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Full text of "Revue pédagogique"

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REVUE 


PÉDAGOGIQUE 


NOUVELLE  SÉRIE 

TOME  YI 

«Fanviex^-Jixlii  188S 


MUSÉE  PÉDAGOGIQUE 

BIBUOTHÈQUE  CENTRALE  DE  L'ENSEIGNEMENT  PRQUIKE 


REVUE 

PÉDAGOGIQUE 


NOUVELLE    SÉRIE 

TOME  VI 

Janvlex'-Juln  1885 


PARIS 

LIBRAIRIE  CH.  DELAGRAVE 

18,   RDS  SOUFPLOT,   iS 

ISSU 

Dntlis  de  titductlaa  at  da  (tproductloD  rtiuvdi. 


iMnlIeiérie.  —  Tm»  H.  N*  1.  IS  Juner  IMS. 

BEVUE  PÉDAGOGIQUE 

LETTRES  INÉDITES  DU  PÈRE  GIRARD 

A   M.    J.-J.    RAPET 


En  i844,  TÂcadémie  française  décernait  un  prix  Montyon  de 
six  mille  francs  au  livre  dn  P.  Girard  inlitulé  :  De  renseignement 
régulier  de  la  langue  maternelle.  L'illustre  cordelier  fribourgeois 
approchait  déjà»  à  ce  moment,  du  terme  de  sa  longue  carrière. 
Après  avoir  débuté  en  1799,  à  l'époque  du  Directoire  helvétique» 
comme  curé  de  la  paroisse  catholique  de  Beroe,  il  avait  dirigé, 
de  1804  à  1823,  les  écoles  françaises  de  la  ville  de  Fribourg, 
où  il  introduisit  en  1816  rcnseignem3nt  mutuel.  Les  jésuites 
et  l'évoque  de  Fribourg  l'ayant  forcé  d'abandonner  son  poste, 
il  s'était  retiré  à  Lucerne,  et  y  avait  enseigné  la  philosophie 
pendant  quelques  années.  Puis  en  1834,  à  l'âge  de  soixante- 
neuf  ans,  il  était  rentré  dans  sa  ville  natale  pour  y  finir  ses  jours 
dans  lapaisib  le  cellule  de  son  ancien  couvent. 

Le  livre  que  l'Académie  venait  de  distinguer  par  une  récom- 
pense hors  ligne  était  destiné  5  former  l'inlroduclion  du  grand 
ouvrage  à  l'exécution  duquel  le  P.  Girard  avait  résolu  de  con- 
sacrer les  dernières  années  de  sa  vie.  Cet  ouvrage,  c'est  le 
Cours  éducatij  de  langue  maternelle^  trop  connu  de  nos  lecteurs 
pour  que  nous  .  yons  ici  à  en  faire  Téloge.  Œuvre  d*un  péda- 
gogue suisse,  le  Cours  de  langue  maternelle  était  néanmoins,  dans 
l'intention  de  son  aut^  ir,  destiné  à  la  France:  mais  la  publica- 
tion du  livre  à  Paris  offrait  certaines  difficultés.  Le  P.  Girard  avait 
été  heureux  d'accepter,  pour  surmonter  ces  ob^^tacles,  le  concours 
spontané  et  désintéressé  de  deux  hommes  qui  partageaient  ses 
vues  et  son  zèle  pour  l'éducation  de  la  jeunesse  :  c'étaient 
H.  Rapet,  alors  directeur  de  l'école  normale  de  Périgueux,  et 
H.  Michel,  chef  d'une  institution  libre.  Par  les  soins  de  ces 

EIVDB  FtDAGOGIQUI  1885.  —  t*'  8BH.  t 


s  RIVDE  PÉDAGOGIQUE 

deux  amis,  le  Cours  éducatif  de  langue  maternelle  parut  chez 
Dézobry  et  Magdeleiae,  de  1843  à  i8i6,  en  six  volumes. 

Al.  Rapet  était  entri  en  relations  avec  h  P.  Girard  dès  1838, 
et  pcul-étrc  à  une  époque  déjà  plus  ancienne,  par  Tinermédiaire, 
semble-t-il,  de  M.  François  Naville  de  Genève,  le  directeur  Ijien 
connu  du  pensionnat  de  Vernier.  II  entretint  avec  réroinent 
éducateur  fribourgeois  une  correspondance  qui  embrasse  une 
période  de  dix  années,  de  1838  à  1848.  Les  lettres  du  P.  Girard 
à  H.  Rapet,  au  nombre  de  vingt-cinq,  appartiennent  aujourd'hui 
au  Musée  pédagogiq  le  de  Paris.  Nous  avons  pensé  qu'il  y  avait 
intérêt  à  les  publier  ;  elles  nous  fo  it  assister  par*  le  délai!  à  la 
composition  du  Cours  éducatif  de  langue  maternelle,  a  x  négo- 
ciations parfois  laborijus.-s  qui  en  précédèrent  la  publication, 
et  elles  contiennent,  sur  les  hommes  et  les  choses  de  cette  époque, 
en  France  et  en  Suis  e,  des  appréciations  souvent  assez  piquantes. 

Nojs  donnons  ces  lettres  telles  quelles,  sans  rien  siipp  imer 
des  minutieux  détails  d'affaires  et  des  redites  parfois  lasti- 
di  uses  ;  nous  conservons  Torthographe  personnelle  de  l'auteur, 
avec  ses  incorrect'ons  ;  nous  ne  changeons  rien  à  son  style 
émaillé  de  germanismes  —  le  P.  Girard  était,  par  son  éduca- 
tion, plus  Alleinand  que  Français.  Nous  nous  sommes  bornés 
à  ajouter  quelques  notes  explicatives  là  où  il  nous  a  semblé 

qu'un  éclaircissement  pouvait  être  utile. 

La  Rédaction. 


1 

Friboorg  en  Suisse,  le  23  Nov.  1838. 

Mon  cher  et  excellent  ami, 

(fti^'oinii  4p^  Je  dois  vous  appeler,  puisque  vous  partagez  si  chau- 
dement Ih  èbtilb  de^^éilh]  cation,  à  laquelle  j'ai  consacré  une  vie  longue, 
laborieiisd.dii  soavcnticlrueUemeat  contrariée.  Mais  Dieu,  que  j'ai 
l)en%t,pWiYif  dfiï>!$i:l%icvnf;çw>fte  m'a  pas  laissé  seul.  J'espère  même 

^"'Ïi/Wèffli^?!'^.^  ^'^îfif  tft^i?^'Sl»^^  J^»^*^'^  <^®  ^^®  j'*^»^  ^'"i 
mon  (ravail.  -     ,    , 

jê'yatfSiHi  afe^éf^ûr'ôt'a'ftttife'^i+ëè  Wtlè  vive  reconnaissance  à  toutes 
vosepi?o|K)9îttfoi|ft;Jîayat0iUii;'«noltilIeag&4^mentavec  M.  Naville  (1).  Je 

(tft)H;rBi»iq;oi8*Kafvitfeij|[NiitV)rig8(i0Mr4^  «Éiitito^i  ea  1819  à    Vernier 


LETTRES    INÉDITES   DU   PÈRE   GIRARD  3 

voulais,  comme  de  juste,  y  faire  honneur.  Mais  M.  Navîlle, entrant  tout 
à  fait  dans  vos  raisons  et  celles  de  M.  Pltois  (1),  les  appuyant  môme 
avec  d'autres  que  vous  n'avez  pas  énoncées,  et  qui  ne  pouvaient  par- 
tir que  d'un  esprit  et  d'un  cœur  comme  le  sien,  vient  de  dissiper 
même  Tombre  la  plus  légère  d'un  scrupule.  Tout  sera  au  mieux 
dans  les  intérêts  de  la  chose.  Pour  mon  comple  je  n'en  ai  pas 
d'autre^". 

Je  ne  sais  si  je  vous  ai  bien  détaillé  le  plan  de  l'ouvrage  que  je 
rédige.  Il  comprend  deux  séries  parallèles.  L'une  c'est  celle  de  la 
syntaxe  qui  se  développe  progressivement  en  quatre  degrés  :  i®  Pro- 
position; ^  Phrases  de  deux  propositions;  3°  Phrases  de  3  propos.; 
1°  phrases  de  4  propositions  et  au-delà.  Au  N<»  3  commence  ce  que 
j'appelle  la  logique  de  la  vie.  Elle  prend  le  syllogisme  positif  sur 
son  chemin,  et  présente  une  ligne  de  lumière  pour  la  faire  saisir 
par  la  jeunesse,  et  une  ligne  d'ombre  ou  d'erreur  pour  la  faire 
repousser  avec  connaissance  de  cause. 

La  série  lexigraphique  {i)  s'occupe  de  la  dérivation,  conjugaison 
(le.  et  sur  ces  mots  et  formes  rinsiiluteur  exprime  des  pensées  et 
invite  les  élèves  a  l'imiter.  C'est  une  composition  continuelle,  libre 
et  vive  qui  m'a  toujours  bien  réussi  dans  mon  école.  Elle  accom- 
pagne le  travail  syntaxique  et  le  prépare  en  fournissant  des  maté- 
riaux peur  la  construction.  Dès  le  troisième  degré,  la  lexigraphie,  ou 
le  vocabulaire,  prend  à  côté  d'elle  des  sujets  gradués  de  divers  genres 
de  compositions  propres  pour  la  jeunesse.  Dès  le  troisième  degré 
on  peut  dans  les  instituts  commencer  le  grec  et  le  latin. 

Je  dois  vous  prévenir  que  je  travaille  à  présent  pour  la  jeunesse 
de  la  classe  moyenne  ou  supérieure,  et  cela  en  Franc(î.  J'ai 
publié  dans  mon  pays  la  première  partie  de  ce  que  j'ai  intitulé 
Grammaire  des  campagnes  (3).  Je  l'ai  communiquée  au  Ministre  de 
l'intérieur  à  Paris,  à  Mgr  le  Cardinal  de  tiausset  et  aux  Évèquea 
de  Nancy,  Metz  et  Orléans.  Partout  j'ai  reçu  des  encouragements; 
mais  une  lutte  de  pouvoirs  s'étant  élevée  ici  entre  le  gouverne- 
ment et  l'évéché,  j'ai  gardé  la  deuxième  partie  en  manuscrit.  C'est 
sur  ce  manuscrit  que  M.  Chappuis  a  fait  son  chétiC  extrait  imprimé 
en  1831. 


lils ,  MM.  Louis  et  Ernest  Naville.  11  s'était  lié  de  bonne  heure  avec  le  P.  Gi- 
rarrj;  on  verra  par  ces  lettres  quelle  étroite  amitié  unissait  le  cordelier  fri- 
bourgeois  et  le  ministre  calviniste.  M.  François  Naville  est  mort  en  1846.  ft 
a  laissé  un  livre  remarquable  sur  l'Éducation  publique  [Cienève^  1832;  2*  édi- 
tion, Paris,  1833). 
(1)  M.  Pitois-Leyrault,  libraire  à  Paris. 

(2}  Le  P.  Girard  écrit  lexigraphie ^  lexigraphique.  L'expression  correcte  serait 
lexicographie,  lexicographique. 

13)  La  Grammaire  des  campagnes  du  P.  Girard,  dont  il  sera  question  à  plus 
d'une  reprise  dans  coi  lettre?,  a  été  publiée  à  Fribourj^  f»ii  18il. 


4  mVUK  PÉDAGOGIQUE 

Mon  travail  actuel  ayant  en  vue  un  autre  public,  une  jeunesse 
mieux  préparée,  tout  comme  destinée  à  des  fonctions  et  des  devoirs 
plus  étendus  et  plus  relevés,  aura  une  extension  plus  grande.  Je 
compte  jusqu'à  présent  8  petits  volumes,  4  pour  la  syntaxe  et  tout 
autant  pour  les  exercices  lexigraphiques  et  de  compositions.  11  y  aura 
au  moins  autant  de  divisions  s'il  n*y  a  pas  ce  nombre  de  volumes. 
C'est  une  chose  que  vous  arrangerez  avec  M.  Pitois. 

Je  compte  d'achever  au  nouvel  an  la  rédaction  de  la  première  partie 
«yntaxique  :  La  proposition.  C'est  la  base  de  tout  l'édifice  comme 
tous  le  verrez.  J'ose  vous  dire  que  vous  n'avez  pas  encore  toute  mon 
Idée,  parce  que  vous  n'avez  vu  que  quelques  fragments  de  mes  pre- 
miers essais  et  que  depuis  lors  je  l'ai  conçue  d'une  manière  plus 
lelevée,  et  en  môme  temps  plus  profonde.  Mon  nouveau  manuscrit 
TOUS  dira  cela  par  le  fait.  La  partie  correspondante  de  la  lexigraphie 
me  prendra  beaucoup  moins  de  temps,  parce  qu'elle  est  déjà  avancée. 
Je  pense  la  finir  pour  paques.  Je  désire  que  l'impression  commence 
par  celte  première  livraison.  Â  elle  seule  elle  formerait  déjà  un 
tout. 

La  seconde  livraison  qui  comprendra  la  phrase  de  deux  propositions 
pour  la  syntaxe,  sera  beaucoup  plus  vite  expédiée  pour  deux  raisons. 
D'abord  tout  le  cannevas  en  est  réglé.  C'était  la  grande  aUdire.  J'ai 
redressé  d'après  l'ordre  logique  non  seulement  mes  propres  aberrations 
en  ce  genre  —  (j^élais  si  pressé  en  face  de  mes  enfanls  qui  me  deman- 
daient le  pain  de  chaque  jour),  mais  encore  celles  que  mon  abbrévia- 
teur  a  commises  loin  de  moi.  Je  suis  content  de  ce  que  j'ai  préparé. 
Au  surplus  je  n'aurai  pas  beaucoup  à  écrire  parce  que  je  couperai 
mes  phrases  par  bandes  pour  les  choisir,  ranger  et  les  coler  sur  une 
feuille  volante,  feuilles  que  je  passerai  à  mon  copiste  sans  donner 
un  coup  de  plume. 

La  troisième  livraison  de  la  syntaxe  comprenant  la  phrase  de 
3  propositions  demandera  un  peu  plus  de  temps,  parce  qu'il  faut 
queje  rectifie  la  marche  que  j'avais  suivie.  La  lexigraphie  s'élèvera 
de  différentes  manières.  Les  sujets  de  composition  sont  prêts. 

Au  sujet  de  la  lexigraphie  de  la  ^  partie  j'oubliais  de  vous  dire 
qu'en  fait  de  conjugaison  elle  s'occupera  de  la  concordance  des  temps. 
Cela  est  aussi  fait.  U  est  entendu  qu'ici  la  conjugaison  se  fera  par 
phrases,  au  grand  profit  de  l'éducation,  car  on  coiyugucra  lo  vrai, 
le  beau,  le  bon,  le  divin,  et  en  passant  ces  idées  par  toutes  1rs  per- 
sonnes, elles  s'imprimeront  dans  Famé  de  Télève  et  formeront  cette 
athmosphère  éducative  où  je  désire  placer  la  jeunesse  pour  sa  vie. 
Les  premières  impressions  ne  s'effacent  pas.  Elie^  peuvent  s'en  aller 
pour  un  temps,  mais  elles  reviennent,  surtout  lorsque  1  instituteur 
a  connu  Tassociation  des  idées  et  les  moyens  de  la  fixer. 

Je  compte  vous  faire  passer  mes  manuscrits  par  mon  ami  Naville 
pour  qu'il  en  tire  parti  en  passant  pour  ses  élèves  qui  sont  aussi 
les  miens. Je  m*enlendrai  là-dessus  avec  lui.  Peutôtro  lui  enverrai- 


LETTIUIS   INEDITES  DU   PÈRE   GIRARD  5 

je  quelques  cahiers  d'avance.  J'achèverai  ces  jours  le  1V«  chap.  et 
ce  sera,  je  pense,  la  moitié  du  volume. 

J'ai  arrêté  le  titre  de  Touvrage.  Le  voici:  Cours  de  langue  maternelle 
mis  au  service  de  l'éducation.  Il  rend  ma  pensée  en  peu  de  mots.  Je 
le  dédie  à  M.  Cousin  (1).  Cela  doit  être.  Il  n'est  pas  encore  prévenu. 
Cest  assez  lot.  Vous  aurez  la  bonté  de  mettre  votre  nom  comme 
éditeur.  Mais  vous  paierai  (sic)  cher  ce  nom  que  j'aime  bien  à  voir  près 
du  mien,  puisque  vous  aurez  la  peine  de  laver  mon  linge  sÂle. 

Je  ferai  une  préface  où  j'exposerai  brièvement  les  principes  qui 
m'ont  inspiré,  et  d'après  lesquels  je  travaille  depuis  de  longues 
années.  M.  Naville  y  trouvera  naturellement  sa  place  et  j'acquite- 
rai  ainsi  la  dette  de  mon  cœur.  Si  après  cela  vous  trouvez  bon  d'ajou- 
ter quelque  chose  en  votre  nom,  j'en  serai  bien  content,  pourvu  que 
vous  ne  me  fassiez  pas  rougir. 

Vous  voyez  que  je  suis  bien  d'accord  avec  le  gendre  d'un  ancien 
ami  M.  Levraut  que  j'ai  tant  regrété.  Pour  l'honoraire  je  le 
laisse  absolument  le  maître.  Je  ne  voudrais  rien,  si  je  n'avais  pas 
été  enveloppé  dans  les  désastres  d'autrui,  si  les  copies  n'étaient  pas 
coûteuses  et  si  mon  grand  âge  et  ma  vie  laborieuse  (je  suis  levé  dès 
les  4  heures)  ne  demandait  pas  quelques  dépenses  dans  une  société 
où  l'on  n'est  pas  fourni  de  tout.  Je  possède  une  riche  collection  en 
livfps  scientifiques,  et  j'ai  le  chagrin  de  me  demander  souvent  qui  les 
lira  ?  0  î  belles  et  bonnes  lettres  que  vous  êtes  peu  cultivées  ! 

A  présent  je  crois  vous  avoir  tout  dit.  Agréez  mes  remercîments 
pour  le  service  signalé  que  vous  me  rendez*;  nous  travaillons  tout 
deux  pro  Deo  et  palria  ;  la  dernière  est  quelquefois  ingrate,  mais 
Dieu  s'est  chargé  de  la  reconnaissance.  Il  n'y  a  rien  à  perdre. 

Tout  à  vous. 

G.  Girard  Prof, 

P.  S.  J'oubliais  de  vous  dire  que  mon  travail  est  fait  pour  être 
mis  entre  les  mains  des  instituleurs  et  des  institutrices.  Les  élèves 
pourront  en  voir  les  cahiers  plus  tard,  si  on  le  juge  à  propos.  La 
mémoire  n'a  rien  à  apprendre  ici,  tout  est  pour  la  pensée  et  les 
inspirations  du  cœur  que  le  maître  excite,  encourage,  aide  et  corn- 

(1)  M.  Cousin  fut  un  des  premiers  à  faire  connaître  à  la  France  le  nom  du 
P.  Girard.  Il  lui  rendit  visite  à  Friboiirg  en  1839  (voir  plus  loin  la  lettre  du 
1"  juillet  1842).  Lorsqu'il  fut  devenu  ministre  de  l'instruction  publique  en 
1840,  il  fit  décerner  la  croix  au  P.  Girard.  Selon  M.  Dnguet  {Dictionnaire  de 
pédagogie,  article  Girard,  p.  1181),  c'est  en  1838  que  le  P.  Girard  aurait  reçu 
la  croix;  mais  M.  Rnpet, qui  devait  être  bien  informé,  dit  à  ce  sujet  dans  une 
notice  biographique  manuscrite  sur  le  P.  Girard,  que  possède  le  Musée 
pédagogique  :  «  Au  mois  de  mai  4840,  M.  Cousin,  alors  ministre  de  l'instrue- 
tien  pubUque,  lui  fit  accorder  la  décoration  de  la  Légion  d'honneur.  Dans  cette 
circonstance,  le  modeste  instituteur  de  Fribourg  partaf^ea  cet  honneur  atee 
quelques-unes  des  principales  célébrités  littéraires  de  l'Europe.  » 


6  RITUB  PÉDAGOGIQUE 

plète  d*un  bout  à  Tautre.  Le  mécanisme  serait  ici  la  mort.  Vous  en 
jugerez  bientôt  en  voyant  mes  feuilles.  A  mon  école  je  n'avais  que 
des  manuscrits  pour  le  maître  et  les  moniteurs.  Rien  ne  8*y  appre- 
nait par  cœur  que  le  catéchisme.  II  y  avait  de  la  vie. 


II 

Fribourg,  le  18  août  1840. 

Monsieur  et  très  cher  ami, 

Vous  ne  pouviez  pas  me  donner  une  nouvelle  plus  agréable  que 
celle  de  votre  arrivée  à  Fribourg.  Cependant  je  dois  vous  prévenir 
de  deux  choses  qui  me  contrarient  depuis  longtemps  et  qui  ne  vous 
aeront  pas  agréables.  J'avais  commencé  à  sortir  vers  la  penlecôte  et 
à  me  promener  dans  notre  jardin,  et  voilà  qu*au  commencement  de 
juillet  j*ai  été  fortement  repris  par  mon  rhumatisme  goutteux  qui 
me  faît  beaucoup  souffrir  et  me  retient  en  chambre.  Cela  m'a  bien 
retardé  dans  mon  travail.  Mais  il  m*est  encore  survenu  une  chose 
à  laquelle  je  ne  mattendais  pas  du  tout.  J'ai  été  contraint  de  me 
charger  de  la  présidence  de  la  Société  suisse  des  sciences  naturelles 
qui  se  réunira  ici  les  !2i,  ^S  et  iC)  de  ce  mois.  Je  n'ai  pas  be- 
soin de  vous  dire  que  celle  présidence  me  prend  beaucoup  de  temps 
depuis  deux  mois  environ  (I)  et  que  mon  travail  sur  la  langue  se 
trouve  grandement  en  retard. 

Les  trois  premiers  livres  et  une  partie  du  quatrième  sont  copiés, 
mais  je  n*ai  pas  enr.ore  pu  les  corriger.  J'ai  encore  trois  chapitres 
à  rédiger  pour  achever  le  quatrième.  Le  cinquième  livre  reste  à  faire, 
mais  il  sera  court  et  bientôt  fait. 

Quant  aux  livres  élémentaires,  je  n'ai  rien  de  prêt  sauf  la  syntaxe 
de  la  proposition  (ayant  dans  la  copie  que  m'en  a  faite  un  confrère 
en  fort  petite  écriture,  mais  très  lisible  et  nette,  i5()  pages),  ("est 
ma  rédaction  définitive  de  ce  que  je  vous  ai  envoyé.  Cette  première 
partie  doit  nécessairement  être  accompagnée  d'un  cahier  de  conju- 
gaison et  utilement  d'un  autre  faisant  partie  du  vocabulaire.  La 
conjugaison  et  le  vocabulaire  alternent  dans  Tinstruction  et  complè- 
tent ensemble  l'enseignement.  Les  matériaux  sont  prêts,  mais  il  faut 
les  rédiger.  Il  me  faudra  deux  ou  trois  mois  de  travail  pour  h>s 
deux,  en  sorte  qu'ils  ne  pourront  être  livrés  à  l'impression  qu'en  fin 
de  décembre.  Copiés  de  la  même  main  ces  deux  cahiers  ne  passe- 
ront pas  les  150  pages  de  la  syntaxe.  Le  vocabulaire  n*est  que  pour 
le  maître. 

(1)  Le  P.  Girard  préparait  le  discours  qu'il  prononça  à  roccasion  de  ccttn 
réunion  de  la  Société  helvétique  des  sciences  naturelles.  Ce  discours  a  été 
publié  sous  le  titre  de  Parallèle  entre  la  philosophie  et  la  physique,  Fri- 
bourg, in-8%  24  p.,  1840. 


LETTRES  INÉDITES   DU  PÈRE   GIRARD  7 

La  seconde  partie  du  cours  sera  formée  par  la  syntaxe  de  la 
phrase  à  deux  propositions  et  les  cahiers  correspondants  de  conju- 
gaison et  de  vocabulaire.  Tout  est  prêt,  sauf  rédaction.  J*espère  qu'en 
six  mois  ce  travail  sera  fait.  Il  me  restera  encore  la  (roisièmo  par- 
tic  à  rédiger.  Il  faudra  encore  un  cahier  de  compositions  pour  le 
maître.  J'oubliais  de  vous  dire  que  la  syntaxe  do  la  troisième  par- 
tie renferme  les  phrases  de  plusieurs  propositions.  Le  tout  compren- 
dra ainsi  dix  cahiers.  G*est  beaucoup,  je  le  sens;  mais  cela  ne  peut 
pas  être  autrement.  Je  crois  qu'il  faut  publier  ensemble  les  deux 
premières  parties.  La  troisième  pourra  suivre  plus  tard.  Nous  en 
parlerons. 

Vous  trouverez  du  changement  à  Vernier  chez  notre  ami  com« 
mun  (1):  deux  anciens  maîtres  ont  quitté  l'institut  qui  est  conduit  par 
le  père  et  ses  deux  fils. 

Adieu  ;  je  vous  embrasse  en  pensée,  dans  Tespoîr  de  le  faire  autre- 
ment dans  quelques  semaines. 

Tout  à  vous, 

G.  Girard. 


m 


Fribourg,  le  l"  juin  1841, 


Monsieur  et  cher  ami. 


En  m'adressant  à  M.  Michel  (2),  j'ai  profité  d'une  occasion  qui  se 
présentait,  et  je  venais  de  voir  par  le  i*^^  N**  de  son  nouveau 
journal  pédagogique  que  vous  lui  aviez  communiqué  mes  manuscrits, 
d'où  j  ai  dû  conclure  qu'il  serait  voire  représentant  chez  M.  Pitois- 
Levrault  pour  surveiller  désormais  l'impression  de  mon  travail  et 
la  corriger.  Au  surplus,  je  venais  d'apprendre  par  votre  lettre  du 
18  février  que  vos  fonctions  prenaient  même  sur  votre  sommeil, 
puisque  vous  ne  pouviez  guère  prendre  du  repos  qu'à  une  ou  deux 
heures  du  matin.  Je  me  faisais  donc  scrupule  d'augmenter  votre 
travail.  J'adressai  dès  lors  ma  question  à  M.  Michel  et  rien  ne  se 
serait  fait  sans  vous,  d'autant  plus  que  lui-môme  ne  le  voulait  pas 
plus  que  moi. 


(1)  M.  Naville. 

(2)  M.  Louis-G.  Michel,  après  avoir  dirigé  une  institution  A  Lyon  pendant 
douze  ans,  était  venu  s'établir  à  Paris  en  1835.  Le  journal .  dont  il  va  être 
question  était  intitulé  VÉducalion^  revue  de  CenseignemenL  ^Le  P.  Girard  avait 
demandé  A  M.  Michel  8*il  voudrait  se  charger  de  surveiller  la  publication  de 
ronvrjge  destiné  A  former  l'introduction  du  Cours  de  langue.  M.  Rapets'étéit 
ému  do  cette  démarche;  il  se  considérait,  en  vertu  de  son  entente  avec 
M.  Naville,  comme  investi  du  droit  exclusif  de  pui'tiier  l'ouvrage  du  P.  Girard. 
Se  croyant  lésé,  il  réclama,  et  reçut  la  réponse  qu'on  va  lire  • 


8  EIVUE  PÉDAGOGIQUE 

C'est  donc  à  tort  que  vous  vous  êtes  inquiété,  comme  vous  l*avez 
fait  et  j'en  suis  peiné. 

Je  vous  dirai  d'ailleurs  que  dans  ma  question  a  M.  Michel,  je 
n'avais  en  vue  que  l'ouvrage  préliminaire  que  j'espérais  terminer 
bientôt,  bien  qu'il  soit  une  fuis  plus  étendu  que  les  feuilles  que  je 
vous  ai  remises  a  Friboiitg,  pour  que  vous  puissiez  en  donner  une  idée 
i  M.  PîLoîs-Levrault.  J'ai  appris  par  le  commis  que  vous  avez  vu  à 
Perrigueux  que  M.  Pitois  a  quitté  les  affaires;  ensorte  que  ce  point 
que  nous  croyions  avoir  arrangé,  ne  l'est  plus  aujourd'hui.  Il  n'y  a 
donc  rien  de  fait  sous  le  rapport  des  finances  et  tout  est  à  recom- 
mencer à  cet  égard. 

Une  chose  m'a  singulièrement  frappé  dans  votre  dernière  ;  c'est  la 
propriété  que  noire  ami  M.  Naville  revendique  sur  mon  travail,  et 
qu'il  croit  avoir  le  droit  de  passer  à  un  autre.  11  est  vrai  qu'en  partant 
pour  Luceme  je  lui  ai  envoyé  une  grande  partie  de  mes  manuscrits 
syntaxiques,  en  lui  laissant  la  liberté  de  les  perfectionner  et  de  les 
publier;  mais  il  n'en  a  rien  fait  jusqu'à  présent.  Il  n'a  donc  pas 
accepté  mon  offre,  et  j'ui  dû  prendre  son  silence  pour  un  refus. 
D'ailleurs,  pour  ne  rien  dire  des  cahiers  de  conjugaison,  de  Icxi- 
graphie  et  de  compositions  que  je  me  suis  gardés,  ainsi  que  la  logique 
des  enfants,  l'ouvrage  préliminaire,  renfermant  la  théorie  du  cours 
de  langue  éducatif,  n'était  pas  du  tout  écrit;  je  ne  l'avais  que  dans 
ma  tête.  Je  ne  verrais  pas  comment  M.  Naville  aurait  pu  vous  trans- 
mettre la  propriété  de  ces  choses. 

La  première  partie  do  la  syntaxe  que  j'ai  rédigée  à  neuf,  diffère 
^^ucoup  de  mes  anciens  cahiers  et  l'on  pourrait  dire  que  c'est  un 
Actre  ouvrage.  Est-ce  que  la  propriété  des  uns  entraîne  la  propriété 

^®  l'autre? 

^ous  ui0  dites  dans  votre  dernière  que  vous  avez  copié  ce  nouveau 

^^^il  pQy  g»  le  corriger  et  pour  lui  donner  le  tour  français  qui  lui 

'^cu^"^»  nfi^  ^®  ^"^  ouvrir  l'entrée  de  vos  écoles:  quant  à  la  cor- 

'htfg^^  ie^     fautes  de  langue,  la  chose  est  en  règle  (I),  et  elle  était 

'^a>^^^  Df  ^s  nécessaire  que  je  n'ai  pas  revu  les  copies.  Le  titre 

'£^    ^/>  j  '^'^  travail  dont  vous  avez  eu  la  bonté  de  vous  charger. 

3f4f   ?^^ro  ^  ion  mise  à  port,  le  travail  doit  rester  le  mien,  et  il  ne 

e^^  g^>^f"^^uter  ni  de  retrancher,  parce  que  l'auteur  seul  a  l'idée 

nX^^^Y^ ^^  qu'il  veut  produire  et  des  principes  qui  l'animent. 

A   ^^    V ''^^^  *^^''®  ^"'^  l'égard  du  fond   et  de  la  forme  je  m'en 

vv  ^^     ^C^^£    a  été  arrêté  entre   nous  dès  le   commencement,  a 

j^^^fi^^U     '^  entrevue,  et  constamment  confirmé  depuis  lors.  Je 

>  ^   l^lJ^^^uloîr  autrement. 

'^^^^   ^^^^i*®  i®  ^^^'»  ""®  grande  disparate  entre  nous  deux. 

I  ^<ni  Vo^^^  ^a&lMàe  chef  d'une  école  normale  et  d'une  école  d'ap- 

^^»   V    ^^  ^yi,vez  ces  deux  institutions  devant  les  yeux,  et  vous 


«  J'y  consent,  je  suis  d'accord  avec  vous  sur  ce  point.  > 


LETTRES   INÉDITES   DU   PÈRE   GIRARD  9 

voudriez  que  le  cours  de  langue  éducatif  fût  rédigé  précisément 
comme  il  leur  convleat.  Personne,  sans  doute,  ne  connaît  mieux  que 
vous  ce  qu*exigent  leur  portée  et  leurs  besoins.  Mais  ma  position  est 
toul-à-fait  différente.  Moi,  j'ai  on  vue  l'éducation  en  général  vi  l'édu- 
calion  dans  les  familles  comme  dans  les  écoles,  puis,  loin  de  m'ar- 
rêter  aux  garçons,  j'ai  principalement  le  sexe  en  vue,  et,  partageant 
les  convictions  d'Aimé  Martin  (i)  depuis  40  ans  en\iron,  je  désire 
mettre  mon  travail  entre  les  mains  des  mères  de  famille  afin  de  leur 
donner  les  moyens  d'en  former  d'autres  dès  Tï^ge  ti»ndre.  Mon  livre 
ne  servira  d'abord  que  dans  les  classes  aisées  où  il  y  a  de  la  culture 
et  de  rame;  mais  j'espère  que  delà  il  descendra  §t  que  la  Providj'nce 
suscitera  des  amis  de  l'enfance  qui  approprieront  aux  classes  infé- 
rieures et  aux  différentes  conditions  de  la  société  le  nouveau  moyen 
d'éducation  qu'elle  m'a  suggéré. 

Vous  me  dites  dans  votre  dernière  que  tout  Touvrsge  doit  paraître 
à  la  fois,  de  peur  que  si  je  publiais  d'abord  la  théorie,  plusieurs  écri- 
vains s'aviseraient  de  rédiger  des  cours  de  langue  d'après  l'ex- 
posé des  principes.  C'est  là  précisément  ce  que  je  désire;  car  la 
même  idée,  pour  se  faire  jour  parlent,  devra  nécessairement  prendre 
diverses  formes,  tout  comme  plus  ou  moins  d'extension  dans  ses  déve- 
loppements. Cependant,  ayant  mûrement  réfléchi  à  ce  que  vous  me 
dites,  je  renonce  à  la  publication  isolée  de  la  théorie  (2).  Elle  ne  pa- 
raîtra qu'avec  les  deux  premières  parties  du  cours  de  langue,  celle  de 
la  proposition  et  celle  de  la  phrase  à  deux  propositions  avec  les 
cahiers  de  conjugaison  et  de  lexigraphîe  correspondants.  Les  deux 
autres  parties,  celle  de  la  phrase  à  3  pi^opositions  et  celle  de  la 
phrase  à  4  propositions  et  au-delà,  formeront  la  seconde  livrai- 
son. Ici,  à  côté  de  la  syntaxe  qui  sera  la  logique  de  l'enfance,  paraî- 
tront les  compositions  graduôes,  et  la  lexigraphie  continuera.  La 
conjugaison  n'y  sera  plus  traitée  à  part,  car  au  fond  elle  aura  été 
épuisée  dans  les  deux  premières  parties;  mais  elle  sera  prise  quel- 
quefois dans  la  syntaxe  même,  où  il  y  aura  des  exemples  que  les 
élèves  seront  appelés  à  conjuguer;  comme  cela  se  pratiquait  avec  fruit 
dans  mon  école. 

J'espère  de  pouvoir  finir  la  première  livraison.  Quant  à  la  seconde 
on  trouvera,  si  je  meurs,  les  plans  détaillés  chez  moi  et  les  matériaux 
convenables.  Un  de  mes  confrères  et  amis  sera  chargé  d'en  faire  la 
remise  à  une  personne  désignée,  et  cette  personne,  c'est  vous. 

(1)  Aimé  Martin  avait  publié  sept  ans  auparavant,  en  1814,  son  ouvrage 
bien  connu,  couronné  par  rAcadémie  franc lise  :  Éducation  des  mères  de  /a- 
miUef  ou  De  la  civilisation  du  genre  humain  par  les  femmes, 

(I)  Comme  on  le  verra  plus  loin,  le  P.  Girard  devait  ch-mger  d'avis  encore 
une  fois,  et  revenir  à  son  idée  première.  La  théorie,  c'est-à-dire  le  livre  De 
renseignement  régulier  de  la  langue  maternelle,  fut,  en  effet,  publiée  séparé- 
ment, et  avant  le  Cours  de  langue  proprement  dit. 


10  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

Vous  voyez  par  là  que  je  n'ai  rien  changé  au  seul  arrangement 
que  nous  avons  pris  ensemble,  et  nous  prendrons  les  autres  lorsque 
la  première  livraison  devra  paraître.  Ce  sera  assez  tôt. 

Celte  première  livraison,  comme  vous  pouvez  le  voir,  formera  un 
tout  qui  pourra  suffire  aux  classes  inférieures  que  le  travail  appelle 
si  vite,  parce  qu'il  faut  vivre. 

Comme  les  copies  me  coulent  beaucoup  d'argent  —  je  paye  la 
feuille  4  sous,  —  je  vous  prie  de  me  renvoyer  celles  que  je  vous 
ai  remises  par  deux  fois,  afin  que  j'y  insère  les  changements  qui 
se  trouvent  maintenant  aux  originaux. 

Il  eiït  possible  que  la  première  livraison  soit  prête  pour  le  nouvel 
an.  Je  renverrai  à  Paris  en  profitant  de  TolTre  que  m'a  faite  M.  le 
Baron  Mortier,  ambassadeur  de  France  en  Suisse.  Je  l'adresserai  au 
Blinistère  de  l'instruction  publique  pour  vous  la  faire  parvenir. 
Vous  en  serez  prévenu  à  temps.  Quant  à  moi  je  ferai  diligence 
et  je  mettrai  à  profit  tous  les  moments  qu'il  plaira  à  la  divine 
Providence  de  m  accorder.  J'ai  toutefois  encore  mes  leçons  au  couvent: 
mais  je  suis  enfin  au  bout  des  travaux  de  ma  pénible  et  exigeante 
présidence  de  la  Société  suisse  des  sciences  naturelles.  Veuillez  m'in- 
diquer  le  moyen  de  vous  faire  parvenir  un  exemplaire  de  nos  actes. 

Ce  qui  a  tourné  ma  pensée  du  côté  de  M.  Michel,  je  vous  Tai  dit. 
Je  suis  si  éloigné  de  vouloir  faire  opposition  avec  l'université,  que 
la  conciliation  est  dans  le  fond  de  mon  âme  et  que,  loin  de  tout 
parti,  je  désire  d'êlre  utile  à  toute  la  jeunesse,  quelle  que  soit  l'opinion 
politique  des  parenis.  Je  n'irai  pas  me  démentir  au  bord  de  la 
tombe  et  près  de  paraître  devant  le  Père  commun  et  le  Sauveur  de 
tous  les  hommes.  Tous  les  enfants  sont  aussi  mes  enfants. 

Adieu,  Monsieur  et  cher  ami,  je  vous  embrasse. 

Tout  à  vous. 

Grég.  Girard,  Prof,  de  Philosophie. 

P.'S,  M.  Michel  me  marque  dans  sa  lettre  du  21  mai  que 
M.  Villemain  (I)  est  prêt  à  recevoir  les  manuscrits  que  je  lui  enverrai. 
Comme  il  faut  un  correcteur  sûr  pour  un  ouvrage  qui  s'imprimera 
à  Paris,  loin  do  vous,  je  pense  que  vous  vous  ferez  suppléer  pour 
cela  par  M.  Michel,  ce  qui  à  mon  avis  arrangera  tout. 


IV 

Fribourg  en  Suisse,  le  !•'  juillet  1842. 

Monsieur  et  cher  ami, 

Votre  dernière  a  bouleversé  tous  mes  projets.  J'ai  eu  soin  de  ter- 
miner l'ouvrage  préliminaire  et  les  deux  première  parties  du  Cours 

(1)  M.  Villemain  était  alors  ministre  de  Tinstruction  publique. 


LETTRES   INÉDITES   DU   PÈRE   GIRARD  41 

éducatif  de  langue  maternelle  :  tout  était  prêt  et  copié  et  j*a11ais  tout 
vous  remettre  à  votre  passage  a  Frlbourg.  Maintenant  il  a  fallu  chan- 
ger ces  dispositions. 

M.  Cousin,  passant  à  Fribourg  il  y  a  3  ans  bientôt,  m'avait  dit  : 
€  Envoyez-moi  votre  travail  et  je  le  ferai  imprimer.  »  J'ai  dû  le  prendre 
au  mot  pour  l'impression  de  l'ouvrage  préliminaire  que  je  lui  ai 
dédié,  etj'attcus  sa  réponse  depuis  huit  jours.  J'en  avertis  aujourd'hui 
M.  Michel,  notre  ami  commun,  car  il  a  bien  voulu  se  charger  de 
revoir  les  épreuves. 

Quant  à  l'ouvrage  élémentaire,  il  devait  porter  sur  le  titre  ces  mots  : 
Edition  soignée  par  M,  Rapet  directeur  etc.  et  M.  Michel  etc..  Je  vou- 
lais par  là  réunir  les  universitaires  et  les  non-universitaires  dans 
l'intérêt  de  toute  la  génération  naissante  qui  toute  entière  m'est  chère 
et  précieuse  sans  exception.  Notre  ami  commun  a  Tair  de  servir  le 
parti  légitimiste.  Ce  n'est  pas  en  cela  qu'il  peut  me  plaire,  à  moi 
prêtre  de  J.-C.  qui  ne  suis  et  ne  dois  être  d'aucun  parti;  mais  il  veut 
réducation  de  l'enfance,  et  la  meilleure,  et  la  seule  véritable,  et  sur 
ce  point  qui  est  l'essentiel  il  pense  comme  nous  et  nous  comme 
lui.  Il  nous  aidera  dans  le  but  que  nous  poursuivons  tous  deux,  et 
que  si  peu  d'instituteurs  veulent  et  comprennent.  Profitons  des  ser- 
vices qu'il  est  disposé  à  nous  rendre  pour  la  plus  belle  des  causes. 

Veuillez  me  dire  ce  qu'il  y  a  à  faire  peur  que  vous  preniez  part  à 
la  publication  des  livres  élémentaires  et  qu'ils  puissent  porter  sur  le 
titre  les  mots  Édition  soignée  par  et  par.  Comme  vous  n'Irez  pas  à  Paris, 
il  faudra  vous  envoyer  les  manuscrits.  Cela  est- il  faisable  et  comment? 
Je  veux  me  servir  de  l'attache  ministérielle  pour  plus  de  sûreté:  car  les 
manuscrits  venant  à  se  perdre,  il  faudrait  de  nouvoHrs  copies  qui 
demanderaient  des  mois  et  des  mois  et  beaucoup  d'ari^ent,  plus  qu'il  ne 
m'en  reste  après  les  dépenses  considérables  que  j'ai  faites  jusqu'ici. 

Causez-en  à  M.  Michel  auquel  j'écris  aujourd'hui  et  veuillez  me 
faire  connaître  vcs  pensées  à  ce  sujet.  Je  vous  embrasse. 

G.  Girard. 

P.'S.  M.  Naville  se  porte  bien,  j'ai  vu  dernièrement  presque  toute 
sa  chère  famille,  ses  deux  fils,  leurs  femmes  et  W^^  Rose  (I). 


V 

26  juillet  1841. 
Monsieur  et  cher  collègue. 

J'accepte  avec  une  reconnaissance  bien  vive  la  proposition  que  vous 
me  faites  de  passer  par  Fribourg  les  premiers  jours  de  septembre. 
Les  deux  premières  parties  du  cours  éducatif  de  langue  maternelle 

(I)  M*>*  Rose  Naville,  qai  mourut  toute  jeune  encore,  on  18i>. 


12  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

sont  prêtes,  sauf  le  vocabulaire  qui  est  en  travail.  J*espère  de  pou- 
voir vous  remctlre  sa  première  partie,  afin  que  la  première  livraison 
du  cours  soit  complète,  et  puisse  être  publiée  avant  la  mi-octobre, 
pour  la  rentrée  des  études. 

L'ouvrage  préliminaire,  renfermant  la  théorie  du  travail,  est  parti 
hier  de  Fribourg  et  voici  comment.  M.  ('ousin  ne  répondant  pas  à 
la  lettre  que  je  lui  ai  adressée  il  y  a  plus  d*un  mois,  je  priai  notre 
ami  commun  M.  Michel  de  bien  vouloir  se  transporter  chez  lui.  Il 
le  trouva  sur  sun  départ  pour  les  bains  de  Plombières.  11  témoigna 
son  regret  de  ne  pas  s'être  occupé  plutôt  de  mon  affaire  et  promit 
de  la  prendre  en  main  dès  son  retour,  le  28  ou  !29  d*août. 

C'est  l'ingénieur  de  nos  ponts  suspendus,  M.  Challey,  qui  m'apporta 
la  lettre  de  son  ami  d'enfance  M.  Michel.  Comme  M.  Challey  sera  de 
retour  ù  Paris  dès  les  premiers  jours  d'août,  je  lui  ai  remis  le  manus- 
crit. C'était  le  remettre  en  mains  sûres,  et  le  faire  arriver  promple- 
ment  à  sa  destination.  Je  ne  pouvais  pas  attendre  le  retour  de 
M.  Cousin,  parce  que  la  publication  aurait  été  trop  en  retard 

J'ai  remis  le  manuscrit  à  M.  Michel  en  toute  propriété  avec  cer- 
taines conditions  que  j'ai  indiquées  en  gros  et  que  M.  Challey  négo- 
tiera  en  ma  pince  et  dont  il  sera  le  garant.  11  reviendra  à  Fribourg 
dans  six  semaines  et  il  y  a  toujours  des  fonds  à  sa  disposition.  Ne 
vous  effrayez  pas  des  conditions  pécuniaires.  Il  ne  s'agit  que  du 
rembours  de  mes  frais,  et  je  laisse  faire  M.  Michel  et  son  ami. 
S'ils  vont  trop  loin,  je  rabattrai,  parce  que  ce  n'est  point  une 
spéculation  de  ma  part,  et  mon  désir  est  que  l'ouvrage  destiné  aux 
générations  naissantes,  soit  par  la  modicité  de  son  prix  à  la  portée 
de  tous. 

Je  pense  aussi  vous  faire  une  remise  semblable,  à  vous  qui  le 
premier  vous  éles  intéressé  aux  intentions  qui  m'animent  depuis  si 
longtemps  et  que  vous  avez  partagé  si  Irunchement  et  si  vivement 
avec  moi.  C'est  une  chose  dont  nous  nous  occuperons  à  votre  pas- 
sage a  Fribourg. 

Comme  la  librairie  ne  vous  est  point  étrangère  et  que  sûrement 
vous  connaissez  à  Paris  une  maison  bien  achalandée,  qui  pourrait 
remplacer  M.  Pitois-Levrault,  veuillez  vous  entendre  avec  M.  Michel 
pour  que  tout  soit  prêt  au  moment  où  vous  arriverez  à  Paris  avec 
les  manuscrits.  M.  Michel  dans  sa  dernière  me  parle  encore  d'une 
société  à  former  pour  l'imprassion  des  livres  élémentaires.  Ce  n'est 
pas  plus  m  >n  avis  que  celui  de  mes  amis  de  Genève.  Je  crois  que 
M.  Michel  abandonnera  cette  idée  dès  qu'il  aura  vu  son  ami  Challey. 
Celui-ci  est  tout-à-fait  a  même  de  faire  les  fonds  nécessaires.  Les  deux 
ponts  suspendus  de  Fribourg  lui  produisent  de  gros  intérêts. 

J'ai  appris  par  M.  Leblond  qui  dernièrement  s'est  adressé  à  vous 
et  qui  présentement  est  retourné  à  Tarare,  j'ai  appris,  dis-je,  que 
M.  Michel  s'est  adressé  à  M.  Debornes  pour  obtenir  de  lui  un  jeune 
homme  attaché  à  son  institution.  Il  s'agit  d'en  faire  un  aide  pour 


LETTRES  IN&DITES  DU   PÈRE   GIRARD  13 

aa  commerce  de  librairie.  M.  Michel  fait  imprimer  de  petits  livres 
d'histoire  sainte  et  d'histoire  naturelle.  Il  m'en  a  envoyé.  Serait-ce 
là  celle  branche  de  commerce  et  s'agit-il  peut-être  do  mes  ouvrages? 
Il  ne  m*en  parle  pas.  Je  sais  qu'il  a  refusé  M.  Leblond  que 
M.  Debornes  lui  a  présenté.  Les  livres  élémenlaires  ne  verront  pas 
le  jour  sans  vous.  Vous  êtes  lo  premier  pour  l'édition  et  pour  les 
arrangements  à  prendre,  et  il  est  entendu  que  vous  devez  en  avoir 
le  bénéfice,  ne  serait-ce  que  pour  vous  dédommager  de  vos  frais 
de  voyage. 

La  loi  accorde  aux  auteurs  un  privilège  de  40  ans.  En  ce  cas 
une  édition  stéréotype  serait  d'un  grand  avantage  pour  les  éditeurs 
et  les  acheteurs.  Veuillez  y  penser. 

D'après  mon  intention,  les  livres  élémentaires  ne  seront  qu'entre 
les  mains  des  instituteurs  et  des  institutrices  et  de  leurs  aides.  Vous 
avez  cru  qu'il  fallait  aussi  quelque  chose  pour  les  élèves.  Je  vous 
laisse  entièrement  le  soin  de  cet  extrait  que  vous  proportionnerez 
aux  besoins  des  écoles  françaises.  Vous  en  connaissez  la  portée. 

D'un  autre  côté  j'ai  cru  devoir  donner  à  mon  travail  le  plus  haut 
ton,  sans  cependant  dépasser  ce  que  j'ai  vu  faire  par  mes  élèves 
d'autrefois.  Le  ton  sera  cependant  trop  haut  et  trop  étendu  pour  les 
écoles  des  campagnes  et  beaucoup  d'autres  dans  les  villes.  11  s'agira 
donc,  pour  généraliser  le  cours  éducatif  de  langue^  non  seulement 
d'abréger  mais  encore  de  descendre  d'un  cran,  pour  se  mettre  à  la 
portée  des  élèves  qui  ont  moins  de  moyens  et  moins  de  temps.  Voilà 
une  rédaction  dont  je  ne  pourrai  pas  m'occuper  du  tout  et  qui  de- 
mande un  homme  placé  comme  vous  l'êtes  dans  votre  école  normale 
et  voire  école  d'application. 

J'ai  pitié  des  élèves  qui  sont  longuement  à  apprendre  à  lire,  à 
écrire  et  à  chiffrer  ainsi  qu'à  réciter  machinalement  quelques  chapitres 
du  catéchisme  L'éducation  n'est  pour  rien  dans  ces  exercices  si  longs  ; 
l'esprit  ne  s'y  développe  point,  les  sentiments  du  cœur  ne  sont 
point  avertis  et  la  c  mscience  reste  inculte.  Vous  savez  que  j'ai 
placé  à  côté  de  ce  travail  matériel  trois  exercices  d'inlelli^'ence  etc. 
qui  ne  se  faisaient  que  de  vive  voix  en  cours  général.  Voilà 
ce  qu'il  faut  dans  vos  écoles  de  France.  Les  élèves  y  apprennent 
à  parler  et  à  parler  français  sans  grammaire  en  traduisant  leur 
jargon  en  français  et  lo  français  dans  leurs  idiomes  populaires. 
C'est  ainsi  que  s'enseignait  chez  nous  la  grammaire  des  campagnes. 
Mgr  D'Asmond,  Évêque  de  Nancy  a  beaucoup  approuvé  cette  forme 
d'ensfcignement. 

Vous  voyez  qu'il  restera  assez  à  faire  pour  vous  et  M.  Michel, 
seuls  inslituteurs  de  France  à  moi  connus  qui  ayez  compris  comme 
moi  que  l'enseignement  do  la  langue  maternelle  doit  êtro  mis  au 
service  de  l'éducation.  Cependant  on  m'annonce  de  Lyon  que  des 
inslituteurs  goûtent  et  attendent  cette  révolution.  Je  me  trouverai 
trop  heureux  de  l'avoir  provoquée. 


14  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

Veuillez  faire  vos  réflexions  sur  les  nouvelies  que  je  vous  ai 
données  et  les  ouvertures  que  je  vous  ai  faites.  Je  vous  embrasse 
de  tout  mon  cœur  et  je  vous  attends  avec  impatience. 

Tout  à  vous. 

G.  Girard. 


VI 

Sans  date.  (L'enveloppe  porte  le  timbre  de  Fribourg 
et  la  date  du  ai  septembre  184^) 

Messieurs  et  très  chers  amis  (1), 

Voici  de  la  main  du  P.  Charles  (2)  le  dernier  chapitre  du  ma- 
nuscrit intitulé  :  Introduction  an  catéchisme.  Je  Tai  promis  dans 
quelques  jours  et  le  voilà  de  manière  à  pouvoir  le  présenter  avec  le 
reste  à  Tapprobation  de  Mgr  Tarchevêque  de  Paris. 

J'ai  arrêté  le  litre  qu'il  convient  de  donner  aux  trois  petits  ouvrages 
que  je  destine  tout  autant  aux  familles  qu'aux  écoles.  Le  voici  : 

Première  instruction  pour  les  enfants  dans  les  familles  et  les  Ecoles. 
i"  Partie.  Premier  coup  d'oeil  sur  la  nature.  —  II®  partie.  Intro- 
duction morale  et  religieuse  dans  le  monde  des  esprits.  —  lll^  Par- 
tie. La  Sainle  Trinité  comme  introduction  dans  l'église  chrétienne?. 
—  Les  parties  doivent  être  imprimées  séparément  dans  le  format 
que  vous  jugerez  convenable. 

Je  refond  la  première  partie.  Elle  sera  prête  dans  un  mois  et  je 
compte  l'envoyer  par  la  poste  à  M.  Michel.  —En  attendant  on  pourra 
remettre  les  deux  autres  parties  à  l'archevêché  et  les  faire  imprimer, 
comme  vous  le  jugerez  à  propos.  Je  vous  laiïrse  tout  à  fait  libres. 

11  faudra  comme  je  l'ai  recommandé  à  M.  hapet  diviser  les  cha- 
pitres en  leçons  comme  vous  le  voyez  dans  le  présent  manuscrit, 
et  numéroter  les  questions. 

J'ai  pensé  que  Ton  pourrait  réunir  les  deux  propositions  de  M.  Mi- 
chel, remettre  l'impression  et  le  débit  à  une  librairie  achalandée  (3), 
et  cependant  prendre  des  souscriptions  chez  les  amis  de  l'éducation. 

Dans  le  cours  éducatif  il  y  a  une  grosse  erreur  contre  l'histoire. 
Je  crois  avoir  écrit  que  Brutus  a  fait  mourir  ses  deux  fils  pour 
avoir  livré  bataille  sans  ordre  tandis  qu'ils  ont  été  condamnés  pour 

(1)  La  letiie  est  adressée  à  Monsieur  J,  Rapet,  directeur  de  l'école  normale 
de  Perriffueux^  présentement  chez  Monsieur  Esteveny,  Palais  de  la  Chambre 
des  Députés^  à  Paris,  Le  pluriel  «  Messieurs  et  très  chers  amis  9  montre 
qu'elle  était  destinée  aussi  à  M.  Michel. 

(2)  C'est  le  religieux  dont  il  est  question  dans  lu  lettre  du  18  août  1840, 
qui  se  chargeait  de  la  copie  des  manuscrits  du  P.  Girard. 

(3)  Des  négociations  avaient  été  entamées  avec  la  librairie  Langlois  et 
Leclercq. 


LETTRES  INÉDITES   DU   PÈRE   GIRARD  15 

s^étre  entendus  avec  Tarquin,  De  grâce  ne  laissez  pas  passer  cette 
faute.  Je  vous  embrasse  à  la  hâte. 

Tout  à  vous, 

Grég.  Girard. 

P.  S.  Marquez  bien  les  frais  que  je  vous  cause.  Ils  devront  être 
prélevés  avant  tout. 

VU 

Fribourg  en  Suisse  le  6  décembre  1842. 

Mille  grâces,  mon  cher  et  respectable  ami,  pour  Tintérét  que  vous 
mettez  à  réducal  ion  des  générations  naissantes  et  au  succès  d'un 
travail  que  j'ai  entrepris  et  que  j'achève  uniquement  dans  Tinlcn- 
lion  de  les  servir.  Je  remercie  le  Ciel  de  m'avoir  donné  un  aide  tel 
que  vous,  et  comme  ThoAme  moissonne  ailleurs  ce  qu'il  sème  ici- 
bas,  ayant  partagé  le  travail,  nous  partagerons  la  récompense.  Ce 
partage  me  rendra  ma  portion  d'autant  plus  précieuse. 

Après  avoir  réfléchi  deux  jours  sur  la  lettre  que  vous  m'avez 
adressée  de  Paris  en  date  du  10  octobre,  j'écrivis  à  M.  Michel  et  je 
le  priai  1  Me  supprimer  la  dédicace  de  l'ouvrage  préliminaire  (1),  en 
lui  disant  que  M.  Cousin  ne  pourrait  pas  s'en  offenser,  attendu  qu'il 
ne  m'avait  pas  fait  connaître  son  acceptation  et  que  d'ailleurs  je  lui 
en  écrirais.  2®  Je  chargeai  M.  Michel  ain>i  que  vous  de  faire  droit 
aux  demandes  de  M.  Rendu  sans  mon  intervention  (2).  J'ajoutai 
que  le  cours  de  langue  s'adressait  à  toute  la  jeunesse  française, 
et  qu'en  conséquence  il  ne  pouvait  et  ne  devait  pas  devenir  un  ou- 
vrage de  coniruver.-e  entre  les  différentes  communions  chrétiennes; 
mais  qu'il  devait  s'en  tenir  au  christianisme  universel,  etc.,  elc 
Je  croyais  que  M.  Michel  s'entendait  avec  vous  et  que  l'impression 
était  commencée  après  les  redressements  désirés  por  M.  Rendu 
et  que  je  ne  connaissais  pas.  Ma  surprise  fut  bien  grande,  lorsque 
en  date  du  24  novembre,  je  reçus  de  notre  omi  la  nouvelle  qu'on 
lui  avait  redemandé  le  manuscrit  et  qu'on  ne  le  lui  avait  rendu  que  la 
veille.  Il  m'annonçait  que  M.  Guéneau  de  Mussy  (3)  lui  a  signalé 

(1)  Lc9  correspond  ints  de  P.  Girard  lui  avaient  fait  entendre  qu'il  n'élait 
ims  politique  de  placer  le  noan  de  M.  Cousin  en  tête  d'un  ouvrage  qui  avait 
besoin  de  l'approbation  de  l'archevêché. 

(2)  M.  Aoibroiss  Rendu,  inspecteur  général  de  l'Université,  avait  reçu 
communication  du  manuscrit  de  l'Enseignement,  régulier  de  la  langue  mater- 
nelle. 11  rédigea  des  observations  qui  furent  transmises  au  P.  Gimrd  par 
M.  Rapel.  D'autres  observations  furent  formulées  une  seconde  fois  par  M.  Rendu 
en  1846,  après  l'impression  de  l'ouvrage,  et  nous  les  trouveronsavec  la  ré- 
ponse du  P.  Girard. 

l3)  Inspecteur  général  de  l'Université   ami  de  M.  Àmbrolse  Rendu. 


16  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

dans  Touvrage  des  lacunes  qui  lui  donnent  une  couleur  prolestante. 
Les  voici:  Le  S.iuveur  n'y  est  point  présenté  comme  le  Réparaleur 
et  comme  Médiateur,  le  péché  originel  et  ses  conséquences,  puis 
la  nécessité  de  la  grâce  et  celle  de  la  prière  n'y  paraissent  point. 
Vous  me  parlez  d'une  autre  omission,  celle  de  Féglise  et  de  son 
autorité.  M.  Michel  ne  m'en  parle  pas. 

Répondant  au  dernier  article  de  ma  lettre  du  mois  d'octobre,  il  pjoute 
ces  mots  :  «  11  me  semble  que  le  plus  sage  parti  est  de  considérer  l'ou- 
vrage comme  s'adressant  exclusivement  aux  écoles  catholiques  et  de 
donner  satisfaction  aux  susceptibilités  qui  seraient  blessées  de  la 
moindre  nuance  px)tpstante.  » 

Ces  Messieurs  ne  connaissent  pas  la  doctrine  protestante,  autrement 
ils  n'auraient  pns  cité  les  omissions  ci-dessus  comme  favorisant  leurs 
opinions  religieuses  (1).  Ces  Messieurs  ont  fait  deux  fautes  graves  dans 
leur  criti«|ue.  La  première  est  de  croire  que  les  omissions  qui  se 
trouvent  dans  l'ouvrage  préliminaire  se  trouveront  aussi  dans  l'ou- 
vrage élémentaire,  tandis  que  le  premier  n'a  que  des  indications  en 
grand  et  ne  peut  pas  entrer  dans  les  détails.  La  seconde  erreur  de 
ces  Me>sieiirs  est  do  s'imaginer  que  le  cours  de  langue  doit  et  peut 
être  un  catéchisme,  tandi^i  qu'il  ne  le  peut  pas  sans  se  détruire  et 
que  si  même  il  le  pouvait,  il  ne  devrait  pas  lêtre  pour  ne  pas 
empiéter  sur  l'en^elgncm-  nt  de  Téglise  et  se  faire  repousser  comme 
une  invasion  aussi  profane  qu'audacieuse. 

En  réfléchissant  sur  ces  conirariéti  s  et  la  source  d'où  elles  décou- 
lent, j'ai  pris  un  double  parti  à  l'égard  de  cet  ouvrage  piéliminaire 
qui  ne  comprend  que  la  théorie  du  cours  éducatif  de  langue  mater- 
nelle. 

i°  J'ajouterai  aux  trois  premiers  livres  quelques  éclaircissements 
à  insérer  en  liru  cl  place.  C'est  là  entr'autres  où  je  tracerai  claire- 
ment les  limites  qui  doivent  sous  tons  les  rapports  exister  eotre  un 
catéchisme  et  rtMiseignemenl  de  la  langue  maternc-lle,  bien  que  mis 
au  service  de  l'éducation.  C'est  là  (|ue  j'aurai  l'occasion  de  faire 
mention  de  Céfflise,  du  ministère  de  la  parole  qui  lui  est  réservé  et 
de  faire  droit  à  la  demande  de  M.  Rendu  que  vous  venez  de  me 
faire  connaître  et  dout  M.  Miihel  ne  me  parle  pas. 

2®  Je  rédigerai  à  neuf  le  4'  et  le  ti«  livres  à  commencer  dès  le 
chapitre  lll  du  IV*.  Dans  cette  refonte,  j'î  retrancherai  les  propositions 
et  ie<  plirises  nombreuses  que  j'ai  ajoutées  en  parlant  de  la  culture 
mora/",  religieuse,  sociale  et  personnelle  pour  faire  voir  en  détail 
quelles  sont  les  pensées  à  graver  dans  l'esprit  des  enfants  pour  donner 
à  leurs  p  nchants  naturels  la  direction  désirée.  Les  personn  s  qui 
ne  sont  pas  à  même  de  juger  dans  cott^  pirtie,  étrangères  qu'elles 
sont  à  la  science  de  Vàme  —  et  r'est  le  1res  gran-l  nombre  même  parmi 
les  lettrés,  parcourent  rapidement  du  semblables  exemples,  et  n'y 


(1)  C'est-à-dire  les  opinioDs  religieuses  des  protestants. 


LETTRES   INÉDITES   DU   PÈRE   GIRARD  |7 

trouvant  pas  certaines  pensées  elles  commettent  la  double  erreur  et 
la  double  injustice  que  je  vous  ai  signalées  plus  haut.  Je  m'en  tiendrai 
donc  à  la  simple  indication  des  matières  et  dans  cette  indication 
j'aurai  égard  aux  observations  de  ces  Messieurs.  Le  travail  est  déjà 
commencé  et  prochainement  j'aurai  achevé  la  rédaction  du  chapitre  111 
du  IV*  livre.  La  réforme  que  je  fais  abrégera  Touvrage  de  100  pages 
environ,  ce  qui  le  mettra  plus  à  la  portée  des  lecteurs  auxquels  je 
le  destine.  A  quelque  choî>e  malheur  est  bon. 

Il  me  faudra  environ  six  semaines  pour  achever  parce  que  nous 
sommes  au  gros  de  Thiver  et  que  je  ne  puis  guère  travailler  à  la 
•lumière. 

J'ai  répondu  de  suite  à  M.  Michel  pour  lui  annoncer  ce  que  j'allais 
faire  et  ma  lettre  est  partie  deux  jours  avant  que  j'eusse  reçu  votro 
dernière.  Au  surplus  j'ai  encore  prié  M.  Michel  de  retrancher  la 
dédicace  de  l'ouvrage  à  M.  Cousin  et  je  lui  ai  demandé  si  peut-être 
il  était  convenable  de  le  dédier  au  Conseil  royal  de  l'instruction 
publique,  aHn  de  faciliter  l'introduction  du  principe  dans  les  écoles. 
J'ai  ajouté  que  si  l'annexe  où  je  parle  de  l'ouvrage  de  M.  Aimé 
Martin  (Education  des  mères  de  familles)  pouvait  déplaire,  j'en  ferais 
volontiers  le  sacrifice. 

Je  ne  lui  ai  pas  répété  que  je  me  tiendrais  inviolablement  au 
christianisme  universel,  parce  que  mes  additions  et  ma  nouvelle 
rédaction  justifieront  de  reste  le  parti  que  j'ai  pris  à  cet  égard  et 
auquel  je  tiendrai  ferme.  Arnicus  Plato,  magis  arnica  veritas. 

Je  suis  très  content  des  observations  que  vous  avez  faites  sur  ce 
pointa  M.  Michel,  et  il  verra  qu'elles  ne  vous  sont  point  dictées  par 
moi,  mais  qu'elles  viennent  originairement  de  vous,  do  votre  expé- 
rience et  de  vos  propres  réflexions. 

M.  Michel  me  marque  que  MM.  Langlois  et  Leclercqne  sont  plus 
aussi  décidés  qu'ils  relaient  pour  l'entreprise  de  l'impression,  lisse 
raviseront,  j'espère,  une  fois  que  le  Conseil  royal  aura  décidément 
pris  un  parti  favorable  au  cours  de  langue.  11  faut  donc  attendre 
un  peu. 

Une  fois  que  cette  afl'aire  sera  arrangée,  je  vous  expédierai  la 
copie  vidimée  des  coniratsque  vous  m'avez  envoyés.  Vous  les  jugez 
convenables  et  cela  me  suffit.  J'ajouterai  un  autre  engagement  en 
votre  faveur  et  en  faveur  de  M.  Michel. 

Quant  à  l'extrait  à  metire  entre  les  mains  des  enfants,  il  sera 
assez  tôt  de  l'entreprendre  apros  que  le  Conseil  royal  aura  approuvé 
l'ouvrage  préliminaire,  car  il  faudra  attendre  au  moins  trois  mois 
avant  de  penser  à  la  publication  de  la  première  livraison  de  l'ouvrage 
élémentaire.  11  y  aura  comme  vous  savez  des  débats  à  soutenir  sur 
le  principe,  et  on  ne  devra  rien  publier,  ce  me  semble,  avant  que 
les  juges  compétents  se  soient  hautement  prononcés  en  sa  faveur.  Le 
retard  est  nul  pour  les  écoles,  puisque  le  changement  ne  pourra 
avoir  lieu  qu'à  la  rentrée  des  éludes. 

trVUB  PÉDA606IQUB  1885.  ^1*'  SBH.  i 


18  REVUS  PÉDAGOGIQUE 

Veuillez  faire  de  ma  pari  à  Madame  Rapet  mille  amitiés,  car  je 
suis  sûr  qu'elle  aussi  s'intéresse  à  voire  vieux  ami,  ne  serait-co  que 
parce  quVlIe  est  mère  et  que  j'utilise  encore  les  derniers  jours  de  ma 
vie  au  service  des  enfants. 

Tout  à  vous. 

Grég.  Girard. 

P.  S.  J'ai  terminé  la  première  partie  des  exercices  d'intelligence 
à  placer  dans  les  écoles  élémentaires  à  côté  des  éléments  de  lecture, 
d'écriture  et  de  calcul.  Il  s'agit  de  la  copier  et  de  changer  en  con- 
séquence le  premier  chapitre  de  la  seconde  partie.  Veuillez  retarder 
l'impression  jusqu'à  ce  que  tout  soit  en  règle.  Je  ne  perdrai  pas  cef 
objet  de  vue. 


VIII 

.Monsieur  et  respectable  ami, 

Je  vous  annonçais  dans  ma  dernière  que  sur  les  représentations 
de  M.  Rendu  je  m'étais  décidé  à  refondre  une  grande  partie  de  l'ou- 
vrage préliminaire  et  à  faire  quelques  légères  additions  à  ce  que  je 
ne  voulais  pas  refondre.  Ce  travail  est  maintenant  terminé.  Los 
copies  seront  achevées  avant  dimanche  et  tout  sera  prêt  pour  être 
envoyé  à  M.  Michel.  J'attends  dans  quelques  jours  les  directions  que 
je  lui  ai  demandées  pour  l'envoi. 

11  vous  a  écrit,  il  y  a  quelques  semaines,  pour  vous  faire  part 
des  réflexions  do  M.  Queneau  do  Mussy  qui  lui  avait  demandé  le 
manuscrit,  sans  doute  pour  le  communiquer  à  quelqu'un  et  prendre 
son  avis.  M.  Langlois  branle  aussi  au  manche  pour  ne  pas  dire 
davantage,  et  il  comprend  qu'en  imprimant  mon  travail,  il  va  faire 
un  grand  tort  aux  gramma'res  et  adhérences  (1)  qui  font  une  grande 
partie  de  son  magnzin.  Vous  aviez  bien  raison  de  m'écrire  de  Paris 
qu'il  y  aurait  une  grande  lutte  à  soutenir,  non  seulement  avec  l'ha- 
bitude, mais  a>ec  des  intérêts  pécuniaires.  J'ajouterai,  des  amours- 
propres  que  la  réforme  blessera.... 

Vos  renseignements  et  ceux  de  M.  Michel  m'ont  fait  comprendre 
qu'il  faudra  eu  revenir  a  la  souscription  dont  il  avait  d'abord  été 
question.  Dans  tous  les  cas,  il  ne  faudra  penser  à  l'impression  des 
livres  élémi'ntaires  qu'après  que  l'ouvrage  préliminaire  auni  circulé 
dans  le  public  et  obtenu  l'assentiment  d'une  notable  portion  de  lec- 
teurs. Alors  on  pourra  publier,  soit  par  souscription,  soit  par  uiw 
librairie  achalandéet 

J'avais  dès  le  commencement,  au  mois  de  juillet,  prié   M.  Michel 


(1)  Le  P.  Girard  dit  «  adhérences  «  pour  «  appendices  ».  On  trouvera  phis 
loin  une  explication  de  celle  phrase,  même  lettre,  page  20. 


LETTRES   INÉDITES  DU   PÈHE   GIRARD  19 

de  se  charger  de  l'impression  de  l'ouvrage  préliminaire.  Les  dispo- 
sitions élaicnt  prises  et  le  travail  allait  commencer  lorsque  vous  êles 
arrivé  à  Paris.  Par  délicatesse,  M.  Michel  Ta  suspendu,  bien  que  je 
n'eusse  pas  pensé  revenir  en  arrière  sur  une  proposition  faite  et 
acceptée.  Les  obstacles  qui  sont  survenus,  m'ont  engagé  à  prier 
M.  Michel  comme  directeur  de  la'  nouvelle  bibliothèque  d'éducation  de 
soigner  d'après  notre  premier  projet  la  pubUcatioii  de  l'ouvrage  pré- 
liminaire, afin  que  nous  en  venions  une  fois  à  quelque  chose.  Si  sur 
son  apparition  le  public  se  prononce,  nous  n'aurons  point  de  diffi- 
culté pour  le  reste  et  à  défautde  MM.  Laoglois  et  Leclercq  il  se  trouvera 
bien  d'aulres  libraires. 

J*ai  prié  M.  Michel  de  supprimer  la  dédicace  portant  le  nom  de 
M.  Vîclor  Cousio,  puisqu'elle  nuirait  à  l'ouvrage.  C'est  à  contre- 
cœur que  je  Tai  fait  et  s'il  m'avait  donné  un  mot  en  réponse  pour 
me  marquer  son  acceptation,  je  l'aurais  prié  de  me  dégager,  attendu 
qu'il  y  aurait  eu  une  parole  donnée  et  acceptée.  Je  suis  sûr  qu'ayant 
le  cœur  plus  grand  que  ses  adversaires,  il  aurait  consenti  à  faire 
ce  sacrifice,  si  c'en  était  un. 

J'ai  encore  prié  M.  Michel  de  dédier  l'ouvrage  au  Conseil  Royal 
l'Instruction  Publique,  si  cela  est  praticable,  et  si  cela  peut  concilier 
quelque  faveur  à  l'ouvrage  comme  de  lui  ouvrir  les  portes  de  l'uni- 
versité. J*atlends  la  réponse,  et  si  elle  est  affirmative,  j'adresserai 
qnelques  lignes  au  Conseil. 

Quand  j'ai  entrepris  la  refonte  d'une  partie  de  l'ouvrage  prélimi- 
naire, j'étais  à  rédiger  le  vocabulaire  de  la  deuxième  livraison  qui 
vous  manque,  car  je  sais  que  vous  avez  emporté  à  Perrigueux  les 
manuscrits  que  je  vous  ai  remis  à  Fribourg.  Je  vais  de  suite  reprendre 
mon  travail  qui  ira  grandement  puisque  les  jours  augmentent  sen- 
siblement. 

N'allez  pas  croire  que  j'aie  changé  d'idée  sur  la  limite  que  je  m'étais 
de  tout  temps  prescrite  pour  l'instruction  religieuse  à  donner  dans  le 
courô  éducatif  de  langue.  J'en  ai  resté  au  même  point,  mais  je 
justifie  d-ms  mes  amendements  ce  que  j'avais  décidé,  et  les  raisons 
que  j'apporte  sont  tellement  plausibles  sous  tous  les  rapport^,  ({ue 
l'on  n'aura  pas  un  mot  raisonnable  à  m'objecter. 

Je  sais  que  M™°  Na ville  vous  a  écrit  pour  vous  exhorter  à  ne  pas 
consentir  à  insérer  une  religion  étroite  dans  le  cours  de  langue. 
M"^  Rose  me  Ta  marqué.  Mais  cela  n'était  pas  nécessaire,  car  vous 
n'en  avez  pas  plus  envie  que  moi.  Ni  M.  Michel  non  plus,  car  ce 
n'est  pas  sa  pensée  qu'il  m'avait  écrile.  Il  m*a  rendu  ce  qu'on  lui 
a  dit,  en  ajoutant  que  si  Ton  avait  adopté  son  projet,  il  n'y  aurait 
eu  aucune  espèce  de  difficulté. 

Moi,  je  désire  de  tout  mon  cœur  que  le  cours  de  langue  puiss(; 
entrer  dans  les  écoîes  de  l'université.  Vous  ne  le  désirez  pas  plus 
que  moi  ;  et  c'est  pour  celte  raison  que  j'ai  retouché  a  peu  près  la 
moitié  de  l'ouvrage  préliminaire,  pour  fake  droit  aux  réflexions  de 


20  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

M.  Rendu,  et  le  rendre  plus  instructif  pour  les  instituteurs,  les  insti- 
tutrices et  les  mères  de  famille  qui  sont  nos  premières  maîtresses 
de  langue,  partout  ôii  elles  font  leur  devoir. 

C'est  sur  elles  que  je  compte  particulièrement  pour  le  succès  du 
cours  éducatif  de  langue.  Je  le  leur  dis  quelquefois,  et  je  compte  que 
mes  paroles  ne  serontp  as  perdues.  Je  n'oublie  pas  le  clergé,  d*apr^s 
ce  que  Vous  m'avez  marqué  ainsi  que  M.  Michel,  et  il  comprendra 
que  le  coiirs  de  langue  doit  préparer  l'enseignement  religieux  ou  le 
catéchisme  sans  empiéter  sur  lui  et  avoir  l'air  de  vouloir  l'éliminer 
de  l'éducation. 

J'ai  lu  dans  le  temps  les  propositions  de  M.  Langlois,  mais  comme 
je  savais  qu'il  tirait  en  arrière  depuis  les  réflexions  qu'on  lui  a  faites, 
je  n'ai  pas  cru  devoir  y  donner  suite  pour  le  moment.  Votre  silence 
depuis  l'envoi  des  propositions  m'a  fait  penser  que  vous  connaissiez 
plus  particulièrement  les  intentions  de  cette  librairie,  qui  craint  avec 
raison  de  décréditer  ses  quatre  grammaires  avec  leurs  appendices, 
en  publiant  un  cours  de  langue  qui  se  propose  de  les  remplacer 
dans  les  écoles  et  dans  les  familles. 

Je  vous  ai  remis  deux  manuscrits  rédigés  pour  la  classe  élémentaire 
de  mon  ancienne  école  et  depuis  je  vous  ai  envoyé  un  supplément 
pour  l'un  d'eux.  Je  ne  vous  ai  pas  remis  le  premier  que  j  appelais 
le  Vocabulaire  d'abord  parce  que  dans  mon  école  il  était  aussi 
destiné  à  apprendre  aux  enfants  à  nommer  les  objets  en  allemand 
comme  en  français.  J'ai  maintenant  refondu  ce  vocabulaire  en 
omettant  les  mots  allemands.  Je  vous  ai  prié  dans  le  temps  d'at- 
tendre pour  l'impression,  et  je  vous  réitère  cette  prière,  jusqu'à  ce 
que  j'aie  trouvé  le  loisir  de  mettre  ces  petits  livres  élémentaires 
en  parfaite  harmonie  avec  le  cours  de  langue. 

A  présent,  mon  cher  et  respectable  ami,  je  crois  vous  avoir  dit 
tout  ce  que  j'avais  à  vous  dire  pour  le  moment,  et  je  fmis  en  vous 
embrassant  de  cœur  et  d'âme  ainsi  que  votre  famille  qui  m'appar- 
tient aussi  puisqu'elle  est  à  vous. 

Votre  tout  dévoué, 
G.  Girard. 
Fribourg  le  3  février  18*3. 

P.  S.  La  goutte  m'a  fait  depuis  quelques  jours  une  visite  dont 
je  me  passerais  volontiers.  Elle  me  relient  captif  dans  mon  cou- 
vent, sans  pourtant  m'empâch3r  da  voyager  avec  mes  pensées 
et  mon  cœur  jusqu'à  Perrigueux. 

Si  JAmiis  on  voulait  traduire  mon  cours  de  Philosophie  (i),  j'au- 
rais quelques  avis  à  donner  au  traducteur. 


[\]  G'eât  le  cours  de  philosophie  professé  au  lycée  de  Lucerne,  et  rédig*^ 
en  allemand.  Il  comprenait  quatre  cabieri  lithographies,  iQ-8*|  formant 
ciiscinblé  601  piges. 


LETTRES   1MÉDITIL5   DU   PÈRE   GIRARD  21 

IX 

Fribourg,  le  8  juin  1843. 

Mon  cher  et  respectable  ami. 

Vous  aurez  appris  par  M.  Naville  raccident  qui  m'est  arrivé  le 
1  mai.  En  tombant,  je  ne  sais  comment,  d'un  escalier  à  la  renverse, 
je  devais  me  tuer  ou  tout  au  moins  me  fracturer  quelque  membre. 
J'en  ai  été  quilto  pour  de  graves  contusions  dont  les  contre-coups 
ont  amené  une  rétention  d'urine  qui  se  dissipe  peu  à  peu,  puisque 
depuis  plusieurs  jours  je  n'ai  plus  besoin  de  la  sonde  pour  les 
fonctions  du  bas-ventre.  La  première  chose  que  je  me  suis  dite  après 
la  chute,  c'est  que  le  Ciel  veut  me  laisser  le  temps  d'achever  un 
travail  qu'il  m'a  inspiré  pour  le  bien  des  enfants. 

Je  m'occupe  maintenant  de  la  troisième  partie  de  la  syntaxe,  qui 
s'occupe  des  phrases  de  3,  4,  5  etc.  propositions,  puis  de  la  2« 
partie  de  la  dérivation  etc.,  cahier  qui  manque  encore  pour  com- 
pléter le  second  cours. 

Vous  m'avez  marqué  dans  voire  dernière  que  vous  avez  des  chan- 
gements à  me  proposer  dans  les  5  manuscrits  que  vous  avez  chez 
vous.  Veuillez  me  les  faire  connaître,  afin  que  je  puisse  faire  droit 
à  tout  ce  qui  sera  conforme  à  la  marche  et  à  l'esprit  de  l'ouvrage. 
Je  ne  désire  pas  mieux  que  de  rendre  mon  travail  aussi  bon  et  aussi 
utile  que  possible,  bien  que  je  le  croye  susceptible  d'un  perfectionne- 
ment indéfini 

Je  l'ai  dit  et  je  le  répète,  mon  ouvrage  doit  présenter  le  maximum 
du  cours  éducatif  de  la  langue  maternelle.  Il  pourra  servir  dans  lefi 
institutions  et  les  bonnes  écoles  des  villes.  Il  faudra  l'abréger  pour 
les  écoles  de  la  campagne,  et  cet  abrégé  devra  s'approprier  aux  cir- 
constances particulières  des  différentes  localités.  Je  ne  m'en  occupe^ 
rai  pas  et  ce  sera  votre  afl'aire  et  celle  de  vos  amis  dans  le  corpf» 
enseignant.  Vous  parviendrez  bien  à  trouver  des  collaborateurs  dans 
les  ditférentes  provinces  du  royaume. 

Pour  cela  il  faut  que  Tintroduction  soit  publiée  et  conaue  et 
débattue.  Le  principe  une  fois  admis  par  les  hommes  de  sens  qui 
s'occupent  de  l'éducation  de  l'enfance,  tout  le  reste  se  fera  comme 
de  soi-même.  Mais  cette  introducMon  qui  devait  paraître  avec  la  fin 
d'avril,  comme  M.  Michel  me  lavait  promis,  n'a  pas  encore  vu  le  jour. 
L'éditeur  me  laisse  dans  la  plus  pénible  perplexité.  11  ne  m'a  pliuB 
écrit  depuis  le  26  février.  Je  ne  sais  pas  du  tout  ce  que  je  dois  en 
penser.  Je  lui  ai  écrit  depuis  lors,  le  9  mars,  et  je  suis  encore  a 
attendre  une  réponse  aux  questions  que  je  lui  ai  fuites.  Je  viens  de 
lui  écrire  pour  le  prier  de  me  tirer  de  l'embarras  où  son  silence  me 
l^tient  depuis  si  longtemps. 


22  RBVnK   PÉDAGOGIQUE 

Vous  avez  écrit  le  20  mars  à  notre  ami  commun  de  Genève  et 
vous  lui  avez  marqué  que  l'impression  de  l'ouvrage  commence.  Voilà 
tout  ce  que  je  sais.  D*où  vient  le  retard?  je  Tignore,  et  pourtant  il 
me  semble  que  je  devrais  le  savoir. 

A  présent  que  je  m*occupe  grandement  de  la  troisième  partie  de 
la  syntaxe,  je  vois  que  j*aurai  à  faire  quelques  changem3nts  à  la 
seconde,  où  j'ai  quitté  le  chemin  le  plus  simple  que  j'avais  toujours 
suivi,  en  séparant  ce  que  j'ai  appelé  les  phrases  grammaticales  de  celles 
que  j'ai  cru  devoir  nommer  phrases  logiques.  Sauvent  on  fait  moins 
bien,  tout  en  pensant  mieux  faire.  Cependant  le  changement  n'ira 
pas  loin. 

Un  excellent  peintre  vient  de  faire  mon  portrait.  Tous  ceux  qui 
l'ont  vu  s'accordent  à  dire  qu'il  a  admirablement  réussi,  et  moi  je 
dois  le  croire.  Il  est  fait  une  lythographie  en  petit  que  l'on  dit  par- 
faite. Vous  en  aurez  un  exemplaire. 

Veuillez,  mon  cher  ami,  embrasser  les  vôtres  pour  moi  et  croire 
que  je  reste  pour  toujours 

Votre  tout  dévoué 

G.  Girard. 


Fribourg,  le  2  octobre  18^3. 

En  ce  moment,  mon  cher  et  respectable  ami,  je  viens  de  lire 
votre  lettre  du  26  septembre  et  j'ai  été  charmé  d'y  retrouver  ce  bon 
M.  Rapet  que  je  conserve  précieusement  au  fond  de  mon  cœur. 

11  paraît  que  vous  n'avez  pas  reçu  la  réponse  que  j'ai  faite  à  votre 
dernière  et  j'en  suis  surpris.  Je  vous  parlais  de  la  décision  qu'avait 
prise  M.  Langlois  sur  l'opinion  de  M.  Cousin  qui  insistait  sur  l'im- 
pression de  l'introduction,  mais  qui  n'approuvait  pas  la  publication 
des  livres  élémentaires,  attendu  que  Lhomond  était  et  est  encore 
suffisant.  C'est  du  moins  ainsi  que  M.  Michel  ma  rendu  compte  de 
l'entrevue  qui  a  eu  lieu  chez  M.  Langlois  et  de  son  résultat. 

J'ai  do  suite  prié  M.  Michel  de  publier,  à  mes  frais  ou  aux  siens, 
rintroducti(»n,  afin  que  le  principe  de  mon  travail  fût  d'abord  discuté 
par  les  hommes  de  l'art.  Je  ne  doute  pas  qu'il  ne  trouve  de  l'as- 
sentiment dans  le  public,  et  dès  lors  on  procédera  à  l'impression  des 
livres  élémentaires. 

L'impression  de  l'introduction  devait  commencer  en  mars.  La 
maladie  de  M°>«  Michel  y  a  mis  deux  mois  de  retard.  Enfin  j'ai 
recule  11  d'août  les  trois  premières  feuilles  pour  en  faire  la  correcture 
et  j'ai  prié  M.  Michel  de  se  choisir  un  correcteur  à  Paris  s'il  ne 
Toulait  pas  l'être  lui-môme.  L'impression  fourmillait  de  fautes. 
Depuis  ce  moment  M.  Michel  garde  un  profond  silence  et  je  ne  sais 
pas  cù  j'en  suis  avec  lui  ;  cela  me  met  dans  une  pénible  situation 


LETTRES  INÉDITES  DU   PÈRE   GIRARD  23 

envers  les  personnes  qui  en    Suisse,   en  France,  en  Piémont,  en 
Italie,  etc.,  attendent  sur  l'ouvrage. 

Je  vois  que  M.  Michel  ne  met  pas  de  diligence  à  remplir  la  com- 
mission dont  il  s'est  chargé  et  jo  vous  prie  de  bien  vouloir  venir  à 
mon  secours.  Vous  avez  a  Paris  des  parents  et  des  amis.  Veuillez 
prier  l'un  d'eux  d'aller  en  mon  tiom  chez  M.  Michel  pour  activer  une 
impression  qui  tarde  scandaleusement.  Ourdirait  qu'elle  a  été  remise 
aux  soins  d'un  ennemi. 

Veuillez  garder  devers  vous  tous  les  manuscrits  que  je  vous  ai 
réunis.  Je  ne  saurais  les  confier  à  la  négligence  de  M.  Michel.  S'il 
venait  à  vous  les  demander,  dites-lui  franchement  que  je  vous  ai 
défendu  de  les  lui  remettre.  Quand  le  temps  en  sera  venu,  nous 
conviendrons  entre  nous  des  mesures  a  prendre. 

Je  suis  à  terminer  les  livres  élémentaires,  et  j'avance  dans  mon 
travail.  Il  y  aura  quelque  chose  à  corriger  dans  la  syntaxe  du  second 
cours.  Je  vais  rédiger  le  vocabulaire  qui  vous  manque.  Il  serait 
fait  si  je  n'avais  pas  dû  faire  en  môme  temps  celui  de  la  troisième 
division.  Il  faut  que  tout  soit  mis  en  progression  et  formé  comme 
d'un  jet.  Vous  verrez  de  quelle  importance  est  ce  vocabulaire  dans 
un  cours  éducatif  de  langue;  abstraction  faite  de  la  connaissance 
des  mots,  do  leur  signification  et  de  leur  usage. 

Je  finis  ma  lettre  par  où  vous  avez  fini  la  votre.  J'ai  vu  avec 
beaucoup  de  peine  que  la  mauvaise  volonté  du  département  s'occupe 
de  la  suppression  de  votre  école  normale.  Ce  qui  m'en  console  un 
peu,  c'est  l'état  de  votre  santé  qui  demande  moins  de  travail.  Mais 
vous  pourriez  faire  beaucoup  en  faisant  moins,  et  je  vous  exhorte 
de  vous  ménager  mieux  en  vue  même  de  la  belle  tâche  à  laquelle 
vous  vous  êtes  consacré. 

Vous  m'apprenez  que  vous  avez  gagné  d'importants  suffrages  pour 
le  cours  éducatif  de  langue  maternelle.  Moi  aussi  je  lui  fais  des 
prosélytes  à  Genève,  en  France,  àSaint-Péterbourg.  M.  Ernest  Na ville 
vient  de  l'introduire  dans  l'une  des  écoles  de  Genève  où  il  l'enseigne 
après  avoir  gagné  une  partie  du  public,  en  l'exposant  dans  des  pré- 
leçons  que  l'on  a  écoulées  avec  empressement. 

Veuillez  agréer  l'expression  de  mon  attachement  cordial  pour  vous 
et  pour  M"»»  Rapet. 

Votre  tout  dévoué, 

Grég.  Girard. 


XI 

Fribourg  en  Suisse,  1"  mars  1844. 

J'ai  tardé,  mon  respectable  et  cher  ami,  de  répondre  à  votre 
dernière,  dans  l'espoir  de  pouvoir  vous  marquer  :  Le  livre  a  paru  I 
Mais  voilà  un  mot  que  je  ne  puis  pas  encore  vous  dire,  bien  qu'il 


24  REVUS    PÉDAGOGIQUE 

soit  tout  imprimé  depuis  trois  semaines  environ.  J'ai  toutes  les 
feuilles  dans  les  mains.  Le  retard  de  la  publication  vient  de  ce  que 
M.  Michel  n'avait  pas  encore  reçu  l'approbation  de  l'archevêché  de 
Paris  qui  lui  était  promise  et  qu'il  espérait  en  recevoir  une  du  Con- 
seil royal. 

Au  surplus,  M.  Michel  était  en  négociation  avec  la  maison 
Renouard  qui  était  disposée  à  se  charger  de  Tédition  du  Cours  édu- 
catif. Je  ne  sais  pas  encore  oii  tout  cela  en  est,  et  j'attends  des  nou- 
velles depuis  trois  semaines. 

J'étais  dans  la  conviction  que  M.  Michel  était  le  propriétaire  de 
la  Nouvelle  bibliothèque  d'éducation  et  qu'en  cette  qualité  il  avait 
des  rapports  d'intérêt  avec  un  ou  plusieurs  imprimeurs.  J'avais  en 
conséquence  prié  un  de  mes  amis  de  bien  vouloir  traiter  pour  moi 
avec  M.  Michel.  Sur  cela,  j'ai  appris  que  M.  Michel  s'est  dessaisi 
de  ses  prétentions  sur  la  N.  B.  d'éducation  et  qu'il  n'est  en  aucun 
rapport  d'intérêt   avec   des   imprimeurs   ou  des  libraires. 

Le  15  mars. 

Je  reçois  en  ce  moment  votre  chère  lettre  du  9  courant  et  je 
m'empresse  d'y  répondre  pour  vous  assurer  que  vous  devez  être 
sans  inquiétude  sur  l'extravagante  nouvelle  que  vous  a  donnée  notre 
ami  commun  M.  Naville.  Personne  mieux  que  moi  ne  sait  à  qui 
tient  le  retard  de  la  publication  de  mon  travail.  Je  n'accuse  point 
la  mauvaise  volonté  de  M.  Michel,  mais,  outre  l'état  de  santé  de  son 
épouse,  les  mesures  de  longue  haleine  qu'il  a  cru  devoir  prendre 
dans  rintérêt  même  du  cours  éducatif  de  langue.  11  a  d'abord  désiré 
l'approbation  de  l'archevêché  de  Paris  où  il  a  fait  passer  les  feuilles 
à  mesure  qu'elles  étaient  composées.  Puis  au  commencement  de 
février,  il  s'est  abouché  avec  un  ami  intime  de  M.  Villcmain  qui 
lui  a  donné  l'assurance  que  le  Conseil  royal  saisirait  avec  empres- 
sement cette  occasion  de  faire  preuve  de  ses  sentiments  religieux  et 
chercherait  par  son  approbation  à  se  rapprocher  du  clergé.  Depuis 
le  commencement  de  février  M.  Michel  ne  m'a  pas  écrit  une  syllabe, 
et  j'ignore  absolument  où  en  sont  les  choses.  Il  m'avait  aussi  mar- 
qué que  la  maison  Renouard  se  montrait  disposée  à  se  charger  do 
rédilion  du  cours  de  langue  tout  comme  de  la  vente  de  son  intro- 
duction. M.  Renouard  avait  demandé  deux  jours  de  réflexion  cl 
voilà  six  semaines  que  ces  deux  jours  sont  écoulés  ! 

Vous  voyez,  mon  cher  ami,  que  je  no  puis  pas  du  tout  m'en  rap- 
porter à  l'exactitude  de  M.  Michel.  N'est-il  pas  étrange  que  cette  intro- 
duction qui  ne  compte  pas  500  pages,  n'ait  pas  encore  paru  à  l'heure 
qu'il  est,  tandis  que  M.   Michel   l'a  entre  les  mains  depuis  le  mois 

de  juin  18421! 

J'ai  fréquemment  offert  à  M.  Michel  de  lui  envoyer  de  l'argent  poui- 
fournir  aux  frais  de  l'impression,  et  il  a  constamment  refusé  mon 
offre  voulant  faire  les  avances  et  se  réservant  de  retrouver  sa  dépense 


LETTRES    INÉDITES   DU    PÈRE    GIUARD  2â 

SUT  les  premières  rentrées.  Il  estime  que  cette  introduction  tirée  à 
deux  mille  exemplaires  dont  cinq  cent  en  plus  grand  format  et 
meilleur  papier,  coûtera  environ  2500  francs.  J'ai  à  Paris  un  jeune  ami 
quia  de  la  fortune.  Je  Tai  prié  d'aller  s'entendre  avec  M.  Michel  pour 
les  arrangements  à  prendre.  Il  s'y  est  rendu,  mais  M.  Michel  n'a 
pas  paru  bien  disposé  à  arrêter  quelque  chose  pour  l'avenir.  En- 
sorte  que  tout  est  encore  indécis. 

M.  Michel  voulait  former  une  souscription  pour  Tlmpression 
du  cours  de  langue  et  il  avait  déjà  trouvé  des  souscripteurs.  C'est 
moi,  je  vous  l'avoue,  qui  ai  insisté  à  ce  que  l'ouvrage  préliminaire 
parût  d'abord  seul.  J'étais  convaincu  et  je  le  suis  encore  qu'il  faut 
que  le  principe  de  mon  travail  soit  d'abord  publié  et  débattu  avant 
d'en  venir  à  la  publication  du  cours  de  langue  rédigé  sur  cette  base. 
Une  fois  que  le  principe  aura  réuni  les  suffrages  d'une  partie  du 
public,  on  ne  risquera  plus  d'entreprendre  l'édition  d'un  ouvrage 
élémentaire  composé  de  3  volumes  de  syntaxe  et  do  6  cahiers  d'ac- 
compagnement. J'espère  qu'en  réfléchissant  à  la  dépense  que  nécessi* 
tera  cette  petite  bibliothèque  scolaire,  vous  vous  rangerez  à  mon  avis. 

Une  fois  que  le  public  se  sera  prononcé  en  faveur  du  cours  éducatif 
de  langue  maternelle  il  ne  sera  pas  difllcile  de  trouver  une  maison  bas- 
tante  (sic)  qui  veuille  se  charger  de  l'édilion  surtout  si  l'ouvrage  est 
approuve  par  le  Conseil  Royal  et  le  Clergé,  comme  l'espère  M.  Michel. 

Mes  amis  de  Fribourg  qui  savent  ce  qui  s'est  passé  jusqu'ici,  ont 
pris  M.  Michel  en  défaveur  et  croient  qu'il  cherche  son  intérêt 
particulier  à  mon  détriment.  Je  n'ai  point  celte  idée,  mais  il  faut 
le  dire,  je  n'ai  plus  en  lui  la  confiance  que  j'avais  dans  le  temps, 
et  ce  n'est  pas  à  lui  que  je  remettrai  le  soin  de  publier  Touvrage 
élémentaire,  s'il  doit  voir  le  grand  jour.  Je  ne  désire  pas  que  vous 
abandonniez  votre  poste,  mais  si  cela  devait  se  faire,  je  vous  prierais 
de  vous  charger  de  la  publication.  En  attendant  gardez  les  manuscrits 
chez  vous.  J'ai  fuit  le  vocabulaire  de  la  seconde  livraison  ;  je  retouche 
la  syntaxe  comme  je  vous  l'ai  marqué,  et  je  travaille  à  la  rédaction 
de  la  troisième  livraison.  J'estime  qu'il  me  faut  encore  10  à  12  mois 
pour  tout  finir. 

Vous  vous  plaignez  du  silence  de  M.  Michel.  Je  vois  par  moi-même 
qu'il  n'est  pas  très  empressé  de  correspondre;  mais  il  a  une  autre 
raison  à  votre  égard.  Je  vais  la  confier  à  votre  discrétion.  Il  croit 
que  vous  l'avez  desservi  auprès  de  moi,  en  me  disant  qu'il  est  l'àme 
damnée  du  parti  Icgilimiste.  J'ai  pris  votre  défense  dans  ma  lettre 
du  1^  février,  et  en  vousjustifiant  j  ai  dit  la  vérité. 

Comme  j'espère  que  tôt  ou  lard  le  cours  de  langue  s'imprimera, 
je  vous  prie  de  faire  la  revision  des  manuscrits  que  vous  avez, 
sauf  de  la  syntaxe  de  la  seconde  livraison,  puisque  je  la  relouche 
comme  je  viens  de  vous  le  dire.  Je  ne  doute  pas  que  vous  y  trouviez 
beaucoup  de  fautes.  Je  n'avais  pas  revu  ces  manuscrits  avant  de  vous 
les  remettre.  Vous  étiez  là,  et  j'ai  voulu  profiter  de  votre  présence. 


26  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

Vous  m'avez  demandé  quelle  méthode  je  recommandais  pour  ren- 
seignement du  latin.  La  voici  en  deux  mots. 

1"  L'élève  doit  être  avant  tout  instruit  par  principes  dans  sa 
lanprue  maternelle,  qui  doit  être  la  base  sur  laquelle  on  bâtira. 

2®  Oii  lui  fait  apprendre  les  paradigmes  réguliers  des  noms,  ar- 
ticles, adjectifs  et  verbes  du  latin.  Si  le  sujet  a  quelque  facilité  cinq 
à  six  semaines  suffisent. 

3®  On  prend  ensuite  par  degrés  des  morceaux  de  latin,  en  com- 
mençant par  Sulpice  Sévère,  Eutrope,  Cornélius  etc.,  pour  les  faire 
rendre  en  français  avec  retour  aux  paradigmes  et  analyse  comparative 
qui  relève  la  différence  des  deux  langues.  On  arrive  ainsi  graduel- 
lement à  Tite-Live,  Salluste,  Tacite,  selon  les  progi'ès  de  Télève. 

L'instituteur  est  longuement  le  dictionnaire  et  Taide  dans  ces  tra- 
ductions (sic)  et  seulement  l'élève  travaille  seul  avec  un  dictionnaire 
qu'on  lui  met  entre  les  mains. 

Comprendre  la  langue  latine  est  d'abord  le  but  unique  qu'on  se 
propose,  et  la  plupart  des  élèves  n*ont  pas  besoin  d'aller  plus  loin. 

Cependant  dans  ce  but  même  le  maîlre  a  soin  de  faire  écrire  les 
traductions,  et  il  les  corrige.  Avec  le  temps,  il  indique  à  l'élève 
quelques  morceaux  traduits  pour  les  faire  contre- traduire,  c'est-à-dire 
remettre  en  latin.  De  cette  manière  on  obtiendra  un  véritable  latin 
semblable  à  roriginal,  et  non  pas,  comme  dans  les  méthodes  ordi- 
naires, du  français  en  mots  latins. 

Il  a  paru  en  France,  au  siècle  passé,  des  extraits  de  latinité  gra- 
duée par  le  chanoine  Chompré  en  quelques  volumes,  les  premiers 
de  prose  et  les  autres  de  poésie.  Nous  nous  en  servions  en  Allemagne 
dans  les  gymnases  de  notre  ordre. 

A  présent,  mon  cher  et  respectable  ami,  je  crois  vous  avoir  dit 
tout  ce  que  j'avais  à  vous  dire.  Je  n'ai  plus  qu'à  vous  prier  d'offrir 
mes  respects  à  M««  Rapct  qui  voudra  bien  être  un  peu  l'amie  de 
celui  qui  vous  aime  et  que  vous  aimez. 

Tout  à  vous. 

Grég.  Girard,  cordelier. 

P.  S.  Vous  m'avez  dit  dans  l'une  de  vos  lettres  que  vos  élèves 
avaient  fait  des  observations  sur  mon  travail.  J'aimerais  bien  à  les 
connaître  pour  y  faire  droit. 


XII 

Frlbourg  en  Suisse  le  15  juillet  44. 
Monsieur  et  respectable  ami, 

Il  est  enfin  temps  que  je  réponde  à  vos  deux  aimables  lettres. 
Il  n'y  a  guère  de  jours  que  je  ne  l'aie  fait  en  pensée,  mais  malheu- 
sement  mes  paroles   ne  sont  pas  arrivées  à  vos  oreilles.  Je  crois 


LETTRES    INÉDITES   DU   PÈRE   GIRARD  37 

cependant  que  votre  bon  cœur  vous  aura  dit  que  le  mien  ne  vous 
oubliait  jamais. 

Je  commencerai  par  répondre  à  votre  dernière.  J*ai  reçu  vos 
félicitations  sur  le  succès  de  mon  livre  à  TAcadémie  française  avec 
d  autant  plus  de  plaisir  qu'elles  ne  s'arrêtent  point  à  ma  personne, 
mais  qu'elles  se  rapportent  à  une  grande  chose,  à  Tamélioration  de 
^  réducalion  dans  un  vaste  et  beau  royaume  qui  est  devenu  ma  pairie 
adopUve.  J'y  demeurais  d'esprit  et  de  cœur  depuis  maintes  années, 
mais  dès  à  présent  je  vais  y  demeurer  en  action.  Mon  ouvrage 
préliminaire  se  lit,  et  mes  livres  élémentaires  entreront  peu  à  peu 
dans  les  familles  et  les  institutions,  et  par  là  je  m'acquitterai  envers 
ma  nouvelle  patrie. 

En  recevant  la  bonne  nouvelle  j'ai  d'abord  remercié  la  Providence 
qui  visiblement  a  préparé  à  mon  travail  un  succès  auquel  je  n'avais 
pas  même  pensé.  Puisque  l'ouvrage  avait  présenté  à  l'académie  par 
M.  Michel  et  qu'il  avait  été  goûté  par  un  membre  de  sa  commission, 
je  pouvais  m'altendre  à  une  mention  honorable,  mais  un  prix  et 
le  premier  prix  I...  La  Providence  s'est  servie  de  M.  Cousin  pour 
fournir  aux  frais  de  l'impression  des  livres  élémentaires.  Je  la  bénis. 

Je  suis  fâché  mon  cher  ami  de  vous  voir  faire  des  frais  pour  la 
propagation  de  mon  livre.  Faites  à  cet  égard  ce  que  vous  écrit 
notre  ami  commun  M.  Michel,  et  portez  sur  mon  comple  les  exem- 
plaires que  vous  croyez  devoir  offrir  à  quelques  personnes  notables 
dans  l'intérêt  de  la  bonne  cause  qui  n'est  pas  la  mienne,  mais  celle 
de  Téducation  de  la  jeunesse  française.  Veuillez  en  remettre  un  en 
mon  nom  à  voire  professeur  de  langue,  M.  Charbonneau. 

Vous  allez  donc  retourner  à  Paris.  Dommage  que  l'état  de  votre 
santé  et  quelque  chose  de  triste  que  vous  ne  me  désignez  pas  en 
soient  la  cause.  Vous  me  consolez  en  me  disant  que  vous  serez  plus 
à  même  de  travailler  à  la  publication  de  mes  livres  élémentaires,  que 
vous  croyez  utiles  à  l'éducation.  Sous  ce  rapport  public,  c'est  réel- 
lement une  consolation  que  vous  me  donnez. 

Je  désire  que  le  poste  que  vous  occuperez  à  Paris  vous  laisse  le 
loisir  nécessaire  pour  faire  un  travail.  Vous  pouvez  voir  dans  la 
préface  de  la  première  partie  de  la  syntaxe,  que  mes  livres  élé- 
mentaires sont  destinés  à  des  écoles  de  ville  pour  les  classes  aisées 
ainsi  que  pour  les  institutions  particulières,  sans  exclure  l'éducation 
qui  quelquefois  se  donne  dans  les  familles  mêmes.  Mais  il  faut  des- 
cendre jusqu'aux  écoles  rurales  des  deux  sexes,  et  en  leur  faveur  il 
faut  faire  un  extrait  convenable  de  mon  travail,  comme  j'avais 
essayé  de  le  faire  en  1821  pour  nos  écoles  rurales,  sous  le  titre  de 
grammaire  des  campagnes.  J'ai  été  trop  préoccupé  en  ce  temps  de 
ma  méthode  conjugative.  11  faut  la  conserver  pour  le  fond,  mais  il 
faut  la  modifier  parce  que  toutes  les  pensées  qu'exige  l'éducation 
sentimentale,  morale  et  religieuse,  en  un  mot,  l'éducation  chrétienne 
de  l'enfiance  ne  peuvent  pas  se  conjuguer. 


S8  REVU£  PÉDà60G10U£ 

Voilà,  mon  cher  M.  Rapet,  uq  travail  que  je  vous  destine  et  qui 
sera  fait  en  votre  nom  et  à  votre  profit.  Je  dis  à  votre  profit^  car  je 
ne  pourrais  pas  le  vouloir  autrement  ;  si  cette  tâche  pouvait  vous 
convenir,  nous  nous  entendrions  sur  la  manière  de  l'exécuter  et  j'y 
donnerais  aussi  un  coup  de  main. 

Je  viens  maintenant  à  votre  première  lettre,  datée  du  27  mai. 

Je  suis  vraiment  honteux,  mon  ami,  de  la  peine  que  vous  vous 
f^ies  donnée  pour  abréger  les  observations  de  M.  Charbonneau,  afln 
de  pouvoir  me  les  faire  parvenir.  Vous  avez  dû  prendre  sur  votre 
repos,  vous  qui  avez  d'incessantes  et  graves  occupations  au  poste 
que  vous  occupez.  Voilà  ce  qui  me  peine.  D'un  autre  côté  je  m'en 
console,  parce  que  c'est  pour  la  cause  de  l'éducation,  pour  la  famille 
du  Père  commun  que  vous  avez  travaillé. 

Je  remercie  de  bon  cœur  M.  Charbonneau  de  ce  qu'il  a  bien  voulu 
étudier  mon  travail  pour  me  faire  des  observations  que  je  ne 
manquerai  pas  d'utiliser,  autant  que  mes  convictions  me  le  permet- 
tront. Si  M.  Charbonneau  avait,  avant  d'écrire,  lu  le  livre  qu'il 
connaît  sans  doute  à  présent,  il  aurait  été  édifié  sur  plusieurs  points. 
J'espère  que  nous  fmirons  par  tomber  d'accord  sur  quelques 
articles,  où  vous  êtes  deux  contre  un.  Il  ne  faut  d'ailleurs  pas 
oublier  que  la  langue  française  est  un  dialecte  formé  d'éléments 
souvent  très  disparates  et  que  souvent  il  est  impossible  de  mettre  en 
harmonie  avec  la  grammaire  générale  ou  la  logique  qui  n'est 
qu'une. 

La  même  expression  p.  e.  ne...  que  peut  être  envisagée  sous 
divers  points  de  vue,  non  pas  pour  le  sens,  mais  pour  les  mots,  et 
en  pareil  cas,  il  faut  laisser  à  l'éducateur  la  liberté  de  prendre  le  parti 
qu'il  juge  le  plus  convenable  à  l'ensemble  de  son  travail.  11  y  a  aussi 
plusieurs  mots  qui  sous  un  de  leurs  rapports  appartiennent  à  plu- 
sieurs classes.  Il  faut  donc  leur  en  assigner  une  et  l'instituteur  ne 
saurait  mieux  faire  que  de  les  placer  dans  celle  avec  laquelle  ils 
ont  le  plus  d'affinité.  J'ai  partagé  les  articles  en  trois  classes,  savoir 
articles  (Tunité,  articles  de  pluralité  et  articles  de  totalité.  En  cela  j*ai 
saisi  le  caractère  le  plus  saillant  de  ces  mots,  le  plus  facile  à  saisir 
par  des  commençants  et  je  crois  encore  d'avoir  bien  fait. 

Je  sortirai  de  l'infinitif  le  soi  disant  participe  présent  aimant,  chan- 
tant etc.  Il  sera  un  adjectif,  ce  qu'il  est  en  latin,  mais  un  adjectif  inva- 
riable lorsqu'il  est  précédé  de  en  ou  qu'il  est  suivi  d'un  complément. 
Je  tirerai  encore  parti  de  quelques  autres  observations  de  votre  savant 
collègue,  et  je  suis  tout  à  fait  content  de  voir  qu'il  entre  comme 
nous  dans  le  but  éducatif  qu'il  faut  prendre  pour  règle  dans 
l'enseignement  de  la  langue  maternelle. 

M.  Michel  a  trop  tardé  à  vous  envoyer  mon  livre.  Comme  je  ne 
vous  trouvai  pas  dans  le  nombre  des  personnes  auxquelles  il  a  remis 
les  premiers  exemplaires,  avant  que  j'en  eusse,  je  lui  fis  de  suite  la 
remarque,  croyant  que  c'était  de  sa  part  une  omission;  ejL  dans  cha- 


LETTRES   INÉDITES  DU   PÈRE   GIRARD  29 

cune  de  mes  lettres  vous  avez  toujours  été  nommé.  C*est  ainsi  qu'il 
à  négligé  Ja  société  de  Lyon  dont  nous  sommes  tous  trois  membres 
correspondants.  Je  l'avais  aussi  prié  d'envoyer  un  exemplaire  h 
Londres,  à  M.  Kay,  membre  du  Conseil  royal  d'éducation,  et  un  autre 
k  M^  Humann  â  Strasbourg,  belle-sœur  de  votre  ancien  ministre 
des  finances.  Dans  sa  dernière  il  m'annonce  que  chacun  a  reçu 
ce  que  je  lui  destinais.  Moi,  je  me  suis  chargé  de  PAllemagne  et 
de  la  Suisse. 

Je  dois  tout  plein  de  reconnaissance  à  M.  Michel  pour  les  peines 
qu'il  s'est  données  dans  les  derniers  mois  pour  le  succès  de  la 
chose.  C'est  lui  qui  a  présenté  le  livre  à  l'académie,  avantage  im- 
mense pour  l'éducation  d'un  peuple  qui  mérite  bien  que  l'on  fasse 
aussi  quelque  chose  pour  lui. 

M.  Michel  veut  encore  tenter  d'obtenir  l'approbation  de  T arche- 
vêché de  Paris.  A  cet  effet,  je  l'ai  prié  de  retrancher  du  titre  le 
mot  de  philosophie  qui  a  pu  déplaire  à  des  gens  qui  accusaient  cette 
science  de  toutes  les  erreurs  qui  se  montrent  en  Europe  et  de  tous 
ses  maux.  Lorsque  M.  Michel  m'annonça  le  refus  de  l'approbation 
sous  prétexte  d'erreurs  qui  s'y  trouvaient,  disait-on,  sans  les  arti- 
culer, je  lui  répondis  qu'il  n'y  en  avait  qu'une  qui  s'étendait  du 
commencement  à  la  fin,  puisque  tout  le  livre  veut  fonder  la  foi  sur 
la  raison  et  le  sentiment,  comme  l'a  fait  le  divin  Maître,  tandis  que 
le  haut  clergé  veut  la  foi  du  charbonnier,  si  l'on  en  juge  par  ses 
dernières  démarches,  et  entre  autres  par  la  brochure  que  M.  l'ar- 
chevêque de  Paris  venait  de  jeter  dans  le  public  au  milieu  de  tant 
d'autres  (1). 

A  présent,  mon  ami,  je  crois  vous  avoir  tout  dit  pour  le  moment. 
Il  ne  me  reste  plus  qu'à  vous  embrasser,  et  de  tous  prier  de  me 
renouveler  au  bon  souvenir  de  M™»  Rapet. 

Tout  à  vous. 

G.  Girard. 


XllI 

Mon  RESPECTABLE  ET  CHER  AMI, 

Me  voici  de  retour  de  Soleure  depuis  trois  jours.  J'ai  trouvé  à 
mon  retour  chez  moi  quatre  lettres  de  M.  Michel  auxquelles  j'ai  dû 
répondre,  et  quelques  affaires  qu'il  fallait  d'abord  expédier. 

Je  vous  ai  quitté  à  regret  à  mon  départ  de  Fri bourg.  Mais  on 
m'attendait  à  Soleure  depuis  un  mois,  et  je  ne  pouvais  plus  tenir  mes 

(1)  C'était  le  moment  de  la  grande  querelle  entre  l'Université  et  le  clergé 
au  sujet  de  la  libt  rté  d'enseignement.  L'urchevôque  de  Paris  était  descendu 
en  personne  dans  l'arène  en  publiant  une  brochure  iniituléc  Observations  sur 
ia  controverse  élevée  à  i^occasion  de  la  liberté  d'enseignemefnt^  18^3. 


30  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

confrères  enarrCt.  Arrivé  le  vendredi  soir  à  Soleure,  je  tins  le  samedi 
matin  la  promesse  que  j*avais  faite  à  M™«  Rapct.  Veuillez  le  lui  dire 
en  me  rappelant  a  son  bon  souvenir. 

M.  Michel  regrette  que  vous  ne  soyez  pas  venu  vous  établir  à 
Paris  comme  vous  le  lui  aviez  fait  espérer.  Il  insiste  sur  la  prompte 
publication  des  deux  premières  livraisons  du  Cours  éducatif  de  langue, 
et  je  sens,  comme  lui  qu*il  faut  profiter  de  l'impression  qu*a  faite 
le  rapport  de  M.  Viilemain  à  rAcadémie  française.  Veuillez  donc 
donner  vos  premiers  moments  de  loisir  à  la  révision  des  deux  cahiem 
de  conjugaison  que  vous  avez  devers  vous,  ainsi  qu'au  premier  cahier 
du  vocabulaire.  11  serait  inutile  de  toucher  à  la  syntaxe,  puisque  je 
la  retouche  pour  l'envoyer  directement  à  M.  Michel.  Il  a  chez  lui 
la  seconde  livraison  du  Vocabulaire  et  de  la  Syntaxe.  Un  de  mes 
amis  les  lui  a  remis  dernièrement  en  mains  propres. 

Quant  au  premier  cahier  de  conjugaison,  je  suis  surpris  que 
M.  Giarbonneau  n'ait  pas  remarqué  que  j'avais  (je  ne  sais  tri)p 
comment)  pii^sé  l'impératif  sous  silence.  Dans  la  révision  que  j'ai 
faite  de  mon  travail,  j'ai  do  suite  vu  cette  omission,  et  j'ai  rempli 
l'incroyable  lacune.  J'ai  dû  pour  cela  supprimer  plusieurs  détails 
suivants,  afm  que  les  trois  parties  de  l'enseignement  qui  marchent 
ensemble,  restassent  d'accord  entre  elles  pour  le  nombre  et  la  succes- 
sion des  leçons.  M.  Michel  possède  le  supplément  à  la  conjugaison 
et  la  note  des  numéros  à  omettre  dans  le  cahier  que  vous  lui 
remettrez  à  votre  arrivée  à  Paris,  ou  que  vous  lui  enverrez  plutôt, 
afin  qu'il  pui>se  le  revoir  à  son  tour  et  le  livrer  à  l'impression.  Si 
vous  ne  deviez  pas  vous  rendre  à  Paris  au  commenccmentde  novembre, 
demandez-lui  les  deux  cahiers  qu'il  a,  afin  que  vous  puissiez  en 
faire  la  révision  sans  retard.  Ce  n'est  que  la  correction  du  langage 
qui  doit  vous  occuper,  et,  à  moins  que  mes  copistes  aient  mal 
copié,  cette  correction  doit  se  réduire  à  peu  de  chose. 

De  mon  côté,  j'activerai  la  rédaction  définitivo  du  premier  cahier 
de  syntaxe.  Veuillez  en  attendant  le  faire  parvenir  à  M.  Michel,  si 
ce  n'est  pas  au  commencement  de  novembre  que  vous  vous  rendrez 
À  Paris.  Je  vous  prie  de  lui  faire  cet  envoi  parce  que  je  conserve  en 
partie  mon  premier  travail,  en  sorte  qu'ilne  s'agira  pas  d'en  faire  ici 
une  copie  entière.  Je  n'enverrai  que  les  articles  changés. 

Pour  vous  complaire,  mon  cher  ami,  j'aurais  bien  voulu  pouvoir 
suivre  vos  idées  dans  la  partie  des  articles.  J'y  ai  beaucoup  réfléchi, 
mais  je  n'ai  pas  pu  prendre  sur  moi  d'abandonner  la  division  d  ar- 
ticle d'unité,  de  pluralité  et  de  totalité.  Dans  la  langue  l'arliclt^  a 
une  fonction  qui  lui  est  propre,  et  c'est  de  déterminer  dans  quelle 
étendue  les  noms  communs  doivent  être  pris.  Or  nous  les  disons 
tantôt  d'un  seul  objet,  tantôt  do  plusieurs  sans  ou  avec  détermination 
précise  du  nombre,  et  tantôt  de  tous  les  objets  désignés  par  le  nom. 
il  est  temps,  mon  cher  ami,  que  la  grammaire  se  remette  ici,  comme 
ailleurs,  d  accord  avec  la  saine  logique.  Je  sais  que  le  changement 


LETTRES   INÉDITES    DU    PÈRE   GIRARD  3{ 

heurtera  les  idées  et  les  dénominal  ions  héréditaires  des  grammai- 
riens. Mais  ils  voudront  bien  me  permellre  de  me  mouler  sur  les 
élèves  que  l'on  instruit  et  pour  qui  Tinslruclion  est  faite.  Or  les 
en&Dts  n'éprouvent  aucune  difficulté  dans  ma  division.  J'en  ai  fait 
l'expérience  de  tant  d'années  !  Ils  ne  peuvent  pas  en  éprouver  une, 
puisqu'elle  est  commandée  par  la  saine  logique.  Je  ne  parle  pas  ici 
de  ceux  qui  auraient  élé  habitués  à  une  autre  classification.  Je  parle 
des  commençants,  et  c'est  pour  eux  et  pour  eux  seuls  que  j'ai  rédigé 
le  cours  éducatif  de  langue  nialernelle,  car  il  diffère  en  tout  point 
des  grammaires  ordinaire*.  J'excepte  le  travail  bien  remarquable 
de  M.  Goffdt,  chef  d'instruction  à  Lyon  :  ce  travail,  que  je  no  connais 
que  depuis  la  publication  do  mon  livre,  a  été  approuvé  parla  Société 
Lyonnaise.  L'auteur  n'a  pas  craint  de  se  détacher  des  habitudes 
grammaticales.  Il  a  rangé  la  plupart  des  articles  dans  la  classe 
des  mots  qu'il  a  appelés  des  déUrminaiifs^  précisément  parce  qu'ils 
déterminent  lelonduo  dans  laquelle  doivent  se  prendre  les  noms 
communs. 

J'ai  fait  des  adjectifs  possetsifs  des  mots  son,  «a,  ses  etc.,  et,  réflexions 
faites,  je  ne  pyis  pas  en  faire  autre  chose.  Ils  marquent,  comme 
tant  d'autres,  une  (jualité  extérieure  des  objets.  Jadis  j'en  avais  fait 
des  articles,  et  j'avais  tort  à  tous  é;jards.  il  n'y  a  pas  si  longtemps 
que  l'on  disait  et  que  Ion  écrivait  le  mien  diapeau,  la  tienne  mai- 
mm  etc.  Mien  et  tien  n'étaient  donc  pas  alors  des  articles,  et  ils  n'ont 
pas  pu  le  de\enir  depuis.  Je  ne  suis  pas  le  seul  qui  ait  rangé  les 
mots  mon,  ton,  etc.,  au  nombre  des  adjectifs.  Je  vous  ai  cité  Beudant, 
et  il  aura  bien  autant  d'autorité  que  d'autres  grammairiens.  C'est  la 
saine  logique  qui  doit  faire  la  loi.  Je  ne  dois  écouter  qu'elle. 

Vous  ne  me  direz  plus  qu'un  même  mot  ne  saurait  éire  un  article 
d'unité  au  singulier,  et  un  article  de  pluralité  au  pluriel  ;  ou  bien 
vous  aurais-je  mal  compris  ?  Je  dois  le  croire  puisque  tous  les  noms 
communs  marquent  au  singulier  l'unité  (ou  la  totalité),  et  qu'au  plu- 
riel ils  désignent  la  pluralité.  Mais  laissons  de  côté  ces  menus  détails. 

Vous  m'avez  dit  qu'il  fallait  en  France  un  Manuel  pour  les  élèves 
à  côté  du  livre  destiné  à  l'instituteur,  et  vous  avez  bien  voulu  vous 
charger  de  sa  rédaction,  tout  comme  de  sa  publication.  Je  viens 
d'en  prévenir  M.  Michel. 

Je  désire  que  ce  manuel  ne  renferme  que  ce  qui  d'après  vos  con- 
victions doit  nécessairement  être  mis  entre  les  mains  des  élèves 
français  (chez  moi,  ils  n'avaient  rien  de  ce  genre).  Je  demande  celle 
brièveté  paur  deux  raisons.  Les  élèves  apprendront  le  manuel  par 
cœur  pour  savoir  le  réciter  sans  prendre  la  peine  do  le  comprendre 
et  ils  sauront  d'autant  moins  qu'ils  auront  l'air  de  bcauc  «up  savoir. 
Si  l'en  veut  les  instruire,  il  faut  les  forcer  de  comprendre  l'instruction 
qu'on  leur  donne,  et  la  mémoire  s'emparera  ensuite  aisément  de  ce 
que  rintelligim'-e  aura  saisi.  Le  bien  do  l'instruction  demande  doncî 
que  le  manuel  soit  fort  court,  et  l'économie  dans  les  écoles  le  veut 


32  REVUE   PÉDAGfiGIQUE 

aussi.  Notre  colK'^e,  M.  Goffat  a  le  mérite  d'avoir  le  prenaier  intrc 
duit  en  France  la  méthode  sucralique  dans  I>ns<^i  jnemenl  de  la  langue. 

I>;  cours  é/Jucatif  de  langue  maternelle  pré>eite  trois  degrés, 
comme  l'indique  la  page  95  du  livre  imprimé.  Je  pense  que  le  Vo- 
cabulaire n'entrera  prjur  rien  dans  le  Manuel.  II  ne  sera  destiné  qu*à 
la  conjugaison  et  à  la  syntaxe.  La  syntixe  présenter.!  uniquement 
la  progres-^ion  des  propositions  et  des  phrases  avec  un  seul  exemple- 
modèle  et  les  explications  les  plus  intelligibles.  A  la  dr^uxième  partie, 
les  phrasf'S  auront  leurs  formules  comme  signes  de  reconnaissance. 
Voilà  en  deux  mots  mes  idées  sur  la  rédaction  des  trois  manuels 
que  vous  pensez  faire. 

Il  y  a  un  autre  travail  auquel  j*attache  beaucoup  de  prix,  c'est  la 
rédaction  de  mes  livres  élémentaires  en  faveur  des  écoles  rurales 
et  des  écoles  du  petit  peuple  dans  les  villes.  J'ai  une  profonde 
pitié  pour  celte  masse  qui  au  fond  constitue  partout  le  genre 
humain,  et  que  les  savans  négligent  partout.  Dans  mon  pays  je 
lui  avais  destiné  la  Grammaire  des  campagne^,  qui  en  a  resté  à  sa 
première  partie,  parce  que  les  autorités  civiles  et  ecclésiastiques 
de  ce  temps  craignaient  la  diffusion  de  la  lumière,  et  c'était 
|)0urtant  la  lumière  de  l'évangile  que  je  \oulaîs  répandre!  La  Gram- 
maire des  campagnes  en  fait  foi. 

Dans  cet  abrégé,  j'ai  trop  insisté  sur  la  conjugaison  qui  toutefois 
doit  en  faire  le  fond,  mais  qui  pourtant  ne  doit  pas  exclure  les 
propositions  et  les  phrases  qui  ne  sont  pas  propres  à  ^tre  conjuguées 
et  qui  néanmoins  sont  nécessaires  pour  compléter  l'instruction  édu- 
calive  que  nous  devons  donner  à  tous  les  enfants. 

M.  Ernest  Naville  s'ofxupe  de  cet  abrégé,  et  il  doit  venir  s'entendre 
avec  moi  sur  ce  travail,  dès  que  j'en  aurai  le  temps.  Il  fera,  je 
n'en  doute  pas,  quelque  chose  de  très  convenable  pour  son  école  de 
Salnt-Gervais:  mais  ce  ne  sera  pas  ce  qui  en  tout  point  pourra  con- 
venir aux  écoles  rurales  de  France  que  j'ai  en  vue.  Ces  écoles 
d'ailleurs  redouteraient  un  ouvrage  venant  de  Genève,  encore  qu'il 
serait  bien  approprié  à  leur  croyance  et  à  leurs  besoins.  L'abrégé 
que  je  désire  doit  ^tre  fait  en  France,  par  un  Français  et  autorisé 
par  les  prélats  de  France. 

Voilà,  mon  ami,  un  travail  pour  vous  qui  dans  votre  position 
avez  appris  ù  connaître  les  écoles  rurales  de  votre  patrie,  ainsi  que 
ce  (jue  l'on  peut  et  doit  faire  pour  elles.  Le  travail  de  M.  Naville 
poui-ra  vous  servir,  sans  devenir  la  règle  du  vôtre. 

Veuillez,  mon  cher  ami,  me  renouveler  au  souvenir  de  M™»  Rapcl, 
puis  de  M.  Charbonneau,  et  croire  que  je  suis  pour  la  vie 

Tout  à  vous. 

G.  Girard. 

Fribourg  en  Suisse  le  17  octobre  184  V 

(La  fin  au  prochain  numéro.) 


DE  L'UTILITÉ  QU'IL  Y  AURAIT  A  RENDRE 

LA  CONNAISSANCE  DU   DROIT  POPULAIRE 


Lutter  pour  It  vrai^  pour  le  bien» 

Si,  parmi  les  différentes  sciences  qui  ont  Thomme  pour 
objet,  il  en  est  une  qu'il  serait  utile  de  rendre  au  moins  accessible 
à  tous,  et  de  répandre  le  plus  possible,  c'est  assurément  celle 
du  Droit.  Correspondant  et  présidant  à  toutes  les  relations 
sociales,  intervenant  dans  notre  vie  de  chaque  jour,  y  interve- 
nant à  chaque  instant,  le  Droit,  de  toutes  parts,  comme  un 
réseau,  nous  enveloppe.  Fils,  pères,  époux,  propriétaires,  com- 
merçants, citoyens,  nous  ne  pouvons  faire  un  seul  pas  sans 
que  nous  ayons  à  nous  demander  ce  que  la  loi  admet,  ce 
qu'elle  réprime,  ce  qu'elle  punit,  et,  question  plus  haute,  Celle 
du  Droit  proprement,  si  ce  qu'elle  admet,  ce  qu'elle  réprime,  ce 
qu'elle  punit,  est  conforme  à  la  justice  et  aux  besoins  sociaux. 

Donc,  dans  toutes  les  sociétés,  la  connaissance  du  Droit  s'im- 
poserait normalement  à  tous,  mais  avec  quelle  raison  plus  forte 
encore  ne  s'impose-t-elle  pas  ainsi  dans  les  sociétés  qui  ont  la 
démocratie  pour  base?  Les  républiques  de  l'antiquité  l'avaient 
compris  à  merveille  ;  et,  lorsque  à  Rome  la  plrbe  eut  conquis  le 
pouvoir,  son  premier  grand  pontife  se  mit  à  enseigner  le  Droit 
sur  la  voie  publique. 

Les  choses,  sans  doute,  ne  vont  pas  tout  ii  fait  chez  nous,  du 
côté  du  Droit,  comme  elles  allaient  jadis  à  Rome;  et  l'on  no 
pourrait  dire  sans  exagérer  et  sans  altérer  les  faits  que,  chez 
nous  comme  à  Rome,  il  y  ait  un  patriciat  gardant  pour  lui  le 
secret  des  formules  juridiques  et  faisant  monopole  à  son  profit 
de  l'interprétation  des  lois.  Mais  quoi  !  dans  un  pays  où  le  plus 
humble  comme  le  plus  élevé  dans  Téchelle  sociale  est  appelé 
non  seulement  à  exprimer  un  vœu,  mais  à  dicter  sa  volonté 
sur  tout  ce  qui  touche  aux  lois  et  au  Droit,  on  ne  ferait  pas 
effort  pour  que  chaque  citoyen  ai'rive  à  posséder  au  moins  les 
premiers  principes  du  Droit  et  les  premières  notions  des  lois  ! 

ftlTUB  piSAGOOIQUE  1885.  —  l*'  SBM. 


34  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

Quoi  !  des  questions  se  rapportant  à  l'organisation  de  la  famille, 
celle  do  divorce,  par  exemple,  celle  de  la  condition  des  enfants 
nalurelç,  une  foule  d*autres  ayant  trait  au  régime  de  la  pro- 
priété, au  développement  du  crédit,  à  la  constitulioti  même  des 
délégations  ou  pouvoirs  publics,  toutes  ces  thèses  sociales  si 
considérables  pourraient  être  posées  devant  un  Parlement  issu 
du  suffrage  populaire,  être  débattues  dans  ce  Parlement,  sans 
que  le  peuple,  la  nation  prise  en  masse,  eûl  la  plus  simple  idée 
de  la  loi  existanlc,  de  ce  qu'elle  contient  ou  de  bon  ou  de  mau- 
vais, de  ce  qui  peut  et  doit  y  être  changé  !  Quelle  contradiction 
serait  plus  flagrante,  quelle  plus  déraisonnable  et,  avec  le  temps, 
quelle  aventure  nous  menacerait  de  périls  plus  grands  ! 

Ainsi  apparait-il;  avec  une  évidence  complète,  que,  dans 
notre  France,  en  Tétat  actuel,  c'est  au  nom  des  intérêts  les 
plus  immédiats  du  ciloyen  comme  de  l'homme  privé,  les  plus 
divers  et  les  plus  graves,  qu'il  importe  que  la  lumière  soit 
faite  sur  Tensemble  du  Droit  et  des  lois  ;  que,  dans  ce  qu'elle  a  de 
fondamental,  la  connaissance  du  Droit  et  des  lois  pénètre  partout. 

Mais  les  objections  se  pressent.  «  Que  parlez-vous  de  popu- 
lariser la  connaissance  du  Droit?  Le  Droit  n  est-il  pas  fait  uni- 
quement d'abstractions,  n'est-il  pas  une  science  de  rapports, 
et  ne  repose-t-il  pas  tout  entier  sur  une  des  conceptions  les 
plus  hautes  à  laquelle  puisse  s'élever  l'esprit  de  l'homme,  sur 
ridée  que  l'on  doit  se  faire  du  Juste  ?  Comment  vulgariser  une 
telle  idée  et  surtout  en  l'appliquant  aux  relations  si  nombreuses 
et  si  complexes  que  le  Droit  a  charge  de  régler?  Puis,  à  tort 
ou  à  raison,  nos  lois  ne  passent  pas  toutes,  dans  l'opinion 
commuae,  pour  être  des  chefs-d'œuvre  de  simplicité,  de  pré- 
cision, de  clarté?  Beaucoup,  au  contraire,  sont^  aux  yeux  du 
public  —  pardon  de  l'irrévérence  grande  —  un  grimoire  où 
les  pius  habiles  se  trompent  quelquefois  et  ne  savent  pas  tou- 
jours lire.  Enfin,  l'essai  a  été  tenté,  et  la  meilleure  preuve  que, 
selon  votre  propre  sentiment,  il  n'a  pas  réussi,  c'est  que  vous 
proposez  à  tout  le  monde  de  le  tenter  encore.  » 

Je  répondrai  d'abord  sur  ce  dernier  point. 

Je  n'ignore  pas  que  des  écrivains  conciencieux  et  experts 
se  sont  ingéniés  à  résumer  dans  les  termes  les  plus  brefs  et 
les  plus  concis  certaines  parties  de  nos  lois  et  que  peut-étEd 


LA  CONNAISSANCE   DU   DROIT  35 

le  succès  n  a  pas  tout  à  t'ait  répondu  au  mérite  de  leur 
effort.  Mais  je  dirai  en  toute  franchise  que  ces  écrivains,  selon 
moi,  n'ont  pas  pris  la  bonne  route,  et  que  le  but  qu'ils  ont  eu 
en  vue  était  quelque  peu  différent  de  celui  que  je  viens  de 
marquer.  Il  ne  saurait  s'agir,  en  effet,  d'apprendre  à  chacun 
la  science  du  Droit  et  des  lois  de  façon  que  chacun,  dans  toutes 
les  circonstances  de  la  vie  ou  même  dans  la  plupart  de  ces  cir- 
constances, puisse  être  son  seul  guide  et  n'avoir  pas  besoin  du 
concours  de  ceux  qui  ont  fait  du  Droit  et  des  lois  l'objet  spé- 
cial de  leur  étude  ;  en  vérité,  le  point  est  autre,  et,  s'il  con- 
vient de  fournir  le  mieux  possible  à  chacun  un  moyen  de 
s'orienter  pour  ses  propres  affaires,  s'il  convient  de  mesurer 
aux  détails  la  part  la  moins  stricte  possible,  il  est  d'un  inté- 
rêt essentiel  de  mettre  d'abord  chacun  à  même  d'embrasser 
dans  toutes  les  matières  l'ensemble  et  les  parties  principales,  de 
se  faire  une  idée  du  tout  et,  s'il  se  peut  et  autant  qu'il  se 
peut,  de  juger  la  loi  au  nom  du  Droit,  an  nom  de  la  Justice 
qui  avance,  des  besoins  sociaux  qui  changent. 

Mais.par  là,  j'imaginerais  avoir  défini  le  but  qu'il  faudrait  viser, 
et  je  crois  désormais  facile  de  répondre  aux  autres  objections. 

Que  la  science  du  Droit  soit  abstraite  ;  que  de  plus  elle  soit 
complexe,  et  que,  par  leurs  propres  complications,  souvent  nos 
lois  en  accroissent  les  difficultés,  aucun  de  ces  points  n'est 
contestable.  Hais,  dans  le  plan  que  je  conçois,  et  que  je  voudrais 
en  outre  dégagé  de  tout  apparat,  de  tout  appareil  scientifique, 
j'ai  Tintime  pensée  que  les  idées  générales  qui,  en  dehors  de 
la  législation,  dominent  les  principaux  sujets  du  Droit,  pourraient 
être  ramenées  à  une  expression  simple  et  aisément  compréhen- 
sible; et,  quant  aux  abstractions  techniques  qui  forment 
l'explication  des  textes,  rien  n'est  plus  praticable,  en  définitive, 
que  de  les  rendre  vivantes  et  tangibles  au  moyen  d'exemples 
ou,  comme  on  dit  en  droit,  d*espèces. 

Restent  les  complexités  et  les  complications,  dernier  écueil. 

Mais  qu'il  aille  en  avant,  avec  bon  courage  et  sans  peur, 
l'homme  jaloux  de  rendre  à  la  démocratie  ce  capital  service, 
de  l'initier  à  la  science  des  lois  et  du  Droit  ! 

Emile  Agollas. 


A  TRAVERS  LES  ECOLES 
(notes  d'UxN  inspecteur) 


A  H. . .,  rinstituteur,  quand  il  n'est  pas  content  d'un  élève,  le 
retranche  du  nombre  de  ceux  qu'il  emmènera  se  promener 
avec  lui  le  jeudi  suivant  :  c'est  la  plus  grave  des  punitions 
usitées  dans  l'école;  or  remarquez  que  l'élève  reste  libre  de  se 
promener  où  «t  comme  il  lui  plaira. 

A  G...,  il  y  a  une  heure  d'éludé  avant  ou  après  la  classe 
suivant  la  saison  ;  rien  n  est  plus  sensible  aux  élèves  que  de 
leur  interdire  l'entrée  de  cette  étude. 

Vous  souriez  et  vous  vous  dites  que  beaucoup  d'élèves  que 
vous  connaissez  s'arrangeraient  assez  bien  d'une  punition  qui 
leur  retrancherait  une  heure  de  travail  ou  môme  une  heure  de 
présence  à  l'école.  D'où  vient  la  différence  ?  Cherchez. 


Punir,  c'est  infliger  une  douleur  dont  le  souvenir  persiste 
comme  un  avertissement  de  ne  plus  loipber  dans  la  môme 
faulè.  La  nature  de  cette  douleur  dépend  de  la  nature  de  Tétre 
à  qui  elle  s'adresse  :  elle  sera  nécessairement  physique  pour 
l'être  matériel,  pour  celui  qui  ne  vit  et  qui  ne  sent  que  par  le 
corps  ;  mais  dans  cet  ordre  même,  combien  de  degrés,  depuis 
le  coup  de  fouet  qui  fait  hurler  le  chien  ou  qui  ensanglante  le 
dos  de  l'esclave  jusqu'à  la  privation  de  la  friandise  dont  a  été 
au  moins  menacé  le  plus  gâté  des  enfants!  Pour  celui  dont  on 
a  su  cultiver  et  affiner  la  nature  morale,  la  punition  peut  être 
purement  morale. 

Si  je  me  rappelle  bien  les  jours  de  mon  enfance,  ce  qui  m'a 
toujours  le  plus  puni  dans  une  punition,  c'est  l'idée  que  j'étais 
puni. 


4  * 


A  V. .. ,  on  a  entendu  un  enfant  durement  traité  par  son  père 
pour  une  cause  futile  s'écrier  :  (^  Ah,  si  le  maître  le  savait  !  » 


A  TRAVERS  LES  ÉCOLES  37 

6t  le  père,  dit-on,  arrêta  son  bras  levé.  Ainsi  la  pensée  de  l'en- 
fant dans  sa  détresse  se  tournait  tout  de  suite  vers  son  maître  ; 
il  en  appelait  à  lui,  comme  à  la  justice  même^  et  ce  nom 
invoqué  faisait  réfléchir  le  père  et  le  désarmait!  Quel  plus 
bel  hommage  rendu  à  un  homme!  Quel  plus  grand  exemple 
d'autorité  morale  !  Quand  je  rencontre  dans  le  plus  humble 
village  im  tel  maître,  je  m'incline  avec  respect  devant  lui. 

*  * 

Je  sortais  d'une  école  dont  le  maître  m'était  dès  longtemps 
connu  comme  digne  de  toute  estime.  Je  n'étais  pas  content. 
J'avais  trouvé  depuis  ma  dernière  visite,  qui  ne  remontait  pas 
bien  loin,  livres  nouveaux,  adjoints  nouveaux,  le  tableau  de 
l'emploi  du  temps  remanié  ou  plutôt  bouleversé,  les  programmes 
distendus,  les  élèves  surmenés,  le  maître  agité,  nerveux.  Je 
disais  à  ce  maître  :  - 

«  Je  crains  que  vous  n'ayez  voulu  trop  bien  faire.  Il  y  a 
déjà  longtemps  qu'on  a  dit  que  le  mieux  était  l'ennemi  du 
bien.  Cet  adjoint  avait,  je  le  sais,  des  défauts;  vous  l'avez 
changé.  Ce  livre  ne  répondait  pas  à  tout  ce  que  vous  atten- 
diez de  lui;  vous  l'avez  remplacé.  Mais  cet  adjoint,  à  côté 
de  ses  défauts,  avait  des  qualités;  les  avez-vous  retrouvées 
en  son  successeur?  Ce  livre,  vous  le  connaissiez;  vous  l'aviez 
longtemps  pratiqué;  vous  saviez  vous  en  servir;  il  vous  faut 
étudier  celui  que  vous  avez  introduit  à  sa  place  ;  je  vous  ai  vu 
encore  hésitant,  tâtonnant;  après  expérience,  répondra-t-il  à 
votre  attente?  Ne  serez-vous  pas  amené  à  reconnaître  qu'il  eût 
mieux  valu  pour  vous,  pour  le  bien  de  l'école,  essayer,  comme 
vous  l'aviez  commencé,  à  tirer  parti  et  du  livre  et  du  maître  que 
vous  aviez  d'abord?  Je  ne  prétends  pas  qu'il  ne  faille  jamais 
rien  changer  ni  personne  ;*  mais  je  voudrais  vous  mettre  en 
garde  contre  cette  idée  que  le  moyen  d'améliorer  est  de 
changer.  Cette  idée  est  si  séduisante,  elle  est  d'application  si 
facile!  On  a  si  vite  dit:  Changeons!  On  l'a  si  tôt  fait!  Et  on 
arrive  à  ces  perpétuels  changements  qui  ne  permettent  à  rien 
d'aboutir,  qui  nous  font  vivre  dans  l'éternel  espoir  du  mieux  et 
ne  bissent  pas  le  bien,  même  ordinaire  et  vulgaire,  se  réaliser. 

«  Je  voudrais  qu'on  distinguât  entre  deux  sentiments,  voi- 


38  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

sins  sans  doute,  divers  pourtant  et  surtout  d'effets  très  opposés; 
je  les  appellerai,  à  défaut  de  noms  plus  précis,    Tamour   du 
bien  et  l'amour   du  mieux.   L'amour  du  bien  est  sage,  rai- 
sonnable, réfléchi  ;  il  voit  les  imperfections,  il  est  désireux  de 
les  corriger,  il  s'y  applique.  II  ne  prétend  pas  toutefois  supprimer 
ces  imperfections,  toutes  et  d'un  seul  coup.  Il  sait  que  rien  en 
ce  monde  ne  se  fait  qu'avec  le  temps,  peu  à  peu  ;  que,  fût-on 
pressé,    on  n'avance   que  pas  à  pas,  en  mettant  l'un  devant 
l'autre  tour  à  tour  un  pied  ;  que  même,  si  la  route  est  longue, 
il  y  faut  des  étapes;  qu'on  ne  vient  à  bout  des  difficultés  qu'en 
les  prenant  une  à  une;  que  le  progrès  est  le  résultat  d'efforts 
successifs  et  continus.  Il  ne  brusque  rien,  ne  violente  rien;  il 
tient  compte  des  résistances  que  lui  oppose  le  présent,  le  passé 
même  qu'on  ne  peut  empêcher  d'avoir  existé  ;  il  se  fie  un  peu 
à  l'avenir  pour  continuer  ce  qu'il  a  commencé  et,  si  possible, 
l'achever.  L  amour  du  mieux  est  impatient,  nerveux,  impuissant 
à  se  modérer,  à  se  contenir  ;  il  a  devant  les  yeux  Tidéal  ;  tout 
ce  qui  en   diffère  le  choque,  l'arrête.  Cet  idéal,  il  veut  l'atteindre 
et  au  plus  tôt;  il  n'admet  ni  les  retards,  ni  les  lenteurs,  insépa- 
rables  pourtant  des  choses   humaines.   C'est  ainsi    qu'il  est 
entraîné  à  changer  et  à  changer  encore;  car  le  premier  chan- 
gement ne  lui   a  pas  donné  la  perfection  qu'il  rêve;  et  il 
renverse  ce  qu'il  vient  d'édifier;  il  trouble,  voulant  ordonner; 
il  inquiète  les  meilleures  volontés  qui  se  sentent  incapables  de 
de  le  suivre;   il  les  décourage;   demandant  trop,    il  n'obtient 
plus  assez...  Vous   avez  jusqu'à    ce  jour  pris   pour  guide  le 
premier  de  ces  sentiments,  Famour  du  bien:  ce  dont  je  vous 
louais  ;  il  me  semble  que  vous  dérivez  maintenant  vers  le  se- 
cond :  ce  dont  je  m'effraie  et   ce  qui  me  fait  jeter  le  cri  d'a- 
larme. )} 

Et  comme  je  voyais  l'excellent  h«mme  ému  de  ces  paroles, 
j'ajoutais  :  u  La  faute  n* en  est  pas  toute  à  vous.  Ne  vous  ai-je 
pas  excité,  poussé?  La  faute  n'en  est  peut-être  pas  non  plus  à 
moi  tout  seul.  Nous  sommes  d'une  génération  pressée.  Eu 
particulier  dans  ce  champ  de  l'instruction  primaire,  on  avait 
avant  nous  si  doucement  cheminé  que  nous  avons  senti  le  désir, 
pour  rattraper  le  temps  perdu,  de  prendre  le  trot,  voire  le 
galop.  » 


A  TRAVERS    LES  ÉCOLES  39 

Je  m'en  allais,  réfléchissant  et  me  demandant  si  je  n'avais 
pas  dans  mes  critiques  dépassé  le  but.  a  Cet  amour  du  mieux 
dont  je  viens  de  médire,  n'esMl  pas  après  tout  nécessaire  à 
l'amour  du  bien  pour  l'activer  et  le  stimuler?  Bien  plus,  sans 
amour  du  mieui  y  aurait-il  vraiment  amour  du  bien?...  Mais 
pourquoi  nos  grands  psychologues,  nos  moralistes  ne  nous 
indiquent-ils  pas  la  dose  précise  d'amour  du  mieui  qu'il  faut 
infuser  à  l'amour  du  bien  pour  que  celui-ci  atteigne,  sans  le  ' 
dépasser,  le  plus  haut  déféré  d'énergie  utile  et  bienfaisante,  qu'il 
ait  l'ardeur  et  non  la  fièvre?  —  Je  m'imagine  que  la  dose  ne 
devrait  pas  être  très  forte.  « 

Il  y  a  des  professions  que  l'on  embrasse  par  cette  seule  et 

simple  raison  qu'on  y  gagne  de  l'argent;  il  y  en  a  que  l'on  choisit 

pour  des  motifs  plus  complexes  et  plus  délicats,  parce  qu'elles 

donnent  place  dans  un  corps  estimé  et  qu'on  espère  avoir  part 

à  la  considération  dont  il  jouit,  parce  qu'elles  promettent  des 

occupations   intéressantes  en  soi  et  6ù  l'esprit  joue  son  rôle, 

parce  que  la  valeur  personnelle  de  l'homme  y  compte  davantage, 

parce  qu'enfin  elles  relèvent  celui  qui  les  embrasse  aux  yeux  du 

monde  et  à  ses  propres  yeux.   La  profession  d'instituteur  me 

parait  être  de  ces  dernières. 

E.  A. 


A  PROPOS  DES  MUSEES  SCOLAIRES 


M.  Lecaplain,  professeur  de  physique  au  lycée  Corneille  à  Rouen, 
donne  d'excellents  conseils  aux  instituteurs  dans  le  Bulletin  déftar^ 
temenlal  de  la  Seine-Inférieure  sur  les  conditions  que  doit  remplir 
un  musée  scolaire.  Pour  éclairer  Tenfant,  sans  courir  le  risque  de 
jeter  la  confusion  dans  son  esprit,  il  doit  remplir  trois  conditions 
essentielles  :  être  très  simple,  avoir  un  classement  méthodique  et 
être  plutôt  général  que  particulier.  Laissons  la  parole  à  l'auteur  de 
de  cet  intéressant  rapport,  qui  a  été  publié  à  Toccasion  do  Texpo- 
sition  sedaire  de  Rouen. 


40  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

tt  Trois  conditions,  selon  nous,  dit  M.  Lecaplain,  doivent  être 
rigoureusement  remplies. 

Première  condition,  —  La  première  condition  d'un  musée  modèle 
doit  être  d'offrir  avant  tout  une  grande  simplicité. 

11  doit  raconter  au  jeune  élève,  d'une  façon  aussi  nette  que 
possible,  rbistoire  de  la  pierre,  du  bois,  des  métaux  ;  dans  un  autre 
ordre  d'idées,  celle  du  coton,  de  la  laine,  ou  encore,  pour  varier, 
quelques  détails  intéressants  sur  le  pain,  le  sel,  les  aliments  les  plus 
ordinaires.  Il  ne  doit,  sous  aucun  prétexte,  viser  plus  haut.  La 
science  proprement  dite  n'a  pas  déplace  marquée  à  TécoJe  primaire. 
Il  ne  faut  pas  dépasser  le  but.  C'est  ainsi,  pour  ne  citer  qu'un 
exemple,  qu'une  collection  trop  complète  de  produits  chimiques  ou 
pharmaceutiques  est  un  peu  déplacée  dans  un  musée  scolaire.  On 
doit  se  contenter,  nous  le  pensons  du  moins,  des  produits  essentiels, 
de  ceux  qui  entrent  dans  la  fabrication  des  substances  les  plus  utiles. 
Que  Ion  exclue  les  réactifs,  qui  ne  servent  qu'aux  chimistes  de 
profession.  Qu'on  nous  permette  une  remarque  analogue  pour  les 
collections  d'animaux.  Il  faut  ici  encore  un  choix  judicieux.  Au 
lieu  de  chercher  à  réunir  tous  les  types  connus,  comme  le  ferait 
un  amateur,  ne  prenons  que  ceux  utiles  ou  nuisibles,  comme  l'ont 
fait,  du  reste,  quelques  exposants.  Un  zèle  assurément  bien  louable, 
puisqu'il  est  né  spontanément  du  désir  d'être  utile  et  de  bien  faire, 
la  satisfaction  naturelle  que  Ton  trouve  dans  l'organisation  d'une 
collection  complète,  ont  peut-être  entraîné  un  peu  loin  un  certain 
nombre  d'exposants. 

Exception  à  ce  principe.  —  Nous  cro  yons  toutefois  devoir  faire 
une  exception  à  cette  règle  de  simplicité  pour  les  musées  scolaires 
des  grandes  villes,  où  Tinstituteur  s'adresse  dans  les  cours  d'adultes 
à  des  jeunes  gens  plus  âgés,  susceptibles  par  suite  d'un  enseignement 
plus  élevé;  et  toutefois,  même  dans  ce  cas,  il  est  une  limite,  difficile 
à  assigner  sans  doute,  mais  qu'il  y  a  un  intérêt  réel  à  bien  fixer  et 
à  ne  pas  franchir. 

Deuxième  condition.  —  Le  musée  doit  offrir  un  classement  aussi 
méthodique  que  possible. 

Le  classement  n'est  pas  chose  indifférente.  Il  est  même  assu- 
rément le  point  capital,  le  point  important  par  excellence.  N'est- 
ce  pas  par  la  méthode  suivie  que  le  maître  révèle  le  mieux  son 
esprit  d'ordre,  son  aptitude  à  l'enseignement?  Sa  valeur  au  point 
de  vue  pédagogique  n'offre  certes  pas  de  meilleur  critérium.  S'il 
existe  bien  des  modes  de  classement,  il  s'en  faut  de  beaucoup 
qu'ils  aient  tous  la  même  valeur. 

Le  meilleur  système  nous  paraît  le  suivant  : 

Disposer  sur  une  planchette  spéciale,  agencée  d'ailleurs  de  telle 
ou  telle  façon,  ou,  d'une  manière  générale,  grouper  en  un  même  lot 
tous  les  objets  se  rapportant  à  une  même  leçon.  Chaque  tablette 
ou  chaque  petite  collection  partielle  racontera  une  histoire  parti- 


A   PROPOS  DES  MUSÉES  SCOLAIRES  41 

cuUère,  celle  du  papier,  du  verre,  de  la  porcelaine,  ou  mettra  sous 
les  yeux  de  Tenfant  Tensemble  des  outils  employés  dans  tel  ou  tel 
métier,  dans  telle  ou  telle  industrie.  Le  maître  a  ainsi  devant  lui 
et  embrasse  d'un  seul  coup  d'œil  le  plan  du  petit  développement 
qu'il  va  faire  à  ses  élèves.  La  leçon  est  ainsi  toute  tracée,  et  elle 
Test  méthodiquement;  par  suite  elle  est  mieux  faite,  plus  facile  à 
saisir,  et  le  profit  en  est  plus  grand. 

Les  collections  d'histoire  naturelle  ont  également  besoin  d'une 
classification  appropriée  aux  besoins  de  l'enfant.  La  classification 
scientifique,  que  Ton  suit  forcément  dans  l'enseignement  secondaire, 
convient-elle  au  cas  actuel  ?  Doit-on  classer  par  exemple  les  insectes 
en  hyménoptères,  névroptères,|  etc.  ;  les  ois^eaux  en  rapaces,  passe- 
reaux, etc.  ?  Nous  ne  le  pensons  pas.  La  plupart  de  ces  noms,  qui 
tirent  leur  origine  du  grec  ou  du  latin,  n'éveillent  aucune  idée 
dans  l'esprit  de  l'enfant,  qui  ne  peut  remonter  à  l'étymologie  même 
de  tous  ces  noms.  Cette  nomenclature  aride  ne  constituera  pour  sa 
mémoire  qu'une  surcharge  fatigante  et  inutile.  Que  les  instituteurs 
adoptent  simplement  la  classification  moins  scientifique  mais  plus 
simple  qui  consiste  à  diviser  les  insectes  et  les  oiseaux  en  insectes 
utiles,  insectes  nuisibles  ;  oiseaux  utiles,  oiseaux  nuisibles.  Nous 
comprendrions  à  la  rigueur,  dans  un  cours  d'adultes,  une  sorte  de 
classification  mixte  telle  que  celle-ci  ;  hyménoptères  utiles,  hymé- 
noptères nuisibles,  etc.,  et  encore  n'y  tenons-nous  que  médiocre- 
ment. 

Troisième  condition.  -^  Le  musée  doit  être  plutôt  général  que 
particulier. 

Est-il  utile  de  varier  la  collection  suivant  l'industrie  du  pays? 
Nous  ne  voyons  pas  d'inconvénient  à  ce  que  le  musée  scolaire  ait 
une  sorte  de  reflet  de  la  production  locale.  11  est  certain,  par 
exemple,  que  si  l'école  est  dans  un  pays  de  tanneries,  il  serait 
singulier  de  ne  voir  figurer  dans  la  colleclion  ni  tan,  ni  cuirs. 
Cependant  le  musée  scolaire,  ce  nous  semble,  ne  doit  pas  offrir,  un 
caractère  trop  particulier.  Il  ne  s'agit  pas,  en  effet,  à  l'école  pri- 
maire, d'initier  l'enfant  à  toutes  les  phases  d'une  industrie  parti- 
culière ;  il  faut  au  contraire,  qu'il  ait  des  idées  simples  et  générales 
sur  le  plus  grand  nombre  possible  de  choses  usuelles.  Que  si  l'in- 
stituteur, animé  d'un  zèle  tout  à  fait  louable,  désire  collectionner 
tous  les  objets  relatifs  à  l'industrie  de  la  région  qu'il  habite,  il 
détache  ce  petit  musée  de  la  collection  générale.  S'il  vient  à  changer 
de  résidence,  le  musée  général  lui  sera  toujours  d'un  utile  secours, 
tandis  que  l'autre  passera  souvent  alors  à  l'état  de  collection  d'ama- 
teur. Plusieurs  exposants  ont  suivi  cette  méthode  et  nous  estimons 
qu'ils  ont  agi  sagement.  » 


CHANSON  DE  FRANCE 

LA  DAME  DE  LA  ROCHE-GUYON 

(1419) 


L'Anglais  poignait  la  France,  et  les  morts  d'Azincourt 
Depuis  quatre  ans  déjà  blanchissaient  dans  leur  tombe  : 
Ils  n'étaient  pas  vengés  !  Comme  la  lèpre  court 
Et  s'étend  sur  le  corps,  qui  membre  à  membre  tombe. 
L'invasion  de  ville  en  ville  ainsi  gagnait, 
Et  vers  Paris,  le  cœur,  tendait  son  bras  avide. 
Charles  VI  était  fou  !  Le  vrai  roi  qui  régnait, 
C'était  l'Anglais.  —  Hélas  !  le  trésor  était  vide, 
Le  royaume  au  pillage,  et  les  seigneurs  sans  foi 
Oubliaient  aux  festins  les  morls  et  les  défaites; 
Les  gens  de  guerre  épars  sur  les  routes,  sans  loi, 
Sans  ordres  et  sans  chef,  se  donnaient  joie  et  fêtes. 
Volant  le  paysan,  imposant  les  cités  : 
La  France  était  perdue;  aucune  résistance 
N'entravait  les  vainqueurs  d'avance  redoutés. 
Si  les  bourgeois  n'avaient  étendu  leur  constance 
Plus  haut  que  les  seigneurs  ne  haussaient  leurs  cimier^. 
Plus  loin  que  les  routiers  ne  poussaient  leur  rapine, 
Et  lutté  sans  répit,  bien  que  peu  coutumiers, 
Pour  tirer  le  pays  de  honte  et  de  ruine. 

Mais  parfois  leur  courage  aux  pièges  d'un  félon 
Trébuchait,  et  leur  sang  répandu  par  traîtrise. 
Leur  milice  éclaircie  en  chaque  bataillon, 
Epuisaient  leur  vigueur  —  et  leur  ville  était  prise. 
Ainsi  tomba  Rouen  !  Par  Guy  le  Boutellier 
La  cité  fut  vendue.  Il  en  ouvrit  les  portes. 
Lui  qui  dut  la  défendre;  et  fut  le  conseiller 
Lâche  qui  proposa  pour  ces  deux  âmes  fortes, 
Le  brave  Alain  Blanchard  et  Robert  de  Livet, 
La  mort  en  châtiment  :  et  sans  miséricorde 
La  honte  du  supplice  infâme  du  gibet  : 
Et  le  Plantagenet  leur  octroya  la  corde. 

II 

'  —  A  Paris!  »>  s'écriait  le  prince  triomphant  ; 
'    —  A  Paris  î  >*  répétaient  ceux  de  son  entourage  : 
a  Paix  à  qui  se  soumet,  mort  à  qui  se  défend  !  »> 
Les  Français  désolés  pâlissaient  de  l'outrage, 


LA  DAMB  DB   LA  BOGHE-GUYON  4S 

Tandis  que  l'ennemi  bien  armé,  bien  pourvu, 
Remonte  la  vallée,  en  longeant  la  rivière  ; 
Ville,  bourg  se  résigne  aussitôt  qu'on  Ta  vu. 
Mais  voici  qu'un  château  dressant  sa  tour  altière 
Fait  flotter  les  couleurs  de  France  à  ses  créneaux  ; 
Le  donjon  féodal  haut  perché  sur  la  roche 
Proscrit  la  route  à  l'homme  et  la  Seine  aux  canots  ; 
Et  les  canons  braqués  en  défendent  l'approche  : 
On  ne  passera  pas  sans  qu'il  en  coûte  cher. 
Pour  peu  que  de  ce  nid,  pointée  avec  adresse, 
Vole  et  s'abatte  au  loin  la  mitraille  de  fer. 
Le  roi  non  sans  dépit  voit  cette  forteresse  ; 
Elle  arrête  sa  force  et  barre  son  chemin. 
Chacun  autour  de  lui  le  rassure  et  le  flatte  : 
On  va  rendre  les  clefs  dès  qu'il  tendra  la  main. 

Mais  déjà  le  canon  pour  leur  répondre  éclate. 
L'usurpateur  s'irrite  :  «  Ah  !  s'ils  ouvrent  le  feu, 

Quand  j'y  perdrais  six  mois,  nous  les  mettrons  en  poudre, 
«  Le  fort  avec  les  gens,  et  nous  verrons  beau  jeu  l  » 
Le  Boutellier  en  doute  ;  il  faudra  se  résoudre 
A  remonter  au  nord  :  c'est  la  Roche-Guyon  ; 
Le  comte  Guy  périt  aux  champs  de  Picardie, 
Mais  sa  veuve  elle-même  est  sur  le  bastion, 
Et  ses  troupes  ont  foi  dans  son  âme  hardie. 
Le  fort  est  imprenable,  et  pour  donner  l'assaut 
Il  faudrait  des  guerriers  portant  au  dos  des  ailes  : 
Plus  encor  que  les  tours  le  cœur  est  ferme  et  haut 
A  celle  qui  le  tient,  et  ses  gens  sont  fidèles  : 
Par  force  on  ne  peut  rien,  et  rien  par  trahison. 
L'Anglais  gonflé  d'orgueil  proclame  en  sa  jactance  : 
'*  Us  rendront  à  merci  remparts  et  garnison. 
»  Cette  veuve  oserait  me  faire  résistance  !  v 

n  ne  la  connaît  pas  pour  en  parler  ainsi. 
Son  époux  non  vengé  de  la  tombe  lui  crie 
Son  devoir  inflexible  ;  et  demander  merci 
Serait  ternir  sa  race  et  trahir  sa  patrie. 

m 

Elle  était  jeune  encore  et  de  pure  beauté  ; 
La  grandeur  de  son  nom,  surtout  sa  grandeur  d'âme 
Dans  le  pays  normand  avait  autorité. 
Et  quand  on  parlait  d'elle,  on  l'appelait  LA  DAME. 
Ah  !  si  l'Anglais  pouvait  la  gagner  doucement 


44  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

Par  présents  et  promesse  !  elle  vaut  qu'on  Tacheté  ; 

Tout  le  peuple  après  elle  irait  prêter  serment  : 

Ce  serait  assurer  pour  longtemps  la  conquête. 

Et  ce  rêve  naquit  dans  Tesprit  de  Henri 

D'unir  cette  âme  noble  et  ce  nom  sans  souillure 

Au  traître  de  Rouen,  gentilhomme  flétri. 

L'offre  plaît  au  félon,  il  est  prêt  à  conclure  : 

La  Dame  est  de  grands  biens  non  moins  que  de  grand  lieu. 

L'épouser,  c'est  reprendre  avec  cette  richesse 

DeThonneur;  et  plus  tard,  s'il  veut  changer  de  jeu, 

La  Roche  est  un  asile.  —  Et  dans  leur  hardiesse 

Ce  traître  avec  ce  roi  négligent  de  compter 

L'horreur  que  leur  projet  insolent  fera  naître 

Dans  le  cœur  de  la  veuve  ;  et  sans  plus  hésiter 

Henri,  qui  du  donjon  se  voit  déjà  le  maître, 

Dépêche  vers  la  Dame  un  de  ses  chevaliers. 

Il  entre  désarmé,  puis  redit  son  message  : 

«  Le  roi  l'estimant  fort  laisse  ses  biens  entiers 

»  A  la  Dame,  pourvu  qu'elle  lui  rende  hommage, 

»  Et  qu'elle  épouse  l'un  de  ses  bons  serviteurs, 

»  Guy,  sieur  le  Boutellier,  baron  de  Normandie.  »> 

La  comtesse  répond  :  —  «  Nous  tenons  les  hauteurs  ; 

»  Malheur  à  qui  s'abaisse  et  paix  à  qui  mendie. 

»  Allez  à  votre  sire,  et  dites-lui  ces  mots  : 

»  Plutôt  que  de  prêter  serment  à  l'Angleterre, 

»  Plutôt  que  d'épouser  un  traître,  tous  les  maux 

»  Me  sont  doux.  Si  je  mens,  que  vive  l'on  m'enterre  !  » 

«  —  Madame,  «  dit  l'Anglais,  »  songez  à  vos  enfants.  » 

«  —  J'y  songe;  leur  pays  fléchit,  l'honneur  s'efface; 

»  Combattant  pour  l'honneur,  c'est  eux  que  je  défends; 

»  Mieux  vaut  le  froid  au  cœur  que  du  rouge  à  la  face.  » 

IV 

«  La  Roche  tombera  »,  jurait  Plantagenet. 
Son  camp  s'est  étendu  tout  autour  dans  la  plaine 
Plus  pénible  était  l'œuvre  et  plus  il  s'obstinait, 
Sans  que  son  lent  progrès  lassât  la  châtelaine. 
Dès  que  sur  un  coteau  s'établit  l'étranger, 
Le  château-fort  pointant  ses  longues  couleuvrines 
Par  ses  boulets  pleuvant  le  force  à  déloger, 
L'écrase  et  le  poursuit  jusque  dans  les  ravines. 

Pendant  deux  mois  entiers  l'effort  se  prolongea  : 
C'était  comme  un  réveil  de  la  France  engourdie  ; 
L'Anglais  broyé  de  loin  désespérait  déjà.... 
Le  sort  prit  son  parti  !  Famine  et  maladie 


LA  DAME  DE  LA  ROCHE-<GUYOX  4S 

Entrèrent  dans  la  place,  et  comme  des  brigands 
Louches,  rampants  et  vils,  étreignent  aux  entrailles 
Ces  braves  indomptés,  qui  jusqu'au  bout  constants 
Succombent  épuisés  à  leur  poste,  aux  murailles. 

Du  dehors  on  ne  peut  espérer  nul  secours; 
La  Dame  voit  souffrir  ses  enfants  en  bas  âge; 
Quand  faudjra-t-il  mourir?  Elle  a  compté  les  jours; 
Une  ombre  de  tristesse  a  voilé  son  visage. 
Mais  nul  regret  n'émeut  son  cœur  inébranlé: 
Elle  a  suivi  la  loi  de  son  devoir  austère  ; 
Dans  la  brise  de  nuit  son  époux  a  parlé, 
Qui  lui  disait  :  «  Jamais  de  Irève  à  l'Angleterre  !  » 
Et  la  Dame  en  secret  médite  sur  le  sort 
De  sa  race,  autrefois  si  fière  et  florissante. 
Aujourd'hui  condamnée  à  cette  affreuse  mort. 
Mais  dans  le  même  instant  apparaît  grandissante 
Limage  du  royaume  affamé,  s'écroulant 
Aux  bas-fonds  qu'ont  creusés  la  haine  et  la  folie  : 
Et  le  malheur  public  à  ses  maux  se  mêlant,    . 
C'est  le  malheur  des  siens  que  cette  mère  oublie. 

Mais  la  poudre  manquait,  le  feu  se  ralentît. 
L'ennemi  va  comprendre  enfin  cette  détresse, 
Se  ruer  sur  le  fort  que  rien  ne  garantit: 
Et  tout  entière  encore  au  tourment  qui  la  presse, 
La  comtesse  hésitait  entre  fuir  ou  périr. 
Quand  un  baron  survient  portant  nouveau  message: 
a  Le  roi  sait  désormais  qu'il  peut  sans  coup  férir 
»  S'emparer  du  château,  réduire  en  esclavage 
»  Les  rares  survivants,  se  saisir  de  tous  biens; 
»  Mais  la  noble  fierté  de  la  Dame  le  touche, 
»  11  ne  propose  plus  Thymen  d'aucun  des  siens, 
»  La  Dame  sera  libre  ;  ïl  suffit,  de  sa  bouche, 
»  Un  hommage,  un  serment  au  roi  Henri  prêté; 
»  Le  roi  lui  laissera  son  titre,  son  domaine, 
»  Tandis  que  son  refus  c'est  honte  et  pauvreté; 
»  Pour  elle  et  ses  enfants  sera-t-elle  inhumaine?  j) 

Pour  troubler  ce  courage  il  avait  essayé 
La  vanité  souvent  puissante  au  cœur  des  femmes. 
Et  lamour  maternel  justement  effrayé  ; 
Il  faisait  entrevoir  de  ces  destins  infâmes 
Qui  sont  le  châtiment  amer  des  grands  déchus. 
L'argument  eût  pesé  sur  une  âme  ordinaire. 
Mais  ces  calculs  retors  devaient  être  déçus  : 
«  Envers  moi  votre  sire  est  vraiment  débonnaire,  y> 


4(5  RE^UE   PÉDAGOGIQUE 

Dit-elle.  «  Je  perds  tout,  il  me  reste  Thoiineur, 

K  Le  roi  veut  mon  château,  soit  :  qu'il  vienne  le  prendre. 

B  Avant  il  entendra  la  voix  du  Grand  Seigneur.  > 

C'est  le  nom  du  canon  le  plus  gros;  —  sans  comprendre, 

L'Anglais  redescendit  vers  le  camp. 

Dans  l'instant 
La  Dame  se  saisit  d'une  mèche  enflammée, 
L'approche  du  canon,  qui,  terrible,  éclatant 
Crache  au  loin  la  mitraille  à  travers  la  fumée, 
Pêle-mêle  fauchant  les  gens  et  les  chevaux. 

C'est  tout:  la  Roche  est  morne,  il  n'est  plus  d'espérance; 
L'écho  prolonge  seul  par  les  monts  et  les  vaux 
Ce  grondement,  suprême  appel  au  roi  de  France. 


Puis  quand  la  nuit  tombante  ensevelît  les  champi, 
La  Dame,  laissant  tout  et  de  tout  dénuée. 
D'un  pas  furtif  s'éloigne  avec  ses  trois  enfants  : 
Le  plus  jeune  à  son  dos  s'accroche.  Exténuée, 
A  gratid'peine  marchant,  elle  va  dans  la  nuit, 
Le  cœur  ferme  et  l'œil  sec,  sans  regard  en  arrière. 
Sans  regret  des  trésors  qu'en  partant  elle  fuit. 
Au  risque  de  passer  pour  une  aventurière, 
Elle,  fille  des  preux  de  la  Roche-Guyon  ! 

L'ennemi  trouvera  déserte  la  demeure. 
Devant  lui  ne  s'est  pas  baissé  le  pavillon  ! 
Elle  s'est  dit  :  «  S'il  faut  que  ce  lignage  meure, 
»  Mes  trois  enfants  et  moi  du  moins  mourrons  Français 
a  Et  nous  dormirons  mieux  en  terre  non  souillée  1  • 

0  femme,  honneur  à  toi  I  dans  ce  temps  d'insuccès 
Ta  gloire  a  relevé  la  France  humiliée  ! 

PONTSEVREt. 


FRAGMENTS  .D'UN  RAPPORT 

SUR   UNE   MISSION  EN   ITALIE  . 


M.  Henri  Le  Bourgeois,  inspecteur  général  de  Tenseigneiront  primaire, 
chargé  en  janvier  1884  d'une  mission  en  Italie,  a  rapporté  de  sonv<nrage  une 
collection  fort  intéressante  d'ouvrages  relatifs  aux  écoles  italiennes.  Cette  col- 
lection est  destinée  à  enrichir  la  bibliothèque  du  Musée  pédagogique  de  Paris. 
Nous  citerons/  parmi  les  publications  que  vient  de  recevoir  ainsi  notre  Biblio- 
thèque centrale  de  riostruction  primaire,  la  série  complète  du  BoiletUno 
vfjiziàle  du  ministère  italien  de  l'instruction  publique,  et  un  choix  de  rap- 
ports et  de  brochures  concernant  les  écoles  de  la  ville  de  Gênes. 

Du  rapport  adressé  par  M.  Le  Bourgeois  à  M.  le  ministre  de   l'instruction 

Ï publique,  nous  donnons  ci-dessous  deux  extraits,  en  regrettant  que  l'espace 
imité  dont  nous  disposons  ne  nous  permette  pas  d'en  publier  davantage. 

LE  MUSÉE  PÉDAGOGIQUE  DE  GÊNES 

La  création  du  Musée  pédagogique  de  Gènes  (Civico  Afuseo  pedago- 
gico  e  scolastico)  date  de  trois  ans,  et  Tinauguration  en  fut  faite 
par  le  ministre  de  rinstniction  publique.  Cet  établissement,  qui 
fait  le  plus  grand  honneur  à  M.  rinspecteur  Innocenti  Ghini, 
sous  la  direction  duquel  il  est  placé,  et  à  Tadjoint  au  maire  de  la 
cité,  délégué  à  Tinstruction  cçmmunale,  contient  déjà  de  remar- 
quables collections,  mais  plus  utiles  encore  que  rares,  et  particuliè- 
rement propres  à  initier  les  maîtres  aux  procédés  intuitifs  appli- 
cables aux  différentes  branches  de  renseignement  élémentaire. 

On  n'y  a  rien  négligé,  d'autre  part,  pour  populariser  les  appareils 
scientifiques  de  Tusage  le  plus  facile  dans  les  écoles,  les  meilleurs 
types  de  constructions  scolaires,  de  mobiliers  et  d'accessoires  variés 
dus  au  génie  inventif  des  maîtres  italiens. 

Les  principales  collections,  réparties  dans  trois  vastes  salles,  ont 
été  classées,  dit  M.  le  directeur  Ghini  avec  une  modestie  qui  fait 
son  éloge,  d'après  les  indications  des  musées  du  même  genre  de 
Saint-Pétersbourg  et  de  Paris,  et  elles  ne  comprennent  pas  moins 
de  vingt-quatre  sections,  savoir  : 

1®  L'instruction  religieuse  (cartes,  atlas,  albums  et  gravures); 
.  2^  L  mstruction  et  Téducation  dans  la  famille  et  les  jardins  d'enfants 
(tout  le  matériel  Frœbel  de  fabrication  italienne  et  étrangère); 

dP  L'enseignement  par  Taspect  (insegnamento  oggettivo)  ; 

Â^  La  lecture  et  l'écriture; 

5<>  La  calligraphie; 

6*  L'arithmétique,  le  système  métrique,  la  géométrie,  etc.; 

1^  Le  dessin  ; 

8^  L'histoire  (tableaux,  costumes  anciens,  armes,  modèles  d« 
▼aisseaux,  etc.); 

9^^  La  géographie  (cartes  muettes  et  en  relief,  etc.)  ; 

10^  et  ii<^  Les  sciences  physiques  et  naturelles; 


48  RXVUE  PÂDAGOGIQUI 

i2<>  L'agriculture  et  l'horticulture; 

13^  L'industrie  et  la  technologie; 

14®  La  marine; 

15<>  Les  travaux  pour  les  écoles  de  filles; 

i6<>  et  170  i^s  constructions  scolaires  et  le  mobilier  scolaire; 

18*  L'hygiène; 

19»  La  gymnastique  et  les  exercices  militaires; 

20»  Le  chant  ; 

210  et  220  Les  bibliothèques  pédagogiques  et  scolaires; 

230  Les  journaux  et  périodiques; 

2^0  La  bibliothèque  circulante. 

Cette  énumération  rappelle  assurément,  par  plus  d'un  côté,  les 
collections  de  la  rue  Lhomond  ;  nos  éditeurs  français  ont  été  souvent 
aussi  mis  à  contribution  par  les  pédagogues  génois  ;  ceux-ci  ne  font 
du  reste  nulle  difficulté  de  reconnaître  qu'ils  prennent  leur  bien  où  ils 
le  trouvent,  et  ce  n'est  pas  leur  moindre  mérite  d'en  faire  l'aveu. 

Il  serait  injuste  de  ne  pas  constater,  à  notre  tour,  qu'il  y  a  dans 
ridée  qui  a  présidé  à  la  formation  du  Musée  de  Gênes  quelque  chose 
qui  est  particulièrement  propre  aux  fondateurs.  On  n'est  pas  seu- 
lement ici  en  présence  d'objets  fort  méthodiquement  classés,  d'une 
valeur  incontestable,  et  se  rattachant  de  plus  ou  moins  près  a  un 
système  d'enseignement  élémentaire  et  supérieur  bien  combiné;  le 
directeur  Ghini  s'est,  avant  tout,  préoccupé  du  milieu  où  il  se 
trouve;  il  a  tenu  à  rendre  les  instruments  d'éducation  familiers  à 
un  personnel  encore  peu  exercé,  et,  pour  atteindre  ce  but,  il  a  fait  du 
Musée  un  centre  d'expérimentation  où  les  instituteurs  de  la  circon- 
scription viennent,  chaque  mois,  par  groupes  distincts,  apprécier, 
de  visu,  les  procédés  qu'on  leur  soumet  et  discuter,  sous  les  yeux 
de  leur  chef  (car  M.  Ghini  est,  en  outre,*  inspecteur  des  écoles 
municipales),  le  mérite  des  appareils  dont  le  Musée  s'est  enrichi. 

Sous  le  titre  :  Instruction  et  éducation  enfantines  (section  2  du 
classement),  il  semble  qu'on  se  soit  plu  à  multiplier  les  jeux  in- 
structifs qui  sont,  à  la  fois,  des  exercices  d'adresse  et  d'intelligence. 
L'Allemagne  a  fourni  là  un  large  contingent. 

Si  complètes  qu'elles  soient,  les  collections  relatives  à  renseigne- 
ment de  la  lecture,  de  l'écriture,  des  mathématiques  et  du  dessii\ 
témoignent  plutôt  du  soin  qu'on  a  apporté  à  leur  composition  que 
du  souci  d'innover  en  ces  matières  (n**  4,  5  et  6).  M.  Ghini  et  ses 
coUaborate  urs  en  ont  réuni  la  majeure  partie  avec  des  ressources 
presque  insigniGantes. 

Les  sections  de  l'histoire  et  de  la  géographie  renferment,  en  plus 
du  matériel  ordinaire  dont  nos  bonnes  écoles  sont  pourvues,  quel- 
ques spécimens  qui  dénotent  une  louable  initiative.  11  y  a  derrière 
les  vitrines  peu  de  cours  complets  d'histoire  italienne  (1);  la  collec- 


(i)  L'histoire  popalaLrc  de  Tltalie  reste  à  faire,  et  Toq  comprend   combien 


FRAGMKKTS  D*UiN   RAPPORT   SUR   UNE  MISSION   EN   ITALIE  49 

tion  des  livres  de  cette  catégorie  répond  toutefois  suffisamment  aux 
besoins  des  écoles  primaires  où,  avec  raison,  à  mon  sens,  on  a  jugé 
qu'un  cours  complet  d^hfstoire  serait  pour  le  moins  superflu.  On 
s*est  attaché  à  des  notions  succinctes  sur  la  vie  des  personnages  qui 
ont  illustré  leur  pays  et,  au  Musée  comme  dans  les  écoles,  on  a 
accordé  la  préférence  à  la  biographie,  en  laissant  aux  maîtres  la 
tâche  de  combler  les  lacunes  et  de  relier  entre  elles  et  en  peu  de 
mots  les  grandes  époques  historiques  et  les  principaux  événements 
quUls  remplissent. 

Le  livre  se  complète  par  les  tableaux  reproduisant  les  person- 
nages de  la  leçon,  les  costumes^  les  modèles  d'armes,  les  engins  de 
{(uerre,  etc.,  etc. 

A  côté  des  cartes  muettes  et  en  relief  que  nous  connaissons,  on 
remarque  un  appareil  peu  répandu  et  qui  serait  d'un  grand  secours 
à  nos  instituteurs  pour  l'enseignement  de  la  géographie  physique. 
Cet  appareil  d'une  extrême  simplicité  se  compose  d*une  table  ronde 
d'un  mètre  de  diamètre,  recouverte  d'un  papier  bleu  mat  ayant  l'as- 
pect de  la  mer  telle  qu'on  la  figure  sur  nos  cartes  en  couleur.  Les 
seuls  accessoires  se  bornent  à  une  boite  de  la  capacité  d'un  litre  à 
peu  près,  remplie  de  sable  jaune  assez  fin,  d'une  brosse  recourbée, 
d'un  pinceau,  et  de  quelques  rubans  très  étroits. 

Le  sable  répandu  en  bloc  sur  la  table  forme  une  montagne;  étendu 
d'une  certaine  façon  avec  la  brosse,  qui  sert  aussi  à  réserver  les 
bleus,  il  peut  donner  aussi  l'idée  d'un  continent,  d'une  île,  d'une' 
presqu'île;  un  coup  de  pinceau  adroitement  appliqué  sur  le  tout 
creuse  une  vallée  au  tond  de  laquelle  un  bout  de  ruban  bleu,  jeté 
dans  une  direction  convenable,  représente  le  fleuve  ou  la  rivière; 
quelques  jouets  de  construction  feront  les  villages  ou  les  ports 
de  mer  et  se  prêteront  à  une  foule  de  combinaisons  qui 
apprendront  aux  enfants  rangés  autour  de  la  table  ronde  la  géo- 
graphie physique  comme  un  délassement. 

Cette  très  ingénieuse  invention  est  due  au  professeur  Belluzzi  de 
Bologne;  elle  est  désignée  sous  le  nom  de  Tavola  per  esercizi  geo- 
grafici;  la  table  et  les  accessoires  coûtent  environ  10  francs.  Des 
maîtres  inteUigents  la  fabriquent  eux-mêmes  avec  économie. 

La  table  géographique  aurait  été,  mVt-on  dit,  introduite,  il  y  a 
peu  de  temps,  à  l^École  La  Marlinière  de  Lyon  par  le  directeur  de 
cette  institution  après  une  visite  faite  au  Musée  de  Gènes. 

L'administration  génoise,  qui  a  doté  son  Musée  de  tous  les  instru- 
ments et  produits  nécessaires  pour  composer  un  cabinet  de  physique 
et  un  laboratoire  de  chimie  appropriés  ù  dos  cours  complets  d'en- 


ii  eût  été  difficile  d'obliger  les  instituteurs  italiens,  mal  préparés  à  cette 
tâche,  à  enseigner  l'histoire  d'un  pays  dont  l'unité  est  au  nombre  des  événe- 
ments contemporains  et  dont  les  différentes  fractions  ont  elles-mêmes  subi  tant 
de  vteisaitades. 

IIVUI  FiDAOOCIQOB  1885.  —  1*'  SIX.  h 


80  RIVUE  PÉDAGOGIQUI 

geignement  supérieur,  a  reçu  de  la  Società  Galileo  de  Florence 
d'intéressants  petits  modèles  de  cabinets  de  physique  à  prix  réduiU 
(300  et  400  francs),  qu'on  apprécie  dans  les  localités  qui  ne  pour- 
raient, vu  rinsuffisance  de  leur  budget,  acquérir  des  appareils  de 
dimension  ordinaire. 

Les  collections  d'histoire  naturelle,  d'agriculture,  d'horticulture, 
de  technologie  ont  été  tirées  du  sol  même,  pour  ainsi  dire,  ou 
empruntées  aux  industries  de  la  région  (Prodotti  alimentart  e 
okiferi,  profumi,  filigrane,  corallOy  marmi  e  in  générale  tutti  i  prodotti 
principali  dell*  indtMtria  ligure.) 

Les  modèles  de  navire,  les  travaux  de  femme  (1),  les  ustensiles 
de  ménage  occupent  une  division  importante. 

Enfm  une  salle  entière  a  été  consacrée  aux  constructions  d'écoles 
et  au  mobilier  classique.  A  côté  des  plans  en  relief  de  dimensions 
diverses  que  chacun  connaît,  on  en  remarque  une  série  dont  les  types 
sont  construits  sur  échelle  assez  réduite  pour  pouvoir  être  adressés, 
sous  forme  de  colis  postaux,  aux  municipalités  qui  en  demandent 
communication .  On  a  réalisé,  de  cette  façon,  au  Musée  de  Gênes,  le 
matériel  scolaire  «  roulant  »  de  même  que  la  bibliothèque  roulante» 
et  rendu  ainsi  effective  l'application  d'un  principe  qui  avait  paru 
d'abord  irréalisable. 

Les  tables-bancs  qu'on  tend  à  propager  dans  les  écoles  de  la  Haute- 
Italie  sont  à  deux  places  et  à  dossier.  La  tablette  formant  pupitre  est  ar- 
ticulée au  milieu,  et,  quand  la  partie  inférieure  de  cette  tablette  serelève 
et  se  renverse,  elle  recouvre  l'encrier  et  le  serre-plumes.  Cette  com- 
binaison a  le  double  avantage  de  faciliter  le  passage  entre  les  tables 
et  de  prévenir  les  accidents  si  communs  avec  les  modèles  qui  lais- 
sent les  encriers  à  découvert.  La  table  dont  il  s'agit  est  surtout  en 
faveur  dans  les  écoles  de  filles,  où  l'on  a  imaginé  d'y  fixer  de  plus  un 
coussinet  servant  à  retenir  le  travail  de  l'élève,  et  qui  rentre  dansle 
pupitre  quand  la  tablette  est  rétablie.  Ce  détail  vaut  la  peine  qu'on 
s'y  arrête.  C'est  un  perfectionnement  inventé  par  le  directeur  du 
Musée  et  qui  n'augmente  pas  sensiblement  le  prix  des  tables. 

Notons  à  ce  propos  un  autre  appareil  dont  M.  Ghini  est  également 
l'auteur  et  a  Taide  duquel  on  peut  déterminer  avec  précision  les 
proportions  des  tables-bancs  selon  la  taille  des  enfants  qui  doivent  les 
occuper.  Cet  appareil,  qui  a  été  justement  distingué  a  l'Exposition 
nationale  de  Turin,  n'est  pas  encore  livré  au  commerce,  mais  il 
aurait  sa  place  marquée  dans  nos  grandes  écoles. 

Les  registres  du  )Iusée  accusent  4655  visiteurs  du  i^'  septembre 
1881  au  1»  septembre  1882,  et  780  prêts  de  livres  à  domicile.  Ces 


(1)  Parmi  les  travaux  de  femme  spéciaux  à  la  ville  de  Gènes,  il  convient 
de  citer  les  ouvrages  d'orfèvrerie  en  filigrane  dont  s'occupe  une  grande  par- 
tie de  la  population  féminine  et  auxquels  les  jeunes  filles  sont  exercées  avec 
on  remarquable  succès  à  l'école  Galllera. 


FRAGMENTS  d'uN  RAPPORT  SUR  UNE  MISSION  EN   ITALIE  Si 

nombies  avaient  été  dépassés  pendant  les  8  premiers  mois  seulement 
de  Taimée  dernière. 

L'établissement  est  essentiellement  communal.  Les  habitants  de 
Gènes  ont  concouru  à  sa  fondation,  et  à  leurs  souscriptions  sont 
venus  s'ajouter  les  subsides  du  gouvernement,  de  la  province  et  de 
la  municipalité.  L'ancienne  et  somptueuse  église  San-Sylvestre, 
très  intelligemment  aménagée,  a  abrité  sous  ses  voûtes  imposantes 
le  Musée  pédagogique  et  le  gymnase  qui  y  est  annexé.  Les  admirables 
fresques  du  monument  ajoutent  encore  à  la  splendeur  du  cadre  un 
charme  qui  n'est  certes  pas  a  dédaigner. 

LE  POUVOIR  CIVIL  ET  LE  POUVOIR  RELIGIEUX  EN  ITALIE 

J'étais  à  Rome  au  moment  où  fut  tranchée  contre  les  prétentions 
du  Saint-Siège  la  question  des  biens  de  la  Propagande.  Des  jour- 
naux de  la  ville,  qui  ont  des  rédacteurs  français  dévoués  au  Vatican, 
faisaient  grand  bruit  de  cette  affaire;  mais  il  fallait  bien  reconnaître 
que  leurs  doléances,  reproduites  par  une  fraction  spéciale  de  la 
presse  française,  ne  trouvaient  pas  d'écho  parmi  les  paisibles  et  in« 
différentes  populations  italiennes.  C'est  qu'en  ce  pays  on  se  garde 
de  confondre  ce  qui  est  du  domaine  de  la  politique  avec  ce  qui 
ressortit  à  la  religion,  et  les  mesures  fiscales  appliquées  à  un  établis- 
sement ecclésiastique  laissent  absolument  froids  tous  ceux  qui  ne 
se  sentent  pas  directement  atteints  dans  leurs  intérêts  :  aussi  peut-on 
espérer  que  l'antagonisme  qui  natt  si  souvent,  chez  nous,  dans  les 
localités  où  un  ordre  d'enseignement  a  été  substitué  à  un  autre,  ne 
créera  jamais  chez  nos  voisins  de  ces  rivalités  ardentes  dont  nous 
sommes  parfois  les  témoins  attristés. 

L'esprit  italien  admet  des  tempéraments  qui  l'aident  puissamment 
à  résoudre  les  questions  ardues,  et  il  a  même  trouvé  un  mot  pour 
caractériser  la  situation. 

J'ai  dît  ailleurs  que  les  plus  belles  écoles  de  Palerme,  précédem- 
ment occupées  par  les  Jésuites,  étaient  confiées  à  des  laïques  et 
libéralement  ouvertes  aux  enfants  du  peuple.  J'étais  tenté  de  sup- 
poser que  c'était  de  hautelutte  qu'on  avait  pu  obtenir  un  semblable 
résultat.  —  •  NuUement,  me  répondit-on;  le  décret  du  prodictateor 
a  été  rendu  exécutoire  (1)  ;  quelques  indemnités  ont  facilité  la 
transformation,  et  tout  a  été  dit:  Accommodazxioneî  » 

Le  directeur  d'une  importante  école  m'accompagnait  dans  ma  yisile  ; 
les  maîtres  étaient  laïques  —  moins  un  qui  portait  l'habit  ecdé- 
ftiastique.  C'était  peut-être  le  maître  chargé  de  l'enseignement 
religieux?  En  aucune  façon.  On  m'apprend  qu'il  a  concouru  pour 
obtenir  son  emploi,  qu'il  enseigne  au  même  titre  que  ses  collègues 
laïques  et  obéit  aux  mêmes  règles;  l'autorité  ecclésiastique  ne  s'en 
émouvait  pas  plus  que  le  pouvoir  séculier.  Accommodazzicmel 

(!)  Décret da  17  octobre  1860. 


Si  RKVUE  PÉDAGOGIÛUS 

Aux  termes  de  la  loi  italienne,  le  service  militaire  est  obligatoire 
pour  tous  ;  les  séminaristes  eux-mêmes  y  sont  soumis.  Les  dispenses 
de  fait  sont  bien  nombreuses,  il  est  vrai,  me  dit-on,  mais  le  prin- 
cipe est  respecté;  il  y  a,  en  effet,  des  séminaristes  sous  les  dra- 
peaux. Accommodazzione  ! 

La  famille  royale  est  frappée,  comme  on  sait,  d'excommuni- 
cation. Le  fils  du  roi  atteignait,  il  y  a  quelques  années,  Vkge  où  il 
devait  recevoir  le  sacrement.  Le  Saint-Père  envoya  un  de  ses  arche- 
vêques à  la  résidence  royale,  et  la  cérémonie  se  fit  discrètement  et 
sans  tapage.  Accommodazzione! 

Quelques-uns  pensent  qu'il  n'y  a  pas  à  craindre  que  les  associa- 
tions congréganlstes  dissoutes  se  reconstituent  (i),  et  s'imaginent 
même  qu  elles  se  laissent,  peu  à  peu  et  a  leur  insu,  pénétrer  par 
les  idées  du  jour;  d'autres  affirment,  au  contraire,  que  leurs 
membres  épars  se  tiennent  sur  une  réserve  prudente,  prêts  à  se 
réunir  à  nouveau  si  les  circonstances  étaient  favorables,  mais  satis- 
faits, en  attendant,  de  toucher  Tindemnité,  en  somme  fort  onéreuse 
pour  le  trésor,  que  TElat  paie  à  chacun  d'eux. 

Je  crois  voir  encore  les  moines  siciliens  mendiant  à  bord  des 
navires  qui  entraient  dans  le  port  de  Messine  et  souhaitant  le  Buon 
Camevale  à  ceux  qui  laissaient  tomber  une  pièce  dans  leur  escar- 
celle. Les  vicissitudes  du  sort  n'avaient  pas  diminué  leur  gaieté. 
La  population  no  se  montrait  pas  hostile  à  ces  vieux  religieux  (il  y 
en  a  de  jeunes  aussi},  flânant  sur  les  portes  des  fruiteries»  se 
tenant  curieusement  au  courant  de  la  chronique  locale,  et  rappelant 
les  traditions  d'un  autre  fige. 

Il  en  est,  dans  le  nord  de  l'Italie  surtout,  qui,  à  ces  divers 
moyens  d'existence,  ajoutent  la  rémunération  de  services  rendus, 
extraction  de  dents  à  bas  prix,  vente  de  «  simples  »  destinés  à 
guérir  les  alTcctions  peu  graves,  etc. 

Tout  cela  est  très  inolTensif  en  apparence.  Le  clergé  italien,  plus 
circonspect  que  le  nôtre,  n'a  pas  fait  campagne  contre  la  laïcité,  et 
l'obligation  de  l'enseignement  primaire.  Il  s'est  contenté  du  maintien 
de  l'instruction  religieuse  dans  les  écoles  ;  il  est  peu  de  villes  d'ail- 
leurs qui  aient  encouragé  les  instituteurs  laïques  a  enfreindre, 
à  cet  égard,  les  prescriptions  légales  (2). 

Même  sur  ce  point,  le  clergé  se  monli'e  en  somme  peu  exigeant  : 
les  heures  d'instruction  religieuse  a  l'école  sont  réduites  à  un 
ninimum  (une  demi -heure  par  semaine). 


(1)  Je  dois  la  plupart  des  renseignements  relatifs  aux  congrégatioDS  à 
M.  le  tJéputé  CorleO)  l'éminent  rapporteur  do  la  loi  du  7  juillet  1866,  l'un 
des  hommes  d'Italie  le  mieux  au  courant  des  questions  de  ce  genre. 

(2)  La  ville  de  Gènes  avait  supprimé  l'enseignement  religieux  dans  ses 
écoles;  !o  Conseil  d'État,  saisi  de  la  question,  l'a  tranchée  en  faveur  du 
rétablissement. 


DEUX  ÉCOLES  S3 

La  conciliation  est  une  force  avec  laquelle  on  compte;  d'un  bout 
à  l'autre  de  l'Italie^  on  a  vu  les  représentants  les  plus  autorisés  du 
régime  déchu  voter,  dans  les  assemblées  publiques,  les  subventions 
proposées  pour  l'érection  du  monument  du  comte  de  Cavour  et  pour 
les  frais  des  funérailles  de  Garibaldi. 

Le  souverain  pontife  venait  de  lancer  une  encyclique  oCi  les 
institutions  universitaires  n'étaient  guère  ménagées.  «  Les  ency- 
cliques,  m'expliquait  un  honune  politique  mêlé  aux  choses  de 
l'enseignement,  passent  la  frontière;  elles  ne  nous  efOeurent  pasi  » 
—  Autres  pays^  autres  mœurs! 

Henri  Le  Bourgeois. 


DEUX  ECOLES 
(note  d'inspection) 


t  Voyes^TOUS,  me  disait  an  jour  un  honorable  délégué  can- 
tonal, comme  nous  sortions  ensemble  d'une  école  rurale  aux 
trois  quarts  vide,  il  n'y  a  que  les  bonnes  auberges  qui  soient 
fréquentées,  celles  qui  offrent  à  leurs  clients  une  bonne  nour- 
riture, du  bon  vin,  des  soins  attentifs.  » 

Je  me  suis  rappelé  cette  parole  du  spirituel  campagnard,  en 
quittant  hier  la  commune  de  X...,  où  j'avais  inspecté  deux  écoles. 

En  arrivant  dans  l'école  du  chef-lieu  de  la  commune,  à  9 
heures  du  matin,  je  trouve  l'instituteur  assis  à  son  bureau,  son 
chapeau  sur  la  tête  (en  juin  !;,  faisant  la  dictée  à  la  première 
division,  en  présence  de  deux  femmes  du  village  qui,  leur  tricota 
la  main,  attendent  que  l'instituteur  leur  a  fasse  la  lettre  »  qu'elles 
viennent  lui  demander.  Pendant  ce  temps,  les  élèves  des  deuxième 
et  troisième  divisions  sont  censés  copier  une  page,  mais  ils 
découpent  du  papier  et  entaillent  les  tables.  L'état  dans  lequel 
se  trouve  la  salle  de  classe  ne  dispose  guère  favorablement  le 
visiteur.  La  maison  date  de  dix  à  quinze  ans.  Le  plancher  n'a 
sans  doute  pas  été  lavé  depuis  cette  époque,  ni  balayé  dans  les 
derniers  jours  ;  il  est  couvert  de  poussière  et  de  petits  papiers. 
Le  plumeau  n'a  jamais  passé  sur  le  bureau  du  maître,  ni  sur  les 
tables  inoccupées;  des  toiles  d'araignées  tapissent  les  coins  du 
mur  et  du  plafond. 


54  BBVUB  PÉDAGOGIQUE 

Les  enfants,  un  peu  intimidés  d'abord,  ne  tardent  pas  à  sou- 
rire, à  nous  regarder  d'un  air  moins  sauvage,  à  répondre  à 
nos  questions.  Ils  paraissent  intelligents,  mais  peu  habitués  à 
réfléchir.  L'inspection  de  propreté  doit  être  oubliée  souvent,  si 
j*en  juge  par  Taspect  des  mains  et  des  figures.  Il  faut  dire  qu'il 
n'y  a  pas  d'épongé  dans  la  salle  pour  effacer  l'écriture  à  la  craîe  : 
les  enfants  crachent  sur  le  tableau  noir  et  effacent  de  la  main. 
Ils  retournent  chez  eux  plus  malpropres  qu'ils  ne  sont  venus. 

Allons,  monsieur  l'instituteur,  habituons  donc  ces  enfants  à 
se  servir  de  la  belle  eau,  fraîche  et  limpide,  qui  coule  à  travers 
vos  rues;  à  enlever  le  badigeon  sous  lequel  disparaît  le  coloris 
de  ces  bonnes  petites  joues,  et  à  peigner  cette  chevelure  en 
broussailles  qui  cache  le  front  et  les  yeux. 

Voyons  le  cahier  mensuel?  Il  est  inconnu  dans  l'école.  Les 
autres  cahiers  ne  contiennent  que  d'interminables  <k  copies  » 
d'une,  de  deux,  jusqu'à  deux  pages  et  demie,  prises  à  tort  et 
à  travers  dans  les  livres  d'arithmétique  et  de  géographie,  c  Gela 
occupe  les  élèves  »,  me  dites- vous;  mais  quel  profit  voulez-vous 
qu'ils  tirent  de  ce  travail  tout  mécanique?  Pas  de  devoirs 
méthodiquement  gradués.  Pas  de  traces  de  la  correction  du 
maître,  pas  de  notes  marginales.  Pas  de  préparation  de  la  classe. 
Nous  sommes  en  pleine  routine. 

Le  ministère  a  donné  une  armoire-bibliothèque  à  cette  école, 
mais  elle  est  vide  !  Il  y  a  cependant  dans  la  ville  voisine  une 
Société  d'encouragement  qui  distribue  des  livres  aux  écoles  qui 
en  manquent,  a  Personne  ne  lit  dans  le  pays  »,  me  dit  l'insti- 
tuteur. C'est  une  raison  de  plus  pour  donner  l'habitude  de  lire 
à  vos  jeunes  élèves,  et  pour  leur  en  donner  t exemple. 

On  se  figure  aisément  quels  résultats  peut  donner  une  école 
ainsi  tenue,  et  je  ne  suis  pas  surpris  de  ne  trouver  à  l'école 
que  la  moitié  des  élèves. 


4^ 


Quelle  différence  avec  la  jeune  école  du  hameau  voisin,  qai 
fait  partie  de  la  même  commune  !  Toutes  les  places  sont  occupées, 
toutes  les  tables  pleines.  La  maison  est  vieille,  louée;  mais  la 
salle  est  proprette  et  riante,  les  murs  sont  ornés  de  tableaux 
d'images  et  d'inscriptions;  au  plafond  se  trouve  une  rose  des 


DEUX   ÉCOLES  85 

t^glU  qui  oriente  la  salle;  les  enfants  sont  propres,  bien  lavés, 
bien  peignés,  souriants.  On  est  favorablement  disposé  en  entrant 
dans  cette  classe. 

Je  trouve  le  maître  au  milieu  de  ses  élèves,  tenant  un 
morceau  de  houille  dans  une  main,  un  tableau  d'images 
(produits  de  la  houille)  dans  l'autre,  et  faisant  une  leçon  de 
choses;  c'est  intéressant,  attrayant^  vivant;  il  sait  se  mettre  à 
la  portée  des  enfants  qui  sont  suspendus  à  ses  lèvres,  qui 
prennent  part  à  la  leçon;  c'est  à  qui  répondra  le  premier  à  la 
question  du  maître.  Quaod  la  leçon  est  terminée,  il  demande 
aux  élèves  ce  qu'ils  en  ont  retenu,  ce  qu'ils  écriraient  main- 
tenant s'ils  avaient  à  faire  une  rédaction  sur  la  houille;  et 
chacun  de  dire  ce  qui  l'avait  le  plus  frappé,  u  Maintenant, 
écrivez  cela  pendant  que  je  m'occuperai  du  cours  supérieur.  » 
—  Voilà  certes  un  excellent  exercice  d'invention  et  de  rédaction. 
Je  vois  sur  le  bureau  du  maître  un  carnet  dans  lequel  se 
trouvent  indiqués  les  leçons  et  devoirs  de  la  journée,  les  uns 
laconiquement  par  un  mot,  les  autres  d'une  façon  plus  déve- 
loppée. Les  cahiers  sont  revus  avec  soin,  les  devoirs  courts  et 
gradués;  on  trouve  sur  chaque  page  la  trace  de  la  correction 
du  maître.  Tous  les  enfants,  depuis  le  premier  jusqu'au  dernier, 
savent  Ure  plus  ou  moins  couramment;  presque  tous  comprennent 
ce  qu'ils  lisent  et  écrivent.  Leur  intelligence  est  éveillée,  leur 
jugement  exercé.  Ils  sont  attachés  à  leur  maître,  ils  viennen 
à  l'école  avant  l'heure.  II  y  a  chez  toute  cette  petite  population 
une  tenue,  une  bonne  humeur,  une  activité,  un  désir  d'apprendre 
et  de  plaire  à  l'instituteur  qui  fait  plaisir  à  voir. 

La  bibliothèque  renferme  une  centaine  de  volumes  placés 
sur  une  planche  fixée  au  mur  :  l'école  n'a  pas  d'armoire, 
comme  celle  du  bourg,  mais  les  livres  circulent,  a  Enfants  et 
parents  les  lisent  »,  me  dit-on. 

Ces  deux  écoles  m'ont  mis  sous  les   yeux  deux  types  bien 
différents  d'instituteurs. 
L'un  est  l'instituteur  qui  sait  attirer  les  enfants. 
L'autre  est  l'instituteur  qui  les  éloigne  de  l'école. 

G.  J. 


L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE  A  LONDRES 

LA  JEWS*  FHEE  SCEOOL    ' 


La  plus  vaste  école  primaire  d'Angleterre^  et  vraisemblablement 
d'Europe,  est  la  Jew$*  free  school  a  Londres  ;  elle  contient  aujourd'hui 
environ  3,200  élèves,  en  chiffres  ronds,  1,950  garçons  et  1,250  filles. 
J*ai  eu  dans  ces  derniers  temps  l'occasion  de  la  visiter  et  je  crois 
être  agréable  aux  amis  de  renseignement  primaire  et  aux  lecteurs 
de  la  Revue  en  leur  donnant  quelques  renseignements  sur  celte  école  ^ 
modèle,  trop  peu  connue. 

Dans  un  des  quartiers  les  plus  humbles  et  les  plus  pauvres  de  la 
Qté,  dans  une  de  ces  nombreuses  rues  étroites  et  sans  air  où 
pullule  une  population  misérable,  à  Bell  Lane,  dans  Spitalfields, 
s'élève  un  immense  édifice  de  briques  rouges,  d'architecture  sévère, 
à  quatre  étages,  ayant  18  mètres  de  front.  Sur  la  façade  on  lit  une 
inscription  hébraïque  signifiant  Etude  de  la  loi  et  instruction  de9  enfants^ 
et  au-dessous  : 

JEWS'  FAEB  SCHOOL, 
FOUNDED  5577-18 17, 
REBUILT  5643-1883, 

«  école  gratuite  Israélite  fondée  en  5577  (1817),  reconstruite  en  5643 
(1883)  ». 

Ce  bâtiment  fait  un  singulier  contraste  avec  les  misérables  maisons 
qui  Tavoisinent.  il  semble  qu'on  ait  voulu  installer  ce  foyer  d'in- 
struction en  plein  raih'eu  d'ignorance  et  de  misère:  c'est  attaquer 
l'ennemi  au  cœur  même  de  son  empire  et  atteindre  le  mal  à  sa 
source. 

Cette  école  est  l'œuvre  d'un  seul  homme,  le  directeur,  M.  Angel. 
Il  y  a  consacré  toute  une  vie  d'intelligence,  de  dévouement  et  de 
sacrifice. 

Quand  M.  Angel  reçut  du  comité  israélite  la  direction  de  cette 
école,  le  2  janvier  1840,  c'était  une  école  mutuelle  qui  végétait  depuis 
un  quart  de  siècle. 

Elle  contenait  216  garçons  et  120  filles,  et  il  y  avait  place  pour 
600  garçons  et  300  filles.  Frappé  des  inconvénients  nombreux  de 
l'enseignement  mutuel,  M.  Angel  résolut  de  le  transformer  et  se 
mit  à  créer  un  personnel  de  maîtres.  11  annexa  de  sa  propre  autorité 
à  l'école  primaire  une  école  normale  dont  il  était  à  la  fois  le  direc- 
teur et  le  maître  unique.  Après  les  heures  de  classe,  il  prit  à  part 
quelques  jeunes  gens  et  quelques  jeunes  filles,  choisis   pai*mi   les 


LA  JEWS'  FREE  SGROOL  57 

meilleurs  de  ses  élèves,  pour  leur  donner  une  solide  inslructlon  qjaï 
leur  permît  d'affronter  les  divers  examens  de  renseignement. 

II  forma  ainsi  nm  état-major  de  professeurs  auxquels  il  sut  in- 
spirer la  passion  de  dévouement  et  de  sacrifice  qui  l'animait,  et  au 
bout  de  quelques  années  le  système  mutuel  put  être  abandonné.  L'é- 
cole cependant  prospérait  et  voyait  chaque  année  grandir  le  nombre 
de  ses  élèves.  En  1853,  elle  était  assez  importante  pour  être  placée 
sous  l'inspection  de  l'Etat  (under  inspection).  Cette  situation  lui  impo- 
sait de  nouveaux  devoirs,  en  même  temps  qu'elle  lui  permettait  d'es- 
pérer des  subventions  ministérielles.  Elle  devait  se  soumettre  au 
programme  de  renseignement  officiel  et  à  la  législation  régissant  le 
personnel  enseignant,  admettre  les  visites  et  subir  les  examens  mi- 
nutieux des  inspecteurs  ;  elle  perdait  une  partie  de  sa  liberté  pour 
recevoir  en  revanche  le  concours  de  l'Etat. 

Quand  le  premier  inspecteur  se  présenta  (c'était  le  célèbre  publl- 
ciste  M.  Mathew  Arnold),  l'école  avait  déjà  son  cadre  complet  de 
professeurs.  Depuis  elle  ne  fit  que  s'étendre,  et,  étouffant  dans  le  bâti- 
ment qui  lui  était  affecté,  elle  s'est  fait  construire  récemment  le 
nouvel  édifice  de  Bell  Lane  dont  M.  Angel  lui-même  a  dressé  les 
plans. 

L'enceinte  forme  un  immense  rectangle  occupé  par  des  construc- 
tions sur  trois  côtés,  le  quatrième  bordant  en  partie  une  cour  ou 
préau  qui  laisse  ainsi  de  droite  et  de  gauche  deux  vastes  ailes  et  en 
avant  une  salle  rectangulaire.  Le  préau  est  la  cour  de  gymnastique 
et  de  récréation  des  garçons,  dont  Técole  prend  Taiie  gauche  ;  l'aile 
droite,  qui  a  aussi  sa  cour  centrale,  esfc-l'école  des  filles.  La  salle  de 
lace,  bordée  par  les  deux  ailes,  le  préau  et  la  façade,  est  la  salle  de 
séances  du  conseil  de  l'école,  qui  se  transforme  à  l'occasion  en  salle 
de  concert  (l'école  donne  de  temps  à  autre  des  concerts  de  charité  au 
profit  des  familles  des  élèves  pauvres)  et,  aux  jours  de  solennités 
reb'gieuses,  en  maison  de  prière.  Elle  peut  contenir  de  1,800  à  2,00() 
personnes. 

L'école  comprend  73  salles  de  classes,  45  pour  les  garçons,  28 
pour  les  filles.  Actuellement  66  de  ces  salles  sont  occupées,  43  par 
les  garçons  et  23  par  les  filles. 

Les  sept  divisions  (standards)  entre  lesquelles  le  programme  ofii- 
ciel  répartit  l'enseignement  primaire  se  partagent  inégalement  les 
salles.  Les  premières  divisions,  c'est-à-dire  les  plus  faibles,  ont  natu- 
rellement le  plus  grand  nombre  d'élèves. 
.   Voici  du  reste  la  statistique  : 

GARÇONS 

i*^  division  (7  ans  au  moins)  13  classes  de  40  élèves  en  moyenne. 
2*      --        (8  ans),  11  classes  de  40  élèves. 
3*       —        (9  ans),  8  classes  dont  5  classes  deOO  élèves  et  3de40. 
4*       ~        (10  ans),  5  classes  de  60  t^lèves. 


LA  »W8'  IfOUB  «CHOOL  69 

se  prâieater^  aux  examens  de  décembre  i88i  i  les  antres  se  pré- 
parent. Les  professeurs  ont  à  leur  disposition  une  bîblioihà^e 
d*6a?iron  7,000  Tolumes. 

La  salie  des  séances  renferme  en  outre  une  petite  bibliothèque 
d'usage  journalier^  contenant  les  grands  dictionnaires  et  les  princi- 
paux ouvrages  relatifs  à  la  pédagogie. 

Toutes  les  maîtresses  reçoivent  sans  distinction  chacune  une  robe 
par  an  :  elles  déjeunent  ensemble  à  Técole  aux  frais  de  l'école.  Tous 
lesaoua-maitres  qui  le  demandent  reçoivent  de  l'argent  pour  s'acheter 
on  haUdlement  comj^et. 

En  général  chaque  classe  est  tenue  par  un  maître,  sauf  les  classes 
supérieures  où  le  maître  est  assisté  par  un  maître  auxiliaire  ou 
moniteur,  en  anglais  pupil  ttacher,  élève-maître  (1). 

L'enseignement  comprend  deux  sections,  l'enseignement  obliga- 
toire, qui  reproduit  exactement  le  programme  officiel  de  renseigne- 
ment primaire  et  prend  par  jour  les  quatre  heures  exigées  par  la 
loi,  et  renseignement  facultatif,  qui  est  renseignement  religieux, 
hétodu  et  histoire  sainte,  et  prend  deux  heures  de  plus  par  jour. 

Les  six  heures  de  cours  journaliers  se  répartissent  en  deux  classes 
d'inégale  durée.  La  classe  du  matin  va  de  9  heures  à  1  heure,  la 
classe  du  soir  de  3  heures  à  5  heures.  Les  vacances  sont  de  six  semai- 
nes, une  quinzaine  à  la  fêle  de  la  Paque  juive,  et  quatre  semaines  aux 
fêtes  religieuses  de  l'arrière-saison. 

Tous  les  ans,  on  fait  passer  aux  élàves  des  examens  officiels  très 
strictB,  Comme  ces  examens  jouent  un  rôle  capital  dans  les  subven- 
tions accordées  par  l'Etat,  il  est  utile  de  nous  arrêter   sur  ce  point. 
Il  y  a  M    un  mécanisme   original,  particulier  à  l'Angleterre,  que 
nous    devons  expliquer  à  nos  lecteurs.    L'Etat   subventionne  les 
^oles  proportionnellement  aux  progrès  qu'elles  réalisent.  Ces  progrès 
^(kt  coDBiaiéB  par  des  inspecteurs  qui  viennent  une  fois  par  an,  à 
^^B  époqu^^  fixes,  faire  passer  des  examens  minutieux,  oraux  et 
^titsB'  ^^"*  les  élèves  sur  toutes  les  parties  de  renseignement. 
1    Pour  iB  Jews'freestÀool  l'inspecteur  en  chef  est  le  célèbre  orientaliste 
4t  ^.pa^e-R&'i^'  ^«^  ^t  assisté  de  trois  sous-inspecteurs  nommés 

.-.  a^firAOt  fe  chapitre  lU  du  Code  of  régulations,  les  élèves-maîtres  sont 

flf  9o^  «arçons  ou  jeunes  fiUes  engagés  par  le  directeur  d'une  école  pri- 

^^  ^^'^^r  Bméigner  pendant  les  heures  de  leçons  sous  la  direction  du 

^^'^   S  €la«nt  ^voir  uq  suppi^nieot  d'instrucUon  eu  dehors  des  da«iL 

-^^  SL^  «w  a»  «ooinsau  ïnoment  de  leurengag^ut,  qui  dure  générale- 

nant  a«***^*?^  «kl     ^  nnnéu.   i    ^-#  A  passer  des  examens.  Leur  engagement 
AU  fi"*  Mf  n^  '"nt  ^^f  "      la    ^ours  dans  une  école  normale,  toit 


02  REVL'fi   PÉDAGOGIQUE 

cette  générosité  du  public  israélile  de  Londres.  Un  négociant  de  la 
Oté,  feu  M.  Alfred  Davis,  ami  personnel  de  M.  Ang6l,  a  donné 
de  son  vivant  £  30,000  (750,000  francs)  à  l'école  à  diverses  reprises, 
et  lui  a  légué  a  s  mort  une  sonmie  de  m^me  valeur.  Sir  Anthony 
Rothschild,  pendant  trente  ans  président  du  comité,  a  donné  régu- 
lièrement chaque  année  d'importantes  sommes.  Chaque  année  du 
reste,  la  famille  Rothschild  apporte  discrètement  des  contribu- 
tions qui  s'élèvent   en  moyenne  à  £  10,000. 

Telle  est  cette  école,  fondée,  on  peut  le  dire,  par  l'énergie  et  le 
dévouement  éclairé  d'un  seul  homme.  Depuis  quarante-quatre  ans, 
M.  Angel  lui  a  dévoué  toutes  les  forces  de  son  intelligence  et  de  son 
cœur.  Tout  en  élevant  une  famille,  il  a  su  et  pu  fonder  cette 
école  qui  est  maintenant  l'orgueil  de  l'Angleterre.  Il  y  a  quelques 
mois  le  chef  du  département  d'éducation,  M.  Mundella,  la  visitait 
dans  tous  ses  détails,  et  inscrivait  sur  le  registre  des  visiteurs,  à 
côté  de  son  nom,  les  mois  suivants  que  me  montrait  avec  une  légi- 
time fierté  M.  Ange!  :  May  42,  Visiied  this  school  and  fotmd  U  in  ail 
rapects  admirable  ;  «  J'ai  visité  cette  école  et  l'ai  trouvée  sous  tous 
les  points  de  vue  admirable,  o 

A.  Darmesteter. 


LES  RAPPORTS  DES  CHEFS  D^ÉCOLE 

AVEC  UEURS  COLLABORATEURS 


Cette  délicate  question  est  traitée  dans  une  circulaire 
adressée  par  H.  Godin,  inspecteur  d'académie  de  Seine-et-Oise, 
aux  inspecteurs  primaires  de  son  département;  nous  la  repro- 
duisons ci-dessous  : 

MotisnsuR  l'Hspecteur, 

Le  nombre  des  instituteurs-ac^oints  et  des  institutrices-adjointes 
du  département  do  Seine-et-Oise  s'est  accru  depuis  quelques  années 
dans  une  proportion  considérable;  il  atteint  aujourd'hui  334.  ^  11  y 
a  donc  uo  intérêt  de  premier  ordre  pour  Tavenir  de  nos  écoles  et  le 
progrès  de  Tinstruction  primaire,  à  ce  qu'un  personnel  aussi  nom- 
breux et,  sauf  de  rares  exceptions,  aussi  jeune  et  aussi  inexpéri- 
menté, soit  surveillé  avec  vigilance,  dirigé  avec  méthode  et  fermeté. 
Ce  ne  sont  pas  moins  des  directions  morales  que  des  directions 
pédagogiques  qui  lui  sont  indispensables. 

Parmi  ces  jeunes  maîtres,  les  uns  sont  sortis  de  nos  écoles 
normales,  les  autres  ont  conquis  leur  brevet  dans  des  écoles  publi- 
ques ou  privées  de  Seine- et-Oise  ou  d'autres  départements.  Des 
conseils  judicieux,  d'excellents  exemples  sont  donnés  aux  premiers 
pendant  leur  séjour  au  chef-lieu  ;  mais  ils  débutent  presque  tous 
dans  renseignement  public  avant  leur  vingtième  année  et  ils  ne 
sauraient  se  passer  encore  des  conseils  de  maîtres  expérimentés. 
Quant  aux  adjoints  des  deux  sexes  qui  n'ont  pas  appartenu  à  une 
école  normale,  leur  instruction  professionnelle,  leur  conduite  privée, 
leur  tenue  même  exigent  une  surveillance  quotidienne,  une  direction 
vigilante. 

La  grande  majorité  de  ces  jeunes  maîtres  s'acquitte  convenable- 
ment des  fonctions  qui  leur  sont  confiées,  et  la  plupart  des  titu- 
laires des  deux  sexes  comprennent  également  leurs  obligations  a 
regard  de  leurs  collaborateurs  ;  mais  quelques  difificultés  m'ont  été 
signalées  et  je  crois  devoir  vous  prier  de  rappeler  au  personnel  inté- 
ressé de  votre  ressort  ce  que  doivent  être  les  rapports  des  institu- 
teurs et  des  institutrices  titulaires  avec  les  adjoints  et  les  adjointes 
qu'ils  ont  à  diriger. 

Les  obligations  de  chacun  pourraient  être  exposées  d'une  manière 
précise  dans  un  règlement  analogue  à  celui  des  écoles  ;  mais  les 
rapports  qu'il  s'agirait  de  réglementer  sont  si  multiples,  si  variés, 
si  délicats  qu'il  est  bien  difficile  de  tout  prévoir  dans  une  sorte  de 
code  impératif,  qui  pourrait  faire  surgir  des  conflits  auxquels  on 


02  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

cette  générosité  du  public  israélile  de  Londres.  Un  négociant  de  la 
Gté,  feu  M.  Alfred  Davis,  ami  personnel  de  M.  Angel^  a  donné 
de  son  vivant  £  30,000  (750,000  francs)  à  l'école  à  diverses  reprises, 
et  lui  a  légué  a  s  mort  une  somme  de  m/^me  valeur.  Sir  Anthony 
Rothschild,  pendant  trente  ans  président  du  comité,  a  donné  régu- 
lièrement chaque  année  dMmportantes  sommes.  Chaque  année  du 
reste,  la  famille  Rothschild  apporte  discrètement  des  contribu- 
tions qui  s'élèvent   en  moyenne  à  £  10,000. 

Telle  est  cette  école,  fondée,  on  peut  le  dire,  par  l'énergie  et  le 
dévouement  éclairé  d*un  seul  homme.  Depuis  quarante-quatre  ans, 
M.  Angel  lui  a  dévoué  toutes  les  forces  de  son  intelligence  et  de  son 
cœur.  Tout  en  élevant  une  famille,  11  a  su  et  pu  fonder  cette 
école  qui  est  maintenant  l'orgueil  de  TAngieterre.  Il  y  a  quelques 
mois  le  chef  du  département  d'éducation,  M.  Mundella,  la  visitait 
dans  tous  ses  détails,  et  inscrivait  sur  le  registre  des  visiteurs,  à 
côté  de  son  nom,  les  mois  suivants  que  me  montrait  avec  une  légi- 
time fierté  M.  Ange!  :  May  42,  Visiuk  this  school  and  found  U  in  ail 
retpects  admirable  ;  «  J'ai  visité  cette  école  et  l'ai  trouvée  sous  tous 
les  points  de  vue  admirable,  o 

A.  Darmesteter. 


LES  RAPPORTS  DES  CHEFS  D^ÉCOLE 

AVEC  LEURS  COLLABORATEURS 


Cette  délicate  question  est  traitée  dans  une  circulaire 
adressée  par  H.  Godin,  inspecteur  d'académie  de  Seine-et-Oise, 
aux  inspecteurs  primaires  de  son  département;  nous  ia  repro- 
duisons ci-dessous  : 

MOHSIBUR    L*H8PECTEUR, 

Le  nombre  des  instituteurs-ac^oints  et  des  institutrices-adjointes 
du  département  de  Seine-et-Oise  s'est  accru  depuis  quelques  années 
dans  une  proportion  considérable;  il  atteint  aujourd'hui  334.  ^  Il  y 
a  donc  un  intérêt  de  premier  ordre  pour  l'avenir  de  nos  écoles  et  le 
progrès  de  Tinstruction  primaire,  à  ce  qu'un  personnel  aussi  nom- 
breux et,  sauf  de  rares  exceptions,  aussi  jeune  et  aussi  inexpéri- 
menté, soit  surveillé  avec  vigilance,  dirigé  avec  méthode  et  fermeté. 
Ce  ne  sont  pas  moins  des  directions  morales  que  des  directions 
pédagogiques  qui  lui  sont  indispensables. 

Parmi  ces  jeunes  maîtres,  les  uns  sont  sortis  de  nos  écoles 
normales,  les  autres  ont  conquis  leur  brevet  dans  des  écoles  publi- 
ques ou  privées  de  Selne-et-Oise  ou  d'autres  départements.  Des 
conseils  judicieux,  d'excellents  exemples  sont  donnés  aux  premiers 
pendant  leur  séjour  au  chef-lieu  ;  mais  ils  débutent  presque  tous 
dans  renseignement  public  avant  leur  vingtième  année  et  ils  ne 
sauraient  se  passer  encore  des  conseils  de  maîtres  expérimentés. 
Quant  aux  adjoints  des  deux  sexes  qui  n'ont  pas  appartenu  à  une 
école  normale,  leur  instruction  professionnelle,  leur  conduite  privée, 
leur  tenue  même  exigent  une  surveillance  quotidienne,  une  direction 
vigilante. 

La  grande  majorité  de  ces  jeunes  maîtres  s'acquitte  convenable- 
ment des  fonctions  qui  leur  sont  confiées,  et  la  plupart  des  titu- 
laires des  deux  sexes  comprennent  également  leurs  obligations  à 
regard  de  leurs  collaborateurs  ;  mais  quelques  difficultés  m'ont  été 
signalées  et  je  crois  devoir  vous  prier  de  rappeler  au  personnel  inté- 
rim de  votre  ressort  ce  que  doivent  être  les  rapports  des  institu- 
teurs et  des  institutrices  titulaires  avec  les  adjoints  et  les  adjointes 
qu'ils  ont  à  diriger. 

Les  obligations  de  chacun  pourraient  être  exposées  d'une  manière 
précise  dans  un  règlement  analogue  à  celui  des  écoles  ;  mais  les 
rapports  qu'il  s'agirait  de  réglementer  sont  si  multiples,  si  variés, 
si  délicats  qu'il  est  bien  difficile  de  tout  prévoir  dans  une  sorte  de 
code  impératif,  qui  pourrait  faire  surgir  des  conflits  auxquels  on 


6i  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

n'eût  pas  pensé  et  qui  ne  saurait  présenter  une  solution  pour  une 
discussion  inattendue  et  pour  tous  les  faits  de  la  vie  scolaire. 

Rien  ne  vaut  d'ailleurs  en  pareille  matière  les  règles  que  dicte  à 
chacun  une  raison  droite,  la  conscience  du  devoir,  la  volonté  de 
bien  faire.  C'est  au  sentiment  que  chaque  fonctionnaire  doit  avoir 
de  ses  obligations  qu'il  faut  nous  adresser  pour  que  notre  personnel 
sache  ce  qu'il  doit  être  dans  la  vie  privée  et  dans  la  vie  profession- 
nelle et  ne  s'écarte  pas  de  la  règle  qu'il  doit  se  tracer  lui-même. 

C'est  à  ce  sentiment  que  je  vous  prie  de  faire  appel.  Je  crois  que 
nous  devons  renoncer  à  une  réglementation  étroite,  qui  ne  saurait, 
sans  aller  jusqu'à  la  minutie,  prévoir  tous  les  détails  de  la  vie  quo- 
tidienne, et  que  nous  devons  préférer  les  directions  générales,  puis, 
sur  chaque  point  particulier,  les  conseils  qui  seront  écoutés  avec 
déférence  et  ponctuellement  suivis,  j'en  ai  la  conGanoe,  par  un 
personnel  généralement  docile  et  dévoué. 

Pour  comprendre  et  pour  remplir  leurs  obligations  réciproques, 
les  institutrices  et  les  instituteurs  titulaires  et  leurs  collaborateurs 
doivent  bien  connaître  le  rôle  et  la  nature  de  la  mission  de  chacun. 

11  convient  de  les  rappeler  à  tous. 

Quand  ils  ont  pris  la  résolution  de  se  consacrer  à  l'enseignement 
et  qu'ils  ont  accepté  la  direction  d'une  classe,  les  adjoints  des  deux 
sexes  ont  contracté  à  l'égard  de  l'administration,  des  familles  et  d'eux- 
mêmes  des  engagements  dont  quelques-uns  oublient  parfois  la  gravité. 

Une  conduite  privée  irréprochable,  la  conscience  et  l'application 
dans  l'accomplissement  de  leurs  devoirs,  à  l'égard  du  directeur  de 
l'école  une  docilité  affectueuse  qui  rend  la  tâche  plus  facile  pour 
tous,  et  le  dévouement,  qui  donne  sans  compter,  pour  la  bonne 
tenue  do  Técole  et  les  progrès  des  élèves,  non  seulement  les  heures 
de  travail  nécessaires  et  1&  présence  matérielle,  maïs  le  meilleur 
de  l'âme,  la  volonté  de  bien  faire  et  le  cœur  tout  entier  :  voilà  ce 
que  nous  sommes  en  droit  d'attendre  d'eux  ;  voilà  les  sentiments 
qui  doivent  animer  un  instituteur  public. 

Que  les  jeunes  maîtres  et  les  jeunes  maîtresses  qui  sont  dans 
nos  écoles  ou  qui  désirent  y  entrer,  ne  croient  pas  que  c'est  là  un 
idéal  rêvé  par  un  moraliste,  qu'il  est  facile  de  leur  proposer  dans 
un  traité  de  pédagogie,  mais  qu'il  n'est  pas  possible  de  réaliser 
dans  la  pratique.  11  importe  qu'ils  soient  convaincus  au  contraire 
que  leur  tâche  sera  moins  pénible,  leurs  fonctions  moins  ingrates, 
leur  labeur  plus  supportable  aussi  bien  que  plus  fécond,  s'ils  y 
apportent  ces  dispositions,  que  s'ils  dirigent  leur  classe  sans  goût 
et  sans  ardeur,  sans  souci  du  progrès,  sans  intérêt  pour  l'école  et 
es  élèves  qui  la  fréquentent. 

On  ne  se  donne  pas  à  demi  à  l'enseignement  :  ne  nous  lassons 
pas  de  répéter  à  notre  jeune  personnel  qu'il  ne  faut  pas  venir  à  nous 
sans  faire  abandon  de  la  vie  facile,  sans  être  résolu  à  accepter  une 
règle  sévère,  à  s'imposer  une  conduite  austère,  une  vie  de  labeur. 


TITULAIRES   ET  ADJOINTS  68 

Ceux  qui  ne  peuvent  ou  ne  veulent  point  renoncer  à  la  mollesse, 
^  FindifFérence,  au  désordre,   doivent   sortir  des  rangs  sans  tarder. 

L'expérience  d'ailleurs  leur  apprendra  bien  vile  que  la  vie  de 
rinstituteur  est  non  seulement  plus  digne,  mais  plus  douce  même, 
pour  ceux  qui  suivent  ces  conseils  que  pour  ceux  qui  les  croient 
inapplicables. 

Si  ces  sentiments  doivent  être  ceux  des  instituteurs  adjoints,  à 
plus  forte  raison  les  instituteurs  titulaires  doivent-ils  en  être  péné- 
trés. Nous  attendons  d'eux  qu'ils  en  fassent  la  règle  de  leur  conduite. 
Ceux-là  seuls  ont  sur  les  autres  une  action  moralisatrice,  qui  con- 
naissent et  remplissent  leurs  devoirs  :  ce  sont  nos  actes  qui  donnent 
à  nos  conseils  l'autorité  ;  c'est  l'exemple  et  la  vie  de  l'homme  qui 
rend  sa  parole  persuasive  et  en  relève  la  valeur. 

Pour  obtenir  de  leurs  adjoints  la  docilité  et  la  déférence,  les  titu- 
laires doivent  donner  eux-mêmes  l'exemple  des  qualités  qu'ils  exigent 
de  leurs  collaborateurs.  Puis,  qu'ils  n'oublient  pas  que  l'aflection 
appelle  la  confiaiice  ;  qu'ils  n'abusent  point  de  la  docilité  et  du 
dévouement  que  leur  doivent  les  jeunes  maîtres  et  que  nous  exigeons. 
L'autorité  s'établit  plus  sûrement  par  une  fermeté  affectueuse,  qui 
sait  être  concilian:e  à  propos,  indulgente  pour  les  légèretés  et  l'inex- 
périence, que  par  u;ie  rigueur  inflexible,  dont  un  sentiment  amical 
ne  tempère  pas  la  sécheresse. 

Veuillez  leur  rappeler  surtout  qu'ils  n'ont  pas  seulement  à  répri- 
mer les  écarts,  à  vous  signaler  l'inexpérience  du  jeune  maître,  mais 
à  l'éclairer,  à  le  diriger.  Leur  fonction  à  leur  égard  n'est  pas  seu- 
lement une  mission  de  surveillance,  elle  consiste  surtout  à  conseiller, 
à  prévenir  les  fautes,  à  initier  à  l'enseignement. 

Le  devoir  du  maître  plus  âgé  est  de  faire  profiter  de  son  expé- 
I  ience  l'adjoint  plus  jeune  qui  ne  saurait  débuter  dans  une  école 
avec  toutes  les  qualités  de  l'instituteur  consommé. 

Tel  est  le  rùle  de  chacun  :  s'il  est  bien  compris,  les  difficultés 
seront  plus  rares  dans  les  rapports  réciproques  et  celles  qui  surgi- 
ront seront  plus  vite  et  plus  facilement  aplanies. 

Dites  bien  d'ailleurs  aux  uns  et  aux  autres  que  nou-;  sommes 
résolus,  vous  et  moi,  à  soutenir  avec  fermeté  l'autorité  du  titulaire 
et  que,  dès  qu'il  y  aura  conflit,  nous  commencerons  par  exiger  que 
Padjoint  se  soumette  d'abord  et  complètement  ;  mais,  d'aulre  part, 
nous  engageons  les  instituteurs  et  institutrices  titulaires  à  n'avoir 
que  des  exigences  légitimes. 

Telles  sont  les  directions  et  les  règles  générales  que  je  vous  prie 
de  rappeler  aux  maîtres  de  votre  ressort  et  dont  vous  aurez  à  vous 
inspirer  vous-même  chaque  fois  que  vous  devrez  intervenir.  Mais, 
afin  de  donner  plus  de  précision  à  ces  instructions,  je  crois  devoir 
y  ajouter  quelques  recommandations  sur  un  certain  nombre  de 
points  particuliers  : 

i^  L'un  des  devoirs  les  plus  importants  de  l'instituteur  titulaire, 

RKTBB  PiDAGOOIQUS  1885.  —  l**"  SESf .  5 


6  i  REVtË   PÉDAéOGIQtJE 

c'est  de  dontiei*  <ies  conseils  et  des  directions  pédagogiques  au  jeane 
maître  dont  il  lui  appartient  de  faire  l'instruction  prof^icmnelle. 

Qu'il  ne  croie  pas  tju'il  s'est  acquitté  de  ses  obligations  quand  il 
Ta  installé  dans  la  petite  classe,  qu'il  lui  a  remis  le  registre  d'appel 
et  le  bulletin  qui  contient  l'organisation  pédagogique. 

Il  doit  avoir  de  fréquents  entretiens  avec  lui  sur  la  manière 
d'enseigner  chaque  matière,  sur  la  discipline,  sur  le  système  des 
punitions  et  des  récompenses.  Pour  être  plus  précis,  prescrivez  que 
tout  instituteur  qui  a  un  adjoint  lui  montre  chaque  semaine  comment 
il  doit  répartir  par  leçon  les  matières  du  programme  indiquées 
pour  le  mois,  comment  il  doit  s'y  prendre  pour  appliquer  remploi 
du  temps  et  préparer  chacune  de  ses  classes. 

Le  titulaire  qui  a  plusieurs  adjoints  devra  les  réunir  au  moins 
une  fois  par  semaine  pour  leur  donner  ces  indications  et  s'entretenir 
avec  eux  de  ce  qui  s'est  passé  dans  chaque  classe  et  de  ce  qui  inté- 
resse toute  récole. 

^0  Ces  entreliens,  si  profitables  qu'ils  soient,  ne  sauraient  dispenser 
le  titulaire  d'une  surveillance  presque  incessante  de  la  classe  confiée 
à  l'adjoint.  A  ce  sujet,  je  vous  prie  d'appeler  l'attention  de  xm 
maîtres  sur  la  répartition  des  élèves  et  sur  celle  de  l'enseignemefit 
entre  les  fonctionnaires  d'une  même  école. 

Ne  serait-il  pas  bon,  dans  certains  cas,  de  ne  pas  confier,  au 
moins  exclusivement,  les  plus  jeunes  enfants  à  l'instituteur  adjoint? 
Si  la  direction  d'une  classe  existe  de  la  maturité  et  de  Texpérience, 
c*est  surtout  quand  elle  est  composée  de  très  jeunes  élèves.  Les 
instituteurs  qui  ont  déjà  quelques  années  de  services  s'acquitteront 
en  général  mieux  de  celte  tâche  que  l'élève-maître  le  plus  instruit 
et  le  plus  zélé  au  sortir  de  l'école  normale.  Je  voudrais,  au  moins, 
non  seulement  que  le  titulaire  fît  de  fréquentes  visites  dans  la 
petite  classe,  mais  qu'il  y  donnât  souvent  l'enseignement  et  que 
l'adjoint  fît,  s'il  est  possible,  quelques  leçons  aux  élèves  plus 
avancés.  —  Veuillez  donner  des  mslruclions  dans  ce  sens  et  les  faire 
exécuter  partout  où  elles  pourront  l'être  avec  fruit. 

^  Je  n'ai  pas  besoin    d'ajouter  que  la   surveillance   de   l'cnsei- 

Jnèment  donné  par  le  jeune  maître  doit,  de  la  part  du  directeur 
e  l'école,  être  vigilante  sans  cesser  d*être  discrète.  Ce  serait  mal 
Comprendre  le  rôle  de  l'instituteur  titulaire  et  nos  instructions  que 
d'enlever  toute  initiative  à  l'adjoint  et  surtout  de  ne  ménager  ni 
son  amour-propre,  ni  son  autorité  sur  les  enfants,  en  lui  adres- 
sant, en  leur  présence,  des  reproches  ou  même  des  observations. 
Le  tact  de  nos  maîtres  saura  éviter  ces  écueils. 

4®  Ils  ne  manqueront  pas  non  plus  de  s'interdire  toute  exigence 
excessive;  l'instituteur  adjoint  leur  doit  son  concours,  et  nous 
Texigerons  de  lui  pour  le  service  de  l'école;  mais  il  ne  convient 
de  lui  demander  ni  la  surveillance  d'un  dortoir  de  pensionnaires, 
ni  celle  d'une  étude  supplémentaire,  sans  que  l'instituteur  titulaire 


TITULAIRES  ET  ADJOINTS  67 

# 

partage  avec  son   collaborateur  les  émoluments  qu'il  reçoit  de  ce 
chef.  Les  uns  et  les  autres  sauront,  je  n'en  doute  pas,  régler  ces 
•  questions  par  une  entente  amiable. 

5*^  Si  l'instituteur  adjoint  a  l'obligation  stricte  de  corriger  les 
devoirs  des  élèves  qui  lui  sont  confiés,  le  titulaire  ne  saurait  lui 
imposer,  à  moins  de  circonstances  exceptionnelles,  la  correction 
des  devoirs  de  ses  propres  élèves. 

ti**  11  comprendra  également  qu'il  doit  laisser  à  ses  collaborateurs 
quelque  loisir,  soit  pour  leur  travail  personnel,  soit  pour  le  repos 
même,  qui  est  indispensable  à  tout  âge,  mais  surtout  au  jeune 
homme,  si  l'on  veut  que  le  maître  ait  quelque  vigueur  et  exerce 
une  action  personnelle. 

7»*  Les  titulaires  ne  doivent  pas  se  désintéresser  de  la  conduite  des 
adjoints  en  dehors  de  l'école;  ceux  qui  ont  quelque  souci  du  bon 
renom  et  de  la  dignité  du  personnel  ne  sauraient  être  indifférents 
sur  ce  point.  Mais  gardons-nous  d'une  surveillance  humiliante  et 
tracassière.  C'est  en  donnant  à  propos  d'utiles  avis  et  en  cherchant 
à  développer  le  sentiment  de  la  responsabilité  personnelle  que  nous 
préviendrons  les  écarts  plutôt  que  par  une  inquisition  soupçonneuse. 

8^  Je  n'ajouterai  pas  ici  un  grand  nombre  de  recommandations 
spéciales  que  vous  auriez  à  rappeler  aux  instituteurs  adjoints.  S'ils 
ont  bien  compris  ce  qui  a  été  dit  précédemment  sur  leur  mission, 
ils  sauront  que  leurs  devoirs  à  l'égard  du  directeur  de  l'école 
peuvent  se  résumer  en  peu  de  mots:  docilité  loyale,  œn fiance 
affèclueuse.  J'appellerai  seulement  votre  attention  sur  deux  points. 

En  aucun  cas  l'instituteur  adjoint  ne  doit  entretenir  directement 
et  sans  l'assentiment  du  titulaire  des  relations  officielles  avec  les 
autorités  communales  et  les  familles. 

D'autre  part  les  adjoints  des  deux  sexos,  mais  surtout  les  jeunes  filles, 
doivent  s'interdire  les  sorties  trop  fréquentes  et  les  rentrées  tardives. 

Tels  sont,  Monsieur  l'inspecteur,  les  principes  dont  vous  devrez 
vous  inspirer,  pour  régler,  dans  votre  circonscription,  les  rapports 
entre  les  maîtres  et  les  maîtresses  des  diverses  catégories,  pour  pré- 
venir les  difficultés  et  résoudre  celles  qui  pourraient  surgir  et  ren- 
draient votre  intervention  nécessaire. 

C'est  d'ailleurs  sur  votre  autorité  et  sur  votre  tact  que  je  compte 
avant  tout  pour  rappeler  à  chacun  ses  devoirs  et  pour  obtenir  que 
les  titulaires  donnent  l'exemple  du  dévouement  et  que  les  iustitu- 
teurs  adjoints  se  forment  à  leur  école,  pour  que  les  premiers  usent 
de  leurs  droits  avec  modération  et  que  les  seconds  remplissent  leurs 
devoirs  avec  ponctualité  et  en  conscience. 

Agréez,  Monsieur  l'inspecteur,  l'assurance  de  ma  considération  la 
plus  distinguée. 

LHnspecteur  de  racadémie  de  Paris  en  résidence  à  Versailles, 

Edme  Godin. 


LA  PRESSE  ET  LES  LIVRES 


Les  i»hogrammes  de  l'enseignement  secondai iie  ;  l'enseignement 
SECONDAIRE  FRVNçvis,  par  M.  Charlcs  Bigot  {Revue  politique  et  litté- 
raire, n^  du  3  janvier  1885).  —  Dans  plusieurs  numéros  de  la 
Revue  politique  et  littéraire,  notre  collaborateur  M.  Charles  Bigot 
vient  de  soulever  un  grand  nombre  de  hautes  questions  relatives 
aux  |)rogrammes  d'études  des  lycées  et  des  collèges,  à  renseigne- 
ment classique  et  à  l'enseignement  spécial  ;  de  toutes  ces  questions 
nous  n'en  voulons  prendre  ici  qu'une  seule,  qui  nous  paraît  inté- 
resser notre  enseignement  primaire  normal  et  même,  d'un  peu  plus 
loin,  si  Ton  veut,  jusqu'à  l'humble  école  primaire.  M.  Bigot  la  pose 
ainsi  :  «  Est-il  possible,  sans  le  grec  et  le  latin,  de  donner  à  des 
jeunes  gens  un  véritable,  et  solide,  et  fécond  enseignement  litté- 
raire ?  »  Et,  pour  sa  part,  il  n'hésite  pas  un  moment  à  répondre  : 
€  Oui,  cela  est  possible.  » 

L'objet  de  l'enseignement  littéraire,  c'est  «  d'abord  d'apprendre  à  la 
jeunesse  à  manier  correctement  sa  langue,  à  s'exprimer  clairement 
et  nettement,  à  dire  ce  que  l'on  veut  dire  »  ;  c'est  ensuite  «  de  faire 
acquérir  à  celui  qui  le  reçoit  ces  idées  générales  que  l'humanité  a 
conquises  lentement,  et  dont  les  livres  des  poètes,  des  historiens  et 
des  moralistes  sont  les  dépositaires  »  ;  enfin,  «  le  plus  grand  bienfait 
peut-être  de  l'éducation  littéraire,  c'est  de  développer  chez  la 
jeunesse  le  goût  de  l'admiration,  de  placer  devant  ses  yeux  les 
images  de  la  beauté  ;  d'élever  son  cœur  et  son  esprit  vers  un  idéal 
supérieur  au  plaisir  des  sens.  » 

Eh  bien,  pour  tout  cela  l'élude  de  l'antiquité  peut  beaucoup, 
mais  ce  privilège  ne  lui  appartient  pas  exclusivement.  Notre  langue 
est  aujourd'hui  émancipée  et  majeure;  qui  Ta  bien  étudiée  et  qui  la 
connaît  bien  «  ne  sera  embarrassé  pour  exprimer  aucune  nuance  du 
sentiment  ou  de  la  pensée  x>.  D'autre  part,  le  trésor  d'idées  générales 
que  possédait  l'antiquité,  nos  écrivains  classiques  nous  l'ont  transmis 
tout  entier;  ils  y  ont  même  ajouté:  «  ils  ont  élargi,  en  la  complé- 
tant, la  pensée  antique  ».  S'il  est  vrai  enfin  qu'au  xvP  siècle  les 
seuls  modèles  littéraires  à  proposer  fussent  les  livres  des  Grecs  et 
des  Romains,  depuis  lors  nous  avons  marché,  et  \Taiment  nous 
n'avons  pas  perdu  notre  temps,  a  Depuis  lors,  nous  avons  eu 
Corneille  et  Racine  ;  nous  avons  eu  Pascal,  qu'un  bon  juge  et  un 
fervent  admirateur  de  l'antiquité,  Boileau,  osait  égaler  aux  plus 
excellents  des  anciens;  nous  avons  eu  Molière,  que  le  même  Boileau 
appelait  le  plus  beau  génie  de  son  siècle  et 'qui  passe  à  coup  sûr 
Térencc  et  Piaule,  puisque  nous  ne  pouvons  le  comparer  à  Ménandre  ; 


LA  PRESSE    ET    LES   LIVRES  09 

nous  avons  eu  La  Rochefoucauld,  et  M™^  de  Sévigiîé,  et  La  Fontaine, 
et  Bossuet,  et  La  Bruyère  ;  nous  avons  eu  Voltaire  et  Montesquieu, 
et  Jean-Jacques  Rousseau,  et  Beaumarchais,  et  Chateaubriand, 
et  Victor  Hugo,  et  Lamartine,  et  Alfred  de  Musset,  et  Augustin 
Thierry,  et  Thicrs,  et  Mignet,  et  Michelet,  et  Ernest  Renan:  la  liste 
de  nos  grands  écrivains  n'est  pas  close  I  Prétendre  qu'avec  une  telle 
suite  de  merveilleux  écrivains  dont  les  uns  ont  laissé  des  ouvrages 
accomplis,  qui  tous  ont  écrit  certaines  pages  incomparables  soit  en 
prose,  soit  en  poésie,  on  ne  saurait,  môme  à  la  fin  du  xix^  siècle, 
sans  l'aide  du  latin  et  du  grec,  exciter  l'enthousiasme  des  jeunes 
gens  et  les  initiera  la  beauté  litlérairo,  c'est  là,  nous  nous  permet- 
trons de  le  dire,  un  véritable  blasphème  !  Rendons-nous  mieux 
justice:  notre  littérature  française  est  magnifique.  Elle  a,  au  point 
de  vue  de  -  l'éducation,  ce  grand  mérite  encore,  qu'elle  e^l  plus 
accessible  à  la  jeunesse  que  la  littérature  grecque  et  latine  ;  elle  est 
plus  près  de  nous  par  les  idées,  par  les  sentiments;  elle  on  csl  ])lus 
rapprochée  surtout  par  la  langue.  Ce  n'est  qu'après  un  loni^^  travail 
qu'on  arrivera  à  pénétrer  le  génie  de  l'antiquité.  On  l'a  dil  juste- 
ment : 

C'est  avoir  profilé  que  de  savoir  s^y  plaire. 

»  Qui  peut  métne  se  vanter  do  jamais  bien  saisir  dans  une  langue 
morte  ou  la  délicatesse  des  nuances  ou  l'harmonie  du  nombre?  Au 
contraire,  l'harmonie  des  vers  français,  le  rythme  d'une  période  en 
prose  sont  dans  toutes  les  oreilles,  même  les  plus  jeunes:  il  n'y 
a  point  ici  d'effort  à  faire  pour  sentir,  pour  •  comprendre,  pour 
admirer:  il  suffit  de  s'abandonner  au  charme. pour  le  subir.  » 

S'il  est  donc  vrai,  continue  M.  Bigot,  qu'on  puisse,  à  l'aide  de  la 
seule  langue  française,  offrir  à  la  jeunesse  un  enseignement  littéraire 
digne  de  ce  nom,  c'est  un  devoir  de  le  lui  offrir,  et  il  examine  dans 
quelles  conditions  cet  «  enseignement  secondaire  français  »  devrait 
être  organisé.  Ici  les  vues  de  M.  Bigot  s'adrossent  plutôt  aux  sommets 
de  renseignement  qu'aux  modestes  essais  d'initiation  auxquels  tout 
au  plus  nous  pourrions  prétendre.  11  est  telle  de  ses  observations 
dont  nous  pouvons  cependant  faire  notre  protit. 

Ainsi,  il  veut  que  cet  enseignement  du  français  soit  «  philolo- 
gique ».  —  «  Non  pas,  dit-il,  au  sens  que  Térudilion  donne  à  ce 
mot,  et  qui  fait  volontiers  la  grosse  part  à  l'étymologie,  mais  au 
sens  véritablement  utile  ;  c'est-à-dire  que  son  premier  souci  serai! 
de  définir  tous  les  termes  que  l'enfant  rencontre  ou  dont  il  fait 
usage,  de  le  forcer  à  ne  jamais  se  servir  d'un  mot  sans  en  connaître 
le  sens  exact,  à  distinguer  les  acceptions  diverses  d'un  même 
mot  et  à  s'expliquer  comment  elles  ont  procédé  l'une  de  l'autre. 
Ce  dont  on  est  le  plus  frappé  quand  on  lit  los  travaux  des  écoliers, 
ou  même  quand  on  entend  causer  les  hommes  faits,  c'est  combien 
peu  ils  connaissent,  en  réalité,  cette  langue  où  ils  s'expriment 
depuis  renfance.  Il   n'y    a  pas  d'étude  plus  attrayante,  quand  elle 


70  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

est  faite  avec  intelligence,  pour  les  enfants»  que  celte  philologie. 
J'oserais  dire  qu'il  n'en  est  pas  de  plus  profitable,  car  c'est  l'igno- 
rance du  détail,  c'est  le  vague  de  l'expression  qui  fait  aussi  le  plus 
souvent  la  pensée  elle-même  vague  et  flottante.  Un  peuple  qui 
déclame  et  se  paie  de  mots  est  un  peuple  qui  ne  sait  pas  suffi- 
samment sa  langue.  » 

M.  Bigot  voudrait  encore  que  cet  enseignement  fût  «  grammatical  ». 
—«11  s'appliquerait,  dit-il,  à  faire  connaître  à  l'élève  tous  les  tours 
de  la  phrase  française,  depuis  la  construction  la  plus  simple 
jusqu'à  la  période  la  plus  compliquée,  il  l'exercerait  à  s'en  rendre 
noiaître  et  à  les  manier  tour  à  tour  suivant  les  nuances  de  la  pensée 
ou  les  mouvements  du  sentiment.  Et  je  dirai  ici  encore  que  bien 
peu,  même  parmi  ceux  qui  ont  reçu  aujourd'hui  l'éducation  litté- 
raire la  plus  complète,  sont  réellement  maîtres  de  leur  langue 
maternelle.  On  compte  les  écrivains,  aussi  libres  que  variés,  qui 
ont  pris  possession,  pour  ainsi  dire,  du  clavier  grammatical  tout 
entier.  Presque  tous,  nous  avons  une  demi-douzaino  de  tours  de 
phrase  que  nous  répétons  sans  cesse  et  d'où  nous  ne  sortons  pas; 
nous  exécutons  toutes  nos  variations  sur  deux  octaves.  C'est  à  notre 
éducation  qu'en  est  la  faute. 

»  La  grammaire,  en  outi'e,  est,  elle  aussi,  un  admirable  instru- 
ment pour  former  des  esprits  justes.  Si,  au  lieu  de  s'arrêter  aux 
subtilités  et  aux  curiosités,  on  porte  dans  cette  étude  l'attention 
surtout  vers  l'analyse  logique;  si  l'on  fait  bien  comprendre  que  le 
sens  même  de  la  pensée  se  modifie  suivant  que  telle  ou  telle  proposi- 
tion devient  la  proposition  principale  ou  la  proposition  incidente, 
qu'un  mot  prend  une  toute  autre  importance  suivant  qu'il  est  mis 
en  une  place  ou  en  une  autre;  si  Ton  montre  bien  que  c'est  toujours 
la  raison  et  l'intelligence  qui  président  à  la  construction  d'une 
phrase  comme  à  la  suite  d'un  développement,  je  ne  sache  guère 
pour  l'esprit  de  gymnastique  plus  saine  que  la  syntaxe  française.  » 

M.  Ch.  Bigot  insiste  plus  loin  sur  la  nécessité  pour  le  maître  et 
pour  les  élèves,  dans  l'enseignement  tel  qu'il  le  comprend,  de  lire, 
d'étudier,  de  commenter  ensemble  nos  chefs-d'œuvre  nationaux.  Et 
il  n'aurait  pas  de  répugnance  à  ce  que,  pour  commencer  cette 
étude,  on  débutât  par  les  écrivains  modernes,  i  C'est  ceux  dont  la 
langue  est  le  plus  accessible  aux  enfants,  parce  qu'elle  se  rapproche 
davantage  de  la  langue  qu'ils  ont  appris  à  parler  ;  c'est  eux  aussi 
qui  expriment  les  sentiments  et  les  passions  où  ils  entrent  le  plus 
aisément;  c'est  en  leur  société  qu'ils  prendront  le  plus  facilement 
ce  goût  des  choses  de  l'esprit  qui,  une  fois  éveillé,  devient  un 
charme  irrésistible.  Et,  au  lieu  de  descendre  le  cours  des  siècles, 
comme  on  le  fait  volontiers,  peut-être  serait-il  plus  sage  de  le 
remonter.  » 

M.  Bigot  indique  aussi,  à  un  autre  point  de  vue,  l'ordre  logique 
des  lectures  à  faire.  <  On  conunencerait  par  les  poètes,  qui  répoa- 


LÀ  PRKSSK  ET  LES  UVRES  li 

•dent  nûeux  au  caractère  de  Tenfant»  qui  parlent  davantage  à  son 
imaginatioiiy  qui  font  entendre  à  son  oreille  une  musique  pk^» 
simple,  plus  facile  à  saisir  que  le  rythme  délicat  de  la  prose»  Lm 
conteurs,  les  historiens,  les  poètes  dramatiques  jqui  ont  mis  en  jeu 
les  diverses  passions,  étalé  le  tableau  de  la  vie  et  la  lutte  ou  tragique 
ou  comique  des  caractères,  occuperaient  tour  à  tour  l'attention;  les 
moralistes  et  les  philosophes  de  Thistoire  viendraient  à  la  fin.  On 
les  lirait  les  uns  après  les  autres,  ou  tout  entiers  ou  du  moins 
dans  les  parties  essentielles  de  leurs  œuvres.  Alors  on  connaîtrait 
véritablement  la  littérature  française,  et  il  faudrait  bien  du  malheur 
pour  n'avoir  pas  en  même  temps  appris  à  l'aimer.  » 

Il  nous  semble  qu'il  y  aurait  à  prendre  bonne  part  de  toutes  œs 
excellentes  indications  aussi  bien  dans  nos  écoles  que  plus  haut^ 

Des  PRINCIPALES   DIFFÉRENCES  ENTRE  LES   ÉCOLES  DE   GARÇONS   ET  LES 

ÉCOLES  DE  FILLES,  par  M.  le  professeur  W.  NœWeke,  directeur  de 
l'Ecole  supérieure  des  filles  de  Leipzig  (Revue  internationale  de  Te»*- 
seignement,  numéro  du  15  décembre  1884).  —  Quelle  différence 
spécifique  doit-il  y  avoir  entï'e  renseignement  qu'on  donne  au^ 
garçons  et  celui  qu'on  donne  aux  filles,  telle  est  la  question  qu'exa- 
mine M.  le  professeur  Nœldeke,  avec  toute  la  compétence  de  quarante 
années  de  pratique  dans  les  écoles  supérieures  de  filles.  Celte  diffé- 
rence, selon  lui,  n*existe,  en  ce  qui  concerne  l'école  primaire,  ni 
pour  les  matières,  ni  pour  la  méthode,  a  L'enseignement  de  la  lec- 
ture suit  des  procédés  si  exactement  conformes  à  son  objet  qu'on 
aurait  peine  à  concevoir  deux  méthodes  différentes  à  l'usage  de 
chaque  sexe.  11  en  est  de  même  pour  les  éléments  de  calcul  et  de 
géométrie,  pour  l'écriture,  l'orthographe,  etc.  Ces  premières  con- 
naissances ne  sont,  pour  ainsi  dire,  que  la  porte  du  véritable  savoir; 
il  n'y  a  qu'une  clef  qui  aille  à  cette  porte,  et  quiconque  veut  entrer 
doit  s'en  munir;  elle  est  la  même  pour  les  garçons  et  pour  les 
filles,  de  même  que  le  maître  et  la  maîtresse  de  maison  ne  se 
servent  pas  d'une  clef  différente  pour  entrer  chez  eux.  N'étaient 
d'autres  motifs  qui  font  juger  opportune  la  séparation  des  sexes 
même  dans  l'enseignement  élémentaire,  du  moins  à  partir  de  Tâ^ 
de  dix  ans,  on  pourrait  sans  inconvénient  donner  l'enseignement 
en  commun  aux  enfants  des  deux  sexes,  comme  c'est,  du  reste, 
Fusage  dans  maint  et  maint  pays.  » 

M.  Nœldeke  pense  de  môme  que,  dans  les  écoles  normales  d'io- 
siituleurs  et  d'institutrices,  l'enseignement  doit  ^tre  identique, 
c  Appelées  à  enseigner  dans  les  écoles  primaires  les  nkêmes  chosM 
que  les  instituteurs,  les  jeunes  filles  doivent  recevoir  la  même  m- 
struction  professionnelle.  Les  maîtres  de  l'un  et  de  l'autire  sexe  ont  à 
acquérir  la  même  soname  de  connaissances,  la  même  préparation 
méthodique  qu'il  serait  difficile  de  leur  donner  de  deux  manières 
différentes,  et  à  se  munir  enfin  des  mêmes  principes  psychologiques 


72  REVUE  PÉI>AGOGIQUE 

et  pédaj^ogiques  pour  être  à  la  hauteur  de  leur  noble  lâche.  Il  est 
vrai  quo  certaines  disciplines  peuvent  paraître  plus  difficiles  à  ac- 
quérir pour  les  jeunes  filles,  comme  la  logique,  par  exemple;  mais 
les  lois  de  la  pensé)  humaine  ne  varient  pas  avec  le  sexe,  et  le 
môme  enseignement  doit  suffire  dans  les  deux  cas.  » 

Que  s'il  convient  aux  femmes  d'aborder  les  écoles  spéciales, 
artistiques,  scientifiques,  littéraires,  il  faut  encore  qu'elles  y 
trouvent  le  même  enseignement  que  les  hommes.  Et  M.  Nœldeke 
ne  leur  refuse  aucunement  l'aptitude  intellectuelle  nécessaire  pour 
recevoir  cet  enseignement,  à  quelque  degré  que  ce  puisse  ^tre.  Tout 
bien  pesé,  il  croit  «  pouvoir  allirmer  qu'à  ne  considérer  que  la  ca- 
pacité intellectuelle  des  deux  sexes,  l'enseignement  des  écoles 
supérieures  des  filles  devrait  être  l'équivalent  de  celui  des  écoles 
correspondantes  de  girçons.  Aucune  dillerence  introduite  dans  le 
programme  ne  saurait  en  ellet  s'autoriser  d'une  différence  dans  le. 
développement  intellectuel  des  élèves.  »  Au  contraire,  la  jeune 
fille,  physiquement  et  intellectuellement,  est  plus  précoce  que  le 
jeune  homme,  «  et  cette  précocité  à  l'âge  des  études  indiquerait 
plutôt  qu'il  serait  sage  d'utiliser  ces  années  à  enrichir  et  à  orner 
leur  esprit  ». 

M.  Nœldeke  n'en  est  pas  moins  d'avis  que  l'éducation  féminine 
doit  être  essentiellement  distincte  de  l'éducation  de  l'autre  eexe,  aussi 
bien  dans  son  étendue  que  dans  son  contenu,  dans  ses  principes 
que  dans  son  objet.  C'est  qu'à  côté  de  l'égalité  intellectuelle  vien- 
nent se  placer  d'autres  conditions  qui  motivent  cette  distinction  en 
vertu  desquelles  la  femme,  sans  être  inférieure  à  l'homme,  reçoit, 
tant  dans  la  maison  que  dans  le  milieu  social,  une  destinée  et  un 
rôle  qui  lui  sont  propres  et  qui  ne  peuvent  être  ceux  de  l'homme. 

I^  constitution  phj^sique  de  la  femme  est  autre,  en  effet,  que 
celle  de  l'homme,  la  femme  étant  moins  fortement  musclée  et 
charpentée,  étant  aussi  plus  nerveuse,  surtout  dans  les  classes  de 
la  société  oi'i  se  recrutent  les  écoles  supérieures  de  jeunes  filles. 
Cette  différence  de  constitution  physique  explique  «  une  opposition 
de  nature  souvent  présentée  comme  la  caractéristique  des  deux 
sexes,  l'un  étant  essentiellement  actif  (Productivitàt),  l'autre  essen- 
tiellement passif  (Receptivitàtj.  A  cela  correspond  chez  l'homme  une 
plus  grande  spontanéité,  chez  la  femme  une  certaine  malléabilité  qui 
la  rend  plus  sensible  à  l'action  du  milieu,  plus  docile  en  bien  et 
en  mal  à  la  puissance  de  l'exemple,  tandis  que  l'honmie  tend  au 
contraite  à  faire  prévaloir  son  influence.  Bien  que  cette  différence 
apparaisse  surtout  dans  le  mariage,  où  l'initiative  appartient  à 
rhomme,  tandis  que  la  femme  s'accommode  d'ordinaire  à  son  mari 
sous  le  rapport  du  caractère,  cependant  Técole  doit  déjà  en  tenir 
compte  dans  l'éducation  et  renseignement.  »  Ce  serait,  d'ailleurs,- 
se  faire  une  notion  trop  étroite  de  la  vocation  de  la  femme  que  de 
donner  pour  but  unique  à    ou  éducation  les  devoirs  du  mariage  et 


LA  PRESSE   ET  LES   LIVRES  7^ 

ceux  de  la  maternité.  «  On  exclurait  de  la  sorte,  dit  M,  Nœldcke,  \os 
centaines  de  filles  que  les  conditions  actuelles  de  la  société  vouent 
au  célibat.  Il  sera  plus  exact  de  dire  que  rhomme  trouve  le  champ 
de  son  activité  dans  la  vie  publique,  au  service  immédiat  de  la 
commune,  de  l'État,  de  l'humanité;  et  que  la  vocation  de  la  femme. 
le  théiitre  de  sa  bienfaisante  activité  est  le  foyer  et  la  famille.  Le 
rôle  de  la  femme  vis-à-vis  de  celui  do  l'homme  est  dans  un  rapport 
non  de  subordination,  mais  de  corrélation;  tous  deux  se  complètent 
mutuellement,  car  là  seulement  oii  les  devoirs  domestiques  sont 
fidèlement  accomplis,  la  prospérité  de  la  commune  et  de  l'Etat  est 
assurée.  Or,  ces  devoirs  sont  assez  nombreux  et  étendus  pour  four- 
nir un  beau  champ  d'activité  à  toutes  celles  qui  ne  se  marient  pas. 
J'entends  par  là  les  devoirs  qui  leur  incombent  non  seulement  dans 
leurs  propres  familles,  mais  aussi  dans  des  familles  étrangères,  et 
en  partie  aussi  au  service  de  la  commune  :  éducation,  gouvernement 
domestique,  soin  des  malades  et  des  pauvres,  et,  d'une  manière  ana- 
logue aussi,  certaines  fonctions  qui,  dans  le  train  de  maison  que 
comportent  les  aflFaires,  sont  confiées  à  des  femmes.  Au  lieu  de  se 
préoccuper  sans  cesse  d'ouvrir  do  nouvelles  carrières  aux  femmes 
soit  dans  le  commerce,  .soit  dans  les  services  publics,  il  serait  plus 
sage  de  s'appliquer  à  faire  disparaître  les  fâcheuses  conditions  so- 
ciales qui  font  naître  ces  préoccupations.  Je  maintiens  que  la  tache 
de  l'éducation  féminine  est  de  former  la  jeune*  fille  de  manière 
qu'elle  réalise  parfaitement  l'idée  de  son  sexe  ;  ce  qui  suppose  deux 
conditions  essentielles  :  la  vie  de  famille  et  la  tendresse  maternelle. 
étant  bien  entendu  que  vie  de  famille  ne  siprnifie  pas  économie  do- 
mestique. Si  l'art  de  diriger  une  maison  exige  déjà  une  bonne  cul- 
ture générale,  à  plus  forte  raison  celle-ci  est-elle  nécessaire  pour 
réaliser  l'idéal  de  la  vie  d'intérieur  et  les  devoirs  de  la  famille.  » 

C'est  l'école  publique,  l'école  de  l'Etat  ou  de  la  commune,  sur- 
veillée par  les  représentants  de  l'Etat,  qui  peut  le  mieux,  suivant 
M.  Nœldeke,  atteindre  le  but  de  l'éducation  féminine  telle  qu'il 
l'entend.  «  La  famille  n'a  rien  à  redouter  de  la  commune  ou  de 
l'Etat;  au  contraire,  elle  ne  réalise  sa  fin  idéale  que  dans  la  mesure 
où  elle  se  rattache  étroitement  aux  grands  intérêts  de  la  commu- 
nauté. Le  temps  que  la  jeune  fille  passe  à  l'école  doit  avoir  pour 
effet  de  nouer  et  de  resserrer  les  liens  qui  la  rattachent  à  la  petite 
et  à  la  grande  patrie.  Car  nul  ne  peut  se  faire  une  idée  juste  d'une 
grande  association  et  en  apprécier  les  avantages,  sans  s'être  mêlé  à 
sa  vie  et  sans  avoir  appris  à  se  soumettre  à  son  régime .»  En  finissant, 
M.  Nœldeke  expose  à  grands  traits  la  méthode  et  le  programme 
d'études  qui  conviennent  à  l'école  nationale  destinée  aux  jeunes 
filles. 

«  La  méthode  analytique  y  est,  dit-il  préférable  à  la  méthode  syn- 
thétique. La  tournure  d'esprit  de  la  femme,  qui  s'intéresse  surtout 
à  ce  qui  frappe  les  sens,  réclame  un  procédé  d'exposition  qui  aille  du 


74  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

phéûomèae  à  la  loi.  Tel  est  principalement  le  cas  pour  les  sciences 
naturelles  ainsi  que  pour  les  branches  philosophiques  qu'on  ne 
saurait  supprimer,  et  qui  doivent  toujours  être  traitées  empirique* 
ment;  l'histoire,  la  géographie,  les  langues  peuvent  aussi  être  easei* 
gnées  de  la  même  manière.  De  bonnes  gravures,  des  tableaux 
synoptiques  doivent  soutenir  l'exposition. 

»  La  place  principale  doit  être  donnée  à  la  langue  maternelle  et 
à  la  littérature  nationale.  Tandis  que  les  garçons  ont  besoin  d'être 
exercés  a  la  parole  et  à  un  usage  très  étendu  de  la  langue  écrite 
ainsi  qu'à  la  composition  de  discours  et  de  dissertations,  les  jeunea 
filles,  au  contraire,  excellent  dans  le  récit,  dans  la  conversation,  e4 
dans  leur  équivalent  littéraire,  c'est-à-dire  le  genre  épistolaire.  C'est 
dans  cette  direction  qu'elles  doivent  être  exercées... 

»  L'étude  d'une  langue  étrangère  est  indispensable,  ne  serait-ce 
que  comme  moyen  d'arriver  à  une  intelligence  plus  parfaite  de  la 
langue  maternelle,  et  les  effets  sont  d'autant  plus  sensibles  que  la 
différence  entre  les  deux  langues  est  plus  grande.  Les  jeunes  fiUei 
de  race  latine  étudieront  une  langue  germanique,  et  réciproquement. 
Une  langue  parente  de  l'idiome  national,  et  par  suite  plus  facile, 
peut  être  ajoutée  au  programme  des  classes  supérieures.  11  faut  aussi 
tenir  compte  dans  ce  choix  des  conditions  locales  et  de  l'utilité  per^ 
sonnelle.  Les  langues  anciennes  ne  sont  point  faites  pour  les  jeunei 
filles.  Du  moment  que  celles-ci  ne  restent  pas  à  l'école  au-delà  de 
la  durée  ordinaire  des  études,  ce  laps  de  temps  ne  leur  permet  pas 
d'obtenir  des  résultats  satisfaisants.  Les  langues  modernes  répondent 
d'ailleurs  mieux  aux  besoins  de  la  vie  pratique  et  omirent  une  littéra- 
ture plus  goûtée  des  jeunes  filles.  L'enseignement  de  la  grammaire 
sera  analytique  et  réduit  au  strict  nécessaire  ;  il  faudra  ameaer  aussi 
vite  que  possible  les  élèves  à  une  lecture  intéressante... 

»  L'histoire  et  la  géographie  doivent  avoir  pour  objet  immédiat  une 
claire  connaissance  du  sol  natal  et  du  développement  de  la  nation, 
et  ce  n'est  que  lorsque  ce  résultat  aura  été  atteint  qu'il  sera  temps 
d'élargir  le  cercle.  Un  enseignement  pragmatique  de  l'histoire  ne 
convient  pas  à  des  jeunes  filles  ;  au  contraire,  des  biographies,  un 
exposé  des  progrès  de  la  civilisation,  éveillent  un  vif  intérêt.  De 
dates,  aussi  peu  que  possible;  juste  ce  qui  est  indispensable  pour 
empêcher  la  confusion  des  diverses  époques. 

»  Dans  l'enseignement  des  sciences  naturelles,  qui  comprend 
nécessairement  l'hygiène,  il  faut  éviter  toute  systématisation  inutile, 
et  prendre  toujours  pour  point  de  départ  l'observation  de  Tindi-vid», 
du  phénomène  particulier  ou  de  l'expérience. 

y  Point  de  mathématiques  ;  des  exercices  de  calcul  sur  des  données 
de  la  vie  pratique,  et  en  particulier  le  calcul  de  tête;  ajoutons 
encore  quelques  théorèmes  de  géométrie  dont  la  solution  est  utile 
pour  les  besoins  journaliers;  l'écriture  {et,  si  possible,  la  sténo- 
graphie), des  travaux  à  l'aiguille;  en  fait  d'art,  le  dessin  et  bi 


LÀ   PRESSE   ET  LES  LIVRES  75 

musiqae...  L^esseniiel  dans  cette  branche  est  d'amener  Télève  a  Tin- 
telligence  de  la  musique;  Técole,  le  pùt-elie,  n'a  pas  à  former  des 
virtuoses.  C'est  ce  que  ne  comprennent  pas  les  parents  peu  sensés 
qui  obligent  leurs  filles  à  gaspiller  d'une  manière  impardonnable 
leur  temps,  leur  force  et  leur  banté.  Ces  leçons  de  piano  commen- 
cées dès  le  jeune  âge  comme  une  chose  indispensable  et  ces  exercices 
journaliers  dont  la  régularité  est  si  diilîcile  à  obtenir,  exigent  une 
tension  des  muscles  et  des  nerfs  telle  que  ne  le  comporte  aucun  tra- 
vail de  classe... 

-»  Les  jeunes  filles  montrent  une  certaine  répugnance  pour  les 
travaux  qui  exigent  un  effort  intellectuel,  et  préfèrent  un  travail 
machinai.  On  utilisera  cette  disposition  pour  leur  enriciiir  la  mémoire 
d'un  trésor  d'idées  saines,  en  les  obligeant,  malgré  leur  répugnance, 
à  réfléchir  sar  ces  idées  et  à  les  relier  entre  elles  dans  un  raisonne- 
ment rigoureux. 

»  Si  ïon  se  bornait  à  développer  chez  les  jeunes  filles  le  sentiment 
et  l'imagination,  elles  courraient  le  danger  d'être  plus  lard  comme 
ces  navires  mal  lestés  qui,  n'obéissant  plus  au  gouvernail,  deviennent 
le  jouet  des  vents  et  des  flots.  L'habitude  du  raisonnement  mettra 
du  lest  dans  ces  jeunes  têtes  et  leur  permettra  plus  tard  de  gou- 
verner contre  la  tempête  des  passions  et  de  ne  pas  faire  naufrage 
dans  la  vie.  »    • 

M.  Nœldeke  ajoute  que,  bien  qu'il  sache  que  sur  ce  point  «  il  est 
en  contradiction  a?ec  l'opinion  actuellement  dominante  en  France  », 
U.  ne  peut  se  représenter  une  école  de  filles  sans  un  enseignement 
religieux  «  qui  pénètre  et  vivifie  le  cœur,  en  habituant  la  jeunesse  à 
rattacher  toute  sa  conduite  et  sa  vie  à  ce  qui  demeure  éternellement 
et  à  considérer  les  devoirs  terrestres  comme  le  service  de  Dieu.  » 

Méthode  pratique  de  conjugaison  française  et  premiers  exercices 
DE  rédaction,  a  l'usage  des  écoles  primaires  et  des  cours  primaires 
dans  tous  les  établissements  denseignement  public  ou  privé,  par 
P.  Wissemans,  ancien  professeur  de  TUniversité  ;  Paris,  Paul  Dupont, 
1  vol.  iQ-i2  1884.  —  M.  Wissemans  expose  ainsi  qu'il  suit,  dans 
la  préface,  l'objet  de  son  livre  :  a  Cette  métbode  consiste  à  suppri- 
mer la  conjugaison  récitée  et  à  prendre  successivement  chaque  mode 
et  chaque  temps  dans  le  même  mode  pour  texte  de  rédaction  écrite. 
Un  mode  et  un  temps  de  ce  mode  étant  indiqués  comme  sujet  de  de- 
voir, l'élève  devra  formuler  une  série  de  petites  phrases,  analogues  à 
celles  qu'il  trouvera  dans  notre  livre,  où  ce  temps  de  verbe  sera 
employé  aux  trois  personnes  du  singulier  et  du  pluriel.  On  répé- 
tera cet  exercice  en  l'appliquant  successivement  aux  différentes 
espèces  de  verbes,  et  l'on  ne  passera  à  l'étude  du  temps  suivant 
qu'après  s'être  assuré  que  l'enfant  comprend  parfaitement  et  ne 
risque  pas  d'oublier  ce  qu'il  doit  savoir  sur  ce  point.  » 

M.  Wiseemans  croit  que  par  ce  moyen  tout  enfant  de  bonne 


70  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

volontr';  oj  crinlclligcnce  moyenne  saura,  au  terme  de  sa  carrière 
«colain*,,  «  réellement  conjuguer  un  verbe,  employer  chaque  mode 
et  cha(|ue  temf)H  à  propos,  analyser  avec  assurance  toutes  les  formes 
verbal«*s  que  la  lecture  fera  passer  sous  ses  yeux,  et,  comme  toutes 
les  particH  rlu  discours  se  rattachent  plus  ou  moins  étroitement  à 
l'emploi  des  verb(*s,  on  fieut  dire  que  l'enfant  arrivera  sans  grands 
offorls  à  Hfivoir  la  grammaire.  »  M.  Wisscmans  fait  remarquer,  en 
Hccond  liiîu,  que  cette  méthode  offre  un  moyen  commode  d'habituer 
l'enfant  à  exprimer    sa  pensée. 

L(^  procédé  que  préconise  ici  M.  Wissemans  n'est  pas  absolument 
nouvcîau  ;  il  so  rattache,  au  moins  d'une  manière  générale,  aux 
doctrines  du  P.  Girard;  il  a  déjà  été  recommandé,  et  il  est  déjà, 
croyons-nous,  plus  ou  moins  mis  on  pratique  dans  les  bonnes 
écoles.  M.  Wissemans  convient  lui-même  qu'il  est  long,  et,  en  effet, 
nous  no  voudrions  pas,  pour  notre  part,  employer  ces  exercices  de 
conjugaison  sans  les  interrompre,  sans  les  couper  par  d'autres  de 
llièmes  différents.  Mais,  à  ces  réserves  près,  le  livre  de  M.  Wissemans 
fournir  aux  leçons  une  disposition  rationnelle  et  une  grande 
qiumtitd  d'exemples  bien  choisis  ;  nous  remarquons  aussi,  à  la  fin 
du  volume,  des  notes  sur  différents  points  de  grammaire,  dont 
une,  concernant  la  définition  des  «  passés»,  est  intéressante. 

(louus  ni:  dessin  des  écoles  puimaiues,  enseignement  gradué 
conci»rilaut  avec  les  articles  dos  nouveaux  programmes  officiels  : 
dessin  linéaire,  dessin  d'ornement,  dessin  d'imitation;  cours 
supérieur,  livre  du  maître,  avec  07  ligures  dans  le  texte,  par  L. 
tVHemivty  ;  Taris,  Hachette  et  C'^  1  vol.  in-12,  1885.  —  Ce  livre 
du  n\aîln^  pour  le  cours  supérieur  complète  le  Cours  de  dessin  des 
éivlcs  pnnuuiYs,  de  M.  L.  d'Honriel.  aujourd'hui  populaire  dans  nos 
iVolos.  I.a  méthode  tout  entière  compn^nd,  sans  parler  des  quatre 
albums  de  modèles  du  Dessin  des  petits  enfants^  un  livre  du 
maitro,  ot  tn>is  albums  d'élève,  pour  le  cours  élémentaire  ;  un  livre 
du  maitro  et  cinq  albums,  pour  le  cours  moyen;  un  livre  du  maître 
et  si\  albums,  pour  le  cours  élémentaire.  Cest  un  ensemble  «gradué 
et  rationnel,  où  le  dessin  n'est  pas  considéré  comme  un  art  d'agré- 
ment, mais  comme  une  véritable  initiation  à  celle  «  écriture  des 
forn\es  »  qui  ne  devrait  pas  nous  être  moins  familière  que  récriture 
des  caractères.  M,  d'Henriet  no  se  contente  pas  d'être  un  homme 
do  iivnM  ol  un  dossîualcur  habile,  c  est  par  des  procédés  scientifiques 
qu'il  prvv^do  à  l'éducation  do  l\oil  ol  de  la  main.  Aussi  ne  sera-t- 
on jvMul  ôtiMUîé  de  trv^uvor  dans  ses  livres  du  maître,  très  simple- 
ment ol  tK*s  clairenoont  expos<H\j.  les  règles  de  la  perspective,  per- 
s|Hvti\o  cavalière  dans  le  cours  moyen,  perspective  rraie  dans  le 
CvHïrs  sujvriour,  l-ii  doniièrx^  partie  de  co  cours  est  consacrée  à 
IVtudo  do  U  tîirure  humaine,  dv>nl  Tauteur  examine  les  parties  et 
les  pn^v^riîvHis  on  le>  mltachant  toujours  à  un  enscmMe«  c  afin« 


LA   PRESSE  ET   LES  LIVRES  77 

dit-il,  d'habituer  l'élève  à  l'idée  des  relations  inséparables  de  posi- 
tion, de  grandeur  et  de  formes  qui  unissent  toutes  les  parties  Tune 
à  Vautre.  »  On  y  trouvera  également,  dans  la  deuxième  partie,  celle 
qui  a  pour  objet  le  dessin  d'ornement,  à  propos  des  «  ordres  d'ar- 
chitecture »,  tout  un  choix  de  modèles  et  un  œdre  de  développe- 
ment qui  permet  au  maître  de  montrer  le  classement  historique  de 
ces  ornements.  Ainsi  compris,  l'enseignement  du  dessin,  sans  pré- 
judice pour  rélémenl  technique  sans  lequel  il  ne  serait  pas,  s'agran- 
dit et  s'élève.  Si  nous  ne  craignions  pas  que  l'expression  ne  dépassât 
notre  pensée,  nous  dirions  qu'il  y  a  là  des  vues  philosophiques 
d'autant  plus  profondes  qu'elles  semblent  ne  vouloir  pas  se  montrer 
et  qui  ne  peuvent  que  contribuer  puissamment,  sans  qu'il  y  paraisse, 
non  seulement  à  l'éducation  esthétique  spéciale,  mais  au  dévelop- 
pement 'général  de  Tenfaiit. 

Compte-rendu  du  ix«  congrès  scolaire  de  la  société  des  lnstitu- 
TEURS  DE  LA  SUISSE  ROMANDE  réuui  à  Genèvc,  les  5,  6  et  7  août  188i; 
Genève,  imprimerie  faponnier  etStuder,  1  vol.  in-8<»  de  118  p.,  1884. 
—  Notre  collaborateur  M.  Defodon  a  rendu  compte  dans  la  Revue  de 
cette  très  intéressante  réunion;  nous  extrairons  seulement  du  docu- 
ment officiel  que  nous  avons  sous  les  yeux  un  passage  de  M.  Daguet 
sur  la  marche  de  ï Éducateur  pendant  l'année  scolaire  1883-1881, 
passage  relatif  aux  doctrines  de  YEducaieur  en  ce  qui  concerne  la 
discipline,  surtout  les  châtiments  corporels,  parce  que  ce  passage 
a  clé  diversement  commenté  dans  plusieurs  journaux  pédagogiques. 

«  La  question  des  châtiments  corporels,  dit  M.  Daguet,  n'a  jamais 
été  carrément  abordée  par  VÈducaleur.  Les  instituteurs  (jui  en  sont 
partisans  n'osent  pas  en  prendre  ouvertement  la  défense,  non  qu'ils 
croient  avoir  tort,  mais  parce  qu'ils  craignent  le  blâme  de  l'opinion 
pubhque  qui  s'est  prononcée  si  fortement  contre  les  corrections  ma- 
nuelles, en  France  particulièremenl,  où,  par  une  contradiction  étrange, 
on  tolère  les  brimades  (1). 

»  Il  serait  cependant  utile  de  savoir  ce  qui  se  passe  à  cet  égard 
sous  l'empire  delà  loi  qui  prohibe  ce  genre  de  châtiments.  Les  peines 
corporelles  ont-elles  complètement  disparu?  La  persuasion  suffit-elle? 
A-t-on  suppléé  aux  châtiments  corporels  par  d'autres  peines  plus 
conformes  au  but  pédagogique?  L'embarras  du  maître  le  plus  hostile 


(1)  11  ne  faudrait  pas  croire  qu'en  France  les  brimades  soient  d'un  usage 
général,  ni  qu'elles  soient  «  tolérées  ».  Il  n'y  a  guère  que  deux  ou  trois 
grands  établissements  spéciaux  de  l'État,  comme  l'école  de  Saint-Cyret  rÉcolo 
polytechnique,  où  le  bon  sens  et  l'autorité  des  chefs  n*ont  pu  avoir  toujours 
raison  d^une  ancienne  et  absurde  tradition.  Dans  les  établissements  d'ensei- 
gnement secondaire,  les  sévices,  même  les  taquineries  à  l'égard  des  «  nouveaux  ^d, 
sont  très  sévèrement  réprimés,  et  rien  de  ce  genre  n'a  jamais  existé  à  l'école 
primaire.  —  La  Rédaclion, 


78  REVUE    PÉDAGOGIQUE 

en  principe  aux  châtiments  corporels  doit  être  cependant  assez  grand, 
si  j'en  juge  par  quelques  faits  qui  se  sont  passés  sous  mes  yeux, 

»  J'en  citerai  un  :  Un  élève  de  quinze  à  seize  ans  ne  savait  jamais 
ses  leçons,  le  maître  lui  dit  :  «  11  faudra  que  j'en  parle  à  votre  maître 
de  pension.  —  Voulez-vous  son  adresse?  »  lui  demanda  le  jeune 
homme.  Le  maître  feignit  de  n'avoir  pas  entendu,  bien  que  le  mau- 
vais rire  de  quelques-uns  des  condisciples  de  l'élève  lui  prouvât  que 
ses  impertinentes  paroles  n'étaient  pas  tombées  sur  un  terrain  stérile. 
Mais  l'insolent,  décidé  à  pousser  sa  pointe,  sortit  un  calepin  de  sa 
poche  et  réitéra  sa  question;  cette  fois,  la  patience  du  professeur 
était  à  bout,  le  jeune  homme  reçut  un  soufflet  soigné,  après  lequel, 
estimant  son  honneur  atteint,  l'élève  jugea  à  propos  de  quitter  la 
salle,  pour  y  reparaître,  il  est  vrai,  deux  jours  après,  en  balbutiant 
une  espèce  d'excuse.  Mais  si,  au  lieu  de  faire  amende  honorable, 
le  jeune  homme  eût  porté  plainte,  il  est  probable  qu'au  désagrément 
d'être  vilipendé  par  un  mauvais  garnement  se  fût  jointe,  pour  le 
professeur,  l'humiliation  d'être  encore  l'objet  d'une  mercuriale  de  la 
part  de  ses  supérieurs  hiérarchiques. 

»  Nous  aimerions  à  voir  une  rubrique  spéciale  de  VÉducateur  s'ou- 
vrir aux  cas  disciplinaires,  et  les  instituteurs  s'exprimer  en  toute 
franchise  sur  les  difficultés  que  leur  ofl're  la  discipline.  Elle  ne 
serait  certes  pas  la  moins  intéressante  ni  la  moins  instructive.  Qu'on 
ne  croie  pas  pour  tout  cela  que  l'Éducateur  se  constitue  jamais  l'apo- 
logiste des  imitateurs  modernes,  trop  nombreux  encore  dans  diverses 
contrées  de  l'Europe,  de  cet  «  Orbilius  plagosus  »  dont  parle  Horace 
et  dont  le  code  disciplinaire  se  résumait  en  corrections  manuelles  qui 
l'ont  rendu  tristement  célèbre.  Bien  loin  de  favoriser  le  système  des 
peines  corporelles,  nous  devons  le  combattre  comme  un  danger  et 
un  fléau,  en  même  temps  que  nous  attaquons  l'hypocrite  optimisme 
sentimental  qui  voit  dans  les  élèves  des  anges  dont  il  est  si  aisé 
de  se  faire  aimer  et  obéir.  Une  pédagogie  qui  tend  à  l'ennoblissement 
de  l'humanité  a  toujours  été,  de  Pestalozzi  à  Frœbel,  l'idéal  des 
hommes  de  cœur  voués  à  l'art  éducatif,  et  ce  n'est  certes  pas  par 
une  discipline  orbilienne  qu'on  y  parviendra  jamais.  Intimider  n'est 
pas  synonyme  d'améliorer.  Se  faire  aimer  sera  toujours  plus  beau 
que  se  faire  craindre.  Et  cependant  il  n'est  que  trop  avéré  que  la 
bonté  sans  la  fermeté  expose  à  la  familiarité  et  au  mépris.  » 

La  question  que  pose  ici  M.  Dague t  est  fort  importante,  et  nous 
aimerions,  nous  aussi,  non  pas  peut-être  à  ouviir  dans  la  Revue 
pédagogique  une  rubrique  spéciale  aux  cas  disciplinaires,  mais  à 
accueillir  les  vues  de  quelques  maîtres  dévoués  et  expérimentés  «  sur 
les  difiBcultés  que  leur  oflre  la  discipline  »,  aujourd'hui  surtout  que 
l'obligation  légale  de  l'instruction  primaire  interdit  à  l'instituteur  la 
ressource  suprême  de  l'exclusion,  comme  une  tradition  dont  l'école 
française  s'honore  lui  interdit  non  moins  absolument  l'emploi  des 
peines  corporelles. 


LÀ   PRESSE   ET  LES  LIVRES  79 

Les  SAVANTS  délaissés,  par  M.  E.  Frémy,  membre  de  TAcadémie 
des  sciences,  directeur  du  Muséum,  i  brochure  in-i  de  4  pages, 
Paris,  Gauthier- Villars,  1884.  —  Dans  ces  quelques  pages,  M.  Frémy 
propose  la  création  a  d'un  comité  d'encouragement  en  faveur  des 
savants  qui  se  vouent  avec  succès  au  culte  de  la  science  pure  ». 

A  côté  des  professeurs  qui  appartiennent  à  TUniversité,  dit 
M.  Frémy,  il  est  toute  une  pléiade  de  travailleurs  ardents  et  désin- 
téressés, qui  ont  souvent  renoncé  à  des  carrières  lucratives  et  cer- 
taines pour  se  livrer  entièrement  à  la  recherche  dos  vérités 
scientifiques.  S'ils  ne  professent  pas,  ils  donnent  à  l'enseignement 
public  ses  principaux  éléments;  en  publiant  leurs  recherches,  ils 
abandonnent  généreusement  des  découvertes  qui  pourraient  souvent 
assurer  leur  fortune:  s'il  était  possible  d'exprimer  en  argent 
l'importance  des  travaux  de  science  pure  qui  ont  donné  lieu  à  des 
applications  industrielles,  on  arriverait  à  des  sommes  considérables. 

«  Que  fait-on  pour  ces  hommes  généreux  lorsqu'ils  se  trouvent 
en  présence  des  difficultés  de  la  vie  qu'ils  n'avaient  pas  prévues  ? 
Hélas  !  bien  peu  de  chose  :  si  en  effet  on  jette  les  yeux  sur  la  liste 
des  familles  secourues  par  la  Société  des  amis  des  sciences,  on  y  trouve 
avec  douleur  les  noms  de  ces  savants  dont  les  brillants  travaux 
ont  enrichi  la  science  ou  l'industrie  et  qui  sont  morts  en  laissant 
leurs  enfants  dans  une  profonde  misère. 

»  Le  pays  commet  une  grande  faute  et  une  véritable  injustice  en 
n'assurant  pas  un  certain  avenir  à  ceux  qui  font  avancer  la  science 
par  leurs  travaux;  il  perd  ainsi  des  savants  éminents  qui  se  trouvent, 
faute  de  ressources,  dans  la  nécessité  d'abandonner  leurs  recherches.  » 

M.  Frémy  ajoute  qu'il  s'était  d'abord  adressé  à  l'État,  mais  que 
les  charges  du  budget  ont  empêché  de  donner  suite  à  sa  proposi- 
tion. Confiant  dans  la  justesse  de  la  cause  qu'il  défend,  il  fuit  appel 
aujourd'hui  à  l'initiative  individuelle.  Le  comité  dont  il  propose  la 
création  réaliserait  par  souscription  un  capital  dont  l'intérêt  serait 
consacré  à  l'œuvre  scientifique  qu'il  s'agit  de  fonder.  Les  savants  qui 
seront  choisis  par  le  comité  pour  recevoir  ce  que  M.  Frémy  appelle 
«  la  rémunération  du  travail  scientifique  0  seraient  partagés  en  trois 
classes  :  ceux  de  la  troisième  classe  rece>Taient  2,000  francs  par  an, 
ceux  de  la  deuxième  4,000  francs,  ceux  de  la  première  6,000  francs. 
Pour  entretenir  chez  les  lauréats  une  ardeur  constante,  les  nomina* 
tions  ne  seraient  faites  que  pour  un  an,  mais  elles  seraient  renou- 
velées tant  que  le  savant  se  montrerait  digne,  par  ses  travaux,  de  la 
position  qui  lui  aurait  été  donnée. 

Prêchant  d'exemple,  le  directeur  du  Muséum  s'inscrit  sur  la  liste 
de  souscription  pour  une  somme  de  5,000  francs.  Nous  applaudis- 
sons A  cette  noble  initiative,  et  nous  espérons  que  l'appel  de  M.  Frémy 
trouvera  de  l'écho  chez  tous  les  amis  de  la  science. 


CHRONIQUE   DE    L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE 

EN   FRANCE 


L'achèvement  des  maisons  d'école.  —  Nous  avons  déjà  dit  (Rmmc 
du  lo  avril  et  du  15  juin)  que  le  ministre  de  l'instruction  publique 
a  ouvert  l'an  dcniier  une  vaste  enquête  sur  la  situation  des  écoles 
primaires.  La  première  opération  a  été  le   recensement  nominatif 
de  tous  les  élèves  inscrits  et  présents  le  5  avril  dans  toutes  les  écoles 
publiques  primaires  et  maternelles.  Nous  dirons  dans  notre  prochain 
numéro  quel  en  a  été  le  résultat.  Les  autres  opérations  concernaient 
non  plus  les  élèves,  mais  les  bâtiments  scolaires.  Tous  les  institu- 
teurs et  toutes  les  institutrices  ont  dressé  à  la  même  échelle  le  plan 
de  leur  école  et  répondu  au  questionnaire  qui  leur  a  été  envoyé.  Ces 
questionnaires  aujourd'hui  réunis  et  reliés  forment  au  ministère  une 
collection  des  plus  intéressantes  et  des  plus  utiles  à  consulter.  Une 
autre  collection  non  moins  précieuse,  c'est  celle  des  cartes  scolaires 
exécutées  par  chmiue  inspecteur  primaire   pour  sa  circonscription. 
Mais,  comme  on  le  sait,  le  but  du    ministre  n'était  pas   seulement 
de  recueillir  des  documents,  des  plans,  dos  cartes  et  des  tableaux  ; 
son  intention  était  de  «■  faire  mesurer  aux  Chambres  retendue  des 
sacrifices  qui  peuvent  rester  à  faire  »  pour  l'achèvement  des  mai- 
sons d'école  dans   toutes  les  communes,  sections  de   communes  ou 
hameaux.  A  cet  eft'el,  il  a  été  déposé  sur  le  bureau   de  la  Chambre 
au  mois  de  décembre  un   important  projet  de  loi  qui  embrasse  tous 
les  établissements  d'instruction  publique  :  Facultés,  lycées  et  collèges, 
écoles  primaires  de  toute  nature.  C'est   de  ces  dernières  que  nous 
nous  occuperons  ici. 

11  résulte  de  l'enquête  qu'il  y  a  encore  24,000  conmiunes  ou 
hameaux  où  il  y  a  lieu  soit  de  créer,  soit  de  restaurer  des  écoles  ou 
des  groupes  scolaires,  et  que  de  ce  chef  la  dépense  s'élèverait  à  un  peu 
plus  de  390  millions.  C'est  un  chillre  respectable  sans  doule,  mais 
nous  sommes  loin  des  720  millions  reconnus  nécessaires  en  1882  : 
la  ditïérence  s'explique  par  le  grand  nombre  de  créations  qui  ont 
été  faites  dans  ces  dernières  années  et  aussi  par  le  mode  d'évalua- 
tion de  la  dépense.  Le  ministre  en  effet  a  fixé  à  l'avance  le  prix 
moyen  de  chaque  construction  : 

12,000 francs  pour  une  petite  école  de  hameau; 

io,000  francs  pour  une  école  communale  à  une  seule  classe; 

28,000  francs  pour  un  groupe  scolaire  simple,  c'est-à-dire  ne  com- 
prenant qu'une  école  spéciale  de  garçons  et  ime  de  filles,  chacune 
à  une  seule  classe,  avec  un  supplément  de  12,000  francs  pour  chaque 
classe  en  plus. 


CHRONIQUE  DI  l'£NS£IGM£MBNT  PRIMAIRE  £N  FRANGE  81 

U  va  de  soi  que  les  communes  pourront  dépasser  Jes  frais,  mais 
c'est  d'après  ces  prix  que  sera  calculée  la  subvention  de  TÉtat,  et 
elle  le  sera  d'après  un  système  rationnel  qui  ne  laissera  aucune  place  a 
Tarbitraire.  En  effet,  cette  subvention  sera  divisée  en  deux  parties 
dont  Tune  sera  inversement  proportionnelle  à  la  valeur  du  centime 
communal,  c'est-à-dire  d'autant  plus  forte  que  la  commune  sera  plus 
pauvre,  et  l'autre  directement  proportionnelle  aux  centimes  addi- 
tionnels, c'est-à-dire  aux  charges  qui  pèsent  sur  la  commune.  Tou- 
tefois la  subvention  totale  ne  pourra  être  en  aucun  cas  ni  supérieure 
à  80  ®/o,  ni  inférieure  à  10  Vo»  excepté  dans  les  communes  qui 
comme  Paris  et  autres  peuvent  et  doivent  se  suffire  avec  leurs 
propres  ressources.  11  est  établi  en  outre  que  l'ensemble  des  sub- 
ventions de  l'État  ne  pourra  pas  dépasser  la  moitié  de  l'ensemble 
des  dépenses  totales. 

Il  reste  à  trouver  de  l'argent.  Comment  s'en  procurer  ?  La  caisse 
des  écoles  est  épuisée  et  on  ne  la  remplirait  à  nouveau  que  dans  des 
conditions  onéreuses  pour  le  trésor  public.  Le  ministre  invite  donc 
les  communes  à  emprunter  directement  aux  établissements  de  cré- 
dit qui  voudront  se  prêter  à  ce  genre  d'opérations,  et  le  Crédit  Fon- 
cier est  tout  indiqué.  Le  remboursement  des  sommes  prêtées  $e 
fera  en  40  annuités,  mais  les  travaux  de  construction  devront  se 
faire  en  12  ans.  Quant  à  l'État,  il  fournira  sa  subvention  au  moyen 
de  crédits  que  le  Parlement  mettra  annuellement  à  sa  disposition. 

Le  ministre  ne  pouvait  oublier  ni  les  écoles  normales  primaires, 
ni  méme^  bien  qu'elles  n'aient  pas  de  caractère  obligatoire,  les 
écoles  primaires  supérieures  et  les  écoles  maternelles  :  de  plus  il  est 
indispensable  de  laisser  au  budget  de  l'instruction  publique  une 
certaine  élasticité  pom*  une  entreprise  aussi  considérable  :  c'est 
pourquoi  la  dépense  totale  est  évaluée  à  460  millions,  dont  12  mil- 
lions de  réserve,  ou,  si  l'on  aime  mieux,  de  prévision. 

Des  règles  analogues  seront  appliquées  aux  constructions  de  l'en- 
seignement supérieur  et  de  l'enseignement  secondaire. 

Telle  est  l'économie  générale  du  projet;  nous  faisons  tous  nos 
vœux  pour  qu'il  reçoive  promptement  l'approbation  des  Chambres. 

Décret  et  arrêté  du  30  décembre  1884  sur  les  titres  de  cvp agité 
DE  l'enseignement  PRIMAIRE.  —  Le  Conscil  supérieur  a  terminé  le 
29  décembre  sa  deuxième  session  ordinaire  de  1884,  commencée  le 
22  du  même  mois.  Les  deux  questions  les  plus  importantes  portées 
à  son  ordre  du  jour  étaient  la  révision  des  programmes  de  l'ensei- 
gnement secondaire,  qui  ont  été  sensiblement  allégés,  et  la  réforme 
des  titres  de  capacité,  dont  nous  avons  souvent  entretenu  nos  lec- 
teurs. La  commission  chargée  d'étudier  cette  dernière  question,  déjà 
étudiée  fort  sérieusement  par  la  section  permanente,  s'est  réunie 
huit  fois  sous  la  présidence  de  M.  Gréard  et  a  partagé  la  tâche  du  rap- 
port entre  MM.  Armbruster   et  Leoient.  Ses  conclusions  ont  été 

RITUB  PiDAflOGIQUI  1885.  —  1*'  SBM.  6 


82  MCTUE  PiDAGO<HQUB 

adoptées  avec  très  peu  de  modifications,  dont  une  seule  vraiment 
importante,  portant  sur  la  correction  de  Tépreuve  d'orthographe.  Dès 
le  30  décembre,  le  décret  et  Tarrêté  sanctionnant  les  résolutions  du 
Conseil  supérieur  ont  été  signés  par  le  président  de  la  République 
et  par  le  ministre  de  Tinstruction  publique.  Ils  ne  seront  exécu- 
toires qu'à  partir  du  1**"  janvier  1886,  et,  en  ce  qui  concerne 
Fépreuve  obligatoire  d'une  langue  vivante  pour  le  brevet  supérieur, 
qu'à  partir  de  1888.  Il  n'y  aura  donc  rien  de  changé  à  Tétat  actuel 
des  choses  pour  Tannée  1885,  pendant  laquelle  tous  les  examens 
continueront  à  se  passer  conformément  à  la  réglementation  actuelle. 

Voilà  pour  les  dates  d'exécution.  Passons  maintenant  à  la  réforme 
elle-même.  Elle  est  telle  qu'on  devait  l'attendre  et  qu'on  pouvait" 
l'espérer  dans  les  conditions  où  se  trouvait  placé  le  Conseil  supérieur 
par  la  loi  du  16  juin  1881  sur  les  titres  de  capacité  exigibles  de  tous 
ceux,  qui,  d'une  manière  quelconque,  dirigent  une  école  ou  une  classe 
primaire  ou  maternelle.  La  loi  ne  permettait  au  Conseil  ni  de  décréter 
l'obligation  du  certificat  d  aptitude  pédagogique  pour  tous  les  institu- 
teurs et  pour  toutes  les  institutrices  titulaires,  ni  de  supprimer  le 
certificat  d'aptitude  à  la  direction  des  écoles  maternelles  en  le  fondant 
avec  le  brevet  élémentaire.  La  commission  du  Conseil  et  le  Conseil 
lui-même  étaient  favorables  à  ces  deux  mesures  et  ont  fait  tout  ce 
ce  qui  était  en  leur  pouvoir  pour  qu'elles  puissent  être  prises  le  plus  tôt 
possible,  sans  un  nouvel  et  complet  remaniement  des  n^glements  rela- 
tifs aux  titres  de  capacité.  Les  jalons  sont  posés  et  la  voie  est  ouverte: 
ce  n'est  plus  qu'une  question  de  temps.  Le  Conseil  n'a  pas  voulu  non 
plus,  pour  des  raisons  d'ordre  légal,  se  prononcer  sur  les  droits  d'exa- 
men qui  avaient  été  presque  unanimement  réclamés  au  cours  de  l'en- 
quête sur  les  brevets  et  qui  seraient  si  légitimes.  Il  est  à  désirer  que 
tous  les  Conseils  généraux  rémunèrent  les  examinateurs  sans  recourir 
à  l'État,  comme  cela  se  fait  déjà  dans  un  certain  nombre  de  dépar- 
tements. Mais  certainement  une  mesure  générale  et  obligatoire  serait 
préférable. 

Les  principales  modifications  apportées  au  régime  en  vigueur 
depuis  1881  sont  les  suivantes  : 

1®  Le  décret  et  l'arrêté  visent  à  la  fois  les  deux  brevets  et  les  deux 
certificats  d'aptitude  (certificat  d'aptitude  pédagogique  et  certificat 
des  écoles  maternelles).  C'est  une  heureuse  simplification  qui  n'est 
pas  seulement  une  question  de  forme,  car  elle  tend  à  rapprocher, 
en  attendant  la  fusion,  le  brevet  élémentaire  et  le  certificat  d'aptitude 
à  la  direction  des  écoles  maternelles. 

2®  Les  limites  d'âge  arrêtées  pour  les  divers  examens  sont  : 
seize  ans  révolus  le  i^  janvier  de  Tannée  où  Ton  se  présente  pour  le 
brevet  élémentaire  ;  dix-huit  ans  révolus  pour  le  brevet  supérieur  ;  vingt 
et  unans  révolus  au  moment  où  se  passent  les  examens,  pour  les 
deux  certificats  d'aptitude,  avec  cette  restriction  toutefois  que  cette 
dernière  condition  d'âge  ne  sera  pas  imposée  aux  aspirantes,  pourvues 


CHBONIQUI   DE  L  MABiamiiEHT  PROUIRE  EN  FRANCK  88 

da  brevet  élémentaire,  qui  veulent  obtenir  le  certificat  des  écoles 
maternelles.  Il  est  inutile  d'insister  sur  le  sens  et  sur  la  portée  du 
privilège  accordé  aux  jeunes  brevetées. 

9*  La  session  de  mars,  qui  portait  tant  de  trouble  dans  les  études, 
est  supprimée  pour  les  brevets  élémentaire  et  supérieur  ;  les  deuic 
sessions  normales  auront  lieu  en  juillet  et  en  octobre  pour  les  deux 
brevets  et  pour  le  cer(ificat  d'aptitude  des  écoles  maternelles.  Il  n'y 
aura  qu'une  session,  en  avril,  pour  le  certificat  d'aptitude  pédagogique. 

4®  Le  programme  du  brevet  élémentaire  est  mis  en  harmonie  avec 
la  loi  du  28  mars  1882;  toutes  les  anciennes  matières  sont  donc 
conservées,  mais  il  est  stipulé  que  rexerclco  de  composition  française 
pourra  porter  sur  «  Texplication  d'un  proverbe,  d'une  maxime,  d'un 
précepte  de  morale  sur  l'éducation.  »  Dans  l'examen  oral,  l'annlyse 
grammaticale  est  rattachée  à  la  lecture  expliquée.  L'instrurtion 
civique  s'ajoute  aux  éléments  de  l'histoire  nationale.  Le  tracé  d'une 
«arte  au  tableau  noir  devient  obligatoire.  Le  programme  porte  en 
outre  :  t  Questions  et  exercices  très  élémentaires  de  solfège;  questions 
sur  les  notions  les  plus  élémentaires  des  sciences  physiques  et  natu- 
relles dans  leurs  rapports  avec  l'agriculture  et  l'horticulture;  exécu- 
tion d'un  dessin  au  trait,  d'après  un  objet  usuel;  exécution  des 
exercices  les  plus  élémentaires  de  gymnastique.  »  11  n'y  a  que  le  mot 
c  géométrie  usuelle  »  qui  manque  au  programme,  et  la  morale  n'a 
aucune  place  à  l'examen  oral. 

5**  Le  brevet  supérieur  est  allégé  du  chant  et  de  la  gymnastique 
qu'on  a  reportés  au  brevet  élémentaire.  Il  n'y  a  rien  là  que  de 
naturel.  On  pourra  trouver  plus  contestable  que  les  candidats  à  ce 
brevet  ne  soient  plus  interrogés  sur  l'histoire  de  France  et  sur  les 
éléments  de  l'histoire  générale  qu'à  partir  de  1610.  Ne  sommes- 
nous  pas  obligés  de  remonter  constamment  à  nos  origines  gréco- 
latines,  et  n'est-îl  pas  indispensable  que  les  candidats  au  brevet 
supérieur  se  soient  fait  une  idée  de  la  marche  de  la  civilisation 
dans  le  monde  entier?  Il  est  évident  qu'en  limitant  à  la  période 
moderne  les  matières  d'examen  du  brevet  supérieur,  le  Conseil  n'a 
pas  voulu  dispenser  les  candidats  de  l'étude  des  périodes  antérieures, 
mais  il  a  tenu  d'une  part  à  éviter  les  trop  grands  eiTorts  de  mé* 
moire,  et  d'autre  part  à  bien  marquer  la  nécessité  d'une  étude  spé- 
ciale et  approfondie  de  l'histoire  moderne  et  de  l'histoire  contem- 
poraine. Les  langues  vivantes  (anglais,  allemand,  italien,  espagnol 
ou  arabe,  suivant  la  région  habitée  par  le  candidat)  deviennent  obli- 
gatoires, mais  à  l'examen  oral  seulement,  à  partir  de  1888. 

6^  U  n'y  a  plus  de  «  certificat  d'aptitude  pédagogique  à  la  direction 
d'une  école  à  plusieurs  classes  ».  Le  nouveau  certificat  est  délivré 
à  la  suite  d'un  examen  «  destiné  à  constater  Paplitude  à  la  direction 
d'une  école  publique  ».  Cest  assez  dire  que  cet  examen  s'imposera 
comme  une  sorte  d'obligation  morale,  en  attendant  qu'elle  se 
traaal(Nrme  en  obligation  légale,  à  tous  les  adjoints  et  adjointes  des 


84  REVUE  PEDAGOGIQUE 

écoles  publiques,  sinon  des  écoles  libres.  Les  épreuves,  essentielle- 
ment pratiques,  ne  sont  plus  subies  en  présence  des  élèves  dans  une 
école  publique.  Elles  comprennent:  une  composition  française  sur 
un  sujet  relatif  à  la  tenue  et  à  la  direction  d*une  école;  une  leçon 
très  simple  dans  les  limites  du  programme  des  écoles  élémentaires; 
la  correction  d'un  devoir  d'élève  et  l'appréciation  d'un  cahier  de 
devoirs  mensuels  ;  des  questions  de  pédagogie  pratique  et  élémentaire. 

1^  La  correction  des  épreuves  se  traduit  en  chiffres  et  non  en 
notes  :  c'est  ce  qui  était  demandé  unanimement.  Le  système  des 
coefficients  a  été  écarté.  Il  a  seulement  été  admis  que  le  chififre  5 
serait  le  chiffre  le  plus  élevé  pour  le  chant  et  la  gymnastique,  la 
valeur  des  autres  épreuves,  tant  orales  qu'écrites,  étant  exprimée 
par  des  chiffres  allant  de  0  à  10.  Pour  l'épreuve  d'orthographe  les 
commissions  ne  sont  plus  liées  comme  auparavant  par  un  nombre 
éliminatoire  de  fautes  —  trois  ou  cinq;  elles  jugeront  en  toute 
liberté  :  telle  est  la  solution  adoptée,  et  nous  croyons  que  c'est  la 
bonne,  après  une  discussion  assez  animée.  11  a  été  décidé  en  outre 
que  les  épreuves  écrites  pourront  être  corrigées  par  des  commissions 
de  deux  membres,  et  que  les  épreuves  orales  pourront  être  subies 
devant  des  sous-commissions  de  trois  membres. 

Ces  diverses  réformes  ont  une  importance  qui  n'échappera  à 
personne  :  elles  ont  été  mûrement  élaborées,  sérieusement  discutées. 
Elles  seront  accueillies  avec  faveur  par  tous  les  amis  de  l'instruction 
primaire. 

Les  bourses  de  séjour  a  l'étranger.  —  La  question  des  bourses 
de  séjour  à  l'étranger  a  donné  lieu,  lors  de  la  discussion  du  budget 
de  l'instruction  publique,  à  un  intéressant  échange  d'explications 
entre  M.  Jules  Roche,  rapporteur  général,  et  M.  le  ministre.  Nous 
reproduisons  in-extenso  le  compte-rendu  du  Journal  Officiel  : 

M.  LE  PRÉSIDENT.  —  a  Chap.  56.  —  Enseignement  primaire.  —  Matériel. 
—  Encouragements,  2,087,000  francs.  y> 

M.  Jules  Roche,  rapporteur  général.  —  Je  désire  adresser  à  M.  le  ministre 
de  l'instruction  publique  une  simple  question. 

Vous  SHvez,  messieurs,  qu'un  grand  nombre  de  maisons  de  banque  et  de 
maisons  de  commerce  sont  dans  l'obligation  de  prendre  comme  employés  des 
jeunes  gens  étrangers,  allemands,  suisses,  anglais^  parce  qu'elles  ne  trouvent 
pas,  dans  les  conditions  où  elles  en  auraient  besoin,  des  jeunes  gens  français 
ayant  reçu  une  éducation  commerciale  et  possédant  suffisamment  la  connais- 
nance  des  langues  étrangères. 

Le  conseil  supérieur  de  l'enseignement  technique,  section  du  commerce, 
a  émis  plusieurs  fois^  et  très  récemment  encore,  le  vœu  que  les  bourses  de 
l'enseignement  primaire  supérieur  pussent  éire  appliquées  h.  des  jeunes  gens 
se  destinant  au  commerce  et  à  l'industrie,  sortant  de  l'enseignement  primaire 
supérieur  ou  de  l'enseignement  secondaire  spécial,  et  qui  seraient  envoyés 
pendant  un  temps  plus  ou  moins  long  —  on  a  indiqué  un  an  —  à  l'étranger 

Sour  y  apprendre  les  lanirues  étrangères.  On  permettrait  ainsi  aux  maisons 
e  commerce  de  recruter  des  employés  capables,  distingués,  dans  la  jeunesse 
française. 
Je  prie  M.  le  ministre  de  l'instruction  publique  de  vouloir  bien  déclarer 


H;|  (DvKl   II 


DE  l'eNSBIGNIMSNT  PRIMàIBB  in  FRANCE  85 


si,  eomme  je  le  suppose,  il  est  de  mon  aris,  qui  est  en  même  temps  celui 
à»  beaucoup  de  nos  collègues,  et  s'il  pense  que  le  crédit  dont  il  s'agit  en  ce 
moment  peut  s'appliquer  daus  les  conaitions  que  je  viens  d'indiquer.  J'aurai 
ainsi  complète  satisfaction.  (Très  bien!  très  bten!) 

M.  LE  MINISTRE  DE  L'msTRUCTioN  PUBLIQUE.  —  MessieuTS,  la  quostiou  que 
rbonorable  M.  Jules  Roche  vient  de  porter  à  la  tribune  nous  préoccupe  déjà 
depuis  quelque  temps.  Nous  avons  reçu,  en  effet,  les  réclamations  du  com- 
merce et  de  l'industrie,  dont  les  repréisentants  sont  quelquefois  forcés  d'em- 
ployer des  étrangers,  alors  qu'il  leur  serait  particulièrement  agréable  de 
donner  la  préférence  à  des  jeunes  gens  français,  qui  connaîtraient  les  langues 
étrangères. 

ÂQ  ministère  du  commerce,  on  s'est  préoccupé  également  de  cette  question  ; 
j*ai  même  été  saisi,  hier,  d'un  vœu  spécial,  formulant  les  indications  que 
l*honorable  M.  Jules  Roche  vient  de  fournir. 

Noos  inclinons  à  croire  qu'il  est  légalement  possible  de  prendre  sur  le 
diapitre  des  bourses  les  crédits  nécessaires  pour  envoyer  k  1  étranger,  dans 
des  conditions  déterminées,  des  jeunes  gens  qui  auront  fourni  la  preuve  de 
leur  capacité. 

J*ai  seulement  une  réserve  à  faire. 

La  bourse  de  renseignement  primaire  supérieur  en  France  est  de  500  francs , 
or,  d'après  les  renseignements  que  nous  avons  pris,  il  ne  serait  pas  possible: 
avec  cette  somme,  qu'un  jeune  homme  pût  vivre  à  l'étranger  ;  je  crois  qu'il 
faudrait  doi^ler  le  chiffre. 

M.  Letdet.  —  Ces  jeunes  gens  pourront  se  placer  dans  des  maisons  de 
commerce  et  recevoir  de  petits  appointements. 

M.  LE  HINISTEE. — Déjà  des  propositions  nous  ont  été  faites.  D'honorables 
négociants  de  Baie  nous  ont  fait  des  ouvertures  à  ce  sujet  ;  nous  avons  fait 
étudier  la  question  sur  place,  et  la  demande  nous  a  paru  pouvoir  être  accueillie, 
an  plus  grand  bénéfice  du  commerce  et  de  l'industrie  de  la  France.  (Très  bien  ! 
très  bien!) 

M.  LE  RAPPORTEua  gânAral.  —  Il  cst  entendu  que  le  crédit  sera  appli- 
cable dans  les  conditions  dont  nous  venons  de  parler  ? 

M.  LE  MUfiSTEE.  Parfaitement  I 

M.  LE  FEisiBENT.  —  Je  mets  aux  voix  le  chapitre  5G. 

(Le  chapitre  56,  mis  aux  voix,  est  adopté.) 

En  conséquence  de  la  décision  indiquée  ci-dessus,  un  arrêté  du 
ministre  de  rinstruction  publique,  en  date  du  9  janvier  1885,  a  an- 
noncé pour  le  mercredi  19  août  prochain  l'ouverture  d'un  concours 
pour  les  élèves  ou  anciens  élèves  des  écoles  primaires  supérieures 
qui  désireraient  obtenir  une  bourse  de  séjour  à  l'étranger  pendant 
Tannée  scolaire  1885-1886. 

Les  candidats  devront  remplir  les  conditions  suivantes  :  i^  Avoir 
seize  ans  accomplis  et  moins  de  dix-neuf  ans  au  moment  du  con- 
«coiirs  ;  aucune  dispense  d'âge  ne  sera  accordée;  99  être  pourvus  du 
certificat  d'études  primanres  supérieures;  3^  adresser  au  ministre, 
par  rintermédiaire  de  l'inspecteur  d'académie,  une  demande  écrite 
ou  signée  par  le  père  ou  le  tuteur. 

Les  épreuves  consisteront  en  un  thème  et  une  version  allemands 
<ra  anglais;  elles  auront  lieu  au  chef-lieu  du  département. 

Lis  CONFÉRENCES  PÉDAGOGIQUES  A  SoissoNs.  ~  G'est  uue  excellente 
institution  que  celle  des  conférences  pédagogiques  :  il  s'y  dit  de 
fort  bonnes  choses  qui  élèvent  d'année  en  année  la  valeur  des 
maîtres.  Mais  trop  souvent  les  travaux  des  instituteurs  et  les  discus- 


86  RIWE  PÉDAOOGlQIIf 

sions  auxquelles  ils  ont  donoé  lieu  ne  laissent  pas  de  trace  imprimée 
et  par  suite  pas  de  trace  durable.  C'est  pour  remédier  à  cet  încon- 
vénient  que  les  instituteurs  de  Tarrondissement  de  Soissons  ont  fait 
imprimer  à  leurs  frais  depuis  188â  les  rapports  qui  résument  les 
conférences  auxquelles  il  ont  pris  part  et  qui  ne  sont  mis  sous  presse 
qu'après  avoir  été  approuvés  par  les  vice-présidents,  les  secrétaires 
et  les  60us*secrétaires  des  réunions  cantonales.  Nous  avons  donc 
aous  les  yeux  le  résumé  des  conférences  de  1882  sur  les  exercices 
de  rédaction  dans  les  écoles  primaires,  celui  des  conférences  de  4883 
sur  l'application  des  nouveaux  programmes  de  renseignement  pri- 
maire, celui  des  conférences  de  1884  sur  la  méthode  à  suivre  dans 
les  leçons  orales  et  sur  l'importance  de  ces  leçons  pour  Feoseigne- 
ment  collectif.  Ces  mémoires  font  grandement  honneur  aux  institu- 
teurs qui  les  ont  rédigés.  Nous  ne  pouvons  les  analyser  ici  :  cela 
nous  conduirait  trop  loin;  nous  n'aurions  d'ailleurs  qu'à  nous  associer 
aux  conclusions  généralement  très  sages  et  fortement  motivées  des 
auteurs.  C'est  là  certainement  un  bon  exemple  à  suivre  :  nous  tenions 
à  le  signaler  et  à  y  applaudir. 

Enseignement  di:  dessin.  —  L'inspecteur  d'académie  des  Vosges 
informe  les  instituteurs  et  les  institutrices  de  son  département  que 
des  conférences  gratuites  sur  l'enseignement  du  dessin  à  l'école  pri- 
maire seront  faites  mensuellement  à  Épinal,  à  Mirecourt  et  à  Rémi- 
remont,  et  deux  fois  par  mois  à  Neufchàteau  et  à  Saint-Dié.  Les 
conférences  de  Neufchàteau  seront  suivies  d'un  cours  de  solfège  fait 
par  M.  Ferry,  délégué  cantonal. 

Enseignement  de  l'agriculture.  —  A  l'occasion  de  Finauguration 
des  maisons  d'école  de  Montaigu,  M.  Uervé-Mangon,  membre  de 
l'Institut,  député  de  la  Manche,  a  prononcé  un  discours  fort  applaudi 
sur  l'enseignement  de  l'agriculture  à  l'école  primaire. 

«  Ou  m'a  raconté,  a-t-ildit,  que  certains  de  nos  adversaires,  quand 
on  leur  demandait  :  Qu'est-ce  que  ce  M.  Mangon,  membre  de  llnsUtut  ? 
—  répondaient  dédaigneusement  :  «  C'est  un  vieil  instituteur.  s>  V» 
se  trompaient  du  tout  au  tout,  s'ils  croyaient  me  blesser.  Je  vou- 
drais être  instituteur,  et  voici  comment  je  tâcherais  de  faire  naître 
chez  mes  élèves  le  goût  de  l'agricullure  et  de  la  campagne. 

»  Les  musées  scolaires  sont,  en  principe,  une  exoeUente  cboae; 
mais,  quand  ils  arrivent  tout  faits  de  chez  un  marchand  de  Paris, 
ils  restent  trop  souvent  lettre  morte  et  personne  ne  les  regarde.  Pour 
faire  la  collection  de  mes  leçons  de  choses,  je  ferais  ramasser,  par 
les  enfants,  quelques  fleurs,  les  herbes  des  herbages,  les  plantes  des 
marais,  et  je  leur  en  indiquerais  les  propriétés  ;  le  nom  botanique 
viendrait  plus  tard,  quand  *la  chose  serait  connue*  A  chaque 
récolte,  les  enfants  m'apporteraient  une  pincée  des  diverses  graines, 
obtenua»  par  leurs  parents,  on  discuterait  sur  leurs  qualités,  och 
dirait  le  prix  de  venle*  on  jugerait  de  rînfluAnee  à^  iMan   eft  do 


CHRONIQUE  DE   l'eNSEIGNEUNT   PaiMÀIAE  EN  FRANCE  81 

mauvais   temps,  j'expliquerais   Futilité   et  les  ioconvénients  des 
insectes. 

s  Je  ferais  aussi  ramasser  les  pierres  du  pays;  celle-ci  est  propre 
à  Mtir^  cette  autre  a  faire  de  la  chaux,  la  troisième  à  battre  le 
briquet,  etc.  Au  fils  du  maréchal,  je  demanderais  de  petits  mor- 
ceaux de  fer,  d'acier,  et  je  lui  ferais  expliquer  comment  on  durcit 
par  la  trempe  ce  dernier  métal;  du  fils  du  menuisier,  j  obtiendrais 
des  échantillons  du  bois  du  pays.  Ma  collection  serait  bien  vite 
montée,  sans  aller  loin,  et  les  enfants  s'y  intéresseraient  d'autant 
plus  qu'ils  l'auraient  faite  eux-mêmes,  chacun  pour  sa  part. 

»  Mais  ce  n'est  pas  tout,  je  voudrais  montrer  à  mes  élèves  les 
merveilles  du  développement  des  plantes,  qu'ils  ne  regardent  même 
pas,  je  ferais  germer  de  grosses  graines,  des  glands,  des  haricots, 
des  amandes,  par  exemple;  je  leur  ferais  voir  que  la  racine  tend 
toujours  à  descendre,  que  la  tige  retourne  au  soleil. 

»  Par  un  simple  lavage,  je  leur  montrerais  combien  sont  nom- 
breux et  variés  les  éléments  de  ce  merveilleux  produit,  la  terre 
arable  qui  est  notre  nourrice  et  que  nous  foulons  aux  pieds,  sans 
même  la  connaître.  Sans  appareils,  sans  livres  de  théorie,  vous 
voyez  que  mes  enfants  pom*raient  beaucoup  apprendre,  en  s'amu- 
sant,  et  comme  conclusion,  ils  adopteraient  la  profession  de  culti- 
vateur, la  plus  belle,  la  plus  utile,  celle  qui  donne  la  vie  la  moins 
dure,  la  plus  heureuse  et  la  plus  morale.  » 

Impôts  dvs  par  les  lnstituteurs  et  par  les  institutrices  pouh  les 
LOCAUX  affectés  A  LEUR  LOGEMENT.  —  «  Des  difficultés  SUTgir^Sent 
quelquefois,  hsons-nous  dans  le  Bulletin  de  l'Aisne,  entre  instituteurs 
ou  institutrices  qui  changent  de  résidence,  au  sujet  du  paiement 
des  impôts  à  leur  charge  pour  les  logements  qu'ils  quittent. 

»  En  cas  de  changement  de  résidence,  il  convient  que  le  nourel 
instituteur  ou  la  nouvelle  institutrice  se  substitue  à  son  prédécesseur- 
pour  le  paiement  des  contributions  de  la  maison  d'école  à  partir  du  jour 
de  l'entrée  en  fonctions  dans  la  commune.  Cette  conduite,  conforme 
à  l'équité,  aurait  pour  effet  d'éviter  des  différends  qui  ne  peuvent 
que  nuire  à  la  considération  des  membres  du  corps  enseignant.  » 

11  serait  bon  que  cette  règle  fût  toujours  suivie. 

Prépaiution  au  rrevet  supérieur.  —  Des  cours  normaux  pour  la 
préparation  au  brevet  supérieur  et  au  certificat  d'aptitude  pédagogique 
se  sont  ouverts  à  Arras  le  H  décembre,  l'un  à  l'école  normale 
d'instituteurs,  l'autre  à  l'école  normale  d'institutrices.  Ils  auront  lieu 
tous  lies  jeudis  avec  le  concours  gracieux  du  directeur  et  de  la 
directrice  et  des  écoles  normales,  des  professeurs  du  collège  et  des 
inspecteurs  primaires  d' Arras. 

Les  cours  dureront  le  jeudi  de  9  heures  du  matin  à  4  heures  1 1% 
avec  une  interruption  d'une  heure  et  demie  pour  les  instituteurs  et 
d*ime  heure  seulement  pour  les  institutrices;  il  y  a   par  mois   un 


88  RIVUE  PÉDAGOGIQUE 

jeudi  consacré  plus  particulièrement  au  certificat  d'aptitude  péda- 
gogique, et  le  cours  ce  jour-là  ne  se  terminera  qu'à  6  heures. 

Ce  sont  là  des  journées  bien  remplies,  trop  remplies  peut-être. 

Des  cours  semblables  sont  en  voie  d'organisation  à  Boulogne-sur-Mer. 

Les  cahiers  de  devoirs  mensuels.  —  Nous  devons  revenir  sur  la 
tenue  des  cahiers  de  devoirs  mensuels,  vu  le  très  grand  profit  qu'en 
peuvent  et  qu'en  doivent  retirer  les  écoles  primaires.  Les  BuUeting 
départementaux  renferment  de  nombreuses  circulaires  adressées  aux 
inspecteurs  primaires  et  aux  instituteurs  par  les  inspecteurs  d'acadé* 
mie,  qui  tiennent  à  ce  que  les  instructions  ministérielles  que  nous 
avons  fait  connaître  soient  suivies  partout  le  plus  tôt  possible. 

Le  vice-recteur  de  la  Corse  pose  les  trois  règles  suivantes  : 

1*  Tous  les  élèves,  à  quelque  cours  qu'ils  appartiennent,  devront  avoir  un 
cahier  de  devoirs  mensuels  ; 

2*  Ce  cahier  recevra,  au  commencement  de  chaque  mois,  un  spécimen  de 
chacun  des  exercices  écrits  afférents  à  chaque  cours.  Pendant  que  les  élèves 
auront  entre  les  mains  le  cahier  de  devoirs  mensuels,  l'usage  du  cahier 
journalier  sera  suspendu.  Par  exemple,  le  cahier  mensuel  sera,  je  suppose, 
employé  le  1*'  et  le  2  de  chaque  mois  dans  les  cours  moyen  et  supérieur 
et  Je  1*'  de  chaque  mois  dans  le  cours  élémentaire. 

Dans  ce  cas,  le  cahier  journalier  ne  sera  repris  dans  les  deux  premiers  cours 

Sue  le  3*  jour  du  mois  et  le  2*  jour  dans  le  cours  élémentaire.  On  procéderait 
'une  manière  analogue  pour  un  délai  plus  long.  Ceci  est  une  simple  indi- 
cation. 

3*  Chaque  devoir  {)orté  au  cahier  mensuel  sera  corrigé  à  la  marge  par 
l'instituteur  ou  l'institutrice,  sans  aucune  rature  ou  altération  dans  le  texte, 
qui  doit  être  r œuvre  prcpre  de  l'élève  livré  à  ses  propres  forces  et  travaillant 
en  classe  i  sous  la  surveillance ^  mais  sans  Vaide  du  maître.  Les  résultats  de 
la  correction  donneront  lieu  à  un  classement  exprimé  par  une  note  comprise 
entre  les  chiffes  1  et  10.  Cette  note  sera  inscrite  an  bas  du  devoir,  et  recevra 
le  visa  de  l'instituteur  ou  de  l'institutrice. 

Messieurs  les  inspecteurs  primaires  examineront  et  viseront  ces  cahiers 
dans  les  tournées.  Ils  s'en  feront  adresser  à  leur  résidence  un  certain  nombre 
de  chaque  canton  à  des  époques  indéterminées.  Je  me  réserve  d'en  demander 
moi-même  des  exemplaires  (^ue  j'examinerai  avec  un  grand  intérêt.  Â  partir 
du  1*'  décembre,  je  publierai  dans  le  Bulletin  les  noms  des  maîtres  qui 
n'auraient  pas  exécute  les  présentes  prescriptions  ou  qui  les  auraient  exéeutees 
avec  négligence. 

L'inspecteur  d'académie  du  Doubs  écrit  dans  le  même  sens  aux 
inspecteurs  primaires. 

Désormais,  dit-il,  chacun  de  vos  rapports  d'inspection  devra  porter  une 
note  résumant  votre  impression  après  1  examen  des  cahiers  de  devoirs  men- 
suels. 

Vous  voudrez  bien  vous  en  faire  adresser  par  la  poste  un  certain  nombre 
de  dlflR§rentes  écoles  dans  la  seconde  quinzaine  de  chaque  mois  et  les  retourne 
ensuite  avec  vos  observations.  L'inspection  à  distance  suppléera  à  l'insuffi» 
sanee  des  visites. 

Je  ferai  la  même  chose  de  mon  côté. 

Je  proposerai  à  la  caisse  des  écoles  de  décider  l'achat  d'un  certain  nombre 
de  prix  à  distribuer  dans  chaque  canton  aux  élèves  du  cours  supérieur,  et 
même  du  cours  moyen,  dont  le  cahier  spécial  de  devoirs  mensuels  permettra 
de  constater  les  efforts  et  les  progrès  les  plus  soutenus  et  les  plus  marqués. 


CHROHIQDK  DE  L'iNSBIGNIMBHT  PEIMAIRV  Bll   FRANCE  89 

l'espère  que  beaucoup  de  municipalités,  de  personnes  crénéreuies  et  dévouées 
à  Tenseiniement  donneront  aussi  des  récompenses  analogues. 

Enfin,  Monsieur  l'inspecteur,  je  vous  prie  de  consigner  vos  observations 
sur  l'emploi  du  nouveau  cahier  et  sur  les  résultats  que  vous  pourrez   con- 
stater, ann  que  vous  soyez  en  mesure  de  m'adresser  à  ce  sujet,  dans  la  der 
Bière  semaine  de  juillet,*  un  rapport  très  détaillé  et  très  complet. 

Les  mêmes  recommandations  sont  faites  par  l'inspecteur  d'académie 
de  la  Savoie,  qui  ajoute  : 

Vous  voudrez  bien,  dans  votre  rapport  trimestriel,  me  donner  les  noms 
des  deux  instituteurs  qui,  dans  le  courant  du  trimestre,  auront  déployé  le 
plus  de  zèle  dans  la  mise  en  pratique  du  cahier  mensuel.  11  s'agit  bien 
entendu  des  écoles  que  vous  aurez  personnellement  inspectées  et  qui 
vous  offriront  toutes  garanties,  quant  à  l'authenticité  des  devoirs  et  à  la 
sincérité  des  cahiers. 

Enfin,  dans  votre  rapport  annuel,  un  paragraphe  spécial  sera  consacré  à 
l'introduction  et  k  l'emploi  du  cahier  mensuel  dans  les  écoles,  aux  eflbrts  du 
personnel  et  aux  résultats  obtenus*  Vous  rassemblerez  dans  une  liste  unique 
tes  noms  des  Instituteurs  et  des  institutrices  que  vous  m'aurez  signala  dans 
vos  rapports  trimestriels.  Ces  renseignements  seront  pris  en  très  sérieuse 
considération  quand  nous  dresserons  la  liste  annuelle  de  mérite  et  que  nous 
ferons  des  propositions  pour  les  récompenses  et  pour  les  distinctions  hono- 
rifiques. 

La  plupart  des  inspecteurs  désirent  qu*un  seul  modèle  de  cahier 
soit  adopté  par  département.  Ce  serait  le  moyen  d'arriver  à  une 
imiformité  qui  plaît  aux  élèves,  qui  facilite  le  travail  des  maîtres, 
qui  faciliterait  aussi  le  classement  des  travaux  d'élite  dans  les 
expositions  scolaires.  Mais,  fait  justement  observer  M.  l'inspecteur 
d'académie  de  Rar-le-Duc,  si  l'on  ne  peut  pas  obtenir  cette  unifor- 
mité désirable,  on  ne  doit  pas  se  refuser  à  employer  comme  cahier 
mensuel  le  premier  cahier  venu,  ne  fût-il  que  de  quatre  ou  cinq 
feuilles.  On  le  renouvellerait  plus  souvent,  et,  en  conservant  les 
cahiers  successifs,  on  n'en  obtiendrait  pas  moins  le  résultat  poursuivi 
par  le  ministre,  c  Les  cahiers  mensuels  corrigés  par  les  maîtres 
pourraient,  dît-il  encore,  être  communiqués  aux  parents,  tous  les 
trimestres  par  exemple,  et  seraient  ensuite  replacés  dans  l'armoire 
de  la  classe  pour  y  être  conservés  jusqu'au  jour  où  l'élève  quitterait 
définitivement  l'école.  Ce  serait  peut-^tre  le  meilleur  des  bulletins 
scolaires.  Le  père  de  famille  aurait  ainsi  le  moyen  de  constater  par 
lui-même,  à  des  époques  assez  rapprochées,  le  travail  et  les  progrès 
de  ses  enfants.  »  C'est  tout  à  fait  notre  avis. 

Le  cahier  de  devoirs  mensuels  serait  ainsi,  en  quelque  sorte,  le 
^rand  carnet  de  correspondance  entre  l'école  et  la  famille.  Sur  ce 
point,  tout  le  monde  sera  d'accord,  croyons-nous.  Mais  ce  cahier 
doit-il  avoir  pour  effet  de  supprimer  celui  qui  dans  certains  dé- 
partements renfermait  mensuellement  les  compositions  d'après 
lesquelles  étalent  décernés  les  prix  en  fin  d'année?  Ici  les  opinions 
^nt  partagées  :  Dans  llndre-et-Loire  et  dans  le  Morbihan  ce  dernier 
^sabler  est  supprimé,  il  reste  facultatif  dans  la  Savoie,  il  est  conservé 
dans  Seine-et-Marne  et  dans  d'autres  départements.  11  faut  laisser  à 
œt  égard  la  plus  grande  liberté  aux  inspecteurs  et  aux  instituteurs: 


90 


EKVUB  PÉDÀGOGIOUK 


mais  nous  croyons  que  le  mieux  serait  de  distribuer  les  prix  d'après 
les  indications  fournies  par  le  seul  cahier  de  devoirs  mensuels, 
surtout  si  ces  devoirs  comprenaient  généralement  une  récapitulation 
de  ce  qui  a  été  vu  dans  le  mois.  Ce  serait  un  moyen  très  pratique 
d'encourager  l'assiduité,  la  justice  n'y  perdrait  rien,  et  les  familles 
ou  les  caisses  des  écoles  feraient  une  petite  économie. 

En  général  on  a  été  d'avis  que  la  gymnastique,  le  chant  et  les 
travaux  manuels  ne  donneraient  pas  lieu  à  des  épreuves  mensuelles. 
Cependant  rien  n'empêche  l'instituteur  de  donner  une  note  à  chaque 
élève  pour  la  gymnastique  et  les  exercices  militaires.  Une  petite 
dictée  musicale  peut  trouver  place  tous  les  trimestres  dans  le  cahier, 
du  moins  pour  le  cour  moyen  et  pour  le  cours  supérieur.  Enfin, 
pour  les  travaux  à  l'aiguille,  il  n'est  pas  impossible  d'annexer  aux 
cahiers  ordinaires  un  cahier  d'ouvrage  qui  permette  de  constater  les 
progrès  des  élèves  et  la  suite  méthodique  de  l'enseignement  selon 
le  programme  réglementaire,  comme  cela  se  pratique  utilement 
dans  l'école  de  filles  de  l'ancien  observatoire  à  Marseille. 

La  question  qui  peut  diviser  le  plus  les  instituteurs,  c'est  celle  de 
savoir  combien  de  devoirs  les  élèves  auront  à  inscrire  sur  le  cahier 
mensuel  d'après  la  division  à  laquelle  ils  appartiennent.  Elle  a  déjà 
été  discutée  par  les  instituteurs  de  l'arrondissement  d'Abbeville  dans 
les  conférences  pédagogiques  d'automne.  Nous  croyons  intéressant 
de  faire  connaître  les  résolutions  adoptées.  On  a  d'abord  écarté  l'idée 
de  faire  faire  mensuellement  un  devoir  sur  toutes  les  matières,  à 
cause  de  l'étendue  des  programmes  et  parce  que  ce  système  impo- 
serait aux  maîtres  un  surcroît  excessif  de  travail  au  détriment  de  la 
préparation  des  leçons  et  de  la  correction  des  autres  devoirs  journa- 
liers. Pour  tout  concilier,  il  a  paru  opportun  d'établir  huit  groupes  de 
devoirs  ;  les  quatre  premiers  comprennent  les  matières  les  plus  impor- 
tantes, et  donnent  lieu  à  une  composition  mensuelle;  les  quatre  autres 
à  une  composition  revenant  tous  les  deux  mois.  Le  tableau  suivant 
indique  Tordre  dans  lequel  les  différentes  branches  du  progranmie 
figureront  au  cahier  mensuel  : 


l»»-  MOIS 

l»'»    SEMAINE 

2«    SBMAI7IR 

s*    SBSATNB 

4*  SBMAIXK 

2  devoirs 

1  devoir 

2  devoirs 

i  devoir 

1*  Orthographe 

RédactioQ 

1*  Arilhmétiqoe 

Hislûire 

oueiercicede 

ou 

ou  géométrie 

de    France 

fniDçais. 

instruction 

et  système 

on  notions 

— 

morale. 

métrique. 

d*histoire 

!•    Géographie 

— 

générale. 

oa  instmction 

fr  Écriture  ou 

civique. 

dessin. 

CHRONIQUE   DE    l'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE   EN  FRANCE 


91 


2*  MOIS 

!«»•    SEMAINE 

2«   si:  MAINE 

3'     SKMAINE 

4«   SEMAINE 

2  devoir;! 

i  devoir 

2  devoirs 

1  devoir 

!•  Orthographe 
ou  exercice  de 

Rédaction 
ou 

!•  Arithmétique 
ou  Géométrie 

Histoire 
de     France 

français. 

S*  Sciences 
naturelles. 

instruction 
morale. 

et  système 
métrique 

2»      Agriculture 

et  horticulture 

ou 

ÉcoooDue  domestique. 

ou  notions 

d'histoire 

^nérale. 

Cette  organisation  n'est  pas  mauvaise.  Elle  peut,  sans  doute,  ^tre 
plus  on  moins  modifiée  et  il  n'est  pas  nécessaire  que  le  même 
nombre  de  devoirs  soit  demandé  à  chaque  division  de  l'école  primaire. 
Mais  le  tableau  ci-dessus  reproduit  montre  assez  bien,  selon  nous, 
dans  quel  esprit  doit  être  appliquée  la  circulaire  du  ministre. 

On  nous  pardonnera  d'avoir  insisté  sur  la  tenue  des  modestes 
cahiers  qui  s'introduisent  dans  les  écoles.  Ccst  parce  que  nous  les 
croyons  destinés  à  rendre  les  plus  grands  services  à  Tinstruction 
primaire  que  nous  n'avons  pas  craint  d'entrer  dans  tous  ces  détails. 

Transfert  du  Musée  pédagogique.  —  Un  décret  en  date  du  30 
décembre  i884  a  ordonné  que  le  Musée  pédagogique  et  la  Biblio- 
thèque centrale  de  l'enseignement  primaire,  actuellement  installés 
iS,  rue  Lhcmiond,  seraient  transférés,  10,  rue  Louis  Thuillier,  dans 
les  bâtinotents  précédemment  occupés  par  l'éoole  normale  spéciale  de 
travail  manuel. 

La  prise  de  posssssion  par  le  Musée  de  ses  nouveaux  locaux  aura 
fieu  probablement  dans  le  courant  de  février. 


COURRIER  DE  L'EXTÉRIEUR 


Angleterre.  —  La  sous-commlssîon  chai^^ée  par  le  School  Board 
de  Londres  d^examiner  si  i'ot>erpreMurf  existe  réellement  dans  les 
écoles  de  cette  ville,  a  présenté  son  rapport.  Voici  la  conclusion  de 
ce  document  :  La  sous-commission  est  d  avis  qu'il  v  a  parfois  excès 
dans  le  travail  demandé  aux  élèves;  mais  ces  cas  de  surcharge  sont 
relativement  peu  nombreux,  et  le  mal  n'est  pas  très  répandu.  Elle 
reconnaît  que  beaucoup  a  été  fait  par  le  nouveau  Ck)de  scolaire  pour 

{prévenir  cette  overùresiure\  mais  elle  pense  que,  si  l'on  veut  obtenir 
es  résultats  désirés,  il  faut  que  le  Code  soit  appliqué  selon  Tesprit 
aussi  bien  que  selon  la  lettre,  ce  qui  n'est  pas  le  cas  à  présent. 
Elle  fait  en  conséquence  les  reconmaandations  suivantes  :  i^  Sup- 
pression générale  des  devoirs  à  faire  à  la  maison  :  2*  interdiction 
aux  maîtres  et  maîtresses  de  retenir  les  élèves  à  l'école  (c  keeping 
in  9)  excepté  dans  le  cas  de  punition  (1);  3<^  il  v  aurait  lieu  de 
rappeler  expressément  à  tous  les  administrateurs  d  écoles  (managers) 
qu'us  ont  le  droit,  et  aussi  le  devoir,  d'écarter  de  l'examen  tous  les 
enfants  dont  la  santé  pourrait  souffrir  soit  de  l'examen  lui-même, 
soit  de  la  préparation  a  l'examen  ;  et  d'insister  sur  ce  point,  qu'une 
surveillance  exercée  pendant  toute  l'année  sur  l'école  et  les  élèves 
est  nécessaire  pour  raccomplissement  de  ce  devoir  ;  i^  le  School 
Board  devrait  se  préoccuper  de  placer  l'administration  des  écoles 
entre  les  mains  de  managers  plus  compétents. 

—  Le  Journal  of  Education  de  Londres,  qui  a  l'habitude  d'ouvrir 
de  temps  en  temps  des  concours  à  l'usage  de  ses  lecteurs,  leur 
avait  proposé  dernièrement  un  sujet  assez  original.  Il  s'agissait  de 
répondre  à  cette  Question  :  c  Quels  sont,  classés  par  ordre  d'impor- 
tance^ les  sept  plus  grands  éducateurs  anglais  vivants  ?  »  Une 
centame  de  lecteurs  ont  envoyé  au  journal  des  listes  de  noms;  et 
voici  comment  se  sont  répartis  les  sufl^ges  : 

Herbert  Spencer,  72  voix;  Alexandre  Bain,  50;  Huxley,  38; 
£.  Thrinff,  36;  miss  Beale,  34;  miss  Buss,  33;  R.  H.  Quick,  32; 
E.  A.  Abbott,  31;  A.  J.  Mundella  et  J.  G.  Fitch,  chacun  29;  J.  Ruskin 
etMathew  Arnold,  chacun  28;  S.  Laurie,  24;  miss  Shirreff,  22; 
Oscar  Browning,  18;  F.  W.  Farrar  et  James  Sully,  chacun  15; 
M"*  Grey,  13;  F.  Temple  et  W.  E.  Forster,  chacun  12;  J.  M.  D. 
Meiklejonn,  James  Wilson,  H.  M.  Butler,  chacun  10;  M"'®  Bryant, 
B.  Jowett,  F.  G.  Fleay,  chacun  8  ;  Max  MûUer,  H.  C.  Bowen, 
■J.  Stuart,  chacun  6;  P.  Magnus,  5. 

Sur  ces  trente  noms,  la  moitié  environ  sont  parfaitement  inconnus 
^e  ce  côté-ci  de  la  Manche. 


(1)  Si  nous  comprenons  bien,  la  sous-commission  admet  la  retenue,  à  titre 
de  punition,  mais  elle  proscrit  Vétude  en  classe,  c'est-à-dire  l'usage  de  faire 


COURRIER  DE  L'EXTARIEUR  93 

Voici  la  liste  qui  a  obtenu  le  prix,  et  que  le  journal  a  faite  sienne 
en  la  couronnant  : 

1.  Herbert  Spencer. 

2.  Huxley  (enseignement  pratique  de  la  zoologie  ;  géographie  phy- 
sique}. 

3.  J.  Wilson  (enseignement  des  sciences  à  l'école). 

4.  E.  Thring  (réformes  dans  l'administration  intérieure  des  collèges). 

5.  Miss  Buss  (collèges  pour  les  jeunes  tilles). 

6.  S.  Laurie. 

7.  R.  H.  Quick  (notre  seul  historien). 


le.  —  Le  Moniteur  belge  publie  une  circulaire  du  ministre 
de  l'intérieur  et  de  Tinslruction  publique  prescrivant  le  mode  de 
subsides  scolaires.  Le  crédit  porté  au  budget  est  de  6,3:25,000  francs. 

La  répartitioD  de  cette  somme,  dit  le  ministre)  se  fera,  sauf  les  exceptioos, 
d'après  les  règles  saivaotes  : 

La  base  de  la  répartition  sera  un  subside  proportionné  à  la  population  de 
la  commune,  calculé  k  raison  d'un  franc  par  habitant. 

Cette  base  sera  modifiée,  en  plus  ou  en  moins,  de  la  façon  suivante  : 

Aucune  commune  ne  recevra  ni  moins  des  trois  cinquièmes  (60  0/0)  de  ce 
qu'elle  a  reçu  en  1883,  ni  moins  de  600  francs. 

Toute  commune  qui,  en  1883,  a  reçu  moins  d'un  franc  par  habitant,  recevra 
un  subside  égal  à  celui  de  1883,  sans  cependant  qu'il  puisse  être  inférieur  ni 
à  un  franc  par  deux  habitants  ni  à  600  francs. 

Pour  bénéficier  de  la  garantie  du  subside  minimum  de  GOO  francs,  il  faut 
que  la  commune  ait  au  moins  une  école  primaire  communale  ou  adoptée,  à 
son  usage  exclusif. 

Enfin,  en  règle  générale,  le  subside  de  l'Etat  ne  peut  dépasser  le  double 
de  la  part  d'intenention  de  la  commune  dans  les  frais  du  service  ordinaire 
de  l'instruction  primaire. 

568  communes  (un  )>eu  plus  du  cinquième  des  communes  belges)  conti- 
nueraient à  toucher  des  subsides  au  moins  égaux  à  ceux  qu'elles  re^*oivent 
aujourd'hui  ;  les  autres  communes  toucheraient  moins  que  leur  subside  de 
1883,  sans  néanmoins  que  l'intervention  de  l'Etat  puisse  être  inférieure  à 
GO  0/0  de  ce  subside. 

Le  Brabant  et  le  Luxembourg  sont  les  i)rovinces  dont  les  communes  verront 
le  plus  réduire  les  subsides  qu  elles  reçoivent  de  l'Etat. 

En  terminant,  le  gouvernement  rappelle  aux  communes,  comme 
iiche  de  consolation,  que  si  elles  doivent  recevoir  moins,  la  loi  clé- 
ricale leur  permet  aussi  de  dépenser  beaucoup  moins  pour  Tinstruc- 
tion  primaire  : 

Les  communes  pourront,  sous  le  régime  de  la  législation  actuelle,  réaliser 
des  économies  considérables.  Elles  y  trouveront  une  compensation  à  la  réduc- 
tion des  subsides  de  l'Etat. 

—  I^  conseil  communal  de  la  ville  de  Gand,  usant  de  la  faculté 
donnée  aux  communes  par  l'article  i  de  la  loi  du  20  septembre  1884, 
a  décidé  que  l'enseignement  de  la  religion  et  de  la  morale  serait 
porté  au  programme  des  écoles  primaires  de  cette  ville.  Le  collège 
des  bougmestre  et  échevins  s^est  adressé  à  Tévêque  pour  lui  deman- 
der s'il  consentirait  ù  ce  son  clergé  donnât  cet  enseignement  aux 
élèves  catholiques  des  écoles  communales.  L'évéque  a  répondu  affir- 
mativement, en  mettant  toutefois  à  son  consentement  les  quatre  con- 
ditions suivantes: 


94  BIVDX  PiDAGOGlÛIJI 

1^  Que  le  caractère  des  ecclésiastiques  qui  se  rendront  aux  écoles 
sera  respecté  par  les  élèves; 

2<»  Que  les  instituteurs  ne  contrecarreront  en  rien  les  instructions 
données  par  les  ecclésiastiques  ; 

3**  Que  les  livres  employés  dans  les  écoles  ne  contiendront  jamais 
rien  qui  soit  contraire  aux  enseignements  de  la  religion  ; 

4^  Que  les  instituteurs  auront  soin  que  leurs  élèves  sachent  par- 
faitement par  cœur  la  leçon  de  la  semaine. 

Ainsi  l  épiscopat  belge,  qui,  pendant  qu'un  ministère  libéral 
était  au  pouvoir,  refusait  de  faire  donner  renseignement  religieux 
dans  les  écoles  communales,  sous  prétexte  que  le  prêtre  ne  pouvait 
pas  entrer  comme  simple  professeur  de  religion  dans  me  école 
ne  relevant  que  du  pouvoir  civil,  cet  épiscopat  tronve  mainte- 
nant que  sa  conscience  lui  permet  de  faire  ce  qu'elle  lui  interdisait 
il  y  a  cinq  ans.  Il  est  vrai  qu'il  exige,  comme  prix  de  son  concours, 
Fassurance  que  «  les  livres  employés  dans  les  écoles  ne  contiendront 
jamais  rien  qui  soit  contraire  aux  enseignements  de  la  religion  ».  Le 
conseil  communal  de  Gand  a  accepté  cette  condition  :  il  nous  sfimble 

Sj'il  a  pris  là  un  engagement  bien  imprudent.  Cest  accorder  au 
ergé  le  droit  de  mettre  à  Tindex  tous  les  li\Tes  qui  lui  déplairont  ; 
et  Ton  sait  ce  que  doit  être  un  livre  d'histoire  ou  un  livre  de 
science  pour  trouver  grâce  devant  lui. 

Canada.  —  Un  journal  bas-canadien,  V Enseignement  primaire  de 
Québec,  nous  apporte  rhistorictte  suivante,  qui  pourra  donner  une 
idée  de  la  façon  dont  sont  dirigées  les  écoles  de  notre  ancienne  colonie. 

M.  Archainbault,  surintendant  des  écoles  catholiques  de  Montréal, 


de  la  conférence  de  la  circonscription  de  Técole  normale  Jacques 
Cai-tier,  à  Montréal  »,  Ces  requêtes  demandaient  au  Saint  Père  la 
bénédiction  apostolique,  et,  en  échange  de  cette  faveur,  contenaient 
des  engagements  ainsi  conçus  : 

(Première  requête).  «  En  reconnaissance  d'une  si  grande  faveur, 
nous  prenons  l'engagement  solennel  de  continuer  a  soumettre  notre 
enseignement  à  la  naute  surveillance  de  l'Eglise  catholique,  afin 
qu'il  ne  soit  jamais  entaché  de  l'erreur  moderne  appelée  laictsme, 
mais  qu'il  porte  toujours  l'empreinte  de  l'esprit  chréten.  » 

(Seconde  requête)  «  En  reconnaissance  d'une  si  grande  faveur,  ils 
prennent  l'engagement  solennel  de  soumettre  toujours  leur  ensei- 
gnement à  la  haute  surveillance  de  TEglise  catholique,  de  former  le 
cœur  et  de  cultiver  l'intelligence  de  leurs  élèves  de  manière  à  en 
faire  des  chrétiens  fervents  et  des  citoyens  vertueux.  » 

Le  pape  a  accordé  les  deux  bénédictions  demandées.  De  retour  an 
Canada,  M.  Archambault,  muni  des  deux  parchemins  apostoliques, 
les  a  fait  revêtir  de  Yapprobatur  de  l'évêque  de  Montréial  ;  puis  il 
les  a  fait  imprimer  avec  le  texte  des  deux  requêtes  afin  d'en  pro- 
curer une  copie  à  tous  les  intéressés. 

N'est-il  pas  singulier  de  voir  des  instituteurs  laïques,  dirigés  par 
un  surintendant  laïque,  répudier  avec  tant  de  solennité  «  Terreur 
moderne  appelée  ktiscisme  »  ? 


COURRHBR    VK   l'sXTÉRIEUR  95 

Hem  Hafwaï.  —  Nous  extrayons  les  détails  qui  suivent  du  rapport 
biennal  présenté  en  1884  à  r Assemblée  législative  des  îles  Hawaî 
par  le  président  du  Board  of  Edxication.  Ce  rapport  est  rédigé  en 
anglais  et  imprimé  à  Honoloulou. 

Les  écoles  hawaïennes  sont  de  trois  catégories  :  les  écoles  ordi- 
naires (common  schœh),  les  écoles  supérieures  (êeiect  schools),  et  les 
écoles  libres  (independent  schools). 

Les  common  scMols  sont  entretenues  par  le  gouvernement;  l'en- 
seignement, qui  est  gratuit,  y  est  donné  en  langue  hawaïenne,  par 
des  instituteurs  hawaïens  :  les  branches  d'étude  sont  la  lecture, 
récriture,  l'arithmétique,  la  géographie  et  parfois  le  chant.  Ce3 
écoles  laissent  beaucoup  à  désirer;  les  instituteurs  sont  peu  capables, 
la  fréquentation  des  élèves  est  très  irrégulière.  Il  y  avait  en  1883 
114  common  schools,  avec  2,841  élèves  (1,627  garçons  et  1,214  filles). 

Les  sdect  schools  sont  aussi  entretenues  par  le  gouvernement; 
renseignement  s'y  donne  en  anglais;  il  compreml  les  mêmes 
matières  qu'à  la  common  school^  et  quelquefois  en  outre  le  dessin  et 
les  sciences  naturelles.  Ces  écoles  sont  ouvertes  aux  deux  sexes;  la 
plupart  ne  sont  pas  gratuites.  11  y  en  avait  en  1833  44,  avec  109 
insfituteurs  et  3,489  élèves  (2,124  garçons  et  1,365  filles).  La  sta- 
tistique range  au  nombre  de  ces  écoles  le  séminaire  d'instituteurs 
(seminary),  installé  à  Lahainalouna;  le  cours  d'études  de  ce  séminaire 
est  de  quatre  ans;  les  branches  d'enseignement  sont  Talgèbre,  la 
géométrie,  la  trigonométrie,  Farpentage,  la  conoptabilité,  l'histoire, 
Ïbl  physique,  la  morale,  Téconomie  politicfue,  la  physiologie,  la 
composition  anglaise,  la  musique,  les  exercices  militaires,  la  péda- 
gogie théorique  et  pratique.  Les  élèves,  au  nombre  de  70,  sont  en 
outre  exercés  aux  travaux  agricoles. 

Les  independent  schools  sont  au  nombre  de  42,  avec  2,393  élèves 
(i^^^  garçons,  1,215  filles);  onze  d'entre  elle&sont  des  pensionnats. 
La  plupart  de  ces  écoles  relèvent  d'une  église  ou  d'une  association 
religieuse.  Quelques-unes  d'entre  elles  sont  subventionnés  par  le 
gouvernement. 

Italie.  —  Le  Sénat  italien  a  discuté  en  décembre  dernier  le 
projet  de  loi  sur  les  traitements  et  la  nomination  des  instituteurs 
déjà  voté  par  la  Giambre,  et  il  l'a  adopté  avec  Quelques  modifications. 
Le  projet  est  revenu  devant  la  Chambre  des  députés,  et  le  ministre 
Coppino  en  recommande  le  vote  immédiat  sans  nouveaux  charge- 
ments. 

Russie.  —  Nous  avons  parlé  (numéro  de  mars  1884,  p,  286) 
d'un  projet  de  fondation  d'écoles  ecclésiastiques,  destinées  à  faire 
concurrence  aux  écoles  primaires  laïques  et  à  donner  aux  enfants 
des  paysans  un  enseignement  strictement  orthodoxe  tant  au  point 
de  vue  politique  qu'au  point  de  vue  religieux.  Le  projet  s'est  réalisé, 
et  l'empereur,  qui  parait  avoir  pris  celte  question  fort  à  cœur,  a 
exprimé  l'espoir  c  que  le  clergé  paroissial  se  montrerait  digne  de  sa 
haute  mission  dans  cette  importante  afiaire  ». 

Voici  les  principales  di^posUioBa  du  statut  des  écoles  paroissiales 
ecclésiastiques,  sanctionne  le  13  juin  1884  : 

Les  c  écoles  paroissiales  ecclésiastiques  >  sont  des  écoles  éiémen- 


96  RIVUl  PÉDàGOGIQUI 

taires  établies  par  le  cierge  orthodoxe.  Leur  but  est  d'aiîermlr  dans 
le  peuple  les  principes  de  l'orthodoxie  et  de  la  morale  chrétienne  et 
de  communiquer  les  premiers  éléments  des  connaissances  utiles.  — 
Ces  écoles  peuvent  être,  soit  des  écoles  à  une  classe  avec  un  cours 
de  deux  années,  soit  des  écoles  à  deux  classes  avec  un  cours  de 
quatre  années .  Outre  la  reliffion  et  le  chant  d'église,  on  y  enseigne 
la  lecture  du  russe  et  du  slavon  d'église,  l'écriture,  les  éléments 
de  Tarithmétique  ;  dans  les  écoles  à  deux  classes,  on  enseigne  en 
outre  les  éléments  de  l'histoire  ecclésiastique  et  nationale.  —  Aux 
écoles  paroissiales  ecclésiastiques  peuvent  être  annexées:  des  classes 
complemenlaires  ;  des  classes  d'adultes;  des  classes  de  travail  manuel; 
des  écoles  du  dimanche.  —  Sont  chargés  de  la  direction  inmiédiate 
des  écoles  paroissiales  ecclésiastiques  soit  les  prêtres  de  la  paroisse, 
soit  des  personnes  qui,  dans  les  <:as  exceptionnels,  seront  designées 
à  cet  efifet  par  Tévèque.  —  Les  évêques  nomment,  parmi  les  prêtres 
les  plus  capables  et  les  plus  dignes  de  confiance,  des  inspecteurs 
qui  doivent  présenter  chaque  année  un  rapport  sur  les  écoles  de 
leur  circonscription.  —  Il  y  a  dans  chaque  aiocèse  un  conseil  établi 
pour  délibérer  sur  les  questions  relatives  aux  écoles  paroissiales 
ecclésiastiques;  le  président  et  les  membres  de  ce  conseil  sont 
nommés  par  Tévêque.  —  L'administration  générale  des  écoles  parois- 
siales ecclésiastiques  appartient  au  Saint-Synode. 

—  Le  comité  de  statistique  du  ministère  de  l'intérieur  vient  de 

Î)ublier  des  renseignements  relatifs  aux  écoles  primaires  rurales  dans 
es  30  goubernies  de  la  Russie  d'Europe  et  les  10  ^oubernies  de  la 
Pologne.  L'empire  possède  en  tout  22,770  écoles  primaires  rurales, 
avec  1,140,915  élèves  (904,918  garçons  et  235,997  filles)  et  36,955 
maîtres  (12,566  ecclésiastiques,  19,511  instituteurs,  4,878  institu- 
trices). Ces  écoles  sont  réparties  de  la  manière  suivante  entre  les 
dix  circonscriptions  académiques  :  Saint-Pétersbourg,  1,598;  Moscou, 
3,919:  Kharkov,  2,219;  Kiev,  3,635;  Odessa,  1,365;  Kazan,  2,535; 
Orenbourg,  1,238;  Vilna,  1,5U;  Dorpat,  2,460;  Varsovie,  2,287. 


Le  gérant  :  H.  Gantois. 


IMPRIMBRII  GINTKALI  DIS  CHEMINS  Dl  VER.  —  UfPRUflKII  CBAIX. 
•UI  BIMÊKI,   20,  PARIS    —  310t8-4* 


Iimlk  lérie.  —  Tom  VI.  N»  2.  <5  Péuier  m'y 

REVUE  PÉDAGOGIQUE 

LETTRES  INÉDITES  DU  PÈRE  GIRARD 

A    M.    J.-J.    RAPET 
(Suite  el  fin}. 


\IV 

Fribourg  en  Suisse,  le  5  novembre  \x'\\ 
Très  cher  et  respectable  ami, 

4e  viens  de  lire  votre  dernière  avec  mon  beau-frère  Sprenj;er  que 
vous  avez  appris  à  connaître  dernièrement.  Elle  nous  a  vivement 
touchés  par  la  noblesse  des  sentiments  quelle  exprime.  J ai  eu  des 
amis  dans  ma  vie  et  je  ne  sais  si  j'en  ai  eu  un  que  je  puisse  vous 
comparer.  Longtemps  je  n'ai  vécu  que  pour  Téducation  des  généra- 
lions  naissantes,  et  je  vois,  dans  la  joie  de  mon  cime,  que  j'ai  trouvé 
en  vous  le  même  dévouement,  le  même  désinlércssemenl. 

Vous  trouverez  à  Paris,  chez  notre  ami,  M.  Michel,  la  procuration 
que  vous  demandez  pour  traiter  en  mon  nom  avec  un  imprimeur 
ou  un  libraire  ou  avec  tous  les  deux,  s'il  le  faut.  Vous,  mes  amis, 
vous  voudrez  bien  vous  entendre  sur  les  conditions  à  faire  et  prendre 
ensuite  les  mesures  que  vous  croirez  les  plus  convenables  pour  la 
publication  de  mon  travail  dès  à  présent  et  dans  l'avenir.  Je  sais 
que  la  loi frantjaisc  accorde  un  privilège  qui  ne  finit  que  trente 
ans  après  le  décès  des  auteurs. 

Il  y  aura  ensuite  un  arrangement  à  prendre  entre  nous,  puisque 
la  reconnaissance  ne  me  permettrait  pas  de  vous  exclure  des  béi/é- 
fices,  si  la  justice  pouvait  s'entendre  à  une  semblable  exclusion. 
Il  faut  que  vos  soins  soient  reconnus,  et  ils  le  seront. 

Vos  noms  doivent  figurer  sur  les  titres  du  cours  de  langue,  ne 
serait-ce  que  pour  ôter  aux  Français  toute  méfiance  à  l'égard  d'un 
travail  fait  et  rédigé  par  un  étranger.  Vous  aurez  donc  tous  deux 
la  bonté  de  corriger  les  fautes  de  langage  qui  auraient  pu  échapper 
à  l'auteur  et  a  ses  copistes.  C'est  pour  cela  que  les  manuscrits  ont 
de  grandes  marges. 

RIYUB  Fi^DAGOOIQUl  1885.  ^  1«'  SM.  7 


98  REVUE  PEDAGOGIQUE 

Quant  à  l'ouvrage  même  je  dois  insister  auprès  de  vous  de  n'y 
changer  que  les  définitions  et  les  divisions  qui  seraient  directement 
contraires  à  celles  de  lAcadémie.  Cela  se  réduira  à  bien  peu  de  chose. 
Je  vous  prie  d'observer  que  l'introduction  du  cours  de  langue  a 
été  approuvée  par  l'Académie  et  que  par  conséquent  les  définitions 
et  les  divisions  grammaticales  exposées  dans  mon  livre  depuis  la 
p.  78  à  8S  n'empêcheront  pas  que  le  Conseil  Royal  n'approuve  le 
cours  de  langue  qui  les  renfermera. 

Quant  à  Varticle,  je  vous  prie  de  voir  la  note  que  j'ai  ajoutée  à  la 
preiiière  partie  de  la  syntaxe.  Tous  les  grammairiens,  y  compris 
Noël  et  Cliapsal,  disent  qu'il  détermine  le  nom,  ce  qui  ne  peut 
s'entendre  que  de  son  étendue.  Ainsi,  si  l'on  veut  être  conséquent, 
il  faut  faire  rentrer  dans  cette  classe  tous  les  mots  que  j'y  ai  placés. 
Vanicr  et  Ch.  Martin  m'ont  précédé  en  cela  et  je  n'ai  fait  qu'adopter 
la  classification  la  plus  simple  et  la  plus  marquée  pour  l'enfant.  Si 
vous  croyez  cependant  nécessaire  d'en  adopter  une  autre,  que  la 
mienne  paraisse  au  moins  en  note,  coume  une  pierre  d'attente. 

J'en  dirai  de  môme  des  locutions  aimant  et  ayant  aimé  dont  j'ai  fait 
un  second  inliuitif,  attendu  que  ce  sont  la  aussi  des  formes  imper- 
sonnelles du  verbe,  par  conséquent  des  infinitifs,  comme  aimer  et 
avoir  airuë. 

Jo  ne  suis  sans  doute  pas  d'accord  avec  telle  ou  telle  grammaire; 
mais  il  faut  se  rappeler  que  les  grammairiens  français  ne  sont  point 
d'accord,  mrme  ceux  dont  les  ouvrages  ont  obtenu  l'approbation  du 
Conseil  Uoyal.  Cette  autorité  laisse  donc  de  la  latitude  à  la  liberté, 
et  je  ne  vois  pas  pourquoi  je  ne  devrais  pas  en  jouir  aussi.  Inneces- 
tiriis  unitas,  disait  Saint  Augustin,  in  dubiis  libertoi,  in  omnibus 
autcm  charita'<. 

La  langue  fraii<;aise  est  faite,  l'Académie  en  a  consacré  les  loca- 
tions qu'elle  a  jugées  convenables,  voilà  le  nécessaire  à  respecter. 
Les  détinitions  et  les  divisions  grammaticales  souvent  très  variâmes 
et  très  dilTérenles  sont  ce  qu'il  y  a  de  douteux,  puisfiue  la  seule 
autorité  compétente  n'a  pas  pris  de  décision  là-dessus. 

J'enverrai  à  M,  Michel  la  nouvelle  rédaction  du  premier  cours  de 
syntaxe,  en  sorte  que  la  première  est  mise  de  coté. 

Je  fais  copier  à  mesure  et  je  compte  pouvoir  envoyer  mon  tra- 
vail les  premiers  jours  de  décembre.  Il  faut  donc  commencer  l'ia- 
pressian  par  la  deuxième  partie  de  la  syntaxe,  les  deux  parties 
de  la  conjugaison  et  le  premier  cahier  du  vocabulaire. 

Au  second  cahier  du  vocabulaire,  il  y  aura  les  quatre  premiers 
numéros  à  changer,  en  conséquence  de  la  nouvelle  rédaction  de  la 
première  partie  de  la  syntaxe.  J'enverrai  prochainement  ces  quatre 
nouNeaux  numéros  à  M.  Michel. 

Si  vous  obtenez  la  permission  de  venir  à  Fribourg,  je  désire  que 
vous  ne  veniez  que  plus  tard,  puisque  je  suis  à  travailler  po«r  la 
publication  prochaine. 


LETTRES   IMÉ0ITE8  DU   PÉRfi   GIHARD  99 

Agréez,  mon  cher  ami,  Texpression  de  toute  mon  estime  et  de 

mon  atUcbemeni.  Veuillez  me  renouveler  au  souvenir  de  M"*«  Rapel 

q  ue  je  ne  sépare  pas  de  vous. 

A  la  hÀle. 

Grég.  Girard,  cordelier. 

P.  S.—  M.  Bonjour  devait  avoir  aujourd'hui  la  Iroisième  séance (1); 
mais  Tarrivée  d'un  prince  de  Moldavie  me  prendra  Taprès-midi. 


XV 

Jo  n'ai  que  le  temps  de  vous  écrire  deux  lignes  à  Pérîgueux  où 
vous  avez  l'air  de  vous  trouver  encore.  Grâce  au  bon  sens  de 
M.  Dezobry  (2),  l'orage   est  dissipé  (3)  et  l'impression  du  cours  de 

(1)  Il  s'agit  d'un  peintre  qui  faisait  le  portrait  du  P.  Giiard  pour  M.  haywl. 

(2;  L'un   des  chefs  de  la   maison   Dezobry  et  Magdelaine,   avec  laquelle 
MM.   Rapet  et  Michel  avaient  traité  au  nom  du  P.  Girard  pour  l'impression 
du  Cours  de  langue. 

(3i  L'orage  auquel  il  est  fait  allusion  provenait  de  ce  que  MM.  Unpet  et 

Xichel  avaient  demandé  ta    P.   Girard   d'assez  nombreux  changemcnis  dans 

son   ouvrage,    en  vue  de  l'approprier  aux  besoins  des  écoles  françaises.  Le 

P.  (iirard  se  montra  très  mécontent.  Après.un  premier  raccommodement,  — 

celui  que  constate  la  présente  lettre  du  ii  février  1845  —  il  y  eut  une  nouvelle 

crise  plus  aiguë  dans  l'été   de   1845.    Nous  ne  possédons  pas   les   lettres  du 

1*.  Girai-d  relatives  à  ce  pénible  incident;  M.   Rafict  les  asait  probablement 

«létniites  :  mais  nous   avons  les   brouillons  de    deux^    K'ponses   faites  par 

M.  Rapet  au  P.  Girard,  à  la  date  des  6  juin  et  19  septembre  18i5.  L'extrait 

suivent  de  la   première  de  ces  réponses   fera   connaître    suffisamment   la 

nature  des  griefii  du  P.  (îirard  : 

c  C'est  avec  un  véritable  sentiment  de  douleur,  écrit  M.  Rupet,  que  nous 
avons  lu  aujourd'hui  la  lettre  que  vous  nous  avez  fuit  l'honneur  de  nous 
écrire  le  !•'  de  ce  mois...  Permettez-moi  de  vous  exprimer  tout  mon  regret 
de  ce  qfue  ma  lettre  à  M.  Naville  est  arrivée  entre  vos  mains.  M.  Na ville 
m'ayant  écrit  qu'il  avait  envoyé  ma  lettre  à  M.  Werro,  «fin  qu'il  en  prit 
connaissaoee,  et  que  s'assurant  par  lui-même  de  nos  dispositions  à  l'égard 
de  votre  ouvrage  et  de  nos  sentiments  pour  vous,  il  piU  dissiper  les  nuages 
qui  s'étaient  élevés  dans  votre  esprit  sur  notre  compte,  je  me  suis  empressé 
de  lui  répondre  le  lendemain  de  la  réception  de  sa  lettre,  c'est-à-dire  avant- 
hier,  que  j'avais  vu  sa  démarche  avec  un  grand  regret...  Je  lui  ai  dit  que  nous 
désirions  vivement  qu'on  ne  troublAt  plus  votre  repos  et  qu'on  ne  vous 
importunât  jamais  à  notre  sujet.  J*ai  ajouté  que  maintenant  que  nous 
cooiMissioBS  votre  ferme  résolution  de  ne  rien  changer  au  Cours  de  langue, 
nous  étions  déterminés  à  ne  plus  vous  adresser  aucune  demande  de  change- 
ment et  à  donner  votre  pensée  tout  entière.  Je  lui  marquais  même  qu'ayant 
reconnu  qae  voas  étiez  peu  satisfait  des  notes  que  M.  Michel,  avant  mon 
arrivée  à  Paris,  avait  cru  utile  d'ajouier  avec  la  désignation  de  No(es  des 
éditeurs f  doua  regrettieas  beaucoup,  et  M.  Michel  le  [premier,  que  nous  en 
eussions  introduit  aucune  :  aosti  loi  disaia-je  qne  nous  les  avions  supprimées 


iOO  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

langue  va  commencer.  Ne  tardez  pas,  mon  ami,  d'aller  à  Paris  donner 
des  soins  à  une  édition  qui  demande  une  exactitude  dont  vous  êtes 
capable,  et  qui  est  étrangère  à  votre  collègue.  Il  n'a  pas  correspondu 
régulièrement  avec  vous.  Je  le  vois  par  une  correspondance  qui  m'a 
bien  détourné  de  mon  travail. 

Je  n'ai  jamais  douté  de  votre  amitié  pour  moi  et  de  votre  zèlf 
pour  la  chose,  mais  vous  avez  trop  tenu  à  une  routine  qui  croulf 
et  qui  va  tomber.  Voilà  ce  qui  a  fait  ombrage  à  ma  confiance  sans 
nuire  à  mon  attachement.  Je  croyais  qu'il  fallait  prendre  toutes  aulres 
mesures  pour  la  publication,  ce  qui  me  contrariait  beaucoup  dans 
mon  travail.  Cependant  je  ne  vous  oubliais  point  dans  la  circon- 
stance quelque  pénible  qu'elle  fût  pour  moi,  et  je  vous  en  aurais 
fourni  la  preuve.  Laissez-moi  la  partie  systématique,  moi  seul, 
jusqu'ici,  j'en  tiens  les  fils. 

Dites  bien  des  choses  à  M"»^  Rapet.  Je  n'ai  point  cessé  de  la 
distinguer. 

Votre  ami, 
G.  Girard,  cordelier. 
Fribourg  en  Suisse,  le  12  février  1845. 

P.-S.  —  M.  l)ezobri  vous  communiquera  les  réflexic^ns  que  je  lui 
ai  adressées  et  qui  ont  mis  lin  à  Torage.  Donnez-moi  votre  adresse 
à  Paris  car  j'aurai  à  vous  écrire  en  particulier.  Veuillez  aussi  deman- 
der à  M.  Michel  tout  plein  do  renseignements  que  je  lui  ai 
envoyés. 

dans  le  reste  du  Cours  de  langue,  bien  déridés  à  donner  votre  œuvre  iniacte, 
sauT  les  corrections  de  slvle.  Euûn  je  lui  disais  que  nous  étions  convdincus 
que  lorsque  vous  verriez  que  nous  nous  sommes  ainsi  conformés  à  vos  désirs 
et  que  nous  publions  votre  pensée  tout  entière,  vous  nous  rendriez  de  vous- 
même  celte  confiance  et  cette  aifection  qui  étaient  à  la  fois  pour  nous  un 
honneur  et  un  bonheur.  Voilà  ce  que  je  lui  disais  il  y  a  deux  jours.... 

<f  Ces  explications  franches  que  je  vous  donne  au  nom  do  M.  Michel  et  au 
mien  vous  feront  sans  doute  revenir,  mon  très  Révérend  Père,  de  votre 
intention  d'arrêter  l'impression  du  Cours  de  langue.  Nous  la  laisserons  donc 
continuer,  à  moins  que  vous  ne  nous  disiez  le  contraire,  ou  que  vous  r.e 
l'ayez  déjà  écrit  à  MM.  Dézobry.  En  effet,  la  crainte  que  vous  pouviez 
constrver  de  vous  voir  continuellement  en  opposition  avec  nous,  la  crainte 
aussi  de  voir  cette  divergence  d'opinion  aller  en  croissant  à  mesure  que  le 
travail  avance,  et  entraîner  des  discussions  snns  fin,  tout  cela  a  disparu. 
Ainsi  que  je  l'avais  déjà  écrit  à  M.  Naville,  nous  avons  reconnu  la  convenance 
d'imprimer  votre  ouvrage  en  entier,  tel  que  vous  l'avez  conçu  et  sans  vous 
proposer  dorénavant  aucune  modification.  Pour  vous  rassurer  même  complè- 
tement à  cet  égard,  j'ajouterai  que  nous  avons  achevé  il  y  a  deux  jours  U 
révisiou  du  manuscrit  des  deux  premières  parties,  nous  bornant  exclusivement 
à  cori'iger  les  fautes  de  style.  Vous  n'avez  donc  plus  à  redouter  d'être  dans  la 
nécessité  de  lutter  avec  nous  pour  l'impression  exacte  de  votre  œuvre.  Cette  con- 
sidération vous  fera  sans  doute  revenir  de  votre  intention  et  vous  déterminera 
à  ne  plus  différer  une  publication  que  la  société  n'a  que  trop  attendue.  » 


LETTRES    INÉDITES   DU    PÈRE    GIRARD  101 


XM 

Observations  de  M.  Rendu  sur  l  ouvrage  du  Rév.  P.  Girard,  De 
l  Enseignement  régulier  de  la  langue  maternelle  (1). 

Page  23L  —  «  Les  tendances  naturelles  ne  peuvent  être  que  bonnes, 
puisqu'elles  sont  Tœuvre  du  Créateur,  et  qu'elles  sont  destinées  à 
•retracer  en  nous  son  image.  A  notre  naissance,  elles  ne  sont  que 
des  germes,  et  il  faut  que  ces  germes  se  développent  bien  pour  pro- 
duire la  vertu.  Celle-ci  ne  peut  pas  naître  avec  nous,  cor  elle  doit 
devenir  ce  produit  volontaire  d'un  être  intelligent  qui  sait  distinguer 
le  bien  du  mal,  et  qui,  au  milieu  de  toute  espèce  de  séduction,  s'at- 
tache fortement  à  tout  ce  qui  est  honnête  et  bon.  » 

Ces  paroles  rappellent  le  prindpe  de  Jean-Jarques  :  «  Tout  ce  qui 
sort  des  mains  du  Créateur  est  bon.  »  On  y  fail  abstraction  de  la  dé- 
pravation originelle  qui  se  manifeste  aussi  par  des  tendances  qui  ne 
sont  que  trop  naturelles. 

Page  236,  —  «  De  quoi  s  avisent  donc  ces  moralistes  qui,  sous 
prétexte  d'une  haute  sainteté,  nous  conseillent  de  refuser  tout  ce 
qui  est  agréable  aux  sens?  lis  insultent  en  même  temps  à  la  nature 
humaine  et  à  son  auteur.  Ils  prétendent  aussi  corriger  TÉvangile 
dont  ils  se  disent  les  disciples  :  car  l'Évangile  veut  en  général  que 
rhomme  prenne  soin  de  son  enveloppe  et  que,  goûtant  les  plaisirs 
innocents  que  le  Créateur  lui  olTre  dans  sa  bonté,  il  en  relève  le 
prix  par  la  reconnaissance  (V^  Épître  de  Saint  Paul  à  Timothée, 
chap.  IV,  2-8)  ». 

L'Évangile  ne  dit-il  pas  au  contraire,  et  ne  répète-t-il  pas  :  «  Faites 
pénitence,  portez  votre  croix;  renoncez  à  tout,  etc.  ?  »  Le  P.  Girard 
ne  parle  nulle  part  de  l'obligation  de  faire  pénitence.  Les  paroles 
que  nous  venons  de  citer  semblent  accuser  d'exagération  et  d'erreur 
tous  ces  grands  exemples  de  pénitence  et  de  mortification  que  l'Église 
nous  met  chaque  jour  sous  les  yeux,  et  le  passage  de  siiint  Paul  auquel 
il  renvoie  ne  contient  certainement  rien  qui  puisse  venir  à  l'appui 
de  sa  doctrine. 

Page  27 L  —  «  Ce  n'est  pas  que  l'enfant  naisse  hostile  à  la  vertu 
et  hostile  au  bien,  puisque  comme  nous  venons  de  le  voir,  il  porte 
au  fond  de  lame  l'amour  indélébile  de  la  vertu  et  l'amour  indélébile 
du  bien,  comme  deux  traits  saillants  et  ineffaçables  de  ressemblance 


(1)  Les  ob8er>'ations  qu'on  va  lire  avaient  été  remises  à  M.  Hapet  de  la 
part  de  MM.  Ambroise  Rendu  et  Guéneau  de  Mussy  ;  M.  Rapet  les  fit  par- 
venir au  P.  Girard.  Le  digne  cordelier  rédigea  aussitôt  la  réponse  qu'on 
trouvera  plus  loin,  et  l'adressa  à  M.  Rapet  par  l'intermédiaire  de  ses  inli- 
leurs,  MM.  Dézobry  et  Magdelaine. 


102  RI  VUE   PÉDAGOGIQUE 

avec  le  Créateur  qui  a  grave  en  lui  sod  imago.  Mais...  s'il  est  esprit^ 
il  est  chair  en -même  temps,  et  c'est  la  partie  animale  qui  se  déve- 
loppe premièrement  en  lui... 

»  Il  arrive-  de  là  que  la  partie  basse  de  la  nature  humaine  a  déjà 
gagné  de  l'extension  et  pris  de  l'empire  sur  Tenfant,  tandis  que  la 
partie  noble  à  qui  revient  Tempire  sommeille  encore,  ou  ne  se  mon- 
tre que  rarement  et  faiblement.  C'est  cette  priorité  et  cette  prédomi- 
nance  de  la  sensualité  que  nous  appelons  le  péché  originel,  ou  la  tache 
originelle,  avec  laquelle  naissent  tous  les  enfants  d'Adam.  » 

Comment  concilier  cette  théorie  avec  ce  que  la  foi  nous  apprend 
que  tous  ont  péché  en  un  seul,  que,  comme  enfants  d'Adam,  nous 
naissons  enfants  de  colère,  sujets  à  la  concupiscence,  à  l'ignorance, 
à  la  mort?  Comment  Tauteur  n'a-t-il  pas  vu  que  cette  opposition 
qu'il  signale  entre  l'esprit  et  la  chair,  entre  la  partie  noble  et  la 
partie  basse  de  la  nature  humaine,  atteste  déjà  une  altération  de 
l'œuvre  de  Dieu,  qu'elle  est  une  suite  du  péché  originel,  et  par  con- 
séquent ne  peut  pas  le  constituer? 

P.  3j6  et  557.  —  Il  est  question  des  maux  de  la  vie,  de  la  ma- 
nière dont  nous  devons  les  envisager,  les  accepter;  mais  pas  un  mol 
qui  tende  à  nous  les  faire  considérer  comme  des  moyens  d'expiation 
et  de  pénitence. 

P.  â23.  —  «  Les  arbres,  sans  la  culture  de  l'homme,  ne  produi- 
sent que  des  fruits  sauvages  pour  la  dent  des  sangliers,  et  c'est 
nous  qui  leur  donnons  la  saveur  et  le  parfum.  —  Le  Créateur 
a  chargé  l'homme  d'achever  la  création  terrestre,  et  pour  ce  noble 
travail,  il  lui  a  prêté  une  partie  de  son  intelligence  et  de  son 
empire.  » 

Le  Créateur,  à  cause  du  péché  de  l'homme,  a  fait  produire 
à  la  terre  des  ronces  et  des  épines,  et  a  condamné  l'homme 
à  la  cultiver  péniblement,  à  manger  son  pain  à  la  sueur  de  son 
front. 

Les  phrases  qui  suivent  celles  que  nous  venons  de  citer  me  parais- 
sent également  empreintes  d'exagération. 

P.  AU,  —  «  Faites  luire  dans  l'esprit  de  vos  élèves  la  lumière  de 
vérilé  que  le  divin  Sauveur  a  apportée  sur  la  terre,  et  l'ordre  s'éta- 
blira dans  leurs  penchants.  » 

Suffit-il  donc  de  connaître  la  vérité  pour  en  faire  la  règle  de  ses 
penchants  et  de  ses  actions? 

En  général,  il  m'a  semblé  teconnautre  dans  l'ouvrag^^,  si  estimable 
d'ailleurs,  du  révérend  Père  Girard  une  tendance  au  rationalisme, 
une  atténuation  des  vérités  de  la  foi,  une  exaltation  sans  contre- 
poids de  la  raison  humaine.  Les  passages  que  j'ai  cités  sont  ceux 
où  cette  tendance  me  paraît  se  manifester  davantage. 

M.  Rendu  regrette  aussi  que  dans  l'ouvrage  il  ne  soit  question  de 
TEglise  nulle  part. 


LETTRES   INÉDITES  DU   PÈRE   GIRARD  103 

RÉPONSE  Wi  P.  6IRARD  AUX  OBSEKYATIOKS  DE  M.   RENDU 

En  Usant  mon  livre,  il  y  a  deux  choses.  Monsieur,  qu'il  ne  faut  pas 
perdte  de  vue.  D'abord  îl  n'est  pas  le  Cours  éducatif  de  langue 
maternelle  destiné  aux  enfants,  mais  simplement  son  introduction, 
où  il  ne  s'agissait  que  d'exprimer  les  principes,  sans  ajouter  leurs 
développements.  Ce  serait  donc  ne  pas  être  juste  envers  l'auteur 
que  de  lui  reprocher  l'omission  de  détails  dans  un  livre  qui  n  était 
pas  fait  pour  les  recevoir. 

D'un  autre  côté,  si  le  Cours  de  langue  s'est  mis  au  service  de 
l'éducation  chrétienne,  il  n'a  pas  eu  et  il  ne  devait  pas  avoir  la 
prétention  de  l'achever.  11  s'est  placé  entre  la  mère  et  le  saint 
ministère  pour  perfectionner  ce  qu'a  fait  l'une,  et  préparer,  sans 
anticiper  sur  lui,  ce  que  l'autre  devra  faire.  C'est  ce  que  mon  livre 
déclare  fréquemment,  p.  e.  pages  149,283,  290,305.  Les  bornes  que 
je  me  suis  prescrites  sont  un  mérite  de  mon  travail.  Ou  devais-je 
peut-être,  en  développant  l'instruction  religieuse,  la  soustraire  au 
catéchiste,  pour  la  confier  à  des  instituteurs  et  à  des  institutrices 
qui  n'ont  pour  la  donner  ni  la  qualité  ni  l'autorisation  nécessaires? 

J'ai  beaucoup  développé  la  morale,  comme  cela  devait  être  dans 
un  Cours  éducatif  de  langue  maternelle.  Quant  au  dogme,  je  m'en 
suis  tenu  aux  premiers  éléments.  Dans  les  deux  premières  parties 
de  la  syntaxe  j'ai  tâché  de  fonder  dans  la  raison,  la  conscience  et 
le  cœur  des  élèves  le  premier  article  du  symbole  chrétien  :  Je  crois 
en  Dieu,  le  Père  tout  puissant,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre.  Puis  la 
troisième  partie  établit  le  deuxième  article  :  Je  crois  en  /.  C,  son 
fils  unique,  etc.  Le  cours  de  langue  laisse  au  catéchiste  le  soin 
d'enseigner  le  reste  de  la  doctrine  chrétienne.  Il  imite  en  cela 
M.  Nicole  dans  son  livre  Les  fondements  de  la  foi  que  sans  doute  l'on 
n'accusera  pas  d'avoir  par  cette  réserve  trahi  la  religion. 

Vos  réflexions  sur  mon  livre  se  terminent,  Monsieur,  par  une 
conclusion  qui  m'a  causé  une  surprise  bien  vive.  La  voici  :  En 
génértU  il  me  semble  reconnaître  dans  l'ouvrage  du  P.  Girard  une  ten- 
dance au  rationalisme,  une  atténuation  des  vérités  de  la  foi,  une  exal- 
tation sans  contrepoids  de  la  raison. 

Si  ]^r  rationalisme  vous  entendez  l'abnégation  de  la  foi  en  J.  C, 
comme  le  comporte  l'acception  ordinaire  de  ce  mot.  je  me  bornerai, 
Monsieur,  à  vous  dire  :  Ouvrez  mon  livre,  lisez  l'article  Le  Sawveur 
des  hommes  (p.  Ii2  à  152),  et  devenez  juste  à  mon  égard,  car  vous 
ne  Têtes  pas. 

Si  par  rationalisme  vous  entendez  le  soin  de  fonder  en  raison  les 
premières  vérités  de  la  foi,  alors  j'accepte  de  grand  cœur  le  reproche 
que  vous  pensez  me  faire,  et  je  m'en  fais  un  mérite.  Je  s^iis  en  cela 
l'exemple  du  divin  Maître  (voyez  p.  153).  J'imite  les  apôtres  qui 
toujours  raisonnent  dans  leurs  épitres,  qui  voulaient  que  les  fidèks 
fassent  capables  de  rendre  raison  de  leur  foi  (1  Petr.  III,  15)  et  que  sous 


lOi  R£VU£   PÉDAGOGIQUE 

ce  rapport  ils  ne  fussent  pa§  des  enfants  sans  intelligence,  mais  des 
hommes  parfaits  en  sagesse.  (I  Cor.  I,  30)  Au  surplus  je  fais  en  cela 
ce  que  la  théologie  a  fait  en  tout  temps;  puisque  de  tout  temps  elle 
s'est  étudiée  à  mettre  en  harmonie  la  raison  avec  la  foi.  EnGn  je 
fais  en  cela  ce  qu'exige  impérieusement  l'esprit  de  notre  temps,  depuis 
que  le  matérialisme  et  l'incrédulité  ont  marché  tête  levée  sur  notre 
Europe  et  y  ont  laissé  des  traces  profondes  là  môme  où  Ton  n'irait 
pas  les  chercher.  L'éducation  <loit  prévenir  la  contagion  du  mal,  et 
j'ai  lâché  de  le  faire. 

Je  crois,  Monsieur,  vous  avoir  édifié  sur  le  fond  des  reproches  que 
vous  avez  adressés  à  mon  livre,  et  jo  vais  passer  aux  détails. 

i®  Vous  m'accusez  de  n'avoir  pas  fait  mention  de  l'église,  et  pour- 
tant elle  paraît  déjà  deux  fois  dans  l'article  Le  saurcur  des   hommes. 

^^  Vous  m'accusez  de  n'avoir  pas  donné  le  vrai  sens  au  m)t  de 
Péché  originel,  et  >ous  me  citez  en  preuve  l'expression  de  la  Vulgate 
(Rom.  V,  12)  m  quo  onmes lyeccaverunt,  que  Sacy  a  traduite  En  qui  tous 
ont  péché.  Mais  cette  traduction  n'est  pas  exacte,  car  if  <î>  icdvxe;  fiaaptov 
signifie  quoniam  omnes  peccaverunt,  comme  Bergier  a  traduit  ce 
passage  En  ce  que  tous  ont  péché  {D'iciion.  de  théologie,  Tome  VI,  page 
135).  Dans  la  basse  latinité  m  quo  (neutre)  veut  dire  en  ce  que,  quo- 
niam. La  traduction  de  Sacy  est  d'ailleurs  contraire  au  contexte, 
car  au  \erset  li  l'apùtredit  expressément  :  La  mort  a  régné  aussi  sur 
ceux  qui  n'ont  pas  péché  à  l'imitation  de  la  prévarication  d'Adam. 
Je  pourrais  justifier  en  bonne  théologie  catholique  l'idée  que  j'ai  don- 
née en  passant  du  péché  originel;  mais  pour  ne  pas  vous  blesser 
et  les  personnes  qui  pensent  comme  vous,  j'ai  supprimé  le  mot  dans 
la  nouvelle  édition,  et  j'ai  laissé  la  chose  qui  est  de  toute  vérité, 
puisque  nous  l'aNons  toujours  sous  les  yeux. 

3^  Vous  trouvez,  Monsieur,  que  j'ai  trop  relevé  la  dignité  de 
l'homme  ;  or  c'est  de  ce  que  le  Créateur  a  fait  de  lui  que  je  parh, 
et  non  de  ce  qu'il  fait  de  lui-même  dans  ses  égarements.  Parlant  de 
sa  nature,  l'Kcriture  nous  dit  que  Dieu  l'a  créé  à  son  image  et  res- 
semblance et  qu*<7  est  de  race  divine.  Peut-on  dire  quelque  chose  de 
plus  grand  de  la  nature  humaine?  Mes  paroles  au  reste  ne  sont 
<iue  le  commentaire  du  huitième  psaume  ;  commentaire  que  vous 
retrouverez  dans /^(T^eer  (Traité  de  la  religion,  Tome  il,  chap.  Vi). 
C'est  dans  l'intérêt  de  l'éducation  que  je  rends  l'élève  attentif  à  la 
dignité  de  sa  nature,  afin  de  donner  à  l'instinct  naturel  qui  nous 
porte  à  nous  estimer,  la  direction  convenable,  loin  de  la  vanité  et 
de  l'orgueil,  tout  comme  de  la  bassesse. 

i<»  Eu  parlant  de  nos  tendances  naturelles  (page  231)  je  prends  ce 
mot  à  la  rigueur,  comme  cela  doit  être  dans  un  traité  d'éducation 
où  il  s'agit  de  faire  le  triage  des  penchants  que  l'homme  manifeste 
dans  la  vie.  Or  les  tendances  primitives,  qui  seules  sont  naturelles, 
ne  peuvent  être  que  boiuies,  puisqu'elles  sont  l'œuvre  du  Créateur. 
L'une  d'entre  elles,  la  tendance  personnelle,  bien  que  bonne  aussi 


LETTRES   INÉDITES    DU    PÈRE   GIRARD  105 

dans  son  principe,  est  sujette  à  des  déviations  à  côté  de  la  liberté 
et  dans  la  vie.  Ces  déviations  ne  sont  ni  générales,  ni  uniformes, 
ui  constantes  comme  le  sont  les  éléments  constitutifs  de  la  nature 
humaine.  C'est  donc  par  abus  qu'on  les  appellerait  naturelles^  ou  du 
moins  par  une  extension  qui  s'écarte  du  langage  de  la  science,  et 
que    Ton  ne  devrait  pas  se  permettre  dans  une  discussion. 

5»  Si  j'ai  dit  (p.  44i)  Faites  luire  dans  Vesprit  de  vos  élèves  la  lu- 
mière de  la  vérité  que  le  divin  Sauveur  a  apportée  sur  la  terre,  et  V ordre 
9^ établira  dans  leurs  penchants,  j'ai  résumé  tout  mon  livre  dans  ces 
paroles.  Il  est  bon,  si  elles  sont  vraies;  il  ne  vaut  rien,  si  elles  sont 
fausses.  C'est  sur  leur  vérité  que  repose  le  ministère  de  la  parole, 
établi  par  le  divin  Maître  et  conservé  depuis  dix-huit  siècles  dans 
son  église.  Le  passage  que  vous  avez  inculpé,  Monsieur,  exprime  en 
d'autres  termes  ce  que  le  Sauveur  a  dit  un  jour  à  ceux  qui  croyaient 
en  lui  (Jean  VIII,  31,  34):  Si  vous  demeurez  dans  ma  parole^  vous  serez 
véritablement  mes  disciples,  et  vous  connaîtrez  la  vérité,  et  la  vérité 
vous  rendra  libres.  Avoir  entendu  la  parole  du  Sauveur  et  en  con- 
server quelque  souvenir  dans  la  mémoire,  ce  n'est  pas  y  demeurer. 
Pour  cela  il  faut  l'avoir  habituellement  devant  les  yeux  et  dans 
le  cœur,  ou  bien,  selon  mon  expression  ci-rlcssus,  il  faut  qu'(;llo 
luise  en  notie  àme,  et  qu'elle  soit  la  lumière  à  laquelle  nous  marchons. 
Alors  l'ordre  s'établit  dans  nos  allections  comme  dans  nos  pensées, 
et,  exempts  de  toute  mauvaise  passion,  produit  de  l'ignorance 
et  de  Terreur,  nous  jouissons  de  la  liberté  des  enfants  de  Dieu. 

t}^  Vous  trouvez  mauvais,  Monsieur,  que  mon  livre  ne  parle  pis 
de  pénitence.  Si  le  mot  n'y  est  pas,  la  chose  s'y  trouve  grandenicnl. 
Au  chapitre  3  du  livre  IV  il  y  a  une  indication  des  défauts  que  les 
élèves  apportent  plus  ou  moins  aux  levons  régulières  de  langue, 
et  tout  le  reste  du  livre  n'est  occupé  que  des  moyens  de  cultiver  les 
tendances  primitives  de  la  nature  humaine  de  manière  à  prévenir 
ou  à  guérir  le  mal  dans  lo  cœur  de  la  jeunesse.  Le  caléchisle 
parlera  du  sacrement  de  pénitence.  C'est  sa  lâche,  et  sans  doute  qu'il 
aura  soin  de  dégager  ce  mot  de  toutes  les  fausses  idées  «jui  ne  s'y 
attachent  que  trop  souvent.  Le  Cours  de  langue  qui  n'a  devant  lui  (jue 
des  enfants,  doit  leur  parler  autrement  qu'on  est  obligé  de  parler  à  de 
vieux  pécheurs  qu'il  faut  d'abord  épouvanter  pour  les  détacher  du  mal, 
et  les  préparer  ainsi  à  se  tourner  vers  le  bien.  Quant  à  ce  que  vous 
appelez  du  nom  de  mortification,  voici  la  règle  de  l'apotre  {l  Tim.  iV,  d)  : 
Exercez-vous  à  la  piété,  car  les  exercices  corporels  servent  à  peu  de  chose; 
mais  la  piété  est  utile  à  tout,  puisque  c'est  à  elle  que  les  biens  de  la  rie 
préiente  et  de  la  vie  future  sont  promis, 

7«  Enfm,  Monsieur,  vous  trouvez  mauvais  que  je  ne  relève  dans 
la  nature  que  les  bienfaits  du  Créateur  H  que  je  ne  dise  pas  qu'à 
cause  du  péché  de  l'homme,  il  a  fait  produire  à  la  terre  les  ronces 
et  les  épines,  pour  en  rendre  la  culture  plus  difficile  et  plus  pénible. 

D'après  le  récit  de  la  Genèse,  il  paraît  que  dans  le  premier  séjour 


lOi  R£VU£   PÉDAGOGIQUE 

ce  rapport  ils  ne  fussent  pas  des  enfants  sans  intelligence,  mais  des 
hommes  parfaits  en  sagesse.  (I  Cor.  I,  30)  Au  surplus  je  fais  en  cela 
ce  que  la  théologie  a  fait  en  tout  temps;  puisque  de  tout  temps  elle 
s'est  étudiée  à  mettre  en  harmonie  la  raison  avec  la  foi.  EnGn  je 
fais  en  cela  ce  qu'exige  impérieusement  l'esprit  de  noire  temps,  depuis 
que  le  matérialisme  et  riitcrédulité  ont  marché  tête  levée  sur  notre 
Europe  et  y  ont  laissé  des  traces  profondes  là  même  où  l'on  nuirait 
pas  les  chercher.  L'éducation  doit  prévenir  la  contagion  du  mal,  et 
j'ai  lâché  de  le  faire. 

Je  crois,  Monsieur,  vous  avoir  édifié  sur  le  fond  des  reproches  que 
vous  avez  adressés  à  mon  livre,  et  jo  vais  passer  aux  détails. 

i®  Vous  m'accusez  de  n'avoir  pas  fait  mention  de  Vêglise,  et  pour- 
tant elle  parait  déjà  deux  fois  dans  l'article  Le  sauveur  des   hommes, 

2<*  Vous  m'accusez  de  n'avoir  pas  donné  le  vrai  sens  au  m)t  de 
Péché  originel,  et  vous  me  (ilez  en  preuve  l'expression  de  la  Vulgale 
(Rom.  V,  12)  in  qud  oinnes  peccaverunt,  que  Sacy  a  traduite  En  qui  tous 
ont  péché.  Mais  celle  traduction  n'est  pas  exacte,  car  If  v  ««ivxe;  fijjiaftov 
signifie  quoniam  omnes  peccaverunt,  comme  Bergier  a  traduit  ce 
passage  En  ce  que  tous  ont  pcrAc  (Diction,  de  théologie.  Tome  VI,  page 
135).  Dans  la  basse  latinité  m  quo  (neutre)  veut  dire  en  ce  çue,  quo- 
niam. La  traduction  de  Sacy  est  d'ailleurs  contraire  au  contexte, 
car  au  verset  li  l'apôtre  dit  expressément  :  La  mort  a  régné  aussi  sur 
ceux  qui  n'ont  pas  péché  à  l'imitation  de  la  prévarication  d'Adam, 
Je  pourrais  justifier  en  bonne  théologie  catholique  l'idée  que  j'ai  don- 
née en  passant  du  péché  originel  ;  mais  pour  ne  pas  vous  blesser 
et  les  personnes  qui  pensent  comme  vous,  j'ai  supprimé  le  mot  dans 
la  nouvelle  édition,  et  j'ai  laissé  la  chose  qui  est  de  toute  vérité, 
puisque  nous  l'aNons  toujours  sous  les  yeux. 

3<»  Vous  trouvez,  Monsieur,  que  j'ai  trop  relevé  la  dignité  de 
l'homme;  or  c'est  de  ce  que  le  Créateur  a  fait  de  lui  que  je  parb, 
et  non  de  ce  qu'il  fait  de  lui-même  dans  ses  égarements.  Parlant  de 
sa  nature,  l'Ecriture  nous  dit  que  Dieu  Va  créé  à  son  image  et  res- 
semblance et  qu'<7  est  de  race  divine.  Peut-on  dire  quelque  chose  de 
plus  grand  de  la  nature  humaine?  Mes  paroles  au  reste  ne  sont 
que  le  commentaire  du  huitième  psaume  :  commentaire  que  vous 
retrouverez  dans /ier^eer  (Traité  de  la  religion.  Tome  II,  chap.  VI). 
C'est  dans  l'intérêt  de  l'éducation  que  je  rends  l'élève  attentif  à  la 
d'gnité  de  sa  nature,  afin  de  donner  à  Tinstinct  naturel  qui  nous 
porte  à  nous  estimer,  la  direction  convenable,  loin  de  la  vanité  et 
de  l'orgueil,  tout  comme  de  la  bassesse. 

i«  Eu  parlant  de  nos  tendances  naturelles  (page  231)  je  prends  ce 
mot  à  la  rigueur,  comme  cela  doit  être  dans  un  traité  d'éducation 
où  il  s'agit  de  faire  le  triage  des  penchants  que  l'homme  manifeste 
dans  la  vie.  Or  les  tendances  primitives,  qui  seules  sont  naturelles, 
ne  peuvent  être  que  bonnes,  puisqu'elles  sont  Tœuvre  du  Créateur. 
L'une  d'entre  elles,  la  tendance  personnelle,  bien  que  boime  aussi 


LETTRES   INÉDITES    DU   PÈRE   GIRARD  105 

dans  son  principe,  esl  sujette  à  des  déviations  à  côté  de  la  liberté 
et  dans  la  vie.  Ces  déviations  ne  sont  ni  générales,  ni  uniformes, 
ni  constantes  comme  le  sont  les  éléments  constitutifs  de  la  nature 
humaine.  C*estdonc  par  abus  qu'on  les  appellerait  naturelles,  ou  du 
moins  par  une  extension  qui  s'écarte  du  langage  de  la  science,  et 
que    Ton  ne  devrait  pas  se  permettre  dans  une  discussion. 

50  Si  j'ai  dit  (p.  444)  Faites  luire  dans  Vespril  de  vos  élèves  la  lu- 
mière  de  la  vérité  que  le  divin  Sauveur  a  apportée  sur  h  terre,  et  V ordre 
Rétablira  dans  leurs  penchants,  j*ai  résumé  tout  mon  livre  dans  ces 
paroles.  Il  est  bon,  si  elles  sont  vraies;  il  ne  vaut  rien,  si  elles  sont 
fausses.  C'est  sur  leur  vérité  que  repose  le  ministère  de  la  parole, 
établi  par  le  divin  Maître  et  conservé  depuis  dix-huit  siècles  dans 
son  église.  Le  passage  que  vous  avez  inculpé,  Monsieur,  exprime  en 
d'autres  termes  ce  que  le  Sauveur  a  dit  un  jour  à  ceux  qui  croyaient 
en  lui  (Jean  Vill,  31,  3i2):  Si  vous  demeurez  dans  ma  parole^  vous  serez 
véritablement  mes  disciples,  et  vous  connaîtrez  la  vérité,  et  la  vérité 
vous  rendra  libres.  Avoir  eiitendu  la  parole  du  Sauveur  et  en  con- 
server quelque  souvenir  dans  la  mémoire,  ce  n'est  pas  y  demeurer. 
Pour  cela  il  faut  Tavoir  habituellement  devant  les  yeux  et  dans 
le  cœur,  ou  bien,  selon  mon  expression  ci -dessus,  il  faut  qu'elle 
luise  en  notie  àme,  et  qu'elle  soit  la  lumière  à  laquelle  nous  marchons. 
Alors  l'ordre  s'établit  dans  nos  alTections  comme  dans  nos  pensées, 
et,  exempts  de  toute  mauvaise  j>assion,  produit  de  l'ignorance 
et  de  Terreur,  nous  jouissons  de  la  liberté  des  enfants  de  Dieu. 

ti^  Vous  trouvez  mauvais,  Monsieur,  que  mon  livre  ne  parle  pis 
de  pénitence.  Si  le  mot  n'y  est  pas,  la  chose  s'y  trouve  grandenicnl. 
Au  chapitre  3  du  livre  IV  il  y  a  une  indication  des  défauts  que  les 
élèves  apportent  plus  ou  moins  aux  leçons  régulières  de  langue, 
et  tout  le  reste  du  livre  n'est  occupé  que  des  moyens  de  cultiver  h;s 
tendances  primitives  de  la  nature  humaine  de  manière  à  prévenir 
ou  à  guérir  le  mal  dans  le  cœur  de  la  jeunesse.  Le  caléchisle 
parlera  du  sacrement  de  pénitence.  C'est  sa  lâche,  et  sans  doute  qu'il 
aura  soin  de  dégager  ce  mot  de  toutes  les  fausses  idées  qui  ne  s'y 
attachent  que  trop  souvent.  Le  Cours  de  langue  qui  n'a  devant  lui  que 
des  enfants,  doit  leur  parler  autrement  qu'on  est  obligé  de  parler  à  de 
\ieux  pécheurs  qu'il  faut  d'abord  épouvanter  pour  les  détacher  du  mal, 
et  les  préparer  ainsi  à  se  tourner  >ers  le  bien.  Quant  à  ce  que  vous 
appelez  du  nom  de  mortification,  voici  la  règle  de  l'apùtre  {l  Tim.  IV,  8)  : 
Exerces'vous  à  lapiété,  car  les  exercices  corporels  servent  à  peu  de  chose; 
mais  la  piété  est  utile  à  tout,  puisque  c'est  à  elle  que  les  biens  de  la  vie 
préiente  et  de  la  vie  future  sont  promis. 

1^  Enftn,  Monsieur,  vous  trouvez  mauvais  que  je  ne  relève  dans 
la  nature  que  les  bienfaits  du  Créateur  «t  que  je  ne  dise  pas  qu'à 
cause  du  péché  de  l'homme,  il  a  fait  produire  à  la  terre  les  ronces 
et  les  épines,  pour  en  rendre  la  culture  plus  difficile  et  plus  pénible. 

D'après  le  récit  de  la  Genèse,  il  parait  que  dans  le  premier  séjour 


106  REVUE   PÉDAGOCIfQDE 

de  rhorame  il  n'y  avait  pas  de  plantes  épineuses,  mais  elles  existaient 
hors  de  celte  petite  localité.  Elles  avaient  été  créées  le  troisième 
joui-  avec  le  règne  végétal  dont  elles  sont  une  partie  intégrante,  et 
le  Créateur,  comme  dit  la  Genèse,  a  vu  que  l'œuvre  de  ce  jour  était 
bonne.  Si  les  ronces  et  les  épines  demandent  de  l'homme  un  travail 
pénible,  le  travail  lui  est  en  général  utile  à  tous  égards  pour  son  déve- 
loppemenL  Quant  aux  plantes  épineuses  elles  sont  les  berceaux  dt's 
forêts  et  de  l'agriculture  divine.  Elles  produisent  des  baies  que 
riiomnie  utilise,  et  dont  les  oiseaux  font  leur  nourriture,  tandis  que 
les  épines  défendent  leurs  nids  et  leurs  cx)uvées.  Tout  ce  que  le  Dieu 
de  toute  bonté  a  fait  est  bon,  et  l'instituteur  chrétien,  dont  la  tâche 
principale  est  d'amener  les  élèves  dans  les  bras  du  Père  céleste,  a 
le  devoir  de  leur  faire  trouver  dans  toutes  ses  œuvres  les  traces  de 
sa  sollicitude  paternelle.  Ce  ne  sont  pas  des x  juifs  qu'il  est  appelé  à 
former  en  eux,  en  leur  inspirant  la  crainte  servile.  Il  doit  au  con- 
traire leur  inspirer  l'esprit  d'adoption  de  l'enfant  qui  dit:  mon  Père, 
mon  Père  (Rom.  Vlll,  lo). 

Je  viens.  Monsieur,  de  répondre  à  tous  les  reproches  que  vous  avez 
adressés  à  mon  livre  couronné  [)ar  TAcndémie.  J'espère  que  vous 
trouverez  m(»s  réponses  satisfaisantes  et  il  ne  me  reste  plus  qu'à 
vous  prier  d'agréer  l'expression  de  etc. 

Frihourg  en  Suisse  le  13  juin  18^6. 


XVII 

Monsieur  et  cher  ami, 

Je  suis  fArlié  do  n'avoir  pas  corrigé  convenablement  la  table  de 
mon  livre,  puisque  je  vous  ai  laissé  la  peine  de  le  faire.  Vous  pouviez 
l'entreprendre  sans  m'en  prévenir. 

Au  moment  où  je  vous  écris  MM.  Dézobry  et  Magdeleine  doivent 
avoir  reçu  la  troisième  partie  de  la  syntaxe  qui  pourra  de  suite  être 
livrée  à  l'imprimeur,  si  ces  messieurs  le  jugent  à  propos. 

Ils  ont  aussi  reru  ma  réponse  aux  observations  de  M.  Rendu.  J'ai 
usé  de  tous  les  ménagements,  quoique  ses  observations  ne  les  aient 
pas  toujours  mérités.  Elles  sont  quelquefois  si  erronnées  et  si 
tranchantes  !  Je  serais  tenté  de  croire  qu'elles  ont  été  dictées  par  un 
intérêt  tout  autro  que  celui  de  la  vérité  et  du  bien  à  faire  dans  le 
domaine  de  l'éducation. 

Je  vous  ai  prié,  par  l'entremise  de  MM.  Dézobry  et  Magdeleine  de 
faire  tirer  trois  copies  de  ma  réponse  à  M.  Rendu  pour  les  présenter 
vous-même  à  MM.  de  Salvandy,  Villemain  et  V.  Cousin.  J'ai  pensé  que 
dans  votre  position  il  pourrait  vous  être  agréable  d'avoir  une  occasion 
particulière  d'entretenir  ces  messieurs  sur  un  sujet  qui  ne  manquera 
pas  d'avoir  quelque  intérêt  pour  eux. 


LETTRES   IKÉDITES  DU   PÈBE   GIRARD  lOT 

Dans  la  préface  de  la  troisième  partie  de  la  syntaxe,  je  vous  adresse 
publiquement  mes  remerciments  pour  les  soins  que  vous  avez  donnés 
et  donnez  encore  à  mon  tntvail,  et  il  ne  me  reste  plus  qu'à  vous 
prier  de  me  renouveler  au  souvenir  de  M^  Rapel. 

Votre  tout  dévoué, 

(t.  Girard. 
Fribourg  en  Suisse  le  17  juin  18^H. 


Monsieur  et  cher  ami. 


xvm 

PrU)ourg,  le  27  juillet  184G, 


J'ai  reçu  avant-hier  votre  dernière  avec  l'incluse  de  M.  Rendu. 
Cet  homme  respectable  et  son  vieux  ami  ont  compris  qu'ils  s'étai/*nl 
aventurés  dans  les  observations  qu'ils  vous  ont  remises.  Une  lerfure 
plus  attentive  de  mon  ouvrage  les  aurait  rendus  plus  circonspects 
et  plus  justes,  comme  vous  avez  dû  le  voir  par  ma  réponse.  Ce  petit 
écrit  pourra  devenir  utile  avec  le  temps,  car  mon  travail  s'éloigne 
trop  de  la  routine  et  de  ceux  qui  ont  quelque  intérêt  à  la  conser\'er. 
pour  qu'il  échappe  à  des  attaques  dictées  par  quelque  passion. 

M.  Rendu  et  son  ami  ont  été  de  bonne  foi,  et  c'est  la  bonne  cause 
qu'ils  ont  cru  défendre.  D'ailleurs  ils  ne  se  sont  adressés  qu'à  moi- 
même  sans  mettre  le  public  dans  leur  confidence.  C^ci  demande  de 
ma  part  toute  espèce  de  ménagements,  et  je  ne  veux  pns  y  man- 
quer. Ainsi  ne  remettez  pas  les  copies  de  ma  réponse  aux  trois 
personnes  que  j'avais  désignées,  et  veuillez  garder  le  secret  sur  cet 
incident.  Je  réi)ondrai  bi<»nl(M  à  l'obligeante  lettre  de  M.  Rendu: 
veuillez  le  lui  faire  savoir,  si  vous  en  avez  l'occasion. 

Je  ne  suis  point  surpris  des  obstacles  que  l'introduction  du  cours 
de  langue  éprouve  en  France.  Je  vous  en  ai  prévenu  ainsi  que 
MM.  Dézobry  etc.  Mais  cela  changera  j>eu  à  peu:  j'en  suis  sûr. 
Les  Frères  des  écoles  chrétiennes  à  Paris  attendent  le  Manuel  de 
Vèiève  avec  impâlicnre  pour  le  traduire  aussi  en  italien  d'aprrs  le 
génie  de  cette  langue. 

Je  vous  remercie  du  soin  que  vous  donnez  à  l'édition  do  mon 
travail  et  je  sais  l'eslinier,  moi  qui  ai  été  souvent  dans  h»  «-as  th^ 
soigner  des  éditions  plus  ou  moins  étendues. 

Je  suis  maintenant  occupé  des  compositions  qui  doivent  accompagner 
le  troisième  volume  de  la  syntaxe.  L'ébauche  en  est  faite  depuis 
quelque  temps:  mais  c'est  un  travail  à  retoucher  une  ou  deux  fois 
et  à  loisir.  11  se  compose  de  deux  cents  sujets  de  compositions.  Ce 
sont  d'abord  des  letti-es  familières,  puis  des  ntrratinns.  puis  des 
descriptions,  puis  de«  petits  discours  et  enfin  des  dialogues.  Le  livre 
ne  donne  pas   seulement  les  sujets,  mais  encore  les  canevas  des 


i 


108  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

compositions,    comiiK'   «.'da    doit    (Hrc,   quand  on   a  devant  soi  des 
commençants. 

Je  suis  maintenant  à  l'ébauche  du  Vocabulaire  qui  me  donne  beau- 
coup de  travail,  parce  qu'il  s'aj^it  de  donner  aux  élèves  la  connais- 
sance du  langage  poétique  et  de  la  versification,  tout  en  ne  perdant 
jamais  de  vue  le  grand  but  du  cours  de  langue  qui  est  la  culture 
des  facultés  de  la  jeunesse  dans  l'intérêt  de  la  morale  religieuse. 
La  dernière  partie  (lu  vocabulaire  a  principalement  la  culture  de 
l'im  iginalion  en  vue  au  moyen  de  la  poésie,  et  marche  à  côté  de 
la  syntaxe  qui  entre  dans  la  logique  qui  cultive  la  froide  raison. 

Veuillez  communiquer  ces  idées  à  MM.  Dézobri  etc.,  tout  en  les 
remerciant  de  ma  part  des  envois  qu'ils  ont  eu  la  bonté  de  me  faire 
depuis  ma  dernière.  J'ai  depuis  cette  époque  reçu  un  exemplaire 
de  la  nouvelle  édition  de  Touvrage  couronné,  puis  les  quatrains  de 
Morel  do  Vindi  et  de  François  (de  Neufchàleau),  et  le  Rapport  de 
M.  Marmier. 

J  ai  regretté  qu'ils  n'aient  pas  pu  m'envoyer  Mollevaut  que  je  dé- 
sirais tout  particulièrement.  J'ai  appris  à  connaître  son  travail  (sans 
doute  tout  dilTérent  de  La  Fontaine,  Fiorian,  etc.)  par  la  Grammaire 
nationale  de  MM.  Bescherelle  imprimée  chez  Bourgeois-Maze,  quai 
Voltaire,  21.  Peut-être  que  MM.  Bescherelle  auraient  la  bonté  de  me 
céder  leur  exemplaire  de  Mollevaut  ou  du  moins  de  me  le  prêter 
pour  une  quinzaine,  wyage  compris;  ils  m'obligeraient  beaucoup. 
Vous  seriez  bien  aimable,  si  vous  m'arrangiez  cette  affaire. 

M.  Louis  Naville  est  ici  depuis  quelques  jours,  et  je  le  reverrai 
aujourd'hui,  veille  de  son  départ  pour  Genève.  Nous  avons  déploré 
ensemble  les  deux  pertes  que  nous  avons  faites  coup  sur  coup  sa 
famiflo  et  moi.  Je  lui  ai  communiqué  vos  lettres,  et  ce  qui  concerne 
les  observations  do  M.  Rendu. 

Veuillez  dire  bien  des  choses  à  M.  Michel.  Je  ne  lui  écris  pas 
parce  que  je  n'aurais  rien  de  particulier  à  lui  dire,  sinon  que  j*ai 
vu  so:i  ami  Challey  et  que  je  le  reverrai  encoie  avant  son  départ 
pour  Marseille,  où  il  est  intéressé  à  la  construction  d'un  môle. 

En  vous  saluant  de  cœur  et  d  ame,  je  vous  prie  de  me  renouveler 
au  bon  souvenir  de  M"»®  Rapet. 

Tout  à  vous, 

Grég.  Girard. 


XIX 


Monsieur  et  cher  ami. 


Knfm  il  est  temps  que  je  réponde  à  vos  trois  lettres.  A  tout  péché 
miséricorde.  Et  si  je  sens  vivement  une  faute,  je  sais  aussi  la  par- 
donner. Ce  n'était  pas  une  rancune,  car  grâce  à  Dieu,  jamais  passion 


LETTRES   INÉDITES   DU   PÈRE    GIRARD  109 

hostile  n'a  souillé  mon  cœur.  C'était  simplement  désapprobation 
dt*  ma  part,  car  je  dérirais  que  vous  obtinssiez  ce  que  vous  cher- 
chiez. Votre  non-succès  m'a  fait  de  la  peine.  Vous  espérez,  et  je  désire 
qu'il  en  arrive  selon  vos  vœux. 

Je  n'ai  reçu  que  le  commencement  de  votre  Manuel.  Cela  m'a 
suffi,  car  j  y  ai  vu  dans  l'avant  propos  ce  que  je  désirais  qui  fût  dit 
à  ma  décharge.  La  mémoire  jouit,  par  malheur,  en  Piémont  du  crédit 
qu'elle  a  dans  les  écoles  de  France.  Elle  devrait  venir  après  l'intel- 
ligence et  non  pas  la  précéder.  Les  Frères  de  la  doctrine  chrélienne 
de  Paris  qui  se  sont  mis  en  correspondance  pour  me  demander  la 
permission  de  traduire  le  Cours  de  langue  en  italien,  attendaient 
ce  Manuel  avec  impatience.  J  ai  vu  par  là  où  est  encore  leur  méthode 
d'enseignement.  Le  général  de  leur  ordre  est  à  Paris,  et  c'est  de 
France  qu'ils  sont  sortis. 

Un  professeur  de  philosophie  à  Domodossola  vient  de  m'écrire  une 
lettre  qui  ne  pouvait  que  me  faire  le  plus  grand  plaisir.  Il  a  saisi 
ma  pensée  tout  entière  et  me  l'a  développée  avec  autant  d'âme  que 
d'intelligence.  Si  sa  lettre  n'était  pas  trop  longue,  je  vous  la  trans- 
crirais. Elle  est  écrite  en  français. 

Je  m'occupe  maintenant  très  sérieusement  de  la  rédaction  du  troi- 
sième et  dernier  cahier  du  vocabulaire  qui  achèvera  le  Cours  de 
langue.  Tous  les  matériaux  étaient  prêts  depuis  longtemps;  mais  j'ai 
changé  d'idée.  Comme  mon  travail  est  destiné  à  l'enseignement  pri- 
maire supérieur  des  classes  aisées,  j'ai  du  y  faire  entrer  non  seule- 
ment le  langage  figuré  de  la  poésie,  mais  encore  la  mythologie, 
c.-à-d.  ses  éléments.  Ainsi  tous  mes  exemples  sont  en  vers, 
et  pour  les  recueillir  à  ma  convenance,  j'ai  dû  travailler  longue- 
ment. Il  fallait  aussi  une  introduction  sur  la  versification.  Je  ne  me 
suis  décidé  à  ce  changement,  qu'après  m'être  assuré  que  j'avais  le 
moyen  de  favoriser  le  but  que  poursuit  le  Cours  de  langue  du 
commencement  à  la  fin  et  d  y  mettre,  pour  ainsi  dire,  la  couronne. 
Vous  verrez  cela,  et  peut-être  en  serez-vous  surpris.  Mon  travail 
avance,  mais  il  ne  pourra  être  livré  à  l'impression  que  dans 
trois  mois  au  plutôt,  comme  je  l'ai  marqué  à  MM.  Dézobri  et  Mag- 
delaine. 

Nous  venons  d'échapper  ici  à  un  bouleversement  politique.  Notre 
gouvernement  a  eu  dernièrement  la  maladresse  de  se  joindre  à 
rassociation  catholique  qui  s'est  formée  entre  les  cantons  de  Lucerne, 
Un,  Schwitz,  Unterwald,  Zug  et  Valais,  cantons  qui  se  touchent  et 
dont  les  derrières  sont  en  sûreté.  Celui  de  Fribourg  est  enclavé 
dans  les  grands  cantons  protestants  de  Berne  et  de  Vaud.  Celui  de 
Vaud  en  occupe  une  partie.  Au  surplus  Fribourg  renferme  un  district 
protestant,  celui  de  Morat,  qui  ne  pouvait  qu'être  très  mécon- 
tent de  se  voir  attaché  à  uneallîance  catholique.  Quelques  membres 
du  Grand-Conseil  se  sont  joints  aux  députés  Moratois  pour  faire 
sentir  l'inconvenance  et  les    dangers  de  l'alliance  que  proposait  le 


110  R£TCE   PÉDAGOGIQUE 

gouvernement,  mais  la  masse  ignorante  et  scrvile  n'a  point  écouté  les 
remontrances  de  la  sagesse. 

Dès  ce  moment  des  meneurs  dans  notre  ville  et  celle  de  Morat  ont 
formé  le  projet  de  renverser  le  gouvernement,  à  Faide  de  soi-disanls 
corps-francs  bernois  et  vaudois,  ainsi  que  des  mécontents  de  notre 
canton.  Ceux-ci  formèrent  trois  colonnes  pour  surprendre  le  gouver- 
neioent,  Tune  partant  de  Morat,  l'autre  dEstavayer  et  la  troisième 
de  Bulle.  Elles  se  mirent  en  marche.  Le  gouvernement  en  eut 
vent  assez  tôt  pour  armer  les  citoyens,  et  faire  airiver  de  la  cam- 
pagne les  différents  corps  de  métiers,  qui  formèrent  en  quelques 
heures  une  masse  considérable  de  combattants  de  toute  arme.  De 
forts  détachements  marchèrent  au  devant  des  trois  colonnes  qui, 
trompées  dans  leur  attente,  se  dissipèrent  sans  coup  férir.  Nos 
colonnes  allèrent  occuper  les  villes  de  Morat,  Bulle  et  Estavayer,  et 
remplirent  à  leur  retour  toutes  nos  tours  de  prisonniers.  On  en  a 
aussi  fait  à  Fribourg  même.  On  est  à  faire  leur  procès.  Nous  avons 
ici  la  terreur  comme  dans  votre  révolution  de  1789.  Notre  gouver- 
nement vient  ])ar  un  coup  d'état  de  casser  le  conseil  municipal  à 
la  nomination  des  bourgeois  de  la  ville.  Cette  mesure  illégale  vient 
de  nous  procurer  un  nouveau  Conseil  municipal  à  la  dévotion  du 
gouvernement.  On  s  attend  à  vuir  chasser  de  mon  ancienne  école  ie 
directeur  et  les  instituteurs  pour  faire  place  aux  Frères  de  Marie, 
créés  dit-on  par  les  jésuites,  en  sorte  que  ces  hommes  feront  seuls 
l'éducation  chez  nous  I 

Jamais  je  n'ai  cru  à  la  souveraineté  du  peuple.  Cette  souveraineté 
est  pour  moi  le  souveraiiî  besoin  d'être  gouverné.  Je  suis  vieux,  j'ai 
vu  plusieurs  révolutions  en  Suisse,  et  chacune  m'a  prouvé  la  vérité 
de  mes  principes.  Les  idéologues  parlent,  senible-t-il,  des  hommes 
comme  ils  devraient  être,  et  ne  sont  jamais;  tandis  qu'ils  ne  devraient 
pas  oublier  les  hommes  tels  qu'ils  sont  partout  et  toujours. 

Veuillez  communiquer  ces  nouvelles  à  M.  Michel  et  à  la  maison 
Dézobry,  en  leur  disant  bien  des  choses  de  ma  part. 

Votre  ami, 

G.  Girard. 

Fribourg  le  2  février  1847. 

1*.  S.  H  y  a  chez  nous  une  grande  pénurie  de  vivres  qui  aug- 
mentera avec  la  saison.  Il  faut  que  ceuv  qui  ont  quelque  chose  par« 
tagent  avec  ceux  qui  n'ont  rien.  Je  désire  donc  que  MM.  Dézobry  et 
Magdelaine  veuillent  faire  le  compte  de  la  première  partie  du  Cours 
de  langue  et  me  fau*e  parvenir  ce  qui  m'en  revient  jusqu'ici.  Il  ne 
faudra  pas  me  donner  une  traite  sur  leurs  dé  tailleurs  à  Fribourg 
({ui  dans  nos  pénibles  circonstances  ne  ])ourraieDt  rien  me  donner. 
M.  Challey,  ami  de  M.  Michel  et  propriétaire  de  notre  |  ont  suspendu, 
pourrait  avec  un  mot  arranger  cette  allai re. 


LETTRES   INÉDITES   DU    PÈRE   GIRARD  iil 


XX 

Rassurez- vous,  mon  cher  ami,  je  ne  me  suis  point  casse  une 
jambe,  je  n'ai  pas  de  membre  paralisé,  et  ma  sanlé  est  encore  telle 
que  vous  i*avez  vue,  lorsque  j'ai  eu  le  plaisir  de  vous  voir  ici  avec 
M.  Ernest  Naville. 

J'espérais  de  pouvoir  envoyer  en  fin  de  mai  le  dernier  cahier  de 
mon  ouvrage.  Les  deux  premiers  tiers  étaient  définitivement  finis 
sur  la  fin  d'avril  et  ils  étaient  en  copie,  comme  je  l'ai  marqué  à 
MM.  Dézobri  et  Magdeleine;  mais  mon  copiste  a  été  mis  en  retard 
parles  soins  qu'il  a  été  obligé  de  donner  à  son  père  qui  a  été  dangereu- 
sement malade  pendant  plusieurs  semaines.  De  mon  côté  je  suis 
encore  à  rédiger  le  dernier  tiers  de  ce  vocabulaire  qui  est  un  travail 
absolument  neuf.  Qaund  vous  Faurez  vu,  vous  serez  surpris  que  j'aie 
employé  si  peu  de  temps  à  le  faire. 

Il  est  divisé  en  deux  livres.  Le  premier  passe  en  revue  les  hcut/ons 
impropres  ou  figurées,  dans  un  ordre  iout  diiïérent  de  celui  que 
Dumarsais  a  introduit,  et  sans  les  dénominations  qu'il  a  employées, 
qui,  outre  qu'elles  sont  grecifues  et  par  con^éfiuent  barbares  pour  la 
jeunesse  française,  ont  encore  un  grand  dêlaut,  celui  de  ne  pas  dire 
ce  qu'elles  devraient.  Son  travail  d'ailleurs  n'est  point  gradué,  et 
par  conséquent  radicalement  mauvais.  Chez  moi  vous  trouverez,  ici, 
comme  dans  toutes  les  autres  parties,  une  rigoureuse  graduation.  J'ai 
pris  mes  exemples  dans  les  poètes  français,  et  je  les  ai  choisis  comme 
il  convenait  pour  un  Cours  éducatif  de  langue  maternelle,  (^es  extraits 
en  %ers  devaient  être  précédés  d'une  notice  sur  la  versification  fran- 
çaise. Je  l'ai  mise  en  tête,  et  elle  aussi  est  mise  au  service  de  l'édu- 
cation par  le  choix  des  exemples. 

Le  second  livre  a  pour  titre  :  Éléments  de  mythologie  pour  scrrir  à 
l'int:Uigence  des  poètes  français.  Mes  élèves  voudront  lire  Conieille, 
Kacine,  Boileau,  Delille,  Fénelon,  etc.,  etc.,  où  figurent  les  déités  du 
paganisme  :  je  devais  donc  les  mettre  à  même  de  les  comprendre, 
autrement  mon  vocabulaire  eût  été  incomplet.  Je  n*ai  pas  puisé  ma 
mythologie  dans  les  ouvrages  de  mes  devanciers,  mais  je  me  suis 
adiressé  immédiatement  aux  sources,  dont  je  cite  les  paroles.  Pour 
cela,  j'ai  dû  lire  et  extraire  Homère  et  Virgile,  afin  de  donner  une 
idée  claire  et  exacte  de  l'idolâtrie  de  la  Grèce  et  de  Rome;  ce  que  nos 
ouvrages  eonnus  ne  font  pas.  Or  donner  cette  idée,  c'était  en  faire  la 
censure,  et  faire  sentir  à  la  jeunesse  les  obligations  qu'elle  a  contrac- 
tées envers  celai  qui  est  la  lumière  du  monde.  Vous  voyez  i[{\"\r\ 
encore  j'ai  rempli  la  belle  tâche  que  je  me  suis  imposée. 

Les  détails  que  vous  me  donnez  sur  l'écoulement  si  lent  et  si 
entravé  duCovrs  de  langrie,  ne  me  surprennent  point.  Je  m'y  atten- 
dais, et  j'en  ai  préreftu  dès  le  commencement  MM.  les  éditeurs. 
Peu  à  peu  cela  changera.  En  Allemagne  montrarail  fera  plus  de  for- 


112  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

lune,  parce  que  les  e-iprits  y  sont  mieux  disposés  à  accueillir  une 
réforme  de  ce  genre.  C'est  là  où  Messieurs  les  éditeurs  trouveront 
des  débouchés.  Je  leur  indiquerai  M.  Bekker^  chef  d'institution  a 
Offenhach,  près  de  Francfort  sur  le  Mein.  11  est  auteur  d'une  nou- 
velle grammaire  allemande  et  jouit  d'une  grande  réputation  en 
Allemagne,  et  il  y  aurait  peut-être  moyen  de  l'intéresser  à  la  pro- 
pagation du  Cours  de  langue.  11  apprendra  à  le  connaître  dans  deux 
ou  trois  mois,  par  un  professeui*  de  l'école  de  Fribourg  qui  doit 
entrer  dans  son  institut  pour  y  enseigner  lo  français. 

Vous  avez  bien  fait  de  ne  i)as  attendre  le  dernier  cahier  pour  de- 
mander l'approbation  du  Conseil  royal,  puisque  si  l'on  veut  examiner 
l'ouvrage  l'examen  sera  long.  Quelle  sera  son  issue?  Je  le  saurais, 
si  les  examinateurs  avaient  un  intérêt  ^wur,  comme  il  est  probable 
qu'ils  en  ont  œnire. 

J'ai  lu  avec  plaisir  votre  écrilsur  mon  ami  M.  Naville  que  je  regrette 
tous  les  jours  ainsi  que  Rose  son  admirable  fille,  quin'a  vécu  que  ce  que 
vivent  les  roses,  quelques  jours.  Votre  mémoire  sur  l'enseignement 
primaire  a  fait  sensation  à  l'Institut  et  en  particulier  chez  M.  Mignel 
qui  l'insère  en  entier  dans  son  compte-rendu.  Espérons  que  ce  ne 
sera  pas  en  vain  pour  la  bonne  cause  à  laquelle  vous  vous  dévouez. 
.Ne  vous  appitoyez  pas  sur  moi  ;  si  je  n'obtiens  pas  de  succès  de  mon 
\ivanl,  mon  Maîlre  n'en  a  pas  eu  non  plus,  tant  qu'il  a  vécu  ici  bas. 

La  tentative  révolutionnaire  que  quelques  étourdis  ont  faite  dans 
notre  canlon  en  janvier,  a  très  mal  réussi  pour  eux  et  poui  le 
public.  Le  système  ultramontain  qui  était  en  perte,  a  gagné  le 
dessus.  11  triomphe,  et  il  poursuit  sa  victoire  sans  ménagement 
comme  sans  pudeur.  Nos  tours  sont  plehies  de  prisonniers  depuis 
cinq  mois.  Fribourg  est  devenue  une  ville  de  guerre  que  l'on  en- 
toure de  fortitications.  Le  gouvernement  a  cassé  l'ancien  conseil 
commuuhl  de  sou  bon  plaisir  et  contre  les  lois.  Le  nouveau  est 
dans  le  sens  des  Jésuites  qui  se  montrent  en  chaire  les  apôtres  non 
de  l'évangile,  mais  de  la  superstition  la  plus  grossière.  Ils  gagnent 
les  femmes,  et  par  elles  ils  espèrent  gagner  les  hommes.  Vi  omnia, 
a  dit  Jouvency  dans  son  ouvrage  sur  l'instruction,  ut  omnia  ad  ma- 
jorem  Dei  institltique  nostri  gloriam  fiant.  Le  résultat  de  leurs 
menées  est  que  le  conseil  municipal  renvoie  tous  les  instituteurs 
des  écoles  de  la  ville  pour  les  remettre  aux  Frères  de  Marie  que  les 
Jésuites  ont  introduits  et  qu'ils  tachent  de  mettre  en  la  place  des 
Frères  de  la  doctrine  chrétienne.  Tout  cela  est  si  triste  que  je 
m'exilerais  encore  une  fois,  si  je  n'avais  pas  quatre-vingt  deux 
ans.  On  s'attend  icA  à  un  siège  de  la  part  des  voisins  qui  nous  en- 
tourent et  qui  occupent  même  notre  canton.  Notre  gouvernement  a 
eu  l'imprudence  de  se  rattacher  à  l'alliance  que  Lucerne  a  formée 
avec  les  petits  cantons.  C'était  pour  le  moins  une  faute  en  géogra- 
phie dont  les  conséquences  peuvent  nous  devenir  très  funestes. 
Dans  peu  elles  se  développeront. 


LETTRES   INÉDITES   DU    PÈliE   GIRARD  [['S 

Veuillez  faire  mes  remerciements  à  Madame    Rapet  pour  son  bon 

souvenir  et  ne  manquez  pas  de   saluer  cordialement    de  ma   part 

Messieurs  Dézobri  et  Magdeleine  ainsi  que  M.   Michel  doot  je  n  ai 

rien  appris  depuis  bien  longtemps. 

Tout  à  vous. 

Grégoire  Giuahd. 
Fribourg  en  Suisse  le  20  juin  1847. 

P.  S.  Mon  beau-frère  Sprenger  me  charge  de  vous  présenter 
ses  respects.  A  la  suite  des  éléments  de  mythologie  il  y  a  un  appen- 
dice où  je  cite  un  passage  que  M.  Victor  Hugo  a  mis  dans  la  Préface 
de  ses  Odes  et  Ballades,  édition  de  1834.  J*appuie  son  opinion  et 
MM.  les  éditeurs  feraient  peut-être  bien  de  lui  communiquer  le  der- 
nier cahier  dès  qu'il  sera  imprimé.  Veuillez  vous  en  souvenir  dans 
le  temps. 


XXI 

Fribourg  en  Suisse  le  19  août  47. 


Monsieur  et  cher  ami, 


Hier  matin  j'ai  reçu  votre  lettre  comme  j'étais  occupé  à  faire  les 
dernières  dispositions  pour  renvoi  du  dernier  cahier  du  Cours  dv 
langue  maternelle.  Comme  à  présent  je  puis  sortir  un  peu,  je  lai 
porté  dans  Tnprès  midi  au  bureau  des  postes  et  ce  matin  à  8  heures 
il  est  parti  pour  la  France  par  Neuchàlel.  Je  suis  enchanté  qu'il  suit 
parti  de  Suisse  avant  les  troubles  dont  nous  sommes  menacés.  Le  gou- 
vernement démon  canton  a  eu  la  maladresse  de  se  joindre  par  une 
alliance  particulière  a  Lucerne  etc.,  et  s'il  y  a  guerre,  c'est  nous  qui 
en  souffrirons  les  premiers.  Notre  position  géographique  nous  t»rdun- 
nait  la  neutralité,  et  nous  devions,  nous  qui  prétendons  avoir  plus 
de  religion  que  d'autres,  paraître  en  diète  comme  médiateurs.  Mais 
respritqui  règne  ici  est  tel  qu'un  homme  sensé  et  chrétien  s'y  trouve 
presque  en  enfer.  Ah  !  si  je  n'a\ais  pas  82  ans,  je  ne  pourrais  plus 
m'y  soufl'rir. 

J'ai  lu  et  relu  le  projet  de  lettre  que  vous  vous  proposez  de  pré- 
senter avec  M.  Michel  au  Ministre  de  Tinstruction  publique.  Toute- 
fois j'ai  fait  ce  long  travail  pour  la  jeunesse  de  France  des  deux  sexrs, 
et  avec  le  désir  bien  sincère  et  bien  ardent  qu'il  fût  mis  à  son  usai,'e. 
J'oserai  même  dire  que  j'ai  travaillé  avec  la  conviction  que  mon 
ouvrage,  vi-aiment  original  en  son  genre,  est  précisément  ce  que  l'état 
actuel  de  la  société  exige  impérieusement  de  nous  dans  l'éducation 
de  la  jeunesse. 

Cependant  je  puis  désirer  ce  que  vous  pensez  demander  du  Minis- 
tère; mais  il  me  serait  contre  nature  d'en  former  moi-même  \f* 

aimi  PÉDAOOGIQUB  1885.  —  1*'  sui.  s 


il4  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

demande.  Vous,  Messieurs,  \ous  êtes  franijais,  vous  êtes  reconnus 
comme  des  hommes  de  l'art,  sans  être  les  auteurs  du  Cours  dejan- 
gue,  vous  pouvez  donc  faire  une  démarche  que  je  n'oserais  me  per- 
mettre. 

Si  je  pouvais  me  décider  à  demander  quelque  chose,  ce  serait 
l'approbation  de  l'ou^ra^e  pour  les  écoles  de  demoiselles.  Je  lésai 
eues  spécialement  en  Mie,  car  elles  doiendront  mères!  Vous  êtes 
pères  de  famille;  je  n'ai  pas  besoin  d'ajouter  un  commentaire  à  ces 
deux  mots. 

Si  le  Ministre  de  l'instruction  publique  vous  accorde  votre  demande, 
il  faudra  faire  un  extrait  de  mon  travail  pour  les  écoles  primaire.s 
inférieures  <*t  nous  entendre  sur  sa  rédaction.  Je  vous  donnerai  mon 
idée,  mais  c'est  aous  qui  ferez  tout;  d'abord  parce  que  vous  seul 
avez  la  connaissance  de  la  portée  des  élèves  etde  ce  qui  peut  être  fait  dans 
cette  espèce  d'institution.  Ce  que  je  sais,  c'est  que  c'est  là  l'unique 
movcn  d'amener  dans  votre  belle  France  cette  harmonie  de  penser 
et  (ie\presssion  qui  n'y  est  pas  encore.  Vos  populations  protestantes 
pourront,  tout  comme  les  catholiques,  sv  servir  de  l'extrait  comme  de 
î'cjrijiinal,  et  ce  sera  un  brau  rapprochement  sous  le  rapport  reli- 
gieux. Vous  pourriez  peut-être  en  parler  au  Ministre  de  S.  M. 

Dans  le  manuscrit  que  je  viens  d'expédier,  il  manque  une  note  à 
ravaut-dernière  page.  La  voici,  veuillez  l'insérer: 

Dans  les  Mémoires  de  la  Société  morale  de  Paris  1821  ou  18ii  on 
a  inséré  un  discours  que  j'ai  prononcé  à  Fribourg  à  la  disti'ibutlon 
des  prix  de  mon  ancienne  école:  Sur  fa  nécess  île  de  développer  r  intel- 
ligence des  enfants  pour  en  faire  des  chrétiens.  Les  instituteurs  y 
trouveront  sur  ce  point  des  renseignements  et  des  réflexions  qui 
mériteraient  d'être  plus  connus  qu'ils  ne  le  sont. 

P.'S.  Mille  choses  à  M.  Michel,  MM.  Dézobri  et  Magdeleine. 

Quand  vous  m'écrirez,  n'alfranchissez  pas,  mais  donnez-moi  votre 
adresse  (jue  j'ai  égarée  parmi  mes  papiers.  Mes  airtitiés  à  M.  Naville 
que  vous  allez  revoir. 


XXII 

I  riliouig  le  !'.♦  noveiiibi*e  1847.  le  matin. 
Mon  cher  et  digne  ami. 

Je  viens  de  recevoir  ^otre  letlre.  et  je  prends  la  plume  pour  y 
répondre,  bien  que  ma  réponse  ne  puisse  partir  que  demain  matin 
par  Neuchàtel. 

Assiégé  par  :J0  mille  hommes  de  divers  cantons,  amenant  une 
formidable  artillerie  bien  servie,  le  gouvernement  de  Fribourg  s'est 
vu  dans  la    nécessité   de    rapituler  lundi  matin,  el  peu  de  temps 


LETTRES   INÉDITES  DU   PÈRE   GIRARD  415 

après  les  24  heures  nous  vîmes  entrer  de  divers  côtés  une  quin- 
zaine de  mille  hommes  de  toute  arme  dans  nos  murs.  Dans  toute 
autre  circonstance  nous  amûons  aimé  à  les  voir,  car  rien  n'égale  la 
beauté  martiale  et  la  tenue  de  ces  troupes  vraiment  suisses.  Nous 
a\ons  logé  deux  cent  quarante  hommes  au  couvent.  Ils  apparte- 
naient à  i'Argovio  catholique,  et  Tun  des  capitaines  a  été  l'un  de  mes 
élèves  en  philosophie  à  Luceme.  Le  disciple  et  le  professeur  se  sont 
reconnus  et  embrassés.  Nous  ne  pouvons  que  nous  louer  de  la  bonne 
conduite  de  cette  troupe  qui  nous  a  quilles  mercredi  malin  pour 
marcher,  malgré  elle,  contre  Lucerne.  xNotre  ville  est  aussi  contente 
de  la  conduite  des  Genevois  et  des  Yaudois,  dont  une  partie  forme 
maintenant  la  garnison  de  cette  place,  sous  la  direction  de  trois  com- 
missaires de  la  Diète^  encore  assemblée  a  Berne. 

Des  bataillons  de  Zuric  et  de  Berne  ont  commis  bien  des  excès, 
dans  les  campagnes  et  dans  la  ville.  Le  commandant  Rilliet-Constant. 
et  le  corps  d'officiers  de  Vaud  et  de  Genè\e  sont  occupés  à  recueillir 
les  renseignements  nécessaires  pour  faire  punir  les  coupables.  11 
y  a  dans  notre  population,  comme  partout,  des  gens  de  pillage,  et 
d'autres  que  la  vengeance  anime.  Ils  ont  excité  des  militaires  bernois 
et  se  sont  joints  à  eux  pour  entrer  dans  des  caves  et  d»^s  habitations. 
I/C  collège  des  Jésuites,  leur  grand  pensionnat,  le  couvent  des 
Ligoriens  sont  dévastés,  et  les  religieux  sont  en  fuite.  Les  pen- 
sionnaires ont  été  emmenés  à  l'avance  par  un  envoyé  du  Ministre 
de  France,  par  le  Ministre  d'Angleterre,  etc. 

Le  tort  du  gouvernement  déchu  a  été  d'entrer,  contre  l'avis  d'une 
respectable  minorité  de  ses  membres,  dans  le  Sonderbund,  dont 
notre  canton  est  absolument  détaché  par  sa  position  géographique. 
Des  mécontents  se  sont  révoltés  sur  divers  points,  et  ont  marché  sur 
Fribourg  le  6  janvier  d«Tnier.  On  sonna  le  tocsin,  et  une  foule 
d'hommes  armés  accoururent.  On  en  conduisit  une  partie  sur  la 
ville  de  Morat,  une  autre  sur  Bulle.  Ces  deux  villes  furent  arbi- 
trairement rançonnées  par  le  •gouvernement,  qui  en  surplus  remplit, 
sur  de  simples  soupçons,  toutes  nos  tours  de  prisonniers.  Se  sentant 
assez  fort,  le  gouvernement  cassa  illégalement  le  conseil  municipal  de 
notre  ville  sous  prétexte  qu'il  n'était  pas  dans  ses  intérêts,  il  en 
fil  nommer  un  à  sa  guise,  et  celui-ci, renvoya  les  instituteurs  de 
mon  ancienne  école  et  les  remplaça  par  les  Frères  de  Marie  qui 
sont  une  création  des  Jésuites.  Ces  frères  allaient  commencer  leurs 
leçons  dans  le  bâtiment  qu'ils  ont  eu  le  temps  de  gj'iter  en  partie, 
mais  où  ils  n'ont  point  enseigné,  parce  que  l'on  a  dû  l'employer 
comme  caserne.   Maintenant,  ils  sont  en  fuite  comme  les  Jésuites. 

Le  gouvernement  provisoire  a  rétabli  l'ancien  Conseil  municipal 
qui  à  son  tour  rétablira  les  anciens  instituteurs  et  leur  chef  que  vous 
connaissez.  Voilà  une  fiche  de  consolation  pour  les  amis  de  l'éducation 
et  pour  un  très  grand  nombre  de  parents  qui  ne  voulaient  pas  con- 
fier leurs  enfants  à  ces  frcTCS  dont  la  mine  leur  déplaisait,   outre 


tl6  REVUE    PÉDAGOGIQUE 

qu'ils  ont  fait  preuve  d'insuftîsance  dans   l'école   particulière  qu'ils 
avaient  ici  depuis  quelques  années. 

Je  n'ai  pas  encore  reçu  le  cahier  qui  vient  d'être  imprimé.  Je  ne 
doute  pas  des  soins  que  vous  avez  mis  à  éliminer  tout  ce  qui  ne 
devait  pas  se  trouver  dans  un  ouvrage  pareil.  J'ai  cité  des  passages 
d'auteurs  que  je  ne  connaissais  que  par  l'ouvrage  de  M.  Moustallon 
intitulé  !ji  morale  des  Poètes.  Je  n'ai  lu  en  entier  que  les  principaux, 
Boileau,  Delille,  Lamartine,  Victor  Hugo,  Molière,  Racine  et  quelques 
autres. 

Quelque  temps  après  que  ma  lettre  a  été  remise  au  ministère  de 
l'instruction  publique,  Tun  des  secrétaires,  M.  Morin,  m'en  a  accusé 
kl  réception  au  nom  de  son  principal,  en  m'assurant  que  l'on  s'occu- 
perait de  son  contenu,  dès  que  le  Conseil  royal  aurait  envoyé  son  pré- 
avis. Il  parait  donc  que  ce  préavis  est  en  retard.  Veuillez  le  dire  à 
MM.  Dézobri  et  C'®,  en  leur  disant  mille  choses  amicales  de  ma 
part. 

Quant  à  vous  mon  cher  et  respectable  ami,  je  devrais  vous  faire 
mes  excuses  pour  le  grillbnnage  que  je  vous  en>oie  à  la  hàto,  mais 
la  circonstance  où  je  me  trouve  m'excusera,  j'espère,  suffisamment. 
Voilà  longtemps  que  j'ai  le  cœur  gros.  De  proches  parents  et  de  bons 
amis  se  trouvaient  sous  les  armes  et  en  face  de  l'armée  fédérale.  Tous 
ont  couru  de.  grands  dangers  de  la  part  de  nos  milices,  qui  forcées 
de  se  rendre  malgré  elles  accusaient  leurs  officiers  de  trahison  et 
menaraicnl  de  les  faire  périr.  Je  suis  d'ailleurs  honteux  pour  ma 
patrie  fribourgeoise  et  triste  des  pertes  qu'elle  a  essuyées  et  qu'elle  va 
subir  encore. 

Une  autre  chose  m'affiige  encore.  Comme  j'étais  curé  à  Berne  je 
voyais  s'opérer  un  rapprochement  religieux.  Maintenant  mes  espé- 
rances sont  évanouies.  Le  Sonderbund  a  fait  une  guerre  de  reUgion 
de  cette  difficulté  politique.  C'était  le  seul  levier  politique  qu'il  pùl 
employer  pour  soulever  les  masses  ignorantes  et  les  mettre  dans  ses 
intérêts.  Il  a  réussi  et  il  a  éloigné  plus  que  jamais  les  deux  confes- 
sions qui  divisent  la  Suisse.  Au  seizième  siècle,  on  s'est  divisé 
par  la  tête;  on  ne  se  réunira  que  parle  cœur  et  cette  réunion  est  à 
présent  [)lus  éloignée  que  jamais. 

Les  catholiques  accusent  les  protestants  d'en  vouloir  à  leur  reli- 
gion, et  pourtant  ils  tolèrent  chez  eux  quantité  d'églises  catholiques  ; 
ils  se  sont  même  aidés  à  les  bâtir  !  !  ! 

Adieu,  je  vous  embrasse  et  vous  prie  de  me  renouveler  au  bon 
souvenir  de  M""-  Râpe  t. 

Tout  à  vous. 
G.  GniARD. 


LKTTUES   INiDlTEi»   DU   PÈRE   GIRARD  147 

XXIII 

Fribourg,  le  13  janvier  îHin. 

Mon  cher  ami, 

La  personne  qui  vous  remettra  ces  lignes  de  ma  part  me  touctie 
de  près;  car  c'est  mon  neveu  Edouard  Girard.  H  est  à  Paris  pour 
faire  un  établissement  convenable  à  ses  élèves  les  jeunes  princes 
Ghika  de  Moldavie.  Je  vous  prie  de  bien  vouloir  l'aider  de  vos  conseils 
et  de  vous  entendre  sur  ce  point  avec  MM.  Dézobri  et  Magdelaine 
auxquels  il  est  aussi  recommandé.  11  vous  donnera  snr  notre  pays 
le?  renseignements  que  vous  désirez.  C'est  une  véritable  révolution 
que  nous  subissons,  et  les  frais  de  la  guerre  que  nous  avons  à  payer 
pour  expier  la  sottise  de  notre  adhésion  a  l'alliance  particulière  en 
sont  la  raison,  sinon  le  prétexte.  Les  couvents  avec  les  anciens  gouver- 
nants paieront  la  faute  que  nous  avons  commise.  L'ancien  gouver- 
nement s'est  servi  de  la  religion  pour  levier,  le  nouveau  se  sert  de 
l'intérêt. 

Vous  désirez,  mon  cher  ami,  que  je  fasse  imprimer  ce  que  vous 
appelez  mes  petits  livres.  Vous  les  avez  sans  doute,  mais  votre  copie 
est>elle  exacte?  En  tout  cas,  il  faut  que  je  revoie  ces  écrits  qui  ont 
été  rédigés  à  la  hàto,  et  jamais  revus,  parce  que  je  n'en  ai  pas  eu 
le  temps.  Vous  savez,  je  pense,  qu'ils  étaient  en  usage  dans  la 
première  classe,  dont  les  élèves  ne  savaient  pas  encore  lire,  et  où 
toute  l'instruction  était  orale. 

Mon  neveu  doit  retourner  à  Paris  dans  un  mois.  Jusqu*alors  j'aurai 
vu  ces  petits  livres  et  vous  aurez  ma  décision. 

Adieu^  je  vous  embrasse. 

Tout  à  vous. 

G.  Girard. 

P.  S.  —  MM.  Dézobri  et  C*^  me  demandent  un  abrégé  du  Cours 
de  langue  pour  les  écoles  primaires  inférieures.  Vous  en  savez  sûre- 
ment quelque  chose.  Veuillez  bien  prendre  connaissance  de  ma 
réponse. 

Bien  des  choses  à  M'"^  Rapet  dont  le  souvenir  m*est  bien  agréable. 


XXIV 

Fribourg  le  20  mars  \f<\K 


MOIfSIErR  ET  CHER  AMI. 


Tout  est  bien  changé  autour  de  nous  depuis  votre  dernière  !  C  est 
à  ne  pas  s'y  reconnaître.  Une  chose  reste  la  même  au  milieu  de  toutes 
ces  transformations,  c'est  la  loyale  et  franche  amitié. 


1  18  REVUE   PÉDAGOGrQIJE 

Mon  neNCu  Kdonard,  à  son  retour  de  Paris,  s'est  beaucoup  loué 
de  Taccueil  que  vous  lui  avez  fait  et  des  oifres  obligeantes  de  M"»* 
Rapet.  Veuillez  lui  faire  agréer  mes  remerciements,  et  en  prendre 
pour  vous  la  part  qui  vous  revient. 

J'apprends  que  votre  ami,  M.  Michel,  a  été  promu,  et  j'espère  que 
votre  position  dans  renseignement  public  sera  aussi  améliorée. 

Quant  à  la  proposition  que  vous  m  a>  ez  faite  touchant  la  rédaction 
du  Cours  de  langue,  j*y  souscris  de  lout  mon  cœur,  et  je  vous  donne 
tout  pouvoir.  Vous  seul  ^tes  à  même  de  prendre  la  mesure  et  de  faire 
le  choix  qui  peut  convenir  à  vos  écoles.  Si  dans  votre  rédaction 
vous  désiriez  peut-être  connaître  mon  avis  sur  quelques  points,  je 
m'empresserai  de  vous  le  donner. 

Veuillez  présenter  mes  hommages  à  M"»®  Rapet  et  recevoir  pour 
vous  les  assurances  de  mon  inviolable  amitié. 

Tout  à  vous. 

G.  Girard. 

P.  S,  —  Mon  neveu  amène  à  Paris  un  jeune  Français,  Charles 
S.  de  la  Franche-Comté,  né  en  Moldavie  où  il  a  encore  son  père  et  sa 
mère.  Il  doit  entrer  à  l'École  centrale,  et  il  lui  faut,  dit-on,  un  cor- 
respondant à  Paris.  Veuillez  vous  intéresser  à  ce  jeune  compatriote 
qui  jusqu'ici  a  été  confié  aux  soins  de  mon  novcu. 


\\V 

Je  vous  remerftie,  mon  cher  ami,  des  services  signalés  que  vous 
ne  cessez  de  rendre  à  mon  neveu  Edouard  Girard.  C'est  à  moi-même 
que  vous  les  rendez  et  je  vous  en  ai  toute  l'obligation. 

M.  Ernest  Naville  est  venu  me  voir  en  juin,  et  il  m'a  fait  part 
des  nouvelles  qu'il  avait  reçues  de  M"»<*  Rapet.  Je  vous  ai  vu  six 
jours  sous  les  armes,  vous  homme  de  plume  et  de  paix.  J'ai  assisté 
à  la  terrible  lutte,  et  si  les  insurgés  m'ont  inspiré  de  l'horreur,  j'ai 
admiré  et  j'admirerai  toujours  le  noble  et  héroïque  dévouement  des 
défenseurs  de  l'ordre.  Deux  victimes  me  touchent  surtout  bien  vive- 
ment: l'archevôque  de  Paris  et  le  général  Bréa. 

Votre  gouvernement  provisoire  commence  à  comprendre  le  besoin 
de  l'éducation  qui  est  le  seul  moyen  de  salut  pour  les  peuples 
comme  pour  les  individus. 

Adieu,  je  vous  embrasse  vous  el  les  vôtres. 

Votre  ami, 

G.  Girard. 

Fribourg  le  20  juillet  ^8. 


LETTRES   INÉDITES   DU   PÈRE   GIRARD  li«) 

Le  V.  Girard  vécut  imicofc  près  de  doux  ans;  mais  sa  corn^s- 
|X»ndanco  avec  M.  Rapot  s'arrête  ici.  Il  mourut  le  G  mars  1850, 
et  la  nouvelle  de  sa  mort  fut  transmise  à  M.  Rapet  par  M.  Edouard 
Girard,  ce  neveu  dont  il  e^t  question  dans  les  trois  lettres  fjui 
précèdent. 

«  J'ai  la  douleur,  écrivit  ce  dernier,  de  vous  faire  part  de  la 
mort  du  Révérend  Père  Girard,  qui  a  succombé  ce  matin  à  son 
;iraud  âge  et  à  de  grandes  souffrances.  Il  est  inutile  de  vous 
dire  que  la  plus  grande  résignation  ne*  Ta  pas  abandonné  un 
instant.  Quelques  heures  avant  sa  fin,  la  sentant  approcher,  il 
lit  appeler  tous  ses  confrères  du  couvent  |)our  prendre  congé 
4'eux.  Vous  partagerez  assurément  micMix  que  personne,  Mon- 
-iieur,  la  douleur  de  sa  famille  rt  de  srs  véritables  amis.  » 


L\  SITUATION  DE  L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE 


[Nous  publions  ci-dessous  la  partie  relative  à  l'enseignement  primaire  du 
rapi)ort  fait  sur  le  budget  du  ministère  de  l'instruction  publique  par  M.  An- 
tonin  Dubost,  député.  La  direction  de  l'enseignement  primaire  oyant  bien 
Toulu  nous  communiquer  un  certain  nombre  de  rectiûcations  relatives  à  des 
chiflTres  inexacts,  qui  proviennent  pour  la  plupart  d'erreurs  de  copie  ou  de 
fautes  d'impression,  nous  avons  placé  ces  rectifications  de  détail  en  note  au 
ba?  des  pages.  —  La  Rédaction.] 

Nous  venons  de  voir  ce  que  le  gouvernement  de  la  République  a 
fait,  depuis  huit  ans,  pour  le  développement  de  renseignement  supé- 
rieur et  de  l'enseignement  secondaire,  dans  ce  pays.  On  sait  assez 
(ju'il  n*a  pas  moins  fait  pour  renseignement  primaire.  Mais  il  est 
utile  de  s'en  rendre  compte  d'une  manière  précise,  et  de  constater 
aussi  les  résultats  obtenus,  afin  de  pouvoir  déterminer  ce  qui  reste 
à  faire  pour  que  chaque  Français  reçoive  tout  au  moins  une  sérieuse 
instruction  primaire. 

L'instruction  laïque,  gratuite  et  obligatoire  était  l'un  des  points 
du  programme  de  la  démocratie  auquel  il  était  le  plus  urgent  de 
donner  satisfaction.  11  fallait  donc  le  faire  passer  dans  les  lois  et  le 
réaliser  complètement  dans  la  pratique.  Mais  c'était  là  une  tâche 
immense.  11  était  indispensable  de  former  des  maîtres,  de  construire 
des  maisons  d'école,  d'augmenter  dans  une  proportion  considérable 
le  nombre  de  celles  existant  déjà,  de  mettre  ainsi  rinstruction  à  la 
portée  de  tous,  de  refondre  les  programmes,  de  réorganiser  tous  les 
services,  et,  par  des  mesures  financières  efficaces,  de  rendre  pos- 
sibles et  fructueux  de  tels  efforts. 

C'est  la  loi  du  9  août  1879  qui  prélude  à  cette  grande  réorganisa- 
tion, en  ordonnant  la  création,  dans  chaque  déparlement,  d'une 
école  normale  d'instituteurs  et  d'une  école  normale  d'institutriecs. 
La  loi  du  IG  juin  1881  établit  la  gratuité  absolue  dans  les  écoles 
primaires  publiques.  La  loi  du  28  mars  1882  rend  l'enseignement 
primaire  obligatoire  et  laïque.  Puis  viennent  une  série  de  lois,  de 
décrets,  d'arrêtés  et  d'instructions,  ordonnant  la  création  des  écoles 
de  hameau,  organisant  les  écoles  primaires  supérieures,  les  écoles- 
maternelles,  les  écoles  manuelles  d'apprentissage,  les  cours  normaux 
préparatoires  à  l'enseignement  du  travail  manuel  dans  les  écoles 
normales  et  dans  les  écoles  primaires  Supérieures,  rinstruction  mili- 
taire, fondant  des  bourses  dans  les  écoles  primaires  supérieures,, 
réorganisant  les  cours  d'adultes,  instituant  les  caisses  des  écoles» 
etc.  Enfin,  vous  avez  adopté,  le  18  mars  dernier,  un  projet  de  loi^ 


LA   SITUATION   DB   l'eISSKIGNEMENT   PRIMAIKE  \il 

en  ce  moment  soumis  au  Sénat,  sur  Torganisation  de  renseigne- 
ment primaire.  Dans  cette  vaste  réorganisation,  vous  n*avez  laissé 
en  suspens,  par  des  raisons  exclusivement  budgétaires»  que  la  régu- 
larisation et  Taugmentation  des  traitement  des  instituteurs  et  des 
institutrices.  Le  plan  complet  de  votre  enseignement  primaire  natio« 
nal  se  trouve  ain^û  tracé. 

Il  faut  voir  maintenant  Tapplication  qui  en  a  été  faite,  au  fur  et 
à  mesure  que  les  crédits  volés  par  vous  Font  rendue  possible,  et 
les  résultats  eiTectifs  qui  en  ont  été  la  conséquence. 

Les  écoles  normales  d'instituteurs  et  d'institutrices  étaient 
complètement  insuffisantes.  Elles  étaient  impuissantes  à  fournir  à 
renseignement  primaire  le  nombre  de  maîtres  qu'allait  exiger 
l'application  des  lois  nouvelles.  Le  tableau  suivant  fait  connaître  les 
résultats  obtenus,  en  quatre  ans,  au  double  point  de  vue  du  nombre 
des  écoles  et  de  1  augmentation  du  nombre  des  élèves-maîtres  : 

Tableau  du  mouvement  dans  les  t'-coles  normides  primaires 
d'instituteurs  et  d'institutrices  (1). 


1878-79 


ifftnei  auirll<>t.       4eN  fMes-aaltr'4 


Écoles  d'instituteurs 78        3.393.420  37        3.551 

Écoles  d'insUtulrices 17  508.711  71  691 


Totaux  ...      95        3.902.132  08        4.242 


c 


1883-84 

Écoles  installées  (instituteurs)  .      85  4.052 

En   construction 


().75i.350     » 
Ecoles  installées  (institutrices;  .      57  2.487 

En  construction 17 


Totaux.   .   .     164       6. 75 i. 3^)0    »        7.439 


Les  communes  manquaient  d'écoles;  les  écoles  manquaient  de 
maîtres.  11  était  évident  qu'avant  tout,  et  pour  pouvoir  accueillir 
les  enfants  qui  jusque-là  ne  recevaient  aucune  instruction,  il  fallait 
cn^r  des  écoles  et  augmenter  le  personnel  enseignant.  Nous  allons 
voir  quels  ont  été,  depuis  un  certain  nombre  d'années,  les  progrès 
réalisés  à  ce  double  point  do  vue  : 

(1)  Nous  corrigeons  dans  le  tableiu  qui  suit  deux  ou  trois  légères  fautes 
d'impression  qui  se  sont  glissées  dans  le  document  sorti  des  presses  de  la 
Chambre  des  députps;  il  en  résulte  dans  les  totaux  des  modincntions  sans  im- 
portance. —  Rédaction. 


122  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

Xombre  des  écoUs  publiques, 

1867      1876-77   1881-82   1882  83 

Écoles    de    garçons    ou 

mixtes ;J8.8!)8      39.764      41.493      42.286 

Ecoles  de  filles 15.099      19.257      24.50i      22.22i 

Totaux.   .   .      53.957      59.021      62.997      64.510 


Mais  nous  n'aurions  aucune  idée  de  Tétat  général  de  renseigne- 
ment en  France,  si,  au  fur  et  à  mesure  que  nous  faisons  connaître 
le  mouvement  dans  les  écoles  publiqties,  nous  ne  le  faisions  sui\Te 
du  mouvement  qui  se  produit  aussi  dans  les  écoles  libres, 

Nombre  des  écoles  libres. 

1867 

Ecoles    de    garçons    ou 

mixtes :{.5y9 

Ecoles  de  filles i:M15 

Totaux.   .  .      16.714 


1876-77 

1881-82 

188283 

2.657 

2.8i2 

2.93S 

9.869 

9.796 

9.a*i4 

1-2.526 

12.638 

12.792 

Si  on  récapitule  le  nombre  des  écoles  publiques  et  libres,  pour 
avoir  la  progression  du  nombre  des  écoles  en  France  depuis  I8<)7, 
on  arrive  aux  résultats  suivants  : 

Récapitulation  des  écoles  ptibliques  et  libres, 

1867    1876-77    188182   1882-83 

70.671       71.5*7       75.635      77.302 
Nous  arrivons  maintenant  au  personnel  enseignant. 

Personnel  enseignant  dans  les  écoles  publiques, 

1863    1876-77  1881-82    1882-83 

Instituteurs 42.778      46.400      50.708      52.779 

Institutrices 27.663      33.663      37.512      40.421 

Totaux.   .   .       70.441      80.063      88.220      93.200(1) 


il)  Lo  total  des  institutrices  publiques  pour  18.^2-1883  est  de   .   .  39.521 

au  lieu  de  40.421,  ce  qui,  avec  les  instituteurs 52.779 

donne  comme  total  des  maîtres  des  écoles  publiques 92.300 

au  lieu  de  93.200.  —  Rédaction.  " 


LA   SITUATION   DE   l'iLNSEIGNEHENT    PRIMAIRE  133 

Dans  les  écoles  libres  le  mouvement  est  représenté  de  la  manière 
suivante  : 

Personnel  enseignant  dans  tes  écoles  Ubres, 

1863    187677   1881-82   1882*83 


Instîtoteurs 

0.807 

5.317 

7.429 

7.8i5 

Institutrices 

.      31.531 

25.329 

i9.3i6 

20.512 

Totaux.   . 

.       38.358 

30.046 

36.745 

37.357 

Si  nous  récapitulons  les  chifTres  du  personnel  enseignant  dans  les 
écoles  publiques  et  libreSy  nous  obtenons  la  progression  suivante  : 

Récapitulation  du  personnel  enseignant  dans  les   écoles  publiquei 

et  libres, 

1863        1876-77       1881-82      1882-83 

108.799  110.709  124.965  130.557  (i) 

Au  même  point  de  vue,  il  nous  reste  à  établir  une  comparaison 
identique,  relalivemeni  au  nombre  et  au  personnel  dirigeant  des 
salles  d*asile. 

Nombre  des  salles  d'asile  ou  écoles  maternelles  publiques  et  libres, 
et  personnel  dirigeant  de  ces  établissements, 

1863  1876-77       1881-82      1882-83 

...  .  .ue.  ...r  îî;;::^  ^S  ~î^  ^  î^-  S  = 

Publiques  2.;m)     ^  ^..^    2.785i    ^  ^^.,    3.161    4.997    3.3io    5.359 
Libres...      073^    ^'^^    1.36^1    ^''^"'^    1.891    2.574    2.035    2.727 

Totaux.     .9.308  4.147  5.052    7.571     5.380    8.086 


.  On  voit  à  quels  résultats  nous  sommes  arrivés,  en  un  petit  nombre 
d'années.  Sans  remonter  au  delà  de  1877,  on  voit  que  le  nombre  des 
écoles  publiques  s'est  élevé  jusqu'en  1883  du  chilfre  de  o9,02i  à 
celui  de  64,510;  et  si  on  fait  le  compte  de  toutes  les  écoles  publiques 
ou  libres,  du  chiffre  de  71,517  à  celui  de  77,302. 

Si  on  ajoute  à  ces  chiffres  ceux  des  écoles  maternelles  ou  salles 
d'asile,  on  constate  qu'en  1883,  8^,682  écoles  ont  été  ouvertes  a 
la  population  enfantine  de  France.  11  nous  a  été  impossible  de  savoir 
le  nombre  des  écoles  créées  depuis  1883;  mais  il  ne  saurait  ôtre 
inférieur  à  1,000.  D'où  il  suit  qu'à  cette  heure,  il  y  a  certainement 

(IJ  Par  suite  de  la  rectitication  du  nombre  des  institutrices  publiques,  le 
total  du  personnel  enseignant  des  écoles  publiques  et  libres  pour  1882-1883 
est  ramené  à  129.657  au  lieu  de  130,557.  —  Rédaction, 


124  RE^TE  PÉDAGOGIQUE 

plus  de  83,500  écoles  ouvertes  sur  le   territoire  de   la  République 
pour  le  service  de  TenseigTiement  primaire. 

Pour  faire  face  aux  nécessités  de  l'enseignement,  le  personnel 
enseignant  des  écoles  publiques  a  été  porté  de  80,063  à  93,200  (i).  Si 
on  y  ajoute  le  personnel  enseignant  libre  et  le  personnel  dirigeant 
des  salles  d'asile,  on  arrive  à  constater  que  138,643  (2)  personnes  ont 
pris  part  en  1883  à  renseignement  primaire.  Ce  n  est  rien  exagérer 
que  de  dire  que  ce  nombre  atteint  aujourd'hui  celui  de  140,000 
environ. 

Mais  c'était  là,  il  importe  de  le  remarquer,  la  condition  sine  quâ 
non  de  l'application  des  lois  des  16  juin  1881  et  28  mars  1882  sur 
la  gratuité,  l'obligation  et  la  laïcité  de  l'instruction  primaire.  Les 
éléments  de  succès  de  la  grande  réforme  inscrite  dans  ces  lois  sont 
maintenant  créés.  Il  faut  voir  comment  cette  réforme  elle-même  a 
été  réalisée.  Pour  s*en  rendre  compte,  il  suffit,  d'une  part,  de  mon- 
trer la  progression  constante  du  nombre  des  élèves,  admis  chaque 
année  dans  les  écoles  primaires,  f  n  le  comparant  au  chiffre  de  la 
population  à  instruire  en  France,  et,  d'autre  part,  d'observer  le 
mouvement  de  décroissance  du  personnel  enseignant  congréganiste, 
qui  se  manifeste  parallèlement  au  mouvement  de  croissance  très 
jnarqué  du  personnel  laïque. 

D'après  le  recensement  de  1881,  le  nombre  des  enfants  qui  sont 
dans  r»ge  scolaire,  c'est-à-dire  de  six  à  treize  ans,  s'élève,  pour 
toute  la  France,  à  4,586,349. 

Prenant  ce  chiffre  pour  point  de  départ,  et  admettant  qu'il  n'a 
pas  varié  depuis  un  certain  nombre  d'années,  les  tableaux  suivants 
nous  permettent  déjà  une  comparaison  intéressante  : 

Nomhi^e  des  élèves  dans  les  écoles  publiques, 

1867      1876-77     1881-82    1882  83 

Kcoles  de  garçons.    2. 114. 088    2.197.652    2.442.581    2.455.390 
Ecoles  de  filles .   .     1.422  721     1.625.696    1.916.675    1.953.920 

Totaux.  .   .     3.537.709    3.823.348    4.359.256    4.409.310 

;    :  ;  :    • 


Voyons  maintenant  le  chiffre  des  élèves  dans  les  écoles  libre»  ;  et 
nous  établirons  ainsi  le  compte  général  des  eu-^ants  recevant  en 
France  renseignement  primaire  : 


(1)  ISous  avons  dit  que  le  personnel  enseignant  des  écoles  pabliques  était 

de 92.300 

Si  l'on  y  ajoute  celui  des  écoles  libres •   .  37.857 

et  celui  des  écoles  maternelles 8.086 

On  obtient  un  total  de 137.743 

au  lieu  de  138,643.  —  Rédaction. 

(2)  137,743.  —  Rédaction. 


LA   SITUATION    DE   l'eNSEIGNEMBM    PUIMAIIΠ US 

Nombre  des  élèves  dans  Us  écoles  libres, 

1867      1867-77     1881-82    1882-83 

Ecoles  de  garçons.        i28.793        203.230        263.929        288.174 
Ecoles  de  fiUcs .   .        749.465       690.357        716.026        734.667 

Totaux.  .   .        978.258        893.587        981.955    1.022.841 


Récapitulation  du  nombre  des  élèves  datis  les  écoles 

publiques  et  libres, 

1867        1867-77      1881-82       1882-83 

4.515.967        4.716.935        0.3H.2-21        5.432.151 

A  ce«  chiffres  il  convient  d'ajouter  ceux  des  élèves  admis   dans 
l6s  écoles  maternelles.  Leur  nombre  a  suivi  la  progression  suivante  : 

Nombre  des  élèves  admis  dans  les  écoles  maternelles 

publiques  et  libres, 

1867      1876-77    1881-82     1882-83 

Ecoles  publiques  .        356 . 421        420 .110        180 . ()02        497 . 1  II 
Ecoles  libres .   .   .  7.-i.T20        111.967        163.788        181.941 

Totaux.  .    .         132.111        532.077        614.384        679.085 


De  telle  sorte  que,  si  on  ajoute  aux  5,132,151  enfunls  admis  dans 
les  écoles  primaires,  les  679,085  admis  dans  les  écoles  matcnielles, 
on  arrive  à  constater  qu'en  1883  les  services  de  l'enseignement  pri- 
maire ont  pioGlé  à  six  millions  cent  onze  mille  deux  cent  Irente-sLv 
enfants,  alors  que,  sans  remonter  plus  haut  que  1877,  ces  mômes 
services  n'avaient  profité  qu'à  o,2i9M^2;  c'est  près  d'un  million 
d'enfants  qui  ont  bénéficié  dos  efforts  faits,  dt'puis  quel(iues  années. 
pour  développer  l'enseignement  primaire.  11  sutfu,  pour  justifier 
pleinement  les  sacrifices  faits  par  les  pouvoirs  publics,  d'observer 
que,  dans  ces  chiffres,  les  écoles  publiques  entrent  dans  la  propor- 
tion écrasante  d'environ  les  cinq  sixièmes  à  la  fois  de  la  totalité  des 
enfants  admis  dans  les  écoles  et  de  l'augmentation  constatée  dans 
le  nombre  de  ces  enfants. 

Mais,  comme  on  le  voit,  les  chiffres  que  nous  venons  de  donner 
dépassent  de  beaucoup  (exactement  de  1,524,887  enfants)  ceux  que 
nous  avons  donnés  comme  représentant  le  nombre  des  enfants  qui 
sont  dans  l'âge  scolaire,  (^est  donc,  évidemment,  que  pour  un  grand 
nombre  d'entre  eux  les  familles  jugent  qu'ils  ont  mieux  à  faire  qu'à 
quitter  l'école  à  l'âge  réglementaire.  Si  nous  déduisons  de  ce  chiffre 
de  i,524,)^87  celui  de  679,085,  représentant  le  nombre  des  élèves 
des  écoles  maternelles,  qui,  naturellem<^nt,  ne   sont  pas  dans  l'âge 


lâO       ^  R£VL£   PEDAGOGIQUE 

scolaire,  nous  voyons  qu'au  moins  815.802  enfants  sont  dans  la  situa- 
tion favorable  que  nous  venons  d'indiquer.  En  réalité,  ce  chiffre 
doit  èlTC  légèrement  augmenté  ;  car  les  stalistiques  dressées  per- 
mettent d'établir  que  le  nombre  des  enfants,  dans  Tâge  scolaire,  qui 
sont  admis  dans  les  écoles  primaires,  s*élève  à  4,5iG,030,  inférieur 
de  40,319  à  celui  qui  nous  est  fourni  par  le  recensement  de  1881. 
D'autre  part,  si  nous  comparons  lo  nombre  des  enfants  dans 
l'âge  scolaire,  qui  ont  été  admis  en  1882-1883  dans  les  écoles  pri- 
maires, à  celui  de  1881-1882,  nous  constatons  une  augmentation 
considérable,  qui,  évidemment,  doit  être  mise  aussi  à  l'actif  des 
nouvelles  lois  sur  la  gratuité  et  l'obligation  de  l'instruction  primaire. 
En  1882-1883,  le  nombre  des  enfants  dans  l'âge  scolaire  admis  dans 

les  écoles  est  de 4.546.030 

en  1881-1882,  il  n'était  que  de 4.:^2.293 

d'où  une  augmentation  de 163.737 

Mais  la  lui  do  1882  n'établissait  pas  seulement  l'obligation  :  elle 
aflirmaît  aussi  la  nécessité  de  confier  la  direction  des  écoles  pri- 
maires à  des  maîtres  laïques.  11  faut  examiner  les  conséquences  de 
l'application  de  la  loi,  à  ce  i)oiat  de  vue.  Nous  rechercherons,  en 
même  temps,  si  le  mouvement  dont  les  pouvoirs  publics  ont  pris 
l'initiative  ne  se  serait  pas  aussi  manifesté,  de  la  même  manière. 
dans  les  écoles  libres,  tant  il  est  vrai  de  dire  qu'un  tel  mouvement 
correspond  à  une  tendance  profonde  du  i>ays. 

Examinons  d'abord  comment  se  sont  réparties,  à  ce  point  de  vue. 
aux  diverses  époques  antérieures,  et  comment  se  répartissent, 
maintenant,  les  écoles  publiques  existantes.  Le  tableau  suivant  con- 
tient la  division  des  écoles  pubhques  et  du  personnel  enseignant  eu 
laïques  et  conjrréganistes  : 

1867  ,{  1876-77  1882-83 

KCOI.CS.  R*abrp  Ppr^nncl  ytmkrr  PerMuiM  ■•■Irt  P«nMi>( 

—  in  fftl^s.       dirifeail        if^  M«le>        4irif'»t         èM  éMln.         ItrifMBl 

Laïques    de    gar- 
çons et  mixtes.  ;fô.  771    :^t).io7    :m..wj    :^).5:u    40.042    49.015 

Laïques  de  tilles.     t>.509      8.4rit>      î*.417    13.707     13.652    21.012 
Totaux.   .   .  42.343    41.910    45.810    5;{.240    53.094    73.027 

Congréganistes   de 

gart;.  et  mixtes.  3.08i  6.321  :\.'Mio  6.867  2.241  3.76i 
Congréganistes   d(^ 

filles 8.ri{(»    19.204      9.840    19.ftû6      8.572    15.501> 


■>  m  >  V. 


Totaux.   .   .  il. OH     25..52r>     13.205    26.823     I(L816     19.273 


3 


(l^  r>ans  les  <lou\  premières  colonnes  d«'  gauche  des  trois  tableaux  sui- 
vants, les  chifl'res  des  <«  Ecoles  "  appartiennent  bien  à  la  statistique  de  1867  ; 
mais  les  chiffres  da  «  Personnel  »  sont  extraits  de  la  statistiqae  d«  1863,  celle 
de  18t»7  ne  les  ayant  p«9  relevés.  —  Rédaction. 


LA  SITUATION  0£  l'CXS£IGM£M£KT   PRIMAIRE  iH 

Donc,  du  chiiïre  de  Hyiili  écoles  publiques  laïques,  nous  sommes 
arrivés  à  celui  de  53,694:  du  cljnrre  de  1 1,611  écoles  publiques 
eongréganistes,  nous  sommes  descendus  à  celui  de  10,810.  Ln  mou- 
vement analogue  et  proportionnel  s'est  naturellement  manifesté 
dans  le  personnel  enseignant  :  du  cliillre  de  44,Î)IG  maîtres  laïques, 
nous  sommes  arrivés  a  celui  de  78,0:27;  et  du  chilTre  de  45,5^0 
maîtres  congréganistes,  nous  sommes  descendus  à  celui  de  19,;27:i. 

Nous  allons  faire  maintenant  un  calcul  analogue  pour  les  écoles 
libres. 

Division  des  écoles  libres  et  de  leur  personnel  dirigeant 
en  laïques  et  congréganistes. 

1867  (I  1876-77  1882-83 

Kcui.rs  loHbrc  de«         Pcrsanoi^l       ^olllbrr  di-s        Ppr%«BOfl        Sanbn*  é^^        Ffr>(»uBp| 

—  erdtes  Ukr(>>        dirijrul        rr«k*  libre^i        iinjPinL      erolr»   libr>-v        diriion: 

Laïques  de  gar-      i.044      4.300      1.750      2.710      1.349      4.iir> 

çons  et  mixtes. 
La/çtiea  de  filles.       7.079    12.550      4.091      8.069      2.87:{      7.281 

Totaux  .   .     10.023    16.910      5.841     10.785      4.222     li7m 

i  ongrèyan  istes  de 

garç.etmixtes.         655     2.247  907      2.001      1.589      5.630 

Congréganistes  de 

tilles ().030    19.001      5.778    17.260      6.981     22.231 

Totaux.    .       0.691     21.418      (i.085     19.801      i.rÏTÔ    27.801 


En  groupant  et  récapitulant  tous  ces  chiirres,  nous  obtenons  la 
progression  suivante  qui  montre  le  mouvement  général  de  rensei- 
gnement laïque  et  de  renseignement  congréganiste  en  France,  au 
point  de  vue  du  nombre  des  écoles  et  du  personnel  enseignant  : 

1867    I  1876-77  1882-83(2 

/o  Enseignement  laïque. 
52.360  61.826  51.657  01.525  57.îH(i  8:M27 

2^  Enseignement  congréganiste.  • 

18.305  46.873  19.890  46.081  19.380  47.131 

Nous  passons  maintenant  aux  salles  d'asile  ou  écoles  niatern«*lles. 


(1)  1867  pour  les  écoles,  18(>J  pour  le  persouuel.  —  Hédaction. 

(2;  En  1B82-18S3  le  total  du  {personnel  enseigouot  Inique,  dans  les  écoli^s 
pnbliqaes  et  daas  les  éiolcs  libi-es.  était  de  82,523  au  lieu  de  83,4iT.  —  Hé- 
daction. 


128 


R£VI]E  PÉDAGOGIQUE 


Dichion  (Us  écoles  maternelles,  ou  salles  iVasile^  et  de  leur  penonnel 

dirigeai}  t,  en  laïques  et  congréganistes. 


1867  (f> 


1877 

its  rratr»         4irifr«il 


1883  (j. 

SMkc  PwMurI 

4es  M«lft         4iriff»l 


Laïques  .   .   . 
Congrt'ganistes 


Laïques  .    .    .    . 
Congréganistes . 


1"  Écoles  tnaternelles  publû^ues. 

mi,         582         581  781 

2.027      3J10      2.204      3.542 

2®  Écoles  maternelles  libres. 

3()3  373  257  395 

eio      1.175      1.105      1.605 


i.442 
i.903 


250 
1.785 


2  803 
2.296 


329 
2.398 


Mais  pour  avoir  une  idée  exacte  du  mouvement  de  renseignement 
htïque  en  France,  il  faut  Tétudier  encore  au  point  de  vue  du  nombre 
des  élèves.  En  effet,  ce  qu'il  importe  de  connaître,  c'est  le  nombiv 
d*élèves  qui  échappent  de  plus  en  plus  à  la  direction  congréganiste. 

Nous  avons  vu  plus  haut,  par  la  progression  du  nombre  des 
enfants  admis  dans  toutes  les  écoles  de  France,  que  ce  nombre  s'élève 
pour  1883  à  six  millions  cent  onze  mille  deiw  cent  trente-six  élèves. 

La  progression  que  nous  avons  donnée  et  qui  aboutit  à  ce  chiffre, 
se  répartit  de  la  manière  suivante  dans  les  écoles  publiqties  et  libres 
entre  l'enseignement  laïque  et  renseignement  amgréganisle  : 

Division  des  ('lèves  garçons  et  filles  en  laïques  et  congréganistes. 

/•  Ecoles  publit/ues  primaires. 


Aniu'e>. 


1867 


1881-82 


\  Garc^'ons / 

t   Filles ^ 

Totaux.    .    . 
i   (iarrons 

1  a 

I   Filles 

Totiiux.   .    . 


ijiiques. 

2.386.711 
2.386.711 

2.188.487 
1.161.286 


Congrt'^aniNlf». 

1.150.998 
1.150.998 


254.091 
7?>5.389 


3.349.773       (3)  i.300.*l94 


1)  1867  pour  les  écoh^s,  1863  |K)ui'  le  |)ei'8oiinel.  —  Hédaction. 
(2)  Kn  1882-83,  le  personnel  dirigeant  des  écoles  maternelle.4  publiques  et 
Kbres  était  réparti  comme  suit  :  laïques,  i,4%  ;  congréganistes,  2,863.  —  Ré- 
daction. 

3)  Cette  addition  est  erronée  :  2.54,094  gardons  +  755,389  filles  ==  1,009,483. 
et  non  pas  1,300,991,  comme  le  texte  ci-dessus  l'indique.  11  y  a  lieu  d*iiis!sler 
sur  cette  erreur.  En  effet,  apr«>s  la  classiilr^ition  par  c  Laïques  »  et  c  Congn''- 
gauistes  j>  des  élèves  des  écoles  primaii'es,  vient  (p.  130)  une  récapitulation  où 
le  nombre  tolal  des  élèves  congnganistes,  pour  188I-188i,  est  indiqué  comme 


LA    SITUATION    DE    L*EiNi>£IGNEMËNr    PRIMAIRE  Hd 

A  •ntfcs.  Laïques.  Congrèganislcs. 

,^.  ^..   S   Garçons 2.222.292  233.098 

iw.-M   ;   pjjjçg 1.228.942  724.978 


Tolaux.    .    .  3. 451. 23 i  958. 076 


étant  de  2,074,8UI,  au  lieu  de  1,773,330  (somme  des  nombres  1,300,994  -f- 
763,867).  Celle  erreur  devait  nécessairement  donner  lieu  aux  déductions 
suivantes: 

Si  lenooibredes  élèves  des  écoles  congréganislci  en  1881-82  élu  il  de    2. 074 .861 
celui  des  élèves  des  écoles  laïques  étant  de 3.597.861 

le  total  général  dei  élèves  serait  de .'>. 642.722 

supérieur  par  conséquent  de 210.571 

à  celui  de  l'année  suivante  (188i-83}  qui  n'a  été  que  de 5.432.151 

Or,  les  documents  officiels  publiés  par  le  ministère  de  rinstrucliç>n  publique 
portent  :> 

Pour  18811882 

(        iaïaues         ^  Publiques.    3.34'). 7:3  \ 
Elevés  des  écoles     ^.  .,.  ^  ,^^  ,      '     5.341.ill 

Pour  1882-1883 

bïniiPs  ^  publiques.  3.451.234  \ 

^^^''î"®^         t  libres    .    .        203. K)l  / 

kl-  ck'o  A-/»  /  •'>.432.151 

contf romanistes     ^  P»*>ï»q«es.        9o8.0/6  C   . 

congroganisies    ^  ^.^^^^  819.140) 

Différence  en  faveur  de  l'année  lî=82-1883 Îi0.4i0 


Élèves  des  écoles 


A  la  Chambre  dei  députés,  dans  la  séance  du  15  décembre  1884,  M.  Freppel, 
s'appuyant  sur  l'erreur  matérielle  que  nous  venons  de  reclKier,  avait  tenu 
ee  langage: 

«  Je  prétends,  les  chilFres  de  M.  le  rapporteur  en  mains,  que  vous  avez 
en  ce  moment  ci  dans  vos  écoles  primaires  deux  cent  mille  enfants  de  moins 
qu'avant  la  loi  sur  l'instruction  obligatoire.  (Exclamations  au  centre  et  à 
gauche.  Très  bien  !  très  bien!  à  droite.)  Par  conséquent,  vous  avez  créé 
5,000  écoles  nouvelles,  —  1*,000  suivant  M.  le  rapporteur,  —  et  vous  avez 
dépensé  près  d'un  milliard  pour  avoir  dans  vos  écoles  210,571  enfants  de 
aïolns.  {Exclamations  diverses.)  Ce  sont  là,  je  le  répète,  les  chiffres  mêmes 
de  M.  le  rapporteur.  Nous  les  ferons  connaître  au  pays,  iK>>'ez-en  bien  con- 
vaincus. (Très  bien!  très  bien  !  à  droite.)  Je  n'ajoute  pas  un  seul  mot  et  je 
descends  de  la  tribune.  » 

Il  importait,  comme  on  le  voir,  de  corriger  une  faute  d'impression  dont 
on  prétendait  fkire  «  devant  le  pays  »  un  argument  décisif  contre  la  cau^c  de 
renseignement  obligatoire.  —  Rédaction. 

BBfUB  riDAOOOIQUI  1885.   ^  1*'  BBK.  9 


130  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

t*  Écoles  libres  primaires, 

1867     j   YmlT.^'.   '.'.'.['.'.)  ^^^-"^^^  579.000 


Totaux 


•      • 


.    ..     ^  (   Garçon 
'««•-«^      Filles . 


S 


1882-83  j    ^r^J4 


Totaux.   .   . 
Garçons 


Totaux.   .   . 


398.793 

579.000 

65.997 
152.091 

«18.088 

J 99. 932 
563.935 

763.867 

63.759 
140.042 

224.415 
594.625 

203.801 

849.040 

Le  mouvement  de  croissance  de  l'enseignement  lalqne.  dans  Fen- 
bemble  des  écoles,  n'est  donc  pas  douteux.  Si  nous  groupons  les 
deux  tableaux  précédents,  nous  aurons  exactement  le  nombre  des 
éli'ves  dépondant  de  l'un  et  do  l'autre  enseignement,  savoir: 

Réôapilulalion, 

1867.  1881-82.  1882-83. 

Laïques 2.785.504  3  567.861  3.65.->.035 

Congréganisles 1.729.998  2.074.861(1)      1.777.11(> 

On  voit  que  le  mouvement  total  des  enfants  admis  dans  les  écoles 
dirigées  par  les  laïques  est  supérieur  de  un  milii on  huit  cent  soi xante- 
(li.v-sept  mille  neuf  cent  dioo-ntuf  k  celui  des  enfants  admis  dans  les 
écoles  dirigées  par  des  congréganisles;  qu'il  est  ainsi  de  plus  du 
double,  alors  qu'il  n'élait  que  d'un  tiers  en  plus  il  y  a  quelques  années. 
Mais  on  aperçoit  aussi  en  mùme  temps  que  dans  les  écoles  publiques 
cette  proportion  est  beaucoup  plus  considérable,  et  que  le  mouve- 
ment de  croissance  de  renseignement  laïque  y  est  très  marqué.  Il 
n'est  pas  douteux  que  le  chiffre  de  958,076  élèves,  souinis  encore 
a  une  direction  congréganiste,  s'atténuera  rapidement  (2). 

Si  on  se  reporte  à  ce  que  nous  avons  dit  à  ce  point  de  vue,  au 
sujet  de  l'enseignement  secondaire  et  de  TenseigiiemeQt  supérieur, 
on  constatera  que  co  mouvement  d'aHranchissement  de  la  tutelle 
congréganiste    s'accentue  au  fur  et  a  mesure   que  reoseigncmeut 

(l)  Comme  l'explique  la  noie  précédente,  le  chilfre  exacl  est  1,773.330.  ^ 
Héddcliun. 

^i\  Dans  les  écoles  malemenes,  le  mouvement  est  un  peu  dilTérent,  mais 
no  saurait  rien  changer  au  caractère  du  mouvement  qui  se  manifeste  dans 
le  pays.  Il  n'en  est  pas  moins  nécessaire  d'appeler  sur  ce  fait  l'atteotion  de 


LA   SITUATION   DE   L*BNSEIGXEMENT   PHIMAIRE  131 

s'él^ve.  Dans  renseignement  primaire,  la  direction  congréganiste 
participe  à  Tinstruction  de  la  jeunesse  dans  la  proportion  de  moins 
de  moitié;  dans  l'enseignement  secondaire,  cette  proportion  s'affai- 
blit, elle  n'est  que  d'un  quart  à  peine;  dans  renseignement  supérieur, 
elle  n'est  pas  d'un  quinzième. 

Tels  ont  été,  jusqu'à  ce  jour,  les  résultats  des  efforts  faits  par  les 
pouvoirs  publics,  et  notamment  des  lois  des  16  juin  1881  et 
28  mars  1882,  sur  Tiustruclion  primaire  laïque,  gratuite  et  obliga- 
toire, ils  peuvent  se  résumer  ainsi  :  il  y  a  dans  les  écoles  de  France 
un  million  cent  soixante-trois  mille  cinq  cent  quatre-  vingt- treize  élèves 
de  plus  qu'auparavant;  et  dans  ces  mêmes  écoles,  il  y  a  un  million 
quinze  mille  enfants  de  plus  qu*autrefais,  dont  l'enseignement  est 
dirigé  par  des  laïques. 

Institutions  complémentaires  et  auxiliaires. 

Mais,  pour  permettre  de  se  faire  une  idée  plus  compK'te  de  ce 
qui  a  été  fait,  il  nous  faut  dire  encore  quelques  mots  des  progrès 
réalisés  parallèlement  dans  les  diverses  institutions  complémentaires 
et  auxiliaires  de  renseignement  primaire. 

M.  le  ministre  de  rinstruction  publique.  Le  tableau  suivant  nous  fei*a  mieux 
comprendre  : 

Nombre  d'élévei  dans  les  écoles  materneileSj  taiques  et  congrégantstes, 

publiques  et  libres. 

Années.  Laïques.         Congréf^anisles, 

5  ^<^^^  publiques 73,067  283.356 

'^  i  Ecoles  libres 16.090  5i.l98 

Totaux 89.I57(*)       335.554 

S  Écoles  publiques 189.091  291.511 

1881-8i     I  Ecjjiçg  libres 15.326  148.456 

Totaux 204.417  439.967 

_     \  Écoles  publiques in. 712  275.432 

1882-83    j  Ecoles  mj^gg 13.913  168.028 

Totaux 233.625  443.460 

{yote  du  rapporteur.) 

{*)  D'après  lesdocuments  officiels  pour  I8<7,les  chiiïtes  relatifs  aux  élèves  reçus  dans 
les  écoles  matei  nelies  doivent  être  rétablis  comme  suit  : 

Laïques.       Congrégaaistes. 

Écoles  publiques.  .  .  .  •• 73.U65  saa.ase 

Ecoles  libres *  .      17.108  58.ftH 

Totaux.   •   •   .  .       90. 174  841. M7 

fRédaction.) 


132  R£VUE  PÉDAGOGIQUE 

Erueignenienl  primaire  supérieur,  —  La  loi  de  1833  avait  créé  Ten- 
seigaemenl  primaire  supérieur.  Sous  Tempire  de  celle  loi,  des  éta- 
blissements en  assez  grand  nombre  s'élaient  créés.  En  1830,  il  y 
avait  quatre  cent  trente  six  établissements  qui  renfermaient  â7,159 
élèves. 

La  loi  du  15  mars  1850,  en  supprimant  la  division  de  l'enseigne- 
ment primaire  en  deux  catégories  distinctes,  l'enseignement  élémen- 
taire et  renseignement  supérieur,  avait  naturellement  interrompu 
ce  mouvement  de  développement.  Vers  1870,  on  enseignait  ce  qu'on 
appelait  les  matières  facitUatives  dans  264  écoles  primaires  seule- 
ment, et  à  4,000  élèves  environ. 

L'enseignement  primaire  supérieur  a  été  rétabli  par  la  loi  de 
finances  du  10  mars  1878.  Il  a  clé  dcfinilivemont  réorganisé  par  un 
décret  du  15  janvier  1881. 

Depuis  ce  moment,  il  a  élé  créé  (l),  savoir  : 

Ecoles  primaires  supérieures  de  garçons 308 

-                     de  filles 172 

Cours  complémentaires   de  garçons  (écoles  supérieures  qui 

ne  comprennent  qu'une  année  d'études) 22i 

Id.  de  tilles 70 

Total (2)    861 


[1)  11  n'est  pas  exact  de  dire  que  toutes  les  écoles  primaires  supérieures 
qui  existent  aujourd'hui  ont  élé  créées  depuis  le  15  janvier  1881.  Un  certain 
nombre  d'entre  elles  avaient  survécu  à  la  loi  «ie  <850.  —  Rédaction, 

(2)  Le  nombre  total  des  élablissomenls  d'enseignenienl  primaire  supérieur, 
d'après  la  slalistique  de  Jb84,  est  non  de  8<jl,  mais  de  570.  Ce  chiflre  se 
décompose  uin^i  : 

Ecoles  primaires  supérieures  publiques  de  g.in;ons H5 

—  —  —        de  lillf/s .   .   .   • m 

—  —         libres  de  garçons i5 

—  —  —     de  lilles i9    i46 

Cours  complémentaires  publics  de  garçons •   .   .   .  i21 

—  —      de  lilles 70 

—  libres  de  gnrçons 7 

—  —     (le  lilles i6    3i* 

Tuliil 570 

Etablissements  primaires  supérieurs  pour  les  garçons 398 

—  _  _>  «       lilles 172 

Total •  "57Ô 


L'erreur,  qui  est  de  291  (8(>l  —  576),  provient  de  ce  qu'on  a  donné  comme 
indiquant  le  nombre  des  écoles  proprement  dites  le  chiffre  représentant  le 
total  des  étoblissements  d'enseignement  primaire  supérieur,  icoles  et  cours* 
Les  nombres  221  et  70  ont  élé  comptés  deux  fois.  —  Hédaction. 


LA   SITUATION   DE   l'eNSEIGNEMENT   PRIMAIRE  133 

Le  nombre  des  maîtres  ou  maîtresses  employés  dans  ces  établisse* 
menls  s*élève  à  trois  mille  six  cent  quatre-vingt-huit  (3.688)  (1),  et 
le  nombre  des  élèves  à  trente  mille  cent  quarante  (30,1^0). 

Dans  ces  chiffres  ne  sont  pas  comprises  les  écoles  municipales 
de  Paris,  qui  emploient  465  maîtres  ou  maîtresses,  et  renferment 
quatre  mille  cinquante-six  (4,056)  élèves  (2). 

Enfin,  des  bourses  ont  été  créées  pour  permettre  à  un  certain 
nombre  de  jeunes  gens  de  recevoir  l'enseignement  primaire  supé- 
rieur. Le  crédit  voté  par  vous  s'élève  à  774,000  francs.  Avec  ces  res- 
sources, rËtat  entretient,  à  divers  titrer,  dans  158  établissements, 
neuf  cent  quarante-neuf  jeunes  gens  (3j. 

Cours  (Tadaltes.  —  Le  tableau  suivant  permet  de  juger  du  mouve- 
ment qui  s'est  produit  dans  les  cours  d'adultes  pendant  ces  der- 
nières années  : 


(1)  Il  parait  nécessaire  de  faire  ici  la  distiocdon  entre  les  maîtres  Internes 
(directeurs  et  adjoints)  et  les  maitres  spéciaux  et  auxiliaires  (langues  vivantes, 
dessin,  gymnastique,  travail  manuel,  agriculture,  etc.]  ;  les  premiers  touchant 
des  traitements  fixes  soumis  à  retenue,  les  seconds  ne  recevant  que  des 
indemnités. 

Directeurs  et  adjoints. 

Cours  complémentaires  publics  de  garçons,  401,  de  ûlles,  131    532 


—                 —           libres           — 

H,       - 

87 

101    633 

Ecoles  supérieures  publiques          — 

470,        — 

181 

651 

—            —         libres                — 

171        — 

149 

321     97-2    1605 

—     municipales  publiques  de  Paris, 

433,        — 

3i 

465 

Total  . 

•       •       • 

2070 

Maîtres  spéciaux  et  auxiliaires. 

Cours  complémentaires  publics  de  garçons,      260,  de  filles,  109    36!) 

—  —  libres  —  10.  de  filles,  190    110      479 
Ecoles  supérieures  publiques               —              483,        —       226    709 

—  —         libres  —  220,        —        210    430    1139 

Total 1618 


(Rédaction.) 

* 

(2)  On  peut  voir  d'après  la  note  précédente  que  le  nombre  des  maitres  et 
maîtresses  des  écoles  municipales  de  la  ville  de  Paris  est  compris  dans  le 
total  de  3,688  maitres.. 

Le  nombre  des  élèves  des  écoles  municipales  de  Paris  est  également  com- 
pris daas  le  total  de  30,140.  Il  est  :  pour  les  écoles  de  garçons  de  4,056; 
pour  les  filles,  de  295.  —  Rédaction. 

(3]  Ce  chiffre  d)it  être  modifié.  En  effet,  la  statistique  a  éli^  faite  dans  le 
courant  de  Tannée  1883,  à  un  moment  où  le  crédit  des  bourses  n'était  que 
de  500,000  francs.  L'augmentation  de  274,000  francs  inscrite  dans  la  loi 
de  finances  du  29  décembre  1883  a  permis  d'élever  en  188i  à  1,580  le  nombre 
(les  bonrsieri  nationaux  dans  les  établissements  d'enseignement  primaire  supé- 
rieur. —  Rédaction. 


134  RfiVU£  PÉDAGOGIQUE 

/<*  Coun  publics. 

1867(1)  1882-83  <S} 

Laïques  (hommes).  .   .   .        21.126      i3i.6ll  2a.C34  377.376 

Uïques  (femmes).  .   .   .          3.4U        60.122  4.466  46.^72 

Congrégaaisles  (hommes)             8i7        52.680  636  32.699 

Congréganistcs  (femmes).          1.592       38.63(i  1.065  28.002 

Totaux.  .   .        27.009      586.055  29.791  484. 349- 


i*  Cours  libres. 

Laïques  (hommes)  ...  106         9.311 

Laïques  (femmes).  ...  111          3.621 

Congréganisles  (hommes)  54          3.435 

C^ongrégani' les  (femmes).  137         3.331 


126 

8.794 

66 

2.140 

65 

2.202 

33 

1.706 

Totaux.   .   .  408        19.098  290        i4.84i 


On  voit  que  pendant  que  le  nombre  des  cours  d'adultes  augmente, 
qu*il  va  du  chiffre  total  de  27,417  à  celui  de  30,081  (3) ,  le  nombre  des 
élèves  diminue,  descendant  du  chiffre  total  de  005,753  à  celui  de 
490,  iOl.  Maïs  ici  la  diminution  du  nombre  d'élèves  est  un  bon 
symptôme,  puisqu'elle  est  la  démonstration  catégorique  du  déve- 
loppement général  de  l'instruction  primaire,  qui,  à  mesure  qu'elle 

(1)  I>jns  la  série  des  documents  oUiciels  publiés  par  le  ministère  de  Tin- 
stmclion  publique,  les  chiffres  de  celte  première  partie  du  tableau  sont  donnés 
sous  la  dale  de  1876-1877.  —  Rédaction, 

(2'  Depuis  la  réorganisation  des  cours  d'adultes,  conformément  aux  pres- 
criptions de  l'arrêté  ministériel  du  4  avril  1882,  le  recensement  de  ces  cours 
et  des  élèves  qui  les  fréquentent  ne  se  fait  plus  de  la  même  mAJuère. 

Le  Résumé  des  états  de  situation  pour  i'année  scolaire  18'8t-tS83,  publié 
pur  le  ministère  de  l'instruction  publique,  le  présente  sous  la  forme  suivante, 
san^  diâtinctioD  entre  les  laïques  et  les  congiéganistes: 

Xoakrf  4fi  uin    Umïn  4  Vif  tes 


..    ,   ,.  .  |.      (  Hommes 2i.î30 

(.ours  daduUes  publics  j  p^^^^^ ^^^ 


410.375 

74.27f 


Totaux.   .   .    29.689  484.649 

r  ^  1.      ^'^.^     i  Homme? 191  10.986 

Cours    d  adultes  libres   <  p^^^^^ ^  3.846 

ToTALT.  .   .          290  14.H42 

Les  chitrres  réels  des  totaux  pour  les  cours  publics  sont  donc  diflRkeat»  de 
ceux  que  donne  le  rapport.  —  Rédaction. 

|3)  Il  faut  lire  âO,979  au  lieu  de  30,081,  à  cause  de  l'erreur  relevée  diaos 
la  note  précckionte.  —  Rédaction, 


LA   SITUATION   DE  L*ENSJUCNKME.NT   PIUVAIRE  135 

s'applique  à  un  plus  grand  nombre  d'enfants,  diminue  d'autant  le 
nombre  des  adultes,  qui,  ne  Payant  pas  reçue,  se  présentent  aux 
<^ours  institués  pour  eux. 

Bibliothèques  populaires  des  écoles  et  bibliothèques  pédagogiques.  — 
L'augmentation  du  nombre  des  bibliothèques  pédagogiques  est  un 
indice  certain  du  goût  de  l'étude,  du  progrès  des  éxoies.  En  1877, 
il  n'y  avait  que  19,i34  bibliotiièquos  populaires.  —  £n  1883,  on  en 
compte  28,8Îo,  renfermant  trois  millions  cent  soixante  mille  huit 
cent  vingt-trois  volumes,  et  2,500  bibliothèques  pédagogiques  ren- 
fermant 663,878  volumes. 

Caisses  des  écoles,  —  On  sait  que  la  loi  du  28  mars  1882  a  rendu 
obh'gatoire  pour  toutes  les  communes  l'établissement  d'une  caisse 
des  écoles.  —  Cette  prescription  de  la  loi  a  été  exécutée  déjà  dans 
un  grand  nombre  de  communes.  Pendant  le  courant  de  Tannée  1883, 
les  19,436  communes  chez  lesquelles  fonctionne  cette  institution 
ont  fait  face  à  4,254,176  francs  (1)  de  dépenses. 

Elévation  du  niveau  des  études.  —  L'élévation  du  niveau  des  études 
dans  les  écoles  primaires  peut  se  constater  par  le  nombre  croissant 
des  certificats  d'études  et  par  les  examens  pour  l'oblcnlion  des  bre 
vêts  élémentaires  et  des  brevets  supérieurs  de  capacité,  dont  Taug-. 
mentation  a  sans  doute  pour  cause  principale  la  loi  qui  a  rendu 
le  brevet  obligatoire  pour  l'enseignement  primaire,  mais  (jui,  pour 
un  nombre  de  jeunes  gens,  de  plus  en  plus  important,  deviennent 
comme  le  couronnement  des  études  prim.'»ires.  Les  deux  tableaux 
suivants  établissent,  à  ce  double  point  de  vue,  une  progression  assu- 
rément fort  intéressante  : 

1<»  Certificats  d'études  (2). 

1877  1882  1883 

_.    *1    .  Oit  élé  ainii.  .    ?     .         Onl  ^lé  idnis.       ,      **  ,^        Oui  i\^  iim\%. 

iM(  pi^9«it««.  sont  pi^sei.  s.  tant  p^^^eDlé$. 

38.277  20.2>-2i       134.439      o3.io6      161). OOi      60.115 

ll)Ce  chiffre  de  4,254,176  francs  n'est  pas  celui  des  d6|)eDse^î,  mais  celui  des 
recettes.  Voici  comment  se  soldent  Iç§^  opérations  des  caisses  des  écoles  p)en- 
dant  l'année   1883,  d'après  le  Résumé  des   états  de  situation  publié  par  1 
ministère  de  l'instruction  publique  : 

Eïereice  1883  j  ^'"'"^ ^'-    ^'^^M;^ 

j  Dépenses.   .  , 2.630.528 

Rbste  en  caisse  a  la  CLOTURE  de  l'exercice.  Ff.     1.623.648 


(Rédaction.) 
(2)  Les  document»  ofiicieU  doanent  les  chiffres  suivants  : 

iM7%  1882  t888 


55.566 


liais. 

F  1  f  wBirs , 

Haii. 

PrtNfil«9. 

k4m\t 

36.841 

134.439 

01.153 

160.006 

107.060 
,  Rédaction.) 

13G  RXVUK  PÉDAGOGIQUE 

2^  Brevets  élémentaires  et  supérieurs  de  capacité  (I). 

1877  1882  1883 

Ont  le  Mil  tal  SriMl  •■! 

ilé  adais        prvMilé»         éle«dai<  fttmmUs        Hé  aiai« 

Hrevels  élémentaires.        6.?)37    45.605    21.^16    56.064    26.!9t 
Hrevets  supérieurs.    .  93-2      7.761      2.704      8.737      3.338 

ToTAi'x 7.469    53^366    iTîiÔ    64.801     29.5iîl 

Nous  terminerons  cet  exposé  des  résultats  obtenus  par  le  déve- 
loppement de  l'enseignement  primaire  en  France,  par  Tindicalion 
des  progrès  constatés  dans  Tinstruction  des  conscrits  et  des  conjoints, 
en  comparant  la  moyenne  d'instruction  en  1881  avec  la  moyenne 
constatée  en  1870  : 

Instruction  des  conscrits  et  des  conjointe, 

CON«.  HlTa  SAtmNT   LIRK  KT   Kl.BIHK  «:0NJOI»iT>  iiAMiAM    LIKK    ET  SCBIHI':  (i 

1870  1882  1870  1882 

78.6  puur  100.     86.09  pour  KM».     68.9  pour  100.     79.7  pour  KMI. 

Charges  financières,  —  Mais  de  tels  résultats  n'ont  pas  été  obtenus, 
on  le  sait  assez,  sans  de  grands  sacrifices  d'argent.  11  n'est  pas 
sans  intérêt  de  s'en  rendre  compte  et  de  déterminer  approximative- 
ment les  sacrifices  qui  nous  restent  encore  à  faire  pour  la  réorga- 
nisation complète  de  notre  enseignement  primaire. 

Les  dépenses  faites  par  IKtat  peuvent  se  diviser  en  deux  parties 
distinctes  :  1°  celles  qui  proviennent  des  sommes  mises  à  lu  dispo- 
sition des  communes  pour  la  construction  de  leurs  maisons  d'école: 
:2"  celles  ([ui  constituent  des  dépenses  permanentes  annuelles.  Nous 


(1)  Les  chi Ares  exacts  sont  les 

suivants  : 

1877 

1882 

1883 

OdI 

Sr  Mit            tel 

8r  SMl           Oat 

t>:e  idffli» 

pr«(>atés      é[t  Um\% 

prfsfitrs       éie  a^ai^ 

llrevets  élémentaires 

.     9.625 

56.064    26.191 

45.610    21.156 

n revêts  siipérieui's 

.     1.447 

8.737      3.338 

7.761      2.704 

11.102 

<>%.801     20.529 

53.371    24.220 

(Rédaction. 

(2  Les  statistiques  publi'^es  par  leminislère  de  l'instruction  publique  disent  : 
"  Conscrits  s.icbantfl»/nioin5/t're»,  «•  Cnxïjoïnis  ayant  signé  leur  acte  de  mariage». 

Les  chillres  publiés  sous  ces  titres  par  le  ministère  de  linstruciion  publique 
sur  le  (Je^Té  a  instruction  des  conscrits  et  des  conjoints  sont  les  suivants  : 

Conscrits  sachant  au  moins  lire.    Conjoints  ayant  signé  leur  acte  de  mariage. 

1871  1882  1870  1881 

83  pour  100  86.0  pour  100  CWl'H  pour  1(K»  86  pour  lOrt 

[Rédaction. 


LA   SITUATION    DE   l'kNSEIGNEMENT   PKIMAIKE  137 

parlerons  des  premières  dans  un  chapitre  spécial  relatif  à  la  caisse 
des  écoles.  Pour  les  autres  la  prop^ression  suivante,  i{uï  fait  connaître 
l*»î5  sommes  successivement  alTectées  par  TKtat  au  service  do  l'ensei- 
gnement primaire,  en  donnera  une  idée  suffisante  : 

Budget  de  VÉtat  pour  le  service  de  l'enseignement  primaire. 

1870      1875       1880       1882       1883       1885 

S.75i.7O0    iO.?>4-2.GOo   -28.383.i5i   &LUOmi\   8i.-23o.5lt)  l)7.i80.40o 

Maïs,  si  nous  nous  bornions  à  citer  ces  chilïres,  nous  ne  donne- 
rions qu'une  idée  fort  insuffisante  des  sommes  quo  le  pays  consacre, 
chaque  année,  aux  dépenses  de  renseignement  primaire.  Il  faut  y 
«jouter  celles  qui  sont  fournies  par  les  départements,  les  communes, 
les  familles  et  par  de  généreux  donateurs. 

Avant  la  loi  du  itj  juin  1881,  établissant  la  gratuité  de  renseigne- 
ment primaire,  les  ressources  qui  lui  étaient  affectées  se  composaient 
de  ;  !<»  les  dons  et  legs;  2<»  la  rétribution  .«scolaire  payée  par  les 
familles;  3®  les  contributions  de  la  commune;  4<»  les  subsides  dépar- 
tementaux ;  5®  les  subventions  de  l'Éfat. 

Depuis  la  loi  du  1(5  juin  1881,  qui  a  supprimé  la  rélribulion  srolairo, 
ces  ressources  se  composent  de  :  1®  les  dons  et  legs:  2"  la  valeur 
des  quatre  centimes  additionnels  votés  par  le.s  communes:  3<>  le  cin- 
quième de  certains  revenus  ordinaires  des  communes,  diminué  d'une 
subvention  de  ii  millions  volée  chaque  année  tu  budget,  pourdéifre- 
ver  les  communes  de  tout  ou  partie  de  cette  contribution;  4*»  des 
subventions  de  TÉtat  et  des  sommes  que  TKtat  emploie  directement. 

Cela  étant,  nous  pouvons  comparer  les  dépenses  de  renseignement 
primaire  en  1870  et  en  188i  avec  une  suffisante  approximation  : 

Dépenses  de  renseignement  primaire  : 

1870 

Dons  et  legs Fr.  1,000,000 

Contribution  des  communes 17,127,i43 

Contribution  des  familles  (rétribution  scolaire),  .   .    .  19,169,476 

Contribution  des  départements 4,9i4,3i9 

Contribution  de  l'État 8,751,700 

Total..     50.992,(>3S 

1884  """ 

bons  et  legs Fr.  668,000 

Contribution  des  communes 26,887,283 

Contribution  des  départements 11,992,700 

Contribution  de  TÉtat 94.258,r)!5 

Dépenses  effectuées  par  les  caisses  spéciales  des  éco- 
les dans  chaque  commune,  environ 4,500,000 

Total.  .     141,306,498 


138  il£VU£   PÂDAGOGIÛUE 

Ainsi,  les  dépenses  de  l'enseignement  primaire  public  en  France 
se  sont  élevées  graduellement,  de  1870  à  i884,  de  50,992,638  francs 
à  141,306,498  francs,  soit  une  augmentalion  totale  de  QUATaE-viwGT- 

DIX  MILLIONS  TROIS  CKNT   TJIEIZE  MILLE    HUIT    CENT  SOIXANTE    FRANCS.    11 

est  même  certain  que  ce  chiffre  est  encore  au-dessous  de  la  réalité, 
car  il  ne  comprend  pas  une  foule  de  dépenses  pour  suppléments  de 
traitements,  cours  spéciaux,  etc.,  etc.,  faites  par  les  communes  et 
notamment  par  certaines  grandes  villes. 

Mais  les  sommes  que  nous  venons  d'indiquer  ne  représentent  que 
les  dépenses  de  l'enseignement  primaire  public.  Pour  avoir  la  somme 
approximativement  exacte  de  ce  qui  est  dépensé  en  France  pour 
renseignement  primaire,  il  faudrait  donc  y  ajouter  le  chiffre  repré- 
sentant les  dépenses  de  l'enseignement  primaire  libre.  11  est  assuré- 
ment fort  difficile  d'établir  les  bases  d'un  semblable  calcul.  Cependant 
nous  croyons  qu'en  établissant  entre  les  dépenses  de  l'enseignement 
primaire  public  et  celles  de  l'enseignement  primaire  libre  une  pro- 
portion basée  sur  celle  du  nombre  des  élèves  dépendant  de  Tun  ou 
de  l'autre  enseignement,  on  arriverait  à  établir  des  chiffres  se  rap- 
prochant sensiblement  de  la  vérité.  Comme  on  l'a  vu,  en  i870,  le 
nombre  des  élèves  de  l'enseignement  primaire  libre  représentait 
environ  le  cinquième  du  nombre  total  des  enfants  recevant  en  France 
l'enseignement  primaire  et,  en  i883,  ce  nombre  n'en  formait  plus 
que  environ  le  sixième.  Dès  lors,  en  ajoutant,  pour  1870,  le  cin- 
quième et,  en  1884,  le  sixième  de  la  dépense  de  renseignefnent  public 
aux  chiffres  que  nous  avons  donnés,  nous  arriverons  à  établir  que 
les  dépenses  générales  de  l'enseignement  primaire  public  et  libre  sont 
représentées  par  les  chiffres  suivants  : 

1570 

Dépenses  de  l'enseignement  public Fr.    50,992,(KW 

Dépenses  de  l'enseignement  libre iO,19S.5i7 

Total..    01,i91,t()o 

1884 

Dépenses  de  l'enseignement  public Fr.    141,306,  i98 

Dépenses  de  1  enseignement  libre  . 23,551,083 

Total..     164,857,581 

La  dépense  totale  de  l'exercice  1881  serait  donc  approximativement 
de  164,857,581  francs,  au  lieu  de  01,191,165  francs  en  1870,  soit 
une  augmentation  totale  de  cent  trois  millions  six  cent  soixante-six 

MILLE  quatre  CENT  SEIZE  FRANCS. 

Les  dépenses  de  l'enseignement  primaire  étant  connues,  nous 
avons  cherché  à  établir  la  moyenne  de  ce  que  coûtait  en  France, 
chaque  année,  l'éducation  d'un  enfant  de  Técole  primaire,  aux  deux 
époques  de  1870  et  1881.  En  1870,  cette  moyenne  était  de  12  fr.  36  c; 
elle  est  montée  à  26  fr.  70  c.  en  1S84. 


LK   SITUATION   DK  l'£NSB1«NEM£NT   PRIMAIRE  139 

Gependank,  pour  si  considérables  qu'aient  été  jusqu'à  ce  jour  les 
sacrifices  de  l'État,  des  départements  et  des  communes,  pour  le 
senrioe  de  renseignement  primaire  public,  personne  ne  saurait 
soateiiir  que  nous  sommes  arrivés  au  terme.  Nous  disions  plus  haut 
qoe,  pour  achever  la  réorganisation  de  l'instruction  publique  en 
France,  TÉtat  devrait  inscrire  au  budget  ordinaire,  en  une  période 
d'annéea  indétennioée,  des  suppléments  de  crédits  s'élevant  à  plus 
de  100  millions,  sans  compter,  bien  entendu,  les  dépenses  extra- 
or^naires  de  constructions.  Peut-être  sommes-nous  resté  furt  au* 
dessous  de  la  vérité,  en  indiquant  ce  chiflre.  En  effet,  si  \&n  consi- 
dère seulement  le  service  de  l'enseignement  primaire,  il  paraît 
établi  que  Tapplication  régulière  des  lois  en  vigueur  ou  en  prépa- 
ration, et  parmi  ces  dernières  la  loi  relative  au  traitement  de» 
instituteurs  et  des  inslitulrices,  conduirait  a  des  augmentations  de 
crédits  s'élevant  à  près  de  130  millions,  en  se  plaçant  dans  Tliypo- 
thèse  la  plus  favorable,  en  se  basant  sur  les  projets  les  plus  réduits  (1). 

Les  lois  sur  la  gratuité  et  Tobligation  sont  loin  d'avoir  produit 
déjà  tous  leurs  effels,  au  point  de  vue  financier.  Toutes  les  écoles 
nécessaires  n'existent  pas  encore.  Le  nombre  des  instituteurs  et 
instituiffices  est  insuffisanL  Tous  les  enfants  ayant  Tàge  scolaire  ne 
reçoivent  pas  encore  l'enseignement  primaire.  11  faudra  créer  près 
de  trente  mille  postes  d'instiluteurs  ou  institutrices.  Toutes  les 
écoles  normales,  rendues  obligatoirea  pour  les  départements  par  la 
loi  de  1879^  ne  sont  pas  encore  créées  ou  installées.  Les  caisses  des 
écoles,  obligatoires  aussi  pour  les  communes  depuis  la  loi  de  1882 
et  pouc  le»4uelles  l'État  doit  des  subventions,  n'existent  pas  partout. 
Enûn,  il  y  a  lieu,  de  prévoir  une  augmentation  dans  Le  montant  des 
annuités  à  foarnir  par  l'État  pour  le  service  de  la  caisse  instituée 
pour  la  construction  des  maisons  d'école.  On  a  calculé  que  les 
augmentations  de  crédits  résultant  de  cette  série  de  mesures  attein- 
dj»ieat,  dans  un  délai  relativemenit  très  rapproché,,  la  somme  de 
ci 48.026.400 

D'autre  part,  l'application  du  projet  de  loi  sur  l'orga- 
nisation de  l'enseignement  primaire  et  la  nomination 
et  le  traitement  des  instituteurs  et  institutrices,  con- 
duira, à  supposer  que  le  projet  primitif  soit  trèsrestreint, 
aune  dépense  supplémentaire  de,  ci.   .......  .    81.060.500 

On  a  donc,  comme  total  des  augmentations  de  crédits,  121). 0112. 1>60 
Cent  vingt-neuf  millions  quatre-mngtniouze  mille  neuf 
cents  ffxmcs. 

Et  si  ce  dernier  projet  était  voté  tel  qu'il  a  été  primi- 
tivement proposé,  il  faudrait  ajouter  encore ,  ci.   .   .   .     36.657.500 

ToUl i65.7oO.400 


(1)  Voir  le  n<  2629,  annexe  au  procès- verbal  de  la  séance  du  14  févriâc  1884, 


140  REVUS   PÉDAGOGIQUE 

Ce  sont  là  des  chifTres  qu'il  importe  de  connaître  el  de  replacer 
sans  cesse  sous  vos  yeux.  Sans  doute,  il  ne  s*agit  pas  d*ane  aug- 
mentation de  dépenses  immédiate.  Mais,  chaque  année,  les  pouvoirs 
publics  seront  sollicités  par  les  nécessités  du  service  d'accroître  les 
charges  du  budget.  Déjà,  cette  année  même,  il  a  été  reconnu  néces- 
saire d'aggraver  les  charges  pour  l'amélioration  du  traitement  des 
instituteurs  et  institutrices.  Il  est  donc  indispensable  d'y  réfléchir 
e*:  do  se  demander  par  quels  moyens  il  sera  possible  de  faire  face  à 
de  telles  augmentations  do  dépenses;  s'il  convient  que  l'État  continue 
à  en  supporter  seul  le  poids,  ou  si,  au  contraire,  il  n'y  aurait  pas 
intérêt  pour  tous  à  y  faire  participer  d'autres  collectivités,  dans  une 
juste  proportion.  Nous  croyons  qu'il  est  temps  de  mettre  à  l'étudo 
une  pareille  question. 

Comptabilité  des  dépenses  de  renseignement  primaire.  —  Après  avoir 
énuméré  les  sommes  mises  à  la  disposition  du  service  de  l'enseigne- 
ment primaire,  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  dire  un  mot  de  la 
manière  dont  elles  sont  réparties,  d'autant  qu'on  a  très  vivement 
critiqué,  et  peut-être  non  sans  raison,  l'emploi  qui  en  est  fait.  11  y 
a  donc  lieu  d'appeler  sur  ce  point  l'attention  du  gouvernement. 

Au  point  de  vue  de  la  comptabilité,  la  part  de  l'Etat  dans  les 
dépenses  de  l'enseignement  primaire  se  divise  en  deux  catégories  bien 
distinctes  :  l»  celles  que  le  ministère  de  l'instruction  publique  ordon- 
nance directement,  comme  les  frais  d'inspection,  des  écoles  normales, 
ceux  de  matériel  scientifique,  des  bibliothèques,  les  secours,  etc.  : 
^  celles  qui  consistent  en  subventions  allouées  aux  communes 
pour  l'entretien  de  leurs  écoles.  Ces  dernières  font  l'objet  d'ordonnances 
de  délégation  au  profit  des  préfets,  qui  restent  chargés  d'en  elTecluer 
la  répartition  entre  les  communes  sur  les  bases  indiquées  par  la  loi. 

La  grande  différence  entre  ces  deux  catégories  de  dépenses,  c'est 
que  pour  les  premières,  celles  qu'il  ordonnance  directement,  le  mi- 
nistère de  l'instruction  publique  procède  dans  ses  bureaux  à  des 
vérifications  toujours  préalables  à  la  dépense,  tandis  que  pour  les 
autres,  dans  l'organisation  actuelle,  l'intervention  du  ministère  est 
toujours  postérieure  à  la  dépense. 

Or,  pour  toutes  les  dépenses  que  le  ministère  ordonnance  directe- 
ment ou  qui  sont  l'objet  d'un  contrôle  préalable,  aucune  critique  n'a 
jamais  été  faite.  H  en  est  ainsi  pour  toutes  les  dépenses  de  l'ensei- 
gnement supérieur,  de  l'enseignement  secondaire  et  pour  une  partie 
de  celles  de  l'enseignement  primaire.  La  comptabilité  des  dépenses 


Avii  de  Ifl  Commission  du  budget  sur  le  projet  de  loi  relatif  à  rorganisation 
de  renseignement  primaire,  par  M.  Jules  Roche.        (Note  du  rapporteur;. 

Ce  document  se  trouve  à  la  page  153  du  volume  contenant  les  délMits  sur  ce 
projet  de  loi  à  la  Chambre,  publi*'  par  la  Hevue  pédagogique  en  1884.  — 
Rédaction. 


LA    SITUATION    DE   L'EMSËlGiNEMKiN T    PHIMAIRE  141 

des  grands  établissements  scientitiques,  des  facultés,  des  lycées,  des 
collèges,  des  écoles  normales,  offre,  par  la,  plus  de  régularité  et  de 
clarté,  et  rend  ses  justifications  plus  correctes. 

11  n'en  est  pas  de  même,  il  faut  bien  le  dire,  pour  les  dépenses 
des  écoles  primaires  supérieures,  des  écoles  primaires  élémentaires, 
des  écoles  maternelles,  etc.,  etc.,  dans  lesquelles  la  paît  contributive 
de  TEtat  reprécsente  la  plus  grande  partie  du  budget  de  renseigne- 
ment primaire,  puisque,  dans  le  budget  qui  vous  est  soumis  pour 
l'exercice  1885,  elle  se  rapproche  sensiblement  de  80  millions.  On  a 
signalé  souvent  des  erreurs  et  des  abus,  se  traduisant  en  des  excé- 
dents de  dépenses  qui  grèvent  indûment  le  budget  de  TEtat,  ou  qui, 
clans  tous  les  cas,  pourraient  recevoir,  dans  le  service  même  de  ren- 
seignement primaire,  un  emploi  plus  utile  et  mieux  justifié. 

Votre  Commission  a  pensé  qu'il  était  nécessaire  de  vous  soumettre 
le  résultât  de  ses  investigations.  Hàtons-nous  de  dire  que  le  zèle  et 
la  bonne  foi  des  bureaux  du  ministère  est  au-dessus  de  toute  alleinte 
et  qu'ils  n'ont  pas  cessé  de  faire  preuve  de  la  plus  louable  énergie 
pour  lutter  contre  les  demandes  exagérées  dont  le  budget  de  Tin- 
struclion  publique  est  l'objet.  Toutes  les  erreurs  commises,  tous  les 
abus  signalés  proviennent  d*une  insuffisance  absolue  de  contiùle,  au 
moment  où  on  procède  à  rétablissement  des  budgets  scolaires  dans 
chaque  commune.  Le  profit  en  revient  à  un  certain  nombre  de  com- 
munes^ qui  mettent  tout  en  œuvre  pour  se  décharger,  le  plus  pos- 
sible, des  dépenses  scolaires  qui  leur  incombent.  Elles  n'aperçoivent 
pas  qu'en  agissant  ainsi,  elles  préjudicient  gravement  à  un  plus  grand 
nombre  d'autres  qui,  faute  des  ressources  que  TEtat  ne  pourrait  mettre 
à  leur  disposition  qu'en  grossissant  outre  mesure  les  charges  déjà  si 
lourdes  du  budget,  manquent  souvent  encore  d'écoles  et  de  maîtres. 

Il  est  facile  de  se  rendre  compte  des  résultats  de  ce  système. 

En  principe,  rentrelien  des  écoles  primaires  publiques  est  à  la 
charge  des  communes.  L'Etat  n'intervient  qu'après  épuisement  de 
leurs  ressources,  pour  parer  à  leur  in;ufïiî>ance  et  pour  le  paiement 
des  dépenses  obligatoires  seulement. 

Les  communes  sont  tenues  d'entretenir  des  écoles  publiques  de  gar- 
çons et  de  filles,  et  celles  de  moins  de  500  habitants,  des  écoles 
mixtes.  Elles  peuvent  être  autorisées  à  créer  dos  écoles  prima  rcs 
supérieures,  des  écoles  manuelles  d'apprentissage,  des  écoles  de 
hameau,  des  écoles  maternelles  et  des  écoles  enfantines,  et  celles  de 
plus  de  iOO  habilauls,  des  écoles  de  filles. 

Les  dépenses  obligatoires  pour  les  communes,  dans  ces  divers  éta- 
blissements, sont:  1°  le  traitement  des  instituteurs  et  institutrices; 
^  les  loyers  de  maisons  d'école,  quand  elles  n'en  sont  pas  proprié- 
taires. (Art.  37  de  la  loi  du  15  mars  1850.) 

Aux  termes  des  dispositions  combinées  des  lois  du  15  mars  1850 
et  du  16  juin  1881,  les  ressources  (jue  les  communes  doivent  affecter 
à  ces  dépenses  sont  : 


149  RBVCE  PÉDAGOGIQUE 

1«  Quatre  centimes  additionnels  au  principal  des  quatre  ccmtribn- 
lions  directes,  ou  une  somme  égale  au  produit  de  ces  centimes,  pré- 
levée soit  sur  les  dons  et  legs  qui  peuvent  leur  être  fails  pour 
rentretîen  de  leurs  écoles,  soit  sur  des  res9(mrces  ordinaires  on  extra- 
ordinaires ; 

2<>  Les  dons  el  legs  on  leur  excédent  suivant  les  cas; 

3**  Dans  les  communes  où  le  centime  produit  plus  de  26  francs, 
le  cinquième  des  revenus  ordinaires  énumérés  en  l'article  3  de  la 
loi  du  16  juin  1881.  Toutefois,  depuis  la  loi  de  finances  de  iS8!,  les 
Chambres  votent,  chaque  année,  un  crédit  de  14  millions  destiné  à 
allé^'er  de  ce  chef  les  charges  municipales  résultant  de  la  gratuité 
dos  écoles,  de  telle  sorte  que  le  prélèvement  du  cinquième  des  reve- 
nus est  diminué  de  la  somme  que  la  commune  reçoit  dans  la 
répartition  de  ce  crédit.  Mais  il  importe  de  remarquer  que,  ce  cré- 
dit ne  s'appliquant  qu'aux  charges  de  la  gratuité,  la  dépense  résul- 
tant de  la  location  des  maisons  d'école,  quand  les  connmunes  n  en 
sont  pas  propriétaires,  doit  ôtre  payée,  à  due  concurrence,  sur  le 
cinquième  des  revenus  des  communes. 

L'Etat  n'intorvient  que  quand  toutes  les  ressources  sont  insuffi- 
santes pour  faire  face  aux  dépenses  obligatoires.  L'article  5  de  la  loi 
du  16  juin  1881  décide  que,  dans  ce  cas,  la  différence  sera  couverte 
par  uno  subvention  de  l'Etat. 

Telles  sont  les  bases  précises  sur  lesquelles  le  budget  «scolaire  de  cha- 
que conmame  doit  ("^tre  établi.  A  première  vue,  le  compte  des  dépenses 
obligatoires  paraît  facile  à  faire,  puisqu'il  ne  doit  comprendre  que 
deux  articles  au  plus,  un  seul  dans  la  plupart  des  cas  :  le  traitement 
des  instituteurs  et  des  institutrices,  et  le  loyer  des  malsons  d'école, 
mais  au  cas  seulement  où  la  commune  n'est  pas  propriétaire. 

Cependant,  ce  sont  là  des  points  qui  soulèvent  fréquemment  des 
contestalions  et  donnent  lieu  à  des  erreurs,  qui  sont  la  cause  de 
dépenses  indûment  mises  à  la  charge  de  l'Etat.  On  réclame  des  trai- 
tements, qui  ne  sont  pas  ceux  auxquels  ces  instituteurs  ont  droit, 
ou  augmentés  de  suppléments  volés  par  les  conseils  municipaux 
et  qui  sont  à  la  charge  exclusive  de  la  commune.  Dans  certains 
budgets,  on  porte  en  dépense  les  traitements  de  professeurs  parti- 
culiers de  dessin,  de  musique,  de  gymnastique,  qui,  ne  représentant 
pas  de>  dépenses  obligatoires,  ne  sauraient  être  payés  par  l'Etat.  En 
ce  qui  concerne  les  loyers  de  maisons  d'école,  on  a  vu,  paraît-îl, 
des  communes  réclamer  le  concours  de  l'Etat  pour  la  location  de 
maisons  dont  elles  sont  propriétaires,  ou  qui  tout  au  moins  sont 
employées  à  des  usages  qui  ne  se  rapportent  que  fort  indirectement 
au  serNice  scolaire. 

La  fixation  des  ressources  que  les  communes  doivent  consaicrer  entiè- 
rement aux  dépenses  des  écoles  soulève  des  contestations  analogues. 

La  valeur  des  quatre  centimes  additionnels  est  facilement  établie. 
Mais  il  n'en  est  pas  de  même  du  produit  des  dons  et  1^^  que  les 


LA    SITUATION   DE    l'EN^^EICNEMENT    PRIMAIRE  143 

communes  ont  reçus  ou  reçoivetit  pour  Tentretien  de  leurs  éceles. 
Il  y  a  urgence  de  procéder  à  des  vérifications  rigoureuses.  En  4880, 
les  dons  et  legs  figuraient  dans  les  statistiques  pour  un  revenu 
annuel  de  plus  d'un  million  ;  ils  n'y  figurent  plus  Tnaintenant  que 
pour  six  cent  soixante-huit  mille  francs.  La  cause  principale,  mais 
non  pas  unique,  en  est  dans  une  fausse  application  de  la  loi  du  10 
juin  4881.  L'article  'i  de  cette  loi  dispose  que  «  les  communes 
auront  la  faculté  de  s'exonérer  de  tout  ou  partie  des  quatre  centimes 
obligatoires,  en  inscrivant  au  budget,  avec  la  même  deslinalioo,  une 
somme  égale  au  produit  des  centimes,  somme  qui  pourra  être  prise 
soit  9ur  le  revenu  des  dons  et  legs,  soit  sur  une  portion  quelconque  de 
leurs  ressources  ordinaires  ou  extraordinaires  ».  On  est  allé  jusqu'à 
conclure  de  là  que  l'excédent  du  revenu  des  dons  et  legs  sur  la 
valeur  des  quatre  centimes  devenait  libre  entre  les  mains  des  com- 
munes, tandis  qu'il  est  manifeste  qu'il  doit  servir  à  faire  face  aux 
dépenses  scolaires  obligatoires. 

En  ce  qui  concerne  le  cinquième  des  revenus  ordinaires,  depuis 
la  loi  de  finances  de  1881,  qui  a  volé  un  crédit  de  14  millions  pour 
alléger  les  charges  résultant  pour  les  communes  de  la  gratuité  des 
écoles,  beaucoup  de  communes  ont  émis  la  prétention  de  ne  consa- 
crer aucune  partie  de  leurs  revenus  ordinaires  aux  dépenses  scolaires 
obligatoires.  C'est  là  une  préleolion  évidemment  insoutenable.  Dans 
la  lettre  comme  dans  l'esprit  de  la  loi  de  finances  de  1881,  il  ne 
s'agit  pas  de  supprimer  totalement  le  prélèvement  du  cinquième, 
mais  seulement  d'en  alléger  la  charge,  en  fournissant  aux  communes 
une  subvention  spéciale,  égale  à  la  part  proportionnelle  à  laquelle 
elles  ont  droit  dans  la  répartition  de  ce  crédit.  Cependant,  on  n'a 
pas  toujours  su  résister  à  une  telle  prétention,  et  le  crédit  de  li  mil- 
lions a  été  augmenté  plusieurs  fois  pour  donner  satisfaction  à  cette 
partie  des  réclamations  des  communes.  Mais  quelques-unes  vont 
plus  loin  encore.  Malgré  la  destination  très  précise  et  très  spéciale 
de  ce  crédit,  qui  s'applique  exclusivement  à  la  gratuité  scolaire,  elles 
refusent  de  prélever  sur  le  produit  du  cinquième  de  leurs  revenus 
ordinaires  aucune  somme  pour  payer  les  prix  de  location  de  leurs 
malsons  d'école.  La  loi  de  1881  ne  peut  pourtant  laisser  aucun  doute 
à  cet  égard.  Quand  les  ressources  provenant  des  centimes  addition- 
nels, des  dons  et  legs  ou  de  leur  excédent,  de  la  pai-t  afférente  à  la 
commune  dans  le  crédit  de  14  millions  dont  nous  venons  de  parler 
et  enfin  du  cinquième  des  revenus  ordinaires  diminué  de  cette  part, 
ne  suffisent  pas  pour  couvrir  à  la  fois  la  gratuité  scolaire  et  le  loyer 
des  maisons  d'école,  les  sommes  nécessaires  pour  payer  celui-ci 
doivent  être  prises  sur  le  produit  du  cinquième  des  revenus  ordi- 
naires. C'est  seulement  dans  le  cas  d'insuffisance  du  cinquième  des 
revenus  ordinaires  que  l'Etat  doit  intervenir  poui*  parfaire  la  diffé- 
rence. Cependant,  le  plus  souvent,  la  totalité  du  loyer  est  imputéit 
sur  le  budget  de  Tinstruction  publique. 


144  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

Nous  nous  sommes  demandé  comment  de  telles  interprétalions 
avaient  pu  prévaloir,  comment  de  semblables  abus  avaient  pu  per- 
^iste^.  Ce  sont  les  préfets,  de  concert  avec  les  inspecteurs  d'acadé- 
mie, qui  règlent  et  approuvent  les  budgets  scolaires.  Or,  il  est 
indubitable  (|ue,  dans  la  pratique,  ils  se  sont  montrés  très  favo- 
rables aux  exigences  des  communes.  Les  sommes  nécessaires  pour 
faire  face  à  toutes  les  dépenses,  telles  qu'ils  les  approuvent,  sont 
mises  à  leur  disposition.  Quand  Texercice  est  clos,  les  comptes  sont 
envoyés  au  ministère  de  Tinstruclion  publique,  qui  procède  à  des 
vérifications.  Mais  il  est  trop  tard.  Quand  des  erreurs  ou  des  abus 
sont  relevés  et  signalés,  on  répond  qu'il  est  impossible  de  rien 
réclamer  aux  communes,  parce  que  les  exercices  sont  clos,  les 
comptes  de  gestion  approuvés;  que  les  communes  n*ont  pas  de  res- 
sources disponibles;  qu'on  jetterait  la  perturbation  et  le  désordre 
dans  leurs  finances,  si  on  les  contraignait  à  rembourser  les  sommes 
dont  elles  ont  indûment  profité.  El  les  abus  se  perpétuent  et  l'Etat 
continue  do  payer  ! 

Il  est  difficile  d'apprécier,  même  très  approximativement,  les 
sommes  qui,  chaque  année,  sont  ainsi  payées  indûment  par  le 
budget  du  ministère  de  l'instruclion  publique.  Nous  avons  déjà  parlé 
de  la  différence  constatée  dans  les  revenus  des  dons  et  legs.  En 
une  seule  année,  on  a  relevé  au  ministère  de  l'instruction  publique 
une  somme  i^upérieure  à  100,000  francs,  réclamée  sans  droit  par 
un  certain  nombre  de  communes  pour  la  location  de  leurs  maisons 
d'école.  Mais  en  ce  qui  concerne  le  traitement  des  instituteurs,  les 
suppléments  de  traitement,  la  foule  des  dépenses  accessoires  et 
facultatives  aux(iuelles  nous  avons  fait  allusion,  les  documents 
manquent  le  plus  souvent  au  ministère  de  Tinstruction  publique 
pour  procéder  à  des  vérifications  rigoureuses. 

Il  est  indispensable  de  mettre  un  terme  a  une  telle  situation,  en 
organisant  un  contnMe  plus  otïicace.  C'est  pourquoi  votre  Commis- 
sion appelle  sur  ce  point  toute  la  vigilance  de  M.  le  ministre  de 
l'instruction  publique.  Nous  ne  saurions  trop  le  répéter,  de  telles 
pratiques  ne  profilent  à  quelques-uns  qu'au  détriment  de  l'intérêt 
général  et  des  progrès  de  renseignement  primaire.  Le  service  de 
l'enseignement  primaire  ne  peut  pas  faire  davantage.  Si  des  écoles 
manquent  encore,  dans  bien  des  localités  où  elles  seraient  nécessaires, 
la  raison  en  est  bien  plus,  peut-être,  dans  les  causes  que  nous 
venons  de  signaler  que  dans  l'insuffisance  des  ressources  mises  par 
vous  à  la  disposition  de  l'administration.  Ce  sont  i,000,  5,000,  0,000 
écoles  de  plus  qui  seraient  ouvertes  sur  le  territoire  de  la  Républi- 
que, si  l'on  évalue  seulement  à  4  ou  o  ou  G  millions  les  sommes 
que,  chaque  année,  l'État  paie  ainsi  indûment  à  un  certain  nombre 
de  communes! 

Antonin  Dubost. 


DIRECTEURS  ET  ADJOINTS 

(note  d'inspection.) 


Ne  restez  pas  toujours  entériné  dans  votre  propre  salle.  Le 
directeur  d'une  école  doit  connaître  par  le  détail  toutes  les  classes, 
tous  ses  élèves.  Vous  vous  plaignez  d'ailleurs  de  ne  pouvoir 
assez  suivre  et  contrôler  vos  trois  collaborateurs. 

Donnez  une  leçon  au  moins  chaque  jour,  à  heure  fixe,  à  une 
autre  classe,  de  manière  à  passer  deux  heures  par  semaine  dans 
chacune  des  autres  salles,  et  confiez  pendant  ce  temps  votre 
classe  à  celui  de  vos  instituteurs-adjoints  dont  vous  prenez  la 
place.  Chargez  l'un  de  la  géographie  ou  de  l'histoire  au  cours 
supérieur;  l'autre,  de  l'écriture  ou  du  dessin;  le  troisième  du 
calcul  ou  de  la  géométrie  ou  de  telles  autres  matières,  en  tirant 
parti  de  leurs  aptitudes  spéciales.  Cet  enseignement  donné  à  la 
première  classe  les  relèvera  aux  yeux  des  parents  et  des  grands 
élèves,  qui  souvent  considèrent  les  instituteur.s-adjoints  comme 
des  sortes  de  moniteurs.  Vos  adjoints  auront  la  satisfaction 
de  faire  la  classe  au  cours  supérieur,  de  voir  ce  que  Ion  peut 
demandera  cette  première  section  dans  une  bonne  école,  au  lieu 
de  rester  confinés  dans  leur  cours  élémentaire,  jusqu'à  ce  que 
l'administration  les  appelle  au  titulariat. 

Quant  à  vous,  directeur,  vous  verrez,  mieux  que  par  une 
visite  rapide,  comment  vos  adjoints  donnent  leur  enseignement 
et  dirigent  leur  classe,  s'ils  sont  trop  vifs  ou  s'ils  s'attardent, 
s'ils  se  sont  pénétrés  des  recommandations  de  l'organisation 
pédagogique,  si  leurs  leçons  sont  bien  préparées  et  méthodi- 
quement graduées,  si  les  cahiers  sont  tenus  avec  soin  et  régu- 
lièrement revus  et  corrigés.  Vous  apprendrez  à  connaître  les 
élèves. 

En  prenant  vous-même  périodiquement  la  direction  de  ces 
classes,  considérées  souvent  comme  secondaires,  vous  montrerez 
en  outre  quelle  importance  vous  attachez  à  l'enseignement  élé- 
mentaire ;  et  les  parents  sauront  gré  au  directeur  de  l'école  de 
s'occuper  avec  la  même  sollicitude  des  petits  et  des  grands. 

ABTUl  FiDAOOGIQUI  1885.  —  I**"  SBM.  10 


146  REVUE    PÉDAGOGIQUE 


* 


Voici  bien  le  type  de  Técole  urbaine,  l'école  à  six  classes  que 
nous  devrions  rencontrer  dans  toutes  les  villes. 

Commençons  par  la  dernière  classe  du  cours  élémentaire,  la 
sixième  :  c'est  la  plus  intéressante  de  toutes.  Il  faudrait  la  con- 
fier au  meilleur  instituteur-adjoint  de  Técole,  et  non  à  ce  débu- 
tant encore  inexpérimenté.  Ce  maître  ne  sait  pas  donner  de 
Tattrait  à  son  enseignement  de  la  lecture,  de  récriture,  de 
l'orthographe,  qu'il  faut  faire  marcher  de  front  et  rattacher 
aux  leçons  de  choses  ;  il  ne  fait  pas  voir,  toucher  du  doigt, 
manier  les  poids  et  mesures  ;  il  fait  une  place  beaucoup  trop 
petite  au  calcul  mental.  Les  élèves  répètent  que  le  nord  est  en 
haut,  le  sud  en  bas,  et  ne  savent  trouver  les  points  cardinaux, 
parce  que  le  maître  n'a  pas  songé  à  coucher  la  carte  sur  le  plan- 
cher en  l'orientant  pour  faire  trouver  aux  enfants  la  véritable 
direction  de  l'est,  de  l'ouest;  et  ainsi  des  autres  matières. 

Vos  élèves  sont  mal  commencés^  et  je  ne  suis  pas  surpris 
d'apprendre  que  les  autres  classes  s'en  ressentent.  C'est  que  cette 
petite  classe  exige  de  la  part  du  maître  des  qualités  toutes  parti- 
culières :  de  l'activité,  une  humeur  égale,  une  parfaite  connais- 
sance du  caractère  de  l'enfant,  et  surtout  l'amour  de  ses  fonc- 
tions. Il  faut  Savoir  occuper  et  intéresser  ces  petits  élèves  remuants 
et  mobiles,  leur  rendre  le  travail  atti'ayant,  les  habituer  à  la 
règle,  obtenir  d'eux  un  petit  effort  personnel  proportionné  à 
leur  âge  pour  apprendre  une  leçon,  pour  faire  un  devoir. 

La  tâche  de  l'instituteur-adjoint  chargé  du  cours  élémentaire 
est  plus  délicate,  plus  difficile  que  celle  des  autres.  Pourquoi  ne 
pas  reconnaître  ses  efforts  et  son  savoir-faire,  s'il  réussit,  par  une 
rémunération  plus  élevée  ?  Cela  se  fait  dans  l'un  des  arrondis- 
sements de  Paris,  où  la  caisse  des  écoles  alloue  des  gratifi- 
cations de  cent  francs  alix  meilleurs  maîtres  et  maîtresses  des 
petites  classes.  G.  J. 


DE  L'INSTRUCTION  DE  LA  FEMME 

A    LA    CAMPAGNE 


Urne  Caroline  de  Barrau  vient  de  publier  une  intéressante 
brochure  sur  les  femmes  de  la  campagne  à  Paris.  Elle  s'élève 
avec  beaucoup  de  force  contre  cette  folie  de  l'émigration  de  la 
jeunesse  de  nos  villages  et  nos  fermes,  qui  dépeuplera  bientôt  la 
campagne.  Folie  est  bien  le  mot,  car  la  jeune  paysanne  qui  se 
propose  de  venir  faire  fortune  dans  la  grande  ville  n'y  trouve 
trop  souvent  que  la  misère  d'abord  et  le  déshonneur  ensuite. 
La  preuve  irrécusable  que  les  femmes  pauvres  étrangères  à 
Paris  viennent  s'y  perdre  dans  les  conditions  les  plus  effroyables 
se  trouve  dans  le  relevé  des  entrées  à  Saint-Lazare.  En  1883, 
les  condamnées  de  droit  commun  éUiient  au  nombre  de  4,768, 
dont  925  de  la  Seine  et  3,318  venues  des  départements,  le  reste 
appartenant  aux  nationalités  étrangères.  Une  seconde  section 
comprend  les  femmes  arrêtées  sur  la  voie  publique  pour  cause 
de  mœurs:  on  en  comptait,  toujours  dans  la  môme  année, 
4,099  dont  1,226  de  la  Seine,  2,621  des  départements  et  252 
étrangères.  M"*»  de  Barrau  conclut  en  ces  termes  :  «  On  ne 
saurait  trop  le  dire  :  une  jeune  fille  étrangère  et  abandonnée  à 
Paris,  une  jeune  fille  isolée  et  sans  protection,  est  une  jeune 
fille  perdue.  Mieux  vaudrait  pour  elle,  cent  fois,  rester  au  pays 
avec  les  siens,  dût- elle  y  manger  du  pain  noir  toute  sa  vie!  » 

D'après  l'auteur,  Tune  des  principales  causes  delà  dépopulation 
des  campagnes,  qui  entraîne  comme  conséquence  fatale  la 
démoralisation  de  tant  de  paysannes,  est  le  défaut  d'harmonie 
de  l'éducation  donnée  aujourd'hui  à  la  campagne  avec  les 
moeurs  et  le  milieu  pour  lesquels  elle  devrait  être  faite.  Nulle 
part  l'éducation  n'est  rurale;  ni  à  l'école  primaire,  ni  après^  la 
jeune  fille  des  champs  ne  reçoit  aucune  instruction  profes- 
sionnelle; elle  va  plutôt  à  l'école  apprendre  à  oublier  ou  même 
à  mépriser  les  travaux  de  son  père  et  de  sa  mère.  Elle 
ne  saura  pas  traire  les  vaches,  tirer  parti  du  lait,  semer,  planter, 


148  RlVra  PÉDA600IQUI 

arroser.  D'ailleurs,  voulût-elle  s'associer  aux  occupations  de  la 
famille  qu'elle  ne  le  pourrait  pas.  «  Les  enfants  ont  emporté 
de  récole,  pour  les  heures  de  la  soirée  et  du  matin,  des  devoirs 
de  grammaire,  d'histoire,  etc.,  à  préparer,  à  apprendre  Ou  à 
écrire,  des  problèmes  d'arithmétique  à  résoudre.  Lorsqu'ils 
sont  éloignés  de  l'école  et  que  la  course  est  un  peu  longue, 
c  est  à  peine  s'ils  ont  le  temps  de  terminer  ces  devoirs.  »  Ce  n'est 
pas  tout  :  pendmt  les  années  de  scolarité,  «  grâce  au  régime 
presque  exclusivement  intellectuel  de  l'école  et  faute  d'exercice, 
les  muscles  s'atrophient,  les  mains  s'alanguissent,  tout  l'être 
matériel  s'amollit  et  s'énerve.  »  A  l'incapacité  physique  se  joint 
le  dégoût  de  la  vie  champêtre:  de  là  au  désir  d'aller  à  la 
ville  il  n'y  a  qu'un  pas,  qui  est  bientôt  franchi. 

Les  couleurs  de  ce  tableau  nous  paraissent  un  peu  chargées  : 
il  y  a  encore  de  robustes  jeunes  filles  dans  nos  écoles  rurales, 
u(  elles  n'emportent  pas  assez  de  devoirs  à  faire  chez  elles  pour 
nv  pas  pouvoir  aider  leurs  mères  dans  les  soins  du  ménage 
el  les  travaux  de  la  ferme.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  les 
eampagnes  se  dépeuplent  beaucoup  trop,  et  qu'il  y  a  lieu  de 
réagir  contre  ce  mal  à  la  fois  social  et  moral.  Mais  comment  y 
remédier  ? 

M""**  de  Barrau  est  loin  de  nier  les  bienfaits  de  rinstructiou  : 
elle  la  veut  etfectivsmcnt  obligatoire  pour  tous  et  pour  toutes. 
Seulement  elle  trouve  que  l'école  primaire  a  le  tort  de  saturer 
d'exercices  intellectuels  des  enfants  qui  passent  ensuite  à  un 
régime  professionnel  non  moins  exclusif.  «  C'est  le  manque 
de  simultanéité  dans  les  deux  enseignements  qui  les  rend  anta- 
gonistes et  qui  fait  tout  le  mai.  »  Il  faudrait  donc  partager  le 
temps  entre  l'enseignement  scolaire  et  l'enseignement  profes- 
sionnel. 

11  y  a  deux  moyens  d'atteindre  le  but.  Le  premier,  que  notre 
auteur  ne  fait  qu'indiquer,  consisterait  à  adjoindre  à  l'école 
même  un  champ  de  culture  ou  les  enfants  feraient  des  exercices 
de  jardinage,  eu  même  temps  qu'on  leur  donnerait  quelques 
eonnaissances  pratiques  d'agriculture  et  d'élève  du  bétail  et 
(les  animaux  de  basse-cour.  Nous  avons  entendu  défendre  plu- 
sieurs fois  cette  méthode  :  l'institutrice  aurait  sinon  une  vache, 
du  moins  une  chèvre,  quelques  poules,  quelques  lapins,  deux 


DB   l'instruction   DE   LA  FEMBIE   A    LA   CAMPAGNE  149 

OU  trois  couples  de  pigeons;  etc.  Ce  système  ne  nous  plaît  guère  : 
l'introduction  de  ces  animaux  dans  les  annexes  de  Técole  ser- 
virait plus  à  l'amusement  qu'à  l'instruction  technique  des  enfants. 
Les  vrais  travaux  de  la  ferme,  du  jardin  et  des  champs  seront 
mieux  appris  par  les  élèves  dans  de  vraies  fermes,  de  vrais 
jardins  et  de  vraies  cultures  sous  l'œil  de  leurs  parents.  Nous 
comprendrions  toutefois  la  création  de  fermes-modèles  pour  les 
femmes  et  l'annexion  d'un  grand  champ  cultivé  à  une  école 
primaire  supérieure  de  filles.  Mais  dans  l'école  primaire  éléjneii- 
taire  il  suffira  d'un  peu  d'horticulture  agréable  et  facile. 

D'après  la  seconde  méthode,  que  M"»**  de  Barrau  expose  avec 
plus^de  détail,  on  organiserait  les  études  de  façon  à  ne  garder 
à  l'école  que  la  moitié  de  la  journée  les  enfants  destinés  par 
leurs  familles  aux  travaux  des  champs.  Laissons  ici  la  parole 
i  l'auteur: 

e  Les  parents  qui  voudraient  utiliser  leurs  enfants  chez  eux 
{et  ils  sont  presque  tous  dans  ce  cas)  pourraient  ainsi  les  garder 
une  moitié  de  la  journée;  Tautre  demi-journée  seulement 
appartiendrait  à  l'école.  Il  en  résulterait  dès  lors  pour  les 
enfants  un  apprentissage  tout  naturel  des  travaux  champêtres, 
par  conséquent  Véducation  professionnelle  et,  en  môme  temps, 
Fentraînement  normal  nécessaire  aux  exercices  qui  demandent 
de  la  force  physique.  Pour  les  enfants  comme  pour  les  parents, 
cette  organisation  offrirait  les  avantages  les  plus  sérieux.  Mais 
le  plus  grand  avantage  serait  encore  pour  les  enfants,  car  ils 
s'attacheraient  inévitablement  à  un  genre  d'existence  qui 
entretient  et  favorise  les  liens  de  la  famille,  tout  en  constituant 
une  des  fonctions  les  plus  essentielles  de  la  vie  sociale.  De  leur 
côté,  l'École  et  l'État  y  gagneraient.  L'École,  parce  que  l'insti- 
tuteur ou  l'institutrice  pourraient  faire  deux  divisions  de  leurs 
élèves,  l'une  du  matin  et  l'aulre  du  soir,  chacune  formant 
environ  la  moitié  du  nombre  total  des  élèves  :  l'enseignement 
ne  pourrait  que  gagner  considérablement  à  ce  partage.  L'État 
y  verrait  quelque  matière  à  économies,  car  les  locaux  scolaires, 
souvent  trop  étroits  pour  le  nombre  total  des  élèves,  devien- 
draient suffisants,  les  élèves  n'y  étant  reçus,  à  la  fois,  que  par 
moitié;  Thygiène,  pour  le  dire  en  passant,  n'y  perdrait  rien, 
et  les  maîtres  y  gagneraient  de  pouvoir  s'occuper  plus  efficace- 


15U  JŒYUE  PÉDAGOGIQUE 

ment  de  chacune  des  séries,  au  lieu  de  négliger,  comme  Us  y 
sont  forcés  aujourd'hui,  quelques-uns  des  élèves  les  plus  faibles 
(c'est-à-dire  ceux  qui  auraient  le  plus  besoin  de  secours),  acca- 
blés qu'ils  le  sont  par  le  trop  grand  nombre  des  enfants  qu'ils 
ont  à  surveiller  et  à  stimuler  à  la  fois. 

D  Enfin,  sans  parler  davantage  des  bienfaits  de  l'enseignement 
professionnel  ainsi  obtenu  par  le  concours  des  enfants  dans  la 
ferme  et  aux  travaux  de  leurs  parents,  on  trouverait  encore, 
grâce  à  cette  organisation,  l'occasion  et  le  moyen  de  faire 
continuer  aux  enfants  les  exercices  scolaires  après  l'âge  de  treize 
ou  quatorze  ans,  alors  qu'ils  conunencent  à  peine  à  en  profiter. 
Au  lieu  d'une  seule  année  supplémentaire  accordée  aujourd'hui 
aux  élèves  qui  veulent  encore  fréquenter  l'école,  la  loi  pourrait 
autoriser  la  prolongation  de  cette  période,  sans  qu'il  en  résultât 
aucun  inconvénient  par  défaut  de  place  aux  nouveaux  arrivants 
et  sans  préjudice  de  l'usage  des  travaux  manuels,  menés  de 
front,  depuis  l'origine,  avec  les  travaux  intellectuels.  De  la 
sorte,  ceux  qui  en  sentent  le  prix  pourraient  entretenir  plus 
longtemps  et  même  perfectionner  les  connaissances  acquises.  » 

Les  écoles  de  demi-temps  demandées  par  M*"^  de  Bàrrau 
pourraient  rendre  de  grands  services  dans  nombre  de  localités 
agricoles,  et  nous  verrions  avec  plaisir  tenter  cet  essai,  qui  serait 
certainement  profitable  à  la  santé  physique  des  paysannes  et  les 
retiendrait  peut-être  en  plus  grand  nombre  à  la  campagne. 

A.  B. 


RAPPORT 

SUR   LK   PROJET   DR   DÉCRET   RELATIF   AUX  TITRES  DE   CAPACITÉ 

DE   l'enseignement  PRIMAIRE  (1) 


Messieurs, 

La  commission  que  vous  avez  désignée  pour  la  révision  des  règle- 
ments relatifs  aux  titres  de  capacité  de  renseignement  primaire 
avait  deux  projets  à  examiner:  un  projet  de  décret  devant  remplacer 
le  décret  du  4  janvier  1881  et  un  projet  d*arrôté  réglementaire  des- 
tiné à  remplacer  l'arrêté  du  5  janvier  1881. 
*  J'ai  rhonneur  de  vous  soumettre  le  résultat  des  travaux  de  la 
commission  en  ce  qui  concerne  le  projet  de  décret. 

Vous  savez,  messieurs,  que  Tétude  à  laquelle  nous  nous  livrons  actuel- 
lement a  été  précédée  d'une  grande  enquête  ouverte  par  une  circulaire 
ministérielle,  en  date  du  8  mai  1884,  et  à  laquelle  ont  pris  part  les  rec- 
teurs, les  inspecteurs  d'académie,  les  inspecteurs  primaires,  les  di- 
recteurs et  directrices  d'écoles  normales,  les  membres  des  commissions 
d'examen.  Vous  avez  reçu  le  volume  qui  contient,  avec  les  rapports  des 
recteurs,  les  réponses  faites  aux  questions  posées  par  M.  le  ministre, 
dans  sa  circulaire,  les  diverses  solutions  proposées  par  les  fonctionnaires 
consultés.  De  l'ensemble  de  ces  documents,  certaines  tendances 
générales  se  dégagent,  certains  désirs  se  trouvent  exprimés  presque 
partout  :  voir  relever  le  niveau  de  l'examen  du  brevet  élémentaire, 
mettre  le  règlement  des  brevets  en  harmonie  avec  la  loi  du  28  mars 
4882  et  avec  les  nouveaux  programmes  des  écoles  primaires  et  des 
écoles  normales;  n'admettre  dans  les  écoles,  au  moins  comme 
instituteurs  titulaires,  que  des  maîtres  qui  auront  fait  preuve  de  leur 
aptitude  à  l'enseignement. 

Votre  commission,  messieurs,  s'est  constamment  inspirée  dans 
son  travail  de  ces  vœux  exprimés;  elle  s'est  efforcée  de  leur  don- 
ner satisfaction  toutes  les  fois  que  la  loi  le  lui  permettait. 


(1)  Nous  avons  consacré  l'an  dernier  une  série  d'articles  à  l'imporUinle 
question  des  titres  de  capacité  de  l'enseignement  primaire,  et  dans  notre  der- 
nier numéro  noua  avons  analysé  [p.  81)  le  décret  et  l'arrêté  du  30  décambre  * 
1884,  qui  ont  réglé  à  nouveau  la  matière.  Nous  complétons  aujourd'hui  les 
renseignements  que  nous  avons  donnés  à  nos  lecteurs  en  publiant  le  texte 
des  deux  rapports  présentés  au  Conseil  supérieur  par  MM.  Lenient  et 
àrmbruster,  au  nom  de  la  commission  chargée  d'examiner  le  projet  de  décret 
et  le  projet  d'arrêté.  —  La  Rédaction, 


\S^  RITT7B  PÉDAGOGIQUE 

I 

Le  projet  de  décret  arrêté  par  la  section  permanente  comprend 
trois  parties  :  la  première  a  pour  objet  les  titres  de  capacité. 

L'article  l®*"  énumère  ces  litres  : 

Le  brevet  élémentaire, 

Le  brevet  supérieur, 

Le  certificat  d'aptitude  à  la  direction  des  écoles  maternelles. 

Beaucoup  d'entre  nous  auraient  voulu  supprimer  ce  dernier 
diplôme. 

Les  écoles  maternelles,  en  eiïet,  exigent  autant  de  connaissances 
au  moins  de  celles  qui  doivent  y  enseigner  que  les  écoles  primaires 
élémentaires  en  exigent  des  institutrices.  De  plus,  les  programmes 
et  les  méthodes,  dans  les  écoles  maternelles,  diffèrent  bien  peu  des 
programmes  et  des  méthodes  en  usage  dans  les  classes  enfantines 
et  dans  le  cours  élémentaire  des  écoles  primaires.  Nous  désirions 
donc  assimiler  les  directrices  d'écoles  maternelles  aux  institutrices 
primaires.  Celte  assimilation,  du  reste,  réalisée  déjà,  au  point  de  vue 
des  traitements,  par  le  décret  du  10  octobre  1881,  a  été  préparée,  au 
point  de  vue  pédagogique,  par  le  décret  du  14  juin  1884,  qui  dit  que 
les  écoles  normale'^  d'institutrices  assurent  lerecrutement  du  personnel 
enseignant,  non  seulement  pour  les  écoles  primaires,  mais  encore 
pour  les  écoles  maternelles  et  pour  les  classes  enfantines. 

Deux  titres  donc  subsisteraient  seulement  :  le  brevet  élémentaire 
et  le  brevet  supérieur.  Puis,  a  ces  deux  titres  qui  ne  constatent  que  le 
degré  d'instruction  des  candidats  et  ne  peuvent  être  que  des  diplômes 
d'étude,  viendrait  se  joindre  un  véritable  titre  de  capacité  profession- 
nelle, le  certificat  d'aptitude  pédagogique;  et  c'est  dans  les  épreuves 
imposées  pour  l'obtention  de  ce  diplôme  professionnel  que  se  place- 
raient naturellement  alors  une  ou  plusieurs  épreuves  pratiques, 
spéciales  aux  directrices  et  aux  sous-directrices  d'écoles  maternelles. 

Malheureusement,  ces  propositions,  messieurs,  ne  pouvaient  être 
accueillies,  à  cause  des  dispositions  formelles  de  la  loi  du  16  juin 
1881  sur  les  titres  de  capacité,  dont  l'article  2  dispose  que  «  nulle  ne 
peut  exercer  les  fonctions  de  directrice  et  de  sous-directrice  des  salles 
d'asile  publiques  ou  libres  sans  être  pourvue  du  certificat  d'apti- 
tude à  la  direction  des  salles  d'asile  institué  par  le  décret  du  ^ 
mars  1855  ». 

Ces  propositions,  soutenues  par  un  grand  nombre  de  membres,  ont 
donc  dû  être  abandonnées.  Elles  seront  reprises  sous  forme  de  vœu 
et  présentées  à  M.  le  ministre,  pour  qu'il  veuille  bien  les  transmettre 
"^  au  Sénat,  actuellement  chargé  de  l'examen  du  projet  de  loi  sur 
l'organisalion  de  l'enseignement  primaire  voté  par  la  Chambre  des 
députés  le  18  mars  1884. 

L article  4^^  a  donc  été  adopté  tel  que  l'avait  présenté  la  section 
permanente. 


LES   TITRES  DE   CAPACITÉ   DE   L*BNSEIG>RMENr    PRIMAIRE       15-{ 

VarticU2  du  projet  établit  un  examen  pratique  complémentaire  de 
l'un  ou  de  l'autre  brevet  et  destiné  à  constater  l'aptitude  à  la  direc- 
tion d'une  école  publique.  C'est  ce  diplôme  professionnel  dont  il 
vient  d'être  parlé  et  que  nous  aurions  voulu,  en  le  rendant  obliga* 
toire,  étendre  à  tous  les  fonctionnaires  de  l'enseignement  primaire 
public.  La  loi  nous  a  contraints  de  lui  garder  son  caractère  facultalif. 

Après  une  discussion  sur  la  nature  de  ce  certificat  d'aptitude 
pédagogique,  —  les  uns  voulant  en  faire  un  titre  élevé,  accessible 
seulement  à  l'élite  du  personnel  enseignant;  les  autres,  au  contrain% 
désirant  qu'il  put  être  imposé  dans  l'avenir  à  tout  instituteur  titu- 
laire et  voulant,  par  suite,  qu'il  restât  accessible  à  tout  maître  un 
peu  expérimenté,  de  capacité  moyenne,  mais  consciencieux  et  dévoué, 
—  la  rédaction  proposée  par  la  section  permanente  n'a  subi  qu'une 
légère  modification  de  forme,  et  l'article  a  été  voté  à  l'unanimité 
moins  deux  voix. 

Il 

Le  titre  iï  du  projet  de  décret  a  trait  aux  conditions  d'admission 
aux  examens. 

Actuellemeilt,  pour  se  présenter  aux  épreuves  du  brevet  élémen- 
taire, le  candidat  doit  avoir  16  ans  à  l'ouverture  de  la  seijision.  Le 
projet  porte  16  ans  au  1*^'  janvier  de  l'année  dans  laquelle  le  can- 
didat se  présente  :  la  limite  d'âge  minimum  se  trou>e  ainsi  recu- 
lée de  six  mois  au  moins.  Beaucoup  de  membres  de  la  commission 
auraient  voulu  la  reculer  davantage  :  les  uns  proposaient  17  ans 
au  1**  janvier,  les  autres  17  ans  à  l'ouverture  de  la  session. 

Mais  après  avoir  entendu  M.  le  directeur  de  l'enseignement  pri- 
maire exposer  quelles  pouvaient  être,  au  point  de  vue  du  recrute- 
ment des  instituteurs,  les  conséquences  de  l'élévation  trop  consi- 
dérable de  l'âge  minimum  dans  les  circonstances  actuelles,  la 
commission,  se  rendant  à  ces  considérations,  a  voté  le  texte  pro- 
posé par  la  section  permanente. 

Les  mêmes  difficultés  no  se  présentaient  plus  à  l'article  4,  qui  rè^'le 
les  conditions  d'admission  aux  examens  du  brevet  supérieur.  La 
possession  de  ce  brevet,  en  effet,  n'est  pas  indispensable  pour  entrer 
dans  Fenseignement,  pour  débuter  dans  la  carrière.  La  commission, 
désirant  diminuer  la  surcharge  imposée  aux  candidats  par  la  prépa- 
ration hâtive  et  précipitée  d'épreuves  nombreuses  et  difficiles,  a 
reporté  à  18  ans  révolus,  lors  de  l'ouverture  de  la  session,  l'Age 
exigé  des  aspirants  et  des  aspirantes  au  brevet  supérieur.  La  section 
permanente  avait  proposé  17  ans  au  \"  janvier  précédant  l'ouver- 
ture de  la  session. 

D*aprè8  VaHicle  5  projeté,  «  les  candidats  au  certificat  d'aptitude 
pédagogique  doivent  avoir  au  moins  vingt  ans  révolus  au  moment 
de  leur  examen  et  justifier  de  deux  ans  d'exercice  dans  l'ensei- 
gnement public  ou  libre  ». 


154  EEVUE    PÉDAGOGIQUE 

Quelques  membres  de  la  commission  youlant,  comme  je  Tai  dit 
plus  haut,  faire  du  certificat  d'aptitude  pédagogique  un  litre  d'une 
valeur  tout  à  fait  exceptionnelle,  demandaient  que  la  limite  d'âge 
fût  reculée  jusqu'à  25  ans. 

Cette  proposition  n'a  pas  été  accueillie. 

Dans  l'enseignement  secondaire  et  même  dans  l'enseignement  su- 
périeur, cette  limite  n'est  imposée  ni  pour  la  licence  ni  pour  l'agré- 
gation ;  il  a  paru  excessif  de  l'exiger  des  maîtres  de  l'enseignement 
primnire.  En  outre,  comme  il  est  désirable  que  l'administratiou 
puisse  bientôt  n'accorder  le  titulariat  qu'aux  instituteurs  pourvus 
de  ce  certificat  professionnel,  il  serait  à  craindre,  avec  la  limite  de  25 
ans,  que  beaucoup  de  communes  ne  restassent  longtemps  sans  titulaire. 

Toutefois,  comprenant  que  cet  examen  —  bien  que  devenant  acces- 
sible à  tous  les  bons  maîtres  —  doit  révéler  une  certaine  maturité 
d'esprit,  qui  ne  se  rencontre  que  bien  rarement  chez  des  candidats  trop 
jeunes,  la  commission  a  porté  la  limite  d'âge  à  21  ans  au  moment 
de  l'ouverture  de  la  session. 

Une  proposition  tendant  à  exiger  trois  ans  d'exercice  au  lieu  de  deux, 
a  été  repoussée. 

Varticle  6  énumère  les  conditions  imposées  aux.  aspirantes  au 
certificat  d'aptitude  à  la  direction  des  écoles  maternelles. 

Une  longue  discussion  s'est  engagée  sur  la  condition  d'âge  de  21 
ans,  exigée  des  aspirantes  au  moment  de  leur  examen. 

Plusieurs  membres  de  la  commission,  par  analogie  avec  ce  qui  a 
été  décidé  pour  les  brevets  de  capacité  élémentaire  et  supérieur» 
voudraient  voir  cette  limite  abaissée  à  18  ans.  lis  exposent  la  diffi- 
culté que  les  administrations  éprouvent  pour  recruter  le  personnel 
des  écoles  maternelles,  difficultés  si  grandes  que,  dans  certains 
départements,  on  est  obligé  d'autoriser  des  postulantes  pourvues 
du  brevet  élémentaire  à  enseigner  dans  les  écoles  maternelles,  ce 
qui  n'est  pas  régulier,  la  loi  du  16  juin  1881,  qui  prescrit  pour  les 
directrices  et  sous-directrices  la  possession  du  certificat  d*aplitude  à 
la  direction  des  écoles  maternelles,  ayant  en  même  temps  supprimé 
toute  espèce  d'équivalence  de  titres. 

Des  exceptions  ont  pu  être  autorisées  en  vue  de  circonstances 
sans  doute  tout  à  fait  spéciales,  mais  ces  exemples  ne  sauraient 
prévaloir  en  face  d'un  texte  aussi  positif  que  celui  de  la  loi  de  1881. 
11  est  donc  à  craindre  que  les  aspirantes  à  la  direction  et  à  la  soua- 
direction  des  écoles  maternelles  no  deviennent  de  moins  en  moins 
nombreuses,  .les  conditions  pour  subir  le  certificat  d'aptitude  étant 
plus  rigoureuses  que  celles  du  brevet  élémentaire. 

A  l'appui  de  leur  proposition,  les  n;iembres  de  la  commission  qui 
demandent  l'abaissement  de  la  limite  d'ftge  citent  l'article  42  du 
décret  du  2  août  1881,  qui  fixe  justement  à  18  ans  l'âge  auquel  les 
aspirantes  à  la  direction  des  écoles  maternelles  peuvent  se  pré- 
senter à  l'examen,  lis  proposent  le  maintien  de  cette  disposition. 


LES   TITRES   DE   CAPACITÉ   DE   l'eNSKIGNEMEMT   PRIMAIRE       155 

M.  le  directeur  de  l'enseignement  primaire  répond  que  le  décret 
du  i  août  1881  a  été  rendu  pour  pourvoir  à  des  besoins  nombreux, 
mais  momentanés,  créés  par  la  loi  sur  Tobligation  des  titres  de 
capacité.  Cette  période  transitoire  est  aujourd*ui  terminée;  il  con- 
vient donc  de  rendre  à  Tarticle  29  du  décret  du  21  mars  1855,  visé 
dans  rarticle  2  de  la  loi  du  16 juin  1881,  son  caractère  obligatoire; 
et  cet  article  dit  expressément  que  a  nulle  n'est  admise  devaat 
une  commission  d'examen  avant  Tâge  de  21  ans  ». 

M.  le  directeur  ajoute  que,  la  mcgorité  de  la  commission  désirant 
voir  disparaître  ce  certificat  de  notre  législation  scolaire,  il  vaut 
mieux,  jusqu'à  ce  qu'une  disposition  législative  donne  satisfaction  à 
ce  désir,  le  conserver  tel  qu'il  est.  La  faveur  qui  dispense  de  la 
condition  d'âge  toute  aspirante  pourvue  du  brevet  élémentaire,  lui 
paraît  suffisante  pour  obvier  aux  inconvénients  administratifs  qui 
ont  été  signalés. 

'  M.  le  directeur  de  l'enseignement  primaire  dans  le  département 
de  la  Seine  fait  observer  que,  la  loi  reconnaissant  deux  sortes  d'écoles, 
les  écoles  maternelles  et  les  écoles  primaires,  il  faut  se  préoccuper 
avec  le  même  soin,  avec  la  même  sollicitude,  du  recrutement  des 
unes  et  des  autres  :  il  propose  donc  un  amendement  fixant  à 
18  ans,  au  moment  de  l'examen,  l'ùge  d'admission  des  aspirantes 
au  certificat  d'aptitude  à  la  direction  des  écoles  maternelles.  Cet 
amendement  est  repoussé  par  9  voix  contre  7. 

La  condition  du  stage  de  deux  mois  exigée  des  aspirantes  par  la 
dernière  partie  de  l'article  (5  est  supprimée  à  l'unanimité,  comme 
étant  insuffisante  et  inutile. 

Vcurtick  7  est  adopté  sans  discussion. 

111 

Le  titre  111  du  projet  de  décret  a  pour  objet  les  sessions 
d'examen. 

L'article  8  règle  le  nombre  de  ces  sessions  pour  chaque  ordre 
d'examen.  Le  projet  portait  qu'il  y  en  aurait  dettx  chaque  année  pour 
le  brevet  élémentaire  et  le  brevet  supérieur,  et  une  au  jnoins  pour 
le  certificat  d'aptitude  pédagogique  et  le  certificat  d*aptitude  à  la 
direction  des  écoles  maternelles. 

La  commission  a  modifié  ce  texte.  Elle  a  réuni  l'examen  des 
aspirantes  au  certificat  d'aptitude  à  la  direction  des  écoles  maternelles 
avec'  les  exaniens  du  brevet  élémentaire  et  du  brevet  supérieur  :  il 
y  aura  donc  deux  sessions  par  an  pour  chacun  de  ces  examens. 

Quant  au  certificat  d'aptitude  pédagogique,  il  n'y  en  aura  générale- 
ment  qu'une.  Si  ce  titre,  dans  les  conditions  où  il  va  être  Institué  désor- 
mais, était  sollicité  par  un  trop  grand  nombre  de  candidats,  l'admi- 
nistratioD  pourrait  organiser  plusieurs  sessions.  La  rédaction  proposée 
par  la  conmiission  le  lui  permet.  Le  second  paragraphe  de  larticle 


156  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

• 

8  est  en  olVot  ainsi  conçu  :  «  11  y  aura,  chaque  année,  une  session 
au  moins  pour  le  certificat  d'aptitude  pédagogique.  » 

Variicle  9  règle  la  composition  des  commissions  d'examrn  pour 
les  certificals  d*aptitude  pédagogique  et  d'aptitude  à  la  direction  des 
écoles  maternelles. 

D'après  le  projet  élaboré  par  la  section  permanente,  la  présidence 
de  ces  commissions  appartient  à  Tinspecteur  d'académie  et  elles  com- 
prennent nécessairement  :  1®  deux  inspecteurs  primaires,  2>  le  direc- 
teur ou  un  professeur  de  Técole  normale,  et  deux  intituteurs  publics 
pourvus  du  brevet  supérieur,  pour  les  aspirants  ;  la  directrice  ou  une 
maîtresse  de  Técoie  normale  et  deux  institutrices  ou  directrices 
d'écoles  maternelles,  pour  les  aspirantes. 

La  commission  a  cru  devoir  apporter  quelques  modifications  à  la 
rédaction  de  cet  article. 

Elle  a  d*abord  décidé  que  les  commissions  se  composeraient  de 
einq  membres  au  moins  et  seraient  nommées  annuellement. 

Puis,  voulant  indiquer  combien  il  est  désirable  que  l'inspecteur 
d'académie  préside  effectivement,  et  le  plus  souvent  possible,  ces 
diverses  commissions,  elle  a  proposé  qu'un  paragraphe  spécial  por- 
tât cette  disposition  :  «  En  cas  d'empêchement  de  l'inspecteur  daca- 
démie,  le  recteur  désigne  un  suppléant  pour  la  présidence  de  la 
commission.  » 

Attachant  de  même  beaucoup  d'importance  à  la  représentation  des 
fonctionnaires  de  l'école  normale  dans  ces  examens  et,  pensant  que 
le  représentant  le  plus  autorisé  de  ces  écoles  est  naturellement  le 
directeur,  elle  a  modifié  ainsi  la  seconde  partie  de  l'article  :  «  !2^  le 
directeur  ou,  à  son  défaut,  un  professeur  de  l'école  normale.  » 

Quant  à  la  présence  des  instituteurs  au  sein  de  la  commission  d'exa- 
men, celte  disposition  n'a  pas  été  admise. 

Si  les  instituteurs,  en  effet,  sont  généralement  heureux  et  fiers  de 
voir  leurs  collègues  siéger  dans  certaines  commissions,  à  coté  de 
leurs  chefs  hiérarchiques,  ils  n'aiment  pas  à  être  jugés  par  eux.  En 
outre,  il  est  à  craindre  que  les  écoles  ne  souffrent  d'une  absence  trop 
prolongée  de  leur  directeur. 

Si  d'ailleurs  la  présence  des  instituteurs  est  désirable  dans  cer- 
tains examens,  comme  ceux  du  certificat  d'études  primaires  où  ils 
sont  là  tout  à  fait  à  leur  place,  cette  présence  n'a  plus  la  même 
nécessité  dans  les  commissions  pour  le  certificat  d'aptitude  pédago- 
gique. Les  garanties  que  doivent  présenter  ces  commissions,  c'est-à- 
dire  la  supériorité  des  connaissances  et  l'expérience  professionnelle, 
sont  suffisamment  assurées  par  la  présence  des  inspecteurs  primaires 
et  du  directeur  de  l'école  normale. 

L'élimination  des  instituteurs,  mise  aux  voix,  est  prononcée  par 
7  voix  contre  5. 

Toutefois,  il  sera  toujours  possible  de  donner  à  un  maître  dis- 
tingué, à  un  ancien  instituteur  d'élite,  cette  preuve,  ce  témoignage 


LES   TITRES  DE   CAPACITÉ   DE  l'eNSEIGNEMENT   PEIMAIRE       157 

d'estime  et  de  confiance  que  le  projet  de  la  section  permanente 
▼oulait  accorder  aux  Instituteurs. 

Le  recteur,  aux  termes  du  premier  paragraphe  de  Tart.  9,  doit 
nommer  cinq  membres  au  moins  et  quatre  seulement  sont  désignés  de 
droit:  si  les  circonstances  le  permettent,  le  cinquième  membre  pourra 
être  un  ancien  fonctionnaire  de  renseignement  primaire,  directeur 
d'école  normale,  inspecteur  primaire  ou  instituteur  public  en  retraite. 

Le  1*  paragraphe  deV  article  10  du  projet  est  supprimé  comme  inutile, 
le  nombre  des  membres  de  chacune  des  commissions  d'examen  étant 
Indiqué  par  la  loi  du  15  mars  1850  et  par  les  dispositions  spéciales  du 
présent  décret.  Le  reste  de  l'article  10,  ainsi  que  les  articles  44,  ,42 
43  et  4i  du  titre  IV  du  projet  de  décret  sont  approuvés,  sans  dis- 
cussion, et  à  Tunanimité. 

Une  seule  modification  a  été  apportée  au  1®'  paragraphe  de  Varticle 
44.  La  commission  a  décidé  que  les  épreuves  écrites  ou  orales  ne 
dépasseraient,  dans  aucun  cas,  le  niveau  moyen  des  programmes  du 
cours  supérieur  des  écoles  primaires  pour  le  brevet  élémentaire,  ni 
des  propnrammes  des  écoles  normales  d'instituteurs  et  d'institutrices 
pour  le  brevet  supérieur.  C'est,  messieurs,  la  réalisation  du  vœu 
que  je  vous  signalais  en  commençant  :  mettre  le  règlement  des 
brevets  en  harmonie  avec  la  loi  du  28  mars  188:2  et  avec  les  nouveaux 
programmes  des  écoles  primaires  et  des  écoles  normales. 

29  décembre  1884. 

A.  Lemknt. 


RAPPORT 

SCR  LE  PROJET  d'aRRÊTÉ  PORTANT  RÈGLEMENT  DES  EXAMBNS  RELATIFS 
ADX   TITRES  DE  CAPACITÉ   DE  l'eNSEIGNEMENT   PRIMAIRE 


Messieurs, 

J*ai  rhonneur  de  vous  reiidi*e  compte  du  travail  de  lu  commisbiun 
que  vous  avez  chargée  d'examiner  le  projet  d'arrêté  portant  règle- 
ment des  examens  relatifs  aux  titres  de  capacité  de  l'enseignement 
primaire. 

De  l'enquête  faite  sur  la  réforme  des  brevets  de  capacité  de  l'en- 
seignement primaire,  enquête  dont  les  procès-verbaux  vous  ont  été 
soumis,  il  résultait  que  le  corps  enseignant  était  d'accord  avec  M.  le 
ministre  pour  reconnaître  qu'il  y  avait  lieu  d'apporter  des  modifica- 
tions plus  ou  moins  profondes  aux  examens,  aux  programmes,  aux 


i58  RKVUS  PÉDAGOGIQUE 

conditions  d'inscription  et  d'admission  des  candidats  et  au  mode  de 
jugement  des  épreuves. 

On  était  presque  unanime  à  reconnaître  qu'il  y  avait  lieu  de  rele- 
ver le  niveau  du  brevet  élémentaire  et  d'alléger,  au  contraire,  l'exa- 
men du  brevet  supérieur. 

Les  avis  étaient  plus  partagés  sur  la  nature  des  mesures  à  prendre 
pour  rendre  utiles  et  pratiques  les  réformes  demandées.  Le  projet 
de  la  section  permanente  donnait  sur  la  plupart  des  points  satis* 
faction  aux  désirs  exprimés,  d'une  part  par  M.  le  ministre,  et  de 
l'autre  dans  l'enquête  générale. 

Votre  commission  a  donc  pris  pour  base  de  son  travail  le  projet 
de  la  section  permanente  ;  elle  vous  propose  cependant  d'y  apporter 
un  certain  nombre  de  modifications. 


TITRE  PREMIER 

DES  SESSIONS  d'eXAMEN 

Article  premier.  —  Par  l'article  premier,  votre  commission  a 
décidé  que  les  sessions  réglementaires,  pour  les  deux  brevets  de 
capacité  et  le  certificat  d'aptitude  à  la  direction  des  écoles  mater- 
nelles, auraient  lieu,  chaque  année,  et  dans  chaque  département, 
aux  mois  de  juillet  et  d'octobre,  et  pour  le  certificat  d'aptitude  péda- 
gogique, au  mois  d'avril.  En  adoptant  le  mois  d'octobre,  au  Jieu  du 
mois  de  mars,  pour  une  deuxième  session,  votre  commission  a 
pensé  subordonner  les  examens  aux  intérêts  des  études  qu'elle 
redoute  de  compromettre  en  les  interrompant.  Elle  a  aussi  préféré 
au  mois  de  juin  le  mois  d'avril,  pour  les  épreuves  du  certificat 
d'aptitude  pédagogique,  afin  d'éviter  la  simultanéité  des  examens. 

En  raison  de  la  situation  du  département  de  la  Seine,  où  le  nombre 
des  aspirants  et  des  aspirantes  a  dépassé  2,000  à  chacune  des  ses* 
sions  de  1881,  elle  fait  une  exception  pour  Paris  et  décide  que  la 
première  session  réglementaire,  pour  le  brevet  élémentaire,  y  com- 
mencera dans  la  première  quinzaine  de  juin. 

Art.  2.  —  "La  section  permanente  proposait  de  faire  choisir  les 
sujets  de  composition  par  l'inspecteur  d'académie.  La  commission 
a  préféré  maintenir  l'ancienne  rédaction.  Les  sujets  de  composition 
étant  envoyés,  sous  pli  cacheté,  par  M.  le  ministre,  donneront  une 
force  plus  égale  aux  examens  qui  se  passent  à  la  fois  dans  tous  les 
départements. 

Art.  3.  —  Les  épreuves  écrites,  au  lieu  d'être  examinées  et  jugées 
par  la  commission  d'examen  réunie,  pourront  être  corrigées,  pour 
arriver  plus  rapidement  à  un  résultat,  par  des  sous-commissions  de 
deux  membres  au  moins;  l'admission  sera  toujours  prononcée  par 
la  commission  réunie.  On  gagnera  ainsi  beaucoup  de  temps,  sans 
rien  enlever  à  l'autorité  des  décisions  prises. 


LES   TITRES  DE   CAPAaTÉ   DE  l'eNSEIGNEBIENT  PBIMAIRE       150 

Enfin,  lorsque  le  nombre  des  candidats  dépassera  80,  il  peut  être 
formé  plusieurs  commissions  composées  de  sept  membres,  procédant 
sépai^ment  et  successivement,  s'il  y  a  Heu. 

Aux  examinateurs  spéciaux,  pouvant  être  aciyoints  à  la  commis- 
sion pour  les  épreuves  de  langues  vivantes,  de  dessin,  de  chant 
et  de  g3rmnastique,  la  commission,  faisant  droit  à  la  pétition  des 
professeurs  départementaux  d'agriculture,  et  sur  la  proposition  du 
plus  compétent  de  ses  membres  en  cette  question,  a  décidé  d'ad- 
joindre un  examinateur  spécial  pour  l'agriculture. 

Art.  4  et  5.  —  Rien  de  changé  au  projet. 

TITRE  II 

DE  L*n«SCRIPTION  DES  CANDIDATS  ET  DE  LA  SURVEILLANCE  DES  EXAMENS 

Art.  6.  —  L'article  0  est  adopté  tel  qu'il  est  présenté  par  la  section 
permanente.  On  avait  proposé  d'igouter,  aux  pièces  exigéesjusqu'ici 
pour  les  femmes  mariées,  leur  acte  de  mariage;  pour  les  veuves, 
l'acte  de  décès  de  leurs  maris;  pour  les  mineurs,  l'autorisation  de 
leur  père.  La  commission  a  repoussé  cette  proposition,  pensant 
qu'il  était  inutile  de  compliquer  les  formalités  d'inscription. 

AftT.  7.  —  Cet  article  a  été  modifié  par  votre  commission.  Elle  a 
décidé  que  tout  candidat,  désireux  de  subir  les  épreuves  des  deux 
brevets  dans  une  même  session,  devrait  en  faire  la  demande  au 
moment  de  son  inscription.  Elle  a  voulu  prémunir  des  aspirants, 
trompés  par  le  succès  trop  facile  du  premier  examen,  contre  le  danger 
d'aborder  sans  préparation  suffisante  Texamen  du  brevet  supérieur. 

Art.  8.  —  La  commission  décide  que  les  aspirants  et  les  aspirantes 
au  certificat  d'aptitude  pédagogique  devront  produire,  en  dehors  du 
brevet  de  capacité,  un  certificat  de  Tinspecteur  d'académie,  attestant 
qu'ils  ont  enseigné,  au  moins  pendant  deux  ans,  dans  des  établisse- 
ments publics  ou  libres. 

Art.  9.  —  Adopté  sans  observation. 

Art.  10.  —  Votre  commission  n  a  pas  cru  devoir  maintenir  cet 
article;  elle  a  pensé  qu'on  devra  admettre  aux  ejiamens  tous  les 
candidats,  sauf  à  ne  pas  recevoir  plus  tai'd  dans  renseignement  les 
incapables  ou  les  indignes  auxquels  s  applique  l'article  :26  de  la 
loi  du  15  mars  1850. 

Art.  H,  i2  et  i3.  —  Adoptés  sans  observation. 

TITRE  111 

DE  l'examen  du  BREVET  ÉLÉMENTAIRE 

Art.  14,  15,  i6,  17.  —  Votre  commission  décide,  conformément 
au  projet  delà  section  permanente,  que  l'examen  du  brevet  élémen- 
taire comprendra  trois  séries  dépreuves  : 


1(K)  BBVUI   PÉDAGOGIQUI 

Première  série. 

Les  épreuves  de  la  première  série  pour  l'examen  des  aspiranU 
et  des  aspirantes  au  brevet  élémentaire  sont  au  nombre  de  quatre, 
savoir  : 

io  Une  dictée  d'orthographe  d^une  page  environ  ;  le  texte,  lu 
d'abord  à  haute  voix,  est  ensuite  dicté  posément,  puis  relu.  Dix 
minutes  sont  accordées  aux  candidats  pour  relire  et  corriger  leur 
travail  : 

±^  Une  page  d*écriture,  à  main  posée,  comprenant  une  ligne  eu 
;(ros,  dans  chacun  des  trois  principaux  genres  (cursive,  bâtarde 
ot  ronde),  une  ligne  de  cursive  en  moyen,  quatre  lignes  de  cursive 
en  fin  ; 

3^  Un  exercice  de  composition  française  (lettre  ou  récit  d*un  genre 
très  simple,  explication  d'un  proverbe,  d'une  maxime,  d'un  précepte 
de  morale  ou  d'éducation); 

A^  Une  question  d'arithmétique  et  de  système  métrique  et  la  solu- 
tion raisonnée  d'un  problème  comprenant  l'application  des  quatre 
règles  (nombre  entiers,  fractions,  mesure  des  surfaces  et  des  volu- 
mes simples). 

11  est  accordé  une  heure  et  demie  pour  chacune  des  épreuves  de 
composition  française  et  d'arithmétique,  trois  quarts  d'heure  pour 
la  page  d'écriture. 

DetÀirièim  série. 

Les  épreuves  de  la  deuxième  série  (épreuves  orales)  sont  au  nombre 
de  cinq  : 

i^  Lecture  expliquée;  la  lecture  se  fera  dans  un  recueil  de  mor- 
ceaux choisis  en  prose  et  en  ver^  ;  des  questions  seront  adressées  aux 
candidats  sur  le  sens  des  mots,  la  liaison  des  idées,  la  construction  et 
la  grammaire; 

è^  Questions  d'arithmétique  et  de  système  métrique; 

3^  Questions  sur  les  éléments  de  l'histoire  nationale  et  de  l'in- 
struction civique  ;  sur  la  géographie  de  la  France  avec  tracé  d'une 
carte  au  tableau  noir  ; 

4»  Questions  et  exercices  très  élémentaires  de  solfège; 

o^  Questions  sur  les  notions  les  plus  élémcnlaires  des  sciences 
physiques  et  naturelles  dans  leurs  rapports  avec  l'agriculture  et  l'hor- 
ticulture. 

Dix  minutes  au   maximum   sont   consacrées   à  chacune   de  ces 

épreuves. 

Troisième  série. 

Pour  les  épreuves  de  la  troisième  série,  les  aspirants  devront  : 
\'*  Exécuter  un  croquis  à  main  levée   d'uu  objet  usuel  de  forme 

très  simple  (plan,  coupe,  élévation»:  durée  de  l'épreuve,  une  heure 

au  maximum: 


LES   TITRKS   DE   CAPACITÉ   DE   L'eNSEIGNEMENT   PRIMAIRE      161 

^  Exécuter  les  exercices  Ic^  plus  élémentaires  de  gymnastique, 
prévus  par  le  programme  des  écoles  primaires  ;  durée  de  Fépreuve, 
dix  minutes  au  maximum. 

Les  aspirantes  devront  exécuter,  sous  la  surveillance  de  dames 
désignées  a  cet  effet,  les  travaux  à  Taiguille  prescrits  par  l'article  i^ 
de  la  loi  du  28  mars  1882  ;  durée  de  l'épreuve,  trois  quarts  d'heure 
au  maximum  (i). 

I>ans  les  discussions  qui  ont  amené  l'organisation  des  séries  ci- 
dessus,  votre  commission  a  poursuivi  un  double  but  :  renforcer  les 
principales  épreuves  déterminées  par  l'arrêté  du  5  janvier  1881,  et 
Ajouter  quelques  matières  nouvelles  à  l'examen,  afm  de  mettre  le 
programme  du  brevet  élémentaire  en  harmonie  avec  la  loi  du 
28  mars  1882  et  l'organisation  pédagogique  du  27  juillet  de  la 
même  année.  Ainsi,  pour  assurer  à  l'enseignement  de  la  langue 
française  la  place  qu'il  doit  occuper  à  l'école,  il  a  paru  nécessaire 
d'exiger  du  candidat  non  seulement  qu'il  connaisse  l'orthographe, 
maisqu'il  s'exprime  avec  correction,  clarté  et  aisance.  Aussi  votre 
commission  a- t-elle  insisté  sur  la  nécessité  de  préférer  aux  exercices, 
trop  minutieux,  d'analyse  et  de  terminologie,  des  interrogations  sur 
le  sens  des  mots,  la  liaison  des  idées,  la  construction  des  phrases 
et  la  grammaire.  De  même,  pour  unir  plus  étroitement  l'instruction 
à  l'éducation,  elle  a  ajouté,  au  paragraphe  des  sujets  de  composition 
à  proposer  aux  candidats,  un  précepte  d'éducation. 

Préoccupée  enfin  de  donner  a  l'épreuve  d'arithmétique  une  valeur 
plus  réelle,  votre  commission  a  décidé  que  cette  épreuve  compren- 
drait, outre  la  solution  raisonnée  d'un  problème,  une  question 
d'arithmétique.  Elle  espère  ainsi  faire  juger  mieux  de  l'intelligence 
des  candidats. 

Voire  commission  a  été  fort  divisée  sur  le  choix  des  matières 
qu'il  serait  nécessaire  d'ajouter  aux  épreuves  du  brevet  élémentaire, 
afin  d'assurer  à  l'enseignement  primaire  de  tous  les  degrés  l'am- 
pleur que  le  législateur  du  28  mars  1882  a  voulu  lui  donner. 

En  ce  qui  concerne  spécialement  l'instruction  morale,  inscrite  à 
Tarticle  i«'  de  la  loi  nouvelle,  votre  commission  est  d'avis  qu'il  serait 
bien  délicat  et  bien  difficile,  sinon  impossible,  de  faire  des  interro- 
gations spéciales  sur  la  morale,  sans  se  répéter  et  sans  tomber  dans 
des  banalités,  sans  risquer  surtout  de  réduire  la  morale  à  un  for- 
mulaire d  examen  qui,  étant  appris  par  cœur,  comme  une  leçon, 
perdrait  rapidement  tout  sens  et  toute  valeur.  C'est  ce  qu'elle  a 
voulu  éviter  à  tout  prix. 

Votre  commission  se  contente  donc  de  la  mention  «  d'instruction 
civique  «,  mais,  comme  elle  attache  une  importance  capitale  à  un  ensei- 

(1)  Le  Conseil  supérieur  a  décidé,  lors  du  vole  délinilif  de  i'arrélé,  que 
les  aspirantes  devront  en  ouirc  «  exécuter  un  dessin  au  trait  d  après  un  objet 
atœl  (dorée  de  l'épreuve  :  une  demi-heure).  —  Rédaction. 

IITUB  PÉDAflOOIQUB  1885.  —   1*'  Al«.  11 


16^  MMYUK  FÉAA60GIQUK 

gnement  bien  entendu  de  la  morale  ii  récde,^lle  souhaite  tiue  sou- 
vent les  sujets  de  compositions  écrites  appellent  les  aspirants  et  -ies 
aspirantes  à  s'expliquer  sur  des  questions  de  morale  à  leur  fMrlée. 

Ensuite,  après  avoir  entendu  les  observations  et  les  expUcaii^ns 
de  M.  le  directeur  de  renseignement  primaire,  et  en  vue  4e  VeoÊÂ- 
cution  de  la  loi  du  15  juin  1879  sur  renseignement  de  UagriculUiie, 
elle  a  adopté,  comme  nouvelle  épreuve,  une  question  sur  -les  no- 
tions les  plus  élémentaires  des  sciences  physiques^  et  naturelles, idans 
leurs  rapports  avec  l'agriculture  et  Thortioulture. 

Votre  commission,  reconnaissant,  comme  la  section  permanente, 
les  efiets  bienfaisants  de  renseignement  du  chant,  «dopte  le  para? 
graphe  relatif  aux  questions  et  eotercices  très  élémentaires  lée  ^sol- 
fège. 

Outre  les  épreuves  fixées  par  la  section  permanente  en  son  article 
17,  relatives  au  dessin  pratique  pour  les  aspirants,  et  aux  iraraux 
à  raiguille  prescrits  par  Tarticle  i^'  de  la  loi  du  28  mars  1^2, 
pour  les  aspirantes,  votre  commission  a  ajouté  les  exerotees  les 
plus  élémenlaires  de  gymnastique,  prévus  par  le  progvaoBune  des 
écoles  primaires.  £lle  n'a  pas  pensé  augmenter  la  Dattgue  de  la 
préparation;  -on  a  voulu,  par  l'obligation,  rendre  da»s  les  écoles  les 
exercices  physiques  plus  fréquents. 


TITRE   IV 

DE  I/EXAMEN   du   brevet    SCPÉRlEtJR 

Aet.  -18  et  19.  —  Votre  commission,  en  cela  'd'acoord  avec  le 
sentiment  unanime  qui  s'est  manifesté  pendant  l'enquête  du  brevet 
supérieur,  a  décidé  dans  une  de  ses  premières  séances  qu'il  y  avait 
lieu  d'apporter  de  notables  réductions  aux  connaisMnces  exigées 
pour  l'obtention  de  ce  titre,  tout  en  ne  portant  aucun  préjudice  à  la 
culture  morale  et  intellectuelle  .des  candidats  aux  fonetions  de 
l'enseignement. 

On  a  proposé  la  division  de  Texamen.  Cette  scission  en  deux 
parties  du  brevet  supérieur,  par  la  création  d'un  4»re7etH(tépatre  et 
d'un  brevet  scieuatifique,  n'a  pasiparu  à  la  oommissi«o  tme  mesure 
conforme  au  but  qu'elle  désire  atteindre.  En  scindant  Texamen,  la 
commission  aurait  craint  de  séfMtrer  d'une  façon  artificielle  IWnde 
des  lettres  et  celle  des  soîobcss;  elle  aurait  craint  austi  d'ajouter  à 
la  difficulté  d'obtenir  le  brevet  supérieur,  en«ubstituant«tf  fait 'deux 
examens  à  un  seul.  Elle  a  donc,  à  une  grande  ma>«ri4é,  maintenu 
l'unité  de  l'examen. 

épreuves  écrites, 

La  commission  adopte,  en  principe,  la  proposition. de < la  section 
permanente,  en  ce  qui  concerne  les  épreuves  ,de'  niantiM,  avec 


LES   TITRES   DE  CAPACITÉ  DE   l'eNSEIGNEMKM   PRIMAIRE       163 

la  réserve  suivanfe  :  le  calcul  algébrique,  la  géométrie,  ragriculture 
«l  rhorUculture  senmt  écartés  des  épreuves  à  faire  subir  aux  aspi- 
rantes. 

Poar  la  composition  française,  votre  commission,  d  accoid  avec 
fat  section  permanente,  a  cru  qu'il  fallait  se  contenter  de  cette 
indication  générale  :  litléralure  ou  morale.  Quand  le  sujet  pouvait 
être  emprunté,  soit  à  Thistoire  et  à  la  géographie,  soit  à  l'instruc- 
tion morale  et  civique,  des  candidats,  craignant  toujours  que  leur 
mémoire  ne  fût  prise  au  dépourvu,  passaient  la  plus  grande  partie 
"ée  knr  temps  à  npprendn^  par  cœur  des  manuels  d'histoire,  de 
géojgraphie,  d'instruction  morale  et  civique.  Ne  vaut-il  pas  mieux 
▼otr  ce  temps  consacré  aux  lectures  et  surtout  aux  n'flexions 
^TBonnelIes? 

Si  les  procédés  artificiels  doivent  être  écartés  de  touto  préparnlioii 
aux  examens,  ne  faut-il  pas  les  bannir  surtout  de  la  composition 
française,  qui  doit  montrer  si  le  candidat  est  capable  de  dégager 
ses  idées,  de.les  exprimer  correctement  dans  un  style  clair  et  naturel? 

Epretti^s  orales. 

Art.  20,  21  et  2-2.  —  Pour  montrer  Timportance  qu'elle  attache 
à  la  culture  générale  do  Tesprit,  et  en  même  temps  le  cas  qu'elle 
fait  des  connaissances  pratiques  et  précises,  la  commission  projxise 
june  nouvelle  modiQcation.  Jusqu'ici  l'étude  de  la  langue  française 
cédait  en  quelque  sorte  le  pas  à  l'arithmctiquo,  à  In  physique  et  à 
la  gécgraphie.  Cet  ordre  est  remplace  par  le  suivant  : 

10  Questions  sur  la  moralo  et  sur  réducation  murale  (1); 

.2''  Langue  française,  lecture  expliquée  d'un  auteur  français, 
pris  sur  une  liste  qui  sera  dressée  tous  les  trois  ans  par  le  miniiilre 
de  rinstruction  publique  el  publiée  une  année  à  t'avance;  des 
jquestions  d'histoire  littéraire,  limitées  aux  prijicip<iux  auteurs 
du  xvi*^  au  xix'^  siècle,  seront  posées  aux  candidats  a  l'occasion  de 
cette  lecture; 

3<^  Eléments  d'histoire  générale  depuis  IGIO,  géographie  de  la 
France  et  notions  de  géograpliie  générale  (2)  ; 

^  Arithmétique  appliquée  aux  opérations  pratiques,  tenue  des 
livres,  et  en  outre,  pour  les  aspirants  seulement,  notions  de  calcul 
Algébrique  (3),  éléments  de  géornétrie,  arpentage  et  nivellement: 


(llLeGonsairsiipéHeinra  suppriim>  l'adjectif  moreth  comme  faisant  double 
gBpioi,  et  a -rédigé  eet  alinéa  ainsi  :  «1*  Questions  lar  la  morete  et  sur  Té- 
dMlieD.»  —  Mdëciion. 

(2)  Le  texte  adopté  par  le  Conseil  supérieur  porte  :  «  3*  Histoire  de  Fnnoe 
depuis  tSiO  et  éléments  d'iiistoire  générale  depuis  la  môme  date;  géographie 
de  la  France  et  notions  de  géographie  générale.  »  —  Rédaction, 

(3)  Le  leile  «dopté  par  le  Gmseil  supérioor  porte  :  «r  Notions  très  élémen- 
tairet  de  calcul  algébrique.  »  —  Rédaction. 


16  i  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

5^  Notions  de  physique^  de  chimie  et  d'histoire  naturelle,  et 
en  outre,  pour  les  aspirants  seulement,  notions  d'agricultun>  et 
d'horticulture; 

6<>  Traduction  à  livre  ouvert  d'une  vingtaine  de  lignes  d'un 
texte  (1)  anglais,  allemand,  italien,  espagnol  ou  arabe,  au  choix 
du  candidat. 

En  ce  qui  cjncernc  le  paragraphe  1®',  le  projet  préparé  par  la 
section  permanente  portait  :  «  Questions  sur  la  morak  et  la  psycho- 
logie dans  leurs  rapports  avec  Téducatioa.  »  Ce  tait  toute  la  péda- 
gogie. Pour  simplifier,  on  a  demandé  la  radiation  du  mot  psychologie. 
Restait:  «  la  morale  dans  ses  rapports  avec  l'éducation  ».  Celte  formule, 
trop  vague,  a  été  remplacée  par  celle-ci  :  «  La  morale  et  l'éducation 
morale,  »  Par  la  force  des  choses  et  en  l'absence  de  notions  scien- 
tifiques et  définies,  il  est  certain  qu'en  fait  toute  l'interrogation 
portera  sur  la  morale  :  c'est  le  Vœu  de  la  commission. 

Votre  commission  a  pensé  encore  que,  si  les  élèves  doivent  être 
capables  de  replacer  dans  leur  époque  et  dans  leur  milieu  les  principaux 
écrivains  français,  il  serait  superflu  de  leur  faire  apprendre  par 
cœur  une  série  de  biographies  littéraires.  On  a  cru  parer  à  cet 
inconvénient,  en  adoptant  la  formule  :  «  Interrogations  sur  le  mouve- 
ment littéraire  du  xvi®  au  xix«  siècle.  » 

Votre  commission  a  aussi  modifié  le  projet  de  la  section  permanente 
en  ce  qui  concerne  Tinterrogation  sur  l'histoire  de  France  et  les 
notions  d'histoire  générale.  Tout  le  monde  reconnaît  que  cette  for- 
mule est  trop  vague  et  que  cette  sorte  de  revue,  même  sommaire,  de 
l'histoire  universelle  constitue  une  surcharge  écrasante  pour  la 
mémoire,  sans  utilité  pour  la  culture  générale.  Après  avoir  discuté 
diverses  propositions,  la  commission  s'est  arrêtée  au  texte  suivant  : 
«Eléments  d'histoire  générale  depuis  1610;  géographie  de  la  France 
et  notions  de  géographie  générale  »  ;  c'est  celui  du  programme  d'his- 
toire dans  la  troisième  année  des  écoles  normales.  Ce  qu'il  faut  en 
eflet  demander  aux  aspirants,  ce  n'est  pas  un  savoir  général,  et 
par  là  mémo  superficiel,  mais  un  savoir  réel  et  approfondi  ;  ce  ne 
sont  pas  non  plus  toutes  les  matières,  mais  tous  les  ordres  essen- 
tiels d'enseignement  qui  doivent  être  représentés  dans  les  pro- 
grammes du  brevet  supérieur.  Votre  commission  ne  croit  pas  d'ail- 
leurs amoindrir  cette  importante  épreuve,  en  lui  traçant  un  champ 
limité,  où  l'esprit  pourra  se  mouvoir  avec  tout  autant  d'activité  et 
plus  de  profit. 

Elle  estime  qu'il  faut  réserver  aux  seuls  aspirants  les  notions  de 
calcul  algébrique,  les  éléments  de  géométrie,  d'arpentage  et  de  nivel- 
lement. Elle  a  réuni  en  une  seule  épreuve  les  mitières  comprises 
dans  les  paragraphes  2  et  3  du  projet. 

\1)  Le  texte  adopté  porte:  «  d'un  texte  facile  anglais,  allemand,  j»  etc.  — 
Rédaction. 


LES  TITBES  DE  CAPACITÉ  DE   l'eNSEIGNEMENT  PBIMAIRE        16â 

Les  questions  sur  l'agriculture  et  Thorticulture  ont  été  réservées 
aux  aspirants  seuls,  mais  la  commission  y  attache  la  plus  grande 
importance  et  compte  que  partout  ce  seront  des  professeurs  spéciaux 
d'agriculture  qui  seront  chargés  de  les  poser. 

Votre  commission  supprime  ensuite  les  épreuves  sur  le  solfège, 
le  chant  et  la  gymnastique,  qui  ont  été  représentées  au  brevet  élé- 
mentaire. 

La  commission  a  longuement  discuté  le  paragraphe  relatif  à 
répreuve  de  langues  vivantes.  Une  partie  de  ses  membres  deman- 
daient qu'on  laissât  à  cette  épreuve  le  caractère  facultatif;  ils  insis- 
taient sur  les  difficultés  de  toute  sorte  qu*il  y  aurait  pour  les  aspi- 
rants, m^me  élèves  des  écoles  normales,  à  acquérir  les  connaissances 
nécessaires;  mais  on  a  fait  valoir  d'autre  part,  avec  beaucoup  de 
force,  des  raisons  d'un  ordre  très  élevé. 

Cest  d'abord  un  intérêt  national  ;  il  ne  faut  pas  accepter  et  per- 
pétuer l'état  d'infériorité  où  nous  place,  à  l'égard  des  peuples  voisins, 
notre  ignorance  trop  générale  des  langues  étrangères  ;  il  importe  de 
faire  cesser  l'isolement  auquel  nous  semblons  nous  résigner. 

De  plus,  l'introduction  des  langues  vivantes  au  brevet  supérieur 
aura  pour  effet  d'abaisser  la  barrière  entre  renseignement  primaire 
et  rensei.i;nement  secondaire.  Celui-ci,  en  reculantjusqu'à  la  sixième 
l'élude  du  latin,  a  laissé  ses  portes  ouvertes  aux  enfants  de  nos 
écoles  ;  mais  il  leur  demande,  comme  à  ceux  qu'il  a  préparés  lui- 
même,  des  notions  des  langues  étrangères.  C'est  donc  rendre  un 
grand  service  à  l'enseignement  primaire  que  d'y  introduire  l'étude 
d'une  de  ces  langues. 

La  commission  a  voulu  marquer,  par  son  vote  sur  cette  question, 
qu'il  y  va  des  intérêts  de  notre  pays.  Mais  pour  laisser  à  cette  impor- 
tante réforme  le  temps  de  se  préparer,  elle  a  fixé  le  1®»^  janvier  1888 
comme  la  date  où  l'épreuve  deviendra  obligatoire. 

TITRE  V 

CERTIFICAT  d'APTITUDE  PÉDAGOGIQUE 

Art.  î23  et  24.  —  Quelques  membres,  préoccupés  du  désir  de  dimi- 
nuer le  nombre  des  diplômes  aujourd'hui  réclamés  dans  l'enseigne- 
ment primaire,  proposaient  la  suppression  du  certificat  d'aptitude 
pédagogique. 

Avec  beaucoup  de  force,  on  en  a  demandé  le  maintien,  mais  à 
condition  que  son  caractère  serait  désormais  plus  nettement  fixé. 
Le  certificat  d'aptitude  n'est  pas  en  réalité  un  nouveau  diplôme,  il 
n'exige  des  candidats  aucune  instruction  nouvelle,  aucune  prépara- 
tion spéciale;  il  se  borne  à  constater  qu'ils  ont  acquis,  par  l'exer- 
cice même  de  leurs  fonctions,  l'expérience  qu'on  est  en  droit  d'exiger 
d'un  futur  directeur  d'école.  On  tenait  tellement  h  ce  que  cet  examen 


166  R£VU£   PÉDA60GIQU&. 

fût  tout  à  fait  pratiqua,  que  la.  section  permaoente  proposait  de  le 
faire  passer  aux  instituteurs  dans  une  classe,  devant  des  élèves^ 
mais  plusieurs  membres  de  la  commission  se  sont  élevés  avec  vi* 
gueur  contre  celte  proposition,  ils  ont  démontré  qu'un. pareil  examen 
serait  impraticable.  Peut-on  désor^niser  les  clafises?  Seraitril 
conveaablc  d*exposer  un  instituteur  à  rester  court  devant  les 
élèves? 

On  a  proposé  encore  de  f.iire  venir  devant  le  jury  q^elques  élèves 
auxquels  le  candidat  s'adresserait.  La  commission  a.  pensé  qu'en 
face  de  ces  figurants  le  candidat  ne  serait  pas  du  tout  dans  la  même 
situation  que  dans  sa   classe  avec  ses  élèves. 

Par  toutes  ces  considérations,  elle  a  donc  réduit  l'exatten  à  des 
épreuves  passées,  comme  les  autres,  en  dehors  de  la  classe^  hors  de 
la  présence  d'élèves,  devant  un  jury  ;  mais  il  reste  bien  enteuAu  que 
ces  épreuves  seront  aussi  simples  que  possible,  uniquement  destinées 
à  montrer  Texpérienco  acquise  par  Tinstituteur.  Ainsi- la  compositioa 
française  est  limitée  à  un  travail  fort  simple  sur  un  sujet xelAlif 
à  la  tenue  do  l'école  et  à  l'enseignement. 

Cette  épreuve  sera  éliminatoire,  afin  de  ne  pas  obliger  à  se  pré- 
senter inutilement  devant  le  jury  les  candidats  dentelle  aurait  déi- 
montré  Tincapacité. 

TITRE  Vi 

DU  CERTIFICAT  D'APTITUDE  A  LA  DIRKCTION  DBS  ÉCOLES  aATEffNBLLfiS' 

Art.  25  et  26.  —  Le  certificat  d'aptitude  à  la  direction' de»  écoles 
maternelles  a  donné  lieu  à  une  diseassion  dans  laquelle^on  ar  expri- 
mé le  désir,  en  vue  de  réduire  le  nombre  des  litres  de  capacité  et  de» 
relever  le  niveau  de  l'examen  des  directrices  d'écoles  maternelles; 
de  voir  ce  titre  remplacé  par  le  brevet  de  capacité  élémentaire,  suivi 
d'une  épreuve  pratique.  Cette  proposition  a  dû  être  écartée,  le  cer- 
tificat d  aptitude  à  la  direction  des  écoles  maternelles  existant  en 
vertu  du  décret  du  2i  mars  i85o  qui  vise  la.  loi  du  15  mars  1830. 
En  conséquence,  votre  commission  adopte  les  deux  articles  du  titre 
VI,  en  supprimant  au  paragraphe  4  des  épreuves  écrites  la.menUen 
«  et  de  petits  ouvrages  de  la  méthode  Ri'oebel.  »  ;  elle-  a  décidé  ea 
outre  que  les  aspirantes  déjà  pourvues  du.hvevet.de  capEuntétâerooi. 
admises  à  Texamcn  pratique,  sous  la  condition  d'avoir  suhii  avee 
succès  une  épreuve  de  desskU'au  trait  (1). 


(1)  Ija^dause  rdntive  k  l'épreufede  deuiti  a  été  suppvènée' parle  QeMeil 
su4iériour  comme  su perflae^  par  suite  de  l'iolroduciieiiv  mentionnée  *  pèiA:  luMt^. 
d'une,  épreuve  de  deseia  au  trait,  pour  le^espisantes)  daaei'eeaenBdtt  bievet' 
élémentaire.  —  Hédaction. 


LES   TITRES   DE  CAPACITÉ   DE  l'eNSEIGNEMENT  PRIMAIRE        167 

TITRE  Ml 

DU  JUGEMENT  DES  ÉPREUVES 

* 

Art.  â7.  —  Après  avoir  rais  en  présence  les  deux  propositions  qui 
se  soDt  produites  au  coramencement  du  débat  relatif  au  jugement 
des  éprenines,  et  dont  l'une  avait  pour  objet  d'admettre  des  coefficients 
et'  Taatre  d'exclure  la  compensation  des  notes  atlribuées  aux 
éprefiTes,  votre  commission,  s'appuyant  sur  ce  (}ue  les  matières 
do  programme  de  l'enseignement  primaire  forment  ensemble  une 
série  de  connaissances  nécessaires,  indispensables,  et  que  pour  bien 
les  enseigner  il  faut  bien  les  posséder-  a  adopté  le  système  de 
compensation  et  Tarticle  de  la  section  permanente,  sauf  une  légère 
modlûcalion  en  vertu  de  laquelle  la  note  très  bien  correspondra  aux 
chiffres  10  et  9.  La  mention  médiocre  est  remplacée  par  la  mention 
fat'ble,  comme  plus  claire. 

La  commission  a  rétabli  ensuite  Tarlicle  réglant  les  conditions 
de  rejet  et  d'admission  de  l'épreuve  d'orthographe,  en  décidant  qu'un 
tolai  de  trois  fautes  entraînerait  la  nullité  de  cette  épreuve  (1).  Votre 
commiseton  s'en  rapporte  d'ailleurs  au  pouvoir  discrétionnaire  des 
jurys  d*examen  pour*  l'appréciation  de  la  gravité  des  infractions  à 
la  grammwre  et  à  la  langue. 

Elle  considère  qu'un  mode  de  correction  uniforme  sera  un  élé- 
ment de  relèvement  de  l'examen  du  brevet  élémentaire. 

AUT.  î^  et  29.  —  Adoptés. 

Art.  30;  —  Le»  conditions  d'admissibilité  aux  épreuves  orales  et 
d'admission  définitive  sont  réglées  par  cet  article.  La  commission 
96  conforme  à  l'équité  en  exigeant  que  pour  être  admissible  aux 
examens  oraux,  onaitobtenu  la  moitié  du  chiffre  maximum  des  points. 

Bo  conséqoenee,  votre  commission  a  l'honneur  de  vous  proposer 
dMopter  le  programme  qu'elle  vous  présente. 

Ruris,  1er  29  décembie  1884.  L»  Bàpportettr, 

A.  Armbruster. 


(1)  Après  une  discussion  approfondie,  le  Conseil  snpérieur  a  décidé  de  ne 
pn-  maintenir  cet  article.  MM*  Renan,  Béclard  et  Bernés  ont  signalé  les  abus 
q^  réBultent  de  l'applicatioii  d*nn  tarif  inflexible,  pouvant  entraîner  des  exchi- 
tktmm  îÉyotleti  et  l*«nnjorHé  &m  Conseil  (19  voix  contre  18)-  s'est  rangée  è*  leor 
avis»  uâfjuigrBid'eianMDappiéoiercMlidésoffiiiais  réprwtve  d'orthograpl»  en 
I— lemfcartè,  oomjntdlaappréeieiu  l«»autnDBé|irattvea;deraam0a.  ^  MdâHim' 


LA  PRESSE  ET  LES  LIVRES 


Questions  d'enseignement  national,  par  M.  Ernest  Lavisse  (Revue 
internationale  de  Renseignement,  numéro  du  15  janvier  i885).  —  C'est 
renseignement  supérieur,  tel  qu'il  est  donné  dans  les  facultés  de 
l'Etat  qui  fait  l'objet  de  cette  étude,  préface  d'un  livre  qui  vient  de 
paraître;  mais  nous  y  trouvons  un  passage  intéressant  pour  nous. 

«  Quiconque  enseigne  Thistoire,  dit  M.  Lavisse,  dans  un  collège 
ou  dans  une  école,  est  le  disciple  do  ceux  qui  travaillent  au  progrès 
de  la  science  historique.  » 

Et  en  ce  qui  concerne  Técole,  il  insiste  sur  f>a  pensée. 

ff  Dans  un  collège  ou  dans  une  école,  ai-je  dit  :  il  faut,  en  effet, 
ne  pas  oublier  l'école.  11  ne  s'agit  pas  de  faire  les  superbes  et  les 
dédaigneux^,  et  de  s'estimer  si  haut  placé  dans  sa  chaire  que  Ton 
n'aperçoive  point,  tout  en  bas  de  la  hiérarchie,  le  maître  d'école 
avec  les  fils  des  paysans  et  des  ouvriers,  car  ces  fils  de  paysans  et 
d'ouvriers,  c'est  la  plus  grande  partie  de  la  France.  Il  ne  s'agit  pas 
non  plus  de  s'isoler  dans  sa  dignité  intellectuelle  et  morale,  et  de 
croire  ou  de  faire  semblant  de  croire  que  la  force  morale  ne  se 
transmet  pas.  De  même  que  les  sciences  positives  ont  leurs  appli- 
cations dans  rindusirie,  les  sciences  morales  ont  leur  application 
dans  la  vie  nationale.  Ou  pardonnera  à  un  professeur  d'histoire  cette 
conviction  qu'il  est  utile  de  verser  jusqu'aux  profondeurs  intimes  de 
la  nation  la  connaissance  élémentaire  de  noire  histoire,  le  sentiment 
de  ce  que  nous  avons  été,  de  ce  que  naus  sommes  dans  le  monde. 
Sans  doule,  la  transmission  se  fera  souvent  par  des  maîtres  insuf- 
fisants à  des  écoliers  incapables  ;  beaucoup  de  temps  sera  perdu  ; 
des  mots  inutiles  ou  inintelligibles  sei*ont  jetés  dans  des  mémoires 
qui  ne  les  garderont  point;  mais  c'est  un  mal  que  nous  pouvons 
atténuer,  si  nous  ne  dédaignons  pas  de  diriger,  de  conduire  par  la 
main  les  maîtres  de  ces  écoles;  ce  faisant,  nous  serons  récom- 
pensés de  la  peine,  car  il  y  a,  dans  ce  monde  aujourd'hui  si  actif 
de  l'école  populaire,  une  grande  vertu  :  on  a  le  courage  d'y  être  bon 
Français  et  de  le  dire.  Vous  n'y  rencontrerez  pas  cette  détestable 
crainte  du  ridicule,  qui  nous  fait  hésiter  devant  les  grands  roots 
qui  expriment  les  grands  sentiments.  On  prononcera  le  mot  de 
patriotisme  avec  quelque  emphase,  mais  cela  ne  vaut-il  pas  mieux 
que  de  le  dire  tout  bas,  avec  une  hésitation  de  la  langue,  comme 
si  on  voulait  se  faire  pardonner  cette  hardiesse  à  offenser  le  bon 
goût?  Je  dirai  plus  encore.  J'ai  peur  que  ce  ne  soit  pas  seulement 
l'expression  qui  manque  au  sentiment  dans  une  certaine  partie  de 
la  nation,  mais  que  le  sentiment  même  n'y  ait  pas  cette  vigueur 


LA   PRESSE  BT   LES  LIVRES  169 

qu'il  lui  faut  pour  posséder  les  âmes.  Les  hommes  qui  ont  la  vie  à 
la  fois  la  plus  occupée  et  la  plus  facile  ne  sont  pas  ceux  qui  res- 
sentent le  mieux  certaines  douleurs  et  sont  le  plus  prêts  à  certains 
sacrifices.  Les  ftmes  et  les  vies  plus  simples  sont  plus  sensibles. 
On  trouvera  dans  les  rangs  élevés  d'une  société  des  âmes  fières,  que 
le  sentiment  même  de  leur  dignité  préservera  contre  les  bassesses 
et  conduira  sans  efforts  aux  actions  héroïques,  mais  il  faut  à  la 
France  la  foule  des  héros  inconnus;  elle  est  dans  les  ateliers  et 
derrière  les  charrues.  Parlons-lui  en  soignant  notre  parole,  et  comme 
la  plus  lourde  part  de  devoirs  pèse  sur  elle,  donnons  les  faisons 
capables  de  lui  faire  comprendre  ces  devoirs  et  de  les  lui  faire 
aimer. 

»  Je  dirai  seulement  à  ceux  qui  trouveraient  extraordinaire  cette 
relation  entre  renseignement  supérieur  et  Técole  primaire,  entre 
la  science  et  le  patriotisme  :  Re^^ardez  FAllemagne.  J'ajouterai  :  Il 
ne  se  passe  pas  de  session  de  baccalauréat  où  des  examinateurs  ne 
soient  emportés  par  l'indignation,  en  constatant  que  des  jeunes 
gens  ne  savent  point  l'histoire  de  nos  défaites  de  4870,  ne  connaissent 
pas  le  tracé  de  notre  frontière  de  l'est,  ont  oublié  Metz  ou  bien 
donnent  Nancy  à  TAllemagne.  On  se  demande  dans  quel  milieu  ils 
ont  vécu.  Ce  sont,  dira-t-on,  des  exceptions  monstrueuses  :  je  le 
souhaite.  U  faut  travailler  à  les  faire  disparaître  :  sans  doute,  mais 
il  faut  peut-être  aussi  chercher  dans  un  autre  milieu.  » 

Dubois-Crancé;  la  première  bibliothèque  populaire  (La  Justice  du 
t  février  1885).  —  Dans  une  étude  sur  Dubois-Crancé  signée  Sari" 
thonax,  et  publiée  à  propos  du  livre  récent  que  M.  le  colonel  lung 
a  consacré  à  ce  conventionnel,  nous  trouvons  la  page  suivante, 
qui  nous  a  paru  mériter  d'être  reproduite  dans  cette  Revue  : 

«  Aux  derniers  jours  de  la  République,  Dubois-Crancé  fut  ministre 
de  la  guerre  pendant  un  peu  moins  de  deux  mois.  On  lira,  dans  les 
écrits  posthumes  publiés  par  M.  hmg,  l'intéressant  compte-rendu 
qu'il  râigea  pour  la  postérité.  Notons  surtout  son  attitude  républicaine 
en  face  de  Bonaparte  :  il  proposait  au  Directoire  les  mesures  les  plus 
sévères  contre  le  général  de  l'armée  d'Egypte  et  il  parlait  de  préve- 
nir ses  projets  liberiicides  en  Tarrêlant.  Cette  attitude  était  d'autant 
plus  louable  chez  ce  patriote  que,  comme  militaire,  il  admirait 
passionnément  l'homme  d'Arcole  et  de  Rivoli.  Mais,  quoi  qu'en  dise 
un  de  ses  biographes,  il  se  garda  bien  de  rendre  de  plats  hommages , 
le  lendemain  du  18  Brumaire,  au  destructeur  de  la  République,  et 
il  quitta  simplement  le  ministère  pour  rentrer  dans  la  vie  privée.  La 
rancune  de  Bonaparte  l'y  suivit  sous  la  fofme  des  tracasseries  les  plus 
mesquines  et  les  plus  basses.  Quand  il  demanda  un  congé  comme 
général  de  division,  son  successeur  Berthier  le  fit  descendre  au  grade 
d'a4judant-général  qu'il  avait  avant  son  élection  à  la  Convention, 
n  eut  beaucoup  de  peine  à  obtenir  de  la  malveillance  des  bureaux 


170  REVUK  PÉDA6061iHK' 

la  liquidation  de  sa  modeste  peiision  de  retraite  et  véculdès.  lor&y 
ohscuv  et  bien  faisant,,  dans  sa.  propriété  de  Balham. 

»  Aicetle  heure  critique  de  la.  retraite,  il  moi^a  de  la  dignité^  diL 
boa.seast  UQ^  modestie  iiàre,  comme  si.rexpécience  et  le  spectacle 
do  tant  d'événements  tragiques  avaieiit  dissipé  en  lui  ce  grain  de 
vanité  que  noua  lui. avons  peutrêtre  trop  reproché,  et  il  éorivil  noble* 
ment  en. tête  de  sas  Mémoires  : 

«  Si' j'easso' encore  été  à  1  époque  où  je  croyais  bs  hommes  meil- 
»  leurs  qu'ils  ne  le  sont,  j'aurais  regretté  peut-être  de  ne-pouvoir 
»-plu8  les  servir;  mais  l'expérience  m'a< convaincu,  et.je  me  féli- 
»  die  do  n'avoir  plus  d'autre  occupation;  que  celle  de  cnltiver*  le 
»>  champ  patriarcal  que  mon  piTe  m'a  laissé.   »   Et,   sans  insister 
davantage  sur  lamertume  de  ses  désillusions,  il  ajoute,  avec  l'em- 
phase du  temps:  <   Comme  ils  sont,  grands,  ces  boisl  comme  ils • 
»  sont-,  devenus  épais»  ces  couverts  que  j'ai  perdue  de  vue  depuis  dix. 
»  ansi.  Qu'ils  sont  délicieux!  Hais  en  me  rappelant  que  c'est  moi 
i>  qui  les  ai  plantés,  ils  m'avertissent  du  déclin  de  ma  vi«(..  Eh  ! 
>  >qu'imporie ?  Ne  vieillitHMi  pas  également  au  milieu  de  la. tour» 
»  mente  des  cour^,  comme  dans  les  déserts?  Dois-^je  moins  jouir  de» 
V  dons»  de  la: nature,  parce  qu'il  faudra  un  jour  en  être  privé?.. . 
»  Adieu  donc,  honneurs,  puissances,  crédit,  adieu  tout;  je  reprends- 
»  ma;  bêche  et  mon  râteau,  et  ne  suis  plus  qa^un  jai'dinier.  » 

D  C'est  alors  que,  naïvement,  il  se  fait  peindre  par  DeneuTilleen 
jardinier:  il  a  une  bêche  à  la  main,  et  sa  femme  est  debout  près  de  lui. 

»  11  finit  donc  sa  carrière  agitée  en  cultivant  son- jardin  comme 
Candide,  mais  c'est  un  Candide  sensible,  un.  Candide  humain,  et 
hieniaisanL  Ainsi  que  tant  d'autres  révolutionnaires  il  avait,  dan» 
le  cœur  comme  sur  les  lèvres,  le  culte  et  le  goût  de  la  fcaternUé. 
Dans  sa  carrière  militaire,  toute  morgue  professionnelle  est  absente 
de  sa  parole  et  de  ses  actes.  Non  seulement  il  se  rit  du  prestige  du 
galon  et  veut  qu'on  soit  sobre  d'épaulettes^  maia.il.  traite  réellement 
les  soldats  qu'il  commande  commo  des  camarades  et  comme  dès 
frères*  il  leur  disait  : 

«  Le  mot  de  fratemiié  est-iLun  vain  mot?  N'esi'Ce>p^C€i.q4|LiiBLit 
».  notre  force?  Les  vertus  sociales  sont  si  douces  1  »  De  leur,  côtà^.ses 
soldats  le  traitent  en  père.  A  l'armée  de  Bretagne,,  en.. mai   17d4v 
dan»  une  heure  de  grande  détresse  morale j. ils  lui  avouent  ingénu* 
méat  leurs  défaillances,  intimes  et  sollicitent  de  lui  dea^  rasiôdea: 
contre  leurs  propres  faiblesses.  Un. d'eux,  un  simple  stfgiantf^Hiaior^ 
en  ganiifioaiàiFougèrcs,.a.reça..de  sa  feomie  des  lettres  qi^iamellis^ 
sent  sou  courage,  et.  il  sent  faiblir  son  patnntisœo.  Quo'ftti^il  akMft?  ; 
Ui envoie  toute  cette  corireapondance  à  son  général  et  lui  demaade-: 
ottaseiL  Le  général,.  à< qui  une  reaponsabiiitâ  infinie  ne  laiseotmâm»- 
ppade  tomps- de  dormir^  trouMe  uni  moment  poue  lire,  s'émouveir.  el 
répudie r à  son .  canaarade >:  «  Je  te  renvoie  .t&cerrespaodance-  C'est» 
«^mbdé^ôteacré/etije  taremenie  de^  ta  confiance.  Tu.ea.:nai  bnuvet 


LA  PAfiSSS.  £1.  LBft  UVAES  171 

•  homme.  Tu.  sera  bien  la  République.  Tu  ne  tarderas  paa  viaisem- 
«  blablement  a  être  fait,  officier.  Tu  doil  dooc  faire  pasâor  daoa 

>  Fine. de  ton  épouse. le  sentiment  qui  tanime  et  la  fortifier  cootce 

>  une  faiblesse  qui,  pour  être  due  à  sa  tendresse,  n*ea  nuirait  pas 
»  moins  à  ton  avancement  et  peut-être  à  tes  devoirs.  C'est  un  mou- 
»  vement  bien  naturel  que  celui  qui  nous  rapproche  par  la  pensée 
»  de  ce  que  nous  chérissons;  mais  nous  devons  tout  à  la  patrie i 
»  Commençons  par  la  sauver  pour  jouir  en  paix  des  fruits  de  sa. 
»  reconnaissance.  >  N'êtcs-vous  pas  émus  de  cette  belle  et  simple 
leçon  de  morale  civique,  donnée  par  un  général  à  son  soldat,  et 
l'aceent  de  tendresse  fraternelle  qui  tempère  la  gravité  do  ces  con«r 
jseUs  n'a-t-il  pas  comme  une  naïveté  sublime  ? 

»  Le  même  esprit  philanthropique  lui  inspira  une  généreuse  entrer 
prise,  dans  sa  retraite  de  Balham.  IL  avait  une  belle  bibiiotht'que, 
d'environ  6,000  volumes.  Il  eu. ouvrit  laccès  à  ses  concitoyens  et  fit 
apposer  dans  tout  le  canton  d'Asfeld,  où  il  demeurait,  une  affiche  où 
il  les  informa  qu*ils  pouvaient  se  présenter  chez,  lut  «  avec  confiance^ 

>  tous  les  jours  et  à  toute  heure,  de  huit  heures  du  matin  jusqu'à 

>  six  heures  du  soir,  à  dater  du  i*^  germinal  de  chaque  année  jus- 

>  qu^u  i^*"  vendémiaire,  ils  y  trouveront  sans  aucune  gêne  une  table, 
»  des  chaises,  de  Tencre,  du  papier,  et  le  citoyen  Dubois-Crancé 
V  leur  procurera,  tous  les  livres  dont  ils  désireront  prendre  connais- 

>  sance.  Tout  ce  qu'il  demande  à  ses  concitoyens,  c'est  le  respect 
»  d£Lauz  propriétés.  »  C'est  ainsi  qu'un  d3  ces  conventionnels  répu- 
tés barbares  et  sanguinaires  ouvrit,  dans  un  coin  perdu  de  la  France, 
sous  le  despotisme  de  Bonaparte,  la  première  bibliothèque  populaire. 
II  n'oubliait  pas  avec  quelle  sollicitude  l'ancien  régime  favorisait 
rigoorance,  et  lise  rappelait  avoir  lu  dans  le  Roussillon,  avant  1789y 
une  ordonnance  de  l'intendant  qui  défendait  aux  maîtres  d'école 
d  apprendre  à  lire  à  leurs  élèves  !  » 

Notions  usuelles  ûe  droit  civil  répondant  aux  progi'ammes  de 
l'eiiMigiiement  primaire  et  de  l'enseignement  secondaire  spécial, 
par.  M*  /.  R^. Chassaing^. Ucancié  en  droit,  rédacteur  au. ministère  da 
rinstruction  publique  ;  I^ris,  Delalain  frères^  1  volume  in-t-iî..  — 
Dan&  notre  dernier  numéro,  M.  Acollas  demandait  que  la  connaissance 
des  notîoos  élémentaires  du  droit  fût  vulgarisée  au  moyen  d'un 
enseignement  populaire:  Voici  un  livre  qui  nous  parait  répondre  à  ce 
àésu.  Ce  n'est  pas,  comme  l'auteur  le  dit  dans  sa  préface,  un 
taité  sommaire  ni  encore  moias  un  manuel  de  législation  civile; 
c'est- «-un.  livre. absolument  pratique^  mis  au  courant  des  lois  nour 
velles,.  où  se  trouvent  exposées,  en  termes  pour  ainsi  dire  faoûr 
liées,  tottiesr  les  règles  dsidroit  qui  sont  d!une  application  fréquente^. 
^.qfiliLio^iorte  de  connaître.  »  Des  notes  explicatives  en  grand' 
nombfe,  et»  chaque  fois  que  celai  a. paru  nécessaire,,  des  exemple»! 
d'application  font  saisir  le  sens  et  la  portée  des  règles  exposées. 


172  EBVUI  PÉDÀ606IOU1 

Les  Notiom  usuelles  de  droit  civil  conprennent  trois  livres.  Le 
premier  traite  de  l'état  et  de  la  capacité  des  personnes,  des  droits 
civils  et  politiques,  du  domicile,  de  la  résidence,  des  actes  de  Fétat 
civil,  du  mariage  et  de  ses  conditions,  des  différents  régimes  qu'il 
comporte,  des  droite  et  des  devoirs  des  époux,  du  divorce  et  de  la 
séparation  de  corps,  de  la  paternité  et  de  la  filiation,  de  la  minorité 
()t  de  la  tutelle,  de  la  majorité,  de  Tinterdiction,  du  conseil 
judiciaire,  etc. 

Le  second  livré  est  consacré  aux  biens  et  à  leur  distinction, 
meubles,  immeubles,  droit,  action,  propriété,  possessions.  L'auteur 
y  étudie  aussi  l'usufruit  et  les  droits  do  Fusufruitier,  l'usage,  l'Iia- 
bitation,  enfin  les  servitudes,  leur  origine,  leur  nature,  leur  ex- 
tinction. 

Le  troisième  livre  a  pour  objet  les  différents  modes  d'acquérir 
et  de  transmettre  la  propriété  et  les  droits  :  occupation,  successions, 
donations  et  testaments,  contrats  et  obligations,  preuve  des  obli- 
gations et  des  paiements,  vente,  contrat  de  louage,  voies  et  moyens 
accordés  aux  créanciers  pour  assurer  le  paiement  de  leurs  créances. 
Le  volume  se  termine  par  un  chapitre  sur  la  prescription  et  un 
autre  sur  les  moyens  offerts  par  la  loi  pour  mettre  fin  aux  contes- 
tations entre  particuliers  :  transactions, arbitrages,  compétence  des 
tribunaux  de  paix  et  des  tribunaux  d'arrondissement. 

L'ouvrage  de  M.  Ghassaing  se  présente  aux  maîtres  sous  les 
auspices  d'un  savant  professeur  de  la  faculté  de  droit  de  Paris. 
«  11  me  paraît  difficile,  écrit  à  l'auteur  M.  Bufnoir,  de  mieux  con- 
denser dans  un  si  petit  volume,  ou  d'analyser  plus  clairement 
et  dans  un  sens  plur.  pratique  les  règles  essentielles  de  notre 
droit  civil.  Votre  langue,  sans  cesser  d'être  juridique,  est  bien 
appropriée  au  public  spécial  et  pourtant  si  étendu  auquel  vous  vous 
adressez.  » 

Le  livre  de  l'élève  soldat,  à  l'usage  des  écoles,  collèges  et  lycées, 
des  sociétés  de  gymnastique  et  des  bataillons  scolaires,  par  M.  Edm. 
Pascal,  lieutenant  d'infanterie  territoriale,  affecté  au  service  d'état - 
major,  licencié  en  droit;  i  vol.  in-12,  1884,  Hachette  et  O*.  —  Les 
vertus  militaires  et  ce  qui  peut  en  provoquer  dans  l'enfance  le  déve- 
loppement, tel  est  l'objet  de  ce  livre.  Le  patriotisme  et  le  dévoue- 
ment, l'honneur,  le  drapeau,  le  courage  et  la  bravoure,  la  discipline  : 
voilà  les  titres  des  principaux  chapitres.  L'auteur  a  eu  recours  à 
l'artifice  d'une  légère  fiction  pour  dramatiser,  si  l'on  peut  dire,  ses 
leçons  de  morale  civique  :  il  a  multiplié  les  exemples  et  les  anecdotes. 
Son  livre  pourrait  être  un  bon  livre  de  lecture  courante  pour  les 
élèves  un  peu  avancés,  pour  les  classes  d'apprentis  et  d'adultes  ;  il  a 
surtout  sa  place  marquée  parmi  les  ouvrages  que  l'on  donne  comme 
récompense  dans  les  écoles  et  sur  les  rayons  des  bibliothèques  sco- 
laires et  populaires. 


LÀ  PRISSE  £T  LES  LIVRES  175 

L'AVENIR  VISUEL  DES  ENFANTS  DANS  LES  ÉCOLES,  par  Emile  Grand, 
membre  et  lauréat  de  l'Institut  ophthalmologique  européen,  auteur 
de  YHygiène  de  la  vue  et  de  plusieurs  ouvrages  appliqués  à  la  vul- 
garisation de  Toplique  physiologique;  chez  Fauteur,  a  Nancy  (30, 
rue  Saint-Dizier),  broch.  in-8^  de  ^5  p.  et  un  tableau.  —  Dans  cette 
brochure  destinée  et  dédiée  «  aux  instituteurs  et  aux  institutrices  », 
M.  Emile  Grand  décrit  les  défauts  les  plus  ordinaires  de  la  vision, 
dont  peuvent  être  atteints  les  enfants,  myopie,  hypermétropie,  astig- 
matisme, etc.,  et  il  indique  les  moyens  de  les  reconnaître.  Il  ne 
veut  pas,  dit-il,  apprendre  aux  instituteurs  l'optique  ophthalmolo- 
gique; —  il  faut  vingt  ans  pour  faire  un  opticien  expérimenté,  — 
mais  il  veut  les  prémunir  contre  des  apparences  qui  les  trompent 
souvent  sur  telles  ou  (elles  dispositions  morales  de  leurs  élèves,  les- 
quelles ne  sont  que  le  résultat  d'une  infirmité  physique,  et  particu- 
lièrement d'une  infirmité  de  Toeil  ;  il  leur  enseigne  des  correctifs 
facilement  applicables  dans  certains  cas,  lorsqu'une  infirmité  légère 
de  l'organe  visuel  est  bien  reconnue  et  distinguée;  et,  quant  aux 
affections  qui  sont  du  domaine  spécial  de  rophthalmologie,  il  les 
met  en  mesure,  sinon  d'en  établir  les  causes,  du  moins  d'être  les 
premiers  à  donner  un  avertissement  salutaire . 

M.  Grand,  s'adressant  à  un  public  peu  familiarisé  avec  le  langage 
médical,  aurait  pu,  suivant  nous,  reprendre  les  choses  de  plus  haut 
et  user  un  peu  moins  des  termes  techniques;  tel  qu'il  est  toutefois, 
son  travail  sera  utilement  consulté  par  les  maîtres  et  les  maîtresses. 

Le  certificat  d'études  primaires,  choix  de  compositions  écrites  : 
orthographe,  calcul,  rédaction,  par  M.  B.  Subercaze,  inspecteur  de 
l'enseignement  primaire,  officier  de  l'instruction  publique,  troisième 
année,  à  l'usage  des  maîtres  ;  1  vol.  in-i2,  Paris,  Delalain  frères.  — 
Le  titre  de  ce  livre  dit  assez  ce  qu'il  contient.  A  la  suite  des  docu- 
ments relatifs  à  l'examen  du  certificat  d'études  primaires,  M.  Suber- 
caze  donne  200  types  des  compositions  écrites  exigées  pour  cet 
examen  :  orthographe,  problèmes,  rédaction.  Ge  sont,  d'ailleurs,  de 
simples  textes  :  les  dictées  ne  sont  pas  expliquées,  les  sujets  de 
rédaction  ne  sont  pas  suivis  du  corrigé  ;  pour  les  problèmes,  l'auteur 
se  borne  à  donner  la  réponse,  sans  indiquer  les  opérations.  Ce 
volume  vient  à  la  suite  de  deux  autres  où  le  même  plan  a  été  suivi 
et  qui  ont  eu  plusieurs  éditions. 

Petit  traité  d'ornements  polychromes,  manuel  de  poche  à  l'usage 
des  écoles  et  des  personnes  qui  désirent  s'instruire  seules,  avec  des 
applications'aux  beaux-arts  et  aux  arts  industriels,  par  Mld.  /.  Hàusel- 
mann  et  R.  Ringgery  album  in-i2  oblong,  Zurich,  Orell,  Fussli  etC^*.  — 
Manuel  de  pocbe  de  l'instituteur  pour  l'enseignement  du  dessin, 
400  motifs  à  dessiner  au  tableau  noir,  par  M.  /.  Hduselmann^  3®  édition, 
album  io-IG  oblong,  mêmes  éditeurs.  —  Nous  nous  bornons  à  signaler 


174  RSYDK  PÉDAGOGIQUE 

ces  manuels,  qui  peuvent  à  tout  le  moins  fournir  aux  maîtres,  sous 
un  format  commode  pour  eux,  un  très  grand  nombre  de  modèles 
variés  et  intéressants.  Le  Pelil  traité  d'ornements  polychromes  est  le 
complément  du  Ètanuel  de  fodîe.  Les  auteurs  pensent  que  les  dessins 
ombrés  donnent  eouTont  lieu  à  de  grands  abus,  que  Tétude  deTombre 
c  ne  détient  fnictuaise  que  lorsque  Ton  peut  expliquer  les  Jeux 
d*ombre  et  de  lumière  sur  des  modèles  plastiques  9.  Au  lieu  des 
ombres,  Técole,  selon  eux,  doit  introduire  dans  l'enseignement 
remploi  des  couleurs,  et  de  là  leur  second  manuel.  C'est  une  idée 
dont  nous  ne  nous  portons  point  garants,  mais  qui  mériterait,  dans 
tous  les  cas,  d't^tre  soumise  à  Texpérience.  Nous  aurions  aussi  des 
réserves  à  faire  sur  les  germanismes  qui  émaillent  les  préfaces  de 
ces  éditions  françaises  ;  mais  ici  la  forme  est  moins  importante  -que 
iefoad. 

Langue  allemande. 

La  stiECHARGE  DES  ÉLÈVES.  —  Cette  question  semble  avoir  perdu  un 
peu  de  son  importance  en  Allemagne.  Les  discussions  sont  moins 
tives  et  la  presse  en  semble  moins  préoccupée  depuis  la  publication 
des  rapports  si  considérables  de  la  commission  d*enqu^te  constituée 
par  le  ministère  prussien  et  de  la  commission  médicale.  Pendant 
bien  des  semaines,  aucune  des  feuilles  qui  jetaient  feu  et  flammes 
contre  l'excès  de  travail  sous  lequel  on  écrasait  les  écoliers  alle- 
mai.ds  n'a  publié  ni  mentionné  ces  importants  rapports.  Mais  Ils 
ont  fini  par  Hre  connus;  les  faits  et  les  statistiques  qu'ils  contien- 
nent ont  ramené  les  plaintes  à  leurs  justes  proportions,  et  l'on  a 
reconnu  qwî  s'il  y  a  çà  et  là  des  abus,  des  intempérances,  le  mal 
n'est  pas  si  grave  ni  si  inquiétant  qu'on  l'avait  cru  d'abord. 

Le  hujet  n'est  pourtant  pas  épuisé  pour  cela,  et  pasplustard  que 
le  mois  dernier  plusieurs  des  revues  et  journaux  pédagogiques  de 
l'Allemagne  s'en  entretenaient  encore. 

LwMagtleburger  Zeitung propose  son  remède.  C'est  dénommer,  parmi 
les  pères  de  famille  qui  envoient  leurs  fils  au  eollège,'oa  parmi  les 
citoyens  de  toute  commune  qui  entretient  des  écoles  supériettresou 
secondaires,  un  comité  qui  ait  la  charge  de  veiller  sur'k  *distrilra- 
tion  du  travail  aux  écoliers,  et  de  s'entendre  à  cet  effet  avec -les  di- 
recteurs et  professeurs  des  établissements.  Ceux-ci  aeréient  mis  en 
état  de  mesurer  leurs  exigences  sur  les  possibilités  otles'cireoBslaDces 
de  la  vie  de  famille.  Un  bon  maître  y  trouverait  l'appui  nécessaire, 
un  maître  inexpérimenté  y  rencontrerait  les  directions  ou  les  barrières 
dont  il  aurait  besoin,  et  de  eette  délibération  commune  sortnaitie 
bien  des<  enfante. 

Pourquoi,  ditiF«uteuT  de  cette  proposition,  lopemniielonBfifnMnt 
seittit^il) blessé  ie  celte  collaboration  des  pères  de  famille?  ifiêUte 
qsie  ied  théologiens  ne  «uiiisaent  «pas  les  conseils  'preabyténuix*^ 
sy»o(knx,. le  juriste  ie  tribunal  ées  échevins  et'éas'îuféSyile  «ié- 


LA  PRESSE  ET  LES   LIVRES  175 

éechi  les  autorités  de  police  communales  et  nationales,  et  ainsi  de 
«Qite?  L'éducation  et  l^instruction  de  nos  enfants,  à  laquelle  «oiis 
-tfons  tous  un  si  grand  intérêt,  ne  comporterait  pas  Tadjonction 
41i9mmes  d*expérienee,  bien  qu'ils  n'aient  pas  qualité  pour  ensei- 
^er?D*ailleurs,  l'expérience  se  fait  dans  le  paysdeBade  et  y  Témeit 
parfaitement. 

lyautres  feuilles  demandent  la  création  d'une  inspection  médi- 
cale constante  et  de  médecins  attachés  spécialement  à  chaque 
établissement  pour  y  surveiller  la  santé  des  écoliers  et  le  degré  de 
travail  qu'ils  peuvent  supporter,  il  paraît  évident  que  ces  précau- 
tions risquent  de  tomber  dans  l'excès  opposé  à  celui  qu'on  veut 
eombaltre. 

Les  Rheinische  BUitter  contiennent  une  intéressante  étude  de 
41.  J.<^Merz  sur  ia  surcharge  de  travail  dans  les  Reakchulcn,  ou  écoles 
d'enseignement  spécial*  M.  Merz  pense  que  les  méthodes  ne  €Qnt 
fias  bonnes,  et  qu'avec  de  bonnes  méthodes  on  arriverait  àaou- 
iag«r  singulièrement  les  élèvts.  Les  travaux  de  composition  alle- 
nuiiide  sont  trop  difficiles;  lesiaujets  sont  r  trop  élevés  pour  Tâge 
•ées  enfants,  dépassent  trop  le  cercle  de  ieur  expérience.  11  faudrait 
■f?en  tenir,  pour  les  sujets  qu'ils  doivent  traiter  par  écrit,  à  ce 
-qu'ils  connaissent  déjà  à  fond,  à  ce  qui  est  réellement  devenu  leur 
-fropriété  intellectuelle  ;  il  serait  bon  qu'ils  eussent  déjà  développé 
eralement  le  sujet  avant  de  le  coucher  par  écrit,  de  façon  à  n*avoir 
:pas  besoin  dd  brouillon.  Kn  écrivant  immédiatement  au  net  on  sup- 
prime autant  d'écritures  inutiles. 

Quant  aux  élèves  plus  jeunes,  des  dictées  ou  de  petits  exercices 
de  style  seraient  suffisants. 

L'enseignement  des  langues  étrangères  gagnerait  également  à  être 
donné  dans  un  meilleur  esprit  :  de  nombreuses  et  correctes  traduc- 
tions dans  la  langue  maternelle,  plus  de  lecture  et  moins  de  gram-  . 
maire,  des  exercices  pratiques  au  tableau  noir,  devant  toute  la 
elM6e,'et  peu  de  travaux  écrits  pour  la  maison,  tout  au  plus  deux 
ou  tn»B  phrases  qu'on  fera  ceilainement  avec  facilité  et  'avec 
plaisir. 

M.  Merz  s'élève  contre  les  longues  préparations  au  logis  à  coup 
de  dictionnaire;  il  préfère  les  lectures  en  classe  à  livre  ouvert,  qui 
permettent  aux  élèves  de  mesurer  leurs  forces,  de  s'intéresser  à 
leurs  auteurs,  et  qui  permettent  au  maître  de  supprimer  ou  de 
diminuer  les  travaux  à  faire  à  la  maison.  Ces  travaux,  d'après  son 
pkn,  se'Védulsent  aux  proportions  les  plus  nH)destes  ;  il  ne  veut 
pas- de  rédactions  religieuses,  de  rédactions  d'histoire,  de  cartes  de 
féograpiiie  ;  il  ne  fant  tracer  ces  dernières  qu'en  classe,  et  encore 
«foc  une  certaine  modération.  De  même  pour  l'histoire  naturette, 
la  ti^mie,  la  physique  :  les  travaux  écrits,  les  exercices  domémoine, 
les  longues  nomenclatures  ne  sont  d^auoune  utilité  .dans  ee  genre 
d'études. 


176  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

M.  Merz  redoute  également  les  examens  écrits  qui  terminent  le 
trimestre,  le  semestre  ou  Tannée,  et  qui  peuvent  être  l'occasion 
d'études  fatigantes,  de  répétitions,  de  travaux  excessifs  qui  consti- 
tuent précisément  la  surcharge  dont  on  se  plaint.  Les  examens  oraux, 
pour  les  matières  qui  donnent  lieu  à  narrations  ou  à  descriptions, 
produisent  assez  souvent  les  mêmes  inconvénients. 

Peut-être  qu'à  force  de  craindre  la  surcharge  et  de  diminuer  les 
ti'avaux  des  écoliers  en  dehors  des  classes,  on  comblerait  les  vœux 
de  ceux  qui  ne  demandent  qu'à  ne  rien  faire;  mais  habituerait-on 
bien  la  jeunesse  au  travail,  à  l'effort,  à  la  recherche  ?  Nous  en  dou- 
tons. Le  travail  personnel,  solitaire,  réfléchi,  est  un  des  éléments  les 
plus  considérables  de  l'éducation.  A  le  supprimer  ou  à  l'afifaiblir, 
on  perdrait  plus  qu'on  ne  gagnerait. 

M.  le  D"*  H.  Schiller,  directeur  du  p;ymnaie  de  Giessen,  ne  va  pas 
aussi  loin.  Dans  une  longue  cl  substantielle  étude  que  publie  la 
Zeitschrift  fiir  dos  Gymnasialwesen^  il  réduit  à  leur  juste  valeur 
les  plaintes  hyperboliques  sur  la  surcharge  dont  seraient  victimes 
les  écoliers  de  l'Allemagne.  Il  constate  que  le  nombre  des  heures 
de  classe  et  d'étude  n'a  pas  augmenté  et  que  les  générations  anté- 
rieures en  avaient  davantage  ;  qu'en  1837  déjà  on  trouvait  plus  d'in- 
capables au  service  mili^laire  parmi  les  étudiants  que  dans  la  jeu- 
nesse artisane  ou  commerçante.  Il  redoute  l'établissement  d'une 
inspection  médicale  qui  imposerait  aux  écoles  et  aux  collèges  des 
exigences  peu  fondées,  peu  pratiques  ;  mais  il  pense  qu'il  serait  bon 
de  donner  aux  jeunes  maîtres  des  notions  précises  et  sûres  d'hy- 
giène scolaire  qui  leur  ont  fait  défaut  jusqu'à  présent,  et  qui  suffi- 
raient à  écarter  les  défectuosités  signalées  dans  la  dislribulion  de 
l'air,  de  la  lumière,  de  l'espace  et  des  <.'xcrcices  corporels. 

A  ce  propos,  le  directeur  du  gymnase  de  Giessen  se  déclare  par- 
tisan de  la  suppression  des  classes  d'après-midi.  11  parle  par  expé- 
rience, ces  classes  ayant  été  supprimées  complètement  dans  réta- 
blissement qu'il  dirige.  Les  classes  du  matin  sont  plus  nombreuses, 
prennent  cinq  heures  de  suite,  mais  ne  durent  pas  une  heure  entière 
et  sont  coupées  par  de  lé^'ers  repos,  de  10  à  15  minutes.  La  dernière 
classe  ne  dure  que  40  minutes,  afin  que  les  élèves  qui  demeurent 
loin  aient  le  temps  d'arriver  chez  eux  à  l'heure  du  repas.  Cette 
dernière  classe  est  suivie  avec  autant  d'attention  et  d'intérêt  que  les 
précédentes.  Dans  le  semestre  d'hiver,  elle  est  de  52  minutes,  et 
Ton  n'a  remarqué  aucun  inconvénient  à  cette  prolongation. 

Le  D^  Schiller  déclare  que  son  expérience  de  plusieurs  années  lui  a 
démontré  que  trois  quarts  d'heure  de  travail  énergique  valent  mieux 
qu'une  iieure  de  présence  inerte,  et  qu'il  est  facile  d'obtenir  des 
maîtres  et  de  la  jeunesse  ce  travail  actif  pendant  toutes  les  classes 
de  la  matinée.  Les  intervalles  peuvent  être  remplis  par  quelques 
exercices  de  gymnastique,  sous  la  direction  d'un  maître,  mais  facul- 
tativement. 


LA   PRISSE  KT   LES   LIVRES  177 

L'après-midi  reste  donc  libre,  est  consacrée  à  la  vie  de  famille, 
aux  exercices  de  natation  pendant  l'été,  de  patinage  pendant  Thiver; 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  l'Allemagne  ne  connaît  pas  d'internats, 
ou  qu'ils  y  sont  des  exceptions  dont  on  ne  tient  pas  compte.  H  faut 
avouer  que,  dans  ces  conditions,  les  écoliers  ne  paraissent  pas  trop  à 
plaindre.  Mais  les  exigences  des  études  et  des  examens  ne  leur 
permettent  certainement  pas  de  jouir  de  toute  la  liberté  que  semble 
leur  donner  cette  organisation,  et  le  D'  Schiller  reconnaît  que  sur 
certains  points,  on  peut  avec  vérité  parler  de  surcharge. 

A  quoi  cela  tient-il?  Jadis,  au  xvi«  siècle  par  exemple,  les  éco- 
liers étaient  bien  plus  accablés  de  classes,  de  devoirs,  de  leçons  à 
apprendre  par  cœur;  les  méthodes  étaient  plus  mécaniques,  les 
salles  plus  étroites.  Néanmoins  on  entend  des  plaintes  sur  le  zèle 
des  élèves,  jamais  sur  leur  santé.  La  cause  en  est  peut-^trc  dans  une 
moindre  préoccupation  de  cet  intérêt  si  considérable,  dans  des  habi- 
tudes de  vie  plus  dure,  plus  tranquille,  moins  agitée,  moins  ner- 
veuse- Il  faut  y  joindre  aussi  les  ébats  tumultueux  au  grand  air;  on 
vivait  dans  des  villes  relativement  petites,  dont  on  sortait  en  peu 
de  minutes  pour  se  trouver  en  pleine  campagne;  les  remparts,  la 
place  de  l'église  ou  du  marché  offraient  à  tout  instant  l'espace  libre 
nécessaire  aux  jeux.  Los  promenades  d'aujourd'hui  dans  les  grandes 
cités  et  les  heures  de  gymnastique  ne  fournissant  pas  un  équiva- 
lent. C'est  à  ce  point  de  vue  que  l'auteur  de  cette  étude  insiste  sur 
la  nécessité  de  laisser  libres  les  après-midi. 

Mais  ce  qui  le  frappe  surtout,  c'est  le  lait  (ju'il  y  avait,  jusqu'à 
notre  siècle,  unité  profonde  et  simplicité  dans  le  cycle  des  études. 
Un  même  maître  enseignait  tout;  le  latin  était  le  centre  et  le  lien 
commun  de  toutes  les  sciences;  l'éducation  que  recevaient  les  éco- 
liers avait  souvent  pour  objet  de  les  habituer  au  travail,  de  leur 
donner  un  caractère  ferme  et  bien  trempé;  les  rapports  entre  les 
maîtres  et  les  élèves  étaient  plus  étroits,  les  classes  moins  nom- 
breuses, les  objets  d'étude  moins  compliqués  que  de  nos  jours.  De 
là  une  sorte  de  calme  des  esprits,  de  sérénité,  de  force  qui  con- 
traste avec  la  fièvre,  la  hâte,  la  multiplicité,  souvent  la  confusion  et 
la  surcharge  dont  les  établissements  modernes  offrent  l'exemple. 

Le  D'  Schiller  reconnaît  qu'on  ne  peut  songer  en  aucune  façon  à 
revenir  à  ces  temps  passés,  et  qu'un  autre  siècle  a  d'autres  besoins: 
mais  il  cherche,  par  une  étude  attentive  des  programmes  actuels,  si 
l'on  ne  pourrait  élaguer  les  branches  parasites  ou  trop  touffues, 
établies  dans  ces  matières  nombreuses,  dans  ces  disciplines  multiples 
qui  font  tour  à  tour  appel  à  l'attention  des  enfants,  une  sorte  de  hié- 
rarchie, d'ordre, de  lien,  d'unité.  11  voudrait  ramener  lesétudes  à  deux 
types:  les  lettres,  contenant  la  littérature  proprement  dite,  nationale, 
antique,  étrangère,  l'histoire,  la  religion,  et  d'autre  part  les  sciences 
naturelles,  les  mathématiques,  la  physique,  la  chimie.  Chacune  de  ces 
deux  séries  de  branches  serait  enseignée  par  un  seul  professeur  ;  la 

tIVUB  PÉOAGOOIQOB  1885.  —  1"  S«K.  12 


178  IISYU&.  PÉDAG06iaU£ 

géoi^raphie,  qui  particif>e  d«  ces  deux  ordres, .  passerait  tour  à  tour, 
d'un  professeur  à  Tautre,  chacun  l'enseignerait  une  années  son  point 
de  vue  spécial,  soit  historique,  soii  naturel.  C'est  tout  au  plus  dans 
les  hautes  classes  qu'<m  devrait  admettre  \m  plus  grand  nombre  de 
professeurs,  et  encore  avec  la  plus  grande  réserve. 

Nous  no  pouvons  entrer  ici  dans  le  détail  des  réformes^  des  sup^ 
pressions  et  déplacements  que  Tauleur  énumèro  et  justifie.  Bornons- 
nous  à  la  remarque  sur  laquelle  il  insiste  avec  beaucoup  de  raisoa  : 
c'est  que  Téducalion  des  gymnases  s'adresse  à.  des  enfants  et  non  à 
des  étudiants,  qu'elle  ne  devrait  jamais  perdre  son  caracU'Te  scolaire 
élémentaire,  pédagogique,  jamais  empiéter  sur  la  spécialité  scîen- 
tiUque,  sur  les  éludes  universilaires.  Ce  sont  des  enfants  qu'il  s'agi 
de  former,  de  préparer  à  la  vie,  à  Télude,  au  travail^  et  non  des 
savants  en  herbe  qu'on  doit  bourrer  des  plus  nouveaux  résultats 
de  la  science.  Au  lieu  de  disperser,  d'étonner,  d'étourdir  leurs 
esprits,  il  vaut  mieux  les  concentrer,  les  fortifier,  les  confier  à  des 
maîtres  moins  nombreux,  mais  mieux  préparés  à  élever  des  enfants. 

La  conclusion  pratique  de  ce  travail,  c'est  qull  convient  de  donner 
aux  futurs  maîtres  une  éducation  pédagogique,  de  modifier  les 
examens  qui  donnent  entrée  dans  la  carrière,  de  faire  des  professeurs 
capables  de  discerner  ce  que  demande  l'enseignement  de  la  jeunesse, 
plutôt  que  des  spécialistes  voués  sans  distraction  à  une  seule  étude, 
et  qui  accablent  les  enfants  de  fardeaux  disproportionnés  à  leur  âge 
et  à  leur  vocation. 

Soirées  a  la  campagnk.  —  Le  Pœdagogmok  rend  compte  des  efiforts 
qui  sont  faits  par  un  certain  nombre  dlnstituteurs  da  la  Haute^ 
Aiutriche  pour  répandre  l'instruetlon  parmi  les  habitantsi  des  caflft- 
pagnesi.  Sous  le  titre  de  c  Soirées  de  paysans  >,  ils  ont  organisé  des 
réunions  dans  les  villages,  où  l'on  fait  des  lectures  de  poésies^  des 
conférences,  des  causeries  familières,  entre-coupéea  par  des  chante 
patriotiques  ou  populaires. 

M.  Frantz  Sehlinkert,  instituteur  à  Vienne,  a  pris  avec  quelques* 
uns  de  ses  collègues  l'initiative  de  pareilles  réunioos.  Voici  la  tca* 
duction  d'une  affiche  annonçant  une  de  ces  réunions  poar  ua 
dimanche  de  rautomne  dernier  : 

«  Invitation  à:  un  entretien  gratuit  pour  les  gens  de  la  campagne 
dans  l'auberge  de  M.  Koppendorfer,  à  Pcrwadrt. 

»«  Le  manger  et  le  boire  tiennent  unis  le  corps  et  l'âme,  et  le:  faravaii 
ajoute  par  dessus  un  cercle  de  fer;  mais  il  faut  aussi  un  amusemeoty 
sans  cela  le  cœur  se  moisirait  dans  la  poitrine  et  l'on  finirait  par 
ressembler  à  un  tronc  d'arbre  dans  la  forêt,  atlaqué  par  la  pourriture^ 

>  Cest  pourquoi  nous  avons  décidé  de  nous  réunir  dimanobe 
à  3<  heures  de  l'après-midi  dans  l'auberge,  etc.,  eic  Oa  y  entendra 
toutes  sortes  d'histoires  amusantes  et  instructives  et  difers  chantei 
Prendront  part  MM...  » 


LA*  PBlftSft  ET   LKS  UVRES  179 

Suit  le-pngKavmid^:  intiroductioQt,  c'est-àrdice.  courte  aliociUion, 
chant,  récils  et  poésie»  tirésT  de  Hebal,  Rosegger, .  peliie .  ccoXérencd 
sur  le  télégrapiHi<  et  le  téiépàone,  avitre  chanta  autcc  caufierie  sur 
168  ongines  de^  Tenfirc  d'Autrkhe,  encore  qudi<|iie8  récits  et  vers, 
un  dernier  chant  et  des  paroles  d'adieu. 

Le  maire,  qui  signe  l'affiahe^  ajoute  :  «  Ghaouo  est  aaicalam^nt 
prié  de  se  rendre  à  rinvitation;  les  homme»  feront  bien  de  venir 
tous  et  da:nener  les  femmes,  les  domestiques  et  lest  servaotes, 
puisqu'il  n'y  a  a  ce  moment  aucun  travail  et  que  l'eniréeioet  Jilre, 
ne  oÔ4te  par  conséquent  que  la  peine  d'écouter.  » 

Cette  réunion  fut,  parait-il,  des  plus  iotéressantes;  on  s'amusa 
franchement  desi  partie»  gaies,  et  un  profond  et  religieux  silence 
accueillit  les  paroles  graves  et  patriotiques  qu'on  eut  Toccasion 
Hl'eni^dre.  Les  chants  coupèrent  agréablement  le  temps,  et  Ton  se 
prooÉt  l»en:  de  répondre  ù  da  nouvelles  invitations  du  même 
genre» 

D'aulre»<fois,  ces-  réunions,  ont  eu:  lieu  dans^  des  salles  d'écolev 
Vbiei  quelques-uns  •  des  sujets  qui  ont  été  traités  devant  des  assis*- 
tances  de  paysans,  tant  maîtres  que  domestiques,  pendant  l'hiver 
dernier:: 

La  circulation  du  sang  dans  les  mammifères,  les  amphibies  et 
les  poissons..  —  Les  effets  de  la  chaleur.  —  ]jx  nutrition  chez 
rhoaune  et  chez  les  ruminants,  etc.  —  Diverses  conférences  sur  les 
DMàediefr  de»  animaux;  sur  Télève  des  abeilles^  sur  la  culture»  des 
arbra»! fruitiers.»  —  Des  entreliens  sur  les  diverses  parties  de  la  con- 
stitutioii  politique,  le  fonctionnement  des  corps  élus»  la  responsabilité 
ministérielle,  les  droits  de  l'Htal  et  des  citoyens.  —  Des  exposés 
d'hibtoire,  etc.  Chaque  fois,  les  conférenciers  avaient  soin  de  se 
munir  de  cartes,  de  dessins,  d'instruments  propres  à  faciliter 
l'inteUigCDce  des  leçons,  et  de  las  faire  courtes,  pour  ne  pas  fatlguei 
des  espirlts  mal  préparés. 

Ces  tentatives,  combattuci  par  le  parti  réactionnaire,  ont  trouvé 
appui  auprès  de  quelques  hommes  éclairés,  aclifs,  et  sont  en 
voie  de  progrès  et  de  succès.  Leurs  auteurs  se  félicitent  des  résultats 
déjà  acquis,  et  en  espf'rent  de  bion.plus  considérables  lorsque  l'Etat 
consentira  à  leur  venir  en  aide. 

LsS'SomiDS-MUBTS.  —  Lbi,  Pddagogiecha.Hufiikchau  résume-les  travaux 
du.  Congrès  des  institoteursde  sourds*nuiets,  qui  a.  eu  lieu,  récem- 
meai  à  Berlin.  Environ  S^O  maîtres  etaieai  venus,  non  seulement 
de  «toule  l'Allemagne,  mais  d'AuLriohe,  de  France,  d'Angleterre,  de 
SuÉsse,  Le  rapport  du  délégué  do  ministère  constate  qu'en  18i5  il  y 
avait  en  Prusse  170  enfants  sourds-muets  qui  jouissaient  des  bieniaits 
dei  l'instruction  ;  il  y  en  a  aujourd'hui  3,99i  qui  sont  instruits  par 
4l&{irolesseurs.  La  méthode  parlée  est  la  seule  en  usage,  .et  a  fuù  p(ar 
èlre  saUititaée,  après  de  longs  eiforka,  à  la  méthode  .deasignes,.  I^e 


180  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

royaume  de  Prusse  a  dépensé  en  1882  une  somme  de  1,557,452  marcs 
pour  les  sourds-muets  (environ  deux  millions). 

Le  directeur  Rossler  a  présenté  les  thèses  suivantes  : 

1°  L'instruction  des  sourds-muets  doit  être  obligatoire  à  partir  de 
ia  septième  année  ; 

^  Elle  doit  comprendre  huit  années  de  classes; 

3®  Le  nombre  maximum  des  élèves  pour  une  classe  et  pour  un 
maître  ne  doit  pas  dépasser  dix  ; 

4<»  11  faut  mettre  à  part  ceux  des  enfants  qui  ne  sont  pas  doués 
suffisamment  pour  atteindre  le  but  normal  de  l'école  et  leur  donner 
un  enseignement  proportionné  à  leurs  besoins; 

5'  11  faut  préparer  les  jeunes  maîtres  solidement  et  autant  que 
possible  d'une  manière  égale. 

Ce  n'est  que  lorsque  ces  exigences  seront  satisfaites  qu'on  pourra 
arriver  à  des  résultats  sérieux  dans  le  domaine  de  l'instruction  des 
sourds-muets.  11  est  de  leur  intérêt  que  l'enseignement  se  donne 
d'après  une  méthode  plus  systématique  que  jusqu'à  ce  jour.  Il  est 
donc  urgent  que  le  Congrès  insiste  auprès  des  divers  gouvernements 
(le  l'Allemagne  pour  réaliser  les  réformes  demandées. 

1/assemblée  a  adopté,  après  une  longue  et  intéressante  discussion, 
les  thèses  de  M.  Rossler. 

Il  en  a  été  de  môme  des  conclusions  de  M.  Gulzmann,  directeur 
à  Berlin,  relativement  à  l'enseignement  de  la  gymnastique  dans  les 
<Hablissements  de  sourds-muets.  C'est  surtout  dès  l'entrée  des  jeunes 
enfants  qu'il  convient  de  les  initier  à  ces  exercices,  absolument 
nécessaires  pour  les  développer  et  leur  ôter  la  gaucherie  qui  leur 
ost  si  naturelle. 

L'ame  du  peuple  et  l'éducation  politique  de  la  nation,  par  le 
D»"  Schmidt-Warneck.  Berlin,  chez  Puttkammer  et  Mfihlbrechl.  — 
Voilà  un  livre  dont  nous  ne  conseillons  pas  la  lecture  à  ceux  qui 
n'ont  pas  un  penchant  prononcé  pour  les  casse-lête  chinois.  L'auteur 
.  st  un  véritable  patriote,  quia  tout  fait  pour  conserver,  en  ce  qui  le 
rogarde,  à  la  littérature  allemande  son  renom  d'obscurité,  de  com- 
plication inextricable  et  de  mauvais  goût. 

Sa  thèse  est  d'une  simplicité  extrême.  Un  peuple  n'est  pas  une 
agglomération  d'individus:  il  doit  être  une  unité  vivante,  pos- 
séder un  génie  national,  avoir  dans  le  monde  son  caractère,  son 
c;ichet  particulier.  Or,  ce  génie  national,  cette  âme  du  peuple,  qui 
•iît  cachée  dans  les  profondeurs  de  la  foule,  a  besoin  d'être  tirée 
MU  jour,  de  prendre  conscience  d'elle-même,  de  recevoir  une  édu- 
cation. De  là,  la  nécessité  d'une  éducation  politique,  d'un  ensei- 
fjnement  civique. 

L'auteur  reproche  à  son  peuple  de  n'avoir  pas  suffisamment  con- 
science de  sa  nationalité,  et  il  oppose  le  génie  français,  le  génie 
russe,  le  génie  anglais,  si  nettement  caractérisés,  à  la  fluidité  ger- 


LA   PRBS8£   ET  LES   LIVRES  181 

manique.  Enfin,  il  donne,  comme  spécimens  d'enseignement  civique, 
tels  sans  doute  qu'il  en  voudrait  pour  son  p&>s,  deux  manuels  suisses 
et  un  manuel  français,  celui  de  M.  Steeg  pour  la  France,  ceux  de 
MM.  Maillard  et  Vincent  pour  la  Suisse.  11  insère  en  français  dans 
son  livre  d'assez  nombreuses  pages  de  ces  volumes,  et  termine  en 
exprimant  le  vœu  que  Téducation  politique  de  TAUemagne  sélève  ù 
la  hauteur  et  à  la  perfection  de  sou  éducation  militaire. 

Mais  si  la  thèse  est  simple,  la  façon  dont  elle  est  développée  n'est 
pas  simple  du  tout,  et  Ton  jetterait  le  livre  dès  les  premières  pages, 
rebuté  de  tant  de  ténèbres  insignifiantes,  de  tant  de  prétentions  vides, 
de  tant  de  logogriphes  et  de  rébus  accumulés  pour  dire  en  termes 
boursouflés  et  en  longues  périodes  philosophico-mystiques  les  choses 
les  plus  ordinaires,  si  la  curiosité  n'était  réveillée  de  temps  à 
autre  par  des  traits  piquants  que  l'auteur  décoche  à  ses  compa- 
triotes. 

11  leur  est  dit  tout  net  que  la  nation  allemande  est  la  seule  qui 
soit  absolument  et  universellement  antipathique  a  toutes  les  autres. 
nations.  C'est  là,  dit-il,  un  phénomène  unique  dans  l'histoire,  mais 
on  ne  peut  pas  ne  pas  le  constater.  Cela  tient  à  ce  que  les  Allemands 
ne  sont  rien  par  eux-mêmes,  n'ont  pas  de  consistance,  imitent  aveu- 
glément et  sans  choix  tout  ce  qui  est  étranger,  s'accommodent  sans 
cesse  aux  mœurs  et  aux  habitudes  d'autrui,  n'ont  pas  d*art  qui 
leur  soit  propre.  Le  genre  allemand,  c'est  de  n'en  pas  avoir  (Deutsche 
Artykeine  Art), 

De  là  l'opinion  générale  qui,  exprimée  ou  sous-ontendue,  peut 
se  traduire  ainsi  :  «  H  n  y  a  pas  d'homme  sur  toute  la  surface  du 
globe  qui  soit  aussi  horriblement  ennuyeux  que  l'Allemand.  »  Ou  ne 
sait  à  quoi  se  prendre  en  lui  ;  il  n'a  rien  de  personnel,  de  solide, 
il  est  inconsistant,  fluide,  imitateur;  c'est  l'éternel  Frère-out  ! 
L'étranger  s'éloigne  de  lui  avec  une  sorte  de  dégoût.  Et  ce  ne  sont 
pas  quelques  glorieux  faits  d'armes  qui  changeront  celte  disposition; 
on  dira  tout  simplement  qu'une  poule  aveugle  peut  bien  trouver 
parfois  un  bon  grain. 

N'ayant  pas  de  valeur  intrinsèque,  ne  possédant  pas  un  type 
national  caractérisé,  l'Allemand  sacrifierait  tout  à  l'apparence,  sa 
santé,  ses  biens,  son  honneur.  Paraître,  se  donner  des  airs,  faire 
du  fracas,  porter  de  beaux  habits,  «  dût-on  se  serrer  le  ventre  et 
se  passer  de  chemise  »,  éblouir  d'un  faux  luxe,  avec  de  l'imitatioa, 
du  plaqué,  du  factice,  du  mesquin,  tel  est  le  goût  de  l'Allemand. 
A  ce  trait,  il  faut  joindre,  dit  notre  auteur,  l'amour  de  l'argent,  le 
respect  profond  pour  la  fortune  ;  l'Allemand  s'incline  devant  les 
écus,  et  met  les  «  affaires  »  au-dessus  de  tout  autre  intérêt. 

On  comprend  qu'un  patriote  déterminé  comme  le  D*"  Schmidt- 
Wameck  souffre  d'un  tel  état  de  choses,  et  cherche  les  moyens  d'y 
mettre  un  terme.  11  raconte  les  douloureuses  impressions  qu'il  a 
ressenties    dans    un  voyage    à    Strasbourg,    «   cette    vieille    ville 


1 82  MBY  OE  '«iDdkGOQIQIII 

allemande  »,  où,  malgré  tous  les  efforts  d'une  genMnîMitîon  >à 
'>atrance,  il  reiDuve  [xariout  les  mots,  les  noms,  les  (eniieB,  les 
sages  de  la  France,  jusque  dans  f  hôtel  allemand  où  il  est  descendu, 
aliume  son  cigare  dans  la  salle  commune.  «  Vous  pouTez  fcraier, 
i  dit  le  garçon,  il  n*y  a  pas  encore  de  Français  dans  la  saUe.  * 
L'indignation  du  Toyageur  ^t  à  son  comble,  il  se  fait  conduire 
ailleurs.  Mêmes  ennuis.  11  n'y  pent  |»lus  tenir  et  quitte  TAlsace. 
c  Nous  avons  enfin  commencé  à  respirer  librement,  dit-il,  q«afid 
nous  fûmes  arrivés  dans  les  montagnes  de  la  Suisse.  »  Singulier 
aveu  d'un  vainqueur  se  hâtant  d'éohapper  à  sa  conquête.  Il  ajoute: 
«c  Involontaire rnenc  nous  nous  posions  cette  question  :  Pouninoi  les 
Suisses  ont-ils  un  am<>ur  de  la  patrie  plus  fortement  accentué  que 
les  autres  peuples?  »  Kt  W  en  attribue  une  grande  part  aux  mon- 
tagnes. 11  aurait  bien  fait  d'y  joindre  aussi  la  lîberlé.  C'est  elle, 
docteur,  qui  fournit  le  plus  substantiel  et  le  meilleur  de  l'éducatimi 
civique;  c'est  elle  qui  constitue  réellement  «  l'âme  du  peuple  «. 

J.  S. 


CHRONIQUE   DE    UENSEIGNEMENT   PRIMAIRE 

EN   FRANCE 


'Recensement  de  la  poptlatiosî  scolaire  iïes  écoles  pnfMAiitEs 
PUBLIQUES  EN  1885.  —  L'année  dernière,  le  5  avril,  le  mmlstre  de 
Tinstruction  publique  a  fait  procéder  au  recensement  de  tous  les 
élè?es  appartenant  aux  écoles  primaires  publiques  (supérieures, 
élémentaires  et  maternelles).  Comme  ces  recensements  à  jour  fixe 
échappent  à  la  plupart  -des  causes  d'erreur  qui  peuvent  se  rencontrer 
dams  les  états  de  situation,  la  môme  opération  vient  de  se  faire  le 
'10  férrier  dernier  pour  Tannée  1885;  seulement  on  n'a  plus  demandé 
aux  instituteurs  les  listes  nominatives  de  leurs  élèves. 

Choix  de  sujets  de  coMPOsmoN  pour  les  différents  concours  et 

EXAMENS  DE  L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE. Qui  doit  donUCT  IcS   SUJekS  de 

composition  pour  les  examens  de  renseignement   primaire?    Est-'ce 
Trnspecleur   d'acHdémie,   le   recteur,    le    ministre,    c'est-à-dire   le 
ministère?  Cette  délicate  question  est  revenue  à  l'ordre  du  jour  à 
Toccasion  de  la  réforme  des  brevets  de  capacité.  Pour  donner aut?uit 
que  possible  la  même  valeur  aux  oxamens,  il  est  préférable  que  tous 
les  sujets  de  composition  soient  choisis  à  i*aris,  pour  toute  Ja  Franœ, 
par  une  commission  compétente  possédant  une  incontoslable  auio- 
rite.   Désormais  tous  les  sujets  seront  soumis   a  rapprobation  diu 
ministre  après  avoir  été  préalablement  examinés  par  une  commis- 
sion prise  d«ns  le  sein  du  Conseil-supérieur  et  du  Comité  consullatif 
de  l'enseignement  primaire.  A  cette  commission,  dont  font  pwtie 
^de  droit  le  vice-recteur  de  Paris  et    le  directeur  de    renseignement 
-primaire,  s'adjoindront   des  membres  spéciaux    pour  los    langues 
étrangères,  la  musique,  la  gymnastique,  le  travail  manuel   (arrêté 
-nilnlïstèriel  du  2i  janvier  *885).  Ce  système  est,  selon  nous,  le  meil- 
knr  qarpût  être  adopté. 

La    DIBKCTION    des 'PETITES    CLASSES    DANS  LES  ÉCOLES  PRIMAIRES.   — 

Nousuvons  reproduit  dans  notre  dernier  nwnéro  l'excellente  citeu- 
iaire^e  M.  Godin,  inspecteur  d'académie  de  Seinc-el-Oise,  «ir^s 
Tspports  des  chefs  d'école  avec  Iwirs  collaborateurs.  Son  collègnoMe 
'Calîors,  M.  Gaees,a  consacré  phisieurs  articles  intéressants  à  la  niâme 
«(uesiioa  dans  le  Bulletin  fédagogique  du  LoL  II  insiste  iiotanMiient 

arec  beaucoup  de  force  sur  l'obligation  qui  s'tmpese- au  ^  titulaire  .nde 
i^iKCtaper  luinméme,  le  plus  souvent  qu'il  peut  le  ftiire,  des   classes 

de  débutants.  11  résulte  des  bulletins  d'inspection  que  les  mtees 
sont  toujours  faites  for  les  mêmes  maîtpee,  que  le  titulaire 


i84  REVUE    PÉDAGOGIQUE 

8*adjuge  toujours  la  classe  supérieure,  que  la  classe  élémentaire 
revient  immanquablement  à  Tadjoint  qui  débute.  C'est  là,  d'après 
M.  Gazes,  une  très  mauvaise  et  très  fâcheuse  habitude. 

«  Le  premier  devoir  d'un  directeur  d'école,  dit-il,  est  de  connaître 
tous  ses  élèves,  non  pas  uniquement  par  leurs  noms  et  leurs  notes, 
mais  surtout  par  l'enseignement  qu'il  leur  donne.  C'est  au  directeur 
à  mettre,  au  début  de  l'année  scolaire,  le  travail  sur  le  chantier,  à 
distribuer  les  matières  du  plan  d'études  et  à  prendre  en  main 
successivement  chaque  classe  pour  l'entraîner,  lui  donner,  si  j'ose 
dire,  le  diapason  ;  établir  partout  l'harmonie  ;  créer  enfin  une  sorte 
d'atmosphère  morale  de  Técole  ;  faire  un  tout  dont  les  parties,  inti- 
mement liées  entre  elles,  obéissent  à  la  môme  impulsion. 

»  Cela  fait,  que  le  directeur  prenne  en  main  la  classe  supérieure 
et  qu'il  en  fasse  plus  spécialement  son  domaine,  nous  n'y  contre- 
dirons pas  ;  et  cependant,  quel  plus  grand  mérite,  et  plus  digne  de 
tenter  son  ambition,  que  de  bien  faire  la  classe  élémentaire!  Y  a-t-il 
donc  sur  elle  une  soi  te  de  défaveur  ou  de  dédain  pour  qu'elle  soit 
toijgours  confiée  à  un  jeune  adjoint  débutant,  c'est-à-dire  à  celui  qui 
est,  à  de  rares  exceptions  près,  le  moins  apte  à  la  faire  sérieu- 
sement ? 

»  Le  normalien  débute  après  avoir  fait  trois  années  d'études  qui 
ont  plutôt  trdit  à  renseignement  des  classes  supérieures  des  écoles  ; 
il  faut  lui  fournir  d  abord  les  moyens  d'appliquer  ses  connaissances 
et  de  les  mettre  en  pratique.  A  part  quelques  exceptions,  la  classe 
élémentaire  lui  convient  moins  que  toute  autre  ;  ce  n'est  que  par  une 
préparation  toute  nouvelle  et  les  conseils  fréquents  du  directeur, 
qu'il  devra  plus  tard  s'y  essayer. 

j»  Nous  connaissons  l'objection  :  «  Que  ne  nous  sommes-nous 
»  directeurs  de  fait,  c'est-à-dire  affranchis  de  toute  classe,  ce  serait 
»  le  meilleur  moyen  de  les  voir  toutes  ;  mais  en  l'état  actuel  que 
»  dirait-on  si  on  voyait  le  directeur  ou  la  directrice  d'une  école 
»  importante  faire  la  classe  élémentaire  et  confier  à  ses  adjoints 
9  les  cours  supérieurs  ?  On  croirait  que  nous  nous  inclinons  devant 
»  plus  capables  que  nous,  nous  y  perdrions  notre  autorité  au  dedans 
»  et  notre  influence  au  dehors.  C'est  un  préjugé  que  ne  nous  sen- 
»  tons  pas  la  force  de  vaincre,  » 

»  Nous  répondrons  :  Essayez.  11  n'est  pas  de  classe  plus  difficile 
que  la  classe  élémentaire.  11  n'en  est  pas  où  il  faille  plus  de  soin, 
de  patience,  de  connaissance  des  méthodes,  de  réflexion  et  d'expé- 
rience, il  n'en  est  pas  où  plus  de  talent  et  de  cœur  soit  néces- 
saire. Quelle  anomalie  de  faire  embarquer  des  débutants  dans  une 
pareille  entreprise  et  d'espérer  tirer  quelque  bon  résultat  du  contact 
de  deux  inexpériences. 

»  Tant  vaut  le  germe  déposé  dans  la  classe  élémentaire,  tant  vaut 
Técole  I 

»  Que  les  titulaires  des  écoles  dont  nous  parlons  ne  craignent 


CHBONIQUE  DE  l'eNSEIGNEMEMT  PRIMAIRE  £M   FRANGE         18â 

donc  pas  de  commencer  à  instruire  les  plus  jeunes  enfanls  et  de 
créer  eux-mêmes  la  pépinière  dont  ils  tireront  les  plus  beaux  fiuits. 
Ils  ne  s^y  spécialiseront  pas,  bien  entendu,  et  la  petite  classe  leur 
servira  seulement  d'axe  autour  duquel  ils  pourront  se  mouvoir  dans 
toute  rétendue  de  Técole.  Ce  sera  comme  une  base  d'opération. 
Tantôt  une  classe,  tantôt  l'autre,  pendant  une  durée  fixe,  sera  entre 
leurs  mains  ;  les  adjoints  et  les  adjointes,  sans  poste  fixe  permanent, 
devront  être  prêts  aux  mêmes  manœuvres.  C'est  tout  le  plan  d'études 
adapté  aux  divers  âges  qui  devra  être  connu  de  tous,  en  théorie  et 
en  pratique.  Ce  roulement,  que  nous  ne  voulons  certes  pas  verti- 
gineux, mais  réglé  et  pondéré,  produira,  croyons-nous,  un  effet 
certain,  c'est  de  nous  donner  des  maîtres  cl  des  maîtresses  plus 
travailleurs,  plus  instruits,  mieux  trempés,  plus  aptes  à  juger  les 
enfants  par  la  connaissance  et  la  comparaison  de  leur  âge  et  de 
leurs  aptitudes. 

»  Combien  d'adjoints  qui  se  consument  sans  plaisir  et  sans  ardeur 
dans  la  classe  élémentaire  jusquau  jour  où  l'administration  les 
nomme  titulaires  !  Les  voilà  appelés  à  la  direction  d'une  école  à  une 
seule  classe  où  vont  se  trouver  probablement  les  trois  cours.  En  ce 
moment  l'instituteur  titulaire  n*aura-t-il  pas  quelque  remords  et 
pourra-t-il  se  porter  garant  de  leur  préparation  complète  ? 

»  Nous  livrons  ceci  à  leurs  méditations. 

>  Si  j'étais  directeur  d'école  à  plusieurs  classes,  je  mettrais  autant 
d'ardeur  à  former  des  maîtres  qu'à  former  des  élèves  ;  je  tiendrais 
à  grand  honneur  qu'aucun  adjoint  ne  sortît  de  mes  mains  pour 
passer  titulaire  sans  être  armé  de  toutes  pièces,  sans  posséder  les 
qualités  d'observation  et  de  méthode,  de  prudence,  de  douceur  et 
de  fermeté,  qui  font  les  bons  éducateurs.  » 

Récompenses  scolaires  dans  les  écoles  de  Paris.  —  D'après  un 
nouveau  règlement,  applicable  dès  cette  année,  il  est  alloué  à  chaque 
école  primaire  publique  de  Paris,  pour  la  distribution  des  récom- 
penses scolaires,  une  somme  calculée  d'après  le  nombre  moyen  des 
élèves  fréquentant  l'école,  à  raison  de  1  fr.  40  c.  par  an  et  par 
élève  présent.  Les  récompenses  scolaiiTS  sont  délivrées  aux  élèves 
en  échange  des  bons  points  qu'ils  ont  obtenus.  La  livraison  des 
récompenses  est  faite  aux  écoles  en  deux  fois  par  les  soins  du 
magasin  scolaire  en  octobre  ou  novembre  et  en  février  ou  mars,  et 
l'échange  des  bons  points  contre  ces  récompenses  se  fait  dans 
chaque  école  le  premier  samedi  de  chaque  mois,  dans  la 
proportion  suivante:  un  cinquième  des  récompenses  pour  le  cours 
supérieur;  deux  cinquièmes  pour  le  cours  moyen;  deux  cinquièmes 
également  pour  le  cours  élémentaire.  Le  jour  de  l'échange,  les 
récompenses  attribuées  à  .chaque  école  pour  le  mois  sont  placées  en 
vue  des  élèves,  soit  dans  la  classe,  soit  dans  le  préau.  Les  élèves 
sont  appelés,  en  suivant  l'ordre  résultant  du  nombre  de  bons  points 


186  asvuE  rtûÂGomijfBK 

dont  ils  sont  possesseurs,  à  choisir  à  leur -^ré  iearrrécompease.. fin 
cas  d'insuffisance  de  bons  points,  on  garde  ceux  qu'on  ta  pour  Its 
joindre  à  ceux  que  Ton  obtiendra,  en  vue  d'une  dktribution  ulté- 
rieure; toutefois  à  Pâques  et  >à  la  fin  do  Taiiiiée'SMlaiaeleB  i)oiM 
pointe  qui  ne  peuvent  être  échangés  contre  des  TéoMnpeBBes  soat 
retirés  aux  élèves.  Chaque  maître  et  chaque  maîirevsseiiefit  un 
carnet  sur  lequel  est  indiqué,  en  regard  du  imm  ée  ciiaque  élève, 
le  nombre  de  bons  points  «alloués  a  cet 'élève.  Ccoarnet,  qui  d«&t 
toujours  être  tenu  au  courant,  sert  >à  oimtr61er,  mn  naoneat  dB& 
échanges  mensuels,  le  nombre  de  bons  points  dont  les  élèves  doiveat 
être  en  possession. 

Ce  nouveau  système  d'encouragement  produiva  sans  doute 
d excellents  résultats.  11  pourrait  être  utilement  appliqué  dans 
toutes  les  villes  où  les  caisses  des  écoles  ont  des  ressovrces  suffi- 
santes. 

Congrès  international  d'instituteors  au  'Hatre.  — 'T:es  journaux 
de  ia  Seine-lnférieuro  annoncent  qu'on  -prépare  en  ce  inoment,  au 
Havre,  un  congrès  pédagogique  international  d'instituteurs  primaires. 
Ce  sera  le  premier  de  ce  genre  qui  sera  organisé  en  Vrance. 

Le  conseil  municipal  du  Havre  a  voté  une  somme  de  HOjOOO  francs 
pour  faire  face  aux  dépenses  d'organisation. 

Nous  suivrons  les  travaux  du  congrès  havrais  avec  le  plas  vif 
intérêt. 

ExposinoN  scoLAjRE  DE  MoNTAUBAN.  —  L'adminî^tratîon  acadé- 
mique a  le  projet  d'organiser  une  exposition  scolaire  comme  annexe 
au  concours  régional  qui  doit  s'ouvrir  à  Montauban  à  la  fin  du  mois 
de  mai  prochain.  Elle  restera  ouverte  pendant  toute  la  durée  du 
concours  régi?nal.  Les  travaux  seront  répartis  en  cinqsectieBS  :  >!''  tra- 
vaux des  maîtres  (ouvrages  pédagog-iques,  méthadcB,  traités  de 
calcul,  cours  d'enseignement  agricole,  herbiers,  releré'^dts  ioœrîp- 
tions  remarquables  qui  peuvent  exister  sur  les  ^mottnmentB, -princi- 
paux faits  des  histoires  locales,  traditions  tin  -paysy^etc);^  travaux 
des  écoles  normales  et  des  écoles  primaires  supérieurs;  3*^ travaux 
des  écoles  publiques;  4^  travaux  des  écoles  libres;  ^  tnnrwix  à 
raiguille  tant  des  inetltutrioes 'que  de  leurs  élèves. 

En  ce  qui  ooncerneles  travaux  des  mfaîtres,  outre -la 'psriie  €aoai- 
tative  laissée  à  Tinitiative  de  chacun^d'eux,radniin»6tiiitionfleniBflde 
obligatoirement  aux  institHleors  «et  aux  iniAitutmces,  titulwBS  et 
adjoints,  ia  carte  de  la  eonrmune  où  ils  cKercMit  lewrs'fantilioRS. 
Cette  carte  sera  dressée  sur  une  feuille  de  papier  imiforBie  (OSiSur 
48  centimètres),  à  l'échelle  de'1/t0,O00.  Au  veyso  «em  jcnate  ^vœ 
courte  -monographie  ide  la  commune,  tpii  ponfva,'ft^il'y  -«  iieii,'étpe 
développée  dans  un  travail  à  part. 

Lestravaux  des  élèves  cempreildreiit  6bH|jcrkmreineat  Hes 


CHRONIQUE   DE   L'KHSEIGlimENT   PRIMAIRE  EN   FRANGE         f87 

éa  cours:  supérieur  et  feuxtlu  cours  moyen,  cahiers  faits  à  Técole  au 
jour  le  jour,  et  portant  la  date  des  devoirs  et  les  corrections  du  maître. 

Exposition  scolaire  de  Toulouse.  —  Toulouse  aura  également  une 
exposition  au  mois  de  mai  prochain.  II  y  sera  présenté  ponr 
filiaque  commune  de  la  Uaute-Garonne  une  monographie  et  une 
«arte  dont  l'exécution  est  confiée  à  Tinstitiiteur .  Los  travaux  préparés 
ou  exécutés  par  les  maîtres  seront  examinés  dans  les  conférences 
.pédagogiques  du  printemps. 

Les  instituteurs  devront  donner  les  indications  suivantes: 

i^Situalion  géographique,  orographie,  hydrographie,  eaux  potables, 
sources  thermales,  météorologie; 

.^o  Population,  division  de  la  commune  en  sections,  cultes,  postes 
•et télégraphes,  valeur  du  centime,  revenus  ordinaires; 

,3^  Productions,  procédés  do  culture,  manufactures,  voies  de 
commiuiicaiion,  commerce,  mesures  locales  encore  en  usage; 

4®  Etymologje. probable  du  nom,  histoire  municipale,  traditions  et 
iégOAdes,  personnages  célèbres,  idiomes,  chants,  mœnrs,  coutumes, 
moDuments,  archives; 

&*  Historique  de  renseignement  et.des  écoles  d^ms  la  commime. aux 
.diverses  époques,  description  de  Técole  ou  des  écoL?s  existantes, 
plaBS  468  locaux  à  un  centimètre  par  mètre,  bibliothèque,  caisse 
des  écoles,  traitements,  etc. 

Ce  seront  là,  on  le  voit,  des  monographies  très  complètes  et  qui 
seront  aussi  utiles  qu'intéressantes. 

Conférences  pédagogiques.  —  L'inspecteur  d'académie  de  l'Aube 
a  reçu  de  M.  Roy,  inspecteur  primaire  à  Bar-sur-Seine,  un  rapport 
intéressant  sur  la  première  série  des  conférences  pédagogiques  d<> 
1884-1885;  nous  croyons  utile  d'en  donner  l'extrait  suivant  à  titi«e 
de  document  : 

tt  Ju§qu'alors,  dans  Tarrondissement  de  Bar-6ur-8eine,  les  maîtres 
lavaient teu  à  rédiger  un  mémoire  sur  la  question  théorique  proposée. 
JUneomité,  composé  de  deux  ou  trois  inslitu  tours  choisis  par  Tm- 
mpedeÊtt  primaire,  était  chargé  de  condenser  ces  mémoires  en  un 
«•pi^ort  unique  qui  était  lu  en  conférence.  Il  était  difficile  de  disou- 
^-.AHT  ce  rapport.  Aussi,  généralemeat.  la  discajussion  n*avait  pas 
iîeii*<et  Fen  se  contentait  d'adopter  (quand  il  y  en; avait)  les  oonolu- 
sions  du  rapport  ou  celles  que  proposait  l'inspecteur.  Les  maîtres 
étaient  à  peu  près  auditeurs  passifs  de  la   conférence  :    ce   n'élail 
■pas^miiRsamt . 
'»fFoiir'éonner  plus  de  w  à  nos  coniférewces,  «pour  décharger  — 
moîas  provisoirement  —  les  instituteurs  •du'^mémoire  écrit  qui 
^pèse^et  aboutir* à  des  «conclusions  dîscatées  et  pratiques,- -voici 
«iM'Mogrefis  que  jfei  employés  : 

•  'J'ai-ÔBVité  les 'iHftHres  ■  à  se  munir  d'un  xwmet'dewitfértnces,  — 
à  étudier  sérieusement  la  question 'théorique  proposée,  —  à*  écrire 


188  n£VU£  PÉDÀ60G1QDB 

sur  Je  carnet,  sous  une  forme  brève,  les  résolutions  qu'ils  se  pro- 
posaient de  soutenir  verbalement  avec  les  arguments  convenables. 

«  Puis,  en  conférence,  j'ai  indiqué  le  plan  à  suivre  dans  la  discus- 
sion et  invité  les  instituteurs  et  institutrices  à  prendre  la  parole. 
Cette  manière  de  faire,  nouvelle  pour  eux,  leur  plaît  ;  mis  je  dois 
dire  qu'elle  présente  des  difficultés,  —  prévues,  du  reste,  —  et  que 
la  pratique,  je  l'espère,  fera  surmonter.  Beaucoup  de  maîtres  n'osent 
prendre  la  parole.  Je  suis  obligé  de  les  stimuler,  'de  les  encou- 
rager, de  leur  indiquer  les  points  sur  lesquels  ils  pourraient  parler; 
d  autres  voudraient  parler  sans  cesse.  La  plupart  font  des  digres- 
sions, bonnes  en  elles-mêmes,  mais  en  dehors  de  la  question.  I/es- 
prit  de  suite  et  d'orrlre  dans  la  discussion  est  di (licite  à  maintenir. 
Dorénavant,  je  me  propose  d'indiquer,  s'il  n'est  indiqué  déjà,  le  plan 
do  la  question  au  moment  où  celle-ci  sera  mise  à  l'étude.  Souvent 
je  résume  la  pensée  de  l'orateur  après  qu'il  a  parlé  et  j'invite  à  faire 
des  observations  s'il  y  a  lieu.  Au  besoin,  je  les  fais  moi-môme,  soit 
pour  combattre  ce  qui  est  avancé,  soit  pour  le  compléter.   ■ 

»  Enfin,  je  résume  les  débats  et  les  dires,  j'en  extrais  les  conclu- 
sions, que  l'on  discute,  sommairement  cette  fois,  surtout  pour  en 
arrêter  le  rang  et  la  forme.  Ces  conclusions  sont  alors  écrites  au  tableau 
noir  et  tous  les  membres  de  la  conférence  en  prennent  copie  sur  le 
carnet.  Ils  sont  invités  à  les  mettre  en  pratique  dans  leurs  écoles.  » 

Exercices  militaires.  —  Le  Bulletin  départemental  du  Calvados 
rapporte  que  l'enseignement  militaire  est  de  plus  en  plus  en  honneur 
dans  ce  département,  et  il  relate  à  ce  sujet  plusieurs  faits  intéressants. 

A  Toccasian  de  l'inauguration  du  monument  élevé  à  la  mémoire 
des  jeunes  gens  de  Livry  morts  pour  la  patrie  en  1870-7i,  la  Ligue 
de  l'enseignement  a  donné  25  fusils  pour  armer  le  bataillon  scolaire. 
Le  maire  a  fait  placer  dans  la  classe  un  râtelier  pour  les  fusils,  et  un 
délégué  cantonal,  M.  Maubanl,  a  offert  un  très  beau  drapeau  à  l'école. 

Dans  le  même  département,  un  instituteur  de  Saint-Jouin, 
M.  Roger,  a  organisé  à  ses  frais  un  tir  à  la  carabine  Flobert  qui 
est  ouvert  à  tous  les  jeunes  gens  de  la  commune  et  des  communes 
environnantes,  mais  spécialement  aux  élèves  du  cours  d'adultes  et 
de  la  classe  du  jour.  Chaque  adulte  qui  n'a  pas  plus  de  deux 
absences  pendant  le  mois  peut  tirer  gratui:ement  cinq  coups  de 
feu,  et  des  prix  sont  décernés  aux  meilleurs  tireurs.  Nos  félicitations 
à  M.  Roger. 

Baux  a  loyer  pour  maisons  d'école.  —  Des  difficultés  s'étant 
élevées  dans  les  Hautes-Alpes  entre  des  communes  et  les  proprié- 
taires pour  l'exécution  des  baux  à  loyer  de  maisons  d'école  en  cas 
de  changement  ou  de  suppression  d'école,  d'appropriation,  d'acqui- 
sition, ou  de  construction  scolaire,  le  préfet  du  département  a  décidé 
pour  en  éviter  le  retour  qu'à  l'avenir  les  maires  inséreront  dans 
les  baux  écrits  la  clause  suivante  : 


CHRONIQUE   DE   l'eNSEIGNEMEMT   PRIMAIRE   EN   FRANCE         189 

c  £acas  de  changement  ou  de  suppression  d'école,  d'appropriation, 
d'acquisition  ou  de  construction  scolaire,  le  bail  sera  résilié  de  plein 
droit  sans  indemnité  pour  le  propriétaire.  » 

Cette  mesure  est  fort  sage  et  pourrait  utilement  être  généralisée. 

Un  bon  exemple  de  confraternité.  —  Nous  sommes  heureux  de 
signaler  un  fait  touchant  de  bonne  confraternité  : 

Les  instituteurs  et  les  institutrices  de  Tarrondissement  de  Melun 
se  sont  cotisés  en  faveur  de  deux  de  leurs  collègues  éprouvés  par 
une  longue  maladie;  ils  viennent  de  recueillir  le  produit  d'une 
double  collecte  qui  s'est  élevée  à  la  somme  totale  de  970  francs. 

Nécrologie.  —  Une  brave  et  digne  femme  vient  de  s  éteindre  à 
Nantes,  à  l'âge  de  92  ans.  M'"<^  Moreau  avait  été  institutrice  publique 
et  institutrice  entièrement  dévouée  à  sa  tâche.  Cette  femme 
aussi  infatigable  que  désintéressée  ne  connut  d'autre  joie  que 
d'instruire  les  filles  du  peuple,  et  n'eut  d'autre  récompense  que 
l'afl'ection  et  la  reconnaissance  des  enfants  dont  souvent  les  mères 
et  les  grand'mèrcs  avaient  été  ses  élèves.  Quand  elle  prit  sa  re- 
traite, elle  ne  jugea  pas  que  sa  mission  fût  fmio;  elle  soigna  et 
instruisit  les  enfants  infirmes  et  souflreteux  sans  aucune  rémuné- 
ration, bien  qu'elle  fiU  loin  d'élre  dans  l'aisance.  Son  nom  mérite 
de  n'être  pas  oublié. 

Un  discours  de  M.  Chazal.  —  Nous  avons  parlé  de  la  caisse  can- 
tonale de  Rebais,  nous  avons  dit  combien  elle  était  prospère  {Revue 
du  15  décembre  i88i).  M.  Chazal,  conseiller  général  du  canton,  a 
profité  de  l'inauguration  de  la  belle  école  du  chef-lieu  cantonal 
pour  rendre  hommage  à  l'activité  et  à  la  persévérance  du  maire 
et  du  conseil  municipal  et  pour  faire  un  nouvel  appel  en  faveur 
de  la  caisse  des  écoles.  A  ce  propos,  il  a  fait  longuement  l'éloge  de 
la  loi  du  28  mars  1882;  citons  seulement  quelques-unes  de  ses 
paroles:  «  S'il  est  une  loi  juste,  a-t-il  dit,  une  loi  profondément 
humaine,  c'est  incontestablement  celle  qui  assure  à  l'enfant  le  pain 
de  rinteliigence;  c'est  la  loi  qui  défend  au  père  lui-même  de  priver 
ses  enfants,  filles  ou  garçons,  de  l'instruction  qui  leur  est  indispen- 
sable pour  devenir  des  membres  utiles  de  la  société  française; 
c'est  la  loi  qui,  respectueuse  des  jeunes  intelligences,  chasse  le 
merveilleux  de  l'école  et  défend  aux  maîtres  d'enseigner  ce  qu'ils 
ne  peuvent  expliquer.  Ceux  qui  se  dévouent  à  l'exécution  de  cette  loi 
sont  vos  amis,  vos  grands  amis  et  encore  plus  ceux  de  vos  enfants.  » 

Il  y  a  une  chose  que  M.  Chazal  n'a  pas  dite,  mais  que  nous 
savons,  c'est  que  nul  plus  que  lui  n'a  contribué  au  mouvement  qui 
s*est  produit  dans  tout  le  canton  en  faveur  de  l'instruction  populaire. 


COURRIER  DE  L'EXTÉRIEUR 


AUèmagnBï  —  On  annonce  ]a  mort<le  deux  éducatears  distin- 
gués, le  D*^  Kehr  à  Erfurt  (18  janvier)  et  le  professeur  Sloy  à  léna 
(28  jaovier). 

Charles  Kehr,  né  en  1830  dans  le  duché  de  Saxe*>Gotha»  aYait- 
débuié  commo  simplerinstiluteux  ;  il  était  devenu  eneuile  maîlce  à 
récole  normale  de  GoLha,  puis  directeur  de  celte  école^  •  après  le 
"      t  de  Ditles  pour  V= ^-  '—    ' '-• •       -- 

la  à  la  direction  é 
échangé  ce  poste 

d'Erfurt.  Parmi  les  ouvrages  de  Kehr,  le  principal  est  son  Histoire 
des  branches  d* enseignement  de  ïécole  primaire  en  plusieurs  volumes. 
La  revue  (ju'il  dirigeait,  ]e8  Pcidagogische  Biatter,  est  Fundes  organes 
pédagogiqu(>s  les  pluH  estimés  de  l'AUemagnei. 

Charles -Volkmar  Stoy,  né  eu  1815  à  Pe^au  (Saxe  nwala),  étiidâi* 
la  théologie^  devint  plus  tard  Privatdozent  a  la  faculté  dé  phAlosqphie 
de  runlversilé  d'iéna  où  il  fonda  un  «  séminaire  pédagogique  »  eti 
un  institut  d  eduuation^.  En  1845  il  fut  nommé  professeur  de  philo- 
sophie à  la  même  université.  Stoy  appartenait  à  la  secte  hcrbartienne,. 
dont  il  a  exposé  les  doctrines  dans  son  Encyclopédie  de  l'éducation, 

Belgique.  —  Le  ministère  de  Tintérieur  vient  de  publier,  trcie* 
documents  qui  achèvent  l'œuvre  de  réaction  calholiqua-  daaft  le- 
domaine  do  1  enseignement  primaire  :  ce  sont  le  nouveau  profi^ramme 
d*^tudes  des  écoles  normales  et  sections  normales>de  TEtat,  le  règle- 
mentriype  des  écoles  primaiies  communales  et  le  programme-type, 
des  écoles  primaires  communales.  Nous  en  reparlerons  dans  notre 
prochain  numéro. 

E^agne.  —  On.  nous  écrit  de  Madrid  : 

«  Le  pai'ti  conservateur,  depuis  son  arrivée  au.  ppuvoir  en  janvier 
1884,  s'est  signalé  par  une  série  de  mesures  destinées  à  faire  rétro- 
grader l'enseignement  primaire. 

»  Un  décret  du  4  juillet  dernier  a  supprimé  le  cours  normal  pour 
les  institutrices  d'écoles  enfantines,  quelenrinistre  libéral,  M.'Albareda, 
et  l'ancien  directeur  de  l'instruction  publique,  Bffc  Riafko,  avaient 
créé  par  le  décret  du  17  mars  188%  dans  Tintenlion  de  remettre- 
Féducution  de  la  première  enfance  aux  mains  des  femmeSk  Pendant 
les  deux  années  à  peine  que  ce- cours  a  fonctionné,  il  avait  donné  ies 
meilleurs  résultats.  Les  cleux  professeurs  placés  à  sa  tèle,  hommes 
de  renseignement  supérieur,  avaient  mis  avec  le  plus  grand  dévoue- 
ment leur  science  et  leur  expérience  au  service  de  cette  œuvre, 
et  exerçaient  la  plus  heureuse  influence  sur  le  développement  du 
caractère  des  élevés.  L'enseignement,  objectif  et  rationne^  était 
accompagné  d'exercices  pratiques  à  l'école  Frœbel*,  où  le*  cours- avait 
été  installé  dans  un  IochI  aménagé  conformément  aux*  phEis*  réeenti 
progrès  de  Thy^iène  scolaire.  Une  commission  de  patronu^ev  formée 
des  personnes  les  plus  distinguées  et  les  plus  compétentes,  était 
chargée  d'examiner  les  élèves  à  la  fin  de  leurs  études  et  de  faire 
les  nominations  aux  postes  vacants  dans  les  écoles  enfantines  :  c'était 


COUBBUn.AB  I**EXXÉ]I1IUR  191 

là  ua  premier  pas  fait  dans  la  voie  de  la  décentialisaiioB  adminiat- 
IraliveetàreneoDlre  du  fâcheux  système-de  concours  (oposiciones)  qui 
prévaut  eDcore  partout  en  Espa^gne.  Les  municipalités  accueillaient 
avec  satis£acttofi  les  institutrices  préparées  au  cours  normal,  et  se 
montraieiii  disposées  à  concourir  a  la  réformo  des  écoles  enfantines, 
enlreprise  dans  un  esprit  de  véritablo  propres  Tout  cela  a  été 
détruit  par  le  décret  de  M.  Pidal,  le  ministre  conservateur.  La  con^ 
mission  de  paironage  a  été  dissoute  et  remplacée  par  un  comité^  ôm 
damea,  présidé  par  Tinfante  Isabelle  et  complètement  étranger  aux 
qu€)sUona  d*ei saignement  ;  on  est  revenu  au  système  des  concours, 
et  àrl'aneien  usage  de  remettre  les  écoles  enfantines  à  des  instituteurs 
au  liea  de  les  confier  à  des  femmes  ;  on  a  supprimé  le  cours  normal, 
eonune  si  les  institutions  destinées  à  la  culture  inicllectuelle  et 
BMcale  de  la  famme  étaient  trop  nombreuses  en  Espagne. 

»  Un  autre  décret  du  3  septembre  dernier  a  ieté  le  truble  et  la 
défloraanisation  dans  Técole  normale  centrale  d'institutriece,  à 
la<pieJie  MM.  Albareda  et  Riafio  avaient  donné  une  vie  nouvelle  par 
le-dteret  du  14  août  188*2.  La  durée  des  études  avait  été  augmentée, 
1m  programmes  élargis  et  développés  ;  renseignement  était  donné 
par  les  professeurs  de  récolo  normale  d'instituteurs,  par  ceux  du 
cour»  normal  des  écoles  enfantines,  et  par  un  certain  nombre  de  pro- 
inaflfflMi^  libres,  choisis  au  concours,  d'après  ce  principe,  que  Tensei- 
goement  primaire  normal  ei^ige,  de  la  part  de  ceux  qui  le  donnoni, 
une  culture  égale  à  celle  qu'on  réclame  des  professeurs  de  Tensei»» 
guement  anpérieur,  et.  que  c'est  seulement  par  un  personnel  de  ce 
genre  que  des  réformes  sérieuses  peuvent  être  accomplies  dans  Yin- 
struotion  priiuaire.  On  avait  organisé  un  local  nouveau,  avec  un 
DOuveAQ  niAbilier;  on  s'était  procuré  le  meilleur  matériel  d'ensei- 
f/àsamoU,  des  appareils  de  projection,  des  microscopes,  des  cartes 
murales,  des  cartes  en  relief,  etc.;  on  avait  créé  des  laboratoires, 
nue  bibliothèque  pourvue  des  md Heurs  livres,  des  meilleures-  revues 
pédagogiques  de  Fétranger,  etc.  L'école  a  fonctionné  deux  ans  sous 
celiouveau  régime.  Le  décret  de  M.  Pidal  ne  s'est  pas  attaqué  direc- 
tement aux  principes  de  cette  réforme.  Miis  il  a  supprimé  la  qua- 
trième année  d'études,  et  un  certain  nombre  de  branches  d*ensei- 
gncmeot,  par  exemple  les  notions  de  droit  et  la  langue  française, 
cinsi  que  les  excursions  scolaires,  qui  avaient  pris  un  grand  dévelop- 
pement. Et  surtout,  il  a  rendu  impossible  la  réalisation  du  plan  ae 
iWif  en  éloignant  de  Fécole  normale  tous  les  professeurs  et  en  les 
remplaçant  par  des  femmes,  insuffisamment  préparées  et  incapables 
de  donnera  leur  enseignement  un  caractère  élevé  et  scientifique. 

>  Nous  sommes  donc  en  présence  d'un  arrêt  de  développement  subi- 
tement imposé  à  rinsttuction  primaire.  Les  ultramontains  ont  voulu, 
par  ces  décrets,  se  débarrasser  d'un  personnel  enseignant  intelligent 
et  capable,  mais  qui  leur  était  suspeci,  non  par  sa  couleur  politique 
—  il  est  resté  complètement  étranger  aux  luttes  de  partis  —  mais 
par  ses  idées  libérales  en  matière  d'éducation,  et  par  les  liens  qui 
le  rattachaient  à  un  établissement  d'où  est  parti  tout  le  mouvement 
pédagogique  moderne  en  Espagne  :  nous  voulons  parler  de  la  Insli- 
tucion  libre  de  ensefianza, 

9  C'est  en  vain  que  les  ultramontains  espagnols,  comme  les  ultra- 
montains belges,  ont  essayé  de  donner  à  leurs  mesures  de  réaction 


192  aCVUI  PÉDÀ60GIQ1I1 

un  caractère  pseudo-libéral:  leur  véritable  but  appeiraît  clairement 
à  tous  les  yeux:  c'est  de  remettre  renseignement  entre  les  mains 
des  congrégations  religieuses.  Ainsi,  ^ne  des  dispositions  du  décret 
du  3  septembre  porte  que  les  élèves  de  Técole  normale  centrale 
d'institutrices  passeront  leur  examen  devant  un  jury  formé  d'un 
certain  nombre  d'institutrices  de  Madrid  élues  par  leurs  collègues. 
Celte  disposition  semble  au  premier  coup  d*œil  éminemment  libérale. 
Mais,  pour  qu'une  institutrice  puisse  poser  sa  candidature,  le 
décret  exige  que  son  école  compte  au  moins  cent  élèves;  or,  ce 
chilTre  d'élèves  ne  se  rencontre  à  Madrid  que  dans  les  écoles  catho- 
liques et  dans  celles  des  congréganistes.  Et  en  effet,  sur  22  candi- 
datures qui  se  sont  produites,  13  émanaient  d'institutrices  d'écoles 
catholiques,  toutes  écrites  de  la  même  main:  8 émanaient  d'insti- 
tutrices congréganistes,  toutes  également  de  la  même  main  ;  une  seule 
émanait  d'une  institutrice  d'école  publique.  Le  scrutin  a  offert  des 
î-:r(>nes  bizarres:  les  bonnes  sœurs,  peu  accoutumées  à  la  libre 
pratique  du  suffrage,  venaient  demander  naïvement  à  la  présidence 
"  quels  bulletins  elles  devaient  déposer  dans  l'urne  »,  attendu 
que  «  la  personne  qui  les  leur  avait  remis  avait  oublié  de  leur 
expliquer  ce  qu'elles  devaient  faire  ». 

>  Autre  imitation  du  libéralisme  des  c^itholiuucs  belges.  Un  décret 
récent  indique  aux  municipalités  la  marche  a  suivre  pour  adopter 
des  écoles  privées  pouvant  tenir  lieu  d'écoles  publique^  C'est  la  loi 
de  18j7  (jui  a  établi  le  principe,  mais  M.  Pidal  a  déterminé  la  con- 
dition à  laquelle  une  école  libre  doit  satisfaire  pour  mériter  l'adop- 
tion. Celle  condition  n'est  pas,  comme  on  pourrait  être  tenté  de  le 
croire,  d'offiir  des  garanties  suflisantes  au  point  de  vue  de  l'édu- 
cation el  de  rinstruction  ;  non  :  ce  que  le  mmistro  exige,  c'est  que 
l'école  enseigne  la  doctrine  chrétienne  conformément  au  catéchisme 
diocésain.  Do  la  sorte,  ceux  des  Espagnols  qui  ne  professent  pas  la 
religion  catholique,  apostolique  et  romaine  ne  pourront  prétendre  a 
vuir  c  adopter  »  les  écoles  privées  qu'ils  seraient  tentés  de  fonder. 
Voir':  comm«;nt  on  entend  la  liberté  aujourd'hui  en  Espagne.» 

Italie.  —  Dans  la  séance  du  28  janvier,  M.  Merzario  a  présenté 
à  la  (Chambre  des  députés  le  rapport  do  la  commission  chargée 
d'examiner  le  projet  de  loi  sur  les  traitements  et  la  nomination  des 
instituteurs,  revenu  du  Sénat.  Le  rapport  conclut  à  l'acceptation  des 
niodifications  de  détail  introduites  par  le  Sénat  dans  le  projet  déjà 
discuté  par  la  Chambre.  En  conséquence,  on  peut  espérer  que  le 
mois  de  février  ne  s'achèvera  pas  sans  que  la  loi  si  impatiemment 
attendue  ne  soit  définitivement  votée. 

—  Le  Suoix)  Educatore  de  Rome  propose  une  fédération  générale  des 
"sociétés  pédagogiques  existant  en  Italie.  L'idée  paraît  accueillie  avec 
faveur  par  la  plupart  des  autres  journaux  d'éducation. 


Le  gérant  :  H.  Gantois. 


IMPKIMrUIK  CR.NTR.M.B  DFS  CUBXIN<  DE  FER.  —  IMPRIMERIE  CHAIX. 
lirB  DEItaÈRB.  SO.  TARIS.   —   2464-4. 


iMmBe  léric.  —  Imt  VI.  N*  3.  15  lan  MK. 

BEVUE  PÉDAGOGIQUE 


LES  QUESTIONS  D'ENSEIGNEMENT  AU  TONKIN 


Les  Tonkinois  sont  d'une  aulre  race  que  nous  ;  il  ne  faut  pas 
que  rinfatuation  de  notre  propre  civilisation  nous  les  fasse 
regarder  comme  de  simples  barbares;  leur  infériorité  capitale 
tient  à  leur  manque  presque  absolu  des  qualités  d'énergie  et 
de  fierté  qui  ont  leur  principe  dans  le  sentiment  de  l'honneur 
individuel  et  qui  sont  le  grand  ressort  de  l'Européen  ;  mais  ils 
n'en  sont  pas  moins  un  peuple  d'une  culture  très  avancée  qui, 
à  quelques  égards^  n'est  point  autant  au-dessous  des  sociétés 
européennes  que  l'on  serait  porté  à  l'imaginer. 

Uo  des  étonnements  les  plus  vils  du  voyageur  français  qui 
débarque  au  Tonkin  est  de  voir  à  quel  point  Tinstruclion  pri- 
maire y  est  répandue.  Une  foule  d'observations  viennent  d<''s  les 
premiers  jours  le  convaincre  que  le  nombre  des  habitants  qui 
sont  restés  complètement  étrangers  à  l'art  de  lire  et  même  d'é- 
crire est  très  restreint.  Les  inscriptions  sont  répandues  avec 
une  profusion  dont  rien  ne  nous  donne  une-  idée  en  Europe, 
inscriptions  gravées  sur  des  tablettes  de  marbre  à  la  porte  des 
pagodes,  inscriptions  laquées  sur  des  planchettes  à  l'intérieur, 
inscriptions  gravées  sur  les  poutres  de  la  charpente,  inscriptions 
peintes  au  fronton  et  sur  les  chambranles  des  portes  des  rues, 
inscriptions  à  la  porte  des  maisons  riches,  inscriptions  sur  papier 
rouge  collées  sur  les  murs  des  paillotes  les  plus  pauvres  à  Té- 
poque  du  jour  de  l'an.  Les  caractères  chinois  tout  en  barres  et 
en  grifies,  tout  hérissés  et  crispés,  vous  tirent  l'œil  de  tous  les 
côtés.  Dans  les  villages  saccagés  par  la  guerre,  en  pleine  cam- 
pagne, les  maisons  ne  sont  point  rares  oii  Ton  trouve  des  livres. 
Très  souvent  le  papier  dans  lequel  le  marchand  enveloppa  votre 
achat  est  estampillé  de  caractères  à  sa  marque.  Les  pipes  à  eau 
sont  couvertes  de  sentences.  Les  boutiquiers  ont  tous  des  ca- 
ABTVB  piDAGooigui  1885.  —  !•'  sra.  13 


194  aCTUI  FÉDÀGOGIQUl 

biers  sur  lesquels  ils  notent  leurs  ailkires.  Il  n'est  pas  jusqu'aux 
misérables  revondeiirs  qui  courent  las  rues,  un  bambou  sur  l'é- 
paule v^MX  eitrémilés  duquel  comme  des  plateaux  de  balance 
pendent  deux  paniers,  qu'on  ne  voie  tirer  de  leur  souquenille 
trouée  un  bout  de  papier  sur  lequel  ils  griffonnent  quelques  signes. 
On  sait  que  dans  le  royaume  d'Annam,  comme  «n  Chine,  les 
emplois  se  donnent  au  concours.  Tous  les  deux  ans,  avant  notre 
installation  à  Hanoï  qui  a  profondément  troublé  la  vie  indigène», 
trois  à  quatre  mille  candidats  ayant  déjà  subi  victorieusement 
une  première  épreuve  dans  leur  province  y  venaient  de  toutes- 
les  parties  du  Tonkin  s'enfermer  dans  une  vaste  enceinte  que 
nous  avons  appelée  depuis  le  Camp  des  lettrés,  et  là,  emprisonnés 
dans  de  très  étroites  cellules,  ils  faisaient  des  compositions  pour 
un  examen  suprême.  Les  candidats  malheureux  pouvaient  se 
représenter  deux  ans  après  au  concours  suivant;  il  n'y  avait  pas 
de  limite   d'âge;  mais  beaucoup   se  lassaient   pressés  par  le 
besoin,  et,  désespérant  d'arriver  aux  fonctions  publiques,  ils  cher- 
chaient   d'autres  moyens  d'existence;  c'est  parmi  eux  que  se 
recrutaient  les  petits  maîtres  d'école  qui  s'en  allaient  enseigner 
dans  les  villages.  J'ai  visité  quelques-unes  de  ces  écoles  ton- 
kinoises; je  les  ai  toujours  trouvées  malpropres  et  d'une  instal- 
lation  passablement  rudimen taire,  comme  du  reste  toutes  les 
habitations  du  pays.  Un  petit  autel  domestique  se  dresse  au  fond 
de  la  salle,  brillant  de  laques  rouges  et  de  papiers  dorés;  de 
vastes  estrades  sont  recouvertes  de  nattes  sur  lesquelles  les  écoliers 
s'accroupissent.  Ils  apprennent  à  lire  et  à  écrire  dans  le  mémo 
livre,  le  Tam-tu-kinh,  composé  de  vers  représentés  chacun  par 
trois  signes,  lequel  renferme  un  résumé  populaire  de  la  morale 
chinoise,  de  sorte  qu'en  même  temps  qu'il  apprend  les  signes 
l'enfant  apprend  ses  devoirs.  Le  Tam-tu-kinh  contient  les  signes 
les  plus  usités,  et  l'instruction  pour  les  enfants  qui  ne  se  des- 
tinent pas  au  concours  se  borne  ordinairement  à  le  savoir  par 
cœur.  Le  maître  prend  un  vers,  il  explique  la  valeur  de  chaque 
signe  aux  élèves,  le  leur  fait   répéter,  puis,  avec  un  pinceau 
trempé  dans  un  godet  où  est  délayée  de  l'encre  de  chine,  il  leur 
lait  reproduire  les  signes  sur  des  cahiers  d'un  papier  gris  fort 
commun,  que  nos  plumes  de  fer  déchireraient,  mais  sur  lequel 
glissent  les  poils  du  pinceau. 


LKS  QUESTION  D'tMItdNKMSIfr  AU  TONKIN  1^5 

Totrt  le  monde  «ih  ce  qtt*est  Vècriture  chitiofee,  ttHHée  ttx)ti 
BttilemeDt  en  Chine,  mais  encore  danii  It»  pïtys  <)Ui  t)m  stibi 
rinfiaence  du  grand  empire  asiatique  isotntùt  rAnnam^  fe  Siàtn, 
h  Corée  et  le  Japon.  Chaque  mot  cil  représenté  par  tme  lettre 
particolière  on,  pour  mieux  parier,  par  tm  àighfe  particulier*  Ce 
tigne  représentant  une  idée  déterminée,  il  pé\xi  se  lire  dans 
lontes  les  langues,  de  sorte  que  les  Annamites  se  servent  des 
signes  chinois  sans  pour  cela  être  obligés  de  savoir  le  chinais. 
On  peut  se  faire  une  idée  de  ce  système  d'écriture  par  nos 
chiffres.  Le  signe  3,  par  exemple,  représente  pour  tous  lès 
peuples  de  l'Europe  la  même  idée,  et  cependant  chaque  peuple 
en  partant  le  traduit  par  des  sons  différents.  Les  Annamites  em- 
ploient donc  les  signes  chinois  sans  pour  cela  parler  le  chinois. 
Chaque  signe  représentant  une  idée,  acquérir  la  connaissance 
d'un  certain  nombre  de  signes,  c'est  acquérir  la   même  quan- 
tité d'idées.  L'instfuclion  d'un  homme  se  mesure  à  la  quantité 
de  signes  qu'il  possède.  Avec  les  signes  contenus  dans  le  Tarh- 
/u-lftnfc,  les  gens  du  peuple  peuvent  pourvoir  à   leurs  bcsoîûs 
quotidiens.  Ceux  qui  veulent  pousser  leurs  éludes  plus  loin  passent 
à  d'autres  livres  qui  contiennent  des  signes  nouveaux,  et  peu  à 
peu  ils  parviennent  à  pouvoir  lire  couramment  les  ouvrages  lît- 
térrtres  du  genre  élevé. 

An  premier  abord  ce  système  nous  parait  le  comble  de  l'ab- 
surde. On  a  dit  que  jamais  un  Chinois  et  par  conséquent  Jamais  Un 
Annamite  ne  peut  se  vanter  de  savoir  complètement  lire.  Le  dic- 
tionnaire dcLittré  contient  environ  quarante-cinq  mille  mots;  en 
admettant  que  la  langue  chinoise  n'en  contienne  que  la  moitié, 
ce  serait  encore  vingt-cinq  mille  cinq  cents  signes  h  apprendre. 
Quel  prodigieux  effort  de  ménwJre!  N'est-ce  pas  une  folie  que 
dépanner  sa  vie  à  apprendre  h  lire?  Cependant,  à  y  regarder  de 
bien  près,  absurdité  et  folie  ne  sont  phïs  aussi  évidentes.  Le  chi- 
nois et  rannamitc  sont  des  langues  monosyllabiques,  c'est-à-dfre 
que  les  mcks  n'ont  qu'une  syllabe  ;  comme  la  série  de  cortibi- 
fiaiaans  syllabiques  que  foù  peut  fottner  avec  les  sons  est  rcs- 
tnrinte,  et  qtve  le  nombre  en  est  très  inférieur  à  la  quantité  d'idées 
qne  ces  kngves  ont  à  exprimer,  elles  ont  multiplié  letrrs  mots 
eB  changeant  la  signification  (les  syllabes  sulv^int  le  ton  smr 
equd  on  les  prononce.  La  même  syflêrbe  proâmcée  sur  ^x 


196  R£VUE   PÉDAGOGIQUE 

Ions  différents  représente  six  sens  différents  et  complètement 
indépendants  les  uns  des  autres.  C'est  même  là  la  difficulté  que 
les  étrangers  éprouvent  pour  apprendre  la  langue  ;  leur  oreille  ne 
saisit  pas  toujours  ces  nuances  d'où  le  sens  du  mot  dépend 
cependant.  Un  interprète  français  qui  a  vingt-deux  ans  de  pratique 
me  disait  au  Tonkin  que  quand  il  avait  une  déposition  très  im- 
portante à  traduire,  il  n'osait  encore  s'en  fier  absolument  à  la 
sienne,  et  qu*il  se  faisait  toujours  assister  d'un  lettré  indigène  pour 
lui  soumettre  ses  scrupules  quand  il  doutait  du  sens.  Comment 
rendre  ces  différences  de  ton  avec  nos  lettres?  L'avantage  de 
récriture  chinoise  est  ici  incontestable.  Elle  attribue  à  chaque 
sens  particulier  d'une  syllabe  un  signe  qui  lui  est  propre;  s'il 
y  a  six  sens,  elle  a  six  signes,  et  toute  confusion  est  impossible 
à  la  lecture. 

Et  puis  en  apprenant  les  signes,  les  élèves  n'apprennent  pas 
seulement  à  lire,  ils  apprennent  aussi  la  signification  des  mois  que 
ces  signes  représentent,  ils  s'assimilent  pour  ainsi  dire  la  portion 
de  science  que  chacun  d'eux  contient.  Supposez  mi  jeune  Français 
ignorant  l'anatoinie  :  l'étudier  consistera  pour  lui,  en  somme,  à 
apprendre  la  valeur  d'un  certain  nombre  de  mots.  Quand  il 
voit  pour  la  première  fois  les  mots  sternum,  fémur,  cubitus,  ils 
sont  aussi  vides  de  sens  pour  lui  que  le  serait  un  signe  chinois  ; 
le  jour  où  il  comprend  la  signification  de  tous  les  termes 
anatomiques,  où  il  sait  que  tel  mot  désigne  un  os  placé  à  tel 
endroit,  tel  autre  un  nerf  qui  fonctionne  de  telle  façon,  il  sait 
l'anatomie.  Et  bien,  Télùve  annamite  opère  d'une  manière  à  peu 
près  semblable  quand  il  apprend  les  signes;  plus  il  en  connaît 
et  plus  son  savoir  est  étendu. 

Les  missionnaires  ont  été  frappés  comme  tout  le  monde  de 
rénorme  travail  qu'impose  le  système  d'écriture  chinois.  Aussi 
ont-ils  essayé  de  supprimer  la  difficulté.  Ils  ont,  en  modifiant  de 
diverses  manières  les  lettres  de  l'alphabet  latin,  formé  un  alphabet 
appelé  le  Quoc-GneUy  à  l'aide  duquel  il  est  possible  de  ren- 
dre non  seulement  les  sons  des  syllabes,  mais  encore  le  ion  sur 
lequel  elles  sont  prononcées.  Mais  à  quoi  sertie  Quoc-Gneu?  Four 
qu'il  fût  réellement  utile,  il  faudrait  traduire  dans  cet  alphabet 
la  littérature  chinoise  et  la  littérature  annamite  écrite  et  impri- 
mée de  iuis  trente  siècles  dans  le  système  idéographique.  L'Anna- 


LSS   QUKSTIOIIS   d'eNSKIGNEMINT  ÀU  TONKIIf  197 

mite  qui  ne  saurait  lire  que  le  Quoc-Gneu  n'aurait  à  sa  dispo- 
sition que  les  quelques  livres  imprimés  avec  cet  alphabet  et  qui 
se  réduisent  à  très  peu  de  chose  ;  il  ne  pourrait  déchiffrer  ni  les 
livres  nationaux  ni  les  inscriptions  répandues  partout  en  si  grand 
.nombre;  il  serait  comme  étranger  au  milieu  de  la  civilisation 
de  son  pays. 

Je  crois  donc  que  le  mieux  que  nous  puissions  faire,  c'est  de 
nous  désintéresser  de  cet  enseignement.  Cela  nous  est  d'autant 
plus  facile  qu'il  est  dépourvu  de  tout  fanatisme  soit  religieux, 
soit  politique.  La  morale  qui  en  fait  le  fond  et  le  principal  est 
telle  que  nous  pouvons  la  désirer  ;  les  deux  grands  principes 
qu'elle  enseigne  sont  le  respect  des  parents  et  l'amour  de  la 
paix.  On  n'y  trouve  pas  trace  d'un  sentiment  patriotique  dont 
nous  puissions  avoir  à  craindre  la  diffusion  et  la  surexcitation. 
Nous  aurions  tout  à  perdre  et  rien  à  gagner  à  troubler  des  mœurs 
tant  de  fois  séculaires.  C'est  cette  éducation  qui  a  formé  ce 
peuple  tonkinois  si  humble,  si  résigné^  si  facilement  gouvernable, 
que  la  cour  de  Hué  contenait  avec  une  poignée  de  soldats. 
L'initiative  du  gouvernement  doit  se  borner  à  créer  à  Hanoï  un 
collège  semblable  au  collège  d'Adran  à  Saigon,  pour  former  des 
interprètes  français  et  répandre  la  connaissance  de  notre  langue. 
Mais  laissons  à  l'Annamite  la  seule  éducation  morale  et  littéraire 
dont  il  soit  capable. 

Il  est  un  autre  enseignement  sur  lequel,  en  revanche,  il  me 
semble  que  notre  attention  ne  saurait  trop  se  porter.  C'est 
l'enseignement  professionnel.  En  nous  chargeant  du  protectorat 
du  Tonkin,  nous  nous  chargeons  de  ses  destinées,  nous  con- 
tractons l'obligation  de  pourvoir  à  ses  intérêts.  Or,  par  l'ensel  - 
gnement  professionnel,  à  fort  peu  de  frais,  comme  j'espère  le 
montrer,  nous  pouvons  rendre  à  la  population  tonkinoise 
d'immenses  services,  Taire  faire  à  sa  civilisation  en  cinquante 
ans  plus  de  progrès  qu'elle  n'en  a  accomplis  en  dix  siècles  de 
sommeil  sous  le  plus  dur  et  le  plus  stupide  des  despotismes,  et 
justifier  ainsi  non  seulement  à  ses  yeux,  mais  encore  devant 
i'hamanité  même,  la  conquête  dont  nous  avons  assumé  la  respon* 
sabilité. 

Actuellement,  il  n'y  a  pas  d'enseignement  professionnel  pro- 
prement dit  au  Tonkin.  Los  artisans  prennent  des  apprentis  et 


leur  Iraasmetteût  te  secret  de  leurs  pyrocédés  et  les  dea^us  sur 
lesquels  ib  travaillent*  Géoéralement  les  fils  appreaoeat  le  métier 
de  leurs  pèrea^  et  une  industrie  ne  sort  pas  de  U  même  famille. 
Les.  empereurs  anoauûtesy  sauf  uoe  exception,  ont  toujours  eu 
pour  premier  principe  de  leur  politique  extérieure  qu'il  élait 
indispensable  d'éviter  que  teur  peuple  entrât  en  contact^avec  le» 
peuples  étrangers.  Us  ont  fait  autant  que  possible  de  leur  ejn- 
pire  un  empire  complètement  fermé.  Le  Tonkin  a  donc  reçu 
fort  peu  de  lumières  des  pays  voisins  et,  en  dépit  d'aptitudes 
remarquables,  les  arts  industriels  y  sont  restés  dans  lenfance. 

Ces  aptitudes  ne  font  doute  pour  aucune  des  personnes  qui 
ont  TU  les  Tonkinois  de  près.  Elles  se  sont  manifestées  en  des 
circonstaoces  tout  à  fait  caractéristiques.  En  voici  une.  Il  y  a 
un  siècle  Tart  des  incrustations  de  nacre  était  inconnu  dans 
VAnnam.  Un  souverain,  ayant  pris  goût  pour  des  incrustations 
venues  de  Canton,  appela  k  Hué  des  ouvriers  de  cette  ville  et  y 
fit  installer  quelques  ateliers.  De  Hué,  des  ouvriers  vinrent  au 
Tonkin,  à  Hanoï  et  à  ^am-Dmh,  et  dans  ces  deux  villes  cette 
industrie  est  allée  sans  cesse  s'affinant  uniquement  sous  Fin- 
fluence  du  goût  naturel  des  artistes  tonkinois.  Les  vieilles  incrus- 
tations, celles  qui  datent  d'une  soixantaine  d'années,  ressemhlcui 
beaucoup  à  celles  de  Canton,  les  nuances  de  la  nacre  en  sont 
mal  assorties,  les  dessins  lourds,  l'exéculion  manuelle  peu  soi- 
gnées. Aujourd'hui  Hanoï  possède  quelques  artistes  qui  font  les 
plus  jolies  incrustations  de  nacre  de  l'Extième  OrienL 

On  voit  par  cet  exemple  que  l'enseignement  professionnel  ne 
tomberait  pas  en  terrain  stérile  au  Tonkin.  Il  faut  ajouter  qu'il 
trouverait  des  élèves  très  dociles.  Les  Tonkinois  sont  extrême^ 
ment  curieux  de  se  perfectionner  dans  leurs  professions,  et  j'en 
ai  eu  bit'n  souvent  des  preuves  toucliantos  pendant  mon  séjour 
à  Hanoï.  Sitôt  que  leurs  rapports  avec  les  Français  leur  iai&aieni 
tomber  antre  les  mains  un  objet  pouvant  leur  servir  de  modela, 
ils  s'empressaient  de  le  copier  et  de  le  passer  à  leurs  amis  pour 
qu'ils  le  copiassent  eux-mêmes.  Le  plus  grand  plaisir  que  ïon 
puisse  faire  à  un  ouvrier  est  de  lui  donner  quelque  dessin  non* 
veau  qu'il  utilisera  dans  sa  profession.  Le  fait  m'a  tellement 
frappé  que,  en  passant  plus  tard  au  Japon,  je  choisis  quelques- 
uns  de  ces  albums  de  dessins  pour  les  industries  d'ail  qui  sont 


LÏS  QUASTIOMS   o'eNSSIGNBMKNT    ÀU   TONKIN  199 

si  mullipliés  daas  ce  pays  et  je  les  envoyai  à  notre  résident  à 
fianoiyea  le  priant  de  les  distribuer  à  quelques-uns  des  meil- 
leurs^ artistes  de  la  ville,  afin  de  leur  en  apprendre  Texistence  et 
de  leur  faixe  savoir  oir  ils  pourraient  s'en  procurer  d'autres. 

Âa  cas  où  le  gouvernement  se  déciderait  à  cultiver  d'aussi 
rittZian}uables  dispositions,  la  questioAquise  poserait  serait  celle- 
ci:  Queb  midtres  convient-il  de  donner  aux  Tonkinois?  Quel 
4irt  Caut-il  leur  enseigner  ?  Pour  nK)i  on  ne  saurait  hésiter  sur 
la  réponse.  Avant  tout,  il  ne  laut  pas  leur  donner  de  maîtres 
européens.  Cela  pour  toute  espèce  de  raisons  que  je  n'ai  point 
le  loisir  de  développer.  U  me  sufiSra  d'exposer  les  deux  ou  trois 
principales, 

En  premier  lieu,  la  vie  des  populations  dans  l'Extrême  Orient 
est  très  simple.  L'industrie  a  toujours  gardé  parmi  elles  un  carac» 
tère  domestique.  Elles  répugnent  absolument  à  la  grande  industrie, 
vers  laquelle  tendent  au  contraire  de  plus  en  plus  les  nations 
européennes.  Un  artisan  travaille  sous  quelque  auvent  dans  la  rue 
on  dans  sa  petite  cour,  entouré  de  sa  famille  qui  Taidt'  à  sa 
besogne;  an  outillage  un  peu  compliqué  lui  dépendrait  impos- 
sible avec  ses  habitudes.  Nos  grands  fondeurs  ont  jusqu'à  douze 
•cents  outils  différents  pour  ciseler  le  bronze;  un  artiste  japonais 
qui  fabrique  ces  merveilles  que  Ton  n'est  pas  encore  parvenu 
à  imiter  en  Europe  n'en  possède  que  quatre  ou  cinq,  ii  supplée 
à  l'abondance  par  la  patience  et  l'adresse.  Des  maitres  habitués 
à  nos  fabrications  dispendieuses  et  savantes  ne  sauraient  donner 
aucun  enseignement  pratique  à  des  gens  qui  fondent  un  vase 
de  prix  sur  le  même  foyer  oii  ils  cuisent  leur  soupe.  On  a 
essayé  à  Hanoï  de  remplacer  les  mauvais  ciseaux  des  incrusteurs 
par  d'excellents  outils  de  fin  acier  qu'on  a  fait  venir  de  France; 
lesiocrusteurs  ont  parfaitement  reconnu  la  grande  supériorité  de 
ceux-ci,  mais  ils  éprouvaient  tant  de  peine  à  les  entretenir  en 
bon  état  qu'après  un  court  essai  ils  ont  repris  les  anciens. 

Ensuite  notre  art,  le  seul  qu'un  maître  européen  soit  capable 
d'enseigner,  notre  art  restera  toujours  complètement  fermé  aux 
artistes  de  l'Extrême  Orient.  Pour  nous  en  tenir  à  l'art  décoratif, 
il  est  sensible  que  les  motifs  qui  nous  sont  familiers  sont  incon- 
nus an  Tonkin,  de  môme  que  les  motifs  familiers  au  Tonkin  sont 
ignorés  du  mattrc  qu'on  y  enverrai  t  et,  quoiqu'il  fasse,  lui  resteront 


900  RXVUB  PÉDAGOGIQUE 

toujours  étrangers  par  essence.  Prenons  d'abord  la  figure  humaine, 
qui  peut  jouer  un  certain  rôle  dans  la  décoration.  Un  Tonkinois  au 
nez  épaté,  aux  pommettes  saillantes,  aux  yeux  bridés  et  relevés,  à 
la  bouche  largement  fendue  et  aux  dents  noires,  à  la  peau  jaune,  au 
corps  grêle  et  sans  hanches,  ne  parviendra  jamais  à  se  faire  entrer 
dans  le  cerveau  notre  idéal  de  beauté,  qu'un  maître  européen  sentit 
fatalement  poussé  à  lui  enseigner  ;  il  a  lui  aussi  son  idéal  de  beauté, 
le  seul  qu'il  puisse  sentir  et  traduire,  mais  il  est  tiré  des  traits 
constitutifs  de  sa  race,  et  il  sera  aussi  impossible  au  maître 
européen  de  le  comprendre  et  de  l'enseigner  qu'il  est  impossible 
au  Tonkinois  de  comprendre  celui  du  maître  européen.  Prenons 
ensuite  les  fleurs,  les  feuillages,  les  fruits,  les  animaux,  éléments 
plus  fréquents  encore  que  la  figure  humaine  dans  la  décora- 
tion. Un  maître  européen  n  été  élevé  à  combiner  dans  ses 
dessins  des  fleurs,  des  feuillages,  des  fruits  et  des  animaux 
dont  il  ne  retrouvera  plus  rien  au  Tonkin.  Ou  il  enseignera  aux 
Tonkinois  ce  qu'il  sait,  et  alors  les  Tonkinois  ne  comprendront  rien 
à  des  formes  qui  ne  correspondent  à  rien  de  vivant  dans  leur 
pays;  ou  il  se  remettra  à  étudier  la  nature  du  pays  dans  lequel 
il  se  trouvera  transporté,  mais  alors  il  redeviendra  lui-même 
élève,  et  il  y  a  de  bien  grandes  chances  pour  qu'anfvant  avec  un 
esprit  tout  formé  dans  un  milieu  entièrement  neuf,  il  ne  reste 
toujours  gauche  et  maladroit  pour  l'interpréter.  Il  sera  comme 
ceux  qui  apprennent  tardivement  une  langue  ;  il  gardera  tou« 
jours  l'accent  de  la  langue  primitive,  et  fera  un  mauvais  maître. 
On  peut  voir  dès  maintenant  quel  produit  un  enseignement 
européen  donnerait  au  Tonkin.  Les  officiers  et  les  soldats  de 
notre  armée,  pour  rapporter  un  souvenir  du  pays,  ont  fourni 
aux  incrusteurs  et  aux  brodeuses  des  dessins  pour  des  objets 
qu'ils  désiraient  voir  décorer.  Ces  modèles  français  sont  néces- 
sairement remplis  de  formes  ignorées  au  Tonkin.  Ils  ont  été 
copiés  comme  on  peut  copier  ce  qu'on  ne  connaît  pas,  c'est-à- 
dire  servilement,  avec  des  erreurs  de  copiste  ignorant  qui  en  font 
généralement  de  fort  laides  choses. 

Les  maîtres  européens  écartés,  c'est  dans  l'Extrême  Orient,  parmi 
des  peuples  de  civilisation  semblable,  qu'il  en  faut  chercher.  Et 
du  moment  que  la  question  est  ainsi  restreinte,  elle  est  résolue. 
C'est  évidemment  chez  le  peuple  où  les  arts  brillent  du   plus 


LIS    QUESTIONS  D'KNSIIGNKMINt    AU  TONKIN  201 

vif  éclat  qu'il  faut  aller,  et  ce  peuple  est  incontestablement  le 
peuple  japonais.  Bien  que  le  pays  soit  incomparablement  plus 
pittoresque  et  le  peuple  japonais  d'une  civilisation  qui  n'est 
pas  loin  d'égaler  la  nôtre,  de  grandes  similitudes  existent  entre 
le  Japon  et  le  Tonkin.  L'un  et  l'autre  sont  habités  par  des  man- 
geurs de  riz,  ^1vant  au  milieu  de  rizières  inondées,  dans  un  pay- 
sage où  domine  le  bambou.  Les  deux  peuples  ont  des  ressem- 
blances physiques  et  morales,  la  petitesse  de  la  taille,  l'agilité, 
la  bonne  humeur.  Certaines  pièces  du  costume  des  classss 
populaires  sont  les  mêmes;  le  grand  chapeau  rond  que  les 
pèlerins  promènent  sur  les  pentes  du  Fusiyama  n'est  pas  autre 
chose  que  le  salaco  des  gens  du  peuple  tonkinois.  Il  y  a  un  fond 
d'usages  empruntés  à  la  Chine  et  de  légendes  religieuses 
bouddhiques  commun  aux  deux  pays.  L'usage  de  l'écriture 
chinoise  est  répandu  au  Japon  comme  au  Tonkin,  et  sans  savoir 
leur  langue  un  maître  japonais  pourrait  déjà  communiquer  avec 
des  élèves  tonkinois  rien  qu'au  moyen  des  signes.  La  simplicité 
de  la  vie  est  la  même  chez  les  uns  et  chez  les  autres.  Un  maître 
japonais  partagerait  l'existence  des  Tonkinois  sans  avoir  à  en 
souffirir,  ce  que  ne  pourrait  jamais  faire  un  maître  européen. 
Bref,  il  n'y  a  point  entre  l'esprit  japonais  et  l'esprit  tonkinois 
l'infranchissable  abîme  qui  rendra  toujours  l'esprit  tonkinois 
inassimilable  à  l'esprit  européen. 

J'ai  parlé  à  quelques  Japonais  de  ce  projet  d'aller  chercher  au 
Japon  quelques  maîtres  artisans  pour  développer  les  industries 
d'art  au  Tonkin.  Tous  en  paraissaient  fort  honorés.  Le  Japon 
demande  depuis  vingt  ans  des  instructeurs  à  toutes  les  nations 
européennes;  il  serait  très  lier,  je  crois,  de  fournir  à  son  tour 
des  instructeurs  à  l'une  d'elles  pour  une  de  ses  possessions.  Si 
l'on  voulait  procéder  officiellement,  il  est  donc  probable  qu'on 
rencontrerait  le  meilleur  accueil  auprès  du  gouvernement  japo- 
nais. 

Il  n'y  aurait  pas  lieu,  à  mon  avis,  de  créer  une  école  propre- 
ment dite  à  Hanoï.  Il  suffirait  d'ouvrir  quelques  ateliers  où  les 
artistes  japonais  recevraient  des  apprentis  et  les  initieraient  à  leur 
art.  En  premier  lieu,  il  conviendrait  de  demander  des  charpen- 
tiers et  des  menuisiers,  car  ces  deux  professions,  qui  répondent 
à  des  nécessités  quotidiennes  si  urgentes,  sont  encore  bien  peu 


ttvauies  a«  Toûkia,  L'ébéaisterle  des  belles  iBcrastatiaos  de 
Hanoï  e&tdéptorable,  etcetie  infériorité  déprécie  considérableaxLuU 
leur  valeur;  il  n'est  pour  ainsi  dire  pa^  un  meuble  tonkinois 
qu'il  ne  faille  faire  niparer  par  un  ouvrier  en  France  si  on  veut 
le  placer  dans  un  salon.  La  réputation  des  xmenuisiers  japonais 
est  aujourd'hui  umiverseik.  Qui  n'a  admiré  l'habileté  de  la  coupe 
et  rextrôme  justesse  des  assemblages  dans  les  meubles  qu'ils 
nous  envoient?  mais  ce  qu'on  ne  sait  pas,  c'est  que  les  temples 
japonais  les  plus  vasles  sont  eux-mêmes  en  bois  et  sont  des 
chefs-d'œuvre  de  charpente  uniques  au  monde. 

Pour  la  fonte  des  métaux,  bornée  actuellement  à  la  tabrica- 
tion  d'ustensiles  en  cuivre  très  simples,  poiur  les  incrustations 
de  pierre  et  d'ivoire  qui  y  sont  aujourd'hui  encore  inconnues, 
pour  le  travail  de  la  laque  resté  jusqu'à  présent  tout  à  taii  gros- 
sier, pour  la  broderie  qui  est  déjà  pratiquée  avec  succès  à  Hanoï 
par  des  imitateurs  des  brodeurs  de  Canton,  pour  le  travail  de 
l'ivoire,  pour  la  fabrication  des  nattes,  nous  poofrions  deman- 
der d'autres  maîtres  au  Japon,  qui  a  porté  ces  industries  au 
plus  haut  point  de  perfection.  Supposez  dix  ou  douze  ateliers, 
fonctionnant  à  l'indigène*  et  voyez  de  quelle  faible  somme  l'or- 
ganisation et  l'entretien  de  cet  enseignement  professionnel 
grèverait  le  budget  du  Tonkin  le  jour  où,  le  pays  étant  enEm 
pacifié,  nous  devrons  remplir  nos  devoirs  de  protecteurs.  Je  suis 
certain  que  leur  installation  causerait  une  émotion  profcmde 
dans  cette  population  d'un  esprit  si  éveillé  pour  tout  ce  qui 
concerne  son  développement  industriel.  Et  ce  bienfait  ne  con- 
tribuerait pas  peu  à  nous  l'attacher  davantage  encore.  Ai-je 
besoin  de  faire  remarquer  que  pour  nous,  le  résultat  ne  se 
bornerait  pas  à  ce  bénéfice  politique?  notre  commerce  en,  recueil- 
lerait rapidement  d'autres. 

Paul  BotmDi. 


HE  LA  CORRECTION  DTN  DEVOIR 

A   L'EXAMEN  DU  PROFESSORAT  DES  ÉCOLES  NORMALES   (LETTRES) 


Panai  ks  épreuves  de  l'examen  du  professorat  des  écoles 
noitxuJes,  il  en  est  une  dont  les  candidats  ne  se  méfient  j)as 
toujours  assez,  a  Corriger  un  devoir  d'élève^  qu'est-ce  que  cela? 
Je  le  fais  tous  les  jours.  r>  Il  arrive  cependant  qu'à  Theure 
décisive  l'assurance  diminue  ;  les  difficultés  qu'on  n'avait  pas 
prévues  apparaissent;  elles  surprennent,  faute  d'y  avoir  réfléchi, 
et  déconcertent. 

Il  faut  dire  que  les  conditions  ordinaires  sont  modifiées.  En 
classe  le  maître  a  devant  lui  l'élève  dont  il  corrige  le  devoir  ; 
il  lui  parle;  déjà  d'ailleurs  il  le  connaît;  il  sait  si  habituelle- 
ment il  fait  mieux  ou  plus  mal,  ce  qu'il  peut  ou  ce  qu'il  ne 
peut  pas;  il  le  noU^,  il  le  conseille  en  conséquence:  tout  cela 
lui  donne  le  too,  l'aide  et  le  soutient  ;  tout  cela,  au  jour  de 
réprenve,  lui  fait  défaut.  Il  en  est  toujours  ainsi  :  transporté 
iâns  un  examen,  l'exercice  le  plus  fréquent  de  la  vie  scolaire, 
quelque  soin  qu'on  prenne  de  le  tenir  aussi  rapproché  que 
possible  de  la  réalité,  prend  un  air  un  peu  nouveau. 

Je  note  ces  différences  pour  qu'on  en  soit  bien  averti  et 
point  dérouté  :  au  fond  la  correction  d'un  devoir,  qu'elle  se 
fiasse  en  classe  ou  à  Texamen,  est  la  même,  présente  les  mêmes 
difficultés  très  réelles  et  redoutables,  exige  les  même  qualités, 
des  connaissances  (car  comment  être  prêt  sur  des  sujets  très 
divers  sans  des  connaissances  acquises  de  longue  main,  sans  un 
fonds  d'instruction  générale  déjà  suffisamment  large?),  delà 
neiteié  et  de  la  décision  d'esprit,  un  disoerncment  sûr,  des 
habitudes  d'ordre  et  de  méthode,  une  certaine  souplesse  de 
langage,  l'art  de  rester  dans  la  mesure,  de  n'outrer  ni 
l'éioge  ni  le  blâme,  de  louer  sans  enorgueillir,  de  critiquer 
sans  humilier  ou  décourager,  de  tout  dire  enfin  et  de  faire 
accepter  tpui  ce  qu'on  dit,  parce  qu'on  a  su  montrer  qu'on 
n'est  guidé  que  par  le  seul  inté/ét  de*  celui  à  qui  on  s'adresse  — 


204  R£VUE  PÉDA600IQUI 

ces  dernières  qualités  étant  non  moins  morales  qu'intellec- 
tuelles. 

Hais,  sans  nous  attarder  davantage,  entrons  dans  le  détail,  et 
suivons  le  candidat  du  commencement  à  la  fin  de  l'épreuve. 

Un  devoir  d'élève  lui  est  remis,  et  il  est  en  même  temps  pré- 
venu qu'il  a  une  demi-heure  à  lui  avant  d'être  appelé  devant 
ses  juges.  Son  premier  soin  sera  évidemment  de  lire  ce  devoir  : 
mais  dans  cette  lecture  s'arrètera-t-il  dès  le  début,  à  renoncé 
du  sujet,  recherchant  comment  ce  sujet  doit  être  compris  et 
traité?  Quelques-uns  le  voudraient  :  qu'est-ce  que  corriger  un 
devoir,  disent-ils,  si  ce  n'est  le  comparer  à  une  sorte  de  type 
que  nous  avons  conçu  et  arrêté  dans  notre  esprit?  Je  me  ran- 
gerais volontiers  à  cet  avis,  si  le  candidat  disposait  de  plus  de 
temps;  mais  qu'il  songe  combien  il  est  pressé!  A  sa  place,  je 
lirais  d'abord  tout  le  devoir^  lentement,  doucement,  mais  à  la 
suite,  d'un  bout  à  l'autre,  marquant  seulement  d'un  léger  trait 
de  crayon  les  passages  sur  lesquels  je  sens  que  j'aurai  à  revenir 
afm  de  pouvoir  les  retrouver  plus  facilement:  ce  serait  une 
première  connaissance  d'ensemble.  Alors  viendrait  cette  médi- 
tation sur  le  sujet  dont  nous  parlions  tout  à  l'heure;  j'y  aurais 
été  préparé,  ce  me  semble,  par  la  copie  elle-même;  cette  copie, 
si  faible  qu*on  la  suppose,  a  dû  toucher  le  sujet,  au  moins  par 
certains  côtés;  ce  que  j'y  trouve  est  déjà  autant  de  trouvé  pour 
moi  ;  ce  qui  ne  s'y  trouve  pas  me  met  sur  la  trace  de  ce  que 
je  devrai  moi-même  trouver;  car  il  est  impossible  que  certaines 
omissions,  les  plus  graves,  ne  me  frappent  pas,  et  sur  le  champ 
je  suis  conduit  à  les  réparer.  Ainsi  cette  lecture  m'a  été  un 
profit,  elle  m'a  fait  gagner  du  temps;  elle  a  fourni  à  ma  pensée 
des  aliments,  un  point  de  départ;  elle  a  donné  à  mon  esprit 
comme  un  premier  branle,  elle  l'a  mis  en  mouvement;  les  idées, 
appelées  les  unes  par  les  autres,  se  sont  présentées;  je  n'ai  eu 
qu'à  les  ordonner.  Voici  donc  mon  sujet  vu  et  compris. 

Je  puis  maintenant  revenir  à  ma  copie  et  la  considérer.  Y  a- 
l-il  un  plan?  lequel?  Esl-il  complet?  —  (je  répondrai  à  cette  ques- 
tion et  à  d'autres  qui  vont  sui^To  grâce  à  la  méditation  qui  a 
précédé)  —  est-il  logique?  S'il  n'est  pas  complet,  que  faut-il  y 


DE  LA  CORRECTION  d'uN   DEVOIR  205 

ajouter?  s'il  u'est  pas  logique,  commenl  convient-il  de  le  dis- 
poser? Toutes  les  parties  en  ont-elles  été  bien  mises  en  lumière? 
Toutes  ont-elles  reçu  un  développement  qui  réponde  à  leur 
importance?  L'expression  a- t-elle  toujours  bien  traduit  la  pensée? 
N*a*t-eUe  pas  été  parfois  au  delà,  c'est-à-dire  est-elle  ambitieuse, 
gonflée,  déclaniatoire,  de  mauvais  goût?  \*est-ellc  pas  parfois 
restée  en  deçà,  c'est-à-dire  est- elle  faible,  plate,  commune, 
vulgaire?  Que  vaut  la  langue?  est-elleau  moins  correcte?  J'avoue 
que  je  ne  m'arrêterais  pas  trop  dans  cette  préparation  aux  défail- 
lances de  la  forme  ;  j'en  soulignerais  quelques-unes  à  tilre  de 
preuves,  s'il  était  nécessaire,  et  je  m'en  remettrais  à  l'habitude 
que  je  puis  avoir  de  l'enseignement  pour  expliquer  au  jury  en 
quoi  consiste  chacune  d'elles.  Mais  je  me  réserverais  du  temps, 
les  différents  défauts  étant  notés,  pour  rechercher  celui  qui  est 
le  plus  grave,  le  plus  marquant,  celui  qui  parait  caractériser  la 
copie;  c'est  à  celui-là  que  s'attacherait  surtout  ma  correc- 
tion, et  elle  en  prendrait  unité,  clarté,  fore»'.  Ce  défaut  tient-il 
au  fond  ou  à  la  forme?  L'élùvc  n'a-t-il  pas  assez  réfléchi  à  son 
sujet,  n'en  a-t-il  fas  su  trouver  les  idées  principales  ?  Ou,  les 
ayant  Irouvées,  ne  s'est-il  pas  donné  la  peme  de  les  exprimer  ? 
Quelles  qualités  lui  manquent?  Quels  gros  défauts  trahit-il?  Et 
partant  quel  conseil  capital  lui  donner?  Enfin  je  ne  voudrais  pas 
risquer  d'arriver  au  terme  de  ma  demi-heure  sans  avoir  formulé 
et  écrit,  à  tète  reposée,  en  termes  brefs,  mais  précis,  mon  appré- 
ciation, et  même  sans  l'avoir  traduite  en  son  expression  la  plus 
brève  et  la  plus  rigoureusement  précise,  le  chiffre.  Le  reste  du 
temps,  si  j'en  avais  de  reste,  je  l'emploierais  à  éclaircir  avec  moi- 
même  quelques  points,  les  principaux,  sur  lesquels  j'insisterais 
d'autant  plus  volontiers  devant  le  jury  que  je  m'y  sentirais  plus 
à  l'aise,  y  ayant  réfléchi  plus  à  loisir. 

Avant  d'aller  plus  loin,  je  tiens  à  prémunir  nos  candidats 
contre  certaines  impressions  du  premier  moment,  delà  première 
lecture,  qui  pourraient  avoir  pour  eux  des  conséquences  fâcheu- 
ses; ces  impressions  viennent  d'idées  préconçues  dès  longtemps 
caressées.  «  Hoi,.  dit  l'un,  je  voudrais  une  copie  faible  ;  elle  laisse 
plus  à  faire  à  celui  qui  est  chargé  d'en  rendre  compte  ;  elle  lui 
permet  de  mieux  montrer  ce  qu'il  sait.  —  Et  moi,  dit  l'autre,  je 
ne  voudrais  que  d'une  bonne  copie  ;  elle  porte  le  correcteur;  de 


!06  RtVUt  PEDAGOGIQUE 

rien  on  ne  peut  rien  tirer;  avant  toat  il  faut  une  matière  qaî 
prête.  »  Décider  entre  ces  opinions,  chacune  ayant  sa  part  de 
vérité,  me  parait  diflScile,  à  coup  sûr  fort  oiseux.  Le  sort  ne 
nous  consulte  guère  s;  il  nous  sert  souvent  contre  nos  préfé 
rences.  Quoi  donc!  Irons-nous  bouder  contre  lui,  à  nos  dépens? 
Ou  simplement  éprouverons-nous  un  mouvement  de  contrariété 
et  de  trouble  qui  pour  un  instant  (ce  serait  encore  trop)  para- 
lyserait nos  efforts?  L'examen,  ainsi  que  la  vie,  a  de  ces  sur- 
prises qui  ne  sont  pas  toujours  agréables;  il  tntt  savoir  les 
accepter,  ou  mieux  encore  il  faut  savoir  n'être  pas  surpris.  Celuî-là 
a  eu  tort  de  se  mettre  sur  les  rangs  qui  pour  courir  a  besoin 
d'un  terrain  qui  lui  convienne  et  qu'il  ait  choisi;  la  victoire 
est  c\  qui  aborde  franchement  et  vaillamment,  sans  sourciller  et 
s'inquiéter,  tous  les  obstacles. 


# 
*  +■ 


Le  candidat  est  devant  le  jury;  que  va-t-il  faire?  Lire  la 
copie,  puis  la  reprendre  phrase  par  phrase?  Que  ce  procédé 
est  d'un  art  enfantin,  ou  plutôt  manque  d'art!  Que  cela  d'ail- 
leurs prend  du  temps  !  Mais  on  dirait  que  c'est  ce  à  quoi 
visent  beaucoup  de  candidats.  Ils  paraissent  croire  qu'on  les 
jugera  à  la  longueur  de  la  course  qu'ils  auront  fournie  et  veulent 
employer  jusqu'à  la  dernière  minute  que  leur  alloue  le  règle- 
ment :  aussi  ils  s'étendent,  ils  s'étalent  de  leur  mieux.  Comme 
ils  comprendraient  mieux  leurs  intérêts,  s'ils  clierchaient  à  faire 
tenir,  non  pas  peu  de  choses  en  beaucoup  de  temps,  mais 
beaucoup  de  choses  en  peu  de  temps  !  Lire  et  relire,  voilà  qui 
était  fort  bon  pour  vous  Icxrsque  vous  vous  préparies  seul  avec 
vous-même  ;  mais  le  propre  de  la  préparation  est  précisément 
de  garder  pour  soi  ces  longueurs  et  lenteurs  et  de  les  épargner 
aux  autres.  Vous  avez  appris  à  connaître  la  copie  :  apprenez- 
nous  maintenant  à  la  connaître.  Dites-nous  comment  elle  a 
pris  le  sujet,  le  plan,  les  idées  principales.  Ces  idées  sont-^es 
justes  ou  ne  le  sont-elles  pas?  Si  elles  sont  justes,  en  quoi? 
Si  elles  ne  le  sont  pas,  en  quoi?  Que  faut-il  en  retrancher,  ou 
y  ajouter  ?  Comment  les  rectifier  ?  Tout  cela  à  grands  traîts, 
sans  perdre  de  vue  le  travail  de  Télève,    sans    vous    étendre 


DE  LA  GOARICmON  d'UN  DEVOIR  m 

• 

trop  longaement,  trop  complaisamment,  comme  il  arrive  parfois 
à  propos  de  sujets  historiques,  une  exposition  personnelle,  une 
Tériteble  leçon  se  substituant  à  une  correction.  Ce  premier 
tratail  achevé,  serrez  de  plus  près  la  copie;  vous  nous  avec 
annoncé  du  bon,  lisez-nous  un  bon  passage  ;  vocts  nous  avez 
annoncé  du  mauvais,  lisez-nous  un  passage  mauvais  :  et  ici  ne 
craignez  plus  d*enlrer  dans  le  détail,  de  prendre  les  choses  par 
le  menn.  Si  même  l'expression  était  trop  défectueuse,  relevez-la 
rapidement  en  passant.  Mais  d'ordinaire  avec  ces  copies  d'élèves 
tous  êtes  obligé  d'en  venir  à  parler  particulièrement  de  la  forme; 
parlez-en  alors  avec  beaucoup  de  précision  ;  ne  vous  contentez 
pas  d'une  appréciation  générale,  allez  au  particulier,  à  la  preuve: 
aux  citations  courtes,  mais  caractéristiques.  Ne  croyez  pas  que 
ce  soit  assez  de  dire  :  «  Cette  phrase  est  lourde,  embarrassée;  elle 
est  trop  longue;  »  montrez  comment  on  aurait  pu  la  couper, 
Talléger.  Ne  dites  pas  seulement:  «  Ce  terme  est  impropre;  »  rem- 
placez-le par  le  terme  qui,  selon  vous,  convient. 

Finissez  en  donnant  le  jugement  que  je  vous  ai  conseillé  de 
fixer  par  écrit.  Quelques-uns  commencent  par  là  ;  c'est  un  pro- 
cédé qui  peut  se  soutenir;  toute  la  correction  nVf^t  alors  que  la 
justification  du  jugement.  J'aimerais  mieux,  quant  à  moi,  le 
garder  pour  la  fin;  il  résume  et  conclut;  il  laisse  Tesprit  de 
ceux  qui  joutent  stir  quelque  chose  de  parfeitement  net  et 
ferme,  d'arrêté  et  de  définitif;  c'est  une  impression  à  laquelle 
vos  juges  ne  devront  pas,  ce  me  semble,  être  indiff^érents. 

Il  arrive  quelquctbis  que  le  sujet  du  devoir  n'est  pas  bien 
choisi,  que  la  question  n'est  pas  bien  posée;  ne  craignez  pas 
de  l'indiquer;  on  vous  saura  gré  de  l'avoir  vu  et  même  d'avoir 
osé  le  dire;  mais  ne  risquez  cette  critique  qu'après  y  avoir  bien 
réfléchi  et  avec  mesure. 

Certes  il  ne  faut  pas  que  le  correcteur  soit  trop  facilement 
content;  on  pourrait  l'accuser  de  manquer  de  clairvoyance  et 
de  pénétration.  Il  ne  faudrait  pas  non  plus  qu'il  fût  trop  diffi- 
cilement content.  Entre  ces  deux  excès,  l'optimisme  et  le  pes- 
simisme, la  roule  n'est  pas  aisée  à  tenir.  Certains  candidats  ne 
voient  dans  le  travail  de  l'élève  qu'une  proie  à  déchirer,  à 
déchiqueter;  ils  s'en  donnent  à  cœur  joie;  ils  mordent  à  belles 
dents.  Ils  inventeraient  plutôt  des  fautes  (cela  s'est  vu)  pour 


208  RKVUE  PÉDAGOGIQUE 

avoir  le  plaisir  de  les  corriger  et  de  triompher.  Ne  nous  forcez 
pas  à  prendre  le  parti  de  votre  victime  contre  vous. 

Surveillez  votre  ton,  quoique  Télève  ne  soit  pas  là.  Soyez 
sévère,  et  ne  passez  rien  ;  j'y  consens  :  mais  ne  soyez  dans  la 
forme  ni  dur,  ni  amer,  ni  blessant.  Qu'il  ne  vienne  pas  à  la 
pensée  d'un  de  vos  juges  de  se  dire  :  a  Ah  !  je  ne  voudrais  pas 
être  son  élève  !  » 

Sachez  entrer  dans  les  raisons  de  celui  que  vous  corrigez, 
même  quand  elles  ne  vous  paraissent  pas  justes,  et  montrez 
que  vous  les  comprenez.  Sachez  deviner  ses  bonnes  intentions, 
même  quand  il  ne  les  a  pas  menées  à  bien,  et  faites-les  valoir. 
Sachez  Jouer  enfin,  dès  que  l'occasion  s'en  présente.  Louer, 
quand  on  est  invité  à  critiquer,  n'est  pas  du  premier  venu.  La 
louange  est  d'ailleurs  si  puissante  sur  les  jeunes  esprits.  C'est 
un  cordial  généreux;  n'en  abusez  pas  sans  doute;  car  alors  il 
tourne  les  tètes,  il  grise;  mais  usez-en:  il  réconforte,  anime, 
réchauffe,  rend  Tefforl  facile,  double  la  vigueur  et  Télan. 

Surtout  inspirez-vous  de  la  copie  qui  vous  aura  été  remise. 
Plus  j'avance  en  ce  sujet,  plus  je  m'aperçois  que  les  conseils, 
si  précis  qu'on  les  veuille  faire,  laissent  toujours  place  à  un 
vague  redoutable;  il  s'agit  de  savoir  s'en  servir,  de  discerner 
quand  il  faut  appliquer  chacun  d  eux  et  dans  quelle  mesure. 
Correction  de  devoir,  affaire  moins  encore  de  science  que  de 
tact:  c'est  là  ce  qui  fait  la  difficulté  de  l'épreuve  et  aussi  son 
importance.  E.  À. 


LES  ECOLES  REGIMENTAIRES  DE  L'INFANTERIE 

DE   MARINE 


On  ne  sait  pas  assez  lout  ce  qu'il  a  été  fait  d  efforts  généreux  et 
heureux  pour  dévelopf>er  l'instruction  des  soldats  et  des  sous-officiers 
de  nos  armées  de  terre  et  de  mer  depuis  1835,  mais  surtout  depuis 
1866  et  plus  particulièrement  encore  depuis  1872.  Nous  ne  voulons 
écrire  ici  qu'un  chapitre  de  celte  instructive  histoire,  en  nous  atta- 
chant uniquement  aux  écoles  régimentaires  de  Tinfanterie  de  marine, 
qu'il  n'était  rien  moins  qu'aisé  d*organiser. 

L'idée  de  la  création  des  écoles  régimentaires  remonte  au  début 
de  la  Révolution  française.  Le  règlement  du  24  juin  1792  sur  le 
service  intérieur  de  l'infanterie  portait  qu'il  serait  établi  dans  chaque 
régiment  une  école  gratuite  d'instruction;  mais  les  grandes  guerres 
que  la  France  eut  à  soutenir  sous  la  République  et  sous  TEmpire 
firent  foi  cément  ajourner  cette  réforme. 

Sous  la  Restauration,  le  règlement  du  i3  mai  1818  contenait,  au 
point  de  vue  de  Tinstruction  dans  les  régiments,  de  fort  bonnes  dis- 
positions, qui  ne  furent  pas  appliquées  par  suite  des  nécessités 
budgétaires. 

La  loi  du  21  mars  1832  a^ant  prescrit  que  les  jeunes  gens  appelés 
au  service  recevraient,  dans  les  corps,  «  l'inslruclion  donnée  dans 
les  écoles  primaires  »,  le  ministère  de  la  guerre,  pour  se  con- 
former au  vœu  de  la  loi,  publia  le  règlement  du  28  décembre  1835, 
et  c'est  à  partir  de  celte  date  que  renseignement  élémentaire  fut 
réellement  introduit  dans  l'armée  de  terre  ;  il  le  fut  peu  après  dans 
rinfanterie  de  marine  et  dans  les  équipages  de  la  flotte  (ordonnance 
flu  11  octobre  1830i. 

Nous  allons  suivre  les  phases  principales  de  Torganlsation  des 
ôcoles  régimentaires  dans  Tinfunterie  de  marine  depuis  1835  jusqu'en 
1881.  Il  y  en  a  quatre  :  la  première  s'étend  de  1835  à  18ri3;  la 
s^Hîonde,  de  1853  à  1860  :  la  troisième,  de  18(>6  à  1872  ;  la  quatrième 
de  1872  à  188  i. 


En  conformité  du  règlement  du  28  décembre  i83«*>,  chaque  corps 
ou  portion  de  corps  de  l'infanterie  de  marine  devait  a>oir  deux  écoles  : 
Tune  dirigée  d'après  le  mode  mutuel»  sous  la  dénomination  d'école 
de  premier  degré,  et  destinée  aux  caporaux  et  aux  soldats;  l'autre 
dirigée  suivant  le  mode  simultané,  sous  la  dénomination  d'école  de 
second  degré,  et  destinée  aux  sous-ofliciers.  L'enseignement  de  la 
première  comprenait  la  lecture,  d après  la  méthode  Peigné,  Técri- 

ElfUI  piOAOOGIQUB  1885.  —  1*'  SEV.  14 


210  RKVUB  PÉDAGOGIQUE 

ture,  d'aorès  la  mélhode  Taupler,  et  rarithcnélûiue  réduUe.  aux  quak» 
ràgibv  wafxcès  h^  méthode  Lapogs.  Okii  de  H^  seoondie  portait  sur  lU 
grammaire  de  Lhomond,  Tarithmétlque  de  Ducros,  la  comptabilité  des 
compagnies,  la  géographie  de  Delapalme,  niisloire  militaire  de  France 
(traité  spécial),  les  éléments  de  géométrie  de  Bergerey,  le  cours  de 
fortification,  les  levés  de  plans.  Le  cours  du  second  degré  compor- 
tait 180  leçons  de  deux  heures,  et  le  règlement  entrait  dans  les  détails 
lea  plu3^  loiouUeuji  sui*  la  corroction  des  devoirs.  L'éeole  du  prmnier 
degré  s^  ^bdi^ûsait  en  six  clasaes,  dirif^  cbacune  par  ua  mosi- 

teiiK.. 

U  ftewoAoel  ensQigiiant  était  «om^sè  é'm  diracteur^  du  grade  de 
lieuUos^L  ou  de  siaasp^lieutMafii,.  d*ua  nuoitear  généiPai  du  grade 
de  sargeot-maiov,  de  six  sionitAurs  particuliets,  dont  iMisous-olBcier 
et  cinq  caporaux  ou  soldats.  Oa  aa8li^o^  et  nons  le  croyoof  sans  peine, 
quA  Icis  mooiieucs  ne  néimssiieiit  pi»  toujours  à  an»  inalnietion 
suft^aAte  une  aptitude  parilQuUèK»  pour  l'enseignemealL  Mus  enfin 
00^  avaijt  coima^ncé  à  faire  quelque  chose  :  c'était  beaucoup. 

« 

Un  nouveau  règlement  parut  le  17  septembre  1833  et  n'apporta 
auoune  mo^fication  à  l'Àsote  du  premier  degré,  maïs  donna  un 
programme  détaillé  pour  lèo  différentes  matières  de  renseignement 
du  second  degré,  qui  étaient  réparties  en  deux  années.  La  première 
année  avait  10  leçons  de  grammaire  française,  14  d'arithmétique, 
10  as  géométrie,  15  d'administration  militaire.  La  seconde  année 
avail  12  leçons  de  géographie,  «  d'histoire,  M  de  fbrtificatîon, 
3  d'étude  de  carle^^;  soit  au  total,  40  leçons  par  an  pour  la  première 
aaaée  et  5S  povr  la  seconde,  les  leçons  étant  chacune  de  deux 
heares.  Il  n'était  pkrs  question  de  levés  de  plans;  en  revanche, 
c«nme  eni  vîeiil  de  le  voir,  il  y  avait  un  cours  d'adkDinistratlûn 
mlHtaire  en  première  année  et  un  de  cartographie  en  seconde  année. 

L'étude  de  la  grammaire  française  allait  jusqu'à  la  construction  de 
laphraseï 

A  l'arithmétique  (nombres  entiers  et  fractions  décimales)  s^'ajou- 
taient  le  système  métrique  et  les  proportions. 

La  géométrie  devait  consister  surtout  eu  définitions  et  en  mesures 
dont  tout  le  monde  peut  faire  usage  :  angles,  perpendiculaires  et 
obliques  ;  triangles  ;  polygones  ;  mesure  des  surfaces  ;  solides. 

Le  programme  de  géographie  perlait  :  notions  générales,  mappe- 
manie,  !»s  cinq  parties  du  monde,  la  France  physique,,  adminis- 
tsalfve  et'  mUilarre. 

En  bistoftre,  if  y  «^«*  ""•'  graitdte  carrière  a  parcourir  i  histoire 
db*  Wrance  et  histoire  générate'  depuis  les  temps  lea  plus  reculés 
jttsqtfeH  1818.  L'ftwteire  gén^te  cotoprenait  :  traditions  bibUq^ea 
8«r  lés  premiers  hommes;  Moïse,  P^avid,  Salomon;  E^ptiens,.  Aas^- 
rlena,  Perses  ;  histoire  de  la  Grèce:  âge  héroïque;  histoire  romaine  : 


LBS  ÉCOLES  RÉGIBISMTjUAIS  DE  l/lUFAlITERIE  DE  MARINE      Ml 

conunencftmant  de  Rome»  guéries  puniques.  —  Dans  rhîsttthre  de 
BiMU»  oa;  mnonte  jji»qu*à  la  OMiquét»  de  la  Gaule-  par  iales  Gésar 
pour  s'arréler  a  la  chute  de  Louis-Philîppe. 

Goornie,  pour  dee  raisons  de  senriœ  dans  lesquelles  il  nous  aeiait 
dificilo.  d^eatrer»  reaseigoement  du  secoué  degré  n'a  jainats  pa  toe 
scindé  en  deux  ou  trois  années  avant  les  nouveaux  règiementi  dont 
nous  parlerons  plus  loin,  les  programmes  dei853f(irauientanttDp 
vaste  ensemble  pour  qu*il  fût  possible  de  les  suivre  fructueusement^ 
surtout  pour  1  histoire. 

D*auire  part  une  seule  école  du  premier  degré  pur  régiment  était 
insuffisante  :  le  local  affecté  à  cette  école  était  partout  trop  exigu  ; 
les  élèves  étaient  entassés  dans  les  plus  mauvaises  conditions  pour 
leur  instruction.  Cet  état  de  choses  était  très  préjudiciable  au  succès 
de  renseignement»  qui  n'était  d'ailleurs  suivi  que  par  des  hommes 
de  bonne  volonté. 

Le  mouvement  des  es|MritA  qui,eni866,  commençait  à  seporterverslei 
développement  et  la  diffusion  de  renseignement  dans  toutes  les  cte^s 
de  la  société,  eut  son  effet  dansFinfanierie  de  marine.  Le  règlement  du 
Sft  QCtoJJMr»  1866  —  qui  ne  fut  mis  en  vigueur  que  le  13  mars  1909  — - 
pvésente  sui'  les  précédents  une  amélioration  sensâUe.  D'abord,  el 
e^eet  là  le  point  capital,  il  rend  obligatoire  Tàcok  da  premier  degré 
pMViloas  les  soldats  illettrés  à  rexception  de  ceux  qui  sont  arrivés  à 
UBkâge  oà  l'étude  n'est  plus  possible.  Les  cours  profSessés  à  celte  école 
oamportant  les  mêmes  matières  que  celles  contenues  dans  le*  pro»* 
grwnme  du  28  décembre  1835.  Biais  le  personnel  ens^nant  ainsi  que 
le  local  mis  à  la  disposition  des  élèves  restent  insuffisants.  Toutelèiii, 
let  règlement  de  18ë6  inaugure  une  excellente  mesure:  il  met  entre 
lea  mains  de  tous  les  élèves  du  deuxième  degré  des  livres  écrits  spé- 
cialement sur  les  matières  des  cours,  ce  qui  leur  permet  d'étudier 
sealt  et  de  se  tenir  au  eourant  des  leçons,  malgré  les  ialermptiiHM 
qpialeai  nécessités  du  service  imposent  à  un  certain  nombre  d'entr'euDi. 

La  règlement  de  1866  prescrit,  en  outre,  pour  les  cours  du  second 
degré,  auxquels  doivent  assister  tous  les  sous-officiers,  de  former 
quatre  classes  ou  sections  qui  sont  parcourues  en  quatre  périodea  de 
six  mais.  Un  élève  ne  doit  passer  de  la  classe  inférieure  à  la  classe 
supérieure  qu'après  constatation  de  Tinstruclion  acquise.  Mais  la 
dififlion  en  quatre  classes  ou  sections  n'a  pu  être  adoptée  à  causa  du 
relèvement  fréquent  des  garnisons  coloniales  et  parce  que  rea«> 
seîgnement  diff^alt  trop  d'un  cours  à  un  autre  cours  pour  qu'on  pàl 
le  reprendre  dans  un  nouveau  régiment  juste  au  point  où  il  afvaftt 
été  li^sé  dans  celui  que  le  militaire  venait  de  quitter. 

Aussi,  malgré  le»  louables  efforts  tentés^  l'insuffisance  des  résultats 
oMmua  dans  lea  éeoies  régimentaires  était  notoire.  Les  causes  de 
eatte  iaaufltoance  peuvent  se  résumer  eonune  sait  : 

Pevaonnel  enseignant  trop  restreint  et  surtout  trop  m(^le  : 


214  «UrUB  JPÉDA006IQUI 

aux  besoins  de  rinfànterie  de  marine.  C'est  oe  quen  langage  mili- 
taire lon  appelle  souvent  renseignement  primaire,  renseigoemeiit 
secondaire,  renseignement  sup^ieur,  expressions  qui  pourraient 
être  quelquefois  mal  comprises.  Mais  ne  nous  attardons  pas  aux 
nuits»  arrivons  aux  choses  et  procédans  par  ordre,  en  envisageant 
aaocessivement  :  i^  le  prognunme;  â*  k  direction  et  le  personnel 
soseignant;  d^  les  élèves, 

*  * 

Pour  les  écoles  du  second  degré  le  règlement  de  1872  ne  fait  qae 
confirmer  celui  de  i853  quant  aux  matières  à  enseigner,  et  ces 
matières  sont  réparties  dans  les  quatre  sections  du  cours  suivant 
Taptitude  et  Tinstruction  primaire  des  sous-officiers,  mais  les  sous- 
officiers  de  la  quatrième  section  doivent  avoir  vu  en  fin  d'année 
scolaire  : 

i^  La  grammaire  française  complète; 

8®  L'arithmétique  jusqu'au  système  métrique  inclusivement; 

d9  La  géométrie  jusqu'à  la  mesure  des  surfaces  inclusivement; 

4®  L'administration  militaire  jusqu'aux  détails  sur  l'administration, 
intérieure  des  compagnies  inclusivement; 

5<»  La  géographie  générale  et  celle  de  TEurope  en  détail  ; 

6®  L'histoire  de  France,  jusques  et  y  compris  Louis  XIU,  en  pas- 
sant très  sommairement  sur  la  période  gauloise  et  sur  les  deux 
premières  dynasties; 

7^  Les  notions  de  fortification  jusqu'à  Tattaque  et  la  défense; 

S^  L'étude  des  cartes  topographiques,  quelques  notions  sur  leur 
constmctlon,  mais  surtout  Thabitude  de  les  lire  couramment. 

Les  écoles  du  troisième  degré  institués  par  le  règlement  de  1874 
comprennent  le  cours  supérieur  et  le  cours  spécial. 

Le  cours  supérieur  devait  être,  aux  termes  du  règlement,  profe^fsé 
par  le  directeur  de  l'école  régimentaire  sur  les  matières  du  programme 
de  1853,  mais  le  programme  développé  en  ce  qui  concerne  : 

1®  La  langue  française  (discours  et  narration)  ; 

2°  L'histoire  de  France  jusqu'à  nos  jours; 

3®  L'administration  et  la  législation  militaires; 

4^  La  forlification  appliquée  au  terrain,  aux  lieux  babités  ; 

5<>  La  levée  des  plans  topographiqu^s  et  l'établissement  des  rapports 
militaires  ; 

6<^  L'art  militaire  au  point  de  vue  des  petites  opérations,  c'esi-Â- 
dire  l'ordonnance  des  armées  en  campagne  commentée  et  expli- 
quée. 

La  géographie,  dans  sa  partie  physique  et  politique,  a  été  «îovtée 
au  programme  du  cours  supérieur  par  une  circulaire  du  14  novem- 
bre 1873.  Cette  modification  a  paru  nécessaire,  pour  ne  pas  séparer 
cette  étude  de  celle  de  l'histoire.  En  outre,  en  1884,  afin  de  faciliter 
les  préparations  des  sous-officiers  aux  examens  d'entrée  à  l'école  mi- 
litaire de  Saint-Maixent,  on  a  élargi  le  programme  d'histoire,  et 


LES  ÉCOLES  RÉGIIIJEMTAIAES  »E  L'iNFANTERIE  DE  MARINE      SIS 

ajouté  les  matières  suivaiites  :  furifioipeB  élémentaires  d'artillerie; 
cours  du  service  ea  campagne  af^pliqué  ;  cours  da  service  iiltériesr 
des  oorp«  de  troupe,  du  service  des  places  de  guerre  et  filles  de 
garnison;  cosmographie,  partie  théorique  du  tir;  cours  de  compta- 
bUité.  Les  sous-ofïicîers  ont  ainsi  tous  les  moyens  de  commencer 
ou  de  parfaire  leur  instruction  sur  toutes  les  matières  qui  peuvent 
leur  ^tre  utiles  dans  la  carrièfe  militaire  ou  dans  les  emplois  civils. 

Le  cours  spécial,  institué  comme  ie  cours  supérieur  par  le  règle- 
ment de  1872,  devait  porter  et  porte  emcore  sur  l'arithmétique,  la 
géométrie,  la  partie  mathématique  de  la  fortification  et  de  la  topo- 
graphie, le  dessin  linéaire  et  panoramique,,  dit  à  vol  d'oiseau.  -Le 
règlement  du  18  avril  1878  dit  que  le  cours  spécial  porte  sur  Tarith- 
métlque,  la  géométrie  plane  et  Tarpentage,  la  géométrie  dans  l'es- 
pace et  les  plans  cotés,  plus  des  notions  de  cosmographie. 

Ck)mme  on  le  voit  du  reste,  les  deux  cours  supérieur  et  spécial 
ne  forment  en  réalité  qu'une  seule  école  qui  ne  se  distingue  pas 
toi^'ours  bien  nettement  de  la  quatrième  section  de  l'école  du 
deuxième  degré,  si  on  considère  que  ce  sont  les  mêmes  élèves  qui 
suivent  les  leçons  des  différents  maîtres.  Ce  qu'on  veut,  c'est  que  ces 
élèves,  qui  aspirent  à  devenir  des  lieutenants,  aient  une  somme 
suffisante  de  connaissances  générales  et  pratiques,  et  c  est  dans  cet 
esprit  qu'a  été  conçu  le  ri'glement  du  18  avril  1878,  qui  résume  et 
complète  tout  ce  qui  avait  été  fait  auparavant  :  il  a  notamment 
étendu  et  précisé  les  programmes  des  écoles  du  deuxième  et  du  troi- 
sième degré,  de  manière  à  mettre  l'enseignement  aussi  complète- 
ment que  possible  "en  liarmonie  avec  les  exigences  du  service  spé- 
cial de  rinfanterie  de  marine. 

Ajoutons  qu  un  cours  d'allemand  est  professé  dans  tous  les  régi- 
ments pour  les  élèves  de  Técole  du  deuxième  degré  (règlement  de 
1872).  Tou^  les  élèves  de  l'école  du  3»  degré  sont  obligés  de  le 
suivre  (règlement  du  18  avril  1878). 

De  ce  que  nous  venons  d*exposer,  il  résulte  que  les  études  sont 
aussi  bien  échelonnées  qu'on  pourrait  le  désirer  dans  nos  éodes 
régimcntaires.  liais  il  importait  grandement  que  toas  nos  soldats 
pmssent  en  tous  lieux  profiter  des  avantages  que  leur  offrait  ce  sys- 
tème si  bien  combiné,  après  de  si  longues  expériences,  noa  exemp- 
tes de  tâtonnements  inévitables.  Or,  les  excellentes  mesures  adop- 
tées par  le  règlement  de  187:^  se  heurtaient  à  une  tr^  (grosse  diffi- 
culté que  nous  avons  déjà  signalée  en  parlant  de  lapplication  du 
règlement  de  1866:  la  fréquence  des  mutations  était  un  obstacle 
presqu'insurmontabie  à  la  bonne  et  régulière  tenue  des  cours,  sur- 
tout dans  les  trois  premières  sections  de  l'école  du  deuxiènne  degré. 
On  a  heureuiement  remédié  à  ce  mal,  ie  ministre  ayant  décidé  (dr- 
culaiiie  du  14  novemlM'e  1^73)  que  les  études  seraient  dirigées  par- 
tout exsàcteaaeRt  de  la  »êi»e  façan,  c*eflt-<à-cUre  que  les  différentes 
nMrtièrci  semLeoi  commencées  et  parcourues  dans  le  même  ordre  et 


21^3  ILEVUI  PÉDAGOGIQUE 

dans  des  limites  nettement  déterminées.  De  la  sorte  on  peut  chan- 
ger de  corps  ou  de  garnison  en  retrouvant  toujours  partout  les 
mêmes  cours  à  peu  près  au  même  point.  C'est  une  mesure  qu'on  ne 
saurait  trop  louer. 

Plus  la  Marine  a  développé  ses  programmes,  plus  elle  a  tenu  ù 
la  bonne  direction  des  écoles.  De  1835  à  1872  le  directeur  de  l'école 
régimentaire  était  un  lieutenant  ou  un  sous-lieutenant  secondé  par 
quelques  moniteurs.  A  partir  de  I87i  c'est  un  capitaine  qui  est  chargé 
de  la  direction  de  l'école,  et  il  est  aidé  dans  cette  tâche  par  deux 
lieutenants  ou  sous-lieutenants,  qui  prennent  le  titre  de  directeurs- 
adjoints,  par  le  professeur  d'hydrographie  et  par  le  professeur  d'wlle- 
mand.  Le  directeur  professe  le  cours  supérieur,  et  le  professeur  d'hy- 
drographie le  cours  spécial. 

Une  circulaire  du  18  avril  1878  recommande  aussi  aux  vice- 
amiraux  et  aux  préfets  maritimes  d'exercer  une  action  directe  sur 
le  service  de  l'enseignement.  De  plus  il  y  est  dit  que  chaque  annexe 
le  général  inspecteur  d'armes,  lors  de  la  revue  qu'il  passera  de  lu 
portion  centrale  d'un  régiment  d'infanterie  de  marine,  choisira  h* 
capitaine  directeur  et  les  lieutenants  directeurs-adjoints  sur  une 
liste  de  candidats  que  lui  remettra  le  chef  de  corps  avec  ^n  appré- 
ciation sur  chacun  d'eux;  les  candidats  présentés  doivent  être  choisis 
autant  que  possible  parmi  les  officiers  qui  ont  plus  d'un  an  de 
séjour  h  accomplir  en  France.  Il  est  établi  que  le  colonel  détermine 
les  heures  des  différents  cours,  que  la  suryeillance  des  écoles 
appartient  au  lieutenant-colonel,  qui  est  secondé  par  les  chefs  de 
bataillon,  et  que  tous  les  trois  mois  il  rend  compte  au  colonel  de 
la  marche  de  l'instruction  et  lui  remet  une  copie  du  classement  des 
élèves.  La  circulaire  du  6  avril  1883  va  encore  plus  loin,  tant  l'im- 
portance du  i^ervice  scolaire  se  f.iit  sentir  de  plus  en  plus  :  elle  ordonne 
que  les  élèves  seront  interrogés  devant  le  lieutenant-colonel  une 
fois  par  trimestre  et  les  colonels  sont  priés  d'assister  de  temps  en 
temps  à  cette  constatation  trimestrielle  de  l'instruction  des  sous-offi- 
ciers. Les  bons  élèves  sont  dispensés  du  service  colonial. 

De  nouvelles  et  importantes  modifications  au  régime  des  écoles 
d'infanterie  de  marine  ont  été  apportées  par  le  règlement  du 
4  avril  i88i,  relatif  à  la  direction  des  cours  et  à  la  composition  du 
personnel  enseignant.  Elles  constituent  une  amélioration  des  plus 
notables. 

Pour  chaque  portion  centrale,  un  chef  de  bataillon  qui  reçoit  le 
titre  de  «  chargé  du  service  des  écoles  »  est  appelé  à  diriger  et  à 
surveiller,  sous  l'autorité  du  lieutenant-colonel,  les  écoles  du  deuxième 
et  du  troisième  degré.  L'action  de  cet  officier  s'exerce  en  outre  sur 
les  écoles  du  premier  degré.  Il  est  l'intermédiaire  obligé  entre  les 
professeurs  des  écoles  régimentaires  et  le  lieutenant-colonel.  U  assista 
inopinément  aux  séances,  et  dans  celles  consacrées  aux  Interroga- 


LES  ACOLES   RÉGfMBNTAIRES  DE   l'iNFA?«TER1B  DE   MARINE      217 

tioDS  il  questionne  fréquemment  les  élèves  sur  les  matières  qui 
leur  ont  été  enseignées. 

Un  capitaine  qui  prend  le  titre  de  «  professeur  militaire  »  est 
chargé  des  cours  de  fortification  passagère,  de  topographie  théo- 
rique et  pratique,  des  principes  élémentaires  d'artillerie,  des  cours 
de  législation  et  d'administration  militaire. 

Un  capitaine  adjudant-major  est  chargé  des  cours  du  service  en 
campagne  appliqué,  du  service  intérieur  des  corps  de  troupe,  du 
service  des  plans  de  guerre  et  villes  de  garnisons,  des  petites  opéra- 
tions et  manœuvres  sur  le  terrain  :  écoles  de  compagnie,  do 
bataillon    (théorie  et  pratique). 

Le  capitaine  de  tir  fait  des  conférences  sur  la  partie  théorique  du 
tir. 

Le  lieutenant-adjoint  au  trésorier  professe  un  cours  spécial-  de 
comptabilité. 

Sous  la  dénomination  d'  «  adjoints  au  professeur  militaire  «,  des 
lieutenants  ou  sous-lieutenants  secondent  le  professeur  militaire 
dans  tout  ce  qui  concerne  la  tenue  des  classes  et  professent  les  cours 
de  l'école  du  deuxième  degré . 

Le  professeur  d'hydrographie  continue,  comme  par  le  passé,  ù 
faire  les  cours  de  sciences  (arithmétique,  géométrie,  cosmographie). 

Le  cours  d'allemand  est  fait  soit  par  un  officier,  soit  par  un  pro- 
fesseur civil. 

Deux  professeurs  du  lycée  sont  chargés,  l'un,  du  cours  de  langue 
française,  l'autre  des  cours  d'histoire  et  de  géographie. 

Grâce  au  régime  que  nous  venons  d'indiquer,  les  écoles  rcgimen- 
taires  sont  très  bien  surveillées  et  dirigées  aujourd'hui.  Voyons 
maintenant  quelles  mesures  ont  été  prises  au  sujet  des  élèves. 

On  sait  que  depuis  1866  les  écoles  du  premier  degré  ont  été  rendues 
obligatoires  pour  les  illeltrés  :  elles  le  sont  toujours.  Les  écoles  du 
second  et  du  troisième  degré  n'avaient  été  créées  d'abord  que  pour  les 
sous -officiers,  qui  étaient  tenus  de  suivre  tout  au  moins  les  cours 
du  second  degré  par  le  règlement  de  1866.  L'école  du  second  degré 
devint  obligatoire  en  1878  pour  tous  ceux  qui  pouvaient  en  suivre 
les  cours,  sous-officiers  ou  soldats. 

L'obligation  de  l'école  du  second  degré  ne  fui  pas  maintenue  et 
voici  pourquoi.  Les  résultats  obtenus  dans  le  cours  du  deuxième 
degré  n'étaient  pas  toujours  en  rapport  avec  les  elTorts  des  professeurs, 
surtout  dans  les  trois  premières  sections.  Les  progrès  n'étaient 
sensibles  que  dans  la  quatrième  et  pour  les  chefs  de  file  des  trois 
autres.  La  majeure  partie  des  élèves  opposait  une  force  d'inertie 
contre  laquelle  venaient  échouer  le  zèle  des  professeurs  et  les  puni- 
tions. Il  y  avait  dans  les  cours  du  deuxième  degré  deux  .catégories 
d'élèves.  Les  uns,  sortant,  en  général,  de  l'école  communale  avec 


21 C  MKVUI  PÉDAGOGIQUE 

dans  des  limites  nettement  déterminées.  De  la  sorte  on  peut  chan- 
ger de  corps  ou  de  garnison  en  retrouvant  toujours  partout  les 
mêmes  cours  à  peu  près  au  même  point.  C'est  une  mesure  qu'on  ne 
saurait  trop  louer. 

Plus  la  Marine  a  développé  ses  programmes,  plus  elle  a  tenu  à 
la  bonne  direction  des  écoles.  De  1835  à  1872  le  directeur  de  Técolc 
régimentaire  était  un  lieutenant  ou  un  sous-lieutenant  secondé  par 
quelques  moniteurs.  A  partir  de  i87i  c'est  un  capitaine  qui  est  chargé 
de  la  direction  de  l'école,  et  il  est  aidé  dans  cette  tâche  par  deux 
lieutenants  ou  sous-lieutenants,  qui  prennent  le  titre  de  directeurs- 
adjoints,  par  le  professeur  d'hydrographie  et  par  le  professeur  d'wUe- 
mand.  Le  directeur  professe  le  cours  supérieur,  et  le  professeur  d'hy- 
drographie le  cours  spécial. 

\jae  circulaire  du  18  avril  1878  recommande  aussi  aux  vice- 
amiraux  et  aux  préfets  maritimes  d'exercer  une  action  directe  sur 
le  service  de  l'enseignement.  De  plus  il  y  est  dit  que  chaque  année 
le  général  inspecteur  d'armes,  lors  de  la  revue  qu'il  passera  de  la 
portion  centrale  d'un  régiment  d'infanterie  de  marine,  choisira  le 
capitaine  directeur  et  les  lieutenants  directeurs-adjoints  sur  une 
liste  de  candidats  que  lui  remettra  le  chef  de  corps  avec  ^n  appré- 
ciation sur  chacun  d'eux;  les  candidats  présentés  doivent  être  choisis 
autant  que  possible  parmi  les  officiers  qui  ont  plus  d'un  an  de 
séjour  h  accomplir  en  France.  11  est  établi  que  le  colonel  détermine 
les  heures  des  différents  cours,  que  la  surveillance  des  écoles 
appartient  au  lieutenant-colonel,  qui  est  secondé  par  les  chefs  do 
bataillon,  et  que  tous  les  trois  mois  il  rend  compte  au  colonel  de 
la  marche  de  l'instruction  et  lui  remet  une  copie  du  classement  des 
élèves.  La  circulaire  du  6  avril  1883  va  encore  plus  loin,  tant  l'im- 
portance du  service  scolaire  se  fait  sentir  de  plus  en  plus  :  elle  ordonne 
que  les  élèves  seront  interrogés  devant  le  lieutenant-colonel  une 
fois  par  trimestre  et  les  colonels  sont  priés  d'assister  de  temps  en 
temps  à  cette  constatation  trimestrielle  de  Tinstruction  des  sous-offi- 
ciers. Les  bons  élèves  sont  dispensés  du  service  colonial. 

De  nouvelles  et  importantes  modifications  au  régime  des  écoles 
d'infanterie  de  marine  ont  été  apportées  par  le  règlement  du 
4  avril  1881,  relatif  à  la  direction  des  cours  et  à  la  composition  du 
personnel  enseignant.  Elles  constituent  une  amélioration  des  plus 
notables. 

Pour  chaque  portion  centrale,  un  chef  de  bataillon  qui  reçoit  le 
titre  de  «  chargé  du  service  des  écoles  »  est  appelé  à  diriger  et  à 
surveiller,  sous  l'autorité  du  lieutenant-colonel,  les  écoles  du  deuxième 
et  du  troisième  degré.  L'action  de  cet  officier  s'exerce  en  outre  sur 
les  écoles  du  premier  degré.  Il  est  l'intermédiaire  obligé  entre  les 
professeurs  des  écoles  régimentaires  et  le  lieutenant-colonel.  U  assiste 
inopinément  aux  séances,  et  dans  celles  consacrées  aux  interroga- 


LES  ÉCOLES   RÉGIMENTÀIRES  DE   l'iNFAMTERIB  DE  MARINE      217 

tioDS  il  questionne  fréquemment  les  élèves  sur  les  matières  qui 
leur  ont  été  enseignées. 

Un  capitaine  qui  prend  le  titre  de  c  professeur  militaire  »  est 
chargé  des  cours  de  fortification  passagère,  de  topographie  théo- 
riqae  et  pratique,  des  principes  élémentaires  d'arlillerie,  des  cours 
de  législation  et  d'administration  militaire. 

Un  capitaine  adjudant-major  est  chargé  des  cours  du  service  en 
campagne  appliqué,  du  service  intérieur  des  corps  de  troupe,  du 
•errice  des  plans  de  guerre  et  villes  de  garnisons,  des  petites  opéra- 
ti(m8  et  manœuvres  sur  le  terrain  :  écoles  de  compagnie,  de 
bataillon    (théorie  et  pratique). 

Le  capitaine  de  tir  fait  des  conférences  sur  la  partie  théorique  du 
tir. 

Le  lieutenant-adjoint  au  trésorier  professe  un  cours  spécial-  de 
comptabilité. 

Sous  la  dénomination  d'  «  adjoints  au  professeur  militaire  »,  des 
lieutenants  ou  sous-lieutenants  secondent  le  professeur  militaire 
dans  tout  ce  qui  concerne  la  tenue  des  classes  et  professent  les  cours 
de  l'école  du  deuxième  degré. 

Le  professeur  d'hydrographie  continue,  comme  par  le  passé,  à 
faire  les  cours  de  sciences  (arithmétique,  géométrie,  cosmographie). 

Le  cours  d'allemand  est  fait  soit  par  un  officier,  soit  par  un  pro- 
fesseur civil. 

Deux  professeurs  du  lycée  sont  chargés,  l'un,  du  cours  de  langue 
française,  l'autre  des  cours  d'histoire  et  de  géographie. 

*'* 

Grâce  au  régime  que  nous  venons  d'indiquer,  les  écoles  régimeii- 
taires  sont  très  bien  surveillées  et  dirigées  aujourd'hui.  Voyons 
maintenant  quelles  mesures  ont  été  prises  au  sujet  des  élèves. 

On  sait  que  depuis  1866  les  écoles  du  premier  degré  ont  été  rendues 
obligatoires  pour  les  illeltrés  :  elles  le  sont  toigours.  Les  écoles  du 
second  et  du  troisième  degré  n'avaient  été  créées  d'abord  que  pour  les 
sous -officiers,  qui  étaient  tenus  de  suivre  tout  au  moins  les  cours 
du  second  degré  par  le  règlement  de  1866.  L'école  du  second  degré 
devint  obligatoire  en  1878  pour  tous  ceux  qui  pouvaient  en  suivre 
les  cours,  sous-officiers  ou  soldats. 

L'obligation  de  l'école  du  second  degré  ne  fut  pas  maintenue  et 
voici  pourquoi.  Les  résultats  obtenus  dans  le  cours  du  deuxième 
degré  n'étaient  pas  toujours  en  rapport  avec  les  efforts  des  professeurs, 
aurtout  dans  les  trois  premières  sections.  Les  progrès  n'étaient 
sensibles  que  dans  la  quatrième  et  pour  les  chefs  de  file  des  trois 
autres.  La  majeure  partie  des  élèves  opposait  une  force  d'inertie 
contre  laquelle  venaient  échouer  le  zèle  des  professeurs  et  les  puni- 
tions. Il  y  avait  dans  les  cours  du  deuxième  degré  deux  .catégories 
d'élèves.  Les  uns,  sortant,  en  général,  de  l'école   communale  avec 


918  aivuB  MoMoeio» 

quelques  notions  bien  élémentaires  de  graimaaire  et  de  €Aloiil,oUe- 
naient  bientôt  grâce  à  leur  bonne  conduiteet  à  cerieîiMe aptitudes mUi- 
taîres  le  grade  de  caporal  ou  de  seus-oScier;  mais  leur  ambition 
n'allant  pas  plus  loin,  il  leur  manquait  Je  furemier  des  stimolaaia  : 
Tespoir  d'avancer,  La  plupart  d'entre-eux  ne  cMapreoaieint  pa8,4*«it- 
leurs,  tout  l'avantage  qu'ils  pouvaient  retirer  plusUrd  d^s  la  vie 
civile  des  connaissances  compiémentaipeg  qu'on  lev  donnait  ie  mq^en 
d'acquérir  au  régiment.  Us  avaient  en  joutre  'entièrement  pwdu, 
depuis  Tenfance,  Tbabitude  de  tout  travail  întellectHeL  Leur  iige  «et 
leur  intelligence  les  rendaient  peu  aptes  à  comprendre  les  lagons, 
quelque  élémentaires  qu'elles  fussent  et  quelques  efforts  que  Ton  fit 
pour  les  mettre  à  leur  portée.  Aus£  assistaient-ils  aux  cours  comme 
à  une  corvée  qui  leur  enlevait  les  heures  de  liberté  dont  ils  jouis- 
saient autrefois.  11  était  impossible,  dans  ces  conditions,  de  remédier 
à  la  mauvaise  volonté  de  la  majeure  partie  des  élèves  :  les  consigner 
n'y  faisait  rien  et  Ton  ne  pouvait  songer  à  instruire  des  hommes 
malgré  eux. 

A  côté  de  cette  catégorie  d*élèves,  il  en  est  une  autre  qui,  presaée 
par  le  désir  de  s'instruire  et  d'arriver,  &it  aa  contraire  les  pltts 
grands  efiforts  :  ce  sont  ceux  qui  aspirent  à  l'épauletle  et  parmi 
lesquels  se  recrutent  les  élèves  de  l'école  du  troisième  degré,  dès 
leur  nomination  au  grade  de  sous-officier.  Pois  viennent  tous  ceux 
qui,  sans  viser  aussi  haut,  ont  le  désir  de  profiter  de  leurs  années 
de  service  pour  compléter  rinstructlon  qu'ils  possèdent  en  vue  de 
concourir  plus  tard  aux  services  civils  et  militaires  réservés  aux  soui- 
officiers  par  lu  loi  du  ii  juillet  1873.  Cette  loi,  disons-le  en  passant, 
a  été  pour  les  sous-ofliciers  un  encouragement  dont  on  a  pu  con- 
stater les  excellents  effets. 

Ces  considérations  ont  porté  le  ministère  de  la  marine,  en  juin 
1883,  à  rendre  l'école  du  deuxième  degré  facultative.  Il  ne  reste 
d'obligatoire  que  la  partie  essentiellement  militaire,  c'est-à-dire  les 
notions  pratiques  pour  les  petites  opérations  de  la  guerre.  Il  y  a 
par  suite  moins  d'élèves  dans  les  écoles  régimentaires,  mais  il  n'y 
a  plus  que  des  élèves  vraiment  désireux  de  profiter  des  leçons  qui 
leur  sont  faites  :  les  cours  ont  gagné  en  homogénéité  et  leur  valeur 
n'en  e^t  que  plus  grande. 

Pour  donner  une  idée  suffisante  des  progrès  accomplîa,  il  nous 
reste  à  dire  quelques  mots  de  ce  qui  a  été  fait  pour  l'outtllage  des 
écoles  de  marine.  Jusqu'en  i87i  les  écoles  n'avaient  aucun  local  qaî 
leur  fût  affecté.  Cette  lacune  fut  comblée  par  le  règlement  du  3 
avril  1872,  portant  qu'un  local  est  mis  à  la  disposition  du  prefea- 
seur,  soit  dans  la  caserne,  soit  dans  un  bâtiment  de  la  marine  À 
proximité  de  la  caserne.  La  question  du  mobilier  fut  réglée  par  >la 
circulaire  du  18  avril  1838.  Les  élèves  eiu^nt  dès  lors  les  Uvjee  6t 
les  cartes  nécessaires. 


LES  ÉCOLES  RÉGimiiTAIfiJESJIE  l'uIFANTERIK   DE  MARINE      Sl(^ 


lis  il  £uit  aussi  des  biUloUièques  régiraentaires.  Oa  y  pensa  dès 
lin.  .L'année  suivante  uœ  décision  ministérielle  lit  connaître  aux 
peéfote  maritimes  qu'il  devait  être  formé  dans  chaque  arsenal  et 
iaosdiaque  colonie  une  bibliothèque,  d'après  un  ca|alogue  arrêté^ 
m  vtte  d'instruire  et  de  récréer  les  troupes.  En  1870  des  collections 
i'ottvnges  reliés  sont  envoyées  en  Cochlachine.  En  1876  une  somme 
MUUielle  de  mille  francs  est  affectée  aux  biblîotbèques  de  chaque 
régiment  En  1878,   le  ministère   de  l'instruction  publique  apporte 
MO  précieux  concours  pour  la  formation  des  bibliothèques  régimen- 
Uhm  et  obtient  de  la  nms<m  Paul  Dupont  une  remise  de  10  0/0 
pour  tous  les  ouvrages  portés  au  catalogue  de  cette  maison  :  il  a  fait 
Biieax  encore  en  dotant  les  bibliothèques  d'un  certain  nombre  de 
volumes  provenant  du  service  du  dépôt  légal.  Aucun  ouvrage  ne 
peut  figurer  dans  les  bibliothèques  régimentaires  s'il  n'a  été  admis 
par  mie  commission  permanente   instituée  au  ministère  et  dans 
laquelle  tous  les  services  intéressés  de  Farmée  de  mer  ee  trouvent 
représentés.  Les  livres  qui  traitent  de  questions  politiques  ou  reli- 
gieuses sont  rigoureusement  exclus,  comme  pouvant  porter  atteinte 
à  la  discipline  générale  de  l'année.  Par  le  choix  judicieux  qui  est 
fait  des  ouvrages,  les  bibliothèques  régimentaircs  otTrent  aujourd'hui 
aux  sous-officiers  et  aux  soldats  les  moyens  de  développer  leur  intelli- 
gence, d'augmenter  leurs  connaissances  scientifiques  et  littéraires. 
Ceux  des  livres  qu'elles  renferment  et  qui  contiennent  le  récit  des  glo- 
rieuses actions  dont  notre  histoire  abonde  grandissent  chez    leurs 
lecteurs  les  sentiments  de  courage,  d*abnégation  et  d  attachement  au 
drapeau.   Les  rapports  adressés   au  ministre  de  la   marine  témoi- 
gnent que  toutes  les  salles  de  lecture  sont  assidûment  fréquentées. 
Le  ministère   de  la  marine,  qui  montre  tant  do  sollicitude  pour 
rinstruction  des  soldats  et  des  sous-officiers  dans  la  métropole,  n'a 
garde  de  ,les  oublier  dans  les  colonies  ou  à  bord.  Toutes  les  mesures 
ont  été  prises  pour  que  partout  et   toujours,  sauf   aux  jours  de 
combat,  nos  braves  soldats  aient  des  maîtres  à  écouter  et  des  livres 
i  lire.  Si  Ton  se  rei>orte  au  commencement  d'organisation  de  183o, 
on  reconnaîtra  qu'un  grand  pas  a  été  fait  et  qu'il  y  a  lieu  de  se 
féliciter  des  résultats  acquis. 


*  * 


if  ministère  de  la  marine  ne  se  contente  pas  d'instruire  ses 
troupes  soit  sur  terre,  s;oit  sur  mer.  11  crée  aussi  des  écoles  pour 
les  indigènes  dans  les  colonies.  Ainsi  on  lit  dans  le  Journal  officiel 
du  4  mars  courant  que  le  résident  général  de  France  à  Hué  s'est  déjà 
préoccupé  d'organiser  le  service  de  l'instruction  primaire.  Il  est 
créé  a  Hanoï  une  école  française  acceptant  des  internes  et  des 
internes.  Des  écoles  de  même  nature  seront  organisées  à  Nam-Dinh 
et  À  Haîphong,  et  dans  toutes  les  grandes  villes  du  Tonkin.  Ultérieu- 
rement on  procédera  a  la  création  d'écoles  pour  les  filles  :  en  atten- 
dant des  salles  d'asile  sont  ouvertes  à  Hanoï,  à  Haîphong  et  à  Nam- 


no  REVUE  PÉDÀGOGIQUI 

Dinh.  Le  personnel  enseignant  est  recruté  parmi  les  professeurs  et 
les  maîtres  qui  sont  chargés  de  l'instruction  primaire  en  Cochlnchine 
et  qui  sont  déjà  accoutumés  au  climat.  11  sera  complété  au  besoin 
par  un  personnel  mis  à  la  disposition  du  ministère  de  la  marine  et 
des  colonies  par  le  ministre  de  Tinstruction  publique.  Le  résident 
général  est  également  en  pourparlers  avec  Tévêque  du  Tonkin  pour 
rétablissement^  dans  chacune  des  paroisses  de  Tintérieur,  de  petites 
écoles  indigènes  pour  la  propagation  de  l'enseignement  français. 

Nous  devons  une  profonde  reconnaissance  au  ministère  de  la 
marine  pour  tant  de  créations  si  diverses,  mais  toutes  si  utiles  et 
si  fécondes  :  il  montre  ainsi  que  les  œuvres  de  paix,  de  progrès  et 
de  civilisation  ne  lui  tiennent  pas  moins  a  cceur  que  les  conquêtes 
coloniales.  A.  B. 


LES  COMMISSIONS  SCOLAIRES 


La  lettre  suivante  a  (Hé  adressée  |>ar  M.  Edmond  Dreyfus* 
Brisac,  directeur  de  la  Revue  internationaU  de  renseignement, 
à  M.  le  directeur  de  renseignement  primaire  au  ministère  de 
l'instruction  publique  : 

Monsieur  le  Directelr, 

Permettez-moi  de  vous  soumettre  quelques  observations  su  sujet 
de  la  loi  sur  l'organisation  de  l'enseignement  primaire  déjà  adoptée 
par  la  Chambre  des  députés  et  qui  va  être  soumise  au  Sénat.  Je  ne 
sais  quelles  modifications  la  commission  du  Sénat  a  pu  introduire 
dans  le  projet  voté  par  la  Chambre^  mais  j'aurais  désiré^  quant  à 
moi,  que  le  chapitre  sur  la  commission  scolaire  eût  subi  d'assez  profonds 
changements.  Je  considère  notamment  Tarticle  55,  qui  décide  que  la 
commission  scolaire  se  réunit  une  fois  au  moins  tous  les  trois  mois, 
comme  très  dangereux.  Le  nombre  des  manquements  à  la  loi  est  si  con- 
sidérable déjà,  dans  des  petites  villes  comme  Villers-Gotterets,où  jesuis 
membre  de  la  commission  scolaire,  alors  qu'on  réunit  la  commission 
tous  les  mois,  qu'il  deviendra  presque  impossible  de  faire  un  travail 
utile  si  la  commission  ne  se  réunit  que  tous  les  trois  mois.  D'autre 
part,  comment  sera-t-il  possible  à  la  commission  d'apprécier  au  bout 
de  trois  mois  les  motifs  d*excuse  ?  Si  l'on  combine  les  dispositions 
de  la  loi  nouvelle  avec  celles  de  la  loi  sur  l'obligation,  on  acquiert  la 
conviction  que  la  répression   deviendra  absolument  impossible.   1! 


LES  C03IMISSI0NS  SCOLAIRES  324 

soflfira  que  les  parents  envoient  leurs  enfants  de  temps  à  autre  à 
récolo  pour  qu*ils  puissent  se  soustraire  a  tout  contrôle  et  à  toute 
répression. 

Si  je  ne  craignais  de  vous  fatiguer  de  mes  observations,  je  résume- 
rûs  ainsi  tes  conclusions  auxquelles  m'a  conduit  une  expérience  de 
plusieurs  mois,  et  la  connaissance  de  fait  antérieurs  à  ma  nomination 
comme  membre  de  la  commission  scolaire  (alors  que  celle-ci  ne  se 
réonissait  plus)  : 

î^  11  faudrait  que  la  commission  scolaire  fût  présidée  par  un 
délégué  cantonal,  ou  par  un  membre  de  la  commission  désigné  par 
rinspecteur  primaire  dans  toutes  les  communes; 

^  Que  la  commission  se  réunît  tous  les  mois,  une  fois  au  moins; 

9*  Que  la  moitié  au  moins  des  membres  désignés  par  le  conseil 
municipal  fussent  choisis  en  dehors  de  ce  conseil; 

4^  Que  le  conseil  put  lui-môme,  dès  la  seconde  fois,  prononcer 
une  légère  amende: 

5<^  Que  les  cas  d'appels  fussent  limités  autant  que  possible  ; 

G®  Que  les  pouvoirs  des  commissions  fussent  aussi  étendus  que 
possible,  en  tout  ce  qui  touche  l'assiduité,  la  confection  de  la  liste 
scolaire; 

1^  Que  la  commission  scolaire  adressât  tous  les  ans  un  rapport  à 
l'inspecteur  primaire; 

8»  Que  des  imprimés  fussent  envoyés  dans  toutes  les  communes 
pour  les  réunions  mensuelles  des  commissions  et  fussent  renvoyés 
avec  les  signatures  requises; 

9®  Que  les  fournitures  scolaires  fussent  livrées  gratuitement  par 
récole  à  tous  les  enfants  qui  en  feraient  la  demande  ; 

iQ9  Que  la  commission  scolaire  fût  appelée  à  donner  son  avis  sui- 
tes secours  à  donner  aux  indigents  pour  leur  permettre  4'envoyer 
régulièrement  leurs  enfants  à  Técole  (nourriture  àTécole,  chaussures, 
etc.),  et  qu'elle  disposai  môme  d'un  fonds  spécial  a  cet  effet. 

Quand  on  compare  ce  qui  se  fait  en  Allemagne  à  ce  qui  se  fait  en 
France  sous  ce  rapport,  on  est  vraiment  humilié.  Je  suis  convaincu 
que  si  l'on  ne  prend  pas  des  mesures  énergiques,  l'obligation  restera 
dans  nos  écoles  à  Télat  de  lettre  morte. 

Je  vous  prie  d'agréer  l'assurance  de  mes  sentiments  respectueuse- 
ment dévoués. 

Edmond  Dreyfus-Rrisac. 


CONSEILS  PRATIQUES 

ENTRETIENS  d'uN  DIRECTEUR  d'ÉGOLE  AVEC  SES  ÀDJOIttT& 


X^111»0BB9« 


Un  élève  s'approche  de  vous,  soit  dans  le  préau,  aoii  dans 
Ift  cour  de  réen^tkm,  et  se  met  à  vous  parler  la  tète  eouverte. 
Brasquement,  vous  enlevez  sa  coiffure  en  lui  tirant  peut-être 
ie&  cheveux,  et  cela  pour  lui  apprendre  à  être  poli.  Voua  vous 
y  prenea  mal  pour  donner  une  toile  leçon.  Coimnencez  vous- 
même  par  donner  Texemple  en  proeédani  avec  modération. 
Faites  comprendre  à  votre  petit  interlocuteur,  sans  voua  émou- 
voir, qu'il  doit  se  découvrir  chaque  fois  qu*il  adresse  la  parole 
à  un  supérieur.  Et  vous  le  verrez  ôter  gentiment  sa  toque  ou 
sa  casquette.  La  leç^on,  je  croia,  sera  tout  aussi  profitable»  et 
rélève,  en  se  la  rappelant,  n'aura  point  à  y  associer  le  mamrait 
souvenir  de  votre  brusquerie. 

Soyons  polis  nous-mêmes  pour  bien  apprendre  à  nos  élèves 
à  être  polis. 

Visite  et  correction  des  cahiers . 

Soignez  la  rédaction  et  la  disposition  des  notea  que  vous 
consignez  sur  les  cahiers  à  la  suite  de  vos  correelion&,  ou  sur 
les  carnets  des  élèves.  Prenez  bi«i  garde  d'y  fttire  des  fimtss 
de  construction  ou  môme  d'orthographe.  Ne  jetez  pas  vos 
obsorvalions  en  travers  de  récriture  du  cahier  :  elles  y  sont 
moins  visibles  et  cette  façon  d'agir  est  loin  d'embellir  les  pages. 
Tel  élève  sera  contrarié  de  voir  les  ligne»  qu'il  a  soignées,  oovpéea 
par  quelques  mots  en  rouge,  flatteurs  peut-être,  mais  qui  gâtent 
réellement  son  travail. 

Donc,  mettez  les  notes  dans  la  marge  ou  dans  le  bas  de  la 
page,  autant  que  possible  à  l'endroit  où  s'est  arrêtée  votre  visite, 
mais  jamais  dans  le  texte^du  cahier. 

Indiquez  par  un  trait  dans  la  marge  le  point  de  départ  de 
votre  examen.  Si  le  temps  vous  manque,  ne  voyez  que  deux 
pages,  qu'une  seule  même,  à  chaque  cahier.  Mais  qu'il  ne  reste 
aucune  faute  où  vous  avez  passé.  Que  votre  Vu  de  la  fin  soit 
une  vérité.  Agir  autrement,  ce  serait  commettre  une  sorte  de 


fans,  el  preciiFer  aux  èlè^m  et  à  leurs,  himlles  l'occaeion  d'ime 
crilique  fort  légitime. 

Giurdes-Toas  des  HicoDséc|aenMs  de  ce  genni  :  •-  Ecriture 
nêgHgfée  »;  et  eellede  voire  note  esl  presque  iUîsible;  -« 
«  CMtfT'  d'fcfi  petit  stmillon;  it  y  a  des  tache9  à  toutes  leê 
fmges  w;  —  et  vous-même  avee^  oublié,  en  retournant  les  feuilles^ 
que  Tenepe  de  vos  corrections  était  encore  humide,  et  de  petite 
taftfl  lougee  se  sont  imprtmés  sur  les  pages  d^en  face. 

Que  dira  le  bonhomme  ainsi  tancé,  pour  peu  qu'il  ait,  comme 
tons  ses  congénères,  uo  grain  de  malice  à  ^adresse  de  aoa 
nurflre?*  Vous  savez  bien  que 

Cet  âge  est  sans  pitié. 

Um  mottm  on  tecA.  de»  élèvea  quand  on  lerur  parleu 

Quand  nous  feisons  des  expKeations,  il  f^mt  nous  mettre  eo 
face  des  élèves  afin  de  les  voir  tons  el  d'Otre  vus  de  tous.  Sur«> 
tout,  gardons-nousde  nous  promener  en  cadeuoe  de  long  en  large. 

Quand  nous  assistons  à  une  conférence,  nous  eh(Msissous  de 
[Hiélérence  une  place  où  ni  colonne  ni  eamdélabre  ne  nous 
empêche  de  distinguer  la  phy^onomie  et  les  gestes  de  celui 
qui  parle.  L'entendre  sans  le  voir  ne  nous  procurerait  pas  la 
même  satisfaction.  Et  le  conférencier  se  sentirait,  lui  aussi,  bien 
refroidi,  si  la  vue  de  son  auditoire  lui  était  dérobée  par  un 
rideau,  ou  s'il  devait  adresser  la  parole  aux  assistants  en  leur 
tournant  le  dos. 

La  même  chose  se  passe  entre  nos  éeoliers  et  nous.  L'ensei- 
guement  pénètre  autant  par  les  yeux  de  Félève  que  par  ses 
oreiltes.  Aussi  Télève  n'entend  et  surtout  ne  saisit,  ne  comprend 
qit*ft  demi-,  s'il  ne  se  trouve  pas  on  face  du  maître  qui  lui  parle. 
Et  si  le  maftre  ne  domine  du  regard  ceux  qui  l'écoutant,  sa  leçon 
est  froide  et  sans  vie. 

Enfin,  parler  à  un  auditoire,  quel  qu'il  soii,  avec  un  mouve- 
ment  continuel  de  va-et-vient,  donne  un  air  dédaigneux,  ennuyé 
ou  pédant  qu'un  instituteur  doit  éviter. 

Retardataires. 

C'est  aujourd'hui  lundi  et  il  fait  bien  froid  :  deux  raisons 
qui  expliquent  pourquoi  il  n'y  a  que  la  moitié  des  élèves  au 


^224  R£VUE  PÉDÀGOGfQUI 

moment  de  rentrée  en  classe.  Les  absents  vont  arriver  les  uns 
après  les  antres  durant  une  demi-heure. 

Qu'allez- vous  faire  en  commençant?  Vous  asseoir  à  votre 
bureau,  ranger  ceci,  ranger  cela,  pour  donner  à  toute  la  bande 
des  traînards  le  temps  d'arriver?  Ce  serait  une  singulière  façon 
d'encourager  les  élèves  exacts.  Demain,  ils  seront  autorisés  à 
venir  aussi  en  relard  puisque  l'exactitude  ne  leur  est  pas  pro- 
fitable :  on  ne  s'occupe  pas  d'eux  plus  tôt;  ils  y  gagnent,  tout 
au  plus,  de  n'être  ni  grondés  ni  punis.  Quant  aux  lambins,  ils 
seront  moins  émus  ;  ils  ne  manqueront  pas  de  penser  et  peut- 
être  de  dire  :  a  Je  suis  arrivé  à  temps  :  la  classe  n'était  pas 
encore  commencée.  » 

Ou  bien  allez-vous,  tout  en  entrant,  vous  mettre  en  colère 
contre  les  négligents  qui  ne  peuvent  jamais  venir  à  l'heure  ? 
Ferez-vous  un  sermon  en  règle  sur  les  inconvénients  de  l'inexac- 
titude? A  quoi  bon?  Ceux  qui  en  ont  besoin  ne  sont  pas  là, 
et  vous  Tatigueriez  bien  injustement  les  seuls  élèves  qui  peu- 
vent vous  entendre. 

Que  faire  alors?  Dites  un  mot  aimable  à  ceux  qui  sont  pré- 
sents. Distribuez-leur  des  bons  points.  Commencez  votre  classe 
immédiatement.  C'est  la  leçon  do  lecture.  Toutes  les  places  sans 
exception  sont  munies  d*un  livre.  Les  retardataires  les  y  trou- 
veront. Habituez-les  d'abord  à  se  présenter  au  moins  sans  bruit^ 
à  ne  déranger  personne,  à  ne  sourfler  mot,  à  ne  pas  venir 
vous  expliquer  le  motif  de  leur  retard  ou  vous  remettre  leur 
billet  d'excuse.  N'interrompez  aucunement  votre  leçon  à  cause 
d'eux  ;  continuez  comme  si  tous  avaient  été  présents  dès  le 
début.  Autrement,  il  faudrait  vous  arrêter  dix  fois,  vingt  fois. 
Ciî  seraient  des  explications  interminables,  très  fatigantes  pour 
tout  le  monde.  La  fm  de  la  leçon  arriverait  et  vous  n'auriez. 
pas  fait  lire. 

Mais  à  un  moment  déterminé,  de  préférence  à  la  sortie  de 
dix  heures,  et  dans  la  cour,  demandez  les  billets,  écoutez  les 
excuses  et  voyez  conment  vous  devez  agir  avec  les  retarda- 
taires. 

D.  C. 


L'ENSEIGNEMENT  DES  SOURDS-MUETS 

ET   SES    PROGRÈS    RECENTS 


Depuis  quelques  années  seulement,  renseignement  des 
sourds-muets  a  été  transformé:  le  langage  mimique,  depuis 
longtemps  en  usage,  a  dû  céder  la  place  à  la  méthode  orale  ; 
le  principe  de  l'obligation  de  renseignement  prifuaire  a  été 
inscrit  dans  la  loi  pour  le  sourd-muet  comme  pour  Tentendant- 
parlant  ;  enfin,  on  a  institué  un  certificat  d'aptitude  à  rensei- 
gnement des  sourds-muets  (1).  Si  insuffisantes  que  soient  encore 
ces  améliorations,  elles  n'en  constituent  pas  moins  un  progrès 
considérable.  Pour  s'en  convaincre,  il  suffît  de  voir  ce  qu*cst 
encore  aujourd'hui  le  régime  des  institutions  de  sourds-muets. 

Actuellement  une  école  de  sourds-muets  peut  être  ouverte 
sans  que  la  loi  exige,  comme  pour  les  établissements  primaires, 
une  déclaration  d'ouverture,  et  sans  qu'une  enquête  soit  faite 
pour  savoir  si  le   local  est  convenable.   1^  directeur  n'est  pas 

(1)  C'est  à  un  heureux  concours  de  circonstances  qu'on  doit  les  impor- 
tantes améliorations  introduites  dans  l'enseignement  des  sourds-muets.  Une 
personne  qui  avait  la  passion  du  bien,  M**  Uenr^-  Thuret,  ayant  visité,  dans  It 
eoan  d*an  voyage  en  Suisse,  ïlnstitut  canlonal  de  (îenève,  dirigé  par 
M.  Magnat,  fonda,  à  son  retour,  en  1873,  une  modeste  institution  de  jeunes 
fioiirds-maets,  aux  portes  de  Paris,  à  Levallois-Perret. 

L'année  suivante,  en  1874,  M.  Magnat  venait  à  Paris,  et  avec  le  concours 
de  M"*  Thuret  et  de  la  famille  Pereire,  dont  un  anctHre,  Jacob-Rodrigue 
Pereire,  est  le  premier  instituteur  des  sourds-muets  en  France,  nous  fondions 
one  école  où  devait  être  mis  en  pratique,  non  sans  un  certain  éclat,  l'ensei* 
gnenent  de  la  parole. 

A  partir  de  cette  époqur^,  je  ti^,  avec  l'aide  de  M.  Magnat,  qui  produisait 
ses  élèves,  de  nombreuses  conférences  publiques  et  gratuites,  afin  de  faire 
connaître  la  méthode  ;  je  publiai  des  brochures,  je  fis  des  articles  dans  le 
même  bat.  Une  Société  de  patronage  fut  fondée  par  nos  soins;  elle  eut  un 
organe  hebdomadaire.  I)cs  cours  furent  institués  en  faveur  des  instituteurs  et 
des  institutrices,  un  certificat  d'nptitude  fut  créé  et  les  instituteura  qui 
robtinrent  reçurent  des  récompenses  pécuniaires  de  la  famille  Pereire. 

Enfin,  en  1878,  au  moment  de  l'Eupositiou  universelle,  après  une  conférence 
que  je  fis  au  Trocadéro,  nous  inaugurions  avec  M.  Magnat  le  premier  Congrès 
international  pour  l'amélioration  du  sort  des  sourds-muets.  Congrès  qui  a 
été  le  point  de  départ  de  tous  les  autres. 

UTUI  PiOAGOGIQOI   1^^5.  —  l*'  SIX.  15 


â'2C  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

lion  plus  l'objet  d'une  enquête  destinée  i^i  constater  sa  capacité 
et  sa  moralité. 

Les  établissements  libres  se  partagent  en  deux  catégories  :  les 
uns  sont  payants  et  conviennent  aux  familles  aisées;  les  autres 
sont  entretenus  par  des  dons  qui  suffisent  à  peine  à  leur  en- 
tretien. Le  nonil)ro  des  établissements  est  d'ailleurs  insuffisant. 

L'État  n'admet  dans  ses  établissements  conune  boursiers  que 
des  enfants  qui  ont  dix  ans  au  moins  et  treize  ans  9Ui  plus;  il 
en  résulte  que  les  sourds-muets  pauvres  sont  forcés  d'attendre 
dans  une  ignorance  forcée  et  funeste  le  moment  où  ils  pouj - 
ront  entrer  dans  les  institutions  nationales. 

Les  écoles  de  l'Ëtat,  au  nombre  de  trois,  sont  seules  iaspec- 
tées;  encore  l'inspection  ne  porte-t-elle  pas  sur  les  études.  Daas 
aucun  établissement  l'enseignement  n'est  l'objet  d'un  contrôle. 
Il  n'y  a  pas  d'inspection  pédagogique. 

Enfin,  il  n'existe  pas  de  moyens  réguliers  d'assuré  le  recru- 
tement du  personnel  enseignant. 

On  voit  par  ce  qui  précède  tout  ce  qvu  reste  encore  à  faiiY. 


■A      -.l- 


La  grosse  question  qui  devait  d'abord  être  résolue  était  le  choix 
du  procédé  à  employer  pour  mettre  le  sourd-muet  en  communi- 
cation avec  la  société.  Déjà  discutée  au  Ck}ngrès  international  de 
Paris,  en  4878,  elle  fut  définitivement  résolue  à  celui  de  Milan, 
en  1880.  Le  langage  mimique  fut  irrévocablement  condamné. 
Par  un  volt.'  unanime,  le  Congrès  adopta  la  résolution  suivante: 

«  Le  Congrès  : 

D  Considérant  l'incontestable  supériorité  de  la  parole  sur  le^ 
eignes  pour  rendre  le  sourd-muet  à  la  société  et  lui  donner 
une  plus  parfaite  connaissance  de  la  langue, 

»  Déclare  que  la  méthode  orale  doit  être  préférée  à  celle  de  la 
mimique  pour  l'éducation  et  l'instruction  des  sourds-muets.  » 

Deux  cent  trente  membres,  hommes  et  femmes,  laïques  et 
religieux,  appartenant  à  toutes  les  nationalités,  avaient  pris  part 
à  ce  vote. 

Dans  son  rapport  au  ministre  do  l'intérieur,  M.  Franck,  de 
l'institut,  dont  le  savoir,  l'expérience  et  la  compétence  ne  sau- 
raient   faire   l'objet   d'un  doute,   reconnaissait  qu'en   1861    il 


i/eNSEIONUIBNT   0B8  SOVMDS-MCËTS  227 

•'était  jttOBlré  peu  sympathique  à  renseignement  de  la  parole, 
fÊKe  qu'il  ne  lui  avait  pas  été  donné  de  constater  des  r^ltate 
iatiafaiaants.  Son  opinion  se  ttouvait  profondément  mofiitiée  ^n 
1880;  il  appelait  de  tons  ses  voeux  renseignement  de  la  méthode 
orale,  t  Au  reste,  ajoutait-il  avec  une  franchise  qui  l'honore, 
il  est  permis  de  changer  d'opinion  quand  c'est  pour  faire  le  bien 
ot  ^oiir  servir  la  vérité.  » 

La  propliétie  de  Pereire  va  s'accomplir  :  «  11  n'y  aura  plus 
de  aourds*muets  ;  il  n'y  aura  que  des  sourds-parlants.  »  Dès 
lors,  la  sourd-muet  n'est  plus  isolé  dans  la  société  humaine; 
il  vit  de  la  vie  commune  grâce  à  la  parole  qui  lui  est  rendue. 
Toute  méthode  autre  que  la  méthode  orale  l'aurait  laissé  à 
l'écart,  incompris  de  tous,  sauf  de  ses  semblables  en  infortune. 
11  s'agit  donc  moins,  encore  d'une  question  de  méthode  que  d'une 
4|uestion  d'humanité.  C'est  là  ce  qui  donne  à  la  question  une 
importance  bien  autrement  considérable  que  si  elle  eût  été 
simplement  pédagogique. 


C'est  dans  la  loi  du  28  mars  i882,  relative  à  l'obligation  de 
l'enseignement  primaire,  qu'il  est  question  pour  la  première  fois 
de  renseignement  des  sourds-muets  dans  une  loi  rraiiraise  relative 
à  l'enseignement  primaire. 

L'article   4  est  ainsi  conçu  : 

a  L'instruction  primaire  est  obligatoire  pour  les  enfants  des  deux 
sexes  âgés  de  six  ans  révolus  à  treize  ans  révolus;  elle  peut  être 
doanëesoit  dans  les  établissements  d'instruction  primaire  ou  secon- 
daire soit  dans  les  écoles  publiques  ou  libres,  soit  dans  les  familles, 
par  le  père  de  famille  lui-môme  ou  par  toute  personne  qu'il 
aura  choisie. 

»  Un  règlement  déterminera  les  moyens  (tassvrer  Finstruction 
primaire  aux  en/ants  soui'dn- muets  et  aux  aveugles.  » 

Cette  addition  relative  aux  sourds-muets  et  aux  aveugles 
est  due  à  M.  Jules  Philippe,  député  de  la  Savoie.  Il  n'est  pas 
douteux  que  Tobligation  contenue  dans  les  termes  du  premier 
paragraphe  s'étend  au  second.  D'ailleurs,  du  moment  où  la  loi 
assure  rinsiruclion  primaire  aux  sourds-muets,  on  ne  com- 
prendrait pas  qu'elle  n'en  imposât  pas  l'obligation. 


228  RIVtJE  PÉDàGOGIQUI 

L'importance  de  cette  additioa  n'échappera  à  personne  :  elle 
entraine  comme  conséquence  la  création  d'écoles  de  soards-muets 
en  nombre  suffisant  pour  répondre  aux  besoins,  et  l'application 
à  ces  écoles  des  règlements  concernant  les  écoles  primaires, 
soit  en  ce  qui  touche  aux  conditions  matérielles,  soit  pour  ce 
qui  est  relatif  aux  conditions  d'âge,  de  capacité  et  de  moralité 
des  maîtres,  soit  encore  pour  ce  qui  est  de  l'inspection.  Aucune 
de  ces  mesures  protectrices  que  la  loi  a  jugé  nécessaires  pour 
les    entendants- parlants   ne   sauraient,   à    plus    forte  raison, 
manquer  aux  sourds-muets;  aucun  de  ces  gages  de  sécurité 
pour  les  familles  ne  peut  faire  défaut  aux  familles  plus  légitime- 
ment exigeantes  des  sourds-muets. 


Le  ministre  de  l'intérieur  semble  l'avoir  compris  ainsi  :  il 
vient  de  faire  un  premier  pas  dans  cette  voie  en  instituant,  par 
un  arrêté  pris  à  la  date  du  3  septembre  1884,  «  des  certiflcats 
d'aptitude  de  deux  degrés  pour  les  personnes  qui  se  destinent 
ou  qui  sont  employées  à  l'enseignement  des  sourds-muets 
élèves-boursiers  des  départements  et  des  communes  (1).  » 


(1)  Voici  le  le\te  de  rarrèié  : 

Le  ministre  de  l'intérieur, 

Sur  la  proposition  du  conseiller  d'Etat,  directeur  de  radmioistratiuii 
départementale  et  communale, 

Arrête  : 

Art.  l*^  —  Il  est  institué  des  certificats  d'aptitude  de  deux  degrés  pour 
les  personnes  qui  se  destinent  ou  qui  sont  employées  à  l'enseignement  des 
sourds-muets  élèves-boursiers  des  départements  ou  des  communes. 

Le  certifîcat  du  premier  degré  constate  l'aptitude  à  exercer  le  professorat 
dans  les  établissements  où  sont  reçus  ces  élèves-boursiers. 

Le  certificat  d'aptitude  du  degré  supérieur  constate  l'aptitude  à  former  des 
aspirants  professeurs  pour  ces  mêmes  établissements. 

Art.  2.  —  Le  certiflcat  du  premier  degré  ne  pourra  être  délivré  qu'aux 
personnes  qui,  pendant  deux  années  scolaires  an  moins,  auront  pris  un«^ 
part  effective  à  l'enseignement  des  sourds-muets  et  qui  auront  suivi,  soit  dans 
les  institutions  nationales,  soit  dans  une  outre  institution,  sous  la  direelion 
d'un  professeur  pourvu  d'un  cerlificat  de  degré  supérieur,  des  «H)uri  normaux 
portant  sur  les  méthodes  et  prt;cédés  d'enseignement  à  l'usage  des  sourds- 
muetj. 

Art.  3.  —  Le  cerlificat  du  degré  supérieur  ne  pourra  élro  délivré  qu'aux 
personnes  munies  du  certificat  du  premier  degré  et  qui,  en  sus  du  premier 


l'enseignement  des  sourds-muets  229 

L'arrêté  définit  le  caractère  do  chacun  des  certificats,  les  con- 
ditions de  l'obtention^  la  nature  des  épreuves,  etc. 

stage  mioimam  de  deux  ans,  auront,  pendant  deux  autres  années  scolaires 
au  moins,  dirigé  soit  une  classe,  soit  une  éducation  particulière. 

Art.  4.  —  La  condition  de  fréquentation  des  cours  normaux  ne  sera  eiigéc 
des  aspirants  au  certiGcat  du  premier  degré  qu'à  partir  du  !*'•  octobre  1888. 
Jusqu'à  la  même  époque,  la  collation  du  certiûcat  du  degré  supérieur  ne  sera 
pas  soumise  à  la  condition  de  production  du  certiûcat  du  premier  degré;  mais 
elle  sera  toujours  subordonnée  à  la  justification  du  stage  minimum  de  quatre 
années  dans  les  conditions  énoncées  à  l'article  3  ci-dessus. 

Abt.  5.  —  Les  épreuves  à  la  suite  desquelles  les  eertificats  d'aptitude 
pourront  être  délivrés  seront  tout  à  la  fois  théoriques  et  pratiques.  Elles  por- 
teront sur  les  procédés  de  l'enseignement  de  la  lecture  sur  les  lèvres  et  de 
rarticulation,  sur  les  éléments  d'anatomie  et  de  physiologie  des  organes  de  la 
voix,  sur  la  méthode  à  suivre  pour  enseigner  aux  sourds-muets  les  idées, 
les  mots  et  les  formes  de  la  bngue  maternelle,  ainsi  que  sur  les  connaissances 
générales  dont  le  programme  doit  être  développé  dans  le  cours  d'instruction 
proprement  dite  fait  aux  élèves  (calligraphie,  principes  d'éducation  morale  et 
4*iTique,  éléments  d'arithmétique,  de  géographie,  d'histoire,  leçons  de  choses). 

n  sera  tenu  compte,  pour  la  justification  des  connaissances  générales,  des 
brevets  ou  diplômes  que  les  candidats  auraient  précédemment  obtenus,  en 
telle  sorte  que  ces  candidats  n'auraient  plus  à  être  interrogés  à  cet  égard  que 
sor  l'ordre  et  le  mode  d'exposition  que  réclame  particulièrement  l'enseigne- 
ment donné  à  des  élèves  sourds-muets. 

Les  aspirants  au  certificat  d'aptitude  du  degré  supérieur  devront,  en  dehors 
de  la  connaissance  plus  approfondie  des  matières  spéciales  relatives  à  l'ensei- 
gnement des  sourds-muets  et  comprises  dans  l'examen  du  premier  degré, 
être  en  état  de  donner  des  explications  sur  l'histoire  et  sur  la  comparaison 
des  méthodes,  sur  le  choix  des  notions  usuelles  et  pratiques  à  faire  entrer 
dans  r<^ducation  des  élèves. 

Art.  6.  ^  Les  candidats  attachés  à  une  institution  de  sourds-muets  feront 
connaître  au  ministèi'e  de  l'intérieur,  par  l'intermédiaire  du  préfet  du  dépar- 
lement où  se  trouve  située  cette  institution,  leur  intention  de  subir  les 
épreuves  organisées  par  le  présent  arrêté. 

U  sera  procédé  à  l'appréciation  des  candidats  et  des  classes  qui  leur  auront 
été  confiées  par  un  jury  composé  de  deux  membres  choisis  par  le  ministre 
de  l'intérieur,  et  d'un  membre  du  Conseil  général  désigné  par  le  préfet.  Ce 
jory  se  transportera  dans  les  institutions  d'où  émaneront  les  demandes,  et 
dont  l'inspection  sera  faite  à  cette  occasion. 

Art.  7.  —  Les  candidats  qui  ne  seraient  pas  attachés  à  une  institution  de 
sourds-muets  feront  connaître  directement  au  ministère  de  l'intérieur  leur 
intention  fl*^subir  les  épreuves.  Il  sera  statué  par  voie  de  décisions  particu- 
lières sur  le  lieu  à  choisir  pour  ces  épreuves,  qui  seront  subies  devant  un 
jury  de  trois  membres  désignés  par  le  ministre  de  l'intérieur. 

Art.  8.  —  Il  n'est  point  dérogé,  par  le  présent  arrêté,  aux  dispositions  qui 
régissent  l'organisation  des  concours  et  examens  pour  l'accession  aux  divers 
grades  du  professorat  dans  l'Institution  notionale  des  sourds-muets  de  Paris. 

Fait  à  Paris,  le  3  septembre  188i. 

Le  ministre  de  Vintérieur, 

Waldbcr-Roussiau  . 


230  RSVUl  PJftDÀGOGIQUB 

A  la  même  date.  Je  ministre  adressoiC  aux  pnâfei»  une  cireu- 
laire  explicative  contenant  des  instructions  pour  Papplica^îoir 
des  nouvelles  mesures. 

Nous  espérions  trouver  un  article  contenant  des  dispositions 
analogues  à  celles  des  articles  2S,  26  et  27  de  la  loi  du  15  mars  18S0  : 
«  Tout  Français  âgé  de  .  • .  ans  accomplis  peut  exeroer  dana 
toute  la  France  la  profession  d'instituteur  de  sourds-muets,  s'iT 
est  muni  du  certificat  d*aptitude  et  s'il  ne  se  trouve  dans  aucun^ 
des  cas  d'incapacité  prévus  par  l'article  26.  Tout  instituDmir  qui 
veut  ouvrii^  une  école  libre  de  sourds-muets  doit  préalablement 
déclarer  son  intention  au  maire  de  la  ccmmume.  où  il  veut 
s'établir,  lui  désigner  le  local  et  lui  donner  l'indication  dics 
lieux  où  il  a  résidé  et  des  professions  qu'il  a  exercées  pendant 
te»  dix  années  précédentes,  etc.;  r»  —  ou  plus  simpleiiieui 
encore  :  a  Les  articles  25,  26  et  27  de  la  loi  du  13  mars  fSSO 
sont  applicables  aux  écoles  de  sourds-muets.  » 

Enfin,  nous  voudrions  un  article  ainsi  conçu  :  «  Est  applicaMe 
aux  instituteurs  de  sourds-muets  Farticle  20  de  la  loi  du2Tjuiiret 
1872  qui  dispense,  à  titre  couditionnel,  du  service  militaire  lea^ 
membres  de  l'enseignement  public  qui  auront  pris  l'engage- 
ment de  se  vouer  pendant  dix  ans  à  la  carrière  de  l'enseigne- 
tnent  national.  ï> 

SI  le  certificat  d'aptitude  n'est  pas  obligatoire,  pourquoi  les 
maîtres  de  sourds-muets  s'expoae  raient-ils  aux  chances  d'un 
examen  et  ambitionneraient-ils  un  titre  qui  ne  leur  conftre 
aucun  avantage,  aucun  droit,  dont  ils  n'ont  h  tirer  aucun 
bénéfice? 


*  * 


Il  nous  reste  à  exprimer  un  vœu  :  e'est  qu'il  soîi  eséé 
inspection  pédagogique.  Jusqu'à  présent^  nous  Pavons  dit,  lès 
établissementa  de  l'État  sont  à  foct  peu  près  les  seuls  qjai  soient 
soumis  à  l'inspection.  Quant  aus  établiseemento  liiipe»,  8»mM 
libres  sous  tous  les  rapports  :  point  d^inspection  ni  dé  con- 
ivMe  d'aucune  sorte.  Les  iospeoteurS'  actuels  sont  dea  adaiL* 
nistrateurs  et  non  des  maf(;res;  ils  exercent  sanv  dmHUe  une 
surveillance  efficace  sur  la  tenue  et  l'hygiène  des  établisse- 
mentSw  sur  la  gestion,   elc;  mais  ils  ne  peuvent  en  général 


L't.NSEIGiNKMEM    DKS    SniHDS-Ml'ETs  îl'Si 

juger  les  méthodes  el  les  procédés  d'enseignemenl,  les  apti- 
tudes des  maîtres,  les  résultats  obtenus,  etc.  Us  ne  sauraient 
donner  des  conseils,  dos  directions  aux  maîtres.  Les  directeurs 
mêmes  ne  peuvent  contrôler  un  enseignement  auquel  la  plu- 
part sont  initiés  seulement  h  partir  de  leur  entrée  en  fonc- 
tions. Il  importe  donc  de  créer  parallèlement  à  Tinspection 
administrative,  et  sans  «aucun  préjudice  pour  celle-ci  dont  Tuti- 
lité  est  incontestable,  une  inspection  pédagogique.  Nous  atten- 
dons avec  confiance  ce  dernier  progrès. 

Félix  Hément. 


UN  MAITRE  D'ECRITURE  AU  XVIIP  SIÈCLE 


Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  qu'on  se  préoccupe  d'une  méthode 
expéditive  et  rationnelle  pour  renseignement  de  l'écriture. 

Dom  Calmet,  dans  sa  Bibliothèque  lorraine  (page  ^78),  nouti 
transmet  le  nom  d'un  religieux  de  son  ordre  et  de  la  congrégalioB 
de  Saint- Vanne  qui  passa,  de  son  temps,  pour  avoir  résolu  le 
problème. 

Il  s'appelait  Dom  Uuchesne  (Vincent),  natif  de  Besançon, 
ardiitecte  de  son  état.  Un  le  trouve,  en  1710,  maître  d'écriture 
da  petit  roi  Louis  XV,  alors  âgé  de  six  ans  et  demi.  Duchesne 
se  faisait  fort  d'enseigner  l'écriture  en  six  leçons  d'une  demi- 
heure  chacune.  Il  ramenait  tout  notre  système  d*écriture  fran- 
çaise à  deux  éléments,  le  C  et  11. 

Une  estampe  du  temps  le  représente  dans  le  cabinet  de 
travail  du  petit  Louis  XV,  dont  il  surveille  l'exercice  calligraphique. 
Le  précepteur  du  monarque  et  sa  gouvernante,  Madame  de  Ven- 
tadour,  sont  assis  à  la  droite  du  roi,  Duchesne  à  gauche.  Suit  ce 
mauvais  quatrain: 

En  trois  heures  de  temps,  le  roi  sait  bien  écrire, 
Pnr  nn  secret  nouvean  qae  tout  le  monde  admire. 
fEtI  le  seul  Dom  Duchesne,  enfant  de  Besançon, 
dut  faire  ce  prodige  en  moins  de  sii  leçons. 


ORGANISATION  DES  ÉCOLES  ANNEXES 


[Nous  empruntons  les  lifi^nes  qui  suivent  h  une  communication  que  nous 
adresse  M.  le  directeur  de  l'école  normale  du  Mans.  —  La  Rédaction  J] 

Voici,  brièvement  résumée,  Torganisaiion  adoptée  dans  notre 
école  annexe. 

Le  directeur  est  constamment  secondé  par  trois  élèves-maîtres, 
pris  un  dans  chaque  année,  conformément  à  Tarticle  2  de  Tarrêté  du 
3  août  1881.  I^  présence  de  ces  jeunes  gens  à  l'école  annexe  est 
d'une  semaine  chaque  fois,  et,  pour  une  raison  que  nous  verrons  plus 
loin,  leur  service  commence  toujours  le  vendredi. 

L'élève-maître  de  première  année  s'occupe  spécialement  du  cours 
moyen;  celui  de  deuxième  année,  du  cours  élémentaire;  celui  de  troi- 
sième année,  en  même  temps  qu'il  s'adresse  aux  enfants  du  cours 
supérieur,  prend  une  part  aussi  large  que  possible  à  la  discipline 
et  à  la  direction  générale  de  toute  la  classe. 

Le  directeur  obser^e  et  surveille;  il  donne  discrètement  à  chacun 
de  ses  jeunes  collaborateurs  les  conseils  pratiques  dont  il  reconnaît 
la  nécessité  et  l'urgence.  De  temps  en  temps,  il  fait  lui-même  la 
leçon  afin  de  prêcher  d'exemple  et  d'ajouter  plus  d'autorité  à  ses 
conseils. 

J'aurais  bien  voulu  confier  les  enfants  du  cours  élémentaire  à 
rélève  de  troisième  année,  attendu  que  c'est  là  que  l'on  rencontre 
le  plus  de  difficultés  pour  se  faire  comprendre;  et  aussi  pour  bien 
convaincre  les  élèves-maîtres  que,  dans  une  école  à  plusieurs 
maîtres,  la  direction  de  la  petite  classe  ne  doit  pas  être  considérée 
comme  une  situation  inférieure  d'où  un  instituteur-acyoint  doit 
essayer  de  sortir  au  plus  tôt.  J'ai  dû  renoncer  à  ce  projet,  pour  per- 
mettre à  rélève  de  troisième  année  de  prendre  une  part  efficace  à 
la  direction  de  toute  la  classe,  ce  qu'il  ne  pourrait  faire  efTectivement 
s'il  conduisait  la  division  élémentaire,  composée  d>.nfants  encore 
incapables  de  tout  travail  personnel. 

Dans  le  but  d'habituer  les  élèves-maîtres  à  faire  acte  d'initiative 
propre,  chacun  d'eux  remet  chaque  jour  au  directeur  de  l'école 
annexe  la  série  des  leçons  et  des  devoirs  qu'il  a  choisis  pour  le 
lendemain.  Mais,  en  même  temps,  pour  assurer  l'ordre  et  une  cer- 
taine uniformité  dans  l'étude  des  matières  à  enseigner,  ce  choix 
ne  devient  définitif  qu'après  avoir  reçu  l'approbation  du  directeur. 

Enfin,  immédiatement  après  la  classe  du  soir,  celui-ci,  dans  une 
causerie  qui  se  prolonge  plus  ou  moins,  —  sans  pourtant  dépasser 
un  quart  d'heure  ou  vingt  minutes,  —  rappelle  aux  élèves-maîtres 


ORGANISATION  DES  ÉCOLES  ANiNBXKS  233 

les  remarques  qu'il  a  faites  a  leur  sujet  pendant  la  journée  el  leur 
adresse  les  recommandations  qu'il  croit  nécessaires. 

Tel  est  le  travail  de  chaque  jour,  et  cette  organisation  me  parait 
avoir  au  moins  le  mérite  de  rehausser  moralement  la  situation  du 
directeur  de  Técole  annexe.  Ce  n'est  plus  un  simple  instituteur,  tou- 
jours occupé  par  un  enseignement  direct  et  personnel.  11  peut  saisir  la 
marche  de  la  classe  dans  l'ensemble  comme  dans  tous  les  détails, 
et  il  se  trouve  dès  lors  dans  les  conditions  les  plus  favorables  pour 
pouvoir  donner  à  ses  collaborateurs  successifs  et  inexpérimentés  les 
conseils  dont  ils  ont  besoin.  11  exerce  véritablement  une  direction. 

EofiOy  pour  maintenir  en  éveil  l'attention  do  l'élève  de  troisième 
année,  pour  faire  appel  à  son  initiative  personnelle,  une  épreuve 
spéciale  l'attend  à  la  fin  de  son  séjour  à  l'école  annexe.  Le  jeudi 
matin,  ce  jeune  maître  doit  diriger  «eu/,  devant  les  condisciples  de  son 
année,  les  trois  cours  de  Técole  primaire.  Il  doit  faire,  avec  ces 
enfants  tout  ce  qui  constitue  le  travail  d'une  demi-journée  de  classe, 
désignée  à  lavance  par  le  sort,  et  combiner  son  emploi  du  temps 
de  manière  que  les  trois  divisions  soient  constamment  occupées. 

Mais,  afin  de  n'imposer  à  personne  une  fatigue  trop  longue,  la 
classe  ne  doit  durer  qu'une  heure  et  demie,  c'est-à-dire  que  tous 
les  exercices  sont  abrégés  de  moitié.  A  neuf  heures  et  demie,  les 
enfants  sont  donc  congédiés,  et  les  élèves-maîtres  présents,  qui  ont 
dû  prendre  des  notes,  sont  invités  à  formuler  leurs  appréciations 
et  leurs  critiques.  Ces  observations  sont  toujours  faites  avec  bien- 
veillance et  souv?nt  avec  beaucoup  de  justesse.  Les  erreurs  qui 
peuvent  être  commises  sont  redressées  par  l'un  des  maîtres  présents, 
—  soit  le  directeur  et:  un  professeur  de  l'école  normale,  soit  le 
directeur  de  l'école  annexe,  —  qui  résume  également  la  discussion  et 
termine  par  des  conseils.  Un  compte-rendu  de  la  séance  est  rédigé 
et  transcrit  sur  un  registre  spécial. 

Afin  de  montrer  toute  l'importance  de  cet  exercice,  je  me  fais 
une  loi  absolue  de  toujours  y  assister,  ainsi  qu'un  des  professeurs 
de  l'école  normale,  pris  à  tour  de  rôle,  et  le  directeur  de  l'école 
annexe.  M.  l'inspecteur  d'académie  lui-même  veut  bien  venir  nous 
encourager  de  sa  présence  et  de  ses  conseils  aussi  souvent  que  ses 
fonctions  lui  en  laissent  le  loisir. 

Je  n'ose  pas  prétendre  que  ce  soit  là  la  meilleure  organisation 
que  Ton  puisse  donner  à  une  école  annexe;  mais  je  puis  au  moins 
affirmer  que  les  résultats  déjà  obtenus  paraissent  absolument 
satisfaisants  et  même  dépassent  ce  que  l'on  pouvait  légitimement 
espérer.  Les  élèves-maîtres  comprennent  la  valeur  de  ce  qu'ils  font 
à  l'école  annexe  ;  ils  s'y  intéressent  ;  et,  loin  de  considérer  leur 
temps  comme  perdu,  ils  se  montrent  réellement  heureux  et  fiers  des 
progrès  qu'ils  peuvent  faire  en  pédciifoyie  pratique. 

Je  ne  me  fais  pas  Tillusion  de  croire  que  ces  jeunes  gens  seront 
tous  pour  cela  en  état  de  diriger  habilement  une  classe  à  leur  sortie 


^^  REVIC    PÉDAGOGIQUB 

de  récole  normale;  je  sais  forl  bien  que  pour  en  arriver  là,  hen 
peut  tenir  lieu  d'one  longue  expérience  et  d'efforts  soutenus.  Maû^ 
de  ce  que  la  tache  est  difficile,  s'eosuit-il  qu'elle  ne  doit  pas  être 
commencée  dès  Técole  normale?  Je  pense  que  personne  n'oserait 
Taifirmer.  Je  crois,  au  contraire,  qu'il  importe  essentiellement  de 
commencer  au  plus  tôt  l'éducation  pratique  du  jeune  maître; 
j'estime  même  que  c'est  là  le  rôle  principal  et  presque  l'ooiqne 
raison  d'être  des  écoles  normales.  Si  les  écoles  annexes  ne  devaient 
pas  être  des  f^les  pratiques  dans  toute  l'acception  do  ce  root^  il  n'y 
aurait  qu'à  les  fermer  ! 

Depuis  la  rentrée,  une  dernière  innovation  a  eu  lieu,  —  mais  je 
n'en  ai  nullement  Tinitiative  ;  je  n'ai  fait  qu'appliqpier  ce  que 
M.  Ë.  A.,  auteur  d'un  article  dans  la  Revue  pMaçiogique  du  45  sep- 
tembre dernier,  a  constaté  dans  l'école  normale  de  N.  L'élève  de 
troisième  année  de  service  à  l'école  annexe  est  chargé  d*observar 
particulièrement  un  enfant. 

J*espère  que  cette  innovation  produira  aussi  d'excellents 
résultats. 

A.  RrCHARD, 

Directeur  de  l'école  normale  du  Mans. 


LE  REGISTRE  DE  L'INSPECTEUR  PRIMAIRE 


M.  Dorget,  inspecteur  primaire  à  Limoges,  fait  appel  à  la  publi- 
cité de  la  Reviéc  pour  soumettre  à  nos  lecteurs  diverses  observa- 
tions relatives  à  l'inspection  des  écoles  primaires.  L'inspection, 
dit-il,  est  indispensable  aux  jeunes  maîtres  pour  les  diriger  et 
aux  maîtres  expérimentés  pour  les  encourager  ;  elle  doit  se  préoc- 
cuper de  la  bonne  installation  des  écoles  comme  de  la  bonne  direc- 
tion pédagogique  des  classes.  De  là  de  multiples  devoirs  inGom  * 
bant  à  l'inspecteur  primaire,  devoirs  qu'il  remplit  assez  aisément 
lorsqu'il  est  resté  longtemps  dans  le  lùême  poste  et  que  sa  circon- 
scription n'est  pas  trop  étendue.  Mais  combien  de  tâtonnements,  de 
fausses  manœuvres  chez  celui  qui  arrive  nouvellement  et  ae  trouve 
en  face  d'un  nombre  très  considérable  de  communes  et  d'écoles  ! 
Pour  lui  faciliter  la  tâche,  M.  Dorget  propose  la  création  d'une  aorte  de 
registre  qui  résumerait  pour  chaque  inspecteur  et  pour  ses  sucée»* 
seurs  les  résultats  de  son  inspection.  Voici  comment  il  dévelopi^» 
son  idée  : 

«  Dans  les  conditions  actuelles,  il  ne  reste  guère  de  rinspection 


LE    KKGlblUE    DE   L*LNSPKGT£UR    l'Hl.HAIKK  ^'ôt> 

que  le  rapport  adressé  à  Tinspecteur  d  académie  et  dont  la  copie 
constituerait  un  trayail  assez  long.  Pour  les  rapports  spéciaux,  le 
temps  ne  permet  pas  toujours  de  faire  une  minute,  et  les  archives 
de  l'inspection  primaire  ne  contiennent  généralement  que  des  ren- 
seignements fort  incomplets.  11  faut  ajouter  que  les  archives  trop 
volumineuses  et  souvent  déplacées  constitueraient  un  souci  et  une 
éépeDëe  pour  1  inspecteur  primaire.  Je  me  suis  demandé  si,  dans 
ces  conditions,  il  ne  serait  pas  possible  d*établir,  pour  chaque  circon- 
scription d'inspection  primaire,  un  registre  présentant  d'une  manière 
très  simple,  et  sans  grand  travail,  une  sorte  de  situation  de  l'instruc- 
tioQ  primaire  dans  chaque  commune,  qui  montrerait  ce  qui  a  ét<' 
M  pour  les  écoles,  ce  qui  est  à  faire  encore  et  ce  qu'on  peut 
•■pérer.  Ce  registre,  dans  lequel  chaque  école  occuperait  une  feuille 
ipéciale  et  qui  pourrait  servir  pendant  un  assez  grand  nombre 
iukoées,  contiendrait  les  renseignements  statistiques  sur  la  corn- 
Maoe,  sa  population,  se  surface,  la  valeur  du  centime,  le  nombre 
ëes  hameaux,  la  distance  moyenne  au  chef-lieu. 

»  Ou  y  établirait  le  plan  de  la  maison  d'école  avec  la  cour  et  le 
jndia  à  une  échelle  très  réduite.  Le  nom  de  rinstilutcur  ou  des 
losUiuteurs  y  serait  indiqué  avec  une  sorte  de  notice  personnelle. 
Chaque  visite  pourrait  faire  l'objet  d'une  note  sommaire  montrant 
ainsi  les  fluctuations  de  Técole.  On  y  consignerait  également  tout 
•a.  qui  intéresse  'école,  au  point  de  vue  matériel,  les  amélioralionsr 
lèaliaéesy  celles  qu'il  y  a  à  réaliser  encore. 

»  Il  est  fisLcile  de  comprendre  les  services  que  rendrait  un  semblable 
tnvaii.  L'inspecteur  nouvellement  nommé  serait,  eu  quel({ues 
heures,  mis  au  courant  des  questions  les  plus  importantes  qui 
ligardent  sou  service:  il  connaîtrait  Tappréciation  portée  sur  les 
BMÎtres,  la  faveur  dontjouitTécoledans  la  commune,  les  démarches 
qBi  ont  été  faites  en  vue  des  améliorations  désirables  et  leurs^ 
lésultaia.  il  constaterait  les  résultats  obtenus  dans  les  écoles,  les 
bêotB  et  les  bas  des  maîtres  qui  les  diri};ent  ou  les  ont  dirigées, 
F«prit  de  la  population,  etc.,  etc. 

9  Combien  de  semblables  indications,  présentées  sous  une  forme 
•eneise  et  pourtant  sutfisamment  claire,  faciliteraient  les  débuts  d'un 
inspecteur  primaire  dans  une  circonscription  et  diminueraient  les 
dlifficultésde  sa  tache  quotidienne  I  11  trouverait  là  une  foule  de  ren- 
seignements que  souvent  il  ne  peut  obtenir  qu'à  grand*peine  et 
fgfêee  à  une  correspondance  laborieuse. 

»  Je  ne  parle  pas,  parce  qu'il  frappe  les  yeux,  de  l'avantage  que 
ce  registre  ofl'rirait  à  l'administration  supérieure  do  pouvoir  toujours 
lûre  faire  facilement,  à  un  moment  donné,  un  travail  de  statistique, 
imposer  de  longues  recherches  et  un  travail  pénible  aux  in- 
ira  primaires  ». 

La  proposition  de  M.  Dorget  nous  semble  mériter  d'être  étudiée. 


DE  LA  LANGUE  FRANÇAISE  EN  SUISSE 


Quatre  langues  sont  parlées  en  Suisse  : 

VaUemand  par  2,030,792  habitants  d'après  le  recensement  de 
11880,  soit  71.4  0/0: 

Le  f rôtirais  par  608,007  habitants,  soit  21.4  0/0; 

Vitalien  par  161,923  habitants  (Tessin  et  Grisons): 

Le  romanche  par  38,705  habitants  (Grisons). 

D'après  la  superficie,  9,000  kilomètres  carrés  sur  il,400  sont 
'Occupés  par  les  habitants  de  langue  française.  Ce  sont  les  cantons 
de  Genève,  Vaud  et  Neuchfttel  en  entier,  et  une  partie  des  cantons 
.Berne,  Fribourg  et  Valais.  Cependant,  dans  les  trois  premiers  cantons, 
la  population  allemande  tend  à  s'accroître.  D'après  le  recensement 
de  1860,  les  rapports  étaient  plus  favorables  au  français  :  23.6  0/0 
contre  69  0/0  d'habitants  parlant  l'allemand.  On  ne  possède  pas  de 
documents  antérieurs  offrant  des  garanties  suffisantes  pour  établir 
une  comparaison.  L'allemand  gagne  aussi  sur  le  romanche»  qui,  en 
1850,  était  parlé  par  42,000  habitante. 

Si  nous  disons  qu'on  parle  français  dans  les  cantons  de  Vaud, 
Fribourg,  Valais,  il  faut  encore  faire  une  restriction:  à  la  campagne 
on  parle  encore  un  jxitois  qui  n'a  que  peu  de  ressemblance  avec  le 
français  littéraire.  Cependant  le  patois  disparaît  rapidement. 

Les  examens  des  recrues  que  la  (^.onfédération  fait  subir  à  tous 
les  jeunes  gens  de  dix-neuf  ans  (en  même  temps  que  la  visite  sani- 
taire) fournissent  des  observations  intéressantes.  Les  travaux  écrits 
*  faits  par  les  recrues  de  langue  française  sont  en  général  inférieurs 
à  ceux  faits  par  les  recrues  de  langue  allemande.  Sans  doute  Tin- 
fluence  du  patois  y  est  pour  une  grande  part;  mais  je  suis  convaincu 
que  lea  difficuUés  de  ^orthographe  franraise  et  ienseiifttement  du  fran- 
çais tel  qu'il  a  été  donné  jusqu'à  ces  derniers  temps ^  y  contribuent 
beaucoup.  Cet  enseignement  a  été  trop  abstrait;  on  a  toujours  eu 
en  vue  l'orthographe  ;  on  a  consacré  un  temps  précieux  à  faire 
apprendre  ce  que  M.F.Sarcey  a  appelé  les  chinoiseries  de  l'orthographe. 
Dans  les  écoles  allemandes,  l'orthographe  n'offrant  que  peu  de 
difficultés,  on  peut  consacrer  le  temps  qu'on  perd  ici  avec  les  dict*^ 
à  des  lectures  analytiques,  a  de  nombreux  exercices  de  composition, 
•etc.,  et  tout  cela  est  plus  profitable  à  l'esprit  des  écoliers  que  les 
exercices  d'orthographe. 

Si  V Alliance  française  pouvait  peut-être  travailler  aussi  à  amener 

■non  pas  «  une  rnxÀution  qui  bouleverserait  toute  notre  orthographe, 

mais  une  simple  êix)lution,  >  —  elle  faciliterait  non  seulement  l'étude 

du  français  aux  étrangers,  mais  elle  aurait  bien  mérité  aussi  de  la 

jeunesse  française. 


DE   LA   LANGUE   FRANÇAISE   EN    SUISSE  237' 

Encore  un  mot  sur  l'étude  du  français  dans  les  écoles  de  la  Suisse 
allemande.  En  général  on  y  consacre  passablement  de  temps.  Dans 
eertaîns  établissements  d'instruction  moyenne  du  canton  de  Zurich^ 
il  y  a  5,  6  et  m^me  7  heures  de  français  par  semaine.  Puis,  beau- 
coup de  jeunes  gens  et  de  jeunes  filles  viennent  passer  une  année 
oa  deux  dans  la  Suisse  romande  ou  française.  Dans  les  deux  classes 
supérieures  de  rÉcoIc  industrielle  de  Lausanne,  par  exemple,  il  y 
a  plus  d'élèves  d'origine  allemande  que  d'élèves  indigènes.  En  outre 
il  y  a  dans  toute  la  Suisse  romande  un  nombre  infini  de  pen- 
sionnats. Les  jeunes  filles  ou  les  jeunes  gens  dont  les  parents  ne 
sont  pas  assez  riches  pour  payer  le  prix  de  pension  viennent  comme 
volontaires,  comme  bonnes,  etc.  N'exigeant  pas  'de  gages,  ils 
demandent  seulement  un  peu  de  temps  libn^  pour  étudier  le  fran- 
çais. Très  souvent  les  parents  font  aussi  des  échanges:  on  envoie 
sa  fille  dans  la  Suisse  allemande  et  Ton  reçoit  dans  sa  maison  un 
enfont  des  bords  de  TAar  ou  de  la  Limmat.  Le  résultat  de  tout 
cela  est  que,  dans  la  Suisse  allemande,  presque  tout  le  monde  sait 
on  peu  de  français.  D'ailleurs,  ces  jeunes  gens  se  donnent  en 
géoàral  beaucoup  de  peine  et,  dès  qu'ils  savent  vingt  mots  de  fran- 
çais, ils  ne  manquent  jamais  une  occasion  de  les  faire  entendre, 
tandis  que  les  élèves  de  nos  écoles,  après  avoir  eu  des  leçons 
d'allemand  pendant  plusieurs  années,  ne  se  décident  que  diffici- 
lement à  faire  usage  de  ce  qu'ils  ont  appris. 

(Extrait  du  deuxième  Hullelin  de  YAlliance  frmifmse.) 


LÀ  PRESSE  ET  LE  PROJET  DE  LOI 

KEIATIF  AUX  BUliYENTIONS  DK  l'ÉTAT  POUR  INSTALLATIONS 

SCOLAIRES 


Le  projet  de  loi  que  discute  en  ce  moment  la  Chambre  des 
députés,  et  qui  déterminera  le  mode  et  La  quotité  des  subven- 
tions allouées  par  TËtat  aux  communes  pour  leurs  installations 
d*écoles,  a  donné  lieu,  dans  la  presse,  à  des  appréciations  très 
diverses  qu'il  nous  paraît  intéressant  et  utile  de  faire  connaître 
aux  lecteurs  de  la  Revue,  C'est  une  occasion  toute  naturelle 
d'exposer  nettement  la  situation,  de  relever  bien  des  erreurs,  de 
dissiper  i)ien  des  préjugés  et  de  présenter  une  si  importante 
question  sous  le  point  de  vue  le  plus  juste  et  le  plus  impartial. 

Nous  provenons  d'abord  du  parti  que  nous  avons  pris  de  ne 
tenir  nul  compte  des  objections  et  des  attaques  qu'a  évidem- 
ment inspirées  la  passion  politique.  11  est  un  camp,  tout  le 
monde  le  reconnaît,  où  une  loi,  la  meilleure,  la  plus  nécessaire, 
la  plus  lé^'ilime,  la  plus  populaire,  est  assurée  de  ne  rencontrer 
que  des  agressions  violentes,  que  des  dépréciations  calomnieuses. 
Pourquoi?  ("est  très  aisé  à  trouver.  La  loi  est  fatalement  exé- 
crable parce  que  c'est  le  gouvernement  de  la  République  qui 
Ta  préparéo,  mûrie  et  édictée.  Certes,  les  adversaires  n'avouent 
pas  toujours  ce  mobile  unique  de  leurs  jugements  ;  mais  on  sent 
circuler  dans  leurs  phrases  comme  une  sorte  de  venin  et  de 
liel.  A  quoi  bon  répondre  et  réfuter?  lis  sont  prévenus.  Leur 
siège  est  fait. 

El  cependant,  s'il  fallait  les  confondre,  le  mot  déoisif  viendrait 
facilement  aux  lèvres  :  Qu'avez-vous  fait,  vous?  Vous  avez  eu 
près  de  cent  ans  de  pouvoir.  Qu'est-il  sorti  de  vos  mains? 
«  Dans  quelle  misérable  situation,  dit  très  justement  le  Siècle, 
(io  décembre  1884),  les  régimes  antérieurs  à  la  République 
avaient-ils  donc  laissé  tomber  l'enseignement  primaire  et  tout 
ce  qui  s'y  rapporte,  qu'il  a  fallu  s'engager  dans  des  frais  aussi 
considérables  pour  le  mettre  dans  un  état  correspondant  aux 
hesoins  d'une  grande  nalion?  Cette  réflexion  a  depuis  longtemps 
frappé  les  esprits;  mais,  puisque  nos  adversaires  prennent  soin. 


LES  SUBVENTIONS  DE  l'ÉTAT  POUR  INSTALLATIONS  SCOLAIRES    230 

(Mur  leurs  attaques  inconsidérées,  de  lui  rendre  son  actualité»  il 
6St  utile  de  la  rappeler.  Ils  parlent  d'un  gouffre  où  les  ressources 
financières  du  pays  disparaissent.  D'abord^  elles  ne  disparaissent 
pas.  Les  écoles  qui  peu  à  peu  s'élèvent  sur  toute  la  surface  du 
territoire  témoignent  du  bon  emploi  qu*on  en  a  fait.  »  Aussi 
la  Petite  République,  relevant  le  reproche  si  rebattu  d'élever  des 
palais  pour  les  enfants  des  écoles  primairesç  a-t-ello  pu  dire  : 
c  Notre  église  à  nous,  républicains  démocrates,  c'est  l'école,  qui 
est  en  même  temps  la  mairie,  qui  est  la  maison  où  Ton  vote,  où 
l'on  se  marie,  où  Ton  élève  les  jeunes  essaims  de  la  ruche  natio- 
nale ;  qui  est,  en  un  mot,  Je  centre  de  la  vie  communale,  poli- 
tique et  sociale,  la  maison  des  riches  et  des  pauvres,  la  maison 
de  tous.  Et  on  se  plaint  de  sa  magnificence  !  Ëh  bien,  je  dis, 
flooi,  que  dans  vingt  ans,  quand  Tinstniction  populaire  portera 
fies  fruits,  quand  chaque  école  aura  son  enseignement  profes- 
si(Minel,  je  dis  que  ces  maisons  paraîtront  à  nos  enfants  chétives, 
étroites  et  misérables,  et  qu'ils  ne  reprocheront  à  leurs  pères 
qu'une  chose,  c'est  leur  parcimonie.  » 

Le  projet  de  loi  qui  nous  occupe  a  pour'  objet  d'as- 
surer au\  communes  les  ressources  dont  elles  ont  besoin 
pour  satisfaire  aux  prescriptions  légales  en  ce  qui  concerne  les 
établissements  destinés  au  service  de  l'enseignement  supérieur, 
de  l'enseignement  secondaire  et  de  l'enseignement  primaire. 
Depuis  le  i*'^  juin  1878,  une  caisse  spéciale  avait  été  instituée 
dan?,  le  but  de  fournir  pour  les  bâtiments  scolaires  dos  avances 
et  des  subventions.  Nous  n'avons  pas  à  présenter  ici  l'historique 
de  cette  institution.  D'abord  exclusivement  consacrée  aux  écoles 
primaires,  elle  avait  peu  à  peu  été  étendue  aux  écoles  normales 
primaires  (9  août  1879),  puis  aux  lycées  el  œllèges  commu- 
naux (3  juillet  1880),  enfin  aux  lycées  de  jeunes  filles  (2  août 
1881).  Seul  renseignement  supérieur  c.lait  resté  élrangtr  aux 
bénéfices  de  la  Caisse  des  lycées,  collèges  et  écoles  primaires. 
Prévues  d  abord  à  1^20  millions  de  subventions  et  d'avances,  les 
ressources  affeclées  à  l'institution  par  le  Parlement  se  sont  pro- 
gressivement élevées  à  o42  millions  de  francs,  dont  !à47  millions 
pour  avances,  et  5:95  millions  pour  subventions.  Or,  comme  le 
constate  ÏExpoaé  des  motifs  du  projet  de  loi,  «  la  combinai- 
son financière  de  la  loi  de  1878,  déjà  très  sensiblement  moiifiée 


240  BBYUB  PÉDAGOGIQUE 

depuis  1883,  en  ce  qui  concerne  les  subventions,  ne  peut 
recevoir  d'extension  nouvelle,...  on  ne  pourrait  imposer  à  la 
dette  flottante  un  supplément  de  charges  sans  dépasser  les 
limites  que  la  prudence  assigne  aux  engagements  à  court  terme 
du  trésor  public  ».  Il  a  donc  fallu  recourir  à  un  système  nou- 
veau qui  permit  à  l'État  de  continuer  à  prendre  une  part  con- 
tributive proportionnelle danslesdépenses scolaires  descommunes. 
Ce  système  est  précisément  toute  l'économie  du  projet  de  lof 
actuel.  Nous  l'exposerons  très  brièvement. 

En  premier  lieu,  l'administration  a  eu  soin  de  faire  procéder 
à  une  enquête  qui  établit  exactement  les  besoins  à  prévoir.  Elle 
a  fixé  ensuite,  en  ce  qui  concerne  l'enseignement  primaire,  un 
devis  uniforme  pour  chaque  catégorie  d'écoles.  Sans  ces  bases 
premières,  aucune  évaluation  n'eût  été  sûre,  aucun  calcul 
certain.  Plusieurs  journaux  ont  reproché  au  gouvernement 
d'avoir  négligé  à  l'origine  d'installer  ces  assises  fondamen- 
talcH.  Vous  n'aviez  rien  prévu,  disent-ils,  et  vous  avez  jeté  le 
pays  dans  des  dépenses  ruineuses,  indéfinies,  insensées.  <  En 
1878,  s'écrie  l'un  d'eux,  la  caisse  des  écoles  promettait  de  faire 
le  nécessaire  avec  130  millions,  et  aujourd'hui  le  ministre... 
avoue  que  le  gouvernement  a  marché  de  l'avant  sans  avoir 
évalué  avec  un  degré  de  précision  suffisante  les  dépenses  aux- 
quelles il  avait  à  fain*  face.  » 

Sur  quoi  nous  remarquerons  que  jamais  homme  sensé  n'a  pu 
croire  que  la  caisse  des  écoles  répondrait,  avec  sa  première 
dotation,  à  tous  les  besoins  scolaires  de  la  France.  II  ne  s'agis- 
sait alors  que  de  subvenir  aux  demandes  les  plus  impérieuses 
et  les  mieux,  nous  devrions  dire  les  plus  douloureusement 
motivées.  Il  était  fort  naturel  aussi  de  procéder  par  tâtonne- 
ments à  une  époque  où  la  loi  prenait  son  premier  essor,  où 
aucune  prévision  n'eût  été  possible,  où  tous  ignoraient  quelles 
seraient  la  force  et  l'étendue  de  l'impulsion  que  l'on  essayait 
d'imprimer.  V Exposé  des  motifs  contient  en  outre  ces  observa- 
tions fort  judicieuses  :  c  II  manquait  d'abord,  pour  fixer  le 
nombre  des  constructions  à  élever,  un  texte  de  loi  qui  posât 
la  limite  entre  les  constructions  obligatoires  et  les  créations 
facultatives.  Cette  distinction  n'a  été  faite  que  par  les  deux  lois 
des  38  mars  1883  et  20  mars  1883,  qui  ont  établi,  l'une,  l'obli- 


LES  3UBVKNT10N»  DB   L'ÏTAT   POUR   INSTALLATIONS  SCOLAIRES   241 

gatioii  de  l'enseigiiemeiit  primaire,  l'autre,  l'obligation  de  créer 
une  école  de  hameau  dans  des  conditioQS  dctermiaées  de  distance 
et  de  population.  Pour  fixer  ensuite  avec  certitude  le  montant 
des  évaluations,  il  fallait  que  l'État  pût  arrêter  une  sorte  de 
devis  uiiiformc  el  rcruser  son  concours  à  toute  dépense  dépassant 
le  taux  nonrial.  L'établissement  de  cette  sorte  de  tarit'  général  ne 
pouvait  prendre  place  dans  la  loi  avant  qu'une  longue  pratique 
eût  permis  d'en  réunir  et  d'en  contrôler  tous  les  éléments  par 
nature  de  construction,  par  départements  et  par  catégories  de 
CMnmuaes.  »  Aussi,  bien  qu'une  enquête  sérieuse  eiU  été  laite. 
dès  1882,  le  gouvernement  a  réuni,  en  188{,  des  documuals 
plus  complets  et  plus  j^récis,  «  au  moyen  d'un  relevé  direct  des 
besoins  signalés,  comniune  par  commune,  sous  le  double  con- 
trôle de  l'administra  tiuii  j)réfecloriiIe  et  de  l'administration  aca- 
démique 1. 

Les  chiffres  que  donnent  toutes  ces  previsions  soigneusemont 
calculées  sont  les  suivants  :  Les  dépenses  qu'exigent  les  éta- 
blissements destinés  à  l'cnseigiiement  supérieur  sont  de 
49  millions  de  francs  ;  l'enseignement  secondaire  a  besoin  de 
ISO  millions  de  l'rancs  ;  enlln  l'enseignement  primaire  de 
460  millions  de  francs.  Le  total  général  est  de  3{}^  millions  de 
francs,  une  l'ois  déduite  la  somme  de  'Ai  inillioas  de  francs  qui 
restait  disponible  sur  le  fonds  d'avances  de  la  caisse  des  écoles 
et  que  le  projet  de  loi  aHecte  pour  22  millions  de  francs  en 
subventions  aux  établissements  d'enseij^nement  supérieur,  pour 
12  millions  de  friucs  aux  établissements  d'enseignement  secon- 
daire. Le  nombre  des  établissements  d'enseignement  primaire 
que  vise  le  projet  est  de  2o,0d7,  en  y  comprenant  les  écoles 
primaires  su|>érieures  el  les  écoles  maternelles. 

Pour  fournir  k  la  dépejise.  lus  communes  emprunteront  à  un 
établissement  de  crédit  la  somme  dont  elles  ont  besoin.  Elles 
auront  la  faculté  d'amortir  leur  emprunt  en  40  ans.  La  part 
que  prendra  l'État  aux  cliarges  contractées  par  les  communes 
sera  une  allocation  représentant  une  partie  des  annuités  d'in- 
téiél  et  d'amortissement  de  l'emprunt.  Le  clnlfre  moyen  maxi- 
mum de  ces  subventions  ne  devra  pas  dépasser  50  0/0.  En  ce 
qui  concerne  l'enseignement  primaire,  la  proportion  dans 
laquelle  l'État  contribuera  au  paiement  des  annuités  ne  pourra, 

■ITUt   ptDAOOGiqUE  ISSb.   —   1"   SEa.  IG 


!242  MSVUC  PÊDA«OGtQirt 

en  avciin  ofts,  éire  supérieare  à  80  0/0  si  ÎDférkHire  à  të  •ô/i» 
La  valeur  du  «ealwc  comonmal  et  les  cbaî^ges  4e  la  cosnMia^ 
dôtennhieront^  d'après  des  données  «fiiforraes  et  inficxibtes.,  la 
part  de  subvention  snr  laqueMe  pourra  compter  la  maiiicîpatlté. 

Cette  ekposîiion  sommsûre  suffira,  nous  l'espérons,  pour 
(lonnier  un  aperçu  des  dispositions  et  des  innox'afions  de  latoi. 
Nous  ne  cheroherons  pas  àdérnoottrer  4es  avuntat^  qU'oUefiié^ 
sente,  nous  renvoyons  nos  lecteurs  à  TJS'jnpo^p  des  m^Hfr  dont 
les  mirnstres  ont  fait  accompagner  )e  projet,  il  nous  eût  été 
iinpossiMe  de  roproduire  ou  même  d'analyser  octte  |Nèoe  si 
intéressante,  au  cours  de  ces  pages  succinctes  et 'rapides. 

Toute  la  presse  française  a  remanrqué  que  reoseigoement 
supérieur  avait  été  introduit  dans  les  prévisions  du  projet,  alors 
que  jusqu'ici  4e8  libéralités  de  TË^t  en  sa  faveur  avaient  «eu 
un  caractère  plus  aléatoire.  Ce  n'est  pas  que  les  villes  et  èes 
départements  eussent  seuls  pourvu  à  l'instaHation  de  leurs  faoul- 
tés  ou  de  leurs  grandes  écoles.  En  l'espace  de  quinze  ans  ^'ÉUt  a 
dépensé  ou  engagé  plus  de  30  millions  au  profit  -de  ces  étaUis- 
semcnts.  Mais  aucune  loi  n'avait  assuré  des  ressources  spéoialeiB 
)>our  celte  fraction  importante,  capitale  de  l'enseignement.  Aussi 
la  commission  du  budget  ayant  résolu  d'exclure  l'enseignemeflÉt 
supérieur  du  projet  de  loi  présenté  par  le  gouvernement,  les 
voix  les  plus  autorisées  ont  énergiquement  protesté  oontie  cette 
<iécision.  Il  n'est  aucun  de  nos  lecteurs  qui  ne  se  rappelle  la 
lettre  si  vigoureuse,  si  noble  et,  nous  dirons,  si  indignée  que 
M .  Berlhelot  adressait  au  directeur  du   Temps. 

<n  Sommos-'nous  donc  condamnés,  disait-il,  à  tme  infériorité 
sans  remède  dans  la  haute  culture  de  l'esprit  ?  Sommes-nous 
destinés  à  manquer  à  jamais,  sinon  d'hommes  —  ils  ne  «font 
certes  pas  défaut  —  mais  d'outils  dans  le  haut  enseignement  ? 
i\otif*e  jeune  démocratie  est^lle  jalouse  de  itester  dans  «une  infé- 
riorité intellectuelle  définitive  vis-à-vis  des  empires  et  des  mo- 
narchies qui  nous  entourent?  Veut-elle  rompre  sans  retour  avec 
la  tradition  intelleotuello,  scientifique  ot  artistique  de  la  Fcance? 

»  La  question  est  aujourd'hui  posée  et  va  être  (résolue  pour 
de  longues  années.  On  s'obstioe  donc  a  ignorer,  de  parti  ptie, 
que  renseilfaement  primaire  et  l'enseignement  secooÂiîfe  tirent 
leur  sobstanoe  et  leurs  tnélliodes  de  i'enseîgneBienK  «upériour^ 


LES  SUfiVEMloNS  liK    l/ÉTAT  POUR  liSSTAlXATlONS   SCOLAIRL'S   fi^ 

On   s'obstine    à    i^i^norer   que    la    prodactioQ   mdustrîeTle  -6t 
agriocrie  d'un   pays  dépend  de  la   façon   la   plus  directe  des 
déoouTcrtes   scientifiques  qui  se  font  dans  les  laboratoires  de 
ses  hautes  écoles  et  de  ses  facultés.   L'exemple  de  la  puissance 
doMfae  jour  croissante  de  l'Allt^magne,  dans  Tordre  matériel 
iuuii  bien  que  dans  Tordre  industriel,  n'a-t-il  pas  ouvert  les 
yeiH?   L'enqurte  mrmc   si  laborieuse   à   laquelle  la  Chambre 
vient  de  se  livrer  sur  la  crise  que  nous   traversons  n'a-t-éFle 
pas  montré  que  les  causes  on  tiennent  à  notre  défaut  d'éducation 
scientifique  autant  qu*à  des  raisons  économiques?  J'aurais  bien 
long  à  vous  en  dire  sur  cette  matière,  navré  que  je  suis  par  tanl 
d'imprévoyance  et  d'aveugicraertt  sur  les  conditions  qui  rt^glenl 
la  grandeur  des  peuples  et  le  développement  de  la  civilisation. 
Mais  le  temps  presse,  le  danger  est  imminent;  un  nouvel  «ffort 
va  être  tenté,  e(  y  dois  me  borner  aujourd'hui  à  j^•ter  <^e  cri 
d'alarme  et  à  réclamer  votre  aide  dans  cette  œuvre  patriotique.  » 
Ces  paroles  ont  eu  un  grand  rotenlisseinent,  et  il  e.<t  peu  de 
joarnavx  qui  n'aient  félicité  la  commission  du  budget   d'avoir 
renoncé  à  sa  résolution  première  et  de  s'être  rendue  aux  argu- 
ments que  M.  Fallièn>s  a  développés  devant   elle.    La  Jitslice, 
entre  autres,  a  publié  dans  son  miméro  du  6   février  dernier 
un  remarquable  article  où  elle  fait  ressortir  l'importance  qu'ont 
attribué  11  Tenseif^nement  supérieur  tous  les  grands  hommes  de 
la  Révolution.  <^  Tous  les  décrets  des  aâseinblées  révolutionnaires 
sur  l'instruction  publique,  dit-elle,  ceux  des  3-14  septembre  1791, 
il  avril  1792,  âO  octobre    1793,    etc.,   respectèrent  ce  grand 
principe:  que   le  domaine  des  études  devant  s'étendre  indëffi- 
niaient  au  fur  et  à   mesure  que  s'accroît  le  trésor  du  savoir 
humam,   Tenseignement   supérieur,  gr<Yce  auquel  les  connais- 
smces  s'étendent  et  Thorizon  des  découvertes  et   des  sciences 
s'agrandit,  doit  ^tre  l'inspirateur,  le  régulateur  et  le  guide  des 
enseignements  primaire  et  secondaire.  » 

il  est  vrai  «  qu'il  ne  pouvait  entrer  dans  la  pensée  de  la  com- 
miBgion  —  c'est  le  Temp^f  qui  parle  —  de  refuser  &  Tenseignemeflt 
supérieur  les  inslallations  et  les  outils  dont  il  a  besoin.  Elle  se 
ppofosnit  d'y  subvenir  par  des  Icris  spéciales.  Mais,  du  moment 
qd^OB  se  voulait  pas  refuser  les  crédits,  pourquoi  refuser  4e 
les  prtvoir,  et  surtout,  «  la  combinaison  imaginée  par  Ye  gmi- 


2i4  R£VL*£   PÉDAGOGIQUE 

vernement  pour  les  dépenses  des  deux  euseignemeuls  priuiairo 
et  secondaire  est  avantageuse  à  l*£tat,  pourquoi  ne  pas  user  du 
même  mode  financier  pour  payer  celles  de  l'instruction  supé- 
rieure ?  Toutefois,  ce  qui  nous  paraissait  le  plus  fâcheux,  c'était 
que,  par  cette  exclusion,  le  projet  de  loi  se  trouvait  dénaturé 
dans  son  essence.  Ce  qui  nous  y  plaisait  avant  tout,  en  effet, 
c'était  le  caraclère  universel  et  complet  du  programme  établi. 
Par  cela  même  ce  programme  était  limitatif.  S  il  impose  de 
lourdes  charges  au  pays,  du  moins  il  les  détermine  exactement 
et  permet  de  mesurer  Teiforl  à  faire.  En  finance  comme  en 
politique,  ce  que  le  pays  redoute  le  plus,  c'est  Tinconnu.  Or, 
dans  le  projet  du  gouvernement...  tout  est  calculé  sur  des 
données  précises.  Une  enquéle  minutieuse  a  été  faite,  les  devis 
ont  été  dressés  et  l'on  se  trouve  en  présence  d'une  tâche  consi- 
dérable sans  doute,  mais  strictement  limitée.  » 

Nous  ne  saurions,  au  cours  de  cette  étude,  dédaigner  deux 
objections  que  le  projet  de  loi  a  soulevées.  La  première  a  trait 
aux  dépenses  du  personnel  enseignant  qu'entraîneront  les 
installations  scolaires  de  l'avenir.  «  Les  cages  construites,  dit 
le  Moniteur  Univerae/y  il  faudra  y  mettre  des  oiseaux,  et  ces 
oiseaux.  Ton  devra  les  nourrir.  » 

Une  confusion  a  certainement  été  faite  entre  la  création  et  la 
construction  des  écoles.  Un  très  grand  nombre  des  édifices  à 
élever  recevront  les  enfants,  très  mal  logés,  d'écoles  dès  long- 
temps existantes  et  pourvues  de  leurs  maîtres.  L'objection  n'est 
donc  pas  même  spécieuse  et  elle  ne  tombe  que  sur  la  loi  de  /'o6//- 
gation  de  l'enseignement  primaire,  laquelle  loi  n*estpas  en  cause. 

Mais,  demandt^-t-on  d'autre  part,  «  parmi  les  écoles  primaires 
à  bâtir,  nous  en  notons  3^318  qui  se  sont  contentées  jusqu'à 
présent  de  locaux  prêtés  ou  loués.  Est-ce  qu'avec  quelques 
améliorations  partielles  on  n'en  pourrait  pas  conserver  le  plus 
grand  nombre  dans  leur  logement  actuel?  » 

Que  l'on  veuille  bien  ne  pas  oublier  le  laps  de  temps  consi- 
dérable qui  s'écoulera  avant  l'installation  complète  et  définitive 
de  toutes  les  écoles  dans  des  locaux  appartenant  à  la  commune. 
VExposé  de.s  motifs  reconnaît  qu'il  s'agit  d'un  «  ensemble 
d'opérations  qui  ne  peuvent  évidemment  être  menées  toutes  de 
front  et  réalisées  à  bref  délai.  Quelles  que  soient  les  ressources 


LES  SUBVENTIONS  DE    l/ÉTAT  POUR  INSTALLATIONS   SCOLAIRES   ^2\i) 

que  le  pays  puisse  consacrer  à  uq  aussi  vaste  travail,  on  se 
tromperait  assurément  si  l*on  admettait  qu'il  soit  possible  de 
l'achever  en  moins  de  douze  à  (juinze  ans.  »  Et  encore  ce  n'est 
là,  fait  remarquer  le  Temps  «  qu'une  indication  théorique.  Le 
projet  de  loi  lui-même,  fort  sagement  du  reste,  ne  pose  aucun 
délai.  »  Il  en  résulte  que  les  communes  ne  seront  point 
harcelées  pour  construire  des  maisons  d'école  si  les  enfants  sont 
convenablement  installés  dans  des  locaux  à  bail.  Mais  on 
avouera  que  l'intérêt  des  communes,  celui  des  écoles  et  des 
enfants,  le  vœu  de  la  loi  et  Tentrainement  même  auquel 
obéissent  les  municipalités  désireuses  de  bien  faire,  tout  promet 
que,  dans  un  avenir  plus  ou  moins  rapproché,  les  locaux  des 
écoles  appartiendront  aux  communes.  On  favorise  le  mouve- 
ment, mais  on  ne  songe  pas  à  le  précipiter. 

0  nous  semble  avoir  sutBsamment  indiqué  les  diverses  appré- 
ciations qui  se  sont  produites  à  l'occasion  de  la  loi  aclucile. 
Nous  ne  saurions  terminer  plus  heureusement  ce  bref  aperçu 
qu'en  citant  les  réflexions  suivantes  empruntées,  l'une  à 
VExpwté  des  motifs  du  projet  de  loi,  l'autre  au  journal  le 
Temps,  a  Intéressés  désormais,  remarque  le  premier,  aux 
conditions  des  emprunts  à  contracter  pour  subvenir  aux 
dépenses^  les  départements  et  les  communes  tiendront  d'eux- 
mêmes  compte  des  nécessités  qu'impose  à  certaines  époques  le 
renchérissement  de  l'argent  et  de  la  main-d'œuvre  et  seconde- 
ront l'action  du  gouvernement  qui  doit  préserver  de  toute 
atteinte  l'avenir  de  la  fortune  publi(|ue,  sans  interrompre 
l'œuvre  de  moralisation  et  d'enseignement  que  le  Parlement  a 
entreprise.  />  Quant  au  journal,  il  déclare  l'opération  excellente 
pour  ri'^^tat,  mais  il  craint  que  les  communes  n'aient  moins 
sujet  de  s'en  féliciter.  Toutefois  il  leur  suggère  une  raison 
sérieuse  et  élevée  de  se  consoler  :  «  Du  moment  qu'on  les 
charj^e  de  contracter  les  emprunts  nécessaires,  il  est  impossible 
qu'ayant  plus  de  responsabilité  on  ne  leur  accorde  pas  égale- 
ment une  autorité  plus  grande.  Elle  viseront  à  l'économie  ;  elles 
feront  l'emprunt  le  moins  lourd  possible,  et,  en  ce  faisant,  elles 
serviront  les  inténHs  de  l'État  comme  les  leurs  propres.  » 

Alphonse  Martin. 


NOTE  EN  RÉPONSE  A  CETTE  QUESTION  : 

Dé  Ul  bonne  tenue  et  du  saiuoir-i:ivre  danê  les  écoles  normales  de  filles. 
Comment  enttndre  cette  partie  de  V éducation?  quelle  ànporlance  lin 
attribuer  ?  H  quels  sont  les  meilleurs  itioyens  à  employer  ? 


Le  programme  de  nos  écoles,   si  abondant  et  détaillé   qu'il  soit, 

t  résierve  aucun  paragraphe  spécial  à  l'enseignement  de  la  bonne 
tenue  et  du  savoir-vivre.  Cest  que  dans  la  pensée  des  rédacteurs  de 
ce  programme,  qui  est  aussi  celle  de  tous  les  gens  sen>és,  si  la 
bonne  tenue  et  le  savoir-vivre  peuvent  être  enseignés,  ils  doivent 
l'être  autrement  que  Thistoire  ou  la  littérature,  la  géométrie  ou  la 
chimie*  Il  n'y  a  point  et  ne  doit  point  y  avoir  de  cours  suivi  dr 
bonne  tenue  et  de  savoir-vivre,  parce  que  ni  la  bonne  tenue  ni  le 
■avoir-vivre  ne  sauraient  se  reluire  à  l'observation  de  quelque.- 
règles  simples  et  faciles  que  la  logique  aurait  comprises  et  la 
mémoire  retenues.  Le  savoir-vivre  et  la  bonne  tenue  sont  la  mani- 
festation extéiicure  de  notre  âme  tout  entière.  Au  lieu  de  faire  l'ob- 
jet d'un  eours,  ils  doivent  être  le  souci  perpéiuel  de  la  directrice  et 
des  proiVsseurs.  Pour  s'en  convaincre,  il  suffît  de  se  demander  en 
quoi  consistent  la  bonne  tenue  et  le  savoir-vivre. 

La  bonne  tenue  est  plus  extérieure  que  le  savoîr-vivre  ;  elle  dé- 
signe surtout  la  miie,  les  manières,  ce  qui  fra()pe  à  première  vue 
dans  une  personne  et  qui  fait  qu'on  la  juge  déjà  suc  son  air  sans 
même  l'avoir  entendue  parler.  Le  savoir-vivre  a  quelque  chose  de 
plus  intime  :  c'est  la  manière  dont  nous  comprenons  et  réi^^lc  ns  nos 
rapports  avec  autrui,  et,  pour  préciser  notre  sujet,  il  s'applique  airx 
rapports  qu'une  élève  d'école  normale  doit  avoir  avec  ses  compagnes, 
ses  professeurs,  sa  directrice. 

La  bonne  tenue  est  le  sij^ne  extérieur  du  rrspect  de  soi-même. 
Nous  sent(ms  notre  propre  valeur,  nous  avons  le  souci  de  notre  dignité 
personnelle,  nous  rougin  >ns  d'ôlre  vêtus  avec  négligence,  d  avoir  des 
manières  brusques  ;  nous  voulons  que  notre  extérieur  nous  désigne, 
aux  regards  d'au  truiy  comme  une  personne  bien  élevée,  digne  d'es- 
time ;  ainsi  l'amour-propre  et  le  besoin  de  considération  s'ajoute 
au  respect  de  soi-même  et  contribue  à  nous  donner  le  dé.sir  et  le 
goût  de  la  bonne  tenue. 

Le  savoir-vivre  a  son  origine  dans  le  respect  d'autrui.  L'estime 
que  nous  éprouvons  pour  nos  semblables  be  manifeste  par  noUe 
amabilité  à  leur  égard,  par  la  politesse  de  notre  langage.  La  déli- 
catesse des  sentiments  est  la  condition  essentielle  de  tonte  prévenance, 
la  vraie  politesse,  on  l'a  dit,  est  celle  du  cœur.  Mais  le  savoir-vinre 
exige  aussi  la  prudence  et  la  finesse,  le  tact  et  la  discrétion^  qua- 
lités qui  s'acquièient  en  partie  par  l'expérience  de  la  vie,  par  la 
pratique  du  monde.  Trop  de  précipitation  nuit,  apprenez  à  vous 
tenir  sur  la    réserve,  agissez  avec  circonspection  ;     elle  parole  ([ue 


LA  BONNE  TENliB    ET   LK    SAVtrlK-VlYKi:  !MT 

-voMft  «trayez  inolTensive  ou  même  bieiiveillanle  déplaira  peut-èire. 
tmioÊï  \»  caractère  de  la  persoime  à  qui  vous  ladressez  et  la  ailuation 
^espril  011  elle  se  trouve  ;  retenez  voire  langue  :  ainsi  voiui  ferez 
preuve  de  savoir- vivre. 

Le  sa>oir-vi>re  rend  la  vie  en  commun  larih^  et  u^Tôable;  sans 
lui,  elle  serait  insupportable.  Dans  une  école  normale,  combien  sont 
firéqueats  les  rapports  do  compagne  à  compagne,  d  élève  à  maîtresse. 
de  professeur  À  directrice,  et,  dans  ces  rapports,  que  d'occasions  où 
la  vanité  peut  se  froisser,  la  susceptibilité  jalouse  s*éveiller!  (inice 
.au  savoir*>ivre,  Texcès  est  évité,  les  bonnes  apparences  conservées: 
une  fois  la  Icmpôte  apaisée  et  le  cahne  reconquis,  il  en  coûte  moiins 
de  revenir  et  de  se  muntnT  au  debors  telle  qu'on  a  pas  ce.'^sé  d'être. 
Ceci  s'applique  surtout  aux  maîtresses,  dira-l-on;  j*en  convienh, 
mais  les  (4èvcs  ont  l>esoin  aussi  du  savoir-\ivro.  l/école  nonnale 
est  pour  elles  l'image  de  la  socict'.  Du  ie«.ie.  ne  devons-nous  pa»^ 
les  préparer  à  la  vie  publique  à  laquelle  elles  sont  destinée^?  Voyez 
rélève-maîtrosse  devenue  in>titutrice  :  de  ']uvA  prix  inestimable  sont 
fMNir  elle  la  bonne  tenue  et  le  savoir-vivre!  La  femme  e>t  le  roprr- 
«entant  de  ce  que  la  civilisation  a  de  |)lus  doux  et  de  plus  fm.  A 
«-île  la  noble  làehc  de  rendre  à  ceux  qui  rt'iitourent  la  vie  douce 
et  heureuse,  à  elle  le  soin  de  polir  les  aspérités  et  d'adom^'r  1b> 
angles,  à  elle  «lone  le  souci  de  la  bonne  tenue  et  du  savoir-vivre. 
qualités  féminines  avant  tuut.  t'ne  in^tilutriee  devrait  les  posséder 
an  plus  haut  de^ré,  parce  que  nou-seiilenitMit  elle  e^l  femme  mai^ 
elle  doit  élever  îles  femmes. 

Nos  élèves,  il  faut  bien  l'avouer,  sont  assez  loin  de  cet  idéal  où 
'  se  complaît  rolre  imagination.  Nous  sommes  du  peuple,  nos  élèves 
tUMit  les  enfants  du  peuple.  Klles  peuvent  êlre  franches,  sincères. 
bonnes,  dévouées,  mais  leurs  manières  sont  un  peu  rustiques  et 
leurs  fa<;OQS  «Tai^ir  parfois  grossirres.  Comment  letir  apprendre  la 
bonne  tenue  et  le  savon-vivre,  comment  leur  infuser  ces  qualités, 
féminines  sans  doute,  et  conciliables  avec  leurs  précieuses  qualités 
natives,  mais  un  peu  aristocratiques/ 

Y  a-t  il  un  ensemble  de  règles  lixes  auxquelles  nous  puissions  re- 
courir au  besoin/  La  première  règle  à  établir,  c'est  qu'il  ne  faut 
point  d*étiquelie  inviolable,  point  de.  cérémonial  rigoureusement  im- 
poeé.  Les  élèves  sVn  tiendraient  à  la  lettre  sans  cher<  liera  pénétrer 
l'esprit;  elles  pourruieul  acquérir  une  sorte  de  polites>e  formaliste, 
un  veruis  de  bonne  tenue  et  de  savoir-vivre,  utile  sans  doute,  mais 
qui  na  de  valeur  qu autant  qu'il  est  l'image  fidèle  des  idées  et  des 
sentiments,  sans  quoi  il  n'est  qu'alfectalion  et  hypocrisie.  Qu'on 
laisse  aux  élèves  la  lil»erté  nécessaire  à  la  manile^tation  de  leur 
caractère,  de  leurs  goût»*  et  de  leurs  préférences.  Ou'elli^s  soient  ou- 
vertes et  contian  tes,  (qu'elles  se  montrent  telles  qu'elles  sont,  mémi; 
un  peu  rustiques.  Nous  pardonnons  volontiers  une  iinpoliiesse  due  a 
rignorance,  nous  serions  sans  pitié  pour  une  fausse  démonstration 
d*amitié,  pour  une  (laiterie  intéressée:  nous  n'admetlons  pas  le 
savoir-vivre  et  la  bimne  humeur  indépendants  de  rélévalion  de 
l'esprit,  de  la  noblesse  du  cu^ir. 

Ccfiendant  la  bonne  tonne  et  le  savoir-vivre  s'enseignent  dans  une 

•certaine  mesure.  Reconnaissons  d'abord  que  dins  toute  communauté 

de  femmes,  il  s'établit  un  courant  d'urbanité  et  de  pnliiiv^se qui  gagne 


S48  RKVUK    PÉDAGOGIQUE 

peu  à  peu  les  plus  revéches.  (lerlaines  natures  d'élite,  délicales  et 
douces  (il  en  est  dans  toutes  les  conditions)  agissent  sans  le  savoir, 
influent  sur  leurs  compagnes.  Le  frottement  journalier  adoucit  les 
aspérités  du  caractère,  on  se  polit  par  le  seul  fait  qu'on  vit  en  so- 
ciété. 

Ajoutez  à  cela  les  petites  soirées  récréatives  que  les  élèves- maîtresses 
donnent  ies  jours  de  grandes  fêtes.  KUes  invitent  leur  directrice, 
leurs  professeurs;  elles  se  font  un  honneur  de  les  bien  traiter;  elles 
s'ingénient  à  les  satisfaire.  Pour  un  soir,  on  oublie  la  iittératurc 
et  rhistoire  :  point  de  chronologie  qui  perce  à  Fhorizon  et  rembru- 
nisse les  visages  épanouis.  On  est  en  famille,  on  est  heureux  :  élèves 
et  maîtresses  se  rapprochent  davantage,  se  connaissent  mieux,  et  de 
ce  contact  résulte  pour  les  élèves  un  progrès  moral  réel  et  un  pas 
de  plus  dans  l'apprentissage  de  la  bonne  tenue  et  du  savoir-vivre. 

11  est  bon,  eu  effet,  que  nous  voyions  nos  élèves  autrement  quVn 
professeurs.  Du  haut  de  la  chaire,  interrogeant  notre  auditoire,  ou 
exposant  notre  leçon,  nous  nous  sentons  en  communication  avec 
nos  élèves,  mais  surtout  avec  leur  esprit.  Leur  caractère  ne  se  révé- 
lera vraiment  à  nous  que  si  nous  les  suivons  de  près  dans  leur  vie 
quotidienne.  Voyons-les  pendant  leurs  récréations,  mêlons-nous  <« 
leurs  jeux  et  à  leurs  causeries.  Nous  les  obligerons  ainsi  à  une 
tenue  convenable,  à  des  manières  respectueuses  en  même  temps  que 
familières.  En  outre,  plus  nous  verrons  de  près  nos  élèves,  plus  nous 
aurons  l'occasion  de  leur  donner  tantôt  un  bon  conseil,  tantôt  un  avis 
charitable,  tantôt  une  réprimande.  Quelquefois  il  suffira  de  dire  à 
l'élève  :  «  Votre  action  est  indigne  d'une  enfant  bien  élevée  »  ;  mais 
souvent  il  sera  bon  de  porter  le  doigt  plus  avant,  de  désigner  à 
rélève  coupable  le  défaut  de  cœur  ou  d'esprit  que  sa  faute  révèle. 
Car  nos  élèves  pourraient  se  persuader  que  si  elles  n'ont  pas  la  poli- 
tesse extérieure,  le  savoir-vivre,  elles  ont  du  moins  la  politesse  du 
cœur;  prouvons-leur  ouelquefois  que  c'est  précisément  celle-là  qui 
leur  a  manqué  dans  telle  ou  telle  circonstance.  Elles  en  seront  frap- 
pées à  coup  sur.  Mais  comment  savoir  le  moment  où  il  faut  répri- 
mander et  de  quelle  manière  il  convient  d'adresser  la  réprimande  ? 
Le  grand  secret,  c'est  de  vouloir  bien  faire.  Que  l'éducation  de  nos 
élèves  soit  notre  unique  souci;  alors  notre  vigilance  sera  incessante, 
nous  profiterons  des  moindres  occasions  pour  travailler  à  réformer 
le  caractère  des  élèves  et  pour  leur  apprendre  aussi  que  les  dehors 
ne  sont  pas  à  dédaigner.  Ce  sera  pour  nous  une  récompense  parti- 
culièrement attrayante  de  voir  nos  jeunes  filles  se  perfectionner  en 
ce  sens  et  devenir  non-seulement  meilleures,  mais  plus  aimables. 

Une  maUresse-adjof'nte. 


LE  CLASSEMENT  DES  MOTS  DANS  NOTRE  ESPRIT 


Dans  Ja  dernière  séance  publique  des  cinq  Académies,  M.  Michel 
Bréal  a  donné  lecture  d'un  mémoire  fort  remarqué  sur  le  classe- 
ment des  mots  dans  notre  esprit.  C'était  d'ailleurs  plutôt  un  essai 
qu'un  travail  définitif,  de  Taveu  mémo  de  l'auteur,  qui  avait  eu  sur- 
tout en  vue  d'appeler  Tattention  des  philosophes,  des  philologues  et 
des  pédagogues  sur  un  fécond  sujet  d'étude.  Ce  mémoire,  qui  a  paru 
dans  la  Herur  liftera  ire,  pose  donc  plutôt  la  question  qu'il  ne  la 
résout.  M.  Michel  Bréal  est  surtout  frappé  de  la  facilité  avec  laquelle 
Tesprit  trouve,  dans  les  diverses  acceptions  d'un  môme  mot  (le  mot 
titre  par  exemple),  ri'lle  qui  répond  à  Tordre  d'idées  où  il  est  entré. 
D'après  M.  KerckholTs,  qui  a  publié  un  article  à  ce  sujet  dans  VHommc, 
journal  des  sciences  anthropologiques,  cette  facilité  s'explique  tros 
simplement  par  l'association  des  sons  et  des  images. 

•  Les  mots,  dit-il,  peuvent  se  présenter  à  notre  esprit  sous  un 
double  aspect,  comme  signes  graphiques  et  comme  signes  vocaux. 
Ils  se  présentent  généralement  comme  signes  graphiques  lorsqu'ils 
appartiennent  au  vocabulaire  d'une  langue  étrangère  que  nous 
avons  apprise  par  les  livres  et  que  nous  ne  savons  qu'imparfaitement  : 
si  je  songe,  par  exemple,  à  un  temps  d'un  verbe  sanscrit,  il  me 
semble  voir  en  quelque  sorte  l'image  du  mot  écrit  devant  mes 
yeux.  Les  mots  de  la  langue  maternelle,  au  contraire,  ont  été 
perçus  et  fixés  dans  notre  esprit  sous  la  forme  de  phénomènes 
acoustiques  et  r'est  comme  tels  que  la  mémoire  les  reproduit  ordi- 
nairement. Or  l'image  de  l'objet  et  son  signe  vocal  ont  été  perrus  en 
môme  temps,  les  deux  signes  se  sont  associés  et  je  ne  puis  évoquer 
l'un  sans  faire,  en  même  temps,  apparaître  l'autre.  Mais  si  un  mol 
a  plusieurs  acceptions,  si  à  un  môme  signe  vocal  se  sont  successi- 
vement associées  des  images  dilTérentes,  qu 'arrivera- t-il?  Le  seul 
énoncé  du  mot  évoquera-t-il  toute  la  série  de  ces  dernières?  Non. 
A  moins  de  faire  une  élude  lexicologique,  nous  ne  rencontrons 
jamais  les  mots  isolés;  les  différents  sens  attachés  à  tel  ou  tel  terme 
DO  peuvent  donc  se  présenter  à  notre  esprit  qu'autant  que  quelque 
cause  vient  à  rompre  l'association  présente  et  accidentelle  entre 
l'objet  et  son  signe.  /> 

M.  Kerckhoffs  entre  ensuite  dans  d'intéressantes  considérations 
sur  les  maladies  de  la  mémoire.  On  oublie  plus  facilement  le  nom 
que  la  figure  d'une  personne  parre  «lue,  dans  la  représentation  du 
nom,  de  la  figure  et  des  qualités  d'un  individu,  ce  sont  les  deux 
derniers  éléments  qui  sont  le  plus  fortement  liés  entre  eux.  Dans  les 
amnésies  partielles,  la  mémoire  des  noms  concrets  se  perd  avant 
celle  des  noms  abstraits  :  ce  sont  les  adjectifs  et  les  adverbes  que 
nous  oublions  le  moins  facilement.  Beaucoup  d'idiots,  au  dire  des 
aliénistes,  n'ont  même  de  mémoire  que  pour  les  adjectifs.  «  Cela 
ne  doit  pas  nous  surprendre,  si  nous  considérons  que  les  connexions 


2B0  uvux  PtoMoaiQVX 

organiques  qui  lient  Tobjel  à  son  signe  sont  bien  plus  nombreuses 
pour  ridée  abstraite  que  pour  Fidée  concrète.  » 

Tout  cela  est  Tort  juste.  Ce  qui  ne  Test  pas  moins  et  ce  qui  mérite 
plus  particulièrement  les  réflexions  des  instituteu^'s  portés  à  multi- 
plier les  explications  étymologiques^  c'est  ce  qu*fijout£  notre  auteur 
en  terminant  : 

«  M..  Michel  Bréal  rappelle  fort  à  propos  que  nous  ne  sentons  jamais 
dans  le  discours  le  sens  étymologique  des  mots.  J'ajouterai  qu'il  est 
essentiel  qu'il  en  soit  ainsi,  et  que  c  est  mônue  là  une  des  premières 
conditions  de  tout  progrès  intellectuel.  Ce  point  a  acquis  une  impor- 
tance capitale,  depuis  que  la  linguistique  a  établi  que  la  signification 
primiiive  des  racines  aryennes  est  essentiellement  concrète:  sans 
remonter  bien  haut,  ne  savons- nous  pas  aujourd'hui  que  dieu  n'est 
autre  chose  qiio  lo  (soleil)  brillant,  que  rdme  et  ïespril  sont  un  veut, 
un  souffle,  ({ue  sublini'  s'appliquait  primitivemeui,  aux  objets  sus- 
pendus au-dessous  du  linteau  de  la  porte  et  qii  être  n'c&t  autre  chose 
que  se  tenir  debout?  Je  crois  même  qu'il  n'y  a  lien  d'exagéré  à 
affirmer  que  la  longue  enfance  de  rhumanité,  enfance  dont  tes 
découvertes  anthropologiques  semblent  reculer  tous  les  jours  les 
débuts,  ne  trouve  une  explicaliou  plausible  que  dans  la  difficulté 
qu'o/it  dû  éprouver  nos  ancêtres  à  se  détacher  de  la  signification  con- 
crète des  premiers  signes  vocaux. 

s  Dans  quel  embarras  d'esprit,  en  effet,  ne  se  trouverait  pas  au- 
jourd'hui celui  qui  sentirait  en  parlant  le  sons  étymologique  d'une 
simple  phrase  telle  que;  Jetais  cmLent?  et  que  serait-ce,  s'il  lui 
fallait  faire  l'analyse  et  la  synthèse  des  éléments  contenus  dans  le 
néologisme  enfanté  par  M.  Raoul  Duval,  au  Congrès  de  Versailles, 
—  DÉcoNSTiTCTioNNALiSATioN  —  OÙ  Ic  scus  du  thème  vcrbal  sti  (sta) 
a  été  complété  et  modifié  une  douzaine  de  fois  par  l'addition  succes- 
sive d'autant  de  préfixes  et  de  suûixcs! 

»  Aussi  n'appellerai-je  pas,  comme  M.  Michel  Bréal,  une  lancjue 
bic^n  fu'le  «  une  langue  où  se  réfléchit  en  traits  nots  et  distincts  la 
f>  réalité,  telle  qu'elle  s'est  montrée  aux  esprits  les  plus  vifs  et  les 
»  plus  clairvoyants  n,  —  où  est  le  peuple  qui  ait  jamais  saisi  le  rap- 
port entre  la  chose  et  son  symbole?  —  mais  toute  langue  où  l'as- 
sociation du  mot  et  de  Tidée  est  si  intimement  établie  que  les  deux 
éléments  se  reproduisent  mutuellement,  avec  une  égale  netteté, 
chez  tous  les  esprits  cultivés  qui  la  parlent. 

»  Kt  pour  résumer  en  un  mot  mes  objections  à  la  thèse  soutenu** 
par  le  savant  linguiste,  je  dirai;  U  n'y  a  pas  de  classement  (ks  diverses 
acceplkms  des  mots  dans  notre  esprit^  pas  plus  par  ordre  historique 
que  par  ordre  d'acituisition  ou  autre,  mais  simplement  association 
4lf!  suns  et  d'imayes,  » 

Concluons  que  dans  l'enseignement  primaire  surtout,  il  faut  user 
avec  prudence  et  mesure  des  étymologies  et  des  exercices  lejdcogra- 
phiques.  A^  B. 


UN  AHÉCEDAIRE  HKRKTIQUE 


Puisque  ia  Revue  pédagogique  provoque  les  recherches  des 
curieux  et  des  érudits  sur  les  vieux  livres  scolaires,  je  voudrais 
lui  en  signaler  un  que  j'ai  longtemps  cherché  et  dont  je  n'ai 
trouve  que  des  réimpressions.  Peut-  être  quelqu^un  des  lecteurs 
de  la  Uevu4if  plus  heureux  que  moi,  sera-t-il  en  mesure  de 
résoudre  ce  petit  problème  bibliographique. 

Dans  le  catalo^^ue  des  livres  censurés  par  la  Sorbonneeu  1544. 
on  trouve,  entie  autres  livres  de  classe,  —  outre  la  Doctrine  des 
Bans  En/ans,  le  fameux  et  introuvable  Calon  chreslien  d*Ëtienue 
Dolet,  une  Introduction  famiiiairc  a  facilement  et  en  peu  de  temps 
apprendre  la  grammaire  latine^  etc.,  —  un  simple  abécédaire 
sous  ce  titre  :  ABC  des  rhrestiens,  La  réimpression  plus  ou  moins 
fidèle  faite  à  Charcnton  chez  Pierre  des  Hâves  en  1620  est  un 
très  petit  in-8"  d(»   1 16  pages  renfermant  : 

P.  3  à  6,  Fabécédaire  ;  p.  17  à  24,  1  oraison  dominicale,  les 
dix  commandements,  le  symbole  et  diverses  prières;  p.  25  à  44, 
le  catécliisme  proteslant  réformé;  p.  45  à  58,  sous  le  titre  Mi- 
roir de  la  jeunesse,  une  série  de  poésies  à  Tusage  des  jeunes 
enfants;  p.  59  ;\  64,  diverses  prières;  p.  65  à  98,  le  Vrai/  som- 
maire de  tonte  la  religion  chrestienne;  enfin,  p.  99  à  116,  diverses 
exhortations  et  prières. 

Une  autre  réimpression  faite  à  Londres  ;iu  xvnr  siècle  pouv 
les  églises  françaises  du  Uefuge  ne  renferme  que  4K  pages  el 
s'arrête  après  le  Miroir  de  la  jeunesse. 

Dans  le  catalogue  des  livres  réprouvés  de  154t,  louvrage  que 
nous  cherchons  est  ainsi  désit'né  : 

c  ABC  pour  les  enfans  contenant  ce  qui  sensuyt:  L'oraison 
dominicale,  etc.,  monstrant  ia  manient  de  soy  confesser,  pour 
laquelle  spécialement  a  esté  condamné.  t> 

Sî  lo  Musée  pédagogique  ne  possède  pas  dans  sa  collection  de 
livres  scolaires  ce  précieux  spécimen  d'un  des  rares  abécédaires 
qui  aient  eu  les  honneurs  du  bûcher,  peut-élreaura-t-il  du  moins 
quelques  indications  à  fournir  aux  chercheurs  (1). 

>'.  Weiss, 

Hibliothcraire  de  In  Soch'lc  d'Histoire 
du  l^rotestantismff  français, 

(f)  Le  Musée  pédagogique  ne  possède  pus  le  curieux  volume  en  question  ; 
OMi»  Ifr  réiiaclioD  de  la  Retme  accueillerait  avec  reconnaissance  les  comniu- 
•leaduos-  qu»  pourraient  lui  ôtre  adressées  à  ce  sujet.  —  Em  Hédacliom. 


QUESTIONS 

REIATIVES    A    LA    PUÉrAUATKJN    AUX    EXAMENS 
DES    BREVETS    DE    CAPACïïÉ 


Les  réformes  que  le  décret  du  30  décembre  188  i  a  appor- 
tées dans  les  examens  relatifs  aux  titres  de  capacité  oui  répondu 
à  l'attente  générale,  et  elles  ont  dû  être  arcueillies  avec  laveur  par 
tous  les  amis  de  l'instruction.  Néanmoins,  il  me  semble  qu'elles 
soulèveront,  dans  leur  application,  surtout  en  ce  qui  concerne  les 
écoles  normales,  un  certain  nombre  de  questions  sur  lesquelles  il 
serait  bon  d'appeler  l'attention  des  personnes  compétentes. 

La  première  qui  s'offre  à  mon  esprit  et  qui  me  paraît  avoir  une 
réelle  importance,  c'est  celle-ci  :  L'article  23  du  décret  du  29  juillet 
1881,  qui  oblige  les  élèves-maîtres  à  se  présenter  aux  examens  du 
brevet  élémentaire  à  la  fin  de  la  première  année,  sera-t-il  maintenu? 

Dans  l'affirmative,  il  faudrait  modifier  les  programmes  du 
3  août  1881  et  consacrer,  comme  je  l'ai  demandé  précédemment 
au  sujet  de  la  préparation  aux  écoles  normales  (Reruc  jyt^dagofpqnc, 
numéro  du  15  octobre  1883),  la  première  année  à  revoir  et  à  approfon- 
dir le  programme  des  écoles  primaires  et  à  Initier  les  jeunes  gens 
aux  études  réservées  pour  la  ±°  et  la  3«  année.  Ce  serait  peut-être 
la  meilleure  des  solutions;  mais  dans  Tétat  actuel  des  choses,  il  y 
aurait  de  graves  inconvénients  à  remanier  un  plan  d'études  dont 
l'application  complète  ne  fait  guère  que  commencer. 

Ce  qui  est  certain,  c'e?t  que  désormais  nous  ne  devrons  plu^ 
considérer  notre  première  année  d'études  comme  une  préparation 
suffisante  au  brevet  élémentaire  tel  que  Ta  établi  le  décret  du 
30  décembre.  II  y  a  entre  le  programme  de  Tune  et  les  épreuves  de 
l'autre  une  différence  qui  ne  permet  pas  de  les  faire  concorder.  Le 
jury  d'examen  pourra  poser  des  questions  sur  telles  parties  de  nos 
programmes  que  nous  ne  voyons  qu'en  2*  et  en  3*  année.  Rien  ne 
serait  plus  préjudiciable  à  l'enseignement  en  général,  et  aux  écoles 
normales  en  particulier,  que  de  présenter  nos  jeunes  gens  à  un  examen 
pour  lequel  ils  ne  seraient  préparés  que  d'une  manière  incomplète. 

Il  ne  faut  pas  d'ailleurs  se  laisser  induire  en  erreur  par  des  appa- 
rences trompeuses  et  croire  qu'au  moment  de  leur  admission  à 
à  l'école  normale  les  jeunes  gens  pourraient  subir  avec  succès 
les  épreuves  du  brevet  élémentaire. 

Cela  devrait  être,  mais  combien  nous  sommes  encore  loin  de 
compte!  Que  nous  apportent  le  plus  souvent  les  candidats,  sinon 
des  connaissances  vagues,  mal  digérées,  parfois  erronées?  En  suppo- 
sant même  qu'ils  connussent  parfaitement  les  programmes  du  cours 
supérieur,  à  leur  arrivée  à  l'école  normale,   les  posséderaient-ils 


LA    PIIÉPARATIUN    AUX    EXAMENS   DU   BREVET  283 

aussi  bien  à  la  fia  de  la  première  année,  pendant  laquelle  ils  n'en 
auraient  approfondi  qu'une  partie  et  négligé  le  reste  ? 

On  dira  peut-être  qu'il  ne  s'agit  que  de  notions  tr(»s  élémentaires, 
à  la  portée  de  tout  le  monde.  Je  l'admets,  mais  je  n'en  crois  pas 
moins  que  ces  connaissances,  si  élémentaires  que  nous  les  suppo- 
sions, devront  et  m  sures,  précises  dans  Tespril  du  candidat,  à  Tabri 
de  toute  hérésie.  Les  commissions  d'examen  ne  demanderont,  par 
exemple,  que  les  premiers  éléments  des  sciences:  mais  se  conten- 
teront-elles de  notions  vagues,  peu  éclairées,  peu  comprises,  que  le 
candidat  ne  posséderait  pas  assez  p(mr  pouvoir  les  enseigner? 

D*ailleurs,  avec  l'organisation  actuelle  des  écoles  normales,  l'examen 
du  brevet  élémentaire  à  la  fin  de  la  première  année,  s'il  a  poureiïet 
d'alléger  dans  une  certaine  mesure  la  tilche  des  élèves-maîtres, 
n'est  guère  fa>orable  à  la  préparation  générale  du  futur  instituteur. 
Qui  ne  conviendra  ([ue  les  matières  sur  lesquelles  l'élève-maître  ne 
sera  plus  interrogé  au  brevet  supérieur  cessent  d'être  «Hudiées  avec 
autant  de  goût?  Les  preuves  ne  manqueraient  pas. 

En  deuxième  année,  l'exercice  d'écriture  est  fait  par  acquit  de 
conscience,  mais  non  plus  a\ec  cette  application  qui  produit  des 
progrès.  En  troisième  année,  on  n'écrit  plus  pour  apprendre  à  écrire. 
Aussi,  qu'arrive-t-il  .'c'est  que  l'écriture  de  nos  élèves  sortants  laisse 
trop  souvent  à  désirer. 

L'étude  de  la  grammain*,  de  la  syntaxe,  de  l'orthographe  d'usage 
et  de  règle  n'occupe  plus  en  deuxième  el  en  troisième  année  qu'une 
place  trop  petite  dans  l'emploi  du  temps.  Qu'en  résulle-t  il:*  C'est 
qu'à  cliaque  instant,  «lans  Irurs  rédactions,  uoi  jeunes  ^tus  sont 
embairassés  pour  la  construction  d'une  phrase,  l'accord  d'un  parti- 
cipe, l'orthograplnj  d'un  mot.  Il  n'est  guère  permis  d'espérer  qu'ils 
augmenteront  leurs  connaissances  sous  ce  rapport  lorsqu'ils  seront 
livrés  à  eux-mêmes.  Mtîssieurs  les  inspecteurs  d'académie  auraienf 
peut-être  des  révélations  très  curieuses  à  taire  au  sujet  non  seulement 
de  la  rédaction,  mais  «'ncore  de  l'ortlioi^Taphc  de  la  correspondance 
administrative  de  leur  personnel. 

Je  sais  bien  qu'on  peut  être  un  bon  maître,  avoir  une  excellente 
école  et  ne  connaître  ni  les  subtilités  de  la  syntaxe,  ni  les  curiosités 
de  rorthogra|)he  :  muis  j'estime  qu'un  instituteur  doit  posséder  assez 
bien  les  règles  essentielles  de  notre  langue  et  l'orthographe  courante 
pour  les  appliquer  aisément  en  parlant  ou  en  écrivant. 

Une  bonne  écriture  n'est  pas  moins  indispensable.  Un  instituteur 
ne  peut  pas  a\oir  une  écriture  absolument  mauvaise.  Il  n'est  pas 
nécessaire  d'avoir  vécu  longtemps  à  la  campagne  pour  savoir  ce 
qu'un  simple  billet  mal  écrit  peut  faire  perdre  de  considération  au 
maître  le  plus  dévoué. 

Ce  que  j'ai  dit  de  l'orthographe  et  de  l'écriture,  je  pourrais  le  répéter 
de  la  musique  et  de  la  gymnastique  si  l'élève-maître  en  était  débar- 
rassé dès  la  tin  de  la  première  année.  Il  suivrait  ces  cours  un  peu 


par  devoir  etïiurU>ul  pai*  bou mission,  mais  saus  ce  goût,  cet  cnlruiii  et 
cette  attention  que  donne  seule  la  préoccupation  d*un  examen  à  subir. 

A  uu  autre  point  de  vue,  je  crois  même  ne  pas  tomber  dans 
Texagération  en  disant  que  la  disposition  légale  qui  place  Texamen 
du  brevet  élémentaire  au  bout  de  la  première  année  a  pu  exercer 
une  fâcheuse  influence  sur  la  vie  morale  de  l'école  normale.  La 
majeure  partie  des  jeunes  gens  mal  doués  ou  paresseux,  qui  déses- 
pèrent d'arriver  au  brevet  supérieur  à  la  fin  du  cours  d'éludés,  se 
contentent,  une  fois  qu'ils  ont  obtenu  le  brevet  simple,  d*un  travail 
moins  opiniÂlre  que  celui  qu'on  serait  en  droit  d'exiger  d'eux. 

Les  inconvénients  que  je  viens  de  signaler  so.  reproduiraient  pour 
la  plupart  si  l'examen  du  brevet  élémentaire  était  remis  au  bout  de 
la  deuxième  année. 

Est-ce  à  dire  qu'il  n'y  aurait  que  des  avantages  à  reporter  con¥B»p 
autrefois  cet  examen  à  la  fin  de  la  3*  année?  Non,  assurément.  Dans  ces 
questions  qui  touchent  à  tant  de  points,  la  perfection  n'est  pas  à  espérer. 
Cependant,  d'excellentes  raisons  militent  en  faveur  de  ce  système. 

Toutes  les  matières  seraient  étudiées  avec  une  application  égale 
jusqu'à  la  fin  du  cours  d'études  et  cela,  sans  qu'il  en  résullàt  un 
biim  grand  surcroît  de  travail.  En  effet,  la  plupart  des  matières  du 
brevet  élémentaire,  la  morale,  l'instruction  civique,  les  sciences,  les 
expliciitioos  de  lecture,  etc.,  ne  se  retrouvent-elles  pas  au  brevet 
supérieur  ?  Quoique  n'étant  plus  exigibles  au  brevet  supérieur,  la 
musique  et  la  gymnastique,  qui  constilueat  une  diversion  si  utile 
et  si  agréable  aux  autres  études,  seraient-elles  retranchées  deTiioraire 
de  la  i^  et  de  la  3<^  année  en  supposant  que  l'élève-maître  fût  pourvu 
du  brevet  élémentaire  a  la  fin  de  la  première  année? 

Quant  aux  épreuves  d'écriture  et  d'orthographe,  elles  auraient 
pour  effet  de  contraindre  les  jeunes  gens  à  ne  point  perdre  de  vue 
ces  importantes  matières  ;  mais  dès  la  i,'^  année,  elles  n'exigeraient 
plus  qu'un  léger  travail  de  préparation.  Elles  n'entraîneraient  aucune 
modification  des  programmes.  Fallùt-il,  pour  leur  donner  une 
place  plus  grande,  opérer  quelques  retranchements  dans  les  autres 
branches,  que  je  n'hésiterais  pas  à  le  faire.  Car  ce  qu'il  imporlc 
que  nos  jeunes  gens  sachent  le  mieux,  c'est  ce  qu'ils  auront  à 
enseigner  aux  enfants  qui  leur  seront  confiés. 

Cette  mesure  aurait  encore  pour  avantage  de  permettre  de  laisser 
intacts  nos  programmes  de  1881.  11  est  aussi  incontestable  qu'elle 
contribuerait  puissamment  à  élever  le  niveau  du  brevet  élémentaire. 

Ces  diverses  considérations  m'&mèneronlnelles  à  demander  dr 
renvoyer  à  la  fin  de  la  3^  année  les  deux  examens  du  brevet  élé- 
mentaire et  du  brevet  supérieur?  J'avouerai  en  toute  ainoécité  qw^ 
je  lie  sais  pas  me  décider  à  formuler  une  conclusion.  A^ant  d'arrêter 
mon  opinion  sur  ce  point,  je  voudrais  cannaiire  celle  de  mes  coUègues 
qui  ont  vu  appliquer  les  deux  systèmes  et  4)ui.  par  «onsài^uent . 
peuvent  en  parler  avec  plus  de  eompétenee. 


LA    PHÉPAKATIU.N    AL\    ^:XA.VIE^^    DU     BKKVEl  "io^i 

Une  autre;  question,  (jui  n'a  ^ubve  a\ec  la  précédente  que  des 
rapports  assez  éloignés,  préoccupe  vivement  les  élèves-maîtres  les 
plus  laborieux.  Elle  a  trait  à  la  difficulté  qu'ils  éprouvent  de  conti- 
nuer leur  préparation  au  brevet  supérieur  lorsqu'ils  n'ont  pas  conquis 
ce  diplôme  en  sortant  de  l'érole.  Dans  la  LoziTe,  comme  dans  la  plu- 
part des  déf)arlemenls,  nous  avons  formi-  un  comité  àp  correction 
pour  la  préparation  ù  distance  au  certificat  d'aplitudc  pédagogique  cl 
au  brevet  supérieur.  Nous  venons  ainsi  on  aide  au\  candidats  dans  la 
mesore  du  possible  pour  Fétu  de  de  certaines  matières  :  mois  il  est 
une  branche  pour  laquelle  nous  ne  pouvons  ri<'a.  Cela  est  d  autant 
plus  regrettable  qu'ils  sonl  eux-mr*mcs  dépourvus  de  tout  moyen 
4ie  travail.  11  s'agit  du  dessin  d'après  le  reliei*. 

Le  choix  exclusif  d'une  collection  déterminée  de  modMcs  écarte, 
clwque  année,  un  certain  nombre  de  jeunes  gens  du  bi'evet  ««upérienr. 
LeB  adjoints  des  grandes  villes  ont  encore  la  ressource  des  écoles 
spéciales  de  dessin.  Mais  les  pauvres  instituteurs  da  campagne,  où 
trouveront-ils  un  modèle  et  un  maître  pour  corriger  leurs  essais  ? 

Je  demandais  à  Tun  de  nos  anciens  élèves,  qui  se  présentait  un 
an  après  sa  sortie  de  l'école  normale,  ce  qu'il  avait  fait  en  des>in? 
«  J*ai  dessiné  mon  armoire  ?>,  me  répondit-il.  Frépanition  bien 
insuffisante,  il  faut  l'avouer,  pour  venir,  à  Texaroen.  dessiner,  on 
trois  heures,  une  feuille  d'acanthe  ou  une  amphore. 

Cerles,  il  convient  de  reconnaître  le  service  qu'on  a  rendu  aux  aspi- 
rants en  limilant  lo  nombre  dos  modèles  parmi  lesquels  l'épreuve  sera 
choisie.  Personne  ne  conteste  la  nécessité  de  développer  chez  les 
futurs  instiluleurs  le  goût  et  le  sentiment  du  beau.  Cependant, 
n*y  Burait-il  aucun  moyen  de  rendre  l'épreuve  de  dessin  moins 
reidoutable  pour  les  cand  dats  qui  ne  sont  [dus  sur  les  bancs  de 
l'école  normale  .*  A  la  première  composition  prise  dans  la  collection 
réglementaire  ne  pourrait-on  en  ajouter  une  seconde  sur  le  dessin 
graphique,  dont  on  fondrait  la  note  avec  celle  de  la  première 
épreuve?  Ou  bien  encore,  ne  serait-il  pas  possible  d'ôter  à  l'épreuve 
de  dessin  son  caractère  éliminatoire  en  la  joignant  à  une  autre 
s^ie  d'épreures  écrites,    celle  des  sciences    exactes,  par  exemple? 

A  mon  avis,  quelque  modilication  utile  pourrait  être  opérée  sous  ce 
rapport.  11  serait  malheureux  qu'une  fois  sortis  de  l'école  normale, 
los  jeunes  maîtres  perdissent  l'espoir  d'arriver  au  brevet  supérieur. 

Ces  deux  questions  ont,  à  mes  yeux,  une  telle  importance,  que 
j'ai  cru  devoir  soumettre  à  l'appréciation  des  lecteurs  de  la  lieimr 
fM^lagoglqiœ  les  réflcxi  ons  qu'elles  m'ont  suggérées.  Elles  provoque- 
ront, sans  doute,  un  échange  d'idées,  qui  ne  pourra  éti-o  que  très 
prdfitable  aux  intérêts  de  renseignement  primaire. 

J.   SlON. 


L'EXPOSITION  FRANÇAISE  D'EDUCATION 

A    I.A   NOUVELLE-ORLÉANS 


La  section  française  d'éducation  à  l'Exposition  de  la  Nouvelle-Orléans 
a  été  ouverte  le  8  février  dernier  par  le  directeur  général  M.  Burke, 
bien  que  les  envois  de  la  ville  de  Paris  n'eussent  pas  encore  pu 
prendre  place  dans  la  grande  salle  qui  leur  était  réservée.  A  cette 
occasion,  le  consul  général  de  France,  M.  d'Abzac,  qui  a  organisa 
notre  exposition  avec  un  zèle  et  un  dévouement  dont  on  ne  saurait 
lui  savoir  trop  de  gré,  a  tenu  à  réunir  la  colonie  française  pour 
remercier  officielle  ment,  avec  elle,  le  directeur  général  et  toutes  les 
personnes,  présentes  ou  absentes,  qui  lui  ont  apporté  le  concours  de 
leur  bonne  volonté  soit  à  Paris,  soit  en  Amérique.  Cette  manifestation, 
dont  l'Abeille  de  la  Nouvelle-Orléans  pubUe  un  compte-rendu  In^s 
intéressant,  trop  étendu  pour  pouvoir  être  reproduit  ici,  a  été  aussi 
touchante  qu'imposante.  Toutes  les  sociétés  françaises  (et  le  nombre 
en  est  grand,  depuis  les  sociétés  de  bienfaisance  jusqu'aux  sociétés 
savantes,  jusqu'à  l'orphéon  et  aux  francs-tireurs),  avaient  répondu 
à  l'appel  du  consul  pour  donner  une  nouvelle  preuve  de  leur  vieil 
attachement  à  la  France  ;  toutes  les  boutonnières  portaient  la  cocarde 
tricolore. 

De  nombreux  discours  ont  été  prononcés.  M.  d'Abzac  a  tout  d'abord 
rappelé  les  noms  de  tous  ceux  chez  lesquels  il  a  trouvé  un  cordial 
et  énergique  appui:  MM.  Laf argue,  le  D**  Castellanos,  le  D^  Turpin, 
les  professeurs  Alcée  Fortier  et  de  Montluzin,  les  membres  du 
comité  franco-américain  de  Paris,  entre  autres  M.  le  comte  Dillon, 
son  président,  et  M.  Nicolopoulo,  l'un  de  ses  membres  les  plus  actifs: 
les  directeurs  et  rédacteurs  des  journaux  de  la  Nouvelle-Orléans  et 
surtout  de  r Abeille  ;  M.  Mackay,  l'un  des  propriétaires  du  câble 
transatlantique  Mackay-Bennet.  Nous  ne  pouvons  citer  tous  les  noms: 
mais  nous  devons  un  témoignage  particulier  de  reconnaissance  au 
général  Eaton,  directeur  du  Bureau  d'éducation  de  Washington,  et  à 
son  assistant,  M.  Smith,  pour  le  concours  qu'ils  ont  prêté  à  M.  Ben- 
jamin Buisson,  commissaire  spécial  du  ministre  de  Tinstruction 
publique. 

i4!)  maisons  françaises,  a  dit  M.  d'Abzac,  ont  répondu  à  mon  appel  et  sont 
représentées  à  l'Exposition  universelle  de  la  Nouvelle-OrléaDS.  la  majorité  sur 
notre  section,  quelques-unes  dans  les  c  Collective  Exhibits  »  des  sections 
américaines.  La  présence  de  ces  exposants,  venus  pormi  nous  au  prix  de 
dépenses  considérables,  atteste  ce  que  peut  l'initiative  individuelle  s'nppuyant 
sur  une  cause  juste  et  aidée  do  la  svmpathie  publique.  Dans, mes  efforts  pour 
amener  nos  producteuri  à  la  Nouvelle-Orléans,  j'ai  été  cordialement  et  ener- 


l'exposition  de  la  DiOUVELLE-ORLiAllS  257 

giquement  aidé  pur  an  grand  nombre  de  Français  et  d'Américains  qui  ont 
«ODMDti  à  faire  partie  de  nos  comités  d'études  et  d'oi]ganisation. 

Pour  la  première  fois,  depuis  l.i  découverte  du  Nouveau-Monde.  rAmc- 
rique  anglo-saionne  et  l'Amérique  latine  se  rencontrent,  devant  les  représen- 
tants de  toutes  les  grandes  puissances  commerciales  de  la  terre,  afin  de  sceller 
un  traité  d'amitié  qui  pourra  i)eut-étre,  comme  toutes  les  œuvres  humaines, 
subir  des  agressions,  mais  que  rien  ne  pourra  désormais  ri>mpre  dans  sa 
substance.  L'œuvre  de  paix  dont  nous  sommes  tous  les  collaborateurs,  par  le 
Ciit  de  notre  action  et  de  notre  présence,  repose  sur  l'esprit  des  temps 
modernes,  qui  ont  substitué  le  gain  par  le  travail  au  sain  par  la  violence. 

L'Exposition  universelle  que  vous  avez  orgai;isée  a  la  Nouvelle-Orléans. 
Ifonsleur  le  Directeur  général,  se  distingue  de  toutes  les  expositions  uni  ver- 
seiUes  qui  l'ont  prcci'dt'e  par  un  caractère  et  une  supériorité  inconlesUibles. 
Elle  est  la  première  qui  mette  les  producteurs  en  face  de  mnrchés  nouveaux. 
Elle  est  lo  première  qui  montre  aux  capitalistes  et  auv  travailleurs  du  monde 
<entier  les  incalculables  ressources,  les  enances  puiss/intes  de  richesse  que  les 
deux  Amériques  otTrent  à  toutes  les  activittis,  à  toutes  les  intelligences,  a  toutes 
les  énergies. 

M.  Burke  a  répondu  à  M.  d*Abzac  en  faisant  un  grand  éloge  de 
l'exposition  française^  et  il  a  ajouté,  aux  applaudissemen's  de  l'as- 
semblée : 

Pour  nous  autres  Américains  qui  savons  chérir  notre  pavset  ressentir  tous 
les  sentiments  d'orgueil  que  nous  inspire  notre  histoire,  nous  ne  pouvons 
oublier  que  nous  sommes  dans  une  certaine  mesure  des  Français...  Sachons 
■apprécier  Timporlance  caractéristique  de  ce  fait  que  sur  ce  soi  demi-français, 
voici  rassemblés  dans  cet  espace  les  représentants  d'une  grande  République, 
réunis,  la  main  dnns  la  main,  avec  ceux  d'une  République  sœur,  dans  la 
marche  en  avcmt  à  la  conquête  dii  progrès. 

M.  Flatteau,  au  nom  des  exposants  français,  et  M.  le  jugeSambola, 
au  nom  des  Sociétés  orléanaises,  ont  aussi  prononcé  de  chaleureuses 
paroles,  après  quoi  Ton  se  transporta  daus  la  section  française 
d*éducation,  où  M.  B.  Buis.son,  dans  un  discours  très  applaudi, 
rappela  les  liens  qui  unissent  toujours  la  Louisiane  à  la  France  et 
résuma  en  ces  termes  l'œuvre  accomplie  en  France  depuis  1877, 
c'est-à-dire  depuis  que  la  République  y  a  été  délinitivemcnt 
consolidée  : 

Par  une  heureuse  inspiration,  les  Chambres  et  le  gouvernement  ont  tout 
de  suite  abordé  comme  le  problème  vital  celui  de  la  réorganisation  de  l'instruc- 
tion à  tous  les  degrés,  mais  principalement  de  l'instruction  primaire.  De 
grands  changements,  encore  peu  connus,  et  qui  n  ont  pas  encore  eu  le  temps 
de  porter  tous  leurs  fruits,  ont  eu  lieu.  L'esprit  qui  a  présidé  aux  réformes 
dont  je  vous  parie  est  toujours  cet  esprit  fr<mçais  que  je  n'ai  pns  besoin  de 
définir  ici,  qui  a  dicté  à  nos  pères  la  Déclaration  des  droits  de  Vtunnmc  et 
qui  nous  porte  à  vouloir  fiiciliter,  de  plus  en  plus,  au  plus  grand  nombre 
possible,  les  moyens  de  rendre  la  vie  plus  digne  d'être  vécue,  et  d'avoir  accès, 
dans  une  certaine  mesure,  aux  jouissances  intellectuelles  et  artistiques. 

Cette  tendance,  un  peu  utopiqut;  peut-être,  mais  généreusement  utopique, 
de  nos  réformes  récentes  de  renseif|[ncment  ne  sera  certainement  pas  jugée 
ave;  sévérité  par  la  démocratie  américaine.  Je  ne  vous  retracerai  pas  dans 
le  détail  toutes  les  réformes  dont  le  mérite  revient  surtout  à  notre  Parlement 
et  à  des  ministres  clairvoyants  et  actifs,  secondés  par  une  sorte  de  Parle- 
ment   universitaire  vraiment  représentatif  du  corps  enseignant,  le  Conseil 

BRTni  PinAGOGIQUB  1884    —  1*'  8M.  17 


258  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

supérieur  de  l'instructiou  publique.  Elles  ont  consisté  surtout  à  rendre  Tin- 
struclion  publique  gratuite  et  obligatoire,  à  multiplier  les  écoles,  et  les  écoles 
salubres,  a  doubler  le  nombre  des  écoles  normales  et  à  en  fonder  plusieurs 
d'un  caractère  plus  élevé,  destinées  à  former  un  personnel  spécial  de  profes- 
seurs d'écoles  normales;  À  ajouter  k  Técole  primaire  des  cours  d'études  com- 
f>lémentaires,  à  organiser  une  instruction  primaire  supérieure  qui  achève 
'instruction  générale  tout  en  préparant  pratiquement  à  une  profession;  à 
disséminer  et  à  rendre  plus  efficace  renseignement  du  dessin  et  des  arts 
décoratifs. 

Qu'il  me  suffise  de  vous  dire  que  la  troisième  République  a  repris  les 
traditions  de  la  première,  en  accomplissant  toutes  ces  réformes,  et  que  nos 
nouveaux  programmes  ressemblent  beaucoup  à  ceux  qu'avait  esquissés  autre- 
fois un  homme  qui  est  venu  en  cette  ville  môme,  qui  a  travaillé  à  vos  propres 
écoles,  Lakanal.  11  est  remarquable,  je  crois,  que  la  France,  au  lendemain  de 
ses  désastres  et  quand  son  trésor  était  si  épuisé,  ait  su  néanmoins  faire  pour 
rinstruclion  publique,  et  aussi  bien  dans  1  ordre  secondaire  et  supérieur  que 
dans  l'ordre  primaire,  plus  de  sacrifices  qu'elle  n'en  avait  januiis  fait  au 
temps  de  sa  prospérité. 

Après  ce  discours,  M.  le  directeur  général  Burke  prend  de  nouveau 
la  parole.*  11  est  heureux,  dit-il,  de  voir  se  développer  renseignement 
des  deux  côtés  de  TAllantique  à  l'ombre  de  la  liberté.  Il  félicite  la 
France  des  progrès  merveilleux  qu'elle  a  accomplis  dans  renseigne- 
ment primaire,  secondaire  et  supérieur.  Il  félicite  M.  Buisson  de  sa 
magnifique  exhibition,  de  Tart,  du  goût  exquis  avec  lequel  tous  les 
objets  sont  disposés,  et  il  déclare  ouverte  la  section  française 
d'éducation. 

La  cérémonie  s*est  terminée  par  la  visite  des  principales  salles  de 
l'exposition  scolaire.  Une  salle  réservée  à  la  ville  de  Paris  contient 
aujourd'hui  un  intérieur  d'école  et  un  type  de  salle  de  dessin  avec 
des  travaux  d'écoles  primaires  et  de  cours-  d'adultes  :  nous  avons 
dit  qu'elle  n'élait  pas  encore  aménagée  le  8  février.  Les  visiteurs  ont 
beaucoup  remarqué  les  cahiers  mensuels  et  les  cahiers  journaliers 
des  élèves,  les  plans  d'écoles  maternelles,  primaires,  normales,  etc., 
les  reproductions  à  bon  marché  des  chefs-d'œuvre  de  l'art,  les 
spécimens  du  travail  des  écoles  primaires  supérieures  ou  profession- 
nelles, la  collection  des  modèles  en  plâtre  de  TÉcole  des  Beaux-Arts. 

L'impression  générale  est  que  nos  écoles  font  très  bonne  figure 
à  la  Nouvelle-Orléans  et  que  notre  exposition  scolaire  fait  grand 
honneur  à  notre  pays.  Les  Français  de  France  n'oublieront  pas 
l'accueil  si  sympathique  et  si  chaleureux  qui  a  été  fait  en  Louisiane 
à  nos  exposants. 


LA.  PRESSE  ET  LES  LIVRES 


L'enseignement    commercial  en  France,    par  M.  Arthur  Mangin 
(y Économiste    Français,  n®    du  31   janvier).    —  Dans   celte    élude, 
M.  Arlhur  Mangin  commcnle  un  rapport  présenté  au  Conseil  supé- 
rieur de  reaseignoniçnl   technique  par  M.  Jacques  Siegfried,    au 
nom  de  la  sous-coinmissionde  renseignement  commercial.  M.  Mangin, 
d'accord  avec  M.  Siogfricd,  établil  très  pertinemment  que  «   le  com- 
merce —  le  grand  commerce  s'entend  —  ne  peut  désormais,  non 
plus  que  rindusirie  ou  Fagricullure,  d'en  tenir  aux  procédés  tradi- 
tionnels :  il  a,  lui  aussi,  tout  un  outillage,  tout   un   ensemble   de 
méthodes  et  de  moyens  d  action,  une  sorte  de  stratégie  à  combiner, 
à  perfectionner  et  à  mettre  en  œuvre.  Le  commerce  est  une  lutte  de 
chaque  jour  où  la  victoire  appartient  au  plus  actif,  au  plus  habile» 
au  plus  savant;  car  il   y  a  maintenant  une  science  du  commerce 
comme  il  y  une  science  des  fiuances  ou  une  science  agricole,  et  il  y  a 
un  art  commercial  comme  il  y  a  un  art  militaire.  L'art  est  surtout 
le  fait  d'une  aptitude,  d'un  génie  qui  n'est  pas  donné  à  tout  le  monde  : 
c'est  un  privilôge  de  nature  et  c'est  une  très  grande  force;  mais  il 
ne  peut  tenir  lieu  de  savoir.  Sans  doute,  la  science  commerciale  ne 
ressemble  point  aux  sciences  proprement  dites,  telles  que  la  physi- 
que,  Taslronomie,  la  physiologie  ou   même  Téconomio  politique  ; 
c'est  une  science  composite  et  complexe  qui   comprend  plusieurs 
ordres  très  dislincls  de  connaissances;  elle  n'en  est  peut-être  que 
plus  difficile  à  acquérir,  justement  parce  que  celte  variété  de  con- 
naissances suppose  une  variété  correspondante  d'aptitudes.  L'ensei- 
gnement commercial  bien  entendu,  rationnel  et  harmonique,  n'est 
donc  point  chose  facile  à  instituer  et  à  pratiquer.  x> 

En  fait,  il  ne  se  donne,  chez  nous,  que  dans  neuf  établissements, 
dont  quatre  à  Paris,  et  encore  ces  neuf  établissements  ne  sont-ils  pas 
très  prospères.  «  Neuf  écoles  en  tout,  dit  M.  Mangin,  réunissant  en- 
semble un  millier  d'élèves,  c'est  bien  peu  pour  une  population  de 
37  millions  d'âmes;  ce  n'est  pas  cela  qui  relèvera  notre  commerce 
d'exportation,  qui  le  mettra  à  même  de  lutter  victorieusement  contre 
ses  concurrents  étrangers.  »  11  reste  donc  beaucoup  à  faire,  mais 
M.  Mangin  ne  veut  pas  que  ce  soit  l'État  qui  prenne  ici  la  place  des 
particuliers,  des  villes,  des  chambres  syndicales,  des  chambres  de 
conmierce.  «  L'État,  en  vérité,  se  mêle  de  trop  de  choses  ;  ne  lui 
demandons  pas  de  se  mêler  encore  de  celles  qui,  par  bonheur,  sont 
restées  jusqu'ici  en  dehors  de  son  action.  »  M.  Mangin  n'est  même 
pas  trop  inquiet  de  celte  pénurie  d'écoles  commerciales  spéciales. 
«  Un  homme  qui  veut  faire  de  son  fîls  un  bon  commerçant  —  si  le 


S60  RIVUS  PÉDAGOGIQUE 

jeune  homme  a  dugoûtetde  Taptitude  pom:  cette  carrière,  —  trouve 
cent  moyens  de  lui  donner  cette  instruction  sans  recourir  aux  écoles 
spéciales  de  commerce;  et^  si  le  goût  et  les  aptitudes  manquent,  ce 
n'est  pas  l'école  de  conmierce  qui  les  fera  naître.  Quant  à  TÉtat  » 
—  11.  Mangin  en  revient  toujours  là  —  «  il  ne  lui  appartient  pas 
lus  de  pousser  la  jeunesse  vers  le  commerce  que  vers  Tindustrie 
ou  vers  les  beaux-arls.  » 

Pousser,  non  ;  mais  pourquoi  l'État  ne  guiderait-il  pas,  pourquoi 
n'ouvrirait-il  pas  ou  n'élargirait -il  pas  les  voies?  Si  le  conmierce 
est  une  science,  comme  le  dit  M.  Mangin,  l'État,  ce  semble,  a  com- 
pétence pour  faire  enseigner  une  science;  autrement  il  faudrait  fer- 
mer toutes  nos  écoles.  Les  écoles  d'arts  et  métiers  en  particulier,  les 
écoles  d'agriculture,  l'École  centrale,  certaines  autres  écoles  techni- 
ques sont  des  écoles  de  l'État  :  voit-on  que  l'industrie  en  pâtisse? 
Sans  doute  le  commerce  est  affaire  personnelle,  ou  encore  affaire 
locale,  régionale,  si  l'on  veut,  et  il  semble  que  l'école  commerciale 
regarde  tout  d'abord  à  ce  titre  les  particuliers  et  les  différentes 
institutions  auxquelles  M.  Mangin  veut  en  réserver  l'initiative.  Mais 
si  elles  ne  la  prennent  pas?  Nous  sentons  le  besoin  de  développer 
notre  commerce,  de.  l'établir  sur  des  données  scientifiques,  puisque 
science  il  y  a,  nous  souffrons  de  la  concurrence,  et,  en  général,  nous 
ne  manquons  pas  de  faire  retomber  sur  l'État  la  responsabilité  de 
celte  souffrance.  Pour  la  conjurer  d'ailleurs,  en  dehors  d'efforts 
individuels  que  personne  ne  peut  constater,  nous  avons  créé  tant 
bien  que  mal  neuf  établissements,  contenant  en  tout  mille  élèves. 
Et  nous  voudrions  contester  à  l'Etat  le  droit  et  le  devoir  de  subve- 
1[iir  à  cette  insuffisance!  Il  nous  semble  que  c'est  tout  au  moins 
trancher  bien  vite  une  très  grosse  question. 

L'instruction  primaire  aux  États-Unis  en  1883,  rapport  présenté 
au  ministre  de  l'instruction  publique,  par  M.  Paul  Passy,  professeur 
de  langues  vivantes  à  Técole  normale  d'instituteurs  de  la  Seine  et 
au  collège  Sévigné;  1  vol.  in-12,  Paris,  Delagrave,  1885.  —  Les  lec- 
teurs de  la  Revue  connaissent  déjà  un  fragment  de  ce  livre  ;  l'étude 
sur  l'éducation  des  races  de  couleur  dans  l'Amérique  du  Nord,  que 
nous  avons  publiée  (1),  en  forme  le  dernier  chapitre.  Chargé,  au 
moins  de  juin  1883,  d'une  mission  ayant  pour  objet  «  de  visiter  les 
principaux  centres  d'éducation  des  États-Unis  et  d'en  étudier  les 
ressources  et  les  procédés  intellectuels,  financiers,  agricoles  et  indus- 
triels »,  M.  Paul  Passy  ne  se  pique  point  d'avoir  pu  répondre,  en 
deux  mois  et  demi,  à  toutes  les  exigences  de  ce  trop  vaste  pro- 
gramme; il  s'est  borné  à  étudier  ce  qui  rentrait  le  plus  directe- 
ment dans  ses  aptitudes  personnelles,  c'est-à-dîre  les  questions 
d'enseignement  et  en  particulier  d'enseignement  primaire,  ce  qui 


(1)  Voir  le  numéro  du  15  octobre  1884. 


LA  PRISSE   ST  LIS  UVRSS  961 

justifie  le  titre  de  son  rapport.  Et  même  réduit  à  ces  proportions, 
le  champ  était,  dit-il,  tellement  vaste  qu'il  a  dû  se  borner  à  indiquer 
les  traits  les  plus  essentiels  du  systî'me  d'éducation  américain; 
encore  le  tableau  qu'il  en  donne  est-il  nécessairement  incomplet, 
étant  fondé  presque  exclusivement  sur  des  observations  recueillies 
dans  les  Étals  du  Nord. 

En  dépit  de  ces  modestes  déclarations,  le 'rapport  de  M.  Paul  Passy 
n'en  est  pas  moins  d'une  lecture  fort  intéressante,  même  aprèis 
celui  de  M.  Buisson,  qu'il  confirme  sur  beaucoup  de  points,  auquel 
il  ajoute,  sur  certains  autres,  des  détails  qui  ont  leur  prix. 

Dans  une  suite  do  vingt  chapitres,  qui  forment  autant  de  résu- 
més courts  et  substantiels,  M.  Paul  Passy  étudie  successivement  le 
free  ichool  system,  qui  est  la  base  de  Torganisalion  scolaire  aux  F.tats- 
Unis,  puis  les  points  les  plus  importants  de  cette  organisation  sco- 
laire :  administration,  organisation  pédagogique,  discipline,  person- 
nel, gratuité,  obligation,  plans  d'études  et  emplois  du  temps, 
matériel  scolaire,  organisation  financière  des  écoles.  Il  explique  ce 
caractère  si  parliculierde  l'éducation  américaine,  la  «  coéducation  »  des 
deux  sexes.  11  entre  ensuite  dans  les  écoles,  à  commencer  par  celle 
des  petits  enfants,  le  Kindergarien^  et,  arrivé  aux  écoles  d'enseigne- 
ment primaire  des  ditTérents  degrés,  11  en  examine  les  méthodes 
d'enseignement  et  les  résultats  qu'elles  produisent.  Un  chapitre  sur 
les  écoles  normales,  les  cours  normaux,  les  examens  de  capacité, 
nous  montre  comment  se  prépare  le  personnel  enseignant;  un 
autre  sur  les  écoles  primaires  libres  dit  quelques  mots  des  efforts 
tentés  en  Amérique  par  Tinitiative  individuelle  en  dehors  de  l'école 
publique,  soit  pour  contrebalancer  Tinflucnce  de  cette  école,  soit 
pour  la  compléter  à  des  points  de  vue  particuliers.  Le  dernier  cha- 
pitre, comme  nous  Tavons  dit,  est  consacré  aux  races  de  couleur. 

Nos  maîtres  trouveront,  ce  nous  semble,  dans  ce  rapide  tableau 
des  institutions  scolaires  américaines,  bien  des  sujets  d'utiles  ré- 
flexions. Voici,  au  Iiasard  des  pages,  quelques  traits  que,  pour  notre 
part,  nous  avons  notés. 

Par  exemple,  dans  le  chapitre  sur  la  coéducation  :  <  L'éducation 
américaine,  nous  dit  M.  Paul  Passy,  suit,  au  point  de  vue  de  la 
préservation  morale  de  l'enfant,  une  méthode  tout  à  fait  opposée  à 
la  nôtre.  Tout  l'art  que  nous  employons  à  éviter  les  tentations  aux 
enfants  des  deux  sexes,  elle  le  dépense  à  les  rendre  capables  d*y 
résister.  Notre  éducation  ne  leur  inspire  aucune  confiance.  «  Voua 
aurez  beau  faire,  disent  ils,  vous  ne  pouvez  éviter  absolument  les 
occasions  de  mal  faire;  et  vos  enfants  s'y  trouvent  d'autant  plus 
en  danger  qu'ils  y  ont  été  moins  préparés.  Et  puis,  il  faudra  bien, 
un  jour  ou  Tautre,  qu'ils  cessent  d'être  gardés  à  vue.  Ces  jeunes 
gens  qui  sortent  du  collège,  ces  jeunes  filles  émancipées  t  jut  à  coup 
par  le  mariago,  comment  seront-ils  trempés  pour  les  luttes  de  la 
vie?  Ne  vaut-il  pas  mieux  les  y  préparer  en  leur  donnant,  au^itôt 


983  REVUJB  f6DA6061QU£ 

qie  possible,  une  grande  indépendance,  et  en  Taugmenlant  à  me» 
sure  qu'ils  grandissent,  de  façon  à  ce  qu'ils  arrivent  insensiblement 
à  être  des  hommes?  * 

.  II  est  possible  —  nous  croyons  qu'au  fond  M.  Paul  Passy  le  pense 
un  peu  —  que  les  Américains  poussent  trop  loin  ce  principe;  mais 
n*ont-ils  pas  raison  de  dire  que  nous  poussons,  nous,  beaucoup  trop 
loin  le  principe  contraire? 

Quelques  pages  plus  bas,  M.  Paul  Passy  nous  donne  une  idée  de 
la  quantité  de  travail  que  Ton  impose  d  ordinaire  aux  jeunes  Améri- 
cains et  aux  jeunes  Américaines.  Celles-ci,  à  ce  qu'il  paraît,  sont 
souvent  maladives,  surtout  quand  on  les  compare  aux  jeunes 
Anglaises,  et  plusieurs  éducateurs  distingués  des  Ètats-l'nis  croient 
trouver  la  raison  de  celte  disposition  fâcheuse  dans  Texcès  de  fatigue 
qu'exige  d'elles,  les  écoles  étant  presque  partout  communes  aux 
deux  sexes,  la  concurrence  avec  les  garçons.  Mais,  dit  M.  Paul 
Passy,  «  si  les  enfants,  les  jeunes  gens  américains  travaillent  trop, 
que  sera-ce  chez  nous?  11  ne  faut  pas  oublier  qu'à  l'école  élémen- 
taire, à  l'école  de  grammaire,  et  souvent  à  l'école  supérieure,  presque 
aucun  travail  ne  peut  être  imposé  en  dehors  des  cinq  heures  passées 
en  class(ï;  et  le  travail  facultatif  n'est  jamais  bien  considérable.  A 
l'école  normale,  on  demande  un  peu  de  travail  au  dehors,  mais 
d'une  manière  qui  n'a  rien  d'abusif.  A  Saint-Louis,  par  exemple, 
en  dehors  de  cinq  heures  d'école  (qui  comprennent  40  minutes 
données  au  travail  personnel),  les  élèves  doivent  travailler  une  heure 
et  demie  ou  deux  heures  chez  elles;  et,  pour  éviter  tout  excès  de 
travail,  on  les  prie  de  noter  elles-mêmes  le  temps  qu'elles  y 
passent  (1);  si  ce  temps  est  trop  long,  on  en  fait  l'observation  aux 
professeurs...  »  Ainsi,  sept  heures  au  plus  de  travail  par  jour  pour 
de  grandes  élèves  d'écoles  normale,  et  encore,  en  Amérique,  on 
trouve  que  c'est  trop;  nous  dirons  comme  M.  Paul  Passy,  «  que 
sera-ce  chez  nous?  » 

Citons,  pour  terminer, les  conclusions  du  livre: 

«  I/école  publique  américaine  est  une  institution  éminemment 
populaire,  à  la  lois  nationale  et  locale.  Elle  est  dirigée  par  des 
autorités  municipales  élues  par  le  peuple,  soutenue  en  grande  par- 
tie par  dos  taxes  locales,  soumise  à  un  contrôle  d'État  modéré; 
eUe  échappe  absolument  à  la  direction  de  l'Union.  Gratuite  à  tous 
les  degrés,  elle  présente  à  tous  iodistiiictement,  riches  et  pauvres, 
élrangers  et  indigènes,  garçons  et  tilles,  une  éducation  complète  en 
soi  et  généralement  très  solide,  allant  de  l'école  enfantine  à  l'école 
normale;  seule  la  distinction  de  race  entre  les  noirs  et  les  blancs 
est  une  infraction  à  cette  égalité  parfaite,  infraction  qui  ne  peut,  du 
reste,  tarder  à  disparaître.   Strictement  non  confessionnelle,   l'école 

(1)  On  s*en  rapporte  à  leur  simple  déckiratlon,  comme  toujours  en  Amé- 
rique. P.  P. 


LA  PRESSE   ET  LES  LIVRES  363 

m'en  est  pas  moins  chrétienne  dans  ses  tcndauces:  mais  elle  est 
également  ouverte  aux  catholiques  et  aux  protestants,  aux  croyants, 
aux  sceptiques  et  aux  incrédules.  Aimée  du  peuple,  qui  s'en  occupe 
directement  et  la  surveille  lui-môme,  elle  exerce  une  influence 
immense  sur  la  formation  deFesprit  national.  Elle  tend  de  plus  en 
plus  à  détruire  toute  concurrence  et  à  ne  laisser  subsister  en  dehors 
de  renseignement  primaire,  compris  dans  le  sens  le  plus  large,  que 
renseignement  supérieur  et  professionnel. 

Y  Le  principal  défaut,  le  danger  le  plus  sérieux  du  système  amé- 
ricain est  ïinéyalUé  qui  résulte  du  plus  ou  moins  de  richesse  des 
diverses  régions,  inégalité  qui  se  montre  dans  l'ensemble  de  l'Union 
entre  le  nord  et  le  sud,  et,  dans  chaque  Etat,  entre  les  villes  et 
les  campagnes.  De  la  résultent  dans  les  campagnes  des  traitements 
d'instituteurs  tout  à  fait  dérisoires  et  en  conséquence  une  faible 
valeur  du  personnel  enseignant  et  des  changements  par  trop  fréquents, 
La  trop  courte  durée  de  l'année  scolaire  dans  les  campagnes  provient 
de  la  même  cause.  Le  remède  proposé  consiste  en  subventions 
accordées  par  les  Etats  aux  écoles  rurales  et  par  l'Union  aux  Etats 
du  Sud. 

j»  Tous  les  moyens  sont  employés  pour  rendre  Técole  attrayante 
et  pour  qu'elle  serve  à  développer  les  facultés  naturelles  des  enfants  ; 
de  là  l'emploi  des  méthodes  intuitives  et  de  l'enseignement  par  les 
yeux,  en  paiticulier  des  leçons  de  choses  et  du  tableau  noir.... 

»  L'école  pratique  en  tout  le  plus  grand  respect  de  la  liberté  indi- 
viduelle. L'instituteur  est  libre  d'exprimer  ses  opinions  eii  matière 
controversée,  et  les  élèves  sont  libres  de  le  contredire.  On  accoutume 
de  bonne  heure  les  enfants  à  se  considérer  comme  des  êtres  indé- 
pendants, placés  entre  le  bien  et  le  mal  et  responsables  de  leur 
choix.  Les  principaux  moyens  employés  pour  assurer  le  travail  et 
la  discipline  sont  ceux  qui  s'adressent  à  leur  conscience  et  à  leur 
honneur.  En  toute  chose,  on  leur  témoigne  la  plus  grande  confiance. 

»  Les  mulièn.'S  qui  paraissent  le  mieux  enseignées  sont  la  lecture, 
la  géographie^  ïinstruction  ciriqne,  et  ïinstruction  religieuse  dans  les 
écoles  du  dimanche.  Celles  dont  l'enseignement  semble  le  plus 
défectueux  sont  les  mathématiques,  Yortfiographc,  la  gymna8ti([ue  et 
le- travail  îtianucl.  Les  langues  vivantes  et  les  arts  ont  été  introduits 
dans  beaucoup  d'écoles  à  la  suite  d'expériences  qui  ont  donné 
d'excellents  résultats.  Les  langues  mortes  occupent  encore  dans  l'en- 
seignement primaire  supérieur  une  place  qui  ne  devrait  pas  leur 
revenir. 

>  Le  personnel  enseignant  se  compose  en  très  grande  majorité 
de  femmes  tion  mariées, 

»  L'instruction  pubUque  a  coûté,  pendant  Tannée  1882,  une  somme 
de  91,158,039  dollars  et  employé  293,2:)4  instituteurs.  Sur  environ 
12,500,000  enfants  de  6  à  16  ans,  10,013,820  étaient  enrôlés  dans  les 
écoles  publiques,  et  la    fréquentation  moyenne  était  de  5,164,356. 


264  RKVUE  PÉDAGOGIQUE 

Malgré  tous  les  efforts  qu*attestent  de  pareils  chilTres  de  la  part  de 
la  nation,  la  proportion  d'illettrés  était  encore  considérable,  puis- 
qu'on i880,  sur  11,840,171  personnes  de  10  à  20  ans,  2,035,595  ne 
possédaient  aucune  instruction.  On  en  trouve  la  raison,  d'une  part, 
dans  le  grand  nombre  d'étrangers  ignorants  qui  arrivent  chaque 
année  aux  Etats-Unis;  d'autre  part,  dans  l'impossibilité  où  se 
trouve  le  Sud,  et  surtout  la  population  de  couleur,  de  pourvoir  à 
l'éducation  de  ses  propres  enfants. 

»  En  contemplant  dans  son  ensemble  l'édifice  des  écoles  publiques 
américaines,  il  est  impossible,  malgré  toutes  ses  imperfections  et 
tous  ses  vices,  de  ne  pas  se  sentir  pénétré  d'admiration  pour  cette 
jeune  nation  qui,  a  peine  sortie  des  luttes  de  la  colonisation  et  des 
déchirements  de  la  guerre  civile,  a  su,  par  la  sagesse  de  chacun  de 
ses  groupes  de  population  pris  individuellement,  élever  sur  des  bases 
inébranlables  un  système  aussi  complet,  aussi  vivant,  aussi  éminem- 
ment démocratique  et  libéral  d'instruction  populaire.  Nous  ignorons 
ce  que  la  Providence  réserve  aux  États-Unis,  nous  ne  savons  par 
quelles  transformations  politiques  et  sociales  doit  passer  ce  peuple 
encore  en  formation  ;  mais  une  chose  nous  paraît  certaine,  c'est  que, 
s'il  reste  fidèle  aux  traditions  que  lui  ont  léguées  ses  pères  et  qu'il 
a  soigneusement  conservées  jusqu'à  ce  jour,  il  est  appelé  à  une 
destinée  glorieuse,  à  un  avenir  d'une  grandeur  incomparable.  * 

Nous  n'ajouterons  qu'un  mot,  que  nous  emprunterons  au  livre  de 
M.  Buisson,  et  qui  doit  être,  suivant  nous,  la  mesure  de  toute  étude 
comparative  des  institutions  scolaires  de  l'étranger  et  des  nôtres  : 

«  L'école  n'est  pas  une  institution  qui  se  puisse  étudier  à  part 
et  en  soi  comme  un  système  de  chemins  de  fer  ou  de  télé- 
graphes. L'école  n'est  rien  par  elle-même,  elle  n'existe  que  par 
et  pour  le  peuple  qui  la  fait  à  son  image  et  qui  y  met  son  esprit. 
Elle  vit  de  sa  vie,  elle  en  a  les  défauts,  les  qualités,  le  génie  pro- 
pre. C'est  une  institution  sociale,  inséparable  de  la  société  elle-même, 
impossible  à  transporter  toute  faite  d'un  pays  ou  d'un  régime  à  un 
autre. 

»  Eussions-nous  vu  en  Amérique  la  perfection  du  système  scolaire, 
il  n'en  serait  pas  moins  chimérique  de  notre  part  de  conclure  à 
l'importation  de  ce  système  :  appliqué  a  d'autres  mœurs,  à  d'autres 
traditions,  à  d'autres  conditions  sociales,  il  pourrait  se  trouver  détes- 
table, et  il  le  serait  probablement,  car  on  n'en  aurait  que  le  cadavre, 
l'âme  n'y  serait  plus.  La  nature- vivante  ne  se  laisse  pas  calquer 
servilement  :  des  causes  semblables  pourront  produire  des  effets 
analogues  ;  mais  vouloir  les  imiter  artificiellement,  c'est  n'avoir  pas 
même  soupçonné  comment  ils  s'obtiennent.  » 

Ce  qui  ne  veut  pas  dire  que  nous  ne  puissions  pas  chercher  à 
nous  assimiler  ce  que  le  système  américain  peut  nous  présenter  de 
véritablement  assimilable,  et  c'est  à  quoi  le  livre  de  M.  Paul  Passy 
pourra  souvent  nous  servir.  C.  D. 


LA  PRESSE  ET  LES  LIVRES  Vi& 

La  Gymnastique,  notions  physiologiques  et  pédagogiques,  applica- 
tions hygiéniques  et  médicales,  par  M.  A.  CoHineau,  docteur  en 
médecine;  Paris,  J.-B.  Baillière,  188i.  —Voici  un  livre  qui  paraîtra 
d'heureux  augure  à  ceux  que  préoccupe  la  question  de  l'éducation 
physique  et  qui  espèrent  que  le  développement  de  la  culture  de 
Tesprit  ne  fera  pas  oublier  combien  celle  du  corps  est  nécessaire, 
et  à  quel  point,  sans  celle-ci,  la  première  est  chose  instable  et 
incomplète.  Un  ouvrage  de  près  de  mille  pages,  tout  consacré  à 
une  seule  des  branches  de  Téducatiou  du  corps,  c'est  l'indice  que 
de  telles  questions,  dont  nul  ne  se  préoccupait  il  y  a  quelques  années, 
sont  devenues  aujourd'hui  un  des  pnncipauz  objets  de  l'attention 
publique. 

M.  le  D^  Collincau  a  conçu  son  œuvre  avec  des  proportions 
imposantes.  Il  ne  s'est  pas  borné  à  donner  au  public  un  traité  aussi 
complet  et  détaillé  que  possible  des  exercices  gymnastiques  de  tout 
ordre.  Il  a  voulu  que  les  notions  précises  d'anatomie  et  de  physio- 
logie fissent  pénétrer  le  lecteur  dans  le  mécanisme  intime  des  effets 
de  la  gymnastique  sur  l'organisme  humain.  Il  a  tenu  également  à 
faire  précéder  son  étude  d'un  résumé  de  l'histoire  de  la  gymnas- 
tique à  travers  les  âges  et  les  peuples.^En  un  mot,  c'est  à  la  fois  un 
ouvrage  d'ensemble  et  une  étude  de  détail  que  l'auteur  offre  à  ceux 
qu'intéresse  la  culture  des  forces  physiques  par  l'exercice  réglé  et 
méthodique.  Ajoutons  que  ces  parties  diverses  sont  fortement  reliées 
par  Tunité  d'inspiration:  une  inspiration  vraiment  libérale,  qui  donne 
à  tout  le  livre  beaucoup  de  vie  et  d'intérêt.  • 

Nous  ne  pouvons  que  recommander  auprès  de  nos  lecteurs  le 
livre  du  D*"  Collineau.  Ils  y  trouveront  en  même  temps  les  vues 
d'ensemble  qui  élôvcnt  la  question  et  la  mettent  son  vrai  rang,  et 
les  indications  techniques  les  plus  précises  exposées  avec  une  excel- 
lente méthode.  E.  P. 

La  vérité  sur  la  gymnastiqte,  ce  qu'elle  doit  être,  par  M.  Picquarty 
auteur  de  la  Gymnastique  vraie  et  de  la  Gymnastique  médicale.  Une 
brochure,  chez  J.-B.  Baillière,  Paris,  1883.  —  M.  Picquart  est  loin 
d'être  l'ennemi  de  la  gymnastique,  mais  il  la  veut  rationnelle, 
scientifique  et  surtout  hygiénique.  Il  s'élève  contre  l'abus  des  agn^s 
et  des  machines,  car  on  doit  assouplir  les  membres  et  non  leur 
faire  violence.  H  combat  surtout  «  l'entraînement  »  que  l'on  fait 
subir  à  des  natures  trop  débiles  pour  supporter  des  exercices  pénibles  et 
dangereux.  11  voudrait  que  les  maîtres  de  gymnastique  fussent  des  méde- 
cins ou  que  tout  au  moins  on  exigeât  d'eux  des  preuves  certaines  d'apti- 
tude vraiment  sp^^ciale.  11  conclut  en  demandant  l'obligation  d'épreuves 
officielles  très  sérieuses  pour  tous  ceux  qui  font  de  la  gymnastique 
leur  profession,  la  création  d'inspecteurs  spéciaux  pour  cet  ordre 
d'enseignement,  la  fondation  d'une  école  spéciale  de  gymnastique. 
M.  Picquart  écrit  avec  vivacité  et  souvent  avec  indignation,  ne  pouvant 


266  BEVUE   PÉDAGOGIQUE 

supporter  qu*on  fasse  trop  souvent  d'un  art  sérieux,  salutaire,  et 
respectable,  une  industrie  plus  ou  moins  lucrative.  Retenons  de  ses 
éerils  qu'il  faut  approprier  les  exercices  a  Tâge  et  à  la  santé  des 
élèves,  avec  le  moins  d'appareils  possible  et  avec  les  appareils  les 
moins  dangereux.  Cette  recommandation  est  fort  sage,  surtout  pour 
les  écoles  primaires.  «  Cest  une  vérité  d'expérience,  dit  M.  Picquart, 
que  le  nombre  des  appareils  est  en  raison  inverse  du  savoir,  de 
l'expérience,  de  l'habileté  du  directeur.  »  Suivre  la  nature  et  ne  pas 
la  forcer,  tout  est  là.  A.  B. 

Le  livre  de  l'Ecole,  choix  de  lectures  expliquées  à  l'usage  des 
écoles  primaires,  par  Ch.  Lcbaigue,  ancien  membre  du  Conseil 
supérieur.  Cours  préparatoire.  Paris,  Belin,  1883.  —  Ce  petit  livre 
complète  mie  série  d'ouvrages  qui  ont  fait  leur  chemin  dans  le 
monde  scolaire  ;  c'est  le  premier  degré  dans  un  ensemble  qui  en 
comporte  quatre.  Selon  nous,  c'est  le  plus  important.  De  la  pre- 
mière impression  reçue  dépend,  pour  beaucoup  d'enfants,  le  goût 
plus  ou  moins  vif  qu'ils  montrent  pour  la  lecture. 

L'ouvrage  n'est  pas  banal,  et  M.  Lebaigue  avait  son  idée  en  le 
composant.  Il  veut  enseigner  la  morale  par  la  lecture.  Chaque  page 
du  petit  livre  est  une  leçon  de  conduite.  Chaque  «  morceau  choisi  », 
prose  ou  vers,  sert  à  combattre  un  défaut,  à  faire  connaître  un 
devoir,  aimer  une  vertu.  La  raison  et  le  goût  sont  également  satis- 
faits du  choix  des  morceaux,  de  leur  gradation,  de  leur  association. 

L'auteur  ne  s'en  tient  pas  là.  11  fait  suivre  chaque  passage  de 
questions  et  d'explications  qui  développent,  éclaircissent,  fécondent 
le  texte.  Pour  écrire  ces  développements,  qui  ont  leur  charme,  l'auteur 
se  fait  père  de  famille  et  converse  avec  ses  enfants.  11  y  a  là  plus 
qu'un  rôle  bien  compris  et  bien  soutenu  ;  il  y  a  une  sollicitude 
vive  et  sincère  pour  le  perfectionnement  intellectuel  et  moral  de 
l'enfance. 

M.  Lebaigue  a  bien  raison  lorsque,  dans  sa  préface,  il  recommande 
aux  maîtres  d'habituer  leurs  élèves  «  à  comprendre  et  à  sentir  ce 
qu'ils  lisent  ».  Tout  le  secret  est  là. 

Nous  permeltra-t-on  de  rappeler  à  ce  sujet  une  jolie  anecdote 
'Contée  par  M"°«  d'Épinay  dans  ses  Mémoires  ? 

L'héroïne  est  sa  fille  Pauline.  Celle-ci,  encore  enfant,  assistait  aux 
leçons  de  son  frère  plus  âgé  qu'elle.  Un  jour  on  fit  passer  au  jeune 
garçon  un  examen  en  famille,  Rousseau  étant  présent.  «  Si  mon 
frère  se  trompe,  dit  Pauline  d'un  air  malin,  je  pourrai  peut-être 
l'aider,  car  je  n*al  pas  laissé  que  de  retenir  bien  des  choses  de  ses 
leçons.  —  C'est-à-dire,  mademoiselle,  lui  répondit  son  père,  que 
vous  ne  retenez  que  ce  qu'on  ne  vous  apprend  pas.  —  Papa,  reprit- 
elle,  je  retiens  bien  ce  que  je  comprends,  mais  pas  le  reste.  » 

Son  frère  ayant  hésité  deux  fois  sur  l'histoire  romaine  dans  deux 
endroits,  la  petite  qui  le  guettait  se  leva  et  répondit  pour  lui  en 


LA   PRESSK  ET  LES   LIVRES  267 

riant.  «  Pourquoi  avoz-vous  retenu  cela?  lui  demanda  Rousseau.  -^ 
Monsieur^  c'est  que  c'est  beau  et  que  cela  me  fait  plaisir.  »  Un  de 
cea  traits  concernait  Régulus,  lorsqu'il  exhortait  les  Romains  à  rejeter 
les  propositions  de  paix  qu'il  apportait  à  Rome  et  dont  le  refus 
devait  lui  coûter  la  vie.  Conclusion  :  Pauline  retenait  plus  que  son 
frère,  parce  qu*elle  comprenait  mieux  et  sentait  davantage. 

H.  D. 

Histoire  de  Charly-slr-Marne,  par  M.  le  docteur  A.  Corlieu, 
bibliothécaire  adjoint  de  la  Faculté  de  médecine  de  Paris,  avec 
cartes  et  dessins;  I,  vol.  in-8'\  Paris,  II.  Champion,  1881.  —  Nous 
parlions  •  dans  un  récent  numéi'o  des  Vieux  papiers  de  mon  village^ 
de  M.  Charles  Sentupéry,  contenant  la  curieuse  histoire  d'une 
*  communauté  »  de  la  Franche-Comté. 

Uflistoire  de  Charlff,  qui  est  un  bourg  du  département  de  l'Aisne, 
d'environ  1,700  liabilants,  ne  présente  pas  moins  d'intérêt,  à  toutes 
aortes  de  points  de  vue.  C'est  sur  des  pièces  d'archives  qu'a  été  faite 
cette  monographie,  et  l'auteur  dit  —  ce  que  nous  croyons  sans  peine 
—  qu'il  y  a  travaillé  plus  de  quinze  ans. 

Si  nous  nous  tenons  exclusivement  au  chapitre  qui  porte  pour 
titre:  instruction  publique,  nous  y  trouverons  ce  portrait  du  maître 
d'école  de  Charly  avant  la  Révolution. 

«  Le  maître  d'école,  dit  M.  Corlieu,  n'avait  besoin  ni  de  cer- 
tificat de  capacité,  ni  de  brevet  pour  enseigner.  11  devait  être  agréé 
par  le  curé  et  nommé  piir  lui  en  présence  des  notables  habitants 
de  la  paroisse.  On  lui  demandait  une  belle  voix  pour  chanter  au 
lutrin  et  une  belle  main  pour  enseigner  l'écriture,  car  c'était  lui 
qui  traçait  les  modèles  à  la  première  ligne  de  chaque  page  du  cahier 
de  rél(>ve.  Quant  à  la  grammaire  et  à  l'orthographe,  il  n'en  était 
pas  question;  on  laissait  deviner  aux  élèves  le  mot  et  la  chose.  Le 
maître  était  aidé  par  sa  femme  ou  par  un  sous-maître,  qu'il  choi- 
sissait lui-même,  où  et  comme  il  voulait,  et  qui  devait  toucher 
Porgue  de  la  paroisse.  Quelques  bancs,  quelques  tables  placées 
sans  régularité  constituaient  tout  le  mobilier  scolaire.  Chaque  élève 
apportait  pour  sa  lecture  le  Uvre  qui  lui  convenait  :  il  y  en  avait 
un  en  français  et  un  autre  en  latin,  puis  quelt^ues  vieux  parrhemins 
ou  contrats  pour  apprendre  à  lire  l'écriture.  L'introduction  d'un  livre 
imprimé  en  caractères  gothiques  du  xvr  siècle  et  ayant  pour  titre 
La  civilité  puérile  et  lumneste  fut  un  grand  progrès.  L'élève  lisait 
quatre  ou  cin<]  lignes  devant  le  maître,  autant  devant  le  sous-maître 
et  on  le  laissait  libre  de  son  temps,  pourvu  qu'il  ne  fit  pas  de 
bruit  dans  la  classe.  A  un  degré  plus  avancé,  il  s'exerçait  à  l'écri- 
ture en  répétant  sur  son  caliier  le  modèle  tracé  par  le  maître.  Il 
n'y  avait  jamais  ni  dictées,  ni  correction  de  devoirs.  La  géographie 
et  riiistoire  étaient  complètement  inconnues.  Quant  à  l'arithmétique, 
le  maître  d'école  enseignait  à  faire  les  quatre  premières  règles,  la 


268  REVUS  PÉDAGOGIQUK 

règle  do  trois,  autrement  appelée  un  Si,  à  cause  de  l'énoncé  du 
problème  qui  commençait  par  ce  mot.  La  classe  ouvrait  à  neut 
heures  du  matin  et  finissait  à  onze  heures;  elle  reprenait  de  une 
heure  à  quatre  heures.  Cependant  il  était  loisible  aux  élèves  d'arri- 
ver quand  bon  leur  semblait.  La  classe  terminée,  le  maître  pi  énon- 
çait la  phrase  consacrée  :  «  Que  tous  ceux  qui  ont  lu  deux  s*en  re- 
tournent y>,  et  alors  tous  les  élèves  s'échappaient  en  désordre,  pas- 
sant devant  le  maître,  qui  se  tenait  à  la  porte  et  lui  montrant  les 
deux  doigts,  pour  lui  indiquer  qu'ils  avaient  lu  deux  fois. 

»  La  rétribution  était  de  cinq,  dix,  quinze  sous,  selon  que  l'élève 
apprenait  à  lire,  à  écrire  ou  à  calculer. 

9  Le  maître  d'école  vivait  d^  ce  maigre  produit.  Aussi  joignait-il 
quelques  petites  fonctions  à  la  sienne.  Il  était  le  premier  chantre  au 
lutrin,  balayait  l'église  ou  la  faisait  balayer  par  ses  plus  grands 
élèves,  était  sacristain,  sonnait  V angélus ^  assistait  le  curé  dans  tous 
les  mariages  ou  enterrements,  l'accompagnait  quand  il  portait  le 
viatique  aux  malades.  Le  dimanche  matin,  il  parcourait  toutes  les 
maisons  de  la  localité  pour  les  asperger  d'eau  bénite;  les  fermes  de 
Beaurepaire,  La  Masure,  etc.,  recevaient,  malgré  leur  éloignement, 
sa  visite  matinale  ou  celle  du  sous-maître.  Chaque  habitant  lui 
'donnait  une  rétribution  de  quelques  sous  pour  cette  aspersion.  Dans 
tous  les  pressoirs,  le  maître  d'école  allait  donner  son  coup  d'épaule 
au  moulinet  et  emportait,  en  échange,  du  vin  nouveau  dans  son 
seau.  Dans  les  bonnes  années,  il  pouvait  ainsi  récolter  cinq  ou  six 
pièces  de  vin.  11  était  logé  gratuitement  dans  la  maison  d'école  et 
exempt  de  la  taille  et  des  autres  impôts.  > 

Ainsi  se  passaient  les  choses  à  Charly,  comme  il  appert  en  grande 
partie  du  texte  d'un  procès-verbal  de  la  nomination  d'un  maître  d'école 
en  1746,  et  il  est  probable  qu'elles  devaient  se  passer  d'une  façon 
analogue  dans  beaucoup  d'autres  localités.  Et  la  situation  reste  telle, 
dit  M.  Corlieu,  jusqu'en  1832. 

Sur  l'époque  de  la  Révolution  même,  les  documents  concernant 
l'école  sont  rares  à  Charlv  ;  nous  voyons  cependant  que  l'instituteur 
national,  dont  le  nom  était  André  Leroi,  «  cessa  de  porter  un  nom 
qui  rappelait  la  tyrannie,  et  prit  celui  de  Drouet-la-Montagne  ». 
Drouet,  sans  doute,  en  souvenir  de  l'arrestation  de  Varennes. 

M.  Corlieu  cite  un  règlement,  émanant  du  conseil  municipal  de 
Charly,  en  décembre  1831,  et  qui  spécifie  les  droits  et  les  devoirs 
de  l'instituteur  :  on  y  sent  un  notable  progrès,  quoique  le  maître 
soit  encore  chargé  de  remonter  tous  les  jours  l'horloge  de  la  com- 
mune, de  sonner  la  cloche  trois  fois,  et  qu'en  qualité  de  premier 
clerc  il  doive  exécuter  les  ordres  qui  lui  seront  donnés,  à  cet  effet, 
par  M.  le  curé. 

Ces  études  rétrospectives  sont,  nous  le  répétons,  extrêmement 
intéressantes,  et  il  semble  que  les  instituteurs  sont  mieux  désignés 
que  personne  pour  s'en  occuper.  C.  D. 


LA  PRISSE  £T  LIS  UYRES  269 

La  production  agricole  en  France,  son  présent  et  son  avenir,  par 
M.  Louis  Grandeau,  1  vol.  grand  in-8®  avec  deux  cartes  et  deux 
diagrammes,  Paris,  Berger-Levrault,  i885.  —  Nous  sortirions  du 
cadre  de  cette  Revue  en  suivant  l'auteur  dans  les  savants  détails  où 
il  entre  sur  la  production  du  blé  en  France  et  dans  l'analyse  appro- 
fondie qu'il  fait  des  causes  multiples  de  la  crise  agricole.  Disons 
seulement  que,  d*après  M.  Grandeau,  le  principal  remède  au  mal 
dont  nous  soufl'rons  sera  dans  l'application  de  plus  en  plus  répandue 
desméthodeséconomiquesdeculture:  nuiis  pour  appliquer  les  méthodes 
il  faut  les  apprendre;  delà  la  nécessité  de  développer  renseignement 
agricole  a  ses  divers  degrés  et  tout  d'abord  d'utiliser  les  éludes  et  les 
expériences  faites  dans  les  stations  agronomiques.  «  Les  professeurs 
départementaux  d'agriculture,  dit  M.  Grandeau,  sont,  à  côté  des 
directeurs  de  stations,  les  vulgarisateurs  naturels  des  résultats 
obteous  dans  les  stations  agronomiques.  L'ensci^^nement  local  dont 
ils  sont  chargés  trouvera  dans  les  travaux  des  laboratoires,  dans  les 
champs  d'expérience,  dans  les  essais  sur  l'alimentation  du  bétaU, 
entrepris  et  dirigés  par  les  stations,  sa  base  la  plus  certaine,  les 
exemples  les  plus  utiles,  les  indications  les  plus  sûres  concernant 
les  améliorations  à  signaler  au  public  agricole.  »  Ajoutons  que  les 
élèves-maîtres  de  nos  écoles  normales  seraient  les  premiers  à  pro- 
fiter de  ces  précieuses  indications.  A.  B. 

Horace  Mann,  promoteur  de  l'éducation  populaire  aux  États-Unis, 
par  M.  Gaufrés,  ancien  chef  d'institution,  conseiller  municipal  de 
Paris,  deuxicme  édition  ;  in- 12  de  33  pa^^es,  Paris,  Librairie  centrale 
des  publications  |)opulaires,  1884.  —  Cotte  brochure  vient  à  son 
heure,  puisque  le  principal  des  ouvrages  d'Horace  Mann  qui  ont  été 
traduits  en  français  vient  d'être  proposé  à  1  étude  spéciale  des  can- 
didats aux  dipl(^mes  pédagogiques.  Ce  portrait  du  grand  «  promo- 
teur de  l'éducation  populaire  aux  États-Unis  »  réalise  un  vœu  de 
M.  Laboulaye,  qui  espérait  que  quelque  jour  on  nous  ferait  «  pénétrer 
dans  l'intérieur  de  cette  belle  Ame  p.  L'élude  de  l'homme  ne  peut 
aller  d'ailleurs  sans  celle  du  pays,  et  la  brochure  de  M.  Gaufrés 
pn'sente  une  analyse  exacte  et  animée  de  cette  réforme  scolaire  où 
l'Amérique  nous  a  devancés,  et  pour  laquelle  nous  pouvons  lui 
prendre  encore  quelques  bons  exemples.  C.  D. 

Carnet  pour  la  préparation  quotidienne  des  leçons,  par 
M.  Chauineil,  cahier  grand  format,  Paris,  l'aul  Dupont,  188  i.  —  Les 
instituteurs  ont  été  dispensés  de  résumer  leur  travail  quotidien  sur 
le  journal  de  classe,  mais  beaucoup  ont  conservé  l'habitude  de 
résumer  en  quelques  courtes  notes  journalières  la  préparation  de 
leurs  leçons.  Pour  faciliter  le  travail  des  maîtres,  M.  Chaumeil, 
inspecteur  primaire  à  Paris,  a  publié  un  carnet  pour  la  préparation 
quotidienne  des  leçons.  11  comprend  autant  de  doubles  pages  qu'il 
y  a  de  semaines  dans  l'année  scolaire.   Chaque  double  page  est 


970  ilVUB  ^ÉDAeOOIOVK 

divisée  en  colonnes  verticales  et  en  colonnes  horizontales,  de 
manière  qu'en  suivant  les  premières  on  se  rend  compte  de  toutes 
les  leçons  de  chaque  jour  de  la  semaine  et  qu*en  suivant  les 
secondes  on  trouve  toutes  les  leçons  faites  sur  la  même  matière 
pendant  toute  la  semaine.  Nous  signalons  cette  publication  aux 
instituteurs  parce  que  nous  attachons,  comme  M.  Chaume  il,  une 
grande' importance  à  la  tenue  du  carnet  de  préparation,  qui  peut 
d'ailleurs  flifecter  bien  des  formes  :  la  meilleure  sera  certainement 
celle  que  choisira  lai-même  l'instituteur;  mais  le  travail  de 
M.  Chaumeil  peut  utilement  guider  les  maîtres  et  les  maîtresses. 

A.  B. 
Langue  allemande. 

Wanderungen,  Turnfahrten  und  Schulerreisen.  (Excursions  de 
gymnastes  et  voyages  d'écoliers),  par  Théodore  Bach,  directeur  du 
Falk-Real-Gymnasium  à  Berlin.  Leipzig,  1885,  chez  Strauch.  — 11  est 
certain  que  les  Allemands  ont  l'humeur  voyageuse.  Ils  s'en  vantent 
et  font  remonter  cette  tendance  au  mouvement,  à  la  promenade  et 
même  à  l'expatriation  jusqu'aux  temps  les  plus  reculés,  jusqu'à 
l'époque  des  grandes  invasions  des  Cimbres  et  des  Teutons. 
Aujourd'hui  un  Allemand  qui  se  respecte  ne  peut  pas  traiter  le  plus 
modeste  des  sujets  sans  en  aller  chercher  les  racines  dans  les 
origines  mêmes  de  la  race  germanique,  au  plus  bas  mot  jusqu'à 
rillusti*e  Arminius. 

C'est  ce  que  ne  manque  pas  de  faire  non  plus  l'auteur  de  ce 
volume.  11  raconte  les  habitudes  de  marche  des  Allemands  pendant 
les  croisades,  au  moyen  âge  quand  les  écoliers  erraient  de  ville  en 
ville,  des  Alpes  à  la  mer,  plus  tard  lorsque  les  compagnons  circulaient 
d'un  bout  à  l'autre  de  l'Allemagne  pendant  les  guerres,  chcrciiant 
plus  bouvcnt  les  occasions  de  bataille  et  de  pillage  que  de  travail. 

Goethe  était  un  grand  voyageur,  qui  a  chanté  sur  tous  les  modes 
la  joie  de  courir,  de  changer  de  climat  et  d'horizon. 

Tous  les  pédagogues  célèbres  ont  recommandé  le  mouvement,  la 
marche,  les  excursions,  les  voyages.  M.  Bach  fait  montre  à  ce  sujet 
d'une  érudition  complète,  minutieuse,  impitoyable,  qui  parfois  ne 
manque  pas  d'intérêt  et  qui  prouve  avec  quelle  passion  il  a  adopté 
son  sujet.  Il  est  du  reste  un  des  hommes  qui  ont  le  plus  fait  pour 
perfectionner,  généraliser  et  rendre  vraiment  pratique  et  utile  l'usage 
des  voyages  scolaires. 

Il  consacre,  comme  de  juste,  une  bonne  part  de  son  historique  à 
la  Suisse,  le  terrain  classique  des  voyages  d'écoliers,  au  docteur 
Guillaume,  légitimement  appelé  «  le  père  des  courses  scolaires  >. 
n  mentionne  les  in-folios  publiés  à  Neuchâtel,  chez  Delachaux  et 
Sandoz,  intitulés  :  «  Courses  scolaires,  dédiées  à  la  jeunesse  de  la 
Suisse  Romande.  »  Le  premier  livre  :  Trois  jours  de  vacances,  raconte 
une  excursions  faite  dans  le  Jura  en  1864,  dans  «n  moment  où 
nous  ne  songions  guère  à  de  pareils  procédés  d'enseignement. 


LA  PBESSK  £T  LIS  UTRES  271 

Le  docteur  Guillaume  dirigeait  l'expédition  ;  on  avait  choisi  Tuni- 
forme  des  cadets,  qui  est  pratique  et  facilite  beaucoup  le  maintien  de  la 
discipline  en  conservant  Tosprit  de  corps.  Un  médecin  accompap^nait  les 
jeunes  voyageurs  pour  la  tranquillité  des  familles.  Partout  ils  reçoivent 
le  meilleur  accueil.  Les  conseils  municipaux  leur  font  fête.  Parfois  il 
faut  se  contenter  de  peu»  le  bon  air  assaisonne  tout.  Voici  la  carte 
d'un  menu  qui  leur  a  été  servi  dans  une  auberge  de  la  monta^me  : 

c  Première,  seconde  et  troisième  entrée  :  Soupe  à  la  farine,  cuite 
au  beurre  avec  pain  trempé,  la  ration  0,10.  Beignets  de  la  veille  cuits 
dans  le  beurre,  la  ration  0,15.  Le  pain  est  à  discrétion,  à  raison 
d'un  crDÙton  par  tote.  »  Le  trésorier  de  l'excursion  jubilait,  les 
autres  ne  perdaient  pas  leur  belle  humeur. 

«  Ces  courses  scolaires,  disait  fort  justement  M.  Guillaume,  et 
les  visites  auxquelles  elles  donnent  lieu,  finiront  par  devenir  pour 
nos  enfants  ce  que  nos  fêtes  nationales  sont  pour  les  adultes,  les 
occasions  de  se  voir,  d'apprendre  à  se  connaître,  à  s'aimer,  tout  en 
provoquant  et  en  développant  chez  eux  l'amour  du  pays  dont  ils  sont 
l'espoir  et  dont  ils  sont  appelés  à  diriger  un  jour  les  destinées.  » 

M.  Bach  est  assez  impartial  pour  mentionner  en  passant,  d'un 
trait  rapide,  le  Club  Alpin  français,  le  discours  de  M.  Durier  à  la 
Sorbonne  et  les  caravanes  scolaires  parties  de  Paris,  de  Bordeaux, 
Dieppe,  etc. 

Au  reste,  pour  faire  connaître  et  apprécier  les  courses  scolaires, 
Pauteur  a  pris  le  meilleur  moyen;  il  entre  dans  d'infinis  détails, 
reproduit  les  récits  complets  d'excursions,  récits  parfois  enfantins, 
mais  (jui  n'en  oflrent  que  plus  d'intérêt. 

Il  est  arrivé  souvent  que  les  maîtres  dos  écoles  de  Berlin  donnent 
à  ces  courses  un  caractère  militaire,  organisant  de  véritables  grandes 
manœuvres,  préparant  des  plans  de  batailles,  qui  ajoutent  aux  plai- 
sirs de  la  marche,  de  la  course,  du  grand  air,  de  l'excursion  dans 
les  bois,  le  plaisir  si  cher  aux  garçons,  et  qu'on  s'efforce  do  surex- 
citer chez  les  jeunes  Berlinois,  de  la  lutte  et  des  actions  guerrières. 
11  y  a  des  règles  particulières  pour  ces  courses  et  jeux  militaires, 
guerre  d'assaut  ou  guerre  de  rase  campagne,  auxquels  des  cen- 
taines d'écoliers  prennent  part  sous  la  conduite  de  chefs  expéri- 
mentés. L  auteur  reproduit  des  rapports  circonstanciés,  avec  plans  à 
l'appui.  11  donne  également  les  règles  complètes  de  ces  jeux  mili- 
taires, qui  sont  un  agrandissement  considérable  de  ce  que  nous 
appelons  le  jeu  de  barres. 

Après  cette  étude  très  complète  sur  les  excursions  des  écoliers, 
soit  d'établissements  d'enseignement  secondaire,  soit  surtout  de 
classes  primaires,  l'auteur  passe  aux  excursions,  naturellement  plus 
fatigantes  et  plus  complètes,  des  sociétés  de  gymnastique.  Il  paraît 
qu'à  cet  égard  c'est  Berlin  qui  réclame  la  prééminence.  Des 
rapports  annuels  rendent  compte  des  excursions  et  des  exercices 
et  jeux  de  toute  nature  qui  les  accompagnent.  11  en  est  de  courtes, 


272  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

celles  qui  ont  lieu  presque  tous  les  dimanches;  elles  comportent 
des  distances  de  trois  à  six  lieues,  parfois  de  sept  a  neuf,  comme 
lorsqu'on  va  jusqu'à  Potsdam;  on  revient  à  pied,  en  rang,  avec  ordre 
et  régularité,  jusqu'aux  portes  mêmes  de  Berlin;  on  tienlà  conser- 
ver à  ces  marches  leur  caractère  gymnastique  et  quasi  militaire. 

Tous  les  ans,  aux  fêtes  de  la  Pentecôte,  on  entreprend  une  tour- 
née de  quatre  à  cinq  jours;  on  va  dans  le  Riesengebirge,  dans  le 
Harz,  etc.  Les  excursionnistes  se  divisent  en  plusieurs  groupes, 
prennent  des  routes  diiTérentes,  mais  se  donnent  rendez-vous  à  la 
même  heure  sur  un  point  déterminé;  l'heure  de  la  rencontre 
est  joyeuse;  tous  se  mêlent,  se  racontent  leurs  aventures,  puis  les 
différents  corps  repartent  daostous  les  sens  jusqu'au  retour  définîiif. 

Tout  est  déterminé  dans  ces  excursions:  les  heures  de  marche, 
de  repos,  de  repas;  il  y  a  des  chefs,  des  règlements  ;  on  chante  en 
chœur  des  chants  destinés  à  alléger  la  marche,  à  entretenir  la  bonne 
humeur,  à  élever  les  esprits.  Les  excursionnistes  sont  de  jeunes 
apprentis,  des  commis,  de  jeunes  ouvriers  qui  ont  tout  ensemble 
pour  objet  de  sortir  des  rues  poudreuses  ou  boueuses  des  villes,  de 
respirer  le  bon  air  des  champs,  et  de  se  fortifier  par  des  exercices 
gradués  de  marche  et  de  course,  ils  font  de  temps  à  autre  des  marches 
forcées,  des  marches  de  unit,  des  haltes  nocturnes  en  plein  air. 

Les  Allemands  du  Midi  se  rendent  volontiers  dans  les  Alpes,  faites 
à  souhait  pour  le  bonheur  des  touristes  de  toute  condition  et  de  tous 
pays;  les  caravanes  de  gymnastes  y  trouvent  mille  occasions 
d'exercer  leurs  forces,  de  lutter  contre  les  difficultés  de  la  nature. 

A  la  fin  de  son  chapitre  sur  les  excursions  de  gymnastes,  le 
docteur  Bach  confesse  que  l'Allemand  se  laisse  trop  tôt  et  trop 
facilement  déshabituer  de  ces  excellents  exercices.  «  Sortez  de  vos 
coussins,  faut-il  leur  crier;  comment  pouvez-vous  savoir  comme  il 
fait  beau  dehors?  Vous  ne  vous  souciez  pas  de  la  douce  haleine  du 
printemps  et  n'avez  jamais  vu  les  splendeurs  de  l'aurore!  »  —  «  On 
a  beau  vanter  aux  jeunes  gens  l'excellence,  les  merveilles  de  ces 
courses,  le  bien  extraordinaire  qu'elles  font  au  corps  et  a  Tesprit, 
le  délassement,  la  joie  qu'elles  procurent,  il  n'y  a  pas  pour  cela 
beaucoup  plus  de  courses-  de  g>'mnastes;  c'est  en  Allemagne  qu'il 
faut  aller  pour  les  rencontrer  telles  qu'elles  doivent  être.  »  Ainsi 
écrit  un  Américain;  et  le  docteur  Bach  déclare  que  ces  plaintes 
peuvent  être  proférées  en  Allemagne  aussi  bien  qu'en  Amérique. 
Chacun  sait  où  le  bât  le  blesse  ;  ne  soyons  pas  trop  prêts  à  admirer 
les  autres  sans  restriction    ils  ont  aussi  leurs  misères. 

Les  jeunes  filles  peuvent  également  tirer  bon  parti  de  courses  et 
de  voyages  en  commun  ;  la  Suisse  a  su  les  organiser  avec  intelligence. 
MM.  Guillaume,  Desor,  Ayer,  Berthoud  ont  publié  à  ce  sujet 
d'intéressantes  notices.  «  Un  jour  au  Creux  du  Vent  »  est  le  récit 
d'un  voyage  des  écoles  supérieures  de  filles  de  NeuchiUel.  La  gare 
de  la  ville  vit  se  réunir,  pour  le  départ,  une  centaine  de  personnes. 


LA  PRESSE   ET  LES  LIVRES  273 

des  maîtres,  des  maîtresses,  des  parents,  des  mères,  et  des  «  jeunes 
ftUes  blondes,  brunes,  roses,  fraîches,  épanouies,  radieuses  comme 
le  jour  qui  les  éclairait  ».  Le  récit  de  leurs  excursions  est  gai  et 
attrayant.  Les  Allemands  organisent  aussi  parfois  de  ces  courses  de 
pensionnats  ou  d'école  ;  mais  c'est  une  tâche  difficile,  qui  demande 
du  soin,  du  tact,  et  que  ceux-là  seuls  peuvent  mener  à  bonne  fin 
qui  aiment  réellement  l'enfance  et  savent  la  diriger. 

Une  bonne  partie  de  ce  volume,  la  dernière,  est  consacrée  à  des 
détails  pratiques  du  plus  haut  intérêt  pour  les  amateurs  de  courses 
scolaires  :  programmes  de  voyage,  règles  de  conduite,  usage  de  la 
boussole  alidade  de  M.  Peigné  (i),  règles  des  jeux,  irais,  dépenses, 
conseils  et  renseignements  de  toute  nature,  spécimens  d^excursîon^ 
d'invitation,  de  rendez-vous,  etc. 

Il  est  à  désirer  que  le  goût  de  ce;  voyages  se  répande  parmi 
notre  jeunesse.  La  France  n'est  pas  restée  étrangère  à  ce  mouvement, 
comme  le  reconnaît  l'auteur  ;  il  nous  reste  encore  beaucoup  à  faire 
pour  le  généraliser. 

n  ne  manque  pas  chez  nous  de  sites  pittoresques,  de  régions 
attrayantes,  de  buts  d'excursions,  il  ne  manque  pas  non  plus  d'ardeur, 
de  santé,  de  curiosité  dans  notre  jeunesse.  Ses  conducteurs  réussiront 
sans  peine  à  lui  faire  comprendre  qu'il  y  a  là  pour  elle  une  source 
de  plaisirs  —  en  même  temps  qu'un  devoir  patriotique.  C'est  bien 
ainsi  que  les  Allemands  l'entendent  :  nos  Français  certainement 
rentendront  à  demi-mot. 

La  place  et  l'importance  de  l'école  populai  œ  dans  la  civilisa- 
tion MODERNE,  par  A,  Hackenberg;  Neuwied  et  Leipzig,  chez  Heuser 
1884.  —  Ceci  est  une  conférence  qui  a  été  prononcée  a  l'école 
normale  d'Ottweiler  devant  un  congrès  d'instituteurs  prussiens. 

L'orateur  passe  d'abord  en  revue  les  prétentions  des  différents 
partis  vis-à-vis  de  l'école,  et  il  est  intéressant  de  les  comparer  à 
celles  qui  se  produisent  chez  nous. 

Il  y  a  d'abord  les  partisans  de  l'ancien  système,  qui  mettait 
l'école  sous  l'absolue  dépendance  de  l'Église.  On  ne  peut,  disent-ils, 
contester  que  TÉglise  ait  été  la  fondatrice  de  Técole  ;  elles  pour- 
suivent toutes  deux  le  même  but.  L'école  est  le  vestibule  de  l'Église, 
et  l'Église  est  l'achèvement  de  l'école  ;  les  ecclésiastiques  sont  les 
inspecteurs-nés  de  l'école,  qui  n'est  légalement  qu'une  annexe  de 
l'Église,  et  qui  doit  être,  comme  elle,  soustraite  à  la  direction  de 
rÉtat.  Parmi  les  partis  politiques,  c'est  l'extrême  droite  et  le  centre  (2) 
qui  revendiquent,  dans  ce  sens,  ce  qu'ils  appellent  «  l'école  libre  ». 

(1)  Boussole  alidade  avec  carton  planchette,  par  P.  Peign*,  chef  d'escadron 
d'artillerie,  ancien  professeur  de  topog  aphie  à  l'éc  le  milita  re  dj  Sai.it* 
Cyr.  Librairie  Dela:;rave. 

(2)  Dans  le  Reiehstag  allemand,  le  centre  est  le  parti  catholique,  VôxtréiM 
droite  est  le  parti  féodal. 

RBVUB  PEDAGOGIQUE   1885.    —  \«^  8BM.  18 


274  RfiVU£  PtDAâOGIQU& 

D'autres,  en  opposition  absolue  avec  ces  derniers,  veulent  dénouer 
le  dernier  lien  qui  rattache  l'école  à  rÉglise,  et  en  faire  exclu- 
siyement  une  Institution  d*État.  La  msgorité  de  ce  côté  se  contente- 
rait de  la  suppression  totale  de  Tinspection  ecclésiatique;  plusieurs 
voudraient  enlever  à  TÉglise  jusqu'à  la  surveiUance  de  renseignement 
religieux;  quelques-uns  poussent  le  radicalisme  jusqu'âr  vouloir 
écarter  toute  influence  de  l'Église  sur  l'école  et  y  supprimer  tout 
enseignement  confessionnel.  De  ce  côté,  tous  tombent  d'accord  pour 
demander  que  l'État  devienne  plus  qu'auparavant  maître  de  l'école. 

U  paraît  que  la  presque  totalité  des  instituteurs  se  range  à  ce 
parti,  et  attend  toute  espèce  de  progrès  et  de  prospérité  de  la 
réforme  qui  ferait  d'eux  exclusivement  des  fonctionnaires  de  l'État, 
subventionnés  par  les  finances  de  l'État. 

D'autres  personnes  voudraient  soustraire  l'école  non  seulement  à 
'Église,    mais  encore  à  l'État,  et  la   mettre   uniquement   dans  la 
dépendance  des  familles  :  l'école  du  peuple,  disent-ils,   doit  appar- 
tenir au  peuple. 

Le  conférencier  ne  donne  pas  d'explications  complètes  sur  ce 
point  ;  il  se  borne  à  faire  remarquer  que  TÉglise  et  l'État  ne  sont 
pas  autre  chose  que  le  peuple  lui-même,  que  des  formes  de  l'orga- 
nisation du  peuple  en  société.  11  s'élève  avec  force  contre  l'idée, 
exprimée  aussi  par  quelques-uns,  que  l'école  doit  appartenir  à  elle- 
même,  c'est-à-dire  que  le  corps  enseignant  doit  seul  décider  de  toutes 
les  questions  qui  la  touchent. 

Quant  à  lui,  il  pense  que  les  trois  facteurs  de  la  vie  sociale, 
également  intéressés  à  l'école  populaire,  doivent  y  avoir  chacun 
leur  part  d'influence  :  l'Eglise,  l'Etat,  la  famille.  11  cherche  à  faire 
la  part  équitable  de  chacun,  et  ne  cache  pas  que  c'est  à  TEiat  qu'il 
convient  d'attribuer  la  plus  considérable.  Il  appelle  de  ses  vœux  la 
loi  scolaire  organique  qui  mettra  fin  à  l'état  de  choses  actuel  et  qui 
est  impatiemment  attendue  en  Prusse  depuis  la  constitution  du  31 
janvier  1850.  Les  retards  môme  qu'elle  a  soufferts,  dit-il,  auront 
pour  résultat  excellent  d'avoir  mieux  préparé  les  solutions,  en  lais- 
sant plus  de  champ  au  choc  et  à  la  discussion  des  idées. 

L'importance  de  l'école  dans  la  civilisation  moderne  est  immense. 
On  l'a  dit,  et  c'est  devenu  banal  :  qui  a  l'école  à  l'avenir.  Toutefois 
il  ne  faut  pas  exagérer.  Les  uns  exaltent  l'école,  et  les  instituteurs 
comme  la  source  de  tout  bien,  de  toute  lumière,  l'instrument  de 
tout  progrès,  de  la  régénération  du  peuple,  la  panacée  universelle. 
Les  autres  y  voient  la  cause  de  tous  les  maux,  de  la  démoralisation, 
de  l'empoisonnement  du  peuple  par  les  doctrines  les  plus  funestes, 
de  l'envahissement  du  nihilisme,  etc. 

Le  conférencier  croit  que  l'école  n'a  pas  une  action  si  prépondé- 
rante; d'autres  influences  agissent  sur  les  esprits  et  souvent  avec 
beaucoup  plus  d'efficacité  ;  il  y  a  les  influences  de  la  famille,  de  la 
camaraderie,  de  l'opinion  du  monde  ambiant.   L'enfant  sort  bien 


LÀ  PBXSSE  ET  LIS  LIVRES  S78 

jeune  île  Técole  ;  il  oublie  vite  les  impressions  morales  qa'il  a  reçues; 
il  suffît  souvent  d'une  heure^  d'une  mauvaise  rencontre,  d'mie 
mauvaise  lecture  pour  idétruire  Teffort  de  plusieurs  années,  il  eon<*> 
vient  donc  de  parler  de  l'école  avec  une  certaine  modestie  si  Ton: 
«n  veut  parler  avec  justice  et  vérité. 

L'orateur  expose  en  fort  bons  termes  l'utilité,  la  nécessité,  les 
bienfaits  de  l'école;  nous  passons  rapidement  sur  ces  idées,  qui  sont 
familières  à  nos  lecteurs.  Que  faut-il  faire,  ajoute-t-il,  pour  que 
l'école  populaire  réponde  encore  mieux  à  sa  destination  ?  Quels  pro- 
grès restent  à  accomplir? 

Ce  n'est  pas  de  diminuer  la  quantité  des  matières  qui  y  sont 
enseignées  ;  plusieurs  se  plaignent  de  la  trop  grande  place  accordée 
aux  sciences,  qui  empiètent  môme  sur  l'enseignement  religieux; 
celui*ci  n'a  pas  besoin  d'un  plus  grand  nombre  d'heures;  il  n'en 
sera  pas  plus  eilicace  pour  cela  ;  ce  qui  importe,  c'est  qu'il  soit  bien 
donné.  Et  s'il  n'est  pas  nécessaire  de  restreindre,  il  ne  l'est  pas 
davantage  d'élargir  et  d'enrichir  le  programme.  L'économie  rurale, 
l'économie  politique,  par  exemple,  sont  médiocrement  à  leur  place 
dans  l'école  ;  ce  sont  instructions  techniques  qui  viendront  pins 
tard,  à  leurs  heures.  Ce  qui  importe,  dans  l'école,  ce  n'est  pas  la 
multitude  des  objets,  c'est  la  sûreté  de  la  méthode,  et  la  meilleure 
des  méthodes  est  celle  qui  ne  s'attarde  pas  à  un  seul  côté  des 
facultés,  mais  qui  vise  le  développement  complet  de  la  raison,  le 
développement  de  l'homme  tout  entier. 

L'administration  de  l'instruction  publique,  dit-il  encore,  vise  trop 
à  l'uniformité,  à  la  centralisation  ;  elle  abuse  des  ri*glements  et  des 
décrets,  elle  ne  laisse  pas  assez  de  place  à  l'initiative  individuelle, 
à  l'originalité  régionale. 

On  n'intéresse  pas  assez  les  familles  a  la  bonne  organisation  et 
aux  progrès  de  l'école.  Souvent  on  rencontre  dans  les  familles  plus 
que  de  l'inertie,  une  certaine  opposition  qui  contrarie  les  efforts 
du  maître;  il  faut  que  les  pères  de  famille,  par  l'organe  des  comités 
scolaires,  puissent  agir  pour  la  réforme  d'abus  ou  de  défauts  dans 
l'enseignement,  pour  le  déplacement  de  mauvais  instituteurs,  etc.; 
qu'une  plus  étroite  relation  soit  établie  entre  les  pores  et  les 
maîtres,  que  l'école  s'appuie  solidement  sur  la  famille. 

Un  autre  grave  danger  signalé  par  l'orateur,  c'est  la  création  d'écoles 
préparatoires  dans  les  établissements  d'enseignement  secondaire. 

Ces  petites  écoles,  destinées  à  enseigner  aux  enfants  des  familles 
aisées  les  premiers  éléments,  font  tort  à  l'école  primaire,  détournent 
d'elle  l'intérêt  de  la  bourgeoisie,  préparent  trop  tôt  la  séparation  des 
classes,  réduisent  l'école  primaire  à  n'être  qu'une  école  de  pauvres^ 
inculquent  de  bonne  heure  les  préjugés  de  fortune  et  do  naissance. 
L'école  populaire  ne  répondra  vraiment  à  sa  destination  et  n'aura 
toute  son  importance  que  quand  elle  réunira  indistinctement  tous 
les  enfants  de  la  nation. 


276  ftfVtJI  PÉDAGOGIQUI 

Celte  pensée,  que  réalisent  les  républicains  des  États-Unis  d'Amé- 
rique et  de  la  Suisse,  et  que  les  républicains  de  France  ne  doivent 
pas  perdre  de  vue,  fait  le  plus  grand  honneur  à  Fauteur  du  traité 
que  nous  analysons.  Il  termine  son  discours  en  exprimant  et  en 
justifiant  le  vœu  que  la  loi  impose  aux  adolescents  qui  sortent 
de  récole  à  quatorze  ans  Tobligalion  de  suivre  des  cours  complé- 
mentaires jusqu'à  dix-huit  ans.  C'est  au  moment  où  la  discipline  à 
la  fois  intellectuelle  et  morale  est  le  plus  nécessaire  à  la  jeunesse 
qu'elle  fait  tout  à  coup  défaut  aux  enfants  du  peuple. 

Ils  sont  absolument  livrés  à  eux-mêmes  et  à  toutes  les  mauvaises 
influences  de  la  vie,  dans  un  âge  ou  les  fils  des  familles  aisées  sont 
encore  soumis  à  la  direction  de  leurs  maîtres.  De  là  une  dififérence 
fâcheuse  à  tous  les  points  de  vue.  L'école  populaire  ne  portera  ses 
fruits  que  si  son  action  peut  se  prolonger  au  delà  de  l'âge  scolaire 
tel  qu'il  est  déterminé  aujourd'hui.  J.  S. 

Langue  anglaise. 

PrOCEBDINGS    OF     THE     INTERNATIONAL     CON  KRENCE     ON     tlOUGATION, 

LoNDON,  1884.  Edited  by  Richard  Cowper,  secretary  to  the  Committee 
of  organisation.  Londres,  1883.  —  Le  compte-rendu  du  congrès 
pédagogique  international  tenu  l'été  dernier  à  Londres  à  l'occasion 
de  l'Exposition  d'hygiène  et  d'éducation  vient  de  paraître  en  quatre 
beaux  volumes,  dont  le  premier  est  consacré  à  l'enseignement  pri- 
maire, le  second  à  renseignement  technique,  le  troisième  à  l'ensei- 
gnement des  universités,  le- quatrième  à  l'enseignement  intermédiaire 
ou  secondaire  et  à  la  préparation  des  maîtres.  Les  mémoires  lus 
devant  chacune  des  sections  du  congrès  sont  imprimés  in-extenso; 
les  débats  sont  résumés  d'après  la  sténographie.  Ceux  de  nos  lecteurs 
qui  désireraient  avoir  une  idée  précise  du  contenu  de  ces  quatre 
volumes  pourront  se  reporter  au  résumé  que  la  Revue  a  donné  des 
travaux  du  congrès  (numéro  de  septembre  1884,  p.  246)  :  ce  résumé 
forme  une  sorte  de  table  des  matières  de  la  publication  que  nous 
signalons. 

Chacun  des  quatre  volumes  renferme  des  pages  qui  seront  lues  en 
France  avec  intérêt.  Nous  avons  retrouvé  avec  plaisir,  dans  le  pre- 
mier volume,  les  mémoires  de  M.  Heller  et  du  rev.  H.  Roe  sur  Tep- 
seignement  primaire,  et  le  compte-rendu  de  la  discussion  qu'ils  ont 
soulevée:  on  peut  y  étudier  le  système  anglais  et  les  critiques  qui 
lui  sont  adressées.  Signalons  aussi  une  série  de  mémoires  très 
instructifs  sur  les  diverses  méthodes  en  usage  pour  l'enseignement 
du  chant  dans  les  écoles  primaires.  J.  G. 


CHRONIQUE   DE   L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE    . 

EN  FRANGE 


ElAMBNS    POUR  LB  CERTIFICAT    D'ÉTUDBS    PRUfAIRBS   SUPÉRIEURES     ET 

RÉSULTATS  EN  188^3.  —  Od  Sait  qu'un  décret  et  un  arrêté  du  23  dé- 
cembre 1882  ont  institué  et  organisé  des  examens  pour  l'obtention 
du  certificat  d'études  primaires  supérieures.  Cette  mesure  était  la 
conséquence  naturelle  de  Textension  qu'ont  prise  depuis  quelques 
années  les  écoles  supérieures. 

L'examen  a  eu  lieu  pour  la  première  fols  au  mois  d'août  1883  ; 
1.239  candidats  des  deux  sexes  y  ont  pris  part;  494  ont  été  jugés 
dignes  du  certificat,  soit  (en  chiffres  ronds)  40  pour  cent.        , 

Sur  ces  nombres,  la  part  des  écoles  de  garçons  a  été  de  951  can* 
didats  et  de  370  réceptions,  soit  39  pour  cent;  57  déparlements  ont 
fourni  leur  c«)ntingent. 

Pour  les  filles,  27  départements  ont  envoyé  288  aspirantes,  sur 
lesquelles  il  y  a  eu  124  réceptions  (43  pour  cent). 

Les  académies  de  Paris,  Douai,   Bordeaux  tiennent  la  tête   pour 
le  nombre  de  candidats  présentés.  Puis  viennent  Besançon,  Dijon 
Lyon,  Grenoble,  Toulouse  et  Nancy.  Rennes  clôt  la  liste,  n'ayant  que 
deux  départements  représentés  sur  sept. 

Hâtons-nous  de  dire  que  cette  année  1883  est  une  année  d'essai. 
Ni  les  maîtres,  ni  les  élèves  n'ont  eu  le  temps  de  se  familiariser 
avec  les  programmes.  Le  nouveau  diplôme  est  à  peine  connu  dea 
familles. 

Nous  publierons  prochainement  le  résultat  pour  Tannée  1884. 

Les  écoles  de  hameau.  —  Du  !«' octobre  1802  au  31  décembre  1884, 
il  y  a  eu  dans  la  Loire  102  nouvelles  écoles  installées,  dont  40  écoles 
mixtes  de  hameau. 

Les  iO  écoles  de  hameau  étaient  fréquentées  au  mois  de  décembre 
1884  par  1,503  élèves,  soit  en  moyenne  37  élèves  par  école. 

L'école  do  hameau  la  moins  fréquentée  est  celle  de  Chez,  com- 
mune de  Saint-(ieorges-en-Couzan,  avec  15  élèves.  L'école  de  hameau 
la  plus  fréquentée  est  celle  de  Sardon,  commune  de  Saint-Genis- 
Terrenoire,  avec  72  élèves. 

Cette  population  scolaire  qui  se  groupe  dans  les  écoles  nouvelle* 
est  elle-même  tout  à  fait  nouvelle.  Elle  est  composée  d'enfants  qui, 
avant  l'ouverture  de  ces  écoles,  ne  recevaient  pas  d'instruction.  Cette 
prospérité  des  écoles  mixtes  de  hameau  est  le  résultat  non  d'un 
déplacement,  mais  d'un  accroissement  de  la  fréquentation  scolaire. 

C*est  ce  que  l'inspecteur  d'académie  établit  chiffres  en  mains  par 


278  EIVUK  PÉDAGOGIQUE 

la  comparaison  de  la  fréquentation  des  écoles  pendant  les  années 
i88Ma88^a84. 

On  ne  saurait  mieux  montrer  combien  il  est  utile  et  nécessaire 
de  répandre  Tlnstruction  dans  les  hameaux. 

Comités  de  correction.  —  Le  comité  de  correction  chargé  d*aider, 
par  la  correction  des  travaux  mensuels,  les  instituteurs  et  les  insti- 
tatri^es  du  département  des  Hautes-Alpes  dans  leur  préparation  au 
brevet  supérieur  et  au  certificat  d*aptitude  pédagogique,  a  pensé 
qu'en  dehors  des  remarques  dont  chaque  copie  a  été  l'objet,  il  y 
avait  lieu  de  faire  dans  le  Bulletin  départemental  des  remarques 
générales  sur  la  valeur  d.es  devoirs  qui  lui  ont  été  soumis.  C'est  de 
cette  même  façon  d'ailleurs  qu'on  procède  dans  plusieurs  autres  dépar- 
tWQsents,  et  nous  ne  pouvons  que  féliciter  bien  sincèrement  les 
ocmiités  qui  prennent  si  sérieusement  à  cœur  une  tâche  si  sérieuse. 

Le  comité  de  correction  des  Hautes-Alpes  trouve  que  les  travaux 
pédagogiques  manquent  en  général  d'orientation,  de  netteté  et  d'or- 
dre, f  Les  raisons  sont  peu  solides,  les  analyses  superficielles,  les 
idées  confuses,  la  discussion  incomplète  et  mal  digéfée.  On  em- 
prunte à  la  mémoire  et  à  l'imagination  beaucoup,  plus  qu'on  ne 
demande  au  bon  sens  et  au  raisonnement.  On  prend  trop  souvent 
«la  paille  des  mots  pour  le  grain  des  choses  >• 

I^s  travaux  littéraires  montrent  l'absence  des  fortes  lectures;  on 
•fen  tient  trop  aux  manuels  et  aux  traités  de  composition. 

Dans  les  sujets  d'histoire^  on  doit  dédaigner  les  vaines  déclama- 
t&CNQs  et  ne  pas  s'en  tenir  à  un  simple  amoncellement  de  faits  :  on 
tombe  souvent  dans  l'un  ou  dans  l'autre  défaut.  On  voudrait  que 
les  instituteurs  comprissent  mieux  les  lois  de  la  perspective  en 
histoire. 

Ils  réussissent  mieux  dans  les  sciences  mathématiques  et  dans  les 
sciences  physiques  et  naturelles  :  il  leur  est  cependant  recommandé, 
el^  très  justement,  de  bien  ordonner  leurs  calculs  et  de  suivre  un 
•évère  mode  d'exposition. 

Les  bibliothèques  scolaires  et  populaires.  —  M.  Roux,  directeur 
.  de  l'école  normale  primaire  de  Clermont,  se  demande  comment  il 
aérait  possible  de  renouveler  périodiquement  le  fonds  des  biblio- 
thèques. Comme  le  recteur  de  l'académie,  il  est  partisan  de  l'œuvre 
du  «  Sou  des  Bibliothèques  »  ;  il  fait  en  outre  appel  aux  concessions 
ministérielles,  à  la  libéralité  des  Conseils  généraux,  des  conseils 
municipaux.  On  a  des  ressources,  généralement  de  faibles  res- 
sources ;  mais  il  faut  les  utiliser,  c'est-à-dire  qu'il  ne  faut  pas  se 
ooûtenter  d'acheter  les  meilleurs  livres  aussi  économiquement  que 
possible,  mais  de  les  faire  lire  et  par  suite  de  les  faire  circuler  au 
moyen  de  «  bibliothèques  cantonales  roulantes  ».  Laissons  M.  Roux 
exposer  son  système  : 


CHRONIQUE  DE  L'BNSBIGNSMSNT  FRIMAIRE  EN  FRANCE        279 

Supposons,  dit-il,  un  canton  de  15  communes,  peuple  de  12,000  habitants 
Chaque  commune  fournirait  une  cotisation  de  3  francs  par  100  habitants. 
C'est  one  somme  si  minime  ^u'il  n'est  pas  une  commune  qui   ne  puisse. la 
fSournir.  La  somme  totale  serait,  par  conséquent,  de  360  francs,  avec  laquelle 
on  achèterait  au  moins  lôO  volumes. 

De  plus,  les  communes  seraient  autorisées  à  détacher  de  leurs  biblicthôques 
respectives  de  5  à  15  volumes,  selon  leur  importance,  de  manière  à  ajouter 
150  autres  volumes  aux  150  qu'on  acquerrait,  comme  il  est  dit  plus  liant. 
Soit  un  total  de  300  volumes  qui  constitueraient,  pour  commencer,  la  biblio- 
thèque cantonale  roulante. 

Pour  dresser  le  ctitaloç^ue  de  cette  bibliothèque,  les  instituteurs,  munis  dn 
catalogue  de  leurs  bibliothèques  communales  respectives,  se  réuniraient  au 
chef-lieu  de  canton,  à  l'occasion  d'une  conféreuce  pédagogique,  et  là, 
sous  la  présidence  de  linspecteur  primaire,  ils  arrêteraient  le  cliDix  des  ou- 
vrages à  .'icqu(>rir  et  de  ceux  à  détacher  des  biblioth^ues  communales. 

Les  300  volumes  seraient  ensuite  divisés  en  15,  parts  égales.  20  volumes 
seraient  confiés  pour  six  mois,  à  chacun  des  instituteurs  du  canton. 

Les  15  communes  auraient  un  numéro  d'ordre  et  seraient  classées  dans 
une  série  circulaire  suivant  la  position  topographique  qu'elles  occupent  dans 
le  canton,  de  manière  que  le  numéro  1  lùt  voLin  du  numéro  i,  celui-ci  du 
numéro  3.  etc. 

A  l'cvpi ration  des  six  mois,  la  commune  n**  1  passerait  ses  20  volumes 
à  la  commune  n*  2  et  recevrait  ceux  de  la  commune  n*  15,  et  ainsi  de  suite. 

La  bibliothèque  cantonale  roulante  pourrait  ainsi  pendant  sept  ans,  même 
avec  une  première  mise  de  fonds  de  3  francs  seulement  pa>  100  habitants, 
procurer,  chofjnc  année,  40  volumes  nouveaux  à  chacune  des  45  communa  au 
canton. 

Que  serait-ce  si  les  cotisations  étaient  plus  fréquentes  et  plus  importantes  ? 
On  pourrait  ainsi  constituer,  dans  chaque  canton,  une  bibliothèque  dont  le 
fonds  serait  rehitivement  très  riche. 

L'inspeclear  d'académie  de  rAUier  recommande  de  son  côté 
l'œuvre  du  Sou  des  Bibliothèques  et  donne  à  ce  sujet  les  indica- 
tions suivantes: 

Il  pourra  paraître  difficile  d'obtenir  une  cotisation,  si  minime  qu'elle  soit, 
dans  certaines  écoles.  La  caisse  d'épargne  scolaire,  dira-t-on,  absorbe  les 
petites  économies  des  écoliers  ;  de  plus,  les  familles,  se  fondant  sur  la  gra- 
tuité de  renseignement,  se  déshabituent  en  beaucoup  d'endroit;  d'acheter  à 
leurs  enfants  des  livres,  C'ihiei's,  plumes,  etc..  et  le  plus  souvent  il  faut  avoir 
recours  à  la  générosité  des  communes  pour  obtenir  les  fournitures  scolaires. 
Cependant,  que  MM.  les  instituteurs  nous  prêtent  leur  concours,  qu'ils  fassent 
comprendre  aux  parents  l'intérêt  qu'ont  leurs  enfants  à  l'entretien  d'une  bi- 
bliothèque, l'utilité  qu'ils  en  peuvent  retirer  eux-mêmes,  puisqu'elle  prête  des 
ouvrages  k  tout  le  monde  :  ils  parviendront,  j'en  suis  sur,  à  déterminer,  je 
ne  dis  pus  tous  les  élèves,  mais  «incertain  nombre  à  apporter  leur  contingent. 
Peu  à  neu  les  enfants  en  prendront  l'habitude  et  nous  aurons  ainsi  une 
source  ae  plus  pour  contribuer  à  ralimentition  de  la  bibliothèque,  source 
faible  d'abord,  mais  qui  ira  grossissant  ;  et,  d'ailleurs,  quand  on  a  un  but 
aussi  louable,  il  ne  faut  dédaigner  aucun  des  moyens  d'y  arriver,  si  précaire 
qu'il  paraisse  au  début. 

Voici  le  mode  de  fonctionnement  one  l'on  pourrait  adopter  :  une  boite 
fermant  à  clef  serait  installée  dons  la  classe  à  côté  de  l'armoire-bibliothèqoe; 
l'inspecteur  primaire,  gardien  de  la  clef,  ouvrirait  cette  boite  à  chacune  de 
ses  visites  h  l'école,  et,  en  présence  de  l'instituteur,  inscrirait  le  montant 
sur  le  registre  des  recettes.  Quand  la  somme  atteindrait  5  francs,  l'inspecteur, 
de  concert  avec  l'instituteur,  désignerait  les  ouvrages  à  acquérir,  lesquels 
seraient  achetés  immédiatement.  Mention  en  serait  faite  au  registre  des  dé- 
penses et  au  catalogue  de  la  bibliothèque.  Si  le  produit  de  la  cotisation  était 


S80  AIVUK  PÉDÀ606IQUX 

inférieur  à  5  (hincs  au  moment  de  la    yisite  de  l'inspecteur,  il  la  laisserait 
dans  le  tronc  jusqu'à  sa  tournée  suivante. 


quelque 
miers  i 
à  en  faire  l'avance. 

U  est  à  présumer  que,  le  tronc  une  fois  installé,  nombre  de  lecteurs  ne 
refuseraient  pas  de  contribuer  pour  leur  part  en  y  déposant  eux-mêmes  leur 
eotisatlon  chaque  fois  qu'ils  viendraient  prendre  un  livre  à  l'école. 


La  bibuothèque  scolaire  dx  Saint- Vaurt.  —  Nous  lisons  dans  le 
Bulletin  de  la  Creuse: 

M.  Sauvanet,  instituteur  public  à  Saint-Yaury,  vient  d'obtenir  en  faveur 
de  sa  bibliothèque  scolaire  un  résultat  qui  nous  parait  devoir  être  porté  à  la 
connaissance  du  personnel. 

Cet  instituteur  parle  souvent  à  ses  élèves,  dans  les  leçons  de  lecture,  de 
Futilité  de  la  bibliothèque  scolaire  et  des  moyens  d'assurer  la  prospérité  de 
cette  institution. 

Dernièrement,  les  élèves  de  la  classe  de  M.  Sauvanet,  après  avoir  consulté 
leurs  parents,  sont  venus  spontanément  offrir  à  leur  maître  de  souscrire  à 
l'œuvre  du  Sou  des  Bibliothèques  scolaires.  Ils  ont  dressé  eux-mêmes  un 
petit  acte  d'adhésion  par  lequel  ils  s*cngagent  à  verser  un  sou  par  mois 
non  seulement  pendant  la  durée  de  leur  scolarité,  mais  encore  après  leur 
sortie  de  l'école. 

De  pareils  engagements  font  le  plus  grand  honneur  aux  élèves  qui  les  pren- 
nent et  au  maître  qui  les  provoque  par  son  enseignement. 

La  fréquentation  scolaire  a  Yialas.  —  La  commission  scolaire  de 
Vialas  (Lozère)  a  pris  une  heureuse  initiative  dont  il  y  a  lieu  de  la 
féliciter.  Afin  d'encourager  la  fréquentation  scolaire,  elle  a  décidé  de 
récompenser  par  des  bons  points  géographiques  et  des  bons  points 
d'histoire  naturelle  les  élèves  qui  auront  fréquenté  assidûment  Técole, 
c'est-à-dire  qui  en  fin  d'année  n'auront  jamais  figuré  sur  l'extrait 
mensuel  du  registre  d'appel.  L'an  dernier  137  élèves  de  la  commune 
ont  été  récompensés. 

Une  «  exécution  en  massi  »  a  Cormicy.  —  Il  s'est  trouvé  à  Cormicy 

près  de  Reims  un  certain  nomi)re  d'enfants  qui  n'ont  pas  fréquenté 

l'école.  Le  maire  a  écrit  à  ce  sujet  à  l'inspecteur  primaire,  à  la  date 

du  14  décembre  1884: 

Pour  répondre  à  toutes  les  excuser  possibles,  j'ai  fait  prendre  par  le  bureau 
de  bienfaisance  et  le  conseil  municipal  une  décision  par  laquelle  nous  laissions 

f)leins  pouvoirs  à  un  certain  nombre  de  dames  de  notre  ville  pour  mener 
'affaire  vite  et  bien .  .       ,j.  „ 

Le  nerf  de  la  guerre  étant  l'argent,  j'ai  pu  disposer  immédiatement  d  une 
somme  de  cinq  cents  francs  pour  subvenir  à  tous  les  besoins.  M.  le  préfet  n'a 
pu  que  signer  des  deux  mains  ces  projets  philanthropiques. 

J'ai  convoqué  ces  dames.  Dix  ont  répondu  à  l'appel.  Beaucoup  d  autres  se 
mettent  à  leur  disposition.  ,         ^  .  ,..      i.  *x 

Sabots,  chaussons,  bas,  souliers,  vêtements  de  toutes  sortes  ont  été  achetés 
immédiatement.  La  confection  de  beaucoup  de  ces  objets  a  été  répartie  enU*e 
toutes  les  personnes  de  bonne  volonté  (et  il  n'en  manque  pas). 


CHRONIQUE  DK  l'kNSEIGNKMBNT  PEIMAIRE  EN  FRANGE        281 

Dans  quelf^ues  jours,  monsieur  l'inspecteur,  40  enfants  au  moins  auront  de 
-quoi  passer  1  hiver,  sans  trop  souffrir  du  froid. 

J'ai  supposé  que  cette  exécution  en  masse  de  tous  les  défaillants  des  écoles  de 
Cormicy  ferait  peut-être  plus  d^eflTet  que  les  paroles  sévères  que  nous  pour- 
rions leur  adresser,  assis  a  côté  d^unbon  feu. 

Les  élèves  hospitaliers  du  Doubs.  —  Il  était  difficile  dans  le  Doubs, 
comme  il  Test  dans  d*auLres  départements,  d'obtenir  que  les  enfants 
assistés  d'âge  scolaire  fréquentassent  l'école  jusqu'à  treize  ans  confor- 
mément à  la  loi  du  28  mars  1882.  Pour  obvier  à  ce  mal,  le  Conseil 
général  a  décidé  que  la  pension  mensuelle  de  12  francs,  qui  cessait 
d'être  payée  aux  nourriciers  des  élèves  hospitaliers  dès  que  ceux-ci 
avaient  atteint  leur  douzième  année,  sera  continuée  jusqu^à  la  trei- 
zième année  d'âge  des  élèves.  C'est  une  fort  bonne  mesure  qui 
devrait  être  prise  dans  tous  les  départements. 

Exposition  scolaire  de  1889.  —  Le  conseil  d'administration  de 
l'Alliance  française,  dans  sa  séance  du  22  décembre  1884,  sur  la 
proposition  de  M.  P.  Foncin,  secrétaire  général,  a  décidé  de  faire 
figurer  a  TExposition  universelle  de  1889  : 

1<*  Une  statistique  de  toutes  les  écoles  françaises  du  globe; 

2<'  Des  exemplaires  de  tous  les  livres  de  classe  en  usage  dans  ces  écoles; 

:io  Des  spécimens  de  devoirs,  dessins,  travaux  manuels,  etc., 
envoyés  par  les  élèves. 

Un  règlement  ultérieur  indiquera  dans  quelles  conditions  doivent 
avoir  lieu  ces  envois. 

Exposition  scolaire  de  Beauvais.  —  Les  établissements  d'instruc- 
tion publique  ou  libre  de  l'Oise  sont  invités  à  prendre  part  à  l'ex- 
position scolaire  qui  aura  lieu  à  Beauvais  du  28  mai  au  28  août.  Les 
travaux  ou  objets  à  exposer  seront  divisés  en  trois  catégories:  1<>  les 
travaux  d'élèves  (cahiers, dessins,  travaux  manuels);  2»  les  travaux 
des  maîtres  (méthodes,  tableaux,  mémoires  ayant  trait  à  l'éducation, 
musées  scolaires,  historique  de  l'enseignement,  monographies  loca- 
les, travaux  relatifs  à  l'agriculture;  caisses  d'épargne,  cours  d'adul- 
tes, etc.);  3"^  le  mobilier  et  le  matériel  scolaires  ( tables— bancs, 
appareils  de  chauffage,  matériel  pour  renseignement  de  l'arpentage, 
de  la  géométrie,  des  sciences  physiques  et  naturelles,  du  modelage, 
du  travail  manuel,  delà  gymnastique;  tableaux  et  cartes). 

Exposition  scolaire  d'Angouléme.  —  Une  exposition  scolaire  aura 
lieu  au  mois  de  mai  prochain  à  Ângoulême  à  l'occasion  du  concours 
régional .  Les  envois  des  exposants  seront  répartis  en  quatre  sections  : 
l'*  section,  travaux  d'élèves;  2^  section,  écoles  maternelles;  3*  section, 
travaux  des  instituteurs  et  des  institutrices;  4^  section,  matériel 
d'enseignement.  Les  instituteurs  sont  en  outre  invités  à  produire  les 
plans  des  bâtiments  scolaires. 

Exposition  scolaire  agricole  a  Tours.  —  Comme  l'année  dernière, 
l'Union  des  Comices  agricoles  d'Indre-et-Loire  a  décidé  que  l'expo- 


:S63  .     .  iUEVCK  PÉDAGÛGiaCI 

.siUon  annuelle  ocganisée  par  ses  soins  comprendrait  une  partie 
scolaire.  Les  instituteurs  et  institutrices  qui  désirent  y  prendre  part 
devront  adresser  le  plus  tôt  possible  au  secrétaire  de  l'Union  des 
Comices  les  objets  destinés  à  l'exposition,  à  savoir  :  travaux  pers(Hi- 
nels  sur  l'agriculture,  travaux  des  élèves,  collections  relatives  à  l'en- 

•■  seignement  agricole,  en  un  mot  tous  les  documents  de  nature  à 
montrer  les  efforts  du  maître  et  les  résultats  obtenus  par  lui  dans  la 
partie  agricole  du  programme  des  classes  primaires. 

Le  bureau  de  l'Union  a  décidé,  en  outre,  qu'il  y  aurait,  à  l'occasion 
de  l'exposition,  un  concours  entre  les  instituteurs  lauréats  désignés 

'  par  les  Comices  d'arrondissement. 

Cette  exposition  aura  lieu  à  l'école  du  Musée  les  4, 5  et  6  avril  prochain 

Les  sourds-muëts  du  Rhône.  —   La  question  de  l'enseignement 
oral  des  sourds-muets  est  plus  que   jamais   à  l'ordre   du  jour.  La 
^Société  d'assistance  et  de  pdtronage  des  sourds-mnets  de  Lyon  vient 
*  d'adopter  la  méthode  orale;  xîette  société,  qui  n'a  été  fondée  qu'en 
'  novembre  4883,  est  déjà  très  prospère;  eUe  étend  son  patronage  aux 
sourds-muets  pauvres  du  département  du  Rhône  et  des  déparlements 
voisins.  Les  sourds-muets  sont  instruits  dans  l'institution  de  M.  Hu- 
gentobler  ;  ils  étaient  déjà  l'an  dernier  au  nombre  de  29,   dont 
16  boursiers.  A  la  distribution  des  prix,  le  directeur  a  montré  les 
résultats  obtenus,  qui  sont  vraiment  surprenants.  Il  a  fait  faire  aux 
plus  jeunes  élèves  des  exercices  d'articulation  sur  des  mots  simples 
ou  composés  que  les  élèves  répètent  avec  facilité  en  lisant  sur  les 
livres  du  professeur.  A  la  division  moyenne,  M.  Uugentobler  fait 
une  leçon  de  choses  :  les  questions  et  réponses  s'entrecroisent,  et  la 
conversation  prend  une  tournure  très  naturelle.  La  division  supé- 
rieure fut  questionnée  sur  l'histoire  et  la  géographie.  Un  des  élèves 
.invité  à  faire  oralement  le  tour  du  monde  a  montré  par  des  à-propos 
imprévus   avec   quelle  sûreté  il  savait  manier  la  carte  du  globe.  Un 
autre  enfant  de  la  divisioa  moyenne   a  récité  le  Lion  et  le  Rat  de 
La  Fontaine,  et  un  troisième  la  Patrie  de  V.  de  Laprade. 

Les  sourds-muets  de  Curièrb.  —  Le  Bulletin  de  l'Isère  rend  compte 
d'une  excursion  faite  à  l'établissement  des  sourds^muets  de  Curière, 
près  Saint-LaurentHiu-Pont,  par  les  instituteurs  et  les  institutrices  de 
ce  canton.  Là  aussi  l'on  emploie  la  méthode  orale,  )à  aussi  les  pro- 
grès ont  été  très  extraordinaires  :  l'école  compte 40  élèves  répartis  en 
quatre  divisions;  le  professeur  parcourt  avec  les  mêmes  élèves  tout 
le  cycle  des  études.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  difficile,  au  début,  dit  le  direc- 
teur, c'est  de  faire  perdreaux  sourds-muets  Thabitude  de  respirer  par 
la  bouche.  On  voit  en  effet  généralement  que  ces  malheureux  ont 
la  bouche  ouverte;  les  enfants,  en  arrivant  à  Curière,  ne  peuvent 
pas  éteindre  une  bougie  placée  tout  à  fait  devant  la  bouche.  «Il  faut 
donc  commencer  par  leur  apprendre  à  respù'er  par  le  nez,  véritable 
voie  que  doit  parcourir  Tair  pour  arriver  aux  poumons.  Mais,  pour 
son  bon  fonctionnement,  il  faut  que  cette  voie  soit  déblayée.  Aussi, 


CHRONIQUE  DE  L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIBE  EN  FKÀNGE  283 

sur  un  signe  du  professeur,  tous  les  élèves  se  mouchent-ils  avec  un 
ensemble  parfait.  La  voie  respiratoire  étant  libre,  il  faut  habituer 
rélève  à  s'en  servir  :  on  le  fait  soufQer  et  respirer  par  le  nez  et  on 
ne  craint  pas  de  répéter  ces  exercices.  Les  leçons*  suivantes  ont  pour 
but  Texercice  des  muscles  de  la  langue,  des  lèvres  et  des  joues.  » 
On  comprend  qu'il  faille  une  extraordinaire  patience  pour  arriver 
«nfin  à  faire  parler  distinctement  les  sourds-muets  :  leurs -profes- 
seurs n'en  ont  que  plus  de  mérite. 

Une  souscription  dans  les  écoles  du  Pas-de-Calais.  —Vingt-huit  ou- 
vriers ont  trouvé  la  mort  il  y  a  peu  de  temps  dans  les  mines  de  Liévin. 
ils  laissaient  des  femmes  et  des  enfants.  11  y  a  eu  aussitôt  un  grand 
sentiment  de  pitié  suivi  d'un  grand  mouvement  de  charité  pour  les 
veuves  et  les  orphelins  des  victimes  de  la  catastrophe.  Une  souscrip- 
tion ouverte  dans  les  écoles  primaires  universitaires  en  leur  faveur 
a  produit  plus  de  10,000- francs.  Le  lycée  de  SaintrOmer,  les  collèges, 
les  cours  secondaires  déjeunes  filles  ont  tenu  également  a  s'intéresser 
à  cette  bonne  œuv/^.  Le  montant  total  de  la  souscription  est  de 
I2,S00  francs.  Le  Journal  pédagogique  du  Pas-de-Calais  dit  à  ce  sujet . 
«  Tous  les  établissements  universitaires  à  tous  les  degrés  ont  voulu 
affirmer  u.ie  fois  de  plus  les  sentiments  de  fraternité,  de  solidarité 
qui  sont  le  fondement  de  notre  éducation  nationale.  On  est 
d'autant  plus  heureux  d'enregistrer  un  tel  résultat  que  la  somme 
ainsi  recueillie  représente  bien  Téconomie  de  l'enfant,  le  sacrifice  qu'il 
s'est  volontairement  imposé  pour  soulager  une  cruelle  infortune. 
Que  tous,  élèves  et  maîtres,  reçoivent  nos  cordiales  félicitations.  » 

Les  comptes-rendus  des  conférences  pédagogiques.  —  Nous  avons 
dans  notre  numéro  du  15  janvier  félicité  les  instituteurs  de 
Soissons  de  la  bonne  idée  qu'ils  ont  eue  de  publier  les  procès-ver- 
baux de  leurs  conférences  pédagogiques.  On  nous  prie  de  faire 
remarquer  à  nos  lecteurs  que  les  instituteurs  savoyards  rédigent 
aussi  des  comptes-rendus  de  ces  réunions  :  c'est  ce  qui  se  fait 
d'ailleurs  dans  nombre  de  départements,  et  assez  souvent  l'inspec- 
teur d'académie  fait  un  compte-rendu  d'ensemble  qui  paraît  dans  le 
Bulletin  départemontiil.  Le  recteur  de  Chambéry,  M.  Brédif,  adresse 
depuis  1880  une  circulaire  semestrielle  aux  inspecteurs  d'académie 
à*  l'occasion  des  conférences  d'hiver  et  d'été  :  publiée  dans  les 
Bulletins  de  la  Savoie  et  do  la  Haute-Savoie,  elle  peut  donner  une  idée 
des  travaux  des  maîtres  et  de  l'influence  exercée  par  les  réunions 
d'instituteurs  sur  les  progrès  de  l'enseignement.  A  défaut  de  publi- 
cations spéciales,  comme  celles  qu'on  fait  à  Soissons,  le  moyen  employé 
par  M.  le  recteur  de  Chambéry  est  excellent.  11  ne  faut  pas  seulement 
que  les  maîtres  discutent  entre  eux  les  questions  de  méthodes  :  il 
importe  qu'il  reste  une  trace  durable  de  ces  discussions. 


à 


œURRIER  DE  L'EXTÉRIEUR 


Angleterre.  —  L*LJnioQ  nationale  des  institateurs  primaires  se 
prépare  a  descendre  dans  Tarène  électorale  avec  Tespoir  d'obtenir 
pour  ses  candidats,  lors  du  prochain  renouveUement  du  Parlement, 
un  ou  deux  sièges  à  la  Chambre  des  Communes.  Le  secrétaire  de 
rUnion,  M.  Heller,  a  adressé  aux  sections  de  l'association  une  cir- 
culaire à  ce  sujet.  Il  rappelle  que  le  congrès  dlnstituteurs  réuni  à 
Shefideld  en  1882  a  voté  une  résolution  portant  «  qu'il  était  dési- 
rable que  des  démarches  fussent  faites  en  vue  d'assurer  une  repré- 
sentation directe  des  instituteurs  au  Parlement  ».  Le  moment  d'agir 
est  venu  :  le  comité  exécutif  de  l'Union  a  décidé  la  création  d'une 
caisse  spéciale  pour  les  élections,  et  a  résolu  de  présenter  deux 
candidats  au  moins,  qui  seront  officiellement  soutenus  par  l'Union. 

«  Je  dois  ajouter,  dit  M.  Heller,  que  le  comité  exécutif  s'est  mis 
en  relations  avec  les  chefs  de  différentes  associations  politiques,  en 
vue  d'une  entente  relati rement  à  la  candidature  fie  deux  instituteurs 
lors  des  prochaines  élections.  Le  comité  exécutif  espère  qu'en  cette 
circonstance  les  instituteurs  sauront  oublier  toutes  les  divisions  po- 
litiques, et  s'uniront  sérieusement  pour  obtenir  l'entrée  à  la  Cham- 
bre des  Communes  d'au  moins  deux  membres  familiers  avec  la 
pratique  de  l'enseignement,  et  connaissant  les  difficultés  qui  font 
obstacle  aux  progrès  ultérieurs  de  l'éducation  nationale.  » 

Autriche.  —  Les  instituteurs  autrichiens  ont  à  plusieurs  reprises 
protesté  contre  l'article  du  règlement  scolaire  général  qui  interdit 
l'emploi  des  punitions  corporelles.  Récemment,  une  association  des 
instituteurs  de  Vienne,  qui  se  donne  le  nom  de  Société  Diesterwegy 
avait  résolu  d'adresser  une  pétition  'au  ministre  de  rinstruction 
publique  pour  obtenir  l'abrogation  de  cet  article;  mais  die  a  dij 
renoncer  à  ce  projet  en  présence  du  communiqué  suivant,  qui  a 
paru  dans  les  journaux  officieux  : 

a  On  prête  à  la  Société  Diesterweg  l'intention  d'adresser  au  minis- 
tère une  pétition  pour  demander  l'abrogation  de  l'article  24  du 
règlement  scolaire  général,  article  qui  interdit  l'emploi  des  punitions 
corporelles.  Son  Excellence  M.  le  ministre  des  cultes  et  de  l'instruc- 
tion publique  a  prié  le  gouverneur  de  la  Basse-Autriche  de  faire 
savoir  au  conseil  scolaire  provincial  que  toutes  les  pétitions  concer- 
nant ledit  article  qui  pourraient  lui  parvenir  devront,  non  pas  être 
transmises  au  ministre,  mais  retournées  purement  et  simplement 
à  leurs  auteurs  comme  sans  objet,  attendu  qu'il  n'entre  pas  dans  les 
intentions  du  ministre  de  l'instruction  publique  de  modifier  dans  le 
sens  indiqué  le  règlement  scolaire  général.  » 

Ce  n'est  pas  sans  quelque  étonnement  qu'on  assiste,  de  loin,  à 
cette  singulière  interversion  des  rôles  :  une  association  se  disant 
libérale,  qui  demande  le  rétablissement  des  punitions  corporelles; 
et  un  gouvernement  conservateur,  qui  défend  contre  ces  instituteurs 
«  libéraux  »  les  idées  modernes  en  matière  d'éducation. 


COURRIER  DK  L'eXTÉRUUR  28S 

BelgicTue.  —  Nous  avons  sous  les  yeux  le  nouveau  programme- 
type  des  écoles  primaires  communales,  publié  le  mois  dernier  par 
le  ministère  de  l'intérieur.  Ce  programme  est  resté,  en  substance,  le 
même  que  celui  du  ^0  juillet  1880,  mis  en  vigueur  par  le  fi^ouverne- 
ment  linéral.  Mais  renseignement  de  l'histoire  est  moins  &velojppé; 
il  ne  commence  qu'au  degré  moyen  et  ne  comprend  plus  que  rnis- 
toire  nationale.  En  outre,  l'étude  des  formes  ^géométriques  et  celle 
des  éléments  des  sciences  naturelles  sont  rejetées  dans  les  branches 
facultatives.  En  somme,  appliqué  i>ar  de  bons  maîtres,  ce  pro- 
gramme reste  excellent.  Mais  c^ue  devient  le  meilleur  des  prosrammes 
entre  des  mains  inhabiles  ou  ignorantes?  Tant  vaut  le  maître,  tant 
vaut  l'école.  Or,  à  quels  maîtres  le  ministère  catlioliquo  a  entrepris 
de  livrer  l'école  primaire,  c'est  ce  que  fait  voir  clairement  la  dis- 
cussion qui  a  eu  lieu  le  mois  dernier  à  la  Chambre  des  représen- 
tants à  l'occasion  du  budget  de  l'instruction  publique.  Nous  en 
reproduisons  quelques  fragments  ci-dessous. 

—    Le  rapporteur  du  budget  de  l'intérieur  et  de  l'instruction 

Sublique,  M.  Melot,  député  de  Namur,  a  fait  connaître  le  résultat 
es  modifications  introduites  dans  l'organisation  scolaire  jusqu'au 
1« janvier  dernier  par  1,060  communes.  En  voici  le  résumé: 

1,136  écoles  communales  sont  maintenues,  836  écoles  communales 
sont  supprimées  ;  la  population  des  écoles  supprimées  comprenait 
i4,39i  enfants;  —  792  instituteurs  et  institutrices  sont  mis  en  dis- 
ponibilité; 

/7/  écoles  gardiennes  (salles  d'asile)  sont  supprimées  ;  la  population 
décos  écoles  comprenait  5,063  enfants;  —144  institutrices  d'écoles 
gardiennes  sont  mises  en  disponibilité: 

77/  écoles  d'adultes  sont  supprimées;  la  population  de  ces  écoles 
comprenait  13,431  élèves. 

Par  contre,  /,/é?0  écoles  libres  ont  été  adoptées;  sur  ce  nombre,  417 
sont  dirigées  par  des  congréganistcs. 

Les  chllTres  ci-dessus  se  rapportent  à  1,060  communes  seulement, 
et  la  Belgique  compte  en  tout  2,581  communes.  Nous  ne  sommes 
donc  qu'au  commencement,  et  l'on  peut  s'attendre  à  bien  d'autres 
suppressions  encore. 

Dans  les  explications  c[u'il  a  données  à  la  Chambre,  le  ministre, 
M.  Thonissen,  s'est  exprimé  de  la  manière  suivante  au  sujet  de 
l'enseignement  religieux,  que  les  communes,  d'après  la  nouvelle  loi, 
ont  la  faculté  d'introduire  désormais  dans  le  programme  des  écoles 
publiques  : 

«  La  chute  de  la  loi  de  1879  a  pris,  dans  toutes  les  provinces, 
même  dans  celles  où  Topinion  libérale  possède  la  majorité,  le 
caractère  d'une  véritable  délivrance. 

»  Partout  les  conseils  communaux  se  sont  empressés  de  répudier 
l'enseignement  neutre,  d'inscrire  l'enseignement  religieux  au  nom- 
bre des  matières  obligatoires  du  programme.  Et  cependant,  je  m'em- 
presse de  le  dire,  le  gouvernement  n'a  exercé  aucune  pression 
quelconque. 

>  L'administration  manque  de  renseignements  positifs  pour  Quel- 
ques communes;  mais,  dès  à  présent,  il  est  permis  d'affirmer,  d'une 
manière  générale,  qu'à  part   Bruxelles  et  ses  faubourgs,  Anvers, 


286  B£VU£  PÉDAGOGIQUK 

Louvaiû,  Charleroi,  Liège,  Huy  et  un  petit  nombre  d'autres  localités, 
runanimité  des  communes  se  sont  volontairement  prononcées  contre 
Fenseignemeot  neutre.  Le  système  de  la  loi  de  1879  est  répudié  par 
le  pays.  » 
A  celte  affirmation,  M.  Magis,  meipbre  de  la  gauche,  a  répondu  : 
«  Le  ministre  s'est  appesanti  sur  ce  fait  qu'un  grand  nombre  de 
communes  ont  inscrit  au  programme  de  leurs  écoles  primaires 
Feaseignement  de  la  morale  et  de  la  religion.  Mais  M.  ThoDisscn 
oublie  que  la  loi  de  1879  permettait  de  donner  cet  enseignement,  et 
qu'il  était  donné  dans  toutes  les  écoles  communales  du  pays,  je  le 

Sensé,  du  moins;  en  tous  cas,  il  n'y  avait  quie  de  très  rares  excei^ 
ons  (1). 

»  En  inscrivant  aujourd'hui  l'enseignement  religieux  au  programme 
de  leurs  écoles,  les  communes  n'ont  fait  en  râdité  que  cont>acrer 
un  état  de  choses  existant. 

»  Et  pourquoi  ont-elles  inscrit  cet  enseignement  au  programme? 
Est-ce  par  réaction  contre  la  loi  de  1879?  Nullement.  Dans  le  plus 
grand  nombre  des  communes,  à  Gand,  entre  autres,  cela  n'a  été  fait 
que  pour  éviter  l'adoption  d'office,  par  le  gouvernement,  des  écoles 
fibres  (2). 

»  C'est  contraintes  et  forcées  que  là  plupart  des  administrations 
communales  ont  insicrit  renseignement  de  la  morale  et  de  la  reli- 
gion dans  le  programme  de  leurs  écoles.  C'est  contrainte  et  forcée 
que  la  ville  de  Gand  a  adopté  pareille  mesure.  Mais,  en  le  faisant, 
elle  a  maintenu  le  caractère  neutre  de  renseignement  scientifique 
de  l'école. 


de 

de  la  faculté  que  lui  donnait  la  loi  de  1879,  d'enseigner 

dans  les  locaux  scolaires;   il  y  consent  sous  la  loi  de  1884,  parce 

qu'il  y  a  au  banc  ministériel  des  ministres  catholiques  (3).  > 

Un  autre  orateur  de  la  gauche,  M.  Cailler,  a  indiqué  un  fait  bien 
caractéristique  :  dans  un  grand  nombre  de  Communes  où  le 
clergé  est  tout  puissant,  le  conseil  communal  n'a  pas  jugé  à  propos 
d'inscrire  la  religion  au  programme  de  l'école.  «  Cest,  dit5LCallier, 

f>arce  que  ces  communes  veulent,  d'accord  avec  le  clergé,  ruiner 
'enseignement  public.  Nous  voyons  cette  étrange  situation  que  dans 
une  foule  de  communes  cléricales  le  prêtre  et  l'adminislration 
communale  se    liguent   pour    maintenir  la    neutralité  de  l'école 

(  1  )  La  loi  de  1879  disait  :  «  Un  local  dans  l'école  est  mis  à  la  disposition  des  mi- 
nistres des  culU'S  pour  y  donner,  soit  avant,  soit  après  l'heure  des  classes, 
l'enseignement  religieux  aux  enfants  de  leur  communion  fréquentant  l'école.  » 
Et  comme  les  curés  avaient  refusé  de  venir  à  l'éoole  donner  les  leçons  de 
religion,  ces  leçons  étaient  généralement  données  par  l'instituteur. 

(2)  La  loi  nouvelle  dit  en  effet:  «Si,  malgré  la  demande  de  vingt  pères  de 
famiUe,  la  commune  met  obstacle  à  ce  que  renseignement  d?  leur  religion 
fasse  partie  du  programme  ci  soit  donné  par  les  ministres  de  leur  culte  ou 
des  personnes  agréées  par  ceux-ci,  le  gouvernement  peut  adopter  et  subsidier 
tme  ou  plusieurs  écoles  privées,  pourvu  qu'elles  réunissent  les  conditions  ro-. 
quises  pour,  être  adoptées  par  la  commono.  » 

(3)  Voir  dans. notre  numéro  de  janvier,  p.  93,  la  réponse  faite  par  révèque. 
de  fiand  au  conseil  municipal  de  cette  ville. 


COURRIER  DE  L'SXTÉRISUR  287  *  ' 

communale  afin  d'en  écarter  la  population.  Mais,  d'autre  part, 
lorsque  le  clergé  a  alTaire  à  plus  forte  partie,  nous  voyons  un  autre  : 
spectacle,  nous  voyons  ce  qui  se  passe  a  Gand;  là  le  clergé  lui-même 
accepte  la  neutralilé  scolaire;  là,  nous  voyons  le  clergé  accepter 
d'entrer  dans  les  écoles,  d'y  enseigner  la  religion  dans  des  conditions 
absolument  identiques  à  celles  qui  lui  étaient  faites  par  la  loi  de 
1879;  nous  le  voyons  entrer  à  l'école  alors  que  l'enseignement 
reste  neutre.  Voilà  le  spectacle  qu'il  nous  est  donné  de  voir  d'un 
côté  et  celui  que  nous  voyons  do  l'autre.  Aujourd'hui,  sous  la  loi 
1884  comme  sous  la  loi  do  1879,  nous  sommes  en  face  d'un  clergé 
qui  fait  litière  de  sa  religion,  qui  en  fait  marchandage  au  profit  de 
sa  domination  politique. 

>  Les  honorables  membres  qui  protestent  voudront  sans  doute 
nous  expliquer  comment  il  se  fait  que  le  clergé  entre  dans  les  écoles  : 
où  il  refusait  d'entrer  en  1879.  Ils  nous  expliqueront  encore  conmient 
le  clergé,  .qui  a  aujourd'hui  la  liberté  absolue  d'entrer  dans  les 
écoles  de  campagne  soumises  à  son  autorité,  où  l'enseignement 
peut  être  donné  comme  il  l'entend,  refuse  d'y  venir.  » 

On  sait  qu'à  teneur  la  loi  de  1884,  les  conununes  ne  sont  plus 
ohUgées  qu'à  l'entretien  d'une  seule  école.  Cette  école  communale  . 
unique  sera  nécessairement  mixte  quant  aux  sexes.  Par  contre  les 
écoles  libres  congn^ganistes  sont  spéciales  aux  garçons  ou  aux  filles.  . 
Dès  lors,  la  tacitique  des  cléricaux  est  bien  simple  :  dans  toutes 
les  communes  où  ils  sont  les  maîtres,  ils  suppriment  les  écoles 
communales  de  g.irrons  et  de  filles  pour  ne  laisser  subsister  qu'une 
école  mixte  :  on  espère  ainsi  que  les  filles  quitteront  l'école 
communale  pour  se  rendre  à  l'école  libre  où  les  élèves  des  deux 
sexes  sont  séparés. 

Rien  de  tristement  instructif  comme  la  longue  énumération  faite 
par  les  orateurs  de  la  gauche  des  décisions  prises  par  les  conseils 
municipaux  pour  la  suppression  d'écoles  communales  et  l'adoption 
d'écoles  libres;  il  faut  lire  ces  détails  pour  saisir  sur  le  vijf  les'- 
habiletés  de  la  stratégie  cléricale.  Le  véritable  but  de  la  nouvelle 
loi  était  de  mettre  à  la  charge  des  pouvoirs  publics  les  écoles  libres 
créées  par  le  clergé;  et  on  y  réussi.  Les  communes  suppriment  les 
écoles  publiques,  sauf  celle  que  la  loi  les  contraint  à  garder;  et 
aussitôt  elles  adoptent  une  ou  plusieurs  écoles  libres,  prenant  à  leur 
charge  le  traitement  du  personnel  enseignant  libre.  Quelquefois 
elles  laissent  subsister  les  écoles  communales,  mais  elles  rognent 
d'un  tiers  ou  de  deux  tiers  les  traitements  des  maîtres;  et  les 
instituteurs  officiels  se  trouvent  ainsi  payer  en  réalité  les  traitements 
des  congréganistes.  Enfin,  conclusion  inattendue,  les  communes  où 
se  sont  accomplis  ces  exploits,  loin  d'avoir  diminué  le  chiflre  de  leurs 
dépenses,  se  trouvent  avoir  à  payer  beaucoup  plus  qu'auparavant, 
car  les  instituteurs  congédiés  ont  droit  à  un  traitement  dit  d'attente, 
et  les  congréganistes  sont  exigeants.  Les  catholiques  sont  arrivés  au 
pouvoir  en  promettant  des  économies,  et  ils  ont  fait  sur-le-champ 
augmenter  de  20  0/0  les  dépenses  scolaires  des  communes!  C'est  ce 
qu'a  prouvé  chiffres  en  mains  M.  Callier  pour  la  province  de  Flandre 
orientale  ;  le  budget  scolaire  des  communes  de  cette  province  (la 
ville  de  Gaud  exceptée)  s'élève  à  près  d'un  million,  au  lieu  de 
800,000  francs,  chiffre  de  l'année  précédente;  «  sur  cette  somme, 


288  UVUE  PiDÀGOGIQUB 

ajoute  Torateur,  il  y  a  450,000  francs  consacrés  aux  écoles  adoptées, 
pour  une  seule  province  du  pays  1  et  j'ose  dire  que  de  ces  450,000  francs 
il  y  en  a  au  moins  300,000  qui  vont  aux  écoles  de  filles  adoptées, 
c'est-à-dire  droit  aux  couvents!  > 


Espagne.  —  Il  a  été  présenté  le  mois  dernier,  par  M.  Victor 
Ralaguer  au  Congrès,  et  par  M.  Merelo  au  Sénat,  une  proposition 
tendant  à  la  création  d'un  ministère  de  l'instruction  publique  et  des 
beaux-arts.  On  sait  qu'aujourd'hui  la  direction  oe  l'instruction 
publique  est  rattachée  au  ministre  du  Fomento  (travaux  publics, 
commerce  et  agriculture). 

Hollande.  —  Le  parti  conservateur  demande  la  révision  de  Tar- 
ticle  194  de  la  constitution,  relatif  à  l'instruction  publique.  Cet  article 
porte  «  qu'il  est  donné  dans  tout  le  royaume,  par  les  soins  de  Tau- 


insuffisant. 


Italie.  —  La  loi  sur  le  paiement  des  traitements  et  sur  la  no- 
mination des  instituteurs  a  été  votée  par  la  Chambre  le  26  fémer 
dernier. 

Le  ministre  de  l'instruction  publique  aura  maintenant  à  s'occuper, 
selon  sa  promesse,  d'un  projet  de  loi  relatif  à  l'augmentation  des 
traitements  du  personnel  enseignant  primaire. 

—  Le  budget  de  1885  prévoit  une  augmentation  du  nombre  des 
inspecteurs  primaires.  11  y  en  a  actuellement  147,  savoir  10  de  !>'<' 
classe  (à  3,000  fr.),  20  de  2«  classe  (à  2,500  fr.),  40  de  3«  classe  (à 
2,000  fr.)  et  77  de  4«  classe  (à  1,500  fr.).  Il  y  en  aurait  désormais  238  : 
25  de  l'^e  classe,  35  de  2*,  87  de  3«  et  91  de  4«  classe. 


Le  gérant  :  IL    Gantois. 


UÉPRIMEIIII  CINTRALR  OIS  CRIMIXS  01  PIR.  —  IHFRIIIIRIB  CHAIX 
Rll  BIROàu,  tO,  PAIU.  —  4854-5. 


iNnHc  (érie.  —  Ttae  VI.  N<>  4.  IS  Avril  ISSS. 

REVUE  PÉDAGOGIQUE 


LE  SENTIMENT  DU  RESPECT 


Oq  ne  refait  pas  les  hommes,  mais  on  peut  les  former.  Si  la 
génération  qui  maintenant  est  entre  nos  mains  en  sort  sang 
porter  dans  la  société  où  elle  va  se  répandre  des  principes  sûrs, 
des  idées  saines,  et  la  ferme  volonté  de  les  faire  prévaloir,  si  elle 
ne  donne  pas  à  la  République  des  mœurs  vraiment  républicaines^ 
c'est-à-dire  vertueuses,  elle  accroîtra  le  mal  qu'elle  est  appelée  à 
combattre,  elle  en  rendra  la  guérison  plus  difficile  encore. 

Hais  pour  former  cette  génération  en  qui  reposent  nos  espé- 
rances, ce  ne  sont  pas  seulement  les  idées  fausses  qu'il  faut  rec- 
tifier, et  lesidôes  justes  qu'il  faut  implanter,  ce  sont  les  bons 
sentiments  qu'il  importe  de  réveiller  et  de  répandre  ;  car  ces 
sentiments  n'ont  pas  moins  d'action  sur  la  volonté  que  les  idées 
elles-mêmes  ;  et  dans  un  pays  comme  le  nôtre  les  mouvements 
de  la  sensibilité  causent  plus  d'entraînements  que  l'intelligence 
ne  dicte  de  résolutions. 

Voyons  donc  parmi  les  sentiments  qui  font  vivre  la  famille  et 
prospérer  l'État,  qui  sont  le  gage  de  la  santé  morale  chez  les 
particuliers  et  dans  les  sociétés,  voyons  quels  sont  ceux  que  nos 
bouleversements  politiques,  que  les  changements  produits  dans 
nosmcB'.irs  par  l'accroissement  de  la  richesse,  le  développement  de 
l'industrie,  la  liberté  de  la  presse,  la  vulgarisation  des  lettres  et  des 
arts,  ont  pu  affaiblir  ou  dessécher  et  qu'il  faut  vivifier  et  raffermir. 

Au  premier  rang  de  ces  sentiments  appauvris,  je  placerais  le 
respect  de  l'autorité.  Il  est  aussi  inutile  d'en  nier  raffaiblissement 
qu'aisé  d'en  trouver  les  causes.  Dans  un  pays  qui,  en  moins  d'un 
siècle,  a  été  remué  jusqu'en  ses  dernières  profondeurs  par  cinq 
révolutions  prévues  ou  imprévues,  et  mâle  à  plusieurs  reprises 
par  des  réactions  violentes  et  des  coups  d'État  sanglants,  toutes 
les  autorités,  politiques,  judiciaires,  civiles,  religieuses,  militai- 
res ou  autres,  ont  été  successivement  et  inévitablement  compro- 
mises par  leurs  faiblesses  ou  leurs  défections,  leurs  complaisances 

RBVUB  PiDAGOGIQUK  1885.    —  l^r  SBll.  J9 


390  RIVUE  PÉDAGOGIQUE 

OU  leurs  complicités.  Ajoutons  à  cela  qu'entre  les  partis  victo- 
rieux, et  les  partis  vaincus  a  toujours  régné  une  déplorable 
émulation  de  dénigrement  réciproque  ;  si  bien  que  la  rage  de  la 
défaite  et  Tabus  de  la  victoire  ne  laissant  intacte  aucune  répu- 
tation, même  la  plus  pure,  ont  conspiré  à  détruire  dans  les 
âmes  le  respect  de  Taulorité.  Et  cependant,  dans  celte  période  agi- 
tée de  notre  histoire,  s'il  v  a  eu  des  défections  fameuses,  il  v 
a  eu  bien  des  fidélités  glorieuses,  et,  au-dessous  des  trahisons 
retentissantes,  bien  des  obscurs  dévouements,  bien  des  vertus 
muettes.  Mais  la  gloire  fait  moins  de  bien  que  la  honte  ne  fait 
de  mal,  et  d'ailleurs  toute  l'attention  de  la  foule  se  porte  vers 
la  scène,  sur  les  grands  acteurs.  Or  l'autorité  n'est  pas  un  prin- 
cipe purement  abstrait,  que  sa  nécessité  évidente  mette  à  l'abri 
de  toute  atteinte.  Ce  principe  prend  un  corps,  il  s'incarne,  et 
les  hommes  qui  le  représentent  ne  sauraient  faillir  sans  que 
le  principe  lui-môme  ait  à  souffrir  de  leurs  défaillances.  Et  quand 
ces  défaillances  se  multiplient,  quand  elles  se  renouvellent  à  des 
intervalles  fréquents,  l'estime  diminue,  la  défiance  augmente,  et 
le  respect  s'en  va.  Il  y  a  donc  une  sorte  de  fatalité  historique 
dans  l'affaiblissement  de  ce  sentiment  vital  ;  mais  puisque  Tin- 
stabilité  de  tant  de  gouvernements  caducs  lui  a  été  si  funeste, 
on  peut  raisonnablement  espérer  que  la  stabilité  des  institutions 
républicaines  lui  rendra  sa  force  et  sa  vertu. 

L'enfant,  par  cela  même  qu'il  est  enfant,  est  enclin  au  res- 
pect. C'est  dans  la  famille  (\\xe  ce  sentiment  prend  naissance  et 
qu'il  se  déveioppe  mê!é  à  la  piété  filiale.  Mais  il  ne  reste  pas 
enfermé  dans  le  cercle  de  la  famille,  il  s'étend  d'abord  à  toutes 
les  personnes  qui,  à  un  titre  quelconque,  représentent  l'auto- 
rité paternelle  et  enfin,  quoique  à  un  degré  moindre,  à  toutes 
les  grandes  personnes.  C'est  qu'en  effet,  dans  son  essence,  le 
respect  n'est  que  le  sentiment  et  l'aveu  de  notre  infériorité  et 
de  notre  dépendance,  et  l'enfant  a  conscience  de  son  infériorité 
vis-à-vis  de  ceux  qui  l'entourent;  chaque  instant  lui  démontre 
qu'ils  le  surpassent  en  force,  en  savoir,  en  expérience;  il  est 
donc  naturellement  porté  à  le  reconnaître  et  à  le  témoigner. 
Cependant  peu  à  peu,  à  mesure  qu'il  grandit  et  que  décroît  la 
dislance  qui  le  sépare  des  hommes  faits,  il  s'enhardit  à  la  com- 
paraison qu'il  trouve  quelquefois  à  son  avantage.  Tout  à  l'heure. 


LE  SENTIMENT  DU  RESPECT  29t 

le  voilà  leur  égal  et  peu  disposé  à  accorder  aux  autres  ce  qu'on 
lui  refuserait  à  lui-même.  Hais  daas  cette  t*volution  qui  modifie 
insensiblement  le  caract<>re  de  ses  sentiments  à  Tégard  de 
ceux  dont  il  se  rapproche  chaque  jour  davantage,  il  faut  prendre 
garde  de  laisser  s'affaiblir  et  se  perdre  le  respect  de  Taulorité. 
Et  pour  cela,  il  faut  de  bonne  heure  transformer  ce  sentiment 
instinctif  en  sentiment  réfléchi;  si  on  réussit  à  faire  comprendre 
à  l'enfant  que  ce  sentiment  est  à  la  fois  une  obligation  morale 
et  une  nécessilx5  sociale,  il  deviendra  respectueux  par  devoir  cl 
par  raison  comme  il  l'était  par  instinct. 

Sans  doute,  pour  être  respecté,  il  faut  c^lre  respectable,  et 
les  sentiments  s'inspirent  bien  plus  quils  ne  s'imposent.  Aussi 
les  gouvernements  doivent-ils  ne  conlier  les  fonctions  publiques 
qu'à  des  hommes  qui  commandent  l'estime,  et  les  électeurs  doi- 
vent-ils n'accorder  leurs  suffrages  qu'à  des  citoyens  dont  la 
réputation  soit  intacte.  Mais  si  scrupuleux  que  se  montrent 
gouvernants  et  gouvernés,  ils  ne  sauraient  éviter  des  méprises 
et  des  surprises  ;  car,  d'un  côté,  la  vérité  n'est  pas  facile  à  démê- 
ler, et,  de  Taulre,  un  passé  irréprochable  n'est  pas  une  garantie 
d'une  certitude  entière.  Les  fonctions  publiques  offrent  des  tenta- 
lions  inconnues  à  la  vie  privée,  et  auxquelles  ne  résistent  pas 
toujours  des  hommes  réputés  jusque-là  im[>eccables. 

11  importe  donc  qu'eu  dehors  de  l'estinic  qui  tient  à  ia  per- 
sonne, et  que  nous  ne  pouvons  pas  plus  refuser  à  ceux  qui  la 
méritent  qu'on  ne  peut  nous  Timposcr  pour  ceux  qui  ne  la 
méritent  pas,  il  importe,  dis-Je,  que  nous  soyons  de  bonne 
heure  habitués  à  res[>erter  les  fonctions  en  elles-mômes  et  l'auto- 
rité qu'elles  confièrent.  Ce  respect  dû  à  la  fonction,  à  raison  de 
sa  nature,  ne  nous  rendra  que  plus  sévères  pour  ceux  qiii  s'en 
montreront  indignes,  et  plus  circonspects  dans  nos  choix;  de 
plus,  il  rendra  plus  facile  une  obéissance  nécessaire  et  restituera 
à  l'autorité  un  prestige  qui  ne  peut  s'affaiblir  sans  danger  pour 
les  premiers  intérêts  du  pays. 

11  y  a  dans  toute  autorité  un  principe  de  respect  qu'il  faut 
dégager  et  mettre  en  lumière.  Ce  principe  a  sa  racine  dans  le 
caractère  et  l'importance  des  fonctions  dévolues  h  l'autorité  et 
dans  la  valeur  intellectuelle  et  morale  qu  elle  réclame  de  ceux 
qui  en  sont  investis.  Civile  ou  militaire,  poUtique  ou  judiciaire. 


i 


292  RIVUI  PÉDAGOGIQUI 

morale  ou  scolaire,  elle  représente  Tinlérêt  public,  TÉlat,  la 
pairie  qu'elle  a  pour  mission  de  défendre.  Il  n'y  a  pas  d'assimi* 
lalion  possible  entre  rexercice  de  ces  fonctions  et  les  professions  ou 
les  métiers  qui  n'ont  pas  d'autre  objet  qu'un  intérêt  purement 
privé.  D*autre  part,  pour  rendre  la  justice,  pour  commander  une 
armée  ou  une  partie  de  l'armée,  pour  administrer  un  départe- 
ment ou  une  commune,  pour  instruire  et  former  la  jeunesse, 
il  faut  des  qualités  de  caractère  et  d'esprit  que  n'exige  point 
l'exercice  d'un  métier.  Mais  de  même  qu'une  société  ne  peut 
vivre  sans  le  secours  de  l'autorité,  de  même  l'autorité  ne  peut 
être  réelle  et  efficace  que  si  elle  est  secondée  par  le  respect. 

Appliquons-nous  à  faire  comprendre  aux  enfants  ces  vérités 
élémentaires,  et  à  faire  naître  en  eux  les  sentiments  dont  elles 
contiennent  le  germe.  S'il  est  une  forme  de  gouvernement  qui 
en  ait  plus  particulièrement  besoin,  c'est  assurément  la  forme 
républicaine  ;  car  un  gouvernement  absolu,  sûr  d'inspirer  la 
crainte,  peut  à  la  rigueur  se  passer  du  respect,  ou  se  contenter 
de  l'apparence  ;  mais  une  république,  qui  ne  demande  rien  à 
la  force,  a  du  respect  un  besoin  absolu.  Il  est  plus  nécessaire 
■encore  aux  fonctions  électives  qu'à  toutes  les  autres  ;  car  le. 
mépris  de  l'élu  retombe  sur  l'électeur,  et  l'on  se  rabaisse  soi- 
même  en  rabaissant  son  choix  ;  aussi  respecter  ceux  qu'a  élevés 
le  suffrage,  ce  n'est  pas  autre  chose  que  se  respecter  soi-même. 

C'est  malheureusement  une  habitude  de  traiter  plus  que 
familièrement,  et  de  juger  sommairement  les  hommes  revêtus 
de  fonctions  publiques  et  surtout  de  fonctions  électives.  On 
croit  se  grandir  de  toute  la  liberté  qu'on  prend  à  leur  égard  ; 
c'est  un  mal  à  guérir  :  car  ce  ne  sont  pas  seulement  les  hommes 
qui  y  perdent,  c*est  la  fonction  elle-même  et  par  suite  la 
société.  Habituons  donc  les  enfants  à  parler  respectueusement 
de  tous  les  hommes  que  la  confiance  de  l'Ëtat  ou  des  électeurs 
ont  investis  de  fonctions  publiques,  ou  que  leur  mérite,  leurs 
succès,  leurs  services  ont  portés  à  un  rang  élevé  dans  les 
diverses  carrières  ;  habituons-les  à  juger  les  hommes,  non  sur 
les  défauts  dont  aucun  n'est  exempt,  mais  sur  les  qualités 
dont  ils  font  preuve  et  les  services  qu'ils  rendent. 

Il  est  un  autre  sentiment  qui  devrait,  ce  semble,  avoir  besoin 
(]u  frein  plus  que  de  l'aiguillon  :  c'est  le  respect  de  la  gran- 


LE   SENTIMENT  DU   RESPECT  293 

deur  intellectuelle  ou  morale.  En  effet;  les  peuples  sont  natu- 
rellement portés  à  Torgueil,  et  cet  orgueil  des  peuples  trouve  sa 
meilleure  excuse  ou  pour  mieux  dire  sa  légitimité  dans  la  gloire 
des  grands  hommes,  qui  rejaillit  sur  la  nation  entière.  Ce  senti- 
ment parait  si  naturel  et  il  est  en  réalité  si  puissant  chez  cer- 
tains peuples  qu'il  y  engendre  parfois  des  exagérations  ridicules. 
Admirer  ses  grands  hommes,  les  exalter,  les  surtaire,  c'est 
presque  de  Tégoïsme.  Cet  égoïsme  patriotique  et  respectable 
jusque  dans  son  excès  n'est  pas  un  défaut  français.  Soit  que 
la  passion  de  Tégalilé  nous  égare,  soil  que  Thabitudo  de  la 
critique  nous  domine,  nos  grands  hommes  n'ont  guère  à  se 
louer  de  nous,  et,  à  la  façon  dont  on  les  traite,  il  leur  est 
difficile  de  croire  à  Tamour  de  leurs  concitoyens. 

Et  dans  l'objet  aimé  tout  leur  devient  aimable, 

dit  Molière  en  parlant  des  amants.  Ce  n'est  pas  ainsi  que  nous 
en  usons  avec  nos  gloires.  Nous  ne  nous  laissons  guère  aveugler 
par  l'affection,  et,  à  travers  l'éclat  qui  les  environne,  nos 
regards  scrutateurs  et  jaloux  savent  souvent  percer  jusqu'aux 
défauts  qui  les  déparent  ;  et  malheureusement  on  peut  dire  des 
hommes  illustres  ce  que  Malherbe  dit  des  rois  : 

Pour  grands  que  soient  les  rois,  ils  sont  ce  que  nous  sommes  ; 
Tous  ils  ont  leurs  défauts,  comme  les  autres  hommes. 

Ces  défauts  inséparables  de  la  nature  humaine,  au  lieu  de  les 
voiler  ou  de  les  taire  par  un  sentiment  bien  entendu  de  patrio- 
tisme et  de  reconnaissance,  nous  prônons  plaisir  à  les  mettre 
en  lumière,  à  les  grossir  môme  et  à  en  triompher.  Pauvre  et 
misérable  triomphe  qui  rabaisse  nos  grands  hommes  sans  nous 
relever  nous-mêmes,  car  la  distance  entre  eux  et  nous  n'en 
est  pas  diminuée,  et,  si  notre  dénigrement  les  rabaisse,  il  nous 
fait  descendre  d'autant.  11  est  vrai  que  cet  acharnement  cesse 
avec  leur  mort;  que  la  réaction  du  sentiment  public  est  pres- 
que instantanée,  et  qu'à  ce  tapage  de  la  jalousie  et  de  la  calom* 
nie  succède  sans  intervalle  un  concert  de  louanges  et  d'admi- 
ration. Une  fois  l'homme  tombé,  sa  statue  s'élève. 

Notre  tempsaen  effet  ceci  de  particulier  qu'il  est  prodigue  d'hon- 
neurs envers  les  morts  illustres  et  d'outrages  envers  les  vivants. 
De  tous  côtés  sortent  des  statues  pour  réparer  ces  injustices  et 
ces  injures;    mais  ces    réparations  tardives  n'ont  pas  encore 


à 


294  IIB¥UK  FÉDA60GIQUB 

adouci  les  mœurs,  et  Ton  conlinue  à  faire  expier  aux  hommes 
éminents  la  célébrité  dont  ils  jouissent  et  à  leur  faire  acheter 
chèrement  les  honneurs  qui  les  attendent.  Et  cependant  quoi 
de  plus  contradictoire  et  de  plus  anti-démocratique  que  d'exi- 
ger le  respect  pour  les  derniers  des  hommes,  parce  qu'ils  sont 
citoyens,  et  de  le  refuser  à  ceux  qui,  citoyens  aussi,  ont  tant 
d'autres  titres  à  nos  hommages  ? 

Quel  honnête  homme  n'est  saisi  de  dégoût  à  voir  des  follicu- 
laires rouler  dans  la  boue  les  gloires  les  plus  hautes,  et  des 
pygmées  insulter  aux  géants  de  la  pensée  et  de  Vaction  ?  Mau- 
vaise est  assurément  l'idolâtrie  des  noms,  et  la  République  a 
raison  d'y  substituer  le  culte  de  la  loi;  mais  qu'est-ce  doncque 
la  loi,  sinon  une  image  plus  ou  moins  parfaite  de  la  justice,  et  qu'a 
de  commun  la  justice  avec  cette  rage  de  dénigrement  et  d'injure 
qui  s'acharne  sur  les  supériorités  de  tout  genre,  avec  ce  ravale- 
ment de  toute  grandeur  intellectuelle  ou  morale?  Ce  nest  pas 
de  l'égalité  républicaine,  c'est,  qu'on  me  passe  un  barbarisme 
pour  une  chose  vraiment  barbare,  c'est  de  l'égalisation. 

Que  l'instituteur  ne  néglige  aucune  occasion  de  déposer  dans 
le  cœur  de  l'enfant  les  semences  de  ce  sentiment  sain  et  vivi- 
fiant de  l'admiration;  qu'il  voile  par  une  sorte  de  pudeur  respec- 
tueuse et  rUiâle  les  quelques  faiblesses  qui  sont  comme  l'alliage 
mêle  aux  plus  précieux  métaux,  qu'il  apprenne  à  l'enfant  h 
respecter  l'humanité  dans  ses  types  les  plus  glorieux,  à  respec- 
ter la  patrie  dans  ses  plus  dignes  représentants.  La  critique  à 
outrance  ne  peut  que  dessécher  la  source  des  émulations  fécondes 
et  des  nobles  ambitions. 

Il  est  un  sentiment  délicat  entre  tous  et  que  je  voudrais  voir 
fleurir  dans  l'âme  de  nos  enfants;  ce  sentiment,  qui^  suffi  à 
lui  seul  pour  faire  l'honneur  de  certaines  républiques  anciennes, 
c'est  le  respect  de  la  vieillesse.  Nous  sommes  sur  ce  point  moins 
Spartiates  qu'Athéniens,  et  plus  enclins  à  rire  des  vieillards  qu'à 
es  plaindre.  Chez  nous  non  plus  on  ne  se  lève  pas  volontiers 
Ipour  faire  place  à  la  vieillesse,  et  plus  d'une  fois  dans  la  rue 
j'ai  eu  le  cœur  serré  à  voir  des  enfants,  des  jeunes  gens  même, 
pousser  droit  devant  eux,  forçant  des  vieillards  à  se  détourner 
pour  leur  livrer  passage.  La  belle  et  sévère  leçon  donnée  par 
r^  Fontaine  aux  trois  jouvenceaux  moqueurs  n'est  que  trop  sou« 


LE   SENTIMENT  DU   RESPECT  ^5 

vent  méritéa   de  nos  jours.  Quel   honneur  pour  nos  modestes 
écoles  si  nous  pouvions  y  faire  renaître  ce  sentiment  exquis! 

Aujourd'hui  les  enfants  sont  devenus  Tobjet  de  la  sollicitude 
nationale,  et  il  faut  s'en  féliciter;  mais,  de  la  part  dos  parents, 
ils  sont  souvent  aussi  l'objet  d'une  tendresse  complaisante  et 
d'une  vanité  déplacée  et  ruineuse;  on  ne  les  élève  pas,  on  les 
gâte;  on  ne  les  habille  pas,  on  les  pare;  c'est  presque  de  l'ido- 
lâtrie. Par  contre  la  vieillesse  n'est  pas  en  faveur;  notre  temps 
a  pour  elle  des  termes  durs,  et  où  il  entre  moins  de  pitié  que 
de  dédain.  Il  y  a  sans  doute  des  vieillesses  imposantes  et  glo- 
rieuses, devant  lesquelles  tout  s'incline,  et  notre  pays  en  a  sa 
bonne  part;   mais  los   vieillards  eu   général,   le  commun  des 
vieillards,  ceux-là  ne  sont-ils  pas  traités  avec  indifférence  et 
parfois  avec  mépris,  comme   objets   de  rebut?  Et  cependant, 
sans  parler  de  notre  intérêt  bien  entendu  qui  devrait  nous  faire 
songer  à  l'avenir  et  à  ce  qui  nous  attend,  sans  parler  des  pres- 
criptions de  la  morale  et  des  injonctions  de  nos  codes,  le  vieil- 
lard n'a-t-il  pas  droit,  comme  tout  ce  qui  est  faible,  triste  et 
menacé,  à  une  sympathie  attentive  et  affectueuse?  Quel  homme 
vraiment  homme  peut  voir  un  vieillard  sans  songer  à  tout  ce 
qu'il  y  a  peut-être  de  misères   et  d'infirmilés   dans  ce  pauvre 
corps  qui  va  s'affaiblissant,  à  tout  ce  que  renferme  de  regrets 
amers,  de  souvenirs  douloureux  et  funèbres,  ce  pauvre  vieux 
cœur  qui  va  se  refroidissant,  et  enfin  à  cette  menace  perpé- 
tuelle de  la  mort  suspendue  sur  cette  tête  blanchie?  Il  n'y  a  pas 
là  matière  à  plaisanterie.  Le  vieillard  est  chose  sacrée,  comme 
l'onfant;   que  celui-ci   apprenne  donc  à   respecter  son  grand 
aillé.  Du  reste  la  nature  nous  aidera  dans   cet  enseignement. 
IVinslinct,  l'enfant  aime  le  vieillard,  qui  le  lui  rend  bien. 

Je  ne  sais  rien  de  plus  touchant  que  ce  rapprochement  des 
extrêmes,  que  ces  deux  bouts  de  la  \ip.  qui  se  relient,  que  ce 
fM'and-père  menant  son  petit-fils  par  la  main. 

Ai  Ions  à  notre  tour  la  nature  et  prenons  garde  que  la  gros- 
sièreté du  langage  ou  la  sécheresse  du  cœur  ne  viennent  flétrir 
cet  instinct  délicat. 

\a  vieillesse  m'amène  tout  naturellement  à  songer  à  la  mort. 
Il  est  bon  d'expliquer  aux  enfants  pourquoi  les  hommes  se 
découvrent  silencieusement  devant  le  corbillard  qui  passe;  car 


296  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

les  enfants  ne  s'associent  pas  spontanément  à  ces  marques  de 
respect.  Sans  doute  il  ne  faut  pas  assombrir  de  pensées  funè- 
bres Taurore  de  la  vie,  mais  serait-il  sage  de  tenir  systémati- 
quement Tenfance  dans  une  ignorance  ou  une  indifférence 
complètes  sur  cette  grande  affaire  de  la  mort  qui  remplit  la  vie? 
S'il  est  dangereux  d'éveiller  et  de  développer  prématurément  en 
lui  une  sensibilité  énervante,  on  serait  coupable  de  le  laisser 
s'endurcir  dans  une  insensibilité  égoïste.  Le  mieux  est  de  Fini- 
tiei  virilement  et  progressivement  à  rintelligence  de  la  destinée 
humaine,  à  ses  caprices,  à  ses  rigueurs,  de  l'habituer  à  sortir 
de  lui-même,  à  se  mettre  en  pensée  au  lieu  et  place  des  autres, 
à  se  sentir  en  autrui,  à  vivre  dans  ses  semblables.  C'est  pres- 
que là  tout  le  secret  de  l'éducation. 

Ne  craignons  pas  d'attacher  un  moment  ses  regards  et  son 
attention  sur  ce  cercueil  qui  passe,  sur  ce  père  en  larmes  qui 
conduit  son  enfant  à  la  dernière  demeure,  sur  ces  orphelins  qui 
suivent  les  restes  d'un  père  ou  d'une  mère  enlevés  à  leur  amour. 
La  légèreté  naturelle  et  nécessaire  à  l'enfant  aura  bientôt  repris 
le  dessus;  mais  une  pensée  salutaire  aura  traversé  son  esprit 
et  y  laissera  un  souvenir  que  les  circonstances  feront  par  la 
suite  renaître  utilement.  Il  en  aura  ou  plus  d'attachement  pour 
ses  parents,  ou  plus  de  pilié  pour  les  orphelins. 

Oserais-je  dire  que  le  respect  des  enfaats  pour  les  parents 
est  moindre  qu'il  n'était  autrefois,  et  cela  non  seulement  dans 
les  familles  pauvres,  mais  dans  les  familles  aisées  et  même  dans 
les  familles  opulentes?  Cet  affaiblissement  d*un  sentiment  si 
nécessaire  s'explique  par  le  changement  profond  qui  s'est  opéré 
dans  les  esprits  et  qui  n'a  pas  tardé  à  s'opérer  dans  les  mœurs 
en  tout  ce  qui  touche  à  l'éducation  du  premier  âge. 

Montaigne  a  été  l'un  des  premiers  à  pousser  un  cri  de  pitié 
pour  les  enfants  qu'on  martyrisait  dans  les  écoles  ;  les  philoso- 
phes du  xvHi®  siècle,  J.-J.  Rousseau  surtout,  ont  éloquemment 
plaidé  la  cause  de  l'enfance,  les  pédagogues  formés  à  leur  école 
ont  contribué  à  changer  en  une  bonté  attendrie  la  dureté  des 
âges  passés,  et  le  mouvement  profond  de  ces  derniers  temps  en 
faveur  de  l'éducation  populaire  a  achevé  la  conversion.  Les  en- 
fants ne  sont  plus  battus,  et  ils  ne  doivent  pas  l'être;  ils  sont 
entourés  de  soins  et  nul  ne  saurait  s'en  plaindre.  Mais  là  ne 


LE  SKl^TIMKNr  DU    RESPECT  297 

s'est  pas  arrêté  ce  retour  de  sensibilité  à  Tégard  de  Tenfance; 
si  dans  notre  pays  les  changements  d'tiabitude  sont  difficiles  à 
provoquer,  les  régler  est  plus  difficile  encore.  Nous  passons 
vite  et  volontiers  d'un  eiLtrême  à  l'autre  extrême,  et  les  gens 
qui  résistent  à  ce  mouvement  précipité,  ceux  qui  essaient  de 
l'enrayer,  ceux-là  perdent  souvent  leur  temps  et  leur  peine. 

Dans  la  famille  des  siècles  passés  les  enfants  n'étaient  rien 
ou  pas  grand' chose;  dans  la  famille  moderne  ils  sont  tout  ou 
peu  s'en  faut.  Autrefois  les  enfants  étaient  traités  avec  sévérité, 
pour  ne  pas  dire  avec  rigueur;  on  les  tenait  à  l'écart,  on  les 
élevait  dans  la  crainte,  et  la  crainte  est  gardienne  du  respect. 
Autrefois  ii  table  l'enfant  ne  parlait  pas,  aujourd'hui  non  seu- 
lement ou  le  laisse  parler,  mais  on  l'y  invite,  on  l'écoute,  et 
volontiers  on  l'admire.  Il  a,  comme  on  dit,  voix  au  chapitre, 
et  souvent  c'est  son  avis  qui  prévaut  ou  au  moins  sa  volonté 
et  parfois  son  caprice.  Autrefois  ce  qu'il  y  avait  de  plus  mau- 
vais était  bon  pour  lui,  en  fait  d'aliments  comme  de  vêtements; 
aujourd'hui,  entre  lui  et  ses  parents  pas  de  différence  pour  la 
nourriture,  ou,  s'il  y  en  a  une,  elle  est  en  sa  faveur;  et  pour 
l'habillement,  elles  ne  sont  pas  rares  les  familles  où  l'enfant 
est  mieux  vêtu  que  les  parents  ;  ceux-ci  y  mettent  presque  de 
lorgueil  ;  la  mère  porte  bonnet,  la  fille  porte  chapeau,  et  la 
famille  voit  dans  cette  différence  la  marque  de  son  ascension  dans 
l'échelle  sociale.  S'il  y  a  encore  dans  le  peuple  des  parents  qui 
rudoient  leurs  enfants,  c'est  l'effet  d'une  brutaUté  naturelle  ou 
des  colères  alcooliques,  mais  en  général  les  enfants  sont  traités 
avec  une  douceur  et  des  égards  que  leurs  aînés  n'ont  pas  connus. 

Dans  leur  langage,  le  t^ous  traditionnel  et  respectueux  qui 
maintient  les  distances  a  cédé  la  place  au  tu  familier;  les 
enfants  traitent  d'égal  à  égal  avec  leurs  père  et  mère;  ce  sont  de 
petits  personnages,  qui  prennent  de  jour  en  jour  une  plus  haute 
idée  de  leur  importance  et  dont  la  volonté  fortifiée  par  la  fai-* 
blesse  paternelle  finit  par  ne  plus  rencontrer  de  résistance.  Je 
n'apprendrai  rien  à  personne  en  disant  que  l'émancipation  an- 
ticipée des  enfants  est  passée  en  habitude,  que  l'autorité  pater- 
nelle compose  avec  eux  et  abdique  avant  l'heure,  et  que  ni  le 
bonheur  domestique,  ni  les  mœurs  publiques  n'ont  rien  gagné 
à  cet  affranchissement  prématuré  et  à  ce  renversement  des  rôles. 


296  IIIVUÏ  PÉOAGOGlOtË 

Mais  alors,  comment  s'étonner  que  les  enfants^  qui  sont  si 
habiles  à  pénétrer  les  caractères,  à  surprendre  les  faiblesses  et 
à  en  tirer  avantage,  perdent  aussi  prématurément  quelque  chose 
du  respect  filial,  et  que  ce  sentiment  s'en  aille  avec  Taulorité 
qa'on  abandonne?  Le  contraire  aurait  lieu  de  surprendre. 
Ajouterai-je  que  les  parents  ne  se  gênent  guère  en  présence 
de  leurs  enfants,  qu'ils  abordent  souvent  devant  eux  des  sujets 
délicats  et  scabreux,  qu'ils  les  habituent  aux  jugements  som- 
maires sur  les  personnes  et  les  choses,  qu'ils  ne  se  méfient  pas 
assez  de  leur  pénétration  naturelle  et  de  leur  penchant  si  fort 
à  l'imitation,  que  leurs  réticences  maladroites  ou  leurs  regards 
d'intelligence  ne  font  qu'aiguillonner  la  curiosité  ardente  et 
active  du  jeune  âge,  et  qu'enfin  une  association  trop  intime  et 
trop  précoce  des  enfants  à  la  vie  des  grandes  personnes  les 
rend  témoins  de  scènes  qui  ne  sont  pas  toujours  exemplaires. 

Concluons  donc  que  si  le  respect  filial  a  diminué,  la  faute 
0n  est  surtout  à  l'imprévoyance  et  à  l'imprudence  des  parents 
eux-mêmes.  Comme  toujours,  un  changement  excellent  en 
principe,  mais  poussé  trop  loin  dans  la  pratique,  a  produit 
des  conséquences  fâcheuses. 

C'est  une  raison  de  plus  pour  que  nos  mattres  inspirent  de 
bonne  heure  aux  enfants  les  sentiments  qui  conviennent  à  leur 
âge,  pour  qu'ils  s'efforcent  de  lutter  contre  les  habitudes 
r^nanles^  et  de  soutenir  l'autorité  paternelle  qui  se  désinté- 
resse et  s'abandonne.  Et  dans  cette  luUe  contre  le  courant  du 
jour,  ils  ne  doivent  pas  songer  seulement  au  présent  qui 
pourrait  les  décourager,  mais  à  l'avenir,  qui  doit  soutenir  leur 
courage.  Dans  l'enfant  qu'ils  élèvent,  ils  doivent  envisager  le 
futur  père  de  famille,  et  soûger  que  les  leçons  d'aujourd'hui 
porteront  leurs  fruits  plus  tard.  Devenu  père  à  son  tour,  l'en- 
fant irrespectueux  aujourd'hui  se  rappellera  peut-être  alors  ses 
droits  et  ses  devoirs  ;  les  souvenirs  de  l'enfance  sont  comme 
ces  germes  qui  peuvent  dormir  longtemps  dans  la  terre,  mais 
que  des  influences  et  des  circonstances  favorables  viennent 
féconder  et  faire  éclore.  Il  ne  faut  donc  pas  croire  à  l'inuti- 
lité  des  leçons   parce  qu'elles  semblent   perdues.   Vienne   le 

moment  propice,  et  la  semence  lèvera. 

A.  Vkssiot. 


POESIES 

[Nos  lecteurs  connaissent  les  Poèmes  de  Provence  et  la  Chanson  de  Venfant, 
ces  charmants  recueils  qui  ont  obtenu  de  l'Académie  française  une  distinction 
bien  méritée.  Leur  auteur,  avec  une  bonne  grâce  dont  nous  le  renercious 
vivement,  offre  à  la  Revue  pédagogique  la  primeur  de  quelques  beaux  vers 
qui  trouveront  leur  place  dans  un  nouveau  volume  de  poésies  destiné  à  paraître 
prochainement.  Il  a  pensé  avec  nous  que  les  sentiments  généreux  et  patrio 
tiques  dont  il  s'est  inspiré  auront  un  écho  dans  le  cœur  des  maîtres  de  nos 
écoles  primaires;  il  a  voulu  qu'ils  fussent  les  premiers  à  lire  ses  vers.  Les 
instituteurs  de  France  sauront  gré  au  poète  de  cette  pensée  délicate.  —  La 
Râlartion. 


LA  LÉGENDE  DU  FORGERON 

Un  forgeron  forgeait  une  poutre  de  fer, 

Et  les  dieux,  les  esprits  invisibles  de  Tair, 

Les  témoins  inconnus  des  actions  humaines, 

Tandis  qu'autour  de  lui,  bruissant  par  centaines. 

Les  étincelles  d'or  faisaient  comme  un  soleil, 

Les  dieux  voyaient  son  cœur,  à  sa  foî^e  pareil, 

Palpiter,  rayonnant,  plein  de  bonnes  pensées, 

Etincelles  d*amour  en  tous  sens  élancées! 

Oir  tout  en  raarlclant  le  fer,  de  ses  bras  nus. 

Le  brave  homme  songeait  aux  frères  inconnus 

A  qui  son  bon  travail  serait  un  jour  utile... 

Et  donc,  en  martelant  la  poutre  qui  rutile, 

11  chantait  le  travail  qui  rend  dure  la  main, 

Mais  (juî  donne  un  seul  cœur  à  tout  le  genre  humain. 

Tout  il  coup,  la  chanson  du  forgeron  s'arrête: 

«  Ahî  dit-il  tristement,  en  secouant  la  tête, 

»  Mon  travail  est  perdu,  la  barre  ne  vaut  rien  : 

»  Une  paille  est  dedans;  recommençons.  C'est  bien.  » 

Car  le  bon  ouvrier  est  scrupuleux  et  juste  ; 

11  ne  plaint  pas  l'eflort  de  son  torse  robuste; 

Il  sait  que  ce  qu'il  doit  c'est  un  travail  bien  fait, 

Qu'une  petite  cause  a  souvent  grand  effet, 

Que  le  mal  sort  du  mal,  le  bien  du  bien,  qu'en  somme 

Un  ouvrage  mal  fait  peut  entraîner  mort  d'homme. 

Los  étincelles  d'or  faisaient  comme  un  soleil. 
Et  de  ce  cœur  vaillant,  à  la  forge  pareil. 
Étincelles  d'amour  en  tous  sens  élancées. 
Jaillissaient  le  courage  et  les  bonnes  pensées. 


é 


300  IŒVU£  PlDÀGOGIQUE 

Et  la  poutre  de  fer,  dont  Touvrier  répond. 

Sert  un  beau  jour,  plus  tard,  aux  charpentes  d'un  pont, 

Et  sur  le  pont  hardi  qui  fléchit  et  qui  tremble 

Voici  qu'un  régiment  —  six  cents  hommes  ensemble  — 

Passe,  musique  en  tête,  et  le  beau  régiment 

Sent  sous  ses  pieds  le  pont  fléchir  arfreusement.... 

Le  pont  fléchit,  va  rompre. . .  et  le^  six  cents  pensées 

Vont  aux  femmes,  aux  sœurs,  aux  belles  fiancées, 

—  Et  dans  le  cœur  des  gens  qui  voient  cela  des  bords 

La  patrie  a  déjà  pleuré  les  six  cents  morts  ! 

Chante,  chante  dès  Theure  où  ta  forge  s'allume. 
Frappe,  bon  ouvrier,  gaîment,  sur  ton  enclume  î 
Le  pont  ne  rompra  pas  !  Le  pont  n*a  pas  rompu  ! 
Car  le  bon  ouvrier  a  fait  ce  qu'il  a  pu, 
Car  la  barre  de  fer  est  solide  et  sans  paille.... 
Chante,  bon  ouvrier,  chante  en  rêvant,  travaille. 
Règle  tes  chants  d'amour  sur  l'enclume  au  beau  son  I 
Ton  cœur  bat  sur  l'enclume,  et  bat  dans  ta  chanson  l 
....  Les  étincelles  d'or,  en  tous  sens  élancées. 
C'est  le  feu  de  ton  cœur  et  tes  bonnes  pensées. 

L'homme  n*a  jamais  su,  l'homme  ne  saura  pas 

Combien  d'hommes  il  a  soutenu  de  ses  bras 

Au-dessus  du  grand  fleuve  et  de  la  mort  certaine  î 

Et  pas  un  seul  soldat,  et  pas  un  capitaine 

Ne  saura  qu'il  lui  doit  la  vie,  et  le  retour 

Au  village,  où  l'attend  le  baiser  de  l'amour. 

Nul  ne  dira  :  «  Merci,  brave  homme,  »  à  l'homme  juste 

Qui  fît  un  travail  fort  avec  son  bras  robuste.... 

Mais  peut-être  qu'un  jour,  quand  ses  fîls  pleureront 

En  rejetant  le  drap  de  son  lit  sur  son  front. 

Quand  la  mort  lui  dira  le  secret  à  loreille. 

Peut-être  il  entendra  tout  à  coup,  ô  merveille! 

Il  verra  les  esprits  invisibles  de  l'air 

Lui  conter  le  destin  de  sa  poutre  de  fer, 

Et  lorsqu'on  croisera  ses  pauvres  mains  glacées. 

Lui,  vivant  immortel  dans  ses  bonnes  pensées, 

Laissant  sa  vie  à  tous  en  exemple,  en  conseil, 

Sentira  rayonner  son  cœur  comme  un  soleil! 


LE   LIERRE  DU  LYCÉE  LAMARTINE  301 

LE  LIERRE  DU  LYCÉE  L.VMARTL\E 

A   M.    NAVARRE 

J'ai  voulu  revoir  le  lycée 
Où  mon  enfance  pleura  tant; 
Cest  bien  laque  je  Tai  laissée; 
Elle  m'accueille  en  sanglotant. 

C'est  aujourd'hui  Pâque-fleurie  : 
On  a  lâché  les  écoliers  ; 
Je  remonte,  l'âme  attendrie, 
Mon  passé,  par  ces  escaliers. 

Loin  de  mon  pays  de  lumière. 
Où  rhiver  môme  est  réchauffant, 
Entre  ces  murs  de  froide  pierre, 
Il  fut  dur,  mon  exil  d'enfant. 

«  Voyez- vous,  dis-je  au  nouveau  maître. 
Qui  me  reçoit  en  vieil  ami, 
Chaque  détail,  par  tout  mon  (Hre, 
Réveille  l'enfant  endormi. 

>)  Il  s'éveille,  il  sort  de  moi-même  ; 
Hélas  !  il  ne  me  connaît  pas  ; 
Moi,  je  le  connais  et  je  l'aime, 
Co  ])etit  qui  pleure  tout  bas. 

>)  Pour  un  moment  il  veut  revivre  ; 
Ses  yeux  sont  grands  ouverts,  —  voyez  ! 
Si  nous  marchons,  il  va  nous  suivre... 
Oh  !  comme  ses  yeux  sont  noyés  ! 

)  Sur  ses  traces,  la  petite  ombre 
Remet  ses  deux  pieds,  pas  à  pas.... 
Il  pleut  ;  au  fond  du  hangar  sombre, 
Elle  regiu-de  vers  là-bas! 

'  Le  ciel  rit  ;  dans  le  libre  espace 
Le  pauvre  petit  spectre,  en  pleurs. 
Suit  des  yeux  chaque  oiseau  qui  passe 
El  qui  peut  aller  voir  des  fleurs  ! 

«  11  s'assied  au  banc  de  la  classe 
Où  son  chiffre  est  encor  gravé  ; 


302  RIVUB  PÉDAGOGIQUE 

Il  retrouve  partout  sa  trace. 
Et  refait  -  ce  qu'il  a  rô\é  î 

»  Mauvais  rêve,  dis-je  au  bon  maître: 
(Et  je  sentis  mon  cœur  serré. . . .) 
J'étais  grondé,  puni  peut-être, 
Seulement  pour  avoir  pleuré!  » 

Puis,  honteux,  après  un  silence  : 
tt  Je  n'apprenais  pas  ma  leçon 
Pour  rêver  du  ciel  de  Provence, 
Et  du  lierre  de  ma  maison  ! . . . 

»  Certes,  il  faut  lire  dans  un  livre, 
Mais  aussi  dans  les  fleurs  des  bois, 
Et  si  Virgile  nous  enivre. 
C'est  qu'un  oiseau  chante  en  sa  voix  ! 

»  Quand  nous  disons  rosa,  Ui  rose. 
Montrez-nous  les  rosiers  aimés, 
Ou  n'apprenez  que  de  la  prose 
A  l'enfant  que  vous  enfermez! 

»  Cetlc  muraille,  ali  !  qu'elle  est  haute  î . . . 

—  «  Oui,  nos  petits  ne  l'aiment  pas, 
Dit  le  maître,  bon  comme  un  hôte  : 

Ils  jouent  mieux  sous  ces  murs  plus  bas  . . 

Alors,  mon  enfance  oubliée 
Revint  vers  nous  et  lui  parla.... 
a  Oh!  mumiura  sa  voix  mouillée. 
Monsieur,  plantez  un  lierre,  là  l  » 

—  «  Monsieur,  me  dit  le  jeune  maître, 
Si  vous  revenez  dans  dix  ans, 

Vous  ne  pourrez  plus  reconnaître 
Ce  mur  en  horreur  aux  enfants — 

9  Un  lierre  en  couvrira  la  pierre, 
Verdure  d'hiver  et  d'été.... 
Les  oiseaux  viendront  dans  le  lierre. 
Car  le  lierre  sera  planté. . .  » 

Je  crus  voir,  en  passant  la  porte 
Du  lycée  aux  murs  étouffants, 
L'ombre  de  mon  enfance  morte 
Qui  jouait  avec  des  enfants. 


LES  PAYSANS  303 

LES  PAYSANS 

Pour  planter  la  nouvelle  vigne, 
il  faut  d'abord  caver  profond, 
Mais  la  terre  est  dure,  et  s'indigne 
Contre  les  hommes  qui  le  font; 
Elle  se  défend,  la  rebelle  I 
Elle  dit  qu'elle  ne  veut  pas! 
...  A  coups  de  pioche,  zou,  contre  elle! 

—  Les  paysans  sont  des  soldats. 

C'est  Tété,  quand  le  soleil  plombe, 
Qu'il  faut  caver,  pour  faire  bien; 
Le  pic  tombe,  et  la  sueur  tombe. 
Car  la  terre  ne  donne  rien! 
Ah!  la  gueuse!  il  faut  qu'on  la  force! 
il  lui  faut  des  bras  et  des  cœurs 
Pour  frapper  son  cœur  sous  Técorce.... 
Les  paysans  sont  des  vainqueurs. 

Ils  descendent  dans  la  tranchée. 

Et  s'eiilerrant  jusqu'aux  genoux, 

Le  dos  lors,  la  tète  penchée, 

ils  vont  piochant,  ceux  do  chez  nousl 

Toujours  avant,  jamais  arrière, 

A  chaque  coup,  à  chaque  pas, 

Le  pic  fait  fumer  la  poussière  ! 

—  Les  paysans  sont  des  soldats. 

Si  vous  croyez  que  c'est  pour  rire. 

Soupesez  leurs  outils  pesants! 

Ali!  la  terre  pourrait  vous  dire 

S'ils  sont  braves,  nos  paysans! 

l'n  seul  contre  elle  en  >aul  bienjiualre. 

Et  laissez  causer  les  moiiueurs, 

La  conquiert  qui  sait  la  comballre! 

—  Les  paysans  sont  des  vainqueurs. 

Et  (juand  le  «  bien  »,  d'un  bout  à  l'autre. 
Motte  après  motte  est  retourné. 
Alors,  le  a  bien  »  est  vraiment  nôtre  : 
Il  est  conquis,  il  s'est  donné  ! 
Alors,  c'est  fini  lasouH'rance! 
Au  beau  mitan  du  champ,  là-bas. 
On  plante  le  drapeau  de  France  ! 

—  Les  paysans  sont  des  soldats. 


i 


304  REWB  PÉDAGOGIQUE 

Cette  chanson  me  fut  payée, 
Argent  de  France,  six  écus, 
Pauvre  somme,  bien  employée. 
Car  les  sixécus  seront  bus! 
Je  les  ai  donnés  avec  joie, 
Un  jour  d'août,  à  des  paysans 
Qui  savent  comment  on  emploie 
Au  soleil,  les  écus  luisants  I 

Ils  les  boiront,  face  allumée, 
La  main  haute,  comme  il  faudra, 
A  la  Vigne  leur  bien-aîmée, 
À  la  mort  du  phylloxéra  ! 
Ils  les  boiront  à  ITspérance, 
A  tout  ce  qui  ne  mourra  pas, 
A  la  Vigne,  au  Vin,  à  la  France! 
—  Les  paysans  sont  des  soldats. 


Jean  Aicard. 


LES  COLONIES  DE  VACANCES 

ET   LES    ÉCOLES  DU    ÏX®   ARRONDISSEMENT   DE    PARIS. 


C'est  la  Revue  pédagogique  qui  la  première,  croyons- nous,  a 
fait  connaître  en  France  Tinstitution,  aujourd'hui  populaire  à 
Paris,  des  colonies  de  vacances.  Daùs  le  Courrier  de  Textérieur 
du  numéro  de  novembre  1879,  nous  avions  publié  Tinformation 
suivante,  que  nous  demandons  la  permission  de  reproduire, 
parce  qu'elle  aura  sans  doute  passé  inaperçue  de  beaucoup  de 
nos  lecteurs  actuels  : 

«  Une  innovation  qui  semble  devoir  être  féconde  en  heureux  résul- 
tats pour  ravenif  a  été  expérimentée  en  Allemagne  depuis  quelque 
temps.  11  s'agit  de  l'envoi  à  la  campagne,  durant  les  vacances  sco- 
laires et  aux  frais  de  la  ville  ou  d'une  société  qui  entreprend  cette 
bonne  œuvre,  d  un  certain  nombre  d'enfants  maladifs,  appartenant 
à  des  familles  pauvres.  Cette  institution,  qui  a  pris  naissance  dans 
la  Suisse  allemande  (I),  est  désignée  sous  le  nom  original  de  colonies 
de  vacances  ( Ferien-  Kolonien),  C'est  Francfort-sur-le-Mein  qui  en  a 
essayé  tout  d'abord  en  Allemagne.  Les  villes  de  Dresde  et  de 
Stuttgart  ont  suivi  cette  année  l'exemple  de  Francfort,  et  ce  double 
essai  a  pleinement  réussi.  Les  colonies  de  vacances  de  Dresde,  au 
nombre  de  six,  chacune  sous  la  direction  d'un  instituteur  ou  d'une 
institutrice,  et  composées  d'un  nombre  total  de  76  enfants  des  deux 
sexes,  sont  rentrées  en  ville  le  16  août,  après  trois  semaines  de 
séjour  dans  diverses  résidences.  L'air  salubre  de  la  campagne  avait 
exercé  la  plus  heureuse  influence  sur  la  santé  de  ces  pauvres  en- 
fants. 11  existe  un  moyen,  en  quelque  sorte  mécanique,  de  s'assurer 
du  résultat  obtenu  :  c'est  de  peser  les  enfants  au  départ  et  au  retour. 
On  a  constaté  chez  les  76  enfants  une  augmentation  de  poids  variait 
de  3  livres  d/2  à  13  livres. 

»  Les  cinq  colonies  de  Stuttgart  (quatre  de  garçons  et  une  de  filles;, 
comprenant  55  enfants,  sont  restées  vingt-cinq  jours  à  la  campagne. 
L'augmentation  totale  de  poids,  pour  une  colonie  de  12  garçons,  a 
été  de  56  livres;  Fun  d'eux  avait  à  lui  seul  gagné  8  livres. 

»  Le  chiffre  des  dépenses  a  été  de  5,300  marks  à  Dresde,  et 
de  4,000  marks  à  Stuttgart. 


(1)  C'est  le  pasteur  Bion  qui,  k  Zurich,  en  1870,  a  pris  l'initiative  de  cette 
ijeuvre  philanthropique. 

RKYUI  PÉDAQ06IQDB  1885.  —  l«r  BIH.  20 


à 


306  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

•  D  autres  pays  encore  songent  à  introduire  chez  eux  les  colonies 
de  vacances.  A  Vienne,  un  premier  essai  a  été  tenté  celte  année  : 
une  colonie  assez  nombreuse,  sous  la  surveillance  de  M™®  la  baronne 
Clémentine  FouUon  et  de  M.  Kaiser,  instituteur  à  Weissenbach, 
s'est  rendue  dans  ce  village,  et  y  a  séjourné  plusieurs  semaines. 
Les  frais  ont  été  couverts  par  une  société  fondée  sous  le  patronage 
de  la  princesse  Hohenlohe.  La  ville  de  Bruxelles  a  résolu  de  son 
côté  de  fonder,  à  l'occasion  du  cinquantième  anniversaire  de  l'indé- 
pendance de  la  Belgique,  qui  se  célébrera  Tan  prochain,  un  asile 
au  bord  de  la  mer,  et  d*y  envoyer  à  tour  de  rôle,  pour  y  fortifier 
leur  santé,  durant  les  vacances,  tous  les  enfants  pauvres  des  écoles 
communales.  y> 

Depuis  ce  moment,  la  Revue  pédagogiques  signalé  à  différentes^ 
reprises  les  résultats  obtenus  à  l'étranger  et  les  progrès  accomplis. 

D'autre  part,  en  janvier  1882,  nous  appelions  Tattention,  dans 
dans  un  article  du  Bulletin  administratif  du  ministère  de 
rinsti*uction  publique  (n^  477,  p.  300),  sur  la  conférence  réunie 
à  Berlin,  en  novembre  1881,  sous  la  présidence  du  D»^  Falk, 
ancien  ministre  de  rinstruclion  publique  du  royaume  de  Prusse, 
et  à  laquelle  assistaient  des  délégués  des  comités  et  des  asso- 
ciations qui  se  consacrent,  en  Suisse,  en  Allemagne  et  en 
Autriche,  à  l'œuvre  des  colonies  de  vacances.  Les  renseignements 
contenus  dans  cet  article  n'ont  rien  perdu  de  leur  actualité,  et 
il  ne  sera  peut-être  pas  inutile  de  les  placer  également  sous 
les  yeux  de  nos  lecteurs. 


ft  Dans  son  discours  d'ouverture,  —  disions-nous,  —  le  D""  Falk  a  rap- 


ne  possède  pas  moins  de  seize  colonies  de  ce  genre,  qui,  pendant 
les  vacances  d'été  de  1881,  ont  permis  à  228  enfants  de  familles  peu 
fortunées  de  jouir  des  bienfaits  d'un  air  salubre.  Tous  les  ans,  à 
Berlin,  des  centaines  d'enfants  sont  la  proie  de  l'anémie,  du  dépé- 
rissement et  des  maladies  qui  l'accompagnent,  et  ne  grandissent  que 
pour  devenir  do  malheureux  infirmes,  incapables  d'aucun  travail, 
qui  vont  peupler  les  hospices  et  tombent  à  la  charge  de  la  com- 
mune, et  qui,  chose  plus  grave,  incapables  de  résister  aux  influences 
morbides,  offrent  un  terrain  tout  préparé  aux  épidémies  et  contri- 
buent à  les  entretenir  et  à  les  propager  au  sein  de  la  population 
valide.  Si  ces  enfants  étaient  transplantés  à  temps,  tie  fût-ce  que 
durant   quelques   semaines,    dans  un  milieu  pins  hygiénique,   il 


LES  COLONIES  DE  VACANCES  ^^7 

serait  possible  de  fortifier  leur  constitution  d'une  manière  durable, 
et  de  prévenir  ainsi  leur  déchéance  physique  et  intellectuelle  :  on 
remédierait  par  là  à  beaucoup  de  misères,  et  nos  établissementg 
hospitaliers  et  charitables  se  trouveraient  en  môme  temps  déchargés 
d'un  fardeau  souvent  très  lourd.  Il  n*est  pas  nécessaire  d'insister  8ur 
la  haute  signification  sociale  et  sanitaire  des  colonies  de  vacances» 
dont  le  but  est  d'envoyer,  pendant  les  vacances  d'été,  les  écoliers 
maladifs  prendre  des  forces  dans  un  séjour  salubre  et  bien  choisi. 
La  rapidité  avec  laquelle  cette  institution  s'est  propagée  dans  la 
plupart  des  grandes  villes,  comme  Francfort,  ï>rcsde,  Hambourg, 
Brème,  Breslau,  Bâle,  Vienne,  etc.,  les  succès  incontestés  qu'elle  a 
obtenus,  témoignent  déjà  en  sa  faveur.  C'est  là,  de  l'aveu  de  tous, 
ajoute  M.  Falk,  un  terrain  sur  lequel  la  bienfaisance  publique  peut 
et  doit  s'exercer  d'une  manière  utile  et  lé^ûtime. 

V  La  discussion  s'est  ensuite  ouverte  sur  cette  question  ;  Est-il 
préférable  de  constituer  des  «  colonies  »  proprement  dites,  placées 
sous  la  direction  d'un  instituteur  ou  d'une  institutrice  et  r('»unis8ant 
sous  le  m^rne  toit  un  certain  nombre  d'enfants  ;  ou  vaut-il  mieux 
confier  les  enfants,  isolément  ou  par  petits  groupes,  aux  soins  de 
quelques  familles  dans  lesquelles  ils  seraient  placés  comme  pension- 


Berlin  se  sont  prononcés  pour  le  principe  des  colonies.  MM.  Schoost 
de  Hanibourjî  et  Ueddersen  de  Brème  préfèrent,  au  contraire,  le 
système  du  placement  dans  les  familles  qui  donne  à  l'enfant  plus 
de  liberté,  tandis  que  dans  les  «  colonies  »  il  se  trouve  constamment 
sous  la  contrainle  de  la  discipline  scolaire.  M.  Bion,  qui  était  pré- 
sent, a  dit  qu'il  avait,  pour  son  compte,  essayé  de  l'un  et  de  l'autre 
système  et  ([ue  tous  deux  avaient  donné  des  résultats  satisfaisants; 
aussi  croit  il  qu'il  ne  faut  pas  se  montrer  exclusif  dans  un  sens  ni 
dans  l'autre.  Rivalisons  de  zèle,  a-t-il  ajouté,  non  pas  pour  faire 
prévaloir  telle  méthode  particulière,  mais  pour  le  bien  commun. 
Si.  Schoost  a  donné  des  détails  intéressants  sur  ce  qui  s'est  fait  en 
Danemark,  par  le  système  du  placement  dans  les  familles  ;  dans  ce 
pays,  sept  mille  enfants  environ  ont  été  envoyés  à  la  campagne 
durant  les  vacances  de  l'été  dernier,  sans  qu'il  en  soit  résulté 
aucune  dépense  :  les  journaux  ont  fait  gratuitement  la  publicité 
nécessaire,  les  chemins  de  fer  ont  accordé  le  voyage  gratuit,  et  il 
s'est  trouvé  un  nombre  suffisant  de  familles  pour  recevoir,  à  titre 
entièrement  gratuit,  les  enfants  en  pension.  Le  D^  Falk  a  résumé 
la  discussion  en  faisant,  ressortir  que  le  point  essentiel  est  de  pro- 
curer aux  enfants  malades  ou  cliétlfs  le  bienfait  d'un  séjour  à  la 
campagne,  et  que  les  moy^is  employés  ne  forment  qu'une  question 
accessoire  qui  peut  être  résolue  d'une  façon  différente  suivant  les 
circonstances  locales,  d 


à 


308  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

La  France  a  attendu  quelques  années  avant  d'entrer  à  son 
tour  dans  la  voie  où  plusieurs  pays  étrangers  l'avaient  précédée. 
Enfin,  en  1883,  un  comité  d'initiative  s'est  organisé  dans  le 
IX*  arrondissement  de  Paris,  et  les  deux  premières  «  colonies  » 
parisiennes  ont  été  envoyées  passer  un  mois  à  la  campagne,  k 
Chaumont  et  à  Luxeuil.  Nous  avons  analysé.  Tan  dernier 
(n^  de  juin  188i,  p.  S61),  l'intéressante  brochure  dans  laquelle 
M.  Cottinet,  administrateur  de  la  caisse  des  écoles  et  du  comité 
des  colonies  du  IX^  arrondissement,  a  rendu  compte  du  succès 
de  celte  tentative  ;  nous  avons  reproduit  (n®  de  juillet  1884, 
p.  (j6)  une  partie  du  spirituel  plaidoyer  publié  par  M.  Abraham 
Dreyfus  dans  la  Revue  politique  et  littéraire  en  faveur  des  éco- 
liers pauvres  et  souflroleux. 

Aujourd'hui,  M.  Coltinet  vient  de  faire  paraître  un  second 
rapport,  et  nous  nous  empressons  de  lui  emprunter  le  récit  des 
faits  et  gestes  des  colonies  scolaires  de  1884.  Au  lieu  de  dix- 
huit  élèves  seulement,  comme  la  première  année,  c'est  une  cen- 
taine d'enfants  pauvres  du  IX^  arrondissement  qu'il  a  été  pos- 
sible de  faire  participer  cette  fois  au  bienfait  d'un  séjour  à  la 
campagne. 

«  UŒuvre  des  Colonies  scolaires  de  vacances,  dit  M.  Cottinet  aux 
souscripteurs,  a  touché,  dès  sa  seconde  année,  le  double  but  qu'elle 
se  proposait:  elle  a  fait  participer  à  son  bienfait  toutes  les  écoles 
primaires  du  neuvième  arrondissement  et  elle  y  a  associé  les  deux 
établissements  d'instruction  secondaire  qu'il  renferme. 

La  campagne  de  1884  n'a  pas  été  moins  favorisée  que  la 
première.  Chez  cent  colons,  élèves  ou  maîtres,  garçons  ou  tilles, 
aucun  accident  ne  s'est  produit,  et  des  résultats  excellents  ont  été 
obtenus.  Avant  de  vous  les  exposer,  laissez-moi  vous  entretenir  de 
la  grande  alliance  et  des  secours  particuliers  qui  nous  ont  permis 
de  les  atteindre. 

En  frappant  à  la  porte  du  lycée  Condorcet  et  du  collège  Rollin, 
nous  ne  voulions  pas  seulement  de  l'argent,  nous  prétendions  établir  un 
lien  entre  des  écoliers  de  conditions  différentes,  rapprocher  encore,  par 
leur  intermédiaire,  les  familles  déjà  moins  divisées  chez  nous 
qu'ailleurs  et  apprivoiser,  par  un  fraternel  contact,  une  population 
scolaire  destinée  à  se  fondre  plus  tard  sous  les  drapeaux.  Que  nos 
collégiens,  assurés  presque  tous  de  pleines  vacances,  en  procu- 
rassent les  avantages  à  des  camarades  moins  heureux,  c'était  pour 
eux  un  rachat  volontaire  des  faveurs  de  la  fortune  ;  pour  nos 
ifanls,  c'était  une  marque  de  cordialité  plus  encore  qu'une  assis- 


LES  COLONIES  DE   VACANCES  309 

tance,    quelque    chose  comme  une  étrenne  enveloppée  dans  une 
poignée  de  main. 

Cette  visée  fut  comprise.  Hautement  favorisée  par  M.  Gréard, 
vice-recteur  de  l'académie  de  Paris,  elle  fut  adoptée  avec  chaleur  et 
soutenue  avec  efficacité  par  ceux  auquel  il  appartenait  de  la  faire 
aboutir.  Le  proviseur  du  lycée  Condorcet,  M.  Girard,  distribua  dans 
ses  classes  notre  rapport  de  Tannée  dernière,  et  1,200  francs  répon- 
dirent à  rappel  qui  raccompagnait,  somme  considérable  eu  égard  à 
Tépoque  où  elle  fut  sollicitée.  De  son  côté,  M.  Roguet,  directeur  du 
collège  Rollin,  n'hésita  pas  à  verser  dans  notre  caisse  tout  ce  qui 
restait  à  la  bourse  de  secours  qu'alimentent  ses  pensionnaires. 
Remercions  profondément  ces  maîlres  libéraux  et  remercions  les 
élèves  qu'ils  forment  au  bien.  Que  ceux-ci  sachent  que,  par  eux 
seuls,  vingt  de  leurs  pauvres  camarades  sont  allés  réparer  leurs 
forces  à  lair  des  champs,  et  qu'ils  se  demandent  dès  maintenant 
combien  ils  en  veulent  envoyer  cette  année-ci. 

Et  tandis  que  nous  nous  efforcions  ainsi  pour  obtenir  le  concours' 
de  ces  jeunes  gens,  les  jeunes  filles  du  collège  Sévignénous  offraient 
spontanément  le  leur.  Elles  nous  adressaient  le  premier  fonds  de 
leur  bourse  charitable  en  formation.  Réponse  topique  aux  doutes 
malveillants  dont  les  collèges  de  filles  sont  Tobjet,  et  surtout 
gracieuse  surprise  pour  nous  !  Qui  donc  avait  intéressé  à  nos 
colonies  ces  donatrices  d'un  arrondissement  éloigné  ?  Une  lecture 
de  W^^'  Salomon,  leur  directrice.  Dans  la  Revue  politique  et  littéraire, 
M.  Abraham  Dreyfus  avait  lancé  à  notre  profit  un  de  ces  appels 
heureux  dont  il  possède  le  secret,  et  dont  la  bonhomie  malicieuse 
a  des  vertus  irrésistibles.  Le  collège  Sévigné  n'y  avait  pas  résisté, 
Et  combien  d'autres  souscriptions  allaient  suivre  celle-là,  à  la  voix 
de  cet  admirable  auxiliaire  î  Elles  vinrent  de  tous  les  points  de  la 
France.  » 

Les  garçons  furent  tous  réunis  à  Chaumont,  dans  le  bâtiment 
de  l'école  normale  d'instituteurs,  située  on  dehors  de  la  ville. 
Les  filles  furent  divisées  en  quatre  groupes  :  à  Chaumont,  à 
Luxeuil,  à  Pompey  /"Meurthe-et-Moselle)  et  à  Saint-Dié.  Comme 
l'année  précédente,  les  enfants  étaient  tenus  à  la  rédaction 
d'un  journal  individuel  quotidien;  on  y  avait  ajouté  une  autre 
exigence  :  l'exécution  d'un  croquis  topographique  pour  chaque 
jour,  le  plan  sommaire  de  chaque  promenade,  et,  à  la  fin,  une 
carte  récapitulatrice  des  pays  parcourus. 

Voici  comment  les  garçons  employèrent  leur  mois  de  vacances . 

9  Levés  à  six  heures,  nos  garçons,  comme  des  soldats,  cirent  leur 
chaussure,  brossent  leurs  habits,  balaient  le  dortoir,  le  lavabo,  les 


é 


310  MIVDE  PÉDAG06IQ1JB 

escaiiers,  la  salle  d*étude,  à  Texemple  et  sous  la  direction  des  femmes 
des  instituteurs,  puis,  leur  toilette  achevée,  des  pieda  à  la  télé  et 
afiL  savon,  ils  font  leors  lits.  Bien  des  parents  nous  ont  remerciés 
de:  leur  avoir  donné  ces  nouvelles  habitudes.  Les  Colonies  de  va- 
cances, on  s'en  souvient,  ont  été  conçues  en  partie  comme  une 
école  de  propreté.  Aussitôt  après  le  déjeuner,  viennent  les  prome- 
nades, qui  sont  la  grande  affaire  :  elles  ont  remplacé  toute  Técole. 

Et  là,  quelle  nouvelle  pédagogie  se  produit  I C  est  la  Nature  qui 

tient  la  classe  et,  quand  les  cahiers  mentionnent  la  rencontre  de  *  deux 
superbes  petits  cochons  avec  la  queue  en  trompette  »,  ou  «  d'un 
dindon  qui  gonflait  ses  ailes  «,  nous  cueillons  ce  texte  avec  plus  de 
satisfaction  qu'un  extrait  copié  dans  Bulfon.  Sauf  quand  il  a  plu 
trop  fort,  pas  une  journée  ne  s'achève  sans  qu'on  ait  suivi  la  con- 
férence des  champs  et  des  bois,  la  leçon  de  la  vache  et  de  Tàne,  le 
solfège  de  tous  les  oiseaux.  Les  poissons  qui  figuraient  hier  au 
repas  du  soir,  on  les  a  péchés  soi-même  dans  la  rivière  où  Ton  se 
baigne.  Demain  l'on  formera  des  herbiers  avec  les  fleurs  cueillies, 
cm  suivra  les  bêtes  jusqu'à  la  ferme  ;  on  les  suivra  un  autre  jour 
jusqu'au  marché,  où  l'on  s'instruira  de  leur  vente,  enfin  jusqu'à 
Fabaltoir,  où  le  fonctionnement  de  leurs  divers  organes  sera  expliqué 
par  M.  le  vétérinaire  Desnouveaux,  dans  une  leçon  d'analomie  très 
goûtée.  Quant  au  grain  qu'on  a  vu  vanner  au  fermier,  le  voici 
arrivé  au  moulin  ;  le  meunier  lui-même  montre  ses  transformations 
et  les  enfants  sortent  de  chez  le  complaisant  M.  Friesenhauser  tout 
blancs  de  farine  et  de  science. 

Aux  champs,  que  rencontrent-ils  encore  ?  les  soldats  à  la  petite 
guerre.  Voilà  une  leçon  attachante  I  Dirai-je  celles  qu'ont  offertes  à 
leur  curiosité  une  foule  d'établissements  publics  ou  privés?  On  en 
trouvera  la  liste  à  la  suite  de  ce  rapport.  Quelle  richesse  d'infor- 
mations, quels  développements  de  l'esprit  de  telles  visites,  com- 
mentées par  les  bouches  les  plus  compétentes,  n'ont-elles  pas  assurés 
à  nos  écuL'ers  I  Et  tout  cela  figure  au  journal,  avec  la  carte  quoti- 
dienne où  chaque  chose  est  marquée  à  sa  place.  Est-ce  assez?  Non. 
Le  soir,  après  le  dîner,  un  cercle  se  forme.  Les  récitations,  les  jeux 
d'esprit,  les  chansons,  les  lectures  à  haute  voix  de  quelque  belle 
poésie  donnent,  pour  ainsi  dire,  le  dessert  à  Tinte lligence,  ou  bien, 
si  le  ciel  est  pur,  un  maître  y  fait  épeler  aux  enfants  l'alphabet 
dts  étoiles. 

Pour  une  telle  direction,  pour  les  résultats  que  constatent  les 
journaux  souvent  très  étendus  et  soignés  de  nos  chers  garçons,  de 
chaudes  félicitations  sont  dues  à  nos  trois  instituteurs  et  particu- 
lièrement à  leur  vétéran,  M.  Lécart. 

Résultats  physiques.  Augmentation  moyenne  du  poids  :  i,644 
grammes. 

De  la  taille  :  10  millimètres. 

Du  thomx:  i7""i.  » 


LES   COLONIES   DE   VACANCES  311 

A  propos  de  la  rédaction  des  journaux  quotidiens,  M.  Cottiiiet 
ajoute  cette  observation,  qui  a  son  intérêt  pédagogique  : 

a  Parmi  ces  garçons,  plusieurs,  qui  appartenaient  aux  sixièmes 
classes,  n'avaient  jamais  pu  rédiger  quoi  que  ce  fut  à  Técole,  sur 
de3  sujets  dictés.  Us  ont  très  passablement  rédigé  leur  journal,  sur 
des  sujets  vus.  Le  l'ait  a  beaucoup  frappé  leurs  maîtres.  » 

Quant  aux  liiles,  nous  choisirons,  ne  pouvant  pas  tout  repro- 
duire, la  narration  des  aventures  du  groupe  installé  à  Saint-Dié, 
Le  rapporteur  s'est  arrêté  avec  quelque  complaisance  sur  ce 
chapitre  de  son  récit  :  mais  nous  sommes  assuré  qu'après 
l'avoir  lu,  on  nous  saura  gré  de  n'avoir  point  essayé  de  le  rac- 
courcir. 

«  A  Saint-Dié,  sur  la  recommandation  du  préfet,  M.  Bœgner,  j'avaig 
introduit  nos  jeuoes  filles  dans  un  pensionnat  protestant.  Pourquoi 
pas?  J'avais  bien  failli  les  introduire  dans  un  pensionnat  de  Soeurs, 
et  ce  n'est,  sans  doute,  que  partie  remise.  Notre  admirable  neutra- 
lité religieuse  nous  permet  ces  salutaires  liberlés,  (juand  les  précauf 
tions  voulues  sont  prises,  et  ici,  elles  l'avaient  été.  Nos  filles,  je  le 
savais,  n'avaient  à  craindre  aucune  propagande  indiscrète  et,  au  besoin, 
elles  eussent  été  préservées  par  la  seule  présence  de  leur  directrice, 
M™«  Deulin.  De  fait,  elles  n'ont  connu  ce  qui  les  séparait  de  leur 
hôtesse  que  par  l'invitation  qui  leur  a  été  adressée  de  s'abstenir  de 
chansons  le  dimanche.  Nous  allons  voir  comment  nos  habitantes  de 
la  Chaussée-d'Antin,  les  paroissiennes  de  l'élégante  Trinité,  se  sont 
comportées  dans  cette  austère  maison,  avec  les  Vosges  pour  prome- 
noirs et  leurs  sapinières  pour  boulevards. 

Je  pourrais  laisser  la  parole  à  Marthe  Savantré  (13  ans);  son 
remarquable  journal,  de  près  de  cent  pages,  est  un  témoignage  sans 
lacunes,  où  la  déposante  dit  à  merveille  ce  qu'elle  a  fort  bien  vu; 
mais  nos  lecteurs  aimeront  mieux  entendre  le  caquet  de  toute  la 
volière,  et  je  ferai  parler  chaque  oiselet  à  son  tour. 

Donc,  le  23  août,  après  seize  heures  de  route,  la  colonie  écarquiUe 
les  yeux  devant  un  spectacle  inouï,  absolument  neuf  pour  tout  le 
monde  :  les  montagnes  !  «  Vous  ne  pouvez  vous  figurer,  dira 
Viclorinc  Roussel,  l'émotion  que  ça  m'a  produit  de  voir  ces  hauteurs 
énormes  .»  On  est  arrivé  à  Saint-Dié. 

A  la  gare,  M>^^  Jaeglé  attendait  les  voyageuses.  «  M^^^  Jaeglé,  écrit 
Marthe,  est  la  maîtresse  de  la  maison  qui  nous  reçoit;  bonne  vieille 
dame  avec  un  bonnet  un  peu  drôle;  la  parole  douce,  la  figure  aimable. 
Cependant,  elle  vous  impose,  tant  que  personne  devant  elle  n'ose 
dire  un  mot  ni  tourner  la  tête.  Ses  élèves  doivent  être  sages...  » 

W^'^  Jaeglé,   qui  est   Alsacienne,    se  fait  aider   par    sa   nièce, 


312  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

jeune  femme  d'origine  écossaise,  qui  résume  en  elle  tout  ce  que  sa 
race  sympathique  à  la  France  a  de  bonté  cordiale,  de  hauteur  d'âme 
et  de  grâce  enjouée.  Nos  fillettes  sont  donc  parfaitement  accueillies, 
mais  elles  sont  fatiguées;  on  ne  tarde  guère  à  leur  servir  leur 
dîner  et  on  les  couche. 

22  août.  —  «  Ce  matin,  quand  je  me  suis  réveillée,  je  me  suis 
aperçue  que  j'étais  sur  la  descente  de  mon  lit  et  que  j'avais  très 
froid.  »  (Lucie  Gomperlz,)  «  En  nous  levant,  nous  avons  mangé  le 
déjeuner  de  madame  (1),  car  nous  avons  été  assez  sottes,  quand 
M""  Jaeglé  est  venue  nous  demander  si  nous  aimions  le  café  au  lait, 
pour  répondre  oui,  lorsque  je  savais  très  bien,  et  Lucie  aussi, 
qu'il  nous  rend  malades.  Je  l'ai  dit  à  madame,  qui  m'a  répondu  : 
—  Buvez  mon  chocolat  .»  (Viclorine  Roussel,)  On  voit  qui  est 
M"™^  Deulin.  On  verra  de  mieux  en  mieux  qui  sont  ses  élèves. 

Le  premier  jour,  la  colonie  parcourt  la  ville  :  «  Deux  seules  rues 
y  sont  remarquables,  assure  Marthe.  Les  autres  sont  à  peine  pavées 
et  ne  peuvent  viser  qu'au  titre  de  ruelles.  Toute  la  ville  est  très 
propre;  mais  ce  n'est  pas  étonnant,  nous  y  avons  à  peine  rencontré 
quatre  personnes.  » 

«  Nous  allons  au  parc,  reprend  Gabrielle  Lachaud,  mais  à  quoi 
jouer?  Nous  n'avons  ni  raquettes,  ni  ballons.  —  Si  nous  achetions 
une  corde?  dit  madame.  --  C'est  cela,  c'est  cela!  Et  nous  entrons 
chez  un  marchand.  Mais  il  n'en  a  que  de  la  trop  grosse  ou  de  la 
trop  fine.  11  nous  envoie  chtz  un  cordier.  Là,  nous  en  trouvons 
comme  il  faut.  Vite,  allons  sauter.  Aux  doubles?—  Non,  à  la  pour- 
suite. —  A  la  poursuite,  c'est  cela.  Et  nous  voilà  sautant  depuis 
chou-blanc  jusqu'à  dix...  Mais  la  pluie  commence  à  tomber,  llélast 
nous  ne  pouvons  plus  jouer  à  la  corde  ce  soir.  Tiens!  mais  il  ne 
pleut  plus;  tant  mieux!  nous  allons  pouvoir  jouer.  Tournez,  tournez 
plus  vite  donc!  Mais,  à  force  de  sauter,  nous  voilà  revenues  à  la 
maison.  » 

Gabrielle  a  dix  ans  et  demi,  et  elle  est  de  la  première  classe.  Je 
n'ai  pas  changé  une  syllabe  à  ce  morceau.  En  veut-on  un  autre  de 
la  même  main? 

/3  septembre.  —  «  Dans  l'après-midi,  nous  irons  à  Robach  et  dans 
'le  bois  du  Chàtel,  où  nous  lirons,  nous  ferons  du  crochet  et  nous 
nous  reposerons.  Arrivées  au  bois,  nous  ne  faisons  pas  de  crochet, 
nous  ne  lisons  pas  et  ne  nous  reposons  pas  ;  mais  nous  courons, 
nous  nous  balançons  sur  des  arbres  coupés,  nous  faisons  des  bou- 
quets. En  repassant  dans  le  village,  nous  buvons  du  lait  chez  une 
femme  bien  drôle,  qui,  d'abord,  pense  que  madame  est  la  mère  de 
nous  toutes,  puis  nous  fait  une  foule  de  questions  pour  savoir  d'où 
nous  venons,  qui  nous  sommes,  pourquoi  nous  sommes  là.  Presque 
tous  les  gens  de  la  campagne  chez  qui   nous  entrons  sont  pareils. 

(t)  L'inslilutrice,  M*«  Deulin. 


LES  COLONIES  DB  VACANCES  313 

lis  VOUS  demandent  des  masses  d'explications  et  finissent  presque 
toujours  par  dire  :  Ah!  vous  êtes  de  Paris;  moi,  j'ai  une  sœur  à 
Paris  ;  —  une  autre  fois,  c'est  une  tante  ou  une  cousine  ;  —  elle  est 
domestique  chez  un  épicier  près  du  chemin  de  fer.  Vous  la  connais- 
sez peut-être.  Elle  s'appelle...  Et  ils  vous  disent  son  nom.  Ah!  qu'ils 
sont  drôles  !  » 
Après  cela,  ne  serait-on  pas  tenté  de  s'écrier,  avec  Arnolphe  : 

Héroïnes  du  temps,  mesdames  les  savantes, 
Pousseuses  de  tendresse  et  de  beaux  sentiments, 
Je  défie  à  la  fois  tous  vos  vers,  vos  romans, 
Vos  lettres,  billets  djux,  toute  votre  science 
De  valoir  cette  honnête  et  ndive  ignorance. 

Naïve,  pas  précisément,  si  nous  pesons  l'observation  suivante  rap- 
portée d'une  visite  à  la  chapelle  du  bienheureux  saint  Dié  :  «  L'autel 
est  surmonté  de  peintures  sur  bois  très  fines;  c'est  madame  qui  nous 
l'a  dit,  mais  je  crois  que  son  Guide  l'aide  beaucoup  à  trouver  ce 
qu'il  y  a  de  fin.  ^ 

Pas  trop  naïve  non  plus  cette  conclusion  de  Lucie  Gomperlz,  à  la 
suite  d'une  course  dont  l'objectif  était  un  groupe  fameux  de  rochers, 
baplisé  du  nom  de  «  Chaise  du  Roi  ».  On  s'est  follement  amusé; 
«  mais,  ajoute  la  fillette,  avons-nous  vu  la  Chaise  du  Roi?  Je  n'en 
suis  pas  encore  bien  sûre.  Rien  ne  ressemble  moins  à  une  chaise, 
que  cet  amas  de  roches.  Pourtant,  si  cela  fait  plaisir  aux  gens  de 
Saint-Dié,  ils  peuvent  bien  l'appeler  une  chaise,  et  même  une  chaise 
de  roi,  je  n'y  vois  pas  d'inconvénient.  » 

Les  gens  de  Saint-Dié!..  dans  cettç  appellation,  l'oreille  ne  perçoit- 
elle  pas  une  vibration  de  rancune?  C'est  que  des  gamins  ont  jeté 
des  pierres  à  ces  demoiselles,  un  polisson  a  enfoncé  le  chapeau 
d'Angèle,  même  un  homme  lésa  poursuivies  une  fois,  le  balai  haut, 
en  l(*s  traitant  de  sales  protestantes.  11  les  prenait  pour  les  pension- 
naires ordinaires  de  la  maison  hérétique  qui  olTusque  certains  yeux 
dans  la  vieille  ville  épiscopale.  Ce  qui  dépite  surtout  les  nôtres, 
c'est  la  badauderie  populaire.  Quand,  dans  une  rue,  elles  arrêtent, 
pour  la  dévaliser,  quelque  paysanne  qui  porte  son  lait  au  marché, 
on  s'attroupe  autour  d'elles  et  on  les  dévisage.  Cette  indiscrétion 
leur  inspire  à  toutes  une  réflexion  que  Gabrielle  formule  ainsi  : 
«  H  faut  croire  que  les  gens  de  Saint-Dié  n'ont  pas  grand'chose  à 
faire  s'ils  s'arrêtent  pour  voir  boire  des  petites  filles!  » 

Ah!  elles  ont  leur  franc-parler,  nos  petites  filles!  et  ce  n'est  pas 
leur  directrice  qui  l'étoufTera.  Elle  entend  trop  bien  l'une  des  plus 
grandes  parties  de  sa  vocation,  le  respect  des  intelligences.  La  liberté 
de  celles-ci  s'exprime  sans  réserve,  ce  qui  m'amène  à  un  point 
délicat,  que  voici. 

Le  groupe,  si  libéralement  accueilli  par  M"®  Jaeglé  (avec  une 
réduction  de  deux  cinquièmes  sur  le  prix  ordinaire  de  la  pension), 
n'a  pas  toujours  été  enchanté  de  la  nourriture  qu'il  a  reçue.  Pourquoi 


â 


314  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

le  dissimulerais-je,  si  j'espère  tirer  une  leçon  utile  des  doléances  que 
j*ai  lues?  Ces  doléances  sont  aigres-douces.  «  L'air  des  montagnes  et 
l'odeur  des  sapins  ne  remplacent  pas  la  côtelette  d,  dit  Tune  de  ces 
demoiselles.  £t  cette  autre  :  «  A  dîner,  nous  avons  eu  du  bœuf  et 
des  pommes  de  terre.  Le  bœuf  et  les  pommes  de  terre  réglementaires. 
J'en  aurai  assez  pour  le  restant  de  mes  jours,  du  bœuf.  11  paraît 
que  les  gens  de  Saint-Dié  mangent  du  bouilli  tous  les  jours.  Eh  bien, 
je  peux  grandir  et  vieillir,  jamws  je  ne  me  marierai  avec  un  homme 
de  Saint-Dié.  J'aurais  trop  peur  qu'il  eût  conservé  un  amour  malheu- 
reux pour  le  bouilli  quotidien.  » 

Eh  oui,  mesdemoiselles,  les  gens  de  Saint-Dié  mangent  du  bouilli 
tous  les  jours  I  et  aussi  les  soldats  français,  et  tout  l'Est  de  l'Europe, 
jusqu'au  fond  de  la  catholique  Autriche  I  Priez  seulement  le  ciel 
qu'il  vous  en  garantisse  autant,  et,  pourvu  qu'il  y  joigne  un  mari, 
ne  vous  plaignez  pas  si  celui-là  vous  nourrit  de  bœuf.  Il  n'en  manque 
pas  qui  gardent  le  bœuf  pour  eux  et  qui  régalent  leur  moitié  de 
pain  sec,  quand  ils  ne  remplacent  pas  le  pain  par  des  gourmades. 

Vous  étiez  mieux  fondées  à  accuser  la  pluie,  qui  vous  a  trop  sou- 
vent éprouvées.  «  Que  la  pluie  des  vacances  est  insupportable!  » 
s'écrie  Jeanne  Chauvin.  Le  travail  du  crochet  ne  vous  en  consolait 
qu'à  moitié.  «  Je  suis  sûre,  dit  Lucie,  que  le  crochet  a  été  inventé 
im  jour  de  pluie  par  une  enfant  en  vacances  qui  trouvait  le  temps 
long.  y> 

Mais  le  soleil  est  revenu  et  la  colonie  achève  joyeusement  ses 
vacances.  Une  belle  excursion  au  lac  de  Gérardmer,  en  voiture  à  gre- 
lots, s'il  vous  plaît  1  un  riche  goûter  à  la  BoUe,  oiTert  par  M.  et  M"^ 
Sclafler,  une  soirée  de  musique  chez  M"®  Henry  Jaeglé  en  demeu- 
reront les  points  brillants,  sans  compter  d'innombrables  ascensions 
au  Kemberg,  au  bois  d'Ormont,  aux  Mollières,  à  Etival,  à  la  Pierre- 
d' Appel,  etc.  Jamais  nos  Parisiennes  n'auront  tant  marché. 

Et  c'est  à  qui,  des  gens  de  Saint-Dié,  s'ingéniera  pour  leur  ôtre 
agréable.  M»»^  la  baronne  Boyer  oublie  ses  87  ans  poUr  leur  montrer 
ses  jardins,  la  famille  Ditterlin  les  traite  comme  des  amies;  le 
bibliothécaire  de  la  ville,  M.  Gherlach,  leur  ouvre  feuille  par  feuille 
le  précieux  missel  de  Saint-Dié,  un  des  beaux  manuscrits  à  enlu- 
minures qu'on  connaisse,  et  M.  le  capitaine  Aubry  le  musée  dont  il 
est  le  fondateur  et  le  conservateur.  «  Encore  un  homme,  dit  Marthe, 
qui  nous  prend  au  sérieux  et  qui  nous  croit  capables  d'apprécier  ses 
explications.  » 

Même  gratitude  et  même  intérêt  pour  les  utiles  enseignements, 
donnés  sur  place  par  les  propriétaires  eux-mêmes,  à  la  filature  de 
M.  Marchai,  à  la  fabrique  d'apprêts  de  M.  George  Bleck,  au  tirage 
de  M.  Achille  Feltz.  La  description  de  Marthe  donne  vraiment  une 
idée  lumineuse  de  cette  dernière  usine.  Un  bon  élève  de  l'Ecole  Cen- 
trale ne  l'eût  peutrêtre  pas  mieux  réussie.  Presque  toutes  ses  com- 
pagnes se  sont  efforcées  d'égaler  son  zèle  et  toutes  oAt  raf^orlé  des 


LES  COLONIES   DE   VACANCES  31S 

échantillons  pour  le  musée  scolaire  fond^  depuis  longtemps  dans  leur 
école. 

Enfin,  pesées  et  mesurées  la  veille  du  départ,  elles  avaient  con- 
quis au  retour,  en  moyenne,  2,055  grammes.  Celle  qui  avait  le  plus 
geint  sur  la  nourriture  avait  gagné  4  kilos  1 

Pour  le  thorax,  l'augmentation  était  de  17"^. 

Voilà  les  ravages  du  bouilli  de  Saint-Dié.  J'ai  hâte  d'ajouter  que 
nulle  n'avait  attendu  ces  résultats  pour  rendre  pleine  justice  à  ïhÇh 
tesse  généreuse  qui  les  avait  préparés. 

J'ai  fini.  Nos  souscripteurs  savent  maintenant  l'emploi  qui  a  été 
fait  de  leurs  deniers.  Ils  ont  vu  les  Colonies  de  vacances  sur  leur 
champ  d'expérience,  dans  leur  variété,  dans  leur  indépendance,  dans 
leur  succès.  J'ai  fait  passer  devant  eux  leur  petit  peuple;  ils  ont  pu 
lire  quelque  chose  comme  un  chapitre  inédit  des  Voyages  en  Zigzag, 
dont  Tôpffer  aurait  abandonné  la  rédaction  à  ses  élèves.  Si,  ainsi 
que  je  l'ose  croire,  les  Colonies  s'y  sont  montrées  des  écoles  de 
santé  et  d'éducation  sans  pareilles,  on  ne  leur  ménagera  pas  les 
subsides  qui  les  ont  fait  naître,  on  en  augmentera  la  puissance  à  la 
mesure  des  besoins  qui  restent  à  satisfaire.  Entre  le  bien  accompli 
et  les  maux  qui  subsistent  récart  est  encore  immense  :  Aux  braves 
gens  de  le  diminuer.  » 

Nous  ajouterons  :  Ce  que  M.  Cottinet  et  ses  collègues,  avec 
Taide  de  généreux  souscripteurs,  ont  fait  pour  le  IX®  arrondis- 
sement de  Paris,  il  faut  arriver  à  le  faire  pour  les  vingt  arron- 
dissements de  la  capitale,  pour  toutes  les  grandes  villes  de 
France.  J.  G. 


LE  CAHIER  DE  DEVOIRS  MENSUELS 


Nos  lecteurs  connaissent  le  nouveau  cahier  de  devoirs  mensuels 
iustilué  par  l'arrêté  du  27  juillet  1883,  et  introduit  dans  un  grand 
nombre  d'écoles. 

Pour  faire  pénétrer  facilement  ce  cahier  partout,  il  fallait  qu'une 
abondante  fourniture  de  librairie  le  mît  à  la  portée  de  toutes  les  mains. 
La  chose  est  faite.  Nous  avons  sous  les  yeux,  envoyés  par  différents 
éditeurs  de  Paris  et  de  la  province,  une  douzaine  de  spécimens  bien 
conditionnés  et  dignes  de  leur  destination. 

Nous  allons  les  passer  en  revue.  Peut-être  les  instituteurs  trouve- 
ront-ils dans  ces  quelques  notes  des  indications  propres  à  guider  leur 
choix  selon  la  convenance  et  les  intérêts  bien  entendus  de  leur 
enseignement. 

Ce  qui  se  recommandait  à  l'attention  des  éditeurs,  après  la  qua- 
lité du  papier,  c'était  la  disposition  intérieure  :  les  notes  indicatives, 
la  marge,  et  la  réglure. 

Considérés  sous  ces  divers  aspects,  les  spécimens  se  distinguent 
les  uns  des  autres  par  des  dispositions  qu'il  est  important  de  faire 
bien  connaître. 

L'Imprimerie  Nalionale  (i),  la  librairie  Lebrun  fils,  la  maison 
Hachette,  la  hbrairie  Delagrave  offrent,  conformément  au  modèle,  des 
cahiers  à  pages  blanches  (2),  ne  portant  qu'un  seul   trait,  la  marge. 

Les  éditeurs  Colin,  Delalain,  Paul  Dupont,  Gauguet,  Mont-Louis, 
Mathieu,  Weill-Maurice,  présentent  des  cahiers  à  réglures  diverses. 

Voici  d'abord  le  cahier  de  l'Imprimerie  Nationale,  papier  de  choix, 
bâti  solide,  impression  nette,  perfection  matérielle  à  tous  les  points 
de  vue.  Si  on  ouvre  ce  cahier,  on  se  sent  pris  du  désir  d'y  tracer 
quelques  ligues.  11  contient  64  pages.  C'est  assez  d*un  exemplaire 
pour  le  cours  élémentaire  et  une  partie  du  cours  moyen.  (Nous  revien- 
drons sur  la  question  du  volume  des  cahiers.) 

Le  spécimen  qui  se  rapproche  le  plus  du  modèle  type  est  fourni 
par  M.  Lebrun  fils  (3).  Même  format,  même  papier,  même  poids,  corn- 


ai] L'Imprimerie  Nalionale  a  édité  des  cahiers  modèles  qui  ont  ete  envoyés 
aux  inspecleurs  d'académie,  aux  inspecteurs  primaires  et  aux  libraires  ;  ces 
cahiers  ne  sont  pas  en  vente. 

(2)  La  librairie  Delagrave  a  fourni  un  second  cahier  avec  réglure;  nous 
en  parlerons  ailleurs. 

(3i  Rue  de  Rennes,  167,  Paris. 


LE   CAHIER    DE    DEVOIRS   MENSUELS  317 

position  absolument  semblable  sous  tous  les  rapports.  Ce  que  nous 
avons  dit  de  Tun  peut  se  dire  exactement  de  l'autre. 

La  librairie  Hachette  (1)  reproduit  le  modèle  officiel  en  fac-similé. 
Mais  comme  ce  modèle  n'a  pas  de  réglure,  l'éditeur  a  eu  la  bonne 
idée  de  joindre  un  transparent  à  son  spécimen.  Il  n'y  a  qu'à  le  féli- 
citer de  cette  attention  ;  il  montre  par  là  qu'il  connaît  bien  les 
exigences  de  l'enseignement  chez  les  plus  jeunes  élèves.  Le  cahier 
de  la  maison  Hachette  est  consolidé  par  un  double  point  d'attache 
des  feuilles.  C'est  à  remarquer. 

Vient  ensuite  le  cahier  fourni  par  la  librairie  Delagrave  (2).  Les 
pages  en  sont  blanches  comme  celles  des  cahiers  examinés  jusqu'ici; 
maison  a  joint  un  transparent.  11  convient  de  remarquer  qu'avec  le 
même  nombre  de  pages,  ce  cahier  a  moins  de  poids  que  les  précé- 
dents. L'expérience  peut  seule  nous  dire  s'il  fera  le  même  usage. 

Les  cahiers  avec  réglure  sont  au  nombre  de  huit. 

Celui  de  M.  Armand  Colin  (3)  est  très  bien  soigné  au  point  de 
vue  matériel  :  fort  papier  solidement  attaché,  impression  des  plus 
nettes,  réglure  fine  et  légère.  L'auteur  a  orné  les  pages  de  la  cou- 
verture de  maximes  choisies  avec  à-propos  :  «  Fais  bien  ce  que  tu 
fais  »  ;  de  notions  utiles  sur  les  moyens  de  compléter  son  instruction 
en  sortant  de  l'école  primaire,  sur  les  avantages  que  présente  la 
Caisse  des  retraites,  sur  nos  devoirs  envers  la  pairie.  Peut-être  a-t-il 
été  moins  heureux  dans  la  rédaction  de  la  dernière  feuille  blanche, 
rédaction  due  également  à  son  initiative.  Étant  donnée  en  effet  l'idée 
fondamentale  du  cahier,  qui  est  de  ne  comparer  l'enfant  qu'avec 
lui-même,  il  nous  est  difîicile  de  comprendre  l'utilité  de  la  page  65  (i). 
La  page  GG  pourrait  se  borner  au  portrait  du  bon  écolier. 

M.  Delagrave,  qui  a  déjà  présenté  un  cahier  à  pages  blanches, 
nous  en  fournit  un  second  de  la  plus  fine  réglure.  Une  disposition 
heureuse  sous  ce  rapport,  et  qui  se  reproduira  dans  beaucoup 
d'autres  cahiers,  c'est  celle  du  quadrillé.  Il  est  évident  que  les  exer- 
cices de  calcul,  de  géographie  et  surtout  de  dessin  y  trouveront  leur 
corapt»?. 

Le  cahier  de  M.  Delalain  (5)  est  la  reproduction  fidèle  du  modèle 
officiel  avec  toutes  ses  bonnes  qualités.  Le  trait  de  réglure  a  de  la 
finesse  ;  il  est  soumis  à  un  espacement  gradué  qui  paraîtrait  répon- 
dre à  la  marche  progressive  de  l'enfant  si  les  trois  cours  pouvaient 
être  contenus  dans  une  seule  livraison,  c'est-à-dire  dans  64  pages. 
Mais  nous  ne  pensons  pas  qu'il  en  soit  ainsi,  en  fait.  De  sorte  que 
l'espacement  des  lignes,  dans  les  premières  pages,  ne  répondrait 

1)  Boulevard  Saint-Germain,  79,  Paris. 

(2)  Rue  Soufnot,  15,  Paris. 

(3)  Rue  de  Mézières,  5. 

[4]  Rang  de  mérite  ;  3  tableaux,  un  pour  chaque  cours. 
(5)  Rue  des  Écoles,  55,  Paris. 


318  RfiVUE  PÉDAGOGIQUE 

point  aux  besoins  d'un  élève  avancé.  Il  est  vrai  qu'on  y  suppléerait 
facilement  au  moyen  d'une  ligne  intercalaire  tracée  au  crayon. 

Le  cahier  de  ki  maison  M.  Paul  Dupont  (1),  celui  de  M.  Élie  Gau- 
guet  (2)  et  celui  de  MM.  Weill  et  Maurice  (3)  reproduisent  fidèlement 
les  dispositions  -du  modèle  officiel. 

M.  Mathieu  (4)  édite  ceux  cahiers,  l'un  de  40  pages,  l'autre  de  80. 
il  les  destine  sans  doute,  le  premier  au  cours  élémentaire,  le  second 
au  cours  moyen  et  au  cours  supérieur.  Nous  croyons,  en  effet,  que 
les  120  pages  que  renferment  les  deux  cahiers  sont  près  de  répondre 
à  la  durée  des  trois  cours.  Cette  pensée  a  conduit  Téditeur  à  un 
système  de  réglure  assez  compliqué  et  à  une  autre  disposition  qui 
ne  se  trouve  point  ailleurs.  On  a  imprimé  les  titres  mêmes  des 
devoirs  selon  les  matières  du  programme.  Les  instituteurs  qui  aiment 
un  ordre  rigoureux  dans  la  succession  des  devoirs  s'accommoderont 
de  ces  cahiers  ;  ceux  que  peut  séduire  une  certaine  liberté  d'allures 
ne  pourront  pas  les  accepter  parce  qu'ils  se  verraient  obligés  de 
laisser  par  ci  par  là  des  pages  en  blanc.  Matériellement  les  cahiers 
de  M.  Mathieu  sont  irréprochables  et  reproduisent,  aux  marges 
près,  le  modèle  officiel. 

Un  autre  éditeur,  M.  G.  Mont-Louis,  de  Clermont-Ferrand,  inspiré 
par  le  désir  de  rendre  le  cahier  annuel,  s'est  écarté  du  modèle  quant 
au  volume.  Le  cahier,  sans  pagination  indiquée,  compte  40  pages 
au  lieu  de  64.  il  en  diffère  d'ailleurs  sur  beaucoup  d'autres  points. 
Les  recommandations  adressées  aux  élèves  dans  les  pages  intérieures 
de  la  couverture  modèle  sont  remplacées,  d'un  côté,  par  un  cadre 
spécial  destiné  à  tenir  lieu  de  carnet  de  correspondance,  de  l'autre 
par  un  extrait  de  la  loi  du  28  mars;  enfin  une  note  sur  les  prhici- 
paux  devoirs  envers  la  patrie  occupe  dignement  sa  place  à  la  4^  page. 
La  couleur  mate  du  papier  est  favorable  à  l'hygiène  de  la  vue. 

Tels  sont  les  spécimens  parus  jusqu'à  ce  jour.  Nous  remercions 
MM.  les  éditeurs  d'avoir  si  évidemment  pris  pour  objectif  l'intérêt 
de  l'école  et  celui  de  l'élève. 

Ils  ont  pour  la  plupart  cherché  à  pei  fecUonner  le  modèle  fourni 
par  l'administration.  Ont-ils  complètement  réussi  ?  Nous  ne  le  pensons 
pas.  Il  nous  reste  donc  à  indiquer  ce  qui,  d'après  nous  et  d  après 
l'expérience  que  nous  avons  faite  dans  les  écoles,  pourrait  sérieuse- 
ment améliorer  le  cahier,  l'amener  vers  sa  forme  définitive  et  en 
rendre  l'usage  facile  et  commode. 

Considérons  d'abord  le  volume  qu'il  convient  de  lui  donner. 

Nous  estimons  que  chaque  exemplaire  doit  servir  pendant  une  année 
seulement,  sauf  à  réunir  à  la  fin  de  la  scolarité  les  cinq  ou  six  exem- 


Mia^i^^i^^ia 


(1)  Rue  J.-J.  Rousseau,  41,  Paris. 

(2)  Rue  de  Seine,  36,  Paris. 

(3)  Boulevard  Saint-GermaÎD,  169,  Paris. 

(4)  Libraire  à  SaiDt-Mihiel  (Meuse). 


LE  CAHIER  DE  DEVOIRS  MENSUELS  319 

plaîrcs  en  un  seul  volume.  Lui  doimer  une  plus  longue  durée,  ce  se- 
rait Texposer  à  une  usure  compromettante,  surtout  si  on  lui  faitfalre 
quelques  voyages  de  l'école  à  la  famille,  comme  nous  le  conseillons. 

Ce  principe  admis,  remarquons  bien  que  le  cours  élémentaire 
n'est  tenu  qu'à  peu  de  devoirs  écrits  :  quelques  lignes  d'écriture, 
une  dictée  d'orthographe  composée  de  trois  ou  quatre  phrases  des 
plus  simples,  une  ou  deux  opérations  de  calcul,  un  peu  de  dessin, 
de  petits  exercices  de  langue  pour  initier  les  élèves  à  la  rédaction: 
en  tout  cinq  matières  d'enseignement.  En  supposant  que  les  devoirs 
sur  ces  cinq  matières  se  répètent  à  chaque  mois,  ce  qui  n'est  pas 
de  rigueur,  on  arrive  à  50  devoirs  par  année  ;  comptons  une  demi- 
page  pour  chaque  exercice  en  moyenne,  et  nous  auroTis  25  pages 
employées.  On  voit  qu'un  cahier  de  30  pages  est  largement  suffisant 
pour  un  élève  du  cours  élémentaiie  dans   le  courant  d'une  année. 

Nous  sommes  donc  fondé  à  demander,  pour  le  cours  élémentaire, 
un  cahier  do  80  ou  32  pages  au  plus. 

Dans  les  cours  moyen  et  supérieur,  les  devoirs  augmentent  comme 
étendue  et  comme  nombre.  Il  faut  en  effet  ajouter  aux  ctnq  que 
nous  venons  d'énumérer  pour  le  cours  élémentaire,  les  devoirs  sur 
la  géographie,  l'histoire,  la  géométrie,  les  sciences  physiques  et 
naturelles,  ce  qui  en  porte  le  nombre  à  neuf.  Ici,  le  cahier  mensuel 
destiné  à  une  durée  d'un  an  devra  donc  être  double  de  ce  qu'il 
était  dans  le  cours  élémentaire  et  compter  par  con^équent  64  pages, 
soit  l'étendue  exacte  du  cahier  modèle. 

Après  le  volume,  passons  à  laréglure;  mince  objet  en  apparence, 
alïaire  de  goût  plutôt  que  de  méthode,  dira-t-on.  Nous  sommes  d'avis 
(ine,  quand  il  s'agit  de  tout  jeunes  enfants,  les  plus  petites  choses 
prennent  une  grande  importance.  Les  familles  le  savent  bien,  lar 
mère  surtout.  Nous  penchons  donc  pour  la  disposition  suivante,  qui 
a  l'assentiment  d'un  grand  nombre  de  maîtres.  Le  cahier  destiné 
au  cours  élémentaire  porterait  la  réglure  ordinaire  de-8  millimètres, 
si  connue,  en  bleu  ou  violet  pâle,  jamais  en  noir,  à  moins  que  le 
trait  ne  fût  d'une  extrême  finesse.  Il  serait  même  quadrillé  à  traits 
perpendiculaires  de  4  millimètres,  afin  de  faciliter  à  cet  âge  inex- 
périmenté les  exercices  de  dessin  et  la  disposition  régulière  des 
chilTres  dans  les  opérations  de  calcul. 

Pour  le  cours  moyen,  on  s'en  tiendrait  à  la  réglure  ordinaire  sans 
quadrillage. 

Le  cahier  destiné  au  cours  supérieur  resterait  blanc,  car  il  con- 
vient d'habituer  les  enfants  à  se  passer  de  réglure.  Us  n'en  auront 
pas  toujours  une  à  leur  disposition,  plus  tard. 

Comment  les  devoirs  seront-ils  corrigés?  L'office  du  maître,  sons 
ce  rapport,  se  trouve  tout  indiqué  par  la  circulaire  du  25  août 
188^4.  «  Les  devoirs  seront  corrigés  à  la  marge  »,  yest-t-ll  dit. 
C'est  assez,  en  eOet,  si  Ton^eut  laisser  au  travail  tie  !'enftmt  son 
caractère  personnel.   Les  annotations,  les   surcharges  tendraient  à 


320  RSVUB    PÉDAGOGIQUE 

TalTaiblir  ;  elles  seront  rigoureusement  écartées.  Le  rôle  de  Finsli- 
tuteur  se  borne  donc  à  indiquer  l'erreur  en  faisant  un  simple  trait 
à  la  marge,  ou,  ce  qui  est  mieux,  en  la  soulignant  dans  le  corps  du 
devoir,  sans  surcharge  ni  rature.  Le  résultat  est  apprécié  par  une 
note  comprise  entre  1  à  iO. 

Dans  ces  conditions,  la  tenue  du  cahier  est  loin  de  devenir  un 
surcroît  de  travail  pour  le  maître.  C'est  là  un  point  très  important 
qu'il  faut  examiner  de  près. 

Le  jour  où  les  enfants  sont  occupés  aux  devoirs  mensuels,  le  cahier 
journalier  n'est  pas  employé.  La  compensation  semble  donc  natu- 
rellement s'établir.  Il  est  vrai  cependant  que  la  correction  de  ces 
devoirs,  cahier  par  cahier,  demande  plus  de  temps  que  la  correc- 
tion des  devoirs  ordinaires.  Il  y  aurait  effectivement  perte  pour  le 
maître.  Mais  faisons  attention  que,  pendant  le  travail  spécial  men- 
suel, l'instituteur  n'a  qu'un  rôle  de  surveillance,  l'élève  devant 
travailler  seul,  sans  secours  étranger.  Pourquoi,  pendant  cette  demi- 
journée,  le  maître  ne  verniit-il  pas  une  composition  faite  la  veille, 
ou  ne  préparerait-il  pas  des  sujets  de  devoirs  pour  les  jours  sui- 
vants ? 

A  la  place  de  l'instituteur,  je  choisirais  donc,  pour  les  exercices 
mensuels  de  la  classe,  le  lendemain  d'une  composition.  La  chose  est 
facile,  puisque  rien  n'oblige  à  prendre  un  jour  plutôt  qu'un  autre. 
Pendant  que  les  élèves  feraient  ces  devoirs  spéciaux,  je  corrigerais 
les  compositions  de  la  veille  et  j'aurais  non  seulement  compensation, 
mais  bénéfice  net  de  temps  et  de  travail. 

Il  y  a  plus.  Dans  les  nombreuses  écoles  où  le  directeur  est 
déchargé  de  classe,  c'est  lui-même  qui,  pour  plusieurs  raisons,  doit 
^préparer  ces  sujets  spéciaux  et  présider  aux  devoirs.  Autre  circon- 
stance évidemment  très  favorable  à  l'allégement  de  la  tâche  de 
l'instituleur  adjoint. 

Il  reste  donc  établi,  à  notre  avis,  que  la  tenue  du  cahier  mensuel 
n'est  pas  une  charge  nouvelle  dans  les  écoles. 

On  s'est  demandé  si  le  cahier  mensuel  peut  remplacer  les  com- 
positions. Nous  ne  le  pensons  pas.  Généralement  l'attribution  des 
récompenses  est  basée  sur  les  compositions  hebdomadaires  ou  de 
quinzaine.  Or  le  cahier  n'est  que  mensuel. 

En  outre,  si  on  transforme  le  cahier  mensuel  en  cahier  de  com- 
position, on  lui  ôte  son  caractère  spécial,  qui  est  la  spontanéité,  la 
traduction  fidèle  et  pour  ainsi  dire  la  photographie  de  l'état  intel- 
lectuel de  l'enfant  aux  différents  degrés  de  sa  vie  scolaire.  La  com- 
position en  effet  a  toujours  un  peu  d'apprêt  ;  les  élèves  savent  qu'ils 
luttent  avec  leurs  camarades ,  c'est  au  fond  un  concours  pour  les 
premiers  rangs.  Il  est  évident  que  le  cahier,  tel  qu'il  est  défini  dans 
les  documents  officiels,  n'est  point  institué  dans  ce  but.  Ce  serait 
l'opposé.  N'altérons  pas  sa  destination  d'origine. 

Il  y  aurait  sans  doute  beaucoup  à  dire  encore  sur  ce  modeste  cahier. 


UNE   ÉCOLE   PRIMAIRE   FRANÇAISE  A   LONDRES  331 

Mais  nous  pensons  que  MM.  les  instituteurs  sauront  aplanir  les  pe- 
tites difficultés  d'application  qu'il  pourra  soulever,  et,  si  nous  de- 
vons en  parler  de  nouveau,  ce  ne  sera  sans  doute  que  pour  en  louer 
les  résultats. 

G.  Maillé. 
Inspecteur  primaire  à  Paris. 


PROJET  DE  CRÉATION 

D'UNE  ÉCOLE  PRIMAIRE  FRANÇAISE  A  LONDRES 


La  colonie  française  de  Londres  poursuit  la  solution  de  deux 
grandes  questions  :  la  première  et  la  plus  importante  est  la 
création  d'un  lycée;  la  seconde,  et  la  plus  urgente,  c*est  Touverture 
d'une  école  primaire.  L'un  des  promoteurs  de  celte  double  entreprise, 
M.  Hamonel,  est  surtout  frappé  de  ce  fait  que  les  enfants  nés  en 
Angleterre  de  parents  français  entrent  promptement  en  fusion  avec 
les  cléments  de  la  race  britannique  et  qu'ils  sont  et  demeurent  per- 
dus pour  la  France  dès  la  première  génération.  11  doute  que  l'An- 
glais et  l'Allemand  se  transforment  aussi  vite  dans  le  Français  par 
le  seul  fait  de  leur  naissance  et  de  leur  résidence  dans  le  pays' 
adoplif.  Ce  résultat,  d'après  lui,  devrait  être  attribué  au  manque  de 
pré\oyance,  d'organisation  et  de  surveillance  administrative  des 
intérêts  français  en  pays  étranger.  Nous  croyons  qu'il  y  a  là  quelque 
exagérati  n  :  on  voit  les  Espagnols,  les  Italiens  et  les  Mallais  se 
franciser  de  plus  en  plus  en  Algérie,  et  l'on  parle  encore  français  à 
Québec  et  à  la  Nouvelle-Orléans. 

Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  faire  œuvre  patriotique  que  d'ouvrir  une 
école  primaire  aux  enfants  de  nos  compatriotes  de  Londres,  car 
celui  qui  oublie  sa  langue  oublie  forcément  sa  patrie,  et  quelle  tris- 
tesse pour  les  [ières  et  mères  de  ne  plus  pouvoir  être  compris  de 
leurs  enfants  !  Madame  Hamonet,  qui  s'est  associée  à  l'œuvre  de 
son  mari,  rapporte  à  ce  sujet  quelques  faits  touchants. 

«J'ai  souvent  rencontré,  dit-elle,  dans  les  magasins  du  quartier  fran- 
(jais,  des  enfants  à  l'œil  noir,  au  tempérament  nerveux,  à  rex])ression 
tant  soit  peu  goguenarde,  dont  \h  type,  en  un  mot,  me  révélait 
instinctivement  la  nationalité.  Je  leur  parlais  français.  Ils  souriaient 
sans  me  répondre.  L'individu  présent  hochait  la  tête  en  me  disant  :  «  Je 
crois    qu'ils  vous  comprennent,  mais  ils  ne  peuvent  pas  répondre.  » 

RKVUl  PÉOAGOGIQUI  1885.  —  !«>'  SU.  21 


ââS  REVUS  PÉDAG06IQUK 

»  Une  mère  française,  un  jour,  le  cœur  gros»  les  yeux  remplis  de 
larmes,  m'entretenait  de  sa  fille  :  «  Maintenant  qu'elle  grandit,  »  me 
disait-dle,  c  elle  ne  parle  presque  plus  français,  elle  répond  en  au- 
»  glais  à  tout  ce  que  je  lui  dis,  et  je  la  comprends  à  peine  ;  c'est 
»  bien  triste.  Pendant  la  semaine,  nous  nous  voyons  peu  ;  mais,  le 
»  dimanche,  cela  me  ferait  du  bien  de  bavarder  avec  ma  fille.  Oh  I 
»  madame,  c'est  un  grand  crève-cœur  pour  moi  de  penser  qu'il  n'y 
»  a  rien  de  commun  entre  nous,  puisque  nous  ne  pouvons  pas  con- 
f  verser.  » 

"J'arrive  maintenant  aux  ouvriers  français  mariés  à  des  Anglaises. 
Dans  ces  ménages,  la  langue  du  père  est  odieuse  ;  non  seulement  on 
ne  la  parle  pas,  mais  on  se  croirait  déshonoré  de  la  comprendre. 
Nous  avons  connu  un  chef  d'établissement  qui  avait  durement  tra- 
vaillé pour  élever  honorablement  une  nombreuse  famille.  Son  grand 
chagrin  était  de  voir  ses  enfants  grandir  sans  comprendre  un  mot 
de  français  ;  toutes  les  fois  que  le  brave  père  parlait  sa  langue,  les 
enfants  riaient  et  prenaient  leur  volée  ;  c'était  un  enfantement  systé- 
matique chez  eux  de  ne  pas  vouloir  entendre  un  seul  son  fran(;ais.  » 

M™®  Hamonet  voudrait  voir  ajouter  un  ouvroir  à  l'école  des  filles, 
pour  conserver  et  développer  parmi  elles  «  l'aptitude  à  façonner  toutes 
ces  choses  élégantes,  cette  lingerie  d'une  finesse  sans  pareille,  ces 
mille  riens  si  recherchés  de  la  mode,  parce  qu'ils  portent  toujours  le 
cachet  de  notre  pays.  Les  mains  de  la  Française  sont  un  composé 
d'adress?,  de  promptitude,  de  légèreté  et  de  bon  goût.  » 

M.  et  M"«  Hamonet  ont  raison  :  il  faut  que  l'école  et  Touvroir  s'ou- 
vrent le  plus  tôt  possible^  Il  y  a  lieu  d'espérer  que  ce  résultat  ne  se 
fera  pas  longtemps  attendre,  car  la  Société  nationale  des  profes- 
seurs de  français  a  déjà  pris  Fînitiative  d'un  appel  public  à  la  colo- 
nie, et  recueilli  trois  cents  adhésions  ;  de  plus,  notre  ambassa- 
deur et  notre  consul  général  ont  bien  voulu  se  mettre  à  la  tôte  du 
mouvement.  A.  B. 


RAPPORTS  SUR  L^EXPOSITION  DE  LONDRES 


A  1  occasion  de  rExposition  internatioDale  d'hygiène  et  d'éducation 
de  South  Kensiugton  et  du  (.longrès  pédagogique  qui  Ta  accompa- 
gnée, un  certain  nombre  de  fonctionnaires  de  notre  enseignement 
primaire  avaient  été  envoyés  à  Londres.  Nous  avons  sous  les  yeux 
les  rapports  qu'ils  ont  adressés,  à  leur  retour,  à  M.  le  ministre  de 
rinstruction  publique;  et,  avec  rautoriaaUon  de  M.  le  directeur  de 
renseignement  primaire,  nous  allons  essayer  de  résumer  briève- 
ment, pour  les  lecteurs  de  la  Revue,  la  substance  de  ces  intéressants 
documents.  Faire  un  choix  restreint  dans  une  abondance  de  choses 
€j:cellentes  ;  sentir  que  tout  ce  qui,  faute  d'espace,  doit  être  laissé 
de  côté,  était  cependant  bon  et  digue  d'attention,  —  telle  est  la 
tâche  ditlicile  qui  nous  est  échue,  tel  est  aussi  le  sentiment  avec 
lequel  nous  l'abordons.  Aussi  réclamons-nous  l'indulgence  tant  des 
auteurs  dont  nous  sommes  forcés  de  condenser  les  travaux  en  si 
peu  de  pages,  que  des  lecteurs  auxquels  nous  présentons  cette  très 
sommaire  analyse. 

1 

Nous  commencerons  par  le  rapport  collectif  de  M'"'^»  Dillon,  Ker- 
gomard  et  Penel, 

Ces  dames  ont  visité  Londres  au  moment  où  les  écoles  fonction- 
naient. Regrettant  de  ne  pouvoir  consacrer  à  leurs  intéressantes 
descriptions  qu'un  espace  aussi  restreint,  nous  nous  bornerons  à 
citer  les  passages  où  les  auteurs  ont  signalé  quelque  amélioration  à 
introduire  chez  nous,  ou  même  quelque  point  où  il  leur  a  semblé 
que  nos  voisins  feraient  bien  de  nous  imiter;  car,  en  effet,  si  la 
France,  dans  le  Congrès  pédagogique  de  Londres,  a  reçu  quelques 
leçons,  elle  a  donné,  de  laveu  de  tous,  de  bons  exemples  à  suivre. 
Nos  inspectrices  des  écoles  matemeUes  se  sont  occupées  avant  tout 
des  Kindergàrten  et  des  Infant  tchooU.  A  première  vue,  on  serait 
tenté  de  leur  reconnaître  uae  supériorité  sur  nos  écoles  maternelles. 
Personnel  d'élite  et  nombreux (ujoe  malirease  pour  ii  élèves),  mobi- 
lier complet  (piano  dans  le  préau  pour  exiécuter  les  marches  et  les 
rondos),  matériel  abondant  et  varié  pour  tous  ces  petits  exercices 
<ies  doigts  qui  dévelopfient  le  petit  eofiaot,  Tanaclient  à  l'inertie, 
et  font  l'éducation  de  son  goût  :  voilà  ce  qu'on  trouve  daos  les  Kin- 
dergàrten des  quartiers  riches.  Mais  dans  les  quartiers  pauvres  et 
misérables,  les  écoles  de  petits  enÛLuto  attristent  par  la  pénurie, 
par  les  hailloas,  par  la  Boufitenoe  dont  elles  offrent  le  spectacle. 


324  REVUK  PÉDAGOGIQUK 

«  Nous  les  avons  vus,  ces  enfants  de  raères  ivrognes,  le  petit  corps 
portant  les  traces  d'odieuses  violences,  les  pauvres  petits  bras 
labourés  de  coups  de  corde.  Ce  petit  peuple  de  souffre-douleurs 
arrive  en  classe  ayant  faim,  il  y  reste  ayant  faim,  et  en  sort  sans 
être  rassasié.  Car,  jusqu'ici,  le  School  Board,  dans  la  pensée  louable, 
il  est  vrai,  de  décourager  la  paresse  des  parents,  n'a  pas  voulu 
créer  dans  ces  écoles  de  cantine  gratuite.  On  n'y  voit  pas  de  cou- 
chette pour  les  petits  qui  s'endorment;  il  n'y  a  pas  de  femme  pour 
donner  les  soins  si  nécessaires  à  cet  âge  tendre.  »  Une  observation 
nous  a  particulièrement  frappé,  et  ici,  nous  avons,  je  croîs,  un 
exemple  à  suivre  :  il  s'agit  de  la  co-éducation  des  sexes  dans  les 
écoles  du  premier  ^ge.«  Ces  écoles  mixtes  sont  réellement  mixtes,  et 
aucune  préoccupation  pudibonde  ne  vient  augmenter  les  difficultés 
du  système,  ni  en  paralyser  l'action  éminemment  éducative.  Les 
enfants,  arrivés  à  l'école  par  groupes,  s'asseoient  côte  à  côte;  nous 
dirions  au  hasard,  si  nous  n'avions  constaté  un  ordre  remarquable 
dans  tous  les  établissements  que  nous  avons  visités;  ils  travaillent 
ensemble,  jouent  ensemble,  jouissent  d'une  liberté  d'ailleurs  toute 
fraternelle.  Nous  avons  vu  de  petits  couples  dansant  et  s'embrassant 
le  plus  gentiment  du  monde.  Cela  repose  de  nos  clôtures  et  de  nos 
terreurs  qui  vont  totalement  à  rencontre  de  leur  but.  » 

D'autres  remarques,  non  moins  importantes,  s'appliquent  à  l'orga- 
nisation et  à  rinstallation  matérielle  des  écoles  normales;  le 
rapport  attire  notre  attention  sur  le  bien-être  et  la  liberté  dont 
jouissent  les  élèves,  placées  ainsi  dans  les  conditions  les  plus 
favorables  au  développement  non  seulement  de  la  santé  physique, 
mais  du  sentiment  de  la  dignité  personnelle.  «  Les  dortoirs  à  com- 
partiments distincts  assurent  aux  jeunes  filles  l'indépendance  et  la 
dignité  du  chez  soi.  Chacune  orne  selon  son  goût,  et  aussi  selon 
son  cœur,  son  petit  box  (suffisamment  aéré,  les  clôtures  de  bois  ne 
s'élevant  qu'à  mi-hauteur  de  la  grande  salle),  si  bien  qu'un  simple 
coup  d'œil  suffit  à  l'observateur  pour  que  celle  qui  l'habite  ne  soit 
pas  tout-à-fait  une  inconnue.  Quatre  escaliers  extérieurs,  escaliers  en 
fer,  descendent  des  dortoirs  dans  la  cour;  en  cas  d'incendie  il  suffi- 
rait de  briser  une  vitre  pour  fuir  le  danger.  Chaque  chambre  est 
dans  ce  but  pourvue  d'une  .hachette.  Des  salles  à  lavabos,  des 
chambres  de  bain^  répondent,  dans  d'excellentes  conditions,  aux 
besoins  de  propreté  et  d'hygiène.  Au  réfectoire,  les  tables  sont 
recouvertes  de  nappes  bien  blanches,  les  couverts  sont  reluisants, 
le  cristal  des  verres  est  limpide.  La  liberté  s'étend  à  tout,  depuis 
le  costume  jusqu'à  la  promenade.  »  Une  citation  encore  :  «  A  Stock- 
well,  pas  d'uniforme.  L'école  n'a  pas  de  livrée.  Chaque  élève  a  le 
droit  de  s'habiller  selon  son  goût,  de  se  faire  jolie  ou  de  s'enlaidir  à 
son  gré.  Et  déjà,  cette  liberté  donne  aux  maîtresses  des  indications 
précieuses  sur  les  goûts,  les  tendances,  nous  dirions  presque  sur  la 
qualité  intellectuelle  et  morale  de  chaque  jeune  fille.  Cette  respon- 


RAPPORTS    SUR   l'eXPOSITION    DE   LONDRES  335 

sabilité  individuelle  à  Tégard  du  costume  8*étend,  s'élève  à  la 
conduite  même.  Il  n'y  a  pas  à  Stockwell  de  surveillance  des  classes, 
ni  du  dortoir.  Cest  un  professeur  qui  assiste  aux  études.  Tous 
les  jours,  pendant  une  demi-heure,  les  students  peuvent  aller,  par 
groupes  de  deux,  se  promener  au  dehors.  Le  samedi  et  le  dimanche, 
c'est-à-dire  les  jours  de  congé,  elles  vont  seules  à  l'église,  à  la 
promenade,  chez  leurs  amis  ou  leurs  correspondants.  »  Voilà  des 
différences  notables,  et  des  mœurs  libres  qu'on  pourrait  pratiquer 
chez  nous  si  nous  commencions  par  une  éducation  plus  libre  du 
premier  âge. 

Dans  le  rapport  serré  et  complet  de  M"®  Gautier ^  inspectrice 
des  écoles  maternelles  de  la  Seine,  nous  trouvons,  à  côté  d'ap- 
préciations justes  et  intéressantes,  bon  nombre  de  faits  dont 
nos  écoles  peuvent  tirer  un  profit  immédiat.  En  parlant  des  con- 
structions scolaires,  elle  remarque  que,  dans  chaque  école,  il  y  a 
pour  les  maîtres  vestiaire,  lavabo  et  parloir.  Dans  les  salles  de 
classe,  elle  a  vu  les  murs  décorés  de  collections  d'animaux,  de 
tableaux  de  botanique,  de  gravures  et  de  photographies  des  chefs- 
d'œuvre  des  maîtres,  destinés  à  former  le  goût  des  enfants,  et  elle 
ajoute  :  «  Celte  idée,  née  en  France,  a  été  accueillie  avec  empresse- 
ment par  nos  voisins  qui  font  venir  même  de  Paris  la  plupart  de 
ces  gravures  ».  A  propos  de  la  couture.  M"®  Gautier  a  vu  les 
enfants  de  l'école  maternelle  exercées  au  maniement  de  l'aiguille 
sans  aiguille  ni  dé,  ni  fil,  c'est-à-dire  qu'on  les  exerce  à  placer,  au 
commandement  militaire,  les  mains  dans  les  différentes  positions 
exigées  pour  le  point  d'ourlet.  On  continue  à  les  faire  travailler  au 
commandement  lorsqu'elles  cousent  réellement,  et  l'on  obtient  d'ex- 
cellents résultats.  Voilà  une  gymnastique  utile  et  amusante.  Une 
autre  bonne  idée  pour  le  dessin  :  «  J'ai  vu  employer  un  appareil 
destiné  à  démontrer  comment  on  représente  un  solide  sur  une 
surface  plane.  Cet  appareil  se  compose  d'une  surface  en  verre  der- 
rière laquelle  ou  dispose  le  solide  à  dessiner;  puis  on  trace  sur  le 
verre  des  traits  qui  s'adaptent  exactement  aux  arêtes  du  solide  vu 
en  perspective,  et  on  obtient  ainsi  la  forme  apparente  du  solide.  » 
—  Ce  que  dit  M"*®  Gautier  de  l'enseignement  de  l'art  culinaire  nous 
paraît  mériter  une  attention  spéciale  :  «  S'il  est,  dit-elle,  un  emprunt 
qu'il  y  aurait  lieu  de  faire  à  nos  voisins,  ce  serait,  sans  contredit, 
l'inlroduction  d'un  cours  de  cuisine  pratique  dans  nos  écoles  de 
filles.  Il  en  sort  des  couturières  et  surtout  des  institutrices  :  le 
nombre  toujours  croissant  des  aspirantes  aux  brevets  de  capacité,  et 
les  trois  mille  demandes  d'emplois  qui  attendent  dans  les  bureaux 
de  la  Préfecture  de  la  Seine,  en  font  foi.  Je  crois  qu'il  y  aurait  avan- 
tage à  mettre  un  peu  en  honneur  l'art  culinaire  et  à  former  quelques 
cuisinières.  Les  Anglais,  si  pratiques,  ont  reconnu  avant  nous  l'utilité 
de  cet  enseignement,  et  le  succès  de  ces  cours  à  Londres  répond  à 
l'avance  de  leur  succès  à  Paris.  » 


3:26  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

n 

Nous  arons  maintenant  à  passer  en  revue  les  rapports  rédigés  par 
MH.  les  inspecteurs  primaires,  directeurs  d'écoles  supérieures  et 
professeurs  d'école  normale  qui  avaient  reçu  du  ministère  la  mission 
de  visiter  l'Exposition  et  d'assister  aux  séances  du  congrès.  «  Laissez 
de  côté  les  questions  générales,  leur  avait  dit  M.  le  directeur  de 
l'enseignement  primaire  :  n'oubliez  pas  que,  par  la  nature  même  de 
vos  fonctions,  vous  êtes  habitués  à  juger  les  détails;  ne  sortez  pas 
de  voire  rôle  ordinaire,  mais  rapportez-nous  une  provision  plutôt 
saine  qu'abondante  de  faits  pratiques  et  d'idées  justes^  que  nous 
puissions  mettre  à  profit.  » 

C'est  dans  cet  esprit  que  les  auteurs  de  ces  rapports  se  sont  attachés 
à  étudier  chacun  une  ou  plusieurs  questions  spéciales;  évitant  les 
généi-alités  vagues,  ils  ont  cherché  non  à  voir  beaucoup  en  peu  de 
temps,  mais  à  bien  voir  la  chose  particulière  sur  laquelle  ils  con- 
centraient leur  attention. 

M.  Desgranges,  professeur  à  l'école  normale  de  Savenay,  a  étudié 
à  fond  les  Kindergàrten  ou  écoles  de  la  Société  Frœbel.  Il  n'en  a  pu 
voir,  à  cause  de  l'époque  de  son  séjour  à  Londres,  que  le  beau  côté, 
l'école  maternelle  modèle:  mais,  après  tout,  c'est  de  ce  qui  est  le 
meilleur  qu'on  doit  tirer  des  idées.  M.  Desgranges  signale  le  grand 
nombre  d'école  normales  établies  par  la  Société  Frœbel  chez  nos 
voisins  pour  former  les  institutrices.  Les  brevets  pour  les  écoles 
maternelles  sont  de  deux  degrés  :  le  brevet  simple  et  le  brevet  supé- 
rieur. L'obtention  de  ce  dernier  surtout  exige  des  connaissances 
sérieuses.  «  De  tous  les  enseignements,  dît  M.  Desgranges,  celui  de 
l'enfance  est  certes  le  plus  difficile  ;  il  demande  de  la  part  du  maître 
ou  de  la  maîtresse  une  étude  approfondie  de  la  pédagogie,  une  pra- 
tique intelligente  des  meilleurs  procédés.  Aussi  voyons-nous,  dans 
les  programmes  d'examen  de  la  Société  Frœbel,  les  questions  péda- 
gogiques et  les  connaissances  pratiques  tenir  la  plus  large  place.  » 
Le  matériel  d'enseignement,  les  balles,  les  cubes,  les  bâtonnets,  etc., 
se  trouvent  dans  quelques-unes  de  nos  bonnes  écoles  maternelles 
urbaines;  mais  on  serait  heureux  de  voir  pénétrer  cet  enseignement 
Jusque  dans  nos  communes  les  plus  reculées.  L'emploi  des  bâ- 
tonnets pour  enseigner  l'écriture,  le  calcul,  le  dessin,  serait  surtout 
facile  à  vulgariser.  Quel  enfant  n'apprendrait  pas  avec  plaisir  la 
géographie  enseignée  à  l'aide  de  plans  élémentaires,  tracés  par  la 
maîtresse  au  tableau  et  imités  par  les  petits  élèves,  «  plans  de  la 
dasse,  du  jardin,  du  village,  des  cours  d'eau  ou  des  étangs  voisins  ; 
les  îles  sont  figurées  par  de  petits  amas  de  sable  sur  fond  de  papier 
bleu;  les  arbres  de  ces  îles  sont  de  petits  rameaux,  et  la  maison, 
des  bâtonnets  plantés  dans  le  sable.  Une  rivière  est  représentée  sur 
fond  de  papier  bleu  avec  du  sable  qui  en  forme  les  rives;  les  ponts 
sont  de  petits  bâtonnets.  »  Pour  le  dessin  également,  nous  avons 


RAPPORTS  SUR  l'eXPOSITION  DI   LONDRES  317 

peut-être  quelque  chose  à  imiter.  «  Une  grande  part  est  laissée  à 
rinitiatire  indifidoeUe.  Ncww  voyons  exposés  sous  le  titre  d'inveniién 
de  petits  dessins  sur  papier  quadrillé,  oh  l'enfant  a  d'abord  tracé 
des  lignes  droites  en  différents  sens,  des  lignes  courbes,  puis  a*  réu«i 
les  lignes  droites  et  les  lignes  courbes.  — -  Les  premiers  essais  sont 
informes  ;  mais,  en  feuilletant  ce»  cahiers,  nous  voyons  rimaginaliofn 
s'étendre  peu  à  peu,  et  les  figures^  tout  en  se  compliquant,  prendre 
une  disposition  agréable  à  la  vue.  » 

Arrivons  à  ce  qui  parait  être  l'idée  maîtresse  de  cette  intéressante 
étude.  Cette  idée  se  dégage  d'elle-même  de  Taveu  suivant  fait  à 
M.  Desgranges  par  des  institutrices  anglaises  :  «  Les  enfants  qui  ont 
été  élevés  d'après  le  système  Frœbel  ont  l'intelligence  plus  ouverte; 
ils  suivent  avec  plus  de  fruit  les  leçons  de  l'école  élémentaire.  * 
Toutefois,  îl  convient  de  remarquer  que  l'éducation  et  Tinstruction 
reçues  au  Kindergarten  ne  peuvent  porter  tout  leur  fruit  que  si  l'en- 
seignement du  degré  élémentaire  à  l'école  primaire  sait  mettre  à 
profit  ce  qui  est  déjà  acquis  et  tenir  compte  des  procédés  employés 
jusqu'alors.  Hélas  I  combien  de  fois  la  dissemb)|Guice  qui  existe  chez 
nous  entre  la  méthode  des  écoles  maternelles  et  celle  des  écoles 
primaires  n'a-t-elle  pas  fait  échouer  les  meilleures  disposition»! 
Essayons,  nous  feronâ  bien,  d'atténuer  cette  dissemblance,  de  faiie 
de  l'école  primaire  un  lien  entre  l'école  maternelle  et  réoole  pri- 
maire supérieure. 

M.  Doinel,  directeur  de  l'école  primaire  supérieure  de  JoinviUé, 
nous  a  transmis  un  rapport  riche  en  renseignements  utiles  sur 
V internat,  le  dessin  et  les  travaux  manuels  dans  les  écoles  primaires 
supérieures.  Nous  voudrions  pouvoir  reproduire  toute  sa  plai- 
doirie en  faveur  du  travail  manuel  considéré  comme  favorisant 
non  seulement  les  aptitudes  physiques,  mais  portant  son  action 
éducative  sur  l'individu  tout  entier.  «  Il  s'agit  de  relever  aux  yeux 
de  tous  la  dignité  du  travail  manuel  :  aux  yeux  du  riche  qui  croirait 
se  déclasser  en  se  servant  de  ses  mains  pour  travailler;  aux  yeux 
de  l'ouvrier  qui  s'imagine  être  seul  à  la  peine,  qui  hait,  par  le  seul 
fait  de  la  souffrance  et  du  danger  matériels  de  chaque  jour,  ceux 
qui,  d'après  lui,  ne  travaillent  pas,  et  cependant  il  rêve  parfois 
pour  les  siens  la  prétendue  sinécure  d'une  profession  libérale.  »  — 
L'internat  des  autres  pays,  dans  son  installation  matérielle,  ne 
semble  pas  a  M.  Doinel  devoir  nous  servir  de  modèle,  si  ce  n'est 
dans  la  plus  grande  liberté  laissée  aux  élèves,  dans  l'absence  d'une 
surveillance  exagérée,  et  dans  l'organisation,  pour  développer  l'ac- 
tivité physique,  de  jeux  de  force,  de  course  et  d'adresse.  Quant  à 
la  surveillance  blessante  à  tous  les  instants  de  jour  et  de  nuit  dont 
on  se  dispense  avec  tant  d'avantage  chez  nos  voisins,  nous  croyons» 
avec  M.  Doinel,  qu'elle  ne  fait  qu'écraeer  l'initiative  individuelle 
chez  les  faibles,  et  développer  chez  ceux  qu'elle  ne  dompte  que 
momentanément  un  esprit  de  haine   et  de  révolte.  Toute  classe, 


32S  RSVUK  védàgooique 

toute  école,  tout  pays  soumis  à  ce  régime  ressemble  à  une  chaudière 
dont  on  a  vissé  la  soupape.  —  D'une  étude  minutieuse  des 
spécimens  de  dessin  exposés  à  South  Kensington,  M.  Doinel  conclut 
que  la  France  semble  avoir  mieux  compris  que  ses  voisins  la 
nécessité  de  cultiver  le  goût  en  même  temps  que  la  correction.  Il 
approuve  surtout  remploi,  par  les  enfants  de  Técole  élémentaire, 
des  couleurs  vives.  «  L'enfant  aime  les  couleurs;  pourvu  qu'on  le 
dirige  dans  le  choix,  l'emploi  des  couleurs  lui  fera  aimer  le  dessin.» 
Dans  cette  exposition  de  dessins»  d'objets  en  bois,  en  fer,  en  plâtre, 
fabriqués  par  les  élèves,  une  grande  honnêteté  semble  avoir  présidé 
au  choix.  11  y  avait  cependant  un  penchant  visible  à  choisir  l'œuvre 
du  meilleur  élève  et  le  meilleur  travail  de  celui-ci.  S'il  fallait, 
parmi  tant  d'exposants,  décernei*  des  éloges  particuliers,  on  citerait 
peut-être  le  Japon,  à  cause  des  progrès  immenses  faits  depuis 
Tcxposition  de  1878,  et  la  Belgique,  pour  avoir  exposé  un  grand 
nombre  de  dessins  à  main  libre  et  un  dessin  ^invention,  genre 
d'exercice  qu'on  n'a  rencontré  nulle  part  ailleurs,  excepté  dans 
l'école  enfantine  et  que  M.  Doinel  nous  engage  à  cultiver  chez 
nous.  «  Dans  l'enseignement  primaire  supérieur,  les  devoirs  de 
rédaction  pouvaient  porter  sur  l'interprétation,  par  écril,  d'un 
dessin  de. machine,  d'un  plan  de  maison,  d'une  coupe  de  pont,  etc. 
Rien  ne  sert  de  copier  les  lignes,  les  couleurs,  si  l'on  ignore  à 
quelles  intentions  elles  répondent,  si  l'on  ne  peut,  constructeur, 
entrepreneur  ou  propriétaire,  les  interpréter.  Il  est  vrai  que  cette 
lecture  se  fait  oralement  dans  la  plupart  des  cas,  que  les  explications 
préalables  d'un  professeur  préviennent  les  erreurs,  et  initient  à  la 
compréhension  de  l'ensemble;  mais  il  nous  semble  quon  gagnerait 
à  aller  au  delà  de  cette  habitude  de  procéder.  »  Quant  à  l'invention,, 
sauf  ce  qui  a  élé  constaté  çn  Belgique,  elle  est  presque  nulle  après 
l'école  enfantine.  C'est  un  fait  digne  de  remarque.  On  pourrait 
donner  à  traiter  des  sujets  sur  canevas  préparé  par  le  professeur, 
puis  en  laisser  le  choix  :  procéder  en  dessin  rt)mme  en  composition 
française.  Peut  être  ferait-on  naître  Tinitiative  et  disparaître  notre 
habitude  de  la  copie.  II  y  aurait  au  point  de  vue  de  l'art  industriel 
le  style  dix-neuvième  siècle,  comme  il  y  a  le  style  Renaissance, 
le  style  Louis  XV,  etc. 

M.  Bouffandcau,  inspecteur  primaire  à  Melle,  a  fait  sur  ïensei- 
gnemcnt  de  la  lecture  et  les  livres  de  lecture  de  nos  voisins  une  étude 
approfondie  et  très  intéressante.  «  C'est  par  la  lecture  surtout  que 
les  inspecteurs  jugent  de  la  culture  intellectuelle  des  élèves  et  de 
la  valeur  pédagogique  du  maître.  Aussi,  des  trois  matières  fonda- 
mentales de  l'enseignement  élémentaire,  la  lecture,  l'écriture  et  le 
calcul,  la  lecture  est  celle  qui,  depuis  quelques  années,  préoccupe 
le  plus  les  inspecteurs  des  écoles  anglaises.  Des  programmes  précis 
ne  laissent  rien  au  hasard,  règlent  l'examen  de  chaque  classe  ;  l'in- 
struction du  nouveau  Code  scolaire,  enjoignant  aux  inspecteurs  de  se 


RAPPORTS  SLR  L  EXPOSITION  DE  LONDRES  '129 

rendre  compte  par  des  queslions  si  les  élèves  ont  bien  saisi  le  sens 
du  texte  lu,  a  rappelé  partout  aux  maîtres  que  de  bonne  heure  il 
fallait  éveiller  Tesprit  de  Tenfant,  et  que  la  leçon  de  lecture  devait 
être  autre  chose  qu'une  simple  répétition  monotone  de  sons  et  de 
mois.  »  Il  est  impossible  de  trop  insister  sur  ce  principe,  car,  malgré 
les  efforts  soutenus  de  Tinspection,  malgré  Tabondance  des  bons 
livres  mis  entre  les  mains  des  élèves,  renseignement  de  la  lecture 
aux  petits  enfants  n'est  ce  qu'il  doit  être  que  dans  une  petite 
minorité  d'écoles.  En  France,  nous  pouvons  faire  le  même  aveu.  Et 
la  cause  du  mal  est  la  même  chez  nos  voisins  que  chez  nous.  «  La 
leçon  de  lecture,  la  plus  difficile  de  toutes,  est  considérée  comme 
la  plus  facile,  et  confiée  le  plus  souvent  à  de  jeunes  maîtres  qui  no 
savent  pas  eux-mêmes  ce  que  c'est  que  de  bien  lire  !  »  Quant  à  la 
méthode  suivie  aujourd'hui  par  les  bons  maîtres,  on  remarque  le 
soin  d'éviter  l'ennuyeuse  épellation  des  petits  mots  familiers  qu'un 
enfant  peut  facilement  saisir  et  prononcer  avec  une  seule  émission  de 
voix.  Les  livres  de  lecture  entre  les  mains  des  élèves  sont  de  deux 
sortes,  —  ceux  de  la  leçon  de  lecture  proprement  dite,  et  ceux,  faits 
ad  hoc,  dont  la  lecture  doit  suivre  l'exposé  oral  de  la  leçon  d'histoire 
ou  de  géographie  faite  par  le  professeur.  —  La  leçon  reprise  ainsi 
immédiatement  sous  une  autre  forme,  celle  d'un  récit  intéressant 
ou  d'une  description  bien  faite,  grave  bien  dans  l'esprit  de  l'élève 
les  faits  de  l'histoire  ou  de  la  géographie.  Cet  emploi  de  livres  de 
lecture  historique,  géographique  et  scientifique  a  produit  chez  nos 
voisins  les  meilleurs  résultats.  L'idée  nous  paraît  bonne  à  suivre;  il 
faut  seulement  que  les  livres  soient  bien  faits.  En  somme,  conclut 
M.  Bouffandeau,  nos  voisins,  les  Anglais,  souffrent  comme  nous  des 
défauts  d'une  mauvaise  lecture,  et  si,  comme  il  est  incontestable, 
ces  défauts  tendent  à  disparaître  peu  à  peu  chez  eux,  c'est  grâce  a 
l'incessante  et  minutieuse  surveillance  des  autorités  et  à  l'encoura- 
gement, sous  forme  de  subventions,  accordé  par  l'Etat  aux  institu- 
teurs qui  réussissent  à  faire  bien  lire.  —  Les  mêmes  moyens 
réussiront  chez  nous. 

M.  Cottin,  inspecteur  primaire  à  Coulommiers,  s'est  occupé  de 
l'organisation  de  Vinspection  et  des  examens.  Il  explique  d'abord 
comment  le  besoin  d'assurer  le  bon  emploi  des  subventions  votées 
pour  encourager  la  bonne  direction  des  écoles  a  fait  naître  en 
Angleterre  l'institution  toute  moderne  de  l'inspection  des  écoles 
par  l'Etat. 

Le  rapport  signale  plusieurs  détails  de  règlement  qui  ont  une 
grande  importance,  et  qui  méritent  d'être  relevés.  1®  En  ce  qui  con- 
cerne l'inspection  :  «  A  la  suite  de  chacune  de  ses  visites,  l'inspectenr 
«^st  tenu  de  dresser  un  rapport  au  Département  d'éducation  ;  le  résumé 
de  ce  rapport,  avec  les  observations  qu'a  pu  y  joindre  le  Département» 
est  communiqué  aux  administrateurs  de  l'école,  et  transcrit  aussitôt 
sur  un  registre  spécial  qui  reste  entre  les  mains  de  rinstituteur;  » 


330  RBVUC  PÉnàGOGIQUE 

29  Au  sujet  des  conditions  pour  Tobtention  du  brevet  d'instituteur: 
«  A  l'encontre  de  ce  qui  se  p&isse  en  France,  où  les  candidats 
au  bravet  n'ont  pas  à  justifier  d  un  stage  dans  renseignement,  les 
examens  sont  ouverts  exclusivement  :  a)  aux  élèves  qui  ont  passé 
aa  moins  une  année  dans  une  école  normale;  b)  aux  candidats  qui, 
étant  âgés  de  plus  de  vingt  ans,  ont  deux  ans  de  services  comme 
instituteurs  provisoires  ou  douze  mois  comme  maîtres  adjoints  dans 
une' école  subventionnée  et  dirigée  par  un  instituteur  breveté,  et  qui 
ont,  dans  Tune  ou  Tautre  situation,  été  l'objet  d'un  rapport  favorable 
de  l'inspecteur  primaire,  constatant  leur  aptitude  à  enseigner  la 
lecture  ou  (pour  les  femmes)  les  travaux  à  l'aiguille.  Le  brevet 
n'est  délivré  aux  candidats  qui  ont  réussi  dans  leurs  examens 
qu'après  qu'ils  ont  été  l'objet,  dans  les  écoles  où  ils  exercent, 
de  deux  rapports  favorables  de  Tinspecteur  faits  au  moins  à  une 
année  d'intervalle.  »  Et  plus  loin  :  «  Un  brevet  peut  être  retiré 
complètement  ou  pour  un  certain  temps,  ou  ramené  à  une  classe 
inférieure.  Cette  mesure,  toutefois,  ne  peut  être  appliquée  qu'après 
que  le  Déparlement  a  informé  l'instituteur  des  charges  qui  pèsent 
SOT  lui  et  lui  a  donné  les  moyens  de  s'expliquer.  »  En  ce  qui  touche 
aux  matières  d'examen,  nous  voyons  des  connaissances  sérieuses 
de  pédagogie  exigées  des  aspirants  et  aspirantes  au  brevet  élémen- 
taire. Cela  est  bon.  Une  autre  exigence  pour  les  épreuves  écrites  de 
calcul,  d*une  utilité  capitale  —  ceux  qui  ont  à  corriger  les  compo- 
sitions de  calcul  seront  de  mon  avis  —,  est  celle-ci  :  «  Les  chiffres 
seront  bien  formés,  le  travail  sera  disposé  avec  goût  comme  s'il 
devait  servir  de  modèle  aux  enfants.  »  En  effet,  il  est  beaucoup 
plus  important  d'avoir  des  chiffres  lisibles  que  des  lettres  lisibles. 

Encore  une  bonne  idée  déjà  signalée  par  M«»«  Gautier  :  l'examen 
des  aspirantes  touche  à  tous  les  détails  pratiques  de  l'économie 
domestique,  depuis  sa  nourriture  et  sa  préparation  jusqu'aux  soins 
d'hygiène,  et,  chose  capitale,  à  la  tenue  d'une  chambre  de  malade. 

M.  Briand,  inspecteur  primaire  à  Saint-Calais,  dans  son  rapport  sur 
les  bâtiments  et  mobiliers  scolaires,  résume  en  quelques  lignes  la 
première  séance  du  Congrès  dans  la  section  chargée  de  cette  matière. 

L'avis  unanime  y  fut  exprimé  que  l'école  doit  être  agréable  pour 
l'enfant  et  pour  le  maître;  que  la  santé  des  enfants  à  l'école  dépend 
d'un  bon  éclairage,  d'une  bonne  ventilation  et  d'un  bon  enseigne- 
ment, et  par  un  bon  enseignement  il  faut  entendre  celui  qui 
s'adresse  à  l'intelligence  et  non  celui  qui  consiste  à  charger  la 
mémoire. 

Un  orateur,  en  particulier,  a  insisté  sur  l'influence  du  beau  pour 
le  développement  (ft  l'intelligence  et  du  cœur  de  l'enfant.  Il  deman- 
dait que  sur  les  murs  des  classes  les  copies  de 5  œuvres  d'art  occu- 
passent la  meilleure  place.  Lord  Reay  a  réclamé  pour  l'enfant  des 
fleurs  et  des  gravures  ;  nous  ajouterons,  pour  notre  part,  —  et  c'est  un 
conseil  que  nous  ne  cessons  de  donner  aux   instituteurs  —  qu'on 


RAPPORTS   SUR   l'eXPOSITION   DE   LONDRES  33t- 

ferait  bien  de  planter  dans  toutes  nos  cours  d'école,  pour  réjouir 
la  vue  et  donner  des  leçons  utiles,  des  arbres  fruiti^s  d'espèce  et 
de  floraison  aussi  variées  que  possible,  au  lieu  des  platanes  et  til- 
leuls si  chers  à  la  routine.  De  ses  visites  aux  maisons  d'école,  mal- 
heureusement vides  à  cette  époque,  M.  Briand  a  tiré  quelques  utile» 
enseignements.  A  chaque  étage,  dans  les  écoles  à  trois  étages,  se 
trouvaient  des  lavabos.  Dans  la  plupart  des  classes,  on  voyait  un 
tableau  contenant  des  instructions  sur  les  soins  à  donner  aux  en* 
t'ants  en  cas  d'épidémie.  Voici  un  registre  de  présence  bien  sim{^  : 
un  cadre,  contenant  une  feuille  de  papiw  pouvant  ôtie  remplacée 
chaque  semaine  ou  chaque  mois,  porte  pour  chaque  jour  de  1» 
semaine  ou  du  mois  le  nombre  des  inscrits,  des  présents  et  des 
absents.  Quant  au  mobilier  scolaire,  M.  Briand  pense  que  nos  voisine* 
n'ont  guère  de  leçons  à  nous  donner.  Cependant,  il  signale  une  éè 
ces  innovations  si  simples  qu'on  s'étonne  de  ne  pas  y  avoir  pensé 
plus  tôt  :  «  Pour  empêcher,  dans  les  classes  nombreuses,  le  bruit  des 
couvercles  des  pupitres  qui  se  ferment,  on  place  sous  chaque  coin  da< 
couvercle  une  petite  rondelle  de  cuir  ou  de  caoutchouc.  »  C'est  simple 
et  c'est  bon.  Mentionnons  enfin,  dans  ce  rapport  si  riche  en  détails 
utiles,  ia  description  d'un  double  boulier-compteur  :  le  premieary 
connu  de  tous,  pour  les  nombres  simples  ;  le  second,  composé  de 
médailles  représentant  les  diverses  pièces  de  monnaie,  suspendues 
aux  vergettes  de  fer  fixées  horizontalement  aux  montants  de  l'appareiL 
Ces  monnaies  sont  groupées  en  quantité  déterminée,  pour  en  rendre 
l'aspect  famiUer  aux  élèves,  leur  en  faire  connaître  la  valeur  respec- 
tive, les  habituer  à  calculer  rapidement  et  à  effectuer  avec  facilité 
un  paiement  ou  un  recouvrement. 

n  y  aurait  bien  des  choses  à  prendre  dans  les  trois  études  co»- 
sciencieuses  de  M.  Hmnofi,  inspecteur  primaire  à  Saint-Malo,  sur 
renseignement  en  A  ngleterre,  en  BelgiqtAc  et  au  Japon.  Ici,  comme  ail- 
leurs, nous  ne  pouvons  que  choisir  un  peu  au  hasard.  Vwci  un 
prôjupré  qu'on  devrait  combattre  de  toutes  ses  forces,  chez  nos  voi- 
sins comme  chez  nous  :  «  Le  brevet  de  3®  classe  ne  donne  à  l'insti- 
tuteur que  le  droit  de  diriger  une  école  inférieure  ou  école  maternelle.  » 
Quel  pédagogue  digne  de  ce  nom  ignore  que  la  tâche  qui  exige 
)e  plus  de  savoir  et  de  tact  est  l'enseignement  des  petits  enfants  f 
Un  jour  viendra  où  les  meilleurs  de  nos  maîtres  et  mattresses  dirn 
gèrent  les  écoles  maternelles,  et,  si  on  fait  un  avantage  pécuniaire 
à  quelques-uns,  ce  sera  pour  eux.  A  propos  de  constructions  sco- 
laires, «  les  Sehool  Roards  anglais,  dit  M.  Hamon,  exigent  que  la 
construction  de  ttmte  école  soit  étudiée  en  prévision  du  terrain  qu'elie* 
(If)it  occuper,  au  lieu,  comme  cela  se  pratique  trop  souvent^  de 
donner  d  abord  le  plan  et  ensuite  de  rechercher  le  terrain.  »  La  ques- 
tion des  traitements  a  été  touchée  en  passant,  et  nos  institutemrs 
français  qui,  soit  dit  à  leur  honneur,  n'accordent  à  cette  question 
qu'une  importance    secondaire,  peuvent  se  dire  que  si,  chez  nos 


é 


332  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

voisins,  on  est  mieux  payé  pendant  qu'on  travaille^  en  revanche, 
lorsque  Tàge  ou  la  maladie  arrête  le  travailleur,  le  traitement  cesse 
aussi,  car  il  n'y  a  point  de  retraite  de  droit. 

Dans  renseignement  primaire  belge,  ce  qui  semble  le  plus  frap- 
per M.  Hamon  est  1  école  gardienne  (jardin  d'enfants),  dont  il  décrit 
le  système,  le  but.  a  Le  jardin  d'enfants  n'est  pas  une  école  dans 
le  sens  propre  du  mot.  L'institutrice  s'y  occupe  peu  d'instruction; 
mais  elle  travaille,  à  l'exemple  de  la  mère,  à  faire  la  première 
éducation  des  enfants  qui  lui  sont  confiés.  Cultiver  les  forces  phy- 
siques et  contribuer  à  assurer  aux  enfants  une  santé  robuste;  don- 
ner par  l'exercice  des  sens  un  premier  développement  à  la  faculté 
de  perception,  à  l'esprit  d'observation;  favoriser  l'instinct  d'imitation 
et  l'éveil  des  facultés  inventives,  apprendre  aux  enfants,  dans  les 
limites  du  possible,  à  exprimer  clairement  leurs  observations,  leurs 
jugements  ;  les  habituer  à  la  propreté,  à  l'ordre,  à  la  politesse  ;  leur 
inspirer  le  goût  du  beau,  les  former  à  l'obéissance,  à  la  véracité,  à 
l'activilé,  chercher  par-dessus  tout  à  les  rendre  bons,  aimables, 
généreux  ;  telle  est  l'œuvre  confiée  à  la  sollicitude  de  f  institutrice 
du  jeune  âge.  » 

L'enseignement  primaire  au  Japon  suit  de  près  le  modèle  français  ; 
là,  comme  chez  nous,  les  châtiments  corporels  sont  interdits.  Les 
progrès  réalisés  depuis  quelques  années  sont  immenses.  Un  nouveau 
pas  a  été  fait  tout  récemment  par  la  création,  sous  l'impulsion  de 
l'impératrice  elle-même,  d'une  école  normale  de  filles. 

M.  Robin,  directeur  de  l'orphelinat  Prévost,  a  porté  son  attention  sur 
les  institutions,  les  procédés  et  les  produits  dont  l'introduction  pourrait  être 
utile  dans  le  grand  établissement  philanthropique  confié  à  sa  garde. 
Ce  rapport  est  un  trésor  de  précieux  renseignements.  Comment  faire 
un  choix  ?  L'espace  manque  pour  exposer  ici,  à  la  suite  du  rapporteur, 
le  système  de  filtrage  où  Teau  se  fillre  du  bas  en  haut  (bien  plus  avanta- 
geux que  le  procédé  ordinaire),  le  système  des  earthclosets  de  Mould,  qui 
économise,  tout  en  ménageant  notre  odorat,  le  plus  précieux  engrais 
pour  nos  agriculteurs,  etc.,  etc.  —  Arrivant  à  travers  champs  aux 
questions  d'enseignement,  M.  Robin,  esprit  essentiellement  pratique, 
ne  peut  s'empêcher  de  gémir  sur  le  temps  perdu  par  les  enfants 
de  tous  les  pays  à  se  bourrer  la  mémoire  des  bizarreries  de  construc- 
tion grammaticale  ou  d'orthographe,  au  lieu  de  s'assimiler  les  faits 
delà  science. 

M.  Robin  a  visité  plusieurs  orphelinats  anglais,  et,  tout  en  admi- 
rant l'installation  matérielle  et  la  liberté  accordée  aux  enfants,  il 
regrette  que  la  discipline  repose  sur  deux  moyens  que  nous  réprou- 
vons avec  lui  :  les  châtiments  corporels  et  les  terreurs  religieuses 
imaginaires.  Il  a  examiné  sérieusement  les  produits  fabriqués  par 
les  élèves  des  écoles  professionnelles  et  industrielles,  et  il  se 
plaint  que  presque  toutes  exposent  des  objets  fabriqués  par  de 
véritables  ouvriers,  des  jeunes  gens  au  terme  de  leur  apprentissage 


RAPPORTS   SUR  l'exposition   DE   LONDRES  333 

qui  semblent  n^avoir  cultivé  qu'un  seul  métier,  au  moins  à  demi- 
temps,  le  plus  souvent  toute  la  journée.  Ce  regret  a  été  formulé  par 
presque  tous  ceux  qui  ont  visité  cette  section  importante  de  l'Ex- 
position scolaire. 

M.  Paul  GuUhot,  professeur  à  Torphclinat  Prévost,  a  pris  pour 
sujet  de  son  étude  Venseignement  populaire  de  la  musique  dans  les 
écoles,  au  double  point  de  vue  de  l'hygiène  et  de  l'éducation.  Les 
bienfaits  physiques  et  moraux  de  cet  enseignement,  dit  M.  Guilhot, 
ont  été  conslatés  par  les  célébrités  médicales  et  philosophiques. 
Les  premières  ont  reconnu  que  l'étude  de  la  musique  assouplit,  dé- 
veloppe, adoucit  la  voix  et  allonge  la  respiration;  elle  exerce  même 
une  heureuse  influence  sur  les  poumons,  en  les  dilatant  (quand  cet 
enseignement  est  donné  dans  une  juste  mesure  et  ne  va  pas  jusqu'à 
la  fatigue).  Les  autres  trouvent  dans  l'enseignement  musical  un 
puissant  élément  d'inspiration,  «  un  salutaire  dérivatif  aux  mauvais 
penchants,  un  moyen  sûr  de  développer  les  sentiments  nobles  et 
généreux  ».  Mais  d'où  vient  qu'un  enseignement  promettant  de 
tels  résultats  soit  si  lent  à  se  propager  dans  nos  écoles?  A  TExpo- 
silion  de  Londres,  où  toutes  les  branches  de  l'enseignement  populaire 
étaient  si  largement  représentées,  on  remarquait  peu  de  documents 
relatifs  à  la  musique  et  surtout  peu  de  devoirs  musicaux.  Pas  de 
statistique  du  nombre  des  écoliers  des  différentes  nations  suivant 
des  cours  réguliers  de  cet  enseignement.  Le  chant,  il  est  vrai,  s'est 
beaucoup  répandu  depuis  quelques  années  dans  les  écoles,  mais  la 
plupart  des  chants  scolaires  sont  appris  par  Taudition,  plutôt  que  par 
principes.  D'où  vient  donc  le  mal? Les  professeurs  distingués  abondent; 
les  institutions  spéciales  ne  font  pas  défaut,  et  les  ouvrages  de  va- 
leur sont  nombreux.  C'est  le  temps  qui  manque;  c'est  l'application 
d'une  méthode  rapide  qui  fait  défaut.  Où  est  le  remède?  D'après 
M.  Guilhot,  il  est  dans  la  mise  en  pratique  d'un  système  simplifiant 
renseignement  de  la  musique,  et  permettant  de  lui  faire  une  place 
obligatoire  dans  nos  programmes  scolaires  sans  porter  atteinte  aux 
branches  essentielles  de  l'enseignement  scientifique,  grammatical 
et  littéraire;  et  ce  système  n'est  autre  que  celui  de  Galin-Paris-Chevé, 
autrement  dit  le  système  modal,  substitué  au  système  tonal.  Un 
système  analogue  appliqué  en  Angleterre  y  a  produit  partout  les 
meilleurs  effets,  et  a  obtenu  à  l'Exposition  une  médaille  d'or,  dans 
la  personne  de  M.  John  Curwen,  directeur  du  collège  anglais  dit  du 
Tonic  sol'fa.  Dans  l'enseignement  musical  scolaire  anglais,  a  la  part 
du  système  modal  est  des  quatre  cinquièmes,  conquis  sur  l'ancienne 
école  tonale  ».  Après  avoir  constaté  ces  beaux  résultats,  M.  Guilhot 
se  livre  à  une  longue  appréciation  de  la  théorie  du  système  modal, 
de  ses  avantages,  et  fait  l'histoire  de  son  introduction  en  Suisse,  en  Hol- 
lande, en  Russie,  et  surtout  en  France  par  ses  propagateurs  Galin,  Paris 
et  Chevé.  L'école  anglaise»  dite  du  Tonte  sol-fa,  et  l'école  française, 
partant  du    même  principe  et    visant    au  môme  but,  ne  différent 


334  AEYUE   PÉDAGOGIQUE 

^ère  que  par  récriture.  Le  Tonic  sol-fa  emploie  des  lettres,  et  la 
méthode  Galin-Paris-Chevé  se  sert  de  chiures.  M.  Guîlhot  croit  pou- 
i^ir  espérer  la  création  prochaine  à  Paris  d'un  établissement  ana- 
logue au  collège  du  Tonic  sol-fa^  et  consacré  à  la  vulgarisation  de 
la  méthode  Galin-Paris-Chevé,  dont  la  circulaire  ministérielle  de 
juillet  1883  a  autorisé  l'emploi  dans  nos  écoles. 

Le  rapport  sur  le  calcul  mental  fait  par  M.  Véùez,  inspecteur  pri- 
maire à  Vervins,  présente,  sous  une  forme  attrayante,  Texposé, 
plein  d'intérêt,  des  méthodes  suivies  en  Angleterre.  Elles  ne  durè- 
rent pas  de  celles  qui  sont  pratiquées  dans  nos  écoles;  mais  ce 
qu'il  convient  de  relever,  c'est  Timportance  primordiale  que  les 
Anglais  attachent  au  succès  de  leurs  élèves  en  ce  genre  d'exercices. 
Ce  n'est  point  d'une  façon  en  quelque  sorte  incidente,  et  a  l'occasion 
4e  calculs  amenés  par  la  solution  de  problèmes  qui  n'avaient  pas 
été  choisis  dsms  ce  but,  que  les  Anglais  exercent  leurs  élèves  au 
calcul  mental;  mais  ce  calcula  pris  ckez  eux  les  proportions  dune 
science  particulière,  cultivée  pour  elle-même  et  ayant  ses  professeurs 
spéciaux.  On  conçoit  tout  le  bénéfice  qu'un  peuple  de  marins  el  do 
négociants  doit  retirer  d'un  pareil  enseignement.  Au  point  de  vue 
pédagogique,  nous  nous  bornerons  à  dire  que  cette  marche  a  l'a- 
vantage de  déblayer  le  terrain  et  de  permettre  ensuite  aux  élèves 
à&  porter  dans  des  cours  plus  élevés  tous  leurs  efforts  et  toute  leur 
attention  sur  la  solution  théorique  dos  ques  lions  qui  leur  sont  pro- 
posées. 

Nous  demandons  pardon  aux  auteurs  de  ces  rapports  de  n'avoir  pu 
donner  qu^une  idée  aussi  incomplète  de  leurs  travaux.  Si  l'espace 
nous  eût  été  moins  étroitement  mesuré,  nous  eussions  aimé  à  con- 
aigner  ici,  à  noire  tour,  quelques-unes  de  nos  observations;  mais  il 
ne  saurait  en  être  question.  Nous  n'ajouterons  à   tout  ce  que  nous 
^eaouB  de  résumer  qu'un  seul  fait  emprunté  à  nos  souvenirs  per- 
sonnels. C'était  pendant  la  diiicussion  sur  la  gymnastique  et  les 
exercices  physiques  dans  les  écoles.  M.  Wilson,  du  School  Board  de 
Sheffîeld,  venait  de  protester  contre  la  tendanoe  moderne  de  n'intro- 
duire dans  les  écoles,  soit  de  garçons,  soit  de  filles,  que  les  exercices 
imilitaires,  dont  la  désespérante  monotonie  fait  de  la  gymnastique  un 
iinnui  plutôt  qu'un  délassement,  et  il  ajouta  :  a  Mon  but  est  d  ap- 
.prendre  à  sauver  la  vie  plutôt  qu'à  la  détruire.  Nous  savons  qu'un 
«grand  nombre  de  personnes  se  noient,  chaque  été,  aux  bains  de  mer, 
Mdans  nos  fleuves,  nos  canaux,  nos  étangs;  en  hiver,  par  la  rupture 
ée  la  glaee;  et  cela,  souvent  à  deux  ou  trois  mètres  du  rivage,  en  pré- 
sence de  nombreux  témoins  incapables  de  leur  porter  secours,  ou  parce 
qu'ils  ne  .savent  pas  nager,  ou  parce  qu'ils  ne  peuvent  pas  nager  avec 
ieurs  vêtements,  il  est  facile  d'apprendre  aux  i;arçoQs  ou  aux  filles  de 
&ire  en  peu  d'instants  une  chaîne  avec  leurs  mouchoirs  ou  leurs 
cravatas;  on  les  tord  autour  des  poignets  doutas  mains  se  joignent 
et  on  forme  ainsi  ime  chaîne  qu'il  eat  presque  impossible  de  rompre. 


RAPPORTS   SUR   l'eXPOSITION  DE   LONDRES  338 

DansTeau,  les  mains  se  séparent  sous  une  tension  forte;  mais  jointes 
et  liées,  elles  se  séparent  difficilement,  et  les  premiers  de  la  chaîne 
peuvent  s'aventurer  dans  Teau  ou  sur  les  bords  de  la  glace  pour 
retirer  sans  risque  une  personne  en  danger  de  se  noyer.  Voilà  un 
exercice  auquel  on  pourrait  facilement  habituer  nos  élèves  des  deux 
sexes,  soit  dans  leurs  cours  de  récréation,  soit  pendant  leurs  pro- 
menades à  la  campagne.  On  n'aura  pas  besoin  pour  cela  de  jeter  à 
Teau  un  des  leurs  !  Une  pente  quelconque  dans  une  prairie  ou  au 
bord  de  la  route  peut  remplacer  la  berge  en  pente  rapide  du  fleuve, 
et  le  sauvetage  peut  s'opérer  au  milieu  des  rires  joyeux  des 
enfants.  » 

III 

Nous  nous  reprocherions  de  passer  sous  silence,  en  terminant,  le 
compte-rendu  du  voyage  et  du  séjour  à  Londres  des  élèves^maîtres  de 
l'école  norriiale  d'Amiens,  sous  la  conduite  de  leur  professeur  d'is- 
glais,  M.  Liégaux.  L'allure  de  ces  pages  est  vive  et  gaie:  c'est  la 
jeunesse  heureuse  qui  tient  la  plume.  L'impression  produite  sur 
ces  jeunes  gens  par  le  voyage,  par  la  visite  des  monuments  et  des 
environs  de  la  plus  grande,  sinon  de  la  plus  belle  ville  du  monde, 
est  bonne;  elle  sera  durable  et  féconde.  Elle  se  résume  en  ces 
mots,  les  seuls  que  je  me  permette  de  citer:  a  Que  d'idées  jmhi- 
velles  nous  avons  acquises!  Combien  de  faits  vérifiés  par  robanr- 
vation  ont  pris  un  autre  aspect!  Un  préjugé  entre  autres  a  disparu  : 
les  Anglais  sont  chez  eux  très  empressés  pour  les  étrangers,  très 
serviables  et  très  aimables.  » 

Jamais  emploi  des  deniers  publics  n'a  été  plus  fructueux.  £n  fai- 
sant assister  à  cette  réunion  firatemelle  de  toutes  nations  quelques- 
uns  des  futurs  maîtres  de  notre  jeunesse  française,  M.  le  ministre 
de  l'instruction  publique  a  eu  une  grande  et  généreuse  pensée.  Ces 
jeunes  gens  sont  revenus  débarrassés  de  certains  préjugés  à  Tégard 
de  leurs  voisins.  Ce  sont  les  pr^ugés  qui  divisent  les  peuples  fidts 
pour  vivre  en  paix.  Partout  où  ces  jeunes  maîtres  iront,  ils  porte- 
ront la  lumière  avec  eux;  ils  seront,  non  seulement  des  instructeuss, 
mais  des  éducateurs.  «  Le  peuple  dont  l'éducation  est  la  plus  par- 
faite, a  dit  lord  Reay  dans  son  discours  d'ouverture,  sera  toujours 
celui  qui  cimentera  le  plus  entre  les  nations  la  paix  et  l'amilié.  » 
C'est  là  le  but  le  plus  utile  qu'on  puisse  se  proposer.  Le  CoB^rès 
international  de  Londres  a  £ail  faire  vers  ce  but  un  pas  impodant. 

East, 
Inspecteur  d*académie. 


LES  NIDS  DES  PETITS  OISEAUX 

DOUCEUR   ENVERS   LES    ANIMAUX 

(note  d'inspection) 


Voici  une  petite  école  perdue  dans  les  montagnes.  Nous 
sommes  en  plein  été  (30  juin),  et  je  trouve  vingt-trois  élèves. 
garçons  et  filles,  présents,  sur  les  vingt-six  enfants  d'âge  sco- 
laire du  petit  hameau.  La  classe  est  installée  dans  une  petite 
maison  louée,  mais  elle  est  bien  tenue  et  proprette.  Les  en- 
fants sont  de  bonne  humeur.  La  jeune  institutrice  est  contente 
de  son  sort,  et  se  plaît  au  milieu  d'une  population  qui  lui  est 
très  attachée. 

On  est  à  la  classe  de  travail  manuel  :  les  petites  filles  font 
de  la  couture;  les  garçons,  avec  quelques  instruments  bien 
primitifs,  font  des  échelles,  de  petits  chars,*  des  jougs  de 
bœufs,  des  chaises,  des  ridelles,  des  araires  pour  le  musée 
scolaire  entièrement  formé  par  les  élèves.  C'est  à  qui  fera  le 
plus  beau  travail  pour  mériter  un  compliment  de  l'institutrice. 

Que  signifie  ce  carton  suspendu  au  mur,  avec  Tinscription 
«  Gendarme  :  Privât,  Jules  »  ?  C'est  le  nom  de  l'élève  chargé , 
pendant  le  mois,  de  l'exécution  du  règlement  de  la  Socj^/é  pro - 
tectrice  des  nids  et  des  animauXj  formée  par  les  élèves  de  l'é- 
cole. C'est  lui  constate  le  délit  qu'il  ne  peut  empêcher  :  enlève- 
ment d'un  nid,  mauvais  traitement  envers  un  animal  domestique. 
Il  traduit  le  délinquant  devant  le  tribunal  composé  de  deux 
élèves  et  présidé  par  l'institutrice.  Mais,  depuis  deux  années 
déjà,  cette  fonction  est  devenue  une  sinécure.  Il  n'y  a  plus  de 
délinquants,  le  gendarme  n'a  plus  personne  à  arrêter.  Aussi  les 
oiseaux  se  multiplient-ils,  et  remplissent-ils  les  arbres  d'alen- 
tour de  leurs  chants,  et  délivrent-ils  les  jardins  des  insectes  qui 
autrefois  détruisaient  les  fleurs  et  les  fruits.  Deuxième  profit  : 
l'exemple  des  enfants  est  contagieux;  les  parents  traitent  les 
animaux  avec  plus  de  douceur.  G.  J. 


M.  PHILBRICK  ET  LES  INSTITUTEURS  AMÉRICAINS 


M.  John  Philbrick,  ancien  surintendant  des  écoles  de  la  ville  de 
Boston,  vient  de  faire  paraître  une  courte  brochure  sur  la  durée  de 
remploi  d'instituteur  aux  États-Unis. 

Partant  de  celte  idée  qu'en  pédagogie  la  question  capitale  est, 
partout  et  toujours,  la  question  du  maître,  et  que  le  meilleur  critérium 
d'un  système  scolaire  se  trouve  dans  le  caractère  et  les  qualités  des 
maîtres  qu'il  emploie,  il  examine,  au  point  de  vue  de  la  durée  et 
de  la  stabilité  des  fonctions,  la  situation  des  instituteurs  en  Amérique 
•et  la  compare  avec  celle  des  maîtres  des  autres  pays. 

Quelle  était,  dit-il,  il  y  a  cinquante  ans,  aux  États-Unis,  la  situa- 
tion des  employés  au  service  de  la  nation,  de  l'État,  de  la  munici- 
palité? Nos  institutions  politiques  sont  fondées  sur  ce  principe  que 
les  fonctionnaires  publics  sont  les  serviteurs  du  public  et,  à  ce 
'moment  plus  qu'à  aucun  autre  de  notre  histoire,  l'opinion  dominante 
tétait  que  les  fonctionnaires  et  employés  ne  (levaient  avoir  aucun 
intérêt,  aucun  droit  de  propriété  dans  les  emplois  qu'ils  occupaient. 
»De  cette  opinion  vint  la  pernicieuse  habitude  qu'on  a  appelée  la 
«  rotation  des  offices  »,  toutes  les  fois  que  la  durée  des  fonctions 
n'était  pas  déterminée  parla  loi.  S'appuyant  sur  ce  sentiment  général, 
que  l'on  considérait  alors  comme  le  véritable  esprit  de  J a  démocratie, 
le  Président  Jackson  introduisit  la  coutume  de  retirer  aux  fonction- 
naires leurs  emplois  sans  se  préoccuper  des  titres  qu'avaient  pu 
leur  acquérir  l'accomplissement  de  leurs  devoirs  et  leur  conduite. 

Depuis  ce  temps  il  s'est  fait  un  changement  considérable  dans 
ropinion  publique.  L'idée  qui  domine  aujourd'iiui  est  que  la  justice 
|)our  les  serviteurs  est  essentielle  au  bon  service,  et  que  la  justice 
est  incompatible  avec  un  emploi  qui  ne  donne  à  celui  qui  l'occupe 
.ni  intérêt  ni  possession  assurée. 

Appliquant  ce  principe  général  au  personnel  enseignant  en  parti- 
culier, M.  Philbrick  se  propose  de  soutenir  dans  sa  brochure  la  théorie 
suivante  :  La  permanence  des  emplois  d'instituteur  les  rendrait  beau- 
coup plus  désirables.  11  ne  coûte  rien  au  public  d'accorder  celle  per- 
manence, et  pour  les  maîlres  ce  serait  un  bienfait  inestimable.  La 
sécurité  qu'ils  y  trouveraient  serait  pour  eux  l'équivalent  d'un  salaire 
plus  élevé,  en  les  alTranchissant  d'une  incertitude  qui  les  décourage  et 
.les  dégoùle  souvent  de  leurs  fonctions.  C'est  donc  pour  le  public,  en 
premier  lieu,  une  question  d'économie.  Mais  les  résultats  au  point  de 
-vue  de  l'éducation  seraient  bien  plus  considérables,  car  la  permanence 
des  fonctions,  jointe  à  une  rémunération  convenable,  est  la  condition 
indispcRi^able  pour  obtenir  un  corps  enseignant  réellement  capable. 

M.  Philbrick  résume  ses  idées  sur  ce  point  dans  les  deux  para- 
graphes suivants  : 

1°  Partout  et  toujours  la  stabilité  d'une  situation  compte  largement, 
avec  le  salaire,  dans  l'estimation  des  avantages  de  cette   situation, 

REVUE  PÉDAGOGIQUE  1884.—  i<^r  SBM.  22 


LA  CHANSON  DE  ROLAND 

COMME   LIVRE   DE   LECTURE   POUR   LES  ENFANTS 


La  Cha?(8o?i  db  Roland,  traduclion  noa?elle  à  l'usage  des  écoles,  précédée 
d'une  Introduction  sur  Cimportance  de  la  Chanson  de  Roland  pour  VédU' 
cation  de  la  jeuneue,  par  M.  Edouard  Rœhrich(Pari8,  chez  Fischbacher,  in-18). 

Riea  n'est  plus  délicat,  aux  yeux  de  ceux  qui  ont  à  cœur  la 
grande  œuvre  de  l'éducation,  que  le  choix  des  livres  de  lecture 
pour  la  jeunesse.  Ceux  qui  écrivent  spécialement  pour  les 
enfants,  avec  le  dessein  bien  arrêté  de  former  leur  cœur  et  ieiu* 
esprit,  manquent  souvent  le  but  vers  lequel  ils  tendent  avec 
tant  de  soins.  Les  uns  font  du  livre  un  complément  raisonné 
de  la  classe,  et  le  chargent  de  leçons  directes  à  l'adresse  de 
jeunes  intelligences  auxquelles  nous  en  donnons  déjà  trop;  les 
autres,  pour  captiver  l'attention  des  enfants,  s'ingénient  à  se 
faire  plus  petits  qu'eux  et  mêlent  l'instruction  et  Tamusement 
dans  des  combinaisons  puériles,  quelquefois  presque  niaises,  qui 
compromettent  l'une  et  l'autre.  Ûuant  à  la  morale,  on  oublie 
que  la  plus  profitable  est  celle  qui  ne  se  professe  pas,  mais  qui 
se  dégage  naturellement  des  faits  et  de  la  manière  de  les  expo- 
ser. Pour  les  enfants,  comme  pour  les  hommes,  les  meilleurs 
livres  ne  sont  pas  ceux  qui  prêchent  le  bien,  mais  qui  le  font 
•aimer,  et  l'on  peut  dire  de  tous  ce  que  M""  de  Staël  disait  des 
romans,  qui  sont  pas  bons  ou  mauvais  par  ce  qu'ilsjenseignent, 
mais  par  ce  qu'ils  inspirent.  Et  à  ce  point  de  vue  il  en  est  de 
la  vie  comme  des  livres;  les  exemples  valent  mieux  que  les 
leçons;  il  y  a  dans  les  actions  dont  l'enfant  est  le  continuel 
témoin,  une  contagion  des  principes  honnêtes  et  des  bons  sen- 
timents à  laquelle  il  est  d'autant  plus  accessible  qu'il  éprouve 
plus  de  plaisir  à  se  faire  homme  avec  nous  qu'à  nous  voir  nous 
faire  enfants  avec  lui. 

Ces  réllexions  peuvent  conduire  à  essayer  de  mettre  entre  les 
mains  des  enfants  et  des  jeunes  gens  des  livres  qui  n'ont  pas 
été  écrits  pour  eux,  mais  pour  les  hommes  eux-mêmes,  surtout 
ceux  qui  représentent  la  vie  et  l'histoire  dans  leur  spontanéité 


LA  CHANSON  DJB  ROLAND  3il 

et  leur  naïveté  primitive.  Il  faut  songer,  en  effet,  que  chaque 
homme,  dans  son  développement  successif,  est,  en  raccourci, 
l'image  de  l'humanité;  il  passe  par  les  mêmes  phases.  L'enfance 
de  l'individu  ressemble  à  celle  des  peuples,  et  une  indéfinis- 
sable sympathie  les  unit  Tune  à  l'autre.  Ceux  qui  font  leurs 
premiers  pas  dans  la  vie  aiment  à  voir  les  premiers  pas  de 
l'homme  dans  le  monde.  De  là  l'attrait  que  ne  manquent  pas 
d'avoir  pour  le  jeune  âge  ces  antiques  histoires  fabuleuses,  ces 
poétiques  légendes  où  la  foi  et  l'imagination  transforment 
également  les  phénomènes  de  la  nature  et  les  actes  de  l'homme 
en  une  suite  continue  de  merveilles.  Et  je  ne  parle  pas  ici  des 
fables  inventées  à  plaisir,  des  contes  de  fées  et  de  géants  qui, 
lors  même  qu'ils  sont  écrits  pour  les  enfants,  peuvent  encore 
charmer  les  hommes  Jes  plus  graves  : 

Si  Peau-d'Ane  m'était  conté, 
J'y  prendrais  un  plaisir  extrême, 

dit  La  Fontaine  (Ii\Te  VIII,  fable  4).  Je  parle  de  ces  récits 
merveilleux  et  inconscients  qui  transfigurent  l'histoire  primitive 
ou  qui  en  tiennent  lieu  ;  par  exemple,  de  cette  brillante 
mythologie  grecque  qui  a  peuplé  le  ciel  et  la  terre  de  tant  de 
dieux  et  de  héros,  dont  elle  raconte  les  métamorphoses  et  les 
exploits,  en  fournissant  à  la  poésie  et  à  l'art,  tant  ancien  que 
moderne,  un  aliment  inépuisable.  Je  parle,  toute  question  reU- 
gieuse  à  part,  de  ces  naiTs  et  attachants  tableaux  bibliques  qui 
nous  font  assister  à  la  genèse  du  monde,  à  la  oAissance  de 
l'homme,  à  ses  premières  fautes  et  à  ses  malheurs,  à  la  forma- 
tion des  familles  humaines  et  à  leur  dispersion,  aux  destinées 
singulières  de  ce  peuple  élu  dont  toute  l'histoire  a  Dieu  lui- 
même  pour  principal  acteur.  Étranger  à  toutes  les  questions 
de  cosmogonie,  d'exégèse,  aux  polémiques  thédlogiqucs,  aux 
intérêts  religieux,  qui  auront  ou  n'auront  pas,  dans  sa  vie, 
leur  heure  à  leur  tour,  l'enfant  suit  d'un  œil  ému  ce  drame  épique 
dont  le  fond  est  la  lutte  du  bien  et  du  mal,  personnifiée  dans 
des  figures  bien  viyantes,  franchement  sympathiques  ou 
odieuses;  malgré  le  scepticisme  ambiant  qui  nous  gagne  tôt  ou 
tard,  il  n'est  guère  d'histoire  sur  laquelle  il  ait  été  versé  plus  de 
larmes  que  celle  de  Joseph  ou  de  la  pieuse  Esther,  dont  le  dénoue-: 
ment,  grâce  à  une  intervention  supérieure,  donne  à  la  conscience 


342  VÈVm  »ÉDA«061QUB 

enfantine,  coomie  avx  sen^imenfeB  populaires,  uoe  entiène  satisfiao 
tioa.  Les  préjugés,  s'il  y  en  a,  les  sentiments  trop  généreus, 
les  idées  ezcessÎTes,  sinon  fausses,  que  ces  légendes  primitives 
peuvent  favoriser,  s'évanouiront  au  souffle  de  l'expérienoe,  au 
ooDtact  de  la  vie  moderne,  et  il  n'est  pas  aussi  dangereui 
<{u'on  Je  croit,  pour  la  jeunesse,  de  les  traverser.  L'homme, 
encore  une  fois,  n'est  complet  qu'autant  qu'il  a  fait  toutes  les 
étapes  de  Thumanité. 

L'intérêt,  Témotion,  le  mouvement  intellectuel  et  moral  que 
le  jeune  Hige  a  «  longtemps  trouvés  dans  les  poétiques  créations 
du  génie  grec  ou  dans  les  merveilleuses  traditions  de  la  toi 
judaïque  et  chrétienne,  un  pédagogue  d'initiative,  M.  Edouard 
Rœhrich,  croit  qu'on  peut  les  demander  aux  légendes  épiques 
du  moyen  âge,  à  celles  surtout  qui  ont  enveloppé  les  premiers 
temps  de  notre  propre  histoire  d'un  genre  particulier  de 
mer\eilleux,  le  merveilleux  chevaieresqae.  Pour  en  montrer  la 
vertu  éducative,  il  a  choisi,  à  titre  d'essai,  la  plus  caractéris- 
tique  des  chansons  de  geste,  la  Chanson  d^  Roland,  cette  sorte 
d'Iliade  romane  d'une  société  encore  barbare,  quoique  déjà 
chrétienne,  où  l'héroïsme  domine  ci  modifie  le  caractère  du 
peuple  et  sa  foi.  Tout  le  monde  sait  aujourd'hui  quelle  place 
tient,  dans  notre  histoire  littéraire  et  dans  celle  même  de  notre 
évolalion  nationale,  oc  grand  poème  anonyme  (car  le  nom  de 
ThérouWe  ou  Turold  n'est  que  celui  du  copiste  ou  du  trouvère 
qui  le  récitait),  plusieurs  fois  remanié  ou  refait  chez  nous,  du 
IX*  au  nm^  siècle,  avant  de  passer  dans  les  diverses  contrées  de 
l'Europe,  en  s'appropriant  au  génie  de  chaque  peuple,  d'est 
le  type  par  excelleoce  de  cette  sorte  d'épopée  spontanée,  con- 
tinue et  collective;  qui  jaillit  de  l'imagination  populaire,  chan- 
geait de  jour  en  jour  de  forme,  comme  la  langue  elle-même, 
vecevant  de  boudie  en  bouche,  suivant  les  temps  et  les  lieux, 
des  développements  nouveaux,  se  mettant  sans  cesse  en  harmonie 
ÈPfet  les  idées,  les  mœurs,  les  sentiments,  les  passions  de  la 
foule  à  laquelle  elle  s'adresse. 

Dans  son  texte  classique  éa  xn«  siècle,  qui  est  loin  d'être  le 
texte  primitif  (4),  la  Chanstm  €e  Roland  ou  de  Roncevaux  ou 


\l)  Ihie  Chanson  de  Roland  à  Ronceyavx  était  ^à  si  populaire  au  aièole 


LA  GUANSOM   BS   nOLAIiD  34^ 

encore  des  Dmtze  Pairs  développe  ud  sujet  d'un  graud  intérêt 
national  et  religieux,  le  dernier  acte  de  Texpédition  de  Ctiar- 
lemagne  contre  les  Sarrasins  d'Espagne,  et  a  pour  principal 
épisode  la  défaite  éprouvée,  en  778,  par  Tarrièrc -garde  de  son 
armée  dans  les  défilés  de  Roacevaux  où  Rohnd  et  les  pairs 
qui  l'accompagnaient  trouvèrent  une  mort  héroïque. 

Le  poème,  qui  compte  iO,QOO  vers  et  sd  divise  en  cinq  cliants, 
nous  présente,  au  début,  Charlcmagne  ayant  conquis  l'Espagne 
entière, 

Fors  Saragoce  ?u  chef  d'une  montai gne  : 
Là  est  Marsilles. 

9 

L'empereur  désigne,  d'après  le  conseil  malveillant  de  Roland^ 
le  beau-père  de  celui-ci,  le  Mayençais  Guene  ou  Ganelon,  pour 
aller  traiter  de. la  paix  dans  cette  ville.  Uans  le  second  chant, 
Marsille  feint  de  se  soumettre.  Ganelon  combine  avec  lui  la 
destruction  des  troupes  commandées  par  Roland  dont  il  brûle 
de  se  venger.  L'armée  reprend  le  chemin  des  Pyrénées.  L'arrière- 
gai'de,  composée  de  vingt  mille  combattants,  est  assaillie  par 
les  Sarrasins  et  sans  doute  par  les  Vascons,  leurs  auxiliaires; 
mais  le  poêle  jette  un  voile  sur  la  trahison  de  ceux-ci  et  laisse 
au  fait  le  caractère  exclusif  d'une  lutte  de  religions  et  de 
races.  Roland  consent  trop  tard  à  avertir  Tempereur  de  sa 
situation  en  sonnant  du  cor.  Au  troisième  chant,  il  reste  seul 
debout  au  milieu  du  champ  de  carnage  ;  (lénin,  Gérer,  Gauthier, 
Béranger,  Atuin,  le  vieux  Gérard  de  Roussillon,  Ânséis, 
Tarchevéque  Turpin,. Olivier,  sont  tombés  autour  de  lui.  Les 
sons  des  60,000  clairons  de  Charlemagne  répondent  enfin  aux 
£m>pols  de  Roland.  Mais  la  mort  gagne  le  héros  :  sa  poitrine 
s'est  briâée  dans  le  sMprôme  effort  qu'il  a  fait  pour  se  i'uiire 
entendre  de  l'empereur.  11  veut  rompre  son  épée,  «  Durandal 
la  louée  »,  pour  que  les  païens  ne  s'ea  emparent  pas.  lien  frappa 

précédent,  que,  suivant  le  trouvère  Robert  W'acc,  un  jongleur  de  rarmée  d^. 
Guillaume  le  Conquérant  la  disait  aui  soldats  pour  les  animer,  avaot  la 
bataille  d'Hastings  (1066). 

Taillefer,  qui  moult  bien  caïUok, 
Sut  un  cheval  qui  tost  aloit. 
Devant  aus  s'en  aloit  cantant 
De  Xarleroainc  et  de  RoUant. 
.Et  (l'Olivier  et  des  vassaux 
Oui  ouirarent  à.HatasçaMaua< 


344  ftIVUI  PÉDAGOGIQUE 

ea  vain  les  rochers,  la  trempe  de  Tarme  résiste.  Alors  Roland 
s*ét€nd  sur  llierbe,  cache  sous  lui  son  épée,  tourne  le  visage 
du  côté  de  Tennemi  et  meurt.  Le  quatrième  chant  raconte  la 
vengeance  que  tire  Charlemagne.  Un  nouveau  combat  plus 
terrible  s'engage  à  Roncevaux.  Baligan,  sultan  de  Babylone, 
accouru  d'Afrique  au  secours  de  MarsiUe,  est  vaincu  et  frappé 
mortellement  de  la  main  même  de  Charlemagne, 

Et  Raligaos  adoacqaes  s'aperçoit 
Que  il  a  tort  et  Karlemaine  a  droit. 

Conclusion  qui  rappelle  I05  «  jugements  de  Dieu  ».  Le  cin- 
quième chant  est  consacré  à  la  mort  de  la  belle  Aude,  fiancée 
de  Roland,  et  au  châtiment  de  Ganelon. 

Voilà  le  poème  auquel  M.  Rœhrîch  voudrait  ouvrir  une  nou- 
velle ère  de  popularité.  Pour  l'approprier  à  son  but  pédago- 
gique, il  en  donne  une  traduction  toute  spéciale  et,  comme  il 
dit,  a  à  l'usage  des  écoles  9.  Il  y  introduit  des  modifications 
do  fond  et  de  forme  que  ses  préoccupations  expliquent,  mais 
qui  ne  sont  pas  toutes  heureuses.  C«omme  s'il  doutait  de  l'in- 
térêt soutenu  de  l'œuvre  originale  ou  de  la  force  d'attention  de- 
ses  jeunes  lecteurs  modernes,  il  supprime  ou  abrège  deux 
chants,  qui,  sans  intéresser  la  gloire  héroïque  de  Roland,  relè- 
vent le  prestige  de  Charlemagne  et  complètent  la  peinture  des 
mœurs  du  temps.  A  ne  considérer  que  l'intérêt  du  récit,  la 
Chamon  de  Roland  ne  peut  que  perdre  à  ne  pas  être  présentée 
dans  son  entier  développement. 

Les  suppressions  de  détail,  qui  ont  pour  objet  de  rendre  la 
lecture  plus  morale  et  plus  saine,  ne  sont  pas  toujours  faciles 
à  justifier.  Il  ne  peut  être  question  de  ramener  à  Texactitude 
historique  un  récit  légendaire  où  l'imagination  populaire,  si 
elle  n'a  pas  créé  de  toutes  pièces  le  héros,  en  a  fait  à  plaisir,  et 
sans  le  moindre  souci  de  l'histoire,  le  type,  l'idéal  de  toutes 
les  vertus  qui  constituaient,  au  début  du  moyen  âge,  l'héroïsme 
guerrier  et  chrétien.  Autant  Roland  tient  de  place  dans  les 
traditions  de  la  postérité,  autant  il  en  tient  peu  dans  les  témoi- 
gnages contemporains;  une  seule  chronique  mentionne,  en 
une  ligne,  son  nom  et  sa  mort  dans  la  funeste  retraite  d'Es- 
pagne, et  la  poésie  n'a  pas  craint  de  faire  de  lui  non  seulement 
le  plus  vaillant  des  soldats,  mais  le  plus  heureux  des  conque- 


LA  CHANSON  DI  BOLAND  345 

rants.  Grâce  à  sa  claire  et  blanche  épée,  Durandal,  que  Char* 
lemagne  lui  a  remise  par  ordre  d'un  ange,  il  se  glorifie  d'avoir 
soumis  et  donné  successivement  à  son  souverain  l'Anjou,  la 
Bretagne,  le  Poitou,  le  Maine,  la  Provence,  l'Aquitaine,  la  Lom- 
hardie,  toute  la  Romagne,  la  Bavière,  la  Flandre,  toute  la  Lor- 
raine, Conslantinoplc,  la  Saxe,  l'Ecosse,  l'Irlande,  l'Angleterre  : 

. . .  terres  si  grandes 
Qui  sont  à  Charles  dont  la  barbe  est  si  blanche. 

Si  l'histoire  du  règne  de  Charlemagne  n'a  rien  à  démêler 
avec  toutes  ces  fantaisies,  celle  du  siècle  où  elles  se  produi- 
sent en  est  vivement  éclairée,  et  les  moindres  détails  du  récit 
mettent  en  relief  les  idées  et  les  mœurs  des  populations  qui 
Taccueillent  avec  tant  de  faveur.  Il  en  est  toujours  ainsi  :  en 
racontant  et  décrivant  le  passé,  le  présent  se  raconte  et  se  dé- 
crit lui-même.  M.  Rœhricli,  qui  croit  que  a  les  idées  religieuses 
exprimées  dans  la  Chanson  de  Roland  peuvent  exercer  une 
profonde  et  salutaire  influence  sur  l'esprit  de  ses  lecteurs  », 
se  montre  trop  préoccupé  d'en  épurer  le  christianisme,  «  qui 
n'est  pas  précisément,  ajoute-t-il,  celui  du  pur  Évangile  id.  Il 
oublie  que  c'est  celui  des  contemporains  mêmes  des  Théroulde 
et  autres  trouvères  qui  le  mettaient  en  œuvre,  et  que  c'est  ce 
christianisme-là  et  non  pas  un  autre,  même  supérieur,  que  le 
poème  doit  nous  montrer.  Il  avoue  qu'il  a  retranché,  à  propos 
du  sac  de  Cordoue,  cette  phrase  :  «  En  la  cité,  il  n'est  pas  un 
païen  qui  ne  soit  tué  ou  devenu  chrétien,  ï>  parce  que  le  fana- 
tisme féroce  qu'elle  exprime  nuirait  à  l'impression  générale 
que  doit  faire  le  poème,  a  Même  l'enfant,  dit-il.  Unirait  par 
prendre  parti  pour  les  malheureux  Sarrasins  contre  leurs  op- 
presseurs. )»  C'est,  à  mon  sens,  outrepasser  les  droits  de  l'é- 
diteur,  et  dénaturer  l'œuvre  en  voulant  l'améliorer.  La  même 
bonne  intention  lui  fait  supprimer  dans  une  des  harangues  que 
Roland  adresse  à  Durandal  un  détail  bien  caractéristique.  Ténu- 
mération  des  reliques  contenues,  suivant  Tusage,  dans  le  creux 
du  pommeau  de  cette  glorieuse  épée,  reliques  sur  lesquelles  le 
guerrier  prêtait  serment  et  dont  la  vertu  le  soutenait  dans  le 
combat.  Celles  que  portait  Durandal  étaient  :  «  une  dent  de 
saint  Pierre,  un  cheveu  de  saint  Denis,  du  sang  de  saint  Basile 
et  un  morceau  du  vêtement  de  sainte  Marie.  »  En  retranchant 


348  AlVUI  PÉDAGOfilQUS 

ce  détail,  H.  Rœhrich  veut  a  sauver  du  ridicule  s>  une  haraogue 
qui  s'en  sauve  elle-même  par  Téloquence  et  qui  ne  cessera  pas 
d'être  belle,  parce  qu'elle  portera,  comme  l'œuvre  enliùre,  le 
cachet  du  temps.  En  expurgeant  ainsi  dans  le  sens  de  nos  idées 
morales,  religieuses  ou  pédagogiques  la  Chanson  de  Roland^  ou 
risque  de  n'avoir  bientôt  qu'un  héros  modernequi  ne  sera  plus  le 
Roland  de  la  chanson.  Si  nous  jugeons  utile,  en  définitive,  de 
mettre  nos  vieux  poèmes  entre  les  mains  de  la  jeunesse,  il  faut 
qu'elle  y  trouve,  dans  sa  vérité  naïve,  l'image  que  nos  pères  y 
ont  tracée  d'eux-mêmes,  de  leur  état  social,  de  leur  manière  do. 
sentir  et  de  penser. 

La  question  de  la  forme  est  secondaire  dans  celte  tentative 
de  vulgarisation  où  l'intérêt  littéraire  est  primé  par  l'intérêt 
pédagogique.  Je  ne  dirai  que  quelques  mcUsde  l'exécution.  La 
Chanson  de  Roland  est  écrite  en  vers  de  dix  syllabes  d'uue 
allure  très  vive,  coupés  par  une  césure  après  la  quatrième 
syllabe,  et  réunis  en  couplets  inégaux,  qu'on  nomme  laisses^ 
par  la  répétition  d'un  son  final,  qui  n'est  pas  notre  rime  mo- 
derne, mais  une  simple  assonance.  Cette  sorte  de  rime  rudi- 
mentaire,  tour  à  tour  masculine  ou  féminine,  est  la  même  pour 
le  couplet  entier,  dont  la  longueur  très  variable  est,  en 
moyenne,  d'une  quinzaine  de  vers.  Les  diverses  traductions  (car 
il  ne  peut  être  question,  pour  la  grande  majorité  des  lecteurs 
français,  d'aborder  le  texte  roman)  respectent  les  divisions  pro- 
sodiques du  poème,  au  moins  la  division  en  laisses;  quelques- 
unes  marquent  même  la  coupe  du  vers  et  conservent  ainsi  à 
la  prose  une  marche  rythmée,  très  sensible  et,  sans  la  rime, 
encore  agréable  à  l'oreille.  M.  Rœhrich  n'a  eu  recours  qu  en 
partie  à  ce  procédé.  Il  traduit  en  prose  libre  le  récit,  les  des- 
criptions, les  entretiens  plus  ou  moins  indifférents  ;  mais  pour 
tous  les  discours  qui  ont  de  l'importance  ou  que  la  passion 
anime,  il  s'astreint  à  rendre  le  texte  vers  pour  vers,  ou  plutôt 
ligne  pour  ligne,  car  les  libertés  de  la  versification  romane  et 
rabsence  ou  l'iusiilfisance  de  la  rime,  au  regard  de  notre  pro*- 
sodie  moderne,  ne  nous  donnent  souvent,  sous  l'apparence  de 
vers,  qu'une  prose  rythmée.  Voici,  dans  une  courte  laisse,  un 
exemple  de  ce  mélange  : 


LA   CHANSON  DE   ROLAND  347 

CXLVl 

Quand  Roland  voit  ces  gens  maadits  qui  sont  plus  noirs  que  l'encre,  et  qui 
n'ont  de  blanc  que  les  dents, 

Le  comte  dit  :  Oui  je  le  sais  vraiment, 
11  faut  mourir  aujourd'hui,  c'est  certain! 
Frappez,  Français!  C'est  moti  commandement! 
Olivier  dit  :  Malheur  pour  les  plus  lents  1 

A  ces  mots,  les  Français  se  jettent  dans  la  masse  ennemie. 

Je  ne  chicanerai  pas  M.  Roehrioh  sur  oe  qu'il  peut  y  avoir 
d'arlificiel  et  d'arbitraire  dans  ce  procédé;  j'avoue  que  j'eust^ 
mieux  aimé  que  tout  le  poème  fût  traduit  dans  un  seul  sys- 
tème, soit  en  prose  libre,  soit  en  vers  ou  en  prose  rythmée* 
Mais  ne  nous  faisons  point  d'illusions  :  sous  quelque  forme  que 
nous  présentions  la  Chanson  de  Roland  à  la  jeunesse,  il  y  aura 
peu  d'enfants  dans  nos  écoles,  il  y  en  aura  peu,  dans  les  classes 
des  lycées  et  des  collèges,  pour  se  plaire  à  la  lire  dans  nos 
abrégés  et  nos  adaptations  pédagogiques,  {inamt  aux  esprits  vifs, 
curieux,  qui  lisent  tout,  dévorent  tout  et  s'assinulent  à  leur 
manière  tous  les  aliments  intellectuels,  il  ne  leur  faut  point 
d'éditicHis  spéciales  pour  s'attaquer  aux  œuvres  les  plus  diverses 
où  les  siècles,  les  peuples,  les  hommes  ont  laissé  leur  empreinte; 
prêts  à  prendre  leur  bien  partout  où  ils  le  trouvent,  ils  id)ordenft 
les  monuments  de  toutes  les  époques,  sinon  dans  les  texlBi^ 
du  moins  dans  les  traductions  les  plus  complètes  et  les  plus 
fidèles;  ils  lisent,  dans  leur  intégrité,  et  non  par  extraits,  les 
poèmes  anciens  et  modernes,  le  tfaé&tre  de  toutes  les  nations, 
les  grandes  chroniques  et  les  ouvrages  classiques  d'histoire, 
les  romans  qui,  par  la  vérité  des  peintures,  ont  mérité  de 
survivre  aux  mœurs  qu'ils  ont  décrites.  Ils  liront  aussi  nos 
chansons  de  geste  et  les  autres  poèmes  da  moyen  âge,  reniis 
en  faveur  par  Térodition  moderne,  mais  ils  y  trouveront  d'aiir 
tant  plus  d'intérêt  et  de  profit  qu'ils  y  verront  mieux,  da» 
leur  vérité  et  leur  contraste  avec  les  nôtres,  la  vie,  les  iiées  let 
les  sentiments  de  nos  aînés. 

G.  VAMaaAU. 


DEUX    AMIS  INCONNUS  DE  L'INSTRUCTION 


Les  amateurs  de  vieux  livres  et  d'éditions  rares  font  parfois 
des  trouvailles  auxquelles  ils  ne  s'attendaient  pas,  ni  le  public 
non  plus,  En  remuant  la  poussière  des  bibliothèques,  ils 
trouvent  souvent  les  documents  qu'ils  cherchaient,  mais  ils 
rencontrent  aussi  quelquefois  des  choses  qu'ils  ne  cherchaient 
pas  et  qui  ne  leur  font  pas  moins  d'honneur  auprès  des 
profanes.  C'est  ce  qui  vient  d'arriver  à  «  un  vieux  bibliophile 
dauphinois  r>  qui,  dans  ses  recherches  bibliographiques  sur  sa 
province  natale,  a  découvert,  avec  toute  ime  série  d'ouvrages 
très  anciens  et  curieux,  une  bonne  action  jusqu'alors  ignorée, 
un  service  en  quelque  sorte  anonyme  rendu  à  des  inconnus, 
deux  existences  obscures,  mais  généreusement  et  utilement 
remplies.  Les  érudits  se  réjouissent  de  la  première  de  ces 
découvertes,  les  lecteurs  de  la  Revue  ne  sauraient  rester  indiffé- 
rents à  la  seconde. 

Ayant  remarqué  dans  divers  livres  datant  de  la  fin  du  \\^  et 
du  commencement  du  xvi®  siècles,  c'est-à-dire  des  premiers 
temps  de  l'imprimerie,  le  nom  de  deux  de  ses  compatriotes, 
qui  n'étaient  cependant  ni  auteurs  ni  libraires,  notre  «  vieux 
bibliophile  »  sentit  sa  curiosité  s'éveiller  et,  après  de  patientes 
investigations,  il  parvint  à  réunir  ou  à  connaître  vingt-cinq 
ouvrages  ayant  la  môme  origine  et  à  faire  quelque  lumière  sur 
la  vie  et  sur  l'œuvre  de  ces  deux  Dauphinois.  Antoine  et  Pierre 
Bacquelier,  tel  est  le  nom  de  ces  deux  «  citoyens  de  Grenoble  », 
comme  ils  aimaient  à  s'appeler.  Tous  deux  furent  prêtres  et 
vécurent  à  Paris  ;  mais  quoique  éloignés  de  leur  patrie  d'ori- 
gine» ils  ne  l'oublièrent  jamais.  Ils  étaient  de  la  môme  famille 
et  probablement  frères.  Ce  dernier  point  n'est  pas  établi,  mais 
s'ils  ne  furent  pas  frères  par  le  sang,  ils  le  furent  assurément 
par  la  communauté  des  sentiments  et  des  goûts,  par  leur 
amour  pour  la  jeunesse  et  par  l'emploi  qu'ils  firent  l'un  et 
l'autre  de  leurs  loisirs  et  leur  argent.  De  l'aient,  ils  semblent 
en  avoir  eu  en  suflisance;  de  plus  ils  étaient  gens  économes, 


DEUX  AUIS   INCONNUS  DE  l'iNSTRUGTION  340 

^i  Ton  ea  juge  par  leur  devise  favorite  :  «  Ménage  ton  bien,  si 
tu  veux  n'avoir  pas  à  recourir  à  celui  des  autres  o  (Sic  utereluo 
ut  non  alieno  egeas).  C'est  grâce  à  leur  fortune  et  à  leur  vie 
rangée  qu'ils  purent  donner  carrière  à  leurs  inclinations 
généreuses.  Ils  étaient  lettrés  aussi,  car  s'ils  ne  composèrent 
pas  de  livres,  les  préfaces  de  ceux  qu'ils  publièrent  témoignent 
d'un  goût  très  vif  pour  la  science,  et  à  l'une  d'elles  P.  Bac- 
quclicr  ajouta  un  index  très  complet,  qui  prouve  une  rare 
patience  et  une  grande  érudition.  Hais  s'ils  ne  furent  ni  auteurs 
ni  libraires,  ils  furent,  ce  qui  vaut  bien  autant,  des  hommes 
de  bien,  et  voici  comment.  De  1491  à  1530  environ,  ils  firent 
imprimer  une  série  d'ouvrages  classiques  à  l'usage  des  éco- 
liers d'alors,  et  cela  à  leurs  frais,  sans  aucune  pensée  de  spé- 
culation, dans  la  seule  pensée  de  venir  en  aide  aux  étudiants,  à 
une  époque  où  les  livres  n'étaient  point  communs  et  où  ils 
<X)ûtaient  fort  cher.  Des  éditeurs  à  ce  point  désintéressés,  c'est 
chose  rare  et  méritoire,,  même  au  xvi®  siècle,  et  qui  vaut  la 
peine  d'être  signalée  !  Ce  n'est  pas  que  les  vingt-cinq  volumes 
publiés  par  les  soins  des  deux  Bacquelier  offrent  par  eux-mêmes 
un  très  grand  intérêt.  Ils  étaient  destinés  aux  étudiants  de 
l'Université  :  c'est  dire  que  la  plupart  étaient  des  livres  de  piété, 
de  théologie  et  de  droit  canon.  On  trouve  cependant  dans  la  série 
une  édition  de  Pline,  celle-là  même  qui  était  accompagnée  du 
copieux  index  dont  nous  avons  parlé,  une  édition  de  Virgile,  un 
traité  de  botanique,  et  même  un  manuel  d'hygiène.  L'édition 
de  Virgile  —  une  véritable  édition  de  poche,  ce  qui  indique 
bien  le  but  que  se  proposaient  les  éditeurs  —  est  ornée  de 
nombreuses  figures,  et,  dans  une  préface  latine,  en  forme  de  lettre 
adressée  aux  étudiants,  Tun  des  Bacquelier,  expliquant  la 
raison  de  ces  illustrations,  s'exprime  ainsi  :  a  Quel  meilleur 
moyen  de  venir  en  aide  à  la  mémoire  que  de  rassembler  dans 
une  petite  page,  à  l'aide  d'images  qu'un  seul  coup  d'œii  suffit 
pour  embrasser,  la  matière  de  toute  une  églogue  ou  de  tout 
un  livre?  Lorsque  nous  voyons,  en  effet,  représentés  dans  le 
même  cadre,  Rome  et  Mantoue,  Tityre  et  Mélibée,  la  muse,  le 
hêtre,  les  brebis,  les  chèvres  et  leurs  chevreaux,  le  chêne  et 
son  feuillage,  noire  intelligence  conçoit  sans  effort  et  retient 
sûrement  tout  ce  qui  fait  l'objet  de  la  première  églogue.  »  Un 


880  ABTUI  PÉDAG06IQUX 

BQanuel  d'hygiène,  renseignement  par  l'aspect  et  les  livres 
îMustrés,  recommandés  dès  le  commencement  du  xti^  siècle» 
cent  ans  avant  la  publication  de  YOrbis  pictus,  n'est-ce  pas  là 
un  l'ait  curieux  à  noter  ?  Et  n'y  aurait-il  vraiment  rien  de  nou- 
yeau  sous  le  soleil  ? 

Au  mérite  d'éditeur  désintéressé,  que  son  frère  partage  avec 
lui»  le  second  des  Bacquclier  en  joignit  un  autre  qui  lui 
appartient  en  propre  et  ne  lui  fait  pas  moins  d'honneur.  Par 
un  acte  eu  date  du  15  mars  i53&,  il  lit  donation  d'une  ]nai- 
son,  sise  à  Paris,  rue  des  Layandières,  pour  servir  d'habitation 
aux  étudiants  dauphinois  qui  viendraient  suivre  les  cours  de 
l'Université  de  Paris.  Cette  donation  ne  resta  pas  longtemps 
morte,  car  nous  connaissons  le  nom  du  premier  directeur  de 
cette  maison  collégiale  et  nous  avons  la  liste  des  premiers 
«  escholiers  d  dauphinois  qui  l'habitèrent. 

Pour  avoir  ainsi  généreusement  consacré  leur  fortune  et 
leur  vie  à  l'avancement  des  études,  et  pour  être  venus  libérale- 
ment en  aide  anx  étudiants  pauvres  de  leur  temps,  Antoine  et 
Pierre  BacqueJicr  méritaient  de  voir  sauver  leur  nom  de  l'oubli, 
et  il  faut  remercier  le  «  vieux  bibliophile  dauphinois  >  de  nous 
avoir  révélé  leur  existence  et  leurs  bonnes  œuvres.  Ajoutons 
qu'une  bonne  partie  des  renseignements  réunis  sur  eux  sont 
dus  aux  savantes  recherches  de  M.  Léopold  Delisle,  directeur 
de  la  Bibliothèque  nationale,  qui,  avec  une  obligeance  et  un 
désintéressement  bien  rares,  a  mis  ses  notes  à  la  disposition 
de  l'auteur  de  la  brochure  dont  nous  nous  occupons. 

E.  J. 


UNE  CONFERENCE  SUR  LA  DICTION 


L'art  de  la  diction,  que  M.  Legouvé  a  popularisé  en  France,  a  conquis  le 
droit  de  cité  dans  nos  écoles  noi'males  primaires.  Il  y  a  quelques  semaines,  un 
professeur  dévoué,  M'"e  Cécile  Ga^',  faisait  devant  les  élèves  du  Cours  normal 
des  écoles  mnternelles  dirigé  par  M"»  Delabrousse,  à  Paris,  une  conférence  sur 
cet  intérossant  sujet.  Une  conférence  est  destinée  à  être  parlée  :  c'est  lui  faire 
perdre  beaucoup  de  son  charme  que  de  la  reproduire  sous  la  forme  d'un 
ailicle  de  rev\ie.  Cependant  nous- creyons  être* agréables  à  dos  lecteuns  en  leur 
offrant  quelques  passn^s  de  l'aimable  causerie  de  M™»  Gay,  ofi  les  anecdotes 
s'enlremélent  aux  sages  préceptes  et  an\  conseils  pratiques.  3(ous  en  donnons 
l'cxorde.  et  un  morceau  sur  la  prononciation  expressive  et  sur  la  mémoire. 
—  La  Rédaction.] 

<f  Si  le  Créateur  nous  a  distingués  du  reste  des  aaimaux,  c'est 
surtout  par  le  don  de  la  parole;  les  animaux  nous  surpassent  en 
force,  en  patience,  en  grandeur  du  corps,  on  durée,  en  vitesse,  en 
mille  autres  avantages  et  surtout  en  celui  de  se  passer  mieux  que 
nous  de  tout  secours  étranger.  Guidés  seulement  par  la  nature,  ils 
apprennent  bientôt,  et  d*eux-mômes,  à  marcher,  à  se  nourrir,  à  nager. 
Us  portent  avec  eux  de  quoi  se  défendre  contre  le  froid;  ils  ont  des 
armes  qui  leur  sont  naturelles;  ils  trouvent  leur  nourriture  sous  leurs 
pas;  et  pour  toutes  ces  choses  que  nVn  coùte-t-îl  pas  aux  hommes! 
La  raison  est  notre  partage  et  semble  nous  associer  aux  immortels; 
mais  combien  elle  serait  faible  sans  la  faculté  d'exprimer  nos  pen- 
sées par  la  parole,  qui  en  est  l'interprète  fidèle  î  C'est  là  ce  qui 
manqui»  aux  animaux,  bien  plus  que  l'intelligence  dont  on  ne  saurait 
dire  qu'ils  soient  absolument  dépourvus.  Donc,  si  nous  n'avons  rien 
reçu  de  meilleur  que  l'usage  de  la  parole,  qu'y  a-t-il  que  nous 
devions  perfectionner  davantage?  Et  quel  objet  plus  digne  d'ambition 
que  de  s'élever  au-dessus  des  autres  hommes  par  cette  faculté 
unique  qui  les  élève  eux-mêmes  au-dessus  des  bétes?  » 

Savez-vous,  mesdemoiselles,  qui  parlait  ainsi?  Quintilien,  l'an  Ai 
de  Jésus-Christ.  —  C'est  le  cas  de  dire  qu'il  n'y  a  rien  de  nouireau 
sous  le  soleil.  Mais  ce  ne  sont  pas  les  vérités  les  plus  éclatantes  qui 
ont  le  don  de  se  faire  jour  et  d'être  généralement  admises.  Rien  n'est 
vivace  comme  l'erreur,  et  si  la  vérité,  comme  le  liège,  dit  William 
Temple,  finit  toujours  par  surnager,  elle  reste  quelquefois  des  siècles 
sous  l'eau. 

Je  n'en  donnerai  pour  preuve  que  l'abominable  routine  qui  a  régné, 
je  crois,  dans  nos  écoles,  dans  nos  collèges,  dans  nos  lycées,  depuis 
Cliarlemagne  jusqu'à  nos  jours.  Tout  le  monde  connaît  l'atroce  ren- 
gaine qui,  il  y  a  peu  de  temps  encore,  servait  de  type  aux  lectureset 
aux  récitations  dans  tous  les  établissements  d'instruction  publique. 

Et  c'est  qu'il  ne  s'agissait  pas  de  s'en  alîranchirl 


Zga  ftCfXX  rtMàCOOQgCE, 

fermeitezrmfA  ât  fous  donner  on  exemple  de  cet  esprit  de  roatîne 
onWersfteîre. 

Un  jeane  élè? e  de  prorince,  prescfoe  on  ealant,  tenait  de  famille 
on  godt  pour  la  bonne  diction.  Il  récitait  sans  emphase,  mais  arec 
netteti^,  inteIJigence,  faisant  jaillir  les  idées  des  mots  qa'il  pronon- 
'^it  ;  et,  son  tour  rena  de  répéter  one  laMe  de  La  Fontaine,  il  la 
dît.,,  comme  il  la  comprenait.  —  «  ADez  toos  rasseoir,  monsieur, 
s*écrie  le  professeur,  vous  vous  moquez  du  monde.  »  PouTez-Tous  vous 
Imaginer  quelque  chose  de  plus  ridicule  que  la  conduite  de  cet  édu- 
cateur de  la  jeunesse? 

t'n  orateur  disait  :  «  Les  sourds  m'entendent  et  les  étrangers  me 
fomprennent,  *  Cétait  vrai,  et  cela  indiquait  un  grand  talent,  une 
prononciation  si  clftire,  si  nette,  si  élégante  en  même  temps,  que 
l'ouïe  et  la  compréhension  en  étaient  rendues  aisées,  mt^me  pour 
les  oreilles  les  plus  dures,  et  pour  ceux  qui  n'étaient  pas  familiari- 
sés av^3C  les  beautés  de  notre  langue. 

11  y  A  cfïpendant,  soit  pour  la  diction,  soît  pour  la  lecture,  des 
règles  si  simples,  si  élémentaires,  qu'elles  me  semblent  à  la  porté* > 
de  tout  le  monde.  Si  on  voulait  seulement  donner  un  peu  plus  d*im- 
portance  à  la  chose,  dans  Téducation,  si,  dès lenfance,  on  voulait  bien 
enseigner  h  bien  dire,  à  bien  lire,  Tenfant  consentirait  à  marcher 
dans  cetle  voie. 

Le  m/^rne  oraleur  dont  je  vous  parlais  tout  à  Theure  disait  que 
pour  orriver  à  bien  parler  en  public,  il  s'était  toujours  appliqué  à 
Lien  pnrlcr  dans  le  langage  privé,  pour  ainsi  dire.  11  était  d'accord 
en  cr;Ia  avec  M.  Régnier,  qui  m'a  dit  Tavoir  toujours  recommandé  à 
so«  élèves.  Ne  pas  avaler  les  mots,  ni  la  fin  des  phrases,  observer 
les  règles  do  la  ponctuation  :  cela  nWre  pas  cependant  une  grande 
•dlfllcullé.  Le  tout  est  do  s'y  habituer,  de  le  faire  de  bonne  heure, 
tout  do  suite  en  apprenant  à  lire.  So  corriger  d'une  mauvaise  habi- 
tude est  ensuite  beaucoup  plus  difTIcilo. 

a  \ji  ponelualion  est  la  lumière  de  la  diction  »,  a  dit  M.  Legouvé. 
11  a  parlailcmont  raison.  «  Apprendre  à  lire  un  morceau  »,  dit-il 
encore,  «  c'est  apprendre  à  le  juger.  L'étude  des  intonations  devient 
forcément  l'étude  des  intentions.  On  ne  peut  arriver  à  bien  expri- 
mer la  pensée  de  l'auleur  qu'en  s'en  pénétrant  profondément,  et  on 
•'on  pénètre  d'autant  plus,  qu'on  cherche  à  la  bien  exprimer.  Il  y 
41  dcH  beautés  cachées  (ini  ne  se  révèlent  qu'à  celui  qui  les  lr<iduit 
par  (les  sons;  les  sons  donnent  une  nouvelle  vie  aux  mois  et  la 
■^•olx  les  revêt  comme  d'une  lumière  qui  les  fait  mieux  voir.  » 

En  génércU,  on  dit  les  vers  comme  une  leron  apprise.  Dans  le  récit 
•ùrlout,  r'ejil  une  faute  énorme.  11  faut  les  débiter  comme  si  les 
Idées  vous  survenaient  à  la  suite  les  unes  des  aulres.  On  ne  doit 
jamais  avoir  l'air  de  savoir  les  choses  par  cœur.  Le  comble  de  l'art 
est  de  parailro  quelquefois  chercher    une  idée,  tandis  que  l'on  sait 


UNI  CONFÉRKNGB  SUR  LA  DICTION  3S3 

parfaitement  d'avance  ce  que  Ton  va  dire.  Le  naturel  est  une  des 
premières  qualités  de  la  diction. 

Une  prononciation  juste  et  expressive  est  presque  aussi  essentielle 
pour  les  chanteurs  que  pour  ceux  qui  récitent.  Ne  pas  comprendre, 
comme  ne  pas  entendre  les  paroles  de  ce  que  l'on  chante,  diminue 
votre  plaisir. 

Delsarte  a  le  premier  donné  une  grande  importance  à  la  diction 
dans  le  chant.  Darcier,  qui  a  été  son  meilleur  élève,  en  chantant  la 
clianson  de  Pierre  Dupont  : 

II  faut  du  pain,  du  pain,  du  paio! 

faisait  frémir  la  salle  autant  parla  manière  de  dire,  que  par  le  chant 
lui-même. 

La  musique  gagne  à  être  composée  sur  de  belles  paroles.  Le 
iMCy  le  Vallon  de  Lamartine  n'ont-ils  pas  merveilleusement  inspiré 
Niedermeyer  et  Gounod?  Lorsque  Rachel  déclamait,  plus  qu'elle  ne 
chantait,  la  Marseillaise,  elle  atteignait  les  plus  hauts  degrés  de  Tart 
et  du  patriotisme  réunis. 

Un  exemple  frappant  m'est  resté  dans  Tesprit  de  celte  réunion, 
de  cette  triple  alliance  du  chant,  des  paroles  et  de  la  diction.  C*est 
la  manière  dont  M«°  Pauline  Viardot  interprétait  dans  Orphée  Taîr 
si  justement  célèbre  : 

J'ai  perdu  mon  Eurydice.... 

II  s'y  trouve  trois  couplets  semblables,  presque  sur  les  mêmes 
paroles,  et,   en  tous   cas,  avec  le  même  refrain: 

J'ai  perdu   mon  Kurjdice, 
Rien  n'égale  ma  douleur. 

Hé!  bien,  la  grande  cantatrice  disait,  chantait  ces  trois  strophes 
d'une  façon  absolument  différente.  Dans  la  première,  elle  exprimait 
le  doute,  Tlncrédulité,  la  stupeur.  Non!  il  ne  se  pouvait  pas  qu'elle 
eût  perdu  son  Eurydice.  Dans  la  seconde,  c'était  le  comble  de  la 
fureur  :  la  chose  était  certaine,  évidente  ;  elle  avait  perdu  son  EurjF- 
dice,  et  la  rage  contre  les  hommes,  contre  les  dieux,  contre  l'univers 
tmtier,  éclatait  au  suprême  degré.  Dans  la  troisième,  c'était  la  dou- 
leur la  plus  navrante,  le  plus  complet  désespoir;  la  colère  même 
n'existait  plus,  elle  n'éprouvait  qu'une  désolation  immense. 

Ne  pensez-vous  pas  que  Tart  de  la  diction  était  poussé  là  à  ses 
dernières  limites^  aussi  bien  que  le  chant  et  la  musique  à  leur 
plus  sublime  hauteur? 

Le  phénomène  de  la  mémoire  est  aussi  une  chose  bien  curieuse. 
Pourquoi  les  vieillards  se  souviennent-ils  toujours  de  ce  qu'ils  ont 
appris  dans  leur  jeunesse  et  ne  peuvent-ils  que  difficilement  appren- 
dre quelque  chose  de  nouveau?  C'est  qu'en  avançant  dans  la  vie, 
le  cerveau  de  l'homme  se  durcit  en  quelque  sorte.  Il  semble  que 
celui  de  l'enfant  encore   tendre  et   malléable  reçoit  les  impressions 

ABfUB  FiDAQOQIQUB  1885.  —  t*'  SIK.  13 


954  RKVUK  PÉDAC06IQVJI 

pins  profondécaent.  Les  ehoses  se  grareat,  littéralement,  dans  son 
jeune  cerveau  en  traits  ineffaçables.  C'est  pour  cela  que  les  exer- 
eices  de  ménooire  sont  si  précieux  dans  réducatloci  de  la  jeunesse. 
Plus  tard,  le  raisonnement  vient  à  rencontre;  il  efface  d'une  main 
ce  que  la  force  mécanique  y  trace  de  Tautre.  La  preuve  en  est 
fournie  par  Tétude  des  langues.  Pourquoi  Tenfant  est-il  plus  apte  à 
les  apprendre  que  Phomme  fait?  C'est  qu'il  s'assimile  les  sons,  les 
'  mets,  presqu  a  son  insu,  sans  se  livrer  à  aucun  travail  intellectuel 
pour  en  pénétrer  la  signification.  Quand  on  avance  en  âge,  c'est 
autre  chose.  On  veut  comprendre,  on  discute,  on  ne  s'assimile  plus 
inconsciemment  les  idées.  Et,  quant  aux  vieillards,  ce  qui  est  simple 
exercice  de  mémoire  ne  laisse  sur  le  ceiTeau  qu'une  empreinte  si 
légère,  qu'elle  s'effacera  bien  vite,  comme  ces  caractères  tracés  sur 
le  sable  et  qu'un  coup  de  vent  emporte.  Il  n'en  est  pas  de  même 
des  impressions  anciennes,  elles  sont  toujours  là. 

Aussi,  je  ne  saurais  trop  engager  les  jeunes  gens  à  meubler  de 
bonne  heure  lour  mémoire;  ils  auront  fait  des  provisions  pour 
l'avenir. 

Et  quelle  chose  charmante  que  d'avoir  toujours  k  son  usage  une 
bîbDôthèque  ambulante,  pour  ainsi  dire,  de  pouvoir  occuper  les 
longues  heures  de  voyage,  ou  les  moments  pris  par  la  promenade 
et  les  occupations  purement  matérielles  de  la  vie  de  tous  les  jours! 
On  feuillette  à  l'aide  jde  ses  souvenirs  tous  .  les  poètes  bien  aimés. 
Voyons,  que  me  dii"ai-je  ce  matin?  du  Victor  Hugo,  du  Musset,  du 
Lamartine?  Et,  selon  la  situation  d'esprit  où  Ton  se  trouve,  on 
donne  audience,  tour  à  tour,  sans  perdre  une  minute  de  son  temps, 
à  ces  grands  enchanteurs  de  Pesprit.  Ils  vous  suivent  partout,  au 
fond  des  bois,  devant  les  beautés  de  la  nature  qu'ils  célèbrent,  et  se 
retrouvent  à  vos  côtés  pendant  les  nuits  d'insomnie,  au  chevet  d'im 
Ut  de  douleur,  où  ils  bercent  et  calment  la  souffrance. 

Pour  en  arriver  là,  il  n'y  a  qu'un  moyen  bien  simple:  ne  jamais 
oublier  ce  qu'on  a  appris,  une  fois,  par  cœur  ;  et  il  n'y  a  qu'une 
chose  à  faire  pour  atteindre  ce  but  :  se  le  répéter  de  temps  en  temps. 
Par  un  effort  d'esprit  qui  n'est  pas  sans  charme,  on  parvient  quel- 
quefois à  se  remémorer  entièrement  un  morceau  qui  était  resté  par 
iiiadvertance  dans  un  coin  reculé  du  cerveau,  et  qui  on  sort,  non 
pas  tout  à  coup,  armé  de  toutes  pièces,  comme  Minerve,  mais  peu 
à  peu  et  reconstruit  petit  à  petit,  sans  l'aide  du  livre,  comme  l'an!- 
niai  antédiluvien  par  le  naturaliste. 

Phénomène  bizarre  et  intéressant,  on  arrive  à  réciter  tout  bas, 
avec  les  temps  d'arrêt,  les  intonations  mêmes  que  l'on  avait  en 
récitant  à  haute  voix.  J'ai  souvent  travaillé  à  voix  basse,  le  matin, 
\éL  morceau  que  je  devais  dire  à  haute  voix  le  soir. 

Cécile  Gay. 


LES  SUPERSTITIOJSS  DU  JLOt 


M.  CazeS;  inspecleur  d'académie  du  Lot,  publie  dans  le  Bulletin 
nédagoyûfue  de  ce  département  une  série  d  articles  fort  bien  faits  sur 
l'enseli^nement  moral  à  l'école  primaire.  Au  cours  de  son  étude  il 
aborde  la  question  des  superstitions  populaires;  il  donne  une  longue 
liste,  qu'il  ne  déclare  pas  complète,  de  celles  qui  aujourd'hui  encore 
ont  cours  dans  le  pays:  il  y  en  a  qu*on  rencontre  partout  (être  treize 
à  table,  engager  une  entreprise  ou  se  marier  un  vendredi,  etc.); 
mais  il  en  est  de  bien  curieuses  et  moins  connues. 

Relevons  en  quelques-unes  : 

«  Lorsque  les  dents  d'un  enfant  se  montrent  de  bonne  heure,  cala 
prouve  qu'il  aura  bientôt  des  Irères. 

a  Si  une  femme  dit  exactement  le  nombre  de  dindons  qu'elle  poe^ 
srde,  ils  mourront  tous. 

K  Le  vent  qui  souffle  le  jour  des  Rameaux  soufflera  souvent  dans 
Tannée,  parce  que  le  prêtre  le  bénit  ce  jour-là. 

<(  Les  chiens  qui  mangent  du  pain  bénit  deviennent  enragés. 

<(  Lorsqu'il  y  a  d(?8  revenants  dans  une  maison,  mettre  macérer 
dans  un  vase  des  feuilles  de  lierre,  une  pour  chacuu  des  dcrojare 
membres  défunts.  La  première  feuille  qui  se  décompose  est  celle  dv 
celui  qui  demande  des  messes. 

«  Celui  qui  naît  à  minuit  le  jour  de  Noiil  est  sorcier. 

«  Le  septième  enfant  m^Ue  d'une  famille  a  le  pouvoir  de  guérir  les 
fièvres,  si  la  succession  des  naissances  des  frères  n'a  pas  été  déiiio- 
gée  par  la  naii^saiice  d'une  sœur. 

<(  En  mettant  une  clef  au  feu  on  guérit  les  malades  ensorcelés. 

«  Le  mal  aux  dents  étant  causé  par  de  petite  vorniisseaux  qui 
se  trouvant  dans  l'intérieur,  si  on  met  à  la  bouche  un  morceau  de 
cette  extroissaiiro  (lui  apparaît  sur  l'églantier  sous  forme  de  mousse* 
les  insecl(3S  niallaisants  se  transportent  dans  cette  petite  touffe 
cotonneuse  et  la  douleur  cesse. 

tt  Lorsqu'on  a  des  verrues,  mettre  un  morceau  de  viande  de  boeuf 
dessus,  puis  l'enterrer  en  disant  :  «  Terre,  mançe  ma  verrue.  » 

«  Ne  pas  perdre  les  dents  qu'on  fait  arracher  ou  qui  tombent 
naturellement,  car  cHes  sont  réclamées  après  la  mort. 

"  Lorsque  (|uel(iu'un  est  mort  d'un  cancer,  mettre  un  vase  plein 
d'eau  pour  que  le  cancer  aillé  s'y  noyer. 

«  Lorsque  quehju'un  meurt  les  yeux  ouverts,  une  autre  personne 
mourra  bientôt  dans  la  maison. 

et  Si  on    rêve  d'eau,  de  serpents  ou  de  raisins,  malheur. 

«  Si  un  pâtre  tue  une  bergeronnette,  une  de  ses  brebis  mourra 
bientôt. 

«  Lorsqu'on  fait  couver  des  œufs  au  moment  de  la  pleine  lune, 
les  petits  ne  peuvent  pas  éclore.  » 

Toutes  ces  sottises  sont,  comme  le  dit  M.  Gazes,  des  restes  de 
l'état  barbare. 

L'on  peut  dire  aujourd'hui  qu'elles  ont  fait  leur  temps  :  il  n'en 
faut  pas  moins  hâter  Thenre  où  elles  auront  complètement  ceftsé 
d'apeurer  des  esprits  ignorants.  Seulement,  prenons-y  garde,  la  «u- 
perstiiion  a  bien  des  foniies  et  bien  des  tniveetifiiements. 


é 


CONGRÈS  INTERNATIONAL  D'INSTITUTEURS 

AU   HAVRE 


Nous  recevons  de  M.  le  maire  du  Havre  une  brochure  contenant 
le  programme  du  Congrès  international  d'instituteurs  dont  nous 
avons  déjà  parlé  il  y  a  deux  mois.  Ce  Congrès,  organisé  sous  le 
patronage  de  la  ville  du  Havre,  et  avec  la  naule  approbation  du 
ministère  de  rinstruction  publique,  aura  lieu  du  6  au  10  septembre 

Srochain.  Un  comité  de  Quarante  membres  présidé  par  le  maire, 
[.  Siegfried,  est  chargé  de  l'organisation;  ce  comité  comprend 
douze  membres  du  Conseil  mumcipal,  inspecteur  d'académie  en 
résidence  à  Rouen,  l'inspecteur  primaire,  onze  directeurs  et  six 
directrices  d'écoles,  et  huit  citovens  notables. 

Le  Comité  d'organisation  a  déféré  la  présidence  du  Congrès  a 
M.  Gréard,  vice-recteur  de  l'académie  de  Paris;  et  pour  accentuer 
nettement  le  caractère  international  que  doit  prendre  celte  grande 
réunion  d'instituteurs,  il  a  choisi  pour  vice-présidenis  des  person- 
nages de  distinction  appartenant  à  des  nations  étrangères  et  amies  : 
ce  sont  :  M.  Mundella,  chef  du  département  d'éducation  de  la  Grande- 
Bretagne;  M.  Couvreur,  ancien  vice-président  de  la  Chambre  des 
représentants  de  Belgique;  M.  Numa  Droz,  membre  du  Conseil 
fédéral  suisse;  M.  Dittes,  ancien  directeur  du  Pcedagogium  de  la 
ville  de  Vienne;  et  M.  Eaton,  chef  du  Bureau  national  d'éducation 
de  Washington. 

Le  Congrès  sera  divisé  en  trois  sections,  présidées  respectivement 
par  M.  Jost,  inspecteur  général,  par  M.  Lenient,  directeur  d'école 
normale,  et  par  M.  Brouard,  inspecteur  général.  Les  questions  que 
chacune  des  sections  aura  à  traiter  sont  les  suivantes  : 

Section  A,  . 

1*  De  l'utilité  des  Congrès  nationaux  et  internationaux  d'instituteurs; 

2*  Du  travail  manuel  à  l'école  primaire  comme  complément  de  l'enseigne- 
ment primaire.  De  l'organisation  des  écoles  profeMsionnelles  et  d'appren- 
tissage. 

Section  B. 

Du  traitement  des  instituteurs  et  institutrices  dans  les  différents  pays.  Dans 
quelle  mesure  l'État  et  la  commune  devraient-ils  y  contribuer? 

Seclioti  C. 

Écoles  normales.  Part  à  faire  à  Téducation  générale  et  à  la  préparation 
professionnelle  des  instituteurs  et  institutrices. 

Les  personnes  qui  se  proposent  de  prendre  part  au  Congés  devront 
étudier  ces  questions  a  l'avance;  si  elles  désirent  traiter  une  ou 
plusieurs  d*entre  elles,  elles  devront  envoyer,  avant  le  i5  juillet, 
au  secrétaire  général  du  Comité  d'organisation,  des  mémoires  écrits, 
terminés  par  ae3  conclusions  précises.  Ces  mémoires  qui,  faute  de 
temps,  ne  pourront  être  lus  aux  séances  du  Congrès  ou  des  sections, 
seront  dépouillés  par  le  Comité  d'organisation  :  les  conclusions  en 
seront  classées,  imprimées  et  remises  à  chaque  membre  à  l'ouver- 
ture du  Congrès. 


CONGRÈS  INTERNATIONAL  d'iNSTITUTEURS  AU  HAVRE  3^7 

Sont  invitées  à  prendre  part  aux  travaux  du  Congrès  toutes  les 
personnes  faisant  partie  du  corps  de  renseignement  primaire  : 
instituteurs  et  institutrices  titulaires  ou  adjoints,  publics  ou  privés, 
directeurs  et  directrices  d'écoles  normales,  inspecteurs  primaires  et 
inspecteurs  généraux. 

Les  personnes  ci -dessus  désignées  qui  désirent  participer  au 
Congrès  devront  adresser  leur  demande,  avant  le  1®^  juillet,  au 
secrétaire  général  du  Comité.  Une  carte  d'admission  leur  sera 
immédiatement  envoyée. 

La  ville  du  Havre  prend  à  sa  charge  les  frais  de  logement  des 
instituteurs.  Les  frais  de  nourriture  seront  supportés  par  les  mem- 
bres du  Congrès,  mais  les  indications  nécessaires  sur  les  restau- 
rants et  les  hôtels  où  ils  pourront  prendre  leurs  repas  dans  de 
bonnes  conditions  et  à  des  prix  modérés  leurs  seront  fournies. 
Pour  faciliter  le  voyage,  des  trains  spéciaux  à  prix  réduits  seront 
organisés  de  Paris  au  Havre  et  du  Mans  au  Havre. 

Voici  le  programme  du  Congrès  : 

Dimanche  6  septembre  4885. 

A  2  h.  —  Ouverture  du  Congrès  —  Discours  du  maire  —  Discours  du  mi- 
nistre —  Discours  d'un  des  membres  étrangers  —  Répartition 
du  Congrès  en  sections  —  Nomination  des  vice-présidents  et 
des  secrétaires  des  sections. 

A  4  h.  —  Inauguration  du  lycée  de  filles. 

A  9  h.  —  Punch  à  l'Hôtel-de-Ville  —  Musique. 

Lundi  7  septembi-e, 

A  8  h.  —  Réunion  des  commissions  dans  les  locaux  indiqués. 

A  2  h.  —  Nouvelle  réunion 'des  commissions. 

A  5  h.  —  Visite  d'un  Transatlantique. 

A  8  h.  —  Conférence  pédagogique. 

Mardi  8  septembre, 

A  8  h.  —  Réunion  des  commissions. 

A  2  h'.  —  Réunion  générale  —  Discussion  des  rapports. 

A  8  h.  —  Représentation  au  Grand-Théâtre. 

Mercredi  9  septembre, 

A  0  h.  —  Visite  à  l'École  d'apprentissage  de  garçons,  à  l'École  d'apprentis- 
sage de  filles,  à  l'Ecole  primaire  supérieure  et  à  une  école  élé- 
mentairc  de  garçons. 

A  2  h.  —  Réunion  générale  —  Discussion  des  rapports  —  Discours  du 
ministre  —  Clôture  du  Congi*ès. 

A  7  h.  1/2.  —  Banquet. 

Jeudi  10  septembre, 
A  8  h.  —  Promenade  en  mer  :  Trouvilie,  Ilonfleur,  etc. 

La  représentation  au  théâtre,  la  conférence  pédagogique,  la  pro- 
menade en  mer,  le  punch,  le  banquet,  prévus  au  programme,  sont 
offerts  par  la  ville. 

Pour  tous  renseignements,  s'adresser  au  secrétaire  général  du 
comité  d'organisation,  M.  Garsault,  inspecteur  primaire,  à  THôtel-de- 
Ville,  Havre. 


LA  PRESSE  ET  LES  LIVRES 


Manuel  d*instruction  nationale,  par  M.  Emmanuel  Touches  ; 
ouvrage  contenant  21  grarures;  I  vol.  m-12,  Paris,  Hachette  el  C»% 
1883.  —  Ce  manuel  ne  se  rapporte  point  directement  aux  pro- 
grammes officiels,  il  ne  prétend  point  guider  le  maître  pour  ses 
leçons  de  morale  ou  d'instruction  civique  ;  mais  les  huit  chapitres 
qui  le  composent,  d'inégale  longueur,  d'inégale  importance  aussi,^ 
forment  un  recueil  de  lectures  pour  les  cours  élevés  de  Técole 
primaire  et  pour  renseignement  primaire  supérieur,  recueil 
plein  d'intérôl,  de  tact  et  de  cœur,  digne  de  la  vaillante  plume  et 
de  riiommc  excellent  qui,  avec  Jean  Macé  et  quelques  autres 
hommes  de  mérite  et  de  dévouement,  a  fait  de  la  Ligue  de  l'ensei- 
gnement une  véritable  institution  d'éducation  nationale.  M.  Vauchez 
—  cela  va  de  soi  —  est  de  son  temps  ;  il  en  préconise  tous  les 
droits  comme  il  en  accepte  tous  les  devoirs;  mais  il  n'est  pas  de 
ceux  qui  n'ont  pour  le  passé  qu'un  injurieux  mépris.  Son  chapitre 
intitulé  La  patrie,  qui  est  le  chapitre  capital  du  petit  volume,  est, 
nous  pouvons  bien  le  dire,  une  admirable  leçon  de  ce  patriotisme 
français  qui  ne  dénigre  rien,  qui  sait  tout  comprendre,  et  se  fonde 
sur  le  respect  de  tout  ce  qui  mérite  d'être  ^respecté. 

«  La  terre  que  le  souvenir  des  ancêtres  a  rendue  sacrée,  dit 
M.  Emmanuel  Vauchez,  la  nation  qu'on  aime  parce  qu'elle  paraît 
la  meilleure  et  la  plus  grande,  le  peuple  auquel  on  est  fier  d'appar- 
tenir, voilà  ce  qui  est  vraiment  la  patrie.  Celte  patrie-îà,  on  peut 
mutiler  son  territoire,  changer  la  couleur  de  ses  drapeaux  :  on  ne 
saurait  ranéautir  dans  le  cœur  de  celui  qui  s'est  donné  à  elle. 
Quelles  que  soient  les  tristesses  de  la  destinée,  celui-là  peut  dire 
eu  regardant  les  pouvoiFS  qui  le  tiennent  en  servitude  :  «  Ils  ont 
tt  enchaîné  le  corps,  mais  l'àme  se  rit  d'eux  :  elle  est  libre.  *  Notre 
patrie  à  nous,  c'est  la  patrie  française  ;  nous  l'aimons  dans  ses 
grandeurs,  dans  ses  soulTranccs,  dans  les  manifestations  si  diverses 
de  son  génie.  Le  sentiment  d'admiration  et  d'amour  qu'elle  nous 
inspire  a  été  partagé  par  bien  des  hommes  qui  n'étaient  pas  nés  sur 
son  territoire.  N'est-ce  pas  un  étranger  célèbre  qui  a  dit  :  «  Tout 
»  ôlre  humain  a  deux  patries,  celle  où  il  est  né  et  la  France?  » 

»  L'affection  qu'elle  nous  inspire  s'augmente  à  mesure  que  nous 
cttonaîssons  mieux  son  histoire.  Comme  elle  a  souffert,  comme  elle 
a  lutté  pour  devenir  indépendante  et  forte!  De  Vercingétorix,  l'un 
de  ses  premiers  héros,  aux  morts  de  la  défense  nationale,  quelle 
iacomparable  suite  de  martyrs,  de  combattants  glorieux  ou  obscurs, 
royauté,  noblesse,  tiers-État,  ont  travaillé,  avec  des  mérites  di>ers, 
j\  créer  son  unité  politique!  La  reconnaissance  nationale  ne  doit  pas 


LA  PRXS6&  KT  LIS  UYEES  âSd 

être  exciasite  et  ne  s'attacher  qu'à  un  parti  ou  à  une  classe  da 
citoyens.  Elle  salue,  elle  honore,  elle  aime  quiconque  a  servi  le 
pays  français.  Elle  estime  que,  malgré  leurs  erreurs  ou  Leurs  fantes, 
Louis  XI,  qui  nous  déllyra  des  deroiers  vestiges  de  la  puissance 
féodale,  Richelieu,  qui  écrasa  la  noblesse  au  profit  de  Tunità 
royale  et  nationale,  sont  de  très  grands  hommes  d*État.  Elle  sait 
gré  à  la  noblesse  d'avoir  généreusement  et  sans  compter  répandu 
son  sang  sur  les  champs  de  bataille.  Elle  s'incline  avec  respect  devant 
le  clergé,  lorsque,  au  moyen  âge,  il  protège  les  lettres  et  la  science; 
lorsque,  plus  tard,  avec  saint  Vincent  de  Paul,  il  s'inquiète  de 
recueillir  et  d'élever  les  orphelins.  » 

M.  Vauchez  ne  veut  pas  davantage  que  le  culte  que  nous  ressen- 
tons pour  la  France  ne  soit  qu'une  forme  du  .  dédain  que  noua 
éprouverions  pour  les  autres  peuples»  Pour  lui^  v  le  patriotisme 
qui  se  complaît  exclusivement  dans  L'humiliation  d'autrui  est  un 
médiocre  patriotisme  ». 

Très  saines,  très  élevées,  très  vibrantes,  toutes  ces  leçons,  et  les 
nombreux  exemples  anecdotiques,  que  des  souvenirs  originaux 
fournissent  très  souvent  à  l'auteur  tempèrent  ce  qu'elles  pourraient 
avoir  de  trop  abstrait  et  les  approprient  au  jeune  public  auquel  elles 
sont  destinées.  C.  D. 

L'histoire  de  france  racontée  par  les  contemporains:'  L'EmpÎFe^ 
français  d'Orient;  la  iv«  croisade  (H99-1205);  extraits  de  yilleha^- 
douin,  de  Robert  de  Gari,  etc.;  Philippe  VI  et  Robert  d'Artois,  les 
commencements  de  la  guerre  de  Cent  ans  (1328-1345);  extraits  ées 
grandes  chroniques  de  France,  de  Froissart,  du  procès  de  RobeK 
d'Artois,  etc .  ;  publiés  par  M.  B.  Zeller,  maître  de  conférences  à 
la  Faculté  des  lettres  de  Paris,  répétiteur  à  l'Ecole  polytechnique*; 
2  vol.  in-18,  Paris,  Hachette  et  0«,  1885.  —  Les  manuels  d'histoire 
que  les  maîtres  ont  entre  les  mains  —  et  il  y  en  a,  hâlons-nous  da^ 
le  dire,  d'excellents  —  offrent  le  grand  avantage  de  présenter  les 
événements  dans  un  ordre  logique  et  dironologique,  en  donnant  à 
chacun  d  eux  la  mesure  exacte  et  la  proportion  qu'il  doit  avoir  dans, 
un  ensemble  suivi  et  gradué.  Mais  ils  sont  nécessairement  loit 
abrégés.  Les  meilleurs  sont  sans  contredit  ceux  qui  sont  le  plus 
rapprochés  des  sources,  c'est-à-dire  qui  ont  le  plus  directement  puisé, 
pour  chaque  période  qu'ils  exposent,  non  seulement  leurs  données^ 
mais  la  forme  même  de  leur  récit  dans  les  ouvrages  contemporains, 
dans  les  écrits  de  ceox  qui  ont  va  ks  événements,  qui  y  ont  |^bs 
ou  moins  participé,  qui  en  ont  reçu  Fimpression  et  peuvent  e» 
transmettre  fidèlement  le  souvenir.  C*est,  en  définitive,  '  chez  les 
contemporains  qu'il  tant  chercher  ce  je  ne  sais  quoi  au  maytat 
duquel  Thistorlexi  ou  le  professeur  fait  renaître  la  réalité,  conditioit 
sine  qua  non  pour  qu'un  développement  historique  soit  int^eaaant,. 
vivant,  comme  on  dit.  Seulement,  ceux-là  seuls  qui  qêA  mia 


«^60  HfiVUK  PÉDAGOGIQUK 

à  une  pareille  œuvre  savent  ce  qu'il  faut  de  temps  et  de  peine  pour 
trouver,  pour  choisir,  pour  classer  et  oiettre  en  lumière  ces  docu- 
ments de  première  main,  que  les  autres  ne  remplacent  jamais. 
M.  B.  Zeller,  soit  seul,  soit  avec  Taide  de  quelques  collaborateurs,  a 
entrepris  ce  grand  travail  sous  la  forme  tout  à  fait  économique  et 
populaire  de  petits  recueils  à  50  centimes  ;  il  a  eu  ainsi  la  pepsée 
de  mettre  à  la  disposition  du  plus  humble  enseignement,  et  dans 
des  conditions  accessibles  aux  plus  humbles  bourses,  un  tableau 
suivi,  quoique  emprunté  à  des  auteurs  différents,  des  événements, 
des  mœurs,  des  institutions  de  chaque  époque  importante  de  notre 
histoire  nationale. 

Il  a  paru  une  quinzaine  de  volumes  de  cette  collection,  dont 
voici  les  titres  :  La  Gaule  et  let  Gaulois,  La  Gaule  romaine,  La 
Gaule  chrétienne,  Les  invasions  barbares.  Les  Francs  mérovingiens. 
Les  fils  de  Clotaire,  Les  rois  fainéants,  Charlemagne,  Louis  le  Pieux, 
Charles  le  Chauve,  Les  derniers  Carlovingiens,  Les  premiers  Capétiens, 
Les  Capétiens  du  xii«  siècle  :  Louis  VI  et  Louis  VII,  etc.  Tous  sont  com- 
posés d'après  le  même  type.  Nos  annalistes  des  premiers  siècles  ont 
écrit  en  latin  :  M.  Zeller  et  ses  collaborateurs  en  donnent  une  tra- 
duction, qui  se  tient  aussi  près  que  possible  du  texte  original; 
lorsqu'apparaissent  les  premiers  textes  français,  ils  ne  font  à  ces 
textes  que  les  changements  absolument  nécessaires  pour  les  rendre 
compréhensibles,  renvoyant,  au  besoin,  à  un  lexique  spécial  pour  les 
termes  de  la  vieille  langue  qui  présentent  quelque  difficulté  d'inter- 
prétation. De  courtes  notes  explicatives,  des  analyses  succinctes  font 
connaître  les  auteurs  cités,  et  rattachent  les  uns  aux  .autres  les  mor- 
ceaux qui  leur  sont  empruntés.  Un  certain  nombre  de  gravures 
accompagnent  chaque  volume  :  le  choix  de  ces  gravures  est  inspiré 
du  même  esprit;  on  s'est  attaché  à  ne  donner  que  des  images 
authentiques,  tirées  aussi,  autant  que  possible,  des  documents  con- 
'  temporains. 

Nous  avons  sous  les  yeux  les  deux  dernières  publications  de  la 
la  collection  :  L empire  français  d'Orient;  la  iv®  croisade,  et  Philippe  VI 
et  Robert  d'Artois;  les  commencements  de  la  guerre  de  Cent  çins,  par 
M.  B.  Zeller  seul.  Villehardouin,, d'abord,  puis  un  autre  témoin  el 
acteur  moins  connu  de  la  iv«  croisade,  le  picard  Robert  de  Clari 
(Le  Histoire  de  chiaux  qui  conquisent  Constantinoble)  et  enfin  la 
Chronique  de  Gunther  font  les  frais  du  premier  volume;  Froissart, 
le  second  continuateur  de  Guillaume  de  Nangis,  les  Grandes  Chro- 
niques de  Saint-Denis,  la  chronique  de  Walsingham  et  des  documents 
authentiques  sur  le  procès  de  Robert  d'Artois  remplissent  le  second. 

11  nous  semble  que  les  professeurs  d'écoles  normales,  les  profes- 
seurs d'enseignement  primaire  supérieur,  ceux  aussi  des  cours  les 
plus  élevés  des  écoles  primaires  élémentaires  peuvent  trouver  dans 
ces  petits  livres  un  complément  précieux  de  leurs  leçons  et  d'utiles 
lectures  a  indiquer. 


LA  PRISSE  ET  LES  LITRES  361 

Les  enfants  malheureux,  par  Edouard  Siebecker  ;  un  vol.  in-iî, 
Paul  Dupont,  1885.  —  L'auteur  raconte  dans  sa  préface  que  cet 
ouvrage  a  paru  pour  la  première  fois  vers  la  fin  de  TEmpire,  à  un 
moment  où  c'était  la  mode,  dans  les  journaux  mondains,  de 
citer  des  mots  d'enfants,  de  rendre  compte  des  bals  d'enfants, 
de  décrire  d'élégants  costumes  d*enfants.  Lui  a  regardé  les  choses 
par  l'autre  bout  de  la  lorgnette,  et  il  a  étudié  la  vie  «  des  enfants 
malheureux  »,  bien  plus  nombreux,  hélas  !  que  les  privilégiés  de 
kl  vie,  regardant  l'enfant  dans  la  rue,  le  photographiant  dans  l'atelier, 
le  suivant  aux  champs,  ne  s'arrêtant  même  pas  devant  la  porte  de 
la  prison.  Et  il  a  trouvé  partout  de  lamentables  histoires,  qu'il  se 
garde  bien  d'accompagner  de  commentaires  et  de  plaidoyers,  dont  il 
a  dû  même,  dit-il,  adoucir  fréquemment  les  tons,  que  la  réahlé  luî 
montrait  trop  noirs. 

Ce  sont  ces  tableaux  que  l'auteur  présente  dç  nouveau  au  public, 
refaits,  renouvelés,  formant,  dans  leur  ensemble,  un  livre  qui  par 
son  format,  ses  illustrations,  paraît  devoir  s'adresser  aux  enfants 
eux-mêmes. 

Est-ce  bien  un  livre  d'enfants?  L'auteur  convient  lui-même  qu'il 
est  triste;  mais  qu'importe,  dit-il,  s'il  est  vrai  et  utile?  *  H  ne  faut 
pas  mentir  à  l'enfant  et  lui  faire  croire  que  la  vie  est  uniformé- 
ment rose.  »  Assurément,  mais  n'est-il  pas  à  craindre  que  la  leçon, 
telle  que  M.  Siebecker  la  donne,  ne  dépasse  l'enfant  et  qu'il  ne  s'y 
intéresse  point  ?  Il  faudrait  tout  au  moins  qu'il  y  ait  là  un  père  ou 
•  un  maître  pour  l'expliquer.  A  ce  titre,  c'est  dans  la  bibliothèque 
populaire  que  nous  voudrions  de  préférence  le  voir  placer;  c'est  là 
qu'il  peut  produire  l'effet  qu'en  attend  l'auteur  :  «  Riches  et  pauvres, 
dit-il  très  justement,  trouveront  ici  un  enseignement.  Les  premiers 
comprendront  que  le  xemède  à  l'envie  et  à  la  haine  des  classes 
sociales  est  dans  la  justice  et  la  loyauté  des  rapports;  que 
l'arbre  dont  on  hâte  la  végétation  paie  toujours  sa  précocité,  et 
que  l'apprenti  malheureux  produit  presque  inévitablement  l'ouvrier 
débauché. 

»  En  yoyant  le  sort  des  enfants  pauvres,  ils  Véfléchiront  aux 
navrants  caprices  de  la  fortune,  surtout  au  temps  où  nous  vivons  ; 
ils  reporteront  leurs  regard»  sur  les  têtes  blondes  qui  se  pencheront 
auprès  d'eux  sur  ces  pages,  et  se  diront  que  demain  le  hasard  peut 
jeter  dans  ces  enfers  les  créatures  aimées  auxquelles  ils  ont  voué 
toutes  leurs  pensées. 

»  Qu'ils  songent  alors  que  les  lacunes  de  la  loi  peuvent,  jusqu'à 
un  certain  point,  être  comblées  par  l'initiative  particulière,  et  que 
le  salut  des  sociétés  ne  dépend  ni  des  gouvernements,  ni  des  tribu- 
naux, ni  de  la  police,  ni  des  gendarmes,  mais  simplement  de  la 
sob'darité  de  tous  les  intérêts,  quels  qu'ils  soient. 

»  Les  pauvres  verront  que  la  misère  et  la  corruption  sont  les 
fruits  de  l'ignorance;  que,  sous  peine   de  mort  morale,  l'enfant 


à 


30S  BKVUt  FɻA606IQn 

appartient,  pour  un  certain  temps,  à  l'école,  comme  le  nouveau-né, 
sous  peine  de  mort  physique,  appartient  à  la  noorrice;  qu'ils  pour- 
ront peut-être  tirer  un  maigre  salaire  de  ce  petit  être,  en  le  trans- 
formant hâtivement  en  machine  ;  mais  que  la  corruption  engendrée 
par  le  contact  avec  des  hommes  leur  fera  perdre  le  soutien,  la* 
consolation  et,  peut-être,  1  honneur  de  leur  vieillesse. 

j>  Enfin,  patrons  et  ouvriers  pourront  également  en  tirer  un 
profit. 

9  Les  uns,  en  se  rappelant  que  l'enfant  deviendra  un  jour  un 
homme  et  un  citoven. 

9  Les  autres,  en  songeant  que  l'exemple  mauvais  donné  par  eux 
à  l'apprenti  qui  leur  est  étranger,  un  étranger  peut  le  donner  à 
à  leur  enfant,  apprenti  autre  part.  » 

Sur  ces  données,  M.  Siebecker  dit  qu'il  a  conscience  d'avoir  fait 
«  un  livre  d'honnête  homme  »,  et  il  a  raison.  C  D, 

Manuel  du  natiralistb  préparateur,  ou  manière  d'empailler  les 
oiseaux  et  quadrupèdes,  à  l'usage  des  instituteurs  et  des  écoles 
primaires,  par  P.-^.  Doussardy  instituteur  à  Giponville  (Seine- 
Inférieure)  ;  in-S*»  de  ;]o  pages  et  8  figures  explicatives  tii*ées  hors- 
texte,  chez  l'auteur,  avril  4883.  —  On  a  préconisé  Tintituteur  cul- 
tivateur, l'instituleur  menuisier  et  forgeron,  l'instituteur  tourneur, 
rinstiluteur  relieur,  sans  parler  de  l'instituteur  organiste  ou  chantre, 
de  l'instituteur  collectionneur  et  antiquaire,  de  l'instituteur  géomètre, 
etc.,  etc.  :  allons-nous,  par  surcroît,  réclamer  l'instituteur  empailleur? 
U  est  certain  que  l'instituteur  ne  doit  être  exclusivement  rien  de 
tout  cela,  et  qu'il  doit  être  avant  tout  et  par  dessus  tout  instituteur; 
mais  quand  il  aurait,  sans  en  abuser,  les  goûts  de  l'esprit  et  les  liabi- 
letés  de  la  main  que  tout  cela  suppose,  et  quand  il  ferait  servir  au 
profit  de  sa  classe  des  occupations  et  des  distractions  qui  n'ont  en 
soi  rien  que  d'honnête  et  d'utile  et  qui  peuvent  s'élever,  suivant 
l'occasion,  à  une  très  haute  portée,  où  serait  véritablement  le  mal? 
Les  musées  scolaires  sont  à  l'ordre  du  jour  dans  nos  écoles,  et  non 
sans  raison,  à  ia  condition  qu'on  veuille  et  qu'on  sache  s'en 
servir.  Mais  les  musées  scolaires  coûtent  souvent  très  cher  à  remplir. 
Un  merle  empaillé,  nous  dit  M.  Doussard,  coûte  15  francs;  une 
pie,  18  francs.  M.  Doussard  apprend  à  ses  collègues  la  manière  de 
faire  ces  préparations  à  peu  près  pour  rien;  ses  procédés  sont 
simples  et  clairement  expliqués;  ils  seront  certainement  utiles  aux 
débutants.  Z. 

La  nooelle  galerie  de  paléoktolocie  au  Muséum  d'histoire  natu- 
eelle;  Paris,  Gauthier-Villars,  1885.  —  Cette  plaquette  de  8  pages 
reproduit  une  note  lue  à  l'Académie  des  sciences,  le  9  mars  dernier, 
par  M.  Albert  Gaudry,  professeur  de  paléantologie  au  Muséum.  La 
nouvelle  gaieiie  qui  vient  d'être  Quverte  au  publk  jmt  l'adminisdraH 


LÀ  PRESSE   ET   LES  UVRBS  363* 

tioD  du  Muséum,  et  qui  contient  les  squelettes  des  grands  animaux 
fossiles,  mérite  d'être  visitée.  Sans  doute,  Tinstallation  en  est  encore 
bien  insuffisante;  mais  c'est  un  premier  pas  fait  vers  la  réalisation 
d'une  grande  idée.  «  Il  faudrait,  dit  M.  Gaudry,  avoir  un  musée  où 
l'on  classerait  les  êtres  époque  par  époque,  et  où  Ton  pourrait  suivone- 
la  magnifique  histoire  du  développement  de  la  vie,  depuis  le  mo- 
ment où  nous  en  trouvons  lespremièrestraces  jusqu'au  temps  mar- 
qué par  la  venue  des  hommes.  Nous  devons  espérer  qu'un  jour  la 
France,  où  Cuvier  a  fondé  la  science  des  fossiles,  aura  un  musée  de^ 
paléontologie  digne  d'elle.  En  attendant,  la  nouvelle  salle  qui  vient 
d'être  construite  rend  déjà  un  service,  car  elle  donne  quelque  idée 
do  la  majesté  de  la  vieille  nature.  »  G. 

Notice  sur  Arnold  Gcyot,  par  Charles  Faure;  Genève,  imprimerie- 
Schuchardt,  1884.  —  Nous  avons  rappelé  (numéro  de  mars   1884, 
p.  287)   les  services  rendus  à  la  science  géographique  par  Arnold. 
Guyot.  La  notice  de  M.  Faure  retrace,  d'après  des  documents  inédits, 
la  carrière   de  l'éminent  professeur  :  c'est  un  travail  intéressant  et 
utile. 


Langue  allemande. 

Les  devoirs  a  la  maison.  —  Faut-il  donner  aux  élèves  des  écoles 
primaires  des  devoirs  à  faire  à  la  maison  ?  Cest  une  question  qui» 
se  débat  assez  vivement  en  Allemagne.  On   s'en  occupe  dans  VAU^ 
(jcmeine   dcutsrhf*  Lehrerzeitung,  dans  la  Schweizerische  Lehrerzeitung^ 
dans  les  Padago(jisdic   BUitter,  dans    le   Pœdagogium^  etc.     On  cite- 
une  décision  de  la  haute  cour  d'Angleterre  (Queen's  bench  division) 
qui  déclare   que   l'école  n'a  pas  le   droit  d  exiger  des   enfants  des* 
devoirs  faits  à  la  maison.  Le  juge   Mathew  dit    dans  ses  considé* 
rants   que  l'obligation   scolaire  étant  une   limitation   de   la  liberté- 
personnelle,   il  ne  convient  pas  de  l'interpréter  en  Téteadant;  l'in- 
stituteur qui  retient  au  delà  des  heures  prescrites  pour  l'enseignement 
un  enfant  qui   n'a  'pas   fait    ces    devoh-s    du    dehors,    se    rend 
coupable.  (Voir  notre  numéro  de  juillet  1884,  p.  î>2-93.) 

C'est  également  l'opinion  qu'exprime  M.  Otto  Leisner  dans  le 
Pœdagogium,  d'accord  en  cela  avec  un  lapport  publié  par  M.  Willms, 
inspecteur  des  écoles  et  directeur  de  l'école  supérieure  des  filles  à 
Tilsilt.  Ce  n'est  pas  une  quantité  modérée,  une  atténuation,  une 
mesure  que  M.  Leisner  demande,  c'est  la  suppression  pure  et 
simple  des  devoirs  à  faire  hors  de  l'école. 

On  parle  beaucoup,  dit-il,  de  la  surcharge  des  études,  de  l'enva- 
hissement des  programmes,  de  la  nécessité  de  réformes.  Eh  bien  ! 
il  y  en  a  une  très  simple,  très  utile,  d'un  effet  immédiat,  c'est  de 
supprimer  les  devoirs  en  dehors  des  classes.  Les  heures  de  classe 
ne  sont  pas  trop  nombreuses»  les  travaux  qui  s'y  accomplissent  ne 


964  REVUE   PEDAGOGIQUE 

peuvent  fatiguer  ni  surcharger  Tenfant:  mais  elles  doivent  suffire. 
Les  devoirs  extérieurs  sont  de  trop;  il  faut  les  bannir.  M.  Leisner 
donne  cinq  motifs  de  cette  suppression. 

i^  La  santé  des  enfants.  On  ne  peut  nier,  dit-il,  que  dans  beaucoup 
d'écoles,  les  physionomies  ne  marquent  un  certain  affaiblissement 
physique,  une  certaine  indifférence  morale;  cela  tient  en  partie  à 
l'excès  de  travail  imposé.  Les  enfants,  au  lieu  d'arriver  à  l'école 
joyeux,  gais,  de  bonne  humeur,  y  apportent  de  l'inquiétude  ;  les 
devoirs  ne  sont  pas  faits  ou  mal  faits;  ceux  des  enfants  qui  sont 
chétifs,  ou  sensibles,  sont  facilement  troublés  par  la  perspective 
d'avoir  à  rendre  leurs  comptes.  Il  leur  eût  fallu  après  la  classe  un 
temps  plus  considérable  de  repos,  de  détente,  de  jeu. 

2<>  lis  ne  trouvent  pas  chez  eux  toutes  les  commodités  désirables 
pour  faire   les  travaux  qu'on  leur  demande. 

Il  n'y  a  peut-être  qu'une  seule  chambre  pour  la  famille;  on  y 
fait  le  ménage,  la  cuisine  ;  c'est  Tatelier  du  père  ;  les  petits  frères 
rôdent  autour  des  cahiers  ;  il  n'y  a  pas  de  place  pour  écrire  ;  on 
cause,  on  s'agite  autour  de  l'écolier.  H  apportera  à  l'école  des  cahiers 
négligés,  des  livres  tachés  ;  il  sera  grondé,  puni.  S'il  est  obligé  de 
se  faire  aider,  quel  contrôle  le  maître  apportera-t-il  à  ce  travail 
non  personnel? 

3®  il  s'établit  entre  les  classes  une  concurrence  qui  ne  peut  qu'être 
nuisible.  Tel  maître  sera  réservé  dans  les  devoirs  qu'il  donne;  tel 
autre,  voulant  briller,  forcera  la  note,  exigera  davantage  des  entants, 
poussera  aux  devoirs  écrits,  qui  sont  plus  faciles  à  produire  aux 
yeux  des  supérieurs  ou  des  parents.  La  comparaison  entre  la  valeur 
des  classes  deviendra  impossible  ou  injuste. 

4°  Le  maître  lui-même  no-  peut  que  retirer  du  dommage  de  cett<* 
pratique.  Rien  n'offre  de  plus  fréquentes  occasions  de  blàmc,  d'irri- 
tation, de  colère  et  de  punition  que  les  devoirs  à  faire  hors  de  la 
classe.  Ce  qui  se  passe  en  classe,  sous  les  yeux  du  maître,  se  fait 
régulièrement,  avec  calme  ;  les  devoirs  faits  au  dehors  sont  souvent 
négligés,  ou  même  omis.  Il  faut  se  fâcher,  il  faut  punir.  Com- 
ment? Par  de  nouveaux  devoirs?  Par  des  rétenues?  Le  maître 
ne  peut  surveiller  suffisamment  les  enfants  qu'il  garde.  Par  des 
reproches?  Les  reproches  s'usent  vite;  on  risque  de  tomber  dans 
l'excès,  dans  la  colère,  dans  l'outrage.  C'est  exposer  le  maître  à  la 
critique  des  enfants,  au  ridicule,  à  perdre  de  sa  considération  et 
de  son  influence  morale.  Supprimez  les  devoirs  de  la  maison,  et 
vous  supprimez  la  majeure  partie  des  occasions  de  se  fâcher  et  de 
punir. 

5<>  Ces  devoirs  sont  nuisibles  à  l'intérêt  des  parents,  qu'on  n'a  pas 
le  droit  de  négliger.  Le  travail  des  enfants  est  utile,  indispensable 
à  la  famille  dans  beaucoup  de  maisons.  Là  même  où  les  enfants 
n'ont  pas  à  travailler  pour  ajouter  au  gain  des  parents  ou  pour  les 
aider  dans  les  ouvrages  domestiques,  il  arrive  que  les  parents  tien- 


LA  PUESS£  KT  LES  UVRCS  365 

nent  à  leur  faire  faire  des  études  ou  des  exercices  auxquels  ils 
attachent,  à  tort  ou  à  raison,  une  grande  importance  pour  Tavenir 
de  leurs  enfants,  bis  que  le  dessin,  la  peinture,  la  musique,  les 
travaux  d^aiguille,  etc. 

Si  l'école  ne  laisse  aucun  temps  libre  ou  trop  peu  de  temps  libre, 
il  y  a  collision  entre  ses  exigences  et  l'intérêt  de  la  famille,  d'où 
aussi  des  mécontentements  dont  les  enfants  souffrent. 

Ënfm,  6^  au  point  de  vue  moral,  les  devoirs  de  la  maison  ne  sont 
pas  înoffensifs.  II  n'y  a  pas  besoin  qu'un  enfant  soit  bien  pervers 
pour  recourir  à  un  camarade  et  se  faire  donner  le  devoir  qu'il  n'a 
pas  fait  ;  c'est  une  tromperie,  et  l'enfant  se  réjouit  quand  le  maître 
se  laisse  prendre.  Souvent  aussi  l'enfant  recourt  tout  simplement 
au  mensonge  ;  il  invente  des  histoires,  est  obligé  parfois  de  les  com- 
pliquer, et  finit  par  se  laisser  entraîner  de  mensonge  en  mensonge 
jusqu'à  paraître  un  vrai  mauvais  sujet,  alors  qu'il  n'avait  cru  d'abord 
que  jouer  un  bon  tour. 

Un  maître  soucieux  du  bien  de  ses  élèves  doit  tenir  pour  un 
devoir  sacré  d'éviter  tout  ce  qui  peut  les  induire  à  mentir,  à  tromper. 
Les  devoirs  de  la  maison  offrent  trop  de  tentations  à  ce  point  de  vue 
pour  qu'on  n'ait  pas  le  droit  de  les  considérer  comme  un  danger  moral. 

Das  Strafrecht  der  deutschen  Volksschulbn  (Le  droit  de  châti- 
ment dans  les  écoles  d'Allemagne)  par  Auguste  Top/f,  pasteur  à 
Kxdoif  près  Meiningen.  Vienne  et  Leipsig,  1884.  —  Les  châtiments 
corporels  à  l'école,  abolis  en  France,  subsistent,  comme  on  sait,  en 
Angleterre,  où  le  fouet  {Jogging)  joue  un  rôle  dans  les  établissements 
d'instruction  secondaire  de  l'ordre  le  plus  élevé;  ils  subsistent  égale- 
ment en  Allemagne,  du  moins  pour  l'école  primaire,  ils  sont  même 
l'objet  de  prescriptions  légales.  Le  livre  de  M.  Topff  nous  fait  con- 
naître  ces  prescriptions. 

11  nous  montre  que  les  chftliments  corporels  sont  admis  presque 
partout  dans  l'empire  d'Allemagne,  et  que  la  plupart  du  temps  ils 
sont  gravement  réglementés  par  des  circulaires  émanant  des  diffé- 
rents gouvernements.  Le  code  pénal  de  l'empire  du  i "janvier  187Î 
établit  la  répression  des  abus  et  des  excès  dont  le  droit  de  châtiment 
corporel  peut  être  l'occasion  dans  l'école  primaire. 

On  peut  lire  dans  maintes  circulaires  ministérielles  que  a  le  châ- 
timent doit  se  donner  au  moyen  d'une  mince  baguette,  et  qu'il  faut 
tirer  cette  baguette  pour  chaque  cas  particulier  hors  de  l'armoire 
scalaire,  en  ayant  soin  que  l'instituteur  ne  la  garde  pas  à  la  main 
et  ne  la  laisse  pas  constamment  exposée  à  la  vue  >. 

Au  sens  de  l'autorité  allemande,  la  baguette  est  l'instrument  offi- 
ciel de  supplice,  et  il  ne  faut  évidemment  ni  en  amoindrir  l'in- 
fluence en  la  laissant  sans  cesse  comme  un  objet  banal  sous  les 
yeux  des  enfants,  ni  exposer  le  maître  à  s'en  servir  a  tout  instant, 
ou  à  chaque  mouvement  d'impatience. 


â 


966  RIVUl  PÉDAGOOfQDK 

L'autear  cite  un  grand  nombre  d'exemples  vraiment  effrayants  des 
«uites  que  peuvent  avoir  ces  châtiments  corporels,  lorsque  le  maître 
OB  la  maîtresse  en  fait  usage  avec  colère  et  dans  l'emportement  de 
la  passion.  II  se  garde  néanmoins  de  blâmer  Tusage,  il  se  borne  à 
flétrir  l'abus  de  ce  moyen  d'éducation,  dont  s'accommode,  paraîl-il, 
le  tempérament  de  nos  voisins,  et  qui  répugne  à  nos  mœurs,  à 
nos  habitude,  à  l'instin-^t  de  notr^  peuple,  et  plus  profondément 
-encore  aux  pédagogues  vraiment  soucieux  du  progrès  moral  et  de 
la  dignité  de  nos  enfants. 

L'auteur  de  l'ouvrai^e  que  nous  signalons  se  contente  de  dire  : 
«  Plus  rarement  la  nécessité  de  cliAtier,  et  de  châtier  avec  force,  se 
ftdt  sentir  dans  une  école,  mieux  elle  se  trouve  en  situation  de 
résoudre  le  problème  de  l'éducation  ;  une  école  —  quand  môme 
il  y  serait  beaucoup  enseigné  et  beaucoup  appris,  —  ne  peut  être 
regardée  comme  bonne,  si  c'est  le  bâton  qui  y  rogne  et  si  la  ct-ainte 
<lu  châtiment  y  est  le  stimulant  principal.  » 

Ces  paroles  sont  fort  justes;  mais  franchement,  le  bâton  y  est  de  trop. 

«  Was  soll  der  Junge  WEaDES?  *  Ein  liathgeher  hei  der  W'ahl  do 
'Lcbemherufs  auf  dem  gcicerblichen  Gebiele.  Fur  hltern,  Vormiindcr. 
Lehrer  und  Freunde  von  des  Volkes  Wokl.  (  u  Que  deviendra  ce  garron  / 
Conseils  pour  le  choix  d'un  métier.  Pour  les  parents,  tuteurs,  in- 
stituteurs et  amis  du  peuple),  par  A.  ton  Fragstein.  Berlin,  1885. 

Deux  Sociétés  de  Berlin,  le  Comité  ^  pour  le  bien  de  la  jeunesse 
sortie  de  l'école  »  et  le  Comité  de  la  fondation  Diesterweg  se  sont 
associées  il  y  a  quelques  années  pour  proposer  un  prix  au  meilleur 
travail  sur  cette  question  :  Du  choix  d'un  métier.  Le  prix  fut  ac- 
cordé à  l'unanimité  par  le  jury  au  manuscrit  de  l'in^:éiiieur  v(»n 
Fragstein,  qui  p.irut  répondre  entièrement  au  but  que  l'on  se  pro- 
posait. 

Il  est  certain  que  lorsque  l'enfant  n'a  pas  une  vocation  décidée,  ou 
lorsqu'il  n'est  pas  entraîné  naturellement,  par  habitude  et  par  la 
force  des  choses,  dans  la  carrière  paternelle,  il  y  a  pour  les  familles 
et  pour  les  jeunes  gens  un  moment  d'incertitude  et  d'inquiétude 
réelle  à  traverser. 

Parmi  tant  de  voies  qui  s'ouvrent,  laquelle  choisir?  11  y  a  des 
métiers  qu'on  connaît  et  qui  ne  plaisent  pas,  d'autres  qu'on  ignore 
et  qui  feraient  peut-être  Taffaire.  Quels  sont-ils?  Quels  sont  les 
moyens  de  s'y  instruire,  les  conditions  de  l'apprentissage,  les  exi- 
gences de  l'établissement,  les  ressources  à  en  attendre?  Les  parents 
s'adressent  souvent  à  l'instituteur;  il  est  lui-même  fort  embarrassé. 
Cest  le  hasard  qui  décide,  une  circonstance  fortuite,  un  voisinage. 
Peut-être  a-t-on  laissé  de  côté  une  issue  qu'on  regrettera  amèrement 
plus  tard,  quand  il  sera  trop  tard. 

M.  von  Fragstein  a  réuni  dans  son  volume  tous  les  renseigne- 
ments qui  lui  ont  paru  de  nature  a  éclairer  et  à  décider  les  familles 


LÀ  niKSSB  ET  LES  LI\RES  987 

«t  les  eniiiiits.  Son  livre  n'est  pas  un  ouvragé  ter;hnologique;  il  n'îa 
pas  la  prétention  de  fournir  des  manuels  d'apprentissage  pour  chaque 
•métier.  H  se  borne  à  exposer  l'histoire,  1  importance,  le  caractère 
de  chacun  des  métiers  où  Touvrier  peut  employer  utilement  sa 
force  et  son  intelligence.  I/ouvrage  est  divisé  en  deux  parties.  La 
première  contient  des  considérations  générales  sur  le  choix  d'une 
carrière,  sur  la  préparation  intcllectaelle  et  physique,  sur  les  sa- 
laires, les  lois  et  règlements  de  rindustrie  ;  le  jeune  homme  trouve 
la  de  bons  conseils,  dans  un  langage  simple  et  populaire.  La  seconde 
pi^tie  traite  d'environ  cent  cinquante  professions  diflFérentes,  dont 
Fauteur  montre  les  bons  et  les  mauvais  côtés;  il  en  indique  les 
particularités,  les  difficultés,  les.  ressources  ;  il  donne  le  chiffre  des 
salaires,  les  moyens  d'instruction,  le  titre  des  écrits  spéciaux,  bref, 
tout  ce  qui  peut  mettre  en  état  de  faire  un  choix  aussi  éclairé  que 
possible.  La  tentative  est  '  ingénieuse,  et  peut  rendre  quelques 
ser\'ices. 

Die  praxis  oEm  elementauklasse.  (La  pratique  de  la  classe  élé- 
mentaire; —  guiïle  sur  le  terrain  de  l'enseignement  élémentaire), 
par  Robert  Werpecke.  Berlin,  I880.  —  L'enseignement  le  plus  déli- 
cat, le  plus  difficile,  dit  l'auteur,  est  celui  de  la  première  enfance. 
Il  faut  la  bien  connaître,  Tavoir  étudiée  de  près,  savoir  quels  points 
d'attache  l'enseignement  de  l'école  peut  trouver  dans  ces  jeunes 
esprits,  quelle  préparation  ils  ont  reçue  dans  la  famille  pendant  le 
temps  qui  a  précédé  leur  entrée  à  l'école,  quels  conseils  il  convient 
de  donner  aux  parents  pour  cette  préparation. 

L'auteur  donne  une  série  de  leçons,  toutes  faites,  non  pour  être 
adoptées  toiles  quelles,  mais  comme  exemples.  Ces  leçons,  graduées 
avec  intelligence  et  tact,  portent  sur  l'enseignement  par  la  vue, 
l'enseignement  de  la  lecture,  de  récriture,  du  calcul,  de  la  religion, 
qui  est  restée  obligatoire  dans  les  écoles  allemandes. 

Elles  sont  accompagnées  d'un  nombre  considérable  d'historiettes, 
de  poésies,  de  chants,  d'énigmes,  destinés  à  illustrer,  à  éclairer,  à 
égayer  l'enseignement,  et  dont  un  très  grand  nombre  sont  vraiment 
propres  à  charmer  et  à  instruire  l'enfance. 

Deux  idées  nous  paraissent  dignes  d'être  relevées  dans  cet  utile 
volume.  Le  première,  c'est  de  rattacher  autant  que  possible  toutes 
les  leçons  à  la  connaissance  de  la  langue  maternelle,  de  donner  à 
cette  étude,  sous  les  formes  les  plus  diverses,  la  plus  grande  impor- 
tance. C'est  en  effet  donner  aux  enfants  l'instrument  le  plus  sûr 
avec  lequel  ils  acquerront  peu  à  peu  des  notions  claires  et  exactes, 
et  les  préparer  fortement,  sans  qu'ils  s'en  doutent,  aux  études  de 
l'avenir.  La  seconde  idée  sur  laquelle  insiste  Pauteur,  c'est  que  les 
leçons  ^ux  plus  petites  classes,  aux  plus  jeunes  enfants,  ne  doivent 
pas  se  donner  sans  préparation,  qu'il  est  dangereux  et  tout  aii 
moins  stérile  de  se  confier  au  hasard,  et  que  tout  doit  être  sdigneu- 


966  RIVUl  PÉDAGOGfQDB 

L'autear  cite  un  grand  nombre  d'exemples  vraiment  effrayants  des 
«uites  que  peuvent  avoir  ces  châtiments  corporels,  lorsque  le  maître 
<m  la  maîtresse  en  fait  usage  avec  colère  et  dans  l'emportement  de 
la  passion.  11  se  garde  néanmoins  de  blâmer  l'usage,  il  se  borne  à 
flétrir  l'abus  de  ce  moyen  d'éducation,  dont  s'accommode,  paraîl-il, 
le  tempérament  de  nos  voisins,  et  qui  répugne  à  nos  mœurs,  à 
nos  habitude,  à  l'instinct  de  notre  peuple,  et  plus  profondément 
•encore  aux  pédagogues  vraiment  soucieux  du  progrt^s  moral  et  de 
la  dignité  de  nos  enfants. 

Lauteur  de  Touvrai^e  que  nous  signalons  se  contente  de  dire  : 
«  Plus  rarement  la  nécossilé  de  châtier,  et  de  cliàticr  avec  force,  se 
ftiit  sentir  dans  une  école,  mieux  elle  se  trouve  en  situation  de 
résoudre  le  problème  de  Téducation  ;  une  école  —  quand  même 
il  y  serait  beaucoup  enseigné  et  beaucoup  appris,  --  ne  peut  être 
regardée  comme  bonne,  si  c'est  le  bâton  qui  y  règne  et  si  la  crainte 
<lu  châtiment  y  est  le  stimulant  principal.  » 

Ces  paroles  sont  fort  justes;  mais  franchement,  le  bâton  y  est  de  trop. 

«  Was  soll  der  Junge  werden?  »  Ein  Jlathgeber  bei  dcr  Wahl  des 
'Lcbensberufs  auf  âcm  gcwerbUvIœn  Gebiele.  Fiir  tiltern,  Vormiindcr. 
Lehrer  und  Frcunde  ivndes  Fo/to  WohL  (  «  Que  deviendra  ce  gaicon? 
Conseils  pour  le  choix  d'un  métier.  Pour  les  parents,  tuteurs,  in- 
stituteurs et  amis  du  peuple),  par  A.  von  Fragstein.  Berlin,  I880. 

Deux  Sociétés  de  Berlin,  le  Comité  <^  pour  le  bien  do  la  jeunesse 
sortie  de  l'école  »  et  le  Comité  de  ia  fondation  Diesterweg  se  sonr 
associées  il  y  a  quelques  années  pour  proposer  un  prix  au  meilleur 
travail  sur  cette  question  :  Du  choix  d'un  métier.  Le  prix  fut  ac- 
cordé à  r unanimité  par  le  jury  au  manuscrit  de  l'ini^éiiieur  von 
Fragstein,  qui  p.irut  répondre  entièrement  au  but  que  Ion  se  pro- 
posait. 

Il  est  certain  que  lorsque  l'enfant  n'a  pas  une  vocation  décidée,  ou 
lorsqu'il  n'est  pas  entraîné  naturellement,  par  habitude  et  par  la 
force  des  choses,  dans  la  carrière  paternelle,  il  y  a  pour  les  familles 
et  pour  les  jeunes  gens  un  moment  d'incertitude  et  d'inquiétude 
réelle  à  traverser. 

Parmi  tant  de  voies  qui  s'ouvrent,  laquelle  choisir?  il  y  a  des 
métiers  qu'on  connaît  et  qui  ne  plaisent  pas,  d'autres  qu'on  ignore 
et  qui  feraient  peut-être  l'affaire.  Quels  sont-ils?  Quels  sont  les 
moyens  de  s'y  instruire,  les  conditions  de  l'apprentissage,  les  exi- 
gences de  rétablissement,  les  ressources  à  en  attendre?  Les  parents 
s'adressent  souvent  à  l'instituteur;  il  est  lui-même  fort  embarrassé. 
Cest  le  hasard  qui  décide,  une  circonstance  fortuite,  un  voisinage. 
Peut-être  a-t-on  laissé  de  côté  une  issue  qu'on  regrettera  amèrement 
plus  tard,  qnand  il  sera  trop  tard. 

M.  von  Fragstein  a  réuni  dans  son  volume  tous  les  renseigne- 
ments qui  lui  ont  paru  de  nature  à  éclairer  et  à  décider  les  familles 


LÀ  MUB89B  ET  LIS  fiIVRKS  967 

^t  les  enfànU.  Son  livre  n'est  pas  un  ouvragé  ethnologique;  il  n'a 
pas  la  prétention  de  fournir  des  manuels  d'apprentissage  pour  chaque 
métier.  Il  se  borne  à  exposer  l'histoire,  1  importance,  le  caractère 
de  chacun  des  métiers  où  l'ouvrier  peut  employer  utilement  sa 
force  et  son  intelligence.  L'ouvrage  est  divisé  en  deux  parties.  La 
promi<>re  contient  des  considérations  générales  sur  le  choix  d'une 
carrière,  sur  la  préparation  intellectadle  et  physiqae,  sur  les  sa- 
laires, les  lois  et  règlements  de  l'industrie  ;  le  jeune  homme  trouve 
là  de  bons  conseils,  dans  un  langage  simple  et  populaire.  La  seconde 
pi^tie  traite  d'environ  cent  cinquante  professions  différentes,  dont 
l'auteur  montre  les  bons  et  les  mauvais  côtés;  il  en  indique  les 
particularités,  les  difficultés,  les  ressources  ;  il  donne  le  chiffre  des 
salaires,  les  moyens  d'instruction,  le  titre  des  écrits  spéciaux,  bref, 
tout  ce  qui  peut  mettre  en  état  de  faire  un  choix  aussi  éclairé  que 
possible.  La  tentative  est  '  ingénieuse,  et  peut  rendre  quelques 
sen'ices. 

Die  praxis  nim  elementauklasse.  (La  pratique  de  la  classe  élé- 
mentaire; —  guide  sur  le  terrain  de  renseignement  élémentaire), 
par  Robert  Werpecke,  Berlin,  1885.  —  L'enseignement  le  plus  déli- 
cat, le  plus  difficile,  dit  l'auteur,  est  celui  de  la  première  enfance. 
Il  faut  la  bien  connaître,  TavoU*  étudiée  de  près,  savoir  quels  points 
d'attache  l'enseignement  de  lecole  peut  trouver  dans  ces  jeunes 
esprits,  quelle  préparation  ils  ont  reçue  dans  la  famille  pendant  le 
temps  qui  a  précédé  leur  entrée  à  l'école,  quels  conseils  il  convient 
de  donner  mux  parents  pour  cette  préparation. 

L'auteur  donne  une  série  de  leçons,  toutes  faites,  non  pour  être 
adoptées  toiles  quelles,  mais  comme  exemples.  Ces  leçons,  graduées 
avec  intelligence  et  tact,  portent  sur  l'enseignement  par  la  vue, 
l'enseignement  de  la  lecture,  de  l'écriture,  du  calcul,  de  la  religion, 
qui  est  restée  obligatoire  dans  les  écoles  allemandes. 

Elles  sont  accompagnées  d'un  nombre  considérable  d'historiettes, 
de  poésies,  de  chants,  d'énigmes,  destinés  à  illustrer,  a  éclairer,  à 
égayer  l'enseignement,  et  dont  un  très  grand  nombre  sont  vraiment 
propres  à  charmer  et  à  instruire  l'enfance. 

Deux  idées  nous  paraissent  dignes  d'être  relevées  dans  cet  utile 
volume.  Le  première,  c'est  de  rattacher  autant  que  possible  toutes 
les  leçons  à  la  connaissance  de  la  langue  maternelle,  de  donner  à 
cette  étude,  sous  les  formes  les  plus  diverses,  la  plus  grande  impor- 
tance. C'est  en  effet  donner  aux  enfants  l'instrument  le  plus  sûr 
avec  lequel  ils  acquerront  peu  à  peu  des  notions  claires  et  exactes 
et  les  préparer  fortement,  sans  qu'ils  s'en  doutent,  aux  études  de 
l'avenir.  La  seconde  idée  sur  laquelle  insiste  Tauteur,  c'est  que  les 
leçons  ^ux  plus  petites  classes,  aux  plus  jeunes  enfants,  ne  doivent 
pas  se  donner  sans  préparation,  qu'il  est  dangereux  et  tout  au 
moins  stérile  de  se  confier  au  hasard,  et  que  tout  doit  être  sbigneu- 


368  AIVUI  PiDÀGOGIQUI 

Hemeni  ordonné^  étudié,  préparé  d'avance.  Les  exemples  qu'il  four- 
nit lui-même  à  Tappul  de  sa  thèse  viennent  prouver  tout  le  parti 
qu'un  bon  maître  peut  tirer  des  leçons  les  plus  simples,  à  la  condi- 
tion d'y  avoir  lui-même  mûrement  réfléchi. 

GoTTHOLD-EpHRAiM  Lessing's  Schuuahrk.  Etn  Beitrog  zur  deutschen 
KuUur-,  LiteratuP'  und  Schulgeschichte  (Les  années  d'école  de  Lessing. 
Pour  servir  à  l'histoire  littéraire  et  pédagogique  de  T Allemagne), 
par  le  D*^  J.-Ch.-G.  Schumann.  Trêves,  1884.  —  Ces  quelques  pages 
sont  extrêmement  ingénieuses.  Grâce  à  l'intérêt  qui  s'attache  à  tout 
ce  qui  touche  un  homme  de  la  valeur  de  Lessing,  poète,  philosophe, 
théologien,  critique,  dramaturge,  on  s'intéresse  aux  traits  les  plus 
minutieux  de  l'histoire  scolaire  du  xviii^'  siècle. 

L'auteur  trace  un  tableau  vivant  de  l'école  des  princes,  à  Meissen, 
décrit  rinternat,  la  vie  des  écoliers,  leurs  occupations,  les  peines 
disciplinaires,  l'emploi  du  temps,  les  leçons,  les  livres  de  classe, 
tout  l'ensemble  des  conditions  où  se  trouvaient  alors  maîtres  et 
élèves.  11  a  mis  a  profit  pour  cette  description  les  règlements  sco- 
laires de  l'époque,  tous  les  documents  qu'il  a  pu  se  procurer. 

Après  avoir  décrit  le  milieu,  il  arrive  plus  spécialement  au  jeune 
Lessing,  dont  il  a  su  retrouver  les  maîtres,  les  notes  semestrielles; 
il  recherche  quelle  a  pu'  être  sur  l'enfant,  sur  le  jeune  homme, 
l'influence  de  l'instruction,  de  l'éducation  que  lui  donnait  le  collège, 
dans  quelle  mesure  s'y  est  formé  son  esprit,  son  caractère,  sa 
vocation. 

L'auteur  raconte  ainsi  les  événements  qui  venaient  traverser  la 
vie  paisible  de  Técole,  les  épisodes  de  la  seconde  guerre  de  Silésie 
qui  eut  lieu  pendant  que  le  jeune  Lessing  était  encore  sur  les  bancs, 
et  les  impressions  qu'il  a  pu  et  dû  en  ressentir.  Bref,  c'est  un 
petit  coin  de  la  vie  scolaire  du  siècle  dernier,  qui  est  loin  de  manquer 
d'intérêt. 

GoTTHELF  Salzmann  UND  DER  Philanthropinismus  (Gotthelf  Salz- 
mann  et  le  Philanthropinisme),  par  Gotihold  Kreyenherg.  Francfort- 
sur-le-Mein,  1884.  —  Cette  brochure  se  compose  d'études  parues 
dans  les  Bheinische  Blatter  dans  le  courant  de  Tannée  dernière.  On 
sait  que  Gotthelf  Salzmann  fut  un  des  successeurs  et  continuateurs 
de  Basedow,  fondateur  de  la  célèbre  institution  connue  sous  le 
nom  de  Philanthropinum.  Cette  institution,  fondée  à  Dessau  en  1774,. 
eut  l'honneur  d'être  signalée  par  Kant  comme  destinée  à  former  non 
seulement  d'excellents  élèves,  mais  aussi  une  foule  d'habiles  pro- 
fesseur. 

Basedow  n'a  pas  laissé  que  de  prêter  le  flanc  à  la  critique  et  au 
ridicule.  Le  biographe  de  Salzmann  prétend  que  ce  pédagogue 
éminent  a  su  éviter  les  fautes  de  son  prédécesseur,  qu'il  a  utile- 
ment développé,  corrigé  et  appliqué  les  idées  du  fondateur  du  Phi- 


LÀ  PRESSE   ET  LES  LIVRES  369 

lanlhropinum  et  qu'il  a  su  leur  donner  une  influence  considérable 
que  Basedow  seul  eût  été  incapable  d'obtenir  pour  elles. 

D'après  M.  Kreyenberg,  ce  serait  une  grave  erreur  de  vouloir 
enfermer  toute  la  doctrine  cl  toute  l'histoire  du  Philanthropinisme 
dans  les  tentatives  de  Basedow,  de  Wolke  ou  de  Bahrdt,  et  de 
considérer  l'autorité  de  Salzmann  comme  une  simple  annexe  de  la 
leur.  Salzmann  a  le  droit  de  revendiquer  une  part  d'originalité,  de 
bon  sens  et  de  sagesse  qui  lui  est  propre,  et  l'on  devrait,  pour  être 
équitable,  diviser  rhistoire  du  Philanthropinisme  en  deux  périodes, 
l'une  caractérisée  par  les  noms  de  Dessau,  Marschlins,  Heidesheim, 
l'autre  qu'on  pourrait  appeler  la  période  de  Schnepfenlhal,  du  nom 
de  la  localité  où  Salzmann  a  fondé  son  institution  et  exercé  sa 
féconde  influence  à  partir  de  1784. 

La  brochure  de  M.  Kreyenberg  est  intéressante  et  donne  d'utiles 
renseignements  sur  un  homme  et  une  institution  si  étroitement 
mêlés  à  l'histoire  de  la  pédagogie  allemande.  J.  S. 

Langues  suédoise  et  norvégienne. 

Le  Musée  pédagogique  vient  de  recevoir  de  la  légation  de  Suède 
et  de  Norvège  à  Paris  une  intéressante  collection  de  documents 
imprimés  relatifs  à  la  législation  et  à  la  statistique  de  l'instruction 
publique  de  ces  deux  pays. 

Celle  colleclion  comprend  entre  autres,  pour  la  Suède,  les  lois  et 
règlements  concernant  l'enseignement  primaire  et  l'enseignement 
secondaire,  les  plans  d'études  des  écoles  primaires,  les  plans  nor- 
maux de  maisons  d'écolo,  les  rapports  des  inspecteurs  scolaires  et 
le  précis  de  la  situation  générale  de  l'enseignement  primaire  pour 
les  deux  périodes  quinquennales  i872-1876  et  1877-1881.  On  y  a 
joint  deux  périodiques  spéciaux  :  une  revue  de  l'enseignement  se- 
condaire, la  Pedagogisk  Tithkrift  (années  1870-1883),  et  une  revue  de 
l'enseignement  primaire,  la  Tidakrift  for  Folk-Undervisningen  (années 
1882-1884). 

Pour  la  Norvège,  la  collection  comprend  toutes  les  lois  et  tous  les 
règlements  relatifs  à  Tenseignen^ent  universitaire,  de  1848  à  1884; 
la  législation  relative  aux  écoles  primaires  supérieures  et  aux  écoles 
mtcrmcdiaires  de  filles  ;  Fa  législation  des  écoles  primaires  et  des 
écoles  normales;  la  statistique  scolaire  des  années  1867  à  1880; 
enfln  les  récents  projets  de  réorganisation  des  écoles  primaires,  dos 
écoles  intermédiaires  et  des  gynmases. 


REVUE  PÉOAGOGIQIB  1885.  —  l«r  SBM.  ±\ 


CHRONIQUR   DE    L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE 

EN  FRANCE 


Le  nouveau  ministre  de  l'instruction  publique.  —  Par  décret  en 
date  du  6  avril  i885,  M.  René  Goblet,  député,  a  été  nommé  ministre 
de  l'instruction  publique,  des  beaux-arts  et  des  cultes,  en  remplace- 
ment de  M.  Fallières,  qui  a  suivi  dans  sa  retraite  le  cabinet  démis- 
sionnaire. 

L'achèvement  des  maisons  d'école.  —  Dans  sa  séance  du  26  mars, 
la  Chambre  des  députés  a  voté,  après  une  courte  discussion,  tous 
les  articles  du  projet  de  loi  présenté  par  M.  Fallières  au  sujet  de 
raclièveracnt  des  maisons  d'école,  projet  dont  nous  avons  parle  dans 
le  numéro  de  janvier  dernier,  il  est  certain  que  le  Sénat  le  volera 
également.  Nous  ne  saurions  trop  nous  en  féliciter. 

Quelques  données  statistiques.  —  Nous  donnons  ci-dessous  la 
situation  des  caisses  d'épargne  scolaires,  des  caisses  des  écoles,  des 
sociétés  de  secours  mutuels  des  instituteurs  et  des  institutrices  au 
J«'  janvier  1885,  comparée  avec  la  situation  de  1884: 

Cnissics  d'épargne  sœUiircs, 

1885  1884 

Nombre  de  caisses ^i.'ii^  ti.iHi 

Nombre  de  livrets io8.62i  442.0-21 

Sommes   inscrites  à   ces   li- 
vrets   Fr.  11.285.046  i0.248.2iG 

Caisse  des  ficolcs» 

Nombre  de  caisses 18.903  19.436 

Keceltes  de  rexercice.  Fr.   .   .        4.-488.296        4.254.176 
Dépenses  de  Texercicc 3.027.865       2.630.528 

Reste  en  caisse 1.160.431        1.623. (148 

Sociétés  de  secours  mutuels. 

Nombre  de  sociétaires 36.650  34.51)1 

Actif  général  y  compris  les  fonds 

eu  caisse,  les  versements  à  la 

caisse  de   retraites    pour    la 

vieillesse Fr.        3.805.116       3.506.257 


•• 


CHRONIQUE   DE  LEHSBICKEMENT  FRIVAIRB  EN  FRANCE         371 

CBRTincAT  D*ÉTUB£S  pxni AIRES.  —  Noils  lisons  dans  le  rapport  de 
l'inspecteur  d'académie  du  Lot  sur  la  situatioa  de  renseignement 
primaire  dans  le  déparlement. 

Il  faut  se  préoccuper  constamment  de  le  tenir  à  un  niveau  élevé  et  lutter 
<ïontre  la  tendance  des  examinateurs  étrangers  à  renseignement  et  qui  sont 
trop  portés  à  TindalgeDce.  MM.  les  inspecteurs  primaires  n'y  manquent  pas. 

Je  ne  sais  si  Ton  peut  dire  encore  que  cet  examen  e^t  une  mesure  exacte 
des  progrès  scoluirei.  11  ne  porte  en  effet  que  sur  certaines  malicres  du  pro- 
grjmme  d.s  écoles  primaires;  or,  comme  il  doit  être  le  couronnement 
d'études  régulières  et  la  constatation  exacte  de  l'enseignement  donné  aux 
iUèves  du  cours  moyen,  il  devrait  embrasser  toutes  les  parties  de  ces  pro- 
grammes et  les  épreuves  orales  pourraient  en  conséquence  être  augmentées 
de  questions  sur  l'instruction  morale  et  civique,  sur  le  droit  usuel  et  l'éco- 
nomie politique,  sur  les  sciences  physiques  et  naturel  es,  sur  le  chant,  le 
dessin  et  la  gymnastique. 

La  réforme  proposée  est  sans  doute  rationnelle  et  ce  n'est  pas  la 
première  fois  que  pareille  idée  se  fait  jour.  N'est-il  pas  à  craindre 
cependant  qu'en  voulant  trop  élever  et  étendre  Texamen  du  certificat 
d'études  primaires  on  ne  le  rende  difficilement  accessible  à  la  moyenne 
des  élèves  des  écoles  primaires  pour  laquelle  il  a  été  institué  ? 
D'ailleurs  il  n'est  pas  absolument  nécessaire  d'inscrire  dans  le  pro- 
gramme des  questions  sur  l'instruction  morale  et  civique,  sur  le 
droit  usuel  et  l'économie  polilique,  sur  les  sciences  physiques  et 
nalurclies.  Dans  l'exercice  de  la  lecture  expliquée  des  interrogations 
[jcuvent  êln;  faites  sur  ces  différentes  matières.  Quant  à  l'épreuve 
du  dessin,  qui  est  aujourd'hui  facultative,  il  serait  bon,  d'après  nous, 
de  la  rendre  obligatoire.  La  môme  mesure  pourrait  être  prise  pour 
les  questions  d'agriculture  ;  mais  pour  les  filles  ces  questions 
seraient  utilement  remplacées  par  des  interrogations  sur  la  tenue 
du  ménage  et  de  la  ferme  :  enfin,  nous  estimons  qu'il  serait 
désirable  d'imposer,  du  moins  aux  gardons,  l'obligation  dune 
épreuve  pratique  de  gymnastique  sans  agrès. 

OUGANISATION      PÉDAGOGIQUE      DES    ÉCOLES     PIIIMAIRES     DE    SaONE-ET- 

LoiRK.  —  Nous  venons  d»?  recevoir  le  «  Vatlc-mccuni  des  insliluteurs 
du  déparlement  de  Saône-el-Loire  ».  C'est  une  brochure  facile  à 
manier  et  à  lire  ;  elle  est  sobre  et  substantielle  et  mérite  son  titre. 
Elle  renferme  les  instructions  ministérielles  relatives  à  l'application 
des  nouveaux  programmes  et  les  programmes  eux-mêmes,  les 
«  direclions  »  de  l'inspecteur  d'académie  sur  chacune  des  matières 
à  enseigner,  la  répartition  mensuelle  de  ces  matières,  un  emploi  du 
temps,  pour  les  écoles  à  un  seul  maîtie  et  pour  celles  à  deux 
mailles,  et  les  prescriptions  concernant  la  tenue  des  cahiers  men- 
suels. Les  écoles  de  Saùne-et-Loire  ont  donc  maintenant  une 
organisation  pédagogique  complète,  et  c'est  là  un  grand  point. 

Il  est  à  remarquer  que  dans  ce  règlement  les  matières  sont  répar- 
ties e.i  huit  mois,   parce  que  la  fréquentation  scolaii^  n'est  paa 


372  UVC£  PÉDAGOGIQUE 

régulière,  ni  uniforme,  surtout  à  la  campagne.  C'est  pour  cette 
raisons  qu'elles  sont  groupées  sous  les  rubriques  :  !•'  mois,  2«,  3«.... 
8^,  sans  souci  du  nom  des  mois  correspondants.  11  est  vrai  que 
dans  les  villes  et  les  bourgs  importants,  dans  les  centres  industriels, 
les  écoles  reçoivent  à  peu  près  le  même  nombre  d*élèves  pendant 
chacun  des  dix  mois  de  Tannée  scolaire,  a  Malgré  cela,  dit  lin- 
specleur  d'académie,  la  répartition  des  huit  mois  sera  applicable  dans 
ces  écoles,  en  réservant  deux  mois  de  Tannée,  c'est-à-dire  juin  et 
juillet,  ou  plutôt  un  mois  au  milieu  et  un  mois  à  la  fia  de  Tannée 
(mars  et  juillet)  pour  la  révision.  » 

Tout  cela  nous  semble  judicieux  et  bien  réglé,  du  moins  dans  les 
grandes  lignes  ;  Texpérience  fera  voir  si  certaines  modifications  ne 
sont  pas  à  apporter  à  la  répartition  mensuelle  des  matières  et  s'il  ne 
serait  pas  préférable  de  s'en  tenir  à  une  répartition  trimestrielle  (1). 

Dans  Temploi  du  temps,  nous  voyons  que  l'instruction  morale  se 
donnera  de  8  heures  à  8  h.  25  du  matin  :  nous  trouvons  la  chose 
i&cheuse.  11  y  a  toujours  au  début  d'une  classe  un  certain  désordre 
occasionné  par  Tarrivée  des  retardataires.  Nous  aimerions  mieux 
commencer  par  le  dessin  et  les  travaux  manuels,  en  reportant  à 
une  heure  plus  avancée  l'enseignement  moral,  qui  réclame  le  plus 
grand  recueillement  et  qui  le  plus  souvent  devrait  sortir  des  leçons 
ou  des  lectures  qu'on  aurait  eu  soin  de  choisir  et  de  préparer  avec  soin. 

Expositions  scolmres.  —  Le  goût  des  expositions  scolaires  se 
répand  de  plus  en  plus.  Nous  avons  déjà  parlé  des  expositions  qui 
se  préparent  ù  Angoulême,  à  Beauvais,  à  Tours  et  à  Toulouse.  Celle 
de  Toulouse  promet  d'être  particulièrement  brillante,  car  nous  appre- 
nons que  tous  les  départements  du  ressort  académique  y  prendront 
part. 

D'autres  expositions  nous  sont  encore  annoncées  :  une  exposition 
régionale  de  géographie  à  Nantes  pour  le  mois  d'août  1886,  à  l'oc- 
casion de  la  réunion  aans  cette  ville  du  Congrès  national  des 
Sociétés  de  géographie  ;  une  exposition  scolaire  départementale  à 
Angers,  à  l'occasion  du  Concours  régional  de  1885;  une  exposition 
du  même  genre  à  Montpellier,  une  autre  à  Chartres,  une  autre 
encore  à  Lyon,  enfin  une  exposition  scolaire  agricole  à  Valence. 

Nous  relevons  dans  le  règlement  de  l'exposition  d'Angers  les  dis- 
positions suivantes  : 

«  La  participation  à  Texposition  est  obligatoire  pour  toutes  les  écoles 
primaires  élémentaires  publiques  de  Maine-et-Loire. 

»  Les  travaux  d'élèves  comprendront  nécessairement,  pour  chaque 
école  primaire  publique  : 


il)  Dons  le  Lot  on  vient  d'opter  pour  la  répartition  trimestrielle.  Cette 
question,  fort  importante,  est  très  débattue;  mais  tout  le  monde  est  d'accord 
qu'il  faut  une  répartition,  qu'elle  soit  trimestrielle  ou  mensuelle. 


CHHONI0U1&  DE  l'sNSKIGNKMVNT  PRIMAIRE  EN  FRANOE        373 

»  i*^  Des  cahiers  de  devoirs  journaliers. 

»  2<>  Des  cahiers  de  devoirs  mensuels. 

•  Le  nombre  des  cahiers  de  l'une  et  l'autre  série  sera  calculé, 
dans  chacun  des  trois  cours,  à  raison  de  1/10  du  nombre  des 
élèves  inscrits,  sans  qu'il  puisse  être  inférieur  à  5  dans  aucun 
cours. 

»  Toute  école  primaire  publique  comptant  50  élèves  au  plus  par 
division  aura  donc  à  présenter  15  cahiers  de  devoirs  journalier-^  et 
15  cahiers  de  devoirs  mensuels. 

»  Les  devoirs  qui  figureront  dans  les  cahiers  de  la  1"*®  catégorie  ne 
devront  porter  aucune  date  antérieure  au  1«^  mars  1885. 

»  Chaque  école  primaire  publique  de  filles  présentera,  en  outre, 
des  travaux  à  l'aiguille  exécutés  par  les  élèves  dans  le  cours  de 
l'année  scolaire  1884-1885.  » 

Toutes  ces  expositions  dëparlemen taies  ou  régionales  serviront 
d'excellente  préparation  pour  la  grande  exposition  nationale  et  inter- 
nationale de  1889,  à  laquelle  il  faut  penser  dès  maintenant.  On  sait 
que  la  Commission  présidée  par  M.  Antonin  Proust  a  déjà  arrêté 
le  programme  général  des  constructions  et  décidé  l'établissement  de 
deux  grandes  divisions  :  l^la  manffestation  des  idées;  i2*^  l'exposition 
des  produits.  On  disposera  tout  ce  qui  se  rapporte  à  l'enseignement 
et  à  réducation  autour  du  Palais  de  l'industrie,  dont  les  salles  seront 
utilisées  pour  les  congrès  et  les  conférences. 

Monographies  communales.  —  Depuis  1875  la  Société  d'émulation 
de  Lisieux  accorde  chaque  année,  lors  du  concours  agricole  tenu 
dans  l'un  des  cantons  de  la  circonscription,  un  certain  nombre  de 
récompenses  aux  instituteurs  qui  produisent  les  meilleurs  mémoires 
sur  l.'urs  communes  respectives.  L'inspecteur  d'académie  du  Calva- 
dos veut  généraliser  cette  œuvre  dans  le  département  tout  entier. 
On  ne  peut  qu'applaudir  à  cette  idée  :  il  est  bon  que  les  instituteurs 
puissent  apprendre  à  leurs  élèves  l'histoire  de  leur  commune  et  la 
rattacher  à  celle  de  la  patrie.  Plusieurs  départements  ont  déjà  leurs 
monographies  complètes. 

Cartes  communales.  —  M.  Baby,  commis  de  direction  des  postes 
et  télégraphes  à  Foix,  vient  d'entreprendre  la  publication  des  mono- 
graphies spécialement  rédigées  pour  chaque  commune  du  départe- 
ment avec  cartes  à  l'appui.  Pour  répandre  plus  facilement  la  con- 
naissance de  la  géographie,  il  a  eu  l'idée  ingénieuse  de  se  servir  des 
cahiers  destinés  aux  devoirs  journaliers  des  élèves  :  les  couvertures 
portent  d'un  côté  une  carte  de  la  commune  aux  1/50,000®  avec  tous 
les  détails  topographiques,  le  chef-lieu,  les  hameaux,  les  écarts,  les 
principales  altitudes,  etc.  D'un  autre  côté  est  une  note  descriptive 
de  la  commune  comprenant  la  situation,  le  relief  du  sol,  la  géologie, 
le  climat,  l'agriculture,  le  commerce,  Tindustrie,  les  sources  miné- 


374  iXTUE  PÉBÀfioaooi 

raies,  les  voies  de  communication,  radministration,  la  population, 
l'histoire,  les  curiosités  monumentales,  pittoresques  et  naturelles. 
.  M.  Baby,  qui  est  un  des  collaborateurs  de  M.  Joanne,  complétera 
son  œurre  en  réunissant  sous  forme  d'atlas  les  monographies  et  les 
cartes  déjà  placées  sur  les  couvertures  des  cahiers.  Il  y  aura  ainsi 
deux  ouvrages  distincts  :  les  cahiers  destinés  aux  élèves,  les  atlas 
pour  les  maîtres. 

Tout  cela  est  fort  ingénieux,  fort  pratique  et  fort  utile.  C'est  un 
exemple  à  suivre. 

École  normale  d'institutrices  de  Naittes.  —  Les  écoles  primaires 
annexées  aux  écoles  normales  fournissent  souvent  de  bonnes  recrues 
à  ces  dernières,  mais  sans  cours  préparatoire  proprement  dit.  A 
Nantes  un  cours  régulier  de  préparation  à  l'examou  d'admission  à 
récole  normale  d'institutrices  a  été  créé  au  sein  do  cette  école  par  un 
arrêté  municipal  du  5  février  dernier  et  il  a  été  ouvert  à  la  fin  du 
même  mois.  Il  n'est  admis  au  cours  que  des  élèves  externes,  qu'on 
fait  entrer  au  besoin  dans  d'honorables  familles  disposées  à  les 
recevoir  moyennant  un  prix  arrêté  avec  les  parents.  L'enseignement 
est  gratuit.  La  durée  régulière  du  cours  préparatoire  est  d'une 
année  scolaire. 

La  Société  philomathique  de  Bordeaux.  —  Il  n'y  a  guère  en  pro- 
vince d'association  qui  fasse  plus  de  bien  et  obtienne  plus  de  résultais 
que  la  Société  philomathique  de  Bordeaux,  qui  compte  déjà  77  ans 
(f existence.  EHe  a  été  fondée  en  1808,  on  pourrait  même  dire  qu'elle 
est  née  en  1783,  car  elle  n'a  fait  que  reprendre  les  libérales  traditions 
du  Musée  de  Bordeaux,  qui  fut  le  berceau  des  Girondins,  et  qui. 
avant  elle,  avait  fondé  des  cours  gratuits  et  organisé  des  exposi- 
tions. En  1793  l'agitation  révolutionnaire  dispersa  les  membres  du 
Musée  :  ce  sont  les  survivants  qui  ont  créé  la  Société  philomatliique. 
La  Gironde  nous  donne  le  rapport  lu  en  assemblée  générale  le  10 
janvier  par  le  secrétaire  de  la  Société,  M.  Eugène  Buhnn.  Nous 
croyons  qu'il  n'est  pas  inutile  d'en  extraire  la  partie  relalivo  à  l.i 
créai  ion  des  cours  organisés  l'année  dernière: 

A   un   plus  haut  degré  encore  que  pour  l'entretien  des  cours  existants^ 
l'importance   des   travaux  de  la  Société  Philomathique  s'est  accrue  pendant 
l'exercice  écoulé,  en  ce  qui  a  trait  an  développement  donné  à  son  enseigne 
nAcnt  par  la  création  de  cours  nouveaux. 

En  ouvrant  trois  cours  de  chauttage,  conduite  et  entretien  de  machinas  à 
vapeur,  de  dessin,  de  carrosserie  et  de  langue  espagnole,  ce  dernier  pour  les 
femmes  adultes,  nous  nous  sommes  avancés  résolument  dans  la  voie  dn 
l'ens^'ignement  professionnel,  tout  en  conservant  à  ces  cours  ce  caractère  qui 
dialingue  la  plupart  de  ceux  que  nous  créons,  de  n'être  pas  encore  professés 
dans  notre  ville. 

l)è)  la  fin  de  l'année  1883,  rétablissement  d'un  cours  de  chauffage,  d'en- 
tretien et  de  conduite  de  machines  à  vapeur,  et  plus  spécialement  de  machines 
è  vapenr  marioes,  vivement  désiré  par  la  Chambre  ae  commerce,  nécessaire 


3 


CHRONIQUE  DE  L'ENSUSKEMElfT  PRIMAIRE  EN  FRANCE  375 

au  développement  de  notre  marine  et  de  notre  industrie  locale,  voqs  le  savez, 
était  mis  à  l'étude. 

La  libéralité  de  la  Chambre  de  commerce,  qui  a  bien  voulu  afTecter  une 
somme  de  2,000  francs  aux  dépenses  exceptionnel  les  que  des  exercices  sur  des 
bateaux  à  vapeur  devaient  entraîner,  la  présence  parmi  nous  de  M.  Ducos, 
ingénieur  de  l'Assotriation  des  propriétaires  de  machines  à  vapeur  du  Sud- 
Oues^  nous  ont  permis  de  mettre  ce  projet  à  exécution.  Si  ce  cours  était 
impatiemment  attendu,  le  livre  d'inscription,  le  livre  de  présence  des  élèves 
en  font  foi.  Cent  dix  élèves  se  sont  fait  inscrire  ;  une  centaine  d'élèves  suivent 
assidûment  le  cours.  Le  niveau  de  leur  instruction  générale  est  très  satisfai- 
sant, leur  professeur  l'a  constaté  en  les  interrogeant  tour  à  tour  avant  d'arrêter 
le  programme  de  son  enseignement,  ce  qui  luji  permellait  de  dire  dans  sa 
leçon  d'ouverture: 

«t  Nous  n'avons  en  vue  que  l'éducation  des  ouvriers  intelligents  qui  ont 
déjà  reçu  un  degré  suffisant  d'instruction  pour  pouvoir  étudier  avec  fruit; 
de  ceux'  qui,  jeunes  encore  et  pleins  d'espérance  dans  l'avenir,  veulent  sincè- 
renient  acquérir  les  connaissances  qui  leur  manquent  et  dont  ils  déplorent 
raljsencc;  de  ceux  jduî  avnncés  en  âge  qui  sont  déjà  pourvus  de  toute  l'ha- 
bileté pratique  d'une  profession,  qui  dans  leur  vie  d'atelier  ont  d  jà  bien 
fait  des  observations,  mais  qui  n'ont  pu  saisir  la  cause  des  faits  observés,  et 

ui  viendront  puiser  dans  ce  cours  les  principes  généraux  qui  sont  la  base 

e  toute  pratique  éclairée.  )^ 

Vous  venez  d'entendre  ce  que  le  professeur  d'un  cours  de  chauffage  pou- 
vait dire  à  ses  élèves  en  1884.  Il  y  a  une  vingtaine  d'années,  un  des  plus 
importants  ateliers  de  France  ouvrait  un  concours  dn  chauffeurs  :  sur  31  caor- 
diaats,  sept  savaient  lire. 

Heureuse  élévition  du  niveau  d'instruction  générale  de  la  classe  ouvrière, 
Messieurs,  dont  nous  avons  d'autant  plus  le  droit  de  nou:î  féliciter  que  nous 
pouvons  revendiquer  notre  pirt  dans  l'œuvre  accomplie. 

Si  à  ce  qui  précède  j'ajoute  que  le  professeur  se  loue  de  ses  élèves,  de 
leur  tenue,  do  leur  assiduité  et  de  leur  attention  ;  que  les  membres  de  votre 
Comité  .se  louent  du  talent  et  de  la  méthode  du  professeur,  qu'ils  ont  pu 
apprécier  dans  plusieurs  de  ses  leçons  ;  que  cet  enseignement  sera  sans  doute 
recueilli  l'an  prochain  par  un  nombre  plus  considérable  d'auditeurs,  puis- 
qu'il comprendra  alors  deux  années,  la  première  consacrée  au  cours  prati- 
que de  chauff  ige,  la  seconde  au  cours  de  conduite  et  d'entretien  des  macoine- 
à  vapeur,  voui  penserez  avec  mol  qne  le  but  poursuivi  sera  pleinement  atteints 

Parmi  les  industries  les  plus  intéressantes  de  notre  n^gton,  oo  compte  celle 
de  la  carrosserie,  qui  ne  repond  pas  seulement  aux  besoins  de  la  consomma- 
tion locale,  mais  encore  pourvoit  dans  une  certaine  mesure  la  consommation 
étrangère.  Cette  industrie  a  été  florissante  ;  comme  beaucoup  d'autres,  aujour- 
d'hui elle  souffre.  Ne  craignant  aucune  comparaison  au  point  de  vue  de  la 
qualité  et  du  goilt,  elle  ne  lutte  que  très  péniblement  contre  la  concurrence 
étrangère,  au  point  de  vue  du  prix.  Que  si  l'on  demande  aux  hommes  tes 
plus  compétents  en  cette  matière  la  cause  de  celte  infériorité  relative,  ils 
croient  la  trouver  dans  le  d<^faut  d'ouvriers  capables  et  munis  d'un  ensei- 
gnement professionnel  suffisant.  Ceux-là  mêmes  oui  sont  arrivés  à  être  de 
Bons  ouvriers  à  force  de  persévérance  manquent  de  ces  preniers  principes 
techniques  qui  leur  permettraient  de  paiiaire  à  coup  sûr  une  œuvre  qu  ils 
ne  terminent  qu'après  maints  essais  et  une  grande  perle  de  temps.  En  outre, 
l'absence  des  moyens  d'instruction  professionnelle,  dans  notre  ville,  pour  les 
ouvriers  carrossiers,  amène  ce  déplorable  résultat  que  les  jeunes  ouvriers  les 
plus  intelligents,  désireux  d'arriver  et  ne  pouvant  acquérir  ici  les  éléments 
qui  leur  manquent  pour  atteindre  le  but  qu'ils  se  proposent,  abandonnent 
Bordeaux  pour  Paris.  Telles  sont  les  considérations  qui  nous  ont  déterminés  à 
oovrirun  cours  de  deaain  de  Garrosserie. 

Nous  avons  été  heureux  de  pouvoir  confler  à  un  ancien  Itnrejt  de  nos 
classes,  M.  Barbreau,  la  dirocUoa  de  ce  cours,  qui  compte  déjà  une  quaran- 
taine d'élèves. 


376  R£yUE  PÉDAGOGIQUE 

Enfin f  nous  avons  fondé  une  classe  de  langue  espagnole  pour  les  femnaes 
adultes.  L'Espagne  est  une  cliente  importante  de  notre  ville,  surtout  pour  les 
articles  de  modes  et  de  fantaisie.  II  faut,  pour  faciliter  encore  avec  cette  clien- 
tèle espagnole  des  rapports  fructueux  pour  notre  commerce,  que  les  personnes, 
le  plus  souvent  du  sexe  féminin,  appelées  à  diriger  ces  magasins  ou  à  colla- 
borer à  leur  direction,  se  mettent  en  situation  de  répondre  dans  leur  langage 
aux  Espagnols  de  passage,  et  de  correspondre  au  besoin  avec  eux.  C'est  là 
surtout  ce  que  nous  avons  recherché  en  instituant  ce  cours.  Nous  ne  doutons 

{>as  que  M.  Fuentes-Hami,  qui  a  déjà  fait  ses  preuves  chez  nous,  ne  le  pro- 
èsse  de  manière  à  obtenir  ces  résultats. 

Le  recrutement  des  instituteurs.  —  Nous  croyons  devoir  repro- 
duire la  circulaire  que  l'inspecteur  d'académie  de  Mendo  vient 
d'adresser  aux  inspecteurs  primaires  delà  Lozère: 

«  Les  écoles  normales  suffisent  dès  maintenant  au  recrutement 
du  personnel  des  écoles  primaires. 

»  Je  suis  cependant  obligé  de  m'adresser  dans  le  courant  de 
Tannée,  pour  assurer  le  service,  à  des  candidats  préparés  dans  les 
établissements  particuliers  d'instruction  primaire  et  dont  je  ne 
connais  pas  la  valeur  pédagogique. 

»  Depuis  le  mois  d'octobre  dernier,  je  n'ai  confié  à  la  plupart  de 
ces  maîtres  que  des  fonctions  de  suppléants  ou  des  nominations  à 
titre  provisoire. 

»  Avant  de  leur  donner  une  nomination  définitive,  je  vous  invite 
à  inspecter  leurs  écoles  le  plus  tôt  possible  et  à  m'adresser  un 
rapport  très  détaillé  sur  leur  tenue,  leur  zèle,  leur  dévouement  et 
leur  aptitude  professionnelle.  » 

Bibliothèques  et  livres.  —  Une  armoire-bibliothèque  est  un 
meuble  qui  fait  bonne  figure  dans  une  école  et  on  a  bien  fait  de 
l'introduire  obligatoirement  dans  les  écoles  nouvellement  construites  : 
le  meuble  devrait  appeler  et  appelle  souvent  les  livres;  mais  quel- 
quefois les  livres  se  font  longtemps  désirer  avant  de  venir  remplir 
les  rayons.  C'est  ce  qui  est  arrivé,  dans  la  Lozère.  Tan  dernier,  où  plus 
de  eo  armoires-bibliothèques  étaient  vides.  Grâce  à  une  subvention 
du  Conseil  général  et  à  des  dons  de  l'inspecteur  d'académie,  chacune 
d'elles  est  pourvue  maintenant  d'une  dizaine  de  volumes  au  moins. 
C'est  peu,  mais  c'est  un  commencement,  et,  nous  ne  saurions  trop 
le  répéter,  surtout  pour  ce  qui  concerne  les  bibliothèques,  il  n'y  a 
rien  de  tel  que  de  commencer  pour  aboutir.  Si  les  instituteurs  de 
la  Lozère  le  veulent  bien,  ces  minuscules  bibliothèques  deviendront 
bientùt  florissantes. 

Le  sou  des  bibliothèques  scolaires. --L'œuvre du  sou  des  biblio- 
thèques scolaires  fait  son  chemin.  M.  l'inspecteur    d'académie    de 
Caen  l'a  chaudement  recommandée  aux  instituteurs  et  aux  institu- 
trices du  Calvados. 
*  c  Je  me  mettrai,  dit-il,  à  votre  disposition  pour  tous  les  conseils 


CHRONIQUE  DE   l'eNSBIGNBMENT  PRIMAIRE  EN  FRANCE  377 

de  direction  dont  vous  aurez  besoin.  Je  recevrai  avec  plaisir  toutes 
les  communications  que  vous  voudrez  bien  m'adresser,  tant  sur  les 
efforts  tentés  et  les  résultats  obtenus  par  vous,  que  sur  les  divers 
détails  de  la  réglementation  qu'il  y  aura  lieu  d'adopter.  Quant  aux 
points  principaux  de  cette  réglementation,  les  voici  :  j'appelle  sur 
eux  toute  votre  attention. 

»  10  Perception  des  cotisations,  —  Je  désire  qu'elle  soit  faite  exclu- 
sivement par  vous;  si  toutefois  vous  voyez  des  avantages  à  l'insti- 
tution d'un  «  Comité  protecteur  n  formé  de  quelques  élèves  délégués 
à  cet  effet  par  leurs  camarades  —  ce  Comité  existe  dans  le  Pas- 
de-Calais  —  vous  voudrez  bien  me  donner  vos  raisons  ;  je  ne  demande 
pas  mieux  que  de  les  examiner  avec  intérêt  et  de  les  approuver, 
s'il  y  a  lieu. 

»  2®  Emploi  des  ressources,  —  Vous  aurez  à  produire  chaque  année 
des  propositions  et  à  les  soumettre  au  visa  de  M.  l'inspecteur  pri- 
maire, en  y  joignant  un  état  faisant  connaître  le  montant  des  fonds 
que  vous  avez  recueillis.  La  liste  des  ouvrages  devra  être  au  préalable 
approuvée  par  moi.  Ces  ouvrages  pourront  être  choisis  dans  le  cata- 
logue officiel  dressé  par  les  soins  du  ministère  de  l'instruction 
publique. 

»  3®  Écritures  de  comptabilité.  ■  Vous  devez  inscrire  très  réguliè- 
rement, sur  un  registre  spécial,  d'une  part  les  recouvrements  effectués, 
de  l'autre  les  dépenses  faites.  Puis,  afin  que  l'administration  soit 
exactement  renseignée,  vous  aurez  à  adresser,  au  commencement 
de  chaque  trimestre,  à  votre  inspecteur  primaire  un  extrait  de  ce 
registre  indiquant  la  situation  d'une  manière  nette  et  précise.  Un 
extrait  semblable  devra  être  joint  à  toute  proposition  d'achat  de 
livres.  Enfin,  vous  aurez  à  produire,  à  la  fin  de  l'année,  un  état 
général  résumant  toutes  les  opérations  de  l'exercice.   » 

En  réponse  à  cet  appel,  l'inspecteur  d'académie  a  reçu  l'adhésion 
d'un  certain  nombre  d'instituteurs.  Les  cotisations  des  élèves  ont  été 
déjà  recueillies  dans  quelques  écoles.  Tout  porte  à  croire  que  cette  insti- 
tution recevra  dans  le  département  l'accueil  favorable  qu'elle  mérite. 

D'autre  part,  dans  l'arrondissement  de  Castelnaudary,  73  écoles 
sur  112  ont  déjà  fondé  Tœuvre  du  sou  des  bibliothèques;  le  nombre 
des  élèves  adhérents  est  de  1,890  et  le  m)ntant  des  sommes  perçues 
s'élève  à  186  fr.  90.  Dans  plusieurs  écoles,  les  élèves  ont  spontané- 
ment offert  de  vei*ser  des  sous  pour  chacun  des  mois  écoulés  depuis 
la  rentrée  des  classes. 

Exercice  de  tir.  —  Nous  lisons  dans  le  Bulletin  du  Calvados  : 
«  M.  Trillée,  instituteur  à  Livry,  a  établi  à  ses  frais,  dans  son  écoie> 
un  tir  à  la  carabine   Flobert.   Voici  l'organisation  qu'il  a  adoptée  : 

»  Le  tir  a  lieu  tous  les  samedis,  après  la  classe  du  soir  de  mars  & 
novembre,  et  entre  les  deux  classes  de  novembre  à  mars.  Les  élèves 
admis  à  y  prendre  part  sont,  dans  chaque  cours  : 


378  tlTDI  VtDAGOGHQVE 

9  \°  Ceux  qui  ont  obtenu  la  première  place  dans  la  composition 
hebdomadaire  (ils  ont  droit  à  5  cartouche^); 

9  ^  Ceux  qui  ont  obtenu  la  deuxième  place  (3  cartouches)  ; 

»  3^  Ceux  qui  ont  mérité  en  moyenne,  pendant  la  semaine,  la 
note  8  pour  l'application  et  l'assiduité  (3  cartouches); 

»  'i^^  Ceux  auquels  a  été  accordé  un  bon  point  spécial  pour  la 
gymnastique  et  les  exercices  militaires  (une  balle) 

»  Enfin,  le  dernier  jour  de  chaque  mois,  un  concours  a  lieu  entre 
les  tireurs  qui  n'ont  eu  aucune  absence  à  V école  et  qui  ^ont  toujours 
arrivés  en  classe  à  l'heure  précise. 

»  Des  diplômes  seront  délivrés  en  fin  d'année  aux  lauréats.  » 

Collection  d'insectes  pour  les  musées  scolaires.  —  Un  assez  j^and 
nombre  d'instituteurs  font  d'utiles  collections  d'insectes  et  quelques- 
uns  se  mettent  volontiers  à  la  disposition  de  leurs  collègues  pour  le 
classement  et  la  détermination  des  insectes  les  plus  communs  : 
c'est  ce  que  fait  entre  autres  M.  Fréville,  instituteur  à  Epernay-sur- 
Orge  (Seine-et-Oise).  Mais  il  fait  mieux  encore;  voici  en  effet  ce 
qu'il  écrit  à  Vlnstruction  primaire  : 

«  Dans  nos  promenades  scolaires,  nous  nous  occupons,  je  ne  dirai 
pas  d'entomologie,  mais  d'insectologie  agricole,  et,  avec  Taide  des 
élèves,  nous  avons  pu  recueillir  une  certaine  quantité  d'insectes. 
Nous  en  avons  fait  une  collection  pour  la  classe,  puis  la  collection 
que  vous  avez  remarquée  à  l'exposition  dlnsectes  de  1883. 

»  Le  zèle  de  mes  petits  collaborateurs  ne  se  ralentissant  pas,  nous 
avons  travaillé  pour  les  autres  écoles. 

»  En  1882,  nous  avons  donné  une  collection  de  deux  cents  espèces 
environ  à  chacune  des  quatre  écoles  des  chefs-lieux  de  canton  de 
l'arrondissement  de  Corbeil;  en  1883,  une  collection  pareille  aux  six 
chefs-lieux  de  canton  de  l'arrondissement  de  Rambouillet;  cette  année 
nous  en  préparons  six  pour  l'arrondissement  d'Etampes;  Tannée 
procbaine  ce  sera  le  tour  de  l'arrondissemrînt  de  Versailles;  de  sorte 
que,  dans  quelques  années,  tous  nos  collègues  du  département  auront 
à  leur  disposition,  à  l'école  du  chef-lieu  de  canton,  un  type  de  col- 
lection qui  leur  permettra  de  classer  et  de  déterminer  d'une  façon 
certaine  les  insectes  les  plus  communs  qu'ils  auront  recueillis.  » 

La  Société  de  secours  mutuels  des  Basses-Pyrénéks.  —  Les  gé- 
néreuses traditions  de  M.  Tourasse  ne  se  perdent  pas  dans  les 
Basses- Pyrénées.  M.  Deville,  délégué  cantonal  de  Navarreux,  a  envoyé 
SOO  francs  à  M.  Piche,  président  de  la  Société  de  secours  mutuels  du 
département.  M.  et  M"*  Deville  demandaient  à  être  inscrits  comme 
membres  honoraires  perpétuels  de  la  Société  :  M.  Piche  leur  ayant 
fait  observer  que  200  francs  suffisaient  pour  cela,  ils  ont  répondu 
par  un  nouvel  envoi  de  500  francs  spécialement  affectés  à  la  caisse 
des  orphelins.    M.    Piche  a   fait    de    son  côté    don  d*ime  pareille 


CHRONIQUE  DK  l'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE    EN   FRANCE  379 

somme  pour  la  même  caisse.  Voilà  une  heureuse  émulation  dausle 
bien. 

Commissions  municipales  scolaires.  —  Le  Bulkiin  départemental 
des  Vosges  reproduit  une  circulaire  préfectorale  du  28  novembre  188^ 
qpi  pose  et  résout  très  bien  une  questioa  d'ordre  général,  relative 
aux  attributions  des  membres  des  commissions  scolaires.  Voici 
cette  circulaire  : 

Monsieur  le  maire, 

Je  suis  informé  que  des  commissions  municipales  scolaires  donneraient  à 
chacun  de  leurs  membres  une  délégation  individuelle  à  l'effet  d'accorder  aux 
enfiints  des  dispenses  de  fréquentation  scolaire. 

Je  crois  devoir  voas  rappeler  que  si  l'article  15  de  la  loi  du  28  mars  188J 
autorise  la  commission  scolaire  à  a  accorder  aux  enfants  demeurant  chez  leurs 
parents  ou  leur  tuteur,  lorsque  ceux-ci  en  font  la  demande  motivée^  deg 
dispenses  de  fré<]nentation  scolaire  i>,  aucune  disposition  de  cette  loi  ne 
permet  à  la  même  eommrssioa  de  délégaer  tout  ou  partie  de  ses  pouvoirs  à 
un  ou  plusieurs  de  ses  membres. 

Jfc  vous  prie  de  vouloir  bien  rappeler  ces  dispositions  de  la  loi  à  la  com- 
mission scolaire,  lors  de  sa  première  réunion,  et  lui  faire  connaître  qu'& 
l'avenir,  les  instituteurs  devront  considérer  comme  non  avenue  toute  dispeiase 
de  fréqueatBtioQ  accordée  en  dehors  des  réunions  rég«iières  de  la  corn* 
mission. 

Travaux  manuels  et  charité.  —  A  la  suite  d'une  exposition  de 
travaux  manuels  à  l'école  primaire  supérieure  de  jeunes  filles  de 
Marseille,  les  élèves  ont  envoyé  à  la  caisse  des  écoles,  pour  être 
distribués  aux  enfants  pauvres,  des  chemises,  des  pantalons,  des 
jupons,  des  tabliers,  des  robes  pouvant  servir  à  des  enfants  de  10  à 
14  ans.  Ces  v^'lements  ont  été  confectionnés  par  les  élèves  elles- 
mêmes  d'après  la  méthode  de  coupe  et  d'assemblage  de  M"^  Scheffer. 
Voilà  d'utiles  travaux  !  Voilà  de  bonne  et  vraie  charité  I  Cet 
exemple  pourrait  être  suivi  ailleurs  qu'à  Marseille. 

Une  bonne  pensée  et  une  bonne  action.  —  Dans  une  commune 
des  bords  de  la  Cure,  dit  le  Bulletin  de  l'Yonne,  vit  un  vieillard 
très  cassé,  dénué  de  tout,  mais  digne  et  fier,  et  qui  mourrait  plutôt 
que  de  tendre  la  main.  Par  les  froids  rigoureux  que  nous  venons 
de  traverser,  il  était  sans  combustible  et  soutirait  silencieusement 
dans  sa  pauvre  chaumière.  L'idée  vint  à  quelques  garçons  de  l'école 
d'emprunter  un  chariot,  de  s'y  atteler  et  d'aller  frapper  pour  un 
peu  de  bois  à  la  porte  des  gens  charitables.  La  récolte  fut  abondante  ; 
ils  firent  cinq  voyages.  Le  bûcher  du  vieillard  est  bien  garni  et 
son  foyer  ne  s'éteindra  pas  cet  hiver. 

Nous  disons  à  ces  braves  enfants  :  C'est  très  bien,  d'autant  qu'ils 
ont  joint  à  leur  bonne  action  la  discrétion  et  la  modestie,  qu'on 
ne  saurait  trop  recommander  en  pareille  matière. 


380  REVUE  1PÉDAG0GIQUE 

Une  lettre  anonyme.  —  Voici  une  lettre  anonyme  qui  par  excep- 
tion fait  grand  honneur  à  celui  qui  Ta  écrite  ;  elle  a  été  adressée  à 
rinspecteur  d'académie  de  la  Drôme,  président  de  la  Société  des 
secours  mutuels  des  instituteurs,  et  elle  est  conçue  en  ces  termes  : 

Monsieur  le  Président,  jj'ai  rhonneui*  de  vous  adi*es8er  un  billet  de  100  francs 

Sue  je  vous  prie  de  vouloir  bien  employer  à  accorder  un  secours  de  î5  francs 
chaque  trimestre  à  l'instituteur  ou  à  Vinstitutrioe.  membre  de  la  Société  de 
secours  mutuels,  dont  la  situation  parnllra  la  plus  digne  d'intérêt  parmi  ceux 
dont  les  demandes  do  secours  auront  été  rejetees. 

J'espère  pouvoir  continuer  ce  petit  sacrifice  tant  que  la  position  des    insti- 
tuteurs ne  se  sera  pas  améliorée. 
Je  vous  prie  d'agréer,  etc. 

Un  instituteur  ahé. 

Congrès  de  la  ligue  de  l'enseignement  et  exposition  scolaire  a 
Lille.  —  Lille  a  vu  s'ouvrir  le  10  avril  le  cinquième  Congrès  de  la 
Ligue  de  renseignement,  dont  le  président  est  toujours  le  vaillant 
Jean  Macé.  Une  remarquable  exposition  scolaire  a  été  ori^'anisée  à 
cette  occasion  au  palais  Rameau.  L'ouverture  du  congrès  a  été  des 
plus  brillantes  :  M.  Jean  Macé  a  développé  une  fois  de  plus  sa  thèse 
favorite,  c'est  qu'on  ne  peut  pas  sépirer  l'idée  d'instruction  popu- 
laire de  celle  de  république  démocratique.  M.  Géry-Legrand,  maire 
de  Lille,  a  dit  tout  ce  que  cette  ville  a  fait  pour  renseignement  à 
tous  SCS  degrés,  et  certes  peu  de  cités  ont  attaché  plus  d'importance 
que  Lille  à  la  cause  du  progrès  par  l'école.  M.  le  pasteur  Dide, 
sénateur,  a  expliqué  que  la  démocratie  a  toujours  su  être  reconnais- 
sante pour  les  gouvernements  qui  ont  travaillé  à  Tinstruction  du 
peuple.  «  Que  les  ministres  s(ûent  debout  ou  qu'ils  soient  tombés, 
a-t-il  dit,  nous  les  saluons  de  nos  respects  quand  ils  ont  servi  glo- 
rieusement la  cause  de  l'instruction  nationle.  »  Ces  paroles  ont 
soulevé  d'unanimes  applaudissements. 

Nous  aurons  sans  doute  à  reparler  du  Congrès  et  de  l'exposition 
de  Lille. 

Réouverture  du  musée  pédagogique.  —  L'installation  du  Musée 
pédagogique  dans  ses  nouveaux  locaux,  rue  Louis  Thuillier,  10,  est 
terminée,  et  l'établissement  a  pu  rouvrir  ses  portes  aux  travailleurs 
et  au  public  le  7  avril. 


COURRIER  DE  L'EXTERIEUR 


Angleterre.  —  Oa  s'est  beaucoup  plaint,  dans  le  camp  des 
ennemis  de  Tinstruction  obligatoire,  au  travail  prétendu  excessif 
imposé  aux  écoliers  ;  des  torrents  d'encre  ont  été  répandus  au  sujet 
de  Vovet'pressure,  11  semble  que  le  reproche  qui  pourrait  être  adressé 
à  renseignement  primaire  anglais,  tel  que  l'ont  organisé  les  pres- 
criptions du  Code  scolaire,  est  plutôt  celui  d'insuffisance  :  il  y  a 
unaerpressure  bien  plus  souvent  qa* over pressure  !  On  travaille  uni- 
quement en  vue  de  l'examen  et  de  la  prime,  et  si  les  élèves 
paresseux  ou  lourds  d'esprit  se  plaignent  d'avoir  trop  à  faire,  les 
élèves  intelligents  pourraient  se  plaindre  que  la  nourriture  intel- 
lectuelle leur  soit  trop  parcimonieusement  mesurée.  Dans  un  rapport 
tout  récemment  présenté  par  M.  George  Ricks  au  School  Hoari  de 
Londres,  nous  trouvons  l'anecdote  suivante,  qui  jette  sur  les  procédés 
des  instituteurs  anglais  un  jour  bien  instructif: 

«  Dans  une  classe  de  soixante  élèves,  j'en  trouvai  dix  à  douze 
assis  les  bras  croisés  et  silencieux  pendant  que  leurs  camarades 
travaillaient  ou  jouaient.  Naturellement  je  voulus  savoir  pourquoi 
ces  jeunes  garçons  étaient  punis  —  car  c'était  évidemment  une  puni- 
tion que  j'avais  sous  les  j^eux.  »  Ces  élèves-lè,  »  me  dit  l'instituteur^ 
«  sont  complètement  préparés  pour  l'examen  (qui  devait  avoir  lieu 
à  quatre  mois  de  là);  ils  n'ont  plus  rieo  à  faire;  aussi  je 
consacre  maintenant  mon  temps  à  la  préparation  des  autres.  » 

Voilà  à  quelles  énormités  aboutit  le  système  mercantile  et  anti- 
éducatif  du  payment  by  results. 

Bulgarie.  —  Un  correspondant  obligeant,  M.  T  abakov,  nous 
envoie  de  Loni  Palanka  les  renseii^^nements  suivants,  extraits  d'un 
rapport  prései^té  au  prince  Alexandre  par  le  ministre  de  l'instruction 
publique:  ils  indiquent  l'état  de 'l'instruction  publique  en  Bulgarie 
avant  et  depuis  la  guerre  de  1877-1878.  ♦ 

Lei  écoh'S  de  la  ville  de  Clioumen  (Choumla)  comptaient  en  Î876 
11  instituteurs  et  <»  institutrices,  avec  1,^77  élèves  (859  gardons, 
418  filles):  en  1880,  13  instituteurs  et  10  institutrices,  avec  l.iSô- 
élèves;  en  i8Sl,  17  institutrices  et  12  institutrices,  avec  1,712  élèves 
(1,041  gan;ons,  671  filles). 

Dans  l'arrondissement  de  Vidin,  il  v  avait  en  187(î  59  écoles  avec 
50  maîtres  et  1,319  élèves  (1,256  garçons,  93  filles);  en  1882,  on 
comptait  97  maîtres  et  4,026  élèves  (3,587  garçons,  439  filles). 

Dans  celui  de  Kustendil,  il  n'y  avait  que  8  écoles  en  1876;  en 
1880,  il  y  en  avait  24.  avec  26  instituteurs  et  2  institutrices,  et 
812  élèves  (74:3  garçons.  09  filles). 

Dans  celui  d'Izvor,  4  écoles  en  1876;  en  188!.  15  écoles  averf 
515  élèves. 


382  REVUE   PÉDÀ600IQUE 

Dans  celui  de  Trin,  16  écoles,  18  maîtres  et  387  élèves  en  1879; 
52  écoles,  53  instituteurs,  3  institutrices,  et  1,813  élèves  (l,C05  gar- 
çons, 208  filles)  en  1881. 

Pour  quatre  autres  arrondissements,  la  statistique  indique*  seule- 
ment le  nombre  des  écoles  en  1879  et  1881  ;  le  voici  : 

1878-1879  1880-1881 

iults  ëe  fn<[ns.    tn\n  le  Rites.        É(»ln  it  fir^Ms.     in\n  le  filin. 

Lovetch 14  2  49  2 

Tlrnovo 148  16  152  24 

Varna 13  2  32  3 

Baltchik 5  1  16  i 

En  1880-1881,  la  Bulgarie  avait  en  tout  1,271  écoles  de  garçons 
et  83  de  filles,  plus  55  écoles  primaires  avec  une  ou  deux  classes 
gymnasiales  (44  pour  les  garrons  et  11  pour  le  filles),  soit  en  tout 
1,409  écoles,  c'est-à-dire  321  écoles  de  plus  que  deux  ans  auparavant; 
1,580  instituteurs  et  professeurs  et  180  institutrices  enseignaient 
dans  ces  écoles. 

En  1880-1881  il  y  a  eu  en  moyenne  un  élève  par  29.71  habitants. 
Pendant  cette  année  scolaire,  58.37  0/0  de  tous  les  enfants  d  âge 
scolaire  ont  fréquenté  les  écoles  ;  pour  les  filles  prises  à  part,  la 
fréquentation  n*a  été  que  do  18  0/0. 

Depuis  la  guerre  de  1877-1878  il  a  été  construit  en  tout  307  maisjus 
d'école. 

République  argentine,  —  On  nous  écrit  : 

«  Le  directeur  do  l'école  normale  nationale  de  Parana,  M.  .Tosr  Tnrrès, 
vient  de  publier  un  rapport  très  étendu  sur  les  insultais  et  le  fonction- 
nement de  cet  établissement  depuis  sa  fondation  en  1871.  Il  peut 
être    intéressant  d'emprunter  à  ce  d  ;cument    (jnelques  indicahOns. 

Depuis  la  fondation  de  l'école,  elle  a  donné  119  piuresseui»  diplô- 
més. L'un  d'eux,  sorti  en  1874,  est  aujourd'hui  ministre  des  rnumcc.s 
et  de  rinstructioii  publique  de  l'Etat  de  Tucuman,  IGsont  eiuplo^és 
dans  les  conseils  d'éducation  oif  comme  inspecteurs  primaires, 
S4  dans  les  diverses  écoles  normales,  5  dans  les  collèges  nationaux 
d'enseignement  secondaire,  11  dans  les  écoles  primaires.  3  exeiceiit 
dans  l'enseignement  privé,  IG  sont  sur  le  point  d'être  nommés,  el 
4  sont  morts. 

L'école  compte,  eette  année  24  professeurs  dont  12  ont  fait  leurs 
études  el  ont  reçu  leurs  diplômes  dans  l'établissement  mémo  oîi 
ils  enseignent  actuellement. 

Le  total  des  bourses  payées  par  le  trésor  fédéral  pour  les  frais  des 
élèves-maîtres  est  fixé  par  le  budget  de  1885  à  13,950  francs  par 
mois  répartis  entre  90  bourses.  Le  nombre  des  élèves-rnaîli-es  a  été 
de  150  en  1884.  Celui  des  élèves  fréquentant  l'école  d'application  a 
été  de  627,  répartis  en  six  degrés.  En  1883,  il  n'était  que  de  3Gri. 

Le  jardin  d'enfants,  qui  n'a  commencé  à  fonctionner  que  depuis 
Tannée  dernière  avec  35  élèves,  a  déjà  donné  de  brillants  résultats 
et  en  laisse  espérer  de  beaucoup  .plus  satisfaisants. 


COURRIEB    DE    l'eXTÉRIEUR  383 

Tout  récemment  l'école  a  été  considérablement  agrandie  pour 
mieux  répondre  aux  nécessités  de  renseignement.  Le  trésor  fédéral 
a  dépensé  pour  les  travaux  la  somme  de  333,973  francs.  Ces  chiffres 
donnent  une  idée  des  efforts  qui  se  font  ici  en  vue  de  renseignement 

Ï primaire  et  de  la  préparation  d'un  personnel  de  maîtres  qui  soient  à 
a  hauteur  de  leur  mission.  » 


Roumanie.  —  Nous  avons  reçu  la  statistique  de  Tinstruction 
publique  pour  Tannée  scolaire  1882-1883,  publiée  par  le  bureau 
centrai  de  statistique,  à  Bucharest. 

Le  nombre  des  communes  morales  est  de  i,997;  celui  des  écoles 
primaires  rurales  (qui  sont  mixtes  quant  aux  sexes)  est  seulement 
de  ^,470.  Sur  ce  nombre,  1,933  écoles  sont  entretenues  par  TEtat^ 
les  autres  par  les  districts,  les  communes  et  les  particafiers.  Une 
somme  de  1,796,400  francs  était  prévue  au  budget  de  l'Etat  poor 
cet  objet.  Le  nombre  des  maîtres  des  écoles  rurales  est  de  2,504 
(2,120  instituteurs,  373  institutrices),  le  nombre  des  élèves  de  92,298 
(70,913  garçons,  12,385  filles). 

Les  écoles  primaires  urbaines  sont  spéciales  à  un  sexe.  On  compte 
U8  écoles  de  garçons  avec  481  instituteurs  et  24,060  élèves.; 
12o  écoles  de  filles  avec  360  institutrices  et  13,464  élèves.  L'Etat 
entretient,  sur  ce  nombre,  138  écoles  de  garçons  et  118  écoles  de 
filles,  et  dépense  pour  cet  objet  1,934,840  francs;  les  autres  écoles 
s^ont  entretenues  par  les  communes. 

H  existe  8  écoles  normales  primaires  d'instituteurs,  dont  4  sont 
entretenues  [>ar  l'Etat  (la  dépense  annuelle  a  été  de 242,142  francs), 
et  4  par  des  fondations  particulières.  Le  nombre  des  élèves  a  été 
de  830. 

On  compte  en  outre  en  Roumanie  7  lycées  (établissements  de 
l'Etat),  avec  160  professeurs  et  2,3 il  élèves;  18  gymnases  (10  entre- 
tenus par  l'Etat  et  8  par  les  districts  ou  les  communes),  avec  181 
professeurs  et  2,188  élèves;  9  séminaires  ecclésiastiques  (dont  8  en- 
tretenus par  l'Etat),  avec  103  professeurs  et  1,262  élèves;  15  écoles 
secondaires  ou  professionnelles  de  jeunes  filles  (dont  9  entretenues 
par  l'Etat),  avec  101  professeurs,  60  maîtresses,  et  1,482  élèves; 
o  écoles  commerciales  (dont  4  entretenues  pvr  l'Etat^,  avec  59  pro- 
fesseurs et  717  élèves;  31  écoles  spéciales  (écoles  de  pnarmacie,  d'art 
vétérinaire,  d'arts  et  métier?,  de  beaux-arts,  d'agriculture,  etc.; 
16  d'entre  elles  sont  entretenues  par  l'Etat),  avec  223  professeurs  et 
i  maîtresses  et  2,513  élèves  (dont  305  jeunes  filles);  2  universités, 
avec  07  profe:>seurs  et  705  étudiants;  enfin  216  écoles  privées,  avec 
710  maîtres  et  427  maîtresses,  et  13,799  élèves  (7,851  garçons, 
5,9 i8  fiU.'S. 

Le  budget  du  ministère  de  Tinstruction  publique  (cultes  rais  à 
part)  s'est  élevé  à  la  somme  totale  de  8,660,690  francs. 

Suisse.  —  En  1882,  dans  le  canton  de  Zurich,  les  dépenses  des 
communes  pour  les  écoles  primaires  ont  été  de  2,65i),203  francs,  et 
pour  les  (T.olss  primaires  supérieures  de  386,180  francs  ;  la  subven- 
tion de  l'Éiat  sest  élevée  à  1,105,990  francs.  Le  chiQ're  total  des 
dépenses  faites  par  le  caûton  de  Zurich  pour  renseignement  pri- 


382  REVUE  PÉDÀ600IQUE 

Dans  celui  de  Trin,  16  écoles,  18  maîtres  et  387  élèves  en  1879; 
5i  écoles,  55  instituteurs,  3  institutrices,  et  1,813  élèves  (1,605  gar- 
çons, 208  filles)  en  1881. 

Pour  quatre  autres  arrondissements,  la  statistique  indique*  seule- 
ment le  nombre  des  écoles  en  1879  et  1881  ;  le  voici  : 

1878-1879  1880-1881 

Èc4les  ëe  fir{M>.    ^•I«i  4e  Rites.         É(*ln  é«  iii^mu.     Éreln  le  (iUn. 

Lovetch 14  i  49  2 

Tirnovo 148  16  152  24 

Varna 1:J  2  32  3 

Baltchik 5  1  16  1 

En  1880-1881,  la  Bulgarie  avait  en  tout  1,!271  écoles  de  garçons 
et  83  de  filles,  plus  55  écoles  primaires  avec  une  ou  deux  classes 
gymnasiales  (44  pour  les  garrons  et  11  pour  le  filles),  soit  en  tout 
1,409  écoles,  c'est-à-dire  321  écoles  de  plus  que  deux  ans  auparavant; 
1,580  instituteurs  et  professeurs  et  180  institutrices  enseignaient 
dans  ces  écoles. 

En  1880-1881  il  y  a  eu  en  moyenne  un  élève  par  29.71  habitants. 
Pendant  cette  année  scolaire,  58.37  0/0  de  tous  les  enfants  d  âge 
scolaire  ont  fréquenté  les  écoles;  pour  les  filles  prises  à  part,  la 
fréquentation  n*a  été  que  de  18  0/0. 

Depuis  la  guerre  de  1877-1878  il  acte  construit  en  tout  307  maisuis 
d'école. 

République  argentine,  —  On  nous  écrit  : 

«  Le  directeur  de  l'école  normale  nationale  de  Parana,  M.  .losi*  T<nrès, 
vient  de  publier  un  rapport  très  étendu  sur  les  i^sultats  et  le  fonction- 
nement de  cet  établissomont  depuis  sa  fondation  en  187i.  JI  p(Mit 
rtre    intéressant  dVnipruiiler  à  ce  d  icunicnt    (luelques  indications. 

Depuis  la  fondation  do  l'école,  elle  a  donné  119  prolossours  diplô- 
més. L'un  d'eu\,  sorti  en  1874,  est  aujourd'hui  ministre  des  linanco 
et  de  l'instruction  publique  de  lEtat  de  Tucuman,  16 sont  emploies 
dans  les  conseils  d'éducation  oif  comme  inspecteurs  primaires, 
S4  dans  les  diverses  écoles  normales,  5  dans  les  collèges  nationaux 
d'enseignement  secondaire,  li  dans  les  écoles  primaires,  3  exercent 
dans  l'enseijjfnement  privé,  16  sont  sur  le  point  d*êlre  nommés,  ol 
4  sont  morts. 

L'école  compte,  cette  année  24  professeurs  dont  12  ont  fait  leurs 
études  el  ont  reçu  leurs  diplômes  dans  l'établissement  même  où 
ils  enseignent  actuellement. 

Le  total  des  bourses  payées  par  le  trésor  fédéral  pour  les  frais  des 
élèves-maîtres  est  fixé  par  le  budget  de  1885  à  13,9o0  francs  par 
mois  répartis  entre  90  bourses.  Le  noinbie  des  élèves-maîties  a  été 
de  150  en  1884.  Celui  des  élèves  fréquentant  Técole  d'application  a 
été  de  627,  répartis  en  six  degrés.  Eu  1883,  il  n'était  que  de  305. 

Le  jardin  d'enfants,  qui  n'a  commencé  à  fonctionner  que  depuis 
Tannée  dernière  avec  35  élèves,  a  déjà  donné  de  brillants  résultats 
et  en  laisse  espérer  de  beaucoup  .plus  satisfaisants. 


COURRIEB    DE    L'eXTÉRIEUR  383 

Tout  récemment  Técole  a  été  considérablement  agrandie  pour 
mieux  répondre  aux  nécessités  de  renseignement.  Le  trésor  fédéral 
a  dépensé  pour  les  travaux  la  somme  de  333,973  francs.  Ces  chiffre» 
donnent  une  idée  des  efforts  qui  se  font  ici  en  vue  de  renseignement 
primaire  et  de  la  préparation  d'un  personnel  de  maîtres  qui  soient  à 
la  hauleur  de  leur  mission.  » 


Roumanie.  —  Nous  avons  reçu  la  statistique  de  Tinstruction 
publique  pour  Tannée  scolaire  1882-1883,  publiée  par  le  bureau 
centrai  de  statistique,  à  Bucharest. 

Le  nombre  des  communes  morales  est  de  i,997;  celui  des  écoles 

Primaires  rurales  (qui  sont  mLxies  quant  aux  sexes)  est  seulement 
e  :2,i70.  Sur  ce  nombre,  1,933  écoles  sont  entretenues  par  l'Etat^ 
les  autres  par  les  districts,  les  communes  et  les  particuliers.  Une 
somme  de  1,790,400  francs  était  prévue  au  budget  de  l'Etat  pour 
cet  objet.  Le  nombre  des  maîtres  des  écoles  rurales  est  de  2,504 
(2,120  instituteurs,  375  institutrices),  le  nombre  des  élèves  de  92,298 
(  79,913  garçons,  12,385  filles). 

Les  écoles  primaires  urbaines  sont  spéciales  à  un  sexe.  On  compte 
148  écoles  de  garçons  avec  481  instituteurs  et  24,060  élèves-; 
125  écoles  de  filles  avec  3G0  institutrices  et  13,404  élèves.  L'Etat 
entretient,  sur  ce  nombre,  138  écoles  de  garçons  et  118  écoles  de 
filles,  et  dépense  pour  cet  objet  1,934,840  francs;  les  autres  écoles 
sont  entretenues  par  les  communes. 

H  existe  8  écoles  normales  primaires  d'instituteurs,  dont  4  sont 
entretenues  par  TEtat  (la  dépense  annuelle  a  été  de 242,142  francs), 
ot  4  par  des  fondations  particulières.  Le  nombre  des  élèves  a  été 
de  830. 

On  compte  en  outre  en  Roumanie  7  lycées  (établissements  de 
l'Etat),  avec  100  professeurs  et  2,314  élèves;  18  gymnases  (10  entre- 
tenus par  l'Etat  et  8  par  les  districts  ou  les  communes),  avec  181 
professeurs  et  2,188  élèves;  9  séminaires  ecclésiastiques  (dont  8 en- 
tretenus par  TEtat),  avec  103  professeurs  et  1,262  élèves;  15  écoles 
secondaires  ou  professionnelles  de  jeunes  filles  (dont  9  entretenues 
par  l'Etat),  avec  101  professeurs,  (>0  maîtresses,  et  1,482  élèves; 
5  écoles  commerciales  (dont  4  entretenues  pur  TEtat),  avec  59  pro- 
fesseurs et  717  élèves;  31  écoles  spéciales  (écoles  do  pharmacie,  d'art 
vétérinaire,  d'arts  et  métiers,  de  beaux-arts,  d'agriculture,  etc.; 
10  d'entre  elles  sont  entretenues  par  l'Etat),  avec  223  professeurs  et 
4  maîtresses  et  2.513  élèves  (dont  305  jeunes  filles);  2  universités, 
avec  07  |)rofe^seurs  et  705  étudiants;  enfin  210  écoles  privées,  avec 
710  maîtres  et  427  maîtresses,  et  13,799  élèves  (7,851  garçons, 
5,948  fill.'S.  .    ., 

Le  budget  du  ministère  de  Tinslruction  publique  (cultes  rais  à 
part)  s'est  élevé  à  la  somme  totale  de  8,609,090  francs. 

Suisse.  —  En  1882,  dans  le  canton  de  Zurich,  les  dépenses  des 
communes  pour  les  écoles  primaires  ont  été  de  2,050,293  francs,  et 
pour  les  écoles  primaires  supérieures  de  386,180  francs  ;  la  subven- 
tion de  l'Éiat  s*est  élevée  à  1,105,990  francs.  Le  chiffre  total  des 
dépenses  faites  par  le  caûtpn  de  Zurich  pour  l'enseignement  pri- 


> 


384  RlVra  PÉDAGOGIQUE 

maire  a  donc  été  de  4,142,463  fraacs,  ce  qui  fait  une  somme  de 
13  francs  par  tête  de  population. 

—  Les  instituteurs  de  ta  ville  de  Saint-Gall  ont  adressé  au  Conseil 
d'éducation  de  ce  canton  une  pétition  demandant  l'abolition  du 
second  examen  nécessaire  pour  l'obtention  du  brevet  définitif,  exa- 
men qui  a  lieu  deux  ans  après  aue  l'instituteur  a  obtenu  le  pre- 
mier brevet  ou  brevet  primaire.  Les  instituteurs  auraient  voulu  que 
le  brevet  définitif  pût  être  obtenu  dès  la  sortie  de  l'école  normale. 
Le  Conseil  d'éducation  a  rejeté  celle  demande. 

—  Le  Conseil  cantonal  de  Claris  a  été  saisi  de  deux  propositions 
à  soumettre  à  la  Landsgemeinde  et  sur  lesquelles  il  a  du  donner 
son  préavis.  La  première  vise  à  rendre  la  fréquentation  de  l'école 
complémentaire  obligatoire  ;  la  seconde  demande  que  les  élèves  des 
écoles  primaires  soient  fournis  gratuitement  des  livres  classiques 
nécessaires.  Le  Conseil  a  émis  un  préavis  négatif  sur  les  deux 
propositions. 

Union  américaine.  —  Dans  la  dernière  semaine  de  févj  ier  s'est 
réuni  à  la  Nouvelle-Orléans,  à  l'occasion  de  l'Exposition  universelle, 
un  Q)ngrès  international  de  pédagogie.  Naturellement  les  éducateurs 
des  États-Unis  se  trouvaient  là  eu  très  fi^rande  majorité  :  aussi  la 
plupart  des  questions  traitées  avaient-elles  surtout  un  caractère 
local,  et,  malgré  son  titre,  le  Congrès  était-il  en  réalité  un  meeting 
américain  plutôt  qu'une  conférence  internationale.  Cependant, 
quelques  représentants  de  pays  étrangers  à  l'Union  ont  aussi  pris 
part  aux  travaux  du  Congrès  :  M.  Courge  Hicks,  inspecteur-adjoint 
des  écoles  à  la  Jamaïque,  a  pn^senté  un  rapport  sur  la  situalioii  de 
rinslruction  publique  dans    cette  colonie  ;  M.  lluguos,   de   Toronto 

Slanada),  a  parlé  des  jardins  d'enfants  de  la  ville  de  Toronto; 
.  B.  Buisson,  commissaire  du  ministère  français  de  l'instruction 
publique,  a  rendu  compte  des  progrès  réalisés  en  France  depuis  1870 
en  matière  scolaire;  et  M.  Ichiso  Haltori,  commissaire  du  Japon,  a 
communiqué  quelques  renseignements  statistiques  sur  l'clat  des 
écoles  Japonaises. 

Le  Congrès  a  duré  quatre  jours.  La  bonne  harmonie  qui  n'a  cesst' 
d'y  régner,  les  paroles  de  fraternité  échangées  entre  les  éducateurs 
accourus  des  eu  vers  points  de  l'Union,  sont  une  preuve  que  la 
réconciliation  entre  le  Nord  et  le  Sud  est  définitivement  faite  cl  bien 
faite. 


Le  gérant  :  H.  Gantois. 


IMPRIMERIE  CENTRALE  DES  CHEMINS  D2  EEE.  —  IMPRIMERIE  CHAIX. 
RIE  BERGÈRE,  20,  PARIS.  —  8698-5. 


Htnelle  iMe.  T«m  VI.  N«  5.  15  lai  iUtS. 

REVUE  PÉDAGOGIQUE 


ÉDUCATION  DE  LA  MÉMOIRE  (l). 


Importance  de  la  mémoire,  —  Il  D'y  a  pas  lieu  de  diss^ ter 
longuement  sur  l'utilité  de  la  mémoire.  Parce  qu'où  a  abusé 
d'elle  aulretbis,  parce  qu'on  a  eu  le  tort  de  lui  sacrifier  les  autres 
facultés  de  l'esprit,  dans  des  systèmes  d'éducation'  où  l'instruc^ 
tion  lui  était  exclusivement  confiée,  des  pédagogues  se  sont  avisés 
de  la  décrier,  de  la  tenir  en  suspicion,  de  la  traiter  presque  ea 
ennemie.  Ont-ils  songé  à  ce  que  deviendrait  l'éducation  saoft 
elle?  Ont-ils  considéré  qu'il  n'est  pour  ainsi  dire  pas  de  moment 
où  l'enseignement  puisse  se  passer  de  son  aide?  Elle  enveloppe, 
elle  accompagne  les  autres  facultés;  elle  les  approvisionne  toutes. 

a  La  mémoire,  disait  Pascal,  est  nécessaire  à  toutes  les  opéra- 
tions de  Tesprit.  >  —  «  Sans  la  mémoire,  écrivait  Guizot,  les 
plus  belles  facultés  restent  inutiles.  »  La  vie  morale  elle-même, 
aussi  bien  que  la  vie  intellectuelle,  repose  sur  la  mémoire,  et, 
conmie  le  dit  Chateaubriand,  a  le  cœur  le  plus  affectueux  per- 
drait sa  tendresse,  s'il  ne  se  souvenait  plus  ». 

Sans  doute,  il  n'est  plus  question  aujourd'hui  de  lui  laisser 
prendre  sur  l'esprit  un  empire  qui  n'appartient  qu'au  iugement, 
à  la  réflexion  personnelle.  Pour  la  mémoire,  comme  pour  les 
autres  puissances  de  l'âme,  une  culture  exclusive  est  dange- 
reuse. Mais  il  serait  aussi  absurde  de  renier  la  mémoire,  parce 
qu'on  a  abusé  de  la  récitation,  que  d'exclure  le  raisonnement, 
parce  qu'on  a  fait  trop  de  syllogismes.  Infiniment  utile  pour  tous 
les  usages  de  la  vie  pratique,  la  mémoire  est  en  même  temps 
le  plus  précieux  des  instruments  pédagogiques.  Il  n'y  a  pas  de 

(1)  Cet  article  est  extrait  d'un  ouvrage  qui  doit  paraître  prochaioemeiit 
à  la  librdirie  Paul  Delaplane,  sous  ce  titre  :  Cours  de  pédagogie  théoriquô  et 
pratique, 

REVUl  PÉDAGOOIQUI  1885.  —  l*r  SIM.  '  25 


386  EfiVCE  PÉDAGOGIQUE 

facultés  dont  réducaleur  ail  à  rt'»clamer  plus  souvent  le  service  : 
il  n'y  en  a  pas  qu'il  doive  plus  se  préoccuper  de  développer  et 
de  former  en  vue  de  la  préparation  à  la  vie.  Elle  est  la  source 
directe  d'un  grand  nombre  de  nos  connaissances  et  la  gardienne 
de  toutes.  Et  M.  B  lin  n'hésite  pas  à  dire  qu'  «  elle  est  la  faculté 
qui  joue  le  plus  grand  rôle  dans  l'éducation  ». 

La  mémoire  chez  Venjanl,  —  C'est  précisément  à  l'âge  où 
l'on  a  tout  à  apprendre  que  la  mémoire  est  le  plus  naturelle- 
ment forte.  Les  pédagogues  sont  d'accord  pour  reconnaître  que 
l'enfance  est  l'époque  privilégiée  de  la  mémoire.  M.  Bain  estime 
que  la  période  où  la  a  plasticité  du  cerveau  »  et  la  puissance 
d'acquisition  de  l'esprit  sont  à  leur  maximum  s'étend  do  la 
sixième  à  la  dixième  année.  L'enfant  en  général  est  si  heu- 
reusement doué  sous  le  rapport  de  la  mémoire,  qu'il  retient  des 
mots  et  des  phrases  qui  n'ont  pas  de  sens  pour  lui,  ou  même  qui 
n'en  ont  aucun. 

C'est  que  la  mémoire  est  en  grande  partie  sous  la  dépendance 
des  forces  vitales  ei  du  système  nerveux.  Cliez  l'enfant,  dont  le 
cerveau  croît  chaque  jour,  dont  les  nerfs  vibrent  avec  l'énergie 
qui  n'appartient  qu'à  des  forces  jeunes  et  encore  naissantis,  dont 
la  sensibilité  n'a  rien  perdu  de  sa  force  et  de  sa  vivacité  pre- 
mière, la  mémoire  doit  nécessairement  se  développer  avec  une 
merveilleuse  facilité.  Plus  tard,  chez  l'adulte,  chez  l'homme  mûr, 
les  puissances  rélléchies  de  l'esprit  viendront  en  aide  à  la 
mémoire;  mais  elles  ne  réussiront  pas  à  é«!aler  cette  mémoire 
spontanée  du  premier  âge,  ouverte  à  toutes  les  impressions, 
produit  naturel  et  aisé  d'organes  jeunes  et  encore  inem- 
ployés. 

De  plus,  la  force  de  la  mémoire  de  l'enfant  profile  de  la  fai- 
blesse et  de  l'inaction  des  autres  facultés.  L'esprit  est  encore 
vide  :  par  suite  il  s'emplit  sans  effort.  Plus  tard  les  préoccu- 
pations, les  soucis,  les  réflexions  personnelles  obstrueront  plus 
ou  moins  le  chemin  aux  impressions  du  dehors.  Les  souvenirs 
nouveaux  auront  de  la  peine  à  trouver  place  dans  une  intelli- 
gence déjà  encombrée  de  souvenirs  anciens.  Ils  se  brouilleront 
ol  se  confondront  dans  l'esprit,  comme  des  caractères  nouveaux 
qu'on  voudrait  graver  sur  un  papier  déjà  couvert  d'impressions. 


ÉDUCATION    DE   LÀ  MÉMOIRE  387 

La  mémoire  do  l'enfant  est  une  page  blanche  où  tout  s'imprime 
avec  aisance,  un  miroir  pur  où  tout  se  reflète. 

Opinions  de  Rousseau  et  de  M^  Campan.  —  Que  penser  alors 
(le  l'opinion  de  certains  pédagogues,  d'après  lesquels  Tenfant,  le 
petit  enfant  tout  au  moins,  n'aurait  pas  de  véritable  mémoire? 

«  Quoique  la  mémoire  et  le  raisonnement  soient  deux  facultés 
différentes,  écrit  Rousseau,  l'une  ne  se  développe  véritablement 
<|u'avec  l'autre.  Les  enfants,  n'étant  pas  capables  de  jugement, 
n'ont  point  de  véritable  mémoire  (1).  j> 

Et,  de  son  côté.  M"»*'  Campan  déclare  que  «  la  mémoire  ne  se 
développe  qu'à  l'âge  de  trois  ans  (2)  » . 

Il  suffit  d'étudier  de  près  l'opinion  de  Rousseau  pour  se  con- 
vaincre que  le  désaccord  avec  lui  est  simplement  apparent,  qu'il 
dérive  d'un  malentendu  qui  porle  sur  les  mots.  La  mémoire 
que  Rousseau  refuse  à  l'enfant  est  celle  des  idées  abstraites; 
il  est  le  premier  à  lui  accorder  la  mémoire  des  sons,  des  figures 
et  en  général  de  toutes  les  notions  sensibles. 

Quant  à  l'affirmation  de  M™*  Campan,  elle  se  rapporte  à 
ce  fait  d'observatiou  générale  que  l'homme  miir  ne  se  rappelle 
pas  les  événements  des  deux  ou  trois  premières  années  de  sa 
vie.  Ces  premières  années  sont  pour  nous  comme  si  elles  n'exis- 
taient pas  :  une  nuit  noire  les  recouvre  dans  notre  conscience, 
à  peine  coupée  par  quelques  lueurs,  par  le  souvenir  de  quekfue 
accident  grave,  de  quelque  catastrophe.  Leibnitz  cite  un  enfant 
(|ui,  devenu  aveugle  vers  deux  ou  trois  ans,  ne  se  rappelait  plus 
rien  de  ses  perceptions  visuelles  (3). 

Est-ce  à  dire  pour  cela  que,  même  pendant  ces  années  de 
début  dans  la  vie,  où  la  conscience  est  encore  obscure,  la 
mémoire  de  l'enfant  n'agit  pas,  n'acquiert  pas.  Il  suffirait, 
pour  relu  ter  M""'  Campan,  de  rappeler  qu'à  trois  ans  l'enfant 
sait  généralement  parler,  et  que  la  connaissance  des  mots 
de  la  langue  maternelle  suppose  un  déploiement  considérable 
de  la  mémoire.  Seulement  les  premières  acquisitions  du  sou- 
venir sont  frêles  et  fragiles  :  elles  ont  besoin  d'être  fixées,  for- 

(1)  Emile,  1.  H. 

(2)  De  l'Éducation,  1.  IH,  ch.  i. 

(3)  Leibnitz,  Nouveaux  essais  sur  l'entendement,  liv.  I,  cb.  m. 


388  RXVUE    PÉDAGOGIQUE 

tifiées  par  le  renouvellement  des  mêmes  impressions  ;  comme 
des  peintures  délicates  où  le  pinceau  doit  repasser  plusieurs 
fois  pour  maintenir  les  couleurs  fugitives  et  toujours  prêtes  à 
8'eifacer. 

Caractères  de  la  mémoire  enfantine.  —  La  mémoire  de  len- 
fant  a  ses  qualités  propres  et  aussi  quelques  défauts. 

Les  qualités,  c'est  d'abord,  chez  les  enfants  bien  doués,  une 
rare  puissance  d'acquisition.  Tandis  que  la  mémoire  fatiguée  du 
vieillard  se  comptait  à  évoqver  paresseusement  les  images  du  temps 
écoulé,  celle  de  Tenfant  est  toujours  en  mouvement,  toujours  en 
quête  de  connaissances  nouvelles,  aussi  facilement  acquises 
qu'elles  sont  avidement  cherchées.  L'enfant  voit  tout,  entend  tout. 
Rien  n'échappe  à  ses  sens  jeunes  et  vifs.  Il  distingue  les  objets, 
les  personnes.  Il  a  une  merveilleuse  aptitude  à  retenir  les  mots,  à 
apprendre  les  langues;  dans  certaines  conditions  il  en  apprend 
deux  et  trois  à  la  fois.  Ce  que  Fadulte  et  l'homme  mûr  ne  feront 
qu'au  prix  d'un  travail  pénible,  alors  que  la  mémoire  surmenée 
sera  devenue  rebelle  à  l'enregistrement  des  notions  nouvelles, 
l'enfant  le  fait  avec  aisance  et  sans  y  songer. 

Un  autre  caractère  de  la  mémoire  enfantine,  c'est  la  préci- 
sion littérale,  l'exactitude  rigoureuse  du  souvenir.  M.  Legouvé 
compare  justement  l'enfant  à  un  commissaire- priseur  qui 
note  tout,  qui  n'omet  aucun  détail.  Avec  une  ponctualité 
digne  d'être  citée  en  modèle  à  l'historien,  l'enfant  se  rappelle 
les  moindres  particularités  des  choses.  Quand  vous  lui 
racontez  une  fable,  une  histoire  qu'il  connaît,  ne  vous 
avisez  pas  de  changer  un  seul  trait,  un  seul  mot:  sans 
quoi  vous  entendrez  ses  cris,  ses  protestations:  «  Ce  n'est  pas 
cela  1  » 

En  revanche  la  mémoire  de  l'enfant  a  des  faiblesses  que  le 
progrès  de  l'âge  peut  seul  corriger.  Elle  pèche  surtout  en  ceci 
qu'elle  est  peu  apte  à  localiser  exactement  dans  le  temps  k:^ 
souvenirs  qu'elle  a  acquis.  La  mémoire  complète  suppose  une 
appréciation  de  la  durée  dont  l'enfant  est  incapable,  parce  que 
cette  appréciation  exige  la  coordination  des  souvenirs.  Qui  n'a 
entendu  des  enfants  de  deux  ou  trois  ans  raconter  comme  un 
événement  d'hier  un  fait  dont  ils  ont  été  les  témoins  plusieurs 
mois  auparavant?  Les    souvenirs  flottent    trop    souvent  dans 


ÉDUCATION  DE  LA  MÉMOIRE  389 

T'esprit  de  Tenfant  comme  des  images  sans  liens  et  pour  ainsi 
dire  détachées  de  leur  cadre. 

Culture  de  la  mémoire.  —  Montaigne  faisait  remarquer  avec 
raison  qu'on  fie  s'occupe  le  plus  souvent  que  de  meubler  la  mé- 
moire, qu'on  oublie  de  la  former.  L'essentiel  en  effet  n'est  pas 
seulement  que  l'enfant  sorte  de  l'école,  l'esprit  bien  garni  de 
souvenirs  et  de  connaissances  :  il  importe  aussi  qu*il  ait  h  sa 
disposition  une  mémoire  souple  et  forte,  en  état  de  s'enrichir 
encore,  de  s'approprier  des  notions  nouvelles  et  de  se  plier  aux 
usages  de  la  vie. 

Il  y  a  donc  deux  parties  distinctes  dans  la  culture  de  la 
mémoire.  Il  faut  d'abord  lui  faire  acquérir  le  plus  possible  de 
connaissances  :  ce  qui  est  l'objet  de  l'enseignement  tout  entier. 
Il  faut  en  second  lieu  la  fortifier  et  l'accroître,  en  tant  que 
faculté  de  l'esprit  :  ce  qui  sans  doute  résulte  en  partie  de  l'en- 
seignement lui-môme,  mais  ce  qui  exige  aussi  quelques  pré- 
cautions spéciales,  dont  l'ensemble  constitue  ce  qu'on  peut 
appeler  réducation  propre  de  la  mémoire. 

Est-elle  nécessaire?  -^  Mais  celte  culture  spéciale  de  lamé- 
moire  est-elle  nécessaire?  Et,  s'il  est  démontré  qu'elle  est  néces- 
saire, est-elle  possible? 

Nous  n'hésitons  pas  à  répondre  affirmativement,  malgré  l'opi- 
nion contraire  de  Locke. 

Locke  s'autorise  présisément  de  l'emploi  constant  que  nous 
faisions  de  la  mémoire  dans  le  monde  et  dans  la  vie  pour 
contester  l'utilité  de  Texcrcer  à  l'école. 

a  La  mémoire,  dit-il,  est  si  nécessaire  dans  toutes  les  actions  de 
la  vie,  il  y  a  si  peu  de  choses  qui  puissent  se  passer  d'elle,  qu'il  n'y 
aurait  pas  à  redouter  qu'elle  s'ail'aibiît,  qu  elle  s'énioussàt,  faute 
d'exercice,  si  rexorcico  était  véritablement  la  condition  de  sa 
force  (1).  » 

Sans  doute  la  vie  sera  une  bonne  école  pour  la  mémoire  ;  mais 
à  une  condition,  c'est  que  la  mémoire  ait  déjà  été  assouplie, 
rompue  au  travail  par  les  études  de  la  jeunesse,  el  que  l'homme 
la  reçoive  des  mains  de  l'écolier  comme  un    instrument  déjà 

l)  Pensées  sur  létlucation,  éd.  Hachette,  p.  281. 


U$rfuk,  Il  n'y  %,  [fiiS  /k  na3ùs*t  d'ëcole  qui  D»r  soît  aoUMÎsé  i 
Atpuué^j  nu  Arîuhîiiï  â  i'opink^n  d«  Locke:  car  tous  saTent  {nr 
ex(/;ri^ri^:/^  que  Je»  fit^ftàfArfA  ks  plus  heureuses  oot  besoin  de 
Umi(%  t:tfori%  p^/uc  atUriodre  kor  maxirnam  de  force,  que  les 
U}f^mh\f(t%  îuosf,uu(>  se  rouiJieraieiU  bieo  vite  si  on  ne  les 
4iXi'.r(;'.iA  ('/fU*Uftifn<îUi^  et  qu'enfin  les  mémoires  ingraUs  resie- 
rak-nl  \4pu\h%ïTA  sf/riles,  ^^i  on  les  cultivait  pas  de  t>onne 
heiin;, 

/Ul-fdU  pouible  ?  —  Mai»  I»cke  va  plus  loin  encore.  Le  fond  de 
sa  i^^nvre,  ce  luM  pas  que  la  culture  de  la  mémoire  est  inutile, 
c/t'.^i  qu'elle  e<it  impossible.'.  En  exerçant  la  mémoire  sur  tel  ou  tel 
o\f'y't,  'I  Oïl  ne  la  dispr>sr;p'js  plus,  dit-il,  à  retenir  autre  chose,  que, 
en  prravant  une  maxime  sur  une  plaque  de  métal,  on  ne  rend  ce 
m^t'il  pliiH  rnpalile  de  retenir  solidement  d'autres  empreintes  (1)  ». 
Ici  i'îuu)Vi^  le  (i/rdagogue  anglais  est  en  contradiction  avec  les 
ffiii*«.  UiieJ(|ije  idée  (\w*.  l'on  se  fasse  théoriquement  de  la  nature 
de  la  mérnoins  ((u'on  la  rattache  entièrement  à  des  conditions 
or^'aniqneft,  c^rnme  MM.  Luys  et  Ribot,  ou  qu'on  la  considère 
comme  une  piiissanœ  indépendante  de  l'âme,  avec  tous  les 
pliiioHophcH  Hpiritualifttcs,  il  est  pratiquement  certain  que  la 
mémoire  (^rof^resHe  ^râco  à  des  soins  habiles  et  à  un  exercice 
iiilriij^'enl,  <'t  ([u'il  n'est  pas  vrai  de  dire  qu'elle  dépend  unique- 
ment d'une  ((  constitution  heureuse  ». 

Un  autre  paradoxe  serait  de  soutenir  avec  Jacotot,  par  une 
exagération  contraire,  que  l'éducation  peut  tout,  cpie  les  raé- 
moires  sont  égales  h  la  naissimco  chez  tous  les  enfants,  et  que 
les  inégalités  proviennent  exclusivement  de  la  négligence,  du 
nuui(|u<' do  soins,  de  l'inattention  et  du  défaut  de  culture.  Sans 
parler  dos  nu^nioires  extraordinaires  et  exceptionnelles  qui  se 
Jouent  de  toutes  les  ilifilcultés,  comme  celle  d'un  Villeniain, 
répétant  un  diseours  après  l'avoir  entendu,  d'un  Mozart  écrivant 
lo  Mistreir  do  la  Cha|H»lle-Sixline  après  deux  auditions,  d'un 
lloraee  Vornol  ou  d'un  Gustave  Doré,  peignant  des  portraits 
do  souvenir,  sans  invoquer  le  témoignage  de  ces  mémoires 
prtxligiouatM  qui  Attestent  par  leur  éclat  la  puissance  de  la 
nuturo,  il  n'y  a  \\à$  d'humble  écolo  où  sur  les  bancs  des  élèves 


nv 


iVo^t^i  uoln»  UistiHTt  de  h  pftUtgotjie,  p.  17147i. 


ÉDUCATION  DE   LA   BCÉMOIRE  391 

le  maître  ne  distingue  de  notables  différences  dans  les  aptitudes 
naturelles  à  apprendre  et  à  se  souvenir. 

«  L'inégalité  des  différents  esprits,  dit  M.  Bain,  au  point  de  vue 
de  l'assimila tion  des  leçons,  dans  des  circonstances  identiques,  est 
un  fait  constaté;  et  c'est  là  un  <les  obstacles  que  présente  Tensei- 
çneraeiit  donné  simultanément  à  un  certain  nombre  d'élèves  groupés 
(fans  la  même  classe  (1).  » 

Exercice  de  la  mémoire,  —  Tenons  donc  pour  établi  qu'il 
est  nécessaire  et  qu'il  est  possible  de  cultiver  la  mémoire  :  or 
il  n'y  a  pas  d'autre  moyen  de  la  cultiver  que  de  Texercer. 

Mais  pour  l'exercer  utilement,  pour  arriver  à  des  recomman- 
dations vraiment  pratiques,  il  ne  suffit  pas  de  considérer  la 
mémoire  en  général,  dans  son  ensemble;  il  faut  en  analyser 
les  éléments. 

Diverses  qualités  de  la  mémoire.  —  «  Une  mémoire  heureuse, 
dit  Rollin,  doit  avoir  deux  qualités,  deux  vertus  :  la  première, 
de  recevoir  promptement  et  sans  peine  ce  qu'on  lui  confie; 
la  seconde,  de  le  garder  fidèlement  ».  Il  faut  en  ajouter  une 
troisième,  la  facilité  à  retrouver  ce  qu'on  a  vite  appris  et  exac- 
tement retenu.  Ma  mémoire  est  mauvaise,  si  elle  ne  me  permet 
pas  de  disposer  avec  aisance  et  promptitude  de  tout  ce  que  je 
sais,  si,  selon  l'expression  de  Montaigne,  «  elle  me  sert  à  son 
heure,  non  à  la  mienne  ». 

Ces  diverses  parties  de  la  mémoire  ne  sont  pas  toujours 
réunies  (2).  Il  arrive  que  qui  apprend  vite  oublie  vite  aussi. 
Les  mémoires  les  plus  agiles  sont  parfois  les  plus  infidèles. 
Leurs  acquisitions  ressemblent  à  des  fortunes  trop  rapidement 
faites  et  qui  n'ont  pas  de  solidité.  Bien  qui  vient  aisément  s'en 
va  de  même. 

iUais ces  qualités  pourtant  ne  s'excluent  pas:  elles  sont géné- 
raleinent  solidaires  l'une  de  l'autre.  L'idéal  est  de  les  posséder 
toutes  à  la  fois,  et  l'éducation  de  la  mémoire  do  avoir  en  vue 
de  perfectionner  chacune  d'elles  par  des  soins  particuliers  et  par 
une  culture  spéciale. 


{\)  La  Science  de  r éducation,  p.  10. 

(î)    n  nous  paraît  tout  à  tait  exagéré  de  dire  avec  M.   Marion  :  «   Les  tro  s 
qualités  de  la  mémoire  ne  sont  presque       ..  i 


dr^evl^^  tfnttésiÊt/j^^  ans   ;rapr>?Hi'jCk:«  rîTe*,  qi^i  s'ia^iPCTen:, 
fpr^r  *ifwî   4fr*,  4»:  U«l  <:^  qa'-î:  *r§  ^^cr^jéT^Dt.  e:  ces  r<pr:t5 

l|o^J  faille  d^:!*^rtj/T^  ^le  f'Jirr\z^  aa  i&'^n^  en  panie  ce*  d-rfants 

•<  \t  hf.  f^Ml  p*%,  dit  tr^<î  l>i<irii  Rollifi.  r*  rekaler  ais-^-nent,  jî 
«:^/|'f  A  ''>'U/î  yrttmifjt',  r^«î«Unce  <î^  U  rrjémoîre.  qae  Ton  a  ra 
%ttu*f*'Ui  f-ift',  sHiwjiH  fX  àhfnyXht  par  la  [«aîience  etii  per§-^%erjnce. 
l^'nl/'/f'l  hu  fUfUrif,  jf^i  df  i'tpui%  h  aj>ffrendre  à  ua  eofant  de  ce 
CHthr,Urt\  fwn%  Ton  /fxijrc  '|»j't/  ^^r  apj,rmn^  eiaclemenl.  Oa  tâche 
^*H'ihunt  ïitrnt'rliiTnf'.  4^  t-M  tmail  par  1  allrait  du  plaisir,  en  ne 
lui  jtfffitfAant  ffue  tin  rJt/Mnn  n^irérihlf^,  teJIes  que  5>nl  par  eieuple 
\t*%  rnhlm  i\t*,  \a  Fontaine  t-i  fif/i  hisloire-t  frappantes.  Un  maître 
ifidiifttrktjx  «'.i  bien  intentionné  se  joint  a  son  di>ciple.  apprend 
»v«!C  lui,  Mj  l;ii<tKe  quelquefois  vaincre  et  devancer,  rrtlui  fait  sentir 
[mr  *»«  propr^^xp/;^W•l  ICC  qu'il  peut  beaucoup  plus  qu'il  ne  pensait... 
A  rncure  qu'on  voit  croître  le  progrès,  on  augmente  par  degrés  et 
\it%t*tinï\i\('.Ttwîii  la  ti'iclic  journalière.  » 

Ku  rl'anlrcf*  i^TrneK,  ménager  les  mémoires  faibles,  en  ne 
leur  (leruarMlant  qii(!  des  eflbrls  modérés  cl  gradués,  ne  pas  les 
ilrroiiraKCT  des  l'aboni,  les  exciter  au  contraire  en  leur  pré- 
piirant  liîilMhtrneiit  de  petits  succès,  en  leur  inspirant  quelque 
nii)(l;irn'(MMi  elIcH-mArnes,  tel  est  l'esprit  des  conseils  pratiques 

de  lioliin. 

AjiMitoiiH  (|ue  la  faiblesse  de  la  mémoire  n'étant  pas  un  fait 
ulliiin»  de  l'esprit,  puisqu'cllo  dépend  et  dérive  de  l'absence 
(io  reilaliies  eondilions,  —  de  ce  (|ue  les  impressions  manquent 
dnvivarllé,  de  ce  que  raltentiou  e«^t  rel)elle,  — on  aura  beaucoup 
liiil  |M)ur  di^Kourdir  les  mémoires  lentes,  si  Ton  a  su  éveiller  la 
mMinildlilê  et  fixer  l'esprit  de  l'enfant. 

Kn  |»;»rlieulier.  tout  co  qui  fortifiera  l'attention  aidera  la 
nu^mtïire.  Or  il  n'y  a  pas  do  meilleur  moyen  de  rendre  un 
vMf^o  ull'nlif  que  do  lui  faire  bien  comprendre  et  de  lui 
t»\pli(|Utr  ni^tlemonl  tout  oo  qu'on  lui  enseigne.  La  Conduite 
rfe.v  ('»♦(»/( w  ihv^tinuifs  (i^dilion  do  1860)  déclare  elle-même  que 
.  Wt(  éh'^ves   n'appivnnonl  que  t^^6  difficilement  ce   qu'ils  ne 


ÉDUCATION  DE  LA   flÉMOlRE  393 

comprcDDcnt  pas  (1)  d.  Pascal  disait  de  lui-même  qu'il  n'oubliait 
jamais  ce  qu'il  avait  une  fois  compris.  Il  n'y  a  pas,  quoiqu'on 
en  dise,  de  désaccord  entre  la  mémoire  et  le  jugement.  En 
rendant  compte  de  tout  ce  qu'il  enseigne,  en  multipliant  les 
explications,  le  maître  ne  travaille  pas  seulement  pour  le  juge- 
ment, il  travaille  aussi  pour  la  mémoire. 

Ce  qui  contribuera  encore  à  développer  la  promptitude  à 
apprendre,  c'est  l'ordre,  c'est  la  liaison  logique  des  connaissances 
que  l'on  propose  à  l'enfant. 

«  Il  est  indubitable,  disait  Port-Royal,  qu'on  apprend  avec  une 
facilité  incomparablement  plus  grande  et  qu'on  retient  beaucoup 
mieux  ce  qu'on  enseigne  dans  le  vrai  ordre,  parce  que  les  idées 
qui  ont  une  suite  naturelle,  s'arrangent  bien  mieux  dans  notre 
mémoire  et  se  réveillent  bien  plus  aisément  les  unes  les  autres  (2).  » 

2^  Ténacité  des  souvenirs,  —  Des  souvenirs  méthodiquement 
acquis  et  dont  la  possession  est  garantie  par  l'attention  qui 
les  a  fixés  dans  l'esprit,  par  l'intelligence  qui  en  a  compris  le 
sens,  défient  en  général  l'oubli.  En  d'autres  termes,  tous  les 
efforts  qu'on  a  faits  pour  faciliter  l'acquisition  des  souvenirs 
en  assurent  aussi  la  conservation. 

Il  y  a  cependant  quelques  règles  particulières  à  observer 
relativement  à  la  seconde  qualité  de  la  mémoire:  la  plus  impor- 
tante est  la  répétition^  une  des  formes  essentielles  de  l'exercice 
de  la  mémoire. 

C'est  un  vieil  axiome  pédagogiiiue  que  la  répétition  est  l'âme 
de  l'enseignement,  repetitio  mater  studiorum.  Il  faut  revenir 
souvent  sur  les  mêmes  choses,  ne  pas  craindre  l'ennui  d'un 
retour  fréquent  aux  mêmes  idées.  «  On  ne  retient,  disait  Jacotot, 
que  ce  qu'on  répète.  »  Il  en  concluait,  d'après  l'adage  mu/Zurn, 
non  multa,  qu'il  suffit  d'apprendre  une  chose,  et  de  la  savoir 
bien.  La  répétition  continuelle  d'un  seul  livre  serait  l'idéal  de 
l'enseignement.  Exagération  bizarre,  qui  sous  prétexte  de  for- 
tifier la  mémoire  aurait  pour  résultat  de  l'appauvrir.  L'étendue 
des  connaissances  n'est  pas  moins  précieuse  que  leur  solidité. 
iMais  il  n'en  reste  pas  moins  vrai  qu'affranchie  des  bornes  étroites 

(1]  Conduite  à  V usage  des  écoles  chrétiennes ^  p.  10. 


2)  Logique  de  Port-Royal,  4*  partie,  ch.  x. 


394  aKVCE    PÉDAGOGIQUE 

OÙ  renfermait  Jacotot,  et  employée  sous  toutes  ses  formes  — 
rappel  pur  et  simple  de  ce  qui  a  été  dit,  résumés,  révision 
générale  —  la  répétition  est  une  des  conditions  essentielles  du 
développement  de  la  mémoire. 

«  Il  est  rare,  dit  M.  Bain,  qu'un  fait  qui  ne  s'est  produit  qu'une 
fois  laisse  une  idée  durable  qui  puisse  revenir  d'elle-même.  I^ 
fixation  de  l'impression  oxige  un  certain  temps  :  il  faut  ou  prolon- 

fer  le  premier  cnoe,  ou  le  renouveler  à  plusieurs  reprises  différentes, 
elle  est  la  premii're  loi  de  la  mémoire  {}).  •> 

Une  autre  condition  importante  de  la  fidélité  des  souvenirs, 
c'est  la  précision  rigoureuse  et  exacte  des  idées  que  Ton  confie 
à  l'esprit.  Jl  ne  faut  pas  se  contenter  d'à  peu  près,  et  voilà  pour- 
quoi dans  certains  cas  la  récitation  littérale,  dans  tous  les  cas 
rintclligence  détaillée,  minutieuse  de  ce  qu'on  lui  apprend, 
doit  être  exigée  de  l'enfant.  Dans  le  chapitre  intéressant  où  elle 
s'en  prend  à  ceux  qui  ont  prétendu  remplacer  V élude  des  moU 
par  l'étude  des  choses,  M™*^  Necker  de  Saussure  fait  remar- 
quer av<'C  raison  que  ces  deux  études  sont  inscparabl(Mnent  liées 
l'une  à  l'autre  : 

«  On  dit  à  l'élève  de  ne  s'attacher  qu'au  sens  des  pniolos  dans 
l'enseignement,  sans  porter  son  attention  sur  les  termes,  et  quand 
il  récitait  sa  loc^on,  si  l'on  voyait  qu'il  en  eût  compris  le  sons,  on 
était  content,  qu'elles  que  fussent  les  'expressions  dont  il  se  servait 
pour  en  rendre  compte.  Néanmoins  ces  expressions  étaient  la  plu- 
part du  temps  bien  vagues,  bien  inexactes,  car  les  enfants  ne  sont 
Sas  de  forts  habiles  rédacteurs.  Celte  compréhension  dont  on  se 
attait  restait  en  elle-nu^me  confuse,  et  s'échappait  \ite,  faute  iU*. 
s'être  liée  à  des  mots  fixes  et  positifs  ("2).  » 

S^  Promptitude  à  se  rappeler.  —  La  précieuse  et  rare  qualité 
qu'on  appelle  la  présence  d'esprit  dépend  en  grande  partie  d«ï 
cette  troisième  forme  de  la  mémoire.  Les  meilleurs  moyens  de 
la  développer  seront  d'abord  les  interrogations  fréquentes.  Il 
faut  par  des  questions  imprévues  obliger  l'enfant  à  faire  elTorl, 
et  pour  ainsi  dire  secouer  ses  souvenirs.  Il  faut  l'habituer  :\ 
rentrer  promptement  en  lui-même,  pour  y  saisir  au  milieu 
de  tant  d'autres  le  souvenir  qu'on  lui  réclame.  On  dégourdira 


(1)  Science  (le  r<'duration^  p.  16. 

(2)  L'Éducation  progressive^  t.  II.  p.  286. 


ÉDUCATION   DE  LA   MÉMOIRE  398 

ainsi  les  mémoires  endormies,  qui  ont  des  trésors,  mais  qui  ne 
savent  pas  en  user. 

Une  autre  recommandation  importante,  c'est  de  combattre  la 
routine  et  ce  qu'il  y  a  pour  ainsi  dire  de  mécanique  dans  Texer- 
cicc  de  la  mémoire.  L'enfant  qui  apprend  vite  est  trop  souvent 
disposé  à  répéter  machinalement  ce  qu'on  lui  enseigne,  dans 
l'ordre  et  dans  la  forme  où  on  le  lui  enseigne.  Il  débitera  imper- 
turbablement une  série  chronologique  de  rois  de  France  :  il  réci- 
tera, sans  y  changer  un  mot,  un  théorème  de  géométrie.  Mais 
si  on  le  dérange  un  peu  dans  cette  opération  toute  machinale, 
il  reste  court.  Il  n'y  a  pas  d'autre  moyen  de  remédier  à  ce  défaut 
ou  de  le  prévenir,  que  de  surprendre  souvent  Tenfant  par  des 
questions  où  Tordre  habituel  sera  interverti^  et  aussi  de  l'obliger 
à  répéter  sous  une  autre  forme,  avec  d'autres  expressions,  ce 
qu'il  aura  appris. 

Mémoire  et  jugement.  —  Une  préoccupation  dominante  doit 
régler  tous  les  efforts  de  l'éducateur  dans  celte"  recherche  déli- 
cate des  moyens  de  cultiver  la  mémoire  :  c'est  de  ne  pas  la 
développer  au  détriment  du  jugement. 

Un  préjugé  assez  répandu  veut  que  la  «  mémoire  soit  l'enne- 
mie presque  irréconciliable  du  jugement  »  (Fontenelle)  A 
force  de  cultiver  leur  mémoire,  certaines  gens  en  viennent  à 
laisser  leur  jugement  en  friche.  On  a  affaire  alors  à  des  pédants 
insupportables,  qui  ne  pensent  point  par  eux-mêmes,  ou  qui 
n'osent  risquer  leur  propre  pensée  que  sous  le  couvert  d'une  cita- 
tion, qui  savent  seulement  ce  que  les  autres  ont  dît  et  pensé. 
<  Qu'est-ce,  disait  Kant,  qu'un  homme  qui  a  beaucoup 
de  mémoire,  mais  pas  de  jugement?  ce  n'est  qu'un  lexique 
vivant  (1).  » 

Assurément  il  faut  se  défier,  même  à  l'école,  de  l'excès  de 
la  mémoire.  A  cette  faculté  s'applique  particulièrement  la  règle 
posée  par  Kant  :  «  Ne  cultivez  isolément  aucune  faculté  pour 
elle-même,  cultivez  chacune  en  vue  des  autres.  »  Développée 
outre  mesure,  la  mémoire  annule  pour  ainsi  dire  les  autres 

(1)  On  connaU  l'épitaphe  du  P.  Hardouin,  jésuite  du  xvn*  siècle,  auteur 
i\e  grands  travaux  d'érudition  :  <  Bic  iacet  vir  bonœ  memorimj  expecUmi 
judicium,  > 


396  RETUB  PÉDAGOGIQUE 

facultés,  et,   selon  l'expression  de  Vauvenargues,  «  il  ne  faut 
avoir  de  la  mémoire  qu'en  proportion  de  son  esprit  ». 

Hais  il  n'y  a  rien  à  redouter  de  la  mémoire,  si  on  a  soin 
de  la  tenir  à  son  rang,  et  de  la  considérer  seulement  comme 
une  faculté  auxiliaire,  «  comme  un  merveilleux  outil,  selon  le 
mot  de  Montaigne^  sans  lequel  le  jugement  fait  à  peine  son 
office  ».  Confiés  à  un  esprit  vivant,  actif,  qui  garde  la  liberté 
de  ses  jugements,  les  souvenirs,  quelque  nombreux  qu'ils  soient, 
animent  l'intelligence  et  la  vivifient,  loin  de  l'engourdir  et  de 
l'étoulfer  :  ils  la  meublent,  sans  l'encombrer.  Ils  y  sont  d'ailleurs 
le  point  de  départ  de  toute  une  floraison  de  pensées  nouvelles. 
Comme  le  dit  un  peu  emphatiquement  M"®  Marchef-Girard, 
«  la  mémoire  n'est  pas  un  tombeau;  c'est  un  berceau  où  l'idée 
grandit  j>. 

Mémoire  et  récitation,  —  l^e  discrédit  où  est  parfois  tombée  la 
mémoire  provient  surtout  de  la  confusion  qu'on  a  l'aile  entre  la 
mémoire  proprement  dite  et  la  récitation,  c'est-à-dire  une  forme 
particulière  de  l'exercice  de  la  mémoire.  Alors  même  que  l'on 
proscrirait  la  récitation,  et  qu'on  renoncerait  à  faire  apprendre 
par  cœur,  il  n'en  serait  pas  moins  nécessaire  de  développer  la 
mémoire. 

Il  s'en  faut  d'ailleurs  que  la  récitation  elle-même  mérilé  toutes 
les  critiques  dont  elle  est  l'objet. 

Opinion  de  M,  Herbert  Spencer,  —  M.  Herbert  Spencer  est  de 
ceux  qui  ont  le  plus  résolument  condamné  la  méthode  des  réci- 
tations littérales  (1)  ; 

«  L'habitude  d'apprendre  par  cœur,  autrefois  universelle  ment 
répandue,  tombe  tous  les  jours  en  discrédit.  Toutes  les  aulorilés 
modernes  condamnent  la  vieille  méthode  mécanique  d'enseigner 
l'alphabet.  On  apprend  souvent  la  table  de  mulliplication  par  la 
méthode  expérimentale.  Dans  l'enseignement  des  langues,  on  sub- 
stitue déjà  aux  procédés  des  collèges  d'autres  procédés  imités  de 
ceux  que  suit  spontanément  l'enfant  quand  il  apprend  sa  langue 
maternelle...  Le  système  qui  consiste  a  faire  apprendre  par  cœur 
donne  à  la  formule  et  au  symbole  la  priorité  sur  la  chose  formulée 
ou  symbolisée.  Répéter  les  mots  correctement sjffisait,  lescomp.^endre 

(l)  M.  Uousselot  est  tombé  dans  les  mènes  exagéraU.)DS  :  «  Celte  vieille 
habitude  de  faire  apprendre  pr  cœur  est  un  des  plus  fâcheux  et  des  plus 
tenares  préjugés  de  la  pédagogie  routinière  :  justement  discréditée,  tout  le 
monde  la  répudie  en  théorie.  »  Pédagogie^  p.  178. 


ÉDUCATION   DE  LA  MÉMOIRK  397 

était  inutile,  et  de  cette  façon  Tesprit  était  sacrifié  à  la  lettre.  Oo 
reconnaît  enfin  que  dans  ces  cas  comme  dans  les  autres,  plus  on 
donne  d'attbntion  au  signe,  moins  on  en  donne  à  la  chose  signifiée  (1).  • 

iSous  retrouvons  ici  les  défauts  habituels  de  M.  Spencer,  ses 
affirmations  hautaines,  absolues,  dépourvues  de  mesure  et  par 
suite  de  justesse.  Qu'on  ait  abusé  autrefois,  qu'on  abuse  encore 
des  leçonsy  personne  n'y  contredit;  nous  nous  rappelons  encore 
quelles  pénibles  et  lourdes  heures  d*étude  nous  passions  au 
collège,  à  répéter  à  voix  basse  de  longs  textes  grecs,  latins  et 
français.  Mais  parce  qu'on  a  trop  appris  par  cœur  autrefois,  au 
collège  et  même  à  Técole,  est-ce  une  rai^son  pour  ne  plus  appren- 
dre par  cœur  du  tout? 

Arguments  pour  et  corttre.  —  Les  adversaires  de  la  récita- 
tion font  valoir  divers  arguments. 

Les  pédagogues  américains  se  distinguent  par  la  vivacité  de 
leurs  attaques.  Ainsi  M.  James  Johounot  préteyd  que  le  système 
d'enseignement  qui  consiste  à  faire  apprendre  par  cœur  n'a 
plus  sa  raison  d'être  dans  les  sociétés  modernes,  où  il  s'agit 
moins  de  maintenir  des  traditions  aveugles  et  un  respect  irréfléx^hi 
(lu  passé  que  de  fortifier  la  raison  et  de  favoriscM*  la  réflexion 
personnelle  (2). 

L'argument  ne  vaut  évidemment  que  contre  un  système  de 
récitation  à  outrance,  où  l'on  demanderait  le  mot  à  mot 
littéral  dans  tous  les  enseignements,  même  dans  ceux  qui  le 
comportent  le  moins,  comme  les  sciences  et  la  morale. 

D'autres  pédagogues  objectent  que  le  résultat  des  exercices 
de  mémoire  ne  vaut  pas  le  mal  qu'on  se  donne  pour  l'atteindre. 
Quel  profit  y  a-t-il  pour  l'élève  à  réciter  des  phrases  toutes 
laites,  à  acquérir  une  science  purement  verbale?  Savoir  par 
cœur  n'est  pas  savoir,  disait  lUontaigne.  De  plus  la  récitation 
littérale  exige  un  effort  intense,  et  de  grands  sacrifices  de  temps. 
L'esprit  se  fatigue  et  s'use  dans  cet  effort.  Et  pendant  que 
l'élève  &e  tourmente  et  peine  sur  ses  leçons,  le  temps  passe,  un 
temps  précieux  qui  pourrait  être  mieux  employé. 

Nous  répondrons  que  pour  certaines  choses  au  moins  l'idée  ne 


(1)  L'Éducation,  p.  97. 

(2)  Principles  and  pracUve  of  teackiiigy  New- York,  18H1,  p.  171. 


388  irVUK  PÉDAGOGIQUE 

peut  se  séparer  des  mots  qui  seuls  rexpriment  convenablement, 
et  qu'il  est  par  conséquent  nécessaire  de  retenir  exactement. 
Nous  ne  sommes  vraiment  maîtres  de  nos  idées  que  quand 
nous  avons  trouvé  les  mots  propres  pour  les  exprimer.  Dans 
un  assez  grand  nombre  de  cas,  savoir  par  cœur  est  le  seul 
moyen  de  savoir.  D'un  autre  côté,  Teffort  est  nécessaire  en 
éducation  :  il  n'est  pas  bon  de  trop  ménager  Tenfant  et  de  le 
tenir  quitte  de  tout  travail  de  mémoire  verbale,  parce  qu'il 
aura  compris  et  vaguement  retenu  !e  sens  de  ce  qu'on  lui 
enseigne. 

Les  objections  que  nous  venons  d'examiner  portent  donc 
plutôt  contre  l'abus  de  la  récitation,  employée  sans  mesure  et 
mal  à  propos,  que  contre  l'usage  discret  et  modéré  de  la  réci- 
tation littérale  dans  les  matières  où  elle  est  indispensable. 

Où'  la  récitation  littérale  est  nécessaire.  —  Un  pédagogue 
anglais,  M.  Fitch,  a  nettement  établi  la  règle  qui  détermine 
les  matières  où  la  récitation  lillërale  est  nécessaire. 

«  S'il  s'agit  simplement  de  faire  retenir  des  pensées,  des  faits,  dts 
raisonnements,  laissez  l'élève  les  reproduire  à  sa  f<iiise  et  dans  son 
lahffa^^e.  Ce  n'est  pas  le  monrent  de  mettre  en  branle  la  pure  ménuiirt* 
verbale.  Mais  si  les  mots  qui  servent  à  Texpression  d'un  fait  ont  par 
eux-mêmes  une  beauté  propre,  s'ils  représentent  quelqu(.'  donné<' 
scientifique,  ou  quelque  vérité  fondamentale  qu'on  n«;pourraitexprimer 
aussi  bien  en  recourant  à  d'autres  termes,  alors  veiJIezàce  que  la  forme 
aussi  bien  que  la  substance  de  la  pensée  soit  apprise  par  cœur  (1  j.  - 

D'après  cela  il  est  aisé  de  fixer  la  limite  que  la  récitation  ne 
doit  pas  franchir.  En  grammaire,  les  règles  principales  ;  en 
arithmétique,  les  définilions;  en  géométrie,  les  théorèmes;  dans 
les  sciences  en  général,  les  formules;  en  histoire,  quelques 
sommaires;  en  géographie,  l'explication  de  certains  termes 
techniques;  en  morale,  quelques  maximes,  voilà  ce  que  Tenfanl 
doit  savoir  mot  par  mot,  Verbatim,  Et  encore,  bien  entendu,  à 
la  condition  qu'il  comprenne  parfaitement  le  sens  de  ce  qu'il 
récite,  et  que  son  attention  soit  appelée  sur  la  pensée  non  moins 
que  sur  Texpression.  Il  ne  faut  confier  à  la  mémoire  que  ce  que 
l'intelhgence  a  parfaitement  compris.  Pour  tout  le  reste,  il  faul 


(1)  Lectures   on  teaching^   Cambridge,   1881.  Ce  livre  est  le  résumé  d  un 
cours  de  pédagogie  professé  en  1881  à  l'université  de  Cambridge. 


ÉDUCATION  DE   LA  MÉMOIRE  399 

s*en  rapporter  à  la  mémoire  large  des  pensées,  uoa  à  la 
mémoire  stricte  des  mots  :  et  il  est  aussi  fastidieux  quMiiutile, 
aussi  dangereux  que  pénible,  de  faire  réciter  de  longues  pages 
d*histoire,  de  grammaire  ou  de  physique. 

Les  exercices  de  récitation.  —  H  y^  a  pourtant  un  autre 
emploi  important  de  la  récitation:  c'est  l'étude  des  beaux 
textes,  des  morceaux  de  prose  et  de  vers,  dont  il  convient 
d'enrichir  et  d'orner  la  mémoire  des  enfants.  «  Les  exercices 
dû  récitation  littéraire  ne  sont  pas  assez  pratiqués  dans  nos 
écoles  (1)  ».  Il  n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  de  former  le 
goût  des  élèves,  de  leur  apprendre  à  sentir  et  à  goûter  l'élo-. 
quence  de  la  poésie,  la  force  des  belles  pensées  et  le  charme 
du  beau  langage.  Une  lecture  même  étudiée  ne  suffît  pas  tou- 
jours :  il  faul  y  joindre  de  temps  en  temps  cet  effort  particu- 
lier d'attention  que  réclame  la  récitation  verbale.  Par  là  vous 
obligez  la  mémoire  à  un  effort  particulièrement  énergique,  à 
une  véritable  concentration  de  Tatiention.  Par  là  vous  obligez 
lenfant  à  parler.  Par  là  enfin  Tenfant  pénètre  plus  intimement 
les  procédés  et  Tart  des  grands  écrivains  :  il  s'approprie  leur 
style;  il  se  fait  un  trésor  intérieur  de  beaux  modèles,  que  l'es- 
prit se  remémore  inconsciemment  quand  il  est  appelé  à  écrire 
à  son  tour.  La  récitation  des  auteurs  n'est  pas  seulement  un 
exercice  de  mémoire  ;  elle  est  un  exercice  de  langue,  un  exer- 
cice de  prononciation  et  une  excellente  préparation  à  la  rédac- 
tion, à  la  composition  personnelle.  Nous  ne  nous  dissimulons 
pas  d'ailleurs  la  difficulté  que  présente  le  choix  des  morceaux 
de  récitation.  11  faudrait,  en  effet,  dans  les  pages  qu'on  fait 
apprendre  par  cœur,  trouver  réunis  et  le  talent  de  l'écrivain  et 
la  simplicité  d'une  pensée  juste  et  saine,  populaire  en  quelque 
sorte,  à  la  portée  du  jeune  auditoire  que  l'on  instruit. 

Abus  de  la  récitation.  —  Qu'on  prenne  garde  pourtant  à  l'ex- 
cès. Nous  rappellerons  à  ce  propos  lo  mot  du  littérateur  anglais 
Johnson.  Un  jour  qu'il  rendait  visite  dans  une  maison  où  florissait 
la  mode  de  faire  apprendre  des  fables,  un  jeune  enfant  se  pré- 
sente à  sa  rencontre  pour  lui  déclamer  un  morceau,  tandis  qu'à 
côté  de  lui  son  frère  cadet  se  proposait  à  lui  débiter  un  autre 

\)  Rendu,  Manuel  de  l'easeùjneinent  pHmuire,  201 


400  BIVU£  PiDAGOGIQUfi 

morceau.  «  Mes  petits  amis,  leur  dit  Johnson,  en  interrompant 
celui  qui  parlait,  ne  pourriez-vous  pas  me  réciter  vos  vers  tous 
deux  à  la  fois?...  »  Mais  ce  n'est  pas  seulement  pour  ce  motif 
qu'ils  sont  insupportables  aux  autres,  c'est  parce  qu'ils  ne  se 
rendent  aucun  service  à  eux-mêmes  el  qu'ils  perdent  leur  temps, 
que  nous  proscrivons  les  récitateurs  à  outrance.  Nous  n'admi- 
rons en  aucune  façon  ces  prodiges  de  mémoire  qui  consistent, 
par  exemple,  comme  le  dit  Rabelais  eu  s'en  moquant,  à  réciter 
un  livre  d'un  boot  à  l'autre,  au  rebours,  en  commençant  par  la 
fin. 

«  J'aimerais  mieux,  disait  M'»<^  de  Maiutenon,  en  parlant  de  ses 
élèves  de  Saint-Cyr,  qu'elles  ne  retinssent  que  dix  lignes  et  qu'elles 
les  comprissent  bien,  que  d'apprendre  un  volume  entier  sans  savoir 
ce  qu'elles  disent.  » 

Choix  des  exercices.  —  Peu  et  bien,  telle  sera  donc  la  règle 
en  fait  de  récitation.  Ou  choisira  de  préférence  des  morceaux 
intéressants,  variés,  tantôt  en  vers,  tantôt  en  prose;  en  vers 
surtout  pour  les  petits  enfants.  On  les  prendra  courts.  On  aura 
soin  de  les  lire  à  haute  voix,  avant,  de  les  donner  à  apprendre  : 
de  sorte  que  l'exercice  de  récitation  soit  d'abord  une  leçon  de 
lecture.  On  les  expliquera  avec  soin.  Nous  ne  sommes  pas  de 
ceux  qui  pensent  que  la  mémoire  doive  jamais  devancer  l'in- 
telligence, etquil  y  ait  intérêt  à  procéder  à  une  sorte  de  culture 
mécanique  de  la  mémoire,  eu  faisant  apprendre  des  choses  qui 
ne  sont  pas  comprises.  L'enfant,  sans  doute,  avec  sa  merveil  - 
leuse  facilité  de  souvenir,  se  plierait  à  ce  travailm  achinal; 
mais  il  y  contracterait  une  habitude  funeste,  et  dont  il  souf- 
frirait toute  sa  vie,  celle  de  répéter  comme  un  perroquet  des 
phrases  dont  il  ne  se  rendrait  pas  compte. 

Résumé  des  candi tions  du  développement  de  la  mémoire.   — 

Un   pédagogue  anglais,   M.  Blackie,   a    heureusement   résumé 

les  conditions  principales  à  remplir  pour  assurer  la  force  de  la 

mémoire  ou  pour  suppléer  à  sa  faiblesse  (l).X^s  conditions  sont 

•les  suivantes  : 

1^  La  netteté,  la  vivacité,  l'intensité  de  l'impression  originale  ; 

(1)  Blackie,  p.  !23  et  suIy. 


ÉDUCATION  DE   LA  MÉMOIRE  401 

2®  L'ordre  et  la  classification  des  faits  ; 
3®  La  répétition  ; 

«  Si  le  clou  n'entre  pas  d*un  seul  coup,  frappez  deux  fois,  trois 
fois  même.  » 

4®  La  force  de  la  logique  ; 

«  L'homme  qui  ne  se  rappelle  bien  que  les  faits  qu'il  s'explique» 
cherche  sous  les  faits  rencnaînement  des  causes.  » 

5*  Les  relations  artificielles  établies  entre  les  souvenirs; 

6<*  L'usage  des  notes  écrites.  A  défaut  d'une  bonne  mémoire 
naturelle,  disait  dans  le  même  sens  Montaigne,  a  je  m'en  fais 
une  de  papier  ». 

Procédés  mnémotechniques.  —  Les  pédagogues  ont  souvent 
recommandé  l'emploi  de  procédés  artificiels,  qui,  en  établissant 
entre  les  souvenirs  un  lien  factice,  en  garantissent  la  durée  et 
en  facilitent  le  réveil. 

Mais  les  procédés  mnémotechniques  ont  d'abord  rinconvénient 
d'habituer  Tesprit  aux  associations  d'idées  arbitraires  et  super- 
ficielles. Eussent-ils  au  point  de  vue  du  développement  de  la 
mémoire  toute  l'efficacité  qu'on  leur  prête,  il  faudrait  encore 
les  condamner,  à  raison  de  l'influence  fâcheuse  qu'ils  peuvent 
exercer  sur  le  jugement  et  la  raison. 

Que  faut-il  en  penser  d'ailleurs  au  point  de  vue  de  la  mémoire 
elle-même  ? 

«  Il  y  a,  dit  M.  Blackie,  des  relations  artificielles  qin  ne  sont  pas 
sans  utilité  :  l'élève  peut  se  rappeler  qu'Abydos  est  situé  sur  la  rive 
asiatique  de  l'Hellespont,  s'il  se  rappelle  seulement  que  les  deux 
mots  Abydos  et  Asie  commencent  l'un  et  l'autre  par  la  lettre  A.  Mais 
ce  sont  là  des  trucs,  plus  appropriés  ù  la  faiblesse  de  quelque  insti- 
tuteur malhabile  qu'à  la  virile  éducation  donnée  par  nos  bons 
maîtres.  Je  n'ai  pas  grande  confiance  dans  l'emploi  systématique 
des  procédés  mnémotechniques  :  ils  remplissent  l'esprit  d'une  foule 
de  symboles  arbitraires  et  ridicules  qui  nuisent  au  jeu  naturel  des 
farultés.  Les  dates  historiques,  pour  lesquelles  on  emploie  généra- 
lement cette  sorte  de  mécanique  compliquée,  se  graveront  plus  aisé- 
ment dans  la  mémoire  par  leurs  rapports  de  causalité  (1).  > 

La  véritable  mnémotechnie  est  celle  qui  se  fonde  sur  les 
rapports  réels,  sur  les  associations  naturelles  des  idées,  sur  la 
méthode  et  l'ordre  logique  que  l'on  doit  introduire  dans  Tenseî- 

(1)  Blackie,  p.  24. 

RBTUB  PÈDAGOQIQUI  1885.  —  l^r  811.  26 


39S  RXVUE  PÉDAGOGIQUE 

1^  Promptitude  à  apprendre.  —  C'est  par  cette  qualité  surtout 
que  la  mémoire  relève  de  la  nature,  des  dispositions  innées. 
L'art  est  impuissant  à  rétablir  l'égalité  entre  ces  intelligences 
dociles,  malléables,  aux  impressions  vives,  qui  s'imprègnent, 
pour  ainsi  dire,  de  tout  ce  qu'elles  perçoivent,  et  ces  esprits 
lents,  paresseux  et  rétifs,  qui  n'apprennent  que  très  difficile- 
ment le  peu  qu'ils  apprennent.  N'en  concluons  pourtant  pas 
qu'il  faille  désespérer  de  corriger  au  moins  en  partie  ces  défauts 
de  nature. 

«  Il  ne  faut  pas,  dit  très  bien  Rollin,  se  rebuter  aisément,  ni 
céder  à  cette  première  résistance  de  la  niémoire.  que  Ton  a  vu 
souvent  être  vaincue  et  domptée  par  la  patience  et  la  persévérance. 
D'abord  on  donne  peu  de  V gîtes  à  apprendre  à  un  enfant  de  ce 
caractère,  mais  Ton  exiçe  ({nil  les  apprenne  exactement.  On  tache 
d'adoucir  l'amertume  de  ce  travail  par  l  attrait  du  plaisir,  en  ne 
lui  propesant  que  des  choses  agréables,  telles  que  sont  par  exemple 
les  Fables  de  La  Fontaine  cl  des  histoires  frappantes.  Un  maître 
industrieux  et  bien  intentionné  se  joint  à  son  disciple,  apprend 
avec  lui,  se  laisse  quelquefois  vaincre  et  devancer,  et  lui  fait  sentir 
par  sa  propre  expérience  qu'il  peut  beaucoup  plus  qu'il  ne  pensait... 
A  mesure  qu'on  voit  croître  le  progrès,  on  augmente  par  degrés  et 
insensiblement  la  tâche  journalière.  » 

En  d'autres  termes,  ménager  les  mémoires  faibles,  en  ne 
leur  demandant  que  des  efforts  modérés  et  gradués,  ne  pas  les 
décourager  dès  l'abord,  les  exciter  au  contraire  en  leur  pré- 
parant habilement  de  petits  succès,  en  leur  inspirant  quelque 
confiance  en  elles-mêmes,  tel  est  l'esprit  des  conseils  pratiques 
de  Rollin. 

Ajoutons  que  la  faiblesse  de  la  mémoire  n'étant  pas  un  fait 
ullime  de  l'esprit,  puisqu'elle  dépend  et  dérive  de  l'absence 
de  certaines  conditicms,  —  de  ce  que  les  impressions  manquent 
de  vivacité,  de  ce  que  l'attention  est  rebelle,  —on  aura  beaucoup 
fait  pour  dégourdir  les  mémoires  lentes,  si  Ton  a  su  éveiller  la 
sensibilité  et  fixer  l'esprit  de  l'enfant. 

En  particulier,  tout  ce  qui  fortifiera  l'attention  aidera  la 
mémoire.  Or  il  n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  de  rendre  un 
élève  atVîutif  que  de  lui  faire  bien  comprendre  et  de  lui 
expliquer  nettement  tout  ce  qu'on  lui  enseigne.  La  Conduite 
des  écoles  chrétiennes  {édiiïon  de  1860)  déclare  elle-même  que 
.:  les  élèves   n'apprennent  que  très  diflScilement  ce   qu'ils  ne 


ÉDUCATION  DE  LA   MÉMOIRE  393 

comprennent  pas  (1)  ».  Pascal  disait  de  lui-même  qu'il  n'oubliait 
jamais  ce  qu'il  avait  une  fois  compris.  Il  n'y  a  pas,  quoiqu'on 
en  dise,  de  désaccord  entre  la  mémoire  et  le  jugement.  En 
rendant  compte  de  tout  ce  qu'il  enseigne,  en  multipliant  les 
explications,  le  maître  ne  travaille  pas  seulement  pour  le  juge- 
ment, il  travaille  aussi  pour  la  mémoire. 

Ce  qui  contribuera  encore  à  développer  la  promptitude  à 
apprendre,  c'est  l'ordre,  c'est  la  liaison  logique  des  connaissances 
que  l'on  propose  à  l'enfant. 

«  Il  est  indubitable,  disait  Port-Royal,  qu'on  apprend  avec  une 
facilité  incomparablement  plus  grande  et  qu'on  retient  beaucoup 
mieux  ce  qu'on  enseigne  dans  le  vrai  ordre,  parce  que  les  idées 
qui  ont  une  suite  naturelle,  s'arrangent  bien  mieux  dans  notre 
mémoire  et  se  réveillent  bien  plus  aisément  les  unes  les  autres  (2).  » 

^  Ténacité  des  souvenirs,  —  Des  souvenirs  méthodiquement 
acquis  et  dont  la  possession  est  garantie  par  l'attention  qui 
les  a  fixés  dans  l'esprit,  par  l'intelligence  qui  en  a  compris  le 
sens,  défient  en  général  l'oubli.  En  d'autres  termes,  tous  les 
efforts  qu'on  a  faits  pour  faciliter  l'acquisition  des  souvenirs 
en  assurent  aussi  la  conservation. 

Il  y  a  cependant  quelques  ri^^les  particulières  à  observer 
relativement  à  la  seconde  qualité  do  la  mémoire:  la  plus  impor- 
tante est  la  répétition,  une  des  formes  essentielles  de  l'exercice 

de  la  mémoire. 

# 

C'est  un  vieil  axiome  pédagogi(jue  que  la  répétition  est  l'âme 
de  l'enseignement,  repetitio  mater  studiorum.  Il  faut  revenir 
souvent  sur  les  mêmes  choses,  ne  pas  craindre  l'ennui  d'un 
retour  fréquent  aux  mêmes  idées.  «  On  ne  retient,  disait  Jacotot, 
que  ce  qu'on  répète.  »  Il  en  concluait,  d'après  l'adage  mu//um, 
non  multa,  qu'il  suffit  d'apprendre  une  chose,  et  de  la  savoir 
bien.  La  répétition  continuelle  d'un  seul  livre  serait  l'idéal  de 
l'enseignement.  Exagération  bizarre,  qui  sous  prétexte  de  for- 
tifier la  mémoire  aurait  pour  résultat  de  l'appauvrir.  L'étendue 
des  connaissances  n'est  pas  moins  précieuse  que  leur  solidité. 
Mais  il  n'en  reste  pas  moins  vrai  qu'affranchie  des  bornes  étroites 

[1]  Conduite  à  V usage  des  écoles  chrétteiineSy  p.  16. 
(2)  Logique  de  Port-Royal,  4*  parUe,  ch.  x. 


394  fiKVUK    PÉDAGOGIQUE 

OÙ  renfermait  Jacotot,  et  employée  sous  toutes  ses  formes  — 
rappel  pur  et  simple  de  ce  qui  a  été  dit,  résumés,  révision 
générale  —  la  répétition  est  une  des  conditions  essentielles  du 
développement  de  la  mémoire. 

«  Il  est  rare,  dit  M.  Bain,  qu'un  fait  qui  ne  s'est  produit  qu'une 
fois  laisse  une  idée  durable  qui  puisse  revenir  d'elle-môme.  La 
fixation  de  l'impression  exige  un  certain  temps  :  il  faut  ou  prolon- 

fer  le  premier  choc,  ou  le  renouveler  à  plusieurs  reprises  diflérenles. 
elle  est  la  première  loi  de  la  mémoire  (1).  >> 

Une  autre  condition  importante  de  la  fidélité  des  souvenirs, 
c'est  la  précision  rigoureuse  et  exacte  des  idées  que  Ton  confie 
à  Tesprit.  11  ne  faut  pas  se  contenter  d'à  peu  près,  et  voilà  pour- 
quoi dans  certains  cas  la  récitation  littérale,  dans  tous  les  cas 
rintclligence  détaillée,  minutieuse  de  ce  qu'où  lui  apprend, 
doit  être  exigée  de  l'enfant.  Dans  le  chapitre  intéressant  où  elle 
s'en  prend  à  ceux  qui  ont  prétendu  remplacer  Vélude  des  mots 
par  l'étude  des  choses,  M"»®  Necker  de  Saussure  fait  remar- 
quer av(  c  raison  que  ces  deux  études  sont  inséparablement  liées 
Tune  à  l'autre  : 


pour  en  rendre  compte.  Néanmoins  ces  expressions  étaient  la  plu- 
part du  temps  bien  vagues,  bien  inexactes,  car  les  enfants  ne  sont 
Sas  de  forts  habiles  rédacteurs.  Cette  compréhension  dont  on  so 
attait  restait  en  elle-même  confuse,  et  s'échappait  vite,  faute  (h) 
s'être  liée  à  des  mots  fixes  et  positifs  (2).  » 

5®  Promptitude  à  se  rappeler.  —  La  précieuse  et  rare  qualité 
qu'on  appelle  la  présence  d'esprit  dépend  en  grande  partie  do 
cette  troisième  forme  de  la  mémoire.  Les  meilleurs  moyens  de 
la  développer  seront  d'abord  les  interrogations  fréquentes.  H 
faut  par  des  questions  imprévues  obliger  l'enfant  à  faire  effort, 
et  pour  ainsi  dire  secouer  ses  souvenirs.  Il  faut  l'habituer  à 
rentrer  promptement  en  lui-même,  pour  y  saisir  au  milieu 
de  tant  d'autres  le  souvenir  qu'on  lui  réclame.  On  dégourdira 


(1)  Science  île  T éducation,  p.  16. 

(2)  L'Éducation  progressive t  t.  H.  p.  286. 


ÉDUCATION   DE  LA   MÉMOIRE  398 

ainsi  les  mémoires  endormies,  qui  ont  des  trésors,  mais  qui  ne 
savent  pas  en  user. 

Une  aulre  recommandation  importante,  c'est  de  combattre  la 
routine  et  ce  qu'il  y  a  pour  ainsi  dire  de  mécanique  dans  Texer- 
cice  de  la  mémoire.  L'enfant  qui  apprend  vite  est  trop  souvent 
disposé  à  répéter  machinalement  ce  qu'on  lui  enseigne,  dans 
l'ordre  et  dans  la  forme  où  on  le  lui  enseigne.  Il  débitera  imper- 
turbablement une  série  chronologique  de  rois  de  France  :  il  réci- 
tera, sans  y  changer  un  mot,  un  théorème  do  géométrie.  Mais 
si  on  le  dérange  un  peu  dans  cette  opération  toute  machinale, 
il  reste  court.  Il  n'y  a  pas  d'autre  moyen  de  remédier  à  ce  défaut 
ou  de  le  prévenir,  que  de  surprendre  souvent  Tenfant  par  des 
questions  où  l'ordre  habituel  sera  interverti,  et  aussi  de  l'obliger 
à  répéter  sous  une  aulre  forme,  avec  d'autres  expressions,  ce 
(|u'il  aura  appris. 

Mémoire  et  jugement.  —  Une  préoccupation  dominante  doit 
régler  tous  les  efforts  de  l'éducateur  dans  cette^  recherche  déli- 
cate des  moyens  de  cultiver  la  mémoire  :  c'est  de  ne  pas  la 
développer  au  détriment  du  jugement. 

Un  préjugé  assez  répandu  veut  que  la  a  mémoire  soit  l'enne- 
mie presque  irréconciliable  du  jugement  »  (Fontenelle)  A 
force  de  cultiver  leur  mémoire,  certaines  gens  en  viennent  à 
laisser  leur  jugement  en  friche.  On  a  affaire  alors  à  des  pédants 
insupportables,  qui  ne  pensent  point  par  eux-mêmes,  ou  qui 
n'osent  risquer  leur  propre  pensée  que  sous  le  couvert  d'une  cita- 
tion, qui  savent  seulement  ce  que  les  autres  ont  dit  et  pensé. 
<  Qu'est-ce,  disait  Kant,  qu'un  homme  qui  a  beaucoup 
de  mémoire,  mais  pas  de  jugement?  ce  n'est  qu'un  lexique 
vivant  (1).  » 

Assurément  il  faut  se  défier,  même  à  l'école,  de  l'excès  de 
la  mémoire.  A  cette  faculté  s'applique  particulièrement  la  règle 
posée  par  Kant  :  «  Ne  cultivez  isolément  aucune  faculté  pour 
elle-même,  cultivez  chacune  en  vue  des  autres.  »  Développée 
outre  mesure,  la  mémoire  annule  pour  ainsi   dire  les  autres 

(1)  On  connaU  l'épitaphe  du  P.  Hardouin,  jésuite  du  xvii*  siècle,  autaar 
Àe  grands  travaux  d'érudition  :  <  Bic  iacet  vir  bonœ  memoriœy  expectam 
judicium,  > 


396  HfiTUB  PÉDAGOGIQUE 

facultés,  et,   selon  l'expression  de  Vauvenargiies,  «  il  ne  faut 
avoir  de  la  mémoire  qu'en  proportion  de  son  esprit  ». 

Hais  il  n'y  a  rien  à  redouter  de  la  mémoire,  si  on  a  soin 
de  la  tenir  à  son  rang,  et  de  la  considérer  seulement  comme 
une  faculté  auxiliaire,  «  comme  un  merveilleux  outil,  selon  le 
mot  de  Montaigne^  sans  lequel  le  jugement  fait  à  peine  son 
office  ».  Confiés  à  un  esprit  vivant,  actif,  qui  garde  la  liberté 
de  ses  jugements,  les  souvenirs,  quelque  nombreux  qu'ils  soient, 
animent  l'intelligence  et  la  vivifient,  loin  de  l'engourdir  et  de 
l'étouller  :  ils  la  meublent,  sans  l'encombrer.  Ils  y  sont  d'ailleurs 
le  point  de  départ  de  toute  une  floraison  de  pensées  nouvelles. 
Comme  le  dit  un  peu  emphatiquement  M"«  Marchef-Girard, 
«  la  mémoire  n'est  pas  un  tombeau;  c'est  un  berceau  où  l'idée 
grandit  d. 

Mémoire  et  récitation.  —  l^e  discrédit  où  est  parfois  tomboe  la 
mémoire  provient  surtout  de  la  confusion  qu'on  a  laite  entre  la 
mémoire  proprement  dite  et  la  récitation,  c'est-à-dire  une  forme 
particulière  de  Texercice  de  la  mémoire.  Alors  même  que  l'on 
proscrirait  la  récitation,  et  qu'on  renoncerait  à  faire  apprendre 
par  cœur,  il  n'en  serait  pas  moins  nécessaire  de  développer  la 
mémoire. 

Il  s'en  faut  d'ailleurs  que  la  récitation  elle-même  mérite  toutes 
les  critiques  dont  elle  est  l'objet. 

Opinion  de  M.  Herbert  Spencer,  —  M.  Herbert  Spencer  est  de 
ceux  qui  ont  le  plus  résolument  condamné  la  méthode  des  réci- 
tations littérales  (1)  ; 

«  L'habitude  d'apprendre  par  cœur,  autrefois  universellement 
répandue,  tombe  tous  les  jours  en  discrédit.  Toutes  les  auLnrilés 
modernes  condamnent  la  vieille  méthode  mécanique  d'enseigner 
l'alphabet.  On  apprend  souvent  la  table  de  mulliplication  par  la 
méthode  cxpérimentalo.  Dans  l'enseignement  des  langues,  on  sub- 
stitue déjà  aux  procédés  des  collèges  d'autres  procédés  imités  de 
ceux  que  suit  spontanément  l'eniant  ^uand  il  apprend  sa  langue 
maternelle...  Le  système  qui  consiste  a  faire  apprendre  par  cœur 
donne  à  la  formule  et  au  symbole  la  priorité  sur  la  chose  formulée 
ou  symbolisée.  Répéter  les  mots  correctement  sjffisait,  lescomp.-endre 

(l)  M.  Uousselot  est  tombé  dans  les  mé.ni>s  exagérati.ins  :  c  Ce: te  vieiUe 
habitude  de  faire  apprendre  pT  cœur  est  un  des  plus  fâcheux  et  des  plus 
tenaces  préjugés  de  la  pédagogie  routiniôre  :  justement  discréditée,  tout  \e 
monde  la  répudie  en  théorie.  »  Pédagogie j  p.  178. 


ÉDUCATION  DE  LA  MÉMOIRE  397 

était  inutile,  et  de  cette  façon  l'esprit  était  sacrifié  à  la  lettre.  Oo 
reconnaît  enfin  que  dans  ces  cas  comme  dans  les  autres,  plus  on 
donne  d*attëution  au  signe,  moins  on  en  donne  à  la  chose  signifiée  (1).  • 

ISous  retrouvons  ici  les  défauts  habituels  de  M.  Spencer,  ses 
affirmations  hautaines,  absolues,  dépourvues  de  mesure  et  par 
suite  de  justesse.  Qu'on  ait  abusé  autrefois,  qu'on  abuse  encore 
des  leçons f  personne  n'y  contredit;  nous  nous  rappelons  encore 
quelles  pénibles  et  lourdes  heures  d*étude  nous  passions  au 
collège,  à  répéter  à  voix  basse  de  longs  textes  grecs,  latins  et 
français.  Mais  parce  qu'on  a  trop  appris  par  cœur  autrefois,  au 
collège  et  même  à  l'école,  est-ce  une  rai:)()n  pour  ne  plus  appren- 
dre par  cœur  du  tout? 

Arguments  pour  et  corttre.  —  Les  adversaires  de  la  récita- 
tion font  valoir  divers  arguments. 

Les  pédagogues  américains  se  distinguent  par  la  vivacité  de 
leurs  attaques.  Ainsi  M.  James  Joliounot  préteyd  que  le  système 
d'enseignement  qui  consiste  à  faire  apprendre  par  cœur  n'a 
plus  sa  raison  d'être  dans  les  sociétés  modernes,  où  il  s'agit 
moins  de  maintenir  des  traditions  aveugles  et  un  respect  irréfléx^hi 
(iu  passé  que  de  fortifier  la  raison  et  de  favoriser  la  réflexion 
personnelle  (2). 

L'argument  ne  vaut  évidemment  que  contre  un  système  de 
récitation  à  outrance,  où  l'on  demanderait  le  mot  à  mot 
littéral  dans  tous  les  enseignements,  même  dans  ceux  qui  le 
comportent  le  moins,  comme  les  sciences  et  la  morale. 

D'autres  pédagogues  objectent  que  le  résultat  des  exercices 
de  mémoire  ne  vaut  pas  le  mal  qu'on  se  donne  pour  l'atteindre. 
Quel  prolit  y  a-t-il  pour  l'élève  à  réciter  des  phrases  toutes 
faites,  à  acquérir  une  science  purement  verbale?  Savoir  par 
cœur  n'est  pas  savoir,  disait  Montaigne.  De  plus  la  récitation 
littérale  exige  un  effort  intense,  et  de  grands  sacrifices  de  temps. 
L'esprit  se  fatigue  et  s*use  dans  cet  effort.  Et  pendant  que 
relève  &e  tourmente  et  peine  sur  ses  leçons,  le  temps  passe,  un 
temps  précieux  qui  pourrait  être  mieux  employé. 

Nous  répondrons  que  pour  certaines  choses  au  moins  l'idée  ne 


(11  L'Éducation,  p.  97. 

(2)  Principes  and  practicâ  of  teachiiig,  New- York,  1881,  p.  171. 


388  IIVCB  PÉDAGOGIQUE 

peut  se  séparer  des  mots  qui  seuls  rexpriment  convenablement, 
et  qu'il  est  par  conséquent  nécessaire  de  retenir  exactement- 
Nous  ne  sommes  vraiment  maîtres  de  nos  idées  que  quand 
nous  avons  trouvé  les  mots  propres  pour  les  exprimer.  Dans 
un  assez  grand  nombre  de  cas,  savoir  par  cœur  est  le  seul 
moyen  de  savoir.  D'un  autre  côté,  Teffort  est  nécessaire  en 
éducation  :  il  n'est  pas  bon  de  trop  ménager  l'enfant  et  de  le 
tenir  quitte  de  tout  travail  de  mémoire  verbale,  parce  qu'il 
aura  compris  et  vaguement  retenu  !e  sens  de  ce  qu'on  lui 
enseigne. 

Les  objections  que  nous  venons  d'examiner  porlent  donc 
plutôt  contre  l'abus  de  la  récitation,  employée  sans  mesure  et 
mal  à  propos,  que  contre  l'usage  discret  et  modéré  de  la  réci- 
tation littérale  dans  les  matières  où  elle  est  indispensable. 

Où  la  récitation  littérale  est  nécessaire.  —  Un  pédagogue 
anglais,  M.  Fitch,  a  nettement  établi  la  règle  qui  détermine 
les  matières  où  la  récitation  littérale  est  nécessaire. 


*  S'il  s'agit  simplement  de  faire  retenir  des  pensées,  des  faits,  des 
raisonnements,  laissez  relève  les  reproduire  à  sa  f^uise  et  dans  son 
lahffai^e.  Ce  nVstpas  le  moment  de  mettre  en  branle  la  pure  mémoire- 
verbale.  Mais  si  les  mots  qui  servent  à  TexjuTssion  d'un  fait  ont  par 
eux-ni^raes  une  beauté  propre,  s'ils  représentent  quelque  donnée 
scientifique,  ou  quelque  vérité  fondamentale  qu'on  nepourraitexprimer 
aussi  bien  en  recourant  à  d'autres  ternies,  alors  veiJlezàce  que  la  forme 
aussi  bien  que  la  substance  de  la  j)ensée  soit  apprise  parctrur  (  I  .  * 

D'après  cela  il  est  aisé  de  fixer  la  limite  que  la  récitation  ne 
doit  pas  franchir.  En  grammaire,  les  règles  principales  ;  en 
arithmétique,  les  définilions;  en  géométrie,  les  théorèmes  ;  dans 
les  sciences  en  général,  les  formules;  en  histoire,  quelques 
sommaires;  en  géographie,  l'explication  de  certains  termes 
techniques;  en  morale,  quelques  maximes,  voilà  ce  que  reniant 
doit  savoir  mot  par  mot.  Verbatim.  Et  encore,  bien  entendu,  à 
la  condition  qu'il  comprenne  parfaitement  le  sens  de  ce  qu'il 
récite,  et  que  son  attention  soit  appelée  sur  la  pensée  non  ni.<ins 
que  sur  l'expression.  Il  ne  faut  confier  à  la  mémoire  que  ce  que 
l'intelligence  a  parfaitement  compris.  Pour  tout  le  reste,  il  faut 

(1)  Leilures  on  teachingy  Cambridge,  1881.  (..e  Mrrv  est  le  résume  d  un 
cours  de  pédagogie  proressé  en  18St  à  runiversité  de  Cambridge. 


ÉDUCATION  DE   LA  MÉMOIRE  399 

s*en  rapporter  à  la  mémoire  large  des  pensées,  uou  à  la 
mémoire  stricte  des  mots  :  et  il  est  aussi  fastidieux  qu*inutile, 
aussi  dangereux  que  pénible,  de  faire  réciter  de  longues  pages 
dliistoire,  de  grammaire  ou  de  physique. 

Les  exercices  de  récitation.  —  "  X  *  pourtant  un  autre 
emploi  important  de  la  récitation:  c'est  l'étude  des  beaux 
textes,  des  morceaux  de  prose  et  de  vers,  dont  il  convient 
d'enrichir  et  d'orner  la  mémoire  des  enfants.  «  Les  exercices 
de  récitation  littéraire  ne  sont  pas  assez  pratiqués  dans  nos 
écoles  (1)  ».  Il  n'y  a  pas  de  meilleur  moyen  de  former  le 
goût  des  élèves,  de  leur  apprendre  à  sentir  et  à  goûter  Télo-, 
quence  de  la  poésie,  la  force  des  belles  pensées  et  le  charme 
du  beau  langage.  Une  lecture  même  étudiée  ne  suffit  pas  tou- 
jours :  il  faut  y  joindre  de  temps  en  temps  cet  effort  particu- 
lier d'attention  que  réclame  la  récitation  verbale.  Par  là  vous 
obligez  la  mémoire  à  un  effort  particulièrement  énergique,  à 
une  véritable  concentration  de  l'alLention.  Par  là  vous  obUgez 
l'enfant  à  parler.  Par  là  enfin  l'enfant  pénètre  plus  intimement 
les  procédés  et  l'art  des  grands  écrivains  ;  il  s'approprie  leur 
style;  il  se  fait  un  trésor  intérieur  de  beaux  modèles^  que  l'es- 
prit se  remémore  inconsciemment  quand  il  est  appelé  u  écrire 
a  son  tour.  La  récitation  des  auteurs  n'est  pas  seulement  un 
exercice  de  mémoire  :  elle  est  un  exercice  de  langue,  un  exer- 
cice de  prononciation  et  une  excellente  préparation  à  la  rédac- 
tion, à  la  composition  personnelle.  Nous  ne  nous  dissimulons 
pas  d'ailleurs  la  difficulté  que  présente  le  choix  des  morceaux 
de  récitation.  Il  faudrait,  en  effet,  dans  les  pages  qu'on  fait 
apprendre  par  cœur,  trouver  réunis  et  le  talent  de  l'écrivain  et 
la  simplicité  d'une  pensée  juste  et  saine,  populaire  en  quelque 
sorte,  à  la  portée  du  jeune  auditoire  que  l'on  instruit. 

Ahus  de  la  récitation.  —  Qu'on  prenne  garde  pourtant  à  l'ex- 
cès. Nous  rappellerons  à  ce  propos  le  mot  du  littérateur  anglais 
Johnson.  Un  jour  qu'il  rendait  visite  dans  une  maison  où  fiorissait 
la  mode  de  faire  apprendre  des  fables,  un  jeune  enfant  se  pré- 
sente à  sa  rencontre  pour  lui  déclamer  un  morceau,  tandis  qu'à 
côté  de  lui  son  frère  cadet  se  proposait  à  lui  débiter  un  autre 

1;  Rendu,  Manuel  de  l' enseignement  onmaire,  201 


400  BKVU£  PÉDA600IQUX 

morceau.  «  Mes  petits  amis,  leur  dit  Johuson,  en  interrompaat 
œlui  qui  parlait,  ne  pourriez-vous  pas  me  réciter  vos  vers  tous 
deux  à  la  fois?...  9  Mais  ce  n'est  pas  seulement  pour  ce  motif 
qu'ils  sont  insupportables  aux  autres,  c'est  parce  qu'ils  ne  se 
rendent  aucun  service  à  eux-mêmes  et  qu'ils  perdent  leurtemps, 
que  nous  proscrivons  les  récitateurs  à  outrance.  Nous  n'admi- 
rons en  aucune  façon  ces  prodiges  de  mémoire  qui  consistent, 
par  exemple,  comme  le  dit  Rabelais  eu  s'en  moquant,  à  réciter 
un  livre  d'un  bout  à  l'autre,  au  rebours,  en  commençant  par  la 
fin. 

«  J'aimerais  mieux,  disait  U°^^  de  Maintenon,  en  parlant  de  ses 
élèves  do  Saint-Cyr,  qu'elles  ne  retinssent  que  cÙx  lignes  et  qu'elles 
les  comprissent  bien,  que  d'apprendre  un  volume  entier  sans  savoir 
ce  qu'elles  disent.  » 

Choix  des  exercices.  —  Peu  et  bien,  telle  sera  donc  la  règle 
en  fait  de  récitation.  On  choisira  de  préférence  des  morceaux 
intéressants,  variés,  tantôt  en  vers,  tantôt  en  prose;  en  vers 
surtout  pour  les  petits  enfants.  On  les  prendra  courts.  On  aura 
soin  de  les  lire  à  haute  voix,  avant  de  les  donnera  apprendre  : 
de  sorte  que  l'exercice  de  récitation  soit  d'abord  une  leçon  de 
lecture.  On  les  expliquera  avec  soin.  Nous  ne  sommes  pas  de 
ceux  qui  pensent  que  la  mémoire  doive  jamais  devancer  Tiu- 
telligence,  etquil  y  ait  intérêt  à  procéder  à  une  sorte  de  culture 
mécanique  de  la  mémoire,  eu  faisant  apprendre  des  choses  qui 
ne  sont  pas  comprises.  L'eufant,  sans  doute,  avec  sa  merveii  - 
leuse  facilité  de  souvenir,  se  plierait  à  ce  travailm  achinai; 
mais  il  y  contracterait  une  habitude  funeste,  et  dont  il  souf- 
frirait toute  sa  vie,  cède  de  répéter  comme  un  perroquet  des 
phrases  dont  il  ne  se  rendrait  pas  compte. 

Résumé  des  conditions  du  développemetit  de  la  mémoire.    — 

Un  pédagogue  anglais,  M.  Blackie,   a   heureusement   résumé 

les  conditions  principales  à  remplir  pour  assurer  la  force  de  la 

mémoire  ou  pour  suppléer  à  sa  faiblesse  (l).jCes  conditions  sont 

•les  suivantes  : 

1®  La  netteté,  la  vivacité,  l'intensité  de  l'impression  originale  ; 

(1)  Blackie,  p.  13  et  suiv. 


ÉDUCATION  DE  LA  MÉMOIRE  401 

2®  L'ordre  et  la  classification  des  faits  ; 
3®  La  répétition  ; 

<t  Si  le  clou  n'entre  pas  d*un  seul  coup,  frappez  deux  fois,  trois 
fois  même.  « 

4®  La  force  de  la  logique  ; 

«  L'homme  qui  ne  se  rappelle  bien  aue  les  faits  qu'il  s'explique, 
cherche  sous  les  faits  rencnaînement  des  causes.  » 

5*  Les  relations  artificielles  établies  entre  les  souvenirs; 

6®  L'usage  des  notes  écrites.  A  défaut  d'une  bonne  mémoire 
naturelle,  disait  dans  le  même  sens  Montaigne,  <k  je  m'en  fais 
une  de  papier  ». 

Procédés  mnémotechniques.  —  Les  pédagogues  ont  souvent 
recommandé  l'emploi  de  procédés  artificiels,  qui,  en  établissant 
entre  les  souvenirs  un  lien  factice,  en  garantissent  la  durée  et 
en  facilitent  le  réveil. 

Mais  les  procédés  mnémotechniques  ont  d'abord  l'inconvénient 
d'habituer  l'esprit  aux  associations  d'idées  arbitraires  et  super- 
iicielles.  Eussent-ils  au  point  de  vue  du  développement  de  la 
mémoire  toute  TeiBcacité  qu'on  leur  prête,  il  faudrait  encore 
les  condamner,  à  raison  de  Tinflucnce  fâcheuse  qu'ils  peuvent 
exercer  sur  le  jugement  et  la  raison. 

Que  faut'il  en  penser  d'ailleurs  au  point  de  vue  de  la  mémoire 
elle-même  ? 

a  II  y  a,  dit  M.  Blackie,  des  relations  artificielles  qui  ne  sont  pas 
sans  utilité  :  l'élève  peut  se  rappeler  qu'Abydos  est  situé  sur  la  rive 
asiatique  de  l'Hellespont,  s'il  se  rappelle  seulement  que  les  deux 
mots  Àbydos  et  Asie  commencent  l'un  et  l'autre  par  la  lettre  A.  Mais 
ce  sont  là  des  trucs,  plus  appropriés  à  la  faiblesse  de  quelque  insti- 
tuteur malhabile  qu'a  la  virile  éducation  donnée  par  nos  bons 
maîtres.  Je  n'ai  pas  grande  confiance  dans  l'emploi  systématique 
des  procédés  mnémotechniques  :  ils  remplissent  l'esprit  d'une  foule 
de  symboles  arbitraires  et  ridicules  qui  nuisent  au  jeu  naturel  des 
facultés.  Les  dates  historiques,  pour  lesquelles  on  emploie  généra- 
lement cette  sorte  de  mécanique  compliquée,  se  graveront  plus  aisé- 
ment dans  la  mémoire  par  leurs  rapports  de  causaUlé  (1).  « 

La  véritable  mnémotechnie  est  celle  qui  se  fonde  sur  les 
rapports  réels,  sur  les  associations  naturelles  des  idées,  sur  la 
méthode  et  l'ordre  logique  que  Ton  doit  introduire  dans  l'ensei- 

(1)  Blackie,  p.  24. 

RBVUB  PADAGOOIQUI  1883.  —  lor  8EH.  26 


403  UVUI  PÉDAG061QCI 

gnement.  Au  contraire,  la  mnémotechniey  qui  a  pour  principe 
des  rapprochements  artiCciels  et  des  rapports  de  convention, 
peut  être  utile  pour  assurer  la  conservation  d'un  souvenir  parti- 
culier ;  mais  elle  nuit  à  la  culture  générale  de  la  mémoire.  Tout 
ce  qui  aide  la  mémoire,  en  effet,  ne  la  fortiCe  point,  et  c'est 
lui  donner  de  mauvaises  habitudes  que  de  lui  fournir  des  appuis 
extérieurs,  des  étais  artificiels,  qui  lui  désapprennent  de  compter 
sur  elle-même  et  sur  la  nature  des  choses. 

Association  des  idées.  —  L'association  des  idées  est  une  des 
lois  essentielles  du  développement  de  la  mémoire  :  en  ce  sens 
que  les  souvenirs  se  lient  les  uns  aux  autres,  que  leur  liaison 
les  fixe  dans  l'esprit;  et  qu'une  fois  associés  par  un  lien  quel- 
conque, il  suffit  de  l'apparition  de  l'un  pour  évoquer  l'autre. 
Voilà  pourquoi  les  études  nouvelles  qui  par  l'attrait  de  leur 
nouveauté  même  excitent  l'attention,  fatiguent  et  déconcertent 
la  mémoire,  parce  que  les  idées  qu'elles  suggèrent  à  l'esprit 
n'y  trouvent  pas  de  points  d'appui,  d'autres  idées  analogues 
auxquelles  on  puisse  les  rattacher. 

Dans  la  culture  de  la  mémoire,  le  pédagogue  aura  donc  à 
tirer  profit  de  l'association  des  idées  et  de  ses  divers  principes  ;  les 
uns  fortuits  et  extérieurs,  comme  la  contiguïté  dans  le  temps  et 
dans  l'espace,  les  autres  intrinsèques  et  logiques,  comme  le  rapport 
de  cause  à  effet.  Plus  on  établira  de  rapprochements  entre  les 
connaissances,  plus  on  associera  les  idées,  et  plus  la  mémoire 
sera  vive  et  tenace.  Saint  François  de  Sales  disait  sous  une 
forme  piquante  :  «  La  bonne  manière  d'apprendre,  c*est  d'étu- 
dier; la  meilleure,  c'est  d'écouter  ;  la  très  bonne,  c'est  d'ensei- 
gner? »  Si  le  meilleur  moyen  d'apprendre  est  en  effet  d'ecsei- 
gner,  c'est  que  précisément  le  professeur  est  obligé  de  classer, 
de  coordonner  les  connaissances  qu'il  enseigne  et  de  les  sou- 
mettre à  un  ordre  rigoureux  et  méthodique. 

Différentes  formes  de  la  mémoire.  —  «  On  dit  la  mémoire, 
fait  remarquer  M.  Legouvé  :  on  devrait  dire  les  mémoires.  »  11 
y  a  en  effet  la  mémoire  des  faits,  la  mémoire  des  mots,  la 
mémoire  des  idées,  la  mémoire  des  dates,  des  lieux,  d'autres 
encore.  Et  ces  diverses  mémoires,  bien  qu'elles  ne  s'excluent 
pas,  s'unissent   rarement   chez  le  même  individu.   Tel   qui 


ÉDUCATION  DE  LA  MÉMOIRE  403 

retient  imperturbablement  une  àérie  de  chiffres  et  de  calculs, 
sera  incapable  de  se  rappeler  les  lieux,  les  formes  des  objets, 
les  figures  des  personnes.  Cest  Tliabitude,  c'est  l'exercice 
fréquent  et  répété,  qui  plus  que  la  nature  contribue  à  déve- 
lopper ces  dispositions  diverses.  Chaque  profession,  chaque 
métier  tend  à  favoriser  Tune  ou  l'autre.  A  l'école,  le  rôle  du 
pédagogue  doit  être  de  combattre  ces  spécialisations  de  la  mé- 
moire, de  ne  pas  souffrir  qu'elle  se  dévoue  exclusivement  à 
l'acquisition  d'un  seul  ordre  de  connaissance. 

La  mémoire,  en  résumé,  doit  être  développée  dans  tous  les  sens 
au  profit  des  idées  abstraites  comme  au  profit  des  images  et 
des  notions  sensibles.  Elle  doit  être  une  puissance  d'acquisition 
souple  et  générale,  qui  se  prête  à  tous  les  travaux  de  la  pensée, 
à  toutes  les  occupations  de  la  vie.  Si  elle  n'est  que  la  gardienne 
d'une  catégorie  privilégiée  de  souvenirs,  elle  rendra  encore  des 
services,  mais  des  services  restreints  et  particuliers.  Elle  ne 
sera  plus  la  faculté  universelle  qu'il  lui  convient  d'être,  la 
servante  de  l'intelligence,  servante  d'ailleurs  dont  on  ne  peut 
se  passer. 

Gabriel  Compayré. 


APPEL  AUX  MÈRES  (*) 


A   PROPOS  DES  COLOSIES  DE  VACANCES 

II  est  des  fleurs  pâles  et  frêles 
Qui  croissent  entre  les  pavés, 
l>es  oisillons  qui  n'ont  pas  d'ailes 
Pour  s'enfuir  vers  les  bois  rêvés. 

Des  enfants  qui  n'ont  pas  d'enfance, 
Qui  jamais  n'ont  cueilli  des  fleurs, 
Et  qui  vivent  dans  l'ignorance 
Des  plus  simples  de  nos  bonheurs. 

Petits  enfants  des  grandes  villes, 
Dans  la  rue  et  sur  le  trottoir 
lia  vont,  traînant  leurs  pas  débiles, 
Depuis  le  matin  jusqu'au  soir. 

Ils  n'ont  jamais  marché  dans  Therbe, 
Sur  la  mousse  au  bord  des  forêts. 
Ou,  joyeux,  rapporté  la  gerbe 
D'épis  glanés  dans  les  guérets. 

L'air  pur,  la  joie  et  la  lumière, 
Il  en  faut  pour  s'épanouir 
Aux  plantes  qui  montent  de  terre, 
Aux  enfants  pour  ne  pas  mourir. 


(!)  Les  colonies  de  vacances^  dont  nous  nvons  parlé  dans  notre  dernier 
numôro,  ont  Inspiro  à  M™o  de  Pressensé  quelques  strophes  émues,  qu'elles 
bien  voulu  nous  autoriser  à  reproduire,  et  qui  toucheront  assurément  le  cœur 
des  mères  auxquelles  elles  s'adressent.  Ajoutons  que  M°ie  de  Pressensé  a 
commencé  par  prêcher  d'exemple  :  depuis  plusieurs  années,  Tasile  fondé  à 
Vauglninl  par  un  comité  de  dames  protestantes  pour  recevoir  des  enfants  dont 
les  ni(*res  sont  à  l'hôpital  passe  à  la  campagne  les  trois  mois  des  grandes 
chaleurs. 

Nous  sommes  heureux  de  pouvoir  annoncer  qu'on  étudie  en  ce  moment 
même,  dans  plusieurs  arrondissements  de  Paris,  la  question  de  l'organisation 
de  comités  qui  s'occuperaient  de  former  de  nouvelles  colonies  de  vacances, 
sur  le  modèle  de  colles  du  IX*"  arrondissement.  Puisse  cette  bienfaisante 
initiative  aboutir  à  quelques  résultats  pratiques  1  —  La  Rédaction, 


APPEL  AUX  MÈRES  40S 

Mères,  vous  qui  faites  la  vie 
Si  belle  à  vos  joyeux  enfants, 
Vous  dont  la  tendresse  infinie 
Les  veut  si  gais  et  si  contents  ; 

Enfants  pour  qui  l'été  ramène 
Tous  les  boniieurs  accoutumés, 
Qui  retrouverez  dans  la  plaine 
Les  blés  d*or,  les  prés  embaumés, 

Oh!  pensez  à  ceux  qui  languissent 
Tout  Tété  dans  nos  murs  brûlants» 
Et  que  des  mères  vous  bénissent 
Pour  avoir  sauvé  leurs  enfants. 


E.  DE  Pressensé 


UN  COIN  DU  MONDE  SCOLAIRE  A  LONDRES 


Il  y  a  quelque  temps  je  séjournai  à  Londres  ;  c'était 
pour  affaires,  et  je  n'avais  aucun  dessein  de  visiter  les  écoles. 
Mais  de  môme  qu'un  vieux  cheval  de  guerre  ne  peut  enten- 
dre le  bruit  du  clairon  ni  sentir  Todeur  de  la  poudre  sans 
hennir  et  dresser  Toreille,  —  ainsi  un  vieil  instituteur  ne  sau- 
rait passer  devant  une  école  sans  tenter  d'y  entrer. 

Un  jour  donc  que  je  revenais  des  docks  de  Wapping,  sur 
la  rive  gauche  de  la  Tamise,  je  m'égarai  dans  les  ruelles  étroi- 
tes et  boueuses  de  ce  quartier,  l'un  des  plus  pauvres  de  Lon- 
dres. Une  rumeur  de  voix  enfantines  frappa  mon  oreille,  je 
marchai  dans  la  direction,  et  je  me  trouvai  bientôt  devant  la 
porte  d'entrée  d'une  école  de  garçons  :  «  St-Johns  of  Wapping 
School  »,  fondée  en  1693.  L'heure  de  la  classe  ramenait  juste- 
ment les  petits  écoliers  au  bercail  ;  je  gravis  péle-méle  avec 
eux  un  escalier  d'une  vingtaine  de  marches,  et  me  voilà 
dans  la  grande  classe.  Le  maître  était  à  son  poste.  Il  me  re- 
çut avec  une  extrême  courtoisie  et  me  permit  sans  difficulté 
de  visiter  tout  l'établissement. 

La  salle  était  vaste  et  bien  aérée  :  pas  un  soupçon  de  mau- 
vaise odeur,  mais  quel  pauvre  mobilier  !  des  tables  et  des 
bancs  vieux  modèle,  presque  hors  d'usage,  remontant  à  l'é- 
poque où  l'école  était  un  lieu  de  «  carcere  duro  ».  Le  maté- 
riel d'enseignement  ne  brillait  pas  davantage.  Cartes  de  géo- 
graphie} médiocres  et  peu  nombreuses.  Presque  pas  d'images 
sur  les  murs,  et  des  sujets  peu  attrayants.  L'examen  des  livres 
m'amena,  au  contraire,  à  louer  le  choix  intelhgent  du  maître, 
surtout  en  ce  qui  concerne  le  livre  de  lecture  cou- 
rante, lequel  est  riche  en  illustrations  d'un  goût  remarquable, 
et  en  historiettes  amusantes,  sans  compter  la  typographie  qui 
est   superbe. 

Le  registre  de  classe,  tout  grand  ouvert  sur  le  bureau,  est 
tenu  avec  soin.  11  est  intitulé  :  «  Class  register  of  atlendance, 
absence  and  payments,  »  et  renferme  toutes  les  indications 
que  son  titre  comporte. 


UN   COIN   DU   MONDE  SCOLAIRE   À   LONDRES  407 

Les  enfants  entrèrent  en  classe  au  son  d'une  cloche,  si  j'ai 
bonne  mémoire.  Ils  étaient  une  centaine  de  jeunes  garçons  de 
sept  à  douze  ans,  tous  vêtus  décemment  quoique  pauvrement. 
Point  de  toile  ni  de  coutil,  bien  que  ce  fût  au  cœur  de  Tôté 
et  par  une  journée  très  chaude,  rien  que  des  vêtements  de 
drap,  tous  de  couleur  sombre.  La  variété  des  chevelures  et 
des  yeuiL  d'enfants  introduisait  seule  des  nuances  gaies  dans 
ce  tableau  à  la  teinte  monotone. 

Ils  préludèrent  par  un  petit  chant  religieux,  puis  se  mirent 
au  travail.  La  discipline  ne  me  parut  pas  très  ferme  dans 
St-John  of  Wapping,  non  plus  que  dans  les  autres  écoles  que 
je  visitai  par  la  suite.  Craint-on  de  comprimer  trop  tôt  ces 
caractères  vifs  et  fiers,  et  de  briser  en  eux  ce  que  l'Anglo- 
Saxon  estime  par-dessus  tout,  le  ressort  individuel,  la  volonté? 
Peutrétre.  On  m'assure  que  la  punition  du  fouet  figure  tou- 
jours sur  les  règlements  scolaires.  Soyez  certain  que  c'est  de  pure 
forme,  et  que  jamais  baguette  ni  lanière  n'ont  effleuré  les  mem- 
bres de  ces  petits  gaillards. 

Je  dois  à  l'aimable  et  jeune  peuple  scolaire  de  St-John  of 
Wapping  la  justice  de  dire  qu'il  usa  à  mon  égard  de  la  même 
courtoisie  que  son  maître.  Ni  mon  costume  avarié  par  la  pous- 
sière d'une  longue  route,  ni  mon  air  exotique,  ni  l'incorrection 
flagrante  de  mon  langage,  ni  celle  plus  déplorable  encore  d'une 
prononciation  à  la  française,  ne  les  mirent  en  belle  humeur 
à  mes  dépens.  Ces  petits  yeux  vifs  et  intelligents  braqués  sur 
moi  n'exprimaient  qu'une  curiosité  bienveillante,  et  au  départ 
de  l'étranger,  sans  attendre  le  signal  du  maître,  on  se  leva 
spontanément  pour  im  faire  honneur.  J  en  ai  conçu  une  bonne 
opinion  des  principes  éducatifs  de  ces  jeunes  a  gentlemen  »• 

Mis  en  goût  par  cette  première  excursion  dans  le  monde 
scolaire,  j'en  risquai  d'autres,  et  je  ne  passai  plus  devant  une 
école  sans  y  entrer.  Je  trouvai  partout  le  môme  accueil  de 
la  part  des  maîtres,   le  même  respect  de  la  part  des  écoUers. 

Dans  le  quartier  de  White-Chapel,  plus  pauvre  encore  et  plus 
populeux  que  celui  de  Wapping,  une  inscription  commémora- 
live  en  lettres  d'or  m'apprend  que  les  écoles  ont  été  fondées 
par  le  révérend  Ralph  Da venant,  en  1680  (c'est  un  âge  vé- 
nérable), et  qu'elles  sont  exclusivement  réservées,  aux  ternies  de 


408  RRVUB  PÉDAGOGIQUE 

l'acte  de  fondation,  aux  enfants  nés  ou  résidant  dans  la  pa- 
roisse de  White-Cliapel. 

Des  soins  très  attentifs  sont  pris  pour  que  la  fréquenta- 
tion des  élèves  inscrits  soit  régulière.  Voici  le  fac-similé 
d'un  billet  d'absence  recueilli  sur  place  et  qui  témoigne  de 
la  vigilance  des  maîtres  en  pareille  matière  : 

IWliiteeliapel  Society*s  IVational 

BOYS'  SCHOOL, 
ST.  MARY  STREET,  WHITECHAPEL  ROAD. 


Mr.<î 


Your  Son  has  been  absent  from  Sciiool  this  Morning,  without 
leave,  contrary  to  the  Rules  of  the  School. 

(Signature) 

188 
Please  to  rcturn  an  Answer  on  the  bock  of  this  Notice, 

Dans  les  écoles  du  révérend  Ralph  Davenant  comme  à  St- 
John,  les  locaux  sont  assez  vastes,  mais  médiocrement  appro- 
priés à  leur  destination.  Le  mobilier  est  défectueux.  On  ne 
paraît  pas  se  soucier  des  perfectionnements  actirellement  re- 
commandés an  nom  de  Thygiène  et  de  l'expérience.  Le  mot 
comfort  a  beau  être  anglais,  la  chose  n'a  pas  encore  pénétré 
dans  ces  régions  populaires  et  scolaires. 

Pour  la  seconde  fois,  je  suis  surpris  de  la  pauvreté  du  ma- 
tériel géographique.  La  géographie,  nerf  d'une  nation  colo- 
niale et  commerçante,  serait-elle  dédaignée  à  l'école?  Hypothèse 
bien  invraisemblable.  J'en  veux  avoir  le  cœur  net  et,  avec 
la  permission  du  maître,  je  demande  aux  écoliers  de  tracer 
séance  tenante,  à  main  levée,  la  carte  de  l'AngleteiTe.  Tous 
aussitôt  de  tomber  sur  leurs  ardoises  et  de  crayonner  rapide- 
ment le  croquis  demandé.  Sur  ma  requête,  un  écolier  s'ap 
proche  du  tableau  noir  et  trace  en  grand  le  même  dessin. 
Les  contours  tourmentés  des  côtes,  les  golfes,  les  embouchures 


UN   COIN    DU   MONDE    SCOLAIRE    A    LONDRES  409 

des  fleuves,  les  ports  naissent  à  Yue  d'œil  sous  la  craie  du 
dessinateur.  C'est  fait  de  chic  (comme  disent  les  peintres) 
plutôt  qu'avec  méthode,  et  un  pédagogue  exigeant;  aurait  plus 
d'une  critique  à  faire.  Mais  l'exactitude  générale  et  relative  est 
obtenue  promptement  et  sans  peine. 

Arrivé  au  Northumberland  et  au  Cumberland,  quand  il  a 
indiqué  la  ligne  de  la  Tweed  et  les  monts  Cheviots,  Técolier 
s  arrête,  se  retourne  et  cherche  de  mon  côté  un  regard  appro- 
bateur. 

« 

«  Ce  n'est  pas  fini,  lui  dis-je. 

—  Si,  monsieur,  »  répond  d'un  air  décidé  l'apprenti  géo- 
graphe. 

J'insiste,  il  tient  bon.  Bref,  le  maître  intervient  et  m'ap- 
prend que,  ayant  demandé  l'Angleterre,  et  pas  la  «  Grande- 
Bretagne  »,  je  n'ai  pas  droit  à  l'Ecosse,  qu'en  conséquence  l'en- 
fant a  raison  de  s'arrêter  à  la  Tweed  et  aux  Cheviots. 

Et  voilà  comment,  à  faire  l'interrogateur  et  le  pédagogue 
en  pays  étranger,  on  s'expose  à  recevoir  une  leçon  d'exac- 
titude et  de  précision. 

Je  m'en  consolai  par  la  pensée  que  j'avais  surpris  sur  le 
vif  un  trait  bien  marqué  du  caractère  britannique  :  c'est  l'atta- 
chement persistant  à  la  nationalité  primitive,  à  la  petite  patrie 
non  entièrement  confondue  dans  la  grande.  Être  Anglais  et 
être  Ecossais,  ce  sont  ici  choses  plus  tranchées  que  ne  sont 
en  France  l'état  de  Breton  et  celui  de  Normand,  par  exemple. 
Le  natif  d'Angleterre  est  deux  fois  Anglais,  le  natif  d'Ecosse 
n'est  Anglais  qu'une  fois.  Voilà  ce  qu'exprimait,  à  sa  façon 
et  d'instinct ,    mon  opiniâtre  interlocuteur* 

Je  continue  ma  revue  des  livres  de  lecture  courante,  et  j'en 
constate  les  brillanles  qualités  matérielles  et  morales.  Ici,  l'on 
ne  met  dans  les  mains  des  enfants  que  de  charmants  petits 
volumes  au  texte  clair,  bien  composé,  égayé  de  vignettes  nom- 
breuses et  intéressantes,  empruntées  au  monde  enfantin.  Ce 
sont,  pour  la  plupart,  des  scènes  de  la  vie  domestique,  en- 
tremêlées de  scènes  de  la  vie  des  animaux,  le  tout  exécuté 
par  un  crayon  habile  et  consciencieux. 

Un  régime  plus  substantiel  est  réservé  aux  divisions  supérieu- 
res. A  l'école  des  filles  de  White-Chapel,  on  lisait,  quand  je 


410  RKVCK    Pr^DAGOG]QUB 

suis  entré  ,  le  Château  de  Kenilworth  de  Walter  Scolt  ;  dans 
une  autre  classe,  c'était  la  Case  de  Vomie  Tom,  Les  garçons 
avaient  en  main  Waverlef/.  Garçons  et  filles  seraient  bien 
coupables  de  ne  pas  aimer  la  lecture. 

Dans  la  classe  des  garçons  on  a  dicté  devant  moi  un  pro- 
blème d'arithmétique  à  résoudre  séance  tenante.  Pendant  vingt 
minutes  je  n'ai  plus  vu  que  des  fronts  baissés  et  plissés,  dans 
l'attitude  de  la  méditation,  que  des  doigts  courant  sur  les  ar- 
doises. Le  délai  légal  expiré,  il  n'y  a  pas  eu  de  correction 
simultanée,  ni  de  démonstration  au  tableau  noir.  Le  maître 
passe  dans  les  bancs,  examine  de  l'œil  la  solution,  approuve 
ou  condamne  :  on  se  serait  cru  à  la  fin  d'une  leçon  d'écri- 
ture. Cette  pratique,  qui  serait  mauvaise  si  elle  était  coutumièrc, 
provient  sans  doute  delà  fâcheuse  disposition  du  local  :  deux 
cents  élèves,  soit  quatre  classes,  y  sont  réunis  sons  quatre  ou  cinq 
maîtres,  lesquels,  sous  peine  de  ne  pas  s'entendre,  sont  tenus 
à  beaucoup  de  sobriété  en  fait  de  paroles  et  d'explications.  Et 
de  fait,  ils  m'ont  paru  se  dépenser  moins  que  nos  maîtres 
français,  demander  davantage  au  travail  personnel,  à  l'initiative 
individuelle  des  écoliers  :   ce  n'est  pas  un  tort. 

Je  profite  des  vingt  minutes  de  silence  qu'exige  la  confection 
du  problème  pour  feuilleter,  sur  le  bureau  du  maître,  quel- 
ques volumes  de  géographie  et  d'histoire  qui  s'y  promènent 
en  compagnie  de  beaucoup  d'autres,  dans  un  désordre  extra- 
scolaire. 

Voici  une  description  de  Paris  que  je  note  au  passage, 
dans  le  Foncin  ou  le  Cortambert  de  l'endroit  : 

«  C'est  une  vaste,  gaie  et  splendide  ville,  remplie  de  belles 
rues,  de  monuments,  de  jardins  publics,  environnée  de  char- 
mantes promenades,  dans  lesquelles  les  habitants  prennent 
beaucoup  de  plaisir  (in  which  the  inhabitants  take  great 
delight)  ;  car  c'est  nn  aimable  peuple  qui  a  le  goût 
des  amusements  de  toute  sorte,  et  qui  passe  une  grande  par- 
tie de  son  temps  en  plein  air  (1)  .» 

C'est  sur  le  même  ton  agréable,  mais  léger,  superficiel,  sans 
aucun  effort  pour  serrer  de  près  la  réalité,  que  Tauteur  parle 

U)  Descriptive  Geography^  fouHh  book  of  lestons  for  the  use  of  school. 


UN  COIN  DU  MONDE  SCOLAIRE  A  LONDRES         411 

de  Marseille,  de  Bordeaux,  de  Rouen,  de  Nantes,  a  Port  de 
mer  très  commerçant  »,  telle  est  la  formule  banale  qui  con- 
tente l'auteur.  Pas  un  mot,  presque  pas  un  chiffre  pour  donner 
ridée  de  Timportance  relative  de  chacun  de  ces  ports,  de  ses 
relations,  des  sources  de  sa  prospérité. 

Même  reproche,  et  plus  grave  encore,  à  l'égard  de  certains 
livres  d'histoire.  Voici  ce  que  les  enfants  d'une  des  classes  de 
While-Chapel  apprenaient  de  la  Révolution  française  et  du  règne 
de  Napoléon  I*»^  : 

«  Eo  1789,  la  révolution  éclata  en  France  ;  elle  mena  à  une 
grande  guerre  continentale  où  les  Anglais  remportèrent  beau- 
coup de  victoires. 

»  Ijqs  plus  importantes  batailles  sur  (erre  furent  la  bataille 
d'Alexandrie,  où  sir  Ralph  Abercromby  fut  mortellement 
blessé  (1801)  ;  la  Corogne,  où  sir  John  Moore  fut  tué  (1809)  ; 
Salamanquc  (1812),  Vittoria  (1813),  et  Waterloo  (1815),  où 
le  duc  de  Wellington  se  distingua  grandement.  A  la  bataille 
de  Waterloo,  Napoléon  Bonaparte  fut  entièrement  défait  et 
l'armée  française  mise  en  pièces.  Les  pertes  de  l'armée  an- 
glaise furent  très  grandes  (1)   «. 

On  remarquera,  à  propos  de  Waterloo,  l'omission  abso- 
lue du  nom  de  Blûcher  et  des  Prussiens,  dont  l'action  empo- 
cha Wellington  d'être  écrasé  et  changea  un  désastre  en 
triomphe.  Cette  élimination  de  tout  ce  qui  n'e>st  pas  anglais 
parait  systématique  chez  l'auteur  que  nous  citons.  Elle  est 
pratiquée  sur  une  grande  échelle  à  notre  égard.  Témoin  ce 
récit  de  la  guerre  de  l'indépendance  des  colonies  d'Amérique  : 

«  Sous  le  règne  de  Georges  III  les  colonies  anglaises  d'Amé- 
rique se  révoltèrent  à  propos  d'une  taxe  qui  leur  parut  in- 
juste. Les  généraux  anglais  durant  cette  guerre  lurent  Howe, 
Burgoyne,  Clinton  et  lord  Cornvirallis.  Le  général  américain 
fut  George  Washington.  L'Amérique  fut  déclarée  indépendante 
en  1783.  » 

De  l'intervention  du  cabinet  français,  des  exploits  de  La- 
fayette,  de  Rochambeau  et  autres,  des  négociations  qui  abou 
tirent  au  traité  de  Versailles,  pas  un  mot. 

(1)  Uislory  of  England^  by  BarUara  Bartlett. 


4(2  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

La  justice  qous  oblige  à  dire  que  tous  les  manuels  scolai- 
res ne  sont  pas  rédigés  dans  un  esprit  aussi  étroit.  J'ai 
feuilleté  à  White-Chapel  même  une  «  Brief  history  of  England  », 
sans  nom  d'auteur,  où  les  faits  sont  exposés  avec  plus  d'am- 
pleur, d'intelligence  et  d'impartialité.  Ce  livre  appartient  à 
la  collection  dite  «  Royal  School  Séries  «,  dont  plusieurs  vo- 
lumes se  reconunandent  par  d'estimables  qualités. 

Il  y  a  une  manière  fort  commode  d'étudier  tout  à  son  aise 
les  livres  classiques  que  l'Angleterre  met  aux  mains  de  ses  ^i 
fants,  c'est  d'aller  à  la  «  Bibliothèque  d'éducation  »  qui 
fait  partie  des  collections  du  Kensington-Museum.  On  y  trouve 
une  exhibition  bien  curieuse  d'alphabets  anciens,  de  livres 
illustrés  remontant  aux  premiers  temps  de  la  gravure  sur  bois. 
Quelques-uns  portent  témoignage  de  l'esprit  pratique  qui,  en 
poUtique  comme  en  éducation,  n'a  presque  jamais  cessé  d'in- 
spirer nos  voisins. 

Dans  la  salle  de  lecture  de  cette  bibliothèque  d'éducation, 
les  éditeurs  de  Londres  et  du  Royaume-Uni  ont  des  casiers 
où  ils  déposent  leurs  principales  publications  scolaires.  Le  pu- 
blic est  par  là  mis  à  même  de  comparer  et  de  choisir. 

En  feuilletant  la  collection  des  livres  destinés  aux  collèges, 
j'ai  rencontré  un  petit  volume  intitulé  «  France  moderne  », 
par  Oscar  Browning,  fellow  de  King's  Collège,  d'où  j'ai  extrait 
les  lignes  suivantes  : 

«  La  France  a  été  appelée  le  laboratoire  de  la  civilisiilioa, 
c'est-à-dire  qu'elle  est  la  contrée  où  les  expériences  sociales 
et  politiques  sont  tentées  au  bénéfice  des  autres  pays  et  des 
autres  générations.  » 

Pas  mal  jugé,  n'est-ce  pas  ? 

Les  littératures  étrangères  sont  en  honneur  dans  les  col- 
lèges anglais.  Une  publication  bien  entendue  et  bien  menée 
en  met  les  principaux  chefs-d'œuvre  à  la  portée  des  jeunes 
lecteurs  (1).  Dans  chaque  volume,  l'auteur  de  l'édition  passe 
en  revue  les  principaux  événements  de  la  vie  de  l'écrivain, 
expose  les  caractères  particuliers  de  son  talent  et  y  joint  de 
nombreuses  citations. 


(1)  Foreign  classics  for  Ënglish  reiden,  edited  by  M.  Oliphant. 


UN  COIN  DU  MONDE  SCOLAIRE  A   LONDRES  413 

La  collection  comprenait  Dante,  Voltaire,  Pascal,  Pétrarque, 
Goethe,  Molière,  Montaigne,  Rabelais,  Calderon,  Saint-Simon, 
Cervantes,  madame  de  Sévigné,  madame  de  Staël  ;  elle  a  dû 
s'enrichir  depuis. 

Voici  les  titres  des  chapitres  du  volume  consacré  à  Mo- 
lière : 

«  Sa  jeunesse.  —  Ses  premiers  essais  dramatiques.  —  Ses  pre- 
miers succès.  —  Son  midi.  —  Ses  trois  grandes  comédies  (Mi- 
santhrope, Tartuffe,  Avare).  —  La  fin  de  sa  vie.  —  Ses  der- 
nières œuvres.  » 

Le  volume  consacré  à  Saint-Simon  comprend  les  divisions 
suivantes  : 

«  Famille  de  Saint  Simon. —  Saint-Simon  à  l'armée.  —  Versail- 
les. —  Princes  et  princesses.  —  Madame  de  Maintenon.  — 
Saint-Simon  à  la  cour.  —  Jésuites  et  jansénistes.  —  La  suc- 
cession d'Espagne.  —  Les  provinces.  —  Meudon  et  Monsei- 
gneur (le  dauphin).  —  Le  duc  et  la  duchesse  de  Bourgogne. 
— Derniers  jours  de  Louis  XIV.  —  Le  Régent.  —  Le  cardinal 
Dubois.  —  Saint-Simon  dans  la  retraite.  » 

Il  nous  semble  qu'avec  de  légères  retouches,  ces  tables  des 
matières  fourniraient  un  excellent  sommaire  de  cours  de  lit- 
térature pour  nos  écoles  normales.  L'esprit  d'analyse  et  l'art 
d'abréger  s'y  montrent  à  un  degré  remarquable.  Une  collec- 
tion d'auteurs  français  conçue  dans  cet  esprit  rendrait  en 
France  de  réels  services. 

H.   D. 


UNE  ACQUISITION  DE  LA  BIBLIOTHÈQUE 

DU   MUSÉE   PEDAGOGIQUE  {*) 


La  bibliothèque  du  Musée  pédagogique  vient  d'acquérir  un  livre 
d'écolier  du  commencement  du  xvi«  siècle,  d'une  édûtion  extrême- 
ment rare,  et  qui  est  en  même  temps  un  document  précieux  pour 
l'histoire  de  l'enseignement  à  une  époque  de  crise.  C'est  un  mince 
in-quarto,  imprimé  en  1510  en  caractères  gothiques,  à  Cracovie, 
chez  Jean  Haller.  Il  contient  deux  opuscules  de  Lefèvre  d'Etaples 
qui  font  partie  de  l'ensemble  do  ses  travaux  pour  les  candidats  à 
la  licence  es  arts,  et  qui  font  connaître  sa  méthode  d'enseignement. 
Le  premier  est  un  Dialogue  dont  l'objet  est  d'expliquer  une  courte 
Introduction  à  la  physique  d'Aristote  qu'il  avait  auparavant  composée; 
le  second  est  cette  Introduction  elle-même. 

Je  commencerai  par  donner  la  description  détaillée  que  les  deux 
pièces  imprimées  par  Haller  méritent  à  cause  de  leur  rareté.  II 
faudra  dire  ensuite  quelques  mots  sur  l'université  dç  Cracovie,  pour 
les  écoliers  de  laquelle  a  été  faite  l'édition  qui  nous  occupe,  et  sur 
l'imprimeur  Haller  qui  a  rempli  auprès  de  cette  université  un  rôle 
considérable  et  qui  n'en  a  pas  moins  été  oublié  dans  la  Biographie 
universelle  et  dans  la  Nouvelle  Biographie  générale.  Enfin  (et  ce  sera 
l'objet  principal  de  cette  étude),  j'examinerai  nos  deux  petits  livres 
au  point  de  vue  pédagogique,  en  ne  craignant  pas  de  donner  sur 
leur  auteur  et  sur  les  études  de  sen  temps  les  renseignements  sans 
lesquels  on  ne  pourrait  avoir, une  idée  claire  de  son  œuvre. 


I 

1»  Le  dialogue.  —  Après  un  feuillet  blanc  :  Dialoijus  Jacobi/Fahrî 
Stapulensis  in/phisicam  introdu/ctùmem.  Au-dessous  de  ce  titre  une 
gravure  sur  bois  achève  de  remplir  la  page  et  en  occupe  au  moins 
les  trois  quarts.  La  moitié  supérieure  de  cette  gravure  présente 
l'aigle  de  Pologne  sur  un  écu  soutenu  à  gauche  par  un  lion  et  à 

(  1)  L'arlicle  ci-après  sort  un  peu  du  cadre  dans  lequel  la  Revue  pédago- 
gique s'est  enfermée  jusqu'à  présent.  Toutefois,  comme  la  bibliothèque 
dû  Musée  pédagogique  comprend  des  ouvrages  scolaires  de  toutes  les  époques 
et  de  tous  les  ordres  d'enseignement,  il  nous  a  semblé  qu'une  étude  consaen^e 
à    un  livre  classique  du  xvr  siècle  —  bien  qu'il  s'agisse  d'un  livre  latin    (il 

n'y  en  avait  pas  d'autres  alors)  —  ne  serait  pas  déplacée  dans  ce  recueil. 

—  La  Rédaction, 


UNE  ACQUISITION  DB  LA  BIBUOTHÈQUB  DU  MUSÉB  PtDAGOGIQUB   415 

droite  par  une  licorne.  La  moitié  inférieure  se  compose  de  deux  écus 
de  même  grandeur,  mais  tout  seuls,  l'un  à  gauche  sous  le  lion, 
l'autre  à  droite  sous  la  licorne  ;  ils  sont  séparés  par  un  vase  noir, 
un  peu  plus  petit,  sur  lequel  se  détache  en  blanc  un  monogramme 
et  d'où  sort  un  arbuste  sans  feuilles.  On  sait  (1)  que  la  marque  da 
Ualler  comprenait  les  armes  de  Pologne,  de  Lithuanie  et  de  Cra- 
covie.  En  efifet,  Técu  de  droite  contient  le  cavalier  lithuanien,  et 
les  trois  tours  sous  une  porte,  herse  levée,  de  Técu  de  gauche  ne 
peuvent  être  que  les  armes  de  la  ville  de  Cracovie.  Quant  au  mono- 
granune  en  blanc  sur  le  vase,  c'est  celui  de  Jean  Ualler.  11  se  coiq- 
pose  d'une  h  terminée  à  son  sommet  par  une  croix  et  traversée  par 
un  I  (i). 

Au  verso  du  même  feuillet  est  le  Prologus  Jaoobi  Stapulensis  in 
Phisices  irUroductorios  dialogus  (au  lieu  de  diolo^).  Puis  vingt-quatre 
feuillets  de  texte  avec  deux  figures.  Pas  de  pagination,  mais  seule- 
ment des  indications  relatives  aux  feuilles  d'imprimerie.  A  la  fin  : 
Dyalogus  Jacobi  Fabri  Stapulensis  In  Phisicam  introductionë  Impressus 
regia  in  ciuitate  Cracouiensi,  Impensis  spectabilis  viri  domini  Johannis 
Ualler  ciuis  cracouiensis.  Anno  scUutis  nostre,  Millesimo  quingeniesimo 
decimo.  Un  feuillet  blanc. 

^  L'introduction.  —  Jacob»  Scapulensis  /introductiones  in  lUrot 
phisicorû/  et  de  aîa  (anima)  aristotelis  cû  Jodoci  neo/ portuësis  annota- 
tionibus  déclara/ tib*  (declarantibus)  câdide  dicta  singula  obscuriora 
tpr(ipsiu8)  tn<roc/uc<ôt«(introductlonis).  Au-dessous  la  même  gravure 
sur  bois.  On  remarquera  que  ce  titre  annonce  deux  Introductions, 
l'une  aux  livres  d'Aristote  sur  la  physique,  l'autre  à  ses  livres  sur  Tftme. 

Au  verso,  une  recommandation  de  l'ouvrage  au  lecteur,  par  un 
maître  es  arts  de  Cracovie.  Gregorius  Sthauischyn  arciû  Uberaltû 
magister  studii  Cracoiuësis  lectori  salutem.  Celte  recommandation 
remplit  la  page.  Le  leuillet  suivant  est  rempli  au  recto  par  la  pre- 
mière et  principale  figure  du  Dialogue. 

Ce  qui  précède  se  rapporte  aux  deux  Introductions.  Maintenant,  au 
verso  du  feuillet  occupé  par  la  figure,  on  lit  les  deux  titres  suivants, 
dont  le  premier  se  rapporte  à  l'Introduction  à  la  physique  seule, 
mais  en  y  comprenant  le  texte  de  Lefèvre  et  les  éclaircissements 
de  Jodocus  (Josse  Clictou),  tandis  que  le  second  n'a  trait  qu'au 
texte  de  Lefèvre  :  Introductio  in  phisicam  aristotelis.  /Introductoriû 
stapulen  in  phi/  sicam  Aristotelis.  Suit  immédiatement  le  texte  de 
l'Introduction,  divisé  en  sept  paragraphes,  entre  lesquels  sont  inter- 
calées, en  caractères  plus  petits  mais  toujours  gothiques,  les  expli- 


(1)  Panzer,  t.  IX,  p.  230-1,  n*  7  eipassim. 

(2)  Dans  un  autre  livre  de  Ualler  qui  se  trouve  à  la  Bibliolhèque  natio- 
nale et  dont  je  parlerai  un  peu  plus  loin,  la  même  marque  est  notablement 
simpUliée  et  réduite.  Il  est  vrai  qu'il  est  de  1532. 


416  REVUE   PÉDA6OGI0CB 

cations  de  Josse  Qictou.  Texte  et  explications  remplissent  dix-sept 
pages  et  demie,  et  se  terminent  par  l*avis  suivant  :  Impresse  sunt 
he  inlroductioncs  in  libres  phisicorum  ArisioteUs  regia  in  ciuitate  cra- 
couiensi.  Impensis  spectahilis  viri  dni  Johannis  haller,  Anno  salutis 
nostre  millesimo  quingêtesimo  decitno.  Deux  feuillets  blancs. 

L'Introduction  au  livre  de  l'âme,  annoncée  dans  le  titre  général 
de  ce  second  opuscule,  manque  dans  notre  volume.  Mais,  comme  je 
l'ai  déjà  dit  et  comme  on  le  verra  mieux  plus  tard,  l'Introduction  a 
la  physique  et  le  Dialogue  se  correspondent  et  forment  un  tout. 

Panzer  ne  connaît  pas  l'édition  polonaise  du  Dialogue.  Il  signale 
les  Introductions  et  en  donne  le  titre  général  (t.  VI,  p.  452,  n9  36). 
Vimpresse  sunt  final  qu'il  transcrit  est  évidemment  celui  qui  se 
trouvait  à  la  suite  de  l'Introduction  aux  livres  de  l'âme  (1).  La 
Bibliothèque  nationale  a  récemment  acquis  une  autre  édition  de 
l'Introduction  aux  livres  de  l'âme,  publiée  aussi  à  Cracovie  et  aux 
frais  de  Haller,  mais  seulement  en  1522  (Réserve  pR  202).  Panzer 
ne  la  signale  pas  (2). 

Les  ouvrages  de  Lefèvre  d'Etaples  sont  rares.  Si  j'ai  bien  consulté 
les  catalogues,  il  n'existe  aucune  édition  de  notre  Dialogue  et  de 
notre  Introduction  aux  Bibliothèques  de  l'Université,  Mazarine,  de 
l'Arsenal,  Sainte-Geneviève.  La  Bibliothèque  nationale  (3)  les  possède 
dans  un  petit  et  épais  volume,  publié  à  Paris  en  1504  chez  Henri 
Estienne  premier,  où  ils  se  trouvent  avec  d'autres  traités  de  Lefèvre 
sur  «  la  philosophie  naturelle  »,  et  dont  elle  a  fait  récemment  l'acqui- 
sition (4).  Voyons  maintenant  comment  ils  ont  pu  être  réimprimés 
si  loin  de  la  France,  pour  les  écoliers  de  Cracovie. 


(1)  In  fine  :  impresse  sunt  he  inlroductiones  in  Ubros  phisicorum  et  de 
anima  Aristotelis  regia  in  Civitate  Cracoviensij  impensis  spectahilis  viri 
domini  Johannis  Haller  anno  salutis  nostre  millesimo  quingentesimo  decimo. 
Sortite  sunt  felicem  finem  in  vigilia  gloriose  resttrrtctionis  Domini, 

(2)  M.  Graf,  dans  le  très  utile  catalogue  des  œuvres  de  Lefèvre  d'Etaples 
qnUl  donne  à  la  lin  de  rédition  allemande  (1852)  de  sa  consciencieuse  mono- 
graphie de  Lefèvre,  mentionne  une  édition  de  in  Aristotelis  octo  Physicos 
libros  paraphrasis  etc.,  k  Cracovie,  aux  frais  de  Haller  et  par  les  soins  de 
Sthavischya.  Il  se  réfère  à  la  Bibliothèque  grecque  de  Fabricius.  Celte  indi- 
cation est  bien  générale.  Je  crois  qu'il  y  a  là  une  confusion  et  que  ce  n'est 
pas  de  la  paraphrase  de  Lefèvre  qu'il  s'agit,  mais  de  ses  introductions,  ce 
qui  est  bien  différent. 

Outre  Panzer,  j'ai  consulté  l'ouvrage  de  Hoffmann  sur  l'imprimerie  polonaise 
dont  il  sera  question  plus  loin  ;  il  n'y  est  rien  dit  de  nos  deux  traités.  J'aurais 
voulu  aussi  consulter  l'histoire  de  l'imprimerie  à  Cracovie,  en  polonais,  1819, 
signalée  dans  la  table  de  Brunet,  et  utilisée  par  Deschamps  dans  son  diction- 
naire géographique,  mais  elle  n'est  pas  à  la  Bibliothèque  nationale. 

(3)  Je  saisis  cette  occasion  de  renouveler  mes  remerciements  à  MM.  les 
bibliothécaires  des  bibliothèques  publiques  de  Paris,  à  l'obligeance  desquels 
je  suis  depuis  longtemps  habitué. 

(4)  In  hoc  opère  continentur  totiw  phylosophie  naturalis  paraphrases^  hoo 


OHE  ACQUISITION  OS  LA  BIBLIOTHÈQUI  DU  MUSÉK  PÉDAGOGIQUE  417 

li 

Cracovic,  ville  populeuse  et  commerçante,  où  Ton  avait  attiré  les 
Allemands  par  de  grands  privilèges,  était  au  temps  de  notre  édition 
polonaise,  en  1510,  la  capitale  de  la  Pologne  et  le  siège  d*uae  uni- 
versité déjà  plus  que  séculaire  (1).  Les  Polonais  continuaient  sans 
doute  à  fréquenter  les  universités  d'Italie  et  d'Allemagne,  ainsi  que 
celle  de  Paris  où  ils  étaient  classés  avec  les  hauts  Allemands  (2)  ; 
mais,  par  un  courant  contraire,  des  étrangers,  maîtres  ou  écoliers, 
dont  quelques-uns  ont  laissé  un  nom,  se  rendaient  aussi  à  l'univer- 
sité de  Cracovie,  qui  était  réellement  florissante.  L'étude  de  la  phi- 
losophie d'Aristote  et  surtout  celle  dé  la  dialectique  y  tenaient,  comme 
on  va  le  voir,  une  grande  place.  11  ne  pouvait  guère  en  être  autre- 
ment, étant  donnés  le  caractère  et  le  programme  de  la  faculté  des 
arts,  qui  étaient  à  peu  près  les  mêmes  dans  toutes  les  universités. 
Mais  le  mouvement  littéraire  de  la  Renaissance  se  fit  sentir  dans  ce 
milieu  d'assez  bonne  heure.  Un  des  moyens  les  plus  sûrs  de  se 
représenter  la  physionomie  de  cette  université  entre  1500  et  1510 
est  encore  de  prendre  pour  point  de  départ,  dans  les  annales  typo- 
graphiques de  Panzer,  les  catalogues  si  instructifs  et  si  vivants  (à 
cause  du  nombre  des  livres  et  de  l'ampleur  des  titres)  où  sont  énu- 
mérées,  année  par  année,  les  productions  de  l'imprimeriede  Cracovie(3). 


ordine  digeste:  octo  physicorum  Arislotelis  paraphroiis.  Quatuor  de  celo  et 
mundo  completorum  paraphrasis,  Tfium  de  aninia  completorum  paraphrasis , 
Libri  de  sensu  et  sensibili  paraphrasis.  Libri  de  somno  et  vigilia  paraphra- 
sis. Libri  de  tongitudine  et  brevitate  vite  paraphrasis.  Dialogi  insuper  ad 
physicorum  ium  facUium  tum  difficilium  inteUigentiam  introductorii  duo.  In^ 
troduciio  ntetaphysica.  Dialogi  quattuor  ad  metaphysicorum  inteUigentiam 
introductorii.  —  A  la  lin  :  impressum  in  aima  Parhisiorum  achademia  per 
Henricum  slephanum  in  vico  Clausi  Brunelliet  regione  Scolarum  Decretjruin 
aano  Christi^  piissimi  saivatorisj  entis  enlium  summique  boni  1304^  serunda 
die  decembris.  Caractères  gothiques,  348  feuillets  numéroU>s.  (Réserve  de  la 
Bibliothèque  nationale,  pR  197).  —  Une  édition  déjà  en  1501,  Panzer,  t.  VI, 
p.  500,  n»  5.  —  La  paraphrase  sur  la  physique,  149Î,  Panzer. 

(1)  Pour  l'université  de  Cracovie,  voir  Tableau  de  la  Pologne,  par  Malte-Brun, 
nouvelle  édition  par  L.  Chodzko;  et  J.  D.  Hoffmann,  de  Typographiis  earum- 
que  initiis  et  incrementis  in  regno  Poloniœ  et  magno  ducatu  Lithuaniœ, 
Dantisci,  4740,4*,  Ce  dernier  travail,  quoique  incomplet,  parait  solide  et  digne 
de  confiance.  Le  tome  11  du  Tableau  de  la  Pologne  contient  des  Fragments 
sur  la  Utlérature  ancienne  de  la  Pologne  par  M.  Podczaszynski,  où  Ton  trouvera 
p.  344  ss.,  p.  441  ss.,  beaucoup  de  renseignements  curieux;  mais  le  patrio- 
tisme de  l'auteur  l'empêche  quelquefois  de  voir  juste.  C'est  ainsi  qu'il  réduit 
à  rien  l'intluence  allemande  sur  la  civilisation  polonaise,  et  qu'il  fait  Tuai- 
versité  de  Cracovie  beaucoup  trop  étrangère  à  la  scolastique. 

j(2)  Du  Boulay,  lU,  560. 

(3)  Surtout  t.  Vi,  depuis  1500. 

aiVUB  PiDAGOOlQDI  1885.—  1er  SIM.  27 


418  ,  RI  VUE  l*ÉDA«06IQUfi 

Dans  la  facullé  des  arts,  le  grand  nom  étail  alors  celui  de  maître 
Jean  de  Glogow  (i),  membre  ou  collégial  (2)  du  grand  collège  des 
artistes,  magister  alinœflorentiasimcBque  universitalis  sltidii  Craooviensis  ; 
majùrù  ooUegii  ariistarum  œUegiatus.  il  publie  des  traités  élémen- 
taires de  grammaire,  de  logique  et  de  philosophie  naturelle,  mais 
surtout  de  logique.  Le  franciscain  Thomas  Mûrner,  né  à  Strasbourg, 
maître  es  arts  de  Paris,  bachelier  en  théologie  de  Cracovie,  et  qui 
devait  se  rendre  fameux  par  ses  prédications  et  ses  poésies  satiriques^ 
enseignait  alors  aussi  la  logique  dans  notre  université.  Pour  faciliter 
à  ses  élèves   Tintclligence  ou  plutôt  la  mémoire  des   plus  subtils 
détours  de  la  dialectique,  il  la  leur  enseignait  au  moyen  d'un  jeu 
de  cartes.  On  le    soupçonna  de  magie  :   il  publia  sa  méthode,  et 
c'est   à    Cracovle    que  parut  la  première    édition  de    ce  curieux 
ouvrage,  en  1507:  Chartiludium  logice,  seulogicapoeticavel  memorativa 
cum  jocundo  pictasmatis  exercitamento,    pro    communi  omnium    «tu- 
dânUum  uUlitate  (3).  L'importance  qu'on  donnait  dans  ce  temps  à  la 
mémoire  est  encore  attestée  par  l'ouvrage  suivant  qui    avait  paru 
dans  la  même  ville  en  i50i  :  Opusculum  de  arle  memorativa  longe 
utiliisimum  in  quo  studiostts  lector    tam  artificialibus  pr^ceptis  quam 
naturalibws  medicinalibusqne  documentis  memoriam  suam  adeo  fovere 
dimxt  ut  quecunque  vel  audita  vel  lecta  ilU  œmmendaverit  tanquam  in 
mlla  penaria  diutissime  œnservaturus  sit  (4). 

Les  mathématiques  et  l'astronomie,  qui  faisaient  partie  de  rensei- 
gnement de  la  faculté  des  arts,  donnaient  aussi  lieu  à  un  certain 
nombre  de  publications.  Jean  de  Glogow  faisait  paraître  une 
introduction  sur  l'abrégé  de  Pfolémée  par  Sacrobosco,  qui  devait 
demeurer  si  longtemps  classique.  Du  maître  de  Jean  de  Glogow,  Michel 
de  Breslau,  comme  lui  membre  du  grand  collège  des  artistes,  on 
imprimait  et  réimprimait  un  Introductorium  astronomiœ,  craœviense  élu- 
cidons almanach,  150G  et  1507.  C'est  à  l'université  de  Cracovle  que 
Copernic  avait  pris  le  goût  de  l'astronomie.  Après  y  avoir  passé  cinq 
ans  (1492-1497),  11  l'avait  quittée,  mais  non  oubliée,  car  s'il  garda 
son  système  inédit  jusqu'à  sa  mort,  en  revanche  on  le  voit  faire 
paraître  à  Cracovle  en  1509,  un  an  avant  notre  édition  des  opuscules 
de  Lefèvre,  une  traduction  latine  des  ÉpUres  morales,  rurales  et  amou- 
reuses de  Théophylactc. 

C'est  précisément  la  logique,  les  mathématiques  et  la  philosophie 
de  la  nature  qui  occupaient  à  Paris  Lefèvre  d'Etaples.  Pour  compléter 
le  tableau  de  l'activité  des  études  à  Cracovle,  il  faut  sans  doute 
signaler  la  rhétorique  à  Herennius  (1500),  un  Hortulus  elegantiarum 


(1)  Mort  en  1507. 

(2)  Voir  eu  CaDge  à  Collegiatus, 

(3)  Panzer,  t.  VI,  Craeovie,  n-  23. 

(4)  I^anzer,   ibid.  n*  \\.  —  Pour  tout  ce  qui  suit   voir  au  même    t.    VI^ 
Craeovie. 


UNfi  ACQUISITION  DK  LA  BIBLIOTHÈQUE  DU  MUSÉE  PÉDAGOGIQUE  419 

aeademiœ  cracoviensis  studenU'bus  dicatus  (1502),  un  Hésiode  latin' 
(IS06),  deux  discours  de  Cicéron  (lo07),  un  Eutrope  (1510)  et 
quelques  traités  ou  modèles  de  Tart  éplstolaire,  si  cultivé  en  ce 
temps-là.  Mais  à  Craco?ie  comme  à  Paris  la  place  occupée  par  les 
bdlles-lettres  était  encore  des  plus  modestes. 

Celui  qui  faisait  imprimer  à  ses  frais  ou  qui  imprimait  la  presque 
totalité  de  ces  ouvrages,  et  se  rendait  ainsi  tellement  utile  à  Tuni- 
versité,  le  libraire  Jean  Ualler,  était  un  riche  et  considérable  person^ 
nage.  On  pourrait  faire  un  catalogue  des  épithètes  honorifiques 
dont  il  se  gratifie  et  qu'il  varie  sans  se  lasser,  a  Aux  frais  de  très 
excellente  et  très  courtoise  personne,  messire  Jean  Haller,  bourgeois 
de  Cracovie,  le  parfait  patron  des  savants  »  (ad  impensas  optimi  huma' 
nmimique  viri,  doniini  Johannis  Haller,  civis  Cracoviensis  virorum  doC" 
torum  fauloris  excellentissimi).  il  est  tantôt  illustre  f/amà<u5j,  tantôt 
discret,  avisé,  sans  doute  ce  qu'on  appelait  (n  sage  et  discrète  per- 
sonne >  (circumspectus,  providus)  ;  assez  souvent  a  considérable  «  (spec- 
tabilis)  comme  dans  nos  deux  opuscules.  D  autres  fois,  il  a  bien  mérité 
de  la  cité  (ejusdem  civitatis  cives  admodum  bene  meritos),  ou  il  est 
d'une  honôteté  éprouvée  {spectatae  inlegritatis).  J'en  passe.  Ses 
imprimeurs  ne  s'oublient  pas.  «  Par  l'habile  imprimeur  Georges 
Stuchs  »  (per  solertem  Ubroruin  impressorem  Georgium  Stuchs),  «  aux 
frais  de  très  excellente  et  très  courtoise  personne,  messire  Jean 
Haller,  o  etc.,  «  et  par  l'art  d'habile  homme  Gaspar  llocfeder  »  (arte 
autem  solertis  viri  Casparis  Hocfeder). 

Quand  la  dépense  lui  paraissait  forte,  il  le  disait.  Une  fois  au 
moins  il  prit  un  associé  pour  l'aider  a  la  supporter  (summa  industria 
et  impensa,,,  non  mediocri  cura  et  impensa.,  tmpensis  non  modicis.. 
impensis  sumptuet  opéra,,  impen sis  autem  Johannis  U aller  et  Sebastiani 
Ifyber  ejtisdem  civitatis  cives  admodum  bene  merilos).  D'ailleurs,  non 
moins  fidèle  à  sa  qualification  d'avisé  qu'à  celle  d'honnête,  il  n'ou- 
bliait pas  de  se  faire  accorder  des  privilèges  pour  ces  publications 
qui  l'obligeaient  à  d'aussi  grosses  dépenses.  On  connaît  un  missel  de 
lui,  sans  date  (1),  qui  remonterait  d'après  M.  Deschamps  (art.  Cra- 
covie) à  1475,  ce  qui  est  beaucoup.  Défense  est  faite  dé  par  l'évêque 
de  Cracovie  à  tous  autres  de  l'imprimer,  sous  une  peine  déterminée 
(sub  certa  indiria  pena).  Nous  savons  aussi  qu'antérieurement  à  1506 
il  avait  obtenu,  cette  fois  du  roi  de  Pologne  et  de  son  conseil,  un 
privilège  en  vertu  duquel  il  était  interdit  sous  une  peine  sévère  de 
faire  imprimer  aucun  de  ses  livres  à  l'étranger  et  de  les  introduire 
dans  le  royaume  (quem  quidem  librumet  alios  quoscumque  per  pi  œ fa- 
tum Ualler  ea  leje  impre&sos  quisque  nossa  débet  :  ut  nemo  illos  alibi 
fjeatium  exaratos  :  reijno  introducat  eosque  vénales  habeat  gravi  sub 
poena  :  ac  eorundem  libroi-um  amissione  vigore  privilegii  :  ipsi  Haller 
per  sacram  domini  régis  Pohniœ  majestatem  desuper  gratiose  ex  con- 

(Ij  PaDzcr,  t.  IX,  p.  Î30,  n*  7. 


420  aiVUI  PÉDAGOGIQUE 

êilio  sue  serenitatis  consiliariorum  concept  :  prout  fuK  idem  priviiegium 
lalius  continet,  Panzer,  t.  VI,  p.  i50  ea  1506).  II  lui  fui  d'autanl  plus 
facile  de  poursuivre  les  contrefacteurs  du  dedans  et  la  contrebande 
qu'on  le  trouve  en  151 6  et  1 523  (1  )  consul  (bourgmestre  ?)  et  en  1524  (2) 
conseiller  (ejusdem  civitalis  a  consiliis).  Même  d'après  Hoffmann  (3) 
on  le  trouve  déjà  consul  en  1508,  et  peut-être  Tavait-il  été  aupara- 
vant. Avec  sa  fortune,  son  privilège  et  ses  dignités,  entouré  des 
imprimeurs  Georges  Stuchs,  Gaspar  Hocfeder,  Florian  Ungler  (ces 
deux  derniers  imprimant  aussi  pour  leur  propre  compte)  qu'il 
emploie,  soit  avant  d'avoir  lui-même  des  presses,  soit  comme  auxi- 
liarres  de  ses  presses;  faisant  avec  candeur  étalage  de  son  impor- 
tance, Téditeur  de  Gracovie  n'est  pas  sans  garder  une  physionomie 
dlstinclive  parmi  ses  grands  confrèresdu  commencement  duxvi® siècle. 

Faul-il  lui  accorder  la  gloire  d'avoir  introduit  l'imprimerie  à 
Gracovie  et  en  Pologne  ?  ou  bien  y  avait-il  été  précédé  par  Georges 
Stuchs  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  on  ne  peut  lui  refuser  le  mérite  d'avoir 
affermi  et  fait  prospérer  le  nouvel  art  au  moyen  de  ses  capitaux,  de 
son  activité  et  de  son  habileté.  Il  était  Allemand  et  de  Nuremberg, 
comme  ses  deux  premiers  imprimeurs  Stuchs  et  Hocfeder.  Les 
marchands  de  Nuremberg,  dit  Hoffmann  (4),  affluaient  alors  à  Gra- 
covie et  y  importaient  les  objets  de  première  nécessité  et  de  luxe. 
Sur  le  missel  de  1475,  Georges  Stuchs  est  appelé  le  «  concivis  nurm- 
bergensis  »  de  Haller.  Après  ce  témoignage  il  est  inutile  de  remar- 
quer avec  Hoffmann  (5)  que  les  caractères  employés  par  Haller  sont 
semblables  à  ceux  du  Nurembergeois  Krobinger  qui  conserva  long- 
temps les  grossiers  caractères  gothiques.  Et  d'ailleurs  il  faudrait 
alors  établir  une  distinction  entre  les  livres  de  Haller  lui-même  et 
ceux  qui  tout  en  portant  sa  marque  et  tout  en  ayant  été  publiés  à 
ses  frais  sortaient  des  presses  de  ses  imprimeurs. 

Quant  au  gothique  et  à  la  grossièreté  des  caractères,  la  remarque 
de  Hoffmann  n'est  que  trop  fondée,  du  moins  à  en  juger  par  nos 
deux  opuscules.  11  est  fâcheux  qu'en  lolO  un  protecteur  des  lettres 
comme  Haller  se  soit  contenté  de  cet  outillage.  L'impression  des  deux 
petits  livres  de  Lefèvre  d'Etaples  est  Irrégulière  et  fatigante.  De  plus 
elle  est  défigurée,  dans  le  Dialogue,  par  de  nombreuses  fautes,  qui 
m'auraient  souvent  rendu  difficile  l'intelligence  du  texte  si  je  n'avais 
eu  comme  moyen  de  comparaison  l'édition  parisienne  de  1504.  Sans 
doute  elle  est  aussi  en  caractères  gothiques  et  ses  abréviations  sont 
encore  plus  elliptiques  que  celles  de  Haller  ;  mais  son  aspect  général 
est  net  et  surtout  elle  confirme  d'une  manière  heureuse  ce  qu'on 

(!)  Panzer,  t.  VI,  Cracovie. 
(2:  Ibid. 
13)  Page  5. 

i*:  ^  à. 


CNI  ACQUISITION  Dfi  LA  BIBLIOTRÈQUI  DU  MUSÉC  PÂDAGOGIQUI   iH 

sait  de  Tattention  de  Henri  Estienne  premier  à  donner  avant  tout 
des  textes  corrects  (1). 

On  peut  suivre  dans  les  annales  de  Panzer  la  longue  carrière  de 
Jean  Haller  depuis  la  fin  du  xv^  siècle  jusqu'en  15fô  au  moins  (2).  Cette 
année  encore  il  parut  un  livre  opéra  domini  Johannis  Haller  (3).  De 
1526  à  1528  les  publications  qui  portent  son  nom  ne  sont  pas  formel- 
lement données  comme  ayant  été  faites  par  ses  soins,  mais  seule- 
ment comme  sortant  de  sa  maison  ou  de  sa  boutique  (ex  cedibuiy 
ex  officina).  Cependant  l'indication  du  n?  187  en  i^SS  :  in  œdibus 
spectabilis  viri  domini  Johannis  Haller,  permet  de  supposer  qu'il  vivait 
encore,  puisqu'il  est  traité  de  personnage  considérable.  Si  l'on  peut 
réellement  faire  remonter  ses  débuts  jusqu'en  1475,  il  aurait  présidé(4) 
aux  destinées  de  rimprimerie  polonaise  pendant  un  espace  de  cin- 
quante-trois ans. 

11  est  naturel  qu'une  université  florissante  et  pourvue  d'un  libraire 
habile  et  actif  (qu'on  voit  réimprimer  plusieurs  ouvrages  des  meil- 
leurs auteurs  étrangers)  se  soit  enrichie  d'une  édition  locale  de 
certains  traités  d'un  maître  de  Paris  qui  était  alors  en  grande  répu- 
tation. Jean  Haller,  qui  détestait  tant  la  contrefaçon  et  la  contrebande, 
demanda-l-il  à  Henri  Estienne  et  à  Jacques  Letèvre  leur  agrément? 
Quoi  qu'il  en  soit,  par  ce  qu'on  sait  des  relations  de  Lefèvre  avec 
un  ou  deux  Polonais  qui  étaient  correcteurs  d'imprimerie  (5),  on 
peut  soupçonner  qu'il  y  eut  des  rapports  entre  le  maître  parisien 
et  l'université  de  Cracovie.  Je  n'entreprendrai  pas  de  percer  ces 
obscurités.  Arrivons  à  nos  deux  opuscules  pris  en  eux-mêmes. 

Je  dirai  d'abord  à  quelle  partie  du  programme  de  la  faculté  des  arts 
ils  répondaient  et  comment  ils  en  modifièrent  avec  bonheur  la  forme 
et  non  le  fond,  en  rétablissant  la  véritable  pensée  d'Aristote,  sans^ 
chercher  à  ébranler  son  autorité.  Ensuite,  après  avoir  constaté  leur 
succès  et  essayé  de  montrer  comment  leur  auteur  était  anîvé  à  sur- 
passer en  science  philosophique  ses  contemporains  français,  je  ter- 
minerai par  une  courte  exposition  de  sa  méthode  et  par  la  traduc- 
tion du  commencement  de  son  dialogue. 

(1  )  Voir  l'éloge  que  lui  donne  à  ce  sujet  Lefèvre  d'Etaples  dans  la  préface 
du  Dialogue  et  que  l'édition  de  Cracavio  reproduit  sans  se  douter  de  Tépi 
gramme  qu'elle  se  décoche  ainsi  à  elle-même.  Voir  aussi  Renoaard,  Annales 
de  rimprimerie  des  Estienne. 

(2)  Et  non  jusqu'en  1521,  comme  le  dit  M.  Desehamps  dans  l'article  d'ail- 
leurs si  intéressant  Cracovie,  où  nous  avons  trouvé  des  indications  utiles. 

(3)  T.  VI.  Cracovie,  n«  160. 

(4)  Non  comme  unique  imprimeur.  J'ai  nommé  ceux  qu'il  employait  et  dont 
les  deux  derniers,  Ungler  surtout,  devaient  de  plus  en  plus  rivaliser  avec  lai. 

(5)  L'un,  Jean  Solidus,  signalé  par  Onif  p.  11  de  son  Essai  français  sur 
lefèvre  d'BUples,  1842.  Je  me  demande  si  le  Boleslai  dont  il  est  question 
dans  la  pré&ce  du  Dialogae  adressée  par  Lefèvre  à  Henri  Estienne  ne  serait 
pas  un  Polooais. 


éSLi  MVUI  FiDAGOGIQUK 


III 


Nous  n*avoos  à  considérer  dans  Lefëvre  d'Ëlaples  ni  le  précorseur 
de  la  Réforme,  ni  le  traducteur  des  Écritures;  même  la  plus  grande 
partie  de  ses  travaux  sur  Aristote  doit  nous  échapper.  Il  ne  s'agit 
ici  que  des  plus  modestes  de  ses  écrits,  à  classer  parmi  les  livres 
qu'il  a  composés  pour  les  écoliers  de  la  faculté  des  arts.  On  n'y 
retrouvera  pas  moins  indépendance  de  son  esprit  et  quelque  chose 
de  son  àme  tendre  et  mystique. 

On  sait  que  renseignement  de  la  faculté  des  arts  correspondait  à 
peu  près  à  notre  enseignement  secondaire.  La  licence  es  arts,  pré- 
cédée elle-même  d'un  baccalauréat,  équivalait  pour  Timporlance  à 
notre  baccalauréat  es  lettres  :  elle  était  exigée  pour  l'entrée  dans 
les  facultés  de  théologie  et  de  médecine  (i).  L*étude  principale  dans 
la  faculté  des  arts  était  celle  des  livres  d' Aristote,  à  laquelle  on 
se  hâtait  d'arriver  après  avoir  tant  bien  que  mal  appris  assez  de 
latin  pour  être  en  état  de  suivre  les  cours  et  de  participer  aux 
exercices.  La  logique  était  la  principale  matière  de  l'examen  du 
baccalauréat  (2),  qu'on  pouvait  subir  dès  l'âge  de  quatorze  ans  (3)^ 
Lefèvre  a  fait  pour  les  écoliers  qui  se  préparaient  à  obtenir  ce  pre- 
mier grade  des  introductions  que  nous  devons  mentionner  en 
passant.  Quant  à  l'examen  de  liceace,  auquel  on  ne  pouvait  se  pré- 
senter que  si  l'on  était  bachelier  depuis  un  an  et  qui  nous  intéresse 
d'une  façon  particulière,  puisque  nos  opuscules  font  partie  d'une 
série  d'ouvrages  que  Lefèvre  avait  composés  pour  les  candidats  à 
cet  examen,  il  avait  été  longtemps  purement  logique  (i).  Mais 
depuis  la  Gn  du  xv«  siècle,  l'étude  des  traités  d'Aristote  sur  ce  qu'on 
appelait  la  philosophie  naturelle  y  dominait,  et  les  candidats  à  la 
licence  étaient  couramment  désignés  sous  le  nom  de  physiciens  (o). 

£n  prenant  leur  programme  tel  qu'il  existait  en  ii5â,  depuis  la 
réforme  du  cardinal  d'Estoutevilie  sous  laquelle  vivait  Lefèvre 
d'Etaples,  nous  voyons  qu'on  pouvait  le  décomposer  en  trois  parties  : 
étude  de  la  nature,  morale  et  mathématiques.  Chacune  de  ces  parties 
a  été  l'objet  des  soins  de  Lefèvre  (0).  lit  philosophie   naturelle,  la 


(1)  Thurot  :  De  Corganisalion  de  l'enseignement  dans  tuniversité  au  moyen 
Age,  p.  125  et  p.  180. 

(2)  Idein,  p.  51,  ht.  L'autre  uiatièrd  était  la  grammaire,  ibid. 

(3)  Ideni,  p.  37. 

(4)  Idem,  p.  51. 

(5)  Idem,  p.  101. 

(6)  Voir  le  catalogue  de  ses  œuvres  dans  :  Jacobus  Faber  Stapulensis,  ein 
Beitrag  zur  Geschicfiie  der  Reformaiiûn  in  Frahkreich,  par  H.  Graf,  1852, 
p.  222  ss.  Cet  eicellent  travail  se  trouve  dans  la  Zeitschrift  fUrdie  historische 
Théologie,  J'avais  renoncé  à  la  possibilité  d'en  prendre  connaissance,  quand 


UNE  ACQUISITION  DC  LA  BI»LI0TBÈQC1  DU  MUSÉE  PÉDAGOGIQUE  433 

plus  considérable  de  ces  trois  parties  et  la  seule  qui  nous  intéresse 
ici,  compr^oi^t  les  livres  suivants  d'Arislote  que  les  candidats  k  la' 
licence  devaient  avoir  entendujs  :  la  Physique,  le  De  generatione  et 
corruptione,  le  De  coelo  et  mundOy  le  De  semu  et  sensato,  le  De  me^. 
moria  et  reininitcentia,  le  De  longitudine  et  brevitate  vitœ,  et  la  méta- 
physique (i).  Ouvrons  maintenant  le  petit  et  épais  volutne,  d*iin 
format  tout  à  fait  maniable,  qui  parut  en  1504  chez  Henri  Estienne  pre* 
mier.  Son  titre  nous  promet  a  les  paraphrases  de  toute  la  philosophie 
naturelle  »,  et  les  348  feuillets  du  volume  contiennent  en  effet  l'expli- 
cation ou  l'analyse  par  Lefèvre  des  traités  d'Aristote  exigés  pour  la- 
licence.  Il  est  vrai  que  le  De  generatione  et  le  De  memoria  et  remini^ 
scentia  du  programme  de  i452  y  sont  remplacés  par  le  De  anima 
et  le  De  gomno  et  vigil  a.  Mais  ces  dilTérenccs,  qui  s'expliquent  très 
probablement  par  une  modification  que  Tusage  avait  pu  introduire- 
en  un  demi-siècle,  ne  laissent  aucun  doute  sur  l'intention  générale 
de  Tauteur.  Or,  c'est  dans  le  corps  de  ce  livre  que  nous  trouvons, - 
comme  nous  l'avons  déjà  dit,  notre  Introduction  et  notre  Dialogue 
relatifs  à  la  physique. 

En  général,  on  n'apprécie  pas  assez  ce  que  le  moyen  âge  dut  à 
Aristote  pour  le  développement  des  connaissances  et  de  de  la  pensée. 
Cependant,  de  nos  Jours  encore,  sans  parler  de  l'ouvrage  magistral 
sur  sa  métaphysique  et  de  la  traduction  de  ses  œuvres  complètes, 
qui  contribuent  à  Thonneur  de  notre  siècle,  non  seulement  on  main- 
tient l'étude  de  ses  traités  dans  le  programme  de  Tagrégation  de 
philosophie,  mais  on  n'a  pas  jugé  inutile  d'inscrire  un  de  ses  livres 
sur  le  programme  actuel  du  baccalauréat  es  lettres.  La  Physique,  dont  on 
demandait  la  connaissance  pour  la  licence  es  arts,  n'est  aucune- 
ment un  recueil  des  opinions  ou  des  erreui-s  de  l'antiquité  sur  les 
phénomènes  de  la  nature.  En  suite  d'une  intuition  dont  on  peut 
aujourd'hui  mesurer  la  profondeur,  elle  n'est  en  réalité  qu'une  théo- 
rie du  mouvement.  On  y  trouve  plutôt  de  la  métaphysique  que  de 
la  physique;  c'est,  dit  M.  Barthélémy  Saint-Hilaire,  une  des  œuvres 
d'Aristote  les  plus  vraies  et  les  plus  considérables  (2).  Sans  doute, 
ce  qui  rend  pour  nous  la  lecture  Ae  pareils  ouvrages  particulière- 
ment instructive,  c'est  qu'imbus  de  la  méthode  expérimentale  et 
du.  ses  résultats,  nous  savons  séparer  dans  l'étude  des  sciences  le 
domaine  des  lois  et  celui  des  hypothèses  métaphysiques.  Nous  pou- 
vons ainsi  nous  initier  sans  danger  aux  théories  des  quatre  causes, 
de  l'espace,  du  mouvement,  etc.,  qui  remplissent  la  Physique  d'Ans-' 
tote  et  y  discerner  ce  qui  est  véritablement  solide  de  ce  qui  n'a  pas 
pu  résister  k  l'épreuve  des  siècles.  Le  malheur  des  contempora'ns 

M.  Weiss  a  eu  Tobligeance  de  me  le  coiLmuniquer  à  la  Bibliothèque  du  pro- 
testantisme français. 

(1)  Thurot,  p.  51  ;  du  Boulay,  IX,  390. 

,2)  Traduction  de  la  Physique  d'Aristote,  t.  I,  préfacei  p.  iv  ;  cf.  p.  u. 


éê  \j^ft  éiàki  ék  rirre  cent  ans  anraot  Racoo.  MaU  même  alorsy  il 
y  tonul  eo  grand  p^rofit  à  lire  Ariatote  ai  c*éUit  Ari<lole  liriafiim 
f  0^011  araH  la,  ai  an  moifia  m  anûl  été  naîa  en  ra|iport  arec  aa  vraie 
ptm%é«  et  ai  on  Tarait  esarainée  arec  qoelqve  indépendaiire.  Gepro- 
frè»  éUit  r^liaé  i^n  Italie;  la  France  le  dol  à  Uterre. 

Poor  ta? Of  r  arec  préâûon  où  eo  éiait  aranl  loi,  daoa  notre  pays, 
la  eonnaiaaaoce  d#;  la  ? éiitable  penaée  d'Ariatote,  ii  faudrait  af  oir  ki  les 
Ufn^  d'éeole  qoi  étaient  en  laTeor  lorsqoll  fit  paraître  les  aiens. 
La  tempa  me  manque  poor  entreprendre  ce  trawi  (1).  11  ne  suffit 
paf  de  aafoir  en  fçr(f%  qoe  lea  prindpauz  oorra^es  philrv^ophiqnes 
d'Afi<it/ite  étaient  c^innos  par  des  tradoctiona  latines  de  tradu«:tioQS 
arah^*  r«ite<i  elle^-mémea  pour  la  plupart  d*après  des  traductions 
ajrriaqfi^;  ni  qve  lefi  commentaires  d'Averroès  et  d'Albert  le  Grand 
n'avai'-nt  pas  cea^é  d'être  en  usage,  en  particulier  pour  la  Physique. 
Il  faudrait  ana<ii  d'un  autre  c/jté  être  en  état  de  déterminer  les 
progrè»  de  l'élude  de  la  langue  grecque  depuis  le  xni«  siècle  et  Fia- 
lluenc^.  que  ces  progrès,  peut-être  plus  grandi  qu'on  ne  pense, 
devaient  nroir  eue  [K>ur  améliorer  Tinterprétation  des  œuvres  du  Sta^ 

S  rite.  Sur  ce  second  point  je  ne  puis  que  renvoyer  au  mémoire  de 
.  Jourdain  sur  les  traductions  latines  d'Aristote.  On  y  verra  (2)  pour 
la  FliyHique,  le  seul  ouvrage  qui  nous  importe  en  ce  moment,  qu'il 
en  exiHlafl,  longtemps  avant  Lefèvri  d'Etaples,  au  moins  une  tra- 
duction faile  sur  In  texte  grec,  mais  elle  est  manuscrite,  et  de  pareils 
travaux  étaient  probablement  aus^i  peu  connus  que  rares.  D'ail- 
leum,  pour  qui  Hait  ce  que  coûte  de  temps  et  de  réflexion  la  lec- 
ture d'une  œuvre  philosophique  d'Aristote;  pour  qui  remarque 
combien  peu  encore  aujourd'hui  on  a  rei^ours  aux  écrits  originaux. 
Il  êf^rti  clair  que  le  commun  des  maîtres  non  seulement  avait  de 
mnuvAiKCH  traductions,  mais  même  ne  s'en  servait  guère,  se  conten- 
tant de  commentaires  ou  d'extraits  de  commentaires.  Lefèvre  réta- 
btit  le  flons  d'Aristote.  C'était  beaucoup.  Il  fil  mieux  encore,  au  point 
de  vue  pratique,  en  vulgarisant  ce  vrai  sens  par  ses  analyses. 

Ce  n'était  pas  un  rôvolulijnnaire  comme  Ramus.  Il  osait  dans  la 
mesure  de  co  que  la  moyenne  de  aes  contemporains  pouvait 
comprendre;  auHHi  lui  furent-ils  reconnaissants.  Je  m'en  tiendrai  au 
témoignage  dn  notre  édition  polonaise. 

Le  mattro  èH  arlH  Georges  Slhavischyn,  qui  avait  surveillé 
rimprosHion  dos  introductions  à  la  Physique  et  aux  livres  de  l'âme, 
toulut  los  recommander  au  lecteur.  On  aimera  peut-être  avoir  une 
Idée  de  sa  préface. 

Il  commence  par  célébrer  los  s  Tvices  rendus  à  la  république  des 

(1)  On  trouvera  lot  titres  d'unoortiln  nombre  de  ces  livres  ou  t.  lU  de  la 
blblio(h6qu<i  grecque  de  Kobrlcius,  litrsqu'll  arrive  aux  commentaires  sur 
ArUtote. 

(I)  P.  107,  1*  édition,  18^3. 


UNI  ACQUISITION  DE  LA  BIBUOTHAqUE  OU  MUSiE  PtDAGOGIQUI  43(f 

lettres  par  Jacques  d'Etaples,  qui,  non  content  d  avoir  paraphrasé 
rAristote  grec  avec  une  profonde  science,  a  pensé  à  venir  en  aide 
aux  débutants.  Dans  cette  intention  il  a  fait  aussi  sur  chacun  des 
principaux  livres  d'Aristote  des  Introductions  qui  conduisent, 
comme  autant  de  chemins  de  traverse,  au  point  culminant  de  la 
philosophie  aristotélique.  Court  et  net  sans  cesser  d'être  élégant,  il 
a  surpassé  tous  ceux  qui  ont  publié  des  opuscules  (Ubellos)  sur  les 
mêmes  matières.  Aussi  quiconque  veut  s'initier  à  la  vraie  philo- 
sophie, c'est-à-dire  à  celle  qu'on  ne  voit  point  gfttée  par  lacorrup» 
tion  gothique  (qtiae  goihica  lobe  non  sentitur  esse  infecta)  doit  éùe 
assez  avisé  pour  ne  pas  dédaigner  ce  beau  présent  de  Lefèvre 
d'Etaples.  Dans  les  arts,  comme  le  dit  Quintilien,  rien  n'importe 
plus  que  les  commencements.  C'est  pourquoi  le  musicien  Timothée 
exigeait  un  salaire  double  de  ceux  qui  avaient  déjà  pris  des  leçons 
d'un  autre  maître.  Il  est  plus  fâcheux  d'avoir  été  mal  instruit  que 
de  débuter  avec  la  pure  ignorance.  Carbon  se  débarrasse  très  diffi- 
cilement de  ce  qu'on  a  appris  lorsqu'on  ne  savait  encore  rien.  Par 
conséquent,  maîtres  et  écoliers  ne  peuvent  mieux  faire  que  d'adopter 
cette  introduction  de  Lefèvre  d'Etaples.  Ce  sera  pour  les  uns  le 
moyen  de  bien  enseigner,  pour  les  autres  celui  de  s'instruire  sans 
erreurs.  Que  le  lecteur  pèse  donc  ces  Introductions  à  la  balance  de 
l'esprit  et  du  bon  sens.  C'est  sur  cette  invitation  que  Sthavischyn 
prend  congé  de  lui. 

Comment  Lefèvre  était-il  parvenu  à  mériter  cette  réputation  ? 
Avant  tout,  parce  qu'il  avait  ce  qui  ne  s'acquiert  pas,  l'amour  du 
vrai  qui  ne  prend  point  le  change  et  qui  fait  de  ceux  qu'il  anime 
des  promoteurs.  Quant  aux  circonstances  qui  purent  le  favoriser, 
elles  sont  mal  connues.  Les  documents  font  défaut.  Le  meilleur  de 
ses  biographes  a  fait  à  deux  reprises,  en  1842  et  1852,  des 
recherches  minutieuses  dans  les  écrits  des  contemporains  et  surtout 
dans  les  préfaces  mêmes  de  Lefèvre.  Il  a  ainsi  glané  des  faits  pré- 
cieux. Nous  savons  par  lui  que  Lefèvre,  qui  devint  maître  es  arts  à 
Paris  et  qui  ne  paraît  pas  avoir  pris  d'autre  grade,  eut  les  directions 
d'Hermonyme  de  Sparte,  mais  nous  ignorons  si  ce  fut  de  bonne 
heure  ou  tardivement  (1).  Sans  doute  c'est  surtout  dans  ses  voyagea 
en  Italie  qu'il  se  perfectionna  dans  la  connaissance  de  la  langue 
grecque.  Il  assista  dans  ce  pays  aux  luttes  entre  platonisants  et 
péripatétlcicns.  Parmi  ces  derniers  se  distinguait  Hermolaus  Barbarus, 
dont  l't  nseignement  lui  fut  particulièrement  profitable  (2).  C*esl  en 

(t)  Graf,  Jac.  Faber  Stap,,  ein  Beiirag,  etc.,  p.  7.  Renseignement  tiré  de 
la  préface  de  Lefèvre  in  magna  moralia.  Mois  la  première  édition  connue  de 
cette  introduction  est  de  1494,  quand  Lefèvre  avait  une  quarantaine  d'années» 
Il  dit  d'ailleurs  :  c  ut  prœceptor  est  »,  ee  qui  n'indique  pas  que  Hermonymo 
fut  réellement  son  maître. 

(2)  Ibid,  p.  9. 


416  ftSTUI  WtBÂGOeÊQOK 

1491  qu'il  alU  pour  la  première  fote  en  Italie  (i).  U  avait  alors  une 
quarantaine  d'années.  De  retoor,  il  importa  cliez  nous,  pour  et  qui 
eonceme  Aristote,  lea  traductions  et  les  explications  latines  des 
savants  grecs  eC  italiens.  C'est  surtout  k  Taide  de  ces  ressoorees 
qall  me  semble  avoir  rédigé  ses  propres  ouvrages,  car  je  n'oserais 
^nner  qu'il  savait  assez  bien  le  grec  pour  liîre  Aristote  dans  le 
texte.  On  a  tout  lieu  de  croire  qu'il  enseigna  dans  le  collège  du 
cardinal  Lemoioe  et  que  c*est  là  qu'il  commença  à  former  de  nom- 
breux disciples  (i) .  Ses  paraphrases  s'adressaient  aux  plus  avancés. 
U  nous  reste  k  voir  par  son  introduction  et  son  dialogue  comment 
il  s'y  prenait  avec  les  plus  jeunes. 

Quoique  celui  qui,  très  anciennement  d'ailleurs,  a  relié  notre 
volume,  ait  placé  l'Introduction  à  la  fin,  c'est  par  elle  qu'il  faut  com- 
mencer, car  elle  a  été  composée  avant  le  Dialogue  qui  en  suppose 
la  connaissance. 

Cette  introduction  aux  huit  livres  de  la  Physique  d' Aristote  con- 
siste jnx)prement  en  sept  paragraphes  dont  le  plus  long  n'a  pas  plus 
de  vingt-cinq  lignes  et  dont  le  plus  court  en  a  six  et  demie.  Chaque 
paragraphe  contient  une  série  dé  définitions  courtes,  nettes,   d'une 

Srécision  géométrique.  Le  premier  a  pour  objet  la  nature,  le  second 
I  cause,  le  troisième  le  mouvement,  le  quatrième  l'infini,  le  cin- 
quième le  Heu,  le  sixième  le  vide,  le  dernier  le  temps.  Des  expli- 
cations de  Josse  Qictou,  disciple  et  collaborateur  connu  de  Lefèvre, 
s'intercalent,  comme  on  Fa  déjà  vu,  entre  les  paragraphes.  Elles  les 
surpassent  notablement  en  étendue  et  suppléent  leur  extrême  conci- 
sion. Elles  manquent  dans  l'édition  de  1504,  mais  à  leur  place  on 
trouve  à  la  suite  de  l'Introduction  une  paraphrase  relativement 
considérable.  L'Introduction  est  elle-même  résumée  dans  une 
grande  figure  qui  représente  la  sphère  terrestre,  entourée  des 
cercles  concentriques  de  l'eau,  de  l'air  et  du  feu.  Cette  figure  con- 
tient dans  sa  circonférence  sept  petits  cercles  diversement  disposés, 
dont  chacun  correspond  à  un  chapitre  de  l'Introduction  et  en  ren- 
ferme pittoresquement  le  sommaire.  Je  regrette  d'avoir  à  dire  que 
cette  figure,  ti^s  nette  dans  l'édition  de  1501,  est  ici,  dans  les  cercles 
du  mouvement  et  de  la  cause,  un  véritable  barbouillage. 

Le  lecteur  a  sans  doute  deviné  que  l'élève  devait  apprendre  par 
cœur  les  sept  paragraphes  sur  lesquels  il  recevait  ensuite  les  expli- 
cations du  maître.  Quant  k  rillustration  par  les  cercles,  elle  rappelle 
les  figures  géométriques  de  toute  sorte  dont  on  se  servait  depuis 
longtemps  en  logique  pour  représenter  la  suite  et  les  termes  du 
raisonnement  (3).  On  se  souvient  aussi  du  jeu  de  cartes  de  Mûmer, 


(1)  Ibid.  p.  8. 

(2)  Graf,  p.  12.  . 

(3)  a.  Monteil,  BisU  des  Français  des  divers  États,  I,  ép.  A6. 


UNE  ACQUISITION  DE  LA  BIBUOTBiQUI  DU  MUStE  PtDAGOGIQUX  4S7 

Lefèvre  paraît  avoir  attaché  nne  véritable  importance  à  sa  figura  (i). 
Ainsi,  quant  au  rôle  de  la  mémoire  et  aux  procédés  extérieurs, 
jusqu'à  présent  il  n'a  rien  changé.  La  précision  supérieure  de  ces 
résumés,  qualité  toute  française,  et-  la  réputation  de  science  de 
Fauteur,  pouvaient  attirer  miûlres  et  écoliers  sans  que  leurs  habi* 
tudes  fussent  choquées  (2). 

U  ne  s'en  tint  pas  aux  Introductions,  même  développées  par  Josse 
Clictou.  Dans  ses  leçons  orales  il  interrogeait,  commentait,  donnait 
des  explications  familières  et  proportionnées  k  Fâge  ou  à  l'intellir 
gence  de  Télève  :  telle  était  évidemment  une  des  causes  de  son 
succès.  Ne  pas  laisser  perdre  des  leçons  aussi  fructueuses  ;  composer 
sur  les  introductions  prises  comme  thème  des  entretiens  qui  repro* 
duiraient  lallure  et  la  substance  de  son  enseignement,  c'était  une 
idée  bien  naturelle.  Cependant  el!e  ne  vint  pas  de  lui.  Il  nous 
apprend  avec  candeur  (3)  qu'elle  lui  fut  suggérée  par  le  jeune 
(jruillaume  Gontier,  qui  l'avait  accompagné  dans  l'un  de  ses  voyages 
en  Italie.  En  agissant  ainsi ^  lui  avait  dit  Gontier,  vous  apprendrez 
aux  maîtres  comment  ils  doivent  diriger  leurs  interrogations,  et 
ainsi  vous  serez  utile  en  môme  temps  au  maître  et  à  l'écolier* 
Celui-ci  devait  d'abord  apprendre  rintrodiiction  correspondante  au 
sujet  du  Dialogue.  Sur  cette  matière  avait  lieu  i'interrogitoire,  conduit 
non  seulement  dans  Tordre  des  paragraphes  de  Tlntroduction,  mais 
encore  dans  l'ordre  de  chaque  paragraphe,  de  sorte  que  l'introduc** 
tion  elle-même  devait  se  retrouver  tout  entière  (avec  les  dévelop- 
pements nécessaires)  dans  les  réponses  de  l'élève.  Pour  plus  de 
précaution,  la  tournure  de  chaque  question  indiquait  (au  moins 
dans  les  dialogues  sur  la  métaphysique)  si  la  réponse  devait  ôtre 
négative  ou  afiirmative.  On  voit  qu'au  lieu  de  se  défier  de  la  mémoire, 
rauleurne  négligeait  aucun  moyen  d'y  avoir  recours.  11  allait  jusqu'à 
Texcès.  Cependant,  pour  n'être  pas  trop  surpris  de  ce  qu'il  y  a  de 
très  simple,  de  très  familier  et  même  d'un  peu  mécanique  dans 
celte  méthode  appliquée  aux  plus  subtiles  questions  que  puisse  se 
poser  l'esprit  humain,  n'oublions  pas  le  jeune  âge  des  élèves.  On 
pouvait  être  licencié  es  arts  à  quinze  ans  :  sans  doute  on  ne  l'était 
guère  en  général  que  deux  ou  trois  ans  plus  tard  ;  mais  dans  le 
Dialogue  sur  la  physique  il  s'agit  d'écoliers  qui  jouent  encore  (^l): 


(1)  Il  la  décrit  dans  le  dialogue. 

(î)  Ce  qui  vient  d'éu-e  dit  sur  l'Introduction  à  la  physique  s'applique  d'une 
manière  gi'nérale  aui  autres  Introductions  de  Lefèvre,  sans  qu'il  soit,  néces^ 
taire  de  les  énumérer. 

(3)  En  tète  des  quatre  Dialogues  sur  la  métaphysique,  p.  312,  au  verso,  de 
l'édition  de  1501  de  Totiut  philosophiœ  tiaturalis  paraphrases, 

(4)  Celui  qui  est  Interrogé  dans  ce  Dialogue  n'aime  pas  à  jouer  parce  quMt 
est  d'une  gravité   exceptionnelle  :  On.  Malles  tamen  modo  aliqm  fàco  ctim 

sto  Nœro  $t  aliarwn  adolesœntUm  turba  patrii  recessum  int«rcblM$ci.  — 


4tt  BlfUB  rtMMOOQCB 

éfoqoer  fd  l'idée  des  dia1ogoe9  de  Ptateo  lenit  pu*  tiop  ambi- 

Le  bot  def  Dialogues  de  LeCHrre  est  dooc  très  net  Ds  soot  ose 
Méthode  poor  faire  eompreodre  (en  allaat  do  facile  ao  difteile, 
poisqne  les  diflleullés  de  la  physique  soot  traitées  à  part  daos  on 
seeood  dialogue;  et  poor  faire  retenir  à  des  écoliers  relatiTeoMot 
très  Jeunes  des  notions  qui  devaient  leur  paraître  fort  abstraites. 
Leièrre  les  insinue  à  force  de  simplicité  et  d'agrément.  On  doit 
donc,  malgré  les  rf^ssemblances  de  forme,  éviter  de  confondre  ces 
diaU^giies  avec  les  colloques  qui  eurent  poor  objet  de  former  à  la 
conversation  en  langue  latine.  Cerlainement  Lefèvre,  par  sa  méthode, 
(acililait  aux  écoliers  les  moyens  de  faire  à  kurs  maîtres  des 
réponses  qui,  selon  la  coutume,  avaient  lieu  en  latin  ;  mais  son  inten- 
tion était  de  leur  apprendre  les  éléments  de  la  philosophie  péripa- 
téticienne et  non  les  élégances  de  la  conversation  en  langue  latine 
considérée  en  elle-même.  Cest  un  philosophe,  non  un  humaniste  (t). 

En  lisant  les  premières  pages  de  notre  Dialogue,  on  est  frappé  de 
leur  ressemblance  avec  la  marche  d'une  comédie,  l^fbvre,  à  son 
insu,  ou  pour  donner  un  agrément  de  plus  à  son  opuscule,  y  repro- 
duit la  forme  des  comédies  de  collège  qui  étaient  alors  tellement  à 
la  mode.  I^s  noms  de  ses  personnages  représentent  des  qualités 
pures,  des  abstractions,  contrairement  à  Tusage  des  colloques  et  con- 
formément À  celui  des  moralités  françaises  ou  de  plusieurs  comédies 
de  RavisiuH  Textor.  Mais  surtout  il  serait  facile  de  diviser  le  com- 
mencement du  Dialogue  en  scènes  qui  se  passeraient  sur  un  de  ces 
théâtres  du  moyen  ftge,  où  des  groupes  d'acteurs  éloignés  les  uns 
des  autres  et  placés  devant  des  décors  dilTérents  dialoguaient  tour  à 
tour.  Voici,  d'ailleurs,  comment  le  bon  Lefèvre,  ?ans  se  presser, 
amène  rinlerrogatoire  sur  la  physique  d'Arislote. 

Nous  sommes  dans  un  collège,  peut-èlre  celui  du  cardinal  Lemoine 
an  supposant  (lu'il  eût  un  verger,  car  une  partie  de  la  scène  (si  on 
me  passe  cette  façon  do  parler)  représente  un  verger  (3).  Deux 
maîtres  t'v  promùnent.  A  quelque  distance,  une  cour  (4)  où  jouent  des 
écoliers.  Le  premier  des  maîtres  a  nom  Hermeneus,  c'est-à-dire 
l'interprète,  le   second  Oneropolus,  en  latin  Conjector,  c'est-à-dire 


Kl»,  hno  diiici*ndo   et  audiendo^  nam  pu.rilium  jocorum   oonsuetudinem  non 
habfo  fi<f7t40  me  obUctant  quicquam, 

(1)  H  y  a  deui  DUlogaes  de  Lefèvre  sur  la  physique  d'Àristote  :  le  premier 
sur  la  physique  engéniSral  etcorrdspoadant  à  ootre  latroduction, —  c'est  celui 

Îul  NO  trouve  dans  notre  volume  ;  le  second  qu'il  faut  chereher  dans  l'édition 
•  1504,  p.  S8I  tu  verio  à  303. 

(I)  S'il  f  illalt  àbiolument  des  analogies,  c'est  aui  entretiens  d'Alcuin  et  de 
P^pln,  par  e&emple,  qu'on  pourrait  eo  demander. 
(3)  /«  pamorio  dêomMant  (i*  page  du  Dialogue). 
(k)  Kile  n'eit  pas  meatioiuiée,  mais  où  Joueraient-ils  sinon  dans  une  cour  t 


VNB   ACQUISITION  DE  LA  BIBLIOTHÈQUI  DU  MUSÉE  PÉDAGOGIQUE  429 

rhomme  qui  sait  expliquer  les  songes  :  le  choix  de  ce  second  nom, 
qu'il  ne  faut  pas  prendre  en  mauvaise  part,  est  assez  singulier.  Les 
appellerons-nous  l'un  le  TradtActeur  et  l'autre  le  Commentateur?  irons* 
nous  plus  loin?  Verrons-nous  dans  l'un  Jacques  Lefèvre  et  dans 
l'autre  Josse  Clictoa?  laissons-leur  les  noms  grecs  qui  leur  ont  été 
donnés  par  l'auteur. 

Hermeneus  raconte  à  Oneropolus  comme  quoi  Polypragmon  (Nego- 
çiatOTy  le  Marchand)  vient  de  le  quitter  après  leur  avoir  laissé  son 
tils  dont  il  leur  confie  l'éducation  (ce  fils,  Epiponus,  Laboriosus^  le 
Laborieux,  est  en  ce  moment  dans  la  cour  avec  ses  nouveaux  cama- 
rades). «  Oneropolus,  notre  hôte  Polypragmon  nous  a  confié  à  tous 
les  deux  l'éducation  et  l'instruction  de  son  fils.  C'est  son  fils  unique  : 
il  le  chérit  avec  une  extrême  tendresse.  Tout  a  l'heure  il  était  ici  ; 
tu  t'étais  absenté.  Il  m'a  tiré  à  part  et  m'a  dit  sans  être  entendu 
de  son  fils  :  Hermeneus^  j'ai  souvent  entendu  dire  et  avec  raison 
que  les  philosophes  qui  sont  si  savants  ne  savent  pas  tromper,  mais 
comme  le  travail  des  cultivateurs  fertilise  les  champs  stériles, 
ils  cultivent  les  «esprits  stériles  des  jeunes  gens  et  les  amènent  à  une 
vertu  féconde.  Tout  ignorant  que  je  sois  des  objets  de  leurs  occupations 
(car  mes  parents  ont  dirigé  ma  jeunesse  d'un  autre  côté),  je  n'en 
ai  pas  moins  pour  eux  la  plus  grande  sympathie.  Je  déplore  souvent 
de  vivre  comme  un  aveugle  et  je  ne  trouve  heureux  que  vous  seuls 
(|ui  êtes  habiles  dons  les  lettres;  voilà  pourquoi  j'ai  mis  tout  particu- 
lièrement ma  confiance  (i)  en  Oneropolus  et  en  toi,  vous  priant  de 
vous  charger  de  mon  fils  pendant  qu'il  en  est  temps,  afin  qu'arrivé 
à  la  vieillesse  il  ne  fasse  pas  conmie  moi  et  ne  maudisse  pas  une 
vie  condamnée  à  Tignorance.  0  Hermeneus,  c*est  mon  unique 
héritier,  pourvu  que  Dieu  me  le  conserve.  Je  suis  vieux  et  ne  puis 
plus  espérer  d'en  avoir  un  autre.  Je  vous  le  recommande  à  tous  les 
deux,  afin  que  vous  soyez  pour  lui  des  pères.  Vous  jugerez  de  son 
zèle.  11  n'aurait  jamais  cessé  de  m'obséder  nuit  et  jour  de  ses  prières 
si  je  ne  vous  l'avais  amené.  11  est  à  vous,  prenez  soin  de  lui,  je  le 
mets  sous  votre  protection.  Alors  il  appelle  son  fils  (S)  :  —  Epiponus, 
lui  dit-il,  Hermeneus  que  tu  vois  se  charge  de  toi  à  partir  de  ce 
moment.  Regarde-le  comme  un  père;  obéis-lui  en  tout;  honore-le, 
il  te  rendra  honnête  et  savant.  Voilà  les  richesses  que  je  ne  pouvais 
te  laisser  :  il  peut  t'en  rendre  possesseur.  Et  après  avoir  franchi  le 
seuil,  les  yeux  pleins  de  larmes  :  —  Adieu,  Hermeneus,  m'a-t-il  dit: 
portez-vous  toujours  bien,  Oneropolus  et  toi  :  salue-le  de  ma  part. 
Je  lui  dis  alors  :  —  Polypragmon,  reste  au  moins  aujourd'hui  à  dhier 
avec  nous  et  tu  recommanderas  toi-m^me  ton  fils  à  Oneropolus.  Tu 
ne  pourrais  nous  faire  un  plus  grand  plaisir.  —  Cela  m'est  impossible, 
n-t-il  répondu;  mes  affaires  me  pressent  et  exigent   ma  présence. 

(1)  eam^  éd.  de  Cracovie.  meaiiif  édition  de  1504. 

(2)  On  a  reconnu  une  rémiDiseence  du  commeucement  de  ÏAndrietme, 


430     :•  ftiruK  PÉDAOOoiQuk 

Quant  à  vous,  pour  eette  éducation  littéraire  de  mon  fils,  tous  n'avez 
pas  besoin  de  moi.  —  Comme  tu  voudras,  lui  dis-je,  pourvu  qae 
tu  nous  promettes  de  revenir  un  jour  nous  voir  et  de  rester  avec 
nous  quelque  temps.  —  Je  le  promets,  dit-il,  et  je  vous  laisse 
mon  tiÛs  en  otage.  Et  il  s'en  est  allé.  Veux-tu* donc  que  nous  fas- 
sions venir  l'enfant,  pour  le  voir  toi-même  et  le  questionner?  — 
Oreropolus.  Je  le  veux  bien.  » 

Va-t-on  philosopher?  pas  encore.  Le  jeune  Epiponus,  par  Tinter- 
médiaire  d'un  camarade,  est  appelé  auprès  des  deux  maîtres.  U 
arrive,  et  le  dialogue  suivant  s'engage  entre  eux  et  lui  : 

Oneropolus.  Aimable  fils  de  Polypragmon,  comment  t'appelles- tu? 
Epiponus.  Epiponus,  mon  excellent  maître.  —  On.  Eh  bien,  dis-mo! 
dans  quelle  disposition  tu  te  trouves.  —  Ep.  Je  suis  très  heureux, 
puisque  vous  voulez  bien  tous  les  deux  m'instruire  dans  les  let- 
tres. —  On.  Voilà  des  dispositions  excellentes.  Et  tu  aimes  vérita- 
blement les  lettres?  —  Ep.  Oh  !  beaucoup.  —  On.  Cependant  tu  aime- 
rais mieux  jouer  à  quelque  jeu  avec  Noerus  et  tous  tes  autres  cama- 
rades pour  oublier  le  départ  de  ton  père.  —  £p.  Non,  mais  j*aimerais 
bien  mieux  l'oublier  en  apprenant  et  en  écoutant,  car  je  n'ai  pas 
l'habilude  des  jeux  d'enfant  et  ils  ne  me  font  aucun  plaisir.  —  On. 
Qu'est-ce  qui  te  fait  donc  plaisir?  —  Ep.  Les  livres  et  l'étude  des  lel- 
Jres.  —  Herm.  En  vérité!  voilà  qui  est  très  bien  pour  ton  âge  et  qui 
témoigne  d'un  bon  naturel.  —  On.  Mais  que  désires-tu  surtout 
apprendre  et  entendre?  —  Ep.  La  philosophie.  —  On.  Tu  crois  donc 
savoir  raisonnablement  la  logique?  (1)  —  Ep.  Mettez-moi  quelque 
peu  à  l'épreuve,  et  si  je  ne  réponds  pas  convenablement,  je  tends 
tout  de  suite  la  main  à  la  férule.  —  On.  C^est  bien.  Noerus,  donne 
une  Introduction  de  la  physique  à  ton  camarade.  Il  la  lira  trois  ou 
quatre  fois  pour  l'apprendre  par  cœur.  En  attendant  nous  ferons 
quelques  tours.  —  Noercs.  J'y  vais.  » 

Les  deux  écoliers  disparaissent.  Restés  seuls,  les  deux  maîtres 
parlent  de  leur  nouvel  élève. 

«  Herm.  Attendez  un  peu,  ils  ne  tarderont  pas  à  revenir.  Mais,  One- 
ropolus,  que  penses-tu  de  cet  enfant?  —  On.  J'en  espère  beaucoup  do 
bien.  U  a  Tair  ouvert,  bon  et  loyal.  Polypragmon  chérit  son  fils. 
J'espère  qu'il  aimera  mieux  le  laisser  se  perfectionner  Tesprit  que 
suivre  le  métier  paternel...  (2).  —  Herm.  Tu  as  raison,  Polypragmon 
est  très  riche.  Jamais  il  ne  se  relâche  du  soin  d'amasser,  et  sou  fils 
unique  n'aura  pas  besoin  de  se  faire  marchand.  Mais  s'il  sort  de 
nos  mains  sage  et  savant,  il  fera  convenablement,  justement  et 
libéralement  usage  des  richesses  que  Polypragmon   s'est  acquises 


(1)  Te  ergo  in  ralionabilibus  diiciplinis  mediocriltr  ientis  instilutum, On  se 
souvient  que  l'étude  de  la  philosophie  était  précédée  de  celle  de  la  logique 
proprement  dite. 

[t]  Le  texte  est  t'aulif^  et  je  n'ai  plus  sous  les  yeux  l'édition  de  1504. 


UNI  ACQUISITION  DI  LA  BIBUOTBÈQUX  t>U  MUSÉI  PÉDAGOGIQUE   431 

par  tant  de  soins^  de  veilles^  de  dangers  et  de  fatigues.  —  On.  Oui» 
il  en  fera  justement  et  libéralement  usage.  Mais  voici  l'enfant  qui 
revient.  » 

Personne  ne  fera  l'injure  à  Lefèvre  de  penser  que  ses  maîtres 
veulent  dresser  dans  leur  intérêt  un  futur  Mécène.  Pour  s'adonner 
plus  librement  à  l'étude,  il  avait  fait  à  ses  frères  et  à  ses  neveux 
l'abandon  de  son  patrimoine.  C'était  le  désintéressement  même, 
d'après  Scévole  de  Sainte-Marthe  (i). 

c  Me  voici,  dit  ëpiponus  de  retour.  —  On.  Très  bien.  T'es -tu  appli- 
qué a  savoir  par  coeur  ce  que  je  t'avais  donné  à  apprendre?  — 
Ep.  Je  le  sais.  ~  On.  Maintenant,  fais  bien  attention.  —  Ep.  Oui. 
—  On.  Vois  tu  la  figure  qui  est  au  commencement  de  notre  Intro- 
duction? —  Ep.  Oui.  —  On.  L'ensemble  de  cette  figure  nous  repré- 
sente le  monde  sensible,  etc.  » 

La  leçon  commence.  Elle  se  poursuit  sur  un  ton  aimable,  avec  de 
douces  plaisanteries,  des  exemples,  des  citations  de  vers  latins,  qui 
l'empêchent  de  devenir  sèche  et  ennuyeuse. 

On  peut  maintenant  se  rendre  compte  du  rôle  qu'a  joué  Lefèvre 
d'Étaples  dans  l'histoire  de  la  pédagogie  française.  Là,  comme  pour 
la  Réforme  (2)  et  pour  la  traduclion  des  Ecritures,  il  a  été  un  de 
ces  précurseurs  modestes  qui  ouvrent  le  sentier  où  les  autres  pour- 
ront s'avancer.  S'il  n'était  pas  un  humaniste,  il  a  facilité  d'avance  le 
développement  de  l'humanisme.  De  son  temps  les  belles-lettres 
n'avaient  encore  pour  ainsi  dire  aucune  place  dans  l'enseignement 
secondaire.  On  passait  sans  transition  de  médiocres  études  gramma* 
ticales  à  la  logique  et  à  la  philosophie.  H  n*a  pas  contribué  à  intro- 
duire dans  la  faculté  des  arts  les  auteurs  profanes  que  sa  piété 
n'aimait  guère  (3).  Mais  en  rendant  aux  physiciens  l'Aristote  grec, 
surtout  en  l'expliquant  avec  simplicité  et  avec  charme,  il  a  fait 
pénétrer,  dès  la  fin  du  xv^  siècle,  dans  un  domaine  qui  semble  avoir 
été  jusqu^à  lui  bien  barbare,  le  véritable  esprit  philosophique  et  lit- 
téraire. Aussi  bien,  on  s'en  souvient  peut-être  (4),  ces  deux  mots 
sont  pour  lui  synonymes. 

11  va  plus  loin  :  pour  lui  philosophie,  belles-lettres  et  bonnes 
mœurs,  comme  nous  l'apprend  le  commencement  de  son  dialogue, 
se  fondent  dans  un  ensemble  où  il  ne  les  dislingue  plus  les  unes 
(les  autres.  Aussi,  comme  il  voit  tout  a  travers  son  cœur,  les  philo- 


(1)  Grof.  Éludo  allemande,  p.  5  et  6. 

{±}  Je  n'avaiâ  pas  k  parler  du  uiysiicisme  de  Lelèvre  d'ËUples.  11  m'a  paru 
nu  tiie  de  rappeler  que  ce  resUui'ateur  en  France  de  la  pensée  d'Aristote  était 
pénétré  du  néoplatonisme  chn*tien  du  pseudo-Denys  l'Aréopagite,  qu'il  édita 
en  1498.  Je  ne  pouvais,  dans  un  article  de  circonstance,  déjà  trop  long,  corn* 
prendre  l'étude  de  la  pensée  philosophique  de  Lefèvre  d'Étaples. 

[3)  Voir  Graf,  étude  allemande,  p.  10,  ou  l'Essai  français  du  qiéme,  p.  7. 

(4)  Voir  ce  que  j'ai  traduit  da  Dialogue. 


432  11VU&  PtDAGOGIQUC 

sophes  au  milieu  desquels  il  vit»  Tuniversité,  tout  lui  paraît  (et 
cependant  il  était  arrivé  à  Tftge  mûr)  un  modèle  d*amabiiité  et  de 
concorde  (i).  Il  est  bon  de  passer  quelques  moments  avec  lui,  de 
feuilleter  encore  ses  modestes  ouvrages.  On  regrettera  peut-être  que 
nos  deux  opuscules  imprimés  aux  frais  deHaller  n'aient  pas  passé, 
à  cause  de  leur  rareté,  à  la  réserve  de  la  Bibliothèque  nationale.  Mais  il 
est  bien  à  sa  place  au  Musée  pédagogique,  ce  petit  monument  d'une 
réforme  modérée  dans  l'histoire  de  nos  études;  de  la  méthode 
d'un  maître  à  la  fois  habile  et  aimant;  et  enfin  de  l'influence  fran- 
çaise en  matière  d'enseignement,  par  delà  l'Allemagne,  dans  une 
université  généralement  mal  connue  de  l'Europe  Orientale. 

L.  Massebieau. 


A  PROPOS  DU  CONGRES  DU  HAVRE 


Nous  l'ecevons  la  communication  suivante  : 

Le  Comité  d'organisation  du  Congrès  international  d'instituteurs 
du  Havre  a  reconnu  qu'une  lacune  regrettable  existait  dans  1  article 
premier  du  règlement.  Il  ^'est  enipressé  de  la  combler  et  a  modilié 
comme  suit  cet  article  : 

a  Sont  invités  à  prendre  part  aux  travaux  du  Congrès,  sur  la 
présentation  de  leur  carte  d  admission,  toutes  les  personnes  faisant 
partie  du  corps  de  renseignement  primaire  :  instituteurs  et  iostitu- 
trices  titulaires  ou  adyointes,  publics  ou  privés;  directrices  et  sous- 
directrices  des  écoles  maternelles;  directeurs,  directrices  et 
personnel  enseignant  des  écoles  normales;  inspecteurs  primaii-es, 
inspecteurà  d'aaidémie  et  inspecteurs  généraux  ». 

Le  maire  da  Havre, 
Président  du  Comilé  d'organisation  du  Congrès ^ 

Jules  Siegfried. 


(1)  Voir  la  préface  du  Dialogue,  et  dans  redition  de  1504,  une  dédicace 
à  UD  dignitaire  de  l'université,  que  je  ne  puis  désigner  avec  plus  de  préci- 
sioD,  n'ayant  pas  le  livre  entre  les  mains. 


LES  COMMISSIONS  SCOLAIRES 


La  rédaction  de  la  Revive  pédagogique  a  reçu  la  lettre  suivante, 
qui  nous  est  parvenue  trop  tard  pour  é(re  publiée  dans  notre 
précédent  numéro  : 

Ségalas  (Basses-Pyrénées),  25  mars  1885. 

Monsieur  le  Directeur, 

J'ai  lu  avec  beaucoup  dlntérét  la  lettre  de  M.  Ed.  Dreyfus- 
Brisac  sur  les  commissions  scolaires,  que  vous  avez  insérée  dans  la 
Revue  pédagogique  du  15  mars.  Les  faits  qu'il  signale  dans  le  Nord, 
je  les  constale  dans  le  Itfidi,  et  cependant,  quoique  notre  point  de 
départ  soit  le  même,  je  suis  très  loin  d'arriver  aux  mêmes  conclu- 
sions que  lui. 

Voici  trois  ans  que  je  suis,  comme  lui,  membre  de  diverses 
commissions  scolaires,  soit  comme  délégué  de  la  commune^  soit 
comme  délégué  de  TadmiDistration,  et  je  n'hésite  pas  à  dire,  avec 
lui,  que  «  si  Ton  ne  prend  pas  des  mesures  énergiques,  l'obligation 
dans  nos  écoles  restera  à  l'état  de  lettre  morte  ».  Dans  la  plupart 
des  communes  rurales  de  notre  département,  la  commission 
scolaire  ne  se  réunit  pas  plus  de  deux  fois  Fan,  et  dans  un  très 
grand  nombre  elle  ne  se  réunit  plus  jamais.  Quand  une  commission 
scolaire  rurale  se  réunit,  à  moins  que  par  hasard  Finspecteur 
primaire  n'assiste  à  la  séance,  ou  que  par  un  hasard  plus  rare  encore 
elle  ne  compte  dans  ses  rangs  quelque  personne  animée  d'un  zèle 
ardent  et  résolue  à  se  rendre  impopulaire,  la  séance  est  parfaitement 
stérile  :  elle  consiste  dans  l'enregistrement  pur  et  simple  des  listes 
d'absences.  De  rappel  des  parents  à  l'exécution  de  la  loi,  d'affichage, 
d'amende,  il  n'en  est  pas  question,  ou  il  n'en  est  question  que  pour 
la  forme.  En  effet,  ces  diverses  sanctions  étant  échelonnées  selon 
une  gradation  régulière  qui  va  de  la  simple  citation  à  l'amende^  il 
serait  indispensable,  pour  qu'elles  fussent  appliquées,  que  les 
séances  de  la  commission  fussent  régulières  et  fréquentes.  On  ne 
«  cite  »  pas  les  parents  à  une  échéance  de  six  mois.  On  ne  les 
«  affiche  »  pas  pour  des  absences  vieilles  d'une  année. 

Mais  pourquoi  la  commission  ne  se  réunit-elle  pas?  lié  !  mon 
Dieu,  pour  une  raison  bien  simple.  C'est  que  son  rôle,  et  particu- 
lièrement celui  du  maire,  son  président,  est  éminemment  désa- 
gréable. Le  maire,  s'il  le  prend  au  sérieux,  est  assuré  de  se  rendi*e 
promptement  impopulaire,  de  revêtir  aux  yeux  de  ses  administrés 
un  personnage  fâcheux,  importun.  Franchement,  faut-il  en  vouloir 

REVUE  PÉDAGOGIQUE  1885.  —  i»  SEM.  28 


434  BtnJE  rÉDAGOGlQCC 

beaucoup  à  oot  brares  maire^de  campagne  de  ce  que,  tout  libéraux 
qu*ilf  «oient  et  franchement  dévoués  au  progrès ,  ils  éludent  cette 
corvée,  ils  hésitent  à  sacrifier  à  un  intérêt  tout  spirituel  leur  popu- 
larité,   TaiTection    de    leurs    administrés?  S'ils  le    comprenaient 
clairement,  cet  intérêt,  à  coup  sûr  ils  seraient  moins  hésitants,    ils 
rechigneraient  moins.  iU  le  comprendront  un  jour,  je  Tespère*  je  le 
crois  fermement.  Mais  encore  faudrait-il  le  leur  expliquer,  et  c'est 
ce  que  personne  jusqu'ici  n'a  pris  soin  de  faire.  La  loi  scolaire,  ils 
n'en  pensent  pas  de  mal  ;  mais  enfin  quand  elle  est  tombée  sur  eux 
un  beau  jour,  il  y  a  trois  ans,  elle  les  a  brusquement  investis  d'une 
dignité  nouvelle,    fort  honorable    assurément,  mais   quelque    peu 
enibarrasKante  quand  on  n'y  est  pas  préparé  :  elle  a  fait  de  chacun 
d'eux  le  p^^re  spirituel  de  sa  commune.  £Ue  lui  a  mis  une  férule 
en  main,  avec  mission  de  ne  pas  l'épargner  aux  récalcitranls.  Or  la 
férule  est  parfois  un  instrument   aussi  désagréable  a  manier  qu'à 
subir.    Notre  maire  s'est  empressé  de  déposer  la  sienne  dans  un 
coin,  011  il  la  laisse  dormir.  Il  ne  l'en  tire  qu'à  son  corps  défendant, 
quand  il  est  mis  en  demeure    par  l'inspecteur   primaire,   ou   par 
quelque  brouillon  de  délégué  qull  donnerait  volontiers  au  diable  : 
même  alors  il  tâche  de  la  manier  pour  la  forme,  sans  faire  de  mal 
à  personne. 

Co  que  je  diâ  du  maire  est  vrai  de  chacun  des  conseillers  ou  des 
notables  qui  TassisteDt.  Chacun  d'eux  n'est  là,  en  somme,  que  parce 
qu'il  a  su   se  concilier  la  confiance  des  gens  de  Tendroit.  Il   les 
connaît  tous  par  leur  nom  ;  11  les  rencontre  à  toute  heure  du  jour. 
Vous  le  mettez  dans  un   terrible   embarras  en  lui   demandant  de 
frapper  tels  ou  tels  de  ces  braves  gens,  de  s'exposer  à  les  voir  s'écarter 
de  lui  comme  d'un  faiseur  d'embarras  ou  d'un  tyran  de  village. 
—  Mais  l'inspecteur  primaire,  direz-vous  ? 
D'abord  l'inspecteur  primaire  est  dans  Timpossibililé   matérielle 
do  visiter  chacune  de  ses  communes  plus  d'une  ou  deux  fois  l'an. 
Qn(iuante  dimanches  par  an,  la  commune  est  donc  à  l'abri  de 
son  intervention.  Et  puis,  quand  il  la  visite,  que  voulez-vous  qu'il 
fasse,  je  vous  prie  ?  Son  rôle  est  de  pure  prédication.  Il  n'a  pas 
qualité  pour  commander,  pour  sévir.  Il  est,  aux  yeux  du  maire,  le 
représentant  d'une  administration  étrangère,  qui  n'a  que  faire  de 
s'immiscer  dans  la  politique  municipale,  qui  ne  peut  qu'expliquer, 
conseiller,  exhorter,  mais  dont  la  parole  est  dépourvue  d'autorité 
parce  qu'elle  est  dépourvue  de  sanction.  Il  faut  l'avoir  vu  à  l'œuvre, 
comme  je  l'y   ai  vu  souvent,  dans  les  communes  indifférentes  ou 
hostiles,  pour  se  convaincre  à  la  fois  de  son  zèle  infatigable  et  de 
sa  parfaite  impuissance. 

11  a  prévenu  la  commission  qu'elle  ait  à  se  réunir  tel  jour;  ii 
arrive,  il  exprime  son  regret  que  la  commission  n'ait  tenu  aucune 
séance  depuis  six  mois;  il  montre  le  résultat,  les  listes  d'absence 
bourrées  de  noms  plus  nombreux  chaque  mois;  il  commente  la|loi. 


LES  COMMISSIONS  SCOLAIRES  433 

il  fait  appel  au  patriotisme,  à  Famour-propre  des  assistants,  c  Vods 
ne  voulez  pas  que  votre  commune  soit  la  dernière  de  France,  se 
couvre  de  honte...  Et  puis  Tinstniction  du  peuple,  c'est  la  grande 
œuvre  républicaine,  messieurs,  qui  le  sait  mieux  que  vous?.«.  Et 
enfin,  c'est  la  loi,  une  loi  dûment  obligatoire,  et  vous  devez  la  faire 
respecter,  etc.,  etc.  »  Chacun  des  assistants  reçoit  l'averse  avec 
une  parfaite  philosophie.  Le  maire  même  ne  refuse  pas  les  marques 
d'assentiment.  <  C'est  vrai  ;  il  a  raison,  messieurs,  il  faut  que  la  loi 
soit  obéie.  Nous  allons  y  mettre  bon  ordre.  »  On  se  sépare  sur  ren- 
gagement de  convoquer  «  pour  la  prochaine  séance  »  quelques-uns 
des  parents  les  plus  compromis,  et  de  se  réunir  régulièrement  tous 
les  mois.  L'inspecteur  s'en  va,  et...  rien  n'est  changé.  Il  n'y  a  pas  de 
«  prochaine  séance  »,  et  les  enfants  continuent  de  manquer  l'école 
avec  le  même  entrain. 

Quel  est  donc  le  remède  à  un  pareil  état  de  choses  ? 

Tout  d'abord,  à  mon  sens,  la  loi  actuelle,  toute  défectueuse  que  je 
l'estime,  n'a  pu  encore  donner  tout  son  fruit  parce  que  personne  —  je 
veux  dire  personne  ayant  autorité  —  n'a  pris  soin  d'édifier  les  mu- 
nicipalités sur  le  caractère  obligatoire  de  cette  loi.  Ceci  a  l'air  d'une 
naïveté,  toute  loi  étant  par  définition  obligatoire.  Par  définition^, 
oui  ;  mais  en  fait,  c'est  autre  chose.  Si  l'administration  préfectorale, 
la  seule  ayant  compétence  et  autorité  en  matière  municipale,  laisse 
dormir  la  loi,  n'invite  pas  les  maires  k  la  faire  respecter,  ferme  les 
yeux  sur  les  infractions  de  plus  en  plus  fréquentes,  paraît  enfin  se 
désintéresser  de  la  chose,  soyez  assuré  que  rien  ne  vaincra  l'inertie 
des  commissions.  Elles  se  sentent  absoutes,  sinon  approuvées,  par 
leur  administration.  L'autre,  la  scolaire,  dans  la  personne  de  l'inspec- 
teur, peut  se  démener,  discourir,  faire  du  zèle  :  toute  sa  peine  est 
perdue;  on  l'écoutera  sans  bouger. 

Le  fait  est  que  la  première  année,  les  commissions  ont  montré 
beaucoup  plus  de  zèle  :  c'est  qu'elles  ne  savaient  pas  alors  si  la  loi 
n'était  pas  pour  de  bon,  si  en  l'éludant  ou  en  la  violant  on  ne  s'expo- 
serait pas  à  quelque  mésaventure.  L'expérience  les  a  rassurées.  Elles 
ont  reconnu  qu'on  en  était  quitte  pour  la  harangue  annuelle  ou  se« 
mestrielle  de  l'inspecteur  :  ce  n'est  pas  la  peine  pour  si  peu  de  «  se 
mettre  mal  »  avec  la  commune. 

Ainsi,  à  mon  avis,  une  action  énergique  de  la  préfecture  et  de  la 
sous-préfecture,  des  circulaires  nettes  et  fermes  de  ton,  l'interven- 
tion fréquente  du  sous-préfet,  au  besoin  quelques  exemples,  quel- 
ques maires  dûment  admonestés,  quelques-uns  suspendus  ou  révo- 
qués, voilà  qui  vaudrait  mieux  que  toute  l'éloquence  et  la  diplomatie 
de  l'inspecteur  primaire.  Les  autorités  municipales  ne  se  retran- 
cheraient plus  derrière  une  incertitude  affectée  ou  réelle  sur  le 
caractère  obligatoire  de  leur  action  :  elles  se  sentiraient  mises  en 
demeure,  surveillées,  elles  comprendraient  que  le  temps  du  confor- 
table laisser  faire  est  passé  et,  comme  on  dit,  elles  marcheraient. 


436  KEVDC   PtDAÛOGkQVK 

Il  y  aurait  aussi,  je  crois,  an  meilleur  parti  à  tirer  d'un  des  prin- 
cipaux ressorts  de  la  loi,  à  savoir  la  délégation   cantonale.  Cette 
idée  de  faire  appel  a  tous  les  hommes  de  bonne  volonté  et  de  leur 
demander  leur  concours  est  juste  et  peut  devenir  féconde.  Mai)» 
encore  laudraitril  stimuler,  entretenir,   récompenser  de  temps  en 
temps  ce  zèle.  Le  meilleur  d*enlre  nous  est  toujours  un  peu  comme 
le  Pharisien  de  rÉvaogiie  qui,  lorsqu'il  faisait  le  bien,  aimait  à  être 
▼u  des  hommes.  Le  délégué,  absolument  laissé  à  lui-même,  finit 
par  se  lasser  d'aller  dans  des  communes  presque  toujours  éloignées 
livrer  cette  bataille  sans  gloire  contre  une-  inertie,  une  mauvaise 
volonté  presque  inviocibles;  le  découragement,  puis  la  résignation 
ne  tardent  pas  à  faire  place  en  lui  au  beau  feu  des  premiers  jours, 
et  bientôt  c*est  tout  au  plus  s'il  visite  ses  communes  une  ou  deux 
lois  Tan,  pour  y  tenir  une  séance  qui  n'est  qu'une  simple  formalité. 
Quelquefois  il  renonce  même  à  cette  visite  annuelle  et  se  désintéresse 
d'une  œuvre  aussi  ingrate.  Son  zèle  serait  bien  autrement  optimiste 
et  persévérant,  s'il   se  sentait   soutenu,  suivi  par  l'administration, 
appuyé  par  ses  collègues.  Que  faudrait-il  pour  cela  ?  Peu  de  chose. 
D'abord  une  ou  deux  réunions  générales  au  chef-lieu,  où  l'inspec- 
teur d'académie  et  le  préfet  marqueraient  aux  délégués  leur  sym- 
pathie, rendraient  témoignage  aux  eflorts  des  plus  zélés,  donneraient 
à  tous  le  sentiment  qu'ils  travaillent  non  pas  dans  le  vide,  mais 
pour  le  bien  et  sous  le  regard  au  pays.  Des  réunions  partielles,  plus 
fréquentes,  au  chef-lieu  d'arrondissement,  seraient  présidées  par  le 
sous-préfet  et  l'inspecteur  primaire  :  le  caractère  de  ces  réunions 
serait  tout  pratique;  on  y  comparerait  les  résultats;  on  discuterait 
les  cas  difficiles;  on   se  consulterait  mutuellement;   enfin,  pour 
employer  une  locution  populaire,  on  se  sentirait  les  coudes,  ce  qui 
est  une  des  conditions  indispensables  de  toute  activité  coUeclive. 
(Chacun  retournerait  dans  sa  chaumière  ravitaillé,  fortifié,  prêt   à 
recommencer  le  bon  combat. 

L'intervention  énergique  de  l'administration  préfectorale,  un  meil- 
leur maniement  de  la  délégation  auraient,  je  n'en  doute  pas,  un 
résultat  excellent.  Cela  suffirait-il  pour  que  l'obligation  cessât  d'être 
une  fiction  et  imssât  d'abord  dans  les  faits  et  puis  dans  les  mœurs? 
h*,  no  le  pense  pas.  La  loi  est  selon  moi  défectueuse  et  il  faudra  en 
venir  à  la  modifier.  Je  m'explique. 

La  pensée  qui  a  manifestement  inspiré  le  législateur  est  profon- 
dément respectable,  généreuse,  libérale  au  premier  chef.  On  y 
sent  la  préoccupation  de  n'entreprendre  que  le  moins  possible  sur 
la  liberté  individuelle  et  pour  cela  de  confier  l'exécution  de  la  loi  à 
ceux-là  mêmes  qui  doivent  la  subir.  On  sent  également  l'esprit  démo- 
cratique au  meilleur  sens  du  mot,  dans  ce  désir  d'intéresser  les  popu- 
lations à  l'œuvre  de  leur  éducation,  de  les  y  faire  participer  active- 
ment au  lieu  de  la  leur  conférer  d'en  haut  comme  un  don  gratuit. 

Cette  conception,  digne  de  tant  d  éloges,  n'est  malheureusement 


LES  COMMISSIONS  SCOLAiaBS  437 

pas  pratique.  Elle  est  entachée  d'un  excès  d'optimisme.  Elle  a  le  tort 
fondamental  de  ne  tenir  aucun  compte  de  l'égoîsme,  ce  vice  humain 
par  excellence  qu'aucun  progrès  politique  ou  social  ne  pourra,  je  ne 
dis  pas  faire  disparaître,  mais  même  diminuer  sensiblement.  Elle 
part  de  cette'  supposition  chimérique  qu'il  existe  dems  chaque  com- 
mune un  groupe  de  personnes  pleines  de  zèle  pour  le  bien  public, 
prêtes  à  lui  tout  sacrifier,  et  que  c'est  justement  parmi  elles  qu'ont 
été  choisies  les  autorités  municipales. 

En  réalité,  c'est  une  vérité  incontestable,  pour  qui  a  vécu  de  la 
vie  rurale,  qu'il  ne  faut  pas  demander  au  maire  et  à  ses  conseillers 
un  tel  effort  de  désintéressement;  ils  préféreront  toujours  d'instinct,  à 
l'œuvre  toute  idéale  de  l'éducation  populaire,  la  paix  de  la  commune 
et  le  soin  de  leur  popularité.  Ce  n'est  donc  pas  à  eux  qu'il  faut  conférer 
l'initiative;  ce  n'est  pas  entre  leurs  mains  qu'il  faut  remettre  la  loi. 

On  le  voit,  bien  loin  de  demander  avec  M.  Dreyfus  «  que  les  pou- 
voirs des  commissions  soient  aussi  étendus  que  possible  »,  que 
leur  initiative  soit  encore  agrandie,  j'estime  qu'il  importe  de  modifier 
la  loi  dans  un  sens  tout  opposé.  Il  faut  retirer  à  la  commission  tout 
autre  pouvoir  que  celui  de  conseil  et  de  contrôle,  dont  elle  usera 
sagement,  et  porter  aux  mains  de  l'inspecteur  primaire  l'initiative, 
le  pouvoir  exécutif,  dont  elle  refusera  toujours  d'user  autrement  que 
ad  pompam  et  ostentationem. 

L'inspecteur  reçoit  tous  les  mois  un  double  des  listes  scolaires 
d'absence.  Il  choisirait,  dans  chacune,  les  noms  de  deux  ou  trois 
pères  de  famille,  les  plus  fautifs,  et  leur  adresserait,  par  le  canal 
de  la  mairie,  un  avertissement  imprimé,  portant  menace  de  citation 
devant  le  juge  de  paix  en  cas  de  récidive.  La  citation  devant  la 
commission,  la  réprimande  et  Taffichage  seraient  supprimés  :  ce  sont 
là  des  moyens  de  répression  beaucoup  trop  paternels;  je  puis  affir- 
mer par  expérience  qu'ils  sont  de  nul  efi'et,  et  tous  mes  collègues 
de  ma  connaissance  ont  fait  la  même  constatation. 

Que  si  le  père  de  famille  ainsi  menacé  ou  frappé  estimait  avoir 
quelque  excuse  valable,  être  dans  tel  cas  spécifié  par  la  loi,  il 
aurait  recours  devant  la  commission,  qui  remplirait  alors  son  natu- 
rel office  de  juridiction  locale,  de  contrôle  et  de  protection. 

Enfin,  en  cas  de  litige  —  qui  serait  infim'ment  rare  —  entre  la 
commission  et  l'inspecteur,  il  appartiendrait  au  préfet  ou  à  son 
administration  de  décider  souverainement. 

Je  crois  qu'une  telle  modification  de  la  loi  aurait  d'immenses 
avantages  et  fort  peu  d'inconvénients. 

Le  principal  inconvénient  serait  le  surcroît  de  travail  imposé  a 
Tinspecteur.  Mais  ce  surcroît  serait-il  bien  considérable?  11  faut  déjà 
que  l'inspecteur  reçoive  et  parcoure  les  listes  d'absence.  11  ne  lui 
faudrait  pas  beaucoup  plus  de  temps  pour  cueillir  les  noms  les  plus 
compromis  et  mettre  sous  bande  les  avertissements  tout  imprimés. 
Il  s'épargnerait  en  revanche  l'inutile  et  impuissante  dépense  de  forces 


438  RSVUE   PÉDAGOGIQUE 

qu'il  fait  en  ce  moment  pour  vaincre  la  résistance  passive  des  com- 
missions. Je  crois  qu'il  gagnerait  au  change. 

L'objection  tirée  des  dangers  de  l'ingérence  de  l'inspecteur  dans 
la  vie  communale  ne  me  paraît  pas  sérieuse.  La  commission  sei-a  lÀ 
pour  contrôler,  adoucir  au  besoin,  arrêter  cette  ingérence,  pour 
empêcher  tout  abus  de  pouvoir. 

Voyez,  en  revanche,  le  bénéfice.  L'exécution  de  la  loi  assurée, 
dans  la  mesure  du  possible,  par  un  fonctionnaire  impartial  et  com- 
pétent, qui  la  comprend  sans  doute  mieux  que  personne.  La  com- 
mission municipale  déchargée  de  l'office  odieux  de  la  répression, 
investie  au  contraire  d'un  mandat  agréable  et  disposée,  par  conséquent, 
à  tenir  des  séances  aussi  fréquentes  qu'il  sera  nécessaire.  Autant 
elle  rechigne  à  présent  devant  l'ingrale  corvée  qui  lui  est  imposée, 
autant  elle  mettra  d'empressement  et  de  bonne  grâce  à  s'acquitter  de 
fendions  propres  à  lui  concilier  le  respect  et  la  reconnaissance  de  tous. 
.  Telles  sont  en  résumé,  monsieur  le  directeur,  les  conclusions  aux- 
quelles m'ont  amené  mon  expérience  et  l'expérience  de  tous  ceux 
de  mes  collègues  qu'il  m*a  été  donné  d'entretenir.  Vous  ne  jugerez 
peut-être  pas  inutile  de  les  placer  sous  les  yeux  de  vos  lecteurs,  en 
regard  de  l'opinion  de  l'éminent  directeur  de  la  Revue  internationale 
de  renseignement. 

Je  vous  prie  d'agréer,  monsieur,  l'expression  de  mes  sentiments 
dévoués. 

h'  Élie  Pécaut, 
Membre  fie  la  délégation  cantonale  des  Basses-Pyrénées, 


LES  COMMISSIONS  D'EXAMEN 


On  nous  écrit  ce  qui  suit  : 

Toulouse,  le  20  avril  1885. 
Monsieur  le  Rédacteur, 

Permettez-moi,  comme  membre  actif  et  dévoué  des  commissions 
chargées  d'examiner  les  aspirants  et  les  aspirantes  aux  divers 
brevets  de  l'enseignement  primaire,  de  soumettre  à  votre  apprécia- 
tion et  à  celle  de  vos  lecteurs  les  inconvénients  fort  graves  qui  me 
paraissent  résulter  de  la  gratuité  de  ces  fonctions.  Je  crois  pouvoir 
le  faire  au  nom  d'un  grand  nombre  de  mes  collègues  qui,  comme 
moi,  n'ont  pas  reculé  jusqu'ici  et  ne  reculeront  peut-être  pas 
davantage  à  l'avenir  devant  la  tâche  qu'on  Impose  à  leur  dévoue- 
ment, mais  qui,  comme  moi  aussi,  sont  persuadés  que  ces  examens 
seraient  beaucoup  mieux  faits  s'ils  étaient  rétribués. 

Cette  rétribution  existe  dans  plusieurs  villes,  sans  compter  Paris 
mais  elle  est  abandonnée  à  la  bonne  volonté  ou  aux   ressources, 
souvent  fort  précaires,  des  Conseils  généraux.  A  Toulouse,  il  n'y  a 


LES  COMMISSIONS  d'examen  439 

même  pas  de  fonds  pour  certaines  nécessités  matérielles  de  Texamen, 
et  la  préfecture  se  borne  à  nous  donner  des  locaux,  souvent  même 
fort  insuffisants. 

Ne  croyez-vous  pas  que  des  commissions  uniquement  recrutées 
en  s'adressant  à  la  bonne  volonté  de  certains  fonctionnaires  risquent 
fort  de  n'avoir  pas  toujours  ni  le  zèle,  nirexactitude,  ni  Thomogénéité 
que  l'administration  serait  en  droit  de  leur  demander  si  ceux  qui 
en  font  partie  recevaient  une  allocation  quelconque?  Il  me  semble 
que,  même  dans  une  société  démocratique  comme  la  nôtre,  rien 
n'empêcherait  de  faire  payer  un  droit  d'examen,  si  minime  fût-il, 
aux  aspirants  et  aux  aspirantes  des  brevets  de  capacité.  Cela  per- 
mettrait d'allouer  des  jetons  de  présence  aux  examinateurs,  tout  en 
couvrant  certaines  autres  dépenses,  sans  grever  le  budget  du  minis- 
tëre  ou  du  département,  et  le  fonctionnement  de  ces  examens,  si 
importants  et  de  plus  en  plus  recherchés,  serait  beaucoup  mieux 
assuré  à  l'avenir.  Je  crois  que  MM.  les  inspecteurs  d'académie  et 
MM.  les  inspecteurs  primaires  seront  tous  d'accord  avec  moi  sur  ce 
point.  D'après  l'enquête  sur  la  réforme  des  brevets  de  capacité, 
publiée  par  le  ministère,  presque  tous  les  fonctionnaires  consultés 
ont  élé  d'avis  qu'on  doit  imposer  un  droit  d'examen  aux  aspirants, 
le  moins  lourd  possible,  à  coup  sûr,  mais  suffisant  pour  rémunérer 
les  examinateurs. 

Or  à  quoi  sert  d'émettre  en  pareille  matière  des  vœux  purement 
platoniques?  Il  faudrait  que  la  commission  du  budget  voulût  bien 
introduire  un  petit  article  dans  la  loi  de  finances,  puisqu'un  droit 
d'examen  constitue  un  impôt,  et  que  tout  nouvel  impôt  doit  être 
voté  par  les  Chambres.  Il  suffirait,  ce  semble,  de  prélever  dix 
francs  par  candidat  pour  le  brevet  élémentaire,  et  vingt  francs  pour 
le  brevet  supérieur;  on  rembourserait,  d'ailleurs,  cette  somme  aux 
plus  pauvres  ou  aux  plus  méritants,  de  façon  à  ne  pas  ôter  a  ces 
examens  leur  caractère  démocratique. 

Si  vous  approuvez  l'idée  que  j'ai  l'honneur  de  vous  soumettre,  je 
vous  serai  reconnaissant  de  bien  vouloir  insérer  ma  lettre  dans 
votre  excellent  recueil  :  peut-être  tombera-t-elle  ainsi  sous  les  yeux 
de  quelques  députés  qui  s'occupent  de  la  question,  et  arriverons- 
nous,  par  eux,  a  convaincre  MM.  les  membres  de  la  commission 
du  budget,  et  à  entraîner,  à  leur  suite,  la  migorité  de  la  Chambre 
et  du  Sénat,  puisque  c'est  de  ces  pouvoirs  que  dépend  uniquement 
le  sort  de  la  solution  que  je  propose. 

Veuillez  agréer,  monsieur  le  rédacteur,  avec  mes  remerciements 
anticipés,  l'assm^ance  de  ma  considération  la  plus  distinguée, 

E.  Hallberg, 

Professeur  à  la  Faculté  des  lettres. 
Membre  de  la  Commission  du  brevet  supérieur. 


LES  ÉfyjLES  ENFAXnXES  EN  SUISSE 


Kn  %knkn\f  ômum  iffuU:  U  SaiMêe,  renfeignemeDl  des  écoles  eoian- 
tineu  ptrftH  ^tre  en  vole  de  progrès.  La  direelioQ  donnée  à  ce  genre 
à'étjfU'M  eftt  hfrttne:  les  maîtresses,  préparées  à  la  pratique  par  un 
Umff  stage,  al^^rdeot  honorablement  une  mission  délicate  et  diffi- 
cile. 

(}fktj*  h  Texp^^rience  acqalse  avant  sa  nomination,  toute  titolaire, 
mise  en  garde  contre  les  préjugés  qui  circulent  sur  Técole  enfan- 
tine, «ait  garder  un  juste  milieu  entre  Técole  proprement  dite  et  la 
garderie. 

Tomber  dans  le  [dernier  excès  est  déplorable  au  point  de  vue  de 
rintelllgence  enfantine  qui,  trop  faible  eneore  pour  se  livrer  à  des 
études  prématurées,  se  fatigue  d'abord  et,  par  la  suite,  prend  l'école 
an  dégoût. 

Dans  le  nocomï  cas,  ces  établissements,  si  précieux  pour  la  pre- 
mU*rn  enfance,  perdent  de  leur  valeur  en  ce  qui  concerne  le  déve- 
lot)pement  normal  des  forces  physiques;  l'Indiscipline  règne  dans 
rec(;le  f't  les  facultés  intellectuelles  elles-mêmes  courent  grand 
risque  d'Atre,  en  quelque  sorte,  atrophiées. 

Clés  diftéronts  genres  d'abus,  vers  lesquels  les  directrices  des  écoles 
maternelles  françaises  font  si  souvent  écueil,  me  paraissent  n'avoir 
eus  auMMi  HoigiiouMemont  évités  en  Suisse,  et  particulièrement  à 
Gonèvc,  que  par  Tapplicalion  d'une  méthode  ingénieuse,  simple, 
blnn  appropri<^e  aux  besoins  de  l'enfance  et  dont  le  personnel  ensei- 
gnant imrau  avoir  parfaitement  saisi  l'esprit. 

flimo  f\Q  porlugall,  inspectrice  des  écoles  enfantines  du  canton  de 
Genève,  dans  des  conférences  nombreuses  faites  aux  maîtresses, 
leur  <lonne  des  conseils  pédagogiques  précieux,  complétés  par  des 
cours  très  IntéresHants  où  elle  leur  apprend  à  enseigner  les  occu- 
pations dr  Fnrbel  m\  n\(^me  temps  qu'à  copier  et  à  créer  une  quan- 
tlt(^  de  petits  ouvrages  que  chacune  collectionne  ensuite  méthodi- 
qut^mont. 

De  plus,  dans  ses  inspections,  M»*  de  Portugall  a  l'habitude,  lors- 

1U0  In  maitn^sse  en  témoigne  le  désir,  de  prendre  elle-même  la 
irertion  do  Tc^cole,  procédé  excellent  à  l'aide  duquel  elle  montre  la 
mise  en  pratique  des  théories  exposées  dans  ses  conférences. 

Ainsi  guid(W)s  les  dii\)ctriccs  peuvent  marcher  rapidement  et  avec 
suivit^  vers  lo  succès.  Leurs  hésitations  sont  notablement  diminuées 
au  prolU  du  bon  oniro  et  à  l'avantage  des  écoliers.  Quant  aux  résul- 


LKS  ÉCOLES  ENFANTINES  EN  SUISS£  441 

tats  obtenus,  ils  sont  de  nature  à  permettre  aux  élèves  de  suivre 
avec  fruit,  à  l'heure  venue,  les  cours  de  l'école  primaire.  J'oserai 
même  dire  qu'ils  y  deviennent  les  collaborateurs  de  la  maîtresse, 
collaborateurs  d'autant  plus  conscients  et  intelligents  qu'on  a  su 
davantage  exciter  leur  curiosité  et  diriger  leur  esprit  dans  la  voie 
de  la  découverte  de  la  vérité. 

L'emploi  du  temps  suivi  dans  chaque  école  enfantine  est  absolument 
le  même  pour  tout  le  canton  de  Genève.  Rédigé  conformément  au  vœu 
de  la  nature,  il  assure  aux  organes  l'exercice  nécessaire  à  leur  déve* 
loppement,  sans  négliger  pour  cela  la  culture  des  facultés  intellec- 
tuelles et  morales.  Les  écoles,  du  reste,  bien  pourvues  en  mobilier 
scolaire,  ont  en  outre  à  leur  disposition  un  matériel  d'enseignement 
assez  riche  pour  permettre  aux  maîtresses 'de  faire  exécuter,  dans 
leur  intégrité,  les  occupations  frœbeliennes;  elles  gardent  ainsi 
l'unité  de  la  méthode  et  en  respectent  l'esprit  pédagogique. 

Une  application  ainsi  entendue  offre  les  avantages  d'un  enseigne- 
ment varié,  condition  fondamentale  de  succès  à  Técole  maternelle  où 
il  ne  faut  jamais  perdre  de  vue  l'extrême  mobilité  de  l'enfant. 
Veut-on  obtenir  de  lui  une  attention  soutenue,  non  contrainte, 
mais  naturelle  et  assurée,  il  faut  lui  fournir  l'occasion  de  satisfaire 
souvent  à  ce  besoin  de  mouvement  qui  chez  lui  est  chose  éminem- 
ment physiologique. 

Partant,  on  fait  de  l'activité  l'élément  d'un  système  d'éducation 
dans  lequel  elle  est  utilisée  en  faveur  des  sens  et  ceux-ci  eux-mêmes 
perfectionnés  au  profit  de  l'iutelligence. 

Le  sectionnement  à  l'école  maternelle  est  ainsi  opéré  : 

1"^  division:  enfants  de  cinq   à  six    ans, 

2^        —        enfants  de  quatre  à  cinq  ans, 

3®       —        enfants  de  trois  à  quatre  ans. 

Les  exercices  du  matin  durent  de  neuf  à  onze  heures.  Ils*  recom- 
mencent l'après-midi  à  deux  heures  et  se  terminent  à  quatre. 

Dans  la  première  division,  on  fait  régulièrement  deux  causeries 
par  semaine  :  l'une  traite  de  l'histoire  naturelle,  l'autre  a  pour  sujet 
une  question  de  morale.  Le  reste  du  temps  se  partage  entre  rensei- 
gnement de  la  lecture,  de  l'écriture  et  les  occupations  de  Frœbel. 
Ces  dernières  sont  toujours  en  rapport  avec  la  causerie  dont  elles 
sont  le  développement  concret. 

Les  travaux  ordinaires  pratiqués  à  l'école  enfantine  suisse  con- 
sistent en  pliage,  découpage,  tissage,  collage,  piquage,^  broderie, 
parfilage,  jeux  avec  le  sable,  modelage,  confection  de  chaînes,  enfi- 
lage de  perles,  dessins  sur  cartons  à  l'aide  de  boutons  ou  de  surfaces 
de  couleurs  différentes,  constructions  avec  cubes,  bâtonnets  ou  sur- 
faces, jeux  de  balles,  entrelacement  de  lattes  et  combinaisons  de 
cercles. 

Les  exercices  du  matin  sont  interrompus  par  le  déjeuner  auquel 
on  consacre  un  quart  d'heure.  La  rentrée  s'effectue  ensuite  silencieu- 


A#  <A  M^'p'M/^  €^^Urtn  Xg^  Art4i>:.  Shm  wxj'.ûr  ic?»  k£  mie 
f^/i4*  fmUtf*^'>,,  V;w  yfi^^0TitA  Ik  let  ittV>*^y.r  fiai  rîTcaeat,  <a 

mI(^  ou  6f,  UêfffHUif  fifé  un  W0ÎI  %4ï«ikiiM«it  pkfier  les  anhmgr, 
nuM^%  Uc^  ttê^fn^,  fX  \<m  prfi^  ffSuffÂ%  utx  ons  ^t  aux  antres  vn 
imi^Hif^  ^^rtfffffUft  t\ià'î  pt!rtf$à!l^  yu  ^rzempk,  â  laDimal  de  tenir  cod- 
¥0ff%iitUffi  it¥^A  UiH  \i^mtUi%  #4  réelproqoeflieot.  On  ina  même  joaqv'à 
ipUf  il/fi^  A$t  lu  rHï*i%Urti  aux  ré^Hàax  ;  on  les  i oppose  coopables  de 
i'ÀtriMUin  Hé;iâm  t$iMUftiin  qti'fm  leur  fait  commettre  et  poar  lesqaels 
Ml  Uur  nitrUftên  t^nnu'iU'.  un  fn//tivem^ot  de  repentir  comme  si  les 
rUtumn  MMti'Ui  AnuhM  A*uuti  amncïtnce  morale;  tout  cela,  sans 
HiifMfm  ^KplkMUtfi  pr^IaMe  ayant  paur  objet  d'avertir  l'enfant  que 
1'^  tMl  ti't\ni  qu'une  fnhh*  dont  on  veut  tirer  une  conclusion,  mais 
HU'ni  rM\U^  \m  i'hn%4m  m  na  pa»»ent  jamais  ainsi. 

(Jwmi  k  In  curioull/t  (k  l'onfant,  elle  est  assez  habilement  excitée 
pour  qiin  Mon  l'fiprll  rnnU*  animé  du  désir  ,  de  connaître  :  on  sait 
dvitlllAr  rlMi/  lui  lo  Jugement  en  provoquant,  à  l'occasion,  la  donnée 
A'mrn  il^llnlllon  qu'il  tire  de  l'aspect  mémo  des  choses  mises  entre 
«MM  innluM.  Il  tint  contraint  do  trouver  par  lui-même  et  de  faire 
MpliMJ  |iluhU  U  Non  IntnlUgenco  qu'à  sa  mémoire. 

l/iuifanl  Nombln  né  exclusivement  pour  agir  ;  pourquoi  donc 
na  pAA,  ullIUtir  rntlo  nrlivité  incessante  pour  orner  son  esprit 
dn  (lonnAlNNiinons  phu  a^réablob  et  plus  faciles  à  acquérir  par  le 
iihiréili^  hilulllf  miti  pnr  U  routine  inintelligente  à  laquelle  on  Ta  si 
iunKloiu|m  (Mintnunt  .' 

l/hunniio  (\prunv(t  lo  beiioin  de  tout  transformer  autour  de  lui  : 
unit  iihMuli'^h^  luUltiti(M)  nu  travail  et  à  Tart  s'oflhre  à  l'enfant  dans 
Ion  oooii|mll(iuii  IVa^boUonnoM  :  exerçons-le  de  bonne  heure  à  pro- 
ilulhs  i\  lh\oii(or.  ot  nit^uio  A  apprtWier  les  avantages  de  Tordre  et 

1.0  Jou  don  ImlloM.  |mr  «i\omplo«  appelle  d*abord  l'attention  sur  la 
t\mm  \  Il  fHll  J«^llltr  U  himii''rt(i  d<»s  paroles;  je  veux  dire  qull  peint 
loi  \\\\\U  ou\-iu<^n\0)i  on  obligt^nt  Tenfant  à  se  n^ndre  compte  de 
lour  N^nllUMlUui  i^ir  U  ooiui^urtison  que  le  $eus  de  la  vue  lui  permet 
4'i^Ubhr  onli"^  lo»  oI\j|oIa  ol  lo«  mois  qui  les  désignent.  CVst  ainsi 
\)U'un  oxoivl^v  d'Ap|H^iviuv  un  |vu  m^kanique  peut  ^tre  transformé 
«^u  \iuo  loywu  do  lîivviuoirio  (Kviil  U  maitn*$;s^  lait  ensuite  découler 


LES  ÉCOLES  ENFANTINES  EN   SUISSE  443 

Il  ea  est  de  même  des  constructions  :  Tenfant  ne  doit  pas  toijyours 
copier  la  maîtresse.  Après  quelque  temps  d'exercice,  il  atteint  un  cer- 
tain degré  d'habileté  ;  alors  on  peut  lui  permettre  d'essayer  ses  forces, 
de  représenter,  à  sa  façon,  un  objet  désigné,  en  tenant  compte  de 
rembarras  qu'il  éprouve  et  en  ne  le  guidant  qu'en  raison  directe  des 
dlfficuUés  qu'il  rencontre  et  de  l'impossibilité  dans  laquelle  il  serait 
d'arriver  à  son  but  sans  l'intervention  de  la  maîtresse.  Cependant,  il 
est  important  de  ne  lever  qu'à  demi  le  voile  afin  de  laisser  k  l'en- 
fant le  plaisir  de  la  découverte.  Par  ce  moyen,  on  active  d'autant 
plus  rapidement  les  progrès  que  deux  esprits  sont  à  la  recherche 
de  la  vérité,  celui  de  la  maîtresse  et  celui  de  l'élève. 

Les  exercices  de  pliage  habituent  l'enfant  à  faire  avec  soin,  pro- 
preté et  exactitude  le  travail  qui  lui  est  demandé. 

Le  découpage,  dans  lequel  on  ne  voit  souvent  qu'une  occupation 
Fécréative  et  gymnastique  propre  à  faire  acquérir  l'adresse  des  doigts, 
ne  sert  pas  seulement  à  donner  de  la  dextérité  à  la  main;  il  fournit 
encore  le  moyen  de  faire  connaître  à  l'enfant  les  lois  les  plus  élé- 
nientaires  de  la  symétrie  et,  au  point  de  vue  du  goût,  il  peut,  dans 
une  certaine  limite,  développer  chez  lui  le  sentiment  de  l'esthétique; 
il  en  est  de  même  pour  toutes  les  autres  occupations.  L'important  est 
de  savoir  graduer  les  difficultés. 

J'avoue  néanmoins  que  le  système  d'éducation  employé  par  Frœbel, 
pour  être  fructueusement  appliqué,  réclame  de  la  part  de  la  maî- 
tresse, outre  une  étude  particulière  et  approfondie,  beaucoup  d'ini- 
tiative personnelle  en  même  temps  qu'une  activité  d'intelligence 
directement  en  rapport  avec  les  vues  du  grand  pédagogue,  c'est-à-dire 
visant  à  faire  à  la  fois  de  Fenfant  un  penseur  et  un  travailleur.  A 
ce  double  point  de  vue,  il  importe  d'être  animé  du  même  esprit 
pédagogique  que  l'auteur  afi^  de  ne  point  laisser  dégénérer  l'ensem- 
ble de  ces  procédés  intelligents  en  un  froid  mécanisme  dans  lequel 
disparaîtrait  le  fond  de  la  méthode  dont  il  ne  resterait  plus  que  la 
forme,  c'est-à-dire  le  côté  extérieur. 

Eu  paicourant  les  cantons  de  Zurich  et  de  Lucerne,  j'ai  pu  me 
rendre  compte  d'un  genre  d'organisation  en  réalité  très  différent  de 
celui  que  je  viens  de  décrire. 

I^s  procédés  employés  dans  les  écoles  enfantines  de  la  Suisse 
allemande,  sont  toujours  ceux  de  Frœbel,  mais  ils  ne  sont  point 
complétés  par  l'enseignement  de  la  lecture,  de  l'écriture  et  du 
calcul.  Ces  sortes  d'établissements  sont  plus  spécialement  désignés 
sous  le  nom  de  Jardins  d'Enfants. 

Ce  nom,  du  reste,  leur  convient  particulièrement  bien  et  peint 
admirablement  le  milieu  dans  lequel  se  trouve  l'élève.  Ici  se  présente 
l'idéal  de  l'éducation  première  telle  que  l'entendait  Frœbel,  dont  le 
rêve  était  de  placer  l'enfant  dans  un  milieu  où  il  aurait  la  vue  des 
champs,  des  jardins,  et  où  il  pourrait  même  cultiver  des  Heurs.  Tout 
cela,  l'heureuse  situation  du  pays  l'offre  à  la  profusion  et  la  maîtresse 


444  REVUE   PÉDiGOGIQUI 

sait  en  profiter.  Lorsque  le  temps  le  permet,  toute  la  bande  enfan- 
tine, tambour  en  tête,  fait  joyeusement  l'ascension  d'une  montagne 
ou  se  livre  en  pleine  campagne  à  des  jeux  salutaires.  On  procède 
aussi  parfois  à  une  herborisation  ;  les  plantes  recueillies  sont  utilisées 
au  décor  des  jeux  de  sable  exécutés  à  l'école  même  et  le  plus 
souvent  à  la  suite  d'une  causerie  après  laquelle  l'élève  représente 
avec  du  sable  le  lieu  dépeint  par  la  maltresse  dans  son  histoire.  Ce 
genre  de  travail,  très  intéressant,  donne  à  l'élève  une  certaine  ini- 
tiation artistique.  Parfois  on  rapporte  de  la  promenade  quelques 
échantillons  des  produits  de  cette  belle  nature,  des  minéraux,  de 
simples  fragments  de  roche;  tout  cela  collectionné  dans  une  vibrine 
sert  de  complément  à  la  leçon  orale.  Ces  divers  objets  deviennent 
tour  à  tour  les  sujets  d'entretiens  familiers. 

Le  matériel  d'enseignement  à  l'usage  des  jardins  d'enfants  est  le 
même  que  celui  des  écoles  enfantines  du  canton  de  Genève.  L'ameu- 
blement seul  diiTère  en  ce  que  les  sièges,  au  lieu  d'être  des  bancs, 
sont  des  chaises.  Quant  à  l'estrade,  elle  est  également  supprimée. 
Durant  la  causerie,  les  élèves  sont  placés  de  façon  a  former  un  demi- 
cercle  en  face  duquel  s'assied  la  maîtresse.  S'agit-il  de  procéder  à 
quelque  occupation,  chaque  enfant  prend  place  auprès  d'une  table 
horizontale  et  non  oblique,  assez  large  pour  être  occupée  des  deux 
côtés  à  la  fois. 

J'ai  constaté  également,  parmi  les  travaux  des  élèves  les  plus 
avancés,  quelques  solides  géométriques  en  carton  de  couleurs  variées 
et  d'une  forme  rigoureusement  exacte  ;  mais  l'exécution  de  ces 
solides  réclame  une  précision  et  une  habitude  telles  que  les  petits 
artistes  du  jardin  d'enfants  ne  s'en  tirent  honorablement  qu'avec  le 
secours  de  la  maîtresse. 

Tels  sont  les  principaux  faits  que  j'ai  pu  observer  dans  mon  récent 
voyage  en  Suisse — 

C.  Lapéry. 
Saint-Étienne,  janvier  1885. 


LES  EXERCICES   CALLISTHENIQUES 


Dans  l'ouvrage  qu'il  vient  de  publier  sur  Finstruction  primaire 
aux  Etats-Unis  (1),  M.  Paul  Passy  indique  que  des  exercices  calUs- 
théniques  sont  pratiqués  dans  les  écoles  américaines.  Il  nous  parai  t 
intéressant  de  donner  quelques  explications  au  sujet  de  ces  exer- 
cices. 

*  Nous  empruntons  au  Rapport  sur  V Exposition  de  Philadelphie  (2) 
les  renseignements  suivants  :  «  Les  exercices  callisthéniques  sont  un 
usage  propre  aux  écoles  américaines.  Ce  sont  des  exercices  analogues 
à  ceux  de  notre  gymnastique  de  mouvement,  mais  ils  sont  accom- 
pagnés de  musique,  quelquefois  de  chant,  et  entremêlés  de  jeux  qui 
appartiendraient  presque  autant  à  Técole  de  danse  qu'au  gynmase. 
Plusieurs  fois  par  jour,  pendant  les  récréations,  les  enfants  se  réu- 
nissent dans  la  reception-^oom  et,  à  son  défaut,  dans  la  salle  de  classe 
momentanément  transformée  en  salle  de  gymnastique.  La  maîtresse 
se  met  au  piano  et  joue  un  air.  Garçons  et  filles  se  placent  sur  plu- 
sieurs rangs,  entonnent  les  chants  et  commencent  une  série  d'exer- 
cices rythmés  dont  le  piano  seul  donne  le  signal  et  règle  la  cadence. 
Tantôt  ce  sont  des  exercices  sur  place  :  flexions  des  bras  et  de  l'avant- 
bras,  des  jambes,  du  cou,  positions  diverses  tendant  à  exercer  les 
muscles  de  la  poitrine,  etc.  ;  tantôt  des  marches  et  contre-marches 
qui,  pour  pouvoir  se  faire  avec  un  gi*and  nombre  d'élèves  dans  un 
local  restreint,  exigent  autant  d'ordre  et  de  précision  que  les 
manœuvres  de  l'école  de  peloton. 

»  Les  jeunes  filles  prenant  toujours  part  à  ces  exercices  avec  les 
garçons,  ou  plutôt  ces  exercices  étant  essentiellement  faits  pour  elles, 
on  les  a  réduits  aux  mouvements  les  plus  élémentaires,  les  plus 
doux,  on  en  a  banni  tous  ceux  qui  ne  conviendraient  qu'aux  gar- 
çons. Comme  le  mot  l'indique,  c'est  d'abord  la  beauté,  la  grâce,  la 
souplesse  élégante  des  mouvements  que  l'on  a  eues  en  vue  dans  cette 
gymnastique  de  salon,  au  moins  autant  que  la  vigueur  et  la  santé.  » 

Telle  est  la  nature  des  exercices  callisthéniques.  Sont-ils  bien  un 
<t  usage  propre  »  aux  écoles  des  Etats-Unis?  Constituent-ils  un  art 
nouveau  imaginé  par  les  Américains?  En  un  mot,  quelle  est  l'origine 
de  la  callisthénie?  Comment  a-t-elle  pris  place  dans  les  programmes 
d'éducation  physique? 

Si  nous  consultons  les  ouvrages  et  documents  relatifs  à  l'ensei- 

(1)  La  Revue  a  inséré  un  compte-rendu  de  cet  ouvrage  dans  sa  livraison  du 
15  mars  1885. 

i2)  Rapport  suri' Exposition  de  Philadelphie,  par  M.  F.  buisson;  Imprimerie 
nationale. 


448  REVUE    PÉDAGOGIQUE 

adoptée  dans  les  écoles  allemandes,  ainsi  que  Ton  en  jugera  par  la 
description  ci-dessous  d'exercices  exécutés  devant  M.  Eugène  Paz 
dans  rAllemagne  du  Nord:  a  Les  jeunes  filles,  correctement  alignées, 
prennent  gravement  leur  pas  de  distance  ainsi  que  des  conscrits 
qui  se  disposent  à  faire  Técole  du  soldat  ;  on  ouvre  les  rangs 
comme  dans  nos  trois  premières  leçons  de  peloton  ;  les  mignonnes 
travailleuses  sont  armées  de  la  barrette  de  fer  traditionnelle  qu'elles 
meuvent  en  tous  sens,  tout  comme  les  garçons  leurs  émules  ;  elles 
aussi  exécutent  avec  la  plus  irréprochable  ponctualité  des  demi-tours 
et  des  volte-faces  dignes  du  meilleur  de  nos  grenadiers  ;  mais 
insensiblement  les  distances  se  rapprochent,  les  mains  s'enlacent, 
les  bras  s'élèvent  comme  des  guirlandes  de  fleurs,  les  rangs  se 
pressent,  se  croisent  et  se  traversent  avec  une  harmonieuse  symétrie  ; 
les  pointes  des  pieds  se  dressent  et  effleurent  à  peine  le  sol  ;  le  joueur 
d'harmonium  indique  le  rhythme  et  le  spectateur  se  trouve  comme 
par  enchantement  transporté  en  pleines  régions  du  ballet  de  l'Opéra. 
Les  poses  les  plus  gracieuses,  les  pas  les  plus  hardis,  les  jetés-battus 
les  plus  imprévus,  la  valse,  le  galop,  la  mazurka,  toutes  les  cadences 
se  succèdent  avec  un  entrain,  un  ensemble  et  une  gi'âce  char- 
mantes (1)...  y> 

Une  description  aussi  séduisante  n'engage-t-elle  pas  à  demander 
l'introduction  d'exercices  analogues  dans  nos  écoles  de  filles  ? 
L'examen  de  cette  question  nous  ferait  sortir  du  cadre  de  ces 
simples  observations.  Nous  avons  seulement  voulu  montrer  que 
notre  système  d'éducation  physique  contient  peut-être  une  lacune 
entre  la  gymnastique  et  la  danse.  Nous  appelons  sur  ce  point 
Tattention  des  personnes  compétentes. 

R.  Sabatié. 


(1  )  Rapport  sur   renseignement  de  la  gymnastique  en  Allemagne,  en  Au- 
triche, en  Belgique  et  en  Hollande,  par  Eugène  Paz  (1868). 


ENCORE  LES  CAHIERS  DE  DEVOIRS  MENSUELS 


L'inspecteur  d'académie  des  Basses-Alpes  s*est  fait  envoyer  par  la 
poste  les  cahiers  mensuels  de  50  écoles.  Nous  croyons  utile  de 
résumer  les  principales  observations  auxquelles  l'examen  de  ces 
cahiers  a  donné  lieu. 

«  Dans  un  grand  nombre  d'écoles,  dit-il,  les  maîtres  et  maitressen 
font  inscrire  chaque  mois  au  cahier  mensuel  un  devoir  sur  chacune 
des  matières  du. programme;  il  en  résulte  qu'au  bout  de  très  i;eu 
de  temps  le  cahier  se  trouve  rempli  et  l'élève  est  obligé  de  le  renou- 
veler deux  ou  trois  fois  dans  Tannée,  ce  qui  n'est  pas  sans  incon- 
vénients. Toutes  les  branches  du  programme  doivent  certainement 
être  représentées,  mais  il  faudrait  que  Ton  s'arrangeât  de  façon  à 
ce  que  le  cahier  mensuel  pût  suffire  pour  l'année  entière  ;  il  n'y 
aurait  pour  cela  qu'à  répartir  les  matières  en  deux  groupes;  le 
premier  groupe  comprendrait  par  exemple  la  grammaire,  le  calcul, 
la  rédaction  française,  Thlstoire  et  la  géographie  ;  le  second  groupe, 
l'instruction  morale  et  civique,  les  sciences  physiques  et  naturelles, 
l'écriture  et  le  dessin. 

»  Les  devoirs  du  premier  groupe  figureraient  tous  les  mois  et 
ceux  du  second  groupe  tous  les  deux  mois. 

»  Le  choix  des  devoirs  laisse  quelquefois  à  désirer,  surtout  pour 
la  dictée  et  la  composition  française.  Les  dictées  sont  souvent  trop 
longues  et  trop  difficiles;  nous  en  avons  trouvé  qui  renfermaient 
jusqu'à  33  et  40  fautes.  Les  maîtres  et  maîtresses  ne  devraient  pas 
oublier  que  lorsque  l'élève  fait  plus  de  8  à  10  fautes  dans  la  dictée, 
il  n'en  retire  aucun  profit.  Quant  aux  sujets  de  style,  ils  doivent  en 
général  être  empruntés  au  milieu  dans-  lequel  vit  l'enfant.  Celui-d 
ayant  à  parler  de  choses  qui  lui  sont  familières  trouve  plus  faci- 
lement des  idées  et  s'habitue  peu  à  peu  à  les  exprimer  correctement. 

»  Quelques  instituteurs  et  institutrices  se  contentent  de  souligner 
les  fautes  et  ne  donnent  pas  de  note  pour  l'ensemble  de  chaque 
devoir  ;  il  y  a  là  une  véritable  négligence  en  même  temps  qu'un 
oubli  des  instructions  ministérielles  contenues  dans  la  circulaire  du 
25  août  1884. 

»  Toutes  les  fautes  doivent  être  soulignées  et  corrigées  à  l'encre 
rouge  ;  elles  doivent  en  outré  être  indiquées  à  la  marge.  » 

L'inspecteur  d'académie  des  Basses-Alpes  recommande  l'emploi 
du  cahier  modèle  qui  n'est  aujourd'hui  en  usage  que  dans  un  certain 
nombre  de  classes.  Les  dispositions  de  ce  cahier  ne  peuvent  que 
rendre  plus  facile  la  tâche  des  maîtres  et  maîtresses. 

Nous  lisons  d'autre  part  dans  le  Bulletin  départemental  de  rVcnnê  t 

sBvui  rÉDASoeiQui  1885.  —  !•'  sul  f9 


4S0  EEVUK  PÉDAGOOIQUE 

c  Quelques  maîtres  ne  s'occupent  pas  avec  assez  de  soin  des  cahiers 
de  scolarité.  Nous  ne  saurions  trop  les  engager  à  relire  les  instruc^ 
tiens  contenues  au  Bulletin  n<>  126  et  à  s'y  conformer  de  leur  mieux, 
surtout  pour  le  choix,  la  gradation,  le  nombre  des  devoirs  inscrits 
et  le  retour  périodique  et  mensuel  des  exercices  de  chaque  cours. 

9  Personne  ne  méconnaît  les  grands  services  que  cette  modeste 
institution  scolaire  est  appelée  à  rendre,  il  ne  Oaut  pas  perdre  de 
vue,  en  outre,  que  c'est  avant  tout  par  leurs  collections  de  cahiers 
de  devoirs  mensuels  que  les  écoles  et  les  circonscriptions  académiques 
seront  représentées  à  TExposition  universeUe  de  1889.  Ainsi  on  peut 
être  certain  que  dans  quatre  ans  tous  ces  cahiers  seront  recueillis 
et  expédiés  tels  quels,  pour  être  comparés  à  ceux  des  autres  écoles, 
des  autres  départements,  et  même  des  autres  nations.  » 

Disons  encore,  pour  terminer,  comment  on  a  essayé  de  procéder 
méthodiquement,  dans  l'arrondissement  de  Saint-Quentin,  à  Texa- 
men  des  cahiers  qui  sont  adressés  chaque  mois  à  Tinspecteur  pri- 
maire par  quelques  instituteurs.  Un  comité  spécial  a  rédigé  un 
questionnaire  qui  se  recommande  à  l'attention  de  nos  lecteurs.  Des 
notes  correspondant  aux  diverses  questions  sont  transmises  aux 
intéressés  par  les  soins  de  l'inspecteur  primaire.  Voici  le  question- 
naire en  question  : 

<  1<>  Suit-on  l'ordre  indiqué  dans  les  conférences  d'octobre  1884 
et  au  Moniteur  scolaire  du  1«'  décembre  1884? 

2<*  Les  devoirs  correspondent-ils  aux  indications  des  programmes 
mensuels  ? 

3^  L'initiative  du  maître  se  fait-elle  sentir  dans  le  choix  des 
devoirs? 

4^  Les  devoirs  dans  chaque  cours  sont-ils  toi^ours  appropriés  à 
la  force  des  élèves  ? 

15^  Les  devoirs  sont-ils  trop  longs  ou  trop  courts  ? 

ef^  Ont-ils  pu  être  faits  dans  la  durée  fixée  par  l'emploi  du  temps 
pour  une  leçon  correspondante  ? 

70  Ont-ils  été  précédés  d'une  préparation  trop  longue  ? 

S^  Paraissent-ils  être  le  travail  personnel  de  l'élève? 

9*  Les  cahiers  sont-ils  proprement  tenus? 

10*  Les  devoirs  sont-ils  corrigés  et  suffisamment  annotés  par  le 
maître  ?  3 

A.  B. 


LA  PRESSE  ET  LES  LIVRES 


Les  pensionnaires  de  collège  chez  les  Oratoriens  de  Troyes  av 
xviii^  siècle,  par  M.  Gustave  Carrée  professeur  agrégé  d'histoire  au 
lycée  de  Reims  ;  iii-8^  de  18  pages,  Reims,  Imprimerie  coopérativot 
1884.  —  Cette  brochure  est  la  reproduction  d'une  lecture  £aite  par 
le  jeune  et  spirituel  professeur  à  la  séance  publique  annuelle  de 
l'Académie  nationale  de  Reims,  le  17  juillet  de  Tannée  dernière* 
L'étude  de  M.  Carré  est  viye,  amusante,  et  nous  donne  des  détails 
curieux  sur  l'intérieur  d'un  collège  du  xviii*  siècle. 

A  quel  r^me  étaient  soumis  les  pensionnaires  des  Oratoriens  de 
Troyes?  M.  Carré  nous  le  fait  connaître  par  le  menu,  et  il  faut  con- 
yem'r  qu'au  point  de  vue  du  bien-^tre  matériel  il  égalait,  s'il  ne 
dépassait  pas,  nos  internats  actuels  les  plus  aristocratiques.  Voici, 
par  exemple,  le  chapitre  de  la  nourriture  : 

a  C'est  une  idée  généralement  reçue,  dit  M.  Carré,  que  les  pen- 
sionnaires du  temps  passé  n'avaient  aucune  idée  des  douceurs  culi-- 
naires  dont  on  gratifie  le  collégien  d'aujourd'hui.  N'en  déplaise  à  nos 
économes  et  à  nos  chefs  d'institution,  la  table  des  Pères  du  collège 
de  Troyes  était  peut-être  supérieure  à  la  leur. 

»  Le  déjeuner  du  matin  se  composait,  non  pas  de  l'inévitable 
panade  et  du  classique  morceau  de  pain  sec,  mais  d'un  petit  pain 
moloiy  bien  frais  et  bien  tendre,  accompagné  d'une  tasse  de  lait  pur 
au  printemps  et  en  été,  de  châtaignes,  de  pon[mies,de  pruneaux  et 
de  fruits  secs  en  hiver  et  en  automne. 

»  Le  fond  du  diner  et  du  souper  consistait,  comme  de  nos  jours, 
en  viande  de  boucherie,  en  poisson,  en  œufs,  en  légumes.  On  forçait 
sur  la  morue  et  les  harengs  au  saint  temps  du  Oéiréme.  Mais  avec 
quel  art  consommé  les  Pères  savaient  faire  prendre  à  leurs  pension- 
naires  leur  mal  en  patience!  C'était  justement  au  temps  de  la 
morue  et  des  harengs  qu'on  voyait  apparaître  le  plus  fréquemment 
sur  la  table  du  réfectoire  les  anchois,  le  thon  mariné,  le  saumon, 
les  tourtes  maigres,  les  petits  pâtés  en  poisson,  les  tartelettes  en 
confitures,  les  échaudés,  les  beignets  de  riz  et  de  figues,  etc.  (1). 

»  Chaque  saison  apportait,  du  reste,  avec  elle  ses  variantes  dans 
la  carte  du  jour.  En  hiver,  la  charcuterie  troyenne  se  présentait  avec 
honneur  sous  forme  de  boudins,  d'andouillettes,  de  saucisses,  de 
cervelats,  de  jambons,  de  hures,  de  langues  fumées  (2).  En  été,  à 

(1)  Archives  de  TAube,  D.  50,  53,  54,  55,  57,  etc.  [Mémoires  des  fimmi/fm 
seurt  du  coUège.) 

(2)  Archlfes  de  l'Aube,  D.  66,  68,  etc 


4S2  ABTUS  PtlIAfiOGIQm 

l'époque  des  finit ^^  on  te  niait  en  cuisine.  C'étaient  des  tourtes  en 
raisins  et  en  abricots,  des  tartes  en  prunes,  des  pâtés  en  cerises  et 
en  ijoires.  Le  chef  mettait  au  feu  toutes  ses  bassines,  car  la  saison 
des  fraise»,  des  framboises  et  des  groseilles  était  aussi  celle  des 
confitures  (i).  —  11  ne  se  présentait  pas  dans  le  courant  de  l'année 
de  jour  quelque  peu  solennel,  qoe  les  Pères  ne  se  crussent  obligés 
de  le  fêter  par  un  plat  qui  sortît  de  l'ordinaire  :  par  des  pâtés  de 
?eau  ou  de  dinde,  d3s  pétés  chauds  de  côtelettes  de  mouton.  Au 
besoin  on  s  adressait  à  un  pâtissier  de  profes>ion,  et  celuî-d  four- 
nissait, par  nombreuses  douzaines,  des  petits  pât^,  des  godiveaux, 
des  choux  glacés,  des  biscolios,  des  croquantes,  des  bi>cuits.  Pour 
peu  que  le  saint  fût  en  grande  vénération  dans  le  diocèse,  on  ajou- 
tait à  la  carie  des  frangipanes,  des  plats  de  chinoises,  des  puits 
d'amour  couverts  de  caramels  filé,  etc.  —  11  y  avait  cependant  des 
(êtes  dont  la  célébration  restait  à  la  charge  des  pensionnaires.  Telles 
étaient  la  Saint-Nicolas  et  l'Epiphanie,  qui  se  fêtaient  à  grand  renfort 
de  pâtisseries  et  où  le  bon  vin  coulait  autrement  qu'^n  abondance  (2).  » 

Bien  nourris,  bien  tournés  aussi^  les  élèves  des  Oratoriens,  et 
formés  à  toutes  les  belles  manières. 

«  Nous  ne  nous  arrêterons  pas,  dit  M.  Carré,  â  cet  article  du  vieux 
règlement,  qui  recommandait  aux  jeunes  gens  de  changer  de  sou- 
liers tous  les  jours,  de  linge  deux  fois  la  semaine,  de  bas  le  plus 
souvent  possible.  C'est  ce  qui  se  passe  encore  aujourd'hui.  La  pro- 
preté est  de  tous  les  siècles.  Mais  là  où  le  vieux  règlement  difiTère 
singulièrement  du  nôtre,  c*est  quand  il  ajoute  :  «  Tous  les  soirs  on 
•  met  des  papillotes,  et  tous  les  matins,  pendant  la  première  étude, 
»  on  se  fait  peigner  et  iguster.  Les  jours  de  dimanche  et  de  fêtes, 
»  et  lorsqu'on  doit  sortir  en  ville,  on  s'habille  plus  proprement  qu'à 
»  Tordinaire;  on  se  fait  faire  les  cheveux  par  le  perruquier  de  la 
»  maison  de  la  façon  et  toutes  les  fois  que  les  Pères  de  la  pension 
9  le  Jugent  à  propos  (3).  » 

•  C'est  que  la  mode  n'était  pas  encore  venue,  dans  les  collèges, 
d'imiter  les  anciennes  Têtes-Rondes  de  la  Révolution  anglaise.  On 
ne  tondait  alors  que  les  forçais  et  les  mauvais  sujets  enfermés  dans 
les  maisons  de  correction.  Tant  que  le  siècle  fut  aux  perruques,  les 
collégiens  qui  se  respectaient  en  portèrent  (4).  Plus  tard,  quand  il 
fut  de  bon  goût  do  porter  des  cheveux  de  son  crû,  ils  se  firent  pou- 
drer à  blanc  avec  une  bourse,  des  boucles  et  des  rouleaux  pomma- 
dés. Le  coiffeur  n'était  pas  de  trop  pour  mener  à  bien  toutes  ces 
tètes  d'écoliers  si  promptes  à  s'ébouriffer.  Aussi  sa  présence  était-elle 
fort  régulière  au  collège  et,  certes,  il  n'y  perdait  pas  sa  peine.  A 


(i)  Archives  de  l'Aube,  D.  68,  73. 
J2)  Idem,  D.  66,  73. 

(3)  RcgUmcnt,  art.  XXIV. 

(4)  Archives  de  TAube,  D.  51,  55. 


LA  PBIS81  ST  LIS  LITRES  453 

chaque  séance,  tout  en  déployant  son  art,  il  trouvait  moyen  d'écouler 
auprès  de  ses  jeunes  clients  des  allonges  cordelées,  des  kalogans, 
des  rosettes  de  rubans,  des  flacons  d'odeur,  des  boîtes  de  poudre 
parfumée,  de  la  pommade  en  bftton  et  de  la  pommade  liquide  (i). 

Telle  était  la  place  qu'occupait  au  collège  cet  artiste  indispen- 
sable, qu'on  lui  avait  disposé  un  laboratoire  spécial,  un  peignoir  on, 
comme  comme  on  dirait  aujourd'hui  plus  élégamment,  un  salon 
de  coi  dure  (2). 

«  C'était  surtout  aux  jours  de  fête  ou  de  sortie  que  les  pension- 
naires se  montraient  dans  toute  leur  gloire.  Les  plus  élégants  por- 
taient des  souliers  de  castor  à  talons  avec  boucles  d'argent,  dés 
bas  de  soie  blancs,  des  culottes  de  pluche  ou  des  culottes  de  raffle 
gris-blanc,  des  vestes  écartâtes  avec  boutons  dorés  ou  d'argent,  des 
habits  à  parements,  des  redingotes  étoffées  et  richement  boutonnées, 
des  chapeaux  en  castor  borda  de  velours  avec  boucles  d'argent  (3). 
Ces  jours-là  les  gentilshommes  recevaient  leurs  épée^,  qu'ils  avaient 
dû,  en  temps  ordinaire,  déposer  entre  les  mains  d'un  des  Pères  de 
la  pension.  La  précaution  n'était  pas  inutile  :  car  il  parait  qu'un 
jour  un  rhétoricien  avait  dégainé  contre  son  professeur.  Minitattu 
erat  gladio  prcKeptori  (4). 

»  La  plus  grande  urbanité  devait  régner  parmi  ces  jolis  petits  mes- 
sieurs. Le  règlement  était  formel  à  cet  égard.  11  leur  interdisait  de 
se  pousser,  de  porter  la  main  les  uns  sur  les  autres,  de  se  tirer  par 
les  vêtements,  d'ôtor  les  redingotes  sans  permission,  de  débouton- 
ner les  vestes  à  plus  de  moitié.  Il  défendait  en  outre  «  les  termes 
»  injurieux,  les  disputes,  les  querelles,  les  murmures,  les  menaces, 
»  les  jurons  et  autres  mots  de  cette  espèce  ».  Rien,  soit  dans  les 
propos,  soit  dans  les  façons,  ne  devait  faire  passer  l'élève  de  l'Ora- 
toire pour  un  rustre  ou  un  mal  appris  (5).  » 

Parallèlement  aux  conditions  du  régime,  M.  Carré  nous  fait  con- 
naître la  carte  à  payer.  En  principal  il  faut  convenir  qu'elle  n'avait 
rien  de  bien  effrayant  ;  mais  il  y  avait  des  accessoires.  Cest  on 
procédé  qui  n'est  pas  nouveau. 

«  Le  prix  de  la  pension  du  collège  de  Troyes  a  varié  suivant  les 
temps,  tout  d'abord  les  Oratoriens  avaient  cru  pouvoir  la  fixer  à 
75  livres  par  an  ;  mais  ils  ne  tardèrent  pas  à  s'apercevoir  que  cette 
somme  ne  répondait  pas  aux  frais  que  leur  imposait  l'entretien  d'un 
jeune  homme  bien  endenté,  et  ils  rélevèrent  presque  aussitôt  à  200 
livres.  Au  commencement  du  xviii®  siècle  elle  était  de  300  livres,  de 
340  en  1740,  de  360  en  1786,  de  400  en  1787. 


(1)  Archlrei  de  TAube,  D.  50,  51,  55,  66,  etc. 

(2)  Idem,  D.  57. 

(3)  Idem,  D.  53,  54,  57,  67,  etc. 

(4)  Catalog.  icola$t.,  t.  n. 

(5)  Règlement,  art.  IX  et  X. 


446  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

gnement  de  la  gymnastique  parus  en  France  dans  les  dernières 
années,  nous  constatons  qu'aucun  d'eux  ne  fait  mention  des  exer- 
cices caUisthéniques.  Nous  trouvons  seulement,  en  remontant  bien 
avant,  un  volume  de  la  collection  Roret,  publié  en  1830  sous  le 
titre  de  Calisthénie  (1)  ou  gymnastique  des  jeunes  filles.  Ce  livre  D*est 
lui-même^  que  la  reproduction  d'un  ouvrage  anglais.  En  effet,  ainsi 
que  Fauteur  1  explique  dans  sa  préface,  la  callisthénie,  jusqu'alors 
complètement  ignorée  chez  nous,  était  déjà  connue  en  Angleterre 
depuis  un  certain  temps.  «  A  Londres,  dit-il,  elle  est  admise  dans 
les  principaux  pensionnats  ;  les  jeunes  demoiselles  que  l'on  y  a  sou- 
mises ont  acquis  de  la  grâce,  de  la  force,  une  meilleure  santé  et 
une  grande  stalure.  »  (Calisthénie,  préface,  p.  XI.)  De  quelle  époque  date 
l'introduction  des  exercices  callislhéniques  dans  les  écoles  anglaises? 
Quelques  recherches  historiques  permettent  de  répondre  à  cette 
question. 

Vers  1820,  deux  des  principaux  propagateurs  de  l'enseignement 
de  la  gymnastique  en  Suisse,  le  professeur  Vœlker  et  le  capitaine 
Clias,  quittèrent  leur  pays  pour  aller  se  fixer  en  Angleterre  où  de 
belles  promesses  les  attiraient.  Vœlker  est  le  fondateur  du  premier 
établissement  gymnastique  de  Londres.  Gias  installa  un  gymnase 
npiodèle  à  Ghelsea  et  composa  plusieurs  ouvrages  ayant  trait  à  l'éduca- 
tion physique,  parmi  lesquels  La  Callisthénie  ou  Somascétique  naturelle 
appliquée  à  V éducation  physique  des  jeunes  filles  (2).  C'était  la  première 
fois  que  le  mot  Callisthénie  apparaissait  en  tête  d'un  volume,  aussi 
Clias  a-t-il  cru  bon  de  justifier  son  titre.  Voici  en  quels  termes  : 
c  Plusieurs  dames  de  qualité,  dit-il,  en  première  ligne  la  duchesse 
de  Wellington,  modèle  de  toutes  les  vertus,  frappées  des  avantages 
obtenus  par  l'usage  des  exercices  gymnastiques  que  nous  avons 
introduits  à  Londres  en  1821,  formèrent  le  projet  d'en  faire  l'applica- 
tion à  l'éducation  des  jeunes  filles.  Les  médecins  les  plus  distingués 
de  la  Grande-Bretagne  donnèrent  unanimement  leur  approbation  à 
cette  idée  heureuse,  qui  fut  fécondée  avec  zèle  et  persévérance. 
Nous  fûmes  chargé  de  la  direction  de  ces  exercices,  et  nous  pûmes 
alors  faire  sur  une  grande  échelle  l'essai  de  notre  méthode.  Les 
succès  dépassèrent  les  espérances.  La  gymnastique  fut  dès  lors 
reconnue  comme  devant  faire  partie  de  l'éducation  générale  des 
jeunes  filles,  et,  pour  désigner  cet  art  nouveau,  ou  employa  le 
mot    Callisthénie.    *   (Clias,    Callistlwniey  introduction,  p.  XIV.) 

Ces  explications  seront  utilement  complétées  par  celles  que  nous 
fournit  un  article  de  la  Revue  britannique  (1828)  : 


(1)  Cette  orthographe  fautive  indique  que  l'auteur  se  [)iquait  de  savoir  le 
grec.  11  ignorait  toutefois  que  si  l'adjectif  grec  kalos  s'écrit  avec  une  seule  /, 
cette  consonne  était  doublée  par  les  Grecs  eux-mêmes  dans  tous  les  mots 
composés  :  calligraphie,  callipédie,  Calliopey  Callinice,  etc. 

(2)  Ce  livre  a  été  publié  en  allemand  à  Berne  (18i8). 


LES  £]LERCIG£S  CALLISTHÉNIQUES  447 

(i ...  Parmi  les  disciples  du  docteur  Yœlker  on  compte  quelques 
dames  de  haut  rang  auxquelles  il  enseigne  des  exercices  convenables  à 
leur  sexe.  Dès  que  le  public  en  fut  instruit,  la  mode  s'empara  de  cette 
nouveauté.  Ces  exercices  furent  offerts  aux  nombreuses  prosélytes 
qui  voulurent  y  prendre  part,  les  établissements  furent  multipliés, 
des  livres  furent  imprimés  pour  guider  les  instituteurs  et  les  élèves; 
on  imagina  qu'un  art  nouveau  venait  d'être  créé  ;  il  fallait  un  mot 
pour  le  désigner:  on  adopta  celui  de  callistkénie...  * 

Les  résultats  très  satisfaisants  obtenus  par  la  méthode  de  Glias 
sont  constatés  dans  plusieurs  documents  officiels  de  l'époque.  «Aussi, 
dit-il,  ma  méthode  se  répandit  rapidement  dans  tout  le  royaume,  et, 
tandis  que  depuis  vingt-cinq  ans  on  fait  en  France  des  efforts  inu- 
tiles pour  établir  la  somascétique  sur  des  bases  solides,  six  années 
et  la  centième  partie  des  frais  employés  en  France  pour  cet  objet  ojit 
suffi  pour  la  nationaliser  dans  toute  l'Angleterre  ainsi  que  dans  les 
États-Unis  d'Amérique  où  plusieurs  élèves  formés  à  Londres  Vont 
importée.  » 

Cependant  Gias  ne  désespérait  pas  de  recueillir  chez  nous  les 
mêmes  succès.  Dans  ce  but  il  était  venu  vers  1840  fonder  un  gym- 
nase à  Besançon.  11  y  put  bientôt  faire  apprécier  les  avantages  de  sa 
méthode,  qui  furent  signalés  au  mim'stre  de  l'instruction  publique 
par  le  préfet  et  par  le  recteur.  <  Ce  qui  distingue  surtout  la  méthode 
de  M.  Clias,  écrivait  le  recteur  (lettre  du  8  avril  1842),  c'est  une 
simplicité  de  moyens  qui  la  rend  applicable  même  dans  les  écoles 
de  village.  Elle  présente  un  système  d'exercices  gradués  qui,  sans 
danger,  sans  appareils  dispendieux  ni  compliqués,  favorisent  le 
développement  harmonique  des  organes,  accroissent  les  forces 
musculaires,  donnent  aux  membres  la  souplesse,  au  corps  une  con- 
stitution salue  et  robuste. 

•  ...  Introduite  dans  les  écoles  normales  primaires,  elle  exercerait 
la  plus  heureuse  influence  sur  la  santé  des  élèves-maîtres...  > 

Le  ministre  accorda-t-il  l'autorisation  ?  il  est  certain  que  la  so- 
mascétique fut  enseignée  en  France  pendant  quelques  années  dans 
plusieurs  établissements  scolaires,  ceux,  notamment,  de  la  ville  de 
Paris.  Mais  il  importe  de  remarquer  qu'il  existe  une  différence  entre 
la  callisthénie  telle  qu'elle  est  conçue  dans  rou\  rage  de  Clias  et  dans 
le  traité  Roret,  et  les  exercices  callisthéniques  dont  nous  avons  repro- 
duit plus  haut  la  description.  La  callisthénie  n'a  été  d'abord  qu'une 
gymnastique  réduite  à  des  mouvements  d'assouplissement  et  à  des 
exercices  simples  convenant  spécialement  aux  jeunes  filles  ;  modi- 
fiée ensuite,  elle  s'est  transformée  en  un  art  tout  à  fait  particulier 
tenant  à  la  fois  de  la  gymnastique  et  de  la  danse,  —  une  sorte  de 
combinaison  de  ces  deux  enseignements. 

La  callisthénie  importée  en  Angleterre  par  Clias  et  Yœlker  n'a 
pas  cessé  d'y  rester  en  vogue.  Nous  savons  qu'elle  fait  partie  de 
l'enseignement  dans  les  écoles  américaines.  Elle  a  été  également 


448  REVUE    PÉDAGOGIQUE 

adoptée  dans  les  écoles  allemandes,  ainsi  que  Ton  en  jugera  par  la 
description  ci-dessous  d'exercices  exécutés  devant  M.  Eugène  Paz 
dans  rAllemagne  du  Nord:  a  Les  jeunes  filles,  correctement  alignées, 
prennent  gravement  leur  pas  de  distance  ainsi  que  des  conscrits 
qui  se  disposent  à  faire  Técole  du  soldat  ;  on  ouvre  les  rangs 
comme  dans  nos  trois  premières  leçons  de  peloton  ;  les  mignonnes 
travailleuses  sont  armées  de  la  barrette  de  fer  traditionnelle  qu'elles 
meuvent  en  tous  sens,  tout  comme  les  garçons  leurs  émules  ;  elles 
aussi  exécutent  avec  la  plus  irréprochable  ponctualité  des  demi-tours 
et  des  volte-faces  dignes  du  meilleur  de  nos  grenadiers  ;  mais 
insensiblement  les  distances  se  rapprochent,  les  mains  s'enlacent, 
les  bras  s'élèvent  comme  des  guirlandes  de  fleurs,  les  rangs  se 
pressent,  se  croisent  et  se  traversent  avec  une  harmonieuse  symétrie  ; 
les  pointes  des  pieds  se  dressent  et  effleurent  à  peine  le  sol  ;  le  joueur 
d'harmonium  indique  le  rhythme  et  le  spectateur  se  trouve  comme 
par  enchantement  transporté  en  pleines  régions  du  ballet  de  l'Opéra. 
Les  poses  les  plus  gracieuses,  les  pas  les  plus  hardis,  les  jetés-battus 
les  plus  imprévus,  la  valse,  le  galop,  la  mazurka,  toutes  les  cadences 
se  succèdent  avec  un  entrain,  un  ensemble  et  une  grâce  char- 
mantes (i)...  » 

Une  description  aussi  séduisante  n'engage-t-elle  pas  à  demander 
l'introduction  d'exercices  analogues  dans  nos  écoles  de  flUes  ? 
L'examen  de  cette  question  nous  ferait  sortir  du  cadre  de  ces 
simples  observations.  Nous  avons  seulement  voulu  montrer  que 
notre  système  d'éducation  physique  contient  peut-être  une  lacune 
entre  la  gymnastique  et  la  danse.  Nous  appelons  sur  ce  point 
Tattention  des  personnes  compétentes. 

R.  Sabatié. 


(1  )  Rapport  sur  renseignement  de  la  gymnastique  en  Allemagne,  en  Au- 
triche, en  Belgique  et  en  Hollande,  par  Eugène  Paz  (1868). 


ENCORE  LES  CAHIERS  DE  DEVOIRS  MENSUELS 


L'inspecteur  d'académie  des  Basses-Alpes  8*est  fait  envoyer  par  la 
poste  les  cahiers  mensuels  de  50  écoles.  Nous  croyons  utile  de 
résumer  les  principales  observations  auxquelles  Texamen  de  ces 
cahiers  a  donné  lieu. 

«  Dans  un  grand  nombre  d'écoles,  dit-il,  les  maîtres  et  maîtressen 
font  inscrire  chaque  mois  au  cahier  mensuel  un  devoir  sur  chacune 
des  matières  du  programme;  il  en  résulte  qu'au  bout  de  très  i;eu 
de  temps  le  cahier  se  trouve  rempli  et  l'élève  est  obligé  de  le  renou- 
veler deux  ou  trois  fois  dans  Tannée,  ce  qui  n'est  pas  sans  incon- 
vénients. Toutes  les  branches  du  programme  doivent  certainement 
être  représentées,  mais  il  faudrait  que  Ton  s'arrangeât  de  façon  à 
ce  que  le  cahier  mensuel  pût  suffire  pour  l'année  entière  ;  il  n'y 
aurait  pour  cela  qu'à  répartir  les  matières  en  deux  groupes  ;  le 
premier  groupe  comprendrait  par  exemple  la  grammaire,  le  calcul, 
la  rédaction  française,  Thistoire  et  la  géographie  ;  le  second  groupe, 
l'instruction  morale  et  civique,  les  sciences  physiques  et  naturelles, 
l'écriture  et  le  dessin. 

■»  Les  devoirs  du  premier  groupe  figureraient  tous  les  mois  et 
ceux  du  second  groupe  tous  les  deux  mois. 

9  Le  choix  des  devoirs  laisse  quelquefois  à  désirer,  surtout  pour 
la  dictée  et  la  composition  française.  Les  dictées  sont  souvent  trop 
longues  et  trop  difficiles;  nous  en  avons  trouvé  qui  renfermaient 
jusqu'à  33  et  40  fautes.  Les  maîtres  et  maîtresses  ne  devraient  pas 
oublier  que  lorsque  l'élève  fait  plus  de  8  à  10  fautes  dans  la  dictée, 
il  n'en  retire  aucun  profit.  Quant  aux  sujets  de  style,  ils  doivent  en 
général  être  empruntés  au  milieu  dans-  lequel  vit  l'enfant.  Celui-d 
ayant  à  parler  de  choses  qui  lui  sont  familières  trouve  plus  faci- 
lement des  idées  et  s'habitue  peu  à  peu  à  les  exprimer  correctement. 

»  Quelques  instituteurs  et  institutrices  se  contentent  de  souligner 
les  fautes  et  ne  donnent  pas  de  note  pour  l'ensemble  de  chaque 
devoir  ;  il  y  a  là  une  véritable  négligence  en  même  temps  qu'un 
oubli  des  instructions  ministérielles  contenues  dans  la  circulaire  du 
25  août  1884. 

9  Toutes  les  fautes  doivent  être  soulignées  et  corrigées  à  l'encre 
rouge  ;  elles  doivent  en  outré  être  indiquées  à  la  marge.  > 

L'inspecteur  d'académie  des  Basses-ÂJpes  recommande  l'emploi 
du  cahier  modèle  qui  n'est  aujourd'hui  en  usage  que  dans  un  certain 
nombre  de  classes.  Les  dispositions  de  ce  cahier  ne  peuvent  que 
rendre  plus  facile  la  tâche  des  maîtres  et  maîtresses. 

Nous  lisons  d'autre  part  dans  le  Bulletin  départemental  de  rYonm  : 

aiVUl  PiDAOOtlQDI  1885.  —  1*'  SUL  fè 


4S0  EEVUK  PÉDAGOGIQUE 

c  Quelques  maîtres  ne  s'occupent  pas  avec  assez  de  soin  des  cahiers 
de  scolarité.  Nous  ne  saurions  trop  les  engager  à  relire  les  instruc- 
tions contenues  au  Bulletin  n^  126  et  à  s'y  conformer  de  leur  mieux, 
surtout  pour  le  choix,  la  gradation,  le  nombre  des  devoirs  inscrits 
et  le  retour  périodique  et  mensuel  des  exercices  de  chaque  cours. 

»  Personne  ne  méconnaît  les  grands  services  que  cette  modeste 
institution  scolaire  est  appelée  à  rendre,  il  ne  faut  pas  perdre  de 
vue,  en  outre,  que  c'est  avant  tout  par  leurs  collections  de  cahiers 
de  devoirs  mensuels  que  les  écoles  et  les  circonscriptions  académiques 
seront  représentées  à  FExposition  universelle  de  1889.  Ainsi  on  peut 
être  certain  que  dans  quatre  ans  tous  ces  cahiers  seront  recueillis 
et  expédiés  tels  quels,  pour  être  comparés  à  ceux  des  autres  écoles, 
des  autres  départements,  et  même  des  autres  nations.  » 

Disons  encore,  pour  terminer,  comment  on  a  essayé  de  procéder 
méthodiquement,  dans  Tarrondissement  de  Saint-Quentin,  à  l'exa- 
men des  cahiers  qui  sont  adressés  chaque  mois  à  l'inspecteur  pri- 
maire par  quelques  instituteurs.  Un  comité  spécial  a  rédigé  un 
questionnaire  qui  se  recommande  à  l'attention  de  nos  lecteurs.  Des 
notes  correspondant  aux  diverses  questions  sont  transmises  aux 
intéressés  par  les  soins  de  l'inspecteur  primaire.  Voici  le  question- 
naire en  question  : 

<  lo  Suit-on  l'ordre  indiqué  dans  les  conférences  d'octobre  1884 
et  au  Moniteur  scolaire  du  1«' décembre  1884? 

2<*  Les  devoirs  correspondent-ils  aux  indications  des  progranunes 
mensuels  ? 

3^  L'initiative  du  maître  se  fait-elle  sentir  dans  le  choix  des 
devoirs? 

A^  Les  devoirs  dans  chaque  cours  sont-ils  toi^ours  appropriés  à 
la  force  des  élèves  ? 

5^  Les  devoirs  sont-ils  trop  longs  ou  trop  courts  ? 

6®  Ont-ils  pu  être  faits  dans  la  durée  fixée  par  l'emploi  du  temps 
pour  une  leçon  correspondante  ? 

70  Ont-ils  été  précédés  d'une  préparation  trop  longue  ? 

8^  Paraissent-ils  être  le  travail  personnel  de  l'élève? 

9*  Les  cahiers  sont-ils  proprement  tenus? 

10*  Les  devoirs  sont-ils  corrigés  et  suffisamment  annotés  par  le 
maître  ?  > 

A.  B. 


LA  PRESSE  ET  LES  LIVRES 


Les  pbhsionnaires  di  collège  chez  les  Oratoriens  de  Troyes  av 
xviii^  SIÈCLE,  par  M.  Gustave  Carré,  professeur  agrégé  d'histoire  au 
lycée  de  Reims  ;  iii-8^  de  18  pages,  Reims,  Imprimerie  coopérativot 
1884.  —  Cette  brochure  est  la  reproduction  d'une  lecture  £aite  par 
le  jeune  et  spirituel  professeur  à  la  séance  publique  annuelle  de 
r Académie  nationale  de  Reims,  le  17  juillet  de  Tannée  dernière. 
L'étude  de  M.  Carré  est  viye,  amusante,  et  nous  donne  des  détails 
curieux  sur  l'intérieur  d'un  collège  du  xviii*  siècle. 

A  quel  régime  étaient  soumis  les  pensionnaires  des  Oratoriens  de 
Troyes?  M.  Carré  nous  le  fait  connaître  par  le  menu,  et  il  faut  con- 
venir qu'au  point  de  vue  du  bien-^tre  matériel  il  égalait,  s'il  ne 
dépassait  pas,  nos  internats  actuels  les  plus  aristocratiques.  Voici, 
par  exemple,  le  chapitre  de  la  nourriture  : 

a  C'est  une  idée  généralement  reçue,  dit  M.  Carré,  que  les  pen- 
sionnaires du  temps  passé  n'avaient  aucune  idée  des  douceurs  culi- 
naires dont  on  gratifie  le  collégien  d'aujourd'hui.  N'en  déplaise  à  nos 
économes  et  à  nos  chefs  d'institution,  la  table  des  Pères  du  collège 
de  Troyes  était  peut-être  supérieure  à  la  leur. 

»  Le  déjeuner  du  matin  se  composait,  non  pas  de  l'inévitable 
panade  et  du  classique  morceau  de  pain  sec,  mais  d'un  petit  pain 
molot^  bien  frais  et  bien  tendre,  accompagné  d'une  tasse  de  lait  pur 
au  printemps  et  en  été,  de  châtaignes,  de  ponmies,de  pruneaux  et 
de  firuits  secs  en  hiver  et  en  automne. 

»  Le  fond  du  diner  et  du  souper  consistait,  comme  de  nos  jours, 
en  viande  de  boucherie,  en  poisson,  en  œufs,  en  légumes.  On  forçait 
sur  la  morue  et  les  harengs  au  saint  temps  du  Carême.  Mais  avec 
quel  art  consommé  les  Pères  savaient  faire  prendre  à  leurs  pension- 
naires leur  mal  en  patience!  C'était  justement  au  temps  de  la 
morue  et  des  harengs  qu'on  voyait  apparaître  le  plus  fréquemment 
sur  la  table  du  réfectoire  les  anchois,  le  thon  mariné,  le  saumon, 
les  tourtes  maigres,  les  petits  pâtés  en  poisson,  les  tartelettes  en 
confitures,  les  échaudés,  les  beignets  de  riz  et  de  figues,  etc.  (1). 

»  Chaque  saison  apportait,  du  reste,  avec  elle  ses  variantes  dans 
la  carte  du  jour.  En  hiver,  la  charcuterie  troyenne  se  présentait  avec 
honneur  sous  forme  de  boudins,  d'andouillettes,  de  saucisses,  de 
cervelats,  de  jambons,  de  hures,  de  langues  fumées  (2).  En  été,  à 


(1)  Archives  de  l'Aube,  D.  50,  53,  54,  55,  57,  etc.  [Mémoires  des  foum^fm 
seurs  du  collège,) 

(2)  Archlfes  de  l'Aube,  D.  66,  68,  etc 


4S2  ABVUI  PtDAGOGIQUl 

répoque  des  fruits,  on  te  ruait  en  cuisine.  C'étaient  des  tourtes  en 
raisins  et  en  abricots,  des  taries  en  prunes,  des  pâtés  en  cerises  et 
en  |K>ires.  Le  chef  mettait  au  feu  toutes  ses  bassines,  car  la  saison 
des  fraises,  des  framboises  et  des  groseilles  était  aussi  celle  des 
confitures  (i).  —  11  ne  se  présentait  pas  dans  Je  courant  de  l'année 
de  jour  quelque  peu  solennel,  que  les  Pères  ne  se  crussent  obligés 
de  Je  fêter  par  un  plat  qui  sortît  de  l'ordinaire  :  par  des  p&tés  de 
veau  ou  de  dinde,  d3s  pAtés  chauds  de  côtelettes  de  mouton.  Au 
besoin  on  s*adressait  à  un  pâtissier  de  profes>ion,  et  celui-ci  four- 
nissait, par  nombreuses  douzaines,  des  petits  pâtés,  des  godiveaux, 
des  choux  glacés,  des  biscotins,  des  croquantes,  des  biscuits.  Pour 
peu  que  le  saint  fût  en  grande  vénération  dans  le  diocèse,  on  ajou- 
tait à  la  carte  des  frangipanes,  des  plats  de  chinoises,  des  puits 
d'amour  couverts  de  caramels  filé,  etc.  —  Il  y  avait  cependant  des 
fêtes  dont  la  célébration  restait  â  la  charge  des  pensionnaires.  Telles 
étaient  la  Saint-Nicolas  et  l'Epiphanie,  qui  se  fêtaient  à  grand  renfort 
de  pâtisseries  et  où  le  bon  vin  coulait  autrement  qu'^n  abondance  (2).  » 

Bien  nourris,  bien  tournés  aussi^  les  élèves  des  Oratoriens,  et 
formés  à  toutes  les  belles  manières. 

c  Nous  ne  nous  arrêterons  pas,  dit  M.  Carré,  â  cet  article  du  vieux 
règlement,  qui  recommandait  aux  jeunes  gens  de  changer  de  sou- 
liers tous  les  jours,  de  linge  deux  fois  la  semaine,  do  bas  le  plus 
souvent  possible.  C'est  ce  qui  se  passe  encore  aujourd'hui.  La  pro- 
preté est  de  tous  les  siècles.  Mais  là  où  le  vieux  règlement  diffère 
singulièrement  du  nôtre,  c^est  quand  il  ajoute  :  <  Tous  les  soirs  on 
•  met  des  papillotes,  et  tous  les  matins,  pendant  la  première  étude, 
»  on  se  fait  peigner  et  iguster.  Les  jours  de  dimanche  et  de  fêles, 
»  et  lorsqu'on  doit  sortir  en  ville,  on  s'habille  plus  proprement  qu'à 
>  l'ordinaire;  on  se  fait  faire  les  cheveux  par  le  perruquier  de  la 
»  maison  de  la  façon  et  toutes  les  fois  que  les  Pères  de  la  pension 
»  le  Jugent  à  propos  (3).  » 

•  C'est  que  la  mode  n'était  pas  encore  venue,  dans  les  collèges, 
d'imiter  les  anciennes  Têtes-Rondes  de  la  Révolution  anglaise.  On 
ne  tondait  alors  que  les  forçats  et  les  mauvais  sujets  enfermés  dans 
les  maisons  de  correction.  Tant  que  le  siècle  fut  aux  perruques,  les 
collégiens  qui  se  respectaient  en  portèrent  (4).  Plus  tard,  quand  il 
fut  de  bon  goût  de  iK)rler  des  cheveux  de  son  crû,  ils  se  firent  pou- 
drer à  blanc  avec  une  bourse,  des  boucles  et  des  rouleaux  pommar 
dés.  Le  coiffeur  n'était  pas  de  trop  pour  mener  à  bien  toutes  ces 
tètes  d'écoliers  si  promptes  a  s'ébouriffer.  Aussi  sa  présence  était-elle 
fort  régulière  au  collège  et,  certes,  il  n'y  perdait  pas  sa  peine.  A 


(i)  Archives  de  l'Aube,  D.  68,  7i. 

J2)  /tfem,  D.  66,  73. 

(3)  Hêglemsnt,  art.  XXIV. 

(4j  Archives  de  TAube,  D.  51,  55. 


LA  P1188£  ST  LIS  LIYRKS  453 

chaque  séance,  tout  en  déployant  son  art,  il  trouvait  moyen  d'écouler 
auprès  de  ses  jeunes  clients  des  allonges  cordelées,  des  kalogans, 
des  rosettes  de  rubans,. des  flacons  d'odeur,  des  boîtes  de  poudre 
parfumée,  de  la  pommade  en  bftton  et  de  la  pommade  liquide  (i). 

Telle  était  la  place  qu'occupait  au  collège  cet  artiste  indispen- 
sable, qu'on  lui  avait  disposé  un  laboratoire  spécial,  unpeignoir  on, 
comme  comme  on  dirait  aujourd'hui  plus  élégamment,  un  salon 
de  coiffure  (2). 

>  C'était  surtout  aux  jours  de  fête  ou  de  sortie  que  les  pension- 
naires se  montraient  dans  toute  leur  gloire.  Les  plus  élégants  por- 
taient des  souliers  de  castor  à  talons  avec  boucles  d'argent,  dés 
bas  de  soie  blancs,  des  culottes  de  pluche  ou  des  culottes  de  raffle 
gris-blanc,  des  vestes  écarlates  avec  boutons  dorés  ou  d'argent,  des 
habits  à  parements,  des  redingotes  étoffées  et  richement  boutonnées, 
des  chapeaux  en  castor  borda  de  velours  avec  boucles  d'argent  (3). 
Ces  jours-là  les  gentilshommes  recevaient  leurs  épées,  qu'ils  avaient 
dû,  en  temps  ordinaire,  déposer  entre  les  mains  d'un  des  Pères  de 
la  pension.  La  précaution  n'était  pas  inutile  :  car  il  parait  qu'un 
jour  un  rhétoricien  avait  dégainé  contre  son  professeur.  Minitattu 
erat  gladio  prceceptori  (4). 

»  La  plus  grande  urbanité  devait  régner  parmi  ces  jolis  petits  mes- 
sieurs. Le  règlement  était  formel  à  cet  égard.  11  leur  interdisait  de 
se  pousser,  de  porter  la  main  les  uns  sur  les  autres,  de  se  tirer  par 
les  vêtements,  d'ôtor  les  redingotes  sans  permission,  de  débouton- 
ner les  vestes  à  plus  de  moitié.  Il  défendait  en  outre  «  les.  termes 
»  injurieux,  les  disputes,  les  querelles,  les  murmures,  les  menaces, 
»  les  jurons  et  autres  mots  de  cette  espèce  ».  Rien,  soit  dans  les 
propos,  soit  dans  les  façons,  ne  devait  faire  passer  l'élève  de  l'Ora- 
toire pour  un  rustre  ou  un  mal  appris  (5).  » 

Parallèlement  aux  conditions  du  régime,  M.  Carré  nous  fait  con- 
naître la  carte  à  payer.  En  principal  il  faut  convenir  qu'elle  n'avait 
rien  de  bien  effrayant  ;  mais  il  y  avait  des  accessoires.  C'est  nn 
procédé  qui  n'est  pas  nouveau. 

c  Le  prix  de  la  pension  du  collège  de  Troyes  a  varié  suivant  les 
temps.  Tout  dabord  les  Oratoriens  avaient  cru  pouvoir  la  fixer  à 
75  livres  par  an  ;  mais  ils  ne  tardèrent  pas  à  s'apercevoir  que  cette 
somme  ne  répondait  pas  aux  frais  que  leur  imposait  l'entretien  d'un 
jeune  homme  bien  endenté,  et  ils  rélevèrent  presque  aussitôt  à  200 
livres.  Au  commencement  du  xviii^  siècle  elle  était  de  300  livres,  de 
340  en  1740,  de  360  en  1786,  de  400  en  1787. 

(1)  Archirei  de  l'Aube,  D.  50,  51,  55,  66,  etc. 

(2)  Idem,  D.  57. 

(3)  Idem,  D.  53,  54,  57,  61,  etc. 

(4)  Catalog.  scola$t.,  t.  II. 

(5)  Règlement,  art.  IX  et  X. 


454  MYTC  PtDàûOQSQOE 

»  Le  prix  était  raisonnable  pour  Tépoque  ;  mais  les  frais  géné- 
raux accessoires  faisaient  monter  la  pension  à  un  chiffre  hien 
autrement  élevé.  Plus  d'un  père  de  familie  qui,  sur  la  foi  de  VAl- 
fnanadi  de  Troyes,  croyait  n'avoir  à  payer  pour  la  pension  de  son 
fils  qu'une  somme  déterminée,  devait  assurément  froncer  le  sour- 
cil quand,  à  la  fin  du  trimestre  ou  de  Tannée,  on  lui  présentait  la 
note,  revue  et  considérablement  augmentée  ;  quand  il  apprenait 
qu'il  fallait,  en  dehors  du  prix  de  la  pension,  payer  3  livres  poar 
l'association,  —  3  livres  pour  i'écu  de  la  Saint-Luc,  —  3  livres  pour 
Tannée  du  valet  de  pension,  —  I  livre  10  sous  pour  les  étrennes 
du  domestique,  —  3  livres  pour  les  étrennes  du  fils,  —  i  livre  4 
sous  pour  les  expériences  de  physique,  —  2  livres  pour  les  énig- 
mes, —  i^  sous  pour  Tencre,  —  6  sous  6  deniers  pour  les  chaises 
d'église,  —  4  livres  pour  les  ports  de  lettres.  Qu'était-ce  quand,  à  la 
note  officielle,  se  joignait  celle  du  perruquier  pour  les  cheveux,  la 
queue,  la  poudre  et  la  pommade, —  celle  de  l'apothicaire  pour  les 
médicaments  et  les  clystères,  —  celle  du  chirurgien  pour  les  saignées 
et  les  pansements,  —  celle  du  médecin  pour  les  consultations,  —  celle 
du  libraire  pour  les  livres  et  les  fournitures  de  bureau,  —  celle 
du  maître  à  danser  pour  les  leçons  de  maintien  et  de  révérence,  — 
celles  du  tailleur,  du  ravaudeur,  delà  blanchisseuse,  du  cordonnier, 
du  chapelier,  etc.  ?  Et  ce  n'était  pas  tout:  il  arrivait  parfois  que 
toutes  ces  factures,  qui  formaient  déjà  dans  leur  ensemble  un  fort 
joli  mémoire,  se  grossissaient  d'une  foule  de  d'îtails  imprévus  : 
42  sous  pour  la  Saint-Nicolas,  —  12  sous  pour  le  gâteau  des  Rois,  — 
10  sous  pour  une  promenade  à  la  campagne,  ~  15  sous  pour  «  un 
carreau  cassé  avec  du  mastique  »,  —  4  livres  pour  un  pupitre  ferré  a 
neuf,  —  12  livres  pour  un  Virgile  de  Desfontaines,  —  8  livres  pour 
un  Virgile  de  l'Université,  —  10  livres  pour  un  Traité  des  études 
<le  Roliin,  —  7  livres  pour  les  Hymnes  de  Santeuil  (1),  etc.  » 

En  somme,  conclut  M.  Carré,  les  maîtres  du  temps  passé,  à  en 
juger  par  les  Oratoriens  du  collège  de  Troyes,  «  se  préoccupaient 
trop  volontiers  de  faire  des  jeunes  gens  confiés  à  leurs  soins  des 
liommes  du  monde  ;  ceux  d'aujourd'hui  se  proposent  tout  simplement 
d'en  faire  des  hommes.  » 

Nous  voulons  croire  qu'il  a  raison. 

HisTOiRB  DE  France,  rédigée  conformément  au  plan  d'études  des 
écoles  primaires  du  27  juillet  1882.  —  Cours  élémentaire  et  cours  moyen, 
—  Récits  et  entretiens  sur  l'histoire  nationale  depuis  les  origines 
jusqu'à  nos  jours  par  R.  Jalliffier  et  H.  Vast.  Ch.  Delagrave,  éditeur, 
1884.—  Si,  comme  on  Ta  d;t  avec  autant  d'esprit  que  de  raison,  un  livré 
bien  fait  est  un  livre  bienfaisant,  le  livre  de  MM.  Jalliffier  et  Vast  est 
un  des  plus  bienfaisants  qui  soient.  U  est  composé  d'après  un  plan 

(1;  Archives  de  l'Aube,  D.  50  à  74. 


LA  raiSSI  IT  LIS  LITRES  48S 

tout  à  fait  réussi.  Chaque  leçon  ^  y  en  a  trente-trois  pour  le  cours 
élémentaire  et  autant  pour  le  cours  moyen)  est  précédée  d'un  court 
sommaire  très  précis  et  très  net  qui  doit  être  appris  presque  mot 
à  mot  par  l'élève.  Puis  vient  un  récit  destiné,  selon  le  vœu  du  pro- 
gramme,  a  fixer  l'attention  tm  les  principaux  personnages  et  les  grands 
faits  de  notre  histoire  nationale.  Un  questionnaire  divisé  en  deux 
parties  termine  la  leçon  ;  la  première,  adaptée  au  résumé,  demande  à 
rélève  des  réponses  littérales  et  en  quelque  sorte  la  récitation  de 
chaque  phrase  de  ce  résumé  ;  la  seconde,  adaptée  au  récit,  laisse  à 
rcmfant  plus  de  liberté,  et  lui  permet  de  raconter  plutôt  que  de 
réciter.  A  la  fin  de  chaque  livre  (il  y  en  a  cinq  dans  le  cours  élé- 
mentaire et  six  dans  le  cours  moyen)  une  leçon  de  révision  donne 
au  maître  le  moyen  de  revenir  sur  les  faits  déjà  appris  pour  en 
reprendre  et  en  souligner  les  points  les  plus  importants.  En  outre, 
les  auteurs  ont  igouté,  à  l'usage  des  élèves  qui  suivent  le  cours 
moyen,  et  qui  sont  déjà  plus  expérimentés  et  plus  formés  que  leurs 
camarades  du  cours  élémentaire,  un  certain  nombre  de  sujets  de 
devoirs  appropriés  à  chacun  des  six  livres  dont  se  compose  le  cours. 
Des  cartes  et  des  vignettes  d'exécution  inégale,  mais  fort  habilement 
choisies^  illustrent  le  récit  et  font  revivre  les  événements  et  les  per- 
sonnages. Tout  cela  nous  paraît  très  pratique,  très  ingénieux,  très 
judicieusement  arrangé  et  distribué  pour  la  plus  grande  utilité  du 
maître  et  de  l'élève  et  pour  le  plus  grand  bien  de  renseignement. 

Quant  à  Tesprit  général  du  livre,  nous  ne  saurions  mieux  k 
faire  connaître  qu'en  empruntant  quelques  lignes  à  la  courte  préface 
écrite  par  MM.  Jallifiier  et  Vast: 

«  Nous  nous  sommes  tracé,  disent-ils,  les  règles  suivantes  : 

»  Sobriété  dans  le  choix  des  faits  et  clarté  dans  l'exposition.  Noms 
de  rois,  batailles,  traités,  dates,  nous  avons  réduit  tout  cela  au  strict 
nécessaire.  En  revanche  nous  avons  essayé  de  conserver  aux  hommes 
leur  caractère,  aux  faits  leur  physionomie,  tout  en  écartant  les 
détails  et  les  anecdotes  dont  l'authenticité  nous  paraissait  trop 
contestable. 

»  indépendance  et  modération  dans  les  jugements  :  nous  nous 
sommes  souvenus  des  paroles  de  M.  le  ministre  dans  son  discours 
prononcé  à  la  Sorbonne  le  15  avril  1882:  «  Nous  ne  croyons  pas 

*  qu'il  soit  bon  de  dire  à  la  jeunesse  :  avant  la  date  éclatante  de  1789, 

*  il  n'y  a  rien,  rien  que  des  tristesses,  rien  que  des  misères,  rien  que 
»  des  hontes.  Cela  n'est  pas  vrai  d'abord,  et  ensuite  cela  n'est  pas 
»  sain  pour  la  jeunesse.  Cela  même  n'est  pas  bon  pour  la  Révolution 
»  française  qu'on  se  flatte  d'exalter  par  ce  zèle  imprudent.  Je  trouve 
«  que  la  Révolution  Irançaise  a  tout  à  gagner  si  on  la  présente  aux 
■»  jeunes  générations  non  comme  une  surprise,  mais  comme  un 
»  dénouement.  » 

MM.  Jallifiier  et  Vast  ont  tenu  parole.  Il  n'y  a  pas  une  ligne  de 
leur  livre  qui  mente  à  ce  progranmie  si  simple  et  si  patriotique.  Ils 


4S6  AEVUX  PiDAMGIQDK 

n'ont  négligé  aucune  occasion  de  mettre  en  relief  la  portée  morale  d<fs 
événements  et  de  rappeler  à  leurs  jeunes  lecteurs  leur  devoirs  envers 
le  pays  et  envers  eux-mêmes.  —  «  Il  (Harold)  ne  savait  pas  qu'un 
mrment  est  toujours  sacré,  qu'il  y  ait  ou  non  des  reliques  et  des 
ossements.  «  ii^  partie,  p.  63).  -*  «  Quand  la  patrie  est  menacée  k 
premier  devoir  de  chaque  citoyen  est  de  la  défendre.  »  (^  partie,  p. 
38).  —  «  Il  faut  déplorer  ces  violences  (de  la  Terreur)  et  flétrir  les 
crimes  qui  rappellent  les  siècles  de  barbarie.  Mais  thistoire  de  la 
Révolution  n'est  pas  tout  entière  dans  ces  crimes.  >  (^  partie,  p.  162).  — 
c  Ainsi  tant  de  victoires,  tant  d'armées  sacrifiées  n'avaient  servi  (en 
4815)  qu'à  rendre  la  France  plus  faible  et  plus  menacée  I  Cest  ia 
punition  des  peuples  qui  s'abandonnent  à  un  homme,  à  un  conquérant, 
au  lieu  de  se  gouverner  avec  sagesse  et  de  se  défendre  avec  modération.  > 
(2*  partie,  p.  185).  —  «  Ne  nous  rappelons  ces  lugubres  journées  (de 
la  Commune)  que  pour  détester  la  guerre  civile  et  en  éviter  à  tout  jamais 
le  retour.  «  (2^  partie,  p.  216).  —  Vérités  banales,  si  l'on  veut,  mais 
qu'il  est  toujours  bon  de  rappeler  aux  enfants  qui  seront  un  jour 
des  hommes  et  des  citoyens,  et  qui  se  conduiront  dans  la  vie  d'après 
les  enseignements  qu'ils  auront  reçus  à  l'école. 

Le  mérite  littéraire  de  ce  petit  livre  nous  plaît  autant  que  la  va- 
leur morale  des  leçons  que  l'on  y,  trouve  à  chaque  page.  Nombre 
de  chapitres  sont  nouveaux,  et  nous  savons  des  ouvrages  de  propor- 
tions plus  amples  et  de  prétentions  plus  hautes  où  on  les  cher- 
cherait vainement.  Telles  sont  notamment,  dans  la  première  partie, 
la  leçon  17,  Le  seigneur  et  les  serfs  ;  la  leçon  27,  Paris,  capitale  de 
la  France;  la  leçon  30,  Progrès  de  la  France  ;  dans  la  seconde  partie» 
la  leçon  20,  Les  colonies  françaises  au  xvu<>  et  au  wiii*  siècle,  etc.  — 
Souvent  les  auteurs  nous  décrivent  en  quelques  lignes  de  petits 
tableaux  d'un  relief  et  d'un  pittoresque  vraiment  remarquables. 
Voyez  par  exemple  cet  intérieur  d*un  manoir  féodal  :  «  Le  seigneur 
était  comme  un  roi  sur  ses  terres....  Mais  sa  vie  était  bien  triste 
dans  le  château-fort  où  il  était  renfermé.  Sa  chambre,  située  en 
général  au  premier  étage,  n'était  accessible  que  par  une  échelle. 
Par  les  meurtrières  qui  tenaient  lieu  de  fenêtres  tous  les  vents 
passaient  et  le  jour  n'arrivait  pas.  Les  troncs  d'arbres  qui  fumaient 
dans  d'immenses  cheminées  ne  pouvaient  pas  réchauiler  ce  sombre 
intérieur.  De  la  paille  hachée  menue  tenait  lieu  de  lapis.  Le  seigneur 
vivait  là  toujours  isolé,  toiyours  oisif  ;  il  s'ennuyait  profondément 
parce  qu'il  ne  faisait  rien.  Aussi  ne  songeait-il  qu'à  sortir  de  son 
château  pour  aller  chercher  au  dehors  J'air,  la  lumière,  la  société. 
Il  était  toujours  en  quête  de  mouvement  et  d'aventures.  »  (1'^  partie, 
p.  57).  Ce  morceau  n'est-il  pas  excellent  ?  Et  les  enfants  qui  le 
liront  ne  verront-ils  pas  se  dresser  devant  eux  ces  durs  barons 
dont  l'existence  était  si  monotone  et  si  misérable  ?  —  Et  ce  court 
passage  sur  les  terreurs  de  l'an  mille  :  «  On  a  appelé  cette  époque 
le  siècle  de  fer.  C'est  le  règne  de  l'épée.  La  misère  plongeait  les 


LA  PRESSE  Kl    LIS  UYBES  487 

iiommes  dans  le  désespoir.  On  répétait  que  f  le  soir  du  monde  appro- 
chait »,  c'est-à-dire  qu'on  allait  être  plongé  dans  la  nuit  éternelle. 
Peu  de  temps  avant  Fan  mille,  le  bruit  se  répandit  que  le  monde 
allait  finir.  Cette  nouvelle  remplissait  les  grands  de  terreur,  les 
pauvres  de  joie.  Mais  Tan  mille  passa,  le  soleil  continua  de  briller  ; 
les  hommes  se  reprirent  à  espérer.  »  (1^*  partie,  p.  73).  —  Et  plus 
loin,  lorsqu'il  s'agit  de  donner  une  idée  de  la  nouvelle  armée  orga- 
nisée après  la  guerre  de  1870,  au  lieu  de  lancer  un  chiffre  qui  ne 
parlerait  guère  à  l'imagination,  MM.  Jalliffier'et  Vast  écrivent  cette 
phrase  :  «  Si  l'on  supposait  que  l'armée  francise  défilât  par  la  porte 
d'une  ville  sans  s'arrêter  un  instairt^i  le  jour  ni  la  nuit,  il's'écoulerait 
un  demi-mois  avant  que  le  dernier  homme  eût  passé.  »  (2*  partie, 
p.  t\l).  L'expression  n'est-elle  pas  plus  vive  que  si  les  auteurs 
avaient  dit  simplement  :  La  France  peut  mettre  en  temps  de 
guerre  2,423,164  hommes  sous  les  armes  ? 

C'est  donc  donc  un  tout  à  fait  bon  livre  que  ce  petit  volume,  et 
nous  ne  saurions  trop  le  recommander.  Les  quelques  réserves  que 
nous  pourrions  faire  sur  certains  points  de  délail  n'ont  pas  assez 
d'importance  pour  qu'il  soit  nécessaire  d'y  insister  longuement. 
Nous  en  indiquerons  rapidement  deux  ou  trois.  A  )a  page  18  (Impartie), 
il  est  dit  dans  le  sommaire  :  «  En  312,  l'empereur  Constantin  adopta 
la  religion  chrétienne  et  mit  fin  aux  persécutions.  >  Constantin 
n*adopta  pas  la  religion  chrétienne  en  312.  A  cette  date,  il  se  borna 
à  la  reconnaître  officiellement.  C'est  seulement  en  337,  dans  les  der- 
niers mois  de  sa  vie,  qu'il  se  fit  baptiser  et  encore  par  un  évêque 
arien,  Eusèbc  de  Nicomédie.  ~  Plus  loin,  à  la  page  41,  nous  trou- 
vons cette  phrase  :  «  Charlemagne  avait  l'iiabitude  de  tenir  par  an 
deux  grandes  assemblées  des  Francs  fiour  délibérer  sur  les  expéditions 
à  entreprendre,  et  pour  faire  approuver  ses  Capitulaires.  »  Il  est 
douteux  que  les  assemblées  du  Champ  de  Mars  dont  il  est  ici  parlé 
aient  été  des  assemblées  délibérantes. 

A  la  page  23  (2*  partie),  le  sommaire  de  la  quatrième  leçon 
commence  ainsi  :  «  A  la  mort  de  Louis  XI,  Anne  de  Beaujeu  exerce 
la  régence  pour  son  frère  mineur^  Charles  VIII.  >  Louis  XI  est 
mort  le  30  août  1483.  Charles  VIII,  né  le  30  juin  1470,  était  donc 
entré  dans  sa  quatorzième  année  et  par  conséquent  majeur,  aux 
termes  dé  la  fameuse  ordonnance  de  Qiarles  V,  quand  il  succéda  à 
son  père.  —  Page  126,  nous  lisons  :  «  Frédéric  II  remporta  sur  les 
Français  une  de  ses  plus  faciles  victoires,  celle  de  Rosbach.  »  Est- 
il  bien  exact  de  représenter  Rosbach  comme  une  défaite  française? 
Soubise  n'avait  pas  le  commandement  en  chef  à  Rosbach.  Il  n'était 
que  le  subordonné  du  prince  de  Saxe-Hildburghausen,  placé  à  la 
tête  de  l'armée  à'exéctUûm  ou  armée  des  cercles  allemands  chargée 
ai' exécuter  les  décisions  de  la  diète  de  Francfort  qui  s'était  prononcée 
pour  Marie-Thérèse,  dans  le  conflit  entre  l'Autriche  et  la  Prusse. 
Sur  les  soixante  mille   soldats  qui  composaient  l'armée  franco-im- 


4S8  lEYin  rÈMàMCÊOiaE 

périAle,  les  deux  tiers  étaient  allemands,  on  tien  seolemmt  Iria- 
çaiSy  et  ces  Français  n'y  figuraient  qu'à  litre  d'aoxiliaîres.  Soubiae 
penchait  à  éviter  la  rencontre.  Uiidbnrgtiansen  Tooiat  combattre. 
Cest  lui  qui  prit  toutes  les  di^Kwitions  et  qui  doit  porter  la  respoii' 
sabilité  des  événements.  Les  Impériaux  s'enfuirent  Jusqu'à  Beixe 
lieues  du  champ  de  bataille.  La  cavalerie  française  sauva  du-  moins 
l'honoeur  :  223  de  nos  officiers  forent  tués  ou  blessés.  N'est>il  pus 
juste  d'en  conclure  que  Rosbach  est  une  défaite  aUemande  beaucoup 
]dutôt  qu'une  défaite  française? —  Page  172,  nous  trouvons  cette 
phrase  :  <  La  phis  grande  ouvre  du  Consulat  fut  le  Gode  civil.  »  Penl- 
ètre  eût-il  été  utUe  de  meationnièr  ici  que  le  Code  civil  n*est  pas 
sorti  de  la  tète  de  Bonaparte  comme  Minerve  tout  armée  du  cervean 
de  Jupiter.  Les  grandes  assemblées  de  la  Révolution  s'étaient  vivement 
préoccupées  de  mettre  nos  lois  civiles  en  harmonie  avec  les  principes 
de  89.  La  Convention  notamment  consacra  soixante  séances  à  des 
intervalles  plus  ou  moins  éloignés  à  ces  travaux  législatifs.  La  Con- 
stituante avait  posé  le  principe  des  successions.  La  Législative  avait 
établi  les  actes  de  l'état  civil.  La  Convention  décréta  successivement 
régalité  des  partages  entre  les  héritiers,  les  dispositions  relatives  à 
l'adoption,  à  la  paternité,  à  la  tutelle,  aux  contrats.  Cette  tâche, 
poursuivie  a  travers  les  tempêtes  Intérieures  et  la  lutte  contre 
l'Europe,  était  terminée  en  1795.  Mais  Bonaparte  voulait  que  tout 
désormais  portât  son  nom  et  son  empreinte.  De  là  la  création  da 
la  commission  qui  de  1800  à  1803  reprit  l'œuvre  de  Cambacérès,  de 
Treilhard,  de  Merlin  de  Douai  et  réunit  toutes  les  lois  de  la  RévolutioB 
en  trente-six  ordonnances  successives  qui  reçurent  en  1807  le  nom 
de  Code  Napoléon.  Nous  aurions  souhaité  qu'un  mot  n^ipelât  que 
les  partis  révolutionnaires.  Feuillants,  Girondins,  Montagnards,  ont 
travaillé  tour  à  tour  à  cette  œuvre  admirable  qui  allait  fonder 
l'égalité  sociale  en  France. 

Mais  nous  l'avons  dit,  et  nous  tenons  à  le  redire,  ces  quelques 
critiques  de  détail  n'enlèvent  rien  au  mérite  et  à  l'intérêt  de  ce 
livre  qui,  avec  ses  qualités  de  mesure,  de  sobriété,  de  science  et  de 
conscience,  rendra  les  plus  grands  services  à  nos  maîtres  et  à  leurs 
élèves.  9  Nous  espérons  que  l'enfant  en  étudiant  nos  récits  familters 
s'y  fortifiera  dans  le  dévouement  à  son  devoir  et  l'amour  de  sa  patrie.  » 
Ce  vœu  par  lequel  MM.  Jallifiier  et  Vast  terminent  leur  trop  modeste 
préface  sera  réalisé,  nous  leur  en  donnons  l'assurance.  En  trur- 
vaillant  à  nous  préparer  dans  l'école  de  bons  citoyens  et  de  bons 
Français,  ils  auront  bien  mérité  de  l'enseignement  primaire  et  de 
tous  ceux  qui  en  ont  la  ciiarge  devant  le  pays.  A.  Gazrau. 

Madamk  db  Mainteron,  institutrice,  par  Emile  Paguet^  professeur 
au  Lycée  Charlemagne,  1  vol.  in-16,  H.  Lecène  et  H.  Oudin,  éditeurs, 
Paris.  —  Ce  volume  de  250  pages,  et  dont  le  prix  broché  n'est  que 
de  1  fr.  50,  contient  une  introduction  où  M.  Faguet  a  étudié  dans 


LÀ  PRI86I   WT  Lit  LIYRKS  400 

Madame  de  Maintenon  la  femme,  rinstitatriee,  l'écrivain.  Il  a  résu- 
mé à  la  suite  les  appréciations  de  la  critique  moderne  (Sainte-Beuve, 
Gréard,  Mézièrea)  sur  la  véritable  fondatrice  de  renseignement  des 
jeunes  filles  en  France.  Vieot  ensuite  le  texte,  soigneusement  col« 
lationné  sur  les  meilleures  éditions,  des  extraits,  des  lettres,  avis, 
entretiens,  conversations  et  proverbes  de  Madame  de  Maintenon  sur 
l'éducation.  Enfin  M.  Faguet  a  donné  des  notes  explicatives  et  de 
nombreux  éclaircissements  où  il  a  fait  entrer  la  substance  du  Trai- 
té de  l'Education  des  filles  de  Fénelon,  dont  Madame  de  Maintenon 
s'est  inspirée.  Cette  nouvelle  édition  est  précédée  d'un  portrait, 
d'après  Mignard  (musée  de  Versailles),  représentant  Madame  de 
Maintenon  avec  son  élève  Mlle  de  Blois. 

Code  sfANUEL  des  certificats,  brevets,  examens  et  concours  de 
l'enseignement  primaire,  par  Charles  LhommCy  Paris,  H.  Lecène  et 
U.  Oudin,  1885  i  vol.  in-12  de  445  pages.  —  Depuis  quelques  années, 
les  examens  de  l'enseignement  primaire  ont  pris  une  telle  exten- 
sion, intéressent  tant  de  personnes,  que  les  ouvrages  de  législation, 
les  codes  scolaires  se  multiplient.  Chaque  éditeur  d'ouvrages  classi- 
ques veut  avoir  le  sien  et  c'est  à  qui  aura  le  plus  complet.  Sous  ce 
dernier  rapport,  on  peut  dire  que  l'ouvrage  de  M.  Charles  Lhomme 
atteint  la  perfection  du  genre  et  qu'il  ne  pèche  point  par  défaut. 
Quiconque  peut  avoir  besoin  de  connaître  ce  qu'est  un  examen 
d'enseignement  primaire,  depuis  l'examen  que  l'enfant  instruit  dans 
la  famille  doit  subir  chaque  année  aux  termes  deU  loi  du  28  mars 
1882,  jusqu  a  l'examen  du  professorat  dans  les  écoles  normales,  est 
sûr  de  trouver  dans  le  livre  de  M.  Ch.  Lhomme  les  renseignements 
les  plus  complets.  On  pourrait  désirer  plus  d'ordre  dans  la  disposi- 
tion des  documents,  une  division  mieux  marquée  dans  les  divers 
ordres  d'examens,  enfin  une  codification  plus  parfaite.  Mais  l'auteur 
a  voulu  être  complet,  donner  tous  les  textes  officiels  se  rattachant 
à  la  matière  (et  l'on  sait  s'ils  abondent  !)  ;  aussi  a-t-il  fait  un  gros 
volume  qui  sera  consulté  utilement,  sinon  commodément,  par  tous 
ceux  qui  par  besoin  personnel  ou  par  devoir  professionnel  ont  à 
s'occuper  des  examens  primaires.  B.  B. 

De  l'éducation  a  l'école  primaire,  professionnelle,  supérieure 
et  normale,  par  M.  Vessiot^  inspecteur  d'acadénue,  membre  du  Con- 
seil supérieur  de  l'instruction  publique.  Paris,  chez  Ract  et  C**, 
éditeurs,  1885.  —  Nos  lecteurs  connaissent  déjà  un  chapitre  d^  ce 
livre,  que  l'auteur  avait  bien  voulu  nous  communiquer  en  épreuves,  et 
qui  a  paru  dans  le  dernier  numéro  de  la  Revue,  On  a  vu  avec  quelle 
élévation  d'esprit  et  avec  quelle  sûreté  de  jugement  M.  Vessiot  a 
parlé  de  la  nécessité  de  développer,  surtout  dans  une  démocratie 
comme  la  nôtre,  le  sentiment  du  respect.  Les  mêmes  qualités  se 
retrouvent  dans  tout  l'ouvrage.  La  préface  indique  nettement  le  bot 
du  livre: 


MO  AIVUI  PÉSA«OaiQUK 

«  En  l'état  des  croyances  et  des  mœurs,  sous  un  régime  qui  donne 
]e  droit  au  nombre,  instruire  est  bien,  moraliser  est  mieux.  Si  Fim 
est  utile,  Faotre  est  nécessaire,  car  une  société  a  encore  plus  besoin 
de  moralité  que  de  savoir  et  d'honnêtes  gens  que  de  gens  instruits. 
Nous  n'apporlons  pas  un  nouveau  système;  du  reste,  en  matière 
d'éducation,  les  systèmes  n'ont  guère  que  l'apparence  de  la  nou- 
veauté, et  cette  nouveauté  même  est  à  bon  droit  suspecte...  Ce  n'est 
pas  de  systèmes  que  nous  avons  besoin,  ce  ne  sont  pas  les  Inmiè- 
les  qui  nous  manquent,  mais  les  exemples  et  les  hommes;  il  faut 
donc  former  des  éducateurs.  Le  sentiment  '  des  besoins  de  l'heure 
présente,  l'observation  de  l'état  moral  de  l'enfance,  des  influences 
malsaines  ou  bienfaisantes  auxquelles  elle  est  actuellement  exposée, 
des  conditions  favorables  et  défavorables  dans  lesquelles  s'entreprend 
l'oeuvre  de  l'éducation  nationale,  du  concours  ou  des  obstacles  que 
cette  œuvre  rencontre  dans  les  institutions,  les  idées  et  les  mœnrs, 
ont  donné  naissance  à  cet  ouvrage  ;  il  est  né  aussi  du  désir  sincère 
de  venir  en  aide  aux  instituteurs  dans  la  grande  tâche  que  les  cir- 
constances leur  imposent.  » 

M.  Vessiot  ne  se  refuse  pas  d'envisager  de  haut  les  grandes  ques- 
tions qui  de  tout  temps  ont  préoccupé  les  moralistes,  mais  c'est  aux 
instituteurs  qu'il  s'adresse  surtout,  c'est  dans  Yépo\e  qu'il  tient  à 
se  renfermer  autant  que  possible.  Signalons,  entre  autres,  les  excel- 
lents chapitres  consacrés  aux  récompenses  et  aux  punitions.  Cest 
donc  par  son  caractère  essentiellement  pratique  que  ce  livre  se 
distingue  de  toutes  les  publications  antérieures  :  c'est  ce  qui  en  fait 
la  valeur  et  le  mérite;  c'est  ce  qui  en  fera  certainement  le  succès. 

A.  Bbueieh. 

Langue  allemande. 

Uns  école  normale  Israélite.  —  Les  Rheinische  Blâtter  donnent 
quelques  renseignements  intéressants  sur  la  fondation  de  l'école 
normale  Israélite  qui  va  occuper  les  beaux  bâtiments  construits  à 
Miînster  à  cet  efifet,  et  qui  portent  le  nom  de  Fondation  Mark- 
Haindorf, 

Il  y  a  soixante  ans  environ,  en  Allemagne,  en  Prusse,  les  Israé- 
lites ne  possédaient  même  pas  d'écoles  primaires  ;  ils  ne  pouvaient 
pas  avoir  d'instituteurs;  on  ne  les  recevait  pas  dans  les  écoles  nor- 
males, du  moins  à  titre  d'élèves  réguliers;  ils  ne  pouvaient  qu'y 
rester  quelques  jours  en  passant.  Du  reste,  sauf  le  commerce, 
presque  toutes  les  branches  de  l'activité  humaine  leur  étalent  in- 
terdites. 

En  1825,  un  médecin,  le  D^  Heilbronn,  fonda  à  Minden  une  asso- 
ciation ayant  pour  but  de  répandre  la  connaissance  des  métiers  parmi 
les  juifs;  il  s'agissait  de  procurer  à  quelques  enfants  abandonnés 
des  moyens  d'apprentissage. 

La  même  année,  cette  même  idée  fut  reprise  et  étendue  par  le 


LÀ  PRESSE   ET  LES  UVRES  461 

professeur  Haindorf,  qui  constitua  à  Munster  une  association  des- 
tinée non  seulement  à  placer  de  jeunes  apprentis,  mais  encore  à 
fonder  une  école  où  les  plus  intelligents  des  enfants  Israélites  orphe- 
lins'ou  abandonnés  recevaient  l'instruction  nécessaire  pour  les  pré- 
parer à  devenir  instituteurs. 

Celte  association  réussit  pleinement,  et  son  influence  dépassa 
bientôt  les  limites  des  provinces  de  Westphalie  et  du  Rhin  pour 
lesquelles  elle  avait  été  primitivement  fondée. 

Le  D'  Haindorf,  professeur  de  médecine  et  de  chirurgie  a  la  Fa- 
culté de  Munster,  devenu  riche  par  un  mariage  avec  la  fille  d'un' 
opulent  habitant  de  Hamm,  W^^  Mark,  se  consacra  à  son  école  normale 
avec  un  admirable  et  infatigable  dévouement.  Il  réussit  à  écarter 
les  difficultés,  à  vaincre  les  mauvais  vouloirs,  à  réunir  les  fonds 
nécessaires,  à  gagner  pour  son  œuvre  la  sympathie  et  le  concours' 
de  gens  de  toute  religion.  Il  joignit  à  l'école  normale  une  école 
annexe  qui  finit  par  acquérir  une  grande  extension  et  une  certaine 
renonmiée.  Dans  la  classe  supérieure,  on  enseignait  le  latin,  le 
français  et  l'anglais;  des  enfants  des  divers  cultes  recevaient  les 
mêmes  leçons  ;  des  fils  de  riches  négociants  venaient  partager  cer- 
taines études  des  jeunes  normaliens.  Des  professeurs  distingués, 
des  spécialistes  connus  tenaient  à  honneur  de  venir  enseigner  dans 
l'établissement;  plusieurs  le  faisaient  sans  rétribution. 

La  maison  était  une  sorte  de  république,  qui  se  gouvernait  par 
les  délibérations  et  l'entente  des  maîtres.  Le  D'  Haindorf  animait 
tout  de  sa  vie,  de  son  entrain.  Il  s'était  réservé  de  faire  des  cours 
d'histoire  naturelle  et  de  déclamation,  tout  en  continuant  ses  cours 
à  la  faculté  et  sa  pratique  médicale  en  ville;  il  venait  fréquemment 
assister  aux  leçons  des  maîtres  ;  on  le  voyait  souvent  aux  leçons  de 
mathématiques,  qui  avaient  lieu  en  été  le  matin  de  cinq  heures  à  six, 
se  glisser  silencieusement  dans  la  salle,  s'asseoir  derrière  les  élèves 
et  écouter  tranquillement.  11  se  rendait  souvent  aussi  au  milieu  des 
élèves,  causait  avec  eux,  les  conseillait,  les  dirigeait,  les  encoura-' 
geait,  et  restait  parfois  avec  eux  fort  avant  dans  la  soirée. 

La  mort  de  Haindorf  en  1862  fut  une  perte  immense  pour  l'école» 
mais  l'œuvre  était  fondée  et  ne  périt  pas.  Un  comité  s'organisa,  on 
directeuv  (ut  mis  à  la  tête  des  maîtres,  des  fonds  furent  recueillis, 
des  legs  furent  institués  ;  la  belle-mère  de  Haindorf  avait  déjà  fait 
une  donation  de  près  de  cent  mille  francs  qui  ne  fit  que  s'accroître 
par  d'autres  dons  et  par  des  souscriptions  annuelles.  Le  comité  se 
vit  enfin  assez  riche  pour  construire  une  école  neuve  dont  la  pre- 
mière pierre  fut  posée  le  2  mai  de  l'année  dernière,  centenaire  de 
la  naissance  du  D'  Haindorf.  L'avenir  et  la  prospérité  de  cet 
établissement  semblent  désormais  assurés. 

Les  ÉPRBirvBS  publiques.  —  Il  est  d'usage  dans  les  écoles  alle- 
mandes de  faire  passer  tous  les  ans,  à  la  fin  de  Tatoée,  des  examens 


401  IKVUS  PÉDÀ606IQU1 

publics,  qui  ont  lieu  devant  les  familles,  divers  professeurs,  un 
inspecteur,  et  un  certain  nombre  de  personnes  qui  à  un  titre  quel- 
conque s'intéressent  à  Técole.  Ces  épreuves  consistent  en  interro- 
gations faites  par  l'instituteur  même  de  la  classe,  et  durent  pour 
cbaque  classe  une  demi-heure.  On  discute  en  ce  moment  la  ques- 
tion de  safoir  si  ces  épreuves  publiques  sont  utiles  ou  non;  elles 
ont  leurs  détracteurs  et  leurs  partisans.  Plusieurs  articles  de 
revues  pédagogiques  traitent  ce  sujet. 

Les  uns  font  remarquer  que  pour  un  grand  nombre  de  classes, 
ces  épreuves  sont  une  pure  comédie  ;  le  maître  prépare  ses  élèves 
à  répondre  par  cœur  à  des  questions  déterminées  d'avance;  il 
désigne  à  la  fois  les  questions,  les  réponses,  les  élèves  qui  répondent. 
On  cite  des  faits  probants,  des  maîtres  qui  se  trompent  d*élèves  et 
qui  obtiennent  des  réponses  qui  sont  de  vrais  coq-à-l'âne;  des 
classes  inattentives  parce  que  les  enfants  savent  que  ceux  qui  ont 
été  marqués  et  stylés  d'avance  seront  les  seuls  interrogés.  II  s'agit 
de  jeter  de  la  poudre  aux  yeux,  d'étonner  le  public,  de  charmer 
les  parents,  de  tromper  sur  la  valeur  de  l'enseignement  donné. 
Quelquefois  le  maître  se  propose  uniquement  de  faire  briller  les 
enfants  de  famille  influente  et  d'obtenir  ainsi  une  gratification  de 
la  munificence  du  conseil  scolaire. 

Certains  maîtres  sont  incapables  de  rien  tirer  de  leurs  élèves,  et 
se  décident  à  poser  les  questions  et  les  réponses,  se  contentant 
d'obtenir  de  simples  oui  et  non.  Plusieurs  n'ont  qu'une  préoccupa- 
ti(m,  remplir  la  demi-heure  obligatoire  tant  bien  que  mal,  parlent 
lentement,  répètent  à  plusieurs  reprises  les  questions  posées,  les 
réponses  données,  et  réusissent  à  ennuyer  les  auditeurs  qui  se  pro- 
mettent de  ne  plus  revenir. 

La  principale  objection,  ou  du  moins  la  plus  sérieuse,  qui  est 
faite  aux  interrogations  publiques,  c'est  qu*elles  tendent  à  faire  pré- 
dominer la  recherche  de  la  quantité  de  savoir  acquis  sur  celle  de  la 
qualité,  de  la  méthode.  On  vise  à  bourrer  la  mémoire  des  enfants 
plus  qu'a  développer  harmoniquement  leurs  facultés,  à  les  instruire 
plus  qu'à  les  élever,  parce  qu'il  est  plus  facile  de  ûdre  apprécier  à 
un  auditoire  de  deux  ou  trois  cents  personnes  les  choses  apprises 
que  la  manière  dont  elles  <mt  été  enseignées  et  les  résultats  acquis 
plutôt  que  les  germes  féconds  des  résultats  futurs. 

Les  partisans  des  épreuves  publiques,  qui  correspondent  jusqu'à 
un  certain  point  à  nos  solennelles  distributions  de  prix,  y  voient  de 
sMeux  avantages  et  en  demandent  énergiquement  le  maintien.  Ces 
interrogations  peuvent  très  bien  faire  vohr,  disent-ils,  non  seulement 
ce  qui  a  été  enseigné,  mais  dans  quel  esprit,  avec  quelle  méthode 
renseignement  a  été  donné.  11  y  a  des  abus  possibles;  il  est  f&cheox 
que  les  maîtres  ne  comprennent  pas  le  devoir  d'interrogations  sin- 
cères, mais  il  appartient  aux  directeurs  d'écoles,  aux  inspecteots 
de  le  leur  faire  sentir.  On  pourrait  faire  poser  qualités  questions 


LA  PRKSai  ET  LIS  LITUS        «  463 

par  une  autre  personne  que  rinstituteor  habituel;  mais  ce  serait 
dérouter  les  enfants;  le  mieuxest  de  déterminer  les  maîtres  à  donner 
autant  que  possible,  pendant  cette  demi-heure,  l'image  de  leur 
enseignemeat  ordinaire. 

La  perspective  de  la  séance  publique  est  un  stimulant  pour  tous; 
nul  ne  veut  rester  en  arrière  ;  et  si  Ton  a  soin  d'éviter  une  oon- 
Gurrence  fiévreuse  et  malsaine  entre  les  écoles,  on  obtiendra  de 
bons  résultats. 

Ces  séances  publiques  ont  en  outre  l'avantage  d'initier  les  parents 
à  la  vie  scolaire,  de  les  intéresser  aux  travaux  de  leurs  enfants, 
de  leur  montrer  sur  le  fait  les  bonnes  méthodes  d'enseignement, 
la  manière  de  diriger  les  esprits,  de  les  mettre  sur  la  voie;  elles 
sont  un  enseignement  pour  les  familles.  De  plus,  elles  établissent 
un  lien  plus  étroit  entre  la  famille  et  l'école  ;  ces  deux  facteurs  de 
l'éducation  concourent  ensemble,  à  ce  moment,  visiblement,  à  la 
même  œuvre;  les  parents  voient  le  maître  à  sa  tâche,  si  difficile, 
si  délicate,  lui  savent  gré  de  ses  efforts,  comprennent  mieux  les 
difficultés  qu'il  rencontre,  sont  plus  disposés  à  l'aider,  à  l'encou- 
rager. 

Enfin,  c'est  Toccasion  d^une  fête  scolaire  qui  élève  les  esprits  et 
les  cœurs,  qui  rapproche,  qui  réjouit,  qui  met  l'école  en  lumière, 
qui  contribue  par  conséquent  à  l'éducation  morale  du  peuple. 

En  résumé,  il  en  est  de  ces  examens  publics  comme  de  tant 
d'autres  procédés;  ils  valent  par  l'esprit  qu'on  y  apporte,  par  le 
but  qu'on  y  poursuit;  on  peut  les  ravaler  au  rang  de  simple  rou- 
tine et  de  dangereuse  comédie,  ou  les  transformer  en  un  excellent 
moyen  de  bonne  et  féconde  pédagogie*  Tant  vaut  le  maître,  tant 
vaut  le  procédé. 

Lis  DI8TRIBUTI01I8  DE  PRIX.  —  La  Deutêehe  Sehulseitung  prend  la 
défense  des  distribntlons  de  prix,  dont  la  suppression  a  été  deman- 
dée récemment  au  conseil  municipal  de  Berlin. 

Les  théoriciens  qui  condamnent  les  prix,  dit  l'auteur  de  l'article, 
s'appuient  sur  Tautorité  de  Kant,  d'après  lequel  les  châtiments 
forment  les  c  naturels  servUes  »,  et  les  récompenses  les  «  naturels 
mercenaires  »,  tandis  que  ceux  qui  ne  sont  pas  récompensés  regar- 
dent leurs  camarades  d'un  air  jaloux.  Les  enfants,  dit-on,  doivent 
apprendre  à  travailler  par  devoir  et  non  par  crainte  ou  par  innbition; 
la  curiosité  chez  les  élèves,  le  talent  chez  le  maître  doivent  suffire 
à  entretenir  l'attention  et  l'application;  la  recherche  de^  récompenses 
et  la  crainte  des  châtiments  constituent  des  mobiles  immoraux. 

L'auteur  de  l'article  répond  que  ce  n'est  pas  du  premier  coup  que 
les  enflants  peuvent  être  âeyéi  à  ces  hautes  conceptions  de  monditè!} 
qu'on  ne  peut  pas  demander»  même  à  des  hommes,  de  renoncer  i 
to^ute  disUnctioa  et  récompense  de  leur  mérite  et  de  leurs  eflèrta, 
qu'ils  ont  besoin  d'être  encouragés  dans  leur  travail  par  des  résultats 


464  BIVUl  VÉDÀ60CIOUS 

visibles,  quis'ajoutent  utilement  au  sentiment  du  devoir;  que  le  monde 
est  ainsi  fût  et  que  les  enfants  vivent  au  milieu  de  ce  monde. 

La  nature  des  côifants  est  plus  portée  encore  que  celle  des  hommes 
vers  ce  qui  frappe  les  sens  ;  ce  n'est  que  graduellement,  par  l'effet 
même  de  Téducation,  qu'on  peut  arriver  à  les  «  spiritualiser  ». 
Gomment  doncexi;^er  d'eux  ce  qu'on  n'exige  pas  de  nous,  qu'ils  fassent 
sans  cesse  le  bien,  sans  penser  ni  à  récompense  ni  à  châtiment, 
uniquement  par  sentiment  du  devoir  et  pas  amour  du  bien? 

Kant,  qui  condamne  les  récompenses,  se  garde  bien  d'écarter  les 
punitions.  Le  motif  de  la  crainte  est-Il  donc  plus  noble  que  celui  de 
l'honneur  ou  de  l'ambition?  L'un  des  deux  principes  est  tout 
au  moins  aussi  dangereux  que  l'autre  et  ne  propose  pas  de  meilleurs 
mobiles.  Oui,  les  théoriciens  ont  raison;  le  but  de  toute  éducation 
doit  être  d'amener  les  enfants  à  faire  le  bien  par  pur  amour  du  bien; 
mais  la  récompense  et  le  châtiment  sont  des  moyens  indispensables 
pour  se  rapprocher  de  ce  but;  il  est  seulement  bien  entendu  qu'il 
faut  les  employer  d'une  manière  intelligente,  de  moins  en  moins 
matérielle  et  grossière,  jusqu'à  ce  que  l'enfant,  devenu  homme, 
trouve  les  plus  efficaces  châtiments  et  récompenses  dans  sa  conscience 
même. 

L'auteur  déclare  expressément,  du  reste,  que  les  distribations  de 
prix  doivent  se  faire  sans  une  solennité  et  une  pompe  excessive,  de 
façon  à  ne  pas  donner  aux  enfants  l'idée  qu'ils  sont  des  person- 
nages en  quelque  sorte  publics  et  importants.  Mais  il  ne  serait  pas 
bon  d'autre  part  de  supprimer  sans  une  nécessité  absolue  des 
habitudes  populaires  anciennes,  profondément  enracinées.  Il  faut  à 
la  vie  un  certain  éclat,  et  surtout  à  la  vie  des  enfants  ;  il  faut  sa- 
voir parler  à  leur  imagination  et  imprimer  d'heureux  et  utiles 
souvenirs  dans  leur  mémoire. 

Il  peut  sans  doute  y  avoir  parfois,  par  exception,  des  erreurs  dans 
Tattribution  des  récompenses;  mais  est-il  humainement  possible 
de  les  éviter,  même  dans  de  simples  louanges  et  blâmes?  Quant 
à  l'envie,  à  la  jalousie  qui  pourront  naître  au  cœur  des^âlèires  non 
récompensés,  est-ce  une  raison  pour  refuser  les  laurier^  au  mérite  ? 
Peut-on  supprimer  les  mauvais  sentiments  en  les  ménageant  de  la 
sorte?  Les  enfants  sont  habituellement  justes,  et  ils  ne  s'étonnent 
pas  qu'un  plus  grand  honneur  soit  accordé  à  ceux  qui  ont  plus  de 
mérite,  qui  ont  reçu  de  Dieu  ou  accru  par  le  travail  des  dons 
privilégiés. 

Le-  muséb  pédagogique  de  Berun.  —  Le  musée  pédagogique  qui 
vient  d'être  inauguré  à  Berlin,  nous  dit  la  Bayerisdie  Ùkrerxeitung, 
h%  eu  les  plus  modestes  commencements.  Voilà  neuf  ans  que  des 
hommes  de  bonne  volonté  y  travaillent  avec  zèle  et  intelligence. 
La  bibliothèque  n'a  pas  tardé  à  croître  grâce  à  des  dons  importants, 
soit  de  partîeuiiers,  soit  de  maisons  de  librairie;  un  généreux  dons- 


LA  PRESSE  ST  LES   LIVRES  46K 

teur,  nommé  Wagener,  fit  don  entre  autres  d*uae  magnifique  collec- 
tion de  voyages  comprenant  345  volumes,  dont  plusieurs  ornés  de 
belles  et  précieuses  gravures. 

La  bibliothèque  du  musée  pédogogique  compte  aujourd'hui  plus 
de  six  millo  volumes  qui  traitent  de  (Uverses  matières,  mais  parti- 
cnlièrement  de  toutes  les  branches  de  la  pédagogie.  On  y  trouve 
des  ouvrages  de  théologie,  de  philosophie,  d*hlstoire,  de  géographie, 
de  mathématiques  et  d^astronomie,  d'histoire  naturelle,  de  littéra- 
ture, de  droit,  de  médecine,  d'hygiène,  d'art  et  d'industrie. 

Outre  la  vaste  salle  de  la  bibliothèque,  le  musée  contient  d'autres 
chambres  moins  grandes  où  l'on  vient  lire  et  écrire,  qui  servent  de 
laboratoires,  de  salies  de  conférence.  De  plus,  il  renferme  une  très 
curieuse  et  complète  collection  de  matériel  d'enseignement. 

Là  sont  rassemblés  les  objets  en  apparence  les  plus  divers,  mais 
reliés  par  une  pensée  commune  :  des  cartes  de  géographie  anciennes 
et  modernes,  des  atlas,  des  tableaux,  de  magnifiques  images,  des 
cartes  murales  représentant  des  spécimens  ou  des  collections  d'his- 
toire naturelle,  les  insectes,  les  papillons,  les  végétaux,  les  minéraux, 
les  métaux,  etc. 

On  y  trouve  même  des  machines  à  lire  et  à  compter,  des  tableaux 
anatomiques,  ethnographiques,  des  animaux  dont  toutes  les  parties 
se  démontent,  bref,  tout  ce  que  la  pédagogie  moderne  a  imaginé 
pour  faciliter  l'enseignement  par  la  vue. 

Une  salle  spéciale  expose  une  riche  collection  d'appareils  de  phy- 
sique et  de  chimie;  ailleurs,  c'est  le  modèle  d'une  petite  machine  è 
vapeur  très  minutieusement  confectionnée  ;  ailleurs  encore  toute  une 
collection  de  modèles  et  d'instruments  de  dessin,  tout  un  matériel 
pour  renseignement  méthodique  des  travaux  de  femmes,  etc. 

La  feuille  bavaroise  à  laquelle  nous  empruntons  ces  détails  fait 
remarquer  que  le  musée  pédagogique  de  Berlin  est  le  seul  qui 
existe  dans  l'Allemagne  tout  entière,  et  qu'il  n'y  a  d'institutions 
analogues  qu'à  Londres,  Vienne  et  Paris.  Encore  ces  deux  derniers 
sont-ils  de  création  récente  et  n'ont  pas  eu  encore  le  temps  d'ac- 
quérir le  développement  auquel  ils  sont  appelés. 

L'usage  des  ardoises.  —Le directeur  de  l'école  normale  de  Stras- 
bourg, M.  Largiadèr,  communique,  dans  le  Journal  scolaire  d* Alsace- 
Lorraine,  des  observations  sur  les  inconvénients  de  l'ardoiie  pour  la 
vue  des  enfants.  C'est  Pestalozzi  qui  a  introduit  l'ardoise  dans  les 
écoles  de  Zurich;  c'est  dans  cette  ville  aussi  qu'on  a  examiné  avec 
le  plus  d'attention  les  conséquences  de  ce  système.  Le  professeur 
Horncr,  dans  un  rapport  qui  date  déjà  de  1878,  a  condamnél'usage 
de  l'ardoise,  et  la  vûle  de  Zurich  n'en  distribue  plus  dans  les  écoles. 
£lle  a  remplacé  l'ardoise  et  même  le  crayon  noir,  dont  le  tracé  est 
gris,  parla  plume  et  l'encre.  La  dépense  est  certainement  un  peu 
plus  forte.  La  ville  fournit  le  matériel  d'écriture  et  de  dessin  pour 

IBVCB  piDAGOOlQUB  1885.  —  1»  glS.  30 


466  BIVUK  PÉDAÛOGIQUK 

environ  i  franc  par  an  aux  élèves  do  première  année,  1  IV.  00  c.  à 
ceux  de  deuxième  aunéc,  et  2  francs  à  ceux  des  années  suivantes. 

Le  comité  médical  chargé  par  le  gouverneur  d'Alsace -Lorraine 
d'une  enquête  sur  ce  sujet  déclare  que  le  mal  causé  par  les  ardoises 
n'est  pas  si  grand  que  certains  auteurs  le  prétendent,  surtout  si 
i  on  se  borne  à  les  mettre  entre  les  mains  de  tout  jeunes  enfants, 
chez  qui  il  n'y  a  pas  de  disposition  à  la  myopie.  M .  Largiadèr  n'est 
pas  de  cet  avis.  11  communique  entre  autres  le  résultat  suivant  d'ob- 
servations multiples.  Etant  donné  les  lettres  £B  écrites  noir  sur 
blanc,  blanc  sur  noir,  gris  sur  noir,  même  grandeur,  même  éclat- 
rage,  les  plus  grandes  distances  auxquelles,  l'œil  les  aperçoit  sont 
respectivement  figurées  par  ces  nombres;  496  —  421  —  330.  Il 
s'en  suit  donc  que  c'est  le  tableau  noir  avec  la  craie  et  l'ardoise 
avec  le  crayon  (entre  le  crayon  d'ardoise  et  le  crayon  de  plomb  il 
y  n  peu  de  dilîérence)  qui  exigent  le  plus  grand  effort  de  l'œil. 

Le  professeur  Horner  ajoute  que  le  luisant  de  l'ardoise  a  encore 
pour  filcheux  effet  d'obliger  les  enfants  à  tenir  la  tel e  obliquement, 
et  M.  Largiadèr  attribue  également  à  ce  système  la  difficulté  d'obte- 
nir des  enfants  de  classes  élémentaires  une  bonne  écriture. 

Les  classes  spéciales  pour  les  enfants  peu  doués.  —  On  a  eu 
ridée,  dans  diverses  villes  d'Allemagne,  de  créer  des  classes  spé- 
ciales pour  les  enfants  médiocrement  doués  (schwach  begabt),  afin 
que  les  maîtres,  se  consacrant  entièrement  à  eux,  sans  être  absorbés 
par  le  soin  d'élèves  plus  intelligents,  leur  fissent  faire  de  plus  réels 
progrès. 

Cette  institution  soulève  de  sérieuses  objections  de  la  part  d'un 
COI  respondant  du  Pœdagogium, 

Il  pense  que  rien  n'est  plus  difficile  à  tracer  que  la  limite  qui 
sépare  des  enfants  médiocrement  doués  d'enfants  imbéciles  et  d  autre 
part  aussi  la  limite  qui  les  sépare  d'enfants  ayant  des  facultés  nor- 
malos.  Un  instituteur  peut  facilement  s'y  tromper;  qu'un  enfant 
soit  intimidé,  loi^rd,  mal  disposé,  on  peut  lui  attribuer  une  incapa- 
cité qui  n'est  pas  réelle. 

Le  plus  grand  nombre  des  enfants  mis  ainsi  de  côté,  placés  sous 
cette  rubrique,  le  sont  habituellement  par  des  maîtres  jeunes  inex- 
périmentés. 

Comenius  estimait  que  la  proportion  des  esprits  incapables  est  à 
peu  près  la  même  que  celle  des  corps  dilîormes;  or  si  l'on  trouve 
dans  une  école  deux  enfants  difformes  sur  300,  et  en  revanche  des 
bancs  entiers  d'enfants  déclarés  ineptes,  peut-être  faut-il  accuser 
i'ai»préciation  un  peu  légère  du  maître  plutôt  que  la  nature. 

Entre  autres  inconvénients  de  cette  séparation,  le  correspondant 
fait  valoir  celui-ci  :  les  parenls  aisés  no  laisseront  pas  volontiers 
aller  leurs  enfants  dans  une  classe  marquée  d'avance  d'un  tel  "^igne, 
dpns  «  l'école  des  imbéciles  »;  et  si  on  la  réserve  aux  enfants  des 


LA  PRESSE   ET   LES   LIVRES  467 

familles  pauvres,*  en  ne  fait  qu'attiser  la  haine  des  classes  et  leur 
donner  le  plus  spécieux  sinon  le  plus  légitime  des  prétextes. 
L'enfant  qui  sortira  d'une  telle  classe  en  portera  lourdement  le  poids; 
il  ne  trouvera  pas  de  patron  pour  l'engager,  et  sa  réputation  d'in- 
capable le  suivra  longtemps. 

11  va  sans  dire  que  de  telles  institutions  seraient  absolument 
impossibles  en  France  ;  nous  estimons  que  l'émulation  est  une  des 
conditions  les  plus  avantageuses  de  l'éducation  commune,  et  que 
les  esprits  lents,  peu  doués,  ioattentifs  ne  peuvent  que  gagner  au 
contact  de  camarades  plus  alertes. 

Il  serait  du  reste  intéressant  que  les  maîtres  chargés  des  classes 
comme  celles  dont  nous  entretient  le  Pœdagogium  fissent  connaître 
le  résultat  de  leurs  expériences;  sauf  l'expression  et  la  désignation, 
qui  sont  des  plus  malheureuses,  ces  classes  peuvent  représenter 
tout  bonnement  une  divisiop  iiiférieure,  moins  avancée,  comme  il 
s'en  trouve  partout,  et  qu'il  dépend  de  l'intelligence  et  do  l'activité 
du  maître  de  pousser  plus  ou  moins  vite  en  avant. 

Le  travail  intellectuel  est-il  ine  fatigue?  —  Un  article  du 
D""  WolOberg  dans  la  Deutsclic  Rundschau  l'ait  justice  de  ce  préjuge 
qui  menoce  de  s'introduire,  sous  prétexte  d'hygiène,  dans  notre  phi- 
l&mthropic  scolaire,  à  savoir  que  le  travail  intellectuel  est  nuisible 
à  la  santé,  qu'il  est  presque  une  «  surcharge  »  en  lui  même,  qu'il  est 
un  mal,  nécessaire  sans  doute,  mais  un  mal,  au  point  de  vue  du 
développement  du  corps. 

Bien  loin  de  là,  dit  le  D""  WoKï'berg,  l'activité  intellectuelle 
est  un  élément  de  santé  et  de  vie.  Les  eil'orts  de  TintelUgence 
entretiennent  utilement  le  fonctionnement  de  l'organisme  humain, 
et  lui  fournissent  de  fécondes  excitations  qui  manquent  aux  hommes 
d'esprit  paresseux. 

L'histoire  de  tous  les  temps  est  là  pour  démontrer  que  la  longévité 
la  plus  étendue  s'associe  à  merveille  aux  plus  énergiques  travaux  de 
l'esprit.  L'ancêtre  des  médecins,  llippocratc,  est  mort  à  104  ans, 
Michel-Ange  à  91,  Platon  à  82,  Newton  à  85,  Voltaire  à  80,  Kant 
au  même  âge,  Gœthe  à  83  ans,  Sophocle  à  92.  L'énumération  est 
incomplète,  mais  suffit  déjà  à  démontrer  que  la  culture  de  l'esprit 
entretient  la  flamme  vitale  et  semble  communiquer  une  force  par- 
ticulière aux  organes  épuisés  par  Tuge. 

.1.  S. 


CHRONIQUE   DE    L'ENSEIGNEMENT    PRIMAIRE 

EN   FRANCE 


Bibliothèques  populaires  des  écoles  publiques.  —  M.  le  ministre 
a  fixé  à  six  par  département  le  nombre  des  instituteurs  qu'il  ré- 
compensera chaque  année  pour  leur  dévouement  au*  service  des 
bibliothèques  scolaires.  Il  en  résultera  une  sorte  d'émulation  qui  ne 
pourra  que  profitera  Tinstitution  des  bibliothèques.  MM.  les  institu- 
teurs comprendront  lo  caractère  de  cette  mesure,  et  ne  perd  ont  pas 
de  vue  que  cette  récompense  aura  d  autant  plus  de  valeur  qu'elle 
ne  sera  accordée  qu'aux  plus  dignes  d'entre  eux. 

Les  écoles  du  Creuzot.  —  Le  Bulletin  départemental  de  l.i  Somme 
'  contient  un  intéressant  rapport  adressé  à  l'inspecteur  d'académie 
par  MM.  Mariin  etSégard,  instituteurs,  sur  un  voyai^e  d  éludes  qu'ils 
ont  fait  pendant  les  dernières  vacances.  Us  ont  visité  Paris.  Châlons, 
Dijon,  le  Creuzot,  Bourges,  Orléans,  Chartres,  Grignon,  Ver-Cailles 
et  Beauvaîs.  On  voit  qu'ils  ont  su  tirer  bon  parti  des  deux  bourses 
de  voyage  que  le  Conseil  général  de  la  Somme  a  Texccl lente  habitude 
de  voler  tous  les  ans.  Nous  extrayons  de  leur  rapport  ce  qui  est 
relatif  aux  écoles  du  Creuzot. 

a  Nous  nous  dirigeons  vers  l'usine.  Nous  rencontrons  en  chemin 
deux  divisions  d'élèves  qui,  sous  la  conduite  de  leurs  professeurs, 
vont  faire  la  promenade  habituelle  du  jeudi.  Nous  sommes  en 
face  de  l'école  de  l'usine;  nous  y  entrons.  Le  directeur,  M.  Welter, 
nous  re^'oit  avec  une  grande  affabilité,  nous  fait  v(»ir  les  classes 
fort  bien  aménagées  où  tous  les  progrès  s'introduisent. 

»  Une  amélioration  que  nous  n'avons  rencontrée  nulle  part  nous 
frappe  tout  d'abord  :  c'est  que  chacune  des  six  classes  de  l'école  est 
garnie  d'un  tableau  noir  de  plus  de  deux  mètres  de  hauteur  sur 
toute  la  largeur  de  la  salle.  Cette  disposition  offre  un  grand  avantage 
pour  l'enseignement.  On  peut  disposer  sur  ce  tableau  toutes  sortes 
de  devoirs:  dessin,  musique,  géométrie,  arithmétique,  gé  «graphie, 
modèles  d'écriture,  etc.  Pour  passer  d'un  exercice  à  un  autre,  on 
n'est  pas  obligé  d'effacer  ce  qui  a  fait  l'objet  do  leçons  précédentes. 

»  Les  tables  de  la  première  classe  sont  larges  et  parfaitt*ment 
disposées  pour  la  pratique  du  dessin.  Le  musée  scolaire  renferme 
une  collection  de  minéraux  et  de  plantes  de  la  localité;  on  s'arrête 
avec  plaisir  dans  une  jolie  salle  de  laboratoire  pour  le>  «'xpénences 
de  physique  et  de  chimie.  Les  professeurs  font  un  rajipon  hebdoma- 
daire. Le  directeur  tient  un  cahier  de  notes  mensuelles  et  avertit 
les  parents  en  cas  de  faute  grave. 


GHBONIQUE  DE   L*ENSEIGNEMSNT   PRIMAIRE    EN    FRANGE  469 

»  t)n  ne  fait  pas  de  travaux  manuels.  Les  maîtres  exposent  les 
principes  de  construclion  de  certains  objets  que  les  enfants  exécutent 
chez  odx,  ce  qui  nous  a  paru  être  une  excellente  innovation. 

»  Tous  les  mois,  les  élèves  de  la  première  classe  visitent  quelque 
partie  de  l'usine,  et  font  un  rapport  accompagné  d'un  dessin  sur  ce 
qu'ils  ont  vu.  C'est  là,  croyons-nous,  une  excellente  pratique. 

»  Chaque  élève  a  entre  les  mains  deux  cahiers  très  bien  tenus, 
un  pour  les  sciences  et  un  pour  les  lettres.  » 

L'exposition  scolaire  de  Lille.  —  Le  Bulletin  départemental  du 
Pas-de-Calais  contient  d'intéressants  renseignements  sur  l'exposition 
scolaire  qui  a  été  organisée  ou  plutôt  improvisée  à  Lille,  dans  le  Palais 
Rameau,  à  l'occasion  du  cinquième  congrès  annuel  de  la  Ligue  de 
l'enseignement  dont  nous  avons  parlé  dans  le  dernier  numéro  de  la 
Revue.  Le  local  choisi  donne  à  cette  exposition,  fort  intéressante  par  elle- 
même,  un  cadre  magnifique  qui  ajoute  encore  à  son  attrait;  aussi 
les  visiteurs  y  affluent-ils  chaque  jour.  A  l'extrémité  de  la  salle  s'élève 
une  estrade  pour  les  concerts;  au  milieu  s'étend  un  jardin  de  ver- 
dure, et  de  chaque  côté,  à  droite  et  à  gauche  de  deux  longues  allées, 
se  trouvent  les  objets  exposés:  les  galeries  du  premier  sont  occupées 
par  des  cartes  et  des  tableaux  et  aboutissent  à  une  salle  réservée 
au  matériel  scolaire  de  la  ville  de  Lille.  Cette  disposition  nous  paraît 
des  plus  heureuses. 

Nous  ne  relèverons  que  ce  qu'il  y  a  de  plus  intéressant  dans  le 
compte-rendu  que  nous  avons  sous  les  yeux: 

Tableaux  d'histoire  et  de  géographie.  —  Outre  les  tableaux  de  M"®  Ker- 
gomardct  ceux  de  CIceri,  on  trouve  des  portraits  historiques  sur  étolTe  exposés 
par  la  Société  de  décoration  artistique  et  de  tissus  peints  de  Billancourt 
^Seine);  ces  tableaux  sont  bien  faits,  mais  ils  n'ont  pas  encore  reçu  la  consé- 
cration de  rexpérienco. 

Tableaux  pour    l'enseignement  des   sciences,    —    L'importante    collection 


humaine  de  Blanchard  et  les  tableaux  d'animaux  de  Delagrave  pour  les  écoles 
maternelles.  La  maison  Delatain  expose  aussi  des  tableaux  d'histoire  naturelle; 
ils  sont  imprimés  sur  calicot  blanc  et  peuvent  au  besoin  être  soumis  au  lavage. 
La  collection  n'a  que  11  tableaux:  les  dessins  sont  bien  faits  et  les  couleurs 
août,  parali-il,  inaltérables.  On  remarque  encore  les  tableaux  d'enseignement 
par  les  yeux  coloriés  sur  fond  noir  par  Armengard,  éditeur  Delagrave;  ils 
plaisent  beaucoup  à  l'œil. 

Tableiux  not/w,  ardoises.  —  Ler  tableaux  noirs  ne  manquent  pas  à  l'expo- 
siLion;  presque  tous  sont  ardoisés  et  ce  sont  les  meilleurs.  Ils  sont  montés 
sur  ch3vulet  ou  bien  fixés  au  mur.  Plusieurs  sont  superposés  et  s'élèvent  et 
s'abaissent  à  volonté:  d'autres,  également  superposés,  tournent  sur  gonds 
comme  les  feuillets  d  un  livre.  La  maison  Suzanne  ex|)ose  des  ardoises  factices, 
des  cartes,  des  globes  ardoisés  et  des  tableaux  ardoisés.  La  maison  Nathan  a 
voulu  innover  :  elle  oITre  une  ardoise  factice  blanche  qui  n'a  aucuu  des  incon- 
vénients des  ardoises  noires  naturelles  ou  factices.  Celte  ardoise  est  un  verre 
dépoli;  elle  n'exige  pas  l'emploi  d'un  crayon  spécial,  ce  qui  est  un  avantage, 
nt  on  peut  se  servir  du  crayon  de  mine  ordinaire  ou  même  de  la  plume. 

Dessin.  —  La  librairie  Dioniojq  a  une  belle  exposition  de  méthodes,  de 


470  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

cahiers  et  de  modèles  de  dessins.  Tout  le  monde  connnit  les  cahiers;  mais 
ce  qui  est  nouveau,  et  surtout  pratique,  ce  sont  les  modèles  reliefs  en  carton 
bristol,  remplaçant  les  ])lâtres.  tes  modèles  sont  légers,  solides  et  surtout  bon 
marché  (6  francs  la  douzaine).  Comme  ils  sont  en  relief  d'un  côté  et  creux 
de  l'autre,  ils  peuvent  être  doublement  utilisés.  Nous  aimons  beaucoup  aussi 
les  modèles  de  dessin  de  Charvet  et  Pillet,  chez  Delagrave  ;  ce  sont  de  grandes 
esquisses,  bien  aiTétécs,  en  noir  sur  fort  papier  bulle,  et  de  grandes  dimen- 
sions; ils  remplacent  avantageusement  les  cahiers  et  aussi  les  modèles  au 
tableau  noir  qui  exigent  beaucoup  de  temps  et  une  aptitude  spéciale.  Si  ces 
tableaux,  ou  nu  moins  les  premiers  de  la  série,  étaient  quadrilles,  ils  seraient 
excellents  de  tout  point. 

Géographie.  —  Les  cartes  géographiques  sont  très  nombreuses;  les  insti- 
tuteurs les  connais-^cnt  toutes  et  sont  fixés  sur  leur  mérite  relatif. 

Mentionnons,  cependant,  la  belle  carte  hypsométrique  du  Nord  et  du  Pas- 
de-Calais,  par  M.  Mille,  de  Douai;  les  cartes  hypsométriques  et  statistimies 
de  M.  Wacquez-Lalo.  M.  Wacquez-Lalo  est  en  oufre  l'auteur  d'une  géographie 
du  département  du  Nord  ;  elle  est  accompagnée  d'un  petit  atlas,  destiné  à.rendre 
des  services  d^ns  les  écoles.  La  librairie  Deloffre  de  Landrecies  expose,  0ntre 
autres  ouvrages,  les  atlas  du  Nord  et  de  l'Aisne  à  l'usage  des  candidats  au 
certificat  d'études;  ce  sont  d'utiles  publications. 

On  rencontre  aussi  des  globes,  des  reliefs,  des  appareils  cosmographiques; 
ils  sont  généralement  connus  des  maîtres. 

Arithmétique,  Système  métrique^  Géométrie.  —  Les  compendiums  métriques 
ne  font  pas  défaut,  ni  les  collections  de  solides  géométriques  en  zinc,  eu 
carton  ou  en  papier.  On  voU  aussi  des  mètres  cubes  démontables,  des  arith- 
inomètres.  des  numérateurs,  des  calculateurs  et  autres  instruments  dont  il 
est  difficile  de  deviner  l'usage;  il  y  a  là  abus  et  les  instituteurs  auront  raison 
de  se  passer  de  ces  mécaniques  compliquées. 

D'autres  machines,  tout  aussi  inutiles  que  les  précédentes,  sont  les  tire-lire 
pour  caisses  d'épargne  scolaires;  nous  ne  les  recommandons  pas. 

Musique.  —  11  y  a  peu  de  choses  comme  exposition  musicale.  Après  avoir 
nommé  les  Chants  pour  écoles,  de  M.  Danhauser,  les  Chants  scolaires  du  Nord 
de  la  France  par  M.  Ch.  Manso,  l'énumération  est  presque  terminée.  Comme 
instruments  de  musique,  on  trouve  ceux  de  MM.  Hel  et  Ikelmer. 

Gymnastique.  —  L'enseignement  gymnastique  n'est  représenté  que  par  les 
appareils  de  la  maison  Garcet  et  Nisius,  et  les  fusils  et  équipements  scolaires 
des  maisons  Spriet  de  Lens  et  Huart-Bender  d'Argentenii. 

Musées,  Collections  et  Appareils. —  En  fait  de  musées  scolaires,  nous  avons 
remarqué,  outre  ceux  que  fournit  le  commerce,  un  musée  cantonal  exposé 
par  la  Société  des  écoles  laïques  (le  Saint-Amnnd  et  une  collection  luxueuse, 
toute  de  curiosités,  celle  de  M.  Paternoster,  fabricant  de  meubles  à  Baisieux 
(Nord).  Le  matériel  pour  l'enseignement  de  la  physique  et  de  la  chimie  à 
l'école  primaire  est  encore  à  créer.  Cependant  de  louables  efforts  sont  faits  en 
Tue  de  doter  les  é  oies  d'appareils  sumsants  et  peu  coûteux. 

La  Société  anonyn  c  de  fabrication  de  produits  chimiques  pour  les  sciences 
et  l'industrie  met  en  vente,  au  prix  de  145  francs,  un  matériel  complet  de 
physique  et  de  chimie,  dressé  suivant  la  méthode  de  M.  Leblanc  et  permet- 
tant de  faire  environ  400  expériences.  Le  matériel  réduit  ne  coûte  que  70 
francs;  c'est  un  progrès. 

Nous  citerons  aussi  la  belle  exposition  d'instruments  de  mathématiques  et 
de  physique  de  MM.  Wanaclaere  et  Brunnerde  Lille,  mais  ce  sont  des  instru- 
ments coûteux,  qui  ne  sauraient  convenir  qu'aux  écoles  urbaines  richement 
dotées. 

Concours  d'enseignement  agricole  dans  la  Sarthe.  —  Un 
concours  d'enseignement  et  de  pratique  agricole  vient  d'être 
ouvert  par  la  Société  des  agriculteurs  de  la  Sarthe  entre  les  institu- 
teurs de  plusieurs  cantons.  Nous  lisons  dans  le  programme  du  con- 


CHRONIQUE  DE  l'eNSBIGNBMENT  PRIMAIRE  EN   FRANGE  471 

cours  :  «  Il  sera  tenu  compte,  en  ce  qui  concerne  le  classement  des 
directeurs  d'école,  du  travdl  personnel  du  maîlre,  du  travail  écrit 
des  élèves  et  de  leurs  réponses  orales.  L'enseignement  pratique  donné 
par  les  visites  dans  les  champs,  dans  les  jardins,  dans  les  chantiers 
agricoles  sera  également  pris  en  considération  par  la  commission 
d  examen  .o  Les  récompenses  consisteront  naturellement  en  médailles, 
diplômes  et  livres;  mais,  en  dehors  de  ces  encouragements,  la  Société 
a  décidé  que  deux  prix  seraient  décernés  aux  élèves  sortant  de 
l'école  normale  du  Mans  qui  auront  le  mieux  profité  de  renseij(ne- 
ment  agricole  donné  dans  cet  établissement.  Enfin  une  médaille  d'or 
de  cent  francs,  oflerte  par  le  directeur  de  la  ferme-école,  sera  déli- 
vrée chaque  année  à  Tinslituteur  de  la  Sarthe  qui  aura  dirigé  vers 
cet  établissement  le  candidat  le  mieux  classé  aux  examens  de  sortie. 
Voilà  de  bons  moyens  de  développer  dans  les  écoles  primaires  l'en- 
seignement si  utile  de  l'agriculture. 

Les  bataillons  scolaires  de  la  Charente-Inférieure  —  Dans  le 
courant  du  mois  de  mars  a  eu  lieu  l'inspection  annuelle  des  ba- 
taillons régulièrement  constitués  dans  la  Charente-Inférieure.  Cette 
inspection  a  été  des  plus  satisfaisantes. 

Nous  croyons  devoir  reproduire  l'extrait  suivant  du  rapport  de 
M.  l'inspecteur  primaire  de  Saintes  : 

a  Les  inspections  des  bataillons  scolaires  ont  été  partout  de  véri- 
tables fêtes  scolaires  et  patriotiques,  pleines  d'entrain  et  de  cordia- 
lité. A  Eparçnes,  à  Gemozac,  à  Pons  et  à  Saint-Porchaire  toutes  les 
fenêtres  étaient  garnies  de  drapeaux  ;  les  musiques  loc  îles  avaient 
partout  offert  leur  concours  ;  à  Gemozac,  deux  banquets  avaient 
été  préparés,  au  moyen  d'une  souscription,  pour  tous  les  élèves  et 
les  instructeurs  du  canton.  Presque  tous  les  maires  et  les  délégués 
cantonaux  ont  assisté  aux  inspections  ;  ils  ont  été  émerveillés  du 
travail  des  élèves. 

»  Le  transport  des  élèves  s'est  fait  partout  sans  aucune  difficulté, 
même  pour  les  communes  éloignées;  des  instituteurs  m'ont  dit 
qu'on  leur  avait  offert,  à  titre  gracieux,  plus  de  voitures  qu'ils  n'en 
avaient  besoin. 

»  Les  officiers  inspecteurs  ont  été  fort  satisfaits  de  Tinstruction 
des  élèves  dans  les  quatre  parties  du  programme  :  gymnastique  (avec  oih 
sans  armes),  maniement  d'armes,  marches  et  école  de  tirailleurs;  l'exa- 
men a  porté  successivement  sur  chacune  de  ces  parties,  et  il  a  été 
fait  une  moyenne  des  notes  pour  le  classement  des  écoles;  l'école 
de  compagnie  est  connue  à  fond  par  le  plus  grand  nombre  des  élèves, 

0  Si  l'on  considère  que  l'organisation  et  Tinstruclion  militaire 
étaient  à  peu  près  nulles  en  1884,  on  ne  peut  que  féliciter  les  insti- 
tuteurs pour  leur  zèle  et  leur  dévouement.  * 

Reckitement  du  personnel  enseignant.  —  D'après  les  renseigne^ 


472  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

ments  fournis  au  minislère  au  mois  d'oclobre  1884,  c'est-à-dire  après 
Tapplication  rigoureuse  de  la  loi  du  16  juin  188i,le  personnel  ensei- 
gnant primaire  est  actuellement  au  complet  dans  toute  la  France  et 
en  Algérie.  Dans  presque  tous  les  déparlemonls,  un  certain  nombre 
d'aspirants,  et  surtout  d'aspirantes  tous  munis  du  brevet,  quelques- 
uns  même  anciens  élèves  d*écoles  normalei,  sont  en  instance  pour 
èlrct  pourvus  d*un  emploi.  Le  nombre  do  ces  candidats  non  placés 
s'élève  environ  à  10,000.  Précisément  en  raison  de  cette  situation, 
les  demandes  d'emploi  affluent  à  l'administration  centrale,  qui, 
n'ayant  ni  le  droit  ni  le  pouvoir  d'y  satisfaire,  se  voit  réduite  à 
indiquer  simplement  aux  solliciteurs  les  départements  signalés 
comme  ayant  un  moins  grand  nombre  de  candidats  à  pourvoir.  Ces 
départements  sont  actuellement,  pour  les  instituteurs  :  TAllier,  le 
Cher,  la  Drôme,  l'Eure-et-Loir,  l'Indre,  l'Indre-et-Loire,  le  Loir-et- 
Cher,  la  Loire-Inférieure,  le  Loiret,  le  Maine-et-Loire,  la  Marne,  la 
Mayenne,  le  Morbihan,  la  Nièvre  et  la  Savoie. 

Pour  les  institutrices  :  l'Allier,  le  Cher,  l'Eure-et-Loir,  l'Indre-et- 
Loire,  le  Loir-et-Cher,  le  Loiret,  la  Marne,  la  Mayenne,  la  Meurthe- 
et-Moselle  et  la  Savoie. 

Une  société  bibliophile  a  Lucenay-les-Aix  (Nièvre).  —  A6n  de 
répandre  le  goût  de  la  lecture  et  de  développer  la  bibliothèque  popu- 
laire de  son  école,  M.  Débit,  instituteur  à  Lucenay-lci'AiXf  a  établi 
une  Société  bibliophile. 

Au  1®*"  février  dernier,  soixante-trois  élèves  de  son  école  et  cin- 
quante-six personnes  étrangères  à  l'école  faisaient  partie  de  cette 
société  et  avaient  pris  rengagement  de  verser  chaque  mois  le  sou 
des  bibliothèques.  Depuis  cette  époque  le  nombre  des  adhérents  s'est 
accru  dans  une  certaine  proportion.  Ce  sont  surtout  les  élèves  de 
la  première  classe  qui  s'occupent  de  recruter  les  souscripteurs 
étrangers  à  l'école. 

A  cet  effet  l'instituteur,  à  l'aide  d'un  polygraphe,  a  tiré  un  certain 
nombre  d'exemplaires  de  la  liste  des  livres  de  la  bibliothèque.  Un 
enfant,  muni  d'une  de  ces  listes,  se  présente  chez  une  personne  ne 
faisant  pas  encore  partie  de  la  société  et  lui  demande  si  elle- désire 
lire  un  ouvrage  de  la  bibliothèque.  Si  la  réponse  est  affirmative, 
et  c'est  ce  qui  arrive  généralement,  l'enfant  remet,  le  soir  ou  le  len- 
demain, l'ouvrage  choisi,  et  presque  toujours  après  un  prêt  ou  deux 
la  personne  demande  à  faire  partie  de  la  société  et  verse  le  mon- 
tant de  la  cotisation  annuelle.  11  lui  est  remis  alors  un  reçu  de 
son  versement  et  une  liste  de  tous  les  ouvrages  composant  la  biblio- 
thèque. 

Le  trésorier  est  l'instituteur:  il  est  aidé  pour  tenir  le  registre 
des  prêts  et  le  livre  de  caisse  par  deux  secrétaires  choisis  parmi 
les  élèves  et  élus  par  leurs  condisciples.  Les  volumes  sont  distri- 
bués deux  fois  par  semaine.  Six  élèves  sont  chargés  de  porter  les 


CHRONIQUl  DE  l'eNSEIGNEMENT   PRIMAIRE  EN  FRANGE         473 

livres  chez  les  souscripteurs  et  de  les  rapporter  ensuite  lorsqu'ils 
ont  été  lus. 

Il  va  sans  dire  que  si  des  habitants  de  la  localité  qui  n'ont  pas 
jugé  à  propos  de  souscrire  demandent  à  emprunter  des  volumes  de 
la  bibliothèque,  on  les  leur  prête,  mais  ils  n'ont  pas  de  liste  à  leur 
disposition,  et  ils  doivent  venir  chercher  eux-mêmes  les  volumes 
et  les  rapporter. 

On  ne  peut,  dit  avec  raison  M.  l'inspecteur  primaire,  de  qui  nous 
tenons  tous  ces  détails,  que  féliciter  M.  Imstituteur  de  Lucenay- 
les-Aix  de  cette  organisation  qui,  outre  l'extension  qu'elle  donne  à 
la  bibliothèque,  a  encore  l'avantage  d'habituer  les  enfants  à  la  pré- 
venance, à  Tordre,  à  la  i^oViiesse,  (Bulletin  départemental  de  la  Nièvre.) 

Les  instituteurs  arpenteurs.  —  Ce  ne  serait  pas  sans  préjudice 
pour  les  arpenteurs  attitrés  et  patentés  qu'on  pourrait  permettre 
aux  instituteurs  de  faire  de  Tarpentage  une  sorte  de  métier  ;  mais 
on  ne  saurait  non  plus  leur  interdire  absolument  de  mettre  au 
service  des  parents  de  leurs  élèves  les  connaissances  qu'ils  possèdent 
sur  l'arpentage  et  le  levé  des  plans:  il  y  a  là  une  question  de 
mesure.  M.  le  directeur  de  l'enseignement  primaire,  consulté  à  ce 
sujet  par  le  préfet  de  la  Marne,  lui  a  répondu  qu'il  n'y  avait  pas 
lieu  de  modifier  la  jurisprudence  suivie  jusqu'à  ce  jour,  mais  qu'il 
importe  de  veiller  û  ce  que  les  instituteurs  ne  fassent  pas  abus, 
au  préjudice  de  leurs  fonctions,  des  facilités  qui  leur  sont 
accordées. 

Les  recommandations  politiques.  —  L'inspecteur  d'académie  de 
TÂriège  a  remarque  depuis  son  arrivée  dans  le  département  que 
plusieurs  instituteurs  on!  adressé  leurs  réclamations,  en  cas  de 
changement  ou  de  mesures  administratives,  non  à  leurs  supérieurs 
hiérarchiques,  mais  à  des  personnes  étrangères  à  l'administration. 
Quelques  autres  ont  excité  des  manifestations  dans  les  communes 
ou  fait  circuler  des  listes  de  signatures.  «  Cette  façon  d'agir,  dit 
l'inspecteur  d'académie,  n'a  obtenu  aucun  succès  près  de  nous  : 
elle  est  absolument  contraire  à  la  discipline  et  au  respect  hiérar- 
chique qui  ont  toujours  été  la  force  et  l'honneur  de  l'enseignement 
primaire.  Nous  rappelons  aux  instituteurs  que  c'est  à  leurs  chefs 
seuls  qu'ils  doivent  adresser  leurs  demandes  ou  leurs  réclamations. 
Ils  peuvent  être  assurés,  du  reste,  que  l'administration  agira  toujours 
à  leur  égard  avec  justice  et  bienveillance.  Non  seulement  il  ne  sera 
pas  tenu  compte  des  démarches  faites  en  dehors  de  la  voie  régulière, 
mais  es  instituteurs  qui,  à  la  suite  d'une  décision  administrative, 
s'adresseront  à  d'autres  personnes  qu'a  nous,  seront  l'objet  d'une 
mesure  sévère.  » 

Ces  recommandations  ne  s'adressent  pas  seulement  aux  institu- 
teurs de  TAriège  ;  nos  lecteurs  peuvent  se  reporter  à  Yavis  important 


474  REVUE  PÉDA60GIOUS 

que  Icu  directeur  départemental  de  renseignement  primaire  du  Nord 
s'es»t  vu  obligé  d'adresser  au  personnel  placé  sous  ses  ordres.  Nous 
Tavons  reproduit  dans  notre  numéro  du  15  juillet  1884.  On  voit 
que  la  question  conserve  toujours  malheureusement  la  même 
actualité. 

^Alliance  française.  —  On  nous  prie  de  reproduire  la  note 
suivante  que  nous  accueillons  bien  volontiers  : 

«  L'Alliance  française  est  une  société  fondée  il  y  a  un  an  environ, 
pour  propager  la  langue  et  l'influence  française  dans  les  colonies 
et  à  l'étranger.  Depuis  longtemps,  les  Anglais,  les  Allemands  et 
les  Italiens  ont  créé  des  sociétés  analogues  qui,  sous  des  prétextes 
religieux  ou  comn\erciaux,  battent  partout  en  brèche  l'influence  de 
la  France. 

»  C'est  pour  rendre  à  notre  langue  son  ancienne  universalité,  et 
rendre  en  même  temps  à  notre  pays  la  part  d'influence  qui  lui  est 
légitimement  due  dans  le  monde,  que  s'est  formée  l'Alliance 
française. 

»  Cette  société,  exclusivement  patriotique,  compte  déjà  plus  de 
6,000  adhérents  et  possède  un  budget  de  70,000  francs. 

»  Toute  question  de  politique  irritante  en  est  bannie,  et  tous  ne 
songent  qu'à  l'intérêt  supérieur  de  la  patrie.  Le  secrétaire  général 
est  M.  Foncin,  dont  les  instituteurs  connaissent  les  beaux  ouvrages. 

»  Celte  société  fait  appel  au  patriotisme  de  tous  les  Français, 
sans  distinction  d'opinions.  Le  minimum  de  la  souscription,  fixé  à 
6  francs,  la  rend  accessible  à  tous. 

»  L'Alliance  espère  que  MM.  les  instituteurs  voudront  bien  lui 
prêter  leur  vaillant  concours  et  l'aider  dans  sa  noble  tâche.  » 


COURRIER  DE  L'EXTERIEUR 


Allemagne.—  La  Chambre  des  députés  prussienne  a  adopté  le 
17  avril  en  troisième  lecture  une  loi  sur  les  pensions  de  retraite  des 
instituteurs,  émanant  de  l'initiative  parlemcnlaire.  Les  auteurs  de 
la  proposition  de  loi,  qui  a  élé  présentée  à  la  Chambre  le  28  jan- 
vier dernier,  sont  les  députés  von  Zedlitz,  Neukirch  et  Schmidt. 
Voici  les  principales  dispositions  de  la  loi  telle  qu'elle  a  été  votée 
après  des  débats  qui  n*ont  pas  considérablement  modifié  le  projet 
primitif: 

Ont  droit  à  une  pension  de  retraite  les  instituteurs  atteints 
d'incapacité  de  travail,  après  dix  années  au  moins  de  services  dans 
une  école  publique.  Si  l'incapacité  de  travail  est  la  suite  d'une  ma- 
ladie ou  infirmité  contractée  par  l'instituteur  à  raison  ou  dans 
l'exercice  de  ses  fonctions,  la  condition  des  dix  années  de  services 
n'est  pas  exigée.  Lorsque  l'instituteur  a  atteint  soixante-cinq  ans 
d'âge,  il  a  droit  à  la  pension  sans  avoir  besoin  d  invoquer  le  motif 
d'incapacité  de  travail.  Enfin,  si  un  instituteur  mis  à  la  retraite  et 
ne  se  trouvant  pas  dans  l'un  des  cas  prévus  pour  avoir  droit  à  une 
pension,  était  dans  un  état  d'indigence,  le  .ministre  pourra  lui 
accorder  un  secours  temporaire  ou  viager. 

Le  taux  de  la  peni>ion  est  calculé  à  raison  de  i5/60  du  traitement, 
si  la  mise  à  la  retraite  a  lieu  après  la  dixième  année  de  services 
et  avant  l'accomplissement  de  la  onzième  ;  chaque  année  de  service 
en  sus  augmente  la  pension  de  1/60  du  traitement.  Le  chiflre 
maximum  de  la  pension  ne  peut  pas  être  supérieur  à  45/60  du 
traitement.  Dans  le  cas  d^incapacité  ne  travail  venant  d'une  maladie 
ou  infirmité  contractée  par  l'instituteur  à  raison  ou  dans  l'exercice 
de  ses  fonctions  et  motivant  la  mise  à  la  retraite  avant  l'accom- 
plissement de  dix  années  de  services,  le  taux  de  la  pension  est  de 
15/60  du  traitement. 

L'État  prend  exclusivement  à  sa  charge  le  paiement  des  pensions 
jusqu'à  concurrence  do  900  marks  ;  pour  ce  qui  sera  dû  en  sus  de 
ce  chiffre,  les  règles  actuellement  en  vigueur  relativement  au  paie- 
ment des  pensions  d'instituteurs  seront  appliquées. 

—  D'après  une  statistique  publiée  dans  le  Centralblatt,  l'enseigne- 
ment des  tra\aux  à  l'aiguille  se  donnait  en  Prusse,  à  la  fin  de  1883, 
dans  27,274  écoles  rurales  :  c'est  une  augmentation  de  1,617  écoles 
sur  le  chiffre  de  1880  et  de  i,02i  sur  celui  de  1877.  11  restait,  à  cette 
date,  3,026  écoles  publiques  rurales  où  cet  enseignement  n'était 
pas  donné.  Dans  1,959  écoles,  l'enseignement  des  travaux  à  l'aiguille 
est  donné  par  l'institutrice  elle-même  ;  le  nombre  des  maîtresses 
spéciales  d  ouvrage  est  de  25,301,  dont  13,184  appartiennent  à  la 
famille  de  l'instituteur  chargé  de  l'école.  L'immense  majorité  de  ces 
maîtresses  d'ouvrage  (23,080)  ne  sont  munies  d'aucun  diplôme. 

—  Dans  une  conférence  faite  récemment  devant  la  Société  des 
instituteurs  do  Leipzig  sur  l'état  actuel  de  l'instruction  primaire  en 


476  REVUE    PÉDAGiJGlQUS 

France,  M.  Hugo  Weber  est  arrivé  aux  conclusions  suivantes,  qu'il 
peut  être  intéressant  de  reproduire  comme  spécimen  des  jugements 
portés  à  l'élrangcr  sur  notre  pays  : 

«  1»  Quels  que  soient  les  éloges  que  mérite  l'enseignement  primaire 
français  dans  son  organisation  actuelle,  on  ne  peut  néanmoins  dissi- 
muler qu'il  offre  certains  wHés  faibles  ;  —  2®  on  n*a  pris  à  Tégard 
des  congréganislcs  que  des  demi-mesures  ;  —  S**  les  instituteurs  ne 
sont  pas  altranchis  des  services  du  culto  ;  —  4®  les  nouvelles  lois 
ont  provoqué  une  lutte  très  vive  entre  l'école  et  l'Eglise  ;  —  5®  on 
a  dispensé  de  la  rétribution  scolaire  les  familles  aisées  qiji  pouvaient 
la  payer;  —  6**  le  manque  d'instilulcurs  bien  préparés  se  fait  encore 
sentir:  —  7**  les  exercices  militaires  des  élèves  ne  sont  pas  une 
innovation  avantageuse  ;  —  8«  l'exclusion  complète  de  l'ensei- 
gnement religieux  de  l'école  peut  entraîner  plusieurs  conséquences 
mcheuses  ;  —  9°  c'est  une  bonne  chose  que  l'enseignement  de  la 
morale,  mais  le  fondement  philosophique  sur  lequel  on  l'appuie  est 
inutile  et  anti-pédagogique.  » 

Angleterre.  —  L'Union  nationale  des  instituteurs  primaires  a 
tenu  sa  contërencc  annuelle  à  Norwich,  du  6  au  8  avril.  Le  prési- 
dent, M.  Wild,  directeur  de  Técole  de  Byron  and  Bright  streel,  à 
Londres,  a  prononcé  à  celte  occasion  un  discours  très  remar- 
quable. 

Dans  plu-'ieurs  occasions,  M.  Mundella  avait  répondu  aux  plaintes 
des  instituteurs  anglais  en  leur  affirmant  que  le  situation  de  leurs 
confrères  du  continent  était  beaucoup  moins  enviable  que  la  leur  ; 
que  les  traitements  des  instituteurs  étrangers  étaient  moins  élevés, 
tandis  que  la  somme  de  travail  exigée  d'eux  était  plus  considérable. 
Et  comme  le  journal  le  Schoolmaster  avait  cité  le  cas  d'un  insti- 
tuteur belge  dont  le  traitement,  d'après  lui,  était  de  200  liv.  st. 
(5,090  francs),  le  chef  du  département  d'éducation  s'était  grande- 
ment diverti  de  la  naïveté  de  ceux  qui  pourraient  croire  à  de  pa- 
reils contes,  et  les  avait  engagés  à  faire  un  tour  sur  le  continent 
gour  y  chercher  ce  rara  avis,  cet  instituteur  avec  un  traitement  de 
^00  liv.  st.  «  Je  serais  prêt,  ajoutait-il,  à  prendre  à  ma  charge  une 
partie  des  frais  du  voyage.  Si  l'on  trouvait  cette  béie  curieuse,  il 
faudrait  l'exhiber  d'un  bout  à  l'autre  de  la  Grande-Bretagne,  et  je 
conlesserais  hautement  mon  ignorance.  » 

M.  Wild  a  pris  M.  Mundella  au  mot.  11  est  allé  faire  un  tour  sur 
le  continent  ;  il  a  parcouru  la  Belgique,  la  Hollande,  et  une  partie 
de  l'ÂUemai^ne.  En  Belgique,  il  a  trouvé  l'instituteur  phénoménal 
dont  M.  Mundella  contestait  l'existence  :  c'est  un  instituteur  retraité 
qui  touche  non  un  traitement,  mais  une  pension  de  200  liv.  st. 
(exactement:  4093  francs).  A  Amsterdam,  il  a  constaté  que  les  in- 
stituteurs des  écoles  de  première  classe  ont  un  traitement  de  200  liv.  st. 
plus  le  logement;  l'un  deux  touche  môme  220  liv.  st.  A  Berlin, 
44  instituteurs  ont  un  traitement  de  495  liv.  st.,  et  sont  en  outre 
logés,  éclairés  et  chauffés.  A  Dresde,  le  traitement  des  directeurs 
d'école  est  de  210  à  225  liv.  st.,  avec  logement;  à  Leipzig,  il  est  de 
iSO  à  210  liv.  st.,  avec  logement  ou  indemnité  de  logement;  etc., 
etc.  —  11  ne  reste  plus  à  M.  Mundella  au'à  s'exécuter,  à  reconnaître 
qu'il  était  mal  informé.  —  et  à  verser  la  contribution  promise. 


COURRIER    DE    l'eXTÉRISUR  477 

Choisi  cette  année  comme  président  par  TUnion  nationale  des 
instituteurs  primaires,  M.  Wild  a  profité  de  son  discours  d'installa- 
tion pour  faire  connaître  les  résultats  de  son  voyage.  Outre  la  ques- 
tion des  traitements,  il  a  étudié  celle  des  pensions  de  retraite,  des 
heures  de  classe,  de  l'amovibilité  des  fonctions  d'instituteur,  de 
Tobligation,  de  l'inspection  et  des  examens.  Il  a  conclu  que  le  sys- 
tème anglais  est  le  plus  défectueux  de  tous,  et  que  nuUe  nation  du 
continent  ne  consentirait  à  s'en  accommoder. 

Le  congrès  a  décidé  que  le  discours  de  M.  Wild  serait  imprimé 
en  brochure,  et  envoyé  a  tous  les  membres  du  Parlement. 

—  Au  nombre  des  résolutions  volées  par  le  congrès  de  Norwich 
figure  la  suivante,  relative  à  la  création  d'un  ministère  do  1  instruction 
publiciue  : 

tt  C  est  l'opinion  de  ce  congrès  qu'il  devrait  être  immédiatement 
nommé  un  ministre  de  l'éducation,  chargé  de  ce  qui  concerne 
Tinstruclion  primaire  et  secondaire  dans  le  Hoyaume-Uni  de  Grande- 
Bretagne  et  d'Irlande,  et  responsable  devant  le  Parlement  de  l'emploi 
des  subventions  votées  en  faveur  de  rinstruclion  publique.  > 

—  A  l'occasion  du  débat  parlementaire  annuel  sur  le  Code  sco- 
laire (1),  M.  Talbot,  député  de  l'université  d'Oxford  à  la  Chambre  des 
communes,  a  fait  la  motion  suivante  : 

<t  Qu'une  humble  adresse  soit  présentée  à  Sa  Majesté,  pour  prier  Sa 
Majesté  de  daigucr  gracieusement  retirer  sa  sanction  à  rarticle  109,  litt.  a, 
du  Code  scolaire,  afin  qu'une  plus  large  portion  de  la  subvention  accordée  aux 
écoles  primaires  publiques  soit  distribuée  sous  la  forme  de  paiements  fixes 
proportionnels  au  chiffre  de  la  fréquentation.  > 

La  motion  Talbot  était  une  attaque  directe  au  système  du  payment 
by  résults.  Le  gouvernement,  qui  ne  veut  pas  céder  sur  ce  point, 
avait  lancé  un  whip  (2)  pour  convoquer  ses  partisans  à  la  séance  et 
empêcher  qu'une  majorité  de  hasard  ne  pût  se  former  sur  la  motion. 
Aussi  celle-ci  a-t-elle  été  repoussée  par  117  voix  contre  33,  après 
une  discussion  où  M.  Talbot,  M.  Paget  et  lord  G.  Hamilton  ont 
parlé  pour,  tandis  que  sir  L.  Playfair,  M.  Forster  et  M.  Mundella 
ont  parié  contre. 

# 

Autriche.  —  On  annonce  que  les  évoques  autrichiens,  réunis 
en  conférence  à  Vienne,  se  sont  occupés  de  diverses  questions  rela- 
tives aux  écoles.  Ils  ont  adressé  au  gouvernement  un  mémoire  pour 
lui  demander,  entre  autres,  qu'une  éducation  véritablement  reli- 
gieuse soit  donnée  dans  les  écoles  primaires  et  moyennes  ;  que  dans 
les  districts  scolaires  habités  par  une  population  catholique  il  ne 
soit  point  nommé  d'instituteurs  non  catholiques;  et  qu'un  cercle 
d'action  plus  étendu  soit  accordé  aux  ecclésiastiques  chargés  de 
l'enseignement  religieux  dans  les  écoles  primaires  et  moyennes. 

(1)  Le  gouvernement  est  tenu  de  présenter  le  Code  scolaire  tous  les  ans  ao 
Parlement  ;  le  Code  n'entre  en  vigueur  qu'après  avoir  été  déposé  pendant  un 
mois  sur  le  bureau  des  deux  Chambres. 

(2)  On  appelle  whip  (coup  de  fouet)  une  lettre  de  convocation  spéciale 
adressée  aux  membres  de  l'une  ou  de  l'autre  des  fractions  de  la  Chambre,  par 
le  leader  de  la  majorité  ou  de  l'opposition,  en  vue  d'un  vote  important. 


478  REVUK    PÉDAGOGIQUE 

—  L'incident  Rohrweck-Rudigier,  dont  nous  avons  à  plusieurs 
reprises  entretenu  nos  lecteurs,  sVst  lerminc  par  le  déplacemeat 
de  rinstituteur  Rohrweck,  qui  a  été  transféré  de  la  commune  de 
Leonfelden  dans  celle  d*Aigen  pour  «  raisons  de  service  ». 

—  Un  médecin  autrichien,  le  D*"  Netoliczka,  qui  s*est  occupé  de 
recherches  sur  le  développement  de  la  myopie  parmi  les  élèves  des 
écoles  de  Graz,  prétend  que  les  origines  du  mal  se  trouvent  souvent 
dans  la  famille  plus  encore  que  dans  l'école.  «  De  combien  d'abus, 
dit-il,  les  yeux  tles  enfants  ne  sont-ils  pas  fréquemment  les  victimes 
dans  la  maison  paternelle!  Combien  peu  de  parents  surveillent  la 
tenue  de  leurs  enfants  lorsque  ceux-ci  lisent  ou  écrivent!  Que  de 
fois  n'entend-on  pas  dire  :  «  Les  enfants  peuvent  voir  même  sans 
lumière  !  <»  Il  arrive  souvent  que  durant  une  maladie  on  laisse  les 
enfanls  lire  bien  plus  que  dans  l'état  de  santé;  il  est  bien  rare  que 
les  parenls  s'incjuiètent  de  savoir  si  les  livres  qu'ils  donnent  à  leurs 
enfants  ne  sont'pas  imprimés  en  caractères  trop  fins;  on  laisse  les 
enfants  copier  pendant  de  longues  heures  des  modèles  de  dessin, 
dessiner  des  cartes  géographiques;  on  permet  aux  jeunes  filles  de 
travailler  aux  ouvrages  les  plus  fins  à  lu  lumière  d'une  chandelle 
ou  d'une  lampe.  Nous  avons  trouvé  dans  les  écoles  tant  de  la  ville 
que  de  la  campagne  plus  de  myopes  parmi  les  filles  que  parmi  les 
garçons,  ce  qui  s'explique  par  le  fait  que  les  jeunes  filles,  outre  les 
matières  ordinaires  d'études,  s'occupent  encore  de  travaux  d'aiguille. 
La  proportion  des  élèves  myopes,  dans  les  écoles  de  la  ville  de  Graz, 
est  de  9.87  0/0  chez  les  gardons,  de  13.49  0/0  chez  les  filles;  dans 
les  écoles  de  la  campagne  elle  est  de  3.88  0/0  chez  les  garçons  et 
de  7.69  0/0  chez  les  filles.  » 

Bulgarie.  —  Voici  encore  quelques  renseignements  qui  nous 
sont  envoyés  par  M.  Tabakov,  et  qu'il  a  extraits  du  dernier  rapport 
officiel  présenté  au  prince  Alexandre  par  le  ministre  de  l'insti'uction 
publique. 

Dans  les  97  villes  et  villages  faisant  partie  de  l'arrondissement  de 
Tirnova,  il  y  a  33  écoles  primaires  à  4  divisions,  43  à  3  divisions, 
20  à  2  divisions  et  une  à  une  division. 

Dans  l'arrondissement  de  Kustendil  les  4  0/0  des  écoles  primaires 
ont  4  divisions,  les  0  0/0  3  divisions,  les  Go  0/0  2  divisions  et  les 
25  0/0  une  seule  division. 

Dans  les  écoles  entretenues  par  l'État,  il  y  avait,  en  1880,  ol  pro- 
fesseurs dont  la  plupart  ont  terminé  leurs  études  soit  dans  des 
lycées,  soit  dans  des  écoles  réaies.  Ces  professeuj^  sont  de  trois 
classes;  ceux  delà  première  classe,  qui  ont  fait  leurs  études  dans 
des  universités,  ont  un  traitement  de  380  francs  par  mois;  ceux 
de  la  deuxième  classe,  qui  ont  fait  leurs  études  dans  des  lycées  ou 
des  écoles  réaies,  ont  un  traitement  de  300  francs;  ceux  de  la 
troisième  classe  n'ont  que  250  francs  par  mois. 

Le  nombre  des  professeurs  enseignant  dans  ces  écoles  a  été  de 
62  en  1881  et  de  7G  en  1882. 

La  somme  assignée  pour  envoyer  en  Kurope  des  jeunes  gens 
pauvresy  faire  des  étudcîi  supérieures  a  été  en  1880  de  60,000  francs. 

Outre'les  dépenses  que  l'État  lait  pour  les  écoles  entretenues  par 
lui  (en  1879  276,116  fr.,  en  1880  319,420  fr.  et  en  1881  342,820  fr.), 


G0LER1£R  0£  l'EXTÉRIEUR  479 

il  donne  aussi  des  subventions  aux  écoles  communales,  sans  dis- 
tinclion  de  nationalité.  Ainsi  en  1879  il  avait  donné  pour  ce  but 
350,000  francs  et  en  1881  300,(  00  francs.  Les  écoles  musulmanes  pri- 
maires sont  organisées  d'une  manière  tout  à  fait  primitive.  Les  hodjas  et 
les  mollas  (professeurs  turcs)  n*y  enseignent  que  le  Koran  et  un  peu 
d'écriture.  Si  Ton  rencontre  quelques  écoles  où  l'on  enseigne  l'ari- 
thmétique et  la  géographie,  enseignement  qui  laisse  beaucoup  à 
désirer,  c'est  dans  des  cas  très  restreints. 

Dans  l'arrondissement  de  Silislria  on  comptait  en  1881.  5i5  écoles 
primaires  turques  pour  les  garçons  et  11  pour  les  filles  avec  2,059 
garçons  et  1,059  filles. 

Dans  l'arrondissement  de  Razgrad,  pour  12,990  maisons  turques  en 
1881  il  n'y  avait  cjue  123  écoles  primaires  avec  un  personnel  ensei- 
gnant de  12i  hodjas  et  4,691  garçons  et  3,022  filles. 

Dans  l'arrondissement  de  Kustendil,  pour  093  maisons  turques  il 
il  n'y  avait  en  1881  que  7  écoles  avec  7  hodjas,  206  garçons  et  98 
filles.  Sur  rette  population  musulmane  il  n'y  avait  que  86  Turcs 
adultes  sachant  lire  et  écrire. 

Espagne.  —  En  février  dernier,  M.  Pidal,  ministre  du  Fomente, 
a  annoncé  aux  Cortès  au'il  préparait  une  nouvelle  loi  sur  l'instruc- 
tion publique.  D'après  les  renseignements  que  divers  journaux  ont 
publiés  dernièrement,  cette  loi  donnerait  au  clergé  le  droit  de  fonder 
des  écoles  et  des  universités  sans  qu'aucun  titre  de  capacité  soit 
exigé  du  personnel  enseignant;  elle  attribuerait  aux  év6]ues  le  droit 
de  contrôler  les  programmes  et  de  surveiller  l'enseignement.  On  dit 
que  les  bases  du  projet  de  loi  ont  été  arrêtées  par  le  ministre  d'ac- 
cord avec  le  nonce,  et  qu'en  échange  de  ces  concessions  le  Vatican 
inviterait  les  évoques  à  soutenir  le  gouvernement. 

Les  récentes  élections  municipales,  qui  ont  donné  la  majorité  aux 
libéraux  dans  toutes  les  grandes  villes,  pourraient  bien  déranger 
les  projets  de  M.  Pidal. 

Italie.  —  L'adoption  de  la  nouvelle  loi  sur  la  nomination  des  insti- 
tuteurs a  eu  pour  résultat  de  faire  donner  congé  par  les  communes 
à  un  très  grand  nombre  d'instituteurs  incapables.  Antérieurement  à 
cette  loi,  la  nomination  de  l'instituteur  se  faisait  pour  le  terme  de  six 
années,  et  ne  pouvait  pas  être  révoquée  avant  l'expiration  de  ce  laps 
de  temps.  Mais  l'article  7  de  la  loi  nouvelle  donne  aux  communes 
la  faculté  de  congédier  en  tout  temps  un  instituteur  pour  raison 
dHncapacité  pédagogique:  et  les  communes  se  sont  empressées  d'user 
du  droit  qui  leur  était  conféré.  Cette  hécatombe  de  mauvais  maîtres 
a  un  côté  fâcheux,  en  ce  qu'elle  prive  subitement  de  leur  gagne- 
pain  un  grand  nombre  de  pauvres  gens;  mais  il  faut  reconnaître 
d'autre  part  qu'il  était  devenu  indispensable  de  modifier  la  compo- 
sition du  personnel  enseignant  primaire  italien,  en  éliminant  les 
incapables  et  en  les  remplaçant  par  des  éléments  plus  jeunes  et  meilleurs. 

Suisse.  —  La  Landsgemeinde  de  Glaris  a  rejeté  la  loi  relative  à 
l'obligation  de  fréquenter  les  écoles  complémentaires;  en  revanche, 
elle  a  adopté  la  loi  concernant  la  fourniture  gratuite  des  livres  et 
objets  classiques  aux  élèves  des  écoles. 


480  BBVUB   PtDAGOGIQUS 

—  Le  grand  conseil  du  canton  de  Genève  discute  en  ce  moment 
un  projet  de  révision  de  la  loi  scolaire  cantonale. 

Union  américaine.—  VA  beillc,  grand  journal  quotidien  delà  Nou- 
velle-Orléans, publié  en  langue  française,  a  consacré  une  série 
d'articles  à  Tétude  de  la  section  française  d'éducation  de  rExposition 
universelle.  L'espace  nous  manque  pour  essayer  d'en  donner  même 
une  courte  analyse;  mais  les  lignes  suivantes,  que  nous  empruntons 
au  numéro  du  12  avril,  feront  voir  dans  quel  esprit  ces  articles 
ont  été  écrits  : 

c  Dans  ses  numéros  du  28  mars  et  du  2  avril,  dit  le  journal 
louisianais,  VAbeille  a  tenté  de  son  mieux  de  payer  la  dette  de 
gratitude  que  l'Exposition  universelle  de  Ja  Nouvelle-Orléans  a  con- 
traclce  envers  le  ministère  de  l'instruction  publique  de  France  pour 
l'envoi  de  son  admirable  section  d'éducation,  la  plus  belle  et  la  plus 
complète  de  toutes  les  expositions  que  contient  le  palais.  11  appar- 
tenait au  plus  vieux  journal  de  langue  française  en  Louisiane  d'être 
le  premier  à  accomplir  ce  devoir  de  reconncûssance.  Nous  terminons 
aujourd'hui  cette  tâche  aussi  étendue  qu'agréable,  et  nous 
achevons  l'examen  que  nous  avions  commencé  des  neuf  salles  d'é- 
ducation installées  par  les  soins  de  notre  hôte  distingué  de  Paris, 
M.  Benjamin  Buisson.  • 

On  nous  permettra  de  citer  encore  ces  lignes,  consacrées  à  notre 
publication  : 

0  Nous  remarquons  en  particulier  une  collection  intéressante  de 
la  Revue  pédagonique,  publiée  par  la  maison  Delagrave.  Cette  revue 
sert  d'organe  officiel  au  Musée  pédagogique  de  Paris,  établissement 
qui  a  de  grandes  analogies  avec  notre  Bureau  d'éducation  de 
Washington,  si  justement  populaire  dans  le  monde  scolastique.  > 


Le  gérant  :  H.  Gantois. 


IMPRIIURIB  CENTRALE  DES  CHK]IU(K  DE  WEE.  —  IMPRIMERIE  CHAIZ. 
R(.R  RKROKRB    M    PARIS.  ~  10434-5. 


iMnDe  i<rie.  T«m  fl.  N<>  6.  \l  Jùi  1SKS. 

BEVUE  PÉDAGOGIQUE 


VICTOR  HUGO  AU  PANTHEON 


Victor  Hugo  est  mort  le  22  mai  à  l'âge  de  qualre-viugl-trois 
ans.  A  cette  occasion,  un  décret  du  Président  de  la  République, 
traduisant  le  sentiment  national,  ia  consacré  de  nouveau  le 
Panthéon  à  la  sépulture  des  grands  hommes.  Il  est  ainsi 
conçu  : 

t  Article  premier —  Le  Panthéon  est  rendu  à  sa  destination  pri- 
mitive et  légale.  Les  restes  des  grands  hommes  qui  ont  mérité  la 
reconnaissance  nationale  y  seront  déposés. 

»  Art.  2.  —  La  disposition  qui  précède  est  applicable  aux 
citoyens  à  qui  une  loi  aura  décerné  des  funérailles  nationales. 
Un  décret  du  Président  de  la  République  ordonnera  la  transla- 
tion de  leurs  restes  au  Panthéon,  d 

Un  vote  des  deux  Chambres  ayant  décidé  qu'il  serait  fait  à 
Victor  Hugo  des  funérailles  nationales,  le  cercueil  du  grand 
poète,  après  avoir  été  exposé  un  jour  et  une  nuit  sous  l'Arc 
de  Triomphe  de  TÉtoile,  a  été  transporté  au  Panthéon  le  lundi 
1"^  juin. 

On  n'attend  pas  de  nous  un  récit  de  cette  imposante  céré- 
monie, qui  restera  dans  la  mémoire  des  hommes  comme  la 
plus  splendide  apothéose  dont  l'histoire  tiit  parlé.  Mais  nous 
avons  tenu  à  reproduire  ici,  à  titre  d'hommage  à  la  grande 
mémoire  du  poète  et  du  citoyen,  quelques  passages  des  discours 
prononcés  devant  le  catafalque  de  l'Arc  de  Triomphe  et  sous  la 
colonnade  du  Panthéon. 

M.  le  ministre  de  l'instruction  publique,  désigné  pour  porter 
la  parole  au  nom  du  gouvernement,  s'est  exprimé  en  ces 
termes  ; 

ftKTUI  FÉDAGOGIQUI  1885.  —  1*^  SIH.  31 


482  BBYUE  PtDÀGOGIQUK 

Je  ne  sais  s'il  est  vrai  aue  noire  siècle  portera  son  nom  et  qu'où 
dira  «  le  siècle  de  Victor  Hugo  »  comme  on  a  dit  «  le  siècle  de  Vol- 
taire »;  mais  ce  qui  nous  apparaît  dès  aujourd'hui  avec  une  pleine 
certitude,  c'est  qu'il  en  restera  la  plus  haute  personnification,  parce 
qu'il  est  celui  qui  résume  le  mieux  l'histoire  de  ce  siècle,  ses  con- 
tradictions et  ses  doutes,  sos  idées  et  ses  aspirations. 

Victor  Hugo  en  a  été  le  témoin  attentif  et  passionné.  Il  en  a  vu  et 
jugé  les  événements  avec  son  çénie.  il  en  a  suivi  toutes  les  évolu- 
tions, ébloui  d'abord  par  les  gloires  éphémères  des  premières  années, 
séduit  par  la  i*ésurrection  de  la  liberté  que  l'ancienne  monarchie 
semblait  ramener  avec  elle,  progressant  vers  la  démocratie  avec  la 
royauté  de  Juillet,  maudissant  et  frappant  d'une  rondamnation  inexo- 
rable l'Empire  qui,  pour  la  seconde  fois,  venait  faire  violence  à  ce 
grand  mouvement,  jaloux  de  demeurer  exilé  pour  rendre  sa  protes- 
tation plus  forte,  trouvant  enfin  dans  la  République  triomphante  le 
refuge  et  le  couronnement  de  sa  vie. 

Victor  llu*(o  est  l'homme  de  notre  temps  qui  a  le  mieux  compris, 
le  plus  aime  Thumaiiité  dans  l'ensemble  et  dans  l'individu.  Chari- 
table avant  tout  aux  petits,  aux  humbles,  aux  opprimés,  aucune 
misère  morale  ou  physique,  le  vice  même  ni  le  crime  ne  peuvent 
rebuter  sa  magnanimité,  et  l'amélioration  de  la  nature  humaine, 
comme  les  destinées  de  l'humanité  tout  entière,  font  l'objet  prin- 
cipal de  sa  conlemf)lation. 

El  malmenant,  si  l'on  demande  où  est  le  lien  de  celte  œuvre  et 
de  cette  vie,  ce  qui  en  fait  l'unité,  je  répondrai,  avec  ses  propres 
vers, 

Qu  il  fut  toujours  celui 
Qui  va  droit  au  devoir  dès  que  l'honnrte  a  lui, 
(Jui  voul  le  bien,  le  vrpi,  le  beau,  le  grand,  le  jusle. 

C'est  par  ce  côté  profondément  humain  de  sa  nature  que  Victor 
Hugo  a  mérité  d'être  considéré  comme  le  citoyen  de  toutes  les 
nations. 

C'est  par  là  aussi  qu'il  s'est  élevé  à  celle  idée  de  Dieu  qui  emplit 
tout  son  ouvrage.  Il  croyait  à  l'àme  immortelle.  Le  génie  a  des 
lumières  supérieures.  Peut-être  a-t-il  connu  la  vérité.  Nous  qui 
demeurons,  nous  savons  seulement  qu'il  avait  conquis  l'immorta- 
lité sur  la  terre,  et  c'est  pourquoi  nous  le  conduisons  aujourd'hui 
avec  ce  cortège  triomphal  dans  le  temple  que  la  Révolution  française 
avait  consacré  aux  grands  hommes. 

N'élait-il  pas  juste  el  nécessaire,  en  elïet,  qu'il  fût  rouvert  pour 
lui  ?  La  postérité,  ratifiant  nos  hommages,  l'y  honorera  éternelle- 
ment. iNon,  en  vérité,  ses  cendres  ne  sauraient  redouter  ces  retours 
funestes  dont  on  les  menace.  Après  plus  de  cent  ans,  les  noms  de 
Voltaire  et  de  Rousseau  excitent  encore  les  haines  et  les  colères. 
Mais,  depuis  bien  (le;s  années  déjà,  Victor  Hugo,  revenu  de  l'exil,  \ivait 
devant  l'opinion  dans  une  région  sereine,  bien  au-dessus  de  nos 
passions  et  de  nos  disputes:  le  grand  vieillard,  sorti  des  «  jours 
changeants  «,  représentait  au  milieu  de  nous  l'esprit  de  tolérance  et 
de  paix   entre  les  hommes,  et  le  respecl  universel  de  ses  contem- 


VIGTOU  HUGO  AU   PANTHÉON  48^3 

porains  lui  donnait  Tavant-^oùt  de  la  vénération  dont  sera  entourée 
sa .  mémoire. 


Mais  quelle  que  soit  la  gloire  du  poète,  la  postérité  le  connaîtra 
sous  un  plus  haut  aspect.  Elle  se  rappellera  surtout  qu'il  a  dit  : 

Je  suis  celui  qui  hâte  l'heure 
De  ce  grand  lendemain,  Thumanité  meilleure. 

Et  s'il  est  vrai,  comme  il  le  croyait  et  comme  nous  devons  le 
<;rûire,  que  ce  monde,  mù  par  une  force  dont  il  n'a  pas  conscience, 
marche  invinciblement  vers  le  progrès,  Victor  Hugo  ira  en  gran- 
dissant dans  la  mémoire  des  hommes,  et,  à  mesure  que  son  image 
reculera  dans  le  lointain  des  temps,  il  leur  apparaîtra  de  plus  en 
plus  comme  le  précurseur  du  règne  de  la  justice  et  de  l'humanité. 

Du  discours  de  M.  Madier  de  Montjau,  parlant  au  nom  des 
proscrits  de  i851,  nous  détachons  ce  passage: 

Oui,  tu  nous  protégeas  et  tu  nous  vengeas,  maître  !  Et  en  nous 
protégeant,  tu  protégeais,  tu  vengeais,  tu  sauvais  plus  grand,  plus 
précieux  que  nous,  ces  proscrits  de  toiis  les  temps  funestes,  le 
devoir,  la  liberté,  dont  nous  n  étions  que  les  soldats. 

Ah  !  ces  œuvres  sublimes,  tilles  de  la  vertu  indignée,  de  la  justice 
implacable,  quel  reconfort  nous  y  avons  trouvé  !  Et  quel  sentiment 
ilu  devoir  dans  l'exemple  de  ce  stoïque>  résigné  à  la  solitude,  renon- 
(;ant  à  cette  cour  d'esprits  d*élite  que  faisait  autour  de  lui,  dans  son 
pays,  tout  ce  qu'avaient  la  France  et  l'Europe  de  plu*  illustre,  seul 
sur  son  roc,  au  milieu  de  l'Océan,  impassible  et  inflexible,  attendant 
que  riieure  de  la  justice  et  de  la  réparation  vînt. 

Qui  ne  se  fût  senti  fier  et  presque  heureux  d'être  proscrit  quand, 
des  hauteurs  d'où  il  planait,  il  laissait  tomber  ces  paroles  :  «  Il  y 
a  de  l'élection  dans  la  proscription.  Etre  proscrit,  c'est  être  choisi 
par  le  crime  pour  repré>enter  le  droit.  »  Qui  aurait  pu  être  inddèle 
à  rinfortuiie  et  à  Toxii,  ((uand,  parlant  des  exilés,  il  disait  dans  un 
de  SCS  vers  immortels,  gravé  aujourd'hui  dans  toutes  les  mémoires, 
que  s'il  n'en  restait  qu'un,  il  serait  celui-là  ? 

M .  Leconte  de  Lisle,  au  nom  des  poètes,  a  glorifié  en  Victor  Hugo 
liiicomparable  artiste.  Voici  son  discours  : 

Messieurs, 

C'est  avec  le  profond  sentiment  de  mon  insuffisance  que  j'ose 
■adresser,  au  nom  de  la  poésie  et  des  poètes,  le  suprême  adieu  de 
ses  disciples  fidèles,  respectueux  et  dévoués,  au  maître  glorieux 
([ui  leur  a  enseigné  la  langue  sacrée.  Puisse  ma  gratitude  infinie  et 
ma  rehgieuse  admiration  pour  notre  maître  à  tous  me  faire  par- 
<lonner  la  faiblesse  de  mes  paroles  I 


484  BIVUE  PÉDAG06IQUK 

Messieurs, 

Nous  pleurons  sans  doute  le  grand  homme  qui  a  daigné  nous 
honorer  de  sa  bienveillance  inépuisable,  de  sa  bonté  d  aïeul  iudulgent; 
mais  nous  saluons  aussi,  avec  un  légitime  orgueil  filial,  dans  la 
sérénité  de  sa  gloire^  du  fond  de  nos  cœurs  et  de  nos  intelligences^ 
le  plus  grand  des  poêles,  celui  dont  le  génie  a  toujours  été  et  sera 
toujours  pour  nous  la  lumière  vivante  qui  ne  cessera  de  nous 
guider  vers  la  beauté  immortelle,  qui  désormais  a  vaincu  la  mort, 
et  dont  la  voix  sublime  ne  se  taira  plus  parmi  les  hommes. 

Adieu  et  salut,  maître  très  illustre  et  très  vénéré,  éternel  honneur 
de  la  France,  de  la  République  et  de  Thumanité. 

Qu'on  nous  permette,  pour  terminer,  de  donner  la  parole  à 
notre  éminent  collaborateur  M.  Félix  Pécaut,  qui,  dans  une  lettre 
adressée  au  journal  le  Temps,  a  éloquemment  exprimé  de  hautes 
et  nobles  idées  : 

D'autres,  —  a-t-il  dit,  —  avec  plus  de  compétence  que  je  n'en  saurais 
avoir,  ont  célébré  le  poète,  sa  prodigieuse  puissance  de  pensée, 
d'imagination  et  de  langage,  l'étendue  presque  illimitée  de  son  cla- 
vier, la  fidélité  avec  laquelle  il  a  rendu  toutes  les  émotions  humaines, 
aussi  bien  celles  qui  sont  communes  à  tous  les  âges  que  les  tris- 
tesses, les  joies,  les  dcrtJtes,  les  ardeurs  —  jamais  les  langueurs  — 
propres  à  notre  temps.  J'oserais  seulement  demander  que  l'on  mar- 
quât à  quel  point  cet  écho  puissant  —  si  puissant  qu'on  a  pu  le 
comparer  à  une  grande  force  de  la  nature  —  a  été  individuel,  ori- 
ginal; combien  ce  prophète,  emporté  par  Tinspiratiou,  dispose  libre- 
ment de  lui-même;  comme  cette  «  force  »  ressemble  peu  a  une 
force  aveugle;  et  comme  on  découvre  par  delà  cette  imagination 
luxuriante,  celte  sensibilité  frémissante  à  tous  les  souffles,  une 
volonté  ferme,  toujours  présente,  toujours  attentive,  toujours  maî- 
tresse. Si  je  no  me  trompe,  ce  trait  lui  vaudra,  entre  tous,  de  vivre 
dans  la  postérité  et  de  devenir  l'un  de  ces  robustes  ouvriers  qui 
forgent  de  siècle  en  siècle  l'esprit  et  l'âme  de  leur  nation. 

A  ce  caractère  s'en  rattache  étroitement  un  autre  par  où  Victor 
Hugo  offre  à  notre  génération  un  exemple  digne  d'être  médité.  Ce 
qui  me  frappe  le  pins  dans  sa  vie  et  dans  son  œuvre,  c'est  que  le 
poète  admiré,  encensé,  ne  s'est  pas  réduit  à  être  un  poète,  une  lyre, 
la  plus  harmonieuse,  la  plus  profonde,  la  plus  riche  conune  la  plus 
savante  des  lyres.  Ce  chantre,  aux  lèvres  duquel  se  sont  suspendue^ 
plusieurs  générations  successives,  ne  s'est  pas  contenté  de  chanter 
et  de  se  faire  applaudir:  il  a  compris  autrement  la  vie,  l'honneur, 
le  devoir,  il  a  voulu  être  un  homme.  11  est  descendu  pdrmi  nous;  il 
a  pris  rang  dans  la  bataille  de  son  temps;  il  n'a  eu  ni  peur  ni 
dédain  de  nos  luttes;  il  n'a  pas  contemplé  la  tempête  contempo- 
raine du  haut  des  «  temples  sereins  »:  il  s'est  prononcé  résolument, 
vaillamment,  en  lutteur  et  non  en  amateur,  dans  les  questions  poli- 
tiques, philosophiques,  religieuses,  sociales,  qui  troublent  notre 
"îays.  On  peut  disputer  des  opinions  qu'il  a  soutenues;  mais  tous 
es  hommes  sincères  et  sérieux,  amis  ou  adversaires,  conviendront 


l 


VICTOR   HUGO  AU    PANTHÉON  485 

du  moins  que  plus  viril  exemple  ne  pouvait  être  donné  de  plus 
haut.  Quand  le  pays  flottait  incertain  entre  la  liberté  et  la  dictature, 
entre  l'esprit  théocratique  et  Tesprit  laïque,  entre  la  démocratie  et 
le  gouvernement  des  classes  dirigcaotes,  lorsque  les  plus  difliciles 

f)roblèmes  étaient  posés  devant  la  conscience  publique,  s^abstenir, 
aisser  à  d'autres  la  peine  d'avoir  un  avis  et  de  le  soutenir,  ce  rôla 
de  dilettante  ou  de  sceptique  lui  eût  paru  un  rôle  d'eunuque.  11  fit 
donc  son  choix,  et,  quand  vint  Tàge  de  la  pleine  maturité,  il  se 
montra  de  propos  délibéré  libéral,  démocrate,  républicain. 

Ce  n'est  pas  tout  :  dans  un  temps  où  les  idées  religieuses  sont 
en  médiocre  faveur,  aussi  peu  goûtées  de  bon  nombre  de  savants 
que  des  politi(iues,  des  publicistes  et  du  peuple  même,  il  osa  être 
religieux;  il  le  tut  à  sa  manière,  simplement,  tranquillement,  sans 
dogmatisme,  comme  on  pouvait  Tattendre  d'un  voyant  du  dix- neu- 
vième siècle,  qui  n'ignore  rien  de  ce  qui  déconcerte  aujourd'hui  les 
intelligences  les  plus  sincères,  les  plus  avides  do  croire.  Qui  eut,  en 
eiïet,  plus  que  lui  l'oreille  ouverte  à  toutes  les  voix  contradictoires 
de  la  nature,  de  l'histoire,  de  la  science?  Mais,  au  milieu  de  ces 
discordances,  c'est  la  voix  du  dieu  intérieur,  écho  du  Dieu  universel, 
qu'il  se  plaisait  à  écouter  de  préférence;  et  sous  sa  dictée  il  persis- 
tait à  prêcher  à  notre  génération  désorientée  le  règne  de  la  liberté, 
de  la  justice,  de  la  fraternité  humaine. 

Ainsi  a  vécu^  Viclur  Hugo  :  l'un  des  nôtres,  ne  désertant  pas  la 
responsabilité  de  penser  et  do  prendre  position.  Rappellerai-je  une 
fois  de  plus  que,  non  content  de  penser  librement,  il  a  agi  à  ses 
risques  et  périls?  Ce  que  peut  un  homme,  même  désarmé,  même 
exilé,  par  la  seule  arme  du  vers,  du  vers  proscrit  et  arrêté  à  la 
frontière,  conlro  une  puis-ance  établie  qui  h  pour  elle,  avec  tous 
les  moyens  matériels,  police,  administration,  armée,  l'Eglise,  l'opinion 
publique  elle-même,  trompée,  égarée,  démoralisée,  ce  que  peut  un 
seul  homme,  jamais  on  ne  le  vit  mieux  que  dans  ce  terrible  duel 
entre  l'auteur  des  Châtiments  et  l'empereur  Nnpoléon  111. 

Voilà  ce  que,  à  l'heure  où  chaque  Français  tait  son  pèlerinage, 
au  moins  en  e>pril,  vers  le  poète,  m'a  inspiré  ma  visite  dernière. 
Ce  magicien  du  style  fut  un  homme  de  conviction  et  d'action.  Et 
c'est  pourquoi  je  ne  peux  me  défendre  d'un  sentiment  d'espoir  en 
voyant  la  fnule,  je  veux  dire  tout  le  monde,  s'empresser  vers  la 
maison  mortuaire.  Ce  n'est  pas  un  «  grand  de  cnair  »,  comme 
dirait  Pascal,  quo  l'on  va  saluer;  ce  n'est  ni  un  général  victorieux, 
ni  un  homme  d'État,  maîtres  dans  l'art  de  mouvoir  les  masses 
humaines  ou  les  passions  humaines  :  c'est  un  homme  de  l'esprit, 
çiui  ne  serait  rien  si  l'Ame,  si  la  dignité  de  l'âme  et  de  sa  destinée, 
individuelle  ou  nationale,  n'était  quelque  chose.  On  croit  donc  encore 
à  l'esprit  parmi  nous;  on  croit  à  sa  souveraine  excellence  :  ce  credo 
en  renferme  bien  d'autres! 

La  Rédaction 


LEONARD  ET  GERTRUDE 

HE  PESTALOZZI 


[Sous  ce  titre  nous  publions,  en  les  rapprochaut  de  manière  à  en  Toriûer  ui> 
ensemble,  un  certain  nombro  d'extraits  de  l'ariicle  Pestatozzi,  qui  parait  en 
ce  moment  même  dans  les  livraisons  lôO  et  151  du  Dictionnaire  de  péda- 
aogie  (1),  sous  la  signature  de  M.  J.  Guillaume.  Cet  article,  dont  Téditeur  a 
Bien  voulu  nous  communiquer  les  bonnes  feuilles,  est  un  travail  considérable, 
puisé  aux  sources  ;  nous  nous  abstiendrons  de  le  recommander  à  nos  lecteurs  : 
rauteur  est  un  des  plus  anciens  collaborateurs  de  la  Revues  qui  lui  doit, 
depuis  le  début,  la  rédaction  du  Courrier  de  VExtérieur. 

<r  Jusqu'à  ces  dernières  années,  dit  M.  Guillaume  dans  l'introduction  de  son 
étude,  des  périodes  entières  de  la  vie  du  philanthrope  de  Neuhof  étaient  restées 
mal  connues;  plusieurs  de  ses  écrits  les  plus  importants  avaient  été  défîg'ivrés 
dans  des  éditions  remaniées,  ou  ét^iicnt  demeurés  inédits.  C'est  grâce  auv 
travaux  récents  de  quelques  compatriotes  de  Pestalozzi,  et  tout  particulière- 
ment de  M.  Mort',  de  M"**  Zebndcr-Stadlin,  de  M.  le  l)**  0.  lluoziker,  que  la 
lumière  a  été  faite  sur  bien  des  points  restén  obscurs,  en  même  temps  que 
le  texte  authentique  des  écrits  de  Pestalozzi  était  de  nouveau  rendu  accessiole 
par  les  éditions,  complètes  ou  partielles,  de  Seyffarth,  de  Mann  et  du  comité 
du  musée  peslalozzien  de  Zuri(îh.  Nous  avons  utiîis»'»  le  résultat  de»  ces 
consciencieuse?  recherches  ;  et  l'esquisse  que  nous  offrons  à  nos  lecteurs  leur 
présentera,  d'une  façon  plus  exacte  qu'il  n'avait  été  possible  de  le  faire 
jusqu'ici  en  France,  la  figure  du  vrai  Pestalozzi.  »  La  Rédaction,] 


1 

Pestalozzi  connut  alors  la  misùre  noire  (t).  Dans  la  solitude 

de  sa  maison  de  Neuhof,  il  resta  sans  aident,  quelquefois  sans 
pain  et  sans  feu.  Mais  ce  qui  fut  plus  dur  à  supporter  pour  lui 
que  les  privations  matérielles,  ce  furent  les  souffrances  morales. 
Les  paysans  du  voisinage  ne  l'aimaieut  pas;  les  innovations 
qu'il  avait  essayées  leur  avaient  déplu,  et  ils  s'étaient  réjouis- 
de  son  insuccès  et  de  sa  ruine.  Ils  le  lui  témoignaient  ouver- 
tement par  leurs  ricanements  lorsqu'ils  le  rencontraient;  les 
gamins  le  poursuivaient  de  leurs  huées.  On  l'affublait  de  sobri- 
quets méprisants.  On  l'appelait  Pestilence  et  ÉpouvantaiL  Se» 


(1)  Dictionnaire  de  pédagogie  et  d'instruction   primaire  y    publié  sous   la 
direction  de  M.  F.  Buisson.  Paris,  librairie  Hachette  et  G**. 

(2)  En  1780,  après  l'insuccès  de  sa  tentative  pour  créer  sur  son  domaine 
de  Neuhof  un  asile  d'enfants  pauvres, 


LÉOMAKD  &r  G£lVrRi;i>L  DE  ffibTALOZZl  487 

manières  bizarres  étaient  J)icn  faites  d'ailleurs  pour  exciter  la 
moquerie  du  vulgaire.  On  le  voyait  se  promener  dans  les 
champs  et  sur  les  chemins,  tantôt  plongé  dans  de  profondes 
rêveries,  tantôt  courant,  gesticulant  et  parlant  tout  haut.  La 
négligence  extrême  de  sa  toilette  lui  donnait  Tair  d'un  mendiant. 
Uu  jour,  raconte  Emmanuel  Frohiich  (1),  il  était  allé  au  château 
de  Wildenstein,  pour  y  rendre  visite  à  Fellenberg  (le  père); 
Mme  ^Q  Tellenberg,  qui  ne  le  connaissait  pas,  était  assise  sous 
un  arbre  devant  la  porte;  comme  il  s'approchait  d'elle  pour  la 
saluer,  elle  crut  avoir  affaire  à  un  pauvre  qui  demandait  Tau- 
mône,  et  lui  tendit  une  pièce  de  monnaie;  au  même  moment 
survint  Fellenberg,  et  grande  fat  la  stupéfaction  de  la  noble 
dame  de  voir  son  mari  embrasser  avec  effusion  le  prétendu 
pauvre,  et  le  lui  présenter  ensuite  comme  sou  ami  le  philan- 
thrope de  Neuhof .  La  singulière  habitude  qu'avait  Pestalozzi  de 
tenir  sans  cesse  entre  les  dents  un  des  bouts  de  sa  cravate 
prêtait  aussi  à  rire  :  même  à  l'église,  dit  Hubcr,  où  il  allait 
régulièrement  tous  les  dimanches  et  où  il  avait  une  stalle  ré- 
servée dans  le  chœur,  on  le  voyait  mordiller  machinalement  ce 
lambeau  de  batiste  pendant  l'office,  et  sa  manie  donnait  des 
distractions  aux  fidèles. 

Si  les  paysans  n'avaient  jamais  eu  pour  IVstalozzi  que  des 
sarcasmes,  la  société  cultivée  ne  le  traitait  pas  mieux  mainte- 
nant. Plus  la  coniiance  qu'on  lui  avait  témoignée  un  moment 
avait  été  grande,  plus  était  sévère  la  condamnation^  plus  le  mépris 
donton  l'accablait  était  profond.  Il  avait  conservé  quelques  rares 
amis  :  mais  ceux-là  même,  dit-il,  «  me  regardaient  comme  un 
homme  perdu  sans  remède,  destiné  à  finir  ses  jours  à  l'hôpital 
ou  dans  une  maison  de  fous  d. 

Le  sentiment  que  cette  sentence  impitoyable  était  injuste, 
que  les  idées  dont  il  avait  tenté  la  réalisation  étaient  méconnues, 
remplissait  son  co^ur  d'une  indicible  amertume.  Il  souffrait 
aussi  de  penser  que  sa  femme,  dont  il  avait  dissipé  la  fortune 
presque  tout  entière,  avait  dû  perdre  maintenant  la  confiance 
qu'elle  avait  autrefois  placée  en  lui.  M""®  Pestalozzi  montra, 
durant  cette  longue  période  d'épreuves,  une  admirable  résigna- 

(1)  Souvenirs f  publiés  dans  les  Pndagogische  Blàtter  de  Kehr,  1881,  n*  2. 


468  mVIJI  FÉDAGOGIQUI 

lion;  elle  ne  récrimina  point;  mais  elle  semble  s*êlre  déta- 
chée jusqu'à  un  certain  point  de  son  mari.  Durant  les  années 
qui  suivirent  le  désastre  financier  de  Neuhof,  et  jusqu'au 
moment  où  la  révolution  helvétique  ouvrit  à  Pestalozzi  une 
carrière  nouvelle,  l'altitude  de  M"«  Pestalozzi  reste  la  même. 
D^une  santé  délicate  et  fréquemment  malade,  il  lui  «îût  été 
difficile  d'ailleurs  d'essayer  d'intervenir  activement  pour  amé- 
liorer la  situation  matérielle. 

C'est  à  ce  moment  même  (probablement  en  1780)  qu'entra  au 
service  de  Pestalozzi  une  jeune  servante  dont  l'activiU^  et  le 
dévouement  méritèrent  la  reconnaissance  attendrie  des  deux 
(époux,  pour  qui  elle  fut  pendant  de  longues  années  une  véri- 
table providence.  Elle  se  nommait  Elisabeth  Nàf,  de  Rappel. 
Née  en  1762,  elle  avait  servi  déjà  chez  un  membre  de  la  famille 
(on  ne  sait  pas  lequel),  et,  son  maître  étant  mort,  elle  vint  à 
Neuhof  offrir  son  aide.  C'était  une  fille  laborieuse,  qui  avait 
toutes  les  qualités  d'une  bonne  ménagère;  grâce  à  elle,  il  y  eut 
de  nouveau  de  l'ordre  et  de  la  ^propreté  dans  la  maison,  où  tout 
était  à  l'abandon  ;  elle  cultiva  le  jardin,  elle  ramena  un  peu  d'ai- 
sance au  foyer  domestique.  «  C'est  cette  fille,  dit  Nicolovius,  qui 
ia  vit  en  1791,  dont  Pestalozzi  a  reproduit  la  figure,  en  l'idéa- 
lisant, dans  sa  Gertrude.  ù 

Ramsauer  rapporte  que  trente  ans  plus  tard  Pestalozzi  lui 
dit  un  jour  :  «  Jo  me  retournerais  dans  la  tombe  et  je  ne  pour- 
rais pas  être  heureux  au  ciel,  si  je  n'élais  pas  certain  qu'après 
ma  mort  elle  sera  plus  honorée  que  moi-môme:  car  sans  elle 
il  y  a  longtemps  que  je  ne  vivrais  plus.  » 

Les  servantes,  on  le  voit,  jouent  un  grand  rôle  dans  la  bio- 
graphie de  Pestalozzi;  il  semble  que  son  imagination  fût  plus  vi- 
vement frappée  des  vertus  simples  et  actives  de  la  femme  du 
peuple.  Dans  ses  souvenirs  d'enfance,  ce  n'est  pas  sa  mère  qui 
tient  la  preniière  place,  c'est  la  servante  Babeli;  et  plus  tard, 
lorsqu'il  écrit  son  roman  populaire,  ce  n'est  pas  sa  propre 
épouse  qui  lui  fournit  le  modèle  de  la  mère  de  famille  idéale, 
c'est  la  servante  Lisbeth. 

L'isolement  do  Pestalozzi,  qui  lui  fut  si  douloureux  en  ce 
moment  critique,  n'était  cependant  pas  absolu.  Deux  hommes 
avaient  conservé  confiance  en  lui  et  lui  prodiguèrent  leurs  encou  > 


LÉONARD  AT  GitaTRUOE  DB  PKSTALOZZI  4S9 

ragcments  dans  son  infortune  :  c'étaient  Iselin  (i)  et  le  libraire 
Gaspard  Fussli  (frère  du  peintre  Henri  Fûssli).  lis  lui  conseil- 
lèrent ^'écrire  ;  et  Pestalozzi,  qui  «  n'avait  pas  ouvert  un  livre 
depuis  treize  ans  »,  et  a  qui  ne  pouvait  plus  écrire  une  ligne  sans 
laute  »,  résolut  d'essayer  du  métier  d'écrivain  c  comme  il  eût 
essayé,  s'il  l'eût  fallu,  de  celui  de  perruquier,  pour  procurer 
quelques  ressources  à  sa  femme  et  à  son  enfant  ». 

Les  deux  premiers  écrits  qui  sortirent  alors  de  sa  plume  sont 
la  Soirée  d'un  solitaire  (Die  Abendatunde  eines  Einsiedlers)  et 
un  Mémoire  sur  les  lois  somptuaires  (Ueber  die  Aufwandgesetze). 
Ils  passèrent  inaperçus.  La  Soii^ée  d'un  solitaire  parut  dans  le 
numéro  de  mai  1780  des  Ephémérides  d'Iselin  :  c'est  une  suite 
de  pensées  sur  la  morale  et  la  religion.  1^  Mémoire  sur  les  lois 
somptuaires  Irai  lait  une  question  mise  au  concours  en  1779  par 
la  Société  d'encouragement  de  Biile  :  «  Convient-il  d'imposer 
des  limites  au  luxe  des  citoyens  dans  une  petite  république  dont 
la  prospérité  repose  sur  le  commerce-?  »  Le  premier  prix,  qui 
était  de  30  ducats,  fut  partagé  entre  Pestalozzi  et  sou  compa- 
triote le  professeur  Meister  ;  lus  écrits  couronnés  furent  publiés 
à  Bâle  en  une  brochure,  avec  une  préface  d'Iselin  datée  du  14 
décembre  1780.  «  Le  second  mémoire,  y  lisait-on,  a  pour  auteur 
M.  Peslalozz  (sic)y  de  Neuhof,  qui  s'est  acquis,  par  le  plan 
excellent  qu'il  a  formé  pour  l'éducation  des  enfants  des  classes 
inférieures,  le  suffrage  et  l'estime  des  vrais  amis  de  l'humanité, 
mais  qui  a  eu  le  malheur  de  voir  ses  nobles  intentions  échouer 
jusqu'à  présent,  faute  d'un  appui  suffisant.  »  Ces  bienveillantes 
paroles  du  chancelier  bâlois  durent  ctre  pour  Pestalozzi  comme 
un  baume  sur  sa  blessure. 

C'est  au  commencement  de  1781  que  fut  composée  la  pre- 
mière partie  de  Léonard  et  Gertrude,  où  Pestalozzi  se  révéla  au 
public  étonné  comme  un  écrivain  d'un  talent  original  et  supé- 
rieur. Voici,  d'après  l'auteur  lui-même,  comment  ce  livre  prit 
naissance.  Se  trouvant  à  Zurich  (dans  le  courant  de  1780),  il 
s'était  diverti  à  écrire  une  facétie  inspirée  par  un  incident  local  : 
l'adoption  d'un   nouvel  uniforme  pour   la  garde  urbaine.   Le 

(1)  Isaac  Iselin,  choncelier  de  la  ville  de  Bâle  (1728-1782). 


'460  MVin   PÉDAGOdfQUC 

peintre  Fussli  vit  ce  manuscrit,  qui  traînait  sur  une  table  chez 
son  frère  le  libraire,  le  lut,  fut  frappé  de  rorigioalité  du  style 
et  des  idées,  et  dit  à  son  frère  :  «  L'homme  qui  a  fait  cela  a  du 
talent  :  dis-lui  de  ma  part  qu'il  y  a  en  lui  l'étofie  d'un  écri^'aiD, 
et  qu'il  ne  tient  qu'à  lui  de  se  tirer  d'affaire  au  moyen  de  sa 
plume.  j>  Le  libraire  répéta  ces  paroles  à  Pestalozzi,  qui  n'en 
croyait  pas  ses  oreilles.  Eu  rentrant  chez  lui,  il  se  mit  à  lire  les 
Contes  moraux  de  Maniiontel,  qu'il  avait  justement  sur  sa  tible, 
et  il  lui  parut  qu'il  ne  serait  pas  très  difficile  d*en  faire  autant. 
Il  essaya,  et  écrivit  successivement  cinq  ou  six  historiettes  dans 
ce  genre;  mais  aucune  ne  le  satisfit.  Enfin  il  rencontra  un  sujet 
qui  lui  plut;  sans  qu'il  se  fût  fait  un  plan  à  l'avance,  le  livre 
sortit  de  sa  plume,  chapitre  après  chapitre,  et  se  trouva 
achevé  en  quelques  semaines  :  c'était  l'histoire  de  Léonard  et 
de  Gertrudc.  «  J'en  sentais  la  valeur,  dit-il,  mais  comme  un 
homme  qui  dans  le  sommeil  sent  la  valeur  d'un  bonheur  dont 
îl  rôve.  Je  savais  à  peine  si  je  veillais  ou  si  je  dormais;  cepen- 
dant une  lueur  d'espoir  commençait  à  poindre  en  moi,  l'espoir 
de  pouvoir,  comme  écrivain,  améliorer  ma  position  matérielle 
et  la  rendre  plus  supportable  aux  miens.  Je  montrai  mon 
essai  à  un  ami  de  Lavater,  qui  était  aussi  le  mien  (Pfenninger). 
Il  le  trouva  intéressant,  mais  déclara  cependant  que  le  livre 
ne  pouvait  pas  être  imprimé  tel  quel;  il  fourmillait  d'incor- 
rections intolérables,  n'avait  pas  la  forme  littéraire.  Il  offrit  do 
le  faire  revoir  par  une  personne  ayant  l'habitude  d'écrire.  Dans 
ma  simplicité,  je  lui  répondis  que  j'en  serais  bien  aise,  et  je  lui 
remis  sur-le-champ,  |)our  être  révisées,  les  trois  ou  quatre 
premières  feuilles  de  mon  livre.  Mais  quel  fut  mon  étonnement 
lorsqu'il  me  rendit  ces  feuilles  sous  leur  nouvelle  forme.  C'était 
un  véritable  travail  d'étudiant  en  théologie,  oii  la  peinture 
sincère  de  la  vie  réelle  des  paysans,  telle  que  je  l'avais  faite, 
nue  et  sans  art,  mais  fidèle  et  d'après  nature,  était  remplacée 
par  une  religiosité  de  convention,  et  où  les  paysans  au  cabaret 
parlaient  le  langage  [>édaiitesque  d'un  maître  d'école:  il  ne 
restait  rien  de  ce  qui  faisait  l'originalité  de  mon  livre.  »  Mal- 
gré sa  modestie,  Pestalozzi  se  rebiffa  :  il  refusa  de  consentir  à  la 
mutilation  de  son  œuvre,  et  chercha  un  juge  plus  éclairé.  Il  se 
rendit  à   Bâie  auprès  d'Iselin.  Celui-ci,  après   avoir  entendu 


LÉONARD  ET  GKRTRUDB  DI  PKSTALO/ZI  491 

la  lecture  de  quelques  chapitres  du  manuscrit,  dit  à  l'auteur 
que  cet  ouvrage  n'avait  pas  encore  son  pareil,  et  que  les  idées 
qu'il  contenait  répondaient  à  un  besoin  réel  du  temps;  il  se 
chargea  de  corriger  les  fautes  de  style  et  d'orthographe,  et  de 
trouver  un  éditeur.  L'excellent  Iselin  écrivit  en  effet  à  Berlin  au 
libraire  Decker,  qui  promit  de  payer  le  manuscrit  à  raison 
d'un  louis  la  feuille,  et  encore  une  fois  autant  s'il  y  avait  une 
seconde  édition.  Pestalozzi  nageait  dans  la  joie.  «  Un  louis  par 
feuille,  c'était  pour  moi,  dans  ma  situation,  une  grosse  somme, 
une  très  grosse  somme  1  » 

La  fable  de  Léonard  et  Gertrude  est  des  plus  simples.  Dans 
le  village  de  Donnai  vit  un  ouvrier  maçon,  Léonard,  avec  sa 
femme  Gerlrude  et  ses  sept  enfants.  Léonard  est  bon  et  honnête, 
mais  faible.  11  s'est  laissé  entraîner  à  boire  et  à  jouer  dans 
l'auberge  que  tient  le  bailli  du  village,  le  rusé  et  méchant 
Hummel  ;  il  a  fait  des  dettes.  Honteux  et  désespéré,  il  avoue  sa 
triste  situation  à  sa  femme.  La  pieuse  et  vaillante  Gertrude  le 
console  et  lui  fait  promettre  de  changer  de  conduite.  Le  lende- 
main, son  plus  jeune  enfant  sur  le  bras,  elle  se  rend  au  châ- 
teau où  réside  le  Junker  Amer,  le  nouveau  seigneur  du  village, 
qui  vient  de  succéder  à  son  aïeul;  elle  lui  conte  l'histoire  de 
son  mari.  Amer  est  touché  de  la  naïve  confiance  de  Gertrude, 
et  indigné  dp  ce  qu'il  apprend  sur  le  compte  du  mauvais  bailli. 
11  fait  une  enquête  avec  l'aide  du  pasteur  Ernst,  homme  vertueux 
et  éclairé,  et  découvre  une  foule  de  malversations  et  d'injustices. 
Le  bailli,  qui  se  sent  nienacé,  essaie  de  conjurer  l'orage  en 
ourdissant  intrigue  sur  intrigue  ;  mais  ses  machinations  tour- 
nent contre  lui,  il  est  démasqué;  et,  au  dénouement.  Amer, 
siégeant  comme  juge,  après  avoir  déposé  Hummel  de  sa  charge, 
l'oblige  à  restituer  le  bien  mal  acquis  et  prononce  contre  lui 
une  sentence  infamante. 

Dans  ce  cadre,  l'auteur  fait  mouvoir,  à  côté  des  personnages 
principaux,  une  quantité  de  figures  secondaires,  dessinées  avec 
beaucoup  de  verve  et  ayant  chacune  sa  physionomie  bien  mar- 
quée; les  épisodes  touchants  ou  comiques  se  succ<'»dent;  pres- 
que chacun  des  cent  chapitres  forme  un  petit  tableau  frappant 
par  la  vérité  des  détails,  le  naturel  du  dialogue,  la  finesse  de 
l'observation;  quelquefois  aussi  des  pensées  fortes  ou  profondes 


492  RIVUK  PÉDAGOGIQUB 

font  deviner  derriùre  le  conteur  un  philosophe,  ou  un  rayon 
de  poésie  vient  ennoblir  les  détails  vulgaires. 

Ce  fut  au  printemps  de  1781  que  parut,  sans  nom  d'auteur, 
Léonard  et  Gerlrude  (la  préface  est  datée  du  25  février  1781). 
Le  succès  en  fut  très  grand  en  Allemagne  et  en  Suisse;  tous 
les  journaux  en  parlèrent,  et  non  seulement  les  journaux, 
mais  les  almanachs.  On  sut  bientôt  que  Tauteur  était  M.  Pes- 
talozzi  de  Neuhof,  qui  se  trouva  célèbre  du  jour  au  lendemain. 
La  Société  économique  de  Berne  lui  décerna  une  récompense 
consistant  en  une  somme  de  oO  ducats  et  une  mtklaille  d'or, 
—  médaille  que  Peslalozzi,  pressé  par  le  besoin,  vendit  à  un 
collectionneur. 

Une  seconde  édition  de  Léonard  et  Gertrude  fut  faite  la 
même  année. 

Une  traduction  française  parut  à  Berlin  en  1783,  chez  le 
même  éditeur,  en  un  volume  in-12.  Elle  est  intitulée:  Léonard 
et  Gerlrude  ou  les  Mœurs  villagoises,  telles  qu'on  les  retrouve 
à  la  ville  et  à  la  cour»  Histoire  morale  traduite  de  V allemand  : 
Avec  douze  estampes  dessinées  et  gravées  par  D,  Chodowiecki, 
Celte  traduction  est  dédiée  à  M.  de  la  Fléchère,  «  seigneur  de 
Grens,  capitaine  d'une  compagnie  de  grenadiers  au  service  du 
louable  canton  de  Berne  ».  Dans  son  épître  dédicatoire,  le 
traducteur,  qui  signe  des  initiales  «  P.  de  M.  »,  aimonce  que 
l'original  est  Tœuvre  de  a  M.  Peslalotz  de  Neuenhof  »  (au  xviu® 
siècle,  on  rencontre  fréquemment  le  nom  de  Pestalozzi  écrit 
Peslalotz,  Pestalutz,  Pestalozz,  Pestaluz,  etc.);  parlant  de  sa 
traduction,  il  ajoute  :  «  11  ne  m'est  pas  permis  d'en  rien  dire, 
sinon  qu  elle  est  fidèle,  que  même  elle  peut  avoir  quelque  avan- 
tage sur  l'original,  quanta  la  pureté  de  la  diction,  en  même  temps 
que  je  reconnais  qu'elle  n'en  apas  toute  la  précision  et  la  naïveté, 
quoique  j'aie  pris  à  tâche  d'imiter  le  style  simple  et  naturel 
de  l'auteur.  »  Le  traducteur  est  Pajon  de  Moncets,  pasteur  de 
l'église  française  de  Berlin,  qui  a  publié  aussi  des  traductions 
des  Leçons  de  morale  de  Gellert  et  de  VElementarbuch  deBasedow. 

Les  estampes  de  Chodowiecki  ne  sont  pas  sans  mérite.  Elles 
représentent  les  sujets  suivants:  1**  Léonard  rentre  chez  lui  et 
trouve  sa  famille  en  larmes*  (ch.  l*"")  ;  2**  Gertrude  chez  Arner 
(ch.  2);  3"*  le  chien  du  barbier  dévoile  une  ruse  du  bailli,  en 


LÉONARD  ET  GERTRDDB  DE  PESTALOZZI  493 

léchant  Teau  tombée  d'une  cruche  où  celui-ci  prétendait  avoir 
mis  du  vin  (ch.  10);  4®  la  grand'mère  de  Rudi  à  son  lit  de 
mort  (ch.  16);  5*  dialogue  entre  le  bailli  et  Marx  (ch.  26); 
6®  Marx  gronde  sa  fiile  Betheli  qui  a  accepté  un  morceau  de 
pain  d'un  des  enfants  de  Gertrude  (ch.  80);  7®  le  bailli  prend 
le  coquetier  Christophe  pour  le  diable,  et  se  sauve  en  hurlant 
(ch.  74);  8®  le  bailli  fait  sa  confession  au  pasteur  (ch.  li); 
9®  le  petit  Charles,  ftls  d'Amer,  embrasse  le  cocher  Franz 
(ch.82);  10**  Arner  prononce  la  sentence  du  bailli  (ch.  89);  11®  le 
coquetier  Christophe  explique  devant  la  commune  assemblée 
que  c'est  lui  que  le  bailli  a  pris  pour  le  diable  (ch.  92);  12® 
Léonard  et  Gertrude  avec  Arner  et  sa  femme  Thérèse  chez  Rudi 
(ch.  98). 

II  a  été  fait  une  réimpression  de  cette  traduction,  mais  sans 
estampes,  et  avec  l'indication  Première  par  lie  (parce  que  la 
seconde  partie  de  Léonard  et  Gertrude  avait  déjà  paru  à  ce 
moment).  Cette  réimpression  porte  la  mention  :  «  A  Lausanne 
et  à  Paris,  choz  la  vouve  Duchosne,  libraire,  rue  Saint-Jacques, 
au  temple  du  Goût,  1784.  » 

Une  autre  traduction  de  la  première  partiede  Léonard  et  Gertrude 
a  été  faite  beaucoup  plus  lard  pu-  M™*»  la  baronne  de  Guimps, 
et  imprimée  à  Genève  chez  J.-J.  Paschoud  en  1826  (seconde 
édition  en  1832,  Paris  et  Genève,  Abraham  Cherbuliez).  M™*  de 
Guimps  dit  dans  son  avertissement  :  «  Léonard  et  Gertrude  a 
déjà  été  traduit  dans  notre  langue;  je  ne  veux  point  faire  ici  la 
critique  de  cette  première  traduction  ;  je  dirai  seulement  que 
Pcstalozzi  en  fut  très  mécontent,  et  qu'il  me  pressa  d'entre- 
prendre celle-ci,  qui  a  été  commencée  sous  ses  yeux  et  d'après 
ses  avis.  »  A  notre  sentiment,  M™^  de  Guimps  n'a  pas  mieux 
réussi  que  Pajon  de  Moncels,  non  que  le  talent  lui  ait  manqué, 
mais  parce  qu'elle  entreprenait  une  tâche  impossible  :  Léonard 
et  Gertrude  est  un  livre  intraduisible. 

On  s'est  demandé  si  les  personnages  du  roman  de  Pestalozzi 
étaient  des  portraits.  Il  a  déclaré  lui-même,  en  1782,  que  les 
applications  qu'on  avait  voulu  faire  étaient  inexactes,  en  ce 
sens  qu'aucun  des  caractères  du  livre  n'est,  dans  tous  ses  traits, 
la  copie  fidèle  d'un  original.  Mais  il  n'en  est  pas  moins 
évident  que  pour  chacun   d'eux   il  a    eu  présenti>   à  l'esprit 


40^  lULVUE   PÉDAÛOGIUUE 

UQ  OU  plusieurs  modèles  pris  dans  la  réalité.  Gertrude,  d'après 
une  tradition  que  Nicolovius  a  le  premier  accréditée,  —  Pes- 
talozzi  lui-même,  il  est  bon  de  le  remarquer  en  passant, 
n*a  jamais  rien  dit  pour  la  confirmer,  —  serait  faite  à  l'i- 
mage de  la  servante  Elisabeth  Niif;  les  gens  de  Birr  et  de 
Mûligen  crurent  reconnaître  dans  le  bailli  Hummel  l'intrigant 
Miirki,  de  la  mauvaise  foi  duquel  Pestalozzi  avait  été  la  victime 
au  début  de  son  entreprise  agricole;  quant  au  pasteur,  le  choix 
de  son  nom,  £rnst,  indique  que  l'auteur  a  dû  songer  à  son 
ami  et  voisin  le  pasteur  de  Birr,  qui  s'appelait  Frohlich  (Ertw/, 
en  allemand  «  sérieux  »;  Frohlich,  en  allemand  ce  gai  »);  enfin 
Arner,  l'idéal  du  seigneur  humain,  sage  et  bienfaisant,  serait, 
de  l'avis  des  biographes  modernes,  le  patricien  bernois  Tscharner, 
dont  nous  avons  déjà  parlé,  qui  gouvernait  le  bailliage  de  Schen- 
kenberg;  peut-tUre  un  autre  noble  Bernois,  voisin  aussi  de 
Pestalozzi,  le  Junker  Effinger,  qui  habitait  le  château  de  Wii- 
dcgg,  et  qui  s'occupait  avec  beaucoup  de  zèle  d'œuvres  phi- 
lanthropiques, a-t-il  fourni  aussi  quelques  traits  à  cette  figure. 

Pestalozzi  employa  l'année  1781  à  écrire  un  nouvel  ouvrage, 
qui  devait  servir  de  complément  et  de  commentaire  à  Léonard 
et  Gertrude  :  c'est  Christophe  et  Else,  mon  second  livre  pour 
le  peuple,  qui  parut  en  1782  (Dessau  et  Zurich,  chez  le 
libraire  Fussli).  Une  famille  de  paysans  occupe  ses  soirées  à 
lire  Léonard  et  Gertrude,  et  chaque  chapitre  fait  le  sujet  d'une 
conversation  où  les  interlocuteurs  développent  les  conclusions 
morales  qu'ils  croient  pouvoir  tirer  des  divers  épisodes  du 
roman.  Ce  livre  didactique,  auquel  Pestalozzi  attachait  une 
haute  importance,  reçut  un  accueil  assez  froid.  Il  se  compose 
de  trente  «  soirées  »,  dans  lesquelles  sont  commentés  les  vingt- 
cinq  premiers  chapitres  de  Zéonard  et  Gertrude.  L'auteur  avait 
annoncé  une  suite;  mais  il  ne  jugea  pas  à  propos  de  continuer 
son  travail 

Il 

Ici  se  place  un  événement  auquel  la  plupart  des  biographes 
n'ont  pas  accordé  assez  d'importance,  et  qui  nous  paraît  le  plus 
considérable  à  signaler  dans  cette  première  moitié  de  l'existence 
de  Pestalo/zi  :  c'est  son  affiliation  à  l'ordre  des  Illuminés. 


LÉONARD  ET  GERTBUDE  DE  PBSTALOZZI         495 

L'IUuminîsme,  fondé  par  Weissbaupt  vers  1776,  avait  rapi- 
dement gagné  de  nombreux  adeptes  dans  les  pays  de  langue 
allemande;  une  foule  d*hommes  distingués,  de  hauts  person- 
nages, étaient  entrés  dans  la  conspiration  mystique  qui  se 
proposait  pour  but  ia  destruction  des  trônes  et  l'établissement 
d'une  société  égalilaire.  Le  plan  des  chefs  des  Illuminés  était 
de  se  servir  des  souverains  eux-mêmes  comme  d'instruments 
inconscients  de  l'œuvre  d'émancipation  sociale,  et  d'oblenir  des 
gouvernements,  grâce  à  l'influence  occulte  qu'ils  sauraient 
exercer  sur  eux,  les  réformes  préalables  nécessaires  à  l'exécution 
de  leurs  projets.  Mais  seuls  les  hauts  dignitaires  de  Tordre 
avaient  la  pleine  connaissance  de  ce  but  mystérieux;  les  affiliés 
appartenant  aux  degrés  inférieurs  de  la  hiérarchie  ne  recevaient 
qu'une  demi-initiation. 

Quelle  est  la  date  exacte  à  laquelle  Pestalozzi  entra  en  rap- 
port avec  les  Illuminés?  On  l'ignore.  Tout  ce  qu'on  sait,  c'est 
qu'en  1782  il  était  membre  de  Tordre,  et  qu'il  y  portail  le  nom 
à' Alfred.  Le  riiusée  pcstalozzieu  de  Zurich  possède  une  lettre 
adressée  à  Pestalozzi  par  Tun  de  ses  supérieurs  de  Tordre,  qui 
signe  Epictèle;  la  lettre  est  datée  d^Ulique^  S  décembre  1782 
(elle  est  reproduite  dans  les  Pestalozzi- Blàtter^  1885,  p.  17). 
Mous  apprenons  par  cette  lettre  que  Pestalozzi  désirait  obtenir 
i\  Vienne,  auprès  de  l'empereur  Joseph  lï,  une  situation  dans 
laquelle  il  pût  travailler  au  relèvement  moral  et  matériel  du 
peuple  des  campagnes,  soit  par  la  fondation  d'un  institut 
d'éducation  professionnelle  comme  celui  de  iNeuhof,  soit  de 
quelque  aulie  façon.  Il  avait  rédigé  à  cet  effet  un  mémoire 
dans  lequel  il  développait  ses  idces.  Son  (correspondant  lui 
répond  qu'il  a  trouvé  ses  propositions  bonnes  et  ses  théories 
justes,  mais  que  son  mémoire  n'est  pas  écrit  de  façon  à  plaire 
à  l'empereur.  Il  l'engage  à  s'adresser  directement  à  M.  deSonnen- 
fels  à  Vienne,  homme  d'État  de  grande  réputation,  possédant 
la  confiance  de  Joseph  II,  et  affilié  liii-méine  à  TlUuminlsme.  A  cette 
lettre  est  jointe  une  note  signée  Machiavel,  émanant  d'un  autre 
membre  de  Tordre  auquel  le  mémoire  de  Pestalozzi  avait  été 
communiqué;  «  Machiavel  »  juge  aussi  que  le  mémoire  est 
trop  défectueux  sous  le  rapport  du  style,  de  ia  méthode  et  de  la 
clarté  pour  être  pouvoir  présenté  à  l'empereur;  il  ajoute  cette 


496  RIVUS  PÉDAGOGIQUE 

réflexion  assez  inatteodue,  et  qui  en  dit  long  sur  ce  que  la 
syntaxe  et  Torlhographe  de  Pestaîozzi  laissaient  à  désirer  :  t  Si  le 
fieur  P.,  comme  son  style  semble  l'indiquer,  manie  plus  facile- 
ment le  français  que  Tallemand,  il  vaudrait  mieux  qu'il  rédigeât 
ses  pensées  en  français,  et  qu*il  les  fit  traduire  ensuite  en  alle- 
mand par  quelque  personne  capable.  » 

Il  nous  paraît  très  probable  qu'a  Ëpictète  »  est  un  ami 
d'Iseliii  et  de  Battier,  peut-être  Battier  lui-même  (i).  11  est 
avéré  que  le  projet  de  Pestalozzi  de  chercher  un  établissement 
à  Vienne  lui  avait  été  inspiré  par  Iselin.  «  C'est  lui,  raconte-t-il 
{Schweizer-Blatt,  n«  33,  15  août  1782),  qui  m'a  conseillé  la 
publication  de  mon  journal  hebdomadaire;  mais  il  désirait  plus 
encore  et  travaillait  à  quelque  chose  de  plus  important;  et  si 
jamais  je  vais  à  V.  (Vienne),  et  que  j'y  tente  quelque  chose 
de  plus  considérable,  c'est  à  lui  que  j'en  devrai  la  première 
pensée.  »  Ajoutons  que  dans  la  lettre  d'  «  Ëpictète  »,  il  est 
question  d'un  cahier  que  Pestalozzi  doit  renvoyer  k  son  cor- 
respondant, après  l'avoir  copié,  «  par  Tintermédiaire  de  la 
librairie  Serini  à  Bàlc  ».  Du  rapprochement  de  ces  diverses 
circonstances,  il  ressort  qulselin  appartenait  à  l'ordre  des 
Illuminés,  et  que  ce  fut  lui,  selon  toute  proliabilité,  qui  y  affilia 
Pestalozzi;  Battier,  leur  ami  commun,  l'homme  «  plein  de 
hardis  projets  »,  doit  nécessairement  en  avoir  aussi  fait  partie. 

Le  musée  pestalozzien  possède  en  outre  un  petit  cahier,  écrit  de 
la  main  de  Pestalozzi,  et  contenant  une  notice  sur  le  but  et  l'orga- 
nisation de  l'ordre  des  Illuminés  (le  texte  en  a  été  publié  dans 
le  Korrespondenzblatt  des  Archivs  der  schw.  permanenten  Schul- 
ausslellung,  1879,  p.  8).  C'est  peut-être  la  copie  du  cahier  dont 
il  est  question  dans  la  lettre  d'  a  Épictèle  ». 

On  ne  sait  pas  si  Pestalozzi  donna  suite  au  projet  qui  lui 
était  suggéré  de  s'adresser  à  M.  de  Sonnenfels.  Mais,  dès  le 
mois  de  juin  1783,  on  le  voit  entrer  en  correspondance  avec  le 
comte  Charles  de  Zinzendorf,  ministre  des  finances  de  Joseph  II. 
C'était  M.  de  Fellenberg,  comme  l'indique  la  première  des  lettres 

(1)  tiatUerf  négociant  bàlois,  était  devenu  l'ami  de  Pestalozzi  par  l'inter- 
médiaire d'Iselin.  C'était,  au  témoignage  de  Nicolovius,  <  un  homme  plein  de 
hardis  projets,  d'une  grande  énergie  et  d'une  remarquable  élévation  de  sen- 
timents >.  Pestalozzi  lui  a  dédié  la  quatrième  partie  de  Léonard  et  Gertrude, 


LÉONARD  ET  GERTRDDK  DE  PESTALOZZI  497 

de  Pestalozzi,  qui  l'avait  mis  en  rapport  avec  Zinzendorf.  Faut- 
il  supposer  que  rintervention  deslllumiaés  y  ait  été  aussi  pour 
quelque  chose  ?  ("ela  pourrait  être,  mais  iJ  n'est  point  nécessaire 
de  le  supposer.  L'origine  des  relations  avec  Zinzendorf  s'explique 
très  naturellement  par  l'envoi  que  Fellenberg  avait  fait  à  celuiKÛ 
de  quelques  écrits  de  Pestalozzi  de  la  part  de  leur  auteur.  Nous 
apprenons  par  le  Schwajiengesang  que  Pestalozzi  espérait  retirer 
de  ses  rapports  avec  Zinzendorf  «  de  sérieux  avantages  matériels  »  ; 
mais  son  espérance  fut  déçue.  La  correspondance  entre  Zinzen- 
dorf et  Pestalozzi  dura  jusqu'en  1790  ;  les  lettres  de  Pestalozzi 
et  deux  lettres  de  Zinzendorf  ont  été  publiées  dans  le  Pœdagogium 
de  Dittes,  numéros  de  mai  et  juin  1881. 

Von  Raumer  dit,  d'après  Henning,  que  Pestalozzi  parvint  au 
grade  de  chef  suprême  de  riliuminisme  en  Suisse  ;  mais  que 
bientôt  après,  désabusé,  il  sortit  des  rangs  de  l'association.  Rien 
n'indique  qu'il  y  ait  jamais  eu  rupture  entre  Pestalozzi  et  les 
Illuminés;  la  désorganisation  de  ïordre,  arrivée  à  partir  de 
1784,  à  la  suite  du  procès  de  Weisshaupt  et  des  persécutions 
dirigées  en  Bavière  contre  les  affiliés,  suffit  à  expliquer  pourquoi 
Pestalozzi  cessa  d'en  faire  partie.  Il  laut  noter  cependant  un 
passage  de  la  quatrième  partie  de  Léonard  et  Gertrude  (chap.  23), 
où  il  traite  assez  durement  les  «  sociétés  secrètes  »,  les  «  char- 
latans tt  et  les  ce  thaumaturges  »;  ce  passage  parait  s'appliquer 
à  certains  chefs  de  Tllluminisme,  tels  que  Cagltostro.  Mais  les 
rêves  de  régénération  sociale  dont  Pestalozzi  s'était  bercé  con- 
tinuèrent à  fermenter  dans  sa  tête;  dans  le  législateur  de  la 
quatrième  partie  de  Léonard  et  Gertrude,  dans  le  politique  des 
Aeusso^ngen  iiber  die  burgerliche  Stimmung  der  europàischen 
Menschheit  (il93),  dans  le  philosophe  des  Nachforschungen  (1797), 
on  retrouvera  l'Illuminé  de  1782,  le  coopérateur  d'  «  Epictète  et  de 
Machiavel  ». 

III 

La  seconde  partie  de  Léonard  et  Gertrude  (i)  fut  écrite  dans  les 
premiers  mois  de  1783  (Pestalozzi  annonçait  à  Zinzendorf,  en 

(1)  Les  trois  dernières  parties  de  Léonard  el  Gertrude,  de  beaucoup  les 
plus  importantes,  n'ont  jamais  été  traduites,  et  aucun  biographe  n'eo  avait, 
jusqu'ici,  donné  même  une  analyse. 

aivuB  pAdaoooiqui  1885.  —  !«'  sbh.  3î 


498  RIVUB  PÉDAGOGIQUE 

juin,  que  le  mauuscrit  en  était  presque  termiaé),  et  parut  à  la 
fin  de  Tannée  (un  exemplaire  put  en  être  envoyé  à  Zinzendorf 
le  30  décembre).  L*auteur  avait  renoncé  à  renseignement  direct, 
au  procédé  didactique  employé  dans  Christophe  et  Else,  et  était 
revenu  à  sa  première  manière.  Les  personnages  sont  les  mêaies 
dans  la  seconde  partie  de  Léonard  et  Gertri^le  que   dans   la 
première;  il  faut  noter  cependant  que  Gertrude  y  tient  beaucoup 
moins  de  place  :  elle  ne  paraît  que  dans  trois  ou  quatre  chapitres 
sur  soixante-dix;  tout  le  reste  du  livre  est  consacré  au  récit  des 
méfaits  de  divers  complices  de  Hunmiel,  et  de  la  punition  que 
leur  inflige  Amer,  ainsi  qu'à  une  biographie  rétrospective  de 
Tancien  bailli.  Peslalozzi  s'en  excuse:  «  J'aimerais  tant,  s'écrie- 
t-il,  à  parler  beaucoup  de  cette  femme,  et  je  trouve  si  peu  à 
dire  d'elle,  tandis    qu'il  me  faut  parler  si  longuement  de  la 
bande  des  coquins  !  »  Et  c'est  alors  qu'il  a  recours  à  une  belle 
comparaison,   souvent  citée  ;  «  Lecteur,   je  voudrais  pourtant 
chercher  pour  toi  une  image  de  cette  femme,  afin  qu'elle  appa- 
raisse vivante  devant  tes  yeux,  et  que  sa  silencieuse  activité  te 
devienne  à  jamais  inoubliable.  Ce  que  je  vais  dire  est  beaucoup; 
mais  je  ne  crains  pas  de  le  dire.  Ainsi  chemine  dans  sa  voie, 
du  matin  au  soir,  le  soleil  de  Dieu.  Ton  œil  ne  voit  pas  ses  pas, 
ton  oreille  n'entend  pas  sa  marche  ;  mais  à  son  coucher  tu  sais 
qu'il  se  lèvera  de  nouveau  et  continuera  à  réchauffer  la  terre, 
jusqu'à  ce  que  les  fruits  en  soient  mûrs.  Cette  image  de  la  grande 
mère  (1),  qui  vivifie  la  terre  de  ses  rayons,  est  l'image  de  Ger- 
trude, et  de  toute  femme  qui  sait  faire  de  la  chambre  de  famille 
le  sanctuaire  de  la  divinité.  » 

En  avril  1184,  Zinzendorf  écrivait  à  Pestalozzi  :  «  La  seconde 
partie  de  votre  roman  populaire  est  écrite  dans  le  même  esprit 
que  la  première,  et  ne  pouvait  manquer  par  conséquent  de  me 
faire  le  m<}me  plaisir...  Je  ne  doute  pas  que  vous  n'ayez  auprès 
de  vous  des  amis  avec  lesquels  vous  pouvnz  vous  entretenir 
agréablement  de  vos  idées  philanthropiques  ;  ce  doit  être  pour 
vous  un  encouragement  à  persévérer  dans  la  voie  utile  où  vous 
marchez.  S'il  en  est  ainsi,  vous  êtes  certainement  plus  heureux 


(1)  Le  soleil,  en  allemand,  est  du  genre  féminin. 


LÉONARD  ET  GERTEUDE  DE  PESTALOZZI  499 

que  bien  des  amis  de  rhumanité  qui   vivent  dans  une  sphère 
plus  brillante,  d 

La  troisième  partie  de  Léonard  et  Gertrude  fut  publiée  au 
printemps  de  1785.  Cette  fois,  Pestalozzi  avait  élargi  son  cadre  et 
abordé  un  sujet  plus  vaste.  Dans  la  seconde  partie,  il  s'était  con- 
tenté d'ajouter  de  nouveaux  chapitres  à  son  récit  primitif,  pour 
compléter  le  tableau  de  Tétat  d'ignorance  et  de  misère  où  vivaient 
les  paysans.  Maintenant  il  veut  faire  œuvre  de  réformateur, 
indiquer  les  remèdes  qui  doivent  être  apportés  aux  maux  qu'il 
a  décrits.  Ce  qu'il  faut  réformer  en  premier  lieu,  c'est  l'école 
et  l'église.  Mais  pour  changer  l'école,  il  faut  changer  le  maître 
d'école,  ff  Quand  j'y  réfléchis  bien,  dit  au  Junker  1  homme  le 
plus  sensé  du  village,  l'industriel  Meyer,  il  me  parait  qu'avec 
toutce  que  vous  pourrez  faire,  vous  n'arriverez  pourtant  pas  à  votre 
but,  à  moins  que  vous  ne  chassiez  l'individu  qu'on  appelle 
maître  d'école,  et  que  vous  ne  supprimiez  l'école,  ou  bien  que 
vous  la  réformiez  complètement.  Depuis  cinquante  ans,  tout  a 
tellement  changé  chez  nous,  que  la  vieille  méthode  de  tenir 
l'école  ne  vaut  plus  rien  pour  les  gens  tels  qu'il  les  faut  aujour- 
d'hui... Vous  savez  quel  maître  d'école  nous  avons.  Le  mal- 
heureux n'a  pas  la  moindre  idée  de  ce  qu'un  homme  doit 
savoir  pour  se  tirer  d'affaire  avec  honneur  dans  le  monde.  Il 
ne  sait  pas  même  lire;  quand  il  Ut,  il  semble  qu'on  entende 
bêler  un  vieux  mouton,  et  plus  il  veut  être  édifiant,  plus  il 
bêle.  Et  quel  ordre  dans  sa  classe!  La  puanteur  vous  fait  reculer 
quand  on  ouvre  la  porte.  Il  n'y  a  pas  une  étable  dans  le  village 
où  les  veaux  et  les  poulains  ne  soient  mieux  soignés  que  nos 
enfants  dans  une  école  pareille.  »  L'ancien  magister  de  Bonnal 
est  remplacé  par  un  persoimage  nouveau,  en  qui  i^estalozzi  a 
bien  certainement  voulu  se  peindre  lui-même  :  c'est  le  lieutenant 
Glùphi,  un  militaire  invalide,  devenu  l'ami  et  le  conseiller  d'Arner. 
A  côté  de  lui  apparaissent  d'autres  ligures  nouvelles  :  le  filateur 
de  coton  Meyer  (Baumwollen-Meyerjj  le  représentant  et  l'apôtre 
du  travail  industriel  et  de  l'économie  qui  doivent  amener  l'ai- 
sance dans  la  cabane  du  pauvre;  sa  sœur,  l'énergique  et  sensée 
Mareili;  et  une  paysanne  de  bonne  et  franche  volonté,  la  jeune 
Renold,  qui  devient  l'alliée  de  Gertrude  et  de  Mareili  dans  la 
croisade  contre  le  désordre  et  la  paresse.  C'est  Meyer  et  sa  sœur 


SOO  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

qui  doonent  à  Arner  Tidée  de  réformer  l'école;  c'est  Grertrudey 
avec  sa  chambre  pleine  d'enfants  qui  lisent,  calculent  ttchan^ 
tent  tout  en  filant  leur  coton,  qui  lui  fournit  le  modèle  de  ce 
que  doit  être  la  classe.  «  Croyez-vous,  demande  Glùphi,  que  Tordre 
que  vous  avez  établi  dans  celte  chambre  puisse  être  introduit  dans 
une  école?  —  Je  pense,  répond  Gertrude,  que  ce  qu'on  peut 
faire  avec  dix  enfants,  on  peut  le  faire  aussi  avec  quarante.  » 
Et  elle  promet  d'aider  à  taire  l'essai.  Le  lieutenant  la  prend  au 
mot.  La  nouvelle  école  est  aussitôt  installée.  Les  enfants  y  tra- 
vaillent de  leurs  mains  à  Toccupation  que  leurs  parents  ont 
choisie  pour  eux,  et  en  même  temps  ils  apprennent  à  lire,  à 
écrire  et  à  calculer.  Gertrude,  après  avoir  présiié  aux  premiers 
arrangements,  est  remplacée  dans  la  classe  par  une  aide,  la 
bonne  Marguerite,  qui  surveille  le  travail  des  petites  filles.  Le 
lieutenant  dirige  renseignement  et  maintient  une  discipline 
paternelle,  mais  ferme  et  stricte.  C'est  à  dessein  que  Pestalozzi  a 
fait  de  son  maître  d'école  un  ancien  militaire  :  il  lui  fallait, 
pour  ce  rôle,  un  homme  préférant  l'action  à  la  parole,  un 
homme  qui  incarnât  en  lui  la  règle  inflexible,  qui  put  enseigner 
avec  autorité,  par  son  exemple,  toutes  ces  choses  nécessaires, 
l'ordre,  la  ponctualité,  la  propreté,  l'obéissance,  l'assiduité  au 
travail.  Plusieurs  chapitres  sont  consacrés  à  décrire  les  moyens 
employés  par  Glùphi  pour  asseoir  la  discipline,  pour  donner 
aux  entants  de  bonnes  liabitudes,  pour  les  instruire  dans  les  con- 
naissances élémentaires  :  ce  sont  autant  de  réminiscenees  de  ce 
que  l'auteur  avait  tenté  lui-même  à  Neuhof.  Signalons  en 
passant  la  valeur  accordée  par  Pestalozzi  au  calcul  comme  moyen 
de  fonner  le  jugement,  d'habituer  Tenfant  à  raisonner  juste  et 
à  ne  pas  se  payer  de  mots.  «  L'homme,dit-il,  n'acquiert  la  sagesse 
que  par  une  longue  expérience,  ou  par  des  exercices  de  ccUcul^ 
qui  peuvent  en  partie  y  suppléer.  »  Cette  haute  idée  des  vertus 
des  quatre  règles  restera  un  trait  saillant  de  son  système  d'en- 
seignement; serait-il  téméraire  d'ajouter  qu'une  partie  du  respect 
que  lui  iuspiraient  les  opérations  de  l'arithmétique  venait  pro- 
bablement de  ce  qu'il  était  incapable  de  les  exécuter  lui-même 
correctement^? 

Le  passage  suivant  résume  nettement  l'idée  que  Pestalozzi  se 
fait  d'une  bonne  méthode  élémentaire  ;  on  y  trouve  déjà  en 


LÉONARD  ET  GERTRUDX  DB  PESTALOZZI  SOI 

germe  les  principes  qu'il  développera  une  vingtaine  d'années 
plus  tard:  «  Tout  en  s'occupant  du  cœur  des  enfants,  le  lieu- 
tenant s'occupait  aussi  de  leur  tête:  il  voulait  que  ce  qui  y 
entrait  fût  aussi  clair  et  visible  que  la  pleine  lune  au  ciel.  Avant 
tout,  il  enseignait  aux  enfants  à  bien  voir  et  à  bien  entendre, 
et  exerçait  en  eux  le  bon  sens  naturel  qui  existe  dans  chaque 
homme...  Quand  on  veut  détourner  les  hommes  de  l'erreur,  ce 
ne  sont  pas  les  paroles  des  insensés  qu'il  s'agit  de  réfuter,  c'est 
l'esprit  même  de  leur  folie  qu'il  faut  éteindre  eu  eux.  Pour 
faire  voir,  il  ne  sert  à  rien  de  décrire  la  nuit  et  de  peindre  la 
couleur  noire  de  ses  ténèbres  :  c'est  seulement  en  allumant  la 
lumière  que  tu  pourras  montrer  ce  que  c'était  que  la  nuit;  c'est 
seulement  en  enlevant  la  cataracte  que  tu  feras  comprendre  à 
l'aveugle  ce  qu'était  la  cécité.  Bien  voir  et  bien  entendre  est  le 
premier  pas  vers  la  sagesse  de  la  vie  ;  et  le  calcul  est  le  fil 
conducteur  qui  nous  préserve  de  l'erreur  dans  la  recherche  de 
la  vérité;  c'est  la  pierre  angulaire  de  la  tranquillité  et  du  bien- 
être  que  seule  une  vie  de  travail,  réfléchie  et  prévoyante,  peut 
assurer  aux  enfants  des  hommes.  » 

Le  pasteur,  qui  voit  la  réforme  accomplie  par  Glùphi  dans 
l'école,  se  sent  pris  d'émulation.  11  y  a  un  curieux  dialogue 
(chap.  18)  entre  lui  et  le  lieutenant  :  «  Je  ne  veux  rien  avoir  à 
faire,  dit  le  soldat,  avec  le  lirilavi  des  maîtres  d'école,  avec  ce 
bavardage  qui  tourne  les  cervelles  et  gâte  la  raison.  —  Je  ne 
l'aime  pas  plus  que  vous,  dit  le  pasteur.  —  Mais  je  condamne 
tous  les  longs  discours,  reprend  Glùphi,  tout  ce  qui  est  verbiage, 
à  l'école  ou  ailleurs.  Irez- vous  jusque-là?  —  Oui  certes:  le 
bavardage  est  proprement  la  maladie  ecclésiastique,  dont  nous 
avons  si  grand  besoin  de  nous  guérir.  — A  la  bonne  heure.  Des 
actes,  voilà  ce  dout  l'homme  a  besoiu.  Foin  des  discours  !  »  Le 
digne  pasteur,  qui  a  fait  pendant  trente  ans  des  sermons  à  son 
corps  défendant,  ne  demande  pas  mieux  que  de  ne  plus  prêcher. 
Il  renonce  même  à  faire  apprendre  aux  enfants  le  c^itéchisme. 
«  Il  marqua  de  sa  main  dans  leurs  livres  les  quelques  sentences 
sages  et  pieuses  qu'il  leur  permit  encore  d'apprendre  par 
cœur;  de  tout  le  reste,  questions  oiseuses,  vains  prétextes  à 
disputes,  qu'il  voulait  effacer  de  leur  esprit,  il  n'en  dit  plus  mot; 
et  lorsqu'on  lui  demandait  pourquoi  il  ne  parlait  pas  plufi  de 


802  RIVUX  PÉDAGOGIQUI 

ces  choses  que  si  elles  n'eussent  pas  existé,  il  répondait:  a  Je  vois 
»  tous  les  jours  plus  clairement  qu'il  n'est  pas  bon  pour 
»  l'homme  de  se  martyriser  la  cervelle  pour  y  faire  entrer  tant 
»  de  pourquoi  et  de  parce  que;  Texpérience  montre  que  plus 
»  les  hommes  se  mettent  de  ces  pourquoi  et  de  ces  parce  que 
»  dans  la  tête,  plus  ils  perdent  leur  bon  sens  et  l'usage  pratique 
»  de  leurs  mains  et  de  leurs  pieds.  »  Et  après  avoir  expliqué  en 
quoi  le  pasteur  lait  consister  la  «  véritable  religion  humaine  », 
la  seule  qu'il  veuille  désormais  enseigner  à  ses  paroissiens, 
Pestalozzi  ajoute:  a  Mais  le  plus  méritoire  en  lui,  c'est  qu'il 
déclarait  franchement  que  s'il  n'eût  pas  vu  de  quelle  façon  le 
lieutenant  et  la  bonne  Marguerite  s'y  prenaient  à  l'école  avec 
les  enfants,  il  n'aurait  jamais  essayé  de  lui-môme  de  rien 
changer  à  la  vieille  routine,  et  qu'il  serait  resté  jusqu'à  la 
mort  l'ancien  pasteur  de  Bonnal,  tel  qu'il  avait  été  trente  années 
durant.  »  C'est  une  chose  caractéristique  que  la  façon  dont 
Pestalozzi  fait  incliner  ici  l'ecclésiastique  devant  h  supériorité 
du  laïque.  «  Ainsi,  dit-il  quelque  part,  parlait  l'homme  dont  la 
force  venait  de  ce  qu'il  connaissait  le  monde,  au  prêtre  dont  la 
faiblesse  venait  de  ce  qu'il  ne  le  connaissait  pas,  »  La  différence 
du  point  de  vue,  entre  la  première  partie  de  Léonard  et  Gertrude 
et  ce  troisième  volume  écrit  quatre  ans  plus  tard,  est  ici  très 
sensible.  Dans  la  première  partie,  le  pasteur  était  le  représen- 
tant par  excellence  de  la  sagesse  ;  nul  ne  lui  était  supérieur,  il 
suffisait  à  tout.  Maintenant,  au  contraire,  en  subordonnant  le 
pasteur  au  maître  d'école  Gliiphi,  Pestalozzi  montre  clairement 
que,  dans  l'œuvre  de  réforme  sociale,  l'initiative  ne  saurait 
appartenir  à  l'Église;  le  clergé  ne  doit  plus  jouer  qu'un  rôle 
d'auxiliaire  ;  et  ce  rôle  même,  il  ne  pourra  le  remplir  qu'à  la 
condition  de  renoncer  à  la  religion  formaliste,  de  laisser  dormir 
le  dogme  et  de  ne  plus  enseigner  que  la  morale. 

Notons  encore  un  curieux  chapitre  (chap.  77)  où  l'auteur 
met  dans  la  bouche  de  la  vaillante  et  sensée  Mareili  une  profes- 
sion de  foi  bien  significative.  Les  bonnes  femmes  du  village  se 
plaignent  à  elle  que,  si  le  pasteur  n'explique  plus  la  parole  de 
Dieu,  on  ne  saura  plus  ce  qu'on  doit  croire.  Elle  répond  qu'il 
n'y  a  pas  besoin  de  tant  d'explications.  <i  Et  comment  fais-tu 
donc?  lui  demande-t-on.  —  Comment  je  fais?  Bonnes  gens, 


LÉONARD  ET  GERTRUDE  DE  PESTALOZZl  503 

je  vais  vous  le  dire.  Il  y  a  assez  de  choses  dans  le  monde  qui 
sont  de  Dieu  même  et  qui  nous  disent  clairement  ce  que  Dieu 
veut  de  nous.  J'ai  le  soleil,  la  lune,  et  les  étoiles,  et  les  fleurs 
du  jardin,  et  les  fruits  des  champs,  —  et  puis  mon  propre  cœur 
et  tout  ce  qui  m'entoure;  est-ce  que  cela  ne  me  dit  pas,  mieux 
que  ne  le  feraient  tous  les  hommes,  ce  qu  est  la  parole  de  Dieu 
et  ce  qu'il  attend  de  moi  ?  Et  tenez,  quand  je  vous  vois  là  devant 
moi,  et  que  je  lis  dans  vos  yeux  ce  que  vous  voulez  de  moi 
et  les  obligations  que  j'ai  envers  vous;  et  que  je  regarde  les 
enfants  de  mon  frère,  pour  qui  je  me  sens  responsable,  —  n'est- 
ce  pas  là  une  parole  de  Dieu  qui  m'est  directement  adressée, 
qui  n'appartient  qu'à  moi,  que  personne  n'a  besoin  de  m'ex- 
pliquer  et  sur  laquelle  je  ne  puis  me  tromper?  »  —  Et  les 
bonnes  femmes  durent  convenir  que  le  soleil,lalune  et  les  étoiles, 
et  le  cœur  de  l'homme  et  tout  ce  qui  l'entoure  expliquent  à 
chaque  homme  la  parole  de  Dieu  d'une  manière  infaillible  et 
suffisante,   ù 

A  côté  de  cette  partie  qu'on  pourrait  appeler  théorique  et 
technique,  destinée  spécialement  à  cette  classe  de  lecteurs  que 
leur  position  sociale  pouvait  mettre  à  même  d'imiter  l'exemple 
d'Arner  et  lie  Glûphi,  le  troisième  volume  de  Léonard  et  Gertrude 
contient  bon  nombre  de  scènes  appartenant  au  roman  propre- 
ment dit,  et  qui  peuvent  Cilre.  placées  à  c6té  des  meilleures  pages 
de  la  première  partie.  Tels  sont  les  chapitres  consacrés  au  récit 
de  la  visite  d'Amer  et  du  lieutenant  chez  le  BaumtvoUen-MeyeT 
et  sa  sœur  Mareili,  à  la  description  du  cortège  organisé  par  les 
fillettes  du  village  en  Thonneur  d'Arner,  et  de  la  fête  champêtre 
qui  s'ensuit;  et,  dans  le  genre  humoristique,  ceux  où  l'auteur 
nous  tait  assister  aux  péripéties  amusantes  des  projets  matri- 
moniaux que  Gertrude  a  formés  à  l'égard  d'une  jeune  paysanne 
dont  elle  voudrait  faire  la  femme  de  l'honnête  Rudi,  et  que  sa 
famille  destine  à  un  gros  aubergiste  amateur  de  charcuterie. 
La  note  poétique  se  retrouve  dans  ce  volume  comme  dans  les 
précédents  :  il  y  a  peu  de  figures  plus  touchantes  que  celle  de 
la  simple  et  naïve  enfant  a  debout  sous  un  jeune  poirier  en  fleur, 
qui  était  son  image  »,  la  fille  du  suicidé,  qui  veille  avec  tant  de 
piété  sur  la  tombe  solitaire  de  son  père,  et  dont  la  bonne  Mareili 
fait  la  reine  du  cortège  ;  et  c'est  un  tableau  tracé  de  main  de 


804  MVUK   PÉDAGOGIQUft 

mattre  que  cette  courte  scène  (chap.  27)  où  Pestalozzi  oppose 
TuD  à  l'autre  la  nature  et  l'homme.  Arner  est  debout,  le  lieu- 
tenant à  ses  côtés,  sur  une  hauteur  dont  le  regard  embrasse 
toute  la  vallée  qui  forme  son  domaine.  «  L'Itte  limpide  se 
déroulait  à  leurs  pieds  en  un  ruban  d'argent.  Le  soleil  se 
couchait,  et  l'onde  miroitante  de  la  sinueuse  rivière  brillait  de 
Bonnal  jusqu'aux  montagnes  bleues  qui  séparaient  comme  un 
rideau  les  terres  d'Arner  du  reste  du  monde.  11  contempla  ua 
moment,  sans  parler,  la  rivière  et  la  vallée.  «  Ah  !  que  les 
hommes  sont  laids  !  dit- il  enfin;  quoiqu'on  puisse  faire  pour 
eux,  ils  n'égaleront  jamais  en  beauté  ce  simple  paysage.  »  C'était 
un  spectacle  admirable  en  effet  que  celui  de  la  vallée  dans  la 
magnificence  du  soleil  couchant.  —  «  Vous  vous  trompez,  » 
répondit  le  lieutenant  ;  et  en  ce  moment  même  un  petit  berger 
parut  au-dessous  du  rocher  sur  lequel  ils  étaient,  poussant  une 
chèvre  devant  lui.  Il  s'arrêta  à  leurs  pieds,  regardant  le  coucher 
du  soleil,  appuyé  sur  son  bâton,  et  se  mit  à  chanter.  Alors 
montagne  et  vallée,  rivière  et  soleil  disparurent  à  leurs  yeux. 
Us  ne  virent  plus  que  le  petit  berger  drapé  dans  ses  haillons, 
et  Arner  dit  :  «  J'avais  tort  ;  la  beauté  des  hommes  est  la  plus 
grande  des  beautés  de  la  terre  I  » 

Sous  le  rapport  du  style,  il  faut  observer  que  dans  cette  troi- 
sième partie  Pestalozzi  fait  un  usage  beaucoup  plus  fréquent 
des  formes  particulières  du  dialecte  suisse,  si  bien  que  la  lec- 
ture du  livre  en  est  rendue  plus  difficile.  Est-ce  de  sa  part 
simple  négligence  ?  ou  bien  a-t-il  voulu  donner  par  là  plus 
de  vigueur  et  d'originalité  à  son  langage  ?  Il  est  difficile  de  se 
prononcer  à  cet  égard. 

Une  lettre  à  Zinzendorf  du  10  décembre  1785  fait  connaître 
l'accueil  que  reçut  en  Suisse  ce  troisième  volume.  Il  fut,  dit 
Pestalozzi,  beaucoup  moins  lu  que  le  premier  et  obtint  moins 
de  succès,  a  11  est  possible,  ajoute-t-il,  qu'il  soit  réellement 
plus  mal  écrit;  mais  il  est  certain  d'autre  part  que  les  vérités 
qui  y  sont  exprimées  ne  sont  pas  de  nature  à  produire  uni- 
quement le  genre  d'impressions  dans  lesquelles  j'avais  jugé  à 
propos  de  me  renfermer  en  écrivant  la  première  partie...  Ce 
qui  pourrait  seul  témoigner  d'une  influence  réelle  de  mon  livre, 
ce  seraient  des  acte?,  des  tentatives  pour  réaliser  quelques-unes 


LÉONARD  £T  GERTRUDE  DE  PESTALOZZI  SOS 

des  vérités  qu^l  contient;  mais  je  n'en  vois  pas  la  moindre 
trace.  Quoique  j'aie  pour  amis  beaucoup  de  nos  honorables 
gouvernants,  on  ne  m'a  jamais  demandé  le  moindre  conseil, 
pas  même  pour  l'organisation  d'une  école;  sauf  que,  Tan  der- 
nier, Lavater  ayant  proposé  des  réformes  dans  la  législation 
consistoriale,  le  conseiller  zuricois  Biirkli  m'invita  à  traiter  ce 
sujet;  je  le  fis,  mais  il  trouva  les  principes  de  mon  mémoire 
trop  hardis  pour  le  conseil  des  Deux-Cents.  » 

Pestalozzi  se  hasarde  ensuite  à  faire  entendre  qu'il  irait 
volontiers  à  Vienne:  «  L'approbation  de  Votre  Excellence,  con- 
tinue-t-il,  m'encourage  à  travailler  avec  plus  d'ardeur  à  ma 
quatrième  partie.  Mais  ce  qui  m'occupe  plus  encore  en  ce 
moment,  c'est  le  projet  d'élucider  la  véritable  théorie  du  gou- 
vernement par  des  rechercbes  sur, les  motifs  réels  d'action  de  la 
nature  humaine.  Je  désirerais  aussi  avoir  l'occasion  d'étudier 
davantage  le  côté  pratique  de  mon  sujet  par  de  nouvelles  expé- 
riences... Voilà  la  raison  qui  parfois  me  fait  trouver  trop  étroit 
le  cercle  de  ma  position  actuelle  —  d'ailleurs  agréable  —  et 
désirer  d'habiter  quelque  temps  dans  le  voisinage  d'hommes 
appartenant  à  des  cercles  plus  étendus  et  possédant  de  l'in- 
fluence sur  le  peuple;  quoique  dans  d'autres  instants  je  sente, 
comme  Votre  Excellence  me  l'écrivait  l'an  dernier,  que  je  suis 
probablement  plus  heureux  dans  ma  solitude  que  bien  des 
amis  de  l'humanité  vivant  dans  une  sphère  plus  brillante: 
d'ailleurs,  ce  qui  brille  n'est  pas  ce  que  je  recherche.  La  baronne 
de  Hallwyl  était  justement  chez  moi  le  jour  où  j'ai  reçu  la  der- 
nière lettre  de  Votre  Excellence;  la  noble  femme  avait  les 
larmes  aux  yeux  en  voyant  la  joie  que  me  causait  cotte  lettre 
venant  de  sa  ville  natile  (M"'^  de  Uallwyl  était  née  à  Vienne). 
Son  voisinage  est  un  des  plus  grands  bonheurs  de  ma  situation. 
Fellenberg  a  quitté  son  bailliage  pour  retourner  à  Berne,  en 
sorte  que  je  suis  ici  toujours  plus  seul...  » 


IV 

La  troisième,  partie  de  Léonard  et  Gerlrude  avait  plu  médio- 
crement; la  quatrième  et  dernière  partie,  qui  parut  en  1787, 
plut  bien  moins  encore.  Cette  fois  l'auteur  avoue  sans  détour 


S06  MVUI   PÉDAGOGIQUE 

les  plus  hautes  ambitions  :  il  vise  à  une  réformé  profonde  des 
lois  et  de  la  société,  et  il  donne  le  modèle  d'une  législation  propre 
à  opérer  les  changements  et  les  progrès  qu'il  médite..  Nous 
apprenons  —  ce  qu'on  ne  nous  avait  pas  dit  jusqu'ici  —  que 
la  seigneurie  d'Amer  fait  partie  d'un  duché  dont  le  souverain 
va  devenir  un  des  personnages  du  roman.  Son  attention  a  été 
attirée  sur  les  réformes  commencées  à  Bonnal.  Un  ministre  du 
prince,  Bylifsky,  est  l'ami  d'Arner  et  encourage  ses  tentatives, 
tandis  que  le  courtisan  Helidor,  sceptique  et  égoïste,  cherche  à 
les  tourner  en  ridicule  auprès  du  duc  dont  il  est  le  favori.  Long- 
temps le  génie  du  bien  et  celui  du  mal,  personnifiés  en  ces 
deux  hommes,  se  disputent  l'esprit  du  souverain,  qui  flotte 
irrésolu.  Arner,  cependant,  continue  son  entreprise.  Il  y  apporte 
tout  son  bon  vouloir;  mais  c'est  à  Glûphi  que  Pestalozzi  donne 
décidément  le  premier  rôle.  Dans  le  chapitre  intitulé  La  philo^ 
Sophie  de  mon  lieutenant  et  celle  de  mon  livre,  l'auteur  indique  les 
bases  de  la  législation  qui  sera  exposée  dans  les  chapitres  sui- 
vants; quoique  cette  législation  doive  s'appeler  la  «  législation 
d'Arner  »,  le  militaire  maître  d'école  en  sera  le  véritable 
auteur  :  «  car  ce  n'est  ni  d'un  vieux  pasteur  ni  d'un  jeune  gen- 
tilhomme qu'on  pourrait  attendre  pareille  œuvre,  mais  de  l'ex- 
périence d'un  homme  comme  lui  ».  Les  institutions  nouvelles 
—  dans  le  détail  desquelles  nous  ne  pouvons  pas  entrer  ici  et 
qui  forment  un  code  complet  à  l'usage  des  seigneurs  éclairés 
désireux  de  faire  le  bonheur  de  leurs  paysans  —  portent  bientôt 
d'heureux  fruits  malgré  les  résistances  de  la  routine:  les  machi- 
nations de  l'astucieuse  Sylvia,  l'alliée  d'Helidor,  sont  déjouées; 
Bylifsky  parvient  à  décider  le  duc  à  faire  une  enquête  sérieuse 
et  à  se  rendre  lui-même  à  Bonnal;  et  au  dénouement,  nous 
entrevoyons  le  triomphe  final  du  bien  sur  le  mal,  de  la  vérité 
sur  le  mensonge  ;  les  réformes  dont  Amer  et  ses  amis  ont 
prouvé  la  possibilité  et  l'efficacité  en  les  expérimentant  dans 
un  village,  vont  être  étendues  au  pays  tout  entier  par  le  duc 
désormais  converti  aux  idées  nouvelles. 

La  personnalité  de  Glûphi  se  confond  avec  celle  de  Pestalozzi 
dans  ce  quatrième  volume  plus  que  dans  le  précédent.  Cet 
homme  que  l'orgueilleuse  Sylvia  dédaigne  parce  qu'il  taille  lui- 
même  Us  cheveux  et  les  ongles  des  petits  villageois;  cet  homme 


LÉONARD  ET  GERTRUDE  DE  PESTALOZZI  507 

qui  a  connu  la  mifsère,  et  à  qui  les  paysans  ont  crié  d'une  toîx 
railleuse  :  Joygeli,  hast  Geld?  Jopgeli,  trilli  Geld?  (Joggcli,  as-tu 
de  l'argent?  Joggeli,  veux-lu  de  l'argent?);  cet  homme  que 
des  ingrats  calomnient  et  bafouent,  et  qui  pjarde  une  si  fîère 
altitude,  qui  est-ce,  sinon  Pestalozzi  lui-même?  N'esl-ce 
pa<  à  Pi'stalozzi  que  s'appliquent  ces  paroles  du  pasteur  parlant 
du  lieutenant  ;  «  Sa  tournure  d'esprit,  qui  dans  toutes  ses  paroles, 
dans  toutes  ses  actions,  le  fait  se  préoccuper  des  besoins  de 
l'humanité,  ne  lui  laisse  de  repos  ni  jour  ai  nuit;  un  tel  homme 
ne  peut  aspirer  qu'aux  plus  grandes  entreprises,  j'en  suis  certain. 
L'autre  jour,  comme  il  se  croyait  seul,  je  l'ai  entendu  dire,  se 
parlant  à  lui-même:  a  Je  leur  ferai  voir  qui  je  suis;  v  et  un 
instant  après  :  «  Quand  les  degrés  de  l'échelle  seraient  brûlants, 
j'y  monterai.  »  Et  lorsqu'au  chapitre  36,  après  nous  avoir 
montré  Hylifsky  visitant  l'école  do  Gluphi  et  lui  exprimant  son 
admiration,  l'auteur  s'écrie  :  «  Et  c'est  à  cet  homme  qu'liier 
encore  la  canaille  de  Bonnal  poursuivait  de  ses  cris  insultants  : 
Joggeli,  as-tu  de  rangent?  Joggeli,  veux-tu  de  l'argent?  c'est  à 
lui  que  le  premier  ministre  du  prince  tient  maintenant  ce 
langage!  »  pouvons-nous  ne  pas  songer  au  solitaire  de  Neuhof, 
naguère  encore  méprisé  de  tous,  et  devenu  correspondant  du 
ministre  de  Joseph  II? 

Les  chapitres  consacrés  aux  entreliens  d'Amer  avec  sa  famille 
et  ses  amis,  lorsque,  gravement  malade,  il  se  croit  proche  de 
sa  fin  (chap.  23-23),  contiennent  des  passages  intéressants  sur 
i'immorlalilé  de  l'âme,  sur  la  décadence  de  la  société  euro- 
péenne, sur  l'éducation.  «  De  l'eau  froide,  dit  Amer,  comme 
boisson  et  comme  bain,  la  marche,  le  travail  du  jardin,  de  la 
cuisine,  des  champs,  la  table  de  multiplication  et  les  mathé- 
matiques, voilà  ce  qui  conservera  chez  nos  fils  et  nos  filles  le 
sang  allemand,  le  cerveau  allemand  et  le  courage  allemand 
(deutsches  Blut,  deutsches  Htm  und  deutschen  Muth),  »  Plusieurs 
fois  dans  ce  volume,  Pestalozzi  use  de  cette  épithète  «  allemand  » 
(liehe  deutsche  Frau,  chap.  23;  deutsche  Trcue,  ch.  24),  qu'il 
n'avait  pas  employée  jusqu'alors.  On  sent  qu'il  ne  s'adresse  plus 
à  ses  compatriotes  des  petites  républiques  suisses  :  il  vise  désor- 
mais plus  haut,  et  c'est  de  l'empereur  d'Allemagne  qu'il  espère 
la  réalisation  de  ses  rêves. 


B08  ftIVUB  PtDAGOGIQUK 

Pour  achever  de  caractériser  la  pensée  de  Peslalozzi  et  bi 
marquer  la  portée  qu'il  attribue  lui-même  à  son  œuvre,  nous 
citeroDS  un  passage  de  la  dédicace  de  cette  qualrième  partie, 
adressée,  comme  nous  l'avons  déjà  indiqué,  à  Félix  Batlier 
de  Bâle.  «  Tout  ce  cpie  je  dis,  je  l'ai  vu,  dit  Peslalozzi  à  son  ami. 
Et  une  grande  partie  de  ce  que  je  conseille,  je  l'ai  fait.  J'a* 
renoncé  aux  jouissances  de  la  vie  pour  me  consacrera  ma  ten- 
tative d'éducation  du  peuple,  et  j'ai  appris  à  connaître  sa  véritable 
situation,  et  les  moyens  de  la  changer,  aussi  bien  dans  l'en- 
semble que  dans  l'infini  des  détails,  comme  personne  peut-être 
ne  l'a  fait.  La  voie  où  je  marche  est  inexplorée;  personne 
encore  n'a  essayé  de  traiter  le  sujet  à  ce  point  de  vue.  Tout 
ce  que  je  dis,  dans  son  essence  et  jusque  dans  les  plus  petites 
parties,  repose  sur  mes  expériences  réelles.  Il  est  vrai  que  je 
me  suis  trompé  dans  ce  que  j'avais  voulu  exécuter;  mais  ces 
erreurs  de  ma  vie  pratique  m'ont  justement  enseigné  ce  que 
je  ne  savais  pas  alors...  Ami,  l'image  de  ce  que  j'ai  tenté  est 
sans  cesse  présente  à  mes  yeux;  et  je  ne  me  sentirai  pas 
satisfait,  tant  que  je  n'aurai  pu  recommencer  à  travailler 
activement  à  la  réalisation  des  premiers  rêves  de  ma  vie.  » 

Après  avoir  achevé,  dans  Léonard  et  Gertrude,  l'exposé  de 
son  plan  de  réforme  sociale,  Peslalozzi  n'avait  plus  qu'un  vœu  : 
poser  la  plume  et  passer  de  la  théorie  à  l'action.  Il  le  dit  à 
Zinzendorf,  espérant  que  celui-ci  lui  en  fournirait  les  moyens. 
Mais  le  ministre  autrichien  n'était  pas  prompl  à  s'enflammer  : 
sans  cesser  de  se  montrer  bienveillant,  il  ne  se  laissa  pas 
gagner  par  l'enthousiasme  de  son  correspondant.  Pestaiozzi  eut 
beau  revenir  à  la  charge,  Zinzendorf  lit  la  sourde  oreille. 

En  envoyant  au  ministre  de  Joseph  II  la  quatrième  partie  de 
Léonard  et  G^rtt^de,  Peslalozzi  lui  écrit  (:25  mai  1787)  qu'il  le 
prie  «  de  considérer  les  pages  consacrées  à  la  législation  popu- 
laire comme  un  mémoire  qui  lui  serait  directement  adressé, 
attendu  que  le  respect  seul  a  empêché  Tauteur  de  lui  en  offrir 
publiquement  la  dédicace  ».  Et  plus  loin  il  ajoute  :  «  J'ai  fait 
mon  possible  pour  traiter  convenablement  un  sujet  qui  intéresse 
l'amélioration  du  sort  des  hommes;  mais  je  vois  que  pour 
aller  plus  loin,  il  est   indispensable  de   faire   quelques  essais 


LÉONAED  ET  GRRTRUDI  DI  PESTALOZZI  509 

pratiques;  et  je  serais  si  disposé  à  y  contribuer  pour  mon 
humble  part  que,  sans-  considération  pour  mon  bonheur  parti- 
culier, si  Votre  Excellence  ne  trouve  pas  erronés  les  principes 
exposés  dans  cette  quatrième  partie,  j'oserais  lui  exprimer  un 
désir  dont  mon  cœur  me  fait  un  devoir;  peut-être  sera-ce 
verbalement,  car  d'ici  à  un  an  j'espëre  faire  le  voyage 
d'Allemagne  que  je  projette  depuis  longtemps,  et  trouver  ainsi 
l'occasion  de  m'entretenir  avec  divers  philanthropes  de  la  pos- 
sibilité de  réaliser  mes  idées.  J'ai  pris  la  liberté  d'envoyer  aussi 
mon  livre  à  Monseigneur  le  duc  de  Toscane.  L'approbation  et 
la  bienveillance  de  Son  Excellence  le  comte  de  Rosenberg  me 
sont  infiniment  précieuses.  Dans  votre  pays  on  voit  se  produire 
une  foule  de  choses  qui  font  concevoir  les  plus  grandes 
espérances  pour  l'avenir.  Chez  nous,  au  contraire,  tout  va  de 
mal  en  pis;  les  gouvernants  les  plus  éclairés  le  reconnaissent; 
Fellenberg  lui-nu^me  m'écrit  :  t  De  nos  républiques  corrompues 
je  n'espère  aucun  progrès  pour  le  peuple.  »  C'est  humiliant 
pour  nous,  mais  vrai  :  le  véritable  progrès  dans  le  gouverne- 
ment des  peuples  doit  être  préparé  dans  les  cabinets  de  princes 
sages  ;  ce  n'est  plus  de  nous  que  ce  progrès  pourra  venir,  nous 
sommes  finis.  » 

Ziuzendorf  répond,  sept  mois  plus  tard,  qu'il  a  lu  deux  fois 
le  quatrième  volume,  et  que  la  législation  d'Arner  l'a  beaucoup 
intéressé,  mais  il  ajoute  que  dans  la  plupart  des  États  autri- 
chiens d'insurmontables  obstacles  empêcheraient  la  réalisation 
de  semblables  réformes;  il  indique  à  son  correspondant  quelques 
difficultés  de  détail  :  dans  une  seigneurie  de  la  Basse-Autriche, 
par  exemple,  sur  158  paysans  on  n'en  compte  que  53  qui  soient 
les  sujets  du  seigneur  du  lieu;  les  105  autres  appartiennent  à 
onze  seigneuries  différentes  et  éloignées. 

A  la  lecture  de  cette  lettre,  Pestalozzi  prend  feu  :  il  rédige 
aussitôt  (janvier  1788)  une  longue  épître  où  il  s'elforce  de 
prouver  au  ministre  le  peu  de  solidité  de  ses  objections;  en 
même  temps  il  annonce  de  nouveau  son  projet  de  faire  le 
voyage  de  Vienne.  Il  informe  Zinzendorf  de  la  bienveillance  que 
lui  témoigne  Léopold  de  Toscane  :  «Son  Altesse  Royale  le  grand- 
duc  de  Florence  a  daigné  accueillir  mon  livre  avec  tant  de 
laveur,   qu'elle  m'a  donné,  par  l'intermédiaire,  du  comte  de 


810  RIYUl  PÉDA606IQUI 

Hoheiiwart,  la  permission  de  lui  écrire  directement  sur  tout  ce 
qui  concerne  Téducation  du  peuple  et  l'amélioration  de  sa  con- 
dition; et  j'ai  effectivement  commencé  à  le  faire  il  y  a  quelques 
semaines.  »  Le  passage  le  plus  intéressant  de  la  lettre  est  rela- 
tif au  jugement  porté  sur  le  dernier  volume  de  Léonard  et 
Gertrude  par  les  concitoyens  de  l'auteur.  «  Dans  mon  pays, 
dit-il,  quelques  hommes  d'affaires  et  quelques  magistrats  ont 
accordé  des  éloges  à  ma  quatrième  partie  ;  le  commun  des  lec- 
teurs l'a  trouvée  ennuyeuse  à  partir  de  la  page  164  (la  page  où 
commence  la  «  législation  d'Amer  »);  la  plupart  de  nos  savants 
trouvent  ma  philosophie  fausse,  parce  qu'elle  ne  ressemble  pas 
à  la  leur;  beaucoup  d'entre  eux  l'appellent  a  grossière  »  et  la 
qualifient  de  «  philosophie  de  caporal  id  ;  beaucoup  de  bons 
citoyens  suisses,  qui  rêvent  de  liberté  cl  ne  connaissent  pas  le 
peuple,  trouvent  Arner  et  ses  principes  despotiques;  dans  notre 
clergé,  aucun  des  deux  partis,  ni  le  philosophique  ni  l'orlho- 
doxe,  n'est  tout  à  fait  content  de  moi;  et  les  amis  de  la  routine 
disent  que  je  rêve.'» 

Lorsqu'en  1790  Léopold  succéda  à  son  frère  Joseph  sur  le 
trône  impérial,  Pestalozzi  s'adressa  de  nouveau  à  Zinzendorf 
(19  juin)  :  «  Sa  Majesté  avait  daigné,  à  Fioronce,  me  permettre 
de  lui  écrire  directement;  mais  je  pense  que  dans  les  circon- 
stances actuelles  j'aurais  tort  d'oser  le  faire.  Néanmoins  j'ai  l'in- 
tention, aussitôt  que  mon  travail  de  révision  de  Léonard  et  Ger-- 
trude  sera  terminé,  d'envoyer  à  Sa  Majesté  un  mémoire  sur  l'union 
do  l'éducation  professionnelle  et  dé  l'école.  Votre  Excellence  me 
permettra  peut-être  de  le  lui  faire  parvenir.  »  Un  mois  plus  tard 
(19  juillet),  autre  lettre  où  il  dit  ;  «  La  Providence  aura  rempli 
à  ma  complète  satisfaction  le  vœu  de  mon  cœur,  de  pouvoir 
soumettre  à  un  examen  décisif  quelques  idées  sur  l'éducation  du 
peuple  qui  m'occupent  depuis  vingt  ans,  si  Sa  Majesté  et  Votre 
Excellence  les  jugent  dignes  de  quelque  attention.  »  Le  28  août 
il  envoie  le  mémoire  annoncé,  et  cette  fois,  abandonnant  les 
voies  détournées  et  les  allusions  indirectes,  il  se  décide  à  faire 
une  demande  formelle  d'emplpi  :  «  Je  ne  crois  pas  devoir  cacher 
à  Votre  Excellence,  à  propos  de  la  question  traitée  dans  mon 
mémoire,  que  je  serais  heureux  d'être  admis  à  offrir  à  Sa  Majesté 
mes  faibles  services...  «  Zinzendorf  ne  répondit  rien.  La  corres- 


LÉONARD  ET  GERTRUDE  DE  PESTALOZZI  511 

pondance  entre  Pestalozzi  et  lui  s'arrête  là,  sans  qu'on  sache  au 
juste  pour  quel  motif. 

A  ce  moment  Pestalozzi  travaillait  à  une  refonte  complète  de 
Léonard  et  Gertrude,  qui  parut  à  Zurich,  chez  Ziegler,  en  trois 
volumes,  de  1790  à  1792.  Dans  cette  nouvelle  édition  de  son 
roman,  l'auteur  chercha  à  donner  plus  d'unité  aux  diverses 
parties  du  livre,  en  préparant  dès  le  premier  volume  l'entrée 
en  scène  des  personnages  nouveaux  qui  figurent  dans  la  troi- 
sième et  la  quatrième  partie  ;  il  abrégea  les  deux  premières  par- 
ties, qu'il  condensa  en  un  seul  volume.  Mais  l'œuvre  a  plutôt 
perdu  que  gagné  à  ces  remaniements.  Cette  édition,  bien  que 
sous  le  rapport  matériel  elle  fût  supérieure  à  la  précédente  (elle 
est  ornée  de  vignettes  assez  soignées),  n'obtint  qu'un  médiocre 
succès.  Cela  n'a  d'ailleurs  rien  de  surprenant  :  l'attention  publi- 
que était  occupée  ailleurs. 

J.  Guillaume. 


LA  CIRCULAIRE  DU  30  AVRIL 

ET  LA   REFORME   DES  PROGRAMMES   d'eNSEIGNEMENT 

DANS    LES  ÉCOLES  NORMALES 


Une  récente  circulaire  a  invité  MM.  les  recteurs,  les  inspecteurs 
d'académie,  les  directeurs,  directrices,  et  professeurs  d*école  nor- 
male à  faire  connaître  leur  avis  sur  diverses  modificalions  qu'il 
s'agirait  d'introduire  dans  les  programmes  d'études  des  écoles  nor- 
males, la  question  devant  être  soumise  ensuite  à  la  Section  perma- 
nente et  au  (lonseil  supérieur.  Les  modifications  proposées  sont  peu 
nombreuses  et,  au  premier  abord,  elles  semblent  assez  iuofTensives. 
Mettre  les  programmes  d'enseignement  en  harmonie  arec  les  nou- 
veaux règlements  des  brevets  de  capacité,  et,  pour  cela,  remanier 
le  programme  de  psychologie  et  de  morale,  prendre  une  heure  à 
l'écriture  et  une  heure  à  l'histoire,  donner  ces  deux  heures  aux  lan- 
gues vivantes  et  à  l'enseignement  des  notions  de  sciences  physiques 
applicables  à  l'agriculture  et  à  l'horticulture,  tout  cela  ne  constitue 
pas  un  bien  gros  projet  et  ne  semble  pas,  en  somme,  fort  inquiétant. 
Cependant,  à  y  regarder  de  près,  on  entrevoit,  sous  ce  projet  une 
préoccupation  de  médiocre  aloi,  celle  de  la  préparation  aux  exa- 
mens, et  une  tendance  alarmante  à  faire,  —  sans  qu'on  s'en  doute 
et  sans  qu'on  le  veuille  assurément  —  de  la  première  année  des 
études  normales  comme  le  prolongement  et  la  répétition  des  études 
primaires.  Cette  préoccupation  et  cette  tendance  nous  semblent  égale- 
ment funestes,  car,  si  elles  s'accentuaient,  elles  n'iraient  à  rien  de 
moins  qu'à  compromettre  dans  nos  écoles  normales  la  bonne  disci- 
pline des  études  et  des  esprits.  Et  comme,  d'autre  part,  nous  sommes 
convaincu  que  les  programmes  actuels,  pour  peu  qu'on  y  mette 
de  bonne  volonté  et  de  savoir-faire,  peuvent  répondre  à  toutes  les 
exigences  du  nouveau  règlement  des  examens  des  brevets  de  capa- 
cité, nous  sommes  amené  à  considérer  le  projet  de  révision  pro- 
posé comme  inutile  et  comme  dangereux.  C'est  cette  opinion  que 
nous  voudrions  soumettre  aux  lecteurs  de  la  Revue,  et,  avant  que  la 
question  soit  définitivement  tranchée,  à  ceux  qui  ont  qualité  pour 
la  débattre  et  la  résoudre. 

I 

Commençons  par  un  aveu  :  nous  n'avons  pas  la  superstition  des 
programmes;  leur  vertu  ne  nous  a  jamais  inspiré  qu'une  confiance 
limitée.  Avec  u  n  excellent  programme  —  et  l'on  sait  s'il  est  facile 


LÀ  CIRCULAIRE  DU  30  AVRIL  513 

de  faire  un  excellent  programme  I  —  un  maître  médiocre  n'obtiendra 
jamais  que  des  résultats  médiocres;  avec  des  programmes  imparfaits 
un  bon  maître  saura  toujours  se  tirer  d'affaire.  C'est  le  professeui^ 
c'est  la  méthode,  c'est  Tintelligence  des  besoins  des  élèves  et  du 
but  a  atteindre  qui  font  la  valeur  de  renseignement.  Quant  aux 
programmes,  ce  sont  lisières  bonnes  tout  au  plus  à  diriger  des  maîtres 
inexpérimentés,  bonnes  surtout  à  guider  des  candidats  qui  aspirent 
à  conquérir  un  diplôme  par  les  moyens  faciles  :  avec  elles,  on  n'ap- 
prend ni  à  marcher  tout  seul,  ni  à  se  conduire  soi-même.  Mais  enfîn, 
puisqu'on  a  jugé  bon,  au  moment  où  l'enseignement  des  écoles 
normales  était  en  voie  de  réorganisation  et  de  renouvellement,  de 
doter  ces  établissements  de  programmes  d'études  très  complets  et 
très  détaillés,  et  puisque  la  plupart  se  félicitent  d'être  si  bien  pourvus, 
est-il  sage  de  toucher  a  ces  programmes  alors  qu'on  a  à  peine  eu 
le  temps  de  les  expérimenter?  ou  bien  ne  les  réclamerait-on  avec 
tant  d'insistance  que  pour  avoir  le  plaisir  d'en  médire  et  de  les 
changer,  oubliant  que  ce  n'est  pas  en  agitant  un  arbre  à  chaque 
heure  du  jour,  qu'on  l'aide  à  pousser  des  racines  profondes  et  à 
porler  des  fruits  ?  11  y  a  bien  longtemps  qu'on  nous  accuse  d'être 
mobiles  et  inconstants;  faut-il  tant  nous  hâter  de  fournir  un  nouvel 
argument  à  ceux  qui  nous  adressent  ce  reproche?  Les  programmes 
actuels  datent  de  1881;  pour  les  remanier  en  1885,  il  faudrait  des 
raisons  bien  fortes  et  une  nécessité  clairement  démontrée.  Exami- 
nons donc  si,  dans  le  cas  présent,  cette  nécessité  existe,  et  si  elle  est 
aussi  pressante  qu'on  semble  le  croire. 

A  en  juger  par  les  appréhensions  qui  se  sont  fait  jour  et  que 
l'administration  supérieure  a  accueillies  avec  sa  bienveillance  ordi- 
naire, on  dirait  que  tout  équilibre  désormais  va  être  rompu  entre 
l'enseignement  tel  qu'il  est  actuellement  donné  dans  les  écoles  nor- 
males, et  les  examens  des  brevets  de  capacité  tels  que  les  a  réglés 
l'arrêté  du  :30  décembre  i884;  et  l'on  pourrait  croire  que  nos  écoles 
normales,  si  l'on  n'y  porte  un  prompt  remède,  deviendront  prochai- 
nement impropres  à  préparera  l'un  et  à  l'autre  brevet.  Quelles  sont 
donc  ces  exigences  nouvelles  auxquelles  il  serait  impossible  de  faire 
face  avec  l'organisation  actuelle  des  études  normales,  et  quelles  sont 
les  réclamations  que  Ton  formule?  Pour  le  brevet  supérieur,  la  con- 
naissance d'une  langue  vivante,  anglais  ou  allemand,  sera  obliga- 
toire à  partir  de  1888,  et  l'on  demande,  non  pas  que  l'enseignement 
des  langues  vivantes  devienne  obligatoire,  —  ce  qui  va  de  soi  et 
ne  saurait  souffrir  de  difficulté,  —  mais  qu'on  donne  à  cet  enseigne- 
ment une  heure  de  plus  que  par  le  passé,  soit  sept  heures  par  se- 
maine, au  lieu  de  six.  Au  brevet  élémentaire,  les  candidats  auront  à 
faire  un  exercice  de  composition  française,  qui  pourra  porter  sur 
«  l'explication  d'un  précepte  de  morale  »,  et.  a  l'examen  oral,  ils  auront 
à  répondre  à  des  questions  sur  «  les  notions  les  plus  élémentaires 
des  sciences  physiques  et  naturelles  dans  leurs  rapports  avec  Tagri* 

REVUS  PÉDAGOGIQUE  1885.  —  l*'  SEX.  33 


514  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

culture  et  Thorticullure  » .  Eo  conséquence,  on  propose  de  rema- 
nier les  programmes  de  psychologie  et  de  morale,  ceux  de  physique 
et  ceux  d'hisloire  naturelle,  de  manière  que  la  morale  pratique  soit 
enseignée  en  première  année  et  que  Ton  puisse  extraire  des  pro- 
grammes des  sciences  physiques  et  naturelles  la  matière  d'un  cours 
spécial  qui  serait  fait  dans  cette  même  année.  Et  comme  il  faut 
trouver  deux  heures  de  plus  pour  ce  cours  spécial  etpjur  les  langues 
vivantes,  on  les  demande  à  l'écriture  et  à  l'histoire. 

Disons  d'abord  l'étonnement  et  l'inquiétude  que  nous  éprouvons  à 
voir  pénétrer  dans  nos  écoles  normales  cette  préoccupation  des  exa- 
mens du  brevet  de  capacité.  Eh  quoi  I  nos  écoles  normales  seraient- 
elles  donc  destinées  à  devenir  des  maisons  dont  le  principal  objet  se- 
rait do  préparer  à  des  examens  et  non  plus  de  donnera  ceux  qui  y 
passent  trois  années  cette  forte  culture  intellectuelle  et  professionnelle 
sans  laquelle  il  n'y  a  pas  de  bons  instituteurs,  et  à  laquelle  les  titres 
de  capacité  viennent  toujours  s'ajouter  par  surcroît?  Encore  s'il  ne 
s*aj;is<ait    que    du  brevet    supérieur,    nous  comprendrions  jusqu'à 
un  certain  point   ce  souci  de  l'examen.    Mais  non:  ce  n'est  pas  le 
brevet  supérieur  qui  est  vi>é,  puisqu'avec  une  heure  do  plus  donnée 
aux  langues  vivantes,  on  croit  pouvoir  répondre  du  succès.  C'est  au 
brevet  élémentaire  —  au  brevet  élémentaire  que  Ton  sait!  —  qu'on 
songe  surtout,  et  c'est  pour  cet  intérêt  d'ordre  tout  à  fait  inférieur 
et  à  peine  défendable  ([ue  l'on  propose  de  relondro  des  programmes 
et  d'organiser  un  enseignement   nouveau  1   Si  celte  préoccupation 
s'établissait  dans  nos  écoles  normales,  il  faudrait  y  prendre  garde,  car 
elle   ne  larderait   pas  à   en  changer  le   caractère,  à  y   abaisser  le 
niveau  des  éludes,  et  à  les  faire  ressembler  à  ces  éUibiissements  de 
méchant  ren  m   qui  prépaient  à  d'autres  eximiens.  Aussi  voulons- 
nous  croire  quii  les  appréhensions  auxquelles  nous  faisons  allusion 
ne  sont  que  passagères  et  qu'elles  disparaîtront  devant  un  examen 
plus  rétlochi  de  la  situation.  Que  ceux  qui  ont  pu  concevoir  de  telles 
craintes  se  rassurent  et  qu'ils  prennent  une  meilleure  opinion  deux- 
mêmes  et  de  leurs  élèves.  Eux-mêmes   ne  sont-ils  pas  les  meilleurs 
maîtres  de  l'enseignement  primaire,  et  leurs  élèves  ne  sont-ils  pas 
entrés  à  l'école  -  normale  à  la  suite  d'un  concours  au  moins   aussi 
dillicile  que  l'examen  du  brevet  élémentaire?  Avant  de  se  présenter 
à  cet  examen  peu   redoutable,  ne  vont-ils  pas  passer  une    année 
entière  sous  une    discipline  élevée    et    féconde?    Sans  suivre    ser- 
vilemt  nt  les  programmes  du  brevet,  ne  les  côtoieront-ils  pas  sans 
cesse  dans  leurs  études  nouvelles  et  ne  les  dépasseront-ils  pas  sur 
beaucoup  de  points?  Et  c'est  quand  leur  intelligence  se  sera  afTermie» 
leur  esprit  étendu,  leur  culture  générale  accrue,  qu'on  redouterait 
de  les  voir  échouer  là  où  réussissent  des  candidats  sortis  des  écoles 
primaires!  Voilà  une  inquiétude  que  nous  ne  saurions  partager.  Les 
élèves-maîtres  tieiment  et  tiendront  toujours  la  tête  parmi  leurs 
concurrents  du  dehors  et  si,  par  hasard,  il  s'en  trouvait  quelqu'un 


LA   CIRCULAiriB   DU  30   AVRIL  515 

qui  échouât  à  un  tel  exameu,  et  échouât  deux  fois  de  suite,  il  fau» 
drait  s'en  féliciter  :  on  se  serait  trompé  en  TadmeUant  à  l'école. 

Mais  il  faut  serrer  la  question  de  plus  près  et  voir  ce  que  sont, 
au  fond,  les  nouvelles  épreuves  (jui  ont  causé  «  une  alarme  si  chaude  ». 
Parlons  d'abord  de  l'exercice  do   composition  française  qui  pourra 
désormais  porter  sur  *  l'explication  d'un  précepte  de  morale  ».  Nous 
disons  à  dessein  :  qui  pourra  porter,  car  cette  épreuve  peut  consister 
également  en  «  une  lettre,  un  récit  d'un  genre  simple  et  dans  Tex- 
plicalion  d'un  proverbe,  d'une  maxime  ».  On.  voit  que  le  choix  ne 
manque  pas  et  que  les  sujets  de  morale  ne  reviendront  (ju'à  leur  tour, 
ce   qui  est   di^à  fuit  pour  rassurer.  11   n'y  a  là   d'ailleurs   aucune 
nouveauté  et  il  n'est  pas  sans  exemple  que,  sous  l'ancienne  régle- 
mentation, on  ait  proposé  de  tels  sujets  aux  candidats.  Si  l'on  en 
doutait,  on  n'aurait  qu'à  consulter  le  relevé  des  textes  donnés  pen- 
dant ces  quaire  dernières  années.  Qui  ne  devine  au  surplus  l'inten- 
tion toute  bienveillante  qui  se  cache  sous  la  formule  nouvelle?  Le 
règlement   de   1881  disait  :  les   candidats  feront  «  un  exercice   de 
composition  française  »:  en  énumérant  et  en  précisant  la  nature  des 
sujets  qui  pourront  être   donnés  désormais,  le  nouveau  règlement  a 
voulu  prémunir  les  maîtres  et  les  élèves  contre  les  vaines  amplitica- 
tinns  dont  la  banalité  n'a  d'égal  que  le  vide  et  auxquelles  on  sacri- 
fiait encore  trop  volontiers  dans  certaines  écoles.  Pense-t-on  qu'on 
va  d-maiiderà  ces  candidats  de   quinze  ou   seize  ans  de  traiter  un 
sujft  de  haute  morale  ou  de  résoudre  un  des  problèmes   ardus  que 
celte  .science   soulève?  N'est-il  pas  évident,  au  contraire,  que  c'est 
une  (luestion  toute  d»'  bon  sens,  uiiî   question  de  probité  scolaire, 
pourrions-nous  dire,  qu'on    va  leur   poser,  et  que  ce  qu'on   attend 
d'eux,  c'e^t  de  prouser   ([ue,  sur   cette  questi(jn,  ils   ont   quelques 
idées  justes  et  qu'ils  sont  capables  de  les   exprimer  corroctement 
en  une   pai*e  ou  deux*^  Kst-ce  pour  une    telle  épreuve  qu'il  serait 
nécessaire  d'organiser  une  préj>aration  spéciale  à  l'école  normale? 
Oublie-t-on  que  ces  notions  élémentaires  de  morale,  les  élèves-maî- 
tres les  ont  reçues  à  l'école  primaire?  Oublie-t-r)n  aussi   que  ces 
mêmes  élèves  ont  écrit,  lors  du  concours  d'admission,  une  compo- 
tion  sur  celte  matière,  et  que,  s'ils  ont  été  reçus,  c'est  qu'apparemment 
leur  composition  a  été  jugée  suifisante?  Oublie-t-on  enfin  que  l'étude 
de  la  morale  théorique  les  préparera,  et  au   delà,  à  cette  modeste 
épreuve,  puisque  Ton  ne  peut  parler  de  morale  théorique   sans 
s'appuyer  sur  la  morale  pratique  et  sans  conclure  par  elle? 

Il  n'y  a  donc,  de  ce  côté,  aucun  péril  en  la  demeure.  Aussi, 
pénétrant  plus  avant  dans  la  pensée  de  ceux  qui  réclament  des 
modifications  au  plan  d'études  actuel,  nous  ne  croyons  pas  nous 
tromper  en  disant  que  ce  qu'ils  souhaitent,  au  fond,  c'est  la  révision 
d'un  programme  qu'ils  jugent  mal  conçu.  A  leurs  yeux,  le  prog  amme 
de  psychologie  et  de  morale  a  le  tort  de  placer,  en  première  année, 
les  parties  lesplus  délicates  et  les  plus  abstraites  de  cette  science 


516  RI  VUE  PÉDA60GIQDI 

et  ils  déclarent  que  les  élèves-maîtres,  au  moment  où  lis  entrent  à 
recelé  normale,  sont  mal  préparés  à  recevoir  un  enseignement  aussi 
élevé.  A  la  bonne  heure!  C'est  une  question  de  méthode  qui  se  pose 
et  qui  se  peut  discuter.  Mais  qu*on  ne  parle   plus  alors   du  brevet 
élémentaire!    Cette    question    de    méthode,    notre    incompétence 
nous    interdit  de  la  débattre.  11  nous  sera  bien    permis    de    dire, 
cependant,  que  ce  n'est  pas  sans   de  sérieux  motifs  que  le  Conseil 
supérieur  a  adopté  Tordre  que  l'on  critique,  que  la  raison   de  cet 
ordre  se  discerne  clairement,  et  que  beaucoup  de  très  bons  esprits 
persistent  à  penser  qu'à  vouloir  le   renverser,  on   s'expose   a  deux 
dangers  qui  seraient,    le  premier,  de  dénaturer  le  caractère  et  par 
conséquent  d'amoindrir  la  valeur  de  cet  enseignement,   le   second, 
de  recommencer  sur  de  nouveaux  frais,  à  l'école  normale,  ce  qui  a 
été  fait  déjà  à  l'école  primaire.  Que  des  professeurs  d'école  normale, 
encore  peu  familiarisés  avec  l'enseignement  nouveau,  aient,  a  leurs 
débuts,  rencontré   des  difficultés  sérieuses;   qu'ils  n'aient  pas,  du 
premier  coup,  trouvé  la  juste  mesure;  que,  dans  leur  désir  de  bien 
faire,  ils  se   soient   crus  appelés  à  enseigner  la  psychologie  et  la 
morale  comme  on  l'enseigne  dans  les   facultés,  ou  seulement  dans 
les  écoles  normales  supérieures  d'enseignement  primaire;  qu'ils  aient 
embarrassé  leur  esprit  d'abord,  et  leur  exposition  ensuite,  de  théories 
compliquées,  de  formules  abstraites,   de  définitions  ambitieuses  et 
de  termes  scientifiques;  qu'ils  se  soient  ainsi  heurtés  à  des  obstacles 
qui  étaient  bien  plus  en  eux-mômes  que  dans  leurs  élèves  :  cela  est 
possible  et  cela  est  fort  excusable  ;  mais  cela  aussi  a  dû  se  corriger 
avec  le  temps,  et  nous  aimons  à  croire  qu'on  est  revenu  aujourd'hui 
à  une  appréciation  plus   exacte  de  la  réalité.  Au  surplus,  s'il  s'est 
rencontré  des  maîtres  qui  ne  se  sont  pas   mis  tout  de   suite   à  la 
portée  de  leurs  élèves,  il  en  est  d'autres  qui,  à  force  de  simplicité, 
d'interrogations  bien  dirigées,  d'appels  discrets,  mais  réitérés,  faits  à 
la  conscience  et  à  l'observation  intérieure,  ont  su  rendre  celte  science 
accessible  à  leurs  élèVes,  et   nous  nous  souvenons  qu'ici  même  (1) 
une  directrice  d'école  normale  a  prouvé,  par  son  exemple,  qu'avec 
de  la  sagacité  et   de  la  persévérance  on  pouvait,  en  cette  matière 
délicate,  obtenir  des  résultats  satisfaisants.  Ce  n'est  pas  la  première 
fois   d'ailleurs  que   la  question  de  la  révision  des  programmes  de 
psychologie  et  de  morale  se  présente.  Elle  a  été  soumise,  en  1883,  au 
congrès  des  directeurs  et  professeurs  d'école  normale,  et,  si  le  vœu 
de  la  révision  s'est  retrouvé  dans  plusieurs  «  cahiers  de  doléances  •, 
l'assemblée  générale,  éclairée  par  la  discussion,  n'a  pas  cru  devoir  le 
faire  sien.  Elle  s'est  bornée  à  demander  que  «  les  programmes  de 
psychologie  et  de  pédagogie,  en  première  année,  fussent  fondus  et 
ne  formassent  qu'un  seul  cours  »,  ce  qui  n'est  pas  la  même  chose. 
Quant  aux  objections  que  font  les  partisans  de  la  révision,  les  lec- 

(1)  Voir  la  Revue  du  15  mai  1883. 


LA  CIRCULAIBK  DU  30  AVRIL  517 

leurs  de  la  Reviie  peuvent  se  rappeler  qu*il  y  a  été  répondu  avec 
beaucoup  de  force  et  une  grande  autorité  par  un  homme  compé- 
tent (1).  Nous  venons  de  relire  celte  réponse,  et  cette  lecture  n'est 
pas  pour  nous  faire  changer  de  sentiment  et  nous  convaincre  qu'il 
faille  c  commencer  un  syllogisme  par  la  conclusion  »,  ni  pour  nous 
faire  accepter  la  perspective  de  voir  les  manuels  en  usage  à  Técole 
primaire  reparaître  à  l'école  normale. 

II 

Restent,  pour  la  question  du  brevet  élémentaire,  les  notions  de 
sciences  physiques  et  naturelles  que  l'on  exigera  désormais  des 
candidats.  Ici  encore,  nous  demandons  où  est  la  nécessité,  pour  une 
telle  préparation,  de  remanier  des  programmes  sur  l'étendue  desquels 
on  peut  penser  ce  qu'on  voudra,  mais  qui  ont  au  moins  le  mérite 
de  faire  corps  et  de  se  présenter  dans  un  ordre  logique;  nous  nous 
demandons  surtout  où  est  la  nécessité  d'instituer  un  cours  spécial, 
où  l'on  enseignerait  ces  «  notions  les  plus  élémentaires  »?  S'ima- 
gine-t-on  que  les  candidats  venant  du  dehors  auront  sur  ces  matières 
des  connaissances  bien  complètes,  et  que,  sur  ce  point  encore,  ce  ne 
seront  pas  les  élèves  de  l'école  normale  qui  fixeront  le  niveau  de 
l'examen?  Ne  trouve-t-on  pas  do  quoi  se  rassurer  dans  les  termes 
mêmes  du  règlement,  et  faut-il  expliquer  ce  que  l'on  doit  entendre 
par  les  «  notions  les  plus  élémentaires  »?  Ne  sait-on  pas,  par 
avance,  à  quoi  se  réduiront  les  questions  qu'on  posera  à  l'examen 
oral  et  les  réponses  dont  on  se  déclarera  satisfait?  Sans  doute,  il 
vaudrait  mieux  que  les  candidats  au  brevet  élémentaire  fussent 
bien  préparés  sur  ces  matières,  car  on  ne  saurait  trop  savoir, 
pour  enseigner  un  peu.  Mais,  lorsqu'ils  se  présenteront  à  cet  exa- 
men, les  élèves-maîtres  n'auront  pas  terminé  leurs  études,  et  ce 
qu'ils  ne  sauront  qu'imparfaitement  alors,  ils  le  sauront  bien  a 
la  sortie  de  l'école  normale  ;  n'est-ce  pas  là  tout  le  nécessaire? 
Rappelons  d'ailleurs  que  cet  enseignement  fait  partie  des  pro- 
grammes des  écoles  primaires,  et  demandons  de  nouveau  si,  par 
cette  voie  encore,  on  entend  faire  des  études  normales  le  recom- 
mencement de  l'enseignement  élémentaire?  Au  reste,  si  Ion  juge 
qu'il  soit  imprudent  d'envoyer  à  l'examen  des  candidats  dont  iin- 
struction  n'aurait  pas  été  vérifiée  sur  ce  point,  ne  suffîra-t-il  pas,  là 
où  on  le  trouvera  utile,  d'organiser,  en  première  année,  non  pas  un 
cours  qui  entraînerait  la  refonte  des  programmes,  mais  des  interro- 
gations, quelques  causeries  familières  dans  lesquelles  le  professeur 
de  sciimces  rectifierait  et  compléterait  au  besoin  les  connaissances 
acquises  à  l'école  primaire?  Qui  donc  songerait  à  blâmer  le  direc- 
teur d'une  école  normale  qui  prendrait  une  telle  précaution?  ^'est- 

(1)  Voir,  dans  la  Revue  du  15  mars  1883,  l'article  de  M.  Hérelle. 


ce  fAh  Ainsi  qij'âî^îi  .'iu  ;>^re  •!«:  fàmiie  qai  se  propose  de  présenter 
un  de  «fr«  eufiuius  a  l'examen  di  brcTe;?  Dix  on  douze  de  ees 
«nlretkai  feriieut  auUot  qc'tl  en  iaudrait  poor  munir  les  eao-iidats, 
et  no'j-ï  n'ftumns  pa»  le  rej?ret  de  v«^r  IVnseiâmement  seientifique, 
déjà  >i  dtHorbiTit  a  l'éeoie  normale,  s'auomeater  d'an  cours  ré^o- 
lier,  a^ec  mpû  «rortêge  oUîgé  de  leçons  et  de  deToirs.  On  se  plaint 
—  et  n  /fjs  fieriv  ns  qu'on  a  rais^'^n  —  que  le*  programmes  de  sciences 
v>nt  irop  tojfrus:  on  dem^mde  qu'on  les  t-la^'ue.  qu'on  y  fasse 
pénétrer  plus  dVr  et  plui  de  lumière,  et  «r'esl  quand  on  s'est 
répandu  en  plair.les  contre  la  dirficullé  d'étudier  utilement  un  tel 
programme  que  l'on  pn^pos^-  d'établir  un  nouveau  cours  et  un  cours 
inutile! 

Apres  ce  qui  Vi'ent  d'être  dit,  nous  nous  croyons  en  droit  de  con- 
clure que  leii  appréhendions  qui  se  sont  manifestées  au  sujet  du 
brevet  élémentaire  ne  sont  pas  fondées,  et  qu'en  donnant  satisfaction 
aux  réclamfi lions  qui  se  sont  produites  on  entrerait  dans  cette  Toie 
très  facheu.se  de  sacrifier  les  études  normales  à  un  intérêt  absolu- 
ment négligeable.  Voyons  maintenant  si  les  craintes  qu'a  fait  naître 
le  brevet  suf>érieur  sont  mieux  justifiées,  et  si  le  remède  proposé 
aurait  quelque  efTicacilé. 

m 

O.  remède  rst  Lien  simple  :  qu'on  donne  une  heure  de  plus  à  réludc 
des  Inn^nes  vivantes,  en  première  année,  et  on  se  tiendra  pour  satisfait. 
On  ne  saurait  être  moins  exigeant.  Néanmoins  nous  trouvons  qu'on 
l'est  encore  trop  ou  qu'on  l'est  trop  peu.  Sur  l'enseignement  des 
langues  étrangères  dans  les  écoles  norma?es  et  sur  le  caractère 
obligatoire  que  le  règlement  de  18^i  a  donné  à  Tépreuve  d'allemand 
ou  d'anglais,  nous  aurions  beaucoup  à  dire.  Mais  le  procès  que  nous 
pourrions  faire, nous  neTcntamerons  pas  aujourd'hui,  carnous  serions 
trop  sûr  de  le  perdre,  malgré  les  bonnes  raisons  que  nous  aurions 
à  Taire  valoir  au  cours  de  notre  plaidoyer.  Nous  aurions  mauvaise 
griïce  d'ailleurs  à  parler  de  la  révision  d'un  règlement  qui  date  de 
lK8i,  quand  nous  défendons  celui  de  1881.  Laissons  donc  à  l'avenir 
le  soin  de  décider  si  l'on  n'a  pas  cédé  à  une  généreuse  illusion  en 
cspf'rant  que  la  connaissance  des  langues  étrangères,  si  désirable 
qu'elle  soit,  pourrait  se  répandre  par  les  écoles  primaires  et  par  les 
écoles  nfirmalcs,  et  si  les  six  ou  sept  heures  que  nos  élèves-maîtres 
vont  désormais  consacrer  à  l'étude  de  ces  langues,  dont  ils  n'auront 
Jamais  qu'une  connaissance  insuffisante  et  bien  vite  oubliée,  ne 
seraient  pas  mieux  employées  à  l'étude  delà  langue  et  de  la  littérature 
française  qu'ils  ne  connaissent  encore  que  de  si  loin,  hélas!  lors- 
qu'ils quittent  l'école  normale.  Mais,  sans  toucher  au  fond  de  la 
(|uestion,  il  nous  sera  bien  permis  de  nous  demander,  dans  Tintérét 
do  notre  discussion,  non  pas  quels  résultats  l'easeignomenl  facultatif 


LA   CIRCULAIRE   DU   30   AVRIL  519 

des  langues  vivantes  a  produits  jusqu'à  ce  jour  dans  nos  écoles  nor- 
males, —  la  réponse  serait  trop  certaine  et  trop  décourageante, 
—  mais  quels  résultats  on  en  peut  légitimement  attendre,  mainte- 
nant qu'il  va  devenir  obligatoire.  Ce  qu'on  en  peut  légitimement 
attendre,  le  voici:  nos  élèves-maîtres  étudieront  l'allemand  ou  l'an- 
glais avec  toute  la  docilité  qu'ils  mettent  à  leurs  autres  études;  après 
trois  ans  d'efforts  laborieux,  à  raison  de  cinq  heures  en  moyenne 
par  semaine,  dans  chaque  année  (à  cause  des  devoirs  et  des  leçons), 
ils  sauront  passablement  les  éléments  de  la  grammaire  et  feront  péni- 
blement un  thème  et  une  version  faciles.  Ne  leur  demandez  rien  de 
plus  et  surtout  ne  vous  informez  pas  de  ce  que  Ips  neuf  dixièmes 
d'entre  eux  auront  conservé  de  cette  science  imparfaite  au  bout  de 
quelques  années.  Si  Ton  nous  accusait  de  pessimisme,  nous  rappel- 
lerions ce  qui  se  passe  dans  renseignement  secondaire  où,  il  n'y  a 
pas  longtemps,  —  c'était  hier,  —  on  ne  croyait  pas  pouvoir  enseigner 
une  langue  vivante  dans  nos  lycées  à  moins  de  trente  heures  par 
semaine.  Aujourd'hui,  il  est  vrai,  on  se  contente  de  vingt-cinq  heures  : 
mais  nous  voilà  encore  bien  loin  de  compte  avec  ce  qu'on  peut  consa- 
rer  de  temps  à  cette  étude  dans  les  écoles  normales.  Aussi  qu'on 
donne  sept  hpuros  aux  langues  vivantes  ou  qu'on  leur  en  laisse 
six,  il  n'en  sera  ni  plus  ni  moins.  Nous  nous  trompons,  les  élèves 
de  première  année  auront  chaque  semaine  deux  ou  trois  heures  de 
moins  à  consacrer  à  des  études  plus  pressantes.  Nous  sommes  trop 
loin  du  but  pour  que  cette  heure  supplémentaire  nous  en  rapproche 
sensiblement  et  nous  ne  partagerons  jamais  l'opinion  de  ceux  qui 
croient  que  tout  sera  compromis  si  l'on  continue  à  ne  consacrer 
que  six  heures  aux  langues  vivantes,  et  que  tout  sera  sauvé  si  l'on 
,  consent  à  leur  en  accorder  sept. 

IV 

Au  demeurant,  nous  prendrions  encore  aisément  notre  parti  de 
celte  surcharge  inutile,  si,  pour  trouver  les  deux  heures  que  l'on  se 
propose  de  partager  entre  les  langues  étrangères  et  les  notions  de 
sciences  physiques  et  naturelles,  on  n'en  prenait  pis  une  à  l'écriture 
et  une  autre  à  l'histoire.  De  l'écriture,  nous  ne  dirons  rien,  sinon 
que  le  temps  n'est  pas  encore  bien  éloigné  où,  dans  les  écoles  nor- 
males et  dans  les  réunions  pédagogiques,  on  se  plaignait,  non  sans 
quelque  amertume,  du  discrédit  immérité  dans  lequel  tombait  de 
plus  en  plus  cette  partie  modeste,  mais  fondamentale,  de  l'ensei- 
gnement primaire.  Ce  qu'on  pense  aujourd'hui  sur  ce  sujet  dans  le 
personnel  enseignant,  nous  ne  le  savons  pas  au  juste;  mais,  nous 
rappelant  que  le  règlement  de  18G6  accordait  dix  heures  à  cet  ensei- 
gnement, tandis  que  le  règlement  de  1881  ne  lui  en  a  réservé  que 
quatre,  nous  demandons  grâce  pour  ce  peu  qu'on  lui  a  laissé  et  qui 
nous  parait  le  strict  nécessaire,  li  portion  congrue.  Quant  à  l'histoire, 


O30  BEVUE    PÉDAGOGIQUE 

notre  résistance  sera  plus  énergique,  car  nous  consiilérerions  comme 
une  grave  erreur  pédagoprique,  quand  le  programme  à  parcourir  en 
première  année  s'étend  de  nos  origines  à  nos  jours,  qu'on  lui  enle- 
vât une  partie  du  temps  qui  lui  est  actuellement  consacré.  Ah  !  certes, 
si  Thistoire,  à  Técole  normale,  ne  doit  être  qu'une  vaine  et  aride 
nomenclature  de  faits,  de  dates  et  de  noms,  si  elle  ne  cesse  pas 
d'être  descriptive  et  narrative  pour  entrer  dans  Texplication  des 
événements,  si  elle  ne  fait  qu'effleurer  les  questions  sans  pénétrer 
au  vif  de  son  sujet,  si  elle  ne  s'applique  pas  à  la  recherche  des  causes 
et  ne  montre  pas  l'enchaînement  des  effets  avec  ces  causes,  si  elle 
n'est  qu'un  tableau  froid  et  inanimé  de  nos  efforts,  de  nos  souffrances, 
de  nos  luttes,  de  nos  progrès,  si  elle  n'est  pas  une  école  de  patrio- 
tisme et  de  morale,  si  elle  n'est  pas  Tauxiliaire  le  plus  utile  de  tout 
l'enseignement  littéraire  et  l'instrument  le  plus  puissant  de  la  culture 
intellectuelle,  si,  parmi  tous  les  enseignements  qui  sont  donnés  à  l'école 
normale,  ce  n'est  pas  celui  de  l'histoire  qui  peut  le  plus,  surtout 
en  première  année,  pour  inspirer  aux  élèves  le  goût  de  la  lecture, 
pour  éclairer  leur  intelligence  et  échauffer  leur  cœur,  si  l'histoire 
n'est  pas  tout  cela  ou  ne  peut  pas  tout  cela,  qu'on  nous  ramène  à 
l'école  primaire  et  à  ses  manuels!  Ce  n'est  assez  de  lui  ôter  une 
heure  :  c'est  une  seule  heure  qu'il  faut  lui  laisser,  car  cette  heure 
unique  suffira  bien  à  cette  tâche  médiocre  de  revoir  les  programmes 
de  l'écule  primaire,  et,  puisqu'on  se  préoccupe  tant  des  examens  du 
brevet  élémentaire,  elle  suffira  bien  aussi  pour  y  conduire  et  y  faire 
briller  nos  élèves  î 

Nous  ne  voulons  pas  insister  davantage  aujourd'hui.  Si,  comme 
nous  l'espérons  bien,  le  corps  enseignant  primaire  consulté  résiste 
à  la  tentation  stérile  de  toujours  changer,  et  si  le  Conseil  supérieur 
estime  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  modifier  les  programmes  de  1881,  nous 
essaierons,  dans  un  autre  article,  de  montrer  comment  un  ensei- 
gnement historique,  donné  comme  nous  rentCâidons.  peut  facilement 
et  utilement  rempUr,  en  première  année,  les  quatre  heures  qui  lui 
sont  accordées. 

E.  Jacoilet. 


L'ECOLE  PRIMÂIBE  AU  SALON  DE  1885 


Nous  avons  connu  le  temps  pas  très  éloigné,  où  la  peinture 
n'entrait  guère  dans  l'école  que  pour  l'égayer,  nous  faire  rire  au 
dépens  d'icelle.  En  a-t-on  immolé  à  notre  raillerie  de  ces  roagis- 
ters  outrés  et  ridicules  !  En  a-t-on  exhibé  de  ces  écoliers  en  rupture 
de  ban,  singes  du  maître,  exécuteurs  de  charges  au  tableau  noir 
sur  les  murs  et  jusque  sur  les  parois  de  la  chaire  !  Tœpffer,  le 
cher  et  digne  maître,  nous  a-t-il  assez  livré  son  a  Monsieur 
Pet-de-Loup,  homme  sévère,  mais  juste  !  »  Et  nous,  avons-nous 
assez  battu  des  mains  à  Tœpffer  ! 

Les  temps  ou  plutôt  les  hommes  et  les  choses  ont  changé. 
Les  peintres  ne  se  détournent  pas  de  Técole,  —  jamais  ils  ne 
l'ont  tant  fréquentée,  —  mais  ils  l'envisagent  par  le  côlésérieux.  Ils 
en  tracent  une  image  deux  fois  aimable,  puisqu'elle  est  sympa- 
thique et  vraie.  Bref,  l'idée  scolaire  se  relève  dans  le  monde  des 
arts  de  la  même  hauteur  que  dans  le  monde  des  faits. 

Les  sept  ou  huit  toiles  qui,  au  salon  de  1888,  représentent 
des  scènes  d'écolier,  nous  ont  frappé  par  ce  caractère  de  digniié 
qui  leur  est  commun,  par  ce  je  ne  sais  quoi  qui  invile  le  regard, 
captive  la  pensée  et  la  renvoie  satisfaite. 

Ce  sont  d'abord  deux  scènes  de  bataillons  scolaires.  L'une,  par 
M.  Frère,  est  intitulée  le  Bivouac  et  se  passe  en  province.  Le 
bataillon  a  mis  les  armes  en  faisceaux,  rompu  les  rangs,  et 
goûte  sur  l'herbe  —  un  peu  trop  verte,  peul-ôtre  —  un  repos 
mérité.  Il  y  a  au  second  plan  un  gaillard,  très  agile  et  très 
pratique,  qui  apporte  en  courant  une  miche  de  pain  des  plu» 
appétissantes:  il  fera  son  chemin  dans  l'intendance, ce gnrçon-là. 

M.  Geoffroy  a  pris  le  sujet  d'un  point  de  vue  plus  élevé. 
Pour  la  France  !  est  le  titre  de  sa  toile.  Elle  représente  le 
délilé  des  bataillons  scolaires  de  Paris,  sur  la  place  de  l'Hôtel- 
de- Ville,  le  14  juillet.  Au  son  des  tambours  qui  battent  aux 
champs,  dos  fifres  qui  percent  l'oreille,  sous  le  regard  des^ 
ff  pantalons  rouges  ï)  alignés  sur  la  gauche,  ils  marchent  droit 
sur  nous,  ils  vont  sortir  du  cadre,  les  petits  soldats.  La  lîèrc^ 


/S:22  REM7E   PÉDAGOGIQUE 

tournure  sous  la  vareuse  et  le  béret  de  laine  bleue!  Leurs  pieds 
marquent  la  cadence,  leurs  coudes  se  touchent,  leurs  épaules 
sont  à  l'alignoment.  Malheur  à  qui  s'en  écarte  :  certain  caporal, 
grognard  imberbe,  qui  sait  rélTcl' d'une  crosse  de  fusil  bien 
placée,  nous  les  y  fait  rentrer.  Le  porte-drapeau  est  beau  à 
voir.  Grand,  svelte,  bien  découplé,  œil  brillant,  ligure  intel- 
ligente, il  porte  bien  ses  galons  de  sergent-major  ;  les  trois 
couleurs  sont  en  bonne  main. 

Et  nous,  pendant  le  défilé,  redisons  les  jolies  strophes  de 
M.  Chantavoiue  ;  elles  expriment  toute  la  poésie  du  sujet  : 

Nous  sommes  les  pelits  enfants  Nous  sonimf^s  les  petits  sold.Us 

De  la  vieille  mère  patrie;  Du  bataillon  de  l'Espérance, 

Nous  lui  donnerons  dons  dix  ans  Nous  exerçons  nos  petits  bras 

Une  jeune  armée  nguerrie.  A  venger  Thonneur  de  la  France. 

Et  Bara,  le  petit  tambour, 
Dont  on  nous  a  conté  l'histoire, 
En  attendant,  bat  chaque  jour 
Le  rappel  dans  notre  mémoire. 

Le  même  M.  Geoffroy,  un  de  nos  amis  décidément,  nous 
conduit  à  l'école  maternelle.  C'est  dans  le  vestibule,  en  plein 
lavabo.  Les  bambins  accourent,  dans  un  piLloresqiie  désordre, 
vers  l'ablution  hygiénique  et  obligatoire.  Accourent?  pas  tous, 
11  y  a  lii  un  citoyen  nerveux  ou  lymphatique  qui  redoute  le 
contact  de  l'eau,  et  la  jeune  fille  blonde  préposée  aux  ébats 
de  ces  jeunes  canards  dépense  pour  le  décider  des  trésors  de 
persuasion.  Un  gros  réjoui  le  nargue  de  loin.  Une  petite 
fille  int».Troge  avec  anxiété  la  paume  de  ses  mains  pour  voir  si 
certaine  tache  d'encre  compliquée  de  confiture  commence  à 
disparaître.  Tout  cela,  pris  sur  nature,  est  finement  observé  et 
vivement  enlevé.  Deux  notes  graves  sur  ce  fond  joyeux  :  c'est 
d'une  part  la  direcirice,  digne  et  sérieuse  dans  sa  robe  noire; 
c'est  de  l'autre  celte  inscription  sur  la  muraille  :  a  Aimons-nous 
les  uns  les  autres.  ï>  L'école  maternelle  est  là  dans  toute  sa 
réalité. 

A  ce  tableau  nous  rattacherons  volontiers  celui  de  M.  Paul 
Delange  :  Un  banc  dans  le  jardin  de  Vasile  pour  l'enfance  à 
SatnhValery,  On  y  voit  les  sœurs  de    Saint- Vincent  de  Paul 


L*ÉCOLE   PRIMAIRE  AU    SALON    DE    1885  523 

dans  leurs  blanches  corneltes  s'empresser  autour  des  nourrissons 
dont  elles  enveloppent  de  langes  blancs  et  frais  les  membres 
délicats  :  mais  c'est  là  une  scène  plutôt  hospitalière  que  scolaire. 

Une  leçon  de  dessin  dans  une  école  de  plies  à  Paris  nous  replace 
en  plein  monde  écolier.  Le  sujet  est  plus  ingrat  que  les  précé" 
dents  à  cause  de  la  disposition  parallèle  et  symétrique  des 
gradins  en  amphithéâtre:  l'artiste  s*est  interdit  les  groupes, 
par  conséquent  la  variété.  Sa  peinture  exacte  et  ingénieuse  serre 
de  près  le  côté  technique  des  choses.  Assises  devant  une  rosace 
en  plâtre  biea  connue  des  aspirantes,  des  jeunes  iilles  «  très 
appliquées  »  s'étudient  à  reproduire  le  modèle  «  très  compli- 
qué ».  La  maîtresse  passe  dans  les  rangs  et  semble  dire  : 
«  Piochez,  mesdemoiselles.  Vous  serez  reçues  au  brevet  supé- 
rieur, œ  qui  vous  fera  .beaucoup  de  plaisir,  et  à  moi  beaucoup 
d'honneur.  » 

Leçon  de  coupe  et  de  couture  à  l'école  de  la  rue  Tombe-IssoirCy 
par  M.  Truphème.  Elle  est  intéressante,  cette  petite  toile,  par 
le  goût  et  la  vérité  des  détails.  Une  bambine,  montée  sur  une 
chaise,  est  bien  en  vue  de  toute  la  classe  :  c'est  le  patient.  Une 
des  grandes  prend  sur  elle  mesure  d'un  patron  :  c'est  l'opéra- 
trice. Une  troisième  inscrit  les  dimensions  au  tableau  noir  ;  c'est 
le  secrétaire.  En  vedette  sur  la  chaise  comme  un  pilote  sur 
son  banc,  la  maîtresse  surveille  et  dirige.  Dans  tous  les  coins, 
des  groupes  de  travailleuses  aux  doigts  agiles.  Au  centre,  en 
pleine  lumière,  des  mains  armées  de  ciseaux  découpent  le 
calicot  et  la  toile.  —  «  0  sainte  mousseline  !  —  0  doigts  de 
fée!  »  diraient  Sardou  et  Legouvé. 

I^  foule  s'arrête  volontiers  devant  ces  toiles  et  les  couvre 
d'un  regard  approbateur.  C'est  justice.  L'art  ne  crée  pas  le  sen- 
timent public  :  il  s'en  inspire  et  s'en  empare,  mais  en  retour  il 
l'épure,  l'agrandit  et  le  perfectionne.  On  le  voit  bien  dans  cette 
manière  nouvelle  de  concevoir  les  choses  scolaires.  Elle  est 
peut-être  moins  amusante  que  l'ancicmie,  elle  est  plus  digne, 
plus  instructive  et  plus  vraie.  Souhaitons-lui   le  succès  et  la 

durée. 

G.  D. 


LE  LIVRE  DES  SYMBOLES  ET  EMBLÈMES 

DE   JOACHIM   CAMERARIUS 

Symbolorum  et  Emblematum  Centuriœ  quatuor.  —  In-12, 

Mnyence,  1668  (avec  vignettes). 


C'est  un  ouvrage  bien  curieux  au  point  de  vue  de  l'histoire 
naturelle,  comme  à  celui  de  la  pédagogie,  que  ce  volume  illus- 
tré, acquis  récemment  par  la  Bibliothèque  centrale  de  l'ensei- 
gnement primaire.  L'auteur  est  un  des  membres  de  cette  famille 
des  Camerarius,  qui  a  produit  tant  d'hommes  distingués  dans  les 
lettres,  la  médecine,  la  théologie.  Fils  du  célèbre  humaniste 
ami  de  Mélanchthon,  il  naquit  à  Nuremberg  en  1£{34  et  mourut 
dans  celte  ville  en  1598. 

Après  avoir  étudié  la  théologie  sous  Mélanchthon  et  la  méde- 
cine sous  Jean  Craton,  il  prit  son  grade  de  docteur  en  médecine 
à  Bologne  et  revint  exercer  l'art  thérapeutique  dans  sa  ville 
natale.  Joachim  Camérarius  ne  se  laissa  pas  absorber  par  sa 
clientèle,  qui  était  pourtant  nombreuse  et  compta  même  plu- 
sieurs princes;  il  entreprit  une  collection  de  plantes  médici- 
nales, forma  un  jardin  botanique  où  Ton  voyait  les  plantes 
les  plus  rares,  et  contribua  à  la  fondation  de  l'Académie  de 
médecine  de  Nuremberg.  Enfin,  non  content  d'avoir  travaillé 
au  soulagement  de  l'humanité  souffrante,  il  voulut  encore  faire 
profiter  la  postérité  de  ses  études  et  publia  plusieurs  ouvrages 
sur  les  plantes,  sur  l'agriculture,  sur  les  préservatifs  contre  la 
peste  et  l'hygiène  en  temps  d'épidémie,  livres  qui  lui  assurent 
un  rang  éminent  parmi  les  botanistes  et  les  hygiénistes.  Hais 
par  son  livre  des  Symboles  et  EmblèmeSy  il  mériterait  aussi 
une  place  d'honneur  parmi  les  moralistes. 

En  effet,  cet  ouvrage,  divisé  en  quatre  centuries,  c'est-à-diro 
séries  de  cent  figures,  n'offre  pas  seulement  la  description  et 
les  propriétés  des  plantes,  dés  quadrupèdes,  des  volatiles  et 
insectes,  des  amphibies  et  reptiles  les  plus  curieux.  Il  donne, 
en  outre,   comme   le   titre  l'indique,  à  propos   de  ces   types 


LK  LIVRE  DIS  SYBIBOLES  ET  EMBLÈMES  DE  GAMERÀRIDS       525 

empruntés  au  règoe  végétal  et  au  règne  animal,  des  leçons  de 
choses  et  des  préceptes  moraux  ou  proverbes,  d'une  valeur  plus 
durable  que  ses  notions  d'histoire  naturelle  en  partie  erronées 
ou  dépassées.  Nous  voudrions  en  donner  une  idée  aux  lecteurs 
de  la  Revue t  on  décrivant  quelques-uns  de  ces  emblèmes. 

La  figure  3i  de  la  première  centurie  représente  un  orme  mort 
qui  soutient  une  vigne  luxuriante.  C'est  le  symbole  de  Tamitié 
qui  doit  survivre  à  tous  les  accidoits  de  la  fortune,  même  à 
la  mort.  Les  vrais  amis,  dit  Camerarius,  sont  ceux  qui  restent 
iidèles  malgré  l'adversité,  malgré  le  temps  écoulé,  ou  la  dis- 
tance qui  nous  sépare.  On  ne  pouvait  trouver  de  plus  gracieuse 
image.  Le  numéro  43  de  la  même  centurie  n'est  pas  moins  curieux; 
il  ligure  une  pomme  de  pin  tenue  par  une  main,  avec  cette  devise  : 
Nisi  fregeris  haxid  licet  esse  (Si  tu  ne  me  brises,  tu  ne  pourras 
me  manger).  C'est  l'image  de  la  vertu.  De  même  que  l'écorce  de  la 
pomme  de  pin  est  rude  et  piquante  et  qu'il  faut  l'enlever  pour 
trouver  Tamande  douce  et  salutaire,  ainsi  c'est  seulement  au 
prix  de  bien  des  peines  et  des  épreuves  que  l'homme  parvient 
à  la  sagesse,  et  nous  ajouterons  à  la  science. 

La  deuxième  centurie,  consacrée  aux  quadrupèdes,  nous  offre 
une  image  un  peu  réaliste,  mais  bien  expressive  dans  son  genre. 
(]'est  un  porc  couché  sur  le  dos  et  auquel  on  a  déjà  enfoncé 
un  couteau  dans  la  gorge,  avec  cette  devise  :  Ilaud  aliter  pro- 
dest  (Autrement  il  ne  sert  pas).  Le  porc,  dans  la  symbolique 
de  l'Eglise,  était  l'emblème  de  la  luxure,  des  voluptés  de  la 
chair;  et  on  sait  le  rôle  que  joue  cet  animal  dans  la  légende  de 
la  tentation  de  saint  Antoine.  Camerarius  est  plus  hardi,  il  en 
fait  l'emblème  de  Tavarice  ;  en  effet,  «  comme  chez  le  porc,  ce  que 
l'avare  possède  ne  sert  à  personne  de  son  vivant  ».  Espérons  que 
les  élèves  de  l'ingénieux  médecin  de  Nuremberg  n'étaient  pas 
tentés  d'appliquer  la  leçon  à  leurs  clients  trop  parcimonieux. 

La  troisième  centurie,  celle  des  oiseaux,  est  riche  en  leçons 
morales  ;  en  effet,  quelle  espèce  est  plus  propre  que  les  habi- 
tants de  Tair  à  frapper  l'imagination  1  Le  péhcan,  nourrissant 
ses  petits  de  son  propre  sang,  la  cigogne  soutenant  de  son 
aile  son  père  ou  sa  mère  fatigués  par  l'âge,  servent  tout  natu- 
rellement de  thème  aux  préceptes  de  lamour  paternel  et  de  la 
piété  filiale.  Nous  pourrions  encore  citer  le  coq,  symbole  de  la 


Sis  UVDZ  PtDAGOGIQEE 

ËnÛQ,  bien  qu'il  ne  te  cile  pas,  Camerarius  a  dû  connaître 
l'ouvrage  de  Jean  Sambuc,  méJecia  bongrois,  sur  les  Emblèmes 
el  les  monnaies,  publié  à  Anvers  la  même  anuée  (|ue  le  livre 
d'André  Juaius  el  qui  se  trojve  souvent  relié  avec  ce  dernier. 


Eu  somme,  Juacliim  Camerarius,  s'il  n'a  pas  eu  le  mérile 
d'inventer  le  geare  littéraire  des  lectures  morales  tirées  de 
l'bistoire  uaturelle,  aeu  le  laleuL  de  le  développer  singulièrement 
el  d'y  introduire  uq  classement  méthodique.  Par  sod  livra 
des  Symboles  et  Emblèmes,  il  a  frayé  la  voie  à  Comenius,  ut 
peul-Èlre  lui  a-t-il  suggéré  l'idée  de  son  célèbre  ouvrage, 
VOrbis  pictus. 

G,  Bonet-Maurï. 


SUR  LES  NOTICES  CONFIDENTIELLES 


Monsieur  lk  Rédacteur, 

La  Revue  pédagogique  a  souvent  fait  appel  à  des  communications 
de  la  part  de  ses  lecteurs;  elle  s'est  offerte  à  ouvrir  le  débat  sur 
les  points  qui  lui  seraient  signalés  comme  intéressant  Topinion 
publique. 

Serait-elle  disposée  à  mettre  à  l'étude  —  non  dans  ses  généralités, 
mais  sous  la  forme  pratique,  la  seule  qui  soit  intéressante  —  la 
question  des  c  notes  (Tinspection  «  et  des  c  notices  dites  confidentiel' 
les  »  sur  le  personnel  de  renseignement  primaire  à  tous  les 
déparés  ? 

La  question  se  poserait  ainsi  :  Ne  serait-il  pas  possible  de  conser- 
ver à  l'inspection  toute  son  efficacité  en  supprimant  ce  qu'il  y  a  de 
pénible  et  pour  l'inspecteur  et  pour  l'inspecté  dans  la  confection,  la 
transmission  et  la  conservation  toujours  en  secret  de  ces  «  notices 
confidentielles  »? 

Vous  êtes  instituteur  ;  l'inspecteur  primaire  se  présente,  examine 
votre  classe,  vous  donne  quelques  conseils,  dit  quelques  mots 
aimables  aux  enfants,  à  vous-même  peut-être,  et  puis  il  s'en  vn, 
emportant  avec  lui  le  secret  de  ies  impressions.  11  va  les  écrire,  les 
consigner  en  un  rapport  que  vous  ne  verrez  pas;  l'inspecteur  d'aca- 
démie ou  son  secrétaire  le  lira,  en  fera,  peut-être,  des  extraits  qui, 
en  tout  ou  en  partie,  iront  prendre  place  dans  votre  dossier  que  vous 
ne  verrez  pas  davantage. 

Vous  êtes  inspecteur  primaire  :  vous  savez  que  le  recteur,  —  que 
vous  n'avez  peut-être  vu  qu'une  fois  ou  deux,  en  visite  officielle,  —  est 
appelé  à  remplir  chaque  année  une  feuille  de  renseignemen  ts  con- 
fidentiels qui  s'en  va  à  Paris  grossir  votre  dossier.  L'inspecteur  gé- 
néral arrive:  il  a,  lui  aussi,  une  feuille  semblable  à  remplir  et  à 
envoyer  à  la  même  adresse.  Que  disent  de  vous  et  comment  vous 
dépeignent  ces  feuilles  qui,  peu  à  peu,  constituent  votre  portrait  au 
ministère?  Vous  le  devinez  quelquefois,  vous  ne  le  savez  jamais 
bien. 

De  bons  esprits  se  sont  demandé  à  plusieurs  reprises  si  vraiment 
il  ne  serait  pas  possible  et  équitable  qu'à  tous  les  degrés  de 
l'échelle,  instituteur,  inspecteur  primaire,  professeur  ou  économe, 
celui  qui  est  l'objet  d'une  inspection  officielle  en  reçût  une  attes- 
tation  officielle  aussi. 

Quel  inconvénient  y  aurait-il  à  ce  que  chaque  école  conservât  dans 
ses  archives  un  registre  qui  contiendrait  on  quelque  sorte  les  prin- 
cipaux faits  de  son  histoire,  une  sorte  de  livre  d'or  où  s'inscrirait 

RBfUi  rtDAOOGiQUi  1885.  —  !•'  gu.  34 


o30  RIYUK  PÉDA60GIQUK 

année  après  année  le  résumé  des  rapports  d'inspection  dont  Técolc 
a  été  l'objet  ?  L'inspecteur  primaire  enverrait  son  rapport  à  Tin- 
specteur  d'académie.  Celui-ci,  au  lieu  de  le  mettre  au  carton,  en 
ferait  faire  copie,  extrait  ou  résumé,  suivant  les  cas,  et  l'enverrait 
à  l'instituteur,  qui  serait  tenu  de  le  reporter  sur  le  registre  de 
récole.  A  qui  cela  pourrait-il  nuire  ou  déplaire  ?  Ce  n'est  assuré- 
ment pas  à  l'inspecteur  auteur  du  rapport  :  il  sera  le  premier  à  se 
féliciter  de  cette  sanction  nouvelle  donnée  à  ses  appréciations. 

A  son  tour  l'inspecteur  primaire  ne  pourrait-il  pas,  à  la  suite 
de  rinspcction  générale,  ou  de  la  visite  du  recteur,  recevoir  du 
ministère  communication  des  notes  envoyées  à  son  sujet? 

Chaque  fonctionnaire  se  trouverait  ainsi  avoir  dans  ses  niaîns 
le  double  de  son  dossier,  j'entends  de  la  partie  communicable  de 
son  dossier.  Ce  serait  une  garantie  pour  lui  dans  le  cas  oii  l'adminis- 
Irdtion  se  tromperait  à  son  sujet,  l'oublierait,  méconnaîtrait  ses 
mérites  ;  ce  serait  aussi  une  garantie  pour  l'administration,  puis- 
qu'il n'aurait  pas  à  prétexter  ignorance  du  motif  des  mesures  qui 
pourraient  l'atteindre  :  il  serait  en  quelque  sorte  toujours  averti  et 
toujours  tenu  au  courant  de  sa  vraie  position.  Où  serait  le  danger? 

J'ai  ouï  dire  parfois  que  si  les  rapports  étaient  communiqués  aux 
intéressés,  ils  ne  contiendraient  plus  rien.  Je  ne  puis  le  croire,  ne 
pouvant  le  comprendre.  De  deux  choses  Tune  :  ou  mon  dossier  ne 
contient  que  des  appréciations  dont  l'auteur  accepte  la  responsabilité, 
ou  il  en  contient  d'autres  qu'il  ose  écrire,  mais  qu'il  n'oserait  pas 
soutenir  en  ma  présence.  * 

—  Mais  il  y  a  telle  critique  délicate,  telle  appréciation  sur  le  carac- 
tère, par  exemple,  que  l'inspecteur  doit  à  l'administration  et  qu'il 
n'est  pas  bon  de  communiquer  brutalement  à  l'intéressé. 

Distinguons  :  l'administration  ne  doit  pas  compte  aux  fonction- 
naires ou  aux  candidats  de  tous  ses  motifs  de  préférence  dans  les 
questions  qui  sont  de  pure  appréciation,  de  choix  ou  même  de 
faveur.  Entre  deux  inspecteurs  primaires,  l'administration  estime 
que  celui-ci  convient  mieux  que  celui-là  à  telle  résidence  par  des 
raisons  d'âge,  de  caractère,  d'origine,  de  famille,  etc.;  entre  deux 
candidats  à  une  chaire  ou  à  une  direction  d'école,  tous  deux 
remplissant  les  conditions  requises,  l'un  paraît  présenter  plus  de 
garanties  d'aptitude,  plus  de  chances  de  succès,  plus  de  titres  que 
l'autre.  On  comprend  qu'il  soit  impossible  d'exiger  que  l'administra- 
tion justifie,  démontre  par  a  -f-  b  la  justesse  de  cette  appréciation, 
pas  plus  qu'on  ne  peut  demander,  dans  un  concours,  aux  examina- 
teurs de  prouver  que  la  copie  classée  la  première  est  réellement 
supérieure  à  la  seconde. 

Que  l'on  se  refuse  à  communiquer  des  rapports,  des  lettres,  des 
propositions  de  cette  nature,  tout  le  monde  le  comprend;  aussi 
n'est-ce  pas  de  cela  qu'il  s'agit.  H  ne  s'agit  que  du  dossier  régulier, 
du  dossier  réduit  a  ses  éléments  réglementaires,  du  dossier  toi  que 


SUR   LES   NOTICES  CONFIDENTIELLES  o3 

le  ministre  ou  le  préfet  pourrait  et  devrait  le  produire  en  cas  de 
contestation  grave,  pour  répondre  à  une  interpellalion  par  exemple. 
Ce  qui  est  au  dossier,  c'est  ce  qui  e^it  connu  non  seulement  du 
ministre,  mais  des  bureaux  du  ministère  ou,  s'il  s'agit  des  instituteurs, 
des  bureaux  de  la  préfecture  et  de  l'académie.  Or,  est-il  juste  que 
tous  mes  chefs  et  leur  entourage  aient  constamment  sous  les  yeux 
et  à  leur  disposition  des  notes  que  je  serai  seul  à  ignorer,  des  témoi- 
gnages qui  peuvent  m'accabler  à  mon  insu,  des  allégations  que  je  ne 
soupçonne  pas  et  que  j'aurais  peut-être  aisément  réfutées  ou  recti- 
fiées si  j'en  eusse  été  informé  à  leoips?  Songez  donc  qu'il  suffît  d'une 
de  ces  pièces  que  j'ignore,  d'une  seule  de  ces  notes  d'inspection, 
pour  qu'on  me  Toppose  encore  ou  qu'on  la  retourne  contre  moi 
victorieusement  dans  dix,  dans  quinze  ans  peut-être,  car  c'est  le 
propre  des  administi-çitions  d'avoir  la  mémoire  longue,  le  dossier 
aidant. 

Je  n'insiste  pas;  je  ne  demande  à  la  Revuf>  que  d'inviter  les  inté- 
ressés à  exprimer  librement  leurs  opinions  sur  la  possibilité  de  per- 
fectionner à  cet  égard  notre  système  d'inspection  et  de  notes  d'in- 
spection. On  ne  saurait  faire  trop  d'efforts  pour  le  mettre  en 
harmonie  complète  avec  l'esprit  de  franchise,  avec  les  habitudes 
d'administration  à  ciel  ouvert  qui  seules  conviennent  à  la  démo- 
cratie. 

Veuillez  agréer,  etc. 

in  ancien  inspecteur  primaire. 

Nous  publierons  avec  plaisir  les  communications  qui  pourraient 
nous  être  adressées  relativement  à  la  question  soulevée  par  notre 
honorable  correspondant.  —  La  Rédaction. 


LES  LITTÉRATURES  ANCIENNES 

ET   LES  ÉLÈVES   DES   ECOLES   NORMALES   PRIMAIRES 


Nous  allons  toucher  à  une  question  bien  délicate,  où  nous  pou- 
vons craindre  d'avoir  contre  nous  tout  à  la  fois  ceux  qui  ont  le 
culte  des  lettres  anciennes,  les  humanisleSy  et  ceux  qui  appré- 
cient surtout  la  connaissance  des  choses  réelles,  et  demandeot 
rinstruction  pratique,  les  réalistes  ou  utilitaires.  Nous  n'hésite- 
rons pas  cependant  à  diro  toute  notre  pensée,  sur  une  question 
qui  nous  a  souvent  préoccupé  dans  une  pratique  déjà  longue 
de  renseignement  primaire.  Notre  opinion  ne  vient  point  d*uu 
engouement  passager,  mais  elle  est  mûrement  réfléchie,  et  l'ex- 
périence qui  se  fait  de  nos  jours  d'un  enseignement  de  plus  en 
plus  scientifique  n'est  propre  qu'à  la  fortifier.  L'éducation  la 
meilleure  est  celle  qui  suscite  et  développe  les  forces  de  l'esprit 
et  non  celle  qui  se  borne  à  le  charger  d'un  bagage  encombrant. 
Il  faut,  pensons-nous,  cultiver  avant  d^instruire,  ou  plutôt  les 
deux  choses  doivent  se  l'aire  simultanément  :  or,  rien  ne  donne 
mieux  cette  culture  générale  dis  facultés  que  l'étude  des  lettres,. 
et  surtout  des  lettres  anciennes. 

En  celte  matiùre,  nous  pourrions  invof(uer  aussi  l'exemple- 
de  rAllemagne,  des  États-Unis,  de  l'Angloterre  et  en  particulier  de 
l'Écossc,  où  l'on  ne  rencontre  pas  entre  renseignement  primaire 
et  l'enseignement  secondaire  la  démarcation  bien  tranchée  qui 
existe  chez  nous,  surtout  pour  la  partie  littéraire.  On  ne  regarde 
pas,  en  ces  divers  pays,  l'étude  des  langues  anciennes  comme 
spéciale  au  gymnase  ou  ail  collège,  et  l'instituteur  est  souvent 
undergraduate  d'une  université.  Il  prépare  quelquefois  ses  meil- 
leurs élèves  à  entrer  de  plain -pied  dans  les  classes  d'humanités, 
et  rÉcosse  compte  bon  nombre  d'hommes  distingués  qui  doi- 
vent lejr  haute  position  dans  la  science  ou  dans  l'administration 
aux  études  classiques  faites  à  l'école  de  leur  village. 

En  France,  au  contraire,  l'instruction  primaire  est  toute  réale^ 
.et  nos  instituteurs  ont  trop  souvent  appris  à  l'école  normale  à 
dédaigner  les  éludes  patientes  qui  ont  pour  objet  les  lettres,  et 


LES  LITTÉBATUHES  ANCIENNES  53^) 

-surtout  les  lettres  anciennes.  Comme  le  bonhomme  Jeaimot, 
dans  le  conte  de  Voltaire,  ils  trouvent  ^u'il  est  inutile  d'apprendre 
'le  latin,  puisqu'on  ne  joue  la  comédie  et  l'opéra  qu'en  français, 
absolument  comme,  il  y  a  quelques  années,  on  disait  que  l'étude 
de  la  géographie  n'était  pas  nécessaire  pour  connaître  les  che- 
mins de  notre  pays. 

Lorsqu'il  a  été  question,  en  décembre  1880,  de  reprendre  les 
dispositions  de  la  loi  du  28  juin  1833  et  d'établir  deux  degrés 
dans  les  diplômes  d'instituteur  primaire,  on  fut  unanime  à 
reconnaître  la  nécessité  d'élever,  soui  le  rapport  littéraire, 
l'examen  du  brevet  supérieur.  On  vit  bien  qu'à  cet  égard  le 
règlement  du  2  juillet  1866  présentait  une  lacune  regrettable 
qu'il  importait  de  combler.  Des  maîtres  qui  étudiaient  les  sciences 
à  un  degré  assez  avancé  ne  devaient  pas  ignorer  les  grandes 
œuvres  littéraires  à  qui  nous  devons  la  meilleure  partie  de  notre 
gloire  nationale  et  notre  influence  dans  le  monde  civilisé.  On 
décida  donc  (règlement  du  5  janvier  1881)  qu'il  y  aurait  désor- 
mais une  composition  comprenant  une  ou  plusieurs  questions 
sur  la  langue  et  la  littérature,  et  que  l'épreuve  orale  consisterait 
dans  la  lecture  expliquée  d*un  auteur  classique  avec  des  notions 
ii'hisloire  littéraire. 

Les  humanistes,  qui  regardent  l'étude  des  lettres  comme  la 
meilleure  discipline  de  l'esprit,  applaudirent  à  cette  mesure, 
mais  beaucoup  ne  se  tinrent  pas  pour  satisfaits.  Ils  regrettaient 
que  les  candidats  ne  dussent  pas,  comme  cela  se  faisait  déjà  à 
Paris  pour  le  brevet  de  premier  ordre  des  filles,  connaître  aussi  les 
grands  écrivains  et  les  chefs-d'œuvre  des  littératures  grecque 
et  latine.  Vous  exigez,  disaient-ils  non  sans  raison,  que  les 
maîtres  primaires  du  degré  supérieur  sachent  les  principaux 
faits  de  l'histoire  ancienne,  qu'ils  n'ignorent  pas  les  actions  de 
Ramsès  le  Grand,  de  Cyrus,  de  Miltiade,  d'Alexandre,  de  Scipion, 
d'Auguste,  etc.,  et  vous  admettez  qu'ils  ne  sachent  pas  qu'il  a  existé 
des  génies  comme  Homère,  Pindare,  Sophocle,  Platon,  Virgile, 
Horace,  Tacite,  dont  les  chefs-d'œuvre  font,  depuis  des  siècles, 
^admiration  du  monde  civilisé!  N'est-ce  pas  pourtant  de  ces 
chefs-d'œuvre  que  s'inspirent  les  littératures  modernes?  ne  sont- 
ils  pas  les  flambeaux  que  l'humanité  se  passe  de  main  en  main 
dans  sa  route  à  travers  les  siècles  ? 


S3i  ASVUE   PâOA«OitlOUI 

f  Nus  pensées  soiit  née»  des  pensées  de  nos  devanciers.  Sup- 
posez que  nous  rayions.de  notre  cerveau  toutes  ies  pensées 
que  nous  devons  aux  anciens,  nous  serons  elTrayés  du  peu  qui 
nous  restera.  L'humanité  a  beau  vouloir  parfois  se  séparer  en 
plusieurs  parties,  et  en  plusieurs  âges,  dont  le  second  ne  devrait 
rien  au  premier,  ni  le  troisièmeau  second;  cela  est  impossible. 
L'humanité  fait  corps;  c'est  un  seul  et  même  homme  qui  tra- 
verse plusieurs  âges,  et  les  pensées  de  son  âge  nmr  naissent 
des  pensées  de  sa  jeunesse.  Olez  à  l'homme  sa  mémoire  qui  lui 
sert  de  lien  enti*e  toutes  ses  penées;  faites  qu'à  trente,  ans   il 
soit  tenu  de  quitter  ses  pensées  do  la  veille,  et  de  recommencer 
sur  nouveaux  frais;  il  n'y  a  plus  d'homme,  il   n'y  a  plus  que 
trois  ou  quatre  enfants,  puisqu'à  chaque  nouvel  âge  l'horame 
redevient  enfant.  Otez  à  l'humanité  l'élude  de  l'anliquilé,  ôtez- 
lui  ce  lien  entre  les  pepsécs  des  différents  siècles;  il  n'y  a  plus 
d'humanité,  il  n'y  a  plus  d'éducation  continue,  puisque  chaque 
siècle  est  forcé  de  recommencer  sa  provision  d'idées  et  que  le 
travail  des  pères  est  perdu  pour  les  .enfants  (1).  » 

—  Ces  considérations  sont  justes,  répondaient  les  réalistes; 
mais  comment,  avec  des  progiamines  aussi  chargés  pour  l'his- 
toire et  pour  les  sciences,  trouver  du  temps  dans  les  écoles^ 
normales  pour  une  étude,  qui  ne  fût  pas  trop  insuffisante,  des 
classi(|ue8  grecs  et  latins?  Les  aspirants  au  brevet  supérieur  ne 
pourront  qu'étudier  de  courtes  notices  dans  un  abrégé  d'histoire 
littéraire,  et  n'acquerront  que  des  connaissances  superficielles  qui 
sortiront  de  leur  mémoire  après  l'examen.  Cela  leur  suffira  peut- 
élre  pour  vouloir  en  parler,  et  ils  révéleront  leur  ignorance  en 
voulant  faire  étalage  de  leur  courte  érudition.  i\e  sera-ce  pas  se 
rendre  coupable  de  profanation  que  de  sortir  du  sanctuaire  les 
œuvres  des  grands  génies  de  l'antirpiité  pour  les  produire  au 
milieu  d'une  foule  indifférente,  beaucoup  trop  pressée  pour  pou- 
voir en  prendre  connaissance  ? 

,  Les  amis  des  lettres  ne  se  tenaient  pas  pour  battus.  Il  ne  s'a- 
gissait pas,  dans  leur  pensée,  d'obtenir  des  candidats  au  brevet  su- 
périeur une  étude  approfondie,  minutieuse  des  grands  écrivains 


(1)  Saint-Marc  Girardin,    De  VimtrucUon   intermédiaire   dana  ïr  midi  de 
Altcmagney  p.  108.  Paris,  Levraull,  1835. 


LES  UTTÉJIATUE£S  ANCIENNES  S35 

classiques,  —  on  n'y  peul  arriver  qu'aprèn  cinq  ou  six  ans  d'étu- 
des» —  mais  bien  d'attirer  Taltention  sur  les  grands  génies  qui, 
en  reparaissanl  au  xvi°  siècle,  ont  produit  Tépoque  de  la  Ren^'s- 
sance  et  ont  inspiré  nos  immortels   écrivains  du  xvii«  siècle. 

Ne  peut-on  espérer  d'intéresser  les  élèves  des  écoles  normales 
par  la  lecture  d'une  bonne  traduction  d'un  chant  de  l'Iliade  ou 
de  l'Odyssée,  d'un  discours  de  Cicéron,  ou  d'une  page  de 
Tacite?  £st-il  plus  malaisé  de  sentir  le  charme  des  anciens  que 
de  goûter  les  beautés  de  nos  classiques  nationaux. 

Toutes  ces  considérations  n'ont  pu  triompher  de  la  résistance 
faite  à  l'idée  d'ajouter  une  nouvelle  matière  au  programme  déjà 
si  encombré  des  écoles  normales  primaires;  mais  il  n'en  a  pas 
été  de  môme  quand  il  s'est  agi  de  l'enseignement  secondaire 
spécial  et  de  renseignement  secondaire  des  jeunes  filles.  Eu 
effet,  les  programmes  du  28  juillet  1882  portent,  pour  l'enseigne- 
ment spécial,  quatrième  année  ;  Histoire  sommaire  des  littératures 
grecque  et  latine;  recueil  de  morceaux  choisis  des  prosateurs  et 
des  poètes  latins  et  grecs,  avec  cette  noie  :  «  Oa  parlera  surtout 
des  écrivains  et  des  œuvres  qui  ont  fourni  des  modèles  aux 
littératures  modernes  »;  et  pour  l'enseignement  des  jeunes  filles, 
dans  la  troisième  année  de  la  première  période;  Cours  somr- 
maire  sur  les  litléraiures  anciennes  :  principales  époques  et 
principaux  auteurs;  et  dans  les  deux  années  suivantes,  cours 
supi'rieur  ;  Histoire  de  la  littérature  grecque.  Lectures  à 
l appui,  Morceaux  choisis  d'auteurs  gy^ecs  tirés  des  meilleures 
traductions.  (Mêmes  indications  pour  la  littérature  latine.) 

Cet  enseignement  exigeait  des  livres  spéciaux,  et  ils  n'ont  pas 
tardé  à  paraître  à  nos  grandes  librairies  classiques,  sous  le 
nom  de  professeurs  distingués  des  lycées  de  Paris. 

M.  Lebaigue  a  publié,  en  1883,  à  la  maison  Belin,  des  Morceaux 
choisis  d'auteurs  latins  tirés  des  meilleures  traductions^  avec  un 
comment  lire  et  des  notices;  1  vol.  in-12  de  432  pages. 

A  la  même  librairie,  en  188i,  M.  J.  Labbé  a  publié  sur  un  plan 
identique  des  Morceaux  choisis  des  auteurs  grecs  :  l  vol.  in-lî 
de  446  pages. 

Les  écrivains  sont  rangés  par  ordre  chronologique,  en  quatre 
périodes  pour  la  littérature  lalinc,  et  en  sept  périodes 
pour  la  littérature  grecque.  La  notice  sur  chacun  d'eux  est  gêné- 


&36  RIVUB  PÉDÀG06IQUS 

ralement  courte  et  précède  les  morceaux  tirés  de  ses  œuvres; 
en  outre,  des  notes  contenant  des  appréciations  et  des  rappro- 
chements se  trouvent  au  bas  des  pages. 

Deux  recueils  semblables  ont  été  publiés  à  la  librairie  Delà- 
grave  (1884  et  1885)  ;  ils  sont  dus  à  la  collaboration  de  M.  F. 
Deltour,  inspecteur  général  de  Tinstruction  publique,  et  de 
M.  Ch,  Rinn,  professeur  au  lycée  Condorcet. 

Le  volume  des- auteurs  grecs  conliont  deux  cent  trente-six 
morceaux  empruntés  à  soixante  écrivains.  Toutes  les  notices  bio- 
graphiques se  trouvent,  par  ordre  alphabétique,  en  tête  du 
volume.  M.  Deltour  a  publié,  seul,  une  Histoire  de  la  Utiératurt 
grecque,  de  même  format,  dont  Télude  doit  être  faite  parallèle- 
ment à  la  lecture  des  morceaux  choisis. 

Le  volume  des  auteurs  latins  renferme  deux  cent  soixante-dix 
morceaux  tirés  de  cinquante-cinq  écrivains.  Ici  la  notice  bio- 
graphique est  placée  en  tête  des  morceaux  de  chaque  auteur  : 
c'est  en  effet  la  disposition  la  plus  commode.  Quant  à  V Histoire 
de  la  littérature  latine,  qui  doit  faire  pendant  au  recueil  des 
textes  traduits,  elle  n'a  point  encore  paru. 

La  librairie  Hachette  est  arrivée  la  dernière.  Sous  ce  titre  : 
Études  littéraires  sur  les  classiques  grecs  (ou  latins)  et  extraits 
empruntés  aux  meilleures  traductions,  elle  vient  de  publier 
deux  volumes  dus  à  M.  Gustave  Merlet,  professeur  au  lycée 
Louis-le- Grand.  Le  plan  que  l'auteur  a  suivi  diffère  de  celui 
des  autres  publications  similaires.  11  a  résolument  écarté  a  les 
écrivains  qui  ne  sont  qu'un  fardeau  pour  la  mémoire  ou 
n'offrent  que  des  exemples  à  fuir.  En  revanche,  il  produit  en 
pleine  lumière  les  génies  ou  les  talents  de  premier  ordre,  c'est- 
à-dire  tout  ce  que  l'antiquité  nous  a  légué  d'impérissable,  tout 
ce  qui  intéresse  légitimement  l'âme  humaine  par  des  vérités 
universelles,  et  l'imagination  ou  le  cœur  par  des  modèles  de 
poésie  ou  d'éloquence  (1).  » 

M.  Merlet  a  suivi  l'ordre  chronolo^que  dans  chacune  de  ses 
deux  séries  :  prosateurs  et  poètes.  Il  n'a  donné  place,  pour  les 
Grecs,  qu'à  vingt  auteurs  :  huit  poètes  et  douze  prosateurs,  et 


(l)  Extrait  de  la    préface  des  Éludes  littéraires  sur  les  grands    classigne$ 
latins. 


LES  LITTÉRATURES  ANCIENNES  USTl 

pour  les  Latins,  qu'à  vingt  et  un  :  neuf  prosateurs  et  douze  poètes. 
Pour  des  raisons  qu'il  est  facile  de  comprendre,  il  a  présenté  les 
deux  séries  dans  un  ordre  inverse.  Chaque  écrivain  est  Tobjet 
non  pas  d'une  simple  notice  biographique,  comme  dans  les 
quatre  recueils  dont  il  a  été  question  plus  haut,  mais  d'une 
étude  assez  développée  sur  le  caractère  de  son  talent,  la  valeur 
de  ses  œuvres,  les  imitations  qui  en  obt  été  faites.  Nous  ne 
craignons  qu'une  chose,  c'est  que  ces  études  soient  trop  ache-. 
vées  de  forme,  trop  fines  de  ton,  trop  riches  de  renseignements 
pour  les  jeunes  gens  auxquels  elles  sont  destinées  (voir  notam- 
ment les  belles  pages  sur  Eschyle,  Classiques  grecs,  p.  145-15<^). 
Ces  études  ne  font  pas  tort  aux  notes  d'éclaircissement  au  bas 
des  pages,  qui  sont  abondantes  et  pleines  d'intérêt. 

Avec  de  tels  ouvrages,  Tétude  de  l'antiquité  devient  vraiment 
attrayante,  même  pour  ceux  qui  n'ont  pas  la  clef  de  ses  langues. 

Souhaitons  de  les  voir  placés,  non  comme  manuels  d'étude, 
puisque  le  programme  s'y  oppose,  mais  comme  livres  de  délas- 
sement, entre  les  mains  des  élèves  de  nos  écoles  normales: 
nous  sommes  assuré  qu'ils  seront  lus  avec  le  plus  vif  intérêt, 
qu'ils  seront  goûtés  presque  au  même  degré  que  nos  classiques  du 
XVII®  siècle,  si  difficiles  à  bien  comprendre,  et  qu'ils  garderont 
ensuite  une  place  d'honneur  dans  la  bibliothèque  des  instituteurs 
et  des  institutrices  qui  auront  appris  à  aimerj  comme  nous,  ces 
anciens  toujours  jeunes  «  dont  les  œuvres  suffiraient  encore 
à  éclairer  le  monde,  si  toute  autre  lumière  venait  à  s'éteindre  ». 

B.  Berger. 


EXCURSION  DANS  LES  VOSGES 

FAITE   PAR   LES    ÉLÈVES   DE   l'ÉGOLE    LAVOISIER 


Le  16  août  1884,  à  G  heures  1  /2  du  matin,  des  jeunes  gens  de  treize 
à  dix-huit  ans,  choisis  parmi  les  meilleurs  élèves  deFécole  municipale 
supérieure  Lavoisier,  se  rendaient  à  la  gare  de  l'Est,  pour  effectuer 
un  vovaffe  dans  les  Yoscfcs.  Ils  avaient  tous  au  dos  un  havresac 
semblable  à  ceux  des  militaires  dans  lequel  ils  avaient  mis  leurs 
effets  de  linge  et  de  chaussures.  A  leur  lôte  se  placent:  MM.  Filon, 
directeur,  Bussy,  surveillant  général:  Goursat,  chef  du  laboratoire, 
et  Lotlin,  professeur  de  top">graphie  de  Técolo. 

En  mtifc  ])()nr  ydnrij.  —  Laissons  de  coté  les  incidents  de  voyage» 
pour  ne  nous  occuper  que  du  côté  utile.  Nos  jeunes  gens  sont  silen- 
cieux ;  ils  n'osent  pas  manifester  bruyamment  leur  satisfaction  d'être 
partis.  M.  Lottin  développe  une  carte  de  TÉtat-major,  jette  un  coup 
d'œil  vers  la  campagne  et  dit  en  montrant  du  doigt  :  «  Voici  le  canal 
de  rOurcq,  qui  alimente  le  bassin  de  la  Villette.  >>  Toutes  les  jeunes 
tôte  se  penchent  vers  les  portières  pour  regarder.  Cela  leur  donne 
ridée  do  consulter  aussi  un  Guide  Chaix,  dont  ils  sont  munis,  et  de 
suivre  sur  la  carte  le  clieinin  parcouru  par  le  train,  et  fait  rompre 
le  silence  auquel  succède  un  tohu-bohu  de  questions,  de  remarques, 
de  lectures  à  haute  voix  à  chaque  fois  que  l'on  rencontre  quelque 
chose  digne  do  remarque,  à  chaque  station  que  Ton  passe,  g  Tiens! 
voici  Noisy  !  rembrancliement  de  îa  Grande  Ceinture.  Bondyl  où 
est  le  dépotoir  ?  Le  Raincy  !  l'ancienne  propriété  de  la  famille  d'Or- 
léans, aujourd'hui  couverte  do  maisons  particulières.* Gagnyl  etc,  etc. 
Tiens, nous  traversons  une  rivière.  Laquelle?— C'est  la  Seine,  disent 
les  uns.—  T\is  du  tout, nous  ne  sommes  pas  dans  le  dépaiiemenl  de 
la  Seine.  —  Où  donc  somfnes-nous,  alors?  — Dans  Seine-et-Marne.  » 
Tout  le  monde  regarde  la  carte.  «  En  elVot!  Et  cette  rivière?  —  Ce  n'est 
pas  une  rivière  ;  c'est  le  canal  latéral  à  la  Marne  qui  aboutit  à 
Vitry-le-Eranrois,  que  nous  allons  voir  plus  loin.  »  On  questionne  le 
professeur  de  topographie,  car  on  trouve  singuhcr  qu'on  ait  créé  une 
rivière  artitlcicUe  à  côté  d'une  rivière  naturelle.  11  explique  le  rôle 
que  joue  le  can'il  parmi  les  voies  de  navigation.  A  partir  de  ce 
moment-là,  les  élèves  remarquent  les  écluses,  les  ponts,  les  aqueducs 
les  barrages,  etc.  A  chaque  station,  on  consulte  de  nouveau  la 
carte.  Eponiay!  cinq  minutes  d'arrêt.  Voici  le  pays  du  vin  de  Cham- 
pagne. On  jette  un  coup  d'œil  sur  les  coteaux  où  croît  la  vigne, 
mais  on  ne  pense  pas  à  la  liqueur  enchanteresse.  Un  professeur  gour- 
mand ou  gourmet  a   cependant  eu  le  temps  de  s'en  procurer  une 


EXCURSION  DANS  UBS  VOSGES  S39 

petite  bouteille.  On  brûle  les  stations.  Voici  Chàlons-sur- Marne  I  Où 
est  le  camp?  Ot  sont  les  casernes?  le  collège?  Là  I  Là  !  Vitry-l^ 
François!  Le  canal  finit  en  cet  endroit,  la  Marne  déparait  à  droite 
du  chemin  de  fer.  Cependant,  après  avoir  continué  la  route  pendant 
quelque  temps,  les  élèves  s'écrient  :  «Voici  la  Marne  qui  apparaît  de 
nouveau,  avec  le  canal.  »  Une  discussion  s'engage  à  ce  sujet.  On  ton- 
suite  le  professeur,  qui  met  tout  le  monde  d'accord  en  disant:  «  Mes 
entants,  vous  ne  reverrez  plus  la  Marne  pendant  le  cours  du  voyage. 
C'est  romain  que  vous  voyez  ta.  Cette  rivière  alimente  le  canal  qui 
vient  de  disparaître  aussi.  Celui  que  vous  voyez  maiatenant  est  le 
canal  de  la  Marne  au  Rhin  :  il  conduit  à  Strasbourg.  Vous  allez  le  voir 
monter  le  versant  de  la  Meuse  et  descendre  le  versant  opposé.  Voyez 
les  rampes  qui  s'accentuent  déjà.  Au  surplus,  à  chaque  station,  con-^ 
sultez  les  indications  du  tableau  placé  au-dessous  de  l'horloge,  vous 
remarquerez  que  les  altitudes  se  relèveront  jusqu'au  faîte  séparatif 
des  bassins  de  la  Meuse  et  de  la  Meurthe.  —  Ahl  oui.  Monsieur,  nous 
voyons  se  vérifier  ce  que  vous  nous  avez  déjà  dans  le  cour  de  topo- 
graphie; qu'un  bateau  chargé  à  Londres  peut  traverser  la  France 
en  franchissant  les  montagnes,  et,  de  là,  aller  jusqu'à  Berlin  sans 
rompre  charge.  » 

A  partir  de  ce  moment-là, les  élèves  relèvent  les  altitudes.  Vilry-le- 
Franrois,  157'"  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  Bar-le-Duc,i83™  ;  ils 
ne  songent  pas  plus  aux  petits  pots  de  conliture,  qu'on  leur  pré- 
sente à  la  station  de  ce  nom,  qu'aux  madeleines  de  Commercy.  Ils 
se  contentent  de  lire  sur  le  tableau  de  la  station  :  Commercy,  à  295 
kilomètres  de  Paris,  à  210*"  au-dessus  du  niveau  de  la  mer. 

La  fatigue  gagne  nos  excursionnistes;  nous  ne  notons  pfus  ce 
qu'il  y  a  de  remarquable  pendant  les  58  kilomètres  qu'il  reste  à  par- 
courir; on  brûle  les  stations,  mais  à  Frouard  tout  le  monde  paraît 
surpris  devoir  comment  les  chemins  de  fer,  le^  canaux,  les  rivières, 
les  routes  nationales  et  di^p.irtomentales  s'onlre-croisent  :  ce  qui 
dénote  que  la  circulation  y  est  très  active  en  tous  sens  et  que  Frouard 
est  le  nœud  du  trafic  entre  les  régions  de  l'Kst  et  de  l'Ouest,  puis 
du  Nord  et  du  Midi.  L'immense  quantité  de  marchandises  disposées 
sur  les  nombreux  quais,  ainsi  que  les  nombreuses  fabriques,  en  sont 
le  témoignage.  Après  cette  ample  provision  do  notes  prises  depuis  le 
départ,  maîtres  et  élèves  mettent  le  sac  au  dos,  car  on  arrive  à  Nancy. 

Nannj.  —  On  couche  dans  celte  ville  que  Ton  doit  visiter.  Le  len- 
demain matin  notre  petite  troupe  se  réunît  sur  la  place  ;  les  pro- 
fesseurs prennent  la  tête  de  la  colonne  et  la  conduisent  à  travers  la 
ville.  Nancy  se  pique  d'être  l'Athènes  française,  parce  qu'on 
n'aperçoit  dans  cetle  ville  que  des  arc-?  de  triomphe,  des  grilles 
monumentales,  des  portes  fortifiées,  des  passages  voûtés.  Une  chose 
n'est  pas  sans  contribuer  au  cachet  de  ville  historique,  d'ancienne 
capitale  qui  appartient  incontestablement  à  Nancy  :  c'est  que,  par 
quelque  côté  qu'on  arrive,  il  faut,  presque  nécessairement,  passer  sous 


^iO  aSVUK   PÉDAGC6I0UV 

un  arc  de  triomphe.  La  merveille  de  la  vieille  (fité,  le  chef-d'oeuvre 
4e  Turt  lorrain,  c'est  la  Porterie.  Mansuy  Gauvin,  l'habile  sculpteur 
du  XVI»  siècle,  a  taillé  dans  la  pierre  du  monument  toutes  les 
«cènes  de  l'histoire  des  ducs  de  Lorraine  :  Toutes  les  figures  ont  une 
signification  satirique;  c'est  ainsi  que  les  adversaires  des  princes, 
sont  représentés  par  des  avocats,  des  moines,  etc.,  qui  apparaissent 
«ous  la  forme  d'animaux  prêchant  ou  pérorant.  A  chaque  monument 
rencontré,  on  fait  une  halte,  pour  écouter  les  professeurs  qui  en 
racontent  l'histoire.  C'est  la  statue  du  général  Drouot,  c'est  la  porte 
Saint-Georges.  C'est  la  porte  de  la  Craiïe,  spécimen  d'architecture 
militaire,  bâtie  sur  des  remparts  que  les  élèves  visitent  dans  tous 
leurs  détails  ;  les  ponts-Ievis,  les  réduits,  les  bastions,  les  courtines, 
^nt  été  visités  l'un  après  l'autre.  Le  professeur  de  topographie  a  été 
mis  fréquemment  à  contribution,  pour  expliquer  l'usage  de  ces  acci- 
dents topôgraphiques  militaires. 

On  conduit  la  troupe  devant  la  porle  Masco.  Ici  on  écoute  le  récit 
d'une  petite  légende.  Masco  était  un  ours  protégé  par  le  duc  Léopold. 
Un  petit  Savoyard  se  réfugia  un  jour  d'hiver,  à  l'insudes  gardiens, 
<lans  la  niche  de  Masco.  L'ours,  très  bien  nourri,  non  seulement  ne 
dévora  pas  l'enfant,  mais  lui  laissa  prendre  une  part  de  son 
repas.  Il  s'établit  entre  les  deux  élres  une  telle  intimité  qu'un  matin 
que  le  petit  Savoyard  dormait,  Masco  fit  un  accueil  des  plus  désa- 
gréables à  ses  gardiens,  coupables  de  réveiller  son  ami.  Le  duc 
Léopold  apprit  la  chose,  s'intéressa  à  l'enfant  et  améliora  encore  la 
nourriture  de  l'ours,  très  chagrin  dé  se  voir  enlever  son  petit  ami, 
La  porte  Masco  rappelle  toutes  ces  jolies  'choses.  C'est  par  c^tte 
porte  qu'on  entre  au  Musée  lorrain.  Nous  montons  le  magnifique 
•escalier  sculpté,  à  marches  larges  et  basses,  qui  conduit  à  la  salle 
du  conseil,  maintenant  transformée  en  musée  et  que  gravissait,  à 
cheval,  le  duc  de  Lorraine  lorsqu'il  allait  présider  les  séances  du 
conseil.  Il  pénétrait  ainsi  dans  la  salle  jusques  au  fond,  où  se  trouve 
une  cheminée  monumentale  contre  laquelle  son  cheval  s'adossait. 
C'est  ainsi  qu'il  présidait,  restant  sur  sa  monture  jusqu'à  la  fin  de 
la  séance,  après  laquelle  les  seigneurs  ouvraient  leurs  rangs  pour 
le  laisser  passer  et  descendre  par  la  môme  voie.  Il  est  impossible 
<le  faire  ici  la  nomenclature  des  richesses  et  des  curiosités  qui  s'éta- 
lent aux  yeux  ébahis  des  enfants,  et  parmi  lesquelles  on  doit  tout 
particulièrement  citer  les  belles  œuvres  de  Callot.  A  côté  du  Musée, 
l'église  uù  sont  les  restes  des  ducs  de  Lorraine,  les  épitaphes,  les 
cénotaphes,  les  mausolées,  etc. 

On  traverse,  en  zig-zag,  la  ville  qui  décidément  est  intéressante  à 
visiter.  C'est  la  place  Stanislas,  avec  la  statue  du  duc  de  ce  nom, 
élevée  en  cet  endroit  pour  perpétuer  la  mémoire  de  celui  qui  fit  la 
Lorraine  si  belle  et  si  florissante.  C'est  la  fontaine  d*Amphitrite  et 
Neptune,  avec  de  belles  grilles  monumentales  dorées,  se  profilant 
■sur  des  massifs  d*arbres.  C'est  l'arc  de  triomphe  qui  ferme  la  place 


EXCURSION  DA.NS  LES  VOSGES  541 

et  qui  ouvre  sur  la  place  Carrière  ;  c'est  le  jardin  public,  la  cathé- 
drale, etc,  etc.  On  ne  peut  ciler  ici  tout  ce  qu'on  a  vu.  Fermez  vos 
cahiers  de  notes^  mes  enfants,  vous  n'êtes  qu'au  commencement  du 
voyagé.  Si  vous  allez  de  ce  train-là,  il  vous  faudra  des  in-folios. 

On  aurait  bien  voulu  voir  M.  Barbier,  le  savant  secrétaire  général 
de  la  Société  de  Géographie  de  l'Est  ;  ce  digne  maître  et  ardent 
patriote  se  fût  certainement  mis  à  la  disposition  de  la  petite  caravane 
scolaire,  pour  lui  apprendre  quelques-unes  de  ces  choses  qu'il  connaît 
si  bien  sur  la  région  de  l'Est  ;  mais  le  temps  manquait  et  il  fallait 
repartir  le  lendemain  pour  Lunéville. 

De  Nancy  à  LunéviliCy  Baccarat  et  Saint-Dté,  —  Pendant  le  court 
trajet  de  Nancy  à  Lunéville,  on  remarque  que  le  terrain  devient 
plus  accidenté  et  qu'on  s'élève  de  plus  en  plus,à  SMK),  250,  300  mètres 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  On  a  déjà  une  idée  vague  des  mon- 
tagnes. Par-ci  par-là,  on  remarque  des  terrains  ailouillés,  desquels 
on  a  extrait  la  terre  plastique,  déposée  dans  d'immenses  réservoirs 
inondés  par  les  eaux  de  la  rivière,  pour  former  le  patouillage  qui  devra 
servir  à  la  confection  de  la  poterie  cuite  dans  des  fourneaux  que  l'on 
voit  le  long  du  chemin  de  fer.  Des  salines,  près  Rozières-aux-Salines. 
La  vigne  a  disparu  des  terrains  cultivés  et  cède  la  place  à  de  grands 
carrés  plantés  d'arbustes  sarmenteux,  longs  et  minces,  se  dressant  le 
long  de  hautes  perches.  C'est  le  houblon  !  En  effet,  on  arrive  dans  le 
pays  de  la  bière.  Lunéville  possède  une  brasserie  importanlet  Cette 
ville,  habitée  par  une  garnison  composée  en  majeure  partie  de 
cavalerie,  paraît  triste  ;  la  plus  grande  partie  de  sa  population  se 
compose  de  militaires  en  retraite.  11  est  convenu  qu'on  se  reposera  à 
Lunéville,  où  l'on  couchera  pour  la  première  fois  dans  le  dortoir  du 
lycée.  Une  partie  de  la  journée  se  passe  dans  le  splendide  parc  des^ 
Bosquets,  au  bout  duquel  se  trouve  un  très  vaste  champ  de  manœuvres. 
Si  le  repos  dans  les  bosquets  procure  une  agréable  sensation,  il  n'en 
est  pus  de  même  lorsque,  rentrant  au  nombre  de  trente-cinq  per- 
sonnes,il  faut  se  conformer  à  la  règle  austère  que  l'on  doit  observer 
dans  un  dortoir. 

Le  lendemain  malin,  on  a  hâte  de  quitter  cette  ville  maussade  ; 
le  voyage  ne  présente  rien  de  particulier;  au  surplus,  le  trajet  est 
court,  on  arrive  vite  à  Baccarat.  En  attendant  le  moment  où  l'on 
pourra  visiter  son  importante  cristallerie,  si  justement  renommée, 
on  gravit  un  coteau  boisé  et,  pour  la  première  fois,  on  s'étale  sur 
la  mousse,  à  l'ombre  des  chênes  de  la  forêt  de  Gramont,  à  3i0  mètres 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Les  senteurs  du  thym  et  du  serpolet 
produisent  une  action  bienfaisante  sur  les  poumons. 

A  une  heure,  un  des  administrateurs  de  la  grande  cristallerie 
reçoit  les  excursionnistes  et  les  conduit  dans  les  ateliers.  C'est 
M.  Goursat,  le  chef  du  laboratoire  de  l'école  Lavoisier,  qui  prend  la 
tête  de  la  colonne.  C'est  la  matière  première  que  l'on  voit  d'abord^ 
et  ses  divers  mélanges.  Puis  ce  sont  les  ateliers  de   soufflage,  de 


^2  REVUS  PÉDA60GIQUK 

taillerie,  de  polissage»  de  gravure,  etc.,  etc.  On  ouvre  une  porte 
en  fonte  ;  ou  pénètre  dans  une  pièce  chauffée  à  la  température 
de  60^,  qui  sert  a  sécher  les  moules  en  terre,  pour  faire  des 
creusets.  Au  bout  de  deux  minutes  et  demie,  tout  le  monde  demande 
grâce,  car  on  commence  à  cuire.  On  va  de  salle  en  salie;  on  fait 
le  tour  de  tous  les  ateliers  ;  on  prend  des  notes,  partout  des  notes. 
Ah  I  que  de  choses  oh  a  vues,  en  trois  heures,  et  sans  janiais 
s'arrêter  plus  de  deux  minutes  devant  chaque  groupe  de  travailleurs; 
et  dire  qu'on  n*a  pu  tout  voir  que  superficieilemeat.  11  est  impos- 
sible de  rester  plus  longtemps;  juste  le  temps  de  goûter  rexcellente 
bière  du  pays,  à  deux  sous  la  chope,  et  le  Iromage  de  Gérardmer, 
puis  on  s  eutosse  dans  le  wagon  exclusivement  réservé  aux  excur- 
sionnisles  qu*on  vient  de  rattacher  au  train  partant  pour  Saiut-Dié. 

Nous  voilà  partis  encore  une  fois.  On  entre  dans  le  massif  des 
Vosges.  Cette  fois-ci,  les  montagnes  et  les  vallées  apparaissent  avec 
leur  caractère  de  grandeur.  Ce  ne  sont  que  tableaux  changeants 
qui  se  déroulent.  On  remonte  la  Meurthe  que  Ton  cAtoie.  Elle  devient 
de  plus  en  plus  étroite.  La  voilà  toute  pierreuse,  pleine  de  cascades; 
par-ci  par-là  elle  est  à  sec.-  A  Kaon-l'Elape  les  montagnes  sont 
hautes.  On  arrive  à  Saint-I)ié. 

Saint-Dit',  —  On  séjournera  plusieurs  jours  à  Saint-Dié,  ville  située 
au  pied  de  hautes  montagnes  qui  Teiivironnent  et  que  l'on  visitera.  De 
là  on  fera,  en  tous  sens,  des  excursions  soit  à  pied,  soit  en  voiture. 
La  première  ascension  est  celle  du  Gratin,  sans  doute  appelé  ainsi 
parce  qu'il  paraît  comme  une  miette  à  côté  de  la  montagne  d'Or- 
mont.  L'ascension  du  Gratin  semble  pénible;  on  n'est  pas  encore 
habitué  aux  grimpades.  Du  haut  de  ce  mont,  on  a  une  belle  vue 
sur  la  chaîne  des  Vosges,  noyée  dans  une  brume  bleuâtre.  Là  on 
fait  des  orientements,  à  l'aide  du  soleil  et  de  la  boussole.  On  cherche 
sur  le  terrain  comme  sur  la  carte  des  points  connus,  le  Hoheneck, 
le  Ballon  d'Alsace;  on  veut  voir  la  frontière;  on  estime  les  hauteurs 
et  les  distances.  Et  dans  tout  cela,  que  d'erreurs,  que  de  mécomptes  : 
les  effets  de  perspective  aérienne,  horizontale;  la  densité  de  l'atmos- 
phère et  de  certains  milieux,  tout  cela  déroute,  embrouille;  on  sent 
qu'un  peu  de  pratique  serait  le  complément  nécessaire  des  théories 
faites  en  classe  à  Paris.  Délicieux  temps,  délicieuses  odeurs  des 
plantes  balsamiques,  délicieux  points  de  vue;  on  renonce  à  gravir 
des  sommets  qu'on  croirait  toucher  du  doigt.  Redescendons  à  Saint- 
Dié.  On  visite  une  éi<lise  d'un  pur  style  roman,  bâtie  en  grès  rouge. 
Les  curieux,  ne  respectant  rien,  linissent  par  apercevoir  une  porte 
basse  derricTC  laquelle  on  découvre,  ô  surprise  1  un  reste  de  couvent 
en  style  ogival,  avec  des  voûtes  en  berceaux,  des  fenêtres  à  meneaux 
découpés  à  jour;  un  bijou  de  chaire  à  prêcher  en  pleine  cour  et  tout 
à  fait  à  l'extérieur  du  bâtiment.  M.  Goursat  en  prend  la  photo- 
graphie. 

Le  lendemain,  on  fait  l'ascension  du  mont  Saint-Martin,  hauteur 


EXCURSION  DANS  LSS  VOSGES  543 

730  mètres,  duquel  on  a  une  vue  spiendide,  komense.  Au 
sommet,  il  y  a  deux  énormes  blocs  de  roche  rouge,  dont  Tun  a 
servi  de  point  trigonométrique  :  on  en  prend  la  pholographie.  De  ce 
point  on  fiait  des  orienlements  a  Tuide  desquels  ondécouvrc  le  Rossberg. 

Le  surlendemain  matin,  on  part  en  trois  voilures  a  deux  chevaux 
pour  Gérardmer  et  Retoumemer  ;  un  soleil  spiendide  éc)aii*e  le  pano* 
rama  qui  changea  chaque  pas.  Ce  ne  sont  que  suites  ininlerrompues 
de  montées  et  de  descentes  à  flanc  de  coteau;  l'horizon  se  rétré(Tit 
de  plus  en  plus.  On  monte  une  rampe  de  plusieurs  kilomètres,  qui 
conduit  à  un  col  appelé  le  Plafond.  Après  un  repos  en  cet  endroit, 
on  descend  à  fond  de  train  pendant  plusieurs  heures.  Ah  !  que  les 
pentes  sont  fortes  et  les  coudes  brusques  et  nombreux!  A  gauche 
on  a  un  versant  à  4o^  ([ui  paraît  monter  jusqu'au  ciel.  A  droite, 
la  même  Inclinaison  descendant  à  des  profondeurs  insondables. 
Les  deux  côtés  sont  plantés  de  pins  d'une  taille  gigantesque  et  si 
serrés  que  l'on  ne  peut  voir  à  plus  de  dix  pas  de  soi.  L'allure  des 
chevaux  est  vertigineuse;  les  cahots  des  voitures  sont  tellement 
précipités  qulnstinctivoment  les  voyageurs  se  cramponnent  les  uns 
aux  autres.  Ah  !  qu*une  ciiule  en  pareil  momeut  serait  terrible  ! 
Des  cumubiis  frangent  les  crêtes  des  montagnes;  en  moins  de 
temps  (lu'il  ne  faut  pour  l'écrire,  les  nimbus  se  forment  et  la 
pluie  tombe.  Oh!  comme  la  pluie  mouille  dans  les  montagnes!  sur* 
tout  quand  on  n'a  pas  de  parapluie.  Dans  ces  pays-là,  l'orage  ne 
s'annonce  pas  par  des  rirrus,  il  se  forme  et  fond  tout  d'un  coup  ; 
après  quoi  le  soleil  le  plus  resplendissant  éclaire  un  ciel  d'azur. 
On  longe  le  lac  de  Longemer,  bordé  de  hauteurs  dont  les  pentes, 
toujours  à  45'^  et  couvertes  de  forêts  de  sapins,  baignent  leur  pied 
dans  le  lac.  On  continue  cette  course  folle.  Ouf!  on  est  arrivé  à 
Retoumemer  où  se  trouve  un  petit  lac  au  fuad  d'un  trou  dont  les 
bords  atteignent  des  hauteurs  variables  de  700  à  1,400  mètres.  Le 
gi'and  Hoheneck  dresse  son  dôme  majestueux  au-dessus  de  toutes 
ces  hauteurs.  Les  nuages  folâtrent  autour  de  lui;  on  assiste  là  aux 
phénomènes  de  la  vaporisation  et  de  la  condensation,  et  l'on  com- 
prend mieux  la  précipitation  des  eaux  de  pluie  que  par  les  Ihéo* 
ries  de  physique,  si  bien  faites  en  classe,  mais  qui  laissent  toujours 
du  vague  dans  l'esprit  de  l'élève. 

Pour  ne  pas  trop  allonger  ce  récit,  renonçons  à  décrire  les  splen* 
deurs  de  ces  belles  régions  ;  ne  parlons  pas  de  Gérardmer  et  de 
tout  ce  que  Ton  voit  dans  les  alentours,  la  Roche  du  Diable,  le  saut 
de  la  Cuve,  etc.,  etc.,  et  revenons  à  Saint-Dié,  pour  repartir  dans 
une  autre  direction.  Ne  parlons  pas  de  la  visite  à  la  fabrique  de 
papier  et  arrivons  au  Thillot.  Séjour. 

Saint-Maurice,  Bussang,  —  Saint-Maurice,  dans  une  impasse  de 
plusieurs  kilomètres  bouchée  par  le  col  de  Bussang.  On  visite  la 
fontaine  minérale.  Son  eau  bi-carbonatée  sodique,  légèrement  ferru- 
gineuse, est  agréable  à  boire.  Montant  toiyours  la  vallée  en  côtoyant 


844  KEVUK  PÉDàGOOIQUB 

la  Moselle,  qui  se  rétrécit  de  plus  en  plus,  on  arrive  à  la  source  de 
cette  rivière.  Bavons  en  passant  de  son  eau  limpide  et  frûehe.  On 
monte  toujours  la  vallée,  les  bords  deviennent  de  plus  en  dIus  escarpés,, 
dénudés;  les  blocs  de  grès  rouge  émergent.  On  arrive  au  pied  d'un 
contrefort  1res  élevé  qui  barre  le  passage;  c'est  le  col  de  Bussang. 
Un  tunnel  de  600  mètres  de  long  le  traverse  et  la  route  passe  par- 
dessous.  A  rentrée  sont  des  douaniers  français.  Juste  a  moitié  du 
chemin  une  croix  gravée  dans  le  mur,  un  trait  par  terre,  une  borne 
portant  sur  une  face  ce  mot  ;  Allemagne^  et  sur  l'autre  :  Frankretch^ 
C'est  la  frontière  I  Des  recommandations  sont  faites  aux  enfants. 
Défense  do  manifester  bruyamment  son  émotion.  On  arrive  à  l'autre 
bout  du  tunnel.  C'est  l'Allemagne,  non...  l'Alsace!...  Tout  le  monde 
se  découvre! 

U Alsace.  —  Nous  voici  en  Alsace,  entre  deux  montagnes  :  le 
Brennwald,  altitude  1,192"»,  dont  les  flancs  ont  une  pente  si 
rapide  qu'une  pierre  n'y  peut  rester  en  repos,  et  la  Tête-des- Allemands, 
hauteur  1,004°>,  dont  les  flancs  sont  tellement  inclinés  que  les 
arbres  abattus  roulent  d'eux-mêmes  jusque  sur  le  chemin  que  nous 
suivons.  Nous  sommes  de  l'autre  côté  des  Vosges,  dans  une  gorge 
très  étroite  dont  l'aspect  est  imposant.  Au  sortir  de  cette  gorge,  le 
panorama  le  plus  accidenté  qu'on  ait  encore  vu  s'offre  aux  regards 
émerveillés.  A  GOO  mètres  de  profondeur  on  distingue  la  petite  ville 
d'Urbès,  qui  semble  dormir  au  fond  de  la  vallée.  On  voudrait  y 
aller.  On  marche  sans  s'arrr»ter,  comme  si  l'on  voulait  atteindre  la 
frontière,  non  pas  celle  déjà  franchie,  mais  l'autre,  cette  autre  qui 
devrait  être  la  véritable.  Hélas!  il  faut  s'arrêter.  On  est  en  pays 
conquis.  Voyez  ce  nom  :  Tunnel-Warter ^  peint  sur  la  façade  de 
la  maison  du  garde,  et  cet  autre  que  voici  :  Slrassen-A  ufseher,  à  la  cas- 
quette du  cantonnier.  Il  ne  faut  pas  aller  plus  loin.  On  cueii)^  quel- 
ques fleurs  sur  cette  terre,  toujours  chérie,  en  souvenir  de  ce  pas- 
sage. A  la  dérobée,  M.  Goursat  prend  une  photographie  du  tunnel  près 
du  Rossborg,  puis  de  la  vallée.  On  voudrait  tout  prendre,  tant  on 
se  sent  le  cœur  serré  au  souvenir  qu'évoque  ce  nom  :  Alsace.  Allons, 
un  baiser  d'adieu.  Non!  au  revoir.  Retournons  chez  nous. 

En  revenant  sur  ses  pas,  la  petite  troupe  suppute  les  chances  de 
succès  dans  le  cas  d'un  retour  offensif  de  l'étranger.  «  C'est  impos- 
sible, disent  les  uns.  Voyez  ces  flancs  inaccessible  de  chaque  côté  de 
nous.  --  C'est  vrai!  Mais  par  le  tunnel?  —  On  le  boucherait.  » 
A  ce  moment  les  enfants  demandent  tout  haut  :  «  A  quoi  donc 
peuvent  servir  ces  trois  trous  semblables  à  de  petites  entrées  de 
cave,  pratiqués  de  chaque  côté  du  tunnel?  il  y  en  a  six  autres  du 
côté  de  la  France.»  Le  Tunnel-Wàrter,  qui  avait  compris  (car  il  faut 
dire  qu'il  avait  suivi  la  troupe  jusqu'à  sa  rentrée  en  France),  ré- 
pondit ceci  :  •  Ça,  c'est  tes  trus  pour  en  cas  le  kerre,  pour  mettre 
te  la  tinamite,  pour  faire  explosir  la  tinnel.  »  Réprimant  une  fu- 
rieuse envie  de   rire,  les  enfants  se  turent;  mais  au  sortir  du  tua» 


EXCURSION  DANS  LES  VOSGES  545 

ncl,  ils  songent  avec  edroi  au  terrible  éboulement  qui  pourrait 
résulter  d'une  explosion  en  cet  endroit.  Toutes  les  vallées,  dans 
celte  région  de  la  France,  aboutissent  à  de  semblables  contreforts, 
et,  de  Bussang  jusqu'à  Belfort,  il  est  impossible  de  franchir  les 
Vosges.  Parlant  de  là,  elles  ressemblent,  vues  en  plan,  a  des  ra- 
meaux ou  plutôt  à  des  bronches  et,  comme  elles,  sans  issue  au  bout 
de  le  cavité.  La  trouée  de  Belfort  est  un  passage.  On  comprend  donc 
que  ces  passageii  soient  défendus  par  des  forts.  Ces  explications 
deviennent  concluantes  dans  la  conférence  topographique  faite  à 
Remiremont. 

Après  quelques  autres  ascensions,  telles  que  celle  du  Ballon  de 
Servance,  puis  celle  du  Ballon  d'Alsace,  pour  donner  un  dernier 
adieu  à  celte  province  et  voir  le  versant  du  Rhin,  on  eflectue  le 
retour  vers  Paris,  en  s'arrêtant  à  Remiremont.  On  couche  au  lycée 
de  celle  ville. 

Conférence  topographique  à  Remiremont.  —  Montés  au  sommet  du 
Paramont,  640™, que  domine  un  fort,  les  élèves  et  les  maîtres  s'asseyent 
sur  un  tertre.  Là,  M.  Lotlin,  après  avoir  passé  en  revue  les  divers 
accidents  topographiques   rencontrés    au  cours  du  voyage    et,  plus 
particulièrement,  ceux  observés  sur  la  frontière  et  dUns  toute  l'é- 
tendue du  massif  des   Vosges  jusques  au  point  où  la  petite  troupe 
est  présentement  assise,  explique  comment  le  fort  de  Remiremont 
prolège  la    ville    en   défendant,  en  même  temps,  le  passage  dans 
les  vallées  de  la  Moselotte  et  de  la  Moselle  qu'il  domine.  Les  élèves 
ont  pu  comprendre  qu'une  invasion  est  impossible,  par-dessus  les 
innombrables  monts  et  montagnes  dont  les  flancs  sont,  pour  la  plupart, 
inaccessibles;   mais  que  des  troupes  peuvent  passer  par  les    cols, 
les  défilés,  les  gorges,  les  trouées  les  tunnels,    si  l'accès    n'en- est 
pas  défendu  par  des  forts  tels  que  celui  qui  fait  lobjet  de  la  leçon 
sur  le  terrain  où,   de  visu,  Ton  a  pu  juger  des  effets  que  produi- 
raient soit  le  tir  du  canon  du  fort,-  soit  un  mouvement  des  troupes 
dans  les  vallées  déjà  indiquées,  sous  la    protection    des  canons  de 
ce  fort.  Le  professeur  termine  sa  conférence  par  cette  conclusion  ; 
B  La  topographie  a  pour  objet  d'apprendre  à  lire  les  caries,  pour  aider 
a  se  diriger  en   pays   connu  ou  inconnu  ;  ce  que  vous  savez  déjà, 
mes  enfants;  elle  a  pour  objet  d'apprendre  à  utiliser  les  accidents 
du  sol,  pour  l'attaque  de  l'ennemi  et  la  défense  du  pays  ;  elle  a  pour 
objet  d'apprendre  aux  particuliers  à  se  servir  des  routes  de  terre, 
de  fer  et  des  voies  de  navigation,  pour  la  circulation  des  marchan- 
dises; enfin  elle  a  pour  objet   d'apprendre   à  mettre    en  valeur  le 
terrain  que  l'on  possède  ou  que  l'on  habite,  par  l'utilisation  raison- 
née  des  cours  d'eau,  qu'on  peut  employer  comme  force  motrice  ou 
pour  les  irrigations.  C'est  ainsi  que  celle  belle  région  que  vous  venez 
de  visiter,  bien  que  son  sol  n'ait  pas  deux  centimètres  d  épaisseur 
de  terre  végétale  sur  la  roche  dure,  possède  tant  de  prairies  et  tant 
de  bétail,  parce  que  ses  habitants  savent  utiliser  l'eau  pour  les  irri- 

UEVUB  PÉDAGOGIQUE   1885.   —  1^-'  SEV.  35 


346  REVUI  PÉDA606IQU1 

gâtions  que  vous  avez  rencontrées  par  tout  le  pays.  La  force  mo- 
trice des  nombreuses  usines  que  vous  avez  vues  est  empruntée 
à  de  nombreux  cours  d'eau  naturels  et  artificiels  et  donne  au  r»ays 
cette  richesse  que  vous  avez  remarquée  dans  bien  des  localités. 
Gardez  donc  de  tout  cela  une  bonne  impression,  et,  quand  le 
moment  sera  venu,  faites  aussi  de  bonnes  appb'cations  de  la  topo- 
graphie au  mieux  des  intérêts  du  pays.  » 

Retour,  —  Le  retour  s'effectue.  On  a  hâte  de  revoir  ses  parents. 
Le  cœur  rempli  de  satisfaction  et  de  reconnaissance  envers  le  Conseil 
municipal  de  Paris,  qui  donne  si  généreusement  tant  d'argent  pour 
ces  voyages  si  inslructifs  à  tous  les  points  de  vue,  on  se  sépare  en 
se  promettant  de  bien  travailler  pour  mériter  encore  la  faveur  d'être 
admis  à  faire  un  autre  voyage.  E.  L. 


LA  PRESSE  ET  LES  LIVRES 


Cours  complet  de  pédagogie  et  de  méthodologie  rédigé  conformé- 
ment au  programme  d'études  officiel  des  écoles  et  sections  normales 
primaires,  par  Th,  Braun,  inspecteur  des  écoles  normales  de  Belgi- 
que. Bruxelles,  Lebègue  et  C®,  1885;  1  vol.  in-8°  de  9oi  pages.  — 
C'est  une  nouvelle  édition  d'un  ouvrage  remontant  à  18i9,  et  que 
l'auteur  a  plusieurs  fois  remanié  afin  de  l'adopter  à  l'esprit  de  l'en- 
seignement officiel  en  Belgique  et  au  programme  des  études  pédago- 
giques dans  les  écoles  normales.  La  première  édition  formait  un 
volume  in -8°  de  510  pages  publié  chez  Deprez-Parent  à  Bruxelles; 
la  deuxième  édition,  1854,  même  éditeur,  comprenait  3  volumes  in 
8**  de  1034  pages  (le  double  de  la  première);  la  troisième,  1872, 
chez  Dessain,  à  Liège  avait  encore  3  volumes  de  1188  pages,  mais 
du  format  in-l:2.  Ces  trois  éditions  étaient  revêtues  du  permis  d'im- 
primer de  l'archevêque  de  Matines  ou  de  Tévêque  de  Liège.  L'édition 
récente  ne  porte  pas  ce  visa  de  l'autorité  ecclésiastique,  mais  on  ne 
saurait  en  suspecter  l'orthodoxie,  car  l'auteur  dit,  dans  un  avis  au 
lecteur,  que  «  son  livre  est  en  tous  points  conforme  à  Tespritet  aux 
dispositions  de  la  loi  du  20  septembre  J881  »,  —  cette  loi  que  les  li- 
béraux belges  considèrent  comme  une  loi  de  réactiui:  cléricale,  et 
qu'il  appelle,  lui  (p.  788),  une  loi  de  neutralité. 

Le  livre  de  M.  Braun  nous  a  paru  pécher  d'abord  par  un  défaut 
de  proportions  entrt  les  diverses  parties  du  sujet.  Le  chapitre  2, 
Mission  de  rinstituteur  (pages  15  à  19),  est  fort  sommaire  et  parle 
beaucoup  plus  des  difficultés  provenant  de  la  négligence  des  familles 
que  des  obligations  de  l'instituteur,  de  spn  rôle  vis-à-vis  de  l'en- 
fant; mais  le  chapitre  suivant  (p.  20  à  49)  s'étend  longuement,  par- 
fois avec  trop  de  détails,  sur  les  qualités  morales  et  même  sur  les 
aptitudes  physiques  exigées  de  l'instituteur. 

A  propos  de  l'éducation  physique,  il  y  a  des  passages  inexacts 
ou  très  confus.  Nous  nous  bornerons  à  deux  citations. 

Sur  l'importance  attachée  aux  soins  physiques  dans  l'éducation  mo- 
derne, on  lit,  page  61  :  «  N'est-ce  pas  en  1782  (sic),  alors  que  l'esprit 
philosophique  remuait  la  France  et  préparait  la  grande  Révolution, 
que  J.-J.  Rousseau  publia  son  Emile,  à  Genève?  »  Tout  le  monde 
sait  que  ce  qu'on  a  appelé  l'époque  des  philosophes  au  XVUl®  siècle 
remonte  au  moins  à  1731,  date  de^lalpublication  de  l'Encyclopédie, 
et  que  VEmile  a  été  publié  en  1762,  à  Paris  et  à  Amsterdam  simul- 
tanément, et  non  à  Genève. 

Et  page  91  :  «  Dans  une  leçon  de  gymnastique,  chaque  exercice  a 
une  importance  spéciale  et  un  but  déterminé  sans  manquer  aux 


548  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

lois  de  la  physiologie  et  en  répondant  autant  que  possible  aux  règles 
de  Teslbétlque.  > 

Ce  mot  d'esthétique,  qui  apparaît  là  où  Ton  ne  l'attendait  poinr, 
porte  à  rechercher  ce  que  dit  l'auteur  sur  ce  sujet.  11  n'y  consacre 
qu'un  court  chapitre,  page  797,  qui  commence  ainsi  : 

tf  Une  de  nos  plus  nobles  facultés  est  celle  de  sentir,  c'esl-à-dire 
de  nous  rendre  compte  de  nous-mêmes.  Cette  faculté  se  présente  sous 
plusieurs  formes  :  il  y  a  le  sentiment  religieux,  le  sentiment  moral 
le  sentiment  du  beau,  le  sentiment  se  rapportant  à  notre  nature  et 
qui  touche  aux  sens.  » 

lit  plus  loin  :  «  Nous  appelons  beau  tout  ce  qui,  par  l'bannonie 
des  formes,  des  sons  ou  des  couleurs,  par  l'élévation  des  idées  et 
la  noblesse  des  expressions,  provoque  en  nous  un  élan  involontaire 
d'admiration,  qui  n'est  ni  passager,  ni  fugitif,  mais  que  la  réflexion 

confirme Mais  avant  le  beau  proprement  dit,  l'école  s'attachera 

à  faire  prévaloir  le  boîi  et  le  vrai,  qui  sont  le  beau  moral,  ici  se  pré- 
sentent de  suite  les  précautions  à  prendre  pour  l'ordre,  laTpropreté 
la  politesse,  l'harmonie,  dans  tous  les  détails  intérieurs  de  la  classe' 
comme  dans  les  relations  des  élèves  entre  eux.  » 

Vraiment,  il  aurait  mieux  valu  ne  pas  parler  d'esthétique  que 
d'en  donner  une  telle  idée  et  de  la  faire  consister  à  l'école  dans  la 
bonne  tenue. 

L'éducation  intellecluelle  occupe  une  plus  grande  place,  mais  on 
est  surpris  de  trouver  la  culture  du  jugement  et  du  raisonnement 
avant  la  culture  de  la  mémoire  et  de  l'imagination.  Là  aussi  cer- 
taines affirmations  sont  contestables,  comme  celle-ci  :  «  Il  est  établi 
que  pour  se  graver  quelque  chose  dans  la  mémoire  il  faut  en  avoir 
une  intuition  claire  et  précise  ;  il  en  résulte  que,  pour  retenir,  il 
faut  comprendre  ce  qu'on  veut  confier  à  la  mémoU'e.  »  Comment 
expliquer  alors  que  de  jeunes  enfants  apprennent  très  bien  des 
prières  en  latin  ou  la  table  de  multiplication? 

Et  cette  définition  de  l'imagination  peut-elle  être  admise  :  a  L'i- 
magination est  la  faculté  au  moyen  de  laquelle  nous  conservpns  et 
nous  combinons  les  images  des  objets  qui  ont  fixé  notre  attention.  » 
Tout  un  ordre  de  faits  appartenant  à  l'imagination  ne  restent-ils  pas 
en  dehors  ;  que  diront  ceux  qui  lui  attribuent  les  créations  du  poète 
et  du  musicien  comme  les  hypothèses  du  savant? 

Mais  nous  ne  voulons  pas  prendre  une  à  une  toute  cette  étude 
des  facultés;  elle  nous  a  semblé  faible,  partout  où  l'auteur  ne  se 
borne  pas  à  ciler.  Sans  doute,  la  psychologie  systématique  est  une 
chose  un  peu  abstruse  ;  mais  pourquoi  ne  pas  se  limiter,  comme 
M™«  Necker  de  Saussure,  à  l'observation  des  faits,  à  l'examen  du 
développement  de  l'inlclligence  chez  l'enfant,  afin  d'en  tirer  des 
règles  pratiques  pour  l'éducateur? 

Ce  qui  nous  semble  surtout  peu  propre  à  faire  aimer  la  péda- 
gogie et  à  former  des  maîtres  ayant  du  bon  sens  et  de  la  sagacité, 


LA  PRESSE  ET  LES  LITRES  549 

c'est  Texlréme  division,  le  luxe  de  distinctions  apporté  dans  l'étude 
des  moyens  propres  à  varier  les  leçons  tt  à  les  approprier  tant  à 
l'aptitude  moyenne  des  élèves  qu'à  la  mati(»re  enseignée,  en  un  mot 
a  les  rendre  aussi  bonnes  que  possible  du  c(Mé  subjectif  comme  du 
côté  objectif,  pour  parler  la  langue  de  M.  Braun. 

A  quoi  peut  bien  servir  cette  première  distinction  de  la  forme 
acroamatique  et  de  la  forme  érotématique,  puis  de  cette  dernière  en 
catfchHique,  socratique,  euristique,  répctitoire,  examinatoire,  analytique 
et  synthétique,  enfin  dialojique?  (pages  243  et  216).  Plusieurs  de  ces 
catégories  ne  rentrent-elles  pas  Tune  dans  Tautre?  et  C[uelle  lumière 
une  semblable  éhuméralion  met-elle  dans  l'esprit  du  jeune  maître 
qui  étudie  ce  grimoire?  Ce  n'est  pas  tout  :  à  la  page  233,  on 
trouve  indiquées  trois  catégories  de  procédés,  savoir  :  d'exposition, 
d'application  et  de  correction.  Puis,  dans  la  première  catégorie, 
on  distingue  les  procédés  intuitif,  comparatif,  d'opposition ^  étymo- 
logique, de  raisonnement,  descriptif,  d*obseivation  intérieure,  répé- 
titoire,  synoptique.  C'est  à  s'y  perdre.  Nous  croyons  qu'une  telle 
marche  est  propre  à  troubler  les  meilleurs  esprits  et  à  engendrer  le 
pédantisme. 

Nous  n'aimons  pas  mieux  les  préceptes  de  morale  ou  règles  de 
conduite  par  lesquelles  s'ouvre  le  volume,  et  dans  lesquelles  l'au- 
teur développe  les  points  ci-après  : 

«  1.  Il  faut  que  l'instituteur  soit  un  homme  grave; 

»  2.  L'instituteur  doit  être  patient; 

»  3.  L'instituteur  doit  être  prudent; 

»  4.  L'instituteur  doit  avoir  de  la  douceur; 

1)  5.  Il  faut  que  l'instituteur  ail  un  véritable  amour  pour  les 
enfants  et  pour  son  état; 

»  6.  L'instituteur  doit  avoir  de  l'intelligence;  (sic!) 

»  7.  L'instituteur  doit  avoir  une  somme  suffisante  de  connais- 
sances approfondies  dans  les  diverses  branches  qu'il  est  obligé 
d'enseigner,  p  (pages  26  à  33.) 

Ces  règles  gagneraient  à  être  ramenées  à  un  moins  grand  nombre 
et,  dans  tous  les  cas,  elles  devraient  être  autre  chose  qu'une  sorte 
de  civilité  puérile  et  honnête.  £n  pareille  matière,  il  importe  sur- 
tout de  suggérer,  d'inspirer  et  de  laisser  ensuite  à  la  responsabilité 
personnelle  le  soin  des  détails.  Certaines  de  ces  prescriptions  nous 
rappellent  le  fameux  règlement  modèle  du  17  août  1851,  où  il  était 
dit  aux  maîtres  français  : 

«  Art.  3.  On  ne  le  verra  jamais  (l'instituteur)  dans  les  cabarets, 
dans  les  cafés,  dans  aucun  lieu,  dans  aucune  société  qui  ne  con- 
viendrait point  à  la  gravité  et  à  la  dignité  de  ses  fonctions.  —  Art.  5. 
Il  veillera  avec  une  constante  sollicitude  sur  tout  ce  qui  intéresse 
l'esprit  et  le  cœur,  les  mœurs  et  la  santé  des  enfants.  Il  n'aura 
point  de  familiarité  avec  eux;  il  s'abstiendra  de  les  tutoyer  et  ne 
leur  donnera  jamais  de  noms  injurieux.  Il  ne  se  laissera  point  aller 


550  RSVUB  PÉDAGOiilQUE 

à  ]a  colère,  et  il  saura  toujours  allier  le  calme  et  la   douceur  à  la 
fermeté  et  à  la  sévérité.  » 

Nous  nous  rappelons  qu'iln'y  eut  alors  aucun  instituteur  digne  de 
sa  mission  qui  ne  se  sentit  blessé  dépareilles  recommandations.  11 
est  douteux  que  les  instituteurs  belges  soient  satisfaits  de  s'entendre 
dire,  par  exemple,  qu'il  leur  est  nuisible  de  jouer  avec  le  premier 
venu  dans  les  cabarets  ou  sur  les  places  publiques  ;  de  chercher  à 
amuser  par  des  facéties  de  mauvais  goût;  de  tolérer,  pai*  leur  présence, 
des  paroles  ou  des  actes  obscènes;  de  se  présenter  à  quelqu'un  sans 
être  complètement  vêtu  ou  dans  un  costume  peu  décent  ;  de  coniler 
trop  légèrement  les  secrets  des  ménages  (page  i4).  Ce  serait  le  cas 
de  demander  à  nos  voisins:  A  qui  donc  confiez- vous  les  fonctions 
d'instituteur  pour  qu'il  soit  nécessaire  de  donner  à  vos  maîtres  de 
tels  avis? 

Nous  avons  eu  le  regret  de  ne  pas  trouver  dans  le  livre  de  M.  Braun 
ce  (|ue  la  compétence  de  son  auteur  nous  faisait  espérer.  Ce  n'est 
pas  qu'il  ne  s'y  rencontre  de  bonnes  pages,  notamment  sur  la  pra- 
tique de  l'enseii^nement,  mais  elles  sont  trop  souvent  perdues  au 
milieu  de  détails  mesquins.  Knfin  pourquoi  M.  Braun,  qui  cite  sou- 
vent des  autours  fran<;ais  (Jules  Simon,  Rendu,  Gréard,  Buisson, 
Marion,  Brouard),  ne  nous  donne-t-il  jamais  l'indication  de  la  page 
ni  même  de  l'ouvrage  d'où  le  fragment  est  tiré?  11  vaudrait  la  peine 
de  pouvoir  s'y  reporter,  ne  fût-ce  que  pour  trouver  dans  le  contexte 
la  pensée  exacte  des  auteurs  ou  pour  suivre  les  développements 
qu'ils  lui  ont  donnés.  X. 

David  Livingstone,  missionnaire,  voyageur  et  philanthrope,  1813- 
1873,  par  Rodolphe  Reuss,  Paris,  Fischbacher,  1885,  vm-118  p.,  in-S®. 
—  Parmi  les  voyageurs  illustres  du  xix«  siècle,  il  n'en  est  aucun  dont 
le  nom  brille  d'un  éclat  à  la  fois  aussi  intense  et  aussi  pur  que 
celui  de  Livingstone.  C'est  que  chez  lui  la  grandeur  matérielle  de 
l'œuvre  accomplie  est  singulièrement  rehaussée  par  la  grandeur 
morale  de  l'ouvrier;  qu'il  ne  fut  pas  seulement,  comme  ses  rivaux 
de  gloire,  un  explorateur  de  premier  ordre  qui  par  l'importance 
hors  ligne  de  ses  découvertes  a  puissamment  contribué  aux  pro- 
grès de  la  géographie;  qu'il  a  consacré  sa  vie  entière,  une  vie  toute 
de  dévouement  et  de  sacrifice,  au  service  de  la  plus  noble  des  causes, 
l'avancement  du  règne  de  Dieu  sur  la  terre.  D'autres  investigateurs 
intrépides  et  sagaces  ont,  avant  et  après  lui,  pénétré  dans  l'Afrique 
intérieure  et  dévoilé  ses  mystères;  nul  ne  lui  dispute  l'honneur 
d'avoir  été  par  excellence  l'apôtre,  le  précepteur,  le  champion  des 
malheureuses  populations  du  continent  noir,  auxquelles  il  a  prêché 
l'évangile  et  la  civilisation  par  l'exemple  plus  encore  que  par  la 
parole,  et  en  faveur  desquelles  il  a  soutenu,  avec  une  ardeur  que 
rien  n'a  pu  lasser,  sa  sainte  lutte  contre  la  plaie  hideuse  de  la 
traite  des  nègres.  Missionnaire,  voyageur  et  philanthrope/  tel  est  le 


LA  PRESSE  ET  LES  LIVRES  551 

triple  titre  de  gloire  que  revendique  pour  Liviogstone  rinscriplion 
qui  se  lit  sur  sa  piorre  tombale  à  Westminster,  et  la  postérité  rati- 
fiera ce  triple  éloge  décerné  par  la  voix  unanime  de  ses  contem- 
porains. 

Retracer  dans  un  mince  volume  la  vie,  laborieuse  entre  toutes, 
de  ce  fervent  missionnaire,  de  ce  voyageur  audacieux,  de  cet  hé- 
roïque pliilanthrope,  était  une  tâche  difficile;  M.  Reuss  s'en  est 
acquitté  avec  un  rare  talent  dans  le  livre  que  nous  nous  plaisons  à 
signaler  à  toute  l'attention  de  nos  lecteurs.  Lui-môme  il  l'appelle 
modestement  une  esquisse,  et  il  aurait  raison  si  on  jugeait  les 
ouvrages  d'après  le  nombre  de  leurs  pages;  en  réalité,  c'est  un  tra- 
vail achevé,  d'une  vérité  frappante  et  d'un  intérêt  saisissant.  Les 
divers  aspects  de  l'activité,  si  multiple  et  pourtant  si  une,  de  Living- 
stone  s'y  trouvent  mis  en  pleine  lumière;  mais  surtout  la  physionomie 
éminemment  sympathique  du  grand  homme  de  bien  s'y  détache 
avec  un  relief  remarquable  sur  le  fond  mouvant  de  son  aventureuse 
carrière,  humblement  commencée  dans  une  chaum^ière  écossaise, 
pour  finir,  avec  une  auréole  qui  est  presque  celle  du  martyre,  sur 
ie<  rives  d'un  lac  perdu  dans  les  profondeurs  de  l'Afrique. 

Ce  sont  naturellement  les  trois  s(\jours  de  Livingstone  en  Afrique 
qui  tiennent  la  plus  grande  place  dans  le  livre  de  M.  Reuss.  H  en 
a  résumé  les  péripéties  les  plus  importantes  et  les  grands  résultats 
géographiques  d'après  les  relations  officielles  publiées  par  le  voyageur 
lui-m^^me  ou  par  ses  amis  ;  mais  il  a  de  plus  tiré  un  excellent 
parti  des  extraits  de  sa  correspondance  et  de  son  journal  intime, 
mis  au  jour  par  M.  William  Garden  Blaikic.  Grâce  à  cette  heureuse 
combinaison,  la  narration  gagne  grandement  en  animation  et  en 
intérêt,  la  charmante  naïveté  des  impressions  personnelles  du  doc- 
teur tempérant  ce  qu'ont  d'aride  ses  itinéraires  compliciués.  Au  point 
de  vue  géographique  on  pourrait  à  la  rigueur,  dans  le  récit  de  ces 
pérégrinations,  relever  quelques  inexactitudes  de  détail,  regretter 
quelques  omissions;  en  général  cependant,  ce  récit  est  exact  etaussi 
complet  que  le  permettait  l'étroitesse  du  cadre  choisi.  Les  révélations 
successives  de  Livingstone  sur  le  plateau  de  l'Afrique  australe  sont 
nettement  exposées  ;  on  suit  le  voyageur,  sinon  pas  à  pas,  du  moins 
dans  les  zigzngs  principaux  de  ses  courses  entrecroisées,  soit  que, 
du  lac  Ngami  et  du  haut  Zambèze,  ses  premières  découvertes,  il 
gagne  tour  à  tour  Tocéan  Atlantique  à  Loanda  et  l'océan  Indien  à 
Quilimané  ;  soit  qu'il  s'épuise  en  efforts  infructueux  pour  faire  du 
Zambèze  la  grande  voie  d'accès  de  l'intérieur,  et  explore  entre 
temps  le  lac  Nyassa  au  nord  do  son  cours  inférieur  ;  soit  qu'enfin, 
dans  cette  troisième  expédition  dont  il  ne  devait  pas  revenir,  il 
croise  en  tous  sens,  pendant  sept  longues  années,  les  pays  inconnus 
à  l'ouest  du  Nyassa  et  du  Tanganijka,  et  y  découvre  une  multitude 
de  lacs  et  de  fleuves  lacustres,  qu'il  s'obstine  à  rattacher  au  Nil,  alors 
qu'ils  appartiennent  au  haut  bassin  du  Congo.  Mais,  tout  en  faisant 


S52  REVUS  PÉDàGOOIQUB 

ainsi  la  part  suffisamment  large  à  rhistorique  des  voyages  el  à  Tana- 
lyse  des  découvertes  de  son  héros,  M.  Reuss  ne  perd  jamais  de  vue 
le  vrai  but  qu'il  s'était  proposé,  celui  de  faire  comprendre,  apprécier 
et  aimer  la  noble  personnalité  et  le  grand  caractère,  Vàrac  can- 
dide et  la  foi  sublime  de  ce  fidèle  serviteur  de  Dieu.  Profondément 
ému  lui-même,  il  fait  passer  son  émotion  dans  Tâme  du  lecteur  et 
le  laisse  plein  d'admiration  en  face  d'une  vertu  qui  ne  s'est  pas 
démentie  un  seul  jour,  à  travers  les  labeurs  et  les  faUgues  indi- 
cibles, les  misères  et  les  dangers  sans  nombre  dun  apostolat  de 
trente  ans. 

Rien  ne  serait  plus  facile  que  d'appuyer  de  nombreuses  citations 
ce  que  nous  venons  de  dire,  et  de  Livingstone  lui-même  et  de  son 
biographe.  Nous  nous  contenterons  de  transcrire  quelques  ligne» 
qu'à  un  des  moments  les  plus  critiques  de  sa  vie,  un  an  avant  sa 
réunion  providentielle  avec  Stanley,  le  missionnaire  écrivait  sur  les 
feuillets  de  son  carnet  de  chèques,  seul  papier  dont  il  disposât  dans 
la  misérable  hutte  du  Manyéma  où  la  maladie  le  tint  confiné  pen- 
dant trois  mois.  «  Je  n'ai  rien  reçu  depuis  plusieurs  années,  sauf 
quelques  lettres,  vieilles  de  trois  ans,  que  j'ai  trouvées  à  Oujiji. 
J'éprouve  un  désir  douloureux  d'en  finir  et  j'espère  que  le  Tout- 
Puissant  me  permettra  de  retourner  dans  mon  pays.  Mais  je  me 
remets  aux  mains  de  Celui  qui  dispose  des  événements.  Si  je  meurs, 
je  veux  tomber  en  faisant  mou  devoir,  comme  un  de  ses  courageux 
serviteurs.  J'ai  toujours  eu  l'assurance  que  mes  amis  voudraient  me 
voir  faire  une  œuvre  complète  et  c'est  un  vœu  que  je  partage  en 
dépit  de  toutes  les  difficultés.  Mon  désir  serait  de  donner  à  la 
jeunesse  de  mon  pays  l'exemple  d'une  persévérance  virile.  » 

11  n'a  pas  été  donné  à  Livingstone  de  revoir  sa  patrie  et  sa  famille; 
mais  ses  deux  autres  vœux  ont  été  amplement  exaucés.  Il  est 
tombé  en  faisant  son  devoir,  plus  que  son  devoir,  et  il  a  laissé  à  la 
jeunesse  non  seulement  de  son  pays,  mais  de  tous  les  pays,  un  exemple 
éclatant  de  persévérance  héroïque.  Cet  exemple  est  bon  à  méditer,  de 
ce  côté  de  la  Manche  non  moins  que  chez  nos  voisins.  Remercions  donc 
M.  Reuss  de  l'avoir  proposé  à  la  jeunesse  française  sous  une  forme 
capable  de  l'enflammer  d'une  émulation  généreuse,  et  terminons  par  le 
souhait  qu'il  se  trouve  dans  ses  rangs  beaucoup  d'imitateurs  de 
Livingstone,  capables,  sinon  de  l'égaler,  du  moins  de  marcher  sur 
ses  traces.  Auguste  Himly. 

Le  livre  du  soldat  français,  par  le  général  Champimnet,  publié 
par  M,Marcellin  Pellet,  dépixié  ;  Paris,  Quantin,  éditeur,  1883;  1  vol. 
in-12  contenant  72  dessins  à  la  plume,  avec  portraits  de  Cham- 
pionnet,  frontispice,  etc.  —  Le  général  Championnet  est  l'un  des 
plus  glorieux  parmi  les  soldats  de  la  première  République.  Parti 
comme  volontaire  en  1792,  il  devint  gàiéral  de  brigade  en  1793, 
puis  général  de  division  dans  l'armée  de  Sambre-et-Meuse.  En  1798 


LA  PRESSK  ET  LES   LIVRES  bVS 

il  fut  envoyé  en  Italie,  reçut  le  commandement  de  l'armée  de  Rom  \ 
et  alla  créer  à  Naples  la  République  parthénopéenne.  Après  les  dé- 
sastres de  1799  et  la  mort  de  Joubert,  il  dirigea  la  retraite  des  armées 
françaises  d'Italie  qu'abandonnait  le  gouvernement  consulaire  ; 
atteint  du  typhus,  il  mourut  à  Antibes  le  9  janvier  1800.  Il  n*avflit 
que  trente-huit  ans. 

Dans  les  loisirs  du  bivouac,  11  avait  entrepris  de  composer  un 
«  recueil  de  faits  héroïques  »,  sous  la  forme  de  petits  tableaux 
dessinés  à  la  plume.  Sans  être  un  artiste  hors  ligne,  Championnet 
dessinait  avec  élégance  et  naturel  ;  ses  croquis  sont  pleins  de  vie  et 
de  vérité.  Les  deux  cahiers  qui  les  renferment  se  trouvent  aujour- 
d'hui à  la  bibliothèque  de  la  Chambre  des  députés.  C'est  là  que 
M.  Marcelin  Pellet  a  eu  la  bonne  idée  d'aller  les  chercher,  pour  les 
publier  en  fac-similé,  avec  une  introduction  et  des  notes.  «  Nous 
avons  cru,  dit-il,  faire  une  œuvre  de  patriotisme  en  reproduisant 
et  en  publiant,  comme  livre  d'enseignement  civique,  ces  pages  volantes, 
reliques  d'un  artiste  et  d'un  héros.  »  Championnet  lui-mémo  avait 
indiqué  en  ces  termes,  dans  une  courte  préface,  la  portée  et  le  but 
de  son  travail:  «  En  composant  ce  recueil  de  faits  héroïques  deno< 
jours,  j'ai  voulu  mettre  sous  les  yeux  du  soldat  français  tout  ce  qui 
peut  donner  de  l'émulation  à  nos  chers  camarades  et  immortaliser 
la  République.  En  compoîrant  les  petits  tableaux  dont  j'ai  recueilli 
les  faits  sous  mes  yeux,  je  ferai  passer  le  nom  de  ces  braves 
républicains  à  la  postérité,  et  je  fournirai  aux  historiens  et  aux 
peintres  des  matériaux  inépuisables  pour  retracer  les  fastes  de  la 
France  régénérée  et  victorieuse.  »  Ce  petit  livre  respire  un  souffle 
ardent  d'enthousiasme  républicain  :  on  comprend,  en  le  lisant, 
pourquoi  les  armées  de  la  Révolution  ont  dû  vaincre  l'Europe.  Nous 
souhaitons,  comme  l'éditeur,  qu'il  trouve  sa  place  dans  toutes  h  s 
écoles,  jusqu'au  fond  du  dernier  de  nos  hameaux.  Nos  enfants 
y  apprendront,  mieux  que  dans  Plutarque,  ce  que  c'est  que 
l'héroïsme.  G. 

Petit  traité  d'économie  domestique,  d'horticultuhe  et  d'âgricil- 
TURE,  à  l'usage  des  jeunes  filles  suivant  les  cours  des  écoles  pri- 
maires des  campagnes,  par  A .  de  Lentilhac,  fondateur  de  la  ferme- 
école  de  la  Dordogne.  Ribérac,  Jourdain,  lib.-édlteur,  1883;  1  vol. 
in-i6  de  96  pages.  —  11  est  bien  rare  aujourd'hui  que  des  livres  de 
classe  nous  viennent  des  départements  ;  presque  tous  sont  édités  à 
Paris,  sauf  quelques-uns  employés  dans  des  congrégations  religieuses. 
En  voici  un  qui  nous  arrive  d'une  petite  ville  de  la  Dordogne  avec  un 
titre  très  propre  à  attirer  sur  lui  l'attention. 

On  se  plaint,  en  effet,  de  plus  en  plus  de  la  désertion  des  cam- 
pagnes et  du  manque  de  bonnes  ménagères  dans  les  exploitations 
agricoles.  Les  jeunes  filles  sans  dot  de  nos  villages  sont  attirées  vers 
la  ville  par  des  gages  élevés,  par  une   vie  plus  douce,  et  par  l'es- 


5o4  BBVUB  PÉDAGOGIQUE 

poir  de  trouver  un  mari  qui  ne  les  obligera  pas  à  aller  travailler  aux 
champs.  Celles  qui  auront  une  certaine  dot  sont  élevées  le  plus 
souvent  dans  des  pensionnats,  où  elles  prennent  en  dégoût  les  devoirs 
de  la  fermière,  les  soins  du  ménage  champêtre,  et  rêvent  d'une  vie 
bourgeoise  ou  citadine.  Elles  choisiront  pour  mari,  non  un  cultivateur 
aisé,  robuste,  actif,  mais  quelque  petit  employé,  un  homme  de  plume 
comme  on  dit  au  village.  Un  riche  fermier  de  la  Brio  disait  plai- 
samment, il  y  a  quelques  mois,  qu'il  était  fâcheux  qu'on  n'eût  pas 
encore  découvert  une  machine  à  traire  les  vaches,  car  les  servantes 
do  ferme  deviennent  de  plus  en  plus  rares. 

Si  l'on  sent  le  besoin  de  retenir  les  hommes  aux  travaux  agricoles, 
il  faut  chercher  aussi  à  détourner  les  jeunes  villageoises  des  villes, 
où  elles  courent  tant  de  dangers  (i),  et  à  les  élever  pour  tenir  une 
maison  de  cultivateur. 

M.  de  Lentilhac,  fondateur  et  directeur  pendant  vlngt-deùx  ans  de  la 
ferme-école  de  la  Dordogne,  croit  que  c'est  à  l'école  rurale  qu'on  doit 
préparer  les  jeunes  filles  au  rôle  de  ménagère  et,  dans  ce  but,  il  a 
composé  le  petit  traité  que  nous  annonçons.  Nous  regrettons  qu'il  y 
ait  adopté  la  forme  de  catéchisme  avec  des  réponses  qui  parfois 
tiennent  trois  longues  pages  (comme  à  la  page  12)  ou  même  quatre 
(page  ii).  Celte  forme  par  demandes  et  par  réponses  ne  nous  semble 
pas  admissible  pour  un  ouvrage  qui  est  proprement  un  livre  de  lecture 
et  qui  ne  doit  pas  être  appris  par  cœur. 

Nous  forons  un  autre  reproche  au  livre  de  M.  de  Lentilhac  :  c'est 
de  nepis  être  divisé  méthodiquement  par  chapitres,  et  de  mêler  dans 
une  même  réponse  des  choses  trop  différentes:  par  exemple,  à  la  page 
1  i,  ùla  suite  de  considérations  sur  la  tenue  de  la  basse-cour  et  sur 
l'utilité  qu'il  y  a  d'y  intéresser  la  jeune  fille  en  lui  abandonnant, 
pour  former  son  petit  pécule,  une  part  dans  les  produits,  il  a  donné 
une  recette  pour  faire  une  soupe  au  lapin,  mêlant  ainsi  la  zoo- 
technie, l'économie  domestique  et  l'art  culinaire.  Il  conviendrait 
aussi  (jue  l'auteur  se  montnU  plus  discret  ou  plus  sobre  d'indica- 
tions quand  il  s'agit  de  remèdes  (voir  ce  qui  regarde  /'ai7,  p.  41). 

Ajoutons  que  le  style  de  ce  petit  livre  n'est  pas  toujours  irrépro- 
chable et  qu'on  y  trouve  souvent  des  phrases  longues,  dont  les 
membres  sont  mal  agencés,  comme  à  la  page  52  où  un  paragraphe 
de  deux  pages  contient  trois  phrases  dont  la  plus  courte  a  19  lignés. 
L'enseignement  élémentaire  demande  une  division  plus  nette  des 
matières,  et  veut  que  chaque  pensée  se  détache  de  celles  qui  ne  s'y 
rapportent  que  de  loin. 

Bien  que  le  livre  de  M.  de  Lentilhac  soit  loin  d'être  irréprochable 
et  ne  puisse  servir  que  dans  les  écoles  de  la  Dordogne  et  des  régions 
limitrophes,  nous  avons  cru  utile  de  le  signaler  et  d'attirer  l'atten- 
tion sur  une  partie  trop  négligée  de  l'éducation  des  filles.  Il  faut 


1)  Voir  Les  femmes  de  la  campagne  à  Paris ^  par  M"""  C.  de  Barrau. 


LA  PRISSE   LT   LES  UVRES  555 

que  les  instilutrices  des  écoles  rurales  se  préoccupent  de  former  de 
bonnes  ménagères  et  de  leur  montrer  tout  ce  qui  en  dépend  ;  la 
cuisine,  la  laiterie,  la  buanderie,  la  basse-cour,  Télable,  le  jardin.  Cet 
enseignement  peut  être  donné  sous  une  forme  attrayante  et  non 
sans  une  certaine  poésie  propre  à  la  vie  champêtre  bien  comprise. 

B.  B. 

L'ÉDUCATION  ET  L'INSTRUCTION  considérécs  dans  leurs  rapports  avec  le 
bien-être  social  et  le  perfectionnement  de  Tesprit  humain,  par 
C.  Ilippeau,  professeur  honoraire  de  faculté.  Paris,  Delalain  frères, 
1885,  i  vol.  in-12de  xv-3i8  p.  —  Cet  ouvrage,  publié  environ  doux  ans 
après  la  mort  de  Tauteur  par  les  soins  de  sa  respectable  veuve,  est  le 
*  mémoire  qui  a  obtenu  le  premier  prix  sur  la  question  d'éducation 
dans  le  concours  ouvert  en  1880,  en  faveur  des  sciences  sociales,  par 
un  généreux  philanthrope,  Isaac  Péreire.  On  sait  que  M.  Hippeau 
avait  public  peu  de  temps  avant  sa  mort  un  recueil  des  rapports  et 
discours  auxquels  la  réforme  de  l'instruction  publique  avait  donné 
lieu  dans  les  diverses  assemblées  de  1789  à  1802,  et  qu'il  avait  fait 
paraître  de  1860  à  1870  d'intéressantes  études  sur  l'état  do  l'ensei- 
gnement aux  États-Unis,  dans  les  principaux  États  de  l'Europe, 
Allemagne,  Angleterre,  Italie,  Russie,  Etats  Scandinaves,  et  en  der- 
nier lieu  dans  l'Amérique  du  Sud  (République  Argentine). 

Comme  le  dit  M.  Eugène  Talbot  dans  la  courte  préface  du  volume 
que  nous  annonçons,  «  M.  Hippeau  a  étudié  de  près  et  comparé  les 
divers  systèmes  pratiqués  dans  tous  les  pays  du  monde,  et  en  môme 
temps  il  a  suivi,  avec  une  attention  scrupuleuse,  et  comme  par 
étapes,  les  phases  ascendantes  que  l'instruction  publique  a  traversées 
en  France  depuis  la  Révolution  à  l'heure  actuelle.  »  Il  avait  une  foi  pro- 
fonde dans  le  progrès  moral  résultant  de  l'accroissement  des  lumières, 
et  il  se  montre  très  sympathique  à  tout  ce  qui  peut  contribuer  à 
rinstruction  du  plus  grand  nombre.  Il  accueille  avec  joie  toute  mé- 
thode qui  s'inspire  de  ces  principes,  et  il  considère  surtout  comme 
un  élément  de  progrès  la  place  plus  grande  faite  aux  femmes  dans 
renseignement.  Après  avoir  exalté,  comme  on  sait,  leur  rôle  dans 
les  écoles  des  États-Unis,  M.  Hippeau  préconise  en  Fiance  les  écoles 
professionnelles  dues  à  l'initiative  de  M"»«  Elisa  Lemonnier,  comme 
il  signale  le  progrès  résultant  de  la  création  d'une  école  normale 
d'institutrices  dans  chaque  département  et  l'institution  des  lycées  et 
collèges  de  filles  par  la  loi  Camille  Sée. 

Ce  que  M.  Hippeau  souhaite  avant  tout,  c'est  que  les  écoles  de  tout 
ordre  préparent  des  citoyens  dévoués  aux  institutions  sorties  du 
mouvement  de  1789,  et  établissent  entre  les  deux  sexes  une  commu- 
nauté d'idées,  de  discipliné  intellectuelle,  de  connaissances  générales. 

Sur  les  voies  et  moyens  d'ordre  administratif,  ou  sur  les  méthodes, 
il  est  généralement  peu  précis  et  reste  dans  les  indications  générales. 
11  se  montre  très  bienveillant  pour  tous  les  novateurs  et  son  éclec- 
tisme est  poussé  parfois  un  peu  loin.  11  n'est  point  centralisateur  et 


^36  EKVUB  PÉDA60GIÛUK 

jaloux  des  droits  de  l'État,  maïs  il  entend  bien  que  le  système 
d'instruction  publique  soit  en  harmonie  avec  les  institutions 
sociales  et  politiques  et  avec  l'esprit  du  temps.  U  repousse  une  cen- 
tralisation rigoureuse  et  routinière  et  demande  que  les  établisse- 
ments d'instruction  s'inspirent  des  progrès  do  la  science  et  secondent 
l'activité  nationale  sous  toutes  ses  formes. 

En  un  mot,  ce  livre  est  l'œuvre  d'un  esprit  généreux  et  il  sera  lu 
avec  intérêt  par  quiconque  s'occupe  des  questions  si  complexes 
de  l'éducation  nationale.  On  y  trouve  une  chaleur  communicative 
qui  fait  aimer  l'auteur  et  honorer  sa  mémoire.  C'est  là  ce  qu'a 
souhaité  surtout  M*^®  Hippeau  en  poursuivant  avec  un  soin  pieux  la 
publication  des  dernières  pages  de  son  mari.  B.  B. 

Rapport  sur  les  écoles  publiques  supérieures  de  jeunes  filles 
EN  Alsace-Lorraine,  par  une  commission  de  docteurs  en  médecine, 
traduit  de  l'allemand  par  ^mi7c /Jot^,  Gex,  imprimerie  Brocard,  4885; 
br.  in-8®  de  56  pages.  —  On  sait  combien  la  question  de  la  surcharge 
dans  les  écoles  préoccupe  l'opinion  publique  en  Allemagne  et  en 
Angleterre.  Le  développement  de  l'enseignement  est  accusé  de 
produire  chez  les  élèves  un  alTaiblissement  de  la  constitution  phy- 
sique et  d'amener  au  bout  de  quelques  années  l'étiolement  de  la 
race.  Pour  les  jeunes  filles,  la  question  est  d'autant  plus  grave  que 
*ia  vie  est  attaquée  dans  sa  source  et  que  la  fécondité  des  mariages 
est  compromise. 

En  créant,  pour  remplacer  les  pensionnats,  des  écoles  supérieures 
de  jeunes  filles,  ne  ya-t-on  pas  accroître  encore  les  dangers  résul- 
tant d'un  travail  intellectuel  excessif  à  l'âge  où  la  constitution  de 
la  jeune  fille  a  besoin  de  soins  particuliers?  Telle  est  la  question 
qui  a  été  soumise  par  le  gouverneur  de  l'Alsace- Lorraine  à  une 
commission  de  douze  médecins. 

Le  rapport  publié  par  cette  commission  a  été  traduit  par  M.  Emile 
•Roth,  receveur  particulier  des  finances  à  Gex,  et  il  mérite  d'être 
pris  en  considération  par  tous  ceux  qui  ont  à  diriger  ou  a  surveiller 
les  établissements  d'instruction  pour  les  jeunes  filles. 

Nous  en  extrayons  quelques  passages  : 

{^  Au  sujet  du  besoin  de  restreindre  Je  nombre  des  heures  de 
-classe  et  de  les  couper  par  des  récréations  :  «  A  l'école  comme  à 
la  maison,  il  faut  que  les  fillettes  soient  protégées,  à  l'égal  des 
garçons,  contre  l'excès  d'heures  de  classe  et  d'heures  de  travaux 
manuels  exisfeant  la  position  assise  ;  il  convient  de  leur  donner,  à 
elles  aussi,  entre  les  heures  de  travail  pendant  lesquelles  elles  doi- 
vent rester  immobiles,  une  pause  de  récréation  d'égale  durée  à  celle 
accordée  aux  garçons  et  pendant  laquelle  elles  pourront,  autant  que 
{>ossible9  se  mouvoir  en  liberté;  elles  devront  également,  en  réci- 
tant leurs  leçons,  se  lever  et  se  tenir  debout  ;  on  devra  tâcher  enfin 
que  l'école  elle-mémo  leur  procure  l'occasion  de  se  promener  jour- 


LÀ  PRESSE  ET  LES  LIVRES 


837 


nellement  au  grand  air,  sous  la  conduite  de  femmes  respectables, 
de  rafraîchir  el  de  fortifier  le  corps  et  Tesprit  par  des  exercices  de 
gymnastique  spécialement  choisis  par  elles,  et  par  des  jeux  amu- 
sants adaptés  à  la  grâce  naturelle  de  la  jeune  fiUe.  » 

2"^  Sur  là  nécessité  d'avoir  un  matériel  scolaire  adapté  à  la  taille 
des  élèves  :  «  Les  déviations  de  l'épine  dorsale  ou  bien  sont  la  suite 
du  rachitisme  ou  bien  elles  proviennent  de  mauvaises  postures  du 
corps  adoptées  par  Thabitude  ;  dans  cette  dernière  espèce  viennent 
se  ranger  les  inclinaisons  du  dos  provenant  d'habitudes  prises,  ou 
autrement  dit  les  scolioses  acquises.  Celles-ci  sont  priHluites  principa- 
lement par  une  mauvaise  tenue  du  corps  à  l'école  et  sont,  par  suite, 
désignées  sous  le  nom  de  scolioses  scolaires.  C'est  une  infirmité 
attaquant  de  préférence  les  jeunes  fîl!e-i  en  voie  de  développement; 
les  garçons  en  sont  atteints  moins  souvent. 

»  Des  bancs  d'école  d'une  construction  \  Itrîeuse  sont  l'une  des  prin- 
cipales causes  pour  lesquelles  les  enfants,  afin  de  trouver  un  appui, 
recherchent  des  postures  par  lesquelles  la  colonne  vertébrale  est  con- 
tournée et  prend  une  inflexion  latérale.  » 

3®  Sur  les  dangers  qu'offrent  certains  travaux  manuels  : 

«  Une  déviation  de  la  colonne  vertébrale  est  beaucoup  moins  à 
craindre  avec  les  travaux  manuels  féminins  qu'avec  l'écriture;  mais 
on  doit  redouter  bien  plutôt,  à  cause  du  rapprochement  considérable 
des  yeux  sur  le  travail  et  do  l'inflexion  en  avant  de  la  tête,  l'appa- 

riti'Mi  d'un  côté  de  la  myopie  et  de  l'autre  de  l'asthénopie Cette 

infirmité  est  causée  principalement  par  l'attention  continue  provo- 
quée par  la  fixation  d'objets  de  petite  dimension,  parla  lecture  d'une 

impression  très  fine,  et  par  des  travaux  manuels  fatigants Tous  les 

travaux  manuels,  en  général,  devraient  être  exécutas  dans  des  salles 
spéciales  éclairées  très  amplement,  autant  que  possible  par  en  haut, 
el  seulement  pendant  les  heures  où  la  lumière  du  jour  est  complète.  » 

-i*^  Enfin  sur  le  nombre  des  heures  de  classe  et  des  heures  d'études: 
a  Les  occupations  des  écolières  à  l'école  doivent,  à  notre  avis, 
comporter  tout  au  plus  par  semaine  : 


A«iE  DES  ÉCOLIÈRES 

1 

NOMBRE  D'HEUHKS 
PASiBfi:»  A  LLCULS 

y  compris 
les  (nivaux  manuels 

IIKLUE> 
POUit  LKd   DbVÛUls 

1 
7  et  K  ans  

18 

24 
20 

28 

6  1/2    (!) 
()  1/2 
6  1/i 
6 
G 

î)  ans 

10  et  il  ans 

12,  13  el  i\  ans 

15  el  IG  ans 

(1)  Nous  croyons  que  cj  chilIVe  devrait  être  diminué  do  2  heures  pour  les 
(rjis  premiers  âges. 


558  REVUB  PÉDAGOGIQUl 

.)  11  y  a  lieu  d'ajouter  à  cela  une  heure  chaque  jour  pour  les  exer- 
cices de  gymnastique  ou  pour  les  mouvements  en  plein  air. 

»  Il  ne  pourra  être  donné,  le  malin,  des  devoirs  à  faire  pour  Taprès- 
midi  du  même  jour.  Le  dimanche  doit  rester  complètement  libre.  » 

Dans  les  établissements  français,  il  est  bon,  plus  que  jamais, 
d'apporter  beaucoup  de  sollicitude  sur  les  prescriptions  de  l'hygiène 
et  de  veiller  à  ce  que  notre  population,  qui  s'accroît  si  peu,  soit  du 
moins  vigoureuse  et  saine.  Z. 

Les  Mkres  des  grands  hommes,  par  Maurice  Block,  1  vol.  in-8\ 
Delagrave,  éditeur,  1885.  —  Ce  volume  est  un  hommage  à  la  femme 
p.ir  qui  les  hommes  deviennent  forts  et  grands,  et  par  suite  les 
peuples.  «  Telle  mère,  tel  fils,  »  dit  l'auteur,  et  Ton  pourrait  ajouter 
avec  lui  :  «  Telles  mères,  tels  peuples.  » 

Quand  tout  devient  petit,  femmes,  vous  restez  grandes, 

a  dit  excellemment  le  poète  dont  la  mort  vient  de  consacrer  Timmor- 
talité.  L'idée  de  l'ouvrage  qui  vient  de  paraître  est  vraie  et  juste. 
Quant  à  l'exécution,  elle  n'est  pas  moins  digne  d'éloges.  Pour  faire 
la  démonstration  du  principe  posé,  c  Telle  mère,  telle  fils  »,  on  par- 
court les  siècles  passés,  on  relit  l'histoire  des  nations  anciennes 
dans  d'intéressantes  biographies  d'une  éloquente  simpUcité.  Dans 
ces  lectures,  qui  ne  sont  pas  de  ces  historiettes  banales  avec  des 
conclusions  de  bénigne  et  puérile  morale,  mais  des  faits  authen- 
tiques, sérieux,  l'enfant  comme  le  jeune  homme  peut  puiser  les 
vraies  règles  de  la  vie  et  les  immuables  lois  de  la  vertu.  Des 
Gracques  à  Brizeux,  de  saint  Augustin  à  Lamartine,  de  Marc- 
Aurèle  à  Napoléon  I",  dans  tous  les  pays,  chez  tous  les  peuples, 
dans  toutes  les  conditions  il  verra  l'influence  de  la  mère.  Ce  livre 
augmentera  le  respect  du  foyer  qui  tend  à  diminuer,  et  sera  un 
excellent  sujet  de  méditations  pour  la  jeunesse  de  nos  écoles. 

Encore  un  mot:  Le  chapitre  des  secondes  mères  prouve  bien  que 
l'ouvrage  est  un  hommage  à  la  femme  et  démontre  son  influence 
salutaire  en  matière  d'éducation.  Que  de  femmes,  tantes  ou  mar- 
raines, ont  été  de  véritables  mères  pour  leurs  neveux  ou  leurs 
filleuls  et  ont  donné  à  la  patrie  une  illustration  de  plus  et  une  nou- 
velle  gloire! 

J'ajoute  en  conclusion  qu'un  exemple  récent  corrobore  l'idée  que 
l'auteur  s'efforce  de  démontrer  dans  tout  son  ouvrage.  Victor  Husço 
était  dans  son  enfance 

Si  débile  qu'il  fut,  ainsi  qu'une  chimère, 
Abandonné  de  lous  excepté  de  sa  mère. 

Vérité,  morale,  style  clair  et  précis,  plan  net  et  juste,  telles  sont 
les  qualités  du  livre,  auquel  je  reprocherai  pourtant  de  n'avoir  pas 
donné  un  plus  grand  nombre  d'exemples.  L.  Mainard. 


LA  PRESSE   ET  LES  LIVRES  559 


Langue  allemande. 

Du  CHOIX  d'un  métier.  —  Nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  signaler 
un  ouvrage  (celui  de  M.  de  Fragstein)  sur  le  choix  des  carrières. 
Les  pédagogues  allemands  se  préoccupent  à  bon  droit  de  cette  ques- 
tion, si  importante  pour  les  familles,  pour  les  enfants,  pour  la  société. 
Trop  souvent  c'est  le  hasard,  un  caprice  qui  décident,  et  la  vie 
entière  peut  se  passer  à  regretter  un  choix  malheureux  sur  lequel 
il  est  plus  tard  difficile,  sinon  impossible  de  revenir. 

M.  Rudolph,  directeur  d'une  grande  école  dans  la  ville  manufac- 
turière et  commerciale  de  Chcmnitz,  a  été  frappé,  par  ses  rapports 
avec  la  population  ouvrière,  de  l'importance  du  problème  qui  se  pose 
aux  familles  :  Que  ferons-nous  de  nos  enfants  ?  11  vient  de  publier, 
à  Wittenberg,  un  livre  qui  ne  manque  pas  de  valeur,  sous  ce  titre  : 
Du  choix  d*une  carrière  pour  nos  pis.  C'est  pour  la  plus  grande  part 
un  recueil  de  conférences  que  l'auteur  a  faites  sur  ce  sujet  et  qui 
ont  paru  avoir  de  l'écho. 

Dans  le  choix  d'une  carrière,  dit-il,  il  y  a  plusieurs  points  impor- 
tants à  considérer:  l'éducation  préalable  de  l'enfant,  ses  aptitudes 
personnelles,  le  développement  ultérieur  qu'il  lui  sera  possible  d'ac- 
quérir en  vue  de  la  carrière  choisie.  L'auteur  insiste  sur  la  néces- 
sité de  se  décider  sérieusement,  et  pour  des  motifs  réfléchis,  sur  la 
difficulté  d'un  bon  choix.  11  insiste  surtout  sur  la  bonne  préparation 
que  l'enfant  doit  recevoir  en  vue  de  son  métier,  d'abord  à  la  mai- 
son, ensuite  à  l'école.  Nous  ne  pouvons  ici  analyser  ce  volume; 
nous  nous  bornons  à  indiquer  les  principales  questions  qui  y  sont 
traitées,  parce  qu'elles  nous  paraissent  propres  à  attirer  l'attention  : 

0  Qui  doit  choisir?  A  quelle  époque  ce  choix  doit-il  se  faire?  Quels 
sont  les  motifs  qui  doivent  déterminer,  et  quels  sont  ceux  qu'il 
convient  d'écarter?  » 

Comme  l'avait  fait  avant  lui  M.  do  Fragstçin,  l'auteur  de  ce  volume 
entre  dans  de  minutieux  détails  de  statistique  sur  les  diffi^rents 
métiers,  dont  il  énumère  plus  de  cent,  en  essayant  de  mettre  en 
lumière  les  avantages,  les  inconvénients,  les  perspectives  qu'ils 
offrent  et  la  préparation  qu'ils  exigent.. 

De  telles  indications  ne  peuvent  que  rendre  service;  elles  rentrent 
bien,  par  un  certain  côté,  dans  la  vocation  de  l'instituteur,  auquel 
les  parents  s'adressent  parfois,  et  pas  assez  souvent,  dans  leur 
embarras.  Le  maître  n'a  pas  charge  des  enfants  pendant  les  heures 
de  la  classe  seulement;  s'il  aime  sa  tâche,  s'il  aime  ses  élèves,  il 
se  préoccupe  de  ce  qu'ils  deviendront,  il  connaît  leurs  dispositions 
et  leurs  goûts,  et  il  lui  est  bon  d'avoir  à  sa  portée  des  moyens 
d'information  propies  à  éclairer  à  la  fois  les  enfants  et  leurs  fa- 
milles sur  les  diverses  carrières  qui  s'ouvrent  devant  eux  au  sortir 
d'école. 


560  RSVUB  PÉDAGOGIQUE 

L'herbartiamsme  en  Allemagne.  —  La  pédagogie  de  Taulre  côlé 
du  Rhin  est  engagée  en  ce  moment-ci  dans  une  lutte  assez  vive 
dont  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  entretenir  nos  lecteurs. 

Le  monde  des  instituteurs  germaniques,  tant  de  rAUemagne 
proprement  dite  que  de  l'Autriche  et  de  la  Suisse,  se  partage  à 
rheure  actuelle  en  deux  grandes  catégories.  D'une  part,  les  disciples 
de  Herbart,  qui  se  subdivisent  à  leur  tour  en  deux  tendances.  Tune 
modérée  ou  libérale,  l'autre  orthodoxe  et  intolérante;  la  première 
reconnaissant  pour  chef  le  D""  Stoy,  la  seconde  se  rattachant  au 
D""  Zilicr.  D'autre  part,  la  grande  masse  des  instituteurs  et  péda- 
gogues qui,  pour  des  raisons  diverses,  n'ont  pasjpris  parti  pour  Her- 
bart, et  que  les  fanatiques  de  ce  philosophe  traitent  de  «pédagogues 
vulgaires  »  ou  de  «  simples  praticiens  ».  Ceux-ci  se  rattachent  assez 
volontiers  ù  Frédéric  Dittes,  l'ancien  directeur  de  l'école  normale 
supérieure  de  Vienne  et  le  rédacteur  en  chef  du  Pœdagogium,  l'une  des 
meilleures  revues  pédagogiques  allemandes. 

Des  deux  côtés,  c'est  depuis  quelques  années  un  flot  intarissable 
de  brochures,  de  volumes,  d'articles  de  revues  et  de  journaux.  Dittes 
conduit  la  bataille  avec  une  grande  énergie;  il  est  vigoureusement 
attaqué  h  son  tour,  et  peu  d'instituteurs  restent  étrangers  au  con- 
flit; ils  se  croient  à  peu  près  tous  obligés  de  se  ranger  sous  Tune 
ou  raulrc  bannière. 

Le  nom  de  Herbart  (1776-i8iJ)  est  à  peu  près  inconnu  en  France; 
aussi  conimeucerons-nous  par  dire  quelques  mots  de  ce  philosophe. 
Précepteur  en  Suisse  de  1797  à  1799,  il  y  apprit  à  connaître  Pes- 
talozzi,  subit  sjn  influence  et  recueillit  quelques-unes  de  ses  idées. 
C'est  à  Pcstalozzi,  par  exemple,  qu'il  a  emprunté  sa  théorie  que 
Vintuitiou  doit  élre  la  base  de  l'enseignement,  il  a  puisé  ses 
autres  doctrines  chez  les  <<  Philanthropinistes  »  et  dans  les  ouvrages 
de  Niemeyer,  principalement  dans  le  livre  classique  :  «  Les  principes 
do  réducation  et  de  V enseignement .  »  Devenu  professeur  de  phi- 
losophie à  Gœttingue  et  ta  Kœnigsberg,  Herbart  a  fait  des 
leçons  et  publié  des  livres  de  pédagogie,  d'abord  peu  lus,  peu 
connus,  qui  n'avaient  pas  du  tout  attiré  l'attention  du  public  spécial 
de  l'enseignement.  Dix  ans  même  après  sa  mort,  on  pouvait  les 
croire  tombés  dans  la  mer  de  l'oubli.  11  appartenait  à  deux  maîtres 
distingués  de  les  retirer  de  cette  obscurité  profonde,  et  de  provoquer 
en  faveur  des  idées  de  Herbart  un  mouvement  considérable. 

Voici  un  court  résumé  de  ces  idées  —  plus  fidèle  peut-être  que 
clair: 

1.  L'éducation  repose  sur  le  double  fondement  de  l'éthique  ou 
nnorale  et  de  la  psychologie. 

L'éthique  propose  le  but  de  l'éducation,  qui  est  la  formation 
chez  l'homme  d'une  volonté  morale.    * 

La  psychologie,  en  tant  que  doctrine  des  phénomènes,  des  lois  et 
causes  de  la  vie  de  Tame,  indique  les  voies  et  moyens  pour  parvenir 


LA  PRESSE    ET  LES  LIVRES  561 

à  ce  but.  C'est  sur  les  lois  psychologiques  que  doit  reposer  le 
choix  des  objets  et  des   méthodes  d'enseignement. 

Nous  nous  garderons  bien  d'exposer  ici  la  psychologie  de  Herbarl, 
dont  le  langage  technique  et  obscur  risquerait  delTrayer  nos  lecteurs. 
Quant  à  sa  morale,  elle  comprend  cinq  divisions,  ce  qu'il  appelle  les 
cinq  idées  pratiques  :  liberté  intérieure,  perfection,  bienveillance, 
droit,  et  équit  ;.  L'homme  de  bien  est  celui  qui  est  fidèle  à  ces 
directions;  la  pédagogie  a  pour  objet  suprême  de  mettre  l'homme 
en  état  do  s'y  conformer  et  de  lui  en  inspirer  la  ferme  volonté. 

â.  L'éducation  se  divise  en  trois  parties  principales  :  A,  le  gouverne- 
ment (Regieruny)f  ou  la  direction  extérieure,  la  police  scolaire; 
B,  l'enseignement  (Unlerricht)  ;  C,  la  discipline  morale  (Zucht),  qui 
comprend  la  formation  du  caractère.  —  Tout  enseignement  doit  être 
éducatif,  c'est-à-dire  qu'il  ne  doit  pas  consister  simplement  à  accu- 
muler des  connaissances,  mais  avoir  en  vue  de  produire  et  de 
coordonner  des  idées,  d'exciter  l'intérêt,  de  créer  le  vouloir  et  de 
donner  naissance  au  jugement  moral. 

3.  Un  des  points  cardinaux  de  la  pédagogie  de  Herbart,  c'est  sa 
doctrine  de  la  multiplicité  de  l'intérêt  (V ielseiligkeit  des  Interesses), 
L'intérêt  peut  être  empirique,  spéculatif,  esthétique,  sympathique, 
social  et  religieux.  L'éducateur  doit  se  proposer  d'éveiller  et  de  déve- 
lopper régulièrement  chacune  de  ces  six  formes,  de  façon  à  ce  que 
chaque  élève  trouve  dans  l'enseignement  quelque  forme  d'intérêt  qui 
puiî^se  l'attacher. 

4.  Pour  parvenir  à  ce  résultat,  le  maître  doit  diviser  son  ensei- 
gnement en  quatre  étapes  successives,  que  nous  croyons  devoir 
indiquer  mal^^ré  la  bizarrerie  de  la  forme.  Ce  sont  :  A,  la  clarté, 
qui  comprend  :  a)  l'analyse,  c'est-à-dîre  la  préparation  à  ce  qui 
est  nouveau;  6)  la  synthèse,  c'est-à-dire  l'exposition  de  ce  qui 
est  nouveau:  B,  l'association,  qui  rattache  le  nouveau  aux  'choses 
déjà  connues;  C,  le  système,  qui  rassemble  et  coordonne  les  résultats 
obtenus  afin  d'en  constituer  un  ensemble  organisé;  Z>,  la  méthode 
ou  l'exercice,  ou  degré  de  l'application  pratique. 

La  pédagogie  do  Herbart  occupe  une  place  si  considérab'e  dans 
les  écrits  et  les  polémiques  du  jour  en  Allemagne,  qu'il  nous  a 
semblé  utile  d'en  reproduire  ici,  malgré  l'obscurité  inévitable  d'un 
lel  résumé,  les  lignes  principales.  Longtemps  inconnues,  médio- 
crement appréciées,  mémo  par  plusieurs  de  ceux  qui  s'y  intéres- 
saient, les  doctrines  de  Herbart  n'acquirent  une  véritable  notoriété 
que  par  les  travaux  de  Stoy  et  de  Ziller. 

Le  D^  Stoy  fonda  à  ses  frais  une  école  normale  à  léna  en  1843 
pour  y  appliquer  ses  idées  pédagogiques  ;  il  Ta  dirigée  avec  grand 
succès  jusqu'au  commencf^ment  de  celte  année-ci,  où  il  est  mort  à 
l'âge  de  70  ans.  11  a  formé  dans  cet  intervalle  plus  de  600  élèves, 
placés  aujourdhui  dans  toutes  les  parties  de  l'Allemagne  et  do 
l'Autriche.  Tojt  en  prenant    pour  base  de  son    enseignement   la 

REVUE  PÉDAGOGIQUE  1885.  —  1*^  SEV.  3($ 


560  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

L'herbartiamsme  en  Allemagne.  —  La  pédagogie  de  Taulre  côlé 
(lu  Rhin  est  engagée  en  ce  momenl-ci  dans  une  lutte  assez  vive 
dont  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  entretenir  nos  lecteurs. 

Le  monde  des  instituteurs  germaniques,  tant  de  rAllemagne 
proprement  dite  que  de  TAutriche  et  de  la  Suisse,  se  partage  à 
hieure  actuelle  en  deux  grandes  catégories.  D'une  part,  les  disciples 
de  Herbart,  qui  se  subdivisent  à  leur  tour  en  deux  tendances.  Tune 
modérée  ou  libérale,  Tautrc  orthodoxe  et  intolérante;  la  première 
reconnaissant  pour  chef  le  D'  Stoy,  la  seconde  se  rattachant  au 
1)''  Zilicr.  D'aulrc  part,  la  grande  masse  des  instituteurs  et  péda- 
gogues qui,  pour  des  raisons  diverses,  n'ont  pasjpris  parti  pour  Her- 
bart, et  que  les  fanatiques  de  ce  philosophe  traitent  de  «  pédagogues 
vulgaires  »  ou  de  «  simples  praticiens  »,  Ceux-ci  se  rattachent  assez 
volontiers  ù  Frédéric  Dittes,  l'ancien  directeur  de  l'école  normale 
supérieure  de  Vienne  et  le  rédacteur  en  chef  du  Pœdagogium,  Tune  des 
meilleures  revues  pédagogiques  allemandes. 

Des  deux  cotés,  c'est  depuis  quelques  années  un  flot  intarissable 
de  brochures,  de  volumes,  d'articles  de  revues  et  de  journaux.  Dittes 
conduit  la  bataille  avec  une  grande  énergie;  il  est  vigoureusement 
attaqué  h  son  tour,  et  peu  d'instituteurs  restent  étrangers  au  con- 
flit: ils  se  croient  à  peu  près  tous  obligés  de  se  ranger  sous  Tune 
ou  l'autre  bannière. 

Le  nom  de  Herbart  (1776-i8il)  est  à  peu  près  inconnu  en  France; 
aussi  commencerons-nous  par  dire  quelques  mots  de  ce  philosophe. 
Précepteur  en  Suisse  de  1797  à  1799,  il  y  apprit  à  connaître  Pes- 
talozzi,  subit  sjn  influence  et  recueillit  quelques-unes  de  ses  idées. 
C'est  à  Pestalozzi,  par  exemple,  qu'il  a  emprunté  sa  théorie  que 
Viniuition  doit  être  la  base  de  l'enseignement.  11  a  puisé  ses 
autres  doctrines  chez  les  4  Philanthroplnistes  »  et  dans  les  ouvrages 
de  Niemeyer,  principalement  dans  le  livre  classique  :  «  Les  principes 
de  réducation  et  de  renseignement,  »  Devenu  professeur  de  phi- 
losophie à  Gœtticgue  et  à  Kœnigsberg,  Herbart  a  fait  des 
leçons  et  publié  des  livres  de  pédagogie,  d'abord  peu  lus,  peu 
connus,  qui  n'avaient  pas  du  tGut  attiré  l'atlention  du  public  spécial 
(le  l'enseignement.  Dix  ans  mémo  après  sa  mort,  on  pouvait  les 
croire  tombés  dans  la  mer  de  l'oubli,  11  appartenait  à  deux  maîtres 
dislingués  de  les  retirer  de  cette  obscurité  profonde,  et  de  provoquer 
en  faveur  des  idées  de  Herbart  un  mouvement  considérable. 

Voici  un  court  résumé  de  ces  idées  —  plus  fidèle  peut-être  que 
clair: 

i.  L'éducation  repose  sur  le  double  fondement  de  l'éthique  ou 
morale  et  de  la  psychologie. 

L'éthique  propose  le  but  de  l'éducation,  qui  est  la  formation 
chez  rhomme  d'une  \olonté  morale.     ' 

La  psychologie,  en  tant  que  doctrine  des  phénomènes,  des  lois  et 
causes  de  la  vie  de  Tâme,  indique  les  voies  et  moyens  pour  parvenir 


LA  PRESSE   ET  LES  LIVRES  561 

à  ce  but.  C'est  sur  les   lois   psychologiques    que  doit    reposer    le 
choix  des  objets  et  des   méthodes  d'enseignement. 

Nous  nous  garderons  bien  d'exposer  ici  la  psychologie  de  Herbarl, 
dont  le  langage  technique  et  obscur  risquerait  d'ellrayer  nos  lecteurs. 
Quant  à  sa  morale,  elle  comprend  cinq  divisions,  ce  qu'il  appelle  les 
cinq  idées  pratiques  :  liberté  intérieure,  perfection,  bienveillance, 
droit,  et  équil  ;.  L'homme  de  bien  est  celui  qui  est  fidèle  à  ces 
directions;  la  pédagogie  a  pour  objet  suprême  de  mettre  l'homme 
en  état  do  s'y  conformer  et  de  lui  en  inspirer  la  ferme  volonté. 

â.  L'éducativ.n  se  divise  en  trois  parties  principales  :  A^  le  gouverne- 
jnent  (Rcgieruny),  ou  la  direction  extérieure,  la  police  scolaire; 
B,  l'enseignement  (Unterricht)  ;  C,  la  discipline  morale  (Zucht),  qui 
comprend  la  formation  du  caractère.  —  Tout  enseignement  doit  être 
éducatif,  c'est-à-dire  qu'il  ne  doit  pas  consister  simplement  à  accu- 
muler des  connaissances,  mais  avoir  en  vue  de  produire  et  de 
coordonner  des  idées,  d'exciter  l'intérêt,  de  créer  le  vouloir  et  de 
donner  naissance  au  jugement  moral. 

,3.  Un  des  points  cardinaux  de  la  pédagogie  de  Herbart,  c'est  sa 
doctrine  de  la  multiplicité  de  l'intérêt  (Vivlseiligkeit  des  Interesses). 
L'intérêt  peut  être  empirique,  spéculatif,  esthétique,  sympathique, 
social  et  religieux.  L'éducateur  doit  se  proposer  d'éveiller  et  de  déve- 
lopper régulièrement  chacune  de  ces  six  formes,  de  façon  à  ce  que 
chaque  élève  trouve  dans  l'enseignement  quelque  forme  d'intérêt  qui 
puisse  l'attacher. 

4.  Pour  parvenir  à  ce  résultat,  le  maître  doit  diviser  son  ensei- 
gnement en  quatre  étapes  successives,  que  nous  croyons  devoir 
indiquer  malgré  la  bizarrerie  de  la  forme.  Ce  sont  :  A,  Isl  clarté, 
qui  comprend  :  a)  l'analyse,  c'est-à-dîre  la  préparation  à  ce  qui 
est  nouveau;  6)  la  synthèse,  c'est-à-dire  l'exposition  de  ce  qui 
est  nouveau;  B,  l'association,  qui  rattache  le  nouveau  aux  'choses 
déjà  connues;  C,  le  système,  qui  rassemble  et  coordonne  les  résultats 
obtenus  afin  d'en  constituer  un  ensemble  organisé  ;  D,  la  méthode 
ou  l'exercice,  ou  degré  de  l'application  pratique. 

La  pédagogie  do  Herbart  occupe  une  place  si  considérab'e  dans 
les  écrits  et  les  polémiques  du  jour  en  Allemagne,  qu'il  nous  a 
semblé  utile  d'en  reproduire  ici,  malgré  l'obscurité  inévitable  d'un 
lel  résumé,  les  lignes  principales.  Longtemps  inconnues,  médio- 
crement appréciées,  même  par  plusieurs  de  ceux  qui  s'y  intéres- 
saient, les  doctrines  de  Herbart  n'acquirent  une  véritable  notoriété 
que  par  les  travaux  de  Stoy  et  de  Ziller. 

Le  D^  Stoy  fonda  à  ses  frais  une  école  normale  à  léna  en  1843 
pour  y  appliquer  ses  idées  pédagogiques  ;  il  Ta  dirigée  avec  grand 
succès  jusqu'au  commencement  de  celte  année-ci,  où  il  est  mort  à 
l'Age  de  70  ans.  H  a  formé  dans  cet  intervalle  plus  de  (KK)  élèves, 
placés  aujourdhui  dans  toutes  les  parties  de  l'Allemagne  et  do 
i'Autriche.  Tojt  en  prenant    pour  base  de  son    enseignement   la 

REVUE  PÉDAGOGIQUE  1885.  —  1*^  SE».  36 


562  REVUE   PÉDAGOGIQUE 

pédagogie  de  Herbart,  il  a  su  montrer  un  esprit  large,  s'est  attaché 
à  l'esprit  plutôt  qu'à  la  lettre,  insistant  par-dessus  tout  sur  la  valeur 
personnelle  de  l'éducateur,  plus  importante  de  beaucoup  à  ses  yeux 
que  celle  des  méthodes.  Ses  disciples  sont  ce  qu'on  appelle  les 
herbartiens  modérés. 

A  côté  d'eux  s'est  formée   une  école  d'herbartiens  plus    rigou- 
reux et  plus  prétentieux.  Ceux-ci  ont  Ziller  pour  chef.  Le  D»"  Ziller 
fonda  en  1862,  auprès  de  l'université  de  Leipzig,  un  institut  pédago- 
gique académique  (academisches  padagogischcs  Seminar),  avec  une  école 
primaire  d'application,  ou  école  annexe.  Les  auditeurs   des    cours 
étaient  moins   des    étudiants   de   la  faculté   des  lettres     que  des 
théologiens  ou  des  instituteurs  autorisés,    après  de  bons  examens, 
à    suivre  les  cours  de  l'Université.  Très   actif,   très  ardent,   d'une 
nature  passionnée  et  intolérante,  Ziller  a  voulu  pousser  Vherbartianismv 
à  ses  dernières   conséquences,  lui  donner    une   terme  qu'il  croyait 
définitive  et  absolue.  11  nous  serait  difficile  ici  de  donner  une  idée 
exacte  de  son  système,  qui  nous  paraît  consister   beaucoup  plutôr 
en  formules  obscures    qu'en    idées  neuves.  Voici  du  moins  ce  qui 
le   caractérise.  11  prétend  que  le  dernier  mot  de  la  science  pédago- 
gique,   c'est   la    concentration  de   l'enseignement.  11    n'entend    pas 
par  là  cette  sage  méthode  des  bons  maîtres  qui  cherchent  à  ratta- 
cher,  à    grouper,  à  réunir  par  un  lien  commun    les    difTérentes 
matières  de  renseignement,  ou  à  mettre  en  lumière  leurs  points  de 
contact;  non,  la  concentration  consiste,  pour  Ziller,  à  prendre  une 
matière  quelconque,  et  à  en  faire  le  centre  de  toutes  les  autres 
branches  d'enseignement;  aucune  d'elles  n'a  plus  d'existence  parti- 
culière :   elles  ne  sont  que  les  rayons  du  centre  commun  plus  ou 
moins  arbitrairement  choisi,  et  ne  sont  étudiées  que  dans  la  mesure 
où   elles  sont  nécessaires  pour  éclairer  le  sujet  principal.  Cet  objet 
central  de  l'enseignement  doit  être  pris  soit  dans  l'histoire  profane,  soit 
dans  l'histoire    religieuse,  et  changer  chaque  année.  Voici  le  plan 
d'études  tracé  par  Ziller.  Pour  la  première  année,  il   avait  choisi 
douze  fables  :    j)Our   la  seconde,  l'histoire   de    Robinson;   pour  la 
troisième,  l'histoire  des  patriarches.  Les  cinq  autres  années  devaient 
avoir  tour  à  tour  pour  étude  centrale  l'époque  des  juges  d'Israël,  celle 
des  rois  d'Israël,  la  vie  do  Jésus,  l'histoire  des  Apôtres,  et  celle  de 
la  lléformation.  Ces  huit  objets  répondent  selon  Ziller  aux  huit  éta- 
pes, aux  huit  degrés  de  civilisation  que  l'humanité  a  traversés  jusqu'à 
ce  jour,  et  correspondent  également  aux  degrés  successifs  de  déve- 
loppement (le   renfance  pendant  les  huit  années  de  la  vie  scolaire. 
De  six  à    quatorze   ans,    dit  Ziller,  l'enfant  parcourt  ainsi    avec 
rapidité  toutes  les  étapes  de  la  vie  historique  de  l'humanité. 

Nous  n'entreprenons  pas  de  discuter  le  plus  ou  moins  de  valeur 
de  ces  théories.  Leur  auteur  les  tenait  pour  la  vérité  même,  pour  le 
premier  et  le  dernier  mot  de  la  science.  En  1808,  pour  contribuer  à 
leur  propagalion.il  fonda  la  société  de  la  Pe(/a^Of//f  scientifique,  qui  ne 


LÀ  PRESSE  ET  LES  UVRSS  563 

tarda  pas?i  avoir  sa  revue  particulière.  Après  la  mort  de  Zîller(1882), 
c'est  le  professeur  Th.  Vogt,  de  Vienne,  qui  en  a  pris  la  direction. 
Difficile  à  comprendre,  hérissée  comme  elle  est  de  termes  techniques, 
écrite  dans  un  langage  spécial  qui  demande  une  initiation,  c'est  une 
revue  plutôt  philosophique  que  pédagogique,  qui  semble  exercer 
une  assez  médiocre  influence.  En  revanche,  la  Société  de  pédagogie 
scientifique  compte  un  grand  nombre  d'adhérents,  plus  de  600,  qui 
ne  semblent  pas  tous  absolument  d'accord,  et  que  le  D^  Wesendonck 
(dans  un  article  du  Repertorium  aucjuel  nous  empruntons  ces  détails) 
divise  en  quatr*i  catégories.  Ce  sont  d'abord  les  simples  herbar liens, 
fidèles  aux  doctrines  du  maître.  Ensuite  les  herbartiens  modérés, 
comme  nous  les  avons  déjà  désignés,  dont  la  vénération  n'exclut 
pas  la  critique;  parmi  eux,  Stoy  et  ses  élèves.  Puis  les  Zilleriens 
ou  néo-herbartiens,  de  la  «stricte  observance»;  c'est  le  parti  militant, 
agressif,  qui  n'admet  pas  do  salut  hors  de  sa  chapelle,  pas  de  péda- 
gogie en  dehors  de  ses  formules.  Enfin,  il  y  a,  paraît-il,  les  herbartiens 
par  mode,  par  imitation,  qui  aiment  à  voir  leurs  noms  inscrits  sur 
la  liste  des  sociétaires,  et  se  soucient  médiocrement  de  la  doctrine. 
L'exclusivisme  et  le  langage  hautain  des  disciples  de  Ziller  ont 
soulevé  depuis  longtemps  contre  eux  une  antipathie  bien  compré- 
hensible.\  Un  herbartien  modéré,  iM  Frœhlich,  n'a  pas  craint  de 
protester  lui-même  contre  des  prétentions  et  des  allures  qui  lui 
paraissaient  injustifiées  et  dangereuses.  De  quelle  mêlée  la  critique 
de  Frœhlich  a  été  le  signal  !  Pendant  que  les  uns  reprochaient  aux 
disciples  de  Ziller  leur  esprit  exclusif  et  batailleur,  l'obscurité  et 
les  dangers  de  leurs  théories,  ceux-ci  répondaient  par  l'expression 
(l'un  souverain  dédain  pour  ceux  qu'ils  appellent  des  dilettantes,  des 
ignorants,  des  lêles  bornées,  etc. 

Nous  avons  déjà  nommé  le  plus  considérable  des  adversaires  de 
l'école  de  Herbart:  c'est  Dittes,  qui  combat  infatigablement  dans  son 
Pœdagogium  des  prétentions  et  des  doctrines  qui  lui  paraissent  com- 
promettantes pour  une  saine  pratique  de  l'enseignement  ;  il  plaide  en 
faveur  du  bon  sens;  il  montre  que  la  pédagogie  prétendue  «  scienti- 
fique »  n'a  rien  de  commun  avec  la  science,  puisqu'elle  s'appuie  non 
sur  l'observation  des  faits,  mais  sur  une  théorie  métaphysique;  et 
que  les  quelques  vérités  qu'elle  contient  et  qu'elle  exprime  dans  un 
langage  barbare  sont  de  celles  que  les  éducateurs  ont  toujours 
connues  et  appliquées. 

La  plus  sérieuse  défense  de  l'herbartianisme  est  présentée  par 
le  D"^  Rein,  directeur  de  l'école  normale  d'Eisenach,  dans  son 
intéressant  recueil  Pœd(igogische  Studien.  Là,  des  écrivains  de  valeur, 
comme  Rein  lui-même,  Gœpfert,  Zillig  et  autres  rompent  des 
lances  en  faveur  des  doctrines  de  Ziller,  expliquent  et  vantent  la 
«  concentration  »,  repoussent  les  attaques,  portent  l'agression  sur 
le  terrain  des  adversaires. 

Les  herbartiens,  qui  ont  plusieurs  journaux  et  revues,  ont  fondé 


o64  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

des  cercles,  font  de  la  propagande,  font  du  bruit,  —  je  crois  même 
qu'on  peut  ajouter  :  font  du  bien,  parce  qu'ils  attirent  l'attention 
sur  des  questions  intéressantes,  et  qu'ils  forcent  ainsi  le  personnel 
enseignant  à  réfléchir  sur  les  méthodes  d'enseignement,  et  à  sortir 
de  la  routine. 

Les  conférences  pédagogiques,  soit  d'instituteurs,  soit  de  directeurs 
d'écoles  primaires  supérieures,  s'entretiennent  de  ces  sujets,  mettent 
à  l'ordre  du  jour  les  doctrines  de  Herbart-Stoy-ZIller,  discutent  sur 
leurs  avantages  et  leurs  inconvénients.  Ce  serait  aujourd'hui  ne  pas 
savoir  le  premier  mot  du  mouvement  pédagogique  de  l'autre  côté 
du  Rhin  que  n'être  pas  au  courant  de  cette  graude  querelle. 

Peut-être  ceux  qui  y  prennent  part  de  l'un  ou  de  l'autre  côté 
s'en  exagèrent-ils  l'importance.  Quand  la  poussière  du  combat 
sera  tombée,  on  s'apercevra  qu'on  a  disputé  beaucoup  plus  sur  des 
mots  que  sur  des  choses;  mais  il  restera  sans  doute  quelques  bons 
résultatsacquis,  comme  à  la  suite  de  toute  controverse.  On  s'apercevra 
alors  que  ce  qu'il  y  a  de  sensé,  de  rationnel,  de  pratique  dans  les 
théories  des  Herbart,  des  Stoy  et  des  Ziller  appartenait  déjà  au  domaine 
commun  de  la  pédagogie;  et  les  bizarreries,  les  étrangetés,  les 
points  peut-être  auxquels  les  disciples  convaincus  attachent  le 
plus  d'importance,  disparaîtront  comme  ont  disparu  tant  d'autres 
systèmes.  Un  mot  qui  a  souvent  été  répété  dans  la  lutte  pourrait 
caractériser  assez  exactement  la  valeur  de  l'école  de  Herbart:  «  Ce 
qu'elle  offre  de  nouveau  n'est  pas  bon;  ce  qu'elle  offre  de  bon 
n'est  pas  nouveau.  »  J.  s. 

Conférences  pédagogiques  pour  i.e  perfectionnement  des  insti- 
tuteurs (Padagogische  Vortrdge  zur  ForthUdunq  der  Lehrer),  par  Fr, 
IVyssy  inspecteur  des  écoles  à  Burgdorf  (Suisse).  Vienne  et  Leipzi'», 
188 i.  —  Dans  cette  brochure,  l'auteur  se  propose  surtout  de  réagir 
contre  la  tendance  qui  porte  encore  un  grand  nombre  d'instituteurs 
a  donner  la  première  place  à  renseignement  au  détriment  de  l'édu- 
cation. Pour  lui,  le  but  de  l'éducation  est  de  former  chez  les  élèves 
un  mractèi'e  à  la  fois  moral  et  religieux ,  et  tout  ce  qui  se  fait  dans 
l'école  doit  tendre  vers  ce  but.  L'école  agit  sur  l'enfant  par  l'ensei- 
gnement, qui  est  le  plus  puissant  de  ses  moyens  d'action,  par  la 
discipline  et  par  la  vie  scolaire. 

Toutes  les  parties  de  renseignement  peuvent  aider  à  la  formation 
du  cœur  et  de  la  volonté;  cependant  les  matières  qui  s'adressent 
surtout  à  la  mémoire  sont  celles  qui  poSi:èdent  le  moins  d'influence. 
La  condition  essentielle  à  laquelle  doit  satisfaire  l'enseignement, 
c'est  de  mettr3  en  œuvre  l'activité  personnelle  des  élèves.  En  outre, 
il  doit  comprendre  un  ensemble  de  connaissances  bien  liées  entre 
elles;  la  langue  maternelle  sera  le  lien,  le  centre  commun  de  tout 
renseignement. 
L'auteur   ne    veut  pas   dans   l'école    d'enseignement    religieux 


LA   PRESSE   ET   LES  LIVRES  S63 

confessionnel  ;  mais  il  y  maintient  un  enseignement  religieux  ayant 
pour  base  TAncien  et  le  Nouveau  Testament.  Il  nous  semble  ici 
manquer  do  logique,  car,  ainsi  compris,  cet  enseignement  ne  serait 
neutre  que  vis-à-vis  des  diverses  sectes  issues  du  christianisme  et 
risquerait  fort  de  ne  satisfaire  personne. 

M.  Wyss  estime  avec  raison  que  le  plus  efficace  des  moyens  de 
discipline,  c'est  un  bon  enseignement  ;  il  y  ajoute  la  personnalité  et 
Texcmple  du  maître  et,  ainsi  qu*on  pouvait  s'y  attendre,  les  châti- 
ments corporels. 

La  vie  scolaire,  c'est-à-dire  les  relations  du  maître  avec  les  élèves 
et  des  élèves  entre  eux,  a  une  extrême  importance  au  point  de  vue 
éducatif.  Un  bon  esprit,  qu'on  pourrait  appeler  esprit  scolaire,  par 
analogie  avec  Vesprit  de  famille,  doit  présider  à  ces  relations. 

L'auteur  demande  que  Ton  se  préoccupe  davantage  d'exciter 
l'intérêt  des  familles  pour  l'école  ;  que,  dans  ce  but,  on  forme  dans 
toutes  les  communes  des  sociétés  d'édmation  et  que  l'on  répande 
dans  les  campagnes  de  petits  traités  populaires  d'éducation. 

M.  Wyss  étudie  également  le  rôle  de  l'Etat  et  de  l'Eglise  dans 
l'œuvre  de  l'éducation.  Signalons  simplement  ce  qu'il  dit  de  l'in- 
fluence de  l'Etat.  Selon  lui,  l'Etat  contribue  beaucoup  plus  que  l'école 
à  la  formation  du  caractère.  Son  influence  est  bonne  ou  mauvaise 
selon  que  dominent  dans  la  vie  publique  les  principes  du  droit  et 
de  la  liberté  ou  au  contraire  ceux  du  despotisme.  Des  institutions 
libérales  sont  la  condition  indispensable  du  développement  du  carac- 
tère d'une  nation. 

L'un  des  chapitres  importants  de  la  brochure  que  nous  étudions 
est  relatif  à  l'éducation  des  instituteurs.  L'instruction  des  instituteurs 
doit  être  étendue,  mais  surtout  approfondie.  On  doit  se  borner  dans 
chaque  matière  à  l'essentiel.  Pour  éveiller  chez  les  élèves-maîtres 
le  goût  du  travail,  on  leur  donnera  le  temps  de  se  livrer  à  des 
études  personnelles.  Leur  éducation  professionnelle  se  fait  à  l'école 
modèle,  où  ils  vont  tantôt  en  qualité  d'instituteurs  pratiquants, 
tantôt  en  qualité  d'auditeurs;  chacun  d'eux  y  passe  au  moins  deux 
demi-journées  par  semaine.  L'éducation  morale  des  élèves-maîtres 
résulte  de  l'enseignement  tout  entier,  mais  surtout  de  l'exemple 
du  personnel  de  l'école  normale.  A.  F. 

Langue  anglaise. 

La  fête  DE  l'arbre  AUX  Etats-Unis.  —  Le  23  mars  de  cette  année, 
les  habitants  des  diverses  villes  de  l'État  de  Pensylvanie  pouvaient 
lire  sur  les  murs  de  leur  cité  l'affiche  suivante  : 

^Proclamation  de  la  Fête  de  l'Arbre. 

«  Pour  encourager  systématiquement  la  plantation  des  arbres  dans 
nos  diverses  communes;  pour  éveiller  et  entretenir  dans  la  jeunesse 


866  REVUI  P£DA606IQUI 

le  goût  de  Tétude  de  la  nature  et  faire  connaître  la  nécessité,  le 
profit  et  le  plaisir  des  entreprises  agricoles;  pour  attirer  l'attention 
publique  sur  la  nécessité  de  conserver  et  propager,  dans  une  juste 
mesure,  les  forêts  de  TEtat,  afin  d'échapper  au  péril  menaçant  de 
leur  destruction  à  la  légère,  et  enfin  pour  appliquer  la  résolution 
conforme  de  l'Assemblée  générale  en  date  du  17  mars  1885  (suit  le 
texte  de  la  résolution), 

»  Moi,  Robert  Pattison,  gouverneur  de  la  République  de  Pensylvanie, 
fixe  le  16™*^  jour  d'avril  1883  pour  célébrer  dans  tout  l'Etat  *^la  FêU 
de  l'Arbre.  Et  je  recommande  ce  jour-là  au  peuple  de  la  République: 
i^  de  planter  des  arbres  le  long  des  rues  et  des  routes,  dans  les 
parcs  et  les  terrains  communaux;  2®  de  répandre  des  notions  rela- 
tives aux  arbres,  bocages  et  forôts;  et  3°  d'encourager  la  planta- 
tion des  arbres  par  tous  les  moyens.  » 

Celte  proclamation  du  gouverneur  de  la  PenjsylvaQÎe  est  la  sanction 
pratique  donnée  à  une  question  qui  préoccupe  sérieusement  depuis 
plusieurs  années  les  hommes  d'Etat  et  les  forestiers  des  Etats-Unis. 
En  effet,  l'accroissement  progressif  de  la  colonisation  a  amené  un 
défrichement  colossal  des  Etats  les  plus  riches  en  forêts,  et  nous 
savons  par  de  récentes  expériences  quelles  sont  les  conséquences 
funestes  du  déboisement  illimité.  Mais  comment  mettre  un  frein  à 
ce  mouvement  destructeur?  Quel  rempart  opposer  à  cette  invasion 
de  bûcherons  et  de  sapeurs  ? 

Avec  la  sagacité  et  la  prcvoyaiice  de  l'avenir  qui  n'est  pas  un  des 
moins  étonnants  caractères  de  ce  peuple  adolescent,  les  Américains 
ont  pensé  que  la  force  la  plus  vive  à  leuropposer,  c'était  la  jeunesse 
des  écoles.  Et  aussitôt  tout  le  personnel  des  surintendants,  des  rédac- 
teurs de  périodiques  scolaires  s'est  mis  en  campagne  pour  enrôler 
maîtres  et  écoliers  au  service  de  la  cause  du  reboisement.  D'abord 
on  a  fait  connaître  par  la  voie  de  la  presse  les  avantages  des  forêts 
et  les  conséquences  funestes  de  leur  destruction.  Parmi  les  avantages, 
il  en  est  qui  sont  connus  de  tous  :  ce  sont  ceux  qui  touchent  au 
régime  des  eaux,  à  l'hygiène  et  à  l'industrie;  mais  les  Américains 
ne  sont  pas  insensibles  au  côté  pittoresque  et  religieux  de  la  ques- 
tion. «  Les  forêts,  dit  l'un  des  apologistes  de  la  mesure,  sont  un 
ornement  pour  les  montagnes;  elles  protègent  les  oiseaux  aux  cou- 
leurs et  aux  chants  si  délectables;  elles  invitent  à  la  méditation 
philosophique,  en  nous  donnant  l'idée  de  la  grandeur  et  de  l'infini 
de  la  nature,  et,  par  la  contemplation  de  ses  œuvres  les  plus  nobles, 
nous  rapprochent  du  Souverain  Créateur!  »  —  De  là  à  instituer 
une  fête  pour  la  plantation  des  arbres  par  la  jeunesse,  il  n'y  avait 
qu'un  pas.  On  s'est  souvenu  de  certains  arbres  qui  avaient  été  con- 
sacrés par  le  souvenir  des  héros  de  la  guerre  d'Indépendance,  ou 
bien  d*arbres  favoris  des  poètes  ;  et  on  a  suggéré  aux  enfants  l'idée 
de  dédier  l'arbuste  qu'il  plante  à  tel  de  ces  héros  ou  bien  de  ces 
écrivains  :  ainsi  l'un  plantera  en  l'honneur  do  Washington, l'autre  de 


LA  PRESSE  ET  LES  LIVRES  o67 

Longfellow,  tel  autre  de  Liacoln,  le  grand  martyr  de  la  liberté  des 
esclaves.  Le  terrain  et  l'essence  des  arbres  sont  choisis,  chaque 
arbuste  rangé  d'avance  à  la  place  qu'il  doit  occuper.  Au  jour  fixé, 
le  maître  ou  l'institutrice  se  rend  avec  son  école  en  cortège  sur 
place.  Apres  la  lecture  d'un  psaume  et  la  prière,  l'un  des  élèves 
récile  un  hymne  sur  les  forêts,  le  maître  prononce  une  allocution 
et  les  enfants  se  mettent  à  la  plantation.  Ensuite,  ils  forment  une 
sorte  de  procession  sous  la  conduite  du  maître  devant  chaque 
arbre,  et  là  le  chef  de  file  procède  à  un  véritable  baptême.  Une 
coupe  d'eau  à  la  main,  il  prononce  la  formule  que  voici  :  «  0 
arbre,  je  te  nomme  N.  (ici  il  verse  la  coupe  au  pied  de  l'arbre). 
Croîs  et  fleuris  pour  réjouir  les  cœurs  de  génération  en  génération. 
Etends  tes  rameaux  pour  ombreiger  les  corps,  pousse  les  feuilles 
pour  réjouir  les  cœurs,  —  de  même  que  celui  dont  tu  portes  le 
nom  fortifie  leur  vie  par  son  noble  exemple  et  embellit  leur  vie  par 
ses  pensées  exquises!  »  La  cérémonie  se  termine  par  la  lecture 
d'un  texte  de  Bryant  sur  la  plantation  du  pommier  et  par  le  chant 
d'un  hymne  patriotique. 

Et  maintenant,  deux  questions  se  posent  ;  D'où  est  venue  cette 
idée  d'une  fête  de  l'Arbre?  quelle  en  est  la  valeur  pédagogique?  Nous 
[)ensons  que  les  Américains  l'ont  empruntée,  soit  aux  Anglais  qui 
ont  conservé  la  fête  de  la  plantation  des  Mais  et  donnent  même  a 
celui  qui  plante  le  surnom  de  «  Robin  Hood  »  ;  soit  à  l'usage  de  nos 
Arbres  de  la  Liberté^  qui  fut  ratifié  par  un  décret  de  la  Convention 
du  23  janvier  1791,  et  renouvelé  en  18i8;  à  ces  deux  époques  il 
n'était  pas  rare  de  voir  le  clergé  catholique  prendre  part  à  la  béné- 
diction de  l'arbre  :  notre  peuple,  qui  choisissait  de  préférence  des 
peupliers,  en  patois  peuples  (du  latin  'i)opulus)y  à  cause  de  cettci 
liomonymie,  aimait  à  voir  donner  une  consécration  religieuse  à  ces 
symboles  de  son  affranchissement.  Mais  les  Américains,  nous  l'avons 
vu,  se  sont  placés  à  un  point  de  vue  différent,  celui  de  la  restauration 
des  forêts  menacées,  et  ils  s'efforcent  d'y  intéresser  la  jeunesse,  en 
rattachant  la  plantation  des  arbres  aux  grands  noms  delà  littérature 
ou  de  leur  histoire  nationale.  Cette  idée  nous  paraît  plus  heureuse 
que  notre  «  statuomanie  ».  Nous  pensons  aussi  que  rien  n'est 
propre,  comme  la  plantation,  à  éveiller  et  développer  chez  l'enfant 
la  faculté  de  prévoyance  :  un  arbre,  surtout  un  arbre  fruitier, 
planté  vaut  bien  en  moyenne  un  dollar  placé  à  la  caisse  d'épargne. 

Qu'on  prenne  garde  seulement  de  ne  pas  tomber  dans  la  vaine 
rhétorique,  et  (ju'on  ne  laisse  pas  la  fête  de  l'Arbre  dégénérer  en 
dendrolàtrie  !  B.-M. 


S66  REVU£  PÉDA606IQUI 

le  goût  de  l'étude  de  la  nature  et  faire  connaître  la  nécessité,  le 
profit  et  le  plaisir  des  entreprises  agricoles;  pour  attirer  l'attention 
publique  sur  la  nécessité  de  conserver  et  propager,  dans  une  juste 
mesure,  les  forêts  de  l'Etat,  afin  d'échapper  au  péril  menaçant  de 
leur  destruction  à  la  légère,  et  enfin  pour  appliquer  la  résolution 
conforme  de  l'Assemblée  générale  en  date  du  17  mars  1885  (suit  le 
texte  de  la  résolution), 

»  Moi,  Robert  Pattison,  gouverneur  de  la  République  de  Pensylvanie, 
fixe  le  16™«  jour  d'avril  1885  pour  célébrer  dans  tout  l'Etat  la  Fête 
de  l' Arbre.  Et  }e  recommande  ce  jour-là  au  peuple  de  la  République: 
i®  de  planter  des  arbres  le  long  des  rues  et  des  routes,  dans  les 
parcs  et  les  terrains  communaux;  2°  de  répandre  des  notions  rela- 
tives aux  arbres,  bocages  et  forêts;  et  3^  d'encourager  la  planta- 
tion des  arbres  par  tous  les  moyens.  » 

Cette  proclamation  du  gouverneur  de  la  Pensylvanie  est  la  sanction 
pratique  donnée  à  une  question  qui  préoccupe  sérieusement  depuis 
plusieurs  années  les  hommes  d'Etat  et  les  forestiers  des  Etats-Unis. 
Eu  effet,  l'accroissement  progressif  de  la  colonisation  a  amené  un 
défrichement  colossal  des  Etats  les  plus  riches  en  forêts,  et  nous 
savons  par  de  récentes  expériences  quelles  sont  les  conséquences 
funestes  du  déboisement  illimité.  Mais  comment  mettre  un  frein  à 
ee  mouvement  destructeur?  Quel  rempart  opposer  à  cette  invasion 
de  bûcherons  et  de  sapeurs  ? 

Avec  la  sagacité  et  la  prévoyance  de  l'avenir  qui  n'est  pas  un  des 
moins  étonnants  caractères  de  ce  peuple  adolescent,  les  Américains 
ent  pensé  que  la  force  la  plus  vive  à  leuropposer,  c'était  la  jeunesse 
des  écoles.  Et  aussitôt  tout  le  personnel  des  surintendants,  des  rédac- 
teurs de  périodiques  scolaires  s'est  mis  en  campagne  pour  enrôler 
maîtres  et  écoliers  au  service  de  la  cause  du  reboisement.  D'abord 
on  a  fait  connaître  par  la  voie  de  la  presse  les  avantages  des  forêts 
et  les  conséquences  funestes  de  leur  desti'uction.  Parmi  les  avantages, 
il  en  est  qui  sont  connus  de  tous  :  ce  sont  ceux  qui  louchent  au 
régime  des  eaux,  à  l'hygiène  et  à  l'industrie;  mais  les  Américains 
ne  sont  pas  insensibles  au  côté  pittoresque  et  rehgieux  de  la  ques- 
tion, ti  Les  forêts,  dit  l'un  des  apologistes  de  la  mesure,  sont  un 
ornement  pour  les  montagnes;  elles  protègent  les  oiseaux  aux  cou- 
leurs et  aux  chants  si  délectables;  elles  invitent  à  la  méditation 
philosophique,  en  nous  donnant  l'idée  de  la  grandeur  et  de  l'infini 
de  la  nature,  et,  par  la  contemplation  de  ses  œuvres  les  plus  nobles, 
nous  rapprochent  du  Souverain  Créateur!  »  —  De  là  à  instituer 
une  fête  pour  la  plantation  des  arbres  par  la  jeunesse,  il  n'y  avait 
qu'un  pas.  On  s'est  souvenu  de  certains  arbres  qui  avaient  été  con- 
sacrés par  le  souvenir  des  héros  de  la  guerre  d'Indépendance,  ou 
bien  d'arbres  favoris  des  poètes  ;  et  on  a  suggéré  aux  enfants  l'idée 
de  dédier  l'arbuste  qu'il  plante  à  tel  de  ces  héros  ou  bien  de  ces 
écrivains  :  ainsi  l'un  plantera  en  l'honneur  do  Washington,  l'autre  de 


LA   PRESSE   ET   LES   LIVRES  o67 

Longfellow,  tel  autre  de  Lincoln,  le  grand  martyr  de  la  liberté  des 
esclaves.  Le  terrain  et  l'essence  des  arbres  sont  choisis,  chaque 
arbuste  rangé  d'avance  à  la  place  qu'il  doit  occuper.  Au  jour  fixé, 
le  maître  ou  l'institutrice  se  rend  avec  son  école  en  cortège  sur 
place.  Après  la  lecture  d'un  psaume  et  la  prière,  l'un  des  élèves 
récile  un  hymne  sur  les  forêts,  le  maître  prononce  une  allocution 
et  les  enfants  se  mettent  à  la  plantation.  Ensuite,  ils  forment  une 
sorte  de  procession  sous  la  conduite  du  maître  devant  chaque 
arbre,  et  là  le  chef  de  file  procède  à  un  vérilable  baptême.  Une 
coupe  d'eau  à  la  main,  il  prononce  la  formule  que  voici  :  «  0 
arbre,  je  te  nomme  N.  (ici  il  verse  la  coupe  au  pied  de  l'arbre). 
Croîs  et  fleuris  pour  réjouir  les  cœurs  de  génération  en  génération. 
Etends  les  rameaux  pour  ombrïiger  les  corps,  pousse  tes  feuilles 
pour  réjouir  les  coeurs,  —  de  même  que  celui  dont  tu  portes  le 
nom  fortifie  leur  vie  par  son  noble  exemple  et  embellit  leur  vie  par 
SCS  pensées  exquises!  »  La  cérémonie  se  termine  par  la  lecture 
d'un  texte  de  Bryant  sur  la  plantation  du  pommier  et  par  le  chant 
d'un  hymne  patriotique. 

Et  maintenant,  deux  questions  se  posent  :  D'où  est  venue  cette 
idée  d'une  fête  de  l'Arbre?  quelle  en  est  la  valeur  pédagogique?  Nous 
pensons  que  les  Américains  l'ont  empruntée,  soit  aux  Anglais  qui 
ont  conservé  la  fête  de  ia  plantation  des  Mais  et  donnent  même  à 
celui  qui  plante  le  surnom  de  «  Robin  Hood  »  ;  soit  à  l'usage  de  nos 
Arbres  de  la  Liberté^  qui  fut  ratifié  par  un  décret  de  la  Convention 
du  23  janvier  179i,  et  renouvelé  en  1818;  à  ces  deux  époques  il 
n'était  pas  rare  de  voir  le  clergé  catholique  prendre  part  à  la  béné- 
diction de  l'arbre  :  notre  peuple,  qui  choisissait  de  préférence  des 
peupliers,  en  patois  peuples  (du  latin  populus)^  à  cause  de  cetta 
liomonymie,  aimait  à  voir  donner  une  consécration  religieuse  à  ces 
symboles  de  son  affranchissement.  Mais  les  Américains,  nous  l'avons 
vu,  se  sont  placés  à  un  point  de  vue  dilTérent,  celui  delà  restauration 
des  forêts  menacées,  et  ils  s'eflbrcent  d'y  intéresser  la  jeunesse,  en 
rattachant  la  plantation  dos  arbres  aux  grands  noms  de  la  littérature 
ou  de  leur  histoire  nationale.  Cette  idée  nous  paraît  plus  heureuse 
que  notre  «  statuomanie  ».  Nous  pensons  aussi  que  rien  n'est 
propre,  comme  la  plantation,  à  éveiller  et  développer  chez  l'enfant 
la  faculté  de  prévoyance  :  un  arbre,  surtout  un  arbre  fruitier, 
planté  vaut  bien  en  moyenne  un  dollar  placé  à  la  caisse  d'épargne. 

Qu'on  prenne  garde  seulement  de  ne  pas  tomber  dans  la  vaine 
rhétorique,  et  (]u'on  ne  laisse  pas  la  fête  de  l'Arbre  dégénérer  en 
dendrolàtrie  !  B.-M. 


CHRONIQUE   DE    L'ENSEIGNEMENT   PRIMAIRE 

EN   FRANCE 


KXAMENS  d'admission  ALX  ÉCOLES  NORMALES  D'INSTITUTEURS   ET    d'iN- 

MiTLTRicES.  —  Les  Candidats  aux  écoles  normales  d'instituteurs  et 
d'institutrices,  qui  atteindront  l'âge  dequinzc  ans  avant  le  l"oc(obre 
prochain,  ont  été  autorisés,  par  application  du  décret  du  27  juil- 
let 1882,  à  se  présenter  au  concours  d'admission. 

Le  registre  d'inscription  a  été  clos  le  samedi  30  mai  dernier,  terme 
de  rigueur. 

In.  l'ECTION   DANS  LES  ÉCOLES  PRIMAIRES  SUPÉRIEURES  DE  PaRIS.    —   Le 

consi'il  municipal  de  Paris  a  été  saisi  par  un  de  ses  membres, 
M.  Delabrousse,  d'une  proposition  tendant  à  la  création  d*un  ser- 
vice d'inspection  du  collège  Chaptal  et  des  écoles  primaires  supé- 
rieures de  la  ville.  Pour  permettre  à  l'administration  municipale  de 
se  rendre  compte  d'une  manière  suivie  de  Tétat  de  l'instruction  dans 
ces  établissements,  trois  postes  d'inspecteurs  seraient  créés,  un 
pour  les  lettres,  un  pour  les  sciences,  un  pour  les  langues  vivantes. 
Ces  délégués  ne  seraient  pas  des  fonctionnaires,  dit  l'auteur  de  la 
proposition,  mais  les  auxiliaires  honorés  de  l'administration  et  du 
conseil  municipal.  Ils  seraient  choisis  parmi  les  fonctionnaires  en 
retraite  de  l'instruction  publique,  inspecteurs  généraux,  recteurs, 
etc.  Ils  adresseraient,  tous  les  trois  mois,  à  M.  le  préfet  de  la  Seine, 
un  rapport  détaillé  sur  l'enseignement  dans  les  établissements  su»- 
indiqués. 

La  commission  à  laquelle  celte  proposition  a  été  renvoyée  en  pro- 
pose l'adoption. 

Délégués  cantonaux.  —  A  l'occasion  de  la  nomination  des  délé- 
gués cantonaux  faite  pour  la  période  triennale  1885-1887,  nous 
cri)yons  utile  de  reproduire  une  note  que  M.  le  préfet  de  l'Indre  a 
publiée  au  Recueil  des  actes  de  Ja  préfecture  pour  rappeler  leurs 
attributions. 

I>e  Conseil  départemental  de  l'instruction  publique  désigne  un  ou  plusieurs 
délégués  résidant  dans  chaque  canton,  pour  surveiller  les  écoles  pubiiques^ 
et  libres  du  canton,  et  détermine  les  écoles  particulièrement  soumises  à  la 
surveillance  de  chacun. 

Les  délégués  sont  nommés  pour  trois  ans;  ils  sont  rééligibles  et  révoca- 
bles. Chaque  délégué  correspond,  tant  avec  le  Conseil  départemental,  auquel 
il  doit  adresser  ses  rapporis,  qu'avec  les  autorités  locales  pour  tout  ce  qui 
regordc  l'éiat  et   les  besoi  s  do  l'enseignement   primaire    dans  sa  circon- 
scription. 


CHRONIQUE  DE  L  ENSEIGNEMENT   PRIMAIRK  EN  FRANCE         569 

Il  peut,  lorsqu'il  n'est  Otis  membre  du  Conseil  départemental,  assister  h  ses 
séances,  avec  voix  consullaiive  pour  les  aifaiies  intéressant  les  écoles  de  sa 
circonscription. 

Les  délégués  se  réunissent  au  moins  une  fois  tous  les  trois  mois  au  chef- 
lieu  de  canton,  sous  la  présidence  de  celui  d'entre  eux  qu'ils  désignent,  pour 
convenir  des  avis  à  transmettre  au  Conseil  départemental.  [Art.  42  de  la  loi 
du  15  mars  1850.) 

Sur  la  convocation  et  sous  la  présidence  du  sous-préfet,  les  délégués  des 
cantons  d'un  arrondissement  peuvent  être  réunis  au  chef-lieu  de  l'arrondisse- 
ment, pour  délibérer  sur  les  objets  qui  leur  sont  indiquée  par  le  préfet  ou 
par  le  Conseil  départemental.  (Art.  46,  i/nd.) 

Ils  donnent  leurs  avis  sur  les  demandes  de  créations  d'emplois  d'institu- 
teurs adjoints  et  d'institutrices  adjointes,  ainsi  que  sur  toute  demande  de 
création  d'école  de  hameau.  (Circulaire  du  9  aoiH  1870.) 

Le  local  que  la  commune  est  tenue  de  fournir,  en  exécution  de  l'article  37 
de  la  loi  organique,  doit  être  visité,  avant  l'ouverture  de  l'école,  par  le  délé- 
gué cantonal,  qui  fait  connaître  au  Conseil  départemental  si  ce  local  convient 
pour  l'usage  auqut-l  il  est  destiné.  (Art.  7  du  décret  du  7  octobre  1850.) 

liS  doivent  faire  chaque  année,  dans  la  seconde  quinzaine  de  mai  et  dans 
In  seconde  quinzaine  de  décembre,  un  examen  détaillé  de  toutes  les  écoles 
publiques  de  la  circoncription;  les  résultats  de  ces  examens  sont  communi- 
qués aux  inspecteurs  de  f  instruction  primaire  par  le  président  de  la  déléga- 
tion cantonale.  (Cirjnlaire  des  3  février  1854  et  16  mai  1855.) 

Les  délégués  ont  entrée  dans  toutes  les  écoles  libres  ou  publiques  de  le\ir 
circonscription;  ils  les  visitent  au  moins  une  fois  par  mois. 

Jls  communiauent  aux  inspecteurs  de  l'instruction  primaire  tous  les  ren- 
seignements utilesqu'ilsont  pu  recueillir.  (Art.  45  du  décret  du  29  juillet  1850.) 

Ils  font  partie  des  commissions  municipales  scolaires  instituées  par  la  loi 
du  28  mars  1882. 

Un  nrrét  de  la  cour  de  cassation,  en  date  du  16  avril  185!,  reconnaît  aux 
déli'gués  cantonaux  le  caractère  de  fonctionnaires  publics. 

Les  délégués  cantonaux  ont  le  droit,  en  visitant  les  pensionnats  primaires 
publics  cl  libres,  de  se  faire  représenter  le  plan  du  local  approuvé  par  le 
Conseil  départemental,  mentionnant  le  nombre  des  élèves  admissibles,  de) 
mailles  et  des  surveillants  nécessaires.  (Art.  4  et  6  du  décret  du  30  décembre 
18 ')0.) 

D  ajrèj  l'article  11,  ils  doivent,  en  visitant  les  pensionnats  publics  et 
libreâ,  se  faire  représenter  le  registre  des  élèves  pensionnaires  et  celui  des 
mnitres  et  surveillants. 

L(^s  personnes  chargées  de  rinspeclion  en  vertu  de  l'article  18  de  la  loi 
organique  dressent  procès-verbal  de  toutes  les  contraventions  qu'elles  recon- 
naissent. 

Si  1.1  contravention  consiste  dans  l'emploi  d'un  livre  défendu  en  vertu  de 
l'article  5  de  la  même  loi,  l'ouvrage  est  saisi  et  envoyé  avec  le  procès-vorbal 
nu  préfet,  qui  soumet  l'ail'aire  au  Conseil  départemental.  (Art.  42  du  décret 
du  29  juillet  1850.) 

MM.  .es délégués  cantonaux  ont  la  correspondance  en  franchise,  sous  bandes, 
moyennant  le  contre-seing  de  leur  qualité  et  de  leur  nom,  avec  le  préfet  du 
déparlement,  le  recteur  de  Tacadémie,  l'inspecteur  d'académie,  les  inspecteurs 
primaires  du  département,  et,  pour  l'arrondissement  cantonal,  avec  :  les 
maires,  les  curés,  les  instituteui>s  publics,  les  institutrices  publiques  et  les 
directrices  de  salles  d'asile  publiques. 

La  Ligue  de  l^enseignement  de  Constantine.  —  La  distribution  des^ 
prix  aux  élèves  qui  suivent  les  cours  d'adultes  organisés  par  la 
ligue  de  l'enseignement  de  Conslanline  a  eu  lieu  le  17  mai  dernier, 
A  celte  occasion,  M.  Leroy,  président,  a  prononcé  un  discours  dans- 
lequel  nous  relevons  le  passage  suivant  : 


570  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

Noos  avons  pu  remarquer^  les  années  précédentes,  que  rélément  indigène 
fournissait  un  contingent  sérieux  d'auditeurs  assidus  à  nos  cours.  Malheareu- 
sement,  ces  jeunes  gens,  Kabyles  pour  la  plupart,  étaient  trop  au-dessous  des 
élèves  illettrés  européens  pour  participer  avec  fruit  à  leurs  études.  De  li, 
l'idée  de  la  création  d'un  cours  où  les  indigènes  se  trouvant  entre  eux 
[jourraient  suivre  les  leçons  du  professeur  sans  que  celui-ci  fût  obligé  d'en- 
seigner en  même  temps  à  des  élève?  auxouels  la  connaissance  de  la  langue 
franraisf^  donnait  un  avantage  énorme  sur  les  indigènes. 

I^  succès  obtenu  par  M.  Gros  fut  merveilleux  et  démontra  combien  la 
tentative  était  opportun*».  Quelques  jours  après  l'ouverture  du  cours,  il  v  avait 
105  élèves  inscrits,  assidus  ix)ur  la  plupart,  qui  venaient  donner  un  éclatant 
démenti  à  ceux  nui  prétendent  que  l'élément  indigène  n'est  pas  susceptible  de 
s'améliorer  par  rinstruclion  française  et  qu'il  la  repousse  avec  cette  force 
d'inertie  orientale  capable  de  trio'mpher  des  tentatives  les  plus  opiniâtres. 

Les  indigènes  se  sont  empressés  à  ce  cours  créé  pour  eux,  et  plusieurs 
nous  ont  dit  que  si  l'on  pouvait  instituer  des  cours  semblables  dans  le  quar- 
tier arabe  plus  de  quatre  cents  élèves  les  fréquenteraient  assidûment . 

Nous  espérons  que  la  situation  améliorée  de  notre  Ligue  de  Constintine 
j)ermettrn,  l'hiver  prochain,  de  reprendre  ce  mouvement  généreux  en  avant, 
qui  doit  contribuer  à  l'établissement  de  notre  civilisation  et  en  même  temps 
à  Talfermissement  de  notre  domination  en  Algérie. 

\ji  Ligue  de  renseignement  s'est  engagée  dans  une  excellente  voie. 
Nous  ne  pouvons  qu'applaudir  à  ses  eflbrls. 

Promenades  pédagogiques.  —  Nous  lisons  dans  le  Bulletin  du  Pas- 
de-Calais  q"e  le  nouveau  règlement  adopté  pour  les  écoles  primaires 
publiques  du  département  décide  que  les  instituteurs  et  les  institu- 
trices feront  faire  à  leurs  élèves  au  moins  une  fols  par  mois  une 
promenade  pédagogique.  Cette  promenade  doit  avoir  lieu  le  jeudi, 
l'n  compte-rendu  en  est  adressé  à  l'inspecteur  primaire  dans  les 
huit  jours. 

L'inspecteur  d'académie  de  la  Loire  recommande  également  iiu 
personnel  enseignant  de  faire,  le  jeudi,  aussi  souvent  que  possible, 
des  promenades  scolaires,  soit  avec  l'elTectif  de  l'école,  soit  a>ec 
quelques  élèves  pris  parmi  les  plus  méritants.  Nous  ne  pourrions 
qu'applaudir  aux  tentatives  qui  .seraient  faites  pour  généraliser  une 
utile  institution. 

Carte  de  l'Etat-major.  —  Pour  les  promenades  scolaires  que  les 
élèves  entreprennent  sous  ia  conduite  de  leurs  maîtres,  une  carte  est 
indispensable.  Aussi  jugeons-nous  à  propos  de  reproduire  la  com- 
munication ci-dessous  insérée  dans  le  Bulletin  déjKirteinenlal  de  la 
Haute-Marne: 

a  Le  ministère  de  la  guerre,  pour  vulgariser  la  carte  d'Etat-niajor» 
a  lait  exécuter  des  reports  sur  zinc  de  quarts  de  feuilles  qui  se  ven- 
dent au  prix  de  dix  centimes.  Chacune  de  ces  petites  feuilles  a 
0"\iO  sur  0°s2")  et  représente  une  superficie  de  Si  kilomètres  sur 
:20.  Le  bas  prix  de  cette  carte  la  met  à  la  portée  de  toutes  les 
bourses.  » 


CHRONIQUE  DE  L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE    EN    FRANGE         571 

Les  bibliothèques  muniqpales  de  Paris  en  1885.  —  Les  rensei- 
gnements que  nous  donnons  ci- dessous  sont  extraits  d'une  brochure 
publiée  par  la  préfecture  de  la  Seine  : 

Les  bibliothèques  municipales  de  Paris  ont  pris,  en  1881,  un 
nouveau  développement  grâce  aux  crédits  mis  libéralement  à  la 
disposition  du  service  par  le  Conseil  municipal,  et  au  concours  de  la 
Direction  de  renseignement  primaire. 

Le  nombre  de  ces  établissements  qui  était,  au  ;U  décembre  1883, 
de  2 1,  est  actuellement  de  42,  et  sera  de  K3  avant  la  fin  de  l'année  188.J. 
Cette  augmentation  est  la  conséquence  du  principe  admis,  il  y  a 
quelques  années,  par  le  Conseil  municipal  et  ccnsacré  dans  des 
délibérations  récentes  (31  octobre  1883  et  10  avril  188 i),  de  créer  une 
bibliothèque  dans  chaque  quartier,  en  utilisant  ù  cet  effet  les  écoles 
communales  de  garçons,  dont  les  locaux  sont  disponibles  le  soir. 

C'est  ainsi  qu'on  a  pu,  sans  grande  dépense,  multiplier  les  biblio- 
thèques, de  manière  à  rapprocher  le  plus  possible  les  livres  des  lec- 
teurs, condition  nécessaire  pour  répandre  le  goût  de  la  lecture. 
L'installation  de  bibliothèques  dans  les  locaux  scolaires  a  permis 
d'employer  comme  bibliothécaires  les  instituteurs  communaux;  les 
instituteurs  sont,  par  leurs  connaissances  acquises,  par  leur  habi- 
tude de  l'enseignement,  éminemment  propres  à  ce  genre  de  fonc- 
tions; ils  trouvent  dans  leurs  anciens  élèves  des  lecteurs  intelli- 
gents dont  ils  sont  heureux  de  continuer  l'éducation,  à  l'aide  du 
livre,  en  dehors  de  l'école. 

L'adaptation  d'écoles  communales  à  Tusage  de  bibliothèques  n'a  eu 
que  d'excellents  résultats  et  mérite  d'être  généralisée. 

Généralement,  les  bibhothèqucs  municipales  ont  le  double  service 
de  la  lecture  sur  place  et  du  prêt  à  domicile.  Toutefois,  par  suite 
de  rinsuiïisance  des  locaux,  ce  dernier  service  existe  seul  dans  quel- 
ques bibliothèques. 

On  remarque  chaque  année  un  plus  grand  empressement  du 
public  à  fréquenter  les  bibliothèques  municipales. 

Pendant  la  période  écoulée  du  le»*  octobre  1883  au  30  septem- 
bre 1881,  le  nombre  des  ouvrages  lus  a  été  le  suivant: 

Livres  lus  sur  place 117. 04G 

—    prêtés  à  domicile 582.716 

ToTAT 099.762 

Pendant  la  période  précédente  (du  1^^  octobre  1882  au  30  septem- 
bre 1883),  le  nombre  des  livres  lus  avait  été  : 

Pour  les  livres  lus  sur  place 100. 108 

—  prêtés  à  domicile  ....     407.819 

Total ol  1.287 

ce  qui  constitue  une  augmentation  : 

Pour  la  lecture  sur  place  de 9  0/0 

—            à  domicile,  de 12  0/0 


572  BMrtZ  Ft»Afi06IQCB 

VA  p  HT  l'ens^mlrfe  des  serrices,  de  .  .  36  9,0 
Ijhn  \i\rfti  •*:r\^ii  aU  lectare  sar  place  sont  ao 

norrihr*:  de 40.741  voî. 

0;ux  senraot  au  prêt  a  domicile,  aa  nombre  d«.  81.109     — 

Soit  un  total  de 133.850  v.>\ 

L'année  d'îrnîère  ce  nombre  était  de 101. 8i5  vo!. 

l/au^rmentation  est  donc  de i».025  — 

elle  provient  d'achats  ou  de  dons  dans  les  propor- 
tion» .suivant^-»  : 

Achats. 35.403  vol. 

lions 3.022    — 

Total  égal 29.025  \ol. 

!/;  choix  des  livres  est  fait  par  des  commissions  locales;  les  mem- 
hre-i  du  0>nseil  municipal  et  de  la  municipalité  de  l'arrondissement 
en  font  partie  de  droit,  ainsi  que  les  chefs  du  service  central  des 
hiblioth(>ques. 

La  plupart  des  bibliothèques  municipales  ont  un  catalogue  imprime 
d'jfit  un  exemplaire  esl  remis  à  chaque  emprunteur,  pour  faciliter 
son  choix  et  aussi  pour  faire  mieux  connaître  dans  le  public  les 
riche."j8cs  souvent  ignorées  des  bibliothèques.  » 

Association  polytechnique  des  Pykénées-Orientales.  —  Fondée  en 
iHV.i  houH  J(^  patronage  do  l'Association  polytechnique  de  Paris,  cette 
(f'uvrc,  ({ui  a  pour  but  le  développement  de  Tinstruction  des  adultes  des 
deux  sexcM,  a  ouvert  30  œurs  (2î)  pour  les  hommes  et  7  pour  les 
fomni(;sj  fréquenlés  par  î)ii  élèves  inscrits  et  de  nombreux  auditeurs. 
Les  rour.H  sont  divisés  eu  trois  groupes:  1®  instruction  élémentaire 
et  secondaire  :  2»  sciences  industrielles  et  commerciales  ;  3^  art  musi- 
cal. Pendant  Tannée  scolaire  1883-1884,  23  conférences  ont  été  faites, 
en  dehors  dos  cours,  sur  la  littérature,  Thistoire,  la  législation,  etc. 
(les  faits  montrent  la  vitalité  de  Tassociatlon  qui  concourt  si  utilement 
nu  développement  dn  l'instruclion  dans  les  Pyrénées-Orientales. 

S()(.ii:;tj^:  d'éducation  et  d'instruction  populaires  des  Basses- Pyré- 
NllKs.  —  Il  vient  de  se  fonder  sous  ce  nom,  à  Pau,  une  association 
<iul  a  pour  préiiidonts  d'honneur  MM.  Marcel  Barthe,  ancien  député, 
(*t  Félix  Pécuut,  inspecteur  général  de  rinstruclion  publique,  et  pour 
président  M.  Albert  Picho,  avocat,  l'exécuteur  testamentaire  du  regretté 
M.  Tourasse.  Kile  a  pour  but  de  favoriser  le  progrès  et  la  didusion 
de  l'éducation  populaire  dans  le  département  des  Basses-Pyrénées. 
«  Klle  s  clTorcora  surtout,  disent  les  statuts,  de  faire  naître  des  cer- 
(*leH  cantonaux  (jui,  groupant  les  hommes  de  bonne  volonté,  cher- 
cheront à  réaliser  autour  d'eux  le  progrès  social  le  plus  opportun, 
par  dos  institutions  cantonales  ouvertes  à  tous  :  sociétés  d*épargne^ 


CHRONIQUE  DE  L'ENSEIGNEMENT  PRIMAIRE  EN  FRANCE  573 

de  secours  mutuels,  de  relraite,  caisses  des  écoles,  bibliothèques, 
musées  cantonaux,  associations  agricoles,  etc.  »  Cette  Société  con- 
tinuera l'oeuvre  entreprise  par  M.  Toureisse,  et  disposera  à  cet  effet 
des  ressources  qu'il  a  consacrées  par  son  testament  au  développeineni 
de  rinstruction  dans  le  département  qu'il  habitait.  C'est  là  une  ex- 
cellente création,  dont  nous  félicitons  les  initiateurs. 

Congrès  des  instituteurs  de  sourds-muets.  —  Le  troisième  congrès 
national  des  instituteurs  de  sourds-muets  s'ouvrira  à  Paris,  le  4  août 
1883,  à  neuf  heures  du  matin. 

Il  se  tiendra  sous  le  haut  patronage  de  M.  le  ministre  de  l'inté- 
rieur. 

La  session  durera  jusqu'au  6  août  inclusivement. 

Il  y  aura  deux  séances  par  jour. 

Le  congrès  se  réunira  à  l'Institution  nationale  des  sourds-muets, 
234,  rue  Saint-Jacques. 

Le  pro^amnne  des  questions  qui  seront  l'objet  des  délibérations 
de  l'assemblée  a  été  définitivement  arrêté  ainsi  qu'il  suit  : 

1.  Des  moyens  à  mettre  en  œuvre  pour  arriver  à  Tunilé  de  mé- 
thode. 

2.  De  l'instruction  et  de  l'éducation  des  sourds-muets  arriérés. 

3.  Dos  moyens  d'empêcher  les  communications  par  signes  au 
début  de  l'enseignement,  indépendamment  de  la  séparation  des 
élèves  instruits  par  la  parole  d'avec  les  élèves  plus  anciens  qui 
auraient  été  instruits  par  la  mimique. 

4.  Do  Tutilité  que  pourrait  avoir  pour  des  élèves  un  peu  plus 
avancés  la  mise  en  communication  avec  des  enfants  parlants. 

5.  Quelles  sont,  par  ordre  de  préférence,  les  professions  ma- 
nuelles qui  offrent  le  plus  d'avantages  aux  sourds-muels  se  trou- 
vant dans  des  conditions  ordinaires  sous  le  rapport  de  Tintelligence 
et  des  force  >  physiques?  Quelles  sont  celles  de  ces  professions  qui 
conviennent  le  mieux  aux  sourds-muets  dont  l'intelligence  est  peu 
développée,  mais  qui  jouissent  d'une  bonne  santé?  Quelles  sont 
enfin  celles  qu'il  convient  de  faire  apprendre  aux  sourds-muets  d'une 
faible  intelligence  et  d'une  santé  débile  ? 

Après  la  discussion  des  questions  du  programme,  tout  membre 
du  congrès  pourra  en  soumettre  d'autres  à  l'assemblée.  H  lui  suffira 
d'en  déposer  le  texte,  dans  l'avant-dernière  séance,  entre  les  mains 
du  président  qui  consultera  la  réunion  sur  l'opportunité  de  les  mettre 
•en  délibération. 

L'enseignement  public  a  l'île  de  la  Réunion.  —  Le  dernier  rapport 
publié  par  l'inspection  académique  de  la  Réunion  nous  fournit  un 
aperçu  sur  la  situation  de  l'enseignement  primaire  dans  la  colonie. 
Ce  n'est  pas  un  document  de  statistique,  mais  une  sorte  de  leçon 
de  pédagogie  à  l'usage  des  maîtres.  Pour  h  préparalion  des  cours. 


.j74  uvl'c  fédagogiqck 


la  direction  des  classes,  les  rapport:^  eotre  les  familles  et  les  maîtres, 
de  sages  conseils  sont  donnés.  On  pourrait  peut-être  les  tr«*uver 
parfois  minatieux.  Mais  il  est  visible  que  radministration  obéit  i 
une  préoccupation  :  elle  se  sait  en  présence  de  maîtres  pour  la  plu- 
part inexpérimentés  et  elle  pense  qu'il  «rst  bon  de  ne  négliger  aucune 
recommandation.  L'enseignement  pêche  surtout  par  Tabsence  de 
méthode.  Jusqu'à  ce  jour  aucune  répartition  mensuelle  uniforme 
n'existait  pour  les  différentes  matières  des  cours.  Aussi  pouvait-on 
voir  dans  une  même  commune  à  la  même  époque  des  écoles  qui, 
par  exemple,  achevaient  un  C'urs  quand  celle  da  côté  le  commeo- 
rait.  C':t  état  de  choses  va  d'ailleurs  prochainement  cesser.  L*admi- 
nisl  ration  se  disp'  se  à  faire  paraître  un  programme  pour  l'emploi 
du  tenip^  dans  toutes  les  écoles  et  compte  le  faire  appliquer  à  la 
rentn'M;  prochaine.  Il  serait  d»*8irable  qu'il  fut  calqué  sur  le  pro- 
gramme métropolitain.  L'administration  s'efforce  d'encourager  les 
maîtres,  de  les  diriger,  de  fortifier  et  d'étendre  l'enseignement 
renf'Tmtj  jusqu'ici  dans  un  cercle  assez  étroit.  Nous  ne  pouvons  que 
l;i  f»:liriter  dT-lre  entrée  dans  cj-lte  voie  et  souhaiter  que  celte  im- 
pulsion nécessaire  produise  à  bref  délai  des  progrès  sensibles. 

Co.NCOLRS    DES    SOCIKTÉS    DE    GYMNASTIQUE     A     BORDEAIX.     —   M.   Go- 

blet,  mnii.^tre  d*t  T instruction  puhlique,  a  présidé,  à  Bordeaux,  le 
dimanche  ii  mai,  le  concours  des  sociétés  de  gymnastique. 

A  midi,  les  sociétés  de  gymnastique  et  de  tir,  réunissant  plus 
de  trois  mille  membres,  ont  défilé  avec  un  ordre  et  un  entrain 
admirables  devant  la  préfecture.  1^  cortège  s'est  ensuite  rendu  à  la 
I»iace  des  (juinconces.  où  devaient  avoir  lieu  les  exercices  de  gym- 
nastique. Les  exercices  ont  été  exécutés  avec  une  discipline  parfaite 
et  une  entente  remarquable  des  mouvements  d'ensemble. 

Le  soir,  un  banquet  offert  par  l'Union  des  sociétés  de  gynmastlque 
et  de  tir  réunissait  plus  de  cinq  cents  personnes. 

Au  dessert,  plusieurs  toasts  ont  été  portés.  Répondant  à  l'un  d'eux, 
M.  le  ministre  a  prononcé  un  discours  dont  nous  extrayons  les 
pas>aj;es  suivants  : 

"  !.••  ^oiJveriKîriieiil  iv|uibli«!.jiii  a  toujour«î  tenu  à  honneur  de  se  faire  repré- 
.■^cntcr  :i  vfi  solcnnit/'S  Je  nie  souviens  d'avoir  assisté,  il  y  a  trois  ans,  à  h 
tV'ic  (le  itciiMs;  i'>  ndmirais  (It^jù  vos  nombreuses  sociétés,  leur  toD ne  tenue, 
liMir  discipline,  Viinportanfe  et  la  variété  de  leuri  exercices;  je  les  retrouve 
aujourd'hui  à  votre  onzième  lète  fédérale,  à  Bordeaux,  sinon  plus  nombreuses, 
plus  disciplinées  et  plus  exercées  encore,  et  c'est  avec  une  véritable  joie 
nuire  dune  émotion  patriotique  (]ue  je  con>late  la  continuité  de  vos 
propres. 

.Missieurs,  le  ministre  de  l'instruction  publique  avait  )ieot-étre  particuliè- 
rement qualité  pour  ctro  déléf^ué  auprès  de  vous.  La  gymnastique  fait  dé- 
sormais |)ariie  d(>  l'enseignement  national.  L  Etat  l'enseigne  dans  ses  écoles  ; 
il  en  fait  une  matière  obligatoire.  En  continuant  cet  enseignement,  eu  le 
développant  parmi  la  jeunesse,  iMîndant  le  temps  où,  après  avoir  quitté  les 
éliiblissemenls  scolain;*»,  elle  se  préiKire  ou  service  de  l'armée,  vous  vous 
l.iiles  les  utiles  naxiliaires  de  l'Etat. 


CHRONIQUE   DE   L'£NSEIGN£MEiNT   PRIMAIRE   EN   FRANGE  575 

Et  combien  il  m'est  agréable  d'applaudir  à  vos  efforts  et  à  vos  succès,  à 
moi  qui  pense  que  l'Etat  ne  peut  ni  ne  doit  tout  faire  dans  ce  monde  ;  qu'à 
part  quelques  services  publics  qui  doivent  lui  être  eiclusivement  réservés, 
son  rôle  dans  \i\  plupart  des  cas  est  simplement  celui  d'un  initiateur  et  que 
son  intérêt  même  lui  conseille  de  favoriser  l'action  individuelle  ou  collective 
dea  citoyens. 

Ainsi  vous  a^^issez,  vous  grandissez  par  votre  propre  mouvement,  et  nous, 
nous  encouraj,'eons  vos  efforts,  heureux  de  voir  qu'il  est  des  tâches  communes 
pour  lesjjuelles  le  gouvernement  et  les  citoyens  peuvent  désormais  s'unir 
sans  malentendu,  que  si  les  citoyens  apprennent  à  poursuivre  librement, 
l>ar  leurs  seules  forces,  le  but  qu'ils  se  proposent,  l'Etat  cesse  de  regarder 
d'un  œil  jaloux  de  semblables  entreprises,  et,  loin  de  leur  faire  obstacle^ 
ne   songe  qu'à  leur  venir  en  aide.  » 

Prix  Halphen.  —  L'Académie  des  sciences  morales  et  politiques 
avait  à  décerner  cette  année  le  prix  triennal  fondé  par  M.  Halphen, 
et  qui  doit  être  attribué  «  soit  à  Fauteur  de  l'ouvrage  littéraire  qui 
aura  le  plus  contribué  aux  progrès  de  l'instruction  primaire,  soit 
ù  la  personne  qui,  d'une  manière  pratique,  par  ses  efforts  ou  son 
enseignement  personnel,  aura  le  plus  contribué  à  la  propagation  de 
l'instruction  primaire  ».  Le  prix  a  été  partagé  entre  M.  Charles 
Dei'odon,  rédacteur  en  chef  du  Manuel  général  de  rinstruction  primaire 
depuis  1805,  ancien  professeur  à  l'école  normale  d'instituteurs  de 
la  Seine,  bibliothécaire  du  Musée  pédagogique  depuis  la  création 
de  cet  établissement  jusqu'au  mois  d'avril  1885,  et  actuellement 
inspecteur  primaire  à  Paris,  et  M.  Félix  Hément,  délégué  dans  les 
fonctions  d'inspecteur  général  de  l'enseignement  primaire,  auteur 
(le  divers  ouvrages  d'enseignement. 

Une  dispense  pontifiCxVLE.  —  On  lit  en  tête  du  dernier  numéro 
(13  juin  1885)  do  VEducaiion,  journal  des  écoles  primaires,  parais- 
sant chez  MM.  Poussielgue,  l'avis  que  nous  reproduisons^  textuelle- 
ment ci-dessous,  sans  commentaires  : 

«  Avis, 

»  Nous  pouvons  aujourd'hui  préciser  les  renseignements  que  nous 
avons  donnés  sur  la  question  des  livres  mis  à  l'index,  et  qui  sont 
sur  le  programme  des  divers  brevets. 

»  S.  Em.  le  cardinal  Guibert  a  reçu  de  Rome  l'autorisation  d'ac- 
corder les  dispenses  nécessaires  à  toute  personne  sure  et  compé- 
tente qui  en  fera  la  demande.  Le  même  pouvoir  a  été  donné  à  NN. 
SS.  les  évéques  de  France. 

V  Les  personnes  qui,  pour  se  préparer  à  l'examen  de  capacité,  ont 
besoin  d'étudier  ces  livres,  doivent  donc  en  demander  la  permission 
à  leur  évêque.  » 


ENSEIGNEMENT  PUBLIC  EN  TUNISIE 


Nous  apprenons  de  source  certaine  que  la  direction  de  renseigne- 
ment pubÛc  en  Tunisie  a  besoin  d*un  certain  nombre  de  jeunes 
instituteurs  pourvus  du  brevet  supérieur.  Nous  engageons  ceux  de 
nos  lecteurs  qui  désireraient  aller  en  Tunisie  à  adresser,  le  plus  tût 
possible,  leurs  demandes  à  M.  Machuel,  directeur  de  renseignement,  à 
Tunis,  en  y  joignant  toutes  les  pièces  nécef^saires.  Les  instituteurs  dont 
les  demandes  seront  favorablement  accueillies  seront  appelés  à  bref 
délai  à  Fécole  normale  de  Tunis,  où  un  cours  de  langue  arabe  leur 
sera  fait  pendant  les  mois  de  juillet,  d'août  et  de  septembre.  A  la 
fin  de  ce  cours  ils  i>ubiront  un  examen  à  la  suite  duquel  ils  seront 
classés,  puis  noni'rés  dans  des  écoles  primaires,  dans  l'ordre  de 
leur  classement.  Cos  instituteurs  seront  considérés  comme  maîti-es 
surveillants  à  l'école  normale,  et  jouiront,  dès  leur  arrivée  en  Tuni- 
sie, d'un  traitement  annuel  de  1,000  francs.  Ils  seront  en  outre  logés, 
nourris  et  blanchis  à  1  école.  Nommés  clans  une  école  primaire,  ils 
recevront  un  traitement  de  2,100  francs. 


L'abondance    des    matières  nous   empêche    de 
donner  ce  mois-ci  notre  «  Courrier  de  l'Extérieur  ». 


Le  gérant  :  H.  Gantois. 


IXFlilAlDkil.  LL.NTUALr:  DE»  CHEMi.NS  DK  FEK.  —  IMPKIMBHIB  CHAI\. 
R'F  RKROKRF,    90,    PARIS.  —  i  3  iT^l-S. 


TABLE  DES  MATIERES 


DU    TOME    VI  ,l)y:  LA   NOUVELLE    SERIE 


Pages. 

Lettws  inédites  du  P.  Girard  à  M.  J.-J.  Rapet i   .   .   .  1,      97 

De  rutilité  qu'il  y  aurait  à  rendre  la  connaiâsance  du  droit  populaire, 

par  M.   Emile  Acollas 33 

A  travers  les  écoles  (notes  d'un  inspecteur),  par  M^  K.  A 36 

A  propos  des  musées  scolaires 39 

Chanson  de  France  ;.La  dame  de  la  Roche-Guyon  (poésie),  par  M.  Pont- 

sevres * 42 

Fragment  d'un  rapport  sur  une  mission  en  Italie,  par  M.  Henri  Le  Bour- 

yeais , 47 

Deux  écoles  (note  d'inspection),  par  M.  G.  J 53 

L'enseignement  primaire  à  Londres:  La  Jeivs"  FreeSchool,  par  M.  A. 

iJartnesteler * 56 

Les  rapports  des  chefs  d'école  avec  leurs  collaborateurs,  par  M.  Edme 

Go(lin 63 

La  situation  de  l'enseignement  primaire  (extraits  du  rapport  lait  à  la 
Chambre  sur  le  budget  du  ministère  do  l'instruction  publique),    par 

M.  Anlonin  Dubosl,  député 120 

Directeurs  et  adjoints  (note  d'inspection),  par  M.  G.  J 145 

De  l'instruction  de  la  femme  à  la  campagne  (d'après  M"**  de  Barrau), 

par  M.  A.  5 147 

Rapport  au  Conseil  supérieur  sur  le  projet  de  décret  relatif  aux  titres 

de  capacité  de  renseignement  primaire,  par  M.  A.  Lenient 151 

Rapport  au  Conseil  supérieqr  sur  le  projet  d'arrêté  portant  règlement 
des  examens  relatifs  aux  titres  de  capacité  de  l'enseignement  primaire, 

par  M.  A.  Armbruster 157 

Les  questions  d'enseignement  au  Tonkin,  par  M.  Paul  Bourde   ....     193 
De  la  correction  d'un  devoir  à  l'examen  du  professorat  des  écoles  nor- 
males (lettres),  par  M.  E,  A 203 

Les  écoles  régimentaircs  de  l'infanterie  de  marine,  par  M.  A.  ^ .  .  .  .  209 
Les  commissions  scolaires,  lettre  de  M.  Edmond  Dreyfus-Brisac.  .  .  .  220 
Conseils  pratiques:  entretiens  d'un  directeur  d'école  avec  ses  adjoints, 

par  M.  D.  C ...'.....    222 

L'enseignement  des  sourds-muets  et  ses  progrès  récents,  par  M.  Félix 

Bernent 225 

Un  maître  d'écriture  au  iviir  siècle,  par  U.  U.  D. '231 

Organisation  des  écoles  annexes,  par  M.  A.  Hkhard 232 

Le  registre  de  Tinspecteur  primaire  (communication  de  M.  A.  Dorgel),    234 
De  la  langue  française  en  Suisse  (extrait  du  Bulletin  de  VAUiartce  fran- 
çaise]   236 

REVUE  PÉDAGOGIQUE  1885.  —  1*'  SEM.  37 


878  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

Pages. 
La  presse  et  le  projet  de  loi  relatif  aux  subventions  de  l'Etat  pour  instal- 
lations scolaires,  par  M.  Alphonse  Martin 238 

Note  sur  l'enseignement  de  la  bonne  tenue  et  du  savoir-vivre  à  l'école 

normale,  par  Une  maltresse-adjointe 246 

Le  classement  des  mots  dans  notre  esprit,  par  M.  A.  J9 249 

Un  abécédaire  hérétique,  par  M.  N,  Weiss 251 

Questions  relatives  aux  examens  du  brevet  de  capacité,  par  M.  /.  Sion.  252 

L'exposition  française  d'éducation  à  la  Nouvelle-Orléans. 256 

Le  sentiment  du  respect,  par  M.  A.  Vessiot 289 

Poésies,  par  M.  Jean  Aicard 299 

Les  colonies  de  vacances  et  les  écoles  du  IX'  arrondissement  de  Paris, 

par  M.  y.  G 305 

Le  cahier  de  devoirs  mensuels,  par  M.  G,  Maillé 316 

Projet  de  création  d'une  école  primaire  française  à  Londres,  par  M,  A,  B.  321 

Rapports  sur  l'Exposition  de  Londres,  par  M.  Th.-J,  East 323 

Les  nids  des  petits  oiseaux  :  douceur  envers  les  animaux  (note  d'inspec- 
tion), par  G.  y 336 

M.  Philbrick  elles  instituteurs  américains,  par  M.  L.  A 337 

La  Chanson  de  Roland  comme  livre  de  lecture  pour  les  enfants,  par 

M.  G.  Vapereau 340 

Deux  amis  inconnus  de  l'instruction,  par  M.  E.  J 348 

Une  conférence  sur  la  diction,  par  M"»'  C.  Gay 351 

Les  superstitions  du  Lot 355 

Congrès  international  d'instituteurs  au  Havre 356 

Éducation  de  la  mémoire,  par  M.  Gabriel  Compayré 385 

Appel    oux    mères,  à   propos    des    colonies  de  vacances    (poésie),  par 

Mm*  E.  de  Pressensé 404 

Un  coin  du  monde  scolaire  à  Londres,  par  M.  U.  D 406 

Une  acquisition  de  la  bibliothèque  du  Musée  pédagogique,  par  M.  L. 

MasseOieau •   •  •  ^^^ 

A  propos  du  Congrès  du  Havre 432 

Les  commissions  scolaires,  lettre  du  D'  E,  Pécaut 433 

Les  commissions  d*examen,  lettre  de  M.  ^.  Hallberg 438 

Les  écoles  enfantines  de  Suisse  (notes  de  voyage),  par  M***C.  Lapéry,  440 

Les  exercices  callisthéniques,  par  M.  R.  Sabatié 445 

Encore  les  cahiers  de  devoirs  mensuels,  par  M.  A,  B 449 

Victor  Hugo  au  Panthéon,  La  Rédaction 481 

Léonard  et  Gertrude  de  Pestalozzi,  par  M.  /.  Guillaitme 486 

La  circulaire  du  30  avril  et  la  réforme  des  programmes  d'enseignement 

dans  les  écoles  normales,  par  M.  E.  Jaooulet 512 

L'école  primaire  au  Salon  de  1885,  par  M.  G.  D 521 

Le  livre  des  Symboles  et  Emblèmes  de  Joachim  CamerariaS)  par  M.  G.  Bonet- 

Maury 524 

Sur  les  notices  confidentielles,  par  Un  ancien  inspecteur  primaire.   .   .  529 
Les  littératures  anciennes  et  les  élèves  des  écoles  normales  primaires,  par 

M.  B.  Berger ^2 

Excursion  dans  les  Vosges,  faite  par  les  élèves  de  l'école  Lavolsier,  par 

M,  E.  L ^® 


TABLE  DES  MATIÈRES  579 


La  Presse  et  les  Livres 

Les  programmes  de  l'enseignement  secondaire;  l'enseignement  secondaire 
français,  par  M.  Charles  Bigot  (Revue  politique  et  lUléraire)^  p.  68.  —  Des 
principales  différences  entre  les  écoles  de  garçons  et  les  écoles  de  GUes, 
par  M.  W.  Nœldeke  {Revue  interncUionale  de  Venseignetnentjy  p.  71.  — 
Méthode  pratique  de  conjugaison  française  et  premiers  exercices  de  rédaction^ 
de  M.  P.  Wissemans,  p.  75.  —  Cours  de  dessin  des  écoles  primaires^  cours 
supérieur,  livre  du  maître,  de  M.  L.  d'Henriet,  p.  76.  —  Compter-rendu  du 
/X"  Congrès  de  la  Société  des  instituteurs  de  la  Suisse  romande^  Genève, 
1884,  p.  77.  —  Les  savants  dHaissés,  de  M.  E.  Fréray,  p.  79.  —  Questions 
d'enseignement  national,  par  M.  Ernest  Lavisse  (Revue  internationale  de 
l'enseignement),  p.  168.  —  Dubois>Grancé  ;  la  première  bibliothèque  popu- 
laire, par  Santhonax  (la  Justice) ,  p.  169.  —  Notions  usuelles  de  droit  civil^ 
de  M.  J.-B.  Chassaing,  p.  171.  —  Le  livre  de  Vélève  soldat,  de  M.  Edm. 
Pascal,  p.  172.  —  L'avenir  visuel  des  enfants^  de  M.  Emile  Grand,  p.  173. 

—  Le  certificat  d études  primaires,  de  M.  B.  Subercaze,  p.  173.  —  Petit 
traité  d'ornements  polychromes,  par  MM.  J.  Hâuselmann  et  R.  Rlngger; 
Manuel  de  poche  de  l'instituteuj  pour  Renseignement  du  dessin,  de  M.  J. 
Hâuselmann,  p.  173.  — L'enseignement  commerciul  en  France,  par  M,  Arthur 
Mangin  (Economiste  français),  p.  259.  —  Ljnstruction  primaire  aux  États^ 
Unis  en  1883,  de  M.  Paul  Passy  (C.  D.),  p.  260.  —  La  Gymnastique,  de 
M.  CoUineau  (E.  P.)  p.  265.  —  La  vérité  sur  la  gymnastique,  de  M.  Pic* 
quart  (A.  B.),  p.  265.  —  Le  livre  de  l'école,  de  M.  Ch.  Lebaigue  (H.  D.), 
p.  266.  —  Histoire  de  Charly-sur-Marne,  de  M.  A.  Corlieu  ^C.  D.),  p.  267. 

—  La  production  agricole  en  France,  de  M.  Louis  Grandcau(A.  B.),  p.  269. 

—  Horace  Mann,  de  M.  Gaufrés  (C.  D.),  p.  269.  —  Carnet  pour  la  préparation 
quotidienne  des  leçons^  de  M.  Chaumeil  (A.  B.),  p.  169. —  Manuel  d'instruc- 
tion nationale,  de  M.  Emmanuel  Vauchez  (C.  D.),  p.  358.  —  L'Histoire  de 
France  racontée  par  les  contemporains,  de  M.  B.  Zeller,  p.  Îfô9.  —  Les 
enfants  malheureux,  de  M.  Edouard  Siebeclier  [C.  D.),  p.  361.  —  Manuel 
du  naturaliste  préparateur,  à  l'usage  des  instituteurs,  de  M.  P.-A.  Dous- 
sard  ^Z.),  p.  362.  —  La  nouvelle  galerie  de  paléontologie  au  Muséum  d'hiS" 
toire  naturelle,  note  lue  à  l'Académie  des  sciences  par  M.  Albert  Gaudry 
(G.),  p.  362.  —  Notice  sur  Arnold  Guyot,  de  M.  Charles  Faure,  p.  363. 

—  Les  pensionnaires  de  collège  chez  les  Oratoriens  de  Troyes  au  xviii*  siècle, 
de  M.  (iuslave  Carré,  p.  451.  —  Histoire  de  France,  cours  élémentaire  et 
cours  moyen,  de  MM.  R.  Jalliffier  et  H.  Vast  (A.  Gazeau),  p.  454.  —  If" •  de 
Mainlenon  institutrice,  de  M.  Emile  Faguet,  p.  458.  —  Code  manuel  des 
certificats,  brevets,  examens  et  concours  de  l'enseignement  primaire,  de 
M.  Ch.  Lhomme  (B*  B.),  p.  459.  —  De  Véducation  à  técole  primaire, 
professionnelle,  supérieure  et  normale,  de  M.  Vessiot  (A.  Beurier), 
p.  459.  —  Cours  complet  de  pédagogie  et  de  méUiodologie^  de  M.  Th.  Braun 
(X.),  p.  547.  —  David  Livingstone,  de  M.  Rodolphe  Reuss  (Auguste  Uimlv), 
p.  550.  —  Le  livre  du  soldat  français,  du  général  Championnet,  publié  par 
M.  Marcellin  Pellet  (G.),  p.  552.  —  Petit  traité  d'économie  domestique, 
d'horticulture  et  d'agriculture,  à  l'usage  des  jeunes  filles,  de  M.  A.  de 
Lentilhac  (B.  B.),  p.  553.  —  L'éducation  et  linstruction  considérées  dans 
leurs  rapports  avec  le  bien-être  social,  etc.,  de  M.  C.  Hippeau  (B.  B.), 
p.  555.  —  Rapport  sur  les  écoles  publiques  supérieures  de  jeunes  filles  en 


580  REVUE  PÉDAGOGIQUE 

Alsace- Lorrainet  traduit  de  l'allemand  par  M.  Emile  Rolh  iZ.),  p.  556.  — 
Les  mères  des  grands  hornme^^  de  M.  Maurice  Block  (L.  Mainaru),  p.  o5S. 

Langue  allemande  (J.  S.)>  —  La  surcharge  des  élèves,  p.  174.  —  Soirées 
à  la  campagne,  p.  178.  —  Les  sourds-muets,  p.  179.  —  L'ùme  du  peuple  et 
l éducation  politique  de  la  nation^  du  D''  Schraidt-Warneck,  p.  180.  —  Wan- 
derungen^  Turnfahrlen  und  Schiller reisen^  de  Théodore  Bach,  p.  270.  — 
La  place  et  l'importance  de  l'école  populaire  dans  la  civilisation  moderne^  de 
M.  A.  Hackenberg,  p.  273.  —  l^s  devoirs  à  la  maison,  p.  363.  —  Le  droit 
de  chAtiment  dans  les  écoles  allemandes  y  de  M.  A.  ToplT,  p.  565.  —  Was 
soU  der  Junge  werden?  de  M.  A.  von  Fragstein,  p.  366.  —  Die  Praxis  der 
Elément arklasse,  de  M.  Robert  Werpecke,  p.  367.  —  Gottlwld  Ephraim  Les- 
sing's  Svhuljalire^  de  M.  Schumann,  p.  368.  —  Gotthclf  Salzmann  et  le  phi- 
lanthropinisme^  de  M.  Kreyenberg,  p.  368.  —  Une  école  normale  Israélite, 
p.  460.  —  Les  épreuves  publiques,  p.  461.  —  Les  distributions  de  prix,  p.  46:5. 

—  Le  musée  pédagogique  de  Berlin,  p.  46V  —  L'usage  des  ardoises,  p.  465. 

—  Les  classes  spéciales  pour  les  enfants  peu  doués,  p.  466.  —  Le  travail 
intellectuel  est-il  une  fatigue,  p.  467.  -—  Du  choix  d'un  métier,  p,  559.  — 
L'herbarlianisme  en  Allemagne,  p.  560.  —  Conférences  péilagogiques  pour 
le  perfectionnement  des  instituteurs,  de  M.  Fr.  Wyss  (A.  F.),  p.  564. 

Langue  anglaise.  —  Proceedings  of  the  International  Conférence  on  Edu- 
cation, London,  1884  (J.  G.),  p.  276.  —  La  fête  de  l'arbre  (B.-M.),  p..  THÔ. 

Langues  suédoise  et  norvégienne.  —  Documents  reçus  par  le  Mu- 
sée pédagogique,  p.  369. 


Chronique  de  renseignement  primaire  en  France. 

L'achèvemtînt  des  maisons  d'école,  p.  80.  —  Décret  et  arrêté  du  30  décem- 
bre 1884  sur  les  litres  de  capacité  de  l'enseignement  primaire,  p.  81.  — 
Les  bourses  de  séjour  à  l'étranger,  p.  84.  —  Les  conférences  pédagogique» 
à  Soissons,  p.  85.  —  Enseignement  du  dessin,  p.  86.  —  Enseignement  de 
Tagriculture,  p.  86*.  —  Impôts  dus  par  les  instituteurs  et  par  les  inslitu- 
trices  pour  les  locaux  affectés  à  leur  logement,  p.  87.  —  Préparation  au 
brevet  supérieur,  p.  87.  —  Les  cahiers  de  devoirs  mensuels,  p.  88.  — 
Transfert  du  Musée  pédagogique,  p.  91.  —  Recenscmenl  de  la  population 
scolaire  des  écoles  primaires  publiques  en  1885,  p.  183.  —  Cliuix  de  sujets 
de  composition  {)our  les  différents  concours  et  examens  de  renseignement 
primaire,  p.  183.  —  La  direction  des  petites  classes  dans  les  écoles  pri- 
maires, p.  183.  —  Récompenses  scolaires  dans  les  écoles  de  Paris,  p.  185. 

—  Congrès  international  d'instituteurs  au  Havre,  p.  186.  —  Exposition 
scolaire  de  Montauban,  p.  186.  —  Exposition  scolaire  de  Toulouse,  p.  187. 

—  Conférences  pédagogiques,  p.  187.  —  Exercices  militaires,  p.  188.  —  Baux 
k  loyer  pour  les  maisons  d'école,  p.  188.  —  Un  bon  exemple  de  confraternité, 
p.  189.  —  Nécrologie  :  M""  Moreau,  p.  189.  —  Un  discours  de  M,  Chazal. 
p.  189.  —  Examens  pour  le  certificat  d'études  primaires  supérieures  et  ré- 
sultats en  1883,  p.  277.  —  Les  écoles  de  hameau,  p.  277.  —Comités de  cor- 
rection, p.  278.  —  Les  bibliothèques  scolaires  et  populaires,  p.  278.  — 
La  bibliothèque  scolaire  de  Saint -Vaury,  p.  280.  ~  La  fipéqaestatioa  sco- 


TABLE  DES  MATIÈRES  58i 

laire  à  Vialas,  p.  280.  —  Une  «  exécution  en  masse  »  à  Cormicy,  p.  280. 

—  Les  élèves  hospitaliers  du  Doubs,  p.  281.  —  Exposition  scolaire  de 
1889,  p.  281.  —  Exposition  scolaire  de  Beauvais,  p.  281,  -—  Exposition 
scolaire  d'Angouléme,  p.  281.  —  Exposition  scolaire  agricole  à  Tours, 
p.  281.  —  Les  sourds-muets  du  Rhùne,  p.  ^82.  —  Les  sourds-muets  do 
Curièrc>,  p.  282.  —  Une  souscription  dans  les  écoles  du  Pas-de-Calais, 
p.  283.  —  Les  comptes-rendus  des  conférences  pédagogiqi^es,  p.  283.  — 
Le  nouveau  ministre  de  l'instruction  publique,  31.  René  Goblet,  p.  370.  — 
L'achèvement  des  maisons  d  ecolf>s,  p.  370.  —  Données  statistiques  sur  les 
caisses  d'épargne  scolaires,  les  caisses  des  écoles  et  les  sociétés  de  secours 
mutuels  des  instituteurs,  p.  370.  —  Certificat  d'études  primaires,  p.  371.  — 
Organisation  pédagogique  des  écoles  primaires  de  Saôiie-et-Loire,  p.  371. 
Expositions  scolaires,  p.  372.  —  Monographies  communales,  p.  373.  — 
Cartes  communales,  p.  373.  —  Ecole  normale  d'institutrices  de  Nantes, 
p.  37^.  —  La  Société  philomathique  de  Bordeaux,  p.  37i.  —  Le  recrute- 
ment des  instituteurs,  p.  376.  —  Bibliothèques  et  livres,  p.  376.  —  Le  sou 
des  bibliothèques  scolaire»,  p.  376.  —  Exercice  de  tir,  p.  377.  — Collection 
d'insectes  pour  les  musées  scolaires,  p.  378.  —  La  Société  de  secours 
mutuels  des  Baises-P> rénées,  p.  378.  —  Commissions  municipales  scolaires, 
p.  379.  —  Travaux  manuels  et  charité,  p.  379.  —  Une  bonne  pensée  et  une 
bonne  action,  p.  379.  —  Congrès  de  la  Ligue  de  l'enseignement  et  exposition 
scolaire  à  Lille,  p.  380.  —  Réouverture  du  Musée  i)édagogique,  p.  380.  — 
Bibliotlièques  populaires  des  écoles  publiques,  p.  468.  —  Les  écoles  du  Creu 
zot,  p.  \jH.  —  L'exposition  scolaire  de  Lille,  p.  469.  —  Concours  d'ensei- 
gnement agricole  dans  la  Sarthe,  p.  470.  —  Les  bataillons  scolaires  de  la 
Charente-Inférieure,  p.  471.  —  Recrutement  du  personnel  enseignant, 
p.  471.  —  \]ne  Socicté  libliophih  à  Lucenay-lès-Aix  (Nièvre),  p.  472.  — 
Les  instituteurs  arpenteurs,  p.  473.  —  Les  recommandations  politiques, 
p.  473.  —  L'Alliance  frau(;aise,  p.  474.  —  Examen  d'admission  aux  écoles  nor- 
males d'instituteurs  et  d'institutrices,  p.  568.  —  Inspection  dans  les  écoles 
primaires  supérieures  de  Paris,  p.  568.  —  Délégués  cantonaux,  p.  568.  — 
La  Ligue  de  l'enseignement  de  Constantine,  p.  569.  —  Promenades  péda- 
gogiques, p.  570.  —  Carte  de  l'Ëtat-major,  p.  570.  —  Les  bibliothèques 
municipales  de  Paris  en  1885,  p.  571.  —  Association  polytechnique  des  Py- 
rénées-Orientales, p.  572.  —  Société  d'éducation  et  d'instruction  populaires 
des  Basses-Pyrénées,  p.  672.  —  (^lOngrès  des  instituteurs  de  sourds-muets, 
p.  573.  —  L'enseignement  public  à  l'île  delà  Réunion,  p.  573.  —  Concours 
des  sociétés  de  gymnasti(|ue  à  Bordeaux,  p.  574.  —  Prix  Halphen,  p.  575. 

—  Une  dispense  pontiGcale.  p:  575. 

Enseignement  public  en  Tunisie  (ap[)el  aux  jeunes  instituteurs),  p.  576. 


Courrier  de  l'Extérieur. 

Allemagne.  —  Mort  du  D'  Kehr  et  du  D'  Sloy,  p.  190.  —  Loi  sur  les  pen- 
sions de  retraite  des  instituteurs,  votée  par  la  Chambre  prussienne,  p.  475. 
-  Statistique  de  l'enseignement  des  travaux  à  l'aiguille  en  Prusse,  p.  475. 
—  Jugements  d'un  pédagogue  allemind  sur  l'instruction  primaire  enFrancei 
p.  475. 

ANGLBTEaRE.  —  Rapport  d'une  commission  du  School  Board  de  Londres  sur 


382  REVUE    PÉDAGOGIQUE 

Y overpr assure,  p.  92.  —  Les  sept  plus  grands  éducateurs  anglais  vivants, 
p.  92.  —  Préparatifs  faits  par  l'Union  nationale  des  instituteurs  primaires 
en  vue  de  la  présentation  de  candidats  aux  futures  élections  du  Parlement, 
p.  284.  —  V underpressure  en  opposition  à  VoverpressurOy  p,  381.  —  Dis- 
cours de  M.  Wild,  président  de  l'Union  nationale  des  instituteurs  primairesi 
au  Congrès  de  Nor\^'ich,  p.  476.  —  Vote  du  Congrès  de  Norwich  en  foveur 
de  la  création  d'un  ministère  de  l'instruction  publique,  p.  477.  —  Débat 
à  la  Chambre  des  communes  sur  le  système  du  payment  Uy  resullSy  p.  477. 

Autriche.  —  Projet  de  pétition  de  la  Société  Diesterweg  en  faveur  da  réta- 
blissement des  châtiments  corporels;  attitude  négative  du  ministre,  p.  234. 
—  Conférence  des  évoques  autrichiens  à  Vienne,  p.  477.  —  Dénouement  de 
l'incident  Rohrweck-Rudigier,  p.  478.  —  Recherches  du  D'  Netoliczka  sur 
la  myopie  scolaire,  p.  478. 

BKLOiorE.  —  Circulairc  concernant  le  inmlc  de  répartition  des  subsides 
scolain.*s,  p.  93.  —  Décision  du  conseil  communal  de  Gand  inscri\ant 
l'enscignoment  de  la  religion  et  de  la  morale  au  programme  des  écojiîs 
primaires,  p.  93.  — Publication  d'un  nouveau  programme  d'études  deiécol«»s 
normales,  d'un  règlement  type  des  écoles  primaires  communales,  et  d'un 
programme  t^pe  des  écoles  primaires  communales,  p.  190.  —  Le  nou- 
veau programme  des  écoles  primaires,  p.  285.  —  L'application  de  la  loi  du 
20  septembre  1884  ;  débats  à  la  Chambre  des  représent^ints,  p.  285. 

Bulgarie.  —  Statistique  de  l'instruction  primaire,  p.  381.  —  Renseignements 
statistiques  complémentaires,  p.  478. 

Canada.  —  Les  instituteurs  laïques  du  Bas-Canada  et  le  pape,  p.  94. 

Chili.  —  Nomination  d'un  directeur  allemand  à  l'école  normale  de  Santiago, 
p.  288. 

Espagne.  —  Mesures  rétrogrades  édictées  par  le  ministère  conservateur, 
p.  190.  —  Proposition  de  créer  un  ministère  de  l'instruction  publique, 
p.  288.—  Nouvelle  loi  sur  l'instruction  publique  en  préparation,  p.  479. 

Hollande.  —  Demande  de  révision,  faite  par  le  {«rti  conservateur,  de  l'article 
194  de  la  constitution,  relatif  à  l'instruction  publique,  p.  288. 

Iles  IIawaÏ.  —  Rapport  biennal  (1884)  sur  l'instruction  i>ublique,  p.  95. 

Italie.  —  Projet  de  loi  sur  les  traitements  et  la  nomination  des  instituteurs, 
volé  par  le  Sénat  avec  quelques  modifications,  p.  95.  —  Rapport  présenté 
à  la  Chambre  sur  ce  projet  de  loi,  p.  192.  —  Proposition  d'une  fédération 
générale  des  sociétés  pédagogiques,  p.  192.  —  Le  projet  de  loi  sur  les 
traitements  et  la  nomination  des  instituteurs  est  définitivement  adopté  par 
la  Chambre,  p.  288.  —  Augmentation  du  nombre  des  inspecteurs  primaires, 
p.  288.  —  Conséquences  de  la  nouvelle  loi  sur  la  nomiiuttion  des  institu- 
teurs, p.  479. 

RÉPUBLIQUE  Argentine.  —  L'école  normale  nationale  de  Parana,  p.  328. 


TABLE  DES  MATIÈRES  883 

Roumanie.  —  Statistique  do  l'instruction  publique  en  1882-1883,  p.  383. 

Russii.  —  Statut  des  écoles  primaires  ecclésiastiques,  du  13  juin  1884,  p.  95. 
—  Statistique  des  écoles  primaires  rurales,  p.  9G. 

SuissB.  —  Dépenses  pour  l'instruction  primaire  dans  le  canton  de  Zurich 
en  1883,  p.  383.  —  Pétition  des  instituteurs  de  Saint-(iall  pour  l'abolition 
du  second  examen,  p.  384.  —  Propositions  soumises  à  la  Landsgcmeinde  de 
Glaris,  relatives  à  la  fréquentation  obligatoire  de  l'écoic  complémentaire  ot 
à  la  fourniture  gratuite  des  livres  classiques,  p.  384.  —  La  Landsgemeindc 
de  (jlaris  rejette  la  fréquentation  obligatoire  de  l'école  complémentaire,  et 
adopte  la  fourniture  gratuite  des  livres  classiques,  p.  479.  —  Nouvelle  loi 
sur  l'instruction  publique  discutée  par  le  Grand  ('onseil  de  Genève,  p.  480. 

Union  américaine.  —  Con^^rès  international  do  pédagogie  à  la  Nouvelle-Or- 
léans, p.  'SH^h. —  La  sci-tioii  française  d'é<lucatiun  à  rkxposition  internationale 
de  la  Nouvelle-Orléans,  p.  480. 


IMPKIMIBII  CIMTUALI  DES  CHUINU  OB  l'KH.  —  IHPRIMIHII  Cil  A IX. 
HDB  BEHUKHB,  SO,  PABI8.  —  14154-5. 


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