Lonvain  à  la  recherche  de  ces  manuscrits. 

—  Voici  en  quels  termes  [d^Reviie  Frmiciscaine  annoncée  ses 
lecteurs  la  publication  des  œuvres  de  Scot  dans  son  numéro  de 
septembre  1891  :  «  Lesœuvresdu  plus  célèbre  des  docteurs  fran- 
ciscains le  V.  Jean  Duns  Scot,  étaient  devenues  presque  introu- 
vables, et  encore  ne  pouvait-on  les  acquérir  qu'au  prix  de  plus 
de  trois  mille  francs  tant  elles  étaient  recherchées  par  les  Uni- 
versités, les  séminaires,  les  couvents  et  les  membres  les  plus 
studieux  du  clergé  catholique,  c'est  donc  pour  répondre  à  une 
véritable  nécessité  dans  ce  moment  où  l'on  sent  un  véritable  re- 
nouveau des  études  scolastiques,  que  M.  Louis  Vives  a  voulu 
joindre  à  ses  splendides  éditions  de  St-Thomas,  de  St-Bonaventure, 
d'Albert-le-Grand,  etc.,  celle  de  notre  maîtr.e  révéré,  le  docteur 
subtil.  Le  V.  Jean  Duns  Scot  a  occupé  dans  la  science  théologique, 


176  CHRONIQUE 

sinon  le  premier  rang  comme  je  le  pense  avec  ses  disciples,  du 
moins  un  des  premiers  rangs.  Il  a  clos  la  brillante  série  des  doc- 
teurs scolastiques  commencé  par  Alexandre  de  Aies,  franciscain 
comme  lui,  et  dont  il  suit  habituellement  les  doctrines,  comme 
l'avaientdéjàfait  nosdocteurs  Jean  de  la  Rochelle,  St-Bonavenlure, 
Richard  de  Middletown. 

« Après  la  mort  de  Scot  (1308),  l'histoire  delà  scolastique 

ne  nous  offre  plus  de  ces  hommes  de  génie  qui  ont  fait  école, 
mais  au  XW"  et  au  XY"  siècle,  les  théologiens  se  rangent  presque 
tous  sous  deux  bannières  différentes  :  Celle  de  Scot  et  celle  de  St- 
Thomas.  L'ordre  des  Observants  et  celui  des  Conventuels  est  resté 
jusqu'en  ces  derniers  temps  fidèle  à  la  doctrine  scotistequi  triom- 
pha si  merveilleusement,  le  8  décembre  1854,  par  la  définition  du 
dogme  de  l'Immaculée  Conception,  et  qui  est  appelée  à  avoir 
de  nouveaux  et  brillants  succès.  De  tous  côtés  on  se  retourne  vers 
les  sources  théologiques.  On  ne  se  contente  plus  de  manuels  :  on 
veut  étudier  les  maîtres.  Aussi  cette  édition  nouvelle  de  Jean-Duns 
Scot  vient  à  son  heure,  et  nous  félicitons  sincèrement  M.  Vives  de 
l'avoir  entreprise.  Il  reproduit,  légèrement  améliorée,  celle  qu'en 
1629  publia  à  Lyon  notre  illustre  Wadding,  avec  tous  les  com- 
mentaires qui  y  sont  insérés  et  qui  sont  l'œuvre  de  théologiens  de 
premier  ordre,  tels  que  les  Cavellus,  les  Lychetus,  etc.  » 

—  Le  23  octobre  188o,  M.  Léopold  Delisles  communiquait  à 
l'Académie  des  inscriptions  et  belles-leltes  une  note  d'un  manus- 
crit latin  du  Vatican,  rédigée  en  1429,  par  un  clerc  français,  rési- 
dant à  Rome,  et  relative  à  Jeanne  d'Arc.  Le  28  janvier  1891, 
M.  Geffroy,  directeur  de  l'école  de  Rome,  écrivait  de  cette  ville  à 
la  même  académie  que  MM.  Novati  et  Lalaye  avaient  trouvé,  sur 
une  anthologie  italienne  du  XV^  siècle,  l  indication  d'une  «  Epis- 
lola  Cosmae  Raymundi  Cremonensis  super  allatis  in  Itaham  rumo- 
ribus  de  Jeanna  puella  paslorali.  »  Cette  lettre  faisait  partie  d'un 
manuscrit  perdu,  qu'il  serait  intéressant  de  rechercher.  Celte  indi- 
cation paraîtra  insuffisante  à  beaucoup  ;  néanmoins,  elle  a  son 
intérêt  ;  car  elle  démontre  que  le  bruit  des  exploits  merveilleux  de 
la  Pucelle  d'Orléans  avait  franchi  les  monts. 

— -  M.  Renanapubhé  sous  ce  titre  :  Feicilles  détachées,  faisant 
suite  aux  Souvenirs   d'enfance   et    de   jeunesse,  un  nouveau 


CHRONIQUE  177 

volume  dont  aucune  page  n'est  inédite.  C'est  un  recueil  de  mor- 
ceaux divers  :  discours,  lettres,  Emma  Kosilis,  une  nouvelle 
bretonne,  une  lettre  sur  la  catastrophe  de  Pompéï,  des  sou- 
venirs sur  le  Journal  des  Débats,  une  dissertation  sur  les 
portraits  de  S.  Paul,  des  speech  prononcés  à  des  banquets 
intimes,  quelques  articles  de  philosophie  amusante,  elc,  M.  Le- 
drain  a  vivement  reproché  à  M.  Renan, à  propos  de  cette  publica- 
tion, de  n'avoir  aucunement  le  respect  de  la  philosophie  et  de 
lopinion  publique,  de  se  passer  des  familiarités  outrageantes  en- 
vers les  grands  problèmes  qui  sollicitent  les  vrais  penseurs.  Pour 
résumer  le  dédain  que  M.  Renan  inspire  quand  il  se  permet  de 
trancher  du  philosophe  et  de  l'historien,  M.  Ledrain  lui  dit  :  Vous 
n'êtes  qu'un  romancier  1 

—  Een  u'oord  van  Protestansch  verweer,  c'est  le  titre  d'un 
volume  publié  par  le  D'  J.-H.  Gunning  à  la  suite  de  deux  articles 
du  journal  «  de  Zuid-hollander  ».  L'auteur  a  reproduit  les  accu- 
sations portées  d'ordinaire  contre  l'Église  catholique.  C'est  pour  y 
répondre  que  le  D""  Schaepman  a  mis  dans  son  vrai  jour  la  vérité 
que  son  adversaire  avait  notablement  dénaturée.  Ignorance  des 
faits,  manque  de  critique,  opinions  préconçues,  voilà  les  défauts  que 
M.  Gunning  croit  découvrir  en  particulier  chez  Janssen,  l'auteur 
de  l'ouvrage  :  Geschichte  des  Deutschen  V jlkes.  Dans  une 
réplique  solide,  le  D'  Schaepman  a  montré  comment  ces  attaques 
ne  nuisent  qu'à  celui  qui  les  a  produites.  En  effet,  ce  sont  ces 
mêmes  défauts  qui  font  commettre  au  D'  Gunning  des  erreurs 
manifestes  à  l'endroit  où  il  parle  de  la  conduite  scandaleuse  de 
certains  Papes,  de  l'altitude  de  quelques  Pontifes  Romains  à  l'égard 
des  Juifs,  de  leur  manque  de  soin  pour  les  monuments  de  l'anti- 
quité. Deux  points  surtout  font  l'objet  d'un  examen  sérieux  pour 
M.  Schaepman  :  Luther  auteur  du  Protestantisme  et  la 
vénération  des  reliques. 

—  La  petite  brochure  de  M.  Uly.sse  Robert  sur  le  Pontificat 
d'E^jenneX.avait  déjà  paru  dans  la  Revue  des  questions  histo- 
riques en  1876.L'auleuraretouchécelterédaction  datant  de  quinze 
années  et  y  a  joint  un  codex  diplomatique  des  bulles  émanées  de  la 
chancellerie  apostolique  durant  un  court  pontificat,  de  quelques 

iâ 


178  CHRONIQUE 

mois  à  peine.  Celte  brochure  est  une  utile  contribution  à  l'histoire 
si  troublée  de  l'Eglise  au  Xi"  siècle. 

11.  Religion  d'Israël.  —  M.  Ebérhard  Schrader  avait 
entrepris  de  commenter  les  livres  historiques  et  propliéliques  de 
l'Ancien  Testament  à  l'aide  des  inscriptions  cunéiformes.  Deux 
ans  plus  tard  en  188.3,  il  eut  à  refondre  son  travail  à  la  suite  de 
découvertes  nouvelles.  Un  nouveau  travail  de  refonte  s  est  fait 
sentir  de  nos  jours  :  il  a  été  entrepris  par  M.  Pinches  dans  The 
Expository  Times  ;  mais  l'auteurn'a encore  entrepris  que  la 
comparaison  des  dix-huit  premiers  versets  Ce  qui  dislingue  sur- 
tout des  deux  traditions  chaldéennes  et  bibliques,  comme  l'a  si 
bien  fait  ressortir  M.  Loisy,  c'est  le  caractère  monothéiste  de  la 
première  et  le  caractère  polythéiste  de  la  seconde. 

—  M.  Meignan  publie  une  nouvelle  histoire  des  prophètes  d'Is- 
raël.On  a  fait  deces  grandshorames,  des  tribuns  audacieux,  des  en- 
nemis de  laroyauté.  Il  fallait  donc  remettre  les  chosesà  leur  place. 
Monseigneur  Meignan,  ancien  professeur  d'écriture  sainte  à  la 
Sorbonne,  connu  dans  le  monde  savant  par  ses  travaux  marqués 
au  coin  d'une  solide  érudition,  était  indiqué  pour  montrer  le  vide 
de  l'exégèse  des  Kuenen,  des  Beuss  et  des  Wellhausen. 

l.es  prophètes  d'Israël  sont  des  hommes  extraordinaires,  des 
thaumaturges  suscités  de  Dieu  pour  conserver  intacte  dans  la  des- 
cendance de  Jacob  l'idée  de  monothéisme  et  la  promesse  du  Mes- 
sie. S'il  est  vrai  que  diverses  causes  mirent  obstacle  à  la  propaga- 
tion des  cultes  égyptiens  ou  assyriens  parmi  les  Hébreux,  il  n'en 
fui  pas  de  même  de  l'idolâtrie  syrienne  surtout  et  phénicienne, 
Baal,  Astarlé,  Moloch  étaient  les  divinités  qui  eurent  des  temples 
durant  plusieurs  siècles,  Les  prophètes  furent  les  véritables  ad- 
versaires de  ces  cultes  étrangers 

—  Le  D''  Théodore  Zahn  avait  publié  en  1889  un  premier  vo- 
lume où  l'histoire  du  canon  du  Nouveau  Testament  était  conduite 
jusqu'à  Origène.  Dans  le  deuxième  volume,  il  discute  quelques 
questions  annexes,  mais  très  importantes  pour  cette  histoire  : 
l.  Recueils  les  plus  importants  des  écrits  du  Nouveau  Testament  ; 
vingt-trois  sont  cités  et  étudiés  depuis  le  canon  deMuratori  jusqu'à 
la  Synopse  dite  d'Alhanase;  II,  Nombre  des  Uvres  bibliques  ; 


CHRONIQUE  179 

IlI.Ordre  des  livres  du  Nouveau Testamenl:  IV.Sliclioinétrie  bibli- 
que; y.  le  Nouveau  Teslainenl  de  Marcioii;  YI,  leDialessaroii  de 
Tatien  ;  Yll.  sur  le  texte  des  épitres  de  saint  Paul  dans  Aphraat  en 
comparaison  avec  la  Peschittha;  VlII.  Epiire  de  saint  Paul  apocry- 
phe jlX.Evangilesapocryphes.Lecanon  deMuratoriest  étudié  très 
minutieusement  au  point  de  vue  du  manuscrit  qui  nous  l'a  trans- 
mis, de  la  langue  du  document  original  grec  ou  latin,  prose  ou 
vers,  des  résultats  qu'il  fournit  et  des  problèmes  qu'il  soulève. 
Pour  le  Nouveau  Testament  de -Marcion,  M.  Zalm  critique  les 
sources  et  essaye  une  reconstitution  du  texte. 

—  La  question  des  Races  de  l  À?icie/t  Testament,  vient 
d'être  étudiée  avec  compétence  par  M.  A.  H.  Sayce,  professeur  à 
Oxford,  dans  un  volume  de  la  collection  anglaise  By-Paths  of 
Bible  Knowledge.  (1)  C'est  lelhnologie  biblique  que  veut  fonder 
M.  Sayce.  On  s'était  déjà,  en  ces  dernières  années,  occupé  à  dé- 
terminer quelques-unes  des  races  de  l'Ancien  Testament. 

—  M.  Magnier,  ancien  professeur  d'écriture  sainte,  a  traité 
aussi  de  la  canonicité  des  saintes  Ecritures.  Sou  livre  est  une 
thèse  en  trois  parties  :  1"  L'inspiration,  fondement  de  la  cano- 
nicité des  Livres  saints  ;  2^  Démonstration  de  la  canonicité  des 
livres  de  l'Ancien  Testament  dans  l'Église  ancienne  ou  syna- 
gogue juive;  3^  Démonstration  historique  de  la  canonicité  des 
Livres  de  l'Ancien  Testament  dans  l'Église  chrétienne  depuis 
les  Apôtres  jusqu'au  concile  de  Trente. 

—  Nous  avons  déjà  parlé  de  l'édition  de  la  Bible  hébraïque  que 
publiaient  S.  Baer  et  Frantz  Delilzsch.  Le  premier  était  l'éditeur 
principal,  Delitzsch  révisait  le  travail.  M.  Baer  reste  seul  et  les 
livresde  Josué  et  des  Juges  qui  viennent  de  paraître  ne  portent 
que  son  nom.  Le  même  soin  a  été  donné  à  ce  fascicule  qu'aux  pré- 
cédents; il  fait  honneur  à  la  science  de  M.  Baer. 

—  M.  Lévy  vient  de  publier  un  Essai  sur  la  morale  du 
Tabnud.  Outre  la  Thora  ou  Loi  écrite,  les  Juifs  possèdent  une 
Tradition,  consignée  dans  le  Tabnud  (12  volumes  in  folio), 
auxquels  ont  travaillé  successivement,  les  docteurs  les  plus  ac- 

(1)  The  races  of  the  oH  Testament  bu  A.  H.  Sayce,  iu-12  de 
180  p. 


180  CHRONIQUE 

crédités  en  Israël.  L'auteur  se  plaint  de  ce  que  la  prédication  des 
Rabbins  manque  de  nos  jours,  «  de  caractère  is?'aélite.->^  11  vou- 
drait venir  en  aide  à  ses  confrères  en  exposant  la  morale  telle 
qu'elle  est  enseignée  et  commandée  dans  le  Talmud.  M.  Lévy 
affirme  «  l'identité  entre  la  morale  juive  et  ce  que  nous  appelons 
les  vertus  chréiiennes.  Je  demande  à  combattre,  dit-il,  à  cOté 
de  vous  et  avec  vous  l'ennemi  commun  :  le  scepticisme  matéria- 
liste «;  d'après  lui, «  La  loi  nouvelle  ne  se  distinguerait  pas  de 
la  loi  ancienne  ^  les  miracles  postérieurs  à  la  promulgation  si- 
naïque  sont  inutiles. 

—  VJ?itroductio)i  an  livide  des  Psaumes  de  M.  Elie  Philippe, 
est  un  livre  d'enseignement  ;  lauteur  expose  en  termes  précis, 
les  diverses  opinions  qui  ont  été  émises  sur  chaque  question,  puis 
il  établit  sa  thèse  par  les  preuves  les  mieux  appropriées.  M.  Phi- 
lippe a  voulu  résumer  ce  que  l'on  savait  de  certain  ou  du  moins 
de  très  probable  sur  les  psaumes,  leurs  noms,  leur  nombre,  Tordre 
danslequel  ils  ont  été  rangés,surrinspiration,lesditïérentes  classes, 
les  auteurs  des  psaumes,  sur  la  doctrine  qui  y  est  enseignée,  sur 
les  titres,  leur  valeur  et  leur  signification,  sur  le  texte,  les  versions 
et  l'usage  des  psaumes  chez  les  Juifs  et  dans  i l'Église  chrétienne. 
Il  ne  recherche  pas  les  opinions  singulières,  mais  s'en  tient  le  plus 
souvent  aux  données  traditionnelles,  éclairées  par  les  travaux  exé- 
gétiques  et  critiques  les  plus  récents. 

—A signaler  l'examen  historico-critiquede  lacrilique  duPenta- 
teuque  du  professeur  Kuenen,  par  Jos.  Schels,  professeur  au  grand 
séminaire  de  Hoeven.  —  Cet  ouvrage  est  le  résumé  d'une  série 
d'articles  pubhés  par  l'auteur  dans  le  journal  hollandais  :  «  De 
Katholick  ».  Le  système  de  Kuenen  est  bien  connu.  Reuss,  profes- 
seur à  Strasbourg,  s'en  est  fait  l'ardent  apôtre  parmi  nous  :  le 
Pentateuque  n'a  point  Moïse  pour  auteur.  Il  est  le  produit  des 
siècles,  et  ne  reçut  sa  forme  délinitive  qu'après  la  captivité  de  Ra- 
bylone.  Principalement  ce  qui  concerne  la  législation  est  de  cette 
dernière  période.  Le  tout,  enfin,  fut  constitué  par  un  certain  nombre 
de  mémoires  d'origines  diverses,  réunis  en  un  seul  tout  d'une  façon 
plus  ou  moins  heureuse.  Le  D''  Schels  a  donc  enti-epris  de  réfuter 
ces  erreurs,  et  il  l'a  fait  non  sans  succès. 

—  Le  travail  de  M.Manfrin:  GHEbei  sotto  la  domina.zione 


CHRONIQUE  181 

/•om(2;m  a  pour  but  de  démontrer  l'intluencejuivesur  les  Romains  ; 
influence  qu'il  regarde  comme  néfaste.  L'auteur  attribue  aux  Hé- 
breux le  plus  grossier  polythéisme,  avec  une  tendance  au  mono- 
notliéisme;  mais,  la  remarque  vaut  la  peine  d'être  faite,  ce 
monothéisme  a  pour  tendance  le  culte  de  la  femme  divinisée.  La 
Bible  n'est  pas  antérieure  au  siècle  qui  précède  J. -G.  ;  elle  est  une 
allégorie,  sans  valeur  historique.  Le  premier  volume  surtout  se 
fait  remarquer  par  un  manque  absolu  de  critique. 

—  Moïse  ou  Dar/('inUe\e?,[  letitredulivredeM.  Dodel  Arnold. 
L'auteur  est  vice  président  de  la  société  des  libres-penseurs  alle- 
mands. Son  ouvrage  a  été  traduit  en  français  par  M.  Fulpius, 
président  de  la  société  des  libres-penseurs  de  Genève.  M.  Dodel 
tient  Darwin  pour  docteur  infaillible,  et  déclare  sa  théorie  au-dessus 
de  toute  controverse, 

—  M.  Merminod ,  dans  son  Essai  5wr  l'idée  de  Dieu  dans 
r ancien  Testament,  publié  à  Genève,  prétend  démontrer  que  les 
Hébreux  ont  commencé  par  le  polythéisme,  puis  sont  arrivés  au 
monothéisme,  en  passant  par  l'hénothéisme.  L'idolâtrie  n'aurait 
disparu  qu'après  la  captivité  de  Babylone.  C'est  la  thèse  rationa- 
liste. 

—  Le  compte-rendu  du  congrès  international  des  catholiques  de 
1891  contient  un  intéressant  travail  de  M.  l'abbé  Busson  sur 
\'0)v'gi7ie  égyptienne  de  la  Kabbale.  «  Suivant  les  Kabbalistes, 
dit  l'auteur,  tout  émane  d'une  source  cachée,  dont  l'écoulement 
forme  le  fleuve  de  l'Eden,  qui  nourrit  tout.  Ce  fleuve  c'est  le 
monde  qui  vient,  car  il  vient  sans  cesse  et  ne  s'arrête  ni  ne  tarit 
jamais  Principe,  idée,  modèle  et  âme  de  notre  monde  inférieur, 
le  monde  qui  vient  part  de  l'indéfini  confondu  avec  l'infini  sous  le 
nom  à'0E7i  50/ (sans  limite)  ou  de  Ain  (néant).  Sa  formation 
comporte  dix  degrés,  tous  compris  dans  le  premier,  quiestencore 
le  Sans  limite,  le  Néant  primitif,  considéré  comme  source  de  tous 
les  êtres.  Les  deux  degrés  suivants  constituent  le  père  mâle  et 
femelle,  les  sept  autres  appartiennent  au  fils,  également  mâle  et 
femelle.  «  M.  l'abbé  Busson  étudie  ensuite  OEn  sof  %{  sa  forma- 
malion  à  dix  degrés,  puis  l'idée  du  contenu  et  du  contenant,  avec 
les  idées  connexes  de  mâle  et  de  femelle,  de  bon  et  de  mal.  L'au- 
teur met  en  même  temps  en  regard  des  parties  correspondantes  de 


182  CHRONIQUE 

la  mythologie  égyptienne  qui  lui  semble  rorigine  de  la  Kabbale. 

—  Le  docteurFrantsBuhl,  professeur  à  Leipzig,  publie  un  nou- 
neau  travail  sur  le  canon  et  le  texte  de  l'Ancien  Testament.  Pri- 
mitivement écrit  en  danois,  il  a  été  revu  et  amélioré  par  l'auteur, 
qui  l'a  lui-même  traduit  en  allemand. 

—Le  compte-rendu  du  dernier  congrès  des  savants  calboliques 
résume  un  travail  iie  M.  l'abbé  de  Moor  sur  Quelques  données 
chronologiques  ?'elatwes  au  second  livre  des  Rois.  L'auteur 
s'est  proposé  de  défendre  la  chronologie  des  chap.  XIV-XX  du 
livre  IVdesRois,  contre  les  critiques  qui  l'aliaquenl  en  partant  des 
documents  cunéiformes  et  particulièrement  contre  M.  Stade.  11 
essaie  de  justifier  quelques-unes  des  dates  de  la  Bible  et  d'en  rec- 
tifier quelques  autres  qu"il  considère  comme  altérées  par  les  co- 
pistes. 

—  Le  D'  Dalman  a  donné  en  appendice  au  livre  de  von  H. 
Laible  :  Jésus  Chrishis  in  Thalmiid,  le  texte  hébreu  de  ce  livre  : 
Die  thalmudischen  texte.  On  y  trouvera  toutes  les  abomina- 
tions que  les  juifs  ont  écrites  sur  Jésus-Christ  et  sa  mère.  Les 
éditions  postérieures  à  1654  ont  été  expurgées,  mais  il  n'en  est 
pas  de  même  des  manuscrits  anciens  :  c'est  ce  que  montre  von  H. 
Laible  (1). 

—  Jérusalem,  its  history  and  hope,  tel  est  l'ouvrage  que 
publie  M'-'  Oliphant,  à  Londres,  chez  Macmillan.  Ce  n'est  pas  une 
description  topographique  de  Jérasalera,  ou  une  histoire  com- 
plèteet  détaillée  de  cette  ville.  Jérusalem  est  envisagée  au  point  de 
vuedesesdestinéesmessianiques, et  l'auteur  fait  passer  sousnos  yeux 
tous  les  personnages  qui  ont  joué  un  rôle  aciifdans  cette  histoire  : 
David,  Salomon  et  ses  successeurs,  puis  les  prophètes  Isaïe, 
Jéréinie,  Ezéchiel,  les  hommes  de  la  restauration,  Zorobabel, 
Esdras,  Néhémie,  les  héros  de  l'indépendance,  les  Maccabées, 
enfin,  Jésus-Christ,  le  Messie,  fils  de  David.  Le  récit  se  termine 
au  Calvaire.  C'est  une  histoiie  du  Messianisme,  figuré  par  des 
événements  dont  Jérusalem  a  été  le  théâtre  principal. 

—  Le  17°  volume  du  Cursus  scripturœ  sacrœ  contient  le 
commentaire  sur  la  seconde  épître  aux  Corinthiens  et  sur  l'épître 

(l)  Reulher,  Berlin. 


CHRONIQUE  183 

aux  Galates.  Le  R.  P.  Cornely  nous  y  fait  apprécier,  une  fois  de 
plus,  la  profondeur  de  sa  critique.  La  seronde  épîlre  aux  Corin- 
tliieiis  peut  êlre  appelée  à  bon  droit  l'apologie  de  saint  Paul. 
L'épîlreaux  Galates  est  aussi  un  écrit  apologétique;  mais  celle-ci 
présente  la  défense  du  ministère  extérieur  de  l'apôtre,  celle-là 
justifie  plutôt  l'esprit  intérieur  qui  anime  son  apostolat. 

Léfiitre  aux  Galates  est,  d'un  bout  à  l'autre,  une  œuvre  de 
polémique  conire  les  prétentions  des  judaïsants.  Saint  Paul  en- 
seigne formellement  que  la  loi  de  Moïse  a  fait  son  temps,  qu'elle  a 
été  remplacée  par  l'Évangile,  que,  parlant,  les  observances 
légales  n'ont  plus  aucune  valeur.  On  se  rend  coupable  en  s'y 
attachant  comme  à  des  moyens  nécessaires  de  salut. 

Le  R.  P.  Cornely  a  publié  encore  un  résumé  de  ses  quatre  vo- 
lumes d'introduction  à  l'Écriture  sainte,  sous  le  titre  :  Historicge 
et  criticx  introducdonis  in  utriusque  Testamenii  libros  sacros. 
A  la  seconde  édition,  l'auteur  a  ajouté  un  court  traité  sur  l'ins- 
piration. Ce  Compendium  est  un  excellent  manuel  pour  l'ensei- 
gnement de  1  Ecriture  sainte. 

—  Le  livre  de  M.  Tomkins  :  The  Ufe  and  limes  of  Joseph  in 
the  llght  of  Egyplian  lore  est  un  résumé  de  ce  que  l'archéologie 
biblique  nous  apprend  sur  les  derniers  chapitres  de  la  Genèse.  A 
en  croire  l'auteur,  Jacob  et  .loseph  étaient  adorés  déjà  comme 
des  dieux,  un  siècle  avant  l'Exode. 

—  M.  Van  Hoonacker,  l'auteur  de  Zorabahel  et  le  second 
temple  qui  s'est  rapidement  fait  un  nom  dans  le  monde  de  la 
critique  biblique,  notamment  par  sa  remarquable  étude  sur 
Né/iémie  et  Bsdras,  examine  dans  un  nouveau  travail  les  impor- 
tants problèmes  soulevés  au  sujet  de  l'origine  littéraire  des  six 
premiers  chapitres  du  livre  d'Esdras  et  de  la  chronologie  des 
événements  que  ces  chapitres  nous  relatent. 

Il  établit  que  les  fondements  du  second  temple  juif  ont  liien 
été  posés  à  l'époque  de  Cyrus,  ainsi  que  le  rapporte  le  ch.  III 
d'Esdras,  et  à  cette  occasion  il  démontre  victorieusement  l'auto- 
rité historique  de  ce  chapitre,  que  bien  des  auteurs  invoquaient 
commeuu  échantillon  du  procédé  fantaisiste  et  tenlenciel  du  rédac- 
teur et  comme  un  argument  décisif  conire  la  valeur  historique  des 
relations  attribuées  au  «  Ghroniste  ».  Le  savant  professeur  me 


184  CHRONIQUE 

vivement  en  lumière  la  parfaite  concordance  du  récit  de  ce  cli.  III 
avec  celui  du  cil.  Y,  ainsi  qu'avec  les  témoignages  des  prophètes 
Zacharie  et  Aggée.  On  lira  avec  un  intérêt  particulier  le  commen- 
taire lumineux  qu'il  fait  à  ce  sujet  des  ch.  VU  et  VIII  de  Zacharie 
et  du  chapitre  II  d' Aggée,  car  ces  passages  de  la  bible  ont  toujours 
fait  le  tourment  des  interprètes.  Commencé  sous  Cyrus,  quand 
le  second  temple  a-t-il  été  achevé?  D'après  M.  Van  Hoonacker, 
c'est  en  ol6  :  le  Darius  des  ch.  V  et  VI  d'Esdras  est  bien  Darius  I 
et  non  Darius  H.  Cette  llièseest  aussi  triomphalement  démontrée. 
Pour  finir,  l'auteur  étudie  la  question  de  lorigine  et  de  la  compo- 
sition littéraires  des  ch.  I-VI  d'Esdras.  Sa  conclusion,  c'est  que 
la  partie  hébraïque  de  ces  ch.  a  la  même  origine  que  la  partie 
écrite  en  araméen,  car  ce  n'est  qu'une  traduction  de  l'araméen  en 
hébreu  ;  c'est  encore  que  les  six  premiers  cirapitres  d'Esdras  nous 
offrent  une  relation  contemporaine  des  événements  mêmes.  Voilà 
les  principaux  résultats,  si  importants  pour  l'autorité  de  la  Bible 
et  la  faveur  des  sources  relatives  à  une  époque  capitale  de  l'his- 
toire de  l'Orient,  auxquels  aboutit  la  critique  pénétrante  de  l'au- 
teur dans  l'examen  même  des  textes.  Nous  ne  doutons  pas  que  le 
monde  savant  ne  fasse  à  cette  étude  un  accueil  aussi  flatteur  qu'à 
ses  devancières.  Même  les  profanes  qui  s'intéressent  de  loin  aux 
controverses  bibliques  de  notre  temps  la  liront  avec  beaucoup  de 
fruit  et  de  plaisir  (1) 

—  Dans  son  hvre  inUtulé  :  Canon  de  VAyicien  Testament, 
M.  Ed.  Ryle,  Hulsean  professer  of  Divinity,  à  Cambridge, 
accepte  comme  démontrées  toutes  les  théories  de  l'école  critique 
moderne  des  Reuss,  Kuenen,  Wellhausen.  C'est  là  une  tendance 
qui  s'accentue  chez  les  théologiens  anglais,  et  on  peut  prévoir  le 
temps  où  la  critique  et  l'exégèse  traditionnelles  ne  compteront 
plus  que  de  rares  représentants  en  Angleteire. 

—  En  1888,  le  D""  Edwia  Hatch  avait  annoncé  qu'il  préparait 
une  concordance  des  Septante,  ainsi  qu'une  des  autres  versions 
grecques  de  l'Ancien  Testament,  et  il  en  avait  exposé  le  plan.  La 
mort  l'a  arrêté.  Un  de  ses  collaborateurs,  M.  Henry  Redpath,  a 
pris  la  suite  de  son  entreprise  et  aujourd'hui  il  nous  donne  le 
premier  fascicule  de  cette  œuvre  importante. 

{\)B.ecue  bibliographique  belge. 


CHRONIQUE  185 

Le  but  est  d'établir  une  concordance  complète  de  la  version 
alexandrine  de  l'Ancien  Teslamenl,  tant  des  livres  proto-canoni- 
ques que  des  deuléro-canoniques,  et  des  autres  versions  grecques 
qui  entrèrent  dans  les  Hexaples  d'Origène.  Cette  Concordance 
est  basée,  pour  la  version  des  Seplante  sur  les  manuscrits  Alexan- 
drmus,  Valicanus,  Sinaitkus  et  sur  l'édition  Sixtine  de  1587, 
telle  qu'elle  a  été  réimprimée  en  1875  par  la  Clarendon  Press. 

—  Sous  ce  titre  :  Dei^  MasoraJi  fext'des  Koheleth,  Kristisch 
untersucht,  M.  Euringer  fait  une  excellenle  application  de  critique 
texiuelle  «observatrice  au  livre  de  l'Ecclésiaste.  L'auteur  oppose 
à  rhypotbèse  de  Bickell,  un  examen  raisonné  du  texte  massoré- 
Ihique  d'après  les  citations  rabbiniques,  les  Targums  et  les  ver- 
sions. Il  ne  propose  que  trente  changements,  plus  deux  douteux, 
au  texte  de  Baer  considéré  comme  la  meilleure  recension  du  texte 
des  Massorètes.  Dans  l'ensemble,  celle  petite  enquête  est  très  fa- 
vorable au  texte  hébreu. 

—  M.  de  Lantsheere,  dans  son  travail  De  la  race  et  de  la 
langue  des  Bitiites,  mémoire  présenté  au  second  Congrès  scien- 
tifique international  des  catholiques  tenu  à  Paris  au  mois  d'avril 
1891,  a  voulu,  «  examiner  à  fond  toutes  les  questions  qui  se  rat- 
tachent à  la  race  et  à  la  langue  des  Hiltites  »,  Ce  but  a  été  com- 
plètement atteint;  l'auteur  a  analysé  et  discuté  toutes  les  informa- 
tions que  fournissent  sur  les  Hittites  la  Bible,  les  documents 
égyptiens  et  assyriens,  les  inscriptions  vanniquesetles  monuments 
hittites  eux  mêmes.  L'auteur  avait  un  second  but,  celui  de  «  mettre 
de  la  méthode  dans  les  faits  que  nous  connaissons,  d'écarter  les 
hypothèses  aventureuses  et  d'indiquer  ainsi,  par  voie  d'élimina- 
tion, la  direclion  dans  laquelle  des  chercheurs  plus  heureux  pour- 
ront trouver  la  solution  du  problème.  »  M.  de  Lantsheere  aura, 
pour  une  large  part,  contribué  à  ce  succès  définitif. 

—  Un  nouveau  travail  sur  le  canon  de  l'Ancien  Testament  a  été 
pubUé  par  Mgr  Tobias  Mullen,  évêque  d'Erié  :  7he  canon  of  the 
old  Testament. 

—  M.  Schicka  déjà  retracé  en  divers, plans  la  transformation 
du  temple  de  Jérusalem.  Son  dernier  ouvrage  :  Beiielmagdas^ 
oder  del  alte  Tempeplatz  zu  Jérusalem,  retrace  avec  une  exac- 
titude parfaite  le  temple  dans  son  état  actuel. 


186  CHRONIQUE 

—  Nous  trouvons  dans  VEiiseignement  biblique,  les  rensei- 
gnemenls  suivants,  sur  les  travaux  d'un  savant  anglais.  «  M.  K. 
Gheyne  a  publié  récemment  un  travail  important  sur  l'origine  et 
le  contenu  religieux  des  psaumes.  [The  origin  and  religions  con  ■ 
tenls  of  ihe  P  s  aller  in  the  light  of  Old  Testament  criticism, 
and  the  history  of  religions.  Londres  1891:  in-8,  XXXVIII-SI? 
pages:  cet  ouvrage  sert  de  complément  au  commentaire  publié 
par  le  même  auteur,  en"  1888,  The  book  of  Psalme.  A  new 
translation  wilh  commenlary).  D'après  M.  Cheyne,  tous  les 
psaumes,  à  l'exception  peut-être  du  ps.  XVIII  (Vulg.  XVll),  sont 
postérieurs  à  la  captivité:  il  n'y  a  pas  de  psaumes  antérieurs  à  la 
deslruclion  du  royaume  de  Juda  et  il  n'y  en  a  pas  non  non  plus 
qui  aient  été  composés  durant  l'exil.  La  conclusion  est  radicale. 
On  la  fonde  sur  les  raisons  suivantes:  l'élévation  et  la  pureté  de 
la  doctrine  contenue  dans  les  psaumes  ne  permettent  pas  de  leur 
attribuer  une  date  plus  ancienne  ;  les  psaumes  ne  sont  pas  des 
prières  qui  expriment  les  sentiments  d'un  individu,  mais  ils  ont 
un  caractère  universel,  ecclésiastique,  et  l'Église  d'Israël  n'a  réel- 
lement existé  qu'après  la  captivité  ;  enfin  beaucoup  de  psaumes 
imitent  des  écrits  bibliques  dont  la  rédaction  appartient  aux 
derniers  temps  de  la  captivité,  ou  même  à  une  époque  plus 
récente. 

M  Cheyne  croit  à  une  influence  possible  de  la  religion  de  Zo- 
roastre  sur  la  religion  d'Israël  en  ce  qui  regarde  la  doctrine  de  la 
résurrection  et  de  l'immortalité:  les  idées  de  Zoroastre  étaient 
dans  l'air  et  circulaient  à  travers  l'empire  persan.  L'iniluence  des 
idées  qui  sont  dans  l'air  est  quelque  chosede  réel  sans  doute,  mais 
qu'il  est  difficile  d'analyser.  On  ne  doit  paa  songer,  nous  dit-on, 
à  un  emprunt  direct,  mais  à  un  développement  de  germes  doctri- 
naux antérieurement  contenus  dans  le  judaïsme  et  qui  auraient 
grandi  sous  l'action  insensible  du  milieu  et  des  circonstances. 
Ainsi  présentée,  la  thèse  de  M.  Gheyne  est  tout  aussi  difficile  à 
réfuter  qu'à  démontrer.  En  explii|uant  certains  passages  des  psau- 
mes «  à  la  lumière  des  idées  de  Zoroaslre  »,  le  savant  auteur  y 
trouve  une  doctrine  très  développée  sur  l'immortalité  de  l'âme. 
Malheureusement,  ce  n'est  point  par  Zoroastre  qu'on  doit  expli- 
quer les  Écritures  hébraïques  :  les  critiques  prudents  s'en  tien- 


CHRONIQUE  187 

dront  longtemps  encore  au  sens  que  fournissent  les  textes  bibli- 
ques inlei-prétés  par  la  Bible  même  ». 

—  M.  De  Reiss  a  publié  un  Atlas  liiatorlque  et  géographique 
de  la  Bible,  à  Fribourg  en  Brisgau,  chez  Herder.  —  Cet  ouvrage 
sera  bien  utile  à  ceux  qui  veulent  étudier  sérieusement  l'Écriture 
Sainte.  Il  suffit  de  citer  le  litre  de  quelques  unes  de  ces  cartes 
pour  en  indiquer  l'importance:  L'Egypte  au  temps  de  Moïse  et 
des  patriarches.  La  péninsule  sinaïtique  et  le  pays  de  Chanaan,  à 
l'époque  de  la  sortie  d'Egypte,  avec  supplément  pour  les  environs 
du  Serbal  et  du  Sinaï,  et  le  profil  des  montagnes  depuis  le  Sinaï 
jusqu'à  Jérusalem.  La  Palestine  à  l'époque  des  Juges  et  des  Rois. 
La  terre  de  Chanaan,  la  Syrie,  et  les  terres  de  lEuphrale  et  du 
Tigre  d'après  les  documents  assyriens.  L'Assyrie  et  la  Babylonie 
avec  supplément  pour  les  champs  de  ruines  de  Babylone  et  de 
Ninive.  La  Palestine  à  l'époque  de  Jésus-Christ.  Carte  pour  l'his- 
toire des  apôtres  et  les  prédications  de  saint  Paul.  Sept  plans  de 
Jérusalem  (sixième  siècle  avant  Jésus-Christ  au  huitième  siècle 
de  l'ère  chrétienne).  Enfin  la  Palestine  moderne.  Cet  ouvrage  a 
reçu  le  plus  favorable  accueil  parmi  les  savants  allemands. 

—  Le  correspondant  viennois  du  >-  Times  »  apprend  qu'un  cu- 
rieux document  a  été  présenté  au  Congrès  des  Orientalistes,  qui 
s'est  réuni  à  Londres.  C'est  un  manuscrit  sur  papyrus,  décou- 
vert, il  y  a  quelque  mois  en  Egypte,  et  que  des  autorités  compé- 
tentes supposent  être  la  plus  ancienne  copie  existante  de  parties 
de  l'Ancien  Testament,  livres  de  Zaeharie  et  de  Malachie.  Ces 
pages  de  papyrus,  lorsqu'elles  étaient  intactes,  avaient  10  pouces 
dehauisur  7  de  large,  chacune  contenant  28  lignes  d'écriture  au 
recto  et  au  verso.  La  ligne  pleine  renferme  de  14  à  17  lettres.  Les 
feuilles  sont  réunies  en  volume  avec  soiu  et  à  l'aide  d'un  procédé 
primitif,  au  moyen  de  ficelles  et  de  bandes  de  vieux  parchemins. 
Le  grec  de  ce  document  est  écrit  sans  intervalles  entre  les  mots, 
selon  la  coutume  en  usage  pour  les  vieux  manuscrits  grecs  et 
hébreux.  Le  papyrus  est  dans  un  bon  état  de  conservation:  on 
croit  qu'il  remonte  au  IIL  ou  au  IV'-'  siècle.  11  est  donc  contempo- 
rain des  plus  vieux  manuscrits  de  la  version  des  Septante  du 
vieux  Testament  qui  se  trouvent  à  Londres,  à  Rome  et  à  Saint- 


188  CHRONIQUE 

Pétersbourg.  Plusieurs  professeurs  de  l'Universilé  de  Vienne  à 
qui  il  a  été  montré,  le  trouvent  authentique. 

—  M.  Euting  a  publié  les  Sinaitsche  Inschrîften,  à  Berlin, 
chez  Reiaer.  M.  Clermont-Ganneau  apprécie  cet  ouvrage  en  ces 
termes  :  «  M.  Euting,  ancien  compagnon  de  voyage  du  pauvre 
Huber,  a  exploré,  au  point  de  vue  épigraphique,  une  partie  du 
Sinaï.  Avec  une  diligence  que  nous  ne  pouvons  qu'admirer,  il 
nous  a  donné  le  fruit  de  ses  recherches,  sous  la  forme  d'un  beau 
volume  illustré  de  40  planches  autographiées.  Son  exploration  a 
été  courte.  Entreprise  pendant  le  printemps  de  1889,  elle  n'a  pas 
duré  plus  d'une  quinzaine  de  jours,  et  n'a  porté  que  sur  quelques- 
uns  seulement  des  gisements  épigraphiques  du  Sinaï.  Le  nombre 
des  inscriptions  recueillies sélève  à  677  ». 

—  Sous  le  titre  à'Hktoii^e  sainte,  M.  Maurice  Vernes  publie 
un  petit  volume,  qui  n'est  que  le  résumé  du  Précis  d'histoire 
Juive  que  nous  avons  analysé,  et  qu'il  destine  surtout  aux  élèves 
de  renseignement  primaire  et  secondaire.  On  y  retrouve  les  mêmes 
erreurs  que  nous  avons  signalées  dans  le  premier  ouvrage, 

—  M.  A.  Westphal  a  publié  la  seconde  partie  de  son  étude  sur 
les  Sources  du  Pentateuque  (Paris,  Fischbacher,  1892).  Il 
avait  examiné  dans  une  première  partie  le  problème  de  la  plura- 
lité des  sources,  ce  qu'il  appelle  le  problème  littéraire,  il  discute 
dans  un  second  volume  le  problème  historique,  c'est-à-dire  la 
question  de  date,  le  rapport  des  documents  au  points  de  vue  chro- 
nologique, et  les  différentes  phases  du  travail  de  compilation  qui 
aboutit  à  la  formation  du  Pentateuque.  11  nous  donne  une  analyse 
très  remarquable  des  écrits  qui  sont  entrés,  selon  lui,  dans  la  com- 
position du  livre  de  la  Loi.  Trois  résultats,  nous  dit-il,  sont  défi- 
nitivement acquis  à  la  science:  «  1°  l'existence  désormais  établie 
de  quatre  sources  dans  le  Pentateuque:  le  premier  Élohiste  ou 
Code  sacerdotal,  le  second  Élohiste,  le  Jéhoviste  et  le  Deuléro- 
nome;  2°  l'admission  du  fait  que  chacune  de  ces  sources,  avant 
d'entrer  dans  la  composition  de  nos  livres  bibliques,  a  existé  à 
l'état  d'écrit  indépendant;  3^  l'unanimité  des  savants  touchant  la 
manière  dont  il  faut  reconstruire,  au  moins  dans  leurs  grandes  li- 
gnes, les  quatre  sources  que  nous  avons  indiquées  ». 

—  M.  l'abbé  Michel  Bechis  a  composé  une  Concordance  basée 


CHROiNIQUE  189 

sur  l'ordre  alphabétique  d'abord,  puis,  et  c'est  ce  qui  en  constitue 
l'originalité,  sur  l'ordre  grammatical.  Pour  chaque  nom  l'auteur 
cite  les  textes  où  il  est  employé,  d'abord  au  nominatif,  puis  au  gé- 
nitif, au  datif,  à  l'accusatif,  tant  singuliers  que  pluriels.  Pour  les 
verbes  il  cite  séparément,  et  dans  leur  ordre,  le  mol  à  ses  temps 
divers,  à  ses  modes  et  chacun  à  toutes  les  personnes  du  singulier 
et  du  pluriel.  Par  ce  système  les  recherches  sont  considérable- 
ment abrégées.  Quand  même  le  terme  a  été  très  souvent  employé 
dans  la  Bible,  il  ne  se  trouve  jamais  un  grand  nombre  de  fois  au 
même  temps  et  à  la  même  personne.  On  a  pour  ainsi  dire  pour 
chaque  mol  une  double  concordance. 

m.  Religion  de  Mahomet.  —  Les  souveiiii'S  du 
inonde  musulman  de  Gh.  Mismer,  sont  surtout  une  apologie  du 
monde  mahométan.  M.  Mismer  admire  beaucoup  les  Turcs,  il  en 
trace  le  portrait  le  plus  flatteur,  et  nous  les  propose  même  com- 
me modèles  surplus  d'un  point.  Son  éloge  de  l'islamisme  est 
vraiment  exagéré. 

—  Ibn-lshak  attaque  dans  la  grande  revue  américaine  Arena 
(septembre)  la  religion  chrétienne  d'une  façon  assez  violente.  Il 
lui  reproche  de  n'avoir  pu  faire  des  renégats  parmi  les  musulmans  I 
Par  contre  l'islamisme  fait  des  conquêtes  partout  et  surtout  par- 
mi les  bouddhistes  et  parmi  les  Anglais.  Notre  religion,  s'écrie 
Ibn-ishak,  compte  à  présent  220  millions  de  fidèles  et  il  faudra  y 
ajouter  bientôt  les  peuplades  de  l'Afrique  centrale,  qui  commen- 
cent à  reconnaître  Mahomet  comme  leur  unique  prophète.  L'au- 
teur s'efïorce de  prouver  que  le  reproche  adressé  à  llslam,  d'a- 
voir pris  de  l'extension  grâce  à  la  force  armée,  est  mal  fondé,  et 
il  cite  à  l'appui  le  cahfe  Omar,  qui  a  épargné  la  vie  des  chrétiens, 
lors  de  sa  conquête  de  Jérusalem.  Ibn-Isliak  finit  par  nous  dire 
que  l'islamisme  triomphera,  et  tout  en  supprimant  les  autres  re- 
Hgions,  réaUsera  sur  la  terre  la  fraternité  universelle. 

—  Lechérif  deOuazzan,  Si-El-Hadj-Abd-es-Selam-el-Ouazzani, 
grand  chef  religieux,  est  mort  à  Tanger.  Ab-es-Selam  était  le 
maitre  de  la  puissante  confrérie  religieuse  des  Taïbya  ou  Ouaz- 
zani,  dont  la  zaouïa  principale,  la  maison-mère,  si  l'on  veut,  est 
située  au  Maroc,  à  une  centaine  de  kilomètres  au  sud  de  Tanger. 


190  CHRONIQUE 

Les  Taïbya  sont  très  nombreux  au  Maroc,  au  Touat  et  en  Algé- 
rie. On  compte  dans  le  département  d'Oran  plus  de  dix  mille 
adeptes.  Le  prestige  du  chérif  est  énorme  sur  tous  ses  fidè- 
les. Quad  Abd-es  Selara  venait  en  Algérie  faire  ses  quêtes 
religieuses,  les  ziara,  la  foule  se  précipitait  vers  lui,  se  bouscu- 
lait pour  baiser  un  pan  de  son  burnous.  Quand  le  chérif, 
assis  dans  une  chambre  d'auberge  ou  sous  la  tente  d'un  indigène, 
recevait  les  hommages  des  fidèles,  il  n'était  pas  rare  de  voir  un 
misérable  mendiant,  couvert  de  vêlements  en  lambeaux,  tirer  de 
sa  poche  une  pièce  de  cinq  ou  de  deux  francs,  soigneusement  en- 
veloppée dans  un  morceau  d'étoffe,  fruit  de  longues  et  pénibles 
privations,  et  la  jeter  sur  le  tapis  étendu  devant  le  saint  mara- 
bout. A  l'obole  du  pauvre  se  joignaient  les  pièces  d'or  et  les  bil- 
lets de  banque  des  riches  musulmans,  et  Abd-es-Selam  récollait 
souvent  des  dizaines  de  mille  francs  dans  une  seule  journée.  La 
charge  de  chef  de  la  confrérie  des  Taïbya  passe  à  son  fils  aîné 
Mouley  el-Arbi. 

—  M.  Gbauvin,  professeur  à  l'Université  de  Liège,  publie  la 
Bibliographie  des  Ouvrages  arabes  ou  relatifs  aux  arabes 
publiés  dans  l'Europe  chrétienne  de  1810  à  1885.  Les  arabisants 
accueilleront  avec  reconnaissance  ce  travail.  Schnurrer,  de  1799 
à  1806,  publia  successivement  la  bibliographie  des  historiens  et 
des  géographes  arabes,  des  poètes,  des  grammairiens,  des  lexi- 
cographes et  des  auteurs  chrétiens  qui  ont  écrit  sur  la  Bible  et 
le  Coran.  Une  seconde  édition  beaucoup  plus  complète  parut  en 
1811,  mais  il  y  manquait  une  table  des  malières.  M.  Chauvin 
comble  cette  lacune  dans  l'ouvrage  que  nous  annonçons. 


BIBLIOGRAPHIE 


La  perte  d'une  colonie,  la  révolution  a  St.-Domingue, 
par  M.  Caslonnet  des  Fosses,  chez  Faivre  (Librairie  airicaine 
el  coloniale),  27-31,  rue  Bonaparte,  un  vol.  in-d2,  3  fr.  50. 

M.  Gastonnet  des  Fosses,  bien  connu  dans  le  monde  historique 
et  géographique,  par  ses  publications  et  ses  conférences,  vient 
de  faire  paraître  :  La  perte  d'une  Colonie,  la  Révolution  de  St-Do- 
mingue.  Sonlivre  comble  une  lacune.  St  Domingue  est  resté  lé- 
gendaire en  France. 

Comment  avons-nous  perdu  celte  riche  colonie  ?  M.  Caslonnet 
des  Fosses  nous  le  dit.  Après  avoir  fait  un  tableau  aussi  pitto- 
resque qu'intéressant  de  la  colonie  de  St-Domingue  à  la  veille  de 
la  convocation  des  Etats-Généraux,  il  signale  l'affaiblissement 
complet  du  sentiment  chrétien  dans  la  population  blanche,  et  la 
pratique  du  culte  de  Voudoux  universellement  répandu  chez  les 
nègres,  surtout  depuis  la  suppression  des  Jésuites  qui  avaient 
commencé  à  moraliser  les  esclaves. 

L'auteur  nous  fait  connaître  tous  les  événements  qui  s'y  ac- 
complissent, la  lutte  des  blancs  contre  la  métropole,  leur  ten- 
dance .séparatiste,  le  rôle  que  jouent  les  mulâtres,  l'insurreclion 
des  nègres,  leur  affranchissement,  l'occupation  anglaise  et  espa- 
gnole, l'avènement  de  Toussaint-Louverture,  son  gouvernement, 
ses  projets,  l'expédition  de  Leclercq,  ses  désastres.  M.  Caslonnet 
des  Fosses  consacre  son  dernier  chapitre  à  l'histoire  de  notre 
ancienne  colonie  depuis  son  indépendance,  et  nous  indique  sa 
situation  actuelle,  lant  au  point  de  vue  politique,  social,  que  reli- 
gieux ;  en  même  temps,  il  nous  dit  quel  est  le  sort  qui  attend  la 
République  d'Haïti,  si  elle  ne  cherche  pas  le  moyen  de  se  sauver. 
Ce  moyen,  il  le  lui  montre. 


192  ■  BIBLIOGRAPHIE 

On  y  trouvera  d'intéressants  détails  sur  le  fétichisme  des 
nègres  et  le  culte  de  Vaudoux.  «  Les  sectateurs  de  Vaudoux,  dit 
l'auteur,  possédaient  une  véritable  organisation  :  ils  tenaient  la 
nuit  des  réunions  mystérieuses,  au  milieu  des  bois.  Dans  chaque 
assemblée  il  y  avait  un  roi  et  une  reine  que  l'on  reconnaissait  à  cer- 
tains signes.  La  cérémonie  commençait  par  des  danses;  après  quoi, 
tous  les  invités  renouvelaient  leur  serment  d'obéissance  et  s'age- 
nouillaient devant  une  couleuvre  qui  personnifiait  Vaudoux.  » 
Cette  association  qui  aurait  fini  par  enrôler  tous  les  esclaves  joue 
un  rôle  important  dans  la  révolution  qui  s'accomplit  On  enjugera 
parle  trait  suivant.  L'un  des  chefs  de  celte  association  était  Bouk- 
man,  un  nègre  originaire  des  Antilles  anglaises.  Sa  qualiié  de 
prêtre  de  Vaudoux,  son  courage,  ses  relations  avec  plusieurs  mu- 
lâtres libres  lui  donnaient  un  grand  crédit.  Boukinan  voulut 
frapper  leur  imagination.  11  conduisit  par  une  nuit  d'orage,  dans 
une  épaisse  forêt,  les  noirs  de  sa  plantation  et  de  plusieurs  plan- 
tations voisines.  Après  diverses  cérémonies  rappelant  les  rites  de 
la  côte  d'Afrique,  il  se  présenta  comme  inspiré  par  Vaudoux  et 
ayant  reçu  Tordre  d'égorger  les  blancs.  Une  négresse,  faisant 
fonction  de  prêtresse,  plongea  son  couteau  dans  les  entrailles  d'un 
cochon  noir.  La  victime  bondit,  le  sang  ruissela  et  les  conjurés 
en  burent  avec  avidité  à  genoux.  Boukman  prêta  le  serment  de 
diriger  l'entreprise  et  tous  les  assistants  jurèrent  de  lui  obéir. 

Ce  livre  est  écrit  avec  élégance  et  d'une  lecture  facile,  M.  Gas- 
lonneldes  Fosses  fait  revivre  les  événements  qui  se  sont  accom- 
plis à  Sl-Domingue,  il  y  a  cent  ans  et  on  semble  en  être  le  té- 
moin. L'auteur  semonlre  toujours  impartial,  qualité  rare  chez  un 
historien.  Aussi  nous  ne  saurions  trop  engager  le  public  à  lire 
ce  volume  à  qui  les  événements  contemporains  donnent  une  véri- 
table actualité.  La  Révolution  de  Saùit-Domingue  attirera 
certainement  l'attention  :  c'est  un  livre  àlaportée  de  tous  et  nous 
ne  douions  pas  de  son  succès. 

Le  G^ra/^r- Z.  PEISSON. 


Amiens.  -  Imprimerie  ROUSSEAU-LEROY.  18,  rue  St-Fuscieii. 


LE  BOUDDHISME 


D'APRÈS  LES  BOUDDHISTES 


(Deuxième  ariiclej 


.5°  Chia-ua-do-fjuic  ou  C/iia-dcur. 

D'après  Kopper,  Schlaginthweil  elle  R.  Jaschke  qui  les 
cite,  Cliia-deur  (celui  qui  porte  le  sceptre  en  maiu)  ne 
serait  qae  le  dieu  Indra  des  brahmanistes.  Adopté  par  la 
religion  bouddhiste  il  serait  devenu  le  Dhiani  Bodhisatwa 
du  Dhiani  Boudha  Aksobhya  (qui  potest  capere  capial  !). 
Vulgairement  il  est  considéré  comme  un  génie  bienfaisant 
combattant  contre  les  mauvais  qui  cherchent  à  nuire  aux 
hommes.  C'est  pour  cela  qu'il  est  toujours  armé  de  pied 
en  cap,  avec  un  air  et  une  posture  terribles,  peint  en  noir, 
pour  épouvanter  les  ennemis  des  hommes,  les  mauvais 
génies.  Voici  le  fait  le  plus  remarquable  que  la  légende 
écrite  lui  attribue.  Dans  sa  grande  bonté  il  avait  cherché 
et  trouvé  une  eau  merveilleuse  qui,  répandue  sur  le  monde 
devait  procurer  aux  hommes  une  vie  perpétuellement 
heureuse  et  sainte.  Il  la  recueillit  précieusement  dans  une 
jarre.  Avant  qu'il  put  la  distribuer,  pendant  qu'il  dormait 
ou  vaquait  à  quelque  bonne  œuvre,  Rahu  vint  en  cachette, 
but  l'eau,  la  remplaça  par  sa  propre  urine  et  s'enfuit  au 
plus  vite.  Ghia-deur   ayant  ensuite   ouvert  la  jarre  fut 


194  LE  BOUDDHIS^ÎE 

suffoqué  par  l'odeur  horrible  du  contenu.  Mais  que  faire  ? 
S'il  jette  la  jarre,  le  poison  se  répandra  sur  le  monde  qu'il 
voulait  sanctifier  et  sauver,  et  le  corrompra  d'une  manière 
irrémédiable.  Il  prend  la  jarre  et  d'un  bond  s'élance  vers 
le  soleil  et  lui  demande  s'il  a  vu  Rahu?  Le  soleil  ne 
voulant  pas  se  compromettre  répondit  d'une  manière  éva- 
sive  qu'il  avait  bien  aperçu  un  esprit  qui  avait  l'air  fort 
troublé  et  se  dirigeait  vers  la  lune.  D'un  autre  bond, 
Chia-deur  arrive  à  la  lune  et  lui  demande  :  où  est  Rahu  ? 
Dans  sa  simplicité,  celle-ci  répond  qu'il  est  caché  dans  tel 
endroit.  Chia-deur  s'y  précipite,  saisit  Rahu,  lui  administre 
une  terrible  correction  et  le  force  à  boire  le  contenu  de  la 
jarre,  puis  après  s'être  bien  vengé  retourne  à  sa  demeure. 
C'est  pour  se  venger  lui-même  de  cette  dure  punition  que, 
de  temps  en  temps,  Rahu  dévore  le  soleil  et  la  lune,  mais 
la  lune  phis  souvent,  parce  qu'elle  avait  eu  la  sottise  de 
dire  toute  la  vérité  à  Chia-deur.  Aussi,  actuellement  encore, 
quand  une  éclipse  est  annoncée  et  commence  à  paraître 
au  ciel,  toute  la  population  est-elle  en  mouvement  pour 
eflrayer  Rahu  par  ses  cris,  ses  roulements  de  tambour,  de 
gongs,  de  coups  de  fusil,  et  prier  Chia-deur  de  sauver  la 
vie  au  soled  et  à  la  lune.  C'est  là  son  principal  rôle. 

Un  autre  rôle  plus  pratique  ou  plus  politique  qui  lui  fut 
longtemps  attribué,  c'est  d'être  le  Bouddha  qui  s'incarnait 
continuellement  dans  le  grand  lama  de  Tra-chi-Lhum-bo, 
et  en  faisait  la  troisième  personne  de  la  Trinité  bouddhique, 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut.  Mais  à  une  certaine 
époque  assez  moderne,  une  rivalité  scandaleuse  était  sur 
le  point  d'éclater  entre  la  première  personne  Chiu-ré-zi, 
qui  venait  de  s'incarner  pour  Lhassa,  et  la  troisième  Chia- 
deur,  qui  venait  de  s'incarner  pour  Tra-chi  Lhum-bo, 
l'une  et  l'autre  prétendant  au  premier  rang.  Mais  la  deuxième 
personne,  Guiam-pel,  incarnée  dans  l'empereur  de  Chine, 
trancha  de  haute  autorité  ce  nœud  gordien  en  décnHant 


LE   BOUDDHISME  195 

que  c'était  l'esprit  seul  de  Chin-rè-zi  qui  .s'était  incarné 
pour  Lhassa,  tandis  que  son  cœur  seul  (et  non  Ghia-deur) 
s'était  incarné  pour  Trachi-Lhum-Jjo.  Par  cet  arrangement, 
les  deux  rivaux  devinrent  une  portion  du  même  Bouddha 
Chin-rè-zi.  Avant  d'être  reconnus  comme  tels,  ils  doivent 
l'un  et  l'autre  obtenir  leur  diplôme  de  divinité  de  la  main 
du  fils  du  Ciel  de  Pékin.  Ce  diplôme  octroyé,  le  fds  du 
Ciel  s'empresse  de  leur  envoyer  ses  présents  res[)ectueux, 
et  son  premier  ambassadeur  à  Lhassa  va  leur  présenter 
les  adorations  de  son  auguste  maître,  le  grand  empereur 
de  Chine.  Bien  entendu  que  cette  dernière  explication  ne  se 
trouve  pas  dans  les  livres  sacrés,  mais  dans  les  archives 
politiques.  En  fait,  actuellement, Chia-deur  esta  peu  près 
tombé  en  oubli  comme  personnage  officiel  et  ne  compte 
plus  que  comme  génie  bienfaisant  et  protecteur  du  soleil 
et  de  la  lune  en  temps  d'éclipsé.  Aussi  le  dictionnaire  des 
synonimes  est-il  fort  réservé  sur  son  compte;  voici  tout 
ce  qu'il  en  dit  :  qui  saisit,  qui  porte  le  sceptre,  le  prince 
du.  sceptre;  le  maître  puissant  ;  celui  cpd  saisit, 
dompte,  rjouvérne  les  choses  secrètes  ;  le  roi  du  Neu- 
jine  (esprits  malfaisants,  démons)  (li. 

6'"  Guiam-pé-yong,  la  douce  harmonie,  ou  Guiam-pel, 
la  noble  douceur. 

J'avoue  bien  simplement  que  je  ne  connais  pas  beau- 
coup de  détails  sur  ce  grand  Bouddha.  Ce  qui  me  console 

(1)  .lo  crois  qu'il  y  a  eu  ici  une  erreur  de  typographie  qui 
n'existe  pas  dans  quelques  éditions.  Au  lieu  de  Geiel-po,  roi,  il  y 
avait  seulement  dans  l'original  Guiel,  celui  qui  est  vainqueur,  et 
.la  vraie  tradition  est  :  le  vainqueur  des  Neu-jine  ou  démons,  ce  qui 
concorde  parfaitement  avec  le  caractère  général  que  la  légende 
donne  à  Chia-deur.  Cette  erreur  l'a  fait  confondre  par  quelques 
savants  européens  avec  Nani-sé,  le  Kuvera  ou  dieu  des  richesses 
du  sanscrit  qui  en  effet  est  qualifié  de  roi  du  Neu-jin. 


196  LE  BOUDDHISME 

c'est  que  très  probablement  bien  d'autres  aussi  ignorent 
ses  faits  et  gestes.  C'est  lui,  dit-on,  qui  se  serait  d'abord 
incarné  au  Thibet  en  la  personne  de  Thou-mé-sambohdja 
le  ministre  du  roi  Songtseiig-gambo  qui  introduisit  récri- 
ture au  Thibet  pendant  le  Vil''  siècle.  Puis  il  se   serait 
incarné  en  750  (après  J.-C.)  en  la  personne  de  Tchré-song- 
déou-tsenh,  successeur  de   Song-tsen-gambo,  et  comme 
tel  il  est  la  quaranle-et-unième  incarnation  de  Cbin-rè-zi, 
de  sorte  que,  si  les  légendes  étaient  vraies,  ce  trente-troi- 
sième roi  du  Thibet  aurait  été  en  même  temps  l'incarnation 
de  deux  Bouddhas^,  Chin-rè-zi  et  Guiam-pel.  Enfin,  comme 
je  l'ai  déjà  noté,  dans  ces   derniers  siècles,  Guiam-pel 
se  serait  incarné  en  la  personne  de  Tempereur  de  Chine, 
la  deuxième  personne  de  la  Trinité  selon  une  opinion.  Si 
Ton  en  croit  le  dictionnaire   des  synonimes,  Guiam-pel 
serait  encore,  sous  le  nom  de  Guiam-pel-jun-nou-guieur- 
oua  (Guiam-pel  devenu  jeune  homme)  le  même  que  Man- 
jusri  du  sanscrit  ;  sous  le  nom  de  Guiam-gum  (le  doux 
protecteur)  le  même  que  Manju-Natha  ;  sous  le  nom  de 
Gun-Kyi-Guiel-oua  (le  vainqueur  ancien),  le   même  que 
Djina  ;  et  sous  le  nom  de  Tang-peu-sang-guié  (Bouddha 
primitif) le  même  que  Adhi-Bouddha.  Kopper(Il.  '2'2)prétend 
même,  je  ne  sais  sur  queUe  autorité,  que  Guiampel  n'est 
que  la  moitié  de  Chin-rè-zi,  et  vice-versà  (ne  serait-ce 
pas  une  variante  de  la  décision  de  Tempereur  de  Chine 
mettant  d'accord  l'esprit  et  le  cœur  de  Chin-rè  zi  à  Pex- 
clusion  de  Chia-deur,  (vid.  sup.)  Je  laisse  à  de  plus  experts 
le  soin  de  débrouiller  toutes  ces  assertions  contradictoires. 
Pour  moi,  je  conclue  que  si  Guiam-pel  est  tout  cela,  il  ne 
fut  jamais  un  être  réel,  qu'il  n'est  qu'un  type  purement 
imaginaire  composé  de  plusieurs  autres  types  moins  ima- 
ginaires, et  ne  reflétant  que  des  formes  humaines  de  la 
pensée  bouddhique  mais  non  la  religion  bouddhique  en  elle- 
même,  àpeu  près  commeie  bouddhisme  européen  ne  repré- 


I 


LE   BOUDDHISME  197 

sente  que  les  idées  philosophieo  religieuses  de  tel  ou  tel 
professeur  que  je  ne  pourrais  nommer. 

A  ce  titre,  Guiam-pel  ne  mériterait  pas  de  nous  attarder 
plus  longtemps.  Cependant,  comme  curiosité  énumérons 
les  titres  donnés  à  ce  type  merveilleux.  C'est  le  miroir,  le 
comble,  le  répertoire  Je  la  scu/esse  ;  le  noble  trésor  de 
l'intelligence  ;  le  corps  même  de  l'intelligence  de  tous 
les  vainqueurs  {Bomldhsis)  ;  le  roi,  la  plus  noble  créa- 
ture, le  génie,  le  président  du  discours  ;  le  prince  de 
l'éloquence  ;  le  sceptre  doux  ou  de  la  douceur;  le 
sceptre  aiguisé  ;  qui  a  la  main  comme  un  lotus  bleu  ; 
la  roue  ferme  ;  qui  Jiabite  dans  la  terre  de  la  jeunesse  ; 
cpn  chevauche  sur  un  lion.  Des  auteurs  européens  ont 
comparé  Guiam-pel  à  Apollon.  Très  bien,  mais  il  n'était 
pas  nécessaire  d'aller  à  Rome  pour  lui  trouver  son  sem- 
blable. Sans  sortir  du  bouddhisme,  Peurbou,  Jupiter, 
Pa-sang,  Vénus,  Yong-Kien  ou  Yong-Lha-mo,  la  déesse 
de  l'harmonie,  la  Swali  du  sanscrit,  ont  aussi  le  privilège 
d'être  des  trésors  de  sagesse,  des  princes  de  la  parole, 
etc.,  etc. 

7°  Remarques  sur  ce  qui  précède. 

Dans  les  pages  précédentes,  nous  avons  étudié  Bouddha 
ou  les  Bouddhas  en  général,  les  Bouddhas  prédécesseurs 
et  la  Trinité,  puis  en  particulier  les  quatre  principaux 
Bouddhas  Sha  Kia-mouni,  Chin-rè-zi,  Chia-deur  et  Guiam- 
pel.  Le  même  travail  pourrait  se  continuer  presque  indéfi- 
niment si  l'on  voulait  étudier  les  Bouddhas  plus  spéciale- 
ment honorés  dans  chaque  secte,  et  surtout  les  Tchreul-ko 
ou  personnes  transformées  qui  le  mériteraient  au  même 
titre  et  qui  sous  le  nom  de  Bouddhas  vivants  pullulent  au 
Thibet  ;  on  en  trouve,  et  souvent  plusieurs,  dans  presque 
tous  les  monastères.  Mais  il  me  faudrait  écrire  un  gros 
volume  de  mythologie  bouddhiipie  et  tel  n'est  pas  mon  but. 


198  LE  BOUDDHISME 

D'ailleurs,  souvent,  et  surtout  pour  les  Tchreul-ko  les 
matériaux  authentiques  feraient  absolument  défaut.  Il  fau- 
drait s'en  rapporter  à  la  tradition  orale  qui  pesée  dans  la 
balance  de  la  Justice  et  delà  Vérité,  se  résumerait  en  ces 
quelques  mots  :  C'est  une  bonne  fortune  matérielle 
pour  un  monastère  de  posséder  un  Bouddha  vivant. 
Si  dans  l'étude  des  grands  Bouddhas  nous  avons  rencontré 
de  si  profondes  ténèbres  et  tant  de  contradictions  inso- 
lubles, quel  chaos  ne  trouverions-nous  pas  dans  Pétude 
des  Bouddhas  inférieurs?  A6  uno  disce  onines  !  Franche- 
ment, je  n'ai  pas  le  courage  ni  assez  de  temps  à  perdre 
pour  aborder  un  sujet  si  ingrat  et  si  inutile. 

Qu'on  veuille  bien  aussi  me  dispenser  de  citer  les  dieux 
du  Panthéon  brahmanique  qui  ont  été  peu  à  peu,  mais 
très  anciennement,  introduits  dans  le  bouddhisme  et  ont 
changé  en  vrai  polythéisme  la  philosophie  morale  de  Sha- 
kia-mouni.  Ce  serait  sortir  de  son  sujet.  Je  ferai  seule- 
ment une  remarque  ;  c'est  que  le  dictionnaire  des  syno- 
nimes  qui  est  en  général  si  parcimonieux  d'épithètes  en- 
vers les  héros  bouddhiques  devient  d'une  prolixité  et  d'une 
verve  intarissable  quand  il  décrit  les  divinités  brahmani- 
ques, on  dirait  vraiment  que  c'est  un  brahme  et  non  un 
docteur  bouddhique  qui  a  composé  cet  ouvrage.  Ce  fait 
prouve  du  moins  combien  la  fusion  entre  les  deux  religions 
fut  complète  et  combien  il  serait  difflcile,  pour  ne  pas  dire 
impossible,  de  séparer  maintenant  des  éléments  si  hétéro- 
gènes. Les  bouddhistes  Ihibétains  n'ont  pas  essayé  de 
faire  ce  triage,  mais  ne  voulant  pas  non  plus  se  donner  la 
peine  d'étudier  en  détail  cette  mythologie  bralmianique  si 
compliquée,  ils  l'ont  en  pratique  condensée  sous  le  nom 
générique  de  Lha  par  lequel  ils  traduisent  le  mot  sanscrit 
Deva.  Comme  le  culte  d(^s  Lha  est  au  moins  aussi  général 
et  aussi  en  honneur  que  celui  des  Sang-guié  (Bouddhas), 
nous  devons  en  parler  maiutenanl. 


LE  BOUDDHISME  100 

8°.  Des  IJm. 

En  1800,  dans  la  Revue  des  l'elirjions^  j'ai  déjà  cité 
les  deux  légendes  écrites  se  rapportant  aux  Lha,  en 
voici  le  résumé  en  peu  de  mots.  L'une  et  l'autre  commen- 
cent ainsi  :  Dans  le  principe  il  n'y  avait  que  des  Lha  et  de 
l'Eau,  ou  'une  matière  très  subtile  et  succulente.  Ensuite, 
Tune  expliquant  l'organisation  du  monde  terrestre  dit  :  que 
Tuu  des  principaux  Lha  prit  cinq  pierres  (où  les  prit-il, 
puisqu'il  n'y  avait  que  de  l'eau  ?),  les  disposa  sur  l'eau  et 
par  la  puissance  de  ses  enchantements  et  bénédictions,  les 
développa  en  cinq  continents.  L'autre  légende  dit  pour  ex- 
pliquer la  formation  de  l'homme,  que  les  Lha  ayant  mangé 
avec  gloutonaeine  de  la  matière  subtile  et  succulente,  per- 
dirent de  leur  spiritualité  et  la  matière  commença  à  s'épais- 
sir. Ce  péché  de  gourmandise  et  ce  phénomène  de  l'épais- 
sissement  de  la  matière  s'étanl  reproduit  bien  des  fois,  la 
terre  devint  solide  tel  que  nous  la  voyons,  et  les  Lha  de- 
vinrent les  hommes.  Suivent  un  grand  nombre  de  péripé- 
ties sur  la  séparation  des  sexes  et  ses  conséquences,  sur 
la  formation  des  familles.  La  plus  méchante  et  la  plus  puis- 
sante, celle  qui  parvint  à  dominer  toutes  les  autres  et  à 
former  un  royaume  est  la  famille  des  Sha-kia  de  laquelle 
est  issu  le  grand  Sha-kia-mouni. 

Dans  ces  deux  légendes  il  n'est  pas  dit  un  seul  mot  de 
l'origine  de  la  matière  première  ni  des  Lha.  Sont-ils  éter- 
nels ^Sont-ils  le  produit  d'une  génération  spontanée  ?  Ont- 
ils  été  créés  et  par  qni  ?  Autant  de  questions  oiseuses  (1) 
auxquelles  ni  les  livres  ni  les  docteurs  vivants  ne  donnent 
aucune  réponse  ,  c'est  un  point  de  départ  accepté  comme 
un  fait  accompli.  Sous  ce  rapport  les  bouddhistes  sont 
l)ien  moins  logiques  que  les  brahmanistes  qui,  reconnais- 


200  LE  BOUDDHISME 

sant  la  nécessité  d'une  cause  première,  la  trouvent  dans 
Brahma. 

D'après  la  deuxième  légende,  il  est  évident  que  les  Lha, 
au  moins  les  Lha  primitifs,  sont  antérieurs  à  tous  les  Boud- 
dhas, puisque  les  Lha  ont  été  métamorphosés  en  hommes 
(Évolution  certainement  pins  honorable  pour  notre  race 
que  l'évolution  simienne  et  bestiale  inventée  par  nos  phi- 
losophes modernes),  tandis  que  les  Bouddhas  ne  sont  que 
des  hommes  se  purifiant,  remontant  ainsi  vers  la  perfec- 
tion et  parvenant  enfin  à  l'absorption  complète  dans  Tin- 
telligence  absolue  ou  le  néant.  Tous  les  Lha  primitifs  ont- 
ils  commis  le  péché  originel  de  gourmandise  et  ont-ils  été 
métamorphosés  en  hommes  ?  La  légende  écrite  ne  semble 
pas  faire  d'exception.  Mais  s'il  en  était  ainsi  il  n'y  aurait 
plus  de  Lha,  car  les  hommes  purifiés  ne  deviennent  Lha 
que  transitoirement  pour  devenir  Bouddha,  et  par  leur 
absorption  dans  rintelhgence  absolue,  finissent  par  perdre 
toute  personnalité.  Pour  prêter  un  peu  de  notre  logique 
au  bouddhisme,  nous  devons  donc  supposer  qu'une  partie 
seulement  des  Lha  se  rendit  coupable  et  fut  punie  comme 
nous  avons  vu.  Punie  par  qui  ?  il  n'en  est  pas  question, 
c'est  sans  doute  encore  une  punition  spontanée  !  Puis 
comment  expliquer  l'existence  simultanée  des  Lha  bons  et 
des  Lha-djré,  démons  ou  esprits  mauvais  par  nature  ? 
C'est  encore  un  mystère  sur  lequel  le  bouddhisme  ne  prend 
pas  la  peine  de  nous  instruire.  N'y  aurait-il  pas  là  une 
forte  dose  de  manichéisme  oriental  *?  c'est  très  probable. 

Ces  Lha  primitifs,  esprits  ou  génies,  bons  et  mauvais, 
apparaissent  fréquemment  dans  la  légende  de  Sha-kia- 
mouni,  soit  pour  lui  rendre  leurs  hommages,  soit  pour 
l'aider  à  remplir  sa  mission,  soit  an  contraire  pour  le  ten- 
ter et  la  lui  faire  abandonner.  Sha-kia-mouni  avait  sans 
doute  reçu  dans  son  éducation  brahmanique  cette  croyance 
aux  Lha  qui  semble  elle-même  un  reste  de  la  tradition  pri- 


LE  BOUDDHISME  201 

mitive  relative  aux  bons  et  mauvais  anges,  et  il  la  conserva 
dans  sa  religion  avec  cette  différence  que  les  bons  génies 
qui  passaient  dans  l'antique  religion  pour  des  êtres  suQ^r- 
naturels  devinrent  ses  très  humbles  serviteurs. 

Dans  la  suite,  quand  les  dieux  du  brahmanisme  furent 
adoptés  par  le  bouddhisme,"  ils  y  prirent  rang  sous  le  nom 
générique  de  Lha,  chaque  divinité  ayant  aussi  son  épithète 
particuhère  pour  la  distinguer.  Par  exemple,  Brahma,  est 
le  grand  génie  ;  Wishnu,  le  premier,  le  plus  ancien  des 
génies  ;  Siwa,  le  génie  de  l'Occident  ;  Gupidon,  le  génie 
des  désirs  ;  Indra,  le  chef  des  génies  ;  Kuvera,  le  génie 
des  richesses,  etc.,  etc.  Pourquoi  ces  dieux  brahmaniques 
furent-ils  introduits  dans  le  bouddhisme  *?  Est-ce  parce 
que  l'ancienne  religion  redevenant  prépondérante,  la  nou- 
velle voulut  faire  sa  paix  avec  elle  ?  Est-ce  pour  retenir 
ses  propres  adeptes  fatigués  d'une  religion  sans  culte  ex- 
térieur, ne  proposant  que  la  contemplation  de  vérités  abs- 
traites, peu  faite  pour  satisfaire  les  besoins  elles  aspira- 
tions de  la  nature  humaine  ?  Les  documents  historiques 
font  défaut  et  les  savants  ne  peuvent  appuyer  leur  sentiment 
que  sur  des  suppositions.  Peut-être  les  deux  opinions  sont- 
elles  vraies  car  le  bouddhisme  ne  s'est  jamais  montré  in- 
tolérant sur  les  principes  mais  seulement  envers  les  per- 
sonnes. Toujours  est-il  que  ces  dieux  brahmaniques  furent 
relégués  au  deuxième  rang  par  les  docteurs,  et  dans  les 
pagodes  ils  n'occupent  jamais  la  place  d'honneur  réservée 
à  Bouddha.  Pour  le  vulgaire  ces  Lha  brahmaniques  pris 
en  particulier,  sont  très  peu  connus,  mais  les  Lhas  en  gé- 
néral sont  autant,  et  peut-être  plus  honorés  que  Bouddha. 

C'est  qu'en  se  répandant  en  Asie  le  bouddhisme  s'est 
aussi  incorporé  les  génies,  les  dieux  tutélaires,  les  héros 
ou  saints  qui  dans  chaque  pays  avaient  mérité  les  honneurs 
de  l'apothéose,  les  fétiches  honorés  dans  les  pays  qu'il 
conquérait,  les  génies  représentant  les  forces  de  la  nature. 


202  LE  BOUDDHISME 

Ainsi  les  Sa-da  ou  Jé-da  (dieux  tutélaires),  presque  tous 
les  fondateurs  de  sectes,  les  génies  des  quatre  éléments, 
le  feu,  l'eau,  la  terre  et  le  vent  ;  les  arbres  fourchus,  cer- 
tains serpents  et  autres  animaux,  une  petite  roche  super- 
posée à  une  grosse,  etc.,  etc.,  sont  des  Lha  aux  yeux  des 
lettrés  comme  du  vulgaire.  Enfin  les  idoles  elles-mêmes 
sont  des  Lha  aussi  bien  que  les  prototypes  qu'elles  repré- 
sentent. 

On  le  voit  quand  il  s'agit  de  la  rehgion  des  Lha  boud- 
dhiques il  y  a  bien  des  distinctions  à  faire,  ce  peut  être  ou 
le  culte  des  génies,  ou  celui  des  forces  de  la  nature  person- 
nifiées, ou  le  polythéisme  brahmanique,  ou  l'honneur 
rendu  aux  saints  et  héros  divinisés,  ouïe  fétichisme  gros- 
sier, ou  l'idolâtrie  pure.  L'amalgame  de  tous  les  systèmes 
en  un  seul  vient  heurter  violemment  notre  esprit  métho- 
dique et  logique  européen,  le  déconcerte,  le  jette  dans 
une  sorte  de  stupéfaction  et  il  se  surprend  à  douter  du 
bon  sens  d'une  grande  partie  du  g-enre  humain.  Pour 
l'Asiatique,  cette  confusion  semble  une  variété  aussi  [)leine 
de  charme  que  ces  morceaux  de  musique  appelés  je  crois 
pots  pourris.  Il  yen  a  pour  tous  les  goùls. 

Qu'on  veuille  bien  me  permettre  d'ajouter  encore  une 
petite  strophe  à  ce  pot  pourri.  Dans  la  hiérarchie  des  six 
voies  de  la  transmigration,  écrite  dans  tous  les  livres  et 
connue  de  tout  le  monde,  les  Lha  occupent  le  rang  le  plus 
heureux,  le  plus  élevé,  le  plus  rapproché  de  la  dignité  de 
Bouddha.  Encore  une  seule  transmigration  et  les  Lha  seront 
arrivés  au  terme,  à  l'union  avec  l'intelligence  absolue,  au 
Nirvana.  D'après  ce  système,  il  est  évident  que  les  Lha  de 
cette  catégorie,  les  Lha  modernes  du  bouddhisme,  sont 
complètement  différents  des  Lha  primitifs  et  des  Lha 
brahmaniques.  Ce  ne  sont  que  des  hommes  purifiés,  des 
Bouddhas  en  formation,  presque  entièrement  formés.  Ils 
diffèrent  cependant  des  Boddhisatwas  en  ce  que  ceux-ci 


LE  BOUDDHISME  203 

sont  réellement  Bouddhas,  et  s'ils  s'incarnent  encoie  c'est 
de  leur  propre  vojonté  pour  le  bonheur  des  hommes, 
tandis  que  les  Lha  après  un  séjour  plus  ou  moins  long  au 
ciel  (supposé  qu'ils  ne  viennent  pas  à  démériter,  car  même 
au  ciel  bouddhique  on  peut  pécher),  ne  peuvent  transmigrer 
qu'en  Bouddha  et  arriver  ainsi  au  terme  du  Nirvana. 

Dans  tout  ce  chapitre,  je  n"ai  fait  qu'analyser  le  moins 
obscurément  possible,  ce  que  les  livres  sacrés  disent 
passiin  des  Lha.  Malgré  toute  la  bonne  volonté,  malgré 
toutes  les  distinctions  que  j'ai  faites  pour  tâcher  d'être 
clair,  il  reste  toujours  une  foule  de  contradictions  inexpli- 
quables  et  de  ténèbres  amoncelées  sur  cette  question  cepen- 
dant très  pratique.  Voyons  maintenant  si  la  clef  d'or  nous 
ouvrira  la  porte  de  ce  labyrinthe,  et  si  la  rjmrlandc  de 
ju'/u/pJiars  fera  jaillir  la  lumière  en  expliquant  clairement 
le  sens  propre  des  noms. 

Voici  comme  les  Lha  en  général  sont  caractérisés  : 
1"  Quant  à  leur  origine,  ce  sont  les  fils  d'Adhi  ;  ils  sont 
nés  de  la  lettre  Rciin  ;  ils  sont  néa  du  nectar,  nés  des 
Holocaustes.  De  ces  quatre  synonymes,  le  l"  seul  a  un 
sens  précis.  Nés  deAdhi  Budha  ou  Thoug-mé-sang-guié, 
le  plus  grand  ou  le  plus  ancien  Bouddha  qui  est  cependant 
d'introduction  récente  dans  le  bouddhisme,  et  est  resté 
presque  inconnu.  Les  fds  ont  détrôné  leur  père.  Le  '2' 
synonime  ne  signihe  rien,  ou  la  lettre  Ram  a  un  sens  à 
moi  inconnu.  Le  3'  est-il  une  allusion  au  péché  de  gour- 
mandise originel  dont  j'ai  parlé  ?  le  4°  ne  peut  signifier  que 
ceci  :  En  offrant  des  holocaustes  les  hommes  s'imaginèrent 
qu'il  y  avait  des  Lha.  Dès  lors  ils  ne  sont  plus  qu'une  in- 
vention de  la  pensée  humaine.  — 2"  Quant  à  leurs  qualités 
naturelles,  ils  onila  nielonfiue,  vivent  pendant  les  trois 
tenipjs  (passé,  présent,  futur),  ne  vieillissent  pas,  sont 
immortels,  sont  une  essence  subtile,  esprit  ou  intellect 
bons,  n'ont  absolument  aucun  rêve,  leurs  yeux  ne  se 


204  LE  BOUDDHISME 

ferment  point,  ont  de  bonnes  articulations  (sont  forts), 
ont  la  face  de  feu,  sont  bien  dessinés  ou  peints.  — 
T)"  Quant  à  leurs  occupations,  ils  se  nourrissent  de  nec- 
tar, mangent  les  holocaustes,  les  offrcLndes,  font  un 
bon  commerce,  ont  la  parole  comme  des  flèches,  leurs 
armes  sont  la  parole,  ils  s'amusent  trois  fois  (extrême- 
ment), sont  les  ennemis  des  esprits  qui  ne  sont  encore  que 
Jine  (offrande),  Jine-chié  (nés  des  offrandes)  et  Lha-miné, 
ceux  qui  ne  sont  pas  encore  Lha  mais  les  plus  rapprochés 
de  ce  degré.  —  i"  Enfin,  quant  à  leur  demeure  :  Ils  vont 
au  ciel,  demeurent  au  ciel,  jouissent  du  ciel . 

Quel  est  donc  ce  Ciel  ou  demeurent  les  Lha  ?  Voici 
comme  il  est  caractérisé.  Des  lieux  très  élevés,  la  bonne 
habitation  (palais),  elle  dure  pendant  les  trois  temps, 
ait  dessus  de  la  terre,  monde  supérieur  (à  la  terre),  de- 
meure de  la  musique  ou  des  Jeux  et  de  la  paix  ou 
félicité,  réceptacle  des  Jeux,  demeure  sans  défaut, 
sans  péché,  cm  l'on  va  à  la  paix,  à  la  félicité,  réjouie 
par  les  génies,  la  ville  des  génies,  le  monde  de  l'amour 
et  des  désirs,  le  lieu  de  la  plus  grande  Joie,  demeure 
parfcdte  ou  de  perfection,  demeure  de  la  Joie  pjar faite 
et  de  l'immortalité,  palais  vraiment  royal  divisé  en 
trente-trois  parties,  bonne  religion  ou  chose,  lieu  de 
réunion  de  tous  les  génies,  bosquet  mélangé  (de  toutes 
sortes  d'arbres)  ;  (voyez  encore  ci-dessus  la  demeure  de  la 
Trinité  bouddhique). 

Où  est  située  la  demeure  des  génies  ?  Sur  la  montagne 
parfaite  et  noble,  qui  est  brillante,  une  masse  bien 
ordonnée,  une  montagne  masse  d'or,  construite  de 
pierres  pulvérisées,  le  roi,  le  prince  des  montagnes, 
qui  est  le  gond,  le  sommet  des  qualité  continents, 
montagne  des  génies,  demeure  des  génies,  montagne 
immortelle  ou  de  Vimmortcdité. 

Ce  ciel,  cette  montagne  paifaite  est  omliragée  par  le 


LE  BOUDDHISME  205 

bosquet  des  (jcidcs  nommé  en  sanscrit  :  Dcoa-dha-rou 
Mcudara  et  Koui/bidara,  où  l'arbre  Pasain  réjouit 
l'esprit,  c'est  le  lieu  né  de  l'océan,  où  tous  se  réunissent, 
où  le  bois  de  sandal  rafraicJdt. 

Ce  ciel,  cette  montagne,  celte  forêt  sont  arrosés  par 
le  fleuve  du  génie  (\mQ,i{  le  Gange  céleste,  le  fleuve  des 
lieux  supérieurs,  dont  le  cours  aqueux  est  très  long, 
c'est  le  long  réservoir  d'eau  des  génies,  il  coule  lente- 
ment. 

Ce  qui  caractérise  surtout  ce  ciel  bouddhique,  la  de- 
meure des  Llia,  ce  sont  les  richesses  matérielles,  la 
splendeur  physique,  les  plaisirs  sensuels.  Pas  une  seule 
expression  qui  indique  un  état  surnaturel,  une  gloire  et  un 
bonheur  surnaturels,  de  sorte  que  ces  habitants  du  ciel 
qui  sont  censés  s'être  puriliés  pendant  toute  leur  vie  et 
avoir  renoncé  aux  biens  du  corps  et  de  ce  monde,  semblent 
ne  s'être  livrés  à  tant  de  mortihcations  que  pour  jouir  au 
centuple  dans  le  ciel  de  ces  mêmes  biens  matériels  auxquels 
ils  avaient  fait  profession  de  renoncer  pendant  leur  vie. 
Qu'on  en  juge. 

La  nourriture  et  la  boisson  des  Lha  est  le  Nectar  ou 
Ambroisie,  qui  est  le  breuvage,  l'essence  de  l'immorta- 
lité, qui  excite  à  boire,  qui  rassasie,  qui  a  cent  goâts 
différents,  qui  dissipe  les  chagrins,  la  tristesse. 

Le  ciel  bouddhique  est  la  demeure  de  la  musique,  le 
chef  de  cette  musique  céleste  est  Tchré-sa  qui  est  l'antique 
serpent  à  tête  d'homme,  le  serpent  à  tête  d'homme 
rejeté,  répudié,  dont  les  paroles  sont  mauvaises,  qui 
parle  mal,  le  chanteur,  l'harmonieux,  le  doux  chant, 
la  douce  harmonie  ;  qui  a  le  gosier  agréable,  qui  re- 
jette les  sotis  durs,  mauvais,  qui  juge  de  l'harmonie, 
le  véhicule  de  tout,  l'océan,  la  ricjiesse  universelle,  la 
nature  des  sages,  l'Etre  béni  par  les  hommes. 

Le  ciel  bouddhique  est  le  lieu  de  la  plus  grande  joie  (Sy- 


206  LE  BOUDDHISME 

iioiiiine  souvent  répété  pour  exprimer  le  Coitus  carnalis). 
Aussi  les  Llia  ont-ils  des  prostituées  à  leur  service  (1). 

Voici  leur  caractéristique,  elles  sont  :  le  nénuphar 
bleuir,  l'huile  de  sésame  noble,  elles  oui  la  mainbonne, 
le  véhicule  féminin  de  l'amour,  elles  sont."  l'Eclair  de 
la  foudre,  l'arbre  ciui  croit  dans  l'eau  (nénuphar  ou 
lierre),  elles  sont6?6vz  ornées,  prostituées,  ayant  les  che- 
veux superpjosés  comme  une  construction,  noble  race, 
rpiere lieuses,  aux  cheveux  épars,  très  infatuées,  folles, 
enrafjées,  ayant  une  r/rande  puissance. 

De  leurs  relations  avec  les  Lha,  ces  prostituées  ont  des 
fils  et  des  filles,  les  synoninies  pour  les  filles  sont  :  Sperme 
noble,  ayafit  des  ailes  de  foudre,  bon  véhicide,  vivant 
dans  le  lieu  où  se  trouvent  les  perles  c  Pocéan),  belle 
race,  ornées  de  lierre  ou  nénuphar,  ayant  les  reins, 
la  taille  belle,  et  plusieurs  autres  épithètes  communes 
avec  les  prostituées  humaines,  ce  qui  n'est  pas  étonnant, 
telle  mère,  telle  fille  ('2). 

Quoique  délivrés  de  toutes  les  misères  de  cette  vie,  et 
habitant  le  séjour  de  la  félicité  et  de  l'Immortalité,  puisque 
les  génies  y  mènent  une  vie  si  sensuelle  et  si  dévergondée, 
il  n'est  pas  étonnant  qu'ils  aient  besoin  d'un  médecin  qui 
est  :  le  jeune  homme  sachant  tout  faire,  Celui  qui  sait 
parfaitement  diviser,  analyser,  disséquer,  le  médecin 

(1)  Le  motlhibetain  mè-tsoug-ma  par  lequel  est  rendu  le  Mè-na- 
ka  et  Mou-dza-sa  du  sanscrit  veut  dire  :  qui  vend  la  partie  infé- 
rieure (de  son  corps)  et  ne  peut  s'appliquer  qu'aux  prostituées  de 
plus  bas  étage,  et  non  aux  épouses  Kiong-ma  ;  pas  même  aux 
concubines  (Kieun-ma). 

(2)  La  peinture  est  parfaitement  d'accord  avec  la  poésie  pour 
représenter  le  ciel  bouddhique,  cette  peinture  on  la  rencontre  é!a- 
lée  aux  yeux  du  public  dans  toutes  les  pagodes  et  toujours  la 
même,  c'est-à-dire  Genii  sunt  in  actu  coUioms  carnalis  cum  merelri- 
cibus.  C'est  la  pornographie  la  plus  éhontée  sans  le  moindre 
voile. 


LE   BOUDDHISME  207 

dea  lieu.r  supérieurs,  (jui  est  né  d'une  Jument  ;  né  de 
V étoile  Tha,qui  a  produit  h  Gingembre  ou  le  Safran. 

Conduirions. 

Les  deux  grandes  catégories  de  divinités,  les  Bouddha 
et  les  Liia  ont  été  passées  en  revue-  Cette  revue,  ce  n'est 
pas  moi  qui  l'ai  faite,  ce  sont  les  auteurs  sacrés  et  ofli- 
ciels  du  bouddhisme.  Que  mes  lecteurs  jugent  maintenant 
et  tirent  les  conclusions  que  leur  bon  sens  leur  suggérera. 
Qu'on  veuille  bien  me  permettre  trois  remarques  seulement. 

1"  D'après  les  autorités  que  j'ai  citées,  les  Bouddhas 
semblent  avoir  un  caractère  encore  assez  honnête.  Mais 
n'oublions  pas  qu'ayant  été  soumis  aux  lois  de  la  purifica- 
tion et  de  la  transmigration  ils  ont  dû  nécessairement  pas- 
ser par  rétat  de  Lha  avant  de  devenir  Bouddha.  Or  les 
Lha's  étant,  de  l'aveu  des  auteurs  bouddhistes,  la  person- 
nification du  sensualisme  et  de  l'immoralité,  ne  mérite- 
raient-ils pas  d'être  expulsés  du  ciel  pour  renaître  dans  la 
classe  des  animaux  plutôt  que  d'être  élevés  à  la  dignité  de 
Bouddha  ? 

'2*^  Certains  auteurs  européens  ont  prétendu  qu'il  faut 
prendre  dans  un  sens  allégorique  les  expressions,  les  théo- 
ries, les  faits,  le  culte  des  idoles  qui  sont  trop  choquants 
à  notre  raison  et  sans  morale  ;  ils  prétendent  même  que 
les  esprits  d'élite  du  bouddhisme  l'interprètent  ainsi.  On 
vient  de  voir  dans  les  pages  précédentes  si  les  auteurs  et 
esprits  d'élite  du  bouddhisme  songeaient  au  sens  allégori- 
que. On  pourrait  soutenir  cette  théorie  s'il  ne  s'agissait 
que  de  rares  expressions  dont  le  vrai  sens  est  exphqué 
ailleurs,  elles  ne  manquent  pas  même  dans  certaines  lita- 
nies catholiques.  Mais  quand  du  commencement  à  la  fin, 
dans  les  théories  générales  aussi  bien  que  dans  les  détails 
et  les  faits,  tout  est  illogique,  incohérent  ou  futile,  sensuel 


208  LE  BOUDDHISME 

OU  immoral,  il  n'est  plus  possible  d'admettre  le  sens  allé- 
gorique, le  vice  est  dans  la  nature  même  des  choses. 
D'ailleurs  cette  théorie  du  sens  allégorique  ne  fut  adoptée 
que  par  un  très  petit  nombre  d'esprits  choisis  qui,  dans 
ces  derniers  temps,  ont  été  formés  au  contact  des  idées 
et  de  la  civilisation  européennes  imprégnées  de  christia- 
nisme. 

5°  Pour  pouvoir  faire  l'éloge  du  bouddhisme,  les  auteurs 
européens  se  sont  surtout  appliqués  à  faire  ressortir,  en 
les  exagérant,  les  beautés  de  sa  morale,  son  esprit  de  cha- 
rité universelle,  etc.  Sous  ce  point  de  vue  ils  ont  en  par- 
tie raison.  Moi-même,  dans  cette  revue,  j'ai  reconnu  que 
la  morale  de  Bouddha  est  la  moins  incomplète  et  la  plus 
pure  des  morales  formulées  par  les  hommes  fondateurs 
de  religion  parce  qu'elle  se  rapproche  le  plus  de  la  morale 
complète  du  christianisme  formulée  par  Dieu  même  ; 
qu'elle  lui  est  inflniment  inférieure  parce  qu'elle  ne  ren- 
ferme que  des  préceptes  négatifs  et  aucun  précepte  posi- 
tif sur  les  devoirs  envers  Dieu  et  ses  représentants  sur  la 
terre,  les  parents  et  les  dépositaires  de  l'autorité.  Pour  le 
moment  je  ne  ferai  qu'une  seule  réflexion.  Toute  morale 
n'est  que  le  dogme  mis  en  pratique.  Si  le  dogme  est  vrai, 
saint, divin,  la  morale  qui  en  découle  est  bonne, sanctifiante, 
surnaturehe.  Si  le  dogme  est  mauvais,  incohérent,  con- 
traire à  la  saine  raison  et  au  sens  moral,  la  morale  n6  sera 
plus  qu'une  agglomération  de  préceptes  sans  consistance, 
sans  autorité,  recommandant  peut-être  le  bien,  laissant 
toute  liberté  au  mal.  Tel  arbre  tel  fruit.  Un  mauvais  sau- 
vageon ne  peut  produire  de  bon  fruit  que  s'il  a  été  greffé. 
.Donc  si  la  morale  bouddhique  présente  à  la  vue  quelques 
bons  fruits  c'est  qu'elle  a  reçu  la  greffe  du  décalogue  juif 
et  chrétien,  thèse  dont  j'ai  montré  la  très  grande  probabi- 
lité dans  les  pages  de  cette  revue  en  1890.  Inutile  de  re- 
commencer la  démonstration.  Il  suffit  de  répéter  bien  haut 


LE   BOUDDHISME  ^209 

que  le  bouddhisme  n'ayant  pas  de  vertu  intrinsèque  pour 
rendre  ces  beaux  préceptes  praticables,  ni  de  sanction  pour 
les  rendre  obligatoires,  ils  sont  demeurés  lettre  morte 
dans  les  livres  et  n'ont  eu  aucune  influence  sur  la  morali- 
sation  et  civilisation  des  peuples  qui  ont  embrassé  le  boud- 
dhisme. 


A.  Desgodins. 

Provicaire  apostolique  du  Thibet. 


LE  BRAHMANISME 


'■i''  ailicle). 


Lorsqu'il  est  question  du  brahmanisme,  l'on  songe 
immédiatement  au  régime  des  castes,  devenu  en  quelque 
sorte  légendaire.  C'est  une  croyance  à  peu  prés  univer- 
sellement répandue,  que,  malgré  les  changements  que  le 
temps  a  forcément  introduits,  la  population  est  toujours 
divisée  en  quatre  classes,  décrites  par  le  code  de  Manou  : 
les  Brahmes,  les  Kchatryas,  les  Vaïcyas  et  les  Cou- 
dras, et  qu'en  dehors  de  ces  quatre  castes,  il  en  existe 
une,  formée  par  une  population  nombreuse,  celle  des 
Parias,  que  Ton  considère  comme  impure,  abjecte,  et  qui 
à  vrai  dire,  ne  compte  pas,  dans  la  société  brahmanique. 
Avoir  cette  opinion  sur  llnde,  telle  qu'elle  est  aujour- 
d'hui, c'est  s'abuser  étrangement.  L'on  ne  saurait  trop 
s'élever  contre  cette  erreur,  tellement  répandue,  qu'il 
semble  impossible  de  la  déraciner.  Cela  tient  à  ce  que 
les  Européens  ont  toujours  cru  que  tout  était  invariable 
dans  l'Inde  et  que  ce  pays  était  en  quelque  sorte  con- 
damné à  l'immobilité  la  plus  absolue.  Cette  opinion  a 
été  du  reste  encouragée  par  les  brahmes,  qui  aiment  à 
accréditer  que  l'organisation  de  la  société  hindoue  est 
éternelle,  et  par  conséquent  d'origine  divine.  Mais  disons- 
le  bien  haut,  afflrmons-le,  l'organisation,  donnée  parle 
code  de  Manou  au  monde  brahmanique,  n'existe  plus, 


LE  BRAHMANISME  211 

OU  pour  mieux  dire,  ce  qu'il  en  existe  aujourd'hui  se 
réduit  à  fort  peu  de  chose. 

A  l'heure  actuelle,  les  brahmes  seuls  ont  conservé 
leur  situation  exceptionelle  ;  quand  aux  autres  castes, 
telles  qu'elles  sont  décrites  par  Manou,  elles  ont  dis- 
paru. Les  castes  ne  sont  plus  maintenant  que  le  résultat 
des  professions  héréditaires,  ou  souvent  elles  indiquent 
une  origine  commune  de  race  ou  de  tribu.  L'Inde  est  ainsi 
divisée  en  un  grand  nombre  de  groupes  sociaux,  orga- 
nisés, indépendants,  et  séparés  les  uns  des  autres,  grou- 
pes commerciaux,  industriels  et  agricoles.  Dans  l'usage, 
l'on  emploie  ordinairement  le  mot  caste,  pour  désigner 
un  ensemble  de  pratiques  suivies  par  chacun  de  ces 
groupes.  Chaque  groupe,  en  règle  générale,  chaque 
genre  de  commerce,  chaque  profession,  chaque  associa- 
tion, chaque  tribu,  chaque  classe,  constitue  une  caste. 

L'Inde  se  subdivise  ainsi  en  sociétés,  plus  ou  moins 
importantes,  qui  vivent  juxtaposées  à  côté  les  unes  des 
autres,  en  menant  chacune  une  existence  particulière  et 
indépendante.  Ces  castes  sont  nombreuses.  Un  in- 
dianiste, M.  Kitts,  a  publié  un  livre  fort  curieux,  The 
compendimn  ob  the  castes  and  tribus  of  India  ;  il  a 
emprunté  la  plupart  de  ses  documents  au  recensement 
de  la  population  de  l'Inde  britannique,  qui  a  eu  lieu  en 
1881.  M.  Kitts  énumére  t. 929  castes  difiérentes.  Qua- 
rante-sept de  ces  castes  comptent  plus  d'un  million  de 
membres  chacune,  vingt  et  une,  plus  de  deux  millions, 
et  trois,  plus  de  dix  millions.  La  caste  la  plus  impor- 
tante, comme  nombre,  est  celle  des  Brahmes  qui  compte 
plus  de  quinze  millions  d'individus.  Viennent  ensuite  les 
Kumljis  ou  agriculteurs  avec  onze  millions,  les  Tchou- 
mars  ou  ouvriers  en  cuirs,  qui  dépassent  dix  millions, 
les  Radjépoutes  huit  à  neuf  millions,  les  Kourmis  ou 
petits  cultivateurs,  qui  sont  plus   de  quatre  millions, 


212  LE  BRAHMANISME 

les  Ahir  qui  élèvent  du  bétail  et  sont  quatre  millions 
et  demi  ;  les  Banians  (marchands  de  grains,  négo- 
ciants, banquiers),  avec  trois  millions  et  demi  ;  les 
Téis  (presseurs  d'huile,  vendeurs  d'huile),  avec  trois 
millions  ;  les  Naïrs  ou  barbiers  avec  deux  millions 
trois  cents  mille  ;  les  Koumhars  ou  potiers  avec  deux 
millions,  etc. 

Chacun  de  ces  groupes,  chacune  de  ces  sociétés  a  son 
administration,  ses  lois  et  ses  coutumes  ;  aucun  de  ses 
membres  ne  peut  se  marier  dans  une  caste  étrangère,  ni 
même  manger  en  compagnie  des  personnes  appartenant 
à«une  société  d'un  rang  inférieur.  Les  moindres  actes 
de  la  vie  sont  entourés  de  cérémonies  et  de  prescrip- 
tions, tendant  toujours  à  resserrer  les  liens  de  cet  escla- 
vage social.  L'homme  né  dans  une  corporation  de  métier 
ne  peut  choisir  une  autre  carrière,  sans  que  la  loi  reli- 
gieuse le  frappe  dans  ce  qu'il  a  de  plus  cher.  Sa  femme 
peut  l'abandonner  ;  ses  enfants  ne  le  reconnaissent  plus 
pour  père,  et  ses  biens  reviennent  à  la  caste.  Repentant, 
veut-il  rejoindre  les  frères  qu'il  a  quittés,  il  est  reçu  avec 
dureté,  doit  subir  toutes  les  humiliations,  et  il  ne  reprend 
sa  place  qu'après  avoir  apaisé  l'indignation  des  chefs  et 
des  prêtres,  par  de  fortes  amendes.  D'autre  part,  celui 
qui  reste  ûdèle  aux  lois  de  la  caste,  est  protégé,  soutenu  ; 
partout  où  il  va,  à  quelque  distance  du  foyer  qu'il  soit, 
il  trouve  un  toit  et  un  foyer  chez  un  de  ses  confrères. 
Absent  pendant  plusieurs  années,  il  retrouvera  le  champ 
de  ses  pères  intact,  et  sa  maison  telle  qu'il  l'avait  lais- 
sée. Cette  organisation  sociale,  quelque  inique  qu'elle 
nous  paraisse,  ne  manque  pas  de  certains  avantages. 
C'est  elle,  qui  a  rendu  possible  lavie  calme  et  tranquille 
que  mènent  les  hommes  de  caste  moyenne,  et  à  laquelle 
ils  sont  sincèrement  attachés  ;  mais  aussi  elle  a  fait 
disparaître   du   cœur  de  ces  hommes  tout  sentiment 


LE  BRAHMANISME  213 

d'indépendance  et  de  liberté.  Aussi,  il  est  résulté  que 
dans  l'Inde,  la  plus  grande  partie  du  peuple,  pourvu 
qu'on  lui  laisse  sa  caste  et  ses  privilèges,  est  restée  im- 
passible à  ce  qui  se  passait  autour  de  lui,  et  a  vu  avec 
indifférence  les  différents  envahisseurs  se  succéder  les 
uns  aux  autres,  et  se  disputer  la  prépondérance.  Peu 
lui  importe  que  le  conquérant  soit  Musulman,  Portugais, 
Hollandais,  Français,  Anglais  ou  Russe.  L'idée  de  pa- 
trie, l'indépendance  nationale  est  inconnue  dans  l'Inde, 
et  il  faut  principalement  en  attribuer  la  cause  au  régime 
des  castes. 

Les  brahmes  ayant  seuls  conservé  leur  situation,  en 
étant  restés  la  caste  telle  que  le  code  de  Manou  l'a  définie, 
l'on  peut  dire  qu'ils  réprésentent  encore  la  vieille  Inde 
Brahmanique  ;  ils  ont  scrupuleusement  conservé  la  prati- 
que des  anciens  rites,  trouvant  ainsi  le  moyen  de  se  séparer 
du  reste  de  la  population.  Le  prestige  dont  ils  jouissent 
est  à  peu  près  resté  le  même  qu'autrefois.  Tout  brahme 
est  entouré  d'une  vénération  que,  ni  la  pauvreté  la 
plus  abjecte,  ni  l'infamie  de  lexistence  privée  ne  peu- 
vent diminuer,  et  qui  dépasse  tout  ce  qu'on  peut  ima- 
giner. Quand  on  leur  parle,  on  emploie  les  termes  les 
plus  serviles,  les  mots  réservés  à  la  divinité  ;  l'on 
s'honore  de  leur  prodiguer  les  dons  ou  les  aumônes, 
et  l'on  implore  leur  bénédiction,  comme  une  grâce  ou 
une  faveur  ;  tous  ceux  qui  appartiennent  à  cette 
caste  privilégiée,  quelque  soit  leur  âge,  fussent-ils 
des  enfants,  sont  regardés  comme  des  êtres  sacrés. 
Aussi  les  brahmes  se  considèrent-ils  comme  infiniment 
au-dessus  du  reste  de  la  population,  et  dans  leurs  rap- 
ports avec  elle,  ils  usent  d'une  licence  qui  venant  de  tout 
autre,  serait  une  injure  mortelle.  Le  brahme  se  distingue 
facilement  des  autres  Hindous  ;  il  est  blanc,  ou  tout  au 
moins  basané,  a  le  front  haut,  développé,  la  face  ovale 


2\\  LE  BRAHMANISME 

les  yeux  horizontaux,  le  nez  saillant,  busqué;  son  profil, 
la  couleur  de  son  teint  indiquent  la  pure  descendance 
des  anciens  Aryas.  Dans  son  costume,  il  montre  sa  supé- 
riorité, par  certains  signes  extérieurs.  C'est  ainsi  qu'il  se 
rase  complètement  la  face  de  la  tête,  à  l'exception 
d'une  étroite  mèche  de  cheveux  qu'il  noue  avec  le  plus 
grand  soin. 

Les  divisions  que  nous  avons  signalées  chez  les  autres 
castes,  se  retrouvent  également  chez  les  brahmes. 
Si  nous  nous  en  rapportons  à  M.  Sherring,  qui  a  publié 
The  Hindou  tribus  and  castes,  il  y  a  quelques  années, 
l'on  compterait  plus  de  1800  subdivisions  brahmaniques. 
Mais  néanmoins,  ils  constituent  une  véritable  unité  ; 
tous  jouissent  de  la  quahté  commune  d'être  vénérés  par 
les  autres  castes.  C'est  bien  à  tort,  que  souvent  en  Eu- 
rope, l'on  considère  les  brahmes,  comme  formant  une 
classe  sacerdotale.  Rien  n'est  plus  inexact  à  l'heure 
actuelle  ;  les  bi'ahmes  nous  offrent  le  singulier  spectacle 
d'un  peuple  de  plus  de  quinze  millions  d'hommes,  vivant 
à  part  au  milieu  de  populations  qui  leur  sont  de  beau- 
coup supérieures  par  leur  nombre,  et  dont  le  gouverne- 
ment leur  a  échappé,  il  y  a  plus  de  dix  siècles.  Les  brah- 
mes se  sont  de  tout  temps  attribué  le  monopole  des 
fcmctions  sacerdotales.  Mais,  ils  sont  si  nombreux, 
qu'une  faible  partie  d'entre  eux  peut  seulement  y  être 
employée.  La  charité  dont  on  use  largement  à  leur 
égard  ne  peut  suffire  à  leur  entretien.  Aussi,  ils  s'adon- 
nent à  toute  sorte  de  métiers.  Ils  sont  cultivateurs,  mar- 
chands, domestiques  ou  soldats. 

En  1885,  dans  l'armée  indigène  du  Bengale,  qui  comp- 
tait .j9, 000  hommes,  il  y  avait  3,000  brahmes.  Dans  les 
régiments,  les  hommes  de  chaque  caste  et  de  chaque 
race,  sont  réunis  ensemble  par  compagnie.  C'est  ainsi 
qu'un  même  régiment  peut  avoir  deux  compagnies  de 


LK  r.RAHMANISMR  215 

braJimes,  deux  compagaies  de  musulmans,  doux  coui- 
pagie  de  sikhs,  etc.  Depuis  quelques  années, les  brahmes 
sont  surtout  employés  dans  les  services  publics  ;  à 
l'heure  actuelle,  ils  représentent  prés  de  40  pour  100  du 
personnel  administratif  de  l'Inde  britannique.  Le  fonc- 
tionarisme  envahit  la  vieille  caste  des  brahmes,  et  le 
gouvernement  anglais,  jusqu'à  présent,  n'a  eu  qu'à  se 
louerdes  fonctionnaires  qu'il  y  recru  te.  L'on  serait  tenté 
de  croire  que  les  bralîmes  regrettent  la  souveraineté 
politique  qu'ils  ont  autrefois  exercée,  et  qu'ils  aspirent 
à  la  reconquérir,  et  (ju'ils  pourraient  à  un  moment  donné 
causer  des  difficultés  aux  maîtres  de  l'Inde.  Il  n'en  est 
rien  ;ils  ont  depuis  longtemps  renoncé  à  jouer  un  rôle 
polilique,  et  le  prestige  dont  ils  jouissent  près  des  popu- 
lations, ainsi  que  par  le  passé,  suffit  à  leur  ambition. 

La  veille  caste  des  kchatryas,  qui  jadis  disputa  le 
pouvoir  aux  brahmes,  a  depuis  longtemps  disparu.  Il 
existe  bien  encore  une  caste  de  guerriers,  celle  des  radj- 
époutes,  quel'on  trouve  principalement  établie  dans  l'Inde 
occidentale,  et  qui  compte  plusieurs  millions  d'hommes. 
Mais  ce  serait  s'abuser  étrangement,  si  l'on  voulait  voir 
en  ses  représentants  les  descendants  des  kchatryas;  il  n'y 
a  rien  de  commun  entre  eux.  Les  radjépoutes  sont  des 
Djats,  et  d'origine  touranienne,  ainsi  que  leur  type  le 
démontre.  Ils  ont  les  yeux  petits,  les  pommettes  un  peu 
saillantes,  et  les  cheveux  noirs  et  lisses.  Le  mouvement 
aryen  les  trouva  à  l'ouest  de  ilndus  ;  ils  vivaient  à  cette 
époque,  divisés  en  tribus  indépendantes  les  unes  des 
autres.  Lors  de  l'invasion  musulmane,  les  Djats  résistè- 
rent vaillamment.  Néanmoins,  une  partie  d'entre  eux 
finit  par  embrasser  l'islamisme.  Les  groupes  du  IJad- 
jépoutanah  restèrent  fidèles  au  brahmanisme  (d'où  leur 
vient  le  nom,  sous  lequel  on  les  désigne  actuellement,  les 
radjépoutes).  Les  habitudes    guerrières  qu'ils  avaient 


216  LR  BRAHMANISME 

coutractéesdans  leurs  luttes  contre  les  disciples  du  Koran, 
les  amenèrent  à  jouer  un  rô[e  assez  actif.  Plusieurs  de 
leurs  chefs,  qui  prétendaient  remonter  aux  anciennes 
dynasties  de  l'Iade,  fondèrent  plusieurs  royaumes  ;  au- 
jourd'hui les  radjépoutes  ont  perdu  leur  ancienne  puis- 
sance. 

Les  états  auxquels  ils  ont  donné  naissance,  et  que 
les  Mahrattes  étaient,  au  siècle  dernier,  sur  le  point  de 
détruire,  n'ont  sauvé  leur  indépendance  que  grâce  à 
l'Angleterre,  et  ne  peuvent  plus  vivre  sans  son  protec- 
torat. Sir  Alfred  Lyall  a  donné  dans  son  livre  la  no- 
menclature des  états  du  Radjépoutanah  :  on  en  compte 
une  vingtaine  avec  près  de  douze  millionsd'habitants.  Les 
Anglais  ont  su  tirer  parti  des  qualités  belUqueuses  des 
radjépoutes,  et  à  l'heure  actuelle,  près  de  10,000  d'entre 
eux  servent  dans  les  troupes  indigènes,  et  jusqu'à  pré- 
sent, leur  fidélité  ne  laisse  rien  à  désirer. 

Il  serait  intéressant  de  faire  la  monographie  des  prin- 
cipales castes,  telles  qu'elles  existent  dans  l'Inde.  Mais 
cette  étude  nous  entraînerait  beaucoup  trop  loin.  Nous 
nous  bornerons  à  parler  des  banians,  qui  comprennent 
trois  millions  et  demi  d'individus.  Les  banians,  ou  pour 
mieux  dire  les  baniahs  appartiennent  à  une  tribu  du 
Goudjérat  (région  occidentale  de  l'Indej  ;  ils  parlent  une 
langue  nommée  le  Foudjérat,  et  par  leur  type,  indiquent 
qu'ils  descendent  de  la  race  tourannienne,  mélangée  avec 
des  peuplades  indigènes.  Ils  sont  pour  la  plupart  vi- 
chnouistes.  Les  banians  se  trouvent  principalement,  dans 
la  Présidence  de  Bombay  ;  néanmoins,  on  en  trouve  un 
certain  nombre  dans  le  pays  de  Madras.  Ils  s'adonnent 
au  commerce  et  y  montrent  des  qualités  réellement  su- 
périeures, si  bien  que  suivant  une  opinion  répandue  dans 
l'Extrême-Orient,  le  banian  peut  soutenir  la  concurrence 
du  Chinois,  et  est  assez  habile  pour  tromper  le  Juif.  Les 


Î.E  BRAHMANISME  217 

banians  forment  en  quelque  sorte  une  bourgeoisie  mar- 
chande, et  partout  où  ils  s'établissent,  ils  s'emparent  du 
négoce  et  Faccaparentà  leur  profit.  Ce  fut  avec  eux  que 
les  Européens  entrèrent  d'abord  en  rapport,  lors  de  leur 
arrivée  dans  l'Inde.  Ils  servirent  d'intermédiaires  avec  la 
population,  aux  Portugais,  aux  Hollandais,  aux  Anglais 
et  aux  Français.  Tout  naturellement  le  mot  banian  fut 
synonime  de  celui  de  marchand,  et  aujourd'hui  c'est  une 
opinion  encore  assez  accréditée.  Ainsi,  partout  ou  l'émi- 
gration indienne  s'est  portée,  en  Afrique  comme  en 
Amérique,  un  Hindou  qui  s'adonne  au  négoce,  qui  tient 
,  une  boutique,  est  nécessairement  un  banian,  et  désigné 
ainsi,  quoique  la  plupart  du  temps,  il  n'ait  rien  de  com- 
mun avec  cette  caste. 

Une  erreur  contre  laquelle  nous  ne  saurions  trop  nous 
élever  est  celle  des  Parias.  Il  existe,  à  ce  sujet,  en 
Europe  une  véritable  légende,  qui  s'est  tellement  accré- 
ditée, qu'elle  a  force  de  loi.  Il  n'existe  pas  de  caste  de 
parias.  Cette  expression  est  un  nom  général  sous  lequel 
les  Européens  englobent  à  tort  les  classes  hors  caste  de 
l'Inde,  et  qui  a  passé  dans  la  langue  pour  désigner  les 
opprimés.  Ce  nom,  ignoré  à  vrai  dire  des  Hindous,  est 
la  contraction  du  mot  pahariah,  qui  veut  dire  monta- 
gnards. Les  aborigènes,  rebelles  au  brahmanisme,  ayant 
été  refoulés  dans  les  montagnes,  les  Aryas,  conquérants 
du  pays,  les  assimilèrent  aux  vaincus,  placés  en  dehors  de 
la  hiérarchie  sociale.  Ces  Outlaws,  c'est  le  nom  qui  con- 
viendrait de  leur  donner,  plutôt  que  celui  de  parias,  sont 
divisées  en  plusieurs  classes  ou  en  plusieurs  peuplades, 
indépendantes  les  unes  des  autres,  et  diffèrent  souvent 
entre  elles  par  leurs  origines.  Les  plus  importantes 
sont  les  Nischadas,  qui  appartiennent  à  la  race  kous- 
chite  ;  les  Ambaschthas ,  les  Tchantas,  les  Ougras 
dans  le  Peccan,  les  Djhallas,  les  MoUas,  les  Nitchivis, 


218  LR  BRAIIMANISMi: 

les  Natas,  les  Kanaras,  les  Khaças  dans  la  région  que 
traverse  le  Gange  inférieur.  Toutes  ces  peuplades  appar- 
tiennent aux  anciennes  races  ou  jaunes  ou  noires,  mais 
sont  tant  soit  peu  mélangées  de  sang  aryen.  Dans  l'Inde 
centrale,  il  existe  une  tribu  assez  nombreuse,  celle  des 
Kalas,  qui  est  d'origine  mélanésienne,  ainsi  que  l'indique 
son  type  assez  accentué.  Les  hommes  de  cette  caste  vien- 
nent louer  leurs  services  dans  les  villes,  et  leur  nom  est 
devenu  sous  la  forme  coolies,  la  commune  appelation  des 
gens  de  peine,  des  travailleurs,  et  même  des  émigrants, 
de  même  que  chez  nous  les  noms  de  savoyards  el  d'au- 
vergnats, et  en  Espage  celui  de  galllego,  sont  presque 
devenus  synonymes  de  ramoneur,  de  porteur  d'eau,  d.e 
commissionnaire.  Aujourd'hui  le  nom  de  coolie  désigne 
forcément  un  émigrant  de  l'Inde,  se  rendant  dans  une 
colonie  européenne,  en  s'engageant  à  y  travailler  plu- 
sieurs années,  moyennant  certaines  conditions  réglées 
par  un  contrat. 

Parmi  les  castes  impures,  il  en  est  une,  celle  des 
Zing-ari,  dont  nous  croyons  devoir  dire  quelques  mots. 
Les  Zingari  descendent  des  Tchandalas  et  des  Çapa- 
kas  dont  le  code  de  Manou  parle,  en  leur  jetant,  en 
quelque  sorte,  l'anathème.  «  Leurs  demeures  »  dit-il, 
«  doivent  être  hors  du  village  ;  ils  ne  doivent  posséder 
pour  tout  bien  que  des  chiens  et  des  ânes  ;  qu'ils  aient 
pour  vêtements  les  hahits  des  morts  ;  pour  plats  des  pots 
brisés;  pour  parure,  du  fer;  qu'ils  aillent  sans  cesse  d'une 
place  aune  autre.  »  Les  Zingaris habitent  aujourd'hui 
principalement  dans  le  voisinage  des  Mahrattes  ;  mais 
on  en  trouve  dans  toute  Tlnde.  Leur  nombre  peut  s'es- 
timer à  douze  à  quinze  cents  mille,  sans  compter  les 
nombreux  essaims  qu'ils  ont  envoyés  dans  le  centre  de 
l'Asie,  en  Europe,  en  Afrique  et  même  dans  les  îles  de 
de  la  Sonde.  L'émigration  des  Zingaris,  hors  leur  pays 


].T.   BRAHMANISME  210 

remonte  à  une  époque  assez  reculée.  Hérodote,  au  V 
siècle  avant  J.-C.  connaissait,  au  nord  de  la  Thrace,  des 
représentants  de  cette  race  étrange,  qui  vivaient  de  ra- 
pines et  à  l'état  nomade.  Mais,  c'est  beaucoup  plus  tard 
que  les  Zingari  se  répandirent  dans  l'Europe  occi- 
dentale. Les  premiers  parurent  au  XI 11°  siècle.  Ce 
n'est  qu'à  la  suite  de  la  conquête  de  l'Inde  par  le  ter- 
rible Tamerlan,  qu'ils  se  montrèrent  en  grand  nombre. 
Ce  fut  un  véritable  exode  ;  après  avoir  sillonné  de  leurs 
colonies  errantes,  la  péninsule  des  Balkans,  la  Hongrie 
et  la  Pologne,  les  Zingari  arrivèrent  en  Suisse  en  1418, 
en  Italie,  en  1422,  en  France  en  1450,  en  Espagne  en 
'  147.  Aujourd'hui,  ils  forment  en  Europe  une  population 
valuée  à  près  d'un  million  d'individus,  et  portant  diffé- 
rents noms,  Bohémiens  en  France,  Egyptiens  en  An- 
gleterre, Caïrds  en  Ecosse,  Gitanes  en  Espagne,  Heï- 
denen  en  Hollande,  Fautes  en  Norwége,  Gyptoi  en 
Grèce,  Pharaohnepek  en  Hongrie,  Tziganes  en  Tran- 
sylvanie et  en  Roumanie.  L'on  en  compte  60,000  en 
Hongrie,  100,000  en  Transylvanie,  200,000  en  Rouma- 
nie, 50,000  en  Espagne.  On  les  retrouve  en  Perse  sous 
lo  nom  do  Luri,  en  Arabie  sous  celui  d'Arami,  au  Maroc 
sous  celui  de  Djerkanes.  Partout  où  ils  se  trouvent  les 
Zingari  ont  conservé  leurs  habitudes  nomades.  Le  vol 
est  en  quelque  sorte  leur  industrie.  Leurs  notions  reli- 
gieuses sont  à  près  nulles.  Malgré  leur  existence  vaga- 
bonde à  travers  l'Europe,  depuis  plusieurs  siècles,  ils  ont 
gardé  leur  langage,  leur  type  asiatique.  C'est  en  vain 
que  l'empereur  Joseph  II  et  les  sociétés  bibliques  de 
l'Angleterre  ont  voulu  les  assimiler.  Les  Zingari  sont 
restés  ennemis  des  institutions  et  des  mœurs  de  l'Eu- 
rope moderne. 

L'on  ne  sait  à  quelle  époque,  la  distinction  des  quatre 
'■astes  telles  que  les  spécifie  le  livre  de  Manou  a  disparu 


220  LR  BRAHMAiNlSME 

pour  faire  place  à  l'organisation  sociale  actuelle  ;  tout 
fait  supposer  que  cette  transformation  remonte  à  une 
haute  antiquité.  A  en  croire  les  brahmes,  les  kchatryas  au- 
raient cessé  d'exister  comme  caste  privilégiée,  il  y  plus  de 
vingt  siècles.  Le  géographe  Strabon,  qui  nous  parle  de 
l'Inde,  d'après  le  récit  de  Mégasthènes  (1),  nous  dit  que 
la  population  était  divisée  en  sept  classes,  les  philoso- 
phes, les  cultivateurs,  les  pâtres,  les  artisans,  les  guer- 
riers, leséphores  et  les  fonctionnaires.  La  division  étabhe 
par  Manou  n'existe  déjà  plus.  En  outre,  les  guerriers 
dont  Strabon  fait  mention,  ne  sont  plus,  à  en  juger  d'a- 
près leurs  mœurs,  les  anciens  kchatryas,  mais  des 
troupes  mercenaires,  des  soldats,  ayant  quelque  ana- 
logie avec  les  radjépoutes.  Ainsi,  l'on  peut  dire  qu'au  IIP 
siècle  avant  l'ère  chrétienne,  le  vieil  édifice  social,  créé 
par  Manou,  avait  cessé  d'exister.  Tout  nous  fait  supposer 
que  cette  quasi-révolution  a  du  s'accomplir,  lentement, 
successivement,  et  que  la  cause  en  est  due  principale- 
ment à  la  lutte  du  brahmanisme  et  du  boudhisme.  Nous 
ne  connaissons  que  vaguement  cette  lutte.  Néanmoins, 
nous  savons  qu'elle  a  duré  plusieurs  siècles,  qu'elle  a 
ensanglanté  la  péninsule  et  qu'elle  a  donné  lieu  à  une 
véritable  crise  sociale.  Aussi  il  ne  faut  s'étonner  si 
l'édifice  social,  élevé  parle  brahmanisme,  s'est  ressenti 
de  ces  secousses,  et  s'est  tant  soit  peu  modifié  dans  sa 
constitution. 

Si,  en  tant  qu'institution  sociale,  le  brahmanisme  s'est 
modifié,  tant  soit  peu  modifié,  transformé  dans  une  cer- 
taine mesure,  il  n'est  pas  resté  immuable,  dans  le  do- 
maine religieux.  Ce  serait  le  méconnaître,  que  de  lui 
donner  l'immutabilité  comme  caractère  principal.  Sans 
parler  de  la  fusion  qui  s'est  faite  entre  le  culte  de  Brahma, 

(1)  Mégasthènes  visita  l'Inde  au  IH<^  siècle  av.  J.-G. 


LE  BRAmiANISME  221 

le  vichnouisme  etleçivaïsme,  dès  la  plus  haute  antiquité, 
différentes  écoles  se  sont  fondées,  et  sont  entrées  en  lutte 
les  unes  contre  les  autres.  Les  commencements  delà 
spéculation  philosophique  remontent  chez  les  Aryas  de 
l'Inde,  aune  époque  fort  éloignée.  Plusieurs  des  hymnes 
du  Rigvêda  révèlent  déjà  une  méditation  d'une  grande 
puissance.  La  doctrine  fondamentete  du  brahmanisme 
était  une  doctrine  abstraite,  une  philosophie.  Mais  cette 
philosophie  était  fort  incomplète  ;  ses  lacunes,  l'obscu- 
rité de  ses  doctrines,  enveloppées  dans  les  voiles  du 
mythe,  et  souvent  susceptibles  de  plusieurs  interpréta- 
tions fort  différentes,  laissaient  un  champ  assez  vaste  à 
la  liberté  de  la  spéculation  métaphysique.  Du  reste,  le 
brahmanisme  a  toujours  accordé  la  plus  parfaite  tolé- 
rance aux  théories  philosophiques  les  plus  hardies,  tant 
qu'elles  restèrent  dans  le  domaine  purement  religieux, 
et  qu'elles  ne  touchèrent  pas  à  l'édifice  de  société  qu'il 
était  parvenu  à  construire.  Grâce  aux  travaux  dePorien- 
taUste  Colebrooke,  l'on  connaît  les  écoles  philosophiques 
de  rinde  antique.  On  en  distingue  six  principales,  ap- 
pelées par  les  Hindous  Darsanani  ou  théories.  Ce  sont 
d'après  la  classification  de  Colebrooke  :  1°  La  première 
école  Mlmânsâ,  dont  le  fondateur  serait  Djaïmini  :  2"  La 
seconde  école  Mîmànsà,  ou  Vèdanta,  dont  la  fondation 
est  attribuée  à  Veda-Vyàsa  ;  3"  L'école  Nyàya  ou  logi- 
que, de  Gotama  :  4°  L'école  Vaiçeschika,  ou  atomisti- 
que,  deKanada  ;  o"  L'école  Sànkhya  athéiste  de  Ka- 
pila;  6°  L'école  Sànkuya  déiste,  ou  yoga,  de  Palandjali. 
Toutes  ces  écoles,  quelque  soit  leur  esprit,  ont  les  deux 
mêmes  objets  :  P  résoudre  la  question  d'origine  du 
monde,  le  problème  de  l'existence  de  l'être  et  de  la  vie  ; 
2"  trouver  les  moyens  d'arriver  à  la  certitude  finale, 
c'est-à-dire  d'obtenir  l'exemption  de  toute  nouvelle 
transmigation  et  la  délivrance  de  toutes  les  douleurs, 


522  LE  BRAHMANISME 

qui  résultent  pour  l'homme  de  l'existence  corporelle.  La 
forme,  sous  laquelle  ces  écoles  ont  produit  leurs  doc- 
trines, est  toujours  la  même.  Ce  sont  des  aphorismes 
{soutras)  très  concis,  qui  ne  sont  intelligibles  que  pour 
ceux  qui  en  ont  la  clef,  et  demandent  des  commentaires. 
Après  les  commentaires  sont  venus  les  Karikas^  ou  vers 
commératifs,  qui  en  soixante  ou  quatre-vingt  distiques, 
renferment  tout  un  système.  Telle  est  la  forme  où  la 
philosophie  indienne  s'est  développée,  et  elle  a  toujours 
gardé  ce  mode  d'exposition,  comme  étant  le  seul  par 
lequel  elle  pouvait  se  faire  comprendre. 

Les  deux  premières  écoles,  connues  sous  le  nom  de 
Mîmànsà,  sont  profondément  soumises  à  l'orthodoxie 
brahmanique,  aux  Vèdas,  à  la  révélation.  Le  mot  Mi- 
mànsâ  signifie  étude,  spéculation.  La  première  école  à 
laquelle  on  reserve  plus  spécialement  l'application  de 
Mîmànsà  a  eu  pour  fondateur  Djaïmini,  personnage  assez 
mystérieux.  Sa  doctrine  est  contenue  dans  des  aphoris- 
mes, au  nombre  de  2652,  où  sont  traités  un  millier  de 
cas  de  conscience.  Le  devoir  est  étudié  sous  toutes  ses 
faces,  tels  que  les  livres  saints  llmposent.  Cette  école 
se  propose  avant  tout  d'interpréter  les  Vèdas,  de  les 
éclaircir,  de  les  prendre  comme  règle  unique.  C'est  en 
quelque  sorte  un  code  de  morale  religieuse,  une  casuis- 
tique ;  aussi  son  étude  est  infiniment  curieuse  sous  les 
rapports  des  mœurs  du  peuple  hindou.  L'autre  école 
orthodoxe,  que  Ton  appelle  aussi  Mîmànsà,  mais  plus 
spécialement  Vêdànta,  prétend  donner  la  véritable  théo- 
dicée  des  Védas.  Son  dogme  principal  est  que  Brahma 
est  la  cause  toute  puissante  de  l'existence,  de  la  conti- 
nuité et  de  la  dissolution  de  l'univers.  Les  âmes  indivi- 
duelles sont  des  fractions  de  sa  substance  ;  elles  s'en 
échappent,  comme  les  étincelles  de  la  fl^amme,  en  retour- 
nant à  lui.  L'âme  est  enfermée  dans  une  prison  ;  après 


LE  BRAHMAMISMB  2'1) 

une  succession  de  plusieurs  captivités,  c'est-à-dire  de 
diverses  transmigTatious,  elle  reçoit  la  délivrance  finale, 
qui  consiste  à  être  absorbée  dans  Brahma.  L'école  Vé- 
danta  étend  ses  recherches  aux  questions  de  la  liberté, 
de  la  gloire  divine  et  de  l'efficacité  des  œuvres.  Elle 
se  divise  sur  la  question  de  savoir  comment  l'univers  a 
été  créé.  Suivant  les  uns,  tout  ce  qui  existe  vient  de 
Brahma.  Suivant  les  autres,  rien  n'existe  que  Brahma, 
et  par  conséquent,  le  monde  créé  se  confond  avec  la 
divinité.  Cette  dernière  opinion  trouve  actuellement 
chez  les  brahmes  un  assez  grand  nombre  de  partisans. 
Nous  nous  bornerons  à  dire  quelques  mots  des  quatre 
autres  écoles.  L'école  Nyaya  se  concentre  dans  le  livre, 
ainsi  nommé,  que  l'on  attribue  à  Gotama  et  qui  signifie 
«  logique,  raisonnement».  Le  Xyaya  fournit  un  ensemble 
de  régies,  destinées  à  conduire  ou  à  simplifier  la  discus- 
sion. Suivant  Barthélémy  Saint-Hilaire,  il  a  eu  dans  le 
monde  indien,  la  même  fortune  que  V  or  g  anum  d'Aris- 
tote  s'est  faite  dans  le  monde  occidental.  Comme  lui,  le 
Nyaya  a  donné  naissance  à  de  nombreux  commentaires  ; 
il  a  dominé  et  servi  toutes  les  croyances  et  toutes  les 
sectes,  sans  porter  ombrage  à  aucune  d'elle.  L'école 
Vaiçeschika,  tout  en  voulant  se  fonder  sur  un  passage 
des  Védas,  se  sépare  de  l'orthodoxie  brahmanique  sur 
des  points  d'une  extrême  gravité.  Elle  réduit  Tensemble 
des  choses  à  six  grandes  catégories  ou  classes,  à  l'aide 
desquelles,  elle  veut  expliquer  le  monde.  Pour  cette 
école,  le  monde  est  passager,  composé  d'agrégations 
d'atomes  éternels.  Mais,  elle  ne  s'occupe  pas  de  savoir 
si  les  agrégations  temporaires  dépendent  des  affinités 
naturelles  aux  atomes,  ou  de  la  puissance  créatrice  d'un 
Etre  divin,  distinct  de  la  nature.  Les  deux  écoles 
Sànkhya,  quoique  différentes  entre  elles,  ont  un 
point  commun.  Elles  partent  toutes  les  deux  d'un  système 


224  LE  BRAHMANISME 

• 

de  philosophie,  qui  prétend  mener  l'homme  à  la  béatitude 
éternelle,  avec  la  certitude  d'un  calcul  mathématique, 
et  l'y  mener  exclusivement  par  la  science.  Il  y  a  trois 
sources  de  connaissance,  la  perception,  Tinduction  et  le 
témoignage.  La  nature  est  au-dessous  de  tout  ;  c'est  la 
matière  éternelle,  productrice  et  non  produite.  L'àme 
n'est  en  quelque  sorte  qu'une  superfluité.  Ce  système 
était  l'indépendance  la  plus  absolue.  L'école  de  Kapila, 
le  poussant  jusqu'à  ses  dernières  limites,  arriva  à  l'athéis- 
me. L'école  Yoga,  dont  les  doctrines  sont  résumées  dans 
un  livre  appelé  PatondjaU,  admet  la  divinité,  mais,  comme 
elle  enseigne  à  ses  disciples  que  la  méditation  doit  être  le 
but  principal  de  la  vie,  elle  est  arrivée  au  mysticisme 
le  plus  complet,  qui  trop  souvent  se  traduit,  par  des  actes, 
dont  le  fanatisme  dépasse  tout  ce  qu'on  peut  imaginer. 

Lorsqu'on  étudie  les  différentes  écoles  qui  ont  brillé 
dans  l'Inde,  il  est  impossible  de  ne  pas  remarquer  le 
rapport  qui  existe  entre  leurs  philosophes  et  les  premiers 
philosophes  de  l'ancienne  Grèce.  La  ressemblance  des 
doctrines  professées  dans  des  pays  si  différents  et  si 
éloignés,  ne  laisse  pas  d'étonner  et  de  surprendre.  La 
cause  première,  la  relation  de  l'esprit  à.  la  matière,  la 
destinée  future,  l'existence  individuelle  de  l'Etre  su- 
prême ou  son  existence  collective  avec  la  nature,  l'ori- 
gine des  âmes,  les  atomes,  les  révolutions  périodiques 
des  mondes  ont  donné  lieu  à  des  discussions,  dans  le  bassin 
du  Gange,  tout  aussi  bien  que  sur  les  rivages  de  l'Attique 
et  sous  le  beau  ciel  de  l'Ionie.  Mais  n'oublions  pas  que  la 
cité  sainte  du  brahmanismo  retentisssait  de  controverses 
animées,  qui  donnaient  lieu  à  de  véritables  luttes,  alors 
que  la  Grèce  naissait  à  peine  à  la  vie,  et  que  les  premiers 
éléments  de  civilisation  y  étaient  encore  inconnus. 

Telle  était  sous  l'influence  toute  puissante  du  brahma- 
nisme, l'état  religieux  de  l'Inde.  Les  brahmes  n'avaient 


I.K    HKAHMANISMK  225 

pas  tort  de  dire  que  le  inonde  était  un  abîme  de  maux 
et  de  souffrances.  Pour  comble,  l'on  ne  voyait  pas 
comment  Ton  pourrait  s'affranchir  de  tous  ces  maux, 
même  par  la  mort^  puisque  Phomme  se  croyait  condamné 
à  renaître  sans  cesse  d'une  vie  nouvelle,  c'est  à-dire  àdes 
souffrances,  à  des  tortures  nouvelles.  La  perspectivede  cet 
avenir  désespérant,  pesait  durement  sur  un  peuple  acca- 
blé déjà  par  l'oppression  du  système  des  Castes  et  par  un 
doubledespotismepolitiqueetreligieux.Tandisquetousles 
autres  peuples  redoutent  la  mort  commele  plus  grand  de 
tous  les  maux,  souhaitent  de  vivre  longtemps,  s'ingé- 
nient à  se  démontrer  l'existence  d'une  autre  vie,  Tim- 
mortalité  de  Pâme,  les  indous  avaient  depuis  longtemps 
renoncé  au  désir,  si  vivement  exprimé  dans  les  hymmes 
du  Rig-Véda,  «  de  vivre  encore  cent  longs  hivers  »  ;  ils 
ne  croyaient  plus  au  ciel  lumineux  d'Yama;  ils  étaient 
au  contraire  tourmentés  par  la  crainte  de  ne  pouvoir  ja- 
mais mourir,  d'être  condamnés  à  vivre  éternellement. 
L'existence  d'une  vie  nouvelle,  après  la  mort,  de  re- 
naissances à  l'infini,  les  remplissait  de  terreur.  Dans 
leur  désespoir,  ils  n'avaient  plus  qu'une  seule  aspiration, 
se  réfugier  dans  le  sein  du  néant,  afin  d'échapper  à  la 
chaîne  fatale  des  existences  successives.  Une  telle  situa- 
tion ne  pouvait  se  prolonger,  une  réaction  devait  néces- 
sairement se  produire  contre  le  brahmanisme,  d'autant 
plus  que  son  système  commençait  à  se  décomposer  par 
une  action  intérieure.  Les  discussions  des  différentes 
écoles  avaient  trouvé  de  l'écho.  L'école  Sankhya  de  Ka- 
pila,  qui  prêchait  l'athéisme,  comptait  de  nombreux 
partisans.  L'orthodoxie  était  menacée,  l'édifice  social  et 
politique  attaqué.  Les  temps  étaient  mûrs  pour  une 
révolution  religieuse. 

H.  Castonnet  des  Fosses, 
(A  suivre)  Vicc-Presidenl  de  la  Snciélé  de  géographie  commerciale  de  Paris. 


UNE   EPOPEE    BABYLONIENNE 


IS-TU-BAR    —    GILGAMÈS 


Sixième    arliclo, 


ETUDE  SUR  LE  CARACTERE  ET  L'ACE  DU  POEME 

CARACTÈRE8    GÉNÉRAUX 

Une  telle  œuvre  nous  frappe,  au  premier  aspect,  par 
son  air  d'étrangeté.  Tout,  en  effet,  dans  ce  poème  est 
particulier  :  l'action,  la  scène  et  les  personnages.  L'ac- 
tion se  déroule  en  un  large  tableau  disposé  sur  deux 
plans.  Au  premier  plan,  une  latte  de  héros  contre  des 
monstres  et  des  animaux  fabuleux  ;  au  second  plan,  un 
voyage  à  travers  l'inconnu,  à  la  poursuite  de  l'immor- 
talité —  une  merveilleuse  Odyssée  faisant  suite  à  une 
Iliade  gigantesque.  La  scène  est  proportionnée  à  l'ac- 
tion. D'abord  assez  restreinte,  tout  d'un  coup  elle  s'a- 
grandit, au  point  de  devenir  aussi  vaste  que  l'univers. 
Elle  se  passe,  on  partie  à  Uruk  et  dans  la  basse  Chal- 
dëe,  autour  d'une  source,  sur  la  montagne  de  cèdres, 
le  long  de  l'Euphrate  ;  en  partie  au  juilieu  de  contrées 
mystérieuses,  dans  la  région  de  la  nuit,  aux  por- 
tes du  soleil,  parmi  des  jardins  enchantés,  au  bord  de 
l'Océan  et  des  eaux  de  la  mort,  à  la  bouche  des  fleuves, 
au  sein  des  enfers.  Dans  ce  cadre  s'agitent  des  person- 


ÎS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  227 

nages   surhumains  :  Gilgamès,  le   héros  puissant,  le 
monstre  Eabani,  le  géant  redoutable  Humbaba,  le  tau- 
reau divin,  les  hommes-scorpions,  la  déesse  Sabit,  reine 
de  la  mer,  le  pilote  Amel-Ea,  Samas-napistim   et  sa 
femme,  un  couple  immortel,  et,  derrière  ces  personnages, 
les  faisant  mouvoir  par  des  ressorts  cachés,  la  légion 
des  dieux  propices  ou  hostiles,  Anu,  Samas.  Bel,  Ea, 
Nergal,  Istar...  On  se  sent  vraiment  tout  dépaysé,  au 
cours  d'incidents  aussi  extraordinaires,  devant  ce  défilé 
de  figures  bizarres  ou  de  surnaturelles  apparitions,  pro- 
jetées sur  un  mobile  décor,  aux  perspectives  infinies.  On 
a  même  quelque  peine  à  s'y  reconnaître  d'abord  ;  l'œil, 
offusqué  par  la  nouveauté  des  objets,  dérouté  par  de 
perpétuels  changements  à  vue,  ne  s'y  fait  qu'à  la  longue 
et  par  l'eiiet  d'une  lente  accommodation.  A  l'issue  du  spec- 
tacle, rimpression  très  nette  est  que  l'on  vient  de  tra- 
verser un  monde  de  féerie. 

Ainsi  se  trouve  résolu  du  premier  coup,  en  ce  qui  con- 
cerne notre  poème,  le  problème  critique,  parfois  si  em- 
barrassant, qui  s'impose  au  début  de  toute  étude  sur  les 
épopées  primitives,  touchant  la  réalité  des  événements 
qui  en  forment  la  trame.  Fiction  ou  histoire  ?  Une  telle 
question  ici  paraîtrait  naïve.  Au  sortir  d'une  féerie,  il 
n'y  a  que  des  enfants  pour  demander  si  cela  est  arrivé. 
Nul  doute  que  nous  ne  soyons  ici  en  plein  dans  le 
domaine  du  merveilleux.  L'épopée  de  Gilgamès  est  une 
épopée  essentiellement  mythique. 

Mais  l'esprit,  en  ses  créations  les  plus  libres,  em- 
prunte ses  éléments  à  la  réalité,  à  ses  sensations,  à  ses 
souvenirs.  Une  analyse  minutieuse  et  subtile  parvien- 
drait, sans  doute,  à  dégager  les  éléments  réels  dont  se 
compose  cette  fantaisie,  à  démêler  les  images  vécues 
dont  est  fait  ce  rêve. 

Tout  d'abord,  nous  rencontrons  ici  et  là,  engagés  dans 


2;^8  is-Tu-B.\R  —  r.n.GAMÈs 

les  diverses  parties  du  poème,  des  éléments  d'un  sys- 
tème cosmique  dès  longtemps  disparu.  En  essayant  de 
le  reconstituer  d  ensemble,  à  l'aide  de  tels  fragments,  on 
reconnaît  sans  peine  que  l'univers,  d'après  la  vieille 
conception  chaldéenne,  comprenait,  de  haut  en  bas, 
quatre  parties  :  le  ciel,  la  terre,  les  enfers  et  l'abîme. 

Le  ciel  (1)  était  conçu  comme  une  voûte  solide,  dont  le 
sommet  c  le  ciel  d'Anu  »  se  trouve  jeté  à  une  grande 
hauteur  dans  l'espace  et  dont  la  base  confine  aux  extré- 
mités de  la  terre.  Le  long  de  cette  voûte  circulent,  sui- 
vant des  routes  tracées,  les  étoiles  et  le  soleil.  On  le 
divisait  idéalement  en  quatre  régions,  dont  la  direction 
est  marquée  par  les  vents  cardinaux.  Des  deux  côtés 
opposés  de  l'horizon,  à  l'Orient  et  à  l'Occident,  formant 
le  trait-d'union  entre  le  monde  supérieur  et  le  monde  infé- 
rieur, se  dressent  les  monts  Masu,  percés  d'une  grande 
porte,  par  où  se  lève  et  se  couche  le  soleil  —  une  sorte 
d'Atlas  dédoublé,  reposant  sur  les  fondements  de  la  terre 
et  supportant  la  coupole  du  ciel. 

La  terre  (2),  continent  et  mers,  de  forme  circulaire,  était 
représentée  comme  une  immense  montagne   entourée 


(1)  Le  ciel:  II,  II,  19;  II,  III,  3,  30;  II,  V,  27;  III,  Ilf,  15  ;  III, 

IV,  28  ;  IV,  (?),  15;  VI,  81  (Cf.  ibid.  82-83)  ;  IX,  I,  8;  IX,  II,  1-2, 
.{,  4-5,  6,  9  ;  IX,  III,  9,  12-14  ;  IX,  IV,  40,  41,  43,  4G  ;  IX,  V,  38, 
45  ;  X,  VI,  31  ;  XI,  98,  106,  113,  115,  156  ;  (?),  (?)  f,  19. 

(2)  La  terre  :  IV,  (?)  c,  15  ;  IX,  I,  8  ;  IX,  II,  1-2,  3,  4-5.  6,  9,   19, 
21  ;  IX,  III,  9,  10,  11,  12-14,  20  ;  IX,  IV,  40,  41,  43,  46.  47-50  ;  IX, 

V,  23-40,  44,  45,  46-51  ;  IX,  VI,  24-29,  32,  36  ;  X,  I,  1-2,  9,  15-16, 
21-22  ;  X,  II,  16-17,  18-19,  21-24,  25-27,  31,34,  42,  i5,  47;  X,  III, 
5.  33-34,  35,  41,  45,  49,  50  ;  X,  IV,  3;  X,  V,  25,  26,  27,  34  ;  XI,  41, 
42,  101,  105,  108,  110,  124,  132,  133,  135,  139,  192,  194,  204-205, 
216-217,  245-247  (Cf.  ibid.  248-253),  256,  260-2()l,  265,  269-270, 
278,  300-303,  314,  tMO,  317,  318-320  ;  Xll,  I,  18,  23  ;  XII,  II,  23  ; 
XII,  m,  23,  27;  XII,  IV,  2,  4;  (?),  (?)  b,  24  ;  (?),  (?)  f,  19  ;  (?),  (?)  1, 
11.  — Un  fragment  géographique,  publié  par  F.  E.  Peiser  [Zeits.  /. 
Assijr.  1889,  p.  361-370),  nous  a  conservé  une  construction  gra- 
jibiquc  de  la  terre,  lelle  que  l'avaient  imaginée  les  Chaldéens,  une 
sorle  (le  mappemonde,  di'essée  par  un  scribe  babylonien  d'après  un 


JS-TU-llAR  —  (iir.riAMKS  220 

par  rOcéau.  De  même  que  le  ciel,  ou  la  divisait  en  quatre 
régions,  suivant  la  direction  même  des  points  cardinaux. 
A  son  extrême  limite,  à  l'Orient  et  à  l'Occident,  s'élè- 
vent les  monts  Masu,  qui,  par  leur  grande  porte,  livrent 
passage  au  soleil,  ces  monts  fameux,  dont  la  cime  atteint 
le  ciel  et  dont  le  pied  touche  aux  enfers.  Au-delà  des 
monts  Masu,  s'étend  la  région  des  ténèbres,  si  vaste 
qu  il  ne  faut  pas  moins  de  vingt-quatre  heures  pour  la 
parcourir  dans  le  sens  de  sa  longueur.  La  région  des 
ténèbres  aboutit  eHe-même  aux~jardins  enchantés,  où, 
après  une  longue  éclipse,  réapparaît  le  soleil,  et  à  la 
mer,  le  grand  fleuve.  Ces  terres  mystérieuses  étaient 
comme  Valtima  Thule  des  anciens  Chaldéens.  Du  ri- 
vage, en  suivant  le  chemin  du  soleil,  c'est-à-dire  en 
s'engageant  dans  la  mer  souterraine  (1),  on  parvient 
à  l'île  de  Samas-napistim,  située  au  loin,  à  la  bouche 
des  fleuves,  après  une  navigation  de  trente-cinq  jours, 
—  (jilgamès  accompagné  du  pilote  Amel-Ea  l'accomplit 
en  trois  jours,  —  à  travers  l'Océan  et  les  eaux  de  la 
mort.  De  cette  île  au  puits  des  eaux  jaillissantes,  la  dis- 
tance est  d'environ  soixante  heures,  la  même  à  peu  près 
que  celle  qui  sépare  Uruk  de  la  mer. 
A  l'intérieur  de  la  terre,  se  place  la  région  des  enfers(2). 

original  ancien  et  accompagnée  d'une  légende  explicative.  On  la 
dirait  faite  exprès  pour  servir  d'illustration  au  poème  de  Gilgamès. 
Le  tracé,  dans  ses  lignes  principales,  correspond  assez  bien  à  notre 
descriplion.  Au  cours  de  la  légende,  d'ailleurs,  se  trouvent  mention- 
nés la  tei-re  avec  ses  quatre  régions  {kibrdli  irbltii),  l'endroit  où  le 
soleil  devient  invisible  {a<av  an-pav  nu  idi-lal)  et  le  fleuve  Océan 
{a-glir  rnarralu). 

(1)  Ceci  résulte,  du  seul  rapprochement  des  textes  relatifs  à  l'iti- 
néraire de  Gilgamès,  ainsi  que  de  la  comparaison  de  ces  textes  avec 
les  autres  documents  babyloniens.  Cf.  en  particulier  Vllijmne  au 
Soleil,  publié  et  tr.iduit  par  R.  E.  Priinnow  dans  Zeiis.  /'.  Asaijr. 
1889,  p.  1  et  suiv.  Nous  com[ttons  revenir  ailleurs  sur  ce  sujet  et  en 
fournir  une  [)reuvc  complète. 

(•>)  Les  enfers:  IX,  II,  4-o;  X,  11.  I',-.  X,  III.  M  ;  X,  V,  2?;  XII,  I. 
l'8-31-,  XU,  II,  19-22,  23,  'A,  2.j,  20;  Xli,  111,  1,  2,  3,  'i,  8,  U,  iU, 


230  IS-TU-BAR  —  PrlLGAMÈS 

C'est  là  proprement  l'Aral,  auquel  on  donnait  encore 
divers  autres  noms.  Tantôt,  en  effet,  il  était  pris  pour  la 
terre  elle-même,  tantôt,  il  était  désigné  comme  le  pays 
des  ténèbres,  le  séjour  des  ombres  [sulu).  le  sheol  des 
Hébreux.  On  se  le  figurait  bâti  à  la  façon  d'une  forte 
citadelle  ou  d'une  vaste  prison,  fermée  de  toutes  parts  à 
la  lumière,  éternellement  plongée  dans  la  nuit.  Situé 
dans  le  voisinage  des  eaux  de  la  mort,  l'Aral  semble  bien 
avoir  communiqué,  par  quelque  endroit,  avec  l'abîme  et 
le  puits  aux  eaux  jaillissantes. 

Au-dessous  de  l'Aral,  avec  lequel  il  est  relié  par  des 
couloirs  secrets,  s'étend  l'abîme  (1) ,  qui  ne  paraît  pas  dis- 
tinct et  du  puits  aux  eaux  jaillissantes  et  de  la  bouche 
des  fleuves. 

Tel  nous  apparaît,  d'après  la  vieille  conception  chal- 
déenne,  l'univers  pris  dans  son  ensemble  :  une  immense 
montagne  creuse,  reposant  sur  l'abîme,  surmontée  d'un 
pavillon  étoile,  où,  de  l'Orient  à  l'Occident,  chemine  le 
soleil.  Qu'on  imagine  un  vaste  édifice  comprenant,  au 
rez-de-chaussée,  une  salle  spacieuse  unique  bien  percée, 
au  sous-sol.  une  cave  obscure,  assis  sur  des  fondements, 
qui  plongeraient  jusque  dans  les  eaux  inférieures  et  ter- 
miné par  un  dôme,  qui  irait  se  perdre  dans  les  nues. 
C'est,  démesurément  agrandie,  une  reproduction  exacte 
de  l'habitation  des  riverains  de  l'Euphrate  et  du  Tigre 
ou  de  la  tente  des  nomades,  telles  qu'elles  sont  repré- 
sentées dans  les  antiques  bas-reliefs.  Conception  primi- 


11,  17,  18,  19,  23,  27;  Xn,lV,2,  4;  XII,  VI,  S;  XII,  (?)  a,  8;  XII,  (?) 
Il,  29,  ;{2,  3o.  40,  44,  4;),  4G,  47. 

(1)  L'abîme  :  II,  I,  i,  7;  VI,  214;  IX,  VI,  38;  X.  VI,  42;  XI.  204- 
20o,  290,  300-308,  314,  330;  XII,  I,  28-31;  XII,  II,  19-22;  XII.  (?) 
b,  40,  44,  43.  —  Sui'  la  communication  des  enfers  avec  l'abîme  : 
X,  II,  25-27.  42;  X,  III,  oO;  X,  IV,  3;  XI,  204-203,  245-247  (Cf. 
ibid.  248-253),  290.  .300-303  :  XII,  I.  28-31  ;  XII,  II,  19-22;  XII,  (?) 
h,  'lO.  44,  45. 


1>   TU-BAR  — GILCtAMÈS  231 

tive,  toute  fondée  sur  ce  système  d'apparence,  où  les 
choses  sont  ce  qu'on  les  aperçoit  ;  conception  enfantine, 
qui  rapetisse  les  choses  à  notre  courte  vue,  échafaude 
l'infini  entre  quatre  piliers  et  construit  l'univers  à  l'image 
de  nos  taupinières. 

Parmi  ces  éléments  cosmographiques,  on  a  cru  démê- 
ler des  fragments,  faisant  partie  d'un  ancien  système 
astronomique.  Dés  l'abord,  en  effet,  la  relation  a  paru 
frappante,  entre  le  cycle  des  aventures  de  Gilgamès  et 
les  vicissitudes  du  soleil  dans  sa  révolution  annuelle. 
Ainsi,  n'a-t-onpas  hésité  à  affirmer,  que  le  héros  de  cette 
épopée  était  une  personnification  solaire  et  que  les  douze 
tablettes,  dont  se  compose  sa  légende,  correspondaient 
anx  douze  mois  de  Tannée  et  aux  douze  signes  du  zo- 
diaque (i). 

H.  C.  RawHnson  a  le  premier  émis  une  telle  opi- 
nion (2).  D'après  ce  savant,  la  victoire  sur  le  taureau 
ailé  doit  se  rapporter,  à  la  fois,  à  la  deuxième  tablette  et 
nu  signe  zodiacal  du  Taureau.  De  même,  la  sixième  ta- 
blette, où  il  est  question  d'Istar,  représente  le  mois 
plat-é  sous  le  signe  de  la  Merge  et  spécialement  con- 
sacré à  Vénus.  Sur  l'identilication  de  la  dixième  tablette 
avec  le  dixième  mois,  il  subsiste  encore  des  doutes,  à 
cause  de  Tobscurité  même  du  nom  attribué  à  ce  mois  par 
les  Babyloniens.  Mais,  comme  les  divinités  Pap-Suked 
et  Mamit,  auxquelles  il  était  consacré,  sont  regardées 
comme  les  arbitres  de  la  vie  et  de  la  mort,  qui  forment 


(1)  II.  c.  Rawlinson  :  ïhe  Athcnœum,  7  décembre  1872. 

(2)  Dans  l'oxposé  des  opinions  des  divers  savants  à  ce  sujet,  nous 
nous  sommes  attachés  à  reproduire  exactement  leur  pensée.  Même, 
nous  avons  poussé  le  scrupule,  jusqu'à  respecter  la  prononciation 
etl'orlhographe  attribuées  aux  noms  [iropres  par  ces  auteurs:  Ainsi, 
qu'on  ne  s'étonne  point  de  trouver  ici  des  lectures  aujourd'hui  dé- 
modées, comme  Pap  suked,  Our-lianschil,  ou  des  transcriptions  dif- 
férentes du  même  mot.  comme  Izlahar,  hdhubar,  Gilgamùs. 


2'Sd^  IS-TU-JiAI',  —  OIUÎAMKS 

l'objet  principal  de  la  dixième  tablette,  il  est  à  présumer 
que,  dans  la  pensée  des  Babyloniens,  l'idée  de  mort  avait 
été  aanocÀéd  avec  le  solstice  d'hiver  et  le  signe  du  Capri- 
c^jrne.  Quant  â  la  dernière  tablette,  qui,  probablement,  se 
t/irminait  par  la  mort  d'Izdubar  et  préludait  à  sa  renais- 
sance pour  l'année  qui  allait  s'ouvrir,  elle  était  dans  une 
œnnexion  étroite  avec  le  dernier  mois,  dont  le  nom 
babylonien  rappelle  Pépoque  de  la  moisson  ou  de  la  fin 
de  UmUi  végétation. 

Ces  vues  ont  été  repri8<'îs  et  largement  développées 
par  A.  H,  Sayœ  et  Fr.  Lenormant  (Ij.  Voici,  dans  leur 
expression  définitive,  les  c^>ncl usions  de  c/t  dernier  sa- 
vant, qui  résument  et  empiètent  les  résultats  de  tous  les 
travaux  antérieurs. 

La  première  tablette.'  manque.  Dans  la  deuxième  ta- 
blette.', Is^Jhubar  envoie  quérir Ka-bani,  moitié  homme  et 
moitié  taureau,  c'est  à  savoir,  dans  «  la  mois  du  taureau 
propice,  »  présidé  pai-  ÏVà.,  le  créateur  d'un  tel  rijoustre. 
La  troisième  tablette,  où  nous  voyons  i-^a-bani,  séduit  par 
Scham'hat  et  'Harirnat,  se  rendre  à  Uruk  et  lier  amitié 
aver;  Is^lhubar,  demeure  sans  explication,  l);ins  la  qua- 
trième tablette,  Isdhubar  entrant  en  campagne  contre 
'Houmbaba,  se  révèle  comme  un  véritable  Hercule,  pré- 
cisément dans  le  mois  consacré  à  Adar,  l'Hercule  cbal- 
riéo- assyrien.  Dans  la  cinquième  tablette,  Isdhubar,  qui 
n'est  autre  chose  qu'une  forme  du  dieu  Feu,  triomphe  de 
'Houmbîiha,  c'est  à  savoir,  au  mois  du  l'eu,  sous  le  si- 
gne du  lion  terrassant  le  taureau,  expression  symbolique 
de  la  victoirr;  de  la  lumière  sur  les  ténèbres.  La  sixièm(! 
tahk-K/',  dans  laquelle  Jschtfir  se  propose  elle  même  en 

(1;  A,  H,  Say«j«'  :  liahijl/mian  U te i alun'.,  p.  27  «-i  huiv.;  Vv.  Iamioi- 
inaul  ;  Len-prerniereg  ciiUimtionH,  l.  Il,  )».  <}7-Sl  ;  heu  Oriyinex  de 
Vhhtinre,  t.  I,  )>.  :2?H  ^'i\  ;  lliHloire  aw if'nne  den  peu//leH  de  l'Uriml, 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  233 

mariage  à  Isdhubar,  et,  se  voyant  refusée,  de  dépit,  exige 
d'Anou,  son  père,  la  création  du  taureau  di/in,  lequel 
finit  par  être  terrassé,  correspond  exactement  au  «  mois 
du  message  d'Ischtar  »  et  marque,  par  le  triomphe  du 
héros  sur  le  monstre,  le  moment  de  plénitude  de  sa 
force.  Dans  la  septième  tablette,  Isdhubar  tombe  ma- 
lade et  est  privé  de  son  ami,  juste  dans  le  mois  qui  suit 
l'équinoxe  d^automne,  où  le  soleil  se  trouve  déjà  sur  son 
déclin.  Dans  la  huitième  tablette,  Isdhubar  parti  à  la 
recherche  de  'Hasisatra,  pour  obtenir  sa  guérison  et  le 
secret  de  la  vie,  rencontre  les  deux  hommes-scorpions 
sous  le  signe  même  du  Scorpion.  La  neuvième  tablette, 
oi^i  se  trouve  racontée  la  navigation  d'Isdhubar,  dans  la 
barque  d'Our-'hanschâ,  à  travers  l'Océan  et  les  eaux  de 
la  mort,  est  en  rapport  avec  le  solstice  d'hiver  et  la  fin 
du  mois  placé  sous  la  garde  de  Nergal,  le  dieu  de  la  mort. 
C'est  dans  la  dixième  tablette  et  au  mois  «  de  la  ca- 
verne, »  qu'Isdhubar  parvient  à  l'embouchure  des  fleu- 
ves, dans  l'endroit  secret  qu'habite  'Hasisatra.  Les  récits 
du  déluge  et  de  la  guérison  d'Isdhubar  prennent  place 
dans  la  onzième  tablette,  parce  que  le  onzième  mois  est 
celui  du  signe  du  verseau,  et,  qu'à  partir  de  ce  moment, 
le  soleil  reprend  sa  marche  ascendante.  Enfin,  dans  la 
douzième  tablette,  Pombre  d'Éa-bani  arrachée  aux  en- 
fers, est  transportée  parmi  les  dieux,  c'est  à  savoir,  dans 
le  mois  delà  constellation  des  deux  poissons  d'Èa,  qui 
symbolisent  la  résurrection. 

Nous  reconnaîtrions  sans  peine,  avec  Fr.  Lenormant, 
que  «  toutes  ces  coïncidences,  qui  s'enchaînent  si  régu- 
lièrement, ne  sauraient  être  fortuites,  »  si,  on  réaUté, 
elles  étaient  toutes  également  fondées.  Mais,  tant  à 
cause  de  l'imperfection  du  texte,  que  de  l'incertitude 
même  des  traductions,  il  s'est  glissé,  ici  et  là,  des  er- 
reurs regrettables.  Dans  1(^  court  exposé  que  ce  savant 


234  IS-TU-BAR   —    aiLGAMES 

nous  a  donné  du  contenu  de  l'épopée,  l'ordre  des  tablet- 
tes a  été  plusieurs  fois  interverti,  la  septième  tablette 
ayant  pris  la  place  de  la  huitième,  et  la  huitième  celle 
de  la  neuvième.  Ainsi  se  trouve  rompue  cette  chaîne  si 
régulière  et  brisée  l'harmonie  d'une  telle  concordance. 
Il  n'échappe  d'ailleurs  à  personne  que  certains  de  ces 
rapprochements  sont  forcés,  et  qu'il  s'y  mêle  trop  de 
conjecture. 

Grâce  au  texte  critique  publié  par  P.  Haupt  et  aussi 
à  une  connaissance  plus  approfondie  du  poème,  Alf .  Je- 
remias  a  pu  fixer  avec  une  assez  grande  précision  le 
sens  astronomique  des  diverses  tablettes  (1). 

D'après  lui,  la  carrière  héroïque  d'Izdubar,  qui,  «  tel 
qu'un  buffle,  «domine  sur  les  hommes,  s'ouvre  dès  le 
début  de  la  première  tablette  et  sous  le  signe  du  Bélier, 
qui,  chez  les  Assyriens,  est  le  symbole  même  de  la 
royauté  {lHlimu=zsarru).  Le  deuxième  signe,  celui  du 
Taureau,  paraît  être  en  rapport  avec  la  deuxième  ta- 
blette ,  où  le  rôle  principal  est  dévolu  à  Eabani, 
représenté  comme  l'homme-taureau,  et  le  deuxième 
mois,  dont  le  nom,  écrit  en  signes  idéographiques,  signi- 
fie c(  le  taureau  qui  se  tient  debout  ».  Le  troisième  si- 
gne, celui  des  Gémeaux,  correspond  à  la  troisième  ta- 
blette, dans  laquelle  Eabani  et  Izdubar,  après  avoir 
lutté  ensemble,  se  lient  d'une  étroite  amitié.  La  sixième 
tablette,  où  se  trouve  racontée  l'aventure  amoureuse  de 
la  déesse  Istar,  est  dans  une  relation  évidente  avec  le 
signe  de  la  Vierge,  et  le  sixième  mois,  qui  a  nom  «  l'en- 
voi de  la  déesse  Istar  ».  Si  le  signe  du  Sagittaire  est 
conçu  sous  la  forme  de  l'homme-scorpion.  ainsi  que 
certaines  représentations  figurées  semblent  l'indiquer,  un 
tel  signe  se  trouverait  dans  une  connexion  étroite  avec 

(1)  Alf.  .Jei'cmias  :  Izdubar-Simrod.  p.  fifi-GS. 


IS-TU-DAR  —  GILGAMÈS  285 

la  neuvième  tablette,  dont  l'événement  capital  est  la  ren- 
contre d'Izdubar  avec  les  hommes-scorpions.  Enfin,  si  le 
signe  du  Verseau  peut  être  considéré  comme  le  symbole 
de  la  saison  pluvieuse,  ici  encore,  l'accord  serait  frappant 
d'un  tel  signe  avec  le  récit  du  déluge,  qui  forme  l'objet 
principal  de  la  onzième  tablette,  et  le  onzième  mois, 
désigné  comme  le  mois  «  de  la  malédiction  de  la  pluie.  » 

Au  système  ainsi  présenté,  à  celui  deH.C.  RaAvlinson. 
A. H.  Sayce  et  Fr  Lenormant  comme  à  celui  d'Alf.  Je- 
remias,  on  a  fait  une  objection  :  De  ce  que,  a-t-on  dit, 
le  poème  se  trouve  inscrit  sur  douze  tablettes,  on  con- 
clurait à  tort  qu'il  ait  été  divisé  en. douze  chants.  Dans 
ce  cas,  en  effet,  chaque  tablette  devrait  accuser,  au 
début  et  à  la  fin,  une  division  nette  dans  le  récit,  qui 
ne  se  trahit  nulle  part. 

Ens'appuyantsurde  telles  considérations,  A.  Loisy  (1) 
prétend  que  Gilgamôs  doit  être  regardé  comme  une  per- 
sonnification solaire,  non  parce  qu'il  a  accompli  douze 
travaux  en  rapport  avec  les  douze  signes  du  zodiaque  et 
les  douze  mois  de  l'année,  mais  bien  parce  que  la  carrière 
qu'il  :i  foui'nie  est  parallèle,  sinon  identique,  à  la  révo- 
lution annuelle  du  soleil.  En  effet,  à  ses  débuts,  Gilga- 
mès,  le  héros  solaire,  cherche  à  nouer  des  relations 
avecEabani,  l'homme-taureau,  symbole  du  Taureau  zo- 
diacal et  conclut  avec  lui  une  alliance  figurée  par  le 
signe  des  Gémeaux.  A  partir  de  ce  moment,  les  deux 
amis  courent  d'exploits  en  exploits,  jusqu'au  jour  où  sur- 
vient la  mort  d'Eabani,  de  même  que  le  soleil  croit  en 
force  et  en  vigueur,  depuis  le  commencement  du  prin- 
temps jusqu'à  la  fin  de  l'été.  La  rencontre  de  Gilgamès 
avec  les  hommes  scorpions,  qui  ne  sont  pas  autre  chose, 
sans  doute,  que  le  signe  du  Scorpion  et  du  Sagittaire 

(1)  A.  Loisv  :  Lrs  nu/lhes  chaldéena  de  la  création  et  du  déluge, 
I'.  ()fi-71. 


236  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

réunis,  ces  terribles  gardiens  placés  à  l'entrée  de  la  ré- 
gion de  la  nuit,  où  tous  les  jours  s'engage  le  soleil,  paraît 
signifier  l'entrée  de  la  saison  hivernale.  Après  le  Scor- 
pion-Sagittaire, Gilgamôs  rencontre  Sabit,  la  déesse  de 
la  mer,  dont  le  nom  rappelle  celui  de  la  gazelle,  de  la 
chèvre-poisson  qui  est  le  signe  du  Capricorne  et  parvient 
enfin  auprès  de  son  aïeul,  Samas-napistim,  qui  repré- 
sente le  signe  du  Verseau.  Là,  il  reprend  des  forces,  de 
même  que  le  soleil  après  le  solstice  d'hiver,  puis,  la  sai- 
son hivernale  n'étant  pas  encore  complètement  terminée, 
il  reprend  sa  course  sur  mer  et  traverse  le  signe  des  Pois- 
sons. Arrivé  chez  lui  bien  portant,  il  lui  est  donné  de 
revoir  Eabani,  à  la  fin  même  de  l'hiver,  marquant  le  re- 
tour de  l'année  nouvelle.  Ainsi,  «  le  séjour  d'Eabani  aux 
enfers  correspond  aux  six  mois  de  l'automne  et  de  l'hi- 
ver, tandis  que  la  durée  de  sa  carrière  terrestre  corres- 
pond aux  six  mois  du  printemps  et  de  l'été.  »  " 

Les  observations  ajoutées  par  Alf.  Jeremias  et  A .  Loisy 
aux  résultats  déjà  acquis  par  H.C.  Rawlinson,A.H.  Sayce 
et  Fr.  Lenormant,  pour  être  ingénieuses,  n'en  paraissent 
pas  moins  solides.  Tout  au  plus,  pourrait-on  opposer 
quelques  réserves.  Nous  nous  contenterons  de  faire  re- 
marquer que,  jusqu'ici,  l'on  s'est  préoccupé  trop  exclusi- 
vement de  la  révolution  annuelle  du  soleil  dans  ses  rap- 
ports avec  le  cycle  de  Gilgamès,  alors  que,  au  cours  de  no  • 
treépopée,lesévênements  se  trouvent  entremêlés,  de  façon 
à  symboliser,  par  un  jeu  de  combinaison  savante,  les  vi- 
cissitudes du  soleil,  non  seulement  dans  sa  course  an- 
nuelle, mais  encore  dans  sa  course  diurne.  On  ne  sau- 
rait trop  insister  sur  ce  dernier  point. 

Gilgamès  passe  par  la  grande  porte  qui  livre  passage 
au  soleil  (1),  et,  s'engageant  sur  son  chemin,  à  travers 

(1)  Aucun  texte,  dans  le  poème,  ne  nous  permet  de  déterminer  avec 
piécision,  s'il  s'agit  ici  de  la  porte  de  I  Oi'ient  ou  de  la  poite  de  l'Uc- 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  237 

la  région  de  la  nuit,  parvient  aux  jardins  enchantés  et  à 
la  mer.  Des  bords  de  la  mer,  monté  sur  la  barque  de  Sa- 
mas-napistim,  il  se  rend  auprès  de  son  aïeul,  et  aborde, 
vers  le  milieu  de  sa  course,  à  l'île  où  il  demeure.  Du  ri- 
vage de  cette  île,  il  s'en  revient  comme  il  était  venu,  en 
passant  de  nouveau  par  la  grande  porte  du  soleil.  Ainsi, 
Gilgamès,  moitié  par  voie  de  terre,  moitié  par  voie  de 
mer,  fournit,  du  matin  au  soir,  la  même  carrière  que  le 
soleil.  Le  voyage  de  Gilgamès  est  un  symbole  transpa- 
rent de  la  révolution  diurne  du  soleil  (1). 

Il  y  a  plus  encore  :  il  est  dit  expressément  dans  notre 
poème  que  nul,  en  dehors  de  Samas^  ne  saurait  franchir 
la  mer  (2).  Or,  à  cet  endroit  même,  nous  voyons  que 
Samas-napistim  a  à  sa  disposition  une  barque ,  conduite 
par  le  pilote  Amel-Ea,  sur  laquelle  il  passe  à  son  gré  le 
grand  fleuve  de  l'Océan  (3;.  Puisqu'il  en  est  ainsi,  faut- 
il  voir  en  Samas-napistim  autre  chose  qu'une  doublure 
deSamas?  Son  nom  même,  «  soleil  de  vie,  »  semble 
indiquer  qu'il  personnifie  le  soleil,  se  reposant,  la  nuit, 
des  fatigues  du  jour,  réparant  ses  forces  et  puisant  une 
nouvelle  vigueur  dans  le  sommeil.  Samas-napistim 
ne  représenterait-il  pas  le  soleil  sous  sa  face  noc- 
turne, tandis  que  Samas  serait  le  soleil  vu  sous  sa  face 
diurne  ?  Cet  ancêtre  immortel  de  Gilgamès.  aussi  vert 
malgré  les  ans,  que  son  petit-flls,  grâce  à  l'arbre  de  vie, 
paraît  bien  être  le   soleil   éternellement  rajeuni  dans 

lidenl.  La  chosi- d'ailleurs  a  peu  d'imporUmce,  puisque,  en  réalité, 
ic'lte  terra  incognita,  aux  côtés  opposés,  se  trouve  divisée  avec  symé- 
trie et  que  les  mêmes  régions  s'y  succèdent  dans  le  même  ordre. 

(1)  Itinéraire  de  Samas  et  de  Gilgamès  :  IX,  I,  6-8  ;  IX,  II,  1-12  ; 

IX.  111,  8-li,  -20  ;  IX.  IV,  39-43,  44-50  ;  IX,  V,  23-ol  ;  IX,  VI,  24-36; 

X,  I.  1-21;  X,  II,  lo-3i;  X,  III.  32-3o,  47-30;  X,  IV,  1-20;  X,  V, 
2;i-27  ;  Xi,  204-203,  216  217,  243-247,  248-23»,  236,  260-261,  263, 
-'69-270,  272-273  ;  276-278,  281,  290, 300-302,  31 4, 316-317,  318-320. 

(2)  X,  11.20-24. 

(3)  X,  11,28-31. 


238  IS-TU-BAR — GILGAMES 

l'Océan,  à  la  source  même  de  la  vie.  8i  l'on  considère, 
en  outre,  que  Gilgamès  est  uni  à  Samas-napistim  par  les 
liens  d'une  parenté  rapprochée  (1  ),  et  à  Samas  lui-même 
par  des  relations  étroites  de  dépendance  (2),  ne  résulte- 
rait-il pas  de  là  que  Gilgamès,  peut  être  regardé  comme 
le  substitut  de  l'un  et  de  l'autre  ?  En  tout  cas,  de  telles 
connexions  sont  trop  frappantes  pour  être  dues  au  hasard. 

A  des  observations  astronomiques  et  cosmiques  à  la 
fois  semble  se  rattacher  le  déluge,  dont  le  récit  consti- 
tue un  épisode  important  de  notre  poème. 

Si,  en  effet,  la  relation  est  réelle,  que  l'on  a  prétendu 
découvrir  entre  la  onzième  tablette  de  l'épopée  et  le  mois 
«  de  la  malédiction  de  la  pluie  »  ou  la  constellation  zodia- 
cale du  Verseau,  il  faudrait  voirdans  la  version  chaldéenne 
du  déluge,  la  notation  d'un  phénomène  astronomique  se 
reproduisant  à  intervalles  fixes,  un  signe  marquant  le 
retour  périodique  de  la  saison  pluvieuse. 

Mais  ce  phénomène  astronomique  n'allait  point,  assu- 
rément, sansperturbations  terrestres.  Le  passage  du  soleil 
dans  la  constellation  zodiacale  du  Verseau  coïncidait  avec 
des  orages  violents  et  des  inondations  redoutables.  Parmi 
ces  déluges,  soit  que  l'un  d'entre  eux  ait  frappé  vive- 
ment les  esprits  à  l'exclusion  des  autres,  soit  que  tous 
ensemble  se  soient  fondus  à  la  longue  en  une  impres- 
sion résultante  unique,  toujours  est -il  que  le  souvenir 
d'un  tel  événement  resta  profondément  gravé  dans  la 
mémoire  des  antiques  générations.  Souvenir  net  et  précis, 
qui  ne  saurait  être  expliqué  à  l'aide  de  simples  combinai- 
sons astronomiques,  mais  seulement  d'après  des  données 
réelles.  Le  déluge  chaldéen,  malgré  la  foi  me  mythique 
qu'il  a  revêtue,  a  sou  origine  dans  un  fait  historique. 

(1)  IX,  m,  3. 

(2)  II,  V,  21  ;  IV,  IJ,  10-18.  Cf.  Hymne  à  Gilgamès  [Voir  ÏAppeu- 

dice). 


IS-TU-BAR —  OILGAMÈS  239 

c^uaut  à  l'universalité  du  déluge,  laquelle  se  trouve 
affirmée  expressément  dans  notre  récit,  elle  doit  s'enten- 
dre évidemment,  tout  en  faisant  sa  part  à  l'emphase 
orientale,  du  monde  connu  des  Chaldéens.  Mais  bien 
restreinte  fut  la  terra  cognita  pour  ces  anciens  hommes. 
Elle  ne  s'étendait  guère,  en  effet,  au  delà  de  leur  vallée 
et  de  rhorizon  de  montagnes  qui  la  terminaient.  A  l'Orient 
et  à  l'Occident  se  dressaient,  ainsi  que  nous  l'avons  vu, 
les  montagnes  du  soleil,  ouvrant  sur  la  région  de  la 
nuit,  aboutissant  aux  jardins  enchantés  et  à  la  mer.  Or, 
cette  mer,  c'est  à  savoir  l'Océan  qui  entoure  la  terre  et 
forme,  par  conséquent,  les  dernières  limites  du  monde,  se 
trouvait  à  peine  à  soixante  heures  de  marche  d'Uruk. 
Dans  la  direction  du  nord- est,  le  point  extrême  paraît 
avoir  été  le  mont  Nizir  (1).  Il  résulte  de  ces  considérations 
que  cequiparut,  autrefois,  undéluge  universel,  n'est  pour 
nous,  aujourd'hui,  qu'un  déluge  local.  Le  déluge,  tel  qu'il 
nous  a  été  décrit  par  le  poète  chaldéen,  resta  circonscrit 
dans  la  vallée  du  Tigre  et  de  l'Euphrate. 

L'épopée  de  Gilgamès  n'est  point  un  traité  de  cosmo- 
graphie et  d'astronomie,  aussi,  avons-nous  eu  quelque 
peine  à  reconstituer  d'ensemble  les  idées  des  Chaldéens 
à  ce  sujet,  d'après  des  vestiges  recueillis  çà  et  là,  tout  le 
long  du  poème.  Il  n'en  est  point  de  même  pour  les  faits 
historiques  et  les  données  mythologiques,  dont  les  traces 
subsistent  encore  visiblement  à  toutes  les  pages.  L'épopée 
de  Gilgamès,  en  effet,  est  avant  tout  un  poème  national 
et  rehgieux. 

La  basse  Chaldée   (2)    nous  apparaît,   à  travers  le 

(1)  Ll'  £nuiUi\izir  fait  partie  de  la  chaîne  du  Zagros,  la  plus  rap- 
prochée de  la  Babylonie. 

(2)  La  basse  Chaldée  :  1"  Aspect  général  :  H,  11,  38,  40,  43; 
11.  III,  0,  7,  12,  21,  32,  34,  39,  42,  47-48,  50,  51;  II,  IV,  2,  4,7; 
11,  V,  3,  23;  111,  VI,  9;  IV,  IV,  7;  IV,  (?)  b,  36;  IV,  (?)  c,  21;  VI,  15, 


240  IS-TU-BAR  —  GILGÂMRS 

poème,  comme  une  vaste  plaine,  entrecoupée  de  collines, 
bornée  au  nord-est  par  le  mont  Nizir  et  au  sud-est,  du 
coté  d'Elam,  par  la  montagne  de  cèdres.  Ses  limites 
semblent  s'être  confondues  avec  les  limites  mêmes  de  la 
terre,  tout  entière  comprise,  ainsi  que  nous  l'avons  déjà 
dit,  de  rOrient  à  l'Occident,  entre  les  monts  Masu,  où  se 
lève  et  se  couche  le  soleil.  Cette  plaine  était  arrosée  par 
de  larges  fleuves,  tels  que  l'Euphrate,  et  d'autres  cours 
d'eau  moins  importants.  Elle  possédait  une  faune  et  une 
flore  variées. 

Cette  région  se  trouvait  divisée,  à  cette  époque,  en 
trois  pays  distincts  :  le  pays  de  Nizir,  au  nord-est,  le 
pays  d'Uruk,  au  sud,  et  le  pays  d'Elam,  au  sud-est;  ces 
deux  derniers,  constitués  déjà  à  l'état  de  royaumes 
indépendants  et  même,  comme  on  l'a  prétendu,  rivaux. 
De  ce  que,  en  effet,  l'adversaire  principal  de  Gilgamès, 

17,  i94;IX,  1,  8;  IX,  II,  1-9,  19-21;  IX,  IIÎ,  9  ;  IX,  IV,  40,41;  X,  V, 
6,  7,  8,  17,  18;  X,  VI  b,  25;  XI,  12,  101,  105,  108,  110,  140-143, 
157,  192,  194,  217,  276,  281  ;  XII,  I,  18,  23  ;  XII,  f?)  b,  38;  (?),  (?)  a, 
50;(?),  III  b,  3  ;(?),(?)  i,16. 

2°  La  flore  et  la  faune  :  II,  II,  39,  40,  41,  46  ;  II.  III,  6,  11,  21, 
24,  33,  38,  42,  45,  51  ;  II.  IV,  1,  3,  4,  5,  14,  23,  24,  25,  27,  35,  39, 
46;  II,  V,  1,9;  III,  111,4,  5,  19;  IV,  I,  14,  16;  IV,  II,  16;  IV,  V,  1, 
4,  5;  IV,  (?)  c,  5;  IV,  VI.  41,  43;  V,  I,  1-3,  6-10;  V,  II,  44;  V,  VI, 
42;  VI,  12,  18,  19,  43,  48-aO,  ol,  52,  61,  63.  64  ;  VIII,  I,  16,  17, 
22,  23,  27,  29,  30,  42,  43-46;  IX.  I,  9;  IX,  V,  47-51  ;  IX,  VI,  24,  27, 
28;  X,  II,  3.  29;X,III,  41,45;  X,  V,  3,6,7,10,  11,  31;  X,  Vb,  11, 
14,  20,  21  ;  X,  V  c,  46;  X,  VI,  30;  X.  VI  b,  11,  15,  19,  22,  24  ;  XI, 
44,  45,  71,  86,  147-148,  150-151,  153-154,  159,  188,  190,  284,  285, 
286,291,  295,297-299,304-303,313,  314;  XI,  b,  10;  XII,  1,  16,31  ; 
XII,  II,  22  ;  XII,  (?)  a,  10  ;  XII,  (?)  b,  34  ;  (?),  (?)  a,  48;  (?),  III  b,  2,  7,  8, 
9,  10,  12,  14;  (?i,  (?)  c,  47;  (?),  (?)  d,  46,  47;  (?),  (?)  e,  2  ;  (?),  (?)  f, 
16,  18,  19,  20,  21  ;  (?).  (?)j,  4,3. 

3°  Divisions  géographiques  :  a)  le  pays  d'Uruk  :  II, Y,  31  ;  IV,  II, 
38,39,  49,  50.— 6)  le  pays  d'Elam  :  IV,  I.  14;  IV,  II,  11-12,  14-16  ; 
IV,  V,  1,  4,  5;  IV,  (?)  b,  33,  40,  44-46;  IV,  VI,  45  ;  V,  I,  1-10;  V,  II, 
44  ;  X,  V,  10;  X,  Vb,  14;  X,  V  ,  46;  X,  VI  b,  15.  — c)  le  pays  de 
ïNizir  :  XI,  141,  142,  143-143. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  241 

Humbaba,  est  d'origine  Élamitique  (1),  on  a  cru  recon- 
naître, dans  la  lutte  des  deux  héros,  une  personnification 
de  la  vieille  rivalité  qui  exista  entre  Uruk  et  Elam. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  basse  Ciialdée  (2)  paraît  avoir 
été,  dès  ce  moment,  assez  florissante.  Au  milieu  de  la 
plaine,  s'élevait  Uruk  supuri,  «  Uruk  la  bien  gardée  » ,  une 
grande  ville,  fière  de  ses  remparts,  d'aspect  pittc»resque, 
d'ailleurs,  avec  ses  maisons  basses,  aux  rares  ouvertures, 
bâties  tout  le  long  de  rues  bien  tracées,  avec  ses  palais 
et  ses  temples,  se  dressant  au  milieu  de  jardins  et  de 
bosquets.  On  y  rencontrait,  en  outre,  d'autres  villes  assez 
importantes  :  Nippur,  l'antique  Surippak,  Ganganna, 
Babel  et  Cutha. 

Dans  ces  divers  centres,  la  famille  et  la  cité  elle-même 
revêtaient  déjà  des  formes  bien  définies.  La  famille  (3)  y" 
constituait  un  groupe,  dont  le  père,  son  chef  naturel, 
était  regardé  comme  le  maître  absolu.  Nous  le  voyons, 
en  effet,  entouré  de  ses  femmes,  de  ses  enfants,  de  tout 
un  peuple  de  serviteurs  et  de  servantes,  distribuer  à 
chacun,  selon  son  bon  plaisir,  des  caresses  ou  des  coups. 

(1)  Hiunba  esl  le  nom  d'un  dieu  élamile,  qui  osl  cnlré  dans  la 
composition  de  divers  mots,  seuvant  k  désigner  des  personnes  ou 
des  lieux  :  Huinbanigai^,  Tilhumbi,  etc.  Quant  à  la  signification  de 
l'élément  syilabique  ba,  elle  reste  inconnue. 

(2)  Les  villes  de  la  basse  Chaldée  :  1"  Uruk  supuri  :  11,  1,  9,  10  ; 

II,  II,  19,  24,  32;  II,  IFI,  14,  27;  II,  IV,  36-39,  44-46;  II,  V,  1,  6,  24, 

III,  III,  9;  III,  IV,  39;  III,  V,  6;  IV,  1,  22-23,  27-28;  IV,  II,  7,  35, 
46.  48,  49;  IV,  IV,  3;  VI,  13-14,  34-35,  174, 196,  197,  207;  X,  VI  b, 
17,  29;  XI,  260,  269,  320,  322,  323-324,  325-326,  .327,  328;  Xll,  I, 
13;  XII,  II,  28;  (?),  lll  b,  11-12, 13-14, 15-16;  {?),  (?)  c,  6;  (?),  (?)  i,  24. 
2»  Nippur:  Vlll,  l,  46;  (•?),Illb,  20;  (?),  (?)  1,  13.  3°  Surippak:  XI, 
11-13.  23,  35,  40.  4»  Ganganna  :  (?),  III  b,  6.  5»  Babel  :  (?),  III  b, 
21  ;(?),(?)  1,7.  6°  Cutha  :(?),(?)  1,12. 

(3)  La  famille  :  II,  II,  16,  17,  20,23,  27,  28;  II,  III,  25;  III,  VI,  3; 

IV,  II,  46,  48;  IV,  (?)  a,  4;  YI,  6-9,  42,  46-79,  173;  IX,  lil,  3;  X, 
V  b,  19;  X,  VI  b,  21;  XI,  85,  112;  XI  b,  9;  XII,  I,  24-27;  XII,  II, 
15-18;  XII,  VI,  6-7  ;  Xll,  ('?)  a,  li>. 


242  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

C'est  là  le  régime  patriarcal  saisi  dans  sa  pleine  rigueur. 
Quant  à  la  cité  (i),  elle  était  soumise,  elle  aussi,  à  une 
organisation  régulière.  A  sa  tête  était  un  roi-pasteur, 
ayant  pour  attributs  la  couronne  et  le  sceptre,  une  sorte 
de  tyran,  qui  ne  reconnaissait  d'autres  lois  que  son 
caprice.  Immédiatement  au  dessous  de  lui^  se  plaçait  une 
aristocratie  puissante,  comprenant  plusieurs  castes  :  celle 
des  prêtres,  des  guerriers  et  des  nobles.  Il  semble 
que  ces  divers  corps,  réunis  en  assemblée  générale  dans 
certaines  circonstances  extraordinaires,  aient  eu  voix  con- 
sultative. Enfin,  tout  au  bas  de  l'échelle  sociale,  venait 
la  foule  obscure  des  artisans,  des  marchands  et  des 
laboureurs.  C'est  là,  on  le  voit,  une  monarchie  absolue 
déjà  tempérée  par  un  mélange  d'oligarchie.  Une  telle 
constitution  remontait  sans  doute  à  une  époque  fort 
reculée.  Dans  notre  poème,  en  effet,  il  est  question  «  des 
porteurs  de  couronnes,  qui,  jadis,  gouvernèrent  la 
contrée  »  et  aussi,  de  la  distinction  établie,  de  temps  im- 
mémorial, à  Surippak,  entre  «  le  peuple  et  les  anciens.  » 
Une  telle  société  était  déjà  parvenue  à  un  certain 
degré  de  civilisation  (2).  Les  Chaldéens,  en  effet,  sem- 
blent avoir  possédé  l'écriture  de  toute  antiquité.  Ils  s'en 

(1)  La  cité:  II,  II.  17.22,  24,25,  28;  M.  III.  20;  II,  IV,  47:  II,  V 
7,  12,  29;  111,  111,  2;  111,  IV,  38;  111,  V,  .i;  IV,  II,  40-i3;  IV,  IV,  2: 
V,  1,  13;  VI,  15-16,  3j),  58,  62,  64,  128,  130,  141,  16S,  187,  197, 
198-203;  X,  V  b,  32,  33  ;  XI,  3o,  68,  86,  162;  XI  b,  9;  XM,  i,  20  : 
XII,  (?)  b,  37-39,  42-43  ;  ç!),  (?)  e,  3,  4  ;  (?),  (?)  h,  11-14 

(2)  La  civilisation  :  I"  Ecriliiro  ;  II,  I,  8;  XI,  323-32'i,  (?),  (?^ 
f.  23. 

2'    LclUe.^  :  M,~323-32i. 

3'  Sciencca  :  a)  Sysièiiic  des  noiiibrob  cl  uiosure.^  ;  IJ,  ii,  44  ; 
II,  III,  48,  50;  I  V,  (?)  b,  44-45;  V,  I,  11,  12;  V,  II,  23,  24;  V,  VI, 
44;  VI,  52,  55,  104,  111,130,  140,  141,143,  187-188,189-191;  VIII, 
I,  41,  44-45;  VIII,  VI,  21,  23-24,  26;  IX,  111,  10;  IX,  IV„47,  50; 
IX,  V,  23,  26,  29,  32,  35,  38,  44;  X,  I,  3:  X,  III,  23,  41,  43,  49;  X, 
IV,  4-7,  8;  i:i,  16:  Xi,  28-30,57,  58,  5'.»,  (iO,  01,  02,  iVS.  CO,  r.7,  68-7(i- 


IS-TU-DAR  —  GILGAMES  243 

servaient,  dès  cette  époque,  pour  graver,  sur  des  tablet- 
tes d'argile,  de  courtes  inscriptions  commémoratives  ou 
même  de  longs  poèmes,  où  se  révélaient  leurs  aptitudes 
littéraires.  Ils  ne  restaient  pas  non  plus  étrangers  à  la 
science.  Ils  étaient  les  inventeurs  d'un  système  de 
nombres  et  de  mesures,  ingénieux  et  commode  à  la  fois, 
à  l'aide  duquel  ils  appréciaient  les  grandeurs,  suppu- 
taient le  temps,  mesuraient  les  distances,  déterminaient 
la  superficie,  le  poids  et  la  capacité.  Ils  n'ignoraient 
pas  absolument  la  physique  et  s'adonnaient  avec  passion 
à  la  cosmographie  et  à  l'astronomie,  mais,  dans  l'é- 
tude des  phénomènes  célestes  et  terrestres,  ils  se  bor- 
naient à  noter  les  apparences  et  à  les  expliquer  par  l'ac- 
tion des  dieux.  Plus  encore  que  les  lettres  et  les  sciences, 
l'art  et  l'industrie  avaient  pris  parmi  eux  un  dévelop- 
pement considérable.  Ils  connaissaient  les  principes  et 
la  technique  de  l'architecture  et  de  la  plastique.  Us 
construisaient  en  brique  ou  en  pierre  de  solides  rem- 
parts, des  habitations  commodes,  des  palais  et  des  tem- 
pies  magnifiques  qu'ils  décuraient  de  statues.  Ils  sa- 
vaient également  tisser  de  belles  étofiès,  travailler  le 

80,  128,  130,  140,  143-146, 156,  158,  208,  224-229,  236-241,  300-301, 
314,  318-319,  325-326  ;  (?)  III,  15  ;  (?),  (?)  c,  46;  (?j,  (?)  i,  17. 

h)  Physique  :  IV,  (?)  c,  15-20;  XI,  97-108. 

c)  Pourlacosmo^'rapliieell'aslronomie,  voir  plushaiilp  228-231. 

i"  Art  et  industrie  :  II,  I,  9,  iO.  U;  II,  II,  2,  3'»;  II,  III,  22,  43; 
II,  IV,  10,  12, 17,  18;  II,  V,  14;  111,111,  6.  9;  III,  IV,  30, 31,  32,  35, 
36,  37;  m,  V,  3,  4,  9;  IV,  I,  22,  27;  IV,  II,  3-5,  7,  44,  46,  48;  IV, 
IV,  3;  IV,  (?)  a,  6;  V,  II,  36,  39,  40-41;  VI,  1-5,  10-14,  20-21,  2o, 
27,  28,  31,  34,  3;j,,  36,  39,  5'i,  (iO,  77,  174,  17o,  192,  207,  208;  VJIl, 
I,  19,  32,  38,  39,  47;  VIFI,  VJ,  22,  27;  IX,  V,  48,  oO;  IX,  VI,  25,  26, 
29,  36;  X,  I,  1;  X,  II,  29;  X,  III.  38,  39:  X,  V,  30;  X,  V  c,  46,  47, 
48;  X,  VI,  26;  XI,  68,  73,  76,  81-83,  158,  165,  226,  238,  255,  238, 
259,  262,  264,  267,  268,  271,  288,  315,  322,  325,  327,  328;  XII,  I, 
13,  14.  20,  22,  30;  XII,  II,  21,  28;  XII,  VI,  4;  10;  XII,  (?)  b,  37. 
38  ;  (?),  III  b,  16,  23;  (?),  (?)  e,  5;  (?),  (?)  f,  14,  15,  17,  19;  (?),  (?) 
j,  13. 


244  IS-TU-BAK  —  GILGAMÈS 

bois,  le  métal,  lor,  l'argent  et  les  pierres  précieuses, 
dont  ils  fabriquaient  toute  sorte  d'objets  d'utilité  ou  de 
luxe. 

Mais  ce  peuple,  rude  encore  malgré  son  goût  de  civi- 
lisation, se  plaisait  surtout  à  la  chasse  et  à  la  guerre  (1)., 
Contre  les  fauves  il  luttait  de  ruse  ou  de  force,  tendant 
des  filets,  creusant  des  fossés  ou  attaquant  de  face.  Avec 
les  hommes,  déjà,  la  tactique  était  plus  savante.  L'ar- 
mée paraît  avoir  été,  dès  cette  époque,  assez  fortement 
constituée.  Composée  de  troupes  indigènes  et  auxi- 
liaires, commandée  par  un  seul  chef,  elle  faisait  des 
sièges  en  règle  et  essu^^ait  de  vraies  batailles  rangées. 
Comme  armes  défensives  les  guerriers  portaient  le  cas- 
que et  la  cuirasse  ;  ils  avaient  pour  armes  offensives, 
l'arc,  le  glaive  et  la  hache.  Ils  se  montraient  très  ar- 
dents au  combat  et  ne  rédoutaient  point  la  mort,  car, 
ils  savaient  le  sort  bienheureux  qui  attend  dans  l'Aral, 
les  braves  tombés  sur  le  champ  de  bataille.  Aussi  ces 
anciennes  guerres,  sauvages  et  meurtrières,  ne  se  ter- 
minaient guère  que  par  l'extermination  de  l'ennemi. 

Non  moins  que  la  passion  de  la  chasse  et  de  la  guerre, 
les  Chaldéens  eurent  le  goût  des  aventures  lointaines, 
l'établis  le  long  des  rives  du  Tigre  et  de  l'Euphrate,  dans 
le  voisinage  même  de  la  mer,  ils  furent  marins  autant 
par  nécessité  que  par  vocation.  Ils  excellèrent,  de  bonne 
heure,  dans  l'art  de  la  navigation  (2).  De  quels  procédés 

(1)  La  chasse  el  la  guerre:  11,1,9:  11,  III,  9-10,  36-37;  JI,  VJ,  22: 
111,  IV,  39;  111,  V,  6;  IV,  I,  15;  IV,  11,  lb\  37-43;  IV,  VI,  .33,  39; 
V,  ],  13;  V,  11,  21.  'i2:  V,  VI,  41,  45,  46;  VI,  1-i),  120-124,  128-147, 
167-170,  174;  Vlll,  VI,  31,  32,  IX,  1,  15,  16,  17;  IX,  V,  43;  X,  11, 
4,  5;  X,  111,40,  44;  XI,  5,  55,  122,  130-131,322;  XII,  I,  18-19;  XII, 
II,  26;  XII,  m,  4,  H,  19;  XII,  VI,  4-7;  XII,  (?)  a,  9;  (?),  (?)  a,  38; 
(?),  (?)  h,  10-14. 

(2)  La  navigation  ;  X,  11,  28,  41,  iO,  48;  X,  111,  32,  41,  42,  45, 
iO,  47-41»;  X,   IV,  4-7,  8-9,   il,  15-16;  XI,  24,  27,  28-31,50-67,  70, 


IS-TU-BAR —  (HLftAMES'  '^  i.) 

ils  usaient  pour  construire  et  équiper  un  vaisseau,  nous 
rapprenons,  au  cours  de  notre  poème,  par  la  description 
même  de  l'arche.  Pour  cela,  ils  dressaient  d'abord  la  char- 
pente d'après  un  plan,  puis  en  adaptaient  les  diverses 
parties  entre  elles  de  façon  à  constituer  un  vaste  cotïre 
percé  de  portes  et  de  lucarnes,  protégé  .en  haut  et  en 
bas  par  un  lit  de  roseaux  et  muni  davirons.  Ils  divi- 
saient ensuite  l'intérieur  en  plusieurs  étages,  et  chaque 
étage  en  compartiments.  Enfin,  ils  l'enduisaient  dp 
bitume  et  de  naphte  tant  à  l'intérieur  qu'à  l'extérieur.  De 
tels  vaisseaux  pouvaient  supporter  de  lourdes  cargai- 
sons, et  sous  la  conduite  d'un  pilote  expérimenté,  résis- 
ter aux  gros  temps,  puisque  nous  voyons  Tarche  de  Sa- 
mas-napistim  surnager  au-dessus  des  eaux  du  déluge. 

Nul  peuple  ne  fut  plus  profondément  religieux  que  ce 
peuple  de  guerriers  et  de  navigateurs.  Les  Chaldéens,  en 
effet,  avaient  peuplé  l'univers  d'une  infinité  d'êtres  sur- 
naturels, dieux  ou  démons. 

Leurs  dieux  (  1  )  ne  furent  point  d'abord  distincts  des  forces 
de  la  nature.  Ce  caract<'Te  physique,  qui  est  resté  em- 
preint dans  la  plupart  des  noms  qui  servaient  à  les  dé- 


77,79,  85,89,94-9ri,  136,  141-14.5,  172,  198-200,  208,221,  223,  248- 
249,  272-273.  277-278,  294,  3o9,  317,  32!;  XI  h,  7,  11,  14-18:  (?), 
III  b,  4. 

(l)Sur  iês  dieux  en  général  :  II.  II,  19;  II,  IV.  3\  ;  111,  111,  V); 
IV,  11,45;  IV,  III,  44,45;  IV,(?)  c,  5;  V,I,  6;  IX,  I.  11;  IX,  II,  14, 
16,  18  ;  IX,  V,  47  ;  IX,  6,  35;  X,  I,  7;  X,  V,  38;  XI.  10,  114,  U6, 
118,  12.5-126,  160-i62,  165,  167,  203,  206,  283  ;  (?),  (?)à,  36,  37,  39, 
40;  ?i,  III  1).  11  :  (■?),  (?)  .1,  44;  (?),(?)  g,  12.  IS.  19,  50;  (?),  (?)],  3, 
14. 

Leur  nature  :  II,  IV,  34;  IV,  II,  18  ,  21,  22  ;  VI.  21-79,  80-114, 
174-177;  IX,  II,  l't  :  X,  I,  7,  X,  II,  b.  23;  XI.  97-108.  114-1  l.i, 
116,  117-127,160-162,  167-170,  171-175;  186-194;  (?),  (?)  a.  37-'in  ; 
(?),III  b,  11-12. 

Leur  conslitulion  familiale  el  hiérarchique  :  111,111,  10;  IV,  111, 
49  ;  VI,  82-83,  212;  IX,  111,3  5;  X,  VI,  36-39;  XI,  7,  13-14,  15,120- 


246  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

signer,  se  manifeste  clairement,  par  des  actions  déter- 
minées, en  plusieurs  endroits  de  notre  poème..  Mais, 
presque  partout,  ce  mode  primitif  de  représentation  y 
l'ait  place  aux  conceptions  zoomorphiques  et  anthropo- 
morphiques.  Les  dieux  que  nous  rencontrons  là.  sont 
des  dieux  de  chair,  à  peine  dégagés  des  formes  animales, 
déjà  revêtus  des  belles  proportions  humaines.  Ils  parti- 
cipent, d'ailleurs,  à  toutes  nos  passions  terrestres.  Ils 
sont,  comme  nous,  mobiles,  tour  à  tour  sages  et  incon- 
sidérés, capricieux,  irascibles,  pitoyables,  bons  ou 
mauvais,  suivant  les  circonstances,  mais,  en  toute  occa- 
sion, redoutables  vengeurs  de  l'iniquité. 

("es  dieux,  raàles  et  femelles,  forment  entre  eux  des 
groupes,  calqués  sur  le  modèle  de  nos  associations.  Ils 
sont  répartis  par  familles,  distribués,  suivant  une  hié- 
rarchie savante,  en  dieux  supérieurs  et  inférieurs.  Parfois 
même,  ils  se  constituent  en  assemblée,  sous  la  haute 
présidence  d'Anu. 

Chacun  d'eux  a  ses  attributions  particulières  et  une 
juridiction  déterminée  ;  entre  tous,  ils  se  partagent  le 
gouvernement  de  l'univers.  Souverains  maîtres  des  hom- 
mes et  des  choses,  dispensateurs  de  la  vie  et  de  la  mort, 
ils  agissent  en  diverses  manières  :  tantôt  intervenant 
directement,  par  leurs  actions  et  leurs  discours,  tantôt 
indirectement,  par  la  voie  mystérieuse  des  songes. 

i2l,  105-10(V.  XII.  r?j  h.  44;  (?  ,  (?)  a,  40  :  (?),  Ill  b,  25;  (?),  (?)  g, 
20. 

Leur  action  par  inteivenlion  directe  :  11,11,  18,  29-35  ;  111,  IV, 
28-43  ;  IV,  II,  10-18,  20  :  IV,  V,  1-6  :  IV,  (?)  c,  12;  VI,  21-79;  IX, 
II,  18;  XI,  21-31,  36-47,  87-88,  90-91  :  XI  b,  1-H,  12-18;  (?), 
lllb,  17. 

Leur  action  indirecte  par  les  songes:  11,  V,  21-31;  II,  VI,  19,  20-29, 
41;  m,  III,  12-23;  IV,  (?)  b,  32-36,  37-42,  49,  (Cf.  IV,  (?)  c,  1);  IV, 
(?)  c,  13-21,  22;  VI,  209-212;  VIII,  VI,  19,  20;  IX,  I,  13;  IX,  II.  16  ; 
X,  Vb,  16  ;  XI,  19.5-196;  (?),  (?)  g,  15. 


I  s  -TT'-  p.  \  R  —  (";  I L  (";  A  M I'.  •î;  2  i  / 

Au-dessous  des  dieux,  viennent  les  démons,  (1)  dont 
quelques-uns  paraissent  avoir  été  de  vraies  divinités, 
sortes  de  génies  malfaisants,  personnifications  des  mala- 
dies qui  se  logent  en  notre  corps  et  jusque  dans  les 
arbres. 

Entre  les  dieux  et  les  démons,  se  place  l'homme  (2), 
créature  de  basse  extraction  et  de  tristes  destinées.  Il  a  été 
façonné  par  l'artiste  suprême  avec  de  l'argile,  de  même 
que  la  statuette,  fabriquée  par  l'ouvrier  avec  le  limon 
du  fleuve.  Il  est  poussière  et  doit  retourner  en  poussière. 
Après  une  courte  vie,  il  descend  de  la  terreaux  enfers, 
la  vaste  prison,  la  forte  citadelle,  où  voltigent  les  om- 
bres, pareilles  à  des  chauves-souris,  dans  les  ténèbres 
éternelles .  Il  va  se  perdre  parmi  les  têtes  banales  des  morts, 
qui  vivent  de  boue,  à  moins  qu'un  sort  illustre  et  la  piété 
filiale  ne  lui  aient  valu  une  place  de  choix,  où  il  boit 
l'eau  pure  en  compagnie  des  siens.  On  se  souvenait 
encore,  il  est  vrai,  d'un  certam  Samas-napistim,  lequel 
avait  été,  par  un  privilège  spécial,  enlevé  au  ciel  parmi 
les  dieux.  Mais  le  temps  était  passé  dételles  apothéoses. 

(1)  Siu-  les  démons  :  II,  V,  9:  VF,  OS;  VllI,  I,  22  ;  X,  V,  3,  40,  42- 
X,  V  1.,  24:  XI,  24n;  XII,  I,  19,  21;  XII,  II,  24,  25,  29,  30;  XII,  III, 
2,3.  6,7,9,10,  17,  18  ;  XII,  VI,  8,  9;  (?},  III  b,  13-14  ;  (?),  (?)  f,  11. 

(2)  Sur  l'homme,  son  origine  :  II,  11,30-35;  XI,  20-22. 

Sa  destinée:  X,  Il  b,  11,  12-14;  X.  III  29,  30-31;  X,  V,  20,  21- 
22;X1,  20-22,  119,134,197-205,  284-286,29.1-299.  303-306,  310-31-5; 
XII,  I,  28-31  ;  XII,  II,  19-22.  23;  XII,  III,  1,  8,  23.  27;  XII,  IV,  1- 
13;  XII,  VI,  1-10,  XII,  (?)  a.  8  ;  XII,  (?)  b,  27-50. 

Sa  situation  vis  ix  vis  des  démons  :  U,  1, 12;  VIII,  VI,  21-27;  IX, 
II,  16  ;  X,  I,  6-8  ;  X,  VI,  3.")  ;  XI,  206-271. 

Son  atlitude  vis  à  vis  des  dieux  :  II,  II,  10-18,  20-29  ;  IV,  I,  13; 
19  ;  IV,  II,  iO-22  ;  VI.  22-79,  178  183  ;  IX,  I,  10-14  ;  XI.  8-20o; 
XII,  Il  15-27,  28-111.  5;  XII,  III,  6-11.  17-20,  2I-2V.  >).  -'.  c. 
46-48. 

Sa  position  en  lace  des  f;éauis,  des  monsircs  et  de^  lauvis  :  U, 
V,  1  :  II,  V.  9  IV-  V:  VI,  120-193  ;  IX,  I,  8-27  ;  IX.  U,  1-24  ;  X3 
V.F; 


248  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

Gilgamès,  le  petit-fils  de  Samas-napistim,  avait  essayé 
d'atteindre  rimmortalité  à  la  suite  de  son  aïeul.  Un  ins- 
tant, il  avait  tenu  entre  ses  mains  l'arbre  de  vie,  mais, 
hélas  !  un  serpent  de  malheur  le  lui  avait  ravi. . .  L'homme 
était  condamné  désormais  à  une  destinée  inéluctable. 

De  sa  naissance  à  sa  mort,  il  est  en  butte  à  la  pour- 
suite des  démons,  qui  l'assaillent  de  toutes  parts  et  le 
frappent  de  maladies  étranges,  auquelles  il  succombe, 
comme  Eabani,  ou  dont  il  ne  se  relève  qu'avec  peine, 
comme  Gilgamès,  à  l'aide  d'aliments  magiques  et  de 
purifications. 

Se  sentant  faible  et  coupable  il  vit  dans  la  crainte 
perpétuelle  des  dieux.  Qu'ilsoit,  en  effet,  l'objet  de  leurs 
faveurs,  le  jouet  de  leurs  caprices,  ou  la  victime  de  leur 
haine,  toujours  il  nous  apparaît  vis  à  vis  d'eux  dans  une 
posture  humiliée,  et  si,  parfois,  il  se  redresse  de  sa  fierté 
d'homme  contre  les  dieux  ennemis  et  le  prend  de  haut 
avec  eux,  il  paye  cher  de  telles  licences,  ayant  à  subir 
leur  colère. 

Bien  précaire  et  bien  misérable  est  l'existence  de 
l'homme  ainsi  placé  entre  l<^s  dieux  et  les  démons,  con- 
tinuellement exposé  d'ailleurs  à  de  sauvages  agressions, 
au  sein  d'une  nature  âpre  peuplée  de  géants,  de  mons- 
tres et  de  fauves. 

Contre  de  tels  maux,  il  ne  reste  à  l'homme  qu'un  seul 
recours,  c'est  à  savoir  de  se  rendre  les  dieux  propices. 
Or,  pour  se  concilier  leurs  faveurs,  il  n'est  que  de  leur 
rendre  le  culte  qui  leur  est  dû. 

Aussi,  voyons-nous  l'homme  élever  à  ses  dieux  des 
temples,  grands  et  beaux  commes  des  palais,  où  se  dres- 
sent leurs  statues,  revêtues  d'ornements  magnifiques,  où 
se  déployent  à  certains  jours  d'imposantes  cérémonies, 
richement  dotés  d'ailleurs  et  servis  par  tout  un  peuple  de 
fonctionnaires.   En  dehors  de   ces   temples,    certaines 


IS-TU-BAR —  GILGAMÈS  249 

montagnes,  certaines  villes  paraissent  leur  avoir  été  spé- 
cialement consacrées. 

L'homme  honore  encore  la  divinité  par  des  offrandes 
et  des  sacrifices.  Ces  dieux  antiques,  ne  sont  point  encore 
faits  dune  matière  si  subtile  qu'ils  ne  se  plaisent  à  man- 
ger, à  boire  et  à  dormir,  comme  de  simples  mortels,  à 
respirer  l'odeur  de  l'encens  et  autres  parfums  exquis, 
voire  même  à  recevoir  de  petits  cadeaux  (1  ). 

Il  lui  rend  aussi  des  hommages  et  lui  adresse  des 
prières.  Il  se  tient  devant  sa  divinité,  la  droite  levée,  ou 
se  prosterne  devant  elle  et  lui  baise  les  pieds.  11 
l'invoque  en  toute  circonstance,  pour  être  délivré  d'un 
tyran,  du  fléau  de  la  guerre,  du  danger  ou  de  la  mala- 
die, pour  obtenir  de  revoir  l'ombre  d'un  ami.  Il  use  dans 
ses  prières  de  termes  parfois  très  toucliants,  s'adressant 
à  la  divinité  comme  à  un  père  ou  à  une  mère  (2). 

Hommages  et  prières,  offrandes  et  sacrifices  sont  des 
actes  de  religion  essentiellement  intéressés.  Toute  la 
théorie  en  est  incluse  dans  cette  formule  :  «  Nous  t'avons 
rendu  des  hommages,  o  roi  !  En  l'etour,  tu  nous  accor- 
deras ta  protection,  o  roi  !  »  C'est  là,  entre  les  dieux  et 
les  hommes,  un  échange  de  bons  procédés,  une  ma- 
nière de  contrat,  un  véritable  prêté-rendu  (3). 

Mais  l'épopée  de  Gilgamès  n'est  pas  simplement  un 
reflet  des  idées  nationales  et  religieuses  de  la  racechal- 

(1)  Sur  le  ciiUe  puromcnt  exléricui-  :  II,  I,  10;  II,  11,  22;  II,  TV, 
30-37,  44;  JII,  III,  9;  III,  IV,  30;  IV,  1,  22-2:^  27-28;  IV,  II,  3-5,  7; 
V,  I,  6;  VI,  10-14,  27,  46-47,  175.  184-185,  192-193;  XI,  75,  76. 
164,325,327,  328;  XII,  I,  13;  Ml,  II,  28;  (?),  III  b,  23. 

(2)  Sur  les  offrandes  et  sacrifices  :  IV,  11,8  9,  44;  IV,  (?)  b,  44- 
46  ;  VI,  13,  17-19,  59-60,  61-66,  192-I9.3;  XI,  69,  71-72,  76.  156- 
159  (Of.  167,  168),  3M,  319  ;  (?),  (?)  a.  32.  33. 

(:^)  Sur  les  hommages  et  prières  :  II,  H,  16-17,  20-28;  l\',  I,  13- 
16;  IV,  II,  10-22;  VI.  15-16,  72;  IX,  I,  lO-l/i;  X,  VI,  36  ;  XII,  II,  15- 
27.  28-III,  5:  XII,  III,  6-11,  17-20,  21-25;  (?),(?)c.  46-48;  (?),  (?) 
g,  18. 


250  IS-TT'-BaR  —  OILOAMKS 

déeane,  a  une  époque  déterminée  de  son  histoire.  Il 
arrive  aussi,  au  cours  du  poème,  que  les  sentiments 
particularistes  font  place  à  des  vérités  plus  largement 
humaines.  Un  accent  plus  profond  coupe  heureusement, 
en  maints  endroits,  le  thème  banal  inspiré  par  la  cir- 
constance. 

Ainsi,  sur  la  femme,  le  poète  chaldéen  nous  a-t-il  fait 
part  de  Texpérience  des  antiques  générations,  qui  fut 
aussi  celle  de  tous  les  temps.  Nul  assurément,  mieux 
que  ce  mage,  ne  nous  a  révélé  cet  être  double  et  con- 
tradictoire, à  la  fois  charmant  et  redoutable,  nul  ne  nous 
a  dévoilé  d'une  main  plus  sûre  les  mystères  de  ce  cœur, 
où  s'allient,  en  des  proportions  étranges,  la  douceur  et 
la  cruauté.  Harimtu  et  Samhatu,  si  délicieusement  per- 
verses  qu'elles  arrachent  à  ses  bêtes  le  monstre  Eabani 
et  l'attirent  à  elles,  Istar,  la  Vénus  inassouvie,  abê- 
tissant, paralysant  ou  tuant  ceux  qu'elle  a  séduits, 
dans  sa  furie  d'amour,  sont  vraiment  des  créations 
éternelles. 

De  même,  où  trouver  ailleurs  une  peinture  plus  vraie 
de  l'amitié.  L'amitié  de  Gilgamès  et  d^Eabani  est  au 
nœud  même  de  l'action.  Au  début,  Gilgamès  envoie 
quérir  Eabani,  puis,  une  fois  qu'il  se  l'est  attaché,  nous 
voyons  les  deux  amis,  toujours  inséparables,  courir  les 
mêmes  aventures,  jusqu'au  jour  où  la  mort  impitoyable 
vient  les  désunir  ;  alors,  Gilgamès,  inconsolable,  part  à 
la  recherche  d'Eabani,  qu'il  lui  est  donné  enfin  de  revoir 
dans  une  suprême  évocation.  L'épopée  de  Gilgamès,  on 
le  voit,  est  à  la  lettre  le  poème  de  lamitié.  Qu'on  relise 
en  particulier,  pour  mieux  s'en  convaincre,  cette  scène 
familière,  où  les  deux  héros,  après  avoir  terrassé  le 
taureau  divin,  suscité  contre  eux  par  la  colère  d'Istar 
et  lavé  leurs  mains  dans  l'Euphrate,  s'asseoient  à  côté 
Vwn  de  l'autre  comme  des  frères,  ou  encore,  cette  laoïen- 


I3-TU-BAR — OILGAMÈS  2'>\ 

tatioQ  souvent  répétée  de  Gilgamès  sur  Eabani,  où  re- 
vient le  doux  nom  d'ami,  avec  une  insistance  si  tou- 
chante. 

Dans  ces  âmes  antiques,  partag-ées  outre  l'amour  et 
l'amitié,  déjà  se  lait  jour  aussi  la  pitié,  sentiment  mys- 
iHi'ieux,  né,  s'il  faut  en  croire  ce  sage  do.  Chaldée,  au 
cœur  d'une  femme,  mais  épelé  d'une  façon  intelligible 
par  une  voix  d'homme.  A  sa  femme,  visiblement  émue 
de  la  souffrance  de  Gilgamès,  Samas-napistim  adresse 
cette  parole,  sublime  dans  sa  simplicité  :  «  Tu  souffres, 
je  le  vois  bien,  de  la  souffrance  de  l'humanité  !  » 

Mais  l'intérêt  général  du  pO('me  n'est  point  tout  entier 
dans  de  tels  sentiments.  L'homme,  en  effet,  ne  s'y  dé- 
couvre pas  à  nous  seulement  par  ce  côté  extérieur,  mais 
encore  dans  ce  qu'il  a  de  plus  intime,  dans  son  fonds 
de  Veligiosité  native. 

Aux  temps  anciens,  l'homme  sans  cesse  aux  prises 
avec  une  nature  rebelle,  peuplée  de  monstres  et  de  bêtes 
féroces,  toujours  en  guerre  avec  ses  semblables,  ses 
pires  ennemis,  eut  beaucoup  à  peiner  et  à  souffrir.  Ainsi 
voyons- nous  Gilgamès  et  Eabani  lutter  sans  paix  ni  trêve 
contre  Humbaba.  le  taureau  divin,  les  lions...  Dès  cette 
époque  d'ailleurs,  Ihomme  était  divisé  avec  lui-même. 
Toujours  désireux  du  bien,  souvent  il  faisait  le  mal,  oîi 
l'entraînait  sa  nature  violente.  Aussi  vécut-il  longtemps 
sous  le  coup  d'une  menace  perpétuelle,  car,  il  se  recon- 
naissait coupable  et  n'ignorait  point  que  les  pécheurs 
encourent  de  terribles  châtiments  de  la  part  des  dieux. 
On  racontait,  en  effet,  qu'autrefois,  à  cause  de  la  cor- 
ruption de  la  ville  de  Surippak,  la  terre  entière  avait  été 
noyée,  de  par  le  dieu  Bel,  dans  un  déluge,  auquel 
Samas-napistim  n'avait  échappé,  que  grâce  au  dieu  Ea,  à 
cause  qu'il  était  jut=te..  Que  faire,  en  cette  extrémité, 
sinon  se  tournei-  vers  les  dieux  er,  tenter  de  les  apitoyer 


252  IS-TU-BAR — ftlLGAMÈS 

par  des  supplications  et  des  offrandes  ?  Ainsi,  voyons- 
nous  encore  Gilgamès  et  Eabani,  adresser  des  prières  à 
Samas,  à  Sin,  suspendre  un  ex-voto  dans  le  temple  du 
dieu  de  Marad,  et  Samas-napistim,  sauvé  du  déluge, 
offrir  un  sacrifice  d'action  de  grâces...  Or,  de  telles 
prières  et  de  tels  sacrifices,  malgré  les  formes  caduques 
qu'ils  ont  revêtues,  ne  sont-ils  pas,  à  leur  manière,  une 
preuve  vivante  de  cet  instinct  d'adoration,  qui,  de  tout 
temps,  a  fait  brûler  de  l'encens  et  pousser  des  cris  vers 
le  ciel  ?  N'est-ce  pas  là  ce  même  besoin  d'infini  qui  nous 
tourmente,  alors  que  nous  sortons  de  la  lutte  humaine,  le 
corps  et  rame  endoloris  ? 

Mais  il  y  a  plus  encore  :  ces  mêmes  hommes,  harcelés 
sans  cesse  par  le  démon  de  la  maladie,  parfois  avertis 
par  ces  coups  subits  qui  les  frappaient  dans  ce  qu'ils 
avaient  de  plus  cher,  connurent  cette  étrange  tortUre 
du  condamné,  calculant  les  heures  qui  le  séparent  de 
sa  fin.  Gilgamès,  privé  tout  d'un  coup  d'Eabani,  déjà 
atteint  lui-même  d'un  mal  secret,  goûta  par  avance, 
avac  les  tristesses  de  la  séparation  J'amertume  de  la  mort. 
Oh  !  ce  cri  arraché  tout  ensemble  à  Tamitié  et  à  la  peur  : 
«  Mon  ami,  celui  que  j'aimais  tant,  est  retourné  en 
poussière  ;  moi,  je  ne  veux  point  mourir  comme  lui...  » 
quelle  àme  a  jamais  rendu  un  son  plus  humain  !  N'é- 
tait-il donc  pas  possible  de  se  soustraire  à  cette  dure 
fatalité?  La  science  n'avait-elle  pas  de  remède  à  opposer 
à  ce  mal  de  la  mort  ?  Gilgamès  accompht  un  long  voyage 
en  quête  de  l'arbre  de  vie  qui  devait  le  rendre  immortel. 
Il  avait  enfi.n  découvert  la  plante  salutaire,  et  s'en  reve- 
nait joyeux,  lorsque,  tout  d'un  coup,  par  une  amère  iro- 
nie, un  serpent  sortit  la  terre  et  la  lui  ravit.  Hélas  I  il 
s'était  fatigué  en  pure  perte,  la  science  n'avait  point 
tenu  ses  promesses!  Que  faire,  en  de  telles  conjonctures, 
sinon  se  tourner  encore  une  fois  vers  les  dieux  et  de- 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  253 

mander  à  la  religion  ce  que  la  science  ne  donne  pas,  la 
certitude  d'une  vie  meilleure  ?  Gilgamès,  en  effet,  frustré 
dans  ses  recherches,  vint  se  jeter  éperdu  dans  les  bras 
de  ses  dieux,  qui.  pris  de  pitié,  lui  dévoilèrent,  dans  une 
évocation,  un  coin  du  royaume  mystérieux  de  la  mort  et 
lui  mirent  au  cœur  l'espérance. 

Ainsi,  d'un  côté,  joies  et  déceptions  de  l'amour,  dou- 
ceur de  l'amitié,  goût  de  la  pitié,  de  l'autre,  besoin 
d'adoration  né  de  la  souffrance,  peur  du  néant,  désir 
inquiet  d'immortalité,  qu'une  science  décevante  exas- 
père et  qui  ne  s'apaise  que  dans  la  croyance,  n'est-ce  pas 
là  l'expression  même  de  la  vie  sociale  universelle  et  de 
la  vérité  religieuse  éternelle  ? 

{A  suivre). 

J.  Sauveplane, 

Ancien  élève  de  l'École  des  Hautes  Éludes. 


CHROÎ^IQUE 


I.  —  La  Science  des  Keligioiis.  —  La  Hevue  des 
FacuUés  catholiques  d'Angers,  publie  dans  un  de  ses  derniers 
numéros,  un  article  sur  la  science  des  religions,  par  Mgr  Jude 
de  Kernaeret,  professeur  à  la  faculté  de  théologie. 

«  La  science  de  la  religion,  écrit  l'auteur,  la  théologie,  est  au- 
jourd'hui combattue  par  toutes  les  forces  liguées  de  la  libre- 
pensée  et  de  l'hérésie. 

Pourtant,  par  le  fait  même  de  cette  persécution,  il  s'est  pro- 
duit, de  l'aveu  de  tous,  dans  l'enseignement  supérieur  surtout, 
une  fâcheuse  lacune.  On  a  beau  être  libre-penseur,  si  l'on  n'a 
pas  perdu  tout  bon  sens  et  toute  bonne  foi,  on  est  bien  forcé  de 
convenir  que  les  «  phénomènes  religieux  »  ont  joué  et  jouent 
encore  un  certain  njle  dans  l'histoire  du  genre  humain.  On  ne 
pouvait  pas  supprimer  entièrement  tout  cet  ordre  de  «  phénomè- 
nes >».  On  les  a  classés  sous  une  dénomination  particulière  et  on  a 
ainsi  obtenu,  sinon  une  science  nouvelle,  du  moins  un  mot  nou- 
veau. Ces  faits  sont  l'objet  de  la  science,  aujourd'hui  fort  à  la 
mode,  dite  «  Ihiérologie.  »  Nous  l'appellerons  plus  simplement  : 
la  science  des  reUgions. 

Cette  science,  avons-nous  dit,  se  propose  de  remplacer  dans 
les  programmes  la  vieille  théologie.  De  fait,  en  Hollande,  par 
exemple,  la  patrie  de  M,  Tiele,  une  des  lumières  <•  hiérologiques  » , 
la  substitution  a  eu  lieu  sans  peine  dans  les  Universités.  En  An- 
gleterre, les  Hibbert's  lectures,  conférences  faites  en  vertu  de 
la  fondation  Hibbert,  afïectent  la  forme  de  cours  de  facultés.  En 
France,  la  nouvelle  science  est  cultivée  non  seulement  à  l'École 
des  Hautes  Éludes  et  au  Collège  de  France,  mais  aussi  à  la  faculté 
de  théologie  protest.mteetàla  Sorbonne.  De.s  manuels  .sont  publiés. 


CHRONIQUE  255 

des  articles  de  revues  paraissent,  une  revue  même  a  vu  le 
jour,  la  Revue  de  l'histoire  des  religions.  A  celte  revue, 
écrite  dans  un  esprit  rationaliste,  un  prêtre  distingué  du  clergé 
de  Paris,  M.  l'abbé  Peisson,  a  eu  l'heureuse  idée  d'opposer  la 
Revue  des  religions. 

Il  y  a  encore  le  musée  Guimet.  Qui  na  entendu  parler  du  mu- 
sée Guimet?  On  y  voit  quelques  beaux  dieux  classiques  de  la 
Grèce  et  de  Rome,  quelques /ifa,  quelques  A  m  on,  quelques  Neith 
de  l'Egypte,  mais  surtout  des  Vie/mou  et  des  Siva,  des  déesses 
Kalielôes,  Bouddha  à  foison.  Car  Bouddha,  le  Sakia-Moum, 
le  solitaire  des  Sakias,  Gautama,  pour  l'appeler  de  son  nom  le 
plus  vraisemblable,  Bouddha  est  devenu  l'idole  de  l'Occident 
comme  de  l'Orient  :  on  compte  à  Paris  seulement  une  vingtaine 
de  sectes  plus  ou  moins  bouddhistes  ;  et  M.  de  Rosny,  un  homme 
de  science  —  et  dimaginalion,  —  s'est  fait  son  apôtre. 

A  propos  de  M.  de  Ro.sny,  parlerons-nous  des  belles  dames 
cosmopolites  qui  occupent  leurs  loisirs  à  acclimater  parmi  nous 
le  «  pessimime  >■  et  le  Nirvana  ?  Non.  Disons  .seulement,  en 
deux  mots,  que  1" initiative  de  ce  mouvement  est  due  au  colonel 
Olcott,  un  Américain,  —  et  passons. 

Le  musée  Guimet  n'est  pas  seulement  un  musée,  c'est  encore 
un  centre  littéraire.  11  y  a  là  une  bibliothèque,  et  l'on  y  publie 
des  Annales  fort  érudites,  commme  aussi  des  livres  de  vulga- 
risation, dus  à  la  plume  du  directeur,  fort  complaisant  du  reste, 
du  fameux  musée.  D'ailleurs  lout  se  fait  de  ce  côté  avec  une 
impartialité  parfaite.  M.  Guimet,  un  riche  négociant  de  Lyon, 
n'a,  paraît-il,  jamais  eu  l'intention  de  se  joindre  aux  ennemis  du 
christianisme.  Le  Conseil  municipal  de  Paris  a  même  craint  un 
instant  que  la  vue  des />02/ssrt/^s  ne  donnât  aux  Parisiens  quelque 
idée  religieuse,  et  il  y  a  eu  à  ce  sujet,  au  sein  de  celte  célèbre 
assemblée,  une  curieuse  discussion.  La  majorité  a  pensé  que,  à 
tout  prendre,  les  susdits  powssaAi-  pourraient  devenir  des  auxi- 
liaires de  la  libre-pensée  ;  grâce  à  cet  avis  judicieux,  l'hospitalité 
de  la  ville-lumière  leur  a  été  gracieusement  accordée.  Des  bonzes 
ont  même  donné  une  représentation,  —  pardon,  ils  ont  célébré 
un  office,  —  auquel  ont  assisté  les  plus  émments  personnages  de 
la  République  1 


256  r.HRONIQUE 

Tout  cela  attire  de  plus  eu  plus  l'attentiou  sur  les  diverses 
manifestations  de  la  pensée  religieuse  et  nous  décide  à  donner  ici 
à  grands  traits  le  plan  de  l'enseignement  nouveau,  à  indiquer  les 
idées  principales  qui  s'y  font  jour  et  les  faits  considérables  qu'il 
constate.  Cet  enseignement,  d'ailleurs,  s'imposera  bientôt  à  toutes 
les  grandes  écoles  catholiques.  Déjà,  à  l'Institut  catholique  de 
Paris,  un  maître  éminent,  M.  l'abbé  de  Broglie,  a  été  chargé  de 
débrouiller  ce  chaos.  Il  s'en  est  tiré  avec  grand  honneur,  et 
nous  ne  connaissons  rien  de  plus  clair  et  de  plus  substantiel  que 
son  opuscule  :  Problèmes  et  conclusions  de  l'histoire  des 
religions. 

Nous  n'avons  pas  la  prétention  de  rivaliser  avec  notre  savant 
ami,  et  nous  nous  nous  plaisons  à  avouer  que  ses  enseignements 
nous  ont  servi  de  guide  dans  nos  recherches  personnelles,  comme 
en  définitive  ses  conclusions  sont  les  nôtres. 

Examinons  successivement  les  divers  systèmes  généraux,  qui 
prétendent  expliquer  «  l'évolution  religieuse  «  de  l'humanité. 
Nous  verrons  ensuite  ce  que  l'on  peut  avancer  de  certain  ou  de 
probable  sur  les  diverses  formes  que  la  religion  a  revêtues  chez 
les  différents  peuples 

Voici  maintenant  les  conclusions  de  l'auteur  : 

«  D'abord,  rien,  dans  les  données  historiques  que  nous  avons 
rappelées,  rien  n'exclut  le  monothéisme  primitif  ;  tout,  au  con- 
traire, rend  son  existence  probable,  tandis  que  l'hypothèse  oppo- 
sée reste  une  pure  création  de  parti  pris. 

De  plus,  nous  devons  conclure,  après  l'examen  de  toutes  les 
croyances  religieuses  de  l'humanité,  à  leur  infériorité  à  l'égard  du 
christianisme.  Tout  ce  qu'elles  contiennent  de  bon,  le  christia- 
nisme le  possède.  Toutes  leurs  lacunes,  le  christianisme  les 
comble.  Monothéisme  précis,  espérances  positives,  morale  com- 
plète, il  a  tout  ce  qui  manque  aux  plus  grandes  religions. 

Rien  donc  de  plus  inoffensif,  rien  même  de  plus  utile  que  la 
nouvelle  science,  fort  vieille  d'ailleurs,  dont  on  mène  si  grand 
bruit.  Elle  ne  peut  servir  aux  dessins  de  la  libre-pensée  qu'à  la 
condition  d'être  traitée  avec  un  esprit  préconçu,  avec  un  esprit 
anti- scientifique.  H  y  a  donc  là  un  champ  à  cultiver  pour  les 
honnnes  d'étude  qui  joignent  le  bonheur  de  croire  à  l'avantage  de 


CHRONIQUE  257 

savoir.  Leurs  travaux  contribueront  à  faire  la  lumière  au  milieu 
de  ces  ténèbres  palpables  que  les  ennemis  de  la  vérité  entretien- 
nent soignauseraent  et  défendent  de  toutes  leurs  forces  contre  les 
rayons  du  soleil.  » 

—  La  Revue  des  Revues  mentionne  à  son  tour  les  travaux  ré- 
cents sur  la  science  des  religions  et  fait  ressortir  son  importance. 

«  Nos  lecteurs,  lisons-nous  dans  un  de  ses  derniers  numéros, 
ont  eu  l'occasion  de  constater,  a  plusieurs  reprises,  le  grand  mou- 
vement qui  se  manifeste  dans  le  domaine  religieux.  Il  a  été 
donné  à  notre  fin  de  siècle,  si  incrédule  et  si  railleuse,  de  dé- 
velopper d'une  façon  prodigieuse  cet  invincible  besoin  du  mysté- 
rieux, qui  réside  au  fond  de  nos  âmes.  Dans  les  articles  consa- 
crés à  X Avenir  de  la  religion  et  à  \ Evolution  religieuse^ 
nous  avons  fait  ressortir  ce  fait  surprenant,  que  cette  activité 
fiévreuse,  non  seulement  règne  dans  le  domaine  purement  reli- 
gieux, mais  s'efforce  également  d'envahir  le  domaine  des  sciences. 
Ce  mouvement  prend  de  telles  proportions  que  la  Bévue  des 
Revues  ne  saurait  s'en  désintéres.-er.  Fidèles  à  notre  principe 
d'impartialité  et   de  tolérance  absolues,  nous  relevons  au 
même  litre  les  articles  des  croyants  et  ceux  des  non  croyants. 
C'est  en  vertu  de  ces  principes,  que  nous  olïrons  à  nos  lecteurs 
le  résumé  d'un  article  remarquable  que  M.  J.  Fontaine  vient  de 
consacrer  dans  les  Etudes  rédigées  parles  Jésuites,  ^\di  science 
des  religions  {hier o graphie).  Rappelons  à  ce  propos  que  le 
même  périodique  a  déjà  publié  un  travail  du  même  auteur  (jan- 
vier 1892),  sur  l'état  actuel  de  \  hier  o  graphie.  M.  Fontaine 
reconnaît  avant  tout  l'utilité  de  celle  science  et  admet  que  son 
enseignement  ne  disparaîtra  plus   du  programme  des  hautes 
études,  car  elle  se  rattache  par  trop  de  liens  au  progrès  qui  s'est 
opéré  dans  toutes  les  branches  des  sciences  historiques.  Cet  aveu 
est  du  meilleur  augure  pour  celte  nouvelle  science,  qui  gagne 
de  sérieux  alliés  dans  les  personnes  des  successeurs  des  pères 
Ricci,  Gaubil  et  lant  d'autres,  qui  ont  contribué  d'une  façon  si 
puissante  au  progrès  de  la  philologie  comparée,  cette  base  solide 
de  la  science  des  religions.  »  L'auteur  analyse  ensuite  l'article 
puhliéé  par  les  études  religieuses  au  mois  d'octobre  dernier. 
Il  y  a  un  siècle,  nous  dit  le  grand  périodique  dirigé  par  les 


258  CHRONIQUE 

Pères  de  la  compagnie  de  Jésus,  on  ne  connaissait  guère  de  lan- 
tiquité  que  les  civilisations  brillantes  qui  s'étaient  épanouies  sur 
les  rivages  delà  Méditerranée.  Les  littératures  grecque  et  latine 
nous  faisaient  cependant  entrevoir  les  civilisations  beaucoup  plus 
anciennes  de  l'Egypte  et  du  bassin  del'Euphrate  et  du  Tigre.  Mais 
les  documents  quelles  nous  fournissaient  étaient  des  plus  in- 
complets. L'origine  et  les  progrés  de  l'égyptologie,  les  décou- 
vertes merveilleuses  faites  dans  le  bassin  de  l'Euphraie,  les 
innombrables  et  précieux  manuscrits  que  des  cherclieurs  pa- 
tients et  sagaces  ont  rencontrés  dans  les  bibliotbéques  euro- 
péennes et  les  monuments  de  rarchilecture  ancienne,  mis  au  jour 
tout  récemment,  ont  révolutionné  les  éludes  du  passé. 

Le  palais  de  Rliorsaba,  bàli  par  Sargon,  père  de  Sennachérib, 
résidence  d'été  des  rois  assyriens,  ofîre  à  l'admiration  des  archéo- 
logues des  peintures  et  des  sculptures  couvrant  à  peu  près  6,000 
mètres  carrés  de  superficie.  Les  murailles  sont  ornées  de  bas-  reliefs 
et  d'inscriptions  innombrables...  Les  Anglais  firent  une  trouvaille 
qui  devait  avoir  des  résultats  plus  considérables  encore.  Ils 
mirent  au  jour  la  bibliothèque  d'Assurbanipal,  composée,  pré- 
tend-on, de  20,000  volumes...  Cette  bibliothèque  a  été  trans- 
portée en  grande  partie  au  British  Muséum.  On  travaille  encore 
à  sa  reconstitution  et  à  sondéchilTrement...  Selon  M.  Lenormant, 
les  matériaux  qu'on  y  retrouve,  relatifs  au  passé  religieux  de 
l'Assyrie  et  de  la  Babylonie,  sont  inappréciables...  D'autre  part, 
la  philologie  nous  a  révélé  cet  extrême  Client,  dont  les  hiéro- 
graphes  étudient  les  religions  avec  tant  d'ardeur. . .  La  philologie 
comparée,  dont  Leibnilz  eut  le  premier  l'idée,  et  qui  doit  tant  au 
père  Cœurdoux,  le  célèbre  missionnaire  jésuite,  les  études  des 
langues  orientales,  l'apparition  de  la  Grammaire  comparée  de 
13opp,  voilà  les  éléments  de  la  science  de  religions. 

A  mesure  que  les  deux  Schlegel,  Wilkins,  Eugène  Burnouf, 
Bopp  et  bien  d'autres  décomposaient,  en  quelque  sorte,  le  méca- 
nisme grammatical  et  logique  des  langues  indo-européennes,  on 
tâchait  peu  à  peu  d'arriver  à  une  complète  résurrection  du  passé, 
dans  lequel  les  religions  ont  joué  un  rôle  si  prépondérant.  Les 
érudits  ont  été  amenés,  de  cette  sorte,  ù  déchitîrer  les  livres 
sacrés  de  l'Inde  :  les  Yédas,  les  luis  de  Manou,  les  manuscrits 


CHRONIQUE  259 

bouddhiques,  etc..  La  richesse  des  manuscrits  découverts  dans 
les  différentes  régions  exotiques,  est  tout  à  fait  incalculable... 
Ainsi,  Hodgson  a  reçu,  d'un  bonze  de  Palan  les  livres  canoniques 
de  la  doctrine  de  Cal^:ia-Mouni,  et  il  est  arrivé  à  pouvoir  offrira  la 
société  asiatique  du  Bengale  60  volumes  bouddhiques  en  sans- 
crit, et  250  en  thibétain...  G.  Turnour  obtint  en  même  temps  des 
prêtres  singhalais  une  collection  en  langue  /j'Hi  des  livres  boud- 
dhiques; un  Hongrois,  G.  de  Koros,  a  découvert  de  son  côté  une 
véritable  encyclopédie  iiouddhique  ..  Ajoutons-y  les  travaux  chi- 
nois laissés  par  le  missionnaire  Ricci  et  ses  élèves,  les  pères 
Prémare  et  Gaubil  (XYll-^  et  XYlll''  siècles)  qui  ont  découvert  le 
monde  chinoise  la  stupéfaction  des  savants  européens... 

Yoilà  une  série  de  causes  qui  devaient  nécessairement  contri- 
buer à  l'éclosion  et  au  développement  de  la  science  des  reli- 
gions. 

Sagement  comprise  et  étudiée  en  dehois  de  tout  esprit  .sec- 
taire, elle  éclairerait  d'une  lumière  spéciale  l'état  passé  et  pré- 
sent des  peuples  païens  De  larges  horizons  s'ouvrent,  à  cet  elïet 
devant  les  hiérographes.  Inutile  d'insister  sur  l'mfluence  que  les 
religions  exercent,  non  seulement  sur  l'esprit  et  le  cœur  des  in- 
dividus, mais  encore  sur  les  mœurs,  les  coutumes  et  les  institu- 
tions politiques  et  sociales.  On  pourrait  ainsi  reprendre  et  faire, 
à  regard  des  ditïérents  peuples  orientaux,  ce  que  Fustel  de  Gou- 
langes  a  si  bien  fait  pour  les  Grecs  et  les  Romains,  et  établir 
comment  et  de  quelle  façon  la  famille  et  la  société  se  sont  cons- 
tituées sous  l'influence  des  idées  religieuses.  L'œuvre  serait  sans 
doute  plus  compliquée  et  plus  difficile  que  celle  faite  par  l'auteur 
de  la  Cité  aiitigue.  Quelle  part  attribuer  à  chacune  de  ces  reli- 
gions si  disparates,  qui  ont  dominé  en  même  temps  les  vastes 
empires  de  lOrient  ?  Gomment  dégager  les  mille  liens  qui  unis- 
sent les  croyances  avec  les  mœurs  et  les  institutions  du  pays? 

La  science  des  religions  est  devenue  également  nécessaire 
pour  les  missionnaires.  «  Jamais  on  ne  combattra  efficacement  le 
confucianisme  auprès  des  lettrés  chinois,  le  bouddhisme  auprès 
des  bonzes,  le  l)rahmanisme  auprès  de  la  caste  orgueilleuse  qui 
opprime  Tlnde,  si  on  n'a  étudié  les  Kiogs,  les  lois  de  Manou  et 
la  Tripitaka.  » 


260  CHRONIQUE 

En  Unissant  Fauteur  relève  celte  remarque  judicieuse  du  P. 
Fonlai.ie,  que  les  catholiques  feraient  bien,  au  lieu  d'élever  contre 
cette  science  des  récriminations  inutiles,  de  s'en  emparer,  et  de 
lui  donner  à  leur  tour  une  place  convenable,  dans  leurs  plans 
d'études  et  dans  l'enseignement  de  leurs  universités. 

—  Voici  les  principaux  cours  faite  celte  année  à  l 'école  des  Hautes- 
Kludes.  M.  Marinier  y  a  traité  du  tabou  océanien  et  des  diverses 
théories  relatives  au  totémisme.  M.  Léon  de  Rosny  s'est  occupé 
des  religions  de  rExtrêmeOrient  et  de  ["Amérique  indienne  ;  il  a 
étudié  le  mythe  de  Sosa  Noo,  les  origines  du  taoïsme,  les  reli- 
gions du  Pérou,  les  textes  bouddhiques,  chinois,  siamois  et  japo- 
nais, le  qquipou,  et  le  Tonalcualt  américain.  M.  Sylvain  Lévi 
a  traité  du  bouddhisme  septentrional  et  expUqué  lAbhidharma- 
Koça.  M.  Amélineau  a  donné  une  explicaiion  des  textes  copies 
et  du  livre  des  funérailles  des  anciens  Égyptiens.  M.  Maurice 
Vernes  a  fait  Ihistoire  d'Israël  depuis  les  origines  jusqu'à  David 
et  expliqué  la  première  parti  du  lieu  d'isaïe.  M.  Hartvig  Deren- 
bourg  a  continué  l'explication  du  Coran  et  donné  une  classifi- 
cation des  divinités  de  TArabie  méridionale,  d'après  les  inscrip- 
tions sabéennes  et  himyariles.  M.  André  Berlhelot  a  traité  de  la 
religion  à  l'époque  homérique  et  hésiodique.  M.  Sabalier  a  retracé 
l'histoire  des  conflits  de  l'apôlre  Saint  Paul  avec  les  chrétiens 
judaïsants.  M.  Albert  Réville  a  continué  l'histoire  des  dogmes 
chrétiens.  M.  Picavet  a  étudié  la  scolastique  au  temps  de  St- 
Thomas. 

A  la  faculté  des  lettres,  M.  Croisel  a  étudié  l'histoire  des  idées 
morales  dans  la  littéralure  antique;  M.  Bouché-Leclercq,  la  reli- 
gion grecque  dans  ses  rapporis  avec  les  institutions  politiques  ; 
M  Henry,  divers  textes  védiques  ;  M.  Brochard  a  fait  1  histoire 
des  théories  morales  dans  la  philosophie  grecque. 

A  l'école  des  Hautes-Etudes,  M.  l'abbé  Duchesne  a  étudié  les 
sources  du  droit  canonique  en  France  avant  les  fausses  décrélales  ; 
M.  James  Darmesteler  a  expliqué  des  textes  zends  ;  M.  Carrière  a 
fait  une  élude  critique  du  livre  de  la  Genèse. 

M.  Albert  Réville,  a  fait  au  Collège  de  France  un  cours  sur  la 
Vie  de  Jésus;  M.  Foucart  y  a  étudié,  les  Mystères  d'Eleusis; 
M.  Glermont  Ganneau,  les  inscriptions  hébraïques  de  Jérusalem; 


cimoiNiQUE  201 

M  Maspéro  les  textes  des  pyramides  relatifs  à  l'ancienne  religion 
de  l'Égyple  ;  M;  James  Darmesteler  des  fragments  inédits  du 
Zend-Avesia  ;  M.  Foucaiix.  des  extraits  du  Mahâbhàrata  et  le 
Lalila-Vistara. 

—  L'exposition  de  Chicago  verra  en  181)3  au  Parlement  des 
religions,  comme  disent  les  américains,  c'est-à-dire  un  congrès 
ou  seront  représentées  les  dilïérenles  religions  de  l'Univers.  Un 
comité  organisateur  a  été  fondé  dans  ce  but  sous  la  présidence 
du  Révérend  John  Henry  Barrows. 

—  L'Université  de  Pennsylvanie  a  organisé  Tannée  dernière 
une  exposition  des  dilïérenls  objets  propres  aux  cultes  orientaux, 
avec  un  catalogue  contenant  un  exposé  succint  des  ditïérentes 
religions. 

—  M.  ïoy,  professeur  de  l'Université  d'Harvard,  a  publié  à 
Boston  un  œuvre  de  vulgarisation  intitulée  :  JudaUm  and  Chrh- 
iianHi/.  L'auteur  étudie  d'abord  la  religion  en  général,  puis  il 
décrit  l'évolution  qui  va  des  origines  religieuses  dlsraëlàl'Evan- 
gileetau  christianisme.  M.  Toy  est  tout-;i  fait  en  contradiction 
avec  I  école  traditionnelle. 

—  M.  Otto  Pfleiderer  a  fait  ceile  année  à  Edimbourg  les  cours 
delà  fondation Gifford. 

—  La  science  des  religions  fait  cette  année  son  entrée  ofllcielle 
à  l'Université  de  Copenhague.  M.  le  Dr.  Oscar  Hansen  y  fera  un 
cours  sur  la  Méthode  de  la  science  générale  des  religions 

—  A  la  fin  de  l'année  dernière,  la  section  des  sciences  reli- 
gieuses de  f Ecole  des  Hantes-Etudes  a  publié  un  résumé 
de  ses  travaux  pendant  les  trois  dernières  années.  Désormais 
chaque  section  aura  son  rapport  particulier. 

—  Le  docteur  Breyer,  dUlrecht,  publie  une  série  d'études  d'his- 
toire religieuse  sous  le  litre  de  :  \ieuwe  bijdragen  op  het  ge- 
hied  can  godgeleerdheit  en  i''jsbegeerte.  Le  manuel  d'his- 
toire des  religions  de  M.  Lauiers,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  fait 
partie  de  cette  collection. 

— M.  TabbéDelfour,  professeur  à  l'École  St-Nicolas  de  Nîmes,  a 
fait  ressortir  dans  sa  remarquable  thèse,  la  Bible  dans  Racine, 
l'importance  (Jes  étudesi  religieuses.  Il  se  plaint  avec  raison  que 


202  GHRONTQUR 

notre  critique  littéraire  ne  tient  pas  assez  compte  de  l'Orient  et  de 
ses  antiques  religions. 

— Lachroniquede la  Revue deV Histoire desreligiom apprécie 
en  ces  termes  la  part  qu'à  prise  M.  Ernest  Renan  au  mouvement 
actuel  de  la  science  qui  nous  occupe  ici  :  «  Dans  le  deuil  national 
provoqué  par  la  mort  de  l'illustre  écrivain,  il  y  a  une  part  plus 
spéciale  et  plus  intime  pour  ceux  qui  se  consacrent  aux  études 
d'histoire  et  de  critique  religieuses,  dont  il  a  été  le  restaurateur 
en  France  et  dans  laquelle  il  a  si  puissamment  marqué  l'em- 
preinte de  son  esprit  pour  le  monde  scienlifique  tout  entiei-.  I.a 
cause  à  laquelle  la  rédaction  de  la  Rpime  de  l Histoire  des  reli- 
gions travaille  sans  relâche  depuis  treize  ans,  élait  une  de  celles 
qui  lui  tenaient  le  plus  à  cœur.  Par  le  prestige  de  son  talent  litté- 
raire, il  avait  forcé  le  public  à  comprendre  l'importance  et  l'inté- 
rêt de  ces  études,  sur  un  domaine  que,  en  dehors  des  pays  pro- 
testants, on  considérait  comme  soustrait  à  l'enquête  scientifique 
et  propre  seulement  à  provoquer  des  apologies  ou  des  attaques 
dédaigneuses  et  violentes.  Ernest  Renan  a  été  le  principal  arti- 
san de  la  nouvelle  disposition  de  l'esprit  public  qui  a  rendu  pos- 
sible la  création  des  chaires  consacrées  à  l'enseignement  de 
l'histoire  des  religions,  celle  des  institutions  destinées  à  faire 
connaître  les  mouvements  religieux  de  tous  les  temps  et  de  tous 
les  peuples,  celle  de  notre  Revue  elle-même.  En  adressant  à  sa 
mémoire  l'hommage  de  notre  admiration  et  de  notre  reconais- 
sance,  nous  accomplissons  le  plus  élémentaire  de  nos  de- 
voirs, n 

—  Les  travaux  de  la  Mission  archéologique  fra7içaisp  du 
Caire  se  succèdent  avec  rapidité.  Le  4''  volume,  comme  nous 
l'avons  annoncé  est  l'œuvre  de  M.  Amélineau,  et  a  pour  objet 
les  monuments  pour  servir  à  Vhisioirfi  de  VEgypte  chré- 
tienne au  TV  el  V  siècles.  M.  Maspero  et  ses  collaborateurs, 
MM.  Virey,  Bénédicte,  Bouriant,  Boussac  et  Chassinat  nous  ont 
donné  dans  le  suivant  la  description  des  tombeaux  Ihébains.  Le 
sixième  volume  contient  \q^  fragments  de  In  version  thébaine 
de  fancien  Testament  publiées  par  M.  Maspero.  Le  septième 
est  dû  à  M.  Bourgoin,  et  contient  un  précis  de  l'art  arabe.  Le 
suivant  contient  des  fragments  d'un  texte  que  M.  Bouriant  faitre- 


r;TTT10>ÎTOTTE  ?'^'-'^ 

monter  an  VII*  siècle  et  relatif  au  concile  d"Éphèse.  On  annonce 
pour  paraître  encore  la  description  du  temple  d'Edfoii  par 
M.  de  Rochemonleix,  que  la  mort  vient  de  ravir,  mais  dont 
M.  Maspero  continue  l'œuvre. 

—  Sir  Alfred  RiisselWallace est  unpartisandécidé  du  spiritisme. 
On  s'en  convaincra  en  lisant  son  livre  sur  Jes  miracles  elle 
moderne  spiritisme,  que  publie  la  librairie  des  sciences  psy- 
cliologi(iues.  D'après  lui  on  ne  saurait  révoquer  en  doute  les  phé- 
nomènes qui  se  produisent  dans  les  sciences  spirites,  comme 
apparitions,  déplacement  d'objets,  etc.  Le  nombre  et  la  valeur  des 
témoignages  en  font  un  fait  d'une  vérité  indiscutable. 

—  M.  Fr.  Paulhan  a  publié  dans  la  Revue  dea  Deux  Mondes, 
du  l^""  novembre  dernier,  une  étude  sur  les  Ballucinalions  véri- 
diques  et  In  suggestioii  meniale.  Il  y  résume  les  princi- 
paux travaux  publiés  sur  cette  matière,  aussi  importante  que 
difficile,  et  il  conclut  qu'il  n'est  pas  possible  de  nier  certaines  ma- 
nifestations de  la  vie  psychique,  quelques  contraires  qu'elles 
soient  aux  données  de  la  science. 

—  Les  conclusions  de  l'école  d'anthropologie  criminelle  fondée 
par  Lambroso  ont  trouvé  une  réfutation  complète  dans  l'excellent 
livre  de  M.  le  D''  Francotte,  et  qui  a  pour  titre  :  UAntropolo- 
gie  criminelle.  Il  a  été  publié  à  Liège  chez  Nierstras.  Ecrit 
avec  impartialité,  ce  livre  sera  un  guide  excellent  pour  tous 
ceux  qui  désirent  aborder  l'examen  du  problème  de  la  ciiminalité. 
Ils  y  trouveront  dans  une  première  partie  la  description  du  pré- 
tendu «  type  criminel  »  dont  l'existence  n'est  aucunement  démon- 
trée. Les  affirmations  de  l'école  anthropologique  en  ce  qui  concerne 
les  criminels  Incorrigibles  ne  sont  pas  mieux  fondées.  Dans  la 
troi-sième  partie  du  livre,  l'auteur  indique  les  principales  applica- 
cations  que  les  partisans  de  l'école  entendent  faire  de  leurs  doc- 
trines en  matière  de  législation  pénale.  Un  appendice  renferme 
l'exposé  de  la  méthode  des  signalements  anthropométriques  de 
Berlillon.  Les  résultats  en  sont  merveilleux  :  surplus  de  31,000 
individus  examinés  en  1889  à  Paris,  la  statistique  ne  signale  que 
4  échecs. 

—  Le  même  sujet  a  été  abordé  par  M.  Laurent  dans  .son  livre  : 
r Anthropologie  criminelle  rf   les  îio7/vpllrs  tlt^orifn    du 


264  CHRONIQUE 

crime.  L'auteur  s'est  proposé  de  vulgariser  les  recherches  de 
l'école  positiviste  en  ce  qui  concerne  l'anthropologie  criminelle. 
Dans  ce  but,  il  a  résumé  en  un  volume  les  diverses  théories  émises 
au  sujet  du  problème  de  la  criininalilé.  La  lecture  de  ce  volume 
n'est  pas  faite  pour  gagner  aux  idées  positivistes  le  lecteur  im- 
partial. 

—  Les  musées  du  Vatican  viennent  de  s'enrichir  d'une  nou- 
velle salle  :  la  salle  assyrienne  qi]i  sera  adjointe  au  musée  égyp- 
tien. On  y  placera  des  inscriptions  et  des  débris  de  monuments 
provenant  des  fouilles  de  Ninive. 

— 11  s'est  formé  au  Pérou  une  société  dont  le  but  est  d'orga- 
niser des  fouilles  importantes  sur  l'emplacement  du  fameux. 
temple  du  Soled,  dont  la  réputation  élait  si  grande  chez  les 
Incas. 

—  M.  Goodyear  a  publié  chez  Sampson  à  Londres,  une  histoire 
du  lotus  :  The  Grammar  of  the  Lotus.  Ses  appréciations  sur 
les  significations  mystiques  de  la  plante  sacrée  ne  reposent  pas 
toujours  .sur  des  preuves  suffisantes.  Jl  nie  (ju'il  y  eut  en  Kgypie 
deux  plantes  sacrées,  le  lotus  et  le  papyrus.  Le  papyrus  est  rare- 
ment représenté  sur  des  monuments  ;  il  y  aurait  en  outre  deux 
formes  adoptées  pour  le  lotus,  Tune  dans  l'ÉgypIe  du  Nord, 
Fautre  dans  l'Egypte  du  Sud. 

—M.  Picard  a  publié  sur  l'antisémitisme  un  recueil  deconféren- 
ces.  L'auteur  a  traité  aussi  dans  des  revues  diverses  questions 
qu'il  rattache  à  l'Antisémitisme  :  la  Bible  et  le  Coran,  les  Hym- 
nes védiques,  l'Art  arabe,  les  Juifs  au  Maroc  de  Mellali  de  Méqui- 
nez,  le  Mellah  de  Fez). 

Les  thèses  de  M.  Picard  sont  audacieusement  novatrices  en 
ethnographie  et  en  religion  et  ont  déjà  rencontré  des  contradic- 
teurs. 

—  La  libi'airie  Maissonneuve  à  Paris  publie  sous  un  nom 
d'emprunt,  (Viçwa  M  lira  )  une  étude  sur  Les  Chamites  -.  Indes 
pré-aryennes  (berceau).  Origines  des  Égyptiens,  Libyens,  Sabé- 
ens,  Chananéens  et  Phéniciens,  des  Polynésiens,  de  la  civilisa- 
tion chaldéo-babylonienne,  de  celle  de  l'Amérique  centrale,  du 
calendrier,  des  mégalithes,  des  noms  dénombre,  de  la  métallur- 
gie, etc.,  etc.  Site  du  Paradis  lerreslre,  I/auleur  de  ce  remar- 


CHRONIQUE  265 

quable  liavail,  le  K.  P.  Etienne  Brosse  de  l'Ordre  de  Saint- Domi- 
nique, s'est  consacré  depuis  de  longues  années  aux  missions 
des  Antilles  dans  le  diocèse  de  Port  d'Espagne,  et  il  s'occupe 
spécialement  de  l'évangélisalion  des  lépreux  réunis  en  grand 
nombre  dans  rii<»pital  de  Gocorile. 

—  M.  Jean  Spiro  a  lait  à  l'Université  de  Lausanne  une  série  de 
cours  sur  les  langues  et  les  littératures  orientales. 

—  Ainsi  que  nous  lavons  annoncé,  le  conseil  municipal  de 
Saint-Denis  confère  le  boplèine  civil.  A  la  place  du  Credo  on 
cliante  la  Marseillaise,  puis  le  président  prononce  une  courte  al- 
locution et  donné  lecture  de  l'acte  de  Baptême  ainsi  conçu  : 

«  Le  ...,  an  101,  de  la  République  française,  en  la  maison  com- 
mune, par  devant  moiX...  président  de  la  société  des  baptêmes 
civils  à  St-Denis,  ont  comparu  les  citoyens  L...,  père  et  mère  de 
l'enfant  ;  lesquels  nous  ont  représenté  le  bulletin  de  naissance  de 
l'enfant  L...  né  à  Saint-Denis.  D'une  jiart  le  citoyen  E...  et  la 
citoyenne  M...  d'autre  part...  voulant  pour  le  présent  et  pour  l'ave- 
nir atTrancbir  leur  enfant  delà  tutelle  de  l'Église  et  désirant  lui 
assurer  ime  seconde  famille  au  cas  où  ils  viendraient  à  décéder 
avant  que  cet  enfant  ne  soit  en  état  de  suffire  à  ses  propres  be- 
soins, ilsle recommandent  aux  bons  soins  îles  citoyens  L...  et  M... 
Au  nom  de  l'iiumanilé,  les  citoyens  désignés  ci-dessus  pren- 
nent l'engagement  de  suljvenir,  dans  la  mesure  de  leurs  moyens, 
aux  besoins  de  cet  enfant,  dans  le  cas  où  ses  parents  viendraient 
à  lui  faire  défaut,  et  promettent  de  l'élever  dans  l'amour  du  tra- 
vail et  delalibeité  ;  ds  s'engagent,  en  outre,  à  lui  inculquer  des 
sentiments  de  fraternité  propres  à  en  faire  un  bon  citoyen  et  un 
bon  républicain.  »  Que  l'on  vienne  nous  dire  après  cela  que  l'on 
trouve  des  sauvages  sans  religion. 

II.  Religion  elirctienne.  —M  Ptleiderera  publié  l'année 
dernière  une  histoire  de  la  théologie  allemande.  L'auteur  y  a 
ajouté  en  appendice  une  esquisse  de  l'histoire  de  la  théologie 
anglaise  depuis  182o.  Louvrage-comprend  trois  livres.  Le  pre- 
mier a  pour  objet  la  philosophie  idéaliste  de  KanI,  Fichle,  Her- 
der,  etc.  L'auteur  y  trouve  l'origine  de  la  théologie  moderne.  Le 
second  livre  expose  le  développement  de  la  théologie  philoso- 


200  r.TTRONTOTTR 

phique.  Dans  le  troisième  on  trouve  résumée  les  travaux  relatifs 
à  la  critique  biblique  et  â  Tliistoire  de  l'Église.  Nous  avons  déjà 
signalé  les  tendances  de  M.  Pfleiderer  :  nous  les  retrouvons  dans 
cet  ouvrage. 

—  Encore  un  peu  de  temps  et  il  ne  manquera  plus  à  l'Église 
anglicane  qu'a  changer  son  nom  en  celui  de  catholique. 
Depuis  le  fameux  jugement  en  faveur  de  l'évèque  anglican  de 
Lincoln,  les  rétables  et  statues  des  saints  ont  fait  leur  rentrée  dans 
ses  églises  ;  la  messe  y  est  chantée  avec  diacre  et  sous-diacre  et 
la  notation  catholique  (la  préface  est  cependant  encore  chantée 
en  a«;7/«?.s),  les  cierges,  l'encens  et  l'ensemble  des  cérémonies 
romaines  y  est  introduit.  Les  ornemeuls  sacrés,  les  vê- 
tements des  ministres,  jusqu'à  ceux  qu'ils  portent  en  public, 
sont  les  mêmes.  Au  dernier  carême,  à  Saint-Alban,  les  protes- 
tants ont  fait  le  chemin  de  la  Croix  tous  les  vendredis,  avec  le 
chant  du  Stahat.  Le  Vendredi  Saint,  les  trois  heures  d'agonie 
ont  été  préchées  dans  beaucoup  de  leurs  églises. 

—  M.  Farrer  appartient  à  l'école  de  E.  Havet  qui  attribuait 
à  la  civilisation  greco-romaine  tout  ce  qu'il  y  avait  de  supérieur 
dans  le  christianisme.  On  pourra  s'en  convaincre  en  lisant  .son 
livre  :  Paganism  and  Chrhtianity,  publié  à  Londres  chez 
Black. 

—  La  librairie  Mohr  de  Fribourg-en-Brisgau,  publie  en  quatre 
volumes  un  commentaire  du  Nouveau  Testament  :  Handcom- 
mentar  zum  Neuen  Testament.  Cet  ouvrage  a  pour  but  de 
résumer  les  résultats  scientifiquement  acquis  dans  l'interpré- 
tation du  Nouveau  Testament.  Deux  volumes  sont  l'œnvre  de 
M.  Holtzmann,  professeur  à  l'Université  de  Strasbourg. 

—  Les  5"  et  6^  fascicules  des  Jesiiiten-Fabeln  par  le  P.  Be- 
rnhard  Duhr,  traitent  des  questions  suivantes  : 

Empoisonneurs  jésuites.  —  Les  Jésuites  falsificateurs  de  docu- 
ments. —  Les  confesseurs  de  la  cour  de  l'ordre  des  Jésuites.  — " 
Le  renoncement  à  leur  patrie  par  les  Jésuites.  —  Les  crimes  des 
•Tésuites  enSaxe.  —  Un  meurtre  des  Jésuites  â  Dresde. —  Le 
massacre  de  Thorn.  —  L'infâme  morale  des  Jésuites.  —  Bû- 
chers flambloyants.  —  Ce  seul  exposé  dispense  de  tout  commen- 
taire. 


r.HRONîQUR  207 

—  M.  Chevalier  a  publié  une  élude  sur  la  poésie  liturgique 
au  moyen-âge.  La  poésie  liturgique  au  moyen  âge  élait  tenue  en 
médiocre  estime  sous  le  règne  des  Médicis  et  longtemps  encore 
plus  tard.  Gest  sous  l'empire  de  ces  idées  erronées  que  le  Pape 
Urbain  VIII,  poète  latin  à  ses  heures,  cbargea  les  Jésuites  Slrada, 
Petrucci  et  Galuzzi  de  corriger  les  hymnes  du  bréviaire  romain. 
Cette  réforme  est  sévèrement  jugée  aujourd'hui  comme  le  l'ait 
bien  ressortir  l'auteur. 

—  Il  était  bien  permis  de  s'étonner  quHermas  ayant  écrit  son 
livre  probablement  vers  140-1."^)0,  n'ait  pas  reproduit  un  seul  pas- 
sage des  Kvangiles,  et  l'on  pouvait  se  demander  s'il  les  avait 
connus.  Il  ne  cite  pas  davantage  l'Ancien  Testament.  En  fait,  il 
n'existe  dans  le  Pasteur,  qu'une  citaiion  directe,  et  elle  est  em- 
pruntée à  un  apocryphe  inconnu,  Eldad  et  Modat  (Vis.  II,  m. 
M.  Taylor  croit  cependant  qu'on  y  peut  trouver  une  foule  d'al- 
lusions aux  Évangiles  et  à  d'autres  écrits  encore.  Hermas  con- 
naissait la  littérature  chrétienne  de  son  temps,  s'en  sert  fré- 
quemment, il  s'était  assimilé  lÉpîire  de  saint  Jacques  pour  en 
reproduire  presque  fidèlement  plusieurs  passages  dans  son  Pas- 
teur. Le  symbolisme  de  ses  visions  est  clairement  emprunté 
â  l'Apocalypse,  M.  Taylor  étudie  donc  minutieusement  le  J*as- 
^e?^;- d'Herraas,  il  en  fait  l'analyse,  la  synthèse,  et  par  des  procé- 
dés assez  compliqués  il  y  retrouve  des  allusions  aux  quatre  Évan- 
giles, aux  événements  principaux  de  la  vie  de  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ  et  il  montre  qu'à  chaque  page  de  son  livre  Hermas 
s'est  souvenu  de  l'Evangile  selon  saint  Jean.  (1) 

—  Sous  ce  titre  :  Auh>'ac,  son  ancien  hôpital,  ses  mon- 
tagnes, etc.^  M.  le  curé  de  celte  paroisse,  l'abbé  Deltour,  publie 
un  intéressant  travail  d'histoire  lorale  et  ecclésiastique. 

Dans  une  courte  introduction,  il  nous  transporte  sur  le  sommet 
de  la  plus  haute  montagne,  1.43o  mètres.  De  là,  il  nous  montre 
l'incomparable  panorama  qui  se  déroule  à  nos  regards.  Puis  il 
arrête  votre  vue  sur  le  tout. petit  village  d'Aubrac  et  nous  raconte 
l'origine  et  l'histoire  de  ce  célèbre  hôpital,  le  plus  célèbre  de  la 


(I)  The  \Vihh>!<<i  f>f  Ilrrmu'i  In  tin'   pvtr  Co^pri-i   l.v  C.  T.wr.on 
Londres,  Clav  and  Sons. 


208  CHRONIQUE 

France  entière.  Rien  de  plus  dramalique  que  l'histoire  des  ori 
gines  de  ce  monastère-hôpital  fondé  par  un  seigneur  flamand. 
Puis  vous  voyez  comme  il  grandit  et  prospère.  Vous  assistez 
avec  intérêt  aux  luttes  qu'il  soutient  et  contre  divers  ordres  puis- 
sants qui  attentent  à  son  indépendance  et  contre  les  Anglais,  les 
malandrins  et  les  protestants,  qui  s'elïorcent  de  le  détruire,  et 
contre  maints  nobles  seigneui's  (jui  lui  disputent  le  terrain,  et 
contre  la  décadence  qui  menace  plusieurs  fois  de  le  dissoudre. 
Il  devient  si  florissant,  si  célèbre,  qu'il  mérite  de  recevoir  la 
visite  de  François  1'^'.  L'histoire  de  Ihôpilal  d'Aubrac  nous 
montre  ce  que  c'est  que  la  vraie  charité  et  ce  que  c'est  que  le 
pauvre.  Le  pauvre,  c'était  le  maître  de  rhôpital-monastère, 
c'était  le  roi,  c'était  Jésus  Christ.  Le  monastère  portait  glorieuse- 
ment le  nom  de  Notre  Dame  des  pauvres  d'Aubrac.  Outre  les 
soins  donnés  aux  pauvres  de  rh('ipital,  on  distribuait,  à  la  porte 
du  monastère,  un  pain  à  tous  les  passants  :  cétait  la  célèbre  au- 
mône de  la  Miche.  Or  le  nombre  s'en  élevait  jusqu'à  cùiq  mille 
tous  les  jours. 

—  Le  Seameii's  Belhel  est  un  navire  consacré  au  culte  évan- 
lique.  Il  appartient  à  un  riche  Anglais,  qui  le  livre  à  différentes 
compagnies  ou  sociétés  religieuses,  dans  le  but  de  catéchiser  les 
populations  maritimes;  à  cet  efl'et,  le  Seame}i's- Belhel  parcourt 
les  côtes,  s'arrètant  dans  chaque  ville  pendant  deux  ou  trois  jours, 
y  distribuait  des  livres  et  y  cé'ébrant  des  oflices  qui  sont  publics. 
Comme  il  ne  sert  absolument  qu'à  cet  usage,  il  est  monté  seule- 
ment par  quelques  liomraes  d'équipage  et  habité  par  trois  pas- 
teurs. La  cale  est  installée  en  chapelle  et  tous  les  soirs  on  y 
chante  des  cantiques. 

—  LeiFasti  Mariani,  sive  Calendarium  festorum  sanctse 
Mariœ  V'wginis  Deiparee^  memoriis  historicis  illu&tralum, 
sont  l'œuvre  d'un  prêtre  américain  du  diocèse  de  Saint-Louis, 
AL  Hohveck  Ce  catalogue  parut  d'abord  dans  une  revue  d'Amé- 
rique, le  Pastoralblatt  (1S88). 

M.  Hohveck  nous  déclare  que  son  Culendarhim  vise  à  être 
universel,  comprenant  toutes  les  fêtes  de  toute  église,  catholique 
ou  non,  celles  du  moins  qui  sont  mentionnées,  comme  sétant 
célébrées  ou  se  célébraal  encore,  dans  les  livres  oftîciels  d'xma. 


CHRONIQUE  269 

ordwrs,  mrnrcs,  nuirfi/rologns,  jnénologes.  elc.  Le  commenlaire 
qui  accompagne  chaque  fêle  est  sirictement  historique.  Son  but 
est  d'ékicider  par  des  note?  succinles  l'objet,  les  cérémonies  et 
l'hisloiredes  fêles  ;  il  n'emprunte  à  l'histoire  de  la  sainte  Vierge 
ou  de  son  culte  que  ce  qui  est  nécessaire  à  l'inlelligence  dechaque 
hle  en  particulier.  L'ouvrage  ainsi  délimité  se  dislingue  des  ou- 
vrages similaires,  notamment  de  ceux  de  Colvener  et  d  Escola, 
par  le  caractère  purement  objectif,  qui  en  fait  l'exposé  du  culle 
officiel  de  la  sain!e  Vierge  dans  toutes  les  Églises  de  l'univers 
chrétien.  L'idée  de  signaler  les  fêtes  consacrées  à  Marie  dans  les 
Églises  dissidentes  est  une  idée  heureuse  ;  la  persistance  de  ce 
culle  chez  les  hétérodoxes  fait  ressorlir  la  place  qu'occupe  la 
Mère  de  Dieu  dans  le  cœur  chrétien,  et,  conséquemment,  l'isole- 
ment complet  du  proteslantisme. 

—  Sous  ce  titre:  LeDogme  de  lavie  future  et  la  libre-pen- 
sée contemporaine.  leR.  P.  Lescœar,de  l'Oratoire,  publie  un  très 
remarquable  ouvraged'apologétique religieuse,  quiest  tout  à  la  fois 
et  une  lumineuse  réfutation  du  malériaiisme  contemporain  el  une 
démonstration  sans  réphque  possible  du  dogme  de  la  vie  future. 

—  [)ie  '/'hrrnpeiden  :  Qu'élail-ce  que  les  Thérapeutes  ?  C'est  à 
celte  queslion  que  M  Nirschl  a  consacré  son  opuscule.  Après 
avoir  examiné  le  'A'  I  '/a  rconii'mpleni'ica  de  Philon  et  conclu 
à  son  authenticité  avec  M.  Massebiau,  l'auteur  passe  en  revue  les 
diverses  opinions  qui  ont  été  émises  au  sujet  des  Thérapeutes. 
Etaient-ils  une  branche  des  Esséniens,  ou  des  philosophes  de 
l'école  de  Pliilon,  des  néopyliiagoriciens,  des  philosophes  et  des 
ascètes  juifs,  des  ascètes  chrétiens?  Il  croit  que  ce  sont  des  ascètes 
chrétiens.  Pour  expliquer  leurs  praliijues  singulières,  il  suppose 
que  les  Thérapeutes  étaient  d'anciens  prêtres  juifs  que  les 
Apôtres  avaient  convertis  à  Jérusalem.  Tout  en  étant  chrétiens, 
ils  avaient  conservé  et  pratiquaient  leurs  usages  juifs. 

•—  M.  La  Mantia  a  publié  les  formules  relatives  aux  jugements 
par  l'eau  froide,  l'eau  bouillante,  le  fer  chaud,  le  pain  et  le  fro- 
mage, formules  retrouvées  à  la  cathédrale  de  Païenne  sur  un 
missel  du  \\V  siècle. 

—  Après  l'édition  de  la  Cati'dihcàQ  saint  Théodore  Sludile,  don- 
née par  le  P.  Cozza-Luzi,  M.  l'abbé  Auvray  en  publie  une  nouvelle 


270  CHRONIQUE 

qui  paraît  supérieure  à  la  première;  elle  a  paru  à  la  librairie  Lecoffre, 
sous  le  litre  latin  :  Sancli  palris  nostri  et  confessons  Theodori 
Sludith  praepoiii'i  Parva  Calechesis.  Grsecum  texlume  codici- 
bus  mullis  nunc  primum  crilice  descriptum.  uti  et  lalinam  P.  J. 
Harduini  S.  J.  inlerprelationem  nonduai  vulgalam  edidit  Emma- 
nuel Auvray  et  annolacione  hislorica  instruxit  A  Tougard,  in 
lilteris  doclor  grand  in-8,  CXII-67o  pag.).  M.  Tougard  et 
M.  Auvray  se  sont  donc  partagés  le  travail.  Voici  le  détail  de  ce 
que  ce  volume  contient.  Les  Prolegomnies  comprennent  :  1°  une 
notice  historique,  pars  hisiorica,  de  saint  Théodore,  en  latin; 
t"  \m%  Introduction  en  français;  3°  un  tableau  synoptique  des 
manuscrits,  présentant  des  catéchèses  dans  l'ordre  alphabétique  ; 
4"  une  revue  des  manuscrits,  o"  le  texte  grec  des  catéchèses, 
suivi  de  la  traduction  latine  inédite  du  P.  Hardoin  (pp.  1-471)  ; 
6°  les  variantes,  Variantes  lectiones  et  notiv;  7"  une  annotation 
historique,  .Xotie  historien',  S°  enfin  des  Indices,  I.  Rerum  séries  ; 
H.  Ordo  Gatechesium  ;  111.  Loca  scripturae  sacr»;  IV.  Index  nomi- 
num  et  rerum.  Trois  gravures  de  saint  Théodore,  deux  lac- 
similes  de  manuscrits,  Colbert,  n"  1018  (X*  siècle),  et  Coislin 
n°  ^71  (XI«  siècle),  ornent  ce  volume.  M.  Auvray  a  établi  son 
édition  sur  treize  manuscrits  qu'il  a  divisés  en  deux  groupes  ; 
le  plus  ancien  de  ces  inanuscrils  est  le  Colbert,,  n"  1018 
(X«  siècle).  Les  copies  ne  méritent  pas  toutes  une  égale 
confiance.  Il  discute  leur  valeur  respective  et  en  retient  les 
variantes,  quand  elles  en  valent  la  peine.  Les  manuscrits  qu'il  a 
suivis  de  préférence,  tant  à  cause  de  leur  àge_que  de  leur  état, 
sont  le  Colbert,  n"  1018  et  le  Coislin,  n°  271. 

—  Le Nestorianisme,  cette  hérésie  qui  remonte  à  Tan  428,  et 
qui,  après  avoir  été  si  florissante  en  Orient,  existe  encore  en  Tur- 
quie et  surtout  en  Perse,  est  sur  le  point  de  disparaître.  Le 
patriarche  nestorien.  Mar  Chisnoun,  vient  de  se  convertir  au 
catholicisme.  Ce  qui  rendait  cette  conversion  plus  difficile,  c'est 
que  le  patriarcat  se  perpétuait  dans  sa  famille  depuis  des  siècles. 
C'est  Mgr  Thomas  Audou,  archevêque  d'Ourmsah,  du  rite  chal- 
déen,  qui  a  reçu  l'adjuration  du  patriarche  hérétique  Cet  événe- 
ment a  porté  un  coup  fatal  au  nestorianisme,  et  on  annonce  la 
conversion  de  plusieurs  évèques  nestoriens. 


CHRONIQUE  271 

—  Le  Socialisme  chrétien,  par  Henri  Joly,  est  un  ouvrage 
plus  que  hardi.  Par  le  temps  qui  court,  où  presque  toutes  les 
confessions  se  réclament  du  socialisme,  Tauleur  conteste  ce  droit 
à  la  religion  chrétienne  et  à  la  religion  juive.  Selon  M  Joly,  ni  la 
Bible,  ni  les  Pères  de  l'Eglise  ne  leur  donnent  le  droit  de  s'ériger 
en  précurseurs  du  socialisme.  L'auteur  combat  par  conséquent, 
et  le  socialisme  de  M.  de  Mun,  et  celui  des  prolestants  français. 

Ces  conclusions  sont  contredites  dans  VEvr.ngelhche  Freiheii^ 
du  D'  1.  Gmelin  de  Tûbingen.  Lauteur  qui  occupe  les  fonctions 
de  pasteur  évangélique,  s'efforce  d'annexer  le  mouvement  social 
au  profit  du  protestantisme.  Si  l'église  en  général,  nous  dit 
M.  Gmelin,  peut  et  doit  s'emparer  de  la  question  sociale,  l'église 
protestante,  grâce  à  l'essence  de  ses  croyances,  "peut  facilement 
arriver  à  dislancer  les  autres  religions  et  donner  au  mouvement 
la  direction  voulue. 

—  Un  journal  protestant  du  Canada  a  résumé  d'après  le  der- 
nier recensement,  les  chiffres  des  diverses  Communions  reli- 
gieuses. Yoici  le  total  donné  pour  chacmie  d'elles  : 

Baplistes 303.749 

Anglicans 64i,106 

Presbytériens 7oo,199 

Méthodistes 847,469 

Catholiques 1,990,465 

On  voit  que  les  catholiques  sont  deux  fois  plus  nombreux,  que 
n'importe  quelle  communion  protestante. 

—  Sous  ce  litre  :  Jcsus  van  Nazareth  naar  Père  Didon^s, 
M.  Kaag  ne  s'est  pas  proposé  de  faire  une  traduction,  mais 
un  abrégé  en  langue  néerlandaise  de  la  grande  œuvre  du  P. 
Didon.  Le  bel  ouvrage  du  dominicain  français  contient  des 
pages  que  l'on  peut  retrancher  de  son  œuvre  tout  en  lui  laissant 
ses  grandes  et  fortes  proportions.  C'est  ce  que  l'éditeur  a  essayé 
de  faire. 

—  L  Histoire  de  l'iù/lise  chrétienne  par  M.  Naef,  ancien 
pasteur  de  l'Eglise  de  (ienève,  n'est  qu'un  résumé  rapide  de 
l'histoire  de  TÉglise  jusqu'à  nos  jours.  Le  séjour  de  Pierre  à- 


272  CHRONIQUE 

Rome,  contrairement  à  l'opinion  des  écrivains  de  son  école,  ne 
lui  semble  pas  devoir  être  rejeté. 

—  M.  A.  Rébelliau  a  mérité  le  titre  de  docteur  és-lettres  en 
Sorbonne  par  une  élude  considérable,  publiée  cliez  Haclielte,  sur 
BossiietJiistoirien  du  Protestantisme.  Sonbutetde  démontrer 
que  VHistoire  des  variations  des  Églises  protestardes  est 
un  ouvrage  vraiment  scientifique,  un  exposé  exact  et  sincère  de 
de  la  c(»ntroYerse  entre  catboliques  et  protestants  au  XVI^  siè- 
cle. «  Bossuet,  écrit  l'auteur,  a  fait  un  récit  d'une  exactitude 
presque  irréprochable,  d'une  clairvoyance  toujours  judicieuse, 
parfois  d'une  originalité  encore  aujourd'hui  méritoire.  L'Histoire 
des  variations  est  pour  la  connaissance  de  la  réforme  alle- 
mande, française  et  anglaise,  un  de  ces  ouvrages  de  seconde 
main  qui,  même  dépassés  par  une  science  plus  ample,  conservent 
une  utilité  durable,  parce  quils  ont  été  à  leur  heure  l'expression 
loyale  et  précise,  sur  des  événements  malaisés  à  éclaircir  et  faits 
pour  être  longtemps discutôs,  d'un  jugement  perspicace  et  soli'le- 
ment  instruits.  »  L'ouvrage  comprend  trois  parties  :  les  origines, 
la  composition  et  les  résultais.  L'auteur  expose  d'abord  l'histoire 
de  la  controverse  entre  catiioliqueset  protestants.  Dans  la  seconde 
partie  il  démontre  que  Bossuet  a  bien  choisi  ses  informations  et 
ne  s'appuie  que  sur  des  documents  sûrs.  Enfin  il  prouve  l'im- 
portance de  l'ouvrage  par  la  multitude  de  réponses  qu'il  pro- 
voque. 

—  L'imprimerie  Paul  Hoffmann,  de  Montliéliard,fait  paraître  la 
seconde  partie  du  Répertoire  des  sources  historiques  du 
Moi/en-Age,  de  M.  U.  Chevalier.  Le  nouveau  volume  contiendra 
200  feuilles  in-4-  à  deux  colonnes. 

—  M  l'abbé  Chabot  nous  a  donné  comme  thèse  de  doctorat  une 
étude  intitulée  :  De  S.  Issaaci  Ninivilœ  vita,  scriptis  et  doc- 
trina,  publiée  chez  Leroux  à  Paris.  Elle  nous  initie  ;i  l'iiisloire 
de  la  vie  monastique  chez  les  Syriens.  Issac  de  Ninive  vivait 
dans  la  seconde  moitié  du  V  ■  siècle. 

—  M.  Haureau  a  étudié  les  moeurs  et  croyances  du  Moyen- 
Age  dans  les  souvenirs  du  temps.  Ses  Notices  et  extraits  de 
quelques  manuscrits  latins  de  la  Bibliothèqiienationale  ren- 
ferment la  description  de  52  volumes  de  l'abbaye  de  Saint-Victor. 


CHRONIQUE  273 

—  M.  Fabre,  ancien  élève  de  l'École  française  de  Home, 
publie  le  Liber  Censuum  ou  grand  livre  des  redevances  dues 
au  Saint-Siège. 

III.  Keligions  de  la  Chine.  —  Mgr  de  Hariez  a  publié 
dans  le  Mmeon  une  série  d'études  sur  les  ReWjions  en  Chine. 
Le  savant  sinologue  expose  d'abord  les  dilTicullés  des  questions 
qu'il  étudie. 

«  Ketracer  les  fastes  religieux,  de  la  Chine,  dil-il,  semble,  au 
premier  aspect,  une  tâche  bien  facile  à  remplir.  Les  monuments 
abondent,  en  elVet;  les  Chinois  nous  ont  transmis  des  récils  his- 
toriques qui  remontent  à  l'aurore  de  leur  nation  ;  leur  littérature 
est  l'une  des  plus  riches  du  monde  ;  il  semble  qu'il  n'y  ait  d'autre 
peine  à  prendre  que  d'y  puiser. 

Mais  si  l'on  consulte  les  auteurs  qui  ont  traité  cet  important  su- 
jet, on  reste  stupéfait  en  voyant  qu'il  règne  parmi  eux  le  désac- 
cord le  plus  complet,  le  plus  absolu,  non  seulement  iiuant  aux 
détails,  mais  sur  les  points  essentiels  -de  la  question.  On  dirait 
qu'il  s'agit  d'un  peuple  placé  en  dehors  des  investigations  sûres 
de  la  science  par  son  éloignement  et  l'accès  difficile  du  pays  (pi "il 
habile  ,  d'un  peuple  dont  on  ne  connaît  rien  pour  ainsi  dire  au 
commencement  de  l'époque  historique,  qui  na  presque  point 
laissé  de  souvenirs  de  ses  antiquités  et  dont  on  ne  peut  que  devi- 
ner les  fastes  par  des  conjectures  plus  ou  moins  habiles. 

Qui  le  croirait  ?  En  ce  peuple  chinois  qui  s'est  dévoilé  tout  en- 
tier dans  ses  monuments  littéraires,  les  uns  ont  vu  «  des  mono- 
théistes qui  n'auraient  rien  eu  à  apprendre  d'une  révélation  sem- 
blable à  celle  qui  éclaira  )e  peuple  d'Israël  »  ;  les  autres  ont  re- 
connu des  matérialistes  consommés,  ne  voyant  partout  que  ciel, 
terre  et  êtres  matériels,  adorant  ceux-ci  mêmes  et  leur  attribuant 
l'origine  de  toutes  choses,  la  toute  puissance;  ou  bien  des  féti- 
chistes dégradés,  des  animistes  de  l'espèce  la  plus  grossière  pour 
qui  la  pierre,  la  terre  et  le  bois  animé  étaient  le  terme  final  de 
tout  culte.  » 

Mgr  de  Hariez  ne  croit  pas  cependant  la  question  insoluble,  et 
il  se  refuse  à  voir  dans  les  monuments  antiques  de  cette  nation, 
«  une  sorte  d'hiéroglyphe  ou  d'énigmes  dont  l'explication  pou- 

18 


274  CHRONIQUE 

vait  donner  lieu  à  ces  vues  conlradictoires.  Un  connaît  les  théories 
de  l'auleur  sur  le  monothéisme  des  anciens  chinois  ;  nous  en 
avons  parlé  ailleurs. 

Mais  jusqu'où  s'étendaient  ces  connaissances  religieuses  et 
d'oii  venaient-elles  ?  «  Les  Missionnaires  qui  se  sont  distingués 
par  leurs  travaux  sinologiques,  les  PP.  Amiot,  Prémare  et  autres, 
ont  cru  trouver  dans  les  livres  sacrés  de  la  Chine  les  preuves 
d'une  connaissance  explicite,  quoique  imparfaite  de  deux  dogmes 
fondamentaux  de  la  religion  chrétienne  :  la  trinilé  et  le  messie 
rédempteur.  Et  ce  ne  sont  pas  seulement  les  missionnaires  qui 
ont  enseigné  cela,  l'illustre  sinologue  français,  Abel  Rémusat, 
entre  autres,  consacre  de  l'autorité  de  son  nom  la  première  de 
ces  thèses.  A  ses  yeux  comme  à  ceux  du  P.  Amiot,  la  Trinité  di- 
vine était  clairement  indiquée  dans  un  passage  du  livre  fameux 
du  philosophe  Lao-ts%  le  Tao  té-king  ou  livre  canonique  du  Tao 
et  de  la  vertu.  Lao-tsé  voulant  expliquer  le  mode  de  production 
des  êtres  dit  :  «  un  a  produit  deux,  deux  a  produit  trois, 
trois  a  produit  tous  les  êtres  ».  C'est  la  Trinité  en  Dieu  (cap. 
4^).  Puis,  énonçant  les  qualités  du  premier  principe,  le  même  phi- 
losophe les  exprimait  par  ces  trois  mots  I.  Hi-Oui,  que  l'on  prit 
sérieusement  pour  une  déformation  du  nomdeJéhova,  et  cela 
parce  que,  d'une  part,  on  voyait  une  ressemblance  de  sens  entre 
ces  termes  et,  de  l'autre,  on  ne  savait  attribuer  aucun  son  aux 
trois  termes  chinois,  employés  par  le  vieux  philosophe.  Ce  de- 
vaient donc  être  des  mots  exotiques  et  rien,  en  ce  cas,  ne  les 
expliquait  mieux  qu'un  emprunt  fait  à  la  Bible. 

Mgr  de  Harlez  repousse  cette  interprétation  donnée  par  les  an- 
ciens missionnaires  de  la  Chine  et  par  A.  Rémusat  ;  c'est  le  senti- 
ment le  plus  généralement  admis  aujourd'hui.  Les  derniers  immé- 
T0<,  des  Nouvelles  Annales  de  Philosophie  catholique  ont 
cependant  repris  et  soutenu  la  thèse  contraire.  A  l'objection  que 
les  Juifs,  à  ce  compte,  auraient  été  moins  favorisés  que  les  Chinois, 
les  Nouvelles  Annales  répondent  : 

«  Pourquoi,  dans  l'Ancien  Testament,  les  vestiges  des  deux 
dogmes  fondamentaux  du  christianisme  ne  s'y  trouvent-ils  pas 
clairement  exprimés,  nous  voulons  parler  de  la  Trinité  divine  et 
de  l'immortalité  de  l'âme?  Ce  dernier  dogme  principalement  est 


CHRONIQUE  275 

l'un  des  pi  vols  de  la  religion.  Nous  pensons,  avec  la  plupart  des 
exèg^les,  que  la  connaissance  de  ces  deux  dogmes  était  si  ex- 
plicitement connue  et  répandue  que  Moïse  ne  jugeait  pas  à  propos 
d'en  faire  mention.  Ce  qui  prouve  qu"il  a  été  possible  de  retrou- 
ver dans  les  traditions  écrites  et  orales  de  la  Chine  les  vestiges 
des  dogmes  de  la  Trinité  et  du  messie  futur,  c'est  qu'on  trouve, 
ainsi  que  le  sait  fort  bien  Mgr  de  Hariez,  les  vestiges  de  ces  mê- 
mes cro}ances,  mais  plus  défigurées,  chez  presque  tous  les  an- 
ciens peuples.  Qu'y  aurait-il  donc  d  étonnant  à  ce  que  l'on  trou- 
vât ces  vestiges  de  la  rrvélalioii  primitive  mieux  conservés 
chez  les  Chinois  ?  » 

On  a  voulu  trouver  aussi  dans  les  ouvrages  de  Confucius 
la  notion  du  Rédempteur.  Voici  comment  s'en  explique  Mgr  de 
Hariez  : 

«  Quant  à  la  notion  d'un  messie  rédempteur  et  de  la  promesse 
divine  faite  à  l'homme  au  l^''  jour  de  sa  chute  fatale,  on  préten- 
dait la  trouver  dans  une  phrase  mise  dans  la  bouche  de  Confu- 
cius par  un  auteur  dont  on  n'avait,  du  reste,  qu'une  connaissan- 
ce obscure  et  incertaine,  mais  auquel  on  ajoutait  foi  parce  qu'on 
trouvait  dans  son  assertion  une  confirmation  éclatante  d'un  dog- 
me calhoHque.  Confucius,  disait-on.  avait  un  jour,  dans  une  cir- 
constance solennelle  prononcé  ces  paroles  bien  significatives  «  Il 
«  viendra  de  rUccidenl  un  saint  (ou  plutôt  le  saint)  qui  sera  le 
«  modèle  du  monde,  et  l'attendre  30  âges  ce  ne  serait  pas  de 
«  trop  ».  —  Point  de  doute,  ce  saint,  c'est  le  messie  venant  à 
l'occident  par  rapport  à  la  Chine  et  les  50  âges  forment  oOO  ans, 
l'espace  de  temps  compris  entre  l'époque  où  vécut  le  grand  phi- 
losophe et  la  naissance  de  Jésus-Chris.  Confucius  avait  été  le 
prophète  du  Très  Haut. 

Malheureusement  les  missionnaires,  auteurs  de  celte  décou- 
verte, avaient  commis  une  erreur  bien  pardonnable  à  cette 
époque,  il  est  vrai,  mais  non  moins  incontestable.  Les  paroles 
que  1  on  attribuait  à  Confucius  ne  se  trouvent  quen  un  seul  en- 
droit, dans  un  livre  qui  ne  vientpoint  de  ses  disciples,  livre  des- 
tiné à  exalter  la  doctrine  du  premier  maître  et  élever  Lao-tsé 
bien  au  dessus  de  son  rival.  Or  au  chapitre  III  de  ce  livre  l'au- 
teur met  en  scène  Confucius  et  le  gouverneur  de  Chang.  Celui* 


276  CHRONIQUE 

ci  deranncla  au  grand  réformateur  s'il  existe  quelque  part  un 
saint  digne  de  ce  nom,  s'il  y  en  a  jamais  eu  en  ce  monde.  Il  pose 
celte  question  relativement  aux  anciens  souverains  delà  Chine 
qui  ont  conservé  une  réputation  de  sagesse  surhumaine  et  à 
chaque  demande,  Gonfucius  répond  invariablement  :  Ils  étaient 
bons,  justes,  etc.  Etaient-ils  des  Saints  ?  Gonfucius  ne  le  sait  nul- 
lement. 

Alors  le  gouverneur  deChang  surpris  et  interdit  s'écrie  :  Mais 
qui  donc  est  iui/it  ? 

Coufucius,  ajoute  notre  auteur,  se  tut  un  instant  ;  puis,  dun 
air  troublé,  reprit  :  Les  hommes  de  l'Ouest  ont  un  saint.  Là  il 
n'y  a  ni  gouvernement  ni  désordre,  on  n'y  parle  pas  et  Tony 
croit  spontanément.  Sans  que  rien  intlue,  tout  y  va  de  soi-même. 
Il  est  incommensurable,  incompréhensible  ;  le  peuple  ne  sait  lui 
donner  aucun  nom.  Gonfucius  présume  qu  il  est  saint,  mais  il  ne 
U  sait  pas  avec  certitude 

On  voit  par  cette  citation  coiuplètemeot  littérale  :  l""  qu'il  nest 
nullement  question  d'âge,  d'attente,  d'une  période  de  oOO  ans  ou 
autres.  2°  Qu'il  s'agit  d'un  saint  existant  alors  et  non  d'un  person- 
nage futur.  3"  Que  la  description  du  lieu  où  vit  ce  saint  person- 
nage est  empruntée  au  Livre  de  Lao  tsé;  en  conséquence,  qu'il 
s'agit  de  Lao-tsé  lui-même  qui  vivait  dans  un  état  de  lOuesl 
et  nullement  du  rédempteur  futur  de  l'humanité. 

—  Nous  publierons  dans  notie  prochain  numéro  un  travail  de 
Mgr  de  Harlez. 

■V.  Mylhologieconiparéeet  I^'olklorc— M.  Cosqum 
a  publié  sous  ce  titre  '•  VOrigi?ie  des  cojiles  européens  et  les 
théories  de  M.  L^/iy,  une  réponse  aux  théories  de  ce  dernier: 

«  Mon  honorable  contradicteur,  dit  il,  se  place  en  réalité,  sur  un 
terrain  tout  différent  du  mien.  Il  étudie  les  contes  principalement  au 
point  de  vue  anthropologique,  ou  si  l'on  préfère  un  terme  plus 
précis  que  cette  expression  à  la  mode,  au  point  de  vue  de  la 
pi>ychologie  ;  il  aime  à  rechercher  ce  qui  a  pu  donner  naissanc^ 
aux  idées  plus  ou  moins  bizarres  qui  constituent  les  éléments  des 
contes  dans  les  divers  pays  ;  c'est  à  vrai  dire,  de  ces  idées  qu'il 
s'occupe  plutôt  que  des  récits  où  elles  sont  mises  en  œuvre.  Mon 


CHRONIQUE  277 

point  de  vue,  au  contraire,  esttoiW  historique.  J'examine  unique- 
ment s'il  y  a  moyen  de  découvrir  où  ont  été  composés,  où  ont  pris 
'eiir  forme  actuelle,  tous  ces  contes  dont  les  différentes  na- 
tions européennes,  pour  ne  parler  que  de  celles-là,  possèdent 
des  exemplaires  identiques  au  fond.  Je  Inisse  de  côté  lorigine 
des  matériaux,  des  éléments  divers  qui  sont  entrés  dans  la 
fabrication  de  chaque  type  de  conte  ;  je  prends  le  produit  fabri- 
qué lui-même,  et  le  retrouvant  partout  avec  ses  combinaisons 
caractéristiques,  je  me  demande  s'il  n'y  aurait  pas  eu  quelque 
part  un  grand  centre  de  production,  une  grande  manufacture,  qui, 
grâce  à  des  circonslances  favorables,  aurait  fait  adopter,  aurait 
naturalisé,  presque  dans  le  monde  entier,  ses  types  spéciaux,  ses 
créations  où  la  marque  de  fabrique  est  reconnaissable  pour  un 
œil  un  peu  attentif.  Ce  centre  c'est  l  Inde. 

—  M.  Joly,  dans  son  livre  sur  V Homme  avant  les  métaux^ 
donne  une  intéressante  légende  australienne  relative  à  l'origine 
du  feu.  La  voici  : 

«  Un  petit  handicot  (animal  assez  semblable  au  cochon  d'Inde), 
v<  était  d'abord  seul  possesseur  du  feu,  et  il  refusait  obstinément 
t  de  le  partager  avec  les  autres  animaux.  Ceux-ci  lui  envoyèrent 
«  le  pigeon  et  le  faucon,  pour  obtenir,  par  leurs  prières,  l'effet 
«  de  leur  convoitise.  Voyant  ses  supplications  inutiles,  le  pigeon 
«  recourut  à  la  force  ouverte.  Le  handicot  en  se  défendant, 
«  laissa  tomber  le  feu,  qui  allait  s'éteindre  pour  toujours  dans  la 
«  rivière,  quand  le  faucon,  d'un  coup  d'aile  le  lança  sur  les 
«  herbes  sèches  de  la  rive  opposée.  Les  flammes  jaillirent,  et 
«  Ihomme  put  entrer  en  possession  du  feu.  • 

Les  Tasmanienselles  Australiens  ne  connaissaient  donc  pas  la 
manière  de  seprocurer  du  feu  ;  leurs  femmes  avaient  pourmission 
spéciale  déporter  des  torches  jour  et  nuit  allumées,  et  destinées 
à  guider  la  marche  de  la  tribu  dans  la  foret.  Presque  toujours, 
chaque  famille  australienne  emporte  avec  elle  un  cône  de  bunksia 
dont  la  combustion  lente  pei-met  de  conserver  le  feu.  Quand  il 
vient  à  s'éteindre,  on  entreprend  des  voyages  assez  longs  pour 
aller  le  rallumer  dans  une  autre  tribu. 

—  M.\L  Aug.  Giltéeel  Jules  Lemoine  ont  publié  dernièrement 
nm  sém  ùe  Contes  populaires  du  paj/s  ivallon.  —  Les  cou- 


278  CHRONIQUE 

tes  sont  reproduits,  nous  dit-on,  presque  sous  la  dictée  des  con- 
teurs. Il  y  a  dans  ce  volume  une  saveur  agreste  bien  ravissante. 

—  Le  volume  que  publie  M.  Victor  Devogel  [Légendes  bruxel- 
loises) appartient,  au  folk-lore  et  à  la  littérature.  L'auteur  s'est 
proposé  de  faire  revivre  les  anciennes  traditions  bruxelloises, 
aujourd'liui  presque  oubliées  :  le  Manneken-Pis,  la  légende 
de  Sainte-Gudule,  les  Hosties  sangla?ites.  Pour  terminer  le 
volume,  il  a  fait  appel  aux  vieux  souvenirs  bistoriques,aux  récils 
des  fêtes  d'autrefois. 

—  MM.  Nudèle  et  Zirbt  font  paraître  à  Prague  une  nouvelle 
revue  d'antropologie  et  de  folk-lore.  la  Cesky-Lid. 

—  Terminons  par  une  vieille  légende  bretonne.  Lorsque  les 
Mages  arrivèrent  i\  l'étable  de  Betliléem,  ils  y  trouvèrent  les  ber- 
gers qui  n'ayant  rien  d'aulreà  offrir  au  divin  enfant,  enguirlan- 
daient, avec  des  (leurs  des  cbamps,  la  crèche  où  il  était  couché; 
les  Mages  étalèrent  leurs  riches  présents,  ce  que  voyant  les  ber- 
gers se  disaient  entr'eux  :  «  Nous  voilà  bien  !  à  côté  de  ces  belles 
choses  d'or  et  d'argeni,  que  vont  devenir  nos  pauvres  fleurs? 
L'Enfant  ne  les  regardera  seulement  pas  !  »  Mais  voilà  que  l'En- 
fant Jésus,  repoussant  doucement  du  pied  les  trésors  entassées 
devant  lui,  étendit  sa  petite  main  vers  les  fleurs,  cueillit  une 
marguei'ite  des  champs  et  la  portant  à  .ses  lèvres,  y  posa  un 
baiser.  C'est  depuis  ce  temps  que  les  marguerites,  qui,  jusqu'alors 
étaient  toutes  blanches,  ont  au  bout  des  feuilles  une  belle  couleur 
ro.sée  qui  semble  un  reflet  de  l'aurore,  et  au  cœur  ce  rayon  d'or 
tombé  des  lèvres  divines. 


BIBLIOGRAPHIE 


Le  Culte  de  la  Raison  et  de  l'Être  suprême.— /l.  Aulard. 
Alcan,  Paris. 

Le  culte  de  la  Raison  et  celui  de  l'Être  suprême  forment  dans 
l'histoire  de  la  Révolution  deux  épisodes  distincts  et  des  plus 
curieux.  M.  Aulard  nous  retrace  l'historique  très  circonstancié  de 
ce  double  mouvement.  C'est  le  17  brumaire  an  11  que  le  départe- 
ment et  la  commune  de  Paris,  décrétèrent  de  célébrer  une  fête 
de  la  Liberté  et  de  la  Raison,  à  Notre-Dame,  devant  la  statue  de 
la  Liberté  «  élevée  au  lieu  et  place  de  la  ci-devant  Ste-Yierge  ». 
La  cathédrale  de  Paris  fut  appelée  le  temple  de  la  Raison.  M.  Au- 
lard suit  ce  mouvement  dans  les  différentes  parties  de  la  France: 
il  peint  le  nouveau  culte  avec  ses  fêtes  civiques,  ses  temples,  ses 
autels,  ses  cérémonies,  ses  sacrements,  ses  mystères  el  ses  saints. 
La  religion  nouvelle  s'appuyait  sur  les  matérialistes  de  la  philoso- 
phie encyclopédiste  et  sur  les  déistes  qui  procédaient  de  Rous- 
seau et  de  Voltaire.  Robespierre  voulut  éliminer  l'élément  maté- 
rialiste en  remplaçant  le  culte  abstrait  de  la  Raison  par  celui  de 
l'Être  suprême  et  de  l'immortalité  de  l'âme.  L'auteur  suit  pas  à 
pas  à  Paris  et  en  province  le  développement  du  nouveau  culte  ; 
d'après  lui  cette  campagne  de  Rosbespierre  sauva  le  catholicisme 
en  France.  Quoiqu'il  en  soit,  la  nouvelle  religion  ne  dnra  pas 
longtemps  :  elle  disparut  avec  son  fondateur. 

La  Religion  —  A.  Lefebvre  —  Paris  —  Reinwald. 

Yoici  la  table  des  matières  :  1°  Zoolàtrie.  2»  Phytolàtrie.  3"^  Li- 
tholâtrie  4"'  Hydrolàtrie.  5»  Pyrolâtrie.  6°  Le  culte  de  la  géné- 
ration. 1"  L'animisme.  8"  Les  dieux  de  l'atmosphère.  9°  Astrolà- 


280  BIBLIOGRAPHIE 

trie.  10"  Les  dieux  et  les  mythes  cosmiques.  M"  Les  concepts 
divinisés.  12°  La  liturgie.  C'est  donc  un  manuel  de  mythologie 
comparée  que  nous  donne  M.  Lefèvre.  Son  but  est  de  jeter  le  dis- 
crédit sur  toutes  les  croyances  religieuses,  en  montrant  l'identité 
de  toutes,  sous  les  divers  costumes  quelles  ont  revêtu  ;  il  veut  gué- 
rir les  âmes  de  la  superstition  et  de  l'erreur,  et  les  conquérir  à  la 
religion  nouvelle,  la  seule  digne  de  ce  nom,  la  science.  On  est  peu 
apte  à  écrire  sur  un  tel  sujet  quand  on  est  ammé  de  sentiments 
pareils  Nous  sommes  non  moins  surpris  qu'un  ami  si  décidé  de 
la  science,  comme  l'est  M.  Lefèvre,  ait  manqué  aux  règles  les 
plus  élémentaires  de  la  mélhode  scientifique  qui  demande  que 
l'on  indique  ses  références,  ce  que  l'auteur  ne  fait  presque  jamais: 
voudrait-il  nous  obliger  à  faire  des  actes  de  foi? 

L'Inde  avant  le  Buddha.  —  La  vie  dk  Buddha  suivie  du 
Bouddhisme  dans  l'Indo-Ghine.  —L'Inde  APRf:s  le  Buddha.  — 
E.  Lamairesse.  —  Paris,  George  Carré,  1892. 

L'auteur  après  avoir  exposé  la  géographie  et  l'ethnographie  de 
l'Inde,  retrace  l'histoire  des  Aryens.  Il  signale  les  changements 
apportés  dans  leurs  mœurs  et  leur  religion  pendant  la  longue 
période  de  l'invasion.  11  arrive  ensuite  à  l'âge  héroïque  qui  com- 
prend trois  grands  faits:  1"  la  lutte  acharnée  des  deux  castes  sa- 
cerdotale et  guerrière.  —  2"  la  guerre  étrangère  dont  le  liéros  fut 
Rama,  et  3«les  guerres  civiles  entre  les  doux  races  royales.  Le 
Mahâbbârata  est  le  recueil  de  toutes  les  traditions  brahmaniques. 
L'auteur  croit  y  trouver  des  (races  de  la  lutte  entre  le  bouddhis- 
me et  le  brahmanisme.  Il  étudie  ensuite  les  six  systèmes  dont  se 
compose  la  philosophie  brahmanique.  Pour  lui  la  théologie 
des  brabmesse  réduit  au  panthéisme.  Ils  auraient  aussi  emprunté 
au  Zoroastrisme,  affirmation  qui  parait  plus  difficile  à  justifier. 
Le  chapitre  consacré  aux  pénitences,  ablutions  et  purifications  est 
un  long  exposé  des  lois  de  Manou.  L'auteur  termine  par  un 
tableau  del'hinJouisme  tel  qu'il  est  aujourd'hui. 

M.  Feera  rendu  compte  de  ce  livre  dans  la  Revue  de  l'his- 
toire des  religions.  Il  félicite  l'auteur  de  n'avoir  donné  dans 
aucune  des  erreurs  de  Tésotérisme  moderne  :  il  est  convaincu 
néanmoins  que  M.  Lamairesse  fait  encore  du  bouddhisme  un  trop 


BIBLIOGRAPHIE  28 1 

grand  éloge.  Il  ne  croit  pas  que  le  Bouddha  se  soit  allribué,  au 
moins  d'une  manière  bien  consciente,  le  rôle  de  réformateur.  Il  a 
raison  de  vouloir  donner  à  tous  la  s-rience  religieuse,  mais  il  a 
éteint  les  énergies  et  détruit  la  famille,  en  préchant  la  mendicité 
et  la  fainéantise  obligatoires.  M.  I^'eer  ne  pense  pas  non  plus  que  le 
"Bouddha  ait  été  persécuté  pendant  sa  vie;  il  n'est  môme  pas  sûr 
que  le  bouddhisme  ait  été  persécuté  par  le  brahmanisme.  D'après 
le  Journal  of  Ihe  Mahabodhi  Society^  il  disparut  sous  les 
coups  des  musulmans. —  Le  livre  de  M.  Lamairesse  n'en  est  pas 
moins  intéressant.  L'auteur  nous  a  donné  d'ailleurs  des  preuves 
de  sa  valeur  scientifique  dans  une  série  d'études  sur  la  littérature 
tamoule. 

L'Évolution  religirusf.  dans  lks  diverses  races  humaines. 
—  Ch.  Letourneau.  —  Paris,  1892  (Reinwald  . 

Nous  n'étonnerons  pas  nos  lecteurs  en  disant  que  le  livre  que 
nous  annonçons  n'est  qu'une  diatribe  contre  toutes  les  croyances 
humaines.  Le  sentiment  religieux  qui  différencie  essentiellement 
l'homme  de  la  bête,  manque  à  M.  Lelourneau.  Les  ditïérents 
tableaux  qu'il  nous  retrace  des  différentes  religions, se  terminent  par 
la  conclusion  fatale,  que  ces  diverses  religions  ont  été  la  cause  de 
tons  les  maux  dont  ont  soulïert  les  peuples  qui  les  ont  pratiquées. 
Le  judaïsme  etlechrisiianisme  sniloni  ont  le  privilège  d'attirer  la 
haine  de  M.  Letournean  :  ils  ont  nui  toutes  les  deux  au  progrès 
intellectuel  comme  au  progrès  moral  et  .se  .sont  toujours  montrées 
"  aussi  inintelligents  que  féroces  ».  L'auteur  confond  le  monothé- 
isme qu'il  rejette  ave  >  la  monolâtrie  et  ne  semble  même  pas  com- 
prendre le  panthéisme  qu'il  préfère  La  Revup  de  l'histoire  des 
Heliçiions  a  elle-même  jugé  sévèrement  cet  ouvrage."  Que  penser, 
dit-elle  dans  son  numéro  de  novembre-décembre  dernier,  d'un 
auteur  qui. dans  cet  ouvrage  bourré  de  références,  a  consacré  près 
de  cent  pages  à  résumer  les  religions  de  l'Inde  et  (pii  ne  cite  ni 
Max  Millier,  ni  même  pai-mi  .ses  compatriotes,  Bergai^ne,  Bartli. 
Sénart?  En  revanche  il  invoque  l'or/fj/ine  des  eultes  de  Dupuis 
et  la  science  des  religions  d'Eugène  Bnrnouf.  De  même  il  cite 
fréquemment  l'exellent  Manuel  de  M.  Tièle,  mais  il  ne  parait 
pas  connaître  l'ouvrage  du  même  auteur,  traduit  en  français  par 


2R2  T^IBTJOaRAPTTlR 

M.  CollinSjSur  l'histoire  comparée  des  religions  sémitiques.  Chara- 
pollion  et  M.  Maspero  sont  seuls  invoqués  en  ce  qui  concerne  la 
religion  de  l'Egypte  ;  d'autre  part,  M.  Darmesteler  n'est  même 
pas  cité  à  propos  de  la  religion  iranienne.  Faut-il  s'étonner  dans 
ces  conditions  de  l'entendre  présenter,  ccmme  des  faits  acquis,  que 
le  catholicisme  a  copié  le  lamaïsme  (p.  264)  :  que  les  Jaïnas  de 
l'Inde  représentent  les  houddhistes  primitifs  ou  du  moins  intran- 
sigeants (p.  463);  que  le  panthéisme  gréco-romain  venait  sans 
doute  de  l'Inde  p.  495).  Il  nous  semble  que  nous  avons  déjà  lu 
tout  cela  dans  l'ouvrage  de  JacoUiot.  » 

L'InÉE  DE  Dieu  d'apriïs  l'Anthropologie  et  l'Histoire.  — 
Goblet  d'Alviella.  — Paris,  Alcan. 

M.  Goblet  d'Alviella  a  essayé  dans  ce  travail  de  nous  retracer 
un  tableau  de  l'évolution  religieuse  dans  l'humanité.  Nous  con- 
naissons les  principes  de  l'auteur.  Pour  lui  les  formes  religieuses 
les  plus  élevées  se  rattachent  aux  manifestations  les  plus  infimes 
de  la  culture  religieuse.  «  L'histoire,  l'archéologie  préhistorique, 
le  folklore,  l'ethnographie  comparée,  écrit  l'auteur,  se  joignent 
à  la  linguistique  et  à  la  psychologie  pour  nous  dire  que  si  nous 
voulons  reconstituer  les  premières  formes  et  les  premiers  déve- 
loppements de  la  religion,  force  est  de  nous  adresser  aux  peuples 
non  civilisés,  en  rapprochant  leurs  croyances  des  éléments  simi- 
laires qui  se  constatent  dans  les  cultes  historiques  et  dans  les 
survivances  populaires.  Là  oti  ces  trois  espèces  de  sources  nous 
fournissent  des  renseignements  identiques,  et  surtout  s'ils  pro- 
viennent des  régions  et  des  races  les  plus  diverses,  nous  pouvons 
présumer  avoir  devant  nous,  non  des  faits  accidentels,  passagers, 
particuliers  à  tel  ou  tel  climat,  mais  des  faits  généraux,  humains, 
propres  à  foutes  les  populations  placées  dans  les  mêmes  condi- 
tions de  développement  social,  et,  par  suite,  communs  aussi  à 
nos  ancêtres  dans  une  certaine  période  de  leur  évolution.  »  L'au- 
teur expose  ensuite  les  méthodes  qui  permettent  de  juger  le 
développement  préhistorique  des  religions  dont  il  admet  la  conti- 
nuité. Le  naturisme  et  l'animisme  produisent  le  polydémonisme. 
Celui-ci  produit  à  son  tour  le  polythéisme.  Enfin  le  monothéisme 
soit  du  polythéisme  produit  tantôt  par  la  monolâlrie,  tantôt  par 


r.IRLIOGRAPniE  2fi3 

lahiérarchisaliondes  dieux,  tantôt  par  une  conception  plus  élevée 
du  principe  de  causalité  et  de  l'idée  de  substance.  Dans  un  der- 
nier chapitre,  M  Goblet  d'Alviella  retrace  les  modifications  qu'a 
subies  le  culte  à  mesure  que  se  sdiit  modifiées  les  idées  de  la 
divinité.  Lauteur  est  de  ceux  qui  reconnaissent  liiiiporlance  du 
sentiment  religieux  dans  le  passé  comme  dans  l'avenir,  i  Les 
dieux  meurent,  écrit-il,  mais  ce  qui  ne  peut  périr,  c'est  la  con- 
ception enfermée  dans  ce  vocable  d'un  pouvoir  surhumain,  qui, 
se  réalisant  suivant  des  lois,  se  révèle  à  l'homme  dans  la  voix 
de  la  conscience  et  le  spectacle  de  l'univers.  »>  L'erreur  de  M.  Go- 
blet d'Alviella  est.  comme  nous  l'avons  si  souvent  signalé,  de 
croire  à  une  évolution  régulière  et  mathématique  du  sentiment 
religieux,  évolution  qui  est  condamnée  par  l'expérience  et  par  les 
faits.  C'est  encore  une  erreur  d'enseigner,  comme  l'a  fait  1  auteur, 
que  la  morale  n'a  rien  à  voir  dans  la  conception  de  Dieu,  que 
l'éthique  et  la  religion  sont  absolument  indépendantes  l'une  de 
l'autre.  M  Jean  Réville  condamne  lui-même  cette  thèse  dans  la 
Bévue  de  l'Histoire  des  Religions  in"  juillet-août  92)  :  «  Tonte 
religion,  dit-il,  si  grossière  soit-elle,  implique  le  sentiment  d'une 
dépendance  et  d'une  relation  à  l'égard  d'une  volonté  supérieure, 
ou  d'un  pouvoir  surhumain,  et  comporte  par  conséquent  des 
obligations  à  l'égard  des  protégés  de  la  divinité  qui  sont  comme 
son  bien  ou  sa  propriété.  Or,  n'est-ce  pas  là  l'essence  même  de 
la  morale  ?  »  Tout  en  admetlant  le  principe  de  l'évolution  en 
religion,  M.  Jean  Réville  reprocliç  encore  à  l'auteur  de  nous  pré- 
senter cette  évolut'on  comme  s'accomplissant  d'une  manière 
uniforme  et  mécanique,  alors  qu'elle  a  dû  subir  les  épreuves  des 
temps  et  des  lieux  où  elle  s'est  accomplie. 

La  Rkvom'tion  dans  i.a  Sociétiî  r.nnKTiRNNE,  par  Charles  *'*. 
—  Paris.  Victor  Relaux  et  Fils,  82,  rue  Bonaparte.  la-18jésus, 
445  pages.  Prix  :  .S  Ir.  oO. 

L'auteur  indique  la  pensée  de  son  livre  dans  un  court  avant- 
propos  dont  nous  extrayons  les  lignes  suivantes  : 

"  On  se  trompe  généralement  sur  ce  qui  coiistitue  IV^-ipnœ  de 
la  liéoolutioyi  ainsi  que  sur  sa  date. 


284  BIBLIOGRAPHIE 

«  De  là  l'impossibilité  de  porter  un  jugement  vrai  sur  notre 
siècle  et  sur  la  situation  présente. 

«  Ni  la  Déclaration  des  droits  de  Vliomme,  ni  les  événe- 
ments dont  le  point  de  départ  fut  la  prise  de  la  Bastille  et  le 
dénouement,  l'échafaudde  Louis  XYI,  ne  furent  la  Révolution  : 
elle  a  une  origine  plus  haute  ei  plus  ancienne,  1789  et  1793 
avec  toutes  leurs  erreurs  et  toutes  leurs  horreurs  nen  furent  que 
la  conséquence  et  le  châtiment  ;  —  conséquence  fatale,  que  nulle 
force  humaine  n'était  capable  d'empêcher  ;  châtiment  terrible  et 
miséricordieux  à  la  fois,  qui  arracha  la  France  à  une  ruine  cer- 
taine et  commença  la  régénération  de  notre  pays  .. 

La  Révolution  est  la  négation  de  l'ordre  chrétien.  En  quoi 
consiste  l'ordre  chrétien,  c'est  ce  que  je  me  propose  d'établir 
tout  d'abord  ;  j'en  marquerai  ensuite  la  décadence  et  la  fin  ;  puis, 
j'essaierai  de  montrer  par  quels  moyens  il  me  semble  que  Dieu  ne 
cesse,  depuis  un  siècle,  de  travailler  à  son  rétablissement.  » 

L'Église  et  L'État,  ou  les  deux  puissances  auxvui*  siècle, 
par  P.  de  CrousazCréiet.  —  Paris,  Victor  Relaux  et  Fils, 
82,  rue  Bonaparte.  1  vol.  in  18  jésus,  Prix  :  3  fr.  oO. 

Indépendance  des  deux  puissances,  ont  dit  nos  pères  avant 
1789  ;  l'Église  libre  dans  l'État  libre,  séparation  de  l'Église  et  de 
l'État,  a-t-on  dit  plus  tard.  Le  problème  est  toujours  là,  ardu, 
inquiétant,  irritant,  réclamant  une  solution.  11  date  de  loin,  mais 
au  xviii'^  siècle  il  .se  formule  plus  nettement.  Le  conflit  s'aggrave. 
Qu'en  sortira-t-il?  Servitude  ou  liberté?  M.  de  Grousaz  Crétet 
nous  fait  assister  à  toutes  les  péripéties  de  la  lutte  ;  il  nous  montre 
l'Église  persécutée  par  ses  ennemis,  abandonnée  par  ses  amis,  se 
retournant  vers  le  Souverain  Pontife,  le  gouvernement  lui-même 
.sollicitant  le  concours  d'un  aussi  puissant  allié,  l'ait  historique 
con.sidérable,  trop  négligé  jusqu'à  ce  jour,  et  qui  marque  le  point 
de  départ  d'une  politique  nouvelle  dans  les  rapports  de  l'Église  et 
de  l'État.  L'auteur  a  banni  toute  préoccupation  des  événements 
contemporains,  mais  les  rapprochements  s'imposent  à  l'esprit  du 
lecteur  et  donnent  à  l'ouvrage  un  vivant  intérêt. 


BIBLIOGRAPHIE  285 

Le  surnaturel  dans  les  contes  populaires  —  €h.  IHoix. 

—  Leroux,  Paris. 

D'après  M  Ploix  tous  les  coules  ne  sonl  que  les  variantes  d'un 
récil  primitif  et  le  même  mode  d'interprétation  peut  s'appliquer 
à  tous.  L'auteur  commence  par  appliquer  son  syslème  aux  my- 
thes grecs  et  aux  coules  des  frères  Gi'im.  No'uS  avons  plusieurs 
fois  déjà  fait  mention  de  cette  méthode  d  exphcation  qui  ne  tient 
pas  debout  devaut  la  critique  et  mène  à  toutes  les  absurdités. 
C'est  ainsi  que  pour  M.  Ploix,  le  fond  de  tout  conte  étant  la  lutte 
de  1j  lumière  contre  les  ténèbres,  tout  héros  qui  porte  des  orne- 
ments dor  est  un  héros  lumineux  ;  la  forêt  représente  la  nuit, 
parce  qu'elle  est  sombre;  leau  de  même  parce  qu'elle  est  ren- 
fermée dans  le  nuage,  etc.  etc. 

La   morale    égyptienne    quinze   siècles    avant    notre    ERE. 

—  E-  Amélineaii.  —  Leroux.  Paris. 

Ce  livre  contient  le  texte  du  papyrus  de  Boulaq,  n"  k,  avec 
traduction  et  commentaire  et  une  étude  générale  sur  la  morale 
égyptienne.  Les  préceptes  que  le  scribe  rappelle  à  son  fils  ont 
pour  objet,  les  devoirs  domestiques,  la  religion,  l'étude  des 
livres  sacrés,  l'activité,  l'ivresse,  la  luxure,  la  modestie,  le 
courage,  les  relations  sociales,  etc.,  etc.  M.  Amélineau  est  moins 
enthousiasmé  que  M.  Réviilout  de  la  sagesse  des  Égyptiens  et  il 
lait  ressortir  ce  qu'il  y  avait  chez  eux  d'égoïsme  et  de  supers- 
tition. Elle  a  manqué  surtout  de  principes  généraux  et  de  ce 
souille  élevé  qui  distingue  la  morale  des  grandes  religions. 

MeLEKDIENST  en  VEREERING  van  HËMELL1GCHA31EN  IN  IsRAEL's 

AssvRiscHE  PERIODE.  —  B.  Eerdûiûîis.  —  Leyde. 

D'après  M.  Eerdmans  la  religion  d  Israël  dont  les  légendes  ont 
la  même  origine  que  celle  des  Chaldéens,  contient  encore  des 
praUques  empruntées  à  la  religion  de  Babylone.  C'est  à  l'influence 
de  cetle  dernière  que  le  culte  de  Moloch  et  celui  des  astres  prit 
une  si  grande  extension  eu  Judée  au  VU  et  Vlll-^  siècles.  Pour  lui 
le  culte  de  Jahvé  a  la  même  origine  que  celui  des  Moloch  ;  aussi 
le  progrès  de  ce  dernier  culte  en  Judée  ne  fut  que  le  réveil  de 


286   .  BIBLIOGRAPHIE 

l'orthodoxie  jahvisle  contre  le  jahvéisme  des  prophètes.  S'il 
fallait  encore  en  croire  M.  Eerdmans,  le  sacrifice  des  enfants  était 
très  fréquent  dans  le  culte  primitif  de  Jahvé,  et  le  culte  des  astres 
serait  d'origine  assyrienne. 

The  Melanesians  ;  studies  on  theiu  antiiropology  and 
FOLK-LORE.  —  H.  CodringtoH.  —  Oxford. 

Voici  les  principaux  chapitres  de  ce  livre  :  Coutumes  relatives 
au  mariage  et  à  la  parenté  ;  les' sociétés  secrètes  et  les  mystères  ; 
les  esprits;  les  sacrifices:  les  prières;  les  lieux,  les  objets  sa- 
crés ;  la  magie;  rapports  des  hommes  et  des  esprits;  coutumes 
relatives  à  la  naissance  et  aux  premières  années  de  l'enfant  ;  les 
cérémonies  funéraires;  la  desiinée  des  âmes  après  la  mort  C'est 
un  résumé  des  coutumes  et  des  croyances  delà  Mélanésie.  L'auteur 
a  déjà  publié  en  1881  une  étude  sur  les  religions  mélanésiennes. 

Lk  folklore  wallon.  —  E.  Monseur,  professeur  à  l'Uni- 
versité de  Bruxelles,  président  de  la  société  du  Folklore  Wallon. 
Biuxelles,  G.  liozes,  1892. 

Nous  empruntons  à  la  Tradition  les  renseignements  suivants 
sur  cet  ouvrage  :  En  1889,  la  Société  du  Folklon;  Wallon, 
dont  le  .siège  est  à  Liège,  publia,  pour  faciliter  les  enquêtes  de  ses 
membres  sur  les  coutumes  et  les  traditions  populaires,  un  qties- 
tionnnire  de  Folklore,  dont  les  divisions  par  chapitres  et  les 
subdivisions  par  numéros,  lournissaient  un  cadre  commode  et 
complet  pour  les  recherches.  M.  Monseur  eut  la  direction  de  cette 
publication  dont  la  rédaction  est  son  œuvre  ;  et,  au  lieu  de  pré- 
senter une  série  aride  d  interrogations,  il  joignit  à  chacune  un 
exemple  pris,  bien  entendu,  dans  le  Folklore  Wallon.  Ce  sont 
ces  exemples  qu'il  publie  aujourd'hui  en  un  volume  séparé,  for- 
juanl  à  lui  seul  une  excellente  contribution,  non  pas  seulement 
au  folklore  de  la  Belgique,  mais  aux  recherches  sur  le  folklore 
en  généi-al.  Je  citerai  par  exemple  le  conte  de  Marie- Madeleine 
(Vil,  §  843),  la  randonnée  de  Potais  et  Frasais  (Vil,  §  846)  dont 
plusieurs  termes  se  renconlient  dans  la  Chanson  de  Bn'cou ; 
la  Belle  et  la  Laide  (Vil,  §  848)  variante  du  conte  des  Fées  ; 


BIBLIOGRAPHIE  287 

Misère  et  Pauvreté  {\\l,  §  850);  le  Renard  et  l'Écureuil  (VU, 
§  851)  i|ui  jouenl  le  même  rôle  que  le  Renard  et  le  Coq  dans  le 
Roman  de  lienart,  et  la  Grenouille  et  la  Couleuvre  dans  un 
conte  malgache  ;  le  Diable  et  le  Paysan  (Yll,  §  31),  dont  j'ai 
étudié  les  variantes  dans  une  note  de  mes  contes  populaires 
berbères  [i'"  série,  note  10,  p.  137-139).  Après  la  préface,  la 
première  partie  est  consacrée  à  donner  une  délinition  du  mol 
folklore  et  à  exposer  les  procédés  et  l'importance  de  celte  science 
plus  ancienne  qu'on  ne  croit  sous  un  nouveau  nom  ;  la  seconde 
partie  comprend  les  chapitres  suivants:  I.  Etres  merveilleux  — 
II.  Animaux  —  III.  Agriculture  (ce  chapitre  aurait  pu  être  fondu 
avec  le  sixième)  —  IV.  Plantes  —  V.  Médecine  populaire  —  YI. 
Mœurs  et  coutumes  —  VII.  Contes  et  fables  —  YIII.  Astronomie 
et  météorologie  —  IX.  Chansons  populaires  i  un  des  plus  impor- 
tants du  livre  ;  pi'esque  toutes  les  chansons  citées  sont  accom- 
pagnées de  la  musique)  —  X.  Sorcellerie,  magie  et  divination  — 
XI.  Enfantines  et  jeux  —  XII.  Blason  populaire  -  XllI.  Cou- 
tumes diverses  ice  chapitre  pouvait  sans  inconvénient  être  réuni 
au  sixième)  —  XIV.  Le  calendrier  (sa  place  était  tout  indiquée 
dans  le  chapitre  XIII)  On  remarquera  l'absence  de  traditions  sur 
les  mines  :  le  pays  Wallon  devait,  ce  semble,  fournir  une  abon- 
dante récolle  méritant  de  former  un  chapitre  spécial.  Un  mdex 
complet  .termine  ce  petit  livre  qui,  par  son  exactitude  et  sa  mé- 
thode mérite  d'être  cité  pour  modèle  aux  monographies  du  même 
genre  qu'on  voudrait  voir  publier  sur  chacun  des  pays,  et  non 
pas  seulement  des  provinces  de  l'ancienne  France.  » 

TaULEAU  HISTOKIUUIC  DU    AIONACIIISMK  OCCIDE.NTAL.    par   DoM 

Th.  Berengier^  O.  S.  R.,  deuxième  édition.  —  Solesmes. 

La  savante  Kevue  que  viennent  de  fonderies  Pères  de  Ligugé, 
apprécie  en  ces  termes  ce  travail  :  «  Il  n'existe  pas  d  histoire 
proprement  dite  de  lOrdre  bénédictin.  L'heure  d'écrire  un  pareil 
ouvrage  n'est  pas  encore  venue.  11  faut  au  préalable  étudier  par  le 
détail  tout  le  passé  monastique  et  mettre  en  pleine  lumière  une 
multitude  de  points  encore  obscurs.  Des  travailleurs  courageux, 
patients,  préparent  les  éléments  nécessaires  pour  écrire  cette  his- 


288  BIBLIOGRAPHIE 

loire.  Huelques  années  encore,  et  le  Monasticon  benedictiniim 
Galllcaniim  sera,  non  plus  un  projet,  mais  un  fait  accompli. 
Faudra-t-il  attendre  jusque-là  pour  écrire  sur  l'ordre  monastique? 
Non,  certes.  Depuis  Mabillon,  la  science  possède  de  véritables 
trésors.  Un  grand  nombre  de  monographies  lui  ont  apporté,  de- 
puis quarante  ans,  de  précieux  matériaux.  C'est  un  résumé  suc- 
cinct, méthodique  et  clair  de  tous  ces  faits  que  dom  Bérengier' 
présente  à  ses  lecteurs.  En  même  temps  qu'il  esquisse  l'histoire 
de  la  postérité  spirituelle  de  saint  Benoit,  il  résume  une  des  par- 
lies  les  plus  importantes  de  l'histoire  ecclésiastique  pendant  qua- 
torze siècles.  Il  ne  se  borne  pas  à  une  énumération  sèche  de 
noms,  de  faits  et  de  dates;  dans  la  mesure  où  son  cadre  restreint 
le  lui  permet,  il  fait  constater  l'activité  féconde  et  l'étonnante  in- 
fluence des  enfants  du  cloître. 

Dom  Bérengier  nous  permettra  d'émettre  un  regret  :  pourquoi 
n'a  t-il  pas  complété  son  tableau  historique  du  monachisme  occi- 
dental par  un  autre  tableau  non  moins  intéressant  et  important? 
Nous  voulons  parler  d'une  statistique  de  l'Ordre  bénédictin.  Il 
nexisle  rien  de  semblable.  Certainement  les  moines,  ses  frères 
et  leurs  nombreux  amis,  lui  sauraient  gré  de  leur  donner  dans 
une  troisième  édition,  avec  le  nombre  des  religieux  groupés  par 
congrégation  et  pays,  la  liste  de  tous  les  monastères  d  hommes 
et  de  femmes  qui  militent  sous  la  règle  de  saint  Benoit.  » 

Saint  Paul.  —  M.  l'abbé  Vouard,  —  Paris,  Lecotîre. 

M.  l'abbé  Fouard  continue  son  histoire  des  origines  du  chris- 
tianisme. Le  volume  qu'il  publie  sous  le  litre  :  Soinl  Paul.,  ses 
ntissio?is,  prend  saint  Paul  à  sa  première  mission  en  Gypre,  et 
le  conduit  jusqu'à  sa  captivité  à  Home.  C'est  à  proprement  parler 
le  récit  de  ses  missions.  M.  Fouard  s'est  proposé  avant  tout  de 
mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  l'œuvre  de  lévangélisalion  des 
gentils  dans  l'Asie  Mineure,  en  Grèce,  dans  l'Asie  proconsulaire. 
Pour  mieux  atteindre  ce  but  il  a  laissé  de  côté  la  partie  doctrinale 
des  Epltres  et  a  fait  une  large  place  à  la  description  des  villes, 
topographie,  mœurs,  religion,  où  saint  Paul  porta  son  ministère. 
Peut-èlie  M  Fouard  est-il  même  tombé  dans  quelque  exagération. 
L'auteur  est  au  courant  des  derniers  travaux  ;  quatre  caries  d'une 
excellente  gravure  qui  accompagnent  le  récit  permettent  de  le  sui- 
vre sans  peine.  Si  ce  volume  ne  se  distingue  pas  par  une  critique 
profonde,  il  n'en  est  pas  moins  l'œuvre  d'un  écrivain  distingué. 

Le  Gérant  :  Z.  Peisson. 

Amiens.  —  Irap.  Rousseau-Leroy,  rue  Sainl-Fuscien,  18. 


MISCELLANÉES  CHINOIS 


/.  — Le  Rêve  dans  les  croyances  chinoises. 

Les  rêves  oui  toujours  été  considérés  en  Chine  comme 
l'œuvre  d'une  puissance  surhumaine  et  Ton  y  a  toujours 
vu,  en  ces  apparitions,  en  ces  vues  nocturnes,  un  pro- 
nostic d'événements  d'une  certaine  importance.  Cela  ne 
doit  point  nous  étonner  ;  cette  conclusion,  toute  fausse 
qu'elle  est,  fut  le  résultat  d'un  raisonnement  qui  ne  man- 
quait de  logique  que  dans  sa  majeure.  Les  anciens  ne  pou- 
vaient soupçonner  les  opérations  du  cerveau,  ni  croire  à 
la  production  spontanée  d'images  dans  le  système  cérébro- 
psychique de  l'homme.  D'autre  part  ils  voyaient  que 
pendant  le  sommeil,  toutes  les  portes  des  sens  étaient 
fermées  aux  objets  du  dehors,  il  ne  leur  restait  donc, 
pour  expliquer  les  rêves,  que  de  supposer  l'action  d'une 
puissance  extérieure  à  l'homme,  des  esprits  et  du  Créa- 
teur même.  Certaines  relations  qu'ils  avaient  pu  remar- 
quer entre  les  songes  et  des  faits  dûment  constatés  avaient 
rendu  probablement  cette  conviction  invincible. 

Mais  une  fois  que  les  rêves  provenaient  des  Esprits 
supérieurs  il  ne  pouvait  plus  être  question  de  les  traiter 
comme  des  œuvres  du  caprice  ou  de  la  fortuite.  On  ne 
pouvait  plus  les  considérer  que  comme  des  avertissements 
d'êtres  surhumains  parfaitement  intelligents  et  bienveillants 
pour  Thomme. 


290  MISGELLANÉES    CHINOIS 

Ils  devaieiil  doue  tous  avoir  une  signification  ;  cette 
signification  devait  être  ciierchée  si  Ton  voulait  profiter 
des  avertissements  célestes.  Mais  comme  ils  étaient  géné- 
ralement pleins  de  mystère,  leur  explication  n'était  pas  le 
fait  du  premier  venu  ;  il  devait  donc  se  former  une 
classe  d'hommes  qui  s'appliquaient  à  l'étudier  et  à  cons- 
tituer des  principes  d'interprétation  qui  permissent  de 
résoudre  la  plupart  des  cas.  Ainsi  s'éleva  la  caste  des 
devins,  interprètes  des  songes,  que  nous  voyons  forte- 
ment constituée  dans  le  Tclieou-li.  Cette  organisation  ne  fut 
cependant  qu'assez  tardive,  nous  ne  la  trouvons  pas  encore 
aux  deux  grands  Kings,  bien  que  la  signification  des 
rêves  y  ait  déjà  certaines  règles  reconnues  des  classes 
lettrées. 

A  cette  époque  lointaine,  on  ne  se  préoccupait  point 
encore  de  la  nature  intrinsèque  du  rêve,  on  le  prenait 
comme  un  fait  dont  on  cherchait  à  reconnaître  la 
valeur  en  tant  que  présage  ;  c'était  tout.  Plus  tard, 
lorsque  le  vieux  maître  de  Tchou  ent  doté  la  Chine 
de  principes  philosophiques  et  de  recherches  métaphy- 
siques ;  lorsque  surtout,  on  eut  pris,  comme  base  de 
l'ontologie,  la  notion  des  deux  principes,  du  Yin  et  du 
Yang  qui  donnent  à  tous  les  êtres  leur  matière  et  leur 
forme,  on  commença  à  se  demander  ce  que  pouvait  être 
ce  phénomène  étrange,  quelle  en  était  la  cause  produc- 
tive. Ce  furent  surtout  les  Tao-she  qui  visèrent  à  résoudre 
le  problème  et  commencèrent  vers  le  V"  ou  IV  siècle 
avant  notre  ère. 

Nous  ne  trouvons  d'abord  chez  eux  que  des  phrases 
incidentes  ;  telle  que  celle-ci  de  Tchuang-Tze  :  Le  rêve  est 
le  produit  de  l'action  réflexe  (1)  du  principe  animal  Yun. 
L'éveil  est  l'acte  du  corps  s'ouvrant  aux  influences  exté- 
rieures. 

(1)  G'esL-à-dire  opérant  sur  soi-même. 


MlSCELLANÉES    CHINOIS  291 

Toutefois  la  croyance  au  côté  suruaturel  du  rêve  resta 
prévalente  et  de  même  que  Wen-Wang  pensait  avoir  reçu 
de  Dieu  les  neufs  lings  (1)  (Voir  le  Li  ki,  vi,   1  3),  ainsi 
l'empereur  Wei,  seize  siècles  après,  croyait  que  son  rêve 
était  dû  à  une  action  interne  des  esprits  qui  avaient  pro- 
voqué en  lui  ces  représentations  comme  celles  du  chien  de 
paille,  du  grand  feu  et  autres  qui  avaient  troublé  l'esprit 
de  Siuen  des  Tcheou  (Voir  le  Wei-tchi).  Cela  ne  doit  pas 
nous  étonner.  Les  spéculations  métaphysiques  n'ont  guère 
exercé  d'influence  sur  la  conduite  des  Chinois  en  général. 
Ceux-ci,  gens  pratiques  avant  tout,  ne  se  préoccupaient  que 
des  maximes  morales,  laissant  les  philosophes  disserter 
et  disputer  à  leur  aise,  mais  veillant  à  ce  que  leurs  élucu- 
brations  n'aient  point  d'influence  notable  sur  la  vie'  de  la 
nation.  Aussi  allons-nous  voir  les  chercheurs  continuer 
les  investigations  scientifiques  à  leur  manière,  tandis  que 
le  grand  pubUc  persévérait  dans  ses  appels  à  la  science 
divinatoire.  Nous  ne  reproduirons  ici,  du  reste,  que  quel- 
ques faits,  les  plus  significatifs. 

D'après  Lie-tze  la  nature  des  rêves  dépend  de  la  pré- 
pondérance chez  l'homme,  du  principe  actif,  spontané,  ou 
du  principe  passif,  réactif,  du  Yang  ou  du  Yin.  La  pléni- 
tude ouïe  vide  du  corps,  dit-il,  son  développement  ou  sa 
diminution,  son  extinction,  ont  pour  cause  unique  la 
manière  dont  le  ciel  et  la  terre  agissent  sur  les  êtres  et 
répondent  à  leurs  besoins.  Quand  le  principe  du  Yin  pré- 
domine alors  dans  les  rêves  on  traverse  de  grandes  eaux 
et  l'on  est  saisi  de  crainte.  Si  c'est  le  principe  du  Yang,  au 
contraire,  on  rêve  que  l'on  traverse  un  grand  feu  et  l'on 
est  brûlé.  Quand  les  deux  principes  ont  une  force  égale, 
on  rêve  de  vie  ou  de  mort. 

Est-on  rassasié  on  rêve  de  dons  généreux  ;  a-t-on  faim, 
on  prend  dans  le  vide  et  le  flottant.  Si  l'on  est  malade 

(1)  Mot  de  sens  incertain.  Peut-être:  dixainc  d'années. 


292  MISGELLANÉES    CHINOIS 

légèrement,  on  se  voit  flottant  Ji  la  surface.  Si  la  maladie 
est  grave,  on  s'enfonce  dans  les  flots.  Si  l'on  se  couche 
sur  sa  ceinture,  on  voit  des  serpents,  des  oiseaux  volants. 
Si  l'on  a  eu  une  plume  en  bouche,  ou  rêve  que  l'on  vole 

Quand  on  se  dispose  à  se  retirer  dans  la  condition 
privée,  on  rêve  de  feu.  Si  l'on  est  menacé  d'une  maladie, 
on  rêve  de  manger.  Les  gens  qui  boivent  de  la  liqueur 
aiment  à  chanter,  dans  leurs  songes  ils  se  lamentent. 

Si  l'on  a  médité  le  matin,  la  nuit  on  rencontre  des 
formes  d'esprit.  D'après  TOiuang-lze,  l'homme  sage,  s'il  ne 
dort  pas,  ne  rêve  pas  et  son  réveil  est  sans  aucun  souci. 
Le  rêve  est  l'œuvre  de  la  snbstance  du  Yang.  En  tout  ce 
que  le  cœur  aime  ou  craint  l'essence  active  le  suit. 

Le  rêve  est  comme  un  oiseau  volant  dans  le  ciel,  dit 
Hoei-nân-tze  ou  comme  un  oiseau  qui  se  plonge  dans 
l'abîme  des  eaux. 

Pendant  le  rêve  on  ne  sait  point  qu'on  rêve,  on  ne  le 
connaît  qu'éveillé. 

Le  rêve  est  une  image,  c'est  la  substance  atomique  et 
pure  qui  s'agite  ;  c'est  que  le  Huan  et  le  Pe  (1)  quittent 
le  corps  et  que  l'âme  va  et  vient.  Le  Yin  et  le  Yang  mis  en 
mouvement  fout  constater  le  bonheur  et  le  malheur,  le 
bien  et  le  mal. 

Les  songes  font  connaître,  à  l'avance,  les  événements, 
le  sage  en  comprend  les  leçons  et  en  profite  pour  sa  con- 
duite qu'il  change  ainsi  à  propos. 

Le  rêve  fait  connaître  ce  qu'il  annonce  ;  il  montre  des 
formes  sans  que  l'œil  voie,  que  l'oreille  entende,  que  le 
nez  sente,  ou  que  la  bouche  profère  une  parole. 

Lehuoii  sort  et  se  promène,  le  corps  reste  seul,  le  cœur 
en  ses  pensées  Toublie  complètement.  L'àme  instruite  par 
le  ciel  avertit  l'homme  des  volontés  divines.  L'homme 

(1)  L'âme  et  l'espril  vital. 


MISCELLANÉES    CHINOIS  293 

reçoit  ses  avertissements  et  n'oublie  pas  les  leçons  de 
l'esprit. 

Jadis  il  y  avait  des  magistrats  interprètes  des  songes  ; 
les  générations  successives  se  sont  transmis  leurs  ensei- 
gnements. 

Ainsi  parle  le  Mong-shu,  ou  «  Livre  des  Songes  ». 

Tu-mu  dans  ses  Rêves  d'automne  (Tsiu-mong)  attribue 
également  les  songes  au  huan^  ou  esprit  animal  détaché 
du  corps  pendant  le  sommeil.  Je  rêvai,  dit-il,  et  mon 
esprit  animal  se  détacha  :  Meng  huan  t'ïui^  et  de  la 
même  manière  Hiang-mu  disait  :  Hier  soir,  mon  huan  a 
rêvé  des  immortels.  (V.  le  Meng-sheii-shi). 

Tu-Tchen  des  Tangs  donna  à  notre  phénomène  une 
explication  un  peu  différente.  Dans  une  ode  relative  à  ce 
sujet,  nous  trouvons  la  phrase  suivante  :  «  L'épouse  est 
la  substance  la  plus  pure  du  ciel  et  de  la  terre,  le  rêve 
est  la  complétion,  la  perfection  de  l'essence  intelligente.  » 

Voilà  les  quatre  genres  d'explications  que  les  Chinois 
ont  risquées  du  phénomène  nocturne  :  action  directe  des 
esprits,  influence  du  Yang  et  du  Yin,  opération  du  huan, 
illumination  de  la  substance  intellectuelle.  Mais  même  dans 
ces  trois  dernières,  l'intervention  des  esprits  n'est  pas 
mise  à  l'écart,  ce  sont  eux  qui  mettent  en  mouvement  ces 
divers  principes  et  leur  font  produire  leur  effet.  Il  en  est 
ainsi  du  moins  dans  les  rêves  significatifs,  mais  plus  on 
approche  des  temps  modernes,  plus  les  rêves  perdent  de 
leur  caractère  surnaturel  dans  l'esprit  des  Chinois. 

Nous  disions  en  commençant  que  le  caractère  surna- 
turel attribué  aux  rêves  se  constate  déjà  dans  les  plus 
anciens  livres  de  la  Chine  antique.  Nous  le  trouvons,  en 
effet,  bien  défini  dans  le  Sbu  et  le  Shi-King. 

Dans  le  Livre  des  Annales  nous  voyons  le  roi  Shang, 
Wu-ting(l324-156o),  au  milieu  de  ses  conseillers  et  gar- 
dant le  silence  jusqu'à  ce  qu'un  rêve  envoyé  par  Shang-ti 


294  MISGETJANÉeS    CHINOIS 

lui  montre  l'image  du  ministre  destiné  par  le  ciel  à  sou- 
tenir son  trône.  Ce  ministre  il  le  cherche  partout  et  le 
reconnaît  comme  l'objet  de  son  rêve  dans  la  personne  de 
Yue.  (vi-8,  p.  1-4.)  Puis  c'est  Wu-Wang  qui  annonce  à 
ses  généraux  que  ses  rêves  coïncident  avec  les  horos- 
copes, qu'il  triomphera  de  Sheou.  (V.  4,  p.  2-5.) 

Au  Livre  des  vers  il  est  surtout  question  des  présages  à 
tirer  des  songes;  au  L.  ]i-4,  ode  5,  §  6-5,  il  est  dit  que 
l'apparition  d'ours  dans  un  rêve  annonce  la  naissance  d'un 
fils,  que  celle  des  serpents  indique  la  naissance  d'une  fille. 
L'ode  0,  §  4  du  même  livre  nous  apprend  que  la  vue  d'une 
multitude  de  gens  se  transformant  en  poissons  est  un 
signe  d'années  d'abondance  et  que  celle  de  bannières  à 
faucons  succédant  à  des  tortues  promet  l'augmentation  de 
la  population  du  pays.  Par  contre  l'ode  VIII  nous  apprend 
que  la  science  des  devins  a  des  bornes  et  ne  peut  péné- 
trer les  mystères  de  la  nature. 

Les  quatre  livres  confucéens  ne  mentionnent  qu'un  seul 
cas  de  rêve,  c'est  au  Lun-Yu  VII,  §  o,  où  Kong-tze  se 
lamente  de  l'insuccès  que  lui  annonce  ce  fait  que  depuis 
quelque  temps  il  n'a  plus  rêvé  Tcheou-Kong..Ges  paroles 
semblent  indiquer  ([ue  le  Sage  lui-même  croyait  à  l'origine 
céleste  des  songes. 

Si  de  là  nous  passons  au  rituel  qui  porte  le  nom  de  la 
dynastie  tcheou,  au  Tcheou-li,  nous  allons  nous  trouver 
dans  un  nouvel  ordre  d'idées  que  Ton  ne  rencontre  nulle 
part  ailleurs.  Nous  y  verrons,  en  eflet,  tout  un  corps  de 
devins  et  un  système  pour  Pexplication  des  visions  noc- 
turnes. 

Ce  corps  était  composé  d'un  Kou-mong  ou  devin  des 
songes,  de  deux  assistants  Tchong-shi ,  ou  lettrés  de 
grade  moyen,  de  deux  secrétaires  annalistes  rédigeant 
les  procès-verbaux  des  consultations  et  de  quatre  tous  ou 
servants.  (Voir  Tcheou-li,  xvii,  §  48.) 


MISCELLANÉES    CHINOIS  295 

La  fonction  du  Kou-mong  et  de  ses  assistants  était 
double.  Ils  avaient  à  étudier  les  principes  de  l'interpré- 
tation des  songes  et  à  rendre  réponse  aux  consultants. 
A  ce  dernier  point  de  vue  ils  avaient  une  mission  privée 
ordinaire  et  une  autre  publique  en  vertu  de  laquelle  ils 
devaient  à  la  fin  de  l'hiver  se  rendre  auprès  de  Tempereur 
pour  s'informer  des  songes  quB  Sa  Magesté  aurait  pu 
avoir  pendant  l'année.  Puis  les  ayant  étudiés  ils  reve- 
naient expliquer  au  Souverain  le  présage  heureux.  L'em- 
pereur devait  les  recevoir  en  s'inclinant  profondément, 
témoignant  ainsi  de  son  respect  pour  les  bienveillants 
avertissements  du  ciel. 

Les  principes  de  la  distinction  des  songes  nous  sont 
donnés  parle  Tcheou-li.  C'étaient  le  temps  de  l'année,  la 
position  de  la  terre  par  rapport  au  soleil,  à  la  lune  et  aux 
autres  astres,  les  relations  des  principes  du  Yin  et  du 
Yang,  qui  se  fortifient  ou  s'affaiblissent  selon  que  l'on 
approche  de  l'été  ou  de  l'hiver.  La  position  et  la  marche 
des  astres  déterminent  le  présage  heureux  ou  malheu- 
reux. D'après  ces  mêmes  principes,  le  Tcheou-U  distingue 
six  espèces  de  songes  qui  tous,  selon  les  circonstances, 
peuvent  faire  présager  le  bonheur  ou  le  malheur.  Ce  sont  : 
i"  les  rêves  réguliers,  c'est-à-dire  tranquilles,  sans  agita- 
tion aucune  ;  2"  les  rêves  effrayants  ;  5°  les  rêves  de  sou- 
venir quand  on  y  voit  ce  à  quoi  on  a  pensé  en  état  de 
veille  ;  i°  les  rêves  de  veille  où  Ton  pense  à  ce  que  l'on  a 
fait  éveillé  ;  5°  les  rêves  joyeux  et  0°  les  rêvôs  d'appré- 
hension produits  par  les  craintes  qu'on  a  éprouvées  pen- 
dant le  jour  (1). 

Quant  à  la  mission  du  Kou-mong  au  palais  le  texte  dit 
plutôt  qu'il  va  annoncer  à  l'emperenr  les  rêves  heureux 

(1)  Ce  ue  sont  point  les  rêves  eiïrayinls  d(''j  •  nienlionnés  sous 
le  n"  2,  ni  les  rêves  des  personnes  craintives  qui  peuvent  en  avoir 
aussi  do  joyeux. 


296  MISCELLANÉES    CHINOIS 

qu'ont  eus  les  magistrats.  Il  porte  en  effet:  «  Il  va  à  Tau- 
dience  royale,  il  présente  les  songes  heureux.  » 

Mais  le  Kou-mong  et  son  collègue  n^étaient  pas  seuls  à 
se  préoccuper  des  songes,  le  Ta-pou,  ou  grand  augure, 
d'après  les  écailles  de  tortue,  avait  aussi  droit  à  leur  inter- 
prétation. Il  avait,  pour  cela,  trois  règles  principales,  selon 
que  les  songes  avaient  leur  source  dans  les  pensées  du 
sujet,  ou  dans  des  événements  extérieurs  merveilleux  ou 
dans  les  faits  de  la  vie  ordinaire. 

Tels  sont  les  principes  énoncés  dans  leTcheou-li,  mais 
il  ne  semble  pas  qu'ils  aient  été  jamais  appliqués  et  que 
toutes  ces  distinctions  et  fonctions  aient  existé  réellement. 
Du  moins  l'histoire  n'en  porte  guère  de  traces.  Les  com- 
mentateurs renvoient  même,  en  cet  endroit,  à  un  trait  du 
Tso-tchuen  qui  nous  montre  un  système  de  divination  tout 
différent  de  celui  que  nous  venons  devoir,  dans  leTcheou-li. 

C'était  en  l'an  510,  la  oI«  du  prince  Tchao  de  Lou.  Le 
Souverain  avait  rêvé,  la  veille  d'une  éclipse  de  soleil,  d'un 
jeune  homme  qui  se  présentait  à  lui  sans  vêtements  et 
chantant  mélodieusement. 

Pour  en  comprendre  le  sens  Tchao  s'adresse  non  à  un 
Kou-mong  mais  au  grand  historiographe  astrologue  et 
celui-ci  lui  explique  le  présage  sans  se  soucier  le  moins 
du  monde  des  règles  tracées  par  le  Rituel  des  Tcheous. 
Il  lui  déclare  que,  dans  six  ans,  à  pareil  mois,  le  prince  de 
Wu  l'attaquera  sans  réussir.  Wu  entrera  à  Ying,  dit-il,  le 
jour  keng-shin.  Mais  le  jour  de  l'éclipsé  est  Kang  Wu 
qui  représente  le  feu.  ^Yu  appartient  au  métal  ;  le  feu 
l'emportera  sur  celui-ci. 

Dans  tous  les  autres  faits  que  nous  rapportent  les  his- 
toriens chinois,  règne  la  même  liberté  d'allure  chez  les 
interprètes  et  la  même  ignorance  ou  le  même  dédain  des 
principes  du  rituel  prétendu  authentique,  mais  auquel, 
je  l'avoue,  je  ne  pourrais  attribuer  ce  caractère. 


MISCELLANÉES    CHINOIS  297 

Mais  ceci  est  en  dehors  de  notre  sujet. 

Les  livres  des  moralistes  et  des  annalistes  chinois  sont 
pleins  de  récits  donnés  comme  authentiques,  où  les  rêves 
jouent  un  rôle  important.  Les  plus  graves  historiens  ne 
dédaignent  pas  de  les  relater  comme  annonce  dV'véne- 
ments  prochains,  ou  révélations  de  faits  inconnus.  Nous 
n'allons  point  sans  doute  feuilleter  tous  les  manuscrits 
de  la  littérature  sérieuse  des  Chinois  pour  y  recueillir 
tous  les  traits  appartenant  au  sujet  qui  nous  occupe. 

Nous  nous  bornerons  aux  principaux  que  nous  avons 
recueillis  spécialement  dans  le  Yuen-Kien-lei-han  et  d'au- 
tres ouvrages.  Les  voici  sans  ordre  ni  haison.  Ils  com- 
mencent naturellement  par  Hoang-ti,  le  père,  lepromotenr 
obligé  de  toute  conception  chinoise. 

Hoang-ti  était  occupé  à  méditer  avec  douleur  sur  l'absence 
d'ordre  qui  régnait  dans  le  gouvernement  du  monde.  Il 
en  était  tout  affligé  et  ses  entrailles  en  étaient  émues.  Il  se 
retira  dans  un  appartement  isolé  de  son  jardin  et  pendant 
trois  mois  il  réprima  son  cœur,  se  purifiant  intérieure- 
ment, mortifiant  son  corps  et  ne  s'occupant  plus  des 
affaires  du  gouvernement. 

Un  beau  matin,  épuisé  de  fatigue,  il  s'endormit  et  eut 
un  songe.  Il  se  promenait  au  royaume  de  Hua-su.  Il 
s'éveilla  tout  réjoui  et  reprenant  possession  de  lui-même, 
il  dit  :  maintenant  le  Tao  ne  peut  s'atteindre  par  les 
efforts  de  sa  propre  substance.  Ayant  ainsi  compris  les 
choses  il  tint  le  monde  en  ordre  parfait  pendant  vingt-neuf 
ans  en  suivant  le  modèle  de  ce  qu'il  avait  vu  dans  son 
rêve.  Après  quoi  le  sage  empereur  s'éleva  dans  les  régions 
lointaines  (Y.  Lie-tze). 

Un  autre  jour,  dit  le  Shi-ki,  le  même  souverain  rêva 
qu'un  grand  vent  soulevait  la  poussière  et  en  débarrassait 
la  terre  complètement.  Puis  il  vit  un  homme  armé  d'une 


298  MISGELLANEES    CHINOIS 

arbalète  d'un  poids  des  plus  lourds  et  conduisant  d'innom- 
brables troupeaux  de  moutons. 

Réveillé,  le  docte  empereur  se  mit  à  soupirer  et  à  réflé- 
chir sur  la  signification  de  ce  songe.  Argumentant  des 
mots  fong,  vent  et  heou  poussière,  il  se  dit  que  cette 
vision  lui  indiquait  un  personnage  qui  pourrait  lui  servir  de 
ministre.  La  poussière  balayée,  la  force  et  le  poids  de  l'arc, 
annonçaient  à  ses  yeux  l'habileté  gouvernementale  de  cet 
individu  ;  la  conduite  des  troupeaux  si  nombreux  renforçait 
cette  idée.  Mais  ceci  indiquait  en  outre  les  mots  li  (force) 
comme  nom  de  famille  et  mu  pasteur,  comme  prénom. 

Il  lui  restait  à  découvrir  les  hommes  de  mérite  qui  por- 
taient ces  deux  noms.  Hoang-ti  consulta  un  devin  et  le  sort 
lui  désigna  les  endroits  où  ces  personnages  se  trou- 
vaient. Ainsi  guidé  il  découvrit  Fong  heou  en  un  habitant 
des  îles.  Aussi  fit-il  de  celui-ci  son  ministre  assistant.  Il 
trouva  également  un  Li-mu  près  des  grands  lacs  et  en  fit 
son  général. 

Tai-sze  l'épouse  vertueuse  du  grand  Wen-Wang  vit  un 
jour  en  songe  un  datier  poussant  dans  la  cour  du  palais 
des  Shangs.  Le  prince  héritier  survint  alors,  prit  des 
euphorbia  du  jardin  des  Tcheous  et  les  planta  dans  le 
parvis  du  palais.  Ces  arbres  se  transformèrent  aussitôt  et 
devinrent  des  sapins,  des  cèdres,  des  épines.  Bientôt  après 
elle  se  réveilla.  Aussitôt  elle  alla  en  avertir  Wen-Wang. 
Ce  prince  appela  son  fils  et  quand  il  fut  venu  il  fit  con- 
sulter le  sort  dans  le  Ming-tang.  Il  en  apprit  que  ce  songe 
était  heureux,  qu'il  recevrait  le  mandat  céleste  que  Sliang-ti 
du  ciel  brillant  avait  transféré  des  Shangs  sur  sa  tête.  Le 
roi  et  son  fils  se  prosternèrent  pour  vénérer  le  décret  du 
ciel  (Voir  le  Tcheou-Shu). 

Un  jour  Confucius  se  trouvait  entre  les  pays  du  Tchen 
et  de  Tsai  dépourvu  de  toutes  provisions  de  bouche.  Pen- 
dant sept  jours  il  ne  goûta  pas  même  un  légume.  Un 


MISCELLANÉES    CHINOIS  299 

matin  à  son  réveil  Hoei,  son  disciple  chéri,  s'étant  procuré  du 
riz  et  l'ayant  fait  cuire,  vint  pour  le  lui  présenter.  Kong-tze 
voyant  Hoei  en  prendre  dans  la  marmite  pour  le  goûter  se 
leva  et  lui  dit  :  J'ai  rêvé  aujourd'hui  que  je  voyais  nos 
anciens  princes  manger  du  riz  pur  ;  je  voudrais  en  avoir. 
Son  disciple  lui  répondit  que  ce  n'était  plus  que  de  la  pous- 
sière et  de  la  cendre  dont  on  ne  pouvait  manger  ;  que  ce  qui 
tombait  des  plats  était  un  manger  de  mauvais  augure. 
Alors  Kong-tze  se  résigna  et  prit  de  ce  que  lui  offrait  Hoei. 

Yi-zho  étudiait  la  conduite  des  chars  depuis  trois  ans  et 
n'avait  point  encore  réussi  à  l'apprendre.  Une  nuit  il  rêva 
qu'il  avait  reçu  les  règles  de  cet  art.  H  courut,  dès  le 
matin,  pour  saluer  son  maître.  Celui-ci  lui  dit  qu'il  n'avait 
pas  encore  atteint  son  but,  mais  qu'aujourd'hui  il  voulait 
lui  enseigner  les  principes  de  cette  science.  Yi-zho  s'appro- 
chant  du  maître  et  se  tournant  vers  le  Nord,  s'inclina  pro- 
fondément devant  lui  et  dit  :  Aujourd'hui  votre  ancien  ser- 
viteur a  rêvé  qu'elles  lui  étaient  révélées  et  qu'il  voulait  vous 
prévenir  en  vous  indiquant  ce  qu'il  avait  rêvé.  C'était  bien, 
en  effet,  les  règles  de  la  conduite  des  chars. 

Ces  deux  traits  sont  empruntés  au  Tchun-tsiou  de 
Liu-Shi. 

Suivant  le  Sze-ki,  Wen-kong  de  Tsi  vit  en  songe  un  ser- 
pent jaune  qui  descendait  du  ciel  sur  la  terre  et  qui  tenait 
sa  gueule  dans  le  courant  du  Fu.  Il  demandait  au  grand 
historiographe  ce  que  cela  signifiait.  C'est  un  messager  de 
Shang-ti,  répondit  celui-ci,  attestant  que  le  prince  doit 
l'honorer. 

-  Tcheng-Yuen,  dit  le  Han-Shu,  rêva  que  Kong-tze  s'ap- 
prochait de  lui  et  lui  disait  :  «  Lève-toi,  lève-toi,  l'année 
présente  est  en  Tchea  L'an  prochain  sera  en  Sze.  »  Tcheng 
réveillé  combina  ces  paroles  prophétiques  et  comprit  que 
sa  destinée  y  était  indiquée.  En  eff'et  il  tomba  malade,  se 
mit  au  lit  et  mourut  peu  après. 


300  MISCELLANÉES    CHINOIS 

Huan-ti  aimait  beaucoup  le  livre  de  Lao-tze.  Une  nuit  il 
le  vit  en  songe.  Aussi  dès  son  réveil  il  appela  un  de  ses 
ministres  et  lui  ordonna  d'élever  un  temple  au  Sage. 

Les  exemples  d'ordres  semblables,  donnés  pendant  des 
rêves  sont  très  nombreux;  on  en  trouvera  un  grand  nombre 
dans  notre  Mythologie  chinoise. 

Les  naissances  des  personnages  extraordinaires  sont 
fréquemment  annoncées  de  la  même  façon.  Ainsi  la  mère 
du  célèbre  poète  Li-tài-pé  avait  vu  l'étoile  de  Vénus  (  Tai-pe) 
projeter  des  rayons  sur  elle  et  pour  ce  motif  avait  donné 
le  nom  de  cet  astre  au  fils  conçu  sous  son  influence. 

On  connaît  l'histoire  analogue  de  Lao-tze,  de  Tchang- 
tao-linget  de  beaucoup  d'autres.  La  mère  de  Tchang-tao- 
ling,dit  le  Shen-sièn-tong-Kien  (1  )  vit  en  rêve  un  esprit  qui 
descendait  de  la  grande  ourse  vêtu  d'une  longue  robe 
brodée  et  portant  à  la  main,  une  fleur  parfumée.  Ce  parfum 
se  répandit  sur  elle  et  quand  elle  se  réveilla  elle  se  sentit 
enceinte. 

V Immortel  honoré  sous  le  nom  de  Wen-Yuen-Shuai 
«  Le  général  Wen  »  fut  obtenu  par  sa  mère  Tchang-Shi 
d'une  façon  analogue.  Celte  dame  priait  instamment  Hou- 
tou^  l'esprit  de  la  terre  pour  obtenir  un  fils.  Un  jour  elle 
vit  en  songe  un  esprit  couvert  d'une  cuirasse  d'or  et  armé 
d'une  grande  hache.  Il  tenait  de  la  main  droite  une  perle 
magnifique  et  dit  à  la  dame  endormie  :  Je  suis  l'esprit 
Lu-Kia  l'envoyé  du  Maître  suprême.  Je  désire  que  vous 
soyez  mère,  y  consentez-vous  ?  Tchang-shi  répondit  qu'elle 
était  soumise  aux  ordres  du  ciel.  Là-dessus  l'esprit  déposa 
la  perle  dans  son  sein  et  douze  mois  après  ('2),  notre  héros 
voyait  le  jour  (5). 

(i)  Voir  ma  Mythologie  chinoise,  p.  295. 

(2)  Voir  notre  Mythologie,  p.  367. 

(3)  Les  Mylliologues  chinois  aiment  à  prolonger  le  tomps  de 
gestation  de  leurs  grands  hommes. 


MISGELLANÉES    CHINOIS  301 

Des  traits  de  ce  genre  abondent  dans  les  livres  chinois  ; 
mais  ces  exemples  suffiront  à  notre  tâche. 

C'est  à  la  suite  d'un  songe  pendant  lequel  il  avait  vu  le 
soleil,  que  l'empereur  Kao-sin  (t>5'  siècle,  A.  C.)  eut  huit 
fils,  tous  parfaitement  sages,  à  ce  point  que  le  peuple  les 
appela  les  huit  Yueu  ou  les  huit  principes,  ou  Yuen- 
Wang-tze^  les  huit  fils  de  roi  principiels,  à  la  tète  des 
êtres. 

L'empereur  Ti-Kou  (24°  siècle  av.  J.-G.)  vit  également 
en  rêve,  l'astre  du  jour  et  Tavala,  ce  qui  lui  procura  la 
conception  et  la  naissance  d'un  fils  (Voir  Silei-fou,  iv, 
1  20, 1). 

D'après  le  Sze-Ki,  King-ti  des  Hans  rêva  d'un  esprit 
femelle  qui  lui  remit  en  mains  le  soleil  lui-même  pour  le 
donner  à  son  épouse  impériale.  Celle-ci  l'avala  sans  aucune 
façon  et  devint  mère  d'un  prince,  après  quatorze  mois  de 
gestation.  Cet  enfant  merveilleux  fat  Wu-ii.  (Voir  le  Han- 
Wu-ti-tchuen.) 

D'après  lePe-sze  Wei-Kao-heou-tchouen,  l'impératrice 
épouse  Hiao-Wen  rêva  qu'elle  se  trouvait  debout  au  milieu 
du  Tang  et  que  le  soleil  vint  projeter  ses  rayons  sur  elle 
par  la  fenêtre,  et  la  brûler.  En  vain  cherchait-elle  à  s'y 
soustraire,  allant  à  droite  et  à  gauche. 

Le  lendemain,  elle  interrogea  Song-nien  sur  la  signifi- 
cation de  ce  rêve  et  celui-ci  lui  dit  que  c'était  un  présage 
merveilleux.  Aussi  peu  après  la  princesse  conçut  en  son 
sein  l'enfant  qui  fut  Siuèn-Wu-ti  et  elle  vit  en  rêve  le  soleil 
se  transformant  en  un  dragon  qui  enveloppait  l'impératrice. 
Celle-ci  conséquemment  enfanta  le  prince  héritier  du  trône. 

Le  soleil  joue  le  même  rôle  dans  la  naissance  de  Huang- 
King  des  Tao.  Sa  mère  vit  un  jour  l'essence  du  grand 
luminaire  céleste  qui  s'arrêtait  en  son  sein,  puis  deux 
hommes  célestes  (Tien-jin)  qui  descendirent  vers  elle  tenant 
en  main,  une  cassolette  d'or  à  encens.  Aussitôt  elle  sentit 


302  MISGELLANÉES    CHINOIS 

en  elle  une  douce  commotion  dont  rien-  n'expliquait  la 
cause  et  conçut  Huang-King. 

La  lune  intervient  parfois  aussi  dans  ces  conceptions 
miraculeuses.  C'est  elle,  par  exemple,  que  l'épouse  de 
Wu-ti  des  Liangs  vit  descendre  dans  son  sein  et  le  féconder. 

Ce  ne  sont  point  seulement  les  grands  personnages, 
ceux  qui  ont  joué  dans  lliistoire  de  leur  patrie  un  rùle 
important,  qui  ont  été  les  objets  de  semblables  faveurs. 

Ainsi  un  certain  Tchong-touk,  personnage  peu  connu, 
reçut  son  nom  d'honneur  à  la  suite  du  fait  suivant.  Dans 
sa  jeunesse,  il  rêva  un  jour  qu'un  grand  oiseau  de  couleur 
rouge  à  lignes  de  cinq  couleurs,  tracées  régulièrement, 
descendait  dans  la  cour  de  la  maison  de  ses  parents.  Son 
grand  père  auquel  il  raconta  la  chose  lui  dit  :  Ces  cinq 
couleurs  sont  celles  du  phénix  bigarré  ;  ces  lignes  rouges 
appartiennent  au  tsu.  Ce  jeune  homme  sera  l'assistant  des 
phénix.  Il  se  distinguera  eu  littérature  et  pour  ce  motif 
paraîtra  à  la  Cour.  Puis  en  raison  de  ce  fait  il  lui  donna  le 
nom  d'honneur  de  Sheng-Wen^  d'art  parfait. 
•  Un  homme  de  Liu-tchuen  nommé  Kien-Shi,  habitant  au 
bord  du  torrent  de  Ki,  y  vit  deux  pierres  blanches  qui  se 
pressaient  l'une  contre  l'autre;  U  les  prit,  les  porta  chez  lui, 
elles  mit  dans  un  coffre.  La  nuit  suivante  il  vit  en  rêve 
deux  belles  jeunes  filles  vêtues  de  blanc  qui  se  traitaient  de 
sœurs  et  qui  vinrent  se  placer  à  ses  deux  côtés.  Quand  il 
fut  éveillé,  il  comprit  que  c'était  une  manifestation  mer- 
veilleuse des  deux  pierres.  Il  prit  celles-ci  et  se  les  inséra 
dans  sa  ceinture.  Gela  lui  porta  tellement  bonheur  que  son 
étoffe  se  développa  au  point  de  lui  donner  trente  mille 
morceaux  de  toile  pour  des  vêtements  de  ses  amis. 

Cette  histoire  tirée  du  Tsu-huien-ki-shen-luk,  nous  trans- 
porte sur  un  autre  terrain,  celui  des  rêves  servant  à  récom- 
penser des  actions  vertueuses.  Celte  catégorie  est  tout 


MISCELLANÉES    CHINOIS  303 

aussi  nombreuse  que  les  autres,  mais  il  suffit  d'eu  avoir 
donné  un  exemple.  Ajoutons  un  dernier  trait. 

Tchao,  roi  de  Yen,  vit  un  jour  eu  songe  un  homme  ailé 
qui  volait  parmi  les  nuages  puis  descendit,  s'approcha  de 
lui  et  lui  fit  do  la  main  un  signe  sur  le  cœur  qui  s'entrou- 
vrit. Effrayé,  le  roi  s'éveilla  et  se  trouva  le  cœur  malade. 
Quelque  temps  après,  le  même  personnage  lui  apparut  de 
nouveau  et  pressa  la  poitrine  du  roi.  Celui-ci  insista  pour 
savoir  d  où  venait  cette  apparition.  Mais  le  mystérieux 
personnage  se  transforma  en  un  oiseau  bleu  et  disparut. 

Nous  ne  multiplierons  pas  ces  traits  davantage,  il  nous 
suffit  d"en  avoir  donné  une  idée  exacte.  Il  est  un  point 
cependant  qui  mérite  une  attention  spéciale.  C'est  que  les 
rêves  des  souverains  ont  créé  bon  nombre  de  personnages 
célestes  et  multiplié  les  habitants  supposés  de  l'olympe 
chinois  en  y  introduisant  des  êtres  souvent  imaginaires. 

En  voici  deux  exemples  : 

Les  Chinois  honorent  un  personnage  du  nom  de  Tchong- 
Kuei,  considéré,  ainsi  que  son  nom  l'indique,  comme  le 
protecteur  des  hommes  contre  les  démons.  Or,  l'existence 
de  cet  Immortel  ne  repose  que  sur  un  rêve  de  l'empereur 
Huen-tsong  des  Tang  qui  régna  de  715-756.  Ce  prince 
pris  un  jour  d'un  accès  de  fièvre,  vit  en  songe  un  petit 
démon  portant  un  pantalon  rouge,  un  pied  chaussé  l'autre 
tout  nu,  uu  éventail  d'une  main,  une  flûte  de  l'autre  et  se 
jouant  dans  sa  chambre  comme  un  esprit  follet.  Saisi  de 
crainte  l'empereur  appelait  sa  garde  à  son  secours  lors- 
qu'un autre  esprit  terrestre  d'une  taiUe  gigantesque  entra 
dans  l'appartement  impérial,  saisit  le  petit  démon  et  le 
chassa  après  lui  avoir  arraché  un  œil. 

Réveillé,  Huen-tsong  se  sentit  plein  de  reconnaissance 
pour  son  libérateur.  Le  matin  arrivé  il  fit  venir  un  peintre 
pour  tracer  le  portrait  exact  du  grand  démon  et  depuis 
lors  celui-ci  reçut  les  honneurs  du  culte  sous  le  titre  de 


304  MISCELLANÉES    CHINOIS 

Tchong-Kuei  ou  l'expulseur  des  mauvais  esprits.  (Voir  ma 
Mythologie^  p.  505). 

Tchang-sien  ou  Tchang  l'immortel,  le  patron  des 
gens  sans  enfants  est  aussi  le  produit  d'un  rêve  impérial. 
Il  apparut  à  Jin-Tsong  de  la  dynastie  Song  (1025  à  lOGi 
ap.  J.-C.)  sous  la  forme  d'un  beau  jeune  homme  tenant 
une  arbalète  sous  le  bras  et  lui  révéla  qu'il  était  l'adver- 
saire victorieux  d'un  démon  qui  dévore  les  petits  enfants. 
(S o\v Mythologie,  p.  527). 

Deux  autres  personnages  insignifiants  ont  été  élevés  à 
la  dignité  de  Shang-ti  ou  «  souverain  empereur  »  par  un 
impérial  rêveur  auquel  leur  apparence  avait  plu.  Mais  en 
voilà  plus  qu'il  n'en  faut. 

Les  poètes  cliinois  emploient  fréquemment  le  rêve 
comme  artifice  de  style,  image  ou  tableau.  Parfois  un 
songe  forme  toute  la  matière  d'an  morceau  lyrique  comme 
dans  l'ode  célèbre  où  le  poète  Thou-fou  feint  de  voir  en 
rêve  son  ami  Li-tai-pe  exilé  et  prisonnier  sur  les  rives  du 
Kiang.  Inquiet,  anxieux,  il  se  demande  quels  dangers  le 
menacent;  il  voudrait  courir  auprès  de  lui,  le  serrer 
contre  sa  poitrine,  le  protéger  de  son  corps.  Il  le  voit  les 
fers  aux  mains,  gémissant,  mais  plutôt  sur  les  malheurs  de 
sa  patrie  que  sur  sa  disgrâce  personnelle.  Son  regard 
calme,  imperturbable  se  rit  des  efforts  de  ses  ennemis... 

Mais  la  plupart  du  temps  les  rêves  ne  sont  que  des 
incidents  dans  les  pièces  poétiques. 

Au  même  genre  appartiennent  par  exemple  l'ode  de 
Liaug-tchin-go  ayant  pour  titre  Mong-Kien-rnei-jin-shi . 
«  Ode  du  songe  faisant  voir  un  personnage  d'une  grande 
beauté  »  et  celle  de  Tang-Wang-pho  intitulée  Mong-yu- 
shen-shi  «  Ode  du  rêve  de  l'Immortel  circulant  à  l'aise  ». 

Dans  la  première  le  poète  nous  dit  qu'il  entendit  d'abord 
un  profond  et  fort  soupir,  qu'il  connut  par  là  les  anxiétés 
de  son  prince.  Puis  tout-à-coup  le  ciel  s'ouvrit,  il  aper- 


MISCELLANÉES    CHINOIS  305 

çulflovaut  lui  im  personnage  aux  brillantes  couleurs  ijui 
lui  présenta  un  bois  du  mont  Wu  et  le  regardait  lixement. 
S'éveillant  subitement,  il  ne  vit  plus  rien  de  cette  appari- 
tion ;  il  comprit  que  c'était  un  esprit  méchant,  hostile  à 
son  prince.  Aussi  les  larmes  coulèrent  de  ses  yeux  et 
mouillèrent  sa  poitrine. 

Dans  la  seconde  nous  voyous  un  esprit  se  placer  devant 
le  chantre  inspiré,  s'élever  dans  Télhcr,  marcher  sur  les 
nuages,  puis  se  faisant  traîner  par  des  dragons,  chevau- 
chant sur  la  lune,  portant  un  manteau  d'or  et  des  orne- 
ments d'étoiles.  Le  poète  s'étonne  de  la  présence  d'un  si 
brillant  esprit  dans  une  si  sombre  localité,  etc.,  etc. 

Des  pièces  de  ce  genre  ne  sont  pas  rares  (1),  mais  dans 
la  plupart,  les  rêves  ne  constituent  que  des  incidents  plus 
ou  moins  importants  dans  l'ensemble  du  sujet  et  pour  le 
but  de  l'auteur. 

Citons  seulement  celui  de  Wang-Yin  des  Hanspostérieurs 
qui  s'étant  endormi  paisiblement  vit  lout-à-coup  en  songe 
les  transformations  merveilleuses  des  esprits  terrestres  et 
des  êtres  vivants  ;  puis  aperçut  une  tête  de  serpent,  un 
front  de-  poisson  à  quatre  cornes,  un  oiseau  à  trois 
pieds  et  six  yeux,  un  corps  de  dragon  et  beaucoup  d'au- 
tres merveilles. 

Nous  nous  en  tiendrons  là  ;  nos  lecteurs  ne  nous  en 
demanderons  pas  davantage,  certainement. 

L'importance  que  les  Chinois  attachaient  à  l'interpré- 
tation des  songes  n'a  l'ait  que  grandir  avec  les  siècles. 
Aujourd'hui  surtout  ils  y  font  la  plus  grande  attention 
et  s'elîorcent  d'en  trouver  la  vraie  signification,  l'intention 
des  esprits  qui  les  envoient. 

(1)  Citons  encore  pour  mémoire,  de  Li-lai-pe,  le  Ycou-tien-lno- 
'lin-lao-pic-shl  «  Le  chant   de  la   vieille  qui  se  promène  dans   le 
ici  en  clianlant  )',  deThou-fouleivi<6'i-mo»{ii-s/ji.  Le  Rêve  du  retour, 
«.le,  etc.,  on  ea  IrouvoiM  nno  quinzaine  dans  le  yuen-Kitn. 


306  MISGELLANÉES    CHINOIS 

Voici  deux  faits  relatés  par  un  journal  de  Sang-hai.  On 
y  verra  ce  que  les  Chinois  attendent  de  leurs  songes. 

C'est  d'abord  un  riche  bourgeois  de  Shang-haiqui  se  vit 
en  rêve  derrière  un  temple  de  la  cité  et  aperçut  dans  le  sol 
entr'ouvert  un  trésor  caché  depuis  des  siècles.  A  son 
réveil  il  courut  en  toute  hâte  au  lieu  de  sa  vision  et  y 
trouva,  à  deux  pieds  sous  terre,  une  caisse  pleine  dejingols 
d'or. 

Le  second  fait  est  plus  remarquable  encore.  Un  jour 
l'équipage  d'un  vaisseau  forma  un  complot  pour  assassiner 
le  capitaine  et  s'emparer  de  ses  écus.  Les  conjurés  réussi- 
rent complètement  dans  leur  sinistre  projet.  Mais  la  nuit 
qui  suivit  le  crime,  un  commerçant  de  Macao  vit  en  songe 
le  capitaine  qui  lui  révéla  les  circonstances  de  sa  mort. 
Le  commerçant  dénonça  les  coupables  aux  autorités  portu- 
gaises qui  firent  poursuivre  et  arrêter  les  coupables;  ceux- 
ci,  jugés  et  convaincus  de  leur  forfait,  subirent  le  dernier 
supplice. 

Mais  les  Chinois  ne  se  contentent  pas  de  recevoir  des 
songes  des  esprits  et  d'en  interpréter  le  sens.  Ils  en 
demandent  aussi  aux  êtres  célestes  pour  connaître  leurs 
volontés  ou  le  sort  qui  les  attend  eux-mêmes. 

Lorsqu'un  chinois  ne  sait  quel  parti  prendre  dans  une 
circonstance  assez  importante,  il  se  rend  dans  un  temple 
voisin,  y  brûle  de  l'encens  et  des  chandelles  et  prie  le 
génie  invoqué  dans  ce  sanctuaire  de  lui  envoyer  un  songe 
qui  lui  indique  ce  qu'il  doit  faire  en  l'occurence  ;  puis 
souvent  il  se  met  à  dormir  devant  l'image  et  attend  le 
songe  désiré.  Lorsque  son  vœu  est  exaucé  il  consulte  le 
sort  pour  savoir  si  le  songe  survenu  est  dû  au  hasard  ou 
bien  au  génie  dont  il  a  sollicité  l'intervention.  Si  le  sort 
lui  dit  de  l'attribuer  aux  êtres  célestes  il  consulte  l'inter- 
prète attitré  des  visions  nocturnes  et  reçoit  de  sa  bouche  la 
solution  de  la  question.  Les  plus  hardis  la  résolvent  d'eux- 


MISGELLA.NÉES    CHINOIS  307 

inèiiies  [Cil.  DeniLijs^  Folklore  of  Ihe  Gliiiiesc  ;  Doolittle^ 
Social  lil'e  of  Chinese). 

II.  Le  Huaii  et  le  Pe^  les  deiio:  esprits  de  l'homme. 

Dans  notre  ex[)licatioii  du  rêve  chez  les  Gliiiiois,  il  a  été 
plusieurs  fois  mention  de  ces  deux  esprits  qui  animent  le 
corps  humain.  Nous  n'en  avons  alors  donné  qu'une  explica- 
tion brève  et  sommaire,  nous  réservant  d'y  revenir  dans  une 
courte  monographie  spéciale  ;  c'est  ce  que  nous  allons 
faire  ici  en  réunissant  les  traits  principaux  que  nous  avons 
pu  recueillir  dans  les  auteurs  chinois. 

Nous  n'avons  point  trouvé  de  traité  ex-professo  du 
sujet,  chez  les  philosophes  de  l'Empire  des  Fleurs  ;  ce 
n"est  guère  que  dans  les  Encyclopédies  que  Ton  peut 
s'instruire  suffisamment  de  ce  qui  concerne  ces  concep- 
tions. Il  ne  semble  guère  que  les  philosophes  aient  songé 
à  les  distinguer  ou  à  les  définir. 

Les  caractères  qui  représentent  ces  deux  puissances  de 
l'être  humain,  datent  d'une  haute  antiquité,  car  on  les 
trouve  déjà  dans  le  système  Ku-Wen  qui  fut  aboli  au 
IX°  siècle  avant  notre  ère.  Alors  comme  maintenant  le 
signe  représentatif  de  Huan  figurait  un  Kouei,  un  esprit 
humain  avec  celui  des  ondes  éthérées  qui  représentent  la 
parole.  Le  second  était  déjà  composé  du  même  Kuei 
avec  rhiéroglyphe  de  blanc.  Parfois  aussi  du  complexe 
«  main,  bouche  et  blanc  ». 

Le  premier  semblait  donc  désigner  le  principe  humain 
de  la  parole,  l'autre  celui  des  manifestations  sensibles,  du 
corps,  l'un  et  l'autre  et  le  dernier  même  supérieurs  à  la 
matière,  l'informant. 

Le  mot  Huan  ne  se  trouve  pas  aux  vieux  kings  ni  dans 
les  livres  confucéens.  Pe  se  recontre  au  Shu-Ktng^  mais 
dans  le  sens  de  «  lune  décroissante.  »  C'est  au  Li-Ki  et  au 
Tso-Tchueti  que  l'on  trouve  pour  la  première  fois  la  men- 


308  miscella:nées  chinois 

tiuii  (le  ces  deux  agents  de  rètre  humain.  Il  serait  assez 
difiicile  de  dire  lequel  de  ces  deux  textes  c>{  le  plus 
ancien  (1).  LeEi-ki  porte  :  que  «  le  prince  et  son  épouse 
offrent  la  liqueur  au  mort  pour  réjouir  le  Huan  et  le  Pe. 
Cela  s'appelle  concilier,  apaiser.  « 

Le  Rituel  ne  nous  explique  pas  la  signification  de  ces 
termes.  Mais  en  revanche  le  Tso-tchuen  la  donne  de  la 
manière  la  plus  explicite.  C'est  au  livre  X,  règne  du  prince 
Tchao,  an  Yll,  i^  mois.  Pi-Yeu,  prince  de  TcheîTg  avait 
révolté  ses  sujets  par  sa  vie  désordonnée,  il  se  livrait  à  la 
boisson  tout  le  long  du  jour.  Des  grands  conjurés  contre 
hii  l'attaquèrent  en  sa  ville  même  et  Pi-Yeu  fut  tué  sur  le 
marché.  Mais  après  sa.  mort,  des  farceurs  s'amusaient  à 
effrayer  le  peuple  en  racontant  des  apparitions  du  prince 
assassiné.  Tze-tchan  le  grand  astrologue  étant  allé  à  Tsin, 
Tchao-King-tze  lui  demanda  si  Pi-Yeu  pouvait  réellement 
revenir,  s'il  pouvait  être  unKouei,  un  esprit.  Certainement 
répondit  Tze-tchan.  Quand  un  homme  naît,  ses  premières 
modifications,  ses  premiers  mouvements  sont  (formés  par) 
ce  qu'on  appelle  le  Pe. 

Après  que  le  Pe  s'est  produit  ce  qui  est  (en  lui)  d'éthé- 
réal  actif  est  le  Huan.  Par  l'usage  des  choses  sa  suIjs- 
tance  se  multiplie,  le  Huan  et  le  Pe  se  fortifient.  Ainsi 
s'assimilant  la  substance  éthéréale  et  lumineusi'  il  arrive  à 
être  un  esprit  intelligent. 

Quand  un  homme  ou  une  femme  meurt  en  pleine 
vigueur,  leurs //«a/i  et  Pc  peuvent  s'attacher  aux  vivants, 
les  hanter  et  être  pour  eux  des  apparitions  funestes. 

Tel  est  l'enseignement  du  voyant  de  Tsin.  Il  a  bien 
tous  les  caractères  des  explications  chinoises.  Il  veut 
expliquer  les  choses  à  fond  mais  vous  abandonne  à  mi- 
chemin^  vous  laissant  dans  le  vague  et  l'incertain.  Si  l'on 

(1)  Ils  ne  dépassent  pas  le  iV«^  siècle  avant  notre  ère.  L'un  est 
le  RiUiel  chinuit,  rautie  une  série  tl'Aunaies. 


MISCELLANÉES    CHINOIS  309 

prend  le  texte  à  la  lettre,  on  devra  voir  dans  le  Pe,  le  Huan 
et  le  M?/25'-s/ze/z  (l'Intelligence  achevée)  trois  états  succes- 
sifs du  principe  actif  de  Thomnie,  l'un  disparaissant  quand 
l'autre  se  forme  ou  ciiacun  d'eux  se  perdant  dans  celui  qui 
le  suit.  Il  n'en  est  rien  cependant,  car  nous  Voyons  par  la 
snite  que  le  Pe  et  le  Huan  subsistent  tous  deux  après  la 
mort  et  séparément  du  Ming-slien. 

En  outre  Tze-tchan  ne  nous  a[)pren.l  nullement  de  quelle 
nature  sont  ces  trois  principes  et  comment  s'opèrent  ces 
formations  successives.  Précédemment  il  avait  dit  que 
quand  un  Kuei  a  un  lieu  où  il  peut  se  rendre  et  habiter 
agréablement,  un  home^  alors  il  m'  vient  pas  inquiéter  les 
habitants  de  la  terre. 

Ce  Kouei  est  l'âme  humaine  séparée  du  corps  par  la 
mort.  L'astrologue  ne  distingue  plus  en  elle  le  Huan^  du 
Pe  ou  du  Ming-shen.  Mais  le  Li-ki  au  L.  II,  '2,  §  1 8,  nous 
apprend  qu'après  la  mort  le  cadavre  reste  en  terre,  tamlis 
que  Huan  s'élève  dans  l'air  et  va  partout  oîi  il  veut,  — 
Le  Huan-Khi,  dit  le  livre,  c'est-à-dire  la  substance  pure, 
active,  élhérée).  Ce  qui  ne  nous  dit  rien  par  rapport  au  Pe  ; 
mais  au  L.  VII,  1-7,  nous  lisons  que  le  corps  et  le  Pe 
descendent  en  terre  tandis  que  le  principe  de  connaissance 
s'élève  dans  les  régions  supérieures.  [Tchl-Khi).  Et  au 
Kiao  il  est  dit  que  la  substance  du  Huan  retourne  au  ciel. 

Nous  avons  vu  qu'ailleurs,  le  Li-ki  parle  du  Pe  et  du 
Huan.  Commi^  ce  rituel  est  Tœuvre  de  différentes  mains 
et  de  différentes  époques,  nous  devons  y  rencontrer  des 
systèmes  différents.  Il  ne  faut  point  chercher  cà  identifier 
toutes  ces  conceptions.  Nous  pouvons  et  devons  admettre 
que  les  uns  reconnaissent  trois  principes  et  les  autres  deux 
seulement.  Le  même  fait  s'est  produit,  d'ailleurs,  parmi 
les  philosophes  modernes,  et  l'on  peut,  ce  me  semble,' 
distinguer  en  Chine  comme  en  Europe  soit  un  principe  de 
vie  matérielle  (pe),  un  esprit  animal  {huan)  et  une  intelii- 


310  MISCELLANÉES    CHINOIS 

gence,  une  âme  iming-shen,  ou  tchi-khi)\  ou  bien  un 
principe  de  yie  corporelle  et  un  principe  de  connaissance, 
spirituel.  (Peet  tchi-khi)  (1). 

Ce  n'est  pas  la  seule  divergence  que  nous  avons  à 
signaler.  Le  grand  traité  philosophique  adjoint  à  l'I-king 
sous  le  nom  do  Ili-sze  porte  ces  paroles  :  «  La  substance 
élémentaire  et  active  produit  les  êtres  vivants  ;  les  mou- 
vements du  Huan  opèrent  leurs  changements  (2).  »  Con- 
naissant cela  on  connaît  Timmatériel  (l'esprit)  et  la  forme 
corporelle  des  Kuei  et  des  Esprits.  Ici  encore  nous  n'avons 
que  la  matière  et  l'esprit  (Huani.  Les  derniers  mots  prou- 
vent que  pour  l'auteur  du  Hi-sze  le  Huan  était  la  partie 
spirituelle  de  l'homme  et  la  substance  intellectuelle,  les 
esprits. 

Tout  ce  que  nous  venons  de  voir  est  postérieur  ta  Pépo- 
que  de  Kong-tze.  Le  Li-ki,  le  Hi-sze,  lui-même,  dont  on 
s'efforce  de  reculer  la  date  le  plus  possible  est  composé 
en  grande  partie,  de  paroles  attribuées  au  philosophe,  ce 
qui  nous  reporte  à  une  époqne  même  beaucoup  plus 
récente  que  l'âge  de  Kong-tze  ;  car  on  n'a  pu  lui  attribuer 
de  semblables  discours  que  longtemps  après  lui. 

Depuis  lors,  bon  nombre  de  philosophes  et  lexico- 
graphes ont  voulu  donner  leur  définition  du  Pe  et  du 
Huan  mais  d'une  manière  qui  ne  jette  pas  une  très  grande 
lumière  sur  cette  double  question.  Donnons-en,  toutefois, 
ies  principales  afin  de  faire  mieax  connaître  comment  les 
Chinois  traitent  ce  genre  de  sujet. 

Le  Yo-tchuen  nous  apprend  que  lePe  et  le  Huan  sont 
le  principe  éthérc  et  la  puissance  d'action  du  cœur. 

Hoei-nan-tze,  penseur  (!)  du  HP  siècle  A.  C,  enseigne 

(1)  Au  L.  Tchi-i  du  Li-ki  il  est  dit  que  le  Pc  est  la  perfection  du 
Kuei,  mais  ici  nous  nous  trouvons  devant  des  idées  particulières 
que  les  plus  savants  commentateurs  chinois  eux-mêmes  ne  peu- 
vent expliquer. 

{2)Hi-lze,  P.  I.,  §  21. 


MISCELLANEES   CHINOIS  311 

que  le  Pe  est  du  Khi,  de  la  substance  de  la  terre  et  le 
Huan  de  la  substance  du  ciel  ;  ce  qui  revient  à  dire  des 
substances  matérielles  et  spirituelles,  car  le  ciel  n'est 
point  ici  la  voûte  matérielle  qui  nous  recouvre,  mais  le 
monde  des  esprits. 

Ce  Pe-hu-tong  de  Pan-Ku  (+  95  P.  G.)  contient  en 
forme  de  définition,  les  explications  suivantes.  Le  Huan 
est  comme  une  onde  mobile,  il  va  toujours  sans  s'arrêter. 
Il  agit  à  l'extérieur  et  domine  les  sentiments  intimes,  les 
mouvements  des  passions.  Le  Pe  est  inférieur,  de  qua- 
lité commune,  c'est  ce  qui  rend  Tliomme  visible  ;  il  domime 
la  nature  en  ses  qualités.  Ce  qui  revient  à  dire  que  le  Pe 
constitue  le  corps  et  leHiian^  l'esprit,  l'àme.  Aussi  c'est 
ce  que  dit  expressément  le  commentaire  Sou  du  Tsotchuen, 
en  ces  termes  :  le  Pe  est  le  principe  immatériel  attaché 
au  corps,  le  Huan  est  le  principe  spirituel  (Shen)  base 
des  sentiments  (ling)  des  tendances  de  la  volonté. 

Par  contre,  l'auteur  du  Shuo-Wen  contemporain  de 
Pan-kou  nous  dit  gravement  que  le  Pe  est  la  substance 
du  Yin  et  le  Huan  celle  du  Yang.  Ce  que  cela  signifie  le 
docte  écrivain  n'en  a  cure.  Au  fond  il  est  d'accord  avec  le 
précédent  qui,  seul,  s'exprime  d^une  manière  raisonnable 
et  satisfait  complètement  si  l'on  rapproche  de  son  langage, 
celui  d'un  autre  livre  chinois  bien  connu.  Car  celui-ci 
nous  explique  que  le  Pe  est  ce  par  quoi  l'œil  voit,  l'oreille 
entend,  la  bouche  goûte,  etc.  Ce  qui  revient  à  dire  que  le 
Pe  est  l'àme  sensitive  et  le  Huan^  l'àme  spirituelle,  l'es- 
prit pensant  et  voulant. 

Naturellement  les  définitions  de  nos  deux  principes  se 
multiplièrent  avec  les  siècles  ;  ce  qui  multiplie  également 
leurs  variétés.  Nous  ne  pouvons  les  citer  toutes  ;  ce  serait 
d'ailleurs  prétendre  à  l'impossible  que  de  vouloir  connaître 
tout  ce  qu'en  a  été  dit.  En  voici  seulement  quelques-unes 
des  principales. 


312  MISGELLANÉES    CHINOIS 

TIuan.i]|'-shnn  est  celui  qui  s'exprime  avec  le  plus  de 
(lélails.  L'iioinnii'  ii;iiss;int,  dil-il,  n'a  (Valionl  que  son 
essence  élliérée,  se  joignant  à  la  substance  humaine  (Khi); 
celle-ci  produit  le  corps  et  toutes  ses  parties,  chair,  os, 
cheveux,  sang,  etc.  Quand  Tétre  humain  commence  à 
parler  ce  qui  l'anime  est  le  Khi.  L'esprit  de  la  substance 
humaine  est  le  Pe  ;  celui  du  Khi  est  le  Huan.  LePe  elle 
Huan  sont  réunis  par  Fesprit  du  Yin  ctduYang,  alors  la 
nature  rationnelle,  le  U^  la  vérité  règne  en  Thommc.  La 
réunion,  Paccord  du  Pe  et  du  Huan  c'est  la  vie,  leur 
désunion  c'est  la  mort.  Aussi  les  rites  des  sacrifices  funè- 
bres ont  pour  but  et  pour  effet  de  les  réunir  de  nouveau. 
C'est  pourquoi  le  Li-ki  dit  que  celte  réunion  est  Pacle 
suprême  de  la  piété  filiale. 

Cela  est  très  beau  sans  doute  ;  mais,  comprenne  qui 
pourra.  L"s  philosophes  de  l'Empire  du  Milieu  se  contentent 
d'accoupler  des  mots  ssns  se  préoccuper  du  sens  précis 
que  leur  ensemble  peut  présenter.  Plus  rationnelles  sont  les 
paroles  du  Po-pu-tze  et  du  Yue-tsiue-shu.  «  Tout  le 
monde,  dit  le  premier,  instruit  ou  grossier,  sait  que  son 
corps  est  doué  d'un  Huan  et  d'un  Pe.  Quand  ces  deux 
principes  s'en  séparent  partiellement  l'homme  devient 
malade;  s'ils  le  quittent  tout  à  fait,  l'homme  meurt.  C'est 
pourquoi  quand  cet  abandon  partiel  a  lieu,  les  magiciens 
ont  leurs  formules  pour  les  arrêter  ;  quand  leur  départ  est 
achevé  le  Li-ki  prescrit  l'usage  de  rappeler  le  Huan. 

L'histoire  de  Vue,  raconte  que  le  prince  de  cet  état  fit 
un  jour  cette  question  à  Fan-tze  :  quand  l'iiomme  possède 
le  Pe  et  le  Huan  il  vit  ;  s'il  les  perd,  il  meurt.  Ainsi  tous 
les  êtres  vivants  les  possèdent  comme  Phomme? 

Fan-tze  répondit:  oui  ils  en  sont  tous  possesseurs,  les 
les  animaux  comme  les  hommes.  Entre  le  ciel  et  la  terre, 
l'homme  est  l'être  supérieur.  Pour  la  vie  des  animaux  le 


MISCELLANÉES    CriINOlS  313 

khi  élémentaire  est  la  chose  essenlille.  Pour  la  vie  de 
rhoinme  le  Pc  et  le  Huaii  jouent  le  même  rôle. 

Pour  des  européens  méticuleux,  cet  exposé  paraîtra 
quelque  peu  incohérent.  Les  Chinois  moins  soucieux  de  la 
logique  acceptent  cela  comme  de  l'or  en  barre.  Plusieurs 
même  prennent  au  sérieux  une  ode  de  Song-Yû  dans 
laquelle  le  poète  raconte  comment  il  fut  rappelé  à  la  vie 
par  une  magicienne  qui  fit  rentrer  en  son  corps  le  huan 
fugitif  et  réanimer  la  substance  élémentaire  de  sou  être 
[tsing). 

La  poésie  s'est  aussi  emparée  de  ces  conceptions  pour 
en  tirer  des  images  et  des  tableaux,  des  sujets  de  morceaux 
lyriques  même.  Mais  comme  ils  ne  nous  en  apprennent 
rien,  nous  les  laissons  entièrement  de  côté,  à  part  le  seul 
exemple  que  voici  : 

Liang-tchin-kiong  a  pris  le  rappel  du  Iluan  ou  de  l'âme 
après  la  mort  pour  sujet  d'une  longue  pièce  intitulée 
Kuei-huan- fu  «  Chant  du  rappel  de  Tàme  ».  Mais  il 
n'ajoute  rien  aux  notions  que  nous  possédons  déjà.  Il  n'y 
a  guère  de  mention  du  Huan  que  dans  un  passage  où  il  dit 
que  pendant  un  rêve,  son  Huan  était  occupé  à  méditer,  à 
penser  à  son  endroit,  et  un  autre  oii  il  rappelle  qu'à  la  mort 
la  substance  se  détruit,  le  Pe  se  dissout  et  le  Huan  -^qw. 
va  mais  peut  revenir. 

Tout  ce  que  nous  avons  vu  jusqu'ici  appartient  aux  doc- 
trines des  lettrés  et  du  public  instruit.  Les  Tao-she 
modernes  ont  imaginé  de  nouvelles  notions  et  reconnais- 
sent trois  principes  à  l'homme,  à  savoir  :  le  Linghœun 
principe  de  vie  végétative  commun  même  aux  piaules, 
le  Hio-hwiui  ou  principe  de  perception,  âme  sensitive 
appartenant  à  tous  les  animaux  et  le  Ling-hwun  ou  prin- 
cipe intellectuel  sachant  discerner  le  vrai  et  le  faux  par- 
tage de  l'homme  seul,  r<àme,  seul  immortel 


•^'^  MISCELLANÉES    CHINOIS 

Quelques-uns  les  figurent  comme  les  principes  de  la 
respiration,  des  sentiments  et  des  facultés  intellectuelles 

Certains  Tao-she  distinguent  trois  Huan  et  sept  Pe 
différents.  Mais  cela  est  entièrement  en  dehors  de  notre 
sujet,  que  nous  avons  développé  surabondamment. 


G.  DE  Harlez. 


Amiens.  -  Imp.  Kousseau-Leroy,  rue  Sainl-Fuscien,  18. 


UNE  EPOPEE   BABYLONIENNE 


IS-TU-BAR    —    GILGAMÈS 


Septième   article. 


CARACTERES    PARTICULIERS 


T.    LES    DIEUX. 


Bien  que  les  dieux  multiples,  dont  l'ensemble  constitue 
le  panthéon  babylonien,  soient  organisés  en  une  société 
savante  de  dieux  supérieurs  et  inférieurs,  il  n'est  pas 
toujours  facile  d'assigner  à  chacun  son  rang  dans  la 
hiérarchie.  Aussi  avons-nous  préféré,  pour  plus  de  clarté, 
les  classer,  suivant  le  domaine  même  où  s'exerce  leur 
action,  en  divinités  célestes,  divinités  terrestres  ou  ma- 
rines, divinités  atmosphériques  et  divinités  infernales, 
réservant  seulement  pour  la  fin,  certaines  divinités  se- 
condaires, dont  la  place  dans  telle  ou  telle  catégorie  ne 
se  laisse  pas  aisément  deviner.  Pour  établir  une  telle 
classification,  nous  n'avons  tenu  compte  que  des  traits, 
qui  servent  à  représenter  les  dieux  dans  Tépopée  de 
Gilgamès,  et  nullement  des  caractères,  qu'ils  peuvent 
avoir  revêtu  dans  une  théologie  postérieure.  Ceci  est 
une  simple  monographie  sur  les  dieux,  tels  qu'ils  nous 
apparaissent  d'après  un  antique  document. 


316  IS-TU-BAR  — -GILGAMÈS 

Parmi  les  divinités  célestes,  Anii  et  Antu  (l)  occupent  le 
premier  rang.  De  leur  union,  est  issue  la  déesse  Istar. 
Le  couple  divin  habite  le  sommet  du  ciel.  A  nu  est  re- 
gardé comme  le  père  des  dieux.  Il  est  l'auteur  de  la 
vie  et  de  l'intelligence.  Il  ordonne,  en  effet,  à  la  déesse 
Aruru  de  créer  Eabani,  son  serviteur  (2),  et,  lui-même, 
crée  de  ses  propres  mains  le  taureau  divin;  il  inspire,  en 
outre,  à  Gilgamès,  l'esprit  de  sagesse.  D'humeur  débon- 
naire, puisque,  sur  la  prière  des  gens  d'Uruk,  il  procure 
à  Gilgamès  un  compagnon,  il  est  faible,  seulement,  et  ne 
sait  pas  résister  aux  caprices  de  sa  fille,  Istar.  Anu  était 
à  Uruk  l'objet  d'un  culte  particulier.  Dans  cette  ville,  son 
séjour  favori,  son  sanctuaire  préféré,  il  possédait  un 
verger,  auquel  un  maître  jardinier  était  spécialement 
préposé.  Quant  à  la  déesse  Antu,  on  ne  la  séparait  pas, 
sans  doute,  de  son  mari,  dans  les  honneurs  qui  lui  étaient 
rendus.  Mais  elle  paraît,  en  outre,  avoir  été  honorée 
dans  l'antique  Surippak. 

Istar  (3),  désignée  aussi  sous  le  nom  de  Nana,  la  fille 
d'Anu  et  d'Antu,  est  la  déesse  de  la  guerre.  Mais  elle 
apparaît,  avant  tout,  comme  la  Vénus  babylonienne  : 
une  déesse  fantasque,  unissant  en  elle  tous  les  con- 
trastes, à  la  fois  tendre  et  cruelle,  accessible  à  la  co- 
lère comme  à  la  pitié.  Ainsi,  voyons-nous  cette  déesse, 


(1)  Anu  et  Antu  :  II,  II,  16-;}2,  33  ;  II,  III,  4,  31  ;  II,  lY,  3G-37, 
44;  II,  V,  22,  27-28;  VI,  64,  82-86,  87-91,  92-100;  101-106,  107- 
114;  XI,  lo,  Mo,  163-164  ;  (?),  (?)  g,  20. 

(2)  Eahani  est  qualifié  ù  la  fois  de  hhir  an-ninih  II,  II,  3o,  et  de 
kis  i  kl  an-anlm  II,  III,  4,  31.  Il  semble,  d'après  cela,  que  l'on  pour- 
rait établir  une  équation  entre  Anu  et  Xinib.  Cf.  Alf.  Jeremias  : 
Izduba7-Nimrod,  p.  46. 

(3)  Istar  :  II,  IV,  36-37,  44;  VI,  6-21,  22-79,  80-81,  82-86, 
87-91.  92-100,  101-106,107-114,  174-177,  178-183,  184-186;  XI, 
117-124,  32o,  327,  328;  (?),  III  b,  17,  18-26.  Cf.  Alf.  Jeremias  : 
Izduhar-Nimrod,  p.  57-66. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  317 

qui,  déjà,  s'était  éprise  tour  à  tour  de  Tammuz,  le  bel 
adolescent,  d'un  oiseau  aux  vives  couleurs,  d'un  lion 
superbe,  d'un  cheval  fringant,  d'un  maître  berger  et  du 
jardinier  de  son  père,  concevoir  tout  d'un  coup  une 
folle  passion  pour  Gilgamôs,  vainqueur  de  Humbaba.  Or, 
celui-ci  l'ayant  refusée,  non  sans  lui  reprocher  haute- 
ment les  raffinements  et  les  cruautés,  dont  avait  usé  sa 
volupté  savante  envers  ses  nombreux  amants,  de-  co- 
lère, elle  suscita  contre  Gilgamès,  et  Eabani'le  taureau 
divin,  et,  après  la  victoire  des  deux  héros  sur  le  monstre, 
éclata  contre  eux  en  violentes  imprécations,  qui  lui  atti- 
rèrent, delapartd'Eabani,  une  vive  riposte.  Cette  même 
déesse,  qui  causa  en  partie  le  déluge,  pour  avoir  médit 
des  hommes  dans  l'assemblée  des  dieux,  par  un  retour 
subit,  se  prend  à  pleurer  sur  la  pauvre  humanité  détruite, 
et,  toute  repentante,  prononce  son  mcd-culpd,  d'une  voix 
si  plaintive,  que  les  dieux  et  les  Anunnaki  eux-mêmes 
en  sont  attendris. 

Istar  était  déjà  honorée,  sans  doute,  dans  l'antique 
Surippak,  mais,  le  centre  principal  de  son  culte,  paraît 
avoir  étéUruk.  Cette  cité  était  la  demeure  de  sou  choix, 
son  sanctuaire  de  prédilection,  où,  à  certains  jours  de 
fête,  elle  faisait  son  entrée  solennelle,  assise  sur  un  char 
de  triomphe,  tout  étincelant  d'or,  de  pierreries  et  de 
diamants,  attelé  de  grands  mulets  blancs.  Elle  possé- 
dait là  un  temple  magnifique,  entouré  de  jardins  et  de 
bosquets,  servi  par  un  collège  de  prêtresses,  les  Harimtu 
et  les  Samhatu.  Elle  y  avait  aussi  de  nombreux  dévots, 
qui  lui  apportaient,  avec  leurs  hommages,  le  tribut  de 
leurs  offrandes,  de  l'encens,  des  fruits  exquis  et  de 
grasses  victimes. 

Mais,  malgré  tous  les  égards  dont  elle  était  l'objet,  la 
bonne  déesse  avait  à  souffrir  certaines  irrévérences,  de  la 
part  do  sesadoiateurs.  De  bonne  heure,  elle  était  tombée 


318  IS-TU-BAR   —    GILGAMÈS 

au  rang'  des  divinités  familières.  On  sent,  à  travers  notre 
poème,  que  la  malice  populaire  commençait  à  s'égayer 
à  ses  dépens.  Déjà,  sa  légende  touchait  de  près  à  la 
parodie. 

Au-dessous  de  cette  triade  suprême,  se  place  Samas  (1  ). 
Ce  dieu,  par  un  singulier  mélange,  revêt  à  la  fois  une 
nature  physique  et  un  caractère  moral.  Dieu-Soleil,  qui, 
tous  les  jours,  franchit  l'Océan,  et  fixe  le  signe  avant- 
coureur  du  déluge,  il  est  en  même  temps  le  dieu  vengeur 
de  l'iniquité.  Il  nous  apparaît  comme  l'inspirateur  et  le 
protecteur  naturel  de  Gilgamès.  C'est  lui,  qui  achève  de 
concilier  à  (Hlgamès  l'amitié  d'Eabani,  c'est  lui  encore, 
qui  souffle  au  héros  sa  haine  contre  Humbaba,  En  retour 
les  deux  amis  l'honorent  de  leurs  libations  et  de  leurs 
sacriflces. 

Comme  Samas,  Sin  (2),  le  dieu-lune  paraît  avoir  été 
propice  à  Gilgamès.  C'est  à  lui,  en  effet,  que  le  héros 
s'adresse,  alors  que,  de  nuit,  inopinément,  il  se  trouve 
face  à  face  avec  des  lions,  aux  abords  de  la  monta- 
gne, et  encore,  lorsqu'il  souhaite  de  voir  Eabani  revenir 
un  instant  à  la  lumière. 

Bel  (3),  la  grande  divinité  de  la  terre  fait  pendant  à 
Ea  (4),  la  grande  divinité  de  la  mer.  Le  rôle  attribué  à 
ces  dieux,  dans  notre  poème,  est  similaire,  quoique  en 
partie  opposé.  L'un  et  l'autre  se  montrent  d'abord  favo- 
rables à  Gilgamès  et  lui  soufflent  l'esprit  de  divination. 


(i)  Samas  :  II,  V,  ii  ;  III,  IV,  âl)  43  ;  IV,  II,  7-2ri  ;  iV,  (?)  h,  44- 
46  -,  VI,  171-172  ;  X,  II  b,  23  ;  XI,  46-47,  76,  87-89  ;  (?),  (?)  j,  8. 

(2)  Sin  :  IX,  I,  10  ;  XII,  III,  6-11  ;  (?),  111  b,  26. 

(3j  Bel  :  II,  V,  22  ;  IV,  V,  1-6  ;  V,  II,  16  ;  XI,  U),  39-41,  43-43, 
167-170,  171-170,  176-179,  180-196, 197-203  ;  Xll,  II,  28  III,  o  ;  (?), 
III  b,  18-26. 

(4)  Ea  :  II,  V,  ±2  ;  XI,  19-20,  21-31,  32-35,36-47,  178-179,  180-196; 
XI  b,  1-11, 12-18  ;  XII,  111,  17-20. 


IS-TU-BAR —  GILGAMÈS  319 

Seulement,  au  jour  où  Gilgamès,  poussé  par  Samas, 
entre  en  expédition  contre  Humbaba,  celui  que  Bel  a 
préposé  à  la  garde  de  la  forêt  de  cèdres,  ce  dieu  se  re- 
tourne contre  le  héros.  Aussi,  plus  tard,  lorsque  Gilgamès, 
de  retour  de  son  long  voyage,  supplie  tour  à  tour  Bel  et 
Ea,  de  ramener  des  enfers  sur  la  terre  Eabani,  le  dieu 
Bel,  qui  lui  avait  gardé  rancune,  ne  daigne  pas  seule- 
ment répondre,  tandis  que  Ea,  qui  n'avait  pas  les 
mêmes  raisons  de  lui  en  vouloir,  sans  toutefois  lui  ac- 
corder sa  demande,  l'écoute  sans  doute  avec  bienveil- 
lance. Mais,  c'est  surtout  dans  le  récit  du  déluge,  que 
s'accusent  la  similitude  et  l'opposition  de  leurs  rôles  res- 
pectifs. Bel,  le  conseiller  des  dieux,  le  guerrier,  est  l'en- 
nemi déclaré  de  l'humanité,  qu'il  veut  exterminer  toute 
entière.  Ea,  au  contraire,  le  dieu  de  la  sagesse,  le  héraut, 
en  est  le  défenseur  attitré,  en  la  personne  de  Samas - 
napistim,  qu'il  sauve  du  déluge,  sur  un  vaisseau,  dont 
il  a  tracé  lui-même  le  plan.  Aussi,  Samas-napistim, 
dans  le  sacrifice  d'action  de  grâces  qu'il  offre  sur 
la  montagne,  après  le  déluge,  convoque-t-il  tous  les 
dieux,  à  l'exception  de  Bel.  De  même,  voyons-nous  Bel, 
irrité  tout  d'abord,  à  la  vue  du  vaisseau  échappé  au  dé- 
luge, ensuite  calmé,  par  les  discours  artificieux  d'Ea,  bénir 
Samas-napistim  et  l'élever  au  rang  des  dieux.  D'un 
bout  à  l'autre  du  récit.  Bel  est  aux  prises  avec  Ea,  la 
force  brutale  avec  la  sagesse  rusée,  qui  finit  par  triom- 
pher. 

Le  dieu  Ea  paraît  avoir  eu  son  complément  dans  la 
déesse  Siduri  Sabitum  (1),  la  reine  de  la  mer.  Préposée  à 
la  porte  de  l'Océan,  elle  la  ferme  d'abord,  à  la  vue 
de  Gilgamès  qui  approche,  puis,  finit  par  l'ouvrir  sur  ses 
instances. 

(1)  Siduri  Sabitum  :  IX,  VI,  30  ;  X,  I,  i-i,  9-lG,  19-2:2  ;  X,  U  h, 
io-19,  20-31  ;  X,  V,  30. 


320  IS-TU  BAR  —  GILGAMÈS 

Entre  ciel  et  terre,  sont  suspendues  les  divinités  atmos- 
phéri;][ues,  que  l'on  voit  s'avancer,  toutes  à  lafois,  dans  les 
airs,  auxjours  d'orage  :  Nabu  (1  )  et  Marduk  (2),  ouvrant  la 
marche,  Ramman  {^)  brandissant  le  tonnerre  au  sein 
d'un  nuage  et  dépêchant  au  ciel  ses  émissaires,  introduc- 
teurs de  ténèbres,  Ninib  (4)  et  Nergal,  ministres  et  exé- 
cuteurs des  grands  dieux,  allant  à  travers  la  plaine, 
balayant  tout  devant  eux. 

Avec  Nergal  (5),  nous  sommes  transportés  parmiles  di- 
vinités infernales.  Nergal,  en  effet,  désigné  aussi  à  un  en- 
droit sous  le  nom  d'Irkalla,  est  non-seulement  le  dieu 
de  l'orage,  mais  encore  le  souverain  des  enfers,  dont  il  se 
partage  la  domination  avec  la  déesse  Allât  (6), laquelle  se 
confondait,  sans  doute,  avec  la  sombre,  la  noire  mère,  la 
déesse  Nin-a  zu  (7),  la  ténébreuse,  au  visage  voilé  et  à 
la  poitrine  de  taureau.  Seul,  parmi  les  dieux,  Nergal 
peut  entr'ouvrir  la  terre  et  exaucer  la  prière  de  Gilgamès, 
qui  désire  revoir  l'ombre  d'Eabani.  Il  est  aussi  le  dieu 
delà  mort,  qui  s'avance,  impito^'able,  à  travers  la  con- 
trée, escorté  d'auxiliaires  redoutables.  Dans  les  enfers, 
à  côté  de  Nergal  et  d'AUat,  se  trouvaient  encore  d'autres 
dieux,  Etana  (8),  Ner  (9),  qui  nous  est  donné  ailleurs 
comme  une  divinité  champêtre,  et  aussi,  sans  doute, 
Tammuz  (10),  le  premier  amant  et  la  première  victime 

(1)  Nabu  :  XI,  100. 

(2)  Marduk  :  XI,  100. 

(3)  Ramman  :  XI,  00  ;  lOG-lOH. 

(4)  Xinib  :  II,  II,  do  (Voir  plus  haut,  p.  3l'0,  not.  2)  ;  XI,' 17, 101, 
103,  176-179. 

(o)  Nergal  ou  Irkalla:  XI,  18,  101-102,  lOi;  XII,  II,  2o;  XII,  111,3, 
10,  18,  21-2o,  26-28  ;  XII,  (?)  h.  20. 

(6)  Allai:  XII,  ^?)b,  46,47. 

(7)  Nin-a  zu  :  XII,  I,  28-31  ;  Xlî,  II,  10-22. 

(8)  Elana:  XII,  (?)  b,  45. 

(9)  Ner  :  II,  II,  38  ;  XI F,  (?)  b,  4o. 
^10)  Taniniuz  :  VI,  46-47. 


IS-TU-BAR  — GILGAMES  321 

d'Istar,  en  l'honneur  duquel  se  célébrait  régulièrement 
un  funèbre  anniversaire. 

Parmi  cette  multitude  de  dieux,  nous  voyons  figurer 
encore,  dans  notre  épopée,  d'autres  divinités  secondaires, 
mâles  et  femelles  :  Nirba  (i),  à  la  chevelure  ondoyante, 
le  dieu  du  Zénith  (2),  Irnini(3),  l'habitant  do  la  forêt  de 
cèdres,  le  dieu  de  Marad  (4),  le  patron  de  Gilgamès,  le 
pitoyable  Nin-gul(5),  la  grande  déesse  Aruru  (6)  créa- 
trice d'Eabani,  sans  doute  aussi  mère  de  Gilgamès,  sage 
conseillère,  qui  paraît  avoir  eu  un  temple  supgrbe 
comme  un  palais,  orné  d'une  statue  magnifique,  la  puis- 
sante Malkat  (7),  Ishara  (8),  Silih  (9),  la  mère  du  cheval 
que  rendit  fourbu,  dans  son  intempérance  de  passion,  la 
reine  Istar.  A  côté  de  ces  divinités,  caractérisées  d'un 
seul  trait,  nous  en  voyons  encore  apparaître  d'autres, 
représentées  par  un  nom  ou  môme  par  un  chifi're  (10). 

Au  dessous  de  ces  divinités  supérieures  et  secondaires 
prennent  place  les  génies  :  les  Igigi  (1 1),  génies  du  ciel,  à 
l'humeur  colère,  les  Anunnaki  (12),  génies  de  la  terre, 
lançant  des  éclairs  dans  l'orage,  décidant  de  la  vie  et 


(1)  Nirba  :  11,11,  37. 

(2)  ^H-«san:  IV,  11,22. 

(3)  Ii-nini  :  V,  I,  6. 

(4)  Le  dieu  de  Marad  :  VI,  192. 
(o)  An-nin  gui  :  XII,  II,  15-26,  27. 

(G)  Arum  :  II,  II,  30-35  ;  II,  V,  25,  26;  II,  VI,  20,  26,  28,  29-36, 
37  ;  IV,  I,  22-23,  24,  27-28;  IV,  II,  3-5;  IV,  III,  47;  X,  V,  39  ;  (?), 
(?)  c,  46-50. 

(7)  An-a-a  :  IV,  II,  20. 

(8)  Ishara  :  IV,  II,  44. 

(9)  Silili  :  VI,  57. 

(10)  Ainsi,  le  dieu  bélier  :  IH,  III  (?),  46;  An-da  :  X,  V,  44  ;  la 
mère  7  :  III,  III,  10  ;  les  dieux  sanab  et  parap  :  i?j,  (?)  i,  21  et  25. 

(U)  Igigi:  XI,  173. 

(12)  Anunnaki  :  IV,  III,  4;  X,  V  c,  42;  X,  VI,  36-39;  XI,  101-105, 
125. 

21 


322  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

de  la  mort  avec  les  grands  dieux,  et  Mammit  (1),  la 
maîtresse  du  destin,  à  la  fois  durs  et  pitoyables,  les 
grands  génies  de  la  nuit  ('2)  et  les  génies  de  la  cité  (3). 

II.  LES  HÉROS 

Gilgamés  (i),dont  le  nom  est  transcrit  en  signes  idéo- 
graphiques Is-tii-bar,  apparaît  d'abord,  dans  le  poème, 
comme  le  personnage  principal,  qui  est  présent  à  tous 
les  événements,  auquel  est  suspendue  toute  l'action. 
C'est  aussi  le  seul  caractère  qui  offre  un  certain  déve- 
loppement régulier.  Ce  n'est  pas  à  dire  qu'il  faille 
s'attendre  à  rencontrer  ici  l'analyse  savante  d'une  âme, 
où  se  découvrent  une  idée  et  une  volonté  toujours  les 
mêmes  à  travers  les  diverses  situations,  où  la  foule 


(1)  Mammit  :  X,  VI,  37-;iy. 

(2)  En-nun-mes  èa  mi  :  IV,  JI,  21. 

(3)  mu  :  (?),  III  b,  13-14. 

(4)  Gilgamés  :  1°  Ses  origines  :  II,  II,  :I0-;I2  ;  II,  V,  2.>26  ;  II,  V[, 
20,  2(j,  28,  29-36,  37  ;  IV,  I,  22-24,  27-28  ;  IV,  II,  3  o  ;  IV,  III,  47  ; 
VI,  192;  IX,  m,  3;  X,  V,  39  ;  (?),  (?)  c,  49-oU. 

2»  Sa  physionomie  :  II,  II,  22,  26  ;  II,  IV,  39-49,  4o-46  ;  II,  V, 
14-15  ;  IV,  li,  4.5  ;  IV,  (?)  a,  6  ;  IV,  (?)  c,  6,  10-12  ;  V,  VI,  46  ;  VI, 
1-6;  VIII,  VI,  18;  IX,  1,15-17  ;  IX,  II,  10-H,  13-15;  X,  I,  18;  X, 
II,  4-5  ;  X,  II  b,  30,  34  ;  X,  III,  2,  40,  44  ;  X,  IV,  17  ;  X,  V,  29  ; 
XI,  1-6,  206-280;  XII,  II,  29-30;  XII,  III,  6-7;  (?),(?)  i,  20,  22. 

3'^  Ses  exploits  :  II,  II-III;  VI  ;  IV-V;  VI  ;  X,  V,  1-13,  X,  V  b,  13- 
14.  —  Leur  caractère  physique  et  moral  :  II,  V,  21  ;  III,  IV,  28- 
44;  IV,  II,  7-18.  Voir,  en  outre,  V Hymne  à  Gilgamés.  Quant  au  nom 
an-is-tubar,  on  peut  le  décomposer  ainsi  :  an  =  «  dieu  »,  is  (gii) 
=^  «  homme  »  tu-bar  ^^  saplu  kiplitum  II  R  62,  69  ab  «  juge  infé- 
rieur ».  Il  semble,  d'après  cela,  qu'il  faille  le  traduire  :  <(  demi- 
dieu  juge  d'ici-bas.  »  Cf.  Jeremias  :  Izdubar-yimrod,  p.  5. 

4"  Ses  voyages:  IX-XI.  —  Leur  caractère  physique  et  moral: 
II,  I,  1-7;  IX,  I,  3-5;  IX,  VI,  38;  X,  II  b,  11-14,  23;  X,  III,  4,  H,  29- 
31  ;  X,  V,  20-22  ;  X,  VI,  42  ;  XI,  206-316,  330.  Cf.  VHymne  à 
Gilgamés. 


IS-TU-BAPx  —  GILGAMÈ3  323 

tumultueuse  des  sentiments  est  commandée  par  une 
passion  maîtresse.  Tout  au  plus  pouvons-nous  prétendre 
à  y  trouver  la  simple  histoire  d'un  cœur,  où  se  mani- 
festent des  idées  et  des  volontés  successives,  qui  se 
révèle  par  à- coup,  au  fur  et  à  mesure  des  circonstan- 
ces. La  règle  classique, 

ServoUir  ad  inium 
Qualis  ab  inceplo  processeril  et  sibi  consfet, 

resta  toujours  inconnue  au  génie  oriental.  Ils  ne  surent 
point  ces  vieux  mages,  comme  les  poètes  grecs,  créer 
des  caractères,  grouper  des  éléments  multiples  en  une 
harmonieuse  unité,  mais  seulement  les  juxtaposer  et  les 
répartir,  pour  ainsi  dire,  par  tranches.  Aussi,  pour  saisir 
dans  son  relief  le  caractère  de  Gilgamès,  n'avons-nous 
qu'à  étudier  une  à  une  ses  manifestations,  au  cours  des 
diverses  péripéties  de  Faction. 

Gilgamès  paraît  être  originaire  de  Marad,  ville  de  la 
basse  Chaldée.  Il  appartient  à  la  race  des  demi-dieux. 
Dieu  humanisé  ou  bien  héros  divinisé?  Nous  ne  saurions 
le  déterminer  avec  certitude.  Toutefois,  nous  inchnons 
à  croire  que  Gilgamès  est  un  dieu  tombé  au  rang  des 
héros.  Si  l'on  considère,  en  effet,  que  Gilgamès,  en  même 
temps  qu'il  représente  l'action  solaire,  est  un  personnage 
historique  et  un  type  idéal,  on  se  trouve  amené  à  penser 
qu'un  tel  caractère  a  été  créé,  suivant  cette  tendance  na- 
turelle de  l'esprit,  qui  porta  les  primitifs  à  personnifier 
les  forces  de  la  nature,  à  transformer  des  faits  physiques 
en  des  êtres  réels  et  moraux.  Ainsi  s'expliquerait  la  pré- 
sence, dans  une  création  unique,  d'éléments  aussi  dispa- 
rates. Quoiqu'il  en  soit,  la  filiation  divine  de  Gilgamès  est 
bien  authentique.  Il  était  issu  d'un  père  demeuré  inconnu 
etd'une  déesse,  «  sage  et  connaissant  toutes  choses,  »  sans 


324  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

doute  Aruru,  la  même  qui  créa  de  ses  propres  maius 
Eabani.  Par  ses  ancêtres,  il  se  rattachait  à  Samas- 
napistim,  le  héros  sauvé  du  déluge,  élevé  par  un  privi- 
lège spécial  au  rang  des  dieux. 

Son  extérieur  était  bien  d'ailleurs  celui  d'un  demi- 
dieu.  Incessu  patuit...  D'une  part,  on  le  figure  beau 
et  fort  comme  un  dieu.  Il  était  en  effet  superbe  à  voir, 
ce  dominateur  d'hommes,  fort  comme  un  bufïle,  dans 
son  équipement  de  guerrier,  ceint  de  la  hache  et  du 
glaive,  portant  en  main  la  zukat,  qui  lui  sert  d'attribut, 
ou  dans  son  costume  de  parade,  avec  ses  armes  et  sa  cui- 
rasse étincelantes,  sa  blanche  tunique  serrée  au  corps 
et  sa  tiare  ornée  de  brides  riches.  D'autre  part,  on  le 
représente  faible  comme  un  homme.  Son  visage,  ainsi  que 
toute  son  attitude,  trahissaient  les  moindres  émotions 
de  son  âme,  ses  joies  et  ses  souffrances.  Sujet  à  mala- 
die, d'ailleurs,  comme  le  dernier  des  mortels,  ou  le  vit, 
tout  couvert  de  lèpre,  traîner  un  corps  délabré  vers  les 
îles  lointaines,  en  quête  du  remède  souverain. 

Un  tel  héros  se  présente  à  nous,  dès  l'abord,  comme 
une  sorte  de  tyran,  voluptueux  et  capricieux  à  la  fois, 
tournant  sa  puissance  au  profit  de  ses  passions.  Il  pro- 
mène sa  fantaisie,  d'une  allure  souveraine,  à  travers  la 
ville  d'Uruk,  sur  tous  sessujets,  hommes  et  femmes  indis- 
tinctement, se  faisant  redouter  également  des  pères,  des 
mères  et  des  maris.  Mais  ce  goût  effréné  du  plaisir  n'était 
point,  chez  lui,  signe  de  mollesse,  mais  plutôt  d'un 
excès  de  force.  Aussitôt,  en  effet,  que  les  dieux,  à  la 
prière  des  habitants  d'Uruk,  lui  ont  donné  un  compa- 
gnon d'armes,  il  se  révèle  comme  un  redoutable  guer- 
royeur.  Personne  ne  saurait  lui  résister:  tour  à  tour,  il 
fait  la  conquête  d'Eabani,  l'homme-taureau  et  triomphe 
de  Humbaba,  l'Elamite,  du  taureau  divin,  des  lions. 
L'homme  voluptueux  a  disparu,  le  héros  seul  reste.  La 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  325 

déesse  Istar,  ayant  conçu  une  folle  passion  pour  Gilga- 
mcs,  après  la  victoire  du  héros  sur  Humbaba,  celui-ci 
repousse  dédaigneusement  ses  propositions,  et,  dans  un 
suprême  effort,  triomphe  même  de  l'amour. 

Ces  exploits  ne  sont  point,  comme  on  pourrait  le 
croire,  un  simple  déploiement  de  force  physique,  mais 
déjà  une  vraie  manifestation  de  valeur  morale.  Ce  vain- 
queur de  géants,  ce  dompteur  de  monstres,  ce  tueur  de 
lions  est  mû  par  des  motifs  élevés.  11  apparaît  comme  un 
instrument,  dont  les  dieux  se  servent  pour  civiliser  l'hu- 
manité barbare,  pour  purger  la  terre  et  extirper  le  mal. 
Gilgamès  ne  nous  est-il  pas  donné,  en  effet,  dans  la 
conquête  qu'il  fait  d'Eabani.  l'homme-taureau,  comme  le 
favori  de  Samas,  et,  dans  la  victoire  qu'il  remporte  sur 
Humbaba,  comme  son  représentant  chargé  de  venger  en 
son  nom  l'iniquité  ?  Ainsi  tient-il,  par  une  sorte  de  cumu- 
lation,  le  double  rôle  de  bienfaiteur  et  de  justicier.  Ces 
traits,  déjà  fortement  marqués  dans  notre  épopée,  se  sont 
accusés  encore  dans  certaines  oeuvres  d'un  caractère 
plus  particulièrement  religieux,  comme  YHymne  à 
Gilgamès,  où  le  héros  est  invoqué,  comme  un  dieu  gué- 
risseur, contre  toute  espèce  de  maladie  ,  et  même,  sem- 
blent s'être  imprimés  profondément,  jusque  dans  le  nom 
hiératique  Isfu-bar,  qui  servait  à  le  désigner.  C'est  là 
le  côté  attachant  d'un  tel  personnage,  ce  qui  donne  à 
ce  type  son  véritable  sens. 

Mais,  en  outre,  ce  guerrier  invincible  est  doublé  d'un 
voyageur  intrépide.  Gilgamès  joint,  au  courage  d'A- 
chille, les  ressources  d'Ulysse.  Frappé  au  cœur  parla  perte 
d'un  ami,  qu'il  a  vu  succomber  sous  ses  yeux,  se  sen- 
tant d'ailleurs  atteint  lui-même  d'un  mal  étrange,  il 
entreprend  un  lointain  voyage.  Ayant  franchi  d'abord 
les  portes  du  soleil,  gardées  par  les  hommes-scorpions,  et 
traversé  l'immense  région  de  la  nuit,  il  se  trouve  tout 


326  IS-TU-BA.R  ~  GILGAMÈS 

d'un  coup  parmi  des  jardins  enchantés,  au  bord  de  la 
mer,  le  vaste  domaine  de  la  déesse  Sabit.  Ensuite, 
s'étant  embarqué,  il  vogue,  en  compagnie  du  pilote 
Amel-Ea,  à  travers  l'Océan  et  les  eaux  de  la  mort.  Il 
parvient  enfin  à  l'île  mystérieuse  de  Samas-napistim, 
où  croît  l'arbre  de  vie.  Mais  une  cruelle  déception  lui 
était  réservée  à  son  retour.  Il  se  vit  ravir,  hélas  !  par  un 
serpent,  cette  plante  de  vie,  qu'un  instant  il  avait  tenue 
dans  ses  mains.  Ainsi  ses  efforts  étaient  vains  et  inutiles 
ses  recherches... 

Ici  encore/.Gilgamès  n'agit  point  par  simple  goût  d'a- 
venture, mais  il  poursuit  des  fins  supérieures.  Sans  doute, 
en  entreprenant  un  aussi  lointain  voyage,  il  désire,  avant 
tout,  obtenir  sa  guérison,  mais,  de  plus,  il  veut  surprendre 
le  secret  d'immortalité,  cueillir  le  fruit  de  l'arbre  de  vie. 
Arriver  au  bonheur  par  la  science,  tel  est  le  but  de  ses 
rêves.  Gilgamès  est  un  dieu  souffrant,  entêté  de  chimères 
infinies. 

Après  Gilgamès,  le  personnage  le  plus  important  est 
Eabani  (1).  Comme  lui,  il  est  de  la  race  des  demi-dieux. 
Aruru,  la  grande  déesse,  le  façonna  de  ses  mains,  à  la 
requête  des  gens  d'Uruk,  avec  de  l'argile.  On  le  quali- 
fie, au  cours  du  poème,  de  rejeton  illustre,  serviteur  d'Anu, 
suivant  de  Ninib,  même,  on  le  compare  quelque  part  à  une 
étoile  tombée  du  ciel. 

(1)  Eabani  :  1»  Ses  origines  :  II,  II,  'M)-Xi  ;  II,  III,  14,  âlWI  ; 
II,  V,  27-28. 

2»  Sa  physionomie  :  II,  H,  3(5-41  ;  II,  III,  4-7,  ;U-;{4,  ;il  ;  II,  IV, 
1-7,  2G-30,'34  ;  IV,  IV,  6-7,  M  ;  IV,  (?)  a,  (i  ;  XII,  I,  i:!-27  ;  XII,  II, 
15-18;  (?j,  (?)  a,  34  ;  (?),  (?)  c,  4  ;  (?),  (?)  j.  10-13. 

3"  Ses  exploils  :  II,  IIl-llI,  YI  ;  ÏV-V;  VI  ;  X,  V,  1-13;  X,  V  b, 
13-14. 

4»  Sa  mort  :  VllI,  VI,  20-29  ;  IX,  I,  l-:i  ;  X,  II  b,  M-14  ;  X,  III, 
29-31  ;  X,  V,  14,  20-22;  Xll,  I,  10-31  ;  XII,  II,  lo-27  ;  XII,  III,  1-4; 
8-11,  17  19. 


IS-TU-BAR  — QILGAMÈS  327 

La  déesse  Aruru  l'avait  pétri  d'étrange  sorte.  Eabani, 
on  effet,  est  un  être  singulier,  fait  de  tous  les  contrastes, 
une  sorte  de  monstre.  Sa  physionomie  tient  à  la  fois  de 
colle  de  l'animal,  de  1  nomme  et  du  dieu.  Toute  sa  per- 
sonne offre  un  mélange  bizarre  de  beauté  et  de  laideur, 
de  force  et  de  faiblesse.  D'aspect  inculte,  il  vivait  à  la 
façon  d'un  sauvage.  On  le  dépeint,  en  effet,  sous  les  traits 
d'un  mâle  vigoureux,  au  corps  velu,  à  la  chevelure  flot- 
tante, à  la  mise  rustique,  qui  prenait  un  plaisir  extrême 
à  courir  par  monts  et  par  vaux  et  à  vivre  parmi  les  bêtes. 
Un  véritable  enfant  de  la  montagne,  nature  forte  et 
faible  à  la  fois,  capable  d'ardeurs  et  de  défaillances. 

La  vie  d' Eabani  va  comme  de  pair  avec  celle  de  Gil- 
gamès.  Elle  est  remplie  par  les  mêmes  exploits,  dirigée 
toute  entière  vers  le  même  but  idéal.  Nous  voyons,  en 
effet,  Eabani,  une  fois  subjugué  par  Gilgamès,  accompa- 
gner le  héros  dans  ses  diverses  expéditions,  se  mêler 
activement  à  ses  luttes  contre  Humbaba,  Istar  et  le  tau- 
reau divin,  jusqu'au  jour  où  il  succomba  à  une  mort  pré- 
maturée. 

Nous  n'aurions  qu'une  idée  incomplète  des  caractères 
de  Gilgamès  et  d' Eabani,  si  nous  ne  rappelions  ici  l'é- 
troite amitié  (1)  qui  unit  les  deux  héros.  Un  sentiment, 
aussi  fort  que  l'était  Tamitié  en  ces  âmes  antiques, 
pouvait  seul  leur  donner  la  force  d'accomplir  de  tels  tra- 
vaux. 11  ne  faut  donc  point  s'étonner,  si  ce  sentiment  ab- 
sorbe à  lui  seul  toute  l'action,  s'il  en  régit  la  marche  et 
en  commande  les  diverses  parties.  Notre  poème  se  trouve 
divisé,  suivant  les  vicissitudes  mêmes  que  subit  l'amitié 
de  ces  héros,  en  deux  parties,  dont  l'une,  est  remplie 
par  la  présence  de  l'ami,  l'autre,  toute  imprégnée  encore 

(IjSiu"  l'amitié  de  Gilg'amès  et  d'Ealiani,  voir  passtin,  d'un  bout 
à  Taulre  du  poème. 


328  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

de  son  souvenir.  Joies  et  regrets  de  l'amitié,  c'est  là 
tout  le  poème. 

Autour  de  Gilgamès  et  d'Eabani,  viennent  se  grouper 
des  personnages  secondaires:  Zaïdu,  Harimtuet  Samhatu, 
Humbaba,  Amel-Ea,  Samas-napistim  et  sa  femme. 

Zaïdu  (1)  est  un  type  de  chasseur.  Sa  réputation  sur 
ce  point  était  si  bien  établie,  qu'on  l'avait  surnommé  «  le 
destructeur  ».  Seigneur  incontesté  delà  montagne  et  de 
la  plaine,  dès  longtemps,  déjà,  il  tendait  ses  filets  et  creu- 
sait des  fossés  tout  à  loisir,  lorsqu'un  jour,  s'étant  trouvé 
tout  d'un  coup  face  à  face  avec  le  monstre  Eabani,  il  dut 
rentrer  vitement  en  son  gîte.  Apeuré  à  la  suite  d'une 
telle  rencontre,  jaloux,  d'ailleurs,  de  voir  un  intrus  chasser 
sur  ses  terres,  il  s'en  vint  se  plaindre  et  demander  con- 
seil auprès  de  son  père  et  de  Gilgamès,  qui,  d'un  com- 
mun accord,  lui  conseillèrent  de  chercher  à  capter  Ea- 
bani, en  s'aidant  de  Harimtu  et  de  Samhatu  (2).  Ce 
qui  fut  fait  :  les  deux  courtisanes,  d'après  les  indica- 
tions de  Zaïdu,  ayant  abordé  le  monstre,  s'acquittèrent 
si  bien  de  leur  rôle,  celle-ci  provocante,  celle-là  insi- 
nuante, elles  firent  à  Eabani  si  douce  violence,  qu'il  se 
laissa  enjôler,  et,  quittant  là  ses  bêtes,  se  rendit  avec 
elles  à  Uruk,  auprès  de  Gilgamès. 

Une  fois  qu'ils  eurent  été  ainsi  rapprochés  par  les  ar- 
tifices de  deux  femmes,  Gilgamès  et  Eabani  rencontrè- 
rent un  adversaire  redoutable  en  Humbaba  (3).  Ce  chef 
élamite,  retranché  dans  la  forêt  de  cèdres,  était  d'un 
abord  difficile.  D'aspect  farouche,  d'ailleurs,  son  rugisse- 
ment, disait-on,  était  pareil  à  celui  de  la  tempête  et  son 
haleine  empestée  soufflait  la  mort.  Représentant  du  dieu 

(1)  Zaïdu  :  II,  II,  42-o0;  II,  III  ;  II,  IV,  8-lo  ;  XII,  (?)  a,  1-4. 

(2)  Harimtu  et  Samhatu  :  II,  III,  19-24,  40-50  ;  II,  IV,  6-22,  30-47; 
II,  VI,  27.  32  ;  III,  IV,  29;  VI,  184-186  ;  XII,  (?)  a,  3-23. 

3)  Humbaba  :  IV-V  ;  X,  V,  10  ;  X,  V  b,  14. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  329 

Bel,  il  semble  avoir  été  regardé,  en  outre,  comme  une 
personnification  du  mal,  A  la  suite  d'une  expédition 
périlleuse,  Gilgamôs  et  Eabani,  étant  parvenus  à  se 
rendre  maîtres  de  Humbaba,  lui  tranchèrent  la  tête. 

Après  la  mort  d'Eabani,  Gilgamés,  au  cours  de  son 
voyage,  rencontre  Amel-Ea  (l).  Ce  personnage  n'appa- 
raît pas,  dans  notre  poème,  sous  des  traits  bien  dis- 
tincts. Il  est  pour  nous  simplement  le  pilote  de  Samas- 
napistim.  Matelot  expérimenté,  d'ailleurs,  puisqu'il  fait 
en  trois  jours  le  chemin  de  trente-cinq  jours,  connais- 
sant à  fond  ces  parages  mystérieux  de  l'Océan  et  des 
eaux  de  la  mort,  à  l'occasion,  capable  d'un  sage  conseil 
et  prêt  à  tous  les  bons  offices. 

Quant  à  Samas-napistim  et  à  sa  femme  (2) ,  leur  physio- 
nomie reste  pour  nous  aussi  indécise  que  celle  d' Amel-Ea. 
Nous  savons  seulement  qu'ils  gardaient  une  apparence 
d'éternelle  jeunesse.  Nous  sommes  mieux  renseignés  sur 
leur  histoire.  Samas-napistim,  désigné  aussi  sous  le 
nom  d'Atrahasis  était  originaire  de  Surippak  et  fils  de 
Ubara-Marduk.  A  la  suite  du  déluge,  auquel  il  n'avait 
échappé  avec  sa  femme  que  par  miracle,  grâce  à  l'inter- 
vention du  dieu  Ea,  ils  furent  élevés  tous  deux  au  rang 
des  dieux  et  transportés  au  loin,  à  la  bouche  des  fleuves, 
dans  l'île  mystérieuse  où  croît  Tarbre  de  vie.  C'est  là  que 
vint  les  trouver  Gilgamès,  leur  petit-fils,  sous  la  conduite 
d'Amel-Ea.  De  nature  pitoyable,  Samas-napistim  et  sa 
femme,  après  l'avoir  guéri,  lui  firent  part  de  cet  arbre 
de  vie,  qui  l'aurait  rendu  lui  aussi  immortel,  si,  chemin 
faisant,  un  serpent  ne  le  lui  avait  dérobé. 

(1)  Amel-Ea:  X,  II  b,  28-31,48;  X,  III,  1-6,  32-50  ;  X,  IV,  1-7; 
XI,  248-273,  294-301,  309-328. 

(2)  Samas-napislim  et  sa  femme:  IX,  6-7;  X,  II  b,  lo-28;  X,  III, 
32-33  ;  X,  IV,  12-20  ;  X,  V,  23-43  ;  X,  VI,  23-40  ;  XI,  1-7,  8-203, 206- 
299;  XI  b,  M8. 


330  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

A  côté  de  ces  divers  personnages,  principaux  ou  se- 
condaires, il  faut  au  moins  mentionner  ici  les  monstres, 
tels  que  le  taureau  divin  (1)  et  les  hommes-scorpions  (2), 
êtres  vivants  et  agissants,  constituant,  dans  notre 
poème,  de  vraies  personnalités. 


III.   —  LA  COMPOSITION  ET   LE  STYLE. 

Si  1  on  compare  l'épopée  de  Gilgamès  aux  œuvres 
poétiques  analogues  que  nous  a  léguées  l'antiquité,  elle 
nous  frappe  d'abord  par  sa  brièveté  relative.  Elle  est  in- 
comparablement moins  prolixe  que  les  vastes  épopées 
de  rinde,  plus  courte  même  que  Tlliade  et  l'Odyssée  (3). 
Elle  comprend  en  tout  douze  tablettes,  dont  chacune, 
divisée  en  six  colonnes,  contient  de  deux  cents  à  trois 
cents  vers  (4).  Cette  brièveté  ne  provient  pas,  comme 
on  pourrait  le  croire,  de  la  pauvreté  d'invention  ou  de  la 
sécheresse  des  développements,  elle  dénote  déjà,  au 
contraire,  dans  le  poète  qui  composa  une  telle  œuvre, 
comme  dans  le  public  auquel,  elle  était  destinée,  un  cer- 
tain sens  de  la  mesure. 

Ce  goût  de  la  proportion  se  manifeste  également  dans 
les  divisions  générales  de  l'épopée  et  jusque  dans  les 
divers  épisodes.  Notre  poème,  en  effet,  se  trouve  partagé 
en  deux  parties  à  peu  près  égales  par  la  mort  d'Eabani, 

(1)  Le  taureau  divin  :  VI,  94,  120-123,  128-158,  167-193  ;  X,  V,  9, 
X,  V  h,  13. 

(2)  Les  hommes-scorpions  :   IX,  II  ;  IX,  IH,  6-20  ;  IX,  IV,  37-W  ; 

(?),  (?)  f,  21. 

{'i)  Le  Ramai/. ma  compte  environ  quarante  mille  vers;  le  Mahab- 
harata  n'en  compte  pas  moins  de  deux  cent  mille  ;  VIliade  en  a 
moins  de  seize  mille  etVOdyssée  un  peu  plus  de  douze  mille. 

(4)  La  sixième  et  la  onzième  tablettes,  qui  seules  ont  pu  être 
reconstituées  d'ensemble,  comprennent,  l'une  deux  cent  vingt  vers, 
et  l'autre,  trois  cent  trente-cinq. 


IS  TU-BAR  —  GILGAMÈS  331 

qui,  placée  au  centre  même  de  l'action,  clôt  le  cycle  des 
exploits  et  ouvre  la  série  des  voyages.  Ainsi,  d'un  côté, 
des  chants  héroïques  constituant  une  sorte  diliado,  de 
l'autre,  un  roman  d'aventures  formant  une  manière 
d'Odyssée.  On  dirait  d'un  immense  bas-relief  distribué 
en  deux  larges  panneaux,  où  seraient  dépeintes  des 
scènes  de  combat  vis  -à-vis  de  paysages  variés.  Chaque 
morceau,  d'ailleurs,  bien  délimité  et  en  harmonie  avec 
Pensemble. 

-  L'épopée  de  Gilgamès,  on  le  voit,  n'est  pas,  pour 
employer  le  langage  d'Aristote,  îjî-jvo-tov.  Elle  ne  se 
laisse  pas,  en  effet,  aisément  embrasser  d'un  seul  coup 
d'œil.  On  ne  peut  la  saisir  dans  son  ensemble  que  d'une 
vue  successive,  en  promenant,  pour  ainsi  dire,  alterna- 
tivement ses  regards  sur  deux  plans.  lien  résulte  qu'elle 
n'offre  pas  la  belle  unité  des  œuvres  classiques.  L'es- 
prit oriental  usa,  dès  ses  débuts,  de  cette  libre  manière 
des  conteurs  dont  il  ne  se  départit  jamais.  Il  ne  sut,  en 
aucun  temps,  s'astreindre  à  cette  rigueur  logique,  qui 
fait  les  œuvres  savamment  ordonnées.  Le  simpleoo 
damtaxat  et  unum  est  la  découverte  propre  du  génie 
grec.  Ce  n'est  pas  à  dire  cependantque,  dans  notre  poè- 
me, l'unité  fasse  absolument  défaut.  L'amitié  de  Gilga- 
mès et  d'Eabani  établit  une  liaison  et  sert  comme  de 
point  d'attache  entre  les  deux  parties.  Elle  est  l'àme 
même  de  l'action.  Tout  s'explique,  en  effet,  par  la  pré- 
sence ou  l'absence  de  l'ami.  Gilgamès  n'accomplit 
d'abord  d'aussi  grands  exploits,  que  parce  qu'Eabani  est 
à  ses  cotés,  il  n'entreprend  ensuite  un  aussi  long  voyage, 
que  parce  qu'il  est  séparé  de  lui.  Cette  amitié  nouée 
entre  les  deux  héros  est  le  fil  ténu,  qui  relie  les  uns 
aux  autres  les  divers  épisodes  dont  se  compose  le  poè- 
me, depuis  l'entrée  en  scène  d'Eabani,  jusqu'au  moment 
suprême  de  son  évocation. 


332  IS-TU-BAR— GILGAMÈS 

Entre  ces  deux  points  extrêmes,  se  déroulent  des  ta- 
bleaux variés.  Au  premier  plan,  des  scènes  mouvemen- 
tées et  pleines  dévie,  empreintes  à  la  fois  de  grandeur 
et  de  familiarité  :  l'amitié  de  Gilgamès  et  d'Eabani,  l'ex- 
pédition contre  Humbaba,  l'amour  et  la  vengeance 
d'Istar,  la  lutte  contre  le  taureau  divin  et  contre  les 
lions.  Au  second  plan,  un  défilé  de  paysages,  aux  con- 
tours indécis,  sur  le  fond  desquels  se  détachent  en  re- 
lief des  personnages  fabuleux  :  les  portes  du  soleil  et 
les  hommes-scorpions,  la  région  de  la  nuit  et  les  jar- 
dins enchantés,  l'Océan,  la  déesse  Sabit  et  le  pilote 
Amel-Ea,  les  eaux  de  la  mort,  l'île  lointaine  habitée 
par  Samas  napistim,  enfin  une  échappée  sur  les  en- 
fers. 

Mais  une  telle  variété  n'est-elle  pas  plus  extérieure 
que  profonde  ?  Ne  résulte -t-elle  pas  de  la  diversité  des 
événements  plutôt  que  de  l'originalité  de  l'invention  ?  On 
serait  tout  d'abord  tenté  de  le  croire,  mais,  à  y  regarder 
de  plus  près,  on  s'aperçoit  bien  vite  qu'elle  tient  au  fond 
même  du  récit. 

Dans  cette  épopée,  en  effet,  le  récit  offre  un  ensemble 
de  qualités,  qui,  par  leur  mélange,  forment  une  contex- 
ture  riche  et  variée. 

Une  qualité  qui  frappe  d'abord,  est  la  clarté  du  récit. 
L'auteur  de  ce  poème  posséda,  à  un  haut  degré ,  le  don 
de  vision.  Placé  en  regard  des  choses  extérieures,  il  les 
réfléchit  en  images  lumineuses.  Toutefois,  il  ne  repro- 
duit point  les  objets,  d'une  manière  absolument  passive, 
à  la  façon  d'un  miroir.  Il  semble  bien  qu'il  ait  eu  la  cons- 
cience nette  que  l'art  est  un  choix.  Aussi  s'attachet-il  à 
rendre  les  choses,  non  point  dans  leur  masse  confuse  et  in- 
distincte, mais  plutôt  dans  leurs  traits  essentiels,  avec 
leurs  contours  définis.  Il  use  dans  le  choix  des  détails 
d'une  discrétion,  qui  est  déjà,  chez  lui,  la  marque  d'un 


IS-TU-BAR  —  GILGAMES  333 

véritable  goût.  C'est  un  poète  objectif,  mais  nullement 
réaliste. 

Une  qualité  non  moins  frappante  que  la  clarté,  est  la 
grandeur  merveilleuse  du  récit.  L'auteur  de  ce  poème 
eut,  avec  le  don  de  vision,  une  rare  puissance  d'imagi- 
nation. Dans  le  lointain  du  temps  et  de  l'espace,  où  se 
déroulent  les  événements  qu'il  raconte,  il  entrevoit  les 
hommes  et  les  choses,  comme  à  travers  un  miroir 
grossissant.  Toutefois,  les  objets,  dans  cet  éloigne- 
ment,  lui  apparaissent  agrandis,  mais  non  déformés. 
vSon  imagination,  en  effet,  est  toute  pénétrée  de  raison 
et  garde,  jusque  dans  ses  plus  libres  fantaisies,  le 
sens  de  la  mesure.  Certaines  de  ses  créations,  il  est 
vrai,  nous  semblent  aujourd'hui  étranges  et  dispro- 
portionnées. Mais  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  ces 
images  ont  été,  un  moment,  l'expression  de  la  réalité. 
C'est  ainsi  que  la  représentation  d'un  monde  fantastique, 
tel  qu'il  nous  apparaît  dans  ce  poème,  a  été  pour  ces 
anciens  hommes  le  système  scientifique  de  l'univers,  et 
que  des  monstres,  tels  que  le  taureau  divin  et  les  hom- 
mes-scorpions, n'ont  été  sans  doute  pour  eux  que  la 
personnification  d'une  conception  astronomique.  Cette 
grandeur  est,  d'ailleurs,  tempérée  par  un  vif  sentiment 
de  la  faiblesse  humaine.  Dans  ce  poème,  les  héros  sen- 
tent et  souffrent  comme  nous.  Ne  voyons -nous  pas  Gil- 
gamès  pleurer  comme  un  enfant,  sur  le  sort  malheureux 
d'Eabani  et  trembler  à  la  seule  pensée  de  la  mort  ? 

Si,  de  cette  vue  d'ensemble,  nous  passions  à  l'examen 
des  détails,  nous  retrouverions  dans  les  différentes  par- 
ties du  récit,  descriptions,  comparaisons,  discours,  les 
mômes  qualités  de  clarté  et  de  grandeur  réunies. 
Parmi  les  descriptions,  en  effet,  les  unes  sont  calmes 
et  unies,  les  autres,  vives  et  colorées.  lien  est  de  même 
pour  les  comparaisons.  Parfois  nobles  et  un  peu  vagues, 


334  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

le  plus  souvent  elles  sont  familières  et  expressives. 
Enfin  les  discours  placés,  dans  la  bouche  des  divers 
personnages,  sont  tour  à  tour  d'une  grande  simplicité 
ou  d  une  haute  élévation. 

Ces  qualités  de  clarté  et  de  grandeur  se  trouvent  iné- 
galement réparties  dans  le  poème.  C'est,  tantôt  l'un, 
tantôt  l'autre  de  ces  éléments  qui  domine,  suivant  les 
circonstances. 

De  là,  entre  les  divers  chants,  ces  différences  de  ton^ 
qui  nous  font  passer  successivement  par  toutes  les  gra- 
dations du  style  poétique,  du  mode  le  plus  humble  au 
mode  le  plus  élevé.  Qu'on  relise,  pour  s'en  rendre  compte, 
la  description  de  l'orage,  tel  que  le  décrit  Gilgamès  à 
Eabani  {W  chant)  : 

Mon  ami,  j'ai  eu  un  troisième  songe. 

Oi",  le  songe  que  j'ai  eu  est  tout  à  lait  olTroyable. 

(J'ai  entendu)  le  ciel  gronder  et  la  terre  gémir, 

puis,  le  jour  s'étant  retiré,  (j'ai  vu)  s'avancer  les  ténèbres, 

alors,  l'éclair  a  brillé,  la  foudre  a  éclaté, 

,    ,    a  paru,  une  pluie  meurtrière  est  tombée  à  verse, 

,     ,     .     .    l'éclat,  le  feu  a  détruit, 

.     .     .     sont  tombés,  s'est  tourné  en  fumée, 

....    né  dans  la  plaine,  ton  seigneur  est  étendu,  » 

Qu'on  place,  maintenant,  à  côté  de  ce  morceau,  la 
peinture  de  Torage qui  amena  le  déluge  (XI^  chant): 

Aux  premières  lueurs  de  l'aube, 

du  fond  du  ciel,  s'éleva  un  noir  nuage, 

au  sein  duquel  tonnait  Ramman. 

JS'abu  elMarduk  ouvraient  la  marche. 

Les  dieux  justiciers  allaient  par  monts  et  par  vaux  : 

Nergal  arrachant  [     .     .     ]  , 

Ninib  chassant  tout  devant  lui. 

Les  Anunnaki,  portant  des  flambeaux, 

éclairaient  le  pays  de  leurs  feux. 

Les  émissaires(?)  de  Ramman  montèrent  aux  cieux, 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  335 

ils  cbangèrenl  la  lumière  en  ténèhrr-^, 

.    .     .    la  coalrée  comme    ....     ils  couvrirent. 

Dès  le  premier  jour,  l'ouragan 

souffla  violemment  sur  (?)    ...  la  montagne 

commeune  arm»V^ rangée  en  liataillo,  fondi!  sur  les 

lionimes 

Le  frère  ne  vil  plus  son  frère, 

du  ciel,  on  ne  distingua  plus  les  hommes. 

Les  dieux,  eux-mêmes,  pris  de  peur  à  la  vue  du  déluge, 

s'enfuii'ent  et  gagnèrent  les  hauteurs  du  ciel,  dempure  d'Anu. 

Les  dieux,  comme  des  chiens  à  l'attache,  étaient  accroupis  dans 

leur  chenil,  etc. 

Quoiqu'il  en  soit  de  ces  inégalités  de  ton,  c'est,  préci- 
sément, du  mélange  de  ce  double  élément  de  clarté  et 
de  grandeur,  que  résulte  l'intérêt  littéraire  du  poème. 
L'auteur  de  ce  poème  a  bien  vu  la  réalité,  mais  il  la 
transforme  en  l'idéalisant.  Ainsi  a-t-il  fait  une  œuvre 
vivante  et  humaine,  résumant  à  la  fois  ce  que  nous  som  • 
mes  et  ce  que  nous  tendons  à  être,  faite  de  nos  expé- 
riences et  de  nos  aspirations.  Il  faut  avouer,  toutefois, 
pour  faire  aux  défauts  leur  part,  que  s'il  a  représenté  la 
vie  dans  sa  vérité,  il  ne  l'a  pas  saisie  pourtant  dans  son 
libre  mouvement,  mais  plutôt  dans  des  poses  un  peu 
raides.  L'imperfection  de  l'analyse  et  un  certain  man- 
que de  souplesse,  l'ont  empêché  de  la  rendre  4ans  sa 
fuyante  complexité  Cette  œuvre  est  une  copie  d'après 
nature,  mais  traitée  avec  une  certaine  gaucherie.  Ce 
n'est  point  ici  une  statue  grecque,  de  l'époque  de  Péri- 
clès,  aux  membres  déliés,  transparaissant  sous  la  tu- 
nique flottante,  mais  une  statue  chaldéenne,  du  temps 
de  Gudea,  à  la  forte  musculature,  effacée  et  comme 
écrasée  sous  la  lourdeur  des  draperies. 

[A  auivre). 

J.  Sauveplane, 
Ancien  élève  de  l'École  des  Hautes  Éludes. 


LE  BOUDDHISME 


Troisième  article. 


VII.  L'Eclairé. 

32).  En  quel  appareil  le  Bôdhisattva  soxhembia-l'- 
il  vers  «  V  arbre  de  la  connaissance  »,  Bodhimanda? 

«  Ainsi  donc,  Religieux,  le  Bôdhisattva  s'étant  baigné 
dans  la  rivière  Nâiranjana,  ayant  mangé  et  ayant  fait 
renaître  la  force  et  la  vigueur  de  son  corps,  il  se  dirigea 
vers  le  pied  du  grand  arbre  de  l'intelligence,  à  l'endroit 
de  la  terre  qui  a  seize  formes,  afin  de  triompher  complè- 
tement du  démon.  » 

La  marche  vers  Bodhimanda,  l'arbre  Bodhi,  l'arbre 
de  rintelligence,  remplit  tout  le  chapitre  XIX  du  Lalita. 
Les  fite  des  dieux  aplanissent  et  embelUssent  la  route 
sous  les  pas  de  Sakya-Mouni.  Chemin  faisant  le  hé- 
ros laisse  échapper  de  son  corps  une  lumière  qui  apaise 
toutes  les  souffrances  du  monde.  «  Tous  les  êtres,  fu- 
rent, en  ce  moment,  remphs  de  sentiments  de  bienveil- 
lance, de  sentiment  secourables  les  uns  pour  les  autres, 
comme  ceux  d'un  père  et  d'une  mère,  (1).  »  —  Sur  le 
point  d'arriver  «  cela  vint  à  la  pensée  du  Bôdhisattva  : 
sur  quoi  étant  assis,  les  Tathàgatas  antérieurs  se  sont- 
ils  revêtus  de  l'intelligence  parfaite  et  accomplie?  Il 

(1)  P.  240. 


LE  BOUDDHISME  337 

pensa  alors  :  c'est  en  étant  assis  sur  un  tapis  de  ga- 
zon. (1)  »  Et  alors,  continue  le  texte  sacré,  «le  Bôdhi- 
sattva  aperçut  sur  le  côté  droit  de  la  route  Svastika 
l'herbager  qui  coupait  des  gazons  verts,  tendres,  tout 
nouveaux,  agréables,  réunis  en  tresses,  tournés  à  droite, 
pareils  au  cou  des  paons,  doux  au  toucher  comme  l'é- 
tofife  de  Kàtchilindi,  à  l'odeur  douce,  colorés  et  réjouis- 
sants à  l'esprit.  »  Sakya  lui  en  demande  une  poignée,  et 
«  comme  un  être  possédant  son  achèvement,  ayant 
pris  la  posture  des  jambes  croisées,  il  s'assit  sur  ce  tapis 
d'herbe,  le  visage  vers  l'orient;,  en  tenant  son  corps 
droit  ;  et,  après  avoir  bien  tenu  présente  sa  mémoire,  il 
fit  cette  déclaration  d'une  voix  ferme  :  —  «  Ici,  sur  ce 
siège,  que  mon  corps  se  dessèche,  que  ma  peau,  mes 
os,  ma  chair  se  dissolvent  !  Mais,  sans  avoir  obtenu 
l'Intelligence  difficile  à  obtenirdans  l'espace  de  plusieurs 
Kalpas,  mon  corps  ne  bougera  pas  de  ce  siège 
même  (2)  ». 

33).  Pourquoi  vint-il  à  la  pensée  du  Bôdhisattva, 
après  avoir  reçu  les  hommages  des  dieux,  de  faire 
une  provocation  à  Mara  Pâpiijân? 

A  peine  assis  sous  l'arbre  Bôdhi,  Sakya  devint  res- 
plendissant comme  le  soleil,  si  bien  que  par  un  seul  de 
ses  rayons,  «  de  toutes  parts,  aux  dix  points  de  l'espace, 
furent  éclairés  tous  les  champs  de  Bouddha  inconmmen- 
surables,  innombrables,  qui  ont  pour  limite  les  éléments 
de  l'atmosphère  et  sont  formés  des  meilleurs  éléments 
des  substances.  » 

Et  voici  qu'excités  par  cette  lumière,  des  millions  et 
des  millions  de  Bôdhisattvas,  venus  de  tous  les  points 


(1)  P.  244. 

{éjLalila,  c.  XIX,  p.  248. 

9.) 


338  LE  BOUDDHISME 

de  l'espace,  accourus  de  toutes  les  profondeurs  obscures 
des  champs  de  Bouddha,  se  pressent  en  foules  profon- 
des, infinies,  autour  de  l'arbre  Bôdhi,  et  font  apparaître 
les  choses  les  plus  précieuses,  qu'à  tour  de  rôle,  avec 
des  protestations  de  respect  et  d'amour,  ils  viennent 
offrir  au  Tathàgata  Sakya-Mouni.  Les  dieux  se  joignent 
à  eux,  et  font  tomber  du  ciel  une  pluie  phénoménale, 
«  une  grande  pluie  de  fleurs  qui  produisait  la  joie,  chez 
tous  les  êtres,  et  no  blessait  pas  un  être.  (1)  » 

Et  alors,  il  vint  à  la  pensée  de  Bôdhisattva  ce  qui 
suit  :  «  Ici,  certainement,  dans  la  région  du  désir,  lo 
démon  Màra  est  le  seigneur  et  maître  qui  exerce  l'empire, 
il  ne  serait  pas  convenable  que,  sans  être  aperçu  par  lui, 
je  me  revêtisse  de  la  qualité  parfaite  et  accomplie  de 
l'intelligence.  Je  dois  donc  faire  une  provocation  à 
Màrà  Pàpiyàn.  (2j  » 

Et,  ayant  ainsi  réfléchi,  «  il  lança  du  milieu  de  ses 
sourcils,  de  la  touffe  Ournà,  un  rayon...  (par  lequel) 
dans  la  réunion  tout  entière  des  trois  mille  grands  mil- 
lions de  mondes,  toutes  les  demeures  de  Màra  furent 
obscurcies  et  fortement  ébranlées  (3)  ».  En  même  temps, 
une  voix  retentit  dans  l'espace  immense,  qui,  distincte, 
effrayante,  publie  le  triomphe  de  Bouddha,  et  prédit  la 
ruine  de  Màra  Pàpiyàn. 

((  Il  rendra  vides,  sans  restes,  les  trois  voies  mauvai- 
ses, il  rendra  pleine  la  ville  des  dieux  et  des  hommes. 

«...  Entré  dans  le  Nirvana,  il  fera  entrer  les  autres 
dans  le  Nirvana...  Il  rendra  vide  la  ville  allié  de  celui 
qui  est  noir.  Rendu  sans  forces,  privé  de  ton  armée,  par- 
tisan sans  partisans,  tu  ne  sauras,  o  Màra,  où  aller,  ni 


(1)  Ibid.  c.  XX,  p.  254,  lire  p.  253-4. 
{2)LaUta,  c.  XKI,  p.   257. 
(3)  Ibid. 


LE  BOUDDHISME  339 

quoi  faire,  quand  il  versera  la  pluie  de  la  loi,  l'être  exis- 
tant par  lui-même.  (1)  » 

34)  A  quel  parti  s'arrêta  le  conseil  des  démons 
réuni  par  Mdra  ? 

Mcàra  Pàpiyàn  dormait.  Sous  l'influence  de  ce  rayon 
et  sur  l'excitation  de  cette  voix  terrible,  il  fait  «  un  rêve 
à  trente-deux  aspects  »  tous  plus  effrayants  les  uns  que 
les  autres,  à  la  suite  duquel  il  se  réveille  tout  tremblant. 
Jamais  il  ne  s'est  senti  si  près  de  la  ruine.  Vite  il  assem- 
ble son  conseil ,  vite  il  appelle  aux  armes  le  ban  et  l'ar- 
riére ban  de  ses  troupes.  Ce  ne  sera  pas  trop  de  toutes 
les  lumières  pour  combiner  l'attaque,  contre  un  pareil 
ennemi  ;  ce  ne  sera  pas  trop  de  toutes  les  forces  pour 
lui  livrer  l'assaut  et  le  vaincre.  Le  conseil  est  agité. 
Deux  parties  s'y  dessinent.  L'un  pousse  à  la  guerre  ; 
l'autre  veut  la  paix.  Pàpiyàn  veut  et  prédit  la  ruine  de 
Bouddha.  Sàrthavàha  annonce  que  Pàpiyàn  va  entraî- 
ner les  démons  à  une  défaite  certaine. 

«  Alors,  Religieux,  un  fils  du  démon,  nommé  Sàrtha- 
vàha, adressa  cette  Gàthà  au  démon  Pàpiyàn  : 

Pourquoi,  frère,  as- tu  le  visage  triste  et  coloré  ?  Pour- 
quoi ton  cœur  palpite-t-il  ?  Pourquoi  chacun  de  tes  mem- 
bres tremble  t-il  ?  Qu'as-tu  entendu  ?  Qu'as-tu  vu  ?  parle 
vite.  Après  avoir  réfléchi,  nous  saurons  ce  qu'il  convient 
de  faire. 

«  Le  démon,  ayant  mis  de  côté  l'orgueil  dit  :  écoute 
moi,  cher  fils.  J'ai  vu  en  songe  des  choses  terribles, 
effrayantes  à  l'excès.  Si  je  vous  disais  tout  ici  sans  rien 
omettre,  vous  tomberiez  à  la  renverse  à  terre. 

Sàrthavàha  dit  : 

«  Si  le  temps  du  combat  est  arrivé,  il  n'y  a  pas  de  mal 

(1)  Ibid.  258. 


340  LE  BOUDDHISME 

à  vaincre,  mais  c'est  d'y  être  vaincu  qui  est  le  mal.  Si 
tu  as  vu  de  pareils  signes  en  rôve,  mieux  vaut  la  pa- 
tience pour  ne  pas  être  méprisé  dans  la  bataille. 

Màra  dit  : 

«  Pour  l'homme  qui  aune  pensée  énergique,  le  succès 
viendra  dans  le  combat.  En  s'appuyant  sur  le  courage 
si  nous  faisons  de  belles  actions,  la  victoire  sera  à  nous. 
Quelle  est  donc  la  force  de  celui-ci,  qui,  m'ayant  vu  avec 
mon  armée^  ne  s'est  pas  levé  pour  saluer  mes  pieds  avec 
sa  tête  ? 

Sàrthavàha  dit  : 

«  Qu'une  armée  soit  grande,  mais  pas  forte,  si  elle 
rencontre  un  seul  héros  puissant,  il  sera  vainqueur  dans 
le  combat.  Quand  même  les  trois  milles  mondes  seraient 
remplis  de  vers  luisants,  le  soleil  seul  les  éclipserait  et 
les  plongerait  dans  le  néant.  (1)  » 

En  majorité  cependant,  le  conseil  se  prononce  pour 
la  guerre.  Pàpiyàn  a  deux  corps  d'armées,  celui  de  ses 
compagnons,  et  celui  de  ses  filles.  Il  les  fera  donner 
l'un  après  l'autre  contre  Bouddha. 

35.  Comment,  après  avoir  fait  les  rodomonts,  les 
compagnons  de  Mâra  prirent  honteusement  la  fuites 

L'armée  des  démons,  «  la  grande  armée  de  quatre  corps 
de  troupes,  »  accourt  à  la  voix  de  son  chef  redouté, 
«  très  forte  et  vaillante  dans  le  combat,  formidable, 
faisant  dresser  les  cheveux,  comme  les  dieux  et  les 
hommes  n'en  avaient  pas  vu  auparavant  ni  entendu 
parler  ;  douée  de  la  faculté  de  changer  diversement  de 
visage,  et  de  se  transformer  de  cent  millions  de  ma- 
nières ;  ayant  les  mains,  le  corps  et  les  pieds  enveloppés 
dans  les  replis  de  cent  mille  serpents  ;  tenant  des  épées, 

(i)  C.  XXI,  p.  260. 


LE  BOUDDHISME  341 

des  arcs,  des  flèches,  des  piques,  des  masses,  des  haches, 
des  fusées,  des  pilons,  des  bâtons,  des  chaînes,  des  mas- 
sues, des  disques,  des  foudres  ;  ayant  le  corps  protégé 
par  d'excellentes  cuirasses  ;  ayant  des  têtes,  des  pieds, 
des  mains  contournés  ;  des  têtes,  des  yeux  et  des  visages 
flamboyants  ;  des  ventres,  des  pieds  et  des  mains  difl'or- 
mes  ;  des  visages  étincelants  d'une  splendeur  terrible  ; 
des  dents  canines  énormes  et  efi'royables  ;  des  langues 
épaisses  et  pendantes,  des  langues  rugueuses  comme  des 
nattes  ;  des  yeux  rouges  et  étincelants,  comme  ceux  du 
serpent  noir,  rempli  de  venin  (1)  ». 

Cette  effroyable  armée  s'avance  désordonnée,  hur- 
lante, féroce,  vers  l'arbre  Bodhi.  Ses  hideux  escadrons 
emplissent  le  ciel.  «  De  côté  et  en  l'air  tout  était  com- 
plètement rempli  par  les  armées  des  démons  Pàpiyàns 
qui  occupaient  en  entier  les  trois  mille  mondes,  par  cen- 
taines déminions  (2).  » 

L'épouvante  est  partout  ;  «  de  vieilles  femmes  éplorées 
s'étant  approchées  du  Bodhisattva  lui  parlaient  ainsi  : 
«  Ah  !  mon  fils,  ah  !  mon  fils,  lève-toi  !  vite  sauve-toi  », 

Lui  cependant,  impassible,  et  souriant  dans  sa  force, 
attendait. 

Avant  de  fondre  sur  lui,  l'ennemi  s'arrête.  L'armée 
des  démons  se  dédouble  :  à  droite  se  groupent  en  tumulte 
les  partisans  de  Màra,  à  gauche  se  pressent  ceux  de 
Sàrthavâha,  et  à  l'instant,  les  délibérations  recommen- 
cent. Conseil  effrayant  !  dialogue  terrible  ! 

A  gauche  : 

«  A  ma  vue,  les  cœurs  se  fendent  dans  les  mondes, 
même  ceux  des  arbres  qui  ont  une  grande  sève  ;  quelle 
est  donc  la  force  de  celui-ci  frappé  par  ma  vue  comme 
s'il  l'était  par  la  mort,  pour  vivre  dans  le  monde.  » 

(1)  Pag.  261, 

(2)  Pag.  263. 


342  LE  BOUDDHISME 

A  droite  : 

«  Tu  dis  :  la  sève  qui  est  ici-bas  dans  les  arbres,  en 
la  regardant,  je  la  divise  ;  quelle  est  en  pareil  cas  la 
condition  des  hommes?  Quant  même  tu  briserais  le 
mont  Mérou,  rien  qu'en  le  regardant,  tes  yeux  ne  s'ou- 
vriraient même  pas  en  présence  de  celui-ci.  » 

A  gauche  : 

«  Entré  en  lui,  je  brûlerai  son  beau  corps  après  y 
avoir  pénétré,  comme  le  feu  de  la  forêt  brûle  un  arbre 
desséché  avec  le  tronc  et  les  parties  les  plus  menues.  » 

A  droite  : 

«  Quand  même  tu  pourrais  brûler  le  Mérou  et  la  terre 
en  y  pénétrant,  celui-ci  ne  pourrait  être  brûlé,  lui,  à 
l'intelligence  de  diamant,  par  tes  pareils,  égaux  en  nom- 
bre aux  sables  de  la  Gangâ.  Toutes  les  montagnes 
s'écrouleraient,  le  grand  océan  serait  anéanti,  le  soleil 
et  la  lune  tomberaient  sur  la  terre,  et  la  terre  arriverait 
à  la  dissolution,  que  celui  qui  s'est  mis  à  l'œuvre  à  cause 
du  monde  et  s'est  engagé  par  une  promesse,  ne  se  lève- 
rait pas  d'auprès  du  grand  arbre,  sans  avoir  obtenu 
l'Intelligence  suprême  !  » 

•••• •»•». 

A  gauche  : 

«  Le  feu  de  la  forêt  ne  se  détourne  pas  de  l'herbe  qui 
brûle  ;  la  flèche  lancée  par  un  habile  archer  ne  se  retourne 
pas  ;  la  foudre  tombée  du  ciel,  ne  se  détourne  pas  ;  il  n'y 
a  pas  de  repos  pour  moi  tant  que  je  n'aurai  pas  vaincu 
le  fils  des  Sakyas.  » 

A  droite  : 

«  En  rencontrant  de  l'herbe  humide  le  feu  recule  ; 
après  avoir  frappé  le  sommet  d'une  montagne  la  flèche 
recule  ;  en  rencontrant  la  terre  la  foudre  s'enfonce  en 
bas  ;  avant  d'avoir  obtenu  l'Amrita  paisible,  il  ne  reçu- 


LE  BOUDDHISME  343 

lera  pas.  Pour  quelle  raison?  C'est  que,  ô  mon  père, 
on  pourrait  tracer  des  figures  dans  l'air,  faire  que  tous 
les  êtres  quels  qu'ils  soient  s'unissent  dans  une  seule 
pensée  ;  on  pourrait  attacher  avec  un  lien  la  lune,  le 
soleil  et  le  vent,  qu'on  ne  pourrait  éloigner  le  Bôdhi- 
sattva  de  Bôdhimanda  (1).  » 

Les  légions  infernales  continuent  longtemps  encore  ce 
dialogue  solennel,  et,  à  mesure  qu'ils  avancent,  l'inquié- 
tude grandit  au  cœur  des  compagnons  de  Màra.  Si  bien 
que  le  chef  même  de  l'armée  de  Pàpiyân,  qui,  le  dernier, 
prend  la  parole,  termine  par  ces  mots,  le  discours  dans 
lequel  il  tire  la  conclusion  de  ces  longs  débats  : 

«  Comme  un  éléphant  brise  un  pot  de  terre,  un  lion 
un  chacal,  le  soleil  un  ver  luisant,  Sougata  mettra  de 
même  cette  armée  en  pièces  (2).  » 

Les  troupes  de  Mâra  sont  démoralisées,  puisqu'elles 
commencent  la  lutte  avec  la  certitude  d'être  vaincues. 
D'un  signe  Sakya  les  arrête  ;  d'un  mouvement  de  tête,  il 
les  met  en  fuite.  Les  projectiles  qu'ils  lancent  contre  lui 
se  convertissent  en  fleurs,  et,  celles-ci,  fraîches  et  par- 
fumées, jonchent  le  sol  ou  restent  suspendues  en  guir- 
landes aux  branches  de  l'arbre  sacré.  L'armée  infernale 
s'enfuit  en  désordre,  et  Pâpiyàn,  dévoré  de  colère  et 
d'envie,  dit  au  Bodhisattva  :  Lève-toi,  lève-toi,  u  fils  de 
roi,  jouis  de  la  royauté,  puisque  ton  mérite  est  tel  que, 
par  lui,  tu  as  obtenu  la  délivrance  (3).  » 

30.  Comment  fut  repoussêe  /'attaque  des  filles  du 
démon  ? 

Il  ne  lui  reste  plus  que  la  ressource  de  faire  donner  ses 
filles.  Sur  son  ordre,  elles  accourent,  et,  plus  confiantes 

(1)  Pag.  267. 

(2)  Pag.  -270. 

(3)  C.  XXT,  p.  271. 


344  LE  BOUDDHISME 

que  les  démons,  elles  attaquent  hardiment  le  Bouddha, 
lui  faisant  voir  toute  «  la  magie  des  femmes  qui  est  de 
trente-deux  espèces  (1)  ». 

Peines  perdues.  Elles  ont  beau  se  montrer  à  lui  sous 
le  jour  le  plus  favorable,  lui  détailler  complaisamment 
leur  beauté,  lui  vanter  leurs  vertus,  lui  promettre  un 
dévouement  à  toute  épreuve  ;  il  ne  daigne  même  pas  les 
regarder,  et,  fatigué  de  les  entendre  :  «•  Votre  corps,  dit- 
il,  est  égal  et  pareil  à  l'écume,  à  la  bulle  d'eau...,  vos 
beaux  yeux  sont  comme  une  pendule  ronde,  gonflés  de 
sang  condensé...  Et  un  peu  plus  loin  :  «  Je  vois  le  corps 
malpropre  et  impur,  rempli  d'une  famille  de  vers,  com- 
bustible qui  se  consume,  fragile  et  enveloppé  de  douleur  ; 
j'obtiendrai  la  dignité  impérissable  et  révérée  par  les 
gens  sages,  qui  produit  le  bonheur  suprême  du  monde 
mobile  et  immobile  (2).  » 

Tout  est  bien  fini.  Le  triomphe  de  Sakya  est  complet  : 
Il  a  vaincu  la  peur,  il  a  vaincu  l'amour.  Màra  est 
anéanti.  Ses  deux  armées  sont  en  déroute. 

Et  tandis  que  les  huit  divinités  de  l'arbre  d'Intelli- 
gence, entonnent,  d'une  voix  mélodieuse,  un  hymne  en 
l'honneur  de  Sakya,  les  fils  des  dieux  célèbrent  d'un  ton 
moqueur  l'abaissement  de  Màra. 

GLOIRE  A  SAKYA  ! 

«  Tu  brilles,  être  pur,  comme  la  lune  dans  la  quinzaine 
claire;  tu  resplendis,  être  àrintelligencepure,  comme  le 
soleil  qui  se  lève. 

«  Tu  resplendis,  être  pur,  comme  le  lotus  au  milieu  des 
eaux  ;  tu  fais  entendre  ta  voix,  être  pur.  comme  le  lion 
qui  se  promène  en  roi  dans  la  forêt. 

(1)  Pag.  225, 

(2)  Pag.  278. 


LE  BOUDDHISME  345 

«  Tu  brilles,  premier  des  êtres,  comme  le  roi  des  mon- 
tagnes au  milieu  de  l'Océan  ;  tu  t'élèves,  être  pur,  comme 
le  mont  Tchakravâda. 

«  Tu  es  difficile  à  sonder,  être  pur,  comme  la  merrem- 
plie  de  choses  précieuses.  Ton  intelligence  est  étendue, 
guide  du  monde,  comme  le  ciel  sans  limite. 

«  Tu  asuue  intelligence  ferme,  être  pur,  comme  le  sol 
de  la  terre  qui  fait  vivre  tous  les  êtres  ;  tu  es  doaé  d'une 
intelligence  sans  trouble,  premier  des  êtres,  comme  le 
lac  Anavatapta  qui  est  toujours  calme. 

«  Tuasunepenséesansdemeure  fixe,  premier  des  êtres, 
comme  le  vent,  qui,  dans  le  monde  entier,  n'est  jamais 
fixé.  Tu  es  difficile  à  approcher,  premier  des  êtres, 
comme  le  roi  de  la  splendeur,  ayant  abandonné  toute 
pensée  d'orgueil. 

«  Tu  es  fort,  premier  des  êtres,  comme  Nâràyana  qui 
est  difficile  à  vaincre.  Tu  es  ferme  dans  l'observance  des 
pratiques,  guide  du  monde,  qui  ne  te  lèves  pas  de  Bôdhi- 
manda. 

HOISTE  A  M  ARA. 

«  Vaincu  par  le  BÔdhisattva,  Pâpiyàn,  tu  es  rêveur 
comme  un  vieux  héron.  Tu  es  sans  force,  Pàpiyân, 
comme  un  vieil  éléphant  enfoncé  dans  un  marais. 

«  Tu  es  seul,  Pàpiyân,  comme  après  être  vaincu,  celui 
qui  se  vantait  d'être  un  héros.  Tu  es  sans  second, 
Pàpiyân,  comme  le  malade  abandonné  dans  la  forêt. 

«  Tu  es  sans  force,  Pàpiyân,  comme  un  jeune  taureau 
accablé  par  un  fardeau.  Tu  es  renversé,  Pàpiyân,  comme 
un  arbre  secoué  par  le  vent. 

«  Tu  es  dans  la  mauvaise  route,  Pàpiyân,  comme  un 
voyageur  égaré  ;  tu  es  le  misérable  des  misérables, 
Pàpiyân,  comme  un  homme  pauvre  et  envieux. 


346  LE  BOUDDPIISME 

c(  Tu  es  parleur,  Pâpiyân,  comme  une  corneille  inso- 
lente ;  tu  es  vaincu  par  l'orgueil,  Pàpiyân,  comme  un 
ingrat  indiscipliné. 

«  Tu  seras  mis  en  fuite  aujourd'hui,  Pâpiyân,  comme 
un  chacal  par  la  voix  du  lion.  Tu  seras  secoué,  Pâpiyân, 
comme  un  oiseau  ballotté  par  le  vent. 

«  Tu  ne  connais  pas  le  temps  convenable,  Pâpiyân, 
comme  le  religieux  mendiant  dont  les  mérites  sont  épui- 
sés. Tu  seras  abandonné  aujourd'hui,  Pâpiyân,  comme 
un  pot  brisé  tout  plein  de  poussière  ! 

«Tuserassaisiaujourd'hui, Pâpiyân, parleBôdhisattva, 
comme  un  serpent  à  l'aide  d'un  charme  ;  ta  es  privé  de 
toutes  tes  forces,  Pâpiyân,  comme  un  homme  qui  a  les 
mains  et  les  pieds  coupés. 

JJji  2:)rofesseur  de  grand  séminaire. 

(A  suivre). 


CHRONIQUE 


I.  — La  Science  des  Religions.  — /,«  Revue  de  l'his- 
toire des  religions,  dans  sonnumérode  juillet-aoùtl892, étudie 
le  mouvement  imprimé  à  la  science  des  religions. 

«  Depuis  quelques  années,  dit-elle,  il  semble  que  la  situation  se 
modifie.  Le  premier  branle  a  été  donné  par  les  hommes  les  plus 
éclairés  du  monde  scientifique  et  par  les  hommes  politiques 
capables  d'envisager  les  choses  à  un  point  de  vue  philosophique. 
Des  institutions  ont  été  créées  pour  introduire  l'étude  des  religions 
dans  le  haut  enseignement.  Des  périodiques  ont  été  fondés  pour 
propager  des  connaissances  scientifiques  sur  les  religions  et  pour 
attirer  l'attention  du  public  instruit  sur  Timporlance  et  l'étendue 
des  recherches  qui,  dans  le  monde  entier,  ont  les  religions  pour 
objet.  De  divers  côtés,  parmi  les  adversaires  de  la  religion, 
comme  parmi  les  partisans  les  plus  absolus  de  l'Église  romaine, 
à  l'École  d'anthropologie  comme  à  l'Institut  catholique,  des 
travaux  importants  ont  été  consacrés  à  l'élude  scientifique  des 
phénomènes  religieux.  Le  nombre  des  thèses  de  doctorat  qui,  à 
la  Sorbonne,  portent  sur  l'histoire  religieuse  de  notre  pays  ou 
du  monde  antique  a  considérablement  augmenté.  Dans  le  monde 
scientifique  et  dans  la  jeune  Université,  de  grands  progrès  se 
sont  accomplis.  On  a  compris  que  la  condition  préalable  pour 
traiter  les  graves  questions  du  jour  d'une  manière  sérieuse  et 
digne  de  leur  importance,  c'était  de  commencer  par  soumetire 
les  religions  et  la  religion  elle  même  à  une  élude  vraiment  scien- 
tifique. Sans  doute,  il  reste  encore  beaucoup  à  faire  sur  ce  point  ; 
mais  les  débuts  sont  encourageants.  Ces  questions,  parfois  déli- 
cates, épineuses,  sont  traitées  aujourd'hui  avec  une  liberté 
d  esprit,  avec  une  abondance  de  recherches  et  avec  une  méthode 


348  CHRONIQUE 

surtout  qui  répondent'  vraiment  aux  exigences  de  la  science 
moderne.  C'est  là  un  grand  progrès  »...  «  Les  éludes  d'iiisloire 
religieuse  ne  devraient  pas  seulement  être  plus  connues  du 
public  qui  traite  les  questions  religieuses  et  politico-ecclésias- 
tiques du  jour;  elles  devraient  être  aussi  plus  répandues  parmi 
les  hommes  d'église.  Et  ici  nous  n'entendons  pas  tant  les 
études  d'histoire  ecclésiastique,  car  celles-ci  tiennent  le  haut  bout 
dans  le  monde  théologique  actuel  ;  nous  entendons  les  études 
d'histoire  générale  des  religions.  L'essor  de  plus  en  plus  vaste 
de  l'histoire  des  religions  doit  nécessairement  provoquer  une 
modification  de  la  culture  théologique  et  une  évolution  de  la 
philosophie  religieuse.  Bien  souvent  déjà  nous  avons  signalé  ce 
phénomène.  L'un  de  nos  collaborateurs,  M.  G.  Piepenbring,  de 
Strasbourg,  dans  un  remarquable  article  sur  «  l'autorité  dog- 
matique »,  publié  dans  une  revue  protestante  «  La  vie  chré- 
tienne »  vient  de  développer  cette  même  idée  en  des  termes  qui 
méritent  d'être  cités  textuellement  :  «  De  nos  jours,  le  monde 
chrétien  a  été  mis  en  possession  de  la  riche  litlérature  des  peu- 
ples de  l'Orient.  Nous  avons  ainsi  appris  à  connaître  l'ancienne 
religion  des  Égyptiens,  des  Assyriens,  des  Perses, des  Hindous  et 
des  Chinois.  Ces  découvertes  produiront  une  révolution  inévi- 
table dans  la  science  religieuse,  en  brisant  les  étroitesses  de  la 
théologie  traditionnelle,  en  corrigeant  les  principaux  défauts  et 
du  catholicisme  et  du  protestantisme.  Elles  confirment  d'une 
manière  éclatante,  ce  que  nous  avons  déjà  dit,  savoir  que  la  vie 
religieuse  et  morale  s'est  développée  et  a  produit  d'excellents 
fruits  ailleurs  que  chez  les  juifs  et  les  chrétiens,  tout  en  restant 
loin  derrière  le  christianisme  évangélique,  et  que  d'un  autre 
côté,  elle  est  soumise  à  des  lois  et  constitue  un  ensemble  de  faits 
historiques  qui  peuvent  et  doivent  être  pris  en  sérieuse  considé- 
ration par  ceux  qui  veulent  se  rendre  compte  de  la  vérité  reli- 
gieuse. »  {La  vie  chrétieiine,  ix,  1,  p.  28-89). 
Voici  la  conclusion  de  la  Revue  de  Vhisloire  des  ReUgio)is  : 
«  Il  est  certain  qne  l'universalisme  religieux  fait  aujourd'hui 
des  progrès  énormes  dans  tout  le  monde  cultivé  ;  que,  en  dehors 
des  cercles  proprement  ecclésiastiques,  la  religion  est  de  plus  en 
plus  envisagée  comme  un  fait  humain,  sans  aucune  restriction 


CHRONIQUE  340 

de  racé,  de  temps  ou  de  confession  ;  que  l'histoire  des  religions 
ou  la  science  des  phénomènes  religieux  est  de  plus  en  plus  pour 
tout  homme  instruit  le  fondement  nécessaire  de  toute  spéculation 
religieuse  et  de  toule  conception  scientifique  sur  la  religion.  Et 
il  faudra  bien  que  les  théologiens  finissent  par'  s'en  rendre 
compte,  s'ils  ne  veulent  pas  rester  en  arrière  dans  l'évolution 
générale  des  esprits  cultivés  du  monde  moderne.  » 

—  Dans  un  récent  travail  sur  le  progrès  de  la  civilisation  et  des 
arts  que  publie  la  Revue  scientifique  du  mois  d'octobre  dernier, 
M.  Gustave  Le  Bon,  s'etTorce  de  résoudre  le  problème  de  la  théo- 
rie  du  progrès  religieux.  Pour  lui  l'évolution  religieuse,  politique 
et  sociale  n'est  que  l'efïet  des  siècles,  d'une  transformation,  qui 
n'est  ordinairement  que  le  résultat  d'une  très  lente  évolution. 

Toutes  les  grandes  religions,  le  brahmanisme,  le  bouddhisme, 
le  christianisme,  l'islamisme,  ont  provoqué  des  conversions  en 
masse  chez  des  races  entières...  Mais,  en  réalité,  ce  que  les 
peuples  ont  changé  partout,  c'est  le  nom  de  leur  religion,  et  non 
la  religion  elle-même...  Le  boudhisme;  transporté  en  Chine,  y 
est  devenu  à  ce  point  méconnaissable  que  les  savjnts  l'ont  pris 
d'abord  pour  une  religion  indépendante  ...  L'islamisme  lui- 
même,  malgré  la  simplicité  do  son  monothéisme,  n'a  pas  échappé  à 
cette  loi:  il  y  a  loin  del'islamisme  delà  Perse  à  celui  de  l'Arabie  et  à 
celuide  l'Inde. . .  Pour  les  50  millions  de  musulmans  hindous,  Malio- 
met  et  les  saints  de  l'islam  ne  sont  que  des  dieux  nouveaux, 
flyoz<^^5  à  des  milliers  d'autres...  L'Islamisme  môme  des  Arabes  est 
ditïérent  de  celui  des  Berbères  (Algérie).  La  polygamie  du  Coran 
est  devenue  monogamie  chez  les  Berbères  . .  Ce  qui  est  vrai 
pour  les  croyances  l'est  également  pour  les  autres  iiistittitions. 
L'histoire  de  la  civiHsation  se  compose  ainsi  de  lentes  adapta- 
tions. Si  elles  nous  paraissent  soudaines  et  considérables,  c'est 
parce  que,  comme  en  géologie,  nous  supprimons  les  phases 
intermédiaires  pour  n'envisager  que  des  phases  extrêmes...  » 

—  La  science  des  religions  a  fait  une  nouvelle  apparition  dans 
la  chaire  chrétienne  par  l'organe  du  P.  Etourneau,  dominicain, 
qui  a  prêché  à  Saint-llonorô  d'Eylau,  à  Paris,  pendant  le 
carême  de  1893,  une  série  de  conférences  pour  les  hommes,  sur 
ce  sujet.  L'éloquent  orateur  a  pris  à  témoin  du  sentiment  reli- 


350  CHRONIQUE 

gieiix  universel,  des  coutumes  rituelles  universelles,  de  la 
croyance  au  surnaturel  dans  toutes  les  civilisations,  dans  l'ànie 
de  tous  les  peuples,  ce  musée  Guimet,  ce  musée  des  reli- 
gions, tout  voisin  précisément  de  Saint-Honoré  d'Eylau.  Cette 
collection  considérée  à  tort  avec  défaveur  par  certains  catholi- 
ques, est  précieuse  cependant  comme  arsenal  des  livres  et  des 
objets  qui  démontrent  invinciblement  l'universalité  d'un  culte,  le 
concert  unanime  des  peuples  dans  une  pensée  religieuse  :  livres 
et  objets  qui,  chose  plus  frappante  encore,  accusent  une  simili- 
tude indiscutable  entre  les  anciennes  théogonies,  parfois  convain- 
cues, par  leur  commune  estampille,  de  remonter  à  une  origine 
unique.  Nous  sommes  convaincus  que  l'exemple  du  P.  Etourneau 
aura  de  nombreux  imitateurs.  Les  orateurs  chrétiens  ont  là  un 
large  et  intéressant  sujet  à  exploiter. 

—  M.  Ravaisson  vient  de  publier  aussi  une  étude  sur  l'his- 
toire des  religions,  étude  qui  recherche  dans  les  religions,  en 
apparence  le^  plus  opposées,  les  points  de  contact  et  les  ressem- 
blances :  a  c'est  que  c'est  une  chose  universelle  et  éternelle,  dit 
l'auteur,  que  le  système  d'idées  et  de  pratiques  qui  fil  dans  le 
paganisme,  dans  le  judaïsme,  puis  dans  le  christianisme,  et 
enfin  partout  ailleurs,  le  fond  et  des  dogmes  et  du  culte,  ces 
idées  et  ces  pratiques  répondant  point  pour  point  aux  phases 
successives  qui  vont  du  début  de  la  vie  au  comble  de  sa  perfec- 
tion. Les  différences  qui  s'y  sont  rencontrées  se  réduisent  en 
définitive  à  des  degrés  différenîs  de  pureté  et  de  clarté,  le  paga- 
nisme et  le  judaïsme  offrant,  poiir  ainsi  dire,  des  ébauches  dont 
le  christianisme  annonce,  dans  le  règne  à  venir  de  l'Esprit  pur, 
le  suprême  achèvement.  » 

—  M.  Paul  Regnaud,  'professeur  de  sanscrit  à  la  Faculté  de 
Lyon,  a  donné  une  série  de  huit  conférences  sur  VOrigine  et  le 
développement  de  la  religion  et  de  la  mythologie  chez  les 
Indo-Européens,  et  pî^incipalement  dans  Vlnde  et  la 
Grèce.  Ces  conférences  ont  eu  Ueu  au  musée  Guimet,  salle  de 
la  Bibliothèque. 

—  Depuis  quelques  mois  sont  ouvertes  au  public,  au  musée 
Guimet,  les  nouvelles  et  fort  belles  collections  rapportées  d'Asie 
parles  voyageurs  français.  Nous  citerons,  au  rez-de-chaussée, 


CHRONIOUE  351 

les  objels  cambodgiens,  siamois  et  laotiens  dus  à  MM.  Aymonier, 
Delaporte  et  Fournereau.  Au  premier  étage,  ce  sont  les  envois 
de  M\I.  de  Groot,  de  Morgan,  le  prince  Henri  d'Orléans,  Bcnva- 
lot,  Gapus,  Harmand,  Pépin,  Rabot,  Dumoulier,  Laffille,  Pavie, 
Ulfavi  de  Mezo-Kovesd,  Ernesl  Chantre,  le  comte  dé  Landsiterg, 
Martin,  Lemaire,  Neis  Gouin,  Hubert,  Morel,  Uey,  de  Bouteillier, 
Brau  de  Saint-Pol-Lias  et  James  Darmesîeter,  ayant  trait  à  la 
Sibérie,  la  Perse,  l'Arménie  russe,  l'Asie  russe,  l'Indo-Chine,  la 
Chine,  Ceylan,  la  Birmanie,  etc.  Enfin,  au  second  étage,  l'Expo- 
sition coréenne,  unique  au  monde,  de  M.  Varal,  celle  de  M.  Co- 
jin  de  Plancy,  dans  la  même  région,  et  enfin  les  raretés  rappor- 
tées du  Japon  par  M.  Frandon. 

—  Ceux  qui  aiment  les  sciences  historiques  étudiées  au  flam- 
beau de  la  véritable  critique  et  de  l'érudition  la  plus  conscien- 
cieuse apprendront  avec  joie  la  fondation,  à  Paris,  d'une  Celle, 
ou  maison  d'étude  par  les  Pères  bénédictins  de  l'abbaye  de 
Ligugé.  Celte  œuvre  a  été  encouragée  par  un  bref  très  flatteur 
de  Sa  Sainteté  Léon  XIII  qui,  on  s'en  souvient,  a  recommandé 
de  sa  souveraine  autorité  et  par  des  actes  solennels,  les  éludes 
historiques.  Son  Eminence  le  Cardinal  Richard,  archevêque  de 
Paris,  a  favorisé  celte  grande  oeuvre  de  toute  son  auloiilé. 
Mgr  d'Hulst  et  toutes  les  sommités  du  monde  savant  chrétien 
ont  honoré  celte  fondation  de  leur  sympathie  et  de  leur  bienveil- 
lance. Elle  est  établie  rue  Garanciére,  n°  4,  à  Paris.  C'est  dans 
celle  maison  de  la  science  que  les  religieux  de  l'abbaye  de 
Ligugé  iront  successivement  travailler.  Le  R.  P.  Dom  de  la 
Tremblaye  est  à  la  tète  de  celte  colonie  d'érudils.  C'est  dans  les 
riches  bibliothèques  de  la  capitale  et  dans  les  dépôts  d'archives 
qui  contiennent  d'incomparables  trésors  qu'iront  puiser  les  reli- 
gieux bénédictins  pour  élever  à  la  science  historique  un  magni- 
fique monument.  Car  ils  ont  pour  but  principal  de  continuer  ou 
plutôt  de  reprendre  le  Monasticum  benediclinum  gallica- 
?uim,  que  Dom  Germain  avait  commencé  au  dernier  siècle  et 
qu'on  n'avait  pu  poursuivre  depuis.  C'est  une  grande  entreprise 
•qui  intéresse  la  France  chrétienne  qui  trouvera  tout  bénéfice 
dans  cet  ouvrage  dont  l'exécution  prouvera  que  les  fils  de  saint 
Benoit  se  sont  maintenus  au  niveau  de  leurs  saints  el  glorieux 


352  CHRONIQUE 

ancôlres.  Les  BénéJiclins  de  Paris,  viennent  de  fonder  un  lîuI- 
letin  catholique  des  livres  et  des  Revues  paraissant  tous  les 
mois,  en  livraison  in-S"  de  48  pages,  au  prix  de  5  Iv.  par  an, 
chez  M.  Oudin,  éditeur  à  Poitiers,  ou  à  Paris,  rue  de  Méziè- 
resll. 

—  Le  R.  P.  Gruber,  savant  autrichien,  de  la  Compagnie  de  Jésus 
vient  de  publier  un  ouvraye  sur  Auguste  Comte,  fondateur 
du  Positivism".  M.  Ollé-Lapruney  a  ajouté  une  préface,  et 
l'abbé  Mazoyer  nous  en  a  donné  une  traduction.  On  lira  avec 
fruit  et  intprôt  ce  volume,  môme  après  les  Iraveaux  de  Stuart 
Mill  et  de  M.  Kavaisson.  L'auteur  commence  par  nous  faire 
connaître  la  vie  d'Auguste  Comte.  Quoiqu'il  n'y  ait  pas  un 
rapport  nécessaire  entre  les  doctrines  d'un  écrivain  et  sa  vie 
privée,  l'un  jette  souvent  sur  l'autre  un  jour  précieux  ;  il  y  avait 
d'ailleurs  des  détails  très  intéressants  à  faire  connaître  sur  son 
caractère,  son  incroyable  orgueil,  son  fanatisme  et  même  sa 
folie.  Le  P.  Gruber  na  oublié  aucun  de  ses  détails.  Il  nous  en 
donne  une  exposition  aussi  complète  que  celle  du  Positivisme, 
car  son  livre  se  distingue  par  le  travail  minutieux  des  choses.  Mais 
passons  au  seul  côté  qui  nous  intéresse  ici,  le  côté  religieux. 

La  religion  d'Auguste  Comte  essaie  d'allier  le  mysticisme  à  la 
science;  à  la  place  d'une  divinité  que  nous  pouvons  seulement 
honorer,  mais  non  atteindre  efficacement  par  nos  actes,  elle 
place  l'humanité  avec  tout  le  cortège  des  êtres  inférieurs  qui  lui 
.appartiennent  :  l'Éire  suprême  est  ainsi  rappelé  par  le  Grand  Etre, 
A  ce  grand  Être  il  faut  joindre  le  grand  Milieu  et  l'espace,  et  le 
Grand  Fétiche,  c'est-à-dire  la  terre.  Telle  est  la  Trinité  positi- 
viste. Cette  Trinité  a  un  pendant  dans  lequel  s'incarnent  en 
quelque  soite  les  grands  attributs  de  Dieu,  sa  puissance,  son  in- 
telligence, sa  bonté  ;  ce  sont  la  femme,  les  prêtres  et  les  ban- 
quiers. La  prière  occupe  une  gi-ande  place  dans  la  religion  posi- 
tiviste Elle  doit  durer  au  moins  deux  heures  par  jour  :  il  est 
bon  surtout  de  s'endormir  en  priant,  A  la  place  du  Pater  on 
récitera  la  prière  suivante  :  L'amour  pour  principe,  l'ordre  pour 
base,  le  progrès  pour  but.  On  peut  faire  en  même  temps  un  signe  de 
croix  en  touchant  successivement  les  organes  où  résident  ces  trois 
facultés.  On  ne  s'étonnera  pas  après  cela  si  les  admirateurs  eux- 


CHRONIQUE  353 

mômes  du  (ondaleurdu  positivisme  se  sont  demandés  si  la  raison 
d'Auguste  Comte  n'avait  pas  fini  par  sombrer. 

Auguste  Comte  se  proclame  le  grand  pontife  de  l'Iiumanilé.  Le 
monde  entier  devait  se  convertir  en  33  ans;  il  comptait  sept  ans 
pour  la  conversion  des  monothéistes,  treize  pour  celle  des  poly- 
théistes et  tout  autant  pour  celle  des  fétichistes.  —  Admirateur 
des  Jésuites  et  de  leur  discipline,  il  envoya  un  de  ses  disciples 
au  général  de  l'Ordre  pour  lui  proposer  une  alliance.  Malgré  ces 
extravagances,  Auguste  Comte  réussit  à  fonder  à  Paris  une  pe- 
tite église.  Il  y  a  encore,  paraît-il,  des  lîdèles  qui  ont  conservé  le 
culte  du  maître.  Des  fôles  po.sitivistes  se  célèbrent  tous  les  ans  à 
Paris,  à  Londres,  à  New-York,  etc.  Le  Brésil  est  en  train  de  lui 
élever  un  temple. 

—  Nous  trouvons  dans  un  des  périodiques  russes  du  mois  d'oc- 
tolire dernier,  la  Niedelina^wa.  article  curieux,  qu'analyse  la 
Reçue  des  Revues,  sur  les  origines  d'une  nouvelle  secte  reli- 
gieuse, qui  fondée  en  Piussie  depuis  plusieurs  années,  semble 
prendre  chaque  jour  une  plus  grande  extension.  On  sait,  du 
reste,  que  l'orthodoxie,  si  rigide  et  si  sévère  dans  le  pays  du 
Tzar,  n'a  jamais  pu  empêcher  l'éclosion  de  différents  schismes  et 
sous-chismes.  La  Russie  est  peut-être,  en  dehors  de  l'Angle- 
terre, le  seul  pays  ou  chaque  année  voit  éclore  plusieurs  sectes 
et  plusieurs  ■  religions.  Mais,  tandis  que  l'Angleterre  nous 
offre  le  spectacle  des  yerZ/es  importées  du  dehors,  nous  trouvons 
en  Russie  des  principes  originaux,  fruits  directs  de  la  culture  et 
des  mœurs  locales. 

Un  paysan  russe  du  village  de  Skibina,  dans  le  gouvernement 
de  Kiev,  nommé  Douzenkowskij,  a  posé  un  jour  le  problème  sui- 
vant à  ses  voisins  :  ^  S'il  est  vrai  que  Jésus-Christ  soit  venu 
pour  amener  le  royaume  du  ciel  sur  la  terre,  comment  se  fait-il 
que  nous  voyions  autour  de  nous  les  mensonges  et  les  péchés 
prendre  le  dessus  et  que  les  misères  et  la  mort  déciment  le  peu- 
ple. »?  Et  comme  personne  ne  pouvait  résoudre  cette  doulou- 
reuse charade,  le  paysan  philosophe  est  arrivé  à  la  conclusion 
que  visiblement  le  Sauveur  du  monde  n'est  pas  encore  venu,  et 
que  par  conséquent  la  chrétienté  est  basée  sur  une  fiction.  On  a 
condamné  le  prophète  Douzenkowshij  à  la  déportation  en  Sibérie, 


354  GHRONIQUB 

et  les  paysans,  voyant  le  triste  sort  de  leur  chef,  se  sont  efforcés 
de  renfermer  leurs  doules  dans  le  fond  de  leurs  âmes.  La  mi- 
sère, la  maladie  et  les  mensonges  persistant,  les  habitants,  tout 
en  s'en  cachant,  attendaient  impatiemment  l'arrivée  du  Sau- 
veur. 

La  joie  fut  grande  dans  l'arrondissement  de  Taraslschansk, 
lorsqu'on  1889  le  bruit  se  répandit  que  le  Sauveur  si  impatiem- 
ment attendu  venait  de  faireson  apparition  dans  la  ville  de  Tarasts- 
clia  et  cela  en  la  personne  même  de  Kondrate  Malewannyj,  un 
pauvre  charron.  Malewannyj  était  comme  il  fallait  s'y  attendre, 
un  illettré,  victime  de  l'alcoolisme  et  à  quelques  pas  de  la 
mort.  11  parlait  tout  bas  et  par  phrases  allégoriques,  complè- 
tement dénuées  de  sens,  mais  qui,  par  cela  même,  avaient 
un  cachet  de  mystère  et  attiraient  les  foules.  Les  paysans 
affluaient  de  toutes  parts ,  et  le  pauvre  ivrogne  fut  pro- 
clamé Sauveur.  Ses  discours,  le  tremblement  de  ses  membres, 
son  visage  empouipré,  l'attendrissement  perpétuel  que  trahis- 
sait la  voix  de  Malewannyj ,  produisaient  un  etïet  surprenant  sur 
les  paysans.  Le  prétendu  Sauveur  fonda  une  sorte  de  commu  • 
naulé  qui  habitait  une  seule  et  même  maison,  et  dont  les  membres 
s'occupaient  exclusivement  à  boire  du  thé  en  attendant  la  fin 
du  monde.  Les  nombreux  adeptes  de  la  nouvelle  religion  ne 
ménageaient  point  les  cadeaux  à  celui  qui  devait  racheter  leurs 
péchés,  et  Malewannyj  put  continuer  tranquillement  sa  vie  de 
prophète.  La  police  intervint.  On  intente  un  procès  au  prophète 
et  les  juges  devant  qui  il  est  amené  le  déclarent  malade  et  irres- 
ponsable. Toutefois,  la  police  le  surveille  attentivement  et  lui 
défend  de  quitter  la  ville.  Mais  le  nombre  des  adeptes  de  la  nou- 
velle religion  augmente  chaque  jour  et,  vers  la  fin  de  1891,  la 
contagion  gagne  plusieurs  autres  arrondissements.  Le  gouver- 
neur général  du  pays  envoie  son  délégué,  avec  l'ordre  d'étudier 
l'état  des  esprits  du  peuple.  Le  rapport  officiel  constate  que  la 
conversion  au  néo-schtonndisme  devient  de  plus  en  plus  mena- 
çante et  que  la  nouvelle  secte  est  sur  le  point  de  s'emparer  de 
toute  la  population  du  rayon.  Le  rapporteur  ajoute  que,  tandis 
que  les  uns  se  laissent  influencer  par  les  adeptes  atteints  d'un 
mysticisme  maladif,  par  les  visions  désordonnées,  les  autres 


CHRONIQUE  355 

arriveiil  aux.   mêmes    résultats  en    raisonnant  à  la  Douzen- 
kowskij.  Yoici  quelques  données  officielles  des  plus  typiques  : 

Dans  le  village  de  Kozaiika,  une  femme  nommé  Mélanie  se 
trouvait  à  la  tète  des  sectaires.  Les  croyants  mangeaient  et  bu- 
vaient dans  la  maison,  tout  en  se  livrant  à  des  pra'.i;;{ues  inavoua- 
bles. Mélanie  et  son  sous-chef  Zacharij,  un  jeune  et  vigoureux 
gaillard,  ont  fini  par  devenir  fous.  Les  hommes  s'habillaient  en 
femmes,  celles-ci  revêtaient  les  costumes  des  hommes,  et  tous, 
criant,  pleurant  et  sanglottant,  évanouis  et  en  proie  à  des  visions 
horribles,  attendaient  la  fin  du  monde.  Vers  le  mois  de  mars, 
Mélanie  ordonna  que  tout  le  monde  allât  laver  ses  péchés  dans  le 
fleuve.  Environ  quarante  personnes  se  dirigèrent  vers  l'endroit 
désigné  par  la  prophétesse.  Il  faisait  un  froid  intense,  le  fleuve 
était  encore  gelé,  mais  les  croyants  ne  s'en  jetèrent  pas  moins 
dans  l'eau,  suivis  de  leurs  enfants.  Les  pauvres  petits  en  mouru- 
rent. Mélanie,  sujette  à  des  hallucinations,  voulant  chasser  les 
mauvais  esprits,  finit  par  tuer  sa  fille,  âgée  de  six  ans...  Les 
maladies  psychiques  se  répandaient  de  plus  en  plus  et  il  y  avait 
des  villages  où  presque  tous  les  habitants  en  étaient  atteints. 

Quelques  mois  après,  un  paysan  de  Jachna,  nommé  Moisiej 
s'en  va  à  Saint-Pétersbourg  afin  de  convertir  le  gouvernement  et 
de  «  délivrer  le  peuple  de  son  esclavage  égyptien  ».  Mal  lui  en 
prit,  car,  arrêté  aux  abords  du  palais  du  tzar,  il  fut  mis  au  cachot. 
Le  nombre  des  prophètes  augmente  continuellement.  Ainsi  un 
paysan  a  été  couronné  de  l'auréole  de  la  sainteté  pour  un  exploit 
digne  de  Succi.  Il  s'est  abstenu  de  manger  pendant  oO  jours.  Du 
reste,  les  sectaires  évitent  jusqu'à  présent  de  se  nourrir  de 
viande  et  mangent  en  général  aussi  peu  que  possible.  Il  arrive 
très  souvent  que  les  néo-schtoimdistes  jeûnent  pendant  plu- 
sieurs jours  dans  la  semaine  et  le  végétérianisme  semble  être 
chez  eux  une  règle  obligatoire.  Chose  étonnante,  les  enfants  eux- 
mêmes  suivent  l'exemple  de  leurs  parents.  Ils  mangent  très  peu 
et  il  n'est  pas  rare  de  les  voir  jeûner  pendant  des  jours  eniiers. 
Le  service  religieux  est,  chez  les  sectaires,  des  plus  simples!  Ils 
n'admettent  même  pas  la  Bible,  en  disant  que  ce  n'est  qu'une 
mer  où  se  noient  la  raison  et  le  bon  sens  des  croyants  !  S'ils  men- 
tionnent de  temps  en  temps  les  saintes  Écritures,  ce  n'est  que 


356  CHRONIQUE 

pour  prouver  avec  leur  aide  la  véracité  de  leurs  croyances.  A  la 
place  delà  Bible,  ils  ont  recours  à  des  évangiles  de Malewannij 
et  à  de  prétendues  révélatio?u  des  prophètes  et  des  prophètes- 
ses,  qui  ont  suivi  la  voie  désignée  par  le  saint  ivrogne  Tarast- 
cliansk. 

—  Le  problème  de  la  vie,  par  le  marquis  de  Nadaillac,  corres- 
pondantde  1  institut,  est  un  livre  in-18  de  295  pages.  Quelle  est 
la  valeur  des  systèmes  émis  en  ces  dernières  années  sur  l'origine 
delà  vie  de  l'homme  et  des  différents  animaux  ?  Pour  répondre 
à  celte  question,  M.  de  Nadaillac  ne  se  contente  pas  d'hypothèses, 
il  interroge  les  faits.  Il  étudie  d'abord  la  formation  du  globe  ter- 
restre, recherche  à  quel  moment  la  vie  a  fait  son  apparition,  puis 
il  suit  celle  ci  dans  son  développement,  depuis  les  animaux  les 
plus  rudimentaires  jusqu'à  1  homme,  à  travers  les  terrains  des 
époques  primaire,  secondaire,  tertiaire  et  quarternaire.  Il  recher- 
che enfin  à  quelle  dale  remonte  l'homme,  quelle  antiquité  il  faut 
lui  assigner,  et  si,  tant  au  point  de  vue  physique  qu'intellectuel, 
l'homme  a  été  identique  à  travers  les  siècles.  C'est  à  l'épreuve 
de  ces  faits  que  M.  de  Nadailhc  soumet  les  hypothèses  delà  gé- 
nération spontanée,  du  transformisme,  de  l'évolution,  de  la  des- 
cendance animale  de  Tliomme,  et  les  faits  répondent  que  ce  sont 
de  pures  hypothèses,  et  qu'à  chaque  mstant  les  phénomènes  de  la 
nature  les  contredisent  formellement. 

—  D'après  les  dernières  statistiques  la  population  du  Nouveau- 
Monde,  est  au  point  de  vue  de  la  religion,  classée  comn'ie  suit  : 
Amérique  du  Nord,  Etats-Unis  :  Catholiques,  13,000.000;  non- 
Catholiques,  oO. 000. 000.  Possessions  britanniques  :  Catholiques, 
2.000,000  ;  non-Catholiques,  3.000.000;  Mexique,  Catholiques, 
12.000  000 ;AmériqueCentraleet Antilles, Catholiques, 5.000.000 
Amérique  du  Sud,  Catholiques,  24.000  000.  Total  général  : 
Catholiques,  56  000  000  ;  non-Catholiques,  53.000.000. 

Quant  à  Ceylan  en  1871,  il  y  avait  dans  cette  Ile  55  000  à 
56,000  Protestants  de  toute  nuance.  Le  recensement  en  1891  a 
donné  à  peu  près  les  mêmes  chitïres.  D'autre  part,  le  nombre  des 
Catholiques,  dans  cette  période  de  vingt  ans,  s'est  accru  de 
61.000.  Us  étaient  184.000;  ils  sont  maintenant  216,000. 
Tandis  que  la  population  croissait  à  raison  de  25  p.   100,  le 


CHRONIQUE  357 

nombre  des  catholiques  s'augmentait  de  33  p.  OiO.  De  sorte  qu'il 
y  avait  maintenant,  dans  la  population  entière,  un  catholique 
par  12  personnes  et  un  protestant  par  o3. 

—  M.Nizet  publia  sur  VUypyiotisme  une  élude  critique  qui  ne 
manque  pas  dintérét.  Dès  le  premier  chapitre,  l'auieur  définit 
l'hypnotisme  et  fait  connaître  le  différend  qui  sépare  l'école  de  la 
Salpétrière  et  l'icole  de  Nancy.  Il  aborde  ensuite  un  terrain  des 
plus  délicats  :  celui  du  surnaturel,  du  spiritisme,  et  se  permet 
d'assimiler  les  miracles  racontés  par  les  Evangiles  avec  des  faits 
d'hypnotisme  M.  Nizet  est  trop  complaisant  aussi  pour  les  auteurs 
qui  racontent  les  faits  de  télépathie  et  de  spiritisme.  Le  dernier 
chapitre  est  consacré  à  exposer  l'avenir  de  l'hypnotisme.  L'au- 
teur s'y  laisse  aller  aux  rêveries  et  aux  illusions  les  plus  fan- 
tastiques. 

—  Les  spirites  reconnaissaient  en  France  pour  chef  principal 
M.  P. -G.  Leymarie,  directeur  de  la  Revue  spirite  et  successeur 
d'AUen-Kardec.  Dernièrement,  afin  de  contrebalancer  l'autorité 
de  leur  grand-prêtre,  qui  commençait  à  leur  déplaire,  les  spirites 
avaient  décidé  de  se  grouper  en  une  sorte  de  fédération.  M.  Lau- 
rent de  Faget  en  est  provisoirement  le  président.  D'où  colère  du 
pontife,  qui  a  prononcé  des  mots  olïensants  pour  M.  de  Faget, 
lesquels  mots  ont  amené  une  intervention  du  juge  de  paix.  A  la 
suite  de  ces  faits,  les  spirites,  réunis  en  assemblée  extraordinaire, 
ont  déclaré  continuer  leur  confiance  à  M  de  Faget  et  blâmer  la 
conduite  de  M.  Leymarie.  Ce  dernier  leur  a  immédiatement  en- 
voyé sa  démission  qui  a  été  acceptée. 

II.  —  Ueligion  chrétienne.  —  La  Société  des  missions 
étrangères  compte  31  évêques,  881  prêtres  et  472  prêtres  indi- 
gènes affiliés,  2  218  catéchistes,  pour  desservir  3.1o5  églises. 
En  outre,  elle  compte  1  690  séminaristes  répartis  en  33  séminai- 
res et  6i.8'i4  élèves  répartis  en  2.242  écoles  ou  orphelinats.  Les 
catholiques  des  ditTérentes  missions  confiées  à  la  société  sont 
4.009.26O,  et  il  y  reste  à  convertir  22o  millions  d'infidèles  et 
5o.290  héréiiques.  En  1891,  on  a  baptisé  38.101  païens 
adultes  et  182  376  enfants  païens  in  articulo  morlii.  On 
a  converti  462  hérétiques.  La  raiision  qui  compte  le  plus  de  ca- 


358  CHRONIQUE 

llioliques  est  celle  du  Tonkin  :  Tonkin  occidental  220  000  et  Ton- 
kin  méridional  84.000.  Puis  vient  celle  de  Pondichéry  avec 
218.362  catholiques  et  les  Indes  anglaises  60.000.  Noire  Cochin- 
chine  et  le  Cambodge,  133  000  calholiques.  En  tout,  la  Société 
des  Missions  étrangères  a  compté  en  1891,  1. 009.265  chrétiens. 
C'est  la  première  fois  qu'elle  dépasse  le  million. 

Nous  lisons  dans  le  dernier  rapport  des  travaux  de  ces  mis- 
sionnaires : 

a  Les  travaux  de  celte  Société,  fécondés  par  la  bénédiction  di- 
vine, ont  donné,  pendant  le  dernier  exercice,  des  résultats  un 
tant  soit  peu  inférieurs,  il  est  vrai,  à  ceux  de  1891,  mais  néan- 
moins très  consolants.  En  voici  les  chiffres  :  37.495  baplêmes 
d'adultes  ;  464  conversions  d'hérétiques  ;  181.757  baplêmes  d'en- 
fants de  païens.  L'année  1892  a  donc  été  bonne,  très  bonne  même  : 
il  suffit  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  le  tableau  général  des  résultats 
obtenus  et  d'en  comparer  les  chiffres  avec  ceux  du  tableau  de 
1891  pour  constater  que  la  plupart  de  nos  Missions  sont  en  pro- 
grès. Ne  l'oublions  pas,  ces  résultats,  que  nous  sommes  si  heu- 
reux d'enregistrer,  nous  les  devons  en  grande  partie  à  la  Propa- 
gation de  la  Foi  ;  et  c'est  chose  merveilleuse  que  le  développe- 
ment pris  par  nos  missions,  depuis  l'origine  de  celte  OEuvre  vrai- 
ment providentielle,  c'est-i~dire  depuis  1822.  A  ce  propos,  lais- 
sez-nous mettre  sous  vos  yeux,  le  tableau  que,  pour  la  satisfaction 
des  directeurs  de  l'OEuvre,  comme  pour  la  nôtre,  nous  avons 
adressé  dernièrement,  avec  notre  rapport  annuel,  aux  Conseils 
centraux  de  Lyon  et  de  Paris. 

Tableau  compa7'atif  du  personnel  et  des  travaux  de  la 
Société  des  Missions  étrangères  de  1822  à  1862  et  de 
1862  à  1892. 

Nombre  des  Missions. 
Population  païenne  . 
Populalion  clirétienne 

Evèques 

Missionnaires 

Prèlres  indigènes. . . . 
Aspirants  au  séminaire 

des  Mis   étrangères.  7  60  260 


1822 

1862 

1892 

0 

22 

27 

ton  000.000 

200.000.000 

236.224  700 

300.000 

S68.920 

1.030.701 

5 

10 

28 

2i 

287 

899 

120 

250 

487 

CHRONIQUE  350 

1822  1862  1892 

S.-minairesdans  les  M.  5  32  35 

Elèves  dans  ces  Sémin.  250  1.000  1.760 

Eooles  et  collèges 50  3o0  2.320 

Elèves  dans  ces  écoles.  1.000  10.000  07.716 

Imprimeries 2  7  15 

Eglises  et  chapelles. . .  10  450  3.575 
Baptêmes  d'adultes..  300  8.300  37,495 
Conversions     d'héréti- 
ques....^   3  19  464 

Baptêmes  d'enfants  de 

paiens    45.008                181.757 

«  En  présence  de  pareils  chiffres,  vous  éprouverez,  nous  n'en 
doutons  pas,  le  double  sentiment  que  nous  avons  éprouvé  nous- 
mêmes  :  sentiment  de  profonde  gratiludo  envers  Dieu  et  les  asso- 
ciés de  la  Propagation  de  la  Foi.  » 

—  L'année  1897  ramènera  le  treizième  centenaire  du  jour  où 
l'Angleterre  se  convertit  auchristianisme  sous  le  roiEthelbert.  Mgr 
l'Evèque  de  Nortiiamplon,  dans  le  diocèse  duquel  se  trouve  un 
sanctuaire  dédié  au  saint  roi  Ethelbert,  se  propose  de  célébrer  ce 
glorieux  centenaire  par  l'érection  d'un  temple  magnifique  au  pre- 
mier roi  catholique  de  l'Angleterre.  Le  Saint-Père  a  adressé,  à 
celte  occasion,  à  Mgr  l'évêque  de  Northampton,  une  lettre  où  se 
trouve  exprimée  l'espérance  de  voir  «  lïle  des  saints  »  revenir  à 
la  foi  catholique. 

—  Le  troisième  volume  des  :  Acta  martyrum  et  sanctorum 
de  M.  Bedjan  a  paru. 

Ce  volume  contient  un  assez  grand  nombre  de  courtes  mono- 
graphies ;  les  principales  sont  les  biographies  de  saint  Thomas, 
apôtre  ;  des  saints  Cyprien  et  Justine,  de  saint  Miaha,  de  saint 
Placide,  de  saint  Gyr  ;  —  les  actes  du  martyre  de  Saint  Ignace, 
l'histoire  de  saint  Eugène,  la  vie  de  saint  Daniel,  Thistoire  des 
quarante  martyrs  de  Sébaste,  l'histoire  de  saint  Ephrem,  le  récit 
du  martyre  d'Eléazar  et  des  sept  frères  Macchabées.  Sur  ce  nom- 
bre, trois  seulement  avaient  été  déjà  éditées,  à  savoir:  les  vies 
de  saint  Thomas,  de  saint  Ephrem  et  des  frères  Macchabées. 
Ces  biographies  méritent,  sans  contredit,  toute  l'attention  des 
savants. 


36<)  CHRONIQUE 

—  M.  l'abbé  Cliapot,  publie  à  Paris,  chez  Poussielgue,  Y  histoire 
de  la  Vénérable  Mère  Marie  de  Vlneaimation,  première  su- 
périeure du  Monastère  des  Ursulines  de  Québec.  La  vénérable 
Marie  de  1  Incarnation  a  été  Tundesapôtresde  la  Nouvelle-France 
avecrévèqueMonlmorenc y-Laval  et  ieR.P.  Soguel et  autres  jésui- 
tes, morts  martyrs  ceux  là.  On  trouvera  dans  ce  livre  des  passa- 
ges pleins  d'intérêt  relatifs  aux  luttes  entre  les  tribus  des  Hurons 
et  des  cruels  Iro  {uois.  On  verra  comment  l'éducation  des  Ursuli- 
nes réussit  auprès  des  Baronnes,  en  fit  d'excellentes  chrétiennes 
et  même  des  apôtres. 

—  kl  Académie  des  inscriptions  eî  belles  lettres,  séance  du 
7  avril  1893,  après  que  M.  de  Lasteyrie  a  donné  une  seconde  lec- 
ture de  son  mémoire  sur  l'origine  des  basiliques  chrétiennes,  à 
la  suite  de  laquelle  MM.  Derenbourg,  Boissier,  Ravaisson  et 
Miintz  présentent  quelques  observalions,  M.  l'abbé  Duchesne  lit 
une  élude  sur  la  Vie  de  saitite  Geneviève  de  Paris,  qui  a  tou- 
jours été  considérée  comme  rédigée  au  sixième  siècle,  peu  de 
temps  après  la  mort  de  cetlesainte.  M.  Bruno  Krusch,  archiviste 
à  Hanovre,  vient  de  soutenir  que  cette  biographie  est  l'œuvre 
d'un  faussaire,  de  la  fm  du  huitième  siècle.  M.  l'abbé  Duchesne 
critique  cette  opinion.  11  démontre  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  renon- 
cer à  la  date  précédemment  acceptée  et  de  contester  laulhenti- 
cité  du  manuscrit  en  discussion. 

—  De  toutesles  vies  de  saint  Ignace  celle  du  P.  Daniel  Bartoli, 
est,  sans  contredit,  la  plus  complète.  L'auteur  a  raconté,  en  un 
style  classique,  la  vie  de  son  héros,  et  il  a  su  mettre  en  un  sai- 
sissant relief  sa  vraie  physionomie.  Son  œuvre  parut  en  IGoO,  à 
Rome  :  elle  fat  successivement  traduite  en  allemand,  en  anglais 
et  en  espagnol.  La  traduction  française  fat  publiée  à  Paris,  en 
1844,  et  plusieurs  fois  rééditée  ensuite  en  France  et  en  Belgique  ; 
depuis  plusieurs  années,  elle  était  épuisée. 

La  Société  Saint-Augustin  a  voula  donner  une  nouvelle  édi- 
tion de  cette  vie.  Le  R.  P.  Michel,  a  revu  ou  plutôt  refondu  et 
complété  la  traduction.  Au  texte  il  a  ajouté  de  nombreuses  noies 
sur  la  vie  de  Saint  Ignace,  des  notices  sur  les  Pères  contempo- 
rains du  saint  Fondateur  t|ui  jetèrent  un  éclat  particulier  sur  le 


CHRONIQUE  361 

berceau  de  la  Compagnie.  Enfin,  des  documents  inédits  du  plus 
hautinlérêt  donnent  à  celle  édition  un  nouveau  prix. 

—  Au  moi  de  mai  dernier,  a  élé  célébré  à  Rome,  le  quatrième 
anniversaire  de  la  venue  à  Rome  de  la  Lance  de  la  Passion. 

Le  sultan  Bajazet  II,  fils  et  successeur  de  Mahomet,  après 
s'être  trouvé  en  guerre  avec  son  émule  Zizyme,  conclut  la  pai.x 
sous  les  auspices  d'Innocent  Ylll,  en  assurant  le  libre  séjour  à 
Zizyme  à  Rome,  avec  riche  dotation,  et  en  offrant  au  Pape,  entre 
autres  dons  précieux,  l'insigne  relique  de  la  Lance  de  Notre-Sei- 
gneur  qui,  à  deux  reprisas,  avait  été  transportée  de  Jérusalem  à 
Constantinople. 

Rien  n'est  plus  touchant  que  le  récit  des  solennités  qui  eurent 
lieu  à  Rome  lorsque  la  Lance  du  Sauveur  y  arriva  le  31  mai 
1492,  apportée  en  grande  pompe  par  l'amljassadeur  de  Bajazet, 
et  reçue  avec  la  plus  grande  vénération,  sur  la  voie  Flaminienne, 
par  Innocent  Ylll  qui,  delà,  escorté  par  tous  les  dignitaires  ecclé- 
siastiques, la  porta  en  procession  jusqu'à  la  basilique  de  Saint- 
Pierre. 

Le  souvenir  de  cet  événement  est  indiqué  par  l'inscription  qui, 
dans  cette  même  basilique,  orne  le  tombeau  d'Innccent  Ylll,  pres- 
que en  face  la  chapelle  du  Saint-Sacrement.  Elle  rappelle  aussi 
trois  autres  événements  survenus  sous  le  règne  de  ce  grand  Pon- 
tife, à  savoir:  la  découverte  du  Nouveau-Monde,  la  fin  de  la  domi- 
nation des  Maures  en  Espagne,  dont  les  souverains  prirent  le 
litre  de  catholiques,  eiVinve?itio,  ou  découverte  du  litre  aulhen- 
tiijue  de  la  vraie  Croix  dans  la  basilique  Sessorienne  où  il  avait 
élé  déposé  depuis  l'époque  de  sainte  Hélène. 

—  S.  IsaacleXinivite,  vivait  dans  la  seconde  moitié  du  Y"  siècle, 
d'abord  moine  au  couvent  de  Mar  Matlhaï,  il  fut  ensuite  promu 
au  siège  épiscopal  de  Ninive,  qu'il  abandonna  bientôt  pour  le 
désert  de  Nitrie,  où  il  mourut  (1). 

S.  Isaac  a  laissé  un  grand  nombre  d'écrits  ascétiques  si  estimés 
en  Orient  qu'on  les  traduisit  du  syriaque,  en  copte,  en  éthiopien, 
en  arabe,  en  arménien,  en  grec  et  même  en  latin.  M.  l'abbé 
Chabot  a  voulu,  par  la  dissertation  qu'il  vient  d'écrire  pour  le 

(1)  De  S.  Isaaci.  Ninivitae  Vita,  Scriptis  et  Doctrina. 


362  CHRONIQUE 

doctorat  en  théologie,  tirer  cet  écrivain  de  l'oubli  ;  il  a,  le  pre-- 
mier,  publié  dans  le  texte  original  syriaque  trois  discours  choisis 
de  S.  Isaac  avec  une  traduction  latine  et  des  notes  très  érudites. 
Le  texte  est  tiré  de  la  précieuse  collection  des  manuscrits  syria- 
ques du  Musée  britannique  et  imprimé  d'après  une  copie  des 
éciils  de  S.  Isaac  destinée  à  la  Patrologle  syriaque  qu'a  entre- 
prise M.  l'abbé  Graffm. 

—  Christus  bei  Josephus  Flavius,  de  M.  MuUer,  n'est  qu'une 
brochure  de  53  pages. 

Les  historiens  ont  beaucoup  discuté  le  fameux  texte  des  Anti- 
quités judaïques  (XVIII,  m)  où  Josèphe  parle  de  Jésus.  Il  y 
déclare  netlementque  Jésus  était  le  Christ  :  «  'o  Xp:nzo;  ou-co;  v^  ». 
Doit-on  même  l'appeler  un  homme?  «  t'''(t  hop-x  aÙTÔv  )iY£iv  ypri.  » 
Quoique  l'on  dût  s'attendre  à  ce  que  Josèphe  parlât  de  Jésus,  ce 
ne  sont  pas  des  affirmations  aussi  chrétiennes,  que  l'on  pouvait 
espérer.  D'un  autre  côté  ce  texte  est  reproduit  par  tous  les  ma- 
nuscrits. La  conclusion  qui  s'impose,  d'après  M.  Muller,  est  que 
Josèphe  a  parlé  de  Jésus,  mais  que  son  texte  a  été  remanié  par 
une  main  chrétienne.  Il  étudie  donc  ce  passage  dans  toutes  ses 
parties,  il  le  compare  avec  les  différentes  recensions  que  nous 
en  avons,  et  le  rétablit  de  la  manière  suivante  :  «  En  ce  temps  là 
il  y  avait  (un  certain)  Jésus,  faisant  des  œuvres  merveilleuses, 
qui  avait  attiré  à  lui  beaucoup  de  Juifs  et  d'Hellénistes  ;  celui-ci 
était  celui  qui  a  été  appelé  le  Christ.  Sur  la  dénonciation  des 
principaux  hommes  d'entre  nous,  il  fut  condamné  à  la  croix  par 
Pilate,  mais  ceux  qui  l'avaient  aimé  dès  le  commencement  ne 
l'oublièrent  pas,  et  la  tribu  des  chrétiens,  ainsi  appelée  d'après 
son  nom,  n'a  pas  encore  jusqu'à  présent  cessé  d'exister.  » 

—  On  lira  avec  le  plus  grand  intérêt  le  travail  de  M.  Vabhc 
Baitifol,  sur  VHislo're  du  Bréviaire  romain.  On  ne  saurait 
assez  louer  la  réforme  de  bréviaire  romain  de  S.  Pie  Yen  JS68. 
M.  Baitifol  déplore  avec  tous  les  critiques  les  changements 
malheureux  introduits  dans  l'hymnaire  par  Urbain  VIII.  La  ten-» 
talive  de  Benoît  XIV  pour  la  refonte  du  bréviaire  n'aboutit  point. 
Les  procès-verbaux  de  la  commission  de  1741  et  années  subsé- 
quentes, ont  été  retrouvés  et  assez  récemment,  dans  la  biblio- 
thèque Gorsini.  Le  livre  de  M.  Battifol  est  un  ouvrage  de  science 


CHRONIQUE  363 

liturgique  et  d'histoire  littéraire.  Il  est  écrit  en  dehors  des  pré- 
occupations polémiques.  11  constate  la  nécessité  de  mettre  cer- 
taines légendes  de  saints  au  point  de  la  saine  critique. 

—  Quelques  écrivains,  entre  autres  l'hérésiarque  Calvin,  ont 
prétendu  que  le  nombre  des  parcelles  distribuées  dans  le  monde 
entier  est  notablement  supérieur  au  volume  qu'avait  la  croix. 
M.  Rohault  de  Fleury  a  fait  des  calculs  très  précis,  desquels  il 
résulte  que  le  volume  de  la  croix  devait  être  de  178  millions  de 
millimètres  cubes,  que  d'un  côté,  le  volume  des  fragments  aujour- 
d  hui  conservés,  est  de  cinq  millions  de  millimètres  cubes,  et 
qu'en  triplant  ce  dernier  chifîre,  pour  y  comprendre  les  parcelles 
restées  inconnues  ou  détruites,  on  arrivera  à  un  total  de  lo  mil- 
lions de  millimètres,  ce  qui  ne  forme  pas  le  dixième  du  volume 
total  delà  Croix. 

—  Le  livre  de  M.  Baumer,  Johannes  Mabillon  nous  fait  con- 
naître la  célèbre  congrégation  de  S,  Maur  si  intéressante  à  plus 
d'un  point  de  vue  dans  l'intéressante  monographie  de  Mabillon,  le 
plus  illustre  représentant  de  la  congrégation.  Il  fait  précéder  son 
travail  d'une  Literatur  très  détaillée;  il  le  fait  suivre  d'une 
nomenclature  complète  des  productions  littéraires  du  savant  béné- 
dictin; en  même  temps,  il  nous  montre  l'esprit  qui  l'animait, 

—  La  librairie  Retaux,  à  Paris,  publie  les  études  de  M.  Freppel, 
évèque  d'Angers,  sur  Commodien,  Arnobe,  Lactance  et  autres 
fragments  inédits.  Appelé  à  Rome  en  1869,  il  avait  déjà  rédigé 
ses  leçons  sur  Commodien,  Arnobe  et  Lactance  ;  il  n'eut  pas 
le  temps  de  les  publier.  Elles  sont  en  tête  de  ce  volume  et  for- 
ment le  couronnement  de  l'œuvre  scientifique  de  l'évèque  d'An- 
gers Avant  d'être  professeur  à  la  Sorbonne  Mgr  Freppel  avait 
enseigné  la  philosophie  à  l'École  des  Carmes.  Ses  leçons  n'avaient 
jamais  été  publiées  non  plus.  Elles  ne  sont,  ni  complètes  ni  par- 
faites. Treize  leçons  ont  pour  objet  la  philosophie  de  l'Ecole 
d'Alexandrie  et  exposent  les  idées  philosophiques  de  Potamon, 
d'Ammonius  Saccas,  de  Platon,  d'Aristote,  de  Plotin,  de  Philon, 
de  la  Cabale,  des  Ecoles  gnostiques  de  Syrie,  d'Egypte  et  d'Asie 
Mineure  et  des  écoles  chrétiennes  du  premier  siècle  sur  lesquelles 
nous  avons  peu  de  données.  Tout  en  faisant  l'histoire  de  ces 
écoles,  il  combat  le  panthéisme  des  Allemands  et  l'éclectisme  de 


364  CHRONIQUE 

M.  Cousin.  Les  sept  leçons  suivantes  traitent  de  la  raison,  de  ses 
forces,  de  ses  limites,  de  ses  droits  et  de  ses  devoirs. 

~  A  l'Académie  des  inscriplion  et  belles-lettres,  à  la  séance 
publique  annuelle  du  ^4  octobre  dernier,  M.  l'abbé  Duchesne, 
délégué  de  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres,  a  lu  une 
monographie  sur /(?on  d'Asie,  historien  ecclésiastique.  Il  retrace 
la  vie  mouvementée  de  l'évêque  hisloiien  de  la  secte  monophy- 
site;  il  le  montre  persécuté,  traqué,  écrivant  et  prenant  des  notes 
un  peu  partout,  en  voyage,  en  prison,  dans  les  cachettes  où  il 
devait  se  blottir  pour  échapper  à  ses  persécuteurs  :  «  Ses  écrits 
sont  régulièrement  attachants,  dit  M.  l'abbé  Duchesne,  en  termi- 
nant :  ils  ressemblent  à  la  vie  de  leur  auteur,  toujours  inquiMe, 
toujours  militante.  La  critique  a  le  devoir  de  faire  ses  réserves 
sur  ces  récits  d'un  Oriental,  et  d'un  Oriental  surchauffé  par 
l'ascétisme,  la  controverse  et  la  persécution.  Mais  nul  n'entrera 
en  rapport  avec  cet  historien  d'accès  difficile  sans  être  ému  et  de 
ce  qu'il  dit  et  de  la  façon  simple,  sincère,  touchante,  dont  il  le 
dit.  L'histoire  ecclésiastique  a  été  traitée  quelque  part  de  genre 
béat.  Je  n'oserai  contester  qu'il  y  ait  des  livres  où  elle  donne  en 
elïet  cette  impression  ;  assurément  ce  ne  sont  pas  ceux  de  Jean 
d'Asie.  » 

—  M.  Tijck,  vicaire  de  Saint-Quentin,  à  Louvain,  publie  ses 
Notices  hisioi'igues  sur  les  Congrégations  et  communautés 
religieuses  elles  instituts  de  missionnaires  du  XIX*  siècle. 

C'est  le  bilan  des  œuvres  nouvelles  que  la  foi  catholique  a 
produites  à  notre  époque.  Au  sortir  de  la  Révolution  du  siècle 
passé,  nombre  d'anciennes  institutions  disparurent  sans  retour  ; 
d'autres  durent  subir  des  adaptations  qui  les  rendissent  propres  à 
satisfaire  des  aspirations  nouvelles  d'une  société  transformée. 
Mais  la  floraison  n'a  pas  été  moins  belle  que  par  le  passé. 

—  La  Science  catholique,  dans  un  de  ses  derniers  nu- 
méros, résume  en  ces  termes  l'œuvre  de  M.  de  Rossi  :  «  Quand, 
il  y  a  trente  ans,  M.  de  Rossi  publia  le  premier  volume  de 
ses  Inscriptiones  christianx,  le  célèbre  hiitorien  Mommsen 
prononça  cette  parole  :  «  Aujourdhui  se  termine  la  période 
du  dilettantisme  dans  l'archéologie  chrétienne,  et  commence 
la   vraie  science.  »   Tous  ceux  qui,  depuis  le  XYIh  siècle, 


CHRONIQUE  365 

avaient  étudié  les  monuments  chrétiens  de  Rome,  soit  sur  terre, 
soit  sous  terre,  l'avaient  fait  d'une  manière  empirique,  rassem- 
Llanl  des  faits,  combinant  des  tiypothèses,  inventant  des  expli- 
cations, se  montrant  soit  des  apologistes  systématiques  de  la 
religion,  soit  des  curieux  et  des  littérateurs,  mais  ii'ayant  pas  la 
pensée  que,  par  une  élude  préliminaire  des  sources,  par  un 
classement  rigoureux  des  faits,  on  pourrait  déterminer  des  prin- 
cipes et  constituer  une  science.  Seul,  Bosio  avait  compris  ce  qu'il 
fallait  faire,  et  montré  la  voie  ;  mais,  après  lui,  ses  successeurs 
s'étaient  dispersés  dans  mille  chemins  de  traverse,  où  ils  avaient 
erré  à  l'aventure.  Deux  siècles  après  Bosio,  M.  de  Rossi  reprit, 
avec  des  ressources  immensément  accrues,  le  plan  de  celui-ci, 
traça  toutes  les  grandes  lignes,  ouvrit  toutes  les  routes,  et  fit  de 
l'archéologie  chrétienne,  pays  naguère  obscur  et  couvert  de  brous- 
sailles, une  contrée  claire  que  lui-même  ne  parviendra  pas  à 
décrire  toute  entière,  mais  où  tous  les  horizons  sont  dégagés, 
toutes  les  perspectives  visibles,  et  dans  laquelle  les  explorateurs 
qui  lui  succéderont  ne  courront  plus,  grâce  à  lui,  aucun  risque  de 
s'égarer. 

Comme  toutes  les  œuvres  de  génie,  celle  de  M.  de  Rossi,  quand 
on  essaie  de  la  résumer,  parait  simple  :  quelques  principes  con- 
ducteurs, qu'un  seul  avant  lui  avait  entrevus  plutôt  qu'étabhs, 
suffirent  à  dissiper  les  ténèbres  de  Rome  souterraine  et  à  en 
démêler  les  labyrinthes.  Détermination  topographique  des  cime- 
tières, d'après  les  documents  écrits  ;  dans  chaque  cimetière, 
détermination  des  centJ'es  historiques,  uns  ou  multiples,  autour 
desquels  il  s'est  développé  ;  établissement,  par  une  observation 
patiente  et  un  rapprochement  attentif  de  tous  les  faits,  de  critères 
chronologiques  assez  certains  pour  pouvoir  dater  non  seulement 
les  peintures  ou  les  inscriptions,  mais  même  les  formes  architec- 
turales et  les  matériaux  de  construction:  telle  fut,  en  quelque 
sorte,  la  base  critique  sur  laquelle  s'éleva  l'édifice  scientifique 
créé  par  M.  de  Rossi  ;  telle  fut  la  méthode  par  laquelle  il  fut 
construit.  L'événement  n'a  pas  lardé  à  montrer  la  solidité  de 
cette  base.  » 

—  Les  Cullores  martyrum,  association  dont  le  but  est  V étude 
des  catacombes  romaines,  ont  célébré  la  fêle  de  saint  Daniase 


366  CHRONIQUE 

dans  la  calacombe  de  Domitille.  La  granJ'messe  a  élé  chantée 
dans  la  Chambre  célèbre  du  fossoyeur  Diogène.  Après  la  messe, 
l'illuslre  archéologue,  M.  le  commandeur  de  Rossi,  complètement 
remis  d'une  chute  qui  avait  alarmé  ses  amis,  a  fait,  devant  un 
nombreux  auditoire,  réuni  dans  la  basilique  des  saints  Nérée  et 
Achillée  une  conférence  sur  saint  Damase  et  la  part  qu'il  a  prise 
à  la  conservation  des  catacombes.  Le  soir,  une  procession  aux 
flambeaux  s'est  déroulée  dans  les  corridors  souter?  ains,  au  chant 
des  litanies  des  Saints.  Tous  ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  d'assister 
à  celte  pieuse  cérémonie,  où  les  Français  étaient  en  grande  majo- 
rité, ont  élé  vivement  émus. 

—  L'année  dernière,  M.  Bouriant  publia  dans  les  Mémoires 
de  la  Société  française  d'Archéologie  du  Caire,  trois  frag- 
ments grecs,  qui  avaient  été  trouvés,  en  1880,  dans  un  tombeau 
à  Akhmîm,  dans  la  Haute-Egypte.  C'étaient  des  fragments  du 
Livre  d'EnocJi,  de  V Evangile  de  Pierre  et  de  VApocabjpse  de 
Pierre.  L'attention  des  savants  s'est  portée  immédiatement  sur 
cette  heureuse  trouvaille,  et  déjà,  en  Angleterre  et  en  Allemagne, 
on  a  étudié  surtout  l  Evangile  de  Pierre  dans  les  Revues  spéciales 
et  même  des  ouvrages  lui  ont  été  consacrés. 

—  Nous  signalerons  l'ouvrage  suivant:  Die  Bâcher  des  Neuen 
Testaments  erkUert  von  D'  AloysSchiefer.  1.  Band  :  Die  Briefe 
Pauli  an  die  Tliessalonicher  un  and  die  Galatcr.  —  II.  Band  : 
Der  Bricf  Pauli  an  die  Rœmer,  publié  chez  Aschendorlï.  Le 
docteur  Aloys  Schœfer  est  professeur  à  l'Académie  impériale  de 
Munster.  Le  plan  de  son  œuvre  est  de  présenter  une  vue  d'en- 
semble des  livres  du  Nouveau  Testament,  et  pour  cela  de  les 
replacer  dans  leur  cadre  historique  ;  c'est  donc  une  exposition 
tout  à  fait  historique,  critique,  exégélique  et  dogmatique. 

C'est  par  saint  Paul  qu'il  commence;  il  raconte  la  vie  du 
grand  Apôtre,  et  à  mesure  que,  dans  son  récit,  il  rencontre  une 
des  épîtres  de  saint  Paul,  il  l'explique  en  détail.  Avant  chaque 
épître,  il  discute  tout  ce  qui  regarde  l'authenticité,  et  l'historique 
de  celle-ci,  il  en  donne  le  plan  et  le  contenu,  enfin  il  cile  les  tra- 
vaux les  plus  importants  qui  ont  été  faits  sur  celte  lettre.  Après 
les  explications  des  épîtres  de  saint  Paul,  il  Iraile  les  trois  synop- 


CHRONIQUE  367 

tiques,  Mallhieu,  Marc  et  Luc,  de  l'Évangile  de  saint  Jean,  des 
Actes  des  Apôtres,  des  Épitres  catholiques. 

—  On  n'a  pas  oublié  le  don  de  oOO  acres  que  les  Sulpiciens  de 
Montréal  firent  aux  trappistes  pour  établir  un  monastère  :  c'est 
cet  établissement  que  le  CosmopoUtan  nous  dépeint  sous  ce  litre: 
les  Moines  silencieux  d'Oka.  Le  monastère  d'Oka,  avec  ses 
soixante-trois  trappistes,  est  de  beaucoup  le  plus  lipportant  des 
quatre  du  même  ordre  en  Amérique. 

—  Les  Analeclajuris  pontificii  avaient  cessé  de  paraître  en 
avril  1891  ;  les  voici  qui  renaissent  sous  un  titre  un  peu  modifié  : 
Analecta  ecclesiastica,  Revue  romaine,  théorique  et  pratique  de 
théologie,  droit  canonique,  jurisprudence,  administration,  litur- 
gie, histoire,  etc. 

—  Le  Pape  a  décidé  d'établir  à  Home  un  grand  séminaire  indien 
pour  la  formation  du  clergé  des  diocèses  des  Indes  et  de  Geylan. 
Le  nouvel  établissement  aura  une  dotation  de  500.000  francs  et 
contient  cent  élèves  de  théologie  et  de  philosophie.  Le  Saint- 
Père  prend  à  sa  charge  les  dépenses  des  bâtisses  et  les  frais  de 
voyage  des  t lèves. 

—  La  vie  de  la  bienheureuse  Mère  de  Chantai^  parla  R.  M. 
Françoise-Madeleine  de  Chaugy,  est  une  biographie  remplie  de 
renseignements  précieux,  fournis  par  la  famille  de  la  sainte,  par 
ses  écrits  et  la  correspondance.  C'est  une  parente,  une  amie,  une 
religieuse,  qui  nous  parle  jle  la  bienheureuse  Mère  de  Chantai, 
de  sa  vie  laborieuse  et  active  et  des  fondations  des  premières  com- 
munautés de  la  Visitation.  Le  style  un  peu  vieilh  a  cependant  son 
charme. 

—  Le  R  P.  dom  Cabrol,  prieur  de  l'abbaye  de  Solesmes,  a  inau- 
guré à  l'Université  catholique  d'Angers  son  cours  d'histoire  ecclé- 
siastisque  et  de  patrislique.  La  présence  du  savant  bénédictin  au 
milieu  du  corps  professoral,  en  resserrant  les  liens  qui  unissent 
déjà  Solesmes  à  Angers,  attestera  une  fois  de  plus  l'intérêt  que 
porte  aux  travaux  et  au  succès  des  facultés  catholiques  l'illustre 
famille  de  saint  Benoit,  et  elle  jettera  un  nouvel  éclat  sur  la  grande 
œuvre  d'enseignement  supérieur  chrétien  fondée,  il  y  a  dix-sept 
ans,  par  Mgr  Freppel. 

—  Nous  recommandons  le  livre  que  vient  de  publier  Mgr  Meu- 


308  CHRONIQUE 

fin.  Le  litre  du  livre,  hFrcinc-Mar.o?-tnerc'e,  synagogue  deSatan, 
en  indique  en  deux  mois  la  portée.  C'est  la  déraonstralion  rigou- 
reuse, fondée  sur  la  double  science  que  l'auteur  possède  à  un 
degré  rare,  des  religions  et  des  langues  anciennes,  des  rapports 
étroits  de  la  Kabbale  Juive  avec  la  tradition  anti-divine  ou  lucifé- 
rlennequi,  partie  du  ncn  serv>am,  se  perpétue  denos  jours  dans 
les  sociétés  occultes  organisées  contre  l'église.  D.  jà  des  travaux 
remarquables  avaient  fait  ressortir  le  caractère  satanique  de  la 
Franc-lVIaçonnerie.  Mais  jamais  la  synthèse  de  l'anti-théisme 
n'avait  été  établie  d'une  manière  aussi  absolue. 

La  Revue  Bibliographique  belge  apprécie  ce  livre  en  ces  ter- 
mes :  <(  La  découverte  du  secret  le  plus  intime  de  la  Fjanc-Maçon- 
nerie,  la  preuve  de  l'exislence  de  ce  secret  dans  les  33  degrés  de 
la  société  maçonnique,  sa  connexion  évidente  avec  les  religions 
antiques,  avec  les  initiations  ésolériqucs,  les  hérésies  principales 
des  premiers  siècles  du  christianisme  et  surtout  avec  la  Kabbale 
juive,  donnent  à  cet  ouvrage  une  portée  exceptionnelle.  Il  n'est 
pas  seulement  descriptif,  anecdotique  ou  historique,  mais  rigou- 
reusement scientifique  ;  toutes  ses  parties  s'enchaînent  et  se  dé- 
duisent les  unes  des  autres,  avec  une  surprenante  logique. 

L'auteur  a  été  mis  sur  la  trace  du  g?-and  mystère  maçonnique 
par  le  nombre  kabbalislique  33  ou  3  fois  11.  Il  est  extrêmement 
curieux  de  voir  ce  nombre  jouer  un  si  grand  rôle  dans  les  my  tho- 
logies  des  anciens  Indiens,  Perses,  Babyloniens,  Assyriens,  Égyp- 
tiens, et  dans  le  mythe  de  l'Hermès  trismégiste,  chez  les  Gnosli- 
ques,  lès  Ophites,  les  Manichéens  et  les  Francs-Maçons. 

Pendant  la  captivité  de  Babylone,  les  Juifs,  ayant  connu  les 
doctrines  des  anciens  Perses,  les  judaïsèrent  et  les  adaptèrent  à 
leurs  espérances  poliliques.  Dans  VJfomme-archéiype,  ou  le 
Jiaf  idéal ûeh  Kabbale,  Mgr  Meurin  a  trouvé  la  clef  de  la  Franc- 
Maçonnerie.  Les  il  nombres  ou  attributs  de  cet  Adam  Kadmon 
constitue  linitiation  maçonnique  et  lui  donnent  son  carac- 
tère. » 

—  Dix  années  en  Mélanésie,  étude  historique  et  rel'gicuse, 
est  l'œuvre  du  R.  P.  Monfat  de  la  Société  de  Marie. 

On  peut  dire  que  leR.  P.  Monfat  est  l'historiographe  des  mis- 
sions de  Marie.  Nous  avions  de  lui  deux  ouvrages  :  Les  Samoa  et 


CHRONIQUE  369 

MgrElloy.  Sou  livre  sur  la  Mélanésie  nest  pas  moins  édifiant  que 
les  précédenls.  Oa  y  suit  les  p-^nibles  épreuves  par  lesquelles  oui 
passé  les  hommes  intrépides  appelés  à  évangéliser  les  archipels 
d'anthropophages  qui  s  elcndenl  à  l'est  delà  Nouvelle-Guinée. 

—  On  lira  avec  plaisir  l'intéressant  écrit  de  Mgr  Perraud,  de 
l'Académie  française  :  A  propos  de  la  Mort  et  des  funérailles  de 
M.  Erntst  Renan,  publié  à  Paris,  chez  ChapelHez. 

En  quelques  pages  le  savant  prélat,  membre  de  1  Académie 
française,  met  le  lecteur  à  même  de  juger  la  valeur  scientifique 
du  professeur  du  Collège  de  France.  Un  seul  exemple  suffit. 
«  C'est,  dit  Renan^  seulement  dans  l'Évangile  de  S.  Jean  que 
Jésus  se  sert  de  l'expression  de  «  Fils  de  Dieu  »  ou  de  Fils  en 
parlant  de  lui-même.  »  Or,  la  vérité  est  que  celle  expression  se 
trouvedilede  lui-même  par  le  Sauveur  quatre  fois  dans  S.  Mat- 
thieu, une  fois  dans  S.  Marc  et  une  fois  dans  S.  Luc. 

Et  comme  l'observe  Mgr  Perraud,  aucun  historien  n'admettra 
la  méthode  historique  de  Renan  :  «  H  ne  s'agit  pas,  en  de  pa- 
reilles histoires,  dit- il,  de  savoir  comment  les  choses  se  sont 
passées  ;  il  s'agit  de  se  figurer  les  diverses  manières  dont  elles 
ont  pu  se  passer.  En  pareil  cas,  toute  phrase  doit  être  accompa- 
gnée d'un  peut-être.  Je  crois  faire  un  usage  suffisant  de  cette  par- 
ticule. Si  on  n'en  trouve  pas  assez,  que  l'on  en  suppose  les  mar- 
ges couvertes  à  profusion  ;  on  aura  alors  la  mesure  exacte  de  ma 
pensée.  [Hist.  d'Israël  préf.).  »  Avec  une  telle  méthode,  il  n'y 
a  p  us  d'histoire. 

—  Ld^Revue  des  Deux-Mondes  du  1*='  octobre  dernier  a  publié 
une  étude  sur  le  nihiliste  allemand  du  D'"  Friedrich  îSietzche. 

Personne  ne  veut  plus  de  mal  à  la  société  moderne  que  le 
docteur  Friedrich  Nielzche...  Il  professe  un  égal  mépris  pour  les 
réactionnaires  et  pour  les  socialistes  ..  Le  christianisme  n'est 
à  ses  yeux  qu'un  platonisme  accommodé  à  l'usage  de  la  populace, 
et  il  l'accuse  d'avoir  abêti  l'Europe.  Il  considère  les  prêtres,  à 
quelque  confession  qu'ils  appartiennent,  comme  des  gens  qui 
\ivent  de  la  maladie  de  leurs  clients  et  qui  n'auraient  plus  rien  à 
faire,  si  le  genre  humain  venait  à  bien  se  porter...  Si  k>  croix 
est,  selon  son  expression,  le  plus  vénéneux  de  tous  les  arbres  qui 
aient  pris  racine  ici-bas,  les  arbres  de  liberté,  qu'on  s'efforce  de 


370  CHRONIQUE 

planter  à  sa  place,  ne  répandent  pas  autour  d'eu\  une  ombre 
moins  funeste...  Ce  qu'il  voudrait  supprimer  avant  tout,  c'est  la 
morale,"  et  il  se  plaint  qu'aucun  siècle  n'ait  été  aussi  moralisant 
que  le  nôtre.  Selon  Nietzche,  il  laul  obéir  à  nos  insiincfs  et  toute 
morale  qui  les  contredit  n'est  qu'un  mensonge.  Les  prétendus 
saints,  nous  dit  Nietzche,  ne  sont  que  des  casuisles.  Si  nos  mœurs 
se  sont  adoucies,  il  n'y  a  pas  là  de  quoi  nous  vanter;  c'est  le 
triste  symptôme  dun  amoindrissement  des  caractères  ;  notre 
douceur  n'est  qu'une  faiblesse  mal  déguisée  ;  notre  progrès  n'est 
qu'une  lionteuse  décadence,  etc. 

—  i\J.  Pératé  publie  une  étude  û'Arch'-ologle  chrétienne,  à 
Paris,  chez  Quant  in.  L'auteur  s'y  occupe  beaucoup  de  l'his- 
toire de  l'art  décoratif  ;  il  nous  décrit  avec  une  compétence 
parfaite  les  compositions  tant  antérieures  que  postérieures  à  la 
Paix  de  1  Eglise.  Outre  la  description  des  piincipales  mosaï- 
ques, il  nous  parle  du  symbolisme  et  surtout  des  cycles  liisto- 
risques  dont  ces  œuvres  magistrales  étaient  le  développement. 
La  sculpture  chrétienne  resta  longtemps  inférieure  à  la  pein- 
ture à  cause  du  danger  de  l'idolcàtrie  qui  était  grand  au  premier 
âge  du  christianisme.  Mais  dès  le  Vl^  siècle,  Uome  était  un  vrai 
musée,  et  la  primitive  Église,  plus  tolérante  qu'on  ne  le  croit, 
laissait  exposer  ces  dieux  que  l'on  n'adorait  plus. 

—  M.  Vabbé  Casabianca  publie  la  glorification  religieuse  de 
Christophe  Colomb.  Il  croit  la  biîatirication  possible  et  il  tra- 
vaille dans  la  mesure  de  ses  forces  à  la  réalisation  de  cette  idée. 
Le  caractère  surnaturel  de  la  mission  de  Colomb  est  attesté  par 
sa  lettre  au  Pape  Alexandre  Yl.  On  y  a  cru  généralement.  Dans 
la  deuxième  partie  de  son  travail,  l'auteur  examine  à  quel  degré 
Colomb  a  pratiqué  les  vertus  théologales  et  cardinales  :  il  nous 
entretient  des  miracles  qu'on  attribue  à  son  intercession  et  nous 
trace  le  tableau  de  sa  grande  charité  envers  sa  famille  et  envers 

es  pauvres. 

—  Le  Danemarck  possède,  depuis  quelque  mois,  un  évèijue 
catholique,  le  premier  depuis  la  Réforme.  Le  nouveau  prélat  est 
allemand  de  naissance;  sa  résidence  est  fixée  à  Copenhague,  et 
sa  juridiction  s'étend  sur  les  trois  pays  Scandinaves.  Algi-  Johaimes 


CHRONIQUE  371 

Von  Euch  habile  le  Danemarch  depuis  Irenle-deux  ans,  et  a  été 
sacré  évoque  à  Osnabriik,  le  8  septembre  dernier. 

—  Les  Grands  Fvèques  de  l'tJglise  de  France  au  A/A'e 
siècle,  par  iMgr  Ricard,  renferme  sept  notices  biographiques.  Ce 
sonl  celles  de  NN.  SS.  Mathieu,  de  Bonnechose,  de  Mazenod, 
Berlhaud,  Dapanloup,  Besson  et  Parisis.  On  y  trouve  rassemblés 
des  renseignements  sur  la  naissance  et  la  jeunesse  de  ces  prélats, 
sur  leurs  éludes,  leurs  vocations  et  leurs  travaux  apostoliques. 
1/ouvrage  de  Mgr  Ricard  est,  en  quelque  sorte,  l'histoire  de 
l'Église  de  France  de  1830  à  1870. 

IBI.  —  Ilcligion  d'SsFat^l.  Les  Juifs  dans  le  monde  en- 
tier. —  Suivant  VA  nnuaire Israélite, \&  nombre  des  Juifs  répandus 
sur  le  globe  serait  plus  de  six  millions  et  demi  ;  et  voici  la  répar- 
tition; Allemagne  562,000,  dont  39,000  en  Alsace-Lorraine.  — 
Autriche  Hongiie  1,644,000  dont  688,000,  en  Galicie.  —  Angle- 
terre 70,000.  —  France  130,000.  —  Italie  40,000.  —  Hollande 
82,000.  —  Roumanie  2Go,000.  —  Russie  2.552,000,  dont 
768,000  en  Pologne.  —Turquie  d'Europe  104,000.  —  Belgique 
3,000.  —  Suisse  7,000.  —  Bulgarie  10,000.  —  Danemarck 
4,000.  —  Espagne  1,900.  —  Portugal  1,000.  —  Gibraltar  1,500. 

—  Grèce  3,000.  —  Serbie  3,o00.  —  Suède  3,000.  —  Egypte 
8,000.  —  Tunisie  60,000.  —  Algérie  40,000.  —  Maroc  200,000. 

—  Tripohtaine  6,000.  —  Abyssinie  200,000.  —  Etats-Unis 
300,000.  —  Reste  de  l'Amérique  50,000.  —  Turquie  d'Asie 
200,000.  —  Russie  d'Asie  47,000.  —  Perse  18,000.  —  Asie 
centrale  14,000.  -  Inie  19,000.  -  Chine  4,000.  -  Océanie 
12,000. 

Les  villes  où  l'on  compte  le  plus  de  Juifs  sont  :  New-York, 
plus  de  100,000;  Berlin  80,000;  Salonique  75,000;  Jérusalem 
60,000,  etc.  C'est  dans  la  grande  cité  américaine,  à  New- York 
que  les  enfants  d'israiH  sont  le  plus  nombreux. 

—  M.  James  Roberlson  nous  donne  une  nouvelle  histoire  de  la 
religion  d'Israr-l  :  The  early  religion  of  Israël  as  set  fnrih  hif 
bddical  icriters  and  0;/  modem  crilical  hisloriaiis.  Pour  l'au- 
leur  le  problème  historique  que  soulève  l'étude  des  livres  d'Israël 
ne  dépend  pas  absolument  du  problème  littéraire.  Quoique  la 


372  CHRONIQUE 

dale  de  ces  écrits  soil  incertaine,  ils  n'en  sont  pas  moins  l'éclio 
de  tradilions  plus  anciennes;  ils  permettent  donc  de  remonter 
avec  sûreté  assez  loin  dans  les  commencements  des  siècles  passés. 

—  Le  troisième  fascicule  du  premier  volume  des  Texis  and 
Siudlcs,  publiés  par  M.  Armilage  Robinson  à  Cambridge,  con- 
tient une  étude  de  M.  Chase  sur  YOraiaon  donwricale  :  The 
Lord's  praycr  in  Vue  earhj  Church.  D'après  l'auteur  nous  ne 
tenons  pas  assez  compte  de  la  litui'gie  de  la  synagogue  juive  dans 
nos  études  de  critique  biblique.  C'est  sur  l'examen  de  ces  litur- 
gies et  sur  celles  des  premières  communautés  chrétiennes,  qu'il 
s'appuie  principalement  pour  reconstituer  le  texte  primilif  de 
l'Oraison  dominicale. 

—  M.  F.  Schwally  publie  une  histoire  des  croyances  Israélites  : 
Das  Leben  nach  deni  Todc,  nach  dcn  Vorslellungen  des  alten 
Israël  und  des  Judeniums.  Ce  travail  comprend  trois  parties  : 
1"  les  croyances  des  anciens  Israélites  ;  2"  la  destruction  de  ces 
croyances  par  le  Jahvisme  ;  3°  les  croyances  des  Juifs  à  l'époque 
des  Macchabées  et  au  temps  de  Jésus  Christ.  Il  nous  sultira  dédire 
que  l'auteur  a  secoué  complètement  le  joug  des  idées  tradition- 
nelles. 

—  La  Itevne  de  Pliisloire  des  religions  a  publié  dans  son 
numéro  de  mars  avril  1892,  une  élude  de  M.  Horst  sur  la  moder- 
nité des  prophètes.  Nous  connaissons  déjà  la  thèse  de  l'auteur, 
a  Joël,  dit-il,  est  descendu  du  IX"  siècle  à  l'époque  perse  et 
Zacharie  {IX  XIV)  même  plus  bas.  Abdias,  que  M.  Renan  consi- 
dère encore  comme  très  ancien,  est  allé  rejoindre  Joël La 

critique  a  cru  constater  dans  Isaïe,  Jérémie,  Osée,  Amos,  Michée, 
Ilabacuc,  Zophonie  toute  une  série  d'interpolations  de  très  basse 
époque,  dont  quelques  unes  équivalent  à  un  véritable  remanie- 
ment du  texte  primilif.  »  Bien  plus  radicales  encore  sont  les  hypo- 
thèses de  M.  Havet  et  de  M.  Maurice  Vernes.  Nos  lecteurs  les 
connaissent.  On  trouvera  dans  les  Etudes  religieuses  (n°  mai 
1892),  une  réfutation  de  ces  théories  par  le  P.  Brucker. 

—  La  Revue  biblique,  dans  son  numéro  de  juillet,  donne  une 
étude  fort  intéressante  du  R.  P.  Savi,  barnabile,  sur  un  fragment 
évangélique  trouvé  récemment  au  Fayoum,  en  Egypte.  Il  contient 
la  prédiction  du  Sauveur  par  rapport  à  la  dispersion  des  apôtres 


CHRONIQUE  373 

el  au  reniement  de  saint  Pierre,  On  est  assez  d'accord  à  reslituer 
ainsi  le  texte  fragmentaire. 

rj  0  aÀî/.xp'jiov  ot;  ■/.oy.^x.uTîi  7r|;j.ipov  tj  -p'.^  \xt  aj-7.pv[r,7r,]. 

«  Tous  ceux  qui  ont  parlé  de  ce  fragment  l'assignent  d'un 
commun  accord  au  111°  siècle,  et  celle  date,  depuis  la  noie  publiée 
par  M.  Wessely  (qui  découvrit  le  manuscrit),  est  devenue  à  peu 
prés  certaine.  »  La  découverte  fit  sensation.  L'école  en  parllcu- 
lier,  l'accueillit  avec  une  satisfaction  marquée.  D'après  M.  Reinacli 
«  le  papyrus  de  Vienne  (notre  texte)  est  la  première  preuve 
manuscrite  que  nos  évangiles  de  Mathieu  et  de  Marc  ne  sont  pas 
des  œuvres  originales.  »  Le  docteur  Hilgenfeld,  au  contraire, 
di^clare  nettement  que  le  texte  fragmentaire  n'est  qu'une  citation 
libre  de  nos  évangiles  synoptiques.  Gl'Uo  hypothèse  a  été  favo- 
rablement accueillie  en  Angleterre  et  en  Amérique,  généralement 
rejelée  ailleurs.  On  a  proposé  aussi  l'Iiypothèss  d'un  essai  d'har- 
monie évangélique. 

—  Dernièrement,  le  docteur  Adler,  grand  rabbin  d'Angle- 
terre, a  ouvert  u:ie  synagogue  nouvelle  dans  le  riche  faubourg 
de  South  Hampstead.  Les  Juifs  sont  très  nombreux  dans  ce  quar- 
tier. La  communauté  Israélite  de  Londres  se  divise  en  deux  par- 
ties :  le  parti  orthodoxe  et  le  parti  réformiste.  Ce  dernier  se 
rapproche  beaucoup  du  rationalisme.  On  voulait  faire  de  la  nou- 
velle synagogue  une  sorte  de  compromis  entre  les  deux  factions  ; 
mais  le  grand  rabbin,  qui  tient  pour  l'orthodoxie,  s'y  est  opposé, 
et  les  réformistes  ont  été  repoussés  sur  toute  la  ligne. 

—  L'authenticité  des  quatres  grandes  épitres  de  St.  Paul  était 
généralement  acceptée  par  lecole  critique  malgré  les  attaques  de 
Bruno  Bauer  en  18o~2.  Mais,  depuis  plusieurs  années,  une  réaction 
s'est  produite  :  deux  au  moins  des  quatres  grandes  épitres,  celles 
aux  Galates  et  aux  Romains,  sont  vivement  battues  en  bivciie.  U;i 
critique  hollandais,  le  D""  Loman,  a  ouvert  le  feu,  d'autres  écri- 
vains, MM.  Yœllei-,  Sleck,  van  Manen,  pour  ne  citer  que  les  plus 
connus,  ont  imité  son  exemple.  Les  répliques  n'ont  pas  manqué. 
Deux  ouvrages  récents  méritent  surtout  d'être  signalés,  celui  du 


374  CHRONIQUE 

D'  Gloel,  professeur  à  Eilangen,  où  se  trouvent  discutées  et  réfu- 
tées magistralement  les  théories  de  Sleck,  et  celui  du  D'"  Victor 
Schmidt,  qui  répond  à  Loman.  et  par  occasion  à  Sleck.  M.l'abbâ 
Jacquier  nous  révèle  dans  l  Université  catholique  le  secret  de 
cette  lutte  : 

«  Il  en  est,  écrit-il,  qui  s'étonneront  de  racharnemenl  avec 
lequel  on  poursuit  les  épîtres  pauliniennes,  des  efforts  que  l'on 
fait  pour  en  ébranler  l'authenticité.  Qaelques  critiques  sont  cer- 
tainement désintéressés  dans  leurs  recherches,  mais  il  en  est  plus 
d'un  qui  sont  amenés  à  ces  attaques  par  leurs  hypothèses,  sur  les 
origines  du  chrislianisme.  Pour  eux,  Jésus-Christ,  tel  que  se  le 
réprésente  la  tradition  chréti^nne^  est  une  figure  symbolique. 
C'est  un  personnage  réel,  mais  sa  physionomie  définitive  a  été 
formée  par  la  conscience  chrétienne  qui,  par  couches  successi- 
ves, lui  a  attribué  tous  les  caractères  du  Messie,  et  a  formulé  ces 
croyances  en  récits,  recueillis  dans  les  Evangiles  vers  la  fin  du 
!'='•  siècleou  au  commencement  du  second.  Mais  dans  leurs  hypo- 
thèses ces  historiens  audacieux  rencontrent  les  épîtres  paulinien- 
nes, très  exactement  datées,  toutes  écrites  de  vingt  à  trente  ans 
après  la  mort  de  Jésus-Christ,  sinon  par  un  témoin  oculaire,  du 
moins  par  un  homue  qui  a  vu  et  entendu  des  témoins  oculaires. 
Toute  la  vie  de  cet  homme  est  un  témoignage  de  la  personnalité 
historique  de  Jésus-Christ.  H  ne  faut  plus  parler  de  croyances 
sorties  du  cœur  des  fidèles  et  réalisées  dans  les  récits  évangéli- 
ques.  Non,  saint  Paul  nous  parle  de  Jésus-Christ,  comme,  dans 
l'ensemble,  en  parlent  les  synoptiques.  Comme  eux,  il  sait  que 
Jésus-Christ  était  fils  de  David,  qu'il  était  né  d'une  femme  et  né 
sous  la  Loi,  que  son  ministère  se  borna  aux  Juifs,  qu'il  vécut 
dans  la  pauvreté,  qu'il  était  doux  et  bon,  qu'il  fut  trahi  par  un 
de  ses  disciples,  abreuvé  d'outrages  par  ses  ennemis,  qu'il  fut 
mis  à  mort  au  temps  de  Pà  jues,  qu'il  est  ressuscité  et  qu'il  a  ap- 
paru à  plusieurs  de  ses  apôtres  et  de  ses  disciples.  Il  rappelle  en 
détail  l'institution  de  l'Eucharistie,  il  cite  des  paroles  du  Sei- 
gneur, il  en  appelle  à  l'autorité  de  Jésus-Christ  pour  appuyer  ses 
ordres.  Ce  témoignage  de  l'Apôtre  est  écrasant,  car  il  établit 
aussi  nettement  que  possible  la  réahté  historique  de  Jésus-Christ 
telle  que  nous  la  représentent  les  Evangiles.  Il  faut  donc  à  tout 


CHRONIQUE  375 

prix  rejeter  les  lettres  paulinienues,  ainsi  que  celles  de  Clément 
R)main  et  de  saint  Ignace,  vers  le  milieu  du  ir  siècle,  au  mo- 
ment où  la  tradition  chrétienne  aurait  achevé  son  œuvre  cons- 
tfuctive.  Et  alors  ces  critiques  s'épuisent  en  efforts  toujours 
vains,  quelquefois  ridicules,  pour  disséquer  les  épîtres  de  saint 
Paul,  pour  y  chercher  des  doctrines  contradictoires,  y  signaler 
des  emprunts  à  des  écrits  de  date  récente,  afin  d'arriver  à  en 
nier  raulhentictté.  Et  l'on  en  vient  à  nier  presque  l'évidence  ;  ce 
n'est  plus  de  la  critique  sérieuse,  c'est  l'arbitraire  érigé  en  prin- 
cipe. » 

—  M.  Yan  Zeebroek,prôlre  du  diocèse  de  Malines,  publie  Les 
Sciences  modernes  en  regard  de  la  Genèse  de  Moise.  L'au- 
teur est  un  hébraïsant  qui  a  étudié  les  onze  premiers  chapitres 
de  la  Genèse  sur  les  textes  originaux.  Il  a  ensuite  comparé  les 
résultais  de  l'exégèse  avec  les  investigations  de  la  science.  L'au- 
teur n'a  négligé  aucun  renseignement. 

L'lntrodîiciio7i  contient  un  résumé  de  géologie  très  précis, 
très  clair,  puisé  dans  le  beau  Traité  de  Géologie  de  M.  Lappa- 
rent,  professeur  à  1  Université  catholique  de  Paris  et  l'une  des 
autorités  incontestées  de  la  science  comtemporaine.  Dans  le  cours 
de  l'ouvrage,  M.  Yan  Zeebroek  suit  une  marche  à  peu  près  uni- 
forme pour  chacun  des  onze  chapitres  qu'il  étudie.  D'abord  le 
commentaire  littéral  du  texte  sacré.  Puis  vient  l'étude  exégélique 
du  texte,  d'après  les  Pères  ;  enfin  l'explication  scientifique  du 
texte,  d'après  les  théories  et  les  découvertes  modernes. 

—  M-  Cheyne  a  publiéuntravailsur, ladestruclionde  Sodomeet 
de  Gomorrhe  :  The  origine  and  meaning  of  Ihe  storg  of 
Sodom.  L'auteur  énumére  un  grand  nombre  de  récits  analogues. 
Des  éruptions  qui  ont  dû  élre  nombreuses  aux  environs  de  la 
Mer  morte  ont  produit  la  destruction  de  ces  villes.  La  tradition  a 
ensuite  transformé  le  fait  en  apologue  moral. 

—  M.  Innés  Frip  a  publié  chez  Nutt  le  texte  de  la  Genèse,  en  co- 
lonnes parallèles  et  avec  des  caractères  distinls,  disséqué  et  classé 
selon  ses  éléments  constitutifs  :  The  composition  of  ihe  Book  of 
Genesis.  M.  Lenormant  avait  eu  le  premier  l'idée  de  ce  travail. 

—  En  1892,  M.  Claude  G.  iMontefiore  a  traité  aux ////viî'er/  Lec- 
tures delà  religion  des  anciens  Hébreux. 


376  CHRONIQUE 

—  M  Van  Hoonacker,  publie  sous  ce  titre  Le  Vœu  de  Jephté, 
une  élude  sur  le  chapitre  XI  du  livre  des  Juges.  On  a  prétendu 
que/e  sacrifice  huniahi,  aurait  été  eu  honneur  dans  le  culte  anti- 
que de  Jéliova.  Rien  n'est  plus  faux,  comme  le  démontre  l'au- 
teur. M.  Yan  Hoonacker,  a  rendu  un  véritable  service  à  la  cause 
de  la  science  et  à  celle  de  la  religion  par  l'étude  qu'il  vient  d3 
publier  sur  cet  intéressant  sujet  et  que  nous  sommes  heureux: 
d'annoncer  au  public.  Il  y  propose  pour  l'histoire  du  vœu  de 
Jephté  une  explication  qui,  pour  élro  nouvelle,  n'en  semble  pas 
moins  solide;  en  inême  temps,  il  examine  et  discute  à  fond  la 
question  des  sacrifices  humains  sous  l'Ancien  Testament.  Un  pas- 
sage obscur  du  prophète  Ézéchiel,  auquel  certains  auteurs  en 
appellent  avec  trop  de  confiance  en  cette  matière,  fait  l'objet 
d'une  élude  distincte.  L'auteur  expose  et  détruit  l'une  après  l'au- 
tre les  nombreuses  interprétations  erronées  ou  peu  probables  que 
les  exégètes  de  toutes  les  écoles  en  ont  tenté  au  cours  des  der- 
nières années,  et  nous  donne  pour  finir  un  commentaire  lumi- 
neux de  ce  texte  difficile. 

—  Dans  son  travail  :  de  Biblioimm  sacrorum  Ulgalx 
editionis  Grœcitate,  le  D'  Saalteld  se  propose  de  donner  une 
sniie  h  son  Ten s aiirus  italogrœcus.  En  réalité,  son  livre  est 
un  vocabulaire  des  mots  de  la  Bible,  noms  propres  ou  noms  com- 
muns, empruntés  intégralement  au  grec,  ou  dérivés  du  grec,  ou 
bien  encore  qui  n'ont  pris  au  grec  que  le  suffixe. 

—  M  MercatipuhlieàFribourg,  chezHerder,  un  travail  intitulé: 
Léld  di  Simmaco  V interprète  e  S.  Epifanio,  ossia  se  Sim- 
maco  traditsse  in  greco  la  Biblia  solfo  M.  Aiirelio  il  filo- 
sofo.  C'est  une  opinion  aujourd'hui  communément  admise  que 
Symmaque  est  postérieur  en  date  à  Théodotien.  Cette  opinion 
d'après  G.  Mercati,  n'a  pu  se  maintenir  que  grâce  à  l'horrible 
état  dans  lequel  nous  est  conservé  le  texte  de  S.  Epiphane  [de 
ponderibus  et  mensiiris,  ch.  xvi).  Après  avoir  exposé  la  va- 
leur intrinsèque  de  ce  témoignage  et  montré  comment  les  écri- 
vains postérieurs  ne  peuvent  pas  lui  être  opposés  ou  préférés, 
il  fait  ressortir  avec  beaucoup  de  précision  que  l'empereur  Sé- 
vère dont  parle  S.  Epiphane  n'est  pas,  comme  on  l'a  toujours 
.cru,  Septime  Sévère,  mais  Marc  Aurèle  le  Philosophe.  Il  arrive 


CHRONIQUE  377 

ainsi  à  cette  conclusion  :  D'après  S.  Epiphane,  dont  nous  ne 
pouvons  pas  jusqu'ici  contester  les  données,  Symraaque  a  tra- 
duit la  Bible  sous  Marc  Aurèle  surnommé  Sévère,  après  Théo- 
dotien  donc,,  qui  fit  sa  traduction  sous  l'empire  de  Commode. 

IV— Religion  Assyrienne.—  La  librairie  Weller  a  pu- 
blié Les  Inscriptions  de  Salmanasar  II,  roi  d'Assyrie 
(800  824),  transcrites,  coordonnées,  traduites  et  commentées  par 
A.  Amiaud,  directeur  adjoint  de  l'Ecole  pratique  des  hautes 
études,  et  leR.  P.  Scheil,  lecteur  en  théologie.  Ce  travail  a  pour 
but  de  compléter  les  essais  antérieurs  sur  l'une  ou  l'aulre  de  ces 
inscriptions,  qui  laissaient  à  désirer  au  point  de  vue  philolo- 
gique. 

—  On  a  donné  dans  Oxford  Mansions  une  exposition  des  objets 
trouvés  par  M.  Flinders  Pétrie  à  Tel-el-Amarna,  en  Egypte,  l'an- 
cienne Klumaten.  Cette  ville  fut  fondée  l'an  1400  avant  J.-C,  par 
le  roi  dont  elle  porte  le  nom.  Ce  prince,  entre  autres  réformes, 
modifia  profondément  le  système  religieux  des  Égyptiens,  en  in- 
troduisant parmi  eux  le  culte  du  Soleil.  L'exposition  en  question 
a  olïert  des  preuves  nombreuses  de  cette  révolution  religieuse. 

—  M.  Arthur  Strong  a  publié  dans  XAcademy  du  11  juin  der- 
nier une  édude  sur  la  déesse  Eriskigal  des  tablettes  de  Tel-el- 
Amarna.  Celte  déesse  n'est  pour  lui  que  Ninkigal. 

V.  — Religions  de  l'inae,  — M  CharlesBysenousa  retracé 
l'histoire  de  Babou  Keshoul  Ghauder  Sen,  le  représentant  du 
théisme  hindou.  L'enthousiasme  de  l'auteur  pour  son  héros  louche 
parfois  à  l'exagération.  Les  lignes  suivantes  nous  feront  appré- 
cier l'esprit  qui  anime  le  livre  tout  enlier:  «Depuis  un  certein 
nombre  d'années,  écrit  M  Byse,  nous  avons  noué  des  relations, 
aux  extrémités  de  l'Orient,  avec  des  pays  jusqu'alors  fermés  ;  et 
cette  connaissance  féconde  à  plus  d'un  titre,  nous  suggère  de 
profitables  mais  humiliantes  réflexions.  Nous  commençons,  à 
conire-cœur,  ù  nous  avouer  que  cette  civilisation  occidentale  et 
soi-disant  chrétienne,  dont  nous  étions  si  fiers,  n'a  pas  sur  toute 
la  ligue  une  supériorité  bien  évidente;  que  les  Indiens,  les  Japo- 
nais, les  Chinois  même,  ces  peuples  sur  ksquels  nous  laissons 


378  cimoHiQUE 

tomber  des  regards  de  dédain,  ont  cerlaines  leçons  à  nous  don- 
ner. Leurs  inslitulions  domesliques  et  civiles,  leurs  procédés 
scieatifiiiLieî,  leur  lilléralure  et  leur  philosophie,  leur  culle  et 
leurs  croyances,  toute  leur  façon  d'envisager  le  monde  nous  a 
surpris  d'abord  comme  quelque  ciiose  d'inférieur,  d'arriéré  où 
l'absurde  se  môle  à  l'enfanlin.  Quand  pourtant  nous  prenons  la 
peine  de  creuser  au-dessous  des  apparences  qui  nous  choquent, 
pour  nous  rendre  sérieusement  compte  du  point  de  vue  de  ces 
frères  étrangers  etlonglemps  inconnus,  nous  arrivons  bientôt  à 
comprendrequ'ilaeu  sa  raisond'ètre,  sa  vérité  relative,  ses  avan- 
tages ;  qu'il  correspond  à  un  certain  côté  des  choses  ordinairement 
ignoré  chez  nous,  ou  laissé  à  l'arrière  plan.  »  L'auteur  termine 
en  invitant  les  brahmoïstesà  fonder  une  chrétienté  nouvelle. 

—  Voici  une  desciiplion  de  l'enfer  bouddhique  telle  que  la 
publie  M.  Feer  dans  le  journal  asiatique  de  septembre  octobre 
dernier. 

1°  Tous  les  bouddhistes  sont  d'accord  pour  reconnaître  l'exis- 
tence de  huit  enfers  brûlants. 

2°  Ces  huit  enfers,  dont  quelques-uns  se  dédoublent  ou  se 
sectionnent,  correspondent  à  une  gradation  ascendante  dans  l'in- 
tensité de  la  peine,  la  durée  du  supplice  et  la  criminalité  des  cou- 
pables ;  mais,  sur  aucun  point,  cette  gradation  n'est  présentée 
d'une  manière  uniforme,  clairement  et  d'une  façon  saisissable. 

3"  Les  huit  enfers  sont  entourés  d'enfers  secondaires,  dont  le 
nombre  incertain  ne  doit  être  ni  infériourà  quatre,  ni  supérieur 
à  seize,  et  dont  on  ne  peut  dire  avec  certitude  s'ils  sont  destinés 
à  une  aggravation  ou  à  une  diminution  de  peine,  où  s'ils  sup- 
pléent à  rinsufhsance  des  grands  enfers. 

4°  Outre  les  huit  enfers  brûlants,  on  en  compte  huit  glacés, 
mais  seulement  au  nord.  Les  noms  de  ces  huit  enfers  glacés  ne 
sorit  considérés  au  sud  que  comme  exprimant  les  ditïérentes  du- 
rées de  séjour  infligées  aux  coupables  dans  le  huitième  enfer, 
l'Avici.  Ces  ditïérentes  durées  de  séjour  sont  même  portées  à  dix 
au  lieu  de  huit,  et  il  est  permis  d  inférer  qu'elles  peuvent  l'être 
jusqu'à  treize. 

5''  Le  nombre  des  enfers  paraît  être  de  trente-deux  au  plus  et 
de  douze  au  moins;  le  premier  compte  s'appliquant  à  huit  enfers 


CHRONIQUE  379 

cliauds,  aalant d'enfers  froids  el  seize  petits  enfers.  Les  supputa- 
tions qui  portent  à  plus  de  cent  lenombredes  enfers  semblent  être 
le  résultat  d'une  erreui;  celles  qui  les  corapt  nt  par  milliers  et 
millions  sont  des  extravagances  auquelles  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'ar- 
rêter... 

«  G'  La  gradation  dans  la  durée  des  séjours  n'est  pas  mieux  éta- 
blie que  celle  de  l'intensité  des  peines  el  de  la  criminalité  des 
coupables.  Il  y  a  des  systèmes  différents  qu'il  est  impossible  de 
faire  concorder.  » 

—  A  V Académie  des  sciences  morales  et  politUjues,  séance 
du  2o  février  1893,  M  Barlhélemy-Saint-Hilaire  a  lu  un  travail 
suv  \e  néoljouddhisme.  Cette  étude  est  une  protestation  contre 
l'engouement  que  quelques  esprits,  parmi  nous,  ont  conçu  pour 
le  bouddhisme  indien.  M.  Barthélemy-Saint-Hilaire établit,  d'après 
les  préceptes  de  Bouddha,  que  sous  une  surface  séduisante,  sa 
doctrine  cache  un  système  déplorable,  aboutissant  à  l'anéantisse- 
ment du  corps  et  de  lame,  qu'il  ne  dislingae pas  l'un  de  l'autre. 
Pour  les  bouddhistes,  tout  phénomène  recouvre  le  vide  et  aboutit 
au  néant.  Ils  constatent  seulement  que  la  vie  est  un  cours  de 
douleur  et  que  cette  douleur  provient  de  nos  passions  et  de  nos 
désirs.  C'est  pour  cela  qu'ils  s'imposent  une  vie  d'austérités.  Cet 
ascétisme  n'a  d'autre  but  que  d'améliorer  le  produit.  L'avenir 
est  inconnu.  Le  bouddhisme  ne  le  nie  pas,  il  n'en  a  pas  cons- 
cience. C'est,  sous  une  forme  spéciale,  l'absence  de  toute  idée  de 
Dieu.  M.  Barthélemy-Saint  Hilaire  fait  ressortir  tout  ce  qu'il  y  a 
de  paradoxal  dans  celte  privation  de  tout  bien-être,  en  vue 
d'échapper  aux  peines  morales  qui  peuvent  en  être  la  consé- 
quence. 11  ne  regarde  donc  pas  comme  une  tentative  séi  ieuse  la 
réhabilitation  du  bouddhisme.  C'est  tout  au  plus  une  fantaisie 
littéraire,  qui  seia  certainement  passagère.  Il  y  a  lieu  de  s'en 
louer,  car  le  pessimisme  n'est  pas  une  saine  doctrine  sociale. 
Que  le  bouddhisme  entre  dans  l'histoire,  à  la  place  qui  lui  est 
due,  mais  qu'il  se  garde  bien  d'entrer  dans  nos  moeurs. 

—  M.  Sylvain  Lévia  publié  dans  un  des  derniers  rapports  de 
la  section  des  sciences  religieuses  à  l'École  des  Hautes-Études  un 
travail  sur  la  Science  des  religions  et  les  religieux  de  llnde. 
L'auteur,  à  rencontre  de  ses  prédécesseurs,  attache  plus  d'impor- 


380-  CHRONIQUE 

tanceaubouddhismeindien  qu'au  bouddhisme  pâli.  «  Sorti  du  brah- 
manisme védisant,  écrit-il,  en  rapport  d'origine  avec  le  jaïnisme, 
retombé  dans  l'hindouisme  après  quinze  siècles  d'activité,  le 
bouddliisme  ofïre  aux  recherches  religieuses  un  terrain  solide, 
un  espace  limité,  et  leur  ménage  des  issues  pour  passer  de  plain- 
pied  sur  les  autres  domaines  de  la  vie  religieuse.  » 

—  M.  Hillebrand  se  propose  d'embrasser  dans  une  série  de 
volumes  qu'il  publie  tous  les  problèmes  que  soulève  la  religion 
védique.  Pour  l'auteur  Soma  représente  la  lune  ;  Yarana-Mitra 
représente  un  dieu  solaire  et  un  dieu  lunaire  (1). 

—  Les  travaux  de  MM.  Penka,  Schrader  et  autres  ont  depuis 
longtemps  infirmé  la  thèse  de  Pictet  sur  l'origine  des  Aryens. 
Leur  origine  asiatique  est  même  contestée.  M.  S.  Reinach  a  fait, 
d'une  manière  très  intéressante,  Vhistoirc  de  cette  controverse. 
C'est  un  résumé  de  ses  leçons  données  à  l'École  du  Louvre  que 
vient  de  publier  la  librairie  E.  Leroux,  de  Paris. 

—  M.  Budolf  Hoernha  publié  l'année  dernière  dans  Vlndîan 
antiquary  une  étude  sur  des  grands  pontifes  jaïns.  La  société 
jaine  demeure  unie  jusqu'au  milieu  des  premiers  siècles  de  notre 
ère  ;  elle  se  divise  ensuite  en  Digamboras  et  Svetambaras,  sectes 
qui  se  sont  subdivisées  à  leur  tour. 

—  Une  Revue  mensuelle,  consacrée  ù  la  littérature  jaïne,  doit 
paraître  à  Bangalore,  sous  la  direction  du  Padmoraja  Pandit. 

VI.  —Religion  de  la  Perse.  —  On  sait  que  M.  James 
Darmesteter  avait  déjà  publié  en  1880  et  1883  une  traduction 
anglaise  du  Vendidad,  des  Sîrùzas  et  des  Yarhts  dans  la 
grande  collection  des  «  Sacred  Books  of  the  East  »  (t.  IV 
et  XXI!1).  Mais  il  se  désista  en  faveur  d'un  autre  lorsqu'il 
fallut  traduire  le  Yasna  et  le  Yispéred,  parce  qu'il  lui  paraissait 
indispensable  pour  une  juste  interprétation  de  ces  textes  liturgi- 
ques, de  connaître  le  cérémonial  des  sacrifices  auxquels  ils  se  rap- 
portent. Or  la  liturgie  et  l'organisation  du  culte  correspondantes 
étaient  alors  à  peu  près  inconnues  en  Europe.  Le  seul  endroit  où 
il  y  eût  chance  de  trouver  des  renseignements  à  cet  égard  était 

(l)  Vedische  Mytholojietl  :  Soma  iind  verwondte  Gœtlcr,  Alfred 
Hillebrand,  Breslau.  Kochn'r. 


CHRONIQUE  381 

Bombay.  M  Damiesleter  fit  le  voyage  de  l'Inde,  convaincu  que 
soit  pour  la  connaissance  de  l'ancien  culte  zend,  soit  pour  l'intel- 
ligence et  la  restitution  de  l'Avesta,  c'était  chez  les  Parsis  et  dans 
la  littérature  pehlvie  qu'il  fallait  étudier  ce  qu'ils  ont  conservé  du 
passé.  Même  pour  les  Gâthas,  ces  poèmes  archaïques  où  l'on 
trouve,  semble  t-il,  l'essence  du  Zoroaslrisme,  les  doclrines  par- 
sies  sous  leur  forme  moderne,  sont  à  ses  yeux  un  meilleur  com- 
mentaire que  les  explications  fondées  sur  la  philologie  comparée. 
Après  toutes  ces  éludes  préliminaires,  après  ces  voyages  d'initia- 
tion, après  avoir  profité  des  ressources  toutes  récentes  et  encore 
en  partie  inédites  de  la  littérature  pehlvie,  M.  Darmesleter  s'est 
enfin  senti  suffisamment  armé  pour  entreprendre  la  traduction 
des  textes  qu'il  avait  laissés  de  côté  et  présenter  maintenant 
à  l'étudiant  français  une  traduction  complète  et  raisonnée  de 
l'Avesta  dans  son  ensemble.  Le  premier  volume,  déjà  paru, 
renferme  les  textes  liturgiques  proprement  dits  :  Yasna  et  Vispé- 
red.  Il  est  précédé  d'une  longue  introduction,  pleinede  renseigne- 
ments précieux,  indispensables  pour  l'intelligence  de  l'œuvre. 
L'auteur  y  trace  d'abord  l'histoire  des  éludes  zoroastriennes,  ex- 
pose ce  qu'il  faut  entendre  par  l'Avesta  et  quelles  sont  les  res- 
sources dont  on  dispose  pour  l'interprétation.  Ensuite  il  décrit  le 
culte,  le  sacerdoce,  les  temples  du  feu,  les  offrandes,  les  opéra- 
lions  préparatoires  des  sacrifices  ou  la  «  paragra  »,  la  préparation 
et  l'offrande  du  Haoma  qui  constitue  à  proprement  parler  le 
Yasna.  Les  deux  rituels,  archaïque  irani  et  moderne  indien,  sont 
analysés  ;  les  deux  sectes  parsies,  les  Rasmis  etlesQudemis,  sont 
étudiés  ;  un  paragraphe  spécial  est  consacré  aux  Gàthas  et  l'in- 
troduction se  termine  par  une  étude  des  matériaux  du  Yasna  et 
du  A'ispéred.  Le  second  volume  contient  les  textes  déjà  traduits 
une  première  fois  en  anglais  par  M  Darmesleter.  La  nouvelle  tra- 
duction dilfère  peu  de  l'ancienne,  nous  dit-il,  c'est  le  commentaire 
qui  a  changé  en  devenant  plus  technique.  Mais  l'auteur  y  ajoute 
de  nombreux  fragments  de  textes  zends  inédits  qui  ont  été  retrou- 
vés dans  l'ancienne  littérature  pehlvie.  En  oulre,  ce  second  vo- 
lume nous  donne  l'histoire  de  la  littérature  avestéenne  et  de  la 
doctrine  qu'elle  exprime.  Il  ne  le  cède  donc  pas  en  intérêt  au 
premier,  alors  même  que  la  traduction  proprement  dile  n  a  pas 


£82  CHRONIQUE 

l'originalilé  (le  celle  du  Yasna.  Nous  laissons  à  d'autres  le  soin  de 
juger  celte  Iraduclion  au  point  de  vue  philologique;  pour  les  étu- 
diants de  l'histoire  générale  des  religions  nous  apprécions  vive- 
ment l'avantage  de  posséder  un  texte  français  de  l'Avesta  qui  soit 
clair  et  qui  soit  mis  en  rapport  avec  les  cérémonies  du  culte  au- 
quel il  se  rapporte.  M.  Darmesteier  a  mené  ainsi  à  bon  tenue  une 
œuvi'e  colossale  et  il  peut  se  dire,  que  lui  aussi,  il  a  élevé  son 
monument  scientilique. 

VU.  —  5%cligions  grecque  et  roriiaîne.  —  A  signaler 
un  savant  travail  de  M.  Wallzing,  professeur  à  1  Université 
de  Liège,  à  propos  d'u»e  Inscùpi'wn  latine  inédite,  découverte 
à  Foy,  en  mai  1892. 

Cette  inscription  latine  inédite  du  ^^  siècle  de  notre  ère,  datant 
probablement  du  règne  des  Flaviens,  contient  si\  lignes  tracées 
en  beaux  caractères  de  la  meilleure  époque.  Dans  un  excellent 
commentaire  de  vingt-huit  pages,  M.  Waitzing  constate  les  résul- 
tats suivants  :  11  y  avait  dès  le  l'-''"  siècle  une  station  militaire  à 
Foy,  près  Bastogne.  Un  dieu  local  Enlarabus  ou  Intarabus  avait 
là  un  sanctuaire.  Cette  dédicace  à  un  dieu  local  confirme,  par  un 
nouvel  exemple,  l'opinion  des  savants  admettant  dans  les  armées 
romaines  un  double  culte  :  celui  du  dieu  militaire  ofticiel,  puis 
celui  d'un  dieu  particulier  auquel  le  dévot  faisait  son  olïrande. 

—  M.  J.  Wissowa  a  publié  une  savante  dissertation  sur  la  my- 
thologie romaine  :  De  dis  romanorum  indigetibus  et  novem- 
sidibus  disputaiio.  L'auteur  y  établit  d'abord  qu'il  n'y  a  aucun 
rapport  entre  les  indigiiamenta  et  les  di  indigetes.  Les  di 
indigestes  sont  des  dieux  nationaux  de  la  Rome  primitive.  Les 
di  novensides  sont  les  dieux  nouvellement  admis  dans  le  pan- 
théon. Le  moyen  de  les  distinguer  est  facile  d'après  M.  Wissowa. 
Les  di  indigetes  dont  la  liste  a  été  close  avant  le  règne  de  Ser- 
vius  Tullius  ont  seuls  des  fêtes  spéciales  et  des  prêtres  spéciaux; 
les  di  novensides  n'ont  reçu  de  culte  que  plus  tard  après  l'orga- 
nisation du  sacerdoce. 


BIBLIOGRAPHIE 


GeSCHICHTE  DEsUmERGANGS  des  GRIKCHISCH  RdEMlECHE.X  HeI- 

DEiMUMs.  —  Victor  Schultze.  —  léna,  Gostenoble,  1892. 

Dans  les  deux  volumes  qui  composent  cet  ouvrage,  M.  Schultze 
étudie  de  préférence  le  conilit  entre  le  christianisme  et  le  paga- 
nisme aux  IY%  Y*"  et  YI*=  siècles,  après  la  victoire  officielle  du 
premier.  Quoique  trailant  le  même  sujet,  ce  volume  se  distinguo 
de  celui  de  M.  G.iston  Boissier,  La  fin  du  paganisme.  M. 
Schultze  ne  s'occupe  pas  seulement  de  l'Occident,  mais  de  l'em- 
pire tout  entier  ;  il  ne  s'intéresse  pas  seulement  aux  hautes  clas- 
ses, mais  aux  peuples  ;  il  préfère  le  témoignage  des  inscriptions 
et  des  monuments  contemporains  à  celui  des  philosophes  et  des 
théologiens  du  temps.  L'auteur  a  recueilli  tout  ce  qu'il  a  pu  des 
traditions  locales  sur  la  disposition  des  temples,  des  autels,  des 
rites  païens  et  la  su'oslitution  du  culte  chrétien.  C'est  Ihistoiro 
de  la  fin  du  paganisme  non  pas  d'après  des  généralités,  mais  pro- 
vince par  pro  ince,  ville  par  ville.  Il  est  dès  lors  facile  de  voir 
combien  cette  lutte  entre  les  deux  religions  a  été  variée,  selon  les 
temps  et  les  lieux,  et  la  diversité  des  moyens  par  lesquels  s'est 
faite  cette  transformation  religieuse.  Il  s'en  faut  que  l'impiété  soit 
complète,  mais  la  voix  est  ouverte  et  elle  peut  se  compléter  tous 
les  jours.  M.  Schultze  croit  pouvoir  tirer  les  conclusions  suivan- 
tes :  1"  La  législation  dirigée  par  l'empire  chrétien  contre  le  pa- 
ganisme fut  sévère  en  théorie,  mais  tempérée  dans  l'application. 
S"*  La  lutte  entre  le  christianisme  et  le  paganisme  après  Cons- 
tantin ne  présenta  guère  de  violences  que  dans  les  petites  villes 
et  les  campagnes,  3"  Les  formes  indigène.s  dri  paganisme  olTrirent 
plus  de  résistance  que  les  cultes  proprement  grecs  et  romains. 
Les  religions  sémitiques  furent  de  toutes  les  religions  antérieures 
les  plus  réfractaires.  L'auteur  entreprend  ensuite  de  montrer  que 


384  BIBLIOGRAPHIE 

les  élémenls  païens  se  Iransformèrent  de  façon  à  faire  partie  in- 
tégrante du  chrislianisme.  11  y  aurait  sur  ce  point  de  nombreuses 
réserves  à  faire. 

Les  Yézidiz.  —  J.  Menant,  —Annales  du  musée  Guimet.  — 
Bibliothèque  de  vulgarisation.  —  E.  Leroux,  Paiis. 

Les  Yézidiz  ou  adorateurs  du  diable  sont  répandus  dans  le 
Kurdilsan,  le  Diarbekr  et  la  province  russe  d'Erivan.  Leur  origine 
est  aussi  obscure  que  celle  de  leur  religion.  Celle-ci  semble  un 
mélange  de  traditions  mazdéennes  et  zoroaslriennes  :  ils  vénèrent 
le  feu,  et  évitent  de  le  souiller  et  ils  croient  à  la  métempsycose.  Ils 
confondent  dans  une  même  vénération  le  Koran,  l'Ancien  et  le 
Nouveau  Testament.  On  s'accorde  à  croire  qu'ils  vénèrent  un  être 
souverainement  bon  nommé  Ayed,  mais  ils  ne  le  prient  pas  et  ne 
le  nomment  pas  ;  ils  vénèrent  aussi  un  être  mauvais,  Satan,  dont 
ils  évitent  aussi  de  parler.  Leur  cosmogonie  est  puérile.  Dieu, 
d'après  eux,  se  tint  pendant  des  siècles  sous  la  forme  d'un  oiseau, 
sous  un  arbre  au  milieu  de  l'Océan,  et  y  créa  le  monde  dans  un 
accès  de  colère.  Ils  ne  possèdent  pas  de  livres  religieux,  mais  un 
simple  fragment  d'hymnes  religieux  d'où  l'on  ne  saurait  extraire 
le  moindre  système  philosophique  ou  religieux.  Leur  Mélek- 
taous  n'est  point  une  idole,  comme  on  l'a  prétendu^  mais  un 
simple  étendard. 

Les  Yézidis  ont  une  double  hiérarchie,  temporelle  et  spirituelle. 
Le  sacerdoce  comprend  trois  degrés  :  less/ieikhs,  les  pirs  et  les 
fakirs.  Le  sanctuaire  de  la  tribu  est  à  Sheikh-Adi,  près  de  Tab- 
ban-Hormuzd.  Il  y  a  là  des  fêtes  célèbres.  Sir  Henry  Layardnous 
en  a  retracé  un  intéressant  tableau.  Il  n'y  arien  vu  de  contraire  à 
la  morale,  quoique  leur  fêle  de  nuit,  avec  les  chants  et  les  hurle- 
ments qu'elle  comporte,  ait  pu  donner  lieuaux  plus  gravesaccusa- 
tions  sur  la  moralilédes  Yézidiz.  Elles  ne  semblent  cependant  avoir 
d'autre  fondement  que  la  haine  de  leurs  ennemis  traditionnels,  les 
Musulmans.  On  lira  avec  le  plus  vif  intérêt  ce  travail  de  M.  Menant. 

Le  Gérant  :  Z.  Peisson. 
Amiens.   —   Imprimerie  Rousseau-Leroy,   18,  rue  Sdint-Fuscien. 


LE    BRAHMANISME 


Fin. 


Le  brahmanisme  avait  encore  d'autres  causes  de  fai- 
blesse. En  se  fusionnant  avec  le  vichnouisnie  et  le 
çivaisme,  il  avait  perdu  son  unité.  La  plupart  des  brah- 
mes  regardaient  les  sectateurs  de  Çiva,  comme  pratiquant 
une  religion  fausse,  tout  au  plus  tolérée,  et  des  luttes 
avaient  lieu  à  chaque  instant.  Ce  ne  fut  que  beaucoup  plus 
tard,  qu'un  compromis  devait  avoir  lieu  entre  la  doctrine 
deBrahma  et  les  adorateurs  dalingam.  De  plus,  pour  les 
castes  inférieures,  la  domination  des  brahmes  allait 
perdre  son  caractère  d'éternité  que  les  diverses  écoles 
affectaient  de  lui  donner.  Au  IX"  siècle  avant  Jésus-Christ, 
les  Assyriens  avaient  paru  et  conquis  plusieurs  provinces. 
En  756,  le  roi  d'Assyrie,  Téglathphalasar  II,  faisait  une 
expédition  et  pénétrait  dans  la  région  arrosée  par  la 
Koublia,  et  l'asservissait.  Au  siècle  suivant,  la  puissannce 
de  Ninive  était  abattue,  et  ses  possessions  sur  les  rives  de 
rindus,  tombaient  en  partage  aux  Mèdes.  La  présence 
d'étrangers  sur  le  sol  indien  était  de  nature  à  affaiblir, 
dans  l'esprit  des  masses,  le  prestige  dont  les  brahmes 
avaient  joui  jusqu'alors.  Du  reste,  les  différents  souverains 
et  leurs  ministres,  qui  se  partagaient  l'autorité  suprême 
dans  la  péninsule,  ne  faisaient  rien  pour  s'attacher  les 
populations.  Ils  les  traitaient  avec  une  dureté  extrême, 

25 


386  LE   BRAHMANISME 

les  pressuraient  sans  pitié,  les  écrasaient  d'impôts,  et 
disaient  hautement  que  le  peuple  était  comme  le 
grain  de  sésame,  qui  ne  rend  son  huile,  qu'à  la  con- 
dition d'être  pressé,  écrasé.  Les  abus  pullulaient,  les 
exactions  se  multipliaient,  et  la  misère  était  extrême.  Par- 
tout les  haines  s'accumulaient.  L'Inde  brahmanique  sem- 
blait marcher  à  une  décomposition  complète.  C'est  alors 
que  parut  le  Bouddha,  qui  devait  s'élever  contre  lesystème 
du  brahmanisme  et  le  régime  des  castes,  et  fonder,  dans 
l'Inde,  une  religion  nouvelle,  qui  s'est  répandue  dans  tout 
l'Extrême-Orient,  et  étend  aujourd'hui  son  empire  sur 
autant  de  millions  d'âmes  que  le  christianisme. 

Le  Bouddha  naquit  en  &22  avant  Jésus-Christ,  dans  la 
ville  de  Kapilavastou,  capitale  d'un  petit  royaume  de 
même  nom,  entre  le  pays  de  Koeala  et  les  montagnes  du 
Népaul.  Son  père  Çouddhadama  était  roi  de  la  contrée,  et 
vassal  du  puissant  monarque  de  Magadha.  Le  jeune  prince 
reçut,  en  venant  au  monde,  le  nom  de  Siddhartlia  (celui 
qui  réussit).  Il  montra  de  bonne  heure  une  intelligence 
tout  à  tait  extraordinaire;  sa  con  luite  n'était  pas  celle  des 
enfants  de  son  âge.  Elle  révélait  un  singulier  penchant  à 
la  méditation  et  à  la  solitude,  une  noble  préoccupation  de 
la  reclierche  du  bien  moral,  une  ardente  compassion 
pour  toutes  les  souffrances.  A  Tàge  de  seize  ans,  son  père 
le  maria  et  lui  donna  pour  femme  la  belle  Gopa.  Mais, 
absorbé  par  la  pensée  des  misères  humaines,  dont  la 
cause,  pour  lui,  se  trouvait  dans  la  doctrine  brahmanique 
de  la  transmigration  des  âmes,  Siddharlha  résolut  de  rom- 
pre avec  les  splendeurs  de  la  vie  royale,  qui  l'entouraient. 
A  vingt-huit  ans,  il  quittait  furtivement  sa  femme  et  ses 
enfants,  et  sortait,  pendant  la  nuit,  de  la  ville,  qui  l'avait 
vu  naître.  Le  jeune  prince  se  coupa  les  cheveux,  se  revê- 
tit d'une  robe  de  religieux  mendiant,  et  se  dirigea,  en 
vivant  d'aumônes,  vers  la  ville  de  Vaîccali.  Dans  cette  cité 


LE   BRAHMANISME  387 

enseignait  le  brahnie  Arata  Kalania,  l'im  des  maîtres  les 
plus  célèbres.  Siddharla  se  mit  à  son  école;  mais  il  le 
quitta  bientôt,  et  se  fit  le  disciple  dW  autre  brahme, 
nommé  Roudraka,  qui  habitait  Radjagriha,  la  capitale  du 
Magadha,  et  qui  passait  pour  être  plus  savant  qu'Arata. 
Il  l'abandonna,  et  se  retira  avec  cinq  disciples  dans  la 
forêt  de  Radjagriha,  près  de  Palna,  et  ensuite  aux  environs 
de  Gaya,  où  s'élève  encore  un  temple  consacré  à  son  nom. 
Il  vécut  là  plusieurs  années  dans  la  retraite  la  plus  com- 
plète, se  livrant  à  de  nombreuses  austérités.  Il  mérita  ainsi 
le  nom  de  Bouddha,  l'éclairé,  Vintelligence  suprême. 
Quand  il  eut  formulé  sa  doctrine,  il  résolut  de  la  prêcher, 
et  entreprit  celte  œuvre  grandiose  avec  ses  disciples  au 
uombre  de  soixante.  Il  avait  alors  trente-six  ans,  et  les 
paroles  qu'il  prononça  en  quittant  sa  solitude  pour  com- 
mencer son  apostolat  :  «  Je  mettrai  fm  à  la  douleur  de  ce 
monde  ;  la  terre  qui  est  impartiale,  témoignera  que  je 
ne  mens  pas,  »  montrent  combien  il  avait  foi  dans  sa 
mission. 

La  nouvelle  religion,  le  bouddhisme,  se  propagea  rapide- 
meut,  et  le  secret  de  son  succès  consistait  en  ce  qu'elle 
annonçait  le  salut  au  peuple,  sans  distinction  de  castes, 
ni  de  races.  En  outre,  elle  disait  que  ce  salut  pouvait  être 
atteint  rien  que  par  la  conduite  de  Thomme,  sans  l'inter- 
vention de  dieux  quelconques.  Elle  niait  ainsi  et  l'influence 
des  dieux,  et  l'existence  d'une  caste  intermédiaire  entre 
ces  derniers  et  ces  hommes.  D'après  le  bouddhisme,  tous 
les  péchés,  les  malheurs  et  le  salut  étaient  les  conséquences 
des  actes  passés,  présents  et  avenir  de  l'homme  lui-même. 
L'existence  était  considérée  comme  une  épreuve.  Tous  les 
hommes,  égaux  en  principe,  étaient  appelés,  selon  leur 
mérite  moral,  à  atteindre  le  même  salut,  et  à  s'élever  par 
les  mêmes  voies  jusqu'à  la  délivrance,  qui  les  arracherait 
à  la  douleur,  et  les  ferait  sortir  d'une  manière  déUuitive  du 


388  LE   BRAHMANISME 

cercle  latal  et  incessant  des  transmigrations.  De  là,  ponr 
eux,  le  devoir  de  se  traiter  en  frères,  avec  une  mutuelle 
bienveillance,  de  ne  commettre  aucune  action  réprélien- 
sible,  de  pratiquer  la  vertu,  de  maîtriser  entièrement  leurs 
penchants,  d'employer,  en  un  mot,  tous  leurs  efforts 
pour  arriver  à  la  perfection  morale  et  intellectuelle  que 
résume  le  terme  de  bodhl  (intelligence  suprême).  Ceux 
qui  menaient  une  vie  conforme  à  cette  doctrine,  aux 
préceptes  delà  loi  éternelle,  devenaient  Bouddha,  et  par- 
venaient, à  leur  mort,  à  plonger  leur  âme  dans  Fàme  uni- 
verselle, dans  le  Nirvana^  Init  final  de  toutes  les  vertus, 
suivant  la  théorie  bouddhiste. 

Le  Bouddha  assembla  bientôt  autour  de  lui  un  grand 
nombre  de  disciples.  On  écoutait  avidement  sa  parole,  bien 
faite  pour  consoler  les  malheureux  et  les  déshérités  de  la 
société  brahmanique.  Entendre  dire  que  tous  les  hommes 
étaient  égaux,  qu'ils  pouvaient,  sans  distinction  de  castes, 
jouir  des  mêmes  avantages  moraux,  que  le  salut  de  chacun 
dépendait  de  sa  vertu  et  de  ses  mérites  personnels,  étaient 
des  nouveautés,  qui  devaient  exciter  une  profonde  colère 
dans  la  caste  des  privilégiés,  mais  répandre,  en  même 
temps,   l'enthousiasme  parmi  ceux  qui  n'en  étaient  pas. 
Ce  qui  n'était  pas  moins  nouveau,  c'était  la  forme  sous 
laquelle  le  Bouddha  présentait  son  enseignement.  Il  prê- 
chait sa  doctrine  à  la  foule,  et  la  prédication  était  chose 
inconnue  dans  le  brahmanisme.  Les  brahmes  ne  donnaient 
leur  enseignement  qu'à  un  petit  nombre  de  disciples,  choisis 
dans  la  caste  sacrée.  Déplus,  cet  enseignement  portait  sur 
des  matières  que  l'exposition  concise  et  presque  algébrique 
des  aphorismes  auxquels  ils  réduisaient  leurs  doctrines, 
ne  rendaient  abordables  qu'à  un  petit  nombre  d'esprits. 
Elles  restaient  lettre  close  pour  les  intelligences  ordinaires. 
Le  Bouddha,  au  contraire,  parlait  au  grand  jour,  et  d'abon- 
dance et  de  cceur.  Tandis  que  les  brahmes  n'employaient 


LE   BRAHMANISME  389 

pour  leur  enseignement  que  le  sanscrit,  la  langue  des  purs 
Aryas,  des  classes  dominantes,  qui  ne  fut  jamais,  quoiqu'on 
ait  dit,  parlée  universellement  dans  Tlude,  le  Bouddha  se 
servait  des  idiomes  vulgaires,  du  'pàli,  du  prakrit.  Au 
lieu  d'aborder  les  problèmes  de  la  philosophie  spéculative, 
il  exposait  un  sujet  de  religion  ou  de  morale,  à  la  portée  de 
tout  le  monde,  et  il  le  développait  jusqu'à  ce  que  les  esprits 
les  plus  lents  l'eussent  saisi,  et  que  les  cœurs  les  plus 
rebelles  s'en  fussent  pénétrés.  Ainsi,  tous  ceux,  qui  venaient 
pour  l'entendre,  hommes  ou  femmes,  s'en  retournaient  gran- 
dement éditiés  et  consolés  ;  et  on  l'avait  surnommé  soii- 
gata,  c'est-à-dire  le  bienveim.      ^ 

Comme  la  plupart  de  ceux  qui  formaient  le  cortège  au 
Bouddha  étaient  pauvres,  les  brahmes  affectaient  de  les  ap- 
peler bhikchous,  ou  7nendiants .  Le  Bouddha  releva  ce  nom 
pour  en  faire  le  litre  de  ceux  qui,  sous  ses  auspices,  em- 
brassaient la  vie  religieuse.  Le  Bouddha  faisait  affluer 
autour  de  lui  les  aumônes  et  trouvait  ainsi  le  moyen  de 
nourrir  tous  les  bhikchous,  attachés  à  ses  pas.  Ce  fut 
avec  eux  qu'il  fonda  les  communautés  ou  monastères,  qui 
ont  joué  un  si  grand  rôle  dans  l'histoire  du  bouddhisme, 
et  tant  contribué  à  son  développement.  C'était  pendant  la 
saison  pluvieuse  que  le  Bouddha  procédait  à  l'organisa- 
tion de  ces  communautés,  alors  que  l'état  de  l'atmosphère 
le  forçait  d  interrompre  ses  prédications  ambulantes.  Réu- 
nissant, dans  quelque  ?;27iam  ou  monastère,  les  plus  zélés 
des  bhikchous,  il  leur  enseignait  les  méditations  extatiques 
où  l'àme  s'affranchit  de  la  matière,  ou  bien  élucidant  un 
point  quelconque  de  sa  doctrine,  il  se  répandait  avec  eux 
en  dialogues,  qui  les  façonnaient  à  l'apostolat,  et  les  ren- 
daient aptes  à  prêcher,  comme  le  maitre,  la  bienveillance, 
l'aumùne,  la  patience,  l'énergie,  la  morale  et  la  science. 
Puis,  quand  revenait  la  saison  sèche,  il  recommençait  ses 
pérégrinations.  C'est  ainsi  qu'il  parcourut  tous  les  pays 


390  LE    BRAHMANISME 

de  l'Inde  centrale  et  occidentale,  proportionnant  son  lan- 
gage au  sujet  et  à  l'intelligence  de  ses  auditeurs,  et  parlant 
au  peuple,  en  paraboles,  parce  que,  disait-il  :  «  c'est  au 
moyen  de  la  parabole  que  les  hommes  comprennent  le 
sens  de  ce  qu'on  leur  enseigne.  »  Aussi,  faisait-il  partout 
des  merveilles  de  conversion  ;  telle  était  la  sympathie  que 
l'aspect  de  sa  personne  et  la  chaleur  entraînante  de  sa 
parole  inspiraient  à  la  foule,  que  Ton  disait,  en  parlant  de 
lui  :  «  les  dieux  descendent  du  ciel  pour  le  voir  et 
Ventendre.  » 

C'est  en  vain  que  les  brahmes  essayaient  de  porter 
entraves  aux  prédications  du  Bouddha,  et  de  prendre  des 
mesures  violentes  contre  lui  et  ses  auditeurs.  Les  rois, 
issus,  pour  la  plupart,  de  la  caste  des  Kchatriyas,  fatigués 
de  la  domination  orgueilleuse  des  brahmes,  étaient  heu- 
reux de  voir  battre  en  brèche  leurs  privilèges  et  leur  auto- 
rité, et  quand  ils  n'embrassaient  pas  ouvertement  la  nou- 
velle doctrine,  ils  la  favorisaient  et  protégeaient  ceux  qui 
la  propageaient,  parleurs  prédications.  Le  peuple  se  pro- 
nonçait en  majorité  pour  le  bouddhisme.  Les  brahmes 
étaient  impuissants,  et  la  rage  dans  le  cœur,  ils  devaient 
se  résigner  à  laisser  passer  le  torrent,  et  à  assister  à  la 
chute  de  Pédifice  religieux,  social  et  politique,  qui  jus- 
qu'alors leur  avait  donné  la  suprématie. 

La  mort  du  Bouddha,  qui  mourut  en  543,  à  l'âge  de  80 
ans,  n'arrêta  pas  le  succès  de  la  religion  qu'il  prêchait.  Sa 
propagande  continua  d'être  aussi  rapide,  elles  conversions 
devenaient  de  plus  en  plus  nombreuses.  Dans  l'Inde,  le 
bouddhisme  avait  deux  centres  principaux,  Kachemire  et 
Patna.  De  la  première  de  ces  villes,  il  se  propagea  sur- 
tout dans  l'Asie  centrale  et  en  Chine,  où  il  entra  dès  le 
YP  siècle  avant  J.-C  ;  mais  ce  n'est  guère  qu'à  partir 
du  commencement  de  l'ère  chrétienne,  qu'il  y  fut  établi 
définitivement.  Il  gagna  ensuite  l'Afghanistan,  leTurkestan, 


LE    BRAHMANISME  391 

le  Thibet,  la  Corée  et  le  Japon.  De  Patna,  il  se  répandit 
dans  rinde  méridionale,  à  Geylan,  dans  la  Birmanie,  le 
Siam  et  à  Java.  Ses  doctrines  pénétrèrent  même  en  Egypte, 
à  Fécole  d'Alexandrie,  en  Afrique,  et  eurent  probablement 
des  représentants,  en  Occident,  en  Italie  ;  elles  gagnèrent 
même  quelques  polémistes  chrétiens.  Origène,  par  ses 
théories  sur  la  délivrance  finale  de  tous  les  êtres,  montre 
qu'il  a  subi  peut-être  leur  influence.  Au  IIP  siècle 
avant  J.-C,  le  bouddhisme  avait  définitivement  triomphé 
dans  l'Inde,  et  l'un  de  ceux  qui  assurèrent  sa  victoire,  fut 
le  roi  de  Magadha  ou  Béhar,  Açoka.  Ce  fut  le  grand  pro- 
tecteur des  bouddhistes  ;  il  fit  de  la  nouvelle  religion,  la 
religion  d'État,  et  en  l'an  ^ii,  avant  J.-C,  il  convoqua  un 
concile,  qui  fut  le  troisième,  pour  régler  les  différends, 
qui  s'étaient  élevés  entre  les  interprètes  elles  missionnaires 
de  la  doctrine.  Deux  siècles  auparavant  s'était  tenu  le 
second  concile,  dont  les  délibérations  avaient  duré  huit 
mois,  et  qui  comptait  plus  de  sept  cents  religieux  de  rang 
supérieur.  L'Inde  semblait  devoir  être  appelée  et  devenir 
un  pays  entièrement  bouddhique. 

Malgré  sou  grand  développement,  le  bouddhisme  n'avait 
pas  étouffé  ou  remplacé  le  brahmanisme.  Cependant  l'on 
peut  dire  que  durant  l'époque  où  il  fut  le  plus  florissant 
dans  l'Inde,  c'est-à-dire  depuis  le  troisième  concile  jus- 
qu'eiu  VHP  siècle  de  l'ère  chrétienne,  il  avait  la  majorité 
dans  la  plupart  des  provinces.  Le  voyageur  chinois  Hiouen- 
Thsang,  qui  visita  l'Inde,  au  VIP  siècle  après  J.-C.  et  y 
résida  plusieurs  années,  nous  donne  do  curieux  rensei- 
gnements sur  la  situation  religieuse  du  pays.  Bénarès  était 
toujours  la  cité  sainte  du  brahmanisme,  et  dans  ses  murs, 
les  bouddhistes  étaient  peu  nombreux.  Presque  partout,  les 
brahmanistes  étaient  en  minorité  ;  mais,  néanmoins,  ils 
constituaient  une  masse  imposante.  Hiouen-Thsang  nous 
parle  assez  longuement  dul)Ouddliisme.  Cette  religion,  à 


392  LE   BRAHMANISME 

laquelle  il  appartenait,  comptait  dans  Tlnde  de  nombreuK 
monastères,  dont  quelques-uns  formaient  de  véritables 
villes,  et  étaient  peuplés  de  sept  à  huit  mille  religieux. 
Le  sanctuaire  le  plus  vénéré  du  bouddhisme  hindou  était 
Gaya  où  le  Bouddha  avait  vécu  dans  la  retraite,  durant 
plusieurs  années,  avant  de  commencer  son  apostolat.  Les 
pèlerins  s'y  pressaient  en  grand  nombre.  L'on  y  voyait 
un  temple  en  forme  de  pyramide,  ayant  vingt  étages,  et  à 
chaque  étage,  des  niches,  qui  contenaient,  chacune,  des 
statues  d'argent  du  Bouddha.  Hiouen-Tshang  nous  donne 
une  description  complète  de  cette  Jérw5a?e??i  bouddhique, 
qui,  aujourd'hui,  n'est  plus  qu'un  amas  de  ruines,  et  où 
depuis  plusieurs  années,  le  gouvernement  anglais  fait 
exécuter  des  fouilles  dont  le  résultat  a  été  couronné  de 
succès. 

Au  début,  la  lutte  entre  les  deux  religions  avait  été  vi- 
ve et  ardente.  Les  brahmes  avaient  voulu  faire  dire  aux 
bouddhistes,  ne  fut-ce  qu'implicitement,  que  la  doctrine 
de  leur  maître  était  la  négation  religieuse,  que  bouddhis- 
me^ était  synonyme  d'athéisme^  et  si  de  cette  déclaration, 
il  ne  résultait  pour  le  moment  aucun  succès  réel  pour  eux, 
ils  pouvaient  du  moins  battre  en  brèche  par  de  bons  argu- 
ments les  doctrines  nouvelles,  et  se  donner  la  satisfaction 
de  flétrir  leurs  adversaires,  ijon  seulement  de  la  qualifica- 
tion d'héréti(iues,  qui  abolissaient  les  sacrifices,  mais  encore 
de  celle  plus  grave  d'athées,  {Nastikas).  Pour  répondre 
à  ces  attaques,  le  bouddhisme  s'était  créé  une  mythologie 
bien  élrangère  à  l'esprit  de  ses  premiers  enseignements. 
De  plus  il  avait  une  morale  infiniment  supérieure  à  celle  du 
brahmanisme,  et  par  sa  tolérance,  il  s'était  efforcé  de  faire 
bon  ménage  avec  les  dieux  populaires.  Â.u  plus  fonde  son 
triomphe,  le  peuple  avait  gardé  ses  pagodes  brahmaniques 
sans  que  les  religieux  bouddhistes  y  fissent  aucune  objec- 
tion. Les  deux  religions  avaient  fini  par  vivre  en  bonne 


LE    BRAHMANISME  303 

harmonie,  prospérant  cote  à  côte,  et  souvent  les  souve- 
rains bouddhistes  protégeaient  également  les  brahmanis- 
tes.  Il  arrivait  fréquemment  qu'ils  convoquaienl  des  con- 
ciles où  les  représentants  des  deux  religions  tenaient  de 
longues  discussions  sur  les  dogmes,  et  se  livraient  à  des 
controverses  des  plus  animées.  Le  voyageur  chinois  Hiou- 
en-Thsang  nous  dit  avoir  assisté  et  pris  part  à  ces 
tournois  théologiques.  Lorsqu'on  sait  qu'à  cette  époque, 
l'Europe  était  bouleversée  par  les  invasions,  et  semblait 
retourner  à  la  barbarie,  l'on  est  plus  qu'étonné  de  ce  qui 
se  passait  dans  l'Inde,  et  obligé  d'avouer  que  la  civilisa- 
tion dont  elle  jouissait  était  de  beaucoup  supérieure  à 
celle  qu'elle  possède  aujourd'hui. 

Le  VHP  siècle  marque  le  déclin  du  bouddhisme  dans 
rinde.  Cette  religion  avait  dû  son  succès  à  la  libéralité  de 
ses  principes  et  à  rhumilité  de  ses  fondateurs.  Sa  puis- 
sance la  perdit  ;  le  clergé,  devenu  outre-puissant,  dévora 
le  sol  et  fit  trembler  les  rois  ;  Pcgalité  proclamée  par  le 
Bouddha  était  devenue  un  mot.  Les  vichnouistes  et  les 
çivaistes  commencèrent  la  lutte,  et  les  brahmes,  qui  n'a- 
vaient jamais  perdu  l'espoir  de  reconquérir  la  suprématie, 
se  joignirent  à  eux.  Le  vichnouisme  eut  soin  d'adopter 
tous  les  traits  populaires  du  bouddhisme,  l'amour  univer- 
sel, la  bienveillance,  la  libéralité  ;  le  çivaïsme,  affectait 
de  représenter  son  dieu  suprême  Çiva,  sous  les  traits  du 
Bouddha,  et  en  même  temps,  il  encourageait  la  méditation 
abstraite  que  Ton  croyait  être  le  monopole  des  monastè- 
res bouddhiques.  De  leur  côté,  les  brahmes  se  livraient  à 
l'étude,  avec  plus  d'ardeur  que  jamais;  ils  popularisèrent 
les  grandes  épopées  du  brahmanisme,  et  renouvelèrent 
leurs  hymnes,  poèmes  épiques,  codes  de  lois,  etc.  Ils 
accordaient  aux  peuples  toutes  les  concessions  :  absorp- 
tion des  fétiches  primitifs,  exaltation  des  passions  les  plus 
viles,  s'alliaient  avec  les  Djaïnas,  dont  ils  méprisaient  la 


394  LE    BRAHMANISME 

religion,  ils  savaient  exploiter  leurs  haines  contre  les  boud- 
dhistes, appelaient  à  eux  les  races  guerrières  du  désert, 
et  leur  offraient  la  place,  occupée  jadis  par  les  Kchalryas. 
C'était  une  coalition  redoutable,  qui  s'organisait,  et  deve- 
nait de  plus  en  plus  redoutable,  Le  bouddhisme,  qui 
n'avait  plus  son  ancienne  vigueur,  et  dont  les  religieux 
avaient  perdu  l'esprit  de  prosélytisme,  qui  autrefois  les 
caractérisait  h  un  haut  degré,  était  incapable  de  résister  à 
ses  nombreux  ennemis.  Peu  à  peu,  les  brahmes  regagnè- 
rent le  terrain  perdu,  dans  la  faveur  des  princes  et  des 
peuples.  Quand  ils  furent  les  plus  forts,  ils  commencèrent 
la  guerre,  et  alors  fut  inaugurée  une  ère  de  persécutions. 
Les  bouddhistes  étaient  chassés  de  leurs  temples,  de  leurs 
couvents,  de  leurs  terres,  dans  une  grande  partie  de  Tln- 
de.  Beaucoup  d'entre  eux  émigraient  au  Thihet,  en  Afgha- 
nistan, en  Chine.  Le  fanatisme  fit  de  nombreuses  victimes 
et  aujounrhui  encore,  l'on  peut  voir  sur  les  murs  de  quel- 
ques pagodes,  des  bas-reliefs  représentant  les  supplices  que 
les  brahmanisles  firent  subir  aux  religieux  bouddhistes  ; 
les  uns  sont  pendus,  les  autres  taillés  en  pièce  ;  d'autres 
broyés  entre  des  tables  de  pierres  ou  dans  des  moulins  à 
huile.  Partout  les  brahmanistes  s'appliquaient  à  détruire 
tous  les  restes  du  bouddhisme,  monuments,  écrits,  et  à 
en  effacer  jusqu'au  souvenir.  Les  bouddhistes  ne  formè- 
rent bientôt  plus  que  des  minorités,  diminuant  partout, 
comme  nombre  et  comme  puissance.  L'arrivée  des  mu- 
sulmans acheva  leur  ruine.  Les  disciples  du  Koran  leur 
firent  une  guerre  acharnée  et  les  poursuivirent  pendant 
plusieurs  siècles,  sans  trêve  et  sans  merci.  Ils  furent 
beaucoup  plus  sanguinaires  et  dévastateurs  que  les  bra- 
hmes. Le  bouddhisme  devait  nécessairement  disparaître, 
sous  leurs  coups.  Aujourd'hui,  il  n'est  plus  représenté 
dans  l'Inde  que  par  des  ruines,  et  à  peine  y  compte-t-il 
quelques  rares  adhérents,  le  plus  ordinairement  d'origine 


LE    BRAHMANISME  305 

étrangère  (1).  L'île  de  Geylan,  la  dernière  terre  indienne 
conquise  par  le  bouddhisme,  est  restée  en  dehors  de  cette 
révolution  religieuse.  Actuellement,  la  majorité  de  ses  ha- 
bitants professe  le  culte  bouddhique,  et  ses  viharas  sont 
aussi  nombreux  et  autant  peuplés  de  moines,  que  par  le 
passé.  Sans  que  l'on  puisse  en-  découvrir  la  cause,  Geylan 
a  échappé  au  brahmanisme  (1). 

Le  bouddhisme  avait  été  vaincu,  et  chassé  de  l'Inde. 
Mais  dans  la  longue  lutte  qu'il  avait  soutenue,  le  brahma- 
nisme s'était  transformé,  ou  plutôt  corrompu.  Au  point  de 
vue  religieux,  c'était  un  mélange  de  l'ancien  culte  de 
Brahma  avec  le  vichounisme,  le  rivaisme,  avec  les  croy- 
ances de  peuples  Pré-Aryas,  avec  le  liouddhisme.  Entre 
toutes,  rintluence  du  bouddhisme  est  la  moins  contestable. 
L'on  peut  citer  plusieurs  faits  à  l'appui  de  cette  asssertion: 
les  règlements  de  la  vie  dans  les  couvents  hindous  sont 
calqués  sur  celui  des  monastères  bouddiques  ;  le  dogme 
de  la  triade,  le  respect  pour  la  vie  de  tout  être  vivant, 
homme  ou  animal,  est  emprunté  au  bouddhisme;  le  rite 
même  présente  beaucoup  de  ressemblance  avec  le  rite 
bouddhiste;  les  ornements  des  temples,  leur  architecture, 
les  pèlerinages,  les  reliques,  tout  cela  rappelle  la  religion 
du  Bouddha.  Le  culte  du  serpent,  l'adoration  des  arbres, 
comme  siège  des  esprits,  la  croyance  aux  dieux  domesti- 
ques, qui  sont  les  restes  de  l'ancien  fétichisme,  pratiqué 
par  les  populations  aborigènes,  prirent,  à  partir  de  celte 
époque,  un  grand  développement.  Le  véritable  brahma- 
nisme s'était  profondément  altéré,  ou  plutôt  il  était  deve- 
nu une  nouvelle  religion,  que  les  Orientalistes  appellent, 

(1)  Le  dernier  recensement  de  la  population  de  l'Inde  Anglaise 
donne  9.000.000  de  bouddhistes,  qui  en  grande  majorité,  se  trou- 
vent dans  l'Assam  et  la  Birmanie. 

(1)  Les  deux  tiers  des  habitanls  de  Geylan  sont  bouddhistes  et 
un  cinquième  chrétien. 


396  LE   BRAHMANISME 

non  sans  raison,  V hindouisme,  et  qui  n'est  pas  autre  chose 
qu'an  mélange  de  trois  religions  principales.  Au  point  de 
vue  politique,  la  vieille  organisation  des  castes,  qui,  depuis 
l'origine,  s'était  profondément  modifiée,  fut  maintenue  telle 
qu'elle  existait.  Dès  lelV  siècle  av.  J.  G.,  le  sanscrit  était 
devenue  une  langue  morte,  ou  seulement  employée  par  les 
brahmes.  La  langue,  la  plus  usitée  par  les  populations 
aryennes  était  alors  le  prâkrit.  Avec  les  bouddhistes,  le 
pràkrit  était  tombé  en  désuétude,  et  devenu  une  langue 
morte,  hepàli,  qui  en  dérivait,  prit  sa  place,  et  devint  l'i- 
diômeleplus  usité,  d'autant  plus  que  d'habitude,  les  boud- 
dhistes s'en  étaient  servi  pour  leurs  prédications.  L'on  peut 
dire  que  le  bouddhisme  avait  bouleversé  l'Inde,  et  quand  il 
s'écroula  ce  ne  fut  pas  le  brahmanisme,  qui  prit  sa  place  ;  (il 
avait  subi  une  transformation  complète,)  ce  fut  l'hin- 
douisme. C'était  la  période  de  décadence,  qui  commen- 
çait. Du  reste  Phindouisme,  qui  n'acheva  de  se  consolider 
qu'à  la  fin  du  XIP  siècle,  n'eut  pas  le  temps  de  se  déve- 
loppei'.  Il  fut,  en  quelque  sorte,  étouffé  dès  son  essort, 
par  la  conquête  musulmane. 

Au  VII'  siècle,  dôi  les  premiers  temps  de  l'Islam,  sous 
le  Ivlialifat  d'Omar,  les  sectateurs  du  prophète  envahis- 
saient la  vallée  de  l'Indus.  L'Oman  vit  de  bonne  heure 
s'équiper  des  flottes,  chargées  d'aventuriers  qui,  sous  cou- 
leur de  religion,  couraient  au  pillage  de  contrées  opulentes. 
Au  début,  les  Khalifes,  redoutant  de  trop  éparpiller  les 
forces  peu  compactes  qu'ils  avaient  si  rapidement  acqui- 
ses, refusaient  leur  approbation  à  ces  projets  d'expéditions 
lointaines.  Mais  l'ardeur  des  chefs  de  bande,  surexcitée 
par  l'enthousiasme  de  succès  constants,  empêchait  d'obéir 
aux  conseils  d'une  prudence  timide.  Toutefois,  ces  incur- 
sions multipliées  oîi  les  missionnaires  de  l'Islam  présen- 
taient le  Koran  entre  l'épée  qui  égorge  et  la  torche  qui 
incendie,  ces  expéditions  sans   cesse  renouvelées,  mais 


LE   BRAHMANISME  397 

d'abord  iiTégiilières  comme  des  razzias  dans  le  désert,  ne 
devaient  pas  de  longtemps  entamer  les  vastes  profondeurs 
de  la  péninsule.  Cependant  dès  le  VHP  siècle,  il  y  avait 
des  musulmans,  et  en  assez  grand  nombre,  dans  l'île  des 
rubis,  c'est-à-dire  à  Ceylan.  Au  X'  siècle,  le  géographe 
arabe,  Ibnhaucal  visitait  la  vallée  du  Sind  et  les  côtes 
occidentales,  et  disait  en  énumérantun  certain  nombre  de 
villes  :  «  Voilà  des  villes  que  je  connais.  L'Inde  en  ren- 
«  ferme  beaucoup  d'autres,  dans  l'inténeur  des  terres.  Mais, 
«  elles  sont  entourées  de  déserts.  Les  marchands  indigènes 
«  peuvent  seuls  y  pénétrer,  tant  ces  régions  sont  isolées 
«  de  toute  communication  avec  les  contrées  voisines,  tant 
«  elles  offrent  de  dangers  à  quiconque  voudrait  s'y  frayer 
«  une  route.  »  Ce  ne  fut  qu'au  siècle  suivant,  à  partir  de 
l'an  1001,  que  commença  la  conquête. 

A  celte  époque,  l'Inde  du  nord-ouest  était  partagée  en 
plusieurs  royaumes  radjépoutes,  reconnaissant  plus  ou 
moins  la  suprématie  du  radjah  de  Delhy,  de  même  que 
le  souverain  de  Kanoudj,  considéré  comme  le  successeur 
de  Rama,  dominait  les  principautés  de  TAoude  et  de  la 
vallée  du. Gange.  Le  Béhar  et  le  Bengale  obéissaient  à  la 
dynastie  des  Pal,  d'origine  bouddhiste,  et  plus  au  sud,  le 
Malva  était  gouverné  par  les  successeurs  de  Vikramaditya. 
Quand  au  sud  de  l'Inde,  il  se  partageait  entre  les  trois 
dynasties  des  Tchéras,  des  Tcholas  et  des  Pandias.  Les 
royaumes  du  nord,  les  premiers  attaqués,  opposèrent  une 
résistance  opiniâtre  aux  envahisseurs.  Ils  furent  néanmoins 
vaincus,  et  le  chef  des  nmsulmans,  qui  était  originaire  du 
pays  de  Kandahar,  Mahmoud  de  Ghazni,  poussait  ses  in- 
cursions jusque  dans  le  Goudjerat.  Il  fondait  une  dynastie 
celle  des  Ghaznévides  dont  l'empire  dura  jusqu'à  la  fm  du 
XIP  siècle.  A  cette  époque,  elle  fut  remplacée  par  la  fa- 
mille des  Gourides,  originaire  du  Khoraçan,  et  avec  ces 
nouveaux  conquérants,  l'islamisme  s'élabhssait  d'une  ma- 


308  LE   BRAHMANISME 

nière  définitive  dans  Plnde,  et  y  recrutait  de  nombreux 
adliérents. 

Les  Gourides  s'établirent  dans  le  Pendjab,  envahirent 
le  Bengale  et  entrèrent  dans  le  Deccan  ;  leur  capitale 
était  Delhy.  Leur  domination  devait  être  éphémère;  elle 
ne  dura  que  jusqu'au  XIII^  siècle.  L'Inde  devint  alors  un 
champ  de  bataille.  Elle  fut  envahie  par  des  tribus  tartarcs 
du  Kharism,  les  Afghans,  les  Gengisicanides,  les  Mongols 
qui  y  fondèrent  diverses  principautés,  et  s'y  firent  une 
guerre  acharnée.  En  1398,  le  terrible  Tamerlan  s'empa- 
rait de  Delhy,  et  dominait  la  plus  grande  partie  de  la  pé- 
ninsule qu'il  couvrait  de  ruines.  A  sa  mort,  arrivée  en 
1405,  le  vaste  empire  qu'il  avait  fondé,  disparaissait,  et 
l'Inde  se  fractionnait  en  plusieurs  états,  sans  cesse  en  lutte 
les  uns  contre  les  autres.  C'était  l'anarchie  la  plus  com- 
plète. Telle  était  la  situation,  lorsque  le  20  mai  1498,  Vasco 
de  Gama  jetait  l'ancre  au  rivage  de  Calicut,  et  mettait  la 
vieille  terre  brahmanique  en  communication  directe  avec 
l'Europe.  Une  ère  nouvelle  allait  s'ouvrir  pour  Plnde  ;  on 
peut  l'appeler  la  période  européenne. 

Malgré  les  bouleversements  dont  l'Inde  était  le  théâtre, 
le  brahmanisme,  tout  altéré  et  corrompu  qu'il  était,  devenu 
Yhindouismejii  tout  d'abord  preuve  d'une  certaine  vita- 
lité. L'on  eut  dit  que  la  race  hindoue  allait  se  réveiller  au 
milieu  du  VIII«  siècle.  Alors  que  la  lutte  contre  le  boud- 
dhisme commençait  à  peine,  un  brahme  de  Bérar,  Kouma- 
rita  s'était  mis  à  prêcher  une  nouvelle  doctrine  :  l'idée  d'un 
dieu  personnel,  basée  sur  la  vieille  conception  brahmani- 
que, et  Tégalité  spirituelle  des  hommes.  Il  obtint  un  im- 
mense succès,  et  la  tradition  raconte  qu'il  fut  l'auteur  de 
nombreux  miracles.  Au  siècle  suivant,  un  autre  apôtre, 
Sankara  Atcharya,  enseignait  qu'il  n'y  avait  qu'un  seul 
Dieu  (Brahma  Para  Brahma)  et  admettait  la  croyance  en 
plusieurs  incarnations  de  ce  dieu.  L'on  devait  honorer  ce 


LE   BRAHMANISME  309 

dieu,  lion  par  des  sacrifices,  mais  par  la  méditation  et  la 
contemplation.  Le  vulgaire  pouvait  adorer  tel  dieu  gu'il  lui 
plaisait,  mais  surtout  Çiva.  L'an  des  mérites  de  Sankara 
Atcharya,  c'est  d'avoir  donné  au  védantisnie  sa  forme  dé- 
finitive, de  l'avoir  popularisé.  Au  XP  siècle,  Bassava,  qui 
se  donnait  comme  le  continuateur  de  Sankara,  accentua 
sa  doctrine,  en  rejetant  la  suprématie  des  brahmes  et  le 
vichnouisme,  en  abolissant  les  castes,  les  pèlerinages,  les 
pénitences  publiques,  et  en  faisant  de  nombreux  emprunts 
à  la  morale  du  Bouddha.  Cette  secte  que  fou  peut  consi- 
dérer comme  une  secte  du  bouddhisme,  compte  aujour- 
d'hui des  partisans  assez  nombreux,  principalement  dans 
le  Garnatic  et  le  Mysore.  Ils  sont  connus  sous  le  nom  de 
Dandys.  La  plupart  sont  des  solitaires  :  quelques-uns 
vivent  en  communauté,  dans  des  monastères  ;  tous  se 
consacrent,  soit  à  la  méditation,  soit  à  l'étude  des  Védas. 
Une  secte  que  nous  pensons  ne  pas  devoir  passer  sous 
silence  est  celle  qui  fut  fondée  au  XIP  siècle  par  Senathi 
Radja.  Elle  compte  surtout  des  adeptes  dans  l'Inde  méri- 
dionale, chez  les  peuples  d'origine  dravidienne.  Cette  école 
prétend  être  revenue  au  çivaisme  primitif,  et  enseigne 
qu'il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu,  Çiva,  que  l'âme  est  immortelle, 
en  union  intime  avec  la  divinité,  et  que  la  matière  est  éter- 
nelle, et  que  Çiva,  en  étant  son  époux,  lui  donne  la  fé- 
condité. L'on  retrouve  là  la  vieille  théorie  brahmanique. 
Le  culte  de  Çiva  avait  aussi  donné  naissance  à  diverses 
sectes  dont  les  rites  exigeaient  des  sacrifices  humains,  et 
qu'on  pratiquait  encore,  jusqu'en  1800,  aux  environs  de 
Calcutta. 

A  la  suite  de  la  révolution  produite  par  le  bouddhisme, 
le  vichnouisme  vit  se  former,  parmi  ses  adeptes,  diverses 
écoles,  qui  toutes  ont  pour  lien  commun,  que  Vichnou  est 
le  dieu  supréme,etrepoussent,  pour  la  plupart,  la  doctrine 
de  l'identité  de  l'àme  suprême  et  de  l'àme  humaine.  L'une  des 


400  LE  BRAHMANISME 

plus  importantes  ^st  celle  que  Ramanujas  fondait  auXIP 
siècle.  Il  reconnaissait  trois  principes,  ayant  une  existence 
distincte  l'nn  de  Tantre  :  lêtre  suprême  qui  est  Vichnou, 
l'àme  humaine  et  l'univers.  Les  disciples  de  Ramanujas 
sont  assez  nombreux  actuellement,  et  au  sujet  de  la  grâce, 
ils  se  divisent  en  deux  sectes  rivales.  Ils  possèdent  plu- 
sieurs monastères.  Peu  après  Ramanujas,  le  brahme  Ma- 
hadava,  qui  avait  subi  l'influence  persane,  prêchait  le  dua- 
lisme, et  sa  doctrine  se  recrutait  principalement  parmi  les 
ascètes.  Au  XV'=  siècle,  Vallabha-Souami  régularisait  le 
culte  de  Krichna,  incarnation  de  Vichnou,  qui  jusqu'a- 
lors n'avait  existé  qne  sous  forme  de  légende,  parmi  les 
tribus  djates  ou  touraniennes.  C'était  en  quelque  sorte  un 
néovichnonisrae.  Ses  sectateurs  se  rencontrent  surtout 
dans  la  présidence  de  Bombay.  Ils  se  font  remarquer  par 
un  sensualisme  grossier,  et  affectent  de  porter  de  longs 
cheveux  et  des  habits  de  femmes.  Au  XVP  siècle,  Tchai- 
tanya  fondait  une  secte  oîi  dominait  le  mysticisme,  et  se 
faisait  remarquer  par  la  place  relativement  élevée  qu^il  as- 
signait à  la  femme  ;  il  avait  créé  un  ordre  religieux  de  fem- 
mes, qui  gardaient  le  célibat,  vivaient  en  communauté,  et 
devaient  visiter  les  pauvres.  Celte  secte  prit  un  assez  grand 
développement,  et  de  nos  jours,  ses  adeptes  divisés  en 
deux  écoles,  celle  des  Baïnabs  et  celle  des  Satanif^,  habi- 
tent le  plus  souvent  le  Bengale  et  la  présidence  de  Madras. 
L'islamisme  devait  nécessairement  exercer  une  certaine 
influence.  Au  XV^  siècle  avait  paru  un  prophète,  Kabir, 
qui  avait  essayé  de  rallier  à  sa  religion,  appelée  d'après 
lui  le  Kabirisme,  non  seulement  toutes  les  castes,  mais 
encore  les  musulmans.  Il  prétendait  qne  Rama  et  Ali 
étaient  au  même  titre  les  sources  de  la  vie,  qu'au-dessus 
d'eux,  il  y  avait  un  dieu  suprême.  Il  condamnait  les  pèle- 
rinages de  Bénarès  et  de  la  Mecque.  Il  recommandait  la  fra- 
ternité et  enseignait  que  le  vrai  moyen  d'assurer  le  salut 


LE    BRAHMANISME  401 

de  l'âme  était  la  foi.  Cette  nouvelle  religion  ne  pouvait 
réussir  dans  l'Inde  ;  il  n'y  avait  pas  place  pour  elle,  alors 
que  le  brahmanisme  et  l'islamisme  étaient  en  présence  l'un 
de  Tautre.  Le  Kabirisme  ne  put  jamais  réunir  qu'un  nom- 
bre insignifiant  de  fidèles,  et  actuellement  leur  nombre  ne 
dépasse  guère  iOO.OOO. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  l'islamisme,  et  l'on  est  sur- 
pris de  la  rapidité  avec  laquelle  il  se  propagea.  Le  dernier 
recensement  de  l'Inde,  qui  a  eu  lieu,  en  1801,  nous  dit 
que  sur  200  millions  d'habitants  que  compte  celte  vaste 
région,  '203  millions  appartiennent  au   brahmanisme  et 
aux  sectes  qui  s'y  rattachent,  et  que  58  millions  sont  mu- 
sulmans. 11  est  impossible  de  dire  combien  d'entre  eux 
représentent,  à  l'heure  actuelle,  les  anciens  envahisseurs, 
les  dominateurs  d'autrefois.  Sir  Georges  Campbell,  qui 
jouit  en  ces  questions  d'une  autorité  incontestable,  dit  que 
les  descendants  des  conquérants  ne  doivent  guère  dépas- 
ser six  millions,  et  sont  pour  les  deux  tiers  d'origine  af- 
ghane. Quoique  en  minorité,  parmi  leurs  coreligionnaires, 
ces  disciples  du  Koran  sont  les  seuls,  qui  jouissent  d'une 
influence  politique  sérieuse.  La  plupart  d'entre  eux  habi- 
tent la  ville.  Quant  à  la  masse  des  musulmans,  ils  méritent 
cà  peine  cette  désignation.  Leur  religion  et  leurs  coutumes 
diffèrent  peu  de  celles  de  leurs  voisins  hiuilous,  et  ils  pra- 
tiquent les  mêmes  distinctions  de  castes.  Leurs  restrictions 
sociales  sont  aussi  étroites.  Les  règles  de  mariage  et  d'hé- 
ritage sont  restées  les  mêmes.  Presque  toutes  les  différen- 
ces qui  distinguent  le  musulman,  consistent  en  son  habi- 
tude de  se  raser  la  tête,  en  laissant  sur  le  sommet,  une  mè- 
che de  cheveux,  de  se  raser  le  bord  de  la  moustache,  à  aller 
à  la  mosquée  répéter  les  prières  musulmanes,  et  à  ajouter 
aux  cérémonies  nuptiales  celles  des  musulmans.  Les  saints 
locaux,  les  divinités  particulières  conservent  leurs  autels, 
même  dans  les  villages  entièrement  musulmans,  et  conti- 


402  LE   BRAHMANISME 

nuent  à  recevoir  régulièrement  l'adoration  de  la  majorité 
des  habitants,  quoique  cependant  cette  pratique  diminue 
peu  à  peu.  Les  femmes  surtout  persistent  dans  ces  cou- 
tumes, et  une  mère  musulmane  qui  aurait  négligé  de  sa- 
crifier à  la  déesse  de  la  petite  vérole,  croirait  avoir  com- 
promis la  vie  de  son  enfant.  Les  musulmans  continuent, 
comme  autrefois,  à  consulter  les  brahmes,  à  les  nourrir,  et 
à  chaque  occasion,  et  très  souvent,  à  leur  demander  d'offi- 
cier dans  leurs  cérémonies  matrimoniales,  sur  le  même 
pied  que  les  imans  et  les  mollahs.  Quant  aux  superstitions, 
qu'il  nefautpas  confondre  avec  le  culte  proprement  dit,  elles 
sont  toutes  communes  aux  musulmans  et  aux  brahmanis- 
tes.  En  somme,  la  grande  masse  musulmane,  surtout  dans 
les  campagnes,  est  nominalement  convertie  à  l'Islam,  et  est 
dépourvue  de  tout  fanatisme  religieux.  Les  dix  cà  douze 
mille  pèlerins,  qui  se  rendent  chaque  année  à  la  Mecque, 
se  recrutent  principalement  dans  la  population  des  villes, 
et  leur  action  se  réduit  à  peu  de  choses,  depuis  plusieurs 
années.  N'oublions  pas  que  depuis  la  fameuse  insurrec- 
tion de  1857,  il  s'est  passé  plus  d'un  tiers  de  siècle. 

L'islamisme  a  paru  dans  l'Inde,  au  XI°  sièclC;,  et  deux 
cents  ans  plus  tard,  il  s'y  était  définitivement  établi.  Mais 
-il  ne  devient  dominant  qu'à  partir  duXIV  siècle,  lorsqu'un 
petit-fils  de  Tamerlan,  Babour,  se  fut  emparé  de  Delhy  et 
eût  fondé  le  célèbre  empire  du  Grand  Mogol,  dont  le  nom 
est  resté  légendaire.  Ses  successeurs  marchèrent  sur  ses 
traces  et  asservirent  la  plus  grande  partie  de  l'Inde.  Avec 
Aureng-Zeyb,  qui  régna  de  1659  k  1707,  cet  empire  était 
à  son  apogée.  A  l'intérieur,  l'agriculture  et  le  commerce 
étaient  protégés.  La  puissance  et  les  richesses  du  Grand 
Mogol  étaient  proverbiales  dans  tout  l'Orient.  Il  comman- 
dait à  quarante  royaumes,  et  Ton  estimait  ses  revenus  à 
près  d'un  milliard.  Dans  toute  l'Asie  on  parlait  de  son  tré- 
sor, de  ses  pierres  précieuses,  de  son  palais  qui  avait 


I 


LE    lîRAHMANISME  403 

qualrc  lieues  de  leur,  de  sou  trùue  resplendissant  d'or  et 
d'arirenl,  de  ses  écuries  où  étaient  entretenus  de  nombreux, 
chevaux,  qui  étaient  nourris  avec  des  galettes  faites  de 
beurre  et  de  froment.  Au  siècle  suivant,  commença  la  déca- 
dence, et  l'empire  du  Grand  Mogol  finit  par  devenir  une  pos- 
session anglaise.  Mais,  pendant  tout  le  temps  qu'il  brilla,  et 
qui  forme  ce  qu'on  pourrait  appeler  la  belle  période  mu- 
sulmane de  l'Inde,  l'islamisme  gagna  beaucoup  de  terrain. 
Quoique  les  souverains  de  Delhy  eussent  coutume,  le  plus 
ordinairement,  de  traiter   leurs  sujets,  en  matière  reli- 
gieuse, avec  une  grande  tolérance,  on  les  vit  à  plusieurs 
reprises,  exercer  une  pression  plus  ou  moins  forte  sur  les 
Hindous,  pour  les  forcer  à  embrasser  la  foi  professée  par 
les  chefs  du  gouvernement.  C'est  surtout  dans  la  région 
du  Gange,  que  les  missionnaires  du  Koran  firent  une  pro- 
pagande active,  et  aujourd'hui,  près  de  la  moitié  de  la  po- 
pulation du  Bengale  est  musulmane.  La  domination  mon- 
gole a  laissé  de  nombreuses  traces  de  son  passage  ;  ce  fut 
elle  qui  enleva  aux.  brahmes  les  derniers  restes  de  leur 
inlluence  politique,  et  enfin  son  action  se  fit  sentir  dans 
Tordre  religieux.  Les  musulmans  de  Tlude  brillèrent  dans 
l'architecture  ;  les  sectateurs  du  brahmanisme  les  imitè- 
rent, et  aujourd'hui  Ton  constate  que  la  plupart  des  pago- 
des, qui  ne  datent  pas  de  plusieurs  siècles,  rappellent  les 
mosquées,  par  leurs  constructions.  C'est  ainsi  que  beau- 
coup d'entre  elles  ont  la  forme  de  la  coupole  musulmane, 
renflée  vers  son  miheu,  se  terminant  en  dôme  écrasé,  et 
souvent  recouverte  d'ornements  en  or.  Cette  innovation 
est  d'importation  musulmane. 

Pendant  que  se  fondait  Tempire  du  Grand  Mogol,  pres- 
que au  moment  où  le  protestantisme  enlevait  la  moitié  de 
l'Europe  à  l'église  catholique,  une  tentative  de  réforme 
religieuse  se  produisait  dans  l'Inde.  Indépendante  à  la  fois 
du  brahmanisme  et  de  l'islamisme,  leur  faisant  de  nom- 


404  L&  BRAHMANISME 

breux  emprunts, la  nouvelle  religion  n'a  pu  arriver,  malgré 
les  efforts  de  ses  adeptes,  qu'à  donner  naissance  à  une 
nation  militaire,  qui  ne  dépasse  guère  deux  millions  d'hom- 
mes, celle  des  Sikhs.  L'origine  de  ce  peuple  ou  plutôt  de 
cette  secte,  son  rôle  dans  les  événements  contemporains, 
constituent  l'une  des  pages  les  plus  curieuses  de  Thistoire 
de  rinde.  Aussi,  croyons-nous  devoir  en  dire  quelques 
mots. 

Naneck,  le  fondateur  de  cette  nouvelle  religion  naquit 
en  1  iG9,  près  de  Lahore,  dans  la 'caste  commerçante  des 
Khatris.  Une  partie  de  son  existence  fut  errante,  et  dans 
le  cours  de  ses  voyages,  il  entra  en  rapports  avec  des 
Kabiristes,  et  c'est  alors  qu'il  eut  l'idée  d'une  rérorme 
religieuse.  La  doctrine  qu'il  prêchait  était  fondée  sur  le 
monothéisme  et  la  pureté  snorale.  Ce  Dieu  unique  était 
Vichnou  ou  lîari,  comme  Naneck  l'appelait,  et  il  en 
donnait  une  déllnition  brahmanique.  Selon  le  nouveau 
prophète,  la  connaissance  et  la  répétition  du  nom  de 
Ilari  étaient  plus  efficaces  pour  le  salut  final  que  les 
œuvres  de  charité  et  de  dévotion.  La  croyance  à  la  trans- 
migration était  m.ainteuue,  et  il  y  avait  <S,iOO,000  for- 
mes d'existence  à  travers  lesquelles  l'âme,  qui  est  une 
flamme,  issue  de  la  source  ignée  de  la  vie,  pouvait  être 
condanmée  à  passer^  avant  d'y  retourner.  Naneck  rejetait 
les  Vedàs,  les  Puranas,  tout  aussi  bien  que  le  Koran,  mais 
il  retenait  la  plupart  des  cérémonies  privées  du  brahma- 
nisme et  eut  bientôt  réuni  un  certain  nombre  de  disciples 
auxquels  il  donna  le  nom  de  sikhs ^  disciples.  Comme  il  ré- 
unissait à  la  fois  les  pouvoirs  spirituel  et  politique,  le  titre 
qu'on  lui  donnait  le  plus  habilueUement  était  celui  de 
Grand  Gourou,  Pontife  suprême.  Il  mourut  eu  1559. 

Son  fils  et  successeur,  Angad  composa  le  granth^  le  livre 
sacré  des  Sikhs,  qui  respire  un  panthéisme  mystique.  Le 
quatrième  Grand  Gourou,  Ram  Das  lit  creuser  ou  plutôt 


LE   BRAHMANISME  405 

agrandir  dans  la  ville  de  Tchcka  un  magnifique  bassin,  qui 
fat  nommé  Ainriiasara,  le  lac  de  l'mmortalité,  d'où  la 
cité  prit  son  nom  actuel,  d'Amritsar.  Il  construisit  sur  un 
îlot,  au  centre  de  ce  lac,  un  temple,  le  sanctuaire  de  la 
scGte,  qui  est  un  monument  remarquai)!e  do  marbre  et 
d'or.  Le  cinquième  Grand  Gourou,  Arjun,  écrivit  l'adi- 
grantli,  qui  complétait  le  premier  livre  sacré.  C'est  un 
recueil  de  poésies  religieuses,  laissées  parles  Gourous, 
ses  prédécesseurs,  auxquelles,  il  ajouta  ses  propres  compo- 
sitions, ainsi  qu'un  grand  nombre  de  sentences  et  de 
pièces  de  Ramavauda,  de  Kabir,  du  poète  marhatte  Nam- 
der,  et  d'autres  saints  personnages.  Le  dixième  Grand 
Gourou,  Govind  qui  régna  de  1G75  à  1708,  fut  le  législa- 
teur des  Sikhs  dont  il  fit  un  peuple,  dans  la  véritable  accep- 
tion du  mot,  et  auxquels  il  donna  des  habitudes  militaires. 
11  composa  un  deuxième  G/y. /z^/i.  Ces  divers  livres  sa- 
crés sont  rédiîïés  en  une  forme  vieillie  de  l'ancienne  langue 
dn  Pendjab;  avec  des  biographies  des  Gourous,  des  saints 
et  un  certain  nombre  d'instructions  rituelles  et  disciplinai- 
res, lis  forment  la  littérature  sacrée  de  la  secte.  Ce  fut  Go- 
vind qui  supprima  les  castes  ;  mais  néanmoins  la  secte  n'a 
jamais  cessé  de  témoigner  beaucoup  de  respect  aux  brah- 
mes,  qu'elle  considère  comme  des  êtres  de  race  supérieure. 
A  la  mort  de  Govind,  la  dignité  de  Grand  Gourou,  qui  de- 
puis quelque  temps,  était  devenue  héréditaire,  fut  abolie. 
Tout  d'abord,  elle  s'était  transmise  par  voie  de  consécration 
du  titulaire  mourant  au  plus  digne  de  ses  disciples.  C'est  ain- 
si que  Nancck  avait  désigné  l'un  de  ses  fils  xVngad  pour  lui 
succéder.  Cette  suppression  modifiait  la  doctrine  primitive. 
Le  Grand  Gourou  était  infaillible,  et  ses  disciples  lui  de- 
vaient une  obéissance  absolue.  Sa  mission  était  toute  divi- 
ne ;  c'était  suivant  la  formule  consacrée,  le  médiateur,  le 
sauveur,  ce  qui  revient  à  dire  qu'on  le  considérait  comme 
une  incarnation  de  Hari,  de  Vichnou. 


406  LE    BRAHMANISME 

Pendant  près  d'un  siècle,  les  Sikhs  restèrent  une  com- 
munauté purement  religieuse  de  puritains,  se  composant 
principalement  de  commerçants,  de  laboureurs  et  de  mar- 
chands. Avec  le  grand  Gourou  Govind,  la  secte  changea 
de  caractère.  Aussitôt  initié,  le  Sikh  devenait  soldat,  et 
la  guerre  sainte  était  désormais  son  occupation  perma- 
nente. Il  lui  était  ordonné  d'être  toujours  en  armes,  ou  tout 
au  moins  de  porter  sur  lui  de  l'acier,  comme  signe  de  sa 
vocation.  Il  adressait  ses  prières  à  son  sabre,  comme 
représentant  la  divinité;  aucun  rapport  ne  pouvait  être 
toléré  avec  l'infidèle.  Il  était  défendu  de  rendre  le  salut  cà 
un  br'ahmaniste  et  au  musulman.  En  le  tuant,  l'on  accom- 
plissait un  acte  méritoire.  La  direction  de  la  secle,  à  la 
suite  de  la  suppression  de  la  dignité  de  Grand  Gourou, 
était  passée  à  une  milice,  celle  des  a/.Y^/r's,  les  fidèles  de 
l'Éternel^  dont  le  fanatisme  ne  laissait  rien  à  désirer.  Pen- 
dant la  plus  grande  partie  du  XYIII^  siècle,  les  Sikhs 
furent  constamment  en  guerre  avec  les  Afghans,  l'empire 
du  grand  Mogol  et  les  états  musulmans,  leurs  voisins. 
Pendant  la  première  partie  du  XIX"  siècle,  ils  résistèrent 
vaillamment  aux  Anglais,  et  furent  néanmoins  obligés  de 
reconnaître  leur  suprématie.  Les  nouveaux  maîtres  do 
rinde  ont  su  s'attacher  celte  nation  guerrière,  et  y  recru- 
tent pour  leurs  troupes  indigènes,  des  soldats  dont  la 
fidélité  ne  s'est  jamais  démentie.  Aujourd'hui  les  Sikhs 
ne  sont  plus  ce  qu'ils  étaient  autrefois.  Agglomérés,  pour 
la  plupart,  dans  le  Pendjab  oîi  ils  forment  cinq  ou  six 
petites  principautés,  on  les  trouve  aussi  répandus  par  petits 
groupes,  dans  toute  l'Inde,  principalement  dans  le  Deccan. 
Beaucoup  d'entre  eux  s'adonnent  à  la  culture  et  possèdent 
des  troupeaux.  Ils  ont  même  quelques  industries^  et  se 
distinguent  dans  la  iabrication  des  draps.  Le  fanatisme 
d'autrefois  avait  fait  place  à  une  grande  tolérance,  sous 
laquelle  se  cache  beauconp  de  tiédeur  ;  si  bien  qne  le  doc- 


LK   BRAHMANISME  407 

teurTrumpp,  quiavécu  parmi  eux,  a  pu  dire  que  leSikhisme 
était  une  religion  qui  s'en  allait.  Diverses  communautés 
religieuses  se  sont  formées  dans  sou  sein.  Les  Akalis 
subsistent  toujours,  mais  leur  action  se  réduit  à  peu  de 
cliose.  Les  Ninnalè  sadhus  «  les  saints  purs»  mènent 
une  existence  cénobitique.  Le  culte  est  simple  ;  à  l'excep- 
tion d'Amritsar,  qui  est  le  centre  religieux  de  la  nation  et 
de  quelques  sanctuaires,  aux  endroits  consacrés  par  la  vie 
ou  par  la  mort  des  gourous  et  des  martyrs,  les  Sikhs  n'ont 
pas  de  lieux  saints.  Leurs  temples  sont  des  maisons  de 
prières.  L'on  y  récite  des  morceaux  de  poésie,  l'on  y  chante 
des  hymmes,  et  l'assemblée  se  sépare,  après  que  chaque 
fidèle  a  reçu  une  portion  du  Karah  prasad  de  «  l'obla- 
tion  efficace  »  une  sorte  de  pâtisserie  consacrée  au  nom 
d'un  grand  Gourou,  le  plus  habituellement  Naneck.  Le 
livre  sacré,  le  Granth^  que  l'on  considère  comme  le  repré- 
sentant de  la  divinité,  le  prophète,  est  l'objet  d'hom- 
mages personnels.  Tous  les  matins,  il  est  revêtu  d'un  riche 
habillement  de  brocard,  et  on  le  place  sur  un  trône,  sur- 
monté d'un  riche  dais.  Durant  tout  le  jour,  on  l'éventé,  et 
le  soir,  il  est  transféré,  en  grande  pompe,  dans  un  autre 
appartement,  et  déposé  sur  un  lit  d'or,  pour  y  passer  la 
nuit.  Ce  culte  rappelle  les  honneurs  que  les  Juifs  rendaient 
à  leur  arche  d'alliance.  Le  respect  témoigné  aux  vaches, 
et  qui  est  aussi  grand  que  par  le  passé,  est  le  principal 
rite  brahmanique  qui  se  soit  maintenu.  Un  détail  assez 
curieux,  c'est  que  les  Sikhs  croient  encore  que  leur  dieu 
Hari  descend  fréquemment  sur  la  terre,  et  de  temps  à  autre, 
l'on  annonce  qu'une  nouvelle  incarnation  de  la  divinité  a 
eu  lieu  ;  de  nouvelles  sectes  se  forment  quelquefois.  Ces 
manifestations  montrent  que  ce  peuple  sent  le  besoin  d'une 
révélation  plus  qu'aucune  autre  race  asiatique.  Si  les  Sikhs 
ne  sont  plus  les  guerriers  d'autrefois,  ils  ont  conservé  leurs 
mo'urs  et  leurs  usages.  Le  costume  qui  avait  été  régie- 


408  LE    BRAHMANISME 

mente  par  le  Grand  Gourou  Govind,  et  qui  consiste  à  se 
laisser  pousser  la  barbe  et  les  cheveux^  à  porter  un  pan- 
talon et  un  manteau  de  couleur,  et  un  turban  orné  de 
chaînettes  d'or  est  resté  le  même.  Notons  que  les  femmes 
ne  sont  pas  enfermées,  qu'elles  sont  beaucoup  plus  libres 
que  les  musulmanes  ;  leur  condition  sociale  rappelle 
beaucoup  plus  FEurope  que  l'Asie.  En  somme,  la  réforme 
de  Naneck,  qui  a  donné  lieu  au  Sikhisme  a  constitué  un 
véritable  progrès,  et  ses  adeptes,  dans  rinde,se  montrent 
bien  supérieurs  aux  brabmanistes  et  même  aux  musul- 
mans. 

La  présence  dans  l'Inde  des  Européens,  qui  y  vinrent 
d'abord  comme  marchands,  sans  autre  but  que  défaire  du 
commerce,  et  finirent  par  subjuguer  les  populations,  de- 
vait nécessairement  produire  un  mouvement  dans  les  idées. 
Celte  influence  se  fît  sentir  dès  le  commencement  du  XIX<3 
siècle.  Un  brahme  vichnouiste,  Sahajananda,  qui  apparte- 
nait à  une  famille  considérable,  et  se  distinguait  par  son 
savoir,  résolut  de  combattre  la  secte  fondée  par  Vallabha- 
Souami,  dont  le  sensualisme  avait  tant  d'attraits  pour  les 
masses.  Sahajanauda  ne  se  proposait  pas  de  fonder  une 
nouvelle  religion  :  il  voulait  simplement  réformer  le  brah- 
manisme, et  le  ramener  à  sa  pureté  primitive.  Il  n'a  rien 
innové  en  matière  de  dogme.  Pour  lui  Brahma  est  le  dieu 
suprême  ;  Viclinouet  Çiva  n'en  sont  que  des  parties.  L'in- 
carnation de  Vichnou  dans  Krichna  mérite  une  dévotion 
toute  particulière,  et  dans  les  explications  que  donne  Sa- 
hajananda, l'on  dirait  qu'il  a  eu  connaissance  des  mystères 
du  christianisme.  Mais  ce  qui  distingue  sa  doctrine,  c'est 
sa  morale.  L'amour  du  prochain  est  recommandé,  et  visi- 
ter les  pauvres,  les  assister  est  une  œuvre  méritoire.  Les 
sacrifices  humains  sont  interdits  ainsi  que  le  suicide  et 
Tadullère.  Le  vol  est  défendu.  Cet  enseignement  recruta 
un  certain  nombre  de  disciples,  connus  sous  le  nom  de 


LE   BRAHMANISME  400 

Soami  Narayanas^  et  l'on  estime  qu'ils  doivent  être  près 
de  500.000.  Ils  sont  divisés  en  deux  classes,  les  Sadhus 
et  les  Grahastas.  Les  premiers,  afm' d'observer  plus  lidèle- 
ment  la  doctrine  du  mailre,  observent  le  célii:)at,  et  sont  des 
espèces  de  religieux,  tandis  que  les  Grahastas  sont  ce 
que  nous  appellerions  en  Europe  des  laïques.  Sahajananda 
est  mort  en  odeur  de  sainteté.  Sa  statue  se  trouve  dans 
quelques  temples,  et  les  fervents  de  sa  secte  le  regardent 
comme  une  incarnation  de  Viclmou. 

L'influence  des  idées  chrétiennes  n'allait  pas  se  borner 
à  exercer  son  action  sur  la  secte  de  Sahajananda.  Un  mou- 
vement religieux  allait  bientôt  se  produire,  et  l'on  demande 
s'il  n'est  pas  le  commencement  d'une  révolution,  dont  le 
résultat  serait  de  transformer  la  vieille  Inde  brahmanique. 
Nous  voulons  parler  du  Drahma  SamaJ.  Son  fondateur, 
Ram  Moliun  Roy,  naquit  en  1775  à  Rahnagar,  d'une  fa- 
mille de  brahmes.  Sa  doctrine  dérive  du  Védanta,  et  après 
en  avoir  condamné  le  grossier  polythéisme,  il  fait  consister 
l'essence  de  sa  religion  dans  la  reconnaissance  de  l'unité 
divine,  panthéisme  ou  monothéisme,  peu  lui  importe.  Ram 
Mahun  Roy  n'admet  pas  ainsi  un  Dieu  personnel.  Il  con- 
naissait le  fiiristianisme,  l'avait  même  étudié,  ainsi  que  le 
prouve  un  livre  qu'il  publia  sous  ce  titre  :  «  Les  précep- 
tes  de  Jésus^^guides  de  la  paix  et  du  bonheur  »,  où  il  ren- 
dait hommage  à  la  valeur  morale  de  la  religion  chrétienne, 
tout  en  contestant  la  divinité  du  Christ.  Quand  il  mourut 
en  1835,  il  avait  créé  une  secte  qu'il  avait  désignée  sous 
le  nom  de  Bi^ahma  Samaj ^  socïété  de  Dieu.  En  1850,  il 
avait  édifié  une  sorte  de  temple  pour  y  rassembler  ses  dis- 
ciples, afin  d'y  réciter  des  prières  et  d'y  entendre  des  pré- 
dications, des  conférences  sur  l'amour  du  prochain,  la 
vertu  et  les  moyens  de  rapprocher  les  uns  des  autres  les 
hommes  de  toutes  croyances. 

Le  successeur  de  RamMohun  Roy,  Mohun  Roy,  s'écarta 


410  LE    BRAHMANISME 

de  la  doctrine  primitive,  ettendit  au  dogme  d'un  dieu  per- 
sonnel. Pour  répondre  à  l'opposition  que  rencontrait  son 
enseignement,  il  remonta  jusqu'aux  Yédas  et  s'efforça  d'y 
trouver  le  Dieu  personnel.  Puis,  s'affirmant  de  plus  en 
plus,  la  nouvelle  secte  rompit  avec  la  tradition  du  brahma- 
nisme, repoussa  toute  révélation,  et  publia  sa  profession 
de  foi,  qui  peut  se  résumer  ainsi  :  V unité  et  laperson- 
iialité  de  Dieu  ;  l'immortalité  de  Vâme  ;  l'efficacité 
morale  de  la  prière  ;  la  nécessité  du  repentir  pour  le 
radiât  de  la  faute.  C'était  le  pur  déisme.  La  nouvelle  re- 
ligion dont  les  adeptes  se  distinguaient  par  leur  esprit  de 
prosélytisme,  se  lança  bientôt  dans  des  tentatives  de  ré- 
formes radicales.  Elle  demandait  que  les  bralimes  renon- 
çassent à  porter  le  cordon,  emblème  de  leur  suprématie, 
que  les  cérémonies  funèbres  fussent  réformées  ainsi  que 
celles  du  mariage,  la  suppression  de  la  polygamie,  celle 
de  l'interdiction  aux  personnes  de  différentes  castes  de  se 
marier  entre  elles,  etc.  L'on  parlait  aussi  de  la  nécessité 
de  s'occuper  de  l'éducation  de  la  femme.  C'était  le  pro- 
gramme d'une  véritable  révolution  sociale,  et  il  s'en  suivit 
une  certaine  agitntion,  si  bien  qu'en  1872,  le  gouverne- 
ment anglais  rendit  plusieurs  lois,  qui  donnaient,  en  partie, 
satisfaction  aux  demandes  formulées  par  le  Brahma  Sa- 
maj. 

Une  scission  avait  eu  lieu  dans  le  Brahma  Samaj\  en 
1805.  Parmi  les  partisans  de  la  nouvelle  doctrine,  le  fds 
d'un  brabme  viclmouiste,  Keshak  Chandra  Sen,  se  distin- 
guait tout  particulièrement  par  son  ardeur  et  la  hardiesse 
de  ses  idées.  Selon  lui,  la  réforme  que  l'on  tentait  devait 
être  à  la  fois  religieuse  et  sociale,  et  en  même  temps,  il 
trouvait  que  le  pur  déisme  tel  qne  l'avait  enseigné  Mohnn 
Roy  avait  des  formes  trop  sévères  pour  l'imagination  des 
Hindous,  et  que  l'absence  de  culte  était  un  obstacle  h  la 
propagande.  Le  Bra/ima  SamaJ  se  divisa  alors.  Un  ccr- 


LE   BRAHMANISME  411 

tain  nombre  de  ses  adeptes  ne  voulut  en  rien  modifier 
l'enseignement  primitil',  et  resta  ce  qu'il  avait  été  une  secte 
purement  déiste.  Mais  la  majorité  se  prononça  en  faveur 
de  Keshak  Gliandar  Sen,  et  bientôt  la  nouvelle  société  fit 
paraître  sa  profession  de  foi  que  nous  croyons  devoir  re- 
produire. 

«  Dieu  est  la  cause  première  de  l'univers  qu'il  a  créé 
«  de  rien,  et  qu'il  soutient  ;  il  est  pur  esprit,  parfait, 
«  infini,  tout  puissant,  tout  miséricordieux,  notre  père, 
«  notre  maître,  notre  sauveur  ;  il  ne  s'est  jamais  incarné. 
«  La  divinité  réside  dans  chaque  homme,  et  rayonne  plus 
«  particulièrement  dans  quelques-uns,  tels  que  Moïse, 
«  .Tésus-Christ,  Mahomet,  Naneck,  Tchaïtanya,  etc.  Ce 
«  sont  de  grands  bienfaiteurs  de  l'humanité.  L'àme  est 
«  immortelle.  Il  n'y  a  pas  de  nouvelle  naissance  après  la 
«  mort.  La  vie  future  est  la  continuation  et  le  développe- 
«  ment  de  la  vie  présents.  Tout  pécheur  supportera  les 
«  conséquences  de  ses  péchés,  lot  ou  tard,  dans  ce  monde 
«  ou  dans  l'autre.  L'homme  doit  travailler  à  sa  sanctifi- 
«  cation  par  les  hommages  rendus  à  Dieu,  par  la  répres- 
«  sion  de  ses  passions,  par  le  repentir,  par  l'étude  de  la 
«  nature.  C'est  ainsi  qu'il  obtiendra  le  salut  à  Paide  de  la 
«  grâce  divine.  Le  salut  pour  fàme  est  la  délivrance  de 
«  la  corruption,  et  alors  elle  deviendra  sainte  et  heureuse 
«  dans  le  paradis.  Les  écritures  sacrées  sont  de  deux 
«  sortes,  le  livre  de  la  nature  et  les  idées  innées  sur  la 
«  vie  future  et  la  morale.  La  religion  de  Brahma  est  l'es- 
«  sence  de  toute  religion,  quoiqu'elle  en  soit  distincte. 
I  Elle  n'est  hostile  à  aucune  autre  croyance.  Elle  accepte 
«  ce  qui  est  vrai  dans  les  autres.  Elle  est  basée  sur  la 
«  constitution  humaine,  éternelle,  universelle.  Tout  le 
«  genre  humain  est  une  famille;  il  ne  doit  y  avoir  aucune 
«  distinction  de  castes.  Il  y  a  quatre  sortes  de  devoirs  : 
«  les  devoirs  envers  Dieu,  envers  soi-même,  envers  le 


412  LE   BRAHMANISME 

<(  prochain,  envers  les  animaux.  »  La  nouvelle  doctrine 
n'était  pas  seulement  une  réforme;  c'était  une  religion, 
qui  se  fondait  et  qui  rompait  complètement  avec  les  tra- 
ditions de  la  vieille  Inde.  On  reconnaissait  rinfluence  des 
idées  chrétiennes,  mais  aussi,  celles  de  la  Franc-Maçon- 
nerie, qui  depuis  quelques  années  avait  recruté  un  certain 
nombre  d'adhérents  parmi  les  populations  de  rExtrème- 
Orient. 

Keshak  Chandar  Sen  ne  négligea  rien  pour  assurer  le 
succès  de  sa  doctrine,  et  montra  un  zèle  d'apôtre.  Il 
parcourut  l'Inde,  à  diverses  reprises,  portant  partout  sa 
prédication,  et  en  1870,  il  se  rendait  en  Angleterre,  dans 
Fespoir  qu'il  serait  secondé  dans  son  œuvre  par  les  so- 
ciétés bibliques.  A  son  retour,  il  acheva  d'organiser  son 
cuUo,  et  à  l'heure  actuelle,  le  Brahnia  samaj  est  consti- 
tué à  l'état  de  religion.  Chaque  semaine,  un  jour  est  con- 
sacré à  Dieu,  et  à  différentes  époques,  reviennent  des 
fêles  périodiques.  L'office  se  fait  remarquer  par  sa  simpli- 
cité, et  rappelle  le  protestantisme.  Il  consiste  h  chanter 
deshymmes,  à  réciter  des  textes  sanscrits,  empruntés  aux 
livres  sacrés  de  l'Inde,  et  à  écouter  un  sermon  ou  une 
conférence  du  brahme,  qui  remplit  les  fonctions  de  minis- 
tre officia'nt.  Auu  moment  donné,  le  silence  le  plus  com- 
plet se  fait,  et  pendant  quelques  minutes  toute  l'assemblée 
se  recueille  ;  c'est  ce  qu'on  appelle  la  communion  spiri- 
tuelle. Pour  entrer  dans  le  BrahmaSamaj\  il  faut  subir 
l'initiation^  et  alors  a  lieu  une  cérémoie,  qui  n'a  rien  de 
particulier.  L'aspirant  subit  un  interrogatoire,  et  au  moment 
de  sa  réception,  les  chants  se  font  entendre,  et  des  prières 
particulières  sont  ensuite  récitées  à  son  intention.  Le 
Bra/ima  Samaj\  tel  que  Keshak  Chandar  Sen  l'a  organisé, 
semble  être  appelé  à  un  certain  avenir.  Son  principal 
centre  est  Madras,  et  il  y  possède  un  certain  nombre  de 
journaux,  qui  font  une  propagande  assez  active.  Ses  adhé- 


LE    BRAHMANISME  413 

rents  se  montrent  plein  d'ardeur,  et  à  l'heure  actuelle  l'on 
estime  qu'ils  sont  plus  de  cent  mille  dans  toute  l'Inde. 
Ils  sont  divisés  en  petites  sociétés,  qui  commencent  à  se 
répandre  un  peu  partout,  et  Tappui  qu'elles  trouvent  dans 
l'autorité  anglaise,  la  bienveillance  que  leur  témoignent 
beaucoup  de  brahmes,  favorisent  leur  développement. 
Quand  au  Brahnia  sainaj  primitifs  qui  en  est  resté  au 
pur  déisme,  c'est  une  secte  sans  importance,  incapable 
d'action,  et  dont  le  rôle  sera  toujours  fort  effacé. 

Le  Brahma  samaj  est  la  preuve  qu'une  révolution 
morale  et  peut-être  politique  commence  à  se  faire  dans 
l'Inde  ;  mais  elle  ne  s'accomplira  que  fort  lentement  et  il 
faudra  des  siècles  pour  que  les  croyances  de  la  vieille  terre 
bramanique  puissent  disparaître.  Cependant  un  progrès 
réel  commence  à  s'accomplir.  Il  existe  des  Universités  à 
Calcutta,  à  Bombay,  à  Madras,  Allahabad.  fréquentés  par  les 
indigènes.  Des  collèges  secondaires;  des  écoles  primaires 
où  se  donne  l'instruction,  et  à  divers  degrés,  existent,  et 
en  grand  nombre.  Le  pays  a  été  couvert  d'hôpitaux  et  de 
dispensaires,  et  par  suite  de  leur  contact  avec  les  Euro- 
péens, il  s'est  produit  parmi  les  classes  élevées  de  la  popu- 
lation, un  courant,  si  non  vers  le  christianisme,  du  moins 
vers  les  idées  chrétiennes.  Les  musulmans  seuls  restent 
étrangers  à  ce  mouvement.  Ce  qui  ne  s'était  jamais  vu,  des 
notables  indigènes  et  des  Européens  se  sont  associés, 
dans  plusieurs  villes,  pour  fonder  des  comités,  dans  le  bat 
de  soutenir  des  écoles  primaires.  De  tout  temps,  les 
femmes  dans  l'Inde,  ont  pris  aux  travaux  de  l'existence 
une  part  beaucoup  plus  grande  et  plus  active  qu'on  ne 
l'imagine  généralement.  Souvent,  elles  administrent  des 
propriétés,  s'occupent  d'affaires  commerciales  importantes, 
et piesque  toujours  elles  font  [ireuve  de  beauconp  d'in- 
telligence. L'on  a  songé  à  améliorer  leur  situation  so- 
ciale, en  élevant  leur  niveau  intellectuel,  et  des  résultats 


414  LE   BRAHMANISME 

encourageants  ont  été  obtenus.  En  1870,  10.000  filles 
fréquentaient  les  écoles  dans  la  province  de  Madras  ;  en 
1889  il  y  en  avait  70.000.  Dans  la  présidence  de  Bombay, 
leur  nombre  a  augmenté  de  9.000  à  50.000.  Dans  le  Ben- 
gale, il  y  avait  en  1871,  (i.OOO  filles  allant  aux  écoles,  et 
90.000  en  1889.  C'est  dans  cette  partie  de  l'Inde  que  les 
idées  européennes  semblent  se  faire  le  plus  jour  jusqu'à 
présent.  Des  loges  maçonniques  y  ont  été  créées;  et  les 
indigènes,  qui  s'y  font  initier,  deviennent  de  plus  en  pins 
nombreux,  et  de  la  fnsion  de  leurs  rites  avec  les  vieilles 
coutumes  brahmaniques,  nous  verrons  d'ici  peu  surgir  de 
nouvelles  sectes  religieuses.  Depuis  quelques  années,  une 
agitation  politique  a  lien  au  Bengale.  Les  indigènes  ont 
une  presse  périodique,  et  tiennent  des  réunions,  des 
assemblées,  des  congrès.  L'on  est  stupéfait  de  leurs  ré- 
clamations et  de  leur  demandes,  et  l'on  voit  combien  leurs 
idées  se  sont  modifiées  depuis  cent  ans.  Un  esprit  public 
commence  à  se  créer.  L'on  ne  peut  le  nier,  un  travail 
commence  à  s'accomplir  dans  l'Inde,  et  le  brahmanisme 
aura  tût  où  tard  à  soutenir  un  assaut  autrement  redou- 
table que  celui  que  lui  ont  livré  le  bouddhisme  et  l'is- 
lamisme (i). 

U.  Gastonnet  des  Fosses, 

Vice-Président  de  la  Société  de   Géographie 
commerciale  de  Paris. 


(1)  Il  serait  fort  inlérossanl  d'éUidier  l'action  que  le  catholi- 
cisme et  le  protestantisme  exercent  dans  l'Inde.  La  fameuse 
armée  du  salut  y  a  fait  son  apparition  et  ses  process'ons  se  sont 
montrées  à  Bombay,  à  Madras,  à  Ceylan. 


LE   BOUDDHISME 


Quatrième  article. 


3*.  Cotnment  le  vainqueur  du  dêmo7i  reçut  enfm, 
sous  Varbre  Bôdhi,  V illumination  suprême,  et  fut 
introduit  dans  la  «  cite  de  V omniscience  » 

Libre  enfin  de  toute  entrave,  le  sage,  plus  que  jamais 
impatient  de  résoudre  le  grand  problème  de  la  vie,  de  la 
douleur  et  de  la  mort,  s'enferme,  s'absorbe  et  se  perd 
dans  la  contemplation  du  monde  et  de  son  âme.  Tout 
s'agite,  tout  change,  tout  passe.  Rien  ne  naît  que 
pour  mourir,  et  la  vie  n'est  que  le  voile  transparent  de 
la  mort  à  laquelle  tout  aboutit,  x  Misérable  certainement 
est  ce  monde  qui  est  produit,  qui  nait,  qui  vieillit,  meurt, 
disparaît  et  est  reproduit.  Mais  on  ne  sait  pas  le  moyen 
de  sortir  de  ce  monde  qui  n'est  qu'un  grand  amas  de 
douleurs:  Vieillesse,  maladie,  mort  et  le  reste,  hélas  ! 
ce  qui  peut  mettre  fin  à  ce  monde  qui  n'est  qu'un  grand 
amas  de  douleurs,  on  ne  le  sait  pas  !  »  (1) 

Tout  à  coup  le  souvenir  vivant  et  clair  de  ses  innom- 
brables vies  antérieures  se  présente  à  son  esprit.  La  vue 
de  cette  suite  interminable  d'existences  agitées,  toutes 
chargées  de  continuelles  douleurs,  toutes  terminées  par 
une  mort  qui  ne  finit  rien,  cette  vue  le  plonge  dans  une 
tristesse  accablante,  désespérée  ;  la  perspective  de  recom- 

(1)  Lalita,  c.  XXII   p>  ^89. 


416  LE  BOUDDHISME 

mencer  encore,  et  de  continuer  sans  repos  ni  trêve 
à  travers  des  siècles  sans  nombre  la  série  de  ces  migra- 
tions forcées,  de  ces  transformations  laborieuses,  le  fait 
frissonner  de  crainte  et  dUiorreur.  Plutôt  l'arrêt  dans 
l'anéantissement  que  cette  perpétuelle  et  douloureuse 
agitation  dans  le  vide.  Le  malheur  suprême  est  de  vivre 
et  de  sentir  que  l'on  vit.  Le  seul  bien  est  Pinconscience, 
la  seule  vérité  subsistante  est  la  mort.  Le  vrai  sage  sait 
que  tout  n'est  rien,  que  les  dieux  et  les  hommes,  le  ciel 
et  la  terre  ne^ sont  qu'une  apparence,  une  illusion,  un 
peu  d'écume,  sur  les  vagues  de  l'océan  des  douleurs,  et 
son  rêve  est  d'arriver  un  jour  à  perdre  conscience  même 
de  ce  néant  pour  s'abîmer  dans  l'anéantissement  ab- 
solu. 

L'heure  à  laquelle  se  formula  nettement  dans  l'esprit 
de  Sakya  cette  désolante  doctrine,  marque  pour  le 
bouddhisme  une  date  sacrée.  L'illumination  définitive, 
le  revêtement  de  l'intelligence,  l'initiation  complète  à  la 
bonne  Loi,  eurent  lieu,  «  à  la  dernière  veille  de  la  nuit, 
à  l'aurore,  au  moment  où  Ton  bat  le  tambour,  à  l'heure 
de  la  nuit  où  l'on  est  très-endormi  (1).  » 

Désormais  le  fils  de  Maya,  entré  pour  n'en  plus  sortir 
dans  la  «  cité  de  l'Omniscience  »  (2)  et,  mêlé  à  tous  les 
Bouddhas,  dontil  a  reçu  l'intelligence  parfaite,  illumine- 
raparsaprédication,  le  vide  immense  et  total  dans  lequel 
roule  toute  l'existence,  mais  dont  l'homme  doit  avoir 
conscience  pour  échapper  aux  troubles  de  ce  mirage  qui 
s'appelle  la  vie  du  monde.  «La  réunion  des  trois  mondes 
est  brûlée  par  les  douleurs  de  la  vieillesse  et  de  la 
maladie.  Le  monde  sans  protection  est  consumé  par  le 
feu  de  la  mort.  La  créature  ne  court  pas  à  sa  délivrance; 

(1)  C.  XXII  p.  293. 

(2)  p.  294. 


LE  BOUDDHISME  417 

toujours  affolée,  clic  s'agite,  comme  une  abeille  dans  un 
vase.  » 
C'est  cette  sombre  vision  des  choses  qui  le  fit  apùtre. 

VIII.  LE  PRÉDICATEUR 

38,  Le  Bouddha  écouta-t-il  les  'paroles  de  Mara  lui 
conseillant  d'entrer  immédiatement  dans  la  paix 
éternelle  ? 

Le  voilà  donc  en  possession  du  grand  secret,  le  soli- 
taire do  Bôdhimanda;  le  voilà  parvenu  à  la  science  des 
sciences  ;  elle  est  trouvée  enfin,  la  voie  parfaite  qui 
mène  au  Nirvana. 

Que  fera  maintenant  le  Tathàgata  ?  gardera-t-il 
son  secret  pour  lui  seul  ?  —  eraprisonnera-t-il,  en  son 
cœur,  la  lumière  ? — oublieux  de  ses  frères,  entrera-t-il, 
empressé  et  solitaire,  dans  les  joies  suprêmes  du  complet 
anéantissement  ? 

L'égoïsme  et  le  démon  voudraient  qu'il  en  fût  ainsi. 
Mais  le  Tathàgata  repousse  avec  mépris  les  suggestions 
de  l'égoïsme  et  se  souvient  a  propos  qu'il  a  vaincu  le 
démon.  «  Cependant  le  démon  Pàpiyàn,  s'étant  approché 
de  l'endroit  où  était  le  Tathàgata,  adresse  ce  discours 
au  Tathàgata:  Que  Bhagavat  entre  dans  le  Parinirvâna! 
Que  Sougata  entre  dans  le  Parinirvâna  !  C'est  le  temps 
maintenant  pour  Bhagavat  d'aller  au  Parinirvâna  !  — 
Cela  dit,  religieux,  Tathàgata  répondit  ceci  au  démon 
Pàpiyân:...  Non,  Pàpiyàn,  je  n'entrerai  pas  dans  le 
Parinirvâna  tant  que  la  renommée  du  Bouddha,  de  la 
Loi  et  de  l'Assemblée  des  fidèles  ne  sera  pas  solidement 
établie  dans  le  monde... 

Ayant  entendu  ce  discours,  Pàpiyàn  se  retira  d'un 

27 


418  LE)  BOUDDHISME 

côté  et  resta  immobile.  Triste,  abattu,  la  tète  basse, 
traçant  avec UQ  bâton  des  figures  sur  la  terre,  il  dit:  «II 
a  surpassé  mon  empire  (1).  » 

39.  Comment  la  pitié  fit  d'X  Bouddha,  malgré  les 
répugnances  de  la  nature^  le  prédicateur  de  la  déli- 
vrance ! 

Ira-t-il  donc,  lui,  l'initié  par  excellence,  initier  à  son 
tour  les  créatures  au  secret  sauveur  ?  Se  fera-t-il,  lui,  le 
savant,  l'illuminé,  le  sage  accompli,  le  maître  et  Tillu- 
minateur  des  pauvres  humains  ?  Consentira-t-il  à  deve- 
nir, lui,  qui  sait  le  chemin  de  la  félicité,  le  guide  de  ses 
frères,  égarés,  aveugles  et  malheureux.  *? 

Mais  à  quoi  bon  se  donner  tant  de  peine?  Le  secret 
qu'il  possède  est  si  mystérieux,  la  science  qu'il  a  acquise 
si  profonde,  la  voie  qu'il  suit  si  ardue.  Les  hommes 
l'écouteront-ils  seulement  ?  et  s'ils  l'écoutent,  le  com- 
prendront-ils ?  et  s'ils  le  comprennent  le  suivront  ils? 
Dans  cette  incertitude  n'est  il  pas  meilleur  de  se  taire 
et  plus  sage  de  se  reposer  ! 

Encore,  si  pour  stimuler  son  zèle,  et  enflammer  son 
dévouement,  le  Tathàgata  voyait  s'ouvrir  devant  lui  la 
perspective  merveilleuse  d'un  ciel  lumineux  et  chaud  à 
ouvrir  aux  déshérités  de  ce  monde,  s'il  entrevoyait,  au 
terme  de  l'évolution  humaine,  l'entrée  dans  la  joie  de  la 
vision  et  de  l'amour  de  Dieu  !  mais  non,  pour  lui  l'ave- 
nir est  dans  le  vide  glacé  du  néant,  dans  les  ténèbres 
désespérantes  de  rinconscience  et  de  la  mort.  —  Est-ce 
bien  la  peine  vraiment;,  de  donner  sa  vie  à  une  œuvre 
si  désespérante,  et  le  repos  du  néant  vaut-il  le  travail 
qu'on  doit  s'iqaposer  pour  l'obtenir  ? 
Ces  considérations,  la  première  sartout,  firent    sur 

(I)  G.  XXIV,  p.  374. 


1 


LK  BOUDDHISME  419 

Sakya,  imo  impression  profonde.  «  Si  j'enseignais  cette 
loi  aux  autres,  dit-il,  et  s'ils  no  la  reconnaissaient  pas, 
ce  serait  pour  moi  de  la  fatigue  et  un  inutile  effort;  je 
resterai  donc  silencieux,  dans  mon  peu  d'empresse- 
ment (1).  » 

Une  seule  chose  le  touche,  le  remue,  et  finalement 
l'entraîne  dans  la  carrière  de  l'apostolat,  c'est  le  sou- 
venir ou  plutôt  le  spectacle  des  maux  qui  accablent  les 
créatures.  Ces  maux,  les  dieux  eux-mêmes  et,  à  leur  tête, 
Bràhma,  les  lui  rappellent  en  termes  émus,  et  il  ne  peut 
pas  no  pas  les  voir,  lui,  qui  a  la  science  parfaite, et  l'ex- 
périence de  tant  de  vies  dont  il  se  souvient.  «  Hélas!  ce 
monde  est  perdu.  Bhagavat!  hélas!  ce  monde  est 
complètement  perdu,  ô  Bhagavat,  puisque  le  Tathcàgata, 
qui  a  revêtu  la  qualité  d'un  Bouddha  parfait  et  accompli, 
a  l'esprit  porté  à  ne  pas  enseigner  la  loi  (2).  »  Ainsi 
parle  le  roi  des  dieux,  et  il  ajoute  pour  triompher  des 
dernières  tentations  du  futur  apôtre:  «  Que  Bhagavat  ait 
la  bonté  d'enseigner  la  loi!  Que  Sougata  enseigne  li 
loi  !  Ils  sont  bien  disposés  les  êtres,  faciles  à  instruire, 
sincères,  forts  et  capables  de  comprendre  le  sens  do 
l'enseignement  de  Bhagavat  (3).  » 

Bhagavat,  lui,  ne  voit  qu'une  chose:  les  créatures  sont 
malheureuses,  et  le  seul  moyen  de  finir  leurs  souffrances 
est  de  les  introduire  dans  l'anéantissement.  Lui  seul 
connaît  le  chemin  du  Nirvana. 

Il  n'est  au  pouvoir  de  personne  de  donner  le  bonheur 
à  la  créature,  mais  il  dépend  de  lui  de  faire  cesser  sa 
souffrance.  Le  mobile  de  son  apostolat  ce  n'est  pas 
l'amour  qui  incline  le  cœur  charitable  vers  le  malheureux 


(1)  G.  XXIV.  3- 0-3-27. 

(2)  C.  XXV.  p.  329. 

(3)  Ibid. 


420  LE  BOUDDHISME 

pour  le  consoler,  le  relever,  l'annoblir,  c'est  bien  plutôt 
la  pilié  qui  porte  le  médec'n  à  anesthésier  un  malade 
pour  adoucir  ses  souffrances,  c'est  la  compassion  qui 
fait  souhaiter  aux  âmes  sensibles,  la  mort  de  la  créa- 
ture dont  elles  n'espèrent  plus  voir  finir  les  maux. 
«  Alors  le  Tathâgata,  en  voyant  les  êtres  qui  faisaient 
partie  de  Pagglomération  des  êtres  sans  fixité  commença 
à  concevoir  une  grande  pitié  pour  eux  (1).  » 

Et,  comme  entraîné  irrésistiblement  par  le  besoin  de 
soulager  tant  de  misère,  «je  vais  maintenant,  s'écria-t- 
il,  tourner  la  roue  de  la  loi,  je  vais  à  Bénarès  pour 
donner  la  lumière  à  ceux  qui  sont  dans  l'obscurité  (2).  » 

Que  son  unique  désir  soit  d'entraîner  à  sa  suite  les 
créatures  dans  l'anéaulisïement,  que  son  seul  mobile 
soit  la  pitié,  c'est  ce  que  reconnaissent  et  proclament  à 
l'envie,  les  dieux  de  la  terre  et  les  dieux  de  l'atmos- 
phère, se  renvoyant  mutuellement  avec  des  chants  de 
joie  la  grande  nouvelle:  «  Aujourd'hui,  amis,  par  le 
Tathâgata  a  été  faite  la  promesse  de  tourner  la  roue  de 
la  loi.  Ce  sera  pour  venir  au  secours  des  nombreuses 
créatures,  pour  leur  bonheur,  par  pitié  pour  le  monde, 
au  profit  de  la  grande  foule  des  créatures,  pour  le  salut 
et  le  bonheur  des  dieux  et  des  hommes.  Elles  diminue- 
ront assurément,  amis,  les  classes  des  Asouras  ;  les 
classes  des  dieux  arriveront  à  la  perfection,  et,  en  grand 
nombre,  dans  le  monde,  les  êtres  euh^cront  dans  le 
Nh^uâna  complet  (3).  » 

40.  A  qui  s' adressa-t-il  tout  d^ abord? 

«  En  faveur  de  qui  tout  d'abord,  pourrais-je  ensei- 


(1)  C.  XXV  p.  333. 

(2)  Rhys  Davids,  Buddliisme,  p.  37  sqq. 

(3)  LalUa,  c.  XXV,  p.  333. 


LE  BOUDDHISME  421 

gner  la  loi  ?(1)  »  Et,  en  effet,  le  premier  devoir  d'un  pré- 
dicateur est  de  chercher  un  auditoire.  La  pensée  de  faire 
ses  débats  au  milieu  de  ses  anciens  compagnons  de  vie 
ascétiquese  présente  naturellement  à  Tespirit  de  Bouddha . 
Boudraka  et  Arâta  Kàlama  sont  morts.  Quel  dommage  ! 
quel  malheur  !  Ils  auraient  si  bien  profité  de  la  doctrine 
du  nouveau  maître.  Mais  les  cinq  disciples  «  de  bonne 
caste  »  qui  l'ont  abandonné  peu  de  temps  avant  son 
illumination,  vivent  encore.  «  Le  Tathàgata  examinant 
le  monde  tout  entier  avec  l'œil  de  Bouddha  les  aperçut 
et  vit  qu'ils  demeuraient  dans  la  ville  de  Vàrànam  (Bé- 
narès),  dans  le  bois  des  gazelles,  à  Richipatana  (2)  ».  Il 
part  aussitôt  pour  aller  les  rejoindre.  Le  Gange  traverse 
son  chemin.  On  exige  un  droit  de  péage.  Il  passe  à  l'au- 
tre rive  à  travers  les  airs. 

Arrivé  à  Bénarcs,  il  court  au  bois  des  gazelles.  Ses 
anciens  disciples  qui  l'aperçoivent  do  loin,  complotent  de 
recevoir  avec  froideur,  celui  qu'ils  appellent  avec 
mépris  «  ce  relâché,  ce  gourmand  (3)  ».  Mais  à  mesure 
que  Bouddha  s'approche,  une  force  irrésistible  les  oblige 
à  se  lever  et  à  lui  faire  amende  honorable  en  se  jetant 
à  ses  pieds  pour  l'adorei*  et  le  servir.  «  A  mesure  que  le 
Tathàgata  s'avançait  vers  l'endroit  où  étaient  les  cinq 
de  bonne  caste,  ceux-ci  étaient  de  plus  en  plus  mal  à 
l'aise  sur  leur  siège,  et  voulaient  se  lever.  C'est  ainsi, 
par  exemple,  qu'un  oiseau,  ayant  ses  ailes,  qui  serait 
entré  dans  une  cage,  et  qui  serait  brûlé  par  un  fej  placé 
sous  cette  cage  aurait  envie  de  s'envoler  vite,  à  cause 

du  feu  qui  le  tourmenterait Aussi,  à  mesure  que  le 

Tathàgata  s'approchait  des  cinq  hommes  de  bonne  caste, 


(1)  I.cVitn,  c.  XXVI,  3.0. 

(2)  Pa^'   337. 
(:^)  Pag.  339. 


422  LE  BOUDDHISME 

CGUx-ci,  do  plus  on  plus  incapables  do  supporter  la 
splendeur  et  la  majesté  du  Talhàgala,  agités  sur  leurs 
sièges,  tous,  rompant  la  convention,  chacun  d'eux  va  au 
devant  de  lui.  L'un  s'avançant,  a  pris  sa  sébile  et  son 
manteau;  l'autre  lui  [résente  un  siège;  celui-ci  a  un 
appui  pour  ses  pieds  ;  celui-là  apporle  do  l'eau  pour 
laver  ses  pieds.  «  Vous  êtes  le  bienvenu  Ayouchmat 
Gâutama  !  Vous  êtes  le  bienvenu!  Asseyez-vous  Ayou- 
chmat Gàutama,  sur  C3  siège  préparé  pour  vous  1  (1)  » 

40.  Quel  est  le  sujet  ordinaire  de  ses  prédications'^ 

A  peine  installé  sur  le  siège  d'honneur  que  lui  ont  pré- 
paré ses  anciens  disciples,  «  Tathàgata  laisse  sortir  do 
son  corps  une  lumière  telle,  que,  par  cotte  lumière, 
cette  région  dos  trois  mille  grands  milliers  do  monde 
fut  enveloppée  d'une  grande  splendeur  (2)  ».  Etaussilot 
d'accourir  «  des  régions  do  l'orient,  du  midi,  du  cou- 
chant, du  nord,  du  zénith,  du  nadir,  do  toutes  parts,  des 
dix  points  do  l'espace,  plusieurs  dizaines  de  millions  do 
Bôdhisattvas,  en  possession  de  l'insigne  prière,  »  qui,  le 
saluant  avec  la  tête  et  tombant  à  ses  pieds,  le  conjurent, 
«  pour  venir  en  aide  à  la  grande  multitude  des  créa- 
tures... pour  le  bonheur  des  dieux  et  des  hommes,  de 
tourner  la  roue  de  la  loi,  de  faire  pleuvoir  la  grande 
pluie  de  la  loi,  de  déployer  le  grand  étendard  de  la  loi, 
de  faire  résonner  la  grande  conque  de  la  loi,  do  battre  le 
grand  tambour  de  la  loi  (3).  » 

Bouddha  parut  d'abord  ne  pas  entendre.  «  Le  Tathd- 
gala  passa  la  première  veille  de  la  nuit  en  no  disant 
rien,  »  puis  il  se  mit  à  parler  avec  animation.  «  A  la 

(l)  Lalita,  c.  XXVr,  p.  ?40. 
(2)I.alila,  c.  XXVI,  p.  341. 
(3)  P.ig.  .344. 


LE  BOUDDHISME  423 

veille  du  milieu  do  la  nuit,  il  prononça  un  discours  propre 
à  enflammer.  »  Enfin  il  exposa  les  points  essentiels  de 
.la  nouvelle  doctrine.  «  A  la  dernière  veille  de  la  nuit, 
après  avoir  appelé  les  cinq  de  bonne  caste  il  dit  ceci  :... 
Voici,  Religieux,  les  quatre  vénérables  vérités.  Les- 
quelles, au  nombre  do  quatre?  1"  la  douleur  ;  2"  l'ori- 
gine de  la  douleur  ;  3°  l'empêchement  de  la  douleur  ; 
4°  la  voie  qui  conduit  à  l'empêchement  de  la  douleur  (1).  » 

42.  Quelle  en  est  la  forme '^. 

Le  Bouddha  parlait  souvent  en  paraboles  (2).  «  La  foi, 
disait-il  un  jour,  est  la  semence  que  je  sème  ;  les  bonnes 
actions  sont  la  pluie  qui  la  fertilise.  La  sagesse  et  la  mo- 
destie sont  les  étais  de  la  charrue  que  guide  mon  esprit 
avec  la  poignée  de  la  loi.  La  diligence  est  un  bœuf  de 
labour.  Ma  charrue  détruit  Fillusion  et  ma  moisson  est 
l'embroisie.  Mon  labeur  met  fin  à  toute  peine  .(3).  »  La 
plus  belle  de  ces  paraboles  est  celle  de  la  perle  précieuse. 
En  voici  le  résumé  :  «  Nous  portons  caché  en  nous- 
mêmes  le  joyau  de  la  vérité.  Nous  l'oublions  comme 
l'homme  qui  porterait  une  bague  cachée  dans  un  nœud 
•  attaché  à  l'extrémité  de  son  vêtement  supérieur.  Il  n'y 
pense  plus  et  il  s'est  fait  mendiant.  Il  se  contente  d'un 
morceau  de  pain  jusqu'au  jour  où  un  ami  lui  rappelle 
qu'il  possède  une  pierre  précieuse.  C'est  ainsi  que  nous 
ne  connaissons  pas  le  bien  suprême  que  nous  apportons 
des  existences  antérieures  (4) .  » 

Il  savait  envelopper  sa  désolante  doctrine  de  formes 
poétiques.  L'enchantement  produit  par  sa  parole  est 


(1)  Pag.  .340. 

(2)  Biirnouf.  Le  Lotus  de  la  bonne  loi,  c.  Ill-V. 

(3)  Rhys  Davids,  p.  60. 

{\)  De  Pressensé.  L'Ancien  monde  cl  le  Chri^liinisine,  345. 


42i  LE  BOUDDHISME 

bien  rendu  par  le  passage  qu'on  va  lire  et  qui  est  em- 
prunté à  un  des  Soutras  de  l'âge  suivant  :  «  Le  soir  était 
comme  une  vierge  au  charme  souverain,  les  étoiles  sem- 
blaient les  perles  couvrant  son  cou,  sa  noire  chevelure 
flottait  dans  les  nuages  sombres,  et,  en  voyant  Tespaco 
immense,  on  eut  dit  sa  barque  flottante.  Le  ciel  était  sa 
couronne  ;  les  trois  mondes  formaient  son  corps,  ses 
yeux  ressemblaient  à  la  fleur  du  lotus  qui  s'ouvre  au 
lever  de  la  lune  et  sa  voix  était  comme  le  bourdonne- 
ment de  l'abeille.  »  Cette  vierge  idéale  personnification 
des  beaux  soirs  de  l'Inde,  flt  silence  pour  honorer  et 
entendre  la  première  prédication  de  Bouddha  (1).  » 

43.  —  A  gui  s'adressait  la  prédication  de  Bouddha  ? 

A  tous  les  hommes,  sans  distinction,  à  toutes  les  créa- 
turcs  sans  exception.  Plus  de  castes  dans  son  église. 
«  Le  don  de  la  loi,  surpasse  tous  les  dons,  sa  douceur 
surpasse  toute  douceur,  ses  délices  toutes  délices.  L'ex- 
tinction de  toute  soif,  de  tout  désir  chasse  la  peine.  Ce 
n'est  pas  par  la  naissance  qu'on  appartient  à  la  basse 
classe  ;  ce  n'est  pas  elle  qui  fait  le  brahmane.  C'est  par 
des  actes  qu'on  appartient  à  la  basse  classe  ;  c'est  par 
des  actes  aussi  qu'on  devient  brahmane.  »  Sa  commisé- 
ration s'étend  sur  tous  les  misérables,  il  prend  en  pitié 
tous  les  malheureux  :  dieux  du  ciel,  dieux  de  la  terre, 
hommes  de  toute  race,  animaux  de  toute  espèce,  êtres 
d3  toute  nature,  tout  l'intéresse,  tout  Témeut,  tout 
l'attire.  A  tout  et  à  tous  il  annonce  la  délivrance.  Il 
croit  à  la  transmigration  des  êtres  ;  il  sait  que  seule 
l'entrée  dans  le  Nirvana  peut  arrêter  ce  douloureux  et 
continuel  devenir  des  créatures  ;  il  est  persuadé  qu'il 
possède  seul  la  science  qui  mène  à  l'immortalité  finale. 

(1)  Rhys  David?,  p.  46. 


LE  BOUDDHISME  425 

Dès  lors  pourquoi  ne  s'adrosserait-il  pas  à  la  créatioa 
tout  entière  :  les  dieux,  hier,  étaient  des  hommes,  les 
hommes  seront  peut-être  des  dieux  demain  ;  hommes  et 
dieux  peuvent  devenir,  ou  redevenir  botes  ;  toujours  le 
mouvement,  toujours  la  souffrance,  toujours  le  besoin 
inassouvi  de  repos,  source  intarissable  do  tous  les  maux, 
cause  unique  de  cet  «  amas  de  douleurs  »  qu'on  appelle 
le  monde.  Bouddha  les  appelle  tous  à  profiter  de  ses 
leçons.  La  légende  nous  le  montre,  entouré  de  millions 
de  dieux,  suivi  par  des  multitudes  infinies  d'hommes  de 
toute  condition,  écouté  des  animaux,  servi  par  toutes  les 
créatures  animées  et  inanimées. 

«  Et  pendant  qu'il  parlait,  disent  les  légendes  du  Sud, 
bien  qu'il  n'usât  en  réalité  que  de  la  langue  de  Magadha, 
chacun  des  auditeurs  croyait  l'entendre  parler  en  sa 
propre  langue,  et  les  animaux  eux-mêmes,  les  plus  petits 
aussi  bien  que  les  plus  grands,  accourus  de  toutes  parts 
et  fort  attentifs  à  son  discours,  le  comprenaient  sans 
effort  (1).  » 

44).  Qui  convertiss aient' elles'^. 

.  Le  récit  des  conversions  innombrables  et  miraculeu- 
ses obtenues  par  la  parole  du  maître  remplit  les  livres 
sacrés  du  bouddhisme.  Princes,  mendiants,  brahmanes, 
parias,  fils  des  dieux,  et  fils  des  hommes,  toutes  les 
créatures  subissent  le  charme  de  sa  voix,  et  s'enga- 
gent à  sa  suite  sur  le  chemin  de  la  délivrance.  Il  n'est 
pas  jusqu'aux  personnes  les  plus  prévenues  contre  son 
entreprise  qui  ne  finissent  par  se  proclamer  ses  dis- 
ciples. 

(1)  Hardy  Manwdof  Bwldhim  (I8'J3),  p.  187. 

Avec  le  discours  de  Rénarèslinil  le  récit  du  Lalila.  Plus  de  l)io- 
praplr.e  ancienne,  pour  nous  l'aire  connaître  la  vie  et  les  œuvres 
du  Bouddha  jusqu'à  sa  mort,  mais  les  détails  épars,  presque 
inlinis,  dans  tous  les  livres  du  Nord  et  du  Sud. 


420  LE  BOUDDHISMS 

Son  péro  lui-mêmo  embrasse  le  bouddhisme.  L'entre- 
vue du  fils  et  du  père,  à Kapilavastou,  forme  l'épisode  le 
plus  touchant  du  ministère  public  deSakya-Mouni. 
Souddhodana  a  fait  prier  son  fils  de  visiter  sa  ville  na- 
tale, et  de  no  pas  négliger  sa  blanche  vieillesse.  Gâuta- 
ma  se  rend  à  sa  demande,  mais  il  s'arrête  d'abord 
dans  une  caverne  près  de  la  ville  et  n'en  sort  que  pour 
mendier  de  porte  en  porte.  A  cette  nouvelle,  son  père  in- 
digné se  précipite  vers  lui  et  lui  demande  pourquoi  il  lui 
fait  cette  honte  :  «  C'est  la  coutume  de  notre  race  répond 
(iàutama.  —  Mais  ne  sommes-nous  pas  d'une  race  illus- 
tre, reprend  le  père,  d'une  racequ"'on  n'a  jamais  vu  men- 
dier ?  —  Vous  et  votre  famille,  dit  Bouddha,  vous  pou- 
vez descendre  des  rois  ;  pour  moi,  je  descends  des  an- 
ciens prophètes  qui  ont  toujours  mendié  leur  nourriture. 
Quand  un  homme  a  trouvé  un  trésor  secret,  c'est  son  de- 
voir do  donner  à  son  père  son  joyau  le  plus  précieux.  » 
Ce  joyau  c'était  sa  doctrine.  Il  a  la  joie  de  le  convertir 
ainsi  que  Yarodhara,  l'épouse  de  sa  jeunesse  qui  n'a  ja- 
mais cessé  de  Taimer  et  de  le  pleurer  Ci).  » 

4-5.  Bouddha  était  il  seul  à  prêcher  la  délivrance'^ 

Non.  Il  s'attacha  comme  collaborateurs  ses  premiers 
disciples,  et  de  bonne  heure  les  envoya  annoncer  en  tous 
lieux  «  la  doctrine  libératrice.  » 

«  Vous  êtes  libres,  disait -il  à  ses  premiers  envoyés, 
libres  de  tous  lieuo  humains  ou  divins.  Partez  donc, 
frères,  allez  et  prêchez  partout  la  doctrine  pour  la  déli- 
vrance de  tous  les  êtres  vivants;  par  pitié  pour  le  monde, 
pour  la  joie,  la  bénédiction  et  le  salut  des  hommes  et 
des  dieux.  Beaucoup  ont  le  cœur  pur  et  sont  de  bonne 
volonté,  qui  se   perdront  cependant,  s'ils  n'entendent 

•(l)Rhyr,  David,  p.  64  G. 


LE  BOUDDHISME  427 

pas  la  docirino  libératricQ.  Ils  deviendront  vos  adhé- 
rents, et  les  confesseurs  de  la  vérité  (1).  » 


IX.  LE  MORIBOND. 

|G.  Quelles  furent  les  devnicres  paroles  du  Boud- 
dha f 

Longtemps  encore,  après  la  conversion  de  son  péro, 
le  Bouddha  poursuivit  sa  mission  de  prédicateur.  11  con- 
sacrait, dit  la  ti'adition,  le  mois  des  fleurs  à  la  médila- 
tion,  et  le  reste  du  temps  à  l'enseignement. 

Quand  il  sentit  approcher  l'heure  do  sa  fin  dans  le  vil- 
lage de  Wesali,  il  réunit  autour  de  lui  ses  disciples,  et 
tint  aux  mendiants  le  discours  qui  institue  définitivement 
leur  ordre.  Ce  discours  se  termine  ainsi:  «  0  mendiants, 
apprenez  complètement,  pratiquez  sans  réserve,  appli- 
quez et  répandez  cette  loi  sainte  révélée  par  moi,  afin 
que  cette  religion  de  pureté  se  maintienne  et  se  per- 
pétue pour  le  bien  et  le  bonheur  des  grandes  multitudes 
dont  il  faut  avoir  pitié,  pour  l'avantage  et  la  prospérité 
des  dieux  et  des  hommes  (2).  » 

Il  se  rendit  ensuite  à  Kiisi-Nagara,  à  120  milles  do 
Bénarès  et  passa  la  nuit  dans  une  grotte  sur  les  bords 
du  Gange.  Ananda,  son  disciple  bien-aimé  recueillit  ses 
suprêmes  paroles.  ^  Je  suis  loin  de  la  perfection,  s'é- 
criait-il, et  mon  maître  va  me  quitter,  lui,  si  plein  de 
bonté.  »  Gàutama  ranime  son  courage  par  l'espérance 
du  Nirvana  :  «  0  Ananda,  lui  dit-il,  ne  te  laisse  pas 
troubler,  ne  pleure  pas.  Ne  t'ai-je  pas  dit  que  tu  dois  te 
détacher  de  tout  ce  qui  t'est  cher  et  précieux  ?  Nul  être 

(1)  Calécliisnie  Bouddhique,  p.  32. 
il)  Rliys  David,  p.  n0-17l. 


428  LE  BOUDDHISME 

qui  est  né  ne  peut  éviter  la  dissolution  qui  lui  est  inhé- 
rente. Pour  un  longtemps,  ô  Ananda,  tu  as  été  très  près 
de  moi  par  ta  bonté  en  actes,  en  paroles  et  on  pensées  ; 
tu  as  toujours  bien  agi.  Persévère  et  tu  seras  bientôt 
libre  de  cette  soif  de  la  vie,  qui  est  la  chaîne  de  l'igno- 
rance (  l  ) .  » 

Authentiques  ou  non,  les  paroles  suivantes  données 
par  la  tradition  comme  les  nooissima  verba  de  SaUya- 
Mouni,  résument  admirablement  la  pensée  inspiratrice 
de  l'œuvre  du  Bouddha.  «  Souvenez -vous  que  la  des- 
truction est  la  condition  de  toutes  choses  composées. 
Travaillez  à  votre  salut  avec  diligence.  Efforcez-vous 
sans  relâche  d'arriver  à  la  délivrance.  » 

«  Ce  furent  les  dernières  paroles  du  Bouddha.  Son  es- 
prit s'enfonça  dans  les  profondeurs  de  l'absorption  mys- 
tique, et,  lorsqu'il  eut  atteint  ce  degré,  où  toute  pensée, 
toute  notion  s'éteint  et  où  la  conscience  de  l'individualité 
cosse,  il  entra  dans  le  suprême  Nirvana. 

«  Devant  la-porte  de  Kusi-Xagara,  qui  s'ouvro  vers 
l'Orient,  les  nobles  des  Mallas  brûlèrent  le  corps  du 
Bouddha  avec  des  honneurs  royaux  (2).  » 

4G.  De  quelle  maladie  mourut-il'} 

Toutes  les  biographies  du  Bouddha,  s'accordent  à 
dire  qu'il  mourut  dune  maladie  d'estomac  à  la  suite 
d'un  repas  où  il  avait  mangé  un  plat  tout  entier  de 
porc  et  do  riz  offert  par  un  de  ses  plus  dévots  secta- 
teurs. «  Les  brahmanes,  dit  M.  de  Broglie,  se  sont  mo- 
qués de  cette  fin,  et  ont  accusé  leur  adversaire  d'avoir 
commis  un  acte  de  gourmandise.  Les  bouddhistes  justi- 
fient leur  patriarche,  le  déclarant  incapable  d'une  telle 


(l)i(l    p.  81. 

(2)  Catech.  bouddhique,  50  5L 


LE   BOUDDHISME  429 

faiblesse,  et  disent  que  c'était  un  plat  magique,  qu'au- 
cun homme  ni  dieu  n'aurait  pu  digérer  mieux  que  lui  ; 
qu'il  a  mangé  cette  nourriture  parce  que  son  heure  était 
venue,  et  qu'il  voulait  donner  l'exemple  de  la  patience 
à  supporter  une  maladie  de  ce  genre  (1).  » 

Le  catéchisme  bouddhique  donne  de  cette  fin  pro- 
saïque de  notre  héros  Texplication  suivante  :  «  Tchoun- 
dea,  le  forgeron,  servit  au  Bouddha  et  à  ses  disciples 
ce  qu'il  avait  de  meilleur,  du  riz,  du  gâteau  et  du  san- 
glier cuit  au  four.  Lorsque  le  Bouddha  s'en  aperçut,  il 
dit  à  Tchounda  :  «  Tu  ne  donneras  qu'à  moi  du  sanglier, 
que  tu  as  préparé,  Tchounda.  Les  frères  auront  le  riz 
et  les  gâteaux.  »  Le  forgeron  fit  suivant  la  volonté  du 
maître.  Lorsque  celui-ci  eut  mangé,  il  se  tourna  de 
nouveau  vers  Tchounda  et  lui  dit  :  «  Enterre  dans  une 
fosse  ce  qui  reste  de  la  viande,  car,  à  part  le  Bouddha, 
il  n'y  a  sur  terre  ni  dans  les  mondes  célestes,  ni  paripi 
les  Sramanas,  ni  parmi  les  Brahmanes,  les  dieux  ou 
les  hommes,  un  seul  être  qui  puisse  prendre  cette  nour- 
riture sans  se  nuire.  » 

-•  Le  Bouddha  voulait  ainsi  montrer  clairement  aux 
adhérents  laïques  que  la  chair  des  animaux  n  était  pas 
une  nourriture  pour  les  hommes  ou  les  êtres  d'une 
nature  supérieure  ;  mais  que  celui  qui  mange  de  la 
viande  nuit  à  son  corps  et  à  son  esprit.  C'est  pour  cela 
qu'il  défendit  au  forgeron  d'en  donner  aux  disciples.  » 
S'il  en  mangea  lui-même,  c'est  uniquement  parce  qu'il 
ne  voulait  pas  violer  «  un  précepte  qu'il  avait  donné,  en 
recommandant  aux  Frères  de  ne  jamais  repousser  ce 
qui  leur  serait  offert  de  bon  cœur  (2).  » 


(1)  De  Proglic,  Problèmes  et  conclusions,  p.  167-8. 

(2)  P.  45-46. 


430  LE   BOUDDHISME 


LE    BOUDDHA   DE   L  HISTOIRE 

47.  Le  Bouddha  Saki/a-Mouni  est-il  un  personnage 
n^el! 

Jamais  assurément,  esprit  réfléchi  n'aura  la  pensé 3 
de  prendre  au  sérieux  le  long  récit  qu'on  vient  de  lire. 
C'est  de  l'imagination,  du  rêve,  de  la  fantasmagorie,  de 
l'absurde,  tout  ce  qu'on  voudra,  sauf  du  réel,  da  vrai,  de 
l'histoire.  Le  caractère  mythique  de  la  vie  du  Bouddha 
ne  se  prouve  pas.  On  ne  prouve  pas  Tévidence  même  : 
d'un  bout  à  l'autre,  la  légende  règne  sans  rivale,  le 
mythe  s'étale  et  resplendit.  Les  seules  questions  que 
soulève  la  lecture  de  ce  fatras  mythique  sont  les  sui- 
vantes :  la  légende  du  Bouddha  a-t-elle  une  significa- 
tion philosophique  quelconque  et  peut-on  en  déterminer 
avec  quelque  précision  le  sens  et  la  portée?  Le  héros 
de  si  extraordinaires  aventures  est- il  un  personnage 
fictif,  un  être  idéal,  un  type,  ou  bien  un  personnage 
réel,  un  hindou  célèbre  dont  l'histoire  a  été  envahie  et 
dramatisée  par  la  légende  et  pour  le  besoin  d'une 
cause  religieuse  ou  philosophique  ?  Et,  si  cette  seconde 
hypothèse  est  la  vraie,  est-il  possible  de  reconstituer 
avec  leurs  traits  essentiels,  malgré  les  surcharges  lé- 
gendaires qui  les  défigurent,  la  vie  et  la  physionomie 
du  Bouddha? 

La  réponse  à  ces  trois  questions,  en  l'état  actuel  des 
études  bouddhiques,  n'est  ni  aisée  ni  péremptoire.  En- 
registrons simplement  les  vues  des  maîtres  les  plus  au- 
torisés. 

1.  Et  d'abord  M.  Senart,  dans  son  remarquable 
Essai  sur  la  légende  de  Bouddha,  affirme  et  s'eflforce 


LE  BOUDDIIIS^rE  431 

de  prouver  que  Thistoire  de  Sakya-Mouni  n'est  qu'une 
légende.  Après  l'avoir  lu,  on  ne  peut  pas  ne  pas  re- 
trouver dans  la  biographie  légendaire  de  Bouddha  tout 
un  cycle  de  mythes  solaires,  qui  reparaissent  sous  une 
autre  forme  dans  l'histoire  purement  mythologique  de 
Krishna,  et  qui  ont  des  analogies  avec  les  récits  des 
poètes  grecs  sur  Hercule. 

Dans  son  Histoire  du  Bouddhisme  indien,  M.  Kern 
développe,  de  son  coté,  avec  beaucoup  de  scicucj  et 
d'esprit  une  thèse  à  peu  près  identique.  D'après  lui, 
l'histoire  entière  du  Bouddha  se  résout  en  un  récit  my- 
thique de  la  course  accompUe  par  le  soleil  dans  une  ré- 
volution annuelle.  «  Bien  que  j'admette,  dit  M.  Tiole, 
en  général  sa  proposition,  l'explication  qu'il  donne  des 
détails  me  paraît  à  maintes  reprises  plus  ingénieuse  que 
vraisemblable  (1).  » 

2.  M-WilsonrévoqueendouteTexistencedu  Bouddha. 
M.  Senart  plus  réservé  et  plus  sage  se  contente  de  dire 
que  le  héros  de  la  légende  bouddhique,  eût-il  existé, 
nous  seriijns  hors  d'état  de  reconstituer,  môme  à  grands 
traits,  sa  physionomie  historique,  tant  est  profonde  et 
définitive,  dans  le  Lalita  et  partout,  la  fusion  de  Ihis- 
toire  avec  la  légende,  de  la  réalité  avec  la  fiction. 
M.  Tiele  trouve  qu'il  convient  d'examiner  si  la  conclu- 
sion de  M.  Senart  n'est  pas  «  trop  négative  »,  et,  après 
examen,  il  croit  pouvoir  sans  témérité  tenter  de  décrire 
à  grands  traits  la  vie  et  le  caractère  de  celui  qu'il  ap- 
pelle le  •  Bouddha  de  Ihistoire  ».  L'abbé  de  Broglie 
arrive  aux  mêmes  conclusions  que  le  célèbre  profes- 
seurs de  l'Université  de  Leyde.  Il  admet  :  1°  Que  le 
Bouddha  a  réellement  existé  ;  2"  que  les  grandes  lignes 
de  sa  biographie  sont  encore  visibles,  sous  les  sur- 

(1)  Manuel  de  l'hisloiie  des  Religions,  p.  18t). 


432  LE    BOUDDHISME 

charges  de  la  légende;  3"  que  la  légende  elle-même 
donne  du  jour  et  du  relief  au  caractère  de  Sakya- 
Mouni  (1). 

48.  Que  fat  exactement  le  a  Bouddha  de  f  histoire))] 

Nous  sommes  convaincus  que  pas  un  des  faits  si 
nombreux,  dont  le  récit  forme  la  légende  bouddhique, 
n'est  vrai  dans  tous  ses  détails,  que  pas  une  des  paroles 
que  la  légende  prête  au  Bouddha  n'a  une  authenticité 
incontestable.  Il  faut  donc  renoncer  à  rien  serrer  de 
trop  près  et  se  contenter  d'indications  générales,  de 
grandes  lignes,  d'à-peu-près.  M.  Tiele  nous  fait  re- 
marquer tout  d'abord,  que  les  récits  concernant  la  nais- 
sance et  l'enfance  sont  douteux  au  plus  haut  point. 
«  Maya  est  une  entité  mythique,  Kapilavastou  une  ville 
entièrement  inconnue,  dont  le  nom  fait  penser  à  Kapila, 
l'illustre  fondateur  de  la  philosophie  Sankhya,  qui  offre 
quelques  points  de  ressemblance  avec  la  doctrine  boud- 
dique  de  date  récente  (2).  » 

Il  se  pourrait  cependant  que  la  tradition  qui  fait  du 
fondateur  du  bouddhisme  un  fils  de  roi,  eut  quelque 
fondement  dans  l'histoire;  mais  ce  qu'on  peut  tenir  pour 
avéré,  c'est  qu'il  ne  faisait  pas  partie  de  la  caste  des 
brahmanes.  —  De  bonne  heure,  en  pleine  jeunesse,  à 
la  suite  d'une  crise  morale,  il  quitta  tout  :  fortune, 
famille,  espérances,  pour  embrasser  l'état  d'ascète 
ou  de  sannyasin.  —  Il  chercha  la  paix  d'abord  auprès 
des  brahmanes,  puis  dans  une  pénitence  solitaire  ;  il  ne 
la  trouva  que  dans  la  contemplation  absorbante  qui  est 
devenue  la  marque  caractéristique  de  ses  disciples.  — 
«  Ses  périgrinations  dans  le  costume  du  mendiant,  sa 
prédication,  consistant  à  annoncer  à  tous  ceux  qui  le 

(1)  Problcmes  et  Conclusions,  p.  166-190, 

(2)  L.  c,  p.  189. 


LE  BOUDDHISME  433 

suivaient  ainsi  la  délivrance  do  la  maladie,  de  la  souf- 
france, de  la  vieillesse  et  de  la  mort,  et  à  recommander 
à  tous  comme  le  but  suprême  la  poursuite  du  Nirvana, 
l'impression  profonde  que  fit  cette  doctrine,  non  pas  en- 
core dans  rinde  entière,  mais,  comme  l'assure  la  tra- 
dition la  plus  ancienne,  dans  quelques  districts,  sur  des 
hommes  de  toute  classe;  la  résistance  quelle  rencontre 
chez  beaucoup  d'autres  ;  le  fidèle  dévouement  de  son  dis- 
ciple Ananda...  tous  ces  éléments  ne  peuvent  pas  ap- 
partenir au  royaume  de  la  poésie  (1)  »  —  Rien  de  moins 
poétique  on  l'a  vu  plus  haut  que  plusieurs  des  particula- 
rités qui  nous  ont  été  rapportées  sur  sa  mort.  Il  est  donc 
fort  probable  que  Bouddha  mourut  d'une  indigestion. — 
II  confia  à  l'ordre  des  religieux  mendiants,  dont  il  fut  le 
législateur  et  le  père,  la  mission  de  conserver  et  de  pro- 
pager sa  doctrine.  La  règle  qu'il  leur  donna  prescrit  le 
célibat  et  la  pauvreté  absolue  :  les  disciples  de  Sakya- 
Mouni  devaient  recevoir  exclusivement  de  l'aumône  la 
nourriture  et  le  vêtement.  Défense  formelle  leur  était 
faite,  non-seulement  de  posséder  de  l'argent,  mais  même 
de  toucher  matériellement  les  espèces  monnayées, 

49.  A  quelle  époque  vivait  le  fondateur  du  houd- 
dhisme  ? 

«  La  date  de  la  mort  de  Sakya-Mouni  qui  est  rap- 
portée différemment  par  les  diverses  traditions  boud- 
dhiques et  par  toutes  d'une  manière  inexacte,  n'a  été 
déterminée  avec  une  exactitude  à  peu  prés  complète 
que  dans  ces  derniers  temps,  grâce  à  trois  nouvelles  ins- 
criptions de  l'empereur  Açoka.  Il  résulte  de  ces  textes, 
que  dans  la  37'  année  du  règne  de  ce  prince,  on  comp- 
tait 256  ans  depuis  le  départ  du  Maître,  et  cela  dans  le 

(1)  Tiele,  /.  c.  p.  100, 

28 


434  LE   BOUDDHISME 

Magadha  mênie,  le  pays  d'origine  du  bouddhisme.  Rap- 
portée à  notre  chronologie,  cette  donnée  fournit  pour 
le  Nirvana  une  des  années  qui  tombent  entre  482  et 
472  avant  Jésus-Christ.  C'est  la  première  date  que  nous 
rencontrons  dans  l'histoire  de  l'Inde  et,  si  on  excepte 
celles  qui  en  dépendent,  les  dix  siècles  qui  vont  suivre 
n'en  fournissent  pas,  pris  ensemble,  une  demi-douzaine 
de  nouvelles  (1).  » 

Le  Bouddha  quitta  sa  famille  à  l'âge  de  29  ans,  fut 
illuminé  à  36  et  mourut  octogénaire. 

50.  Quel  fut  le  principal  théâtre  de  cette  prédi- 
cation? 

Sakya-Mouni  prêcha  sa  doctrine  sur  les  deux  rives 
du  Gange,  dans  la  province  de  Benarès  et  dans  le 
Bihar,  pendant  quarante-quatre  années.  Il  partagea, 
semble-t-il,  son  temps  entre  Sra  vaste,  dans  le  Kosaba,  et 
Rajagriha  dans  le  Bihar  méridional.  Les  rois  de  ces  deux 
villes  Frasenajit  et  Bimbisara,  furent  ses  partisans  et 
ses  protecteurs  avoués.  Rajagriha,  lors  de  la  visite  des 
pèlerins  chinois,  possédait  encore  d'innombrables  monu- 
ments destinés  à  rappeler  les  moindres  détails  de  sa 
vie  ;  et  les  Soutras  comme  les  Avadanas.  font  presque 
toujours  de  cette  ville  et  de  ses  environs  le  théâtre  des 
discours  et  des  exploits  légendaires  de  leur  héros.  — 
C'est  à  Sravaste  qu'était  le  fameux  jardin  Jetevana, 
offert  à  Bouddha  par  un  riche  marchand,  son  disciple, 
Analha  Pindada,  où  fut  lu,  pour  la  première  fois,  le 
LaHta-Vistara.  Hiauen-Thsang  vit  encore  dans  les 
environs  de  cette  ville,  deux  monuments  célèbres  dans 
les  annales  bouddhistes  :  le  tombeau  de  Maha-Prajapati, 
la  tante  maternelle  qui  servit  de  mère  à  Siddartha,  et  la 

(1)  Barlh.,Le5  Religions  de  Vlnde,  p.  Go  6. 


LE   BOUDDHISME  435 

tour  destinée  à  perpétuer  le  souvenir  de  la  rencontre  du 
Bouddha  avec  son  père,  après  la  conversion  de  ce  der- 
nier. 

La  légende  nous  montre  Bouddha  en  route  pour 
le  Deckan,  pour  l'Indus,  pour  Ceylan.  La  Péninsule 
entière  aurait  ainsi  entendu  de  sa  bouche  la  bonne  nou- 
velle. Toutes  les  traditions  le  font  mourir  à  Kusina- 
gara(l),  au  pied  d'un  arbre,  sur  un  grand  chemin. 

ol.  Peut-on  encore  apercevoir,  sous  les  surcharges 
de  la  légende,  les  traits  essentiels  du  caractère  de 
Sakya-Mouni'i 

Chose  étonnante  à  première  vue,  et  pourtant  au  fond 
très  naturelle,  la  légende  qui  a  presque  effacé  l'his- 
toire du  Bouddha,  a  donné  à  son  caractère  un  relief 
saisissant.  Elle  n'a  pour  ainsi  dire  altéré  ses  actions  que 
pour  idéaliser  ses  vertus  et  obscurci  sa  vie  que  pour 
éclairer  son  âme.  Le  Bouddha  dogmatique  et  légen- 
daire c'est  le  Bouddha  réel,  poussé  au  mieux.  L'étude 
de  la  légende  bouddhique  a  donc  le  double  avantage 
de  nous  livrer,  avec  le  moyen  le  plus  sûr  de  savoir  ce 
que  fut  Sakya-Mouni,  la  facilité  de  connaître  les  ten- 
dances idéales  de  ses  fidèles  disciples. 

Le  Bouddha  de  la  légende,  le  Bouddha  idéal,  est 
en  perfection,  un  pessimiste  miséricordieux.  Ces  deux 
mots  sont  clairs  et  disent  tout  pour  ceux  qui  ont  eu  la 
patience  de  nous  lire;  nous  n'insisterons  pas.  Il  a  connu 
tous  les  enivrements  de  la  fortune,  du  pouvoir,  du  plai- 
sir. Il  a  expérimenté  dans  la  solitude,  les  voluptés  dou- 
loureuses du   dépouillement  absolu.   Il  a   savouré  les 

{\)  Le  général  Cunningham  identifie  Kusinagara  avec  les  rui- 
nes de  Kasia,  à  35  mille  à  l'est  de  Gorakhpour.  dont  un  des  rem- 
parts porte  encore  le  nom  de  «  Fort  de  la  mort  du  Prince  »,  Ane. 
Gcog,  of  India,  I,  p.  431. 


436  LE    BOUDDHISME 

émotions  troublantes  de  la  contemplation  intense  et 
muette  de  l'univers.  La  conclusion  est  toujours  la  même. 
Tout  est  illusion  :  tout  est  souffrance,  tout  est  vanité. 
Seul,  Fanéantissement  peut  arrêter  nos  désirs  insatia- 
bles. Notre  seul  et  dernier  asile  est  le  Nirvana.  Un  pes- 
simiste à  rame  froide,  se  serait  contenté  de  formuler  du 
haut  de  sa  tête  cette  désespérante  doctrine,  et  aurait 
attendu  impassible  la  fin  de  ses  rêves.  Un  pessimiste 
aigri  et  savant  aurait  proposé  des  moyens  violents  de 
hâter  la  solution  nécessaire.  Mais  l'hindou  n'est  ni 
froid,  ni  aigri,  ni  savant.  Il  a  de  l'imagination,  du  cœur, 
de  la  compassion.  Bouddha  s'inclinera  vers  ceux  qui 
souffrent,  et  doucement,  affectueusement,  les  enga- 
gera à  le  suivre  sur  le  chemin  qui  mène  au  néant.  Je 
le  répète,  Bouddha  est  un  pessimiste  miséricordieux. 
Là  est  le  secret  de  l'empire  irrésistible  qu'il  a  exercé 
sur  l'àme  Imaginative  et  tendre  des  peuples  enfants  qu'il 
a  entraînés  à  sa  suite. 

«  Gautama,  dit  M.  S.  Pressensé  fut  jusqu'à  son  der- 
nier jour  un  homme  de  paix,  on  peut  ajouter  un  homme 
tendre  à  la  misère  et  à  la  souffrance.  »  Sa  main  ne  fut 
levée  contre  personne,  et  cependant  il  fit  toutes  choses 
nouvelles  sous  ce  souffle  étrange  et  puissant  qui  éma- 
nait de  lui.  On  eut  dit  ces  vents  du  sud  pleins  de  par- 
fums et  de  langueur  qui  viennent  du  désert.  «  Aux  deux 
points  de  l'espace,  lisons-nous^  dans  le  Lalita  Vistara, 
vibre  dans  l'air  l'accent  du  Bouddha,  son  mélodieux 
et  doux  qui  va  au  cœur  (1).  »  Pden  ne  rend  mieux  le 
charme  pénétrant  et  morbide  de  son  enseignement  qui 
ne  pense  qu'au  néant,  mais  en  s'enveloppant  de  bonté 
et  de  charité.  La  roue  qu'il  tourne  est  la  roue  de  la  va- 
cuité, «  la  roue  sans  signes,  sans  désirs,  la  roue  de 

(1)  Lalila  \istara,  p.  332, 


LE    BOUDDHISME  437 

l'idée  non  formée  (1)  ».  Celui  qui  a  ceint  le  diadème  de 
la  délivrance  complète  qui  est  aussi  celui  de  la  grande 
science  sans  passion,  a  beau  jeter  sur  tous  les  êtres  un 
coup  dœil  bienveillant  comme  un  père  et  une  mère  sur 
leur  fils  unique,  l'apaisement  qu'il  promet  ne  se  réalise 
que  dans  l'anéantissement  (2).  C'est  à  cette  fin  dernière 
qu'aboutissent  toute  cette  élévation  morale,  toute  cette 
charité.  Là  est  l'invincible  contradiction  du  bouddhisme. 
Le  chemin  où  il  conduit  ses  sectateurs  vaut  mieux  que 
le  but.  Aussi  comprend-on  que  des  milliers  d'hommes 
s'y  soient  attardés  en  oubliant  le  terme  fatal  où  tout 
devait  se  perdre  avec  eux-mêmes  (3).  m 

Quant  au  Bouddha  réel  ou  historique,  personne,  à 
notre  avis,  n'en  a  mieux  rendu  le  caractère  que  l'abbé 
de  Broglie,  dans  le  passage  suivant  de  son  beau  livre 
déjà  cité  :  «  En  premier  lieu,  le  Bouddha  a  mené  une 
vie  austère,  il  a  été  un  religieux  exemplaire,  sans  cela 
il  n'aurait  pas  conservé  son  autorité  ni  son  prestige.  En 
second  lieu,  il  avait  une  profonde  conviction  de  sa  pro- 
pre sagesse  et  de  la  vérité  de  la  doctrine  qu'il  ensei- 
gnait. Il  croyait,  comme  tout  Hindou  de  son  temps,  à 
la  métempsycose,  au  besoin  de  la  délivrance  do  l'àme  ; 
il  croyait  avoir  trouvé  les  moyens  sûrs  d'obtenir  cette 
délivrance.  En  troisième  lieu,  il  était  animé  d'un  vif 
sentiment  de  compassion  pour  les  misères  de  l'huma- 
nité et  d'un  grand  désir  de  faire  participer  les  hommes 
aux  bienfaits  de  sa  doctrine.  Il  avait,  sous  ce  rapport, 
des  sentiments  d'apôtre.  Le  désir  de  sauver  tous  les 
hommes  est  un  des  traits  propres  du  bouddhisme.  Il 
serait  incroyable  qu'il  n'ait  pas  existé  chez  le  fondateur 


(1)  Id.,  p.  351. 

(2)  Id.,  p.  361. 

(3j  L'ancien  inonde  et  le  Christianisme,  p.  349. 


438  LE   BOUDDHISME 

et  que  ce  ne  soit  pas  lui  qui  Tait  transmis  à  ses  disci- 
ples Dans  ce  même  étrange  récit  de  la  mort  du  Boud- 
dha, nous  voyons  que  la  dernière  nuit,  il  ramène  un 
hérétique  à  la  vraie  doctrine.  Ces  traits  de  caractère 
sont  beaux,  mais  ils  ne  suffisent  pas  pour  constituer  un 
saint,  ni  un  héros  tout  à  fait  exceptionnel.  Ils  se  sont 
rencontrés  dans  loien  des  chrétiens.  Saint  Vincent  de 
Paul  a  toutes  les  vertus  du  Bouddha,  et  en  possède 
d'autres  que  nous  ne  v03'ons  pas  chez  notre  héros  (1).  » 

Un  profci^seur  de  grand  séminaire. 


{A  suivre). 


(1)  l.  c,  p.  1G8-9. 


UNE   EPOPEE   BABYLONIENNE 


IS-TU-BAR    —    GILGAMÈS 


Hulième   article- 


IV.  —  l'Écriture,   la  langue  et  la  versification. 

L'écriture,  employée  dans  la  transcriptioQ  de  l'épopée 
de  Gilgamès,  est  l'écriture  cursive  ordinaire  babylonien- 
ne et  assyrienne.  Assurbanipal,  en  effet,  avait  pris  soin 
d'en  faire  rédiger  plusieurs  exemplaires,  les  uns,  en 
caractères  babyloniens,  les  autres,  en  caractères  assy- 
riens, sans  doute  pour  les  diverses  catégories  de  lecteurs. 

Le  poème  tout  entier  est  conçu  dans  le  dialecte  baby- 
lonien, lequel  diffère  du  dialecte  ninivite,  parla  prédo- 
minance des  consonnes  douces  [b,  d,  s',  ^),  sur  les  con- 
sonnes fortes  [p,  t^  s,  k). 

Quant  à  la  versification,  on  chercherait  vainement 
ici  quelque  chose,  qui  ressemblât  de  près  ou  de  loin  à  la 
mesure  et  au  rhythme.  Le  poème  se  compose  de  versets 
coupés  en  général  suivant  le  sens,  dont  l'ensemble 
constitue  une  sorte  do  récitatif.  L'allure  poétique  est 
marquée  par  les  répétitions,  qui,  tantôt,  forment  une 
simple  reprise,  tantôt,  tombent  en  cadence,  à  la  manière 
d'un  refrain.  On  y  trouve,  en  outre,  des  traces  nombreu- 
ses de  parallélisme,  non  de  ce  parallélisme  savant,  tel 


440  IS-TU-BAR  — ,[gILGAMÈS 

qu'on  le  rencontre  chez  les  poètes  hébreux,  fondé  sur  la 
gradation  et  ralternance  habilement  ménagées  des  idées 
et  des  mots,  mais  d'un  parallélisme  encore  rudimentaire, 
consistant  à  peu  près  uniquement  dans  la  répétition  de 
la  même  pensée  sous  une  forme  différente.  Voici,  d'ail- 
leurs, quelques  exemples  empruntés  à  la  onzième 
tablette  : 

Je  vais,  Gilgamès  te  découvrii-  le  mystère, 

et  te  révéler  le  décret  des  dieux.  XI,  9-10. 

Argile,  argile;  amas  de  poussière,  amas  de  poussière  ! 
Argile,  écoute  ;  amas  de  poussière,  entends  ! 

Le  Dieu  Bel  m'a  repoussé,  il  m'a  rejeté  -, 
aussi,  je  ne  veux  point  séjourner  dans  votre  ville, 
je  ne  veux  point  poser  ma  tête  sur  la  terre  de  Bel 
Je  vais  descendre  vers  la  mer,   et  demeurer  auprès  d'Ea,  mon 
seigneur.  XI,  39-42. 


Je  m'affaissai  et  m'assis  en  pleurant, 
les  larmes  coulèrent  sur  mes  joues. 


XI,  137-138. 


III. 

ÉTUDE  SUR   L'AGE   DU  POÈME 

Les  tablettes,  sur  lesquelles  se  trouve  inscrite  l'épopée 
de  Gilgamès,  faisaient  partie  delà  bibliothèque  d'Assur- 
banipal.  Notre  poème  pourrait  donc,  à  la  rigueur,  ne 
pas  remonter  au-delà  de  650  av.  J.  C.  Mais  un  tel  docu- 
ment n'est,  nous  le  savons  de  source  certaine,  que  la 
reproduction  d'un  document  plus  ancien.  Assurbanipal, 
en  effet,  avait  fait  copier,  par  ses  soins,  l'épopée  de  Gil- 
gamès, en  même  temps  que  les  principales  œuvres  litté- 
raires, qui  constituaient  la  richesse  des  villes  sacerdota- 


IS- TU-BAR  —  GILGAMÈS  441 

les  de  laBasse-Chaldée,  pour  en  doter  sa  bibliothèque. 
Afin  que  personne  n'en  ignorât",  et  que  la  gloire  lui  en 
revînt  dans  lu  postérité  la  plus  reculée,  il  avait  fait  gra- 
ver au  bas  de  chaque  tablette  la  suscription  suivante  : 
«  Copie  certifiée  conforme  au  texte  ancien.  Fro'priètè 
d'Assurbanipal,  roi  des  légions.,  roidupays  d'Assur.» 
C'était  là  une  manière  de  garantir  l'authenticité  de  l'œu- 
vre et  de  s'en  assurer  la  propriété.  Or,  malgré  l'état 
fragmentaire  dans  lequel  nous  sont  parvenues  les  ta- 
blettes, nous  retrouvons  à  plusieurs  endroits,  conservée 
en  tout  ou  en  partie,  une  telle  suscription.  (1) 

Ainsi,  l'épopée  de  Gilgamès  dut  être  rédigée  à  une  épo- 
que fort  reculée,  puisque  déjà,  au  temps  d'Assurbanipal, 
on  attribuait  à  l'original  une  antiquité  vénérable.  Mais 
quelle  est  au  juste  la  date  de  la  composition  d'un  tel 
poème  ?  C'est  là  un  problème  de  critique  complexe  et 
difficile  à  résoudre. 

Il  ne  peut  pas  être  question  ici,  évidemment,  de  four- 
nir une  date  précise,  mais  seulement  vague  et  oscillant 
entre  plusieurs  siècles.  ÎMême,  en  se  mouvant  dans  d'aussi 
larges  limites,  la  tâche  n'en  reste  pas  moins  ardue.  Tou- 
tefois, elle  ne  défie  point,'  sans  doute,  les  ressources 
d'une  critique  sagace  et  minutieuse.  A  supposer,  en  effet, 
que  nous  ne  possédions  pas,  sur  le  moment  probable, 
où  furent  composés  les  poèmes  homériques,  le  témoi- 
gnage d'Hérodote,  nous  n'hésiterions  pas,  cependant,  à  y 
voir  des  œuvres  de  l'âge  héroïque.  11  en  va  de  même, 
en  ce  qui  concerne  notre  épopée.  Si  nous  n'avions  pas 
sur  la  haute  antiquité  du  poème  chaldéen  le  témoignage 
d'Assurbanipal,  toutefois,  nous  y  reconnaîtrions  sans 
peine  une  œuvre  des  temps  primitifs.  Il  ne  peut  venir  à 


(1)  II,  VI,  46-50  ;  Y,  Yl,  47-,  VI,  -HG-2l'0;  IX,  VI,  38-W;  IX,  VI 
b,  40-54  ;  X,  YI,  42-45;  X,  YI  b,  'iG-4S;  XI,  :]  ÎO  ;!34;  XII,  Yl,  12-15. 


442  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

l'esprit  de  personne  de  placer  l'épopée  de  Gilgamés 
dans  la  période  pleinement  historique,  pas  plus  qu'on 
ne  saurait  songer  à  faire  descendre  l'Iliade  et  l'O- 
dyssée jusqu'à  l'époque  classique.  L'examen  du  texte 
lui-même  est  ici  la  meilleure  preuve  et  tout  à  fait  con- 
vaincante. 

A  ne  considérer  d'abord  que  le  système  scientifique 
de  l'univers,  tel  qu'il  se  trouve  impliqué  dans  notre  épo- 
pée, on  se  sent  reporté  tout  d'un  coup  à  une  grande  dis- 
tance en  arrière.  La  description  de  ce  monde,  confiné 
dans  la  vallée  du  Tig-re  et  de  l'Euphrate,  limité  à  l'ho- 
rizon par  les  montagnes  du  Soleil,  entouré  de  toutes 
parts  par  le  fleuve  Océan,  paraît  bien  avoir  été  calquée 
sur  quelque  mappemonde  rudimentaire,  œuvre  des  géo- 
graphes primitifs.  En  tout  cas,  des  conceptions  si  enfan- 
tines sont  assurément  fort  anciennes. 

Si,  de  cette  vue  d'ensemble  sur  l'univers,  nous  passons 
à  l'examen  du  système  astronomique  en  particulier, 
nous  arrivons  au  même  résultat.  Ici,  certains  sa- 
vants (1)  ont  essayé  d  introduire  un  élément  de  pré- 
cision dans  le  débat.  Prenant  comme  point  de  départ 
la  concordance,  qui  paraît  exister  entre  le  cycle  des 
exploits  de  Gilgamés  et  la  révolution  annuelle  du  soleil, 
s'appuyant  en  particulier  sur  les  coïncidences  remar- 
quables, que  l'on  a  cru  saisir ,  dans  notre  poème, 
entre  certains  signes  du  zodiaque,  tels  que  le  Taureau, 
le  Scorpion,  le  Verseau  et  l'équinoxe  du  printemps,  l'é- 
quinoxe  d'automne,  le  solstice  d'hiver,  ils  ont  cherché  à 
établir  une  relation  entre  l'époque  où  eurent  lieu  ces 
phénomènes  et  la  date  de  la  composition  de  l'épopée.  Or, 


(1)  Jensen  :  Kosmologie,  p.  318-321);  Alf.  Jeremias  :  Izdiihar-NhnroJ, 
p.  66-()7  ;  A.  Loisv  :  Les  mijtlieschaldéens  de  la  création  et  du  déluge, 
p.  71. 


IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS  443 

on  a  pu  vérifier,  d'après  des  calculs  astronomiques,  que 
le  passage  du  soleil  dans  la  constellation  zodiacale  du 
Taureau  a  coïncidé  avec  l'équinoxe  du  printemps,  plus 
dedeux  mille  ans  avant  notre  ère,  commelimiteinférieure. 
On  a  conclu  de  là  que  l'épopée  de  Gilg-amès,  où  se  trouve 
noté  un  tel  phénomène,  doit  remonter  à  peu  prés  à  la 
même  époque. 

Mais  de  telles  preuves  restent  toujours  un  peu  con- 
jecturales. Une  étude  détaillée  des  éléments  histori- 
ques et  religieux,  qui  constituent  le  fonds  du  poème, 
semble  devoir  nous  fournir  des  arguments  moins  con- 
testables. 

Dans  la  lutte  de  Gilgamès  contre  Humbaba,  on  a  cru 
reconnaître,  ainsi  que  nous  l'avons  fait  observer  ailleurs, 
un  souvenir  de  l'antique  rivalité  qui  divisa  laChaldée  et 
Elam.  Or,  cette  vieille  hostihté  entre  deux  peuples  voi- 
sins a  laissé  des  traces  dans  les  documents  historiques 
qui  nous  ont  été  conservés.  Ainsi  voyons-nous,  dans  la 
liste  des  rois  cités  par  Bérose  (1),  à  la  suite  d'une  dynas- 
tie mède  ou  élamite,  qui  se  maintint  durant  plus  de  deux 
cents  ans,  à  peine  séparée  d'elle  par  une  série  de  onze 
rois  de  race  inconnue,  qui  auraient  régné  près  de  cin- 
quante ans,  une  dynastie  chaldéenne,  qui  resta  domi- 
nante pendant  une  période  de  quatre  cent  cinquante  ans. 
De  même,  Assurbanipal,  dans  le  récit  qu'il  nous  a  laissé 
de  ses  diverses  expéditions  (2),  raconte  qu'il  ramena  de 
Suze  et  réintégra  solennellement  dans  le  temple  d'Anu, 
à  Uruk,  la  statue  do  la  déesse  Nanâ,  qui  en  avait  été  ar- 
rachée, 1G35  ans  auparavant,  par  Kudurnahunti,  l'Ela- 
mite.  Or,  en  combinant  ce  double  témoignage,  on  a  cal- 


(1)  Dans  C.  Millier,  Fragm.  hisloric.  grsec,  t.  II,  p.  509  (éd.  Didot). 
(:2)IIIR.  i:\,  y  i:{  a;  VR.r),  107-I-2'ib.  Cf.  Schiader:  Sammlwig  von 
a^syrischen  und  bahylonischen  Texteu.  JI,  p.  208, 


444  IS -TU-BAR  —   GILGAMÈS 

Cillé  que  la  chute  de  la  puissance  d'Uruk,  causée  par 
les  Elamites,  et  en  particulier  par  Kudurnahunti  et  sa 
restauration,  accomplie  par  Gilgamès,  auraient  eu  lieu 
dans  l'intervalle  compris  entre  2450  et  2250  avant  J. -G. 
L'épopée  de  Gilgamès,  oi^i  se  retrouve  encore  vivant  le 
souvenir  de  tels  événements,  remonterait  à  peu  près  à 
la  même  époque  (1).  Mais  le  plus  sûr  témoignage  est 
sans  doute  ici  celui  du  poème  lui-même.  A  un  endroit  (2), 
se  trouve  mentionnée  la  ville  de  Surippak,  comme  la 
cité  antique  par  excellence.  Il  est  question,  à  un  autre 
endroit  (3),  «  des  porteurs  de  couronnes  qui,  jadis,  gou- 
vernèrent la  contrée.  »  En  outre,  la  situation  politique 
et  sociale  de  la  basse  Chaldée,  telle  qu'elle  est  décrite 
dans  notre  poème,  nous  reporte  par  delà  l'époque  histo- 
rique. 

Quant  au  système  rehgieux,  on  a  fait  remarquer  (4), 
avec  raison,  qu'il  était  constitué,  dès  cette  époque  recu- 
lée, comme  au  temps  de  Nabonide,  que  déjà,  dans  l'é- 
popée de  Gilgamès,  se  retrouve  toute  entière  la  double 
triade  des  dieux  cosmiques  et  sidéraux  :  Anu,  Bel  et  Ea, 
Samas,  Sin  et  Istar.  On  no  saurait  donc  tirer  de  là  un 
nouvel  argument,  en  faveur  de  l'antiquité  de  notre 
poème.  Tout  au  plus  pourrait-on  faire  valoir,  dans  les 
divers  caractères  que  l'on  prête  aux  dieux,  caractères 
tantôt  physiques,  tantôt  zoomorphiques  et  an thropomor- 
phiques,  une  certaine  indécision,  qui  paraît  appartenir  à 
l'époque  de  transition,  sans  doute  fort  ancienne,  où 
s'opérèrent  de  telles  transformations. 

(1)  G.  Smith:  Chaldean  Account  ofGûiicsis,  p.  181-191  (Cf.  p.  25) 
et  p.  292!--^94  ;  Alf.  Jeremias  :  Izdubar-Niinrod,  p.  9  :  A.  Loisy  :  Les 
mythes  chaldéens  de  la  création  et  du  déluge,  p.  72-73. 

(2)  XI,  11-13. 

(3)  XII  (?)  b,  38. 

[ï)  Alf.  Jeremias  :  Izduba>--yimrod,  p.  9-10. 


IS-TU-B.\R  —  GILGAMÈS  445 

Plus  encore  que  le  fonds  d'idées  mythologiques, 
l'écriture,  la  langue  et  la  versification  sont  impuissantes 
à  nous  fournir  un  moyen  de  vérifier  la  date,  même  pro- 
bable, de  l'épopée.  La  copie  que  nous  en  possédons,  a  été 
transcrite,  suivant  le  type  ordinaire  des  caractèi'es  baby- 
loniens et  assyriens,  par  un  scribe  du  temps  d'Assurba- 
nipal.  On  sait,  en  outre,  que  la  langue  assyro -babylo- 
nienne a  persisté  pendant  quarante  siècles  presque  sans 
subir  de  variations,  de  telle  sorte  que,  dans  Tétat  ac- 
tuel de  nos  connaissances,  la  langue  de  Sargon 
d'Agadéet  de  Naram-Sin  (vers  3.800  av.  J.-C.)  ne  nous 
paraît  pas  différente  de  celle  de  Nabonide  (538  av.  J.-C.) 
C'est  dire  que,  pour  nous,  la  langue  de  l'épopée  de  Gil- 
gamès  ressemble  à  toutes  les  deux  à  la  fois,  et  pourrait, 
par  suite,  si  l'on  se  fondait  sur  ce  seul  critérium,  être 
regardée  indifféremment  comme  une  œuvre  très  an- 
cienne ou  relativement  récente.  Enfin,  les  règles  de  la 
versification,  si  tant  est  qu'il  y  en  eût,  sont  trop  incon- 
nues pour  que  l'on  essaye  de  fonder  là-dessus  un  rai- 
sonnement solide. 

De  telles  considérations  et  d'autres  encore  que  l'on 
pourrait  ajouter  (1),  assurent  à  l'épopée  de  Gilgamès 
une  antiquité  vénérable.  Tout,  en  effet,  dans  ce  poème, 
nous  transporte  par-delà  l'époque  historique,  telle  qu'elle 
nous  est  connue  par  les  annales  des  rois  de  Babel  et 
d'Assur.  La  date  de  la  composition  d'une  telle  œuvre  ne 
saurait  être  placée  au-dessous  de  l'an  2.000  av.  J.-C.  et 
il  est  possible  qu'elle  doive   être  reportée  encore  plus 


(1)  Ainsi,  les  observations  tirées  d'un  examen  minutieux  des  ca- 
chets-cylindres, où  se  trouvent  reproduites  les  principales  scènes  de 
noire  poème.  Nous  ne  les  apportons  point  ici,  les  réservant  pour 
une  étude  spéciale. 


446  IS-TU-BAR  —  GILGAMÈS 

haut.  L'épopée  de  Gilgamès  est  antérieure  à  l'époque  de 
Moïse  et  sans  doute  aussi  à  celle  d'Abraham  (1). 


J.  Sauveplane, 
Ancien  élève  de  l'École  des  Haules  Études. 


(1)  Nous  arrêtons  ici  cette  introduction,  déjà  trop  longue.  Ce 
n'est  pas  cependant  que  la  matière  soit  épuisée.  11  nous  resterait 
encore  à  illustrer  les  divers  épisodes  de  l'épopée,  à  l'aide  des  repré- 
sentations figurées,  qui  se  rencontrent  si  fréquemment  sur  les  ca- 
chets-cylindres, à  accompagner  le  commentaire  littéraire  d'tm  com- 
mentaire archéologique.  Ceci  sera  l'objet  d'un  travail  spécial,  qui 
paraîtra  prochainement.  Enfin,  pour  être  complet,  il  nous  faudrait 
rendre  compte  du  succès  littéraire  de  notre  poème,  en  suivre  pas  à 
pas  les  traces  à  travers  la  Judée,  la  Phénicie,  l'Asie  Mineure  et  la 
Grèce.  Un  tel  sujet  mérite,  par  son  importance  même,  une  élude  sé- 
parée, qui  sera  publiée  un  peu  plus  tard  sous  ce  titre  :  Essai  sur  les 
origines  du  mytlie  d^ Hercule. 


CHRONIQUE 


1.  —  Li'enseignemcat  et  la  science  (les  Religions. 

Nous  avons  déjà  annoncé  que  le  parlement  des  Religions  doit  se 
réunir  à  Chicago,  pendant  l'exposition  universelle.  En  voici  le 
programme  : 

Première JouaxÉE.  —Lundi  11  septembre  189i.  Réception 
officielle  des  membres  par  les  aalorités. 

Deuxième  journée.  —  Dieu.  Origine  et  extension  de  l'idée  de 
Dieu.  La  croyance  à  la  paternité  divine.  Tendances  du  théisme 
moderne. 

Troisième  journée.  —  Lhomme.  Sa  nature,  sa  place  dans 
l'univers,  ses  rapports  avec  la  divinité.  Diver.ses  conceptions  de 
la  vie  fu'ure.  La  fraternité  humaine  d'après  les  différentes  reli- 
gions. 

Quatrième  journée.—  La  relie/ ion,  caractère  essentiel  de 
rhumanilé.  —  Bat  et  fonction  de  la  religion  Conceptions  diffé- 
rentes du  culte.  Ce  qui  distingue  la  religion  de  la  morale.  Les 
vérités  acquises  en  religion. 

Cinquième  journée.  —  Systèmes  de  religion.  Importance 
et  conditions  d'une  élude  sérieuse  de  tous  les  systèmes  religieux. 
Des  services  rendus  par  chaque  religion  historique.  Principales 
lacunes  de  chaque  religion  au  point  de  vue  praUque. 

Sixième  journée.  —  Livres  sacrés  de  tous  les  peuples.  Leur 
étude  par  les  procédés  littéraires.  De  la  religion  interprétée  par 
la  poésie.  Ce  qu'ils  ont  apporté  à  rhumanit-^.  Influence  de  leurs 
dénonciations  du  péché. 

Septième  journée.  (Dimanche). —  La  religion  et  la  famille. 
Le  mariage.  ~  L'éducation  domestique.  —  L'atmosphère  reli- 


448  CHRONIQUE 

gieuse  du  foyer.  —  Nécessité  d'un  jour  de  repos  consacré  par  la 
religion. 

Huitième  journék  —  Réformateurs  religieux.  L'idée  d'in- 
carnation  dans  les  différents  cultes.  —  La  sympathie  entre  les 
religions. 

Neuvième  JOURNÉE.— ^â'/)/)or/5  6/e  lartVqionavec  ksscien- 
ces,  ks  arts  et  les  lettres.  —  La  connaissance  de  la  religion 
peut  elle  être  scientifique  ?  —  Assistance  fournie  parla  philoso- 
phie et  les  sciences  naturelles  à  la  science  des  religions  :  assis - 
lance  fournie  par  cette  dernière  aux  autres  sciences.  La  religion 
et  la  musique. 

DiKiÈyiE  }0VRSÉE.— Rapports  de  la  religion  avec  lamorale. 

—  Uni lé  essentielle  des  idées  morales.  —  Notions  non  religieuses 
de  la  conscience,  du  devoir  et  du  droit.  —  Rôle  de  la  reli- 
gion dans  le  perfectionnement  de  la  nature  humaine.  —  Diffé- 
rents plans  pour  le  relèvement  des  coupables. 

ONZIÈME  JOURNÉE  —  Rapports  de  la  religion  avec  les  pro- 
blèmes sociaux.  —  La  religion  en  présence  du  Travail,  de  la 
Richesse,  delà  Pauvreté  et  de  la  Tempérance.  La  religion  et  les 
classes  criminelles.  —  Services  rendus  par  la  religion  à  la  fem- 
me. 

Douzième  JOURNÉE.—  Rapports  de  lareligion  avec  la  société 
civile.  —  La  religion  et  le  patriotisme.  —  La  reli.ion  et  l'obser- 
vation des  lois.  —  La  religion  est-elle  actuellement  à  même  de 
satisfaire  les  exigences  de  la  vie  moderne  ? 

Treizième  journée.  —  Lareligion  et  T amour  de  V humanité. 

—  La  fraternité  des  peuples.  —  La  justice  internationale.  — 
Substitution  de  l'arbitrage  à  la  guerre.  —  La  mission  religieuse 
des  peuples  anglo-saxons. 

Quatorzième  journée.  (Dimanche)  —  Condition  actuelle  de 
la  chrétienté.  Ce  que  la  religion  a  fait  pour  l'Amérique. 

Quinzième  journée.— Z)e  Vwiion  religieuse  de  la  chrétien- 
té. Est-elle  désirable,  sur  quels  principes,  et  quels  y  sont  les  obs- 
tacles ? 

Seizième  journée.— /)e /'?/;î/o?i  religieuse  de  toute  la  fa- 
mille humaine.  Ce  que  le  mondedoitaux  mouvements  religieux 
de  l'Asie,  de  l'Europe,  et  de  l'Amérique.  —  Quels  sont,  entre 


CHRONIQUE  449 

les  di(T4rentes  religions,  les  points  de  contact  et  les  points  de  di- 
vergence qui  ressorlent  des  exposés  précédents  ? 

Dix-septième  journée.  (27  septembre).  —  De  la  perfection 
religieuse  suivant  les  différentes  religions.  —  Quel  sera  le 
centre  de  la  future  unité  religieuse  de  riiumanilé  ? 

La  circulaire  d  envoi  ajoute  qu'à  ce  parlement  seront  représen  • 
lés,  outre  toutes  les  grandes  confessions  historiques  du  chris- 
tianisme, le  bouddhisme  du  Nord  et  du  Sud, -le  confucianisme,  le 
shinto,  les  différentes  formes  de  l'hindouisme,  les  Parsis,  les 
Maliométans  et  les  Juifs.  Il  est  difficile  de  dire  ce  qui  sortira  de 
ce  contact. 

—La  librairie  Leroux  a  publié  les  Actes  du  congrès  interna- 
tional des  Américanistes,  (8'=  session).  Mgr  de  Harlez  en  a  pu- 
blié un  résumé  dans  la  Science  Catholique.  La  science  améri- 
caniste,  ditle  savant  professeur,  n'excitait,  naguère,  encore,  que  les 
dédains  et  les  défiances  des  savants  européens  ;  elle  leur  semblait 
être  sans  b.ase,  sans  principe  fixe,  une  oeuvre  de  dilletlante  qui 
ne  méritait  que  peu  ou  point  d'attention.  Mais  la  jeune  science, 
un  peu  indécise  ou  téméraire,  à  son  début,  il  est  vrai,  a  fait  de- 
puis des  progrès  si  considérables  (jue  l'on  peut  répéter,  sans  hé- 
sitation, après  le  savant  ethnologue  et  linguiste  américain  Daniel 
Brinton,  que  «  le  Congrès  des  Américanistes  est   devenu  une 
puissante  société  internationale,  que  la  poursuite,  organisée  par 
lui,  des  conquêtes  scientifiques  et  l'investigation  delà  vérité  par- 
viendront à  grouper  dans  un  avenir  prochain  les  savants  de  tous 
les  pays  ».  Dans  ce  congrès  on  a  réuni  dans  une  même  pensée, 
avec  une  même  ardeur  scientifique,  les  hommes  qui  portent  les 
noms  les  plus  distingués  dans  le  monde  de  la  science.  Qu'il  nous 
suffise  de  citer  les  noms  de  MM.  de  Quatrefages,  de   Nadaillac, 
Gharnay,  Hamy,  Beauvois,  Brinton,  H.  r.ordier,  Galïarel,  Adam, 
deCharencey,  de  la  Grasserie,  Prince  Bonaparte,  etc.,  gages  cer- 
tains de  la  valeur  des  travaux  présentés.  —  Et  à  ce  propos,  Mgr 
Harlez  fait  justement  remarquer  que  le  peu  d'intérêt  que  l'on 
témoigne  dans  l'Europe  centrale  pour  les  choses  des  pays  éloignés 
et  situés  en  dehors  du  champ  des  études  vulgaires  est  un  fait  vé- 
ritablement regrettable.   Rome  et  la  Grèce  absorbent  toute  l'at- 
tention et  tout  ce  qui  les  concerne  semble  être  hautement  inté- 

29 


450  CHRONIQUE 

ressant,  depuis  les  boutons  du  couvre  jambe  du  soldat  romain 
jusqu'au  moindre  mot  d'un  auteur  classique.  Surde  semblables 
sujets  on  peut  discuter  avec  chaleur  et  sans  fin.  Pour  tout  le  reste 
un  regard  furlifetà  moitié  distrait  suffit  amplement  II  semble- 
rait que  l'humanité  est  entièremenl  concentrée  dans  le  monde 
hellénique  et  romain. 

Les  travaux  présentés  au  congrès  ont  été  nombreux.  Nous  ne 
pouvons  les  citer  tous. 

Les  études  anthropologiques  ont  été  en  particulier  des  plus 
intéressantes. 

La  première,  due  aux  recherches  de  M.  Ten  Kate,  traite 
de  cet  important  sujet  de  l'unité  et  des  conditions  anthropologi- 
ques des  races  américaines.  Le  savant  antliropologue  y  constate 
différents  faits  d'une  grande  conséquence.  C'est  d'abord  l'impos- 
sibilité de  déterminer  un  type  universel  et  commun  à  tous  les  in- 
digènes américains,  t  Au  lieu  d'un  type  général,  l'on  en  trouve 
un  certain  nombre  entre  lesquels  il  y  a  autant  de  différences 
qu'entre  les  autres  races  jaunes.  » 

M  Charnay  a  passé  en  revue  les  analogies  constatées  entre  des 
traits  de  mœurs,  des  usages,  des  croyances  asiatiques  et  amé- 
ricaines. 

Ce  sont  :  1"  la  forme  et  le  rôle  attribué  au  premier  souverain 
civilisateur  des  chinois,  Fou-hi,  représenté  comme  un  serpent  à 
tête  humaine  apprenant  aux  hommes  à  pêcher  et  à  cuire  la  viande, 
tout  comme  le  Quetzalcoalt  mexicain. 

2°  C'est  un  chant  du  Slir  King  implorant  la  faveur  du  ciel  pour 
faire  cesser  une  sécheresse  qui  produisait  la  famine  et  dont  on 
retrouve  à  peu  près  les  termes  dans  une  prière  du  rituel  mexi- 
cain adressée  au  dieu  Tlaloc,  à  la  même  occasion. 

3«  Les  conseils  d'une  mère  cambdogienne  à  sa  fille  qui  rappel- 
lent ceux  d'une  mère  toltèque  dans  les  même  circonstances  et  que 
nous  lisons  au  1.  2,  ch.  18  de  J.  de  Sahagun. 

4^'  Les  cérémonies  du  jour  de  l'an  et  celles  qui  les  préparent,  en 
Chine  et  au  Mexiijue  ancien. 

5°  L'emploi  du  papier  de  couleurs  découpé  en  diverses  formes 
pour  chasser  les  mauvais  esprits,  celui  des  noms  de  fleurs  comme 
appellatifs  des  femmes  et  des  jeunes  filles,  la  ressemblance  de 


CHRONIQUliî  451 

cerlaiiis  génies  chinois  et  des  dieux  mexicains  des  manuscrits 
aztecs. 

6°  La  ressemblance  des  textes  bouddliiques  japonais  avec  celui 
du  soleil  à  Palanqué  ,  la  bénédiclion  donnée  par  les  prêtres  au 
moyen  d'ime  palme  usitée  des  àewi  côtés  de  l'Océan. 

7"  Le  paloi.  vêtement  national  du  Cambodge  identique  au  raaxlh 
des  régions  tolièques,  le  vêtement  des  femmes  identiques  dans 
les  deux  pays. 

8'^  Les  armes,  les  insignes  guerriers  du  casque,  les  jeux  de 
paume  et  les  cariatides  du  palais  tout  semblables  dans  l'une  comme 
dans  l'autre  contrée. 

M.  Charnay  trouve  des  rapprochements  de  plus  en  plus  nom- 
breux et  frappants.  Le  savant  anthropologue  les  expose  en  dé- 
tail ;  nous  ne  pouvons  que  les  indiquer  sommairement.  Citons 
le  dieu  poisson  à  la  tête  humaine,  la  position  élevée  des  palais 
sans  raison  d'être  au  Mexique,  l'astrologie  judiciaire  praliquée 
d'une  manière  analogue,  le  globe  ailé  symbole  de  la  toute-puis- 
sance, les  habits  royaux,  les  constructions  à  briques  crues  faites 
exactement  de  la  même  manière  et  avec  les  mêmes  instruments, 
malgré  l'abondance  des  pierres  au  Mexique,  la  foi'me  de  parallé- 
lipipède  rectangle  donnée  aux  palais,  celle  des  étages,  les  prin- 
cipes d'arcbitecture  qui  s'appliquent  également  dans  ces  régions 
si  éloignées  l'une  de  l'autre,  lé  culte  du  soleil  pratiqué  d'une  ma- 
nière analogue,  le  mode  de  construction  des  colonnes,  celui  de 
l'ensevelissement  dans  les  classes  élevées  au  moyen  de  jarres  en 
terres  cuite,  les  pyramides  à  degrés  qui  couvraient  le  sol  de  la 
Mésopotamie  comme  on  en  voyait  dans  la  plaine  du  Mexique  et 
qui  sei'vaient  de  lieu  de  refuge  comme  celles  de  l'Egypte  ou 
de  l'Ethiopie,  au  rapport  d'Hérodote,  elc  ,  etc. 

Le  Congrès  américaniste  de  Paris  n'a  pas  élé  au-dessous  de 
la  plupart  des  autres  Congrès  savants.  Nous  souhaitons  qu  ils 
servent  à  développer  le  goût  de  ces  études  dont  l'utilité  n'est  plus 
contestable  et  dont  les  résultats  s'apprécient  chaque  année  de 
plus  en  plus.  Ce  n'est  point  connaître  l'homme,  ses  attributs,  son 
langage,  ses  œuvres,  que  de  ne  les  connaître  qu'en  partie,  et  une 
science  pleine  de  lacunes  est  propre  à  engendrer  les  plus  funestes 
erreurs. 


452  CHRONIQUE 

—  Voici  d'après  la  Revue  de  VBistoire  des  Religions  quel 
est  en  Amérique  l'étal  actuel  de  TEnseignement  de  l'histoire  des 
religions.  «  M.  Moriss  Faslrow,  professeur  à  l'Université  de  Pen- 
sylvanie,  a  fait  paraître  une  courte  revue  des  progrès  accomplis 
ces  dernières  années  dans  l'hisloire  religieuse  générale  aux  Etats- 
Unis  :  Récent  movemeiUs  in  the  hhtorical  study  of  reli- 
gions in  America.  Ce  tableau  est  des  plus  réjouissants.  Voici 
d'abord  TUniversité  de  Harvard,  la  première  qui  ait  officiellement 
institué  un  cours  d'histoire  des  religions,  professé  depuis  quatre 
ans  par  M.  Charles  Everett.  Cette  année  il  ne  s'y  fait  pas  moins 
de  six  cours  dhistoire  religieuse  :  M.  Toy,  traite  de  la  religion 
hébraïque  comparée  aux  autres  religions  sémitiques,  et  fait  des 
conférences  sur  l'Islam  et  le  Coran;  M  Lanman  initie  ses  audi- 
teurs aux  livres  sacrés  du  bouddhisme;  le  professeur  Allen  s'oc- 
cupe du  culte  et  de  la  religion  chez  les  grecs;  le  professeur  Kit- 
Iredge  étudie  les  Sagas  d'Islande,  lEdda  et  la  mythologie  germa- 
nique. Ajoutons  le  cours  de  M.  Eraerton  sur  l'histoire  chrétienne 
des  huit  premiers  siècles,  où  les  rapports  du  christianisme  et  du 
paganisme  sont  étudiés  et  le  cours  du  professeur  Lyon,  qui  fait 
une  large  part  aux  religions  assyro-babyloniennes.  A  l'Université 
dePensylvanie,  Ihistoiredes  religions,  sous  rao4ive  impulsion  de 
M.  laslrow,  a  été  tout  d'abord  introduite  dans  des  conférences 
parla  «  Universily  Lecture  association  »,  dont  nous  avons  parlé 
dans  de  précédentes  chroniques.  Cette  année,  pour  la  première 
fois,  elle  figure  sur  les  programmes  officiels  de  la  section  de 
Philosophie,  Psychologie  et  Morale  :  M  Hilprecht  enseigne  la 
religion  de  l'Assyrie  et  de  la  Babylonie  ;  M.  lastrow,  la  religion 
d'Israël  et  l'Islamisme;  M.  Easton,  les  religions  de  l'Inde  et  de  la 
Perse  ;  et  M.  Brinton,  les  éléments  et  l'évolution  des  religions 
primitives. 

A  CorneH's  Universily,  la  création  de  la  Susan  Linn  Sage 
School  of  philosophy,  que  nous  avons  signalée  jadis,  a  assuré 
depuis  quatre  ans  renseignement  de  l'histoire  des  religions  sous 
la  direction  du  Rev.  Cbarles  Melen  Tyler. 

M  lastrow  nous  apprend  que  les  cours  organisés  en  été  par 
la  School  of  applied  ethics  dans  la  station  balnéaire  de  Ply- 
mouth,  ont  été  couronnés  d'un  plein  succès.  11  nous  rappelle  la 


CHRONIQUE  453 

réunion  de  collections  destinées  à  devenir  des  musées  de  religions 
au  National  Muséum  et  à  l'Université  de  Pensylvanie,  la  fonda- 
tion d'un  History  of  religions  club,  à  Cambridge,  dont  les 
membres  se  réunissent  une  fois  par  mois  pour  entendre  des  tra- 
vaux sur  l'histoire  des  religions;  l'organisation  de  V American 
Cominittee  for  lectures  in  tfie  history  and  the  comparative 
study  of  religions,  sous  la  présidence  du  professeur  Toy,  le 
pendant  du  comité  des  Hibberl  /^ectures  en  Angleterre.  Nous  féli- 
citons vivement  nos  amis  d'Amérique  du  brillant  succès  de  leurs 
efforts.  L'histoire  des  religions  espère  beaucoup  de  leur  intelli- 
gente initiative.  » 

—  L'enseignement  des  religions  a  été  aussi  organisée  à  l'U- 
niversité de  Boston  :  nous  en  rendrons  compte  dans  notre  pro- 
chain numéro. 

—  Nous  avions  mentionné  à^ikV Évolution  religieuse  dans 
les  diverses  races  humaines,  par  Gh.  Letourneau,  secré- 
taire général  de  la  Société  d'anthropologie.  Rien  n'empêche  d'y 
revenir.  L'auteur  représente  une  école  aussi  nombreuse  que  peu 
forte  en  hiérologie. 

M.  Letourneau  nous  dit,  dans  sa  préface,  que  ce  volume  fait 
partie  d'une  série  à  laquelle  on  pourrait  donner  le  litre  de  «  l'Évo- 
lution des  sociétés  «.  Si  les  autres  ouvrages  ont  la  même  valeur 
que  celui-ci,  nous  pouvons  dire  sans  hésiter  que  la  série  complète 
n'ajoutera  rien  à  la  science  réelle  de  l'humanité,  comme  le  font 
remarquer  les  Éludes  que  nous  citons. 

La  méthode  comparative  adoptée  par  l'auteur  peut  être  bonne, 
mais  elle  demande  à  être  employée  sans  esprit  préconçu.  En 
effet,  c'est  en  parcourant  les  idées,  les  mœurs  des  divers  peu- 
ples, que  nous  pouvons  constater  l'universalité  des  sentiments 
religieux. 

Pour  M.  Letourneau,  la  religion  des  Juifs  n'offre  qu'un  intérêt 
secondaire  :  il  est  mal  à  l'aise  dans  ses  grossières  interprétations 
de  la  Bible.  Le  chrislianime  n'est  pas  une  religion  raouothéisle, 
mais  plutôt  polythéiste,  parce  que  les  catholiques  admettent  l'in- 
tervention des  anges  et  des  saints  ;  il  le  range  côte  à  cùte  avec  le 
mazdéisme,  dans  la  catégorie  des  religions  dualistes. 

11  prend  soin  d'ailleurs  de  nous  avertir,  dès  les  premières  lignes 


454  CHRONIQUE 

de  sa  préface,  qu'il  s'agit  pour  lui  d'étudier  sous  le  nom  de  reli- 
gion «  la  somme  des  illusions  dont  le  genre  Immain  s'est  leurré 
et  se  leurre  encore  à  propos  du  surnaturel  »,  de  réagir  contre 
l'erreur  instinctive  où  nos  générations,  séduites  par  les  arguties 
des  théologiens,  domptées  par  le  bras  séculier  ou  circonvenues 
par  une  éducation  pieuse  jusqu'à  l'excès,  sont  invinciblement 
tombées.  Pour  elles,  le  mol  relir/ion  représente  tout  un  idéal  à  la 
fois  mystérieux  et  vénérable  qui  plane  au-dessus  de  l'examen, 
quelque  chose  comme  un  sanctuaire  fermé  et  inviolable.  Il  faut 
détruire  ces  antiques  préjugés  si  funestes  à  la  liberté  de  penser, 
et  la  méthode  comparative,  dextrement  employée  par  M  Letour- 
neau,  doit  nous  mettre  à  l'iibii  de  ces  erieurs  de  jugement. 
«  Guidés  par  elle,  nous  voyons  à  n'en  pouvoir  douter  que  les 
grandes  religions  sont  simplement  l'épanouissement  des  petites, 
de  ces  grossiers  féticbisraes  dont  nos  doctes  exégèles  ne  daignent 
pas  même  s'occuper   » 

Les  contradictions  ne  manquent  pas  dans  ce  livre.  C'est  ainsi 
que  M.  Letourneau  constate  à  chaque  page,  et  chez  tous  les  peu- 
ples dont  il  nous  parle,  la  croyance  à  la  vie  future,  à  la  survie 
du  double,,  pour  employer  son  expression.  Vous  penseriez  qu'il 
va  de  là  conclure  à  la  vérité  objective  de  cette  croyance  :  erreur; 
qu'il  va  au  moins  la  discuter,  en  analyser  les  éléments  :  point  du 
tout.  On  se  contente  de  nous  déclarer  que  c'est  là  une  preuve  de 
Vanhnisme  toujours  vivant  chez  tous  les  peuples,  animisme 
que  du  reste  on  vous  définit  en  disant  que  c'est  «  cette  illusion 
primaire  qui  porte  l'homme  peu  développé  à  prêter  à  tels  objets 
ou  êtres  du  monde  ambiant  sa  volonté,  ses  senlimenls,  ses  idées  ». 
(Préface.)  C'est  une  illusion ,  comme  l'illustion  du  rêve. 
Entre  la  croyance  ferme  et  absolue  par  laquelle  vous,  catho- 
lique, vous  affirmez  la  vie  future,  et  le  procédé  littéraire  par 
lequel  les  poètes  animent  les  êtres  qui  nous  entourent  et  leur 
prêtent  leurs  sentiments,  l'auteur  ne  voit  aucune  ditïérence  : 
animisme  et  pur  animisme,  illusion  toujours  dans  les  deux  cas. 

Si  cette  réponse  ne  vous  satisfait  pas,  si  vous  désirez  de  plus 
amples  explications,  vous  pouvez  fermer  le  livre  :  M.  Letourneau 
ne  vous  en  donnera  point. 

Ennemi  déclaré  de  toute  religion,  l'auteur  consacre  plusieurs 


Clin  UNIQUE  455 

pages  à  démolir  la  définiiion  d'ailleurs  incompléle  que  M.  de 
Qualrefarges  avait  donné  du  règne  iiumain,  en  disant  qu'il  était 
caractérisé  par  la  religiosité  ;  il  paraît  que,  pour  certains  profes- 
seurs d'anthropologie,  c'est  là  une  erreur  capitale  :  le  chien  ado- 
rerait son  maître  avec  beaucoup  plus  de  ferveur  que  les  plus 
pieux  d'entre  les  hommes  n'adorent  Dieu  :  «  Le  chien,  comme 
on  la  dit  plus  d'une  fois,  a  sûrement  la  religion  de  l'homme  : 
c'est  un  animal  anthropolâlre.  Comme  il  admire  et  redoute  son 
maître  I  Comme  il  le  regarde  avec  amour  et  vénération  !  Comme 
il  le  flatte  et  le  caresse  !  Comme  il  l'implore  !  Comme  il  s'hu- 
milie, s'avilit,  se  prosterne  devant  lui  !  »  Peut-éti'e  pour  M.  Le- 
lourneau  l'inslinct  religieux  est-il  ce  qui  nous  rapproche  le  plus 
de  l'animal.  » 

—  «  Décidément,  des  tendances  abstraites,  indéfinies,  flottent 
dans  l'air,  dit  dans  un  de  ses  derniers  articles  la  Revue  des  Revues, 
Voici  après  Huxley,  Ernest  Haeckel  le  grand  matérialiste  alle- 
mand, qui  juge  à  propos  de  discuter  publiquement  sa  religion,  sa 
profession  de  foi.  On  aurait  le  droit  de  se  montrer  surpris,  en  pré- 
sence de  l'importance  que  semble  attacher  le  plus  ardent  et  le 
plus  connu  parmi  les  élèves  de  Darwin  à  ses  croyances  reli- 
gieuses Et  cependant  la  chose  est,  au  fond,  des  plus  naturelles. 
Une  sorte  de  mouvement  mystique  parcourtencemomentl'Europe 
entière.  L'humanité  désillusionnée  tend  à  réformer  les  bases  de 
son  existence  morale.  Les  uns  créent  de  nouveaux  dieux  ;  les 
autres  retournent  aux  aniiennes  croyances  ;  les  troisièmes  s'ef- 
forcent de  mettre  d'accord  la  religion  dupasse  avec  celle  du  pré- 
sent, pour  en  former  une  sorte  de  religion  de  l'avenir.  Le  mou- 
vement est  si  fort  qu'il  a  englobé,  non  seulement  les  esprits 
moyens,  mais  aussi  les  esprits  supérieurs  qui  semblaient  s'en  dé- 
sintéresser. 

Rien  d'étonnant  à  cela,  quand  on  songe  que,  pendant  le  récent 
congrès  des  naturalistes  allemands  qui  a  eu  lieu  à  Allenbourg 
(octobre  189^2),  les  nombreux  assistants  n'avaient  rien  de  mieux 
à  faire  que  de  discuter  les  dogmes  religieux  de  la  science  îia- 
turalisie.  Un  discours  prononcé  dans  ce  sens  par  le  professeur 
Ichlesinger,  a  été  développé  dans  la  même  direction  par  les  sa- 
vants allemands  y  compris  Haeckel  lui-même. 


456  CHRONIQUE 

Pour  lui  la  matière  est  tout  !  C'est  elle  qui  forme  la  base  et  le 
sommet  du  développement  matériel  et  moral  de  l'homme  (voir 
son  Anlhr()pogé?iie,  La  création  naturelle,  etc  ).  La  religion 
de  Haeckel  s'en  est  ressentie  forcément  et  nous  aurons  par  consé- 
quent sous  les  yeux  les  dogmes  de  la  religion  matérialiste. 
Nous  aurojis  une  idée  de  ce  qu'est  cette  nouvelle  religion  maté- 
rialiste dans  le  résumé  suivant  d'un  article  publié  par  Haeckel 
dans  la  Freie  Buhne,  n°  novembre  dernier. 

«  Le  besoin,  dit-il,  de  créer  une  nouvelle  synthèse,  une  nou- 
velle théorie  cosmogénique,  se  fait  vivement  sentir.  Il  est  hors 
de  doute  que  cette  synthèse  ne  peut  pas  èlre  créée  sur  la  base 
des  révélations  sur?iatw'elles,  car  il  faut,  avant  tout,  qu'elle 
soit  d'accord  avec  les  conquêtes  de  la  science  moderne. 

Plusieurs  grands  esprits  se  sont  etTorcés  de  nous  donner  cette 
•qérité  dans  les  derniers  dix  ans...  Inutile  d'insister  sur  tous  les 
dangers  dont  ces  tentatives  sont  menacées  de  la  part  des  religions 
orthodoxes  et  des  gouvernements  myopes  et  bornés.  Du  reste, 
les  naturalistes  eux-mêmes  mettent  des  entraves  dans  les  roues, 
en  déclarant  vouloir  garder  leurs  vérités  sous  le  boisseau.  Selon 
eux,  la  science  n'a  à  s'occuper  que  des  données  concrètes,  posi- 
tives, et  elle  doit  laisser  la  synthèse,  la  création  de  nos  croyances 
scientifiques,  aux  spéculations  des  philosophes. 

Et  cependant  rien  de  plus  faux  que  ces  opinions  étroites...  La 
philosophie  et  la  science  naturelle  ne  peuvent  pas  plus  èlre  sé- 
parées que  l'observation  et  la  réflexion.  Chaque  homme  intelli- 
gent s'efforce  de  mettre  en  concordance  sa  science,  ses  notions 
concrètes  de  la  vie  et  de  ses  phénomènes,  avec  les  conceptions 
des  sphères  abstraites  et  les  plus  élevées,  que  nous  désignons 
par  le  mot  de  Religion... 

Quant  à  moi,  je  me  déclare  partisan  résolu  de  la  philosophie 
de  Vitnité  de  la  nature.  Il  n'y  a  qu'une  âme  dajis  toutes  les 
cnoscs. 

On  essaie  de  combattre  notre  système  en  nous  disant  que  nous 
ne  sommes  que  des  matérialistes.  Mais  ces  mots  ne  prouvent 
rien,  On  pourrait  également  nous  appeler  spiritistes.  Qu'im- 
porte I  Notre  croyance  est  partagée,  à  l'heure  qu'il  est,  par  les 
neuf  dixièmes  des  naturalistes  du  monde  entier...   J'irai 


CHRONIQUE  457 

même  plus  loin  ;  je  crois  que  c'est  là  la  religion  unique  de  tous 
les  naturalistes  qui  :  1°  sont  au  courant  du  mouvement  scienti- 
fique moderne;  2°  possèdent  assez  d'esprit  critique  pour  pouvoir 
déduire  la  conclusion  logique  des  données  empiriques  fournies 
par  la  science  ;  3'  ont  assez  de  courage  pour  défendre  les  convie- 
lions  ainsi  acquises  contre  les  attaques  des  adversaires  ;  4°  qui 
possèdent  enfin  assez  de  puissance  de  caractère  pour  se  délivrer 
de  tous  les  dogmes  qu'on  nous  a  imposés  pendant  notre  jeu- 
nesse. Envisagées  au  point  de  vue  de  la  science,  toutes  les  reli- 
gions perdent  du  terrain.  Les  révélations  et  les  dogmes  s'éva- 
nouissent et  cessent  d'inspirer  la  confiance  ..  De  toutes  les  reli- 
gions que  nous  a  léguées  le  passé,  le  christianisme  et  le  boud- 
dhisme semblent  être  les  plus  fortes.  L'éthique  chrétienne  nous 
apparaît  à  présent  au-dessus  de  toutes  les  autres.  iMais  nous  de- 
vons reconnaître  que  les  psrles  les  plus  précieuses  :  l'amour  de 
son  prochain,  lobéissance  aux  lois,  l'idée  du  devoir,  se  trouvent 
bien  au  delà  des  origines  du  christianisme.  Comme  Darwin  l'a 
démontré,  tous  ces  principes  se  retrouvent  dans  Vinslinct  so- 
cial desanimaux...  11  est  incontestable  que  l'humanité  doit  beau- 
coup à  la  religion  chrétienne,  quoiqu'il  soit  regrettable  que  les 
révélations  aient  diminué  l'importance  de  ces  services...  La  mo- 
rale de  la  science  moderne  (voir  les  travaux  de  Spencer,  Garneri, 
etc  ),  ne  présentera  point  ces  défauts...  Grâce  à  linfiuence  de  la 
science,  l'idée  anthropomorphiste  dun  Dieu  personnel  s'en  ira 
bientôt  et  le  destin  de  notre  siècle  en  sera  la  disparition,  comme 
le  siècle  précédent  a  vu  disparaître  le  Diable personaeL.,  Nous 
arriverons  tous  forcément  à  l'idée  de  1  unité  de  Dieu  et  de  l'Uni- 
vers, à  l'idée  de  l'unité  de  l'âme  et  de  la  matière,  » 

—  Le  spiritisme  est  à  l'ordre  du  jour.  Le  nouvel  ouvrage  de  M. 
Jeanniarddu  Dot(l)  l'a  mise  à  la  portée  de  tous  les  esprits.  Le  bon 
sens  parle  dans  cet  écrit.  La  première  partie  intitulée  :  Notions 
fondamentales,  expose  avec  une  lucidité  parfaite  ce  qu'est  le  spi- 
ritisme. L'auteur  divise  ensuite  les  faits  spiiites  en  trois  catégo- 
ries, qu'il  substitue  aux  treize  classes  confuses  du  docteur  Groo- 

(t)  Le  spiritisme  dévoilé  on  les  faits  spiriles  conslal(-''s  et  commen- 
tés. Paris,  blond  et  Banal. 


458  CHRONIQUE 

kes.  La  seconde  partie  reproduit  et  commente  les  récils  recueillis 
par  le  docteur  Gibier  sur  le  spiritisme  en  Europe,  en  Hindous- 
laii  et  en  Amérique  :  tables  philosophes,  devineresses  ou  farceuses, 
sorciers  et  médiums  conscients  et  inconscients,  etc.  La  troisième 
partie  passe  en  revue  les  expériences  des  savants  reproduisant  le 
même  genre  de  faits,  mais  les  passant  au  crible  de  l'observation 
la  plus  minutieuse.  Clricun  des  faits  amène  la  théorie  spéciale 
qui  l'explique  dans  une  certaine  mesure,  sans  que  l'auteur  s'é- 
carte jamais  de  la  doctrine  de  .saint  Thomas  relative  aux  esprits  : 
miracles  et  prestiges,  extase  vraie  ou  fausse,  lévitation,  envoûte- 
ment, sabbat,  etc. 

—  M.  le  D'  Netter  défend  les  doctrines  spiritualistes  dans  sa 
brochure  intitulée:  La  parole  intérieure  et  lame  (1).  Il  con- 
clut par  des  considérations  tirées  de  ce  langage  intérieur  qui  est 
en  nous,  que  ce  ne  sont  pas  nos  cellules  cérébrales  qui,  en  nous, 
pensent,  réfléciiissenl,  raisonnent,  mais  qu'il  faut  en  revenir  à  la 
tradition  d'après  laquelle  chacun  de  nous  a  son  moi,  son  moi 
métaphysique,  pensant,  réfléchissant,  raisonnant  avec  le  con- 
cours du  cerveau,  tout  comme  nous  exprimons  nos  pensées  au 
dehors  avec  le  larynx  et  la  langue,  organes  inconscients  de  la 
parole  articulée. 

—  Le  Rêoe  en  tant  que  révélation  tel  est  le  titre  d'un  article 
pubUé  parla  Fortnirjhtly  Revievv,  n°  mars  dernier.  «  11  y  a,  dit 
l'auteur,  M.  James  Sully,  l'éminenl  psychologue  anglais,  deux 
manières  distinctes  de  considérer  les  rêves.  Selon  l'une  d'elles,  le 
rêve  est  le  résultat  d'un  degré  d'inleUigence  et  d'une  perspica- 
cité de  beaucoup  supérieures  à  ceux  dont  nous  disposons  à  l'état 
de  veille.  Celte  façon  d'envisager  le  rêve  a  été  plus  répandue 
qu'elle  ne  l'est  actuellement,  et  c'est  à  elle  que  nous  devons 
nombre  de  mythes,  voire  même  de  religions,  ou  du  moins  de 
croyances  religieuses,  et  d'actes  prétendus  inspirés.  La  genèse 
en  est  simple  :  un  homme,  ou  une  femme,  parfois  un  enfant, 
rêve  et  croit  entendre  des  voix  qui  lui  ordonnent  de  faire  telle  ou 
chose,  ou  bien  il  aperçoit  un  monde  tout  différent  de  celui  oîi  il 
se  meut  quotidiennement,  un  monde  extraordinaire,  et  il  conserve 

(1)  Alcan,  Pari?. 


CHRONIQUE  450 

du  tout  un  souvenir  aussi  net.  aussi  vivace  que  s'il  eût  réelle- 
ment, à  l  état  de  veille,  entendu  des  voies  humaines,  ou  vu  des 
choses  réelles  La  facilité  avec  laquelle  il  coiivaincra  ses  semhla- 
hles  de  la  réalité  de  son  rêve  dépendra  du  prestige  qu'il  peut 
avoii',  de  sa  chaleur  de  persuasion,  du  degré  de  crédulité  des  au- 
diteurs aussi  bien  que  de  l'intensité  de  conviction  du  narrateur. 
Les  auditeurs  sont  déjà  préparés,  surtout  si  ce  sont  des  àraes 
simples.  Eux  aussi,  ils  ont  rêvé  ;  ils'ont  vu  des  cho.ses  qui  leur 
paraissent  extraordinaires  ;  ils  croyent  volontiers  à  un  autre 
monde,  y  étant  allés  en  rêve,  s'élant  en  quelque  sorte  dédou- 
blés, et  comme  ils  y  ont  partois  vu  s'agiter  les  morts  de  leur 
connaissance,  ils  sont  disposés  à  admettre  un  séjour  des  morts. 
Comme  h  tève  leur  fournit  un  grand  nombre  de  spectacles  rela- 
tivement extraordinaires,  ils  sont  persuadés  avoir  pénétré  dans 
un  monde  surnaturel,  et  de  Là  à  expliquer  les  voix  et  spectacles 
par  un  agent  surnaturel,  il  n'y  a  qu'un  pas  Voilà,  conclut  Tau- 
leur,  de  quelle  façon  le  rêve  peut  être  regardé  comme  une  révé- 
lation. 

—  M  Georges  Perrot  a  publié  un  travail  sur  les  découverte.s 
de  Schlieman.  Les  fouilles  de  1876  à  Mycènes  nous  montrèrent 
tout  d'un  coup  une  Grèce  qui  confirmait  tous  les  détails  de  l'é- 
popée homérique.  Schliemann  mit  au  jour  les  trésors  vantés  par 
Homère,  et  révéla  au  monde  une  Grèce  en  relations  aveci'Egypte- 
L'emplacement  de  Troie  fut  fixé  et  on  reirouva  à  Mycènes  les 
tombes  des  héros  d'Homère 

M.  Perrot  se  trompe  en  donnant  une  antiijuité  prodigieuse  à 
l'espèce  humaine  qu  il  croit  pouvoir  tirer  des  découvertes  moder- 
nes en  histoire  et  en  géologie;  d'autre  part  il  conclut  avec  raison 
avec  la  Bil)le  que  les  foyers  primitifs  de  la  civilisation  ont  été 
allumés  en  Egypte  et  en  Ghaldée.  C'est  ce  qui  a  été  confirmé  par 
les  Champollion  et  les  Mariette,  les  Hougé  et  les  Maspero,  pour 
rÉgypte,  les  Botta  elles  Layard,  les  Rawlinson,  les  Oppert  et  les 
Sarzec,  pour  laChaldéeet  lAssyrie. 

—  Ladécouverted'une  sépulture  dolméniqueà  Mareuil  lès  Meaux 
dans  le  courant  de  Tannée  dernière,  a  été  l'occasion  de  l'étude 
que  nous  présente  M  Tabbé  Pelilot.  L'auteur  attribue  cette  sépul- 
ture à  l'ère  néolithique  ou  ère  de  la  pierre  polie.  Mais  il  a  poussé 


460  CHRONIQUE 

plus  loin  ses  investigations.  Il  a  voulu  connaître  le  peuple  auquel 
appartinrent  cet  outillage,  ces  ossements  et  ce  tombeau.  Par  l'exa- 
men des  outils,  il  a  constaté  que  cette  sépulture  est  antérieure  à 
l'époque  gallo  romaine,  à  l'invasion  cimbrique,  et  même  à  l'in- 
fluence ceUique(l).  D'autreparl,  l'examen  des  ossements  lui  a  révélé 
en  ceux-ci  les  caractères  anthropométriques  qui  conviennent  à  la 
famille  ibéro  ligure,  mélangée  à  la  famille  allante-berbère. 

—  Le  principe  de  la  morale,  par  M.  Ch.  Secrétan  est  à  sa  se- 
conde édition.  L'auteur  s'est  efforcé  de  dégager  un  principe  de 
morale,  qui  fut  universel  et  invariable,  en  conciliant  suivant 
les  indications  du  sens  commun  les  prétentions  rivales  de  l'em- 
pirisme et  du  rationalisme  à  tracer  une  règle  de  vie.  Il  constate 
d'une  part  que  nous  sommes  libres  et  d'autre  part  que  nous 
sommes  solidaires  les  uns  des  autres.  La  contradiction  entre  la 
liberté  et  la  solidarité  de  l'individu  n'est  qu'apparente,  puisqu'en 
cherchant  la  réalisation  de  son  propre  bien,  chacun  cherche  en 
même  temps  celle  du  bonheur  du  tout  dont  il  faitparlie.  Dans  ces 
conditions,  toutes  les  morales  se  confondent,  la  hberté  et  la  soli- 
darité des  individus  convergent  spontanément  vers  un  idéal 
commun. 

—  La  polémique  entre  M.  Huxley  et  M.  Harlington  continue  à 
passionner  l'opinion  en  Angleterre.  Nos  lecteurs  se  rappellent 
que  M.  Hartington,  le  chef  des  néo-positivisles,  a  attaqué  les 
croyances  de  M.  Huxley.  11  s'agissait  de  Y  agnosticisme  de  l'il- 
lustre savant,  dont  la  théorie  religieuse,  réduite  à  son  dernier 
mot  consiste  en  ceci  :  «Je  ne  sais  rien,  je  ne  vois  et  ne  veux  voir 
rien  au  delà  Je  me  contente  du  présent,  je  crois  au  paradis  et  à 
l'enfer  intérieurs  qui  nous  suivent  et  nous  accompagnent  partout  ; 
je  préfère  en  somme  24  heures  de  la  vie  réelle  aux  24  siècles  de 
souvenirs  ow.  d'immortaUté.  »M.  Huxley  aatlaqué  avec  vivacité 
les  rêveries  des  néo-posilivistes  en  général  et  celles  de  M.  Har- 
linglon  en  particulier.  Dans  le  premier  numéro  de  la  Fortnig- 
hihj,  ce  dernier  répond  avec  une  violence  égale  aux  assertions 
fantaisistes  de  M.  Huxley.  Les  deux  savanls  ne  se  ménagent 
point  les  compliments  les  plus  amers.  M.  Hartington  s'etïorce  de 

(1)  La  Sêpid litre  dolménique  de  Mareidl  lés-Meaux,  Paris,  1892. 


CHRONIQUE  461 

prouver  qu'il  n'a  point  trahi  Auguste  Comte,  le  grand  prophète 
de  la  chapelle,  et  que  Huxley  a  dénaturé  les  citations  prises  dans 
les  ouvrages  nco-posilivistes  de  M.  Hartinglou.  On  trouvera,  un 
résumé  détaillé  de  celte  partie  de  l'élude  de  M.  Hartington,  où  le 
philosophe  anglais  essaye  de  démontrer  la  véracité  de  son  cuUe 
néo -positiviste,  avec  tout  ce  qu'il  y  a  eu  en  lui  de  noble  et  gé- 
néreux, dans  la  Forlnighthj  Revieic  du  mois  de  décembre 
dernier. 

—  Nous  avons  eu  l'occasion  de  mentionner  le  nom  de  M.  Adlei 
qui  déjà,  vers  l'année  1876,  a  fondé  à  New- York  la  Société  potir 
le  développement  7noraL  William-M.  Salter,  Stanton  Goit,  et 
tant  d'autres  se  sont  efforcés,  après  lui,  de  transplanter  le  mou- 
vement théorique  dans  le  domaine  de  la  vie  réelle.  Ils  ne  se  sont 
pas  contentés,  du  reste,  de  prêter  seulement  le  concours  de  leurs 
ouvrages,  ils  ont  fait  plus,  car  ils  se  sont  rendus  en  personne  à 
Berlin  et  dans  les  autres  villes  pour  y  prêcher  la  nouvelle  pa- 
role, qui  devait  rajeunir  Ihumanité.  Tandis  que  M.  Gizycki  ré- 
pandait par  voie  de  traduction  les  ouvrages  de  Stanton  Goit  sur 
Le  mouvement  inoral  dans  le  domaine  religieux,  et  de 
Saller  sur  La  religion  de  la  morale,  M  Adler  est  arrivé  ex- 
pressément de  New  York  pour  fonder,  à  Berlin,  une  société  al- 
lemande pour  le  développement  moral.  Les  conférences  de  M. 
Félix  Adler  ont  été  très  suivies:  Autour  de  lui  et  de  son  adhérent 
principal  et  le  plus  actif,  M.  Gizycki,  se  sont  bientôt  groupés  de 
nombreux  disciples. 

L'ouvrage  de  M.  Egidy,  Les  penséei  sérieuses  publié  en 
1890,  a  contribué  aussi  pour  beaucoup  au  triomphe  des  nou- 
velles idées.  Un  article  publié,  dans  la  revue  Nord  iind  Sud, 
par  L  Krelschmar,  pourra  initier  nos  lecteurs  à  la  propagande 
et  au  rôle  joué,  sous  ce  rapport,  par  M.  Gizycki  qui,  à  l'heure 
qu'il  est,  semble  incarner,  dans  son  œuvre  et  dans  sa  personne, 
les  principaux  côtés  de  ce  mouvement. 

D'après  le  Nord  und  Sild,  le  professeur  Adler  a  manifesté 
daus  ses  conférences,  à  plusieurs  reprises,  le  désir  de  voir  fonder 
une  socié'ié  éthique  en  Allemagne.  Selon  lui,  l'état  actuel  de  ce 
pays,  les  incidents  douloureux  de  la  lutte  sociale  et  religieuse, 
rendaient  nécessaires  le  groupement  moral,  le  développement  de 


462  CHRONIQUE 

l'idée  du  devoir  et  la  créalion  de  liens  fraternels  entre  ses  enfants 
désunis.  La  culture  morale  n'a  en  vue  que  d'obtenir  que  les 
hommes  s'aiment  mutuellement  ;  au  lieu  de  diviser,  elle  s'elforce 
d'unir  les  hommes  et  l'humanité.  Voilà  la  synthèse  du  mouve- 
ment qui  a  provoqué  la  fondation  de  la  Sociclé  pour  le  déve- 
loppement moral  en  Allemagne.  Une  assemblée  générale  a  été 
convoquée  pour  le  18  octobre  4892,  mais  ses  séances  se  sont 
prolongées  pendant  quatre  jours  au  milieu  d'une  grande  anima- 
tion de  tous  les  assistants.  Le  di.scours  prononcé  à  cette  occasion 
par  le  professeur  D""  Forsler,  élu  président  par  acclamation,  est 
des  plus  significatifs.  Après  avoir  parlé  de  la  misère  morale 
dans  laquelle  se  trouve  l'humanilé  de  notre  temps,  l'orateur  a 
constaté  que,  nonobstant  l'influence  de  la  religion  chrétienne  et 
delà  philosophie,  nous  restons  toujours  et  quand  même  de  vrais 
sauvages.  La  raison  en  est  bien  simple  :  les  nobles  données  de  la 
religion  chrétienne  se  .sont  transformées  en  dogmes  morts  que 
nous  enseignent  les  églises,  et  quant  aux  sciences,  malgré  leur 
développement  brillant,  elles  ne  pouvaient  rien  pour  notre  pro- 
grès moral,  car  Céiliique  s'est  enfermée  dans  les  livres  et  n'e.xerce 
aucune  influence  sur  notre  vie,  etc. 

On  ne  prétend  pas  d'ailleurs  attaquer  la  religion.  Aussi,  lors- 
que Ernest  Haeckel  se  mit  à  attaquer  les  religions  au  nom  de 
l'éthique,  le  président  Forster  lui  répondit  que  la  Société  se  pro- 
pose, non  point  de  détruire  les  églises,  mais  de  les  moraliser  : 
«  Nous  ne  voulons  point  attaquer  les  religions  qui  restent  en  de- 
hors de  notre  action,  car  nous  nous  bornons  à  nous  occuper  ex- 
clusivement de  l'éthique.  » 

La  Société  a  décidé  de  publier  un  organe  périodique  pour  dé- 
fendre ses  idées  et  mettre  en  contact  les  hommes  partageant  les 
mêmes  opinions.  Le  colonel  Gizycki  a  été  chai'gé  de  rédiger  une 
sorte  de  revue  hebdomadaire,  qui  paraît  à  Berlin  depuis  plusieurs 
mois  sous  le  titre  :  La  culture  éthique. 

Il  paraît  que  le  succès  de  la  Société  a  dépassé  toutes  les  prévi- 
sions. A  l'heure  qu'il  est,  elle  a  ses  ramifications  et  succursales  à 
Kiel,  Magdebourg,  Strasbourg,  Francfort  et  Mulhouse.  Le  siège 
social  se  trouve  à  Berlin  et  y  est  représenté  par  quatre  groupes 
différents  :  groupes  de  l'éducation  éthique  et  de  l'instruction 


CilRONlQUE  463 

éthique,  groupe  social  et  groupe  liuéraire.  En  ce  qui  concerne 
1  éducation  élhique,  le  D""  M.  Iveibel  vient  de  fonder  une  école 
spéciale  de  morale,  où  la  morale  sera  enseignée  conformément  à 
la  méthode  inaugurée  par  M  Adler  à  New-York.  Le  groupe  de 
l'instruction  éthique  organise  des  conférences,  etc.  Le  groupe  lit- 
téraire agit  parla  presse,  par  voie  de  livres  et  de  brochures. 

—  Nous  trouvons  dans  la  Revue  des  So'nmaires,  les  consi- 
dérations suivantes  sur  l'école  théosophique  à  propos  du  livre  : 
Le  secret  de  l'Absolu,  par  E.-J.  Coulomb. 

a  L'auteur  de  cet  ouvrage  est  certainement  un  philosophe  très 
fort  ;  mais  je  déplore  sincèrement  qu'il  se  soit  laissé  entraîner 
dans  le  préjugé  orientaliste.  Ils  sont  comme  cela  à  Paris  quelques 
douzaines  de  braves  gens,  à  l'esprit  échauffé,  composant  la  loge 
Amanla  de  la  Société  Théosophique,  groupés  autour  du  véné- 
rable M.  Arthur  Arnould,  et  affdiés  aux  branches  indienne,  an- 
glaise, américaine,  allemande,  etc.,  de  la  même  Société,  qui  veu- 
lent absolument  nous  convertir  au  bouddhisme,  au  brahmanisme, 
au  taoïsme,  au  shintoïsme,  religions  extrêmement  orientales. 

«  Jamais,  dit  M.  Coulomb,  dans  un  passage  de  son  livre,  la  phi- 
losophie occidentale  n'a  atteint  ces  hauteurs.  »  Et  à  propos  de  quoi 
celte  exclamation  enthousiaste?  Le  voici:  «  Thaï-ki.  »  (C'est  de 
la  philosophie  chinoise,  quelque  chose  tout  à  fait  à  part  et  en  dehors 
de  tout}.  Il  est  le  Yin  et  le  Yang  ;  il  est  dans  le  Yin  et  dans  le 
Yang  ;  il  est  les  cinq  éléments,  il  est  les  myriades  des  choses.  11 
n'y  a  qu'un  Thaï-ki,  mais  chacune  des  myriades  d'êtres  a  en  lui 
un  Thaï-ki  entier  et  complet  ;  de  même  qu'il  n'y  a  qu'une  lune 
au  ciel,  mais  on  la  voit  dans  chaque  rivière  et  chaque  canal.  La 
génération  des  grandes  choses  comme  le  ciel  et  la  terre,  et  celle 
des  petites  comme  les  fourmis,  est  la  même.  Pour  comprendre 
la  racine  de  Yin  et  de  Yang,  nous  ne  devons  pas  montrer  les 
choses  existantes  et  les  appeler  lumière  et  obscurité,  nous  ne 
devons  pas  non  plus  chercher  celles-ci  quelque  part  en  dehors 
des  choses  visibles.  Chaque  personne  et  chaque  chose  a  son  Thaï- 
ki...  Cela  se  trouve  dans  le  Thai  là  tchou  ckouo.  »  L'auteur  de 
ce  compte- rendu  est  encore  bien  indulgent  de  ne  pas  trouver 
cela  absolument  incompréhensible. 

—  La  revue  que  nous  venoas  de  citer  se  distingue  souvent  par 


464  CHRONIQUE 

des  appréciations  peu  ojdinaires.  On  en  jugera  par  le  comple- 
rendu  qu'elle  donne  du  livre  du  colonel  Frey  :  L'Annamite, 
mire  des  langues. 

a  Vous  verrez,  y  lisons-nous,  que  les  idées  des  auteurs  qui  ont 
pi'étendu  que  la  civilisation  était  d'origine  occidentale  et  non 
orientale,  européenne  et  non  asiatique,  finiront  par  remporter. 
M.  le  colonel  Frey  y  aura  pour  sa  part  contribué  par  la  démons- 
tration qu'il  vient  de  faire,  que  toutes  les  langues  parlées  sur  la 
surface  du  globe,  sont  parentes  et  parentes  très  rapprochées, 
même  celles  usitées  dans  l'Afrique  sauvage  et  celles  parlées  dans 
TExlrême  Orient.  Du  même  coup,  il  détruit  la  fameuse  thèse  des 
souches,  aryenne,  sémitique,  touranienne,  mongolique,  etc.  H 
prouve  que  ce  ne  sont  là  que  des  groupes  d'une  série  unique.  La 
principale  démonstration  de  notre  auteur  porte  sur  la  parenté  des 
idiomes  des  Mandés,  Peuhls,  Dahoméens,  et  autres  peuples  de  la 
cote  occidentale  d'Afrique,  avec  l'Annamite,  et  sa  démonstration 
esl,  je  le  répète,  péremptoire,  11  montre  ensuite  une  parenté  non 
moins  certaine,  quoique  plus  éloignée,  du  même  annamite  avec 
le  français,  le  breton,  l'anglais,  le  latin,  le  grec,  Thébreu,  le  bas- 
que et  les  idiomes  américains.  Mais  ù  quoi  M.  Frey  attribue  t-il 
cette  parenté  linguistique  ?  A  une  parenté  ethnique.  Il  voit  dans 
les  Peuhls  et  les  Mandés  africains,  qui  sont  de  teint  rougeâtre, 
des  descendants  d'un  peuple  venu  d'Extrême-Orient.  Ici,  je  me 
sépare  de  lui.  A  quoi,  alors,  attribuer  la  parenté  incontestable  des 
langues?  Tout  simplement  à  la  cause  indiquée  par  M.  Cailleux 
pour  la  parenté  des  religions  ;  à  l'action  d'une  race,  la  race  blan- 
che, la  nôtre,  partie  des  pays  que  nous  habitons  nous-mêmes,  har- 
die, pourvue  de  l'esprit  d'initiative,  créatrice  et  transformatrice 
de  la  civilisation,  qui  aux  époques  «les  plus  reculées  comme  au- 
jourd'hui, avec  des  moyens  plus  imparfaits  sans  doute,  mais  avec 
plus  de  courage,  s'est  répandue  sur  le  globe  pour  y  commercer, 
créer  des  colonies,  répandre  sa  religion  ;  s'épandant  soit  par 
terre,  de  l'Occident  à  l'Orient,  à  travers  l'Europe  et  l'Asie,  soit 
par  mer,  le  long  des  côtes  océaniques  et  même  traversant  les 
océans. 

Tels  nos  ancêtres  les  laissèrent,  tels  nous  les  avons  retrouvés. 
Ils  nous  montrent  notre  ancienne  langue,  notre  ancienne  religion, 


CHRONIQUE  465 

notre  ancienne  civilisation  —  mais  dégénérées.  A  ce  dernier  point 
de  vue,  le  livre  du  colonel  Frey  contient  de  bien  curieux  rensei- 
gnements sur  les  orgies,  le  culte  du  lingam  et  du  yoni,  tant  dans 
rinde  qu'au  Dahomey,  —  pays  colonisé  par  les  juifs  anlé-raosaï- 
ques  ou  esdrasiens,  —  et  il  rappelle  que  ce  culte  exista  en  Phé- 
nicie,  en  Grèce,  à  Rome,  en  Gaule... 

Ce  qui  est  particulièrement  bizarre,  c'est  la  force  du  préjugé, 
—  ce  mot  étant  pris  dans  son  bon  sens  11  est  adniisque  les  peu- 
ples, les  langues,  les  religions  sont  d'origine  orientale  ;  rien  ne 
le  prouve,  la  vraisemblance  est  au  contraire  inverse,  quand  on 
veut  faire  un  moment  abstraction  de  toute  opinion  préconçue  et 
cependant,  on  n'en  veut  pas  démordre.  La  simple  hypothèse  con- 
traire provoque  des  haussements  d'épaules;  on  entasse  le  Pélion 
du  merveilleux  sur  l'Ossa  de  linvraisemblance,  on  fait  des  hy- 
pothèses bien  autrement  inadmissibles  que  celle  de  l'origine  occi- 
dentale de  la  civilisation,  afm  de  ne  pas  examiner  celle-ci.  Mais 
l'évidence  finira  par  s'imposer.  H  faut  démolir  l'erreur  avant  de 
faire  admettre  la  vérité.  Le  livre  de  M  le  colonel  Frey  est  un 
rude  coup  de  pioche.  » 

11.  —  Religion  chrétienne.  —  Nous  avons  mentionné 
le  bruit  fait  autour  de  l'ouvrage  du  P.  Vanutelli  qui  croit  à  la 
possibilité  de  la  conversion  de  la  Russie  orthodoxe  à  la  religion 
catholique.  Lady  Herbert,  rendant  compte  du  volume  du  P.  Va- 
nutelli dans  la  Dublin  Revieir,  a  cru  possible,  de  son  côté,  de 
pre:idre  les  allégations  du  Père  pour  des  faits  accomplis,  tout  en 
prêtant  à  M.  Pobedonoslzetï,  le  président  du  Saint  Synode  russe, 
les  propos  les  plus  favorables  à  ce  sujet.  La  Revieiv  of  Reviews, 
ayant  reproduit  le  passage  de  l'article  de  Lady  Herbert  dans  son 
numéro  de  février,  a  reçu  une  lettre  de  M.  PobedonostzelT,  for- 
melle, qui  contient  une  dénégation. 

«  Tout  au  contraire,  écrit-il,  j'ai  dit  au  P.  Vanutelli  que  \^  peu- 
ple russe  ne  consentira  jamais  à  se  mettre  sous  le  joug  de  l'auto- 
rité papale  ;  que  la  liberté  de  notre  église  nous  est  précieuse  par 
dessus  tout,  que  noire  foi  ne  comporte  pas  la  croyance  au  pou- 
voir discrétionnaii'e  du  vicaire  de  Jésus-Christ. .j,  et  que  celle-ci 
met  et  mettra  toujours  un  obstacle  insurmonlahle  à  la  réunion 


466  CHRONIQUE 

dans  laquelle  nous  devrions  renier  noire  liberté  spirituelle.  Yoilù 
ce  que  j'ai  dit  à  M,  Vanulelli.  » 

Mme  Olga  Novikoff,  la  femme  de  lettres  russe,  vient  d'interve- 
nir dans  le  débat.  On  .sait  que  Mme  Novikotï  s'est  imposée  le  rôle 
de  défendre  le  gouvernement  de  son  pays  contre  toutes  les  atta- 
ques dirigées  contre  lui  dans  la  presse  européenne  en  général  et 
dans  celle  de  l'Angleterre  en  particulier.  Ses  relations  avec  le 
parti  slavopliile,  l'appui  que  lui  prête  à  chaque  occasion  la  Ga- 
zette de  Moscou,  donnent  un  certain  caractère  de  gravité  à  son 
étude,  publiée  par  la  New  Recieir  (avril).  Or,  Mme  Novikoff  ne 
se  borne  point  à  réfuter  les  allégations  du  P.  Yanulelli  ;  elle  va 
beaucoup  plus  loin  :  elle  nous  dévoile  une  alliance  de  l'église 
russe  avec  les  vieux  catholiques. 

Selon  Mme  Novikoff,  le  schisme  ne  se  trouve  point  en  Russie, 
car  le  schisme  se  trouve  à  Rome,  et  là-dessus  elle  nous  offre  une 
série  de  considérations  tliéologiques  que  nous  nous  permettrons 
de  passer  sous  silence.  Notre  auteur  combat  d'une  façon  fort  éner- 
gique cette  allégation  du  P.  Yanutelli  :  que  l'union  avec  l'église 
romaine  s'opérerait  très  facilement  en  Russie,  si  tel  était  le  dasir 
du  gouvernement  russe.  Mme  Novikolï  traite  celte  allégation  de 
grotesque  et  d'inouïe  I 

Le  dévouement  à  la  religion  orthodoxe  l'emporte  en  Russie  sur 
tous  les  autres  calculs  de  ce  bas  monde.  Nous  sommes  avant 
tout  orthodoxes,  s'écrie-l-elle,  et  seulement  après  Slaves  et  Rus- 
ses La  Russie  est  plutôt  une  Eglise  qu'un  Etat:  elle  incarne  plu- 
tôt une  Religion  qu'une  nationalité.  Notre  nationalité,  ce  n'est  que 
notre  religion.  Nous  sommes,  non  pas  seulement  très  religieux, 
mais  nous  sommes  aussi  foncièrement  conservateurs  en  tout  ce 
qui  a  rapport  à  l'église  orthodoxe  grecque.  Notre  ténacité  à  ce 
sujet  est  proverbiale,  et  il  y  a  chez  nous  des  millions  d'hommes 
qui  préféreraient  plutôt  mourir  que  d'abandonner  l'ortho- 
doxie. ») 

a  ...  La  conférence  de  Lucerne  a  dévoilé  le  fait  qu'il  y  a  d'au- 
tres catholiques  en  Europe  que  ceux  qui  appartiennent  à  l'ultra - 
montanisme  romain  et  qu'une  entente  et  une  sympathie  profonde 
pourraient  bien*  s'établir  entre  eux  et  l'orthodoxie  russe.  Il  y  a 
déjà  vingt  ans  que  le  mouvement  vieux  catholique  nous  a  autori- 


CHRONIQUE  467 

ses  à  croire  ;i  la  possibilité  d'un  reloiir  des  catholiques  raisonna- 
bles de  l'Occident  à  la  clirélienté  primilive...  Nos  préoccupations 
vers  l'Orient  ont  détourné  notre  atîeniion  de  ce  mouvement...  Le 
dernier  grand  congrès  international  des  vieux  catholiques,  qui 
comptait  tant  d'illustres  représentants  de  cette  croyance,  vient  de 
raviver  les  espoirs...  A  C(3té  des  vieux  catholiques,  on  y  voyait 
les  cinq  millions  de  Grecs  représentés  par  le  pieux  et  le  savant 
archevêque  Nikiphoros,  de  Patras...  Les  cinq  millions  d'Armé- 
niens ont  olîert  leur  sympathie  dans  la  personne  du  savant  pro  • 
fesseurlsaak  de  Jérusalem,  qui  a  été  envoyé  par  son  métropo- 
lite... La  grande  église  russe  y  a  envoyé  le  préire  YanisheIT,  ci- 
devanl  Président  de  l'Académie  ecclésiastique  de  St-Pétersbourg, 
et  le  général  Kireef  ..  Ainsi  les  vieux  catholiques  se  trouvent  en 
contact  sympathique  avec  nous  autres  de  l'église  orthodoxe...  Il 
n'y  a  que  quatre  barrières  qui  séparent  l'église  de  l'Occident  de 
celle  de  l'Orient  ..  Or,  presque  toutes  sont  déjà  franchies  par  les 
vieux  catholiques,  et  de  cette  façon,  nous  voilà  presque  tout  à  fait 
d'accord.  In  comité  des  plus  iu/Iuenis  vient  d'être  constitué  en 
Russie,  sous  le  patronage  du  Saint  Synode,  pour  étudier  les  liens 
communs  qui  nous  unissent  avec  les  vieux  catholiques...  Nous 
ferons  tout  ce'qne  nous  pourrons  pour  les  aider.  » 

Rappelons  à  ce  sujet  que  le  professeur  Friedrich,  l'ami  et  col- 
laborateur du  D'  Dollinger,  a  exprimé  lors  du  dernier  congrès  de 
Lucerne.  le  désir  des  vieux  catholiques  d  eUrer  en  communica- 
tion officielle  avec  l'église  orthodoxe. 

L'avenir  se  chargera  de  démontrer  tout  ce  qu'il  y  a  de  peu 
fondé  dans  ces  espérances. 

—A  Dklionary  of  In/ninolorjy  tel  est  le  titre  d'un  savant 
travail  édité  par  M.  Julian,  à  Londres  chez  John  Murray. 

Leplan  du  livre  comprend  deux  parties.  La  première  donne 
l'histoire  de  l'hymnographie  chrétienne  depuis  son  origine,  de 
ses  transformations  successives  et  de  ses  perfectionnements  à 
travers  les  âges  dans  les  dilTérenles  nations.  La  seconde  spécifie 
davantage,  et  s'attache  de  préférence  à  la  critique  des  hymnes 
de  langue  anglaise.  Le  nombre  de  toutes  les  hymnes  composées 
dans  les  diverses  langues  du  globe  ne  s'élève  guère  à  moins  de 
quatre  cent  mille  :  il  était  impossible  de  les  citer  toutes.  Les  au- 


468  CHRONIQUE 

lenrs  apparlenanl  5  la  religion  anglicane  onl  Irailé  p'us  parlicu- 
lièrement  ce  qui  concernait  l'hymnologie  proteslanle,  cependant 
lagrecque  et  la  latine  n'en  ont  pas  moins  une  large  part,  surtout 
cette  dernière.  La  majeure  partie  des  hymnes  du  Bréviaire  ro- 
main, principalement  celles  qui  furent  composées  par  les  saint 
Ambroise,  les  saint  Grégoire,  les  Prudence,  etc  ,  y  sont  étudiées 
avec  soin. 

—  Christophe  Colomb,  a  trouvé  un  nouvel  historien  dans  Mgr 
Ricard,  prélat  de  la  Maison  de  Sa  Sa'nteté. 

Pour  ce  bel  ouvrige,  publié  chez  Marne  à  Tours,  Mgr  Ricard 
a  emprunté  les  documents  réunis  par  M.  le  comte  Roselly  de  Lor- 
gnes et  il  les  a  mis  en  œuvre  avec  le  talent  d'écrivain  qui  lui  est 
propre.  C'est  donc  une  apologie  absolue  du  grand  navigateur  et 
un  plaidoyer  en  faveur  de  sa  béatification.  Le  volume  commence 
par  unereproduction  complète  de  l'encyclique  de  sa  Sainteté  Léon 
XlII  à  propos  du  quatrième  centenaire  de  la  découverte  du  nou- 
veau monde  et  se  termine  par  le  texte  du  témoignage  rendu  au 
zèle  évangélique  de  Christophe  Colomb  par  le  pape  Pie  IX. 

—  Signalons  aussi  uneconférence  faite  sur  le  même  sujet  parM. 
G:)stonnet  des  Fosses  et  publié  à  Lille,  chez  Danel. 

—LibeY  coiniii's,  ou  simplement  cornes,  est  un  recueil  dans  le- 
quel se  trouvaient  autrefois  signalés  et  reproduits  intégralement 
l'ordre  etle  texte  des  lecturesde  FancienetduNouveau Testament 
qui  davaient  accompagner  la  célébration  du  saint  sacrifice  pen- 
dant tout  le  cours  de  l'année  ecclésiastique.  On  la  attribué  à 
saint  Jérôme  pendant  tout  le  moyen  âge,  bien  que  ce  ne  soit  pas 
certain,  C'est  un  exemplaire  d'un  document  de  ce  genre,  que 
D.  Germain  Morin  a  eu  la  bonne  fortune  de  retrouver,  et  dont 
il  gratifie  aujourd'hui  le  public  savant  Ce  qui  donne  une  vérita- 
ble importance  à  la  publication  de  Dom  Morin,  c'est  que  son  Li- 
ber Comids  est  le  plus  ancien  pour  l'étendue  qui  ait  été  donné 
jusqu'ici  au  public.  11  embrasse,  en  effet,  toutes  les  lectures  de  la 
messe  sans  exception. 

—  Léon  XllI  répète,  avec  une  insistance  qui  commande  l'atten- 
tion que  nous  devons  revenir  à  S.  Thomas,  que  ses  principes  peu- 
vent seuls  préserver  la  science  humaine  de  la  ruine  et  lui  assu- 
rer le  vrai  progrès  ;  que  sa  doctrine  seule  renferme  le  secret   de 


CHRO.NIQUE  469 

réconcilier  la  Raison  et  la  Foi  et  de  résoudre  les  difficultés  les 
plus  graves  de  l'heure  présente,  soit  dans  l'ordre  théorique,  soit 
dans  l'ordre  pratique. 

Ce  sont  ces  réflexions  qui  ont  déterminé  la  fondation  de  La 
Revue  IhomistCy  qui  a  paru  cette  année,  en  lui  marquant  du 
même  coup  le  hut  à  atteindre  et  les  moyens  à  prendre  pour  y 
parvenir.  Le  hut  à  atteindre  est  celui-ci  :  aider  la  science  à  de- 
meurer ou  à  redevenir  chrétienne,  aider  les  savants  à  rester  ou 
devenir  croyants  ;  co^ntrihuer  pour  une  part,  si  modeste  qu'elle 
soit,  à  procurer  aux  esprits  cultivés  de  notre  temps  la  possession 
plus  certaine  et  plus  large  du  hien  précieux  entre  tous  :  la  Vé- 
rité, la  Vérité  sur  les  réalités  les  plus  hautes,  la  Vérité  telle  que 
la  donnent  la  Science  et  la  Foi  réunies. 

—  Le  livre  d'Hénoch  est  une  Apocalypse,  et  comme  la  plupart 
des  ouvrages  de  ce  genre  il  a  dû  être  écrit  dans  un  moment  de 
grande  lermentalion  religieuse  ou  de  grandes  souffrances  (1). 

Il  est  probable  que  l'auteur  de  ce  livre  vivait  sous  les  Macha- 
bées,  et  il  aura  voulu  probablement  relever  le  courage  de  ses 
compatriotes  par  le  spectacle  de  la  justice  divine  poursuivant  les 
coupables  durant  l'éternité  et  donnant  aux  justes  une  félicité  qui 
ne  doit  pas  finir.  Pour  cela,  il  a  insisté  sur  le  dogme  de  la  vie 
future.  L'homme,  après  sa  mort,  n'est  plus  seulement,  comme 
dans  les  traditions  rabbiniqifes,  une  ombre  qui  s'en  va  dans  le 
Scheol,  c'est  un  esprit  qui,  sorti  du  corps,  conserve  toute  la  vie 
individuelle.  Voici  l'historique  de  celte  découverte. 

Durant  l'hiver  de  1886-87,  M.  Grébaut,  directeur  des  musées 
d'Egypte,  en  faisant  creuser  dans  l'antique  cimetière  chrétien 
d'Akhmin,  trouva  dans  le  tombeau  d'un  moine  deux  manuscrits 
grecs.  (1)  Un  livre  de  calcul,  des  fragments  de  l'Évangile  et  de 
l'Apocalypse  apocryplie  de  l'apùlrô  saint  Pierre,  et  une  portion 

{i)Lelic)-e  (r//é/ioc//, fragments  grecs  découverts  à  Âlclimin  (llaulc 
Egypte),  publiés  avec  les  variantes  du  texte  élhiopicn,  traduits  et 
annotés  par  Adolphe  Lods.  1  vol.  in-8'\  Lxvi-193  pages,  Paris, 
E.  Leroux,  1892. 

L  Evangelium  sccivuhim  Pclruin,  ad  iidein  codicis  in  .Egiplo  nuper 
invcnli,  cdd.  cum  lalina  vcrsione  et  dissert,  critica.  A.  Lods.  — 
1  vol.  in-8û,  59  pages,  Paris,  E.  Leroux,  1892. 


47<)  CHRONIQUE 

considérable  du  livre  d'Hénoch.  Une  partie  de  ce  dernier  ouvrage 
était  déj^  connue  par  le  texte  étliiopien  ;  mais  le  grec  qui,  selon 
toute  conjecture,  semblait  être  l'original,  était  perdu  :  quant  aux 
deux  autres  opuscules,  on  n'en  possédait  que  de  rares  et  courtes 
citations  éparses  dans  les  Pères  des  premiers  siècles, 

Ce  fut  M.  Bourianl  qui  le  premier  publia  le  texte  du  manuscrit 
d'Aklimin.  Les  travaux  sur  ce  sujet  se  multiplièrent  aussitôt. 
Cependant  c'est  à  M.  Lods  que  nous  devons  la  meilleure  édition 
critique  du  livre  d'Hénocli  et  des  apocryphes  de  Pierre,  qui  ait 
encore  paru. 

L'Évangile  de  Pierre  tel  qu'il  nous  est  parvenu,  contient  envi- 
ron 60  versets.  Le  fragment  commence  au  milieu  de  la  Passion 
du  Sauveur  et  se  termine  après  la  Résurrection.  A  part  certains 
faits  croyables,  il  nous  donne  peu  de  renseignements  nouveaux 
sur  les  événements  qu'il  raconte.  Tout  ce  qui  parait  vraisembla- 
ble, comme  il  arrive  pour  les  autres  apocryphes,  a  été  évidem- 
ment puisé  dans  les  Évangiles  canoniques;  le  reste  n'est  qu'un 
mélange  de  fictions  pins  ou  moins  bien  combinées,  mais  en  tout 
cas  écrites  par  un  auteur  étranger  aux  événements  qu'il  raconte, 
et  peu  au  courant  des  mœurs  juives,' 

L'Apocalypse  contenue  dans  le  manuscrit  d'Akhminest  un  nou- 
veau fragment  apocryphe  de  saint  Pierre. 

Celte  Apocalypse  semble  avoir  joui  dans  les  premiers  siècles 
d'une  assez  grande  autori:é.  Plusieurs  Églises  la  regardaient 
comme  authentique.  Le  canon  de  Muratori  qui  date  de  la  seconde 
moitié  du  II'  siècle  mentionne  l'Apocalypse  de  Pierre  avec  celle 
de  Jean,  avec  cette  réserve  toutefois  pour  la  première  que  a  plu- 
sieurs n'admettaient  pas  qu'on  la  lise  dans  l'Eglise.  » 

Elle  était  composée  d'à  peu  près  deux  cents  versets  et  se  divi- 
sait en  deux  parties.  Dans  la  première  le  Christ  parlait  à  ses 
Apôtres  de  la  fin  des  temps.  Nous  n'en  possédons  plus  que  les 
derniers  mots.  La  seconde  partie  dépeignait  le  lieu  de  félicité  des 
justes  et  l'enfer  où  sont  tourmentés  les  pécheurs.  On  y  trouve 
des  peintures  qu'il  serait  intéressant  de  comparer  avec  celles  du 
livre  d'Hénoch  dont  elles  paraissent  eu  plus  d'un  endroit  ins- 
pirées. Toutefois  il  faut  reconnaître  que  ces  descriptions  parfois 
très  réalisles  semblent  plutôt  tirer  leur  origine  des  fables  grec- 


CHRONIQUE  471 

ques  011  égyptiennes,  que  des  traditions  juives  et  chrétiennes. 
Voici  un  passage  sur  les  élus  : 

«  Les  corps  des  justes  étaient  plus  blancs  que  toute  neige  et 
plus  roses  que  toute  rose,  et  le  rose  en  était  mélangé  avec  le 
blanc;  bref,  je  ne  puis  décrire  leur  beauté...  Le  Seigneur  me 
montra  un  lieu  très  étendu  situé  en  dehors  de  ce  monde,  tout  res- 
plendissant de  lumière  et  dont  l'air  était  illaminé  parles  rayons 
du  soleil,  tandis  que  le  sol  était  couvert  de  fleurs  qui  ne  se  flétris- 
sent jamais,  et  rempli  de  parfums  et  d'arbres  aux  fleurs  toujours 
fraîches,  au\  fruits  bénis.  Le  parfum  des  fleurs  était  tel  quil  ve- 
nait jusqu'à  moi.  » 

—  L'Apologie  du  christianisme  au  point  de  vue  des  mœurs 
et  de  la  civilisation  [Apologie  des  Christenthums  vom  Stanci- 
punkte  der  Silte  und  Cultur),  parle  P.  Weiss,  est  une  œuvre 
de  longue  haleine  et  nouvelle  à  certain  points  de  vue. 

L'ouvrage  n'embrasse  pas  moins  de  cinq  volumes,  dont  cha- 
cun compte,  en  moyenne,  un  milHer  de  pages.  Le  savant  domi- 
nicain y  expose,  depuis  les  préceptes  élémentaires  de  la  morale 
naturelle,  jusqu'aux  règles  du  plus  haut  ascétisme  ;  toutes  les 
questions  sont  traitées  avec  ampleur  ;  il  les  appuie  de  toutes  les 
confirmations  que  sa  vas.le  érudition  lui  fournit. 

Les  Apologies  du  christianisme  ne  manquent  pas.  Mais  peu, 
dans  le  nombre,  se  sont  proposé  spécialement  de  faire  ressortir 
la  puissance  moralisatrice  et  civilisatrice  de  la  religion  du  Christ. 
Pour  donner  à  scn  sujet  tous  les  développements  qu'il  comporte, 
il  ne  suffisait  pas  à  l'auteur  de  considérer  le  calholiscisme  en 
lui-même  :  il  fallait  pa)lout  le  mettre  en  regard  des  autres  sys- 
tèmes j'eligieux  qui  ont  des  prétentions  à  favoriser  le  progrès 
moral.  C'est  ce  que  l'auleur  a  fait  avec  succès. 

—  Les  Conférences  ihéologiqiie^,  par  le  P.  OHvier,S.  J.  for- 
ment deux  beaux  volumes  et  contiennent  cent  quatre  conféren- 
ces ^trochées,  dii^nh  1876  jusqu'à  18SG  dans  l'église  du  collège 
Saint-G?rvais,  à  Liège. 

L'ouvrage  est  partagé  en  dix  séries.  Rapports  de  la  Raison  et 

de  la  foi  et  preuves  de  l'exisience  de  Dieu  ;  —  nécessité  de  la 

'religion  pour  l'individu  et  pour  la  société,  nature  du  culte  religieux; 

devoirs  de  l'Étal  envers  la  religion;  «  libertés  modernes  »  envi- 


472  CHRONIQUE 

sagées  au  point  de  vue  de  la  Ihèse  eL  de  riiypolhèse  ;  —  possibi- 
lité el  nécessité  dune  révélation  surnaturelle,  ses  critériums,  au- 
llienticité  et  véracité  des  livres  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Tes- 
tament, qui  contiennent  son  histoire  et  ses  preuves  ;  —  mission 
divine  de  Jésus-Christ  prouvée  par  ses  prophéties,  ses  miracles, 
ses  doctrines,  sa  vie,  le  témoignage  des  martyrs  ;  —  l'Eglise  ca- 
tholique, hors  de  laquelle  il  n'y  a  point  de  salut,  certainement 
reconnaissable  à  ses  marques  négatives  et  positives  ;  —  préroga- 
tives de  celte  Eglise,  notamment,  son  infaillibilité  et  son  pouvoir 
législatif  indépendant  de  la  puissance  tempoi-elle  ;  —  primauté  du 
Pontife  romain,  emportant  la  plénitude  de  la  puissance  pour  le 
gouvernement  et  riiifaillibilité  dans  l'enseignement  ;  —  régie  de 
foi,  soitéloignée,  soit  prochaine:  voilà,  par  ordre,  les  principaux 
objets  traités  dans  les  huit  premières  séries.  Les  deux  dernières 
présentent  un  cachet  spécial  d'actuaUté  ;  elles  sont  intitulées  res- 
pectivement :  Le  catholicisme  et  la  science,  —  Le  calhoticisme 
et  le  progn's.  ce  que  l'auteur  appelle  justement  une  «  dé- 
monstration indirecte  du  catholicisme  ». 

Dans  la  neuvième,  lesavant  conférencier  a  réfuté  les  objections 
qu'on  a  récemment  soulevées  contre  nos  croyances  au  nom  des 
diverses  sciences.  Cosmogonie  et  géogonie  mosaïques,  nature  et 
durée  des  jours  génésiaques.  pluralité  des  mondes  habités,  géné- 
ration spontanée,  transformisme,  unité  et  origine  de  l'espèce  hu- 
maine, son  antiquité,  rapports  entre  l'ùme  et  le  cerveau,  univer- 
salité du  déluge  ;  toutes  ces  questions  et  plusieurs  autres  sont 
ici  exposées  et  discutées  de  manière  à  justifier  pleinement  celte 
thèse  générale  ••  «  La  foi  aux  données  bibliques  non  seu!ement 
peut  accueillir  sans  peine  toutes  les  données  certaines  de  la  scien- 
ce, mais  encore  lais.^e  aux  savants  toute  hberté  dans  leurs  re- 
cherches. » 

—  M.  le  D''  Sepp  vient  de  publier  une  nouvelle  édiiion  delà  VU  a 
SS.  Marini  et  Anniani  authentica  e.r  pervetusia  quadam  chor- 
ta  quam  Priamiis  preshi/fer,  circa  a.  750,  jussu  Tolusii  epis- 
copi  concepit.  stilo  harbaro  transcripta.  Le  prêtre  Priam  y  ra- 
conte que,  du  temps  de  l'empereur  Léonce,  les  Vandales  enva- 
hirent la  haute  Bavière,  brûlèrent  vivant  un  ermite  nommé  Ma- 
rin, dont  le  compagnon  Anienne  put  partager  le  martyre  ;  plus 


CHRONIQUE  473 

lard  les  corps  des  deux  saints  fai-ent  tiansporlés  à  Irschenberg 
ou  Ursiaperg.  —  L'auteur  y  a  ajouté  la  Legenda  SS.  Marini  et 
Anniani  circa  a.  J  100  in  rcrs'rulos  redacia.  Le  texte,  établi 
surtout  à  l'aide  d'un  manuscrit  du  XII*  siècle,  n'est  que  l'ampli- 
licalion  de  la  vita  précédente  avec  quelques  erreurs  et  auachro- 
nismes  provenant  des  additions.  En  1723,  on  découvrit  dans  l'é- 
glise paroissiale  d  Irschenberg  les  corps  des  deux  martyrs  on  re- 
connut sur  les  ossements  la  trace  du  feu  dont  l'un  avait  soulïert 
le  supplice. 

—  En  1882,  M.  Mayer  découvrit,  à  Grtetz.  en  Styrie.  dans  un 
manuscrit  du  X' siècle,  uneviede  saint  Hrodbert,  communément 
appelé  Rupert  ou  Robert,  évêque  de  ^Vorms  (69(5 ,  de  Salzbourg 
(697-718),  et  apôtre  de  la  Bavière.  11  crut  se  trouver  en  présence 
de  la  vie  primitive  et  authentique  du  saint,  écrite  du  temps  de 
Virgile,  évoque  de  Salzbourg  (765-84).  M.  Friedrich,  de  Munich, 
attaqua  celte  thèse  et  soutint  que  ce  texte  é'.ait  moins  pur  et  plus 
récent  que  celui  déjà  publié  par  Wattenbach  {Monum.  G'^nn. 
Script.  XI.  4.)  Le  docteur  Sepp,  à  son  tour,  étudie  longuement 
la  question,  et  se  range  à  l'avis  de  M.  Mayer.  «  Entre 
deux  textes,  dit-il,  dont  l'un  est  plus  court  et  de  style  moins  élé- 
gant que  l'autre,  il  n'y  a  pas  à  hésiler  ;  c'est  presque  toujours  le 
plus  ancien.  »  Il  démontre  en  outre  que  partout  l'auteur  du  re- 
maniement édité  par  Wattenbach  a  cherché  à  allonger  le  texte  et 
aie  corriger,  qu'il  est  tombé  dans  des  erreurs  liisîoriques  et 
géographiques. 

—  Sous  ce  titre  :  Der  heiligeCyrillus,  BiscJtofcon  Jérusalem, 
M.  Mader  a  publié  un  travail  intéressant  sur  ce  grand  évéque  de 
Jérusalem.  Une  théorie  récente  de  M.  Sanday,  attribue  une  gran- 
de part  à  l'Église  de  Jérusalem  dans  la  formation  du  Canon  du 
Nouveau  Testament.  M.  Mader  sans  aborder  la  iiuestion  fait  sen- 
tir qu'il  la  résoudrait  par  la  négative  puisqu'il  refuse  à  saint  Cyril- 
le la  rédaction  du  symbole  de  Gonstantinople.  M.  Sanday  conclut 
en  effet  de  rinCiuence  de  l'Église  de  Jérusalem  sur  les  confessions 
de  foi,  à  son  autorité  dan.s  les  questions  de  canon  du  Nouveau 
Testament.  M.  Mader  explique  l'opinion  de  saint  Cyrille  sur  les 
livres deulérocaniquesqu'il  considère  comme  douteux  parles  ori- 
gines juives  de  l'Église  de  Jérusalem. 


474  CHRONIQUE 

—  Le  D' Hahn,  professeur  de  théologie  à  l'Université  de  Breslau, 
a  entrepris  un  nouveau  travail  sur  lÉvangile  de  saint  Luc,  mê- 
me après  ceux  des  savants  allemands,  catholiques,  protestants, 
rationalistes  qui  l'ont  précédé.  D'après  lui  les  critiques  ont  jus- 
qu'à présent  méconnu  le  vrai  caractère  du  troisiè.rie  Evangile, 
et  on  a  mal  interprêté  les  passages  les  plus  importants;  après 
avoir  lu  les  opinions  de  M.  Hahn  sur  l'auteur,  les  sources,  les 
caraclérisliques,  la  date  du  troisième  Évangile,  on  reconnaît  vo- 
lontiers que  sur  toutes  ces  questions  il  a  des  vues  nouvelles  et 
souvent  originales.  Avec  la  très  grande  majorité  des  critiques  il 
croit  que  l'auteur  du  troisième  Evangile  et  celui  des  Actes  des 
Apôtres  sont  un  seul  et  même  personnage. 

—  Nous  avons  déjà  parlé  de  l'édition  de  la  Yuigale  (Nouveau 
Testament)  qu'a  commencé  à  publier  l'évêque  de  SaIisbury,Words- 
worth,  avec  l'aide  de  M.  H.  J.  White.  L'auteur  se  propose  de 
donner  le  texte  de  saint  Jérôme,  tel  qu'il  est  sorii  de  ses  mains, 
autant  du  moins  qu'il  est  possible  de  le  reconstituer.  Le  troisième 
fascicule,  qui  contient  l'Évangile  dp  saint  Luc^  vient  de  paraître. 
Comme  pour  les  deux  précédents,  le  texte  est  établi  sur  vingt - 
neuf  manuscrits  ;  en  outre,  sont  citées  en  notes  des  variantes, 
extraites  d'autres  manuscrits  et  d'éditions  anciennes.  Le  codex 
Brixanius,  se  rapprochant  le  plus,  croit-on,  de  la  version  an- 
cienne qu'a  connue  saint  Jérôme,  est  cité  en  entier.  On  ne  saurait 
trop  admirer  le  soin  qui  est  donné  à  ce  travail,  tant  au  point  de 
vue  de  l'établissement  du  texte,  de  la  collation  des  variantes  que 
de  la  netteté  et  de  la  beauté  de  l'impression. 

—  Le  CathoUc  Mirorr  de  Baltimore  publiait  dernièrement  une 
statistique  sur  les  progrès  du  catholicisme  aux  États-Unis,  dans 
les  quarante  dernières  années.  Elle  montre,  pour  les  vingt-sept 
anciens  diocèses,  le  nombre  des  fidèles  parfois  double  en  1891 
de  ce(iu"il  était  en  1850,  le  plus  souvent  triple,  quadruple,  et 
plus  encore  :  ainsi  pour  New-York,  800.000  au  lieu  de  200.000; 
pour  Chicago,  400.000  aulieu  deo3,0Q0.  Quant  aux  nombreux 
diocèses  formés  depuis  lors,  Us  en  renferment  3.400  000.  En  tout 

(\)Das  Evangelium  des  Lucas,  crklœrt  von  D'  G.-L,  Hahn.  Ersler 
Baiul.  BresKiu,  .Morgonslern.  1692. 


CHRONIQUE  475 

nous  voyons  (en  nombres  ronds)  9.000000  de  catholiques  au  lieu 
de  1  200  000  ;  8.300  prêtres  au  lieu  de  1.100  ;  7,o00  églises  au 
lieu  de  J.OOO  et  quelques.  Sans  doute  on  peut  se  demander 
pour  quelle  part  entrent  dans  ce  progrès  si  frappant,  soit  le  dé- 
veloppement naturel  de  la  population  catholique,  soit  le  mouve- 
ment de  conversion,  soit  l'apport  incessant  del  immigration,  sur- 
tout il  landaise  et  allemande. 

On  pourrait  calculer  aussi  si  ces  trois  causes  réunies,  principa- 
lement la  dernière,  n'aurait  pas  dû  amener  des  résultats  encore 
plus  beaux,  et  si,  par  suite,  il  n'y  a  pas  lieu  de  déplorer  beau- 
coup d'apostasies  parmi  ces  nouveaux  citoyens  venus  de  l'Europe. 
Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  dans  tous  ces 
vastes  et  florissants  Etats,  l'Eglise  catholique  a  grandi  et  pros- 
péré avec  tout  le  reste  et  plus  que  tout  le  reste. 

—  La  Synopse  (1)  que  vient  de  publie]' M.  C.  James  a  toutes  les 
qualités  du  genre.  L'auteur,  au  Heu  de  ranger  ses  récits  parallèles 
en  colonne,  les  place  les  uns  sous  les  autres  dans  une  même  page 
ou  double  page,  ce  qui  permet  de  lire  plus  facilement  le  texte, 
le  récit  le  plus  long,  qui  est  placé  le  premier;  de  celte  disposi- 
tion, il  ressort  assez  nettement  que  l'Evangile  de  saint  Marc  n'a 
pas  été  un  abrégé  de  celui  de  saint  Matthieu.  Le  texte  adopté 
est  celui  de  la  version  anglaise  revisée. 

—  L'ouvrage  annoncé  sous^ce  litre  :  A  Concordance  io  Ihe 
Septuagint  and  ihe  olher  Greck  versions  of  ihe  OUI  Testa- 
ment, aura  six  parties.  C'est  encore  une  tentative  de  famila- 
riser  le  public  avec  la  connaissance  des  manuscrits  onciaux 
et  cette  fois  sous  la  forme  d'une  concordance.  De  plus,  on 
mentionne  les  restes  des  autres  versions  d'après  l'édition  de 
Field.  Par  l'emploi  des  sigles  A  V  S  R  on  sait  quelle  est  la 
leçon  du  manuscrit  Alexandrin,  de  celui  du  Vatican,  du  Sinaï- 
.tique  et  de  l'édition  Romaine  de  Sixte-Quint.  Ce  travail  considé- 
rable entrepris  par  M.  Halch  et  interrompu  par  sa  mort,  sera 
continué  par  M.  Redpath. 

(/)  A  Uarmomj  of  the  Gospels,  in  llio  words  ot'  Itic  rcviscd  Ver- 
sion, \v\[\\  copious  roieronces,  tajjlcs,  etc.,  arranged  by  C.  G. 
Jamics.  —  London,  Glay  and  Sons,  Cambridge  Univcrsily  Press. 
1892. 


476  CHRONIQUE 

—  La  Revue  biblique  TQzommàw^Q  encore  et  analyse  l'ouvrage 
suivant  :  r/je  o/(/  Testament  in  Greeck,  Accordinr/  to  the  Sept- 
uagint,  éd.  by  H.  Barclay  Swele,  vol.  II.  Ce  qu'est  la  version  syri- 
aque pour  la  critique  textuelle  du  Nouveau  Testament,  lisons-nous 
dans  un  de  ses  derniers  numéros,  les  Septante  le  sont,  et  beaucoup 
plus  encore,  pour  la  plus  grande  partie  de  l'Ancien,  puisque  celle 
traduction,  et  peut  être  ses  manuscrits,  sont  antérieurs  à  la  Mas- 
sorequi  a  immobilisé  le  texte  hébreu.  L'école  anglaise  a  toujours 
attaché  une  grande  importance  à  leur  témoignage,  mèmeà  l'époque 
où  les  protestants  conservateurs  allemands  adhéraient  avec  une 
fidélité  superstitieuse  au  texte  massorétique.  Le  volume  qui  vient 
deparaîtreest  le  deuxième  de  Tédilion  critique  manuelle  publiée 
pari  Université  de  Cambridge.  Comme  la  Rtvue  biblique  n'a  pas 
enoccasiondeparlerdu^""  volume  paru  en  1887,  il  ne  lui  paraît 
pas  inutile  dédire  unmot  delà  manière  dont  l'œuvre  est  conçue  (1. 

«  Les  syndics  de  l'Université  se  proposent  de  donner  le  même 
lexleendeux  éditions  qui  ne  différeront  par  conséquent  que  par 
Vapparatus  criticus.  On  imprime  le  texte  dumanu.scrit  du  Vati- 
can; à  son  défaut,  le  manuscrit  alexandrin;  à  défaut  de  tous 
deux,  le  manuscrit  oncial  le  plus  important.  Grâce  à  un  système 
très  simple  et  très  ingénieux  d'indications  typographiques,  on  sait 
toujours  quel  est  le  manuscrit  dont  on  a  le  texte  sous  les  yeux. 
Des  notes  placées  au  bas  des  pages  indiquent  les  variantes  des 
manuscrits  dont  on  ne  suit  pas  le  texte.  On  essaye  même  de  pré- 
ciser les  corrections  de  première,  seconde,  troisième,  et  quatrième 
main.  Une  double  numérotation  des  versets  se  réfère  à  lusage 
grec  et  à  l'usage  hébreu.  Dans  le  2«  volume  on  a  imprimé  le  texte 
complet  du  manuscrit  sinaïtique  du  livre  de  Tobie  au  dessous  du 
texte  du  manuscrit  du  Vatican.  Édition  vraiment  remarquable, 
qui  remplacera  Tischendorf  si  les  espérances  des  savants  anglais 
ne  sont  pas  exagérées  Sans  doute  on  ne  doit  pas  perdre  de  vue- 
une  édition  critique  des  Septante,  dans  laquelle  il  faudra  choisir 
entre  les  meilleures  leçons,  mais  les  temps  ne  sont  pas  venus, et 
ce  qu'on  peut  faire  de  plus  utile  aux  travailleurs,  c'est  de  mettre 
à  la  portée  de  tous  l'étude  des  grands  manuscrits  dont  le.s  éditions 
pholotypiques  sont  inabordables  à  la  plupart  des  bourses. 
(I)  Revue  biblique. 


CHRONIQUE  477 

—  Le  R.  P.  Scheil  nous  donne  les  délails  suivants  sur  l'ou- 
vrage de  M.  Schrader  :  KeHiuscfiriffliche  Bihllothek  hcrans  ge- 
gebcn,  publié  chez  Reulherà  Berlin.  Ce  nouveau  fascicule  con- 
tient les  textes  histori(jues  serappoiiant  à  l'ancien  Empire  baby- 
lonien. La  part  principale  est  due  à  M.  Jenseo  qui  a  abordé,  le 
premier  après  Armand,  l'ensemble  des  textes  de  Gudea,  dont  il 
faut  cependant  excepter  les  deux  grands  Cylindres  du  Louvre. 
Sa  préface  exprime  une  opinion  nouvelle  et  sans  doute  juste  sur 
le  caractère  du  suraérien  employé  par  Gudéa.  Sa  traduction  des 
textes  est  inédite  en  maints  endroits,  et  souvent  heureuse.  Des 
notes  concises  et  très  nombreuses  enrichissent  particulièrement 
ce  travail.  La  suite  de  l'ouvrage  est  due  partie  au  même,  partie 
aux  autres  collaborateurs  de  M.  Schrader,  et  n'est  pas  de  moin- 
dre mérite.  Il  restera  néanmoins  beaucoup  à  dire  de  la  critique 
spécifiquement  assyriologique.  Par  exemple,  Nin-gul,  nom  de 
déesse,  est  une  fausse  lecture  pour  Nin-Sun,  qui  est  prouvée 
par  cyl.  B,  23  20  ou  la  désinence  na  impose  i\in-Suu  (»«).  On 
ne  peut  admettre  que  le  pays  de  LuUubi  se  trouvât  à  l'ouest  ; 
c'était  une  nation  chaldaïsante,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi, 
comme  il  appert  par  l'inscription  du  roi  de  Lullubi,  Anuhanini. 
Une  montagne  de  Hânu  pouvait  se  trouver  dans  un  pays  autre 
que  le  pays  de  Hâna.  M.  Jensen  n'a  pas  connaissance  de  l'article 
de  M.  Heuzey  [Revue  archéohgiqney  1891),  où  est  bien  précisée 
la  nature  de  l'objet  allégué  dans  la  statue  B  de  Gudea  VI,  31,  30, 
et  qui  est  une  sorte  de  masse,  ou  cassc-tèie.  M.  Peiser(p  175) 
ignorel'existenced'unetraductiondeNabùabiliddin  que  j'ai  publiée 
dans  la  Zeitschrift  fur  Assyriologie  en  1889  ou  1890,  etc  ,  etc.  » 


BIBLIOGRAPHIE 


Les  évèques  et  les  archevêques  diTFrance  depuis  1682 
jusqu'à  1801,  pa?'  le  P.  Armand  Jean^  de  la  Compagnie  de 
Jésus.  Paris,  Picard. 

Les  séries  d'évèques  que  contient  le  Gctllia  christiana  s'ar- 
rêtent vers  1730,  et  souvent  même  plus  tôt.  Les  listes  appar- 
tenant aux  provinces  de  Tours,  de  Besançon  et  de  Vienne,  seules 
publiées  de  nos  jours,  par  M.  Hauréau  (1  Soft- 1805),  vont  jusqu'à 
1790.  Le  R.  P.  Armand  Jean  nous  offre  aujourd'hui  une  suite  du 
Gallia  christiana  pour  la  période  de  1682  à  1801.  Il  remonte 
à  mars  1G82,  date  de  la  fameuse  assemblée  du  clergé  qui  pro- 
clama les  quatre  articles,  et  il  pousse  jusqu'à  l'année  1801,  où 
Pie  Vil  fit  une  répartition  toute  nouvelle  des  diocèses  de  France. 
Le  P.  Jean  procède  par  provinces  ecclésia'itiques,  en  suivanll'or- 
dre  alphabétique  des  noms  de  sièges  archiépiscopaux. 

D'abord  le  nom  complet  de  chaque  évêque  ;  les  dates  de  sa 
naissance,  de  sa  nomination  et  de  son  sacre,  ses  antécédents, 
finalement,  la  date  de  sa  mort.  Il  porte  ensuite  un  jugement  court 
équitable  et  caractéristique  sur  chaque  prélat. 

Dans  le  portrait  sommaire  qu'il  joint  à  chaque  nom,  le  P.  Jean 
s'attache  surtout  à  caractériser  la  position  prise  par  le  personnage 
dans  les  grandes  affaires  ecclésiastiques  du  temps  :  la  déclaration 
de  1682,  l'acceptation  de  la  constitution  Vnigenitus,  les  luttes 
contre  les  parlements  usurpateurs  des  droits  de  l'Église,  contre  la 
philosophie  incrédule  et  enfin  contre  la  Révolution. 

Cet  ouvrage  n'est  donc  pas  une  pure  énumération  de  noms  et 
de  dates.  On  y  trouvera  les  éléments  d  un  tableau  exact  de  l'action 
épiscopale,  dm'ant  la  dernière  période  de  l'ancienne  Église  de 
France. 


BIBLIOGRAPHIE  479 

—  Discussions  on  tue  ApocALYrsii:,  lij  William  Milligon. 
Londres,  Macmiilan,  1893. 

Ces  dissertations,  au  nombre  de  six,  éUidienl  les  questions  im- 
portantes de  l'Apocalypse  Dans  la  première,  M.  Milligan  examine 
les  rapports  entre  l'Apocalypse  de  Jean  et  les  autres  apocalypses 
du  temps  ;  il  signale  les  ressemblances  et  les  différences  et  mon- 
tre par  diverses  considérations  que  l'Apocalypse  de  Jean  diffère 
aussi  profondément  des  autres  que  les  Evangiles  canoniques  de 
leurs  similaires  apocryplies.  La  seconde  dissertaliou  traite  de 
l'unité  de  l'Apocalypse  Weizsaecker,  Wœlter  et  Yischer  avaient 
cru  retrouver  des  traces  d'interpolation  dans  ce  livre,  mais  leurs 
explications  ne  s'accordaient  pas.  M.  Milligan  les  discute  en  pas- 
sant, car  ces  hypothèses  sont  actuellement  presque  abandonnées. 
L'Apocalypse  a  des  caractères  évidents  d'unité  dans  le  plan,  dans 
le  langage,  dans  le  ton  et  dans  la  doctrine. 

Quel  est  l'auteur  de  l'Apocalypse  ?  Tel  est  le  sujet  de  la  qua- 
trième dissertation  ;  dans  la  cinquième,  l'auteur  discute  les  rela- 
tions entre  l'Apocalypse  et  le  quatrième  Evangile.  On  a  prétendu 
que  l'Apocalypse  et  le  qualrièrae  Évangile  ne  pouvaient  être  du 
même  auteur,  parce  que  le  style,  la  langue  et  la  théologie  en 
sont  profondément  différents.  Les  uns  attribuent  donc  l'Apocalypse 
à  saint  Jean,  mais  l'Apocalypse  seul.  D'autres  l'attribuent  au  fa- 
meux Jean  le  presbytre,  ce  disciple  du  Seigneur,  dont  il  est  im- 
possible de  préciser  la  personnalité.  M.  iMilligan  prouve  que 
l'apùtre  Jean  a  réellement  habité  Éphèse.  11  compare  ensuite  tj-ès 
en  détail  le  style,  la  langue  et  les  doctrines  de  l'Apocalypse  et  du 
quatrième  Évangile.  Il  prouve  que  s  il  y  a  des  différences  entre 
les  deux  écrits,  elles  s'expliquent  par  la  diversité  des  sujets  trai- 
tés. 

—  EiNE  VOUli.A.NONlSCHEUEBERLIEFEnUNG  DES  LtIKAS  h\  EvAN- 

GELiUM  UND  AposTELGEscHicHTE.    Eine    U7ilersuchu7ig  VOJl 
D'  PaulFeine.  Gotha,  Fr.  Perthes,  1801. 

On  a  remarqué  que  le  troisième  Évangile  possède,  outre  la  ma- 
tière qui  lui  est  commune  avec  les  autres  Évangiles,  des  parties 
qui  lui  sont  spéciales,  et  de  plus  dans  les  parties  communes,  des 
expressions,  des  développements  particuliers.  M.  Feine  l'explique 


480  Bibliographie 

en  disant  que  saint  Luc  travaillait  d'après  une  tradition  spéciale, 
qu'il  connaissait  par  un  document  écrit.  C'est  ce  document  qu'il 
cliei'che  à  retrouver  dans  le  troisième  Évangile  et  dans,  les  douze 
premiers  chapitres  des  Actes  des  Apôlres. 

—  Dn<:KATHOL'scmLN  Brikfe,  texlkrUische  Unfcrsuchimgvn 
und  Textherstellunrj  von  C  Bcrnhard  Weiss.  Leipzig,  llin- 
richs,  1892. 

M  Bernliard  Weiss  veut  établir  par  une  méthode  critique  qui 
lui  est  particulière.,  le  texte  des  Épîtres  callioliques.  Dans  les  sept 
manuscrils  qu'il  a  examinés,  il  a  relevé  1,1  Tri  variantes.  Pour 
juger  quelle  est  la  leçon  qu'il  doit  adopter,  il  scrute  chacun  des 
manuscrits,  afin  de  savoir  quelles  fautes  ou  erreurs  y  sont  le 
plus  fréquentes  ;  il  obtient  ainsi  pour  chacun  d'eux  une  caracté- 
ristique générale,  d'après  laquelle  il  se  guide.  Il  laisse  de  côté  les 
minuscules,  les  versions  ou  les  citations  des  Pères  de  l'Église, 
qui  pour  lui  n'ont  pas  une  valeur  décisive.  Il  divise  ses  manus- 
crits en  deux  catégories  :  les  plus  récents,  au  nombre  de  trois,  et 
quatre  anciens.  Chacune  des  catégories  est  étudiée  ensemble, 
mais  le  Vaticanus,  à  cause  de  son  importance,  est  examiné  à  part. 
La  conclusion  est  que  l'on  ne  peut  se  rapporter  exclusivement  à 
un  manuscrit,  quelle  que  soit  son  ancienneté  ou  l'autorité  qu'on 
lui  attribue  ordinairement;  ils  ont  chacun  leur  proportion  de 
fautes,  tantôt  dune  nature,  tantôt  d'une  autre.  Il  faut  donc  étu- 
dier chacune  des  variantes  en  particulier,  et  juger  d'après  les 
caractéristiques  générales.  Ce  travail  long  et  minutieux  mené  à 
bien,  M.  "Weiss  nous  donne  un  texte  grec,  auquel  il  a  joint  des 
notes  courtes,  où  il  fait  surtout  ressortir  le  sens  précis  des  mots 
et  l'enchaînement  des  idées.  Nous  ne  saurions  trop  admirer  ce 
travail  d'une  science  profonde  et  patiente,  et  nous  souhaitons  que 
M.  Weiss  nous  donne  aussi  pour  les  autres. 


Le  Gérant  :  Z.  PEISSON. 


Amiens.    —   Imprimerie  Rousseau-Leroy,   18,  rue  Saint-Fuscicn. 


LES  LIVRES  SACRÉS  DE  LA  CHU 


(1) 


Il  peut  arriver  un  moment  où  les  monuments  qui  cons- 
tituent l'histoire  et  la  religion  d'un  peuple,  ne  sont  plus 
en  harmonie  avec  les  évolutions  qu'a  subies  ce  peuple  ;  ses 
annales  mutilées  ou  altérées  ne  peuvent  satisfaire 
les  exigences  nouvelles.  Alors  se  fait  sentir  le  besoin  de 
correction  et  d'épuration.  Confucius  vint  à  une  de  ces 
époques.  Il  voulut  réunir,  condenser  et  ordonner  en 
même  temps  ce  qui  existait  des  anciennes  traditions  et 
des  anciens  écrits.  Il  ne  paraît  pas  qu'il  ait  mis  dans 
cette  œuvre  quelque  chose  de  personnel  :  elle  a  été  sur- 
tout un  triage  et  une  compilation.  Son  œuvre  forme  cinq 
volumes  appelés  Kings  ou  li  vres  canoniques.  Ils  ontété  ré- 
duits à  quatre  :  le  Yo-King,  qui  était  un  recueil  de  prières 
et  de  cantiques  des  anciens  Chinois,  ayant  été  perdu. 

Dans  le  Tso-Chouen,  commentaire  sur  le  Tchun- 
Tsieou,  dont  la  composition  ne  peut  être  rapportée  plus 
près  que  le  IV  siècle  avant  Jésus-Christ,  et  qu'on  attri- 
bue communément  à  Tso-Kieouming,  disciple  et  con- 
temporain de  Confucius,  on  lit  sous  l'année  12  de 
Tcheou-Kong,  prince  de  Lou,  que  «  l'historien  du 
royaume  de  Tchou  connaissait  d'anciens  livres  en  carac- 
tères que  les  savants  ne  pouvaient  déchiffrer,  mais  que 
l'historien  de  Tchou  entendait.  Ces  livres  s'appelaient  : 
San-Feu  (trois  sommets  ou  divisions),  Ou-Tien  (cinq 
livres),  Pa-So  (huit  pierres  précieuses),  Kieou-Kieou 
(neuf  descriptions). 

(1)  Voir  Revue  dc'.s  >-eliyions,  année  1880,  p.  314  et  année  1890, 
]).  i'ii. 


482  LES  LIVRES  SACHES  DE  LA  CHINE 

Les  monuments  primitifs  n'existant  plus,  il  est  diffi- 
cile de  dire  si  Confucius  les  a  reproduits  exactement  et 
s'il  n'a  pas  altéré  les  textes.  Ce  que  nous  savons  seule- 
ment, c'est  qu'il  leur  fit  subir  des  réductions  considé- 
rables. Le  Chou-King  ou  livre  des  annales  fut  réduit  de 
cent  à  cinquante  chapitres  ;  le  Chi-King  ou  livre  de  vers 
de  trois  mille  odes  à  trois  cent  onze. 

Ces  quatres  livres,  le  Y-King  ou  livre  des  transfor- 
mations, le  Chou-King  ou  livre  des  annales,  le  Chi- 
King  ou  livre  des  vers,  et  le  Li-Ki  ou  livre  des  rites  for- 
ment les  livres  canoniques  de  la  Chine,  ils  sont 
invariables  et  sacrés.  Leur  témoignage  fait  foi  et  leur 
autorité  n'est  pas  contestée  (1). 

A  ces  quatres  livres  canoniques,  il  faut  joindre  les 
quatre  livres  classiques  qui  jouissent  aussi  de  la  plus 
grande  autorité  ;  ce  sont  :  le  Ta-Hio  ou  Grande  Etude, 
le  Tchoung-Young  ou  LInvariabiUlé  dans  le  Milieu,  le 
Lun-Yu  ou  Entretiens  philosophiques  et  le  livre  de 
Meng-Tseu  ou  Mencius. 

Le  Y-King  renferme  24,107  caractères,  le  Chou- 
King  2o,700,  le  Chi-King  39,234,  le  Li-Ki  99,010. 

«  Les  livres  sacrés  de  la  Chine,  dit  la  Grammaire 
de  la  langue  chi?ioise,  malgré  le  mélange  inévitable 
d'erreurs  doctrinales  qu'on  y  rencontre,  ne  renferment 
presque  aucune  pensée  fausse.  Ils  peuvent  être  lus  par 
toute  espèce  de  lecteurs  sans  aucun  inconvénient  moral... 
Ils  ne  sont  pas  non  plus  des  livres  fermés  au  vulgaire 
comme  ceux  de  presque  tous  les  peuples.  Combien  de 


(1)  Les  King  sont  improprement  appelés  sacrés.  Les  Ciiinois  eux- 
mêmes  ne  leur  attribuent  rien  de  surnaturel;  ce  qui  les  leur  rend 
surtout  recommandables,  c'est  leur  antiquité.  Leur  contenu  est  en 
grande  partie  étranger  à  la  religion  Les  noms  des  auteurs  sont 
inconnus  :  il  y  a  eu  parmi  eux  des  poètes,  des  philosophes,  des  his- 
toriens. 


LES  LIVRES  «AGUÉS  DE  LA  CIIIME  483 

chrétiens  ont  lu  la  Bible  en  entier?  Combien  de  savants 
en  Europe  ont  lu  en  entier  Socrate,  Platon,  Aristote  et 
les  autres  ouvrages  de  Rome  et  d'Aihénes  ?.0n  pourrait 
les  compter.  En  Chine,  trois  cent  millions  d'hommes  au 
moins  n'ont  pas  seulement  lu,  mais  peuvent  réciter  de 
mémoire  les  livres  sacrés.  Il  n'est  aucun  pays  où  l'en- 
seignement soit  si  populaire.  Il  n'est  aucune  école  où 
l'on  n'enseigne  ces  hvres  antiques,  bien  que  la  liberté 
d'enseignement  existe  à  tous  les  degrés.  Les  King 
chinois  semblent  former  un  plan  général.  Le  Y- 
King  est  un  livre  en  quelque  sorte  doctrinal  :  la  na- 
ture, la  création,  les  harmonies  de  la  création,  l'état 
primitif  de  Thomme,  sa  décadence  malheureuse,  un 
saint  par  excellence  travaillant  à  relever  l'homme.  Le 
Chou-King  et  le  Tchoun-Tsieou  donnent  des  leçons  aux 
princes  et  au  peuple,  par  l'histoire  des  Père-Mère  du 
peuple  et  des  maximes  pures.  Le  nom  d'Être  suprême 
revient  à  chaque  page.  Le  Chi-King  est  une  morale  en 
action.  On  y  trouve  des  odes  qui  semblent  écrites  par  un 
des  prophètes  de  la  Bible.  Le.  Li-Ki  trace  les  devoirs 
extérieurs  dans  toutes  les  positions  sociales. 

Rien  n'égale  la  simplicité  majestueuse  de  ces  écrits. 
Les  traductions  ne  peuvent  nous  donner  qu'une  idée 
bien  imparfaite  des  beautés  de  cette  langue  antique  : 
nos  langues  modernes  sont  pour  cela  trop  pâles,  trop 
Vagues  et  trop  pauvres  d'images.  » 

Nous  parlerons  dans  deux  paragraphes  des  King  ou 
livres  canoniques  et  de  Ssé-Chou,  ou  hvres  clas- 
siques. 

§  I.  —  Des  Rings. 

I.  —  Le  Y-King  est  le  plus  ancien  livre  que  l'anti- 
quité nous  ait  transmis.  Il  a  pour  premier  auteur  Fo-hi, 


484  LES  LIVRES  SACRÉS  DE  LA  CHINE 

l'inventeur  de  l'écriture  (3369  av.  J.-C).  Celle-ci  con- 
sista d'abord  dans  la  combinaison  de  six  lignes  horizon- 
tales ou  brisées  avec  lesquelles  on  essaya  de  fixer  la 
pensée. 

Plus  tard,  on  ajouta  à  ces  six  trigrammes  de  Fo-hi, 
huit  autres  qui,  par  diverses  combinaisons,  forment 
soixante-quatorze  héxagrammes.  D'autres,  dont  le  nom 
ne  nous  est  pas  conservé,  ajoutèrent  de  nouveaux  signes. 
Douze  siècles  avant  notre  ère,  Wen-Wang  les  perfec- 
tionna et  en  augmenta  le  nombre.  Il  s'efforça  de  rendre 
plus  inteUigible  un  livre  qui  ressemblait  plutôt  à  un 
énigme.  Avec  lui,  Tcheou-Kong  apporta  des  améliora- 
tions nouvelles.  Dans  la  suite,  le  nombre  des  caractères 
s'est  tellement  multiplié,  que  les  lettrés  de  nos  jours  les 
plus  versés  eu  la  matière  ne  les  connaissent  pas 
tous  (1). 

Les  Chinois  attribuent  au  Y-King  et  à  l'écriture  une 
origine  merveilleuse.  Fo-hi  aperçut  un  dragon  qui  sor- 
tait du  fleuve  Hoang-ho.  Ce  dragon  portait  sur  son  dos 
des  dessins  formant  différentes  figures.  Ce  sont  ces 
figures  que  l'empereur  copia  ;  il  en  forma  la  première 
écriture  et  en  écrivit  le  premier  les  livres  du  Y-King. 
Confucius  rapporte  et  accepte  cette  tradition.  C'est  lui 
qui  a  donné  à  ce  livre  sa  dernière  forme  ;  ses  commen- 
taires nous  ont  même  fait  comprendre  l'oeuvre  de  Wen- 
wang  et  de  Fo-hi.  Quoiqu'il  s'y  applique  à  donner  surtout 


(1)  D'après  le  P.  de  Mailla,  le  nombre  des  caractères  chinois  ne 
va  pas  au  delà  de  9^53  ou  tout  au  plus  à  10.516,  ce  qui  s'éloigne 
du  sentiment  commun  qui  le  fait  monter  à  cinquante,  soixante  et 
même  quatre-vingt  mille  Ces  caractères  ont  d'ailleurs  eu  aussi  leurs 
variations.  Les  soixante-douze  inscriptions  retrouvées  sur  le  mont 
Taï-chou,  gravées  par  les  soixante-douze  princes  qui  se  partageaient 
la  Chine,  sont  formées  de  caractères  qui  diffèrent  entre  eux  et  de 
ceux  qu'on  employa  plus  tard. 


LES  LIVRES    SACRES  DE  LA    CHINE  485 

les  pensées  des  anciens  auteurs,  il  nous  laisse  entrevoir 
la  sienne. 

Quant  au  Y-King,  il  ne  s'est  pas  contenté  d'en  révi- 
ser le  texte,  il  l'a  accompagné  d'explications  sur  les 
notes  de  Wen-vang  et  de  Tchéou-Kong  ;  il  y  a  même 
ajouté  un  court  commentaire  appelé  Hi-Tseu  (explica- 
tions appendices  sur  le  Y-King).  Il  ne  faut  pas  le  con- 
fondre avec  le  Hi-tsen-chouan  plus  moderne,  dans 
lequel  est  exposé  la  théorie  du  Taï-ki  ou  grand  faite, 
qui  n'est  pas  l'œuvre  de  Confucius  comme  on  le  croit 
communément,  mais,  d'après  plusieurs  critiques  chi- 
nois, de  AVang-sou  qui  vivait  au  IV  siècle  après 
Jésus-Christ.  Ce  hvre  ne  parut  que  plus  tard.  Il  fut  dé- 
couvert par  une  jeune  fille  dans  une  ancienne  demeure 
de  Lao-tseu,  sur  les  bords  du  Ho^g-ho  (37  av.  J.-C). 
Quelqu'en  soit  l'auteur,  il  renferme  l'exposition  des 
anciennes  doctrines  ontologiques  des  Chinois.  Il  a  beau- 
coup de  rapport  avec  le  Tao-te-king,  et  exprime  sou- 
vent les  mêmes  idées  avec  des  mots  différents.  Tout  fait 
supposer  qu'il  est  l'œuvre  d'un  auteur  postérieur  à 
Lao-tseu  et  au  courant  de  ses  doctrines. 

Un  autre  commentaire  du  livre  des  transformations  ou 
Y-King,  connu  sous  le  nom  de  Wen-Yan  ou  Paroles 
sur  le  texte,  n'est  pas  non  plus  l'œuvre  de  Confucius, 
mais  celle  de  ses  disciples.  Les  explications  de  Confucius 
forment  seulement  dix  chapitres  qu'on  appelle  les  dix 
ailes  sur  lesquels  les  King  devaient  passer  à  la  postérité. 

Ce  livre  est  celui  auquel  les  Chinois  attachent  le  plus 
d'importance.  Ils  ont  plus  tard  attribué  aux  signes  qui 
le  composent  un  sens  cabalistique  :  ils  s'en  servent  enco- 
re dans  la  pratique  de  la  magie.  L'usurpateur  Wen- 
Wang  prétendait  trouver  dans  ces  signes  la  légiti- 
mité de  son  usurpation.  Confucius  essaya  aussi  d'y  trou- 
ver la  confirmation  de  sa  politique. 


486  LES  LITRES   SACRES   bE  LA    CHINE 

■K  Je  serais  surpris,  dit  M.  A.  Réville,  que  des  recher- 
ches nouvelles  ne  donnassent  pas  un  corps  à  une  suppo- 
sition que  m'a  inspirée  la  lecture  suivie  de  ce  recueil, 
savoir  que  sa  composition  sous  sa  forme  canonique  a 
été  déterminée  par  un  calcul  politique  dans  un  moment 
où  un  parti,  luttant  pour  la  prépondérance,  avait  besoiR 
de  répandre  l'idée  que  sa  victoire  était  conforme  à  la 
volonté  du  ciel,  que  les  présages  se  prononçaient  en  sa 
faveur  et  que  la  prudence  conseillait  de  se  ranger  sous 
sa  bannière.  La  tradition  qui  rattache  la  rédaction  du 
Y-King  au  mouvement  insurrectionnel  des  princes  de 
Tcheou  contre  les  Chang:  dégénérés  est.  parelle-mômol 
très  favorable  à  cette  hypothèse  (1).  » 

«  Le  Y-King,  dit  Tchin-Tseu,  est  non  seulement  la 
source  des  cinq  King,  mais  encore  le  sanctuaire,  l'arca- 
ne  du  ciel,  de  la  terre,  des  génies  et  des  esprits.  »  Tchou- 
hi  rappelle  «  le  père  ou  Tancêtre  des  caractères  de  1  écri- 
ture chinoise  ainsi  que  de  la  véritable  doctrine  de  la  rai- 
son et  de  la  justice.  »  Confucius  en  particulier  professa  pour 
lui  un  vrai  culte.  Ilaurait  désiré  que  sa  vie  fut  prolongée 
uniquement  pour  mieux  approfondir  ce  hvre.  Il  le  médi- 
ta si  longtemps  qu'il  usa  trois  fois  les  cordons  qui  te- 
naient les  tablettes  sur  lesquelles  il  était  écrit.  Depuis 
Confucius,  dit  le  P.  Régis,  dans  la  traduction  de  ce  livre, 
il  est  demeuré  pour  les  Chinois  le  fondement  de  toute 
sagesse  et  la  base  de  toute  science  : 

«  Ab  eotempore  ad  hune  usque  diem  Summse  Sinis 
reverentiae  fuit,  et  quaecumque  nova  apud  eos  orta  est 
schola,  novae  libri  Y-King  interprétation i  doctrinam 
suam  sustinere  studuit.  " 

M.  A.  Réville  va  trop  loin  en  appelant  le  Y-King  le 
plus  creux  des  livres  :  «  Ce  serait  une  tache  aussi  vaine 

(1)  La  religion  en  Chine,  p.  76. 


LES  LIVRES  SAORÉS  DE   LA  CIIINE  487 

qu'ingrate,  dit-il,  que  de  chercher  sous  ce  verbiage  mo- 
notone les  profondeurs  do  rnétaphysique  et  de  morale 
qu'on  a  voulu  quelquefois  y  croire  cachées.  Nos  horos 
copes  vulgaires,  ros  oracles  fabriqués  à  l'intention  des 
diseurs  de  bonne  aventure,  où  l'on  décrit  le  caractère,  la 
destinée,  les  chances  de  bonheur  ou  de  nalheur,  les  en- 
nemis sournois  dont  il  faut  se  défier  et  les  amis  sûrs  à 
qui  l'on  peut  se  fier,  etc.,  sont  de  la  môme  famille,  abs- 
traits, vagues,  pleins  de  réserve  calculée  et  finissant 
par  ne  s'appliquer  à  rien,  à  force  de  s'appliquer  à  tout  On 
a  prétendu  que  dans  l'interminable  auteur  du  Y-King  il 
y  avait  toute  une  mythologie  enfouie  et  même  que  l'acca- 
dien  nous  en  fournissait  la  clef.  M.  Legge  repousse  avec 
raison  ces  hypothèses  gratuites.  Le  Y-King  rentre  avec 
le  Feng-Chui  dans  cette  divination  chinoise  qui  a  poussé 
à  son  plus  haut  point  l'art  de  construire  sur  le  vide  et 
de  donner  une  apparence  de  rigueur  scientifique  àdes  élu- 
cubrations  qui  n'offrent  à  la  pensée  absolument  rien  de 
substantiel  (1).  » 

«  Peu  do  livres,  dit  Mgr  de  Harlez,  ont,  autant  que 
le  Y-King,  mis  à  l'épreuve  la  sagacité  et  la  patience  des 
interprètes.  Parmi  les  Chinois,  on  compte  par  centaines 
les  lettrés  qui  se  sont  voués  à  l'élucidation  des  mystères, 
des  énigmes'accumulés  comme  à  plaisir  dans  ce  monu- 
ment que  l'on  veut  faire  passer  pour  le  plus  ancien  du 
monde 

Tous  ces  efforts  ont  abouti  à  une  variété,  qu'on  me 
permette  ce  mot,  à  un  salmigondis  d'explications  dont 
on  ne  saurait  trouver  un  exemple  aillcui's.  En  un  seul 
point  seulement  les  interprêtes  sont  unanimes  c'est  que 
le  Y-King  est  à  la  fois  un  livre  de  divination  et  un  trésor 
de  richesses  scientifiques.  C'est  un  abîme  dont  on  ne  peut, 

(1)  La  religion  en  Chine,  p.  75. 


488  LES  LIVRES  SACRÉS  DE  LA.  CHINE 

sonder  la  profondeur  et  dont  la  hauteur  défie  toute  attein- 
te. Tous  les  principes  de  toutes  les  sciences,  naturelles, 
ontologiques,  psychologiques,  sociales,  etc.,  y  sont  ren- 
fermés, condensés  ;  il  ne  s'agit  que  de  savoir  les  y  trou- 
ver. Malheureusement,  ces  trésors  sont  recouverts  de 
voiles  si  épais  que  l'on  peut  bien  en  soulever  un  coin, 
mais  non  les  écarter  et  les  percer  entièrement.  » 

Le  Y-Kings'appellele  livre  des  transformations,  et  il  a 
pour  but  en  effet  d'apprendre  comment  les  choses  se 
transforment  par  la  naissance  et  la  mort.  La  nature  est 
le  grand  agent  de  cette  transmutation  des  êtres.  Elle 
agit  au  moyen  de  deux  causes  ou  principes,  la  composi- 
tion et  la  décomposition.  Le  premier  est  rendu  par  un 
signe  qui  exprime  le  passage  du  non  être  à  l'être,  le  se- 
cond par  un  signe  qui  exprime  le  passage  de  l'être  au 
non-être.  Le  monde  entier  est  régi  par  ces  deux  lois. 
Tous  les  êtres  naissent  par  la  composition  et  meurent 
par  la  décomposition. 

«  Le  Y-King,  d'après  la  Grammaire  de  la  langue  chi- 
noise, est  un  tableau  de  la  nature.  Il  fait  allusion  aux  chan- 
gements et  aux  mutations  survenus  dans  Tordre  moral.  Il 
y  avait  un  ciel  antérieur,  c'est-à  dire  un  état  primitif  de 
la  nature.  L'auteur  donne  en  traits  vifs  mais  substan- 
tiels, la  situation  de  l'homme  et  de  l'univers  en  ce  premier 
état.  Survint  un  grand  changement,  une  révolution  de 
l'univers.  Delà,  le  ciel  postérieur  ou  deuxième  état  de  la 
nature,  où  la  situation  est  dépeinte  avec  plus  de  détails 
et  plus  d'énergie  encore  que  dans  le  premier.  Enfin,  il 
•  est  question  d'une  révolution  ou  mutation  dans  la  nature. 
Le  caractère  chinois  du  titre  du  livre  indique  à  lui  seul 
ces  trois  révolutions  morales  et  se  prononce  en  consé- 
quence sur  trois  tons  différents,  tout  en  gardant  son 
unique  forme  héraldique.  » 

(1)  Journal  asiatique,  toiii.  IX-1887. 


LKS  LIVRKS   SACRÉS  DE  LA  CHINE  489 

Ce  livre  est  regardé  par  les  lettrés  comme  un  traité 
de  la  plus  haute  métaphysique.'  Un  homme,  disent-ils, 
n'a  pu  l'inventer,  il  vient  évidemment  du  ciel  (1). 

Le  Y-King  forme  pour  les  chinois  une  véritable  en- 
cyclopédie :  il  résume  la  science  de  l'époque.  Il  ne  fait 
cependant  qu'effleurer  les  questions  de  principe  et  de 
fin,  soit  qu'elles  ne  fussent  qu'accessoirement  traitées, 
soit  qu'elles  aient  été  éliminées  par Confucius.  Les  ques- 
tions physiques  n'y  occupent  qu'une  place  secondaire. 
La  plus  grande  part  est  faite  à  la  morale.  Il  n'y  a  d'ail- 
leurs dans  cette  exposition  ni  ordre,  ni  méthode. 

Le  Y-King  est  aussi,  comme  nous  l'avons  dit,  le  livre 
des  sorts.  Confucius  et  les  philosophes  venus  après  lui 
lui  ont  reconnu  cette  vertu  magique.  Ils  se  sont  appli- 


(1)  EnEuropc,  dit  Mgr  de  Harlez,  quatre  savants  se  sont  attachés 
à  pénétrer  les  mystères  de  ce  livre  prodigieux  ou  plulôl  à  nous 
communiquer  dans  des  traductions  ce  que  les  Chinois  en  pensent 
et  en  disent.  Ce  sont  :  le  P.  Régis,  le  Rév.  Mac  Clatchie,  le  profes- 
seur d  Oxford,  Dr  James  Legge,  et  dernièrement  un  français, 
M.  Philaslre. 

Leurs  inlerprélalions,  toutefois,  ne  sont  pas  identiques  et  cela 
se  comprend  aisément;  toute  phrase  chinoise  peut,  en  général,  à 
cause  de  l'indélermination  du  sens  des  mots,  être  comprise  de 
difï'érentcs  manières.  Et  cette  indétermination  est  plus  grande  en- 
core dans  le  Y-K  ng  qu'en  aucun  autre  ouvrage.  En  outre,  les  mots 
chinois  sont  généralement  susceptibles  de  plusieurs  sens  et  tous 
les  interprètes  ne  choisissent  pas  toujours  le  même. 

Nul  ne  contestera,  certainement,  la  science  de  nos  sinologues 
européens  qui  se  sont  exercés  au  défrichemeut  de  ce  terrain  in- 
grat. Le  Dr  Legge,  spécialement,  a  donné  de  ses  vastes  connais- 
sances en  fait  de  langue  chinoise,  les  preuves  les  plus  nombreuses 
et  les  plus  éclatantes.  Ici  encore  il  a  traduit  le  texte  tel  que  les 
chinois  le  conçoivent,  avec  une  grande  érudition  et  une  intelligence 
remarquable.  M.  Philaslre  mérite  certainement  un  éloge  analogue. 
Cependant  le  s-^ns  qu'il  donne  au  V-King  est  si  bizarre  qu'on  a 
bien  de  la  peine  à  y  voir  celui  qu'ont  voulu  ses  premiers  auteurs. 
....  Nos  plus  savants  sinologues  européens  ont  transporté  en  latin, 
en  anglais  ou  en  français  les  explications  des  lettrés  de  l'empire 


490  LES  ÎJVRES  SACRÉS  DE  LA  CHINE 

qués  à  trouver  dans  ses  signes  qiii  le  conipQsent  la  pro- 
phétie des  événements  qui  se  sont  succédé.  C'est  à  cette 
qualité  divinatoire  que  cet  ouvrage  dût  d'échapper  à 
l'incendie  des  livres. 

Il  y  a  dans  ce  livre  comme  dans  le  chapitre  hong-fou 
du  Chou-King  une  tendance  accentuée  a  établir  une  cor^ 
relation  nécessaire  entre  des  événements  physiques  et 
moraux.  Une  harmonie  profonde  existe  entre  l'homme 
et  le  monde  ;  celui  qui  connaîtrait  suffisamment  les  phé- 
nomènes du  monde  naturel  pourrait  déterminer  ceux 
du  monde  moral  :  c'est  dans  cette  harmonie  universelle 
que  consiste  le  bonheur  et  la  vertu  :  «  Le  ciel  symbo- 
lique de  Fou-hi,  est-il  dit  dans  les  Paroles,  œuvre  des 
disciples  de  Confucius,  est  l'origine  de  tout  ce  qui  existe, 
le  commencement  de  toutes  choses.  Ce  qui  constitue  le 
principe  sentant  et  pensant  sont  ses  dons  et  ses  bien- 
dès  P'ieurs.  Leur  bizarrerie,  sans  aucun  doute,  n'a  pas  dû  leur 
échapper;  mais  ils  se  sont  dit:  c'est  du  chinois  et  l'on  ne  doit 
point  juger  cela  comme  les  produits  des  terres  occidentales. 

Il  en  est  un,  cependant,  qui  ne  s'est  pas  contenté  de  ces  traduc- 
tions des  Fils  de  Han,  mais  qui  s'est  demandé  s'il  n'y  avait  pas 
moyen  de  trouver  dans  ces  textes  mystérieux  quelque  chose  de 
plus  raisonnable.  C'est  le  savant  professeur  de  l'Université  de  Lon- 
dres, Dr  A.  de  Lacoupcrie,  dont  les  travaux  paléontologiques  ont 
ouvert  une  ère  nouvelle  à  l'interprétation  des  vieux  textes  chinois. 

Sous  les  apparences  que  lui  ont  donné  les  commentateurs  et 
les  (discencestea)  chinois,  il  a  su  découvrir  au  Y-King,  un  texte 
primitif  très  différend  de  ce  que  l'on  a  cru  et  imaginé  jusqu'ici. 
Pour  lui  ce  texte  originaire  est  un  composé  de  morceaux  détachés, 
apportés  par  les  tribus  chinoises  du  centre  de  l'Asie,  dans  leur  mi- 
gration sur  les  bords  du  Iloang  Ho,  et  formé  tant  de  fragments 
d'un  vocabulaire,  que  de  ballades  et  autres  compositions  de  genres 
divers;  le  tout  à  l'imitation  des  vocabulaires  et  livres  accadiens. 
H  a  donné  de  ces  explications  des  exemples  qui  sont  des  plus 
frappants,  surtout  en  ce  qui  concerne  la  partie  lexicologique.  Par 
là,  tombent  toutes  les  bizarreries  et  les  assemblages  drolatiques. 
Là,  où  l'on  cherchait  des  phrases,  il  n'y  avait  que  des  sens  divers 
juxtaposés.  »  (Journal  asiatique,  t.  IX). 


LES  LIVRES   $AC,I^és    DE  LA  CHINE  491 

faits.,..  L'homme  supérieur  met  enharmonie  ses  vertus 
avec  celles  du  Ciel  et  de  }a  terre  ;  il  met  sa  lumière  en 
harmonie  avec  celle  du  soleil  et  de  la  lune  ;  il  met  la 
disposition  do  son  temps  en  harmonie  avec  les  quatre 
saisons  ;  il  met  ses  félicités  et  ses  infortunes  en  harmo- 
nie avec  les  esprits  et  les  génies.  »  L'ordre  provient  de 
ce  que  le  Ciel  et  la  terre  se  meuvent  d'après  des  lois 
fixes.  Le  ciel  et  la  terre,  mâle  et  femelle,  sont  en  oppo- 
sition, mais  c'est  cette  opposition  qui  produit  l'équilibre. 
De  là  une  loi  pour  l'homme,  la  nécessité  du  mariage  : 
«  S'unir  en  mariage  est  le  grand  but  du  ciel  et  de  |a 
terre;  s'ils  ne  s'unissaient  pas,  tous  les  êtres  ne  naîtraient 
pas  à  la  vie.  LMnion  en  mariage  est  le  commencement 
et  la  fin  de  l'homme  (1).  » 

On  a  voulu  retrouver  dans  le  Y-King  les  rudiments 
d'une  antique  philosophie  :  Elle  s'appelle  l'étude  de  ce  qui 
a  précédé  le  ciel  et  essaie  de  résoudre  le  problème  de  l'ori- 
gine des  choses.  Sa  méthode  est  ontologique  :  il  part  de 
la  notion  de  l'être  en  général  pour  arriver  à  la  connais- 
sance des. phénomènes.  Au  reste  les  données  cosmogo- 
niques,  physiques  et  psychologiques  s'y  mêlent  aux 
idées  philosophiques.  On  con^prend  qu'il  ï\e  peut  s'agir 
ici  que  de  rudiments  Quand  on  n'avait  pour  exprimer 
toute  sa  pensée  que  les  combinaisons  d'une  ligue  droite 
et  d'une  ligne  brisée,  la  tâche  n'était  pas  facile.  Ces 
Koua  primitifs  nous  ont  conservé  cependant  les  restes 
4'uuG  antique  civilisation  ;  et  de  paême  que  ces  orga- 
nisiïies  que  la  science  découvre  tous  les  jours  dans  les 
dififérentes  couches  terrestres,  lui  permettent  de  recons- 
tituer des  faunes  etdesflores  depuis  longtemps  anéanties; 
de  même  ces  linéaments  de  l'écriture  primitive,  quelques 
grossiers  qu'ils  soient,  peuvent  nous  aider  à  reconstituer 
une  société  et  une  religion  disparues. 

(l)  Paroles. 


492  LES  LIVRES    SACRÉS    DE  LA  CHINE 

Le  Y-King  au  lieu  de  s'élever  à  la  notiou  de  l'unité 
primordiale,  semble  s'arrêter  au  dualisme.  Il  y  a  deux 
principes  des  choses  :  le  ciel  et  la  terre.  Le  premier  est 
représenté  par  une  ligne  droite,  le  second  par  une  ligne 
brisée.  Il  n'y  a  pas  cependant  égalité  entre  ces  principes  : 
le  ciel  est  supérieur.  Les  deux  symboles  qui  les  repré- 
sentent, indiquent  aussi  la  hiérarchie  des  êtres  dans  les 
signes  où  ils  sont  employés.  La  ligne  droite  désigne  les 
êtres  supérieurs  :  le  mâle,  le  temps,  le  soleil,  etc.  La 
ligne  brisée  désigne  des  êtres  inférieurs:  la  femelle,  la 
lune,  etc. 

Il  y  aurait  aussi  dans  le  Y-King  une  philosophie  des 
nombres  qui  se  rapporte  à  ce  système  binaire.  ,Les 
nombres  ont  pour  base  l'unité,  représentée  par  la  ligne 
simple,  horizontale  ;  mais  ils  se  divisent  en  pairs  et 
impairs.  Les  nombres  pairs  sont  désignés  par  la  ligne 
droite  qui  représente  aussi  le  Ciel,  la  source  primitive 
des  êtres  et  ces  nombres  ayant  pour  base  l'unité  sont 
parfaits.  Les  nombres  impairs  au  contraire  ont  pour 
base  la  dualité  et  sont  imparfaits.  La  formation  des 
êtres  est  liée  à  cette  loi  des  nombres  :  les  événements 
qui  s'accomplissent  dépendent  de  leurs  différentes  com- 
binaisons (1). 

Au  reste  l'origine  de  ces  nombres  est  aussi  merveil- 
leuse que  celle  de  l'écriture.  C'est  Chang-ti  qui  les  révéla 
à  Yu,  le  fondateur  de  la  dynastie  Hia,  par  l'intermé- 
diaire d'une  tortue.  Cette  tortue  sortit  un  jour  du  fleuve 
Lo-choui,  portant  sur  son  dos  les  dix  premiers  nombres 
et  leurs  combinaisons.  L'empereur  les  copia  et  en  forma 
le  grand  prototype. 

Le  Y-King  reconnaît  le  Ciel  comme  le  premier  prin- 

(1)  Confucius  a  développé  au  long  les  propriétés  du  nombre  81 
qui  est  le  carré  du  3  mystique. 


LES  LIVRES  SACRÉS    DE  LA  CHINE  493 

cipe  des  choses:  «  C'est  le  ciel  primordial,  dit-il,  qui  a 
donné  Torigine  à  Funiversalité  des  ctres^  lesquels  s'ap  - 
puient  sur  lui  et  ont  en  lui  leur  racine.  » 

«  II  y  eut  le  ciel  et  la  terre,  dit  le  Hit-seu,  et  ensuite 
les  dix  milles  êtres  (tous  les  êtres)  naquirent.  > 

Le  ciel,  la  source  de  tous  les  êtres  nous  y  est  repré- 
senté aussi  comme  intelligent  et  providentiel.  Les  Égyp- 
tiens le  représentaient  à  peu  près  par  le  même  signe 
que  les  chinois,  par  trois  hgnes  convexes. 

La  doctrine  du  Y-King  est  parfois  si  obscure  qu'il  est 
bien  difficile  de  la  formuler  d'une  manière  complète. 
Nous  y  trouvons  cependant  le  dogme  de  la  rémunéra- 
lion.  Les  hommes  se  distinguent  en  bons  et  mauvais; 
les  premiers  sont  récompensés  et  les  autres  punis.  Quelque 
rôle  prépondérant  qu'il  donne  au  ciel,  on  ne  saurait 
affirmer  qu'il  le  distingue  toujours  suffisamment  de 
l'Univers.  On  a  essayé  d'en  déduire  le  dualisme  et  le 
panthéisme,  mais  on  ne  saurait  y  trouver  la  moindre 
trace  didolàtrie.  Le  rôle  suprême  et  providentiel  du 
ciel  y  est  affirmé,  quoique  moins  nettement  que  dans  le 
Chou-King.  Il  y  avait  certainement  exagération  dans 
les  affirmations  des  missionnaires  jésuites,  lorsqu'ils  pré- 
tendaient trouver  dans  ce  livre  une  doctrine  à  peu  près 
complète  sur  Dieu,  l'àme  et  la  vie  future.  L'erreur  est 
venue  quelquefois  de  ce  qu'on  n'a  pas  suffisamment  dis- 
tingué les  textes.  Ces  doctrines  sont  contenues  en  effet 
dans  le  commentaire  de  Confucius  ;  elles  sont  moins 
précises,  soit  dans  l'ancien  texte  de  Fou-hi,  soit  dans 
le  nouveau  texte  que  l'on  croit  composé  au  douzième 
siècle  avant  Jésus-Christ.  Elles  y  sont  cependant  en 
germe,  et  le  but  de  Confucius  a  été  de  les  mettre  plus 
en  relief. 

Nous  avons  mentionné  déjà  la  nouvelle  explication 
qu'à  donnée  Mgr  de  Harlez  de  ce  livre  extraordinaire. 


494  LES  LIVRES  SACRÉS    DE   LA  CHINÉ 

La  voici,  telle  qu'il  l'a  exposée  lui  même  daiis  le  Jour- 
nal asiatique  (tome  IX,  1887)  : 

«  Rappelons  d'abord  ce  dont  est  composé  le  Y-King. 
Nous  laissons  de  côté  les  commentaires  récents,  dont 
M.  Philastre  doniie  la  traduction,  dans  son  bel  ouvrage, 
parcequlls  n'ont  rapport  qu'au  livre  métamorphosé  : 
iious  nous  en  tiendrons  au  texte  proprement  dit.  Celui 
(Jui  constitue  le  fond  du  Y-King  classique  est  lui-même 
formé  de  trois  parties  distinctes  : 

1"  Les  célèbres  Kouâs  ou  assemblage  de  six  lignes 
superposées.... 

2"  Une  double  explication  dont  la  première  partie 
tfaite  de  la  figure  dans  son  ensemble,  tandis  que  la  se- 
conde s'occupe  de  chacune  de  ses  lignes,  à  ce  que  l'oja 
petlse,  ou,  pour  parler  plus  sûrement,  est  divisée  en  six 
J)arties.  C'est  là  le  texte  fondamental. 

3°  Différents  appendices  ou  commentaires  irelatifs  à 
fcette  explication. 

De  ces  derniers,  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper;  ils 
Ont  été  composés  à  une  époque  où  le  Y-Kiny  avait  déjà 
pris  la  physionomie  actuelle  et  se  présentait  aux  yeux 
deâ  chinois  comme  le  livre  de  divination  dont  ils  ont 
cherché  à  pénétrer  le  mystère. 

Du  texte  fondamental,  la  seconde  partie  est  postérieure 
a  la  première  et  dépend  d'elle.  11  faut  donc  av^ant  tout 
se  rendre  un  compte  exact  de  ce  que  celle-ci  peut 
signifiei*  ;  une  fois  bien  appréciée,  elle  pourra  fournir  la 
clef  du  reste.  » 

Mgr  de  Harlez  tire  de  cette  étude  les  conclusions 
suivantes  : 

1"  L'inventeur  des  Kouas  our-figureshexahnéaires,  en 
choisissant  un  genre  de  signes  qui  ne  pourrait  lui  fournir 
qu'un  genre  de  variété  des  plus  restreints  a  prouvé 
suffisamment,  par  cela  seul,  qu'il  ne  pensait  aucune- 


Les  livres  sacrés  dk  la  chine  495 

meilt  à  ci^éer  un  système  gtaphique  complet,  autrement 
il  eut  également  employé  des  lignes  d'une  forme  diffé- 
rente, brisées,  verticales,  longues  et  courtes,  comme  Jes 
faisaient  le  créateur  des  cunéiformes.  Il  n'a  donc  pas 
pris  modèle  sur  ceux-ci.  Il  est  même  peu  probable  que 
ces  derniers  aussi  réguliers  aient  été  la  première  inven- 
tion de  celui  qui  cherchait  à  exprimer  les  idées  par  des 
signes  extérieurs. 

2"  Si  Maintenant  nous  groupons  en  un  tableau,  tous 
les  mots  que  l'auteur  des  Kouas  avait  notés  dans  son 
livre-mémoire  et  les  considérons  dans  leur  ensemble  dans 
leurs  diverses  catégories  et  leurs  rapports  mutuels,  nous 
afriverohs  à  cette  conclusion  que  le  père  du  Y-King 
était  déjà  préoccuppé  de  toutes  les  idées  qui  régnent  en 
Chine  depuis  Kong-fou-tze,  et  qui  ont  présidé  aux  des- 
tinées de  l'empire  du  Milieu. 

«  JPourrait-on  ne  pas  y  voir  quelque  chose  comme 
des  mots  écrits  sur  le  carnet  d'un  homme  politique  chi- 
nois, une  sot-te  de  matière  de  méditation,  de  mémento 
quotidien  ?  La  réponse  ne  paraît  pas  douteuse.  Posses- 
seur de  ces  notes,  un  autre  politicien  plus  moderne, 
adonné  à  l'art  divinatoire,  en  a  fait  au  manuel  de  pra- 
tiques superstitieuses,  en  changeant  la  forme,  en  mul- 
tipliant les  interpolations,  etc,  et  a  entraîné  ainsi  tous  ses 
successeurs  dans  cette  voie.  Il  y  a  de  plus,  par  inintelli- 
gence ou  volontairement,  introduit  le  plus  complet  désor- 
dre, comme  le  prouve  la  séparation  des  sections 9 et 26, 2 8 
et  02  qui  traitent  de  sujets  analogues,  etc.  Devenu  ainsi 
obscur  et  mystique,  le  livre  n'en  attire  que  davantage 
l'attention  ;  de  là  tous  les  commentaires  qui,  prenant 
pour  point  de  départ  l'œuvre  ainsi  altérée,  nous  ont 
donné  ce  formidable  amas  de  matériaux  où  l'on  cher- 
cherait en  vain  le  sens  du  texte  primitif.  N'ayant  que 
cela  à  leur  disposition,  des  sinologues  européens  en  ont 


496  LES  LIVRES  SACRÉS  DE  LA  CHINE 

fait  ce  qu'ils  ont  pu  et  ce  que  nous  avons  vu.  Telle  est 
ce  me  semble,  en  résumé  l'histoire  du  Y-King.  » 

II. —  Le  Chou-King  a  été  rédigé  484  ans  avant  J.  C. 
Confucius  le  tira  des  récits  des  anciens  historiens  de  la 
Chine.  Le  caractère  C/iom  désigne  un  pinceau  parlant, 
c'est-à-dire  un  livre.  Ce  livre  est  regardé  comme  la  base 
de  la  philosophie  chinoise.  Il  se  fait  remarquer  par 
la  concision  de  la  forme  et  la  profondeur  des  ques- 
tions qu'il  traite.  Abel  Rémusatet  le  P.  Régis  le  croient 
antérieur  au  livre  de  Moïse,  dans  plusieurs  de  ses  par- 
ties, et  le  font  remonter  à  23  siècles  avant  J.  C.  Ses 
premiers  chapitres  sont  regardés  comme  les  documents 
les  plus  anciens  du  monde.  Il  y  a  dans  le  style  lui  mô- 
me, disent  les  sinologues,  une  démonstration  de  leur 
antiquité.  Les  Chinois  professent  pour  ce  livre  la  plus 
grande  vénération  et  le  regardent  comme  inimitable. 
11  contient  les  actions  et  les  paroles  des  anciens  patriar- 
ches depuis  Yao:  tout  accuse  à  cette  époque  reculée 
une  haute  culture  morale. 

Cependant  cet  ouvrage  ne  nous  est  pas  parvenu  tel 
que  le  composa  Confucius.  Il  fut  expressément  compris 
dans  l'incendie  des  livres,  ordonné  par  l'empereur  Chi- 
Hoang-ti.  Lorsque  Ven-ti,  (176  avant  J.  C.)  voulut  les 
reconstituer,  il  s'adressa  à  un  vieillard  âgé  de  plus  de 
90  ans,  nommé  Fou-Cheng  ou  Fou-Seng,  qui  savait  par 
cœur  beaucoup  de  passages  de  ces  livres.  Comme  sa 
prononciation  différait  de  celle  du  pays  où  était  la  cour, 
l'empereur  nomma  une  commission  chargée  de  recueil- 
lir et  d'interpréter  ses  paroles.  Le  livre  qui  résulta  de 
ce  travail  s'appela  le  Chou-King  de  Fou-Cheng  ou  du 
nouveau  texte,  parcequ'il  fut  écrit  avec  les  signes  alors 
en  usage. 

Quelque  temps  après,  sous  l'empereur  Vou-ti,  (140  av. 


LES  LIVRES   SACRÉS    DE  LA  CHINE  497 

J.  C.)  on  trouva  dans  les  décombres  de  l'ancienne  mai- 
son qu'habitait  la  famille  de  Confucius,  des  livres  écrits 
avec  des  caractères  anciens  et  parmi  eux  était  le  Chou- 
King.  Une  commission  de  lettrés  fut  aussitôt  nommée 
pour  lire  et  copier  ce  texte  :  parmi  ces  lettrés  était  Kong- 
gan-Koue,  un  des  descendants  de  Confucius.  L'édition 
de  Fou-Cheng  aida  à  déchiffrer  le  nouveau  texte,  écrit 
sur  des  tablettes  de  bambou,  dégradées  en  plus  d'un 
endroit.  On  parvint  à  mettre  au  net  58  chapitres.  Kong- 
gan  Koue  en  fit  un  commentaire  et  y  ajouta  une  pré- 
face. Il  nous  y  apprend  que  le  Chou-King  de  Confucius 
contenait  encore  42  chapitres.  Cette  édition  s'appela  le 
Chou-King  du  vieux  texte.  C'est  ce  texte  qui  est  adopté 
et  expliqué  dans  les  collèges.  Il  est  à  remarquer  que  les 
livres  classiques  écrits  par  Confucius  et  ses  contempo- 
rains ne  citent  aucun  passage  des  chapitres  perdus.  La 
perte  est  donc  complète  sous  ce  rapport. 

Le  Chou-King  se  divise  en  quatre  parties  :  le  Yu-Chou 
ou  histoire  de  Yao  et  de  Chun  ;  2°  le  Hia-Chou,  ou  his- 
toire de  la  dynastie  des  Hia  ;  3°  le  Chang-Chou,  ou  his- 
toire des  Chang  ;  et  enfin  le  Tcheou-Chou  ou  histoire 
des  Tcheou. 

Le  premier  chapitre  appelé  Yao-tien,  c'est-à-dire  livre 
qui  parle  de  Yao,  a  été  écrit  à  l'époque  où  vivait  cet  em- 
pereur ou  à  peu  près. 

Le  chapitre  intitulé  Hong-Fan  semble  après  le  Y-King 
l'écrit  le  plus  ancien.  Il  contient  la  sublime  doctrine  que 
le  ministre  philosophe  Ki-Tseu  dit  avoir  été  reçu  du  ciel 
par  le  grand  Yu  (2,200  avant  J.  C.)  et  qu'il  expose  à 
l'empereur  Wou- Wang  (1120  avant  J.  C). 

Le.  P.  Gaubil,  savant  missionnaire  qui  passa  36  ans 
à  Pé-King,  nous  a  donné  une  traduction  du  Chou  King 
ou  livre  par  excellence.  Cette  traduction  fut  publiée  en 
1770  par  de  Guignes  père,  qui  prétendait  l'avoir  amélioré* 


498  LES  LIVRES  SACRÉS    DE   LA  CHINE 

Son  travail  se  borne  cependant  à  quelques  légères  mo- 
difications, et  il  est  permis  de  trouver  extraordinaire 
avec  Abel  Rémusat  qu'on  ait  cherché  à  diminuer  l'hon- 
neur du  missionnaire  chinois.  Le  P.  Amiot,  le  premier 
avait  été  injuste  envers  le  P.  Gaubil,  lorsqu'il  appelait 
son  Chou-King,  un  squelette.  Il  faut  bien  d'ailleurs 
reconnaître  qu'une  traduction  parfaite  est  impossible  à 
cause  du  génie  et  des  difflcultés  de  la  langue.  Plus  tard 
G.  Pauthier  a  fait  subir  à  la  traduction  du  P.  Gaubil 
une  révision  plus  sérieuse.  (1) 

Le  Chou-King  n'est  pas  surtout  un  livre  d'histoire, 
comme  on  le  croit  assez  souvent,  mais  un  livre  de  mo- 
rale basée  sur  des  faits.  Son  récit  commence  à  Yao  et 
finit  à  Tan  624  avant  J.  G.  (2). 

Confucius  nous  a  conservé  dans  le  Chou-King  un  cu- 
rieux monument  do  philosophie  ancienne.  On  l'appelle 
la  grande  doctrine.  C'est  un  traité  de  physique,  d'astro- 
logie, de  divination,  de  morale,  de  religion,  de  politique, 


(1)  Les  Livres  sacrés  de  VOrienl. 

(2)  Il  ne  faut  pas  oublier  que  les  livres  Leis  qu'ils  furent  rédigés 
par  Confucius,  sauf  le  Y-King,  furent  compris  dans  l'incendie  des 
livres,  ordonné  par  Hoang-ti,  et  que  l'édit  de  ce  dernier  nefutrévo- 
qué  qu'en  191  avant  J.  C.  Il  fallut  donc  le  reconstituer  de  mémoire 
ou  avec  ce  qui  en  restait  ;  l'œuvre  était  difficile  et  ne  pouvait  être 
complète.  «  On  tacha,  ditM.  Réville  de  le  reconstituer  de  mémoire. 
Il  y  avait  de  vieux  lettrés  qui  se  disaient  capables  de  ce  tour  de 
force,  etpeut-êlre  n'exagéraient-ils  pas.  Cependant  on  remarquait  de 
graves  difTérenccs  dans  les  textes  ainsi  rétablis,  quand  on  apprit 
qu'un  lettré  du  nom  de  Fou  avait^au  temps  de  laproscription,  caché 
son  exemplaire  du  Chou  King  dans  l'épaisseur  d'un  mur.  Il  est  vrai 
que,  sur  les  46  documents  dont  ce  livre  se  compose,  cet  exemplaire 
n'en  contenait  que  29.  Houen  (179-155  avant  J.  C.)  le  fil 
copier.  Sous  l'empereur  Hou  (140-8o)  une  découverLe  du  même 
genre,  dans  le  mur  d'une  maison  appartenant  à  la  descendance  de 
Confucius,  ramena  au  jour,  non  seulement  le  Chou-King  mais  aussi 
le  Printemps  et  l'Automne,  le  Livre  de  la  piélé  filiale  et  le  Lun-Yu. 
Ce  livre  de  la  poésie  se  prêtait  mieux  que  les  autres  à  la  reconstitu- 


LES  LIVRES   SACRÉS  DE  LA  CHINE  499 

en  un  mot  une  encyclopédie  des  connaissances  humaines 
à  cette  époque  reculée.  Le  ministre  philosophe  Kit-se 
l'exposa  au  roi  Wou-wang.  Ces  enseignements  avaient 
été  refusés  par  le  Ciel  à  l'empereur  Kouen  à  cause  de  sa 
désobéissance  ;  il  les  donna  à  son  flls  Yu  pour  le  récom- 
penser de  ses  vertus.  C'est  le  plus  ancien  ouvrage  de  ce 
genre  qui  nous  soit  connu  :  il  remonte  à  plus  de  onze 
cents  ans  avant  notre  ère  ;  il  est  aussi  l'un  des  plus  ex- 
traordinaires. L'interprétation  en  est  d'ailleurs  parfois 
difficile.  Le  voici  dans  ses  parties  principales  : 
«  1 .  A  la  troisième  année  le  roi  interrogea  A'it-se. 
-  2.  Le  roi  lui  dit  :  Oh  !  Kit-se,  le  Ciel  a  des  voies  se- 
crètes par  lesquelles  il  rend  le  peuple  tranquille  et  fixe. 
Il  s'unit  à  lui  pour  l'aider  à  garder  son  repos  et  son  état 
fixe.  Je  ne  connais  pas  cette  règle  ;  quelle  est-elle  ? 


tion  mnémonique.  LeLi  Ki  ne  reçut  sa  forme  actuelle  que  sous  le  Han, 
et  quant  au  Y-King,  nous  savons  qu'il  avait  été  préservé  par  l'ordre 
même  de  Chi-Hoang-ti.  D'autres  trouvailles  aidèrent  encore  à  la 
restauration  souhaitée.  Cependant  il  faut  observer  que  des  variantes 
assez  notables  distinguaient  les  éditions  retrouvées,  ce  qui  autorise 
à  supposer  qu'avant  l'époque  des  Han,  ces  livres  présentaient  une 
grande  variété,  quant  à  l'étendue  des  textes  et  au  nombre  des 
documents  réunis. 

11  faut  ajouter  aussi  qu'en  279  de  notre  ère,  on  trouva  dans  le 
tombeau  d'un  prince  de  Houei,  mort  en  293  avant  J.  G.  des  tablet- 
tes de  bambou  qui  contenaient  entre  autres  vieux  ouvrages,  un  livre 
d'annales,  commençant  à  Hoang-ti  et  descendant  le  cours  des  ûges 
jusqu'en  299  avant  J.  G.,  époque  du  dernier  Tchéou.  G'esl  le  livre 
qu'on  a  désigné  sous  le  nom  de  Livre  écrit  sur  bambou  et  dont  M. 
E.  Biot  a  donné  une  traduction  en  J8il.  Il  ne  contredit  par  le  Ghou- 
King  d'une  manière  absolue,  mais  il  en  diffère  d'abord  au  point  de 
vue  chi'onologique,  puisqu'il  compte  211  ans  de  moins  que  le  Chou- 
King  pour  la  période  qu'il  embrasse  ;  puis,  au  point  de  vue  histori- 
que proprement  dit,  en  ce  sens  qu'il  nous  présente  les  premiers  âges 
sous  des  couleurs  moins  épiques,  avec  des  proportions  plus  mo- 
destes et  par  conséquent  plus  vraisemblabes.  »  (1) 

(1)  La  religion  en  Chine.  »  Réville,  p,  9i-95. 


500  LES  LIVRES  SACRÉS    DE  LA  CHINE 

3.  Kit-se  répondit  :  J'ai  entendu  dire  qu'autrefois 
Kouen  ayant  empêché  l'écoulement  des  eaux  de  la 
grande  inondation,  les  cinq  éléments  furent  entièrement 
dérangés  ;  que  le  Seigneur  (Ti),  qui  en  fut  courroucé,  ne 
lui  donna  pas  les  neuf  règles  fondamentales  et  catégori- 
ques de  la  sublime  doctrine;  que  ce  Kouen,  abandonnant 
la  doctrine  fondamentale,  fut  mis  en  prison  et  mourut 
misérablement  ;  mais  que  Yu  qui  lui  succéda  reçut  du 
Ciel  ces  neuf  règles  delà  sublime  doctrine  et  qu'alors  les 
lois  universelles  et  invariables  qui  constituent  les  rap- 
ports des  êtres  furent  mises  en  vigueur. 

4.  La  première  règle  fondamentale  et  catégorique  ré- 
side dans  les  cinq  éléments  primitifs  agissants.  La  se- 
conde est  l'attention  aux  choses  morales.  La  troisième, 
l'application  aux  hauts  principes  ou  règles  de  gouverne- 
ment. La  quatrième  est  l'accord  des  cinq  choses  pério- 
diques. La  cinquième  est  l'application  du  pivot  fixe  du 
souverain.  La  sixième  est  la  pratique  des  trois  vertus. 
La  septième  est  l'intelligence  dans  Texamen  de  ce  qui 
est  douteux.  La  huitième  est  l'attention  à  toutes  les  ap- 
parences qui  indiquent  quelque  chose.  La  neuvième  est  la 
recherche  des  cinq  facultés  et  la  crainte  des  six  malheurs. 

5.  La  catégorie  des  cinq  éléments  agissants  est  ainsi 
composée  :  l'eau,  le  feu,  le  bois,  les  métaux,  la  terre. 

6.  La  catégorie  des  cinq  choses  morales  est  composée 
ainsi  qu'il  suit  :  La  forme  ou  figure  extérieure  du  corps, 
la  parole,  la  vue,  l'ouïe,  la  pensée.  L'extérieur  doit  être 
grave  et  respectueux.  La  parole  doit  être  honnête  et  fi- 
dèle. La  vue  doit  être  claire  et  distincte  ;  l'ouïe,  fin  ;  la 
pensée,  pénétrante.  L'extérieur  du  corps,  grave  et  res- 
pectueux, se  fait  respecter.  La  parole  honnête  et  fidèle  se 
fait  estimer.  Avec  l'ouïe  fin,  on  est  en  état  de  concevoir 
et  d'exécuter  de  grands  projets.  Avec  la  pensée  pénétrante 
on  est  un  saint  et  un  homme  parfait. 


LES  LIVRES  SACRÉS  DE  LA   CHINE  501 

7.  La  catégorie  des  huit  principes  du  commandement 
comprend  :  les  vivres,  les  biens,  les  sacrifices  et  les  cé- 
rémonies, le  ministère  des  travaux  publics,  le  ministère 
de  l'instruction  publique,  le  ministère  de  la  justice,  la 
manière  de  traiter  les  étrangers,  les  armées. 

8.  La  catégorie  des  cinq  choses  périodiques  comprend  : 
l'année,  la  lune  ou  le  mois,  le  soleil  ou  le  jour,  les  étoiles, 
les  planètes  et  les  signes  et  enfin  les  nombres  astrono- 
miques. 

9.  La  règle  catégorique,  le  pivot  fixe  du  souverain  ou 
le  milieu  du  souverain  est  observé  quand  le  souverain  a 
dans  ses  actions  un  centre  ou  pivot  fixe  qui  lui  sert  de 
règle  de  conduite.  Alors  il  se  procure  les  cinq  félicités 
et  il  en  fait  jouir  ensuite  les  peuples... 

17.  La  catégorie  des  trois  vertus  comprend  :  la  droi- 
ture, l'exactitude  et  la  sévérité  dans  le  gouvernement, 
l'indulgence  et  la  douceur.  Quand  tout  est  en  paix  la 
seule  droiture  suffit.  S'il  y  a  des  méchants  qui  abusent 
de  leur  puissance,  il  faut  employer  la  sévérité.  Si  les 
peuples  sont  dociles,  soyez  doux  et  indulgent,  mais  il  faut 
de  la  sévérité  à  l'égard  de  ceux  qui  sont  dissimulés  et 
peu  éclairés,  et  de  la  douceur  a  l'égard  de  ceux  qui  ont 
lame  grande  et  l'esprit  élevé. 

20.  Dans  la  catégorie  des  cas  douteux,  on  choisit  un 
homme  pour  interroger  les  sorts  (Pou  et  chi)  ;  on  Tinves- 
'tit  de  ses  fonctions  ;  il  examine  ce  Pou  et  ce  Chi. 

21.  Cet  examen  comprend  :  la  vapeur  qui  se  forme  en 
rosée  ;  celle  qui  se  dissipe  ;  le  teint  obscur  ou  terne  (de 
l'écaillé  de  la  tortue  brûlée)  ;  les  fissures  ciselées  ;  celles 
qui  se  croisent  ou  se  tiennent. 

22.  Les  deux  pronostics  sont  :  le  tching  ou  l'immuta- 
bilité, le  hoei  ou  la  mutabilité. 

26.  La  catégorie  des  apparences  ou  phénomènes  com- 
prend :  la  pluie,  le  temps  serein,  le  chaud,  le  froid,  le 


502  LES  LIVRES  SACRÉS   DE  LA  CHINE 

vent,  les  saisons.  Si  les  cinq  premiers  arrivent  exacte- 
ment selon  la  règle,  les  herbes  et  les  plantes  croissent 
en  abondance. 

33.  La  catégorie  des  cinq  bonheurs  comprend  :  une 
longue  vie,  des  richesses ,  la  tranquillité,  l'amour  de  la 
vertu,  une  mort  heureuse  après  avoir  accompli  sa  des- 
tinée. 

34.  Les  six  malheurs  sont  :  une  vie  courte  et  vicieuse, 
les  maladies,  l'affliction,  la  pauvreté,  la  cruauté,  la  fai- 
blesse, l'oppression  (1).  » 

Elle  est  donc  bien  ancienne  la  théorie  qui  nous  montre 
l'homme  ici-bas  dans  un  état  de  souffrance  et  d'épreuve. 
Déjà  en  ces  temps  où  fut  formulée  la  sublime  doctrine, 
on  ne  comptait  que  cinq  félicités  contre  six  mal- 
heurs ! 

IIÏ.  —  Le  Li-ki  traite  des  cérémonies  qui  occupent 
une  si  grande  place  dans  la  vie  des  Chinois.  Tcheou- 
Kong,  l'auteur  du  Tchéou-li  ou  Rites  des  Tchéou  est 
aussi  considéré  comme  un  des  auteurs  principaux  de  ce 
livre.  On  ne  peut  cependant  le  considérer  comme  Fœuvre 
d'un  individu  ni  même  d'une  dynastie.  C'est  une  compi- 
lation à  laquelle  plusieurs  ont  travaillé  ;  Confucius  la 
remania  à  son  tour,  mais  elle  a  dû  être  encore  modifiée 
dans  la  suite.  Le  Li-ki,  tel  qu'il  est  parvenu  jusqu'à 
nous,  doit  remonter  à  la  fin  du  P'  siècle  avant  notre 

(1)  D'autres  divisent  les  livres  sacrés  de  la  Chine  en  grands  et 
petits  King.  Les  grands  King  sont  au  nombre  de  cinq.  Il  faut 
ajouter  aux  quatre  que  nous  avons  nommés,  le  Ichun-tsieou  ou 
annales  de  la  principauté  de  Lou  (722  avant  J.-C.  jusqu'à  4''0 
avant  J.-C).  Les  petits  King  comprennent  outre  les  Ssé-Chou  : 
1°  Les  deux  rituels  Y-li  et  Tcheou-li  ;  2»  le  Hiao-King  ou  livre  de 
la  pitié  filiale  ;  3°  les  trois  anciens  commentateurs  des  Annales  du 
royaume  de  Lou;  4°  le  dictionnaire  Eul-ya,  qui  n'est  plutôt  qu'un 
indiculusunivcrsalis,  dont  l'auteur  est  inconnu  ou  très  incertain. 


LES  LIVRES    SACRÉS  DE  LA  CHINE  503 

ère  (1).  C'est  depuis  cette  époque  qu'il  a  été  mis  au  rang 
des  King,  c'est-à-dire  regardé  non  pas  comme  sacré, 
les  Chinois  ne  donnent  ce  caractère  à  aucun  de  leurs 
livres,  pleins,  d'ordinaire,  de  choses  plutôt  profanes  que 
religieuses,  mais  comme  canoniques  et  invariables.  Son 
style  est  d'une  grande  concision,  il  porte  tous  les  carac- 
tères qui  distinguent  l'ancienne  langue  ;  son  interpréta- 
tion est  souvent  difficile,  soit  à  cause  des  caractères  à 
idées  complexes  qu'on  y  rencontre,  soit  parce  que  les 
caractères  philosophiques,  comme  l'enseignent  les  Chi- 
nois, ne  doivent  pas  être  pris  dans  un  sens  absolu,  mais 
qu'il  faut  leur  laisser  la  plus  grande  latitude  (2). 

Ce  livre  a  été  l'objet  de  nombreux  commentaires, 
œuvre  dans  laquelle  excellent  les  Chinois.  On  a  compté 
plus  d'un  millier  de  commentateurs  dans  ses  vingt 
siècles  d'existence.  Le  temps  a  fait  justice  d'un  grand 
nombre. 

On  ne  s'étonne  pas  de  l'importance  ajoutée  à  cette 
œuvre,  quand  on  connaît  le  caractère  chinois.  «  Le  céré- 
monial résume  l'esprit  chinois  tout  entier,  dit  Callery, 
et  à  nos  yeux,  le  Mémorial  des  rites  ou  des  cérémonies 
est  la  monographie  la  plus  exacte  et  la  plus  complète 
que  cette  nation  à  part,  ait  pu  donner  d'elle-même  au 
reste  du  genre  humain.  Ses  devoirs,  elle  les  remplit  au 
moyen  du  cérémonial  ;  la  vertu  et  le  vice,  elle  les  recon- 
naît au  cérémonial  ;  les  rapports  naturels  des  êtres  de 

(1)  Le  Liki  contient  des  traditions  et  des  coutumes  très  an- 
ciennes, des  cérémonies  de  la  religion  primitive.  H  fut  compris 
dans  les  proscriptions  de  Glii-Hoangti.  Il  reparut  sons  les  Han,  au 
moins  des  fragments.  Taï-lèch,  les  révisa  et  les  commenta  au  der- 
siècle  avant  notre  ère,  d'où  le  rituel  de  Taï  aîné  ou  taï-ta-li;  son 
neveu  Taï-Cliing  le  retoucha  encore;  d'où  le  rituel  de  Taï  cadet 
chao-tai-li.  De  ses  ouvrages  est  né  la  compilation  dite  Li-ki. 

(2)  Quelques  auteurs  ont  voulu  voir  dans  ce  livre  deux  traités  : 
le  Mémorial  dos  rites  et  celui  de  la  musique. 


1504  LES  LIVRES  SACRÉS  DE  LA  CHINE 

la  création,  elle  les  rattache  essentiellement  au  cérémo- 
nial. En  un  mot,  pour  elle,  le  cérémonial  c'est  Thomme, 
l'homme  moral,  l'homme  politique,  l'homme  religieux 
dans  ses  multiples  rapports  avec  la  famille,  la  société, 
l'état,  la  morale  et  la  religion  (  1  ) .  » 

Ce  culte  de  l'étiquette,  cette  observance  scrupuleuse 
du  rite  qui  est  dans  le  génie  du  peuple  chinois,  était 
aussi  un  des  caractères  de  l'esprit  de  Confacius.  Un 
seigneur  de  la  cour  de  Lou  lui  ayant  demandé  un  jour 
pourquoi  le  sage  devait  avoir  un  si  grand  respect  pour 
les  rites,  il  lui  répondit  :  «  Parmi  les  choses  qui  pro- 
curent au  peuple  la  tranquillité  de  la  vie,  ce  sont  les 
rites  qui  ont  le  plus  d'importance.  En  effet,  sans  les 
rites,  on  ne  peut  pas  régler  le  culte  des  esprits,  le  culte 
du  ciel  et  celui  de  la  terre.  Sans  les  rites  on  ne  peut  pas 
déterminer  la  position  respective  du  souverain  et  des 
sujets,  des  supérieurs  et  des  inférieurs,  des  plus  âgés  et 
des  moins  âgés.  Sans  les  rites  on  ne  peut  pas  distinguer 
les  relations  de  famille  entre  le  mari  et  la  femme,  le 
père  et  le  fils,  les  frères  aînés  et  les  cadets,  ni  les  rap- 
ports sociaux  entre  époux  et  entre  amis  (2).  » 

«  Il  n'y  a  rien  de  sincère  ni  de  grave,  dit  le  Li-ki, 
dans  les  prières,  dans  les  actions  de  grâces,  les  sacri- 
fices et  les  bénédictions  en  usage  dans  le  culte  des 
esprits  ou  des  dieux,  si  on  n'y  observe  les  rites  (3).  » 

«  Les  règles  cérémoniales,  dit  encore  le  Li-ki,  ont  leur 
origine  dans  le  ciel,  et  leur  mise  en  mouvement  fait 
qu'elles  s'étendent  sur  la  terre.  »  Elles  sont  comme 
l'union  de  l'épiderme  et  de  la  peau,  comme  la  jonction 
des  muscles  et  des  os  dans  le  corps  bien  portant.  Elles 
constituent  les  grandes  méthodes  par  lesquelles  nous 

(1)  Traduction  du  Li-ki. 

(2)  Li-ki,  ch.  XXTL 

(3)  Id.,  ch.  L 


LES  LIVRES  SACRÉS    DE  LA  CHINE  505 

nourrissons  les  vivants, ensevelissons  les  morts  et  servons 
les  esprits  des  défunts.  Elles  fournissent  les  canaux  par 
lesquels  nous  pouvons  saisir  les  voies  du  ciel  et  agir 
comme  le  requièrent  les  sentiments  de  l'homme.  C'est 
pour  cette  raison  que  les  sages  savaient  qu'on  ne  pou- 
vait se  dispenser  des  règles  cérémoniales,  tandis  que  la 
ruine  des  Etats,  la  destruction  des  familles  et  l'anéan- 
tissement des  individus  sont  toujours  précédés  par 
l'abandon  des  règles  de  convenance  (1). 

On  ne  s'étonnera  pas  après  cela  que  Confucius  se  soit 
fait  remarquer  par  la  scrupuleuse  observance  des  céré- 
monies. La  correction,  en  toute  chose,  fut  en  effet  la 
vertu  qu'il  rechercha  le  plus.  Le  plus  grand  éloge  que 
ses  disciples  peuvent  faire  de  lui  consiste  à  dire  qu'il 
était  le  fidèle  observateur  des  rites  et  qu'il  n'y  eut 
jamais  un  laisser  aller,  ni  incorrection  dans  sa  vie.  Le 
Lun-Yu  en  particulier  nous  donne  à  ce  sujet  de  singu- 
liers détails  (2). 

«  S'il  venait  à  saluer  les  personnes  qui  se  trouvaient 
auprès  de  lui,  soit  à  droite,  soit  à  gauche,  sa  robe, 
devant  et  derrière,  tombait  toujours  droite  et  bien  dis- 
posée. 

En  passant  devant  le  trône,  sa  contenance  changeait 
tout  à  coup  ;  sa  démarche  était  grave  et  mesurée, 
comme  s'il  avait  eu  des  entraves.  Ses  paroles  sem- 
blaient aussi  embarrassées  que  ses  pieds. 

Prenant  sa  robe  avec  les  deux  mains,  il  montait 
ainsi  dans  la  salle  du  palais,  le  corps  incliné,  et  retenait 
son  haleine  comme  s'il  n'eût  osé  respirer. 

Dans  les  jours  d'abstinence,  il  se  couvrait  constam- 
ment d'une  robe  de  lin. 


(1)  Le  Li-ki,  liv.  vu,  sect.  iv,  v,  vi,  trad.  Legge, 

(2)  Lun-yu,  ch.  X. 


503  LES  LIVRES  SAGRis  DE  L\  CHINE 

Dans  ces  mêmes  jours  d'abstinence,  il  se  faisait  tou- 
jours un  devoir  de  changer  sa  manière  de  vivre  ;  il  se 
faisait  aussi  un  devoir  de  changer  le  lieu  où  il  avait 
Thabitude  de  reposer. 

La  viande  qui  n'était  pas  coupée  en  ligne  droite,  il  ne 
la  mangeait  pas. 

Si  la  natte  sur  laquelle  il  devait  s'asseoir  n'était  pas 
étendue  régulièrement,  il  ne  s'asseyait  pas  dessus. 

Quand  les  habitants  de  son  village  faisaient  la  céré- 
monie appelée  Nô,  pour  chasser  les  esprits  malins,  il  se 
revêtait  de  sa  robe  de  cour  et  allait  s'asseoir  parmi  les 
assistants  du  côté  oriental  de  la  salle. 

Quand  même  il  n''eût  pris  que  très  peu  d'aliments  et 
des  plus  communs,  soit  des  végétaux  ou  du  bouillon, 
il  en  offrait  toujours  une  petite  quantité  comme  oblation 
ou  libation  ;  et  il  faisait  la  cérémonie  avec  le  respect  et 
la  gravité  convenables. 

S"il  était  malade  et  que  le  prince  allât  le  voir,  il  se 
faisait  mettre  la  tête  à  l'Orient,  se  revêtait  de  ses  habits 
de  cour  et  se  ceignait  de  sa  plus  belle  ceinture. 

Quand  il  rencontrait  une  personne  portant  des  vête- 
ments de  deuil,  il  la  saluait  en  descendant  de  son  atte- 
lage ;  il  agissait  de  même  lorsqu'il  rencontrait  les  per- 
sonnes qui  portaient  les  tablettes  sur  lesquelles  étaient 
inscrits  les  noms  des  citoyens. 

Quand  le  tonnerre  se  faisait  entendre  tout  à  coup  ou 
que  se  levaient  des  vents  violents,  il  ne  manquait  jamais 
de  changer  de  contenance  (de  prendre  un  air  de  crainte 
respectueuse  envers  le  ciel)  (1). 

Lorsqu'il  entrait  dans  le  grand  temple  des  ministres, 
il  s'informait  minutieusement  de  chaque  chose. 

S'il  rencontrait  quelqu'un  en  bonnet  de  cérémonie,  ou 

(!)  Commentaire  chinois. 


LES  LIVRES  SACRÉS  DE  LA  CHINE  507 

qu'il  fût  aveugle,  quoique  lui  même  ne  portât  que  ses 
vêtements  ordinaires,  il  ne  manquait  jamais  de  lui 
témoigner  de  la  déférence  et  du  respect.  » 

Tel  fut  Confucius.  Ce  caractère  de  correction  et  de 
minutie,  il  l'imprima  à  son  œuvre.  Singulière  religion, 
en  effet,  que  celle  qui  semble  consister  exclusivement 
dans  l'observation  de  300  rites  de  premier  ordre  et 
de  3,000  de  second  ordre  (1)  ! 

IV.  —  Le  quatrième  des  livres  canoniques  est  le  Chi- 
King,  Il  contient  305  chants  populaires  recueillis  par  les 
empereurs  dans  leurs  voyages.  Les  auteurs  en  sont  donc 
divers,  le  plus  souvent  inconnus.  C'est  aussi  à  des 
époques  très  différentes  que  ces  hymnes  ont  été  compo- 
sés. Sous  les  Tchéou,  on  en  fit  un  premier  choix  ;  c'est 
cette  compilation  que  revit  Confucius.  Son  but  était 
d'en  faire  une  morale  en  action.  «  Le  livre  des  vers, 
disait-il,  est  destiné  à  purifier  le  cœur,  et  à  le  diriger  au 
bien.  Ce  livre  nous  montre  nos  devoirs,  nous  fait  con- 
naître le  droit  chemin  de  la  vertu,  de  la  lumière  natu- 
relle, et  nous  indique  le  but  auquel  nous  devons 
tendre.  »  ^ 

(l)  Lorsqu'on  porte  un  objet  appartenant  au  Fils  du  ciel,  il  faut 
le  tenir  plus  haut  que  le  cœur  ;  si  l'objet  appartient  au  gouverne- 
ment d'un  État,  on  doit  le  tenir  à  la  hauteur  du  cœur;  s'il  appartient 
à  un  grand  officier,  plus  bas-,  s'il  appartient  à  un  simple  officier, 
plus  bas  encore.  De  plus,  quand  on  porte  un  objet  appartenant  à 
son  supérieur,  quelque  léger  que  soit  cet  objet,  on  doit  faire 
semblant  de  le  porter  avec  beaucoup  d'efforts.  Il  est  inconvenant 
de  répondre  à  une  question  de  son  supérieur  sans  regarder  autour 
de  soi  pour  voir  si  quelque  autre  n'est  pas  prêt  à  répondre  à  votre 
place.  D'après  le  même  Li-Ki,  quand  le  gouverneur  donne  un 
fruit  pour  qu'il  soit  mangé  en  sa  présence,  si  ce  fruit  contient  un 
noyau,  celui  qui  l'a  reçu  doit  mettre  le  noyau  dans  son  vêtement, 
parce  qu'il  serait  inconvenant  de  jeter  quoique  ce  soit  do  ce  qui  a 
élé  donné  par  un  tel  personnage.  »  Le  Li-Ki,  trad.  Legge. 


508  LES  LIVRES  SACRÉS   DE  LA  CHINE 

Ces  chants  font  souvent  allusion  aux  circonstances 
qui  les  inspirèrent.  Ils  nous  révèlent  entre  autres  le 
triste  état  où  se  trouvait  la  Chine  quand  parut  Confu  - 
cius.  L'empire  était  partagé  en  un  grand  nombre  de 
principautés  féodales  qui  se  déchiraient  mutuellement. 
Le  poète  gémit  sur  les  malheurs  de  son  temps  :  «  Il  était 
un  mûrier  tendre  et  flexible,  s'écrie-t-il,  dont  les  feuilles 
et  les  rameaux  ombrageaient  au  loin  la  terre.  Déjà 
tombent  ses  feuilles  jaunes  et  séchées.  Le  peuple  qui 
vit  sous  ce  mûrier  est  accablé  de  fatigue  ;  il  souflfre  tant 
qu'il  ne  trouve  pas  de  repos.  Des  chagrins  amers  le 
rongent  et  sa  douleur  est  à  son  comble.  Grande  est  ta 
puissance,  ô  ciel  auguste  !  n'auras  tu  pas  pitié  de  nous? 
D'où  viennent  donc  les  maux  de  notre  temps  ?  L'incen- 
die s'étend  de  plus  en  plus,  et  il  est  impossible  de 
l'éteindre.  Malheureusement,  Pao-ssé,  tu  as  allumé  le 
feu  qui  nous  dévore  (1).  » 

Le  Chi-King  n'exprime  pas  seulement  les  malheurs 
publics,  il  est  l'expression  des  divers  sentiments  que 
1  homme  peut  éprouver  dans  les  différentes  circonstances 
de  la  vie.  Il  y  a  des  élégies  et  des  chants  de  guerre,  des 
chants  de  joie  et  des  accents  de  tristesse  ;  c'est  une  nou- 
velle mariée  qui  quitte  en  pleurant  la  maison  paternelle  ; 
ce  senties  sentiments  que  fait  naître  le  spectacle  de  la 
nature,  en  un  un  mot  tout  ce  qui  peut  être  l'objet  de  la 
poésie.  D'après  Confucius,  les  rois  eux-mêmes  compo- 
sèrent de  ces  hymnes  destinées  a  être  chantées  pendant 
le  sacrifice  ou  des  chansons  pour  le  peuple. 

Voici,  d'après  un  commentateur,  comment  se  forma  le 
Chi-King  :  «  L'homme,  en  naissant,  reçut  du  ciel  le 
calme  du  cœur,  ses  affections  excitées  par  les  objets  se 

(l)  Pao-ssée,  fille  de  Ven-vang,  fui  cause  de  grands  désordres 
dont  la  nature  n'est  pas  clairement  expliquée  dans  les  livres 
sacrés. 


LES  LIVRES  SACRÉS  DE  LA  CHINE        500 

changent  en  désirs  ;  le  désir  enfante  la  pensée  ;  la  penséo 
la  parole  ;  la  parole,  trop  insuffisante,  éclate  en  ardents 
soupirs,  en  réclamations  plaintives  qui,  naturellement 
et  sans  le  vouloir,  forment  des  sons  cadencés,  chants 
pleins  d'harmonie,  et  c'est  ainsi  que  se  trouva  composé 
leChi-King.  » 

On  a  prétendu  que  Confucius  avait  altéré  les  anciens 
monuments  de  la  Chine,  qu'il  avait  surtout  élagué  ce 
qui  lui  paraissait  avoir  un  caractère  trop  dogmatique 
ou  métaphysique.  «  Confucius,  dit  Davis, dans  son  appen- 
dice à  la  traduction  française  de  la  Chine ,  est  accusé 
d'avoir  apposé  sur  les  King  et  les  livres  de  l'antiquité 
chinoise  un  travail  analogue  à  celui  de  Platon,  analogue 
à  celui  d'Aristote  sur  les  dogmes  religieux  des  grandes 
sociétés  auxquelles  la  Grèce  était  redevable  de  sa  civi- 
lisation, c'est-à-dire  que  ce  philosophe  élagua  de  ses 
livres  toute  la  partie  religieuse  qu'il  ne  comprenait  pas 
très  bien,  tout  ce  qui  se  rapportait  à  Texplication  et  au 
développement  des  dogmes  traditionnels,  en  un  mot  à 
tout  ce  qui  devait  lui  paraître  dépourvu  d'intérêt   » 

«  Il  est  malheureusement  vrai,  dit  Ott,  dans  son  Ma- 
nuel d'histoire  ancienne,  qu'un  esprit  de  scepticisme 
et  do  critique  étroite  présida  à  son  travail  sur  la  théo- 
logie, et  que  c'est  à  lui  et  à  ses  disciples  que  l'on  doit 
reprocher  la  perte  de  tant  de  monuments  antiques  dont  la 
Chine  était  encore  riche  de  son  temps.  » 

Davis  a  renouvelé  la  même  accusation  dans  le  Jour- 
nal des  Savants  (novembre  1839).  '(  Confucius,  y  a-t-il 
dit,  élagua  des  King  toute  la  partie  religieuse  qui  se 
rapportait  soit  à  l'explication  soit  au  développement  des 
dogmes  traditionnels.  Il  ne  voulut  rien  admettre  de  ce 
qui  était  en  dehors  du  cercle  de  la  raison.  Je  ne  sais  pas 
si  la  philosophie  chinoise  a  gagné  quelque  chose  à  cette 


510  LES  LIVRES  SACRES    DE  LA  CHINE 

révision  des  grands  livres  de  l'antiquité,  mais  assuré- 
ment l'his Loire  y  a  fait  une  perte  irréparable.   » 

La  nature  même  du  travail  de  Confucius,  la  tendance 
de  son  esprit,  le  nombre  relativement  restreint  de  tra- 
ditions primitives  retrouvées  dans  des  livres  si  consi- 
dérables et  si  anciens,  nous  permettent  de  ne  pas 
regarder  commetrophasardée  une  conclusion  affirmative. 
«  11  s'agit  de  savoir,  dit  un  auteur  qui  ne  paraît  pas  ici 
suspect,  si  Confucius  a  eu  de  l'antipathie  pour  les  tra- 
ditions religieuses  ;  ce  qu'on  sait  de  ses  opinions  person- 
nelles est  de  nature  à  rendre  l'affirmative  très-plausible. 
Il  a  voulu  substituer  le  culte  de  l'humanité  matérielle  à 
l'humanité  morale  et  intellectuelle.  Sa  religion  civile,  le 
culte  des  morts,  les  cérémonies  et  usages  établis  par  lui 
pour  célébrer  toutes  les  circonstances  importantes  de  la 
vie  le  prouvent  de  suite  ainsi  que  son  mépris  constant 
des  choses  spéculatives.  »  Et  ailleurs  nous  trouvons  cette 
conclusion  :  «  tout  porte  à  croire  qu'avant  Confucius,  la 
Chine  avait  possédé  une  religion  dont  sa  doctrine  a 
arrêté  les  développements  et  détruit  les  monuments  (1).» 

«  Confucius,  dit  un  écrivain  protestant,  parait  avoir 
émoussé, rabaissé  l'enseignement  rehgieux  traditionnel, 
avoir  dépouillé  la  théodicée  du  caractère  élevé,  spiritua- 
liste,  qu'elle  avait  dans  ces  temps  anciens.  Ce  trait  de 
sa  dogmatique  est  rendu  particulièrement  sensible  par 
l'abandon  qu'il  avait  fait  du  terme  Chang-ti,  (suprême 
Seigneur),  bien  plus  propre  que  le  mot  Thien  (Ciel)  à 
exprimer  l'idée  d'un  Dieu  personnel^,  indépendant  de  la 
matière.  Thien  est  un  mot  équivoque  et  favorable  à  des 
interprétations  matérialistes.  Or  l'expression  Chang-ti 
revient  souvent  dans  le  Chou-King,  compilation  de  Con- 
fucius, il  est  vrai,  mais  formée   d'éléments   anciens. 

(i).  Pierre  Larousse.— ^Grand  dictionnaire. 


LES   LIVRES  SACRÉS  DE  LA.    BIBLE  5U 

Dans  des  écrits  de  Confucius  lui-même  ou  plutôt  de 
ses  disciples,  cette  expression  est  à  peu  près  absente  ;  on 
semble  ne  connaître  que  le  Ciel.  (Thien).(l)» 

«  Nous  savons,  dit  à  son  tour  M.  A.  Réville,  que  ces 
livres  ne  nous  sont  parvenus  qu'après  avoir  passé  parle 
crible  du  sage  chinois  ou  de  ses  disciples.  Il  y  a  eu  de 
leur  part,  choix,  sélection,  mise  à  l'écart  de  documents 
qu'ils  jugeaient  inutiles,  peut-être  dangereux.  Qui  nous 
répond  que  leur  genre  d'esprit,  froidement  utilitaire, 
honnête  mais  médiocre,  très  peu  pratique,  très  anti- 
mythologique, n'a  pas  condamné  à  Toubli  des  documents 
qui  jetteraient  sur  la  haute  antiquité  chinoise  un  jour 
très  différent  de  celui  qui  résulte  des  morceaux  qu'ils  ont 
jugé  bon  de  préférer.^  qui  nous  garantit  que  Confucius  et 
ses  collaborateurs  n'ont  pas  modifié  dans  le  sens  de  leurs 
idées  favorites  les  textes  qu'ils  ont  recensés  ?  Dans  le 
Chi-King  (Livre  de  poésie)  Confucius  reproduit  environ 
300  odes  sur  des  milliers  qui  étaient  à  sa  disposition. 
Il  est  clair  qu'il  a  été  guidé  dans  ce  choix  par  ses  vues  et 
ses  préférences  personnelles. 

Dans  le  Chou-King  (Livre  de  l'histoire),  qui  serait 
pour  nous  le  plus  précieux,  il  y  a  d'immenses  lacunes, 
et  n'est-il  pas  surprenant  que  les  documents  dont  il  se 
compose,  ont  l'air  d'avoir  été,  seize  ou  même  dix-sept 
siècles  auparavant,  rédigés  de  manière  à  confirmer  les 
théories  politiques  du  penseur  du  VP  siècle  avant  notre 
ère  ?  Quand  nous  étudierons  la  vie  de  Confucius  et  que 
nous  le  verrons  courir  pendant  tant  d'années  après  une 
haute  position  oflficielle  qui  se  dérobe  toujours,  pourrons- 
nous  ne  pas  penser  aux  nombreux  chapitres  des  King 
où  il  est  traité  si  prolixement  de  la  nécessité  pour  des 
princes  de  faire  choix  de  sages  ministres  et  d'écouter 

(1)  Encyclopédie  des  sciences  religieuses,  t.  X.  p.  49. 


512  LES  LIVRES   SACRÉS  DE  LA   BIBLE 

les  remontrances  respectueuses  des  hommes  vertueux  ? 
Il  est  certain  que  l'école  confucéenne  a  vécu  des  docu- 
ments qu'elle  est  sensée  avoir  arraché  à  T  oubli  et  que, 
par  une  coïncidence  au  moins  extraordinaire,  les  ensei- 
gnements qu'on  peut  en  tirer,  ont  une  conformité  étroite 
avec  ceux  que  cette  école  préconisait  comme  le  dernier 
mot  de  la  sagesse... 

On  a  certainement  le  droit  de  soupçonner  les  King  et 
les  Chou  d'une  connivence  calculée  avec  des  tendances 
et  des  enseignements  de  l'école  qui  a  le  plus  contribué  à 
fonder  leur  autorité. Nous  les  considérerons  beaucoup  plu- 
tôt comme  la  tradition  de  cette  école  que  comme  la  tra- 
dition de  la  vieille  Chine  prise  dans  sa  totalité.  Il  est 
vrai  que  cette  école  est  devenue  prépondérante  au  point 
de  s'identifier  avec  la  Chine  officielle  que  nous  connais- 
sons (1)  • 

§  il.  —  Les  Ssé-Chou. 

Nous  avons  dit  qu'outre  les  quatre  livres  sacrés  dont 
nous  venons  de  parler,  le  canon  des  écritures  chinoises 
comprenait  quatre  livres  classiques.  Ces  quatre  livres 
portent  le  nom  commun  de  Ssé-Chou  (2).  Ils  se  compo- 

(1)  La  religion  chinoise,  pages  86-88  et  96. 

(2)  Les  Ssé-Chou  ont  été  souvent  traduits.  En  1662,  le  P.  Igna- 
ce de  Costa,  traduisit  leTa-Hio  qu'avait  déjà  publié  le  P.  Inlorcet- 
ta.  Les  missionnaires  tirent  encore  paraître  en  chinois  le  Lun-Yu. 
Ces  diverses  versions  formaient  le  Confucius  Smarum  pJdlosophus 
qui  parut  à  Paris,  l'œuvre  de  plusieurs  jésuites  et  signé  par  qua- 
tre d'entre  eux,  les  PP.  Intorcetta,  Herdlrich,  Rougemont  et  Cou- 
plet. En  17J 1.  le  P.  Noël  donna  une  nouvelle  traduction  des  quatre 
livres  classiques  auxquels  il  joignit  le  Hiao-King  (de  l'obéissance 
filiale)  et  le  Siao-Hio  (Petile  étude),  sous  le  titre  de  Sinensis  impe- 
rii  libri  classici  sex.  C'est  sur  cette  traduction  que  fut  faite  celle  de 
l'abbé  Pluquet,  1788,  sous  le  titre  de  Livrea  classiques  de  Vempire 
de  Chine.  Stanislas  Julien  a  traduit  le  livre  de  Meng-Tseu  ouMen- 


LES  LIVRES   SACRÉS   DE  LA   BIBLE  513 

sent  des  maximes  de  Confacius,  non  pas  écrites  par  lui- 
même,  mais  recueillies  par  ses  disciples.  C'est  donc  dans 
ces  livres  surtout  qu'il  faut  aller  chercher  la  doctrine  du 
Maître.  Depuis  plus  de  deux  mille  ans,  ils  sont  le  code 
moral,  politique  et  religieux  des  Chinois.  Les  écoles  les 
plus  célèbres  de  la  Grèce  non  seulement  sont  plus  récen- 
tes, mais  n'ont  exercé  leur  influence  que  sur  un  rayon 
bien  restreint,  si  on  les  compare  à  celle  dont  Confucius 
fut  le  fondateur. 

I.  —  Le  premier  de  ces  livres  est  le  Ta-Hio  ou  Gran- 
de étude,  il  est  aussi  le  plus  important.  Le  premier  de- 
voir de  l'homme  est  de  connaître  sa  fin.  On  lit  dans  le 
livre  des  Vers, disait  Confucius  :  «  L'oiseau  jaune  au  chant 
plaintif  (mien-man)  fixe  sa  demeure  dans  le  creux  toufifu 
de  la  montagne  ;  en  fixant  le  lieu  de  sa  demeure,  il  prou- 
ve qu'il  connaît  le  lieu  de  sa  destination.  L'homme,  la 
plus  intelligente  descréatures,  nepourrait-ilpas  ensavoir 
autant  que  l'oiseau?  »  Or,  cette  fin,  l'homme  ne  peut  la 
connaître  que  par  l'étude.  Voilà  pourquoi  l'étude  a 
toujours  été  si  en  lionneurchez  les  Chinois.  Dès  l'âge  de 
huit  ans,  les  enfants  de  toute  condition  doivent  entrer 
à  la  petite  école  (Siao-Hio).  On  leur  apprend  les  cérémo- 
nies et  les  choses  pratiques  :  à  recevoir,  à  répondre,  à 
entrer,  à  sortir,  à  compter,  à  écrire  ;  on  leur  enseigne 
aussi  la  musique,  l'art  de  conduire  un  char  ou  de  lancer 
des  flèches. 

A  quinze  ans,  l'enfant  entre  à  la  grande  école  (Ta-Hio). 
On  lui  apprend  à  approfondir  les  principes  des  choses.  La 
morale  y  occupe  la  première  et  la  plus  grande  place.  Les 

CUIS.  Les  IracUiclionsdespères  jésuilc-s,  si  précieuses  qu'elles  soient, 
avaient  cependant  le  tort  de  n'être  souvent  que  des  par-iphrases: 
le  caractère  du  texte  y  est  parfois  dénaturé.  G.  Paulhier  nous  a 
donné,  il  y  a  quelques  années,  une  traduction  plus  littéralo  et 
plus  exacte  dans  son  ouvrage  ;  Les  Livre:<  sacrés  de  l'Orient. 


514  LES  LIVRES  SACRÉS  DE   LA  BIBLE 

chinois  ont  su  comprendre  que  le  premier  but  de  l'école 
devait  être  de  faire  des  hommes  moraux,  et  que 
l'instruction  ne  devait  occuper  qu'un  rang  secondaire. 
Le  jeune  chinois,  arrivé  à  la  grande  école,  y  apprend  à 
se  corriger  de  ses  défauts,  à  se  perfectionner  dans  le  bien 
et  l'art  si  difficile  de  gouverner  les  hommes.  Les  livres 
canoniques  et  sacrés  sont  le  fond  de  l'enseignement  qui 
y  est  donné.  Cette  instruction  et  cette  éducation  sont 
d'ailleurs  à  peu  près  gratuites. 

Les  sages  ont  toujours  eu  soin  de  remarquer  que,  lors- 
que cette  institution  de  l'école  a  été  en  honneur,  l'empire 
a  été  prospère.  C'est  pour  cela  que  l'antiquité  fut  si  belle, 
qu'elle  produisit  des  hommes  si  remarquables  par  la  pu- 
reté des  lumières  et  l'austérité  des  mœurs. 

Cependant,  sur  le  déclin  de  la  dynastie  des  Tcheou, 
on  négligea  de  faire  observer  les  règlements  de  la  grande 
et  de  la  petite  école.  Il  en  résulta  un  abaissement  du 
niveau  intellectuel  et  de  la  morale  publique  ;  les  mœurs 
devinrent  dépravées,  les  saines  doctrines  se  perdirent.  Ce 
fut  à  cette  époque  que  parut  Confucius.  Il  chercha  un 
remède  au  mal,  il  s'appliqua  dans  la  solitude  à  retrou- 
ver les  lois  et  les  institutions  anciennes  et  voulut  les  re- 
mettre en  vigueur.  Parmi  ses  trois  mille  disciplesil  con- 
fia à  Tcheng-Tseu  le  soin  de  recueillir  et  de  coordonner 
ses  maximes.  Ce  sont  ces  maximes  qui  composent  le  Ta- 
Hio.  Confucius  les  fit  précéder  d'une  préface  qui  est  son 
œuvre  propre ,  un  vrai  chef-d'œuvre  de  philosophie  morale. 
Ce  passage,  qui  constitue  à  proprement  parler  le  Ta-Hio, 
ne  cojnprend  que  quinze  cent  quarante -six  caractères  et 
ne  forme  qu'un  chapitre.  Tcheng-Tseu  l'a  commenté  dans 
dix  sections  ou  chapitres. 

Ce  livre  eut,  dans  la  suite,  à  subir  quelques  altérations. 
La  lutte  fut  vive  entre  l'école  Jou-Kia  ou  de  Confucius 
et  celle  de  Tao-Kia  ou  de  Lao-Tseu  à  laquelle  s'était 


LES  LIVRES   SACRÉS  DE  LA   BIBLE  515 

jointe  celle  de  Fô  ou  de  Bouddha.  Les  textes  furent  parfois 
altérés  par  les  défenseurs  de  l'extinction  finale  comme 
par  ceux  du  vide  et  de  la  Non-Entité.  Enfin  parurent  les 
Soung  et  Tchou-hi.  On  entreprit  l'œuvre  d'épuration  et 
de  reconstitution.  Les  écrits  de  Meng-Tseu  furent  réunis 
en  un  seul  ouvrage.  On  remit  en  lumière  le  Ta-Hio,  en 
l'accompagnant  des  explications  des  disciples  de  Confu- 
cius.  Tchou-hi  tenta  même  de  corriger  et  de  complé- 
ter ce  livre,  non  en  ajoutant  au  texte,  mais  en  transpo- 
sant parfois  les  chapitres  pour  leur  donner  un  ordre  plus 
logique,  ou  en  comblant  les  lacunes  par  des  notes.  (1191 
ap.  J  -C.) 

De  toute  l'ancienne  littérature  chinoise,  le  Ta  hio  est 
peut-être  le  livre  le  plus  remarquable  sous  le  rapport  de 
la  logique.  Il  nous  prouve  que  le  sorite  dont  Aristote 
devait  donner  les  règles  était  connu  deux  siècles  au- 
paravant. L'auteur  ne  se  contente  plus  do  simples 
aphorismes.  S'il  ne  connaît  pas  d'une  manière  com- 
plète les  méthodes  sillogistiques,  il  emploie  du  moins 
des  procédés  logiques  :  son  livre  est  un  premier  essai 
de  philosophie  scientifique. 

Les  Chinois  professent  pour  le  Ta-hio  la  plus  grande 
vénération  : 

a  La  doctrine  de  cet  ouvrage,  dit  un  écrivain,  est  infi- 
nie et  inépuisable.  Les  personnes  les  plus  saintes  et  les 
plus  divines  des  temps  anciens  et  modernes  seraient 
incapables  d'ajouter  la  valeur  d'un  cheveu  à  sa  perfec- 
tion. » 

Grâce  à  cette  vénération  pour  la  science  et  à  cette 
estime  pour  l'étude,  l'instruction  est  très  répandue  en 
Chine.  On  y  compte  au  plus  cinq  ou  six  illettrés  sur 
cent  :  nous  sommes  loin  en  Europe  de  cette  proportion. 
L'instituteur  jouit  dans  ce  pays  de  la  vénération  la  plus 
profonde.  11  ne  perd  jamais  sur  ses  élèves  l'autorité  que 


516  LES   LIVRES  SACRÉS   DE  LA   BIBLE 

lui  ont  donné  ses  fonctions.  Le  disciple,  quel  qu'il  soit, 
serait-il  arrivé  aux  plus  hautes  dignités  de  l'empire, 
professera  toujours  sa  dépendance  vis  à  vis  de  son  pro- 
fesseur. Il  ne  s'assiéra  jamais  devant  lui  sans  y  avoir 
été  préalablement  invité.  Jouirait-il  de  l'autorité  la 
plus  despotique,  il  recevra  avec  déférence  les  observa- 
tions que  son  ancien  instituteur  voudra  lui  faire. 

L'écriture  est  aussi,  de  la  part  des  Chinois,  l'objet 
d'un  grand  respect.  Elle  est  le  signe  et  l'expression  de 
la  pensée  ;  ce  serait  par  conséquent  la  profaner  que  de 
l'employer  à  des  usages  vulgaires.  Dans  certaines 
villes,  des  confréries  de  bonzes  s'imposent  pour  mission 
de  recueillir  les  papiers  écrits  et  imprimés  que  l'on  a 
pu  laisser  tomber  dans  les  rues  ;  ils  les  brûlent  ensuite 
pour  les  arracher  à  la  profanation. 

II.  — Le  second  des  Ssé-chou  est  le  Tchouny-young 
ou  V Invariabilité  dans  le  milieu. 

Les  philosophes  chinois  n'expliquent  pas  de  la  même 
manière  le  sens  de  ce  titre.  Pour  les  uns,  il  signifie  la 
persévérance  dans  une  ligne  droite  également  éloignée 
des  deux  extrêmes,  c'est-à-dire  la  doctrine  du  juste 
milieu.  Pour  d'autres  il  signifie  s'harmoniser  avec  son 
milieu  en  se  conformant  au  temps  et  aux  circonstances. 
((  Ce  qui  ne  dévie  d'aucun  côté,  dit  Tcheng-tseu,  est  ap- 
pelé milieu  ;  ce  qui  ne  change  pas  est  appelé  invariable. 
Le  milieu  est  la  droite  voie  ou  la  droite  règle  du  monde. 
L'invariable  en  est  la  raison  fixe.   » 

On  peut  trouver  dans  ce  livre  de  nombreux  rap- 
ports avec  la  métaphysique  d'Aristote  et  avec  la  morale 
des  Stoïciens.  Il  a  pour  auteur  Tseu-se,  petit-fils  et  dis- 
ciple de  Confucius.  Il  nous  y  a  conservé  les  renseigne- 
ments de  son  maître  sur  le  monde  et  sur  l'homme.  C'est 
à  ce  point  de  vue  surtout  qu'il  est  intéressant.  Les  en- 
seignements moraux  de  Confucius  sont  nombreux  ;  ses 


LES  LIVRES  SACRÉS  DE  LA  BIBLE        517 

enseignements  métaphysiques  sont  plus  rares.  Outre  la 
doctrine  du  maître,  ce  livre  contient  aussi  celle  de  ses 
disciples.  «  La  saveur  de  ce  livre,  dit  un  écrivain  chi- 
nois, est  inépuisable.  Celui  qui  sait  parfaitement  le 
lire,  s'il  le  médite  avec  une  attention  soutenue  et  qu'il 
en  saisisse  le  sens  profond,  quant  même  il  mettrait  toute 
sa  vie  ses  maximes  en  pratique,  il  no  parviendrait  pas  à 
les  épuiser.  »    • 

Nous  trouvons  parfois  en  effet  dans  ce  livre  des 
maximes  qui  rappellent  celles  de  l'Évangile.  Le  précepte 
de  la  charité  envers  le  prochain  y  est  formellement 
exprimé  :  «  Celui  dont  le  cœur  est  droit  et  qui  porte  aux 
autres  les  mêmes  sentiments  qu'il  a  pour  lui-même,  ne 
s'écarte  pas  de  la  loi  morale  du  devoir  prescrite  aux 
hommes  par  la  nature  rationnelle.  Il  ne  fait  pas  aux 
autres  ce  qu'il  désire  qui  ne  lui  soit  pas  fait  à  lui- 
même  (1).  » 

Le  chapitre  XII  nous  donne  une  idée  bien  grandiose 
de  cette  voie  droite  dans  laquelle  1  homme  doit  marcher 
pour  arriver  à  la  perfection.  Le  ciel  et  la  terre  sont 
grands,  y  est-il  dit,  mais  l'homme  y  trouve  encore  des 
imperfections.  La  raison  humaine  ne  saurait  donner  une 
idée  plus  éclairée  de  la  perfection.  Elle  place  l'homme 
au-dessus  des  voies  et  des  mesures  ordinaires.  Voilà 
pourquoi,  pour  le  sage  chinois,  comme  pour  le  sage 
hindou,  celui  qui  y  atteint  commande  à  la  nature  et  peut 
interrompre  le  cours  de  ses  lois. 

Ce  livre  est  le  seul  de  ce  genre  dans  lequel  nous  trou- 
vons une  idée  principale  qui  domine  et  se  déroule  avec 
tous  ses  développements. 

111.  —  Le  Liin-yu  ou  Entretiens  'philosophiques  est 
le  livre  où  se  montre  avec  le  plus  d'éclat  la  sagesse  du 
réformateur  chinois. 

(1)  Gh.  XIIL 


518  LES  LIVRES  SACRÉS   DE  LA  BIBLE 

Confucius,  disent  ses  disciples,  était  sans  égoïsme, 
sans  obstination,  sans  amour-propre  comme  sans  pré- 
jugés ;  on  ne  remarqua  jamais  en  lui  un  sentiment  de 
vanité,  d'orgueil,  de  faiblesse  ou  de  crainte.  L'étude 
était  son  grand  moyen  de  perfectionnement.  «  J'ai 
passé  les  journées  entières  sans  nourriture,  disait-il,  les 
nuits  sans  sommeil,  pour  me  livrer  à  la  méditation  et 
cela  sans  utilité  réelle  ;  l'étude  est  bien  préférable.  » 
Dans  ce  livre,  son  âme  se  peint  toute  entière  avec  tout 
son  calme  et  toute  sa  majesté.  Il  n'a  d'autre  goût  que 
celui  de  la  vertu  ;  l'amour  des  hommes  est  le  seul  senti- 
ment qui  le  conduise.  Il  est  difficile  de  faire  un  résumé 
de  cet  ouvrage  :  il  n'est  pas  en  effet  un  traité  systéma- 
tique d'un  ou  plusieurs  sujets  ;  il  se  compose  au  con- 
traire de  considérations  sans  ordre.  Le  Lun-yu  a  de 
l'analogie  avec  les  dialogues  de  Platon.  La  lecture  peut 
en  être  fatiguante  pour  un  lecteur  français;  elle  n'en' 
laisse  pas  moins  une  impression  saisissante.  Il  s'en  dé- 
gage un  parfum  socratique  qui  réconforte  l'âme.  Il 
étonne  par  sa  sagesse  calme  et  profonde.  On  ne  saurait 
le  lire  sans  aimer  davantage  le  bien. 

Le  Lun-yu  se  divise  en  deux  livres  qui  comprennent 
vingt  chapitres.  On  en  fit  trois  copies  manuscrites.  La 
première  fut  conservée  par  les  hommes  lettrés  de  Tsi  ; 
la  seconde  par  ceux  de  Lou  ;  la  troisième  fut  cachée 
dans  un  mur  et  découverte  plus  tard  après  l'incendie 
des  livres.  Cette  dernière  reçut  le  nom  de  Kou  lun, 
c'est-à-dire  ancien  Lun.  La  première  copie  comprend 
vingt-deux  chapitres  ;  la  seconde  qui  est  maintenant 
suivie,  n'en  compte  que  vingt;  le  Kou-lun  en  compte 
vingt  et  un.  Les  deux  chapitres  en  plus  de  la  copie  de 
Tsi  sont  perdus.  Le  vingt  et  unième  chapitre  de 
l'ancien  Lun  provient  d'une  division  différente  de  la 
matière. 


LES   LIVRES  SACRES  DE  LA  BIBLE  519 

IV.  —  Meng-teu,  dont  le  nom  a  été  latinisé  en  celui 
de  Mencius  vécut  un  siècle  après  Confucius  et  ne  put 
pas  par  conséquent  le  connaître.  lia  été  cependant  jugé 
digne  d'être  placé  après  le  maître  et  déclaré  saint  de 
second  ordre.  Son  livre  doit  être  appris  par  ceux  qui 
"^ aspirent  aux  emplois.  Il  a  souvent  développé  ce  qui 
n'était  qu'en  germe  dans  la  doctrine  de  Confucius, 
Comme  ce  dernier,  il  n'a  d'autre  but  que  le  bien  de  ses 
compatriotes  et  celui  do  l'humanité  toute  entière.  Sa 
politique  est  peut-être  plus  accentuée.  Il  enseigne  le 
droit  divin  des  rois  et  en  même  temps  l'obligation  pour 
les  rois  de  défendre  les  peuples.  «  Celui  qui  fait  un  vol 
à  riiumanité,  dit-il,  est  appelé  voleur;  celui  qui  fait  un 
vol  à  la  justice  est  appelé  t3^ran.  Or,  un  tyran  est  un 
homme  réprouvé,  digne  de  mort.  »  Il  reconnaît  le  libre 
arbitre  de  l'homme,  mais  il  ignore  l'origine  du  mal  ; 
pour  lui  aussi,  Phomme  est  naturellement  bon;  le  mal 
n'est  que  l'effet  d'une  passion  trop  violente.  Il  n'a  pas 
moins  d'éloges  que  Confucius  pour  la  vertu,  et  il  aime  à 
la  peindre  sous  les  plus  belles  couleurs.  Celui-là  sert 
bien  le  ciel,  qui  suit  la  droite  raison.  Voilà  le  résumé  de 
sa  doctrine.  Cette  droiture  de  l'homme  juste  se  peint 
dans  son  œil  qui  est  l'image  de  l'âme.  «  De  tous  les  organes 
des  sens,  dit-il,  qui  sont  à  la  disposition  de  l'homme,  il 
n'en  est  pas  de  plus  admirable  que  la  pupille  de  l'œil. 
La  pupille  de  l'œil  ne  peut  cacher  ou  déguiser  les  vices 
que  l'on  a.  Si  l'intérieur  do  l'œil  est  droit,  alors  la  pu- 
pille de  l'œil  brille  d'un  pur  éclat;  si  l'intérieur  de  l'âme 
n'est  pas  droit,  alors  la  pupille  de  l'œil  est  terne  et 
obscure.  »  Il  combattit  toute  sa  vie  les  deux  sectes 
rivales  de  Yang  et  de  Mé,  sorties  de  l'école  de  Lao-tseu  : 
la  première  enseignait  que  l'égo'isme  devait  être  le 
principe  de  toute  nos  actions,  tandis  que  la  seconde  fai- 
sait profession  d'une  philanthropie  universelle. 


520  LES   LIVRES  SACRÉS  DE    LA  BIBLE 

Le  style  de  Mencius  est  élevé,  moins  concis  que  celui 
de  Confucius,  mais  aussi  noble,  plus  fleuri  et  plus  élé- 
gant. Il  a  mis  sa  doctrine  sous  forme  de  dialogue, 
tandis  que  Confucius  se  contenta  d'apothegmes.  A 
l'exemple  de  Socrate,  il  ne  dédaigne  pas  l'arme  du  ridi- 
dule  :  il  aime  à  confondre  son  adversaire,  en  déduisant 
de  ses  principes  les  conséquences  les  plus  absurdes. 
Rien  de  bas  d'ailleurs,  rien  de  servile  dans  son 
caractère-  Il  ne  ménagea  la  vérité  ni  au  peuple  ni  aux 
rois. 

«  Confucius,  dit  Abel  Rémusat  (Mélanges)  n'est  pas 
seulement  regardé  à  la  Chine  comme  un  grand  philo- 
sophe et  un  excellent  écrivain,  on  lui  donne  encore  des 
épithètes  qui  expriment  le  plus  haut  degré  de  perfection 
morale,  et  qu'on  ne  peut  guère  rendre  convenablement 
que  par  les  mots  de  saint  et  de  divin. 

Dans  ce  pays,  où  la  philosophie  et  la  politique  sont 
inséparables,  et  où  les  honneurs  de  l'apothéose  se  ré- 
duisent à  des  formalités  purement  civiles,  le  patriarche 
de  la  littérature  a  été  élevé  à  la  dignité  impériale,  et  le 
culte  qu'on  lui  rend  n'est  autre  chose,  en  réalité,  que  la 
continuation  des  cérémonies  par  lesquelles  se  manifeste 
habituellement  le  respect  profond  que  les  Chinois  de 
toutes  les  conditions,  doivent  à  celui  qui  occupe  le  rang 
suprême. 

Sous  ces  différents  rapports,  Mencius  est  mis,  par  les 
savants  de  la  Chine,  à  la  place  qui  suit  immédiatement 
celle  qu'ils  ont  assignée  à  Confucius  et  il  a  reçu  le 
nom  de  Ya-ching,  qu'on  peut  traduire  par  saint  de  se- 
cond ordre. 

....  Enfin,  on  a  voulu  rendre  hommage  au  sage,  et  tout 
à  la  fois  au  pays  qui  l'avait  vu  naître,  en  décernant  à 
Mencius  le  titre  de  saint  prince  de  Thsou  ;  et  l'espèce  de 
culte  qu'il  reçoit  en  cette  qualité,  ne  le  cède  qu'à  celui 


LES  LIVRES   SACRÉS  DE   LA  BIBLE  521 

qui  est  dû,  parmi  les  rois,  aux  ancêtres  de  la  dynastie 
régnante,  et  parmi  les  philosophes,  au  seul  Con- 
fucius.  » 

Tels  sont  les  livres  sacrés  de  la  Chine.'  C'est  d'après 
eux  surtout  que  nous  aurons  à  déterminer  quelle  fut  la 
religion  des  Chinois  et  dans  les  temps  primitifs  dont  ces 
livres  nous  ont  conservé  le  souvenir,  et  à  l'époque  do 
celui  qui  les  a  rédigés. 

(A  suivre.) 

Z.  Pefsson 


M.      PIEPENBRING 

ET  LA  REL!fi!0^  PRIMITIVE  DES  HÉBREUX 

I. 

Exposé  de  la  théorie  de  M.  Piepenhring. 

Dans  deux  articles  publiés  dans  la  Revue  de  ïhis- 
toîre  des  t^eligions  {[),  M.  Piepenbring  s'est  imposé  la 
lâche  ardue  de  prouver  que  les  anciens  Hébreux  ont 
été,  tout  comme  les  autres  nations  sémitiques,  poly- 
théistes, jusqu'à  l'époque  deTéclosion  du  prophétismo. 
Alors  seulement  le  monothéisme  proprement  dit  ou  le 
Jahvisme  «  éthique  »  aurait,  après  des  luttes  séculai- 
res contre  le  culte  naturaliste  primitif  d'Israël,  fini 
par  en  triompher. 

Avant  cette  époque  les  Hébreux  auraient  été,  selon 
M.  Piepenhring-,  adonnés  d'abord  au  fétichisme,  «  vé- 
nérant des  sources,  des  pierres  et  des  arbres  sa- 
crés »  (2).  Le  serpent  d'airain,  érigé  par  Moïse,  les 
emblèmes  du  taureau  exposés  à  Bélhel  et  à  Dan  par 
Jéroboam  1^^,  les  Théraphim  et  l'éphod  ou  l'image 
taillée  de  l'éphraïmiste  Mica,  ainsi  que  l'Arche  sainte, 
auraient  été  également  autant  d'objets  du  culte  des 
Hébreux  (3). 

A  ce  fétichisme  grossier  se  serait  trouvé  adjoint,  en 
Israël,  une  espèce  d'animisme  fétichiste  astral,  dans 

(1)  Voir  lome  XIX,  n°2,  pp.  171-202,  et  n»  2,  pp.  212-232  (18S9). 

(2)  Page  172. 

(3)  PP.  182-186. 


FT  lA    RELIGION    PRIMITIVE    DES  HÉBREUX        523 

lequel  «  les  dieux  et  les  astres  furent  identifiés.  »  Et 
puis,  du  moment  que  cette  identification  fut  réellement 
faite,  pourquoi,  demande  M.  Piepenbring-,  celle  des 
dieux  et  des  autres  objets  sacrés  empruntés  à  la  terre 
n'aurait-elle  pas  été  faite  également?  «  Nous  avons,  dit- 
il  (I),  rencontré  une  série  de  textes  de  l'Ancien  Testa- 
ment où  les  images  sacrées,  en  particulier,  sont  for- 
mellement appelées  des  dieux.  » 

Le  culte  rendu  par  les  Israélites  à  Baal  et  à  Astartc, 
le  dieu  Soleil  et  la  déesse  Lune  des  Chananéens,  est 
aussi  aux  yeux  de  notre  critique,  une  preuve  de  l'exis- 
tence du  culte  astral  chez  les  Hébreux  dès  les  temps 
anciens  ("2). 

Outre  cette  première  forme  d'animisme  fétichiste, 
M.  Piepenbring  prétend  encore  trouver  chez  les  Hé- 
breux «  la  seconde  forme  de  l'animisme.  »  iVinsi, 
d'après  lui,  les  esprits  des  trépassés  auraient  été  à 
leurs  yeux  des  «  dieux  »  et  ils  auraient  remplacé  lo 
culte  idolâtrique  des  Mânes  (3). 

Enfin  à  cette  seconde  forme  de  l'animisme  se  ratta- 
cherait en  dernier  lieu  le  culte  des  Sêirîm,  d'Azazel 
et  des  Shedîm,  car  on  leur  offrait  à  tous  des  sacri- 
fices (4). 

Dans  son  second  article,  intitulé  «  Moïse  et  le 
Jahvisme  »,  M.  Piepenbring  essaie  de  montrer 
quand  et  comment  les  Hébreux  se  sont  élevés  du  po- 
lythéisme naturaliste  jusqu'au  vrai  monothéisme  ou 
au  culte  d'un  «  Jahvé  éthique  »,  c'est-à-dire  d'un  Dieu 
unique  et  universel  parfaitement  juste  et  saint. 

Ce  monothéisme  est  présenté  parlui  comme  un  fruit 

(1)  P.  187. 

(2)  P.  192. 

(3)  PP.  187-188. 

(4)  P.  192. 


524  M.    PIEPENBRING 

arrivé  à  maturité  sur  l'arbre  du  prophéiismo  grâce  à 
une  constante  évolution  du  sens  religieux  en  Israël. 

M.  Piepenbring  fait  remonter  cette  évolution  d'abord 
jusqu'au  temps  du  roi  Josias,  puis  jusqu'au  temps  du 
roi  Josapbat,  et  ensuite  d*un  bond,  qui  est  chez  lui  un 
véritable  saut  dans  les  ténèbres,  jusqu'à  i\Ioïse  lui- 
môme,  pour  lequel  il  revendique  le  caractère  d'un 
personnage  historique. 

Telle  est  la  théorie  de  M.  Piepenbring,  qu'il  oppose 
à  celle  de  M.  Renan,  lequel  fait  des  Hébreux  des  mo- 
nothéistes dès  l'origine, 

II. 
Examen  de  la  théorie  de  M.  Piepenbring. 

On  s'aperçoit  au  premier  coup  d'œil  que  la  théorie 
que  nous  venons  d'exposer  n'est  qu'une  application  de 
la  théorie  de  l'évolution  appliquée  à  la  religion  d'Israël. 
Plonges  originairement,  selon  M.  Piepenbring,  dans  un 
fétichisme  grossier,  les  Hébreux  ne  s'élevèrent  que 
graduellement  dans  le  cours  des  siècles,  d'abord  jus- 
qu'à l'hénotéisme,  c'est-à-dire  qu'ils  reconnurent  dans 
Jahvé,  leur  dieu  national,  un  dieu  plus  grand,  plus 
puissant  que  les  dieux  des  autres  nations,  mais 
sans  être  parvenus  à  voir  en  lui  le  Dieu  unique  et  uni- 
versel, le  Dieu  souverainement  juste,  en  dehors  duquel 
il  n'y  a  pas  d'autre  dieu. 

Les  Hébreux  sont  censés  n'être  arrivés  à  cette  saine 
notion  monothéiste  qu'après  l'exil.  Le  Jahvé  «  éthique  » 
d'Israël  fut  la  création  du  prophétisme.  Ce  n'est  donc 
guère  là  un  fruit  de  l'arbre  de  la  divine  révélation, 
mais  le  fruit  de  la  réflexion  philosophique  d'Israël. 

Le  christianisme,  qui  succéda  à  ce  judaïsme  jah- 
viste,  savoure  encore  et  toujours  ce  fruit  naturel,  éclos 


ET  LA    RELIGION    PRIMITIVE    DES  HEBREUX         525 

dans  la  cervelle  de  l'élite  du  peuple  hébreu  post-exi- 
lien  et  qu'il  reçut  de  lui  en  liéritagc.  Ce  \rai  mono- 
théisme, placé  à  la  base  du  christianisme,  en  est,  selon 
M.  Piepenbring-,  la  plus  belle  gloire.  Pas  n'est  besoin, 
je  pense,  de  remarquer  que  la  religion  chrétienne  se 
trouve  ainsi  ravalée  au  niveau  des  fausses  religions. 
Quant  à  son  origine,  qui  serait,  tout  comme  celle  des 
autres  religions,  purement  naturelle,  il  est  un  produit 
spontané  de  l'esprit  humain. 

Examinons  maintenant  sur  quelles  preuves  repose 
la  théorie  que  nous  venons  d'exposer. 

Il  importe  avant  tout  de  bien  comprendre  quelle  est 
la  preuve  que  doit  faire  M.  Piepenbring  pour  établir 
sa  thèse.  Or, il  résulte  de  l'exposé  même  de  sa  théorie, 
qu'il  lui  faut  prouver  qu'à  l'origine  de  leur  race,  les 
Hébreux  ne  possédaient  pas  la  notion  d'un  Jahvé 
«  éthique  »,  c'est-à-dire  d'un  Dieu  unique  et  universel, 
souverainement  juste  et  saint  et  que  dès  lors  ils  n'ont 
pas  honoré  par  leur  culte  ce  vrai  Dieu  :  que,  par  con- 
séquent, ils  n'ont  pas  été  de  vrais  monothéistes  jus- 
qu'à l'époque  de  l'éclosion  du  prophétisme,  avec  le- 
quel et  du  sein  duquel  sont  censés  nés  en  Israël  et 
la  notion  du  vrai  Dieu  et  le  vrai  monothéisme. 

M.  Piepenbring'doit  prouver  ultérieurement  par  des 
faits  patents  et  décisifs  que,  pendant  tout  le  cours  du 
long  intervalle  qui  sépare  l'époque  de  leur  origine  de 
celle  de  l'apparition  du  prophétisme,  les  Hébreux 
ont  été  polythéistes,  rendant  un  culte  divin  à  de  pures 
créatures,  en  possession  d'un  culte  représentant  leur^j 
idées  religieuses  nationales;  ou  tout  au  moins  que, 
quand,  par  le  fait  de  son  évolution  religieuse,  Israël 
arriva  à  la  notion  du  Jahvismc,  il  ne  vo\ait  dans  Jahvé 
que  son  propre  dieu  national,  sou  dieu  particulier, 
existant  à  côté  des  dieux  des  autres  peuples,  alors 


526  M.    PIEPENBRING 

même  qu'il  considérait  Jahvé  comme  supérieur  à  ces 
autres  dieux. 

Voyons  donc  si,  pour  établir  sa  thèse,  qui  est  le 
contrepied  de  la  thèse  traditionnelle  de  la  Synagogue 
et  de  l'Eglise  catholique,  M.  Piepenbring  apporte  les 
preuves,  dont  elle  doit  être  étayée. 

Pour  que  le  débat  puisse  procéder  avec  clarté,  nous 
posons  comme  point  de  départ  une  donnée,  qui  se 
dégage  très  nettement  de  la  première  étude  de  notre 
critique.  Cette  donnée  est  celle-ci  :  a  savoir  qu'une  par- 
tie des  Hébreux  a  fréquemment,  à  diverses  époques 
de  leur  histoire,  trempé  dans  l'idolâtrie  des  peuples 
polythéistes,  avec  lesquels  ils  se  sont  trouvés  en  contact. 
Or,  que  peut-on  conclure  légitimement  de  cette  don- 
née ?  Ceci,  et  rien  de  plus  :  a  savoir,  qu'il  y  a  eu  en  Is- 
raël de  fréquentes  aberrations  religieuses  pendant  le 
cours  de  son  histoire.  Mais,  de  grâce,  par  qui  ce  fait 
a-t-il  jamais  été  contesté?  N'est-ce  pas  dès  lors  se 
donner  une  peine  fort  inutile  que  de  venir  à  grand 
renfort  de  citations  bibliques  enfoncer  une  porte  large- 
ment ouverte? 

Par  contre,  M.  Piepenbring  eût  pu  mentionner 
utilement  les  incessantes  protestations,  qui,  au  témoi- 
gnage delà  Bible,  se  sont  élevées  pendanttoutle cours 
de  Phistoire  d'Israël,  contrôles  susdites  aberrations. 
En  effet,  n'entendons-nous  pas  sans  cesse  llétrir,  dans 
les  écrits  bibliques,  du  nom  d'  «  adultère  »  ou  de  «forni- 
cation» spirituelle,  l'idolâtrie  d'Israël,  sans  que  les  pré- 
varicateurs songent  à  protester  contre  la  légitimité  de 
ces  infamantes  flétrissures?  Or,  ces  infamantes  qualifi- 
cations ne  revèlent-elles  pas  que  la  soi-disant  «  vierge- 
Israël  »,  appelée  aussi  «  l'épouse  de  Jahvé,  »  se  prosti- 
tuait en  abandonnant  Jahvé  pour  suivre  d'autres 
dieux  ? 


ET   LA    RELIGION    PUIMITIVE    DES    HEBREUX         527 

Nous  entendons  déjà  ces  protestations  s'élever  dans 
le  Pentateuquc  et  continuer  à  retentir  dans  les  divers 
livres  historiques  subséquents,  accompagnées  soit  des 
plus  terribles  comminations  contre  les  prévaricateurs, 
soit  de  la  mention  des  châtiments  attirés  sur  le  peuple 
parle  fait  de  ses  infidélités.  Comme  personne  n'ignore 
ces  protestations,  nous  jugeons  qu'il  est  inutile  de  les 
faire  défiler  sous  les  yeux  du  lecteur. 

Or,  ne  résulte-t-il  pas  manifestement,  du  fait  même  de 
l'intlictionde  ces  flétrissures,  subies  sans  protestation 
par  les  coupables,  que  Jahvé  était  reconnu  pour  le  seul 
Dieu  légitime  en  Israël  ? 

Notre  critique  ne  pouvait  évidemment  souffler  mot 
ni  de  cette  constante  opposition  de  l'élite  de  la  nation 
contre  les  aberrations  idolàtriques,  ni  de  la  conclusion 
qui  s'en  dégage  sous  peine  de  signaler  ainsi  l'exis- 
tence du  culte  de  Jahvé  en  Israël  à  partir  de  l'origine 
de  ce  peuple  et  de  démolir  par  le  fait  même  sa  thèse 
de  ses  propres  mains. 

Et  en  effet,  le  fait  de  l'existence  du  Jahvisme  en 
Israël,  dès  l'aurore  de  son  histoire, ainsi quesaperma- 
nence  dans  la  suite  des  temps  une  fois  constaté,  les 
divers  cas  d'idolâtrie  relevés  par  M.  Piepcnbring  de- 
viennent complètement  improbantspoursa  thèse.  Pour 
rendre  la  chose  palpable,  il  suffira  de  la  considération 
suivante.  Parce  que,  à  partir  de  l'époque  du  règne  de 
l'Arianisme,  des  milliers  de  Français  ont,  dans  le  cours 
des  temps,  renié  la  foi  de  leurs  pères,  osera-t-on  pré- 
tendre que  la  religion  catholique  n'a  pas  été  toujours 
et  n'est  pas  encore  le  culte  national  de  la  France  de  nos 
jours,  que  celle-ci  n'est  pas  toujours  la  fille  ainée  de 
l'Eglise  catholique  ? 

On  comprend  dès  lors  le  silence  de  M.  Piepenbring. 
Peut-être  notre  critique  ii'avisera-t-il  de  nous  objecter 


528  M.    PIEPENBRING 

que  le  Jahvé,  le  dieu  d'Israël  des  temps  antiques,  n'est 
pas  le  «  Jahvé  éthique,  »  le  vrai  Dieu,  dont  le  cuUc 
peut  seul  constituer  le  vrai  monothéisme  et  non  pas 
un  simple  hénothéisme. 

Si  M.  Piepenbring-  s'avisait  de  recourir  à  ce  vain 
échappatoire,  nous  lui  barrerions  le  passage  en  vertu 
de  ses  propres  aveux.  Voici,  en  effet,  ce  qu'il  re- 
connaît lui-même  ,  contraint  et  forcé  par  l'évi- 
dence (1)  :  «  D]aprcs  cette  source  (savoir  la  source 
Jahviste  du  Pentatcuque,  rédigée  d'après  lui  avant 
les  plus  anciens  livres  prophétiques),  les  patriarches 
honcrent  Dieu  par  lapraiique  de  la  veriu^  tout  autant 
ou  même  plus  que  par  Voffrande  de  sacrifices.  Abra- 
ham et  Joseph  en  particulier,  tels  qu'ils  apparaissent 
dans  cette  source,  sont  des  modèles  de  vertus  relative- 
ment purs.  Et  comme  ces  figures  sont  plutôt  des  pro- 
duits de  Timagination  que  des  personnages  histori- 
ques (!),  elles  nous  présentent  bien  Vidèal  ??2orcï^  des 
anciens  Israélites.   » 

Comment  M.  Piepenbring  ne  s'est-il  pas  aperçu 
que  cet  aveu  ruine  complètement  sa  thèse.  Et  de  fait, 
si  dans  la  vie  vertueuse  d'un  Abraham  ou  d'un  Joseph, 
par  laquelle  ceux-ci  croyaient  honorer  Dieu  »  plus  que 
par  l'offrande  de  sacrifices,  »  nous  avons  «  l'idéal  mo- 
ral des  anciens  Israélites  »  et  en  même  temps,  ajoute- 
rons-nous, leur  idéal  religieux,  il  est  manifeste  que 
les  patriarches  et  les  anciens  Hébreux  avec  eux  ont 
considéré  leur  Dieu  comme  parfaitement  saint,  et  par 
conséquent,  aussi,  comme  parfaitement  juste.  Leur 
Dieu  était  donc  le  Jahvé  éthique  du  vrai  monothéisme. 
Qu'ils  aient  jamais  reconnu  quelque  autre  dieu  simi- 
laire à  côté  de  leur  Dieu  à  eux    ou   qu'ils   n'aient   pas 

(1)  Page  :j27. 


ET  LA    RELIGION  PRLMITIVE    DES  HEBREUX        529 

tenu  celui-ci  pour  le  Dieu  unique  et  universel,  c'est  là 
un  point  pour  lequel  manque  toute  preuve. 

Mais,  s'il  en  est  ainsi,  nous  voilà  donc  en  présence  du 
Jahvisme  «  éthique  »  et  du  vrai  monothéisme,  dès 
l'aurore  de  l'histoire  d'Isracl,  alors  que,  selon^M.  Pie- 
penbring',  ce  Jahvisme  ne  serait  éclos  qu'à  l'époque  du 
prophétisme,  et  ne  serait  devenu  définitivement  la  re- 
ligion d'Israël  que  dans  les  tems  postexiliens.  Des  lors 
la  théorie  de  l'évolutionnisme  relig-ieux  chez  les  Hé- 
breux, défendue  par  notre  critique  avec  un  si  grand 
zèle  contre  les  compromissions  de  M.  Renan,  et  avec 
elle,  sa  thèse  tout  entière,  sont  démontrées  fausses  par 
des  faits  constatés  par  lui-même. 

Et  en  effet,  en  présence  de  cette  donnée  acquise. tous 
les  faits,  réunis  par  M.  Piepenbringpour  établir  que  les 
Hébreux  furent  proly théistes,  ne  sauraient  désor- 
mais prouver  rien  de  plus,  sinon  qu'une  partie  d'en- 
tre eux  a  maintes  fois  abandonné,  dans  le  cours  des 
siècles,  le  culte  de  ses  pères.  Cependant,  ceci  ne  s'est 
point  fait  sans  que  ces  écarts  apparaissent,  comme 
nous  l'avons  déjà  observé  plus  haut,  honnis  et  con- 
damnés par  la  partie  la  plus  saine  de  la  nation.  Ce 
dernier  fait  prouve  que  le  vrai  monothéisme  primitif 
d'Israël  se  maintint  toujours  vivace  parmi  l'élite  de  ce 
peuple. 

En  présence  des  résultats  acquis,  grâce  aux  propres 
aveux  deM.Piepenbring,le  lecteur  comprendra  diffici- 
lement, qu'il  ait  été  pour  notre  critique»  relativement 
facile  de  suivre  l'évolution  religieuse  qui  fit  parvenir 
les  Hébreux  du  polythéisme  au  monothéisme.(l)  «Usera, 
au  contraire,  très  porté  à  l'en  croire,  quand  il  l'en- 
tend déclarer  que  pour  lui  :<  bien  plus  difficile  et 
obscure  est  la  question  de  savoir  quand  et  comment 

(1)  Page  11 i. 

3i 


530  M.    PIEPENBRING 

le  Somitismo  naturaliste  a  fait  place, au  sein  de  la  na- 
tion israclitc,  au  Jahvismc  éthique  (1).  » 

Mais  le  lecteur  pourra  répondre  à  M.  Piepoubring- 
que,  pour  sortir  des  difficultés  qui  l'embarrassent,  il 
n'a  qu'à  cesser  de  les  créer  et  de  se  mettre  en  contra- 
diction avec  lui-même.  Or,  c'est  ce  qu'il  fait  en  suppo- 
sant que  le  polythéisme  a  été  la  religion  primitive 
d'Israël  à  l'encontre  de  son  propre  aveu  que  nous  avons 
relevé  et  d'où  il  résulte  clairement,  que  le  monothéis- 
me ou  le  Jahvisme  éthique  a  été  la  religion  primitive 
d'Israël.  Dès  lors,  on  ne  parvient  pas  à  s'expliquer  do 
quelle  évolution  il  a  été  besoin  pour  mettre  les  Hé- 
breux en  possession  de  ce  qu'ils  possédaient  des  l'ori- 
gine. Qu'une  partie  d'entre  les  Israélites  ne  soit  pas  restée 
toujours  fidèle  à  la  religion  de  ses  pères  et  ait  pratiqué 
le  polythéisme,  puisque,  après  l'exil,  le  monothéisme 
ait  été  plus  fidèlement  observé  par  la  nation  toute  en- 
tière, c'est  ce  que  l'exégèse  traditionnelle  a  reconnu 
de  tout  temps. 

On  comprend  facilement  que  M.  Piepenbring  se  dé- 
bat en  vain  au  milieu  des  difficultés  et  des  contradic- 
tions que  lui  crée  la  fausse  position  de  sa  thèse, et  que, 
pour  en  sortir,  il  doit  recourir  à  des  procédés  à  répudier 
par  toute  saine  critique.  Ces  procédés  qui  lui  sont 
communs  avec  les  autres  adeptes  du  criticisme  rationa- 
liste sont  les  suivants,  savoir  :  passer  sous  silence, 
comme  non  probants,  les  arguments  irréfutables  de  ses 
adversaires  et  proclamer  résultats  acquis  ce  dont  on 
a  maintes  fois  démontré  l'inanité  et  la  fausseté  ;  puis 
asseoir  sur  les  prétendus  ré.sultats  acquis  d'autres  as- 
sertions non  moins  aventurées,  enfin  nier  l'authenticité 
et  l'historicité  des  monuments  bibliques  pour  empêcher 

(1)  Ibidem. 


ET  LA  RELIGION  PRIMITIVE  DES  HEBREUX  531 

l'adversaire  d'y  aller  puiser  les  arguments    qui  font 
crouler  les  vaincs  théories  en  l'air  de  l'école. 

Ainsi  M.  Picpenbring  passe  sous  silence  les  preuves 
récemment  produites  par  M.  Baethgen  (1)  en  faveur  de 
l'existence  du  monothéisme  dès  l'époque  patriarcale.  Go 
n'est  pas  cependant  qu'il  les  ignore,  car  il  mentionne 
l'ouvrage  de  ce  savant.  {'2)  Il  prétend  même  avoir  refuté 
dans  sa  première  étude  l'opinion  de  M.  Baethgen  (3). 

Mais  on  a  beau  chercher  dans  cette  étude,  on  n'y 
voit  pas  les  arguments  du  savant  allemand  passés  au 
crible  de  la  criti([ue,  probablement  parce  que,  aux 
yeux  de  M.  Picpenbring,  son  contradicteur  est  »  évi- 
demment dominé  à  cet  égard  parla  théologie  tradition- 
nelle. Il  n'est  vraiment  guère  difficile  de  triompher  de 
ses  adversaires  quand  on  a  recours  à  de  pareils  procé- 
dés. 

Pour  nous  il  nous  semble  que  M.  Piepenbring  a 
jugé  prudent  de  passer  silencieusement  au-dessus  des 
arguments  de  M.  Baethgen  pour  s'épargner  la  difficile 
tache  de  les  réfuter. 

m 

Les  antilogies  de  la  théorie  de  M.  Piepenbring. 

Passons  maintenant  à  la  constatation  des  antilogies 
ou  des  contradictions  que  révèle  la  théorie  de  notre 
critique.  Commençons  par  lui  accorder  la  parole  et 
laissons-le  nous  expliquer  lui-même  la  genèse  du 
Jahvisme  éthique  en  Israël. 

(l)Voir  Baethgen,  dcr  Gott  Israels  iind  di-j  Gottcr  der  Hciden,  pag» 
131-252 
Wpag.  311 
(3)  pag.  312. 


o32  M.    PlliPENBRING 

«  Nous  croyons,  dit-il  (1),  que  le  polythéisme  sémi- 
tique était  la  religion  primitive  des  Hébreux,  tandis 
que  le  jalivisme  monothéiste  est  le  pt^odicit  du  pro- 
2'>hétisme  Israélite  et  n'a  fait  que  se  greffer  sur  l'ancien 
sémitismo.  Tout  prouve  que  le  prophéli.sme  n'a  pris 
un  véritable  essor  et  n'a  exercé  une  influence  sérieuse  en 
Israël  qu'à  partir  du  X''  ou  du  IX^  siècle  avant  notre 
ère.  Nous  savons  qu'il  eut  à  lutter  fort  longtemps  pour 
avoir  le  dessus.  11  dut  même  consentir  à  bien  des 
compromis  (!)  et  s^issimiler  toutes  sortes  d'éléments 
du  sémitisme  traditionnel .(!),  comme  nous  en  avons 
rencontré  une  série  de  preuves  (?).  Il  ne  porta  un 
coup  décisif  à  celui-ci  que  sous  Josias,  par  la  promul- 
gation de  la  loi  deutéronomique,  franchement  hostile 
aux  éléments  cananéens  dans  la  religion  Israélite, 
L'exil  fut  même  nécessaire  pour  vaincre  à  jamais  la 
religion  primitive  des  Hébreux  et  faire  triompher  dé- 
finitivement le  monothéisme. 

«  L'évolution  de  la  religion  d'Israël  ainsi  comprise 
estd'ailleurs  simplement  naturelle  (!).  Les  Beni-Israël, 
des  sémites  de  race  et  de  langue  et  influencés  de  mille 
manières  par  les  Cananéens  et  leurs  voisins,  ont  dû 
partager,  en  somme,  conformément  au  cours  naturel 
des  choses,  la  religion  de  ces  peuples  parents.  Il  au- 
rait fallu  un  véritable  miracle  pour  qu'il  en  fût  autre- 
ment. Et  c'est  bien  comme  l'effet  d'une  révélation 
surnaturelle  que  la  théologie  traditionnelle  s'est  ex- 
pliqué le  monothéisme  des  anciens  Hébreux.  » 

Rapprochons  maintenant  de  ces  déclarations  ce  que 
M.  Piepenbring  nous  dit  ailleurs  au  sujet  du  Jalivisme 
en  Israël.  \oiq,\  ses  propres  paroles  (2)  :  «  Nous  trou- 
vons dans  les  plus  anciennes  lois  dlsraël  et   dans  la 

(1)  PP.  198-199. 
[t]  PP.  :j29-3ju. 


ET    LA   RELIGION   PRIMITIVE    DES    HEBREUX         533 

plus  ancienne  prédication  authentique  de  ses  pro  • 
phètes,  la  preuve  que  le  jalivisme  exigea  de  très 
bonne  heure  de  ses  adorateurs,  comme  le  premier  des 
devoirs,  la  pratique  de  la  justice  et  de  la  bienveil- 
lance envers  le  prochain.  On  sait  en  outre  que  Moïso 
est  considéré,  déjà  dans  les  plus  vieux  récits  du  Pen- 
tateuque,  comme  ayant  servi  d'intermédiaire  entre 
Jahvé  et  Israël  pour  communiquer  à  celui-ci  les  lois 
de  Dieu.  Il  nous  est  également  présenté  comme  le 
premier  et  le  plus  grand  prophète  de  son  peuple.  Ne 
sommes-nous  donc  pas  en  droit  d'admcUre  qu'il  a 
réellement  joué  un  rôle  important  en  qualité  do  légis- 
lateur et  de  prophète,  qu'il  a  posé  comme  principe 
fondamental  de  la  religion  Israélite  r adoration  exclu- 
sive de  Jahvé  et  qiCil  a  fait  consister  le  service  de  ce 
Dieu  avant  tout  dans  V observation  des  règles  de  con- 
dicite  que  nous  trouvons  à  la  base  des  plus  anciens 
codes  et  des  plus  anciens  livres  prophétiques  d'Israël? 
Nous  le  pensons....  L'esprit  du  mosaïsme,  sa  ten- 
dance éthique,  paraît  se  refléter  dans  l'ancienne  lé- 
gislation relevée  tout  à  l'heure  et  qui  aboutit  à  l'en- 
seignement prophétique.  » 

Il  nous  semble  impossible  de  concilier  les  données 
contenues  dans  ce  dernier  passage  avec  ce  que 
M.  Piepcnbring  nous  dit  ailleurs  au  sujet  de  Moïse 
et  de  SOS  contemporains.  Voici  comment  il  s'ex- 
prime (1)  :  «  Nous  ne  pensons  pas  qu'aucun  Israélite 
du  temps  do  Moïse,  ni  probablement  Moïse  lui-mômc, 
aient  songé  à  nier  l'existence  des  différentes  divinités 
adorées  par  d'autres  peuples.  Le  dogme  du  mono- 
théisme absolu  leur  était  certainement  tout  à  fait  in- 
connu. Ils  ne  professaient  que  la  monolàtrie  ou  l'hé- 

(l)  PP.  a-Ji  32o. 


53't  M.    PIEPENBRING 

nothéismc,  Tobligation  pour  tout  Israélite  de  n'adorer 
que  Jahvé,  mais  nonrcxistcnce  exclusive  de  celui-ci. 
Ce  principe,  toutefois,  était  d'une  portée  incommen- 
surable. Il  imposait  à  Israël  la  nécessité  de  rompre 
avec  les  pratiques  issues  du  polythéisme  sémitique  ; 
il  impliquait  un  grand  changement  dans  les  concep- 
tions religieuses  reçues  et  il  préparait  le  terrain  pour 
le  prophétisme.  » 

L'antilogio,  que  nous  croyons  découvrir  entre  les 
deux  passages  cités,  consiste  en  ceci,  que  M.  Pie- 
penbring  considère  comme  un  simple  hénothéisme 
le  principe  fondainental  de  V adoration  exclusive  dé 
Jahvé,  alors  qu'un  tel  principe  n'est  compréhensible 
que  pour  autant  qu'il  implique  la  fausseté  et  l'inanité 
de  tous  les  dieux  adorés  par  d'autres  nations,  et,  par 
conséquent,  la  conviction  que  le  Dieu  d'Israël  est  le 
seul  vrai  Dieu,  le  Dieu  universel  parfaitement  saint  et 
juste.  C'est  que,  en  effet,  le  Dieu  du  Mosaïsme,  tel 
que  le  décrit  M.  Piepenbring  lui-même,  est  bien  ma- 
nifestement déjà  le  Jahvé  éthique,  de  la  création  du- 
quel il  voudrait  faire  honneur  au  prophétisme.  Mais, 
s'il  en  est  ainsi,  la  théorie  de  notre  critique  croule 
faute  de  base. 

C'est  ce  qu'il  sent,  et  c'est  pourquoi  il  s'évertue  à 
transformer  le  monothéisme  éthique  du  mosaïsme  en 
un  simple  hénothéisme,  contrairement  à  la  caractéris- 
tique qu'il  en  donne  lui-même.  Entre  temps  il  ne 
pouvait  pas  se  passer  de  la  monolâtrie  mosaïque. 
Impossible  sans  elle  de  nous  faire  assister  à  la  pré- 
tendue marche  évolutionniste  de  la  religion  d'Israël 
aboutissant,  d'après  sa  théorie,  au  Jahvisme  éthique 
du  prophétisme.  D'ailleurs,  pour  nier  le  monothéisme 
mosaïque,  il  eût  fallu  passer  sur  le  corps  de  trop  de 
données  bibliques.  Dès  lors,  il  ne  restait  plus  à  M.  Pie- 


ET    LA   BELlftlON   PRIMITIVE    DES  HÉBREUX         535 

penbring*  pour  sauver  sa  théorie  cvolutionniste  qu'une 
seule  ressource,  celle  de  fausser  le  caractère  reconnu 
par  lui-mcnie  au  mosanme. 

Quanta  nous, nous  ne  sommes  guère  tenus  craccepter 
ce  monothéisme  mosaïque  travesti.  Nous  avons  le 
droit  de  présenter  à  M.  Piepenbring  le  mosaïsme  sous 
sa  véritable  physionomie  telle  qu'elle  ressort  des  don- 
nées bibliques  admises  par  lui  et  de  la  caractéristique, 
sainement  entendue,  que  lui-même  en  donne.  Nous 
avons  également  le  droit  de  le  lui  présenter  comme  se 
trouvant,  sous  cet  aspect,  en  flagrante  contradiction 
avec  sa  théorie  évolutionnislc. 

D'ailleurs,  ce  n'estpas  seulement  jusqu'à  l'époque  de 
Moïse  que  nous  pouvons,  en  vertu  des  propres  décla- 
rations de  M.  Piepenbring,  faire  remonter  l'existence  du 
monothéisme  éthique  en  Israël,  ce  fruit  à  l'en  croire 
mûri  tardivement  sur  l'arbre  du  prophétisme,  mais 
môme  jusqu'à  l'époque  de  Jacob  et  d'Abraham,  soit 
donc  jusqu'à  l'aurore  même  de  l'histoire  des  Hé- 
breux. 

C'est  ce  que  nous  avons  montré  plus  haut(l). 

Il  nous  plaît  de  relever  encore  un  autre  aveu  de  M. 
Piepenbring,  qui  va  également  à  rencontre  de  sa  thèse 
évolutionniste,  tout  on  confirmant  la  nôtre,  que  l'ido- 
lâtrie chez  les  Hébreux  constituait  une  déviation  du 
monothéisme  éthique  strictement  dit,  qui  était  et  res- 
tait le  culte  national. 

Parlant  du  Sabéismc  pratiqué  en  IsraïU,  M.  Piepen- 
bring nous  dit  (2)  que  «  le  Dcutcronomc  (IV,  19;  III, 
2  suiv.)  s'élève  énergiquement  contre  ce  culte»,  au- 
quel se  trouvait  alliée  la  prostitution  religieuse. 

Mais,  s'il  en  est  ainsi,  n'cst-il  pas  de  nouveau  mani« 

(1)  Voir  pag.  8-10. 
(1>)  pag-.  lt)(). 


536  M.    PIEPENBRING 

feste,  de  l'aveu  de  M.  Piepenbring  lui-même,  que 
le  monothéisme  exclusif  de  l'époque  mosaïque  était 
bel  et  bien  un  monothéisme  éthique  qu'on  n'a  pas  le 
droit  de  travestir  gratuitement  en  un  simple  hénolhé- 
isme  afin  de  le  différencier,  dans  l'intérêt  d'une  théorie 
apriorisfique,  d'avec  le  Jahvisme  éthique?  Mais  peut- 
être  notre  critique  prétcndra-t-il  nous  arrêter  en  nous 
opposant  que  le  Deutéronome  n'est  pas  contemporain 
de  Moïse. Nous  lui  répondons  qu'aussi  longtemps  que 
son  écolo  n'aura  pas  réfuté  l'étude  de  M.  le  D'"  Van 
Hoonacker  sur  les  quatre  premiers  chapitres  du  Deu- 
téronome et  notre  propre  étude  sur  la  date  du  Deutéro- 
nome. dans  laquelle  nous  croyons  avoir  établi  contre 
M.  llorst,  que  le  Deutéronome,  sinon  tout  le  Penta- 
teuque,  est  l'œuvre  de  Moïse,  nous  pourron  i  continuer 
à  affirmer,  que  le  susdit  aveu  de  M.  Piepenbring-  ruine 
sa  thèse  évolutionniste. 

C'est  que,  en  effet,  la  protestation  en  question  con- 
signée dans  une  œuvre,  acceptée  par  tout  le  peuple 
d'Israël, comme  la  propre  œuvre  de  son  premier  légis- 
lateur, nous  révèle  l'exclusivisme  du  Mosaïsme  vis-à- 
vis  des  cultes  exotiques,  dont  les  pratiquants  étaient 
tenus  parla  partie  saine  de  la  nation  pour  des  préva- 
ricateurs et  des  transfuges  du  culte  national. 

IV. 

Le  polythéisme  en  Israël. 

Après  ce  que  nous  venons  d'établir  contrairement  à 
la  théorie  évolutionniste  de  M.  Piepenbring,  il  peut 
paraître  oiseux  de  s'occuper  encore  de  la  première 
partie  de  sa  thèse,  dans  laquelle  il  essaye  de  prouver 
que  le  polythéisme  était  la  religion  primitive  d'Israël. 


ET   LA.   RELIGION    PRIMITIVE    DES   HEBREUX         537 

C'est  que,  en  effet,  cette  première  partie  tombe  d'elle- 
même,  du  moment  qu'on  a  démontré  l'inexistence  de 
l'évolution  religieuse  en  Israè'l  telle  que  la  défend 
M.  Piepenbring-. 

Aussi  nous  abstiendrons-nous  de  faire  longuement 
la  critique  de  ses  prétendus  arg-umcnts.  Ce  n'est  pas 
toutefois  que  la  chose  offre  de  bien  grosses  difficultés. 
Nous  n'aurions  en  effet  qu'à  mettre  en  ligne  les  mul- 
tiples et  les  écrasantes  preuves  produites  par  M.  Baetb- 
gen  (I)  contre  le  prétendu  polythéisme  primitif  et  na- 
tional des  Hébreux,  preuves  prudemment  passées 
sous  silence  par  son  contradicteur.  De  même,  en  ce 
qui  concerne  la  pratique  des  sacrifices  humains  et  do 
la  prostitution  sacrée  en  Israël,  nous  n'aurions  qu'à 
nous  prévaloir,  contre  la  signification  que  leur  attribue 
M.  Piepenbring  et  la  conclusion  qu'il  prétend  en  dé- 
duire, des  arguments  décisifs  fournis  par  M.  l'abbé 
Yigouroux  dans  son  bel  ouvrage  la  Bih'c  et  les  décou- 
vertes modernes  ("2). 

Nous  attendrons  que  notre  critique  ait  répondu  aux 
arguments  de  MM.  Baethgcn  et  Yigouroux  et  puis 
nous  lui  répondrons  à  notre  tour. 

Entre  temps  nous  nous  contentons  de  relevers 
comme  un  échantillon  do  la  caducité  de  sa  thèse,  une 
donnée  fournie  par  notre  critique  lui-même  (3).  Il 
s'agit  du  fait  do  Jacob  (Gen.  XXXV,  2-1).  Ce  pas- 
sage nous  apprend  que  ce  patriarche,  à  son  arrivée  à  Si- 
chem,    assembla    sa    famille    sortie    avec    lui    de   la 

(1)  Ohv  cité.  La  démonstration  du  monolhéisme  primitif  des 
Ilébreu.v  par  M  IJaetli gen. Dans  la  partie  négative  il  réfute  la  thèse 
du  prétendu  polythéisme  primitif  et  national  d'Israël,  donc  la  thèse 
de  M.  Piepenbring-,  pp.  l-'M  178.  Dans  la  2<"  partie  pp.  im-i-ii,  il 
donne  les  preuves  positives  du  monolhéisme  primitif  des  Hébreux. 

(2)  Voir  Tome  III,  chap.  VI-VIl  et  Baethgen,  pp.  2^0-1^22. 
(:{)  Page  178. 


538  M.    PIEPENBRTNG 

Mésopotamie  polythéiste,  qu'il  en  somma  les  mem- 
bres de  répudier  les  dieux  étrangers,  qu'il  se  fit 
remettre  les  idoles  et  les  amulettes  qu'ils  avaient  em- 
portées de  là  avec  eux,  qu'il  enfouit  le  tout  sous  le 
térébintlie  de  Sichem,  et  qu'il  érigea,  là  même,  un 
autel  à  son  Dieu. 

Voilà  certes  une  preuve  évidente  du  monothéisme 
de  Jacob.  Ce  monothéisme  était  manifestement  sa  re- 
ligion traditionnelle,  et  par  conséquent,  la  religion 
d'Isaac  et  la  religion  d'Abraham,  ce  qui  nous  montre 
l'existence  du  monothéisme  chez  les  Hébreux  dès 
l'origine  de  leur  race.  Il  n'existe,  en  effet,  nulle  trace 
dans  la  Bible,  que  ces  patriarches  et  leur  famille  aient 
jamais  pratiqué  une  autre  religion  que  le  monothé- 
isme. 

Les  Hébreux  ont  donc  été  monothéistes  des  le  prin- 
cipe. Ils  se  diiïérencient  par  ce  caractère  d'avec  les 
autres  Sémites  chez  lesquels  le  monothéisme  semble 
avoir  fait  place  au  polythéisme  dès  les  temps  les  plus 
reculés.  Toutefois  le  monothéisme  n'était  pas,  chez 
les  Hébreux,  un  instinct  de  race ,  ni  un  effet  du 
climat  comme  le  polythéisme  des  autres  Sémites 
et  des  peuples  de  leur  entourage  (les  fréquentes 
aberrations  d'une  partie  des  Hébreux  eux-mêmes, 
le  culte  de  leurs  ancêtres  en  sont  la  preuve)  mais 
bien  le  résultat  d'une  révélation  divine,  fidèlement 
conservée  par  leurs  ancêtres  et  transmise  par  ceux- 
ci  à  leurs  descendants.  Ce  divin  dépôt  du  mono- 
théisme,Israël  a  su  le  conserver  à  travers  les  siècles 
jusqu'à  nos  jours,  en  dépit  des  séductions  du  poly- 
théisme environnant  et  en  dépit  aussi  des  fréquentes 
défections  d'une  partie  do  la  nation.  On  levoit,  pas  plus 
que  M.  Piepenbring  lui-même,  nous  ne  nions  la  fré- 
quente infiltration  du  polythéisme  chez  une  partie  du 


ET  LA   RELIGION   PRIMITIVE    DES    HEBREUX         o39 

peuple  hébreu  clans  le  cours  dos  siècles.  Mais  ces 
faits,  contre  lesquels  s'est  toujours  élevée  la  partie  la 
plus  saine  de  la  nation,  ne  prouvent  riencontrelo 
monothéisme  primitif  et  national  d'Israël,  ainsi  que 
nous  l'avons  fait  voir  dans  le  cours  de  celte  étude. 


L'abbé  Fl.  dk   Moor 


CHRONIQUE 


I.—  La  seîcnce  d as  religions  —  M.  l'abbé  Gondal, 
professeur  au  séminaire  do  St-Sulpice,  à  Paris,  a  formé  le  projet 
de  donner  au  public  une  nouvelle  démonslration  de  la  loi  caliioli- 
que.  L'œuvre  qu'il  prépnrecomprend  trois sériesd  éludes  apologé- 
tiques déjà  groupées,  dans  sa  pensée,  sous  les  titres  suivants  : 

1'^  Du  scepticisme  au  spiritualisme  ; 

2'  Du  spiritualisme  au  christianisme  \ 

3°  En  plehi  christianisme  ou  le  christia?iisme  intégral. 

L'auteur  a  cru  devoir  suivre  un  plan  uniforme  :  ebaque  étudû 
contient  1°  un  certain  nombre  de  dissertations  tiréologiques, 
qui  ont  pour  but  d'exposer  la  doctrine  aussi  claii'cmentet  aussi  plei- 
nement que  possible  ;  2°  de  nombreuses  ciatiojis  Û3in?,  le  texte, 
on  note  ou  en  appendice,  destinées  à  récréer  le  lecteur,  en  faisant 
passer  sous  ses  yeux,  les  plus  belles  pages  de  la  Hliéralure  reli- 
gieuse. 

Les  disseï  lations  tracent  la  route,  les  cilalions  l'embellissent. 

La  première  série  «  Du  scepticisme  an  spiritualism",  »  con- 
tient trois  études  :  la  Vérité,  —  Dieu,  —  r  Ame  ;la  seconde,  du 
spiritualisme  au  christianisme  en  renferme  cinq  :  la  Religion, 
—  le  Surnaturel^  —  les  Prophéties,  —  tEvangile,  —  le 
Chr:stia)iis)72e. 

On  trouvera dansce  travail,  dont  la  Science  catholique  a  publié 
une  partie  dans  son  n"  de  juillet  1893,  d'utiles  détails  sur  la  reli- 
gion en  général  et  ses  diverses  formes.  Citons  le  passage  sui- 
vant : 

«  Nous  retrouvons  cbez  tous  les  peuples,  écrit  M  Gondal,  un 
enseignement  religieux  ou  des  dogmes,  une  morale  religieuse 
ou  des  préceptes,  des  pratiques  [religieuses  ou  un  culte,  et  un 


CHRONIQUE  5il 

minhtère  religieux  ou  des  prèlres.  Les  éléments  essentiels  Je  la 
religion  «  objective  »  sont  donc  bien  réellement  au  nombre  de 
quatre:  le  dogme,  la  morale,  le  culte  ei  le  sacerdoce. 

Le  nombre  des  religions  lossi'Aes  est  illimité:  qui  pourrait, 
en  eiïet,  se  llalter  de  connaître  toutes  les  formes  que  peuvent  i-e- 
vêtir  et  toutes  les  combinaisons  dont  sont  susceptibles,  le  dogme, 
la  morale,  le  culte  et  le  sacerdoce  ?  Le  nombre  des  l'eligions 
réelles  ou  historiques  est  mal  connu.  A  la  vérité,  une  science 
nouvelle,  la  science  des  reliijions,  a  entrepris  de  nos  jours  l'étude 
de  toutes  les  manifestations  des  besoins  religieux  de  l'àme  hu- 
maine ;  une  immense  enquête  est  ouverte,  par  ses  soins,  à  l'effet 
de  savoir  quelles  ont  été,  dans  tous  les  temps  et  sous  tous  les 
cieux,  les  croyances,  les  institutions  et  les  pratiques  religieuses 
de  1  humanité.  Mais  celte  science,  née  d'iiier,  a  fait  jusqu'à  ce  jour 
plus  de  bruit  ique  de  besogne.  Le  champ  qu'elle  doit  explorer  est 
illimité  :  tous  les  pays  et  tous  les  siècles  I  L'objet  propre  de  ses 
éludes  est  d  une  complexité  elïrayante:  la  religion  s'étend  à  tout, 
embrasse  tout,  domine  tout,  l'âme,  la  famille,  la  société  !  Dans  l'é- 
tal actuel  de  nos  connaissances,  il  n'est  même  pas  possible  de 
donner  une  simple  énumération  de  toutes  les  religions  qui  se 
partagent  l'empire  des  âmes,  dans  le  présent  seulement.  C'est  à 
peine  si  les  plus  répandues  et  les  plus  célèbres,  telles  que  le 
biahmanisme,  le  bouddhisme  et  l'islamisme  sont  connues  dans 
leurs  grandes  lignes.  Les  classifications  générales  proposées  jus- 
qu'à ce  jour  sont  incertaines,  incomplètes  et  provisoires. 

Deux  choses  seulement  ressorlent,  claires  jusqu'à  l'évidence, 
des  éludes  hâtives  dont  les  institutions  religieuses  de  Ihuraanité 
loule  entière  ont  été  l'ol  jet  :  c'est,  d'une  part,  la  prodigieuse 
fccondilé  du  sentiment  religieux,  qui  a  donné  naissance  à  une  si 
étonnante  diversité  de  croyances,  à  une  si  effrayante  variété  de 
cultes  ;  c'est,  d'autre  part,  léclatante  mpériorité  du  christianis- 
me, qui  seul  a  su  nettement  définir  le  rapport  réel  de  l'homme 
avec  Dieu,  et  qui,  seul  encore,  a  su  établir  chez  ses  partisans  ce 
juste  tempérament  de  science,  de  sentimenl  et  de  pratique,  qui 
fait  le  parfait  re'igieux.  A  ne  consulter  même  que  la  raison,  son 
dogme  est  merveilleux,  sa  morale  divine,  son  culte  incomparable 
et  son  sacerdoce  unique.  » 


542  CHRONIQUE 

—  La  Science  catholique,  dans  son  n^de  septembre  dernier, 
publie  un  arlicle  de  M.  l'abbé  Roussel,  de  1  oratoire  de  Rennes, 
sur  la  morale  religieuse  de  l'Inde,  et  analyse  à  ce  sujet  deux  cha- 
pitres du  iMababliarala. 

Ce  sujet  à  l'auteur  inspire  les  sages  considérations  qui  suivent: 
«  Aujourd'hui  que  l'élude  des  religions  est  à  la  mode,  même 
chez  les  esprits  les  plus  étrangers  à  toute  croyance  religieuse,  cl 
que  les  ennemis  du  christianisme  se  font  arme  de  tout  ce  qu'ils 
rencontrent,  pour  le  condjattre,  mais  surtout  des  traditions  pui- 
sées chez  les  idolâtres,  un  catholique  ne  saurait  se  désintéresser 
de  la  connaissance  de  ces  dernières.  Cependant,  il  doit  les  étudier 
loyalement,  sans  parti  pris,  décidé  à  y  voir,  nonce  qu'il  voudrait 
y  rencontrer,  mais  ce  qui  s'y  rencontre  réellement.  Surtout,  qu'il 
ne  craigne  pas  d  y  louer  ce  qui  lui  parait  louable,  ailn  de  se  mé- 
nager le  droit  de  blâmer  ce  qu'il  y  trouve  de  répréhensible.  D'ail- 
leurs, si  la  raison  humaine  était  frappéa  de  cette  impuissance 
radicale,  rêvée  naguère  par  des  apologistes  plus  zélés  que  sages  ; 
si,  en  dehors  de  la  révélation,  il  n'y  avait  que  ténèbres  épaisses, 
absolument  impénétrables  à  toute  lumière  naturelle;  comme,  au 
demeurant,  nous  avons  besoin  de  cette  raison  pour  nous  élever  à 
la  connaissance  de  la  révélation  et  que  celte  lumière  nous  est  in- 
dispensable pour  discerner  la  route  qui  nous  y  doit  conduire,  nous 
serions  condamnés  à  vivre  perpétuellement  en  dehors  de  la  véri- 
té. Le  soleil  luirait  en  vain,  si  ses  rayons  ne  frappaient  que  des 
yeux:  sans  regard,  que  des  aveugles.  Non,  la  raison,  toute  chéti- 
ve  qu'elle  soit,  n'est  point  cette  infirme  ;  l'esprit  de  l'homme  n'est 
pas  cet  impotent.  Son  pouvoiresl  très  limité  ;  mais  il  existe.  » 

—  La  Rivista  internazlonale  fait  ressortir  dans  son  Yl'  fasci- 
cule l'importance  de  la  statistique  religieuse,  trop  souvent  mise 
au  second  rang.  Elle  classe  comme  il  suit  les  diverses  religions  : 

Cristianesimo 477,080,000 

Cullo  degli  anlenali  econfucianismo    .     .  25(3,000.000 

Hindouismo 190.000,000 

Maometlanismo 177.000,000 

Buddismo 148,000,000 

Puliteismo .  118,000,000 

Tauismo 43,000,000 

Sinloismo 14,000,000 

IlGiudaismo 7,05(1000 


CHRONIQUE  543 

~  Nous  avons  parlé  île  lenseignemeal  de  Thisloire  des  reli- 
gions à  l'Université  de  Boston.  On  nous  envoie  à  ce  sujet  la  noie 
suivante  que  nous  reproduisons  bien  volontiers  : 

«  Président  Wairen's  chair  in  the  School  of  Thaology  is  tliat  of 
''  Comparative  Theology  and  the  History  and  Pliilosophyof  Re- 
ligion- "  So  far  as  known,  tliis  is  the  oldest  permanent  chair  of 
this  name  ia  America.  He  fully  en'.ered  upon  ils  duties  in  the  year 
1874.  At  tliat  lime  there  Nvere  in  Europe  one  or  Iwo  chairs  of  the 
History  of  Religions,  ad  sorne  few  professors  et  philosophy  ^vho 
from  time  totime  deall  with  the  Pliilosophyof  Religion,  but  the- 
re was  no  university  Avhich  made  il  a  part  of  ils  work  to  teach 
llie  religions  phenomena  of  the  world  in  their  unily,  and  todo 
this  afler  a  hist,ric,  a  .<;yslemalic,  and  a  philosophie  melhod.  In- 
deed,  it  is  not  koown  that  such  a  European  university  can  be 
found  at  the  présent  time  în  view  of  this  uniqueness  of  Président 
Warren's  course,  it  will  doublieis  inlerest  the  reader  lo  learn 
more  of  ils  scope  and  logical  construction.  The  printed  outlines 
placed  in  the  hands  of  the  sludent  enable  m  to  furnisch  the  de- 
sired  information  II  should  be  premiscd  that  the  printed  outlines 
are  bound  up  in  note-books,  otherwisc  blanck,  in  which  the  stu- 
dent  enters  the  results  of  his  prescribsd  original  research  and  his 
notes  of  the  current  lectures.  The  litle  is  ;  ''  Tlie  Religions  of  the 
World  and  the  World-religion.  " 

First  comes  a  General  Introduction.  It  includes  eigh  chaplers 
^vith  the  following  superscrip.lions  :  Subject  matter  of  the  Study  ; 
The  Admissibility  ôf  the  Scientific  Melhod  in  Treating  of  Religions 
Phenomena  ;  Three  Procédures  and  liie  Resu'ting  Groupsof  Scien- 
ces; Sources,  Proxiraate  and  Romole  ;  Personal  Equipinent  ;  Au- 
xiliary  Sciences  ;  Attracliveness,  Ulility  and  Periis  of  the  Study. 

The  foUowmg  is  a  bird's  eye  view  of  the  body  of  the  work  :  — 

BooK  First. 

llie  Religions  Phenomena  of  ihe  Wurld  Ilistoricalli/Consid^ 
ered. 

Introduction. 

Division  I.  History  of  Parlicular  Religions  and  of  llieir  Subordi- 
uate  Forms. 


544  CHRONIQUE 

Division  II.  Hislory  of  Religions  Manifestations  common  lo  se- 
verol  Religions;  cuhninallng  in  Comparalive  Historiés  of  Rela- 
letl  Religions. 

Division  ill  Hislory  of  Religions  Manifeslalions  common  lo  ail 
Religions;  culminaling  in  auniversal  Hislory  of  Ihe  World  reli- 
gion. 

BooK  Second. 

The  Religions  PJunomcnaof'ihe  îl  orldSijslemallcalhj  Cun- 
s  dered. 

Inlroduclion. 

Division  I.  Syslemalic  Exposition  of  Particular  Religions  and 
of  Iheir  Subordinale  Forms. 

Division  il  Syslemalic  Exposition  of  Religions  Manifeslalions 
common  lo  several  Religions;  culminaling  in  Comparalive  Théo- 
logies of  Relaled  Religions. 

Division  111.  Syslemalic  Exposilion  of  Religions  Manifeslalions 
common  lo  ail  Religions  ;  culminaling  in  a  universal  Science  of 
Ihe  World-religion. 

BooR  Trjrd. 

Tiic  IteUgio'i.s,  Plienomcna  :>/'  ihe  W'vrld  Ph'dosophicalbj 
Considered. 

Inlroduclion. 

Division  I  Philosophy  of  Ihe  data  implyingand  variously  illus  • 
Iraling  Ihe  Irue  Ohjecl  of  Religion,  and  His  personal  Bcarin  gover 
againsl  Ihe  Subjecl  in  ihe  unilyof  Ihe  World-religion 

Division  II.  Philosophy  of  Ihe  data  implying  and  variou&lyil- 
luslraling  Ihe  Irue  Subjecl  of  Religion  and  Ilis  personal  Bearing 
overagainst  Ihe  Object  in  ihe  unily  of  ihe  World-religion. 

Division  III  Philosophy  of  Ihe  dala  implying  and  variously  11- 
luslralinglhe  past,  présent,  and  future  Inler-relalions  of  Object 
and  Subjecl  as  gradually  delermincd  and  redelerrained  in  iheone 
vilal  historié  movemcnl  or  process  of  the  World  religion. 

Eachof  Iheabove  "  Divisions  "  is  subdivided  inlo  "  Parts,  " 
and  each  of  ihe  Paris  inlo  Clïpplers  For  example,  in  Book  First, 
Division  I  is  diA^ided  inlo  Ihree  Paris,  the  first  relaling  to  the  Reli- 
gions knownlo  the  Ancient  World  ;  the  second  to  ihose  knoNNn 


CHRONIQUE  545 

to  Ihe  MedicC  al  World  ;  Ihe  lliird  to  Itiose  wliicli  llie  progrès  of 
discovery  and  exploration  duringand  since  Ihe  circumnavigalion 
of  Ihe  globe  has  broughl  to  lighl  Th's  gives  an  inkihig  of  ihe  im- 
raensity  of  ihe  material  wilh  which  ihe  course  lias  lo  deal. 

The  valueaf  sucli  a  hiie  of  uislriiclton  is  mauifesl.  The  public 
leacher  of  religion  cannol  be  loo  familiar  wilh  Ihe  history  and 
slale  of  religion  the  whole  world  over.  Missionariea  on  furlough 
allending  Ihe  course  hâve  repeatedlyexpressed  Iheir  high  appré- 
ciation of  ils  value  11  has  helped  to  make  some  of  ihe  best  mis- 
sionaries  now  in  the  service  of  Ihe  church.  Il  has  rooted  and 
grounded  Ihe  failli  of  niany  a  wavering  mind.  It  prevents  ihe 
young  minisler  from  being  imposed  upon  by  unschoarly  dab- 
blers  who  write  in  Ihe  magazines  or  lecture  ia  the  lyceuras  on 
ethnie  religions.  It  has  given  the  initial  impulse  lo  one  ^vllo  is 
now  recognized  as  one  of  the  mosl  intelligent  and  judicious  of 
American  wrilers  on  Egyptology.  Il  has  been  ihe  inspiration  of 
another  who  is  now  in  Germany  devoting  himself  exclusively  lo 
sludies  and  researches  in  ihis  lleld.  Il  furnishes  the  only  broad 
and  scienlific  basis  for  ihc  defenseof  Ihe  Christian  faith.  Only  ihe 
historic,  syslemalic  and  piiilosophic  students  of  Ihe  religions  of 
the  world  can  see  how^  fully  and  liow^  absolulely  Ghristianity  is 
Ihe  world-religion.  » 

—  A  l'Académie  des  inscriplions  ei  belles-lettres,  séance 
du  12  juillet  1893,  M.  Ilalévy  a  lu  un  mémoire  ayant  pour  li- 
tre: Le  rapt  de  Persephoné  ou  Proserpine  par  Platon,  chez  les 
Babyloniens.  M.  Halevy  fait  remarquer  que  ce  myliie,  que  l'on 
croyait  une  pure  conception  hellénique,  ou  tout  au  moins  une 
transformation  du  mythe  égyptien  d  Isiseld'Osiris,  est  représenté 
dans  un  tableau  cunéiforme  du  quatorzième  siècle  avant  Jésus - 
Christ,  c'està  direoOO  ans  avant  les  écrits  homériques  el  hésio- 
diques.  Ce  tableau  a  été  découvert  à  El-Amarna,  capitale  du  roi 
égyptien  Aménophis  IV. 

Il  provenait  probablement  de  Syrie.  Le  texte  qui  accompagne 
ce  tableau  mentionne  l'entente  survenue  entre  Persephoné  et  son 
ravisseur.  «  Tu  seras,  dit  elle,  le  seigneur,  et  je  serai  la  dame.  » 
M.  Halévy  voit  dans  ces  paroles  une  preuve  de  l'égalité  de  l'hom* 
me  el  de  la  femme  dans  les  conceptions  sémitiques  primitives. 


546  CHRONIQUE 

—  L'Universily  Hall,  dit  la  Revue  de  rhistoire  des  religions 
(n°  janvier-février  1893),  se  rattache  au  même  courant  d'idée, 
qui  a  donné  naissance  en  Angleterre  à  l'University  extension 
movement.  Il  s'agit  de  répandre  parmi  ceux  qui  n'ont  ni  les 
ressources  ni  les  loisirs  de  puiser  directement  aux  sources  de  la 
haute  culture  intellectuelle  et  morale,  des  connaissances  et  des 
goiîts  au-dessus  de  la  médiocrité  et  de  la  grossièreté  de  l'existence 
dénuée  d'alimentation  spirituelle.  11  s'agit  tout  particulièrement 
de  fournir  à  ceux  que  les  formes  ecclésiastiques  de  la  religion 
ne  satisfait  pas,  une  instruction  scientifique  et  sociale  qui  leur 
permette  de  se  faire  eux-mêmes  une  religion  toute  morale  qui 
soit  un  principe  de  progrès  dans  leur  vie  individuelle  et  de  soli- 
darité bienfaisante  dans  la  vie  sociale.  Il  y  a  là  une  tentative  très 
originale  inspirée  par  des  vues  très  élevées  et  qui  mérite  d'autant 
plus  d'attirer  rattenlion  que  ses  promoteurs  comptent  particu- 
lièrement sur  l'enseignement  de  l'histoire  religieuse,  indépen- 
dante de  toute  confession  ecclésiastique  et  consistant  dans  la 
vulgarisation  des  travaux  scientifiques  sur  l'histoire  desrehgions, 
pour  développer  parmi  leurs  auditeurs  celte  religicm  que  l'on 
pourrait  appeler  universaliste  ou  humaine,  parcequ'elle  est  en 
quelque  sorte  la  subsistance  de  toutes  les  religions  particuhères. 
L'œuvre  de  l'Universily  Hall  .se  soutient  uniquement  par  des 
souscriptions  privées.  » 

—  Voici  des  sujets  ti  ailés  par  M.  f  aul  Regnaud  dans  ses  confé- 
rences au  Musée  Guimet  :  La  race  Indo-européenna.  —  Les  pre- 
mières formes  de  sa  religion.  —  Le  sacrifice.  —  les  Védas.  — 
Les  premiers  textes  religieux  de  la  Grèce,  —Origine  et  évolution 
de  l'idée  de  Dieu.  —  Dyaus,  Zeus,  Jupiter.  —  Les  dieux  aèdes  et 
citharédes.  —  La  science  el  la  prescience  divines.  —  Les  oracles. 

—  Les  enfers  et  les  divinités  infernales,  les  démons  —  Le 
culte  des  morts.  —  La  métempsychose.  —  La  délivrance.  — 
Cosmogonie,  —  Origines  de  l'Univers,  des  mondes  et  de  l'homme. 

—  Développement  de  la  liturgie  dans  l'Inde  et  la  Grèce,  — 
Brahmanisme  et  Bouddhisme. 

—  Les  Annales  du  Musée  G^^^mef  ont  donné  la  seconde  partie 
de  la  traduction  du  Yi-Klng  par  M.  Philastre.  Elle  ne  nous  paraît 
pas  intelligible  aux  Européens  et  je  soupçonne  que  les  Chinois 


CHRONIQUE  547 

n'y  comprendront   pss    grand  chose   non  plus.  L'explicalion 
qu'en  a  donné  Mgr  de  Harlez  est  bien  plus  plausible, 

—  Le  Bulletin  de  la  Société  Neuchàteloise  de  géographie 
nous  fournit  les  détails  suivants  sur  l'ouvrage  que  nous  avons 
déjà  signalé  :  An  BnigiU,  de  Charles  Byse  :  «  C'est  une 
étude  sérieuse  et  intéressante,  concernant  un  réformateur  hindou, 
Reshoub  Chauder  Sen,  qui  bouleversa  l'Inde  jusqu'en  4883,  par 
des  tentatives  de  renouvellement  religieux  et  social.  Cet  homme, 
vraiment  extraordinaire  comme  personnalité,  exerça  un  empire 
incontestable  sur  les  adhérents  de  sa  doctrine  et  sur  tous  ceux  qui 
le  connurent.  INéen  1838  d'une  famille  riche  et  distinguée,  il  reçut 
une  éducation  excellente.  Il  eut  de  bonne  heure,  même  dans  son 
enfance,  la  notion  très  claire  de  sa  supériorité,  et  cela  lui  donna 
une  teinie  d'autoritarisme  qui  ne  fut  pas  sans  gêner  quel(jue  peu 
sa  carrière  future.  Il  avait  un  tempérament  d'ascète  11  étudia  les 
diverses  religions,  visita  l'Angleterre  et  la  France,  s'y  fit  expliquer 
les  dogmes  prolestants  et  catholi  ]ues,  et  n'y  trouvant  pas  ce  qu'il 
cherchait,  il  se  rattacha  au  brahmanisme,  auquel  il  imprima  une 
direction  nouve'le,  tout  en  respectant  les  ri  es  fondamentaux.  Sa 
tendance  à  l'austérité  lui  fit  pratiquer  de  bonne  heure  l'abstinence 
du  vin  et  de  la  viande  ;  à  chaque  nouvelle  phase  de  sa  vie,  il 
imagina  de  nouvelles  formes  de  renoncement  et  de  mortification, 
croyant  par  lu  réussir  à  trouver  la  paix  et  la  vérité.  »  Ses  principes 
sont  renfermés  dans  sa  Nouvelle  loi  de  Vie.  licite  souvent  Jésus- 
Christ  avec  respect.  11  pensait  que  tout  ce  qu'il  voulait  et  com- 
mandait à  ses  partisans, venait  du-eclement  d'En-Uaut.  Cet  auto- 
ritarisme excessif  nuisit  à  son  parti  qui  se  scinda,  ce  qui  donne 
a  l'auteur  l'occasion  de  faire  des  comparaisons  très  sages  et  très 
justes  avec  le  morcellement  des  Eglises  protestantes. 

—  On  annonce  la  prochaine  arrivées  Paris  de  .M.  Fihamapala, 
secrétaire  général  de  la  Société  récemnient  fondée  dans  l'Inde 
pour  le  rachat  desheux  saints  du  bouddhisme,  et  celle  de  M.  Si- 
madzi  Mokouraï,  supéi-ieur  du  couvent  bouddisle  de  Tokouzi, 
chai'gé,  il  y  a  quelques  années,  d'une  mission  en  France  pour 
discuter  avec  Litlré  et  avec  M.  Léon  de  Rosny  d'une  réforme 
religieuse  au  Japon. 

—  On  annonce  le  1'='^  volume  d'une  série  qui  comprendra  plu- 


548  CHRONIQUE 

sieurs  ouvrages  destinés  à  faire  connaître  aux  Anglais  de  l'Inde 
l'histoire,  la  géographie,  la  littérature,  la  religion  de  cette  co- 
lonie (l). 

L'initiative  en  est  due  â  M.  Archibald  Constable.  Les  voyages 
du  médecin  et  philosophe  français  François  Dernier,  font  l'objet 
de  cet  ouvrage.  En  1054  Dernier  partit  pour  l'Orient,  visita  la 
Syrie,  l'Egypte,  l'Inde  et  séjourna  12  ans  dans  les  Etats  du  Grand 
Mogol  Aurang-Zeb,  dont  il  devint  le  médecin.  Il  profita  de  ce 
long  séjour  (lOoO-lGGS)  pour  écrire  le  récit  de  ses  voyages  qui 
parut  pour  la  première  fois  en  1670etqu'ildédiaauroiLouisXlV, 
Nous  avons  signalé  déjà  le  travail  de  M.  Gaslonnet  des  Fosses 
sur  le  môme  sujet.  Ses  écrits  furent  plusieurs  fois  réédités  et 
traduits,  mais  il  n'exislait  f-ucune  édition  anglaise  complète  de 
ses  a  Voyages  dans  l'Empire  du  Grand  Mogol  ».  Cette  lacune  est 
aujourd'hui  comblée.  Le  volume  que  vient  de  publier  M.  Archibald 
Constable  contient  une  chronique  oîi  sont  relatés  les  principaux 
faits  de  la  vie  de  Dernier,  une  bibliographie  des  œuvres  de  ce 
savant,  ainsi  que  la  lisle  des  ouvrages  qui  ont  trait  à  sa  vie  et  à 
ses  aventures.  —  Quoique  plus  de  deux  siècles  se  soient  écoulés 
depuis  l'époque  où  Dernier  visitait  l'empire  du  Grand  Mogol,  on 
lit  avec  intérêt  ses  descriptions  fidèles,  ses  observations  prises  sur 
le  vif,  écrites  avec  entrain,  et  dont  plusieurs  ont  conservé  toute 
leur  valeur.  La  tentative  de  M.  Archibald  Constable  mérite  d'être 
encouragée  et  sa  série  de  publications  orientales  sera  certai- 
nement accueillie  avec  faveur. 

—  La  théologie  est-elle  en  décadence  ou,  pour  parler  plus  in- 
telligiblement, y  a-t-il  décroissement  dans  le  sentiment  religieux 
des  peuples  au  point  de  vue  des  confessions,  des  rites,  des  pra- 
tiques qui  leurs  sont  habituels  ?  En  un  mot,  l'homme  de  nos  jours 
est-il,  comme  celui  du  moyen  âge  par  exemple,  prêt  à  tout  subor- 
dorner  dans  sa  vie  et  au  moment  de  sa  mort,  aux  préceptes  de  la 
religion  dans  laquelle  il  est  né  ?  Telle  est  la  question  qu'envi- 
sage M.  John  Durroughs,  qui  conclut  à  la  négative,  dans  un  des 
des  derniers  numéros  de  la  Nord  American  Rcview. 

(1)  Constahlé''s  Oriental  Uiscellany  of  original  and  selecled  publi- 
cations. Voll.  Bernier's  Travels  in  the  Mogol  Empire  1656-1668. 
"Westminster,  1891. 


CHRONIQUE  549 

11  est  hors  de  doute,  dit  M.  John  Burroughs,  que,  des  deux 
conceptions  rivales  et  contradictoires  de  l'univers,  la  conception 
scienlifique  et  la  conception  théologique,  la  dernière  va  s'affai- 
blissant  sans  cesse,  tandis  que  la  première  se  fait  plus  forte  de 
jour  en  jour.  Aux  Wl  et  XYl^  siècles,  la  conception  théolo- 
gique régnait  souverainement  sur  l'esprit  humain.  A  peine  ren- 
conlrait-on  çà  et  là  un  hardi  penseur  comme  Bruno  ou  Roger 
Bacon  pour  se  révolter  contre  elle.  Mais,  de  nos  jours,  elle  a  élé 
si  bien  modifiée  par  la  science  qu'elle  est  devenue  méconnais- 
sable... Jadis,  chaque  événement,  chaque  fait  historique,  chaque 
phénomène  naturel  n'apparaissait  qu'à  travers  cette  conception 
théologique  ;  c'est  en  elle  qu'a  pris  naissance  la  croyance  à  la 
magie,  à  l'aîchiraie,  à  l'astrologie,  à  la  sorcellerie,  à  la  possession 
démoniaque,  aux  apparitions,  aux  miracle.s,  aux  charmes,  aux 
exorcismes.  Toutes  ces  notions  s'accordaient  parfaitement  avec 
la  conception  théologique,  la  conception  d'un  univers  construit 
et  gouverné  par  un  être  anlhropomorphique.  La  croyance  au 
diable  ou  à  un  esprit  du  mal,  qu'on  chargerait  de  tous  les 
malheurs,  de  tous  les  ll-^aux,  de  tous  les  désastres,  devint  une 
nécessité. 

«  Copernic  Newton  et  Darwin  ont  tué  la  théologie  !  La  voilà 
confinée  dans -le  domaine  de  Vlnv  cri  fiable.  Et  maintenant 
qu'elle  hurle  ses  analhèmes  à  la  science,  qu'elle  consigne  les 
^philosophes  païens  au  purgatoire,  qu'elle  damne  les  enfants, 
qu'elle  absolve  les  meurtriers,  qu'elle  s'appelle  calvinisme,  mé- 
thodisme, catholicisme,  raillénisme,  qu'elle  conserve  encore  son 
influence  spirituelle  sur  les  masses,  son  temps  est  fini  et  son 
pouvoir  s'évanouit. 

La  science  a  dû  emporter  de  force  chaque  pouce  de  terrain 
conquis.  La  théologie  n'a  pas  rendu  une  province  qu'elle  n'en 
eût  été  chassée.  Mais  la  voici  contrainte  à  la  retraite  :  sa  i  ivale 
triomphante  occupe  maintenant  les  quatre  cinquièmes  de  son 
ancien  territoire.  La  magie  et  la  sorcellerie  sont  mortes,  la 
croyance  aux  miracles  s'en  va  tous  les  jours.  Déjà,  chez  les  pro- 
testants, cette  croyance  se  limite  a  une  infime  période  de  l'his- 
toire; à  quelques  mii'acles  du  Nouveau  Testament,  qu'on  abandon- 
nera probablement  demain.  »  C'est  ainsi  que  M.  John  Burroughs 


550  CHRONIQUE 

conslale  avec  quelle  rapidité  l'almosphère  de  noire  temps 
s'éclaircit  des  fumées  et  des  gaz  délétères,  qui  lavaient  envahie 
au  beau  temps  de  la  théologie.  Renan,  avec  sa  gaieté  divine  et  sa 
sereine  raison,  a  été  l'une  des  forces  qui  ont  accompli  ce  prodige. 
Enfin,  M  John  Burroughs  conclut  que  la  conception  religieuse 
ira  s'élargissant  sans  cesse,  jusqu'à  ce  que  ce  mot  de  religion  ait 
perdu  son  sens  spécial  et  restreint. 

Nous  conseillerons  à  M.  John  Burroughs  et  aux  rédacteurs  de 
la  Revue  américaine  qui  penseraient  comme  lui,  de  lire  le  tra- 
vail sur  ce  sujet,  mis  au  concours  et  couronné  par  lliislilut 
catholique  de  Paris.  Ils  y  verront  que  leurs  objections  sont  loin 
d'être  sans  réponse,  et  que,  malgré  eux,  la  théologie  aura  encore 
de  beaux  jours. 

—  La  maison  Hirt,  de  Breslau,  publie  un  nouveau  volume  de 
de  l'ouvrage  contenant  l'histoire  de  la  civilisation  à  travers  les 
âges  (1).  Le  Bulletin  de  la  Socu'iô  de  Géographie  de  Neuf- 
chatel  en  fait  le  résumé  suivant  : 

Le  volume  se  compose  de  deux  parties  :  la  première  comprend 
î'étudedel'antiquité  jusqu'à  la  chute  du  paganisme,  et  la  seconde 
part  de  cette  époque  pour  arriver  au  commencement  du 
XLV  siècle  C'est  un  cours  d'histoire  de  la  civilisation  à  toutes 
les  époques,  dont  tous  les  dessins  originaux  ont  été  reproduits 
d'après  les  documents  du  temps  ;  rien,  en  un  mol,  qui  repose 
sur  des  bases  imaginaires  ou  contestables,  comme  c'est  trop 
souvent  le  cas  dans  des  ouvrages  similaires  destinés  à  la  jeunesse. 
L'intérêt  du  livre  réside  aussi  dans  le  texte  explicatif  traité  avec 
une  science  admirable.  C'est  dans  ces  pages  qu'il  faut  chercher 
les  renseignements  relatifs  à  la  signification,  par  exemple,  des 
symboles  que  porte  tel  dieu,  ainsi  que  la  description  complète  du 
costume  de  guerre  de  tel  ou  tel  peuple. 

Quelques  articles  consacrés  à  dilïérents  points  de  civilisation 
antique  montrent  une  érudition  vaste  et  solide  et  seront  d'un 
grand  secours  pour  l'étude  de  certaines  parties  historiques  peu 
connues. 


(1)  Fcrdinant  llirV/f,  hlslonsche  Hildcrtafcln,  Ferdinand    Hiht, 
Breslau. 


CHRONIQUE  551 

La  vie  sociale  des  peuples  anciens  fournit  une  riche  série  de 
documents  de  toute  espèce  :  chariots  de  guerre,  groupes  de  com- 
battants, forteresses,  scènes  de  labourage  dans  la  plaine  du  Nil, 
statuaires,  travaux  divers  d'ouvriers ,  etc. 

L'histoire  se  poursuit  ainsi  à  travers  tous  les  peuples.  Nom- 
breuses et  savantes  sont  les  planches  consacrées  à  la  civilisation 
des  Grecs,  à  leur  religion,  à  leurs  temples,  â  leurs  théâtres,  à 
leurs  jeux,  à  leurs  cérémonies,  à  leurs  combats.  Aux  scènes  de^ 
riiistoire  grecque  succèdent  celles  qui  se  rapportent  aux  Romains. 
Ici,  ce  sont  les  documents  de  la  vie  militaire  qui  prédominent 
chez  ce  peuple  essentiellement  guerrier.  Ces  feuilles  représentent 
les  combats  des  gladiateurs,  les  ttiéàtres,  les  naumachies,  etc. 
Aucune  description,  toute  fidèle  qu'elle  soit,  ne  pourra  donner, 
sous  des  formes  aussi  frappantes  et  vives,  l'intuition  de  ces 
grandes  scènes  et  de  ces  grands  spectacles, 

La  vie  publique  est  caractérisée  par  les  difTérents  costumes 
romains,  par  une  esquisse  représentant  l'animation  d'une  rue  de 
la  ville  du  Tibre,  avec  ses  marchands  ambulants,  sa  cuisine  en 
plein  vent,  ses  bou  iques,  etc  ;  par  un  plan  du  forum  avec  ses 
temples  admirables,  ses  superbes  statues,  ses  colonnes  splen- 
dides.  Le  monde  romain  se  termine  par  une  planche  relative  aux 
premiers  établissements  du  christianisme. 

Les  feuilles  suivantes,  principalement  réservées  à  l'histoire  de 
l'Allemagne,  nous  décrivent  la  vie  du  temps  des  populations  des 
cavernes,  des  lacs,  par  une  nombreuse  série  d'objets,  d'outils, 
d'armes  employés  pendant  celte  période  lointaine.  Les  pages 
suivantes  passent  en  revue  la  civilisation  du  Moyen  Age,  celle 
des  temps  modernes  jusqu'à  nos  jours, 

—  Nous  retrouvons  dans /es  Langues  et  les  raoes,  déjà  citées,  de 
M  André  Lefèvre,  professeur  à  l'École  d'Anthropologie  de  Paris, 
les  principes  de  l'auteur  que  nous  avons  eu  si  souvent  à  signaler. 

M.  A.  Lefèvre  devrai!  d'abord  approfondir  davantage  les  études 
linguistiques  et  prendre  une  connaissance  plus  complète  des 
ouvrages  récents  qui  leur  ont  été  consacrés. 

On  devine  ses  opinions  sur  l'origine  du  langage.  L'auteur, - 
posant  en  principe  que  nous  descendons   d'un   anthropoïde, 
rejette  la  création  d'un  homme  doué  de  la  faculté  du  langage  dès 


552  CHRONIQUE 

son  apparition  sur  celle  terre.  D'autre  part^  il  pose  le  principe 
que  le  langage  articulé  est,  avec  l'usage  du  feu,  lattribut  carac- 
téristique de  Thomnie.  L'anliiropoïde  qu'il  se  donne  pour 
ancêtre,  n'avait  donc  pas  le  langage,  et  il  la  acquis  peu  à  peu,  6 
mesure  que  lui  môme  se  transfo  mait  en  homme. 

A  propos  de  l'unité  primitive  du  langage,  Tauleur  affirme  que 
les  langues  sémitiques  ne  peuvent  pas  avoir  la  même  origine 
.que  les  langues  aryennes,  «  leur  supposât-on  une  période  com- 
mune, soit  monosyllabique,  soit  agglutinante  »,  à  cause  de  leurs 
procédés  flexionnels.  Mais  toutes  ces  thèses  sont  loin  d'être 
démontrées. 

Pour  montrer  jusqu'à  quel  point  l'esprit  de  parti  et  la  haine 
des  idées  religieuses  le  trouble,  nous  citerons  seulement  ces 
deux  assertions  de  l'auteur.  «  Les  Péruviens,  nous  dit-il,  comme 
les  Mexicains,  ont,  en  grande  partie,  survécu  à  la  terrible  inva- 
sion catholique,  et  quoique  longtemps  accablés  du  coup  qui  les 
avait  frappés,  longtemps  abrutis  par  des  superstitions  de  beau- 
coup inférieures  à  leurs  anciennes  croyances  religieuses,  ils 
relèvent  la  lète  et  réclament  leur  place  parmi  les  peuples  libres  » 
(p.  141).  Et  ailleurs  :  «  Le  christianisme,  gardant  par  devers 
lui  quelques  bribes  du  latin,  la  science  du  temps,  prêchait  aux 
populations  nouvelles  la  résignation,  la  pauvreté  d'esprit, 
l'obéissance  et  l'ignorance  (p.  IGl).  »  Après  cela,  on  peut  tirer 
léchelle. 

—  Ein  Streifzurj  durch  Indien,  von  Emil  Selenka,  est  un 
simple  récit  de  voyage  dans  les  Lides.  On  lira  surtout  avec 
intérêt  les  détails  donnés  par  laulDur  sur  Benarès,  la  ville  sainte 
par  exceilerxe,  la  Jérusalem  des  Indous.  L'auleur  n'a  garde  d'ou- 
blier d'assister  plusieurs  fuis  aux  ablutions  des  fidèles  dans  les 
eaux  sacrées  du  Gange.  Il  nous  dépeint  le  spectacle  singulier  de 
tous  ces  pèlerins  des  deux  sexes  s'aspergeant  d'eau  ou  se  avant 
,  tout  en  récitant  des  prières.  A  celte  occasion  il  nous  donne  des 
aperçus  de  la  religion,  des  mœurs  des  indigènes  ;  l'auteur  s'apitoie 
sur  la  condition  misérable  des  femmes  et  surtout  des  veuves  dont 
la  vie  n"est  qu'un  long  martyre  ;  quelques  unes  de  ces  dernières 
peuvent  entrer  dans  celte  triste  condition  dès  l'âge  de  sept  ans. 
Après  la  desciiplion  de  Benarès,  vient  celle  de  la  ville  d'Agra, 


CHRONIQUE  553 

Tancieniie  cilé  royale,  riche  de  magnifiques  temples  dont  l'un,  le 
Tadsch  Maiiall,  l'emporle  sur  tous  par  sa  majesté  et  sa  splendeur, 
de  telle  sorte  qu'on  dirait  u  qu'il  a  été  construit  par  des  géants  et 
embelli  par  des  joailliers  »  et  qui  renferme  le  tombeau  de  Arja- 
mend,  femme  de lempereur  «leSciiali  Jean  ».  Suivant  la  légende, 
le  monument,  qui  coûta  80  millions,  aurait  été  élevé  en  22  ans 
par  22000  hommes. 

—  A  signaler  encore  dans  le  même  ordre  d'idées,  l'ouvrage 
suivant  : 

Charakterisirung  der  Epik  der  Malaicn,  von  Prof.  D'  Ren- 
ward  Brandstetter,  Luzern,  Biichdruckerei  von  (rebriider  Raber. 
Ce  travail  de  M.  le  professeur  Brandstetter  s'occupe  des  popu- 
lations malaies,  au  point  de  vue  de  h  poésie  épique  de  ces  peu- 
plades. Les  savants  hollandais  ont,  depuis  quelque  dix  ans, 
étudié  à  fond  toutes  les  branches  scientifiques  se  rapportant  à 
leurs  colonies  malaies  :  les  résultats  de  leurs  recherches  eihno- 
graphiques  et  géographiques  sont  connus  du  public  savant;  par 
contre,les  travaux  philologiques  sont  peu  répandus  en  dehors  des 
académies  des  Pays-Bas.  C'est  pour  mettre  ses  lecteurs  allemands 
au  courant  de  ce  mouvement  linguistique  que  M.  Brandstetter 
publie  ce  volume  sur  la  poésie  épiijue  des  peuples  malais.  La 
littérature  populaire  de  ces  tribus  est  assez  étendue,  mais  la 
principale  branche  en  est  l'épopée  qui  compte  un  grand  nombi-e 
de  poèmes  dont  quelques-uns  sont  encore  inédits.  L'auteur  a  ei- 
trepris  de  nous  faire  connaître  trois  de  ces  chants  épiques  :  le 
Bidasari,  le  Ken  Tambuhan  et  le  Jatim  Nustapa.  Les  textes  réunis 
comprennent  24000  vers.  » 

—  On  lira  avec  fruit  le  beau  livre  de  M.  Charaux,  l'Histoire 
et  la  r*?»s('e. L'auteur  pari  avec  raison  de  ce  principe  que  la  vérité 
philosophique  touche  de  trop  prés  à  la  religion  et  aux  sentiments 
les  plus  intimes  pour  n'être  que  le  fruit  du  raisonnement,  on  ne 
la  découvre  bien  qu'en  la  recherchant  aussi  avec  son  cœur  : 
le  vrai  philosophe  est  surtout  un  sage  comme  le  proclamait  le 
P.  Gratry. 

L'auteur  se  propose  une  explication  supérieure  des  événements 
humains  par  l'analyse  de  la  pensée  individuelle-  La  psychologie 
explique  Thistoire,  et  celle-ci,  à  son  tour,  explitiue  la  psychologie. 


554  CHRONIQUE 

L'histoire  des  races,  des  peuples,  à  travers  les  âges  et  sous  tous 
les  climats,  n"est  que  le  développement  tragique  de  celte  nature 
humaine  que  chacun  porte  toute  entière  en  lui-même 

—  La  nomination  de  M.  Pierre  Laffitte  à  une  chaire  d'Ois- 
ioire  générale  des  sciences  3i  donné  une  sorte  de  consécration 
officielle  à  ,1a  doctrine  d'Auguste  Comte.  Examiner  la  portée 
du  positivisme  chez  son  fondateur  devient  donc  une  actualité. 
C'est  ce  que  vient  de  faire  le  P.  Roure  dans  un  article  des  Eludes 
du  mois  de  janvier. 

Il  montre  par  les  textes  mêmes  d'A.  Comte  que  le  positivisme 
n'est  qu'une  méthode,  une  méihode  a  priori,  incomplète,  menant 
fatalement  au  matérialiste.  Or,  une  méthode,  et  surtout  une  telle 
méthode,  ne  sera  jamais  une  doctrine,  encore  moins  une  religion, 
pas  plus  qu'un  échafaudage  ne  deviendra  un  bâtiment  ou  un 
temple. 

II.  Religion  clirétienne.  —  La  librairie  Marne  pu- 
blie L'Art  ancien,  par  A  Pellissier.  Après  une  introduction 
générale  sur  le  beau  dans  la  nature  et  dans  les  arts,  sorte 
d"abrégé  esthétique,  l'auteur  passe  en  revue  l'architectui-e, 
la  peinture  et  la  musique  en  Egypte,  chez  les  Assyriens,  les 
Phéniciens  et  les  peuples  de  l'Asie  Mineure.  Il  décrit  ensuite 
les  principaux  monuments  qu'a  laissés  derrière  lui  le  génie  de 
la  Grèce,  en  citant  les  aristes  célèbres  qui  ont  illustré  le  siècle 
de  Périclès.  Le  liv;-e  se  termine  par  un  chapitre  consacré  à  l'art 
romain,  à  l'architecture  du  siècle  d'Auguste  et  aux  monuments  de 
Rome.  Cet  ouvrage  instructif,  est  enrichi  de  nombreuses  gravu- 
res. 

—  On  lira  avec  intérêt  les  Essais  lUiirgiques  sur  la  dispo- 
siUo7i  intérieure  et  l'ornementation  des  ég'ises,  publiés  à 
Vannes,  chez  Lafolye,  parle  P.  Rio,  de  la  Compagnie  de  Marie. 

Après  quelques  délails  sur  la  situation  de  l'autel  et  du  chœur, 
l'auteur  traite  du  baldaquin  ou  ciboriura  et  montre  la  beauté  vraie 
de  cet  ornement  et  le  symbolisme  qui  s'en  dégage.  Les  parements 
d'autels,  négligés  en  France,  ont  cependant  Taulorité  d'usages  très 
anciens  dans  1  Égli.se,  «  et  qui  ont  eux-mêmes  des  affinités  sin- 
gulières avec  certains  rites  du  cérémonial  judaïque  ».  D'après  le 


CHRONIQUE  555 

P.  Rio,  la  croix  ou  crucifix  rappelant  la  Passion  serait  d'origine 
apostulique:  cependant  le  plus  ancien  crucifix  vérilable  qu'on 
connaisse  ne  date  que  du  v*"  siècle  ;  il  se  trouve  à  la  calacombe 
de  Sainl-Valentin. 

—  L'ouvrage  de  M.  L.  W.  Schreiber  ;  Manuel  de  l'amateur 
de  la  gravure  sur  bois  et  sur  mélalau  xv=  siècle  publiée  à  Ber- 
lin, cbezCobn,  nous  présente  un  cataloguo  exact  et  raisonné  des 
gravures  du  xv^  siècle.  Il  était  difficile  de  tracer  une  limite  exacte 
entre  les  œuvres  du  xv^  et  celles  du  xvi"^  siècle.  L'auteur  a  trouvé 
une  classification  simple  et  complète.  Ne  pouvant  procéder  à  un 
classement  par  date,  il  a  adopté  celui  par  sujet  représenté.  C'est 
ainsi  que,  dans  le  premier  volume,  des  chapitres  sont  consacrés 
aux  gravures  des  scènes  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament, 
de  l'histoire  apocryphe  et  légendaire,  aux  estampes  représentant 
Dieu,  la  Sainte  Trinité,  Jésus- Christ  et  la  Sainte  Vierge  :  chacun 
de  ces  titres  se  subdivise  en  de  nombreux  paragraphes. 

—  Les  travaux  sur  l'Apocalypse  ne  manquent  pas.  Nous  avons 
à  signaler  celui  du  P.  Tiefenthal  :  Die  Apocalypse  des  hl. 
lohannes  erklartfiir  Theologiesludierende  und  Tlieologen. 
C'est  un  gros  volume  qui  témoigne  d'une  érudition  solide.  Son 
but  n'est  pas  de  réfuter  les  erreurs  historiques  et  critiques  des 
rationalistes.  Il  ne  donne  pasù  l'étude  des  rapports  du  quatrième 
Évangile  avec  lApocalypse  tout  le  développem  ni  que  l'on  au- 
rait le  droit  d'y  trouver.  11  ne  devrait  pasn-i'gligernon  plus  le  pro- 
blème de  la  conformité  que  présente  l'Apocalypse  canonique  avec 
les  autres  écrits  apocryphes  et  judaïques  de  cette  époque. 

Le  R.  P.  Tiefenthal  n'étudie  pas  cette  question.  Aussi  traite-t- 
ilau  long,  dans  son  Introduciion,  de  la  tradition  exégélique  et 
historique  au  sujet  de  l'Apocalypse.  Ce  qu'il  dit  des  témoignages 
des  premiers  siècles  sur  l'aulhenlicité  et  la  canonicité  du  livre  est 
complet.  Elabir  l'époque  de  la  composition  de  l'Apocalypse  est 
une  des  plus  importantes  questions  que  l'on  puisse  traiter.  L'é- 
cole rationaliste  a,  sur  ce  point,  une  opinino  bien  définie.  Le  P. 
Tiefenthal  s'étabit  en  défenseur  de  l'opinion  traditionnelle  qui 
place  la  composition  de  l'Apocalypse  sous  Domitien 

—  Voici  qu'elle  était  la  situation  de  l'Kcole  Biblique  de  Jéru- 
salem au  commencement  de  l'année  1893. 


556  CHRONIQUE 

Trois  jeunes  prêlres  sont  venus  s'installer  au  couvent  deSaint- 
Eiienne  dans  le  but  de  compléter  leurs  éludes  d'Écriture  Sainte. 
Les  cours  d'exégèse,  qui  servent  de  cours  d  hébreu,  seconde  an- 
née, ont  eu  vingt-trois  auditeurs  :  trois  ecclésiastiques,  neuf  re- 
ligieux Augusiinsde  l'Assomption  et  onze  Dominicains.  Le  cours 
d'hébreu,  première  année,  a  été  suivi  par  un  des  ecclésiastiques 
déjà  mentionnés,  deux  dominicains  Espagnols,  et  onze  religieux 
Assomptionnistes  nouveaux.  Les  cours  d'arabe  se  partagent  les 
étudiants  des  deux  années  dans  la  même  proportion.  Les  cours 
d'archéologie  et  de  géographie  réunissent  tout  le  monde,  de  32  à 
3i  personnes.  Le  cours  d'assyriologie  a  été  commencé  avec  qua- 
tre auditeurs.  La  gamme  des  nalionahtés  est  des  plus  variées  : 
l'Espagne,  l'Allemagne,  l'Ilalio,  r.\ulriche,  la  Pologne,  la  Belgi- 
que sont  représentées,  mais  l'immense  majorité  est  française. 

—  Ceux  qui  ont  suivi  la  polémique  dirigée  par  le  regretté  abbé 
Martin  contre  les  manuscrits  grecs  onciaux  ne  seront  pas  fâchés 
d'apprendre  que  ses  idées  n'ont  pas  été  complètement  abandonnées. 
Il  s'appuyait  surtout  sur  l'autorité  de  la  version  syriaque  Pes- 
cliilo,  et  il  démontrait  qu'on  avait  eu  tort  de  lui  préférer  comme 
plus  ancien  le  texte  publié  par  le  Rév.  Cureton.  M.  G.  H.  Gwil- 
liam  a  repris  la  question.  Dans  un  premier  article  publié  dans 
les  Studia  hiblica  (188o),  A  Syriac  Diblical  Manuscripi  of 
the  fifth  centurij,  il  avait  abouti  aux  conclusions  suivantes  : 
1"  Nous  avons  dans  le  texte  reçu  de  la  Peschito  la  même  version, 
avec  toutes  ses  particularités  importantes  qu'on  lisait  dans  l'Église 
d'Édesse  au  milieu  du  cinquième  siècle.  2"  Nous  arrivons  ainsi  à 
une  époque  au  moins  contemporaine  des  plus  anciens  manus- 
crits grecs,  ces  fameux  onciaux.  La  Peschito  leur  est  con- 
traire, favorisant  ordinairement  le  texttis  receptus.  Si  on  pré- 
fère les  onciaux  à  la  Peschito,  il  faut  résolument  admettre  que 
1  Eglise  syrienne  a  fait  sa  version  sur  u:ie  Yulgate  fort  corrom- 
pue. 

—  Les  historiens  de  sainte  Philomène  ont  obéi  à  deux  tendances 
exiessives  et  opposées.  François  de  Luciaen  Italie,  le  P.  Barelle, 
S.  J.,  en  France,  les  deux  principaux  historiens  de  cette  martyre, 
ont  basé  leur  récit  sur  les  ré  délations  de  sœur  Marie  Louise  de 
Jésus  (de  Naples),  révélations  qui  n'ont  subi  'ni  1  examen  ni  le 


CHRONIQUE  557 

jugemenl  d'aucune  aulorilé  compétente,  et  qui  conliennenl  des 
erreurs  et  invraisemblances  historiques. 

M.  Petit  a  écrit  une  autre  vie  de  la  sainle  ;  il  s'est  sagement 
écarté  de  ces  extrémités.  Il  reconnaît  que  les  ciitonslances  de  sa 
vie  et  de  sa  mort  sont  ignorées,  et  que  les  seuls  documents  sont 
l'inscription,  son  texte,  les  symboles,  la  fiole  de  sang  et  le  lieu 
du  tombeau.  Le  sépulcre  de  sainle  Philomène,  trouvé  en  1802,  à 
la  calacombe  de  Priscille  était  formé  par  trois  tuiles  portant, 
peintes  au  minium,  1  inscriplion 

FAX  TEGYM  FILYMENA 

D'autre  part,  M.  de  Rossi  a  prouvé  que  les  inscriptions  peintes 
de  la  sorte  remontent  à  une  époque  qui  commence  à  Tàge  apos- 
tolique et  finit  au  milieu  du  second  siècle.  L'exiguité  du  lôculus 
et  l'examen  ostéologique  des  précieux  ossements  de  la  martyre 
démontrent  qu'elle  dut  mourir  à  la  fleur  de  l'âge. 

—  Gomme  les  années  précédentes,  les  Conférences  d'-.  No- 
tre-Dame, par  Mgr  d'HuIst,  ont  été  publiées. 

La  première  station  des  conférences  sur  la  morale  a  été  consa- 
crée à  étudier  les  fondements  de  la  moralité.  Le  conférencier, 
dans  la  seconde  station,  a  abordé  l'exposition  des  devoirs  de 
l'homme  envers  Dieu,  envers  ses  semblables  et  envers  lui- 
même.  Il  emprunte  à  la  Morale  naturelle,  h  la  Révélation,  à 
l'Hislo-re,  à  la  Sociologie,  le  commcniaire  du  Décalogue.  Les 
conférences  de  1892  se  rapportent  au  premier  commandement. 
Pour  épuiser  le  premier  commandement,  il  reste  ù  traiter  de  la 
vertu  de  Religion.  C'est  par  là  qu'ont  commencé  les  conférences 
en  1893.  Elles  se  continueront  par  le  deuxième  et  le  troisième 
commandement.  Voici  les  sujets  de  ces  conférences  :  1'"'=  :  L'ado- 
ration. 2"  La  prière.  S^  Le  sacrifice.  4'  Le  respect  du  nom  divin. 
5*^  Le  Dimanche  de  Dieu.  6'  Le  Dimanche  de  l'homme. 

—  Signalons  une  Histoire  méditée  de  Sainte  Foy,  par  l'abbé 
JeanCayla. 

L'auteur  croit  à  l'apostolicitô  de  1  Église  d'Agen,  fondée  par 
saint  Martial,  évêque  de  Limoges,  dans  un  de  ses  voyages  d'é- 
vangélisation.  On  ne  lui  connaît  pas  d'évêque  avant  saint  Gaprais, 


558  CHRONIQUE 

vers  282.  C'est  à  celte  époque  qu'apparaît  sainte  Foy.  L'édit  de 
persécution  vient  d'être  lancé  par  Dioclétien.  Dacien,  le  procon- 
sul, accourt  d'Espagne  en  Gaule  pour  en  assurer  l'exécution.  A 
son  approche,  les  chrétiens  d'Aginnum  et  le  pasteur  lui-même 
cherchent  un  refuge  dans  les  forêts  voisines.  Foy,  qui  n"a  pas 
pris  la  fuite,  est  dénoncée  par  son  propre  père  ;  étendue  sur  un 
gril  ardent,  elle  convertit  sa  sœur  Alberto.  Cependant  l'évèque 
Caprais,  rougissant  de  son  premier  mouvement,  revient  en  hâte 
et  est  immolé  ainsi  que  les  frères  Nit'obriges,  Prime  et  Félicien, 
et  environ  oOO  chrétiens.  Leurs  reliques  reposèrent  à  Agen  jus- 
qu'au IX"  siècle.  Adon  rapporte  le  volet  la  translation  des  reliques 
de  sainte  Foy  à  Conques,  au  diocèse  de  Rodez  ;  c'est  là  qu'ense- 
velies dans  l'oubli,  elles  ont  été  naguère  retrouvées,  le  26  avril 
1875  .Celles  de  sainte  Alberle  furent  transportées  à  Périgueux, 
et  de  là  à  Venerques,  au  diocèse  de  Toulouse. 

—  Les  progrès  du  catholicisme  en  Angleterre  sont  incontesta- 
bles ;  mais  peut-être  exagérons-nous  parfois  les  résultais.  A  en 
juger  par  l'augmentation  du  nombre  des  prêtres  et  des  Églises, 
nous  paraissons  avoir  avancé  rapidement  En  18ol,  la  population 
de  l'Angleterre  et  du  pays  de  Galles  élait  de  17,927,009  ;  en  1890, 
elle  était  de  29,001,018,  ce  qui  constitue,  en  chiffres  ronds,  une 
augmentation  de  60  CjO.  Les  Églises  catholiques  en  1851  étaient 
au  nombre  de  586,  et  en  1890,  il  y  en  avait  1.135.  Pendant  la 
même  période  le  nombre  des  prêtres  s'est  élevé  de  826  à  2,478  ; 
ainsi  l'augmentation  a  été  au  taux  de  300  0/0  pour  les  prêtres  et 
de  132  0[0  pour  les  Églises.  En  concédant  qu'une  grande  immi- 
gration de  catholiques  irlandais  a  eu  lieu,  11  semblerait  que  l'aug- 
mentation de  la  communauté  catholique  a  fait  plus  que  de  mar- 
cher de  pair  avec  celle  de  la  population  générale. 

Il  ne  faut  pas  cependant  se  dissimuler  qu'il  y  a  eu,  qu'il  y  a 
encore  de  grandes  pertes  et  que  nous  avons  si  peu  entamé  les 
classes  moyennes,  qu'il  n'y  a  que  les  catholiques  optimistes  qui 
puissent  entretenir  l'espoir  de  la  conversion  du  pays  dans  un 
temps  rapproché. 

Au  cours  d'un  article  sur  le  Pèlerinage  de  l\onie,  l'éditeur  du 
Times  a  déclaré  que,  "  en  dépit  du  Ritualisme  et  du  haut  An- 
glicanisme, jamais  l'Angleterre  n'avait  été,  moins  que  mainte- 


CHRONIQUE  559 

nant,  disposée  à  retournera  l'Église  romaine.  "  Sans  être  pessi- 
miste, nous  sommes  disposé  à  reconnaître  qu'il  y  a  du  vrai  dans 
cette  manière  de  voir. 

—  M""^  la  duchesse  d'Albe  a  publié  un  recueil,  sous  le  litre  :  Do- 
cumentos  escogidos  del  archivo  de  la  casa  de  Alha.  On  sait  que 
Diego,  fils  du  grand  navigateur,  avait  épousé  la  fille  duducd'Albe. 
Christophe  Colomb  a  beaucoup  écrit  :  ses  papiers,  longtemps 
conservés  avec  soin,  furent  dispersés,  jugés  inutiles;  c'est  une 
portion  de  ce  trésor  qu'a  exhumé  la  duchesse  d  Albe.  On  y  trouve 
desdocuments  relatifs  aupartagedes  découvertes  faites,  par  laBuUe 
d'Alexandre  VI,  aux  droits  du  grand  navigateur,  aux  sommes 
qu'il  rapporta  de  ses  voyages,  et  le  fac-similé  d'une  pièce  très  cu- 
rieuse sur  le  privilège  accordé  par  les  rois  catholiques.  D'autres 
pièces  se  rapportent  à  lui,  à  sa  troisième  expédition,  à  une  en- 
quête ouverte  à  Hispaniola  et  même  un  acte  notarié  regarde 
sa  pemière  expédition.  Ces  documents  apportent  une  utile  con- 
tibution  à  l'histoire  de  Christophe  Colomb. 

—  Nous  empruntons  au  Moniteur  de  Rome  les  renseignements 
suivants  sur  les  dernières  excavations  pratiquées  dans  les  cala- 
combes  sous  la  direction  de  la  Commission  d'archéologie 
sacrée  : 

«  Au  cimetière  de  Priscilla  on  a  trouvé  d3  nombreuses  inscrip- 
tions, soit  gravées  sur  le  marbre  soit  peintes  en  rouges  sur  la 
brique.  Elles  portent  des  symboles  fort  anciens,  comme  l'ancre, 
le  poisson,  le  navire,  l'image  du  Bon  Pasteur,  et  même  la  croix 
que  l'on  appelle  monogrammatique,  qui  est  très  rare  dans  les 
monuments  antérieurs  à  la  paix  de  Constantin. 

«  Les  textes  gravés  sur  le  marbre  offrent  les  noms  des  Clandii, 
des  Caipurnii,  des  Domiiti,  des  Aniistii,,  etc.,  qui  ne  sont  pas 
sans  importance,  ils  fournissent  aussi  des  acclamations,  parmi 
lesquelles  nous  signalerons  la  suivante  :  artesiidora  semper 

VIVES  IN  DEO, 

«  Il  y  a  une  inscription  surtout  qui  se  distingue  des  autres  par 
une  formule  remarquable,  prouvant  la  confiance  des  anciens 
chrétiens  dans  l'intercession  des  défunts  en  faveur  des  survivants. 
Nous  la  reproduisons  avec  ces  locutions  fautives  : 


560  CHROiNIQUE 

MARINE   IM 
MENTEM 

NOS 
HABETO 
D  V  0  B  \'  S 

«  Oh  !  Mariniis,  souviens-toi  de  ?ious  deux.  »  Celle  prière, 
adresssée  évidemment  par  les  parents  à  leur  enfant  Mariuus, 
est  accompagnée  de  l'ancre,  l'un  des  plus  anciens  symboles  de  la 
croix,  exprimant  encore  l'espoir  dans  la  rédemption,  et  par  con- 
séquent remonte  à  une  époque  reculée,  peut-être  antérieure  au 
troisième  siècle.  »  Les  fouilles  du  cimetière  de  Priscille  ont 
prouvé  de  plus  en  plus  la  grande  importance  de  cette  nécro- 
pole et  sa  haute  antiquité. 

A  la  calacombe  de  Saint-Mermés,  on  a  retrouvé  la  fameuse 
crypte  hisloiique,  déterrée  jadis  parle  P.  Marciii,  mais  qui  avait 
disparu  depuis  sous  les  éboulements.  C'est  la  chambre  sépulcrale 
des  deux  frères  Prote  et  Hyacinthe^  martyrisés  sous  la  persécu- 
tion de  Valérien.  Elle  sera  déblayée  et  restituée  à  la  piété  des 
fidèles  et  aux  recherches  des  archéologues. 

—  Fra  Ricoldo  de  Manie  Crdce  fut  un  pèlerin  de  Terre- 
Sainte,  au  Xli'=  siècle,  dont  Vllinemrium  vient  d'ôlre  retrouvé. 
liO  R  P.  Mandonnet  consacre  une  notice  à  ce  célèbre  voyageur, 
llicoldo  Pennini  prit  l'habit  de  S.  Dominique,  et  son  nom  de 
Monte  Croce,  du  mont  du  Calvaire.  11  avait  étudié  aux  grandes 
écoles  du  temps,  et  professé  à  Piseet  ailleurs,  Le  désir  de  l'apos- 
tolat le  conduisit  bientôt  en  Orient, 

Fra  Ricoldo  y  étudia  1  islamisme,  voulut  pénétrer  sa  vie  sociale, 
étudier  sa  langue,  ses  moeurs  et  sa  religion,  et  faire  profiter  son 
apostolat  de  ses  études.  C'est  à  Bagdad  même,  au  cœur  de  l'isla- 
misme, qu'il  avait  pénétré.  Son  Itinéraire  à  travers  la  Palestine, 
aux  Saints  Lieux  est  riche  en  citations  de  lieux,  en  détails  inté- 
ressants. 

—  Dans  une  leçon  d'histoire  donnée  à  la  Faculté  d'Angers, 
Dom  Cabrol,  prieur  de  Solesmes,  ramène  l'attention  sur  Méta- 
phraste,  à  qui  nous  devons  la  conservation  de  nombreux  trésors 
hagiographiques.  Il  a,  il  est  vrai,  sacrifié  au  goût  de  son  époque 


CHRONIQUE  561 

en  relouchant  des  légendes  dont  le  style  lui  paraissait  barbare; 
mais  il  ne  l'a  pas  fait  pour  toutes,  el  nous  pouvons  en  juger  par 
plusieurs  dont  les  originaux  nous  restent. 

La  légende  d'Abercius  suffirait  pour  nous  prouver  qu'il  faut  y 
regarder  à  deux  fois  aux  choses  qu'on  lui  a  le  plus. reprochées. 
Les  criliques  trouvaient  étranges  les  détails  contenus  dans  l'ins- 
cription (jue,  selon  Mélaphraste,  Abercius  avait  préparée  pour  sa 
tombe.  Il  s'y  trouve  un  symbolisme  qui  déroulait  les  graves  cri- 
tiques du  XYIl'  siècle  :  le  pasteur  qui  fait  paître  ses  brebis  sur  les 
montagnes  et  dans  les  vallées,  et  dont  le  regard  atteint  partout  ; 
la  princesse  aux  vèleaienls  et  aux  chaussures  dorés,  qui  com- 
mande à  un  peuple  au  sceau  brillant,  qu'Abercius  est  allé  voir  à 
Rome  ;  le  poisson  do  source  très  grand  et  très  pur,  qu'une  chaste 
vierge  donne  à  manger  à  ses  amis.  Or  tout  ce  symbolisme  se  re- 
trouve dans  les  catacombes  :  le  pasteur  et  le  poisson,  figures  de 
Notre  Seigneur  ;  la  princesse  n'est  autre  que  l'Eglise  romaine,  et 
le  sceau  brillant,  la  pureté  de  la  foi  de  celle  Eglise. 

On  reprochait  aussi  à  l'inscription  les  peines  dont  menaçait 
Abercius  ceux  qui  mettraient  un  tombeau  sur  le  sien.  Mais  on  a 
retrouvé  d'autres  exemples  de  cette  précaution. 

Ce  qui  esl  mieux  que  toutes  ces  raisons,  c'est  qu'on  a  retrouvé 
la  pierre  où  était  gravée  l'inscription,  déjà  reconstituée  par  le 
cardinal  Pitra.  C'est  en  1882  qu'un  archéologue  anglais, 
M.  William  Ramsay,  a  fait  celte  découverte  dans  la  vallée  de 
Sanduckly. 

Ajoutons  qu'à  l'occasion  du  jubilé  ponliûcal  de  Léon  XllI,  le 
Sullan  vient  de  faire  don  au  pape  de  celte  précieuse  inscription(l) . 

—  Les  Analçcta  IJoKundiana  v'ienneni  de  publier  les  actes  de 
sainte  Anthuse  el  de  ses  compagnons,  par  M.  Hermann  Usener^ 
professeur  à  l'université  de  Bonn,  d  après  un  texte  plus  ancien 
et  plus  complet  que  celui  qui  fut  publié  dans  les  BoUandistes. 
Ce  texte  repose  sur  trois  manuscrits,  -l'un  de  Vienne,  l'autre 
de  Paris,  el  le  dernier  du  Vatican.  Le  martyrologe  romain  y 
trouve  une  confirmation  précieuse  de  sa  véracité.  Il  donne  en 
elîet  Tarse  comme  lieu  du  martyre,  tandis  que  les  Grecs,  dans  le 

(i)  lUvue  des  Livres,  1893. 


562  CHRONIQUE 

méiiologede  Basile  el  les  Menées,  lui  donnaient  Séleucie.La  nou- 
velle publication  rétablit  Tarse  de  Cilicie. 

Le  savant  éditeur  signale  les  nombreux  rapprochements  qu'on 
remarque  entre  la  vie  de  sainte  Pélagie,  de  Tarse,  et  celle  de 
sainte  Anthuse,  mais  aussi  des  différences  profondes,  une  légende 
moins  romanesque  pour  les  actes  de  sainte  Anthuse. 

—  La  librairie  Relaux  vient  de  publier  un  travail  inédit  de  Ygr 
Freppel  sur  Bossuct  et  Vcloquence  sacrée  au  A  VII''  siècle. 
De  1855  à  18o7,  Mgr  Freppel,  professeur  de  Sorbonne,  con- 
sacra quelques  leçons  à  nous  retracer  les  fastes  de  l'éloquence 
sacrée  avant  'a  deuxième  moitié  du  XVIF  siècle.  Les  leçons  i2l  à 
35  sont  consacrées  aux  oraisons  funèbres.  M.  Freppel  étudie 
1q3  origines  de  ce  genre  d'éloquence  où  Bossuet  est  un  maître 
qui  n'a  pas  été  dépassé.  Il  passe  en  revue  les  discours  des 
Pères,  S.  Grégoire  de  Nazianze  et  S.  Grégoire  de  Nysse,  au|uel 
il  faut  joindre  S.  Bazile.  Chez  les  latins  il  ne  cite  que  S.  Ani- 
broise.  11  croit  que  le  moyen  âge  a  négligé  ce  genre  d'éloquence. 
M.  Lecoy  de  la  Marche  parle  d'oraisons  funèbres  au  XIIF  siècle 
dont  nous  possédons  les  fragments.  Pour  Mgr  Freppel,  il  faut 
noter  comme  premier  témoignage  ijien  certain  dune  oraison 
funèbre  le  discours  prononcé  à  Saint-Denis  lors  des  funérailles  de 
Du  Guesclln. 

—  Le  compte  rendu  de  la  réunion  de  la  société  orientale,  paru 
à  Pékin  le  (i  mars,  parle  entre  autres  choses  des  juifs  de  Kaifong- 
Fou  dont  on  vient  de  constater  l'existence,  et  de  la  fameuse  ta- 
blette nestorienne  de  Si-ngan-fou.  Celle-ci  existe  encore,  mais  le 
toit  qui  la  recouvrait  a  été  renversé  par  le  vent,  l'an  dernier.  Plu- 
sieurs ministres  protestants  influents  ont  été  visiter  en  ces  der- 
niers temps  les  juifs  de  Kaifongdont  on  vient  de  constater  Texis- 
tence,  et,  à  la  suite  de  ces  visites,  plusieurs  familles  sont  allées 
à  Pékin  se  faire  instuire  de  la  rehgion  chrétienne  ;  elles  onl  donné 
ou  vendu  leurs  livres  du  Penlateuque  en  parchemin,  et  sont  re- 
tournées au  Honan.  Ces  parchemins  hébreux  ont  été  envoyés  à 
plusieurs  libraires  d'Europe  et  d'Amérique  par  les  docteurs 
Martinet  AVilliams. 

Ces  Juifs  nont  plus  le  type  de  leur  pays  ;  ils  sont  en  tout 
400  familles  environ,  et  la  plupart  se  sont  faits  mahométans. 


CHRONIQUE  •        563 

Leur  synagogue  tombait  en  ruines,  et  dans  un  des  derniers  sièges 
qu'eut  à  subir  Kaifong,  ces  pauvres  gens  dans  leur  misère  vendi- 
rent le  bois  de  leur  édifice  sacré,  appelé  Li-pai-ze.  Us  s'appellent 
entre  eux,  et  ce  nom  est  connu  à  Kaifong  du  nom  de  Liao-tchin- 
Kiano  ou  secte  du  tendon  arraché,  allusion  évidente  au  tendon 
rompu  du  patriarche  Jacob.  Le  D'  Martin,  ministre  protestant 
américain,  depuis  longtemps  à  la  tête  da  collège  impérial  à 
Pékin,  Tong-wen-Kwan,  prétend  que  les  Juifs  sont  venus  en 
Chine  par  les  Indes  quelques  siècles  avant  l'ère  chrétienne.  Les 
Nestoriens,  d'aprèsla  même  autorité,  sei-aient  venus  par  le  Turkes- 
tan  et  entrés  en  Chine  par  la  passe  Kin-yu-Konan,  à  l'extrême 
partie  occidentale  de  la  grande  muraille,  du  temps  de  Marco 
Polo.  Ils  comptaient  plusieurs  églises,  et  les  mahomélans  leur  ont 
toujours  fait  de  l'opposition. 

—  M:  Gaston  Cougny  nous  présente  deux  volumes  intitulés  : 
«  Choixde  lectures  sur  l'histoire  de  l'art,  l'esthétique  et  Tarchéo- 
logie.  »  Le  premier  s'occupe  de  rÉgypte,  la  Chaldée,  l'Assyrie, 
la  Perse,  l'Asie  mineure,  la  Phénicie  ;  le  second  de  la  Grèce  et  de 
Rome.  Lo  travail  de  M.  Cougny  sera  complété  très  prochainement 
par  un  troisième  volume,  qui  traitera  de  lart  au  moyen  tige  (les 
origines  de  l'art  chrétien,  l'art  byzantin,  l'art  roman,  l'art  ogival). 
Après  quelques  notions  générales  sur  l'histoire  de  l'art,  l'auteur 
traite  de  TÉgypteancienne  etla  science  moderne;  ilréunit  les  meil- 
leures api)récialions  de  M.\I.  Mariette  et  Perrot,  sur  l'architecture 
funéraire  et  religieuse,  sur  la  sculpture,  sur  les  procédés  et  carac- 
tères de  l'art  égyptien  ;  il  s'occupe  ensuite  de  l'art  chaldéo-assy- 
rien,  de  l'art  perse,  héthéen,  phénicien  et  judaïque.  Le  second 
volume  contient  des  considérations  générales.  Les  caractères  de 
l'art  romain,  les  monuments  de  l'architecture,  sa  sculpture  et 
sa  peinture  sont  nettement  définis  dans  la  seconde  partie  de  ce 
volume. 

—  Signalons  l'apparition  du  S'^  fascicule  de  la  2"^  série  du 
recueil  des  Bulles  du  pape  Nicolas  IV  pjr  M.  Ernest  Langlois. 
Grâce  aux  travaux  consciencieux  des  membres  de  l'école  fran- 
çaise à  Rome,  le  Bullaire  des  papes  s'enrichit  chaque  jour. 

111.  Rcligioa  d'israol.  —  La  Revue  Biblique  donne  dans 


564  CHRONIQUE 

son  numéro  de  juillet  1893,  un  inléressant  rapport  du  P.  Semeria, 
Laruabile,  sur  le  progrès  des  éludes  bibliques  en  Italie. 

«  Le  14  décembre  1892,  lisons  nous  dans  la  chroni  lue,  dans 
une  des  salles  du  palais  de  la  Proparjande^  en  présence  de  S. 
Em.  le  card.  vicaire,  Mgr  Garini  inaugurait,  par  un  splendidô 
discours  sur  le  mouvement  des  éludes  bibliques  dans  ce  siècle, 
la  quatrième  année  de  la  «  Società  romana  per  gli  studi  biblici  » 
à  laquelle  j'ai  l'honneur  d'appartenir.  Le  même  jour,  le  Rev.  M. 
Faberi,  secrétaire,  lisait  le  compte-rendu  des  travaux  de  la  soc" été 
durant  sa  troisième  année  d'existence.  Je  regrette  de  n'en  pouvoir 
donner  ici  qu'un  court  résumé.  Les  moyens  auxquels  eut  recours 
la  société  pour  répandre,  selon  son  but,  le  goul  des  études  bibli- 
ques et  en  vulgariser  les  résultats,  furent  surtout  des  réunions 
privées  et  des  conférences  publiques.  Djns  les  réunions,  on  eut 
soin  de  se  tenir,  autant  que  possible,  au  courant  des  travaux,  soit 
livres,  soit  articles  de  revueS;  parus  sur  la  Bible,  principalement 
à  l'étranger.  La  France  a  été  largement  représentée  :  le  Diction- 
naire de  la  Bible  de  M.  l'abbé  Yigouroux,  V Œuvre  des 
apôtres  de  M.  le  Camus,  les  ouvrages  du  regretté  abbé  M.  Mar- 
tin sur  la  Yulgate  au  neuvième  et  au  treizième  siècle,  l'étude 
remarquable  de  M.  de  Rougé  snr  la  géograpliie  de  la  Basse- 
Égj'ple,  XHisloire  du  Canon  du  N.  T.  de  l'abbé  Loisy,  son 
Enseig?îemeut  BibUque,  la  présente  Revue,  etc.,  ont  été 
annoncés,  exposés,  discutés  ;  parfois  on  en  a  pris  occas'on  pour 
examiner  à  fond  quelque  question  spéciale.  Plusieurs  découvertes 
ont  fourni  matière  à  d'intéressantes  communications.  « 

—  Nous  lisons  dans  le  numéro  de  juillet  dernier  de  la  Revue 
Biblique  : 

«  Au  cours  d'une  mission  égyplologique,  le  R.  P.  Scheil  a 
trouvé  un  papyrus  contenant  deux  traités  de  Pliilon  :  qui  est  hé- 
ritier des  choses  divines?  et  de  la  genèse  d'Abel.  Ce  texte  dont 
l'antiquité  élait  irréfragable  otïrait  avec  les  textes  imprimés  de 
Phllon  des  variantes  si  importantes  qu'il  méritait  de  figurer  dans 
^'importante  collection  des  Mémoires  (1), 

('/)  Mémoires  publiés  par  les  membres  de  la  mission  archéologique 
française  au  Caire,  Tome  IX,  deuxième  fascicule,  Deux  traités  de 


CHRONIQUE  î)65 

Le  P.  Scheil  explique  dans  une  préface  les  particularités  de  son 
papyrus.  Nous  avons  là  une  excellente  occasion  de  nous  rendre 
compte  du  texte  scripturaire que  suivait  Philon  Onsaitquelintérét 
offre  la  comparaison  des  citations  anciennes  pour  déterminer  les 
leçons  du  texte  des  Septante  et  par  suite  les  recensions  aux- 
quelles appartiennent  les  manuscrits.  Le  grand  obstacle  à  une 
véi'ificalion  certaine,  c'est  —  outre  que  l'auteur  a  souvent  cité  de 
mémoire  —  ce  fait  que  les  éditeurs  ont  souvent  ramené  les  pas- 
sages cités  à  une  édition  de  leur  goût.  Or  il  se  trouve  précisément 
que  les  endroiis  allégués  par  Philon  diffèrent  sensiblement  dans 
le  papyrus  ut  dans  le  texte  imprimé.  Comme  rien  n'indique  que 
le  papyrus  oiïre  un  texte  remanié  par  un  chrétien,  il  présente 
selon  toute  apparence,ce  fameux  texte  primitif  des  Septante,  anté- 
rieur à  toute  revision  d'Origène  ou  d'Hésychius,  tel  qu'il  se  lisait 
en  Egypte  au  premier  siècle. 

Le  problème  qui  se  pose  au  sujet  des  recensions,  est  présent  à 
l'esprit  des  lecteurs,  car  il  a  été  traité  récemment  parle  R.  P.  xMé- 
chineau  et  par  M.  l'abbé  Loisy.  On  est  d'accord  pour  con- 
sidérer le  Ms.  A.  comme  représentant  l  édition  hexaplaire  ;  Paul 
de  Lagardea  édité  une  partie  de  la  révision  de  Lucien.  Quant  au 
Ms.  Vatican,  le  fameux  B,  le  R.  P.  Méchineau le  considère  comme 
représentant  le  texte  des  Septante  antérieur  à  toute  révision  M. 
Loisy  inclinerait  à  y  reconnaître  la  main  d'Hésychius.  » 

—  On  sait  que  M  J.  Halévy,  a  fondé  chez  Leroux,  une  Bévue 
sémitique  d'épigraphie  et  d'histoire  ancienne,  (prix  20  fr.) 

—  L'enseignement  de  la  Bihle, dons  sonn°  deseptembre  1893, 
analyse  le  manuel  publié  par  M.  Smend,  professeur  à  l'Uni- 
\ersi\é(}eG(Xi[\ing\ie{Lehr6uchderolltesfamefitl'chenIieligions' 
gesrhichte.  Freiburg  i  B  J.  G  B  Mohr,  1892.  In-8.  XlX-ooO  p.) 
«  C'est,  écrit  M  l'abbé  Loisy,  une  histoire  complète  de  la  religion 
israélile  depuis  les  origines  ju.^qu'à  l'époque  des  Michabées. 
L'auteur  y  dislingue  trois  périodes,  sous  les  titres  suivants  :  la 
religion  d'Israël,  la  religion  des  prophètes,  la  religion  de  l'ancien 
judaïsme  ;  bonne  division,  quoique  le  premier  litre  et  le  troisième 

Fliilon,  riédiléi  cVapvcs  un  papyrus  du  sLxicme  f^iècle  cnvhvn,  par 
V.  SciiEii.  0.  P.  la  4"  avec  4  planclies.  16  l"r.  Ernest  Leroux,  éd. 
Paris  1893. 


566  CHRONIQUE 

soient  peut-être  insuffisamment  précis.  La  première  période  com- 
prend les  temps  primitifs,  depuis  Moïse  jusqu'à  l'apparition  d  É- 
lie  ;  la  seconde  va  d'Élie  à  Jérémie  ;  la  troisième  commence  avec 
la  réforme  de  Josias  et  s'arrête  à  la  persécution  d'Anliochus  Épi- 
phane.  Les  trois  parties  sont  traitées  avec  beaucoup  de  soin  et 
une  grande  abondance  de  détails.  Le  développement  de  la  religion 
Israélite  au  point  de  vue  des  croyances,  de  la  vie  morale  et  du 
culte  est  analysé  fort  exactement.  On  souhaiterait  que  M.  Smend 
eût,  de  loin  en  loin,  résumé  ses  conclusions,  placé  quelques 
aperçus  généraux,  et,  après  avoir  tout  exposé  par  le  menu,  se 
fût  permis  de  jeter  un  coup  d  œil  sur  l'ensemble.  La  lecture  de 
l'ouvrage  n'en  serait  que  plus  utile  et  plus  agréable.  » 

—  M.  David  Nutt,  éditeur  à  Londres,  commence  la  publication 
d'un  travail  dont  limportance  est  capitale  en  matière  de  théologie. 
11  s'agit  d'une  édition  critique  (texte  hébreu)de  l'Ancien  Testament. 
Celte  publication  est  faite  sous  la  direction  de  M.  Paul  Haupt,  de 
la  «  Johns  Hopkins  University  »  de  Baltimore,  et  avec  la  collabo- 
ration de  nombreux  savants  d'Angleterre,  d'Amérique  et  d'Alle- 
magne. Le  livre  de  Job,  formant  la  17"  partie  de  l'ouvrage,  est 
seul  publié  jusqu'à  présent.  Le  texte  et  les  annotations  sont  dus 
à  M.  le  Professeur  Siegfried  de  léna. 

—  Nos  lecteurs  ne  connaissent  certainement  pas  la  loi  de  Brûck. 
La  voici  :  Briick  a  été  amené  à  sa  loi  historique  par  des  considé- 
rations historiques  sur  le  magnétisme  terrestre.  Son  idée  fonda- 
mentale est  qu'il  existe  dans  le  globe  une  circulation  d'un  fluide 
matériel  (un  éther  subtil  qu'il  identifie  à  tort  avec  l'électricité, 
mais  peu  importe  ici),  provoquée  par  une  action  du  soleil  en 
fonction  directe  des  mouvements  astronomiques  de  la  terre.  » 
Par  suite,  vous  avez  séparé  l'un  de  l'autre,  par  mille  ans  de  dis- 
lance, Alexandre-le-Grand,  Gharlemagne,  Napoléon.  Par  suite 
également,  il  y  a  «  trois  phases  évidentes  de  l'histoire  de  l'Église: 
l'^  L'histoire  de  Juda-Israel  de  Moïse  au  Christ;  S"»  l'asservisse- 
ment de  l'Église  chrétienne  à  la  puissance  temporelle  du  catholi- 
cisme romain  ;  3°  la  libération  de  l'Église  chrétienne  par  la  Ré- 
forme et  la  difïusion  de  l'Église  dans  le  monde.  C'est  là  dessus 
que  M. Lagrange ,{diS[vonome  à  l'Observatoire  d'Uccle  (Bruxelles,) 
a  publié  un  travail  sur  la  Concordance  qui  existe  entre  la  loi 


r.HRONIQUE  567 

historique  de  Ih'iïch,  la  Chronologie  de  la  Bible  cl  celle  de  la 
Grande  Pi/ramide  de  Chcops,  avec  une  iiilerprétalion  nouvelle 
dn  plan  prophétique  de  la  Kévélalion. 

Voici  une  des  perles  de  ce  livre  :  Laodicée,  était  une  ville  située 
en  Asie-Mineure;  nous  le  croyons  ainsi,  la  science  philologique 
moderne  a  décidé  au  contraire,  conformément  à  la  racine  grecque 
du  mot,  que  Laodicée  est  «  la  démonstration  de  la  science  de  la 
vérité  par  des  preuves  extei-nes.  Dans  quelle  étoile  M.  Lagrange 
a-t  il  donc  vu  toutes  ces  belles  choses. 

—  Adam  et  Eve  étaient-ils  nègres?  Telle  est  la  question  que 
se  pose  le  public  américain,  ému  par  une  récente  déclaration  de 
l'Évèque  Turner,  présidentde  la  Société  africaine  des  Méthodistes 
épiscopaux.  L'évêque,  qui  jouit  d'une  grande  autorité,  affirme 
qu'Adam  et  Eve  devaient  être  de  race  nègre,  et  il  cite  à  l'appui 
de  cette  opinion  de  nombreux  faits  empruntés  à  la  géologie  et  à 
l'anthropologie. 

—  Le  titre  de  livres  historiques  n'est  pas  précisément  celui  qui 
conviendrait  à  Esther  et  à  Susanne,  d'après  le  D""  A.  Scholz,  pro- 
fesseur à  l'Université  de  Wurzbourg.  Esther,  Tobie,  .ludith,  Da- 
niel ne  seraient  pas  des  livres  historiques  Et  si  Daniel  n'est  pas 
un  livre  historique,  à  plus  forte  raison  les  fragments  deutéroca- 
noniques.  Que  sont  ces  livres  P  Que  sont  en  particulier  le  livre 
d'Esther,  et  le  récit  concernant  Susanne  ?  Des  allégories.  Le  com- 
mentaire sur  Esther,  où  il  y  a  beaucoup  d'érudition,  est  d'une 
lecture  tellement  diftlcile  que  nous  avons  craint  de  nous  y  enga- 
ger. L'histoire  de  Susanne  est  beaucoup  plus  courte...  D'ailleurs, 
c'est  tout  un.  Susanne  représente  la  môme  idée  qu'Esther  ;  Da- 
niel, la  même  idée  que  Mardochée  ;  les  anciens,  la  même  idée 
qu'Aman.  Susanne  est  l'Église,  ou  le  royaume  du  Messie,  parce 
que  son  nom  signifie  «  lis  »,  que  le  lis  est  le  symbole  de  l'Eglise 
et  qu'il  est  mis  comme  tel  en  rapport  avec  l'épouse  du  Cantique. 
Elle  est  (ille  de  Helcias  (étymologiiiuement  :  lahvé  est  ma  part), 
parce  que  le  Seigneur  est  la  part  d'Israël  ;  et  elle  est  épouse  de 
Joachim  (nom  qui  signifie  :  lahvé  élève),  pour  la  même  raison  ; 
elle  était  belle,  parce  que  l'Église  est  sainte  ;  etc..     . 

Telle  est  la  thèsequ'exposeet  Yél\x\%y  Enseignement  biblique. 


568  CHRONIQUE 

Tout  en  reconnaissant  rérudition  dont  fa't  preuve  son  auteur,  M. 
Loisy  démontre  sans  peine  la  gratuité  de  ses  assertions. 

■V.  Religion  de  iflaliomet  —  Nous  empruntons  à  la 
Revue  des  fi  évites  du  mois  de  septembre  dernier,  les  renseigne- 
ments qui  suivent  sur  Le  Nouvel  Islam.  «  Un  mouvement,  y 
lisons-nous,  en  faveur  des  réformes  religieuses  s'accentue  de  plus 
en  plus  dans  le  monde  mahomélan.  On  y  attaque  le  Coran,  on 
conteste  ses  préceptes,on  abolit  ses  dogmes. Ces  tendances  visibles 
partout  où  règne  l'unique  prophète  de  Dieu,  se  font  surtout  sentir 
dans  le  monde  musulman  des  Indes.  Là,  la  révolution  bat  son 
plein!  Les  savants  les  plus  distingués,  les  croyants  les  plus  en 
vue,  s'efïorcent  de  briser  les  dogmes  reconnus,  et  d'introduire 
dans  le  Coran  un  souffle  nouveau.  Il  s'agit,  en  un  mot,  de  mettre 
d'accord  la  pensée  moderne  avec  les  idées  émises  par  Maliomel  au 
vil'  siècle.  La  chose  est  des  plus  difficiles,  mais  le  courage  des 
nobles  réformateurs  ne  recule  devant  rien.  Pour  comprendre  bien 
ce  mouvement,  il  faut  se  rapporter  aux  origines  du  mahomé- 
tisme,  et  de  la  première  secte  des  révoltés,  les  Moutazales.  La 
chose  se  passait  vers  la  seconde  moitié  du  second  siècle  de  l'hé- 
gire. Quelques  j.3unes  gens,  baptisés  par  les  musulmans  du  nom 
A' athées,  ont  protesté  contre  la  révélation  quasi  divine  dont  le 
Coran  était  l'expression.  Us  professaient  l'opinion  que  le  Coran  n'a 
point  été  dictée  par  Dieu  à  Mahomet,  que,  par  conséquent,  les 
préceptes  qu'il  a  proclamés,  sont  sujets  à  discussion.  Ils  procla- 
maient également,  à  rencontre  de  la  doctrine  mahométane,  que 
nos  actions  sont  libres  et  qu'il  n'y  a  point  de  fatalité  qui  pèse  sur 
les  mortels. 

Les  gouvernements  musulmans  ont  combattu  vaillamment  ces 
ennemis  du  prophète  et  les  novateurs  ont  fini  par  disparaître. 
Leurs  livres  et  les  idées  préconisées  par  eux  n'ont  pas  cessé 
d'influencer  les  esprits  à  travers  les  siècles,  et  les  réformateurs 
mahométmls  de  cette  fin  de  siècle  ne  font  que  réchauffer  les  thè- 
ses mises  en  vogue  au  ii'=  siècle  de  l'hérige.  Seulement,  ils  le  font 
d'une  façon  plus  large,  sous  la  protection  des  lois  anglaises,  en 
se  laissant  guider  en  même  temps  par  les  idées  puisées  dans  le 
domaine  de  la  civilisation  moderne.  » 


CHRONIQUE  569 

Suit  une  étude  sur  ce  iVo?<y^^  Islam,  d'après  la  Contempo- 
rartj  Revif.w  du  mois  d'août,  par  M.  E.  Sell. 

«  Notons  avant  tout  que  le  nombre  de  ceux  qui  mènent  ouver- 
tement dans  les  Indes  la  campagne  contre  le  Coi-an  n'est  pas  très 
considérable.  Mais  insignifiants  comme  nombre,  ils  forment  une 
puissance  extrêmement  dangereuse,  grâce  à  leurs  qualités  intel- 
lectuelles. A  la  tète  d^  ce  groupe  marchent  Moulvie  Gheragh  Ali 
Sahib  et  Syeg  Amir  Ali  Sahib.  Le  premier  occupe  une  haute  fonc- 
tion militaire,  le  second  est  juge  de  la  Haute-Cour  de  Bengale  ; 
tous  deux  sont  cotés  parmi  les  plus  fins  lettrés. Derrière  eux,  se 
groupent  une  quantité  de  jeunes  gens  convaincus  de  la  nécessité 
des  réformes.  Yoici  un  passage  d'un  ouvrage  d'Ali  Sahib  qui, 
nous  initie  aux  tendances  des  réformateurs  : 

«  Le  progrès  du  monde  mahométan  s'est  arrêté  complètement 
grâce  à  la  condamnation  du  libre  jugement.  Un  musulman,  pour 
être  d'accord  avec  nos  vieux  légistes,  devrait  se  laisser  guider 
par  les  opinions  de  gens  qui  vivaient  au  ix'^  siècle,  et  n'ayant  par 
conséquent  la  moindre  idée  de  ce  qu'il  nous  faut  au  xixe  siècle... 
On  n'a  point  en  vue  que  le  changement  dans  les  conditions  de  la 
vie  exige  de  nouvelles  applications  de  principes... 

La  servile  application  de  la  lettre  et  la  négligence  de  re.>prit 
du  Coran,  voilà  les  traits  caractéristiques  de  nos  savants,  dit  Che- 
ragli  Ali  ..  H  y  a  certaines  parties  de  la  loi  commune  musulmane, 
qui  se  trouvent  en  désaccord  complet  avec  les  besoins  des  croyants, 
fussent-ils  habitants  des  Indes  ou  de  la  Turquie.  Les  réformes 
s'imposent!  Les  anciens  commentateurs  de  notre  loi  commune 
ont  adopté  comme  base  invariable  de  nos  croyances  ce  qui  ne 
devait  être  qu'une  explication  passagère...  Les  préceptes  civils 
excellents  pour  des  babilants  du  désert  arabe,  ont  été  imposés 
comme  obligatoires  pour  les  siècles  qui  nous  séparent,  et  pour 
les  pays  qui  se  trouvent  dans  d'autres  conditions  :  un  système 
social,  bon  pour  l'état  barbare,  ne  l'est  point  pour  nous,  qui  avons 
goûté  aux  fruits  de  la  civilisation  moderne.  » 

En  somme  les  deux  réformateui's  admettent  et  la  possibilité 
et  la  nécessité  des  réformes.  La  loi  musulmane  cesse  d'être 
chose  sacrée,  on  peut  et  on  doit  la  mettre  d'accord  avec  nos 
besoins  modernes.  En  partant  de  ce  point  de  vue,  il  fallait  néces- 


570  CHRONIQUE 

sairement  s'attaquer  à  Tinspiration  divine,  dont  le  Coran  ne  serait 
que  Texpression.  Les  Ihéologiens  musulmans  considèrent  que 
l'inspiration  divine  est  de  deux  sortes  :  Wahit,  c'est  à  dire  les 
paroles  telles  qu'elles  étaient  dictées  par  Dieu  lui-même,  et 
J/ham,  c'est-à-dire  écriture  d'un  saint,  ou  d'un  propiièle  qui  ex- 
prime par  ses  propres  paroles  l'inspiration  qui  lui  vient  du  ciel. 
Inutile  d'ajouter  que  le  Coran  a  été  toujours  considéré  comme 
l'expression  de  Wahii  et  par  cela  môme  comme  un  livre  qui  a 
été  fait  sous  la  dictée  de  Dieu  lui-même.  Son  contenu  a  été  consi- 
déré par  conséquent,  de  tout  temps,  comme  sacré  et  invariable.  Or 
les  novateurs  ne  lui  attribuent  que  l'inspiration  du  second  genre, 
c'est-à-dire  llham  et,  par  conséquent,  ils  trouvent  qu'on  a  le  droit 
de  le  manier,  de  l'arranger  à  la  sauce  moderne. 

Il  est  vrai,  nous  dit  Cheragli  Ali,  que  le  prophète  a  écrit  sous 
l'inlluence  divine.  Mais  tout  en  admettant  l'existence  delà  source, 
il  ne  faut  pas  oublier  qu'elle  nous  parvient  à  travers  l'individualité 
du  récipient,  à  travers  ses  qualités  morales  physiques  et  reli- 
gieuses. 

Dans  ces  circonstances  il  faut,  en  appliquant  le  Coran,  avoir  en 
vue  les  conditions  dans  lesquelles  le  prophète  l'a  donné.  Ainsi  la 
polygamie  qui  a  été  bonne  dans  son  temps  ne  l'est  point  actuelle- 
ment, et  les  novateurs  trouvent  quele  prophète  qui  avait  plusieurs 
femmes,  n'a  cédé  qu'à  des  circonstances  exceptionnelles,  ayant  une 
valeur  passagère,  il  a  contracté  des  mariages  soit  pour  couvrir  de 
sa  protection  certaines  femmes,  soit  pour  réconcilier  des  tribus 
ennemies.  A  l'heure  qu'il  est,  la  polygamie  est  non  seulement 
contraire  aux  exigences  de  la  civilisation  moderne,  mais  aussi  à 
celles  du  Coran  lui-même.  Ali  Sahib  prétend  que  cette  opinion 
est  partagée  par  un  grand  nombre  de  croyants. 

Les  réformateurs  s'élèvent  encore  avec  plus  d'indignation  contre 
les  principes  de  l'esclavage  et  trouvent  que  les  musulmans  doivent 
le  plus  tôt  possible  rejeter  les  chapitres  qui  les  concernent,  dans 
le  Coran.  Il  faut,  nous  disent-ils,  sauver  l'honneur  du  prophète 
en  proclamant  que,  selon  ses  termes,  l'esclavage  a  été  toujours 
repoussé  !  Il  est  à  remarquer  que  les  novateurs,  tout  en  combat- 
tant pour  la  nécessité  des  réformes,  s'extasient  devant  les  vertus 
du  Coran.  Ils  vont  jusqu'à  prétendre  que  le  fondateur  de  l'Islam  a 


CHRONIQUE  571 

couronné  l'œuvre  romraencée  par  le  Christ  en  poussant  en  avant 
le  perfeclionnement  de  Tliomme,  préconisé  par  sa  religion.  Ils 
admellent  que  Mahomet  est  ariivé  à  ressusciter  les  morts  et  à 
élever  l'humanité  dans  des  régions  divines  et  qu'en  somme,  c'était 
lai  qui  avait  créé  la  science,  la  morale  et  doté  l'humanité  d'une 
religion  idéale.  Feinte  ou  réelle,  celle  admiration  pour  le  prophète 
et  ses  enseignements  jure  singulièrement  avec  l'assaut  livré  à 
l'œuvre  de  Mahomet.  Eu  tout  cas  les  sentiments  de  piété  exprimés 
à  l'égard  du  Coran  ne  peuvent  que  miliger  la  haine  que  les  réfor- 
mateurs provoquent  chez  les  vieux,  croyants,  ^uel  sera  le  sort 
réservé  à  tous  ces  réformateurs?  Sauront-ils  galvaniser  le  vieux, 
organisme  mahomélan,  ou  succomberont-ils  sous  le  coup  de  leurs 
adversaires,voilàunequestion  qu'il  serait  bien  difficile  de  résoudre. 
Il  paraît  cependant  que  le  mouvement  n'atteint  que  les  classes  les 
plus  civilisées  et  la  jeunesse  qui  a  reçu  l'instruction  dans  les  écoles 
anglaises.  La  masse  populaire  semble  rester'  intacte  et  accable  les 
novateurs  de  sa  haine  ou  de  son  inditîérence.  » 

V.  Religion  Égyptienne.  —  La  Bibliothèque  égyp- 
tologique  a  pour  but  de  réunir  en  quelques  volumes  les  travaux 
publiés  depuis  le  commencement  de  ce  siècle  parleségyptologues 
français.  La  librairie  Leroux  est  chargée  de  cette  publication.  M. 
Maspéro  l'a  inaugurée  par  un  volume  qui  comprend  un  recueil  de 
ses  principaux  mémoires.  Nous  y  relevons  la  déclaration  suivante: 
«  Je  suivis  au  début  la  route  tracée  par  les  grands  égyptologues 
qui  s'étaient  occupés  de  ces  sujets  :  par  Lepsius,  par  Cliabas, 
par  Deveria,  surtout  par  E  de  Rougé,  qu'on  est  toujours  sûr  de 
rencontrer  partout  au  premier  rang.  Je  croyais  vraiment  à  l'unité 
du  dieu  égyptien,  à  son  immatérialit'^,  à  la  sublimité  de  l'ensei- 
gnement que  donnaient  les  prêtres  ;  tout  était  soleil  pour  moi 
comme  pour  mes  maîtres  et  l'axiome  Nomina  numina  me 
paraissait  être  la  règle  de  toute  recherche  sérieuse.  Le  contact 
direct  des  monuments  ébranla  d'abord,  puis  détruisit  ma  foi 
égyptienne  ;  je  dus  reconnaître  que  les  Égyptiens  eux-mêmes  ne 
semblaient  jamais  avoir  professé  ni  même  soupçonné,  la  plupart 
des  belles  doctrines  qu'on  leur  prêtait  si  généieusement.  En  ana- 
lysant les  stèles  funéraires  du  Louvre,  j'en  étais  arrivé  ù  dt  finir  la 


S72  CHRONIQUE 

nature  et  le  rôle  de  ce  mot  Ka  si  étrangement  transformé  en  une 
sorte  de  thème  pronominal.  La  doctrine  du  c?oz<^/e  demeura  trois 
ans  pleins  à  l'épreuve  et  je  ne  me  décidai  à  la  divulguer  qu'en 
1878...  On  s'est  étonné  d'abord,  et  peut  être  scandalisé,  de  voir 
ce  que  devenait  entre  mes  mains  la  vieille  sagesse  égyptienne,  puis 
on  s'est  habitué  à  l'envisager  de  plus  près  et  l'on  a  trouvé  que 
somme  toute,  le  vrai  l'emportait  dans  le  jugement  que  je  pronon- 
çais  » 

—  Le  Splinx  de  Gixeh  et  les  travaux  de  M.  Grébaut,  est  une 
simple  brochure  in-S»  de  30  pages  de  M.  le  baron  Hippolyte  de 
Royer  de  Dour.  Cette  statue  colossale,  que  M.  Lenormant  n'hésite 
pas  à  appeler  le  plus  ancien  monument  du  monde,  représente 
un  lion  couché  à  tête  humaine  ;  elle  a  été  taillée  dans  la  partie  de 
la  chaîne  libyque  qui  s'avance  à  l'est  vers  la  vallée  du  Nil.  Les 
mesures  exactes  sont  les  suivantes  : 

Hauteur  ù  la  tète .  \  9m77 

«      au  dos.  12ml  0 

Largeur.  14m20 

VI .  Religion  de  Zoroastre.  —  Le  24'  volume  des  Anna- 
les du  Musée  Guiïïiet,  est  le  troisième  que  publie  M.  James  Dar- 
mesteter  sur  le  Zend-Avesta.  Il  a  pour  titre  :  Origines  de  la 
littérature  et  de  la  religion  zoroastrientie.  «  Le  lecteur,  dit 
M.Darmesteter,  dans  sa  Préface,  ayant  à  présent  en  main  l'ensem- 
ble des  textes  connus  de  l'Avesta,  j'ai  cru  qu'il  me  serait  permis 
d'exposer  les  conclusions  historiques  auxquelles  m'a  conduit 
l'analyse  de  ces  textes  considérés  dans  la  forme  et  dans  le  fond, 
c'est-à-dire  d'esquisser  dans  ses  grandes  lignes  telle  que  je  la 
conçois,  1  histoire  de  la  littérature  zoroastrienne  et  de  la  doctrine 
dont  elle  est  l'expression.  Je  n'ai  point  la  prétention  d'avoir  résolu 
ni  même  d'avoir  reconnu  toutes  les  questions  que  cette  analyse 
soulève  :  sur  plus  d'un  point  très  important  j'ai  dû  me  contenter 
de  simples  hypothèses  ;  j'ai  essayé  du  moins  de  distinguer  aussi 
nettement  que  possible  nos  certitudes,  nos  doutes  et  nos  igno- 
rances »  Comme  nous  l'avons  déjà  dit,  les  précédents  volu- 
mes des  Annales  du  Musée  Guimet,  sont  consacrées  à  la 
traduction  du  Zend-Avesta  et  sont  l'œuvre  du  même  auteur. 


CHRONIQUE  573 

Ils  comprennent  le  Yas)2a  et  le  Vispéred  c'est-à-dire  la  Liturgie, 
le  Vendidad^  les  Yashls  et  le  recueil  des  pières  ordinaires  dit 
Khorda-Avesta.  La  plupart  de  ces  documents  avaient  déjà  été 
traduits  en  anglais  par  l'auteur  et  font  partie  des  Sacred-Boo/cs 
of  ihe  East  ;  M.  Darmesteter  y  a  ajouté  de  nouveaux  éclaircis- 
sements et  de  nouveaux  commentaires.  Inutile  de  faire  ressortir 
l'importance  de  ces  documents  pour  la  connaissance  de  la  religion 
zoroastrienne. 

—  Le  D"^  Mills  a  commencé  la  publication  de  son  travail  sur 
les  Gàtlias  de  Zoroastre.  L'auteur  y  donne  le  texte  zend  et  les 
traductions  pehlvie,  sanscrite  et  persanne. 

—  M.  Franz  Gumont  a  publié  chez  Leroux  un  Catalogue  som- 
maire des  monuments  figurés,  relatifs  au  culte  de  Milhra. 
Il  ne  renferme  pas  moins  de  271  numéros  dont  l'attribution 
milhriatiue  est  certaine;  c'est  un  grand  service  rendu  à  ceux  qui 
s'occupent  du  milhriacisme  dont  les  documents  sont  relativement 
rares  et  dispersés. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


A7i7iée   1893. 


JANVIER-FEVRIER. 

Le  Brahmanisme,  par  M.  Caslonnet  dos  Fosses,  vice-prési- 
dent de  la  société  de  géographie  commerciale  de  Paris. 
(2<=  article) 5 

Le  Bouddhisme,  par  un  professeur  de  grand  séminaire, 
(2«   article) 38 

Une  Épopée  balylonienno,  par  M.  l'abbé  Sauveplane,  an- 
cien élève  de  l'École  des  Hautes-Études,  (i<^  article).   .    .        50 

MARS-AVRIL. 

Des  nombres  symboliques  chez  les  Toltèques  occidentaux, 
par  M.  le  comte  de  Charenrey 98 

Une  Épopée  babylonienne,  par  M.  l'abbé  Sauveplane,  (5"  ar- 
ticle)      .....       123 

Le  Bouddhisme  d'après  les  bouddhistes,  par  M.  l'abbé  Des- 
godins,  provicaire  du  Tliibet,  1"  article) 145 

MAI-JUIN. 

Le  Bouddhisme  d'après  les  bouddhistes,  par  M.  l'abbé  Des- 
godins,  provicaire  du  Thibet,  ("^"^  article) 193 

Le  Brahmanisme,  par  M.  Castonnet  des  Fosses,  (3*  ar- 
ticle)           210 

Une  Épopée  balylonienne,  par  M.  l'abbé  Sauveplane,  (6*  ar- 
ticle) .  .    .    .^ 226 

JUILLET-AOUT. 

Miscellanées-chinois,  par  Mgr  de  Harlez S89 

Une  Épopée  balylonienne,  par  M.  l'abbé  Sauveplane,  (7'' ar- 
ticle)         315 

Le  Bouddhisme,  par  un  professeur  de  grand  séminaire, 
(3-=  article) 330 


TABLE    DÉS   MATIERES  575 


SEPTEMBRE-OCTOBRE. 

Le  Bralimanisrae,  par  M.  Castonnct  des  Fosses,  (4";  article)      385 
Le    Bouddhisme,    par    un   professeur  de  grand  sômimire, 

(4°    arlicle) 4  In 

Une  Epopée  balylonienne,  par  M.  l'abbé  Sauveplane,  (S''  ar- 
ticle)        439 

NOVEMBRE-DECEMBRE. 

Les  livres  sacrés  de  la  Chine,  par  M.  l'abbé  Z.   Poisson.    .       481 
La  religion  primitive  d'Israël,  par  M.  l'abbé  de  Moor  ,    ,   .       522 

CHRONIQUES 

1.  L'Enseignement  et  la  Science  des  Religions,  pagr-s  :  80,  25i, 
347,447,540.-2.  Religion  chrétienne:  83, 160, 263, 357, i6o, 554.— 
3.  Religion  d'Israël:  178,  371',  563.  —  4.  Religion  de  Mahonicl; 
189,  568.  —  a.  Religion  de  la  Perse:  380,  572.  —  G.  Religion  as- 
syrienne: 377.  —  7.  Religions  de  l'Inde  :  377.  —  8.  Religions  de 
la  Chine  :  273.  —  9.  Religion  égyptienne  :  571.  — 10.  Religions 
grecque  et  romaine  :  382. 

Articles  bibliographiques 

La  science  des  relirjions.  —  La  perte  d'une  colonie,  la  Révolu- 
lion  à  Saiffl-Domingue,  par  M.  Caslonnel  des-  Fosses,  p.  191.  — 
Le  culte  de  la  raison  et  de  l'Être  suprême,  par  M.  Aulard,  p.  279. — 
La  Religion,  par  M.  Lefebvre,  p.  179.  —  L'Evolution  religieuse 
das  les  divers  races  humaine?,  par  M.  Lelourneau,  p.  287,  — 
L'idée  de  Dieu  d'après  l'anthropologie  et  l'histoire,  par  M.  Goblet 
d'Alviclla,  p.  282.  —  Les  Yézidiz,  par  M.  Menant  ;  annales  du 
Musée  Guimet,  p.  334. 

Religion  cVlsraèl.  —  Les  prophètes  d'Israël,  par  M.  James  Dar- 
mestcter,  p.  96. — Melekdienst  en  vereering  van  Hemelligchamen 
in  Israels'Assyrisehe  période,  par  Eerdmans,  p.  285. 

Religion  Chrétienne.  —  La  révolution  dans  la  société  chré- 
tienne, par  Charles  X.,  p.  283.  —  L'Église  et  l'État  ou  les  deux 
puissances  au  XVIII"  siècle,  par  M.  P.  de  CrouzasCrétet,  p.  285. 
—  Tableau  historiiiue  du  monachisme  occidental,  par  dom  Be- 
rengier,  p.  287.  —  Saint  Paul,  par  M.  l'abbé  Fouard,  p.  288.  — 
Geschichle  des  .Untcrgangs  des  Griechisch  Roemiechen  Heiden- 
lums,  par  M.  Victor  Schultze,  p.  383.  —  Les  Evéques  et  les  Ar- 
chevêques de  France,  depuis  1682,  jusqu'à  1801  j  par  le  P.  Armand 
Jean,  S.  J.,  p.  478.    —  Eine  Vorkanonischo   Ueberlicferung    des 


576  TABLE  DES   MATIÈRES 

Lucas  ia  Evangeliuni  und  Apostelgeschichte,  D''  Paul  Feine, 
p.  479.  —  Die  Kalholischen  Briefe,  Texkritische  Untersuchungeu 
uDd  Texlherstellutig,  von  D"^  Bernhard  Weiss,  p.  480. 

Religions  de  VInde.  —  Le  Rig-Véda,  par  M.  Paul  Regnaud,  An- 
nales du  Musée  Guimet,  p.  95.  —  L'Inde  avant  le  Bouddlia  ;  La 
vie  de  Bouddha  suivie  du  Bouddhisme  dans  l'Indo-Ghine  ;  L'Inde 
après  le  Bouddha,  par  M.  Lamairesse,  p.  280. 

Religion  Égyptienne.  —  La  morale  égyptienne  quinze  siècles 
avant  noire  ère,  Amélineau,  p.  285. 

Mythologie  comparée  et  folklore.  —  The  Mclanesians  ;  sludies 
on  thcir  Anlhropology  and  folk-lore,  par  H.  God"inglon,  p.  286. 
—  Le  folk-lore  vallon,  par  M.  E.  Monscur,  p.  286. 


Le  Gérant  :  Z.  PEISSON. 


Amiens,  Inip.  Rousseau-Leroy,  rue  Saiut-Fuscieû,  18 


REVUE  des  Religions. 
1893. 


V.5 


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