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REVUE
PÉDAGOGIQUE
NOUVELLE SÉRIE
TOME YI
«Fanviex^-Jixlii 188S
MUSÉE PÉDAGOGIQUE
BIBUOTHÈQUE CENTRALE DE L'ENSEIGNEMENT PRQUIKE
REVUE
PÉDAGOGIQUE
NOUVELLE SÉRIE
TOME VI
Janvlex'-Juln 1885
PARIS
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iMnlIeiérie. — Tm» H. N* 1. IS Juner IMS.
BEVUE PÉDAGOGIQUE
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD
A M. J.-J. RAPET
En i844, TÂcadémie française décernait un prix Montyon de
six mille francs au livre dn P. Girard inlitulé : De renseignement
régulier de la langue maternelle. L'illustre cordelier fribourgeois
approchait déjà» à ce moment, du terme de sa longue carrière.
Après avoir débuté en 1799, à l'époque du Directoire helvétique»
comme curé de la paroisse catholique de Beroe, il avait dirigé,
de 1804 à 1823, les écoles françaises de la ville de Fribourg,
où il introduisit en 1816 rcnseignem3nt mutuel. Les jésuites
et l'évoque de Fribourg l'ayant forcé d'abandonner son poste,
il s'était retiré à Lucerne, et y avait enseigné la philosophie
pendant quelques années. Puis en 1834, à l'âge de soixante-
neuf ans, il était rentré dans sa ville natale pour y finir ses jours
dans lapaisib le cellule de son ancien couvent.
Le livre que l'Académie venait de distinguer par une récom-
pense hors ligne était destiné 5 former l'inlroduclion du grand
ouvrage à l'exécution duquel le P. Girard avait résolu de con-
sacrer les dernières années de sa vie. Cet ouvrage, c'est le
Cours éducatij de langue maternelle^ trop connu de nos lecteurs
pour que nous . yons ici à en faire Téloge. Œuvre d*un péda-
gogue suisse, le Cours de langue maternelle était néanmoins, dans
l'intention de son aut^ ir, destiné à la France: mais la publica-
tion du livre à Paris offrait certaines difficultés. Le P. Girard avait
été heureux d'accepter, pour surmonter ces ob^^tacles, le concours
spontané et désintéressé de deux hommes qui partageaient ses
vues et son zèle pour l'éducation de la jeunesse : c'étaient
H. Rapet, alors directeur de l'école normale de Périgueux, et
H. Michel, chef d'une institution libre. Par les soins de ces
EIVDB FtDAGOGIQUI 1885. — t*' 8BH. t
s RIVDE PÉDAGOGIQUE
deux amis, le Cours éducatif de langue maternelle parut chez
Dézobry et Magdeleiae, de 1843 à i8i6, en six volumes.
Al. Rapet était entri en relations avec h P. Girard dès 1838,
et pcul-étrc à une époque déjà plus ancienne, par Tinermédiaire,
semble-t-il, de M. François Naville de Genève, le directeur Ijien
connu du pensionnat de Vernier. II entretint avec réroinent
éducateur fribourgeois une correspondance qui embrasse une
période de dix années, de 1838 à 1848. Les lettres du P. Girard
à H. Rapet, au nombre de vingt-cinq, appartiennent aujourd'hui
au Musée pédagogiq le de Paris. Nous avons pensé qu'il y avait
intérêt à les publier ; elles nous fo it assister par* le délai! à la
composition du Cours éducatif de langue maternelle, a x négo-
ciations parfois laborijus.-s qui en précédèrent la publication,
et elles contiennent, sur les hommes et les choses de cette époque,
en France et en Suis e, des appréciations souvent assez piquantes.
Nojs donnons ces lettres telles quelles, sans rien siipp imer
des minutieux détails d'affaires et des redites parfois lasti-
di uses ; nous conservons Torthographe personnelle de l'auteur,
avec ses incorrect'ons ; nous ne changeons rien à son style
émaillé de germanismes — le P. Girard était, par son éduca-
tion, plus Alleinand que Français. Nous nous sommes bornés
à ajouter quelques notes explicatives là où il nous a semblé
qu'un éclaircissement pouvait être utile.
La Rédaction.
1
Friboorg en Suisse, le 23 Nov. 1838.
Mon cher et excellent ami,
(fti^'oinii 4p^ Je dois vous appeler, puisque vous partagez si chau-
dement Ih èbtilb de^^éilh] cation, à laquelle j'ai consacré une vie longue,
laborieiisd.dii soavcnticlrueUemeat contrariée. Mais Dieu, que j'ai
l)en%t,pWiYif dfiï>!$i:l%icvnf;çw>fte m'a pas laissé seul. J'espère même
^"'Ïi/Wèffli^?!'^.^ ^'^îfif tft^i?^'Sl»^^ J^»^*^'^ <^® ^^® j'*^»^ ^'"i
mon (ravail. - , ,
jê'yatfSiHi afe^éf^ûr'ôt'a'ftttife'^i+ëè Wtlè vive reconnaissance à toutes
vosepi?o|K)9îttfoi|ft;Jîayat0iUii;'«noltilIeag&4^mentavec M. Naville (1). Je
(tft)H;rBi»iq;oi8*Kafvitfeij|[NiitV)rig8(i0Mr4^ «Éiitito^i ea 1819 à Vernier
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 3
voulais, comme de juste, y faire honneur. Mais M. Navîlle, entrant tout
à fait dans vos raisons et celles de M. Pltois (1), les appuyant môme
avec d'autres que vous n'avez pas énoncées, et qui ne pouvaient par-
tir que d'un esprit et d'un cœur comme le sien, vient de dissiper
même Tombre la plus légère d'un scrupule. Tout sera au mieux
dans les intérêts de la chose. Pour mon comple je n'en ai pas
d'autre^".
Je ne sais si je vous ai bien détaillé le plan de l'ouvrage que je
rédige. Il comprend deux séries parallèles. L'une c'est celle de la
syntaxe qui se développe progressivement en quatre degrés : i® Pro-
position; ^ Phrases de deux propositions; 3° Phrases de 3 propos.;
1° phrases de 4 propositions et au-delà. Au N<» 3 commence ce que
j'appelle la logique de la vie. Elle prend le syllogisme positif sur
son chemin, et présente une ligne de lumière pour la faire saisir
par la jeunesse, et une ligne d'ombre ou d'erreur pour la faire
repousser avec connaissance de cause.
La série lexigraphique {i) s'occupe de la dérivation, conjugaison
(le. et sur ces mots et formes rinsiiluteur exprime des pensées et
invite les élèves a l'imiter. C'est une composition continuelle, libre
et vive qui m'a toujours bien réussi dans mon école. Elle accom-
pagne le travail syntaxique et le prépare en fournissant des maté-
riaux peur la construction. Dès le troisième degré, la lexigraphie, ou
le vocabulaire, prend à côté d'elle des sujets gradués de divers genres
de compositions propres pour la jeunesse. Dès le troisième degré
on peut dans les instituts commencer le grec et le latin.
Je dois vous prévenir que je travaille à présent pour la jeunesse
de la classe moyenne ou supérieure, et cela en Franc(î. J'ai
publié dans mon pays la première partie de ce que j'ai intitulé
Grammaire des campagnes (3). Je l'ai communiquée au Ministre de
l'intérieur à Paris, à Mgr le Cardinal de tiausset et aux Évèquea
de Nancy, Metz et Orléans. Partout j'ai reçu des encouragements;
mais une lutte de pouvoirs s'étant élevée ici entre le gouverne-
ment et l'évéché, j'ai gardé la deuxième partie en manuscrit. C'est
sur ce manuscrit que M. Chappuis a fait son chétiC extrait imprimé
en 1831.
lils , MM. Louis et Ernest Naville. 11 s'était lié de bonne heure avec le P. Gi-
rarrj; on verra par ces lettres quelle étroite amitié unissait le cordelier fri-
bourgeois et le ministre calviniste. M. François Naville est mort en 1846. ft
a laissé un livre remarquable sur l'Éducation publique [Cienève^ 1832; 2* édi-
tion, Paris, 1833).
(1) M. Pitois-Leyrault, libraire à Paris.
(2} Le P. Girard écrit lexigraphie ^ lexigraphique. L'expression correcte serait
lexicographie, lexicographique.
13) La Grammaire des campagnes du P. Girard, dont il sera question à plus
d'une reprise dans coi lettre?, a été publiée à Fribourj^ f»ii 18il.
4 mVUK PÉDAGOGIQUE
Mon travail actuel ayant en vue un autre public, une jeunesse
mieux préparée, tout comme destinée à des fonctions et des devoirs
plus étendus et plus relevés, aura une extension plus grande. Je
compte jusqu'à présent 8 petits volumes, 4 pour la syntaxe et tout
autant pour les exercices lexigraphiques et de compositions. 11 y aura
au moins autant de divisions s'il n*y a pas ce nombre de volumes.
C'est une chose que vous arrangerez avec M. Pitois.
Je compte d'achever au nouvel an la rédaction de la première partie
«yntaxique : La proposition. C'est la base de tout l'édifice comme
tous le verrez. J'ose vous dire que vous n'avez pas encore toute mon
Idée, parce que vous n'avez vu que quelques fragments de mes pre-
miers essais et que depuis lors je l'ai conçue d'une manière plus
lelevée, et en môme temps plus profonde. Mon nouveau manuscrit
TOUS dira cela par le fait. La partie correspondante de la lexigraphie
me prendra beaucoup moins de temps, parce qu'elle est déjà avancée.
Je pense la finir pour paques. Je désire que l'impression commence
par celte première livraison. Â elle seule elle formerait déjà un
tout.
La seconde livraison qui comprendra la phrase de deux propositions
pour la syntaxe, sera beaucoup plus vite expédiée pour deux raisons.
D'abord tout le cannevas en est réglé. C'était la grande aUdire. J'ai
redressé d'après l'ordre logique non seulement mes propres aberrations
en ce genre — (j^élais si pressé en face de mes enfanls qui me deman-
daient le pain de chaque jour), mais encore celles que mon abbrévia-
teur a commises loin de moi. Je suis content de ce que j'ai préparé.
Au surplus je n'aurai pas beaucoup à écrire parce que je couperai
mes phrases par bandes pour les choisir, ranger et les coler sur une
feuille volante, feuilles que je passerai à mon copiste sans donner
un coup de plume.
La troisième livraison de la syntaxe comprenant la phrase de
3 propositions demandera un peu plus de temps, parce qu'il faut
queje rectifie la marche que j'avais suivie. La lexigraphie s'élèvera
de différentes manières. Les sujets de composition sont prêts.
Au sujet de la lexigraphie de la ^ partie j'oubliais de vous dire
qu'en fait de conjugaison elle s'occupera de la concordance des temps.
Cela est aussi fait. U est entendu qu'ici la conjugaison se fera par
phrases, au grand profit de l'éducation, car on coiyugucra lo vrai,
le beau, le bon, le divin, et en passant ces idées par toutes 1rs per-
sonnes, elles s'imprimeront dans Famé de Télève et formeront cette
athmosphère éducative où je désire placer la jeunesse pour sa vie.
Les premières impressions ne s'effacent pas. Elie^ peuvent s'en aller
pour un temps, mais elles reviennent, surtout lorsque 1 instituteur
a connu Tassociation des idées et les moyens de la fixer.
Je compte vous faire passer mes manuscrits par mon ami Naville
pour qu'il en tire parti en passant pour ses élèves qui sont aussi
les miens. Je m*enlendrai là-dessus avec lui. Peutôtro lui enverrai-
LETTIUIS INEDITES DU PÈRE GIRARD 5
je quelques cahiers d'avance. J'achèverai ces jours le 1V« chap. et
ce sera, je pense, la moitié du volume.
J'ai arrêté le titre de Touvrage. Le voici: Cours de langue maternelle
mis au service de l'éducation. Il rend ma pensée en peu de mots. Je
le dédie à M. Cousin (1). Cela doit être. Il n'est pas encore prévenu.
Cest assez lot. Vous aurez la bonté de mettre votre nom comme
éditeur. Mais vous paierai (sic) cher ce nom que j'aime bien à voir près
du mien, puisque vous aurez la peine de laver mon linge sÂle.
Je ferai une préface où j'exposerai brièvement les principes qui
m'ont inspiré, et d'après lesquels je travaille depuis de longues
années. M. Naville y trouvera naturellement sa place et j'acquite-
rai ainsi la dette de mon cœur. Si après cela vous trouvez bon d'ajou-
ter quelque chose en votre nom, j'en serai bien content, pourvu que
vous ne me fassiez pas rougir.
Vous voyez que je suis bien d'accord avec le gendre d'un ancien
ami M. Levraut que j'ai tant regrété. Pour l'honoraire je le
laisse absolument le maître. Je ne voudrais rien, si je n'avais pas
été enveloppé dans les désastres d'autrui, si les copies n'étaient pas
coûteuses et si mon grand âge et ma vie laborieuse (je suis levé dès
les 4 heures) ne demandait pas quelques dépenses dans une société
où l'on n'est pas fourni de tout. Je possède une riche collection en
livfps scientifiques, et j'ai le chagrin de me demander souvent qui les
lira ? 0 î belles et bonnes lettres que vous êtes peu cultivées !
A présent je crois vous avoir tout dit. Agréez mes remercîments
pour le service signalé que vous me rendez*; nous travaillons tout
deux pro Deo et palria ; la dernière est quelquefois ingrate, mais
Dieu s'est chargé de la reconnaissance. Il n'y a rien à perdre.
Tout à vous.
G. Girard Prof,
P. S. J'oubliais de vous dire que mon travail est fait pour être
mis entre les mains des instituleurs et des institutrices. Les élèves
pourront en voir les cahiers plus tard, si on le juge à propos. La
mémoire n'a rien à apprendre ici, tout est pour la pensée et les
inspirations du cœur que le maître excite, encourage, aide et corn-
(1) M. Cousin fut un des premiers à faire connaître à la France le nom du
P. Girard. Il lui rendit visite à Friboiirg en 1839 (voir plus loin la lettre du
1" juillet 1842). Lorsqu'il fut devenu ministre de l'instruction publique en
1840, il fit décerner la croix au P. Girard. Selon M. Dnguet {Dictionnaire de
pédagogie, article Girard, p. 1181), c'est en 1838 que le P. Girard aurait reçu
la croix; mais M. Rnpet, qui devait être bien informé, dit à ce sujet dans une
notice biographique manuscrite sur le P. Girard, que possède le Musée
pédagogique : « Au mois de mai 4840, M. Cousin, alors ministre de l'instrue-
tien pubUque, lui fit accorder la décoration de la Légion d'honneur. Dans cette
circonstance, le modeste instituteur de Fribourg partaf^ea cet honneur atee
quelques-unes des principales célébrités littéraires de l'Europe. »
6 RITUB PÉDAGOGIQUE
plète d*un bout à Tautre. Le mécanisme serait ici la mort. Vous en
jugerez bientôt en voyant mes feuilles. A mon école je n'avais que
des manuscrits pour le maître et les moniteurs. Rien ne 8*y appre-
nait par cœur que le catéchisme. II y avait de la vie.
II
Fribourg, le 18 août 1840.
Monsieur et très cher ami,
Vous ne pouviez pas me donner une nouvelle plus agréable que
celle de votre arrivée à Fribourg. Cependant je dois vous prévenir
de deux choses qui me contrarient depuis longtemps et qui ne vous
aeront pas agréables. J'avais commencé à sortir vers la penlecôte et
à me promener dans notre jardin, et voilà qu*au commencement de
juillet j*ai été fortement repris par mon rhumatisme goutteux qui
me faît beaucoup souffrir et me retient en chambre. Cela m'a bien
retardé dans mon travail. Mais il m*est encore survenu une chose
à laquelle je ne mattendais pas du tout. J'ai été contraint de me
charger de la présidence de la Société suisse des sciences naturelles
qui se réunira ici les !2i, ^S et iC) de ce mois. Je n'ai pas be-
soin de vous dire que celle présidence me prend beaucoup de temps
depuis deux mois environ (I) et que mon travail sur la langue se
trouve grandement en retard.
Les trois premiers livres et une partie du quatrième sont copiés,
mais je n*ai pas enr.ore pu les corriger. J'ai encore trois chapitres
à rédiger pour achever le quatrième. Le cinquième livre reste à faire,
mais il sera court et bientôt fait.
Quant aux livres élémentaires, je n'ai rien de prêt sauf la syntaxe
de la proposition (ayant dans la copie que m'en a faite un confrère
en fort petite écriture, mais très lisible et nette, i5() pages), ("est
ma rédaction définitive de ce que je vous ai envoyé. Cette première
partie doit nécessairement être accompagnée d'un cahier de conju-
gaison et utilement d'un autre faisant partie du vocabulaire. La
conjugaison et le vocabulaire alternent dans Tinstruction et complè-
tent ensemble l'enseignement. Les matériaux sont prêts, mais il faut
les rédiger. Il me faudra deux ou trois mois de travail pour h>s
deux, en sorte qu'ils ne pourront être livrés à l'impression qu'en fin
de décembre. Copiés de la même main ces deux cahiers ne passe-
ront pas les 150 pages de la syntaxe. Le vocabulaire n*est que pour
le maître.
(1) Le P. Girard préparait le discours qu'il prononça à roccasion de ccttn
réunion de la Société helvétique des sciences naturelles. Ce discours a été
publié sous le titre de Parallèle entre la philosophie et la physique, Fri-
bourg, in-8% 24 p., 1840.
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 7
La seconde partie du cours sera formée par la syntaxe de la
phrase à deux propositions et les cahiers correspondants de conju-
gaison et de vocabulaire. Tout est prêt, sauf rédaction. J*espère qu'en
six mois ce travail sera fait. Il me restera encore la (roisièmo par-
tic à rédiger. Il faudra encore un cahier de compositions pour le
maître. J'oubliais de vous dire que la syntaxe do la troisième par-
tie renferme les phrases de plusieurs propositions. Le tout compren-
dra ainsi dix cahiers. G*est beaucoup, je le sens; mais cela ne peut
pas être autrement. Je crois qu'il faut publier ensemble les deux
premières parties. La troisième pourra suivre plus tard. Nous en
parlerons.
Vous trouverez du changement à Vernier chez notre ami com«
mun (1): deux anciens maîtres ont quitté l'institut qui est conduit par
le père et ses deux fils.
Adieu ; je vous embrasse en pensée, dans Tespoîr de le faire autre-
ment dans quelques semaines.
Tout à vous,
G. Girard.
m
Fribourg, le l" juin 1841,
Monsieur et cher ami.
En m'adressant à M. Michel (2), j'ai profité d'une occasion qui se
présentait, et je venais de voir par le i*^^ N** de son nouveau
journal pédagogique que vous lui aviez communiqué mes manuscrits,
d'où j ai dû conclure qu'il serait voire représentant chez M. Pitois-
Levrault pour surveiller désormais l'impression de mon travail et
la corriger. Au surplus, je venais d'apprendre par votre lettre du
18 février que vos fonctions prenaient même sur votre sommeil,
puisque vous ne pouviez guère prendre du repos qu'à une ou deux
heures du matin. Je me faisais donc scrupule d'augmenter votre
travail. J'adressai dès lors ma question à M. Michel et rien ne se
serait fait sans vous, d'autant plus que lui-môme ne le voulait pas
plus que moi.
(1) M. Naville.
(2) M. Louis-G. Michel, après avoir dirigé une institution A Lyon pendant
douze ans, était venu s'établir à Paris en 1835. Le journal . dont il va être
question était intitulé VÉducalion^ revue de CenseignemenL ^Le P. Girard avait
demandé A M. Michel 8*il voudrait se charger de surveiller la publication de
ronvrjge destiné A former l'introduction du Cours de langue. M. Rapets'étéit
ému do cette démarche; il se considérait, en vertu de son entente avec
M. Naville, comme investi du droit exclusif de pui'tiier l'ouvrage du P. Girard.
Se croyant lésé, il réclama, et reçut la réponse qu'on va lire •
8 EIVUE PÉDAGOGIQUE
C'est donc à tort que vous vous êtes inquiété, comme vous l*avez
fait et j'en suis peiné.
Je vous dirai d'ailleurs que dans ma question a M. Michel, je
n'avais en vue que l'ouvrage préliminaire que j'espérais terminer
bientôt, bien qu'il soit une fuis plus étendu que les feuilles que je
vous ai remises a Friboiitg, pour que vous puissiez en donner une idée
i M. PîLoîs-Levrault. J'ai appris par le commis que vous avez vu à
Perrigueux que M. Pitois a quitté les affaires; ensorte que ce point
que nous croyions avoir arrangé, ne l'est plus aujourd'hui. Il n'y a
donc rien de fait sous le rapport des finances et tout est à recom-
mencer à cet égard.
Une chose m'a singulièrement frappé dans votre dernière ; c'est la
propriété que noire ami M. Naville revendique sur mon travail, et
qu'il croit avoir le droit de passer à un autre. 11 est vrai qu'en partant
pour Luceme je lui ai envoyé une grande partie de mes manuscrits
syntaxiques, en lui laissant la liberté de les perfectionner et de les
publier; mais il n'en a rien fait jusqu'à présent. Il n'a donc pas
accepté mon offre, et j'ui dû prendre son silence pour un refus.
D'ailleurs, pour ne rien dire des cahiers de conjugaison, de Icxi-
graphie et de compositions que je me suis gardés, ainsi que la logique
des enfants, l'ouvrage préliminaire, renfermant la théorie du cours
de langue éducatif, n'était pas du tout écrit; je ne l'avais que dans
ma tête. Je ne verrais pas comment M. Naville aurait pu vous trans-
mettre la propriété de ces choses.
La première partie do la syntaxe que j'ai rédigée à neuf, diffère
^^ucoup de mes anciens cahiers et l'on pourrait dire que c'est un
Actre ouvrage. Est-ce que la propriété des uns entraîne la propriété
^® l'autre?
^ous ui0 dites dans votre dernière que vous avez copié ce nouveau
^^^il pQy g» le corriger et pour lui donner le tour français qui lui
'^cu^"^» nfi^ ^® ^"^ ouvrir l'entrée de vos écoles: quant à la cor-
'htfg^^ ie^ fautes de langue, la chose est en règle (I), et elle était
'^a>^^^ Df ^s nécessaire que je n'ai pas revu les copies. Le titre
'£^ ^/> j '^'^ travail dont vous avez eu la bonté de vous charger.
3f4f ?^^ro ^ ion mise à port, le travail doit rester le mien, et il ne
e^^ g^>^f"^^uter ni de retrancher, parce que l'auteur seul a l'idée
nX^^^Y^ ^^ qu'il veut produire et des principes qui l'animent.
A ^^ V ''^^^ *^^''® ^"'^ l'égard du fond et de la forme je m'en
vv ^^ ^C^^£ a été arrêté entre nous dès le commencement, a
j^^^fi^^U '^ entrevue, et constamment confirmé depuis lors. Je
> ^ l^lJ^^^uloîr autrement.
'^^^^ ^^^^i*® i® ^^^'» ""® grande disparate entre nous deux.
I ^<ni Vo^^^ ^a&lMàe chef d'une école normale et d'une école d'ap-
^^» V ^^ ^yi,vez ces deux institutions devant les yeux, et vous
« J'y consent, je suis d'accord avec vous sur ce point. >
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 9
voudriez que le cours de langue éducatif fût rédigé précisément
comme il leur convleat. Personne, sans doute, ne connaît mieux que
vous ce qu*exigent leur portée et leurs besoins. Mais ma position est
toul-à-fait différente. Moi, j'ai on vue l'éducation en général vi l'édu-
calion dans les familles comme dans les écoles, puis, loin de m'ar-
rêter aux garçons, j'ai principalement le sexe en vue, et, partageant
les convictions d'Aimé Martin (i) depuis 40 ans en\iron, je désire
mettre mon travail entre les mains des mères de famille afin de leur
donner les moyens d'en former d'autres dès Tï^ge ti»ndre. Mon livre
ne servira d'abord que dans les classes aisées où il y a de la culture
et de rame; mais j'espère que delà il descendra §t que la Providj'nce
suscitera des amis de l'enfance qui approprieront aux classes infé-
rieures et aux différentes conditions de la société le nouveau moyen
d'éducation qu'elle m'a suggéré.
Vous me dites dans votre dernière que tout Touvrsge doit paraître
à la fois, de peur que si je publiais d'abord la théorie, plusieurs écri-
vains s'aviseraient de rédiger des cours de langue d'après l'ex-
posé des principes. C'est là précisément ce que je désire; car la
même idée, pour se faire jour parlent, devra nécessairement prendre
diverses formes, tout comme plus ou moins d'extension dans ses déve-
loppements. Cependant, ayant mûrement réfléchi à ce que vous me
dites, je renonce à la publication isolée de la théorie (2). Elle ne pa-
raîtra qu'avec les deux premières parties du cours de langue, celle de
la proposition et celle de la phrase à deux propositions avec les
cahiers de conjugaison et de lexigraphîe correspondants. Les deux
autres parties, celle de la phrase à 3 pi^opositions et celle de la
phrase à 4 propositions et au-delà, formeront la seconde livrai-
son. Ici, à côté de la syntaxe qui sera la logique de l'enfance, paraî-
tront les compositions graduôes, et la lexigraphie continuera. La
conjugaison n'y sera plus traitée à part, car au fond elle aura été
épuisée dans les deux premières parties; mais elle sera prise quel-
quefois dans la syntaxe même, où il y aura des exemples que les
élèves seront appelés à conjuguer; comme cela se pratiquait avec fruit
dans mon école.
J'espère de pouvoir finir la première livraison. Quant à la seconde
on trouvera, si je meurs, les plans détaillés chez moi et les matériaux
convenables. Un de mes confrères et amis sera chargé d'en faire la
remise à une personne désignée, et cette personne, c'est vous.
(1) Aimé Martin avait publié sept ans auparavant, en 1814, son ouvrage
bien connu, couronné par rAcadémie franc lise : Éducation des mères de /a-
miUef ou De la civilisation du genre humain par les femmes,
(I) Comme on le verra plus loin, le P. Girard devait ch-mger d'avis encore
une fois, et revenir à son idée première. La théorie, c'est-à-dire le livre De
renseignement régulier de la langue maternelle, fut, en effet, publiée séparé-
ment, et avant le Cours de langue proprement dit.
10 REVUE PÉDAGOGIQUE
Vous voyez par là que je n'ai rien changé au seul arrangement
que nous avons pris ensemble, et nous prendrons les autres lorsque
la première livraison devra paraître. Ce sera assez tôt.
Celte première livraison, comme vous pouvez le voir, formera un
tout qui pourra suffire aux classes inférieures que le travail appelle
si vite, parce qu'il faut vivre.
Comme les copies me coulent beaucoup d'argent — je paye la
feuille 4 sous, — je vous prie de me renvoyer celles que je vous
ai remises par deux fois, afin que j'y insère les changements qui
se trouvent maintenant aux originaux.
Il eiït possible que la première livraison soit prête pour le nouvel
an. Je renverrai à Paris en profitant de TolTre que m'a faite M. le
Baron Mortier, ambassadeur de France en Suisse. Je l'adresserai au
Blinistère de l'instruction publique pour vous la faire parvenir.
Vous en serez prévenu à temps. Quant à moi je ferai diligence
et je mettrai à profit tous les moments qu'il plaira à la divine
Providence de m accorder. J'ai toutefois encore mes leçons au couvent:
mais je suis enfin au bout des travaux de ma pénible et exigeante
présidence de la Société suisse des sciences naturelles. Veuillez m'in-
diquer le moyen de vous faire parvenir un exemplaire de nos actes.
Ce qui a tourné ma pensée du côté de M. Michel, je vous Tai dit.
Je suis si éloigné de vouloir faire opposition avec l'université, que
la conciliation est dans le fond de mon âme et que, loin de tout
parti, je désire d'êlre utile à toute la jeunesse, quelle que soit l'opinion
politique des parenis. Je n'irai pas me démentir au bord de la
tombe et près de paraître devant le Père commun et le Sauveur de
tous les hommes. Tous les enfants sont aussi mes enfants.
Adieu, Monsieur et cher ami, je vous embrasse.
Tout à vous.
Grég. Girard, Prof, de Philosophie.
P.'S, M. Michel me marque dans sa lettre du 21 mai que
M. Villemain (I) est prêt à recevoir les manuscrits que je lui enverrai.
Comme il faut un correcteur sûr pour un ouvrage qui s'imprimera
à Paris, loin do vous, je pense que vous vous ferez suppléer pour
cela par M. Michel, ce qui à mon avis arrangera tout.
IV
Fribourg en Suisse, le !•' juillet 1842.
Monsieur et cher ami,
Votre dernière a bouleversé tous mes projets. J'ai eu soin de ter-
miner l'ouvrage préliminaire et les deux première parties du Cours
(1) M. Villemain était alors ministre de Tinstruction publique.
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 41
éducatif de langue maternelle : tout était prêt et copié et j*a11ais tout
vous remettre à votre passage a Frlbourg. Maintenant il a fallu chan-
ger ces dispositions.
M. Cousin, passant à Fribourg il y a 3 ans bientôt, m'avait dit :
€ Envoyez-moi votre travail et je le ferai imprimer. » J'ai dû le prendre
au mot pour l'impression de l'ouvrage préliminaire que je lui ai
dédié, etj'attcus sa réponse depuis huit jours. J'en avertis aujourd'hui
M. Michel, notre ami commun, car il a bien voulu se charger de
revoir les épreuves.
Quant à l'ouvrage élémentaire, il devait porter sur le titre ces mots :
Edition soignée par M, Rapet directeur etc. et M. Michel etc.. Je vou-
lais par là réunir les universitaires et les non-universitaires dans
l'intérêt de toute la génération naissante qui toute entière m'est chère
et précieuse sans exception. Notre ami commun a Tair de servir le
parti légitimiste. Ce n'est pas en cela qu'il peut me plaire, à moi
prêtre de J.-C. qui ne suis et ne dois être d'aucun parti; mais il veut
réducation de l'enfance, et la meilleure, et la seule véritable, et sur
ce point qui est l'essentiel il pense comme nous et nous comme
lui. Il nous aidera dans le but que nous poursuivons tous deux, et
que si peu d'instituteurs veulent et comprennent. Profitons des ser-
vices qu'il est disposé à nous rendre pour la plus belle des causes.
Veuillez me dire ce qu'il y a à faire peur que vous preniez part à
la publication des livres élémentaires et qu'ils puissent porter sur le
titre les mots Édition soignée par et par. Comme vous n'Irez pas à Paris,
il faudra vous envoyer les manuscrits. Cela est- il faisable et comment?
Je veux me servir de l'attache ministérielle pour plus de sûreté: car les
manuscrits venant à se perdre, il faudrait de nouvoHrs copies qui
demanderaient des mois et des mois et beaucoup d'ari^ent, plus qu'il ne
m'en reste après les dépenses considérables que j'ai faites jusqu'ici.
Causez-en à M. Michel auquel j'écris aujourd'hui et veuillez me
faire connaître vcs pensées à ce sujet. Je vous embrasse.
G. Girard.
P.'S. M. Naville se porte bien, j'ai vu dernièrement presque toute
sa chère famille, ses deux fils, leurs femmes et W^^ Rose (I).
V
26 juillet 1841.
Monsieur et cher collègue.
J'accepte avec une reconnaissance bien vive la proposition que vous
me faites de passer par Fribourg les premiers jours de septembre.
Les deux premières parties du cours éducatif de langue maternelle
(I) M*>* Rose Naville, qai mourut toute jeune encore, on 18i>.
12 REVUE PÉDAGOGIQUE
sont prêtes, sauf le vocabulaire qui est en travail. J*espère de pou-
voir vous remctlre sa première partie, afin que la première livraison
du cours soit complète, et puisse être publiée avant la mi-octobre,
pour la rentrée des études.
L'ouvrage préliminaire, renfermant la théorie du travail, est parti
hier de Fribourg et voici comment. M. ('ousin ne répondant pas à
la lettre que je lui ai adressée il y a plus d*un mois, je priai notre
ami commun M. Michel de bien vouloir se transporter chez lui. Il
le trouva sur sun départ pour les bains de Plombières. 11 témoigna
son regret de ne pas s'être occupé plutôt de mon affaire et promit
de la prendre en main dès son retour, le 28 ou !29 d*août.
C'est l'ingénieur de nos ponts suspendus, M. Challey, qui m'apporta
la lettre de son ami d'enfance M. Michel. Comme M. Challey sera de
retour ù Paris dès les premiers jours d'août, je lui ai remis le manus-
crit. C'était le remettre en mains sûres, et le faire arriver promple-
ment à sa destination. Je ne pouvais pas attendre le retour de
M. Cousin, parce que la publication aurait été trop en retard
J'ai remis le manuscrit à M. Michel en toute propriété avec cer-
taines conditions que j'ai indiquées en gros et que M. Challey négo-
tiera en ma pince et dont il sera le garant. 11 reviendra à Fribourg
dans six semaines et il y a toujours des fonds à sa disposition. Ne
vous effrayez pas des conditions pécuniaires. Il ne s'agit que du
rembours de mes frais, et je laisse faire M. Michel et son ami.
S'ils vont trop loin, je rabattrai, parce que ce n'est point une
spéculation de ma part, et mon désir est que l'ouvrage destiné aux
générations naissantes, soit par la modicité de son prix à la portée
de tous.
Je pense aussi vous faire une remise semblable, à vous qui le
premier vous éles intéressé aux intentions qui m'animent depuis si
longtemps et que vous avez partagé si Irunchement et si vivement
avec moi. C'est une chose dont nous nous occuperons à votre pas-
sage a Fribourg.
Comme la librairie ne vous est point étrangère et que sûrement
vous connaissez à Paris une maison bien achalandée, qui pourrait
remplacer M. Pitois-Levrault, veuillez vous entendre avec M. Michel
pour que tout soit prêt au moment où vous arriverez à Paris avec
les manuscrits. M. Michel dans sa dernière me parle encore d'une
société à former pour l'imprassion des livres élémentaires. Ce n'est
pas plus m >n avis que celui de mes amis de Genève. Je crois que
M. Michel abandonnera cette idée dès qu'il aura vu son ami Challey.
Celui-ci est tout-à-fait a même de faire les fonds nécessaires. Les deux
ponts suspendus de Fribourg lui produisent de gros intérêts.
J'ai appris par M. Leblond qui dernièrement s'est adressé à vous
et qui présentement est retourné à Tarare, j'ai appris, dis-je, que
M. Michel s'est adressé à M. Debornes pour obtenir de lui un jeune
homme attaché à son institution. Il s'agit d'en faire un aide pour
LETTRES IN&DITES DU PÈRE GIRARD 13
aa commerce de librairie. M. Michel fait imprimer de petits livres
d'histoire sainte et d'histoire naturelle. Il m'en a envoyé. Serait-ce
là celle branche de commerce et s'agit-il peut-être do mes ouvrages?
Il ne m*en parle pas. Je sais qu'il a refusé M. Leblond que
M. Debornes lui a présenté. Les livres élémenlaires ne verront pas
le jour sans vous. Vous êtes lo premier pour l'édition et pour les
arrangements à prendre, et il est entendu que vous devez en avoir
le bénéfice, ne serait-ce que pour vous dédommager de vos frais
de voyage.
La loi accorde aux auteurs un privilège de 40 ans. En ce cas
une édition stéréotype serait d'un grand avantage pour les éditeurs
et les acheteurs. Veuillez y penser.
D'après mon intention, les livres élémentaires ne seront qu'entre
les mains des instituteurs et des institutrices et de leurs aides. Vous
avez cru qu'il fallait aussi quelque chose pour les élèves. Je vous
laisse entièrement le soin de cet extrait que vous proportionnerez
aux besoins des écoles françaises. Vous en connaissez la portée.
D'un autre côté j'ai cru devoir donner à mon travail le plus haut
ton, sans cependant dépasser ce que j'ai vu faire par mes élèves
d'autrefois. Le ton sera cependant trop haut et trop étendu pour les
écoles des campagnes et beaucoup d'autres dans les villes. 11 s'agira
donc, pour généraliser le cours éducatif de langue^ non seulement
d'abréger mais encore de descendre d'un cran, pour se mettre à la
portée des élèves qui ont moins de moyens et moins de temps. Voilà
une rédaction dont je ne pourrai pas m'occuper du tout et qui de-
mande un homme placé comme vous l'êtes dans votre école normale
et voire école d'application.
J'ai pitié des élèves qui sont longuement à apprendre à lire, à
écrire et à chiffrer ainsi qu'à réciter machinalement quelques chapitres
du catéchisme L'éducation n'est pour rien dans ces exercices si longs ;
l'esprit ne s'y développe point, les sentiments du cœur ne sont
point avertis et la c mscience reste inculte. Vous savez que j'ai
placé à côté de ce travail matériel trois exercices d'inlelli^'ence etc.
qui ne se faisaient que de vive voix en cours général. Voilà
ce qu'il faut dans vos écoles de France. Les élèves y apprennent
à parler et à parler français sans grammaire en traduisant leur
jargon en français et lo français dans leurs idiomes populaires.
C'est ainsi que s'enseignait chez nous la grammaire des campagnes.
Mgr D'Asmond, Évêque de Nancy a beaucoup approuvé cette forme
d'ensfcignement.
Vous voyez qu'il restera assez à faire pour vous et M. Michel,
seuls inslituteurs de France à moi connus qui ayez compris comme
moi que l'enseignement do la langue maternelle doit êtro mis au
service de l'éducation. Cependant on m'annonce de Lyon que des
inslituteurs goûtent et attendent cette révolution. Je me trouverai
trop heureux de l'avoir provoquée.
14 REVUE PÉDAGOGIQUE
Veuillez faire vos réflexions sur les nouvelies que je vous ai
données et les ouvertures que je vous ai faites. Je vous embrasse
de tout mon cœur et je vous attends avec impatience.
Tout à vous.
G. Girard.
VI
Sans date. (L'enveloppe porte le timbre de Fribourg
et la date du ai septembre 184^)
Messieurs et très chers amis (1),
Voici de la main du P. Charles (2) le dernier chapitre du ma-
nuscrit intitulé : Introduction an catéchisme. Je Tai promis dans
quelques jours et le voilà de manière à pouvoir le présenter avec le
reste à Tapprobation de Mgr Tarchevêque de Paris.
J'ai arrêté le litre qu'il convient de donner aux trois petits ouvrages
que je destine tout autant aux familles qu'aux écoles. Le voici :
Première instruction pour les enfants dans les familles et les Ecoles.
i" Partie. Premier coup d'oeil sur la nature. — II® partie. Intro-
duction morale et religieuse dans le monde des esprits. — lll^ Par-
tie. La Sainle Trinité comme introduction dans l'église chrétienne?.
— Les parties doivent être imprimées séparément dans le format
que vous jugerez convenable.
Je refond la première partie. Elle sera prête dans un mois et je
compte l'envoyer par la poste à M. Michel. —En attendant on pourra
remettre les deux autres parties à l'archevêché et les faire imprimer,
comme vous le jugerez à propos. Je vous laiïrse tout à fait libres.
11 faudra comme je l'ai recommandé à M. hapet diviser les cha-
pitres en leçons comme vous le voyez dans le présent manuscrit,
et numéroter les questions.
J'ai pensé que Ton pourrait réunir les deux propositions de M. Mi-
chel, remettre l'impression et le débit à une librairie achalandée (3),
et cependant prendre des souscriptions chez les amis de l'éducation.
Dans le cours éducatif il y a une grosse erreur contre l'histoire.
Je crois avoir écrit que Brutus a fait mourir ses deux fils pour
avoir livré bataille sans ordre tandis qu'ils ont été condamnés pour
(1) La letiie est adressée à Monsieur J, Rapet, directeur de l'école normale
de Perriffueux^ présentement chez Monsieur Esteveny, Palais de la Chambre
des Députés^ à Paris, Le pluriel « Messieurs et très chers amis 9 montre
qu'elle était destinée aussi à M. Michel.
(2) C'est le religieux dont il est question dans lu lettre du 18 août 1840,
qui se chargeait de la copie des manuscrits du P. Girard.
(3) Des négociations avaient été entamées avec la librairie Langlois et
Leclercq.
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 15
s^étre entendus avec Tarquin, De grâce ne laissez pas passer cette
faute. Je vous embrasse à la hâte.
Tout à vous,
Grég. Girard.
P. S. Marquez bien les frais que je vous cause. Ils devront être
prélevés avant tout.
VU
Fribourg en Suisse le 6 décembre 1842.
Mille grâces, mon cher et respectable ami, pour Tintérét que vous
mettez à réducal ion des générations naissantes et au succès d'un
travail que j'ai entrepris et que j'achève uniquement dans Tinlcn-
lion de les servir. Je remercie le Ciel de m'avoir donné un aide tel
que vous, et comme ThoAme moissonne ailleurs ce qu'il sème ici-
bas, ayant partagé le travail, nous partagerons la récompense. Ce
partage me rendra ma portion d'autant plus précieuse.
Après avoir réfléchi deux jours sur la lettre que vous m'avez
adressée de Paris en date du 10 octobre, j'écrivis à M. Michel et je
le priai 1 Me supprimer la dédicace de l'ouvrage préliminaire (1), en
lui disant que M. Cousin ne pourrait pas s'en offenser, attendu qu'il
ne m'avait pas fait connaître son acceptation et que d'ailleurs je lui
en écrirais. 2® Je chargeai M. Michel ain>i que vous de faire droit
aux demandes de M. Rendu sans mon intervention (2). J'ajoutai
que le cours de langue s'adressait à toute la jeunesse française,
et qu'en conséquence il ne pouvait et ne devait pas devenir un ou-
vrage de coniruver.-e entre les différentes communions chrétiennes;
mais qu'il devait s'en tenir au christianisme universel, etc., elc
Je croyais que M. Michel s'entendait avec vous et que l'impression
était commencée après les redressements désirés por M. Rendu
et que je ne connaissais pas. Ma surprise fut bien grande, lorsque
en date du 24 novembre, je reçus de notre omi la nouvelle qu'on
lui avait redemandé le manuscrit et qu'on ne le lui avait rendu que la
veille. Il m'annonçait que M. Guéneau de Mussy (3) lui a signalé
(1) Lc9 correspond ints de P. Girard lui avaient fait entendre qu'il n'élait
ims politique de placer le noan de M. Cousin en tête d'un ouvrage qui avait
besoin de l'approbation de l'archevêché.
(2) M. Aoibroiss Rendu, inspecteur général de l'Université, avait reçu
communication du manuscrit de l'Enseignement, régulier de la langue mater-
nelle. 11 rédigea des observations qui furent transmises au P. Gimrd par
M. Rapel. D'autres observations furent formulées une seconde fois par M. Rendu
en 1846, après l'impression de l'ouvrage, et nous les trouveronsavec la ré-
ponse du P. Girard.
l3) Inspecteur général de l'Université ami de M. Àmbrolse Rendu.
16 REVUE PÉDAGOGIQUE
dans Touvrage des lacunes qui lui donnent une couleur prolestante.
Les voici: Le S.iuveur n'y est point présenté comme le Réparaleur
et comme Médiateur, le péché originel et ses conséquences, puis
la nécessité de la grâce et celle de la prière n'y paraissent point.
Vous me parlez d'une autre omission, celle de Féglise et de son
autorité. M. Michel ne m'en parle pas.
Répondant au dernier article de ma lettre du mois d'octobre, il pjoute
ces mots : « 11 me semble que le plus sage parti est de considérer l'ou-
vrage comme s'adressant exclusivement aux écoles catholiques et de
donner satisfaction aux susceptibilités qui seraient blessées de la
moindre nuance px)tpstante. »
Ces Messieurs ne connaissent pas la doctrine protestante, autrement
ils n'auraient pns cité les omissions ci-dessus comme favorisant leurs
opinions religieuses (1). Ces Messieurs ont fait deux fautes graves dans
leur criti«|ue. La première est de croire que les omissions qui se
trouvent dans l'ouvrage préliminaire se trouveront aussi dans l'ou-
vrage élémentaire, tandis que le premier n'a que des indications en
grand et ne peut pas entrer dans les détails. La seconde erreur de
ces Me>sieiirs est do s'imaginer que le cours de langue doit et peut
être un catéchisme, tandi^i qu'il ne le peut pas sans se détruire et
que si même il le pouvait, il ne devrait pas lêtre pour ne pas
empiéter sur l'en^elgncm- nt de Téglise et se faire repousser comme
une invasion aussi profane qu'audacieuse.
En réfléchissant sur ces conirariéti s et la source d'où elles décou-
lent, j'ai pris un double parti à l'égard de cet ouvrage piéliminaire
qui ne comprend que la théorie du cours éducatif de langue mater-
nelle.
i° J'ajouterai aux trois premiers livres quelques éclaircissements
à insérer en liru cl place. C'est là entr'autres où je tracerai claire-
ment les limites qui doivent sous tons les rapports exister eotre un
catéchisme et rtMiseignemenl de la langue maternc-lle, bien que mis
au service de l'éducation. C'est là (|ue j'aurai l'occasion de faire
mention de Céfflise, du ministère de la parole qui lui est réservé et
de faire droit à la demande de M. Rendu que vous venez de me
faire connaître et dout M. Miihel ne me parle pas.
2® Je rédigerai à neuf le 4' et le ti« livres à commencer dès le
chapitre lll du IV*. Dans cette refonte, j'î retrancherai les propositions
et ie< plirises nombreuses que j'ai ajoutées en parlant de la culture
mora/", religieuse, sociale et personnelle pour faire voir en détail
quelles sont les pensées à graver dans l'esprit des enfants pour donner
à leurs p nchants naturels la direction désirée. Les personn s qui
ne sont pas à même de juger dans cott^ pirtie, étrangères qu'elles
sont à la science de Vàme — et r'est le 1res gran-l nombre même parmi
les lettrés, parcourent rapidement du semblables exemples, et n'y
(1) C'est-à-dire les opinioDs religieuses des protestants.
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD |7
trouvant pas certaines pensées elles commettent la double erreur et
la double injustice que je vous ai signalées plus haut. Je m'en tiendrai
donc à la simple indication des matières et dans cette indication
j'aurai égard aux observations de ces Messieurs. Le travail est déjà
commencé et prochainement j'aurai achevé la rédaction du chapitre 111
du IV* livre. La réforme que je fais abrégera Touvrage de 100 pages
environ, ce qui le mettra plus à la portée des lecteurs auxquels je
le destine. A quelque choî>e malheur est bon.
Il me faudra environ six semaines pour achever parce que nous
sommes au gros de Thiver et que je ne puis guère travailler à la
•lumière.
J'ai répondu de suite à M. Michel pour lui annoncer ce que j'allais
faire et ma lettre est partie deux jours avant que j'eusse reçu votro
dernière. Au surplus j'ai encore prié M. Michel de retrancher la
dédicace de l'ouvrage à M. Cousin et je lui ai demandé si peut-être
il était convenable de le dédier au Conseil royal de l'instruction
publique, aHn de faciliter l'introduction du principe dans les écoles.
J'ai ajouté que si l'annexe où je parle de l'ouvrage de M. Aimé
Martin (Education des mères de familles) pouvait déplaire, j'en ferais
volontiers le sacrifice.
Je ne lui ai pas répété que je me tiendrais inviolablement au
christianisme universel, parce que mes additions et ma nouvelle
rédaction justifieront de reste le parti que j'ai pris à cet égard et
auquel je tiendrai ferme. Arnicus Plato, magis arnica veritas.
Je suis très content des observations que vous avez faites sur ce
pointa M. Michel, et il verra qu'elles ne vous sont point dictées par
moi, mais qu'elles viennent originairement de vous, do votre expé-
rience et de vos propres réflexions.
M. Michel me marque que MM. Langlois et Leclercqne sont plus
aussi décidés qu'ils relaient pour l'entreprise de l'impression, lisse
raviseront, j'espère, une fois que le Conseil royal aura décidément
pris un parti favorable au cours de langue. 11 faut donc attendre
un peu.
Une fois que cette afl'aire sera arrangée, je vous expédierai la
copie vidimée des coniratsque vous m'avez envoyés. Vous les jugez
convenables et cela me suffit. J'ajouterai un autre engagement en
votre faveur et en faveur de M. Michel.
Quant à l'extrait à metire entre les mains des enfants, il sera
assez tôt de l'entreprendre apros que le Conseil royal aura approuvé
l'ouvrage préliminaire, car il faudra attendre au moins trois mois
avant de penser à la publication de la première livraison de l'ouvrage
élémentaire. 11 y aura comme vous savez des débats à soutenir sur
le principe, et on ne devra rien publier, ce me semble, avant que
les juges compétents se soient hautement prononcés en sa faveur. Le
retard est nul pour les écoles, puisque le changement ne pourra
avoir lieu qu'à la rentrée des éludes.
trVUB PÉDA606IQUB 1885. ^1*' SBH. i
18 REVUS PÉDAGOGIQUE
Veuillez faire de ma pari à Madame Rapet mille amitiés, car je
suis sûr qu'elle aussi s'intéresse à voire vieux ami, ne serait-co que
parce quVlIe est mère et que j'utilise encore les derniers jours de ma
vie au service des enfants.
Tout à vous.
Grég. Girard.
P. S. J'ai terminé la première partie des exercices d'intelligence
à placer dans les écoles élémentaires à côté des éléments de lecture,
d'écriture et de calcul. Il s'agit de la copier et de changer en con-
séquence le premier chapitre de la seconde partie. Veuillez retarder
l'impression jusqu'à ce que tout soit en règle. Je ne perdrai pas cef
objet de vue.
VIII
.Monsieur et respectable ami,
Je vous annonçais dans ma dernière que sur les représentations
de M. Rendu je m'étais décidé à refondre une grande partie de l'ou-
vrage préliminaire et à faire quelques légères additions à ce que je
ne voulais pas refondre. Ce travail est maintenant terminé. Los
copies seront achevées avant dimanche et tout sera prêt pour être
envoyé à M. Michel. J'attends dans quelques jours les directions que
je lui ai demandées pour l'envoi.
11 vous a écrit, il y a quelques semaines, pour vous faire part
des réflexions do M. Queneau do Mussy qui lui avait demandé le
manuscrit, sans doute pour le communiquer à quelqu'un et prendre
son avis. M. Langlois branle aussi au manche pour ne pas dire
davantage, et il comprend qu'en imprimant mon travail, il va faire
un grand tort aux gramma'res et adhérences (1) qui font une grande
partie de son magnzin. Vous aviez bien raison de m'écrire de Paris
qu'il y aurait une grande lutte à soutenir, non seulement avec l'ha-
bitude, mais a>ec des intérêts pécuniaires. J'ajouterai, des amours-
propres que la réforme blessera....
Vos renseignements et ceux de M. Michel m'ont fait comprendre
qu'il faudra eu revenir a la souscription dont il avait d'abord été
question. Dans tous les cas, il ne faudra penser à l'impression des
livres élémi'ntaires qu'après que l'ouvrage préliminaire auni circulé
dans le public et obtenu l'assentiment d'une notable portion de lec-
teurs. Alors on pourra publier, soit par souscription, soit par uiw
librairie achalandéet
J'avais dès le commencement, au mois de juillet, prié M. Michel
(1) Le P. Girard dit « adhérences « pour « appendices ». On trouvera phis
loin une explication de celle phrase, même lettre, page 20.
LETTRES INÉDITES DU PÈHE GIRARD 19
de se charger de l'impression de l'ouvrage préliminaire. Les dispo-
sitions élaicnt prises et le travail allait commencer lorsque vous êles
arrivé à Paris. Par délicatesse, M. Michel Ta suspendu, bien que je
n'eusse pas pensé revenir en arrière sur une proposition faite et
acceptée. Les obstacles qui sont survenus, m'ont engagé à prier
M. Michel comme directeur de la' nouvelle bibliothèque d'éducation de
soigner d'après notre premier projet la pubUcatioii de l'ouvrage pré-
liminaire, afin que nous en venions une fois à quelque chose. Si sur
son apparition le public se prononce, nous n'aurons point de diffi-
culté pour le reste et à défautde MM. Laoglois et Leclercq il se trouvera
bien d'aulres libraires.
J*ai prié M. Michel de supprimer la dédicace portant le nom de
M. Vîclor Cousio, puisqu'elle nuirait à l'ouvrage. C'est à contre-
cœur que je Tai fait et s'il m'avait donné un mot en réponse pour
me marquer son acceptation, je l'aurais prié de me dégager, attendu
qu'il y aurait eu une parole donnée et acceptée. Je suis sûr qu'ayant
le cœur plus grand que ses adversaires, il aurait consenti à faire
ce sacrifice, si c'en était un.
J'ai encore prié M. Michel de dédier l'ouvrage au Conseil Royal
l'Instruction Publique, si cela est praticable, et si cela peut concilier
quelque faveur à l'ouvrage comme de lui ouvrir les portes de l'uni-
versité. J*atlends la réponse, et si elle est affirmative, j'adresserai
qnelques lignes au Conseil.
Quand j'ai entrepris la refonte d'une partie de l'ouvrage prélimi-
naire, j'étais à rédiger le vocabulaire de la deuxième livraison qui
vous manque, car je sais que vous avez emporté à Perrigueux les
manuscrits que je vous ai remis à Fribourg. Je vais de suite reprendre
mon travail qui ira grandement puisque les jours augmentent sen-
siblement.
N'allez pas croire que j'aie changé d'idée sur la limite que je m'étais
de tout temps prescrite pour l'instruction religieuse à donner dans le
courô éducatif de langue. J'en ai resté au même point, mais je
justifie d-ms mes amendements ce que j'avais décidé, et les raisons
que j'apporte sont tellement plausibles sous tous les rapport^, ({ue
l'on n'aura pas un mot raisonnable à m'objecter.
Je sais que M™° Na ville vous a écrit pour vous exhorter à ne pas
consentir à insérer une religion étroite dans le cours de langue.
M"^ Rose me Ta marqué. Mais cela n'était pas nécessaire, car vous
n'en avez pas plus envie que moi. Ni M. Michel non plus, car ce
n'est pas sa pensée qu'il m'avait écrile. Il m*a rendu ce qu'on lui
a dit, en ajoutant que si Ton avait adopté son projet, il n'y aurait
eu aucune espèce de difficulté.
Moi, je désire de tout mon cœur que le cours de langue puiss(;
entrer dans les écoîes de l'université. Vous ne le désirez pas plus
que moi ; et c'est pour celte raison que j'ai retouché a peu près la
moitié de l'ouvrage préliminaire, pour fake droit aux réflexions de
20 REVUE PÉDAGOGIQUE
M. Rendu, et le rendre plus instructif pour les instituteurs, les insti-
tutrices et les mères de famille qui sont nos premières maîtresses
de langue, partout ôii elles font leur devoir.
C'est sur elles que je compte particulièrement pour le succès du
cours éducatif de langue. Je le leur dis quelquefois, et je compte que
mes paroles ne serontp as perdues. Je n'oublie pas le clergé, d*apr^s
ce que Vous m'avez marqué ainsi que M. Michel, et il comprendra
que le coiirs de langue doit préparer l'enseignement religieux ou le
catéchisme sans empiéter sur lui et avoir l'air de vouloir l'éliminer
de l'éducation.
J'ai lu dans le temps les propositions de M. Langlois, mais comme
je savais qu'il tirait en arrière depuis les réflexions qu'on lui a faites,
je n'ai pas cru devoir y donner suite pour le moment. Votre silence
depuis l'envoi des propositions m'a fait penser que vous connaissiez
plus particulièrement les intentions de cette librairie, qui craint avec
raison de décréditer ses quatre grammaires avec leurs appendices,
en publiant un cours de langue qui se propose de les remplacer
dans les écoles et dans les familles.
Je vous ai remis deux manuscrits rédigés pour la classe élémentaire
de mon ancienne école et depuis je vous ai envoyé un supplément
pour l'un d'eux. Je ne vous ai pas remis le premier que j appelais
le Vocabulaire d'abord parce que dans mon école il était aussi
destiné à apprendre aux enfants à nommer les objets en allemand
comme en français. J'ai maintenant refondu ce vocabulaire en
omettant les mots allemands. Je vous ai prié dans le temps d'at-
tendre pour l'impression, et je vous réitère cette prière, jusqu'à ce
que j'aie trouvé le loisir de mettre ces petits livres élémentaires
en parfaite harmonie avec le cours de langue.
A présent, mon cher et respectable ami, je crois vous avoir dit
tout ce que j'avais à vous dire pour le moment, et je fmis en vous
embrassant de cœur et d'âme ainsi que votre famille qui m'appar-
tient aussi puisqu'elle est à vous.
Votre tout dévoué,
G. Girard.
Fribourg le 3 février 18*3.
P. S. La goutte m'a fait depuis quelques jours une visite dont
je me passerais volontiers. Elle me relient captif dans mon cou-
vent, sans pourtant m'empâch3r da voyager avec mes pensées
et mon cœur jusqu'à Perrigueux.
Si JAmiis on voulait traduire mon cours de Philosophie (i), j'au-
rais quelques avis à donner au traducteur.
[\] G'eât le cours de philosophie professé au lycée de Lucerne, et rédig*^
en allemand. Il comprenait quatre cabieri lithographies, iQ-8*| formant
ciiscinblé 601 piges.
LETTRES 1MÉDITIL5 DU PÈRE GIRARD 21
IX
Fribourg, le 8 juin 1843.
Mon cher et respectable ami.
Vous aurez appris par M. Naville raccident qui m'est arrivé le
1 mai. En tombant, je ne sais comment, d'un escalier à la renverse,
je devais me tuer ou tout au moins me fracturer quelque membre.
J'en ai été quilto pour de graves contusions dont les contre-coups
ont amené une rétention d'urine qui se dissipe peu à peu, puisque
depuis plusieurs jours je n'ai plus besoin de la sonde pour les
fonctions du bas-ventre. La première chose que je me suis dite après
la chute, c'est que le Ciel veut me laisser le temps d'achever un
travail qu'il m'a inspiré pour le bien des enfants.
Je m'occupe maintenant de la troisième partie de la syntaxe, qui
s'occupe des phrases de 3, 4, 5 etc. propositions, puis de la 2«
partie de la dérivation etc., cahier qui manque encore pour com-
pléter le second cours.
Vous m'avez marqué dans voire dernière que vous avez des chan-
gements à me proposer dans les 5 manuscrits que vous avez chez
vous. Veuillez me les faire connaître, afin que je puisse faire droit
à tout ce qui sera conforme à la marche et à l'esprit de l'ouvrage.
Je ne désire pas mieux que de rendre mon travail aussi bon et aussi
utile que possible, bien que je le croye susceptible d'un perfectionne-
ment indéfini
Je l'ai dit et je le répète, mon ouvrage doit présenter le maximum
du cours éducatif de la langue maternelle. Il pourra servir dans lefi
institutions et les bonnes écoles des villes. Il faudra l'abréger pour
les écoles de la campagne, et cet abrégé devra s'approprier aux cir-
constances particulières des différentes localités. Je ne m'en occupe^
rai pas et ce sera votre afl'aire et celle de vos amis dans le corpf»
enseignant. Vous parviendrez bien à trouver des collaborateurs dans
les ditférentes provinces du royaume.
Pour cela il faut que Tintroduction soit publiée et conaue et
débattue. Le principe une fois admis par les hommes de sens qui
s'occupent de l'éducation de l'enfance, tout le reste se fera comme
de soi-même. Mais cette introducMon qui devait paraître avec la fin
d'avril, comme M. Michel me lavait promis, n'a pas encore vu le jour.
L'éditeur me laisse dans la plus pénible perplexité. 11 ne m'a pliuB
écrit depuis le 26 février. Je ne sais pas du tout ce que je dois en
penser. Je lui ai écrit depuis lors, le 9 mars, et je suis encore a
attendre une réponse aux questions que je lui ai fuites. Je viens de
lui écrire pour le prier de me tirer de l'embarras où son silence me
l^tient depuis si longtemps.
22 RBVnK PÉDAGOGIQUE
Vous avez écrit le 20 mars à notre ami commun de Genève et
vous lui avez marqué que l'impression de l'ouvrage commence. Voilà
tout ce que je sais. D*où vient le retard? je Tignore, et pourtant il
me semble que je devrais le savoir.
A présent que je m*occupe grandement de la troisième partie de
la syntaxe, je vois que j*aurai à faire quelques changem3nts à la
seconde, où j'ai quitté le chemin le plus simple que j'avais toujours
suivi, en séparant ce que j'ai appelé les phrases grammaticales de celles
que j'ai cru devoir nommer phrases logiques. Sauvent on fait moins
bien, tout en pensant mieux faire. Cependant le changement n'ira
pas loin.
Un excellent peintre vient de faire mon portrait. Tous ceux qui
l'ont vu s'accordent à dire qu'il a admirablement réussi, et moi je
dois le croire. Il est fait une lythographie en petit que l'on dit par-
faite. Vous en aurez un exemplaire.
Veuillez, mon cher ami, embrasser les vôtres pour moi et croire
que je reste pour toujours
Votre tout dévoué
G. Girard.
Fribourg, le 2 octobre 18^3.
En ce moment, mon cher et respectable ami, je viens de lire
votre lettre du 26 septembre et j'ai été charmé d'y retrouver ce bon
M. Rapet que je conserve précieusement au fond de mon cœur.
11 paraît que vous n'avez pas reçu la réponse que j'ai faite à votre
dernière et j'en suis surpris. Je vous parlais de la décision qu'avait
prise M. Langlois sur l'opinion de M. Cousin qui insistait sur l'im-
pression de l'introduction, mais qui n'approuvait pas la publication
des livres élémentaires, attendu que Lhomond était et est encore
suffisant. C'est du moins ainsi que M. Michel ma rendu compte de
l'entrevue qui a eu lieu chez M. Langlois et de son résultat.
J'ai do suite prié M. Michel de publier, à mes frais ou aux siens,
rintroducti(»n, afin que le principe de mon travail fût d'abord discuté
par les hommes de l'art. Je ne doute pas qu'il ne trouve de l'as-
sentiment dans le public, et dès lors on procédera à l'impression des
livres élémentaires.
L'impression de l'introduction devait commencer en mars. La
maladie de M°>« Michel y a mis deux mois de retard. Enfin j'ai
recule 11 d'août les trois premières feuilles pour en faire la correcture
et j'ai prié M. Michel de se choisir un correcteur à Paris s'il ne
Toulait pas l'être lui-môme. L'impression fourmillait de fautes.
Depuis ce moment M. Michel garde un profond silence et je ne sais
pas cù j'en suis avec lui ; cela me met dans une pénible situation
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 23
envers les personnes qui en Suisse, en France, en Piémont, en
Italie, etc., attendent sur l'ouvrage.
Je vois que M. Michel ne met pas de diligence à remplir la com-
mission dont il s'est chargé et jo vous prie de bien vouloir venir à
mon secours. Vous avez a Paris des parents et des amis. Veuillez
prier l'un d'eux d'aller en mon tiom chez M. Michel pour activer une
impression qui tarde scandaleusement. Ourdirait qu'elle a été remise
aux soins d'un ennemi.
Veuillez garder devers vous tous les manuscrits que je vous ai
réunis. Je ne saurais les confier à la négligence de M. Michel. S'il
venait à vous les demander, dites-lui franchement que je vous ai
défendu de les lui remettre. Quand le temps en sera venu, nous
conviendrons entre nous des mesures a prendre.
Je suis à terminer les livres élémentaires, et j'avance dans mon
travail. Il y aura quelque chose à corriger dans la syntaxe du second
cours. Je vais rédiger le vocabulaire qui vous manque. Il serait
fait si je n'avais pas dû faire en môme temps celui de la troisième
division. Il faut que tout soit mis en progression et formé comme
d'un jet. Vous verrez de quelle importance est ce vocabulaire dans
un cours éducatif de langue; abstraction faite de la connaissance
des mots, do leur signification et de leur usage.
Je finis ma lettre par où vous avez fini la votre. J'ai vu avec
beaucoup de peine que la mauvaise volonté du département s'occupe
de la suppression de votre école normale. Ce qui m'en console un
peu, c'est l'état de votre santé qui demande moins de travail. Mais
vous pourriez faire beaucoup en faisant moins, et je vous exhorte
de vous ménager mieux en vue même de la belle tâche à laquelle
vous vous êtes consacré.
Vous m'apprenez que vous avez gagné d'importants suffrages pour
le cours éducatif de langue maternelle. Moi aussi je lui fais des
prosélytes à Genève, en France, àSaint-Péterbourg. M. Ernest Na ville
vient de l'introduire dans l'une des écoles de Genève où il l'enseigne
après avoir gagné une partie du public, en l'exposant dans des pré-
leçons que l'on a écoulées avec empressement.
Veuillez agréer l'expression de mon attachement cordial pour vous
et pour M"»» Rapet.
Votre tout dévoué,
Grég. Girard.
XI
Fribourg en Suisse, 1" mars 1844.
J'ai tardé, mon respectable et cher ami, de répondre à votre
dernière, dans l'espoir de pouvoir vous marquer : Le livre a paru I
Mais voilà un mot que je ne puis pas encore vous dire, bien qu'il
24 REVUS PÉDAGOGIQUE
soit tout imprimé depuis trois semaines environ. J'ai toutes les
feuilles dans les mains. Le retard de la publication vient de ce que
M. Michel n'avait pas encore reçu l'approbation de l'archevêché de
Paris qui lui était promise et qu'il espérait en recevoir une du Con-
seil royal.
Au surplus, M. Michel était en négociation avec la maison
Renouard qui était disposée à se charger de Tédition du Cours édu-
catif. Je ne sais pas encore oii tout cela en est, et j'attends des nou-
velles depuis trois semaines.
J'étais dans la conviction que M. Michel était le propriétaire de
la Nouvelle bibliothèque d'éducation et qu'en cette qualité il avait
des rapports d'intérêt avec un ou plusieurs imprimeurs. J'avais en
conséquence prié un de mes amis de bien vouloir traiter pour moi
avec M. Michel. Sur cela, j'ai appris que M. Michel s'est dessaisi
de ses prétentions sur la N. B. d'éducation et qu'il n'est en aucun
rapport d'intérêt avec des imprimeurs ou des libraires.
Le 15 mars.
Je reçois en ce moment votre chère lettre du 9 courant et je
m'empresse d'y répondre pour vous assurer que vous devez être
sans inquiétude sur l'extravagante nouvelle que vous a donnée notre
ami commun M. Naville. Personne mieux que moi ne sait à qui
tient le retard de la publication de mon travail. Je n'accuse point
la mauvaise volonté de M. Michel, mais, outre l'état de santé de son
épouse, les mesures de longue haleine qu'il a cru devoir prendre
dans rintérêt même du cours éducatif de langue. 11 a d'abord désiré
l'approbation de l'archevêché de Paris où il a fait passer les feuilles
à mesure qu'elles étaient composées. Puis au commencement de
février, il s'est abouché avec un ami intime de M. Villcmain qui
lui a donné l'assurance que le Conseil royal saisirait avec empres-
sement cette occasion de faire preuve de ses sentiments religieux et
chercherait par son approbation à se rapprocher du clergé. Depuis
le commencement de février M. Michel ne m'a pas écrit une syllabe,
et j'ignore absolument où en sont les choses. Il m'avait aussi mar-
qué que la maison Renouard se montrait disposée à se charger do
rédilion du cours de langue tout comme de la vente de son intro-
duction. M. Renouard avait demandé deux jours de réflexion cl
voilà six semaines que ces deux jours sont écoulés !
Vous voyez, mon cher ami, que je no puis pas du tout m'en rap-
porter à l'exactitude de M. Michel. N'est-il pas étrange que cette intro-
duction qui ne compte pas 500 pages, n'ait pas encore paru à l'heure
qu'il est, tandis que M. Michel l'a entre les mains depuis le mois
de juin 18421!
J'ai fréquemment offert à M. Michel de lui envoyer de l'argent poui-
fournir aux frais de l'impression, et il a constamment refusé mon
offre voulant faire les avances et se réservant de retrouver sa dépense
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIUARD 2â
SUT les premières rentrées. Il estime que cette introduction tirée à
deux mille exemplaires dont cinq cent en plus grand format et
meilleur papier, coûtera environ 2500 francs. J'ai à Paris un jeune ami
quia de la fortune. Je Tai prié d'aller s'entendre avec M. Michel pour
les arrangements à prendre. Il s'y est rendu, mais M. Michel n'a
pas paru bien disposé à arrêter quelque chose pour l'avenir. En-
sorte que tout est encore indécis.
M. Michel voulait former une souscription pour Tlmpression
du cours de langue et il avait déjà trouvé des souscripteurs. C'est
moi, je vous l'avoue, qui ai insisté à ce que l'ouvrage préliminaire
parût d'abord seul. J'étais convaincu et je le suis encore qu'il faut
que le principe de mon travail soit d'abord publié et débattu avant
d'en venir à la publication du cours de langue rédigé sur cette base.
Une fois que le principe aura réuni les suffrages d'une partie du
public, on ne risquera plus d'entreprendre l'édition d'un ouvrage
élémentaire composé de 3 volumes de syntaxe et do 6 cahiers d'ac-
compagnement. J'espère qu'en réfléchissant à la dépense que nécessi*
tera cette petite bibliothèque scolaire, vous vous rangerez à mon avis.
Une fois que le public se sera prononcé en faveur du cours éducatif
de langue maternelle il ne sera pas difllcile de trouver une maison bas-
tante (sic) qui veuille se charger de l'édilion surtout si l'ouvrage est
approuve par le Conseil Royal et le Clergé, comme l'espère M. Michel.
Mes amis de Fribourg qui savent ce qui s'est passé jusqu'ici, ont
pris M. Michel en défaveur et croient qu'il cherche son intérêt
particulier à mon détriment. Je n'ai point celte idée, mais il faut
le dire, je n'ai plus en lui la confiance que j'avais dans le temps,
et ce n'est pas à lui que je remettrai le soin de publier Touvrage
élémentaire, s'il doit voir le grand jour. Je ne désire pas que vous
abandonniez votre poste, mais si cela devait se faire, je vous prierais
de vous charger de la publication. En attendant gardez les manuscrits
chez vous. J'ai fuit le vocabulaire de la seconde livraison ; je retouche
la syntaxe comme je vous l'ai marqué, et je travaille à la rédaction
de la troisième livraison. J'estime qu'il me faut encore 10 à 12 mois
pour tout finir.
Vous vous plaignez du silence de M. Michel. Je vois par moi-même
qu'il n'est pas très empressé de correspondre; mais il a une autre
raison à votre égard. Je vais la confier à votre discrétion. Il croit
que vous l'avez desservi auprès de moi, en me disant qu'il est l'àme
damnée du parti Icgilimiste. J'ai pris votre défense dans ma lettre
du 1^ février, et en vousjustifiant j ai dit la vérité.
Comme j'espère que tôt ou lard le cours de langue s'imprimera,
je vous prie de faire la revision des manuscrits que vous avez,
sauf de la syntaxe de la seconde livraison, puisque je la relouche
comme je viens de vous le dire. Je ne doute pas que vous y trouviez
beaucoup de fautes. Je n'avais pas revu ces manuscrits avant de vous
les remettre. Vous étiez là, et j'ai voulu profiter de votre présence.
26 REVUE PÉDAGOGIQUE
Vous m'avez demandé quelle méthode je recommandais pour ren-
seignement du latin. La voici en deux mots.
1" L'élève doit être avant tout instruit par principes dans sa
lanprue maternelle, qui doit être la base sur laquelle on bâtira.
2® Oii lui fait apprendre les paradigmes réguliers des noms, ar-
ticles, adjectifs et verbes du latin. Si le sujet a quelque facilité cinq
à six semaines suffisent.
3® On prend ensuite par degrés des morceaux de latin, en com-
mençant par Sulpice Sévère, Eutrope, Cornélius etc., pour les faire
rendre en français avec retour aux paradigmes et analyse comparative
qui relève la différence des deux langues. On arrive ainsi graduel-
lement à Tite-Live, Salluste, Tacite, selon les progi'ès de Télève.
L'instituteur est longuement le dictionnaire et Taide dans ces tra-
ductions (sic) et seulement l'élève travaille seul avec un dictionnaire
qu'on lui met entre les mains.
Comprendre la langue latine est d'abord le but unique qu'on se
propose, et la plupart des élèves n*ont pas besoin d'aller plus loin.
Cependant dans ce but même le maîlre a soin de faire écrire les
traductions, et il les corrige. Avec le temps, il indique à l'élève
quelques morceaux traduits pour les faire contre- traduire, c'est-à-dire
remettre en latin. De cette manière on obtiendra un véritable latin
semblable à roriginal, et non pas, comme dans les méthodes ordi-
naires, du français en mots latins.
Il a paru en France, au siècle passé, des extraits de latinité gra-
duée par le chanoine Chompré en quelques volumes, les premiers
de prose et les autres de poésie. Nous nous en servions en Allemagne
dans les gymnases de notre ordre.
A présent, mon cher et respectable ami, je crois vous avoir dit
tout ce que j'avais à vous dire. Je n'ai plus qu'à vous prier d'offrir
mes respects à M«« Rapct qui voudra bien être un peu l'amie de
celui qui vous aime et que vous aimez.
Tout à vous.
Grég. Girard, cordelier.
P. S. Vous m'avez dit dans l'une de vos lettres que vos élèves
avaient fait des observations sur mon travail. J'aimerais bien à les
connaître pour y faire droit.
XII
Frlbourg en Suisse le 15 juillet 44.
Monsieur et respectable ami,
Il est enfin temps que je réponde à vos deux aimables lettres.
Il n'y a guère de jours que je ne l'aie fait en pensée, mais malheu-
sement mes paroles ne sont pas arrivées à vos oreilles. Je crois
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 37
cependant que votre bon cœur vous aura dit que le mien ne vous
oubliait jamais.
Je commencerai par répondre à votre dernière. J*ai reçu vos
félicitations sur le succès de mon livre à TAcadémie française avec
d autant plus de plaisir qu'elles ne s'arrêtent point à ma personne,
mais qu'elles se rapportent à une grande chose, à Tamélioration de
^ réducalion dans un vaste et beau royaume qui est devenu ma pairie
adopUve. J'y demeurais d'esprit et de cœur depuis maintes années,
mais dès à présent je vais y demeurer en action. Mon ouvrage
préliminaire se lit, et mes livres élémentaires entreront peu à peu
dans les familles et les institutions, et par là je m'acquitterai envers
ma nouvelle patrie.
En recevant la bonne nouvelle j'ai d'abord remercié la Providence
qui visiblement a préparé à mon travail un succès auquel je n'avais
pas même pensé. Puisque l'ouvrage avait présenté à l'académie par
M. Michel et qu'il avait été goûté par un membre de sa commission,
je pouvais m'altendre à une mention honorable, mais un prix et
le premier prix I... La Providence s'est servie de M. Cousin pour
fournir aux frais de l'impression des livres élémentaires. Je la bénis.
Je suis fâché mon cher ami de vous voir faire des frais pour la
propagation de mon livre. Faites à cet égard ce que vous écrit
notre ami commun M. Michel, et portez sur mon comple les exem-
plaires que vous croyez devoir offrir à quelques personnes notables
dans l'intérêt de la bonne cause qui n'est pas la mienne, mais celle
de Téducation de la jeunesse française. Veuillez en remettre un en
mon nom à voire professeur de langue, M. Charbonneau.
Vous allez donc retourner à Paris. Dommage que l'état de votre
santé et quelque chose de triste que vous ne me désignez pas en
soient la cause. Vous me consolez en me disant que vous serez plus
à même de travailler à la publication de mes livres élémentaires, que
vous croyez utiles à l'éducation. Sous ce rapport public, c'est réel-
lement une consolation que vous me donnez.
Je désire que le poste que vous occuperez à Paris vous laisse le
loisir nécessaire pour faire un travail. Vous pouvez voir dans la
préface de la première partie de la syntaxe, que mes livres élé-
mentaires sont destinés à des écoles de ville pour les classes aisées
ainsi que pour les institutions particulières, sans exclure l'éducation
qui quelquefois se donne dans les familles mêmes. Mais il faut des-
cendre jusqu'aux écoles rurales des deux sexes, et en leur faveur il
faut faire un extrait convenable de mon travail, comme j'avais
essayé de le faire en 1821 pour nos écoles rurales, sous le titre de
grammaire des campagnes. J'ai été trop préoccupé en ce temps de
ma méthode conjugative. 11 faut la conserver pour le fond, mais il
faut la modifier parce que toutes les pensées qu'exige l'éducation
sentimentale, morale et religieuse, en un mot, l'éducation chrétienne
de l'enfiance ne peuvent pas se conjuguer.
S8 REVU£ PÉDà60G10U£
Voilà, mon cher M. Rapet, uq travail que je vous destine et qui
sera fait en votre nom et à votre profit. Je dis à votre profit^ car je
ne pourrais pas le vouloir autrement ; si cette tâche pouvait vous
convenir, nous nous entendrions sur la manière de l'exécuter et j'y
donnerais aussi un coup de main.
Je viens maintenant à votre première lettre, datée du 27 mai.
Je suis vraiment honteux, mon ami, de la peine que vous vous
f^ies donnée pour abréger les observations de M. Charbonneau, afln
de pouvoir me les faire parvenir. Vous avez dû prendre sur votre
repos, vous qui avez d'incessantes et graves occupations au poste
que vous occupez. Voilà ce qui me peine. D'un autre côté je m'en
console, parce que c'est pour la cause de l'éducation, pour la famille
du Père commun que vous avez travaillé.
Je remercie de bon cœur M. Charbonneau de ce qu'il a bien voulu
étudier mon travail pour me faire des observations que je ne
manquerai pas d'utiliser, autant que mes convictions me le permet-
tront. Si M. Charbonneau avait, avant d'écrire, lu le livre qu'il
connaît sans doute à présent, il aurait été édifié sur plusieurs points.
J'espère que nous fmirons par tomber d'accord sur quelques
articles, où vous êtes deux contre un. Il ne faut d'ailleurs pas
oublier que la langue française est un dialecte formé d'éléments
souvent très disparates et que souvent il est impossible de mettre en
harmonie avec la grammaire générale ou la logique qui n'est
qu'une.
La même expression p. e. ne... que peut être envisagée sous
divers points de vue, non pas pour le sens, mais pour les mots, et
en pareil cas, il faut laisser à l'éducateur la liberté de prendre le parti
qu'il juge le plus convenable à l'ensemble de son travail. 11 y a aussi
plusieurs mots qui sous un de leurs rapports appartiennent à plu-
sieurs classes. Il faut donc leur en assigner une et l'instituteur ne
saurait mieux faire que de les placer dans celle avec laquelle ils
ont le plus d'affinité. J'ai partagé les articles en trois classes, savoir
articles (Tunité, articles de pluralité et articles de totalité. En cela j*ai
saisi le caractère le plus saillant de ces mots, le plus facile à saisir
par des commençants et je crois encore d'avoir bien fait.
Je sortirai de l'infinitif le soi disant participe présent aimant, chan-
tant etc. Il sera un adjectif, ce qu'il est en latin, mais un adjectif inva-
riable lorsqu'il est précédé de en ou qu'il est suivi d'un complément.
Je tirerai encore parti de quelques autres observations de votre savant
collègue, et je suis tout à fait content de voir qu'il entre comme
nous dans le but éducatif qu'il faut prendre pour règle dans
l'enseignement de la langue maternelle.
M. Michel a trop tardé à vous envoyer mon livre. Comme je ne
vous trouvai pas dans le nombre des personnes auxquelles il a remis
les premiers exemplaires, avant que j'en eusse, je lui fis de suite la
remarque, croyant que c'était de sa part une omission; ejL dans cha-
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 29
cune de mes lettres vous avez toujours été nommé. C*est ainsi qu'il
à négligé Ja société de Lyon dont nous sommes tous trois membres
correspondants. Je l'avais aussi prié d'envoyer un exemplaire h
Londres, à M. Kay, membre du Conseil royal d'éducation, et un autre
k M^ Humann â Strasbourg, belle-sœur de votre ancien ministre
des finances. Dans sa dernière il m'annonce que chacun a reçu
ce que je lui destinais. Moi, je me suis chargé de PAllemagne et
de la Suisse.
Je dois tout plein de reconnaissance à M. Michel pour les peines
qu'il s'est données dans les derniers mois pour le succès de la
chose. C'est lui qui a présenté le livre à l'académie, avantage im-
mense pour l'éducation d'un peuple qui mérite bien que l'on fasse
aussi quelque chose pour lui.
M. Michel veut encore tenter d'obtenir l'approbation de T arche-
vêché de Paris. A cet effet, je l'ai prié de retrancher du titre le
mot de philosophie qui a pu déplaire à des gens qui accusaient cette
science de toutes les erreurs qui se montrent en Europe et de tous
ses maux. Lorsque M. Michel m'annonça le refus de l'approbation
sous prétexte d'erreurs qui s'y trouvaient, disait-on, sans les arti-
culer, je lui répondis qu'il n'y en avait qu'une qui s'étendait du
commencement à la fin, puisque tout le livre veut fonder la foi sur
la raison et le sentiment, comme l'a fait le divin Maître, tandis que
le haut clergé veut la foi du charbonnier, si l'on en juge par ses
dernières démarches, et entre autres par la brochure que M. l'ar-
chevêque de Paris venait de jeter dans le public au milieu de tant
d'autres (1).
A présent, mon ami, je crois vous avoir tout dit pour le moment.
Il ne me reste plus qu'à vous embrasser, et de tous prier de me
renouveler au bon souvenir de M™» Rapet.
Tout à vous.
G. Girard.
XllI
Mon RESPECTABLE ET CHER AMI,
Me voici de retour de Soleure depuis trois jours. J'ai trouvé à
mon retour chez moi quatre lettres de M. Michel auxquelles j'ai dû
répondre, et quelques affaires qu'il fallait d'abord expédier.
Je vous ai quitté à regret à mon départ de Fri bourg. Mais on
m'attendait à Soleure depuis un mois, et je ne pouvais plus tenir mes
(1) C'était le moment de la grande querelle entre l'Université et le clergé
au sujet de la libt rté d'enseignement. L'urchevôque de Paris était descendu
en personne dans l'arène en publiant une brochure iniituléc Observations sur
ia controverse élevée à i^occasion de la liberté d'enseignemefnt^ 18^3.
30 REVUE PÉDAGOGIQUE
confrères enarrCt. Arrivé le vendredi soir à Soleure, je tins le samedi
matin la promesse que j*avais faite à M™« Rapct. Veuillez le lui dire
en me rappelant a son bon souvenir.
M. Michel regrette que vous ne soyez pas venu vous établir à
Paris comme vous le lui aviez fait espérer. Il insiste sur la prompte
publication des deux premières livraisons du Cours éducatif de langue,
et je sens, comme lui qu*il faut profiter de l'impression qu*a faite
le rapport de M. Viilemain à rAcadémie française. Veuillez donc
donner vos premiers moments de loisir à la révision des deux cahiem
de conjugaison que vous avez devers vous, ainsi qu'au premier cahier
du vocabulaire. 11 serait inutile de toucher à la syntaxe, puisque je
la retouche pour l'envoyer directement à M. Michel. Il a chez lui
la seconde livraison du Vocabulaire et de la Syntaxe. Un de mes
amis les lui a remis dernièrement en mains propres.
Quant au premier cahier de conjugaison, je suis surpris que
M. Giarbonneau n'ait pas remarqué que j'avais (je ne sais tri)p
comment) pii^sé l'impératif sous silence. Dans la révision que j'ai
faite de mon travail, j'ai do suite vu cette omission, et j'ai rempli
l'incroyable lacune. J'ai dû pour cela supprimer plusieurs détails
suivants, afm que les trois parties de l'enseignement qui marchent
ensemble, restassent d'accord entre elles pour le nombre et la succes-
sion des leçons. M. Michel possède le supplément à la conjugaison
et la note des numéros à omettre dans le cahier que vous lui
remettrez à votre arrivée à Paris, ou que vous lui enverrez plutôt,
afin qu'il pui>se le revoir à son tour et le livrer à l'impression. Si
vous ne deviez pas vous rendre à Paris au commenccmentde novembre,
demandez-lui les deux cahiers qu'il a, afin que vous puissiez en
faire la révision sans retard. Ce n'est que la correction du langage
qui doit vous occuper, et, à moins que mes copistes aient mal
copié, cette correction doit se réduire à peu de chose.
De mon côté, j'activerai la rédaction définitivo du premier cahier
de syntaxe. Veuillez en attendant le faire parvenir à M. Michel, si
ce n'est pas au commencement de novembre que vous vous rendrez
À Paris. Je vous prie de lui faire cet envoi parce que je conserve en
partie mon premier travail, en sorte qu'ilne s'agira pas d'en faire ici
une copie entière. Je n'enverrai que les articles changés.
Pour vous complaire, mon cher ami, j'aurais bien voulu pouvoir
suivre vos idées dans la partie des articles. J'y ai beaucoup réfléchi,
mais je n'ai pas pu prendre sur moi d'abandonner la division d ar-
ticle d'unité, de pluralité et de totalité. Dans la langue l'arliclt^ a
une fonction qui lui est propre, et c'est de déterminer dans quelle
étendue les noms communs doivent être pris. Or nous les disons
tantôt d'un seul objet, tantôt do plusieurs sans ou avec détermination
précise du nombre, et tantôt de tous les objets désignés par le nom.
il est temps, mon cher ami, que la grammaire se remette ici, comme
ailleurs, d accord avec la saine logique. Je sais que le changement
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 3{
heurtera les idées et les dénominal ions héréditaires des grammai-
riens. Mais ils voudront bien me permellre de me mouler sur les
élèves que l'on instruit et pour qui Tinslruclion est faite. Or les
en&Dts n'éprouvent aucune difficulté dans ma division. J'en ai fait
l'expérience de tant d'années ! Ils ne peuvent pas en éprouver une,
puisqu'elle est commandée par la saine logique. Je ne parle pas ici
de ceux qui auraient élé habitués à une autre classification. Je parle
des commençants, et c'est pour eux et pour eux seuls que j'ai rédigé
le cours éducatif de langue nialernelle, car il diffère en tout point
des grammaires ordinaire*. J'excepte le travail bien remarquable
de M. Goffdt, chef d'instruction à Lyon : ce travail, que je no connais
que depuis la publication do mon livre, a été approuvé parla Société
Lyonnaise. L'auteur n'a pas craint de se détacher des habitudes
grammaticales. Il a rangé la plupart des articles dans la classe
des mots qu'il a appelés des déUrminaiifs^ précisément parce qu'ils
déterminent lelonduo dans laquelle doivent se prendre les noms
communs.
J'ai fait des adjectifs possetsifs des mots son, «a, ses etc., et, réflexions
faites, je ne pyis pas en faire autre chose. Ils marquent, comme
tant d'autres, une (jualité extérieure des objets. Jadis j'en avais fait
des articles, et j'avais tort à tous é;jards. il n'y a pas si longtemps
que l'on disait et que Ion écrivait le mien diapeau, la tienne mai-
mm etc. Mien et tien n'étaient donc pas alors des articles, et ils n'ont
pas pu le de\enir depuis. Je ne suis pas le seul qui ait rangé les
mots mon, ton, etc., au nombre des adjectifs. Je vous ai cité Beudant,
et il aura bien autant d'autorité que d'autres grammairiens. C'est la
saine logique qui doit faire la loi. Je ne dois écouter qu'elle.
Vous ne me direz plus qu'un même mot ne saurait éire un article
d'unité au singulier, et un article de pluralité au pluriel ; ou bien
vous aurais-je mal compris ? Je dois le croire puisque tous les noms
communs marquent au singulier l'unité (ou la totalité), et qu'au plu-
riel ils désignent la pluralité. Mais laissons de côté ces menus détails.
Vous m'avez dit qu'il fallait en France un Manuel pour les élèves
à côté du livre destiné à l'instituteur, et vous avez bien voulu vous
charger de sa rédaction, tout comme de sa publication. Je viens
d'en prévenir M. Michel.
Je désire que ce manuel ne renferme que ce qui d'après vos con-
victions doit nécessairement être mis entre les mains des élèves
français (chez moi, ils n'avaient rien de ce genre). Je demande celle
brièveté paur deux raisons. Les élèves apprendront le manuel par
cœur pour savoir le réciter sans prendre la peine do le comprendre
et ils sauront d'autant moins qu'ils auront l'air de bcauc «up savoir.
Si l'en veut les instruire, il faut les forcer de comprendre l'instruction
qu'on leur donne, et la mémoire s'emparera ensuite aisément de ce
que rintelligim'-e aura saisi. Le bien do l'instruction demande doncî
que le manuel soit fort court, et l'économie dans les écoles le veut
32 REVUE PÉDAGfiGIQUE
aussi. Notre colK'^e, M. Goffat a le mérite d'avoir le prenaier intrc
duit en France la méthode sucralique dans I>ns<^i jnemenl de la langue.
I>; cours é/Jucatif de langue maternelle pré>eite trois degrés,
comme l'indique la page 95 du livre imprimé. Je pense que le Vo-
cabulaire n'entrera prjur rien dans le Manuel. II ne sera destiné qu*à
la conjugaison et à la syntaxe. La syntixe présenter.! uniquement
la progres-^ion des propositions et des phrases avec un seul exemple-
modèle et les explications les plus intelligibles. A la dr^uxième partie,
les phrasf'S auront leurs formules comme signes de reconnaissance.
Voilà en deux mots mes idées sur la rédaction des trois manuels
que vous pensez faire.
Il y a un autre travail auquel j*attache beaucoup de prix, c'est la
rédaction de mes livres élémentaires en faveur des écoles rurales
et des écoles du petit peuple dans les villes. J'ai une profonde
pitié pour celte masse qui au fond constitue partout le genre
humain, et que les savans négligent partout. Dans mon pays je
lui avais destiné la Grammaire des campagne^, qui en a resté à sa
première partie, parce que les autorités civiles et ecclésiastiques
de ce temps craignaient la diffusion de la lumière, et c'était
|)0urtant la lumière de l'évangile que je \oulaîs répandre! La Gram-
maire des campagnes en fait foi.
Dans cet abrégé, j'ai trop insisté sur la conjugaison qui toutefois
doit en faire le fond, mais qui pourtant ne doit pas exclure les
propositions et les phrases qui ne sont pas propres à ^tre conjuguées
et qui néanmoins sont nécessaires pour compléter l'instruction édu-
calive que nous devons donner à tous les enfants.
M. Ernest Naville s'ofxupe de cet abrégé, et il doit venir s'entendre
avec moi sur ce travail, dès que j'en aurai le temps. Il fera, je
n'en doute pas, quelque chose de très convenable pour son école de
Salnt-Gervais: mais ce ne sera pas ce qui en tout point pourra con-
venir aux écoles rurales de France que j'ai en vue. Ces écoles
d'ailleurs redouteraient un ouvrage venant de Genève, encore qu'il
serait bien approprié à leur croyance et à leurs besoins. L'abrégé
que je désire doit ^tre fait en France, par un Français et autorisé
par les prélats de France.
Voilà, mon ami, un travail pour vous qui dans votre position
avez appris ù connaître les écoles rurales de votre patrie, ainsi que
ce (jue l'on peut et doit faire pour elles. Le travail de M. Naville
poui-ra vous servir, sans devenir la règle du vôtre.
Veuillez, mon cher ami, me renouveler au souvenir de M™» Rapcl,
puis de M. Charbonneau, et croire que je suis pour la vie
Tout à vous.
G. Girard.
Fribourg en Suisse le 17 octobre 184 V
(La fin au prochain numéro.)
DE L'UTILITÉ QU'IL Y AURAIT A RENDRE
LA CONNAISSANCE DU DROIT POPULAIRE
Lutter pour It vrai^ pour le bien»
Si, parmi les différentes sciences qui ont Thomme pour
objet, il en est une qu'il serait utile de rendre au moins accessible
à tous, et de répandre le plus possible, c'est assurément celle
du Droit. Correspondant et présidant à toutes les relations
sociales, intervenant dans notre vie de chaque jour, y interve-
nant à chaque instant, le Droit, de toutes parts, comme un
réseau, nous enveloppe. Fils, pères, époux, propriétaires, com-
merçants, citoyens, nous ne pouvons faire un seul pas sans
que nous ayons à nous demander ce que la loi admet, ce
qu'elle réprime, ce qu'elle punit, et, question plus haute, Celle
du Droit proprement, si ce qu'elle admet, ce qu'elle réprime, ce
qu'elle punit, est conforme à la justice et aux besoins sociaux.
Donc, dans toutes les sociétés, la connaissance du Droit s'im-
poserait normalement à tous, mais avec quelle raison plus forte
encore ne s'impose-t-elle pas ainsi dans les sociétés qui ont la
démocratie pour base? Les républiques de l'antiquité l'avaient
compris à merveille ; et, lorsque à Rome la plrbe eut conquis le
pouvoir, son premier grand pontife se mit à enseigner le Droit
sur la voie publique.
Les choses, sans doute, ne vont pas tout ii fait chez nous, du
côté du Droit, comme elles allaient jadis à Rome; et l'on no
pourrait dire sans exagérer et sans altérer les faits que, chez
nous comme à Rome, il y ait un patriciat gardant pour lui le
secret des formules juridiques et faisant monopole à son profit
de l'interprétation des lois. Mais quoi ! dans un pays où le plus
humble comme le plus élevé dans Téchelle sociale est appelé
non seulement à exprimer un vœu, mais à dicter sa volonté
sur tout ce qui touche aux lois et au Droit, on ne ferait pas
effort pour que chaque citoyen ai'rive à posséder au moins les
premiers principes du Droit et les premières notions des lois !
ftlTUB piSAGOOIQUE 1885. — l*' SBM.
34 REVUE PÉDAGOGIQUE
Quoi ! des questions se rapportant à l'organisation de la famille,
celle do divorce, par exemple, celle de la condition des enfants
nalurelç, une foule d*autres ayant trait au régime de la pro-
priété, au développement du crédit, à la constitulioti même des
délégations ou pouvoirs publics, toutes ces thèses sociales si
considérables pourraient être posées devant un Parlement issu
du suffrage populaire, être débattues dans ce Parlement, sans
que le peuple, la nation prise en masse, eûl la plus simple idée
de la loi existanlc, de ce qu'elle contient ou de bon ou de mau-
vais, de ce qui peut et doit y être changé ! Quelle contradiction
serait plus flagrante, quelle plus déraisonnable et, avec le temps,
quelle aventure nous menacerait de périls plus grands !
Ainsi apparait-il; avec une évidence complète, que, dans
notre France, en Tétat actuel, c'est au nom des intérêts les
plus immédiats du ciloyen comme de l'homme privé, les plus
divers et les plus graves, qu'il importe que la lumière soit
faite sur Tensemble du Droit et des lois ; que, dans ce qu'elle a de
fondamental, la connaissance du Droit et des lois pénètre partout.
Mais les objections se pressent. « Que parlez-vous de popu-
lariser la connaissance du Droit? Le Droit n est-il pas fait uni-
quement d'abstractions, n'est-il pas une science de rapports,
et ne repose-t-il pas tout entier sur une des conceptions les
plus hautes à laquelle puisse s'élever l'esprit de l'homme, sur
ridée que l'on doit se faire du Juste ? Comment vulgariser une
telle idée et surtout en l'appliquant aux relations si nombreuses
et si complexes que le Droit a charge de régler? Puis, à tort
ou à raison, nos lois ne passent pas toutes, dans l'opinion
commuae, pour être des chefs-d'œuvre de simplicité, de pré-
cision, de clarté? Beaucoup, au contraire, sont^ aux yeux du
public — pardon de l'irrévérence grande — un grimoire où
les pius habiles se trompent quelquefois et ne savent pas tou-
jours lire. Enfin, l'essai a été tenté, et la meilleure preuve que,
selon votre propre sentiment, il n'a pas réussi, c'est que vous
proposez à tout le monde de le tenter encore. »
Je répondrai d'abord sur ce dernier point.
Je n'ignore pas que des écrivains conciencieux et experts
se sont ingéniés à résumer dans les termes les plus brefs et
les plus concis certaines parties de nos lois et que peut-étEd
LA CONNAISSANCE DU DROIT 35
le succès n a pas tout à t'ait répondu au mérite de leur
effort. Mais je dirai en toute franchise que ces écrivains, selon
moi, n'ont pas pris la bonne route, et que le but qu'ils ont eu
en vue était quelque peu différent de celui que je viens de
marquer. Il ne saurait s'agir, en effet, d'apprendre à chacun
la science du Droit et des lois de façon que chacun, dans toutes
les circonstances de la vie ou même dans la plupart de ces cir-
constances, puisse être son seul guide et n'avoir pas besoin du
concours de ceux qui ont fait du Droit et des lois l'objet spé-
cial de leur étude ; en vérité, le point est autre, et, s'il con-
vient de fournir le mieux possible à chacun un moyen de
s'orienter pour ses propres affaires, s'il convient de mesurer
aux détails la part la moins stricte possible, il est d'un inté-
rêt essentiel de mettre d'abord chacun à même d'embrasser
dans toutes les matières l'ensemble et les parties principales, de
se faire une idée du tout et, s'il se peut et autant qu'il se
peut, de juger la loi au nom du Droit, an nom de la Justice
qui avance, des besoins sociaux qui changent.
Mais.par là, j'imaginerais avoir défini le but qu'il faudrait viser,
et je crois désormais facile de répondre aux autres objections.
Que la science du Droit soit abstraite ; que de plus elle soit
complexe, et que, par leurs propres complications, souvent nos
lois en accroissent les difficultés, aucun de ces points n'est
contestable. Hais, dans le plan que je conçois, et que je voudrais
en outre dégagé de tout apparat, de tout appareil scientifique,
j'ai Tintime pensée que les idées générales qui, en dehors de
la législation, dominent les principaux sujets du Droit, pourraient
être ramenées à une expression simple et aisément compréhen-
sible; et, quant aux abstractions techniques qui forment
l'explication des textes, rien n'est plus praticable, en définitive,
que de les rendre vivantes et tangibles au moyen d'exemples
ou, comme on dit en droit, d*espèces.
Restent les complexités et les complications, dernier écueil.
Mais qu'il aille en avant, avec bon courage et sans peur,
l'homme jaloux de rendre à la démocratie ce capital service,
de l'initier à la science des lois et du Droit !
Emile Agollas.
A TRAVERS LES ECOLES
(notes d'UxN inspecteur)
A H. . ., rinstituteur, quand il n'est pas content d'un élève, le
retranche du nombre de ceux qu'il emmènera se promener
avec lui le jeudi suivant : c'est la plus grave des punitions
usitées dans l'école; or remarquez que l'élève reste libre de se
promener où «t comme il lui plaira.
A G..., il y a une heure d'éludé avant ou après la classe
suivant la saison ; rien n est plus sensible aux élèves que de
leur interdire l'entrée de cette étude.
Vous souriez et vous vous dites que beaucoup d'élèves que
vous connaissez s'arrangeraient assez bien d'une punition qui
leur retrancherait une heure de travail ou môme une heure de
présence à l'école. D'où vient la différence ? Cherchez.
Punir, c'est infliger une douleur dont le souvenir persiste
comme un avertissement de ne plus loipber dans la môme
faulè. La nature de cette douleur dépend de la nature de Tétre
à qui elle s'adresse : elle sera nécessairement physique pour
l'être matériel, pour celui qui ne vit et qui ne sent que par le
corps ; mais dans cet ordre même, combien de degrés, depuis
le coup de fouet qui fait hurler le chien ou qui ensanglante le
dos de l'esclave jusqu'à la privation de la friandise dont a été
au moins menacé le plus gâté des enfants! Pour celui dont on
a su cultiver et affiner la nature morale, la punition peut être
purement morale.
Si je me rappelle bien les jours de mon enfance, ce qui m'a
toujours le plus puni dans une punition, c'est l'idée que j'étais
puni.
4 *
A V. .. , on a entendu un enfant durement traité par son père
pour une cause futile s'écrier : (^ Ah, si le maître le savait ! »
A TRAVERS LES ÉCOLES 37
6t le père, dit-on, arrêta son bras levé. Ainsi la pensée de l'en-
fant dans sa détresse se tournait tout de suite vers son maître ;
il en appelait à lui, comme à la justice même^ et ce nom
invoqué faisait réfléchir le père et le désarmait! Quel plus
bel hommage rendu à un homme! Quel plus grand exemple
d'autorité morale ! Quand je rencontre dans le plus humble
village im tel maître, je m'incline avec respect devant lui.
* *
Je sortais d'une école dont le maître m'était dès longtemps
connu comme digne de toute estime. Je n'étais pas content.
J'avais trouvé depuis ma dernière visite, qui ne remontait pas
bien loin, livres nouveaux, adjoints nouveaux, le tableau de
l'emploi du temps remanié ou plutôt bouleversé, les programmes
distendus, les élèves surmenés, le maître agité, nerveux. Je
disais à ce maître : -
« Je crains que vous n'ayez voulu trop bien faire. Il y a
déjà longtemps qu'on a dit que le mieux était l'ennemi du
bien. Cet adjoint avait, je le sais, des défauts; vous l'avez
changé. Ce livre ne répondait pas à tout ce que vous atten-
diez de lui; vous l'avez remplacé. Mais cet adjoint, à côté
de ses défauts, avait des qualités; les avez-vous retrouvées
en son successeur? Ce livre, vous le connaissiez; vous l'aviez
longtemps pratiqué; vous saviez vous en servir; il vous faut
étudier celui que vous avez introduit à sa place ; je vous ai vu
encore hésitant, tâtonnant; après expérience, répondra-t-il à
votre attente? Ne serez-vous pas amené à reconnaître qu'il eût
mieux valu pour vous, pour le bien de l'école, essayer, comme
vous l'aviez commencé, à tirer parti et du livre et du maître que
vous aviez d'abord? Je ne prétends pas qu'il ne faille jamais
rien changer ni personne ;* mais je voudrais vous mettre en
garde contre cette idée que le moyen d'améliorer est de
changer. Cette idée est si séduisante, elle est d'application si
facile! On a si vite dit: Changeons! On l'a si tôt fait! Et on
arrive à ces perpétuels changements qui ne permettent à rien
d'aboutir, qui nous font vivre dans l'éternel espoir du mieux et
ne bissent pas le bien, même ordinaire et vulgaire, se réaliser.
« Je voudrais qu'on distinguât entre deux sentiments, voi-
38 REVUE PÉDAGOGIQUE
sins sans doute, divers pourtant et surtout d'effets très opposés;
je les appellerai, à défaut de noms plus précis, Tamour du
bien et l'amour du mieux. L'amour du bien est sage, rai-
sonnable, réfléchi ; il voit les imperfections, il est désireux de
les corriger, il s'y applique. II ne prétend pas toutefois supprimer
ces imperfections, toutes et d'un seul coup. Il sait que rien en
ce monde ne se fait qu'avec le temps, peu à peu ; que, fût-on
pressé, on n'avance que pas à pas, en mettant l'un devant
l'autre tour à tour un pied ; que même, si la route est longue,
il y faut des étapes; qu'on ne vient à bout des difficultés qu'en
les prenant une à une; que le progrès est le résultat d'efforts
successifs et continus. Il ne brusque rien, ne violente rien; il
tient compte des résistances que lui oppose le présent, le passé
même qu'on ne peut empêcher d'avoir existé ; il se fie un peu
à l'avenir pour continuer ce qu'il a commencé et, si possible,
l'achever. L amour du mieux est impatient, nerveux, impuissant
à se modérer, à se contenir ; il a devant les yeux Tidéal ; tout
ce qui en diffère le choque, l'arrête. Cet idéal, il veut l'atteindre
et au plus tôt; il n'admet ni les retards, ni les lenteurs, insépa-
rables pourtant des choses humaines. C'est ainsi qu'il est
entraîné à changer et à changer encore; car le premier chan-
gement ne lui a pas donné la perfection qu'il rêve; et il
renverse ce qu'il vient d'édifier; il trouble, voulant ordonner;
il inquiète les meilleures volontés qui se sentent incapables de
de le suivre; il les décourage; demandant trop, il n'obtient
plus assez... Vous avez jusqu'à ce jour pris pour guide le
premier de ces sentiments, Famour du bien: ce dont je vous
louais ; il me semble que vous dérivez maintenant vers le se-
cond : ce dont je m'effraie et ce qui me fait jeter le cri d'a-
larme. )}
Et comme je voyais l'excellent h«mme ému de ces paroles,
j'ajoutais : u La faute n* en est pas toute à vous. Ne vous ai-je
pas excité, poussé? La faute n'en est peut-être pas non plus à
moi tout seul. Nous sommes d'une génération pressée. Eu
particulier dans ce champ de l'instruction primaire, on avait
avant nous si doucement cheminé que nous avons senti le désir,
pour rattraper le temps perdu, de prendre le trot, voire le
galop. »
A TRAVERS LES ÉCOLES 39
Je m'en allais, réfléchissant et me demandant si je n'avais
pas dans mes critiques dépassé le but. a Cet amour du mieux
dont je viens de médire, n'esMl pas après tout nécessaire à
l'amour du bien pour l'activer et le stimuler? Bien plus, sans
amour du mieui y aurait-il vraiment amour du bien?... Mais
pourquoi nos grands psychologues, nos moralistes ne nous
indiquent-ils pas la dose précise d'amour du mieui qu'il faut
infuser à l'amour du bien pour que celui-ci atteigne, sans le '
dépasser, le plus haut déféré d'énergie utile et bienfaisante, qu'il
ait l'ardeur et non la fièvre? — Je m'imagine que la dose ne
devrait pas être très forte. «
Il y a des professions que l'on embrasse par cette seule et
simple raison qu'on y gagne de l'argent; il y en a que l'on choisit
pour des motifs plus complexes et plus délicats, parce qu'elles
donnent place dans un corps estimé et qu'on espère avoir part
à la considération dont il jouit, parce qu'elles promettent des
occupations intéressantes en soi et 6ù l'esprit joue son rôle,
parce que la valeur personnelle de l'homme y compte davantage,
parce qu'enfin elles relèvent celui qui les embrasse aux yeux du
monde et à ses propres yeux. La profession d'instituteur me
parait être de ces dernières.
E. A.
A PROPOS DES MUSEES SCOLAIRES
M. Lecaplain, professeur de physique au lycée Corneille à Rouen,
donne d'excellents conseils aux instituteurs dans le Bulletin déftar^
temenlal de la Seine-Inférieure sur les conditions que doit remplir
un musée scolaire. Pour éclairer Tenfant, sans courir le risque de
jeter la confusion dans son esprit, il doit remplir trois conditions
essentielles : être très simple, avoir un classement méthodique et
être plutôt général que particulier. Laissons la parole à l'auteur de
de cet intéressant rapport, qui a été publié à Toccasion do Texpo-
sition sedaire de Rouen.
40 REVUE PÉDAGOGIQUE
tt Trois conditions, selon nous, dit M. Lecaplain, doivent être
rigoureusement remplies.
Première condition, — La première condition d'un musée modèle
doit être d'offrir avant tout une grande simplicité.
11 doit raconter au jeune élève, d'une façon aussi nette que
possible, rbistoire de la pierre, du bois, des métaux ; dans un autre
ordre d'idées, celle du coton, de la laine, ou encore, pour varier,
quelques détails intéressants sur le pain, le sel, les aliments les plus
ordinaires. Il ne doit, sous aucun prétexte, viser plus haut. La
science proprement dite n'a pas déplace marquée à TécoJe primaire.
Il ne faut pas dépasser le but. C'est ainsi, pour ne citer qu'un
exemple, qu'une collection trop complète de produits chimiques ou
pharmaceutiques est un peu déplacée dans un musée scolaire. On
doit se contenter, nous le pensons du moins, des produits essentiels,
de ceux qui entrent dans la fabrication des substances les plus utiles.
Que Ion exclue les réactifs, qui ne servent qu'aux chimistes de
profession. Qu'on nous permette une remarque analogue pour les
collections d'animaux. Il faut ici encore un choix judicieux. Au
lieu de chercher à réunir tous les types connus, comme le ferait
un amateur, ne prenons que ceux utiles ou nuisibles, comme l'ont
fait, du reste, quelques exposants. Un zèle assurément bien louable,
puisqu'il est né spontanément du désir d'être utile et de bien faire,
la satisfaction naturelle que Ton trouve dans l'organisation d'une
collection complète, ont peut-être entraîné un peu loin un certain
nombre d'exposants.
Exception à ce principe. — Nous cro yons toutefois devoir faire
une exception à cette règle de simplicité pour les musées scolaires
des grandes villes, où Tinstituteur s'adresse dans les cours d'adultes
à des jeunes gens plus âgés, susceptibles par suite d'un enseignement
plus élevé; et toutefois, même dans ce cas, il est une limite, difficile
à assigner sans doute, mais qu'il y a un intérêt réel à bien fixer et
à ne pas franchir.
Deuxième condition. — Le musée doit offrir un classement aussi
méthodique que possible.
Le classement n'est pas chose indifférente. Il est même assu-
rément le point capital, le point important par excellence. N'est-
ce pas par la méthode suivie que le maître révèle le mieux son
esprit d'ordre, son aptitude à l'enseignement? Sa valeur au point
de vue pédagogique n'offre certes pas de meilleur critérium. S'il
existe bien des modes de classement, il s'en faut de beaucoup
qu'ils aient tous la même valeur.
Le meilleur système nous paraît le suivant :
Disposer sur une planchette spéciale, agencée d'ailleurs de telle
ou telle façon, ou, d'une manière générale, grouper en un même lot
tous les objets se rapportant à une même leçon. Chaque tablette
ou chaque petite collection partielle racontera une histoire parti-
A PROPOS DES MUSÉES SCOLAIRES 41
cuUère, celle du papier, du verre, de la porcelaine, ou mettra sous
les yeux de Tenfant Tensemble des outils employés dans tel ou tel
métier, dans telle ou telle industrie. Le maître a ainsi devant lui
et embrasse d'un seul coup d'œil le plan du petit développement
qu'il va faire à ses élèves. La leçon est ainsi toute tracée, et elle
Test méthodiquement; par suite elle est mieux faite, plus facile à
saisir, et le profit en est plus grand.
Les collections d'histoire naturelle ont également besoin d'une
classification appropriée aux besoins de l'enfant. La classification
scientifique, que Ton suit forcément dans l'enseignement secondaire,
convient-elle au cas actuel ? Doit-on classer par exemple les insectes
en hyménoptères, névroptères,| etc. ; les ois^eaux en rapaces, passe-
reaux, etc. ? Nous ne le pensons pas. La plupart de ces noms, qui
tirent leur origine du grec ou du latin, n'éveillent aucune idée
dans l'esprit de l'enfant, qui ne peut remonter à l'étymologie même
de tous ces noms. Cette nomenclature aride ne constituera pour sa
mémoire qu'une surcharge fatigante et inutile. Que les instituteurs
adoptent simplement la classification moins scientifique mais plus
simple qui consiste à diviser les insectes et les oiseaux en insectes
utiles, insectes nuisibles ; oiseaux utiles, oiseaux nuisibles. Nous
comprendrions à la rigueur, dans un cours d'adultes, une sorte de
classification mixte telle que celle-ci ; hyménoptères utiles, hymé-
noptères nuisibles, etc., et encore n'y tenons-nous que médiocre-
ment.
Troisième condition. -^ Le musée doit être plutôt général que
particulier.
Est-il utile de varier la collection suivant l'industrie du pays?
Nous ne voyons pas d'inconvénient à ce que le musée scolaire ait
une sorte de reflet de la production locale. 11 est certain, par
exemple, que si l'école est dans un pays de tanneries, il serait
singulier de ne voir figurer dans la colleclion ni tan, ni cuirs.
Cependant le musée scolaire, ce nous semble, ne doit pas offrir, un
caractère trop particulier. Il ne s'agit pas, en effet, à l'école pri-
maire, d'initier l'enfant à toutes les phases d'une industrie parti-
culière ; il faut au contraire, qu'il ait des idées simples et générales
sur le plus grand nombre possible de choses usuelles. Que si l'in-
stituteur, animé d'un zèle tout à fait louable, désire collectionner
tous les objets relatifs à l'industrie de la région qu'il habite, il
détache ce petit musée de la collection générale. S'il vient à changer
de résidence, le musée général lui sera toujours d'un utile secours,
tandis que l'autre passera souvent alors à l'état de collection d'ama-
teur. Plusieurs exposants ont suivi cette méthode et nous estimons
qu'ils ont agi sagement. »
CHANSON DE FRANCE
LA DAME DE LA ROCHE-GUYON
(1419)
L'Anglais poignait la France, et les morts d'Azincourt
Depuis quatre ans déjà blanchissaient dans leur tombe :
Ils n'étaient pas vengés ! Comme la lèpre court
Et s'étend sur le corps, qui membre à membre tombe.
L'invasion de ville en ville ainsi gagnait,
Et vers Paris, le cœur, tendait son bras avide.
Charles VI était fou ! Le vrai roi qui régnait,
C'était l'Anglais. — Hélas ! le trésor était vide,
Le royaume au pillage, et les seigneurs sans foi
Oubliaient aux festins les morls et les défaites;
Les gens de guerre épars sur les routes, sans loi,
Sans ordres et sans chef, se donnaient joie et fêtes.
Volant le paysan, imposant les cités :
La France était perdue; aucune résistance
N'entravait les vainqueurs d'avance redoutés.
Si les bourgeois n'avaient étendu leur constance
Plus haut que les seigneurs ne haussaient leurs cimier^.
Plus loin que les routiers ne poussaient leur rapine,
Et lutté sans répit, bien que peu coutumiers,
Pour tirer le pays de honte et de ruine.
Mais parfois leur courage aux pièges d'un félon
Trébuchait, et leur sang répandu par traîtrise.
Leur milice éclaircie en chaque bataillon,
Epuisaient leur vigueur — et leur ville était prise.
Ainsi tomba Rouen ! Par Guy le Boutellier
La cité fut vendue. Il en ouvrit les portes.
Lui qui dut la défendre; et fut le conseiller
Lâche qui proposa pour ces deux âmes fortes,
Le brave Alain Blanchard et Robert de Livet,
La mort en châtiment : et sans miséricorde
La honte du supplice infâme du gibet :
Et le Plantagenet leur octroya la corde.
II
' — A Paris! »> s'écriait le prince triomphant ;
' — A Paris î >* répétaient ceux de son entourage :
a Paix à qui se soumet, mort à qui se défend ! »>
Les Français désolés pâlissaient de l'outrage,
LA DAMB DB LA BOGHE-GUYON 4S
Tandis que l'ennemi bien armé, bien pourvu,
Remonte la vallée, en longeant la rivière ;
Ville, bourg se résigne aussitôt qu'on Ta vu.
Mais voici qu'un château dressant sa tour altière
Fait flotter les couleurs de France à ses créneaux ;
Le donjon féodal haut perché sur la roche
Proscrit la route à l'homme et la Seine aux canots ;
Et les canons braqués en défendent l'approche :
On ne passera pas sans qu'il en coûte cher.
Pour peu que de ce nid, pointée avec adresse,
Vole et s'abatte au loin la mitraille de fer.
Le roi non sans dépit voit cette forteresse ;
Elle arrête sa force et barre son chemin.
Chacun autour de lui le rassure et le flatte :
On va rendre les clefs dès qu'il tendra la main.
Mais déjà le canon pour leur répondre éclate.
L'usurpateur s'irrite : « Ah ! s'ils ouvrent le feu,
Quand j'y perdrais six mois, nous les mettrons en poudre,
« Le fort avec les gens, et nous verrons beau jeu l »
Le Boutellier en doute ; il faudra se résoudre
A remonter au nord : c'est la Roche-Guyon ;
Le comte Guy périt aux champs de Picardie,
Mais sa veuve elle-même est sur le bastion,
Et ses troupes ont foi dans son âme hardie.
Le fort est imprenable, et pour donner l'assaut
Il faudrait des guerriers portant au dos des ailes :
Plus encor que les tours le cœur est ferme et haut
A celle qui le tient, et ses gens sont fidèles :
Par force on ne peut rien, et rien par trahison.
L'Anglais gonflé d'orgueil proclame en sa jactance :
'* Us rendront à merci remparts et garnison.
» Cette veuve oserait me faire résistance ! v
n ne la connaît pas pour en parler ainsi.
Son époux non vengé de la tombe lui crie
Son devoir inflexible ; et demander merci
Serait ternir sa race et trahir sa patrie.
m
Elle était jeune encore et de pure beauté ;
La grandeur de son nom, surtout sa grandeur d'âme
Dans le pays normand avait autorité.
Et quand on parlait d'elle, on l'appelait LA DAME.
Ah ! si l'Anglais pouvait la gagner doucement
44 REVUE PÉDAGOGIQUE
Par présents et promesse ! elle vaut qu'on Tacheté ;
Tout le peuple après elle irait prêter serment :
Ce serait assurer pour longtemps la conquête.
Et ce rêve naquit dans Tesprit de Henri
D'unir cette âme noble et ce nom sans souillure
Au traître de Rouen, gentilhomme flétri.
L'offre plaît au félon, il est prêt à conclure :
La Dame est de grands biens non moins que de grand lieu.
L'épouser, c'est reprendre avec cette richesse
DeThonneur; et plus tard, s'il veut changer de jeu,
La Roche est un asile. — Et dans leur hardiesse
Ce traître avec ce roi négligent de compter
L'horreur que leur projet insolent fera naître
Dans le cœur de la veuve ; et sans plus hésiter
Henri, qui du donjon se voit déjà le maître,
Dépêche vers la Dame un de ses chevaliers.
Il entre désarmé, puis redit son message :
« Le roi l'estimant fort laisse ses biens entiers
» A la Dame, pourvu qu'elle lui rende hommage,
» Et qu'elle épouse l'un de ses bons serviteurs,
» Guy, sieur le Boutellier, baron de Normandie. »>
La comtesse répond : — « Nous tenons les hauteurs ;
» Malheur à qui s'abaisse et paix à qui mendie.
» Allez à votre sire, et dites-lui ces mots :
» Plutôt que de prêter serment à l'Angleterre,
» Plutôt que d'épouser un traître, tous les maux
» Me sont doux. Si je mens, que vive l'on m'enterre ! »
« — Madame, « dit l'Anglais, » songez à vos enfants. »
« — J'y songe; leur pays fléchit, l'honneur s'efface;
» Combattant pour l'honneur, c'est eux que je défends;
» Mieux vaut le froid au cœur que du rouge à la face. »
IV
« La Roche tombera », jurait Plantagenet.
Son camp s'est étendu tout autour dans la plaine
Plus pénible était l'œuvre et plus il s'obstinait,
Sans que son lent progrès lassât la châtelaine.
Dès que sur un coteau s'établit l'étranger,
Le château-fort pointant ses longues couleuvrines
Par ses boulets pleuvant le force à déloger,
L'écrase et le poursuit jusque dans les ravines.
Pendant deux mois entiers l'effort se prolongea :
C'était comme un réveil de la France engourdie ;
L'Anglais broyé de loin désespérait déjà....
Le sort prit son parti ! Famine et maladie
LA DAME DE LA ROCHE-<GUYOX 4S
Entrèrent dans la place, et comme des brigands
Louches, rampants et vils, étreignent aux entrailles
Ces braves indomptés, qui jusqu'au bout constants
Succombent épuisés à leur poste, aux murailles.
Du dehors on ne peut espérer nul secours;
La Dame voit souffrir ses enfants en bas âge;
Quand faudjra-t-il mourir? Elle a compté les jours;
Une ombre de tristesse a voilé son visage.
Mais nul regret n'émeut son cœur inébranlé:
Elle a suivi la loi de son devoir austère ;
Dans la brise de nuit son époux a parlé,
Qui lui disait : « Jamais de Irève à l'Angleterre ! »
Et la Dame en secret médite sur le sort
De sa race, autrefois si fière et florissante.
Aujourd'hui condamnée à cette affreuse mort.
Mais dans le même instant apparaît grandissante
Limage du royaume affamé, s'écroulant
Aux bas-fonds qu'ont creusés la haine et la folie :
Et le malheur public à ses maux se mêlant, .
C'est le malheur des siens que cette mère oublie.
Mais la poudre manquait, le feu se ralentît.
L'ennemi va comprendre enfin cette détresse,
Se ruer sur le fort que rien ne garantit:
Et tout entière encore au tourment qui la presse,
La comtesse hésitait entre fuir ou périr.
Quand un baron survient portant nouveau message:
a Le roi sait désormais qu'il peut sans coup férir
» S'emparer du château, réduire en esclavage
» Les rares survivants, se saisir de tous biens;
» Mais la noble fierté de la Dame le touche,
» 11 ne propose plus Thymen d'aucun des siens,
» La Dame sera libre ; ïl suffit, de sa bouche,
» Un hommage, un serment au roi Henri prêté;
» Le roi lui laissera son titre, son domaine,
» Tandis que son refus c'est honte et pauvreté;
» Pour elle et ses enfants sera-t-elle inhumaine? j)
Pour troubler ce courage il avait essayé
La vanité souvent puissante au cœur des femmes.
Et lamour maternel justement effrayé ;
Il faisait entrevoir de ces destins infâmes
Qui sont le châtiment amer des grands déchus.
L'argument eût pesé sur une âme ordinaire.
Mais ces calculs retors devaient être déçus :
« Envers moi votre sire est vraiment débonnaire, y>
4(5 RE^UE PÉDAGOGIQUE
Dit-elle. « Je perds tout, il me reste Thoiineur,
K Le roi veut mon château, soit : qu'il vienne le prendre.
B Avant il entendra la voix du Grand Seigneur. >
C'est le nom du canon le plus gros; — sans comprendre,
L'Anglais redescendit vers le camp.
Dans l'instant
La Dame se saisit d'une mèche enflammée,
L'approche du canon, qui, terrible, éclatant
Crache au loin la mitraille à travers la fumée,
Pêle-mêle fauchant les gens et les chevaux.
C'est tout: la Roche est morne, il n'est plus d'espérance;
L'écho prolonge seul par les monts et les vaux
Ce grondement, suprême appel au roi de France.
Puis quand la nuit tombante ensevelît les champi,
La Dame, laissant tout et de tout dénuée.
D'un pas furtif s'éloigne avec ses trois enfants :
Le plus jeune à son dos s'accroche. Exténuée,
A gratid'peine marchant, elle va dans la nuit,
Le cœur ferme et l'œil sec, sans regard en arrière.
Sans regret des trésors qu'en partant elle fuit.
Au risque de passer pour une aventurière,
Elle, fille des preux de la Roche-Guyon !
L'ennemi trouvera déserte la demeure.
Devant lui ne s'est pas baissé le pavillon !
Elle s'est dit : « S'il faut que ce lignage meure,
» Mes trois enfants et moi du moins mourrons Français
a Et nous dormirons mieux en terre non souillée 1 •
0 femme, honneur à toi I dans ce temps d'insuccès
Ta gloire a relevé la France humiliée !
PONTSEVREt.
FRAGMENTS .D'UN RAPPORT
SUR UNE MISSION EN ITALIE .
M. Henri Le Bourgeois, inspecteur général de Tenseigneiront primaire,
chargé en janvier 1884 d'une mission en Italie, a rapporté de sonv<nrage une
collection fort intéressante d'ouvrages relatifs aux écoles italiennes. Cette col-
lection est destinée à enrichir la bibliothèque du Musée pédagogique de Paris.
Nous citerons/ parmi les publications que vient de recevoir ainsi notre Biblio-
thèque centrale de riostruction primaire, la série complète du BoiletUno
vfjiziàle du ministère italien de l'instruction publique, et un choix de rap-
ports et de brochures concernant les écoles de la ville de Gênes.
Du rapport adressé par M. Le Bourgeois à M. le ministre de l'instruction
Ï publique, nous donnons ci-dessous deux extraits, en regrettant que l'espace
imité dont nous disposons ne nous permette pas d'en publier davantage.
LE MUSÉE PÉDAGOGIQUE DE GÊNES
La création du Musée pédagogique de Gènes (Civico Afuseo pedago-
gico e scolastico) date de trois ans, et Tinauguration en fut faite
par le ministre de rinstniction publique. Cet établissement, qui
fait le plus grand honneur à M. rinspecteur Innocenti Ghini,
sous la direction duquel il est placé, et à Tadjoint au maire de la
cité, délégué à Tinstruction cçmmunale, contient déjà de remar-
quables collections, mais plus utiles encore que rares, et particuliè-
rement propres à initier les maîtres aux procédés intuitifs appli-
cables aux différentes branches de renseignement élémentaire.
On n'y a rien négligé, d'autre part, pour populariser les appareils
scientifiques de Tusage le plus facile dans les écoles, les meilleurs
types de constructions scolaires, de mobiliers et d'accessoires variés
dus au génie inventif des maîtres italiens.
Les principales collections, réparties dans trois vastes salles, ont
été classées, dit M. le directeur Ghini avec une modestie qui fait
son éloge, d'après les indications des musées du même genre de
Saint-Pétersbourg et de Paris, et elles ne comprennent pas moins
de vingt-quatre sections, savoir :
1® L'instruction religieuse (cartes, atlas, albums et gravures);
. 2^ L mstruction et Téducation dans la famille et les jardins d'enfants
(tout le matériel Frœbel de fabrication italienne et étrangère);
dP L'enseignement par Taspect (insegnamento oggettivo) ;
Â^ La lecture et l'écriture;
5<> La calligraphie;
6* L'arithmétique, le système métrique, la géométrie, etc.;
1^ Le dessin ;
8^ L'histoire (tableaux, costumes anciens, armes, modèles d«
▼aisseaux, etc.);
9^^ La géographie (cartes muettes et en relief, etc.) ;
10^ et ii<^ Les sciences physiques et naturelles;
48 RXVUE PÂDAGOGIQUI
i2<> L'agriculture et l'horticulture;
13^ L'industrie et la technologie;
14® La marine;
15<> Les travaux pour les écoles de filles;
i6<> et 170 i^s constructions scolaires et le mobilier scolaire;
18* L'hygiène;
19» La gymnastique et les exercices militaires;
20» Le chant ;
210 et 220 Les bibliothèques pédagogiques et scolaires;
230 Les journaux et périodiques;
2^0 La bibliothèque circulante.
Cette énumération rappelle assurément, par plus d'un côté, les
collections de la rue Lhomond ; nos éditeurs français ont été souvent
aussi mis à contribution par les pédagogues génois ; ceux-ci ne font
du reste nulle difficulté de reconnaître qu'ils prennent leur bien où ils
le trouvent, et ce n'est pas leur moindre mérite d'en faire l'aveu.
Il serait injuste de ne pas constater, à notre tour, qu'il y a dans
ridée qui a présidé à la formation du Musée de Gênes quelque chose
qui est particulièrement propre aux fondateurs. On n'est pas seu-
lement ici en présence d'objets fort méthodiquement classés, d'une
valeur incontestable, et se rattachant de plus ou moins près a un
système d'enseignement élémentaire et supérieur bien combiné; le
directeur Ghini s'est, avant tout, préoccupé du milieu où il se
trouve; il a tenu à rendre les instruments d'éducation familiers à
un personnel encore peu exercé, et, pour atteindre ce but, il a fait du
Musée un centre d'expérimentation où les instituteurs de la circon-
scription viennent, chaque mois, par groupes distincts, apprécier,
de visu, les procédés qu'on leur soumet et discuter, sous les yeux
de leur chef (car M. Ghini est, en outre,* inspecteur des écoles
municipales), le mérite des appareils dont le Musée s'est enrichi.
Sous le titre : Instruction et éducation enfantines (section 2 du
classement), il semble qu'on se soit plu à multiplier les jeux in-
structifs qui sont, à la fois, des exercices d'adresse et d'intelligence.
L'Allemagne a fourni là un large contingent.
Si complètes qu'elles soient, les collections relatives à renseigne-
ment de la lecture, de l'écriture, des mathématiques et du dessii\
témoignent plutôt du soin qu'on a apporté à leur composition que
du souci d'innover en ces matières (n** 4, 5 et 6). M. Ghini et ses
coUaborate urs en ont réuni la majeure partie avec des ressources
presque insigniGantes.
Les sections de l'histoire et de la géographie renferment, en plus
du matériel ordinaire dont nos bonnes écoles sont pourvues, quel-
ques spécimens qui dénotent une louable initiative. 11 y a derrière
les vitrines peu de cours complets d'histoire italienne (1); la collec-
(i) L'histoire popalaLrc de Tltalie reste à faire, et Toq comprend combien
FRAGMKKTS D*UiN RAPPORT SUR UNE MISSION EN ITALIE 49
tion des livres de cette catégorie répond toutefois suffisamment aux
besoins des écoles primaires où, avec raison, à mon sens, on a jugé
qu'un cours complet d^hfstoire serait pour le moins superflu. On
s*est attaché à des notions succinctes sur la vie des personnages qui
ont illustré leur pays et, au Musée comme dans les écoles, on a
accordé la préférence à la biographie, en laissant aux maîtres la
tâche de combler les lacunes et de relier entre elles et en peu de
mots les grandes époques historiques et les principaux événements
quUls remplissent.
Le livre se complète par les tableaux reproduisant les person-
nages de la leçon, les costumes^ les modèles d'armes, les engins de
{(uerre, etc., etc.
A côté des cartes muettes et en relief que nous connaissons, on
remarque un appareil peu répandu et qui serait d'un grand secours
à nos instituteurs pour l'enseignement de la géographie physique.
Cet appareil d'une extrême simplicité se compose d*une table ronde
d'un mètre de diamètre, recouverte d'un papier bleu mat ayant l'as-
pect de la mer telle qu'on la figure sur nos cartes en couleur. Les
seuls accessoires se bornent à une boite de la capacité d'un litre à
peu près, remplie de sable jaune assez fin, d'une brosse recourbée,
d'un pinceau, et de quelques rubans très étroits.
Le sable répandu en bloc sur la table forme une montagne; étendu
d'une certaine façon avec la brosse, qui sert aussi à réserver les
bleus, il peut donner aussi l'idée d'un continent, d'une île, d'une'
presqu'île; un coup de pinceau adroitement appliqué sur le tout
creuse une vallée au tond de laquelle un bout de ruban bleu, jeté
dans une direction convenable, représente le fleuve ou la rivière;
quelques jouets de construction feront les villages ou les ports
de mer et se prêteront à une foule de combinaisons qui
apprendront aux enfants rangés autour de la table ronde la géo-
graphie physique comme un délassement.
Cette très ingénieuse invention est due au professeur Belluzzi de
Bologne; elle est désignée sous le nom de Tavola per esercizi geo-
grafici; la table et les accessoires coûtent environ 10 francs. Des
maîtres inteUigents la fabriquent eux-mêmes avec économie.
La table géographique aurait été, mVt-on dit, introduite, il y a
peu de temps, à l^École La Marlinière de Lyon par le directeur de
cette institution après une visite faite au Musée de Gènes.
L'administration génoise, qui a doté son Musée de tous les instru-
ments et produits nécessaires pour composer un cabinet de physique
et un laboratoire de chimie appropriés ù dos cours complets d'en-
ii eût été difficile d'obliger les instituteurs italiens, mal préparés à cette
tâche, à enseigner l'histoire d'un pays dont l'unité est au nombre des événe-
ments contemporains et dont les différentes fractions ont elles-mêmes subi tant
de vteisaitades.
IIVUI FiDAOOCIQOB 1885. — 1*' SIX. h
80 RIVUE PÉDAGOGIQUI
geignement supérieur, a reçu de la Società Galileo de Florence
d'intéressants petits modèles de cabinets de physique à prix réduiU
(300 et 400 francs), qu'on apprécie dans les localités qui ne pour-
raient, vu rinsuffisance de leur budget, acquérir des appareils de
dimension ordinaire.
Les collections d'histoire naturelle, d'agriculture, d'horticulture,
de technologie ont été tirées du sol même, pour ainsi dire, ou
empruntées aux industries de la région (Prodotti alimentart e
okiferi, profumi, filigrane, corallOy marmi e in générale tutti i prodotti
principali dell* indtMtria ligure.)
Les modèles de navire, les travaux de femme (1), les ustensiles
de ménage occupent une division importante.
Enfm une salle entière a été consacrée aux constructions d'écoles
et au mobilier classique. A côté des plans en relief de dimensions
diverses que chacun connaît, on en remarque une série dont les types
sont construits sur échelle assez réduite pour pouvoir être adressés,
sous forme de colis postaux, aux municipalités qui en demandent
communication . On a réalisé, de cette façon, au Musée de Gênes, le
matériel scolaire « roulant » de même que la bibliothèque roulante»
et rendu ainsi effective l'application d'un principe qui avait paru
d'abord irréalisable.
Les tables-bancs qu'on tend à propager dans les écoles de la Haute-
Italie sont à deux places et à dossier. La tablette formant pupitre est ar-
ticulée au milieu, et, quand la partie inférieure de cette tablette serelève
et se renverse, elle recouvre l'encrier et le serre-plumes. Cette com-
binaison a le double avantage de faciliter le passage entre les tables
et de prévenir les accidents si communs avec les modèles qui lais-
sent les encriers à découvert. La table dont il s'agit est surtout en
faveur dans les écoles de filles, où l'on a imaginé d'y fixer de plus un
coussinet servant à retenir le travail de l'élève, et qui rentre dansle
pupitre quand la tablette est rétablie. Ce détail vaut la peine qu'on
s'y arrête. C'est un perfectionnement inventé par le directeur du
Musée et qui n'augmente pas sensiblement le prix des tables.
Notons à ce propos un autre appareil dont M. Ghini est également
l'auteur et a Taide duquel on peut déterminer avec précision les
proportions des tables-bancs selon la taille des enfants qui doivent les
occuper. Cet appareil, qui a été justement distingué a l'Exposition
nationale de Turin, n'est pas encore livré au commerce, mais il
aurait sa place marquée dans nos grandes écoles.
Les registres du )Iusée accusent 4655 visiteurs du i^' septembre
1881 au 1» septembre 1882, et 780 prêts de livres à domicile. Ces
(1) Parmi les travaux de femme spéciaux à la ville de Gènes, il convient
de citer les ouvrages d'orfèvrerie en filigrane dont s'occupe une grande par-
tie de la population féminine et auxquels les jeunes filles sont exercées avec
on remarquable succès à l'école Galllera.
FRAGMENTS d'uN RAPPORT SUR UNE MISSION EN ITALIE Si
nombies avaient été dépassés pendant les 8 premiers mois seulement
de Taimée dernière.
L'établissement est essentiellement communal. Les habitants de
Gènes ont concouru à sa fondation, et à leurs souscriptions sont
venus s'ajouter les subsides du gouvernement, de la province et de
la municipalité. L'ancienne et somptueuse église San-Sylvestre,
très intelligemment aménagée, a abrité sous ses voûtes imposantes
le Musée pédagogique et le gymnase qui y est annexé. Les admirables
fresques du monument ajoutent encore à la splendeur du cadre un
charme qui n'est certes pas a dédaigner.
LE POUVOIR CIVIL ET LE POUVOIR RELIGIEUX EN ITALIE
J'étais à Rome au moment où fut tranchée contre les prétentions
du Saint-Siège la question des biens de la Propagande. Des jour-
naux de la ville, qui ont des rédacteurs français dévoués au Vatican,
faisaient grand bruit de cette affaire; mais il fallait bien reconnaître
que leurs doléances, reproduites par une fraction spéciale de la
presse française, ne trouvaient pas d'écho parmi les paisibles et in«
différentes populations italiennes. C'est qu'en ce pays on se garde
de confondre ce qui est du domaine de la politique avec ce qui
ressortit à la religion, et les mesures fiscales appliquées à un établis-
sement ecclésiastique laissent absolument froids tous ceux qui ne
se sentent pas directement atteints dans leurs intérêts : aussi peut-on
espérer que l'antagonisme qui natt si souvent, chez nous, dans les
localités où un ordre d'enseignement a été substitué à un autre, ne
créera jamais chez nos voisins de ces rivalités ardentes dont nous
sommes parfois les témoins attristés.
L'esprit italien admet des tempéraments qui l'aident puissamment
à résoudre les questions ardues, et il a même trouvé un mot pour
caractériser la situation.
J'ai dît ailleurs que les plus belles écoles de Palerme, précédem-
ment occupées par les Jésuites, étaient confiées à des laïques et
libéralement ouvertes aux enfants du peuple. J'étais tenté de sup-
poser que c'était de hautelutte qu'on avait pu obtenir un semblable
résultat. — • NuUement, me répondit-on; le décret du prodictateor
a été rendu exécutoire (1) ; quelques indemnités ont facilité la
transformation, et tout a été dit: Accommodazxioneî »
Le directeur d'une importante école m'accompagnait dans ma yisile ;
les maîtres étaient laïques — moins un qui portait l'habit ecdé-
ftiastique. C'était peut-être le maître chargé de l'enseignement
religieux? En aucune façon. On m'apprend qu'il a concouru pour
obtenir son emploi, qu'il enseigne au même titre que ses collègues
laïques et obéit aux mêmes règles; l'autorité ecclésiastique ne s'en
émouvait pas plus que le pouvoir séculier. Accommodazzicmel
(!) Décret da 17 octobre 1860.
Si RKVUE PÉDAGOGIÛUS
Aux termes de la loi italienne, le service militaire est obligatoire
pour tous ; les séminaristes eux-mêmes y sont soumis. Les dispenses
de fait sont bien nombreuses, il est vrai, me dit-on, mais le prin-
cipe est respecté; il y a, en effet, des séminaristes sous les dra-
peaux. Accommodazzione !
La famille royale est frappée, comme on sait, d'excommuni-
cation. Le fils du roi atteignait, il y a quelques années, Vkge où il
devait recevoir le sacrement. Le Saint-Père envoya un de ses arche-
vêques à la résidence royale, et la cérémonie se fit discrètement et
sans tapage. Accommodazzione!
Quelques-uns pensent qu'il n'y a pas à craindre que les associa-
tions congréganlstes dissoutes se reconstituent (i), et s'imaginent
même qu elles se laissent, peu à peu et a leur insu, pénétrer par
les idées du jour; d'autres affirment, au contraire, que leurs
membres épars se tiennent sur une réserve prudente, prêts à se
réunir à nouveau si les circonstances étaient favorables, mais satis-
faits, en attendant, de toucher Tindemnité, en somme fort onéreuse
pour le trésor, que TElat paie à chacun d'eux.
Je crois voir encore les moines siciliens mendiant à bord des
navires qui entraient dans le port de Messine et souhaitant le Buon
Camevale à ceux qui laissaient tomber une pièce dans leur escar-
celle. Les vicissitudes du sort n'avaient pas diminué leur gaieté.
La population no se montrait pas hostile à ces vieux religieux (il y
en a de jeunes aussi}, flânant sur les portes des fruiteries» se
tenant curieusement au courant de la chronique locale, et rappelant
les traditions d'un autre fige.
Il en est, dans le nord de l'Italie surtout, qui, à ces divers
moyens d'existence, ajoutent la rémunération de services rendus,
extraction de dents à bas prix, vente de « simples » destinés à
guérir les alTcctions peu graves, etc.
Tout cela est très inolTensif en apparence. Le clergé italien, plus
circonspect que le nôtre, n'a pas fait campagne contre la laïcité, et
l'obligation de l'enseignement primaire. Il s'est contenté du maintien
de l'instruction religieuse dans les écoles ; il est peu de villes d'ail-
leurs qui aient encouragé les instituteurs laïques a enfreindre,
à cet égard, les prescriptions légales (2).
Même sur ce point, le clergé se monli'e en somme peu exigeant :
les heures d'instruction religieuse a l'école sont réduites à un
ninimum (une demi -heure par semaine).
(1) Je dois la plupart des renseignements relatifs aux congrégatioDS à
M. le tJéputé CorleO) l'éminent rapporteur do la loi du 7 juillet 1866, l'un
des hommes d'Italie le mieux au courant des questions de ce genre.
(2) La ville de Gènes avait supprimé l'enseignement religieux dans ses
écoles; !o Conseil d'État, saisi de la question, l'a tranchée en faveur du
rétablissement.
DEUX ÉCOLES S3
La conciliation est une force avec laquelle on compte; d'un bout
à l'autre de l'Italie^ on a vu les représentants les plus autorisés du
régime déchu voter, dans les assemblées publiques, les subventions
proposées pour l'érection du monument du comte de Cavour et pour
les frais des funérailles de Garibaldi.
Le souverain pontife venait de lancer une encyclique oCi les
institutions universitaires n'étaient guère ménagées. « Les ency-
cliques, m'expliquait un honune politique mêlé aux choses de
l'enseignement, passent la frontière; elles ne nous efOeurent pasi »
— Autres pays^ autres mœurs!
Henri Le Bourgeois.
DEUX ECOLES
(note d'inspection)
t Voyes^TOUS, me disait an jour un honorable délégué can-
tonal, comme nous sortions ensemble d'une école rurale aux
trois quarts vide, il n'y a que les bonnes auberges qui soient
fréquentées, celles qui offrent à leurs clients une bonne nour-
riture, du bon vin, des soins attentifs. »
Je me suis rappelé cette parole du spirituel campagnard, en
quittant hier la commune de X..., où j'avais inspecté deux écoles.
En arrivant dans l'école du chef-lieu de la commune, à 9
heures du matin, je trouve l'instituteur assis à son bureau, son
chapeau sur la tête (en juin !;, faisant la dictée à la première
division, en présence de deux femmes du village qui, leur tricota
la main, attendent que l'instituteur leur a fasse la lettre » qu'elles
viennent lui demander. Pendant ce temps, les élèves des deuxième
et troisième divisions sont censés copier une page, mais ils
découpent du papier et entaillent les tables. L'état dans lequel
se trouve la salle de classe ne dispose guère favorablement le
visiteur. La maison date de dix à quinze ans. Le plancher n'a
sans doute pas été lavé depuis cette époque, ni balayé dans les
derniers jours ; il est couvert de poussière et de petits papiers.
Le plumeau n'a jamais passé sur le bureau du maître, ni sur les
tables inoccupées; des toiles d'araignées tapissent les coins du
mur et du plafond.
54 BBVUB PÉDAGOGIQUE
Les enfants, un peu intimidés d'abord, ne tardent pas à sou-
rire, à nous regarder d'un air moins sauvage, à répondre à
nos questions. Ils paraissent intelligents, mais peu habitués à
réfléchir. L'inspection de propreté doit être oubliée souvent, si
j*en juge par Taspect des mains et des figures. Il faut dire qu'il
n'y a pas d'épongé dans la salle pour effacer l'écriture à la craîe :
les enfants crachent sur le tableau noir et effacent de la main.
Ils retournent chez eux plus malpropres qu'ils ne sont venus.
Allons, monsieur l'instituteur, habituons donc ces enfants à
se servir de la belle eau, fraîche et limpide, qui coule à travers
vos rues; à enlever le badigeon sous lequel disparaît le coloris
de ces bonnes petites joues, et à peigner cette chevelure en
broussailles qui cache le front et les yeux.
Voyons le cahier mensuel? Il est inconnu dans l'école. Les
autres cahiers ne contiennent que d'interminables <k copies »
d'une, de deux, jusqu'à deux pages et demie, prises à tort et
à travers dans les livres d'arithmétique et de géographie, c Gela
occupe les élèves », me dites- vous; mais quel profit voulez-vous
qu'ils tirent de ce travail tout mécanique? Pas de devoirs
méthodiquement gradués. Pas de traces de la correction du
maître, pas de notes marginales. Pas de préparation de la classe.
Nous sommes en pleine routine.
Le ministère a donné une armoire-bibliothèque à cette école,
mais elle est vide ! Il y a cependant dans la ville voisine une
Société d'encouragement qui distribue des livres aux écoles qui
en manquent, a Personne ne lit dans le pays », me dit l'insti-
tuteur. C'est une raison de plus pour donner l'habitude de lire
à vos jeunes élèves, et pour leur en donner t exemple.
On se figure aisément quels résultats peut donner une école
ainsi tenue, et je ne suis pas surpris de ne trouver à l'école
que la moitié des élèves.
4^
Quelle différence avec la jeune école du hameau voisin, qai
fait partie de la même commune ! Toutes les places sont occupées,
toutes les tables pleines. La maison est vieille, louée; mais la
salle est proprette et riante, les murs sont ornés de tableaux
d'images et d'inscriptions; au plafond se trouve une rose des
DEUX ÉCOLES 85
t^glU qui oriente la salle; les enfants sont propres, bien lavés,
bien peignés, souriants. On est favorablement disposé en entrant
dans cette classe.
Je trouve le maître au milieu de ses élèves, tenant un
morceau de houille dans une main, un tableau d'images
(produits de la houille) dans l'autre, et faisant une leçon de
choses; c'est intéressant, attrayant^ vivant; il sait se mettre à
la portée des enfants qui sont suspendus à ses lèvres, qui
prennent part à la leçon; c'est à qui répondra le premier à la
question du maître. Quaod la leçon est terminée, il demande
aux élèves ce qu'ils en ont retenu, ce qu'ils écriraient main-
tenant s'ils avaient à faire une rédaction sur la houille; et
chacun de dire ce qui l'avait le plus frappé, u Maintenant,
écrivez cela pendant que je m'occuperai du cours supérieur. »
— Voilà certes un excellent exercice d'invention et de rédaction.
Je vois sur le bureau du maître un carnet dans lequel se
trouvent indiqués les leçons et devoirs de la journée, les uns
laconiquement par un mot, les autres d'une façon plus déve-
loppée. Les cahiers sont revus avec soin, les devoirs courts et
gradués; on trouve sur chaque page la trace de la correction
du maître. Tous les enfants, depuis le premier jusqu'au dernier,
savent Ure plus ou moins couramment; presque tous comprennent
ce qu'ils lisent et écrivent. Leur intelligence est éveillée, leur
jugement exercé. Ils sont attachés à leur maître, ils viennen
à l'école avant l'heure. II y a chez toute cette petite population
une tenue, une bonne humeur, une activité, un désir d'apprendre
et de plaire à l'instituteur qui fait plaisir à voir.
La bibliothèque renferme une centaine de volumes placés
sur une planche fixée au mur : l'école n'a pas d'armoire,
comme celle du bourg, mais les livres circulent, a Enfants et
parents les lisent », me dit-on.
Ces deux écoles m'ont mis sous les yeux deux types bien
différents d'instituteurs.
L'un est l'instituteur qui sait attirer les enfants.
L'autre est l'instituteur qui les éloigne de l'école.
G. J.
L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE A LONDRES
LA JEWS* FHEE SCEOOL '
La plus vaste école primaire d'Angleterre^ et vraisemblablement
d'Europe, est la Jew$* free school a Londres ; elle contient aujourd'hui
environ 3,200 élèves, en chiffres ronds, 1,950 garçons et 1,250 filles.
J*ai eu dans ces derniers temps l'occasion de la visiter et je crois
être agréable aux amis de renseignement primaire et aux lecteurs
de la Revue en leur donnant quelques renseignements sur celte école ^
modèle, trop peu connue.
Dans un des quartiers les plus humbles et les plus pauvres de la
Qté, dans une de ces nombreuses rues étroites et sans air où
pullule une population misérable, à Bell Lane, dans Spitalfields,
s'élève un immense édifice de briques rouges, d'architecture sévère,
à quatre étages, ayant 18 mètres de front. Sur la façade on lit une
inscription hébraïque signifiant Etude de la loi et instruction de9 enfants^
et au-dessous :
JEWS' FAEB SCHOOL,
FOUNDED 5577-18 17,
REBUILT 5643-1883,
« école gratuite Israélite fondée en 5577 (1817), reconstruite en 5643
(1883) ».
Ce bâtiment fait un singulier contraste avec les misérables maisons
qui Tavoisinent. il semble qu'on ait voulu installer ce foyer d'in-
struction en plein raih'eu d'ignorance et de misère: c'est attaquer
l'ennemi au cœur même de son empire et atteindre le mal à sa
source.
Cette école est l'œuvre d'un seul homme, le directeur, M. Angel.
Il y a consacré toute une vie d'intelligence, de dévouement et de
sacrifice.
Quand M. Angel reçut du comité israélite la direction de cette
école, le 2 janvier 1840, c'était une école mutuelle qui végétait depuis
un quart de siècle.
Elle contenait 216 garçons et 120 filles, et il y avait place pour
600 garçons et 300 filles. Frappé des inconvénients nombreux de
l'enseignement mutuel, M. Angel résolut de le transformer et se
mit à créer un personnel de maîtres. 11 annexa de sa propre autorité
à l'école primaire une école normale dont il était à la fois le direc-
teur et le maître unique. Après les heures de classe, il prit à part
quelques jeunes gens et quelques jeunes filles, choisis pai*mi les
LA JEWS' FREE SGROOL 57
meilleurs de ses élèves, pour leur donner une solide inslructlon qjaï
leur permît d'affronter les divers examens de renseignement.
II forma ainsi nm état-major de professeurs auxquels il sut in-
spirer la passion de dévouement et de sacrifice qui l'animait, et au
bout de quelques années le système mutuel put être abandonné. L'é-
cole cependant prospérait et voyait chaque année grandir le nombre
de ses élèves. En 1853, elle était assez importante pour être placée
sous l'inspection de l'Etat (under inspection). Cette situation lui impo-
sait de nouveaux devoirs, en même temps qu'elle lui permettait d'es-
pérer des subventions ministérielles. Elle devait se soumettre au
programme de renseignement officiel et à la législation régissant le
personnel enseignant, admettre les visites et subir les examens mi-
nutieux des inspecteurs ; elle perdait une partie de sa liberté pour
recevoir en revanche le concours de l'Etat.
Quand le premier inspecteur se présenta (c'était le célèbre publl-
ciste M. Mathew Arnold), l'école avait déjà son cadre complet de
professeurs. Depuis elle ne fit que s'étendre, et, étouffant dans le bâti-
ment qui lui était affecté, elle s'est fait construire récemment le
nouvel édifice de Bell Lane dont M. Angel lui-même a dressé les
plans.
L'enceinte forme un immense rectangle occupé par des construc-
tions sur trois côtés, le quatrième bordant en partie une cour ou
préau qui laisse ainsi de droite et de gauche deux vastes ailes et en
avant une salle rectangulaire. Le préau est la cour de gymnastique
et de récréation des garçons, dont Técole prend Taiie gauche ; l'aile
droite, qui a aussi sa cour centrale, esfc-l'école des filles. La salle de
lace, bordée par les deux ailes, le préau et la façade, est la salle de
séances du conseil de l'école, qui se transforme à l'occasion en salle
de concert (l'école donne de temps à autre des concerts de charité au
profit des familles des élèves pauvres) et, aux jours de solennités
reb'gieuses, en maison de prière. Elle peut contenir de 1,800 à 2,00()
personnes.
L'école comprend 73 salles de classes, 45 pour les garçons, 28
pour les filles. Actuellement 66 de ces salles sont occupées, 43 par
les garçons et 23 par les filles.
Les sept divisions (standards) entre lesquelles le programme ofii-
ciel répartit l'enseignement primaire se partagent inégalement les
salles. Les premières divisions, c'est-à-dire les plus faibles, ont natu-
rellement le plus grand nombre d'élèves.
. Voici du reste la statistique :
GARÇONS
i*^ division (7 ans au moins) 13 classes de 40 élèves en moyenne.
2* -- (8 ans), 11 classes de 40 élèves.
3* — (9 ans), 8 classes dont 5 classes deOO élèves et 3de40.
4* ~ (10 ans), 5 classes de 60 t^lèves.
LA »W8' IfOUB «CHOOL 69
se prâieater^ aux examens de décembre i88i i les antres se pré-
parent. Les professeurs ont à leur disposition une bîblioihà^e
d*6a?iron 7,000 Tolumes.
La salie des séances renferme en outre une petite bibliothèque
d'usage journalier^ contenant les grands dictionnaires et les princi-
paux ouvrages relatifs à la pédagogie.
Toutes les maîtresses reçoivent sans distinction chacune une robe
par an : elles déjeunent ensemble à Técole aux frais de l'école. Tous
lesaoua-maitres qui le demandent reçoivent de l'argent pour s'acheter
on haUdlement comj^et.
En général chaque classe est tenue par un maître, sauf les classes
supérieures où le maître est assisté par un maître auxiliaire ou
moniteur, en anglais pupil ttacher, élève-maître (1).
L'enseignement comprend deux sections, l'enseignement obliga-
toire, qui reproduit exactement le programme officiel de renseigne-
ment primaire et prend par jour les quatre heures exigées par la
loi, et renseignement facultatif, qui est renseignement religieux,
hétodu et histoire sainte, et prend deux heures de plus par jour.
Les six heures de cours journaliers se répartissent en deux classes
d'inégale durée. La classe du matin va de 9 heures à 1 heure, la
classe du soir de 3 heures à 5 heures. Les vacances sont de six semai-
nes, une quinzaine à la fêle de la Paque juive, et quatre semaines aux
fêtes religieuses de l'arrière-saison.
Tous les ans, on fait passer aux élàves des examens officiels très
strictB, Comme ces examens jouent un rôle capital dans les subven-
tions accordées par l'Etat, il est utile de nous arrêter sur ce point.
Il y a M un mécanisme original, particulier à l'Angleterre, que
nous devons expliquer à nos lecteurs. L'Etat subventionne les
^oles proportionnellement aux progrès qu'elles réalisent. Ces progrès
^(kt coDBiaiéB par des inspecteurs qui viennent une fois par an, à
^^B époqu^^ fixes, faire passer des examens minutieux, oraux et
^titsB' ^^"* les élèves sur toutes les parties de renseignement.
1 Pour iB Jews'freestÀool l'inspecteur en chef est le célèbre orientaliste
4t ^.pa^e-R&'i^' ^«^ ^t assisté de trois sous-inspecteurs nommés
.-. a^firAOt fe chapitre lU du Code of régulations, les élèves-maîtres sont
flf 9o^ «arçons ou jeunes fiUes engagés par le directeur d'une école pri-
^^ ^^'^^r Bméigner pendant les heures de leçons sous la direction du
^^'^ S €la«nt ^voir uq suppi^nieot d'instrucUon eu dehors des da«iL
-^^ SL^ «w a» «ooinsau ïnoment de leurengag^ut, qui dure générale-
nant a«***^*?^ «kl ^ nnnéu. i ^-# A passer des examens. Leur engagement
AU fi"* Mf n^ '"nt ^^f " la ^ours dans une école normale, toit
02 REVL'fi PÉDAGOGIQUE
cette générosité du public israélile de Londres. Un négociant de la
Oté, feu M. Alfred Davis, ami personnel de M. Ang6l, a donné
de son vivant £ 30,000 (750,000 francs) à l'école à diverses reprises,
et lui a légué a s mort une sonmie de m^me valeur. Sir Anthony
Rothschild, pendant trente ans président du comité, a donné régu-
lièrement chaque année d'importantes sommes. Chaque année du
reste, la famille Rothschild apporte discrètement des contribu-
tions qui s'élèvent en moyenne à £ 10,000.
Telle est cette école, fondée, on peut le dire, par l'énergie et le
dévouement éclairé d'un seul homme. Depuis quarante-quatre ans,
M. Angel lui a dévoué toutes les forces de son intelligence et de son
cœur. Tout en élevant une famille, il a su et pu fonder cette
école qui est maintenant l'orgueil de l'Angleterre. Il y a quelques
mois le chef du département d'éducation, M. Mundella, la visitait
dans tous ses détails, et inscrivait sur le registre des visiteurs, à
côté de son nom, les mois suivants que me montrait avec une légi-
time fierté M. Ange! : May 42, Visiied this school and fotmd U in ail
rapects admirable ; « J'ai visité cette école et l'ai trouvée sous tous
les points de vue admirable, o
A. Darmesteter.
LES RAPPORTS DES CHEFS D^ÉCOLE
AVEC UEURS COLLABORATEURS
Cette délicate question est traitée dans une circulaire
adressée par H. Godin, inspecteur d'académie de Seine-et-Oise,
aux inspecteurs primaires de son département; nous la repro-
duisons ci-dessous :
MotisnsuR l'Hspecteur,
Le nombre des instituteurs-ac^oints et des institutrices-adjointes
du département do Seine-et-Oise s'est accru depuis quelques années
dans une proportion considérable; il atteint aujourd'hui 334. ^ 11 y
a donc uo intérêt de premier ordre pour Tavenir de nos écoles et le
progrès de Tinstruction primaire, à ce qu'un personnel aussi nom-
breux et, sauf de rares exceptions, aussi jeune et aussi inexpéri-
menté, soit surveillé avec vigilance, dirigé avec méthode et fermeté.
Ce ne sont pas moins des directions morales que des directions
pédagogiques qui lui sont indispensables.
Parmi ces jeunes maîtres, les uns sont sortis de nos écoles
normales, les autres ont conquis leur brevet dans des écoles publi-
ques ou privées de Seine- et-Oise ou d'autres départements. Des
conseils judicieux, d'excellents exemples sont donnés aux premiers
pendant leur séjour au chef-lieu ; mais ils débutent presque tous
dans renseignement public avant leur vingtième année et ils ne
sauraient se passer encore des conseils de maîtres expérimentés.
Quant aux adjoints des deux sexes qui n'ont pas appartenu à une
école normale, leur instruction professionnelle, leur conduite privée,
leur tenue même exigent une surveillance quotidienne, une direction
vigilante.
La grande majorité de ces jeunes maîtres s'acquitte convenable-
ment des fonctions qui leur sont confiées, et la plupart des titu-
laires des deux sexes comprennent également leurs obligations a
regard de leurs collaborateurs ; mais quelques difificultés m'ont été
signalées et je crois devoir vous prier de rappeler au personnel inté-
ressé de votre ressort ce que doivent être les rapports des institu-
teurs et des institutrices titulaires avec les adjoints et les adjointes
qu'ils ont à diriger.
Les obligations de chacun pourraient être exposées d'une manière
précise dans un règlement analogue à celui des écoles ; mais les
rapports qu'il s'agirait de réglementer sont si multiples, si variés,
si délicats qu'il est bien difficile de tout prévoir dans une sorte de
code impératif, qui pourrait faire surgir des conflits auxquels on
02 REVUE PÉDAGOGIQUE
cette générosité du public israélile de Londres. Un négociant de la
Gté, feu M. Alfred Davis, ami personnel de M. Angel^ a donné
de son vivant £ 30,000 (750,000 francs) à l'école à diverses reprises,
et lui a légué a s mort une somme de m/^me valeur. Sir Anthony
Rothschild, pendant trente ans président du comité, a donné régu-
lièrement chaque année dMmportantes sommes. Chaque année du
reste, la famille Rothschild apporte discrètement des contribu-
tions qui s'élèvent en moyenne à £ 10,000.
Telle est cette école, fondée, on peut le dire, par l'énergie et le
dévouement éclairé d*un seul homme. Depuis quarante-quatre ans,
M. Angel lui a dévoué toutes les forces de son intelligence et de son
cœur. Tout en élevant une famille, 11 a su et pu fonder cette
école qui est maintenant l'orgueil de TAngieterre. Il y a quelques
mois le chef du département d'éducation, M. Mundella, la visitait
dans tous ses détails, et inscrivait sur le registre des visiteurs, à
côté de son nom, les mois suivants que me montrait avec une légi-
time fierté M. Ange! : May 42, Visiuk this school and found U in ail
retpects admirable ; « J'ai visité cette école et l'ai trouvée sous tous
les points de vue admirable, o
A. Darmesteter.
LES RAPPORTS DES CHEFS D^ÉCOLE
AVEC LEURS COLLABORATEURS
Cette délicate question est traitée dans une circulaire
adressée par H. Godin, inspecteur d'académie de Seine-et-Oise,
aux inspecteurs primaires de son département; nous ia repro-
duisons ci-dessous :
MOHSIBUR L*H8PECTEUR,
Le nombre des instituteurs-ac^oints et des institutrices-adjointes
du département de Seine-et-Oise s'est accru depuis quelques années
dans une proportion considérable; il atteint aujourd'hui 334. ^ Il y
a donc un intérêt de premier ordre pour l'avenir de nos écoles et le
progrès de Tinstruction primaire, à ce qu'un personnel aussi nom-
breux et, sauf de rares exceptions, aussi jeune et aussi inexpéri-
menté, soit surveillé avec vigilance, dirigé avec méthode et fermeté.
Ce ne sont pas moins des directions morales que des directions
pédagogiques qui lui sont indispensables.
Parmi ces jeunes maîtres, les uns sont sortis de nos écoles
normales, les autres ont conquis leur brevet dans des écoles publi-
ques ou privées de Selne-et-Oise ou d'autres départements. Des
conseils judicieux, d'excellents exemples sont donnés aux premiers
pendant leur séjour au chef-lieu ; mais ils débutent presque tous
dans renseignement public avant leur vingtième année et ils ne
sauraient se passer encore des conseils de maîtres expérimentés.
Quant aux adjoints des deux sexes qui n'ont pas appartenu à une
école normale, leur instruction professionnelle, leur conduite privée,
leur tenue même exigent une surveillance quotidienne, une direction
vigilante.
La grande majorité de ces jeunes maîtres s'acquitte convenable-
ment des fonctions qui leur sont confiées, et la plupart des titu-
laires des deux sexes comprennent également leurs obligations à
regard de leurs collaborateurs ; mais quelques difficultés m'ont été
signalées et je crois devoir vous prier de rappeler au personnel inté-
rim de votre ressort ce que doivent être les rapports des institu-
teurs et des institutrices titulaires avec les adjoints et les adjointes
qu'ils ont à diriger.
Les obligations de chacun pourraient être exposées d'une manière
précise dans un règlement analogue à celui des écoles ; mais les
rapports qu'il s'agirait de réglementer sont si multiples, si variés,
si délicats qu'il est bien difficile de tout prévoir dans une sorte de
code impératif, qui pourrait faire surgir des conflits auxquels on
6i REVUE PÉDAGOGIQUE
n'eût pas pensé et qui ne saurait présenter une solution pour une
discussion inattendue et pour tous les faits de la vie scolaire.
Rien ne vaut d'ailleurs en pareille matière les règles que dicte à
chacun une raison droite, la conscience du devoir, la volonté de
bien faire. C'est au sentiment que chaque fonctionnaire doit avoir
de ses obligations qu'il faut nous adresser pour que notre personnel
sache ce qu'il doit être dans la vie privée et dans la vie profession-
nelle et ne s'écarte pas de la règle qu'il doit se tracer lui-même.
C'est à ce sentiment que je vous prie de faire appel. Je crois que
nous devons renoncer à une réglementation étroite, qui ne saurait,
sans aller jusqu'à la minutie, prévoir tous les détails de la vie quo-
tidienne, et que nous devons préférer les directions générales, puis,
sur chaque point particulier, les conseils qui seront écoutés avec
déférence et ponctuellement suivis, j'en ai la conGanoe, par un
personnel généralement docile et dévoué.
Pour comprendre et pour remplir leurs obligations réciproques,
les institutrices et les instituteurs titulaires et leurs collaborateurs
doivent bien connaître le rôle et la nature de la mission de chacun.
11 convient de les rappeler à tous.
Quand ils ont pris la résolution de se consacrer à l'enseignement
et qu'ils ont accepté la direction d'une classe, les adjoints des deux
sexes ont contracté à l'égard de l'administration, des familles et d'eux-
mêmes des engagements dont quelques-uns oublient parfois la gravité.
Une conduite privée irréprochable, la conscience et l'application
dans l'accomplissement de leurs devoirs, à l'égard du directeur de
l'école une docilité affectueuse qui rend la tâche plus facile pour
tous, et le dévouement, qui donne sans compter, pour la bonne
tenue do Técole et les progrès des élèves, non seulement les heures
de travail nécessaires et 1& présence matérielle, maïs le meilleur
de l'âme, la volonté de bien faire et le cœur tout entier : voilà ce
que nous sommes en droit d'attendre d'eux ; voilà les sentiments
qui doivent animer un instituteur public.
Que les jeunes maîtres et les jeunes maîtresses qui sont dans
nos écoles ou qui désirent y entrer, ne croient pas que c'est là un
idéal rêvé par un moraliste, qu'il est facile de leur proposer dans
un traité de pédagogie, mais qu'il n'est pas possible de réaliser
dans la pratique. 11 importe qu'ils soient convaincus au contraire
que leur tâche sera moins pénible, leurs fonctions moins ingrates,
leur labeur plus supportable aussi bien que plus fécond, s'ils y
apportent ces dispositions, que s'ils dirigent leur classe sans goût
et sans ardeur, sans souci du progrès, sans intérêt pour l'école et
es élèves qui la fréquentent.
On ne se donne pas à demi à l'enseignement : ne nous lassons
pas de répéter à notre jeune personnel qu'il ne faut pas venir à nous
sans faire abandon de la vie facile, sans être résolu à accepter une
règle sévère, à s'imposer une conduite austère, une vie de labeur.
TITULAIRES ET ADJOINTS 68
Ceux qui ne peuvent ou ne veulent point renoncer à la mollesse,
^ FindifFérence, au désordre, doivent sortir des rangs sans tarder.
L'expérience d'ailleurs leur apprendra bien vile que la vie de
rinstituteur est non seulement plus digne, mais plus douce même,
pour ceux qui suivent ces conseils que pour ceux qui les croient
inapplicables.
Si ces sentiments doivent être ceux des instituteurs adjoints, à
plus forte raison les instituteurs titulaires doivent-ils en être péné-
trés. Nous attendons d'eux qu'ils en fassent la règle de leur conduite.
Ceux-là seuls ont sur les autres une action moralisatrice, qui con-
naissent et remplissent leurs devoirs : ce sont nos actes qui donnent
à nos conseils l'autorité ; c'est l'exemple et la vie de l'homme qui
rend sa parole persuasive et en relève la valeur.
Pour obtenir de leurs adjoints la docilité et la déférence, les titu-
laires doivent donner eux-mêmes l'exemple des qualités qu'ils exigent
de leurs collaborateurs. Puis, qu'ils n'oublient pas que l'aflection
appelle la confiaiice ; qu'ils n'abusent point de la docilité et du
dévouement que leur doivent les jeunes maîtres et que nous exigeons.
L'autorité s'établit plus sûrement par une fermeté affectueuse, qui
sait être concilian:e à propos, indulgente pour les légèretés et l'inex-
périence, que par u;ie rigueur inflexible, dont un sentiment amical
ne tempère pas la sécheresse.
Veuillez leur rappeler surtout qu'ils n'ont pas seulement à répri-
mer les écarts, à vous signaler l'inexpérience du jeune maître, mais
à l'éclairer, à le diriger. Leur fonction à leur égard n'est pas seu-
lement une mission de surveillance, elle consiste surtout à conseiller,
à prévenir les fautes, à initier à l'enseignement.
Le devoir du maître plus âgé est de faire profiter de son expé-
I ience l'adjoint plus jeune qui ne saurait débuter dans une école
avec toutes les qualités de l'instituteur consommé.
Tel est le rùle de chacun : s'il est bien compris, les difficultés
seront plus rares dans les rapports réciproques et celles qui surgi-
ront seront plus vite et plus facilement aplanies.
Dites bien d'ailleurs aux uns et aux autres que nou-; sommes
résolus, vous et moi, à soutenir avec fermeté l'autorité du titulaire
et que, dès qu'il y aura conflit, nous commencerons par exiger que
Padjoint se soumette d'abord et complètement ; mais, d'aulre part,
nous engageons les instituteurs et institutrices titulaires à n'avoir
que des exigences légitimes.
Telles sont les directions et les règles générales que je vous prie
de rappeler aux maîtres de votre ressort et dont vous aurez à vous
inspirer vous-même chaque fois que vous devrez intervenir. Mais,
afin de donner plus de précision à ces instructions, je crois devoir
y ajouter quelques recommandations sur un certain nombre de
points particuliers :
i^ L'un des devoirs les plus importants de l'instituteur titulaire,
RKTBB PiDAGOOIQUS 1885. — l**" SESf . 5
6 i REVtË PÉDAéOGIQtJE
c'est de dontiei* <ies conseils et des directions pédagogiques au jeane
maître dont il lui appartient de faire l'instruction prof^icmnelle.
Qu'il ne croie pas tju'il s'est acquitté de ses obligations quand il
Ta installé dans la petite classe, qu'il lui a remis le registre d'appel
et le bulletin qui contient l'organisation pédagogique.
Il doit avoir de fréquents entretiens avec lui sur la manière
d'enseigner chaque matière, sur la discipline, sur le système des
punitions et des récompenses. Pour être plus précis, prescrivez que
tout instituteur qui a un adjoint lui montre chaque semaine comment
il doit répartir par leçon les matières du programme indiquées
pour le mois, comment il doit s'y prendre pour appliquer remploi
du temps et préparer chacune de ses classes.
Le titulaire qui a plusieurs adjoints devra les réunir au moins
une fois par semaine pour leur donner ces indications et s'entretenir
avec eux de ce qui s'est passé dans chaque classe et de ce qui inté-
resse toute récole.
^0 Ces entreliens, si profitables qu'ils soient, ne sauraient dispenser
le titulaire d'une surveillance presque incessante de la classe confiée
à l'adjoint. A ce sujet, je vous prie d'appeler l'attention de xm
maîtres sur la répartition des élèves et sur celle de l'enseignemefit
entre les fonctionnaires d'une même école.
Ne serait-il pas bon, dans certains cas, de ne pas confier, au
moins exclusivement, les plus jeunes enfants à l'instituteur adjoint?
Si la direction d'une classe existe de la maturité et de Texpérience,
c*est surtout quand elle est composée de très jeunes élèves. Les
instituteurs qui ont déjà quelques années de services s'acquitteront
en général mieux de celte tâche que l'élève-maître le plus instruit
et le plus zélé au sortir de l'école normale. Je voudrais, au moins,
non seulement que le titulaire fît de fréquentes visites dans la
petite classe, mais qu'il y donnât souvent l'enseignement et que
l'adjoint fît, s'il est possible, quelques leçons aux élèves plus
avancés. — Veuillez donner des mslruclions dans ce sens et les faire
exécuter partout où elles pourront l'être avec fruit.
^ Je n'ai pas besoin d'ajouter que la surveillance de l'cnsei-
Jnèment donné par le jeune maître doit, de la part du directeur
e l'école, être vigilante sans cesser d*être discrète. Ce serait mal
Comprendre le rôle de l'instituteur titulaire et nos instructions que
d'enlever toute initiative à l'adjoint et surtout de ne ménager ni
son amour-propre, ni son autorité sur les enfants, en lui adres-
sant, en leur présence, des reproches ou même des observations.
Le tact de nos maîtres saura éviter ces écueils.
4® Ils ne manqueront pas non plus de s'interdire toute exigence
excessive; l'instituteur adjoint leur doit son concours, et nous
Texigerons de lui pour le service de l'école; mais il ne convient
de lui demander ni la surveillance d'un dortoir de pensionnaires,
ni celle d'une étude supplémentaire, sans que l'instituteur titulaire
TITULAIRES ET ADJOINTS 67
#
partage avec son collaborateur les émoluments qu'il reçoit de ce
chef. Les uns et les autres sauront, je n'en doute pas, régler ces
• questions par une entente amiable.
5*^ Si l'instituteur adjoint a l'obligation stricte de corriger les
devoirs des élèves qui lui sont confiés, le titulaire ne saurait lui
imposer, à moins de circonstances exceptionnelles, la correction
des devoirs de ses propres élèves.
ti** 11 comprendra également qu'il doit laisser à ses collaborateurs
quelque loisir, soit pour leur travail personnel, soit pour le repos
même, qui est indispensable à tout âge, mais surtout au jeune
homme, si l'on veut que le maître ait quelque vigueur et exerce
une action personnelle.
7»* Les titulaires ne doivent pas se désintéresser de la conduite des
adjoints en dehors de l'école; ceux qui ont quelque souci du bon
renom et de la dignité du personnel ne sauraient être indifférents
sur ce point. Mais gardons-nous d'une surveillance humiliante et
tracassière. C'est en donnant à propos d'utiles avis et en cherchant
à développer le sentiment de la responsabilité personnelle que nous
préviendrons les écarts plutôt que par une inquisition soupçonneuse.
8^ Je n'ajouterai pas ici un grand nombre de recommandations
spéciales que vous auriez à rappeler aux instituteurs adjoints. S'ils
ont bien compris ce qui a été dit précédemment sur leur mission,
ils sauront que leurs devoirs à l'égard du directeur de l'école
peuvent se résumer en peu de mots: docilité loyale, œn fiance
affèclueuse. J'appellerai seulement votre attention sur deux points.
En aucun cas l'instituteur adjoint ne doit entretenir directement
et sans l'assentiment du titulaire des relations officielles avec les
autorités communales et les familles.
D'autre part les adjoints des deux sexos, mais surtout les jeunes filles,
doivent s'interdire les sorties trop fréquentes et les rentrées tardives.
Tels sont, Monsieur l'inspecteur, les principes dont vous devrez
vous inspirer, pour régler, dans votre circonscription, les rapports
entre les maîtres et les maîtresses des diverses catégories, pour pré-
venir les difficultés et résoudre celles qui pourraient surgir et ren-
draient votre intervention nécessaire.
C'est d'ailleurs sur votre autorité et sur votre tact que je compte
avant tout pour rappeler à chacun ses devoirs et pour obtenir que
les titulaires donnent l'exemple du dévouement et que les iustitu-
teurs adjoints se forment à leur école, pour que les premiers usent
de leurs droits avec modération et que les seconds remplissent leurs
devoirs avec ponctualité et en conscience.
Agréez, Monsieur l'inspecteur, l'assurance de ma considération la
plus distinguée.
LHnspecteur de racadémie de Paris en résidence à Versailles,
Edme Godin.
LA PRESSE ET LES LIVRES
Les i»hogrammes de l'enseignement secondai iie ; l'enseignement
SECONDAIRE FRVNçvis, par M. Charlcs Bigot {Revue politique et litté-
raire, n^ du 3 janvier 1885). — Dans plusieurs numéros de la
Revue politique et littéraire, notre collaborateur M. Charles Bigot
vient de soulever un grand nombre de hautes questions relatives
aux |)rogrammes d'études des lycées et des collèges, à renseigne-
ment classique et à l'enseignement spécial ; de toutes ces questions
nous n'en voulons prendre ici qu'une seule, qui nous paraît inté-
resser notre enseignement primaire normal et même, d'un peu plus
loin, si Ton veut, jusqu'à l'humble école primaire. M. Bigot la pose
ainsi : « Est-il possible, sans le grec et le latin, de donner à des
jeunes gens un véritable, et solide, et fécond enseignement litté-
raire ? » Et, pour sa part, il n'hésite pas un moment à répondre :
€ Oui, cela est possible. »
L'objet de l'enseignement littéraire, c'est « d'abord d'apprendre à la
jeunesse à manier correctement sa langue, à s'exprimer clairement
et nettement, à dire ce que l'on veut dire » ; c'est ensuite « de faire
acquérir à celui qui le reçoit ces idées générales que l'humanité a
conquises lentement, et dont les livres des poètes, des historiens et
des moralistes sont les dépositaires » ; enfin, « le plus grand bienfait
peut-être de l'éducation littéraire, c'est de développer chez la
jeunesse le goût de l'admiration, de placer devant ses yeux les
images de la beauté ; d'élever son cœur et son esprit vers un idéal
supérieur au plaisir des sens. »
Eh bien, pour tout cela l'élude de l'antiquité peut beaucoup,
mais ce privilège ne lui appartient pas exclusivement. Notre langue
est aujourd'hui émancipée et majeure; qui Ta bien étudiée et qui la
connaît bien « ne sera embarrassé pour exprimer aucune nuance du
sentiment ou de la pensée x>. D'autre part, le trésor d'idées générales
que possédait l'antiquité, nos écrivains classiques nous l'ont transmis
tout entier; ils y ont même ajouté: « ils ont élargi, en la complé-
tant, la pensée antique ». S'il est vrai enfin qu'au xvP siècle les
seuls modèles littéraires à proposer fussent les livres des Grecs et
des Romains, depuis lors nous avons marché, et \Taiment nous
n'avons pas perdu notre temps, a Depuis lors, nous avons eu
Corneille et Racine ; nous avons eu Pascal, qu'un bon juge et un
fervent admirateur de l'antiquité, Boileau, osait égaler aux plus
excellents des anciens; nous avons eu Molière, que le même Boileau
appelait le plus beau génie de son siècle et 'qui passe à coup sûr
Térencc et Piaule, puisque nous ne pouvons le comparer à Ménandre ;
LA PRESSE ET LES LIVRES 09
nous avons eu La Rochefoucauld, et M™^ de Sévigiîé, et La Fontaine,
et Bossuet, et La Bruyère ; nous avons eu Voltaire et Montesquieu,
et Jean-Jacques Rousseau, et Beaumarchais, et Chateaubriand,
et Victor Hugo, et Lamartine, et Alfred de Musset, et Augustin
Thierry, et Thicrs, et Mignet, et Michelet, et Ernest Renan: la liste
de nos grands écrivains n'est pas close I Prétendre qu'avec une telle
suite de merveilleux écrivains dont les uns ont laissé des ouvrages
accomplis, qui tous ont écrit certaines pages incomparables soit en
prose, soit en poésie, on ne saurait, môme à la fin du xix^ siècle,
sans l'aide du latin et du grec, exciter l'enthousiasme des jeunes
gens et les initiera la beauté litlérairo, c'est là, nous nous permet-
trons de le dire, un véritable blasphème ! Rendons-nous mieux
justice: notre littérature française est magnifique. Elle a, au point
de vue de - l'éducation, ce grand mérite encore, qu'elle e^l plus
accessible à la jeunesse que la littérature grecque et latine ; elle est
plus près de nous par les idées, par les sentiments; elle on csl ])lus
rapprochée surtout par la langue. Ce n'est qu'après un loni^^ travail
qu'on arrivera à pénétrer le génie de l'antiquité. On l'a dil juste-
ment :
C'est avoir profilé que de savoir s^y plaire.
» Qui peut métne se vanter do jamais bien saisir dans une langue
morte ou la délicatesse des nuances ou l'harmonie du nombre? Au
contraire, l'harmonie des vers français, le rythme d'une période en
prose sont dans toutes les oreilles, même les plus jeunes: il n'y
a point ici d'effort à faire pour sentir, pour • comprendre, pour
admirer: il suffit de s'abandonner au charme. pour le subir. »
S'il est donc vrai, continue M. Bigot, qu'on puisse, à l'aide de la
seule langue française, offrir à la jeunesse un enseignement littéraire
digne de ce nom, c'est un devoir de le lui offrir, et il examine dans
quelles conditions cet « enseignement secondaire français » devrait
être organisé. Ici les vues de M. Bigot s'adrossent plutôt aux sommets
de renseignement qu'aux modestes essais d'initiation auxquels tout
au plus nous pourrions prétendre. 11 est telle de ses observations
dont nous pouvons cependant faire notre protit.
Ainsi, il veut que cet enseignement du français soit « philolo-
gique ». — « Non pas, dit-il, au sens que Térudilion donne à ce
mot, et qui fait volontiers la grosse part à l'étymologie, mais au
sens véritablement utile ; c'est-à-dire que son premier souci serai!
de définir tous les termes que l'enfant rencontre ou dont il fait
usage, de le forcer à ne jamais se servir d'un mot sans en connaître
le sens exact, à distinguer les acceptions diverses d'un même
mot et à s'expliquer comment elles ont procédé l'une de l'autre.
Ce dont on est le plus frappé quand on lit los travaux des écoliers,
ou même quand on entend causer les hommes faits, c'est combien
peu ils connaissent, en réalité, cette langue où ils s'expriment
depuis renfance. Il n'y a pas d'étude plus attrayante, quand elle
70 REVUE PÉDAGOGIQUE
est faite avec intelligence, pour les enfants» que celte philologie.
J'oserais dire qu'il n'en est pas de plus profitable, car c'est l'igno-
rance du détail, c'est le vague de l'expression qui fait aussi le plus
souvent la pensée elle-même vague et flottante. Un peuple qui
déclame et se paie de mots est un peuple qui ne sait pas suffi-
samment sa langue. »
M. Bigot voudrait encore que cet enseignement fût « grammatical ».
—«11 s'appliquerait, dit-il, à faire connaître à l'élève tous les tours
de la phrase française, depuis la construction la plus simple
jusqu'à la période la plus compliquée, il l'exercerait à s'en rendre
noiaître et à les manier tour à tour suivant les nuances de la pensée
ou les mouvements du sentiment. Et je dirai ici encore que bien
peu, même parmi ceux qui ont reçu aujourd'hui l'éducation litté-
raire la plus complète, sont réellement maîtres de leur langue
maternelle. On compte les écrivains, aussi libres que variés, qui
ont pris possession, pour ainsi dire, du clavier grammatical tout
entier. Presque tous, nous avons une demi-douzaino de tours de
phrase que nous répétons sans cesse et d'où nous ne sortons pas;
nous exécutons toutes nos variations sur deux octaves. C'est à notre
éducation qu'en est la faute.
» La grammaire, en outi'e, est, elle aussi, un admirable instru-
ment pour former des esprits justes. Si, au lieu de s'arrêter aux
subtilités et aux curiosités, on porte dans cette étude l'attention
surtout vers l'analyse logique; si l'on fait bien comprendre que le
sens même de la pensée se modifie suivant que telle ou telle proposi-
tion devient la proposition principale ou la proposition incidente,
qu'un mot prend une toute autre importance suivant qu'il est mis
en une place ou en une autre; si Ton montre bien que c'est toujours
la raison et l'intelligence qui président à la construction d'une
phrase comme à la suite d'un développement, je ne sache guère
pour l'esprit de gymnastique plus saine que la syntaxe française. »
M. Ch. Bigot insiste plus loin sur la nécessité pour le maître et
pour les élèves, dans l'enseignement tel qu'il le comprend, de lire,
d'étudier, de commenter ensemble nos chefs-d'œuvre nationaux. Et
il n'aurait pas de répugnance à ce que, pour commencer cette
étude, on débutât par les écrivains modernes, i C'est ceux dont la
langue est le plus accessible aux enfants, parce qu'elle se rapproche
davantage de la langue qu'ils ont appris à parler ; c'est eux aussi
qui expriment les sentiments et les passions où ils entrent le plus
aisément; c'est en leur société qu'ils prendront le plus facilement
ce goût des choses de l'esprit qui, une fois éveillé, devient un
charme irrésistible. Et, au lieu de descendre le cours des siècles,
comme on le fait volontiers, peut-être serait-il plus sage de le
remonter. »
M. Bigot indique aussi, à un autre point de vue, l'ordre logique
des lectures à faire. < On conunencerait par les poètes, qui répoa-
LÀ PRKSSK ET LES UVRES li
•dent nûeux au caractère de Tenfant» qui parlent davantage à son
imaginatioiiy qui font entendre à son oreille une musique pk^»
simple, plus facile à saisir que le rythme délicat de la prose» Lm
conteurs, les historiens, les poètes dramatiques jqui ont mis en jeu
les diverses passions, étalé le tableau de la vie et la lutte ou tragique
ou comique des caractères, occuperaient tour à tour l'attention; les
moralistes et les philosophes de Thistoire viendraient à la fin. On
les lirait les uns après les autres, ou tout entiers ou du moins
dans les parties essentielles de leurs œuvres. Alors on connaîtrait
véritablement la littérature française, et il faudrait bien du malheur
pour n'avoir pas en même temps appris à l'aimer. »
Il nous semble qu'il y aurait à prendre bonne part de toutes œs
excellentes indications aussi bien dans nos écoles que plus haut^
Des PRINCIPALES DIFFÉRENCES ENTRE LES ÉCOLES DE GARÇONS ET LES
ÉCOLES DE FILLES, par M. le professeur W. NœWeke, directeur de
l'Ecole supérieure des filles de Leipzig (Revue internationale de Te»*-
seignement, numéro du 15 décembre 1884). — Quelle différence
spécifique doit-il y avoir entï'e renseignement qu'on donne au^
garçons et celui qu'on donne aux filles, telle est la question qu'exa-
mine M. le professeur Nœldeke, avec toute la compétence de quarante
années de pratique dans les écoles supérieures de filles. Celte diffé-
rence, selon lui, n*existe, en ce qui concerne l'école primaire, ni
pour les matières, ni pour la méthode, a L'enseignement de la lec-
ture suit des procédés si exactement conformes à son objet qu'on
aurait peine à concevoir deux méthodes différentes à l'usage de
chaque sexe. 11 en est de même pour les éléments de calcul et de
géométrie, pour l'écriture, l'orthographe, etc. Ces premières con-
naissances ne sont, pour ainsi dire, que la porte du véritable savoir;
il n'y a qu'une clef qui aille à cette porte, et quiconque veut entrer
doit s'en munir; elle est la même pour les garçons et pour les
filles, de même que le maître et la maîtresse de maison ne se
servent pas d'une clef différente pour entrer chez eux. N'étaient
d'autres motifs qui font juger opportune la séparation des sexes
même dans l'enseignement élémentaire, du moins à partir de Tâ^
de dix ans, on pourrait sans inconvénient donner l'enseignement
en commun aux enfants des deux sexes, comme c'est, du reste,
Fusage dans maint et maint pays. »
M. Nœldeke pense de môme que, dans les écoles normales d'io-
siituleurs et d'institutrices, l'enseignement doit ^tre identique,
c Appelées à enseigner dans les écoles primaires les nkêmes chosM
que les instituteurs, les jeunes filles doivent recevoir la même m-
struction professionnelle. Les maîtres de l'un et de l'autire sexe ont à
acquérir la même soname de connaissances, la même préparation
méthodique qu'il serait difficile de leur donner de deux manières
différentes, et à se munir enfin des mêmes principes psychologiques
72 REVUE PÉI>AGOGIQUE
et pédaj^ogiques pour être à la hauteur de leur noble lâche. Il est
vrai quo certaines disciplines peuvent paraître plus difficiles à ac-
quérir pour les jeunes filles, comme la logique, par exemple; mais
les lois de la pensé) humaine ne varient pas avec le sexe, et le
môme enseignement doit suffire dans les deux cas. »
Que s'il convient aux femmes d'aborder les écoles spéciales,
artistiques, scientifiques, littéraires, il faut encore qu'elles y
trouvent le même enseignement que les hommes. Et M. Nœldeke
ne leur refuse aucunement l'aptitude intellectuelle nécessaire pour
recevoir cet enseignement, à quelque degré que ce puisse ^tre. Tout
bien pesé, il croit « pouvoir allirmer qu'à ne considérer que la ca-
pacité intellectuelle des deux sexes, l'enseignement des écoles
supérieures des filles devrait être l'équivalent de celui des écoles
correspondantes de girçons. Aucune dillerence introduite dans le
programme ne saurait en ellet s'autoriser d'une différence dans le.
développement intellectuel des élèves. » Au contraire, la jeune
fille, physiquement et intellectuellement, est plus précoce que le
jeune homme, « et cette précocité à l'âge des études indiquerait
plutôt qu'il serait sage d'utiliser ces années à enrichir et à orner
leur esprit ».
M. Nœldeke n'en est pas moins d'avis que l'éducation féminine
doit être essentiellement distincte de l'éducation de l'autre eexe, aussi
bien dans son étendue que dans son contenu, dans ses principes
que dans son objet. C'est qu'à côté de l'égalité intellectuelle vien-
nent se placer d'autres conditions qui motivent cette distinction en
vertu desquelles la femme, sans être inférieure à l'homme, reçoit,
tant dans la maison que dans le milieu social, une destinée et un
rôle qui lui sont propres et qui ne peuvent être ceux de l'homme.
I^ constitution phj^sique de la femme est autre, en effet, que
celle de l'homme, la femme étant moins fortement musclée et
charpentée, étant aussi plus nerveuse, surtout dans les classes de
la société oi'i se recrutent les écoles supérieures de jeunes filles.
Cette différence de constitution physique explique « une opposition
de nature souvent présentée comme la caractéristique des deux
sexes, l'un étant essentiellement actif (Productivitàt), l'autre essen-
tiellement passif (Receptivitàtj. A cela correspond chez l'homme une
plus grande spontanéité, chez la femme une certaine malléabilité qui
la rend plus sensible à l'action du milieu, plus docile en bien et
en mal à la puissance de l'exemple, tandis que l'honmie tend au
contraite à faire prévaloir son influence. Bien que cette différence
apparaisse surtout dans le mariage, où l'initiative appartient à
rhomme, tandis que la femme s'accommode d'ordinaire à son mari
sous le rapport du caractère, cependant Técole doit déjà en tenir
compte dans l'éducation et renseignement. » Ce serait, d'ailleurs,-
se faire une notion trop étroite de la vocation de la femme que de
donner pour but unique à ou éducation les devoirs du mariage et
LA PRESSE ET LES LIVRES 7^
ceux de la maternité. « On exclurait de la sorte, dit M, Nœldcke, \os
centaines de filles que les conditions actuelles de la société vouent
au célibat. Il sera plus exact de dire que rhomme trouve le champ
de son activité dans la vie publique, au service immédiat de la
commune, de l'État, de l'humanité; et que la vocation de la femme.
le théiitre de sa bienfaisante activité est le foyer et la famille. Le
rôle de la femme vis-à-vis de celui do l'homme est dans un rapport
non de subordination, mais de corrélation; tous deux se complètent
mutuellement, car là seulement oii les devoirs domestiques sont
fidèlement accomplis, la prospérité de la commune et de l'Etat est
assurée. Or, ces devoirs sont assez nombreux et étendus pour four-
nir un beau champ d'activité à toutes celles qui ne se marient pas.
J'entends par là les devoirs qui leur incombent non seulement dans
leurs propres familles, mais aussi dans des familles étrangères, et
en partie aussi au service de la commune : éducation, gouvernement
domestique, soin des malades et des pauvres, et, d'une manière ana-
logue aussi, certaines fonctions qui, dans le train de maison que
comportent les aflFaires, sont confiées à des femmes. Au lieu de se
préoccuper sans cesse d'ouvrir do nouvelles carrières aux femmes
soit dans le commerce, .soit dans les services publics, il serait plus
sage de s'appliquer à faire disparaître les fâcheuses conditions so-
ciales qui font naître ces préoccupations. Je maintiens que la tache
de l'éducation féminine est de former la jeune* fille de manière
qu'elle réalise parfaitement l'idée de son sexe ; ce qui suppose deux
conditions essentielles : la vie de famille et la tendresse maternelle.
étant bien entendu que vie de famille ne siprnifie pas économie do-
mestique. Si l'art de diriger une maison exige déjà une bonne cul-
ture générale, à plus forte raison celle-ci est-elle nécessaire pour
réaliser l'idéal de la vie d'intérieur et les devoirs de la famille. »
C'est l'école publique, l'école de l'Etat ou de la commune, sur-
veillée par les représentants de l'Etat, qui peut le mieux, suivant
M. Nœldeke, atteindre le but de l'éducation féminine telle qu'il
l'entend. « La famille n'a rien à redouter de la commune ou de
l'Etat; au contraire, elle ne réalise sa fin idéale que dans la mesure
où elle se rattache étroitement aux grands intérêts de la commu-
nauté. Le temps que la jeune fille passe à l'école doit avoir pour
effet de nouer et de resserrer les liens qui la rattachent à la petite
et à la grande patrie. Car nul ne peut se faire une idée juste d'une
grande association et en apprécier les avantages, sans s'être mêlé à
sa vie et sans avoir appris à se soumettre à son régime .» En finissant,
M. Nœldeke expose à grands traits la méthode et le programme
d'études qui conviennent à l'école nationale destinée aux jeunes
filles.
« La méthode analytique y est, dit-il préférable à la méthode syn-
thétique. La tournure d'esprit de la femme, qui s'intéresse surtout
à ce qui frappe les sens, réclame un procédé d'exposition qui aille du
74 REVUE PÉDAGOGIQUE
phéûomèae à la loi. Tel est principalement le cas pour les sciences
naturelles ainsi que pour les branches philosophiques qu'on ne
saurait supprimer, et qui doivent toujours être traitées empirique*
ment; l'histoire, la géographie, les langues peuvent aussi être easei*
gnées de la même manière. De bonnes gravures, des tableaux
synoptiques doivent soutenir l'exposition.
» La place principale doit être donnée à la langue maternelle et
à la littérature nationale. Tandis que les garçons ont besoin d'être
exercés a la parole et à un usage très étendu de la langue écrite
ainsi qu'à la composition de discours et de dissertations, les jeunea
filles, au contraire, excellent dans le récit, dans la conversation, e4
dans leur équivalent littéraire, c'est-à-dire le genre épistolaire. C'est
dans cette direction qu'elles doivent être exercées...
» L'étude d'une langue étrangère est indispensable, ne serait-ce
que comme moyen d'arriver à une intelligence plus parfaite de la
langue maternelle, et les effets sont d'autant plus sensibles que la
différence entre les deux langues est plus grande. Les jeunes fiUei
de race latine étudieront une langue germanique, et réciproquement.
Une langue parente de l'idiome national, et par suite plus facile,
peut être ajoutée au programme des classes supérieures. 11 faut aussi
tenir compte dans ce choix des conditions locales et de l'utilité per^
sonnelle. Les langues anciennes ne sont point faites pour les jeunei
filles. Du moment que celles-ci ne restent pas à l'école au-delà de
la durée ordinaire des études, ce laps de temps ne leur permet pas
d'obtenir des résultats satisfaisants. Les langues modernes répondent
d'ailleurs mieux aux besoins de la vie pratique et omirent une littéra-
ture plus goûtée des jeunes filles. L'enseignement de la grammaire
sera analytique et réduit au strict nécessaire ; il faudra ameaer aussi
vite que possible les élèves à une lecture intéressante...
» L'histoire et la géographie doivent avoir pour objet immédiat une
claire connaissance du sol natal et du développement de la nation,
et ce n'est que lorsque ce résultat aura été atteint qu'il sera temps
d'élargir le cercle. Un enseignement pragmatique de l'histoire ne
convient pas à des jeunes filles ; au contraire, des biographies, un
exposé des progrès de la civilisation, éveillent un vif intérêt. De
dates, aussi peu que possible; juste ce qui est indispensable pour
empêcher la confusion des diverses époques.
» Dans l'enseignement des sciences naturelles, qui comprend
nécessairement l'hygiène, il faut éviter toute systématisation inutile,
et prendre toujours pour point de départ l'observation de Tindi-vid»,
du phénomène particulier ou de l'expérience.
y Point de mathématiques ; des exercices de calcul sur des données
de la vie pratique, et en particulier le calcul de tête; ajoutons
encore quelques théorèmes de géométrie dont la solution est utile
pour les besoins journaliers; l'écriture {et, si possible, la sténo-
graphie), des travaux à l'aiguille; en fait d'art, le dessin et bi
LÀ PRESSE ET LES LIVRES 75
musiqae... L^esseniiel dans cette branche est d'amener Télève a Tin-
telligence de la musique; Técole, le pùt-elie, n'a pas à former des
virtuoses. C'est ce que ne comprennent pas les parents peu sensés
qui obligent leurs filles à gaspiller d'une manière impardonnable
leur temps, leur force et leur banté. Ces leçons de piano commen-
cées dès le jeune âge comme une chose indispensable et ces exercices
journaliers dont la régularité est si diilîcile à obtenir, exigent une
tension des muscles et des nerfs telle que ne le comporte aucun tra-
vail de classe...
-» Les jeunes filles montrent une certaine répugnance pour les
travaux qui exigent un effort intellectuel, et préfèrent un travail
machinai. On utilisera cette disposition pour leur enriciiir la mémoire
d'un trésor d'idées saines, en les obligeant, malgré leur répugnance,
à réfléchir sar ces idées et à les relier entre elles dans un raisonne-
ment rigoureux.
» Si ïon se bornait à développer chez les jeunes filles le sentiment
et l'imagination, elles courraient le danger d'être plus lard comme
ces navires mal lestés qui, n'obéissant plus au gouvernail, deviennent
le jouet des vents et des flots. L'habitude du raisonnement mettra
du lest dans ces jeunes têtes et leur permettra plus tard de gou-
verner contre la tempête des passions et de ne pas faire naufrage
dans la vie. » •
M. Nœldeke ajoute que, bien qu'il sache que sur ce point « il est
en contradiction a?ec l'opinion actuellement dominante en France »,
U. ne peut se représenter une école de filles sans un enseignement
religieux « qui pénètre et vivifie le cœur, en habituant la jeunesse à
rattacher toute sa conduite et sa vie à ce qui demeure éternellement
et à considérer les devoirs terrestres comme le service de Dieu. »
Méthode pratique de conjugaison française et premiers exercices
DE rédaction, a l'usage des écoles primaires et des cours primaires
dans tous les établissements denseignement public ou privé, par
P. Wissemans, ancien professeur de TUniversité ; Paris, Paul Dupont,
1 vol. iQ-i2 1884. — M. Wissemans expose ainsi qu'il suit, dans
la préface, l'objet de son livre : a Cette métbode consiste à suppri-
mer la conjugaison récitée et à prendre successivement chaque mode
et chaque temps dans le même mode pour texte de rédaction écrite.
Un mode et un temps de ce mode étant indiqués comme sujet de de-
voir, l'élève devra formuler une série de petites phrases, analogues à
celles qu'il trouvera dans notre livre, où ce temps de verbe sera
employé aux trois personnes du singulier et du pluriel. On répé-
tera cet exercice en l'appliquant successivement aux différentes
espèces de verbes, et l'on ne passera à l'étude du temps suivant
qu'après s'être assuré que l'enfant comprend parfaitement et ne
risque pas d'oublier ce qu'il doit savoir sur ce point. »
M. Wiseemans croit que par ce moyen tout enfant de bonne
70 REVUE PÉDAGOGIQUE
volontr'; oj crinlclligcnce moyenne saura, au terme de sa carrière
«colain*,, « réellement conjuguer un verbe, employer chaque mode
et cha(|ue temf)H à propos, analyser avec assurance toutes les formes
verbal«*s que la lecture fera passer sous ses yeux, et, comme toutes
les particH rlu discours se rattachent plus ou moins étroitement à
l'emploi des verb(*s, on fieut dire que l'enfant arrivera sans grands
offorls à Hfivoir la grammaire. » M. Wisscmans fait remarquer, en
Hccond liiîu, que cette méthode offre un moyen commode d'habituer
l'enfant à exprimer sa pensée.
L(^ procédé que préconise ici M. Wissemans n'est pas absolument
nouvcîau ; il so rattache, au moins d'une manière générale, aux
doctrines du P. Girard; il a déjà été recommandé, et il est déjà,
croyons-nous, plus ou moins mis on pratique dans les bonnes
écoles. M. Wissemans convient lui-même qu'il est long, et, en effet,
nous no voudrions pas, pour notre part, employer ces exercices de
conjugaison sans les interrompre, sans les couper par d'autres de
llièmes différents. Mais, à ces réserves près, le livre de M. Wissemans
fournir aux leçons une disposition rationnelle et une grande
qiumtitd d'exemples bien choisis ; nous remarquons aussi, à la fin
du volume, des notes sur différents points de grammaire, dont
une, concernant la définition des « passés», est intéressante.
(louus ni: dessin des écoles puimaiues, enseignement gradué
conci»rilaut avec les articles dos nouveaux programmes officiels :
dessin linéaire, dessin d'ornement, dessin d'imitation; cours
supérieur, livre du maître, avec 07 ligures dans le texte, par L.
tVHemivty ; Taris, Hachette et C'^ 1 vol. in-12, 1885. — Ce livre
du n\aîln^ pour le cours supérieur complète le Cours de dessin des
éivlcs pnnuuiYs, de M. L. d'Honriel. aujourd'hui populaire dans nos
iVolos. I.a méthode tout entière compn^nd, sans parler des quatre
albums de modèles du Dessin des petits enfants^ un livre du
maitro, ot tn>is albums d'élève, pour le cours élémentaire ; un livre
du maitro et cinq albums, pour le cours moyen; un livre du maître
et si\ albums, pour le cours élémentaire. Cest un ensemble «gradué
et rationnel, où le dessin n'est pas considéré comme un art d'agré-
ment, mais comme une véritable initiation à celle « écriture des
forn\es » qui ne devrait pas nous être moins familière que récriture
des caractères. M, d'Henriet no se contente pas d'être un homme
do iivnM ol un dossîualcur habile, c est par des procédés scientifiques
qu'il prvv^do à l'éducation do l\oil ol de la main. Aussi ne sera-t-
on jvMul ôtiMUîé de trv^uvor dans ses livres du maître, très simple-
ment ol tK*s clairenoont expos<H\j. les règles de la perspective, per-
s|Hvti\o cavalière dans le cours moyen, perspective rraie dans le
CvHïrs sujvriour, l-ii doniièrx^ partie de co cours est consacrée à
IVtudo do U tîirure humaine, dv>nl Tauteur examine les parties et
les pn^v^riîvHis on le> mltachant toujours à un enscmMe« c afin«
LA PRESSE ET LES LIVRES 77
dit-il, d'habituer l'élève à l'idée des relations inséparables de posi-
tion, de grandeur et de formes qui unissent toutes les parties Tune
à Vautre. » On y trouvera également, dans la deuxième partie, celle
qui a pour objet le dessin d'ornement, à propos des « ordres d'ar-
chitecture », tout un choix de modèles et un œdre de développe-
ment qui permet au maître de montrer le classement historique de
ces ornements. Ainsi compris, l'enseignement du dessin, sans pré-
judice pour rélémenl technique sans lequel il ne serait pas, s'agran-
dit et s'élève. Si nous ne craignions pas que l'expression ne dépassât
notre pensée, nous dirions qu'il y a là des vues philosophiques
d'autant plus profondes qu'elles semblent ne vouloir pas se montrer
et qui ne peuvent que contribuer puissamment, sans qu'il y paraisse,
non seulement à l'éducation esthétique spéciale, mais au dévelop-
pement 'général de Tenfaiit.
Compte-rendu du ix« congrès scolaire de la société des lnstitu-
TEURS DE LA SUISSE ROMANDE réuui à Genèvc, les 5, 6 et 7 août 188i;
Genève, imprimerie faponnier etStuder, 1 vol. in-8<» de 118 p., 1884.
— Notre collaborateur M. Defodon a rendu compte dans la Revue de
cette très intéressante réunion; nous extrairons seulement du docu-
ment officiel que nous avons sous les yeux un passage de M. Daguet
sur la marche de ï Éducateur pendant l'année scolaire 1883-1881,
passage relatif aux doctrines de YEducaieur en ce qui concerne la
discipline, surtout les châtiments corporels, parce que ce passage
a clé diversement commenté dans plusieurs journaux pédagogiques.
« La question des châtiments corporels, dit M. Daguet, n'a jamais
été carrément abordée par VÈducaleur. Les instituteurs (jui en sont
partisans n'osent pas en prendre ouvertement la défense, non qu'ils
croient avoir tort, mais parce qu'ils craignent le blâme de l'opinion
pubhque qui s'est prononcée si fortement contre les corrections ma-
nuelles, en France particulièremenl, où, par une contradiction étrange,
on tolère les brimades (1).
» Il serait cependant utile de savoir ce qui se passe à cet égard
sous l'empire delà loi qui prohibe ce genre de châtiments. Les peines
corporelles ont-elles complètement disparu? La persuasion suffit-elle?
A-t-on suppléé aux châtiments corporels par d'autres peines plus
conformes au but pédagogique? L'embarras du maître le plus hostile
(1) 11 ne faudrait pas croire qu'en France les brimades soient d'un usage
général, ni qu'elles soient « tolérées ». Il n'y a guère que deux ou trois
grands établissements spéciaux de l'État, comme l'école de Saint-Cyret rÉcolo
polytechnique, où le bon sens et l'autorité des chefs n*ont pu avoir toujours
raison d^une ancienne et absurde tradition. Dans les établissements d'ensei-
gnement secondaire, les sévices, même les taquineries à l'égard des « nouveaux ^d,
sont très sévèrement réprimés, et rien de ce genre n'a jamais existé à l'école
primaire. — La Rédaclion,
78 REVUE PÉDAGOGIQUE
en principe aux châtiments corporels doit être cependant assez grand,
si j'en juge par quelques faits qui se sont passés sous mes yeux,
» J'en citerai un : Un élève de quinze à seize ans ne savait jamais
ses leçons, le maître lui dit : « 11 faudra que j'en parle à votre maître
de pension. — Voulez-vous son adresse? » lui demanda le jeune
homme. Le maître feignit de n'avoir pas entendu, bien que le mau-
vais rire de quelques-uns des condisciples de l'élève lui prouvât que
ses impertinentes paroles n'étaient pas tombées sur un terrain stérile.
Mais l'insolent, décidé à pousser sa pointe, sortit un calepin de sa
poche et réitéra sa question; cette fois, la patience du professeur
était à bout, le jeune homme reçut un soufflet soigné, après lequel,
estimant son honneur atteint, l'élève jugea à propos de quitter la
salle, pour y reparaître, il est vrai, deux jours après, en balbutiant
une espèce d'excuse. Mais si, au lieu de faire amende honorable,
le jeune homme eût porté plainte, il est probable qu'au désagrément
d'être vilipendé par un mauvais garnement se fût jointe, pour le
professeur, l'humiliation d'être encore l'objet d'une mercuriale de la
part de ses supérieurs hiérarchiques.
» Nous aimerions à voir une rubrique spéciale de VÉducateur s'ou-
vrir aux cas disciplinaires, et les instituteurs s'exprimer en toute
franchise sur les difficultés que leur ofl're la discipline. Elle ne
serait certes pas la moins intéressante ni la moins instructive. Qu'on
ne croie pas pour tout cela que l'Éducateur se constitue jamais l'apo-
logiste des imitateurs modernes, trop nombreux encore dans diverses
contrées de l'Europe, de cet « Orbilius plagosus » dont parle Horace
et dont le code disciplinaire se résumait en corrections manuelles qui
l'ont rendu tristement célèbre. Bien loin de favoriser le système des
peines corporelles, nous devons le combattre comme un danger et
un fléau, en même temps que nous attaquons l'hypocrite optimisme
sentimental qui voit dans les élèves des anges dont il est si aisé
de se faire aimer et obéir. Une pédagogie qui tend à l'ennoblissement
de l'humanité a toujours été, de Pestalozzi à Frœbel, l'idéal des
hommes de cœur voués à l'art éducatif, et ce n'est certes pas par
une discipline orbilienne qu'on y parviendra jamais. Intimider n'est
pas synonyme d'améliorer. Se faire aimer sera toujours plus beau
que se faire craindre. Et cependant il n'est que trop avéré que la
bonté sans la fermeté expose à la familiarité et au mépris. »
La question que pose ici M. Dague t est fort importante, et nous
aimerions, nous aussi, non pas peut-être à ouviir dans la Revue
pédagogique une rubrique spéciale aux cas disciplinaires, mais à
accueillir les vues de quelques maîtres dévoués et expérimentés « sur
les difiBcultés que leur oflre la discipline », aujourd'hui surtout que
l'obligation légale de l'instruction primaire interdit à l'instituteur la
ressource suprême de l'exclusion, comme une tradition dont l'école
française s'honore lui interdit non moins absolument l'emploi des
peines corporelles.
LÀ PRESSE ET LES LIVRES 79
Les SAVANTS délaissés, par M. E. Frémy, membre de TAcadémie
des sciences, directeur du Muséum, i brochure in-i de 4 pages,
Paris, Gauthier- Villars, 1884. — Dans ces quelques pages, M. Frémy
propose la création a d'un comité d'encouragement en faveur des
savants qui se vouent avec succès au culte de la science pure ».
A côté des professeurs qui appartiennent à TUniversité, dit
M. Frémy, il est toute une pléiade de travailleurs ardents et désin-
téressés, qui ont souvent renoncé à des carrières lucratives et cer-
taines pour se livrer entièrement à la recherche dos vérités
scientifiques. S'ils ne professent pas, ils donnent à l'enseignement
public ses principaux éléments; en publiant leurs recherches, ils
abandonnent généreusement des découvertes qui pourraient souvent
assurer leur fortune: s'il était possible d'exprimer en argent
l'importance des travaux de science pure qui ont donné lieu à des
applications industrielles, on arriverait à des sommes considérables.
« Que fait-on pour ces hommes généreux lorsqu'ils se trouvent
en présence des difficultés de la vie qu'ils n'avaient pas prévues ?
Hélas ! bien peu de chose : si en effet on jette les yeux sur la liste
des familles secourues par la Société des amis des sciences, on y trouve
avec douleur les noms de ces savants dont les brillants travaux
ont enrichi la science ou l'industrie et qui sont morts en laissant
leurs enfants dans une profonde misère.
» Le pays commet une grande faute et une véritable injustice en
n'assurant pas un certain avenir à ceux qui font avancer la science
par leurs travaux; il perd ainsi des savants éminents qui se trouvent,
faute de ressources, dans la nécessité d'abandonner leurs recherches. »
M. Frémy ajoute qu'il s'était d'abord adressé à l'État, mais que
les charges du budget ont empêché de donner suite à sa proposi-
tion. Confiant dans la justesse de la cause qu'il défend, il fuit appel
aujourd'hui à l'initiative individuelle. Le comité dont il propose la
création réaliserait par souscription un capital dont l'intérêt serait
consacré à l'œuvre scientifique qu'il s'agit de fonder. Les savants qui
seront choisis par le comité pour recevoir ce que M. Frémy appelle
« la rémunération du travail scientifique 0 seraient partagés en trois
classes : ceux de la troisième classe rece>Taient 2,000 francs par an,
ceux de la deuxième 4,000 francs, ceux de la première 6,000 francs.
Pour entretenir chez les lauréats une ardeur constante, les nomina*
tions ne seraient faites que pour un an, mais elles seraient renou-
velées tant que le savant se montrerait digne, par ses travaux, de la
position qui lui aurait été donnée.
Prêchant d'exemple, le directeur du Muséum s'inscrit sur la liste
de souscription pour une somme de 5,000 francs. Nous applaudis-
sons A cette noble initiative, et nous espérons que l'appel de M. Frémy
trouvera de l'écho chez tous les amis de la science.
CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
EN FRANCE
L'achèvement des maisons d'école. — Nous avons déjà dit (Rmmc
du lo avril et du 15 juin) que le ministre de l'instruction publique
a ouvert l'an dcniier une vaste enquête sur la situation des écoles
primaires. La première opération a été le recensement nominatif
de tous les élèves inscrits et présents le 5 avril dans toutes les écoles
publiques primaires et maternelles. Nous dirons dans notre prochain
numéro quel en a été le résultat. Les autres opérations concernaient
non plus les élèves, mais les bâtiments scolaires. Tous les institu-
teurs et toutes les institutrices ont dressé à la même échelle le plan
de leur école et répondu au questionnaire qui leur a été envoyé. Ces
questionnaires aujourd'hui réunis et reliés forment au ministère une
collection des plus intéressantes et des plus utiles à consulter. Une
autre collection non moins précieuse, c'est celle des cartes scolaires
exécutées par chmiue inspecteur primaire pour sa circonscription.
Mais, comme on le sait, le but du ministre n'était pas seulement
de recueillir des documents, des plans, dos cartes et des tableaux ;
son intention était de «■ faire mesurer aux Chambres retendue des
sacrifices qui peuvent rester à faire » pour l'achèvement des mai-
sons d'école dans toutes les communes, sections de communes ou
hameaux. A cet eft'el, il a été déposé sur le bureau de la Chambre
au mois de décembre un important projet de loi qui embrasse tous
les établissements d'instruction publique : Facultés, lycées et collèges,
écoles primaires de toute nature. C'est de ces dernières que nous
nous occuperons ici.
11 résulte de l'enquête qu'il y a encore 24,000 conmiunes ou
hameaux où il y a lieu soit de créer, soit de restaurer des écoles ou
des groupes scolaires, et que de ce chef la dépense s'élèverait à un peu
plus de 390 millions. C'est un chillre respectable sans doule, mais
nous sommes loin des 720 millions reconnus nécessaires en 1882 :
la ditïérence s'explique par le grand nombre de créations qui ont
été faites dans ces dernières années et aussi par le mode d'évalua-
tion de la dépense. Le ministre en effet a fixé à l'avance le prix
moyen de chaque construction :
12,000 francs pour une petite école de hameau;
io,000 francs pour une école communale à une seule classe;
28,000 francs pour un groupe scolaire simple, c'est-à-dire ne com-
prenant qu'une école spéciale de garçons et ime de filles, chacune
à une seule classe, avec un supplément de 12,000 francs pour chaque
classe en plus.
CHRONIQUE DI l'£NS£IGM£MBNT PRIMAIRE £N FRANGE 81
U va de soi que les communes pourront dépasser Jes frais, mais
c'est d'après ces prix que sera calculée la subvention de TÉtat, et
elle le sera d'après un système rationnel qui ne laissera aucune place a
Tarbitraire. En effet, cette subvention sera divisée en deux parties
dont Tune sera inversement proportionnelle à la valeur du centime
communal, c'est-à-dire d'autant plus forte que la commune sera plus
pauvre, et l'autre directement proportionnelle aux centimes addi-
tionnels, c'est-à-dire aux charges qui pèsent sur la commune. Tou-
tefois la subvention totale ne pourra être en aucun cas ni supérieure
à 80 ®/o, ni inférieure à 10 Vo» excepté dans les communes qui
comme Paris et autres peuvent et doivent se suffire avec leurs
propres ressources. 11 est établi en outre que l'ensemble des sub-
ventions de l'État ne pourra pas dépasser la moitié de l'ensemble
des dépenses totales.
Il reste à trouver de l'argent. Comment s'en procurer ? La caisse
des écoles est épuisée et on ne la remplirait à nouveau que dans des
conditions onéreuses pour le trésor public. Le ministre invite donc
les communes à emprunter directement aux établissements de cré-
dit qui voudront se prêter à ce genre d'opérations, et le Crédit Fon-
cier est tout indiqué. Le remboursement des sommes prêtées $e
fera en 40 annuités, mais les travaux de construction devront se
faire en 12 ans. Quant à l'État, il fournira sa subvention au moyen
de crédits que le Parlement mettra annuellement à sa disposition.
Le ministre ne pouvait oublier ni les écoles normales primaires,
ni méme^ bien qu'elles n'aient pas de caractère obligatoire, les
écoles primaires supérieures et les écoles maternelles : de plus il est
indispensable de laisser au budget de l'instruction publique une
certaine élasticité pom* une entreprise aussi considérable : c'est
pourquoi la dépense totale est évaluée à 460 millions, dont 12 mil-
lions de réserve, ou, si l'on aime mieux, de prévision.
Des règles analogues seront appliquées aux constructions de l'en-
seignement supérieur et de l'enseignement secondaire.
Telle est l'économie générale du projet; nous faisons tous nos
vœux pour qu'il reçoive promptement l'approbation des Chambres.
Décret et arrêté du 30 décembre 1884 sur les titres de cvp agité
DE l'enseignement PRIMAIRE. — Le Conscil supérieur a terminé le
29 décembre sa deuxième session ordinaire de 1884, commencée le
22 du même mois. Les deux questions les plus importantes portées
à son ordre du jour étaient la révision des programmes de l'ensei-
gnement secondaire, qui ont été sensiblement allégés, et la réforme
des titres de capacité, dont nous avons souvent entretenu nos lec-
teurs. La commission chargée d'étudier cette dernière question, déjà
étudiée fort sérieusement par la section permanente, s'est réunie
huit fois sous la présidence de M. Gréard et a partagé la tâche du rap-
port entre MM. Armbruster et Leoient. Ses conclusions ont été
RITUB PiDAflOGIQUI 1885. — 1*' SBM. 6
82 MCTUE PiDAGO<HQUB
adoptées avec très peu de modifications, dont une seule vraiment
importante, portant sur la correction de Tépreuve d'orthographe. Dès
le 30 décembre, le décret et Tarrêté sanctionnant les résolutions du
Conseil supérieur ont été signés par le président de la République
et par le ministre de Tinstruction publique. Ils ne seront exécu-
toires qu'à partir du 1**" janvier 1886, et, en ce qui concerne
Fépreuve obligatoire d'une langue vivante pour le brevet supérieur,
qu'à partir de 1888. Il n'y aura donc rien de changé à Tétat actuel
des choses pour Tannée 1885, pendant laquelle tous les examens
continueront à se passer conformément à la réglementation actuelle.
Voilà pour les dates d'exécution. Passons maintenant à la réforme
elle-même. Elle est telle qu'on devait l'attendre et qu'on pouvait"
l'espérer dans les conditions où se trouvait placé le Conseil supérieur
par la loi du 16 juin 1881 sur les titres de capacité exigibles de tous
ceux, qui, d'une manière quelconque, dirigent une école ou une classe
primaire ou maternelle. La loi ne permettait au Conseil ni de décréter
l'obligation du certificat d aptitude pédagogique pour tous les institu-
teurs et pour toutes les institutrices titulaires, ni de supprimer le
certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles en le fondant
avec le brevet élémentaire. La commission du Conseil et le Conseil
lui-même étaient favorables à ces deux mesures et ont fait tout ce
ce qui était en leur pouvoir pour qu'elles puissent être prises le plus tôt
possible, sans un nouvel et complet remaniement des n^glements rela-
tifs aux titres de capacité. Les jalons sont posés et la voie est ouverte:
ce n'est plus qu'une question de temps. Le Conseil n'a pas voulu non
plus, pour des raisons d'ordre légal, se prononcer sur les droits d'exa-
men qui avaient été presque unanimement réclamés au cours de l'en-
quête sur les brevets et qui seraient si légitimes. Il est à désirer que
tous les Conseils généraux rémunèrent les examinateurs sans recourir
à l'État, comme cela se fait déjà dans un certain nombre de dépar-
tements. Mais certainement une mesure générale et obligatoire serait
préférable.
Les principales modifications apportées au régime en vigueur
depuis 1881 sont les suivantes :
1® Le décret et l'arrêté visent à la fois les deux brevets et les deux
certificats d'aptitude (certificat d'aptitude pédagogique et certificat
des écoles maternelles). C'est une heureuse simplification qui n'est
pas seulement une question de forme, car elle tend à rapprocher,
en attendant la fusion, le brevet élémentaire et le certificat d'aptitude
à la direction des écoles maternelles.
2® Les limites d'âge arrêtées pour les divers examens sont :
seize ans révolus le i^ janvier de Tannée où Ton se présente pour le
brevet élémentaire ; dix-huit ans révolus pour le brevet supérieur ; vingt
et unans révolus au moment où se passent les examens, pour les
deux certificats d'aptitude, avec cette restriction toutefois que cette
dernière condition d'âge ne sera pas imposée aux aspirantes, pourvues
CHBONIQUI DE L MABiamiiEHT PROUIRE EN FRANCK 88
da brevet élémentaire, qui veulent obtenir le certificat des écoles
maternelles. Il est inutile d'insister sur le sens et sur la portée du
privilège accordé aux jeunes brevetées.
9* La session de mars, qui portait tant de trouble dans les études,
est supprimée pour les brevets élémentaire et supérieur ; les deuic
sessions normales auront lieu en juillet et en octobre pour les deux
brevets et pour le cer(ificat d'aptitude des écoles maternelles. Il n'y
aura qu'une session, en avril, pour le certificat d'aptitude pédagogique.
4® Le programme du brevet élémentaire est mis en harmonie avec
la loi du 28 mars 1882; toutes les anciennes matières sont donc
conservées, mais il est stipulé que rexerclco de composition française
pourra porter sur « Texplication d'un proverbe, d'une maxime, d'un
précepte de morale sur l'éducation. » Dans l'examen oral, l'annlyse
grammaticale est rattachée à la lecture expliquée. L'instrurtion
civique s'ajoute aux éléments de l'histoire nationale. Le tracé d'une
«arte au tableau noir devient obligatoire. Le programme porte en
outre : t Questions et exercices très élémentaires de solfège; questions
sur les notions les plus élémentaires des sciences physiques et natu-
relles dans leurs rapports avec l'agriculture et l'horticulture; exécu-
tion d'un dessin au trait, d'après un objet usuel; exécution des
exercices les plus élémentaires de gymnastique. » 11 n'y a que le mot
c géométrie usuelle » qui manque au programme, et la morale n'a
aucune place à l'examen oral.
5** Le brevet supérieur est allégé du chant et de la gymnastique
qu'on a reportés au brevet élémentaire. Il n'y a rien là que de
naturel. On pourra trouver plus contestable que les candidats à ce
brevet ne soient plus interrogés sur l'histoire de France et sur les
éléments de l'histoire générale qu'à partir de 1610. Ne sommes-
nous pas obligés de remonter constamment à nos origines gréco-
latines, et n'est-îl pas indispensable que les candidats au brevet
supérieur se soient fait une idée de la marche de la civilisation
dans le monde entier? Il est évident qu'en limitant à la période
moderne les matières d'examen du brevet supérieur, le Conseil n'a
pas voulu dispenser les candidats de l'étude des périodes antérieures,
mais il a tenu d'une part à éviter les trop grands eiTorts de mé*
moire, et d'autre part à bien marquer la nécessité d'une étude spé-
ciale et approfondie de l'histoire moderne et de l'histoire contem-
poraine. Les langues vivantes (anglais, allemand, italien, espagnol
ou arabe, suivant la région habitée par le candidat) deviennent obli-
gatoires, mais à l'examen oral seulement, à partir de 1888.
6^ U n'y a plus de « certificat d'aptitude pédagogique à la direction
d'une école à plusieurs classes ». Le nouveau certificat est délivré
à la suite d'un examen « destiné à constater Paplitude à la direction
d'une école publique ». Cest assez dire que cet examen s'imposera
comme une sorte d'obligation morale, en attendant qu'elle se
traaal(Nrme en obligation légale, à tous les adjoints et adjointes des
84 REVUE PEDAGOGIQUE
écoles publiques, sinon des écoles libres. Les épreuves, essentielle-
ment pratiques, ne sont plus subies en présence des élèves dans une
école publique. Elles comprennent: une composition française sur
un sujet relatif à la tenue et à la direction d*une école; une leçon
très simple dans les limites du programme des écoles élémentaires;
la correction d'un devoir d'élève et l'appréciation d'un cahier de
devoirs mensuels ; des questions de pédagogie pratique et élémentaire.
1^ La correction des épreuves se traduit en chiffres et non en
notes : c'est ce qui était demandé unanimement. Le système des
coefficients a été écarté. Il a seulement été admis que le chififre 5
serait le chiffre le plus élevé pour le chant et la gymnastique, la
valeur des autres épreuves, tant orales qu'écrites, étant exprimée
par des chiffres allant de 0 à 10. Pour l'épreuve d'orthographe les
commissions ne sont plus liées comme auparavant par un nombre
éliminatoire de fautes — trois ou cinq; elles jugeront en toute
liberté : telle est la solution adoptée, et nous croyons que c'est la
bonne, après une discussion assez animée. 11 a été décidé en outre
que les épreuves écrites pourront être corrigées par des commissions
de deux membres, et que les épreuves orales pourront être subies
devant des sous-commissions de trois membres.
Ces diverses réformes ont une importance qui n'échappera à
personne : elles ont été mûrement élaborées, sérieusement discutées.
Elles seront accueillies avec faveur par tous les amis de l'instruction
primaire.
Les bourses de séjour a l'étranger. — La question des bourses
de séjour à l'étranger a donné lieu, lors de la discussion du budget
de l'instruction publique, à un intéressant échange d'explications
entre M. Jules Roche, rapporteur général, et M. le ministre. Nous
reproduisons in-extenso le compte-rendu du Journal Officiel :
M. LE PRÉSIDENT. — a Chap. 56. — Enseignement primaire. — Matériel.
— Encouragements, 2,087,000 francs. y>
M. Jules Roche, rapporteur général. — Je désire adresser à M. le ministre
de l'instruction publique une simple question.
Vous SHvez, messieurs, qu'un grand nombre de maisons de banque et de
maisons de commerce sont dans l'obligation de prendre comme employés des
jeunes gens étrangers, allemands, suisses, anglais^ parce qu'elles ne trouvent
pas, dans les conditions où elles en auraient besoin, des jeunes gens français
ayant reçu une éducation commerciale et possédant suffisamment la connais-
nance des langues étrangères.
Le conseil supérieur de l'enseignement technique, section du commerce,
a émis plusieurs fois^ et très récemment encore, le vœu que les bourses de
l'enseignement primaire supérieur pussent éire appliquées h. des jeunes gens
se destinant au commerce et à l'industrie, sortant de l'enseignement primaire
supérieur ou de l'enseignement secondaire spécial, et qui seraient envoyés
pendant un temps plus ou moins long — on a indiqué un an — à l'étranger
Sour y apprendre les lanirues étrangères. On permettrait ainsi aux maisons
e commerce de recruter des employés capables, distingués, dans la jeunesse
française.
Je prie M. le ministre de l'instruction publique de vouloir bien déclarer
H;| (DvKl II
DE l'eNSBIGNIMSNT PRIMàIBB in FRANCE 85
si, eomme je le suppose, il est de mon aris, qui est en même temps celui
à» beaucoup de nos collègues, et s'il pense que le crédit dont il s'agit en ce
moment peut s'appliquer daus les conaitions que je viens d'indiquer. J'aurai
ainsi complète satisfaction. (Très bien! très bten!)
M. LE MINISTRE DE L'msTRUCTioN PUBLIQUE. — MessieuTS, la quostiou que
rbonorable M. Jules Roche vient de porter à la tribune nous préoccupe déjà
depuis quelque temps. Nous avons reçu, en effet, les réclamations du com-
merce et de l'industrie, dont les repréisentants sont quelquefois forcés d'em-
ployer des étrangers, alors qu'il leur serait particulièrement agréable de
donner la préférence à des jeunes gens français, qui connaîtraient les langues
étrangères.
ÂQ ministère du commerce, on s'est préoccupé également de cette question ;
j*ai même été saisi, hier, d'un vœu spécial, formulant les indications que
l*honorable M. Jules Roche vient de fournir.
Noos inclinons à croire qu'il est légalement possible de prendre sur le
diapitre des bourses les crédits nécessaires pour envoyer k 1 étranger, dans
des conditions déterminées, des jeunes gens qui auront fourni la preuve de
leur capacité.
J*ai seulement une réserve à faire.
La bourse de renseignement primaire supérieur en France est de 500 francs ,
or, d'après les renseignements que nous avons pris, il ne serait pas possible:
avec cette somme, qu'un jeune homme pût vivre à l'étranger ; je crois qu'il
faudrait doi^ler le chiffre.
M. Letdet. — Ces jeunes gens pourront se placer dans des maisons de
commerce et recevoir de petits appointements.
M. LE HINISTEE. — Déjà des propositions nous ont été faites. D'honorables
négociants de Baie nous ont fait des ouvertures à ce sujet ; nous avons fait
étudier la question sur place, et la demande nous a paru pouvoir être accueillie,
an plus grand bénéfice du commerce et de l'industrie de la France. (Très bien !
très bien!)
M. LE RAPPORTEua gânAral. — Il cst entendu que le crédit sera appli-
cable dans les conditions dont nous venons de parler ?
M. LE MUfiSTEE. Parfaitement I
M. LE FEisiBENT. — Je mets aux voix le chapitre 5G.
(Le chapitre 56, mis aux voix, est adopté.)
En conséquence de la décision indiquée ci-dessus, un arrêté du
ministre de rinstruction publique, en date du 9 janvier 1885, a an-
noncé pour le mercredi 19 août prochain l'ouverture d'un concours
pour les élèves ou anciens élèves des écoles primaires supérieures
qui désireraient obtenir une bourse de séjour à l'étranger pendant
Tannée scolaire 1885-1886.
Les candidats devront remplir les conditions suivantes : i^ Avoir
seize ans accomplis et moins de dix-neuf ans au moment du con-
«coiirs ; aucune dispense d'âge ne sera accordée; 99 être pourvus du
certificat d'études primanres supérieures; 3^ adresser au ministre,
par rintermédiaire de l'inspecteur d'académie, une demande écrite
ou signée par le père ou le tuteur.
Les épreuves consisteront en un thème et une version allemands
<ra anglais; elles auront lieu au chef-lieu du département.
Lis CONFÉRENCES PÉDAGOGIQUES A SoissoNs. ~ G'est uue excellente
institution que celle des conférences pédagogiques : il s'y dit de
fort bonnes choses qui élèvent d'année en année la valeur des
maîtres. Mais trop souvent les travaux des instituteurs et les discus-
86 RIWE PÉDAOOGlQIIf
sions auxquelles ils ont donoé lieu ne laissent pas de trace imprimée
et par suite pas de trace durable. C'est pour remédier à cet încon-
vénient que les instituteurs de Tarrondissement de Soissons ont fait
imprimer à leurs frais depuis 188â les rapports qui résument les
conférences auxquelles il ont pris part et qui ne sont mis sous presse
qu'après avoir été approuvés par les vice-présidents, les secrétaires
et les 60us*secrétaires des réunions cantonales. Nous avons donc
aous les yeux le résumé des conférences de 1882 sur les exercices
de rédaction dans les écoles primaires, celui des conférences de 4883
sur l'application des nouveaux programmes de renseignement pri-
maire, celui des conférences de 1884 sur la méthode à suivre dans
les leçons orales et sur l'importance de ces leçons pour Feoseigne-
ment collectif. Ces mémoires font grandement honneur aux institu-
teurs qui les ont rédigés. Nous ne pouvons les analyser ici : cela
nous conduirait trop loin; nous n'aurions d'ailleurs qu'à nous associer
aux conclusions généralement très sages et fortement motivées des
auteurs. C'est là certainement un bon exemple à suivre : nous tenions
à le signaler et à y applaudir.
Enseignement di: dessin. — L'inspecteur d'académie des Vosges
informe les instituteurs et les institutrices de son département que
des conférences gratuites sur l'enseignement du dessin à l'école pri-
maire seront faites mensuellement à Épinal, à Mirecourt et à Rémi-
remont, et deux fois par mois à Neufchàteau et à Saint-Dié. Les
conférences de Neufchàteau seront suivies d'un cours de solfège fait
par M. Ferry, délégué cantonal.
Enseignement de l'agriculture. — A l'occasion de Finauguration
des maisons d'école de Montaigu, M. Uervé-Mangon, membre de
l'Institut, député de la Manche, a prononcé un discours fort applaudi
sur l'enseignement de l'agriculture à l'école primaire.
« Ou m'a raconté, a-t-ildit, que certains de nos adversaires, quand
on leur demandait : Qu'est-ce que ce M. Mangon, membre de llnsUtut ?
— répondaient dédaigneusement : « C'est un vieil instituteur. s> V»
se trompaient du tout au tout, s'ils croyaient me blesser. Je vou-
drais être instituteur, et voici comment je tâcherais de faire naître
chez mes élèves le goût de l'agricullure et de la campagne.
» Les musées scolaires sont, en principe, une exoeUente cboae;
mais, quand ils arrivent tout faits de chez un marchand de Paris,
ils restent trop souvent lettre morte et personne ne les regarde. Pour
faire la collection de mes leçons de choses, je ferais ramasser, par
les enfants, quelques fleurs, les herbes des herbages, les plantes des
marais, et je leur en indiquerais les propriétés ; le nom botanique
viendrait plus tard, quand *la chose serait connue* A chaque
récolte, les enfants m'apporteraient une pincée des diverses graines,
obtenua» par leurs parents, on discuterait sur leurs qualités, och
dirait le prix de venle* on jugerait de rînfluAnee à^ iMan eft do
CHRONIQUE DE l'eNSEIGNEUNT PaiMÀIAE EN FRANCE 81
mauvais temps, j'expliquerais Futilité et les ioconvénients des
insectes.
s Je ferais aussi ramasser les pierres du pays; celle-ci est propre
à Mtir^ cette autre a faire de la chaux, la troisième à battre le
briquet, etc. Au fils du maréchal, je demanderais de petits mor-
ceaux de fer, d'acier, et je lui ferais expliquer comment on durcit
par la trempe ce dernier métal; du fils du menuisier, j obtiendrais
des échantillons du bois du pays. Ma collection serait bien vite
montée, sans aller loin, et les enfants s'y intéresseraient d'autant
plus qu'ils l'auraient faite eux-mêmes, chacun pour sa part.
» Mais ce n'est pas tout, je voudrais montrer à mes élèves les
merveilles du développement des plantes, qu'ils ne regardent même
pas, je ferais germer de grosses graines, des glands, des haricots,
des amandes, par exemple; je leur ferais voir que la racine tend
toujours à descendre, que la tige retourne au soleil.
» Par un simple lavage, je leur montrerais combien sont nom-
breux et variés les éléments de ce merveilleux produit, la terre
arable qui est notre nourrice et que nous foulons aux pieds, sans
même la connaître. Sans appareils, sans livres de théorie, vous
voyez que mes enfants pom*raient beaucoup apprendre, en s'amu-
sant, et comme conclusion, ils adopteraient la profession de culti-
vateur, la plus belle, la plus utile, celle qui donne la vie la moins
dure, la plus heureuse et la plus morale. »
Impôts dvs par les lnstituteurs et par les institutrices pouh les
LOCAUX affectés A LEUR LOGEMENT. — « Des difficultés SUTgir^Sent
quelquefois, hsons-nous dans le Bulletin de l'Aisne, entre instituteurs
ou institutrices qui changent de résidence, au sujet du paiement
des impôts à leur charge pour les logements qu'ils quittent.
» En cas de changement de résidence, il convient que le nourel
instituteur ou la nouvelle institutrice se substitue à son prédécesseur-
pour le paiement des contributions de la maison d'école à partir du jour
de l'entrée en fonctions dans la commune. Cette conduite, conforme
à l'équité, aurait pour effet d'éviter des différends qui ne peuvent
que nuire à la considération des membres du corps enseignant. »
11 serait bon que cette règle fût toujours suivie.
Prépaiution au rrevet supérieur. — Des cours normaux pour la
préparation au brevet supérieur et au certificat d'aptitude pédagogique
se sont ouverts à Arras le H décembre, l'un à l'école normale
d'instituteurs, l'autre à l'école normale d'institutrices. Ils auront lieu
tous lies jeudis avec le concours gracieux du directeur et de la
directrice et des écoles normales, des professeurs du collège et des
inspecteurs primaires d' Arras.
Les cours dureront le jeudi de 9 heures du matin à 4 heures 1 1%
avec une interruption d'une heure et demie pour les instituteurs et
d*ime heure seulement pour les institutrices; il y a par mois un
88 RIVUE PÉDAGOGIQUE
jeudi consacré plus particulièrement au certificat d'aptitude péda-
gogique, et le cours ce jour-là ne se terminera qu'à 6 heures.
Ce sont là des journées bien remplies, trop remplies peut-être.
Des cours semblables sont en voie d'organisation à Boulogne-sur-Mer.
Les cahiers de devoirs mensuels. — Nous devons revenir sur la
tenue des cahiers de devoirs mensuels, vu le très grand profit qu'en
peuvent et qu'en doivent retirer les écoles primaires. Les BuUeting
départementaux renferment de nombreuses circulaires adressées aux
inspecteurs primaires et aux instituteurs par les inspecteurs d'acadé*
mie, qui tiennent à ce que les instructions ministérielles que nous
avons fait connaître soient suivies partout le plus tôt possible.
Le vice-recteur de la Corse pose les trois règles suivantes :
1* Tous les élèves, à quelque cours qu'ils appartiennent, devront avoir un
cahier de devoirs mensuels ;
2* Ce cahier recevra, au commencement de chaque mois, un spécimen de
chacun des exercices écrits afférents à chaque cours. Pendant que les élèves
auront entre les mains le cahier de devoirs mensuels, l'usage du cahier
journalier sera suspendu. Par exemple, le cahier mensuel sera, je suppose,
employé le 1*' et le 2 de chaque mois dans les cours moyen et supérieur
et Je 1*' de chaque mois dans le cours élémentaire.
Dans ce cas, le cahier journalier ne sera repris dans les deux premiers cours
Sue le 3* jour du mois et le 2* jour dans le cours élémentaire. On procéderait
'une manière analogue pour un délai plus long. Ceci est une simple indi-
cation.
3* Chaque devoir {)orté au cahier mensuel sera corrigé à la marge par
l'instituteur ou l'institutrice, sans aucune rature ou altération dans le texte,
qui doit être r œuvre prcpre de l'élève livré à ses propres forces et travaillant
en classe i sous la surveillance ^ mais sans Vaide du maître. Les résultats de
la correction donneront lieu à un classement exprimé par une note comprise
entre les chiffes 1 et 10. Cette note sera inscrite an bas du devoir, et recevra
le visa de l'instituteur ou de l'institutrice.
Messieurs les inspecteurs primaires examineront et viseront ces cahiers
dans les tournées. Ils s'en feront adresser à leur résidence un certain nombre
de chaque canton à des époques indéterminées. Je me réserve d'en demander
moi-même des exemplaires (^ue j'examinerai avec un grand intérêt. Â partir
du 1*' décembre, je publierai dans le Bulletin les noms des maîtres qui
n'auraient pas exécute les présentes prescriptions ou qui les auraient exéeutees
avec négligence.
L'inspecteur d'académie du Doubs écrit dans le même sens aux
inspecteurs primaires.
Désormais, dit-il, chacun de vos rapports d'inspection devra porter une
note résumant votre impression après 1 examen des cahiers de devoirs men-
suels.
Vous voudrez bien vous en faire adresser par la poste un certain nombre
de dlflR§rentes écoles dans la seconde quinzaine de chaque mois et les retourne
ensuite avec vos observations. L'inspection à distance suppléera à l'insuffi»
sanee des visites.
Je ferai la même chose de mon côté.
Je proposerai à la caisse des écoles de décider l'achat d'un certain nombre
de prix à distribuer dans chaque canton aux élèves du cours supérieur, et
même du cours moyen, dont le cahier spécial de devoirs mensuels permettra
de constater les efforts et les progrès les plus soutenus et les plus marqués.
CHROHIQDK DE L'iNSBIGNIMBHT PEIMAIRV Bll FRANCE 89
l'espère que beaucoup de municipalités, de personnes crénéreuies et dévouées
à Tenseiniement donneront aussi des récompenses analogues.
Enfin, Monsieur l'inspecteur, je vous prie de consigner vos observations
sur l'emploi du nouveau cahier et sur les résultats que vous pourrez con-
stater, ann que vous soyez en mesure de m'adresser à ce sujet, dans la der
Bière semaine de juillet,* un rapport très détaillé et très complet.
Les mêmes recommandations sont faites par l'inspecteur d'académie
de la Savoie, qui ajoute :
Vous voudrez bien, dans votre rapport trimestriel, me donner les noms
des deux instituteurs qui, dans le courant du trimestre, auront déployé le
plus de zèle dans la mise en pratique du cahier mensuel. 11 s'agit bien
entendu des écoles que vous aurez personnellement inspectées et qui
vous offriront toutes garanties, quant à l'authenticité des devoirs et à la
sincérité des cahiers.
Enfin, dans votre rapport annuel, un paragraphe spécial sera consacré à
l'introduction et k l'emploi du cahier mensuel dans les écoles, aux eflbrts du
personnel et aux résultats obtenus* Vous rassemblerez dans une liste unique
tes noms des Instituteurs et des institutrices que vous m'aurez signala dans
vos rapports trimestriels. Ces renseignements seront pris en très sérieuse
considération quand nous dresserons la liste annuelle de mérite et que nous
ferons des propositions pour les récompenses et pour les distinctions hono-
rifiques.
La plupart des inspecteurs désirent qu*un seul modèle de cahier
soit adopté par département. Ce serait le moyen d'arriver à une
imiformité qui plaît aux élèves, qui facilite le travail des maîtres,
qui faciliterait aussi le classement des travaux d'élite dans les
expositions scolaires. Mais, fait justement observer M. l'inspecteur
d'académie de Rar-le-Duc, si l'on ne peut pas obtenir cette unifor-
mité désirable, on ne doit pas se refuser à employer comme cahier
mensuel le premier cahier venu, ne fût-il que de quatre ou cinq
feuilles. On le renouvellerait plus souvent, et, en conservant les
cahiers successifs, on n'en obtiendrait pas moins le résultat poursuivi
par le ministre, c Les cahiers mensuels corrigés par les maîtres
pourraient, dît-il encore, être communiqués aux parents, tous les
trimestres par exemple, et seraient ensuite replacés dans l'armoire
de la classe pour y être conservés jusqu'au jour où l'élève quitterait
définitivement l'école. Ce serait peut-^tre le meilleur des bulletins
scolaires. Le père de famille aurait ainsi le moyen de constater par
lui-même, à des époques assez rapprochées, le travail et les progrès
de ses enfants. » C'est tout à fait notre avis.
Le cahier de devoirs mensuels serait ainsi, en quelque sorte, le
^rand carnet de correspondance entre l'école et la famille. Sur ce
point, tout le monde sera d'accord, croyons-nous. Mais ce cahier
doit-il avoir pour effet de supprimer celui qui dans certains dé-
partements renfermait mensuellement les compositions d'après
lesquelles étalent décernés les prix en fin d'année? Ici les opinions
^nt partagées : Dans llndre-et-Loire et dans le Morbihan ce dernier
^sabler est supprimé, il reste facultatif dans la Savoie, il est conservé
dans Seine-et-Marne et dans d'autres départements. 11 faut laisser à
œt égard la plus grande liberté aux inspecteurs et aux instituteurs:
90
EKVUB PÉDÀGOGIOUK
mais nous croyons que le mieux serait de distribuer les prix d'après
les indications fournies par le seul cahier de devoirs mensuels,
surtout si ces devoirs comprenaient généralement une récapitulation
de ce qui a été vu dans le mois. Ce serait un moyen très pratique
d'encourager l'assiduité, la justice n'y perdrait rien, et les familles
ou les caisses des écoles feraient une petite économie.
En général on a été d'avis que la gymnastique, le chant et les
travaux manuels ne donneraient pas lieu à des épreuves mensuelles.
Cependant rien n'empêche l'instituteur de donner une note à chaque
élève pour la gymnastique et les exercices militaires. Une petite
dictée musicale peut trouver place tous les trimestres dans le cahier,
du moins pour le cour moyen et pour le cours supérieur. Enfin,
pour les travaux à l'aiguille, il n'est pas impossible d'annexer aux
cahiers ordinaires un cahier d'ouvrage qui permette de constater les
progrès des élèves et la suite méthodique de l'enseignement selon
le programme réglementaire, comme cela se pratique utilement
dans l'école de filles de l'ancien observatoire à Marseille.
La question qui peut diviser le plus les instituteurs, c'est celle de
savoir combien de devoirs les élèves auront à inscrire sur le cahier
mensuel d'après la division à laquelle ils appartiennent. Elle a déjà
été discutée par les instituteurs de l'arrondissement d'Abbeville dans
les conférences pédagogiques d'automne. Nous croyons intéressant
de faire connaître les résolutions adoptées. On a d'abord écarté l'idée
de faire faire mensuellement un devoir sur toutes les matières, à
cause de l'étendue des programmes et parce que ce système impo-
serait aux maîtres un surcroît excessif de travail au détriment de la
préparation des leçons et de la correction des autres devoirs journa-
liers. Pour tout concilier, il a paru opportun d'établir huit groupes de
devoirs ; les quatre premiers comprennent les matières les plus impor-
tantes, et donnent lieu à une composition mensuelle; les quatre autres
à une composition revenant tous les deux mois. Le tableau suivant
indique Tordre dans lequel les différentes branches du progranmie
figureront au cahier mensuel :
l»»- MOIS
l»'» SEMAINE
2« SBMAI7IR
s* SBSATNB
4* SBMAIXK
2 devoirs
1 devoir
2 devoirs
i devoir
1* Orthographe
RédactioQ
1* Arilhmétiqoe
Hislûire
oueiercicede
ou
ou géométrie
de France
fniDçais.
instruction
et système
on notions
—
morale.
métrique.
d*histoire
!• Géographie
—
générale.
oa instmction
fr Écriture ou
civique.
dessin.
CHRONIQUE DE l'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE EN FRANCE
91
2* MOIS
!«»• SEMAINE
2« si: MAINE
3' SKMAINE
4« SEMAINE
2 devoir;!
i devoir
2 devoirs
1 devoir
!• Orthographe
ou exercice de
Rédaction
ou
!• Arithmétique
ou Géométrie
Histoire
de France
français.
S* Sciences
naturelles.
instruction
morale.
et système
métrique
2» Agriculture
et horticulture
ou
ÉcoooDue domestique.
ou notions
d'histoire
^nérale.
Cette organisation n'est pas mauvaise. Elle peut, sans doute, ^tre
plus on moins modifiée et il n'est pas nécessaire que le même
nombre de devoirs soit demandé à chaque division de l'école primaire.
Mais le tableau ci-dessus reproduit montre assez bien, selon nous,
dans quel esprit doit être appliquée la circulaire du ministre.
On nous pardonnera d'avoir insisté sur la tenue des modestes
cahiers qui s'introduisent dans les écoles. Ccst parce que nous les
croyons destinés à rendre les plus grands services à Tinstruction
primaire que nous n'avons pas craint d'entrer dans tous ces détails.
Transfert du Musée pédagogique. — Un décret en date du 30
décembre i884 a ordonné que le Musée pédagogique et la Biblio-
thèque centrale de l'enseignement primaire, actuellement installés
iS, rue Lhcmiond, seraient transférés, 10, rue Louis Thuillier, dans
les bâtinotents précédemment occupés par l'éoole normale spéciale de
travail manuel.
La prise de posssssion par le Musée de ses nouveaux locaux aura
fieu probablement dans le courant de février.
COURRIER DE L'EXTÉRIEUR
Angleterre. — La sous-commlssîon chai^^ée par le School Board
de Londres d^examiner si i'ot>erpreMurf existe réellement dans les
écoles de cette ville, a présenté son rapport. Voici la conclusion de
ce document : La sous-commission est d avis qu'il v a parfois excès
dans le travail demandé aux élèves; mais ces cas de surcharge sont
relativement peu nombreux, et le mal n'est pas très répandu. Elle
reconnaît que beaucoup a été fait par le nouveau Ck)de scolaire pour
{prévenir cette overùresiure\ mais elle pense que, si l'on veut obtenir
es résultats désirés, il faut que le Code soit appliqué selon Tesprit
aussi bien que selon la lettre, ce qui n'est pas le cas à présent.
Elle fait en conséquence les reconmaandations suivantes : i^ Sup-
pression générale des devoirs à faire à la maison : 2* interdiction
aux maîtres et maîtresses de retenir les élèves à l'école (c keeping
in 9) excepté dans le cas de punition (1); 3<^ il v aurait lieu de
rappeler expressément à tous les administrateurs d écoles (managers)
qu'us ont le droit, et aussi le devoir, d'écarter de l'examen tous les
enfants dont la santé pourrait souffrir soit de l'examen lui-même,
soit de la préparation a l'examen ; et d'insister sur ce point, qu'une
surveillance exercée pendant toute l'année sur l'école et les élèves
est nécessaire pour raccomplissement de ce devoir ; i^ le School
Board devrait se préoccuper de placer l'administration des écoles
entre les mains de managers plus compétents.
— Le Journal of Education de Londres, qui a l'habitude d'ouvrir
de temps en temps des concours à l'usage de ses lecteurs, leur
avait proposé dernièrement un sujet assez original. Il s'agissait de
répondre à cette Question : c Quels sont, classés par ordre d'impor-
tance^ les sept plus grands éducateurs anglais vivants ? » Une
centame de lecteurs ont envoyé au journal des listes de noms; et
voici comment se sont répartis les sufl^ges :
Herbert Spencer, 72 voix; Alexandre Bain, 50; Huxley, 38;
£. Thrinff, 36; miss Beale, 34; miss Buss, 33; R. H. Quick, 32;
E. A. Abbott, 31; A. J. Mundella et J. G. Fitch, chacun 29; J. Ruskin
etMathew Arnold, chacun 28; S. Laurie, 24; miss Shirreff, 22;
Oscar Browning, 18; F. W. Farrar et James Sully, chacun 15;
M"* Grey, 13; F. Temple et W. E. Forster, chacun 12; J. M. D.
Meiklejonn, James Wilson, H. M. Butler, chacun 10; M"'® Bryant,
B. Jowett, F. G. Fleay, chacun 8 ; Max MûUer, H. C. Bowen,
■J. Stuart, chacun 6; P. Magnus, 5.
Sur ces trente noms, la moitié environ sont parfaitement inconnus
^e ce côté-ci de la Manche.
(1) Si nous comprenons bien, la sous-commission admet la retenue, à titre
de punition, mais elle proscrit Vétude en classe, c'est-à-dire l'usage de faire
COURRIER DE L'EXTARIEUR 93
Voici la liste qui a obtenu le prix, et que le journal a faite sienne
en la couronnant :
1. Herbert Spencer.
2. Huxley (enseignement pratique de la zoologie ; géographie phy-
sique}.
3. J. Wilson (enseignement des sciences à l'école).
4. E. Thring (réformes dans l'administration intérieure des collèges).
5. Miss Buss (collèges pour les jeunes tilles).
6. S. Laurie.
7. R. H. Quick (notre seul historien).
le. — Le Moniteur belge publie une circulaire du ministre
de l'intérieur et de Tinslruction publique prescrivant le mode de
subsides scolaires. Le crédit porté au budget est de 6,3:25,000 francs.
La répartitioD de cette somme, dit le ministre) se fera, sauf les exceptioos,
d'après les règles saivaotes :
La base de la répartition sera un subside proportionné à la population de
la commune, calculé k raison d'un franc par habitant.
Cette base sera modifiée, en plus ou en moins, de la façon suivante :
Aucune commune ne recevra ni moins des trois cinquièmes (60 0/0) de ce
qu'elle a reçu en 1883, ni moins de 600 francs.
Toute commune qui, en 1883, a reçu moins d'un franc par habitant, recevra
un subside égal à celui de 1883, sans cependant qu'il puisse être inférieur ni
à un franc par deux habitants ni à 600 francs.
Pour bénéficier de la garantie du subside minimum de GOO francs, il faut
que la commune ait au moins une école primaire communale ou adoptée, à
son usage exclusif.
Enfin, en règle générale, le subside de l'Etat ne peut dépasser le double
de la part d'intenention de la commune dans les frais du service ordinaire
de l'instruction primaire.
568 communes (un )>eu plus du cinquième des communes belges) conti-
nueraient à toucher des subsides au moins égaux à ceux qu'elles re^*oivent
aujourd'hui ; les autres communes toucheraient moins que leur subside de
1883, sans néanmoins que l'intervention de l'Etat puisse être inférieure à
GO 0/0 de ce subside.
Le Brabant et le Luxembourg sont les i)rovinces dont les communes verront
le plus réduire les subsides qu elles reçoivent de l'Etat.
En terminant, le gouvernement rappelle aux communes, comme
iiche de consolation, que si elles doivent recevoir moins, la loi clé-
ricale leur permet aussi de dépenser beaucoup moins pour Tinstruc-
tion primaire :
Les communes pourront, sous le régime de la législation actuelle, réaliser
des économies considérables. Elles y trouveront une compensation à la réduc-
tion des subsides de l'Etat.
— I^ conseil communal de la ville de Gand, usant de la faculté
donnée aux communes par l'article i de la loi du 20 septembre 1884,
a décidé que l'enseignement de la religion et de la morale serait
porté au programme des écoles primaires de cette ville. Le collège
des bougmestre et échevins s^est adressé à Tévêque pour lui deman-
der s'il consentirait ù ce son clergé donnât cet enseignement aux
élèves catholiques des écoles communales. L'évéque a répondu affir-
mativement, en mettant toutefois à son consentement les quatre con-
ditions suivantes:
94 BIVDX PiDAGOGlÛIJI
1^ Que le caractère des ecclésiastiques qui se rendront aux écoles
sera respecté par les élèves;
2<» Que les instituteurs ne contrecarreront en rien les instructions
données par les ecclésiastiques ;
3** Que les livres employés dans les écoles ne contiendront jamais
rien qui soit contraire aux enseignements de la religion ;
4^ Que les instituteurs auront soin que leurs élèves sachent par-
faitement par cœur la leçon de la semaine.
Ainsi l épiscopat belge, qui, pendant qu'un ministère libéral
était au pouvoir, refusait de faire donner renseignement religieux
dans les écoles communales, sous prétexte que le prêtre ne pouvait
pas entrer comme simple professeur de religion dans me école
ne relevant que du pouvoir civil, cet épiscopat tronve mainte-
nant que sa conscience lui permet de faire ce qu'elle lui interdisait
il y a cinq ans. Il est vrai qu'il exige, comme prix de son concours,
Fassurance que « les livres employés dans les écoles ne contiendront
jamais rien qui soit contraire aux enseignements de la religion ». Le
conseil communal de Gand a accepté cette condition : il nous sfimble
Sj'il a pris là un engagement bien imprudent. Cest accorder au
ergé le droit de mettre à Tindex tous les li\Tes qui lui déplairont ;
et Ton sait ce que doit être un livre d'histoire ou un livre de
science pour trouver grâce devant lui.
Canada. — Un journal bas-canadien, V Enseignement primaire de
Québec, nous apporte rhistorictte suivante, qui pourra donner une
idée de la façon dont sont dirigées les écoles de notre ancienne colonie.
M. Archainbault, surintendant des écoles catholiques de Montréal,
de la conférence de la circonscription de Técole normale Jacques
Cai-tier, à Montréal », Ces requêtes demandaient au Saint Père la
bénédiction apostolique, et, en échange de cette faveur, contenaient
des engagements ainsi conçus :
(Première requête). « En reconnaissance d'une si grande faveur,
nous prenons l'engagement solennel de continuer a soumettre notre
enseignement à la naute surveillance de l'Eglise catholique, afin
qu'il ne soit jamais entaché de l'erreur moderne appelée laictsme,
mais qu'il porte toujours l'empreinte de l'esprit chréten. »
(Seconde requête) « En reconnaissance d'une si grande faveur, ils
prennent l'engagement solennel de soumettre toujours leur ensei-
gnement à la haute surveillance de TEglise catholique, de former le
cœur et de cultiver l'intelligence de leurs élèves de manière à en
faire des chrétiens fervents et des citoyens vertueux. »
Le pape a accordé les deux bénédictions demandées. De retour an
Canada, M. Archambault, muni des deux parchemins apostoliques,
les a fait revêtir de Yapprobatur de l'évêque de Montréial ; puis il
les a fait imprimer avec le texte des deux requêtes afin d'en pro-
curer une copie à tous les intéressés.
N'est-il pas singulier de voir des instituteurs laïques, dirigés par
un surintendant laïque, répudier avec tant de solennité « Terreur
moderne appelée ktiscisme » ?
COURRHBR VK l'sXTÉRIEUR 95
Hem Hafwaï. — Nous extrayons les détails qui suivent du rapport
biennal présenté en 1884 à r Assemblée législative des îles Hawaî
par le président du Board of Edxication. Ce rapport est rédigé en
anglais et imprimé à Honoloulou.
Les écoles hawaïennes sont de trois catégories : les écoles ordi-
naires (common schœh), les écoles supérieures (êeiect schools), et les
écoles libres (independent schools).
Les common scMols sont entretenues par le gouvernement; l'en-
seignement, qui est gratuit, y est donné en langue hawaïenne, par
des instituteurs hawaïens : les branches d'étude sont la lecture,
récriture, l'arithmétique, la géographie et parfois le chant. Ce3
écoles laissent beaucoup à désirer; les instituteurs sont peu capables,
la fréquentation des élèves est très irrégulière. Il y avait en 1883
114 common schools, avec 2,841 élèves (1,627 garçons et 1,214 filles).
Les sdect schools sont aussi entretenues par le gouvernement;
renseignement s'y donne en anglais; il compreml les mêmes
matières qu'à la common school^ et quelquefois en outre le dessin et
les sciences naturelles. Ces écoles sont ouvertes aux deux sexes; la
plupart ne sont pas gratuites. 11 y en avait en 1833 44, avec 109
insfituteurs et 3,489 élèves (2,124 garçons et 1,365 filles). La sta-
tistique range au nombre de ces écoles le séminaire d'instituteurs
(seminary), installé à Lahainalouna; le cours d'études de ce séminaire
est de quatre ans; les branches d'enseignement sont Talgèbre, la
géométrie, la trigonométrie, Farpentage, la conoptabilité, l'histoire,
Ïbl physique, la morale, Téconomie politicfue, la physiologie, la
composition anglaise, la musique, les exercices militaires, la péda-
gogie théorique et pratique. Les élèves, au nombre de 70, sont en
outre exercés aux travaux agricoles.
Les independent schools sont au nombre de 42, avec 2,393 élèves
(i^^^ garçons, 1,215 filles); onze d'entre elle&sont des pensionnats.
La plupart de ces écoles relèvent d'une église ou d'une association
religieuse. Quelques-unes d'entre elles sont subventionnés par le
gouvernement.
Italie. — Le Sénat italien a discuté en décembre dernier le
projet de loi sur les traitements et la nomination des instituteurs
déjà voté par la Giambre, et il l'a adopté avec Quelques modifications.
Le projet est revenu devant la Chambre des députés, et le ministre
Coppino en recommande le vote immédiat sans nouveaux charge-
ments.
Russie. — Nous avons parlé (numéro de mars 1884, p, 286)
d'un projet de fondation d'écoles ecclésiastiques, destinées à faire
concurrence aux écoles primaires laïques et à donner aux enfants
des paysans un enseignement strictement orthodoxe tant au point
de vue politique qu'au point de vue religieux. Le projet s'est réalisé,
et l'empereur, qui parait avoir pris celte question fort à cœur, a
exprimé l'espoir c que le clergé paroissial se montrerait digne de sa
haute mission dans cette importante afiaire ».
Voici les principales di^posUioBa du statut des écoles paroissiales
ecclésiastiques, sanctionne le 13 juin 1884 :
Les c écoles paroissiales ecclésiastiques > sont des écoles éiémen-
96 RIVUl PÉDàGOGIQUI
taires établies par le cierge orthodoxe. Leur but est d'aiîermlr dans
le peuple les principes de l'orthodoxie et de la morale chrétienne et
de communiquer les premiers éléments des connaissances utiles. —
Ces écoles peuvent être, soit des écoles à une classe avec un cours
de deux années, soit des écoles à deux classes avec un cours de
quatre années . Outre la reliffion et le chant d'église, on y enseigne
la lecture du russe et du slavon d'église, l'écriture, les éléments
de Tarithmétique ; dans les écoles à deux classes, on enseigne en
outre les éléments de l'histoire ecclésiastique et nationale. — Aux
écoles paroissiales ecclésiastiques peuvent être annexées: des classes
complemenlaires ; des classes d'adultes; des classes de travail manuel;
des écoles du dimanche. — Sont chargés de la direction inmiédiate
des écoles paroissiales ecclésiastiques soit les prêtres de la paroisse,
soit des personnes qui, dans les <:as exceptionnels, seront designées
à cet efifet par Tévèque. — Les évêques nomment, parmi les prêtres
les plus capables et les plus dignes de confiance, des inspecteurs
qui doivent présenter chaque année un rapport sur les écoles de
leur circonscription. — Il y a dans chaque aiocèse un conseil établi
pour délibérer sur les questions relatives aux écoles paroissiales
ecclésiastiques; le président et les membres de ce conseil sont
nommés par Tévêque. — L'administration générale des écoles parois-
siales ecclésiastiques appartient au Saint-Synode.
— Le comité de statistique du ministère de l'intérieur vient de
Î)ublier des renseignements relatifs aux écoles primaires rurales dans
es 30 goubernies de la Russie d'Europe et les 10 ^oubernies de la
Pologne. L'empire possède en tout 22,770 écoles primaires rurales,
avec 1,140,915 élèves (904,918 garçons et 235,997 filles) et 36,955
maîtres (12,566 ecclésiastiques, 19,511 instituteurs, 4,878 institu-
trices). Ces écoles sont réparties de la manière suivante entre les
dix circonscriptions académiques : Saint-Pétersbourg, 1,598; Moscou,
3,919: Kharkov, 2,219; Kiev, 3,635; Odessa, 1,365; Kazan, 2,535;
Orenbourg, 1,238; Vilna, 1,5U; Dorpat, 2,460; Varsovie, 2,287.
Le gérant : H. Gantois.
IMPRIMBRII GINTKALI DIS CHEMINS Dl VER. — UfPRUflKII CBAIX.
•UI BIMÊKI, 20, PARIS — 310t8-4*
Iimlk lérie. — Tom VI. N» 2. <5 Péuier m'y
REVUE PÉDAGOGIQUE
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD
A M. J.-J. RAPET
(Suite el fin}.
\IV
Fribourg en Suisse, le 5 novembre \x'\\
Très cher et respectable ami,
4e viens de lire votre dernière avec mon beau-frère Sprenj;er que
vous avez appris à connaître dernièrement. Elle nous a vivement
touchés par la noblesse des sentiments quelle exprime. J ai eu des
amis dans ma vie et je ne sais si j'en ai eu un que je puisse vous
comparer. Longtemps je n'ai vécu que pour Téducation des généra-
lions naissantes, et je vois, dans la joie de mon cime, que j'ai trouvé
en vous le même dévouement, le même désinlércssemenl.
Vous trouverez à Paris, chez notre ami, M. Michel, la procuration
que vous demandez pour traiter en mon nom avec un imprimeur
ou un libraire ou avec tous les deux, s'il le faut. Vous, mes amis,
vous voudrez bien vous entendre sur les conditions à faire et prendre
ensuite les mesures que vous croirez les plus convenables pour la
publication de mon travail dès à présent et dans l'avenir. Je sais
que la loi frantjaisc accorde un privilège qui ne finit que trente
ans après le décès des auteurs.
Il y aura ensuite un arrangement à prendre entre nous, puisque
la reconnaissance ne me permettrait pas de vous exclure des béi/é-
fices, si la justice pouvait s'entendre à une semblable exclusion.
Il faut que vos soins soient reconnus, et ils le seront.
Vos noms doivent figurer sur les titres du cours de langue, ne
serait-ce que pour ôter aux Français toute méfiance à l'égard d'un
travail fait et rédigé par un étranger. Vous aurez donc tous deux
la bonté de corriger les fautes de langage qui auraient pu échapper
à l'auteur et a ses copistes. C'est pour cela que les manuscrits ont
de grandes marges.
RIYUB Fi^DAGOOIQUl 1885. ^ 1«' SM. 7
98 REVUE PEDAGOGIQUE
Quant à l'ouvrage même je dois insister auprès de vous de n'y
changer que les définitions et les divisions qui seraient directement
contraires à celles de lAcadémie. Cela se réduira à bien peu de chose.
Je vous prie d'observer que l'introduction du cours de langue a
été approuvée par l'Académie et que par conséquent les définitions
et les divisions grammaticales exposées dans mon livre depuis la
p. 78 à 8S n'empêcheront pas que le Conseil Royal n'approuve le
cours de langue qui les renfermera.
Quant à Varticle, je vous prie de voir la note que j'ai ajoutée à la
preiiière partie de la syntaxe. Tous les grammairiens, y compris
Noël et Cliapsal, disent qu'il détermine le nom, ce qui ne peut
s'entendre que de son étendue. Ainsi, si l'on veut être conséquent,
il faut faire rentrer dans cette classe tous les mots que j'y ai placés.
Vanicr et Ch. Martin m'ont précédé en cela et je n'ai fait qu'adopter
la classification la plus simple et la plus marquée pour l'enfant. Si
vous croyez cependant nécessaire d'en adopter une autre, que la
mienne paraisse au moins en note, coume une pierre d'attente.
J'en dirai de môme des locutions aimant et ayant aimé dont j'ai fait
un second inliuitif, attendu que ce sont la aussi des formes imper-
sonnelles du verbe, par conséquent des infinitifs, comme aimer et
avoir airuë.
Jo ne suis sans doute pas d'accord avec telle ou telle grammaire;
mais il faut se rappeler que les grammairiens français ne sont point
d'accord, mrme ceux dont les ouvrages ont obtenu l'approbation du
Conseil Uoyal. Cette autorité laisse donc de la latitude à la liberté,
et je ne vois pas pourquoi je ne devrais pas en jouir aussi. Inneces-
tiriis unitas, disait Saint Augustin, in dubiis libertoi, in omnibus
autcm charita'<.
La langue fraii<;aise est faite, l'Académie en a consacré les loca-
tions qu'elle a jugées convenables, voilà le nécessaire à respecter.
Les détinitions et les divisions grammaticales souvent très variâmes
et très dilTérenles sont ce qu'il y a de douteux, puisfiue la seule
autorité compétente n'a pas pris de décision là-dessus.
J'enverrai à M, Michel la nouvelle rédaction du premier cours de
syntaxe, en sorte que la première est mise de coté.
Je fais copier à mesure et je compte pouvoir envoyer mon tra-
vail les premiers jours de décembre. Il faut donc commencer l'ia-
pressian par la deuxième partie de la syntaxe, les deux parties
de la conjugaison et le premier cahier du vocabulaire.
Au second cahier du vocabulaire, il y aura les quatre premiers
numéros à changer, en conséquence de la nouvelle rédaction de la
première partie de la syntaxe. J'enverrai prochainement ces quatre
nouNeaux numéros à M. Michel.
Si vous obtenez la permission de venir à Fribourg, je désire que
vous ne veniez que plus tard, puisque je suis à travailler po«r la
publication prochaine.
LETTRES IMÉ0ITE8 DU PÉRfi GIHARD 99
Agréez, mon cher ami, Texpression de toute mon estime et de
mon atUcbemeni. Veuillez me renouveler au souvenir de M"*« Rapel
q ue je ne sépare pas de vous.
A la hÀle.
Grég. Girard, cordelier.
P. S.— M. Bonjour devait avoir aujourd'hui la Iroisième séance (1);
mais Tarrivée d'un prince de Moldavie me prendra Taprès-midi.
XV
Jo n'ai que le temps de vous écrire deux lignes à Pérîgueux où
vous avez l'air de vous trouver encore. Grâce au bon sens de
M. Dezobry (2), l'orage est dissipé (3) et l'impression du cours de
(1) Il s'agit d'un peintre qui faisait le portrait du P. Giiard pour M. haywl.
(2; L'un des chefs de la maison Dezobry et Magdelaine, avec laquelle
MM. Rapet et Michel avaient traité au nom du P. Girard pour l'impression
du Cours de langue.
(3i L'orage auquel il est fait allusion provenait de ce que MM. Unpet et
Xichel avaient demandé ta P. Girard d'assez nombreux changemcnis dans
son ouvrage, en vue de l'approprier aux besoins des écoles françaises. Le
P. (iirard se montra très mécontent. Après.un premier raccommodement, —
celui que constate la présente lettre du ii février 1845 — il y eut une nouvelle
crise plus aiguë dans l'été de 1845. Nous ne possédons pas les lettres du
1*. Girai-d relatives à ce pénible incident; M. Rafict les asait probablement
«létniites : mais nous avons les brouillons de deux^ K'ponses faites par
M. Rapet au P. Girard, à la date des 6 juin et 19 septembre 18i5. L'extrait
suivent de la première de ces réponses fera connaître suffisamment la
nature des griefii du P. (îirard :
c C'est avec un véritable sentiment de douleur, écrit M. Rupet, que nous
avons lu aujourd'hui la lettre que vous nous avez fuit l'honneur de nous
écrire le !•' de ce mois... Permettez-moi de vous exprimer tout mon regret
de ce qfue ma lettre à M. Naville est arrivée entre vos mains. M. Na ville
m'ayant écrit qu'il avait envoyé ma lettre à M. Werro, «fin qu'il en prit
connaissaoee, et que s'assurant par lui-même de nos dispositions à l'égard
de votre ouvrage et de nos sentiments pour vous, il piU dissiper les nuages
qui s'étaient élevés dans votre esprit sur notre compte, je me suis empressé
de lui répondre le lendemain de la réception de sa lettre, c'est-à-dire avant-
hier, que j'avais vu sa démarche avec un grand regret... Je lui ai dit que nous
désirions vivement qu'on ne troublAt plus votre repos et qu'on ne vous
importunât jamais à notre sujet. J*ai ajouté que maintenant que nous
cooiMissioBS votre ferme résolution de ne rien changer au Cours de langue,
nous étions déterminés à ne plus vous adresser aucune demande de change-
ment et à donner votre pensée tout entière. Je lui marquais même qu'ayant
reconnu qae voas étiez peu satisfait des notes que M. Michel, avant mon
arrivée à Paris, avait cru utile d'ajouier avec la désignation de No(es des
éditeurs f doua regrettieas beaucoup, et M. Michel le [premier, que nous en
eussions introduit aucune : aosti loi disaia-je qne nous les avions supprimées
iOO REVUE PÉDAGOGIQUE
langue va commencer. Ne tardez pas, mon ami, d'aller à Paris donner
des soins à une édition qui demande une exactitude dont vous êtes
capable, et qui est étrangère à votre collègue. Il n'a pas correspondu
régulièrement avec vous. Je le vois par une correspondance qui m'a
bien détourné de mon travail.
Je n'ai jamais douté de votre amitié pour moi et de votre zèlf
pour la chose, mais vous avez trop tenu à une routine qui croulf
et qui va tomber. Voilà ce qui a fait ombrage à ma confiance sans
nuire à mon attachement. Je croyais qu'il fallait prendre toutes aulres
mesures pour la publication, ce qui me contrariait beaucoup dans
mon travail. Cependant je ne vous oubliais point dans la circon-
stance quelque pénible qu'elle fût pour moi, et je vous en aurais
fourni la preuve. Laissez-moi la partie systématique, moi seul,
jusqu'ici, j'en tiens les fils.
Dites bien des choses à M"»^ Rapet. Je n'ai point cessé de la
distinguer.
Votre ami,
G. Girard, cordelier.
Fribourg en Suisse, le 12 février 1845.
P.-S. — M. l)ezobri vous communiquera les réflexic^ns que je lui
ai adressées et qui ont mis lin à Torage. Donnez-moi votre adresse
à Paris car j'aurai à vous écrire en particulier. Veuillez aussi deman-
der à M. Michel tout plein do renseignements que je lui ai
envoyés.
dans le reste du Cours de langue, bien déridés à donner votre œuvre iniacte,
sauT les corrections de slvle. Euûn je lui disais que nous étions convdincus
que lorsque vous verriez que nous nous sommes ainsi conformés à vos désirs
et que nous publions votre pensée tout entière, vous nous rendriez de vous-
même celte confiance et cette aifection qui étaient à la fois pour nous un
honneur et un bonheur. Voilà ce que je lui disais il y a deux jours....
<f Ces explications franches que je vous donne au nom do M. Michel et au
mien vous feront sans doute revenir, mon très Révérend Père, de votre
intention d'arrêter l'impression du Cours de langue. Nous la laisserons donc
continuer, à moins que vous ne nous disiez le contraire, ou que vous r.e
l'ayez déjà écrit à MM. Dézobry. En effet, la crainte que vous pouviez
constrver de vous voir continuellement en opposition avec nous, la crainte
aussi de voir cette divergence d'opinion aller en croissant à mesure que le
travail avance, et entraîner des discussions snns fin, tout cela a disparu.
Ainsi que je l'avais déjà écrit à M. Naville, nous avons reconnu la convenance
d'imprimer votre ouvrage en entier, tel que vous l'avez conçu et sans vous
proposer dorénavant aucune modification. Pour vous rassurer même complè-
tement à cet égard, j'ajouterai que nous avons achevé il y a deux jours U
révisiou du manuscrit des deux premières parties, nous bornant exclusivement
à cori'iger les fautes de style. Vous n'avez donc plus à redouter d'être dans la
nécessité de lutter avec nous pour l'impression exacte de votre œuvre. Cette con-
sidération vous fera sans doute revenir de votre intention et vous déterminera
à ne plus différer une publication que la société n'a que trop attendue. »
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 101
XM
Observations de M. Rendu sur l ouvrage du Rév. P. Girard, De
l Enseignement régulier de la langue maternelle (1).
Page 23L — « Les tendances naturelles ne peuvent être que bonnes,
puisqu'elles sont Tœuvre du Créateur, et qu'elles sont destinées à
•retracer en nous son image. A notre naissance, elles ne sont que
des germes, et il faut que ces germes se développent bien pour pro-
duire la vertu. Celle-ci ne peut pas naître avec nous, cor elle doit
devenir ce produit volontaire d'un être intelligent qui sait distinguer
le bien du mal, et qui, au milieu de toute espèce de séduction, s'at-
tache fortement à tout ce qui est honnête et bon. »
Ces paroles rappellent le prindpe de Jean-Jarques : « Tout ce qui
sort des mains du Créateur est bon. » On y fail abstraction de la dé-
pravation originelle qui se manifeste aussi par des tendances qui ne
sont que trop naturelles.
Page 236, — « De quoi s avisent donc ces moralistes qui, sous
prétexte d'une haute sainteté, nous conseillent de refuser tout ce
qui est agréable aux sens? lis insultent en même temps à la nature
humaine et à son auteur. Ils prétendent aussi corriger TÉvangile
dont ils se disent les disciples : car l'Évangile veut en général que
rhomme prenne soin de son enveloppe et que, goûtant les plaisirs
innocents que le Créateur lui olTre dans sa bonté, il en relève le
prix par la reconnaissance (V^ Épître de Saint Paul à Timothée,
chap. IV, 2-8) ».
L'Évangile ne dit-il pas au contraire, et ne répète-t-il pas : « Faites
pénitence, portez votre croix; renoncez à tout, etc. ? » Le P. Girard
ne parle nulle part de l'obligation de faire pénitence. Les paroles
que nous venons de citer semblent accuser d'exagération et d'erreur
tous ces grands exemples de pénitence et de mortification que l'Église
nous met chaque jour sous les yeux, et le passage de siiint Paul auquel
il renvoie ne contient certainement rien qui puisse venir à l'appui
de sa doctrine.
Page 27 L — « Ce n'est pas que l'enfant naisse hostile à la vertu
et hostile au bien, puisque comme nous venons de le voir, il porte
au fond de lame l'amour indélébile de la vertu et l'amour indélébile
du bien, comme deux traits saillants et ineffaçables de ressemblance
(1) Les ob8er>'ations qu'on va lire avaient été remises à M. Hapet de la
part de MM. Ambroise Rendu et Guéneau de Mussy ; M. Rapet les fit par-
venir au P. Girard. Le digne cordelier rédigea aussitôt la réponse qu'on
trouvera plus loin, et l'adressa à M. Rapet par l'intermédiaire de ses inli-
leurs, MM. Dézobry et Magdelaine.
102 RI VUE PÉDAGOGIQUE
avec le Créateur qui a grave en lui sod imago. Mais... s'il est esprit^
il est chair en -même temps, et c'est la partie animale qui se déve-
loppe premièrement en lui...
» Il arrive- de là que la partie basse de la nature humaine a déjà
gagné de l'extension et pris de l'empire sur Tenfant, tandis que la
partie noble à qui revient Tempire sommeille encore, ou ne se mon-
tre que rarement et faiblement. C'est cette priorité et cette prédomi-
nance de la sensualité que nous appelons le péché originel, ou la tache
originelle, avec laquelle naissent tous les enfants d'Adam. »
Comment concilier cette théorie avec ce que la foi nous apprend
que tous ont péché en un seul, que, comme enfants d'Adam, nous
naissons enfants de colère, sujets à la concupiscence, à l'ignorance,
à la mort? Comment Tauteur n'a-t-il pas vu que cette opposition
qu'il signale entre l'esprit et la chair, entre la partie noble et la
partie basse de la nature humaine, atteste déjà une altération de
l'œuvre de Dieu, qu'elle est une suite du péché originel, et par con-
séquent ne peut pas le constituer?
P. 3j6 et 557. — Il est question des maux de la vie, de la ma-
nière dont nous devons les envisager, les accepter; mais pas un mol
qui tende à nous les faire considérer comme des moyens d'expiation
et de pénitence.
P. â23. — « Les arbres, sans la culture de l'homme, ne produi-
sent que des fruits sauvages pour la dent des sangliers, et c'est
nous qui leur donnons la saveur et le parfum. — Le Créateur
a chargé l'homme d'achever la création terrestre, et pour ce noble
travail, il lui a prêté une partie de son intelligence et de son
empire. »
Le Créateur, à cause du péché de l'homme, a fait produire
à la terre des ronces et des épines, et a condamné l'homme
à la cultiver péniblement, à manger son pain à la sueur de son
front.
Les phrases qui suivent celles que nous venons de citer me parais-
sent également empreintes d'exagération.
P. AU, — « Faites luire dans l'esprit de vos élèves la lumière de
vérilé que le divin Sauveur a apportée sur la terre, et l'ordre s'éta-
blira dans leurs penchants. »
Suffit-il donc de connaître la vérité pour en faire la règle de ses
penchants et de ses actions?
En général, il m'a semblé teconnautre dans l'ouvrag^^, si estimable
d'ailleurs, du révérend Père Girard une tendance au rationalisme,
une atténuation des vérités de la foi, une exaltation sans contre-
poids de la raison humaine. Les passages que j'ai cités sont ceux
où cette tendance me paraît se manifester davantage.
M. Rendu regrette aussi que dans l'ouvrage il ne soit question de
TEglise nulle part.
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 103
RÉPONSE Wi P. 6IRARD AUX OBSEKYATIOKS DE M. RENDU
En Usant mon livre, il y a deux choses. Monsieur, qu'il ne faut pas
perdte de vue. D'abord îl n'est pas le Cours éducatif de langue
maternelle destiné aux enfants, mais simplement son introduction,
où il ne s'agissait que d'exprimer les principes, sans ajouter leurs
développements. Ce serait donc ne pas être juste envers l'auteur
que de lui reprocher l'omission de détails dans un livre qui n était
pas fait pour les recevoir.
D'un autre côté, si le Cours de langue s'est mis au service de
l'éducation chrétienne, il n'a pas eu et il ne devait pas avoir la
prétention de l'achever. 11 s'est placé entre la mère et le saint
ministère pour perfectionner ce qu'a fait l'une, et préparer, sans
anticiper sur lui, ce que l'autre devra faire. C'est ce que mon livre
déclare fréquemment, p. e. pages 149,283, 290,305. Les bornes que
je me suis prescrites sont un mérite de mon travail. Ou devais-je
peut-être, en développant l'instruction religieuse, la soustraire au
catéchiste, pour la confier à des instituteurs et à des institutrices
qui n'ont pour la donner ni la qualité ni l'autorisation nécessaires?
J'ai beaucoup développé la morale, comme cela devait être dans
un Cours éducatif de langue maternelle. Quant au dogme, je m'en
suis tenu aux premiers éléments. Dans les deux premières parties
de la syntaxe j'ai tâché de fonder dans la raison, la conscience et
le cœur des élèves le premier article du symbole chrétien : Je crois
en Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre. Puis la
troisième partie établit le deuxième article : Je crois en /. C, son
fils unique, etc. Le cours de langue laisse au catéchiste le soin
d'enseigner le reste de la doctrine chrétienne. Il imite en cela
M. Nicole dans son livre Les fondements de la foi que sans doute l'on
n'accusera pas d'avoir par cette réserve trahi la religion.
Vos réflexions sur mon livre se terminent, Monsieur, par une
conclusion qui m'a causé une surprise bien vive. La voici : En
génértU il me semble reconnaître dans l'ouvrage du P. Girard une ten-
dance au rationalisme, une atténuation des vérités de la foi, une exal-
tation sans contrepoids de la raison.
Si ]^r rationalisme vous entendez l'abnégation de la foi en J. C,
comme le comporte l'acception ordinaire de ce mot. je me bornerai,
Monsieur, à vous dire : Ouvrez mon livre, lisez l'article Le Sawveur
des hommes (p. Ii2 à 152), et devenez juste à mon égard, car vous
ne Têtes pas.
Si par rationalisme vous entendez le soin de fonder en raison les
premières vérités de la foi, alors j'accepte de grand cœur le reproche
que vous pensez me faire, et je m'en fais un mérite. Je s^iis en cela
l'exemple du divin Maître (voyez p. 153). J'imite les apôtres qui
toujours raisonnent dans leurs épitres, qui voulaient que les fidèks
fassent capables de rendre raison de leur foi (1 Petr. III, 15) et que sous
lOi R£VU£ PÉDAGOGIQUE
ce rapport ils ne fussent pa§ des enfants sans intelligence, mais des
hommes parfaits en sagesse. (I Cor. I, 30) Au surplus je fais en cela
ce que la théologie a fait en tout temps; puisque de tout temps elle
s'est étudiée à mettre en harmonie la raison avec la foi. EnGn je
fais en cela ce qu'exige impérieusement l'esprit de notre temps, depuis
que le matérialisme et l'incrédulité ont marché tête levée sur notre
Europe et y ont laissé des traces profondes là môme où Ton n'irait
pas les chercher. L'éducation <loit prévenir la contagion du mal, et
j'ai lâché de le faire.
Je crois, Monsieur, vous avoir édifié sur le fond des reproches que
vous avez adressés à mon livre, et jo vais passer aux détails.
i® Vous m'accusez de n'avoir pas fait mention de l'église, et pour-
tant elle paraît déjà deux fois dans l'article Le saurcur des hommes.
^^ Vous m'accusez de n'avoir pas donné le vrai sens au m)t de
Péché originel, et >ous me citez en preuve l'expression de la Vulgate
(Rom. V, 12) m quo onmes lyeccaverunt, que Sacy a traduite En qui tous
ont péché. Mais cette traduction n'est pas exacte, car if <î> icdvxe; fiaaptov
signifie quoniam omnes peccaverunt, comme Bergier a traduit ce
passage En ce que tous ont péché {D'iciion. de théologie, Tome VI, page
135). Dans la basse latinité m quo (neutre) veut dire en ce que, quo-
niam. La traduction de Sacy est d'ailleurs contraire au contexte,
car au \erset li l'apùtredit expressément : La mort a régné aussi sur
ceux qui n'ont pas péché à l'imitation de la prévarication d'Adam.
Je pourrais justifier en bonne théologie catholique l'idée que j'ai don-
née en passant du péché originel; mais pour ne pas vous blesser
et les personnes qui pensent comme vous, j'ai supprimé le mot dans
la nouvelle édition, et j'ai laissé la chose qui est de toute vérité,
puisque nous l'aNons toujours sous les yeux.
3^ Vous trouvez, Monsieur, que j'ai trop relevé la dignité de
l'homme ; or c'est de ce que le Créateur a fait de lui que je parh,
et non de ce qu'il fait de lui-même dans ses égarements. Parlant de
sa nature, l'Kcriture nous dit que Dieu l'a créé à son image et res-
semblance et qu*<7 est de race divine. Peut-on dire quelque chose de
plus grand de la nature humaine? Mes paroles au reste ne sont
<iue le commentaire du huitième psaume ; commentaire que vous
retrouverez dans /^(T^eer (Traité de la religion, Tome il, chap. Vi).
C'est dans l'intérêt de l'éducation que je rends l'élève attentif à la
dignité de sa nature, afin de donner à l'instinct naturel qui nous
porte à nous estimer, la direction convenable, loin de la vanité et
de l'orgueil, tout comme de la bassesse.
i<» Eu parlant de nos tendances naturelles (page 231) je prends ce
mot à la rigueur, comme cela doit être dans un traité d'éducation
où il s'agit de faire le triage des penchants que l'homme manifeste
dans la vie. Or les tendances primitives, qui seules sont naturelles,
ne peuvent être que boiuies, puisqu'elles sont l'œuvre du Créateur.
L'une d'entre elles, la tendance personnelle, bien que bonne aussi
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 105
dans son principe, est sujette à des déviations à côté de la liberté
et dans la vie. Ces déviations ne sont ni générales, ni uniformes,
ui constantes comme le sont les éléments constitutifs de la nature
humaine. C'est donc par abus qu'on les appellerait naturelles^ ou du
moins par une extension qui s'écarte du langage de la science, et
que Ton ne devrait pas se permettre dans une discussion.
5» Si j'ai dit (p. 44i) Faites luire dans Vesprit de vos élèves la lu-
mière de la vérité que le divin Sauveur a apportée sur la terre, et V ordre
9^ établira dans leurs penchants, j'ai résumé tout mon livre dans ces
paroles. Il est bon, si elles sont vraies; il ne vaut rien, si elles sont
fausses. C'est sur leur vérité que repose le ministère de la parole,
établi par le divin Maître et conservé depuis dix-huit siècles dans
son église. Le passage que vous avez inculpé, Monsieur, exprime en
d'autres termes ce que le Sauveur a dit un jour à ceux qui croyaient
en lui (Jean VIII, 31, 34): Si vous demeurez dans ma parole^ vous serez
véritablement mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité
vous rendra libres. Avoir entendu la parole du Sauveur et en con-
server quelque souvenir dans la mémoire, ce n'est pas y demeurer.
Pour cela il faut l'avoir habituellement devant les yeux et dans
le cœur, ou bien, selon mon expression ci-rlcssus, il faut qu'(;llo
luise en notie àme, et qu'elle soit la lumière à laquelle nous marchons.
Alors l'ordre s'établit dans nos allections comme dans nos pensées,
et, exempts de toute mauvaise passion, produit de l'ignorance
et de Terreur, nous jouissons de la liberté des enfants de Dieu.
t}^ Vous trouvez mauvais, Monsieur, que mon livre ne parle pis
de pénitence. Si le mot n'y est pas, la chose s'y trouve grandenicnl.
Au chapitre 3 du livre IV il y a une indication des défauts que les
élèves apportent plus ou moins aux levons régulières de langue,
et tout le reste du livre n'est occupé que des moyens de cultiver les
tendances primitives de la nature humaine de manière à prévenir
ou à guérir le mal dans lo cœur de la jeunesse. Le caléchisle
parlera du sacrement de pénitence. C'est sa lâche, et sans doute qu'il
aura soin de dégager ce mot de toutes les fausses idées «jui ne s'y
attachent que trop souvent. Le Cours de langue qui n'a devant lui (jue
des enfants, doit leur parler autrement qu'on est obligé de parler à de
vieux pécheurs qu'il faut d'abord épouvanter pour les détacher du mal,
et les préparer ainsi à se tourner vers le bien. Quant à ce que vous
appelez du nom de mortification, voici la règle de l'apotre {l Tim. iV, d) :
Exercez-vous à la piété, car les exercices corporels servent à peu de chose;
mais la piété est utile à tout, puisque c'est à elle que les biens de la rie
préiente et de la vie future sont promis,
7« Enfm, Monsieur, vous trouvez mauvais que je ne relève dans
la nature que les bienfaits du Créateur H que je ne dise pas qu'à
cause du péché de l'homme, il a fait produire à la terre les ronces
et les épines, pour en rendre la culture plus difficile et plus pénible.
D'après le récit de la Genèse, il paraît que dans le premier séjour
lOi R£VU£ PÉDAGOGIQUE
ce rapport ils ne fussent pas des enfants sans intelligence, mais des
hommes parfaits en sagesse. (I Cor. I, 30) Au surplus je fais en cela
ce que la théologie a fait en tout temps; puisque de tout temps elle
s'est étudiée à mettre en harmonie la raison avec la foi. EnGn je
fais en cela ce qu'exige impérieusement l'esprit de noire temps, depuis
que le matérialisme et riitcrédulité ont marché tête levée sur notre
Europe et y ont laissé des traces profondes là même où l'on nuirait
pas les chercher. L'éducation doit prévenir la contagion du mal, et
j'ai lâché de le faire.
Je crois, Monsieur, vous avoir édifié sur le fond des reproches que
vous avez adressés à mon livre, et jo vais passer aux détails.
i® Vous m'accusez de n'avoir pas fait mention de Vêglise, et pour-
tant elle parait déjà deux fois dans l'article Le sauveur des hommes,
2<* Vous m'accusez de n'avoir pas donné le vrai sens au m)t de
Péché originel, et vous me (ilez en preuve l'expression de la Vulgale
(Rom. V, 12) in qud oinnes peccaverunt, que Sacy a traduite En qui tous
ont péché. Mais celle traduction n'est pas exacte, car If v ««ivxe; fijjiaftov
signifie quoniam omnes peccaverunt, comme Bergier a traduit ce
passage En ce que tous ont pcrAc (Diction, de théologie. Tome VI, page
135). Dans la basse latinité m quo (neutre) veut dire en ce çue, quo-
niam. La traduction de Sacy est d'ailleurs contraire au contexte,
car au verset li l'apôtre dit expressément : La mort a régné aussi sur
ceux qui n'ont pas péché à l'imitation de la prévarication d'Adam,
Je pourrais justifier en bonne théologie catholique l'idée que j'ai don-
née en passant du péché originel ; mais pour ne pas vous blesser
et les personnes qui pensent comme vous, j'ai supprimé le mot dans
la nouvelle édition, et j'ai laissé la chose qui est de toute vérité,
puisque nous l'aNons toujours sous les yeux.
3<» Vous trouvez, Monsieur, que j'ai trop relevé la dignité de
l'homme; or c'est de ce que le Créateur a fait de lui que je parb,
et non de ce qu'il fait de lui-même dans ses égarements. Parlant de
sa nature, l'Ecriture nous dit que Dieu Va créé à son image et res-
semblance et qu'<7 est de race divine. Peut-on dire quelque chose de
plus grand de la nature humaine? Mes paroles au reste ne sont
que le commentaire du huitième psaume : commentaire que vous
retrouverez dans /ier^eer (Traité de la religion. Tome II, chap. VI).
C'est dans l'intérêt de l'éducation que je rends l'élève attentif à la
d'gnité de sa nature, afin de donner à Tinstinct naturel qui nous
porte à nous estimer, la direction convenable, loin de la vanité et
de l'orgueil, tout comme de la bassesse.
i« Eu parlant de nos tendances naturelles (page 231) je prends ce
mot à la rigueur, comme cela doit être dans un traité d'éducation
où il s'agit de faire le triage des penchants que l'homme manifeste
dans la vie. Or les tendances primitives, qui seules sont naturelles,
ne peuvent être que bonnes, puisqu'elles sont Tœuvre du Créateur.
L'une d'entre elles, la tendance personnelle, bien que boime aussi
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 105
dans son principe, esl sujette à des déviations à côté de la liberté
et dans la vie. Ces déviations ne sont ni générales, ni uniformes,
ni constantes comme le sont les éléments constitutifs de la nature
humaine. C*estdonc par abus qu'on les appellerait naturelles, ou du
moins par une extension qui s'écarte du langage de la science, et
que Ton ne devrait pas se permettre dans une discussion.
50 Si j'ai dit (p. 444) Faites luire dans Vespril de vos élèves la lu-
mière de la vérité que le divin Sauveur a apportée sur h terre, et V ordre
Rétablira dans leurs penchants, j*ai résumé tout mon livre dans ces
paroles. Il est bon, si elles sont vraies; il ne vaut rien, si elles sont
fausses. C'est sur leur vérité que repose le ministère de la parole,
établi par le divin Maître et conservé depuis dix-huit siècles dans
son église. Le passage que vous avez inculpé, Monsieur, exprime en
d'autres termes ce que le Sauveur a dit un jour à ceux qui croyaient
en lui (Jean Vill, 31, 3i2): Si vous demeurez dans ma parole^ vous serez
véritablement mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité
vous rendra libres. Avoir eiitendu la parole du Sauveur et en con-
server quelque souvenir dans la mémoire, ce n'est pas y demeurer.
Pour cela il faut Tavoir habituellement devant les yeux et dans
le cœur, ou bien, selon mon expression ci -dessus, il faut qu'elle
luise en notie àme, et qu'elle soit la lumière à laquelle nous marchons.
Alors l'ordre s'établit dans nos alTections comme dans nos pensées,
et, exempts de toute mauvaise j>assion, produit de l'ignorance
et de Terreur, nous jouissons de la liberté des enfants de Dieu.
ti^ Vous trouvez mauvais, Monsieur, que mon livre ne parle pis
de pénitence. Si le mot n'y est pas, la chose s'y trouve grandenicnl.
Au chapitre 3 du livre IV il y a une indication des défauts que les
élèves apportent plus ou moins aux leçons régulières de langue,
et tout le reste du livre n'est occupé que des moyens de cultiver h;s
tendances primitives de la nature humaine de manière à prévenir
ou à guérir le mal dans le cœur de la jeunesse. Le caléchisle
parlera du sacrement de pénitence. C'est sa lâche, et sans doute qu'il
aura soin de dégager ce mot de toutes les fausses idées qui ne s'y
attachent que trop souvent. Le Cours de langue qui n'a devant lui que
des enfants, doit leur parler autrement qu'on est obligé de parler à de
\ieux pécheurs qu'il faut d'abord épouvanter pour les détacher du mal,
et les préparer ainsi à se tourner >ers le bien. Quant à ce que vous
appelez du nom de mortification, voici la règle de l'apùtre {l Tim. IV, 8) :
Exerces'vous à lapiété, car les exercices corporels servent à peu de chose;
mais la piété est utile à tout, puisque c'est à elle que les biens de la vie
préiente et de la vie future sont promis.
1^ Enftn, Monsieur, vous trouvez mauvais que je ne relève dans
la nature que les bienfaits du Créateur «t que je ne dise pas qu'à
cause du péché de l'homme, il a fait produire à la terre les ronces
et les épines, pour en rendre la culture plus difficile et plus pénible.
D'après le récit de la Genèse, il parait que dans le premier séjour
106 REVUE PÉDAGOCIfQDE
de rhorame il n'y avait pas de plantes épineuses, mais elles existaient
hors de celte petite localité. Elles avaient été créées le troisième
joui- avec le règne végétal dont elles sont une partie intégrante, et
le Créateur, comme dit la Genèse, a vu que l'œuvre de ce jour était
bonne. Si les ronces et les épines demandent de l'homme un travail
pénible, le travail lui est en général utile à tous égards pour son déve-
loppemenL Quant aux plantes épineuses elles sont les berceaux dt's
forêts et de l'agriculture divine. Elles produisent des baies que
riiomnie utilise, et dont les oiseaux font leur nourriture, tandis que
les épines défendent leurs nids et leurs cx)uvées. Tout ce que le Dieu
de toute bonté a fait est bon, et l'instituteur chrétien, dont la tâche
principale est d'amener les élèves dans les bras du Père céleste, a
le devoir de leur faire trouver dans toutes ses œuvres les traces de
sa sollicitude paternelle. Ce ne sont pas des x juifs qu'il est appelé à
former en eux, en leur inspirant la crainte servile. Il doit au con-
traire leur inspirer l'esprit d'adoption de l'enfant qui dit: mon Père,
mon Père (Rom. Vlll, lo).
Je viens. Monsieur, de répondre à tous les reproches que vous avez
adressés à mon livre couronné [)ar TAcndémie. J'espère que vous
trouverez m(»s réponses satisfaisantes et il ne me reste plus qu'à
vous prier d'agréer l'expression de etc.
Frihourg en Suisse le 13 juin 18^6.
XVII
Monsieur et cher ami,
Je suis fArlié do n'avoir pas corrigé convenablement la table de
mon livre, puisque je vous ai laissé la peine de le faire. Vous pouviez
l'entreprendre sans m'en prévenir.
Au moment où je vous écris MM. Dézobry et Magdeleine doivent
avoir reçu la troisième partie de la syntaxe qui pourra de suite être
livrée à l'imprimeur, si ces messieurs le jugent à propos.
Ils ont aussi reru ma réponse aux observations de M. Rendu. J'ai
usé de tous les ménagements, quoique ses observations ne les aient
pas toujours mérités. Elles sont quelquefois si erronnées et si
tranchantes ! Je serais tenté de croire qu'elles ont été dictées par un
intérêt tout autro que celui de la vérité et du bien à faire dans le
domaine de l'éducation.
Je vous ai prié, par l'entremise de MM. Dézobry et Magdeleine de
faire tirer trois copies de ma réponse à M. Rendu pour les présenter
vous-même à MM. de Salvandy, Villemain et V. Cousin. J'ai pensé que
dans votre position il pourrait vous être agréable d'avoir une occasion
particulière d'entretenir ces messieurs sur un sujet qui ne manquera
pas d'avoir quelque intérêt pour eux.
LETTRES IKÉDITES DU PÈBE GIRARD lOT
Dans la préface de la troisième partie de la syntaxe, je vous adresse
publiquement mes remerciments pour les soins que vous avez donnés
et donnez encore à mon tntvail, et il ne me reste plus qu'à vous
prier de me renouveler au souvenir de M^ Rapel.
Votre tout dévoué,
(t. Girard.
Fribourg en Suisse le 17 juin 18^H.
Monsieur et cher ami.
xvm
PrU)ourg, le 27 juillet 184G,
J'ai reçu avant-hier votre dernière avec l'incluse de M. Rendu.
Cet homme respectable et son vieux ami ont compris qu'ils s'étai/*nl
aventurés dans les observations qu'ils vous ont remises. Une lerfure
plus attentive de mon ouvrage les aurait rendus plus circonspects
et plus justes, comme vous avez dû le voir par ma réponse. Ce petit
écrit pourra devenir utile avec le temps, car mon travail s'éloigne
trop de la routine et de ceux qui ont quelque intérêt à la conser\'er.
pour qu'il échappe à des attaques dictées par quelque passion.
M. Rendu et son ami ont été de bonne foi, et c'est la bonne cause
qu'ils ont cru défendre. D'ailleurs ils ne se sont adressés qu'à moi-
même sans mettre le public dans leur confidence. C^ci demande de
ma part toute espèce de ménagements, et je ne veux pns y man-
quer. Ainsi ne remettez pas les copies de ma réponse aux trois
personnes que j'avais désignées, et veuillez garder le secret sur cet
incident. Je réi)ondrai bi<»nl(M à l'obligeante lettre de M. Rendu:
veuillez le lui faire savoir, si vous en avez l'occasion.
Je ne suis point surpris des obstacles que l'introduction du cours
de langue éprouve en France. Je vous en ai prévenu ainsi que
MM. Dézobry etc. Mais cela changera j>eu à peu: j'en suis sûr.
Les Frères des écoles chrétiennes à Paris attendent le Manuel de
Vèiève avec impâlicnre pour le traduire aussi en italien d'aprrs le
génie de cette langue.
Je vous remercie du soin que vous donnez à l'édition do mon
travail et je sais l'eslinier, moi qui ai été souvent dans h» «-as th^
soigner des éditions plus ou moins étendues.
Je suis maintenant occupé des compositions qui doivent accompagner
le troisième volume de la syntaxe. L'ébauche en est faite depuis
quelque temps: mais c'est un travail à retoucher une ou deux fois
et à loisir. 11 se compose de deux cents sujets de compositions. Ce
sont d'abord des letti-es familières, puis des ntrratinns. puis des
descriptions, puis de« petits discours et enfin des dialogues. Le livre
ne donne pas seulement les sujets, mais encore les canevas des
i
108 REVUE PÉDAGOGIQUE
compositions, comiiK' «.'da doit (Hrc, quand on a devant soi des
commençants.
Je suis maintenant à l'ébauche du Vocabulaire qui me donne beau-
coup de travail, parce qu'il s'aj^it de donner aux élèves la connais-
sance du langage poétique et de la versification, tout en ne perdant
jamais de vue le grand but du cours de langue qui est la culture
des facultés de la jeunesse dans l'intérêt de la morale religieuse.
La dernière partie (lu vocabulaire a principalement la culture de
l'im iginalion en vue au moyen de la poésie, et marche à côté de
la syntaxe qui entre dans la logique qui cultive la froide raison.
Veuillez communiquer ces idées à MM. Dézobri etc., tout en les
remerciant de ma part des envois qu'ils ont eu la bonté de me faire
depuis ma dernière. J'ai depuis cette époque reçu un exemplaire
de la nouvelle édition de Touvrage couronné, puis les quatrains de
Morel do Vindi et de François (de Neufchàleau), et le Rapport de
M. Marmier.
J ai regretté qu'ils n'aient pas pu m'envoyer Mollevaut que je dé-
sirais tout particulièrement. J'ai appris à connaître son travail (sans
doute tout dilTérent de La Fontaine, Fiorian, etc.) par la Grammaire
nationale de MM. Bescherelle imprimée chez Bourgeois-Maze, quai
Voltaire, 21. Peut-être que MM. Bescherelle auraient la bonté de me
céder leur exemplaire de Mollevaut ou du moins de me le prêter
pour une quinzaine, wyage compris; ils m'obligeraient beaucoup.
Vous seriez bien aimable, si vous m'arrangiez cette affaire.
M. Louis Naville est ici depuis quelques jours, et je le reverrai
aujourd'hui, veille de son départ pour Genève. Nous avons déploré
ensemble les deux pertes que nous avons faites coup sur coup sa
famiflo et moi. Je lui ai communiqué vos lettres, et ce qui concerne
les observations do M. Rendu.
Veuillez dire bien des choses à M. Michel. Je ne lui écris pas
parce que je n'aurais rien de particulier à lui dire, sinon que j*ai
vu so:i ami Challey et que je le reverrai encoie avant son départ
pour Marseille, où il est intéressé à la construction d'un môle.
En vous saluant de cœur et d ame, je vous prie de me renouveler
au bon souvenir de M"»® Rapet.
Tout à vous,
Grég. Girard.
XIX
Monsieur et cher ami.
Knfm il est temps que je réponde à vos trois lettres. A tout péché
miséricorde. Et si je sens vivement une faute, je sais aussi la par-
donner. Ce n'était pas une rancune, car grâce à Dieu, jamais passion
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 109
hostile n'a souillé mon cœur. C'était simplement désapprobation
dt* ma part, car je dérirais que vous obtinssiez ce que vous cher-
chiez. Votre non-succès m'a fait de la peine. Vous espérez, et je désire
qu'il en arrive selon vos vœux.
Je n'ai reçu que le commencement de votre Manuel. Cela m'a
suffi, car j y ai vu dans l'avant propos ce que je désirais qui fût dit
à ma décharge. La mémoire jouit, par malheur, en Piémont du crédit
qu'elle a dans les écoles de France. Elle devrait venir après l'intel-
ligence et non pas la précéder. Les Frères de la doctrine chrélienne
de Paris qui se sont mis en correspondance pour me demander la
permission de traduire le Cours de langue en italien, attendaient
ce Manuel avec impatience. J ai vu par là où est encore leur méthode
d'enseignement. Le général de leur ordre est à Paris, et c'est de
France qu'ils sont sortis.
Un professeur de philosophie à Domodossola vient de m'écrire une
lettre qui ne pouvait que me faire le plus grand plaisir. Il a saisi
ma pensée tout entière et me l'a développée avec autant d'âme que
d'intelligence. Si sa lettre n'était pas trop longue, je vous la trans-
crirais. Elle est écrite en français.
Je m'occupe maintenant très sérieusement de la rédaction du troi-
sième et dernier cahier du vocabulaire qui achèvera le Cours de
langue. Tous les matériaux étaient prêts depuis longtemps; mais j'ai
changé d'idée. Comme mon travail est destiné à l'enseignement pri-
maire supérieur des classes aisées, j'ai du y faire entrer non seule-
ment le langage figuré de la poésie, mais encore la mythologie,
c.-à-d. ses éléments. Ainsi tous mes exemples sont en vers,
et pour les recueillir à ma convenance, j'ai dû travailler longue-
ment. Il fallait aussi une introduction sur la versification. Je ne me
suis décidé à ce changement, qu'après m'être assuré que j'avais le
moyen de favoriser le but que poursuit le Cours de langue du
commencement à la fin et d y mettre, pour ainsi dire, la couronne.
Vous verrez cela, et peut-être en serez-vous surpris. Mon travail
avance, mais il ne pourra être livré à l'impression que dans
trois mois au plutôt, comme je l'ai marqué à MM. Dézobri et Mag-
delaine.
Nous venons d'échapper ici à un bouleversement politique. Notre
gouvernement a eu dernièrement la maladresse de se joindre à
rassociation catholique qui s'est formée entre les cantons de Lucerne,
Un, Schwitz, Unterwald, Zug et Valais, cantons qui se touchent et
dont les derrières sont en sûreté. Celui de Fribourg est enclavé
dans les grands cantons protestants de Berne et de Vaud. Celui de
Vaud en occupe une partie. Au surplus Fribourg renferme un district
protestant, celui de Morat, qui ne pouvait qu'être très mécon-
tent de se voir attaché à uneallîance catholique. Quelques membres
du Grand-Conseil se sont joints aux députés Moratois pour faire
sentir l'inconvenance et les dangers de l'alliance que proposait le
110 R£TCE PÉDAGOGIQUE
gouvernement, mais la masse ignorante et scrvile n'a point écouté les
remontrances de la sagesse.
Dès ce moment des meneurs dans notre ville et celle de Morat ont
formé le projet de renverser le gouvernement, à Faide de soi-disanls
corps-francs bernois et vaudois, ainsi que des mécontents de notre
canton. Ceux-ci formèrent trois colonnes pour surprendre le gouver-
neioent, Tune partant de Morat, l'autre dEstavayer et la troisième
de Bulle. Elles se mirent en marche. Le gouvernement en eut
vent assez tôt pour armer les citoyens, et faire airiver de la cam-
pagne les différents corps de métiers, qui formèrent en quelques
heures une masse considérable de combattants de toute arme. De
forts détachements marchèrent au devant des trois colonnes qui,
trompées dans leur attente, se dissipèrent sans coup férir. Nos
colonnes allèrent occuper les villes de Morat, Bulle et Estavayer, et
remplirent à leur retour toutes nos tours de prisonniers. On en a
aussi fait à Fribourg même. On est à faire leur procès. Nous avons
ici la terreur comme dans votre révolution de 1789. Notre gouver-
nement vient ])ar un coup d'état de casser le conseil municipal à
la nomination des bourgeois de la ville. Cette mesure illégale vient
de nous procurer un nouveau Conseil municipal à la dévotion du
gouvernement. On s attend à vuir chasser de mon ancienne école ie
directeur et les instituteurs pour faire place aux Frères de Marie,
créés dit-on par les jésuites, en sorte que ces hommes feront seuls
l'éducation chez nous I
Jamais je n'ai cru à la souveraineté du peuple. Cette souveraineté
est pour moi le souveraiiî besoin d'être gouverné. Je suis vieux, j'ai
vu plusieurs révolutions en Suisse, et chacune m'a prouvé la vérité
de mes principes. Les idéologues parlent, senible-t-il, des hommes
comme ils devraient être, et ne sont jamais; tandis qu'ils ne devraient
pas oublier les hommes tels qu'ils sont partout et toujours.
Veuillez communiquer ces nouvelles à M. Michel et à la maison
Dézobry, en leur disant bien des choses de ma part.
Votre ami,
G. Girard.
Fribourg le 2 février 1847.
1*. S. H y a chez nous une grande pénurie de vivres qui aug-
mentera avec la saison. Il faut que ceuv qui ont quelque chose par«
tagent avec ceux qui n'ont rien. Je désire donc que MM. Dézobry et
Magdelaine veuillent faire le compte de la première partie du Cours
de langue et me fau*e parvenir ce qui m'en revient jusqu'ici. Il ne
faudra pas me donner une traite sur leurs dé tailleurs à Fribourg
({ui dans nos pénibles circonstances ne ])ourraieDt rien me donner.
M. Challey, ami de M. Michel et propriétaire de notre | ont suspendu,
pourrait avec un mot arranger cette allai re.
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD iil
XX
Rassurez- vous, mon cher ami, je ne me suis point casse une
jambe, je n'ai pas de membre paralisé, et ma sanlé est encore telle
que vous i*avez vue, lorsque j'ai eu le plaisir de vous voir ici avec
M. Ernest Naville.
J'espérais de pouvoir envoyer en fin de mai le dernier cahier de
mon ouvrage. Les deux premiers tiers étaient définitivement finis
sur la fin d'avril et ils étaient en copie, comme je l'ai marqué à
MM. Dézobri et Magdeleine; mais mon copiste a été mis en retard
parles soins qu'il a été obligé de donner à son père qui a été dangereu-
sement malade pendant plusieurs semaines. De mon côté je suis
encore à rédiger le dernier tiers de ce vocabulaire qui est un travail
absolument neuf. Qaund vous Faurez vu, vous serez surpris que j'aie
employé si peu de temps à le faire.
Il est divisé en deux livres. Le premier passe en revue les hcut/ons
impropres ou figurées, dans un ordre iout diiïérent de celui que
Dumarsais a introduit, et sans les dénominations qu'il a employées,
qui, outre qu'elles sont grecifues et par con^éfiuent barbares pour la
jeunesse française, ont encore un grand dêlaut, celui de ne pas dire
ce qu'elles devraient. Son travail d'ailleurs n'est point gradué, et
par conséquent radicalement mauvais. Chez moi vous trouverez, ici,
comme dans toutes les autres parties, une rigoureuse graduation. J'ai
pris mes exemples dans les poètes français, et je les ai choisis comme
il convenait pour un Cours éducatif de langue maternelle, (^es extraits
en %ers devaient être précédés d'une notice sur la versification fran-
çaise. Je l'ai mise en tête, et elle aussi est mise au service de l'édu-
cation par le choix des exemples.
Le second livre a pour titre : Éléments de mythologie pour scrrir à
l'int:Uigence des poètes français. Mes élèves voudront lire Conieille,
Kacine, Boileau, Delille, Fénelon, etc., etc., où figurent les déités du
paganisme : je devais donc les mettre à même de les comprendre,
autrement mon vocabulaire eût été incomplet. Je n*ai pas puisé ma
mythologie dans les ouvrages de mes devanciers, mais je me suis
adiressé immédiatement aux sources, dont je cite les paroles. Pour
cela, j'ai dû lire et extraire Homère et Virgile, afin de donner une
idée claire et exacte de l'idolâtrie de la Grèce et de Rome; ce que nos
ouvrages eonnus ne font pas. Or donner cette idée, c'était en faire la
censure, et faire sentir à la jeunesse les obligations qu'elle a contrac-
tées envers celai qui est la lumière du monde. Vous voyez i[{\"\r\
encore j'ai rempli la belle tâche que je me suis imposée.
Les détails que vous me donnez sur l'écoulement si lent et si
entravé duCovrs de langrie, ne me surprennent point. Je m'y atten-
dais, et j'en ai préreftu dès le commencement MM. les éditeurs.
Peu à peu cela changera. En Allemagne montrarail fera plus de for-
112 REVUE PÉDAGOGIQUE
lune, parce que les e-iprits y sont mieux disposés à accueillir une
réforme de ce genre. C'est là où Messieurs les éditeurs trouveront
des débouchés. Je leur indiquerai M. Bekker^ chef d'institution a
Offenhach, près de Francfort sur le Mein. 11 est auteur d'une nou-
velle grammaire allemande et jouit d'une grande réputation en
Allemagne, et il y aurait peut-être moyen de l'intéresser à la pro-
pagation du Cours de langue. 11 apprendra à le connaître dans deux
ou trois mois, par un professeui* de l'école de Fribourg qui doit
entrer dans son institut pour y enseigner lo français.
Vous avez bien fait de ne i)as attendre le dernier cahier pour de-
mander l'approbation du Conseil royal, puisque si l'on veut examiner
l'ouvrage l'examen sera long. Quelle sera son issue? Je le saurais,
si les examinateurs avaient un intérêt ^wur, comme il est probable
qu'ils en ont œnire.
J'ai lu avec plaisir votre écrilsur mon ami M. Naville que je regrette
tous les jours ainsi que Rose son admirable fille, quin'a vécu que ce que
vivent les roses, quelques jours. Votre mémoire sur l'enseignement
primaire a fait sensation à l'Institut et en particulier chez M. Mignel
qui l'insère en entier dans son compte-rendu. Espérons que ce ne
sera pas en vain pour la bonne cause à laquelle vous vous dévouez.
.Ne vous appitoyez pas sur moi ; si je n'obtiens pas de succès de mon
\ivanl, mon Maîlre n'en a pas eu non plus, tant qu'il a vécu ici bas.
La tentative révolutionnaire que quelques étourdis ont faite dans
notre canlon en janvier, a très mal réussi pour eux et poui le
public. Le système ultramontain qui était en perte, a gagné le
dessus. 11 triomphe, et il poursuit sa victoire sans ménagement
comme sans pudeur. Nos tours sont plehies de prisonniers depuis
cinq mois. Fribourg est devenue une ville de guerre que l'on en-
toure de fortitications. Le gouvernement a cassé l'ancien conseil
commuuhl de sou bon plaisir et contre les lois. Le nouveau est
dans le sens des Jésuites qui se montrent en chaire les apôtres non
de l'évangile, mais de la superstition la plus grossière. Ils gagnent
les femmes, et par elles ils espèrent gagner les hommes. Vi omnia,
a dit Jouvency dans son ouvrage sur l'instruction, ut omnia ad ma-
jorem Dei institltique nostri gloriam fiant. Le résultat de leurs
menées est que le conseil municipal renvoie tous les instituteurs
des écoles de la ville pour les remettre aux Frères de Marie que les
Jésuites ont introduits et qu'ils tachent de mettre en la place des
Frères de la doctrine chrétienne. Tout cela est si triste que je
m'exilerais encore une fois, si je n'avais pas quatre-vingt deux
ans. On s'attend icA à un siège de la part des voisins qui nous en-
tourent et qui occupent même notre canton. Notre gouvernement a
eu l'imprudence de se rattacher à l'alliance que Lucerne a formée
avec les petits cantons. C'était pour le moins une faute en géogra-
phie dont les conséquences peuvent nous devenir très funestes.
Dans peu elles se développeront.
LETTRES INÉDITES DU PÈliE GIRARD [['S
Veuillez faire mes remerciements à Madame Rapet pour son bon
souvenir et ne manquez pas de saluer cordialement de ma part
Messieurs Dézobri et Magdeleine ainsi que M. Michel doot je n ai
rien appris depuis bien longtemps.
Tout à vous.
Grégoire Giuahd.
Fribourg en Suisse le 20 juin 1847.
P. S. Mon beau-frère Sprenger me charge de vous présenter
ses respects. A la suite des éléments de mythologie il y a un appen-
dice où je cite un passage que M. Victor Hugo a mis dans la Préface
de ses Odes et Ballades, édition de 1834. J*appuie son opinion et
MM. les éditeurs feraient peut-être bien de lui communiquer le der-
nier cahier dès qu'il sera imprimé. Veuillez vous en souvenir dans
le temps.
XXI
Fribourg en Suisse le 19 août 47.
Monsieur et cher ami,
Hier matin j'ai reçu votre lettre comme j'étais occupé à faire les
dernières dispositions pour renvoi du dernier cahier du Cours dv
langue maternelle. Comme à présent je puis sortir un peu, je lai
porté dans Tnprès midi au bureau des postes et ce matin à 8 heures
il est parti pour la France par Neuchàlel. Je suis enchanté qu'il suit
parti de Suisse avant les troubles dont nous sommes menacés. Le gou-
vernement démon canton a eu la maladresse de se joindre par une
alliance particulière a Lucerne etc., et s'il y a guerre, c'est nous qui
en souffrirons les premiers. Notre position géographique nous t»rdun-
nait la neutralité, et nous devions, nous qui prétendons avoir plus
de religion que d'autres, paraître en diète comme médiateurs. Mais
respritqui règne ici est tel qu'un homme sensé et chrétien s'y trouve
presque en enfer. Ah ! si je n'a\ais pas 82 ans, je ne pourrais plus
m'y soufl'rir.
J'ai lu et relu le projet de lettre que vous vous proposez de pré-
senter avec M. Michel au Ministre de Tinstruction publique. Toute-
fois j'ai fait ce long travail pour la jeunesse de France des deux sexrs,
et avec le désir bien sincère et bien ardent qu'il fût mis à son usai,'e.
J'oserai même dire que j'ai travaillé avec la conviction que mon
ouvrage, vi-aiment original en son genre, est précisément ce que l'état
actuel de la société exige impérieusement de nous dans l'éducation
de la jeunesse.
Cependant je puis désirer ce que vous pensez demander du Minis-
tère; mais il me serait contre nature d'en former moi-même \f*
aimi PÉDAOOGIQUB 1885. — 1*' sui. s
il4 REVUE PÉDAGOGIQUE
demande. Vous, Messieurs, \ous êtes franijais, vous êtes reconnus
comme des hommes de l'art, sans être les auteurs du Cours dejan-
gue, vous pouvez donc faire une démarche que je n'oserais me per-
mettre.
Si je pouvais me décider à demander quelque chose, ce serait
l'approbation de l'ou^ra^e pour les écoles de demoiselles. Je lésai
eues spécialement en Mie, car elles doiendront mères! Vous êtes
pères de famille; je n'ai pas besoin d'ajouter un commentaire à ces
deux mots.
Si le Ministre de l'instruction publique vous accorde votre demande,
il faudra faire un extrait de mon travail pour les écoles primaire.s
inférieures <*t nous entendre sur sa rédaction. Je vous donnerai mon
idée, mais c'est aous qui ferez tout; d'abord parce que vous seul
avez la connaissance de la portée des élèves etde ce qui peut être fait dans
cette espèce d'institution. Ce que je sais, c'est que c'est là l'unique
movcn d'amener dans votre belle France cette harmonie de penser
et (ie\presssion qui n'y est pas encore. Vos populations protestantes
pourront, tout comme les catholiques, sv servir de l'extrait comme de
î'cjrijiinal, et ce sera un brau rapprochement sous le rapport reli-
gieux. Vous pourriez peut-être en parler au Ministre de S. M.
Dans le manuscrit que je viens d'expédier, il manque une note à
ravaut-dernière page. La voici, veuillez l'insérer:
Dans les Mémoires de la Société morale de Paris 1821 ou 18ii on
a inséré un discours que j'ai prononcé à Fribourg à la disti'ibutlon
des prix de mon ancienne école: Sur fa nécess île de développer r intel-
ligence des enfants pour en faire des chrétiens. Les instituteurs y
trouveront sur ce point des renseignements et des réflexions qui
mériteraient d'être plus connus qu'ils ne le sont.
P.'S. Mille choses à M. Michel, MM. Dézobri et Magdeleine.
Quand vous m'écrirez, n'alfranchissez pas, mais donnez-moi votre
adresse (jue j'ai égarée parmi mes papiers. Mes airtitiés à M. Naville
que vous allez revoir.
XXII
I riliouig le !'.♦ noveiiibi*e 1847. le matin.
Mon cher et digne ami.
Je viens de recevoir ^otre letlre. et je prends la plume pour y
répondre, bien que ma réponse ne puisse partir que demain matin
par Neuchàtel.
Assiégé par :J0 mille hommes de divers cantons, amenant une
formidable artillerie bien servie, le gouvernement de Fribourg s'est
vu dans la nécessité de rapituler lundi matin, el peu de temps
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD 415
après les 24 heures nous vîmes entrer de divers côtés une quin-
zaine de mille hommes de toute arme dans nos murs. Dans toute
autre circonstance nous amûons aimé à les voir, car rien n'égale la
beauté martiale et la tenue de ces troupes vraiment suisses. Nous
a\ons logé deux cent quarante hommes au couvent. Ils apparte-
naient à i'Argovio catholique, et Tun des capitaines a été l'un de mes
élèves en philosophie à Luceme. Le disciple et le professeur se sont
reconnus et embrassés. Nous ne pouvons que nous louer de la bonne
conduite de cette troupe qui nous a quilles mercredi malin pour
marcher, malgré elle, contre Lucerne. xNotre ville est aussi contente
de la conduite des Genevois et des Yaudois, dont une partie forme
maintenant la garnison de cette place, sous la direction de trois com-
missaires de la Diète^ encore assemblée a Berne.
Des bataillons de Zuric et de Berne ont commis bien des excès,
dans les campagnes et dans la ville. Le commandant Rilliet-Constant.
et le corps d'officiers de Vaud et de Genè\e sont occupés à recueillir
les renseignements nécessaires pour faire punir les coupables. 11
y a dans notre population, comme partout, des gens de pillage, et
d'autres que la vengeance anime. Ils ont excité des militaires bernois
et se sont joints à eux pour entrer dans des caves et d»^s habitations.
I/C collège des Jésuites, leur grand pensionnat, le couvent des
Ligoriens sont dévastés, et les religieux sont en fuite. Les pen-
sionnaires ont été emmenés à l'avance par un envoyé du Ministre
de France, par le Ministre d'Angleterre, etc.
Le tort du gouvernement déchu a été d'entrer, contre l'avis d'une
respectable minorité de ses membres, dans le Sonderbund, dont
notre canton est absolument détaché par sa position géographique.
Des mécontents se sont révoltés sur divers points, et ont marché sur
Fribourg le 6 janvier d«Tnier. On sonna le tocsin, et une foule
d'hommes armés accoururent. On en conduisit une partie sur la
ville de Morat, une autre sur Bulle. Ces deux villes furent arbi-
trairement rançonnées par le •gouvernement, qui en surplus remplit,
sur de simples soupçons, toutes nos tours de prisonniers. Se sentant
assez fort, le gouvernement cassa illégalement le conseil municipal de
notre ville sous prétexte qu'il n'était pas dans ses intérêts, il en
fil nommer un à sa guise, et celui-ci, renvoya les instituteurs de
mon ancienne école et les remplaça par les Frères de Marie qui
sont une création des Jésuites. Ces frères allaient commencer leurs
leçons dans le bâtiment qu'ils ont eu le temps de gj'iter en partie,
mais où ils n'ont point enseigné, parce que l'on a dû l'employer
comme caserne. Maintenant, ils sont en fuite comme les Jésuites.
Le gouvernement provisoire a rétabli l'ancien Conseil municipal
qui à son tour rétablira les anciens instituteurs et leur chef que vous
connaissez. Voilà une fiche de consolation pour les amis de l'éducation
et pour un très grand nombre de parents qui ne voulaient pas con-
fier leurs enfants à ces frcTCS dont la mine leur déplaisait, outre
tl6 REVUE PÉDAGOGIQUE
qu'ils ont fait preuve d'insuftîsance dans l'école particulière qu'ils
avaient ici depuis quelques années.
Je n'ai pas encore reçu le cahier qui vient d'être imprimé. Je ne
doute pas des soins que vous avez mis à éliminer tout ce qui ne
devait pas se trouver dans un ouvrage pareil. J'ai cité des passages
d'auteurs que je ne connaissais que par l'ouvrage de M. Moustallon
intitulé !ji morale des Poètes. Je n'ai lu en entier que les principaux,
Boileau, Delille, Lamartine, Victor Hugo, Molière, Racine et quelques
autres.
Quelque temps après que ma lettre a été remise au ministère de
l'instruction publique, Tun des secrétaires, M. Morin, m'en a accusé
kl réception au nom de son principal, en m'assurant que l'on s'occu-
perait de son contenu, dès que le Conseil royal aurait envoyé son pré-
avis. Il parait donc que ce préavis est en retard. Veuillez le dire à
MM. Dézobri et C'®, en leur disant mille choses amicales de ma
part.
Quant à vous mon cher et respectable ami, je devrais vous faire
mes excuses pour le grillbnnage que je vous en>oie à la hàto, mais
la circonstance où je me trouve m'excusera, j'espère, suffisamment.
Voilà longtemps que j'ai le cœur gros. De proches parents et de bons
amis se trouvaient sous les armes et en face de l'armée fédérale. Tous
ont couru de. grands dangers de la part de nos milices, qui forcées
de se rendre malgré elles accusaient leurs officiers de trahison et
menaraicnl de les faire périr. Je suis d'ailleurs honteux pour ma
patrie fribourgeoise et triste des pertes qu'elle a essuyées et qu'elle va
subir encore.
Une autre chose m'affiige encore. Comme j'étais curé à Berne je
voyais s'opérer un rapprochement religieux. Maintenant mes espé-
rances sont évanouies. Le Sonderbund a fait une guerre de reUgion
de cette difficulté politique. C'était le seul levier politique qu'il pùl
employer pour soulever les masses ignorantes et les mettre dans ses
intérêts. Il a réussi et il a éloigné plus que jamais les deux confes-
sions qui divisent la Suisse. Au seizième siècle, on s'est divisé
par la tête; on ne se réunira que parle cœur et cette réunion est à
présent [)lus éloignée que jamais.
Les catholiques accusent les protestants d'en vouloir à leur reli-
gion, et pourtant ils tolèrent chez eux quantité d'églises catholiques ;
ils se sont même aidés à les bâtir ! ! !
Adieu, je vous embrasse et vous prie de me renouveler au bon
souvenir de M""- Râpe t.
Tout à vous.
G. GniARD.
LKTTUES INiDlTEi» DU PÈRE GIRARD 147
XXIII
Fribourg, le 13 janvier îHin.
Mon cher ami,
La personne qui vous remettra ces lignes de ma part me touctie
de près; car c'est mon neveu Edouard Girard. H est à Paris pour
faire un établissement convenable à ses élèves les jeunes princes
Ghika de Moldavie. Je vous prie de bien vouloir l'aider de vos conseils
et de vous entendre sur ce point avec MM. Dézobri et Magdelaine
auxquels il est aussi recommandé. 11 vous donnera snr notre pays
le? renseignements que vous désirez. C'est une véritable révolution
que nous subissons, et les frais de la guerre que nous avons à payer
pour expier la sottise de notre adhésion a l'alliance particulière en
sont la raison, sinon le prétexte. Les couvents avec les anciens gouver-
nants paieront la faute que nous avons commise. L'ancien gouver-
nement s'est servi de la religion pour levier, le nouveau se sert de
l'intérêt.
Vous désirez, mon cher ami, que je fasse imprimer ce que vous
appelez mes petits livres. Vous les avez sans doute, mais votre copie
est>elle exacte? En tout cas, il faut que je revoie ces écrits qui ont
été rédigés à la hàto, et jamais revus, parce que je n'en ai pas eu
le temps. Vous savez, je pense, qu'ils étaient en usage dans la
première classe, dont les élèves ne savaient pas encore lire, et où
toute l'instruction était orale.
Mon neveu doit retourner à Paris dans un mois. Jusqu*alors j'aurai
vu ces petits livres et vous aurez ma décision.
Adieu^ je vous embrasse.
Tout à vous.
G. Girard.
P. S. — MM. Dézobri et C*^ me demandent un abrégé du Cours
de langue pour les écoles primaires inférieures. Vous en savez sûre-
ment quelque chose. Veuillez bien prendre connaissance de ma
réponse.
Bien des choses à M'"^ Rapet dont le souvenir m*est bien agréable.
XXIV
Fribourg le 20 mars \f<\K
MOIfSIErR ET CHER AMI.
Tout est bien changé autour de nous depuis votre dernière ! C est
à ne pas s'y reconnaître. Une chose reste la même au milieu de toutes
ces transformations, c'est la loyale et franche amitié.
1 18 REVUE PÉDAGOGrQIJE
Mon neNCu Kdonard, à son retour de Paris, s'est beaucoup loué
de Taccueil que vous lui avez fait et des oifres obligeantes de M"»*
Rapet. Veuillez lui faire agréer mes remerciements, et en prendre
pour vous la part qui vous revient.
J'apprends que votre ami, M. Michel, a été promu, et j'espère que
votre position dans renseignement public sera aussi améliorée.
Quant à la proposition que vous m a> ez faite touchant la rédaction
du Cours de langue, j*y souscris de lout mon cœur, et je vous donne
tout pouvoir. Vous seul ^tes à même de prendre la mesure et de faire
le choix qui peut convenir à vos écoles. Si dans votre rédaction
vous désiriez peut-être connaître mon avis sur quelques points, je
m'empresserai de vous le donner.
Veuillez présenter mes hommages à M"»® Rapet et recevoir pour
vous les assurances de mon inviolable amitié.
Tout à vous.
G. Girard.
P. S, — Mon neveu amène à Paris un jeune Français, Charles
S. de la Franche-Comté, né en Moldavie où il a encore son père et sa
mère. Il doit entrer à l'École centrale, et il lui faut, dit-on, un cor-
respondant à Paris. Veuillez vous intéresser à ce jeune compatriote
qui jusqu'ici a été confié aux soins de mon novcu.
\\V
Je vous remerftie, mon cher ami, des services signalés que vous
ne cessez de rendre à mon neveu Edouard Girard. C'est à moi-même
que vous les rendez et je vous en ai toute l'obligation.
M. Ernest Naville est venu me voir en juin, et il m'a fait part
des nouvelles qu'il avait reçues de M"»<* Rapet. Je vous ai vu six
jours sous les armes, vous homme de plume et de paix. J'ai assisté
à la terrible lutte, et si les insurgés m'ont inspiré de l'horreur, j'ai
admiré et j'admirerai toujours le noble et héroïque dévouement des
défenseurs de l'ordre. Deux victimes me touchent surtout bien vive-
ment: l'archevôque de Paris et le général Bréa.
Votre gouvernement provisoire commence à comprendre le besoin
de l'éducation qui est le seul moyen de salut pour les peuples
comme pour les individus.
Adieu, je vous embrasse vous el les vôtres.
Votre ami,
G. Girard.
Fribourg le 20 juillet ^8.
LETTRES INÉDITES DU PÈRE GIRARD li«)
Le V. Girard vécut imicofc près de doux ans; mais sa corn^s-
|X»ndanco avec M. Rapot s'arrête ici. Il mourut le G mars 1850,
et la nouvelle de sa mort fut transmise à M. Rapet par M. Edouard
Girard, ce neveu dont il e^t question dans les trois lettres fjui
précèdent.
« J'ai la douleur, écrivit ce dernier, de vous faire part de la
mort du Révérend Père Girard, qui a succombé ce matin à son
;iraud âge et à de grandes souffrances. Il est inutile de vous
dire que la plus grande résignation ne* Ta pas abandonné un
instant. Quelques heures avant sa fin, la sentant approcher, il
lit appeler tous ses confrères du couvent |)our prendre congé
4'eux. Vous partagerez assurément micMix que personne, Mon-
-iieur, la douleur de sa famille rt de srs véritables amis. »
L\ SITUATION DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
[Nous publions ci-dessous la partie relative à l'enseignement primaire du
rapi)ort fait sur le budget du ministère de l'instruction publique par M. An-
tonin Dubost, député. La direction de l'enseignement primaire oyant bien
Toulu nous communiquer un certain nombre de rectiûcations relatives à des
chiflTres inexacts, qui proviennent pour la plupart d'erreurs de copie ou de
fautes d'impression, nous avons placé ces rectifications de détail en note au
ba? des pages. — La Rédaction.]
Nous venons de voir ce que le gouvernement de la République a
fait, depuis huit ans, pour le développement de renseignement supé-
rieur et de l'enseignement secondaire, dans ce pays. On sait assez
(ju'il n*a pas moins fait pour renseignement primaire. Mais il est
utile de s'en rendre compte d'une manière précise, et de constater
aussi les résultats obtenus, afin de pouvoir déterminer ce qui reste
à faire pour que chaque Français reçoive tout au moins une sérieuse
instruction primaire.
L'instruction laïque, gratuite et obligatoire était l'un des points
du programme de la démocratie auquel il était le plus urgent de
donner satisfaction. 11 fallait donc le faire passer dans les lois et le
réaliser complètement dans la pratique. Mais c'était là une tâche
immense. 11 était indispensable de former des maîtres, de construire
des maisons d'école, d'augmenter dans une proportion considérable
le nombre de celles existant déjà, de mettre ainsi rinstruction à la
portée de tous, de refondre les programmes, de réorganiser tous les
services, et, par des mesures financières efficaces, de rendre pos-
sibles et fructueux de tels efforts.
C'est la loi du 9 août 1879 qui prélude à cette grande réorganisa-
tion, en ordonnant la création, dans chaque déparlement, d'une
école normale d'instituteurs et d'une école normale d'institutriecs.
La loi du IG juin 1881 établit la gratuité absolue dans les écoles
primaires publiques. La loi du 28 mars 1882 rend l'enseignement
primaire obligatoire et laïque. Puis viennent une série de lois, de
décrets, d'arrêtés et d'instructions, ordonnant la création des écoles
de hameau, organisant les écoles primaires supérieures, les écoles-
maternelles, les écoles manuelles d'apprentissage, les cours normaux
préparatoires à l'enseignement du travail manuel dans les écoles
normales et dans les écoles primaires Supérieures, rinstruction mili-
taire, fondant des bourses dans les écoles primaires supérieures,,
réorganisant les cours d'adultes, instituant les caisses des écoles»
etc. Enfin, vous avez adopté, le 18 mars dernier, un projet de loi^
LA SITUATION DB l'eISSKIGNEMENT PRIMAIKE \il
en ce moment soumis au Sénat, sur Torganisation de renseigne-
ment primaire. Dans cette vaste réorganisation, vous n*avez laissé
en suspens, par des raisons exclusivement budgétaires» que la régu-
larisation et Taugmentation des traitement des instituteurs et des
institutrices. Le plan complet de votre enseignement primaire natio«
nal se trouve ain^û tracé.
Il faut voir maintenant Tapplication qui en a été faite, au fur et
à mesure que les crédits volés par vous Font rendue possible, et
les résultats eiTectifs qui en ont été la conséquence.
Les écoles normales d'instituteurs et d'institutrices étaient
complètement insuffisantes. Elles étaient impuissantes à fournir à
renseignement primaire le nombre de maîtres qu'allait exiger
l'application des lois nouvelles. Le tableau suivant fait connaître les
résultats obtenus, en quatre ans, au double point de vue du nombre
des écoles et de 1 augmentation du nombre des élèves-maîtres :
Tableau du mouvement dans les t'-coles normides primaires
d'instituteurs et d'institutrices (1).
1878-79
ifftnei auirll<>t. 4eN fMes-aaltr'4
Écoles d'instituteurs 78 3.393.420 37 3.551
Écoles d'insUtulrices 17 508.711 71 691
Totaux ... 95 3.902.132 08 4.242
c
1883-84
Écoles installées (instituteurs) . 85 4.052
En construction
().75i.350 »
Ecoles installées (institutrices; . 57 2.487
En construction 17
Totaux. . . 164 6. 75 i. 3^)0 » 7.439
Les communes manquaient d'écoles; les écoles manquaient de
maîtres. 11 était évident qu'avant tout, et pour pouvoir accueillir
les enfants qui jusque-là ne recevaient aucune instruction, il fallait
cn^r des écoles et augmenter le personnel enseignant. Nous allons
voir quels ont été, depuis un certain nombre d'années, les progrès
réalisés à ce double point do vue :
(1) Nous corrigeons dans le tableiu qui suit deux ou trois légères fautes
d'impression qui se sont glissées dans le document sorti des presses de la
Chambre des députps; il en résulte dans les totaux des modincntions sans im-
portance. — Rédaction.
122 REVUE PÉDAGOGIQUE
Xombre des écoUs publiques,
1867 1876-77 1881-82 1882 83
Écoles de garçons ou
mixtes ;J8.8!)8 39.764 41.493 42.286
Ecoles de filles 15.099 19.257 24.50i 22.22i
Totaux. . . 53.957 59.021 62.997 64.510
Mais nous n'aurions aucune idée de Tétat général de renseigne-
ment en France, si, au fur et à mesure que nous faisons connaître
le mouvement dans les écoles publiqties, nous ne le faisions sui\Te
du mouvement qui se produit aussi dans les écoles libres,
Nombre des écoles libres.
1867
Ecoles de garçons ou
mixtes :{.5y9
Ecoles de filles i:M15
Totaux. . . 16.714
1876-77
1881-82
188283
2.657
2.8i2
2.93S
9.869
9.796
9.a*i4
1-2.526
12.638
12.792
Si on récapitule le nombre des écoles publiques et libres, pour
avoir la progression du nombre des écoles en France depuis I8<)7,
on arrive aux résultats suivants :
Récapitulation des écoles ptibliques et libres,
1867 1876-77 188182 1882-83
70.671 71.5*7 75.635 77.302
Nous arrivons maintenant au personnel enseignant.
Personnel enseignant dans les écoles publiques,
1863 1876-77 1881-82 1882-83
Instituteurs 42.778 46.400 50.708 52.779
Institutrices 27.663 33.663 37.512 40.421
Totaux. . . 70.441 80.063 88.220 93.200(1)
il) Lo total des institutrices publiques pour 18.^2-1883 est de . . 39.521
au lieu de 40.421, ce qui, avec les instituteurs 52.779
donne comme total des maîtres des écoles publiques 92.300
au lieu de 93.200. — Rédaction. "
LA SITUATION DE l'iLNSEIGNEHENT PRIMAIRE 133
Dans les écoles libres le mouvement est représenté de la manière
suivante :
Personnel enseignant dans tes écoles Ubres,
1863 187677 1881-82 1882*83
Instîtoteurs
0.807
5.317
7.429
7.8i5
Institutrices
. 31.531
25.329
i9.3i6
20.512
Totaux. .
. 38.358
30.046
36.745
37.357
Si nous récapitulons les chifTres du personnel enseignant dans les
écoles publiques et libreSy nous obtenons la progression suivante :
Récapitulation du personnel enseignant dans les écoles publiquei
et libres,
1863 1876-77 1881-82 1882-83
108.799 110.709 124.965 130.557 (i)
Au même point de vue, il nous reste à établir une comparaison
identique, relalivemeni au nombre et au personnel dirigeant des
salles d*asile.
Nombre des salles d'asile ou écoles maternelles publiques et libres,
et personnel dirigeant de ces établissements,
1863 1876-77 1881-82 1882-83
... . .ue. ...r îî;;::^ ^S ~î^ ^ î^- S =
Publiques 2.;m) ^ ^..^ 2.785i ^ ^^., 3.161 4.997 3.3io 5.359
Libres... 073^ ^'^^ 1.36^1 ^''^"'^ 1.891 2.574 2.035 2.727
Totaux. .9.308 4.147 5.052 7.571 5.380 8.086
. On voit à quels résultats nous sommes arrivés, en un petit nombre
d'années. Sans remonter au delà de 1877, on voit que le nombre des
écoles publiques s'est élevé jusqu'en 1883 du chilfre de o9,02i à
celui de 64,510; et si on fait le compte de toutes les écoles publiques
ou libres, du chiffre de 71,517 à celui de 77,302.
Si on ajoute à ces chiffres ceux des écoles maternelles ou salles
d'asile, on constate qu'en 1883, 8^,682 écoles ont été ouvertes a
la population enfantine de France. 11 nous a été impossible de savoir
le nombre des écoles créées depuis 1883; mais il ne saurait ôtre
inférieur à 1,000. D'où il suit qu'à cette heure, il y a certainement
(IJ Par suite de la rectitication du nombre des institutrices publiques, le
total du personnel enseignant des écoles publiques et libres pour 1882-1883
est ramené à 129.657 au lieu de 130,557. — Rédaction,
124 RE^TE PÉDAGOGIQUE
plus de 83,500 écoles ouvertes sur le territoire de la République
pour le service de TenseigTiement primaire.
Pour faire face aux nécessités de l'enseignement, le personnel
enseignant des écoles publiques a été porté de 80,063 à 93,200 (i). Si
on y ajoute le personnel enseignant libre et le personnel dirigeant
des salles d'asile, on arrive à constater que 138,643 (2) personnes ont
pris part en 1883 à renseignement primaire. Ce n est rien exagérer
que de dire que ce nombre atteint aujourd'hui celui de 140,000
environ.
Mais c'était là, il importe de le remarquer, la condition sine quâ
non de l'application des lois des 16 juin 1881 et 28 mars 1882 sur
la gratuité, l'obligation et la laïcité de l'instruction primaire. Les
éléments de succès de la grande réforme inscrite dans ces lois sont
maintenant créés. Il faut voir comment cette réforme elle-même a
été réalisée. Pour s*en rendre compte, il suffit, d'une part, de mon-
trer la progression constante du nombre des élèves, admis chaque
année dans les écoles primaires, f n le comparant au chiffre de la
population à instruire en France, et, d'autre part, d'observer le
mouvement de décroissance du personnel enseignant congréganiste,
qui se manifeste parallèlement au mouvement de croissance très
jnarqué du personnel laïque.
D'après le recensement de 1881, le nombre des enfants qui sont
dans r»ge scolaire, c'est-à-dire de six à treize ans, s'élève, pour
toute la France, à 4,586,349.
Prenant ce chiffre pour point de départ, et admettant qu'il n'a
pas varié depuis un certain nombre d'années, les tableaux suivants
nous permettent déjà une comparaison intéressante :
Nomhi^e des élèves dans les écoles publiques,
1867 1876-77 1881-82 1882 83
Kcoles de garçons. 2. 114. 088 2.197.652 2.442.581 2.455.390
Ecoles de filles . . 1.422 721 1.625.696 1.916.675 1.953.920
Totaux. . . 3.537.709 3.823.348 4.359.256 4.409.310
; : ; : •
Voyons maintenant le chiffre des élèves dans les écoles libre» ; et
nous établirons ainsi le compte général des eu-^ants recevant en
France renseignement primaire :
(1) ISous avons dit que le personnel enseignant des écoles pabliques était
de 92.300
Si l'on y ajoute celui des écoles libres • . 37.857
et celui des écoles maternelles 8.086
On obtient un total de 137.743
au lieu de 138,643. — Rédaction.
(2) 137,743. — Rédaction.
LA SITUATION DE l'eNSEIGNEMBM PUIMAIIŒ US
Nombre des élèves dans Us écoles libres,
1867 1867-77 1881-82 1882-83
Ecoles de garçons. i28.793 203.230 263.929 288.174
Ecoles de fiUcs . . 749.465 690.357 716.026 734.667
Totaux. . . 978.258 893.587 981.955 1.022.841
Récapitulation du nombre des élèves datis les écoles
publiques et libres,
1867 1867-77 1881-82 1882-83
4.515.967 4.716.935 0.3H.2-21 5.432.151
A ce« chiffres il convient d'ajouter ceux des élèves admis dans
l6s écoles maternelles. Leur nombre a suivi la progression suivante :
Nombre des élèves admis dans les écoles maternelles
publiques et libres,
1867 1876-77 1881-82 1882-83
Ecoles publiques . 356 . 421 420 .110 180 . ()02 497 . 1 II
Ecoles libres . . . 7.-i.T20 111.967 163.788 181.941
Totaux. . . 132.111 532.077 614.384 679.085
De telle sorte que, si on ajoute aux 5,132,151 enfunls admis dans
les écoles primaires, les 679,085 admis dans les écoles matcnielles,
on arrive à constater qu'en 1883 les services de l'enseignement pri-
maire ont pioGlé à six millions cent onze mille deux cent Irente-sLv
enfants, alors que, sans remonter plus haut que 1877, ces mômes
services n'avaient profité qu'à o,2i9M^2; c'est près d'un million
d'enfants qui ont bénéficié dos efforts faits, dt'puis quel(iues années.
pour développer l'enseignement primaire. 11 sutfu, pour justifier
pleinement les sacrifices faits par les pouvoirs publics, d'observer
que, dans ces chiffres, les écoles publiques entrent dans la propor-
tion écrasante d'environ les cinq sixièmes à la fois de la totalité des
enfants admis dans les écoles et de l'augmentation constatée dans
le nombre de ces enfants.
Mais, comme on le voit, les chiffres que nous venons de donner
dépassent de beaucoup (exactement de 1,524,887 enfants) ceux que
nous avons donnés comme représentant le nombre des enfants qui
sont dans l'âge scolaire, (^est donc, évidemment, que pour un grand
nombre d'entre eux les familles jugent qu'ils ont mieux à faire qu'à
quitter l'école à l'âge réglementaire. Si nous déduisons de ce chiffre
de i,524,)^87 celui de 679,085, représentant le nombre des élèves
des écoles maternelles, qui, naturellem<^nt, ne sont pas dans l'âge
lâO ^ R£VL£ PEDAGOGIQUE
scolaire, nous voyons qu'au moins 815.802 enfants sont dans la situa-
tion favorable que nous venons d'indiquer. En réalité, ce chiffre
doit èlTC légèrement augmenté ; car les stalistiques dressées per-
mettent d'établir que le nombre des enfants, dans Tâge scolaire, qui
sont admis dans les écoles primaires, s*élève à 4,5iG,030, inférieur
de 40,319 à celui qui nous est fourni par le recensement de 1881.
D'autre part, si nous comparons lo nombre des enfants dans
l'âge scolaire, qui ont été admis en 1882-1883 dans les écoles pri-
maires, à celui de 1881-1882, nous constatons une augmentation
considérable, qui, évidemment, doit être mise aussi à l'actif des
nouvelles lois sur la gratuité et l'obligation de l'instruction primaire.
En 1882-1883, le nombre des enfants dans l'âge scolaire admis dans
les écoles est de 4.546.030
en 1881-1882, il n'était que de 4.:^2.293
d'où une augmentation de 163.737
Mais la lui do 1882 n'établissait pas seulement l'obligation : elle
aflirmaît aussi la nécessité de confier la direction des écoles pri-
maires à des maîtres laïques. 11 faut examiner les conséquences de
l'application de la loi, à ce i)oiat de vue. Nous rechercherons, en
même temps, si le mouvement dont les pouvoirs publics ont pris
l'initiative ne se serait pas aussi manifesté, de la même manière.
dans les écoles libres, tant il est vrai de dire qu'un tel mouvement
correspond à une tendance profonde du i>ays.
Examinons d'abord comment se sont réparties, à ce point de vue.
aux diverses époques antérieures, et comment se répartissent,
maintenant, les écoles publiques existantes. Le tableau suivant con-
tient la division des écoles pubhques et du personnel enseignant eu
laïques et conjrréganistes :
1867 ,{ 1876-77 1882-83
KCOI.CS. R*abrp Ppr^nncl ytmkrr PerMuiM ■•■Irt P«nMi>(
— in fftl^s. dirifeail if^ M«le> 4irif'»t èM éMln. ItrifMBl
Laïques de gar-
çons et mixtes. ;fô. 771 :^t).io7 :m..wj :^).5:u 40.042 49.015
Laïques de tilles. t>.509 8.4rit> î*.417 13.707 13.652 21.012
Totaux. . . 42.343 41.910 45.810 5;{.240 53.094 73.027
Congréganistes de
gart;. et mixtes. 3.08i 6.321 :\.'Mio 6.867 2.241 3.76i
Congréganistes d(^
filles 8.ri{(» 19.204 9.840 19.ftû6 8.572 15.501>
■> m > V.
Totaux. . . il. OH 25..52r> 13.205 26.823 I(L816 19.273
3
(l^ r>ans les <lou\ premières colonnes d«' gauche des trois tableaux sui-
vants, les chifl'res des <« Ecoles " appartiennent bien à la statistique de 1867 ;
mais les chiffres da « Personnel » sont extraits de la statistiqae d« 1863, celle
de 18t»7 ne les ayant p«9 relevés. — Rédaction.
LA SITUATION 0£ l'CXS£IGM£M£KT PRIMAIRE iH
Donc, du chiiïre de Hyiili écoles publiques laïques, nous sommes
arrivés à celui de 53,694: du cljnrre de 1 1,611 écoles publiques
eongréganistes, nous sommes descendus à celui de 10,810. Ln mou-
vement analogue et proportionnel s'est naturellement manifesté
dans le personnel enseignant : du cliillre de 44,Î)IG maîtres laïques,
nous sommes arrivés a celui de 78,0:27; et du chilTre de 45,5^0
maîtres congréganistes, nous sommes descendus à celui de 19,;27:i.
Nous allons faire maintenant un calcul analogue pour les écoles
libres.
Division des écoles libres et de leur personnel dirigeant
en laïques et congréganistes.
1867 (I 1876-77 1882-83
Kcui.rs loHbrc de« Pcrsanoi^l ^olllbrr di-s Ppr%«BOfl Sanbn* é^^ Ffr>(»uBp|
— erdtes Ukr(>> dirijrul rr«k* libre^i iinjPinL erolr» libr>-v diriion:
Laïques de gar- i.044 4.300 1.750 2.710 1.349 4.iir>
çons et mixtes.
La/çtiea de filles. 7.079 12.550 4.091 8.069 2.87:{ 7.281
Totaux . . 10.023 16.910 5.841 10.785 4.222 li7m
i ongrèyan istes de
garç.etmixtes. 655 2.247 907 2.001 1.589 5.630
Congréganistes de
tilles ().030 19.001 5.778 17.260 6.981 22.231
Totaux. . 0.691 21.418 (i.085 19.801 i.rÏTÔ 27.801
En groupant et récapitulant tous ces chiirres, nous obtenons la
progression suivante qui montre le mouvement général de rensei-
gnement laïque et de renseignement congréganiste en France, au
point de vue du nombre des écoles et du personnel enseignant :
1867 I 1876-77 1882-83(2
/o Enseignement laïque.
52.360 61.826 51.657 01.525 57.îH(i 8:M27
2^ Enseignement congréganiste. •
18.305 46.873 19.890 46.081 19.380 47.131
Nous passons maintenant aux salles d'asile ou écoles niatern«*lles.
(1) 1867 pour les écoles, 18(>J pour le persouuel. — Hédaction.
(2; En 1B82-18S3 le total du {personnel enseigouot Inique, dans les écoli^s
pnbliqaes et daas les éiolcs libi-es. était de 82,523 au lieu de 83,4iT. — Hé-
daction.
128
R£VI]E PÉDAGOGIQUE
Dichion (Us écoles maternelles, ou salles iVasile^ et de leur penonnel
dirigeai} t, en laïques et congréganistes.
1867 (f>
1877
its rratr» 4irifr«il
1883 (j.
SMkc PwMurI
4es M«lft 4iriff»l
Laïques . . .
Congrt'ganistes
Laïques . . . .
Congréganistes .
1" Écoles tnaternelles publû^ues.
mi, 582 581 781
2.027 3J10 2.204 3.542
2® Écoles maternelles libres.
3()3 373 257 395
eio 1.175 1.105 1.605
i.442
i.903
250
1.785
2 803
2.296
329
2.398
Mais pour avoir une idée exacte du mouvement de renseignement
htïque en France, il faut Tétudier encore au point de vue du nombre
des élèves. En effet, ce qu'il importe de connaître, c'est le nombiv
d*élèves qui échappent de plus en plus à la direction congréganiste.
Nous avons vu plus haut, par la progression du nombre des
enfants admis dans toutes les écoles de France, que ce nombre s'élève
pour 1883 à six millions cent onze mille deiw cent trente-six élèves.
La progression que nous avons donnée et qui aboutit à ce chiffre,
se répartit de la manière suivante dans les écoles publiqties et libres
entre l'enseignement laïque et renseignement amgréganisle :
Division des ('lèves garçons et filles en laïques et congréganistes.
/• Ecoles publit/ues primaires.
Aniu'e>.
1867
1881-82
\ Garc^'ons /
t Filles ^
Totaux. . .
i (iarrons
1 a
I Filles
Totiiux. . .
ijiiques.
2.386.711
2.386.711
2.188.487
1.161.286
Congrt'^aniNlf».
1.150.998
1.150.998
254.091
7?>5.389
3.349.773 (3) i.300.*l94
1) 1867 pour les écoh^s, 1863 |K)ui' le |)ei'8oiinel. — Hédaction.
(2) Kn 1882-83, le personnel dirigeant des écoles maternelle.4 publiques et
Kbres était réparti comme suit : laïques, i,4% ; congréganistes, 2,863. — Ré-
daction.
3) Cette addition est erronée : 2.54,094 gardons + 755,389 filles == 1,009,483.
et non pas 1,300,991, comme le texte ci-dessus l'indique. 11 y a lieu d*iiis!sler
sur cette erreur. En effet, apr«>s la classiilr^ition par c Laïques » et c Congn''-
gauistes j> des élèves des écoles primaii'es, vient (p. 130) une récapitulation où
le nombre tolal des élèves congnganistes, pour 188I-188i, est indiqué comme
LA SITUATION DE L*EiNi>£IGNEMËNr PRIMAIRE Hd
A •ntfcs. Laïques. Congrèganislcs.
,^. ^.. S Garçons 2.222.292 233.098
iw.-M ; pjjjçg 1.228.942 724.978
Tolaux. . . 3. 451. 23 i 958. 076
étant de 2,074,8UI, au lieu de 1,773,330 (somme des nombres 1,300,994 -f-
763,867). Celle erreur devait nécessairement donner lieu aux déductions
suivantes:
Si lenooibredes élèves des écoles congréganislci en 1881-82 élu il de 2. 074 .861
celui des élèves des écoles laïques étant de 3.597.861
le total général dei élèves serait de .'>. 642.722
supérieur par conséquent de 210.571
à celui de l'année suivante (188i-83} qui n'a été que de 5.432.151
Or, les documents officiels publiés par le ministère de rinstrucliç>n publique
portent :>
Pour 18811882
( iaïaues ^ Publiques. 3.34'). 7:3 \
Elevés des écoles ^. .,. ^ ,^^ , ' 5.341.ill
Pour 1882-1883
bïniiPs ^ publiques. 3.451.234 \
^^^''î"®^ t libres . . 203. K)l /
kl- ck'o A-/» / •'>.432.151
contf romanistes ^ P»*>ï»q«es. 9o8.0/6 C .
congroganisies ^ ^.^^^^ 819.140)
Différence en faveur de l'année lî=82-1883 Îi0.4i0
Élèves des écoles
A la Chambre dei députés, dans la séance du 15 décembre 1884, M. Freppel,
s'appuyant sur l'erreur matérielle que nous venons de reclKier, avait tenu
ee langage:
« Je prétends, les chilFres de M. le rapporteur en mains, que vous avez
en ce moment ci dans vos écoles primaires deux cent mille enfants de moins
qu'avant la loi sur l'instruction obligatoire. (Exclamations au centre et à
gauche. Très bien ! très bien! à droite.) Par conséquent, vous avez créé
5,000 écoles nouvelles, — 1*,000 suivant M. le rapporteur, — et vous avez
dépensé près d'un milliard pour avoir dans vos écoles 210,571 enfants de
aïolns. {Exclamations diverses.) Ce sont là, je le répète, les chiffres mêmes
de M. le rapporteur. Nous les ferons connaître au pays, iK>>'ez-en bien con-
vaincus. (Très bien! très bien ! à droite.) Je n'ajoute pas un seul mot et je
descends de la tribune. »
Il importait, comme on le voir, de corriger une faute d'impression dont
on prétendait fkire « devant le pays » un argument décisif contre la cau^c de
renseignement obligatoire. — Rédaction.
BBfUB riDAOOOIQUI 1885. ^ 1*' BBK. 9
130 REVUE PÉDAGOGIQUE
t* Écoles libres primaires,
1867 j YmlT.^'. '.'.'.['.'.) ^^^-"^^^ 579.000
Totaux
• •
. .. ^ ( Garçon
'««•-«^ Filles .
S
1882-83 j ^r^J4
Totaux. . .
Garçons
Totaux. . .
398.793
579.000
65.997
152.091
«18.088
J 99. 932
563.935
763.867
63.759
140.042
224.415
594.625
203.801
849.040
Le mouvement de croissance de l'enseignement lalqne. dans Fen-
bemble des écoles, n'est donc pas douteux. Si nous groupons les
deux tableaux précédents, nous aurons exactement le nombre des
éli'ves dépondant de l'un et do l'autre enseignement, savoir:
Réôapilulalion,
1867. 1881-82. 1882-83.
Laïques 2.785.504 3 567.861 3.65.->.035
Congréganisles 1.729.998 2.074.861(1) 1.777.11(>
On voit que le mouvement total des enfants admis dans les écoles
dirigées par les laïques est supérieur de un milii on huit cent soi xante-
(li.v-sept mille neuf cent dioo-ntuf k celui des enfants admis dans les
écoles dirigées par des congréganisles; qu'il est ainsi de plus du
double, alors qu'il n'élait que d'un tiers en plus il y a quelques années.
Mais on aperçoit aussi en mùme temps que dans les écoles publiques
cette proportion est beaucoup plus considérable, et que le mouve-
ment de croissance de renseignement laïque y est très marqué. Il
n'est pas douteux que le chiffre de 958,076 élèves, souinis encore
a une direction congréganiste, s'atténuera rapidement (2).
Si on se reporte à ce que nous avons dit à ce point de vue, au
sujet de l'enseignement secondaire et de TenseigiiemeQt supérieur,
on constatera que co mouvement d'aHranchissement de la tutelle
congréganiste s'accentue au fur et a mesure que reoseigncmeut
(l) Comme l'explique la noie précédente, le chilfre exacl est 1,773.330. ^
Héddcliun.
^i\ Dans les écoles malemenes, le mouvement est un peu dilTérent, mais
no saurait rien changer au caractère du mouvement qui se manifeste dans
le pays. Il n'en est pas moins nécessaire d'appeler sur ce fait l'atteotion de
LA SITUATION DE L*BNSEIGXEMENT PHIMAIRE 131
s'él^ve. Dans renseignement primaire, la direction congréganiste
participe à Tinstruction de la jeunesse dans la proportion de moins
de moitié; dans l'enseignement secondaire, cette proportion s'affai-
blit, elle n'est que d'un quart à peine; dans renseignement supérieur,
elle n'est pas d'un quinzième.
Tels ont été, jusqu'à ce jour, les résultats des efforts faits par les
pouvoirs publics, et notamment des lois des 16 juin 1881 et
28 mars 1882, sur Tiustruclion primaire laïque, gratuite et obliga-
toire, ils peuvent se résumer ainsi : il y a dans les écoles de France
un million cent soixante-trois mille cinq cent quatre- vingt- treize élèves
de plus qu'auparavant; et dans ces mêmes écoles, il y a un million
quinze mille enfants de plus qu*autrefais, dont l'enseignement est
dirigé par des laïques.
Institutions complémentaires et auxiliaires.
Mais, pour permettre de se faire une idée plus compK'te de ce
qui a été fait, il nous faut dire encore quelques mots des progrès
réalisés parallèlement dans les diverses institutions complémentaires
et auxiliaires de renseignement primaire.
M. le ministre de rinstruction publique. Le tableau suivant nous fei*a mieux
comprendre :
Nombre d'élévei dans les écoles materneileSj taiques et congrégantstes,
publiques et libres.
Années. Laïques. Congréf^anisles,
5 ^<^^^ publiques 73,067 283.356
'^ i Ecoles libres 16.090 5i.l98
Totaux 89.I57(*) 335.554
S Écoles publiques 189.091 291.511
1881-8i I Ecjjiçg libres 15.326 148.456
Totaux 204.417 439.967
_ \ Écoles publiques in. 712 275.432
1882-83 j Ecoles mj^gg 13.913 168.028
Totaux 233.625 443.460
{yote du rapporteur.)
{*) D'après lesdocuments officiels pour I8<7,les chiiïtes relatifs aux élèves reçus dans
les écoles matei nelies doivent être rétablis comme suit :
Laïques. Congrégaaistes.
Écoles publiques. . . . •• 73.U65 saa.ase
Ecoles libres * . 17.108 58.ftH
Totaux. • • . . 90. 174 841. M7
fRédaction.)
132 R£VUE PÉDAGOGIQUE
Erueignenienl primaire supérieur, — La loi de 1833 avait créé Ten-
seigaemenl primaire supérieur. Sous Tempire de celle loi, des éta-
blissements en assez grand nombre s'élaient créés. En 1830, il y
avait quatre cent trente six établissements qui renfermaient â7,159
élèves.
La loi du 15 mars 1850, en supprimant la division de l'enseigne-
ment primaire en deux catégories distinctes, l'enseignement élémen-
taire et renseignement supérieur, avait naturellement interrompu
ce mouvement de développement. Vers 1870, on enseignait ce qu'on
appelait les matières facitUatives dans 264 écoles primaires seule-
ment, et à 4,000 élèves environ.
L'enseignement primaire supérieur a été rétabli par la loi de
finances du 10 mars 1878. Il a clé dcfinilivemont réorganisé par un
décret du 15 janvier 1881.
Depuis ce moment, il a élé créé (l), savoir :
Ecoles primaires supérieures de garçons 308
- de filles 172
Cours complémentaires de garçons (écoles supérieures qui
ne comprennent qu'une année d'études) 22i
Id. de tilles 70
Total (2) 861
[1) 11 n'est pas exact de dire que toutes les écoles primaires supérieures
qui existent aujourd'hui ont élé créées depuis le 15 janvier 1881. Un certain
nombre d'entre elles avaient survécu à la loi «ie <850. — Rédaction,
(2) Le nombre total des élablissomenls d'enseignenienl primaire supérieur,
d'après la slalistique de Jb84, est non de 8<jl, mais de 570. Ce chiflre se
décompose uin^i :
Ecoles primaires supérieures publiques de g.in;ons H5
— — — de lillf/s . . . • m
— — libres de garçons i5
— — — de lilles i9 i46
Cours complémentaires publics de garçons • . . . i21
— — de lilles 70
— libres de gnrçons 7
— — (le lilles i6 3i*
Tuliil 570
Etablissements primaires supérieurs pour les garçons 398
— _ _> « lilles 172
Total • "57Ô
L'erreur, qui est de 291 (8(>l — 576), provient de ce qu'on a donné comme
indiquant le nombre des écoles proprement dites le chiffre représentant le
total des étoblissements d'enseignement primaire supérieur, icoles et cours*
Les nombres 221 et 70 ont élé comptés deux fois. — Hédaction.
LA SITUATION DE l'eNSEIGNEMENT PRIMAIRE 133
Le nombre des maîtres ou maîtresses employés dans ces établisse*
menls s*élève à trois mille six cent quatre-vingt-huit (3.688) (1), et
le nombre des élèves à trente mille cent quarante (30,1^0).
Dans ces chiffres ne sont pas comprises les écoles municipales
de Paris, qui emploient 465 maîtres ou maîtresses, et renferment
quatre mille cinquante-six (4,056) élèves (2).
Enfin, des bourses ont été créées pour permettre à un certain
nombre de jeunes gens de recevoir l'enseignement primaire supé-
rieur. Le crédit voté par vous s'élève à 774,000 francs. Avec ces res-
sources, rËtat entretient, à divers titrer, dans 158 établissements,
neuf cent quarante-neuf jeunes gens (3j.
Cours (Tadaltes. — Le tableau suivant permet de juger du mouve-
ment qui s'est produit dans les cours d'adultes pendant ces der-
nières années :
(1) Il parait nécessaire de faire ici la distiocdon entre les maîtres Internes
(directeurs et adjoints) et les maitres spéciaux et auxiliaires (langues vivantes,
dessin, gymnastique, travail manuel, agriculture, etc.] ; les premiers touchant
des traitements fixes soumis à retenue, les seconds ne recevant que des
indemnités.
Directeurs et adjoints.
Cours complémentaires publics de garçons, 401, de ûlles, 131 532
— — libres —
H, -
87
101 633
Ecoles supérieures publiques —
470, —
181
651
— — libres —
171 —
149
321 97-2 1605
— municipales publiques de Paris,
433, —
3i
465
Total .
• • •
2070
Maîtres spéciaux et auxiliaires.
Cours complémentaires publics de garçons, 260, de filles, 109 36!)
— — libres — 10. de filles, 190 110 479
Ecoles supérieures publiques — 483, — 226 709
— — libres — 220, — 210 430 1139
Total 1618
(Rédaction.)
*
(2) On peut voir d'après la note précédente que le nombre des maitres et
maîtresses des écoles municipales de la ville de Paris est compris dans le
total de 3,688 maitres..
Le nombre des élèves des écoles municipales de Paris est également com-
pris daas le total de 30,140. Il est : pour les écoles de garçons de 4,056;
pour les filles, de 295. — Rédaction.
(3] Ce chiffre d)it être modifié. En effet, la statistique a éli^ faite dans le
courant de Tannée 1883, à un moment où le crédit des bourses n'était que
de 500,000 francs. L'augmentation de 274,000 francs inscrite dans la loi
de finances du 29 décembre 1883 a permis d'élever en 188i à 1,580 le nombre
(les bonrsieri nationaux dans les établissements d'enseignement primaire supé-
rieur. — Rédaction.
134 RfiVU£ PÉDAGOGIQUE
/<* Coun publics.
1867(1) 1882-83 <S}
Laïques (hommes). . . . 21.126 i3i.6ll 2a.C34 377.376
Uïques (femmes). . . . 3.4U 60.122 4.466 46.^72
Congrégaaisles (hommes) 8i7 52.680 636 32.699
Congréganistcs (femmes). 1.592 38.63(i 1.065 28.002
Totaux. . . 27.009 586.055 29.791 484. 349-
i* Cours libres.
Laïques (hommes) ... 106 9.311
Laïques (femmes). ... 111 3.621
Congréganisles (hommes) 54 3.435
C^ongrégani' les (femmes). 137 3.331
126
8.794
66
2.140
65
2.202
33
1.706
Totaux. . . 408 19.098 290 i4.84i
On voit que pendant que le nombre des cours d'adultes augmente,
qu*il va du chiffre total de 27,417 à celui de 30,081 (3) , le nombre des
élèves diminue, descendant du chiffre total de 005,753 à celui de
490, iOl. Maïs ici la diminution du nombre d'élèves est un bon
symptôme, puisqu'elle est la démonstration catégorique du déve-
loppement général de l'instruction primaire, qui, à mesure qu'elle
(1) I>jns la série des documents oUiciels publiés par le ministère de Tin-
stmclion publique, les chiffres de celte première partie du tableau sont donnés
sous la dale de 1876-1877. — Rédaction,
(2' Depuis la réorganisation des cours d'adultes, conformément aux pres-
criptions de l'arrêté ministériel du 4 avril 1882, le recensement de ces cours
et des élèves qui les fréquentent ne se fait plus de la même mAJuère.
Le Résumé des états de situation pour i'année scolaire 18'8t-tS83, publié
pur le ministère de l'instruction publique, le présente sous la forme suivante,
san^ diâtinctioD entre les laïques et les congiéganistes:
Xoakrf 4fi uin Umïn 4 Vif tes
.. , ,. . |. ( Hommes 2i.î30
(.ours daduUes publics j p^^^^^ ^^^
410.375
74.27f
Totaux. . . 29.689 484.649
r ^ 1. ^'^.^ i Homme? 191 10.986
Cours d adultes libres < p^^^^^ ^ 3.846
ToTALT. . . 290 14.H42
Les chitrres réels des totaux pour les cours publics sont donc diflRkeat» de
ceux que donne le rapport. — Rédaction.
|3) Il faut lire âO,979 au lieu de 30,081, à cause de l'erreur relevée diaos
la note précckionte. — Rédaction,
LA SITUATION DE L*ENSJUCNKME.NT PIUVAIRE 135
s'applique à un plus grand nombre d'enfants, diminue d'autant le
nombre des adultes, qui, ne Payant pas reçue, se présentent aux
<^ours institués pour eux.
Bibliothèques populaires des écoles et bibliothèques pédagogiques. —
L'augmentation du nombre des bibliothèques pédagogiques est un
indice certain du goût de l'étude, du progrès des éxoies. En 1877,
il n'y avait que 19,i34 bibliotiièquos populaires. — £n 1883, on en
compte 28,8Îo, renfermant trois millions cent soixante mille huit
cent vingt-trois volumes, et 2,500 bibliothèques pédagogiques ren-
fermant 663,878 volumes.
Caisses des écoles, — On sait que la loi du 28 mars 1882 a rendu
obh'gatoire pour toutes les communes l'établissement d'une caisse
des écoles. — Cette prescription de la loi a été exécutée déjà dans
un grand nombre de communes. Pendant le courant de Tannée 1883,
les 19,436 communes chez lesquelles fonctionne cette institution
ont fait face à 4,254,176 francs (1) de dépenses.
Elévation du niveau des études. — L'élévation du niveau des études
dans les écoles primaires peut se constater par le nombre croissant
des certificats d'études et par les examens pour l'oblcnlion des bre
vêts élémentaires et des brevets supérieurs de capacité, dont Taug-.
mentation a sans doute pour cause principale la loi qui a rendu
le brevet obligatoire pour l'enseignement primaire, mais (jui, pour
un nombre de jeunes gens, de plus en plus important, deviennent
comme le couronnement des études prim.'»ires. Les deux tableaux
suivants établissent, à ce double point de vue, une progression assu-
rément fort intéressante :
1<» Certificats d'études (2).
1877 1882 1883
_. *1 . Oit élé ainii. . ? . Onl ^lé idnis. , ** ,^ Oui i\^ iim\%.
iM( pi^9«it««. sont pi^sei. s. tant p^^^eDlé$.
38.277 20.2>-2i 134.439 o3.io6 161). OOi 60.115
ll)Ce chiffre de 4,254,176 francs n'est pas celui des d6|)eDse^î, mais celui des
recettes. Voici comment se soldent Iç§^ opérations des caisses des écoles p)en-
dant l'année 1883, d'après le Résumé des états de situation publié par 1
ministère de l'instruction publique :
Eïereice 1883 j ^'"'"^ ^'- ^'^^M;^
j Dépenses. . , 2.630.528
Rbste en caisse a la CLOTURE de l'exercice. Ff. 1.623.648
(Rédaction.)
(2) Les document» ofiicieU doanent les chiffres suivants :
iM7% 1882 t888
55.566
liais.
F 1 f wBirs ,
Haii.
PrtNfil«9.
k4m\t
36.841
134.439
01.153
160.006
107.060
, Rédaction.)
13G RXVUK PÉDAGOGIQUE
2^ Brevets élémentaires et supérieurs de capacité (I).
1877 1882 1883
Ont le Mil tal SriMl •■!
ilé adais prvMilé» éle«dai< fttmmUs Hé aiai«
Hrevels élémentaires. 6.?)37 45.605 21.^16 56.064 26.!9t
Hrevets supérieurs. . 93-2 7.761 2.704 8.737 3.338
ToTAi'x 7.469 53^366 iTîiÔ 64.801 29.5iîl
Nous terminerons cet exposé des résultats obtenus par le déve-
loppement de l'enseignement primaire en France, par Tindicalion
des progrès constatés dans Tinstruction des conscrits et des conjoints,
en comparant la moyenne d'instruction en 1881 avec la moyenne
constatée en 1870 :
Instruction des conscrits et des conjointe,
CON«. HlTa SAtmNT LIRK KT Kl.BIHK «:0NJOI»iT> iiAMiAM LIKK ET SCBIHI': (i
1870 1882 1870 1882
78.6 puur 100. 86.09 pour KM». 68.9 pour 100. 79.7 pour KMI.
Charges financières, — Mais de tels résultats n'ont pas été obtenus,
on le sait assez, sans de grands sacrifices d'argent. 11 n'est pas
sans intérêt de s'en rendre compte et de déterminer approximative-
ment les sacrifices qui nous restent encore à faire pour la réorga-
nisation complète de notre enseignement primaire.
Les dépenses faites par IKtat peuvent se diviser en deux parties
distinctes : 1° celles qui proviennent des sommes mises à lu dispo-
sition des communes pour la construction de leurs maisons d'école:
:2" celles ([ui constituent des dépenses permanentes annuelles. Nous
(1) Les chi Ares exacts sont les
suivants :
1877
1882
1883
OdI
Sr Mit tel
8r SMl Oat
t>:e idffli»
pr«(>atés é[t Um\%
prfsfitrs éie a^ai^
llrevets élémentaires
. 9.625
56.064 26.191
45.610 21.156
n revêts siipérieui's
. 1.447
8.737 3.338
7.761 2.704
11.102
<>%.801 20.529
53.371 24.220
(Rédaction.
(2 Les statistiques publi'^es par leminislère de l'instruction publique disent :
" Conscrits s.icbantfl»/nioin5/t're», «• Cnxïjoïnis ayant signé leur acte de mariage».
Les chillres publiés sous ces titres par le ministère de linstruciion publique
sur le (Je^Té a instruction des conscrits et des conjoints sont les suivants :
Conscrits sachant au moins lire. Conjoints ayant signé leur acte de mariage.
1871 1882 1870 1881
83 pour 100 86.0 pour 100 CWl'H pour 1(K» 86 pour lOrt
[Rédaction.
LA SITUATION DE l'kNSEIGNEMENT PKIMAIKE 137
parlerons des premières dans un chapitre spécial relatif à la caisse
des écoles. Pour les autres la prop^ression suivante, i{uï fait connaître
l*»î5 sommes successivement alTectées par TKtat au service do l'ensei-
gnement primaire, en donnera une idée suffisante :
Budget de VÉtat pour le service de l'enseignement primaire.
1870 1875 1880 1882 1883 1885
S.75i.7O0 iO.?>4-2.GOo -28.383.i5i &LUOmi\ 8i.-23o.5lt) l)7.i80.40o
Maïs, si nous nous bornions à citer ces chilïres, nous ne donne-
rions qu'une idée fort insuffisante des sommes quo le pays consacre,
chaque année, aux dépenses de renseignement primaire. Il faut y
«jouter celles qui sont fournies par les départements, les communes,
les familles et par de généreux donateurs.
Avant la loi du itj juin 1881, établissant la gratuité de renseigne-
ment primaire, les ressources qui lui étaient affectées se composaient
de ; !<» les dons et legs; 2<» la rétribution .«scolaire payée par les
familles; 3® les contributions de la commune; 4<» les subsides dépar-
tementaux ; 5® les subventions de l'Éfat.
Depuis la loi du 1(5 juin 1881, qui a supprimé la rélribulion srolairo,
ces ressources se composent de : 1® les dons et legs: 2" la valeur
des quatre centimes additionnels votés par le.s communes: 3<> le cin-
quième de certains revenus ordinaires des communes, diminué d'une
subvention de ii millions volée chaque année tu budget, pourdéifre-
ver les communes de tout ou partie de cette contribution; 4*» des
subventions de TÉtat et des sommes que TKtat emploie directement.
Cela étant, nous pouvons comparer les dépenses de renseignement
primaire en 1870 et en 188i avec une suffisante approximation :
Dépenses de renseignement primaire :
1870
Dons et legs Fr. 1,000,000
Contribution des communes 17,127,i43
Contribution des familles (rétribution scolaire), . . . 19,169,476
Contribution des départements 4,9i4,3i9
Contribution de l'État 8,751,700
Total.. 50.992,(>3S
1884 """
bons et legs Fr. 668,000
Contribution des communes 26,887,283
Contribution des départements 11,992,700
Contribution de TÉtat 94.258,r)!5
Dépenses effectuées par les caisses spéciales des éco-
les dans chaque commune, environ 4,500,000
Total. . 141,306,498
138 il£VU£ PÂDAGOGIÛUE
Ainsi, les dépenses de l'enseignement primaire public en France
se sont élevées graduellement, de 1870 à i884, de 50,992,638 francs
à 141,306,498 francs, soit une augmentalion totale de QUATaE-viwGT-
DIX MILLIONS TROIS CKNT TJIEIZE MILLE HUIT CENT SOIXANTE FRANCS. 11
est même certain que ce chiffre est encore au-dessous de la réalité,
car il ne comprend pas une foule de dépenses pour suppléments de
traitements, cours spéciaux, etc., etc., faites par les communes et
notamment par certaines grandes villes.
Mais les sommes que nous venons d'indiquer ne représentent que
les dépenses de l'enseignement primaire public. Pour avoir la somme
approximativement exacte de ce qui est dépensé en France pour
renseignement primaire, il faudrait donc y ajouter le chiffre repré-
sentant les dépenses de l'enseignement primaire libre. 11 est assuré-
ment fort difficile d'établir les bases d'un semblable calcul. Cependant
nous croyons qu'en établissant entre les dépenses de l'enseignement
primaire public et celles de l'enseignement primaire libre une pro-
portion basée sur celle du nombre des élèves dépendant de Tun ou
de l'autre enseignement, on arriverait à établir des chiffres se rap-
prochant sensiblement de la vérité. Comme on l'a vu, en i870, le
nombre des élèves de l'enseignement primaire libre représentait
environ le cinquième du nombre total des enfants recevant en France
l'enseignement primaire et, en i883, ce nombre n'en formait plus
que environ le sixième. Dès lors, en ajoutant, pour 1870, le cin-
quième et, en 1884, le sixième de la dépense de renseignefnent public
aux chiffres que nous avons donnés, nous arriverons à établir que
les dépenses générales de l'enseignement primaire public et libre sont
représentées par les chiffres suivants :
1570
Dépenses de l'enseignement public Fr. 50,992,(KW
Dépenses de l'enseignement libre iO,19S.5i7
Total.. 01,i91,t()o
1884
Dépenses de l'enseignement public Fr. 141,306, i98
Dépenses de 1 enseignement libre . 23,551,083
Total.. 164,857,581
La dépense totale de l'exercice 1881 serait donc approximativement
de 164,857,581 francs, au lieu de 01,191,165 francs en 1870, soit
une augmentation totale de cent trois millions six cent soixante-six
MILLE quatre CENT SEIZE FRANCS.
Les dépenses de l'enseignement primaire étant connues, nous
avons cherché à établir la moyenne de ce que coûtait en France,
chaque année, l'éducation d'un enfant de Técole primaire, aux deux
époques de 1870 et 1881. En 1870, cette moyenne était de 12 fr. 36 c;
elle est montée à 26 fr. 70 c. en 1S84.
LK SITUATION DK l'£NSB1«NEM£NT PRIMAIRE 139
Gependank, pour si considérables qu'aient été jusqu'à ce jour les
sacrifices de l'État, des départements et des communes, pour le
senrioe de renseignement primaire public, personne ne saurait
soateiiir que nous sommes arrivés au terme. Nous disions plus haut
qoe, pour achever la réorganisation de l'instruction publique en
France, TÉtat devrait inscrire au budget ordinaire, en une période
d'annéea indétennioée, des suppléments de crédits s'élevant à plus
de 100 millions, sans compter, bien entendu, les dépenses extra-
or^naires de constructions. Peut-être sommes-nous resté furt au*
dessous de la vérité, en indiquant ce chiflre. En effet, si \&n consi-
dère seulement le service de l'enseignement primaire, il paraît
établi que Tapplication régulière des lois en vigueur ou en prépa-
ration, et parmi ces dernières la loi relative au traitement de»
instituteurs et des inslitulrices, conduirait a des augmentations de
crédits s'élevant à près de 130 millions, en se plaçant dans Tliypo-
thèse la plus favorable, en se basant sur les projets les plus réduits (1).
Les lois sur la gratuité et Tobligation sont loin d'avoir produit
déjà tous leurs effels, au point de vue financier. Toutes les écoles
nécessaires n'existent pas encore. Le nombre des instituteurs et
instituiffices est insuffisanL Tous les enfants ayant Tàge scolaire ne
reçoivent pas encore l'enseignement primaire. 11 faudra créer près
de trente mille postes d'instiluteurs ou institutrices. Toutes les
écoles normales, rendues obligatoirea pour les départements par la
loi de 1879^ ne sont pas encore créées ou installées. Les caisses des
écoles, obligatoires aussi pour les communes depuis la loi de 1882
et pouc le»4uelles l'État doit des subventions, n'existent pas partout.
Enûn, il y a lieu, de prévoir une augmentation dans Le montant des
annuités à foarnir par l'État pour le service de la caisse instituée
pour la construction des maisons d'école. On a calculé que les
augmentations de crédits résultant de cette série de mesures attein-
dj»ieat, dans un délai relativemenit très rapproché,, la somme de
ci 48.026.400
D'autre part, l'application du projet de loi sur l'orga-
nisation de l'enseignement primaire et la nomination
et le traitement des instituteurs et institutrices, con-
duira, à supposer que le projet primitif soit trèsrestreint,
aune dépense supplémentaire de, ci. ....... . 81.060.500
On a donc, comme total des augmentations de crédits, 121). 0112. 1>60
Cent vingt-neuf millions quatre-mngtniouze mille neuf
cents ffxmcs.
Et si ce dernier projet était voté tel qu'il a été primi-
tivement proposé, il faudrait ajouter encore , ci. . . . 36.657.500
ToUl i65.7oO.400
(1) Voir le n< 2629, annexe au procès- verbal de la séance du 14 févriâc 1884,
140 REVUS PÉDAGOGIQUE
Ce sont là des chifTres qu'il importe de connaître el de replacer
sans cesse sous vos yeux. Sans doute, il ne s*agit pas d*ane aug-
mentation de dépenses immédiate. Mais, chaque année, les pouvoirs
publics seront sollicités par les nécessités du service d'accroître les
charges du budget. Déjà, cette année même, il a été reconnu néces-
saire d'aggraver les charges pour l'amélioration du traitement des
instituteurs et institutrices. Il est donc indispensable d'y réfléchir
e*: do se demander par quels moyens il sera possible de faire face à
de telles augmentations do dépenses; s'il convient que l'État continue
à en supporter seul le poids, ou si, au contraire, il n'y aurait pas
intérêt pour tous à y faire participer d'autres collectivités, dans une
juste proportion. Nous croyons qu'il est temps de mettre à l'étudo
une pareille question.
Comptabilité des dépenses de renseignement primaire. — Après avoir
énuméré les sommes mises à la disposition du service de l'enseigne-
ment primaire, nous ne pouvons pas ne pas dire un mot de la
manière dont elles sont réparties, d'autant qu'on a très vivement
critiqué, et peut-être non sans raison, l'emploi qui en est fait. 11 y
a donc lieu d'appeler sur ce point l'attention du gouvernement.
Au point de vue de la comptabilité, la part de l'Etat dans les
dépenses de l'enseignement primaire se divise en deux catégories bien
distinctes : l» celles que le ministère de l'instruction publique ordon-
nance directement, comme les frais d'inspection, des écoles normales,
ceux de matériel scientifique, des bibliothèques, les secours, etc. :
^ celles qui consistent en subventions allouées aux communes
pour l'entretien de leurs écoles. Ces dernières font l'objet d'ordonnances
de délégation au profit des préfets, qui restent chargés d'en elTecluer
la répartition entre les communes sur les bases indiquées par la loi.
La grande différence entre ces deux catégories de dépenses, c'est
que pour les premières, celles qu'il ordonnance directement, le mi-
nistère de l'instruction publique procède dans ses bureaux à des
vérifications toujours préalables à la dépense, tandis que pour les
autres, dans l'organisation actuelle, l'intervention du ministère est
toujours postérieure à la dépense.
Or, pour toutes les dépenses que le ministère ordonnance directe-
ment ou qui sont l'objet d'un contrôle préalable, aucune critique n'a
jamais été faite. H en est ainsi pour toutes les dépenses de l'ensei-
gnement supérieur, de l'enseignement secondaire et pour une partie
de celles de l'enseignement primaire. La comptabilité des dépenses
Avii de Ifl Commission du budget sur le projet de loi relatif à rorganisation
de renseignement primaire, par M. Jules Roche. (Note du rapporteur;.
Ce document se trouve à la page 153 du volume contenant les délMits sur ce
projet de loi à la Chambre, publi*' par la Hevue pédagogique en 1884. —
Rédaction.
LA SITUATION DE L'EMSËlGiNEMKiN T PHIMAIRE 141
des grands établissements scientitiques, des facultés, des lycées, des
collèges, des écoles normales, offre, par la, plus de régularité et de
clarté, et rend ses justifications plus correctes.
11 n'en est pas de même, il faut bien le dire, pour les dépenses
des écoles primaires supérieures, des écoles primaires élémentaires,
des écoles maternelles, etc., etc., dans lesquelles la paît contributive
de TEtat reprécsente la plus grande partie du budget de renseigne-
ment primaire, puisque, dans le budget qui vous est soumis pour
l'exercice 1885, elle se rapproche sensiblement de 80 millions. On a
signalé souvent des erreurs et des abus, se traduisant en des excé-
dents de dépenses qui grèvent indûment le budget de TEtat, ou qui,
clans tous les cas, pourraient recevoir, dans le service même de ren-
seignement primaire, un emploi plus utile et mieux justifié.
Votre Commission a pensé qu'il était nécessaire de vous soumettre
le résultât de ses investigations. Hàtons-nous de dire que le zèle et
la bonne foi des bureaux du ministère est au-dessus de toute alleinte
et qu'ils n'ont pas cessé de faire preuve de la plus louable énergie
pour lutter contre les demandes exagérées dont le budget de Tin-
struclion publique est l'objet. Toutes les erreurs commises, tous les
abus signalés proviennent d*une insuffisance absolue de contiùle, au
moment où on procède à rétablissement des budgets scolaires dans
chaque commune. Le profit en revient à un certain nombre de com-
munes^ qui mettent tout en œuvre pour se décharger, le plus pos-
sible, des dépenses scolaires qui leur incombent. Elles n'aperçoivent
pas qu'en agissant ainsi, elles préjudicient gravement à un plus grand
nombre d'autres qui, faute des ressources que TEtat ne pourrait mettre
à leur disposition qu'en grossissant outre mesure les charges déjà si
lourdes du budget, manquent souvent encore d'écoles et de maîtres.
Il est facile de se rendre compte des résultats de ce système.
En principe, rentrelien des écoles primaires publiques est à la
charge des communes. L'Etat n'intervient qu'après épuisement de
leurs ressources, pour parer à leur in;ufïiî>ance et pour le paiement
des dépenses obligatoires seulement.
Les communes sont tenues d'entretenir des écoles publiques de gar-
çons et de filles, et celles de moins de 500 habitants, des écoles
mixtes. Elles peuvent être autorisées à créer dos écoles prima rcs
supérieures, des écoles manuelles d'apprentissage, des écoles de
hameau, des écoles maternelles et des écoles enfantines, et celles de
plus de iOO habilauls, des écoles de filles.
Les dépenses obligatoires pour les communes, dans ces divers éta-
blissements, sont: 1° le traitement des instituteurs et institutrices;
^ les loyers de maisons d'école, quand elles n'en sont pas proprié-
taires. (Art. 37 de la loi du 15 mars 1850.)
Aux termes des dispositions combinées des lois du 15 mars 1850
et du 16 juin 1881, les ressources (jue les communes doivent affecter
à ces dépenses sont :
149 RBVCE PÉDAGOGIQUE
1« Quatre centimes additionnels au principal des quatre ccmtribn-
lions directes, ou une somme égale au produit de ces centimes, pré-
levée soit sur les dons et legs qui peuvent leur être fails pour
rentretîen de leurs écoles, soit sur des res9(mrces ordinaires on extra-
ordinaires ;
2<> Les dons el legs on leur excédent suivant les cas;
3** Dans les communes où le centime produit plus de 26 francs,
le cinquième des revenus ordinaires énumérés en l'article 3 de la
loi du 16 juin 1881. Toutefois, depuis la loi de finances de iS8!, les
Chambres votent, chaque année, un crédit de 14 millions destiné à
allé^'er de ce chef les charges municipales résultant de la gratuité
dos écoles, de telle sorte que le prélèvement du cinquième des reve-
nus est diminué de la somme que la commune reçoit dans la
répartition de ce crédit. Mais il importe de remarquer que, ce cré-
dit ne s'appliquant qu'aux charges de la gratuité, la dépense résul-
tant de la location des maisons d'école, quand les connmunes n en
sont pas propriétaires, doit ôtre payée, à due concurrence, sur le
cinquième des revenus des communes.
L'Etat n'intorvient que quand toutes les ressources sont insuffi-
santes pour faire face aux dépenses obligatoires. L'article 5 de la loi
du 16 juin 1881 décide que, dans ce cas, la différence sera couverte
par uno subvention de l'Etat.
Telles sont les bases précises sur lesquelles le budget «scolaire de cha-
que conmame doit ("^tre établi. A première vue, le compte des dépenses
obligatoires paraît facile à faire, puisqu'il ne doit comprendre que
deux articles au plus, un seul dans la plupart des cas : le traitement
des instituteurs et des institutrices, et le loyer des malsons d'école,
mais au cas seulement où la commune n'est pas propriétaire.
Cependant, ce sont là des points qui soulèvent fréquemment des
contestalions et donnent lieu à des erreurs, qui sont la cause de
dépenses indûment mises à la charge de l'Etat. On réclame des trai-
tements, qui ne sont pas ceux auxquels ces instituteurs ont droit,
ou augmentés de suppléments volés par les conseils municipaux
et qui sont à la charge exclusive de la commune. Dans certains
budgets, on porte en dépense les traitements de professeurs parti-
culiers de dessin, de musique, de gymnastique, qui, ne représentant
pas de> dépenses obligatoires, ne sauraient être payés par l'Etat. En
ce qui concerne les loyers de maisons d'école, on a vu, paraît-îl,
des communes réclamer le concours de l'Etat pour la location de
maisons dont elles sont propriétaires, ou qui tout au moins sont
employées à des usages qui ne se rapportent que fort indirectement
au serNice scolaire.
La fixation des ressources que les communes doivent consaicrer entiè-
rement aux dépenses des écoles soulève des contestations analogues.
La valeur des quatre centimes additionnels est facilement établie.
Mais il n'en est pas de même du produit des dons et 1^^ que les
LA SITUATION DE l'EN^^EICNEMENT PRIMAIRE 143
communes ont reçus ou reçoivetit pour Tentretien de leurs éceles.
Il y a urgence de procéder à des vérifications rigoureuses. En 4880,
les dons et legs figuraient dans les statistiques pour un revenu
annuel de plus d'un million ; ils n'y figurent plus Tnaintenant que
pour six cent soixante-huit mille francs. La cause principale, mais
non pas unique, en est dans une fausse application de la loi du 10
juin 4881. L'article 'i de cette loi dispose que « les communes
auront la faculté de s'exonérer de tout ou partie des quatre centimes
obligatoires, en inscrivant au budget, avec la même deslinalioo, une
somme égale au produit des centimes, somme qui pourra être prise
soit 9ur le revenu des dons et legs, soit sur une portion quelconque de
leurs ressources ordinaires ou extraordinaires ». On est allé jusqu'à
conclure de là que l'excédent du revenu des dons et legs sur la
valeur des quatre centimes devenait libre entre les mains des com-
munes, tandis qu'il est manifeste qu'il doit servir à faire face aux
dépenses scolaires obligatoires.
En ce qui concerne le cinquième des revenus ordinaires, depuis
la loi de finances de 1881, qui a volé un crédit de 14 millions pour
alléger les charges résultant pour les communes de la gratuité des
écoles, beaucoup de communes ont émis la prétention de ne consa-
crer aucune partie de leurs revenus ordinaires aux dépenses scolaires
obligatoires. C'est là une préleolion évidemment insoutenable. Dans
la lettre comme dans l'esprit de la loi de finances de 1881, il ne
s'agit pas de supprimer totalement le prélèvement du cinquième,
mais seulement d'en alléger la charge, en fournissant aux communes
une subvention spéciale, égale à la part proportionnelle à laquelle
elles ont droit dans la répartition de ce crédit. Cependant, on n'a
pas toujours su résister à une telle prétention, et le crédit de li mil-
lions a été augmenté plusieurs fois pour donner satisfaction à cette
partie des réclamations des communes. Mais quelques-unes vont
plus loin encore. Malgré la destination très précise et très spéciale
de ce crédit, qui s'applique exclusivement à la gratuité scolaire, elles
refusent de prélever sur le produit du cinquième de leurs revenus
ordinaires aucune somme pour payer les prix de location de leurs
malsons d'école. La loi de 1881 ne peut pourtant laisser aucun doute
à cet égard. Quand les ressources provenant des centimes addition-
nels, des dons et legs ou de leur excédent, de la pai-t afférente à la
commune dans le crédit de 14 millions dont nous venons de parler
et enfin du cinquième des revenus ordinaires diminué de cette part,
ne suffisent pas pour couvrir à la fois la gratuité scolaire et le loyer
des maisons d'école, les sommes nécessaires pour payer celui-ci
doivent être prises sur le produit du cinquième des revenus ordi-
naires. C'est seulement dans le cas d'insuffisance du cinquième des
revenus ordinaires que l'Etat doit intervenir poui* parfaire la diffé-
rence. Cependant, le plus souvent, la totalité du loyer est imputéit
sur le budget de Tinstruction publique.
144 REVUE PÉDAGOGIQUE
Nous nous sommes demandé comment de telles interprétalions
avaient pu prévaloir, comment de semblables abus avaient pu per-
^iste^. Ce sont les préfets, de concert avec les inspecteurs d'acadé-
mie, qui règlent et approuvent les budgets scolaires. Or, il est
indubitable (|ue, dans la pratique, ils se sont montrés très favo-
rables aux exigences des communes. Les sommes nécessaires pour
faire face à toutes les dépenses, telles qu'ils les approuvent, sont
mises à leur disposition. Quand Texercice est clos, les comptes sont
envoyés au ministère de Tinstruclion publique, qui procède à des
vérifications. Mais il est trop tard. Quand des erreurs ou des abus
sont relevés et signalés, on répond qu'il est impossible de rien
réclamer aux communes, parce que les exercices sont clos, les
comptes de gestion approuvés; que les communes n*ont pas de res-
sources disponibles; qu'on jetterait la perturbation et le désordre
dans leurs finances, si on les contraignait à rembourser les sommes
dont elles ont indûment profité. El les abus se perpétuent et l'Etat
continue do payer !
Il est difficile d'apprécier, même très approximativement, les
sommes qui, chaque année, sont ainsi payées indûment par le
budget du ministère de l'instruclion publique. Nous avons déjà parlé
de la différence constatée dans les revenus des dons et legs. En
une seule année, on a relevé au ministère de l'instruction publique
une somme i^upérieure à 100,000 francs, réclamée sans droit par
un certain nombre de communes pour la location de leurs maisons
d'école. Mais en ce qui concerne le traitement des instituteurs, les
suppléments de traitement, la foule des dépenses accessoires et
facultatives aux(iuelles nous avons fait allusion, les documents
manquent le plus souvent au ministère de Tinstruction publique
pour procéder à des vérifications rigoureuses.
Il est indispensable de mettre un terme a une telle situation, en
organisant un contnMe plus otïicace. C'est pourquoi votre Commis-
sion appelle sur ce point toute la vigilance de M. le ministre de
l'instruction publique. Nous ne saurions trop le répéter, de telles
pratiques ne profilent à quelques-uns qu'au détriment de l'intérêt
général et des progrès de renseignement primaire. Le service de
l'enseignement primaire ne peut pas faire davantage. Si des écoles
manquent encore, dans bien des localités où elles seraient nécessaires,
la raison en est bien plus, peut-être, dans les causes que nous
venons de signaler que dans l'insuffisance des ressources mises par
vous à la disposition de l'administration. Ce sont i,000, 5,000, 0,000
écoles de plus qui seraient ouvertes sur le territoire de la Républi-
que, si l'on évalue seulement à 4 ou o ou G millions les sommes
que, chaque année, l'État paie ainsi indûment à un certain nombre
de communes!
Antonin Dubost.
DIRECTEURS ET ADJOINTS
(note d'inspection.)
Ne restez pas toujours entériné dans votre propre salle. Le
directeur d'une école doit connaître par le détail toutes les classes,
tous ses élèves. Vous vous plaignez d'ailleurs de ne pouvoir
assez suivre et contrôler vos trois collaborateurs.
Donnez une leçon au moins chaque jour, à heure fixe, à une
autre classe, de manière à passer deux heures par semaine dans
chacune des autres salles, et confiez pendant ce temps votre
classe à celui de vos instituteurs-adjoints dont vous prenez la
place. Chargez l'un de la géographie ou de l'histoire au cours
supérieur; l'autre, de l'écriture ou du dessin; le troisième du
calcul ou de la géométrie ou de telles autres matières, en tirant
parti de leurs aptitudes spéciales. Cet enseignement donné à la
première classe les relèvera aux yeux des parents et des grands
élèves, qui souvent considèrent les instituteur.s-adjoints comme
des sortes de moniteurs. Vos adjoints auront la satisfaction
de faire la classe au cours supérieur, de voir ce que Ion peut
demandera cette première section dans une bonne école, au lieu
de rester confinés dans leur cours élémentaire, jusqu'à ce que
l'administration les appelle au titulariat.
Quant à vous, directeur, vous verrez, mieux que par une
visite rapide, comment vos adjoints donnent leur enseignement
et dirigent leur classe, s'ils sont trop vifs ou s'ils s'attardent,
s'ils se sont pénétrés des recommandations de l'organisation
pédagogique, si leurs leçons sont bien préparées et méthodi-
quement graduées, si les cahiers sont tenus avec soin et régu-
lièrement revus et corrigés. Vous apprendrez à connaître les
élèves.
En prenant vous-même périodiquement la direction de ces
classes, considérées souvent comme secondaires, vous montrerez
en outre quelle importance vous attachez à l'enseignement élé-
mentaire ; et les parents sauront gré au directeur de l'école de
s'occuper avec la même sollicitude des petits et des grands.
ABTUl FiDAOOGIQUI 1885. — I**" SBM. 10
146 REVUE PÉDAGOGIQUE
*
Voici bien le type de Técole urbaine, l'école à six classes que
nous devrions rencontrer dans toutes les villes.
Commençons par la dernière classe du cours élémentaire, la
sixième : c'est la plus intéressante de toutes. Il faudrait la con-
fier au meilleur instituteur-adjoint de Técole, et non à ce débu-
tant encore inexpérimenté. Ce maître ne sait pas donner de
Tattrait à son enseignement de la lecture, de récriture, de
l'orthographe, qu'il faut faire marcher de front et rattacher
aux leçons de choses ; il ne fait pas voir, toucher du doigt,
manier les poids et mesures ; il fait une place beaucoup trop
petite au calcul mental. Les élèves répètent que le nord est en
haut, le sud en bas, et ne savent trouver les points cardinaux,
parce que le maître n'a pas songé à coucher la carte sur le plan-
cher en l'orientant pour faire trouver aux enfants la véritable
direction de l'est, de l'ouest; et ainsi des autres matières.
Vos élèves sont mal commencés^ et je ne suis pas surpris
d'apprendre que les autres classes s'en ressentent. C'est que cette
petite classe exige de la part du maître des qualités toutes parti-
culières : de l'activité, une humeur égale, une parfaite connais-
sance du caractère de l'enfant, et surtout l'amour de ses fonc-
tions. Il faut Savoir occuper et intéresser ces petits élèves remuants
et mobiles, leur rendre le travail atti'ayant, les habituer à la
règle, obtenir d'eux un petit effort personnel proportionné à
leur âge pour apprendre une leçon, pour faire un devoir.
La tâche de l'instituteur-adjoint chargé du cours élémentaire
est plus délicate, plus difficile que celle des autres. Pourquoi ne
pas reconnaître ses efforts et son savoir-faire, s'il réussit, par une
rémunération plus élevée ? Cela se fait dans l'un des arrondis-
sements de Paris, où la caisse des écoles alloue des gratifi-
cations de cent francs alix meilleurs maîtres et maîtresses des
petites classes. G. J.
DE L'INSTRUCTION DE LA FEMME
A LA CAMPAGNE
Urne Caroline de Barrau vient de publier une intéressante
brochure sur les femmes de la campagne à Paris. Elle s'élève
avec beaucoup de force contre cette folie de l'émigration de la
jeunesse de nos villages et nos fermes, qui dépeuplera bientôt la
campagne. Folie est bien le mot, car la jeune paysanne qui se
propose de venir faire fortune dans la grande ville n'y trouve
trop souvent que la misère d'abord et le déshonneur ensuite.
La preuve irrécusable que les femmes pauvres étrangères à
Paris viennent s'y perdre dans les conditions les plus effroyables
se trouve dans le relevé des entrées à Saint-Lazare. En 1883,
les condamnées de droit commun éUiient au nombre de 4,768,
dont 925 de la Seine et 3,318 venues des départements, le reste
appartenant aux nationalités étrangères. Une seconde section
comprend les femmes arrêtées sur la voie publique pour cause
de mœurs: on en comptait, toujours dans la môme année,
4,099 dont 1,226 de la Seine, 2,621 des départements et 252
étrangères. M"*» de Barrau conclut en ces termes : « On ne
saurait trop le dire : une jeune fille étrangère et abandonnée à
Paris, une jeune fille isolée et sans protection, est une jeune
fille perdue. Mieux vaudrait pour elle, cent fois, rester au pays
avec les siens, dût- elle y manger du pain noir toute sa vie! »
D'après l'auteur, Tune des principales causes delà dépopulation
des campagnes, qui entraîne comme conséquence fatale la
démoralisation de tant de paysannes, est le défaut d'harmonie
de l'éducation donnée aujourd'hui à la campagne avec les
moeurs et le milieu pour lesquels elle devrait être faite. Nulle
part l'éducation n'est rurale; ni à l'école primaire, ni après^ la
jeune fille des champs ne reçoit aucune instruction profes-
sionnelle; elle va plutôt à l'école apprendre à oublier ou même
à mépriser les travaux de son père et de sa mère. Elle
ne saura pas traire les vaches, tirer parti du lait, semer, planter,
148 RlVra PÉDA600IQUI
arroser. D'ailleurs, voulût-elle s'associer aux occupations de la
famille qu'elle ne le pourrait pas. « Les enfants ont emporté
de récole, pour les heures de la soirée et du matin, des devoirs
de grammaire, d'histoire, etc., à préparer, à apprendre Ou à
écrire, des problèmes d'arithmétique à résoudre. Lorsqu'ils
sont éloignés de l'école et que la course est un peu longue,
c est à peine s'ils ont le temps de terminer ces devoirs. » Ce n'est
pas tout : pendmt les années de scolarité, « grâce au régime
presque exclusivement intellectuel de l'école et faute d'exercice,
les muscles s'atrophient, les mains s'alanguissent, tout l'être
matériel s'amollit et s'énerve. » A l'incapacité physique se joint
le dégoût de la vie champêtre: de là au désir d'aller à la
ville il n'y a qu'un pas, qui est bientôt franchi.
Les couleurs de ce tableau nous paraissent un peu chargées :
il y a encore de robustes jeunes filles dans nos écoles rurales,
u( elles n'emportent pas assez de devoirs à faire chez elles pour
nv pas pouvoir aider leurs mères dans les soins du ménage
el les travaux de la ferme. Il n'en est pas moins vrai que les
eampagnes se dépeuplent beaucoup trop, et qu'il y a lieu de
réagir contre ce mal à la fois social et moral. Mais comment y
remédier ?
M""** de Barrau est loin de nier les bienfaits de rinstructiou :
elle la veut etfectivsmcnt obligatoire pour tous et pour toutes.
Seulement elle trouve que l'école primaire a le tort de saturer
d'exercices intellectuels des enfants qui passent ensuite à un
régime professionnel non moins exclusif. « C'est le manque
de simultanéité dans les deux enseignements qui les rend anta-
gonistes et qui fait tout le mai. » Il faudrait donc partager le
temps entre l'enseignement scolaire et l'enseignement profes-
sionnel.
11 y a deux moyens d'atteindre le but. Le premier, que notre
auteur ne fait qu'indiquer, consisterait à adjoindre à l'école
même un champ de culture ou les enfants feraient des exercices
de jardinage, eu même temps qu'on leur donnerait quelques
eonnaissances pratiques d'agriculture et d'élève du bétail et
(les animaux de basse-cour. Nous avons entendu défendre plu-
sieurs fois cette méthode : l'institutrice aurait sinon une vache,
du moins une chèvre, quelques poules, quelques lapins, deux
DB l'instruction DE LA FEMBIE A LA CAMPAGNE 149
OU trois couples de pigeons; etc. Ce système ne nous plaît guère :
l'introduction de ces animaux dans les annexes de Técole ser-
virait plus à l'amusement qu'à l'instruction technique des enfants.
Les vrais travaux de la ferme, du jardin et des champs seront
mieux appris par les élèves dans de vraies fermes, de vrais
jardins et de vraies cultures sous l'œil de leurs parents. Nous
comprendrions toutefois la création de fermes-modèles pour les
femmes et l'annexion d'un grand champ cultivé à une école
primaire supérieure de filles. Mais dans l'école primaire éléjneii-
taire il suffira d'un peu d'horticulture agréable et facile.
D'après la seconde méthode, que M"»** de Barrau expose avec
plus^de détail, on organiserait les études de façon à ne garder
à l'école que la moitié de la journée les enfants destinés par
leurs familles aux travaux des champs. Laissons ici la parole
i l'auteur:
e Les parents qui voudraient utiliser leurs enfants chez eux
{et ils sont presque tous dans ce cas) pourraient ainsi les garder
une moitié de la journée; Tautre demi-journée seulement
appartiendrait à l'école. Il en résulterait dès lors pour les
enfants un apprentissage tout naturel des travaux champêtres,
par conséquent Véducation professionnelle et, en môme temps,
Fentraînement normal nécessaire aux exercices qui demandent
de la force physique. Pour les enfants comme pour les parents,
cette organisation offrirait les avantages les plus sérieux. Mais
le plus grand avantage serait encore pour les enfants, car ils
s'attacheraient inévitablement à un genre d'existence qui
entretient et favorise les liens de la famille, tout en constituant
une des fonctions les plus essentielles de la vie sociale. De leur
côté, l'École et l'État y gagneraient. L'École, parce que l'insti-
tuteur ou l'institutrice pourraient faire deux divisions de leurs
élèves, l'une du matin et l'aulre du soir, chacune formant
environ la moitié du nombre total des élèves : l'enseignement
ne pourrait que gagner considérablement à ce partage. L'État
y verrait quelque matière à économies, car les locaux scolaires,
souvent trop étroits pour le nombre total des élèves, devien-
draient suffisants, les élèves n'y étant reçus, à la fois, que par
moitié; Thygiène, pour le dire en passant, n'y perdrait rien,
et les maîtres y gagneraient de pouvoir s'occuper plus efficace-
15U JŒYUE PÉDAGOGIQUE
ment de chacune des séries, au lieu de négliger, comme Us y
sont forcés aujourd'hui, quelques-uns des élèves les plus faibles
(c'est-à-dire ceux qui auraient le plus besoin de secours), acca-
blés qu'ils le sont par le trop grand nombre des enfants qu'ils
ont à surveiller et à stimuler à la fois.
D Enfin, sans parler davantage des bienfaits de l'enseignement
professionnel ainsi obtenu par le concours des enfants dans la
ferme et aux travaux de leurs parents, on trouverait encore,
grâce à cette organisation, l'occasion et le moyen de faire
continuer aux enfants les exercices scolaires après l'âge de treize
ou quatorze ans, alors qu'ils conunencent à peine à en profiter.
Au lieu d'une seule année supplémentaire accordée aujourd'hui
aux élèves qui veulent encore fréquenter l'école, la loi pourrait
autoriser la prolongation de cette période, sans qu'il en résultât
aucun inconvénient par défaut de place aux nouveaux arrivants
et sans préjudice de l'usage des travaux manuels, menés de
front, depuis l'origine, avec les travaux intellectuels. De la
sorte, ceux qui en sentent le prix pourraient entretenir plus
longtemps et même perfectionner les connaissances acquises. »
Les écoles de demi-temps demandées par M*"^ de Bàrrau
pourraient rendre de grands services dans nombre de localités
agricoles, et nous verrions avec plaisir tenter cet essai, qui serait
certainement profitable à la santé physique des paysannes et les
retiendrait peut-être en plus grand nombre à la campagne.
A. B.
RAPPORT
SUR LK PROJET DR DÉCRET RELATIF AUX TITRES DE CAPACITÉ
DE l'enseignement PRIMAIRE (1)
Messieurs,
La commission que vous avez désignée pour la révision des règle-
ments relatifs aux titres de capacité de renseignement primaire
avait deux projets à examiner: un projet de décret devant remplacer
le décret du 4 janvier 1881 et un projet d*arrôté réglementaire des-
tiné à remplacer l'arrêté du 5 janvier 1881.
* J'ai rhonneur de vous soumettre le résultat des travaux de la
commission en ce qui concerne le projet de décret.
Vous savez, messieurs, que Tétude à laquelle nous nous livrons actuel-
lement a été précédée d'une grande enquête ouverte par une circulaire
ministérielle, en date du 8 mai 1884, et à laquelle ont pris part les rec-
teurs, les inspecteurs d'académie, les inspecteurs primaires, les di-
recteurs et directrices d'écoles normales, les membres des commissions
d'examen. Vous avez reçu le volume qui contient, avec les rapports des
recteurs, les réponses faites aux questions posées par M. le ministre,
dans sa circulaire, les diverses solutions proposées par les fonctionnaires
consultés. De l'ensemble de ces documents, certaines tendances
générales se dégagent, certains désirs se trouvent exprimés presque
partout : voir relever le niveau de l'examen du brevet élémentaire,
mettre le règlement des brevets en harmonie avec la loi du 28 mars
4882 et avec les nouveaux programmes des écoles primaires et des
écoles normales; n'admettre dans les écoles, au moins comme
instituteurs titulaires, que des maîtres qui auront fait preuve de leur
aptitude à l'enseignement.
Votre commission, messieurs, s'est constamment inspirée dans
son travail de ces vœux exprimés; elle s'est efforcée de leur don-
ner satisfaction toutes les fois que la loi le lui permettait.
(1) Nous avons consacré l'an dernier une série d'articles à l'imporUinle
question des titres de capacité de l'enseignement primaire, et dans notre der-
nier numéro noua avons analysé [p. 81) le décret et l'arrêté du 30 décambre *
1884, qui ont réglé à nouveau la matière. Nous complétons aujourd'hui les
renseignements que nous avons donnés à nos lecteurs en publiant le texte
des deux rapports présentés au Conseil supérieur par MM. Lenient et
àrmbruster, au nom de la commission chargée d'examiner le projet de décret
et le projet d'arrêté. — La Rédaction,
\S^ RITT7B PÉDAGOGIQUE
I
Le projet de décret arrêté par la section permanente comprend
trois parties : la première a pour objet les titres de capacité.
L'article l®*" énumère ces litres :
Le brevet élémentaire,
Le brevet supérieur,
Le certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles.
Beaucoup d'entre nous auraient voulu supprimer ce dernier
diplôme.
Les écoles maternelles, en eiïet, exigent autant de connaissances
au moins de celles qui doivent y enseigner que les écoles primaires
élémentaires en exigent des institutrices. De plus, les programmes
et les méthodes, dans les écoles maternelles, diffèrent bien peu des
programmes et des méthodes en usage dans les classes enfantines
et dans le cours élémentaire des écoles primaires. Nous désirions
donc assimiler les directrices d'écoles maternelles aux institutrices
primaires. Celte assimilation, du reste, réalisée déjà, au point de vue
des traitements, par le décret du 10 octobre 1881, a été préparée, au
point de vue pédagogique, par le décret du 14 juin 1884, qui dit que
les écoles normale'^ d'institutrices assurent lerecrutement du personnel
enseignant, non seulement pour les écoles primaires, mais encore
pour les écoles maternelles et pour les classes enfantines.
Deux titres donc subsisteraient seulement : le brevet élémentaire
et le brevet supérieur. Puis, a ces deux titres qui ne constatent que le
degré d'instruction des candidats et ne peuvent être que des diplômes
d'étude, viendrait se joindre un véritable titre de capacité profession-
nelle, le certificat d'aptitude pédagogique; et c'est dans les épreuves
imposées pour l'obtention de ce diplôme professionnel que se place-
raient naturellement alors une ou plusieurs épreuves pratiques,
spéciales aux directrices et aux sous-directrices d'écoles maternelles.
Malheureusement, ces propositions, messieurs, ne pouvaient être
accueillies, à cause des dispositions formelles de la loi du 16 juin
1881 sur les titres de capacité, dont l'article 2 dispose que « nulle ne
peut exercer les fonctions de directrice et de sous-directrice des salles
d'asile publiques ou libres sans être pourvue du certificat d'apti-
tude à la direction des salles d'asile institué par le décret du ^
mars 1855 ».
Ces propositions, soutenues par un grand nombre de membres, ont
donc dû être abandonnées. Elles seront reprises sous forme de vœu
et présentées à M. le ministre, pour qu'il veuille bien les transmettre
"^ au Sénat, actuellement chargé de l'examen du projet de loi sur
l'organisalion de l'enseignement primaire voté par la Chambre des
députés le 18 mars 1884.
L article 4^^ a donc été adopté tel que l'avait présenté la section
permanente.
LES TITRES DE CAPACITÉ DE L*BNSEIG>RMENr PRIMAIRE 15-{
VarticU2 du projet établit un examen pratique complémentaire de
l'un ou de l'autre brevet et destiné à constater l'aptitude à la direc-
tion d'une école publique. C'est ce diplôme professionnel dont il
vient d'être parlé et que nous aurions voulu, en le rendant obliga*
toire, étendre à tous les fonctionnaires de l'enseignement primaire
public. La loi nous a contraints de lui garder son caractère facultalif.
Après une discussion sur la nature de ce certificat d'aptitude
pédagogique, — les uns voulant en faire un titre élevé, accessible
seulement à l'élite du personnel enseignant; les autres, au contrain%
désirant qu'il put être imposé dans l'avenir à tout instituteur titu-
laire et voulant, par suite, qu'il restât accessible à tout maître un
peu expérimenté, de capacité moyenne, mais consciencieux et dévoué,
— la rédaction proposée par la section permanente n'a subi qu'une
légère modification de forme, et l'article a été voté à l'unanimité
moins deux voix.
Il
Le titre iï du projet de décret a trait aux conditions d'admission
aux examens.
Actuellemeilt, pour se présenter aux épreuves du brevet élémen-
taire, le candidat doit avoir 16 ans à l'ouverture de la seijision. Le
projet porte 16 ans au 1*^' janvier de l'année dans laquelle le can-
didat se présente : la limite d'âge minimum se trou>e ainsi recu-
lée de six mois au moins. Beaucoup de membres de la commission
auraient voulu la reculer davantage : les uns proposaient 17 ans
au 1** janvier, les autres 17 ans à l'ouverture de la session.
Mais après avoir entendu M. le directeur de l'enseignement pri-
maire exposer quelles pouvaient être, au point de vue du recrute-
ment des instituteurs, les conséquences de l'élévation trop consi-
dérable de l'âge minimum dans les circonstances actuelles, la
commission, se rendant à ces considérations, a voté le texte pro-
posé par la section permanente.
Les mêmes difficultés no se présentaient plus à l'article 4, qui rè^'le
les conditions d'admission aux examens du brevet supérieur. La
possession de ce brevet, en effet, n'est pas indispensable pour entrer
dans Fenseignement, pour débuter dans la carrière. La commission,
désirant diminuer la surcharge imposée aux candidats par la prépa-
ration hâtive et précipitée d'épreuves nombreuses et difficiles, a
reporté à 18 ans révolus, lors de l'ouverture de la session, l'Age
exigé des aspirants et des aspirantes au brevet supérieur. La section
permanente avait proposé 17 ans au \" janvier précédant l'ouver-
ture de la session.
D*aprè8 VaHicle 5 projeté, « les candidats au certificat d'aptitude
pédagogique doivent avoir au moins vingt ans révolus au moment
de leur examen et justifier de deux ans d'exercice dans l'ensei-
gnement public ou libre ».
154 EEVUE PÉDAGOGIQUE
Quelques membres de la commission youlant, comme je Tai dit
plus haut, faire du certificat d'aptitude pédagogique un litre d'une
valeur tout à fait exceptionnelle, demandaient que la limite d'âge
fût reculée jusqu'à 25 ans.
Cette proposition n'a pas été accueillie.
Dans l'enseignement secondaire et même dans l'enseignement su-
périeur, cette limite n'est imposée ni pour la licence ni pour l'agré-
gation ; il a paru excessif de l'exiger des maîtres de l'enseignement
primnire. En outre, comme il est désirable que l'administratiou
puisse bientôt n'accorder le titulariat qu'aux instituteurs pourvus
de ce certificat professionnel, il serait à craindre, avec la limite de 25
ans, que beaucoup de communes ne restassent longtemps sans titulaire.
Toutefois, comprenant que cet examen — bien que devenant acces-
sible à tous les bons maîtres — doit révéler une certaine maturité
d'esprit, qui ne se rencontre que bien rarement chez des candidats trop
jeunes, la commission a porté la limite d'âge à 21 ans au moment
de l'ouverture de la session.
Une proposition tendant à exiger trois ans d'exercice au lieu de deux,
a été repoussée.
Varticle 6 énumère les conditions imposées aux. aspirantes au
certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles.
Une longue discussion s'est engagée sur la condition d'âge de 21
ans, exigée des aspirantes au moment de leur examen.
Plusieurs membres de la commission, par analogie avec ce qui a
été décidé pour les brevets de capacité élémentaire et supérieur»
voudraient voir cette limite abaissée à 18 ans. lis exposent la diffi-
culté que les administrations éprouvent pour recruter le personnel
des écoles maternelles, difficultés si grandes que, dans certains
départements, on est obligé d'autoriser des postulantes pourvues
du brevet élémentaire à enseigner dans les écoles maternelles, ce
qui n'est pas régulier, la loi du 16 juin 1881, qui prescrit pour les
directrices et sous-directrices la possession du certificat d*aplitude à
la direction des écoles maternelles, ayant en même temps supprimé
toute espèce d'équivalence de titres.
Des exceptions ont pu être autorisées en vue de circonstances
sans doute tout à fait spéciales, mais ces exemples ne sauraient
prévaloir en face d'un texte aussi positif que celui de la loi de 1881.
11 est donc à craindre que les aspirantes à la direction et à la soua-
direction des écoles maternelles no deviennent de moins en moins
nombreuses, .les conditions pour subir le certificat d'aptitude étant
plus rigoureuses que celles du brevet élémentaire.
A l'appui de leur proposition, les n;iembres de la commission qui
demandent l'abaissement de la limite d'ftge citent l'article 42 du
décret du 2 août 1881, qui fixe justement à 18 ans l'âge auquel les
aspirantes à la direction des écoles maternelles peuvent se pré-
senter à l'examen, lis proposent le maintien de cette disposition.
LES TITRES DE CAPACITÉ DE l'eNSKIGNEMEMT PRIMAIRE 155
M. le directeur de l'enseignement primaire répond que le décret
du i août 1881 a été rendu pour pourvoir à des besoins nombreux,
mais momentanés, créés par la loi sur Tobligation des titres de
capacité. Cette période transitoire est aujourd*ui terminée; il con-
vient donc de rendre à Tarticle 29 du décret du 21 mars 1855, visé
dans rarticle 2 de la loi du 16 juin 1881, son caractère obligatoire;
et cet article dit expressément que a nulle n'est admise devaat
une commission d'examen avant Tâge de 21 ans ».
M. le directeur ajoute que, la mcgorité de la commission désirant
voir disparaître ce certificat de notre législation scolaire, il vaut
mieux, jusqu'à ce qu'une disposition législative donne satisfaction à
ce désir, le conserver tel qu'il est. La faveur qui dispense de la
condition d'âge toute aspirante pourvue du brevet élémentaire, lui
paraît suffisante pour obvier aux inconvénients administratifs qui
ont été signalés.
' M. le directeur de l'enseignement primaire dans le département
de la Seine fait observer que, la loi reconnaissant deux sortes d'écoles,
les écoles maternelles et les écoles primaires, il faut se préoccuper
avec le même soin, avec la même sollicitude, du recrutement des
unes et des autres : il propose donc un amendement fixant à
18 ans, au moment de l'examen, l'ùge d'admission des aspirantes
au certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles. Cet
amendement est repoussé par 9 voix contre 7.
La condition du stage de deux mois exigée des aspirantes par la
dernière partie de l'article (5 est supprimée à l'unanimité, comme
étant insuffisante et inutile.
Vcurtick 7 est adopté sans discussion.
111
Le titre 111 du projet de décret a pour objet les sessions
d'examen.
L'article 8 règle le nombre de ces sessions pour chaque ordre
d'examen. Le projet portait qu'il y en aurait dettx chaque année pour
le brevet élémentaire et le brevet supérieur, et une au jnoins pour
le certificat d'aptitude pédagogique et le certificat d*aptitude à la
direction des écoles maternelles.
La commission a modifié ce texte. Elle a réuni l'examen des
aspirantes au certificat d'aptitude à la direction des écoles maternelles
avec' les exaniens du brevet élémentaire et du brevet supérieur : il
y aura donc deux sessions par an pour chacun de ces examens.
Quant au certificat d'aptitude pédagogique, il n'y en aura générale-
ment qu'une. Si ce titre, dans les conditions où il va être Institué désor-
mais, était sollicité par un trop grand nombre de candidats, l'admi-
nistratioD pourrait organiser plusieurs sessions. La rédaction proposée
par la conmiission le lui permet. Le second paragraphe de larticle
156 REVUE PÉDAGOGIQUE
•
8 est en olVot ainsi conçu : « 11 y aura, chaque année, une session
au moins pour le certificat d'aptitude pédagogique. »
Variicle 9 règle la composition des commissions d'examrn pour
les certificals d*aptitude pédagogique et d'aptitude à la direction des
écoles maternelles.
D'après le projet élaboré par la section permanente, la présidence
de ces commissions appartient à Tinspecteur d'académie et elles com-
prennent nécessairement : 1® deux inspecteurs primaires, 2> le direc-
teur ou un professeur de Técole normale, et deux intituteurs publics
pourvus du brevet supérieur, pour les aspirants ; la directrice ou une
maîtresse de Técoie normale et deux institutrices ou directrices
d'écoles maternelles, pour les aspirantes.
La commission a cru devoir apporter quelques modifications à la
rédaction de cet article.
Elle a d*abord décidé que les commissions se composeraient de
einq membres au moins et seraient nommées annuellement.
Puis, voulant indiquer combien il est désirable que l'inspecteur
d'académie préside effectivement, et le plus souvent possible, ces
diverses commissions, elle a proposé qu'un paragraphe spécial por-
tât cette disposition : « En cas d'empêchement de l'inspecteur daca-
démie, le recteur désigne un suppléant pour la présidence de la
commission. »
Attachant de même beaucoup d'importance à la représentation des
fonctionnaires de l'école normale dans ces examens et, pensant que
le représentant le plus autorisé de ces écoles est naturellement le
directeur, elle a modifié ainsi la seconde partie de l'article : « !2^ le
directeur ou, à son défaut, un professeur de l'école normale. »
Quant à la présence des instituteurs au sein de la commission d'exa-
men, celte disposition n'a pas été admise.
Si les instituteurs, en effet, sont généralement heureux et fiers de
voir leurs collègues siéger dans certaines commissions, à coté de
leurs chefs hiérarchiques, ils n'aiment pas à être jugés par eux. En
outre, il est à craindre que les écoles ne souffrent d'une absence trop
prolongée de leur directeur.
Si d'ailleurs la présence des instituteurs est désirable dans cer-
tains examens, comme ceux du certificat d'études primaires où ils
sont là tout à fait à leur place, cette présence n'a plus la même
nécessité dans les commissions pour le certificat d'aptitude pédago-
gique. Les garanties que doivent présenter ces commissions, c'est-à-
dire la supériorité des connaissances et l'expérience professionnelle,
sont suffisamment assurées par la présence des inspecteurs primaires
et du directeur de l'école normale.
L'élimination des instituteurs, mise aux voix, est prononcée par
7 voix contre 5.
Toutefois, il sera toujours possible de donner à un maître dis-
tingué, à un ancien instituteur d'élite, cette preuve, ce témoignage
LES TITRES DE CAPACITÉ DE l'eNSEIGNEMENT PEIMAIRE 157
d'estime et de confiance que le projet de la section permanente
▼oulait accorder aux Instituteurs.
Le recteur, aux termes du premier paragraphe de Tart. 9, doit
nommer cinq membres au moins et quatre seulement sont désignés de
droit: si les circonstances le permettent, le cinquième membre pourra
être un ancien fonctionnaire de renseignement primaire, directeur
d'école normale, inspecteur primaire ou instituteur public en retraite.
Le 1* paragraphe deV article 10 du projet est supprimé comme inutile,
le nombre des membres de chacune des commissions d'examen étant
Indiqué par la loi du 15 mars 1850 et par les dispositions spéciales du
présent décret. Le reste de l'article 10, ainsi que les articles 44, ,42
43 et 4i du titre IV du projet de décret sont approuvés, sans dis-
cussion, et à Tunanimité.
Une seule modification a été apportée au 1®' paragraphe de Varticle
44. La commission a décidé que les épreuves écrites ou orales ne
dépasseraient, dans aucun cas, le niveau moyen des programmes du
cours supérieur des écoles primaires pour le brevet élémentaire, ni
des propnrammes des écoles normales d'instituteurs et d'institutrices
pour le brevet supérieur. C'est, messieurs, la réalisation du vœu
que je vous signalais en commençant : mettre le règlement des
brevets en harmonie avec la loi du 28 mars 188:2 et avec les nouveaux
programmes des écoles primaires et des écoles normales.
29 décembre 1884.
A. Lemknt.
RAPPORT
SCR LE PROJET d'aRRÊTÉ PORTANT RÈGLEMENT DES EXAMBNS RELATIFS
ADX TITRES DE CAPACITÉ DE l'eNSEIGNEMENT PRIMAIRE
Messieurs,
J*ai rhonneur de vous reiidi*e compte du travail de lu commisbiun
que vous avez chargée d'examiner le projet d'arrêté portant règle-
ment des examens relatifs aux titres de capacité de l'enseignement
primaire.
De l'enquête faite sur la réforme des brevets de capacité de l'en-
seignement primaire, enquête dont les procès-verbaux vous ont été
soumis, il résultait que le corps enseignant était d'accord avec M. le
ministre pour reconnaître qu'il y avait lieu d'apporter des modifica-
tions plus ou moins profondes aux examens, aux programmes, aux
i58 RKVUS PÉDAGOGIQUE
conditions d'inscription et d'admission des candidats et au mode de
jugement des épreuves.
On était presque unanime à reconnaître qu'il y avait lieu de rele-
ver le niveau du brevet élémentaire et d'alléger, au contraire, l'exa-
men du brevet supérieur.
Les avis étaient plus partagés sur la nature des mesures à prendre
pour rendre utiles et pratiques les réformes demandées. Le projet
de la section permanente donnait sur la plupart des points satis*
faction aux désirs exprimés, d'une part par M. le ministre, et de
l'autre dans l'enquête générale.
Votre commission a donc pris pour base de son travail le projet
de la section permanente ; elle vous propose cependant d'y apporter
un certain nombre de modifications.
TITRE PREMIER
DES SESSIONS d'eXAMEN
Article premier. — Par l'article premier, votre commission a
décidé que les sessions réglementaires, pour les deux brevets de
capacité et le certificat d'aptitude à la direction des écoles mater-
nelles, auraient lieu, chaque année, et dans chaque département,
aux mois de juillet et d'octobre, et pour le certificat d'aptitude péda-
gogique, au mois d'avril. En adoptant le mois d'octobre, au Jieu du
mois de mars, pour une deuxième session, votre commission a
pensé subordonner les examens aux intérêts des études qu'elle
redoute de compromettre en les interrompant. Elle a aussi préféré
au mois de juin le mois d'avril, pour les épreuves du certificat
d'aptitude pédagogique, afin d'éviter la simultanéité des examens.
En raison de la situation du département de la Seine, où le nombre
des aspirants et des aspirantes a dépassé 2,000 à chacune des ses*
sions de 1881, elle fait une exception pour Paris et décide que la
première session réglementaire, pour le brevet élémentaire, y com-
mencera dans la première quinzaine de juin.
Art. 2. — "La section permanente proposait de faire choisir les
sujets de composition par l'inspecteur d'académie. La commission
a préféré maintenir l'ancienne rédaction. Les sujets de composition
étant envoyés, sous pli cacheté, par M. le ministre, donneront une
force plus égale aux examens qui se passent à la fois dans tous les
départements.
Art. 3. — Les épreuves écrites, au lieu d'être examinées et jugées
par la commission d'examen réunie, pourront être corrigées, pour
arriver plus rapidement à un résultat, par des sous-commissions de
deux membres au moins; l'admission sera toujours prononcée par
la commission réunie. On gagnera ainsi beaucoup de temps, sans
rien enlever à l'autorité des décisions prises.
LES TITRES DE CAPAaTÉ DE l'eNSEIGNEBIENT PBIMAIRE 150
Enfin, lorsque le nombre des candidats dépassera 80, il peut être
formé plusieurs commissions composées de sept membres, procédant
sépai^ment et successivement, s'il y a Heu.
Aux examinateurs spéciaux, pouvant être aciyoints à la commis-
sion pour les épreuves de langues vivantes, de dessin, de chant
et de g3rmnastique, la commission, faisant droit à la pétition des
professeurs départementaux d'agriculture, et sur la proposition du
plus compétent de ses membres en cette question, a décidé d'ad-
joindre un examinateur spécial pour l'agriculture.
Art. 4 et 5. — Rien de changé au projet.
TITRE II
DE L*n«SCRIPTION DES CANDIDATS ET DE LA SURVEILLANCE DES EXAMENS
Art. 6. — L'article 0 est adopté tel qu'il est présenté par la section
permanente. On avait proposé d'igouter, aux pièces exigéesjusqu'ici
pour les femmes mariées, leur acte de mariage; pour les veuves,
l'acte de décès de leurs maris; pour les mineurs, l'autorisation de
leur père. La commission a repoussé cette proposition, pensant
qu'il était inutile de compliquer les formalités d'inscription.
AftT. 7. — Cet article a été modifié par votre commission. Elle a
décidé que tout candidat, désireux de subir les épreuves des deux
brevets dans une même session, devrait en faire la demande au
moment de son inscription. Elle a voulu prémunir des aspirants,
trompés par le succès trop facile du premier examen, contre le danger
d'aborder sans préparation suffisante Texamen du brevet supérieur.
Art. 8. — La commission décide que les aspirants et les aspirantes
au certificat d'aptitude pédagogique devront produire, en dehors du
brevet de capacité, un certificat de Tinspecteur d'académie, attestant
qu'ils ont enseigné, au moins pendant deux ans, dans des établisse-
ments publics ou libres.
Art. 9. — Adopté sans observation.
Art. 10. — Votre commission n a pas cru devoir maintenir cet
article; elle a pensé qu'on devra admettre aux ejiamens tous les
candidats, sauf à ne pas recevoir plus tai'd dans renseignement les
incapables ou les indignes auxquels s applique l'article :26 de la
loi du 15 mars 1850.
Art. H, i2 et i3. — Adoptés sans observation.
TITRE 111
DE l'examen du BREVET ÉLÉMENTAIRE
Art. 14, 15, i6, 17. — Votre commission décide, conformément
au projet delà section permanente, que l'examen du brevet élémen-
taire comprendra trois séries dépreuves :
1(K) BBVUI PÉDAGOGIQUI
Première série.
Les épreuves de la première série pour l'examen des aspiranU
et des aspirantes au brevet élémentaire sont au nombre de quatre,
savoir :
io Une dictée d'orthographe d^une page environ ; le texte, lu
d'abord à haute voix, est ensuite dicté posément, puis relu. Dix
minutes sont accordées aux candidats pour relire et corriger leur
travail :
±^ Une page d*écriture, à main posée, comprenant une ligne eu
;(ros, dans chacun des trois principaux genres (cursive, bâtarde
ot ronde), une ligne de cursive en moyen, quatre lignes de cursive
en fin ;
3^ Un exercice de composition française (lettre ou récit d*un genre
très simple, explication d'un proverbe, d'une maxime, d'un précepte
de morale ou d'éducation);
A^ Une question d'arithmétique et de système métrique et la solu-
tion raisonnée d'un problème comprenant l'application des quatre
règles (nombre entiers, fractions, mesure des surfaces et des volu-
mes simples).
11 est accordé une heure et demie pour chacune des épreuves de
composition française et d'arithmétique, trois quarts d'heure pour
la page d'écriture.
DetÀirièim série.
Les épreuves de la deuxième série (épreuves orales) sont au nombre
de cinq :
i^ Lecture expliquée; la lecture se fera dans un recueil de mor-
ceaux choisis en prose et en ver^ ; des questions seront adressées aux
candidats sur le sens des mots, la liaison des idées, la construction et
la grammaire;
è^ Questions d'arithmétique et de système métrique;
3^ Questions sur les éléments de l'histoire nationale et de l'in-
struction civique ; sur la géographie de la France avec tracé d'une
carte au tableau noir ;
4» Questions et exercices très élémentaires de solfège;
o^ Questions sur les notions les plus élémcnlaires des sciences
physiques et naturelles dans leurs rapports avec l'agriculture et l'hor-
ticulture.
Dix minutes au maximum sont consacrées à chacune de ces
épreuves.
Troisième série.
Pour les épreuves de la troisième série, les aspirants devront :
\'* Exécuter un croquis à main levée d'uu objet usuel de forme
très simple (plan, coupe, élévation»: durée de l'épreuve, une heure
au maximum:
LES TITRKS DE CAPACITÉ DE L'eNSEIGNEMENT PRIMAIRE 161
^ Exécuter les exercices Ic^ plus élémentaires de gymnastique,
prévus par le programme des écoles primaires ; durée de Fépreuve,
dix minutes au maximum.
Les aspirantes devront exécuter, sous la surveillance de dames
désignées a cet effet, les travaux à Taiguille prescrits par l'article i^
de la loi du 28 mars 1882 ; durée de l'épreuve, trois quarts d'heure
au maximum (i).
I>ans les discussions qui ont amené l'organisation des séries ci-
dessus, votre commission a poursuivi un double but : renforcer les
principales épreuves déterminées par l'arrêté du 5 janvier 1881, et
Ajouter quelques matières nouvelles à l'examen, afm de mettre le
programme du brevet élémentaire en harmonie avec la loi du
28 mars 1882 et l'organisation pédagogique du 27 juillet de la
même année. Ainsi, pour assurer à l'enseignement de la langue
française la place qu'il doit occuper à l'école, il a paru nécessaire
d'exiger du candidat non seulement qu'il connaisse l'orthographe,
maisqu'il s'exprime avec correction, clarté et aisance. Aussi votre
commission a- t-elle insisté sur la nécessité de préférer aux exercices,
trop minutieux, d'analyse et de terminologie, des interrogations sur
le sens des mots, la liaison des idées, la construction des phrases
et la grammaire. De même, pour unir plus étroitement l'instruction
à l'éducation, elle a ajouté, au paragraphe des sujets de composition
à proposer aux candidats, un précepte d'éducation.
Préoccupée enfin de donner a l'épreuve d'arithmétique une valeur
plus réelle, votre commission a décidé que cette épreuve compren-
drait, outre la solution raisonnée d'un problème, une question
d'arithmétique. Elle espère ainsi faire juger mieux de l'intelligence
des candidats.
Voire commission a été fort divisée sur le choix des matières
qu'il serait nécessaire d'ajouter aux épreuves du brevet élémentaire,
afin d'assurer à l'enseignement primaire de tous les degrés l'am-
pleur que le législateur du 28 mars 1882 a voulu lui donner.
En ce qui concerne spécialement l'instruction morale, inscrite à
Tarticle i«' de la loi nouvelle, votre commission est d'avis qu'il serait
bien délicat et bien difficile, sinon impossible, de faire des interro-
gations spéciales sur la morale, sans se répéter et sans tomber dans
des banalités, sans risquer surtout de réduire la morale à un for-
mulaire d examen qui, étant appris par cœur, comme une leçon,
perdrait rapidement tout sens et toute valeur. C'est ce qu'elle a
voulu éviter à tout prix.
Votre commission se contente donc de la mention « d'instruction
civique «, mais, comme elle attache une importance capitale à un ensei-
(1) Le Conseil supérieur a décidé, lors du vole délinilif de i'arrélé, que
les aspirantes devront en ouirc « exécuter un dessin au trait d après un objet
atœl (dorée de l'épreuve : une demi-heure). — Rédaction.
IITUB PÉDAflOOIQUB 1885. — 1*' Al«. 11
16^ MMYUK FÉAA60GIQUK
gnement bien entendu de la morale ii récde,^lle souhaite tiue sou-
vent les sujets de compositions écrites appellent les aspirants et -ies
aspirantes à s'expliquer sur des questions de morale à leur fMrlée.
Ensuite, après avoir entendu les observations et les expUcaii^ns
de M. le directeur de renseignement primaire, et en vue 4e VeoÊÂ-
cution de la loi du 15 juin 1879 sur renseignement de UagriculUiie,
elle a adopté, comme nouvelle épreuve, une question sur -les no-
tions les plus élémentaires des sciences physiques^ et naturelles, idans
leurs rapports avec l'agriculture et Thortioulture.
Votre commission, reconnaissant, comme la section permanente,
les efiets bienfaisants de renseignement du chant, «dopte le para?
graphe relatif aux questions et eotercices très élémentaires lée ^sol-
fège.
Outre les épreuves fixées par la section permanente en son article
17, relatives au dessin pratique pour les aspirants, et aux iraraux
à raiguille prescrits par Tarticle i^' de la loi du 28 mars 1^2,
pour les aspirantes, votre commission a ajouté les exerotees les
plus élémenlaires de gymnastique, prévus par le progvaoBune des
écoles primaires. £lle n'a pas pensé augmenter la Dattgue de la
préparation; -on a voulu, par l'obligation, rendre da»s les écoles les
exercices physiques plus fréquents.
TITRE IV
DE I/EXAMEN du brevet SCPÉRlEtJR
Aet. -18 et 19. — Votre commission, en cela 'd'acoord avec le
sentiment unanime qui s'est manifesté pendant l'enquête du brevet
supérieur, a décidé dans une de ses premières séances qu'il y avait
lieu d'apporter de notables réductions aux connaisMnces exigées
pour l'obtention de ce titre, tout en ne portant aucun préjudice à la
culture morale et intellectuelle .des candidats aux fonetions de
l'enseignement.
On a proposé la division de Texamen. Cette scission en deux
parties du brevet supérieur, par la création d'un 4»re7etH(tépatre et
d'un brevet scieuatifique, n'a pasiparu à la oommissi«o tme mesure
conforme au but qu'elle désire atteindre. En scindant Texamen, la
commission aurait craint de séfMtrer d'une façon artificielle IWnde
des lettres et celle des soîobcss; elle aurait craint austi d'ajouter à
la difficulté d'obtenir le brevet supérieur, en«ubstituant«tf fait 'deux
examens à un seul. Elle a donc, à une grande ma>«ri4é, maintenu
l'unité de l'examen.
épreuves écrites,
La commission adopte, en principe, la proposition. de < la section
permanente, en ce qui concerne les épreuves ,de' niantiM, avec
LES TITRES DE CAPACITÉ DE l'eNSEIGNEMKM PRIMAIRE 163
la réserve suivanfe : le calcul algébrique, la géométrie, ragriculture
«l rhorUculture senmt écartés des épreuves à faire subir aux aspi-
rantes.
Poar la composition française, votre commission, d accoid avec
fat section permanente, a cru qu'il fallait se contenter de cette
indication générale : litléralure ou morale. Quand le sujet pouvait
être emprunté, soit à Thistoire et à la géographie, soit à l'instruc-
tion morale et civique, des candidats, craignant toujours que leur
mémoire ne fût prise au dépourvu, passaient la plus grande partie
"ée knr temps à npprendn^ par cœur des manuels d'histoire, de
géojgraphie, d'instruction morale et civique. Ne vaut-il pas mieux
▼otr ce temps consacré aux lectures et surtout aux n'flexions
^TBonnelIes?
Si les procédés artificiels doivent être écartés de touto préparnlioii
aux examens, ne faut-il pas les bannir surtout de la composition
française, qui doit montrer si le candidat est capable de dégager
ses idées, de.les exprimer correctement dans un style clair et naturel?
Epretti^s orales.
Art. 20, 21 et 2-2. — Pour montrer Timportance qu'elle attache
à la culture générale do Tesprit, et en même temps le cas qu'elle
fait des connaissances pratiques et précises, la commission projxise
june nouvelle modiQcation. Jusqu'ici l'étude de la langue française
cédait en quelque sorte le pas à l'arithmctiquo, à In physique et à
la gécgraphie. Cet ordre est remplace par le suivant :
10 Questions sur la moralo et sur réducation murale (1);
.2'' Langue française, lecture expliquée d'un auteur français,
pris sur une liste qui sera dressée tous les trois ans par le miniiilre
de rinstruction publique el publiée une année à t'avance; des
jquestions d'histoire littéraire, limitées aux prijicip<iux auteurs
du xvi*^ au xix'^ siècle, seront posées aux candidats a l'occasion de
cette lecture;
3<^ Eléments d'histoire générale depuis IGIO, géographie de la
France et notions de géograpliie générale (2) ;
^ Arithmétique appliquée aux opérations pratiques, tenue des
livres, et en outre, pour les aspirants seulement, notions de calcul
Algébrique (3), éléments de géornétrie, arpentage et nivellement:
(llLeGonsairsiipéHeinra suppriim> l'adjectif moreth comme faisant double
gBpioi, et a -rédigé eet alinéa ainsi : «1* Questions lar la morete et sur Té-
dMlieD.» — Mdëciion.
(2) Le texte adopté par le Conseil supérieur porte : « 3* Histoire de Fnnoe
depuis tSiO et éléments d'iiistoire générale depuis la môme date; géographie
de la France et notions de géographie générale. » — Rédaction,
(3) Le leile «dopté par le Gmseil supérioor porte : «r Notions très élémen-
tairet de calcul algébrique. » — Rédaction.
16 i REVUE PÉDAGOGIQUE
5^ Notions de physique^ de chimie et d'histoire naturelle, et
en outre, pour les aspirants seulement, notions d'agricultun> et
d'horticulture;
6<> Traduction à livre ouvert d'une vingtaine de lignes d'un
texte (1) anglais, allemand, italien, espagnol ou arabe, au choix
du candidat.
En ce qui cjncernc le paragraphe 1®', le projet préparé par la
section permanente portait : « Questions sur la morak et la psycho-
logie dans leurs rapports avec Téducatioa. » Ce tait toute la péda-
gogie. Pour simplifier, on a demandé la radiation du mot psychologie.
Restait: « la morale dans ses rapports avec l'éducation ». Celte formule,
trop vague, a été remplacée par celle-ci : « La morale et l'éducation
morale, » Par la force des choses et en l'absence de notions scien-
tifiques et définies, il est certain qu'en fait toute l'interrogation
portera sur la morale : c'est le Vœu de la commission.
Votre commission a pensé encore que, si les élèves doivent être
capables de replacer dans leur époque et dans leur milieu les principaux
écrivains français, il serait superflu de leur faire apprendre par
cœur une série de biographies littéraires. On a cru parer à cet
inconvénient, en adoptant la formule : « Interrogations sur le mouve-
ment littéraire du xvi® au xix« siècle. »
Votre commission a aussi modifié le projet de la section permanente
en ce qui concerne Tinterrogation sur l'histoire de France et les
notions d'histoire générale. Tout le monde reconnaît que cette for-
mule est trop vague et que cette sorte de revue, même sommaire, de
l'histoire universelle constitue une surcharge écrasante pour la
mémoire, sans utilité pour la culture générale. Après avoir discuté
diverses propositions, la commission s'est arrêtée au texte suivant :
«Eléments d'histoire générale depuis 1610; géographie de la France
et notions de géographie générale » ; c'est celui du programme d'his-
toire dans la troisième année des écoles normales. Ce qu'il faut en
eflet demander aux aspirants, ce n'est pas un savoir général, et
par là mémo superficiel, mais un savoir réel et approfondi ; ce ne
sont pas non plus toutes les matières, mais tous les ordres essen-
tiels d'enseignement qui doivent être représentés dans les pro-
grammes du brevet supérieur. Votre commission ne croit pas d'ail-
leurs amoindrir cette importante épreuve, en lui traçant un champ
limité, où l'esprit pourra se mouvoir avec tout autant d'activité et
plus de profit.
Elle estime qu'il faut réserver aux seuls aspirants les notions de
calcul algébrique, les éléments de géométrie, d'arpentage et de nivel-
lement. Elle a réuni en une seule épreuve les mitières comprises
dans les paragraphes 2 et 3 du projet.
\1) Le texte adopté porte: « d'un texte facile anglais, allemand, j» etc. —
Rédaction.
LES TITBES DE CAPACITÉ DE l'eNSEIGNEMENT PBIMAIRE 16â
Les questions sur l'agriculture et Thorticulture ont été réservées
aux aspirants seuls, mais la commission y attache la plus grande
importance et compte que partout ce seront des professeurs spéciaux
d'agriculture qui seront chargés de les poser.
Votre commission supprime ensuite les épreuves sur le solfège,
le chant et la gymnastique, qui ont été représentées au brevet élé-
mentaire.
La commission a longuement discuté le paragraphe relatif à
répreuve de langues vivantes. Une partie de ses membres deman-
daient qu'on laissât à cette épreuve le caractère facultatif; ils insis-
taient sur les difficultés de toute sorte qu*il y aurait pour les aspi-
rants, m^me élèves des écoles normales, à acquérir les connaissances
nécessaires; mais on a fait valoir d'autre part, avec beaucoup de
force, des raisons d'un ordre très élevé.
Cest d'abord un intérêt national ; il ne faut pas accepter et per-
pétuer l'état d'infériorité où nous place, à l'égard des peuples voisins,
notre ignorance trop générale des langues étrangères ; il importe de
faire cesser l'isolement auquel nous semblons nous résigner.
De plus, l'introduction des langues vivantes au brevet supérieur
aura pour effet d'abaisser la barrière entre renseignement primaire
et rensei.i;nement secondaire. Celui-ci, en reculantjusqu'à la sixième
l'élude du latin, a laissé ses portes ouvertes aux enfants de nos
écoles ; mais il leur demande, comme à ceux qu'il a préparés lui-
même, des notions des langues étrangères. C'est donc rendre un
grand service à l'enseignement primaire que d'y introduire l'étude
d'une de ces langues.
La commission a voulu marquer, par son vote sur cette question,
qu'il y va des intérêts de notre pays. Mais pour laisser à cette impor-
tante réforme le temps de se préparer, elle a fixé le 1®»^ janvier 1888
comme la date où l'épreuve deviendra obligatoire.
TITRE V
CERTIFICAT d'APTITUDE PÉDAGOGIQUE
Art. î23 et 24. — Quelques membres, préoccupés du désir de dimi-
nuer le nombre des diplômes aujourd'hui réclamés dans l'enseigne-
ment primaire, proposaient la suppression du certificat d'aptitude
pédagogique.
Avec beaucoup de force, on en a demandé le maintien, mais à
condition que son caractère serait désormais plus nettement fixé.
Le certificat d'aptitude n'est pas en réalité un nouveau diplôme, il
n'exige des candidats aucune instruction nouvelle, aucune prépara-
tion spéciale; il se borne à constater qu'ils ont acquis, par l'exer-
cice même de leurs fonctions, l'expérience qu'on est en droit d'exiger
d'un futur directeur d'école. On tenait tellement h ce que cet examen
166 R£VU£ PÉDA60GIQU&.
fût tout à fait pratiqua, que la. section permaoente proposait de le
faire passer aux instituteurs dans une classe, devant des élèves^
mais plusieurs membres de la commission se sont élevés avec vi*
gueur contre celte proposition, ils ont démontré qu'un. pareil examen
serait impraticable. Peut-on désor^niser les clafises? Seraitril
conveaablc d*exposer un instituteur à rester court devant les
élèves?
On a proposé encore de f.iire venir devant le jury q^elques élèves
auxquels le candidat s'adresserait. La commission a. pensé qu'en
face de ces figurants le candidat ne serait pas du tout dans la même
situation que dans sa classe avec ses élèves.
Par toutes ces considérations, elle a donc réduit l'exatten à des
épreuves passées, comme les autres, en dehors de la classe^ hors de
la présence d'élèves, devant un jury ; mais il reste bien enteuAu que
ces épreuves seront aussi simples que possible, uniquement destinées
à montrer Texpérienco acquise par Tinstituteur. Ainsi- la compositioa
française est limitée à un travail fort simple sur un sujet xelAlif
à la tenue do l'école et à l'enseignement.
Cette épreuve sera éliminatoire, afin de ne pas obliger à se pré-
senter inutilement devant le jury les candidats dentelle aurait déi-
montré Tincapacité.
TITRE Vi
DU CERTIFICAT D'APTITUDE A LA DIRKCTION DBS ÉCOLES aATEffNBLLfiS'
Art. 25 et 26. — Le certificat d'aptitude à la direction' de» écoles
maternelles a donné lieu à une diseassion dans laquelle^on ar expri-
mé le désir, en vue de réduire le nombre des litres de capacité et de»
relever le niveau de l'examen des directrices d'écoles maternelles;
de voir ce titre remplacé par le brevet de capacité élémentaire, suivi
d'une épreuve pratique. Cette proposition a dû être écartée, le cer-
tificat d aptitude à la direction des écoles maternelles existant en
vertu du décret du 2i mars i85o qui vise la. loi du 15 mars 1830.
En conséquence, votre commission adopte les deux articles du titre
VI, en supprimant au paragraphe 4 des épreuves écrites la.menUen
« et de petits ouvrages de la méthode Ri'oebel. » ; elle- a décidé ea
outre que les aspirantes déjà pourvues du.hvevet.de capEuntétâerooi.
admises à Texamcn pratique, sous la condition d'avoir suhii avee
succès une épreuve de desskU'au trait (1).
(1) Ija^dause rdntive k l'épreufede deuiti a été suppvènée' parle QeMeil
su4iériour comme su perflae^ par suite de l'iolroduciieiiv mentionnée * pèiA: luMt^.
d'une, épreuve de deseia au trait, pour le^espisantes) daaei'eeaenBdtt bievet'
élémentaire. — Hédaction.
LES TITRES DE CAPACITÉ DE l'eNSEIGNEMENT PRIMAIRE 167
TITRE Ml
DU JUGEMENT DES ÉPREUVES
*
Art. â7. — Après avoir rais en présence les deux propositions qui
se soDt produites au coramencement du débat relatif au jugement
des éprenines, et dont l'une avait pour objet d'admettre des coefficients
et' Taatre d'exclure la compensation des notes atlribuées aux
éprefiTes, votre commission, s'appuyant sur ce (}ue les matières
do programme de l'enseignement primaire forment ensemble une
série de connaissances nécessaires, indispensables, et que pour bien
les enseigner il faut bien les posséder- a adopté le système de
compensation et Tarticle de la section permanente, sauf une légère
modlûcalion en vertu de laquelle la note très bien correspondra aux
chiffres 10 et 9. La mention médiocre est remplacée par la mention
fat'ble, comme plus claire.
La commission a rétabli ensuite Tarlicle réglant les conditions
de rejet et d'admission de l'épreuve d'orthographe, en décidant qu'un
tolai de trois fautes entraînerait la nullité de cette épreuve (1). Votre
commiseton s'en rapporte d'ailleurs au pouvoir discrétionnaire des
jurys d*examen pour* l'appréciation de la gravité des infractions à
la grammwre et à la langue.
Elle considère qu'un mode de correction uniforme sera un élé-
ment de relèvement de l'examen du brevet élémentaire.
AUT. î^ et 29. — Adoptés.
Art. 30; — Le» conditions d'admissibilité aux épreuves orales et
d'admission définitive sont réglées par cet article. La commission
96 conforme à l'équité en exigeant que pour être admissible aux
examens oraux, onaitobtenu la moitié du chiffre maximum des points.
Bo conséqoenee, votre commission a l'honneur de vous proposer
dMopter le programme qu'elle vous présente.
Ruris, 1er 29 décembie 1884. L» Bàpportettr,
A. Armbruster.
(1) Après une discussion approfondie, le Conseil snpérieur a décidé de ne
pn- maintenir cet article. MM* Renan, Béclard et Bernés ont signalé les abus
q^ réBultent de l'applicatioii d*nn tarif inflexible, pouvant entraîner des exchi-
tktmm îÉyotleti et l*«nnjorHé &m Conseil (19 voix contre 18)- s'est rangée è* leor
avis» uâfjuigrBid'eianMDappiéoiercMlidésoffiiiais réprwtve d'orthograpl» en
I— lemfcartè, oomjntdlaappréeieiu l«»autnDBé|irattvea;deraam0a. ^ MdâHim'
LA PRESSE ET LES LIVRES
Questions d'enseignement national, par M. Ernest Lavisse (Revue
internationale de Renseignement, numéro du 15 janvier i885). — C'est
renseignement supérieur, tel qu'il est donné dans les facultés de
l'Etat qui fait l'objet de cette étude, préface d'un livre qui vient de
paraître; mais nous y trouvons un passage intéressant pour nous.
« Quiconque enseigne Thistoire, dit M. Lavisse, dans un collège
ou dans une école, est le disciple do ceux qui travaillent au progrès
de la science historique. »
Et en ce qui concerne Técole, il insiste sur f>a pensée.
ff Dans un collège ou dans une école, ai-je dit : il faut, en effet,
ne pas oublier l'école. 11 ne s'agit pas de faire les superbes et les
dédaigneux^, et de s'estimer si haut placé dans sa chaire que Ton
n'aperçoive point, tout en bas de la hiérarchie, le maître d'école
avec les fils des paysans et des ouvriers, car ces fils de paysans et
d'ouvriers, c'est la plus grande partie de la France. Il ne s'agit pas
non plus de s'isoler dans sa dignité intellectuelle et morale, et de
croire ou de faire semblant de croire que la force morale ne se
transmet pas. De même que les sciences positives ont leurs appli-
cations dans rindusirie, les sciences morales ont leur application
dans la vie nationale. Ou pardonnera à un professeur d'histoire cette
conviction qu'il est utile de verser jusqu'aux profondeurs intimes de
la nation la connaissance élémentaire de noire histoire, le sentiment
de ce que nous avons été, de ce que naus sommes dans le monde.
Sans doule, la transmission se fera souvent par des maîtres insuf-
fisants à des écoliers incapables ; beaucoup de temps sera perdu ;
des mots inutiles ou inintelligibles sei*ont jetés dans des mémoires
qui ne les garderont point; mais c'est un mal que nous pouvons
atténuer, si nous ne dédaignons pas de diriger, de conduire par la
main les maîtres de ces écoles; ce faisant, nous serons récom-
pensés de la peine, car il y a, dans ce monde aujourd'hui si actif
de l'école populaire, une grande vertu : on a le courage d'y être bon
Français et de le dire. Vous n'y rencontrerez pas cette détestable
crainte du ridicule, qui nous fait hésiter devant les grands roots
qui expriment les grands sentiments. On prononcera le mot de
patriotisme avec quelque emphase, mais cela ne vaut-il pas mieux
que de le dire tout bas, avec une hésitation de la langue, comme
si on voulait se faire pardonner cette hardiesse à offenser le bon
goût? Je dirai plus encore. J'ai peur que ce ne soit pas seulement
l'expression qui manque au sentiment dans une certaine partie de
la nation, mais que le sentiment même n'y ait pas cette vigueur
LA PRESSE BT LES LIVRES 169
qu'il lui faut pour posséder les âmes. Les hommes qui ont la vie à
la fois la plus occupée et la plus facile ne sont pas ceux qui res-
sentent le mieux certaines douleurs et sont le plus prêts à certains
sacrifices. Les ftmes et les vies plus simples sont plus sensibles.
On trouvera dans les rangs élevés d'une société des âmes fières, que
le sentiment même de leur dignité préservera contre les bassesses
et conduira sans efforts aux actions héroïques, mais il faut à la
France la foule des héros inconnus; elle est dans les ateliers et
derrière les charrues. Parlons-lui en soignant notre parole, et comme
la plus lourde part de devoirs pèse sur elle, donnons les faisons
capables de lui faire comprendre ces devoirs et de les lui faire
aimer.
» Je dirai seulement à ceux qui trouveraient extraordinaire cette
relation entre renseignement supérieur et Técole primaire, entre
la science et le patriotisme : Re^^ardez FAllemagne. J'ajouterai : Il
ne se passe pas de session de baccalauréat où des examinateurs ne
soient emportés par l'indignation, en constatant que des jeunes
gens ne savent point l'histoire de nos défaites de 4870, ne connaissent
pas le tracé de notre frontière de l'est, ont oublié Metz ou bien
donnent Nancy à TAllemagne. On se demande dans quel milieu ils
ont vécu. Ce sont, dira-t-on, des exceptions monstrueuses : je le
souhaite. U faut travailler à les faire disparaître : sans doute, mais
il faut peut-être aussi chercher dans un autre milieu. »
Dubois-Crancé; la première bibliothèque populaire (La Justice du
t février 1885). — Dans une étude sur Dubois-Crancé signée Sari"
thonax, et publiée à propos du livre récent que M. le colonel lung
a consacré à ce conventionnel, nous trouvons la page suivante,
qui nous a paru mériter d'être reproduite dans cette Revue :
« Aux derniers jours de la République, Dubois-Crancé fut ministre
de la guerre pendant un peu moins de deux mois. On lira, dans les
écrits posthumes publiés par M. hmg, l'intéressant compte-rendu
qu'il râigea pour la postérité. Notons surtout son attitude républicaine
en face de Bonaparte : il proposait au Directoire les mesures les plus
sévères contre le général de l'armée d'Egypte et il parlait de préve-
nir ses projets liberiicides en Tarrêlant. Cette attitude était d'autant
plus louable chez ce patriote que, comme militaire, il admirait
passionnément l'homme d'Arcole et de Rivoli. Mais, quoi qu'en dise
un de ses biographes, il se garda bien de rendre de plats hommages ,
le lendemain du 18 Brumaire, au destructeur de la République, et
il quitta simplement le ministère pour rentrer dans la vie privée. La
rancune de Bonaparte l'y suivit sous la fofme des tracasseries les plus
mesquines et les plus basses. Quand il demanda un congé comme
général de division, son successeur Berthier le fit descendre au grade
d'a4judant-général qu'il avait avant son élection à la Convention,
n eut beaucoup de peine à obtenir de la malveillance des bureaux
170 REVUK PÉDA6061iHK'
la liquidation de sa modeste peiision de retraite et véculdès. lor&y
ohscuv et bien faisant,, dans sa. propriété de Balham.
» Aicetle heure critique de la. retraite, il moi^a de la dignité^ diL
boa.seast UQ^ modestie iiàre, comme si.rexpécience et le spectacle
do tant d'événements tragiques avaieiit dissipé en lui ce grain de
vanité que noua lui. avons peutrêtre trop reproché, et il éorivil noble*
ment en. tête de sas Mémoires :
« Si' j'easso' encore été à 1 époque où je croyais bs hommes meil-
» leurs qu'ils ne le sont, j'aurais regretté peut-être de ne-pouvoir
»-plu8 les servir; mais l'expérience m'a< convaincu, et.je me féli-
» die do n'avoir plus d'autre occupation; que celle de cnltiver* le
»> champ patriarcal que mon piTe m'a laissé. » Et, sans insister
davantage sur lamertume de ses désillusions, il ajoute, avec l'em-
phase du temps: < Comme ils sont, grands, ces boisl comme ils •
» sont-, devenus épais» ces couverts que j'ai perdue de vue depuis dix.
» ansi. Qu'ils sont délicieux! Hais en me rappelant que c'est moi
i> qui les ai plantés, ils m'avertissent du déclin de ma vi«(.. Eh !
> >qu'imporie ? Ne vieillitHMi pas également au milieu de la. tour»
» mente des cour^, comme dans les déserts? Dois-^je moins jouir de»
V dons» de la: nature, parce qu'il faudra un jour en être privé?.. .
» Adieu donc, honneurs, puissances, crédit, adieu tout; je reprends-
» ma; bêche et mon râteau, et ne suis plus qa^un jai'dinier. »
D C'est alors que, naïvement, il se fait peindre par DeneuTilleen
jardinier: il a une bêche à la main, et sa femme est debout près de lui.
» 11 finit donc sa carrière agitée en cultivant son- jardin comme
Candide, mais c'est un Candide sensible, un. Candide humain, et
hieniaisanL Ainsi que tant d'autres révolutionnaires il avait, dan»
le cœur comme sur les lèvres, le culte et le goût de la fcaternUé.
Dans sa carrière militaire, toute morgue professionnelle est absente
de sa parole et de ses actes. Non seulement il se rit du prestige du
galon et veut qu'on soit sobre d'épaulettes^ maia.il. traite réellement
les soldats qu'il commande commo des camarades et comme dès
frères* il leur disait :
« Le mot de fratemiié est-iLun vain mot? N'esi'Ce>p^C€i.q4|LiiBLit
». notre force? Les vertus sociales sont si douces 1 » De leur, côtà^.ses
soldats le traitent en père. A l'armée de Bretagne,, en.. mai 17d4v
dan» une heure de grande détresse morale j. ils lui avouent ingénu*
méat leurs défaillances, intimes et sollicitent de lui dea^ rasiôdea:
contre leurs propres faiblesses. Un. d'eux, un simple stfgiantf^Hiaior^
en ganiifioaiàiFougèrcs,.a.reça..de sa feomie des lettres qi^iamellis^
sent sou courage, et. il sent faiblir son patnntisœo. Quo'ftti^il akMft? ;
Ui envoie toute cette corireapondance à son général et lui demaade-:
ottaseiL Le général,. à< qui une reaponsabiiitâ infinie ne laiseotmâm»-
ppade tomps- de dormir^ trouMe uni moment poue lire, s'émouveir. el
répudie r à son . canaarade >: « Je te renvoie .t&cerrespaodance- C'est»
«^mbdé^ôteacré/etije taremenie de^ ta confiance. Tu.ea.:nai bnuvet
LA PAfiSSS. £1. LBft UVAES 171
• homme. Tu. sera bien la République. Tu ne tarderas paa viaisem-
« blablement a être fait, officier. Tu doil dooc faire pasâor daoa
> Fine. de ton épouse. le sentiment qui tanime et la fortifier cootce
> une faiblesse qui, pour être due à sa tendresse, n*ea nuirait pas
» moins à ton avancement et peut-être à tes devoirs. C'est un mou-
» vement bien naturel que celui qui nous rapproche par la pensée
» de ce que nous chérissons; mais nous devons tout à la patrie i
» Commençons par la sauver pour jouir en paix des fruits de sa.
» reconnaissance. > N'êtcs-vous pas émus de cette belle et simple
leçon de morale civique, donnée par un général à son soldat, et
l'aceent de tendresse fraternelle qui tempère la gravité do ces con«r
jseUs n'a-t-il pas comme une naïveté sublime ?
» Le même esprit philanthropique lui inspira une généreuse entrer
prise, dans sa retraite de Balham. IL avait une belle bibiiotht'que,
d'environ 6,000 volumes. Il eu. ouvrit laccès à ses concitoyens et fit
apposer dans tout le canton d'Asfeld, où il demeurait, une affiche où
il les informa qu*ils pouvaient se présenter chez, lut « avec confiance^
> tous les jours et à toute heure, de huit heures du matin jusqu'à
> six heures du soir, à dater du i*^ germinal de chaque année jus-
> qu^u i^*" vendémiaire, ils y trouveront sans aucune gêne une table,
» des chaises, de Tencre, du papier, et le citoyen Dubois-Crancé
V leur procurera, tous les livres dont ils désireront prendre connais-
> sance. Tout ce qu'il demande à ses concitoyens, c'est le respect
» d£Lauz propriétés. » C'est ainsi qu'un d3 ces conventionnels répu-
tés barbares et sanguinaires ouvrit, dans un coin perdu de la France,
sous le despotisme de Bonaparte, la première bibliothèque populaire.
II n'oubliait pas avec quelle sollicitude l'ancien régime favorisait
rigoorance, et lise rappelait avoir lu dans le Roussillon, avant 1789y
une ordonnance de l'intendant qui défendait aux maîtres d'école
d apprendre à lire à leurs élèves ! »
Notions usuelles ûe droit civil répondant aux progi'ammes de
l'eiiMigiiement primaire et de l'enseignement secondaire spécial,
par. M* /. R^. Chassaing^. Ucancié en droit, rédacteur au. ministère da
rinstruction publique ; I^ris, Delalain frères^ 1 volume in-t-iî.. —
Dan& notre dernier numéro, M. Acollas demandait que la connaissance
des notîoos élémentaires du droit fût vulgarisée au moyen d'un
enseignement populaire: Voici un livre qui nous parait répondre à ce
àésu. Ce n'est pas, comme l'auteur le dit dans sa préface, un
taité sommaire ni encore moias un manuel de législation civile;
c'est- «-un. livre. absolument pratique^ mis au courant des lois nour
velles,. où se trouvent exposées, en termes pour ainsi dire faoûr
liées, tottiesr les règles dsidroit qui sont d!une application fréquente^.
^.qfiliLio^iorte de connaître. » Des notes explicatives en grand'
nombfe, et» chaque fois que celai a. paru nécessaire,, des exemple»!
d'application font saisir le sens et la portée des règles exposées.
172 EBVUI PÉDÀ606IOU1
Les Notiom usuelles de droit civil conprennent trois livres. Le
premier traite de l'état et de la capacité des personnes, des droits
civils et politiques, du domicile, de la résidence, des actes de Fétat
civil, du mariage et de ses conditions, des différents régimes qu'il
comporte, des droite et des devoirs des époux, du divorce et de la
séparation de corps, de la paternité et de la filiation, de la minorité
()t de la tutelle, de la majorité, de Tinterdiction, du conseil
judiciaire, etc.
Le second livré est consacré aux biens et à leur distinction,
meubles, immeubles, droit, action, propriété, possessions. L'auteur
y étudie aussi l'usufruit et les droits do Fusufruitier, l'usage, l'Iia-
bitation, enfin les servitudes, leur origine, leur nature, leur ex-
tinction.
Le troisième livre a pour objet les différents modes d'acquérir
et de transmettre la propriété et les droits : occupation, successions,
donations et testaments, contrats et obligations, preuve des obli-
gations et des paiements, vente, contrat de louage, voies et moyens
accordés aux créanciers pour assurer le paiement de leurs créances.
Le volume se termine par un chapitre sur la prescription et un
autre sur les moyens offerts par la loi pour mettre fin aux contes-
tations entre particuliers : transactions, arbitrages, compétence des
tribunaux de paix et des tribunaux d'arrondissement.
L'ouvrage de M. Ghassaing se présente aux maîtres sous les
auspices d'un savant professeur de la faculté de droit de Paris.
« 11 me paraît difficile, écrit à l'auteur M. Bufnoir, de mieux con-
denser dans un si petit volume, ou d'analyser plus clairement
et dans un sens plur. pratique les règles essentielles de notre
droit civil. Votre langue, sans cesser d'être juridique, est bien
appropriée au public spécial et pourtant si étendu auquel vous vous
adressez. »
Le livre de l'élève soldat, à l'usage des écoles, collèges et lycées,
des sociétés de gymnastique et des bataillons scolaires, par M. Edm.
Pascal, lieutenant d'infanterie territoriale, affecté au service d'état -
major, licencié en droit; i vol. in-12, 1884, Hachette et O*. — Les
vertus militaires et ce qui peut en provoquer dans l'enfance le déve-
loppement, tel est l'objet de ce livre. Le patriotisme et le dévoue-
ment, l'honneur, le drapeau, le courage et la bravoure, la discipline :
voilà les titres des principaux chapitres. L'auteur a eu recours à
l'artifice d'une légère fiction pour dramatiser, si l'on peut dire, ses
leçons de morale civique : il a multiplié les exemples et les anecdotes.
Son livre pourrait être un bon livre de lecture courante pour les
élèves un peu avancés, pour les classes d'apprentis et d'adultes ; il a
surtout sa place marquée parmi les ouvrages que l'on donne comme
récompense dans les écoles et sur les rayons des bibliothèques sco-
laires et populaires.
LÀ PRISSE £T LES LIVRES 175
L'AVENIR VISUEL DES ENFANTS DANS LES ÉCOLES, par Emile Grand,
membre et lauréat de l'Institut ophthalmologique européen, auteur
de YHygiène de la vue et de plusieurs ouvrages appliqués à la vul-
garisation de Toplique physiologique; chez Fauteur, a Nancy (30,
rue Saint-Dizier), broch. in-8^ de ^5 p. et un tableau. — Dans cette
brochure destinée et dédiée « aux instituteurs et aux institutrices »,
M. Emile Grand décrit les défauts les plus ordinaires de la vision,
dont peuvent être atteints les enfants, myopie, hypermétropie, astig-
matisme, etc., et il indique les moyens de les reconnaître. Il ne
veut pas, dit-il, apprendre aux instituteurs l'optique ophthalmolo-
gique; — il faut vingt ans pour faire un opticien expérimenté, —
mais il veut les prémunir contre des apparences qui les trompent
souvent sur telles ou (elles dispositions morales de leurs élèves, les-
quelles ne sont que le résultat d'une infirmité physique, et particu-
lièrement d'une infirmité de Toeil ; il leur enseigne des correctifs
facilement applicables dans certains cas, lorsqu'une infirmité légère
de l'organe visuel est bien reconnue et distinguée; et, quant aux
affections qui sont du domaine spécial de rophthalmologie, il les
met en mesure, sinon d'en établir les causes, du moins d'être les
premiers à donner un avertissement salutaire .
M. Grand, s'adressant à un public peu familiarisé avec le langage
médical, aurait pu, suivant nous, reprendre les choses de plus haut
et user un peu moins des termes techniques; tel qu'il est toutefois,
son travail sera utilement consulté par les maîtres et les maîtresses.
Le certificat d'études primaires, choix de compositions écrites :
orthographe, calcul, rédaction, par M. B. Subercaze, inspecteur de
l'enseignement primaire, officier de l'instruction publique, troisième
année, à l'usage des maîtres ; 1 vol. in-i2, Paris, Delalain frères. —
Le titre de ce livre dit assez ce qu'il contient. A la suite des docu-
ments relatifs à l'examen du certificat d'études primaires, M. Suber-
caze donne 200 types des compositions écrites exigées pour cet
examen : orthographe, problèmes, rédaction. Ge sont, d'ailleurs, de
simples textes : les dictées ne sont pas expliquées, les sujets de
rédaction ne sont pas suivis du corrigé ; pour les problèmes, l'auteur
se borne à donner la réponse, sans indiquer les opérations. Ce
volume vient à la suite de deux autres où le même plan a été suivi
et qui ont eu plusieurs éditions.
Petit traité d'ornements polychromes, manuel de poche à l'usage
des écoles et des personnes qui désirent s'instruire seules, avec des
applications'aux beaux-arts et aux arts industriels, par Mld. /. Hàusel-
mann et R. Ringgery album in-i2 oblong, Zurich, Orell, Fussli etC^*. —
Manuel de pocbe de l'instituteur pour l'enseignement du dessin,
400 motifs à dessiner au tableau noir, par M. /. Hduselmann^ 3® édition,
album io-IG oblong, mêmes éditeurs. — Nous nous bornons à signaler
174 RSYDK PÉDAGOGIQUE
ces manuels, qui peuvent à tout le moins fournir aux maîtres, sous
un format commode pour eux, un très grand nombre de modèles
variés et intéressants. Le Pelil traité d'ornements polychromes est le
complément du Ètanuel de fodîe. Les auteurs pensent que les dessins
ombrés donnent eouTont lieu à de grands abus, que Tétude deTombre
c ne détient fnictuaise que lorsque Ton peut expliquer les Jeux
d*ombre et de lumière sur des modèles plastiques 9. Au lieu des
ombres, Técole, selon eux, doit introduire dans l'enseignement
remploi des couleurs, et de là leur second manuel. C'est une idée
dont nous ne nous portons point garants, mais qui mériterait, dans
tous les cas, d't^tre soumise à Texpérience. Nous aurions aussi des
réserves à faire sur les germanismes qui émaillent les préfaces de
ces éditions françaises ; mais ici la forme est moins importante -que
iefoad.
Langue allemande.
La stiECHARGE DES ÉLÈVES. — Cette question semble avoir perdu un
peu de son importance en Allemagne. Les discussions sont moins
tives et la presse en semble moins préoccupée depuis la publication
des rapports si considérables de la commission d*enqu^te constituée
par le ministère prussien et de la commission médicale. Pendant
bien des semaines, aucune des feuilles qui jetaient feu et flammes
contre l'excès de travail sous lequel on écrasait les écoliers alle-
mai.ds n'a publié ni mentionné ces importants rapports. Mais Ils
ont fini par Hre connus; les faits et les statistiques qu'ils contien-
nent ont ramené les plaintes à leurs justes proportions, et l'on a
reconnu qwî s'il y a çà et là des abus, des intempérances, le mal
n'est pas si grave ni si inquiétant qu'on l'avait cru d'abord.
Le hujet n'est pourtant pas épuisé pour cela, et pasplustard que
le mois dernier plusieurs des revues et journaux pédagogiques de
l'Allemagne s'en entretenaient encore.
LwMagtleburger Zeitung propose son remède. C'est dénommer, parmi
les pères de famille qui envoient leurs fils au eollège,'oa parmi les
citoyens de toute commune qui entretient des écoles supériettresou
secondaires, un comité qui ait la charge de veiller sur'k *distrilra-
tion du travail aux écoliers, et de s'entendre à cet effet avec -les di-
recteurs et professeurs des établissements. Ceux-ci aeréient mis en
état de mesurer leurs exigences sur les possibilités otles'cireoBslaDces
de la vie de famille. Un bon maître y trouverait l'appui nécessaire,
un maître inexpérimenté y rencontrerait les directions ou les barrières
dont il aurait besoin, et de eette délibération commune sortnaitie
bien des< enfante.
Pourquoi, ditiF«uteuT de cette proposition, lopemniielonBfifnMnt
seittit^il) blessé ie celte collaboration des pères de famille? ifiêUte
qsie ied théologiens ne «uiiisaent «pas les conseils 'preabyténuix*^
sy»o(knx,. le juriste ie tribunal ées échevins et'éas'îuféSyile «ié-
LA PRESSE ET LES LIVRES 175
éechi les autorités de police communales et nationales, et ainsi de
«Qite? L'éducation et l^instruction de nos enfants, à laquelle «oiis
-tfons tous un si grand intérêt, ne comporterait pas Tadjonction
41i9mmes d*expérienee, bien qu'ils n'aient pas qualité pour ensei-
^er?D*ailleurs, l'expérience se fait dans le paysdeBade et y Témeit
parfaitement.
lyautres feuilles demandent la création d'une inspection médi-
cale constante et de médecins attachés spécialement à chaque
établissement pour y surveiller la santé des écoliers et le degré de
travail qu'ils peuvent supporter, il paraît évident que ces précau-
tions risquent de tomber dans l'excès opposé à celui qu'on veut
eombaltre.
Les Rheinische BUitter contiennent une intéressante étude de
41. J.<^Merz sur ia surcharge de travail dans les Reakchulcn, ou écoles
d'enseignement spécial* M. Merz pense que les méthodes ne €Qnt
fias bonnes, et qu'avec de bonnes méthodes on arriverait àaou-
iag«r singulièrement les élèvts. Les travaux de composition alle-
nuiiide sont trop difficiles; lesiaujets sont r trop élevés pour Tâge
•ées enfants, dépassent trop le cercle de ieur expérience. 11 faudrait
■f?en tenir, pour les sujets qu'ils doivent traiter par écrit, à ce
-qu'ils connaissent déjà à fond, à ce qui est réellement devenu leur
-fropriété intellectuelle ; il serait bon qu'ils eussent déjà développé
eralement le sujet avant de le coucher par écrit, de façon à n*avoir
:pas besoin dd brouillon. Kn écrivant immédiatement au net on sup-
prime autant d'écritures inutiles.
Quant aux élèves plus jeunes, des dictées ou de petits exercices
de style seraient suffisants.
L'enseignement des langues étrangères gagnerait également à être
donné dans un meilleur esprit : de nombreuses et correctes traduc-
tions dans la langue maternelle, plus de lecture et moins de gram- .
maire, des exercices pratiques au tableau noir, devant toute la
elM6e,'et peu de travaux écrits pour la maison, tout au plus deux
ou tn»B phrases qu'on fera ceilainement avec facilité et 'avec
plaisir.
M. Merz s'élève contre les longues préparations au logis à coup
de dictionnaire; il préfère les lectures en classe à livre ouvert, qui
permettent aux élèves de mesurer leurs forces, de s'intéresser à
leurs auteurs, et qui permettent au maître de supprimer ou de
diminuer les travaux à faire à la maison. Ces travaux, d'après son
pkn, se'Védulsent aux proportions les plus nH)destes ; il ne veut
pas- de rédactions religieuses, de rédactions d'histoire, de cartes de
féograpiiie ; il ne fant tracer ces dernières qu'en classe, et encore
«foc une certaine modération. De même pour l'histoire naturette,
la ti^mie, la physique : les travaux écrits, les exercices domémoine,
les longues nomenclatures ne sont d^auoune utilité .dans ee genre
d'études.
176 REVUE PÉDAGOGIQUE
M. Merz redoute également les examens écrits qui terminent le
trimestre, le semestre ou Tannée, et qui peuvent être l'occasion
d'études fatigantes, de répétitions, de travaux excessifs qui consti-
tuent précisément la surcharge dont on se plaint. Les examens oraux,
pour les matières qui donnent lieu à narrations ou à descriptions,
produisent assez souvent les mêmes inconvénients.
Peut-être qu'à force de craindre la surcharge et de diminuer les
ti'avaux des écoliers en dehors des classes, on comblerait les vœux
de ceux qui ne demandent qu'à ne rien faire; mais habituerait-on
bien la jeunesse au travail, à l'effort, à la recherche ? Nous en dou-
tons. Le travail personnel, solitaire, réfléchi, est un des éléments les
plus considérables de l'éducation. A le supprimer ou à l'afifaiblir,
on perdrait plus qu'on ne gagnerait.
M. le D"* H. Schiller, directeur du p;ymnaie de Giessen, ne va pas
aussi loin. Dans une longue cl substantielle étude que publie la
Zeitschrift fiir dos Gymnasialwesen^ il réduit à leur juste valeur
les plaintes hyperboliques sur la surcharge dont seraient victimes
les écoliers de l'Allemagne. Il constate que le nombre des heures
de classe et d'étude n'a pas augmenté et que les générations anté-
rieures en avaient davantage ; qu'en 1837 déjà on trouvait plus d'in-
capables au service mili^laire parmi les étudiants que dans la jeu-
nesse artisane ou commerçante. Il redoute l'établissement d'une
inspection médicale qui imposerait aux écoles et aux collèges des
exigences peu fondées, peu pratiques ; mais il pense qu'il serait bon
de donner aux jeunes maîtres des notions précises et sûres d'hy-
giène scolaire qui leur ont fait défaut jusqu'à présent, et qui suffi-
raient à écarter les défectuosités signalées dans la dislribulion de
l'air, de la lumière, de l'espace et des <.'xcrcices corporels.
A ce propos, le directeur du gymnase de Giessen se déclare par-
tisan de la suppression des classes d'après-midi. 11 parle par expé-
rience, ces classes ayant été supprimées complètement dans réta-
blissement qu'il dirige. Les classes du matin sont plus nombreuses,
prennent cinq heures de suite, mais ne durent pas une heure entière
et sont coupées par de lé^'ers repos, de 10 à 15 minutes. La dernière
classe ne dure que 40 minutes, afin que les élèves qui demeurent
loin aient le temps d'arriver chez eux à l'heure du repas. Cette
dernière classe est suivie avec autant d'attention et d'intérêt que les
précédentes. Dans le semestre d'hiver, elle est de 52 minutes, et
Ton n'a remarqué aucun inconvénient à cette prolongation.
Le D^ Schiller déclare que son expérience de plusieurs années lui a
démontré que trois quarts d'heure de travail énergique valent mieux
qu'une iieure de présence inerte, et qu'il est facile d'obtenir des
maîtres et de la jeunesse ce travail actif pendant toutes les classes
de la matinée. Les intervalles peuvent être remplis par quelques
exercices de gymnastique, sous la direction d'un maître, mais facul-
tativement.
LA PRISSE KT LES LIVRES 177
L'après-midi reste donc libre, est consacrée à la vie de famille,
aux exercices de natation pendant l'été, de patinage pendant Thiver;
Il ne faut pas oublier que l'Allemagne ne connaît pas d'internats,
ou qu'ils y sont des exceptions dont on ne tient pas compte. H faut
avouer que, dans ces conditions, les écoliers ne paraissent pas trop à
plaindre. Mais les exigences des études et des examens ne leur
permettent certainement pas de jouir de toute la liberté que semble
leur donner cette organisation, et le D' Schiller reconnaît que sur
certains points, on peut avec vérité parler de surcharge.
A quoi cela tient-il? Jadis, au xvi« siècle par exemple, les éco-
liers étaient bien plus accablés de classes, de devoirs, de leçons à
apprendre par cœur; les méthodes étaient plus mécaniques, les
salles plus étroites. Néanmoins on entend des plaintes sur le zèle
des élèves, jamais sur leur santé. La cause en est peut-^trc dans une
moindre préoccupation de cet intérêt si considérable, dans des habi-
tudes de vie plus dure, plus tranquille, moins agitée, moins ner-
veuse- Il faut y joindre aussi les ébats tumultueux au grand air; on
vivait dans des villes relativement petites, dont on sortait en peu
de minutes pour se trouver en pleine campagne; les remparts, la
place de l'église ou du marché offraient à tout instant l'espace libre
nécessaire aux jeux. Los promenades d'aujourd'hui dans les grandes
cités et les heures de gymnastique ne fournissant pas un équiva-
lent. C'est à ce point de vue que l'auteur de cette étude insiste sur
la nécessité de laisser libres les après-midi.
Mais ce qui le frappe surtout, c'est le lait (ju'il y avait, jusqu'à
notre siècle, unité profonde et simplicité dans le cycle des études.
Un même maître enseignait tout; le latin était le centre et le lien
commun de toutes les sciences; l'éducation que recevaient les éco-
liers avait souvent pour objet de les habituer au travail, de leur
donner un caractère ferme et bien trempé; les rapports entre les
maîtres et les élèves étaient plus étroits, les classes moins nom-
breuses, les objets d'étude moins compliqués que de nos jours. De
là une sorte de calme des esprits, de sérénité, de force qui con-
traste avec la fièvre, la hâte, la multiplicité, souvent la confusion et
la surcharge dont les établissements modernes offrent l'exemple.
Le D' Schiller reconnaît qu'on ne peut songer en aucune façon à
revenir à ces temps passés, et qu'un autre siècle a d'autres besoins:
mais il cherche, par une étude attentive des programmes actuels, si
l'on ne pourrait élaguer les branches parasites ou trop touffues,
établies dans ces matières nombreuses, dans ces disciplines multiples
qui font tour à tour appel à l'attention des enfants, une sorte de hié-
rarchie, d'ordre, de lien, d'unité. 11 voudrait ramener lesétudes à deux
types: les lettres, contenant la littérature proprement dite, nationale,
antique, étrangère, l'histoire, la religion, et d'autre part les sciences
naturelles, les mathématiques, la physique, la chimie. Chacune de ces
deux séries de branches serait enseignée par un seul professeur ; la
tIVUB PÉOAGOOIQOB 1885. — 1" S«K. 12
178 IISYU&. PÉDAG06iaU£
géoi^raphie, qui particif>e d« ces deux ordres, . passerait tour à tour,
d'un professeur à Tautre, chacun l'enseignerait une années son point
de vue spécial, soit historique, soii naturel. C'est tout au plus dans
les hautes classes qu'<m devrait admettre \m plus grand nombre de
professeurs, et encore avec la plus grande réserve.
Nous no pouvons entrer ici dans le détail des réformes^ des sup^
pressions et déplacements que Tauleur énumèro et justifie. Bornons-
nous à la remarque sur laquelle il insiste avec beaucoup de raisoa :
c'est que Téducalion des gymnases s'adresse à. des enfants et non à
des étudiants, qu'elle ne devrait jamais perdre son caracU'Te scolaire
élémentaire, pédagogique, jamais empiéter sur la spécialité scîen-
tiUque, sur les éludes universilaires. Ce sont des enfants qu'il s'agi
de former, de préparer à la vie, à Télude, au travail^ et non des
savants en herbe qu'on doit bourrer des plus nouveaux résultats
de la science. Au lieu de disperser, d'étonner, d'étourdir leurs
esprits, il vaut mieux les concentrer, les fortifier, les confier à des
maîtres moins nombreux, mais mieux préparés à élever des enfants.
La conclusion pratique de ce travail, c'est qull convient de donner
aux futurs maîtres une éducation pédagogique, de modifier les
examens qui donnent entrée dans la carrière, de faire des professeurs
capables de discerner ce que demande l'enseignement de la jeunesse,
plutôt que des spécialistes voués sans distraction à une seule étude,
et qui accablent les enfants de fardeaux disproportionnés à leur âge
et à leur vocation.
Soirées a la campagnk. — Le Pœdagogmok rend compte des efiforts
qui sont faits par un certain nombre dlnstituteurs da la Haute^
Aiutriche pour répandre l'instruetlon parmi les habitantsi des caflft-
pagnesi. Sous le titre de c Soirées de paysans >, ils ont organisé des
réunions dans les villages, où l'on fait des lectures de poésies^ des
conférences, des causeries familières, entre-coupéea par des chante
patriotiques ou populaires.
M. Frantz Sehlinkert, instituteur à Vienne, a pris avec quelques*
uns de ses collègues l'initiative de pareilles réunioos. Voici la tca*
duction d'une affiche annonçant une de ces réunions poar ua
dimanche de rautomne dernier :
« Invitation à: un entretien gratuit pour les gens de la campagne
dans l'auberge de M. Koppendorfer, à Pcrwadrt.
»« Le manger et le boire tiennent unis le corps et l'âme, et le: faravaii
ajoute par dessus un cercle de fer; mais il faut aussi un amusemeoty
sans cela le cœur se moisirait dans la poitrine et l'on finirait par
ressembler à un tronc d'arbre dans la forêt, atlaqué par la pourriture^
> Cest pourquoi nous avons décidé de nous réunir dimanobe
à 3< heures de l'après-midi dans l'auberge, etc., eic Oa y entendra
toutes sortes d'histoires amusantes et instructives et difers chantei
Prendront part MM... »
LA* PBlftSft ET LKS UVRES 179
Suit le-pngKavmid^: intiroductioQt, c'est-àrdice. courte aliociUion,
chant, récils et poésie» tirésT de Hebal, Rosegger, . peliie . ccoXérencd
sur le télégrapiHi< et le téiépàone, avitre chanta autcc caufierie sur
168 ongines de^ Tenfirc d'Autrkhe, encore qudi<|iie8 récits et vers,
un dernier chant et des paroles d'adieu.
Le maire, qui signe l'affiahe^ ajoute : « Ghaouo est aaicalam^nt
prié de se rendre à rinvitation; les homme» feront bien de venir
tous et da:nener les femmes, les domestiques et lest servaotes,
puisqu'il n'y a a ce moment aucun travail et que l'eniréeioet Jilre,
ne oÔ4te par conséquent que la peine d'écouter. »
Cette réunion fut, parait-il, des plus iotéressantes; on s'amusa
franchement desi partie» gaies, et un profond et religieux silence
accueillit les paroles graves et patriotiques qu'on eut Toccasion
Hl'eni^dre. Les chants coupèrent agréablement le temps, et Ton se
prooÉt l»en: de répondre ù da nouvelles invitations du même
genre»
D'aulre»<fois, ces- réunions, ont eu: lieu dans^ des salles d'écolev
Vbiei quelques-uns • des sujets qui ont été traités devant des assis*-
tances de paysans, tant maîtres que domestiques, pendant l'hiver
dernier::
La circulation du sang dans les mammifères, les amphibies et
les poissons.. — Les effets de la chaleur. — ]jx nutrition chez
rhoaune et chez les ruminants, etc. — Diverses conférences sur les
DMàediefr de» animaux; sur Télève des abeilles^ sur la culture» des
arbra»! fruitiers.» — Des entreliens sur les diverses parties de la con-
stitutioii politique, le fonctionnement des corps élus» la responsabilité
ministérielle, les droits de l'Htal et des citoyens. — Des exposés
d'hibtoire, etc. Chaque fois, les conférenciers avaient soin de se
munir de cartes, de dessins, d'instruments propres à faciliter
l'inteUigCDce des leçons, et de las faire courtes, pour ne pas fatlguei
des espirlts mal préparés.
Ces tentatives, combattuci par le parti réactionnaire, ont trouvé
appui auprès de quelques hommes éclairés, aclifs, et sont en
voie de progrès et de succès. Leurs auteurs se félicitent des résultats
déjà acquis, et en espf'rent de bion.plus considérables lorsque l'Etat
consentira à leur venir en aide.
LsS'SomiDS-MUBTS. — Lbi, Pddagogiecha.Hufiikchau résume-les travaux
du. Congrès des institoteursde sourds*nuiets, qui a. eu lieu, récem-
meai à Berlin. Environ S^O maîtres etaieai venus, non seulement
de «toule l'Allemagne, mais d'AuLriohe, de France, d'Angleterre, de
SuÉsse, Le rapport du délégué do ministère constate qu'en 18i5 il y
avait en Prusse 170 enfants sourds-muets qui jouissaient des bieniaits
dei l'instruction ; il y en a aujourd'hui 3,99i qui sont instruits par
4l&{irolesseurs. La méthode parlée est la seule en usage, .et a fuù p(ar
èlre saUititaée, après de longs eiforka, à la méthode .deasignes,. I^e
180 REVUE PÉDAGOGIQUE
royaume de Prusse a dépensé en 1882 une somme de 1,557,452 marcs
pour les sourds-muets (environ deux millions).
Le directeur Rossler a présenté les thèses suivantes :
1° L'instruction des sourds-muets doit être obligatoire à partir de
ia septième année ;
^ Elle doit comprendre huit années de classes;
3® Le nombre maximum des élèves pour une classe et pour un
maître ne doit pas dépasser dix ;
4<» 11 faut mettre à part ceux des enfants qui ne sont pas doués
suffisamment pour atteindre le but normal de l'école et leur donner
un enseignement proportionné à leurs besoins;
5' 11 faut préparer les jeunes maîtres solidement et autant que
possible d'une manière égale.
Ce n'est que lorsque ces exigences seront satisfaites qu'on pourra
arriver à des résultats sérieux dans le domaine de l'instruction des
sourds-muets. 11 est de leur intérêt que l'enseignement se donne
d'après une méthode plus systématique que jusqu'à ce jour. Il est
donc urgent que le Congrès insiste auprès des divers gouvernements
(le l'Allemagne pour réaliser les réformes demandées.
1/assemblée a adopté, après une longue et intéressante discussion,
les thèses de M. Rossler.
Il en a été de môme des conclusions de M. Gulzmann, directeur
à Berlin, relativement à l'enseignement de la gymnastique dans les
<Hablissements de sourds-muets. C'est surtout dès l'entrée des jeunes
enfants qu'il convient de les initier à ces exercices, absolument
nécessaires pour les développer et leur ôter la gaucherie qui leur
ost si naturelle.
L'ame du peuple et l'éducation politique de la nation, par le
D»" Schmidt-Warneck. Berlin, chez Puttkammer et Mfihlbrechl. —
Voilà un livre dont nous ne conseillons pas la lecture à ceux qui
n'ont pas un penchant prononcé pour les casse-lête chinois. L'auteur
. st un véritable patriote, quia tout fait pour conserver, en ce qui le
rogarde, à la littérature allemande son renom d'obscurité, de com-
plication inextricable et de mauvais goût.
Sa thèse est d'une simplicité extrême. Un peuple n'est pas une
agglomération d'individus: il doit être une unité vivante, pos-
séder un génie national, avoir dans le monde son caractère, son
c;ichet particulier. Or, ce génie national, cette âme du peuple, qui
•iît cachée dans les profondeurs de la foule, a besoin d'être tirée
MU jour, de prendre conscience d'elle-même, de recevoir une édu-
cation. De là, la nécessité d'une éducation politique, d'un ensei-
fjnement civique.
L'auteur reproche à son peuple de n'avoir pas suffisamment con-
science de sa nationalité, et il oppose le génie français, le génie
russe, le génie anglais, si nettement caractérisés, à la fluidité ger-
LA PRBS8£ ET LES LIVRES 181
manique. Enfin, il donne, comme spécimens d'enseignement civique,
tels sans doute qu'il en voudrait pour son p&>s, deux manuels suisses
et un manuel français, celui de M. Steeg pour la France, ceux de
MM. Maillard et Vincent pour la Suisse. 11 insère en français dans
son livre d'assez nombreuses pages de ces volumes, et termine en
exprimant le vœu que Téducation politique de TAUemagne sélève ù
la hauteur et à la perfection de sou éducation militaire.
Mais si la thèse est simple, la façon dont elle est développée n'est
pas simple du tout, et Ton jetterait le livre dès les premières pages,
rebuté de tant de ténèbres insignifiantes, de tant de prétentions vides,
de tant de logogriphes et de rébus accumulés pour dire en termes
boursouflés et en longues périodes philosophico-mystiques les choses
les plus ordinaires, si la curiosité n'était réveillée de temps à
autre par des traits piquants que l'auteur décoche à ses compa-
triotes.
11 leur est dit tout net que la nation allemande est la seule qui
soit absolument et universellement antipathique a toutes les autres.
nations. C'est là, dit-il, un phénomène unique dans l'histoire, mais
on ne peut pas ne pas le constater. Cela tient à ce que les Allemands
ne sont rien par eux-mêmes, n'ont pas de consistance, imitent aveu-
glément et sans choix tout ce qui est étranger, s'accommodent sans
cesse aux mœurs et aux habitudes d'autrui, n'ont pas d*art qui
leur soit propre. Le genre allemand, c'est de n'en pas avoir (Deutsche
Artykeine Art),
De là l'opinion générale qui, exprimée ou sous-ontendue, peut
se traduire ainsi : « H n y a pas d'homme sur toute la surface du
globe qui soit aussi horriblement ennuyeux que l'Allemand. » Ou ne
sait à quoi se prendre en lui ; il n'a rien de personnel, de solide,
il est inconsistant, fluide, imitateur; c'est l'éternel Frère-out !
L'étranger s'éloigne de lui avec une sorte de dégoût. Et ce ne sont
pas quelques glorieux faits d'armes qui changeront celte disposition;
on dira tout simplement qu'une poule aveugle peut bien trouver
parfois un bon grain.
N'ayant pas de valeur intrinsèque, ne possédant pas un type
national caractérisé, l'Allemand sacrifierait tout à l'apparence, sa
santé, ses biens, son honneur. Paraître, se donner des airs, faire
du fracas, porter de beaux habits, « dût-on se serrer le ventre et
se passer de chemise », éblouir d'un faux luxe, avec de l'imitatioa,
du plaqué, du factice, du mesquin, tel est le goût de l'Allemand.
A ce trait, il faut joindre, dit notre auteur, l'amour de l'argent, le
respect profond pour la fortune ; l'Allemand s'incline devant les
écus, et met les « affaires » au-dessus de tout autre intérêt.
On comprend qu'un patriote déterminé comme le D*" Schmidt-
Wameck souffre d'un tel état de choses, et cherche les moyens d'y
mettre un terme. 11 raconte les douloureuses impressions qu'il a
ressenties dans un voyage à Strasbourg, « cette vieille ville
1 82 MBY OE '«iDdkGOQIQIII
allemande », où, malgré tous les efforts d'une genMnîMitîon >à
'>atrance, il reiDuve [xariout les mots, les noms, les (eniieB, les
sages de la France, jusque dans f hôtel allemand où il est descendu,
aliume son cigare dans la salle commune. « Vous pouTez fcraier,
i dit le garçon, il n*y a pas encore de Français dans la saUe. *
L'indignation du Toyageur ^t à son comble, il se fait conduire
ailleurs. Mêmes ennuis. 11 n'y pent |»lus tenir et quitte TAlsace.
c Nous avons enfin commencé à respirer librement, dit-il, q«afid
nous fûmes arrivés dans les montagnes de la Suisse. » Singulier
aveu d'un vainqueur se hâtant d'éohapper à sa conquête. Il ajoute:
«c Involontaire rnenc nous nous posions cette question : Pouninoi les
Suisses ont-ils un am<>ur de la patrie plus fortement accentué que
les autres peuples? » Kt W en attribue une grande part aux mon-
tagnes. 11 aurait bien fait d'y joindre aussi la lîberlé. C'est elle,
docteur, qui fournit le plus substantiel et le meilleur de l'éducatimi
civique; c'est elle qui constitue réellement « l'âme du peuple «.
J. S.
CHRONIQUE DE UENSEIGNEMENT PRIMAIRE
EN FRANCE
'Recensement de la poptlatiosî scolaire iïes écoles pnfMAiitEs
PUBLIQUES EN 1885. — L'année dernière, le 5 avril, le mmlstre de
Tinstruction publique a fait procéder au recensement de tous les
élè?es appartenant aux écoles primaires publiques (supérieures,
élémentaires et maternelles). Comme ces recensements à jour fixe
échappent à la plupart -des causes d'erreur qui peuvent se rencontrer
dams les états de situation, la môme opération vient de se faire le
'10 férrier dernier pour Tannée 1885; seulement on n'a plus demandé
aux instituteurs les listes nominatives de leurs élèves.
Choix de sujets de coMPOsmoN pour les différents concours et
EXAMENS DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE. Qui doit donUCT IcS SUJekS de
composition pour les examens de renseignement primaire? Est-'ce
Trnspecleur d'acHdémie, le recteur, le ministre, c'est-à-dire le
ministère? Cette délicate question est revenue à l'ordre du jour à
Toccasion de la réforme des brevets de capacité. Pour donner aut?uit
que possible la même valeur aux oxamens, il est préférable que tous
les sujets de composition soient choisis à i*aris, pour toute Ja Franœ,
par une commission compétente possédant une incontoslable auio-
rite. Désormais tous les sujets seront soumis a rapprobation diu
ministre après avoir été préalablement examinés par une commis-
sion prise d«ns le sein du Conseil-supérieur et du Comité consullatif
de l'enseignement primaire. A cette commission, dont font pwtie
^de droit le vice-recteur de Paris et le directeur de renseignement
-primaire, s'adjoindront des membres spéciaux pour los langues
étrangères, la musique, la gymnastique, le travail manuel (arrêté
-nilnlïstèriel du 2i janvier *885). Ce système est, selon nous, le meil-
knr qarpût être adopté.
La DIBKCTION des 'PETITES CLASSES DANS LES ÉCOLES PRIMAIRES. —
Nousuvons reproduit dans notre dernier nwnéro l'excellente citeu-
iaire^e M. Godin, inspecteur d'académie de Seinc-el-Oise, «ir^s
Tspports des chefs d'école avec Iwirs collaborateurs. Son collègnoMe
'Calîors, M. Gaees,a consacré phisieurs articles intéressants à la niâme
«(uesiioa dans le Bulletin fédagogique du LoL II insiste iiotanMiient
arec beaucoup de force sur l'obligation qui s'tmpese- au ^ titulaire .nde
i^iKCtaper luinméme, le plus souvent qu'il peut le ftiire, des classes
de débutants. 11 résulte des bulletins d'inspection que les mtees
sont toujours faites for les mêmes maîtpee, que le titulaire
i84 REVUE PÉDAGOGIQUE
8*adjuge toujours la classe supérieure, que la classe élémentaire
revient immanquablement à Tadjoint qui débute. C'est là, d'après
M. Gazes, une très mauvaise et très fâcheuse habitude.
« Le premier devoir d'un directeur d'école, dit-il, est de connaître
tous ses élèves, non pas uniquement par leurs noms et leurs notes,
mais surtout par l'enseignement qu'il leur donne. C'est au directeur
à mettre, au début de l'année scolaire, le travail sur le chantier, à
distribuer les matières du plan d'études et à prendre en main
successivement chaque classe pour l'entraîner, lui donner, si j'ose
dire, le diapason ; établir partout l'harmonie ; créer enfin une sorte
d'atmosphère morale de Técole ; faire un tout dont les parties, inti-
mement liées entre elles, obéissent à la môme impulsion.
» Cela fait, que le directeur prenne en main la classe supérieure
et qu'il en fasse plus spécialement son domaine, nous n'y contre-
dirons pas ; et cependant, quel plus grand mérite, et plus digne de
tenter son ambition, que de bien faire la classe élémentaire! Y a-t-il
donc sur elle une soi te de défaveur ou de dédain pour qu'elle soit
toijgours confiée à un jeune adjoint débutant, c'est-à-dire à celui qui
est, à de rares exceptions près, le moins apte à la faire sérieu-
sement ?
» Le normalien débute après avoir fait trois années d'études qui
ont plutôt trdit à renseignement des classes supérieures des écoles ;
il faut lui fournir d abord les moyens d'appliquer ses connaissances
et de les mettre en pratique. A part quelques exceptions, la classe
élémentaire lui convient moins que toute autre ; ce n'est que par une
préparation toute nouvelle et les conseils fréquents du directeur,
qu'il devra plus tard s'y essayer.
j» Nous connaissons l'objection : « Que ne nous sommes-nous
» directeurs de fait, c'est-à-dire affranchis de toute classe, ce serait
» le meilleur moyen de les voir toutes ; mais en l'état actuel que
» dirait-on si on voyait le directeur ou la directrice d'une école
» importante faire la classe élémentaire et confier à ses adjoints
9 les cours supérieurs ? On croirait que nous nous inclinons devant
» plus capables que nous, nous y perdrions notre autorité au dedans
» et notre influence au dehors. C'est un préjugé que ne nous sen-
» tons pas la force de vaincre, »
» Nous répondrons : Essayez. 11 n'est pas de classe plus difficile
que la classe élémentaire. 11 n'en est pas où il faille plus de soin,
de patience, de connaissance des méthodes, de réflexion et d'expé-
rience, il n'en est pas où plus de talent et de cœur soit néces-
saire. Quelle anomalie de faire embarquer des débutants dans une
pareille entreprise et d'espérer tirer quelque bon résultat du contact
de deux inexpériences.
» Tant vaut le germe déposé dans la classe élémentaire, tant vaut
Técole I
» Que les titulaires des écoles dont nous parlons ne craignent
CHBONIQUE DE l'eNSEIGNEMEMT PRIMAIRE £M FRANGE 18â
donc pas de commencer à instruire les plus jeunes enfanls et de
créer eux-mêmes la pépinière dont ils tireront les plus beaux fiuits.
Ils ne s^y spécialiseront pas, bien entendu, et la petite classe leur
servira seulement d'axe autour duquel ils pourront se mouvoir dans
toute rétendue de Técole. Ce sera comme une base d'opération.
Tantôt une classe, tantôt l'autre, pendant une durée fixe, sera entre
leurs mains ; les adjoints et les adjointes, sans poste fixe permanent,
devront être prêts aux mêmes manœuvres. C'est tout le plan d'études
adapté aux divers âges qui devra être connu de tous, en théorie et
en pratique. Ce roulement, que nous ne voulons certes pas verti-
gineux, mais réglé et pondéré, produira, croyons-nous, un effet
certain, c'est de nous donner des maîtres cl des maîtresses plus
travailleurs, plus instruits, mieux trempés, plus aptes à juger les
enfants par la connaissance et la comparaison de leur âge et de
leurs aptitudes.
» Combien d'adjoints qui se consument sans plaisir et sans ardeur
dans la classe élémentaire jusquau jour où l'administration les
nomme titulaires ! Les voilà appelés à la direction d'une école à une
seule classe où vont se trouver probablement les trois cours. En ce
moment l'instituteur titulaire n*aura-t-il pas quelque remords et
pourra-t-il se porter garant de leur préparation complète ?
» Nous livrons ceci à leurs méditations.
> Si j'étais directeur d'école à plusieurs classes, je mettrais autant
d'ardeur à former des maîtres qu'à former des élèves ; je tiendrais
à grand honneur qu'aucun adjoint ne sortît de mes mains pour
passer titulaire sans être armé de toutes pièces, sans posséder les
qualités d'observation et de méthode, de prudence, de douceur et
de fermeté, qui font les bons éducateurs. »
Récompenses scolaires dans les écoles de Paris. — D'après un
nouveau règlement, applicable dès cette année, il est alloué à chaque
école primaire publique de Paris, pour la distribution des récom-
penses scolaires, une somme calculée d'après le nombre moyen des
élèves fréquentant l'école, à raison de 1 fr. 40 c. par an et par
élève présent. Les récompenses scolaiiTS sont délivrées aux élèves
en échange des bons points qu'ils ont obtenus. La livraison des
récompenses est faite aux écoles en deux fois par les soins du
magasin scolaire en octobre ou novembre et en février ou mars, et
l'échange des bons points contre ces récompenses se fait dans
chaque école le premier samedi de chaque mois, dans la
proportion suivante: un cinquième des récompenses pour le cours
supérieur; deux cinquièmes pour le cours moyen; deux cinquièmes
également pour le cours élémentaire. Le jour de l'échange, les
récompenses attribuées à .chaque école pour le mois sont placées en
vue des élèves, soit dans la classe, soit dans le préau. Les élèves
sont appelés, en suivant l'ordre résultant du nombre de bons points
186 asvuE rtûÂGomijfBK
dont ils sont possesseurs, à choisir à leur -^ré iearrrécompease.. fin
cas d'insuffisance de bons points, on garde ceux qu'on ta pour Its
joindre à ceux que Ton obtiendra, en vue d'une dktribution ulté-
rieure; toutefois à Pâques et >à la fin do Taiiiiée'SMlaiaeleB i)oiM
pointe qui ne peuvent être échangés contre des TéoMnpeBBes soat
retirés aux élèves. Chaque maître et chaque maîirevsseiiefit un
carnet sur lequel est indiqué, en regard du imm ée ciiaque élève,
le nombre de bons points «alloués a cet 'élève. Ccoarnet, qui d«&t
toujours être tenu au courant, sert >à oimtr61er, mn naoneat dB&
échanges mensuels, le nombre de bons points dont les élèves doiveat
être en possession.
Ce nouveau système d'encouragement produiva sans doute
d excellents résultats. 11 pourrait être utilement appliqué dans
toutes les villes où les caisses des écoles ont des ressovrces suffi-
santes.
Congrès international d'instituteors au 'Hatre. — 'T:es journaux
de ia Seine-lnférieuro annoncent qu'on -prépare en ce inoment, au
Havre, un congrès pédagogique international d'instituteurs primaires.
Ce sera le premier de ce genre qui sera organisé en Vrance.
Le conseil municipal du Havre a voté une somme de HOjOOO francs
pour faire face aux dépenses d'organisation.
Nous suivrons les travaux du congrès havrais avec le plas vif
intérêt.
ExposinoN scoLAjRE DE MoNTAUBAN. — L'adminî^tratîon acadé-
mique a le projet d'organiser une exposition scolaire comme annexe
au concours régional qui doit s'ouvrir à Montauban à la fin du mois
de mai prochain. Elle restera ouverte pendant toute la durée du
concours régi?nal. Les travaux seront répartis en cinqsectieBS : >!'' tra-
vaux des maîtres (ouvrages pédagog-iques, méthadcB, traités de
calcul, cours d'enseignement agricole, herbiers, releré'^dts ioœrîp-
tions remarquables qui peuvent exister sur les ^mottnmentB, -princi-
paux faits des histoires locales, traditions tin -paysy^etc);^ travaux
des écoles normales et des écoles primaires supérieurs; 3*^ travaux
des écoles publiques; 4^ travaux des écoles libres; ^ tnnrwix à
raiguille tant des inetltutrioes 'que de leurs élèves.
En ce qui ooncerneles travaux des mfaîtres, outre -la 'psriie €aoai-
tative laissée à Tinitiative de chacun^d'eux,radniin»6tiiitionfleniBflde
obligatoirement aux institHleors «et aux iniAitutmces, titulwBS et
adjoints, ia carte de la eonrmune où ils cKercMit lewrs'fantilioRS.
Cette carte sera dressée sur une feuille de papier imiforBie (OSiSur
48 centimètres), à l'échelle de'1/t0,O00. Au veyso «em jcnate ^vœ
courte -monographie ide la commune, tpii ponfva,'ft^il'y -« iieii,'étpe
développée dans un travail à part.
Lestravaux des élèves cempreildreiit 6bH|jcrkmreineat Hes
CHRONIQUE DE L'KHSEIGlimENT PRIMAIRE EN FRANGE f87
éa cours: supérieur et feuxtlu cours moyen, cahiers faits à Técole au
jour le jour, et portant la date des devoirs et les corrections du maître.
Exposition scolaire de Toulouse. — Toulouse aura également une
exposition au mois de mai prochain. II y sera présenté ponr
filiaque commune de la Uaute-Garonne une monographie et une
«arte dont l'exécution est confiée à Tinstitiiteur . Los travaux préparés
ou exécutés par les maîtres seront examinés dans les conférences
.pédagogiques du printemps.
Les instituteurs devront donner les indications suivantes:
i^Situalion géographique, orographie, hydrographie, eaux potables,
sources thermales, météorologie;
.^o Population, division de la commune en sections, cultes, postes
•et télégraphes, valeur du centime, revenus ordinaires;
,3^ Productions, procédés do culture, manufactures, voies de
commiuiicaiion, commerce, mesures locales encore en usage;
4® Etymologje. probable du nom, histoire municipale, traditions et
iégOAdes, personnages célèbres, idiomes, chants, mœnrs, coutumes,
moDuments, archives;
&* Historique de renseignement et.des écoles d^ms la commime. aux
.diverses époques, description de Técole ou des écoL?s existantes,
plaBS 468 locaux à un centimètre par mètre, bibliothèque, caisse
des écoles, traitements, etc.
Ce seront là, on le voit, des monographies très complètes et qui
seront aussi utiles qu'intéressantes.
Conférences pédagogiques. — L'inspecteur d'académie de l'Aube
a reçu de M. Roy, inspecteur primaire à Bar-sur-Seine, un rapport
intéressant sur la première série des conférences pédagogiques d<>
1884-1885; nous croyons utile d'en donner l'extrait suivant à titi«e
de document :
tt Ju§qu'alors, dans Tarrondissement de Bar-6ur-8eine, les maîtres
lavaient teu à rédiger un mémoire sur la question théorique proposée.
JUneomité, composé de deux ou trois inslitu tours choisis par Tm-
mpedeÊtt primaire, était chargé de condenser ces mémoires en un
«•pi^ort unique qui était lu en conférence. Il était difficile de disou-
^-.AHT ce rapport. Aussi, généralemeat. la discajussion n*avait pas
iîeii*<et Fen se contentait d'adopter (quand il y en; avait) les oonolu-
sions du rapport ou celles que proposait l'inspecteur. Les maîtres
étaient à peu près auditeurs passifs de la conférence : ce n'élail
■pas^miiRsamt .
'»fFoiir'éonner plus de w à nos coniférewces, «pour décharger —
moîas provisoirement — les instituteurs •du'^mémoire écrit qui
^pèse^et aboutir* à des «conclusions dîscatées et pratiques,- -voici
«iM'Mogrefis que jfei employés :
• 'J'ai-ÔBVité les 'iHftHres ■ à se munir d'un xwmet'dewitfértnces, —
à étudier sérieusement la question 'théorique proposée, — à* écrire
188 n£VU£ PÉDÀ60G1QDB
sur Je carnet, sous une forme brève, les résolutions qu'ils se pro-
posaient de soutenir verbalement avec les arguments convenables.
« Puis, en conférence, j'ai indiqué le plan à suivre dans la discus-
sion et invité les instituteurs et institutrices à prendre la parole.
Cette manière de faire, nouvelle pour eux, leur plaît ; mis je dois
dire qu'elle présente des difficultés, — prévues, du reste, — et que
la pratique, je l'espère, fera surmonter. Beaucoup de maîtres n'osent
prendre la parole. Je suis obligé de les stimuler, 'de les encou-
rager, de leur indiquer les points sur lesquels ils pourraient parler;
d autres voudraient parler sans cesse. La plupart font des digres-
sions, bonnes en elles-mêmes, mais en dehors de la question. I/es-
prit de suite et d'orrlre dans la discussion est di (licite à maintenir.
Dorénavant, je me propose d'indiquer, s'il n'est indiqué déjà, le plan
do la question au moment où celle-ci sera mise à l'étude. Souvent
je résume la pensée de l'orateur après qu'il a parlé et j'invite à faire
des observations s'il y a lieu. Au besoin, je les fais moi-môme, soit
pour combattre ce qui est avancé, soit pour le compléter. ■
» Enfin, je résume les débats et les dires, j'en extrais les conclu-
sions, que l'on discute, sommairement cette fois, surtout pour en
arrêter le rang et la forme. Ces conclusions sont alors écrites au tableau
noir et tous les membres de la conférence en prennent copie sur le
carnet. Ils sont invités à les mettre en pratique dans leurs écoles. »
Exercices militaires. — Le Bulletin départemental du Calvados
rapporte que l'enseignement militaire est de plus en plus en honneur
dans ce département, et il relate à ce sujet plusieurs faits intéressants.
A Toccasian de l'inauguration du monument élevé à la mémoire
des jeunes gens de Livry morts pour la patrie en 1870-7i, la Ligue
de l'enseignement a donné 25 fusils pour armer le bataillon scolaire.
Le maire a fait placer dans la classe un râtelier pour les fusils, et un
délégué cantonal, M. Maubanl, a offert un très beau drapeau à l'école.
Dans le même département, un instituteur de Saint-Jouin,
M. Roger, a organisé à ses frais un tir à la carabine Flobert qui
est ouvert à tous les jeunes gens de la commune et des communes
environnantes, mais spécialement aux élèves du cours d'adultes et
de la classe du jour. Chaque adulte qui n'a pas plus de deux
absences pendant le mois peut tirer gratui:ement cinq coups de
feu, et des prix sont décernés aux meilleurs tireurs. Nos félicitations
à M. Roger.
Baux a loyer pour maisons d'école. — Des difficultés s'étant
élevées dans les Hautes-Alpes entre des communes et les proprié-
taires pour l'exécution des baux à loyer de maisons d'école en cas
de changement ou de suppression d'école, d'appropriation, d'acqui-
sition, ou de construction scolaire, le préfet du département a décidé
pour en éviter le retour qu'à l'avenir les maires inséreront dans
les baux écrits la clause suivante :
CHRONIQUE DE l'eNSEIGNEMEMT PRIMAIRE EN FRANCE 189
c £acas de changement ou de suppression d'école, d'appropriation,
d'acquisition ou de construction scolaire, le bail sera résilié de plein
droit sans indemnité pour le propriétaire. »
Cette mesure est fort sage et pourrait utilement être généralisée.
Un bon exemple de confraternité. — Nous sommes heureux de
signaler un fait touchant de bonne confraternité :
Les instituteurs et les institutrices de Tarrondissement de Melun
se sont cotisés en faveur de deux de leurs collègues éprouvés par
une longue maladie; ils viennent de recueillir le produit d'une
double collecte qui s'est élevée à la somme totale de 970 francs.
Nécrologie. — Une brave et digne femme vient de s éteindre à
Nantes, à l'âge de 92 ans. M'"<^ Moreau avait été institutrice publique
et institutrice entièrement dévouée à sa tâche. Cette femme
aussi infatigable que désintéressée ne connut d'autre joie que
d'instruire les filles du peuple, et n'eut d'autre récompense que
l'afl'ection et la reconnaissance des enfants dont souvent les mères
et les grand'mèrcs avaient été ses élèves. Quand elle prit sa re-
traite, elle ne jugea pas que sa mission fût fmio; elle soigna et
instruisit les enfants infirmes et souflreteux sans aucune rémuné-
ration, bien qu'elle fiU loin d'élre dans l'aisance. Son nom mérite
de n'être pas oublié.
Un discours de M. Chazal. — Nous avons parlé de la caisse can-
tonale de Rebais, nous avons dit combien elle était prospère {Revue
du 15 décembre i88i). M. Chazal, conseiller général du canton, a
profité de l'inauguration de la belle école du chef-lieu cantonal
pour rendre hommage à l'activité et à la persévérance du maire
et du conseil municipal et pour faire un nouvel appel en faveur
de la caisse des écoles. A ce propos, il a fait longuement l'éloge de
la loi du 28 mars 1882; citons seulement quelques-unes de ses
paroles: « S'il est une loi juste, a-t-il dit, une loi profondément
humaine, c'est incontestablement celle qui assure à l'enfant le pain
de rinteliigence; c'est la loi qui défend au père lui-même de priver
ses enfants, filles ou garçons, de l'instruction qui leur est indispen-
sable pour devenir des membres utiles de la société française;
c'est la loi qui, respectueuse des jeunes intelligences, chasse le
merveilleux de l'école et défend aux maîtres d'enseigner ce qu'ils
ne peuvent expliquer. Ceux qui se dévouent à l'exécution de cette loi
sont vos amis, vos grands amis et encore plus ceux de vos enfants. »
Il y a une chose que M. Chazal n'a pas dite, mais que nous
savons, c'est que nul plus que lui n'a contribué au mouvement qui
s*est produit dans tout le canton en faveur de l'instruction populaire.
COURRIER DE L'EXTÉRIEUR
AUèmagnBï — On annonce ]a mort<le deux éducatears distin-
gués, le D*^ Kehr à Erfurt (18 janvier) et le professeur Sloy à léna
(28 jaovier).
Charles Kehr, né en 1830 dans le duché de Saxe*>Gotha» aYait-
débuié commo simplerinstiluteux ; il était devenu eneuile maîlce à
récole normale de GoLha, puis directeur de celte école^ • après le
" t de Ditles pour V= ^- '— ' '-• • --
la à la direction é
échangé ce poste
d'Erfurt. Parmi les ouvrages de Kehr, le principal est son Histoire
des branches d* enseignement de ïécole primaire en plusieurs volumes.
La revue (ju'il dirigeait, ]e8 Pcidagogische Biatter, est Fundes organes
pédagogiqu(>s les pluH estimés de l'AUemagnei.
Charles -Volkmar Stoy, né eu 1815 à Pe^au (Saxe nwala), étiidâi*
la théologie^ devint plus tard Privatdozent a la faculté dé phAlosqphie
de runlversilé d'iéna où il fonda un « séminaire pédagogique » eti
un institut d eduuation^. En 1845 il fut nommé professeur de philo-
sophie à la même université. Stoy appartenait à la secte hcrbartienne,.
dont il a exposé les doctrines dans son Encyclopédie de l'éducation,
Belgique. — Le ministère de Tintérieur vient de publier, trcie*
documents qui achèvent l'œuvre de réaction calholiqua- daaft le-
domaine do 1 enseignement primaire : ce sont le nouveau profi^ramme
d*^tudes des écoles normales et sections normales>de TEtat, le règle-
mentriype des écoles primaiies communales et le programme-type,
des écoles primaires communales. Nous en reparlerons dans notre
prochain numéro.
E^agne. — On. nous écrit de Madrid :
« Le pai'ti conservateur, depuis son arrivée au. ppuvoir en janvier
1884, s'est signalé par une série de mesures destinées à faire rétro-
grader l'enseignement primaire.
» Un décret du 4 juillet dernier a supprimé le cours normal pour
les institutrices d'écoles enfantines, quelenrinistre libéral, M.'Albareda,
et l'ancien directeur de l'instruction publique, Bffc Riafko, avaient
créé par le décret du 17 mars 188% dans Tintenlion de remettre-
Féducution de la première enfance aux mains des femmeSk Pendant
les deux années à peine que ce- cours a fonctionné, il avait donné ies
meilleurs résultats. Les cleux professeurs placés à sa tèle, hommes
de renseignement supérieur, avaient mis avec le plus grand dévoue-
ment leur science et leur expérience au service de cette œuvre,
et exerçaient la plus heureuse influence sur le développement du
caractère des élevés. L'enseignement, objectif et rationne^ était
accompagné d'exercices pratiques à l'école Frœbel*, où le* cours- avait
été installé dans un IochI aménagé conformément aux* phEis* réeenti
progrès de Thy^iène scolaire. Une commission de patronu^ev formée
des personnes les plus distinguées et les plus compétentes, était
chargée d'examiner les élèves à la fin de leurs études et de faire
les nominations aux postes vacants dans les écoles enfantines : c'était
COUBBUn.AB I**EXXÉ]I1IUR 191
là ua premier pas fait dans la voie de la décentialisaiioB adminiat-
IraliveetàreneoDlre du fâcheux système-de concours (oposiciones) qui
prévaut eDcore partout en Espa^gne. Les municipalités accueillaient
avec satis£acttofi les institutrices préparées au cours normal, et se
montraieiii disposées à concourir a la réformo des écoles enfantines,
enlreprise dans un esprit de véritablo propres Tout cela a été
détruit par le décret de M. Pidal, le ministre conservateur. La con^
mission de paironage a été dissoute et remplacée par un comité^ ôm
damea, présidé par Tinfante Isabelle et complètement étranger aux
qu€)sUona d*ei saignement ; on est revenu au système des concours,
et àrl'aneien usage de remettre les écoles enfantines à des instituteurs
au liea de les confier à des femmes ; on a supprimé le cours normal,
eonune si les institutions destinées à la culture inicllectuelle et
BMcale de la famme étaient trop nombreuses en Espagne.
» Un autre décret du 3 septembre dernier a ieté le truble et la
défloraanisation dans Técole normale centrale d'institutriece, à
la<pieJie MM. Albareda et Riafio avaient donné une vie nouvelle par
le-dteret du 14 août 188*2. La durée des études avait été augmentée,
1m programmes élargis et développés ; renseignement était donné
par les professeurs de récolo normale d'instituteurs, par ceux du
cour» normal des écoles enfantines, et par un certain nombre de pro-
inaflfflMi^ libres, choisis au concours, d'après ce principe, que Tensei-
goement primaire normal ei^ige, de la part de ceux qui le donnoni,
une culture égale à celle qu'on réclame des professeurs de Tensei»»
guement anpérieur, et. que c'est seulement par un personnel de ce
genre que des réformes sérieuses peuvent être accomplies dans Yin-
struotion priiuaire. On avait organisé un local nouveau, avec un
DOuveAQ niAbilier; on s'était procuré le meilleur matériel d'ensei-
f/àsamoU, des appareils de projection, des microscopes, des cartes
murales, des cartes en relief, etc.; on avait créé des laboratoires,
nue bibliothèque pourvue des md Heurs livres, des meilleures- revues
pédagogiques de Fétranger, etc. L'école a fonctionné deux ans sous
celiouveau régime. Le décret de M. Pidal ne s'est pas attaqué direc-
tement aux principes de cette réforme. Miis il a supprimé la qua-
trième année d'études, et un certain nombre de branches d*ensei-
gncmeot, par exemple les notions de droit et la langue française,
cinsi que les excursions scolaires, qui avaient pris un grand dévelop-
pement. Et surtout, il a rendu impossible la réalisation du plan ae
iWif en éloignant de Fécole normale tous les professeurs et en les
remplaçant par des femmes, insuffisamment préparées et incapables
de donnera leur enseignement un caractère élevé et scientifique.
> Nous sommes donc en présence d'un arrêt de développement subi-
tement imposé à rinsttuction primaire. Les ultramontains ont voulu,
par ces décrets, se débarrasser d'un personnel enseignant intelligent
et capable, mais qui leur était suspeci, non par sa couleur politique
— il est resté complètement étranger aux luttes de partis — mais
par ses idées libérales en matière d'éducation, et par les liens qui
le rattachaient à un établissement d'où est parti tout le mouvement
pédagogique moderne en Espagne : nous voulons parler de la Insli-
tucion libre de ensefianza,
9 C'est en vain que les ultramontains espagnols, comme les ultra-
montains belges, ont essayé de donner à leurs mesures de réaction
192 aCVUI PÉDÀ60GIQ1I1
un caractère pseudo-libéral: leur véritable but appeiraît clairement
à tous les yeux: c'est de remettre renseignement entre les mains
des congrégations religieuses. Ainsi, ^ne des dispositions du décret
du 3 septembre porte que les élèves de Técole normale centrale
d'institutrices passeront leur examen devant un jury formé d'un
certain nombre d'institutrices de Madrid élues par leurs collègues.
Celte disposition semble au premier coup d*œil éminemment libérale.
Mais, pour qu'une institutrice puisse poser sa candidature, le
décret exige que son école compte au moins cent élèves; or, ce
chilTre d'élèves ne se rencontre à Madrid que dans les écoles catho-
liques et dans celles des congréganistes. Et en effet, sur 22 candi-
datures qui se sont produites, 13 émanaient d'institutrices d'écoles
catholiques, toutes écrites de la même main: 8 émanaient d'insti-
tutrices congréganistes, toutes également de la même main ; une seule
émanait d'une institutrice d'école publique. Le scrutin a offert des
î-:r(>nes bizarres: les bonnes sœurs, peu accoutumées à la libre
pratique du suffrage, venaient demander naïvement à la présidence
" quels bulletins elles devaient déposer dans l'urne », attendu
que « la personne qui les leur avait remis avait oublié de leur
expliquer ce qu'elles devaient faire ».
> Autre imitation du libéralisme des c^itholiuucs belges. Un décret
récent indique aux municipalités la marche a suivre pour adopter
des écoles privées pouvant tenir lieu d'écoles publique^ C'est la loi
de 18j7 (jui a établi le principe, mais M. Pidal a déterminé la con-
dition à laquelle une école libre doit satisfaire pour mériter l'adop-
tion. Celle condition n'est pas, comme on pourrait être tenté de le
croire, d'offiir des garanties suflisantes au point de vue de l'édu-
cation el de rinstruction ; non : ce que le mmistro exige, c'est que
l'école enseigne la doctrine chrétienne conformément au catéchisme
diocésain. Do la sorte, ceux des Espagnols qui ne professent pas la
religion catholique, apostolique et romaine ne pourront prétendre a
vuir c adopter » les écoles privées qu'ils seraient tentés de fonder.
Voir': comm«;nt on entend la liberté aujourd'hui en Espagne.»
Italie. — Dans la séance du 28 janvier, M. Merzario a présenté
à la (Chambre des députés le rapport do la commission chargée
d'examiner le projet de loi sur les traitements et la nomination des
instituteurs, revenu du Sénat. Le rapport conclut à l'acceptation des
niodifications de détail introduites par le Sénat dans le projet déjà
discuté par la Chambre. En conséquence, on peut espérer que le
mois de février ne s'achèvera pas sans que la loi si impatiemment
attendue ne soit définitivement votée.
— Le Suoix) Educatore de Rome propose une fédération générale des
"sociétés pédagogiques existant en Italie. L'idée paraît accueillie avec
faveur par la plupart des autres journaux d'éducation.
Le gérant : H. Gantois.
IMPKIMrUIK CR.NTR.M.B DFS CUBXIN< DE FER. — IMPRIMERIE CHAIX.
lirB DEItaÈRB. SO. TARIS. — 2464-4.
iMmBe léric. — Imt VI. N* 3. 15 lan MK.
BEVUE PÉDAGOGIQUE
LES QUESTIONS D'ENSEIGNEMENT AU TONKIN
Les Tonkinois sont d'une aulre race que nous ; il ne faut pas
que rinfatuation de notre propre civilisation nous les fasse
regarder comme de simples barbares; leur infériorité capitale
tient à leur manque presque absolu des qualités d'énergie et
de fierté qui ont leur principe dans le sentiment de l'honneur
individuel et qui sont le grand ressort de l'Européen ; mais ils
n'en sont pas moins un peuple d'une culture très avancée qui,
à quelques égards^ n'est point autant au-dessous des sociétés
européennes que l'on serait porté à l'imaginer.
Uo des étonnements les plus vils du voyageur français qui
débarque au Tonkin est de voir à quel point Tinstruclion pri-
maire y est répandue. Une foule d'observations viennent d<''s les
premiers jours le convaincre que le nombre des habitants qui
sont restés complètement étrangers à l'art de lire et même d'é-
crire est très restreint. Les inscriptions sont répandues avec
une profusion dont rien ne nous donne une- idée en Europe,
inscriptions gravées sur des tablettes de marbre à la porte des
pagodes, inscriptions laquées sur des planchettes à l'intérieur,
inscriptions gravées sur les poutres de la charpente, inscriptions
peintes au fronton et sur les chambranles des portes des rues,
inscriptions à la porte des maisons riches, inscriptions sur papier
rouge collées sur les murs des paillotes les plus pauvres à Té-
poque du jour de l'an. Les caractères chinois tout en barres et
en grifies, tout hérissés et crispés, vous tirent l'œil de tous les
côtés. Dans les villages saccagés par la guerre, en pleine cam-
pagne, les maisons ne sont point rares oii Ton trouve des livres.
Très souvent le papier dans lequel le marchand enveloppa votre
achat est estampillé de caractères à sa marque. Les pipes à eau
sont couvertes de sentences. Les boutiquiers ont tous des ca-
ABTVB piDAGooigui 1885. — !•' sra. 13
194 aCTUI FÉDÀGOGIQUl
biers sur lesquels ils notent leurs ailkires. Il n'est pas jusqu'aux
misérables revondeiirs qui courent las rues, un bambou sur l'é-
paule v^MX eitrémilés duquel comme des plateaux de balance
pendent deux paniers, qu'on ne voie tirer de leur souquenille
trouée un bout de papier sur lequel ils griffonnent quelques signes.
On sait que dans le royaume d'Annam, comme «n Chine, les
emplois se donnent au concours. Tous les deux ans, avant notre
installation à Hanoï qui a profondément troublé la vie indigène»,
trois à quatre mille candidats ayant déjà subi victorieusement
une première épreuve dans leur province y venaient de toutes-
les parties du Tonkin s'enfermer dans une vaste enceinte que
nous avons appelée depuis le Camp des lettrés, et là, emprisonnés
dans de très étroites cellules, ils faisaient des compositions pour
un examen suprême. Les candidats malheureux pouvaient se
représenter deux ans après au concours suivant; il n'y avait pas
de limite d'âge; mais beaucoup se lassaient pressés par le
besoin, et, désespérant d'arriver aux fonctions publiques, ils cher-
chaient d'autres moyens d'existence; c'est parmi eux que se
recrutaient les petits maîtres d'école qui s'en allaient enseigner
dans les villages. J'ai visité quelques-unes de ces écoles ton-
kinoises; je les ai toujours trouvées malpropres et d'une instal-
lation passablement rudimen taire, comme du reste toutes les
habitations du pays. Un petit autel domestique se dresse au fond
de la salle, brillant de laques rouges et de papiers dorés; de
vastes estrades sont recouvertes de nattes sur lesquelles les écoliers
s'accroupissent. Ils apprennent à lire et à écrire dans le mémo
livre, le Tam-tu-kinh, composé de vers représentés chacun par
trois signes, lequel renferme un résumé populaire de la morale
chinoise, de sorte qu'en même temps qu'il apprend les signes
l'enfant apprend ses devoirs. Le Tam-tu-kinh contient les signes
les plus usités, et l'instruction pour les enfants qui ne se des-
tinent pas au concours se borne ordinairement à le savoir par
cœur. Le maître prend un vers, il explique la valeur de chaque
signe aux élèves, le leur fait répéter, puis, avec un pinceau
trempé dans un godet où est délayée de l'encre de chine, il leur
lait reproduire les signes sur des cahiers d'un papier gris fort
commun, que nos plumes de fer déchireraient, mais sur lequel
glissent les poils du pinceau.
LKS QUESTION D'tMItdNKMSIfr AU TONKIN 1^5
Totrt le monde «ih ce qtt*est Vècriture chitiofee, ttHHée ttx)ti
BttilemeDt en Chine, mais encore danii It» pïtys <)Ui t)m stibi
rinfiaence du grand empire asiatique isotntùt rAnnam^ fe Siàtn,
h Corée et le Japon. Chaque mot cil représenté par tme lettre
particolière on, pour mieux parier, par tm àighfe particulier* Ce
tigne représentant une idée déterminée, il pé\xi se lire dans
lontes les langues, de sorte que les Annamites se servent des
signes chinois sans pour cela être obligés de savoir le chinais.
On peut se faire une idée de ce système d'écriture par nos
chiffres. Le signe 3, par exemple, représente pour tous lès
peuples de l'Europe la même idée, et cependant chaque peuple
en partant le traduit par des sons différents. Les Annamites em-
ploient donc les signes chinois sans pour cela parler le chinois.
Chaque signe représentant une idée, acquérir la connaissance
d'un certain nombre de signes, c'est acquérir la même quan-
tité d'idées. L'instfuclion d'un homme se mesure à la quantité
de signes qu'il possède. Avec les signes contenus dans le Tarh-
/u-lftnfc, les gens du peuple peuvent pourvoir à leurs bcsoîûs
quotidiens. Ceux qui veulent pousser leurs éludes plus loin passent
à d'autres livres qui contiennent des signes nouveaux, et peu à
peu ils parviennent à pouvoir lire couramment les ouvrages lît-
térrtres du genre élevé.
An premier abord ce système nous parait le comble de l'ab-
surde. On a dit que jamais un Chinois et par conséquent Jamais Un
Annamite ne peut se vanter de savoir complètement lire. Le dic-
tionnaire dcLittré contient environ quarante-cinq mille mots; en
admettant que la langue chinoise n'en contienne que la moitié,
ce serait encore vingt-cinq mille cinq cents signes h apprendre.
Quel prodigieux effort de ménwJre! N'est-ce pas une folie que
dépanner sa vie à apprendre h lire? Cependant, à y regarder de
bien près, absurdité et folie ne sont phïs aussi évidentes. Le chi-
nois et rannamitc sont des langues monosyllabiques, c'est-à-dfre
que les mcks n'ont qu'une syllabe ; comme la série de cortibi-
fiaiaans syllabiques que foù peut fottner avec les sons est rcs-
tnrinte, et qtve le nombre en est très inférieur à la quantité d'idées
qne ces kngves ont à exprimer, elles ont multiplié letrrs mots
eB changeant la signification (les syllabes sulv^int le ton smr
equd on les prononce. La même syflêrbe proâmcée sur ^x
196 R£VUE PÉDAGOGIQUE
Ions différents représente six sens différents et complètement
indépendants les uns des autres. C'est même là la difficulté que
les étrangers éprouvent pour apprendre la langue ; leur oreille ne
saisit pas toujours ces nuances d'où le sens du mot dépend
cependant. Un interprète français qui a vingt-deux ans de pratique
me disait au Tonkin que quand il avait une déposition très im-
portante à traduire, il n'osait encore s'en fier absolument à la
sienne, et qu*il se faisait toujours assister d'un lettré indigène pour
lui soumettre ses scrupules quand il doutait du sens. Comment
rendre ces différences de ton avec nos lettres? L'avantage de
récriture chinoise est ici incontestable. Elle attribue à chaque
sens particulier d'une syllabe un signe qui lui est propre; s'il
y a six sens, elle a six signes, et toute confusion est impossible
à la lecture.
Et puis en apprenant les signes, les élèves n'apprennent pas
seulement à lire, ils apprennent aussi la signification des mois que
ces signes représentent, ils s'assimilent pour ainsi dire la portion
de science que chacun d'eux contient. Supposez mi jeune Français
ignorant l'anatoinie : l'étudier consistera pour lui, en somme, à
apprendre la valeur d'un certain nombre de mots. Quand il
voit pour la première fois les mots sternum, fémur, cubitus, ils
sont aussi vides de sens pour lui que le serait un signe chinois ;
le jour où il comprend la signification de tous les termes
anatomiques, où il sait que tel mot désigne un os placé à tel
endroit, tel autre un nerf qui fonctionne de telle façon, il sait
l'anatomie. Et bien, Télùve annamite opère d'une manière à peu
près semblable quand il apprend les signes; plus il en connaît
et plus son savoir est étendu.
Les missionnaires ont été frappés comme tout le monde de
rénorme travail qu'impose le système d'écriture chinois. Aussi
ont-ils essayé de supprimer la difficulté. Ils ont, en modifiant de
diverses manières les lettres de l'alphabet latin, formé un alphabet
appelé le Quoc-GneUy à l'aide duquel il est possible de ren-
dre non seulement les sons des syllabes, mais encore le ion sur
lequel elles sont prononcées. Mais à quoi sertie Quoc-Gneu? Four
qu'il fût réellement utile, il faudrait traduire dans cet alphabet
la littérature chinoise et la littérature annamite écrite et impri-
mée de iuis trente siècles dans le système idéographique. L'Anna-
LSS QUKSTIOIIS d'eNSKIGNEMINT ÀU TONKIIf 197
mite qui ne saurait lire que le Quoc-Gneu n'aurait à sa dispo-
sition que les quelques livres imprimés avec cet alphabet et qui
se réduisent à très peu de chose ; il ne pourrait déchiffrer ni les
livres nationaux ni les inscriptions répandues partout en si grand
.nombre; il serait comme étranger au milieu de la civilisation
de son pays.
Je crois donc que le mieux que nous puissions faire, c'est de
nous désintéresser de cet enseignement. Cela nous est d'autant
plus facile qu'il est dépourvu de tout fanatisme soit religieux,
soit politique. La morale qui en fait le fond et le principal est
telle que nous pouvons la désirer ; les deux grands principes
qu'elle enseigne sont le respect des parents et l'amour de la
paix. On n'y trouve pas trace d'un sentiment patriotique dont
nous puissions avoir à craindre la diffusion et la surexcitation.
Nous aurions tout à perdre et rien à gagner à troubler des mœurs
tant de fois séculaires. C'est cette éducation qui a formé ce
peuple tonkinois si humble, si résigné^ si facilement gouvernable,
que la cour de Hué contenait avec une poignée de soldats.
L'initiative du gouvernement doit se borner à créer à Hanoï un
collège semblable au collège d'Adran à Saigon, pour former des
interprètes français et répandre la connaissance de notre langue.
Mais laissons à l'Annamite la seule éducation morale et littéraire
dont il soit capable.
Il est un autre enseignement sur lequel, en revanche, il me
semble que notre attention ne saurait trop se porter. C'est
l'enseignement professionnel. En nous chargeant du protectorat
du Tonkin, nous nous chargeons de ses destinées, nous con-
tractons l'obligation de pourvoir à ses intérêts. Or, par l'ensel -
gnement professionnel, à fort peu de frais, comme j'espère le
montrer, nous pouvons rendre à la population tonkinoise
d'immenses services, Taire faire à sa civilisation en cinquante
ans plus de progrès qu'elle n'en a accomplis en dix siècles de
sommeil sous le plus dur et le plus stupide des despotismes, et
justifier ainsi non seulement à ses yeux, mais encore devant
i'hamanité même, la conquête dont nous avons assumé la respon*
sabilité.
Actuellement, il n'y a pas d'enseignement professionnel pro-
prement dit au Tonkin. Los artisans prennent des apprentis et
leur Iraasmetteût te secret de leurs pyrocédés et les dea^us sur
lesquels ib travaillent* Géoéralement les fils appreaoeat le métier
de leurs pèrea^ et une industrie ne sort pas de U même famille.
Les. empereurs anoauûtesy sauf uoe exception, ont toujours eu
pour premier principe de leur politique extérieure qu'il élait
indispensable d'éviter que teur peuple entrât en contact^avec le»
peuples étrangers. Us ont fait autant que possible de leur ejn-
pire un empire complètement fermé. Le Tonkin a donc reçu
fort peu de lumières des pays voisins et, en dépit d'aptitudes
remarquables, les arts industriels y sont restés dans lenfance.
Ces aptitudes ne font doute pour aucune des personnes qui
ont TU les Tonkinois de près. Elles se sont manifestées en des
circonstaoces tout à fait caractéristiques. En voici une. Il y a
un siècle Tart des incrustations de nacre était inconnu dans
VAnnam. Un souverain, ayant pris goût pour des incrustations
venues de Canton, appela k Hué des ouvriers de cette ville et y
fit installer quelques ateliers. De Hué, des ouvriers vinrent au
Tonkin, à Hanoï et à ^am-Dmh, et dans ces deux villes cette
industrie est allée sans cesse s'affinant uniquement sous Fin-
fluence du goût naturel des artistes tonkinois. Les vieilles incrus-
tations, celles qui datent d'une soixantaine d'années, ressemhlcui
beaucoup à celles de Canton, les nuances de la nacre en sont
mal assorties, les dessins lourds, l'exéculion manuelle peu soi-
gnées. Aujourd'hui Hanoï possède quelques artistes qui font les
plus jolies incrustations de nacre de l'Extième OrienL
On voit par cet exemple que l'enseignement professionnel ne
tomberait pas en terrain stérile au Tonkin. Il faut ajouter qu'il
trouverait des élèves très dociles. Les Tonkinois sont extrême^
ment curieux de se perfectionner dans leurs professions, et j'en
ai eu bit'n souvent des preuves toucliantos pendant mon séjour
à Hanoï. Sitôt que leurs rapports avec les Français leur iai&aieni
tomber antre les mains un objet pouvant leur servir de modela,
ils s'empressaient de le copier et de le passer à leurs amis pour
qu'ils le copiassent eux-mêmes. Le plus grand plaisir que ïon
puisse faire à un ouvrier est de lui donner quelque dessin non*
veau qu'il utilisera dans sa profession. Le fait m'a tellement
frappé que, en passant plus tard au Japon, je choisis quelques-
uns de ces albums de dessins pour les industries d'ail qui sont
LÏS QUASTIOMS o'eNSSIGNBMKNT ÀU TONKIN 199
si mullipliés daas ce pays et je les envoyai à notre résident à
fianoiyea le priant de les distribuer à quelques-uns des meil-
leurs^ artistes de la ville, afin de leur en apprendre Texistence et
de leur faixe savoir oir ils pourraient s'en procurer d'autres.
Âa cas où le gouvernement se déciderait à cultiver d'aussi
rittZian}uables dispositions, la questioAquise poserait serait celle-
ci: Queb midtres convient-il de donner aux Tonkinois? Quel
4irt Caut-il leur enseigner ? Pour nK)i on ne saurait hésiter sur
la réponse. Avant tout, il ne laut pas leur donner de maîtres
européens. Cela pour toute espèce de raisons que je n'ai point
le loisir de développer. U me sufiSra d'exposer les deux ou trois
principales,
En premier lieu, la vie des populations dans l'Extrême Orient
est très simple. L'industrie a toujours gardé parmi elles un carac»
tère domestique. Elles répugnent absolument à la grande industrie,
vers laquelle tendent au contraire de plus en plus les nations
européennes. Un artisan travaille sous quelque auvent dans la rue
on dans sa petite cour, entouré de sa famille qui Taidt' à sa
besogne; an outillage un peu compliqué lui dépendrait impos-
sible avec ses habitudes. Nos grands fondeurs ont jusqu'à douze
•cents outils différents pour ciseler le bronze; un artiste japonais
qui fabrique ces merveilles que Ton n'est pas encore parvenu
à imiter en Europe n'en possède que quatre ou cinq, ii supplée
à l'abondance par la patience et l'adresse. Des maitres habitués
à nos fabrications dispendieuses et savantes ne sauraient donner
aucun enseignement pratique à des gens qui fondent un vase
de prix sur le même foyer oii ils cuisent leur soupe. On a
essayé à Hanoï de remplacer les mauvais ciseaux des incrusteurs
par d'excellents outils de fin acier qu'on a fait venir de France;
lesiocrusteurs ont parfaitement reconnu la grande supériorité de
ceux-ci, mais ils éprouvaient tant de peine à les entretenir en
bon état qu'après un court essai ils ont repris les anciens.
Ensuite notre art, le seul qu'un maître européen soit capable
d'enseigner, notre art restera toujours complètement fermé aux
artistes de l'Extrême Orient. Pour nous en tenir à l'art décoratif,
il est sensible que les motifs qui nous sont familiers sont incon-
nus an Tonkin, de môme que les motifs familiers au Tonkin sont
ignorés du mattrc qu'on y enverrai t et, quoiqu'il fasse, lui resteront
900 RXVUB PÉDAGOGIQUE
toujours étrangers par essence. Prenons d'abord la figure humaine,
qui peut jouer un certain rôle dans la décoration. Un Tonkinois au
nez épaté, aux pommettes saillantes, aux yeux bridés et relevés, à
la bouche largement fendue et aux dents noires, à la peau jaune, au
corps grêle et sans hanches, ne parviendra jamais à se faire entrer
dans le cerveau notre idéal de beauté, qu'un maître européen sentit
fatalement poussé à lui enseigner ; il a lui aussi son idéal de beauté,
le seul qu'il puisse sentir et traduire, mais il est tiré des traits
constitutifs de sa race, et il sera aussi impossible au maître
européen de le comprendre et de l'enseigner qu'il est impossible
au Tonkinois de comprendre celui du maître européen. Prenons
ensuite les fleurs, les feuillages, les fruits, les animaux, éléments
plus fréquents encore que la figure humaine dans la décora-
tion. Un maître européen n été élevé à combiner dans ses
dessins des fleurs, des feuillages, des fruits et des animaux
dont il ne retrouvera plus rien au Tonkin. Ou il enseignera aux
Tonkinois ce qu'il sait, et alors les Tonkinois ne comprendront rien
à des formes qui ne correspondent à rien de vivant dans leur
pays; ou il se remettra à étudier la nature du pays dans lequel
il se trouvera transporté, mais alors il redeviendra lui-même
élève, et il y a de bien grandes chances pour qu'anfvant avec un
esprit tout formé dans un milieu entièrement neuf, il ne reste
toujours gauche et maladroit pour l'interpréter. Il sera comme
ceux qui apprennent tardivement une langue ; il gardera tou«
jours l'accent de la langue primitive, et fera un mauvais maître.
On peut voir dès maintenant quel produit un enseignement
européen donnerait au Tonkin. Les officiers et les soldats de
notre armée, pour rapporter un souvenir du pays, ont fourni
aux incrusteurs et aux brodeuses des dessins pour des objets
qu'ils désiraient voir décorer. Ces modèles français sont néces-
sairement remplis de formes ignorées au Tonkin. Ils ont été
copiés comme on peut copier ce qu'on ne connaît pas, c'est-à-
dire servilement, avec des erreurs de copiste ignorant qui en font
généralement de fort laides choses.
Les maîtres européens écartés, c'est dans l'Extrême Orient, parmi
des peuples de civilisation semblable, qu'il en faut chercher. Et
du moment que la question est ainsi restreinte, elle est résolue.
C'est évidemment chez le peuple où les arts brillent du plus
LIS QUESTIONS D'KNSIIGNKMINt AU TONKIN 201
vif éclat qu'il faut aller, et ce peuple est incontestablement le
peuple japonais. Bien que le pays soit incomparablement plus
pittoresque et le peuple japonais d'une civilisation qui n'est
pas loin d'égaler la nôtre, de grandes similitudes existent entre
le Japon et le Tonkin. L'un et l'autre sont habités par des man-
geurs de riz, ^1vant au milieu de rizières inondées, dans un pay-
sage où domine le bambou. Les deux peuples ont des ressem-
blances physiques et morales, la petitesse de la taille, l'agilité,
la bonne humeur. Certaines pièces du costume des classss
populaires sont les mêmes; le grand chapeau rond que les
pèlerins promènent sur les pentes du Fusiyama n'est pas autre
chose que le salaco des gens du peuple tonkinois. Il y a un fond
d'usages empruntés à la Chine et de légendes religieuses
bouddhiques commun aux deux pays. L'usage de l'écriture
chinoise est répandu au Japon comme au Tonkin, et sans savoir
leur langue un maître japonais pourrait déjà communiquer avec
des élèves tonkinois rien qu'au moyen des signes. La simplicité
de la vie est la même chez les uns et chez les autres. Un maître
japonais partagerait l'existence des Tonkinois sans avoir à en
souffirir, ce que ne pourrait jamais faire un maître européen.
Bref, il n'y a point entre l'esprit japonais et l'esprit tonkinois
l'infranchissable abîme qui rendra toujours l'esprit tonkinois
inassimilable à l'esprit européen.
J'ai parlé à quelques Japonais de ce projet d'aller chercher au
Japon quelques maîtres artisans pour développer les industries
d'art au Tonkin. Tous en paraissaient fort honorés. Le Japon
demande depuis vingt ans des instructeurs à toutes les nations
européennes; il serait très lier, je crois, de fournir à son tour
des instructeurs à l'une d'elles pour une de ses possessions. Si
l'on voulait procéder officiellement, il est donc probable qu'on
rencontrerait le meilleur accueil auprès du gouvernement japo-
nais.
Il n'y aurait pas lieu, à mon avis, de créer une école propre-
ment dite à Hanoï. Il suffirait d'ouvrir quelques ateliers où les
artistes japonais recevraient des apprentis et les initieraient à leur
art. En premier lieu, il conviendrait de demander des charpen-
tiers et des menuisiers, car ces deux professions, qui répondent
à des nécessités quotidiennes si urgentes, sont encore bien peu
ttvauies a« Toûkia, L'ébéaisterle des belles iBcrastatiaos de
Hanoï e&tdéptorable, etcetie infériorité déprécie considérableaxLuU
leur valeur; il n'est pour ainsi dire pa^ un meuble tonkinois
qu'il ne faille faire niparer par un ouvrier en France si on veut
le placer dans un salon. La réputation des xmenuisiers japonais
est aujourd'hui umiverseik. Qui n'a admiré l'habileté de la coupe
et rextrôme justesse des assemblages dans les meubles qu'ils
nous envoient? mais ce qu'on ne sait pas, c'est que les temples
japonais les plus vasles sont eux-mêmes en bois et sont des
chefs-d'œuvre de charpente uniques au monde.
Pour la fonte des métaux, bornée actuellement à la tabrica-
tion d'ustensiles en cuivre très simples, poiur les incrustations
de pierre et d'ivoire qui y sont aujourd'hui encore inconnues,
pour le travail de la laque resté jusqu'à présent tout à taii gros-
sier, pour la broderie qui est déjà pratiquée avec succès à Hanoï
par des imitateurs des brodeurs de Canton, pour le travail de
l'ivoire, pour la fabrication des nattes, nous poofrions deman-
der d'autres maîtres au Japon, qui a porté ces industries au
plus haut point de perfection. Supposez dix ou douze ateliers,
fonctionnant à l'indigène* et voyez de quelle faible somme l'or-
ganisation et l'entretien de cet enseignement professionnel
grèverait le budget du Tonkin le jour où, le pays étant enEm
pacifié, nous devrons remplir nos devoirs de protecteurs. Je suis
certain que leur installation causerait une émotion profcmde
dans cette population d'un esprit si éveillé pour tout ce qui
concerne son développement industriel. Et ce bienfait ne con-
tribuerait pas peu à nous l'attacher davantage encore. Ai-je
besoin de faire remarquer que pour nous, le résultat ne se
bornerait pas à ce bénéfice politique? notre commerce en, recueil-
lerait rapidement d'autres.
Paul BotmDi.
HE LA CORRECTION DTN DEVOIR
A L'EXAMEN DU PROFESSORAT DES ÉCOLES NORMALES (LETTRES)
Panai ks épreuves de l'examen du professorat des écoles
noitxuJes, il en est une dont les candidats ne se méfient j)as
toujours assez, a Corriger un devoir d'élève^ qu'est-ce que cela?
Je le fais tous les jours. r> Il arrive cependant qu'à Theure
décisive l'assurance diminue ; les difficultés qu'on n'avait pas
prévues apparaissent; elles surprennent, faute d'y avoir réfléchi,
et déconcertent.
Il faut dire que les conditions ordinaires sont modifiées. En
classe le maître a devant lui l'élève dont il corrige le devoir ;
il lui parle; déjà d'ailleurs il le connaît; il sait si habituelle-
ment il fait mieux ou plus mal, ce qu'il peut ou ce qu'il ne
peut pas; il le noU^, il le conseille en conséquence: tout cela
lui donne le too, l'aide et le soutient ; tout cela, au jour de
réprenve, lui fait défaut. Il en est toujours ainsi : transporté
iâns un examen, l'exercice le plus fréquent de la vie scolaire,
quelque soin qu'on prenne de le tenir aussi rapproché que
possible de la réalité, prend un air un peu nouveau.
Je note ces différences pour qu'on en soit bien averti et
point dérouté : au fond la correction d'un devoir, qu'elle se
fiasse en classe ou à Texamen, est la même, présente les mêmes
difficultés très réelles et redoutables, exige les même qualités,
des connaissances (car comment être prêt sur des sujets très
divers sans des connaissances acquises de longue main, sans un
fonds d'instruction générale déjà suffisamment large?), delà
neiteié et de la décision d'esprit, un disoerncment sûr, des
habitudes d'ordre et de méthode, une certaine souplesse de
langage, l'art de rester dans la mesure, de n'outrer ni
l'éioge ni le blâme, de louer sans enorgueillir, de critiquer
sans humilier ou décourager, de tout dire enfin et de faire
accepter tpui ce qu'on dit, parce qu'on a su montrer qu'on
n'est guidé que par le seul inté/ét de* celui à qui on s'adresse —
204 R£VUE PÉDA600IQUI
ces dernières qualités étant non moins morales qu'intellec-
tuelles.
Hais, sans nous attarder davantage, entrons dans le détail, et
suivons le candidat du commencement à la fin de l'épreuve.
Un devoir d'élève lui est remis, et il est en même temps pré-
venu qu'il a une demi-heure à lui avant d'être appelé devant
ses juges. Son premier soin sera évidemment de lire ce devoir :
mais dans cette lecture s'arrètera-t-il dès le début, à renoncé
du sujet, recherchant comment ce sujet doit être compris et
traité? Quelques-uns le voudraient : qu'est-ce que corriger un
devoir, disent-ils, si ce n'est le comparer à une sorte de type
que nous avons conçu et arrêté dans notre esprit? Je me ran-
gerais volontiers à cet avis, si le candidat disposait de plus de
temps; mais qu'il songe combien il est pressé! A sa place, je
lirais d'abord tout le devoir^ lentement, doucement, mais à la
suite, d'un bout à l'autre, marquant seulement d'un léger trait
de crayon les passages sur lesquels je sens que j'aurai à revenir
afm de pouvoir les retrouver plus facilement: ce serait une
première connaissance d'ensemble. Alors viendrait cette médi-
tation sur le sujet dont nous parlions tout à l'heure; j'y aurais
été préparé, ce me semble, par la copie elle-même; cette copie,
si faible qu*on la suppose, a dû toucher le sujet, au moins par
certains côtés; ce que j'y trouve est déjà autant de trouvé pour
moi ; ce qui ne s'y trouve pas me met sur la trace de ce que
je devrai moi-même trouver; car il est impossible que certaines
omissions, les plus graves, ne me frappent pas, et sur le champ
je suis conduit à les réparer. Ainsi cette lecture m'a été un
profit, elle m'a fait gagner du temps; elle a fourni à ma pensée
des aliments, un point de départ; elle a donné à mon esprit
comme un premier branle, elle l'a mis en mouvement; les idées,
appelées les unes par les autres, se sont présentées; je n'ai eu
qu'à les ordonner. Voici donc mon sujet vu et compris.
Je puis maintenant revenir à ma copie et la considérer. Y a-
l-il un plan? lequel? Esl-il complet? — (je répondrai à cette ques-
tion et à d'autres qui vont sui^To grâce à la méditation qui a
précédé) — est-il logique? S'il n'est pas complet, que faut-il y
DE LA CORRECTION d'uN DEVOIR 205
ajouter? s'il u'est pas logique, commenl convient-il de le dis-
poser? Toutes les parties en ont-elles été bien mises en lumière?
Toutes ont-elles reçu un développement qui réponde à leur
importance? L'expression a- t-elle toujours bien traduit la pensée?
N*a*t-eUe pas été parfois au delà, c'est-à-dire est-elle ambitieuse,
gonflée, déclaniatoire, de mauvais goût? \*est-ellc pas parfois
restée en deçà, c'est-à-dire est- elle faible, plate, commune,
vulgaire? Que vaut la langue? est-elleau moins correcte? J'avoue
que je ne m'arrêterais pas trop dans cette préparation aux défail-
lances de la forme ; j'en soulignerais quelques-unes à tilre de
preuves, s'il était nécessaire, et je m'en remettrais à l'habitude
que je puis avoir de l'enseignement pour expliquer au jury en
quoi consiste chacune d'elles. Mais je me réserverais du temps,
les différents défauts étant notés, pour rechercher celui qui est
le plus grave, le plus marquant, celui qui parait caractériser la
copie; c'est à celui-là que s'attacherait surtout ma correc-
tion, et elle en prendrait unité, clarté, fore»'. Ce défaut tient-il
au fond ou à la forme? L'élùvc n'a-t-il pas assez réfléchi à son
sujet, n'en a-t-il fas su trouver les idées principales ? Ou, les
ayant Irouvées, ne s'est-il pas donné la peme de les exprimer ?
Quelles qualités lui manquent? Quels gros défauts trahit-il? Et
partant quel conseil capital lui donner? Enfin je ne voudrais pas
risquer d'arriver au terme de ma demi-heure sans avoir formulé
et écrit, à tète reposée, en termes brefs, mais précis, mon appré-
ciation, et même sans l'avoir traduite en son expression la plus
brève et la plus rigoureusement précise, le chiffre. Le reste du
temps, si j'en avais de reste, je l'emploierais à éclaircir avec moi-
même quelques points, les principaux, sur lesquels j'insisterais
d'autant plus volontiers devant le jury que je m'y sentirais plus
à l'aise, y ayant réfléchi plus à loisir.
Avant d'aller plus loin, je tiens à prémunir nos candidats
contre certaines impressions du premier moment, delà première
lecture, qui pourraient avoir pour eux des conséquences fâcheu-
ses; ces impressions viennent d'idées préconçues dès longtemps
caressées. « Hoi,. dit l'un, je voudrais une copie faible ; elle laisse
plus à faire à celui qui est chargé d'en rendre compte ; elle lui
permet de mieux montrer ce qu'il sait. — Et moi, dit l'autre, je
ne voudrais que d'une bonne copie ; elle porte le correcteur; de
!06 RtVUt PEDAGOGIQUE
rien on ne peut rien tirer; avant toat il faut une matière qaî
prête. » Décider entre ces opinions, chacune ayant sa part de
vérité, me parait diflScile, à coup sûr fort oiseux. Le sort ne
nous consulte guère s; il nous sert souvent contre nos préfé
rences. Quoi donc! Irons-nous bouder contre lui, à nos dépens?
Ou simplement éprouverons-nous un mouvement de contrariété
et de trouble qui pour un instant (ce serait encore trop) para-
lyserait nos efforts? L'examen, ainsi que la vie, a de ces sur-
prises qui ne sont pas toujours agréables; il tntt savoir les
accepter, ou mieux encore il faut savoir n'être pas surpris. Celuî-là
a eu tort de se mettre sur les rangs qui pour courir a besoin
d'un terrain qui lui convienne et qu'il ait choisi; la victoire
est c\ qui aborde franchement et vaillamment, sans sourciller et
s'inquiéter, tous les obstacles.
#
* +■
Le candidat est devant le jury; que va-t-il faire? Lire la
copie, puis la reprendre phrase par phrase? Que ce procédé
est d'un art enfantin, ou plutôt manque d'art! Que cela d'ail-
leurs prend du temps ! Mais on dirait que c'est ce à quoi
visent beaucoup de candidats. Ils paraissent croire qu'on les
jugera à la longueur de la course qu'ils auront fournie et veulent
employer jusqu'à la dernière minute que leur alloue le règle-
ment : aussi ils s'étendent, ils s'étalent de leur mieux. Comme
ils comprendraient mieux leurs intérêts, s'ils clierchaient à faire
tenir, non pas peu de choses en beaucoup de temps, mais
beaucoup de choses en peu de temps ! Lire et relire, voilà qui
était fort bon pour vous Icxrsque vous vous préparies seul avec
vous-même ; mais le propre de la préparation est précisément
de garder pour soi ces longueurs et lenteurs et de les épargner
aux autres. Vous avez appris à connaître la copie : apprenez-
nous maintenant à la connaître. Dites-nous comment elle a
pris le sujet, le plan, les idées principales. Ces idées sont-^es
justes ou ne le sont-elles pas? Si elles sont justes, en quoi?
Si elles ne le sont pas, en quoi? Que faut-il en retrancher, ou
y ajouter ? Comment les rectifier ? Tout cela à grands traîts,
sans perdre de vue le travail de Télève, sans vous étendre
DE LA GOARICmON d'UN DEVOIR m
•
trop longaement, trop complaisamment, comme il arrive parfois
à propos de sujets historiques, une exposition personnelle, une
Tériteble leçon se substituant à une correction. Ce premier
tratail achevé, serrez de plus près la copie; vous nous avec
annoncé du bon, lisez-nous un bon passage ; vocts nous avez
annoncé du mauvais, lisez-nous un passage mauvais : et ici ne
craignez plus d*enlrer dans le détail, de prendre les choses par
le menn. Si même l'expression était trop défectueuse, relevez-la
rapidement en passant. Mais d'ordinaire avec ces copies d'élèves
tous êtes obligé d'en venir à parler particulièrement de la forme;
parlez-en alors avec beaucoup de précision ; ne vous contentez
pas d'une appréciation générale, allez au particulier, à la preuve:
aux citations courtes, mais caractéristiques. Ne croyez pas que
ce soit assez de dire : « Cette phrase est lourde, embarrassée; elle
est trop longue; » montrez comment on aurait pu la couper,
Talléger. Ne dites pas seulement: « Ce terme est impropre; » rem-
placez-le par le terme qui, selon vous, convient.
Finissez en donnant le jugement que je vous ai conseillé de
fixer par écrit. Quelques-uns commencent par là ; c'est un pro-
cédé qui peut se soutenir; toute la correction nVf^t alors que la
justification du jugement. J'aimerais mieux, quant à moi, le
garder pour la fin; il résume et conclut; il laisse Tesprit de
ceux qui joutent stir quelque chose de parfeitement net et
ferme, d'arrêté et de définitif; c'est une impression à laquelle
vos juges ne devront pas, ce me semble, être indiff^érents.
Il arrive quelquctbis que le sujet du devoir n'est pas bien
choisi, que la question n'est pas bien posée; ne craignez pas
de l'indiquer; on vous saura gré de l'avoir vu et même d'avoir
osé le dire; mais ne risquez cette critique qu'après y avoir bien
réfléchi et avec mesure.
Certes il ne faut pas que le correcteur soit trop facilement
content; on pourrait l'accuser de manquer de clairvoyance et
de pénétration. Il ne faudrait pas non plus qu'il fût trop diffi-
cilement content. Entre ces deux excès, l'optimisme et le pes-
simisme, la roule n'est pas aisée à tenir. Certains candidats ne
voient dans le travail de l'élève qu'une proie à déchirer, à
déchiqueter; ils s'en donnent à cœur joie; ils mordent à belles
dents. Ils inventeraient plutôt des fautes (cela s'est vu) pour
208 RKVUE PÉDAGOGIQUE
avoir le plaisir de les corriger et de triompher. Ne nous forcez
pas à prendre le parti de votre victime contre vous.
Surveillez votre ton, quoique Télève ne soit pas là. Soyez
sévère, et ne passez rien ; j'y consens : mais ne soyez dans la
forme ni dur, ni amer, ni blessant. Qu'il ne vienne pas à la
pensée d'un de vos juges de se dire : a Ah ! je ne voudrais pas
être son élève ! »
Sachez entrer dans les raisons de celui que vous corrigez,
même quand elles ne vous paraissent pas justes, et montrez
que vous les comprenez. Sachez deviner ses bonnes intentions,
même quand il ne les a pas menées à bien, et faites-les valoir.
Sachez Jouer enfin, dès que l'occasion s'en présente. Louer,
quand on est invité à critiquer, n'est pas du premier venu. La
louange est d'ailleurs si puissante sur les jeunes esprits. C'est
un cordial généreux; n'en abusez pas sans doute; car alors il
tourne les tètes, il grise; mais usez-en: il réconforte, anime,
réchauffe, rend Tefforl facile, double la vigueur et Télan.
Surtout inspirez-vous de la copie qui vous aura été remise.
Plus j'avance en ce sujet, plus je m'aperçois que les conseils,
si précis qu'on les veuille faire, laissent toujours place à un
vague redoutable; il s'agit de savoir s'en servir, de discerner
quand il faut appliquer chacun d eux et dans quelle mesure.
Correction de devoir, affaire moins encore de science que de
tact: c'est là ce qui fait la difficulté de l'épreuve et aussi son
importance. E. À.
LES ECOLES REGIMENTAIRES DE L'INFANTERIE
DE MARINE
On ne sait pas assez lout ce qu'il a été fait d efforts généreux et
heureux pour dévelopf>er l'instruction des soldats et des sous-officiers
de nos armées de terre et de mer depuis 1835, mais surtout depuis
1866 et plus particulièrement encore depuis 1872. Nous ne voulons
écrire ici qu'un chapitre de celte instructive histoire, en nous atta-
chant uniquement aux écoles régimentaires de Tinfanterie de marine,
qu'il n'était rien moins qu'aisé d*organiser.
L'idée de la création des écoles régimentaires remonte au début
de la Révolution française. Le règlement du 24 juin 1792 sur le
service intérieur de l'infanterie portait qu'il serait établi dans chaque
régiment une école gratuite d'instruction; mais les grandes guerres
que la France eut à soutenir sous la République et sous TEmpire
firent foi cément ajourner cette réforme.
Sous la Restauration, le règlement du i3 mai 1818 contenait, au
point de vue de Tinstruction dans les régiments, de fort bonnes dis-
positions, qui ne furent pas appliquées par suite des nécessités
budgétaires.
La loi du 21 mars 1832 a^ant prescrit que les jeunes gens appelés
au service recevraient, dans les corps, « l'inslruclion donnée dans
les écoles primaires », le ministère de la guerre, pour se con-
former au vœu de la loi, publia le règlement du 28 décembre 1835,
et c'est à partir de celte date que renseignement élémentaire fut
réellement introduit dans l'armée de terre ; il le fut peu après dans
rinfanterie de marine et dans les équipages de la flotte (ordonnance
flu 11 octobre 1830i.
Nous allons suivre les phases principales de Torganlsation des
ôcoles régimentaires dans Tinfunterie de marine depuis 1835 jusqu'en
1881. Il y en a quatre : la première s'étend de 1835 à 18ri3; la
s^Hîonde, de 1853 à 1860 : la troisième, de 18(>6 à 1872 ; la quatrième
de 1872 à 188 i.
En conformité du règlement du 28 décembre i83«*>, chaque corps
ou portion de corps de l'infanterie de marine devait a>oir deux écoles :
Tune dirigée d'après le mode mutuel» sous la dénomination d'école
de premier degré, et destinée aux caporaux et aux soldats; l'autre
dirigée suivant le mode simultané, sous la dénomination d'école de
second degré, et destinée aux sous-ofliciers. L'enseignement de la
première comprenait la lecture, d après la méthode Peigné, Técri-
ElfUI piOAOOGIQUB 1885. — 1*' SEV. 14
210 RKVUB PÉDAGOGIQUE
ture, d'aorès la mélhode Taupler, et rarithcnélûiue réduUe. aux quak»
ràgibv wafxcès h^ méthode Lapogs. Okii de H^ seoondie portait sur lU
grammaire de Lhomond, Tarithmétlque de Ducros, la comptabilité des
compagnies, la géographie de Delapalme, niisloire militaire de France
(traité spécial), les éléments de géométrie de Bergerey, le cours de
fortification, les levés de plans. Le cours du second degré compor-
tait 180 leçons de deux heures, et le règlement entrait dans les détails
lea plu3^ loiouUeuji sui* la corroction des devoirs. L'éeole du prmnier
degré s^ ^bdi^ûsait en six clasaes, dirif^ cbacune par ua mosi-
teiiK..
U ftewoAoel ensQigiiant était «om^sè é'm diracteur^ du grade de
lieuUos^L ou de siaasp^lieutMafii,. d*ua nuoitear généiPai du grade
de sargeot-maiov, de six sionitAurs particuliets, dont iMisous-olBcier
et cinq caporaux ou soldats. Oa aa8li^o^ et nons le croyoof sans peine,
quA Icis mooiieucs ne néimssiieiit pi» toujours à an» inalnietion
suft^aAte une aptitude parilQuUèK» pour l'enseignemealL Mus enfin
00^ avaijt coima^ncé à faire quelque chose : c'était beaucoup.
«
Un nouveau règlement parut le 17 septembre 1833 et n'apporta
auoune mo^fication à l'Àsote du premier degré, maïs donna un
programme détaillé pour lèo différentes matières de renseignement
du second degré, qui étaient réparties en deux années. La première
année avait 10 leçons de grammaire française, 14 d'arithmétique,
10 as géométrie, 15 d'administration militaire. La seconde année
avail 12 leçons de géographie, « d'histoire, M de fbrtificatîon,
3 d'étude de carle^^; soit au total, 40 leçons par an pour la première
aaaée et 5S povr la seconde, les leçons étant chacune de deux
heares. Il n'était pkrs question de levés de plans; en revanche,
c«nme eni vîeiil de le voir, il y avait un cours d'adkDinistratlûn
mlHtaire en première année et un de cartographie en seconde année.
L'étude de la grammaire française allait jusqu'à la construction de
laphraseï
A l'arithmétique (nombres entiers et fractions décimales) s^'ajou-
taient le système métrique et les proportions.
La géométrie devait consister surtout eu définitions et en mesures
dont tout le monde peut faire usage : angles, perpendiculaires et
obliques ; triangles ; polygones ; mesure des surfaces ; solides.
Le programme de géographie perlait : notions générales, mappe-
manie, !»s cinq parties du monde, la France physique,, adminis-
tsalfve et' mUilarre.
En bistoftre, if y «^«* ""•' graitdte carrière a parcourir i histoire
db* Wrance et histoire générate' depuis les temps lea plus reculés
jttsqtfeH 1818. L'ftwteire gén^te cotoprenait : traditions bibUq^ea
8«r lés premiers hommes; Moïse, P^avid, Salomon; E^ptiens,. Aas^-
rlena, Perses ; histoire de la Grèce: âge héroïque; histoire romaine :
LBS ÉCOLES RÉGIBISMTjUAIS DE l/lUFAlITERIE DE MARINE Ml
conunencftmant de Rome» guéries puniques. — Dans rhîsttthre de
BiMU» oa; mnonte jji»qu*à la OMiquét» de la Gaule- par iales Gésar
pour s'arréler a la chute de Louis-Philîppe.
Goornie, pour dee raisons de senriœ dans lesquelles il nous aeiait
dificilo. d^eatrer» reaseigoement du secoué degré n'a jainats pa toe
scindé en deux ou trois années avant les nouveaux règiementi dont
nous parlerons plus loin, les programmes dei853f(irauientanttDp
vaste ensemble pour qu*il fût possible de les suivre fructueusement^
surtout pour 1 histoire.
D*auire part une seule école du premier degré pur régiment était
insuffisante : le local affecté à cette école était partout trop exigu ;
les élèves étaient entassés dans les plus mauvaises conditions pour
leur instruction. Cet état de choses était très préjudiciable au succès
de renseignement» qui n'était d'ailleurs suivi que par des hommes
de bonne volonté.
Le mouvement des es|MritA qui,eni866, commençait à seporterverslei
développement et la diffusion de renseignement dans toutes les cte^s
de la société, eut son effet dansFinfanierie de marine. Le règlement du
Sft QCtoJJMr» 1866 — qui ne fut mis en vigueur que le 13 mars 1909 — -
pvésente sui' les précédents une amélioration sensâUe. D'abord, el
e^eet là le point capital, il rend obligatoire Tàcok da premier degré
pMViloas les soldats illettrés à rexception de ceux qui sont arrivés à
UBkâge oà l'étude n'est plus possible. Les cours profSessés à celte école
oamportant les mêmes matières que celles contenues dans le* pro»*
grwnme du 28 décembre 1835. Biais le personnel ens^nant ainsi que
le local mis à la disposition des élèves restent insuffisants. Toutelèiii,
let règlement de 18ë6 inaugure une excellente mesure: il met entre
lea mains de tous les élèves du deuxième degré des livres écrits spé-
cialement sur les matières des cours, ce qui leur permet d'étudier
sealt et de se tenir au eourant des leçons, malgré les ialermptiiHM
qpialeai nécessités du service imposent à un certain nombre d'entr'euDi.
La règlement de 1866 prescrit, en outre, pour les cours du second
degré, auxquels doivent assister tous les sous-officiers, de former
quatre classes ou sections qui sont parcourues en quatre périodea de
six mais. Un élève ne doit passer de la classe inférieure à la classe
supérieure qu'après constatation de Tinstruclion acquise. Mais la
dififlion en quatre classes ou sections n'a pu être adoptée à causa du
relèvement fréquent des garnisons coloniales et parce que rea«>
seîgnement diff^alt trop d'un cours à un autre cours pour qu'on pàl
le reprendre dans un nouveau régiment juste au point où il afvaftt
été li^sé dans celui que le militaire venait de quitter.
Aussi, malgré le» louables efforts tentés^ l'insuffisance des résultats
oMmua dans lea éeoies régimentaires était notoire. Les causes de
eatte iaaufltoance peuvent se résumer eonune sait :
Pevaonnel enseignant trop restreint et surtout trop m(^le :
214 «UrUB JPÉDA006IQUI
aux besoins de rinfànterie de marine. C'est oe quen langage mili-
taire lon appelle souvent renseignement primaire, renseigoemeiit
secondaire, renseignement sup^ieur, expressions qui pourraient
être quelquefois mal comprises. Mais ne nous attardons pas aux
nuits» arrivons aux choses et procédans par ordre, en envisageant
aaocessivement : i^ le prognunme; â* k direction et le personnel
soseignant; d^ les élèves,
* *
Pour les écoles du second degré le règlement de 1872 ne fait qae
confirmer celui de i853 quant aux matières à enseigner, et ces
matières sont réparties dans les quatre sections du cours suivant
Taptitude et Tinstruction primaire des sous-officiers, mais les sous-
officiers de la quatrième section doivent avoir vu en fin d'année
scolaire :
i^ La grammaire française complète;
8® L'arithmétique jusqu'au système métrique inclusivement;
d9 La géométrie jusqu'à la mesure des surfaces inclusivement;
4® L'administration militaire jusqu'aux détails sur l'administration,
intérieure des compagnies inclusivement;
5<» La géographie générale et celle de TEurope en détail ;
6® L'histoire de France, jusques et y compris Louis XIU, en pas-
sant très sommairement sur la période gauloise et sur les deux
premières dynasties;
7^ Les notions de fortification jusqu'à Tattaque et la défense;
S^ L'étude des cartes topographiques, quelques notions sur leur
constmctlon, mais surtout Thabitude de les lire couramment.
Les écoles du troisième degré institués par le règlement de 1874
comprennent le cours supérieur et le cours spécial.
Le cours supérieur devait être, aux termes du règlement, profe^fsé
par le directeur de l'école régimentaire sur les matières du programme
de 1853, mais le programme développé en ce qui concerne :
1® La langue française (discours et narration) ;
2° L'histoire de France jusqu'à nos jours;
3® L'administration et la législation militaires;
4^ La forlification appliquée au terrain, aux lieux babités ;
5<> La levée des plans topographiqu^s et l'établissement des rapports
militaires ;
6<^ L'art militaire au point de vue des petites opérations, c'esi-Â-
dire l'ordonnance des armées en campagne commentée et expli-
quée.
La géographie, dans sa partie physique et politique, a été «îovtée
au programme du cours supérieur par une circulaire du 14 novem-
bre 1873. Cette modification a paru nécessaire, pour ne pas séparer
cette étude de celle de l'histoire. En outre, en 1884, afin de faciliter
les préparations des sous-officiers aux examens d'entrée à l'école mi-
litaire de Saint-Maixent, on a élargi le programme d'histoire, et
LES ÉCOLES RÉGIIIJEMTAIAES »E L'iNFANTERIE DE MARINE SIS
ajouté les matières suivaiites : furifioipeB élémentaires d'artillerie;
cours du service ea campagne af^pliqué ; cours da service iiltériesr
des oorp« de troupe, du service des places de guerre et filles de
garnison; cosmographie, partie théorique du tir; cours de compta-
bUité. Les sous-ofïicîers ont ainsi tous les moyens de commencer
ou de parfaire leur instruction sur toutes les matières qui peuvent
leur ^tre utiles dans la carrièfe militaire ou dans les emplois civils.
Le cours spécial, institué comme ie cours supérieur par le règle-
ment de 1872, devait porter et porte emcore sur l'arithmétique, la
géométrie, la partie mathématique de la fortification et de la topo-
graphie, le dessin linéaire et panoramique,, dit à vol d'oiseau. -Le
règlement du 18 avril 1878 dit que le cours spécial porte sur Tarith-
métlque, la géométrie plane et Tarpentage, la géométrie dans l'es-
pace et les plans cotés, plus des notions de cosmographie.
Ck)mme on le voit du reste, les deux cours supérieur et spécial
ne forment en réalité qu'une seule école qui ne se distingue pas
toi^'ours bien nettement de la quatrième section de l'école du
deuxième degré, si on considère que ce sont les mêmes élèves qui
suivent les leçons des différents maîtres. Ce qu'on veut, c'est que ces
élèves, qui aspirent à devenir des lieutenants, aient une somme
suffisante de connaissances générales et pratiques, et c est dans cet
esprit qu'a été conçu le ri'glement du 18 avril 1878, qui résume et
complète tout ce qui avait été fait auparavant : il a notamment
étendu et précisé les programmes des écoles du deuxième et du troi-
sième degré, de manière à mettre l'enseignement aussi complète-
ment que possible "en liarmonie avec les exigences du service spé-
cial de rinfanterie de marine.
Ajoutons qu un cours d'allemand est professé dans tous les régi-
ments pour les élèves de Técole du deuxième degré (règlement de
1872). Tou^ les élèves de l'école du 3» degré sont obligés de le
suivre (règlement du 18 avril 1878).
De ce que nous venons d*exposer, il résulte que les études sont
aussi bien échelonnées qu'on pourrait le désirer dans nos éodes
régimcntaires. liais il importait grandement que toas nos soldats
pmssent en tous lieux profiter des avantages que leur offrait ce sys-
tème si bien combiné, après de si longues expériences, noa exemp-
tes de tâtonnements inévitables. Or, les excellentes mesures adop-
tées par le règlement de 187:^ se heurtaient à une tr^ (grosse diffi-
culté que nous avons déjà signalée en parlant de lapplication du
règlement de 1866: la fréquence des mutations était un obstacle
presqu'insurmontabie à la bonne et régulière tenue des cours, sur-
tout dans les trois premières sections de l'école du deuxiènne degré.
On a heureuiement remédié à ce mal, ie ministre ayant décidé (dr-
culaiiie du 14 novemlM'e 1^73) que les études seraient dirigées par-
tout exsàcteaaeRt de la »êi»e façan, c*eflt-<à-cUre que les différentes
nMrtièrci semLeoi commencées et parcourues dans le même ordre et
21^3 ILEVUI PÉDAGOGIQUE
dans des limites nettement déterminées. De la sorte on peut chan-
ger de corps ou de garnison en retrouvant toujours partout les
mêmes cours à peu près au même point. C'est une mesure qu'on ne
saurait trop louer.
Plus la Marine a développé ses programmes, plus elle a tenu ù
la bonne direction des écoles. De 1835 à 1872 le directeur de l'école
régimentaire était un lieutenant ou un sous-lieutenant secondé par
quelques moniteurs. A partir de I87i c'est un capitaine qui est chargé
de la direction de l'école, et il est aidé dans cette tâche par deux
lieutenants ou sous-lieutenants, qui prennent le titre de directeurs-
adjoints, par le professeur d'hydrographie et par le professeur d'wlle-
mand. Le directeur professe le cours supérieur, et le professeur d'hy-
drographie le cours spécial.
Une circulaire du 18 avril 1878 recommande aussi aux vice-
amiraux et aux préfets maritimes d'exercer une action directe sur
le service de l'enseignement. De plus il y est dit que chaque annexe
le général inspecteur d'armes, lors de la revue qu'il passera de lu
portion centrale d'un régiment d'infanterie de marine, choisira h*
capitaine directeur et les lieutenants directeurs-adjoints sur une
liste de candidats que lui remettra le chef de corps avec ^n appré-
ciation sur chacun d'eux; les candidats présentés doivent être choisis
autant que possible parmi les officiers qui ont plus d'un an de
séjour h accomplir en France. Il est établi que le colonel détermine
les heures des différents cours, que la suryeillance des écoles
appartient au lieutenant-colonel, qui est secondé par les chefs de
bataillon, et que tous les trois mois il rend compte au colonel de
la marche de l'instruction et lui remet une copie du classement des
élèves. La circulaire du 6 avril 1883 va encore plus loin, tant l'im-
portance du i^ervice scolaire se f.iit sentir de plus en plus : elle ordonne
que les élèves seront interrogés devant le lieutenant-colonel une
fois par trimestre et les colonels sont priés d'assister de temps en
temps à cette constatation trimestrielle de l'instruction des sous-offi-
ciers. Les bons élèves sont dispensés du service colonial.
De nouvelles et importantes modifications au régime des écoles
d'infanterie de marine ont été apportées par le règlement du
4 avril i88i, relatif à la direction des cours et à la composition du
personnel enseignant. Elles constituent une amélioration des plus
notables.
Pour chaque portion centrale, un chef de bataillon qui reçoit le
titre de « chargé du service des écoles » est appelé à diriger et à
surveiller, sous l'autorité du lieutenant-colonel, les écoles du deuxième
et du troisième degré. L'action de cet officier s'exerce en outre sur
les écoles du premier degré. Il est l'intermédiaire obligé entre les
professeurs des écoles régimentaires et le lieutenant-colonel. U assista
inopinément aux séances, et dans celles consacrées aux Interroga-
LES ACOLES RÉGfMBNTAIRES DE l'iNFA?«TER1B DE MARINE 217
tioDS il questionne fréquemment les élèves sur les matières qui
leur ont été enseignées.
Un capitaine qui prend le titre de « professeur militaire » est
chargé des cours de fortification passagère, de topographie théo-
rique et pratique, des principes élémentaires d'artillerie, des cours
de législation et d'administration militaire.
Un capitaine adjudant-major est chargé des cours du service en
campagne appliqué, du service intérieur des corps de troupe, du
service des plans de guerre et villes de garnisons, des petites opéra-
tions et manœuvres sur le terrain : écoles de compagnie, do
bataillon (théorie et pratique).
Le capitaine de tir fait des conférences sur la partie théorique du
tir.
Le lieutenant-adjoint au trésorier professe un cours spécial- de
comptabilité.
Sous la dénomination d' « adjoints au professeur militaire «, des
lieutenants ou sous-lieutenants secondent le professeur militaire
dans tout ce qui concerne la tenue des classes et professent les cours
de l'école du deuxième degré .
Le professeur d'hydrographie continue, comme par le passé, ù
faire les cours de sciences (arithmétique, géométrie, cosmographie).
Le cours d'allemand est fait soit par un officier, soit par un pro-
fesseur civil.
Deux professeurs du lycée sont chargés, l'un, du cours de langue
française, l'autre des cours d'histoire et de géographie.
Grâce au régime que nous venons d'indiquer, les écoles rcgimen-
taires sont très bien surveillées et dirigées aujourd'hui. Voyons
maintenant quelles mesures ont été prises au sujet des élèves.
On sait que depuis 1866 les écoles du premier degré ont été rendues
obligatoires pour les illeltrés : elles le sont toujours. Les écoles du
second et du troisième degré n'avaient été créées d'abord que pour les
sous -officiers, qui étaient tenus de suivre tout au moins les cours
du second degré par le règlement de 1866. L'école du second degré
devint obligatoire en 1878 pour tous ceux qui pouvaient en suivre
les cours, sous-officiers ou soldats.
L'obligation de l'école du second degré ne fui pas maintenue et
voici pourquoi. Les résultats obtenus dans le cours du deuxième
degré n'étaient pas toujours en rapport avec les elTorts des professeurs,
surtout dans les trois premières sections. Les progrès n'étaient
sensibles que dans la quatrième et pour les chefs de file des trois
autres. La majeure partie des élèves opposait une force d'inertie
contre laquelle venaient échouer le zèle des professeurs et les puni-
tions. Il y avait dans les cours du deuxième degré deux .catégories
d'élèves. Les uns, sortant, en général, de l'école communale avec
21 C MKVUI PÉDAGOGIQUE
dans des limites nettement déterminées. De la sorte on peut chan-
ger de corps ou de garnison en retrouvant toujours partout les
mêmes cours à peu près au même point. C'est une mesure qu'on ne
saurait trop louer.
Plus la Marine a développé ses programmes, plus elle a tenu à
la bonne direction des écoles. De 1835 à 1872 le directeur de Técolc
régimentaire était un lieutenant ou un sous-lieutenant secondé par
quelques moniteurs. A partir de i87i c'est un capitaine qui est chargé
de la direction de l'école, et il est aidé dans cette tâche par deux
lieutenants ou sous-lieutenants, qui prennent le titre de directeurs-
adjoints, par le professeur d'hydrographie et par le professeur d'wUe-
mand. Le directeur professe le cours supérieur, et le professeur d'hy-
drographie le cours spécial.
\jae circulaire du 18 avril 1878 recommande aussi aux vice-
amiraux et aux préfets maritimes d'exercer une action directe sur
le service de l'enseignement. De plus il y est dit que chaque année
le général inspecteur d'armes, lors de la revue qu'il passera de la
portion centrale d'un régiment d'infanterie de marine, choisira le
capitaine directeur et les lieutenants directeurs-adjoints sur une
liste de candidats que lui remettra le chef de corps avec ^n appré-
ciation sur chacun d'eux; les candidats présentés doivent être choisis
autant que possible parmi les officiers qui ont plus d'un an de
séjour h accomplir en France. 11 est établi que le colonel détermine
les heures des différents cours, que la surveillance des écoles
appartient au lieutenant-colonel, qui est secondé par les chefs do
bataillon, et que tous les trois mois il rend compte au colonel de
la marche de l'instruction et lui remet une copie du classement des
élèves. La circulaire du 6 avril 1883 va encore plus loin, tant l'im-
portance du service scolaire se fait sentir de plus en plus : elle ordonne
que les élèves seront interrogés devant le lieutenant-colonel une
fois par trimestre et les colonels sont priés d'assister de temps en
temps à cette constatation trimestrielle de Tinstruction des sous-offi-
ciers. Les bons élèves sont dispensés du service colonial.
De nouvelles et importantes modifications au régime des écoles
d'infanterie de marine ont été apportées par le règlement du
4 avril 1881, relatif à la direction des cours et à la composition du
personnel enseignant. Elles constituent une amélioration des plus
notables.
Pour chaque portion centrale, un chef de bataillon qui reçoit le
titre de « chargé du service des écoles » est appelé à diriger et à
surveiller, sous l'autorité du lieutenant-colonel, les écoles du deuxième
et du troisième degré. L'action de cet officier s'exerce en outre sur
les écoles du premier degré. Il est l'intermédiaire obligé entre les
professeurs des écoles régimentaires et le lieutenant-colonel. U assiste
inopinément aux séances, et dans celles consacrées aux interroga-
LES ÉCOLES RÉGIMENTÀIRES DE l'iNFAMTERIB DE MARINE 217
tioDS il questionne fréquemment les élèves sur les matières qui
leur ont été enseignées.
Un capitaine qui prend le titre de c professeur militaire » est
chargé des cours de fortification passagère, de topographie théo-
riqae et pratique, des principes élémentaires d'arlillerie, des cours
de législation et d'administration militaire.
Un capitaine adjudant-major est chargé des cours du service en
campagne appliqué, du service intérieur des corps de troupe, du
•errice des plans de guerre et villes de garnisons, des petites opéra-
ti(m8 et manœuvres sur le terrain : écoles de compagnie, de
bataillon (théorie et pratique).
Le capitaine de tir fait des conférences sur la partie théorique du
tir.
Le lieutenant-adjoint au trésorier professe un cours spécial- de
comptabilité.
Sous la dénomination d' « adjoints au professeur militaire », des
lieutenants ou sous-lieutenants secondent le professeur militaire
dans tout ce qui concerne la tenue des classes et professent les cours
de l'école du deuxième degré.
Le professeur d'hydrographie continue, comme par le passé, à
faire les cours de sciences (arithmétique, géométrie, cosmographie).
Le cours d'allemand est fait soit par un officier, soit par un pro-
fesseur civil.
Deux professeurs du lycée sont chargés, l'un, du cours de langue
française, l'autre des cours d'histoire et de géographie.
*'*
Grâce au régime que nous venons d'indiquer, les écoles régimeii-
taires sont très bien surveillées et dirigées aujourd'hui. Voyons
maintenant quelles mesures ont été prises au sujet des élèves.
On sait que depuis 1866 les écoles du premier degré ont été rendues
obligatoires pour les illeltrés : elles le sont toigours. Les écoles du
second et du troisième degré n'avaient été créées d'abord que pour les
sous -officiers, qui étaient tenus de suivre tout au moins les cours
du second degré par le règlement de 1866. L'école du second degré
devint obligatoire en 1878 pour tous ceux qui pouvaient en suivre
les cours, sous-officiers ou soldats.
L'obligation de l'école du second degré ne fut pas maintenue et
voici pourquoi. Les résultats obtenus dans le cours du deuxième
degré n'étaient pas toujours en rapport avec les efforts des professeurs,
aurtout dans les trois premières sections. Les progrès n'étaient
sensibles que dans la quatrième et pour les chefs de file des trois
autres. La majeure partie des élèves opposait une force d'inertie
contre laquelle venaient échouer le zèle des professeurs et les puni-
tions. Il y avait dans les cours du deuxième degré deux .catégories
d'élèves. Les uns, sortant, en général, de l'école communale avec
918 aivuB MoMoeio»
quelques notions bien élémentaires de graimaaire et de €Aloiil,oUe-
naient bientôt grâce à leur bonne conduiteet à cerieîiMe aptitudes mUi-
taîres le grade de caporal ou de seus-oScier; mais leur ambition
n'allant pas plus loin, il leur manquait Je furemier des stimolaaia :
Tespoir d'avancer, La plupart d'entre-eux ne cMapreoaieint pa8,4*«it-
leurs, tout l'avantage qu'ils pouvaient retirer plusUrd d^s la vie
civile des connaissances compiémentaipeg qu'on lev donnait ie mq^en
d'acquérir au régiment. Us avaient en joutre 'entièrement pwdu,
depuis Tenfance, Tbabitude de tout travail întellectHeL Leur iige «et
leur intelligence les rendaient peu aptes à comprendre les lagons,
quelque élémentaires qu'elles fussent et quelques efforts que Ton fit
pour les mettre à leur portée. Aus£ assistaient-ils aux cours comme
à une corvée qui leur enlevait les heures de liberté dont ils jouis-
saient autrefois. 11 était impossible, dans ces conditions, de remédier
à la mauvaise volonté de la majeure partie des élèves : les consigner
n'y faisait rien et Ton ne pouvait songer à instruire des hommes
malgré eux.
A côté de cette catégorie d*élèves, il en est une autre qui, presaée
par le désir de s'instruire et d'arriver, &it aa contraire les pltts
grands efiforts : ce sont ceux qui aspirent à l'épauletle et parmi
lesquels se recrutent les élèves de l'école du troisième degré, dès
leur nomination au grade de sous-officier. Pois viennent tous ceux
qui, sans viser aussi haut, ont le désir de profiter de leurs années
de service pour compléter rinstructlon qu'ils possèdent en vue de
concourir plus tard aux services civils et militaires réservés aux soui-
officiers par lu loi du ii juillet 1873. Cette loi, disons-le en passant,
a été pour les sous-ofliciers un encouragement dont on a pu con-
stater les excellents effets.
Ces considérations ont porté le ministère de la marine, en juin
1883, à rendre l'école du deuxième degré facultative. Il ne reste
d'obligatoire que la partie essentiellement militaire, c'est-à-dire les
notions pratiques pour les petites opérations de la guerre. Il y a
par suite moins d'élèves dans les écoles régimentaires, mais il n'y
a plus que des élèves vraiment désireux de profiter des leçons qui
leur sont faites : les cours ont gagné en homogénéité et leur valeur
n'en e^t que plus grande.
Pour donner une idée suffisante des progrès accomplîa, il nous
reste à dire quelques mots de ce qui a été fait pour l'outtllage des
écoles de marine. Jusqu'en i87i les écoles n'avaient aucun local qaî
leur fût affecté. Cette lacune fut comblée par le règlement du 3
avril 1872, portant qu'un local est mis à la disposition du prefea-
seur, soit dans la caserne, soit dans un bâtiment de la marine À
proximité de la caserne. La question du mobilier fut réglée par >la
circulaire du 18 avril 1838. Les élèves eiu^nt dès lors les Uvjee 6t
les cartes nécessaires.
LES ÉCOLES RÉGimiiTAIfiJESJIE l'uIFANTERIK DE MARINE Sl(^
lis il £uit aussi des biUloUièques régiraentaires. Oa y pensa dès
lin. .L'année suivante uœ décision ministérielle lit connaître aux
peéfote maritimes qu'il devait être formé dans chaque arsenal et
iaosdiaque colonie une bibliothèque, d'après un ca|alogue arrêté^
m vtte d'instruire et de récréer les troupes. En 1870 des collections
i'ottvnges reliés sont envoyées en Cochlachine. En 1876 une somme
MUUielle de mille francs est affectée aux biblîotbèques de chaque
régiment En 1878, le ministère de l'instruction publique apporte
MO précieux concours pour la formation des bibliothèques régimen-
Uhm et obtient de la nms<m Paul Dupont une remise de 10 0/0
pour tous les ouvrages portés au catalogue de cette maison : il a fait
Biieax encore en dotant les bibliothèques d'un certain nombre de
volumes provenant du service du dépôt légal. Aucun ouvrage ne
peut figurer dans les bibliothèques régimentaires s'il n'a été admis
par mie commission permanente instituée au ministère et dans
laquelle tous les services intéressés de Farmée de mer ee trouvent
représentés. Les livres qui traitent de questions politiques ou reli-
gieuses sont rigoureusement exclus, comme pouvant porter atteinte
à la discipline générale de l'année. Par le choix judicieux qui est
fait des ouvrages, les bibliothèques régimentaircs otTrent aujourd'hui
aux sous-officiers et aux soldats les moyens de développer leur intelli-
gence, d'augmenter leurs connaissances scientifiques et littéraires.
Ceux des livres qu'elles renferment et qui contiennent le récit des glo-
rieuses actions dont notre histoire abonde grandissent chez leurs
lecteurs les sentiments de courage, d*abnégation et d attachement au
drapeau. Les rapports adressés au ministre de la marine témoi-
gnent que toutes les salles de lecture sont assidûment fréquentées.
Le ministère de la marine, qui montre tant do sollicitude pour
rinstruction des soldats et des sous-officiers dans la métropole, n'a
garde de ,les oublier dans les colonies ou à bord. Toutes les mesures
ont été prises pour que partout et toujours, sauf aux jours de
combat, nos braves soldats aient des maîtres à écouter et des livres
i lire. Si Ton se rei>orte au commencement d'organisation de 183o,
on reconnaîtra qu'un grand pas a été fait et qu'il y a lieu de se
féliciter des résultats acquis.
* *
if ministère de la marine ne se contente pas d'instruire ses
troupes soit sur terre, s;oit sur mer. 11 crée aussi des écoles pour
les indigènes dans les colonies. Ainsi on lit dans le Journal officiel
du 4 mars courant que le résident général de France à Hué s'est déjà
préoccupé d'organiser le service de l'instruction primaire. Il est
créé a Hanoï une école française acceptant des internes et des
internes. Des écoles de même nature seront organisées à Nam-Dinh
et À Haîphong, et dans toutes les grandes villes du Tonkin. Ultérieu-
rement on procédera a la création d'écoles pour les filles : en atten-
dant des salles d'asile sont ouvertes à Hanoï, à Haîphong et à Nam-
no REVUE PÉDÀGOGIQUI
Dinh. Le personnel enseignant est recruté parmi les professeurs et
les maîtres qui sont chargés de l'instruction primaire en Cochlnchine
et qui sont déjà accoutumés au climat. 11 sera complété au besoin
par un personnel mis à la disposition du ministère de la marine et
des colonies par le ministre de Tinstruction publique. Le résident
général est également en pourparlers avec Tévêque du Tonkin pour
rétablissement^ dans chacune des paroisses de Tintérieur, de petites
écoles indigènes pour la propagation de l'enseignement français.
Nous devons une profonde reconnaissance au ministère de la
marine pour tant de créations si diverses, mais toutes si utiles et
si fécondes : il montre ainsi que les œuvres de paix, de progrès et
de civilisation ne lui tiennent pas moins a cceur que les conquêtes
coloniales. A. B.
LES COMMISSIONS SCOLAIRES
La lettre suivante a (Hé adressée |>ar M. Edmond Dreyfus*
Brisac, directeur de la Revue internationaU de renseignement,
à M. le directeur de renseignement primaire au ministère de
l'instruction publique :
Monsieur le Directelr,
Permettez-moi de vous soumettre quelques observations su sujet
de la loi sur l'organisation de l'enseignement primaire déjà adoptée
par la Chambre des députés et qui va être soumise au Sénat. Je ne
sais quelles modifications la commission du Sénat a pu introduire
dans le projet voté par la Chambre^ mais j'aurais désiré^ quant à
moi, que le chapitre sur la commission scolaire eût subi d'assez profonds
changements. Je considère notamment Tarticle 55, qui décide que la
commission scolaire se réunit une fois au moins tous les trois mois,
comme très dangereux. Le nombre des manquements à la loi est si con-
sidérable déjà, dans des petites villes comme Villers-Gotterets,où jesuis
membre de la commission scolaire, alors qu'on réunit la commission
tous les mois, qu'il deviendra presque impossible de faire un travail
utile si la commission ne se réunit que tous les trois mois. D'autre
part, comment sera-t-il possible à la commission d'apprécier au bout
de trois mois les motifs d*excuse ? Si l'on combine les dispositions
de la loi nouvelle avec celles de la loi sur l'obligation, on acquiert la
conviction que la répression deviendra absolument impossible. 1!
LES C03IMISSI0NS SCOLAIRES 324
soflfira que les parents envoient leurs enfants de temps à autre à
récolo pour qu*ils puissent se soustraire a tout contrôle et à toute
répression.
Si je ne craignais de vous fatiguer de mes observations, je résume-
rûs ainsi tes conclusions auxquelles m'a conduit une expérience de
plusieurs mois, et la connaissance de fait antérieurs à ma nomination
comme membre de la commission scolaire (alors que celle-ci ne se
réonissait plus) :
î^ 11 faudrait que la commission scolaire fût présidée par un
délégué cantonal, ou par un membre de la commission désigné par
rinspecteur primaire dans toutes les communes;
^ Que la commission se réunît tous les mois, une fois au moins;
9* Que la moitié au moins des membres désignés par le conseil
municipal fussent choisis en dehors de ce conseil;
4^ Que le conseil put lui-môme, dès la seconde fois, prononcer
une légère amende:
5<^ Que les cas d'appels fussent limités autant que possible ;
G® Que les pouvoirs des commissions fussent aussi étendus que
possible, en tout ce qui touche l'assiduité, la confection de la liste
scolaire;
1^ Que la commission scolaire adressât tous les ans un rapport à
l'inspecteur primaire;
8» Que des imprimés fussent envoyés dans toutes les communes
pour les réunions mensuelles des commissions et fussent renvoyés
avec les signatures requises;
9® Que les fournitures scolaires fussent livrées gratuitement par
récole à tous les enfants qui en feraient la demande ;
iQ9 Que la commission scolaire fût appelée à donner son avis sui-
tes secours à donner aux indigents pour leur permettre 4'envoyer
régulièrement leurs enfants à Técole (nourriture àTécole, chaussures,
etc.), et qu'elle disposai môme d'un fonds spécial a cet effet.
Quand on compare ce qui se fait en Allemagne à ce qui se fait en
France sous ce rapport, on est vraiment humilié. Je suis convaincu
que si l'on ne prend pas des mesures énergiques, l'obligation restera
dans nos écoles à Télat de lettre morte.
Je vous prie d'agréer l'assurance de mes sentiments respectueuse-
ment dévoués.
Edmond Dreyfus-Rrisac.
CONSEILS PRATIQUES
ENTRETIENS d'uN DIRECTEUR d'ÉGOLE AVEC SES ÀDJOIttT&
X^111»0BB9«
Un élève s'approche de vous, soit dans le préau, aoii dans
Ift cour de réen^tkm, et se met à vous parler la tète eouverte.
Brasquement, vous enlevez sa coiffure en lui tirant peut-être
ie& cheveux, et cela pour lui apprendre à être poli. Voua vous
y prenea mal pour donner une toile leçon. Coimnencez vous-
même par donner Texemple en proeédani avec modération.
Faites comprendre à votre petit interlocuteur, sans voua émou-
voir, qu'il doit se découvrir chaque fois qu*il adresse la parole
à un supérieur. Et vous le verrez ôter gentiment sa toque ou
sa casquette. La leç^on, je croia, sera tout aussi profitable» et
rélève, en se la rappelant, n'aura point à y associer le mamrait
souvenir de votre brusquerie.
Soyons polis nous-mêmes pour bien apprendre à nos élèves
à être polis.
Visite et correction des cahiers .
Soignez la rédaction et la disposition des notea que vous
consignez sur les cahiers à la suite de vos correelion&, ou sur
les carnets des élèves. Prenez bi«i garde d'y fttire des fimtss
de construction ou môme d'orthographe. Ne jetez pas vos
obsorvalions en travers de récriture du cahier : elles y sont
moins visibles et cette façon d'agir est loin d'embellir les pages.
Tel élève sera contrarié de voir les ligne» qu'il a soignées, oovpéea
par quelques mots en rouge, flatteurs peut-être, mais qui gâtent
réellement son travail.
Donc, mettez les notes dans la marge ou dans le bas de la
page, autant que possible à l'endroit où s'est arrêtée votre visite,
mais jamais dans le texte^du cahier.
Indiquez par un trait dans la marge le point de départ de
votre examen. Si le temps vous manque, ne voyez que deux
pages, qu'une seule même, à chaque cahier. Mais qu'il ne reste
aucune faute où vous avez passé. Que votre Vu de la fin soit
une vérité. Agir autrement, ce serait commettre une sorte de
fans, el preciiFer aux èlè^m et à leurs, himlles l'occaeion d'ime
crilique fort légitime.
Giurdes-Toas des HicoDséc|aenMs de ce genni : •- Ecriture
nêgHgfée »; et eellede voire note esl presque iUîsible; -«
« CMtfT' d'fcfi petit stmillon; it y a des tache9 à toutes leê
fmges w; — et vous-même avee^ oublié, en retournant les feuilles^
que Tenepe de vos corrections était encore humide, et de petite
taftfl lougee se sont imprtmés sur les pages d^en face.
Que dira le bonhomme ainsi tancé, pour peu qu'il ait, comme
tons ses congénères, uo grain de malice à ^adresse de aoa
nurflre?* Vous savez bien que
Cet âge est sans pitié.
Um mottm on tecA. de» élèvea quand on lerur parleu
Quand nous feisons des expKeations, il f^mt nous mettre eo
face des élèves afin de les voir tons el d'Otre vus de tous. Sur«>
tout, gardons-nousde nous promener en cadeuoe de long en large.
Quand nous assistons à une conférence, nous eh(Msissous de
[Hiélérence une place où ni colonne ni eamdélabre ne nous
empêche de distinguer la phy^onomie et les gestes de celui
qui parle. L'entendre sans le voir ne nous procurerait pas la
même satisfaction. Et le conférencier se sentirait, lui aussi, bien
refroidi, si la vue de son auditoire lui était dérobée par un
rideau, ou s'il devait adresser la parole aux assistants en leur
tournant le dos.
La même chose se passe entre nos éeoliers et nous. L'ensei-
guement pénètre autant par les yeux de Félève que par ses
oreiltes. Aussi Télève n'entend et surtout ne saisit, ne comprend
qit*ft demi-, s'il ne se trouve pas on face du maître qui lui parle.
Et si le maftre ne domine du regard ceux qui l'écoutant, sa leçon
est froide et sans vie.
Enfin, parler à un auditoire, quel qu'il soii, avec un mouve-
ment continuel de va-et-vient, donne un air dédaigneux, ennuyé
ou pédant qu'un instituteur doit éviter.
Retardataires.
C'est aujourd'hui lundi et il fait bien froid : deux raisons
qui expliquent pourquoi il n'y a que la moitié des élèves au
^224 R£VUE PÉDÀGOGfQUI
moment de rentrée en classe. Les absents vont arriver les uns
après les antres durant une demi-heure.
Qu'allez- vous faire en commençant? Vous asseoir à votre
bureau, ranger ceci, ranger cela, pour donner à toute la bande
des traînards le temps d'arriver? Ce serait une singulière façon
d'encourager les élèves exacts. Demain, ils seront autorisés à
venir aussi en relard puisque l'exactitude ne leur est pas pro-
fitable : on ne s'occupe pas d'eux plus tôt; ils y gagnent, tout
au plus, de n'être ni grondés ni punis. Quant aux lambins, ils
seront moins émus ; ils ne manqueront pas de penser et peut-
être de dire : a Je suis arrivé à temps : la classe n'était pas
encore commencée. »
Ou bien allez-vous, tout en entrant, vous mettre en colère
contre les négligents qui ne peuvent jamais venir à l'heure ?
Ferez-vous un sermon en règle sur les inconvénients de l'inexac-
titude? A quoi bon? Ceux qui en ont besoin ne sont pas là,
et vous Tatigueriez bien injustement les seuls élèves qui peu-
vent vous entendre.
Que faire alors? Dites un mot aimable à ceux qui sont pré-
sents. Distribuez-leur des bons points. Commencez votre classe
immédiatement. C'est la leçon do lecture. Toutes les places sans
exception sont munies d*un livre. Les retardataires les y trou-
veront. Habituez-les d'abord à se présenter au moins sans bruit^
à ne déranger personne, à ne sourfler mot, à ne pas venir
vous expliquer le motif de leur retard ou vous remettre leur
billet d'excuse. N'interrompez aucunement votre leçon à cause
d'eux ; continuez comme si tous avaient été présents dès le
début. Autrement, il faudrait vous arrêter dix fois, vingt fois.
Ciî seraient des explications interminables, très fatigantes pour
tout le monde. La fm de la leçon arriverait et vous n'auriez.
pas fait lire.
Mais à un moment déterminé, de préférence à la sortie de
dix heures, et dans la cour, demandez les billets, écoutez les
excuses et voyez conment vous devez agir avec les retarda-
taires.
D. C.
L'ENSEIGNEMENT DES SOURDS-MUETS
ET SES PROGRÈS RECENTS
Depuis quelques années seulement, renseignement des
sourds-muets a été transformé: le langage mimique, depuis
longtemps en usage, a dû céder la place à la méthode orale ;
le principe de l'obligation de renseignement prifuaire a été
inscrit dans la loi pour le sourd-muet comme pour Tentendant-
parlant ; enfin, on a institué un certificat d'aptitude à rensei-
gnement des sourds-muets (1). Si insuffisantes que soient encore
ces améliorations, elles n'en constituent pas moins un progrès
considérable. Pour s'en convaincre, il suffît de voir ce qu*cst
encore aujourd'hui le régime des institutions de sourds-muets.
Actuellement une école de sourds-muets peut être ouverte
sans que la loi exige, comme pour les établissements primaires,
une déclaration d'ouverture, et sans qu'une enquête soit faite
pour savoir si le local est convenable. 1^ directeur n'est pas
(1) C'est à un heureux concours de circonstances qu'on doit les impor-
tantes améliorations introduites dans l'enseignement des sourds-muets. Une
personne qui avait la passion du bien, M** Uenr^- Thuret, ayant visité, dans It
eoan d*an voyage en Suisse, ïlnstitut canlonal de (îenève, dirigé par
M. Magnat, fonda, à son retour, en 1873, une modeste institution de jeunes
fioiirds-maets, aux portes de Paris, à Levallois-Perret.
L'année suivante, en 1874, M. Magnat venait à Paris, et avec le concours
de M"* Thuret et de la famille Pereire, dont un anctHre, Jacob-Rodrigue
Pereire, est le premier instituteur des sourds-muets en France, nous fondions
one école où devait être mis en pratique, non sans un certain éclat, l'ensei*
gnenent de la parole.
A partir de cette époqur^, je ti^, avec l'aide de M. Magnat, qui produisait
ses élèves, de nombreuses conférences publiques et gratuites, afin de faire
connaître la méthode ; je publiai des brochures, je fis des articles dans le
même bat. Une Société de patronage fut fondée par nos soins; elle eut un
organe hebdomadaire. I)cs cours furent institués en faveur des instituteurs et
des institutrices, un certificat d'nptitude fut créé et les instituteura qui
robtinrent reçurent des récompenses pécuniaires de la famille Pereire.
Enfin, en 1878, au moment de l'Eupositiou universelle, après une conférence
que je fis au Trocadéro, nous inaugurions avec M. Magnat le premier Congrès
international pour l'amélioration du sort des sourds-muets. Congrès qui a
été le point de départ de tous les autres.
UTUI PiOAGOGIQOI 1^^5. — l*' SIX. 15
â'2C REVUE PÉDAGOGIQUE
lion plus l'objet d'une enquête destinée i^i constater sa capacité
et sa moralité.
Les établissements libres se partagent en deux catégories : les
uns sont payants et conviennent aux familles aisées; les autres
sont entretenus par des dons qui suffisent à peine à leur en-
tretien. Le nonil)ro des établissements est d'ailleurs insuffisant.
L'État n'admet dans ses établissements conune boursiers que
des enfants qui ont dix ans au moins et treize ans 9Ui plus; il
en résulte que les sourds-muets pauvres sont forcés d'attendre
dans une ignorance forcée et funeste le moment où ils pouj -
ront entrer dans les institutions nationales.
Les écoles de l'Ëtat, au nombre de trois, sont seules iaspec-
tées; encore l'inspection ne porte-t-elle pas sur les études. Daas
aucun établissement l'enseignement n'est l'objet d'un contrôle.
Il n'y a pas d'inspection pédagogique.
Enfin, il n'existe pas de moyens réguliers d'assuré le recru-
tement du personnel enseignant.
On voit par ce qui précède tout ce qvu reste encore à faiiY.
■A -.l-
La grosse question qui devait d'abord être résolue était le choix
du procédé à employer pour mettre le sourd-muet en communi-
cation avec la société. Déjà discutée au Ck}ngrès international de
Paris, en 4878, elle fut définitivement résolue à celui de Milan,
en 1880. Le langage mimique fut irrévocablement condamné.
Par un volt.' unanime, le Congrès adopta la résolution suivante:
« Le Congrès :
D Considérant l'incontestable supériorité de la parole sur le^
eignes pour rendre le sourd-muet à la société et lui donner
une plus parfaite connaissance de la langue,
» Déclare que la méthode orale doit être préférée à celle de la
mimique pour l'éducation et l'instruction des sourds-muets. »
Deux cent trente membres, hommes et femmes, laïques et
religieux, appartenant à toutes les nationalités, avaient pris part
à ce vote.
Dans son rapport au ministre do l'intérieur, M. Franck, de
l'institut, dont le savoir, l'expérience et la compétence ne sau-
raient faire l'objet d'un doute, reconnaissait qu'en 1861 il
i/eNSEIONUIBNT 0B8 SOVMDS-MCËTS 227
•'était jttOBlré peu sympathique à renseignement de la parole,
fÊKe qu'il ne lui avait pas été donné de constater des r^ltate
iatiafaiaants. Son opinion se ttouvait profondément mofiitiée ^n
1880; il appelait de tons ses voeux renseignement de la méthode
orale, t Au reste, ajoutait-il avec une franchise qui l'honore,
il est permis de changer d'opinion quand c'est pour faire le bien
ot ^oiir servir la vérité. »
La propliétie de Pereire va s'accomplir : « 11 n'y aura plus
de aourds*muets ; il n'y aura que des sourds-parlants. » Dès
lors, la sourd-muet n'est plus isolé dans la société humaine;
il vit de la vie commune grâce à la parole qui lui est rendue.
Toute méthode autre que la méthode orale l'aurait laissé à
l'écart, incompris de tous, sauf de ses semblables en infortune.
11 s'agit donc moins, encore d'une question de méthode que d'une
4|uestion d'humanité. C'est là ce qui donne à la question une
importance bien autrement considérable que si elle eût été
simplement pédagogique.
C'est dans la loi du 28 mars i882, relative à l'obligation de
l'enseignement primaire, qu'il est question pour la première fois
de renseignement des sourds-muets dans une loi rraiiraise relative
à l'enseignement primaire.
L'article 4 est ainsi conçu :
a L'instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux
sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus; elle peut être
doanëesoit dans les établissements d'instruction primaire ou secon-
daire soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles,
par le père de famille lui-môme ou par toute personne qu'il
aura choisie.
» Un règlement déterminera les moyens (tassvrer Finstruction
primaire aux en/ants soui'dn- muets et aux aveugles. »
Cette addition relative aux sourds-muets et aux aveugles
est due à M. Jules Philippe, député de la Savoie. Il n'est pas
douteux que Tobligation contenue dans les termes du premier
paragraphe s'étend au second. D'ailleurs, du moment où la loi
assure rinsiruclion primaire aux sourds-muets, on ne com-
prendrait pas qu'elle n'en imposât pas l'obligation.
228 RIVtJE PÉDàGOGIQUI
L'importance de cette additioa n'échappera à personne : elle
entraine comme conséquence la création d'écoles de soards-muets
en nombre suffisant pour répondre aux besoins, et l'application
à ces écoles des règlements concernant les écoles primaires,
soit en ce qui touche aux conditions matérielles, soit pour ce
qui est relatif aux conditions d'âge, de capacité et de moralité
des maîtres, soit encore pour ce qui est de l'inspection. Aucune
de ces mesures protectrices que la loi a jugé nécessaires pour
les entendants- parlants ne sauraient, à plus forte raison,
manquer aux sourds-muets; aucun de ces gages de sécurité
pour les familles ne peut faire défaut aux familles plus légitime-
ment exigeantes des sourds-muets.
Le ministre de l'intérieur semble l'avoir compris ainsi : il
vient de faire un premier pas dans cette voie en instituant, par
un arrêté pris à la date du 3 septembre 1884, « des certiflcats
d'aptitude de deux degrés pour les personnes qui se destinent
ou qui sont employées à l'enseignement des sourds-muets
élèves-boursiers des départements et des communes (1). »
(1) Voici le le\te de rarrèié :
Le ministre de l'intérieur,
Sur la proposition du conseiller d'Etat, directeur de radmioistratiuii
départementale et communale,
Arrête :
Art. l*^ — Il est institué des certificats d'aptitude de deux degrés pour
les personnes qui se destinent ou qui sont employées à l'enseignement des
sourds-muets élèves-boursiers des départements ou des communes.
Le certifîcat du premier degré constate l'aptitude à exercer le professorat
dans les établissements où sont reçus ces élèves-boursiers.
Le certificat d'aptitude du degré supérieur constate l'aptitude à former des
aspirants professeurs pour ces mêmes établissements.
Art. 2. — Le certiflcat du premier degré ne pourra être délivré qu'aux
personnes qui, pendant deux années scolaires an moins, auront pris un«^
part effective à l'enseignement des sourds-muets et qui auront suivi, soit dans
les institutions nationales, soit dans une outre institution, sous la direelion
d'un professeur pourvu d'un cerlificat de degré supérieur, des «H)uri normaux
portant sur les méthodes et prt;cédés d'enseignement à l'usage des sourds-
muetj.
Art. 3. — Le cerlificat du degré supérieur ne pourra élro délivré qu'aux
personnes munies du certificat du premier degré et qui, en sus du premier
l'enseignement des sourds-muets 229
L'arrêté définit le caractère do chacun des certificats, les con-
ditions de l'obtention^ la nature des épreuves, etc.
stage mioimam de deux ans, auront, pendant deux autres années scolaires
au moins, dirigé soit une classe, soit une éducation particulière.
Art. 4. — La condition de fréquentation des cours normaux ne sera eiigéc
des aspirants au certiGcat du premier degré qu'à partir du !*'• octobre 1888.
Jusqu'à la même époque, la collation du certiûcat du degré supérieur ne sera
pas soumise à la condition de production du certiûcat du premier degré; mais
elle sera toujours subordonnée à la justification du stage minimum de quatre
années dans les conditions énoncées à l'article 3 ci-dessus.
Abt. 5. — Les épreuves à la suite desquelles les eertificats d'aptitude
pourront être délivrés seront tout à la fois théoriques et pratiques. Elles por-
teront sur les procédés de l'enseignement de la lecture sur les lèvres et de
rarticulation, sur les éléments d'anatomie et de physiologie des organes de la
voix, sur la méthode à suivre pour enseigner aux sourds-muets les idées,
les mots et les formes de la bngue maternelle, ainsi que sur les connaissances
générales dont le programme doit être développé dans le cours d'instruction
proprement dite fait aux élèves (calligraphie, principes d'éducation morale et
4*iTique, éléments d'arithmétique, de géographie, d'histoire, leçons de choses).
n sera tenu compte, pour la justification des connaissances générales, des
brevets ou diplômes que les candidats auraient précédemment obtenus, en
telle sorte que ces candidats n'auraient plus à être interrogés à cet égard que
sor l'ordre et le mode d'exposition que réclame particulièrement l'enseigne-
ment donné à des élèves sourds-muets.
Les aspirants au certificat d'aptitude du degré supérieur devront, en dehors
de la connaissance plus approfondie des matières spéciales relatives à l'ensei-
gnement des sourds-muets et comprises dans l'examen du premier degré,
être en état de donner des explications sur l'histoire et sur la comparaison
des méthodes, sur le choix des notions usuelles et pratiques à faire entrer
dans r<^ducation des élèves.
Art. 6. ^ Les candidats attachés à une institution de sourds-muets feront
connaître au ministèi'e de l'intérieur, par l'intermédiaire du préfet du dépar-
lement où se trouve située cette institution, leur intention de subir les
épreuves organisées par le présent arrêté.
U sera procédé à l'appréciation des candidats et des classes qui leur auront
été confiées par un jury composé de deux membres choisis par le ministre
de l'intérieur, et d'un membre du Conseil général désigné par le préfet. Ce
jory se transportera dans les institutions d'où émaneront les demandes, et
dont l'inspection sera faite à cette occasion.
Art. 7. — Les candidats qui ne seraient pas attachés à une institution de
sourds-muets feront connaître directement au ministère de l'intérieur leur
intention fl*^subir les épreuves. Il sera statué par voie de décisions particu-
lières sur le lieu à choisir pour ces épreuves, qui seront subies devant un
jury de trois membres désignés par le ministre de l'intérieur.
Art. 8. — Il n'est point dérogé, par le présent arrêté, aux dispositions qui
régissent l'organisation des concours et examens pour l'accession aux divers
grades du professorat dans l'Institution notionale des sourds-muets de Paris.
Fait à Paris, le 3 septembre 188i.
Le ministre de Vintérieur,
Waldbcr-Roussiau .
230 RSVUl PJftDÀGOGIQUB
A la même date. Je ministre adressoiC aux pnâfei» une cireu-
laire explicative contenant des instructions pour Papplica^îoir
des nouvelles mesures.
Nous espérions trouver un article contenant des dispositions
analogues à celles des articles 2S, 26 et 27 de la loi du 15 mars 18S0 :
« Tout Français âgé de . • . ans accomplis peut exeroer dana
toute la France la profession d'instituteur de sourds-muets, s'iT
est muni du certificat d*aptitude et s'il ne se trouve dans aucun^
des cas d'incapacité prévus par l'article 26. Tout instituDmir qui
veut ouvrii^ une école libre de sourds-muets doit préalablement
déclarer son intention au maire de la ccmmume. où il veut
s'établir, lui désigner le local et lui donner l'indication dics
lieux où il a résidé et des professions qu'il a exercées pendant
te» dix années précédentes, etc.; r» — ou plus simpleiiieui
encore : a Les articles 25, 26 et 27 de la loi du 13 mars fSSO
sont applicables aux écoles de sourds-muets. »
Enfin, nous voudrions un article ainsi conçu : « Est applicaMe
aux instituteurs de sourds-muets Farticle 20 de la loi du2Tjuiiret
1872 qui dispense, à titre couditionnel, du service militaire lea^
membres de l'enseignement public qui auront pris l'engage-
ment de se vouer pendant dix ans à la carrière de l'enseigne-
tnent national. ï>
SI le certificat d'aptitude n'est pas obligatoire, pourquoi les
maîtres de sourds-muets s'expoae raient-ils aux chances d'un
examen et ambitionneraient-ils un titre qui ne leur conftre
aucun avantage, aucun droit, dont ils n'ont h tirer aucun
bénéfice?
* *
Il nous reste à exprimer un vœu : e'est qu'il soîi eséé
inspection pédagogique. Jusqu'à présent^ nous Pavons dit, lès
établissementa de l'État sont à foct peu près les seuls qjai soient
soumis à l'inspection. Quant aus établiseemento liiipe», 8»mM
libres sous tous les rapports : point d^inspection ni dé con-
ivMe d'aucune sorte. Les iospeoteurS' actuels sont dea adaiL*
nistrateurs et non des maf(;res; ils exercent sanv dmHUe une
surveillance efficace sur la tenue et l'hygiène des établisse-
mentSw sur la gestion, elc; mais ils ne peuvent en général
L't.NSEIGiNKMEM DKS SniHDS-Ml'ETs îl'Si
juger les méthodes el les procédés d'enseignemenl, les apti-
tudes des maîtres, les résultats obtenus, etc. Us ne sauraient
donner des conseils, dos directions aux maîtres. Les directeurs
mêmes ne peuvent contrôler un enseignement auquel la plu-
part sont initiés seulement h partir de leur entrée en fonc-
tions. Il importe donc de créer parallèlement à Tinspection
administrative, et sans «aucun préjudice pour celle-ci dont Tuti-
lité est incontestable, une inspection pédagogique. Nous atten-
dons avec confiance ce dernier progrès.
Félix Hément.
UN MAITRE D'ECRITURE AU XVIIP SIÈCLE
Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on se préoccupe d'une méthode
expéditive et rationnelle pour renseignement de l'écriture.
Dom Calmet, dans sa Bibliothèque lorraine (page ^78), nouti
transmet le nom d'un religieux de son ordre et de la congrégalioB
de Saint- Vanne qui passa, de son temps, pour avoir résolu le
problème.
Il s'appelait Dom Uuchesne (Vincent), natif de Besançon,
ardiitecte de son état. Un le trouve, en 1710, maître d'écriture
da petit roi Louis XV, alors âgé de six ans et demi. Duchesne
se faisait fort d'enseigner l'écriture en six leçons d'une demi-
heure chacune. Il ramenait tout notre système d*écriture fran-
çaise à deux éléments, le C et 11.
Une estampe du temps le représente dans le cabinet de
travail du petit Louis XV, dont il surveille l'exercice calligraphique.
Le précepteur du monarque et sa gouvernante, Madame de Ven-
tadour, sont assis à la droite du roi, Duchesne à gauche. Suit ce
mauvais quatrain:
En trois heures de temps, le roi sait bien écrire,
Pnr nn secret nouvean qae tout le monde admire.
fEtI le seul Dom Duchesne, enfant de Besançon,
dut faire ce prodige en moins de sii leçons.
ORGANISATION DES ÉCOLES ANNEXES
[Nous empruntons les lifi^nes qui suivent h une communication que nous
adresse M. le directeur de l'école normale du Mans. — La Rédaction J]
Voici, brièvement résumée, Torganisaiion adoptée dans notre
école annexe.
Le directeur est constamment secondé par trois élèves-maîtres,
pris un dans chaque année, conformément à Tarticle 2 de Tarrêté du
3 août 1881. I^ présence de ces jeunes gens à l'école annexe est
d'une semaine chaque fois, et, pour une raison que nous verrons plus
loin, leur service commence toujours le vendredi.
L'élève-maître de première année s'occupe spécialement du cours
moyen; celui de deuxième année, du cours élémentaire; celui de troi-
sième année, en même temps qu'il s'adresse aux enfants du cours
supérieur, prend une part aussi large que possible à la discipline
et à la direction générale de toute la classe.
Le directeur obser^e et surveille; il donne discrètement à chacun
de ses jeunes collaborateurs les conseils pratiques dont il reconnaît
la nécessité et l'urgence. De temps en temps, il fait lui-même la
leçon afin de prêcher d'exemple et d'ajouter plus d'autorité à ses
conseils.
J'aurais bien voulu confier les enfants du cours élémentaire à
rélève de troisième année, attendu que c'est là que l'on rencontre
le plus de difficultés pour se faire comprendre; et aussi pour bien
convaincre les élèves-maîtres que, dans une école à plusieurs
maîtres, la direction de la petite classe ne doit pas être considérée
comme une situation inférieure d'où un instituteur-acyoint doit
essayer de sortir au plus tôt. J'ai dû renoncer à ce projet, pour per-
mettre à rélève de troisième année de prendre une part efficace à
la direction de toute la classe, ce qu'il ne pourrait faire efTectivement
s'il conduisait la division élémentaire, composée d>.nfants encore
incapables de tout travail personnel.
Dans le but d'habituer les élèves-maîtres à faire acte d'initiative
propre, chacun d'eux remet chaque jour au directeur de l'école
annexe la série des leçons et des devoirs qu'il a choisis pour le
lendemain. Mais, en même temps, pour assurer l'ordre et une cer-
taine uniformité dans l'étude des matières à enseigner, ce choix
ne devient définitif qu'après avoir reçu l'approbation du directeur.
Enfin, immédiatement après la classe du soir, celui-ci, dans une
causerie qui se prolonge plus ou moins, — sans pourtant dépasser
un quart d'heure ou vingt minutes, — rappelle aux élèves-maîtres
ORGANISATION DES ÉCOLES ANiNBXKS 233
les remarques qu'il a faites a leur sujet pendant la journée el leur
adresse les recommandations qu'il croit nécessaires.
Tel est le travail de chaque jour, et cette organisation me parait
avoir au moins le mérite de rehausser moralement la situation du
directeur de Técole annexe. Ce n'est plus un simple instituteur, tou-
jours occupé par un enseignement direct et personnel. 11 peut saisir la
marche de la classe dans l'ensemble comme dans tous les détails,
et il se trouve dès lors dans les conditions les plus favorables pour
pouvoir donner à ses collaborateurs successifs et inexpérimentés les
conseils dont ils ont besoin. 11 exerce véritablement une direction.
EofiOy pour maintenir en éveil l'attention do l'élève de troisième
année, pour faire appel à son initiative personnelle, une épreuve
spéciale l'attend à la fin de son séjour à l'école annexe. Le jeudi
matin, ce jeune maître doit diriger «eu/, devant les condisciples de son
année, les trois cours de Técole primaire. Il doit faire, avec ces
enfants tout ce qui constitue le travail d'une demi-journée de classe,
désignée à lavance par le sort, et combiner son emploi du temps
de manière que les trois divisions soient constamment occupées.
Mais, afin de n'imposer à personne une fatigue trop longue, la
classe ne doit durer qu'une heure et demie, c'est-à-dire que tous
les exercices sont abrégés de moitié. A neuf heures et demie, les
enfants sont donc congédiés, et les élèves-maîtres présents, qui ont
dû prendre des notes, sont invités à formuler leurs appréciations
et leurs critiques. Ces observations sont toujours faites avec bien-
veillance et souv?nt avec beaucoup de justesse. Les erreurs qui
peuvent être commises sont redressées par l'un des maîtres présents,
— soit le directeur et: un professeur de l'école normale, soit le
directeur de l'école annexe, — qui résume également la discussion et
termine par des conseils. Un compte-rendu de la séance est rédigé
et transcrit sur un registre spécial.
Afin de montrer toute l'importance de cet exercice, je me fais
une loi absolue de toujours y assister, ainsi qu'un des professeurs
de l'école normale, pris à tour de rôle, et le directeur de l'école
annexe. M. l'inspecteur d'académie lui-même veut bien venir nous
encourager de sa présence et de ses conseils aussi souvent que ses
fonctions lui en laissent le loisir.
Je n'ose pas prétendre que ce soit là la meilleure organisation
que Ton puisse donner à une école annexe; mais je puis au moins
affirmer que les résultats déjà obtenus paraissent absolument
satisfaisants et même dépassent ce que l'on pouvait légitimement
espérer. Les élèves-maîtres comprennent la valeur de ce qu'ils font
à l'école annexe ; ils s'y intéressent ; et, loin de considérer leur
temps comme perdu, ils se montrent réellement heureux et fiers des
progrès qu'ils peuvent faire en pédciifoyie pratique.
Je ne me fais pas Tillusion de croire que ces jeunes gens seront
tous pour cela en état de diriger habilement une classe à leur sortie
^^ REVIC PÉDAGOGIQUB
de récole normale; je sais forl bien que pour en arriver là, hen
peut tenir lieu d'one longue expérience et d'efforts soutenus. Maû^
de ce que la tache est difficile, s'eosuit-il qu'elle ne doit pas être
commencée dès Técole normale? Je pense que personne n'oserait
Taifirmer. Je crois, au contraire, qu'il importe essentiellement de
commencer au plus tôt l'éducation pratique du jeune maître;
j'estime même que c'est là le rôle principal et presque l'ooiqne
raison d'être des écoles normales. Si les écoles annexes ne devaient
pas être des f^les pratiques dans toute l'acception do ce root^ il n'y
aurait qu'à les fermer !
Depuis la rentrée, une dernière innovation a eu lieu, — mais je
n'en ai nullement Tinitiative ; je n'ai fait qu'appliqpier ce que
M. Ë. A., auteur d'un article dans la Revue pMaçiogique du 45 sep-
tembre dernier, a constaté dans l'école normale de N. L'élève de
troisième année de service à l'école annexe est chargé d*observar
particulièrement un enfant.
J*espère que cette innovation produira aussi d'excellents
résultats.
A. RrCHARD,
Directeur de l'école normale du Mans.
LE REGISTRE DE L'INSPECTEUR PRIMAIRE
M. Dorget, inspecteur primaire à Limoges, fait appel à la publi-
cité de la Reviéc pour soumettre à nos lecteurs diverses observa-
tions relatives à l'inspection des écoles primaires. L'inspection,
dit-il, est indispensable aux jeunes maîtres pour les diriger et
aux maîtres expérimentés pour les encourager ; elle doit se préoc-
cuper de la bonne installation des écoles comme de la bonne direc-
tion pédagogique des classes. De là de multiples devoirs inGom *
bant à l'inspecteur primaire, devoirs qu'il remplit assez aisément
lorsqu'il est resté longtemps dans le lùême poste et que sa circon-
scription n'est pas trop étendue. Mais combien de tâtonnements, de
fausses manœuvres chez celui qui arrive nouvellement et ae trouve
en face d'un nombre très considérable de communes et d'écoles !
Pour lui faciliter la tâche, M. Dorget propose la création d'une aorte de
registre qui résumerait pour chaque inspecteur et pour ses sucée»*
seurs les résultats de son inspection. Voici comment il dévelopi^»
son idée :
« Dans les conditions actuelles, il ne reste guère de rinspection
LE KKGlblUE DE L*LNSPKGT£UR l'Hl.HAIKK ^'ôt>
que le rapport adressé à Tinspecteur d académie et dont la copie
constituerait un trayail assez long. Pour les rapports spéciaux, le
temps ne permet pas toujours de faire une minute, et les archives
de l'inspection primaire ne contiennent généralement que des ren-
seignements fort incomplets. 11 faut ajouter que les archives trop
volumineuses et souvent déplacées constitueraient un souci et une
éépeDëe pour 1 inspecteur primaire. Je me suis demandé si, dans
ces conditions, il ne serait pas possible d*établir, pour chaque circon-
scription d'inspection primaire, un registre présentant d'une manière
très simple, et sans grand travail, une sorte de situation de l'instruc-
tioQ primaire dans chaque commune, qui montrerait ce qui a ét<'
M pour les écoles, ce qui est à faire encore et ce qu'on peut
•■pérer. Ce registre, dans lequel chaque école occuperait une feuille
ipéciale et qui pourrait servir pendant un assez grand nombre
iukoées, contiendrait les renseignements statistiques sur la corn-
Maoe, sa population, se surface, la valeur du centime, le nombre
ëes hameaux, la distance moyenne au chef-lieu.
» Ou y établirait le plan de la maison d'école avec la cour et le
jndia à une échelle très réduite. Le nom de rinstilutcur ou des
losUiuteurs y serait indiqué avec une sorte de notice personnelle.
Chaque visite pourrait faire l'objet d'une note sommaire montrant
ainsi les fluctuations de Técole. On y consignerait également tout
•a. qui intéresse 'école, au point de vue matériel, les amélioralionsr
lèaliaéesy celles qu'il y a à réaliser encore.
» Il est fisLcile de comprendre les services que rendrait un semblable
tnvaii. L'inspecteur nouvellement nommé serait, eu quel({ues
heures, mis au courant des questions les plus importantes qui
ligardent sou service: il connaîtrait Tappréciation portée sur les
BMÎtres, la faveur dontjouitTécoledans la commune, les démarches
qBi ont été faites en vue des améliorations désirables et leurs^
lésultaia. il constaterait les résultats obtenus dans les écoles, les
bêotB et les bas des maîtres qui les diri};ent ou les ont dirigées,
F«prit de la population, etc., etc.
9 Combien de semblables indications, présentées sous une forme
•eneise et pourtant sutfisamment claire, faciliteraient les débuts d'un
inspecteur primaire dans une circonscription et diminueraient les
dlifficultésde sa tache quotidienne I 11 trouverait là une foule de ren-
seignements que souvent il ne peut obtenir qu'à grand*peine et
fgfêee à une correspondance laborieuse.
» Je ne parle pas, parce qu'il frappe les yeux, de l'avantage que
ce registre ofl'rirait à l'administration supérieure do pouvoir toujours
lûre faire facilement, à un moment donné, un travail de statistique,
imposer de longues recherches et un travail pénible aux in-
ira primaires ».
La proposition de M. Dorget nous semble mériter d'être étudiée.
DE LA LANGUE FRANÇAISE EN SUISSE
Quatre langues sont parlées en Suisse :
VaUemand par 2,030,792 habitants d'après le recensement de
11880, soit 71.4 0/0:
Le f rôtirais par 608,007 habitants, soit 21.4 0/0;
Vitalien par 161,923 habitants (Tessin et Grisons):
Le romanche par 38,705 habitants (Grisons).
D'après la superficie, 9,000 kilomètres carrés sur il,400 sont
'Occupés par les habitants de langue française. Ce sont les cantons
de Genève, Vaud et Neuchfttel en entier, et une partie des cantons
.Berne, Fribourg et Valais. Cependant, dans les trois premiers cantons,
la population allemande tend à s'accroître. D'après le recensement
de 1860, les rapports étaient plus favorables au français : 23.6 0/0
contre 69 0/0 d'habitants parlant l'allemand. On ne possède pas de
documents antérieurs offrant des garanties suffisantes pour établir
une comparaison. L'allemand gagne aussi sur le romanche» qui, en
1850, était parlé par 42,000 habitante.
Si nous disons qu'on parle français dans les cantons de Vaud,
Fribourg, Valais, il faut encore faire une restriction: à la campagne
on parle encore un jxitois qui n'a que peu de ressemblance avec le
français littéraire. Cependant le patois disparaît rapidement.
Les examens des recrues que la (^.onfédération fait subir à tous
les jeunes gens de dix-neuf ans (en même temps que la visite sani-
taire) fournissent des observations intéressantes. Les travaux écrits
* faits par les recrues de langue française sont en général inférieurs
à ceux faits par les recrues de langue allemande. Sans doute Tin-
fluence du patois y est pour une grande part; mais je suis convaincu
que lea difficuUés de ^orthographe franraise et ienseiifttement du fran-
çais tel qu'il a été donné jusqu'à ces derniers temps ^ y contribuent
beaucoup. Cet enseignement a été trop abstrait; on a toujours eu
en vue l'orthographe ; on a consacré un temps précieux à faire
apprendre ce que M.F.Sarcey a appelé les chinoiseries de l'orthographe.
Dans les écoles allemandes, l'orthographe n'offrant que peu de
difficultés, on peut consacrer le temps qu'on perd ici avec les dict*^
à des lectures analytiques, a de nombreux exercices de composition,
•etc., et tout cela est plus profitable à l'esprit des écoliers que les
exercices d'orthographe.
Si V Alliance française pouvait peut-être travailler aussi à amener
■non pas « une rnxÀution qui bouleverserait toute notre orthographe,
mais une simple êix)lution, > — elle faciliterait non seulement l'étude
du français aux étrangers, mais elle aurait bien mérité aussi de la
jeunesse française.
DE LA LANGUE FRANÇAISE EN SUISSE 237'
Encore un mot sur l'étude du français dans les écoles de la Suisse
allemande. En général on y consacre passablement de temps. Dans
eertaîns établissements d'instruction moyenne du canton de Zurich^
il y a 5, 6 et m^me 7 heures de français par semaine. Puis, beau-
coup de jeunes gens et de jeunes filles viennent passer une année
oa deux dans la Suisse romande ou française. Dans les deux classes
supérieures de rÉcoIc industrielle de Lausanne, par exemple, il y
a plus d'élèves d'origine allemande que d'élèves indigènes. En outre
il y a dans toute la Suisse romande un nombre infini de pen-
sionnats. Les jeunes filles ou les jeunes gens dont les parents ne
sont pas assez riches pour payer le prix de pension viennent comme
volontaires, comme bonnes, etc. N'exigeant pas 'de gages, ils
demandent seulement un peu de temps libn^ pour étudier le fran-
çais. Très souvent les parents font aussi des échanges: on envoie
sa fille dans la Suisse allemande et Ton reçoit dans sa maison un
enfont des bords de TAar ou de la Limmat. Le résultat de tout
cela est que, dans la Suisse allemande, presque tout le monde sait
on peu de français. D'ailleurs, ces jeunes gens se donnent en
géoàral beaucoup de peine et, dès qu'ils savent vingt mots de fran-
çais, ils ne manquent jamais une occasion de les faire entendre,
tandis que les élèves de nos écoles, après avoir eu des leçons
d'allemand pendant plusieurs années, ne se décident que diffici-
lement à faire usage de ce qu'ils ont appris.
(Extrait du deuxième Hullelin de YAlliance frmifmse.)
LÀ PRESSE ET LE PROJET DE LOI
KEIATIF AUX BUliYENTIONS DK l'ÉTAT POUR INSTALLATIONS
SCOLAIRES
Le projet de loi que discute en ce moment la Chambre des
députés, et qui déterminera le mode et La quotité des subven-
tions allouées par TËtat aux communes pour leurs installations
d*écoles, a donné lieu, dans la presse, à des appréciations très
diverses qu'il nous paraît intéressant et utile de faire connaître
aux lecteurs de la Revue, C'est une occasion toute naturelle
d'exposer nettement la situation, de relever bien des erreurs, de
dissiper i)ien des préjugés et de présenter une si importante
question sous le point de vue le plus juste et le plus impartial.
Nous provenons d'abord du parti que nous avons pris de ne
tenir nul compte des objections et des attaques qu'a évidem-
ment inspirées la passion politique. 11 est un camp, tout le
monde le reconnaît, où une loi, la meilleure, la plus nécessaire,
la plus lé^'ilime, la plus populaire, est assurée de ne rencontrer
que des agressions violentes, que des dépréciations calomnieuses.
Pourquoi? ("est très aisé à trouver. La loi est fatalement exé-
crable parce que c'est le gouvernement de la République qui
Ta préparéo, mûrie et édictée. Certes, les adversaires n'avouent
pas toujours ce mobile unique de leurs jugements ; mais on sent
circuler dans leurs phrases comme une sorte de venin et de
liel. A quoi bon répondre et réfuter? lis sont prévenus. Leur
siège est fait.
El cependant, s'il fallait les confondre, le mot déoisif viendrait
facilement aux lèvres : Qu'avez-vous fait, vous? Vous avez eu
près de cent ans de pouvoir. Qu'est-il sorti de vos mains?
« Dans quelle misérable situation, dit très justement le Siècle,
(io décembre 1884), les régimes antérieurs à la République
avaient-ils donc laissé tomber l'enseignement primaire et tout
ce qui s'y rapporte, qu'il a fallu s'engager dans des frais aussi
considérables pour le mettre dans un état correspondant aux
hesoins d'une grande nalion? Cette réflexion a depuis longtemps
frappé les esprits; mais, puisque nos adversaires prennent soin.
LES SUBVENTIONS DE l'ÉTAT POUR INSTALLATIONS SCOLAIRES 230
(Mur leurs attaques inconsidérées, de lui rendre son actualité» il
6St utile de la rappeler. Ils parlent d'un gouffre où les ressources
financières du pays disparaissent. D'abord^ elles ne disparaissent
pas. Les écoles qui peu à peu s'élèvent sur toute la surface du
territoire témoignent du bon emploi qu*on en a fait. » Aussi
la Petite République, relevant le reproche si rebattu d'élever des
palais pour les enfants des écoles primairesç a-t-ello pu dire :
c Notre église à nous, républicains démocrates, c'est l'école, qui
est en même temps la mairie, qui est la maison où Ton vote, où
l'on se marie, où Ton élève les jeunes essaims de la ruche natio-
nale ; qui est, en un mot, Je centre de la vie communale, poli-
tique et sociale, la maison des riches et des pauvres, la maison
de tous. Et on se plaint de sa magnificence ! Ëh bien, je dis,
flooi, que dans vingt ans, quand Tinstniction populaire portera
fies fruits, quand chaque école aura son enseignement profes-
si(Minel, je dis que ces maisons paraîtront à nos enfants chétives,
étroites et misérables, et qu'ils ne reprocheront à leurs pères
qu'une chose, c'est leur parcimonie. »
Le projet de loi qui nous occupe a pour' objet d'as-
surer au\ communes les ressources dont elles ont besoin
pour satisfaire aux prescriptions légales en ce qui concerne les
établissements destinés au service de l'enseignement supérieur,
de l'enseignement secondaire et de l'enseignement primaire.
Depuis le i*'^ juin 1878, une caisse spéciale avait été instituée
dan?, le but de fournir pour les bâtiments scolaires dos avances
et des subventions. Nous n'avons pas à présenter ici l'historique
de cette institution. D'abord exclusivement consacrée aux écoles
primaires, elle avait peu à peu été étendue aux écoles normales
primaires (9 août 1879), puis aux lycées el œllèges commu-
naux (3 juillet 1880), enfin aux lycées de jeunes filles (2 août
1881). Seul renseignement supérieur c.lait resté élrangtr aux
bénéfices de la Caisse des lycées, collèges et écoles primaires.
Prévues d abord à 1^20 millions de subventions et d'avances, les
ressources affeclées à l'institution par le Parlement se sont pro-
gressivement élevées à o42 millions de francs, dont !à47 millions
pour avances, et 5:95 millions pour subventions. Or, comme le
constate ÏExpoaé des motifs du projet de loi, « la combinai-
son financière de la loi de 1878, déjà très sensiblement moiifiée
240 BBYUB PÉDAGOGIQUE
depuis 1883, en ce qui concerne les subventions, ne peut
recevoir d'extension nouvelle,... on ne pourrait imposer à la
dette flottante un supplément de charges sans dépasser les
limites que la prudence assigne aux engagements à court terme
du trésor public ». Il a donc fallu recourir à un système nou-
veau qui permit à l'État de continuer à prendre une part con-
tributive proportionnelle danslesdépenses scolaires descommunes.
Ce système est précisément toute l'économie du projet de lof
actuel. Nous l'exposerons très brièvement.
En premier lieu, l'administration a eu soin de faire procéder
à une enquête qui établit exactement les besoins à prévoir. Elle
a fixé ensuite, en ce qui concerne l'enseignement primaire, un
devis uniforme pour chaque catégorie d'écoles. Sans ces bases
premières, aucune évaluation n'eût été sûre, aucun calcul
certain. Plusieurs journaux ont reproché au gouvernement
d'avoir négligé à l'origine d'installer ces assises fondamen-
talcH. Vous n'aviez rien prévu, disent-ils, et vous avez jeté le
pays dans des dépenses ruineuses, indéfinies, insensées. < En
1878, s'écrie l'un d'eux, la caisse des écoles promettait de faire
le nécessaire avec 130 millions, et aujourd'hui le ministre...
avoue que le gouvernement a marché de l'avant sans avoir
évalué avec un degré de précision suffisante les dépenses aux-
quelles il avait à fain* face. »
Sur quoi nous remarquerons que jamais homme sensé n'a pu
croire que la caisse des écoles répondrait, avec sa première
dotation, à tous les besoins scolaires de la France. II ne s'agis-
sait alors que de subvenir aux demandes les plus impérieuses
et les mieux, nous devrions dire les plus douloureusement
motivées. Il était fort naturel aussi de procéder par tâtonne-
ments à une époque où la loi prenait son premier essor, où
aucune prévision n'eût été possible, où tous ignoraient quelles
seraient la force et l'étendue de l'impulsion que l'on essayait
d'imprimer. V Exposé des motifs contient en outre ces observa-
tions fort judicieuses : c II manquait d'abord, pour fixer le
nombre des constructions à élever, un texte de loi qui posât
la limite entre les constructions obligatoires et les créations
facultatives. Cette distinction n'a été faite que par les deux lois
des 38 mars 1883 et 20 mars 1883, qui ont établi, l'une, l'obli-
LES 3UBVKNT10N» DB L'ÏTAT POUR INSTALLATIONS SCOLAIRES 241
gatioii de l'enseigiiemeiit primaire, l'autre, l'obligation de créer
une école de hameau dans des conditioQS dctermiaées de distance
et de population. Pour fixer ensuite avec certitude le montant
des évaluations, il fallait que l'État pût arrêter une sorte de
devis uiiiformc el rcruser son concours à toute dépense dépassant
le taux nonrial. L'établissement de cette sorte de tarit' général ne
pouvait prendre place dans la loi avant qu'une longue pratique
eût permis d'en réunir et d'en contrôler tous les éléments par
nature de construction, par départements et par catégories de
CMnmuaes. » Aussi, bien qu'une enquête sérieuse eiU été laite.
dès 1882, le gouvernement a réuni, en 188{, des documuals
plus complets et plus j^récis, « au moyen d'un relevé direct des
besoins signalés, comniune par commune, sous le double con-
trôle de l'administra tiuii j)réfecloriiIe et de l'administration aca-
démique 1.
Les chiffres que donnent toutes ces previsions soigneusemont
calculées sont les suivants : Les dépenses qu'exigent les éta-
blissements destinés à l'cnseigiiement supérieur sont de
49 millions de francs ; l'enseignement secondaire a besoin de
ISO millions de l'rancs ; enlln l'enseignement primaire de
460 millions de francs. Le total général est de 3{}^ millions de
francs, une l'ois déduite la somme de 'Ai inillioas de francs qui
restait disponible sur le fonds d'avances de la caisse des écoles
et que le projet de loi aHecte pour 22 millions de francs en
subventions aux établissements d'enseij^nement supérieur, pour
12 millions de friucs aux établissements d'enseignement secon-
daire. Le nombre des établissements d'enseignement primaire
que vise le projet est de 2o,0d7, en y comprenant les écoles
primaires su|>érieures el les écoles maternelles.
Pour fournir k la dépejise. lus communes emprunteront à un
établissement de crédit la somme dont elles ont besoin. Elles
auront la faculté d'amortir leur emprunt en 40 ans. La part
que prendra l'État aux cliarges contractées par les communes
sera une allocation représentant une partie des annuités d'in-
téiél et d'amortissement de l'emprunt. Le clnlfre moyen maxi-
mum de ces subventions ne devra pas dépasser 50 0/0. En ce
qui concerne l'enseignement primaire, la proportion dans
laquelle l'État contribuera au paiement des annuités ne pourra,
■ITUt ptDAOOGiqUE ISSb. — 1" SEa. IG
!242 MSVUC PÊDA«OGtQirt
en avciin ofts, éire supérieare à 80 0/0 si ÎDférkHire à të •ô/i»
La valeur du «ealwc comonmal et les cbaî^ges 4e la cosnMia^
dôtennhieront^ d'après des données «fiiforraes et inficxibtes., la
part de subvention snr laqueMe pourra compter la maiiicîpatlté.
Cette ekposîiion sommsûre suffira, nous l'espérons, pour
(lonnier un aperçu des dispositions et des innox'afions de latoi.
Nous ne cheroherons pas àdérnoottrer 4es avuntat^ qU'oUefiié^
sente, nous renvoyons nos lecteurs à TJS'jnpo^p des m^Hfr dont
les mirnstres ont fait accompagner )e projet, il nous eût été
iinpossiMe de roproduire ou même d'analyser octte |Nèoe si
intéressante, au cours de ces pages succinctes et 'rapides.
Toute la presse française a remanrqué que reoseigoement
supérieur avait été introduit dans les prévisions du projet, alors
que jusqu'ici 4e8 libéralités de TË^t en sa faveur avaient «eu
un caractère plus aléatoire. Ce n'est pas que les villes et èes
départements eussent seuls pourvu à l'instaHation de leurs faoul-
tés ou de leurs grandes écoles. En l'espace de quinze ans ^'ÉUt a
dépensé ou engagé plus de 30 millions au profit -de ces étaUis-
semcnts. Mais aucune loi n'avait assuré des ressources spéoialeiB
)>our celte fraction importante, capitale de l'enseignement. Aussi
la commission du budget ayant résolu d'exclure l'enseignemeflÉt
supérieur du projet de loi présenté par le gouvernement, les
voix les plus autorisées ont énergiquement protesté oontie cette
<iécision. Il n'est aucun de nos lecteurs qui ne se rappelle la
lettre si vigoureuse, si noble et, nous dirons, si indignée que
M . Berlhelot adressait au directeur du Temps.
<n Sommos-'nous donc condamnés, disait-il, à tme infériorité
sans remède dans la haute culture de l'esprit ? Sommes-nous
destinés à manquer à jamais, sinon d'hommes — ils ne «font
certes pas défaut — mais d'outils dans le haut enseignement ?
i\otif*e jeune démocratie est^lle jalouse de itester dans «une infé-
riorité intellectuelle définitive vis-à-vis des empires et des mo-
narchies qui nous entourent? Veut-elle rompre sans retour avec
la tradition intelleotuello, scientifique ot artistique de la Fcance?
» La question est aujourd'hui posée et va être (résolue pour
de longues années. On s'obstioe donc a ignorer, de parti ptie,
que renseilfaement primaire et l'enseignement secooÂiîfe tirent
leur sobstanoe et leurs tnélliodes de i'enseîgneBienK «upériour^
LES SUfiVEMloNS liK l/ÉTAT POUR liSSTAlXATlONS SCOLAIRL'S fi^
On s'obstine à i^i^norer que la prodactioQ mdustrîeTle -6t
agriocrie d'un pays dépend de la façon la plus directe des
déoouTcrtes scientifiques qui se font dans les laboratoires de
ses hautes écoles et de ses facultés. L'exemple de la puissance
doMfae jour croissante de l'Allt^magne, dans Tordre matériel
iuuii bien que dans Tordre industriel, n'a-t-il pas ouvert les
yeiH? L'enqurte mrmc si laborieuse à laquelle la Chambre
vient de se livrer sur la crise que nous traversons n'a-t-éFle
pas montré que les causes on tiennent à notre défaut d'éducation
scientifique autant qu*à des raisons économiques? J'aurais bien
long à vous en dire sur cette matière, navré que je suis par tanl
d'imprévoyance et d'aveugicraertt sur les conditions qui rt^glenl
la grandeur des peuples et le développement de la civilisation.
Mais le temps presse, le danger est imminent; un nouvel «ffort
va être tenté, e( y dois me borner aujourd'hui à j^•ter <^e cri
d'alarme et à réclamer votre aide dans cette œuvre patriotique. »
Ces paroles ont eu un grand rotenlisseinent, et il e.<t peu de
joarnavx qui n'aient félicité la commission du budget d'avoir
renoncé à sa résolution première et de s'être rendue aux argu-
ments que M. Fallièn>s a développés devant elle. La Jitslice,
entre autres, a publié dans son miméro du 6 février dernier
un remarquable article où elle fait ressortir l'importance qu'ont
attribué 11 Tenseif^nement supérieur tous les grands hommes de
la Révolution. <^ Tous les décrets des aâseinblées révolutionnaires
sur l'instruction publique, dit-elle, ceux des 3-14 septembre 1791,
il avril 1792, âO octobre 1793, etc., respectèrent ce grand
principe: que le domaine des études devant s'étendre indëffi-
niaient au fur et à mesure que s'accroît le trésor du savoir
humam, Tenseignement supérieur, gr<Yce auquel les connais-
smces s'étendent et Thorizon des découvertes et des sciences
s'agrandit, doit ^tre l'inspirateur, le régulateur et le guide des
enseignements primaire et secondaire. »
il est vrai « qu'il ne pouvait entrer dans la pensée de la com-
miBgion — c'est le Temp^f qui parle — de refuser & Tenseignemeflt
supérieur les inslallations et les outils dont il a besoin. Elle se
ppofosnit d'y subvenir par des Icris spéciales. Mais, du moment
qd^OB se voulait pas refuser les crédits, pourquoi refuser 4e
les prtvoir, et surtout, « la combinaison imaginée par Ye gmi-
2i4 R£VL*£ PÉDAGOGIQUE
vernement pour les dépenses des deux euseignemeuls priuiairo
et secondaire est avantageuse à l*£tat, pourquoi ne pas user du
même mode financier pour payer celles de l'instruction supé-
rieure ? Toutefois, ce qui nous paraissait le plus fâcheux, c'était
que, par cette exclusion, le projet de loi se trouvait dénaturé
dans son essence. Ce qui nous y plaisait avant tout, en effet,
c'était le caraclère universel et complet du programme établi.
Par cela même ce programme était limitatif. S il impose de
lourdes charges au pays, du moins il les détermine exactement
et permet de mesurer Teiforl à faire. En finance comme en
politique, ce que le pays redoute le plus, c'est Tinconnu. Or,
dans le projet du gouvernement... tout est calculé sur des
données précises. Une enquéle minutieuse a été faite, les devis
ont été dressés et l'on se trouve en présence d'une tâche consi-
dérable sans doute, mais strictement limitée. »
Nous ne saurions, au cours de cette étude, dédaigner deux
objections que le projet de loi a soulevées. La première a trait
aux dépenses du personnel enseignant qu'entraîneront les
installations scolaires de l'avenir. « Les cages construites, dit
le Moniteur Univerae/y il faudra y mettre des oiseaux, et ces
oiseaux. Ton devra les nourrir. »
Une confusion a certainement été faite entre la création et la
construction des écoles. Un très grand nombre des édifices à
élever recevront les enfants, très mal logés, d'écoles dès long-
temps existantes et pourvues de leurs maîtres. L'objection n'est
donc pas même spécieuse et elle ne tombe que sur la loi de /'o6//-
gation de l'enseignement primaire, laquelle loi n*estpas en cause.
Mais, demandt^-t-on d'autre part, « parmi les écoles primaires
à bâtir, nous en notons 3^318 qui se sont contentées jusqu'à
présent de locaux prêtés ou loués. Est-ce qu'avec quelques
améliorations partielles on n'en pourrait pas conserver le plus
grand nombre dans leur logement actuel? »
Que l'on veuille bien ne pas oublier le laps de temps consi-
dérable qui s'écoulera avant l'installation complète et définitive
de toutes les écoles dans des locaux appartenant à la commune.
VExposé de.s motifs reconnaît qu'il s'agit d'un « ensemble
d'opérations qui ne peuvent évidemment être menées toutes de
front et réalisées à bref délai. Quelles que soient les ressources
LES SUBVENTIONS DE l/ÉTAT POUR INSTALLATIONS SCOLAIRES ^2\i)
que le pays puisse consacrer à uq aussi vaste travail, on se
tromperait assurément si l*on admettait qu'il soit possible de
l'achever en moins de douze à (juinze ans. » Et encore ce n'est
là, fait remarquer le Temps « qu'une indication théorique. Le
projet de loi lui-même, fort sagement du reste, ne pose aucun
délai. » Il en résulte que les communes ne seront point
harcelées pour construire des maisons d'école si les enfants sont
convenablement installés dans des locaux à bail. Mais on
avouera que l'intérêt des communes, celui des écoles et des
enfants, le vœu de la loi et Tentrainement même auquel
obéissent les municipalités désireuses de bien faire, tout promet
que, dans un avenir plus ou moins rapproché, les locaux des
écoles appartiendront aux communes. On favorise le mouve-
ment, mais on ne songe pas à le précipiter.
0 nous semble avoir sutBsamment indiqué les diverses appré-
ciations qui se sont produites à l'occasion de la loi aclucile.
Nous ne saurions terminer plus heureusement ce bref aperçu
qu'en citant les réflexions suivantes empruntées, l'une à
VExpwté des motifs du projet de loi, l'autre au journal le
Temps, a Intéressés désormais, remarque le premier, aux
conditions des emprunts à contracter pour subvenir aux
dépenses^ les départements et les communes tiendront d'eux-
mêmes compte des nécessités qu'impose à certaines époques le
renchérissement de l'argent et de la main-d'œuvre et seconde-
ront l'action du gouvernement qui doit préserver de toute
atteinte l'avenir de la fortune publi(|ue, sans interrompre
l'œuvre de moralisation et d'enseignement que le Parlement a
entreprise. /> Quant au journal, il déclare l'opération excellente
pour ri'^^tat, mais il craint que les communes n'aient moins
sujet de s'en féliciter. Toutefois il leur suggère une raison
sérieuse et élevée de se consoler : « Du moment qu'on les
charj^e de contracter les emprunts nécessaires, il est impossible
qu'ayant plus de responsabilité on ne leur accorde pas égale-
ment une autorité plus grande. Elle viseront à l'économie ; elles
feront l'emprunt le moins lourd possible, et, en ce faisant, elles
serviront les inténHs de l'État comme les leurs propres. »
Alphonse Martin.
NOTE EN RÉPONSE A CETTE QUESTION :
Dé Ul bonne tenue et du saiuoir-i:ivre danê les écoles normales de filles.
Comment enttndre cette partie de V éducation? quelle ànporlance lin
attribuer ? H quels sont les meilleurs itioyens à employer ?
Le programme de nos écoles, si abondant et détaillé qu'il soit,
t résierve aucun paragraphe spécial à l'enseignement de la bonne
tenue et du savoir-vivre. Cest que dans la pensée des rédacteurs de
ce programme, qui est aussi celle de tous les gens sen>és, si la
bonne tenue et le savoir-vivre peuvent être enseignés, ils doivent
l'être autrement que Thistoire ou la littérature, la géométrie ou la
chimie* Il n'y a point et ne doit point y avoir de cours suivi dr
bonne tenue et de savoir-vivre, parce que ni la bonne tenue ni le
■avoir-vivre ne sauraient se reluire à l'observation de quelque.-
règles simples et faciles que la logique aurait comprises et la
mémoire retenues. Le savoir-vivre et la bonne tenue sont la mani-
festation extéiicure de notre âme tout entière. Au lieu de faire l'ob-
jet d'un eours, ils doivent être le souci perpéiuel de la directrice et
des proiVsseurs. Pour s'en convaincre, il suffît de se demander en
quoi consistent la bonne tenue et le savoir-vivre.
La bonne tenue est plus extérieure que le savoîr-vivre ; elle dé-
signe surtout la miie, les manières, ce qui fra()pe à première vue
dans une personne et qui fait qu'on la juge déjà suc son air sans
même l'avoir entendue parler. Le savoir-vivre a quelque chose de
plus intime : c'est la manière dont nous comprenons et réi^^lc ns nos
rapports avec autrui, et, pour préciser notre sujet, il s'applique airx
rapports qu'une élève d'école normale doit avoir avec ses compagnes,
ses professeurs, sa directrice.
La bonne tenue est le sij^ne extérieur du rrspect de soi-même.
Nous sent(ms notre propre valeur, nous avons le souci de notre dignité
personnelle, nous rougin >ns d'ôlre vêtus avec négligence, d avoir des
manières brusques ; nous voulons que notre extérieur nous désigne,
aux regards d'au truiy comme une personne bien élevée, digne d'es-
time ; ainsi l'amour-propre et le besoin de considération s'ajoute
au respect de soi-même et contribue à nous donner le dé.sir et le
goût de la bonne tenue.
Le savoir-vivre a son origine dans le respect d'autrui. L'estime
que nous éprouvons pour nos semblables be manifeste par noUe
amabilité à leur égard, par la politesse de notre langage. La déli-
catesse des sentiments est la condition essentielle de tonte prévenance,
la vraie politesse, on l'a dit, est celle du cœur. Mais le savoir-vinre
exige aussi la prudence et la finesse, le tact et la discrétion^ qua-
lités qui s'acquièient en partie par l'expérience de la vie, par la
pratique du monde. Trop de précipitation nuit, apprenez à vous
tenir sur la réserve, agissez avec circonspection ; elle parole ([ue
LA BONNE TENliB ET LK SAVtrlK-VlYKi: !MT
-voMft «trayez inolTensive ou même bieiiveillanle déplaira peut-èire.
tmioÊï \» caractère de la persoime à qui vous ladressez et la ailuation
^espril 011 elle se trouve ; retenez voire langue : ainsi voiui ferez
preuve de savoir- vivre.
Le sa>oir-vi>re rend la vie en commun larih^ et u^Tôable; sans
lui, elle serait insupportable. Dans une école normale, combien sont
firéqueats les rapports do compagne à compagne, d élève à maîtresse.
de professeur À directrice, et, dans ces rapports, que d'occasions où
la vanité peut se froisser, la susceptibilité jalouse s*éveiller! (inice
.au savoir*>ivre, Texcès est évité, les bonnes apparences conservées:
une fois la Icmpôte apaisée et le cahne reconquis, il en coûte moiins
de revenir et de se muntnT au debors telle qu'on a pas ce.'^sé d'être.
Ceci s'applique surtout aux maîtresses, dira-l-on; j*en convienh,
mais les (4èvcs ont l>esoin aussi du savoir-\ivro. l/école nonnale
est pour elles l'image de la socict'. Du ie«.ie. ne devons-nous pa»^
les préparer à la vie publique à laquelle elles sont destinée^? Voyez
rélève-maîtrosse devenue in>titutrice : de ']uvA prix inestimable sont
fMNir elle la bonne tenue et le savoir-vivre! La femme e>t le roprr-
«entant de ce que la civilisation a de |)lus doux et de plus fm. A
«-île la noble làehc de rendre à ceux qui rt'iitourent la vie douce
et heureuse, à elle le soin de polir les aspérités et d'adom^'r 1b>
angles, à elle «lone le souci de la bonne tenue et du savoir-vivre.
qualités féminines avant tuut. t'ne in^tilutriee devrait les posséder
an plus haut de^ré, parce que nou-seiilenitMit elle e^l femme mai^
elle doit élever îles femmes.
Nos élèves, il faut bien l'avouer, sont assez loin de cet idéal où
' se complaît rolre imagination. Nous sommes du peuple, nos élèves
tUMit les enfants du peuple. Klles peuvent êlre franches, sincères.
bonnes, dévouées, mais leurs manières sont un peu rustiques et
leurs fa<;OQS «Tai^ir parfois grossirres. Comment letir apprendre la
bonne tenue et le savon-vivre, comment leur infuser ces qualités,
féminines sans doute, et conciliables avec leurs précieuses qualités
natives, mais un peu aristocratiques/
Y a-t il un ensemble de règles lixes auxquelles nous puissions re-
courir au besoin/ La première règle à établir, c'est qu'il ne faut
point d*étiquelie inviolable, point de. cérémonial rigoureusement im-
poeé. Les élèves sVn tiendraient à la lettre sans cher< liera pénétrer
l'esprit; elles pourruieul acquérir une sorte de polites>e formaliste,
un veruis de bonne tenue et de savoir-vivre, utile sans doute, mais
qui na de valeur qu autant qu'il est l'image fidèle des idées et des
sentiments, sans quoi il n'est qu'alfectalion et hypocrisie. Qu'on
laisse aux élèves la lil»erté nécessaire à la manile^tation de leur
caractère, de leurs goût»* et de leurs préférences. Ou'elli^s soient ou-
vertes et contian tes, (qu'elles se montrent telles qu'elles sont, mémi;
un peu rustiques. Nous pardonnons volontiers une iinpoliiesse due a
rignorance, nous serions sans pitié pour une fausse démonstration
d*amitié, pour une (laiterie intéressée: nous n'admetlons pas le
savoir-vivre et la bimne humeur indépendants de rélévalion de
l'esprit, de la noblesse du cu^ir.
Ccfiendant la bonne tonne et le savoir-vivre s'enseignent dans une
•certaine mesure. Reconnaissons d'abord que dins toute communauté
de femmes, il s'établit un courant d'urbanité et de pnliiiv^se qui gagne
S48 RKVUK PÉDAGOGIQUE
peu à peu les plus revéches. (lerlaines natures d'élite, délicales et
douces (il en est dans toutes les conditions) agissent sans le savoir,
influent sur leurs compagnes. Le frottement journalier adoucit les
aspérités du caractère, on se polit par le seul fait qu'on vit en so-
ciété.
Ajoutez à cela les petites soirées récréatives que les élèves- maîtresses
donnent ies jours de grandes fêtes. KUes invitent leur directrice,
leurs professeurs; elles se font un honneur de les bien traiter; elles
s'ingénient à les satisfaire. Pour un soir, on oublie la iittératurc
et rhistoire : point de chronologie qui perce à Fhorizon et rembru-
nisse les visages épanouis. On est en famille, on est heureux : élèves
et maîtresses se rapprochent davantage, se connaissent mieux, et de
ce contact résulte pour les élèves un progrès moral réel et un pas
de plus dans l'apprentissage de la bonne tenue et du savoir-vivre.
11 est bon, eu effet, que nous voyions nos élèves autrement quVn
professeurs. Du haut de la chaire, interrogeant notre auditoire, ou
exposant notre leçon, nous nous sentons en communication avec
nos élèves, mais surtout avec leur esprit. Leur caractère ne se révé-
lera vraiment à nous que si nous les suivons de près dans leur vie
quotidienne. Voyons-les pendant leurs récréations, mêlons-nous <«
leurs jeux et à leurs causeries. Nous les obligerons ainsi à une
tenue convenable, à des manières respectueuses en même temps que
familières. En outre, plus nous verrons de près nos élèves, plus nous
aurons l'occasion de leur donner tantôt un bon conseil, tantôt un avis
charitable, tantôt une réprimande. Quelquefois il suffira de dire à
l'élève : « Votre action est indigne d'une enfant bien élevée » ; mais
souvent il sera bon de porter le doigt plus avant, de désigner à
rélève coupable le défaut de cœur ou d'esprit que sa faute révèle.
Car nos élèves pourraient se persuader que si elles n'ont pas la poli-
tesse extérieure, le savoir-vivre, elles ont du moins la politesse du
cœur; prouvons-leur ouelquefois que c'est précisément celle-là qui
leur a manqué dans telle ou telle circonstance. Elles en seront frap-
pées à coup sur. Mais comment savoir le moment où il faut répri-
mander et de quelle manière il convient d'adresser la réprimande ?
Le grand secret, c'est de vouloir bien faire. Que l'éducation de nos
élèves soit notre unique souci; alors notre vigilance sera incessante,
nous profiterons des moindres occasions pour travailler à réformer
le caractère des élèves et pour leur apprendre aussi que les dehors
ne sont pas à dédaigner. Ce sera pour nous une récompense parti-
culièrement attrayante de voir nos jeunes filles se perfectionner en
ce sens et devenir non-seulement meilleures, mais plus aimables.
Une maUresse-adjof'nte.
LE CLASSEMENT DES MOTS DANS NOTRE ESPRIT
Dans Ja dernière séance publique des cinq Académies, M. Michel
Bréal a donné lecture d'un mémoire fort remarqué sur le classe-
ment des mots dans notre esprit. C'était d'ailleurs plutôt un essai
qu'un travail définitif, de Taveu mémo de l'auteur, qui avait eu sur-
tout en vue d'appeler Tattention des philosophes, des philologues et
des pédagogues sur un fécond sujet d'étude. Ce mémoire, qui a paru
dans la Herur liftera ire, pose donc plutôt la question qu'il ne la
résout. M. Michel Bréal est surtout frappé de la facilité avec laquelle
Tesprit trouve, dans les diverses acceptions d'un môme mot (le mot
titre par exemple), ri'lle qui répond à Tordre d'idées où il est entré.
D'après M. KerckholTs, qui a publié un article à ce sujet dans VHommc,
journal des sciences anthropologiques, cette facilité s'explique tros
simplement par l'association des sons et des images.
• Les mots, dit-il, peuvent se présenter à notre esprit sous un
double aspect, comme signes graphiques et comme signes vocaux.
Ils se présentent généralement comme signes graphiques lorsqu'ils
appartiennent au vocabulaire d'une langue étrangère que nous
avons apprise par les livres et que nous ne savons qu'imparfaitement :
si je songe, par exemple, à un temps d'un verbe sanscrit, il me
semble voir en quelque sorte l'image du mot écrit devant mes
yeux. Les mots de la langue maternelle, au contraire, ont été
perçus et fixés dans notre esprit sous la forme de phénomènes
acoustiques et r'est comme tels que la mémoire les reproduit ordi-
nairement. Or l'image de l'objet et son signe vocal ont été perrus en
môme temps, les deux signes se sont associés et je ne puis évoquer
l'un sans faire, en même temps, apparaître l'autre. Mais si un mol
a plusieurs acceptions, si à un môme signe vocal se sont successi-
vement associées des images dilTérentes, qu 'arrivera- t-il? Le seul
énoncé du mot évoquera-t-il toute la série de ces dernières? Non.
A moins de faire une élude lexicologique, nous ne rencontrons
jamais les mots isolés; les différents sens attachés à tel ou tel terme
DO peuvent donc se présenter à notre esprit qu'autant que quelque
cause vient à rompre l'association présente et accidentelle entre
l'objet et son signe. />
M. Kerckhoffs entre ensuite dans d'intéressantes considérations
sur les maladies de la mémoire. On oublie plus facilement le nom
que la figure d'une personne parre «lue, dans la représentation du
nom, de la figure et des qualités d'un individu, ce sont les deux
derniers éléments qui sont le plus fortement liés entre eux. Dans les
amnésies partielles, la mémoire des noms concrets se perd avant
celle des noms abstraits : ce sont les adjectifs et les adverbes que
nous oublions le moins facilement. Beaucoup d'idiots, au dire des
aliénistes, n'ont même de mémoire que pour les adjectifs. « Cela
ne doit pas nous surprendre, si nous considérons que les connexions
2B0 uvux PtoMoaiQVX
organiques qui lient Tobjel à son signe sont bien plus nombreuses
pour ridée abstraite que pour Fidée concrète. »
Tout cela est Tort juste. Ce qui ne Test pas moins et ce qui mérite
plus particulièrement les réflexions des instituteu^'s portés à multi-
plier les explications étymologiques^ c'est ce qu*fijout£ notre auteur
en terminant :
« M.. Michel Bréal rappelle fort à propos que nous ne sentons jamais
dans le discours le sens étymologique des mots. J'ajouterai qu'il est
essentiel qu'il en soit ainsi, et que c est mônue là une des premières
conditions de tout progrès intellectuel. Ce point a acquis une impor-
tance capitale, depuis que la linguistique a établi que la signification
primiiive des racines aryennes est essentiellement concrète: sans
remonter bien haut, ne savons- nous pas aujourd'hui que dieu n'est
autre chose qiio lo (soleil) brillant, que rdme et ïespril sont un veut,
un souffle, ({ue sublini' s'appliquait primitivemeui, aux objets sus-
pendus au-dessous du linteau de la porte et qii être n'c&t autre chose
que se tenir debout? Je crois même qu'il n'y a lien d'exagéré à
affirmer que la longue enfance de rhumanité, enfance dont tes
découvertes anthropologiques semblent reculer tous les jours les
débuts, ne trouve une explicaliou plausible que dans la difficulté
qu'o/it dû éprouver nos ancêtres à se détacher de la signification con-
crète des premiers signes vocaux.
s Dans quel embarras d'esprit, en effet, ne se trouverait pas au-
jourd'hui celui qui sentirait en parlant le sons étymologique d'une
simple phrase telle que; Jetais cmLent? et que serait-ce, s'il lui
fallait faire l'analyse et la synthèse des éléments contenus dans le
néologisme enfanté par M. Raoul Duval, au Congrès de Versailles,
— DÉcoNSTiTCTioNNALiSATioN — OÙ Ic scus du thème vcrbal sti (sta)
a été complété et modifié une douzaine de fois par l'addition succes-
sive d'autant de préfixes et de suûixcs!
» Aussi n'appellerai-je pas, comme M. Michel Bréal, une lancjue
bic^n fu'le « une langue où se réfléchit en traits nots et distincts la
f> réalité, telle qu'elle s'est montrée aux esprits les plus vifs et les
» plus clairvoyants n, — où est le peuple qui ait jamais saisi le rap-
port entre la chose et son symbole? — mais toute langue où l'as-
sociation du mot et de Tidée est si intimement établie que les deux
éléments se reproduisent mutuellement, avec une égale netteté,
chez tous les esprits cultivés qui la parlent.
» Kt pour résumer en un mot mes objections à la thèse soutenu**
par le savant linguiste, je dirai; U n'y a pas de classement (ks diverses
acceplkms des mots dans notre esprit^ pas plus par ordre historique
que par ordre d'acituisition ou autre, mais simplement association
4lf! suns et d'imayes, »
Concluons que dans l'enseignement primaire surtout, il faut user
avec prudence et mesure des étymologies et des exercices lejdcogra-
phiques. A^ B.
UN AHÉCEDAIRE HKRKTIQUE
Puisque ia Revue pédagogique provoque les recherches des
curieux et des érudits sur les vieux livres scolaires, je voudrais
lui en signaler un que j'ai longtemps cherché et dont je n'ai
trouve que des réimpressions. Peut- être quelqu^un des lecteurs
de la Uevu4if plus heureux que moi, sera-t-il en mesure de
résoudre ce petit problème bibliographique.
Dans le catalo^^ue des livres censurés par la Sorbonneeu 1544.
on trouve, entie autres livres de classe, — outre la Doctrine des
Bans En/ans, le fameux et introuvable Calon chreslien d*Ëtienue
Dolet, une Introduction famiiiairc a facilement et en peu de temps
apprendre la grammaire latine^ etc., — un simple abécédaire
sous ce titre : ABC des rhrestiens, La réimpression plus ou moins
fidèle faite à Charcnton chez Pierre des Hâves en 1620 est un
très petit in-8" d(» 1 16 pages renfermant :
P. 3 à 6, Fabécédaire ; p. 17 à 24, 1 oraison dominicale, les
dix commandements, le symbole et diverses prières; p. 25 à 44,
le catécliisme proteslant réformé; p. 45 à 58, sous le titre Mi-
roir de la jeunesse, une série de poésies à Tusage des jeunes
enfants; p. 59 ;\ 64, diverses prières; p. 65 à 98, le Vrai/ som-
maire de tonte la religion chrestienne; enfin, p. 99 à 116, diverses
exhortations et prières.
Une autre réimpression faite à Londres ;iu xvnr siècle pouv
les églises françaises du Uefuge ne renferme que 4K pages el
s'arrête après le Miroir de la jeunesse.
Dans le catalogue des livres réprouvés de 154t, louvrage que
nous cherchons est ainsi désit'né :
c ABC pour les enfans contenant ce qui sensuyt: L'oraison
dominicale, etc., monstrant ia manient de soy confesser, pour
laquelle spécialement a esté condamné. t>
Sî lo Musée pédagogique ne possède pas dans sa collection de
livres scolaires ce précieux spécimen d'un des rares abécédaires
qui aient eu les honneurs du bûcher, peut-élreaura-t-il du moins
quelques indications à fournir aux chercheurs (1).
>'. Weiss,
Hibliothcraire de In Soch'lc d'Histoire
du l^rotestantismff français,
(f) Le Musée pédagogique ne possède pus le curieux volume en question ;
OMi» Ifr réiiaclioD de la Retme accueillerait avec reconnaissance les comniu-
•leaduos- qu» pourraient lui ôtre adressées à ce sujet. — Em Hédacliom.
QUESTIONS
REIATIVES A LA PUÉrAUATKJN AUX EXAMENS
DES BREVETS DE CAPACïïÉ
Les réformes que le décret du 30 décembre 188 i a appor-
tées dans les examens relatifs aux titres de capacité oui répondu
à l'attente générale, et elles ont dû être arcueillies avec laveur par
tous les amis de l'instruction. Néanmoins, il me semble qu'elles
soulèveront, dans leur application, surtout en ce qui concerne les
écoles normales, un certain nombre de questions sur lesquelles il
serait bon d'appeler l'attention des personnes compétentes.
La première qui s'offre à mon esprit et qui me paraît avoir une
réelle importance, c'est celle-ci : L'article 23 du décret du 29 juillet
1881, qui oblige les élèves-maîtres à se présenter aux examens du
brevet élémentaire à la fin de la première année, sera-t-il maintenu?
Dans l'affirmative, il faudrait modifier les programmes du
3 août 1881 et consacrer, comme je l'ai demandé précédemment
au sujet de la préparation aux écoles normales (Reruc jyt^dagofpqnc,
numéro du 15 octobre 1883), la première année à revoir et à approfon-
dir le programme des écoles primaires et à Initier les jeunes gens
aux études réservées pour la ±° et la 3« année. Ce serait peut-être
la meilleure des solutions; mais dans Tétat actuel des choses, il y
aurait de graves inconvénients à remanier un plan d'études dont
l'application complète ne fait guère que commencer.
Ce qui est certain, c'e?t que désormais nous ne devrons plu^
considérer notre première année d'études comme une préparation
suffisante au brevet élémentaire tel que Ta établi le décret du
30 décembre. II y a entre le programme de Tune et les épreuves de
l'autre une différence qui ne permet pas de les faire concorder. Le
jury d'examen pourra poser des questions sur telles parties de nos
programmes que nous ne voyons qu'en 2* et en 3* année. Rien ne
serait plus préjudiciable à l'enseignement en général, et aux écoles
normales en particulier, que de présenter nos jeunes gens à un examen
pour lequel ils ne seraient préparés que d'une manière incomplète.
Il ne faut pas d'ailleurs se laisser induire en erreur par des appa-
rences trompeuses et croire qu'au moment de leur admission à
à l'école normale les jeunes gens pourraient subir avec succès
les épreuves du brevet élémentaire.
Cela devrait être, mais combien nous sommes encore loin de
compte! Que nous apportent le plus souvent les candidats, sinon
des connaissances vagues, mal digérées, parfois erronées? En suppo-
sant même qu'ils connussent parfaitement les programmes du cours
supérieur, à leur arrivée à l'école normale, les posséderaient-ils
LA PIIÉPARATIUN AUX EXAMENS DU BREVET 283
aussi bien à la fia de la première année, pendant laquelle ils n'en
auraient approfondi qu'une partie et négligé le reste ?
On dira peut-être qu'il ne s'agit que de notions tr(»s élémentaires,
à la portée de tout le monde. Je l'admets, mais je n'en crois pas
moins que ces connaissances, si élémentaires que nous les suppo-
sions, devront et m sures, précises dans Tespril du candidat, à Tabri
de toute hérésie. Les commissions d'examen ne demanderont, par
exemple, que les premiers éléments des sciences: mais se conten-
teront-elles de notions vagues, peu éclairées, peu comprises, que le
candidat ne posséderait pas assez p(mr pouvoir les enseigner?
D*ailleurs, avec l'organisation actuelle des écoles normales, l'examen
du brevet élémentaire à la fin de la première année, s'il a poureiïet
d'alléger dans une certaine mesure la tilche des élèves-maîtres,
n'est guère fa>orable à la préparation générale du futur instituteur.
Qui ne conviendra ([ue les matières sur lesquelles l'élève-maître ne
sera plus interrogé au brevet supérieur cessent d'être «Hudiées avec
autant de goût? Les preuves ne manqueraient pas.
En deuxième année, l'exercice d'écriture est fait par acquit de
conscience, mais non plus a\ec cette application qui produit des
progrès. En troisième année, on n'écrit plus pour apprendre à écrire.
Aussi, qu'arrive-t-il .'c'est que l'écriture de nos élèves sortants laisse
trop souvent à désirer.
L'étude de la grammain*, de la syntaxe, de l'orthographe d'usage
et de règle n'occupe plus en deuxième el en troisième année qu'une
place trop petite dans l'emploi du temps. Qu'en résulle-t il:* C'est
qu'à cliaque instant, «lans Irurs rédactions, uoi jeunes ^tus sont
embairassés pour la construction d'une phrase, l'accord d'un parti-
cipe, l'orthograplnj d'un mot. Il n'est guère permis d'espérer qu'ils
augmenteront leurs connaissances sous ce rapport lorsqu'ils seront
livrés à eux-mêmes. Mtîssieurs les inspecteurs d'académie auraienf
peut-être des révélations très curieuses à taire au sujet non seulement
de la rédaction, mais «'ncore de l'ortlioi^Taphc de la correspondance
administrative de leur personnel.
Je sais bien qu'on peut être un bon maître, avoir une excellente
école et ne connaître ni les subtilités de la syntaxe, ni les curiosités
de rorthogra|)he : muis j'estime qu'un instituteur doit posséder assez
bien les règles essentielles de notre langue et l'orthographe courante
pour les appliquer aisément en parlant ou en écrivant.
Une bonne écriture n'est pas moins indispensable. Un instituteur
ne peut pas a\oir une écriture absolument mauvaise. Il n'est pas
nécessaire d'avoir vécu longtemps à la campagne pour savoir ce
qu'un simple billet mal écrit peut faire perdre de considération au
maître le plus dévoué.
Ce que j'ai dit de l'orthographe et de l'écriture, je pourrais le répéter
de la musique et de la gymnastique si l'élève-maître en était débar-
rassé dès la tin de la première année. Il suivrait ces cours un peu
par devoir etïiurU>ul pai* bou mission, mais saus ce goût, cet cnlruiii et
cette attention que donne seule la préoccupation d*un examen à subir.
A uu autre point de vue, je crois même ne pas tomber dans
Texagération en disant que la disposition légale qui place Texamen
du brevet élémentaire au bout de la première année a pu exercer
une fâcheuse influence sur la vie morale de l'école normale. La
majeure partie des jeunes gens mal doués ou paresseux, qui déses-
pèrent d'arriver au brevet supérieur à la fin du cours d'éludés, se
contentent, une fois qu'ils ont obtenu le brevet simple, d*un travail
moins opiniÂlre que celui qu'on serait en droit d'exiger d'eux.
Les inconvénients que je viens de signaler so. reproduiraient pour
la plupart si l'examen du brevet élémentaire était remis au bout de
la deuxième année.
Est-ce à dire qu'il n'y aurait que des avantages à reporter con¥B»p
autrefois cet examen à la fin de la 3* année? Non, assurément. Dans ces
questions qui touchent à tant de points, la perfection n'est pas à espérer.
Cependant, d'excellentes raisons militent en faveur de ce système.
Toutes les matières seraient étudiées avec une application égale
jusqu'à la fin du cours d'études et cela, sans qu'il en résullàt un
biim grand surcroît de travail. En effet, la plupart des matières du
brevet élémentaire, la morale, l'instruction civique, les sciences, les
expliciitioos de lecture, etc., ne se retrouvent-elles pas au brevet
supérieur ? Quoique n'étant plus exigibles au brevet supérieur, la
musique et la gymnastique, qui constilueat une diversion si utile
et si agréable aux autres études, seraient-elles retranchées deTiioraire
de la i^ et de la 3<^ année en supposant que l'élève-maître fût pourvu
du brevet élémentaire a la fin de la première année?
Quant aux épreuves d'écriture et d'orthographe, elles auraient
pour effet de contraindre les jeunes gens à ne point perdre de vue
ces importantes matières ; mais dès la i,'^ année, elles n'exigeraient
plus qu'un léger travail de préparation. Elles n'entraîneraient aucune
modification des programmes. Fallùt-il, pour leur donner une
place plus grande, opérer quelques retranchements dans les autres
branches, que je n'hésiterais pas à le faire. Car ce qu'il imporlc
que nos jeunes gens sachent le mieux, c'est ce qu'ils auront à
enseigner aux enfants qui leur seront confiés.
Cette mesure aurait encore pour avantage de permettre de laisser
intacts nos programmes de 1881. 11 est aussi incontestable qu'elle
contribuerait puissamment à élever le niveau du brevet élémentaire.
Ces diverses considérations m'&mèneronlnelles à demander dr
renvoyer à la fin de la 3^ année les deux examens du brevet élé-
mentaire et du brevet supérieur? J'avouerai en toute ainoécité qw^
je lie sais pas me décider à formuler une conclusion. A^ant d'arrêter
mon opinion sur ce point, je voudrais cannaiire celle de mes coUègues
qui ont vu appliquer les deux systèmes et 4)ui. par «onsài^uent .
peuvent en parler avec plus de eompétenee.
LA PHÉPAKATIU.N AL\ ^:XA.VIE^^ DU BKKVEl "io^i
Une autre; question, (jui n'a ^ubve a\ec la précédente que des
rapports assez éloignés, préoccupe vivement les élèves-maîtres les
plus laborieux. Elle a trait à la difficulté qu'ils éprouvent de conti-
nuer leur préparation au brevet supérieur lorsqu'ils n'ont pas conquis
ce diplôme en sortant de l'érole. Dans la LoziTe, comme dans la plu-
part des déf)arlemenls, nous avons formi- un comité àp correction
pour la préparation ù distance au certificat d'aplitudc pédagogique cl
au brevet supérieur. Nous venons ainsi on aide au\ candidats dans la
mesore du possible pour Fétu de de certaines matières : mois il est
une branche pour laquelle nous ne pouvons ri<'a. Cela est d autant
plus regrettable qu'ils sonl eux-mr*mcs dépourvus de tout moyen
4ie travail. 11 s'agit du dessin d'après le reliei*.
Le choix exclusif d'une collection déterminée de modMcs écarte,
clwque année, un certain nombre de jeunes gens du bi'evet ««upérienr.
LeB adjoints des grandes villes ont encore la ressource des écoles
spéciales de dessin. Mais les pauvres instituteurs da campagne, où
trouveront-ils un modèle et un maître pour corriger leurs essais ?
Je demandais à Tun de nos anciens élèves, qui se présentait un
an après sa sortie de l'école normale, ce qu'il avait fait en des>in?
« J*ai dessiné mon armoire ?>, me répondit-il. Frépanition bien
insuffisante, il faut l'avouer, pour venir, à Texaroen. dessiner, on
trois heures, une feuille d'acanthe ou une amphore.
Cerles, il convient de reconnaître le service qu'on a rendu aux aspi-
rants en limilant lo nombre dos modèles parmi lesquels l'épreuve sera
choisie. Personne ne conteste la nécessité de développer chez les
futurs instiluleurs le goût et le sentiment du beau. Cependant,
n*y Burait-il aucun moyen de rendre l'épreuve de dessin moins
reidoutable pour les cand dats qui ne sont [dus sur les bancs de
l'école normale .* A la première composition prise dans la collection
réglementaire ne pourrait-on en ajouter une seconde sur le dessin
graphique, dont on fondrait la note avec celle de la première
épreuve? Ou bien encore, ne serait-il pas possible d'ôter à l'épreuve
de dessin son caractère éliminatoire en la joignant à une autre
s^ie d'épreures écrites, celle des sciences exactes, par exemple?
A mon avis, quelque modilication utile pourrait être opérée sous ce
rapport. 11 serait malheureux qu'une fois sortis de l'école normale,
los jeunes maîtres perdissent l'espoir d'arriver au brevet supérieur.
Ces deux questions ont, à mes yeux, une telle importance, que
j'ai cru devoir soumettre à l'appréciation des lecteurs de la lieimr
fM^lagoglqiœ les réflcxi ons qu'elles m'ont suggérées. Elles provoque-
ront, sans doute, un échange d'idées, qui ne pourra éti-o que très
prdfitable aux intérêts de renseignement primaire.
J. SlON.
L'EXPOSITION FRANÇAISE D'EDUCATION
A I.A NOUVELLE-ORLÉANS
La section française d'éducation à l'Exposition de la Nouvelle-Orléans
a été ouverte le 8 février dernier par le directeur général M. Burke,
bien que les envois de la ville de Paris n'eussent pas encore pu
prendre place dans la grande salle qui leur était réservée. A cette
occasion, le consul général de France, M. d'Abzac, qui a organisa
notre exposition avec un zèle et un dévouement dont on ne saurait
lui savoir trop de gré, a tenu à réunir la colonie française pour
remercier officielle ment, avec elle, le directeur général et toutes les
personnes, présentes ou absentes, qui lui ont apporté le concours de
leur bonne volonté soit à Paris, soit en Amérique. Cette manifestation,
dont l'Abeille de la Nouvelle-Orléans pubUe un compte-rendu In^s
intéressant, trop étendu pour pouvoir être reproduit ici, a été aussi
touchante qu'imposante. Toutes les sociétés françaises (et le nombre
en est grand, depuis les sociétés de bienfaisance jusqu'aux sociétés
savantes, jusqu'à l'orphéon et aux francs-tireurs), avaient répondu
à l'appel du consul pour donner une nouvelle preuve de leur vieil
attachement à la France ; toutes les boutonnières portaient la cocarde
tricolore.
De nombreux discours ont été prononcés. M. d'Abzac a tout d'abord
rappelé les noms de tous ceux chez lesquels il a trouvé un cordial
et énergique appui: MM. Laf argue, le D** Castellanos, le D^ Turpin,
les professeurs Alcée Fortier et de Montluzin, les membres du
comité franco-américain de Paris, entre autres M. le comte Dillon,
son président, et M. Nicolopoulo, l'un de ses membres les plus actifs:
les directeurs et rédacteurs des journaux de la Nouvelle-Orléans et
surtout de r Abeille ; M. Mackay, l'un des propriétaires du câble
transatlantique Mackay-Bennet. Nous ne pouvons citer tous les noms:
mais nous devons un témoignage particulier de reconnaissance au
général Eaton, directeur du Bureau d'éducation de Washington, et à
son assistant, M. Smith, pour le concours qu'ils ont prêté à M. Ben-
jamin Buisson, commissaire spécial du ministre de Tinstruction
publique.
i4!) maisons françaises, a dit M. d'Abzac, ont répondu à mon appel et sont
représentées à l'Exposition universelle de la Nouvelle-OrléaDS. la majorité sur
notre section, quelques-unes dans les c Collective Exhibits » des sections
américaines. La présence de ces exposants, venus pormi nous au prix de
dépenses considérables, atteste ce que peut l'initiative individuelle s'nppuyant
sur une cause juste et aidée do la svmpathie publique. Dans, mes efforts pour
amener nos producteuri à la Nouvelle-Orléans, j'ai été cordialement et ener-
l'exposition de la DiOUVELLE-ORLiAllS 257
giquement aidé pur an grand nombre de Français et d'Américains qui ont
«ODMDti à faire partie de nos comités d'études et d'oi]ganisation.
Pour la première fois, depuis l.i découverte du Nouveau-Monde. rAmc-
rique anglo-saionne et l'Amérique latine se rencontrent, devant les représen-
tants de toutes les grandes puissances commerciales de la terre, afin de sceller
un traité d'amitié qui pourra i)eut-étre, comme toutes les œuvres humaines,
subir des agressions, mais que rien ne pourra désormais ri>mpre dans sa
substance. L'œuvre de paix dont nous sommes tous les collaborateurs, par le
Ciit de notre action et de notre présence, repose sur l'esprit des temps
modernes, qui ont substitué le gain par le travail au sain par la violence.
L'Exposition universelle que vous avez orgai;isée a la Nouvelle-Orléans.
Ifonsleur le Directeur général, se distingue de toutes les expositions uni ver-
seiUes qui l'ont prcci'dt'e par un caractère et une supériorité inconlesUibles.
Elle est la première qui mette les producteurs en face de mnrchés nouveaux.
Elle est lo première qui montre aux capitalistes et auv travailleurs du monde
<entier les incalculables ressources, les enances puiss/intes de richesse que les
deux Amériques otTrent à toutes les activittis, à toutes les intelligences, a toutes
les énergies.
M. Burke a répondu à M. d*Abzac en faisant un grand éloge de
l'exposition française^ et il a ajouté, aux applaudissemen's de l'as-
semblée :
Pour nous autres Américains qui savons chérir notre pavset ressentir tous
les sentiments d'orgueil que nous inspire notre histoire, nous ne pouvons
oublier que nous sommes dans une certaine mesure des Français... Sachons
■apprécier Timporlance caractéristique de ce fait que sur ce soi demi-français,
voici rassemblés dans cet espace les représentants d'une grande République,
réunis, la main dnns la main, avec ceux d'une République sœur, dans la
marche en avcmt à la conquête dii progrès.
M. Flatteau, au nom des exposants français, et M. le jugeSambola,
au nom des Sociétés orléanaises, ont aussi prononcé de chaleureuses
paroles, après quoi Ton se transporta daus la section française
d*éducation, où M. B. Buis.son, dans un discours très applaudi,
rappela les liens qui unissent toujours la Louisiane à la France et
résuma en ces termes l'œuvre accomplie en France depuis 1877,
c'est-à-dire depuis que la République y a été délinitivemcnt
consolidée :
Par une heureuse inspiration, les Chambres et le gouvernement ont tout
de suite abordé comme le problème vital celui de la réorganisation de l'instruc-
tion à tous les degrés, mais principalement de l'instruction primaire. De
grands changements, encore peu connus, et qui n ont pas encore eu le temps
de porter tous leurs fruits, ont eu lieu. L'esprit qui a présidé aux réformes
dont je vous parie est toujours cet esprit fr<mçais que je n'ai pns besoin de
définir ici, qui a dicté à nos pères la Déclaration des droits de Vtunnmc et
qui nous porte à vouloir fiiciliter, de plus en plus, au plus grand nombre
possible, les moyens de rendre la vie plus digne d'être vécue, et d'avoir accès,
dans une certaine mesure, aux jouissances intellectuelles et artistiques.
Cette tendance, un peu utopiqut; peut-être, mais généreusement utopique,
de nos réformes récentes de renseif|[ncment ne sera certainement pas jugée
ave; sévérité par la démocratie américaine. Je ne vous retracerai pas dans
le détail toutes les réformes dont le mérite revient surtout à notre Parlement
et à des ministres clairvoyants et actifs, secondés par une sorte de Parle-
ment universitaire vraiment représentatif du corps enseignant, le Conseil
BRTni PinAGOGIQUB 1884 — 1*' 8M. 17
258 REVUE PÉDAGOGIQUE
supérieur de l'instructiou publique. Elles ont consisté surtout à rendre Tin-
struclion publique gratuite et obligatoire, à multiplier les écoles, et les écoles
salubres, a doubler le nombre des écoles normales et à en fonder plusieurs
d'un caractère plus élevé, destinées à former un personnel spécial de profes-
seurs d'écoles normales; À ajouter k Técole primaire des cours d'études com-
f>lémentaires, à organiser une instruction primaire supérieure qui achève
'instruction générale tout en préparant pratiquement à une profession; à
disséminer et à rendre plus efficace renseignement du dessin et des arts
décoratifs.
Qu'il me suffise de vous dire que la troisième République a repris les
traditions de la première, en accomplissant toutes ces réformes, et que nos
nouveaux programmes ressemblent beaucoup à ceux qu'avait esquissés autre-
fois un homme qui est venu en cette ville môme, qui a travaillé à vos propres
écoles, Lakanal. 11 est remarquable, je crois, que la France, au lendemain de
ses désastres et quand son trésor était si épuisé, ait su néanmoins faire pour
rinstruclion publique, et aussi bien dans 1 ordre secondaire et supérieur que
dans l'ordre primaire, plus de sacrifices qu'elle n'en avait januiis fait au
temps de sa prospérité.
Après ce discours, M. le directeur général Burke prend de nouveau
la parole.* 11 est heureux, dit-il, de voir se développer renseignement
des deux côtés de TAllantique à l'ombre de la liberté. Il félicite la
France des progrès merveilleux qu'elle a accomplis dans renseigne-
ment primaire, secondaire et supérieur. Il félicite M. Buisson de sa
magnifique exhibition, de Tart, du goût exquis avec lequel tous les
objets sont disposés, et il déclare ouverte la section française
d'éducation.
La cérémonie s*est terminée par la visite des principales salles de
l'exposition scolaire. Une salle réservée à la ville de Paris contient
aujourd'hui un intérieur d'école et un type de salle de dessin avec
des travaux d'écoles primaires et de cours- d'adultes : nous avons
dit qu'elle n'élait pas encore aménagée le 8 février. Les visiteurs ont
beaucoup remarqué les cahiers mensuels et les cahiers journaliers
des élèves, les plans d'écoles maternelles, primaires, normales, etc.,
les reproductions à bon marché des chefs-d'œuvre de l'art, les
spécimens du travail des écoles primaires supérieures ou profession-
nelles, la collection des modèles en plâtre de TÉcole des Beaux-Arts.
L'impression générale est que nos écoles font très bonne figure
à la Nouvelle-Orléans et que notre exposition scolaire fait grand
honneur à notre pays. Les Français de France n'oublieront pas
l'accueil si sympathique et si chaleureux qui a été fait en Louisiane
à nos exposants.
LA. PRESSE ET LES LIVRES
L'enseignement commercial en France, par M. Arthur Mangin
(y Économiste Français, n® du 31 janvier). — Dans celte élude,
M. Arlhur Mangin commcnle un rapport présenté au Conseil supé-
rieur de reaseignoniçnl technique par M. Jacques Siegfried, au
nom de la sous-coinmissionde renseignement commercial. M. Mangin,
d'accord avec M. Siogfricd, établil très pertinemment que « le com-
merce — le grand commerce s'entend — ne peut désormais, non
plus que rindusirie ou Fagricullure, d'en tenir aux procédés tradi-
tionnels : il a, lui aussi, tout un outillage, tout un ensemble de
méthodes et de moyens d action, une sorte de stratégie à combiner,
à perfectionner et à mettre en œuvre. Le commerce est une lutte de
chaque jour où la victoire appartient au plus actif, au plus habile»
au plus savant; car il y a maintenant une science du commerce
comme il y une science des fiuances ou une science agricole, et il y a
un art commercial comme il y a un art militaire. L'art est surtout
le fait d'une aptitude, d'un génie qui n'est pas donné à tout le monde :
c'est un privilôge de nature et c'est une très grande force; mais il
ne peut tenir lieu de savoir. Sans doute, la science commerciale ne
ressemble point aux sciences proprement dites, telles que la physi-
que, Taslronomie, la physiologie ou même Téconomio politique ;
c'est une science composite et complexe qui comprend plusieurs
ordres très dislincls de connaissances; elle n'en est peut-être que
plus difficile à acquérir, justement parce que celte variété de con-
naissances suppose une variété correspondante d'aptitudes. L'ensei-
gnement commercial bien entendu, rationnel et harmonique, n'est
donc point chose facile à instituer et à pratiquer. x>
En fait, il ne se donne, chez nous, que dans neuf établissements,
dont quatre à Paris, et encore ces neuf établissements ne sont-ils pas
très prospères. « Neuf écoles en tout, dit M. Mangin, réunissant en-
semble un millier d'élèves, c'est bien peu pour une population de
37 millions d'âmes; ce n'est pas cela qui relèvera notre commerce
d'exportation, qui le mettra à même de lutter victorieusement contre
ses concurrents étrangers. » 11 reste donc beaucoup à faire, mais
M. Mangin ne veut pas que ce soit l'État qui prenne ici la place des
particuliers, des villes, des chambres syndicales, des chambres de
conmierce. « L'État, en vérité, se mêle de trop de choses ; ne lui
demandons pas de se mêler encore de celles qui, par bonheur, sont
restées jusqu'ici en dehors de son action. » M. Mangin n'est même
pas trop inquiet de celte pénurie d'écoles commerciales spéciales.
« Un homme qui veut faire de son fîls un bon commerçant — si le
S60 RIVUS PÉDAGOGIQUE
jeune homme a dugoûtetde Taptitude pom: cette carrière, — trouve
cent moyens de lui donner cette instruction sans recourir aux écoles
spéciales de commerce; et^ si le goût et les aptitudes manquent, ce
n'est pas l'école de conmierce qui les fera naître. Quant à TÉtat »
— 11. Mangin en revient toujours là — « il ne lui appartient pas
lus de pousser la jeunesse vers le commerce que vers Tindustrie
ou vers les beaux-arls. »
Pousser, non ; mais pourquoi l'État ne guiderait-il pas, pourquoi
n'ouvrirait-il pas ou n'élargirait -il pas les voies? Si le conmierce
est une science, comme le dit M. Mangin, l'État, ce semble, a com-
pétence pour faire enseigner une science; autrement il faudrait fer-
mer toutes nos écoles. Les écoles d'arts et métiers en particulier, les
écoles d'agriculture, l'École centrale, certaines autres écoles techni-
ques sont des écoles de l'État : voit-on que l'industrie en pâtisse?
Sans doute le commerce est affaire personnelle, ou encore affaire
locale, régionale, si l'on veut, et il semble que l'école commerciale
regarde tout d'abord à ce titre les particuliers et les différentes
institutions auxquelles M. Mangin veut en réserver l'initiative. Mais
si elles ne la prennent pas? Nous sentons le besoin de développer
notre commerce, de. l'établir sur des données scientifiques, puisque
science il y a, nous souffrons de la concurrence, et, en général, nous
ne manquons pas de faire retomber sur l'État la responsabilité de
celte souffrance. Pour la conjurer d'ailleurs, en dehors d'efforts
individuels que personne ne peut constater, nous avons créé tant
bien que mal neuf établissements, contenant en tout mille élèves.
Et nous voudrions contester à l'Etat le droit et le devoir de subve-
1[iir à cette insuffisance! Il nous semble que c'est tout au moins
trancher bien vite une très grosse question.
L'instruction primaire aux États-Unis en 1883, rapport présenté
au ministre de l'instruction publique, par M. Paul Passy, professeur
de langues vivantes à Técole normale d'instituteurs de la Seine et
au collège Sévigné; 1 vol. in-12, Paris, Delagrave, 1885. — Les lec-
teurs de la Revue connaissent déjà un fragment de ce livre ; l'étude
sur l'éducation des races de couleur dans l'Amérique du Nord, que
nous avons publiée (1), en forme le dernier chapitre. Chargé, au
moins de juin 1883, d'une mission ayant pour objet « de visiter les
principaux centres d'éducation des États-Unis et d'en étudier les
ressources et les procédés intellectuels, financiers, agricoles et indus-
triels », M. Paul Passy ne se pique point d'avoir pu répondre, en
deux mois et demi, à toutes les exigences de ce trop vaste pro-
gramme; il s'est borné à étudier ce qui rentrait le plus directe-
ment dans ses aptitudes personnelles, c'est-à-dîre les questions
d'enseignement et en particulier d'enseignement primaire, ce qui
(1) Voir le numéro du 15 octobre 1884.
LA PRISSE ST LIS UVRSS 961
justifie le titre de son rapport. Et même réduit à ces proportions,
le champ était, dit-il, tellement vaste qu'il a dû se borner à indiquer
les traits les plus essentiels du systî'me d'éducation américain;
encore le tableau qu'il en donne est-il nécessairement incomplet,
étant fondé presque exclusivement sur des observations recueillies
dans les Étals du Nord.
En dépit de ces modestes déclarations, le 'rapport de M. Paul Passy
n'en est pas moins d'une lecture fort intéressante, même aprèis
celui de M. Buisson, qu'il confirme sur beaucoup de points, auquel
il ajoute, sur certains autres, des détails qui ont leur prix.
Dans une suite do vingt chapitres, qui forment autant de résu-
més courts et substantiels, M. Paul Passy étudie successivement le
free ichool system, qui est la base de Torganisalion scolaire aux F.tats-
Unis, puis les points les plus importants de cette organisation sco-
laire : administration, organisation pédagogique, discipline, person-
nel, gratuité, obligation, plans d'études et emplois du temps,
matériel scolaire, organisation financière des écoles. Il explique ce
caractère si parliculierde l'éducation américaine, la « coéducation » des
deux sexes. 11 entre ensuite dans les écoles, à commencer par celle
des petits enfants, le Kindergarien^ et, arrivé aux écoles d'enseigne-
ment primaire des ditTérents degrés, 11 en examine les méthodes
d'enseignement et les résultats qu'elles produisent. Un chapitre sur
les écoles normales, les cours normaux, les examens de capacité,
nous montre comment se prépare le personnel enseignant; un
autre sur les écoles primaires libres dit quelques mots des efforts
tentés en Amérique par Tinitiative individuelle en dehors de l'école
publique, soit pour contrebalancer Tinflucnce de cette école, soit
pour la compléter à des points de vue particuliers. Le dernier cha-
pitre, comme nous Tavons dit, est consacré aux races de couleur.
Nos maîtres trouveront, ce nous semble, dans ce rapide tableau
des institutions scolaires américaines, bien des sujets d'utiles ré-
flexions. Voici, au Iiasard des pages, quelques traits que, pour notre
part, nous avons notés.
Par exemple, dans le chapitre sur la coéducation : < L'éducation
américaine, nous dit M. Paul Passy, suit, au point de vue de la
préservation morale de l'enfant, une méthode tout à fait opposée à
la nôtre. Tout l'art que nous employons à éviter les tentations aux
enfants des deux sexes, elle le dépense à les rendre capables d*y
résister. Notre éducation ne leur inspire aucune confiance. « Voua
aurez beau faire, disent ils, vous ne pouvez éviter absolument les
occasions de mal faire; et vos enfants s'y trouvent d'autant plus
en danger qu'ils y ont été moins préparés. Et puis, il faudra bien,
un jour ou Tautre, qu'ils cessent d'être gardés à vue. Ces jeunes
gens qui sortent du collège, ces jeunes filles émancipées t jut à coup
par le mariago, comment seront-ils trempés pour les luttes de la
vie? Ne vaut-il pas mieux les y préparer en leur donnant, au^itôt
983 REVUJB f6DA6061QU£
qie possible, une grande indépendance, et en Taugmenlant à me»
sure qu'ils grandissent, de façon à ce qu'ils arrivent insensiblement
à être des hommes? *
. II est possible — nous croyons qu'au fond M. Paul Passy le pense
un peu — que les Américains poussent trop loin ce principe; mais
n*ont-ils pas raison de dire que nous poussons, nous, beaucoup trop
loin le principe contraire?
Quelques pages plus bas, M. Paul Passy nous donne une idée de
la quantité de travail que Ton impose d ordinaire aux jeunes Améri-
cains et aux jeunes Américaines. Celles-ci, à ce qu'il paraît, sont
souvent maladives, surtout quand on les compare aux jeunes
Anglaises, et plusieurs éducateurs distingués des Ètats-l'nis croient
trouver la raison de celte disposition fâcheuse dans Texcès de fatigue
qu'exige d'elles, les écoles étant presque partout communes aux
deux sexes, la concurrence avec les garçons. Mais, dit M. Paul
Passy, « si les enfants, les jeunes gens américains travaillent trop,
que sera-ce chez nous? 11 ne faut pas oublier qu'à l'école élémen-
taire, à l'école de grammaire, et souvent à l'école supérieure, presque
aucun travail ne peut être imposé en dehors des cinq heures passées
en class(ï; et le travail facultatif n'est jamais bien considérable. A
l'école normale, on demande un peu de travail au dehors, mais
d'une manière qui n'a rien d'abusif. A Saint-Louis, par exemple,
en dehors de cinq heures d'école (qui comprennent 40 minutes
données au travail personnel), les élèves doivent travailler une heure
et demie ou deux heures chez elles; et, pour éviter tout excès de
travail, on les prie de noter elles-mêmes le temps qu'elles y
passent (1); si ce temps est trop long, on en fait l'observation aux
professeurs... » Ainsi, sept heures au plus de travail par jour pour
de grandes élèves d'écoles normale, et encore, en Amérique, on
trouve que c'est trop; nous dirons comme M. Paul Passy, « que
sera-ce chez nous? »
Citons, pour terminer, les conclusions du livre:
« I/école publique américaine est une institution éminemment
populaire, à la lois nationale et locale. Elle est dirigée par des
autorités municipales élues par le peuple, soutenue en grande par-
tie par dos taxes locales, soumise à un contrôle d'État modéré;
eUe échappe absolument à la direction de l'Union. Gratuite à tous
les degrés, elle présente à tous iodistiiictement, riches et pauvres,
élrangers et indigènes, garçons et tilles, une éducation complète en
soi et généralement très solide, allant de l'école enfantine à l'école
normale; seule la distinction de race entre les noirs et les blancs
est une infraction à cette égalité parfaite, infraction qui ne peut, du
reste, tarder à disparaître. Strictement non confessionnelle, l'école
(1) On s*en rapporte à leur simple déckiratlon, comme toujours en Amé-
rique. P. P.
LA PRESSE ET LES LIVRES 363
m'en est pas moins chrétienne dans ses tcndauces: mais elle est
également ouverte aux catholiques et aux protestants, aux croyants,
aux sceptiques et aux incrédules. Aimée du peuple, qui s'en occupe
directement et la surveille lui-môme, elle exerce une influence
immense sur la formation deFesprit national. Elle tend de plus en
plus à détruire toute concurrence et à ne laisser subsister en dehors
de renseignement primaire, compris dans le sens le plus large, que
renseignement supérieur et professionnel.
Y Le principal défaut, le danger le plus sérieux du système amé-
ricain est ïinéyalUé qui résulte du plus ou moins de richesse des
diverses régions, inégalité qui se montre dans l'ensemble de l'Union
entre le nord et le sud, et, dans chaque Etat, entre les villes et
les campagnes. De la résultent dans les campagnes des traitements
d'instituteurs tout à fait dérisoires et en conséquence une faible
valeur du personnel enseignant et des changements par trop fréquents,
La trop courte durée de l'année scolaire dans les campagnes provient
de la même cause. Le remède proposé consiste en subventions
accordées par les Etats aux écoles rurales et par l'Union aux Etats
du Sud.
j» Tous les moyens sont employés pour rendre Técole attrayante
et pour qu'elle serve à développer les facultés naturelles des enfants ;
de là l'emploi des méthodes intuitives et de l'enseignement par les
yeux, en paiticulier des leçons de choses et du tableau noir....
» L'école pratique en tout le plus grand respect de la liberté indi-
viduelle. L'instituteur est libre d'exprimer ses opinions eii matière
controversée, et les élèves sont libres de le contredire. On accoutume
de bonne heure les enfants à se considérer comme des êtres indé-
pendants, placés entre le bien et le mal et responsables de leur
choix. Les principaux moyens employés pour assurer le travail et
la discipline sont ceux qui s'adressent à leur conscience et à leur
honneur. En toute chose, on leur témoigne la plus grande confiance.
» Les mulièn.'S qui paraissent le mieux enseignées sont la lecture,
la géographie^ ïinstruction ciriqne, et ïinstruction religieuse dans les
écoles du dimanche. Celles dont l'enseignement semble le plus
défectueux sont les mathématiques, Yortfiographc, la gymna8ti([ue et
le- travail îtianucl. Les langues vivantes et les arts ont été introduits
dans beaucoup d'écoles à la suite d'expériences qui ont donné
d'excellents résultats. Les langues mortes occupent encore dans l'en-
seignement primaire supérieur une place qui ne devrait pas leur
revenir.
> Le personnel enseignant se compose en très grande majorité
de femmes tion mariées,
» L'instruction pubUque a coûté, pendant Tannée 1882, une somme
de 91,158,039 dollars et employé 293,2:)4 instituteurs. Sur environ
12,500,000 enfants de 6 à 16 ans, 10,013,820 étaient enrôlés dans les
écoles publiques, et la fréquentation moyenne était de 5,164,356.
264 RKVUE PÉDAGOGIQUE
Malgré tous les efforts qu*attestent de pareils chilTres de la part de
la nation, la proportion d'illettrés était encore considérable, puis-
qu'on i880, sur 11,840,171 personnes de 10 à 20 ans, 2,035,595 ne
possédaient aucune instruction. On en trouve la raison, d'une part,
dans le grand nombre d'étrangers ignorants qui arrivent chaque
année aux Etats-Unis; d'autre part, dans l'impossibilité où se
trouve le Sud, et surtout la population de couleur, de pourvoir à
l'éducation de ses propres enfants.
» En contemplant dans son ensemble l'édifice des écoles publiques
américaines, il est impossible, malgré toutes ses imperfections et
tous ses vices, de ne pas se sentir pénétré d'admiration pour cette
jeune nation qui, a peine sortie des luttes de la colonisation et des
déchirements de la guerre civile, a su, par la sagesse de chacun de
ses groupes de population pris individuellement, élever sur des bases
inébranlables un système aussi complet, aussi vivant, aussi éminem-
ment démocratique et libéral d'instruction populaire. Nous ignorons
ce que la Providence réserve aux États-Unis, nous ne savons par
quelles transformations politiques et sociales doit passer ce peuple
encore en formation ; mais une chose nous paraît certaine, c'est que,
s'il reste fidèle aux traditions que lui ont léguées ses pères et qu'il
a soigneusement conservées jusqu'à ce jour, il est appelé à une
destinée glorieuse, à un avenir d'une grandeur incomparable. *
Nous n'ajouterons qu'un mot, que nous emprunterons au livre de
M. Buisson, et qui doit être, suivant nous, la mesure de toute étude
comparative des institutions scolaires de l'étranger et des nôtres :
« L'école n'est pas une institution qui se puisse étudier à part
et en soi comme un système de chemins de fer ou de télé-
graphes. L'école n'est rien par elle-même, elle n'existe que par
et pour le peuple qui la fait à son image et qui y met son esprit.
Elle vit de sa vie, elle en a les défauts, les qualités, le génie pro-
pre. C'est une institution sociale, inséparable de la société elle-même,
impossible à transporter toute faite d'un pays ou d'un régime à un
autre.
» Eussions-nous vu en Amérique la perfection du système scolaire,
il n'en serait pas moins chimérique de notre part de conclure à
l'importation de ce système : appliqué a d'autres mœurs, à d'autres
traditions, à d'autres conditions sociales, il pourrait se trouver détes-
table, et il le serait probablement, car on n'en aurait que le cadavre,
l'âme n'y serait plus. La nature- vivante ne se laisse pas calquer
servilement : des causes semblables pourront produire des effets
analogues ; mais vouloir les imiter artificiellement, c'est n'avoir pas
même soupçonné comment ils s'obtiennent. »
Ce qui ne veut pas dire que nous ne puissions pas chercher à
nous assimiler ce que le système américain peut nous présenter de
véritablement assimilable, et c'est à quoi le livre de M. Paul Passy
pourra souvent nous servir. C. D.
LA PRESSE ET LES LIVRES Vi&
La Gymnastique, notions physiologiques et pédagogiques, applica-
tions hygiéniques et médicales, par M. A. CoHineau, docteur en
médecine; Paris, J.-B. Baillière, 188i. —Voici un livre qui paraîtra
d'heureux augure à ceux que préoccupe la question de l'éducation
physique et qui espèrent que le développement de la culture de
Tesprit ne fera pas oublier combien celle du corps est nécessaire,
et à quel point, sans celle-ci, la première est chose instable et
incomplète. Un ouvrage de près de mille pages, tout consacré à
une seule des branches de Téducatiou du corps, c'est l'indice que
de telles questions, dont nul ne se préoccupait il y a quelques années,
sont devenues aujourd'hui un des pnncipauz objets de l'attention
publique.
M. le D^ Collincau a conçu son œuvre avec des proportions
imposantes. Il ne s'est pas borné à donner au public un traité aussi
complet et détaillé que possible des exercices gymnastiques de tout
ordre. Il a voulu que les notions précises d'anatomie et de physio-
logie fissent pénétrer le lecteur dans le mécanisme intime des effets
de la gymnastique sur l'organisme humain. Il a tenu également à
faire précéder son étude d'un résumé de l'histoire de la gymnas-
tique à travers les âges et les peuples.^En un mot, c'est à la fois un
ouvrage d'ensemble et une étude de détail que l'auteur offre à ceux
qu'intéresse la culture des forces physiques par l'exercice réglé et
méthodique. Ajoutons que ces parties diverses sont fortement reliées
par Tunité d'inspiration: une inspiration vraiment libérale, qui donne
à tout le livre beaucoup de vie et d'intérêt. •
Nous ne pouvons que recommander auprès de nos lecteurs le
livre du D*" Collineau. Ils y trouveront en même temps les vues
d'ensemble qui élôvcnt la question et la mettent son vrai rang, et
les indications techniques les plus précises exposées avec une excel-
lente méthode. E. P.
La vérité sur la gymnastiqte, ce qu'elle doit être, par M. Picquarty
auteur de la Gymnastique vraie et de la Gymnastique médicale. Une
brochure, chez J.-B. Baillière, Paris, 1883. — M. Picquart est loin
d'être l'ennemi de la gymnastique, mais il la veut rationnelle,
scientifique et surtout hygiénique. Il s'élève contre l'abus des agn^s
et des machines, car on doit assouplir les membres et non leur
faire violence. H combat surtout « l'entraînement » que l'on fait
subir à des natures trop débiles pour supporter des exercices pénibles et
dangereux. 11 voudrait que les maîtres de gymnastique fussent des méde-
cins ou que tout au moins on exigeât d'eux des preuves certaines d'apti-
tude vraiment sp^^ciale. 11 conclut en demandant l'obligation d'épreuves
officielles très sérieuses pour tous ceux qui font de la gymnastique
leur profession, la création d'inspecteurs spéciaux pour cet ordre
d'enseignement, la fondation d'une école spéciale de gymnastique.
M. Picquart écrit avec vivacité et souvent avec indignation, ne pouvant
266 BEVUE PÉDAGOGIQUE
supporter qu*on fasse trop souvent d'un art sérieux, salutaire, et
respectable, une industrie plus ou moins lucrative. Retenons de ses
éerils qu'il faut approprier les exercices a Tâge et à la santé des
élèves, avec le moins d'appareils possible et avec les appareils les
moins dangereux. Cette recommandation est fort sage, surtout pour
les écoles primaires. « Cest une vérité d'expérience, dit M. Picquart,
que le nombre des appareils est en raison inverse du savoir, de
l'expérience, de l'habileté du directeur. » Suivre la nature et ne pas
la forcer, tout est là. A. B.
Le livre de l'Ecole, choix de lectures expliquées à l'usage des
écoles primaires, par Ch. Lcbaigue, ancien membre du Conseil
supérieur. Cours préparatoire. Paris, Belin, 1883. — Ce petit livre
complète mie série d'ouvrages qui ont fait leur chemin dans le
monde scolaire ; c'est le premier degré dans un ensemble qui en
comporte quatre. Selon nous, c'est le plus important. De la pre-
mière impression reçue dépend, pour beaucoup d'enfants, le goût
plus ou moins vif qu'ils montrent pour la lecture.
L'ouvrage n'est pas banal, et M. Lebaigue avait son idée en le
composant. Il veut enseigner la morale par la lecture. Chaque page
du petit livre est une leçon de conduite. Chaque « morceau choisi »,
prose ou vers, sert à combattre un défaut, à faire connaître un
devoir, aimer une vertu. La raison et le goût sont également satis-
faits du choix des morceaux, de leur gradation, de leur association.
L'auteur ne s'en tient pas là. 11 fait suivre chaque passage de
questions et d'explications qui développent, éclaircissent, fécondent
le texte. Pour écrire ces développements, qui ont leur charme, l'auteur
se fait père de famille et converse avec ses enfants. 11 y a là plus
qu'un rôle bien compris et bien soutenu ; il y a une sollicitude
vive et sincère pour le perfectionnement intellectuel et moral de
l'enfance.
M. Lebaigue a bien raison lorsque, dans sa préface, il recommande
aux maîtres d'habituer leurs élèves « à comprendre et à sentir ce
qu'ils lisent ». Tout le secret est là.
Nous permeltra-t-on de rappeler à ce sujet une jolie anecdote
'Contée par M"°« d'Épinay dans ses Mémoires ?
L'héroïne est sa fille Pauline. Celle-ci, encore enfant, assistait aux
leçons de son frère plus âgé qu'elle. Un jour on fit passer au jeune
garçon un examen en famille, Rousseau étant présent. « Si mon
frère se trompe, dit Pauline d'un air malin, je pourrai peut-être
l'aider, car je n*al pas laissé que de retenir bien des choses de ses
leçons. — C'est-à-dire, mademoiselle, lui répondit son père, que
vous ne retenez que ce qu'on ne vous apprend pas. — Papa, reprit-
elle, je retiens bien ce que je comprends, mais pas le reste. »
Son frère ayant hésité deux fois sur l'histoire romaine dans deux
endroits, la petite qui le guettait se leva et répondit pour lui en
LA PRESSK ET LES LIVRES 267
riant. « Pourquoi avoz-vous retenu cela? lui demanda Rousseau. -^
Monsieur^ c'est que c'est beau et que cela me fait plaisir. » Un de
cea traits concernait Régulus, lorsqu'il exhortait les Romains à rejeter
les propositions de paix qu'il apportait à Rome et dont le refus
devait lui coûter la vie. Conclusion : Pauline retenait plus que son
frère, parce qu*elle comprenait mieux et sentait davantage.
H. D.
Histoire de Charly-slr-Marne, par M. le docteur A. Corlieu,
bibliothécaire adjoint de la Faculté de médecine de Paris, avec
cartes et dessins; I, vol. in-8'\ Paris, II. Champion, 1881. — Nous
parlions • dans un récent numéi'o des Vieux papiers de mon village^
de M. Charles Sentupéry, contenant la curieuse histoire d'une
* communauté » de la Franche-Comté.
Uflistoire de Charlff, qui est un bourg du département de l'Aisne,
d'environ 1,700 liabilants, ne présente pas moins d'intérêt, à toutes
aortes de points de vue. C'est sur des pièces d'archives qu'a été faite
cette monographie, et l'auteur dit — ce que nous croyons sans peine
— qu'il y a travaillé plus de quinze ans.
Si nous nous tenons exclusivement au chapitre qui porte pour
titre: instruction publique, nous y trouverons ce portrait du maître
d'école de Charly avant la Révolution.
« Le maître d'école, dit M. Corlieu, n'avait besoin ni de cer-
tificat de capacité, ni de brevet pour enseigner. 11 devait être agréé
par le curé et nommé piir lui en présence des notables habitants
de la paroisse. On lui demandait une belle voix pour chanter au
lutrin et une belle main pour enseigner l'écriture, car c'était lui
qui traçait les modèles à la première ligne de chaque page du cahier
de rél(>ve. Quant à la grammaire et à l'orthographe, il n'en était
pas question; on laissait deviner aux élèves le mot et la chose. Le
maître était aidé par sa femme ou par un sous-maître, qu'il choi-
sissait lui-même, où et comme il voulait, et qui devait toucher
Porgue de la paroisse. Quelques bancs, quelques tables placées
sans régularité constituaient tout le mobilier scolaire. Chaque élève
apportait pour sa lecture le Uvre qui lui convenait : il y en avait
un en français et un autre en latin, puis quelt^ues vieux parrhemins
ou contrats pour apprendre à lire l'écriture. L'introduction d'un livre
imprimé en caractères gothiques du xvr siècle et ayant pour titre
La civilité puérile et lumneste fut un grand progrès. L'élève lisait
quatre ou cin<] lignes devant le maître, autant devant le sous-maître
et on le laissait libre de son temps, pourvu qu'il ne fit pas de
bruit dans la classe. A un degré plus avancé, il s'exerçait à l'écri-
ture en répétant sur son caliier le modèle tracé par le maître. Il
n'y avait jamais ni dictées, ni correction de devoirs. La géographie
et riiistoire étaient complètement inconnues. Quant à l'arithmétique,
le maître d'école enseignait à faire les quatre premières règles, la
268 REVUS PÉDAGOGIQUK
règle do trois, autrement appelée un Si, à cause de l'énoncé du
problème qui commençait par ce mot. La classe ouvrait à neut
heures du matin et finissait à onze heures; elle reprenait de une
heure à quatre heures. Cependant il était loisible aux élèves d'arri-
ver quand bon leur semblait. La classe terminée, le maître pi énon-
çait la phrase consacrée : « Que tous ceux qui ont lu deux s*en re-
tournent y>, et alors tous les élèves s'échappaient en désordre, pas-
sant devant le maître, qui se tenait à la porte et lui montrant les
deux doigts, pour lui indiquer qu'ils avaient lu deux fois.
» La rétribution était de cinq, dix, quinze sous, selon que l'élève
apprenait à lire, à écrire ou à calculer.
9 Le maître d'école vivait d^ ce maigre produit. Aussi joignait-il
quelques petites fonctions à la sienne. Il était le premier chantre au
lutrin, balayait l'église ou la faisait balayer par ses plus grands
élèves, était sacristain, sonnait V angélus ^ assistait le curé dans tous
les mariages ou enterrements, l'accompagnait quand il portait le
viatique aux malades. Le dimanche matin, il parcourait toutes les
maisons de la localité pour les asperger d'eau bénite; les fermes de
Beaurepaire, La Masure, etc., recevaient, malgré leur éloignement,
sa visite matinale ou celle du sous-maître. Chaque habitant lui
'donnait une rétribution de quelques sous pour cette aspersion. Dans
tous les pressoirs, le maître d'école allait donner son coup d'épaule
au moulinet et emportait, en échange, du vin nouveau dans son
seau. Dans les bonnes années, il pouvait ainsi récolter cinq ou six
pièces de vin. 11 était logé gratuitement dans la maison d'école et
exempt de la taille et des autres impôts. >
Ainsi se passaient les choses à Charly, comme il appert en grande
partie du texte d'un procès-verbal de la nomination d'un maître d'école
en 1746, et il est probable qu'elles devaient se passer d'une façon
analogue dans beaucoup d'autres localités. Et la situation reste telle,
dit M. Corlieu, jusqu'en 1832.
Sur l'époque de la Révolution même, les documents concernant
l'école sont rares à Charlv ; nous voyons cependant que l'instituteur
national, dont le nom était André Leroi, « cessa de porter un nom
qui rappelait la tyrannie, et prit celui de Drouet-la-Montagne ».
Drouet, sans doute, en souvenir de l'arrestation de Varennes.
M. Corlieu cite un règlement, émanant du conseil municipal de
Charly, en décembre 1831, et qui spécifie les droits et les devoirs
de l'instituteur : on y sent un notable progrès, quoique le maître
soit encore chargé de remonter tous les jours l'horloge de la com-
mune, de sonner la cloche trois fois, et qu'en qualité de premier
clerc il doive exécuter les ordres qui lui seront donnés, à cet effet,
par M. le curé.
Ces études rétrospectives sont, nous le répétons, extrêmement
intéressantes, et il semble que les instituteurs sont mieux désignés
que personne pour s'en occuper. C. D.
LA PRISSE £T LIS UYRES 269
La production agricole en France, son présent et son avenir, par
M. Louis Grandeau, 1 vol. grand in-8® avec deux cartes et deux
diagrammes, Paris, Berger-Levrault, i885. — Nous sortirions du
cadre de cette Revue en suivant l'auteur dans les savants détails où
il entre sur la production du blé en France et dans l'analyse appro-
fondie qu'il fait des causes multiples de la crise agricole. Disons
seulement que, d*après M. Grandeau, le principal remède au mal
dont nous soufl'rons sera dans l'application de plus en plus répandue
desméthodeséconomiquesdeculture: nuiis pour appliquer les méthodes
il faut les apprendre; delà la nécessité de développer renseignement
agricole a ses divers degrés et tout d'abord d'utiliser les éludes et les
expériences faites dans les stations agronomiques. « Les professeurs
départementaux d'agriculture, dit M. Grandeau, sont, à côté des
directeurs de stations, les vulgarisateurs naturels des résultats
obteous dans les stations agronomiques. L'ensci^^nement local dont
ils sont chargés trouvera dans les travaux des laboratoires, dans les
champs d'expérience, dans les essais sur l'alimentation du bétaU,
entrepris et dirigés par les stations, sa base la plus certaine, les
exemples les plus utiles, les indications les plus sûres concernant
les améliorations à signaler au public agricole. » Ajoutons que les
élèves-maîtres de nos écoles normales seraient les premiers à pro-
fiter de ces précieuses indications. A. B.
Horace Mann, promoteur de l'éducation populaire aux États-Unis,
par M. Gaufrés, ancien chef d'institution, conseiller municipal de
Paris, deuxicme édition ; in- 12 de 33 pa^^es, Paris, Librairie centrale
des publications |)opulaires, 1884. — Cotte brochure vient à son
heure, puisque le principal des ouvrages d'Horace Mann qui ont été
traduits en français vient d'être proposé à 1 étude spéciale des can-
didats aux dipl(^mes pédagogiques. Ce portrait du grand « promo-
teur de l'éducation populaire aux États-Unis » réalise un vœu de
M. Laboulaye, qui espérait que quelque jour on nous ferait « pénétrer
dans l'intérieur de cette belle Ame p. L'élude de l'homme ne peut
aller d'ailleurs sans celle du pays, et la brochure de M. Gaufrés
pn'sente une analyse exacte et animée de cette réforme scolaire où
l'Amérique nous a devancés, et pour laquelle nous pouvons lui
prendre encore quelques bons exemples. C. D.
Carnet pour la préparation quotidienne des leçons, par
M. Chauineil, cahier grand format, Paris, l'aul Dupont, 188 i. — Les
instituteurs ont été dispensés de résumer leur travail quotidien sur
le journal de classe, mais beaucoup ont conservé l'habitude de
résumer en quelques courtes notes journalières la préparation de
leurs leçons. Pour faciliter le travail des maîtres, M. Chaumeil,
inspecteur primaire à Paris, a publié un carnet pour la préparation
quotidienne des leçons. 11 comprend autant de doubles pages qu'il
y a de semaines dans l'année scolaire. Chaque double page est
970 ilVUB ^ÉDAeOOIOVK
divisée en colonnes verticales et en colonnes horizontales, de
manière qu'en suivant les premières on se rend compte de toutes
les leçons de chaque jour de la semaine et qu*en suivant les
secondes on trouve toutes les leçons faites sur la même matière
pendant toute la semaine. Nous signalons cette publication aux
instituteurs parce que nous attachons, comme M. Chaume il, une
grande' importance à la tenue du carnet de préparation, qui peut
d'ailleurs flifecter bien des formes : la meilleure sera certainement
celle que choisira lai-même l'instituteur; mais le travail de
M. Chaumeil peut utilement guider les maîtres et les maîtresses.
A. B.
Langue allemande.
Wanderungen, Turnfahrten und Schulerreisen. (Excursions de
gymnastes et voyages d'écoliers), par Théodore Bach, directeur du
Falk-Real-Gymnasium à Berlin. Leipzig, 1885, chez Strauch. — 11 est
certain que les Allemands ont l'humeur voyageuse. Ils s'en vantent
et font remonter cette tendance au mouvement, à la promenade et
même à l'expatriation jusqu'aux temps les plus reculés, jusqu'à
l'époque des grandes invasions des Cimbres et des Teutons.
Aujourd'hui un Allemand qui se respecte ne peut pas traiter le plus
modeste des sujets sans en aller chercher les racines dans les
origines mêmes de la race germanique, au plus bas mot jusqu'à
rillusti*e Arminius.
C'est ce que ne manque pas de faire non plus l'auteur de ce
volume. 11 raconte les habitudes de marche des Allemands pendant
les croisades, au moyen âge quand les écoliers erraient de ville en
ville, des Alpes à la mer, plus tard lorsque les compagnons circulaient
d'un bout à l'autre de l'Allemagne pendant les guerres, chcrciiant
plus bouvcnt les occasions de bataille et de pillage que de travail.
Goethe était un grand voyageur, qui a chanté sur tous les modes
la joie de courir, de changer de climat et d'horizon.
Tous les pédagogues célèbres ont recommandé le mouvement, la
marche, les excursions, les voyages. M. Bach fait montre à ce sujet
d'une érudition complète, minutieuse, impitoyable, qui parfois ne
manque pas d'intérêt et qui prouve avec quelle passion il a adopté
son sujet. Il est du reste un des hommes qui ont le plus fait pour
perfectionner, généraliser et rendre vraiment pratique et utile l'usage
des voyages scolaires.
Il consacre, comme de juste, une bonne part de son historique à
la Suisse, le terrain classique des voyages d'écoliers, au docteur
Guillaume, légitimement appelé « le père des courses scolaires >.
n mentionne les in-folios publiés à Neuchâtel, chez Delachaux et
Sandoz, intitulés : « Courses scolaires, dédiées à la jeunesse de la
Suisse Romande. » Le premier livre : Trois jours de vacances, raconte
une excursions faite dans le Jura en 1864, dans «n moment où
nous ne songions guère à de pareils procédés d'enseignement.
LA PBESSK £T LIS UTRES 271
Le docteur Guillaume dirigeait l'expédition ; on avait choisi Tuni-
forme des cadets, qui est pratique et facilite beaucoup le maintien de la
discipline en conservant Tosprit de corps. Un médecin accompap^nait les
jeunes voyageurs pour la tranquillité des familles. Partout ils reçoivent
le meilleur accueil. Les conseils municipaux leur font fête. Parfois il
faut se contenter de peu» le bon air assaisonne tout. Voici la carte
d'un menu qui leur a été servi dans une auberge de la monta^me :
c Première, seconde et troisième entrée : Soupe à la farine, cuite
au beurre avec pain trempé, la ration 0,10. Beignets de la veille cuits
dans le beurre, la ration 0,15. Le pain est à discrétion, à raison
d'un crDÙton par tote. » Le trésorier de l'excursion jubilait, les
autres ne perdaient pas leur belle humeur.
« Ces courses scolaires, disait fort justement M. Guillaume, et
les visites auxquelles elles donnent lieu, finiront par devenir pour
nos enfants ce que nos fêtes nationales sont pour les adultes, les
occasions de se voir, d'apprendre à se connaître, à s'aimer, tout en
provoquant et en développant chez eux l'amour du pays dont ils sont
l'espoir et dont ils sont appelés à diriger un jour les destinées. »
M. Bach est assez impartial pour mentionner en passant, d'un
trait rapide, le Club Alpin français, le discours de M. Durier à la
Sorbonne et les caravanes scolaires parties de Paris, de Bordeaux,
Dieppe, etc.
Au reste, pour faire connaître et apprécier les courses scolaires,
Pauteur a pris le meilleur moyen; il entre dans d'infinis détails,
reproduit les récits complets d'excursions, récits parfois enfantins,
mais (jui n'en oflrent que plus d'intérêt.
Il est arrivé souvent que les maîtres dos écoles de Berlin donnent
à ces courses un caractère militaire, organisant de véritables grandes
manœuvres, préparant des plans de batailles, qui ajoutent aux plai-
sirs de la marche, de la course, du grand air, de l'excursion dans
les bois, le plaisir si cher aux garçons, et qu'on s'efforce do surex-
citer chez les jeunes Berlinois, de la lutte et des actions guerrières.
11 y a des règles particulières pour ces courses et jeux militaires,
guerre d'assaut ou guerre de rase campagne, auxquels des cen-
taines d'écoliers prennent part sous la conduite de chefs expéri-
mentés. L auteur reproduit des rapports circonstanciés, avec plans à
l'appui. 11 donne également les règles complètes de ces jeux mili-
taires, qui sont un agrandissement considérable de ce que nous
appelons le jeu de barres.
Après cette étude très complète sur les excursions des écoliers,
soit d'établissements d'enseignement secondaire, soit surtout de
classes primaires, l'auteur passe aux excursions, naturellement plus
fatigantes et plus complètes, des sociétés de gymnastique. Il paraît
qu'à cet égard c'est Berlin qui réclame la prééminence. Des
rapports annuels rendent compte des excursions et des exercices
et jeux de toute nature qui les accompagnent. 11 en est de courtes,
272 REVUE PÉDAGOGIQUE
celles qui ont lieu presque tous les dimanches; elles comportent
des distances de trois à six lieues, parfois de sept a neuf, comme
lorsqu'on va jusqu'à Potsdam; on revient à pied, en rang, avec ordre
et régularité, jusqu'aux portes mêmes de Berlin; on tienlà conser-
ver à ces marches leur caractère gymnastique et quasi militaire.
Tous les ans, aux fêtes de la Pentecôte, on entreprend une tour-
née de quatre à cinq jours; on va dans le Riesengebirge, dans le
Harz, etc. Les excursionnistes se divisent en plusieurs groupes,
prennent des routes diiTérentes, mais se donnent rendez-vous à la
même heure sur un point déterminé; l'heure de la rencontre
est joyeuse; tous se mêlent, se racontent leurs aventures, puis les
différents corps repartent daostous les sens jusqu'au retour définîiif.
Tout est déterminé dans ces excursions: les heures de marche,
de repos, de repas; il y a des chefs, des règlements ; on chante en
chœur des chants destinés à alléger la marche, à entretenir la bonne
humeur, à élever les esprits. Les excursionnistes sont de jeunes
apprentis, des commis, de jeunes ouvriers qui ont tout ensemble
pour objet de sortir des rues poudreuses ou boueuses des villes, de
respirer le bon air des champs, et de se fortifier par des exercices
gradués de marche et de course, ils font de temps à autre des marches
forcées, des marches de unit, des haltes nocturnes en plein air.
Les Allemands du Midi se rendent volontiers dans les Alpes, faites
à souhait pour le bonheur des touristes de toute condition et de tous
pays; les caravanes de gymnastes y trouvent mille occasions
d'exercer leurs forces, de lutter contre les difficultés de la nature.
A la fin de son chapitre sur les excursions de gymnastes, le
docteur Bach confesse que l'Allemand se laisse trop tôt et trop
facilement déshabituer de ces excellents exercices. « Sortez de vos
coussins, faut-il leur crier; comment pouvez-vous savoir comme il
fait beau dehors? Vous ne vous souciez pas de la douce haleine du
printemps et n'avez jamais vu les splendeurs de l'aurore! » — « On
a beau vanter aux jeunes gens l'excellence, les merveilles de ces
courses, le bien extraordinaire qu'elles font au corps et a Tesprit,
le délassement, la joie qu'elles procurent, il n'y a pas pour cela
beaucoup plus de courses- de g>'mnastes; c'est en Allemagne qu'il
faut aller pour les rencontrer telles qu'elles doivent être. » Ainsi
écrit un Américain; et le docteur Bach déclare que ces plaintes
peuvent être proférées en Allemagne aussi bien qu'en Amérique.
Chacun sait où le bât le blesse ; ne soyons pas trop prêts à admirer
les autres sans restriction ils ont aussi leurs misères.
Les jeunes filles peuvent également tirer bon parti de courses et
de voyages en commun ; la Suisse a su les organiser avec intelligence.
MM. Guillaume, Desor, Ayer, Berthoud ont publié à ce sujet
d'intéressantes notices. « Un jour au Creux du Vent » est le récit
d'un voyage des écoles supérieures de filles de NeuchiUel. La gare
de la ville vit se réunir, pour le départ, une centaine de personnes.
LA PRESSE ET LES LIVRES 273
des maîtres, des maîtresses, des parents, des mères, et des « jeunes
ftUes blondes, brunes, roses, fraîches, épanouies, radieuses comme
le jour qui les éclairait ». Le récit de leurs excursions est gai et
attrayant. Les Allemands organisent aussi parfois de ces courses de
pensionnats ou d'école ; mais c'est une tâche difficile, qui demande
du soin, du tact, et que ceux-là seuls peuvent mener à bonne fin
qui aiment réellement l'enfance et savent la diriger.
Une bonne partie de ce volume, la dernière, est consacrée à des
détails pratiques du plus haut intérêt pour les amateurs de courses
scolaires : programmes de voyage, règles de conduite, usage de la
boussole alidade de M. Peigné (i), règles des jeux, irais, dépenses,
conseils et renseignements de toute nature, spécimens d^excursîon^
d'invitation, de rendez-vous, etc.
Il est à désirer que le goût de ce; voyages se répande parmi
notre jeunesse. La France n'est pas restée étrangère à ce mouvement,
comme le reconnaît l'auteur ; il nous reste encore beaucoup à faire
pour le généraliser.
n ne manque pas chez nous de sites pittoresques, de régions
attrayantes, de buts d'excursions, il ne manque pas non plus d'ardeur,
de santé, de curiosité dans notre jeunesse. Ses conducteurs réussiront
sans peine à lui faire comprendre qu'il y a là pour elle une source
de plaisirs — en même temps qu'un devoir patriotique. C'est bien
ainsi que les Allemands l'entendent : nos Français certainement
rentendront à demi-mot.
La place et l'importance de l'école populai œ dans la civilisa-
tion MODERNE, par A, Hackenberg; Neuwied et Leipzig, chez Heuser
1884. — Ceci est une conférence qui a été prononcée a l'école
normale d'Ottweiler devant un congrès d'instituteurs prussiens.
L'orateur passe d'abord en revue les prétentions des différents
partis vis-à-vis de l'école, et il est intéressant de les comparer à
celles qui se produisent chez nous.
Il y a d'abord les partisans de l'ancien système, qui mettait
l'école sous l'absolue dépendance de l'Église. On ne peut, disent-ils,
contester que TÉglise ait été la fondatrice de Técole ; elles pour-
suivent toutes deux le même but. L'école est le vestibule de l'Église,
et l'Église est l'achèvement de l'école ; les ecclésiastiques sont les
inspecteurs-nés de l'école, qui n'est légalement qu'une annexe de
l'Église, et qui doit être, comme elle, soustraite à la direction de
rÉtat. Parmi les partis politiques, c'est l'extrême droite et le centre (2)
qui revendiquent, dans ce sens, ce qu'ils appellent « l'école libre ».
(1) Boussole alidade avec carton planchette, par P. Peign*, chef d'escadron
d'artillerie, ancien professeur de topog aphie à l'éc le milita re dj Sai.it*
Cyr. Librairie Dela:;rave.
(2) Dans le Reiehstag allemand, le centre est le parti catholique, VôxtréiM
droite est le parti féodal.
RBVUB PEDAGOGIQUE 1885. — \«^ 8BM. 18
274 RfiVU£ PtDAâOGIQU&
D'autres, en opposition absolue avec ces derniers, veulent dénouer
le dernier lien qui rattache l'école à rÉglise, et en faire exclu-
siyement une Institution d*État. La msgorité de ce côté se contente-
rait de la suppression totale de Tinspection ecclésiatique; plusieurs
voudraient enlever à TÉglise jusqu'à la surveiUance de renseignement
religieux; quelques-uns poussent le radicalisme jusqu'âr vouloir
écarter toute influence de l'Église sur l'école et y supprimer tout
enseignement confessionnel. De ce côté, tous tombent d'accord pour
demander que l'État devienne plus qu'auparavant maître de l'école.
U paraît que la presque totalité des instituteurs se range à ce
parti, et attend toute espèce de progrès et de prospérité de la
réforme qui ferait d'eux exclusivement des fonctionnaires de l'État,
subventionnés par les finances de l'État.
D'autres personnes voudraient soustraire l'école non seulement à
'Église, mais encore à l'État, et la mettre uniquement dans la
dépendance des familles : l'école du peuple, disent-ils, doit appar-
tenir au peuple.
Le conférencier ne donne pas d'explications complètes sur ce
point ; il se borne à faire remarquer que TÉglise et l'État ne sont
pas autre chose que le peuple lui-même, que des formes de l'orga-
nisation du peuple en société. 11 s'élève avec force contre l'idée,
exprimée aussi par quelques-uns, que l'école doit appartenir à elle-
même, c'est-à-dire que le corps enseignant doit seul décider de toutes
les questions qui la touchent.
Quant à lui, il pense que les trois facteurs de la vie sociale,
également intéressés à l'école populaire, doivent y avoir chacun
leur part d'influence : l'Eglise, l'Etat, la famille. 11 cherche à faire
la part équitable de chacun, et ne cache pas que c'est à TEiat qu'il
convient d'attribuer la plus considérable. Il appelle de ses vœux la
loi scolaire organique qui mettra fin à l'état de choses actuel et qui
est impatiemment attendue en Prusse depuis la constitution du 31
janvier 1850. Les retards môme qu'elle a soufferts, dit-il, auront
pour résultat excellent d'avoir mieux préparé les solutions, en lais-
sant plus de champ au choc et à la discussion des idées.
L'importance de l'école dans la civilisation moderne est immense.
On l'a dit, et c'est devenu banal : qui a l'école à l'avenir. Toutefois
il ne faut pas exagérer. Les uns exaltent l'école, et les instituteurs
comme la source de tout bien, de toute lumière, l'instrument de
tout progrès, de la régénération du peuple, la panacée universelle.
Les autres y voient la cause de tous les maux, de la démoralisation,
de l'empoisonnement du peuple par les doctrines les plus funestes,
de l'envahissement du nihilisme, etc.
Le conférencier croit que l'école n'a pas une action si prépondé-
rante; d'autres influences agissent sur les esprits et souvent avec
beaucoup plus d'efficacité ; il y a les influences de la famille, de la
camaraderie, de l'opinion du monde ambiant. L'enfant sort bien
LÀ PBXSSE ET LIS LIVRES S78
jeune île Técole ; il oublie vite les impressions morales qa'il a reçues;
il suffît souvent d'une heure^ d'une mauvaise rencontre, d'mie
mauvaise lecture pour idétruire Teffort de plusieurs années, il eon<*>
vient donc de parler de l'école avec une certaine modestie si Ton:
«n veut parler avec justice et vérité.
L'orateur expose en fort bons termes l'utilité, la nécessité, les
bienfaits de l'école; nous passons rapidement sur ces idées, qui sont
familières à nos lecteurs. Que faut-il faire, ajoute-t-il, pour que
l'école populaire réponde encore mieux à sa destination ? Quels pro-
grès restent à accomplir?
Ce n'est pas de diminuer la quantité des matières qui y sont
enseignées ; plusieurs se plaignent de la trop grande place accordée
aux sciences, qui empiètent môme sur l'enseignement religieux;
celui*ci n'a pas besoin d'un plus grand nombre d'heures; il n'en
sera pas plus eilicace pour cela ; ce qui importe, c'est qu'il soit bien
donné. Et s'il n'est pas nécessaire de restreindre, il ne l'est pas
davantage d'élargir et d'enrichir le programme. L'économie rurale,
l'économie politique, par exemple, sont médiocrement à leur place
dans l'école ; ce sont instructions techniques qui viendront pins
tard, à leurs heures. Ce qui importe, dans l'école, ce n'est pas la
multitude des objets, c'est la sûreté de la méthode, et la meilleure
des méthodes est celle qui ne s'attarde pas à un seul côté des
facultés, mais qui vise le développement complet de la raison, le
développement de l'homme tout entier.
L'administration de l'instruction publique, dit-il encore, vise trop
à l'uniformité, à la centralisation ; elle abuse des ri*glements et des
décrets, elle ne laisse pas assez de place à l'initiative individuelle,
à l'originalité régionale.
On n'intéresse pas assez les familles a la bonne organisation et
aux progrès de l'école. Souvent on rencontre dans les familles plus
que de l'inertie, une certaine opposition qui contrarie les efforts
du maître; il faut que les pères de famille, par l'organe des comités
scolaires, puissent agir pour la réforme d'abus ou de défauts dans
l'enseignement, pour le déplacement de mauvais instituteurs, etc.;
qu'une plus étroite relation soit établie entre les pores et les
maîtres, que l'école s'appuie solidement sur la famille.
Un autre grave danger signalé par l'orateur, c'est la création d'écoles
préparatoires dans les établissements d'enseignement secondaire.
Ces petites écoles, destinées à enseigner aux enfants des familles
aisées les premiers éléments, font tort à l'école primaire, détournent
d'elle l'intérêt de la bourgeoisie, préparent trop tôt la séparation des
classes, réduisent l'école primaire à n'être qu'une école de pauvres^
inculquent de bonne heure les préjugés de fortune et do naissance.
L'école populaire ne répondra vraiment à sa destination et n'aura
toute son importance que quand elle réunira indistinctement tous
les enfants de la nation.
276 ftfVtJI PÉDAGOGIQUI
Celte pensée, que réalisent les républicains des États-Unis d'Amé-
rique et de la Suisse, et que les républicains de France ne doivent
pas perdre de vue, fait le plus grand honneur à Fauteur du traité
que nous analysons. Il termine son discours en exprimant et en
justifiant le vœu que la loi impose aux adolescents qui sortent
de récole à quatorze ans Tobligalion de suivre des cours complé-
mentaires jusqu'à dix-huit ans. C'est au moment où la discipline à
la fois intellectuelle et morale est le plus nécessaire à la jeunesse
qu'elle fait tout à coup défaut aux enfants du peuple.
Ils sont absolument livrés à eux-mêmes et à toutes les mauvaises
influences de la vie, dans un âge ou les fils des familles aisées sont
encore soumis à la direction de leurs maîtres. De là une dififérence
fâcheuse à tous les points de vue. L'école populaire ne portera ses
fruits que si son action peut se prolonger au delà de l'âge scolaire
tel qu'il est déterminé aujourd'hui. J. S.
Langue anglaise.
PrOCEBDINGS OF THE INTERNATIONAL CON KRENCE ON tlOUGATION,
LoNDON, 1884. Edited by Richard Cowper, secretary to the Committee
of organisation. Londres, 1883. — Le compte-rendu du congrès
pédagogique international tenu l'été dernier à Londres à l'occasion
de l'Exposition d'hygiène et d'éducation vient de paraître en quatre
beaux volumes, dont le premier est consacré à l'enseignement pri-
maire, le second à renseignement technique, le troisième à l'ensei-
gnement des universités, le- quatrième à l'enseignement intermédiaire
ou secondaire et à la préparation des maîtres. Les mémoires lus
devant chacune des sections du congrès sont imprimés in-extenso;
les débats sont résumés d'après la sténographie. Ceux de nos lecteurs
qui désireraient avoir une idée précise du contenu de ces quatre
volumes pourront se reporter au résumé que la Revue a donné des
travaux du congrès (numéro de septembre 1884, p. 246) : ce résumé
forme une sorte de table des matières de la publication que nous
signalons.
Chacun des quatre volumes renferme des pages qui seront lues en
France avec intérêt. Nous avons retrouvé avec plaisir, dans le pre-
mier volume, les mémoires de M. Heller et du rev. H. Roe sur Tep-
seignement primaire, et le compte-rendu de la discussion qu'ils ont
soulevée: on peut y étudier le système anglais et les critiques qui
lui sont adressées. Signalons aussi une série de mémoires très
instructifs sur les diverses méthodes en usage pour l'enseignement
du chant dans les écoles primaires. J. G.
CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE .
EN FRANGE
ElAMBNS POUR LB CERTIFICAT D'ÉTUDBS PRUfAIRBS SUPÉRIEURES ET
RÉSULTATS EN 188^3. — Od Sait qu'un décret et un arrêté du 23 dé-
cembre 1882 ont institué et organisé des examens pour l'obtention
du certificat d'études primaires supérieures. Cette mesure était la
conséquence naturelle de Textension qu'ont prise depuis quelques
années les écoles supérieures.
L'examen a eu lieu pour la première fols au mois d'août 1883 ;
1.239 candidats des deux sexes y ont pris part; 494 ont été jugés
dignes du certificat, soit (en chiffres ronds) 40 pour cent. ,
Sur ces nombres, la part des écoles de garçons a été de 951 can*
didats et de 370 réceptions, soit 39 pour cent; 57 déparlements ont
fourni leur c«)ntingent.
Pour les filles, 27 départements ont envoyé 288 aspirantes, sur
lesquelles il y a eu 124 réceptions (43 pour cent).
Les académies de Paris, Douai, Bordeaux tiennent la tête pour
le nombre de candidats présentés. Puis viennent Besançon, Dijon
Lyon, Grenoble, Toulouse et Nancy. Rennes clôt la liste, n'ayant que
deux départements représentés sur sept.
Hâtons-nous de dire que cette année 1883 est une année d'essai.
Ni les maîtres, ni les élèves n'ont eu le temps de se familiariser
avec les programmes. Le nouveau diplôme est à peine connu dea
familles.
Nous publierons prochainement le résultat pour Tannée 1884.
Les écoles de hameau. — Du !«' octobre 1802 au 31 décembre 1884,
il y a eu dans la Loire 102 nouvelles écoles installées, dont 40 écoles
mixtes de hameau.
Les iO écoles de hameau étaient fréquentées au mois de décembre
1884 par 1,503 élèves, soit en moyenne 37 élèves par école.
L'école do hameau la moins fréquentée est celle de Chez, com-
mune de Saint-(ieorges-en-Couzan, avec 15 élèves. L'école de hameau
la plus fréquentée est celle de Sardon, commune de Saint-Genis-
Terrenoire, avec 72 élèves.
Cette population scolaire qui se groupe dans les écoles nouvelle*
est elle-même tout à fait nouvelle. Elle est composée d'enfants qui,
avant l'ouverture de ces écoles, ne recevaient pas d'instruction. Cette
prospérité des écoles mixtes de hameau est le résultat non d'un
déplacement, mais d'un accroissement de la fréquentation scolaire.
C*est ce que l'inspecteur d'académie établit chiffres en mains par
278 EIVUK PÉDAGOGIQUE
la comparaison de la fréquentation des écoles pendant les années
i88Ma88^a84.
On ne saurait mieux montrer combien il est utile et nécessaire
de répandre Tlnstruction dans les hameaux.
Comités de correction. — Le comité de correction chargé d*aider,
par la correction des travaux mensuels, les instituteurs et les insti-
tatri^es du département des Hautes-Alpes dans leur préparation au
brevet supérieur et au certificat d*aptitude pédagogique, a pensé
qu'en dehors des remarques dont chaque copie a été l'objet, il y
avait lieu de faire dans le Bulletin départemental des remarques
générales sur la valeur d.es devoirs qui lui ont été soumis. C'est de
cette même façon d'ailleurs qu'on procède dans plusieurs autres dépar-
tWQsents, et nous ne pouvons que féliciter bien sincèrement les
ocmiités qui prennent si sérieusement à cœur une tâche si sérieuse.
Le comité de correction des Hautes-Alpes trouve que les travaux
pédagogiques manquent en général d'orientation, de netteté et d'or-
dre, f Les raisons sont peu solides, les analyses superficielles, les
idées confuses, la discussion incomplète et mal digéfée. On em-
prunte à la mémoire et à l'imagination beaucoup, plus qu'on ne
demande au bon sens et au raisonnement. On prend trop souvent
«la paille des mots pour le grain des choses >•
I^s travaux littéraires montrent l'absence des fortes lectures; on
•fen tient trop aux manuels et aux traités de composition.
Dans les sujets d'histoire^ on doit dédaigner les vaines déclama-
t&CNQs et ne pas s'en tenir à un simple amoncellement de faits : on
tombe souvent dans l'un ou dans l'autre défaut. On voudrait que
les instituteurs comprissent mieux les lois de la perspective en
histoire.
Ils réussissent mieux dans les sciences mathématiques et dans les
sciences physiques et naturelles : il leur est cependant recommandé,
el^ très justement, de bien ordonner leurs calculs et de suivre un
•évère mode d'exposition.
Les bibliothèques scolaires et populaires. — M. Roux, directeur
. de l'école normale primaire de Clermont, se demande comment il
aérait possible de renouveler périodiquement le fonds des biblio-
thèques. Comme le recteur de l'académie, il est partisan de l'œuvre
du « Sou des Bibliothèques » ; il fait en outre appel aux concessions
ministérielles, à la libéralité des Conseils généraux, des conseils
municipaux. On a des ressources, généralement de faibles res-
sources ; mais il faut les utiliser, c'est-à-dire qu'il ne faut pas se
ooûtenter d'acheter les meilleurs livres aussi économiquement que
possible, mais de les faire lire et par suite de les faire circuler au
moyen de « bibliothèques cantonales roulantes ». Laissons M. Roux
exposer son système :
CHRONIQUE DE L'BNSBIGNSMSNT FRIMAIRE EN FRANCE 279
Supposons, dit-il, un canton de 15 communes, peuple de 12,000 habitants
Chaque commune fournirait une cotisation de 3 francs par 100 habitants.
C'est one somme si minime ^u'il n'est pas une commune qui ne puisse. la
fSournir. La somme totale serait, par conséquent, de 360 francs, avec laquelle
on achèterait au moins lôO volumes.
De plus, les communes seraient autorisées à détacher de leurs biblicthôques
respectives de 5 à 15 volumes, selon leur importance, de manière à ajouter
150 autres volumes aux 150 qu'on acquerrait, comme il est dit plus liant.
Soit un total de 300 volumes qui constitueraient, pour commencer, la biblio-
thèque cantonale roulante.
Pour dresser le ctitaloç^ue de cette bibliothèque, les instituteurs, munis dn
catalogue de leurs bibliothèques communales respectives, se réuniraient au
chef-lieu de canton, à l'occasion d'une conféreuce pédagogique, et là,
sous la présidence de linspecteur primaire, ils arrêteraient le cliDix des ou-
vrages à .'icqu(>rir et de ceux à détacher des biblioth^ues communales.
Les 300 volumes seraient ensuite divisés en 15, parts égales. 20 volumes
seraient confiés pour six mois, à chacun des instituteurs du canton.
Les 15 communes auraient un numéro d'ordre et seraient classées dans
une série circulaire suivant la position topographique qu'elles occupent dans
le canton, de manière que le numéro 1 lùt voLin du numéro i, celui-ci du
numéro 3. etc.
A l'cvpi ration des six mois, la commune n** 1 passerait ses 20 volumes
à la commune n* 2 et recevrait ceux de la commune n* 15, et ainsi de suite.
La bibliothèque cantonale roulante pourrait ainsi pendant sept ans, même
avec une première mise de fonds de 3 francs seulement pa> 100 habitants,
procurer, chofjnc année, 40 volumes nouveaux à chacune des 45 communa au
canton.
Que serait-ce si les cotisations étaient plus fréquentes et plus importantes ?
On pourrait ainsi constituer, dans chaque canton, une bibliothèque dont le
fonds serait rehitivement très riche.
L'inspeclear d'académie de rAUier recommande de son côté
l'œuvre du Sou des Bibliothèques et donne à ce sujet les indica-
tions suivantes:
Il pourra paraître difficile d'obtenir une cotisation, si minime qu'elle soit,
dans certaines écoles. La caisse d'épargne scolaire, dira-t-on, absorbe les
petites économies des écoliers ; de plus, les familles, se fondant sur la gra-
tuité de renseignement, se déshabituent en beaucoup d'endroit; d'acheter à
leurs enfants des livres, C'ihiei's, plumes, etc.. et le plus souvent il faut avoir
recours à la générosité des communes pour obtenir les fournitures scolaires.
Cependant, que MM. les instituteurs nous prêtent leur concours, qu'ils fassent
comprendre aux parents l'intérêt qu'ont leurs enfants à l'entretien d'une bi-
bliothèque, l'utilité qu'ils en peuvent retirer eux-mêmes, puisqu'elle prête des
ouvrages k tout le monde : ils parviendront, j'en suis sur, à déterminer, je
ne dis pus tous les élèves, mais «incertain nombre à apporter leur contingent.
Peu à neu les enfants en prendront l'habitude et nous aurons ainsi une
source ae plus pour contribuer à ralimentition de la bibliothèque, source
faible d'abord, mais qui ira grossissant ; et, d'ailleurs, quand on a un but
aussi louable, il ne faut dédaigner aucun des moyens d'y arriver, si précaire
qu'il paraisse au début.
Voici le mode de fonctionnement one l'on pourrait adopter : une boite
fermant à clef serait installée dons la classe à côté de l'armoire-bibliothèqoe;
l'inspecteur primaire, gardien de la clef, ouvrirait cette boite à chacune de
ses visites h l'école, et, en présence de l'instituteur, inscrirait le montant
sur le registre des recettes. Quand la somme atteindrait 5 francs, l'inspecteur,
de concert avec l'instituteur, désignerait les ouvrages à acquérir, lesquels
seraient achetés immédiatement. Mention en serait faite au registre des dé-
penses et au catalogue de la bibliothèque. Si le produit de la cotisation était
S80 AIVUK PÉDÀ606IQUX
inférieur à 5 (hincs au moment de la yisite de l'inspecteur, il la laisserait
dans le tronc jusqu'à sa tournée suivante.
quelque
miers i
à en faire l'avance.
U est à présumer que, le tronc une fois installé, nombre de lecteurs ne
refuseraient pas de contribuer pour leur part en y déposant eux-mêmes leur
eotisatlon chaque fois qu'ils viendraient prendre un livre à l'école.
La bibuothèque scolaire dx Saint- Vaurt. — Nous lisons dans le
Bulletin de la Creuse:
M. Sauvanet, instituteur public à Saint-Yaury, vient d'obtenir en faveur
de sa bibliothèque scolaire un résultat qui nous parait devoir être porté à la
connaissance du personnel.
Cet instituteur parle souvent à ses élèves, dans les leçons de lecture, de
Futilité de la bibliothèque scolaire et des moyens d'assurer la prospérité de
cette institution.
Dernièrement, les élèves de la classe de M. Sauvanet, après avoir consulté
leurs parents, sont venus spontanément offrir à leur maître de souscrire à
l'œuvre du Sou des Bibliothèques scolaires. Ils ont dressé eux-mêmes un
petit acte d'adhésion par lequel ils s*cngagent à verser un sou par mois
non seulement pendant la durée de leur scolarité, mais encore après leur
sortie de l'école.
De pareils engagements font le plus grand honneur aux élèves qui les pren-
nent et au maître qui les provoque par son enseignement.
La fréquentation scolaire a Yialas. — La commission scolaire de
Vialas (Lozère) a pris une heureuse initiative dont il y a lieu de la
féliciter. Afin d'encourager la fréquentation scolaire, elle a décidé de
récompenser par des bons points géographiques et des bons points
d'histoire naturelle les élèves qui auront fréquenté assidûment Técole,
c'est-à-dire qui en fin d'année n'auront jamais figuré sur l'extrait
mensuel du registre d'appel. L'an dernier 137 élèves de la commune
ont été récompensés.
Une « exécution en massi » a Cormicy. — Il s'est trouvé à Cormicy
près de Reims un certain nomi)re d'enfants qui n'ont pas fréquenté
l'école. Le maire a écrit à ce sujet à l'inspecteur primaire, à la date
du 14 décembre 1884:
Pour répondre à toutes les excuser possibles, j'ai fait prendre par le bureau
de bienfaisance et le conseil municipal une décision par laquelle nous laissions
f)leins pouvoirs à un certain nombre de dames de notre ville pour mener
'affaire vite et bien . . ,j. „
Le nerf de la guerre étant l'argent, j'ai pu disposer immédiatement d une
somme de cinq cents francs pour subvenir à tous les besoins. M. le préfet n'a
pu que signer des deux mains ces projets philanthropiques.
J'ai convoqué ces dames. Dix ont répondu à l'appel. Beaucoup d autres se
mettent à leur disposition. , ^ . ,.. i. *x
Sabots, chaussons, bas, souliers, vêtements de toutes sortes ont été achetés
immédiatement. La confection de beaucoup de ces objets a été répartie enU*e
toutes les personnes de bonne volonté (et il n'en manque pas).
CHRONIQUE DK l'kNSEIGNKMBNT PEIMAIRE EN FRANGE 281
Dans quelf^ues jours, monsieur l'inspecteur, 40 enfants au moins auront de
-quoi passer 1 hiver, sans trop souffrir du froid.
J'ai supposé que cette exécution en masse de tous les défaillants des écoles de
Cormicy ferait peut-être plus d^eflTet que les paroles sévères que nous pour-
rions leur adresser, assis a côté d^unbon feu.
Les élèves hospitaliers du Doubs. — Il était difficile dans le Doubs,
comme il Test dans d*auLres départements, d'obtenir que les enfants
assistés d'âge scolaire fréquentassent l'école jusqu'à treize ans confor-
mément à la loi du 28 mars 1882. Pour obvier à ce mal, le Conseil
général a décidé que la pension mensuelle de 12 francs, qui cessait
d'être payée aux nourriciers des élèves hospitaliers dès que ceux-ci
avaient atteint leur douzième année, sera continuée jusqu^à la trei-
zième année d'âge des élèves. C'est une fort bonne mesure qui
devrait être prise dans tous les départements.
Exposition scolaire de 1889. — Le conseil d'administration de
l'Alliance française, dans sa séance du 22 décembre 1884, sur la
proposition de M. P. Foncin, secrétaire général, a décidé de faire
figurer a TExposition universelle de 1889 :
1<* Une statistique de toutes les écoles françaises du globe;
2<' Des exemplaires de tous les livres de classe en usage dans ces écoles;
:io Des spécimens de devoirs, dessins, travaux manuels, etc.,
envoyés par les élèves.
Un règlement ultérieur indiquera dans quelles conditions doivent
avoir lieu ces envois.
Exposition scolaire de Beauvais. — Les établissements d'instruc-
tion publique ou libre de l'Oise sont invités à prendre part à l'ex-
position scolaire qui aura lieu à Beauvais du 28 mai au 28 août. Les
travaux ou objets à exposer seront divisés en trois catégories: 1<> les
travaux d'élèves (cahiers, dessins, travaux manuels); 2» les travaux
des maîtres (méthodes, tableaux, mémoires ayant trait à l'éducation,
musées scolaires, historique de l'enseignement, monographies loca-
les, travaux relatifs à l'agriculture; caisses d'épargne, cours d'adul-
tes, etc.); 3"^ le mobilier et le matériel scolaires ( tables— bancs,
appareils de chauffage, matériel pour renseignement de l'arpentage,
de la géométrie, des sciences physiques et naturelles, du modelage,
du travail manuel, delà gymnastique; tableaux et cartes).
Exposition scolaire d'Angouléme. — Une exposition scolaire aura
lieu au mois de mai prochain à Ângoulême à l'occasion du concours
régional . Les envois des exposants seront répartis en quatre sections :
l'* section, travaux d'élèves; 2^ section, écoles maternelles; 3* section,
travaux des instituteurs et des institutrices; 4^ section, matériel
d'enseignement. Les instituteurs sont en outre invités à produire les
plans des bâtiments scolaires.
Exposition scolaire agricole a Tours. — Comme l'année dernière,
l'Union des Comices agricoles d'Indre-et-Loire a décidé que l'expo-
:S63 . . iUEVCK PÉDAGÛGiaCI
.siUon annuelle ocganisée par ses soins comprendrait une partie
scolaire. Les instituteurs et institutrices qui désirent y prendre part
devront adresser le plus tôt possible au secrétaire de l'Union des
Comices les objets destinés à l'exposition, à savoir : travaux pers(Hi-
nels sur l'agriculture, travaux des élèves, collections relatives à l'en-
•■ seignement agricole, en un mot tous les documents de nature à
montrer les efforts du maître et les résultats obtenus par lui dans la
partie agricole du programme des classes primaires.
Le bureau de l'Union a décidé, en outre, qu'il y aurait, à l'occasion
de l'exposition, un concours entre les instituteurs lauréats désignés
' par les Comices d'arrondissement.
Cette exposition aura lieu à l'école du Musée les 4, 5 et 6 avril prochain
Les sourds-muëts du Rhône. — La question de l'enseignement
oral des sourds-muets est plus que jamais à l'ordre du jour. La
^Société d'assistance et de pdtronage des sourds-mnets de Lyon vient
* d'adopter la méthode orale; xîette société, qui n'a été fondée qu'en
' novembre 4883, est déjà très prospère; eUe étend son patronage aux
sourds-muets pauvres du département du Rhône et des déparlements
voisins. Les sourds-muets sont instruits dans l'institution de M. Hu-
gentobler ; ils étaient déjà l'an dernier au nombre de 29, dont
16 boursiers. A la distribution des prix, le directeur a montré les
résultats obtenus, qui sont vraiment surprenants. Il a fait faire aux
plus jeunes élèves des exercices d'articulation sur des mots simples
ou composés que les élèves répètent avec facilité en lisant sur les
livres du professeur. A la division moyenne, M. Uugentobler fait
une leçon de choses : les questions et réponses s'entrecroisent, et la
conversation prend une tournure très naturelle. La division supé-
rieure fut questionnée sur l'histoire et la géographie. Un des élèves
.invité à faire oralement le tour du monde a montré par des à-propos
imprévus avec quelle sûreté il savait manier la carte du globe. Un
autre enfant de la divisioa moyenne a récité le Lion et le Rat de
La Fontaine, et un troisième la Patrie de V. de Laprade.
Les sourds-muets de Curièrb. — Le Bulletin de l'Isère rend compte
d'une excursion faite à l'établissement des sourds^muets de Curière,
près Saint-LaurentHiu-Pont, par les instituteurs et les institutrices de
ce canton. Là aussi l'on emploie la méthode orale, )à aussi les pro-
grès ont été très extraordinaires : l'école compte 40 élèves répartis en
quatre divisions; le professeur parcourt avec les mêmes élèves tout
le cycle des études. Ce qu'il y a de plus difficile, au début, dit le direc-
teur, c'est de faire perdreaux sourds-muets Thabitude de respirer par
la bouche. On voit en effet généralement que ces malheureux ont
la bouche ouverte; les enfants, en arrivant à Curière, ne peuvent
pas éteindre une bougie placée tout à fait devant la bouche. «Il faut
donc commencer par leur apprendre à respù'er par le nez, véritable
voie que doit parcourir Tair pour arriver aux poumons. Mais, pour
son bon fonctionnement, il faut que cette voie soit déblayée. Aussi,
CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIBE EN FKÀNGE 283
sur un signe du professeur, tous les élèves se mouchent-ils avec un
ensemble parfait. La voie respiratoire étant libre, il faut habituer
rélève à s'en servir : on le fait soufQer et respirer par le nez et on
ne craint pas de répéter ces exercices. Les leçons* suivantes ont pour
but Texercice des muscles de la langue, des lèvres et des joues. »
On comprend qu'il faille une extraordinaire patience pour arriver
«nfin à faire parler distinctement les sourds-muets : leurs -profes-
seurs n'en ont que plus de mérite.
Une souscription dans les écoles du Pas-de-Calais. —Vingt-huit ou-
vriers ont trouvé la mort il y a peu de temps dans les mines de Liévin.
ils laissaient des femmes et des enfants. 11 y a eu aussitôt un grand
sentiment de pitié suivi d'un grand mouvement de charité pour les
veuves et les orphelins des victimes de la catastrophe. Une souscrip-
tion ouverte dans les écoles primaires universitaires en leur faveur
a produit plus de 10,000- francs. Le lycée de SaintrOmer, les collèges,
les cours secondaires déjeunes filles ont tenu également a s'intéresser
à cette bonne œuv/^. Le montant total de la souscription est de
I2,S00 francs. Le Journal pédagogique du Pas-de-Calais dit à ce sujet .
« Tous les établissements universitaires à tous les degrés ont voulu
affirmer u.ie fois de plus les sentiments de fraternité, de solidarité
qui sont le fondement de notre éducation nationale. On est
d'autant plus heureux d'enregistrer un tel résultat que la somme
ainsi recueillie représente bien Téconomie de l'enfant, le sacrifice qu'il
s'est volontairement imposé pour soulager une cruelle infortune.
Que tous, élèves et maîtres, reçoivent nos cordiales félicitations. »
Les comptes-rendus des conférences pédagogiques. — Nous avons
dans notre numéro du 15 janvier félicité les instituteurs de
Soissons de la bonne idée qu'ils ont eue de publier les procès-ver-
baux de leurs conférences pédagogiques. On nous prie de faire
remarquer à nos lecteurs que les instituteurs savoyards rédigent
aussi des comptes-rendus de ces réunions : c'est ce qui se fait
d'ailleurs dans nombre de départements, et assez souvent l'inspec-
teur d'académie fait un compte-rendu d'ensemble qui paraît dans le
Bulletin départemontiil. Le recteur de Chambéry, M. Brédif, adresse
depuis 1880 une circulaire semestrielle aux inspecteurs d'académie
à* l'occasion des conférences d'hiver et d'été : publiée dans les
Bulletins de la Savoie et do la Haute-Savoie, elle peut donner une idée
des travaux des maîtres et de l'influence exercée par les réunions
d'instituteurs sur les progrès de l'enseignement. A défaut de publi-
cations spéciales, comme celles qu'on fait à Soissons, le moyen employé
par M. le recteur de Chambéry est excellent. 11 ne faut pas seulement
que les maîtres discutent entre eux les questions de méthodes : il
importe qu'il reste une trace durable de ces discussions.
à
œURRIER DE L'EXTÉRIEUR
Angleterre. — L*LJnioQ nationale des institateurs primaires se
prépare a descendre dans Tarène électorale avec Tespoir d'obtenir
pour ses candidats, lors du prochain renouveUement du Parlement,
un ou deux sièges à la Chambre des Communes. Le secrétaire de
rUnion, M. Heller, a adressé aux sections de l'association une cir-
culaire à ce sujet. Il rappelle que le congrès dlnstituteurs réuni à
Shefideld en 1882 a voté une résolution portant « qu'il était dési-
rable que des démarches fussent faites en vue d'assurer une repré-
sentation directe des instituteurs au Parlement ». Le moment d'agir
est venu : le comité exécutif de l'Union a décidé la création d'une
caisse spéciale pour les élections, et a résolu de présenter deux
candidats au moins, qui seront officiellement soutenus par l'Union.
« Je dois ajouter, dit M. Heller, que le comité exécutif s'est mis
en relations avec les chefs de différentes associations politiques, en
vue d'une entente relati rement à la candidature fie deux instituteurs
lors des prochaines élections. Le comité exécutif espère qu'en cette
circonstance les instituteurs sauront oublier toutes les divisions po-
litiques, et s'uniront sérieusement pour obtenir l'entrée à la Cham-
bre des Communes d'au moins deux membres familiers avec la
pratique de l'enseignement, et connaissant les difficultés qui font
obstacle aux progrès ultérieurs de l'éducation nationale. »
Autriche. — Les instituteurs autrichiens ont à plusieurs reprises
protesté contre l'article du règlement scolaire général qui interdit
l'emploi des punitions corporelles. Récemment, une association des
instituteurs de Vienne, qui se donne le nom de Société Diesterwegy
avait résolu d'adresser une pétition 'au ministre de rinstruction
publique pour obtenir l'abrogation de cet article; mais die a dij
renoncer à ce projet en présence du communiqué suivant, qui a
paru dans les journaux officieux :
a On prête à la Société Diesterweg l'intention d'adresser au minis-
tère une pétition pour demander l'abrogation de l'article 24 du
règlement scolaire général, article qui interdit l'emploi des punitions
corporelles. Son Excellence M. le ministre des cultes et de l'instruc-
tion publique a prié le gouverneur de la Basse-Autriche de faire
savoir au conseil scolaire provincial que toutes les pétitions concer-
nant ledit article qui pourraient lui parvenir devront, non pas être
transmises au ministre, mais retournées purement et simplement
à leurs auteurs comme sans objet, attendu qu'il n'entre pas dans les
intentions du ministre de l'instruction publique de modifier dans le
sens indiqué le règlement scolaire général. »
Ce n'est pas sans quelque étonnement qu'on assiste, de loin, à
cette singulière interversion des rôles : une association se disant
libérale, qui demande le rétablissement des punitions corporelles;
et un gouvernement conservateur, qui défend contre ces instituteurs
« libéraux » les idées modernes en matière d'éducation.
COURRIER DK L'eXTÉRUUR 28S
BelgicTue. — Nous avons sous les yeux le nouveau programme-
type des écoles primaires communales, publié le mois dernier par
le ministère de l'intérieur. Ce programme est resté, en substance, le
même que celui du ^0 juillet 1880, mis en vigueur par le fi^ouverne-
ment linéral. Mais renseignement de l'histoire est moins &velojppé;
il ne commence qu'au degré moyen et ne comprend plus que rnis-
toire nationale. En outre, l'étude des formes ^géométriques et celle
des éléments des sciences naturelles sont rejetées dans les branches
facultatives. En somme, appliqué i>ar de bons maîtres, ce pro-
gramme reste excellent. Mais c^ue devient le meilleur des prosrammes
entre des mains inhabiles ou ignorantes? Tant vaut le maître, tant
vaut l'école. Or, à quels maîtres le ministère catlioliquo a entrepris
de livrer l'école primaire, c'est ce que fait voir clairement la dis-
cussion qui a eu lieu le mois dernier à la Chambre des représen-
tants à l'occasion du budget de l'instruction publique. Nous en
reproduisons quelques fragments ci-dessous.
— Le rapporteur du budget de l'intérieur et de l'instruction
Sublique, M. Melot, député de Namur, a fait connaître le résultat
es modifications introduites dans l'organisation scolaire jusqu'au
1« janvier dernier par 1,060 communes. En voici le résumé:
1,136 écoles communales sont maintenues, 836 écoles communales
sont supprimées ; la population des écoles supprimées comprenait
i4,39i enfants; — 792 instituteurs et institutrices sont mis en dis-
ponibilité;
/7/ écoles gardiennes (salles d'asile) sont supprimées ; la population
décos écoles comprenait 5,063 enfants; —144 institutrices d'écoles
gardiennes sont mises en disponibilité:
77/ écoles d'adultes sont supprimées; la population de ces écoles
comprenait 13,431 élèves.
Par contre, /,/é?0 écoles libres ont été adoptées; sur ce nombre, 417
sont dirigées par des congréganistcs.
Les chllTres ci-dessus se rapportent à 1,060 communes seulement,
et la Belgique compte en tout 2,581 communes. Nous ne sommes
donc qu'au commencement, et l'on peut s'attendre à bien d'autres
suppressions encore.
Dans les explications c[u'il a données à la Chambre, le ministre,
M. Thonissen, s'est exprimé de la manière suivante au sujet de
l'enseignement religieux, que les communes, d'après la nouvelle loi,
ont la faculté d'introduire désormais dans le programme des écoles
publiques :
« La chute de la loi de 1879 a pris, dans toutes les provinces,
même dans celles où Topinion libérale possède la majorité, le
caractère d'une véritable délivrance.
» Partout les conseils communaux se sont empressés de répudier
l'enseignement neutre, d'inscrire l'enseignement religieux au nom-
bre des matières obligatoires du programme. Et cependant, je m'em-
presse de le dire, le gouvernement n'a exercé aucune pression
quelconque.
> L'administration manque de renseignements positifs pour Quel-
ques communes; mais, dès à présent, il est permis d'affirmer, d'une
manière générale, qu'à part Bruxelles et ses faubourgs, Anvers,
286 B£VU£ PÉDAGOGIQUK
Louvaiû, Charleroi, Liège, Huy et un petit nombre d'autres localités,
runanimité des communes se sont volontairement prononcées contre
Fenseignemeot neutre. Le système de la loi de 1879 est répudié par
le pays. »
A celte affirmation, M. Magis, meipbre de la gauche, a répondu :
« Le ministre s'est appesanti sur ce fait qu'un grand nombre de
communes ont inscrit au programme de leurs écoles primaires
Feaseignement de la morale et de la religion. Mais M. ThoDisscn
oublie que la loi de 1879 permettait de donner cet enseignement, et
qu'il était donné dans toutes les écoles communales du pays, je le
Sensé, du moins; en tous cas, il n'y avait quie de très rares excei^
ons (1).
» En inscrivant aujourd'hui l'enseignement religieux au programme
de leurs écoles, les communes n'ont fait en râdité que cont>acrer
un état de choses existant.
» Et pourquoi ont-elles inscrit cet enseignement au programme?
Est-ce par réaction contre la loi de 1879? Nullement. Dans le plus
grand nombre des communes, à Gand, entre autres, cela n'a été fait
que pour éviter l'adoption d'office, par le gouvernement, des écoles
fibres (2).
» C'est contraintes et forcées que là plupart des administrations
communales ont insicrit renseignement de la morale et de la reli-
gion dans le programme de leurs écoles. C'est contrainte et forcée
que la ville de Gand a adopté pareille mesure. Mais, en le faisant,
elle a maintenu le caractère neutre de renseignement scientifique
de l'école.
de
de la faculté que lui donnait la loi de 1879, d'enseigner
dans les locaux scolaires; il y consent sous la loi de 1884, parce
qu'il y a au banc ministériel des ministres catholiques (3). >
Un autre orateur de la gauche, M. Cailler, a indiqué un fait bien
caractéristique : dans un grand nombre de Communes où le
clergé est tout puissant, le conseil communal n'a pas jugé à propos
d'inscrire la religion au programme de l'école. « Cest, dit5LCallier,
f>arce que ces communes veulent, d'accord avec le clergé, ruiner
'enseignement public. Nous voyons cette étrange situation que dans
une foule de communes cléricales le prêtre et l'adminislration
communale se liguent pour maintenir la neutralité de l'école
( 1 ) La loi de 1879 disait : « Un local dans l'école est mis à la disposition des mi-
nistres des culU'S pour y donner, soit avant, soit après l'heure des classes,
l'enseignement religieux aux enfants de leur communion fréquentant l'école. »
Et comme les curés avaient refusé de venir à l'éoole donner les leçons de
religion, ces leçons étaient généralement données par l'instituteur.
(2) La loi nouvelle dit en effet: «Si, malgré la demande de vingt pères de
famiUe, la commune met obstacle à ce que renseignement d? leur religion
fasse partie du programme ci soit donné par les ministres de leur culte ou
des personnes agréées par ceux-ci, le gouvernement peut adopter et subsidier
tme ou plusieurs écoles privées, pourvu qu'elles réunissent les conditions ro-.
quises pour, être adoptées par la commono. »
(3) Voir dans. notre numéro de janvier, p. 93, la réponse faite par révèque.
de fiand au conseil municipal de cette ville.
COURRIER DE L'SXTÉRISUR 287 * '
communale afin d'en écarter la population. Mais, d'autre part,
lorsque le clergé a alTaire à plus forte partie, nous voyons un autre :
spectacle, nous voyons ce qui se passe a Gand; là le clergé lui-même
accepte la neutralilé scolaire; là, nous voyons le clergé accepter
d'entrer dans les écoles, d'y enseigner la religion dans des conditions
absolument identiques à celles qui lui étaient faites par la loi de
1879; nous le voyons entrer à l'école alors que l'enseignement
reste neutre. Voilà le spectacle qu'il nous est donné de voir d'un
côté et celui que nous voyons do l'autre. Aujourd'hui, sous la loi
1884 comme sous la loi do 1879, nous sommes en face d'un clergé
qui fait litière de sa religion, qui en fait marchandage au profit de
sa domination politique.
> Les honorables membres qui protestent voudront sans doute
nous expliquer comment il se fait que le clergé entre dans les écoles :
où il refusait d'entrer en 1879. Ils nous expliqueront encore conmient
le clergé, .qui a aujourd'hui la liberté absolue d'entrer dans les
écoles de campagne soumises à son autorité, où l'enseignement
peut être donné comme il l'entend, refuse d'y venir. »
On sait qu'à teneur la loi de 1884, les conununes ne sont plus
ohUgées qu'à l'entretien d'une seule école. Cette école communale .
unique sera nécessairement mixte quant aux sexes. Par contre les
écoles libres congn^ganistes sont spéciales aux garçons ou aux filles. .
Dès lors, la tacitique des cléricaux est bien simple : dans toutes
les communes où ils sont les maîtres, ils suppriment les écoles
communales de g.irrons et de filles pour ne laisser subsister qu'une
école mixte : on espère ainsi que les filles quitteront l'école
communale pour se rendre à l'école libre où les élèves des deux
sexes sont séparés.
Rien de tristement instructif comme la longue énumération faite
par les orateurs de la gauche des décisions prises par les conseils
municipaux pour la suppression d'écoles communales et l'adoption
d'écoles libres; il faut lire ces détails pour saisir sur le vijf les'-
habiletés de la stratégie cléricale. Le véritable but de la nouvelle
loi était de mettre à la charge des pouvoirs publics les écoles libres
créées par le clergé; et on y réussi. Les communes suppriment les
écoles publiques, sauf celle que la loi les contraint à garder; et
aussitôt elles adoptent une ou plusieurs écoles libres, prenant à leur
charge le traitement du personnel enseignant libre. Quelquefois
elles laissent subsister les écoles communales, mais elles rognent
d'un tiers ou de deux tiers les traitements des maîtres; et les
instituteurs officiels se trouvent ainsi payer en réalité les traitements
des congréganistes. Enfin, conclusion inattendue, les communes où
se sont accomplis ces exploits, loin d'avoir diminué le chiflre de leurs
dépenses, se trouvent avoir à payer beaucoup plus qu'auparavant,
car les instituteurs congédiés ont droit à un traitement dit d'attente,
et les congréganistes sont exigeants. Les catholiques sont arrivés au
pouvoir en promettant des économies, et ils ont fait sur-le-champ
augmenter de 20 0/0 les dépenses scolaires des communes! C'est ce
qu'a prouvé chiffres en mains M. Callier pour la province de Flandre
orientale ; le budget scolaire des communes de cette province (la
ville de Gaud exceptée) s'élève à près d'un million, au lieu de
800,000 francs, chiffre de l'année précédente; « sur cette somme,
288 UVUE PiDÀGOGIQUB
ajoute Torateur, il y a 450,000 francs consacrés aux écoles adoptées,
pour une seule province du pays 1 et j'ose dire que de ces 450,000 francs
il y en a au moins 300,000 qui vont aux écoles de filles adoptées,
c'est-à-dire droit aux couvents! >
Espagne. — Il a été présenté le mois dernier, par M. Victor
Ralaguer au Congrès, et par M. Merelo au Sénat, une proposition
tendant à la création d'un ministère de l'instruction publique et des
beaux-arts. On sait qu'aujourd'hui la direction oe l'instruction
publique est rattachée au ministre du Fomento (travaux publics,
commerce et agriculture).
Hollande. — Le parti conservateur demande la révision de Tar-
ticle 194 de la constitution, relatif à l'instruction publique. Cet article
porte « qu'il est donné dans tout le royaume, par les soins de Tau-
insuffisant.
Italie. — La loi sur le paiement des traitements et sur la no-
mination des instituteurs a été votée par la Chambre le 26 fémer
dernier.
Le ministre de l'instruction publique aura maintenant à s'occuper,
selon sa promesse, d'un projet de loi relatif à l'augmentation des
traitements du personnel enseignant primaire.
— Le budget de 1885 prévoit une augmentation du nombre des
inspecteurs primaires. 11 y en a actuellement 147, savoir 10 de !>'<'
classe (à 3,000 fr.), 20 de 2« classe (à 2,500 fr.), 40 de 3« classe (à
2,000 fr.) et 77 de 4« classe (à 1,500 fr.). Il y en aurait désormais 238 :
25 de l'^e classe, 35 de 2*, 87 de 3« et 91 de 4« classe.
Le gérant : IL Gantois.
UÉPRIMEIIII CINTRALR OIS CRIMIXS 01 PIR. — IHFRIIIIRIB CHAIX
Rll BIROàu, tO, PAIU. — 4854-5.
iNnHc (érie. — Ttae VI. N<> 4. IS Avril ISSS.
REVUE PÉDAGOGIQUE
LE SENTIMENT DU RESPECT
Oq ne refait pas les hommes, mais on peut les former. Si la
génération qui maintenant est entre nos mains en sort sang
porter dans la société où elle va se répandre des principes sûrs,
des idées saines, et la ferme volonté de les faire prévaloir, si elle
ne donne pas à la République des mœurs vraiment républicaines^
c'est-à-dire vertueuses, elle accroîtra le mal qu'elle est appelée à
combattre, elle en rendra la guérison plus difficile encore.
Hais pour former cette génération en qui reposent nos espé-
rances, ce ne sont pas seulement les idées fausses qu'il faut rec-
tifier, et lesidôes justes qu'il faut implanter, ce sont les bons
sentiments qu'il importe de réveiller et de répandre ; car ces
sentiments n'ont pas moins d'action sur la volonté que les idées
elles-mêmes ; et dans un pays comme le nôtre les mouvements
de la sensibilité causent plus d'entraînements que l'intelligence
ne dicte de résolutions.
Voyons donc parmi les sentiments qui font vivre la famille et
prospérer l'État, qui sont le gage de la santé morale chez les
particuliers et dans les sociétés, voyons quels sont ceux que nos
bouleversements politiques, que les changements produits dans
nosmcB'.irs par l'accroissement de la richesse, le développement de
l'industrie, la liberté de la presse, la vulgarisation des lettres et des
arts, ont pu affaiblir ou dessécher et qu'il faut vivifier et raffermir.
Au premier rang de ces sentiments appauvris, je placerais le
respect de l'autorité. Il est aussi inutile d'en nier raffaiblissement
qu'aisé d'en trouver les causes. Dans un pays qui, en moins d'un
siècle, a été remué jusqu'en ses dernières profondeurs par cinq
révolutions prévues ou imprévues, et mâle à plusieurs reprises
par des réactions violentes et des coups d'État sanglants, toutes
les autorités, politiques, judiciaires, civiles, religieuses, militai-
res ou autres, ont été successivement et inévitablement compro-
mises par leurs faiblesses ou leurs défections, leurs complaisances
RBVUB PiDAGOGIQUK 1885. — l^r SBll. J9
390 RIVUE PÉDAGOGIQUE
OU leurs complicités. Ajoutons à cela qu'entre les partis victo-
rieux, et les partis vaincus a toujours régné une déplorable
émulation de dénigrement réciproque ; si bien que la rage de la
défaite et Tabus de la victoire ne laissant intacte aucune répu-
tation, même la plus pure, ont conspiré à détruire dans les
âmes le respect de Taulorité. Et cependant, dans celte période agi-
tée de notre histoire, s'il v a eu des défections fameuses, il v
a eu bien des fidélités glorieuses, et, au-dessous des trahisons
retentissantes, bien des obscurs dévouements, bien des vertus
muettes. Mais la gloire fait moins de bien que la honte ne fait
de mal, et d'ailleurs toute l'attention de la foule se porte vers
la scène, sur les grands acteurs. Or l'autorité n'est pas un prin-
cipe purement abstrait, que sa nécessité évidente mette à l'abri
de toute atteinte. Ce principe prend un corps, il s'incarne, et
les hommes qui le représentent ne sauraient faillir sans que
le principe lui-môme ait à souffrir de leurs défaillances. Et quand
ces défaillances se multiplient, quand elles se renouvellent à des
intervalles fréquents, l'estime diminue, la défiance augmente, et
le respect s'en va. Il y a donc une sorte de fatalité historique
dans l'affaiblissement de ce sentiment vital ; mais puisque Tin-
stabilité de tant de gouvernements caducs lui a été si funeste,
on peut raisonnablement espérer que la stabilité des institutions
républicaines lui rendra sa force et sa vertu.
L'enfant, par cela même qu'il est enfant, est enclin au res-
pect. C'est dans la famille (\\xe ce sentiment prend naissance et
qu'il se déveioppe mê!é à la piété filiale. Mais il ne reste pas
enfermé dans le cercle de la famille, il s'étend d'abord à toutes
les personnes qui, à un titre quelconque, représentent l'auto-
rité paternelle et enfin, quoique à un degré moindre, à toutes
les grandes personnes. C'est qu'en effet, dans son essence, le
respect n'est que le sentiment et l'aveu de notre infériorité et
de notre dépendance, et l'enfant a conscience de son infériorité
vis-à-vis de ceux qui l'entourent; chaque instant lui démontre
qu'ils le surpassent en force, en savoir, en expérience; il est
donc naturellement porté à le reconnaître et à le témoigner.
Cependant peu à peu, à mesure qu'il grandit et que décroît la
dislance qui le sépare des hommes faits, il s'enhardit à la com-
paraison qu'il trouve quelquefois à son avantage. Tout à l'heure.
LE SENTIMENT DU RESPECT 29t
le voilà leur égal et peu disposé à accorder aux autres ce qu'on
lui refuserait à lui-même. Hais daas cette t*volution qui modifie
insensiblement le caract<>re de ses sentiments à Tégard de
ceux dont il se rapproche chaque jour davantage, il faut prendre
garde de laisser s'affaiblir et se perdre le respect de Taulorité.
Et pour cela, il faut de bonne heure transformer ce sentiment
instinctif en sentiment réfléchi; si on réussit à faire comprendre
à l'enfant que ce sentiment est à la fois une obligation morale
et une nécessilx5 sociale, il deviendra respectueux par devoir cl
par raison comme il l'était par instinct.
Sans doute, pour être respecté, il faut c^lre respectable, et
les sentiments s'inspirent bien plus quils ne s'imposent. Aussi
les gouvernements doivent-ils ne conlier les fonctions publiques
qu'à des hommes qui commandent l'estime, et les électeurs doi-
vent-ils n'accorder leurs suffrages qu'à des citoyens dont la
réputation soit intacte. Mais si scrupuleux que se montrent
gouvernants et gouvernés, ils ne sauraient éviter des méprises
et des surprises ; car, d'un côté, la vérité n'est pas facile à démê-
ler, et, de Taulre, un passé irréprochable n'est pas une garantie
d'une certitude entière. Les fonctions publiques offrent des tenta-
lions inconnues à la vie privée, et auxquelles ne résistent pas
toujours des hommes réputés jusque-là im[>eccables.
11 importe donc qu'eu dehors de l'estinic qui tient à ia per-
sonne, et que nous ne pouvons pas plus refuser à ceux qui la
méritent qu'on ne peut nous Timposcr pour ceux qui ne la
méritent pas, il importe, dis-Je, que nous soyons de bonne
heure habitués à res[>erter les fonctions en elles-mômes et l'auto-
rité qu'elles confièrent. Ce respect dû à la fonction, à raison de
sa nature, ne nous rendra que plus sévères pour ceux qiii s'en
montreront indignes, et plus circonspects dans nos choix; de
plus, il rendra plus facile une obéissance nécessaire et restituera
à l'autorité un prestige qui ne peut s'affaiblir sans danger pour
les premiers intérêts du pays.
11 y a dans toute autorité un principe de respect qu'il faut
dégager et mettre en lumière. Ce principe a sa racine dans le
caractère et l'importance des fonctions dévolues h l'autorité et
dans la valeur intellectuelle et morale qu elle réclame de ceux
qui en sont investis. Civile ou militaire, poUtique ou judiciaire.
i
292 RIVUI PÉDAGOGIQUI
morale ou scolaire, elle représente Tinlérêt public, TÉlat, la
pairie qu'elle a pour mission de défendre. Il n'y a pas d'assimi*
lalion possible entre rexercice de ces fonctions et les professions ou
les métiers qui n'ont pas d'autre objet qu'un intérêt purement
privé. D*autre part, pour rendre la justice, pour commander une
armée ou une partie de l'armée, pour administrer un départe-
ment ou une commune, pour instruire et former la jeunesse,
il faut des qualités de caractère et d'esprit que n'exige point
l'exercice d'un métier. Mais de même qu'une société ne peut
vivre sans le secours de l'autorité, de même l'autorité ne peut
être réelle et efficace que si elle est secondée par le respect.
Appliquons-nous à faire comprendre aux enfants ces vérités
élémentaires, et à faire naître en eux les sentiments dont elles
contiennent le germe. S'il est une forme de gouvernement qui
en ait plus particulièrement besoin, c'est assurément la forme
républicaine ; car un gouvernement absolu, sûr d'inspirer la
crainte, peut à la rigueur se passer du respect, ou se contenter
de l'apparence ; mais une république, qui ne demande rien à
la force, a du respect un besoin absolu. Il est plus nécessaire
■encore aux fonctions électives qu'à toutes les autres ; car le.
mépris de l'élu retombe sur l'électeur, et l'on se rabaisse soi-
même en rabaissant son choix ; aussi respecter ceux qu'a élevés
le suffrage, ce n'est pas autre chose que se respecter soi-même.
C'est malheureusement une habitude de traiter plus que
familièrement, et de juger sommairement les hommes revêtus
de fonctions publiques et surtout de fonctions électives. On
croit se grandir de toute la liberté qu'on prend à leur égard ;
c'est un mal à guérir : car ce ne sont pas seulement les hommes
qui y perdent, c*est la fonction elle-même et par suite la
société. Habituons donc les enfants à parler respectueusement
de tous les hommes que la confiance de l'Ëtat ou des électeurs
ont investis de fonctions publiques, ou que leur mérite, leurs
succès, leurs services ont portés à un rang élevé dans les
diverses carrières ; habituons-les à juger les hommes, non sur
les défauts dont aucun n'est exempt, mais sur les qualités
dont ils font preuve et les services qu'ils rendent.
Il est un autre sentiment qui devrait, ce semble, avoir besoin
(]u frein plus que de l'aiguillon : c'est le respect de la gran-
LE SENTIMENT DU RESPECT 293
deur intellectuelle ou morale. En effet; les peuples sont natu-
rellement portés à Torgueil, et cet orgueil des peuples trouve sa
meilleure excuse ou pour mieux dire sa légitimité dans la gloire
des grands hommes, qui rejaillit sur la nation entière. Ce senti-
ment parait si naturel et il est en réalité si puissant chez cer-
tains peuples qu'il y engendre parfois des exagérations ridicules.
Admirer ses grands hommes, les exalter, les surtaire, c'est
presque de Tégoïsme. Cet égoïsme patriotique et respectable
jusque dans son excès n'est pas un défaut français. Soit que
la passion de Tégalilé nous égare, soil que Thabitudo de la
critique nous domine, nos grands hommes n'ont guère à se
louer de nous, et, à la façon dont on les traite, il leur est
difficile de croire à Tamour de leurs concitoyens.
Et dans l'objet aimé tout leur devient aimable,
dit Molière en parlant des amants. Ce n'est pas ainsi que nous
en usons avec nos gloires. Nous ne nous laissons guère aveugler
par l'affection, et, à travers l'éclat qui les environne, nos
regards scrutateurs et jaloux savent souvent percer jusqu'aux
défauts qui les déparent ; et malheureusement on peut dire des
hommes illustres ce que Malherbe dit des rois :
Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes ;
Tous ils ont leurs défauts, comme les autres hommes.
Ces défauts inséparables de la nature humaine, au lieu de les
voiler ou de les taire par un sentiment bien entendu de patrio-
tisme et de reconnaissance, nous prônons plaisir à les mettre
en lumière, à les grossir môme et à en triompher. Pauvre et
misérable triomphe qui rabaisse nos grands hommes sans nous
relever nous-mêmes, car la distance entre eux et nous n'en
est pas diminuée, et, si notre dénigrement les rabaisse, il nous
fait descendre d'autant. 11 est vrai que cet acharnement cesse
avec leur mort; que la réaction du sentiment public est pres-
que instantanée, et qu'à ce tapage de la jalousie et de la calom*
nie succède sans intervalle un concert de louanges et d'admi-
ration. Une fois l'homme tombé, sa statue s'élève.
Notre tempsaen effet ceci de particulier qu'il est prodigue d'hon-
neurs envers les morts illustres et d'outrages envers les vivants.
De tous côtés sortent des statues pour réparer ces injustices et
ces injures; mais ces réparations tardives n'ont pas encore
à
294 IIB¥UK FÉDA60GIQUB
adouci les mœurs, et Ton conlinue à faire expier aux hommes
éminents la célébrité dont ils jouissent et à leur faire acheter
chèrement les honneurs qui les attendent. Et cependant quoi
de plus contradictoire et de plus anti-démocratique que d'exi-
ger le respect pour les derniers des hommes, parce qu'ils sont
citoyens, et de le refuser à ceux qui, citoyens aussi, ont tant
d'autres titres à nos hommages ?
Quel honnête homme n'est saisi de dégoût à voir des follicu-
laires rouler dans la boue les gloires les plus hautes, et des
pygmées insulter aux géants de la pensée et de Vaction ? Mau-
vaise est assurément l'idolâtrie des noms, et la République a
raison d'y substituer le culte de la loi; mais qu'est-ce doncque
la loi, sinon une image plus ou moins parfaite de la justice, et qu'a
de commun la justice avec cette rage de dénigrement et d'injure
qui s'acharne sur les supériorités de tout genre, avec ce ravale-
ment de toute grandeur intellectuelle ou morale? Ce nest pas
de l'égalité républicaine, c'est, qu'on me passe un barbarisme
pour une chose vraiment barbare, c'est de l'égalisation.
Que l'instituteur ne néglige aucune occasion de déposer dans
le cœur de l'enfant les semences de ce sentiment sain et vivi-
fiant de l'admiration; qu'il voile par une sorte de pudeur respec-
tueuse et rUiâle les quelques faiblesses qui sont comme l'alliage
mêle aux plus précieux métaux, qu'il apprenne à l'enfant h
respecter l'humanité dans ses types les plus glorieux, à respec-
ter la patrie dans ses plus dignes représentants. La critique à
outrance ne peut que dessécher la source des émulations fécondes
et des nobles ambitions.
Il est un sentiment délicat entre tous et que je voudrais voir
fleurir dans l'âme de nos enfants; ce sentiment, qui^ suffi à
lui seul pour faire l'honneur de certaines républiques anciennes,
c'est le respect de la vieillesse. Nous sommes sur ce point moins
Spartiates qu'Athéniens, et plus enclins à rire des vieillards qu'à
es plaindre. Chez nous non plus on ne se lève pas volontiers
Ipour faire place à la vieillesse, et plus d'une fois dans la rue
j'ai eu le cœur serré à voir des enfants, des jeunes gens même,
pousser droit devant eux, forçant des vieillards à se détourner
pour leur livrer passage. La belle et sévère leçon donnée par
r^ Fontaine aux trois jouvenceaux moqueurs n'est que trop sou«
LE SENTIMENT DU RESPECT ^5
vent méritéa de nos jours. Quel honneur pour nos modestes
écoles si nous pouvions y faire renaître ce sentiment exquis!
Aujourd'hui les enfants sont devenus Tobjet de la sollicitude
nationale, et il faut s'en féliciter; mais, de la part dos parents,
ils sont souvent aussi l'objet d'une tendresse complaisante et
d'une vanité déplacée et ruineuse; on ne les élève pas, on les
gâte; on ne les habille pas, on les pare; c'est presque de l'ido-
lâtrie. Par contre la vieillesse n'est pas en faveur; notre temps
a pour elle des termes durs, et où il entre moins de pitié que
de dédain. Il y a sans doute des vieillesses imposantes et glo-
rieuses, devant lesquelles tout s'incline, et notre pays en a sa
bonne part; mais los vieillards eu général, le commun des
vieillards, ceux-là ne sont-ils pas traités avec indifférence et
parfois avec mépris, comme objets de rebut? Et cependant,
sans parler de notre intérêt bien entendu qui devrait nous faire
songer à l'avenir et à ce qui nous attend, sans parler des pres-
criptions de la morale et des injonctions de nos codes, le vieil-
lard n'a-t-il pas droit, comme tout ce qui est faible, triste et
menacé, à une sympathie attentive et affectueuse? Quel homme
vraiment homme peut voir un vieillard sans songer à tout ce
qu'il y a peut-être de misères et d'infirmilés dans ce pauvre
corps qui va s'affaiblissant, à tout ce que renferme de regrets
amers, de souvenirs douloureux et funèbres, ce pauvre vieux
cœur qui va se refroidissant, et enfin à cette menace perpé-
tuelle de la mort suspendue sur cette tête blanchie? Il n'y a pas
là matière à plaisanterie. Le vieillard est chose sacrée, comme
l'onfant; que celui-ci apprenne donc à respecter son grand
aillé. Du reste la nature nous aidera dans cet enseignement.
IVinslinct, l'enfant aime le vieillard, qui le lui rend bien.
Je ne sais rien de plus touchant que ce rapprochement des
extrêmes, que ces deux bouts de la \ip. qui se relient, que ce
fM'and-père menant son petit-fils par la main.
Ai Ions à notre tour la nature et prenons garde que la gros-
sièreté du langage ou la sécheresse du cœur ne viennent flétrir
cet instinct délicat.
\a vieillesse m'amène tout naturellement à songer à la mort.
Il est bon d'expliquer aux enfants pourquoi les hommes se
découvrent silencieusement devant le corbillard qui passe; car
296 REVUE PÉDAGOGIQUE
les enfants ne s'associent pas spontanément à ces marques de
respect. Sans doute il ne faut pas assombrir de pensées funè-
bres Taurore de la vie, mais serait-il sage de tenir systémati-
quement Tenfance dans une ignorance ou une indifférence
complètes sur cette grande affaire de la mort qui remplit la vie?
S'il est dangereux d'éveiller et de développer prématurément en
lui une sensibilité énervante, on serait coupable de le laisser
s'endurcir dans une insensibilité égoïste. Le mieux est de Fini-
tiei virilement et progressivement à rintelligence de la destinée
humaine, à ses caprices, à ses rigueurs, de l'habituer à sortir
de lui-même, à se mettre en pensée au lieu et place des autres,
à se sentir en autrui, à vivre dans ses semblables. C'est pres-
que là tout le secret de l'éducation.
Ne craignons pas d'attacher un moment ses regards et son
attention sur ce cercueil qui passe, sur ce père en larmes qui
conduit son enfant à la dernière demeure, sur ces orphelins qui
suivent les restes d'un père ou d'une mère enlevés à leur amour.
La légèreté naturelle et nécessaire à l'enfant aura bientôt repris
le dessus; mais une pensée salutaire aura traversé son esprit
et y laissera un souvenir que les circonstances feront par la
suite renaître utilement. Il en aura ou plus d'attachement pour
ses parents, ou plus de pilié pour les orphelins.
Oserais-je dire que le respect des enfaats pour les parents
est moindre qu'il n'était autrefois, et cela non seulement dans
les familles pauvres, mais dans les familles aisées et même dans
les familles opulentes? Cet affaiblissement d*un sentiment si
nécessaire s'explique par le changement profond qui s'est opéré
dans les esprits et qui n'a pas tardé à s'opérer dans les mœurs
en tout ce qui touche à l'éducation du premier âge.
Montaigne a été l'un des premiers à pousser un cri de pitié
pour les enfants qu'on martyrisait dans les écoles ; les philoso-
phes du xvHi® siècle, J.-J. Rousseau surtout, ont éloquemment
plaidé la cause de l'enfance, les pédagogues formés à leur école
ont contribué à changer en une bonté attendrie la dureté des
âges passés, et le mouvement profond de ces derniers temps en
faveur de l'éducation populaire a achevé la conversion. Les en-
fants ne sont plus battus, et ils ne doivent pas l'être; ils sont
entourés de soins et nul ne saurait s'en plaindre. Mais là ne
LE SKl^TIMKNr DU RESPECT 297
s'est pas arrêté ce retour de sensibilité à Tégard de Tenfance;
si dans notre pays les changements d'tiabitude sont difficiles à
provoquer, les régler est plus difficile encore. Nous passons
vite et volontiers d'un eiLtrême à l'autre extrême, et les gens
qui résistent à ce mouvement précipité, ceux qui essaient de
l'enrayer, ceux-là perdent souvent leur temps et leur peine.
Dans la famille des siècles passés les enfants n'étaient rien
ou pas grand' chose; dans la famille moderne ils sont tout ou
peu s'en faut. Autrefois les enfants étaient traités avec sévérité,
pour ne pas dire avec rigueur; on les tenait à l'écart, on les
élevait dans la crainte, et la crainte est gardienne du respect.
Autrefois ii table l'enfant ne parlait pas, aujourd'hui non seu-
lement ou le laisse parler, mais on l'y invite, on l'écoute, et
volontiers on l'admire. Il a, comme on dit, voix au chapitre,
et souvent c'est son avis qui prévaut ou au moins sa volonté
et parfois son caprice. Autrefois ce qu'il y avait de plus mau-
vais était bon pour lui, en fait d'aliments comme de vêtements;
aujourd'hui, entre lui et ses parents pas de différence pour la
nourriture, ou, s'il y en a une, elle est en sa faveur; et pour
l'habillement, elles ne sont pas rares les familles où l'enfant
est mieux vêtu que les parents ; ceux-ci y mettent presque de
lorgueil ; la mère porte bonnet, la fille porte chapeau, et la
famille voit dans cette différence la marque de son ascension dans
l'échelle sociale. S'il y a encore dans le peuple des parents qui
rudoient leurs enfants, c'est l'effet d'une brutaUté naturelle ou
des colères alcooliques, mais en général les enfants sont traités
avec une douceur et des égards que leurs aînés n'ont pas connus.
Dans leur langage, le t^ous traditionnel et respectueux qui
maintient les distances a cédé la place au tu familier; les
enfants traitent d'égal à égal avec leurs père et mère; ce sont de
petits personnages, qui prennent de jour en jour une plus haute
idée de leur importance et dont la volonté fortifiée par la fai-*
blesse paternelle finit par ne plus rencontrer de résistance. Je
n'apprendrai rien à personne en disant que l'émancipation an-
ticipée des enfants est passée en habitude, que l'autorité pater-
nelle compose avec eux et abdique avant l'heure, et que ni le
bonheur domestique, ni les mœurs publiques n'ont rien gagné
à cet affranchissement prématuré et à ce renversement des rôles.
296 IIIVUÏ PÉOAGOGlOtË
Mais alors, comment s'étonner que les enfants^ qui sont si
habiles à pénétrer les caractères, à surprendre les faiblesses et
à en tirer avantage, perdent aussi prématurément quelque chose
du respect filial, et que ce sentiment s'en aille avec Taulorité
qa'on abandonne? Le contraire aurait lieu de surprendre.
Ajouterai-je que les parents ne se gênent guère en présence
de leurs enfants, qu'ils abordent souvent devant eux des sujets
délicats et scabreux, qu'ils les habituent aux jugements som-
maires sur les personnes et les choses, qu'ils ne se méfient pas
assez de leur pénétration naturelle et de leur penchant si fort
à l'imitation, que leurs réticences maladroites ou leurs regards
d'intelligence ne font qu'aiguillonner la curiosité ardente et
active du jeune âge, et qu'enfin une association trop intime et
trop précoce des enfants à la vie des grandes personnes les
rend témoins de scènes qui ne sont pas toujours exemplaires.
Concluons donc que si le respect filial a diminué, la faute
0n est surtout à l'imprévoyance et à l'imprudence des parents
eux-mêmes. Comme toujours, un changement excellent en
principe, mais poussé trop loin dans la pratique, a produit
des conséquences fâcheuses.
C'est une raison de plus pour que nos mattres inspirent de
bonne heure aux enfants les sentiments qui conviennent à leur
âge, pour qu'ils s'efforcent de lutter contre les habitudes
r^nanles^ et de soutenir l'autorité paternelle qui se désinté-
resse et s'abandonne. Et dans cette luUe contre le courant du
jour, ils ne doivent pas songer seulement au présent qui
pourrait les décourager, mais à l'avenir, qui doit soutenir leur
courage. Dans l'enfant qu'ils élèvent, ils doivent envisager le
futur père de famille, et soûger que les leçons d'aujourd'hui
porteront leurs fruits plus tard. Devenu père à son tour, l'en-
fant irrespectueux aujourd'hui se rappellera peut-être alors ses
droits et ses devoirs ; les souvenirs de l'enfance sont comme
ces germes qui peuvent dormir longtemps dans la terre, mais
que des influences et des circonstances favorables viennent
féconder et faire éclore. Il ne faut donc pas croire à l'inuti-
lité des leçons parce qu'elles semblent perdues. Vienne le
moment propice, et la semence lèvera.
A. Vkssiot.
POESIES
[Nos lecteurs connaissent les Poèmes de Provence et la Chanson de Venfant,
ces charmants recueils qui ont obtenu de l'Académie française une distinction
bien méritée. Leur auteur, avec une bonne grâce dont nous le renercious
vivement, offre à la Revue pédagogique la primeur de quelques beaux vers
qui trouveront leur place dans un nouveau volume de poésies destiné à paraître
prochainement. Il a pensé avec nous que les sentiments généreux et patrio
tiques dont il s'est inspiré auront un écho dans le cœur des maîtres de nos
écoles primaires; il a voulu qu'ils fussent les premiers à lire ses vers. Les
instituteurs de France sauront gré au poète de cette pensée délicate. — La
Râlartion.
LA LÉGENDE DU FORGERON
Un forgeron forgeait une poutre de fer,
Et les dieux, les esprits invisibles de Tair,
Les témoins inconnus des actions humaines,
Tandis qu'autour de lui, bruissant par centaines.
Les étincelles d'or faisaient comme un soleil,
Les dieux voyaient son cœur, à sa foî^e pareil,
Palpiter, rayonnant, plein de bonnes pensées,
Etincelles d*amour en tous sens élancées!
Oir tout en raarlclant le fer, de ses bras nus.
Le brave homme songeait aux frères inconnus
A qui son bon travail serait un jour utile...
Et donc, en martelant la poutre qui rutile,
11 chantait le travail qui rend dure la main,
Mais (juî donne un seul cœur à tout le genre humain.
Tout il coup, la chanson du forgeron s'arrête:
« Ahî dit-il tristement, en secouant la tête,
» Mon travail est perdu, la barre ne vaut rien :
» Une paille est dedans; recommençons. C'est bien. »
Car le bon ouvrier est scrupuleux et juste ;
11 ne plaint pas l'eflort de son torse robuste;
Il sait que ce qu'il doit c'est un travail bien fait,
Qu'une petite cause a souvent grand effet,
Que le mal sort du mal, le bien du bien, qu'en somme
Un ouvrage mal fait peut entraîner mort d'homme.
Los étincelles d'or faisaient comme un soleil.
Et de ce cœur vaillant, à la forge pareil.
Étincelles d'amour en tous sens élancées.
Jaillissaient le courage et les bonnes pensées.
é
300 IŒVU£ PlDÀGOGIQUE
Et la poutre de fer, dont Touvrier répond.
Sert un beau jour, plus tard, aux charpentes d'un pont,
Et sur le pont hardi qui fléchit et qui tremble
Voici qu'un régiment — six cents hommes ensemble —
Passe, musique en tête, et le beau régiment
Sent sous ses pieds le pont fléchir arfreusement....
Le pont fléchit, va rompre. . . et le^ six cents pensées
Vont aux femmes, aux sœurs, aux belles fiancées,
— Et dans le cœur des gens qui voient cela des bords
La patrie a déjà pleuré les six cents morts !
Chante, chante dès Theure où ta forge s'allume.
Frappe, bon ouvrier, gaîment, sur ton enclume î
Le pont ne rompra pas ! Le pont n*a pas rompu !
Car le bon ouvrier a fait ce qu'il a pu,
Car la barre de fer est solide et sans paille....
Chante, bon ouvrier, chante en rêvant, travaille.
Règle tes chants d'amour sur l'enclume au beau son I
Ton cœur bat sur l'enclume, et bat dans ta chanson l
.... Les étincelles d'or, en tous sens élancées.
C'est le feu de ton cœur et tes bonnes pensées.
L'homme n*a jamais su, l'homme ne saura pas
Combien d'hommes il a soutenu de ses bras
Au-dessus du grand fleuve et de la mort certaine î
Et pas un seul soldat, et pas un capitaine
Ne saura qu'il lui doit la vie, et le retour
Au village, où l'attend le baiser de l'amour.
Nul ne dira : « Merci, brave homme, » à l'homme juste
Qui fît un travail fort avec son bras robuste....
Mais peut-être qu'un jour, quand ses fîls pleureront
En rejetant le drap de son lit sur son front.
Quand la mort lui dira le secret à loreille.
Peut-être il entendra tout à coup, ô merveille!
Il verra les esprits invisibles de l'air
Lui conter le destin de sa poutre de fer,
Et lorsqu'on croisera ses pauvres mains glacées.
Lui, vivant immortel dans ses bonnes pensées,
Laissant sa vie à tous en exemple, en conseil,
Sentira rayonner son cœur comme un soleil!
LE LIERRE DU LYCÉE LAMARTINE 301
LE LIERRE DU LYCÉE L.VMARTL\E
A M. NAVARRE
J'ai voulu revoir le lycée
Où mon enfance pleura tant;
Cest bien laque je Tai laissée;
Elle m'accueille en sanglotant.
C'est aujourd'hui Pâque-fleurie :
On a lâché les écoliers ;
Je remonte, l'âme attendrie,
Mon passé, par ces escaliers.
Loin de mon pays de lumière.
Où rhiver môme est réchauffant,
Entre ces murs de froide pierre,
Il fut dur, mon exil d'enfant.
« Voyez- vous, dis-je au nouveau maître.
Qui me reçoit en vieil ami,
Chaque détail, par tout mon (Hre,
Réveille l'enfant endormi.
>) Il s'éveille, il sort de moi-même ;
Hélas ! il ne me connaît pas ;
Moi, je le connais et je l'aime,
Co ])etit qui pleure tout bas.
>) Pour un moment il veut revivre ;
Ses yeux sont grands ouverts, — voyez !
Si nous marchons, il va nous suivre...
Oh ! comme ses yeux sont noyés !
) Sur ses traces, la petite ombre
Remet ses deux pieds, pas à pas....
Il pleut ; au fond du hangar sombre,
Elle regiu-de vers là-bas!
' Le ciel rit ; dans le libre espace
Le pauvre petit spectre, en pleurs.
Suit des yeux chaque oiseau qui passe
El qui peut aller voir des fleurs !
« 11 s'assied au banc de la classe
Où son chiffre est encor gravé ;
302 RIVUB PÉDAGOGIQUE
Il retrouve partout sa trace.
Et refait - ce qu'il a rô\é î
» Mauvais rêve, dis-je au bon maître:
(Et je sentis mon cœur serré. . . .)
J'étais grondé, puni peut-être,
Seulement pour avoir pleuré! »
Puis, honteux, après un silence :
tt Je n'apprenais pas ma leçon
Pour rêver du ciel de Provence,
Et du lierre de ma maison ! . . .
» Certes, il faut lire dans un livre,
Mais aussi dans les fleurs des bois,
Et si Virgile nous enivre.
C'est qu'un oiseau chante en sa voix !
» Quand nous disons rosa, Ui rose.
Montrez-nous les rosiers aimés,
Ou n'apprenez que de la prose
A l'enfant que vous enfermez!
» Cetlc muraille, ali ! qu'elle est haute î . . .
— « Oui, nos petits ne l'aiment pas,
Dit le maître, bon comme un hôte :
Ils jouent mieux sous ces murs plus bas . .
Alors, mon enfance oubliée
Revint vers nous et lui parla....
a Oh! mumiura sa voix mouillée.
Monsieur, plantez un lierre, là l »
— « Monsieur, me dit le jeune maître,
Si vous revenez dans dix ans,
Vous ne pourrez plus reconnaître
Ce mur en horreur aux enfants —
9 Un lierre en couvrira la pierre,
Verdure d'hiver et d'été....
Les oiseaux viendront dans le lierre.
Car le lierre sera planté. . . »
Je crus voir, en passant la porte
Du lycée aux murs étouffants,
L'ombre de mon enfance morte
Qui jouait avec des enfants.
LES PAYSANS 303
LES PAYSANS
Pour planter la nouvelle vigne,
il faut d'abord caver profond,
Mais la terre est dure, et s'indigne
Contre les hommes qui le font;
Elle se défend, la rebelle I
Elle dit qu'elle ne veut pas!
... A coups de pioche, zou, contre elle!
— Les paysans sont des soldats.
C'est Tété, quand le soleil plombe,
Qu'il faut caver, pour faire bien;
Le pic tombe, et la sueur tombe.
Car la terre ne donne rien!
Ah! la gueuse! il faut qu'on la force!
il lui faut des bras et des cœurs
Pour frapper son cœur sous Técorce....
Les paysans sont des vainqueurs.
Ils descendent dans la tranchée.
Et s'eiilerrant jusqu'aux genoux,
Le dos lors, la tète penchée,
ils vont piochant, ceux do chez nousl
Toujours avant, jamais arrière,
A chaque coup, à chaque pas,
Le pic fait fumer la poussière !
— Les paysans sont des soldats.
Si vous croyez que c'est pour rire.
Soupesez leurs outils pesants!
Ali! la terre pourrait vous dire
S'ils sont braves, nos paysans!
l'n seul contre elle en >aul bienjiualre.
Et laissez causer les moiiueurs,
La conquiert qui sait la comballre!
— Les paysans sont des vainqueurs.
Et (juand le « bien », d'un bout à l'autre.
Motte après motte est retourné.
Alors, le a bien » est vraiment nôtre :
Il est conquis, il s'est donné !
Alors, c'est fini lasouH'rance!
Au beau mitan du champ, là-bas.
On plante le drapeau de France !
— Les paysans sont des soldats.
i
304 REWB PÉDAGOGIQUE
Cette chanson me fut payée,
Argent de France, six écus,
Pauvre somme, bien employée.
Car les sixécus seront bus!
Je les ai donnés avec joie,
Un jour d'août, à des paysans
Qui savent comment on emploie
Au soleil, les écus luisants I
Ils les boiront, face allumée,
La main haute, comme il faudra,
A la Vigne leur bien-aîmée,
À la mort du phylloxéra !
Ils les boiront à ITspérance,
A tout ce qui ne mourra pas,
A la Vigne, au Vin, à la France!
— Les paysans sont des soldats.
Jean Aicard.
LES COLONIES DE VACANCES
ET LES ÉCOLES DU ÏX® ARRONDISSEMENT DE PARIS.
C'est la Revue pédagogique qui la première, croyons- nous, a
fait connaître en France Tinstitution, aujourd'hui populaire à
Paris, des colonies de vacances. Daùs le Courrier de Textérieur
du numéro de novembre 1879, nous avions publié Tinformation
suivante, que nous demandons la permission de reproduire,
parce qu'elle aura sans doute passé inaperçue de beaucoup de
nos lecteurs actuels :
« Une innovation qui semble devoir être féconde en heureux résul-
tats pour ravenif a été expérimentée en Allemagne depuis quelque
temps. 11 s'agit de l'envoi à la campagne, durant les vacances sco-
laires et aux frais de la ville ou d'une société qui entreprend cette
bonne œuvre, d un certain nombre d'enfants maladifs, appartenant
à des familles pauvres. Cette institution, qui a pris naissance dans
la Suisse allemande (I), est désignée sous le nom original de colonies
de vacances ( Ferien- Kolonien), C'est Francfort-sur-le-Mein qui en a
essayé tout d'abord en Allemagne. Les villes de Dresde et de
Stuttgart ont suivi cette année l'exemple de Francfort, et ce double
essai a pleinement réussi. Les colonies de vacances de Dresde, au
nombre de six, chacune sous la direction d'un instituteur ou d'une
institutrice, et composées d'un nombre total de 76 enfants des deux
sexes, sont rentrées en ville le 16 août, après trois semaines de
séjour dans diverses résidences. L'air salubre de la campagne avait
exercé la plus heureuse influence sur la santé de ces pauvres en-
fants. 11 existe un moyen, en quelque sorte mécanique, de s'assurer
du résultat obtenu : c'est de peser les enfants au départ et au retour.
On a constaté chez les 76 enfants une augmentation de poids variait
de 3 livres d/2 à 13 livres.
» Les cinq colonies de Stuttgart (quatre de garçons et une de filles;,
comprenant 55 enfants, sont restées vingt-cinq jours à la campagne.
L'augmentation totale de poids, pour une colonie de 12 garçons, a
été de 56 livres; Fun d'eux avait à lui seul gagné 8 livres.
» Le chiffre des dépenses a été de 5,300 marks à Dresde, et
de 4,000 marks à Stuttgart.
(1) C'est le pasteur Bion qui, k Zurich, en 1870, a pris l'initiative de cette
ijeuvre philanthropique.
RKYUI PÉDAQ06IQDB 1885. — l«r BIH. 20
à
306 REVUE PÉDAGOGIQUE
• D autres pays encore songent à introduire chez eux les colonies
de vacances. A Vienne, un premier essai a été tenté celte année :
une colonie assez nombreuse, sous la surveillance de M™® la baronne
Clémentine FouUon et de M. Kaiser, instituteur à Weissenbach,
s'est rendue dans ce village, et y a séjourné plusieurs semaines.
Les frais ont été couverts par une société fondée sous le patronage
de la princesse Hohenlohe. La ville de Bruxelles a résolu de son
côté de fonder, à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'indé-
pendance de la Belgique, qui se célébrera Tan prochain, un asile
au bord de la mer, et d*y envoyer à tour de rôle, pour y fortifier
leur santé, durant les vacances, tous les enfants pauvres des écoles
communales. y>
Depuis ce moment, la Revue pédagogiques signalé à différentes^
reprises les résultats obtenus à l'étranger et les progrès accomplis.
D'autre part, en janvier 1882, nous appelions Tattention, dans
dans un article du Bulletin administratif du ministère de
rinsti*uction publique (n^ 477, p. 300), sur la conférence réunie
à Berlin, en novembre 1881, sous la présidence du D»^ Falk,
ancien ministre de rinstruclion publique du royaume de Prusse,
et à laquelle assistaient des délégués des comités et des asso-
ciations qui se consacrent, en Suisse, en Allemagne et en
Autriche, à l'œuvre des colonies de vacances. Les renseignements
contenus dans cet article n'ont rien perdu de leur actualité, et
il ne sera peut-être pas inutile de les placer également sous
les yeux de nos lecteurs.
ft Dans son discours d'ouverture, — disions-nous, — le D"" Falk a rap-
ne possède pas moins de seize colonies de ce genre, qui, pendant
les vacances d'été de 1881, ont permis à 228 enfants de familles peu
fortunées de jouir des bienfaits d'un air salubre. Tous les ans, à
Berlin, des centaines d'enfants sont la proie de l'anémie, du dépé-
rissement et des maladies qui l'accompagnent, et ne grandissent que
pour devenir do malheureux infirmes, incapables d'aucun travail,
qui vont peupler les hospices et tombent à la charge de la com-
mune, et qui, chose plus grave, incapables de résister aux influences
morbides, offrent un terrain tout préparé aux épidémies et contri-
buent à les entretenir et à les propager au sein de la population
valide. Si ces enfants étaient transplantés à temps, tie fût-ce que
durant quelques semaines, dans un milieu pins hygiénique, il
LES COLONIES DE VACANCES ^^7
serait possible de fortifier leur constitution d'une manière durable,
et de prévenir ainsi leur déchéance physique et intellectuelle : on
remédierait par là à beaucoup de misères, et nos établissementg
hospitaliers et charitables se trouveraient en môme temps déchargés
d'un fardeau souvent très lourd. Il n*est pas nécessaire d'insister 8ur
la haute signification sociale et sanitaire des colonies de vacances»
dont le but est d'envoyer, pendant les vacances d'été, les écoliers
maladifs prendre des forces dans un séjour salubre et bien choisi.
La rapidité avec laquelle cette institution s'est propagée dans la
plupart des grandes villes, comme Francfort, ï>rcsde, Hambourg,
Brème, Breslau, Bâle, Vienne, etc., les succès incontestés qu'elle a
obtenus, témoignent déjà en sa faveur. C'est là, de l'aveu de tous,
ajoute M. Falk, un terrain sur lequel la bienfaisance publique peut
et doit s'exercer d'une manière utile et lé^ûtime.
V La discussion s'est ensuite ouverte sur cette question ; Est-il
préférable de constituer des « colonies » proprement dites, placées
sous la direction d'un instituteur ou d'une institutrice et r('»unis8ant
sous le m^rne toit un certain nombre d'enfants ; ou vaut-il mieux
confier les enfants, isolément ou par petits groupes, aux soins de
quelques familles dans lesquelles ils seraient placés comme pension-
Berlin se sont prononcés pour le principe des colonies. MM. Schoost
de Hanibourjî et Ueddersen de Brème préfèrent, au contraire, le
système du placement dans les familles qui donne à l'enfant plus
de liberté, tandis que dans les « colonies » il se trouve constamment
sous la contrainle de la discipline scolaire. M. Bion, qui était pré-
sent, a dit qu'il avait, pour son compte, essayé de l'un et de l'autre
système et ([ue tous deux avaient donné des résultats satisfaisants;
aussi croit il qu'il ne faut pas se montrer exclusif dans un sens ni
dans l'autre. Rivalisons de zèle, a-t-il ajouté, non pas pour faire
prévaloir telle méthode particulière, mais pour le bien commun.
Si. Schoost a donné des détails intéressants sur ce qui s'est fait en
Danemark, par le système du placement dans les familles ; dans ce
pays, sept mille enfants environ ont été envoyés à la campagne
durant les vacances de l'été dernier, sans qu'il en soit résulté
aucune dépense : les journaux ont fait gratuitement la publicité
nécessaire, les chemins de fer ont accordé le voyage gratuit, et il
s'est trouvé un nombre suffisant de familles pour recevoir, à titre
entièrement gratuit, les enfants en pension. Le D^ Falk a résumé
la discussion en faisant, ressortir que le point essentiel est de pro-
curer aux enfants malades ou cliétlfs le bienfait d'un séjour à la
campagne, et que les moy^is employés ne forment qu'une question
accessoire qui peut être résolue d'une façon différente suivant les
circonstances locales, d
à
308 REVUE PÉDAGOGIQUE
La France a attendu quelques années avant d'entrer à son
tour dans la voie où plusieurs pays étrangers l'avaient précédée.
Enfin, en 1883, un comité d'initiative s'est organisé dans le
IX* arrondissement de Paris, et les deux premières « colonies »
parisiennes ont été envoyées passer un mois à la campagne, k
Chaumont et à Luxeuil. Nous avons analysé. Tan dernier
(n^ de juin 188i, p. S61), l'intéressante brochure dans laquelle
M. Cottinet, administrateur de la caisse des écoles et du comité
des colonies du IX^ arrondissement, a rendu compte du succès
de celte tentative ; nous avons reproduit (n® de juillet 1884,
p. (j6) une partie du spirituel plaidoyer publié par M. Abraham
Dreyfus dans la Revue politique et littéraire en faveur des éco-
liers pauvres et souflroleux.
Aujourd'hui, M. Coltinet vient de faire paraître un second
rapport, et nous nous empressons de lui emprunter le récit des
faits et gestes des colonies scolaires de 1884. Au lieu de dix-
huit élèves seulement, comme la première année, c'est une cen-
taine d'enfants pauvres du IX^ arrondissement qu'il a été pos-
sible de faire participer cette fois au bienfait d'un séjour à la
campagne.
« UŒuvre des Colonies scolaires de vacances, dit M. Cottinet aux
souscripteurs, a touché, dès sa seconde année, le double but qu'elle
se proposait: elle a fait participer à son bienfait toutes les écoles
primaires du neuvième arrondissement et elle y a associé les deux
établissements d'instruction secondaire qu'il renferme.
La campagne de 1884 n'a pas été moins favorisée que la
première. Chez cent colons, élèves ou maîtres, garçons ou tilles,
aucun accident ne s'est produit, et des résultats excellents ont été
obtenus. Avant de vous les exposer, laissez-moi vous entretenir de
la grande alliance et des secours particuliers qui nous ont permis
de les atteindre.
En frappant à la porte du lycée Condorcet et du collège Rollin,
nous ne voulions pas seulement de l'argent, nous prétendions établir un
lien entre des écoliers de conditions différentes, rapprocher encore, par
leur intermédiaire, les familles déjà moins divisées chez nous
qu'ailleurs et apprivoiser, par un fraternel contact, une population
scolaire destinée à se fondre plus tard sous les drapeaux. Que nos
collégiens, assurés presque tous de pleines vacances, en procu-
rassent les avantages à des camarades moins heureux, c'était pour
eux un rachat volontaire des faveurs de la fortune ; pour nos
ifanls, c'était une marque de cordialité plus encore qu'une assis-
LES COLONIES DE VACANCES 309
tance, quelque chose comme une étrenne enveloppée dans une
poignée de main.
Cette visée fut comprise. Hautement favorisée par M. Gréard,
vice-recteur de l'académie de Paris, elle fut adoptée avec chaleur et
soutenue avec efficacité par ceux auquel il appartenait de la faire
aboutir. Le proviseur du lycée Condorcet, M. Girard, distribua dans
ses classes notre rapport de Tannée dernière, et 1,200 francs répon-
dirent à rappel qui raccompagnait, somme considérable eu égard à
Tépoque où elle fut sollicitée. De son côté, M. Roguet, directeur du
collège Rollin, n'hésita pas à verser dans notre caisse tout ce qui
restait à la bourse de secours qu'alimentent ses pensionnaires.
Remercions profondément ces maîlres libéraux et remercions les
élèves qu'ils forment au bien. Que ceux-ci sachent que, par eux
seuls, vingt de leurs pauvres camarades sont allés réparer leurs
forces à lair des champs, et qu'ils se demandent dès maintenant
combien ils en veulent envoyer cette année-ci.
Et tandis que nous nous efforcions ainsi pour obtenir le concours'
de ces jeunes gens, les jeunes filles du collège Sévignénous offraient
spontanément le leur. Elles nous adressaient le premier fonds de
leur bourse charitable en formation. Réponse topique aux doutes
malveillants dont les collèges de filles sont Tobjet, et surtout
gracieuse surprise pour nous ! Qui donc avait intéressé à nos
colonies ces donatrices d'un arrondissement éloigné ? Une lecture
de W^^' Salomon, leur directrice. Dans la Revue politique et littéraire,
M. Abraham Dreyfus avait lancé à notre profit un de ces appels
heureux dont il possède le secret, et dont la bonhomie malicieuse
a des vertus irrésistibles. Le collège Sévigné n'y avait pas résisté,
Et combien d'autres souscriptions allaient suivre celle-là, à la voix
de cet admirable auxiliaire î Elles vinrent de tous les points de la
France. »
Les garçons furent tous réunis à Chaumont, dans le bâtiment
de l'école normale d'instituteurs, située on dehors de la ville.
Les filles furent divisées en quatre groupes : à Chaumont, à
Luxeuil, à Pompey /"Meurthe-et-Moselle) et à Saint-Dié. Comme
l'année précédente, les enfants étaient tenus à la rédaction
d'un journal individuel quotidien; on y avait ajouté une autre
exigence : l'exécution d'un croquis topographique pour chaque
jour, le plan sommaire de chaque promenade, et, à la fin, une
carte récapitulatrice des pays parcourus.
Voici comment les garçons employèrent leur mois de vacances .
9 Levés à six heures, nos garçons, comme des soldats, cirent leur
chaussure, brossent leurs habits, balaient le dortoir, le lavabo, les
é
310 MIVDE PÉDAG06IQ1JB
escaiiers, la salle d*étude, à Texemple et sous la direction des femmes
des instituteurs, puis, leur toilette achevée, des pieda à la télé et
afiL savon, ils font leors lits. Bien des parents nous ont remerciés
de: leur avoir donné ces nouvelles habitudes. Les Colonies de va-
cances, on s'en souvient, ont été conçues en partie comme une
école de propreté. Aussitôt après le déjeuner, viennent les prome-
nades, qui sont la grande affaire : elles ont remplacé toute Técole.
Et là, quelle nouvelle pédagogie se produit I C est la Nature qui
tient la classe et, quand les cahiers mentionnent la rencontre de * deux
superbes petits cochons avec la queue en trompette », ou « d'un
dindon qui gonflait ses ailes «, nous cueillons ce texte avec plus de
satisfaction qu'un extrait copié dans Bulfon. Sauf quand il a plu
trop fort, pas une journée ne s'achève sans qu'on ait suivi la con-
férence des champs et des bois, la leçon de la vache et de Tàne, le
solfège de tous les oiseaux. Les poissons qui figuraient hier au
repas du soir, on les a péchés soi-même dans la rivière où Ton se
baigne. Demain l'on formera des herbiers avec les fleurs cueillies,
cm suivra les bêtes jusqu'à la ferme ; on les suivra un autre jour
jusqu'au marché, où l'on s'instruira de leur vente, enfin jusqu'à
Fabaltoir, où le fonctionnement de leurs divers organes sera expliqué
par M. le vétérinaire Desnouveaux, dans une leçon d'analomie très
goûtée. Quant au grain qu'on a vu vanner au fermier, le voici
arrivé au moulin ; le meunier lui-même montre ses transformations
et les enfants sortent de chez le complaisant M. Friesenhauser tout
blancs de farine et de science.
Aux champs, que rencontrent-ils encore ? les soldats à la petite
guerre. Voilà une leçon attachante I Dirai-je celles qu'ont offertes à
leur curiosité une foule d'établissements publics ou privés? On en
trouvera la liste à la suite de ce rapport. Quelle richesse d'infor-
mations, quels développements de l'esprit de telles visites, com-
mentées par les bouches les plus compétentes, n'ont-elles pas assurés
à nos écuL'ers I Et tout cela figure au journal, avec la carte quoti-
dienne où chaque chose est marquée à sa place. Est-ce assez? Non.
Le soir, après le dîner, un cercle se forme. Les récitations, les jeux
d'esprit, les chansons, les lectures à haute voix de quelque belle
poésie donnent, pour ainsi dire, le dessert à Tinte lligence, ou bien,
si le ciel est pur, un maître y fait épeler aux enfants l'alphabet
dts étoiles.
Pour une telle direction, pour les résultats que constatent les
journaux souvent très étendus et soignés de nos chers garçons, de
chaudes félicitations sont dues à nos trois instituteurs et particu-
lièrement à leur vétéran, M. Lécart.
Résultats physiques. Augmentation moyenne du poids : i,644
grammes.
De la taille : 10 millimètres.
Du thomx: i7""i. »
LES COLONIES DE VACANCES 311
A propos de la rédaction des journaux quotidiens, M. Cottiiiet
ajoute cette observation, qui a son intérêt pédagogique :
a Parmi ces garçons, plusieurs, qui appartenaient aux sixièmes
classes, n'avaient jamais pu rédiger quoi que ce fut à Técole, sur
de3 sujets dictés. Us ont très passablement rédigé leur journal, sur
des sujets vus. Le l'ait a beaucoup frappé leurs maîtres. »
Quant aux liiles, nous choisirons, ne pouvant pas tout repro-
duire, la narration des aventures du groupe installé à Saint-Dié,
Le rapporteur s'est arrêté avec quelque complaisance sur ce
chapitre de son récit : mais nous sommes assuré qu'après
l'avoir lu, on nous saura gré de n'avoir point essayé de le rac-
courcir.
« A Saint-Dié, sur la recommandation du préfet, M. Bœgner, j'avaig
introduit nos jeuoes filles dans un pensionnat protestant. Pourquoi
pas? J'avais bien failli les introduire dans un pensionnat de Soeurs,
et ce n'est, sans doute, que partie remise. Notre admirable neutra-
lité religieuse nous permet ces salutaires liberlés, (juand les précauf
tions voulues sont prises, et ici, elles l'avaient été. Nos filles, je le
savais, n'avaient à craindre aucune propagande indiscrète et, au besoin,
elles eussent été préservées par la seule présence de leur directrice,
M™« Deulin. De fait, elles n'ont connu ce qui les séparait de leur
hôtesse que par l'invitation qui leur a été adressée de s'abstenir de
chansons le dimanche. Nous allons voir comment nos habitantes de
la Chaussée-d'Antin, les paroissiennes de l'élégante Trinité, se sont
comportées dans cette austère maison, avec les Vosges pour prome-
noirs et leurs sapinières pour boulevards.
Je pourrais laisser la parole à Marthe Savantré (13 ans); son
remarquable journal, de près de cent pages, est un témoignage sans
lacunes, où la déposante dit à merveille ce qu'elle a fort bien vu;
mais nos lecteurs aimeront mieux entendre le caquet de toute la
volière, et je ferai parler chaque oiselet à son tour.
Donc, le 23 août, après seize heures de route, la colonie écarquiUe
les yeux devant un spectacle inouï, absolument neuf pour tout le
monde : les montagnes ! « Vous ne pouvez vous figurer, dira
Viclorinc Roussel, l'émotion que ça m'a produit de voir ces hauteurs
énormes .» On est arrivé à Saint-Dié.
A la gare, M>^^ Jaeglé attendait les voyageuses. « M^^^ Jaeglé, écrit
Marthe, est la maîtresse de la maison qui nous reçoit; bonne vieille
dame avec un bonnet un peu drôle; la parole douce, la figure aimable.
Cependant, elle vous impose, tant que personne devant elle n'ose
dire un mot ni tourner la tête. Ses élèves doivent être sages... »
W^'^ Jaeglé, qui est Alsacienne, se fait aider par sa nièce,
312 REVUE PÉDAGOGIQUE
jeune femme d'origine écossaise, qui résume en elle tout ce que sa
race sympathique à la France a de bonté cordiale, de hauteur d'âme
et de grâce enjouée. Nos fillettes sont donc parfaitement accueillies,
mais elles sont fatiguées; on ne tarde guère à leur servir leur
dîner et on les couche.
22 août. — « Ce matin, quand je me suis réveillée, je me suis
aperçue que j'étais sur la descente de mon lit et que j'avais très
froid. » (Lucie Gomperlz,) « En nous levant, nous avons mangé le
déjeuner de madame (1), car nous avons été assez sottes, quand
M"" Jaeglé est venue nous demander si nous aimions le café au lait,
pour répondre oui, lorsque je savais très bien, et Lucie aussi,
qu'il nous rend malades. Je l'ai dit à madame, qui m'a répondu :
— Buvez mon chocolat .» (Viclorine Roussel,) On voit qui est
M"™^ Deulin. On verra de mieux en mieux qui sont ses élèves.
Le premier jour, la colonie parcourt la ville : « Deux seules rues
y sont remarquables, assure Marthe. Les autres sont à peine pavées
et ne peuvent viser qu'au titre de ruelles. Toute la ville est très
propre; mais ce n'est pas étonnant, nous y avons à peine rencontré
quatre personnes. »
« Nous allons au parc, reprend Gabrielle Lachaud, mais à quoi
jouer? Nous n'avons ni raquettes, ni ballons. — Si nous achetions
une corde? dit madame. -- C'est cela, c'est cela! Et nous entrons
chez un marchand. Mais il n'en a que de la trop grosse ou de la
trop fine. 11 nous envoie chtz un cordier. Là, nous en trouvons
comme il faut. Vite, allons sauter. Aux doubles?— Non, à la pour-
suite. — A la poursuite, c'est cela. Et nous voilà sautant depuis
chou-blanc jusqu'à dix... Mais la pluie commence à tomber, llélast
nous ne pouvons plus jouer à la corde ce soir. Tiens! mais il ne
pleut plus; tant mieux! nous allons pouvoir jouer. Tournez, tournez
plus vite donc! Mais, à force de sauter, nous voilà revenues à la
maison. »
Gabrielle a dix ans et demi, et elle est de la première classe. Je
n'ai pas changé une syllabe à ce morceau. En veut-on un autre de
la même main?
/3 septembre. — « Dans l'après-midi, nous irons à Robach et dans
'le bois du Chàtel, où nous lirons, nous ferons du crochet et nous
nous reposerons. Arrivées au bois, nous ne faisons pas de crochet,
nous ne lisons pas et ne nous reposons pas ; mais nous courons,
nous nous balançons sur des arbres coupés, nous faisons des bou-
quets. En repassant dans le village, nous buvons du lait chez une
femme bien drôle, qui, d'abord, pense que madame est la mère de
nous toutes, puis nous fait une foule de questions pour savoir d'où
nous venons, qui nous sommes, pourquoi nous sommes là. Presque
tous les gens de la campagne chez qui nous entrons sont pareils.
(t) L'inslilutrice, M*« Deulin.
LES COLONIES DB VACANCES 313
lis VOUS demandent des masses d'explications et finissent presque
toujours par dire : Ah! vous êtes de Paris; moi, j'ai une sœur à
Paris ; — une autre fois, c'est une tante ou une cousine ; — elle est
domestique chez un épicier près du chemin de fer. Vous la connais-
sez peut-être. Elle s'appelle... Et ils vous disent son nom. Ah! qu'ils
sont drôles ! »
Après cela, ne serait-on pas tenté de s'écrier, avec Arnolphe :
Héroïnes du temps, mesdames les savantes,
Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments,
Je défie à la fois tous vos vers, vos romans,
Vos lettres, billets djux, toute votre science
De valoir cette honnête et ndive ignorance.
Naïve, pas précisément, si nous pesons l'observation suivante rap-
portée d'une visite à la chapelle du bienheureux saint Dié : « L'autel
est surmonté de peintures sur bois très fines; c'est madame qui nous
l'a dit, mais je crois que son Guide l'aide beaucoup à trouver ce
qu'il y a de fin. ^
Pas trop naïve non plus cette conclusion de Lucie Gomperlz, à la
suite d'une course dont l'objectif était un groupe fameux de rochers,
baplisé du nom de « Chaise du Roi ». On s'est follement amusé;
« mais, ajoute la fillette, avons-nous vu la Chaise du Roi? Je n'en
suis pas encore bien sûre. Rien ne ressemble moins à une chaise,
que cet amas de roches. Pourtant, si cela fait plaisir aux gens de
Saint-Dié, ils peuvent bien l'appeler une chaise, et même une chaise
de roi, je n'y vois pas d'inconvénient. »
Les gens de Saint-Dié!.. dans cettç appellation, l'oreille ne perçoit-
elle pas une vibration de rancune? C'est que des gamins ont jeté
des pierres à ces demoiselles, un polisson a enfoncé le chapeau
d'Angèle, même un homme lésa poursuivies une fois, le balai haut,
en l(*s traitant de sales protestantes. 11 les prenait pour les pension-
naires ordinaires de la maison hérétique qui olTusque certains yeux
dans la vieille ville épiscopale. Ce qui dépite surtout les nôtres,
c'est la badauderie populaire. Quand, dans une rue, elles arrêtent,
pour la dévaliser, quelque paysanne qui porte son lait au marché,
on s'attroupe autour d'elles et on les dévisage. Cette indiscrétion
leur inspire à toutes une réflexion que Gabrielle formule ainsi :
« H faut croire que les gens de Saint-Dié n'ont pas grand'chose à
faire s'ils s'arrêtent pour voir boire des petites filles! »
Ah! elles ont leur franc-parler, nos petites filles! et ce n'est pas
leur directrice qui l'étoufTera. Elle entend trop bien l'une des plus
grandes parties de sa vocation, le respect des intelligences. La liberté
de celles-ci s'exprime sans réserve, ce qui m'amène à un point
délicat, que voici.
Le groupe, si libéralement accueilli par M"® Jaeglé (avec une
réduction de deux cinquièmes sur le prix ordinaire de la pension),
n'a pas toujours été enchanté de la nourriture qu'il a reçue. Pourquoi
â
314 REVUE PÉDAGOGIQUE
le dissimulerais-je, si j'espère tirer une leçon utile des doléances que
j*ai lues? Ces doléances sont aigres-douces. « L'air des montagnes et
l'odeur des sapins ne remplacent pas la côtelette d, dit Tune de ces
demoiselles. £t cette autre : « A dîner, nous avons eu du bœuf et
des pommes de terre. Le bœuf et les pommes de terre réglementaires.
J'en aurai assez pour le restant de mes jours, du bœuf. 11 paraît
que les gens de Saint-Dié mangent du bouilli tous les jours. Eh bien,
je peux grandir et vieillir, jamws je ne me marierai avec un homme
de Saint-Dié. J'aurais trop peur qu'il eût conservé un amour malheu-
reux pour le bouilli quotidien. »
Eh oui, mesdemoiselles, les gens de Saint-Dié mangent du bouilli
tous les jours I et aussi les soldats français, et tout l'Est de l'Europe,
jusqu'au fond de la catholique Autriche I Priez seulement le ciel
qu'il vous en garantisse autant, et, pourvu qu'il y joigne un mari,
ne vous plaignez pas si celui-là vous nourrit de bœuf. Il n'en manque
pas qui gardent le bœuf pour eux et qui régalent leur moitié de
pain sec, quand ils ne remplacent pas le pain par des gourmades.
Vous étiez mieux fondées à accuser la pluie, qui vous a trop sou-
vent éprouvées. « Que la pluie des vacances est insupportable! »
s'écrie Jeanne Chauvin. Le travail du crochet ne vous en consolait
qu'à moitié. « Je suis sûre, dit Lucie, que le crochet a été inventé
im jour de pluie par une enfant en vacances qui trouvait le temps
long. y>
Mais le soleil est revenu et la colonie achève joyeusement ses
vacances. Une belle excursion au lac de Gérardmer, en voiture à gre-
lots, s'il vous plaît 1 un riche goûter à la BoUe, oiTert par M. et M"^
Sclafler, une soirée de musique chez M"® Henry Jaeglé en demeu-
reront les points brillants, sans compter d'innombrables ascensions
au Kemberg, au bois d'Ormont, aux Mollières, à Etival, à la Pierre-
d' Appel, etc. Jamais nos Parisiennes n'auront tant marché.
Et c'est à qui, des gens de Saint-Dié, s'ingéniera pour leur ôtre
agréable. M»»^ la baronne Boyer oublie ses 87 ans poUr leur montrer
ses jardins, la famille Ditterlin les traite comme des amies; le
bibliothécaire de la ville, M. Gherlach, leur ouvre feuille par feuille
le précieux missel de Saint-Dié, un des beaux manuscrits à enlu-
minures qu'on connaisse, et M. le capitaine Aubry le musée dont il
est le fondateur et le conservateur. « Encore un homme, dit Marthe,
qui nous prend au sérieux et qui nous croit capables d'apprécier ses
explications. »
Même gratitude et même intérêt pour les utiles enseignements,
donnés sur place par les propriétaires eux-mêmes, à la filature de
M. Marchai, à la fabrique d'apprêts de M. George Bleck, au tirage
de M. Achille Feltz. La description de Marthe donne vraiment une
idée lumineuse de cette dernière usine. Un bon élève de l'Ecole Cen-
trale ne l'eût peutrêtre pas mieux réussie. Presque toutes ses com-
pagnes se sont efforcées d'égaler son zèle et toutes oAt raf^orlé des
LES COLONIES DE VACANCES 31S
échantillons pour le musée scolaire fond^ depuis longtemps dans leur
école.
Enfin, pesées et mesurées la veille du départ, elles avaient con-
quis au retour, en moyenne, 2,055 grammes. Celle qui avait le plus
geint sur la nourriture avait gagné 4 kilos 1
Pour le thorax, l'augmentation était de 17"^.
Voilà les ravages du bouilli de Saint-Dié. J'ai hâte d'ajouter que
nulle n'avait attendu ces résultats pour rendre pleine justice à ïhÇh
tesse généreuse qui les avait préparés.
J'ai fini. Nos souscripteurs savent maintenant l'emploi qui a été
fait de leurs deniers. Ils ont vu les Colonies de vacances sur leur
champ d'expérience, dans leur variété, dans leur indépendance, dans
leur succès. J'ai fait passer devant eux leur petit peuple; ils ont pu
lire quelque chose comme un chapitre inédit des Voyages en Zigzag,
dont Tôpffer aurait abandonné la rédaction à ses élèves. Si, ainsi
que je l'ose croire, les Colonies s'y sont montrées des écoles de
santé et d'éducation sans pareilles, on ne leur ménagera pas les
subsides qui les ont fait naître, on en augmentera la puissance à la
mesure des besoins qui restent à satisfaire. Entre le bien accompli
et les maux qui subsistent récart est encore immense : Aux braves
gens de le diminuer. »
Nous ajouterons : Ce que M. Cottinet et ses collègues, avec
Taide de généreux souscripteurs, ont fait pour le IX® arrondis-
sement de Paris, il faut arriver à le faire pour les vingt arron-
dissements de la capitale, pour toutes les grandes villes de
France. J. G.
LE CAHIER DE DEVOIRS MENSUELS
Nos lecteurs connaissent le nouveau cahier de devoirs mensuels
iustilué par l'arrêté du 27 juillet 1883, et introduit dans un grand
nombre d'écoles.
Pour faire pénétrer facilement ce cahier partout, il fallait qu'une
abondante fourniture de librairie le mît à la portée de toutes les mains.
La chose est faite. Nous avons sous les yeux, envoyés par différents
éditeurs de Paris et de la province, une douzaine de spécimens bien
conditionnés et dignes de leur destination.
Nous allons les passer en revue. Peut-être les instituteurs trouve-
ront-ils dans ces quelques notes des indications propres à guider leur
choix selon la convenance et les intérêts bien entendus de leur
enseignement.
Ce qui se recommandait à l'attention des éditeurs, après la qua-
lité du papier, c'était la disposition intérieure : les notes indicatives,
la marge, et la réglure.
Considérés sous ces divers aspects, les spécimens se distinguent
les uns des autres par des dispositions qu'il est important de faire
bien connaître.
L'Imprimerie Nalionale (i), la librairie Lebrun fils, la maison
Hachette, la hbrairie Delagrave offrent, conformément au modèle, des
cahiers à pages blanches (2), ne portant qu'un seul trait, la marge.
Les éditeurs Colin, Delalain, Paul Dupont, Gauguet, Mont-Louis,
Mathieu, Weill-Maurice, présentent des cahiers à réglures diverses.
Voici d'abord le cahier de l'Imprimerie Nationale, papier de choix,
bâti solide, impression nette, perfection matérielle à tous les points
de vue. Si on ouvre ce cahier, on se sent pris du désir d'y tracer
quelques ligues. 11 contient 64 pages. C'est assez d*un exemplaire
pour le cours élémentaire et une partie du cours moyen. (Nous revien-
drons sur la question du volume des cahiers.)
Le spécimen qui se rapproche le plus du modèle type est fourni
par M. Lebrun fils (3). Même format, même papier, même poids, corn-
ai] L'Imprimerie Nalionale a édité des cahiers modèles qui ont ete envoyés
aux inspecleurs d'académie, aux inspecteurs primaires et aux libraires ; ces
cahiers ne sont pas en vente.
(2) La librairie Delagrave a fourni un second cahier avec réglure; nous
en parlerons ailleurs.
(3i Rue de Rennes, 167, Paris.
LE CAHIER DE DEVOIRS MENSUELS 317
position absolument semblable sous tous les rapports. Ce que nous
avons dit de Tun peut se dire exactement de l'autre.
La librairie Hachette (1) reproduit le modèle officiel en fac-similé.
Mais comme ce modèle n'a pas de réglure, l'éditeur a eu la bonne
idée de joindre un transparent à son spécimen. Il n'y a qu'à le féli-
citer de cette attention ; il montre par là qu'il connaît bien les
exigences de l'enseignement chez les plus jeunes élèves. Le cahier
de la maison Hachette est consolidé par un double point d'attache
des feuilles. C'est à remarquer.
Vient ensuite le cahier fourni par la librairie Delagrave (2). Les
pages en sont blanches comme celles des cahiers examinés jusqu'ici;
maison a joint un transparent. 11 convient de remarquer qu'avec le
même nombre de pages, ce cahier a moins de poids que les précé-
dents. L'expérience peut seule nous dire s'il fera le même usage.
Les cahiers avec réglure sont au nombre de huit.
Celui de M. Armand Colin (3) est très bien soigné au point de
vue matériel : fort papier solidement attaché, impression des plus
nettes, réglure fine et légère. L'auteur a orné les pages de la cou-
verture de maximes choisies avec à-propos : « Fais bien ce que tu
fais » ; de notions utiles sur les moyens de compléter son instruction
en sortant de l'école primaire, sur les avantages que présente la
Caisse des retraites, sur nos devoirs envers la pairie. Peut-être a-t-il
été moins heureux dans la rédaction de la dernière feuille blanche,
rédaction due également à son initiative. Étant donnée en effet l'idée
fondamentale du cahier, qui est de ne comparer l'enfant qu'avec
lui-même, il nous est difîicile de comprendre l'utilité de la page 65 (i).
La page GG pourrait se borner au portrait du bon écolier.
M. Delagrave, qui a déjà présenté un cahier à pages blanches,
nous en fournit un second de la plus fine réglure. Une disposition
heureuse sous ce rapport, et qui se reproduira dans beaucoup
d'autres cahiers, c'est celle du quadrillé. Il est évident que les exer-
cices de calcul, de géographie et surtout de dessin y trouveront leur
corapt»?.
Le cahier de M. Delalain (5) est la reproduction fidèle du modèle
officiel avec toutes ses bonnes qualités. Le trait de réglure a de la
finesse ; il est soumis à un espacement gradué qui paraîtrait répon-
dre à la marche progressive de l'enfant si les trois cours pouvaient
être contenus dans une seule livraison, c'est-à-dire dans 64 pages.
Mais nous ne pensons pas qu'il en soit ainsi, en fait. De sorte que
l'espacement des lignes, dans les premières pages, ne répondrait
1) Boulevard Saint-Germain, 79, Paris.
(2) Rue Soufnot, 15, Paris.
(3) Rue de Mézières, 5.
[4] Rang de mérite ; 3 tableaux, un pour chaque cours.
(5) Rue des Écoles, 55, Paris.
318 RfiVUE PÉDAGOGIQUE
point aux besoins d'un élève avancé. Il est vrai qu'on y suppléerait
facilement au moyen d'une ligne intercalaire tracée au crayon.
Le cahier de ki maison M. Paul Dupont (1), celui de M. Élie Gau-
guet (2) et celui de MM. Weill et Maurice (3) reproduisent fidèlement
les dispositions -du modèle officiel.
M. Mathieu (4) édite ceux cahiers, l'un de 40 pages, l'autre de 80.
il les destine sans doute, le premier au cours élémentaire, le second
au cours moyen et au cours supérieur. Nous croyons, en effet, que
les 120 pages que renferment les deux cahiers sont près de répondre
à la durée des trois cours. Cette pensée a conduit Téditeur à un
système de réglure assez compliqué et à une autre disposition qui
ne se trouve point ailleurs. On a imprimé les titres mêmes des
devoirs selon les matières du programme. Les instituteurs qui aiment
un ordre rigoureux dans la succession des devoirs s'accommoderont
de ces cahiers ; ceux que peut séduire une certaine liberté d'allures
ne pourront pas les accepter parce qu'ils se verraient obligés de
laisser par ci par là des pages en blanc. Matériellement les cahiers
de M. Mathieu sont irréprochables et reproduisent, aux marges
près, le modèle officiel.
Un autre éditeur, M. G. Mont-Louis, de Clermont-Ferrand, inspiré
par le désir de rendre le cahier annuel, s'est écarté du modèle quant
au volume. Le cahier, sans pagination indiquée, compte 40 pages
au lieu de 64. il en diffère d'ailleurs sur beaucoup d'autres points.
Les recommandations adressées aux élèves dans les pages intérieures
de la couverture modèle sont remplacées, d'un côté, par un cadre
spécial destiné à tenir lieu de carnet de correspondance, de l'autre
par un extrait de la loi du 28 mars; enfin une note sur les prhici-
paux devoirs envers la patrie occupe dignement sa place à la 4^ page.
La couleur mate du papier est favorable à l'hygiène de la vue.
Tels sont les spécimens parus jusqu'à ce jour. Nous remercions
MM. les éditeurs d'avoir si évidemment pris pour objectif l'intérêt
de l'école et celui de l'élève.
Ils ont pour la plupart cherché à pei fecUonner le modèle fourni
par l'administration. Ont-ils complètement réussi ? Nous ne le pensons
pas. Il nous reste donc à indiquer ce qui, d'après nous et d après
l'expérience que nous avons faite dans les écoles, pourrait sérieuse-
ment améliorer le cahier, l'amener vers sa forme définitive et en
rendre l'usage facile et commode.
Considérons d'abord le volume qu'il convient de lui donner.
Nous estimons que chaque exemplaire doit servir pendant une année
seulement, sauf à réunir à la fin de la scolarité les cinq ou six exem-
Mia^i^^i^^ia
(1) Rue J.-J. Rousseau, 41, Paris.
(2) Rue de Seine, 36, Paris.
(3) Boulevard Saint-GermaÎD, 169, Paris.
(4) Libraire à SaiDt-Mihiel (Meuse).
LE CAHIER DE DEVOIRS MENSUELS 319
plaîrcs en un seul volume. Lui doimer une plus longue durée, ce se-
rait Texposer à une usure compromettante, surtout si on lui faitfalre
quelques voyages de l'école à la famille, comme nous le conseillons.
Ce principe admis, remarquons bien que le cours élémentaire
n'est tenu qu'à peu de devoirs écrits : quelques lignes d'écriture,
une dictée d'orthographe composée de trois ou quatre phrases des
plus simples, une ou deux opérations de calcul, un peu de dessin,
de petits exercices de langue pour initier les élèves à la rédaction:
en tout cinq matières d'enseignement. En supposant que les devoirs
sur ces cinq matières se répètent à chaque mois, ce qui n'est pas
de rigueur, on arrive à 50 devoirs par année ; comptons une demi-
page pour chaque exercice en moyenne, et nous auroTis 25 pages
employées. On voit qu'un cahier de 30 pages est largement suffisant
pour un élève du cours élémentaiie dans le courant d'une année.
Nous sommes donc fondé à demander, pour le cours élémentaire,
un cahier do 80 ou 32 pages au plus.
Dans les cours moyen et supérieur, les devoirs augmentent comme
étendue et comme nombre. Il faut en effet ajouter aux ctnq que
nous venons d'énumérer pour le cours élémentaire, les devoirs sur
la géographie, l'histoire, la géométrie, les sciences physiques et
naturelles, ce qui en porte le nombre à neuf. Ici, le cahier mensuel
destiné à une durée d'un an devra donc être double de ce qu'il
était dans le cours élémentaire et compter par con^équent 64 pages,
soit l'étendue exacte du cahier modèle.
Après le volume, passons à laréglure; mince objet en apparence,
alïaire de goût plutôt que de méthode, dira-t-on. Nous sommes d'avis
(ine, quand il s'agit de tout jeunes enfants, les plus petites choses
prennent une grande importance. Les familles le savent bien, lar
mère surtout. Nous penchons donc pour la disposition suivante, qui
a l'assentiment d'un grand nombre de maîtres. Le cahier destiné
au cours élémentaire porterait la réglure ordinaire de-8 millimètres,
si connue, en bleu ou violet pâle, jamais en noir, à moins que le
trait ne fût d'une extrême finesse. Il serait même quadrillé à traits
perpendiculaires de 4 millimètres, afin de faciliter à cet âge inex-
périmenté les exercices de dessin et la disposition régulière des
chilTres dans les opérations de calcul.
Pour le cours moyen, on s'en tiendrait à la réglure ordinaire sans
quadrillage.
Le cahier destiné au cours supérieur resterait blanc, car il con-
vient d'habituer les enfants à se passer de réglure. Us n'en auront
pas toujours une à leur disposition, plus tard.
Comment les devoirs seront-ils corrigés? L'office du maître, sons
ce rapport, se trouve tout indiqué par la circulaire du 25 août
188^4. « Les devoirs seront corrigés à la marge », yest-t-ll dit.
C'est assez, en eOet, si Ton^eut laisser au travail tie !'enftmt son
caractère personnel. Les annotations, les surcharges tendraient à
320 RSVUB PÉDAGOGIQUE
TalTaiblir ; elles seront rigoureusement écartées. Le rôle de Finsli-
tuteur se borne donc à indiquer l'erreur en faisant un simple trait
à la marge, ou, ce qui est mieux, en la soulignant dans le corps du
devoir, sans surcharge ni rature. Le résultat est apprécié par une
note comprise entre 1 à iO.
Dans ces conditions, la tenue du cahier est loin de devenir un
surcroît de travail pour le maître. C'est là un point très important
qu'il faut examiner de près.
Le jour où les enfants sont occupés aux devoirs mensuels, le cahier
journalier n'est pas employé. La compensation semble donc natu-
rellement s'établir. Il est vrai cependant que la correction de ces
devoirs, cahier par cahier, demande plus de temps que la correc-
tion des devoirs ordinaires. Il y aurait effectivement perte pour le
maître. Mais faisons attention que, pendant le travail spécial men-
suel, l'instituteur n'a qu'un rôle de surveillance, l'élève devant
travailler seul, sans secours étranger. Pourquoi, pendant cette demi-
journée, le maître ne verniit-il pas une composition faite la veille,
ou ne préparerait-il pas des sujets de devoirs pour les jours sui-
vants ?
A la place de l'instituteur, je choisirais donc, pour les exercices
mensuels de la classe, le lendemain d'une composition. La chose est
facile, puisque rien n'oblige à prendre un jour plutôt qu'un autre.
Pendant que les élèves feraient ces devoirs spéciaux, je corrigerais
les compositions de la veille et j'aurais non seulement compensation,
mais bénéfice net de temps et de travail.
Il y a plus. Dans les nombreuses écoles où le directeur est
déchargé de classe, c'est lui-même qui, pour plusieurs raisons, doit
^préparer ces sujets spéciaux et présider aux devoirs. Autre circon-
stance évidemment très favorable à l'allégement de la tâche de
l'instituleur adjoint.
Il reste donc établi, à notre avis, que la tenue du cahier mensuel
n'est pas une charge nouvelle dans les écoles.
On s'est demandé si le cahier mensuel peut remplacer les com-
positions. Nous ne le pensons pas. Généralement l'attribution des
récompenses est basée sur les compositions hebdomadaires ou de
quinzaine. Or le cahier n'est que mensuel.
En outre, si on transforme le cahier mensuel en cahier de com-
position, on lui ôte son caractère spécial, qui est la spontanéité, la
traduction fidèle et pour ainsi dire la photographie de l'état intel-
lectuel de l'enfant aux différents degrés de sa vie scolaire. La com-
position en effet a toujours un peu d'apprêt ; les élèves savent qu'ils
luttent avec leurs camarades , c'est au fond un concours pour les
premiers rangs. Il est évident que le cahier, tel qu'il est défini dans
les documents officiels, n'est point institué dans ce but. Ce serait
l'opposé. N'altérons pas sa destination d'origine.
Il y aurait sans doute beaucoup à dire encore sur ce modeste cahier.
UNE ÉCOLE PRIMAIRE FRANÇAISE A LONDRES 331
Mais nous pensons que MM. les instituteurs sauront aplanir les pe-
tites difficultés d'application qu'il pourra soulever, et, si nous de-
vons en parler de nouveau, ce ne sera sans doute que pour en louer
les résultats.
G. Maillé.
Inspecteur primaire à Paris.
PROJET DE CRÉATION
D'UNE ÉCOLE PRIMAIRE FRANÇAISE A LONDRES
La colonie française de Londres poursuit la solution de deux
grandes questions : la première et la plus importante est la
création d'un lycée; la seconde, et la plus urgente, c*est Touverture
d'une école primaire. L'un des promoteurs de celte double entreprise,
M. Hamonel, est surtout frappé de ce fait que les enfants nés en
Angleterre de parents français entrent promptement en fusion avec
les cléments de la race britannique et qu'ils sont et demeurent per-
dus pour la France dès la première génération. 11 doute que l'An-
glais et l'Allemand se transforment aussi vite dans le Français par
le seul fait de leur naissance et de leur résidence dans le pays'
adoplif. Ce résultat, d'après lui, devrait être attribué au manque de
pré\oyance, d'organisation et de surveillance administrative des
intérêts français en pays étranger. Nous croyons qu'il y a là quelque
exagérati n : on voit les Espagnols, les Italiens et les Mallais se
franciser de plus en plus en Algérie, et l'on parle encore français à
Québec et à la Nouvelle-Orléans.
Quoi qu'il en soit, c'est faire œuvre patriotique que d'ouvrir une
école primaire aux enfants de nos compatriotes de Londres, car
celui qui oublie sa langue oublie forcément sa patrie, et quelle tris-
tesse pour les [ières et mères de ne plus pouvoir être compris de
leurs enfants ! Madame Hamonet, qui s'est associée à l'œuvre de
son mari, rapporte à ce sujet quelques faits touchants.
«J'ai souvent rencontré, dit-elle, dans les magasins du quartier fran-
(jais, des enfants à l'œil noir, au tempérament nerveux, à rex])ression
tant soit peu goguenarde, dont \h type, en un mot, me révélait
instinctivement la nationalité. Je leur parlais français. Ils souriaient
sans me répondre. L'individu présent hochait la tête en me disant : « Je
crois qu'ils vous comprennent, mais ils ne peuvent pas répondre. »
RKVUl PÉOAGOGIQUI 1885. — !«>' SU. 21
ââS REVUS PÉDAG06IQUK
» Une mère française, un jour, le cœur gros» les yeux remplis de
larmes, m'entretenait de sa fille : « Maintenant qu'elle grandit, » me
disait-dle, c elle ne parle presque plus français, elle répond en au-
» glais à tout ce que je lui dis, et je la comprends à peine ; c'est
» bien triste. Pendant la semaine, nous nous voyons peu ; mais, le
» dimanche, cela me ferait du bien de bavarder avec ma fille. Oh I
» madame, c'est un grand crève-cœur pour moi de penser qu'il n'y
» a rien de commun entre nous, puisque nous ne pouvons pas con-
f verser. »
"J'arrive maintenant aux ouvriers français mariés à des Anglaises.
Dans ces ménages, la langue du père est odieuse ; non seulement on
ne la parle pas, mais on se croirait déshonoré de la comprendre.
Nous avons connu un chef d'établissement qui avait durement tra-
vaillé pour élever honorablement une nombreuse famille. Son grand
chagrin était de voir ses enfants grandir sans comprendre un mot
de français ; toutes les fois que le brave père parlait sa langue, les
enfants riaient et prenaient leur volée ; c'était un enfantement systé-
matique chez eux de ne pas vouloir entendre un seul son fran(;ais. »
M™® Hamonet voudrait voir ajouter un ouvroir à l'école des filles,
pour conserver et développer parmi elles « l'aptitude à façonner toutes
ces choses élégantes, cette lingerie d'une finesse sans pareille, ces
mille riens si recherchés de la mode, parce qu'ils portent toujours le
cachet de notre pays. Les mains de la Française sont un composé
d'adress?, de promptitude, de légèreté et de bon goût. »
M. et M"« Hamonet ont raison : il faut que l'école et Touvroir s'ou-
vrent le plus tôt possible^ Il y a lieu d'espérer que ce résultat ne se
fera pas longtemps attendre, car la Société nationale des profes-
seurs de français a déjà pris Fînitiative d'un appel public à la colo-
nie, et recueilli trois cents adhésions ; de plus, notre ambassa-
deur et notre consul général ont bien voulu se mettre à la tôte du
mouvement. A. B.
RAPPORTS SUR L^EXPOSITION DE LONDRES
A 1 occasion de rExposition internatioDale d'hygiène et d'éducation
de South Kensiugton et du (.longrès pédagogique qui Ta accompa-
gnée, un certain nombre de fonctionnaires de notre enseignement
primaire avaient été envoyés à Londres. Nous avons sous les yeux
les rapports qu'ils ont adressés, à leur retour, à M. le ministre de
rinstruction publique; et, avec rautoriaaUon de M. le directeur de
renseignement primaire, nous allons essayer de résumer briève-
ment, pour les lecteurs de la Revue, la substance de ces intéressants
documents. Faire un choix restreint dans une abondance de choses
€j:cellentes ; sentir que tout ce qui, faute d'espace, doit être laissé
de côté, était cependant bon et digue d'attention, — telle est la
tâche ditlicile qui nous est échue, tel est aussi le sentiment avec
lequel nous l'abordons. Aussi réclamons-nous l'indulgence tant des
auteurs dont nous sommes forcés de condenser les travaux en si
peu de pages, que des lecteurs auxquels nous présentons cette très
sommaire analyse.
1
Nous commencerons par le rapport collectif de M'"'^» Dillon, Ker-
gomard et Penel,
Ces dames ont visité Londres au moment où les écoles fonction-
naient. Regrettant de ne pouvoir consacrer à leurs intéressantes
descriptions qu'un espace aussi restreint, nous nous bornerons à
citer les passages où les auteurs ont signalé quelque amélioration à
introduire chez nous, ou même quelque point où il leur a semblé
que nos voisins feraient bien de nous imiter; car, en effet, si la
France, dans le Congrès pédagogique de Londres, a reçu quelques
leçons, elle a donné, de laveu de tous, de bons exemples à suivre.
Nos inspectrices des écoles matemeUes se sont occupées avant tout
des Kindergàrten et des Infant tchooU. A première vue, on serait
tenté de leur reconnaître uae supériorité sur nos écoles maternelles.
Personnel d'élite et nombreux (ujoe malirease pour ii élèves), mobi-
lier complet (piano dans le préau pour exiécuter les marches et les
rondos), matériel abondant et varié pour tous ces petits exercices
<ies doigts qui dévelopfient le petit eofiaot, Tanaclient à l'inertie,
et font l'éducation de son goût : voilà ce qu'on trouve daos les Kin-
dergàrten des quartiers riches. Mais dans les quartiers pauvres et
misérables, les écoles de petits enÛLuto attristent par la pénurie,
par les hailloas, par la Boufitenoe dont elles offrent le spectacle.
324 REVUK PÉDAGOGIQUK
« Nous les avons vus, ces enfants de raères ivrognes, le petit corps
portant les traces d'odieuses violences, les pauvres petits bras
labourés de coups de corde. Ce petit peuple de souffre-douleurs
arrive en classe ayant faim, il y reste ayant faim, et en sort sans
être rassasié. Car, jusqu'ici, le School Board, dans la pensée louable,
il est vrai, de décourager la paresse des parents, n'a pas voulu
créer dans ces écoles de cantine gratuite. On n'y voit pas de cou-
chette pour les petits qui s'endorment; il n'y a pas de femme pour
donner les soins si nécessaires à cet âge tendre. » Une observation
nous a particulièrement frappé, et ici, nous avons, je croîs, un
exemple à suivre : il s'agit de la co-éducation des sexes dans les
écoles du premier ^ge.« Ces écoles mixtes sont réellement mixtes, et
aucune préoccupation pudibonde ne vient augmenter les difficultés
du système, ni en paralyser l'action éminemment éducative. Les
enfants, arrivés à l'école par groupes, s'asseoient côte à côte; nous
dirions au hasard, si nous n'avions constaté un ordre remarquable
dans tous les établissements que nous avons visités; ils travaillent
ensemble, jouent ensemble, jouissent d'une liberté d'ailleurs toute
fraternelle. Nous avons vu de petits couples dansant et s'embrassant
le plus gentiment du monde. Cela repose de nos clôtures et de nos
terreurs qui vont totalement à rencontre de leur but. »
D'autres remarques, non moins importantes, s'appliquent à l'orga-
nisation et à rinstallation matérielle des écoles normales; le
rapport attire notre attention sur le bien-être et la liberté dont
jouissent les élèves, placées ainsi dans les conditions les plus
favorables au développement non seulement de la santé physique,
mais du sentiment de la dignité personnelle. « Les dortoirs à com-
partiments distincts assurent aux jeunes filles l'indépendance et la
dignité du chez soi. Chacune orne selon son goût, et aussi selon
son cœur, son petit box (suffisamment aéré, les clôtures de bois ne
s'élevant qu'à mi-hauteur de la grande salle), si bien qu'un simple
coup d'œil suffit à l'observateur pour que celle qui l'habite ne soit
pas tout-à-fait une inconnue. Quatre escaliers extérieurs, escaliers en
fer, descendent des dortoirs dans la cour; en cas d'incendie il suffi-
rait de briser une vitre pour fuir le danger. Chaque chambre est
dans ce but pourvue d'une .hachette. Des salles à lavabos, des
chambres de bain^ répondent, dans d'excellentes conditions, aux
besoins de propreté et d'hygiène. Au réfectoire, les tables sont
recouvertes de nappes bien blanches, les couverts sont reluisants,
le cristal des verres est limpide. La liberté s'étend à tout, depuis
le costume jusqu'à la promenade. » Une citation encore : « A Stock-
well, pas d'uniforme. L'école n'a pas de livrée. Chaque élève a le
droit de s'habiller selon son goût, de se faire jolie ou de s'enlaidir à
son gré. Et déjà, cette liberté donne aux maîtresses des indications
précieuses sur les goûts, les tendances, nous dirions presque sur la
qualité intellectuelle et morale de chaque jeune fille. Cette respon-
RAPPORTS SUR l'eXPOSITION DE LONDRES 335
sabilité individuelle à Tégard du costume 8*étend, s'élève à la
conduite même. Il n'y a pas à Stockwell de surveillance des classes,
ni du dortoir. Cest un professeur qui assiste aux études. Tous
les jours, pendant une demi-heure, les students peuvent aller, par
groupes de deux, se promener au dehors. Le samedi et le dimanche,
c'est-à-dire les jours de congé, elles vont seules à l'église, à la
promenade, chez leurs amis ou leurs correspondants. » Voilà des
différences notables, et des mœurs libres qu'on pourrait pratiquer
chez nous si nous commencions par une éducation plus libre du
premier âge.
Dans le rapport serré et complet de M"® Gautier ^ inspectrice
des écoles maternelles de la Seine, nous trouvons, à côté d'ap-
préciations justes et intéressantes, bon nombre de faits dont
nos écoles peuvent tirer un profit immédiat. En parlant des con-
structions scolaires, elle remarque que, dans chaque école, il y a
pour les maîtres vestiaire, lavabo et parloir. Dans les salles de
classe, elle a vu les murs décorés de collections d'animaux, de
tableaux de botanique, de gravures et de photographies des chefs-
d'œuvre des maîtres, destinés à former le goût des enfants, et elle
ajoute : « Celte idée, née en France, a été accueillie avec empresse-
ment par nos voisins qui font venir même de Paris la plupart de
ces gravures ». A propos de la couture. M"® Gautier a vu les
enfants de l'école maternelle exercées au maniement de l'aiguille
sans aiguille ni dé, ni fil, c'est-à-dire qu'on les exerce à placer, au
commandement militaire, les mains dans les différentes positions
exigées pour le point d'ourlet. On continue à les faire travailler au
commandement lorsqu'elles cousent réellement, et l'on obtient d'ex-
cellents résultats. Voilà une gymnastique utile et amusante. Une
autre bonne idée pour le dessin : « J'ai vu employer un appareil
destiné à démontrer comment on représente un solide sur une
surface plane. Cet appareil se compose d'une surface en verre der-
rière laquelle ou dispose le solide à dessiner; puis on trace sur le
verre des traits qui s'adaptent exactement aux arêtes du solide vu
en perspective, et on obtient ainsi la forme apparente du solide. »
— Ce que dit M"*® Gautier de l'enseignement de l'art culinaire nous
paraît mériter une attention spéciale : « S'il est, dit-elle, un emprunt
qu'il y aurait lieu de faire à nos voisins, ce serait, sans contredit,
l'inlroduction d'un cours de cuisine pratique dans nos écoles de
filles. Il en sort des couturières et surtout des institutrices : le
nombre toujours croissant des aspirantes aux brevets de capacité, et
les trois mille demandes d'emplois qui attendent dans les bureaux
de la Préfecture de la Seine, en font foi. Je crois qu'il y aurait avan-
tage à mettre un peu en honneur l'art culinaire et à former quelques
cuisinières. Les Anglais, si pratiques, ont reconnu avant nous l'utilité
de cet enseignement, et le succès de ces cours à Londres répond à
l'avance de leur succès à Paris. »
3:26 REVUE PÉDAGOGIQUE
n
Nous arons maintenant à passer en revue les rapports rédigés par
MH. les inspecteurs primaires, directeurs d'écoles supérieures et
professeurs d'école normale qui avaient reçu du ministère la mission
de visiter l'Exposition et d'assister aux séances du congrès. « Laissez
de côté les questions générales, leur avait dit M. le directeur de
l'enseignement primaire : n'oubliez pas que, par la nature même de
vos fonctions, vous êtes habitués à juger les détails; ne sortez pas
de voire rôle ordinaire, mais rapportez-nous une provision plutôt
saine qu'abondante de faits pratiques et d'idées justes^ que nous
puissions mettre à profit. »
C'est dans cet esprit que les auteurs de ces rapports se sont attachés
à étudier chacun une ou plusieurs questions spéciales; évitant les
généi-alités vagues, ils ont cherché non à voir beaucoup en peu de
temps, mais à bien voir la chose particulière sur laquelle ils con-
centraient leur attention.
M. Desgranges, professeur à l'école normale de Savenay, a étudié
à fond les Kindergàrten ou écoles de la Société Frœbel. Il n'en a pu
voir, à cause de l'époque de son séjour à Londres, que le beau côté,
l'école maternelle modèle: mais, après tout, c'est de ce qui est le
meilleur qu'on doit tirer des idées. M. Desgranges signale le grand
nombre d'école normales établies par la Société Frœbel chez nos
voisins pour former les institutrices. Les brevets pour les écoles
maternelles sont de deux degrés : le brevet simple et le brevet supé-
rieur. L'obtention de ce dernier surtout exige des connaissances
sérieuses. « De tous les enseignements, dît M. Desgranges, celui de
l'enfance est certes le plus difficile ; il demande de la part du maître
ou de la maîtresse une étude approfondie de la pédagogie, une pra-
tique intelligente des meilleurs procédés. Aussi voyons-nous, dans
les programmes d'examen de la Société Frœbel, les questions péda-
gogiques et les connaissances pratiques tenir la plus large place. »
Le matériel d'enseignement, les balles, les cubes, les bâtonnets, etc.,
se trouvent dans quelques-unes de nos bonnes écoles maternelles
urbaines; mais on serait heureux de voir pénétrer cet enseignement
Jusque dans nos communes les plus reculées. L'emploi des bâ-
tonnets pour enseigner l'écriture, le calcul, le dessin, serait surtout
facile à vulgariser. Quel enfant n'apprendrait pas avec plaisir la
géographie enseignée à l'aide de plans élémentaires, tracés par la
maîtresse au tableau et imités par les petits élèves, « plans de la
dasse, du jardin, du village, des cours d'eau ou des étangs voisins ;
les îles sont figurées par de petits amas de sable sur fond de papier
bleu; les arbres de ces îles sont de petits rameaux, et la maison,
des bâtonnets plantés dans le sable. Une rivière est représentée sur
fond de papier bleu avec du sable qui en forme les rives; les ponts
sont de petits bâtonnets. » Pour le dessin également, nous avons
RAPPORTS SUR l'eXPOSITION DI LONDRES 317
peut-être quelque chose à imiter. « Une grande part est laissée à
rinitiatire indifidoeUe. Ncww voyons exposés sous le titre d'inveniién
de petits dessins sur papier quadrillé, oh l'enfant a d'abord tracé
des lignes droites en différents sens, des lignes courbes, puis a* réu«i
les lignes droites et les lignes courbes. — - Les premiers essais sont
informes ; mais, en feuilletant ce» cahiers, nous voyons rimaginaliofn
s'étendre peu à peu, et les figures^ tout en se compliquant, prendre
une disposition agréable à la vue. »
Arrivons à ce qui parait être l'idée maîtresse de cette intéressante
étude. Cette idée se dégage d'elle-même de Taveu suivant fait à
M. Desgranges par des institutrices anglaises : « Les enfants qui ont
été élevés d'après le système Frœbel ont l'intelligence plus ouverte;
ils suivent avec plus de fruit les leçons de l'école élémentaire. *
Toutefois, îl convient de remarquer que l'éducation et Tinstruction
reçues au Kindergarten ne peuvent porter tout leur fruit que si l'en-
seignement du degré élémentaire à l'école primaire sait mettre à
profit ce qui est déjà acquis et tenir compte des procédés employés
jusqu'alors. Hélas I combien de fois la dissemb)|Guice qui existe chez
nous entre la méthode des écoles maternelles et celle des écoles
primaires n'a-t-elle pas fait échouer les meilleures disposition»!
Essayons, nous feronâ bien, d'atténuer cette dissemblance, de faiie
de l'école primaire un lien entre l'école maternelle et réoole pri-
maire supérieure.
M. Doinel, directeur de l'école primaire supérieure de JoinviUé,
nous a transmis un rapport riche en renseignements utiles sur
V internat, le dessin et les travaux manuels dans les écoles primaires
supérieures. Nous voudrions pouvoir reproduire toute sa plai-
doirie en faveur du travail manuel considéré comme favorisant
non seulement les aptitudes physiques, mais portant son action
éducative sur l'individu tout entier. « Il s'agit de relever aux yeux
de tous la dignité du travail manuel : aux yeux du riche qui croirait
se déclasser en se servant de ses mains pour travailler; aux yeux
de l'ouvrier qui s'imagine être seul à la peine, qui hait, par le seul
fait de la souffrance et du danger matériels de chaque jour, ceux
qui, d'après lui, ne travaillent pas, et cependant il rêve parfois
pour les siens la prétendue sinécure d'une profession libérale. » —
L'internat des autres pays, dans son installation matérielle, ne
semble pas a M. Doinel devoir nous servir de modèle, si ce n'est
dans la plus grande liberté laissée aux élèves, dans l'absence d'une
surveillance exagérée, et dans l'organisation, pour développer l'ac-
tivité physique, de jeux de force, de course et d'adresse. Quant à
la surveillance blessante à tous les instants de jour et de nuit dont
on se dispense avec tant d'avantage chez nos voisins, nous croyons»
avec M. Doinel, qu'elle ne fait qu'écraeer l'initiative individuelle
chez les faibles, et développer chez ceux qu'elle ne dompte que
momentanément un esprit de haine et de révolte. Toute classe,
32S RSVUK védàgooique
toute école, tout pays soumis à ce régime ressemble à une chaudière
dont on a vissé la soupape. — D'une étude minutieuse des
spécimens de dessin exposés à South Kensington, M. Doinel conclut
que la France semble avoir mieux compris que ses voisins la
nécessité de cultiver le goût en même temps que la correction. Il
approuve surtout remploi, par les enfants de Técole élémentaire,
des couleurs vives. « L'enfant aime les couleurs; pourvu qu'on le
dirige dans le choix, l'emploi des couleurs lui fera aimer le dessin.»
Dans cette exposition de dessins» d'objets en bois, en fer, en plâtre,
fabriqués par les élèves, une grande honnêteté semble avoir présidé
au choix. 11 y avait cependant un penchant visible à choisir l'œuvre
du meilleur élève et le meilleur travail de celui-ci. S'il fallait,
parmi tant d'exposants, décernei* des éloges particuliers, on citerait
peut-être le Japon, à cause des progrès immenses faits depuis
Tcxposition de 1878, et la Belgique, pour avoir exposé un grand
nombre de dessins à main libre et un dessin ^invention, genre
d'exercice qu'on n'a rencontré nulle part ailleurs, excepté dans
l'école enfantine et que M. Doinel nous engage à cultiver chez
nous. « Dans l'enseignement primaire supérieur, les devoirs de
rédaction pouvaient porter sur l'interprétation, par écril, d'un
dessin de. machine, d'un plan de maison, d'une coupe de pont, etc.
Rien ne sert de copier les lignes, les couleurs, si l'on ignore à
quelles intentions elles répondent, si l'on ne peut, constructeur,
entrepreneur ou propriétaire, les interpréter. Il est vrai que cette
lecture se fait oralement dans la plupart des cas, que les explications
préalables d'un professeur préviennent les erreurs, et initient à la
compréhension de l'ensemble; mais il nous semble quon gagnerait
à aller au delà de cette habitude de procéder. » Quant à l'invention,,
sauf ce qui a élé constaté çn Belgique, elle est presque nulle après
l'école enfantine. C'est un fait digne de remarque. On pourrait
donner à traiter des sujets sur canevas préparé par le professeur,
puis en laisser le choix : procéder en dessin rt)mme en composition
française. Peut être ferait-on naître Tinitiative et disparaître notre
habitude de la copie. II y aurait au point de vue de l'art industriel
le style dix-neuvième siècle, comme il y a le style Renaissance,
le style Louis XV, etc.
M. Bouffandcau, inspecteur primaire à Melle, a fait sur ïensei-
gnemcnt de la lecture et les livres de lecture de nos voisins une étude
approfondie et très intéressante. « C'est par la lecture surtout que
les inspecteurs jugent de la culture intellectuelle des élèves et de
la valeur pédagogique du maître. Aussi, des trois matières fonda-
mentales de l'enseignement élémentaire, la lecture, l'écriture et le
calcul, la lecture est celle qui, depuis quelques années, préoccupe
le plus les inspecteurs des écoles anglaises. Des programmes précis
ne laissent rien au hasard, règlent l'examen de chaque classe ; l'in-
struction du nouveau Code scolaire, enjoignant aux inspecteurs de se
RAPPORTS SLR L EXPOSITION DE LONDRES '129
rendre compte par des queslions si les élèves ont bien saisi le sens
du texte lu, a rappelé partout aux maîtres que de bonne heure il
fallait éveiller Tesprit de Tenfant, et que la leçon de lecture devait
être autre chose qu'une simple répétition monotone de sons et de
mois. » Il est impossible de trop insister sur ce principe, car, malgré
les efforts soutenus de Tinspection, malgré Tabondance des bons
livres mis entre les mains des élèves, renseignement de la lecture
aux petits enfants n'est ce qu'il doit être que dans une petite
minorité d'écoles. En France, nous pouvons faire le même aveu. Et
la cause du mal est la même chez nos voisins que chez nous. « La
leçon de lecture, la plus difficile de toutes, est considérée comme
la plus facile, et confiée le plus souvent à de jeunes maîtres qui no
savent pas eux-mêmes ce que c'est que de bien lire ! » Quant à la
méthode suivie aujourd'hui par les bons maîtres, on remarque le
soin d'éviter l'ennuyeuse épellation des petits mots familiers qu'un
enfant peut facilement saisir et prononcer avec une seule émission de
voix. Les livres de lecture entre les mains des élèves sont de deux
sortes, — ceux de la leçon de lecture proprement dite, et ceux, faits
ad hoc, dont la lecture doit suivre l'exposé oral de la leçon d'histoire
ou de géographie faite par le professeur. — La leçon reprise ainsi
immédiatement sous une autre forme, celle d'un récit intéressant
ou d'une description bien faite, grave bien dans l'esprit de l'élève
les faits de l'histoire ou de la géographie. Cet emploi de livres de
lecture historique, géographique et scientifique a produit chez nos
voisins les meilleurs résultats. L'idée nous paraît bonne à suivre; il
faut seulement que les livres soient bien faits. En somme, conclut
M. Bouffandeau, nos voisins, les Anglais, souffrent comme nous des
défauts d'une mauvaise lecture, et si, comme il est incontestable,
ces défauts tendent à disparaître peu à peu chez eux, c'est grâce a
l'incessante et minutieuse surveillance des autorités et à l'encoura-
gement, sous forme de subventions, accordé par l'Etat aux institu-
teurs qui réussissent à faire bien lire. — Les mêmes moyens
réussiront chez nous.
M. Cottin, inspecteur primaire à Coulommiers, s'est occupé de
l'organisation de Vinspection et des examens. Il explique d'abord
comment le besoin d'assurer le bon emploi des subventions votées
pour encourager la bonne direction des écoles a fait naître en
Angleterre l'institution toute moderne de l'inspection des écoles
par l'Etat.
Le rapport signale plusieurs détails de règlement qui ont une
grande importance, et qui méritent d'être relevés. 1® En ce qui con-
cerne l'inspection : « A la suite de chacune de ses visites, l'inspectenr
«^st tenu de dresser un rapport au Département d'éducation ; le résumé
de ce rapport, avec les observations qu'a pu y joindre le Département»
est communiqué aux administrateurs de l'école, et transcrit aussitôt
sur un registre spécial qui reste entre les mains de rinstituteur; »
330 RBVUC PÉnàGOGIQUE
29 Au sujet des conditions pour Tobtention du brevet d'instituteur:
« A l'encontre de ce qui se p&isse en France, où les candidats
au bravet n'ont pas à justifier d un stage dans renseignement, les
examens sont ouverts exclusivement : a) aux élèves qui ont passé
aa moins une année dans une école normale; b) aux candidats qui,
étant âgés de plus de vingt ans, ont deux ans de services comme
instituteurs provisoires ou douze mois comme maîtres adjoints dans
une' école subventionnée et dirigée par un instituteur breveté, et qui
ont, dans Tune ou Tautre situation, été l'objet d'un rapport favorable
de l'inspecteur primaire, constatant leur aptitude à enseigner la
lecture ou (pour les femmes) les travaux à l'aiguille. Le brevet
n'est délivré aux candidats qui ont réussi dans leurs examens
qu'après qu'ils ont été l'objet, dans les écoles où ils exercent,
de deux rapports favorables de Tinspecteur faits au moins à une
année d'intervalle. » Et plus loin : « Un brevet peut être retiré
complètement ou pour un certain temps, ou ramené à une classe
inférieure. Cette mesure, toutefois, ne peut être appliquée qu'après
que le Déparlement a informé l'instituteur des charges qui pèsent
SOT lui et lui a donné les moyens de s'expliquer. » En ce qui touche
aux matières d'examen, nous voyons des connaissances sérieuses
de pédagogie exigées des aspirants et aspirantes au brevet élémen-
taire. Cela est bon. Une autre exigence pour les épreuves écrites de
calcul, d*une utilité capitale — ceux qui ont à corriger les compo-
sitions de calcul seront de mon avis —, est celle-ci : « Les chiffres
seront bien formés, le travail sera disposé avec goût comme s'il
devait servir de modèle aux enfants. » En effet, il est beaucoup
plus important d'avoir des chiffres lisibles que des lettres lisibles.
Encore une bonne idée déjà signalée par M«»« Gautier : l'examen
des aspirantes touche à tous les détails pratiques de l'économie
domestique, depuis sa nourriture et sa préparation jusqu'aux soins
d'hygiène, et, chose capitale, à la tenue d'une chambre de malade.
M. Briand, inspecteur primaire à Saint-Calais, dans son rapport sur
les bâtiments et mobiliers scolaires, résume en quelques lignes la
première séance du Congrès dans la section chargée de cette matière.
L'avis unanime y fut exprimé que l'école doit être agréable pour
l'enfant et pour le maître; que la santé des enfants à l'école dépend
d'un bon éclairage, d'une bonne ventilation et d'un bon enseigne-
ment, et par un bon enseignement il faut entendre celui qui
s'adresse à l'intelligence et non celui qui consiste à charger la
mémoire.
Un orateur, en particulier, a insisté sur l'influence du beau pour
le développement (ft l'intelligence et du cœur de l'enfant. Il deman-
dait que sur les murs des classes les copies de 5 œuvres d'art occu-
passent la meilleure place. Lord Reay a réclamé pour l'enfant des
fleurs et des gravures ; nous ajouterons, pour notre part, — et c'est un
conseil que nous ne cessons de donner aux instituteurs — qu'on
RAPPORTS SUR l'eXPOSITION DE LONDRES 33t-
ferait bien de planter dans toutes nos cours d'école, pour réjouir
la vue et donner des leçons utiles, des arbres fruiti^s d'espèce et
de floraison aussi variées que possible, au lieu des platanes et til-
leuls si chers à la routine. De ses visites aux maisons d'école, mal-
heureusement vides à cette époque, M. Briand a tiré quelques utile»
enseignements. A chaque étage, dans les écoles à trois étages, se
trouvaient des lavabos. Dans la plupart des classes, on voyait un
tableau contenant des instructions sur les soins à donner aux en*
t'ants en cas d'épidémie. Voici un registre de présence bien sim{^ :
un cadre, contenant une feuille de papiw pouvant ôtie remplacée
chaque semaine ou chaque mois, porte pour chaque jour de 1»
semaine ou du mois le nombre des inscrits, des présents et des
absents. Quant au mobilier scolaire, M. Briand pense que nos voisine*
n'ont guère de leçons à nous donner. Cependant, il signale une éè
ces innovations si simples qu'on s'étonne de ne pas y avoir pensé
plus tôt : « Pour empêcher, dans les classes nombreuses, le bruit des
couvercles des pupitres qui se ferment, on place sous chaque coin da<
couvercle une petite rondelle de cuir ou de caoutchouc. » C'est simple
et c'est bon. Mentionnons enfin, dans ce rapport si riche en détails
utiles, ia description d'un double boulier-compteur : le premieary
connu de tous, pour les nombres simples ; le second, composé de
médailles représentant les diverses pièces de monnaie, suspendues
aux vergettes de fer fixées horizontalement aux montants de l'appareiL
Ces monnaies sont groupées en quantité déterminée, pour en rendre
l'aspect famiUer aux élèves, leur en faire connaître la valeur respec-
tive, les habituer à calculer rapidement et à effectuer avec facilité
un paiement ou un recouvrement.
n y aurait bien des choses à prendre dans les trois études co»-
sciencieuses de M. Hmnofi, inspecteur primaire à Saint-Malo, sur
renseignement en A ngleterre, en BelgiqtAc et au Japon. Ici, comme ail-
leurs, nous ne pouvons que choisir un peu au hasard. Vwci un
prôjupré qu'on devrait combattre de toutes ses forces, chez nos voi-
sins comme chez nous : « Le brevet de 3® classe ne donne à l'insti-
tuteur que le droit de diriger une école inférieure ou école maternelle. »
Quel pédagogue digne de ce nom ignore que la tâche qui exige
)e plus de savoir et de tact est l'enseignement des petits enfants f
Un jour viendra où les meilleurs de nos maîtres et mattresses dirn
gèrent les écoles maternelles, et, si on fait un avantage pécuniaire
à quelques-uns, ce sera pour eux. A propos de constructions sco-
laires, « les Sehool Roards anglais, dit M. Hamon, exigent que la
construction de ttmte école soit étudiée en prévision du terrain qu'elie*
(If)it occuper, au lieu, comme cela se pratique trop souvent^ de
donner d abord le plan et ensuite de rechercher le terrain. » La ques-
tion des traitements a été touchée en passant, et nos institutemrs
français qui, soit dit à leur honneur, n'accordent à cette question
qu'une importance secondaire, peuvent se dire que si, chez nos
é
332 REVUE PÉDAGOGIQUE
voisins, on est mieux payé pendant qu'on travaille^ en revanche,
lorsque Tàge ou la maladie arrête le travailleur, le traitement cesse
aussi, car il n'y a point de retraite de droit.
Dans renseignement primaire belge, ce qui semble le plus frap-
per M. Hamon est 1 école gardienne (jardin d'enfants), dont il décrit
le système, le but. a Le jardin d'enfants n'est pas une école dans
le sens propre du mot. L'institutrice s'y occupe peu d'instruction;
mais elle travaille, à l'exemple de la mère, à faire la première
éducation des enfants qui lui sont confiés. Cultiver les forces phy-
siques et contribuer à assurer aux enfants une santé robuste; don-
ner par l'exercice des sens un premier développement à la faculté
de perception, à l'esprit d'observation; favoriser l'instinct d'imitation
et l'éveil des facultés inventives, apprendre aux enfants, dans les
limites du possible, à exprimer clairement leurs observations, leurs
jugements ; les habituer à la propreté, à l'ordre, à la politesse ; leur
inspirer le goût du beau, les former à l'obéissance, à la véracité, à
l'activilé, chercher par-dessus tout à les rendre bons, aimables,
généreux ; telle est l'œuvre confiée à la sollicitude de f institutrice
du jeune âge. »
L'enseignement primaire au Japon suit de près le modèle français ;
là, comme chez nous, les châtiments corporels sont interdits. Les
progrès réalisés depuis quelques années sont immenses. Un nouveau
pas a été fait tout récemment par la création, sous l'impulsion de
l'impératrice elle-même, d'une école normale de filles.
M. Robin, directeur de l'orphelinat Prévost, a porté son attention sur
les institutions, les procédés et les produits dont l'introduction pourrait être
utile dans le grand établissement philanthropique confié à sa garde.
Ce rapport est un trésor de précieux renseignements. Comment faire
un choix ? L'espace manque pour exposer ici, à la suite du rapporteur,
le système de filtrage où Teau se fillre du bas en haut (bien plus avanta-
geux que le procédé ordinaire), le système des earthclosets de Mould, qui
économise, tout en ménageant notre odorat, le plus précieux engrais
pour nos agriculteurs, etc., etc. — Arrivant à travers champs aux
questions d'enseignement, M. Robin, esprit essentiellement pratique,
ne peut s'empêcher de gémir sur le temps perdu par les enfants
de tous les pays à se bourrer la mémoire des bizarreries de construc-
tion grammaticale ou d'orthographe, au lieu de s'assimiler les faits
delà science.
M. Robin a visité plusieurs orphelinats anglais, et, tout en admi-
rant l'installation matérielle et la liberté accordée aux enfants, il
regrette que la discipline repose sur deux moyens que nous réprou-
vons avec lui : les châtiments corporels et les terreurs religieuses
imaginaires. Il a examiné sérieusement les produits fabriqués par
les élèves des écoles professionnelles et industrielles, et il se
plaint que presque toutes exposent des objets fabriqués par de
véritables ouvriers, des jeunes gens au terme de leur apprentissage
RAPPORTS SUR l'exposition DE LONDRES 333
qui semblent n^avoir cultivé qu'un seul métier, au moins à demi-
temps, le plus souvent toute la journée. Ce regret a été formulé par
presque tous ceux qui ont visité cette section importante de l'Ex-
position scolaire.
M. Paul GuUhot, professeur à Torphclinat Prévost, a pris pour
sujet de son étude Venseignement populaire de la musique dans les
écoles, au double point de vue de l'hygiène et de l'éducation. Les
bienfaits physiques et moraux de cet enseignement, dit M. Guilhot,
ont été conslatés par les célébrités médicales et philosophiques.
Les premières ont reconnu que l'étude de la musique assouplit, dé-
veloppe, adoucit la voix et allonge la respiration; elle exerce même
une heureuse influence sur les poumons, en les dilatant (quand cet
enseignement est donné dans une juste mesure et ne va pas jusqu'à
la fatigue). Les autres trouvent dans l'enseignement musical un
puissant élément d'inspiration, « un salutaire dérivatif aux mauvais
penchants, un moyen sûr de développer les sentiments nobles et
généreux ». Mais d'où vient qu'un enseignement promettant de
tels résultats soit si lent à se propager dans nos écoles? A TExpo-
silion de Londres, où toutes les branches de l'enseignement populaire
étaient si largement représentées, on remarquait peu de documents
relatifs à la musique et surtout peu de devoirs musicaux. Pas de
statistique du nombre des écoliers des différentes nations suivant
des cours réguliers de cet enseignement. Le chant, il est vrai, s'est
beaucoup répandu depuis quelques années dans les écoles, mais la
plupart des chants scolaires sont appris par Taudition, plutôt que par
principes. D'où vient donc le mal? Les professeurs distingués abondent;
les institutions spéciales ne font pas défaut, et les ouvrages de va-
leur sont nombreux. C'est le temps qui manque; c'est l'application
d'une méthode rapide qui fait défaut. Où est le remède? D'après
M. Guilhot, il est dans la mise en pratique d'un système simplifiant
renseignement de la musique, et permettant de lui faire une place
obligatoire dans nos programmes scolaires sans porter atteinte aux
branches essentielles de l'enseignement scientifique, grammatical
et littéraire; et ce système n'est autre que celui de Galin-Paris-Chevé,
autrement dit le système modal, substitué au système tonal. Un
système analogue appliqué en Angleterre y a produit partout les
meilleurs effets, et a obtenu à l'Exposition une médaille d'or, dans
la personne de M. John Curwen, directeur du collège anglais dit du
Tonic sol'fa. Dans l'enseignement musical scolaire anglais, a la part
du système modal est des quatre cinquièmes, conquis sur l'ancienne
école tonale ». Après avoir constaté ces beaux résultats, M. Guilhot
se livre à une longue appréciation de la théorie du système modal,
de ses avantages, et fait l'histoire de son introduction en Suisse, en Hol-
lande, en Russie, et surtout en France par ses propagateurs Galin, Paris
et Chevé. L'école anglaise» dite du Tonte sol-fa, et l'école française,
partant du même principe et visant au môme but, ne différent
334 AEYUE PÉDAGOGIQUE
^ère que par récriture. Le Tonic sol-fa emploie des lettres, et la
méthode Galin-Paris-Chevé se sert de chiures. M. Guîlhot croit pou-
i^ir espérer la création prochaine à Paris d'un établissement ana-
logue au collège du Tonic sol-fa^ et consacré à la vulgarisation de
la méthode Galin-Paris-Chevé, dont la circulaire ministérielle de
juillet 1883 a autorisé l'emploi dans nos écoles.
Le rapport sur le calcul mental fait par M. Véùez, inspecteur pri-
maire à Vervins, présente, sous une forme attrayante, Texposé,
plein d'intérêt, des méthodes suivies en Angleterre. Elles ne durè-
rent pas de celles qui sont pratiquées dans nos écoles; mais ce
qu'il convient de relever, c'est Timportance primordiale que les
Anglais attachent au succès de leurs élèves en ce genre d'exercices.
Ce n'est point d'une façon en quelque sorte incidente, et a l'occasion
4e calculs amenés par la solution de problèmes qui n'avaient pas
été choisis dsms ce but, que les Anglais exercent leurs élèves au
calcul mental; mais ce calcula pris ckez eux les proportions dune
science particulière, cultivée pour elle-même et ayant ses professeurs
spéciaux. On conçoit tout le bénéfice qu'un peuple de marins el do
négociants doit retirer d'un pareil enseignement. Au point de vue
pédagogique, nous nous bornerons à dire que cette marche a l'a-
vantage de déblayer le terrain et de permettre ensuite aux élèves
à& porter dans des cours plus élevés tous leurs efforts et toute leur
attention sur la solution théorique dos ques lions qui leur sont pro-
posées.
Nous demandons pardon aux auteurs de ces rapports de n'avoir pu
donner qu^une idée aussi incomplète de leurs travaux. Si l'espace
nous eût été moins étroitement mesuré, nous eussions aimé à con-
aigner ici, à noire tour, quelques-unes de nos observations; mais il
ne saurait en être question. Nous n'ajouterons à tout ce que nous
^eaouB de résumer qu'un seul fait emprunté à nos souvenirs per-
sonnels. C'était pendant la diiicussion sur la gymnastique et les
exercices physiques dans les écoles. M. Wilson, du School Board de
Sheffîeld, venait de protester contre la tendanoe moderne de n'intro-
duire dans les écoles, soit de garçons, soit de filles, que les exercices
imilitaires, dont la désespérante monotonie fait de la gymnastique un
iinnui plutôt qu'un délassement, et il ajouta : a Mon but est d ap-
.prendre à sauver la vie plutôt qu'à la détruire. Nous savons qu'un
«grand nombre de personnes se noient, chaque été, aux bains de mer,
Mdans nos fleuves, nos canaux, nos étangs; en hiver, par la rupture
ée la glaee; et cela, souvent à deux ou trois mètres du rivage, en pré-
sence de nombreux témoins incapables de leur porter secours, ou parce
qu'ils ne .savent pas nager, ou parce qu'ils ne peuvent pas nager avec
ieurs vêtements, il est facile d'apprendre aux i;arçoQs ou aux filles de
&ire en peu d'instants une chaîne avec leurs mouchoirs ou leurs
cravatas; on les tord autour des poignets doutas mains se joignent
et on forme ainsi ime chaîne qu'il eat presque impossible de rompre.
RAPPORTS SUR l'eXPOSITION DE LONDRES 338
DansTeau, les mains se séparent sous une tension forte; mais jointes
et liées, elles se séparent difficilement, et les premiers de la chaîne
peuvent s'aventurer dans Teau ou sur les bords de la glace pour
retirer sans risque une personne en danger de se noyer. Voilà un
exercice auquel on pourrait facilement habituer nos élèves des deux
sexes, soit dans leurs cours de récréation, soit pendant leurs pro-
menades à la campagne. On n'aura pas besoin pour cela de jeter à
Teau un des leurs ! Une pente quelconque dans une prairie ou au
bord de la route peut remplacer la berge en pente rapide du fleuve,
et le sauvetage peut s'opérer au milieu des rires joyeux des
enfants. »
III
Nous nous reprocherions de passer sous silence, en terminant, le
compte-rendu du voyage et du séjour à Londres des élèves^maîtres de
l'école norriiale d'Amiens, sous la conduite de leur professeur d'is-
glais, M. Liégaux. L'allure de ces pages est vive et gaie: c'est la
jeunesse heureuse qui tient la plume. L'impression produite sur
ces jeunes gens par le voyage, par la visite des monuments et des
environs de la plus grande, sinon de la plus belle ville du monde,
est bonne; elle sera durable et féconde. Elle se résume en ces
mots, les seuls que je me permette de citer: a Que d'idées jmhi-
velles nous avons acquises! Combien de faits vérifiés par robanr-
vation ont pris un autre aspect! Un préjugé entre autres a disparu :
les Anglais sont chez eux très empressés pour les étrangers, très
serviables et très aimables. »
Jamais emploi des deniers publics n'a été plus fructueux. £n fai-
sant assister à cette réunion firatemelle de toutes nations quelques-
uns des futurs maîtres de notre jeunesse française, M. le ministre
de l'instruction publique a eu une grande et généreuse pensée. Ces
jeunes gens sont revenus débarrassés de certains préjugés à Tégard
de leurs voisins. Ce sont les pr^ugés qui divisent les peuples fidts
pour vivre en paix. Partout où ces jeunes maîtres iront, ils porte-
ront la lumière avec eux; ils seront, non seulement des instructeuss,
mais des éducateurs. « Le peuple dont l'éducation est la plus par-
faite, a dit lord Reay dans son discours d'ouverture, sera toujours
celui qui cimentera le plus entre les nations la paix et l'amilié. »
C'est là le but le plus utile qu'on puisse se proposer. Le CoB^rès
international de Londres a £ail faire vers ce but un pas impodant.
East,
Inspecteur d*académie.
LES NIDS DES PETITS OISEAUX
DOUCEUR ENVERS LES ANIMAUX
(note d'inspection)
Voici une petite école perdue dans les montagnes. Nous
sommes en plein été (30 juin), et je trouve vingt-trois élèves.
garçons et filles, présents, sur les vingt-six enfants d'âge sco-
laire du petit hameau. La classe est installée dans une petite
maison louée, mais elle est bien tenue et proprette. Les en-
fants sont de bonne humeur. La jeune institutrice est contente
de son sort, et se plaît au milieu d'une population qui lui est
très attachée.
On est à la classe de travail manuel : les petites filles font
de la couture; les garçons, avec quelques instruments bien
primitifs, font des échelles, de petits chars,* des jougs de
bœufs, des chaises, des ridelles, des araires pour le musée
scolaire entièrement formé par les élèves. C'est à qui fera le
plus beau travail pour mériter un compliment de l'institutrice.
Que signifie ce carton suspendu au mur, avec Tinscription
« Gendarme : Privât, Jules » ? C'est le nom de l'élève chargé ,
pendant le mois, de l'exécution du règlement de la Socj^/é pro -
tectrice des nids et des animauXj formée par les élèves de l'é-
cole. C'est lui constate le délit qu'il ne peut empêcher : enlève-
ment d'un nid, mauvais traitement envers un animal domestique.
Il traduit le délinquant devant le tribunal composé de deux
élèves et présidé par l'institutrice. Mais, depuis deux années
déjà, cette fonction est devenue une sinécure. Il n'y a plus de
délinquants, le gendarme n'a plus personne à arrêter. Aussi les
oiseaux se multiplient-ils, et remplissent-ils les arbres d'alen-
tour de leurs chants, et délivrent-ils les jardins des insectes qui
autrefois détruisaient les fleurs et les fruits. Deuxième profit :
l'exemple des enfants est contagieux; les parents traitent les
animaux avec plus de douceur. G. J.
M. PHILBRICK ET LES INSTITUTEURS AMÉRICAINS
M. John Philbrick, ancien surintendant des écoles de la ville de
Boston, vient de faire paraître une courte brochure sur la durée de
remploi d'instituteur aux États-Unis.
Partant de celte idée qu'en pédagogie la question capitale est,
partout et toujours, la question du maître, et que le meilleur critérium
d'un système scolaire se trouve dans le caractère et les qualités des
maîtres qu'il emploie, il examine, au point de vue de la durée et
de la stabilité des fonctions, la situation des instituteurs en Amérique
•et la compare avec celle des maîtres des autres pays.
Quelle était, dit-il, il y a cinquante ans, aux États-Unis, la situa-
tion des employés au service de la nation, de l'État, de la munici-
palité? Nos institutions politiques sont fondées sur ce principe que
les fonctionnaires publics sont les serviteurs du public et, à ce
'moment plus qu'à aucun autre de notre histoire, l'opinion dominante
tétait que les fonctionnaires et employés ne (levaient avoir aucun
intérêt, aucun droit de propriété dans les emplois qu'ils occupaient.
»De cette opinion vint la pernicieuse habitude qu'on a appelée la
« rotation des offices », toutes les fois que la durée des fonctions
n'était pas déterminée parla loi. S'appuyant sur ce sentiment général,
que l'on considérait alors comme le véritable esprit de J a démocratie,
le Président Jackson introduisit la coutume de retirer aux fonction-
naires leurs emplois sans se préoccuper des titres qu'avaient pu
leur acquérir l'accomplissement de leurs devoirs et leur conduite.
Depuis ce temps il s'est fait un changement considérable dans
ropinion publique. L'idée qui domine aujourd'iiui est que la justice
|)our les serviteurs est essentielle au bon service, et que la justice
est incompatible avec un emploi qui ne donne à celui qui l'occupe
.ni intérêt ni possession assurée.
Appliquant ce principe général au personnel enseignant en parti-
culier, M. Philbrick se propose de soutenir dans sa brochure la théorie
suivante : La permanence des emplois d'instituteur les rendrait beau-
coup plus désirables. 11 ne coûte rien au public d'accorder celle per-
manence, et pour les maîlres ce serait un bienfait inestimable. La
sécurité qu'ils y trouveraient serait pour eux l'équivalent d'un salaire
plus élevé, en les alTranchissant d'une incertitude qui les décourage et
.les dégoùle souvent de leurs fonctions. C'est donc pour le public, en
premier lieu, une question d'économie. Mais les résultats au point de
-vue de l'éducation seraient bien plus considérables, car la permanence
des fonctions, jointe à une rémunération convenable, est la condition
indispcRi^able pour obtenir un corps enseignant réellement capable.
M. Philbrick résume ses idées sur ce point dans les deux para-
graphes suivants :
1° Partout et toujours la stabilité d'une situation compte largement,
avec le salaire, dans l'estimation des avantages de cette situation,
REVUE PÉDAGOGIQUE 1884.— i<^r SBM. 22
LA CHANSON DE ROLAND
COMME LIVRE DE LECTURE POUR LES ENFANTS
La Cha?(8o?i db Roland, traduclion noa?elle à l'usage des écoles, précédée
d'une Introduction sur Cimportance de la Chanson de Roland pour VédU'
cation de la jeuneue, par M. Edouard Rœhrich(Pari8, chez Fischbacher, in-18).
Riea n'est plus délicat, aux yeux de ceux qui ont à cœur la
grande œuvre de l'éducation, que le choix des livres de lecture
pour la jeunesse. Ceux qui écrivent spécialement pour les
enfants, avec le dessein bien arrêté de former leur cœur et ieiu*
esprit, manquent souvent le but vers lequel ils tendent avec
tant de soins. Les uns font du livre un complément raisonné
de la classe, et le chargent de leçons directes à l'adresse de
jeunes intelligences auxquelles nous en donnons déjà trop; les
autres, pour captiver l'attention des enfants, s'ingénient à se
faire plus petits qu'eux et mêlent l'instruction et Tamusement
dans des combinaisons puériles, quelquefois presque niaises, qui
compromettent l'une et l'autre. Ûuant à la morale, on oublie
que la plus profitable est celle qui ne se professe pas, mais qui
se dégage naturellement des faits et de la manière de les expo-
ser. Pour les enfants, comme pour les hommes, les meilleurs
livres ne sont pas ceux qui prêchent le bien, mais qui le font
•aimer, et l'on peut dire de tous ce que M"" de Staël disait des
romans, qui sont pas bons ou mauvais par ce qu'ilsjenseignent,
mais par ce qu'ils inspirent. Et à ce point de vue il en est de
la vie comme des livres; les exemples valent mieux que les
leçons; il y a dans les actions dont l'enfant est le continuel
témoin, une contagion des principes honnêtes et des bons sen-
timents à laquelle il est d'autant plus accessible qu'il éprouve
plus de plaisir à se faire homme avec nous qu'à nous voir nous
faire enfants avec lui.
Ces réllexions peuvent conduire à essayer de mettre entre les
mains des enfants et des jeunes gens des livres qui n'ont pas
été écrits pour eux, mais pour les hommes eux-mêmes, surtout
ceux qui représentent la vie et l'histoire dans leur spontanéité
LA CHANSON DJB ROLAND 3il
et leur naïveté primitive. Il faut songer, en effet, que chaque
homme, dans son développement successif, est, en raccourci,
l'image de l'humanité; il passe par les mêmes phases. L'enfance
de l'individu ressemble à celle des peuples, et une indéfinis-
sable sympathie les unit Tune à l'autre. Ceux qui font leurs
premiers pas dans la vie aiment à voir les premiers pas de
l'homme dans le monde. De là l'attrait que ne manquent pas
d'avoir pour le jeune âge ces antiques histoires fabuleuses, ces
poétiques légendes où la foi et l'imagination transforment
également les phénomènes de la nature et les actes de l'homme
en une suite continue de merveilles. Et je ne parle pas ici des
fables inventées à plaisir, des contes de fées et de géants qui,
lors même qu'ils sont écrits pour les enfants, peuvent encore
charmer les hommes Jes plus graves :
Si Peau-d'Ane m'était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême,
dit La Fontaine (Ii\Te VIII, fable 4). Je parle de ces récits
merveilleux et inconscients qui transfigurent l'histoire primitive
ou qui en tiennent lieu ; par exemple, de cette brillante
mythologie grecque qui a peuplé le ciel et la terre de tant de
dieux et de héros, dont elle raconte les métamorphoses et les
exploits, en fournissant à la poésie et à l'art, tant ancien que
moderne, un aliment inépuisable. Je parle, toute question reU-
gieuse à part, de ces naiTs et attachants tableaux bibliques qui
nous font assister à la genèse du monde, à la oAissance de
l'homme, à ses premières fautes et à ses malheurs, à la forma-
tion des familles humaines et à leur dispersion, aux destinées
singulières de ce peuple élu dont toute l'histoire a Dieu lui-
même pour principal acteur. Étranger à toutes les questions
de cosmogonie, d'exégèse, aux polémiques thédlogiqucs, aux
intérêts religieux, qui auront ou n'auront pas, dans sa vie,
leur heure à leur tour, l'enfant suit d'un œil ému ce drame épique
dont le fond est la lutte du bien et du mal, personnifiée dans
des figures bien viyantes, franchement sympathiques ou
odieuses; malgré le scepticisme ambiant qui nous gagne tôt ou
tard, il n'est guère d'histoire sur laquelle il ait été versé plus de
larmes que celle de Joseph ou de la pieuse Esther, dont le dénoue-:
ment, grâce à une intervention supérieure, donne à la conscience
342 VÈVm »ÉDA«061QUB
enfantine, coomie avx sen^imenfeB populaires, uoe entiène satisfiao
tioa. Les préjugés, s'il y en a, les sentiments trop généreus,
les idées ezcessÎTes, sinon fausses, que ces légendes primitives
peuvent favoriser, s'évanouiront au souffle de l'expérienoe, au
ooDtact de la vie moderne, et il n'est pas aussi dangereui
<{u'on Je croit, pour la jeunesse, de les traverser. L'homme,
encore une fois, n'est complet qu'autant qu'il a fait toutes les
étapes de Thumanité.
L'intérêt, Témotion, le mouvement intellectuel et moral que
le jeune Hige a « longtemps trouvés dans les poétiques créations
du génie grec ou dans les merveilleuses traditions de la toi
judaïque et chrétienne, un pédagogue d'initiative, M. Edouard
Rœhrich, croit qu'on peut les demander aux légendes épiques
du moyen âge, à celles surtout qui ont enveloppé les premiers
temps de notre propre histoire d'un genre particulier de
mer\eilleux, le merveilleux chevaieresqae. Pour en montrer la
vertu éducative, il a choisi, à titre d'essai, la plus caractéris-
tique des chansons de geste, la Chanson d^ Roland, cette sorte
d'Iliade romane d'une société encore barbare, quoique déjà
chrétienne, où l'héroïsme domine ci modifie le caractère du
peuple et sa foi. Tout le monde sait aujourd'hui quelle place
tient, dans notre histoire littéraire et dans celle même de notre
évolalion nationale, oc grand poème anonyme (car le nom de
ThérouWe ou Turold n'est que celui du copiste ou du trouvère
qui le récitait), plusieurs fois remanié ou refait chez nous, du
IX* au nm^ siècle, avant de passer dans les diverses contrées de
l'Europe, en s'appropriant au génie de chaque peuple, d'est
le type par excelleoce de cette sorte d'épopée spontanée, con-
tinue et collective; qui jaillit de l'imagination populaire, chan-
geait de jour en jour de forme, comme la langue elle-même,
vecevant de boudie en bouche, suivant les temps et les lieux,
des développements nouveaux, se mettant sans cesse en harmonie
ÈPfet les idées, les mœurs, les sentiments, les passions de la
foule à laquelle elle s'adresse.
Dans son texte classique éa xn« siècle, qui est loin d'être le
texte primitif (4), la Chanstm €e Roland ou de Roncevaux ou
\l) Ihie Chanson de Roland à Ronceyavx était ^à si populaire au aièole
LA GUANSOM BS nOLAIiD 34^
encore des Dmtze Pairs développe ud sujet d'un graud intérêt
national et religieux, le dernier acte de Texpédition de Ctiar-
lemagne contre les Sarrasins d'Espagne, et a pour principal
épisode la défaite éprouvée, en 778, par Tarrièrc -garde de son
armée dans les défilés de Roacevaux où Rohnd et les pairs
qui l'accompagnaient trouvèrent une mort héroïque.
Le poème, qui compte iO,QOO vers et sd divise en cinq cliants,
nous présente, au début, Charlcmagne ayant conquis l'Espagne
entière,
Fors Saragoce ?u chef d'une montai gne :
Là est Marsilles.
9
L'empereur désigne, d'après le conseil malveillant de Roland^
le beau-père de celui-ci, le Mayençais Guene ou Ganelon, pour
aller traiter de. la paix dans cette ville. Uans le second chant,
Marsille feint de se soumettre. Ganelon combine avec lui la
destruction des troupes commandées par Roland dont il brûle
de se venger. L'armée reprend le chemin des Pyrénées. L'arrière-
gai'de, composée de vingt mille combattants, est assaillie par
les Sarrasins et sans doute par les Vascons, leurs auxiliaires;
mais le poêle jette un voile sur la trahison de ceux-ci et laisse
au fait le caractère exclusif d'une lutte de religions et de
races. Roland consent trop tard à avertir Tempereur de sa
situation en sonnant du cor. Au troisième chant, il reste seul
debout au milieu du champ de carnage ; (lénin, Gérer, Gauthier,
Béranger, Atuin, le vieux Gérard de Roussillon, Ânséis,
Tarchevéque Turpin,. Olivier, sont tombés autour de lui. Les
sons des 60,000 clairons de Charlemagne répondent enfin aux
£m>pols de Roland. Mais la mort gagne le héros : sa poitrine
s'est briâée dans le sMprôme effort qu'il a fait pour se i'uiire
entendre de l'empereur. 11 veut rompre son épée, « Durandal
la louée », pour que les païens ne s'ea emparent pas. lien frappa
précédent, que, suivant le trouvère Robert W'acc, un jongleur de rarmée d^.
Guillaume le Conquérant la disait aui soldats pour les animer, avaot la
bataille d'Hastings (1066).
Taillefer, qui moult bien caïUok,
Sut un cheval qui tost aloit.
Devant aus s'en aloit cantant
De Xarleroainc et de RoUant.
.Et (l'Olivier et des vassaux
Oui ouirarent à.HatasçaMaua<
344 ftIVUI PÉDAGOGIQUE
ea vain les rochers, la trempe de Tarme résiste. Alors Roland
s*ét€nd sur llierbe, cache sous lui son épée, tourne le visage
du côté de Tennemi et meurt. Le quatrième chant raconte la
vengeance que tire Charlemagne. Un nouveau combat plus
terrible s'engage à Roncevaux. Baligan, sultan de Babylone,
accouru d'Afrique au secours de MarsiUe, est vaincu et frappé
mortellement de la main même de Charlemagne,
Et Raligaos adoacqaes s'aperçoit
Que il a tort et Karlemaine a droit.
Conclusion qui rappelle I05 « jugements de Dieu ». Le cin-
quième chant est consacré à la mort de la belle Aude, fiancée
de Roland, et au châtiment de Ganelon.
Voilà le poème auquel M. Rœhrîch voudrait ouvrir une nou-
velle ère de popularité. Pour l'approprier à son but pédago-
gique, il en donne une traduction toute spéciale et, comme il
dit, a à l'usage des écoles 9. Il y introduit des modifications
do fond et de forme que ses préoccupations expliquent, mais
qui ne sont pas toutes heureuses. C«omme s'il doutait de l'in-
térêt soutenu de l'œuvre originale ou de la force d'attention de-
ses jeunes lecteurs modernes, il supprime ou abrège deux
chants, qui, sans intéresser la gloire héroïque de Roland, relè-
vent le prestige de Charlemagne et complètent la peinture des
mœurs du temps. A ne considérer que l'intérêt du récit, la
Chamon de Roland ne peut que perdre à ne pas être présentée
dans son entier développement.
Les suppressions de détail, qui ont pour objet de rendre la
lecture plus morale et plus saine, ne sont pas toujours faciles
à justifier. Il ne peut être question de ramener à Texactitude
historique un récit légendaire où l'imagination populaire, si
elle n'a pas créé de toutes pièces le héros, en a fait à plaisir, et
sans le moindre souci de l'histoire, le type, l'idéal de toutes
les vertus qui constituaient, au début du moyen âge, l'héroïsme
guerrier et chrétien. Autant Roland tient de place dans les
traditions de la postérité, autant il en tient peu dans les témoi-
gnages contemporains; une seule chronique mentionne, en
une ligne, son nom et sa mort dans la funeste retraite d'Es-
pagne, et la poésie n'a pas craint de faire de lui non seulement
le plus vaillant des soldats, mais le plus heureux des conque-
LA CHANSON DI BOLAND 345
rants. Grâce à sa claire et blanche épée, Durandal, que Char*
lemagne lui a remise par ordre d'un ange, il se glorifie d'avoir
soumis et donné successivement à son souverain l'Anjou, la
Bretagne, le Poitou, le Maine, la Provence, l'Aquitaine, la Lom-
hardie, toute la Romagne, la Bavière, la Flandre, toute la Lor-
raine, Conslantinoplc, la Saxe, l'Ecosse, l'Irlande, l'Angleterre :
. . . terres si grandes
Qui sont à Charles dont la barbe est si blanche.
Si l'histoire du règne de Charlemagne n'a rien à démêler
avec toutes ces fantaisies, celle du siècle où elles se produi-
sent en est vivement éclairée, et les moindres détails du récit
mettent en relief les idées et les mœurs des populations qui
Taccueillent avec tant de faveur. Il en est toujours ainsi : en
racontant et décrivant le passé, le présent se raconte et se dé-
crit lui-même. M. Rœhricli, qui croit que a les idées religieuses
exprimées dans la Chanson de Roland peuvent exercer une
profonde et salutaire influence sur l'esprit de ses lecteurs »,
se montre trop préoccupé d'en épurer le christianisme, « qui
n'est pas précisément, ajoute-t-il, celui du pur Évangile id. Il
oublie que c'est celui des contemporains mêmes des Théroulde
et autres trouvères qui le mettaient en œuvre, et que c'est ce
christianisme-là et non pas un autre, même supérieur, que le
poème doit nous montrer. Il avoue qu'il a retranché, à propos
du sac de Cordoue, cette phrase : « En la cité, il n'est pas un
païen qui ne soit tué ou devenu chrétien, ï> parce que le fana-
tisme féroce qu'elle exprime nuirait à l'impression générale
que doit faire le poème, a Même l'enfant, dit-il. Unirait par
prendre parti pour les malheureux Sarrasins contre leurs op-
presseurs. )» C'est, à mon sens, outrepasser les droits de l'é-
diteur, et dénaturer l'œuvre en voulant l'améliorer. La même
bonne intention lui fait supprimer dans une des harangues que
Roland adresse à Durandal un détail bien caractéristique. Ténu-
mération des reliques contenues, suivant Tusage, dans le creux
du pommeau de cette glorieuse épée, reliques sur lesquelles le
guerrier prêtait serment et dont la vertu le soutenait dans le
combat. Celles que portait Durandal étaient : « une dent de
saint Pierre, un cheveu de saint Denis, du sang de saint Basile
et un morceau du vêtement de sainte Marie. » En retranchant
348 AlVUI PÉDAGOfilQUS
ce détail, H. Rœhrich veut a sauver du ridicule s> une haraogue
qui s'en sauve elle-même par Téloquence et qui ne cessera pas
d'être belle, parce qu'elle portera, comme l'œuvre enliùre, le
cachet du temps. En expurgeant ainsi dans le sens de nos idées
morales, religieuses ou pédagogiques la Chanson de Roland^ ou
risque de n'avoir bientôt qu'un héros modernequi ne sera plus le
Roland de la chanson. Si nous jugeons utile, en définitive, de
mettre nos vieux poèmes entre les mains de la jeunesse, il faut
qu'elle y trouve, dans sa vérité naïve, l'image que nos pères y
ont tracée d'eux-mêmes, de leur état social, de leur manière do.
sentir et de penser.
La question de la forme est secondaire dans celte tentative
de vulgarisation où l'intérêt littéraire est primé par l'intérêt
pédagogique. Je ne dirai que quelques mcUsde l'exécution. La
Chanson de Roland est écrite en vers de dix syllabes d'uue
allure très vive, coupés par une césure après la quatrième
syllabe, et réunis en couplets inégaux, qu'on nomme laisses^
par la répétition d'un son final, qui n'est pas notre rime mo-
derne, mais une simple assonance. Cette sorte de rime rudi-
mentaire, tour à tour masculine ou féminine, est la même pour
le couplet entier, dont la longueur très variable est, en
moyenne, d'une quinzaine de vers. Les diverses traductions (car
il ne peut être question, pour la grande majorité des lecteurs
français, d'aborder le texte roman) respectent les divisions pro-
sodiques du poème, au moins la division en laisses; quelques-
unes marquent même la coupe du vers et conservent ainsi à
la prose une marche rythmée, très sensible et, sans la rime,
encore agréable à l'oreille. M. Rœhrich n'a eu recours qu en
partie à ce procédé. Il traduit en prose libre le récit, les des-
criptions, les entretiens plus ou moins indifférents ; mais pour
tous les discours qui ont de l'importance ou que la passion
anime, il s'astreint à rendre le texte vers pour vers, ou plutôt
ligne pour ligne, car les libertés de la versification romane et
rabsence ou l'iusiilfisance de la rime, au regard de notre pro*-
sodie moderne, ne nous donnent souvent, sous l'apparence de
vers, qu'une prose rythmée. Voici, dans une courte laisse, un
exemple de ce mélange :
LA CHANSON DE ROLAND 347
CXLVl
Quand Roland voit ces gens maadits qui sont plus noirs que l'encre, et qui
n'ont de blanc que les dents,
Le comte dit : Oui je le sais vraiment,
11 faut mourir aujourd'hui, c'est certain!
Frappez, Français! C'est moti commandement!
Olivier dit : Malheur pour les plus lents 1
A ces mots, les Français se jettent dans la masse ennemie.
Je ne chicanerai pas M. Roehrioh sur oe qu'il peut y avoir
d'arlificiel et d'arbitraire dans ce procédé; j'avoue que j'eust^
mieux aimé que tout le poème fût traduit dans un seul sys-
tème, soit en prose libre, soit en vers ou en prose rythmée*
Mais ne nous faisons point d'illusions : sous quelque forme que
nous présentions la Chanson de Roland à la jeunesse, il y aura
peu d'enfants dans nos écoles, il y en aura peu, dans les classes
des lycées et des collèges, pour se plaire à la lire dans nos
abrégés et nos adaptations pédagogiques, {inamt aux esprits vifs,
curieux, qui lisent tout, dévorent tout et s'assinulent à leur
manière tous les aliments intellectuels, il ne leur faut point
d'éditicHis spéciales pour s'attaquer aux œuvres les plus diverses
où les siècles, les peuples, les hommes ont laissé leur empreinte;
prêts à prendre leur bien partout où ils le trouvent, ils id)ordenft
les monuments de toutes les époques, sinon dans les texlBi^
du moins dans les traductions les plus complètes et les plus
fidèles; ils lisent, dans leur intégrité, et non par extraits, les
poèmes anciens et modernes, le tfaé&tre de toutes les nations,
les grandes chroniques et les ouvrages classiques d'histoire,
les romans qui, par la vérité des peintures, ont mérité de
survivre aux mœurs qu'ils ont décrites. Ils liront aussi nos
chansons de geste et les autres poèmes da moyen âge, reniis
en faveur par Térodition moderne, mais ils y trouveront d'aiir
tant plus d'intérêt et de profit qu'ils y verront mieux, da»
leur vérité et leur contraste avec les nôtres, la vie, les iiées let
les sentiments de nos aînés.
G. VAMaaAU.
DEUX AMIS INCONNUS DE L'INSTRUCTION
Les amateurs de vieux livres et d'éditions rares font parfois
des trouvailles auxquelles ils ne s'attendaient pas, ni le public
non plus, En remuant la poussière des bibliothèques, ils
trouvent souvent les documents qu'ils cherchaient, mais ils
rencontrent aussi quelquefois des choses qu'ils ne cherchaient
pas et qui ne leur font pas moins d'honneur auprès des
profanes. C'est ce qui vient d'arriver à « un vieux bibliophile
dauphinois r> qui, dans ses recherches bibliographiques sur sa
province natale, a découvert, avec toute ime série d'ouvrages
très anciens et curieux, une bonne action jusqu'alors ignorée,
un service en quelque sorte anonyme rendu à des inconnus,
deux existences obscures, mais généreusement et utilement
remplies. Les érudits se réjouissent de la première de ces
découvertes, les lecteurs de la Revue ne sauraient rester indiffé-
rents à la seconde.
Ayant remarqué dans divers livres datant de la fin du \\^ et
du commencement du xvi® siècles, c'est-à-dire des premiers
temps de l'imprimerie, le nom de deux de ses compatriotes,
qui n'étaient cependant ni auteurs ni libraires, notre « vieux
bibliophile » sentit sa curiosité s'éveiller et, après de patientes
investigations, il parvint à réunir ou à connaître vingt-cinq
ouvrages ayant la môme origine et à faire quelque lumière sur
la vie et sur l'œuvre de ces deux Dauphinois. Antoine et Pierre
Bacquelier, tel est le nom de ces deux « citoyens de Grenoble »,
comme ils aimaient à s'appeler. Tous deux furent prêtres et
vécurent à Paris ; mais quoique éloignés de leur patrie d'ori-
gine» ils ne l'oublièrent jamais. Ils étaient de la môme famille
et probablement frères. Ce dernier point n'est pas établi, mais
s'ils ne furent pas frères par le sang, ils le furent assurément
par la communauté des sentiments et des goûts, par leur
amour pour la jeunesse et par l'emploi qu'ils firent l'un et
l'autre de leurs loisirs et leur argent. De l'aient, ils semblent
en avoir eu en suflisance; de plus ils étaient gens économes,
DEUX AUIS INCONNUS DE l'iNSTRUGTION 340
^i Ton ea juge par leur devise favorite : « Ménage ton bien, si
tu veux n'avoir pas à recourir à celui des autres o (Sic utereluo
ut non alieno egeas). C'est grâce à leur fortune et à leur vie
rangée qu'ils purent donner carrière à leurs inclinations
généreuses. Ils étaient lettrés aussi, car s'ils ne composèrent
pas de livres, les préfaces de ceux qu'ils publièrent témoignent
d'un goût très vif pour la science, et à l'une d'elles P. Bac-
quclicr ajouta un index très complet, qui prouve une rare
patience et une grande érudition. Hais s'ils ne furent ni auteurs
ni libraires, ils furent, ce qui vaut bien autant, des hommes
de bien, et voici comment. De 1491 à 1530 environ, ils firent
imprimer une série d'ouvrages classiques à l'usage des éco-
liers d'alors, et cela à leurs frais, sans aucune pensée de spé-
culation, dans la seule pensée de venir en aide aux étudiants, à
une époque où les livres n'étaient point communs et où ils
<X)ûtaient fort cher. Des éditeurs à ce point désintéressés, c'est
chose rare et méritoire,, même au xvi® siècle, et qui vaut la
peine d'être signalée ! Ce n'est pas que les vingt-cinq volumes
publiés par les soins des deux Bacquelier offrent par eux-mêmes
un très grand intérêt. Ils étaient destinés aux étudiants de
l'Université : c'est dire que la plupart étaient des livres de piété,
de théologie et de droit canon. On trouve cependant dans la série
une édition de Pline, celle-là même qui était accompagnée du
copieux index dont nous avons parlé, une édition de Virgile, un
traité de botanique, et même un manuel d'hygiène. L'édition
de Virgile — une véritable édition de poche, ce qui indique
bien le but que se proposaient les éditeurs — est ornée de
nombreuses figures, et, dans une préface latine, en forme de lettre
adressée aux étudiants, Tun des Bacquelier, expliquant la
raison de ces illustrations, s'exprime ainsi : a Quel meilleur
moyen de venir en aide à la mémoire que de rassembler dans
une petite page, à l'aide d'images qu'un seul coup d'œii suffit
pour embrasser, la matière de toute une églogue ou de tout
un livre? Lorsque nous voyons, en effet, représentés dans le
même cadre, Rome et Mantoue, Tityre et Mélibée, la muse, le
hêtre, les brebis, les chèvres et leurs chevreaux, le chêne et
son feuillage, noire intelligence conçoit sans effort et retient
sûrement tout ce qui fait l'objet de la première églogue. » Un
880 ABTUI PÉDAG06IQUX
BQanuel d'hygiène, renseignement par l'aspect et les livres
îMustrés, recommandés dès le commencement du xti^ siècle»
cent ans avant la publication de YOrbis pictus, n'est-ce pas là
un l'ait curieux à noter ? Et n'y aurait-il vraiment rien de nou-
yeau sous le soleil ?
Au mérite d'éditeur désintéressé, que son frère partage avec
lui» le second des Bacquclier en joignit un autre qui lui
appartient en propre et ne lui fait pas moins d'honneur. Par
un acte eu date du 15 mars i53&, il lit donation d'une ]nai-
son, sise à Paris, rue des Layandières, pour servir d'habitation
aux étudiants dauphinois qui viendraient suivre les cours de
l'Université de Paris. Cette donation ne resta pas longtemps
morte, car nous connaissons le nom du premier directeur de
cette maison collégiale et nous avons la liste des premiers
« escholiers d dauphinois qui l'habitèrent.
Pour avoir ainsi généreusement consacré leur fortune et
leur vie à l'avancement des études, et pour être venus libérale-
ment en aide anx étudiants pauvres de leur temps, Antoine et
Pierre BacqueJicr méritaient de voir sauver leur nom de l'oubli,
et il faut remercier le « vieux bibliophile dauphinois > de nous
avoir révélé leur existence et leurs bonnes œuvres. Ajoutons
qu'une bonne partie des renseignements réunis sur eux sont
dus aux savantes recherches de M. Léopold Delisle, directeur
de la Bibliothèque nationale, qui, avec une obligeance et un
désintéressement bien rares, a mis ses notes à la disposition
de l'auteur de la brochure dont nous nous occupons.
E. J.
UNE CONFERENCE SUR LA DICTION
L'art de la diction, que M. Legouvé a popularisé en France, a conquis le
droit de cité dans nos écoles noi'males primaires. Il y a quelques semaines, un
professeur dévoué, M'"e Cécile Ga^', faisait devant les élèves du Cours normal
des écoles mnternelles dirigé par M"» Delabrousse, à Paris, une conférence sur
cet intérossant sujet. Une conférence est destinée à être parlée : c'est lui faire
perdre beaucoup de son charme que de la reproduire sous la forme d'un
ailicle de rev\ie. Cependant nous- creyons être* agréables à dos lecteuns en leur
offrant quelques passn^s de l'aimable causerie de M™» Gay, ofi les anecdotes
s'enlremélent aux sages préceptes et an\ conseils pratiques. 3(ous en donnons
l'cxorde. et un morceau sur la prononciation expressive et sur la mémoire.
— La Rédaction.]
<f Si le Créateur nous a distingués du reste des aaimaux, c'est
surtout par le don de la parole; les animaux nous surpassent en
force, en patience, en grandeur du corps, on durée, en vitesse, en
mille autres avantages et surtout en celui de se passer mieux que
nous de tout secours étranger. Guidés seulement par la nature, ils
apprennent bientôt, et d*eux-mômes, à marcher, à se nourrir, à nager.
Us portent avec eux de quoi se défendre contre le froid; ils ont des
armes qui leur sont naturelles; ils trouvent leur nourriture sous leurs
pas; et pour toutes ces choses que nVn coùte-t-îl pas aux hommes!
La raison est notre partage et semble nous associer aux immortels;
mais combien elle serait faible sans la faculté d'exprimer nos pen-
sées par la parole, qui en est l'interprète fidèle î C'est là ce qui
manqui» aux animaux, bien plus que l'intelligence dont on ne saurait
dire qu'ils soient absolument dépourvus. Donc, si nous n'avons rien
reçu de meilleur que l'usage de la parole, qu'y a-t-il que nous
devions perfectionner davantage? Et quel objet plus digne d'ambition
que de s'élever au-dessus des autres hommes par cette faculté
unique qui les élève eux-mêmes au-dessus des bétes? »
Savez-vous, mesdemoiselles, qui parlait ainsi? Quintilien, l'an Ai
de Jésus-Christ. — C'est le cas de dire qu'il n'y a rien de nouireau
sous le soleil. Mais ce ne sont pas les vérités les plus éclatantes qui
ont le don de se faire jour et d'être généralement admises. Rien n'est
vivace comme l'erreur, et si la vérité, comme le liège, dit William
Temple, finit toujours par surnager, elle reste quelquefois des siècles
sous l'eau.
Je n'en donnerai pour preuve que l'abominable routine qui a régné,
je crois, dans nos écoles, dans nos collèges, dans nos lycées, depuis
Cliarlemagne jusqu'à nos jours. Tout le monde connaît l'atroce ren-
gaine qui, il y a peu de temps encore, servait de type aux lectureset
aux récitations dans tous les établissements d'instruction publique.
Et c'est qu'il ne s'agissait pas de s'en alîranchirl
Zga ftCfXX rtMàCOOQgCE,
fermeitezrmfA ât fous donner on exemple de cet esprit de roatîne
onWersfteîre.
Un jeane élè? e de prorince, prescfoe on ealant, tenait de famille
on godt pour la bonne diction. Il récitait sans emphase, mais arec
netteti^, inteIJigence, faisant jaillir les idées des mots qa'il pronon-
'^it ; et, son tour rena de répéter one laMe de La Fontaine, il la
dît.,, comme il la comprenait. — « ADez toos rasseoir, monsieur,
s*écrie le professeur, vous vous moquez du monde. » PouTez-Tous vous
Imaginer quelque chose de plus ridicule que la conduite de cet édu-
cateur de la jeunesse?
t'n orateur disait : « Les sourds m'entendent et les étrangers me
fomprennent, * Cétait vrai, et cela indiquait un grand talent, une
prononciation si clftire, si nette, si élégante en même temps, que
l'ouïe et la compréhension en étaient rendues aisées, mt^me pour
les oreilles les plus dures, et pour ceux qui n'étaient pas familiari-
sés av^3C les beautés de notre langue.
11 y A cfïpendant, soit pour la diction, soît pour la lecture, des
règles si simples, si élémentaires, qu'elles me semblent à la porté* >
de tout le monde. Si on voulait seulement donner un peu plus d*im-
portance à la chose, dans Téducation, si, dès lenfance, on voulait bien
enseigner h bien dire, à bien lire, Tenfant consentirait à marcher
dans cetle voie.
Le m/^rne oraleur dont je vous parlais tout à Theure disait que
pour orriver à bien parler en public, il s'était toujours appliqué à
Lien pnrlcr dans le langage privé, pour ainsi dire. 11 était d'accord
en cr;Ia avec M. Régnier, qui m'a dit Tavoir toujours recommandé à
so« élèves. Ne pas avaler les mots, ni la fin des phrases, observer
les règles do la ponctuation : cela nWre pas cependant une grande
•dlfllcullé. Le tout est do s'y habituer, de le faire de bonne heure,
tout do suite en apprenant à lire. So corriger d'une mauvaise habi-
tude est ensuite beaucoup plus difTIcilo.
a \ji ponelualion est la lumière de la diction », a dit M. Legouvé.
11 a parlailcmont raison. « Apprendre à lire un morceau », dit-il
encore, « c'est apprendre à le juger. L'étude des intonations devient
forcément l'étude des intentions. On ne peut arriver à bien expri-
mer la pensée de l'auleur qu'en s'en pénétrant profondément, et on
•'on pénètre d'autant plus, qu'on cherche à la bien exprimer. Il y
41 dcH beautés cachées (ini ne se révèlent qu'à celui qui les lr<iduit
par (les sons; les sons donnent une nouvelle vie aux mois et la
■^•olx les revêt comme d'une lumière qui les fait mieux voir. »
En génércU, on dit les vers comme une leron apprise. Dans le récit
•ùrlout, r'ejil une faute énorme. 11 faut les débiter comme si les
Idées vous survenaient à la suite les unes des aulres. On ne doit
jamais avoir l'air de savoir les choses par cœur. Le comble de l'art
est de parailro quelquefois chercher une idée, tandis que l'on sait
UNI CONFÉRKNGB SUR LA DICTION 3S3
parfaitement d'avance ce que Ton va dire. Le naturel est une des
premières qualités de la diction.
Une prononciation juste et expressive est presque aussi essentielle
pour les chanteurs que pour ceux qui récitent. Ne pas comprendre,
comme ne pas entendre les paroles de ce que l'on chante, diminue
votre plaisir.
Delsarte a le premier donné une grande importance à la diction
dans le chant. Darcier, qui a été son meilleur élève, en chantant la
clianson de Pierre Dupont :
II faut du pain, du pain, du paio!
faisait frémir la salle autant parla manière de dire, que par le chant
lui-même.
La musique gagne à être composée sur de belles paroles. Le
iMCy le Vallon de Lamartine n'ont-ils pas merveilleusement inspiré
Niedermeyer et Gounod? Lorsque Rachel déclamait, plus qu'elle ne
chantait, la Marseillaise, elle atteignait les plus hauts degrés de Tart
et du patriotisme réunis.
Un exemple frappant m'est resté dans Tesprit de celte réunion,
de cette triple alliance du chant, des paroles et de la diction. C*est
la manière dont M«° Pauline Viardot interprétait dans Orphée Taîr
si justement célèbre :
J'ai perdu mon Eurydice....
II s'y trouve trois couplets semblables, presque sur les mêmes
paroles, et, en tous cas, avec le même refrain:
J'ai perdu mon Kurjdice,
Rien n'égale ma douleur.
Hé! bien, la grande cantatrice disait, chantait ces trois strophes
d'une façon absolument différente. Dans la première, elle exprimait
le doute, Tlncrédulité, la stupeur. Non! il ne se pouvait pas qu'elle
eût perdu son Eurydice. Dans la seconde, c'était le comble de la
fureur : la chose était certaine, évidente ; elle avait perdu son EurjF-
dice, et la rage contre les hommes, contre les dieux, contre l'univers
tmtier, éclatait au suprême degré. Dans la troisième, c'était la dou-
leur la plus navrante, le plus complet désespoir; la colère même
n'existait plus, elle n'éprouvait qu'une désolation immense.
Ne pensez-vous pas que Tart de la diction était poussé là à ses
dernières limites^ aussi bien que le chant et la musique à leur
plus sublime hauteur?
Le phénomène de la mémoire est aussi une chose bien curieuse.
Pourquoi les vieillards se souviennent-ils toujours de ce qu'ils ont
appris dans leur jeunesse et ne peuvent-ils que difficilement appren-
dre quelque chose de nouveau? C'est qu'en avançant dans la vie,
le cerveau de l'homme se durcit en quelque sorte. Il semble que
celui de l'enfant encore tendre et malléable reçoit les impressions
ABfUB FiDAQOQIQUB 1885. — t*' SIK. 13
954 RKVUK PÉDAC06IQVJI
pins profondécaent. Les ehoses se grareat, littéralement, dans son
jeune cerveau en traits ineffaçables. C'est pour cela que les exer-
eices de ménooire sont si précieux dans réducatloci de la jeunesse.
Plus tard, le raisonnement vient à rencontre; il efface d'une main
ce que la force mécanique y trace de Tautre. La preuve en est
fournie par Tétude des langues. Pourquoi Tenfant est-il plus apte à
les apprendre que Phomme fait? C'est qu'il s'assimile les sons, les
' mets, presqu a son insu, sans se livrer à aucun travail intellectuel
pour en pénétrer la signification. Quand on avance en âge, c'est
autre chose. On veut comprendre, on discute, on ne s'assimile plus
inconsciemment les idées. Et, quant aux vieillards, ce qui est simple
exercice de mémoire ne laisse sur le ceiTeau qu'une empreinte si
légère, qu'elle s'effacera bien vite, comme ces caractères tracés sur
le sable et qu'un coup de vent emporte. Il n'en est pas de même
des impressions anciennes, elles sont toujours là.
Aussi, je ne saurais trop engager les jeunes gens à meubler de
bonne heure lour mémoire; ils auront fait des provisions pour
l'avenir.
Et quelle chose charmante que d'avoir toujours k son usage une
bîbDôthèque ambulante, pour ainsi dire, de pouvoir occuper les
longues heures de voyage, ou les moments pris par la promenade
et les occupations purement matérielles de la vie de tous les jours!
On feuillette à l'aide jde ses souvenirs tous . les poètes bien aimés.
Voyons, que me dii"ai-je ce matin? du Victor Hugo, du Musset, du
Lamartine? Et, selon la situation d'esprit où Ton se trouve, on
donne audience, tour à tour, sans perdre une minute de son temps,
à ces grands enchanteurs de Pesprit. Ils vous suivent partout, au
fond des bois, devant les beautés de la nature qu'ils célèbrent, et se
retrouvent à vos côtés pendant les nuits d'insomnie, au chevet d'im
Ut de douleur, où ils bercent et calment la souffrance.
Pour en arriver là, il n'y a qu'un moyen bien simple: ne jamais
oublier ce qu'on a appris, une fois, par cœur ; et il n'y a qu'une
chose à faire pour atteindre ce but : se le répéter de temps en temps.
Par un effort d'esprit qui n'est pas sans charme, on parvient quel-
quefois à se remémorer entièrement un morceau qui était resté par
iiiadvertance dans un coin reculé du cerveau, et qui on sort, non
pas tout à coup, armé de toutes pièces, comme Minerve, mais peu
à peu et reconstruit petit à petit, sans l'aide du livre, comme l'an!-
niai antédiluvien par le naturaliste.
Phénomène bizarre et intéressant, on arrive à réciter tout bas,
avec les temps d'arrêt, les intonations mêmes que l'on avait en
récitant à haute voix. J'ai souvent travaillé à voix basse, le matin,
\éL morceau que je devais dire à haute voix le soir.
Cécile Gay.
LES SUPERSTITIOJSS DU JLOt
M. CazeS; inspecleur d'académie du Lot, publie dans le Bulletin
nédagoyûfue de ce département une série d articles fort bien faits sur
l'enseli^nement moral à l'école primaire. Au cours de son étude il
aborde la question des superstitions populaires; il donne une longue
liste, qu'il ne déclare pas complète, de celles qui aujourd'hui encore
ont cours dans le pays: il y en a qu*on rencontre partout (être treize
à table, engager une entreprise ou se marier un vendredi, etc.);
mais il en est de bien curieuses et moins connues.
Relevons en quelques-unes :
« Lorsque les dents d'un enfant se montrent de bonne heure, cala
prouve qu'il aura bientôt des Irères.
a Si une femme dit exactement le nombre de dindons qu'elle poe^
srde, ils mourront tous.
K Le vent qui souffle le jour des Rameaux soufflera souvent dans
Tannée, parce que le prêtre le bénit ce jour-là.
<( Les chiens qui mangent du pain bénit deviennent enragés.
<( Lorsqu'il y a d(?8 revenants dans une maison, mettre macérer
dans un vase des feuilles de lierre, une pour chacuu des dcrojare
membres défunts. La première feuille qui se décompose est celle dv
celui qui demande des messes.
« Celui qui naît à minuit le jour de Noiil est sorcier.
« Le septième enfant m^Ue d'une famille a le pouvoir de guérir les
fièvres, si la succession des naissances des frères n'a pas été déiiio-
gée par la naii^saiice d'une sœur.
<( En mettant une clef au feu on guérit les malades ensorcelés.
« Le mal aux dents étant causé par de petite vorniisseaux qui
se trouvant dans l'intérieur, si on met à la bouche un morceau de
cette extroissaiiro (lui apparaît sur l'églantier sous forme de mousse*
les insecl(3S niallaisants se transportent dans cette petite touffe
cotonneuse et la douleur cesse.
tt Lorsqu'on a des verrues, mettre un morceau de viande de boeuf
dessus, puis l'enterrer en disant : « Terre, mançe ma verrue. »
« Ne pas perdre les dents qu'on fait arracher ou qui tombent
naturellement, car cHes sont réclamées après la mort.
" Lorsque (|uel(iu'un est mort d'un cancer, mettre un vase plein
d'eau pour que le cancer aillé s'y noyer.
« Lorsque quehju'un meurt les yeux ouverts, une autre personne
mourra bientôt dans la maison.
et Si on rêve d'eau, de serpents ou de raisins, malheur.
« Si un pâtre tue une bergeronnette, une de ses brebis mourra
bientôt.
« Lorsqu'on fait couver des œufs au moment de la pleine lune,
les petits ne peuvent pas éclore. »
Toutes ces sottises sont, comme le dit M. Gazes, des restes de
l'état barbare.
L'on peut dire aujourd'hui qu'elles ont fait leur temps : il n'en
faut pas moins hâter Thenre où elles auront complètement ceftsé
d'apeurer des esprits ignorants. Seulement, prenons-y garde, la «u-
perstiiion a bien des foniies et bien des tniveetifiiements.
é
CONGRÈS INTERNATIONAL D'INSTITUTEURS
AU HAVRE
Nous recevons de M. le maire du Havre une brochure contenant
le programme du Congrès international d'instituteurs dont nous
avons déjà parlé il y a deux mois. Ce Congrès, organisé sous le
patronage de la ville du Havre, et avec la naule approbation du
ministère de rinstruction publique, aura lieu du 6 au 10 septembre
Srochain. Un comité de Quarante membres présidé par le maire,
[. Siegfried, est chargé de l'organisation; ce comité comprend
douze membres du Conseil mumcipal, inspecteur d'académie en
résidence à Rouen, l'inspecteur primaire, onze directeurs et six
directrices d'écoles, et huit citovens notables.
Le Comité d'organisation a déféré la présidence du Congrès a
M. Gréard, vice-recteur de l'académie de Paris; et pour accentuer
nettement le caractère international que doit prendre celte grande
réunion d'instituteurs, il a choisi pour vice-présidenis des person-
nages de distinction appartenant à des nations étrangères et amies :
ce sont : M. Mundella, chef du département d'éducation de la Grande-
Bretagne; M. Couvreur, ancien vice-président de la Chambre des
représentants de Belgique; M. Numa Droz, membre du Conseil
fédéral suisse; M. Dittes, ancien directeur du Pcedagogium de la
ville de Vienne; et M. Eaton, chef du Bureau national d'éducation
de Washington.
Le Congrès sera divisé en trois sections, présidées respectivement
par M. Jost, inspecteur général, par M. Lenient, directeur d'école
normale, et par M. Brouard, inspecteur général. Les questions que
chacune des sections aura à traiter sont les suivantes :
Section A, .
1* De l'utilité des Congrès nationaux et internationaux d'instituteurs;
2* Du travail manuel à l'école primaire comme complément de l'enseigne-
ment primaire. De l'organisation des écoles profeMsionnelles et d'appren-
tissage.
Section B.
Du traitement des instituteurs et institutrices dans les différents pays. Dans
quelle mesure l'État et la commune devraient-ils y contribuer?
Seclioti C.
Écoles normales. Part à faire à Téducation générale et à la préparation
professionnelle des instituteurs et institutrices.
Les personnes qui se proposent de prendre part au Congés devront
étudier ces questions a l'avance; si elles désirent traiter une ou
plusieurs d*entre elles, elles devront envoyer, avant le i5 juillet,
au secrétaire général du Comité d'organisation, des mémoires écrits,
terminés par ae3 conclusions précises. Ces mémoires qui, faute de
temps, ne pourront être lus aux séances du Congrès ou des sections,
seront dépouillés par le Comité d'organisation : les conclusions en
seront classées, imprimées et remises à chaque membre à l'ouver-
ture du Congrès.
CONGRÈS INTERNATIONAL d'iNSTITUTEURS AU HAVRE 3^7
Sont invitées à prendre part aux travaux du Congrès toutes les
personnes faisant partie du corps de renseignement primaire :
instituteurs et institutrices titulaires ou adjoints, publics ou privés,
directeurs et directrices d'écoles normales, inspecteurs primaires et
inspecteurs généraux.
Les personnes ci -dessus désignées qui désirent participer au
Congrès devront adresser leur demande, avant le 1®^ juillet, au
secrétaire général du Comité. Une carte d'admission leur sera
immédiatement envoyée.
La ville du Havre prend à sa charge les frais de logement des
instituteurs. Les frais de nourriture seront supportés par les mem-
bres du Congrès, mais les indications nécessaires sur les restau-
rants et les hôtels où ils pourront prendre leurs repas dans de
bonnes conditions et à des prix modérés leurs seront fournies.
Pour faciliter le voyage, des trains spéciaux à prix réduits seront
organisés de Paris au Havre et du Mans au Havre.
Voici le programme du Congrès :
Dimanche 6 septembre 4885.
A 2 h. — Ouverture du Congrès — Discours du maire — Discours du mi-
nistre — Discours d'un des membres étrangers — Répartition
du Congrès en sections — Nomination des vice-présidents et
des secrétaires des sections.
A 4 h. — Inauguration du lycée de filles.
A 9 h. — Punch à l'Hôtel-de-Ville — Musique.
Lundi 7 septembi-e,
A 8 h. — Réunion des commissions dans les locaux indiqués.
A 2 h. — Nouvelle réunion 'des commissions.
A 5 h. — Visite d'un Transatlantique.
A 8 h. — Conférence pédagogique.
Mardi 8 septembre,
A 8 h. — Réunion des commissions.
A 2 h'. — Réunion générale — Discussion des rapports.
A 8 h. — Représentation au Grand-Théâtre.
Mercredi 9 septembre,
A 0 h. — Visite à l'École d'apprentissage de garçons, à l'École d'apprentis-
sage de filles, à l'Ecole primaire supérieure et à une école élé-
mentairc de garçons.
A 2 h. — Réunion générale — Discussion des rapports — Discours du
ministre — Clôture du Congi*ès.
A 7 h. 1/2. — Banquet.
Jeudi 10 septembre,
A 8 h. — Promenade en mer : Trouvilie, Ilonfleur, etc.
La représentation au théâtre, la conférence pédagogique, la pro-
menade en mer, le punch, le banquet, prévus au programme, sont
offerts par la ville.
Pour tous renseignements, s'adresser au secrétaire général du
comité d'organisation, M. Garsault, inspecteur primaire, à THôtel-de-
Ville, Havre.
LA PRESSE ET LES LIVRES
Manuel d*instruction nationale, par M. Emmanuel Touches ;
ouvrage contenant 21 grarures; I vol. m-12, Paris, Hachette el C»%
1883. — Ce manuel ne se rapporte point directement aux pro-
grammes officiels, il ne prétend point guider le maître pour ses
leçons de morale ou d'instruction civique ; mais les huit chapitres
qui le composent, d'inégale longueur, d'inégale importance aussi,^
forment un recueil de lectures pour les cours élevés de Técole
primaire et pour renseignement primaire supérieur, recueil
plein d'intérôl, de tact et de cœur, digne de la vaillante plume et
de riiommc excellent qui, avec Jean Macé et quelques autres
hommes de mérite et de dévouement, a fait de la Ligue de l'ensei-
gnement une véritable institution d'éducation nationale. M. Vauchez
— cela va de soi — est de son temps ; il en préconise tous les
droits comme il en accepte tous les devoirs; mais il n'est pas de
ceux qui n'ont pour le passé qu'un injurieux mépris. Son chapitre
intitulé La patrie, qui est le chapitre capital du petit volume, est,
nous pouvons bien le dire, une admirable leçon de ce patriotisme
français qui ne dénigre rien, qui sait tout comprendre, et se fonde
sur le respect de tout ce qui mérite d'être ^respecté.
« La terre que le souvenir des ancêtres a rendue sacrée, dit
M. Emmanuel Vauchez, la nation qu'on aime parce qu'elle paraît
la meilleure et la plus grande, le peuple auquel on est fier d'appar-
tenir, voilà ce qui est vraiment la patrie. Celte patrie-îà, on peut
mutiler son territoire, changer la couleur de ses drapeaux : on ne
saurait ranéautir dans le cœur de celui qui s'est donné à elle.
Quelles que soient les tristesses de la destinée, celui-là peut dire
eu regardant les pouvoiFS qui le tiennent en servitude : « Ils ont
tt enchaîné le corps, mais l'àme se rit d'eux : elle est libre. * Notre
patrie à nous, c'est la patrie française ; nous l'aimons dans ses
grandeurs, dans ses soulTranccs, dans les manifestations si diverses
de son génie. Le sentiment d'admiration et d'amour qu'elle nous
inspire a été partagé par bien des hommes qui n'étaient pas nés sur
son territoire. N'est-ce pas un étranger célèbre qui a dit : « Tout
» ôlre humain a deux patries, celle où il est né et la France? »
» L'affection qu'elle nous inspire s'augmente à mesure que nous
cttonaîssons mieux son histoire. Comme elle a souffert, comme elle
a lutté pour devenir indépendante et forte! De Vercingétorix, l'un
de ses premiers héros, aux morts de la défense nationale, quelle
iacomparable suite de martyrs, de combattants glorieux ou obscurs,
royauté, noblesse, tiers-État, ont travaillé, avec des mérites di>ers,
j\ créer son unité politique! La reconnaissance nationale ne doit pas
LA PRXS6& KT LIS UYEES âSd
être exciasite et ne s'attacher qu'à un parti ou à une classe da
citoyens. Elle salue, elle honore, elle aime quiconque a servi le
pays français. Elle estime que, malgré leurs erreurs ou Leurs fantes,
Louis XI, qui nous déllyra des deroiers vestiges de la puissance
féodale, Richelieu, qui écrasa la noblesse au profit de Tunità
royale et nationale, sont de très grands hommes d*État. Elle sait
gré à la noblesse d'avoir généreusement et sans compter répandu
son sang sur les champs de bataille. Elle s'incline avec respect devant
le clergé, lorsque, au moyen âge, il protège les lettres et la science;
lorsque, plus tard, avec saint Vincent de Paul, il s'inquiète de
recueillir et d'élever les orphelins. »
M. Vauchez ne veut pas davantage que le culte que nous ressen-
tons pour la France ne soit qu'une forme du . dédain que noua
éprouverions pour les autres peuples» Pour lui^ v le patriotisme
qui se complaît exclusivement dans L'humiliation d'autrui est un
médiocre patriotisme ».
Très saines, très élevées, très vibrantes, toutes ces leçons, et les
nombreux exemples anecdotiques, que des souvenirs originaux
fournissent très souvent à l'auteur tempèrent ce qu'elles pourraient
avoir de trop abstrait et les approprient au jeune public auquel elles
sont destinées. C. D.
L'histoire de france racontée par les contemporains:' L'EmpÎFe^
français d'Orient; la iv« croisade (H99-1205); extraits de yilleha^-
douin, de Robert de Gari, etc.; Philippe VI et Robert d'Artois, les
commencements de la guerre de Cent ans (1328-1345); extraits ées
grandes chroniques de France, de Froissart, du procès de RobeK
d'Artois, etc . ; publiés par M. B. Zeller, maître de conférences à
la Faculté des lettres de Paris, répétiteur à l'Ecole polytechnique*;
2 vol. in-18, Paris, Hachette et 0«, 1885. — Les manuels d'histoire
que les maîtres ont entre les mains — et il y en a, hâlons-nous da^
le dire, d'excellents — offrent le grand avantage de présenter les
événements dans un ordre logique et dironologique, en donnant à
chacun d eux la mesure exacte et la proportion qu'il doit avoir dans,
un ensemble suivi et gradué. Mais ils sont nécessairement loit
abrégés. Les meilleurs sont sans contredit ceux qui sont le plus
rapprochés des sources, c'est-à-dire qui ont le plus directement puisé,
pour chaque période qu'ils exposent, non seulement leurs données^
mais la forme même de leur récit dans les ouvrages contemporains,
dans les écrits de ceox qui ont va ks événements, qui y ont |^bs
ou moins participé, qui en ont reçu Fimpression et peuvent e»
transmettre fidèlement le souvenir. C*est, en définitive, ' chez les
contemporains qu'il tant chercher ce je ne sais quoi au maytat
duquel Thistorlexi ou le professeur fait renaître la réalité, conditioit
sine qua non pour qu'un développement historique soit int^eaaant,.
vivant, comme on dit. Seulement, ceux-là seuls qui qêA mia
«^60 HfiVUK PÉDAGOGIQUK
à une pareille œuvre savent ce qu'il faut de temps et de peine pour
trouver, pour choisir, pour classer et oiettre en lumière ces docu-
ments de première main, que les autres ne remplacent jamais.
M. B. Zeller, soit seul, soit avec Taide de quelques collaborateurs, a
entrepris ce grand travail sous la forme tout à fait économique et
populaire de petits recueils à 50 centimes ; il a eu ainsi la pepsée
de mettre à la disposition du plus humble enseignement, et dans
des conditions accessibles aux plus humbles bourses, un tableau
suivi, quoique emprunté à des auteurs différents, des événements,
des mœurs, des institutions de chaque époque importante de notre
histoire nationale.
Il a paru une quinzaine de volumes de cette collection, dont
voici les titres : La Gaule et let Gaulois, La Gaule romaine, La
Gaule chrétienne, Les invasions barbares. Les Francs mérovingiens.
Les fils de Clotaire, Les rois fainéants, Charlemagne, Louis le Pieux,
Charles le Chauve, Les derniers Carlovingiens, Les premiers Capétiens,
Les Capétiens du xii« siècle : Louis VI et Louis VII, etc. Tous sont com-
posés d'après le même type. Nos annalistes des premiers siècles ont
écrit en latin : M. Zeller et ses collaborateurs en donnent une tra-
duction, qui se tient aussi près que possible du texte original;
lorsqu'apparaissent les premiers textes français, ils ne font à ces
textes que les changements absolument nécessaires pour les rendre
compréhensibles, renvoyant, au besoin, à un lexique spécial pour les
termes de la vieille langue qui présentent quelque difficulté d'inter-
prétation. De courtes notes explicatives, des analyses succinctes font
connaître les auteurs cités, et rattachent les uns aux .autres les mor-
ceaux qui leur sont empruntés. Un certain nombre de gravures
accompagnent chaque volume : le choix de ces gravures est inspiré
du même esprit; on s'est attaché à ne donner que des images
authentiques, tirées aussi, autant que possible, des documents con-
' temporains.
Nous avons sous les yeux les deux dernières publications de la
la collection : L empire français d'Orient; la iv® croisade, et Philippe VI
et Robert d'Artois; les commencements de la guerre de Cent çins, par
M. B. Zeller seul. Villehardouin,, d'abord, puis un autre témoin el
acteur moins connu de la iv« croisade, le picard Robert de Clari
(Le Histoire de chiaux qui conquisent Constantinoble) et enfin la
Chronique de Gunther font les frais du premier volume; Froissart,
le second continuateur de Guillaume de Nangis, les Grandes Chro-
niques de Saint-Denis, la chronique de Walsingham et des documents
authentiques sur le procès de Robert d'Artois remplissent le second.
11 nous semble que les professeurs d'écoles normales, les profes-
seurs d'enseignement primaire supérieur, ceux aussi des cours les
plus élevés des écoles primaires élémentaires peuvent trouver dans
ces petits livres un complément précieux de leurs leçons et d'utiles
lectures a indiquer.
LA PRISSE ET LES LITRES 361
Les enfants malheureux, par Edouard Siebecker ; un vol. in-iî,
Paul Dupont, 1885. — L'auteur raconte dans sa préface que cet
ouvrage a paru pour la première fois vers la fin de TEmpire, à un
moment où c'était la mode, dans les journaux mondains, de
citer des mots d'enfants, de rendre compte des bals d'enfants,
de décrire d'élégants costumes d*enfants. Lui a regardé les choses
par l'autre bout de la lorgnette, et il a étudié la vie « des enfants
malheureux », bien plus nombreux, hélas ! que les privilégiés de
kl vie, regardant l'enfant dans la rue, le photographiant dans l'atelier,
le suivant aux champs, ne s'arrêtant même pas devant la porte de
la prison. Et il a trouvé partout de lamentables histoires, qu'il se
garde bien d'accompagner de commentaires et de plaidoyers, dont il
a dû même, dit-il, adoucir fréquemment les tons, que la réahlé luî
montrait trop noirs.
Ce sont ces tableaux que l'auteur présente dç nouveau au public,
refaits, renouvelés, formant, dans leur ensemble, un livre qui par
son format, ses illustrations, paraît devoir s'adresser aux enfants
eux-mêmes.
Est-ce bien un livre d'enfants? L'auteur convient lui-même qu'il
est triste; mais qu'importe, dit-il, s'il est vrai et utile? * H ne faut
pas mentir à l'enfant et lui faire croire que la vie est uniformé-
ment rose. » Assurément, mais n'est-il pas à craindre que la leçon,
telle que M. Siebecker la donne, ne dépasse l'enfant et qu'il ne s'y
intéresse point ? Il faudrait tout au moins qu'il y ait là un père ou
• un maître pour l'expliquer. A ce titre, c'est dans la bibliothèque
populaire que nous voudrions de préférence le voir placer; c'est là
qu'il peut produire l'effet qu'en attend l'auteur : « Riches et pauvres,
dit-il très justement, trouveront ici un enseignement. Les premiers
comprendront que le xemède à l'envie et à la haine des classes
sociales est dans la justice et la loyauté des rapports; que
l'arbre dont on hâte la végétation paie toujours sa précocité, et
que l'apprenti malheureux produit presque inévitablement l'ouvrier
débauché.
» En yoyant le sort des enfants pauvres, ils Véfléchiront aux
navrants caprices de la fortune, surtout au temps où nous vivons ;
ils reporteront leurs regard» sur les têtes blondes qui se pencheront
auprès d'eux sur ces pages, et se diront que demain le hasard peut
jeter dans ces enfers les créatures aimées auxquelles ils ont voué
toutes leurs pensées.
» Qu'ils songent alors que les lacunes de la loi peuvent, jusqu'à
un certain point, être comblées par l'initiative particulière, et que
le salut des sociétés ne dépend ni des gouvernements, ni des tribu-
naux, ni de la police, ni des gendarmes, mais simplement de la
sob'darité de tous les intérêts, quels qu'ils soient.
» Les pauvres verront que la misère et la corruption sont les
fruits de l'ignorance; que, sous peine de mort morale, l'enfant
à
30S BKVUt FɻA606IQn
appartient, pour un certain temps, à l'école, comme le nouveau-né,
sous peine de mort physique, appartient à la noorrice; qu'ils pour-
ront peut-être tirer un maigre salaire de ce petit être, en le trans-
formant hâtivement en machine ; mais que la corruption engendrée
par le contact avec des hommes leur fera perdre le soutien, la*
consolation et, peut-être, 1 honneur de leur vieillesse.
j> Enfin, patrons et ouvriers pourront également en tirer un
profit.
9 Les uns, en se rappelant que l'enfant deviendra un jour un
homme et un citoven.
9 Les autres, en songeant que l'exemple mauvais donné par eux
à l'apprenti qui leur est étranger, un étranger peut le donner à
à leur enfant, apprenti autre part. »
Sur ces données, M. Siebecker dit qu'il a conscience d'avoir fait
« un livre d'honnête homme », et il a raison. C D,
Manuel du natiralistb préparateur, ou manière d'empailler les
oiseaux et quadrupèdes, à l'usage des instituteurs et des écoles
primaires, par P.-^. Doussardy instituteur à Giponville (Seine-
Inférieure) ; in-S*» de ;]o pages et 8 figures explicatives tii*ées hors-
texte, chez l'auteur, avril 4883. — On a préconisé Tintituteur cul-
tivateur, l'instituleur menuisier et forgeron, l'instituteur tourneur,
rinstiluteur relieur, sans parler de l'instituteur organiste ou chantre,
de l'instituteur collectionneur et antiquaire, de l'instituteur géomètre,
etc., etc. : allons-nous, par surcroît, réclamer l'instituteur empailleur?
U est certain que l'instituteur ne doit être exclusivement rien de
tout cela, et qu'il doit être avant tout et par dessus tout instituteur;
mais quand il aurait, sans en abuser, les goûts de l'esprit et les liabi-
letés de la main que tout cela suppose, et quand il ferait servir au
profit de sa classe des occupations et des distractions qui n'ont en
soi rien que d'honnête et d'utile et qui peuvent s'élever, suivant
l'occasion, à une très haute portée, où serait véritablement le mal?
Les musées scolaires sont à l'ordre du jour dans nos écoles, et non
sans raison, à ia condition qu'on veuille et qu'on sache s'en
servir. Mais les musées scolaires coûtent souvent très cher à remplir.
Un merle empaillé, nous dit M. Doussard, coûte 15 francs; une
pie, 18 francs. M. Doussard apprend à ses collègues la manière de
faire ces préparations à peu près pour rien; ses procédés sont
simples et clairement expliqués; ils seront certainement utiles aux
débutants. Z.
La nooelle galerie de paléoktolocie au Muséum d'histoire natu-
eelle; Paris, Gauthier-Villars, 1885. — Cette plaquette de 8 pages
reproduit une note lue à l'Académie des sciences, le 9 mars dernier,
par M. Albert Gaudry, professeur de paléantologie au Muséum. La
nouvelle gaieiie qui vient d'être Quverte au publk jmt l'adminisdraH
LÀ PRESSE ET LES UVRBS 363*
tioD du Muséum, et qui contient les squelettes des grands animaux
fossiles, mérite d'être visitée. Sans doute, Tinstallation en est encore
bien insuffisante; mais c'est un premier pas fait vers la réalisation
d'une grande idée. « Il faudrait, dit M. Gaudry, avoir un musée où
l'on classerait les êtres époque par époque, et où Ton pourrait suivone-
la magnifique histoire du développement de la vie, depuis le mo-
ment où nous en trouvons lespremièrestraces jusqu'au temps mar-
qué par la venue des hommes. Nous devons espérer qu'un jour la
France, où Cuvier a fondé la science des fossiles, aura un musée de^
paléontologie digne d'elle. En attendant, la nouvelle salle qui vient
d'être construite rend déjà un service, car elle donne quelque idée
do la majesté de la vieille nature. » G.
Notice sur Arnold Gcyot, par Charles Faure; Genève, imprimerie-
Schuchardt, 1884. — Nous avons rappelé (numéro de mars 1884,
p. 287) les services rendus à la science géographique par Arnold.
Guyot. La notice de M. Faure retrace, d'après des documents inédits,
la carrière de l'éminent professeur : c'est un travail intéressant et
utile.
Langue allemande.
Les devoirs a la maison. — Faut-il donner aux élèves des écoles
primaires des devoirs à faire à la maison ? Cest une question qui»
se débat assez vivement en Allemagne. On s'en occupe dans VAU^
(jcmeine dcutsrhf* Lehrerzeitung, dans la Schweizerische Lehrerzeitung^
dans les Padago(jisdic BUitter, dans le Pœdagogium^ etc. On cite-
une décision de la haute cour d'Angleterre (Queen's bench division)
qui déclare que l'école n'a pas le droit d exiger des enfants des*
devoirs faits à la maison. Le juge Mathew dit dans ses considé*
rants que l'obligation scolaire étant une limitation de la liberté-
personnelle, il ne convient pas de l'interpréter en Téteadant; l'in-
stituteur qui retient au delà des heures prescrites pour l'enseignement
un enfant qui n'a 'pas fait ces devoh-s du dehors, se rend
coupable. (Voir notre numéro de juillet 1884, p. î>2-93.)
C'est également l'opinion qu'exprime M. Otto Leisner dans le
Pœdagogium, d'accord en cela avec un lapport publié par M. Willms,
inspecteur des écoles et directeur de l'école supérieure des filles à
Tilsilt. Ce n'est pas une quantité modérée, une atténuation, une
mesure que M. Leisner demande, c'est la suppression pure et
simple des devoirs à faire hors de l'école.
On parle beaucoup, dit-il, de la surcharge des études, de l'enva-
hissement des programmes, de la nécessité de réformes. Eh bien !
il y en a une très simple, très utile, d'un effet immédiat, c'est de
supprimer les devoirs en dehors des classes. Les heures de classe
ne sont pas trop nombreuses» les travaux qui s'y accomplissent ne
964 REVUE PEDAGOGIQUE
peuvent fatiguer ni surcharger Tenfant: mais elles doivent suffire.
Les devoirs extérieurs sont de trop; il faut les bannir. M. Leisner
donne cinq motifs de cette suppression.
i^ La santé des enfants. On ne peut nier, dit-il, que dans beaucoup
d'écoles, les physionomies ne marquent un certain affaiblissement
physique, une certaine indifférence morale; cela tient en partie à
l'excès de travail imposé. Les enfants, au lieu d'arriver à l'école
joyeux, gais, de bonne humeur, y apportent de l'inquiétude ; les
devoirs ne sont pas faits ou mal faits; ceux des enfants qui sont
chétifs, ou sensibles, sont facilement troublés par la perspective
d'avoir à rendre leurs comptes. Il leur eût fallu après la classe un
temps plus considérable de repos, de détente, de jeu.
2<> lis ne trouvent pas chez eux toutes les commodités désirables
pour faire les travaux qu'on leur demande.
Il n'y a peut-être qu'une seule chambre pour la famille; on y
fait le ménage, la cuisine ; c'est Tatelier du père ; les petits frères
rôdent autour des cahiers ; il n'y a pas de place pour écrire ; on
cause, on s'agite autour de l'écolier. H apportera à l'école des cahiers
négligés, des livres tachés ; il sera grondé, puni. S'il est obligé de
se faire aider, quel contrôle le maître apportera-t-il à ce travail
non personnel?
3® il s'établit entre les classes une concurrence qui ne peut qu'être
nuisible. Tel maître sera réservé dans les devoirs qu'il donne; tel
autre, voulant briller, forcera la note, exigera davantage des entants,
poussera aux devoirs écrits, qui sont plus faciles à produire aux
yeux des supérieurs ou des parents. La comparaison entre la valeur
des classes deviendra impossible ou injuste.
4° Le maître lui-même no- peut que retirer du dommage de cett<*
pratique. Rien n'offre de plus fréquentes occasions de blàmc, d'irri-
tation, de colère et de punition que les devoirs à faire hors de la
classe. Ce qui se passe en classe, sous les yeux du maître, se fait
régulièrement, avec calme ; les devoirs faits au dehors sont souvent
négligés, ou même omis. Il faut se fâcher, il faut punir. Com-
ment? Par de nouveaux devoirs? Par des rétenues? Le maître
ne peut surveiller suffisamment les enfants qu'il garde. Par des
reproches? Les reproches s'usent vite; on risque de tomber dans
l'excès, dans la colère, dans l'outrage. C'est exposer le maître à la
critique des enfants, au ridicule, à perdre de sa considération et
de son influence morale. Supprimez les devoirs de la maison, et
vous supprimez la majeure partie des occasions de se fâcher et de
punir.
5<> Ces devoirs sont nuisibles à l'intérêt des parents, qu'on n'a pas
le droit de négliger. Le travail des enfants est utile, indispensable
à la famille dans beaucoup de maisons. Là même où les enfants
n'ont pas à travailler pour ajouter au gain des parents ou pour les
aider dans les ouvrages domestiques, il arrive que les parents tien-
LA PUESS£ KT LES UVRCS 365
nent à leur faire faire des études ou des exercices auxquels ils
attachent, à tort ou à raison, une grande importance pour Tavenir
de leurs enfants, bis que le dessin, la peinture, la musique, les
travaux d^aiguille, etc.
Si l'école ne laisse aucun temps libre ou trop peu de temps libre,
il y a collision entre ses exigences et l'intérêt de la famille, d'où
aussi des mécontentements dont les enfants souffrent.
Ënfm, 6^ au point de vue moral, les devoirs de la maison ne sont
pas înoffensifs. II n'y a pas besoin qu'un enfant soit bien pervers
pour recourir à un camarade et se faire donner le devoir qu'il n'a
pas fait ; c'est une tromperie, et l'enfant se réjouit quand le maître
se laisse prendre. Souvent aussi l'enfant recourt tout simplement
au mensonge ; il invente des histoires, est obligé parfois de les com-
pliquer, et finit par se laisser entraîner de mensonge en mensonge
jusqu'à paraître un vrai mauvais sujet, alors qu'il n'avait cru d'abord
que jouer un bon tour.
Un maître soucieux du bien de ses élèves doit tenir pour un
devoir sacré d'éviter tout ce qui peut les induire à mentir, à tromper.
Les devoirs de la maison offrent trop de tentations à ce point de vue
pour qu'on n'ait pas le droit de les considérer comme un danger moral.
Das Strafrecht der deutschen Volksschulbn (Le droit de châti-
ment dans les écoles d'Allemagne) par Auguste Top/f, pasteur à
Kxdoif près Meiningen. Vienne et Leipsig, 1884. — Les châtiments
corporels à l'école, abolis en France, subsistent, comme on sait, en
Angleterre, où le fouet {Jogging) joue un rôle dans les établissements
d'instruction secondaire de l'ordre le plus élevé; ils subsistent égale-
ment en Allemagne, du moins pour l'école primaire, ils sont même
l'objet de prescriptions légales. Le livre de M. Topff nous fait con-
naître ces prescriptions.
11 nous montre que les chftliments corporels sont admis presque
partout dans l'empire d'Allemagne, et que la plupart du temps ils
sont gravement réglementés par des circulaires émanant des diffé-
rents gouvernements. Le code pénal de l'empire du i "janvier 187Î
établit la répression des abus et des excès dont le droit de châtiment
corporel peut être l'occasion dans l'école primaire.
On peut lire dans maintes circulaires ministérielles que a le châ-
timent doit se donner au moyen d'une mince baguette, et qu'il faut
tirer cette baguette pour chaque cas particulier hors de l'armoire
scalaire, en ayant soin que l'instituteur ne la garde pas à la main
et ne la laisse pas constamment exposée à la vue >.
Au sens de l'autorité allemande, la baguette est l'instrument offi-
ciel de supplice, et il ne faut évidemment ni en amoindrir l'in-
fluence en la laissant sans cesse comme un objet banal sous les
yeux des enfants, ni exposer le maître à s'en servir a tout instant,
ou à chaque mouvement d'impatience.
â
966 RIVUl PÉDAGOOfQDK
L'autear cite un grand nombre d'exemples vraiment effrayants des
«uites que peuvent avoir ces châtiments corporels, lorsque le maître
OB la maîtresse en fait usage avec colère et dans l'emportement de
la passion. II se garde néanmoins de blâmer Tusage, il se borne à
flétrir l'abus de ce moyen d'éducation, dont s'accommode, paraîl-il,
le tempérament de nos voisins, et qui répugne à nos mœurs, à
nos habitude, à l'instin-^t de notr^ peuple, et plus profondément
-encore aux pédagogues vraiment soucieux du progrès moral et de
la dignité de nos enfants.
L'auteur de l'ouvrai^e que nous signalons se contente de dire :
« Plus rarement la nécessité de cliAtier, et de châtier avec force, se
ftdt sentir dans une école, mieux elle se trouve en situation de
résoudre le problème de l'éducation ; une école — quand môme
il y serait beaucoup enseigné et beaucoup appris, — ne peut être
regardée comme bonne, si c'est le bâton qui y rogne et si la ct-ainte
<lu châtiment y est le stimulant principal. »
Ces paroles sont fort justes; mais franchement, le bâton y est de trop.
« Was soll der Junge WEaDES? * Ein liathgeher hei der W'ahl do
'Lcbemherufs auf dem gcicerblichen Gebiele. Fur hltern, Vormiindcr.
Lehrer und Freunde von des Volkes Wokl. ( u Que deviendra ce garron /
Conseils pour le choix d'un métier. Pour les parents, tuteurs, in-
stituteurs et amis du peuple), par A. ton Fragstein. Berlin, 1885.
Deux Sociétés de Berlin, le Comité ^ pour le bien de la jeunesse
sortie de l'école » et le Comité de la fondation Diesterweg se sont
associées il y a quelques années pour proposer un prix au meilleur
travail sur cette question : Du choix d'un métier. Le prix fut ac-
cordé à l'unanimité par le jury au manuscrit de l'in^:éiiieur v(»n
Fragstein, qui p.irut répondre entièrement au but que l'on se pro-
posait.
Il est certain que lorsque l'enfant n'a pas une vocation décidée, ou
lorsqu'il n'est pas entraîné naturellement, par habitude et par la
force des choses, dans la carrière paternelle, il y a pour les familles
et pour les jeunes gens un moment d'incertitude et d'inquiétude
réelle à traverser.
Parmi tant de voies qui s'ouvrent, laquelle choisir? 11 y a des
métiers qu'on connaît et qui ne plaisent pas, d'autres qu'on ignore
et qui feraient peut-être Taffaire. Quels sont-ils? Quels sont les
moyens de s'y instruire, les conditions de l'apprentissage, les exi-
gences de l'établissement, les ressources à en attendre? Les parents
s'adressent souvent à l'instituteur; il est lui-même fort embarrassé.
Cest le hasard qui décide, une circonstance fortuite, un voisinage.
Peut-être a-t-on laissé de côté une issue qu'on regrettera amèrement
plus tard, quand il sera trop tard.
M. von Fragstein a réuni dans son volume tous les renseigne-
ments qui lui ont paru de nature a éclairer et à décider les familles
LÀ niKSSB ET LES LI\RES 987
«t les eniiiiits. Son livre n'est pas un ouvragé ter;hnologique; il n'îa
pas la prétention de fournir des manuels d'apprentissage pour chaque
•métier. H se borne à exposer l'histoire, 1 importance, le caractère
de chacun des métiers où Touvrier peut employer utilement sa
force et son intelligence. I/ouvrage est divisé en deux parties. La
première contient des considérations générales sur le choix d'une
carrière, sur la préparation intcllectaelle et physique, sur les sa-
laires, les lois et règlements de rindustrie ; le jeune homme trouve
la de bons conseils, dans un langage simple et populaire. La seconde
pi^tie traite d'environ cent cinquante professions diflFérentes, dont
Fauteur montre les bons et les mauvais côtés; il en indique les
particularités, les difficultés, les. ressources ; il donne le chiffre des
salaires, les moyens d'instruction, le titre des écrits spéciaux, bref,
tout ce qui peut mettre en état de faire un choix aussi éclairé que
possible. La tentative est ' ingénieuse, et peut rendre quelques
ser\'ices.
Die praxis oEm elementauklasse. (La pratique de la classe élé-
mentaire; — guiïle sur le terrain de l'enseignement élémentaire),
par Robert Werpecke. Berlin, I880. — L'enseignement le plus déli-
cat, le plus difficile, dit l'auteur, est celui de la première enfance.
Il faut la bien connaître, Tavoir étudiée de près, savoir quels points
d'attache l'enseignement de l'école peut trouver dans ces jeunes
esprits, quelle préparation ils ont reçue dans la famille pendant le
temps qui a précédé leur entrée à l'école, quels conseils il convient
de donner aux parents pour cette préparation.
L'auteur donne une série de leçons, toutes faites, non pour être
adoptées toiles quelles, mais comme exemples. Ces leçons, graduées
avec intelligence et tact, portent sur l'enseignement par la vue,
l'enseignement de la lecture, de récriture, du calcul, de la religion,
qui est restée obligatoire dans les écoles allemandes.
Elles sont accompagnées d'un nombre considérable d'historiettes,
de poésies, de chants, d'énigmes, destinés à illustrer, à éclairer, à
égayer l'enseignement, et dont un très grand nombre sont vraiment
propres à charmer et à instruire l'enfance.
Deux idées nous paraissent dignes d'être relevées dans cet utile
volume. Le première, c'est de rattacher autant que possible toutes
les leçons à la connaissance de la langue maternelle, de donner à
cette étude, sous les formes les plus diverses, la plus grande impor-
tance. C'est en effet donner aux enfants l'instrument le plus sûr
avec lequel ils acquerront peu à peu des notions claires et exactes,
et les préparer fortement, sans qu'ils s'en doutent, aux études de
l'avenir. La seconde idée sur laquelle insiste Pauteur, c'est que les
leçons ^ux plus petites classes, aux plus jeunes enfants, ne doivent
pas se donner sans préparation, qu'il est dangereux et tout aii
moins stérile de se confier au hasard, et que tout doit être sdigneu-
966 RIVUl PÉDAGOGfQDB
L'autear cite un grand nombre d'exemples vraiment effrayants des
«uites que peuvent avoir ces châtiments corporels, lorsque le maître
<m la maîtresse en fait usage avec colère et dans l'emportement de
la passion. 11 se garde néanmoins de blâmer l'usage, il se borne à
flétrir l'abus de ce moyen d'éducation, dont s'accommode, paraîl-il,
le tempérament de nos voisins, et qui répugne à nos mœurs, à
nos habitude, à l'instinct de notre peuple, et plus profondément
•encore aux pédagogues vraiment soucieux du progrt^s moral et de
la dignité de nos enfants.
Lauteur de Touvrai^e que nous signalons se contente de dire :
« Plus rarement la nécossilé de châtier, et de cliàticr avec force, se
ftiit sentir dans une école, mieux elle se trouve en situation de
résoudre le problème de Téducation ; une école — quand même
il y serait beaucoup enseigné et beaucoup appris, -- ne peut être
regardée comme bonne, si c'est le bâton qui y règne et si la crainte
<lu châtiment y est le stimulant principal. »
Ces paroles sont fort justes; mais franchement, le bâton y est de trop.
« Was soll der Junge werden? » Ein Jlathgeber bei dcr Wahl des
'Lcbensberufs auf âcm gcwerbUvIœn Gebiele. Fiir tiltern, Vormiindcr.
Lehrer und Frcunde ivndes Fo/to WohL ( « Que deviendra ce gaicon?
Conseils pour le choix d'un métier. Pour les parents, tuteurs, in-
stituteurs et amis du peuple), par A. von Fragstein. Berlin, I880.
Deux Sociétés de Berlin, le Comité <^ pour le bien do la jeunesse
sortie de l'école » et le Comité de ia fondation Diesterweg se sonr
associées il y a quelques années pour proposer un prix au meilleur
travail sur cette question : Du choix d'un métier. Le prix fut ac-
cordé à r unanimité par le jury au manuscrit de l'ini^éiiieur von
Fragstein, qui p.irut répondre entièrement au but que Ion se pro-
posait.
Il est certain que lorsque l'enfant n'a pas une vocation décidée, ou
lorsqu'il n'est pas entraîné naturellement, par habitude et par la
force des choses, dans la carrière paternelle, il y a pour les familles
et pour les jeunes gens un moment d'incertitude et d'inquiétude
réelle à traverser.
Parmi tant de voies qui s'ouvrent, laquelle choisir? il y a des
métiers qu'on connaît et qui ne plaisent pas, d'autres qu'on ignore
et qui feraient peut-être l'affaire. Quels sont-ils? Quels sont les
moyens de s'y instruire, les conditions de l'apprentissage, les exi-
gences de rétablissement, les ressources à en attendre? Les parents
s'adressent souvent à l'instituteur; il est lui-même fort embarrassé.
Cest le hasard qui décide, une circonstance fortuite, un voisinage.
Peut-être a-t-on laissé de côté une issue qu'on regrettera amèrement
plus tard, qnand il sera trop tard.
M. von Fragstein a réuni dans son volume tous les renseigne-
ments qui lui ont paru de nature à éclairer et à décider les familles
LÀ MUB89B ET LIS fiIVRKS 967
^t les enfànU. Son livre n'est pas un ouvragé ethnologique; il n'a
pas la prétention de fournir des manuels d'apprentissage pour chaque
métier. Il se borne à exposer l'histoire, 1 importance, le caractère
de chacun des métiers où l'ouvrier peut employer utilement sa
force et son intelligence. L'ouvrage est divisé en deux parties. La
promi<>re contient des considérations générales sur le choix d'une
carrière, sur la préparation intellectadle et physiqae, sur les sa-
laires, les lois et règlements de l'industrie ; le jeune homme trouve
là de bons conseils, dans un langage simple et populaire. La seconde
pi^tie traite d'environ cent cinquante professions différentes, dont
l'auteur montre les bons et les mauvais côtés; il en indique les
particularités, les difficultés, les ressources ; il donne le chiffre des
salaires, les moyens d'instruction, le titre des écrits spéciaux, bref,
tout ce qui peut mettre en état de faire un choix aussi éclairé que
possible. La tentative est ' ingénieuse, et peut rendre quelques
sen'ices.
Die praxis nim elementauklasse. (La pratique de la classe élé-
mentaire; — guide sur le terrain de renseignement élémentaire),
par Robert Werpecke, Berlin, 1885. — L'enseignement le plus déli-
cat, le plus difficile, dit l'auteur, est celui de la première enfance.
Il faut la bien connaître, TavoU* étudiée de près, savoir quels points
d'attache l'enseignement de lecole peut trouver dans ces jeunes
esprits, quelle préparation ils ont reçue dans la famille pendant le
temps qui a précédé leur entrée à l'école, quels conseils il convient
de donner mux parents pour cette préparation.
L'auteur donne une série de leçons, toutes faites, non pour être
adoptées toiles quelles, mais comme exemples. Ces leçons, graduées
avec intelligence et tact, portent sur l'enseignement par la vue,
l'enseignement de la lecture, de l'écriture, du calcul, de la religion,
qui est restée obligatoire dans les écoles allemandes.
Elles sont accompagnées d'un nombre considérable d'historiettes,
de poésies, de chants, d'énigmes, destinés à illustrer, a éclairer, à
égayer l'enseignement, et dont un très grand nombre sont vraiment
propres à charmer et à instruire l'enfance.
Deux idées nous paraissent dignes d'être relevées dans cet utile
volume. Le première, c'est de rattacher autant que possible toutes
les leçons à la connaissance de la langue maternelle, de donner à
cette étude, sous les formes les plus diverses, la plus grande impor-
tance. C'est en effet donner aux enfants l'instrument le plus sûr
avec lequel ils acquerront peu à peu des notions claires et exactes
et les préparer fortement, sans qu'ils s'en doutent, aux études de
l'avenir. La seconde idée sur laquelle insiste Tauteur, c'est que les
leçons ^ux plus petites classes, aux plus jeunes enfants, ne doivent
pas se donner sans préparation, qu'il est dangereux et tout au
moins stérile de se confier au hasard, et que tout doit être sbigneu-
368 AIVUI PiDÀGOGIQUI
Hemeni ordonné^ étudié, préparé d'avance. Les exemples qu'il four-
nit lui-même à Tappul de sa thèse viennent prouver tout le parti
qu'un bon maître peut tirer des leçons les plus simples, à la condi-
tion d'y avoir lui-même mûrement réfléchi.
GoTTHOLD-EpHRAiM Lessing's Schuuahrk. Etn Beitrog zur deutschen
KuUur-, LiteratuP' und Schulgeschichte (Les années d'école de Lessing.
Pour servir à l'histoire littéraire et pédagogique de T Allemagne),
par le D*^ J.-Ch.-G. Schumann. Trêves, 1884. — Ces quelques pages
sont extrêmement ingénieuses. Grâce à l'intérêt qui s'attache à tout
ce qui touche un homme de la valeur de Lessing, poète, philosophe,
théologien, critique, dramaturge, on s'intéresse aux traits les plus
minutieux de l'histoire scolaire du xviii^' siècle.
L'auteur trace un tableau vivant de l'école des princes, à Meissen,
décrit rinternat, la vie des écoliers, leurs occupations, les peines
disciplinaires, l'emploi du temps, les leçons, les livres de classe,
tout l'ensemble des conditions où se trouvaient alors maîtres et
élèves. 11 a mis a profit pour cette description les règlements sco-
laires de l'époque, tous les documents qu'il a pu se procurer.
Après avoir décrit le milieu, il arrive plus spécialement au jeune
Lessing, dont il a su retrouver les maîtres, les notes semestrielles;
il recherche quelle a pu' être sur l'enfant, sur le jeune homme,
l'influence de l'instruction, de l'éducation que lui donnait le collège,
dans quelle mesure s'y est formé son esprit, son caractère, sa
vocation.
L'auteur raconte ainsi les événements qui venaient traverser la
vie paisible de Técole, les épisodes de la seconde guerre de Silésie
qui eut lieu pendant que le jeune Lessing était encore sur les bancs,
et les impressions qu'il a pu et dû en ressentir. Bref, c'est un
petit coin de la vie scolaire du siècle dernier, qui est loin de manquer
d'intérêt.
GoTTHELF Salzmann UND DER Philanthropinismus (Gotthelf Salz-
mann et le Philanthropinisme), par Gotihold Kreyenherg. Francfort-
sur-le-Mein, 1884. — Cette brochure se compose d'études parues
dans les Bheinische Blatter dans le courant de Tannée dernière. On
sait que Gotthelf Salzmann fut un des successeurs et continuateurs
de Basedow, fondateur de la célèbre institution connue sous le
nom de Philanthropinum. Cette institution, fondée à Dessau en 1774,.
eut l'honneur d'être signalée par Kant comme destinée à former non
seulement d'excellents élèves, mais aussi une foule d'habiles pro-
fesseur.
Basedow n'a pas laissé que de prêter le flanc à la critique et au
ridicule. Le biographe de Salzmann prétend que ce pédagogue
éminent a su éviter les fautes de son prédécesseur, qu'il a utile-
ment développé, corrigé et appliqué les idées du fondateur du Phi-
LÀ PRESSE ET LES LIVRES 369
lanlhropinum et qu'il a su leur donner une influence considérable
que Basedow seul eût été incapable d'obtenir pour elles.
D'après M. Kreyenberg, ce serait une grave erreur de vouloir
enfermer toute la doctrine cl toute l'histoire du Philanthropinisme
dans les tentatives de Basedow, de Wolke ou de Bahrdt, et de
considérer l'autorité de Salzmann comme une simple annexe de la
leur. Salzmann a le droit de revendiquer une part d'originalité, de
bon sens et de sagesse qui lui est propre, et l'on devrait, pour être
équitable, diviser rhistoire du Philanthropinisme en deux périodes,
l'une caractérisée par les noms de Dessau, Marschlins, Heidesheim,
l'autre qu'on pourrait appeler la période de Schnepfenlhal, du nom
de la localité où Salzmann a fondé son institution et exercé sa
féconde influence à partir de 1784.
La brochure de M. Kreyenberg est intéressante et donne d'utiles
renseignements sur un homme et une institution si étroitement
mêlés à l'histoire de la pédagogie allemande. J. S.
Langues suédoise et norvégienne.
Le Musée pédagogique vient de recevoir de la légation de Suède
et de Norvège à Paris une intéressante collection de documents
imprimés relatifs à la législation et à la statistique de l'instruction
publique de ces deux pays.
Celle colleclion comprend entre autres, pour la Suède, les lois et
règlements concernant l'enseignement primaire et l'enseignement
secondaire, les plans d'études des écoles primaires, les plans nor-
maux de maisons d'écolo, les rapports des inspecteurs scolaires et
le précis de la situation générale de l'enseignement primaire pour
les deux périodes quinquennales i872-1876 et 1877-1881. On y a
joint deux périodiques spéciaux : une revue de l'enseignement se-
condaire, la Pedagogisk Tithkrift (années 1870-1883), et une revue de
l'enseignement primaire, la Tidakrift for Folk-Undervisningen (années
1882-1884).
Pour la Norvège, la collection comprend toutes les lois et tous les
règlements relatifs à Tenseignen^ent universitaire, de 1848 à 1884;
la législation relative aux écoles primaires supérieures et aux écoles
mtcrmcdiaires de filles ; Fa législation des écoles primaires et des
écoles normales; la statistique scolaire des années 1867 à 1880;
enfln les récents projets de réorganisation des écoles primaires, dos
écoles intermédiaires et des gynmases.
REVUE PÉOAGOGIQIB 1885. — l«r SBM. ±\
CHRONIQUR DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
EN FRANCE
Le nouveau ministre de l'instruction publique. — Par décret en
date du 6 avril i885, M. René Goblet, député, a été nommé ministre
de l'instruction publique, des beaux-arts et des cultes, en remplace-
ment de M. Fallières, qui a suivi dans sa retraite le cabinet démis-
sionnaire.
L'achèvement des maisons d'école. — Dans sa séance du 26 mars,
la Chambre des députés a voté, après une courte discussion, tous
les articles du projet de loi présenté par M. Fallières au sujet de
raclièveracnt des maisons d'école, projet dont nous avons parle dans
le numéro de janvier dernier, il est certain que le Sénat le volera
également. Nous ne saurions trop nous en féliciter.
Quelques données statistiques. — Nous donnons ci-dessous la
situation des caisses d'épargne scolaires, des caisses des écoles, des
sociétés de secours mutuels des instituteurs et des institutrices au
J«' janvier 1885, comparée avec la situation de 1884:
Cnissics d'épargne sœUiircs,
1885 1884
Nombre de caisses ^i.'ii^ ti.iHi
Nombre de livrets io8.62i 442.0-21
Sommes inscrites à ces li-
vrets Fr. 11.285.046 i0.248.2iG
Caisse des ficolcs»
Nombre de caisses 18.903 19.436
Keceltes de rexercice. Fr. . . 4.-488.296 4.254.176
Dépenses de Texercicc 3.027.865 2.630.528
Reste en caisse 1.160.431 1.623. (148
Sociétés de secours mutuels.
Nombre de sociétaires 36.650 34.51)1
Actif général y compris les fonds
eu caisse, les versements à la
caisse de retraites pour la
vieillesse Fr. 3.805.116 3.506.257
••
CHRONIQUE DE LEHSBICKEMENT FRIVAIRB EN FRANCE 371
CBRTincAT D*ÉTUB£S pxni AIRES. — Noils lisons dans le rapport de
l'inspecteur d'académie du Lot sur la situatioa de renseignement
primaire dans le déparlement.
Il faut se préoccuper constamment de le tenir à un niveau élevé et lutter
<ïontre la tendance des examinateurs étrangers à renseignement et qui sont
trop portés à TindalgeDce. MM. les inspecteurs primaires n'y manquent pas.
Je ne sais si Ton peut dire encore que cet examen e^t une mesure exacte
des progrès scoluirei. 11 ne porte en effet que sur certaines malicres du pro-
grjmme d.s écoles primaires; or, comme il doit être le couronnement
d'études régulières et la constatation exacte de l'enseignement donné aux
iUèves du cours moyen, il devrait embrasser toutes les parties de ces pro-
grammes et les épreuves orales pourraient en conséquence être augmentées
de questions sur l'instruction morale et civique, sur le droit usuel et l'éco-
nomie politique, sur les sciences physiques et naturel es, sur le chant, le
dessin et la gymnastique.
La réforme proposée est sans doute rationnelle et ce n'est pas la
première fois que pareille idée se fait jour. N'est-il pas à craindre
cependant qu'en voulant trop élever et étendre Texamen du certificat
d'études primaires on ne le rende difficilement accessible à la moyenne
des élèves des écoles primaires pour laquelle il a été institué ?
D'ailleurs il n'est pas absolument nécessaire d'inscrire dans le pro-
gramme des questions sur l'instruction morale et civique, sur le
droit usuel et l'économie polilique, sur les sciences physiques et
nalurclies. Dans l'exercice de la lecture expliquée des interrogations
[jcuvent êln; faites sur ces différentes matières. Quant à l'épreuve
du dessin, qui est aujourd'hui facultative, il serait bon, d'après nous,
de la rendre obligatoire. La môme mesure pourrait être prise pour
les questions d'agriculture ; mais pour les filles ces questions
seraient utilement remplacées par des interrogations sur la tenue
du ménage et de la ferme : enfin, nous estimons qu'il serait
désirable d'imposer, du moins aux gardons, l'obligation dune
épreuve pratique de gymnastique sans agrès.
OUGANISATION PÉDAGOGIQUE DES ÉCOLES PIIIMAIRES DE SaONE-ET-
LoiRK. — Nous venons d»? recevoir le « Vatlc-mccuni des insliluteurs
du déparlement de Saône-el-Loire ». C'est une brochure facile à
manier et à lire ; elle est sobre et substantielle et mérite son titre.
Elle renferme les instructions ministérielles relatives à l'application
des nouveaux programmes et les programmes eux-mêmes, les
« direclions » de l'inspecteur d'académie sur chacune des matières
à enseigner, la répartition mensuelle de ces matières, un emploi du
temps, pour les écoles à un seul maîtie et pour celles à deux
mailles, et les prescriptions concernant la tenue des cahiers men-
suels. Les écoles de Saùne-et-Loire ont donc maintenant une
organisation pédagogique complète, et c'est là un grand point.
Il est à remarquer que dans ce règlement les matières sont répar-
ties e.i huit mois, parce que la fréquentation scolaii^ n'est paa
372 UVC£ PÉDAGOGIQUE
régulière, ni uniforme, surtout à la campagne. C'est pour cette
raisons qu'elles sont groupées sous les rubriques : !•' mois, 2«, 3«....
8^, sans souci du nom des mois correspondants. 11 est vrai que
dans les villes et les bourgs importants, dans les centres industriels,
les écoles reçoivent à peu près le même nombre d*élèves pendant
chacun des dix mois de Tannée scolaire, a Malgré cela, dit lin-
specleur d'académie, la répartition des huit mois sera applicable dans
ces écoles, en réservant deux mois de Tannée, c'est-à-dire juin et
juillet, ou plutôt un mois au milieu et un mois à la fia de Tannée
(mars et juillet) pour la révision. »
Tout cela nous semble judicieux et bien réglé, du moins dans les
grandes lignes ; Texpérience fera voir si certaines modifications ne
sont pas à apporter à la répartition mensuelle des matières et s'il ne
serait pas préférable de s'en tenir à une répartition trimestrielle (1).
Dans Temploi du temps, nous voyons que l'instruction morale se
donnera de 8 heures à 8 h. 25 du matin : nous trouvons la chose
i&cheuse. 11 y a toujours au début d'une classe un certain désordre
occasionné par Tarrivée des retardataires. Nous aimerions mieux
commencer par le dessin et les travaux manuels, en reportant à
une heure plus avancée l'enseignement moral, qui réclame le plus
grand recueillement et qui le plus souvent devrait sortir des leçons
ou des lectures qu'on aurait eu soin de choisir et de préparer avec soin.
Expositions scolmres. — Le goût des expositions scolaires se
répand de plus en plus. Nous avons déjà parlé des expositions qui
se préparent ù Angoulême, à Beauvais, à Tours et à Toulouse. Celle
de Toulouse promet d'être particulièrement brillante, car nous appre-
nons que tous les départements du ressort académique y prendront
part.
D'autres expositions nous sont encore annoncées : une exposition
régionale de géographie à Nantes pour le mois d'août 1886, à l'oc-
casion de la réunion aans cette ville du Congrès national des
Sociétés de géographie ; une exposition scolaire départementale à
Angers, à l'occasion du Concours régional de 1885; une exposition
du même genre à Montpellier, une autre à Chartres, une autre
encore à Lyon, enfin une exposition scolaire agricole à Valence.
Nous relevons dans le règlement de l'exposition d'Angers les dis-
positions suivantes :
« La participation à Texposition est obligatoire pour toutes les écoles
primaires élémentaires publiques de Maine-et-Loire.
» Les travaux d'élèves comprendront nécessairement, pour chaque
école primaire publique :
il) Dons le Lot on vient d'opter pour la répartition trimestrielle. Cette
question, fort importante, est très débattue; mais tout le monde est d'accord
qu'il faut une répartition, qu'elle soit trimestrielle ou mensuelle.
CHHONI0U1& DE l'sNSKIGNKMVNT PRIMAIRE EN FRANOE 373
» i*^ Des cahiers de devoirs journaliers.
» 2<> Des cahiers de devoirs mensuels.
• Le nombre des cahiers de l'une et l'autre série sera calculé,
dans chacun des trois cours, à raison de 1/10 du nombre des
élèves inscrits, sans qu'il puisse être inférieur à 5 dans aucun
cours.
» Toute école primaire publique comptant 50 élèves au plus par
division aura donc à présenter 15 cahiers de devoirs journalier-^ et
15 cahiers de devoirs mensuels.
» Les devoirs qui figureront dans les cahiers de la 1"*® catégorie ne
devront porter aucune date antérieure au 1«^ mars 1885.
» Chaque école primaire publique de filles présentera, en outre,
des travaux à l'aiguille exécutés par les élèves dans le cours de
l'année scolaire 1884-1885. »
Toutes ces expositions dëparlemen taies ou régionales serviront
d'excellente préparation pour la grande exposition nationale et inter-
nationale de 1889, à laquelle il faut penser dès maintenant. On sait
que la Commission présidée par M. Antonin Proust a déjà arrêté
le programme général des constructions et décidé l'établissement de
deux grandes divisions : l^la manffestation des idées; i2*^ l'exposition
des produits. On disposera tout ce qui se rapporte à l'enseignement
et à réducation autour du Palais de l'industrie, dont les salles seront
utilisées pour les congrès et les conférences.
Monographies communales. — Depuis 1875 la Société d'émulation
de Lisieux accorde chaque année, lors du concours agricole tenu
dans l'un des cantons de la circonscription, un certain nombre de
récompenses aux instituteurs qui produisent les meilleurs mémoires
sur l.'urs communes respectives. L'inspecteur d'académie du Calva-
dos veut généraliser cette œuvre dans le département tout entier.
On ne peut qu'applaudir à cette idée : il est bon que les instituteurs
puissent apprendre à leurs élèves l'histoire de leur commune et la
rattacher à celle de la patrie. Plusieurs départements ont déjà leurs
monographies complètes.
Cartes communales. — M. Baby, commis de direction des postes
et télégraphes à Foix, vient d'entreprendre la publication des mono-
graphies spécialement rédigées pour chaque commune du départe-
ment avec cartes à l'appui. Pour répandre plus facilement la con-
naissance de la géographie, il a eu l'idée ingénieuse de se servir des
cahiers destinés aux devoirs journaliers des élèves : les couvertures
portent d'un côté une carte de la commune aux 1/50,000® avec tous
les détails topographiques, le chef-lieu, les hameaux, les écarts, les
principales altitudes, etc. D'un autre côté est une note descriptive
de la commune comprenant la situation, le relief du sol, la géologie,
le climat, l'agriculture, le commerce, Tindustrie, les sources miné-
374 iXTUE PÉBÀfioaooi
raies, les voies de communication, radministration, la population,
l'histoire, les curiosités monumentales, pittoresques et naturelles.
. M. Baby, qui est un des collaborateurs de M. Joanne, complétera
son œurre en réunissant sous forme d'atlas les monographies et les
cartes déjà placées sur les couvertures des cahiers. Il y aura ainsi
deux ouvrages distincts : les cahiers destinés aux élèves, les atlas
pour les maîtres.
Tout cela est fort ingénieux, fort pratique et fort utile. C'est un
exemple à suivre.
École normale d'institutrices de Naittes. — Les écoles primaires
annexées aux écoles normales fournissent souvent de bonnes recrues
à ces dernières, mais sans cours préparatoire proprement dit. A
Nantes un cours régulier de préparation à l'examou d'admission à
récole normale d'institutrices a été créé au sein do cette école par un
arrêté municipal du 5 février dernier et il a été ouvert à la fin du
même mois. Il n'est admis au cours que des élèves externes, qu'on
fait entrer au besoin dans d'honorables familles disposées à les
recevoir moyennant un prix arrêté avec les parents. L'enseignement
est gratuit. La durée régulière du cours préparatoire est d'une
année scolaire.
La Société philomathique de Bordeaux. — Il n'y a guère en pro-
vince d'association qui fasse plus de bien et obtienne plus de résultais
que la Société philomathique de Bordeaux, qui compte déjà 77 ans
(f existence. EHe a été fondée en 1808, on pourrait même dire qu'elle
est née en 1783, car elle n'a fait que reprendre les libérales traditions
du Musée de Bordeaux, qui fut le berceau des Girondins, et qui.
avant elle, avait fondé des cours gratuits et organisé des exposi-
tions. En 1793 l'agitation révolutionnaire dispersa les membres du
Musée : ce sont les survivants qui ont créé la Société philomatliique.
La Gironde nous donne le rapport lu en assemblée générale le 10
janvier par le secrétaire de la Société, M. Eugène Buhnn. Nous
croyons qu'il n'est pas inutile d'en extraire la partie relalivo à l.i
créai ion des cours organisés l'année dernière:
A un plus haut degré encore que pour l'entretien des cours existants^
l'importance des travaux de la Société Philomathique s'est accrue pendant
l'exercice écoulé, en ce qui a trait an développement donné à son enseigne
nAcnt par la création de cours nouveaux.
En ouvrant trois cours de chauttage, conduite et entretien de machinas à
vapeur, de dessin, de carrosserie et de langue espagnole, ce dernier pour les
femmes adultes, nous nous sommes avancés résolument dans la voie dn
l'ens^'ignement professionnel, tout en conservant à ces cours ce caractère qui
dialingue la plupart de ceux que nous créons, de n'être pas encore professés
dans notre ville.
l)è) la fin de l'année 1883, rétablissement d'un cours de chauffage, d'en-
tretien et de conduite de machines à vapeur, et plus spécialement de machines
è vapenr marioes, vivement désiré par la Chambre ae commerce, nécessaire
3
CHRONIQUE DE L'ENSUSKEMElfT PRIMAIRE EN FRANCE 375
au développement de notre marine et de notre industrie locale, voqs le savez,
était mis à l'étude.
La libéralité de la Chambre de commerce, qui a bien voulu afTecter une
somme de 2,000 francs aux dépenses exceptionnel les que des exercices sur des
bateaux à vapeur devaient entraîner, la présence parmi nous de M. Ducos,
ingénieur de l'Assotriation des propriétaires de machines à vapeur du Sud-
Oues^ nous ont permis de mettre ce projet à exécution. Si ce cours était
impatiemment attendu, le livre d'inscription, le livre de présence des élèves
en font foi. Cent dix élèves se sont fait inscrire ; une centaine d'élèves suivent
assidûment le cours. Le niveau de leur instruction générale est très satisfai-
sant, leur professeur l'a constaté en les interrogeant tour à tour avant d'arrêter
le programme de son enseignement, ce qui luji permellait de dire dans sa
leçon d'ouverture:
«t Nous n'avons en vue que l'éducation des ouvriers intelligents qui ont
déjà reçu un degré suffisant d'instruction pour pouvoir étudier avec fruit;
de ceux' qui, jeunes encore et pleins d'espérance dans l'avenir, veulent sincè-
renient acquérir les connaissances qui leur manquent et dont ils déplorent
raljsencc; de ceux jduî avnncés en âge qui sont déjà pourvus de toute l'ha-
bileté pratique d'une profession, qui dans leur vie d'atelier ont d jà bien
fait des observations, mais qui n'ont pu saisir la cause des faits observés, et
ui viendront puiser dans ce cours les principes généraux qui sont la base
e toute pratique éclairée. )^
Vous venez d'entendre ce que le professeur d'un cours de chauffage pou-
vait dire à ses élèves en 1884. Il y a une vingtaine d'années, un des plus
importants ateliers de France ouvrait un concours dn chauffeurs : sur 31 caor-
diaats, sept savaient lire.
Heureuse élévition du niveau d'instruction générale de la classe ouvrière,
Messieurs, dont nous avons d'autant plus le droit de nou:î féliciter que nous
pouvons revendiquer notre pirt dans l'œuvre accomplie.
Si à ce qui précède j'ajoute que le professeur se loue de ses élèves, de
leur tenue, do leur assiduité et de leur attention ; que les membres de votre
Comité .se louent du talent et de la méthode du professeur, qu'ils ont pu
apprécier dans plusieurs de ses leçons ; que cet enseignement sera sans doute
recueilli l'an prochain par un nombre plus considérable d'auditeurs, puis-
qu'il comprendra alors deux années, la première consacrée au cours prati-
que de chauff ige, la seconde au cours de conduite et d'entretien des macoine-
à vapeur, voui penserez avec mol qne le but poursuivi sera pleinement atteints
Parmi les industries les plus intéressantes de notre n^gton, oo compte celle
de la carrosserie, qui ne repond pas seulement aux besoins de la consomma-
tion locale, mais encore pourvoit dans une certaine mesure la consommation
étrangère. Cette industrie a été florissante ; comme beaucoup d'autres, aujour-
d'hui elle souffre. Ne craignant aucune comparaison au point de vue de la
qualité et du goilt, elle ne lutte que très péniblement contre la concurrence
étrangère, au point de vue du prix. Que si l'on demande aux hommes tes
plus compétents en cette matière la cause de celte infériorité relative, ils
croient la trouver dans le d<^faut d'ouvriers capables et munis d'un ensei-
gnement professionnel suffisant. Ceux-là mêmes oui sont arrivés à être de
Bons ouvriers à force de persévérance manquent de ces preniers principes
techniques qui leur permettraient de paiiaire à coup sûr une œuvre qu ils
ne terminent qu'après maints essais et une grande perle de temps. En outre,
l'absence des moyens d'instruction professionnelle, dans notre ville, pour les
ouvriers carrossiers, amène ce déplorable résultat que les jeunes ouvriers les
plus intelligents, désireux d'arriver et ne pouvant acquérir ici les éléments
qui leur manquent pour atteindre le but qu'ils se proposent, abandonnent
Bordeaux pour Paris. Telles sont les considérations qui nous ont déterminés à
oovrirun cours de deaain de Garrosserie.
Nous avons été heureux de pouvoir confler à un ancien Itnrejt de nos
classes, M. Barbreau, la dirocUoa de ce cours, qui compte déjà une quaran-
taine d'élèves.
376 R£yUE PÉDAGOGIQUE
Enfin f nous avons fondé une classe de langue espagnole pour les femnaes
adultes. L'Espagne est une cliente importante de notre ville, surtout pour les
articles de modes et de fantaisie. II faut, pour faciliter encore avec cette clien-
tèle espagnole des rapports fructueux pour notre commerce, que les personnes,
le plus souvent du sexe féminin, appelées à diriger ces magasins ou à colla-
borer à leur direction, se mettent en situation de répondre dans leur langage
aux Espagnols de passage, et de correspondre au besoin avec eux. C'est là
surtout ce que nous avons recherché en instituant ce cours. Nous ne doutons
{>as que M. Fuentes-Hami, qui a déjà fait ses preuves chez nous, ne le pro-
èsse de manière à obtenir ces résultats.
Le recrutement des instituteurs. — Nous croyons devoir repro-
duire la circulaire que l'inspecteur d'académie de Mendo vient
d'adresser aux inspecteurs primaires delà Lozère:
« Les écoles normales suffisent dès maintenant au recrutement
du personnel des écoles primaires.
» Je suis cependant obligé de m'adresser dans le courant de
Tannée, pour assurer le service, à des candidats préparés dans les
établissements particuliers d'instruction primaire et dont je ne
connais pas la valeur pédagogique.
» Depuis le mois d'octobre dernier, je n'ai confié à la plupart de
ces maîtres que des fonctions de suppléants ou des nominations à
titre provisoire.
» Avant de leur donner une nomination définitive, je vous invite
à inspecter leurs écoles le plus tôt possible et à m'adresser un
rapport très détaillé sur leur tenue, leur zèle, leur dévouement et
leur aptitude professionnelle. »
Bibliothèques et livres. — Une armoire-bibliothèque est un
meuble qui fait bonne figure dans une école et on a bien fait de
l'introduire obligatoirement dans les écoles nouvellement construites :
le meuble devrait appeler et appelle souvent les livres; mais quel-
quefois les livres se font longtemps désirer avant de venir remplir
les rayons. C'est ce qui est arrivé, dans la Lozère. Tan dernier, où plus
de eo armoires-bibliothèques étaient vides. Grâce à une subvention
du Conseil général et à des dons de l'inspecteur d'académie, chacune
d'elles est pourvue maintenant d'une dizaine de volumes au moins.
C'est peu, mais c'est un commencement, et, nous ne saurions trop
le répéter, surtout pour ce qui concerne les bibliothèques, il n'y a
rien de tel que de commencer pour aboutir. Si les instituteurs de
la Lozère le veulent bien, ces minuscules bibliothèques deviendront
bientùt florissantes.
Le sou des bibliothèques scolaires. --L'œuvre du sou des biblio-
thèques scolaires fait son chemin. M. l'inspecteur d'académie de
Caen l'a chaudement recommandée aux instituteurs et aux institu-
trices du Calvados.
* c Je me mettrai, dit-il, à votre disposition pour tous les conseils
CHRONIQUE DE l'eNSBIGNBMENT PRIMAIRE EN FRANCE 377
de direction dont vous aurez besoin. Je recevrai avec plaisir toutes
les communications que vous voudrez bien m'adresser, tant sur les
efforts tentés et les résultats obtenus par vous, que sur les divers
détails de la réglementation qu'il y aura lieu d'adopter. Quant aux
points principaux de cette réglementation, les voici : j'appelle sur
eux toute votre attention.
» 10 Perception des cotisations, — Je désire qu'elle soit faite exclu-
sivement par vous; si toutefois vous voyez des avantages à l'insti-
tution d'un « Comité protecteur n formé de quelques élèves délégués
à cet effet par leurs camarades — ce Comité existe dans le Pas-
de-Calais — vous voudrez bien me donner vos raisons ; je ne demande
pas mieux que de les examiner avec intérêt et de les approuver,
s'il y a lieu.
» 2® Emploi des ressources, — Vous aurez à produire chaque année
des propositions et à les soumettre au visa de M. l'inspecteur pri-
maire, en y joignant un état faisant connaître le montant des fonds
que vous avez recueillis. La liste des ouvrages devra être au préalable
approuvée par moi. Ces ouvrages pourront être choisis dans le cata-
logue officiel dressé par les soins du ministère de l'instruction
publique.
» 3® Écritures de comptabilité. ■ Vous devez inscrire très réguliè-
rement, sur un registre spécial, d'une part les recouvrements effectués,
de l'autre les dépenses faites. Puis, afin que l'administration soit
exactement renseignée, vous aurez à adresser, au commencement
de chaque trimestre, à votre inspecteur primaire un extrait de ce
registre indiquant la situation d'une manière nette et précise. Un
extrait semblable devra être joint à toute proposition d'achat de
livres. Enfin, vous aurez à produire, à la fin de l'année, un état
général résumant toutes les opérations de l'exercice. »
En réponse à cet appel, l'inspecteur d'académie a reçu l'adhésion
d'un certain nombre d'instituteurs. Les cotisations des élèves ont été
déjà recueillies dans quelques écoles. Tout porte à croire que cette insti-
tution recevra dans le département l'accueil favorable qu'elle mérite.
D'autre part, dans l'arrondissement de Castelnaudary, 73 écoles
sur 112 ont déjà fondé Tœuvre du sou des bibliothèques; le nombre
des élèves adhérents est de 1,890 et le m)ntant des sommes perçues
s'élève à 186 fr. 90. Dans plusieurs écoles, les élèves ont spontané-
ment offert de vei*ser des sous pour chacun des mois écoulés depuis
la rentrée des classes.
Exercice de tir. — Nous lisons dans le Bulletin du Calvados :
« M. Trillée, instituteur à Livry, a établi à ses frais, dans son écoie>
un tir à la carabine Flobert. Voici l'organisation qu'il a adoptée :
» Le tir a lieu tous les samedis, après la classe du soir de mars &
novembre, et entre les deux classes de novembre à mars. Les élèves
admis à y prendre part sont, dans chaque cours :
378 tlTDI VtDAGOGHQVE
9 \° Ceux qui ont obtenu la première place dans la composition
hebdomadaire (ils ont droit à 5 cartouche^);
9 ^ Ceux qui ont obtenu la deuxième place (3 cartouches) ;
» 3^ Ceux qui ont mérité en moyenne, pendant la semaine, la
note 8 pour l'application et l'assiduité (3 cartouches);
» 'i^^ Ceux auquels a été accordé un bon point spécial pour la
gymnastique et les exercices militaires (une balle)
» Enfin, le dernier jour de chaque mois, un concours a lieu entre
les tireurs qui n'ont eu aucune absence à V école et qui ^ont toujours
arrivés en classe à l'heure précise.
» Des diplômes seront délivrés en fin d'année aux lauréats. »
Collection d'insectes pour les musées scolaires. — Un assez j^and
nombre d'instituteurs font d'utiles collections d'insectes et quelques-
uns se mettent volontiers à la disposition de leurs collègues pour le
classement et la détermination des insectes les plus communs :
c'est ce que fait entre autres M. Fréville, instituteur à Epernay-sur-
Orge (Seine-et-Oise). Mais il fait mieux encore; voici en effet ce
qu'il écrit à Vlnstruction primaire :
« Dans nos promenades scolaires, nous nous occupons, je ne dirai
pas d'entomologie, mais d'insectologie agricole, et, avec Taide des
élèves, nous avons pu recueillir une certaine quantité d'insectes.
Nous en avons fait une collection pour la classe, puis la collection
que vous avez remarquée à l'exposition dlnsectes de 1883.
» Le zèle de mes petits collaborateurs ne se ralentissant pas, nous
avons travaillé pour les autres écoles.
» En 1882, nous avons donné une collection de deux cents espèces
environ à chacune des quatre écoles des chefs-lieux de canton de
l'arrondissement de Corbeil; en 1883, une collection pareille aux six
chefs-lieux de canton de l'arrondissement de Rambouillet; cette année
nous en préparons six pour l'arrondissement d'Etampes; Tannée
procbaine ce sera le tour de l'arrondissemrînt de Versailles; de sorte
que, dans quelques années, tous nos collègues du département auront
à leur disposition, à l'école du chef-lieu de canton, un type de col-
lection qui leur permettra de classer et de déterminer d'une façon
certaine les insectes les plus communs qu'ils auront recueillis. »
La Société de secours mutuels des Basses-Pyrénéks. — Les gé-
néreuses traditions de M. Tourasse ne se perdent pas dans les
Basses- Pyrénées. M. Deville, délégué cantonal de Navarreux, a envoyé
SOO francs à M. Piche, président de la Société de secours mutuels du
département. M. et M"* Deville demandaient à être inscrits comme
membres honoraires perpétuels de la Société : M. Piche leur ayant
fait observer que 200 francs suffisaient pour cela, ils ont répondu
par un nouvel envoi de 500 francs spécialement affectés à la caisse
des orphelins. M. Piche a fait de son côté don d*ime pareille
CHRONIQUE DK l'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE EN FRANCE 379
somme pour la même caisse. Voilà une heureuse émulation dausle
bien.
Commissions municipales scolaires. — Le Bulkiin départemental
des Vosges reproduit une circulaire préfectorale du 28 novembre 188^
qpi pose et résout très bien une questioa d'ordre général, relative
aux attributions des membres des commissions scolaires. Voici
cette circulaire :
Monsieur le maire,
Je suis informé que des commissions municipales scolaires donneraient à
chacun de leurs membres une délégation individuelle à l'effet d'accorder aux
enfiints des dispenses de fréquentation scolaire.
Je crois devoir voas rappeler que si l'article 15 de la loi du 28 mars 188J
autorise la commission scolaire à a accorder aux enfants demeurant chez leurs
parents ou leur tuteur, lorsque ceux-ci en font la demande motivée^ deg
dispenses de fré<]nentation scolaire i>, aucune disposition de cette loi ne
permet à la même eommrssioa de délégaer tout ou partie de ses pouvoirs à
un ou plusieurs de ses membres.
Jfc vous prie de vouloir bien rappeler ces dispositions de la loi à la com-
mission scolaire, lors de sa première réunion, et lui faire connaître qu'&
l'avenir, les instituteurs devront considérer comme non avenue toute dispeiase
de fréqueatBtioQ accordée en dehors des réunions rég«iières de la corn*
mission.
Travaux manuels et charité. — A la suite d'une exposition de
travaux manuels à l'école primaire supérieure de jeunes filles de
Marseille, les élèves ont envoyé à la caisse des écoles, pour être
distribués aux enfants pauvres, des chemises, des pantalons, des
jupons, des tabliers, des robes pouvant servir à des enfants de 10 à
14 ans. Ces v^'lements ont été confectionnés par les élèves elles-
mêmes d'après la méthode de coupe et d'assemblage de M"^ Scheffer.
Voilà d'utiles travaux ! Voilà de bonne et vraie charité I Cet
exemple pourrait être suivi ailleurs qu'à Marseille.
Une bonne pensée et une bonne action. — Dans une commune
des bords de la Cure, dit le Bulletin de l'Yonne, vit un vieillard
très cassé, dénué de tout, mais digne et fier, et qui mourrait plutôt
que de tendre la main. Par les froids rigoureux que nous venons
de traverser, il était sans combustible et soutirait silencieusement
dans sa pauvre chaumière. L'idée vint à quelques garçons de l'école
d'emprunter un chariot, de s'y atteler et d'aller frapper pour un
peu de bois à la porte des gens charitables. La récolte fut abondante ;
ils firent cinq voyages. Le bûcher du vieillard est bien garni et
son foyer ne s'éteindra pas cet hiver.
Nous disons à ces braves enfants : C'est très bien, d'autant qu'ils
ont joint à leur bonne action la discrétion et la modestie, qu'on
ne saurait trop recommander en pareille matière.
380 REVUE 1PÉDAG0GIQUE
Une lettre anonyme. — Voici une lettre anonyme qui par excep-
tion fait grand honneur à celui qui Ta écrite ; elle a été adressée à
rinspecteur d'académie de la Drôme, président de la Société des
secours mutuels des instituteurs, et elle est conçue en ces termes :
Monsieur le Président, jj'ai rhonneui* de vous adi*es8er un billet de 100 francs
Sue je vous prie de vouloir bien employer à accorder un secours de î5 francs
chaque trimestre à l'instituteur ou à Vinstitutrioe. membre de la Société de
secours mutuels, dont la situation parnllra la plus digne d'intérêt parmi ceux
dont les demandes do secours auront été rejetees.
J'espère pouvoir continuer ce petit sacrifice tant que la position des insti-
tuteurs ne se sera pas améliorée.
Je vous prie d'agréer, etc.
Un instituteur ahé.
Congrès de la ligue de l'enseignement et exposition scolaire a
Lille. — Lille a vu s'ouvrir le 10 avril le cinquième Congrès de la
Ligue de renseignement, dont le président est toujours le vaillant
Jean Macé. Une remarquable exposition scolaire a été ori^'anisée à
cette occasion au palais Rameau. L'ouverture du congrès a été des
plus brillantes : M. Jean Macé a développé une fois de plus sa thèse
favorite, c'est qu'on ne peut pas sépirer l'idée d'instruction popu-
laire de celle de république démocratique. M. Géry-Legrand, maire
de Lille, a dit tout ce que cette ville a fait pour renseignement à
tous SCS degrés, et certes peu de cités ont attaché plus d'importance
que Lille à la cause du progrès par l'école. M. le pasteur Dide,
sénateur, a expliqué que la démocratie a toujours su être reconnais-
sante pour les gouvernements qui ont travaillé à Tinstruction du
peuple. « Que les ministres s(ûent debout ou qu'ils soient tombés,
a-t-il dit, nous les saluons de nos respects quand ils ont servi glo-
rieusement la cause de l'instruction nationle. » Ces paroles ont
soulevé d'unanimes applaudissements.
Nous aurons sans doute à reparler du Congrès et de l'exposition
de Lille.
Réouverture du musée pédagogique. — L'installation du Musée
pédagogique dans ses nouveaux locaux, rue Louis Thuillier, 10, est
terminée, et l'établissement a pu rouvrir ses portes aux travailleurs
et au public le 7 avril.
COURRIER DE L'EXTERIEUR
Angleterre. — Oa s'est beaucoup plaint, dans le camp des
ennemis de Tinstruction obligatoire, au travail prétendu excessif
imposé aux écoliers ; des torrents d'encre ont été répandus au sujet
de Vovet'pressure, 11 semble que le reproche qui pourrait être adressé
à renseignement primaire anglais, tel que l'ont organisé les pres-
criptions du Code scolaire, est plutôt celui d'insuffisance : il y a
unaerpressure bien plus souvent qa* over pressure ! On travaille uni-
quement en vue de l'examen et de la prime, et si les élèves
paresseux ou lourds d'esprit se plaignent d'avoir trop à faire, les
élèves intelligents pourraient se plaindre que la nourriture intel-
lectuelle leur soit trop parcimonieusement mesurée. Dans un rapport
tout récemment présenté par M. George Ricks au School Hoari de
Londres, nous trouvons l'anecdote suivante, qui jette sur les procédés
des instituteurs anglais un jour bien instructif:
« Dans une classe de soixante élèves, j'en trouvai dix à douze
assis les bras croisés et silencieux pendant que leurs camarades
travaillaient ou jouaient. Naturellement je voulus savoir pourquoi
ces jeunes garçons étaient punis — car c'était évidemment une puni-
tion que j'avais sous les j^eux. » Ces élèves-lè, » me dit l'instituteur^
« sont complètement préparés pour l'examen (qui devait avoir lieu
à quatre mois de là); ils n'ont plus rieo à faire; aussi je
consacre maintenant mon temps à la préparation des autres. »
Voilà à quelles énormités aboutit le système mercantile et anti-
éducatif du payment by results.
Bulgarie. — Un correspondant obligeant, M. T abakov, nous
envoie de Loni Palanka les renseii^^nements suivants, extraits d'un
rapport prései^té au prince Alexandre par le ministre de l'instruction
publique: ils indiquent l'état de 'l'instruction publique en Bulgarie
avant et depuis la guerre de 1877-1878. ♦
Lei écoh'S de la ville de Clioumen (Choumla) comptaient en Î876
11 instituteurs et <» institutrices, avec 1,^77 élèves (859 gardons,
418 filles): en 1880, 13 instituteurs et 10 institutrices, avec l.iSô-
élèves; en i8Sl, 17 institutrices et 12 institutrices, avec 1,712 élèves
(1,041 gan;ons, 671 filles).
Dans l'arrondissement de Vidin, il v avait en 187(î 59 écoles avec
50 maîtres et 1,319 élèves (1,256 garçons, 93 filles); en 1882, on
comptait 97 maîtres et 4,026 élèves (3,587 garçons, 439 filles).
Dans celui de Kustendil, il n'y avait que 8 écoles en 1876; en
1880, il y en avait 24. avec 26 instituteurs et 2 institutrices, et
812 élèves (74:3 garçons. 09 filles).
Dans celui d'Izvor, 4 écoles en 1876; en 188!. 15 écoles averf
515 élèves.
382 REVUE PÉDÀ600IQUE
Dans celui de Trin, 16 écoles, 18 maîtres et 387 élèves en 1879;
52 écoles, 53 instituteurs, 3 institutrices, et 1,813 élèves (l,C05 gar-
çons, 208 filles) en 1881.
Pour quatre autres arrondissements, la statistique indique* seule-
ment le nombre des écoles en 1879 et 1881 ; le voici :
1878-1879 1880-1881
iults ëe fn<[ns. tn\n le Rites. É(»ln it fir^Ms. in\n le filin.
Lovetch 14 2 49 2
Tlrnovo 148 16 152 24
Varna 13 2 32 3
Baltchik 5 1 16 i
En 1880-1881, la Bulgarie avait en tout 1,271 écoles de garçons
et 83 de filles, plus 55 écoles primaires avec une ou deux classes
gymnasiales (44 pour les garrons et 11 pour le filles), soit en tout
1,409 écoles, c'est-à-dire 321 écoles de plus que deux ans auparavant;
1,580 instituteurs et professeurs et 180 institutrices enseignaient
dans ces écoles.
En 1880-1881 il y a eu en moyenne un élève par 29.71 habitants.
Pendant cette année scolaire, 58.37 0/0 de tous les enfants d âge
scolaire ont fréquenté les écoles ; pour les filles prises à part, la
fréquentation n*a été que do 18 0/0.
Depuis la guerre de 1877-1878 il a été construit en tout 307 maisjus
d'école.
République argentine, — On nous écrit :
« Le directeur do l'école normale nationale de Parana, M. .Tosr Tnrrès,
vient de publier un rapport très étendu sur les insultais et le fonction-
nement de cet établissement depuis sa fondation en 1871. Il peut
être intéressant d'emprunter à ce d ;cument (jnelques indicahOns.
Depuis la fondation de l'école, elle a donné 119 piuresseui» diplô-
més. L'un d'eux, sorti en 1874, est aujourd'hui ministre des rnumcc.s
et de rinstructioii publique de l'Etat de Tucuman, IGsont eiuplo^és
dans les conseils d'éducation oif comme inspecteurs primaires,
S4 dans les diverses écoles normales, 5 dans les collèges nationaux
d'enseignement secondaire, 11 dans les écoles primaires. 3 exeiceiit
dans l'enseignement privé, IG sont sur le point d'être nommés, el
4 sont morts.
L'école compte, eette année 24 professeurs dont 12 ont fait leurs
études el ont reçu leurs diplômes dans l'établissement mémo oîi
ils enseignent actuellement.
Le total des bourses payées par le trésor fédéral pour les frais des
élèves-maîtres est fixé par le budget de 1885 à 13,950 francs par
mois répartis entre 90 bourses. Le nombre des élèves-rnaîli-es a été
de 150 en 1884. Celui des élèves fréquentant l'école d'application a
été de 627, répartis en six degrés. En 1883, il n'était que de 3Gri.
Le jardin d'enfants, qui n'a commencé à fonctionner que depuis
Tannée dernière avec 35 élèves, a déjà donné de brillants résultats
et en laisse espérer de beaucoup .plus satisfaisants.
COURRIEB DE l'eXTÉRIEUR 383
Tout récemment l'école a été considérablement agrandie pour
mieux répondre aux nécessités de renseignement. Le trésor fédéral
a dépensé pour les travaux la somme de 333,973 francs. Ces chiffres
donnent une idée des efforts qui se font ici en vue de renseignement
Ï primaire et de la préparation d'un personnel de maîtres qui soient à
a hauteur de leur mission. »
Roumanie. — Nous avons reçu la statistique de Tinstruction
publique pour Tannée scolaire 1882-1883, publiée par le bureau
centrai de statistique, à Bucharest.
Le nombre des communes morales est de i,997; celui des écoles
primaires rurales (qui sont mixtes quant aux sexes) est seulement
de ^,470. Sur ce nombre, 1,933 écoles sont entretenues par TEtat^
les autres par les districts, les communes et les particafiers. Une
somme de 1,796,400 francs était prévue au budget de l'Etat poor
cet objet. Le nombre des maîtres des écoles rurales est de 2,504
(2,120 instituteurs, 373 institutrices), le nombre des élèves de 92,298
(70,913 garçons, 12,385 filles).
Les écoles primaires urbaines sont spéciales à un sexe. On compte
U8 écoles de garçons avec 481 instituteurs et 24,060 élèves.;
12o écoles de filles avec 360 institutrices et 13,464 élèves. L'Etat
entretient, sur ce nombre, 138 écoles de garçons et 118 écoles de
filles, et dépense pour cet objet 1,934,840 francs; les autres écoles
s^ont entretenues par les communes.
H existe 8 écoles normales primaires d'instituteurs, dont 4 sont
entretenues [>ar l'Etat (la dépense annuelle a été de 242,142 francs),
et 4 par des fondations particulières. Le nombre des élèves a été
de 830.
On compte en outre en Roumanie 7 lycées (établissements de
l'Etat), avec 160 professeurs et 2,3 il élèves; 18 gymnases (10 entre-
tenus par l'Etat et 8 par les districts ou les communes), avec 181
professeurs et 2,188 élèves; 9 séminaires ecclésiastiques (dont 8 en-
tretenus par l'Etat), avec 103 professeurs et 1,262 élèves; 15 écoles
secondaires ou professionnelles de jeunes filles (dont 9 entretenues
par l'Etat), avec 101 professeurs, 60 maîtresses, et 1,482 élèves;
o écoles commerciales (dont 4 entretenues pvr l'Etat^, avec 59 pro-
fesseurs et 717 élèves; 31 écoles spéciales (écoles de pnarmacie, d'art
vétérinaire, d'arts et métier?, de beaux-arts, d'agriculture, etc.;
16 d'entre elles sont entretenues par l'Etat), avec 223 professeurs et
i maîtresses et 2,513 élèves (dont 305 jeunes filles); 2 universités,
avec 07 profe:>seurs et 705 étudiants; enfin 216 écoles privées, avec
710 maîtres et 427 maîtresses, et 13,799 élèves (7,851 garçons,
5,9 i8 fiU.'S.
Le budget du ministère de Tinstruction publique (cultes rais à
part) s'est élevé à la somme totale de 8,660,690 francs.
Suisse. — En 1882, dans le canton de Zurich, les dépenses des
communes pour les écoles primaires ont été de 2,65i),203 francs, et
pour les (T.olss primaires supérieures de 386,180 francs ; la subven-
tion de l'Éiat sest élevée à 1,105,990 francs. Le chiQ're total des
dépenses faites par le caûton de Zurich pour renseignement pri-
382 REVUE PÉDÀ600IQUE
Dans celui de Trin, 16 écoles, 18 maîtres et 387 élèves en 1879;
5i écoles, 55 instituteurs, 3 institutrices, et 1,813 élèves (1,605 gar-
çons, 208 filles) en 1881.
Pour quatre autres arrondissements, la statistique indique* seule-
ment le nombre des écoles en 1879 et 1881 ; le voici :
1878-1879 1880-1881
Èc4les ëe fir{M>. ^•I«i 4e Rites. É(*ln é« iii^mu. Éreln le (iUn.
Lovetch 14 i 49 2
Tirnovo 148 16 152 24
Varna 1:J 2 32 3
Baltchik 5 1 16 1
En 1880-1881, la Bulgarie avait en tout 1,!271 écoles de garçons
et 83 de filles, plus 55 écoles primaires avec une ou deux classes
gymnasiales (44 pour les garrons et 11 pour le filles), soit en tout
1,409 écoles, c'est-à-dire 321 écoles de plus que deux ans auparavant;
1,580 instituteurs et professeurs et 180 institutrices enseignaient
dans ces écoles.
En 1880-1881 il y a eu en moyenne un élève par 29.71 habitants.
Pendant cette année scolaire, 58.37 0/0 de tous les enfants d âge
scolaire ont fréquenté les écoles; pour les filles prises à part, la
fréquentation n*a été que de 18 0/0.
Depuis la guerre de 1877-1878 il acte construit en tout 307 maisuis
d'école.
République argentine, — On nous écrit :
« Le directeur de l'école normale nationale de Parana, M. .losi* T<nrès,
vient de publier un rapport très étendu sur les i^sultats et le fonction-
nement de cet établissomont depuis sa fondation en 187i. JI p(Mit
rtre intéressant dVnipruiiler à ce d icunicnt (luelques indications.
Depuis la fondation do l'école, elle a donné 119 prolossours diplô-
més. L'un d'eu\, sorti en 1874, est aujourd'hui ministre des linanco
et de l'instruction publique de lEtat de Tucuman, 16 sont emploies
dans les conseils d'éducation oif comme inspecteurs primaires,
S4 dans les diverses écoles normales, 5 dans les collèges nationaux
d'enseignement secondaire, li dans les écoles primaires, 3 exercent
dans l'enseijjfnement privé, 16 sont sur le point d*êlre nommés, ol
4 sont morts.
L'école compte, cette année 24 professeurs dont 12 ont fait leurs
études el ont reçu leurs diplômes dans l'établissement même où
ils enseignent actuellement.
Le total des bourses payées par le trésor fédéral pour les frais des
élèves-maîtres est fixé par le budget de 1885 à 13,9o0 francs par
mois répartis entre 90 bourses. Le noinbie des élèves-maîties a été
de 150 en 1884. Celui des élèves fréquentant Técole d'application a
été de 627, répartis en six degrés. Eu 1883, il n'était que de 305.
Le jardin d'enfants, qui n'a commencé à fonctionner que depuis
Tannée dernière avec 35 élèves, a déjà donné de brillants résultats
et en laisse espérer de beaucoup .plus satisfaisants.
COURRIEB DE L'eXTÉRIEUR 383
Tout récemment Técole a été considérablement agrandie pour
mieux répondre aux nécessités de renseignement. Le trésor fédéral
a dépensé pour les travaux la somme de 333,973 francs. Ces chiffre»
donnent une idée des efforts qui se font ici en vue de renseignement
primaire et de la préparation d'un personnel de maîtres qui soient à
la hauleur de leur mission. »
Roumanie. — Nous avons reçu la statistique de Tinstruction
publique pour Tannée scolaire 1882-1883, publiée par le bureau
centrai de statistique, à Bucharest.
Le nombre des communes morales est de i,997; celui des écoles
Primaires rurales (qui sont mLxies quant aux sexes) est seulement
e :2,i70. Sur ce nombre, 1,933 écoles sont entretenues par l'Etat^
les autres par les districts, les communes et les particuliers. Une
somme de 1,790,400 francs était prévue au budget de l'Etat pour
cet objet. Le nombre des maîtres des écoles rurales est de 2,504
(2,120 instituteurs, 375 institutrices), le nombre des élèves de 92,298
( 79,913 garçons, 12,385 filles).
Les écoles primaires urbaines sont spéciales à un sexe. On compte
148 écoles de garçons avec 481 instituteurs et 24,060 élèves-;
125 écoles de filles avec 3G0 institutrices et 13,404 élèves. L'Etat
entretient, sur ce nombre, 138 écoles de garçons et 118 écoles de
filles, et dépense pour cet objet 1,934,840 francs; les autres écoles
sont entretenues par les communes.
H existe 8 écoles normales primaires d'instituteurs, dont 4 sont
entretenues par TEtat (la dépense annuelle a été de 242,142 francs),
ot 4 par des fondations particulières. Le nombre des élèves a été
de 830.
On compte en outre en Roumanie 7 lycées (établissements de
l'Etat), avec 100 professeurs et 2,314 élèves; 18 gymnases (10 entre-
tenus par l'Etat et 8 par les districts ou les communes), avec 181
professeurs et 2,188 élèves; 9 séminaires ecclésiastiques (dont 8 en-
tretenus par TEtat), avec 103 professeurs et 1,262 élèves; 15 écoles
secondaires ou professionnelles de jeunes filles (dont 9 entretenues
par l'Etat), avec 101 professeurs, (>0 maîtresses, et 1,482 élèves;
5 écoles commerciales (dont 4 entretenues pur TEtat), avec 59 pro-
fesseurs et 717 élèves; 31 écoles spéciales (écoles do pharmacie, d'art
vétérinaire, d'arts et métiers, de beaux-arts, d'agriculture, etc.;
10 d'entre elles sont entretenues par l'Etat), avec 223 professeurs et
4 maîtresses et 2.513 élèves (dont 305 jeunes filles); 2 universités,
avec 07 |)rofe^seurs et 705 étudiants; enfin 210 écoles privées, avec
710 maîtres et 427 maîtresses, et 13,799 élèves (7,851 garçons,
5,948 fill.'S. . .,
Le budget du ministère de Tinslruction publique (cultes rais à
part) s'est élevé à la somme totale de 8,609,090 francs.
Suisse. — En 1882, dans le canton de Zurich, les dépenses des
communes pour les écoles primaires ont été de 2,050,293 francs, et
pour les écoles primaires supérieures de 386,180 francs ; la subven-
tion de l'Éiat s*est élevée à 1,105,990 francs. Le chiffre total des
dépenses faites par le caûtpn de Zurich pour l'enseignement pri-
>
384 RlVra PÉDAGOGIQUE
maire a donc été de 4,142,463 fraacs, ce qui fait une somme de
13 francs par tête de population.
— Les instituteurs de ta ville de Saint-Gall ont adressé au Conseil
d'éducation de ce canton une pétition demandant l'abolition du
second examen nécessaire pour l'obtention du brevet définitif, exa-
men qui a lieu deux ans après aue l'instituteur a obtenu le pre-
mier brevet ou brevet primaire. Les instituteurs auraient voulu que
le brevet définitif pût être obtenu dès la sortie de l'école normale.
Le Conseil d'éducation a rejeté celle demande.
— Le Conseil cantonal de Claris a été saisi de deux propositions
à soumettre à la Landsgemeinde et sur lesquelles il a du donner
son préavis. La première vise à rendre la fréquentation de l'école
complémentaire obligatoire ; la seconde demande que les élèves des
écoles primaires soient fournis gratuitement des livres classiques
nécessaires. Le Conseil a émis un préavis négatif sur les deux
propositions.
Union américaine. — Dans la dernière semaine de févj ier s'est
réuni à la Nouvelle-Orléans, à l'occasion de l'Exposition universelle,
un Q)ngrès international de pédagogie. Naturellement les éducateurs
des États-Unis se trouvaient là eu très fi^rande majorité : aussi la
plupart des questions traitées avaient-elles surtout un caractère
local, et, malgré son titre, le Congrès était-il en réalité un meeting
américain plutôt qu'une conférence internationale. Cependant,
quelques représentants de pays étrangers à l'Union ont aussi pris
part aux travaux du Congrès : M. Courge Hicks, inspecteur-adjoint
des écoles à la Jamaïque, a pn^senté un rapport sur la situalioii de
rinslruction publique dans cette colonie ; M. lluguos, de Toronto
Slanada), a parlé des jardins d'enfants de la ville de Toronto;
. B. Buisson, commissaire du ministère français de l'instruction
publique, a rendu compte des progrès réalisés en France depuis 1870
en matière scolaire; et M. Ichiso Haltori, commissaire du Japon, a
communiqué quelques renseignements statistiques sur l'clat des
écoles Japonaises.
Le Congrès a duré quatre jours. La bonne harmonie qui n'a cesst'
d'y régner, les paroles de fraternité échangées entre les éducateurs
accourus des eu vers points de l'Union, sont une preuve que la
réconciliation entre le Nord et le Sud est définitivement faite cl bien
faite.
Le gérant : H. Gantois.
IMPRIMERIE CENTRALE DES CHEMINS D2 EEE. — IMPRIMERIE CHAIX.
RIE BERGÈRE, 20, PARIS. — 8698-5.
Htnelle iMe. T«m VI. N« 5. 15 lai iUtS.
REVUE PÉDAGOGIQUE
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE (l).
Importance de la mémoire, — Il D'y a pas lieu de diss^ ter
longuement sur l'utilité de la mémoire. Parce qu'où a abusé
d'elle aulretbis, parce qu'on a eu le tort de lui sacrifier les autres
facultés de l'esprit, dans des systèmes d'éducation' où l'instruc^
tion lui était exclusivement confiée, des pédagogues se sont avisés
de la décrier, de la tenir en suspicion, de la traiter presque ea
ennemie. Ont-ils songé à ce que deviendrait l'éducation saoft
elle? Ont-ils considéré qu'il n'est pour ainsi dire pas de moment
où l'enseignement puisse se passer de son aide? Elle enveloppe,
elle accompagne les autres facultés; elle les approvisionne toutes.
a La mémoire, disait Pascal, est nécessaire à toutes les opéra-
tions de Tesprit. > — « Sans la mémoire, écrivait Guizot, les
plus belles facultés restent inutiles. » La vie morale elle-même,
aussi bien que la vie intellectuelle, repose sur la mémoire, et,
conmie le dit Chateaubriand, a le cœur le plus affectueux per-
drait sa tendresse, s'il ne se souvenait plus ».
Sans doute, il n'est plus question aujourd'hui de lui laisser
prendre sur l'esprit un empire qui n'appartient qu'au iugement,
à la réflexion personnelle. Pour la mémoire, comme pour les
autres puissances de l'âme, une culture exclusive est dange-
reuse. Mais il serait aussi absurde de renier la mémoire, parce
qu'on a abusé de la récitation, que d'exclure le raisonnement,
parce qu'on a fait trop de syllogismes. Infiniment utile pour tous
les usages de la vie pratique, la mémoire est en même temps
le plus précieux des instruments pédagogiques. Il n'y a pas de
(1) Cet article est extrait d'un ouvrage qui doit paraître prochaioemeiit
à la librdirie Paul Delaplane, sous ce titre : Cours de pédagogie théoriquô et
pratique,
REVUl PÉDAGOOIQUI 1885. — l*r SIM. ' 25
386 EfiVCE PÉDAGOGIQUE
facultés dont réducaleur ail à rt'»clamer plus souvent le service :
il n'y en a pas qu'il doive plus se préoccuper de développer et
de former en vue de la préparation à la vie. Elle est la source
directe d'un grand nombre de nos connaissances et la gardienne
de toutes. Et M. B lin n'hésite pas à dire qu' « elle est la faculté
qui joue le plus grand rôle dans l'éducation ».
La mémoire chez Venjanl, — C'est précisément à l'âge où
l'on a tout à apprendre que la mémoire est le plus naturelle-
ment forte. Les pédagogues sont d'accord pour reconnaître que
l'enfance est l'époque privilégiée de la mémoire. M. Bain estime
que la période où la a plasticité du cerveau » et la puissance
d'acquisition de l'esprit sont à leur maximum s'étend do la
sixième à la dixième année. L'enfant en général est si heu-
reusement doué sous le rapport de la mémoire, qu'il retient des
mots et des phrases qui n'ont pas de sens pour lui, ou même qui
n'en ont aucun.
C'est que la mémoire est en grande partie sous la dépendance
des forces vitales ei du système nerveux. Cliez l'enfant, dont le
cerveau croît chaque jour, dont les nerfs vibrent avec l'énergie
qui n'appartient qu'à des forces jeunes et encore naissantis, dont
la sensibilité n'a rien perdu de sa force et de sa vivacité pre-
mière, la mémoire doit nécessairement se développer avec une
merveilleuse facilité. Plus tard, chez l'adulte, chez l'homme mûr,
les puissances rélléchies de l'esprit viendront en aide à la
mémoire; mais elles ne réussiront pas à é«!aler cette mémoire
spontanée du premier âge, ouverte à toutes les impressions,
produit naturel et aisé d'organes jeunes et encore inem-
ployés.
De plus, la force de la mémoire de l'enfant profile de la fai-
blesse et de l'inaction des autres facultés. L'esprit est encore
vide : par suite il s'emplit sans effort. Plus tard les préoccu-
pations, les soucis, les réflexions personnelles obstrueront plus
ou moins le chemin aux impressions du dehors. Les souvenirs
nouveaux auront de la peine à trouver place dans une intelli-
gence déjà encombrée de souvenirs anciens. Ils se brouilleront
ol se confondront dans l'esprit, comme des caractères nouveaux
qu'on voudrait graver sur un papier déjà couvert d'impressions.
ÉDUCATION DE LÀ MÉMOIRE 387
La mémoire do l'enfant est une page blanche où tout s'imprime
avec aisance, un miroir pur où tout se reflète.
Opinions de Rousseau et de M^ Campan. — Que penser alors
(le l'opinion de certains pédagogues, d'après lesquels Tenfant, le
petit enfant tout au moins, n'aurait pas de véritable mémoire?
« Quoique la mémoire et le raisonnement soient deux facultés
différentes, écrit Rousseau, l'une ne se développe véritablement
<|u'avec l'autre. Les enfants, n'étant pas capables de jugement,
n'ont point de véritable mémoire (1). j>
Et, de son côté. M"»*' Campan déclare que « la mémoire ne se
développe qu'à l'âge de trois ans (2) » .
Il suffit d'étudier de près l'opinion de Rousseau pour se con-
vaincre que le désaccord avec lui est simplement apparent, qu'il
dérive d'un malentendu qui porle sur les mots. La mémoire
que Rousseau refuse à l'enfant est celle des idées abstraites;
il est le premier à lui accorder la mémoire des sons, des figures
et en général de toutes les notions sensibles.
Quant à l'affirmation de M™* Campan, elle se rapporte à
ce fait d'observatiou générale que l'homme miir ne se rappelle
pas les événements des deux ou trois premières années de sa
vie. Ces premières années sont pour nous comme si elles n'exis-
taient pas : une nuit noire les recouvre dans notre conscience,
à peine coupée par quelques lueurs, par le souvenir de quekfue
accident grave, de quelque catastrophe. Leibnitz cite un enfant
(|ui, devenu aveugle vers deux ou trois ans, ne se rappelait plus
rien de ses perceptions visuelles (3).
Est-ce à dire pour cela que, même pendant ces années de
début dans la vie, où la conscience est encore obscure, la
mémoire de l'enfant n'agit pas, n'acquiert pas. Il suffirait,
pour relu ter M""' Campan, de rappeler qu'à trois ans l'enfant
sait généralement parler, et que la connaissance des mots
de la langue maternelle suppose un déploiement considérable
de la mémoire. Seulement les premières acquisitions du sou-
venir sont frêles et fragiles : elles ont besoin d'être fixées, for-
(1) Emile, 1. H.
(2) De l'Éducation, 1. IH, ch. i.
(3) Leibnitz, Nouveaux essais sur l'entendement, liv. I, cb. m.
388 RXVUE PÉDAGOGIQUE
tifiées par le renouvellement des mêmes impressions ; comme
des peintures délicates où le pinceau doit repasser plusieurs
fois pour maintenir les couleurs fugitives et toujours prêtes à
8'eifacer.
Caractères de la mémoire enfantine. — La mémoire de len-
fant a ses qualités propres et aussi quelques défauts.
Les qualités, c'est d'abord, chez les enfants bien doués, une
rare puissance d'acquisition. Tandis que la mémoire fatiguée du
vieillard se comptait à évoqver paresseusement les images du temps
écoulé, celle de Tenfant est toujours en mouvement, toujours en
quête de connaissances nouvelles, aussi facilement acquises
qu'elles sont avidement cherchées. L'enfant voit tout, entend tout.
Rien n'échappe à ses sens jeunes et vifs. Il distingue les objets,
les personnes. Il a une merveilleuse aptitude à retenir les mots, à
apprendre les langues; dans certaines conditions il en apprend
deux et trois à la fois. Ce que Fadulte et l'homme mûr ne feront
qu'au prix d'un travail pénible, alors que la mémoire surmenée
sera devenue rebelle à l'enregistrement des notions nouvelles,
l'enfant le fait avec aisance et sans y songer.
Un autre caractère de la mémoire enfantine, c'est la préci-
sion littérale, l'exactitude rigoureuse du souvenir. M. Legouvé
compare justement l'enfant à un commissaire- priseur qui
note tout, qui n'omet aucun détail. Avec une ponctualité
digne d'être citée en modèle à l'historien, l'enfant se rappelle
les moindres particularités des choses. Quand vous lui
racontez une fable, une histoire qu'il connaît, ne vous
avisez pas de changer un seul trait, un seul mot: sans
quoi vous entendrez ses cris, ses protestations: « Ce n'est pas
cela 1 »
En revanche la mémoire de l'enfant a des faiblesses que le
progrès de l'âge peut seul corriger. Elle pèche surtout en ceci
qu'elle est peu apte à localiser exactement dans le temps k:^
souvenirs qu'elle a acquis. La mémoire complète suppose une
appréciation de la durée dont l'enfant est incapable, parce que
cette appréciation exige la coordination des souvenirs. Qui n'a
entendu des enfants de deux ou trois ans raconter comme un
événement d'hier un fait dont ils ont été les témoins plusieurs
mois auparavant? Les souvenirs flottent trop souvent dans
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 389
T'esprit de Tenfant comme des images sans liens et pour ainsi
dire détachées de leur cadre.
Culture de la mémoire. — Montaigne faisait remarquer avec
raison qu'on fie s'occupe le plus souvent que de meubler la mé-
moire, qu'on oublie de la former. L'essentiel en effet n'est pas
seulement que l'enfant sorte de l'école, l'esprit bien garni de
souvenirs et de connaissances : il importe aussi qu*il ait h sa
disposition une mémoire souple et forte, en état de s'enrichir
encore, de s'approprier des notions nouvelles et de se plier aux
usages de la vie.
Il y a donc deux parties distinctes dans la culture de la
mémoire. Il faut d'abord lui faire acquérir le plus possible de
connaissances : ce qui est l'objet de l'enseignement tout entier.
Il faut en second lieu la fortifier et l'accroître, en tant que
faculté de l'esprit : ce qui sans doute résulte en partie de l'en-
seignement lui-môme, mais ce qui exige aussi quelques pré-
cautions spéciales, dont l'ensemble constitue ce qu'on peut
appeler réducation propre de la mémoire.
Est-elle nécessaire? -^ Mais celte culture spéciale de lamé-
moire est-elle nécessaire? Et, s'il est démontré qu'elle est néces-
saire, est-elle possible?
Nous n'hésitons pas à répondre affirmativement, malgré l'opi-
nion contraire de Locke.
Locke s'autorise présisément de l'emploi constant que nous
faisions de la mémoire dans le monde et dans la vie pour
contester l'utilité de Texcrcer à l'école.
a La mémoire, dit-il, est si nécessaire dans toutes les actions de
la vie, il y a si peu de choses qui puissent se passer d'elle, qu'il n'y
aurait pas à redouter qu'elle s'ail'aibiît, qu elle s'énioussàt, faute
d'exercice, si rexorcico était véritablement la condition de sa
force (1). »
Sans doute la vie sera une bonne école pour la mémoire ; mais
à une condition, c'est que la mémoire ait déjà été assouplie,
rompue au travail par les études de la jeunesse, el que l'homme
la reçoive des mains de l'écolier comme un instrument déjà
l) Pensées sur létlucation, éd. Hachette, p. 281.
U$rfuk, Il n'y %, [fiiS /k na3ùs*t d'ëcole qui D»r soît aoUMÎsé i
Atpuué^j nu Arîuhîiiï â i'opink^n d« Locke: car tous saTent {nr
ex(/;ri^ri^:/^ que Je» fit^ftàfArfA ks plus heureuses oot besoin de
Umi(% t:tfori% p^/uc atUriodre kor maxirnam de force, que les
U}f^mh\f(t% îuosf,uu(> se rouiJieraieiU bieo vite si on ne les
4iXi'.r(;'.iA ('/fU*Uftifn<îUi^ et qu'enfin les mémoires ingraUs resie-
rak-nl \4pu\h%ïTA sf/riles, ^^i on les cultivait pas de t>onne
heiin;,
/Ul-fdU pouible ? — Mai» I»cke va plus loin encore. Le fond de
sa i^^nvre, ce luM pas que la culture de la mémoire est inutile,
c/t'.^i qu'elle e<it impossible.'. En exerçant la mémoire sur tel ou tel
o\f'y't, 'I Oïl ne la dispr>sr;p'js plus, dit-il, à retenir autre chose, que,
en prravant une maxime sur une plaque de métal, on ne rend ce
m^t'il pliiH rnpalile de retenir solidement d'autres empreintes (1) ».
Ici i'îuu)Vi^ le (i/rdagogue anglais est en contradiction avec les
ffiii*«. UiieJ(|ije idée (\w*. l'on se fasse théoriquement de la nature
de la mérnoins ((u'on la rattache entièrement à des conditions
or^'aniqneft, c^rnme MM. Luys et Ribot, ou qu'on la considère
comme une piiissanœ indépendante de l'âme, avec tous les
pliiioHophcH Hpiritualifttcs, il est pratiquement certain que la
mémoire (^rof^resHe ^râco à des soins habiles et à un exercice
iiilriij^'enl, <'t ([u'il n'est pas vrai de dire qu'elle dépend unique-
ment d'une (( constitution heureuse ».
Un autre paradoxe serait de soutenir avec Jacotot, par une
exagération contraire, que l'éducation peut tout, cpie les raé-
moires sont égales h la naissimco chez tous les enfants, et que
les inégalités proviennent exclusivement de la négligence, du
nuui(|u<' do soins, de l'inattention et du défaut de culture. Sans
parler dos nu^nioires extraordinaires et exceptionnelles qui se
Jouent de toutes les ilifilcultés, comme celle d'un Villeniain,
répétant un diseours après l'avoir entendu, d'un Mozart écrivant
lo Mistreir do la Cha|H»lle-Sixline après deux auditions, d'un
lloraee Vornol ou d'un Gustave Doré, peignant des portraits
do souvenir, sans invoquer le témoignage de ces mémoires
prtxligiouatM qui Attestent par leur éclat la puissance de la
nuturo, il n'y a \\à$ d'humble écolo où sur les bancs des élèves
nv
iVo^t^i uoln» UistiHTt de h pftUtgotjie, p. 17147i.
ÉDUCATION DE LA BCÉMOIRE 391
le maître ne distingue de notables différences dans les aptitudes
naturelles à apprendre et à se souvenir.
« L'inégalité des différents esprits, dit M. Bain, au point de vue
de l'assimila tion des leçons, dans des circonstances identiques, est
un fait constaté; et c'est là un <les obstacles que présente Tensei-
çneraeiit donné simultanément à un certain nombre d'élèves groupés
(fans la même classe (1). »
Exercice de la mémoire, — Tenons donc pour établi qu'il
est nécessaire et qu'il est possible de cultiver la mémoire : or
il n'y a pas d'autre moyen de la cultiver que de Texercer.
Mais pour l'exercer utilement, pour arriver à des recomman-
dations vraiment pratiques, il ne suffit pas de considérer la
mémoire en général, dans son ensemble; il faut en analyser
les éléments.
Diverses qualités de la mémoire. — « Une mémoire heureuse,
dit Rollin, doit avoir deux qualités, deux vertus : la première,
de recevoir promptement et sans peine ce qu'on lui confie;
la seconde, de le garder fidèlement ». Il faut en ajouter une
troisième, la facilité à retrouver ce qu'on a vite appris et exac-
tement retenu. Ma mémoire est mauvaise, si elle ne me permet
pas de disposer avec aisance et promptitude de tout ce que je
sais, si, selon l'expression de Montaigne, « elle me sert à son
heure, non à la mienne ».
Ces diverses parties de la mémoire ne sont pas toujours
réunies (2). Il arrive que qui apprend vite oublie vite aussi.
Les mémoires les plus agiles sont parfois les plus infidèles.
Leurs acquisitions ressemblent à des fortunes trop rapidement
faites et qui n'ont pas de solidité. Bien qui vient aisément s'en
va de même.
iUais ces qualités pourtant ne s'excluent pas: elles sont géné-
raleinent solidaires l'une de l'autre. L'idéal est de les posséder
toutes à la fois, et l'éducation de la mémoire do avoir en vue
de perfectionner chacune d'elles par des soins particuliers et par
une culture spéciale.
{\) La Science de r éducation, p. 10.
(î) n nous paraît tout à tait exagéré de dire avec M. Marion : « Les tro s
qualités de la mémoire ne sont presque .. i
dr^evl^^ tfnttésiÊt/j^^ ans ;rapr>?Hi'jCk:« rîTe*, qi^i s'ia^iPCTen:,
fpr^r *ifwî 4fr*, 4»: U«l <:^ qa'-î: *r§ ^^cr^jéT^Dt. e: ces r<pr:t5
l|o^J faille d^:!*^rtj/T^ ^le f'Jirr\z^ aa i&'^n^ en panie ce* d-rfants
•< \t hf. f^Ml p*%, dit tr^<î l>i<irii Rollifi. r* rekaler ais-^-nent, jî
«:^/|'f A ''>'U/î yrttmifjt', r^«î«Unce <î^ U rrjémoîre. qae Ton a ra
%ttu*f*'Ui f-ift', sHiwjiH fX àhfnyXht par la [«aîience etii per§-^%erjnce.
l^'nl/'/f'l hu fUfUrif, jf^i df i'tpui% h aj>ffrendre à ua eofant de ce
CHthr,Urt\ fwn% Ton /fxijrc '|»j't/ ^^r apj,rmn^ eiaclemenl. Oa tâche
^*H'ihunt ïitrnt'rliiTnf'. 4^ t-M tmail par 1 allrait du plaisir, en ne
lui jtfffitfAant ffue tin rJt/Mnn n^irérihlf^, teJIes que 5>nl par eieuple
\t*% rnhlm i\t*, \a Fontaine t-i fif/i hisloire-t frappantes. Un maître
ifidiifttrktjx «'.i bien intentionné se joint a son di>ciple. apprend
»v«!C lui, Mj l;ii<tKe quelquefois vaincre et devancer, rrtlui fait sentir
[mr *»« propr^^xp/;^W•l ICC qu'il peut beaucoup plus qu'il ne pensait...
A rncure qu'on voit croître le progrès, on augmente par degrés et
\it%t*tinï\i\('.Ttwîii la ti'iclic journalière. »
Ku rl'anlrcf* i^TrneK, ménager les mémoires faibles, en ne
leur (leruarMlant qii(! des eflbrls modérés cl gradués, ne pas les
ilrroiiraKCT des l'aboni, les exciter au contraire en leur pré-
piirant liîilMhtrneiit de petits succès, en leur inspirant quelque
nii)(l;irn'(MMi elIcH-mArnes, tel est l'esprit des conseils pratiques
de lioliin.
AjiMitoiiH (|ue la faiblesse de la mémoire n'étant pas un fait
ulliiin» de l'esprit, puisqu'cllo dépend et dérive de l'absence
(io reilaliies eondilions, — de ce (|ue les impressions manquent
dnvivarllé, de ce que raltentiou e«^t rel)elle, — on aura beaucoup
liiil |M)ur di^Kourdir les mémoires lentes, si Ton a su éveiller la
mMinildlilê et fixer l'esprit de l'enfant.
Kn |»;»rlieulier. tout co qui fortifiera l'attention aidera la
nu^mtïire. Or il n'y a pas do meilleur moyen de rendre un
vMf^o ull'nlif que do lui faire bien comprendre et de lui
t»\pli(|Utr ni^tlemonl tout oo qu'on lui enseigne. La Conduite
rfe.v ('»♦(»/( w ihv^tinuifs (i^dilion do 1860) déclare elle-même que
. Wt( éh'^ves n'appivnnonl que t^^6 difficilement ce qu'ils ne
ÉDUCATION DE LA flÉMOlRE 393
comprcDDcnt pas (1) d. Pascal disait de lui-même qu'il n'oubliait
jamais ce qu'il avait une fois compris. Il n'y a pas, quoiqu'on
en dise, de désaccord entre la mémoire et le jugement. En
rendant compte de tout ce qu'il enseigne, en multipliant les
explications, le maître ne travaille pas seulement pour le juge-
ment, il travaille aussi pour la mémoire.
Ce qui contribuera encore à développer la promptitude à
apprendre, c'est l'ordre, c'est la liaison logique des connaissances
que l'on propose à l'enfant.
« Il est indubitable, disait Port-Royal, qu'on apprend avec une
facilité incomparablement plus grande et qu'on retient beaucoup
mieux ce qu'on enseigne dans le vrai ordre, parce que les idées
qui ont une suite naturelle, s'arrangent bien mieux dans notre
mémoire et se réveillent bien plus aisément les unes les autres (2). »
2^ Ténacité des souvenirs, — Des souvenirs méthodiquement
acquis et dont la possession est garantie par l'attention qui
les a fixés dans l'esprit, par l'intelligence qui en a compris le
sens, défient en général l'oubli. En d'autres termes, tous les
efforts qu'on a faits pour faciliter l'acquisition des souvenirs
en assurent aussi la conservation.
Il y a cependant quelques règles particulières à observer
relativement à la seconde qualité de la mémoire: la plus impor-
tante est la répétition^ une des formes essentielles de l'exercice
de la mémoire.
C'est un vieil axiome pédagogiiiue que la répétition est l'âme
de l'enseignement, repetitio mater studiorum. Il faut revenir
souvent sur les mêmes choses, ne pas craindre l'ennui d'un
retour fréquent aux mêmes idées. « On ne retient, disait Jacotot,
que ce qu'on répète. » Il en concluait, d'après l'adage mu/Zurn,
non multa, qu'il suffit d'apprendre une chose, et de la savoir
bien. La répétition continuelle d'un seul livre serait l'idéal de
l'enseignement. Exagération bizarre, qui sous prétexte de for-
tifier la mémoire aurait pour résultat de l'appauvrir. L'étendue
des connaissances n'est pas moins précieuse que leur solidité.
iMais il n'en reste pas moins vrai qu'affranchie des bornes étroites
(1] Conduite à V usage des écoles chrétiennes ^ p. 10.
2) Logique de Port-Royal, 4* partie, ch. x.
394 aKVCE PÉDAGOGIQUE
OÙ renfermait Jacotot, et employée sous toutes ses formes —
rappel pur et simple de ce qui a été dit, résumés, révision
générale — la répétition est une des conditions essentielles du
développement de la mémoire.
« Il est rare, dit M. Bain, qu'un fait qui ne s'est produit qu'une
fois laisse une idée durable qui puisse revenir d'elle-même. I^
fixation de l'impression oxige un certain temps : il faut ou prolon-
fer le premier cnoe, ou le renouveler à plusieurs reprises différentes,
elle est la premii're loi de la mémoire {}). •>
Une autre condition importante de la fidélité des souvenirs,
c'est la précision rigoureuse et exacte des idées que Ton confie
à l'esprit. Jl ne faut pas se contenter d'à peu près, et voilà pour-
quoi dans certains cas la récitation littérale, dans tous les cas
rintclligence détaillée, minutieuse de ce qu'on lui apprend,
doit être exigée de l'enfant. Dans le chapitre intéressant où elle
s'en prend à ceux qui ont prétendu remplacer V élude des moU
par l'étude des choses, M™*^ Necker de Saussure fait remar-
quer av<'C raison que ces deux études sont inscparabl(Mnent liées
l'une à l'autre :
« On dit à l'élève de ne s'attacher qu'au sens des pniolos dans
l'enseignement, sans porter son attention sur les termes, et quand
il récitait sa loc^on, si l'on voyait qu'il en eût compris le sons, on
était content, qu'elles que fussent les 'expressions dont il se servait
pour en rendre compte. Néanmoins ces expressions étaient la plu-
part du temps bien vagues, bien inexactes, car les enfants ne sont
Sas de forts habiles rédacteurs. Celte compréhension dont on se
attait restait en elle-nu^me confuse, et s'échappait \ite, faute iU*.
s'être liée à des mots fixes et positifs ("2). »
S^ Promptitude à se rappeler. — La précieuse et rare qualité
qu'on appelle la présence d'esprit dépend en grande partie d«ï
cette troisième forme de la mémoire. Les meilleurs moyens de
la développer seront d'abord les interrogations fréquentes. Il
faut par des questions imprévues obliger l'enfant à faire elTorl,
et pour ainsi dire secouer ses souvenirs. Il faut l'habituer :\
rentrer promptement en lui-même, pour y saisir au milieu
de tant d'autres le souvenir qu'on lui réclame. On dégourdira
(1) Science (le r<'duration^ p. 16.
(2) L'Éducation progressive^ t. II. p. 286.
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 398
ainsi les mémoires endormies, qui ont des trésors, mais qui ne
savent pas en user.
Une autre recommandation importante, c'est de combattre la
routine et ce qu'il y a pour ainsi dire de mécanique dans Texer-
cicc de la mémoire. L'enfant qui apprend vite est trop souvent
disposé à répéter machinalement ce qu'on lui enseigne, dans
l'ordre et dans la forme où on le lui enseigne. Il débitera imper-
turbablement une série chronologique de rois de France : il réci-
tera, sans y changer un mot, un théorème de géométrie. Mais
si on le dérange un peu dans cette opération toute machinale,
il reste court. Il n'y a pas d'autre moyen de remédier à ce défaut
ou de le prévenir, que de surprendre souvent Tenfant par des
questions où Tordre habituel sera interverti^ et aussi de l'obliger
à répéter sous une autre forme, avec d'autres expressions, ce
qu'il aura appris.
Mémoire et jugement. — Une préoccupation dominante doit
régler tous les efforts de l'éducateur dans celte" recherche déli-
cate des moyens de cultiver la mémoire : c'est de ne pas la
développer au détriment du jugement.
Un préjugé assez répandu veut que la « mémoire soit l'enne-
mie presque irréconciliable du jugement » (Fontenelle) A
force de cultiver leur mémoire, certaines gens en viennent à
laisser leur jugement en friche. On a affaire alors à des pédants
insupportables, qui ne pensent point par eux-mêmes, ou qui
n'osent risquer leur propre pensée que sous le couvert d'une cita-
tion, qui savent seulement ce que les autres ont dît et pensé.
< Qu'est-ce, disait Kant, qu'un homme qui a beaucoup
de mémoire, mais pas de jugement? ce n'est qu'un lexique
vivant (1). »
Assurément il faut se défier, même à l'école, de l'excès de
la mémoire. A cette faculté s'applique particulièrement la règle
posée par Kant : « Ne cultivez isolément aucune faculté pour
elle-même, cultivez chacune en vue des autres. » Développée
outre mesure, la mémoire annule pour ainsi dire les autres
(1) On connaU l'épitaphe du P. Hardouin, jésuite du xvn* siècle, auteur
i\e grands travaux d'érudition : < Bic iacet vir bonœ memorimj expecUmi
judicium, >
396 RETUB PÉDAGOGIQUE
facultés, et, selon l'expression de Vauvenargues, « il ne faut
avoir de la mémoire qu'en proportion de son esprit ».
Hais il n'y a rien à redouter de la mémoire, si on a soin
de la tenir à son rang, et de la considérer seulement comme
une faculté auxiliaire, « comme un merveilleux outil, selon le
mot de Montaigne^ sans lequel le jugement fait à peine son
office ». Confiés à un esprit vivant, actif, qui garde la liberté
de ses jugements, les souvenirs, quelque nombreux qu'ils soient,
animent l'intelligence et la vivifient, loin de l'engourdir et de
l'étoulfer : ils la meublent, sans l'encombrer. Ils y sont d'ailleurs
le point de départ de toute une floraison de pensées nouvelles.
Comme le dit un peu emphatiquement M"® Marchef-Girard,
« la mémoire n'est pas un tombeau; c'est un berceau où l'idée
grandit j>.
Mémoire et récitation, — l^e discrédit où est parfois tombée la
mémoire provient surtout de la confusion qu'on a l'aile entre la
mémoire proprement dite et la récitation, c'est-à-dire une forme
particulière de l'exercice de la mémoire. Alors même que l'on
proscrirait la récitation, et qu'on renoncerait à faire apprendre
par cœur, il n'en serait pas moins nécessaire de développer la
mémoire.
Il s'en faut d'ailleurs que la récitation elle-même mérilé toutes
les critiques dont elle est l'objet.
Opinion de M, Herbert Spencer, — M. Herbert Spencer est de
ceux qui ont le plus résolument condamné la méthode des réci-
tations littérales (1) ;
« L'habitude d'apprendre par cœur, autrefois universelle ment
répandue, tombe tous les jours en discrédit. Toutes les aulorilés
modernes condamnent la vieille méthode mécanique d'enseigner
l'alphabet. On apprend souvent la table de mulliplication par la
méthode expérimentale. Dans l'enseignement des langues, on sub-
stitue déjà aux procédés des collèges d'autres procédés imités de
ceux que suit spontanément l'enfant quand il apprend sa langue
maternelle... Le système qui consiste a faire apprendre par cœur
donne à la formule et au symbole la priorité sur la chose formulée
ou symbolisée. Répéter les mots correctement sjffisait, lescomp.^endre
(l) M. Uousselot est tombé dans les mènes exagéraU.)DS : « Celte vieille
habitude de faire apprendre pr cœur est un des plus fâcheux et des plus
tenares préjugés de la pédagogie routinière : justement discréditée, tout le
monde la répudie en théorie. » Pédagogie^ p. 178.
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRK 397
était inutile, et de cette façon Tesprit était sacrifié à la lettre. Oo
reconnaît enfin que dans ces cas comme dans les autres, plus on
donne d'attbntion au signe, moins on en donne à la chose signifiée (1). •
iSous retrouvons ici les défauts habituels de M. Spencer, ses
affirmations hautaines, absolues, dépourvues de mesure et par
suite de justesse. Qu'on ait abusé autrefois, qu'on abuse encore
des leçonsy personne n'y contredit; nous nous rappelons encore
quelles pénibles et lourdes heures d*étude nous passions au
collège, à répéter à voix basse de longs textes grecs, latins et
français. Mais parce qu'on a trop appris par cœur autrefois, au
collège et même à Técole, est-ce une rai^son pour ne plus appren-
dre par cœur du tout?
Arguments pour et corttre. — Les adversaires de la récita-
tion font valoir divers arguments.
Les pédagogues américains se distinguent par la vivacité de
leurs attaques. Ainsi M. James Johounot préteyd que le système
d'enseignement qui consiste à faire apprendre par cœur n'a
plus sa raison d'être dans les sociétés modernes, où il s'agit
moins de maintenir des traditions aveugles et un respect irréfléx^hi
(lu passé que de fortifier la raison et de favoriscM* la réflexion
personnelle (2).
L'argument ne vaut évidemment que contre un système de
récitation à outrance, où l'on demanderait le mot à mot
littéral dans tous les enseignements, même dans ceux qui le
comportent le moins, comme les sciences et la morale.
D'autres pédagogues objectent que le résultat des exercices
de mémoire ne vaut pas le mal qu'on se donne pour l'atteindre.
Quel profit y a-t-il pour l'élève à réciter des phrases toutes
laites, à acquérir une science purement verbale? Savoir par
cœur n'est pas savoir, disait lUontaigne. De plus la récitation
littérale exige un effort intense, et de grands sacrifices de temps.
L'esprit se fatigue et s'use dans cet effort. Et pendant que
l'élève &e tourmente et peine sur ses leçons, le temps passe, un
temps précieux qui pourrait être mieux employé.
Nous répondrons que pour certaines choses au moins l'idée ne
(1) L'Éducation, p. 97.
(2) Principles and pracUve of teackiiigy New- York, 18H1, p. 171.
388 irVUK PÉDAGOGIQUE
peut se séparer des mots qui seuls rexpriment convenablement,
et qu'il est par conséquent nécessaire de retenir exactement.
Nous ne sommes vraiment maîtres de nos idées que quand
nous avons trouvé les mots propres pour les exprimer. Dans
un assez grand nombre de cas, savoir par cœur est le seul
moyen de savoir. D'un autre côté, Teffort est nécessaire en
éducation : il n'est pas bon de trop ménager Tenfant et de le
tenir quitte de tout travail de mémoire verbale, parce qu'il
aura compris et vaguement retenu !e sens de ce qu'on lui
enseigne.
Les objections que nous venons d'examiner portent donc
plutôt contre l'abus de la récitation, employée sans mesure et
mal à propos, que contre l'usage discret et modéré de la réci-
tation littérale dans les matières où elle est indispensable.
Où' la récitation littérale est nécessaire. — Un pédagogue
anglais, M. Fitch, a nettement établi la règle qui détermine
les matières où la récitation lillërale est nécessaire.
« S'il s'agit simplement de faire retenir des pensées, des faits, dts
raisonnements, laissez l'élève les reproduire à sa f<iiise et dans son
lahffa^^e. Ce n'est pas le monrent de mettre en branle la pure ménuiirt*
verbale. Mais si les mots qui servent à Texpression d'un fait ont par
eux-mêmes une beauté propre, s'ils représentent quelqu(.' donné<'
scientifique, ou quelque vérité fondamentale qu'on n«;pourraitexprimer
aussi bien en recourant à d'autres termes, alors veiJIezàce que la forme
aussi bien que la substance de la pensée soit apprise par cœur (1 j. -
D'après cela il est aisé de fixer la limite que la récitation ne
doit pas franchir. En grammaire, les règles principales ; en
arithmétique, les définilions; en géométrie, les théorèmes; dans
les sciences en général, les formules; en histoire, quelques
sommaires; en géographie, l'explication de certains termes
techniques; en morale, quelques maximes, voilà ce que Tenfanl
doit savoir mot par mot, Verbatim, Et encore, bien entendu, à
la condition qu'il comprenne parfaitement le sens de ce qu'il
récite, et que son attention soit appelée sur la pensée non moins
que sur Texpression. Il ne faut confier à la mémoire que ce que
l'intelhgence a parfaitement compris. Pour tout le reste, il faul
(1) Lectures on teaching^ Cambridge, 1881. Ce livre est le résumé d un
cours de pédagogie professé en 1881 à l'université de Cambridge.
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 399
s*en rapporter à la mémoire large des pensées, uoa à la
mémoire stricte des mots : et il est aussi fastidieux quMiiutile,
aussi dangereux que pénible, de faire réciter de longues pages
d*histoire, de grammaire ou de physique.
Les exercices de récitation. — H y^ a pourtant un autre
emploi important de la récitation: c'est l'étude des beaux
textes, des morceaux de prose et de vers, dont il convient
d'enrichir et d'orner la mémoire des enfants. « Les exercices
dû récitation littéraire ne sont pas assez pratiqués dans nos
écoles (1) ». Il n'y a pas de meilleur moyen de former le
goût des élèves, de leur apprendre à sentir et à goûter l'élo-.
quence de la poésie, la force des belles pensées et le charme
du beau langage. Une lecture même étudiée ne suffît pas tou-
jours : il faul y joindre de temps en temps cet effort particu-
lier d'attention que réclame la récitation verbale. Par là vous
obligez la mémoire à un effort particulièrement énergique, à
une véritable concentration de Tatiention. Par là vous obligez
lenfant à parler. Par là enfin Tenfant pénètre plus intimement
les procédés et Tart des grands écrivains : il s'approprie leur
style; il se fait un trésor intérieur de beaux modèles, que l'es-
prit se remémore inconsciemment quand il est appelé à écrire
à son tour. La récitation des auteurs n'est pas seulement un
exercice de mémoire ; elle est un exercice de langue, un exer-
cice de prononciation et une excellente préparation à la rédac-
tion, à la composition personnelle. Nous ne nous dissimulons
pas d'ailleurs la difficulté que présente le choix des morceaux
de récitation. 11 faudrait, en effet, dans les pages qu'on fait
apprendre par cœur, trouver réunis et le talent de l'écrivain et
la simplicité d'une pensée juste et saine, populaire en quelque
sorte, à la portée du jeune auditoire que l'on instruit.
Abus de la récitation. — Qu'on prenne garde pourtant à l'ex-
cès. Nous rappellerons à ce propos lo mot du littérateur anglais
Johnson. Un jour qu'il rendait visite dans une maison où florissait
la mode de faire apprendre des fables, un jeune enfant se pré-
sente à sa rencontre pour lui déclamer un morceau, tandis qu'à
côté de lui son frère cadet se proposait à lui débiter un autre
\) Rendu, Manuel de l'easeùjneinent pHmuire, 201
400 BIVU£ PiDAGOGIQUfi
morceau. « Mes petits amis, leur dit Johnson, en interrompant
celui qui parlait, ne pourriez-vous pas me réciter vos vers tous
deux à la fois?... » Mais ce n'est pas seulement pour ce motif
qu'ils sont insupportables aux autres, c'est parce qu'ils ne se
rendent aucun service à eux-mêmes el qu'ils perdent leur temps,
que nous proscrivons les récitateurs à outrance. Nous n'admi-
rons en aucune façon ces prodiges de mémoire qui consistent,
par exemple, comme le dit Rabelais eu s'en moquant, à réciter
un livre d'un boot à l'autre, au rebours, en commençant par la
fin.
« J'aimerais mieux, disait M'»<^ de Maiutenon, en parlant de ses
élèves de Saint-Cyr, qu'elles ne retinssent que dix lignes et qu'elles
les comprissent bien, que d'apprendre un volume entier sans savoir
ce qu'elles disent. »
Choix des exercices. — Peu et bien, telle sera donc la règle
en fait de récitation. Ou choisira de préférence des morceaux
intéressants, variés, tantôt en vers, tantôt en prose; en vers
surtout pour les petits enfants. On les prendra courts. On aura
soin de les lire à haute voix, avant, de les donner à apprendre :
de sorte que l'exercice de récitation soit d'abord une leçon de
lecture. On les expliquera avec soin. Nous ne sommes pas de
ceux qui pensent que la mémoire doive jamais devancer l'in-
telligence, etquil y ait intérêt à procéder à une sorte de culture
mécanique de la mémoire, eu faisant apprendre des choses qui
ne sont pas comprises. L'enfant, sans doute, avec sa merveil -
leuse facilité de souvenir, se plierait à ce travailm achinal;
mais il y contracterait une habitude funeste, et dont il souf-
frirait toute sa vie, celle de répéter comme un perroquet des
phrases dont il ne se rendrait pas compte.
Résumé des candi tions du développement de la mémoire. —
Un pédagogue anglais, M. Blackie, a heureusement résumé
les conditions principales à remplir pour assurer la force de la
mémoire ou pour suppléer à sa faiblesse (l).X^s conditions sont
•les suivantes :
1^ La netteté, la vivacité, l'intensité de l'impression originale ;
(1) Blackie, p. !23 et suIy.
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 401
2® L'ordre et la classification des faits ;
3® La répétition ;
« Si le clou n'entre pas d*un seul coup, frappez deux fois, trois
fois même. »
4® La force de la logique ;
« L'homme qui ne se rappelle bien que les faits qu'il s'explique»
cherche sous les faits rencnaînement des causes. »
5* Les relations artificielles établies entre les souvenirs;
6<* L'usage des notes écrites. A défaut d'une bonne mémoire
naturelle, disait dans le même sens Montaigne, a je m'en fais
une de papier ».
Procédés mnémotechniques. — Les pédagogues ont souvent
recommandé l'emploi de procédés artificiels, qui, en établissant
entre les souvenirs un lien factice, en garantissent la durée et
en facilitent le réveil.
Mais les procédés mnémotechniques ont d'abord rinconvénient
d'habituer Tesprit aux associations d'idées arbitraires et super-
ficielles. Eussent-ils au point de vue du développement de la
mémoire toute l'efficacité qu'on leur prête, il faudrait encore
les condamner, à raison de l'influence fâcheuse qu'ils peuvent
exercer sur le jugement et la raison.
Que faut-il en penser d'ailleurs au point de vue de la mémoire
elle-même ?
« Il y a, dit M. Blackie, des relations artificielles qin ne sont pas
sans utilité : l'élève peut se rappeler qu'Abydos est situé sur la rive
asiatique de l'Hellespont, s'il se rappelle seulement que les deux
mots Abydos et Asie commencent l'un et l'autre par la lettre A. Mais
ce sont là des trucs, plus appropriés ù la faiblesse de quelque insti-
tuteur malhabile qu'à la virile éducation donnée par nos bons
maîtres. Je n'ai pas grande confiance dans l'emploi systématique
des procédés mnémotechniques : ils remplissent l'esprit d'une foule
de symboles arbitraires et ridicules qui nuisent au jeu naturel des
farultés. Les dates historiques, pour lesquelles on emploie généra-
lement cette sorte de mécanique compliquée, se graveront plus aisé-
ment dans la mémoire par leurs rapports de causalité (1). >
La véritable mnémotechnie est celle qui se fonde sur les
rapports réels, sur les associations naturelles des idées, sur la
méthode et l'ordre logique que l'on doit introduire dans Tenseî-
(1) Blackie, p. 24.
RBTUB PÈDAGOQIQUI 1885. — l^r 811. 26
39S RXVUE PÉDAGOGIQUE
1^ Promptitude à apprendre. — C'est par cette qualité surtout
que la mémoire relève de la nature, des dispositions innées.
L'art est impuissant à rétablir l'égalité entre ces intelligences
dociles, malléables, aux impressions vives, qui s'imprègnent,
pour ainsi dire, de tout ce qu'elles perçoivent, et ces esprits
lents, paresseux et rétifs, qui n'apprennent que très difficile-
ment le peu qu'ils apprennent. N'en concluons pourtant pas
qu'il faille désespérer de corriger au moins en partie ces défauts
de nature.
« Il ne faut pas, dit très bien Rollin, se rebuter aisément, ni
céder à cette première résistance de la niémoire. que Ton a vu
souvent être vaincue et domptée par la patience et la persévérance.
D'abord on donne peu de V gîtes à apprendre à un enfant de ce
caractère, mais Ton exiçe ({nil les apprenne exactement. On tache
d'adoucir l'amertume de ce travail par l attrait du plaisir, en ne
lui propesant que des choses agréables, telles que sont par exemple
les Fables de La Fontaine cl des histoires frappantes. Un maître
industrieux et bien intentionné se joint à son disciple, apprend
avec lui, se laisse quelquefois vaincre et devancer, et lui fait sentir
par sa propre expérience qu'il peut beaucoup plus qu'il ne pensait...
A mesure qu'on voit croître le progrès, on augmente par degrés et
insensiblement la tâche journalière. »
En d'autres termes, ménager les mémoires faibles, en ne
leur demandant que des efforts modérés et gradués, ne pas les
décourager dès l'abord, les exciter au contraire en leur pré-
parant habilement de petits succès, en leur inspirant quelque
confiance en elles-mêmes, tel est l'esprit des conseils pratiques
de Rollin.
Ajoutons que la faiblesse de la mémoire n'étant pas un fait
ullime de l'esprit, puisqu'elle dépend et dérive de l'absence
de certaines conditicms, — de ce que les impressions manquent
de vivacité, de ce que l'attention est rebelle, —on aura beaucoup
fait pour dégourdir les mémoires lentes, si Ton a su éveiller la
sensibilité et fixer l'esprit de l'enfant.
En particulier, tout ce qui fortifiera l'attention aidera la
mémoire. Or il n'y a pas de meilleur moyen de rendre un
élève atVîutif que de lui faire bien comprendre et de lui
expliquer nettement tout ce qu'on lui enseigne. La Conduite
des écoles chrétiennes {édiiïon de 1860) déclare elle-même que
.: les élèves n'apprennent que très diflScilement ce qu'ils ne
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 393
comprennent pas (1) ». Pascal disait de lui-même qu'il n'oubliait
jamais ce qu'il avait une fois compris. Il n'y a pas, quoiqu'on
en dise, de désaccord entre la mémoire et le jugement. En
rendant compte de tout ce qu'il enseigne, en multipliant les
explications, le maître ne travaille pas seulement pour le juge-
ment, il travaille aussi pour la mémoire.
Ce qui contribuera encore à développer la promptitude à
apprendre, c'est l'ordre, c'est la liaison logique des connaissances
que l'on propose à l'enfant.
« Il est indubitable, disait Port-Royal, qu'on apprend avec une
facilité incomparablement plus grande et qu'on retient beaucoup
mieux ce qu'on enseigne dans le vrai ordre, parce que les idées
qui ont une suite naturelle, s'arrangent bien mieux dans notre
mémoire et se réveillent bien plus aisément les unes les autres (2). »
^ Ténacité des souvenirs, — Des souvenirs méthodiquement
acquis et dont la possession est garantie par l'attention qui
les a fixés dans l'esprit, par l'intelligence qui en a compris le
sens, défient en général l'oubli. En d'autres termes, tous les
efforts qu'on a faits pour faciliter l'acquisition des souvenirs
en assurent aussi la conservation.
Il y a cependant quelques ri^^les particulières à observer
relativement à la seconde qualité do la mémoire: la plus impor-
tante est la répétition, une des formes essentielles de l'exercice
de la mémoire.
#
C'est un vieil axiome pédagogi(jue que la répétition est l'âme
de l'enseignement, repetitio mater studiorum. Il faut revenir
souvent sur les mêmes choses, ne pas craindre l'ennui d'un
retour fréquent aux mêmes idées. « On ne retient, disait Jacotot,
que ce qu'on répète. » Il en concluait, d'après l'adage mu//um,
non multa, qu'il suffit d'apprendre une chose, et de la savoir
bien. La répétition continuelle d'un seul livre serait l'idéal de
l'enseignement. Exagération bizarre, qui sous prétexte de for-
tifier la mémoire aurait pour résultat de l'appauvrir. L'étendue
des connaissances n'est pas moins précieuse que leur solidité.
Mais il n'en reste pas moins vrai qu'affranchie des bornes étroites
[1] Conduite à V usage des écoles chrétteiineSy p. 16.
(2) Logique de Port-Royal, 4* parUe, ch. x.
394 fiKVUK PÉDAGOGIQUE
OÙ renfermait Jacotot, et employée sous toutes ses formes —
rappel pur et simple de ce qui a été dit, résumés, révision
générale — la répétition est une des conditions essentielles du
développement de la mémoire.
« Il est rare, dit M. Bain, qu'un fait qui ne s'est produit qu'une
fois laisse une idée durable qui puisse revenir d'elle-môme. La
fixation de l'impression exige un certain temps : il faut ou prolon-
fer le premier choc, ou le renouveler à plusieurs reprises diflérenles.
elle est la première loi de la mémoire (1). >>
Une autre condition importante de la fidélité des souvenirs,
c'est la précision rigoureuse et exacte des idées que Ton confie
à Tesprit. 11 ne faut pas se contenter d'à peu près, et voilà pour-
quoi dans certains cas la récitation littérale, dans tous les cas
rintclligence détaillée, minutieuse de ce qu'où lui apprend,
doit être exigée de l'enfant. Dans le chapitre intéressant où elle
s'en prend à ceux qui ont prétendu remplacer Vélude des mots
par l'étude des choses, M"»® Necker de Saussure fait remar-
quer av( c raison que ces deux études sont inséparablement liées
Tune à l'autre :
pour en rendre compte. Néanmoins ces expressions étaient la plu-
part du temps bien vagues, bien inexactes, car les enfants ne sont
Sas de forts habiles rédacteurs. Cette compréhension dont on so
attait restait en elle-même confuse, et s'échappait vite, faute (h)
s'être liée à des mots fixes et positifs (2). »
5® Promptitude à se rappeler. — La précieuse et rare qualité
qu'on appelle la présence d'esprit dépend en grande partie do
cette troisième forme de la mémoire. Les meilleurs moyens de
la développer seront d'abord les interrogations fréquentes. H
faut par des questions imprévues obliger l'enfant à faire effort,
et pour ainsi dire secouer ses souvenirs. Il faut l'habituer à
rentrer promptement en lui-même, pour y saisir au milieu
de tant d'autres le souvenir qu'on lui réclame. On dégourdira
(1) Science île T éducation, p. 16.
(2) L'Éducation progressive t t. H. p. 286.
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 398
ainsi les mémoires endormies, qui ont des trésors, mais qui ne
savent pas en user.
Une aulre recommandation importante, c'est de combattre la
routine et ce qu'il y a pour ainsi dire de mécanique dans Texer-
cice de la mémoire. L'enfant qui apprend vite est trop souvent
disposé à répéter machinalement ce qu'on lui enseigne, dans
l'ordre et dans la forme où on le lui enseigne. Il débitera imper-
turbablement une série chronologique de rois de France : il réci-
tera, sans y changer un mot, un théorème do géométrie. Mais
si on le dérange un peu dans cette opération toute machinale,
il reste court. Il n'y a pas d'autre moyen de remédier à ce défaut
ou de le prévenir, que de surprendre souvent Tenfant par des
questions où l'ordre habituel sera interverti, et aussi de l'obliger
à répéter sous une aulre forme, avec d'autres expressions, ce
(|u'il aura appris.
Mémoire et jugement. — Une préoccupation dominante doit
régler tous les efforts de l'éducateur dans cette^ recherche déli-
cate des moyens de cultiver la mémoire : c'est de ne pas la
développer au détriment du jugement.
Un préjugé assez répandu veut que la a mémoire soit l'enne-
mie presque irréconciliable du jugement » (Fontenelle) A
force de cultiver leur mémoire, certaines gens en viennent à
laisser leur jugement en friche. On a affaire alors à des pédants
insupportables, qui ne pensent point par eux-mêmes, ou qui
n'osent risquer leur propre pensée que sous le couvert d'une cita-
tion, qui savent seulement ce que les autres ont dit et pensé.
< Qu'est-ce, disait Kant, qu'un homme qui a beaucoup
de mémoire, mais pas de jugement? ce n'est qu'un lexique
vivant (1). »
Assurément il faut se défier, même à l'école, de l'excès de
la mémoire. A cette faculté s'applique particulièrement la règle
posée par Kant : « Ne cultivez isolément aucune faculté pour
elle-même, cultivez chacune en vue des autres. » Développée
outre mesure, la mémoire annule pour ainsi dire les autres
(1) On connaU l'épitaphe du P. Hardouin, jésuite du xvii* siècle, autaar
Àe grands travaux d'érudition : < Bic iacet vir bonœ memoriœy expectam
judicium, >
396 HfiTUB PÉDAGOGIQUE
facultés, et, selon l'expression de Vauvenargiies, « il ne faut
avoir de la mémoire qu'en proportion de son esprit ».
Hais il n'y a rien à redouter de la mémoire, si on a soin
de la tenir à son rang, et de la considérer seulement comme
une faculté auxiliaire, « comme un merveilleux outil, selon le
mot de Montaigne^ sans lequel le jugement fait à peine son
office ». Confiés à un esprit vivant, actif, qui garde la liberté
de ses jugements, les souvenirs, quelque nombreux qu'ils soient,
animent l'intelligence et la vivifient, loin de l'engourdir et de
l'étouller : ils la meublent, sans l'encombrer. Ils y sont d'ailleurs
le point de départ de toute une floraison de pensées nouvelles.
Comme le dit un peu emphatiquement M"« Marchef-Girard,
« la mémoire n'est pas un tombeau; c'est un berceau où l'idée
grandit d.
Mémoire et récitation. — l^e discrédit où est parfois tomboe la
mémoire provient surtout de la confusion qu'on a laite entre la
mémoire proprement dite et la récitation, c'est-à-dire une forme
particulière de Texercice de la mémoire. Alors même que l'on
proscrirait la récitation, et qu'on renoncerait à faire apprendre
par cœur, il n'en serait pas moins nécessaire de développer la
mémoire.
Il s'en faut d'ailleurs que la récitation elle-même mérite toutes
les critiques dont elle est l'objet.
Opinion de M. Herbert Spencer, — M. Herbert Spencer est de
ceux qui ont le plus résolument condamné la méthode des réci-
tations littérales (1) ;
« L'habitude d'apprendre par cœur, autrefois universellement
répandue, tombe tous les jours en discrédit. Toutes les auLnrilés
modernes condamnent la vieille méthode mécanique d'enseigner
l'alphabet. On apprend souvent la table de mulliplication par la
méthode cxpérimentalo. Dans l'enseignement des langues, on sub-
stitue déjà aux procédés des collèges d'autres procédés imités de
ceux que suit spontanément l'eniant ^uand il apprend sa langue
maternelle... Le système qui consiste a faire apprendre par cœur
donne à la formule et au symbole la priorité sur la chose formulée
ou symbolisée. Répéter les mots correctement sjffisait, lescomp.-endre
(l) M. Uousselot est tombé dans les mé.ni>s exagérati.ins : c Ce: te vieiUe
habitude de faire apprendre pT cœur est un des plus fâcheux et des plus
tenaces préjugés de la pédagogie routiniôre : justement discréditée, tout \e
monde la répudie en théorie. » Pédagogie j p. 178.
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 397
était inutile, et de cette façon l'esprit était sacrifié à la lettre. Oo
reconnaît enfin que dans ces cas comme dans les autres, plus on
donne d*attëution au signe, moins on en donne à la chose signifiée (1). •
ISous retrouvons ici les défauts habituels de M. Spencer, ses
affirmations hautaines, absolues, dépourvues de mesure et par
suite de justesse. Qu'on ait abusé autrefois, qu'on abuse encore
des leçons f personne n'y contredit; nous nous rappelons encore
quelles pénibles et lourdes heures d*étude nous passions au
collège, à répéter à voix basse de longs textes grecs, latins et
français. Mais parce qu'on a trop appris par cœur autrefois, au
collège et même à l'école, est-ce une rai:)()n pour ne plus appren-
dre par cœur du tout?
Arguments pour et corttre. — Les adversaires de la récita-
tion font valoir divers arguments.
Les pédagogues américains se distinguent par la vivacité de
leurs attaques. Ainsi M. James Joliounot préteyd que le système
d'enseignement qui consiste à faire apprendre par cœur n'a
plus sa raison d'être dans les sociétés modernes, où il s'agit
moins de maintenir des traditions aveugles et un respect irréfléx^hi
(iu passé que de fortifier la raison et de favoriser la réflexion
personnelle (2).
L'argument ne vaut évidemment que contre un système de
récitation à outrance, où l'on demanderait le mot à mot
littéral dans tous les enseignements, même dans ceux qui le
comportent le moins, comme les sciences et la morale.
D'autres pédagogues objectent que le résultat des exercices
de mémoire ne vaut pas le mal qu'on se donne pour l'atteindre.
Quel prolit y a-t-il pour l'élève à réciter des phrases toutes
faites, à acquérir une science purement verbale? Savoir par
cœur n'est pas savoir, disait Montaigne. De plus la récitation
littérale exige un effort intense, et de grands sacrifices de temps.
L'esprit se fatigue et s*use dans cet effort. Et pendant que
relève &e tourmente et peine sur ses leçons, le temps passe, un
temps précieux qui pourrait être mieux employé.
Nous répondrons que pour certaines choses au moins l'idée ne
(11 L'Éducation, p. 97.
(2) Principes and practicâ of teachiiig, New- York, 1881, p. 171.
388 IIVCB PÉDAGOGIQUE
peut se séparer des mots qui seuls rexpriment convenablement,
et qu'il est par conséquent nécessaire de retenir exactement-
Nous ne sommes vraiment maîtres de nos idées que quand
nous avons trouvé les mots propres pour les exprimer. Dans
un assez grand nombre de cas, savoir par cœur est le seul
moyen de savoir. D'un autre côté, Teffort est nécessaire en
éducation : il n'est pas bon de trop ménager l'enfant et de le
tenir quitte de tout travail de mémoire verbale, parce qu'il
aura compris et vaguement retenu !e sens de ce qu'on lui
enseigne.
Les objections que nous venons d'examiner porlent donc
plutôt contre l'abus de la récitation, employée sans mesure et
mal à propos, que contre l'usage discret et modéré de la réci-
tation littérale dans les matières où elle est indispensable.
Où la récitation littérale est nécessaire. — Un pédagogue
anglais, M. Fitch, a nettement établi la règle qui détermine
les matières où la récitation littérale est nécessaire.
* S'il s'agit simplement de faire retenir des pensées, des faits, des
raisonnements, laissez relève les reproduire à sa f^uise et dans son
lahffai^e. Ce nVstpas le moment de mettre en branle la pure mémoire-
verbale. Mais si les mots qui servent à TexjuTssion d'un fait ont par
eux-ni^raes une beauté propre, s'ils représentent quelque donnée
scientifique, ou quelque vérité fondamentale qu'on nepourraitexprimer
aussi bien en recourant à d'autres ternies, alors veiJlezàce que la forme
aussi bien que la substance de la j)ensée soit apprise parctrur ( I . *
D'après cela il est aisé de fixer la limite que la récitation ne
doit pas franchir. En grammaire, les règles principales ; en
arithmétique, les définilions; en géométrie, les théorèmes ; dans
les sciences en général, les formules; en histoire, quelques
sommaires; en géographie, l'explication de certains termes
techniques; en morale, quelques maximes, voilà ce que reniant
doit savoir mot par mot. Verbatim. Et encore, bien entendu, à
la condition qu'il comprenne parfaitement le sens de ce qu'il
récite, et que son attention soit appelée sur la pensée non ni.<ins
que sur l'expression. Il ne faut confier à la mémoire que ce que
l'intelligence a parfaitement compris. Pour tout le reste, il faut
(1) Leilures on teachingy Cambridge, 1881. (..e Mrrv est le résume d un
cours de pédagogie proressé en 18St à runiversité de Cambridge.
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 399
s*en rapporter à la mémoire large des pensées, uou à la
mémoire stricte des mots : et il est aussi fastidieux qu*inutile,
aussi dangereux que pénible, de faire réciter de longues pages
dliistoire, de grammaire ou de physique.
Les exercices de récitation. — " X * pourtant un autre
emploi important de la récitation: c'est l'étude des beaux
textes, des morceaux de prose et de vers, dont il convient
d'enrichir et d'orner la mémoire des enfants. « Les exercices
de récitation littéraire ne sont pas assez pratiqués dans nos
écoles (1) ». Il n'y a pas de meilleur moyen de former le
goût des élèves, de leur apprendre à sentir et à goûter Télo-,
quence de la poésie, la force des belles pensées et le charme
du beau langage. Une lecture même étudiée ne suffit pas tou-
jours : il faut y joindre de temps en temps cet effort particu-
lier d'attention que réclame la récitation verbale. Par là vous
obligez la mémoire à un effort particulièrement énergique, à
une véritable concentration de l'alLention. Par là vous obUgez
l'enfant à parler. Par là enfin l'enfant pénètre plus intimement
les procédés et l'art des grands écrivains ; il s'approprie leur
style; il se fait un trésor intérieur de beaux modèles^ que l'es-
prit se remémore inconsciemment quand il est appelé u écrire
a son tour. La récitation des auteurs n'est pas seulement un
exercice de mémoire : elle est un exercice de langue, un exer-
cice de prononciation et une excellente préparation à la rédac-
tion, à la composition personnelle. Nous ne nous dissimulons
pas d'ailleurs la difficulté que présente le choix des morceaux
de récitation. Il faudrait, en effet, dans les pages qu'on fait
apprendre par cœur, trouver réunis et le talent de l'écrivain et
la simplicité d'une pensée juste et saine, populaire en quelque
sorte, à la portée du jeune auditoire que l'on instruit.
Ahus de la récitation. — Qu'on prenne garde pourtant à l'ex-
cès. Nous rappellerons à ce propos le mot du littérateur anglais
Johnson. Un jour qu'il rendait visite dans une maison où fiorissait
la mode de faire apprendre des fables, un jeune enfant se pré-
sente à sa rencontre pour lui déclamer un morceau, tandis qu'à
côté de lui son frère cadet se proposait à lui débiter un autre
1; Rendu, Manuel de l' enseignement onmaire, 201
400 BKVU£ PÉDA600IQUX
morceau. « Mes petits amis, leur dit Johuson, en interrompaat
œlui qui parlait, ne pourriez-vous pas me réciter vos vers tous
deux à la fois?... 9 Mais ce n'est pas seulement pour ce motif
qu'ils sont insupportables aux autres, c'est parce qu'ils ne se
rendent aucun service à eux-mêmes et qu'ils perdent leurtemps,
que nous proscrivons les récitateurs à outrance. Nous n'admi-
rons en aucune façon ces prodiges de mémoire qui consistent,
par exemple, comme le dit Rabelais eu s'en moquant, à réciter
un livre d'un bout à l'autre, au rebours, en commençant par la
fin.
« J'aimerais mieux, disait U°^^ de Maintenon, en parlant de ses
élèves do Saint-Cyr, qu'elles ne retinssent que cÙx lignes et qu'elles
les comprissent bien, que d'apprendre un volume entier sans savoir
ce qu'elles disent. »
Choix des exercices. — Peu et bien, telle sera donc la règle
en fait de récitation. On choisira de préférence des morceaux
intéressants, variés, tantôt en vers, tantôt en prose; en vers
surtout pour les petits enfants. On les prendra courts. On aura
soin de les lire à haute voix, avant de les donnera apprendre :
de sorte que l'exercice de récitation soit d'abord une leçon de
lecture. On les expliquera avec soin. Nous ne sommes pas de
ceux qui pensent que la mémoire doive jamais devancer Tiu-
telligence, etquil y ait intérêt à procéder à une sorte de culture
mécanique de la mémoire, eu faisant apprendre des choses qui
ne sont pas comprises. L'eufant, sans doute, avec sa merveii -
leuse facilité de souvenir, se plierait à ce travailm achinai;
mais il y contracterait une habitude funeste, et dont il souf-
frirait toute sa vie, cède de répéter comme un perroquet des
phrases dont il ne se rendrait pas compte.
Résumé des conditions du développemetit de la mémoire. —
Un pédagogue anglais, M. Blackie, a heureusement résumé
les conditions principales à remplir pour assurer la force de la
mémoire ou pour suppléer à sa faiblesse (l).jCes conditions sont
•les suivantes :
1® La netteté, la vivacité, l'intensité de l'impression originale ;
(1) Blackie, p. 13 et suiv.
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 401
2® L'ordre et la classification des faits ;
3® La répétition ;
<t Si le clou n'entre pas d*un seul coup, frappez deux fois, trois
fois même. «
4® La force de la logique ;
« L'homme qui ne se rappelle bien aue les faits qu'il s'explique,
cherche sous les faits rencnaînement des causes. »
5* Les relations artificielles établies entre les souvenirs;
6® L'usage des notes écrites. A défaut d'une bonne mémoire
naturelle, disait dans le même sens Montaigne, <k je m'en fais
une de papier ».
Procédés mnémotechniques. — Les pédagogues ont souvent
recommandé l'emploi de procédés artificiels, qui, en établissant
entre les souvenirs un lien factice, en garantissent la durée et
en facilitent le réveil.
Mais les procédés mnémotechniques ont d'abord l'inconvénient
d'habituer l'esprit aux associations d'idées arbitraires et super-
iicielles. Eussent-ils au point de vue du développement de la
mémoire toute TeiBcacité qu'on leur prête, il faudrait encore
les condamner, à raison de Tinflucnce fâcheuse qu'ils peuvent
exercer sur le jugement et la raison.
Que faut'il en penser d'ailleurs au point de vue de la mémoire
elle-même ?
a II y a, dit M. Blackie, des relations artificielles qui ne sont pas
sans utilité : l'élève peut se rappeler qu'Abydos est situé sur la rive
asiatique de l'Hellespont, s'il se rappelle seulement que les deux
mots Àbydos et Asie commencent l'un et l'autre par la lettre A. Mais
ce sont là des trucs, plus appropriés à la faiblesse de quelque insti-
tuteur malhabile qu'a la virile éducation donnée par nos bons
maîtres. Je n'ai pas grande confiance dans l'emploi systématique
des procédés mnémotechniques : ils remplissent l'esprit d'une foule
de symboles arbitraires et ridicules qui nuisent au jeu naturel des
facultés. Les dates historiques, pour lesquelles on emploie généra-
lement cette sorte de mécanique compliquée, se graveront plus aisé-
ment dans la mémoire par leurs rapports de causaUlé (1). «
La véritable mnémotechnie est celle qui se fonde sur les
rapports réels, sur les associations naturelles des idées, sur la
méthode et l'ordre logique que Ton doit introduire dans l'ensei-
(1) Blackie, p. 24.
RBVUB PADAGOOIQUI 1883. — lor 8EH. 26
403 UVUI PÉDAG061QCI
gnement. Au contraire, la mnémotechniey qui a pour principe
des rapprochements artiCciels et des rapports de convention,
peut être utile pour assurer la conservation d'un souvenir parti-
culier ; mais elle nuit à la culture générale de la mémoire. Tout
ce qui aide la mémoire, en effet, ne la fortiCe point, et c'est
lui donner de mauvaises habitudes que de lui fournir des appuis
extérieurs, des étais artificiels, qui lui désapprennent de compter
sur elle-même et sur la nature des choses.
Association des idées. — L'association des idées est une des
lois essentielles du développement de la mémoire : en ce sens
que les souvenirs se lient les uns aux autres, que leur liaison
les fixe dans l'esprit; et qu'une fois associés par un lien quel-
conque, il suffit de l'apparition de l'un pour évoquer l'autre.
Voilà pourquoi les études nouvelles qui par l'attrait de leur
nouveauté même excitent l'attention, fatiguent et déconcertent
la mémoire, parce que les idées qu'elles suggèrent à l'esprit
n'y trouvent pas de points d'appui, d'autres idées analogues
auxquelles on puisse les rattacher.
Dans la culture de la mémoire, le pédagogue aura donc à
tirer profit de l'association des idées et de ses divers principes ; les
uns fortuits et extérieurs, comme la contiguïté dans le temps et
dans l'espace, les autres intrinsèques et logiques, comme le rapport
de cause à effet. Plus on établira de rapprochements entre les
connaissances, plus on associera les idées, et plus la mémoire
sera vive et tenace. Saint François de Sales disait sous une
forme piquante : « La bonne manière d'apprendre, c*est d'étu-
dier; la meilleure, c'est d'écouter ; la très bonne, c'est d'ensei-
gner? » Si le meilleur moyen d'apprendre est en effet d'ecsei-
gner, c'est que précisément le professeur est obligé de classer,
de coordonner les connaissances qu'il enseigne et de les sou-
mettre à un ordre rigoureux et méthodique.
Différentes formes de la mémoire. — « On dit la mémoire,
fait remarquer M. Legouvé : on devrait dire les mémoires. » 11
y a en effet la mémoire des faits, la mémoire des mots, la
mémoire des idées, la mémoire des dates, des lieux, d'autres
encore. Et ces diverses mémoires, bien qu'elles ne s'excluent
pas, s'unissent rarement chez le même individu. Tel qui
ÉDUCATION DE LA MÉMOIRE 403
retient imperturbablement une àérie de chiffres et de calculs,
sera incapable de se rappeler les lieux, les formes des objets,
les figures des personnes. Cest Tliabitude, c'est l'exercice
fréquent et répété, qui plus que la nature contribue à déve-
lopper ces dispositions diverses. Chaque profession, chaque
métier tend à favoriser Tune ou l'autre. A l'école, le rôle du
pédagogue doit être de combattre ces spécialisations de la mé-
moire, de ne pas souffrir qu'elle se dévoue exclusivement à
l'acquisition d'un seul ordre de connaissance.
La mémoire, en résumé, doit être développée dans tous les sens
au profit des idées abstraites comme au profit des images et
des notions sensibles. Elle doit être une puissance d'acquisition
souple et générale, qui se prête à tous les travaux de la pensée,
à toutes les occupations de la vie. Si elle n'est que la gardienne
d'une catégorie privilégiée de souvenirs, elle rendra encore des
services, mais des services restreints et particuliers. Elle ne
sera plus la faculté universelle qu'il lui convient d'être, la
servante de l'intelligence, servante d'ailleurs dont on ne peut
se passer.
Gabriel Compayré.
APPEL AUX MÈRES (*)
A PROPOS DES COLOSIES DE VACANCES
II est des fleurs pâles et frêles
Qui croissent entre les pavés,
l>es oisillons qui n'ont pas d'ailes
Pour s'enfuir vers les bois rêvés.
Des enfants qui n'ont pas d'enfance,
Qui jamais n'ont cueilli des fleurs,
Et qui vivent dans l'ignorance
Des plus simples de nos bonheurs.
Petits enfants des grandes villes,
Dans la rue et sur le trottoir
lia vont, traînant leurs pas débiles,
Depuis le matin jusqu'au soir.
Ils n'ont jamais marché dans Therbe,
Sur la mousse au bord des forêts.
Ou, joyeux, rapporté la gerbe
D'épis glanés dans les guérets.
L'air pur, la joie et la lumière,
Il en faut pour s'épanouir
Aux plantes qui montent de terre,
Aux enfants pour ne pas mourir.
(!) Les colonies de vacances^ dont nous nvons parlé dans notre dernier
numôro, ont Inspiro à M™o de Pressensé quelques strophes émues, qu'elles
bien voulu nous autoriser à reproduire, et qui toucheront assurément le cœur
des mères auxquelles elles s'adressent. Ajoutons que M°ie de Pressensé a
commencé par prêcher d'exemple : depuis plusieurs années, Tasile fondé à
Vauglninl par un comité de dames protestantes pour recevoir des enfants dont
les ni(*res sont à l'hôpital passe à la campagne les trois mois des grandes
chaleurs.
Nous sommes heureux de pouvoir annoncer qu'on étudie en ce moment
même, dans plusieurs arrondissements de Paris, la question de l'organisation
de comités qui s'occuperaient de former de nouvelles colonies de vacances,
sur le modèle de colles du IX*" arrondissement. Puisse cette bienfaisante
initiative aboutir à quelques résultats pratiques 1 — La Rédaction,
APPEL AUX MÈRES 40S
Mères, vous qui faites la vie
Si belle à vos joyeux enfants,
Vous dont la tendresse infinie
Les veut si gais et si contents ;
Enfants pour qui l'été ramène
Tous les boniieurs accoutumés,
Qui retrouverez dans la plaine
Les blés d*or, les prés embaumés,
Oh! pensez à ceux qui languissent
Tout Tété dans nos murs brûlants»
Et que des mères vous bénissent
Pour avoir sauvé leurs enfants.
E. DE Pressensé
UN COIN DU MONDE SCOLAIRE A LONDRES
Il y a quelque temps je séjournai à Londres ; c'était
pour affaires, et je n'avais aucun dessein de visiter les écoles.
Mais de môme qu'un vieux cheval de guerre ne peut enten-
dre le bruit du clairon ni sentir Todeur de la poudre sans
hennir et dresser Toreille, — ainsi un vieil instituteur ne sau-
rait passer devant une école sans tenter d'y entrer.
Un jour donc que je revenais des docks de Wapping, sur
la rive gauche de la Tamise, je m'égarai dans les ruelles étroi-
tes et boueuses de ce quartier, l'un des plus pauvres de Lon-
dres. Une rumeur de voix enfantines frappa mon oreille, je
marchai dans la direction, et je me trouvai bientôt devant la
porte d'entrée d'une école de garçons : « St-Johns of Wapping
School », fondée en 1693. L'heure de la classe ramenait juste-
ment les petits écoliers au bercail ; je gravis péle-méle avec
eux un escalier d'une vingtaine de marches, et me voilà
dans la grande classe. Le maître était à son poste. Il me re-
çut avec une extrême courtoisie et me permit sans difficulté
de visiter tout l'établissement.
La salle était vaste et bien aérée : pas un soupçon de mau-
vaise odeur, mais quel pauvre mobilier ! des tables et des
bancs vieux modèle, presque hors d'usage, remontant à l'é-
poque où l'école était un lieu de « carcere duro ». Le maté-
riel d'enseignement ne brillait pas davantage. Cartes de géo-
graphie} médiocres et peu nombreuses. Presque pas d'images
sur les murs, et des sujets peu attrayants. L'examen des livres
m'amena, au contraire, à louer le choix intelhgent du maître,
surtout en ce qui concerne le livre de lecture cou-
rante, lequel est riche en illustrations d'un goût remarquable,
et en historiettes amusantes, sans compter la typographie qui
est superbe.
Le registre de classe, tout grand ouvert sur le bureau, est
tenu avec soin. 11 est intitulé : « Class register of atlendance,
absence and payments, » et renferme toutes les indications
que son titre comporte.
UN COIN DU MONDE SCOLAIRE À LONDRES 407
Les enfants entrèrent en classe au son d'une cloche, si j'ai
bonne mémoire. Ils étaient une centaine de jeunes garçons de
sept à douze ans, tous vêtus décemment quoique pauvrement.
Point de toile ni de coutil, bien que ce fût au cœur de Tôté
et par une journée très chaude, rien que des vêtements de
drap, tous de couleur sombre. La variété des chevelures et
des yeuiL d'enfants introduisait seule des nuances gaies dans
ce tableau à la teinte monotone.
Ils préludèrent par un petit chant religieux, puis se mirent
au travail. La discipline ne me parut pas très ferme dans
St-John of Wapping, non plus que dans les autres écoles que
je visitai par la suite. Craint-on de comprimer trop tôt ces
caractères vifs et fiers, et de briser en eux ce que l'Anglo-
Saxon estime par-dessus tout, le ressort individuel, la volonté?
Peutrétre. On m'assure que la punition du fouet figure tou-
jours sur les règlements scolaires. Soyez certain que c'est de pure
forme, et que jamais baguette ni lanière n'ont effleuré les mem-
bres de ces petits gaillards.
Je dois à l'aimable et jeune peuple scolaire de St-John of
Wapping la justice de dire qu'il usa à mon égard de la même
courtoisie que son maître. Ni mon costume avarié par la pous-
sière d'une longue route, ni mon air exotique, ni l'incorrection
flagrante de mon langage, ni celle plus déplorable encore d'une
prononciation à la française, ne les mirent en belle humeur
à mes dépens. Ces petits yeux vifs et intelligents braqués sur
moi n'exprimaient qu'une curiosité bienveillante, et au départ
de l'étranger, sans attendre le signal du maître, on se leva
spontanément pour im faire honneur. J en ai conçu une bonne
opinion des principes éducatifs de ces jeunes a gentlemen »•
Mis en goût par cette première excursion dans le monde
scolaire, j'en risquai d'autres, et je ne passai plus devant une
école sans y entrer. Je trouvai partout le môme accueil de
la part des maîtres, le même respect de la part des écoUers.
Dans le quartier de White-Chapel, plus pauvre encore et plus
populeux que celui de Wapping, une inscription commémora-
live en lettres d'or m'apprend que les écoles ont été fondées
par le révérend Ralph Da venant, en 1680 (c'est un âge vé-
nérable), et qu'elles sont exclusivement réservées, aux ternies de
408 RRVUB PÉDAGOGIQUE
l'acte de fondation, aux enfants nés ou résidant dans la pa-
roisse de White-Cliapel.
Des soins très attentifs sont pris pour que la fréquenta-
tion des élèves inscrits soit régulière. Voici le fac-similé
d'un billet d'absence recueilli sur place et qui témoigne de
la vigilance des maîtres en pareille matière :
IWliiteeliapel Society*s IVational
BOYS' SCHOOL,
ST. MARY STREET, WHITECHAPEL ROAD.
Mr.<î
Your Son has been absent from Sciiool this Morning, without
leave, contrary to the Rules of the School.
(Signature)
188
Please to rcturn an Answer on the bock of this Notice,
Dans les écoles du révérend Ralph Davenant comme à St-
John, les locaux sont assez vastes, mais médiocrement appro-
priés à leur destination. Le mobilier est défectueux. On ne
paraît pas se soucier des perfectionnements actirellement re-
commandés an nom de Thygiène et de l'expérience. Le mot
comfort a beau être anglais, la chose n'a pas encore pénétré
dans ces régions populaires et scolaires.
Pour la seconde fois, je suis surpris de la pauvreté du ma-
tériel géographique. La géographie, nerf d'une nation colo-
niale et commerçante, serait-elle dédaignée à l'école? Hypothèse
bien invraisemblable. J'en veux avoir le cœur net et, avec
la permission du maître, je demande aux écoliers de tracer
séance tenante, à main levée, la carte de l'AngleteiTe. Tous
aussitôt de tomber sur leurs ardoises et de crayonner rapide-
ment le croquis demandé. Sur ma requête, un écolier s'ap
proche du tableau noir et trace en grand le même dessin.
Les contours tourmentés des côtes, les golfes, les embouchures
UN COIN DU MONDE SCOLAIRE A LONDRES 409
des fleuves, les ports naissent à Yue d'œil sous la craie du
dessinateur. C'est fait de chic (comme disent les peintres)
plutôt qu'avec méthode, et un pédagogue exigeant; aurait plus
d'une critique à faire. Mais l'exactitude générale et relative est
obtenue promptement et sans peine.
Arrivé au Northumberland et au Cumberland, quand il a
indiqué la ligne de la Tweed et les monts Cheviots, Técolier
s arrête, se retourne et cherche de mon côté un regard appro-
bateur.
«
« Ce n'est pas fini, lui dis-je.
— Si, monsieur, » répond d'un air décidé l'apprenti géo-
graphe.
J'insiste, il tient bon. Bref, le maître intervient et m'ap-
prend que, ayant demandé l'Angleterre, et pas la « Grande-
Bretagne », je n'ai pas droit à l'Ecosse, qu'en conséquence l'en-
fant a raison de s'arrêter à la Tweed et aux Cheviots.
Et voilà comment, à faire l'interrogateur et le pédagogue
en pays étranger, on s'expose à recevoir une leçon d'exac-
titude et de précision.
Je m'en consolai par la pensée que j'avais surpris sur le
vif un trait bien marqué du caractère britannique : c'est l'atta-
chement persistant à la nationalité primitive, à la petite patrie
non entièrement confondue dans la grande. Être Anglais et
être Ecossais, ce sont ici choses plus tranchées que ne sont
en France l'état de Breton et celui de Normand, par exemple.
Le natif d'Angleterre est deux fois Anglais, le natif d'Ecosse
n'est Anglais qu'une fois. Voilà ce qu'exprimait, à sa façon
et d'instinct , mon opiniâtre interlocuteur*
Je continue ma revue des livres de lecture courante, et j'en
constate les brillanles qualités matérielles et morales. Ici, l'on
ne met dans les mains des enfants que de charmants petits
volumes au texte clair, bien composé, égayé de vignettes nom-
breuses et intéressantes, empruntées au monde enfantin. Ce
sont, pour la plupart, des scènes de la vie domestique, en-
tremêlées de scènes de la vie des animaux, le tout exécuté
par un crayon habile et consciencieux.
Un régime plus substantiel est réservé aux divisions supérieu-
res. A l'école des filles de White-Chapel, on lisait, quand je
410 RKVCK Pr^DAGOG]QUB
suis entré , le Château de Kenilworth de Walter Scolt ; dans
une autre classe, c'était la Case de Vomie Tom, Les garçons
avaient en main Waverlef/. Garçons et filles seraient bien
coupables de ne pas aimer la lecture.
Dans la classe des garçons on a dicté devant moi un pro-
blème d'arithmétique à résoudre séance tenante. Pendant vingt
minutes je n'ai plus vu que des fronts baissés et plissés, dans
l'attitude de la méditation, que des doigts courant sur les ar-
doises. Le délai légal expiré, il n'y a pas eu de correction
simultanée, ni de démonstration au tableau noir. Le maître
passe dans les bancs, examine de l'œil la solution, approuve
ou condamne : on se serait cru à la fin d'une leçon d'écri-
ture. Cette pratique, qui serait mauvaise si elle était coutumièrc,
provient sans doute delà fâcheuse disposition du local : deux
cents élèves, soit quatre classes, y sont réunis sons quatre ou cinq
maîtres, lesquels, sous peine de ne pas s'entendre, sont tenus
à beaucoup de sobriété en fait de paroles et d'explications. Et
de fait, ils m'ont paru se dépenser moins que nos maîtres
français, demander davantage au travail personnel, à l'initiative
individuelle des écoliers : ce n'est pas un tort.
Je profite des vingt minutes de silence qu'exige la confection
du problème pour feuilleter, sur le bureau du maître, quel-
ques volumes de géographie et d'histoire qui s'y promènent
en compagnie de beaucoup d'autres, dans un désordre extra-
scolaire.
Voici une description de Paris que je note au passage,
dans le Foncin ou le Cortambert de l'endroit :
« C'est une vaste, gaie et splendide ville, remplie de belles
rues, de monuments, de jardins publics, environnée de char-
mantes promenades, dans lesquelles les habitants prennent
beaucoup de plaisir (in which the inhabitants take great
delight) ; car c'est nn aimable peuple qui a le goût
des amusements de toute sorte, et qui passe une grande par-
tie de son temps en plein air (1) .»
C'est sur le même ton agréable, mais léger, superficiel, sans
aucun effort pour serrer de près la réalité, que Tauteur parle
U) Descriptive Geography^ fouHh book of lestons for the use of school.
UN COIN DU MONDE SCOLAIRE A LONDRES 411
de Marseille, de Bordeaux, de Rouen, de Nantes, a Port de
mer très commerçant », telle est la formule banale qui con-
tente l'auteur. Pas un mot, presque pas un chiffre pour donner
ridée de Timportance relative de chacun de ces ports, de ses
relations, des sources de sa prospérité.
Même reproche, et plus grave encore, à l'égard de certains
livres d'histoire. Voici ce que les enfants d'une des classes de
While-Chapel apprenaient de la Révolution française et du règne
de Napoléon I*»^ :
« Eo 1789, la révolution éclata en France ; elle mena à une
grande guerre continentale où les Anglais remportèrent beau-
coup de victoires.
» Ijqs plus importantes batailles sur (erre furent la bataille
d'Alexandrie, où sir Ralph Abercromby fut mortellement
blessé (1801) ; la Corogne, où sir John Moore fut tué (1809) ;
Salamanquc (1812), Vittoria (1813), et Waterloo (1815), où
le duc de Wellington se distingua grandement. A la bataille
de Waterloo, Napoléon Bonaparte fut entièrement défait et
l'armée française mise en pièces. Les pertes de l'armée an-
glaise furent très grandes (1) «.
On remarquera, à propos de Waterloo, l'omission abso-
lue du nom de Blûcher et des Prussiens, dont l'action empo-
cha Wellington d'être écrasé et changea un désastre en
triomphe. Cette élimination de tout ce qui n'e>st pas anglais
parait systématique chez l'auteur que nous citons. Elle est
pratiquée sur une grande échelle à notre égard. Témoin ce
récit de la guerre de l'indépendance des colonies d'Amérique :
« Sous le règne de Georges III les colonies anglaises d'Amé-
rique se révoltèrent à propos d'une taxe qui leur parut in-
juste. Les généraux anglais durant cette guerre lurent Howe,
Burgoyne, Clinton et lord Cornvirallis. Le général américain
fut George Washington. L'Amérique fut déclarée indépendante
en 1783. »
De l'intervention du cabinet français, des exploits de La-
fayette, de Rochambeau et autres, des négociations qui abou
tirent au traité de Versailles, pas un mot.
(1) Uislory of England^ by BarUara Bartlett.
4(2 REVUE PÉDAGOGIQUE
La justice qous oblige à dire que tous les manuels scolai-
res ne sont pas rédigés dans un esprit aussi étroit. J'ai
feuilleté à White-Chapel même une « Brief history of England »,
sans nom d'auteur, où les faits sont exposés avec plus d'am-
pleur, d'intelligence et d'impartialité. Ce livre appartient à
la collection dite « Royal School Séries «, dont plusieurs vo-
lumes se reconunandent par d'estimables qualités.
Il y a une manière fort commode d'étudier tout à son aise
les livres classiques que l'Angleterre met aux mains de ses ^i
fants, c'est d'aller à la « Bibliothèque d'éducation » qui
fait partie des collections du Kensington-Museum. On y trouve
une exhibition bien curieuse d'alphabets anciens, de livres
illustrés remontant aux premiers temps de la gravure sur bois.
Quelques-uns portent témoignage de l'esprit pratique qui, en
poUtique comme en éducation, n'a presque jamais cessé d'in-
spirer nos voisins.
Dans la salle de lecture de cette bibliothèque d'éducation,
les éditeurs de Londres et du Royaume-Uni ont des casiers
où ils déposent leurs principales publications scolaires. Le pu-
blic est par là mis à même de comparer et de choisir.
En feuilletant la collection des livres destinés aux collèges,
j'ai rencontré un petit volume intitulé « France moderne »,
par Oscar Browning, fellow de King's Collège, d'où j'ai extrait
les lignes suivantes :
« La France a été appelée le laboratoire de la civilisiilioa,
c'est-à-dire qu'elle est la contrée où les expériences sociales
et politiques sont tentées au bénéfice des autres pays et des
autres générations. »
Pas mal jugé, n'est-ce pas ?
Les littératures étrangères sont en honneur dans les col-
lèges anglais. Une publication bien entendue et bien menée
en met les principaux chefs-d'œuvre à la portée des jeunes
lecteurs (1). Dans chaque volume, l'auteur de l'édition passe
en revue les principaux événements de la vie de l'écrivain,
expose les caractères particuliers de son talent et y joint de
nombreuses citations.
(1) Foreign classics for Ënglish reiden, edited by M. Oliphant.
UN COIN DU MONDE SCOLAIRE A LONDRES 413
La collection comprenait Dante, Voltaire, Pascal, Pétrarque,
Goethe, Molière, Montaigne, Rabelais, Calderon, Saint-Simon,
Cervantes, madame de Sévigné, madame de Staël ; elle a dû
s'enrichir depuis.
Voici les titres des chapitres du volume consacré à Mo-
lière :
« Sa jeunesse. — Ses premiers essais dramatiques. — Ses pre-
miers succès. — Son midi. — Ses trois grandes comédies (Mi-
santhrope, Tartuffe, Avare). — La fin de sa vie. — Ses der-
nières œuvres. »
Le volume consacré à Saint-Simon comprend les divisions
suivantes :
« Famille de Saint Simon. — Saint-Simon à l'armée. — Versail-
les. — Princes et princesses. — Madame de Maintenon. —
Saint-Simon à la cour. — Jésuites et jansénistes. — La suc-
cession d'Espagne. — Les provinces. — Meudon et Monsei-
gneur (le dauphin). — Le duc et la duchesse de Bourgogne.
— Derniers jours de Louis XIV. — Le Régent. — Le cardinal
Dubois. — Saint-Simon dans la retraite. »
Il nous semble qu'avec de légères retouches, ces tables des
matières fourniraient un excellent sommaire de cours de lit-
térature pour nos écoles normales. L'esprit d'analyse et l'art
d'abréger s'y montrent à un degré remarquable. Une collec-
tion d'auteurs français conçue dans cet esprit rendrait en
France de réels services.
H. D.
UNE ACQUISITION DE LA BIBLIOTHÈQUE
DU MUSÉE PEDAGOGIQUE {*)
La bibliothèque du Musée pédagogique vient d'acquérir un livre
d'écolier du commencement du xvi« siècle, d'une édûtion extrême-
ment rare, et qui est en même temps un document précieux pour
l'histoire de l'enseignement à une époque de crise. C'est un mince
in-quarto, imprimé en 1510 en caractères gothiques, à Cracovie,
chez Jean Haller. Il contient deux opuscules de Lefèvre d'Etaples
qui font partie de l'ensemble do ses travaux pour les candidats à
la licence es arts, et qui font connaître sa méthode d'enseignement.
Le premier est un Dialogue dont l'objet est d'expliquer une courte
Introduction à la physique d'Aristote qu'il avait auparavant composée;
le second est cette Introduction elle-même.
Je commencerai par donner la description détaillée que les deux
pièces imprimées par Haller méritent à cause de leur rareté. II
faudra dire ensuite quelques mots sur l'université dç Cracovie, pour
les écoliers de laquelle a été faite l'édition qui nous occupe, et sur
l'imprimeur Haller qui a rempli auprès de cette université un rôle
considérable et qui n'en a pas moins été oublié dans la Biographie
universelle et dans la Nouvelle Biographie générale. Enfin (et ce sera
l'objet principal de cette étude), j'examinerai nos deux petits livres
au point de vue pédagogique, en ne craignant pas de donner sur
leur auteur et sur les études de sen temps les renseignements sans
lesquels on ne pourrait avoir, une idée claire de son œuvre.
I
1» Le dialogue. — Après un feuillet blanc : Dialoijus Jacobi/Fahrî
Stapulensis in/phisicam introdu/ctùmem. Au-dessous de ce titre une
gravure sur bois achève de remplir la page et en occupe au moins
les trois quarts. La moitié supérieure de cette gravure présente
l'aigle de Pologne sur un écu soutenu à gauche par un lion et à
( 1) L'arlicle ci-après sort un peu du cadre dans lequel la Revue pédago-
gique s'est enfermée jusqu'à présent. Toutefois, comme la bibliothèque
dû Musée pédagogique comprend des ouvrages scolaires de toutes les époques
et de tous les ordres d'enseignement, il nous a semblé qu'une étude consaen^e
à un livre classique du xvr siècle — bien qu'il s'agisse d'un livre latin (il
n'y en avait pas d'autres alors) — ne serait pas déplacée dans ce recueil.
— La Rédaction,
UNE ACQUISITION DB LA BIBUOTHÈQUB DU MUSÉB PtDAGOGIQUB 415
droite par une licorne. La moitié inférieure se compose de deux écus
de même grandeur, mais tout seuls, l'un à gauche sous le lion,
l'autre à droite sous la licorne ; ils sont séparés par un vase noir,
un peu plus petit, sur lequel se détache en blanc un monogramme
et d'où sort un arbuste sans feuilles. On sait (1) que la marque da
Ualler comprenait les armes de Pologne, de Lithuanie et de Cra-
covie. En efifet, Técu de droite contient le cavalier lithuanien, et
les trois tours sous une porte, herse levée, de Técu de gauche ne
peuvent être que les armes de la ville de Cracovie. Quant au mono-
granune en blanc sur le vase, c'est celui de Jean Ualler. 11 se coiq-
pose d'une h terminée à son sommet par une croix et traversée par
un I (i).
Au verso du même feuillet est le Prologus Jaoobi Stapulensis in
Phisices irUroductorios dialogus (au lieu de diolo^). Puis vingt-quatre
feuillets de texte avec deux figures. Pas de pagination, mais seule-
ment des indications relatives aux feuilles d'imprimerie. A la fin :
Dyalogus Jacobi Fabri Stapulensis In Phisicam introductionë Impressus
regia in ciuitate Cracouiensi, Impensis spectabilis viri domini Johannis
Ualler ciuis cracouiensis. Anno scUutis nostre, Millesimo quingeniesimo
decimo. Un feuillet blanc.
^ L'introduction. — Jacob» Scapulensis /introductiones in lUrot
phisicorû/ et de aîa (anima) aristotelis cû Jodoci neo/ portuësis annota-
tionibus déclara/ tib* (declarantibus) câdide dicta singula obscuriora
tpr(ipsiu8) tn<roc/uc<ôt«(introductlonis). Au-dessous la même gravure
sur bois. On remarquera que ce titre annonce deux Introductions,
l'une aux livres d'Aristote sur la physique, l'autre à ses livres sur Tftme.
Au verso, une recommandation de l'ouvrage au lecteur, par un
maître es arts de Cracovie. Gregorius Sthauischyn arciû Uberaltû
magister studii Cracoiuësis lectori salutem. Celte recommandation
remplit la page. Le leuillet suivant est rempli au recto par la pre-
mière et principale figure du Dialogue.
Ce qui précède se rapporte aux deux Introductions. Maintenant, au
verso du feuillet occupé par la figure, on lit les deux titres suivants,
dont le premier se rapporte à l'Introduction à la physique seule,
mais en y comprenant le texte de Lefèvre et les éclaircissements
de Jodocus (Josse Clictou), tandis que le second n'a trait qu'au
texte de Lefèvre : Introductio in phisicam aristotelis. /Introductoriû
stapulen in phi/ sicam Aristotelis. Suit immédiatement le texte de
l'Introduction, divisé en sept paragraphes, entre lesquels sont inter-
calées, en caractères plus petits mais toujours gothiques, les expli-
(1) Panzer, t. IX, p. 230-1, n* 7 eipassim.
(2) Dans un autre livre de Ualler qui se trouve à la Bibliolhèque natio-
nale et dont je parlerai un peu plus loin, la même marque est notablement
simpUliée et réduite. Il est vrai qu'il est de 1532.
416 REVUE PÉDA6OGI0CB
cations de Josse Qictou. Texte et explications remplissent dix-sept
pages et demie, et se terminent par l*avis suivant : Impresse sunt
he inlroductioncs in libres phisicorum ArisioteUs regia in ciuitate cra-
couiensi. Impensis spectahilis viri dni Johannis haller, Anno salutis
nostre millesimo quingêtesimo decitno. Deux feuillets blancs.
L'Introduction au livre de l'âme, annoncée dans le titre général
de ce second opuscule, manque dans notre volume. Mais, comme je
l'ai déjà dit et comme on le verra mieux plus tard, l'Introduction a
la physique et le Dialogue se correspondent et forment un tout.
Panzer ne connaît pas l'édition polonaise du Dialogue. Il signale
les Introductions et en donne le titre général (t. VI, p. 452, n9 36).
Vimpresse sunt final qu'il transcrit est évidemment celui qui se
trouvait à la suite de l'Introduction aux livres de l'âme (1). La
Bibliothèque nationale a récemment acquis une autre édition de
l'Introduction aux livres de l'âme, publiée aussi à Cracovie et aux
frais de Haller, mais seulement en 1522 (Réserve pR 202). Panzer
ne la signale pas (2).
Les ouvrages de Lefèvre d'Etaples sont rares. Si j'ai bien consulté
les catalogues, il n'existe aucune édition de notre Dialogue et de
notre Introduction aux Bibliothèques de l'Université, Mazarine, de
l'Arsenal, Sainte-Geneviève. La Bibliothèque nationale (3) les possède
dans un petit et épais volume, publié à Paris en 1504 chez Henri
Estienne premier, où ils se trouvent avec d'autres traités de Lefèvre
sur « la philosophie naturelle », et dont elle a fait récemment l'acqui-
sition (4). Voyons maintenant comment ils ont pu être réimprimés
si loin de la France, pour les écoliers de Cracovie.
(1) In fine : impresse sunt he inlroductiones in Ubros phisicorum et de
anima Aristotelis regia in Civitate Cracoviensij impensis spectahilis viri
domini Johannis Haller anno salutis nostre millesimo quingentesimo decimo.
Sortite sunt felicem finem in vigilia gloriose resttrrtctionis Domini,
(2) M. Graf, dans le très utile catalogue des œuvres de Lefèvre d'Etaples
qnUl donne à la lin de rédition allemande (1852) de sa consciencieuse mono-
graphie de Lefèvre, mentionne une édition de in Aristotelis octo Physicos
libros paraphrasis etc., k Cracovie, aux frais de Haller et par les soins de
Sthavischya. Il se réfère à la Bibliothèque grecque de Fabricius. Celte indi-
cation est bien générale. Je crois qu'il y a là une confusion et que ce n'est
pas de la paraphrase de Lefèvre qu'il s'agit, mais de ses introductions, ce
qui est bien différent.
Outre Panzer, j'ai consulté l'ouvrage de Hoffmann sur l'imprimerie polonaise
dont il sera question plus loin ; il n'y est rien dit de nos deux traités. J'aurais
voulu aussi consulter l'histoire de l'imprimerie à Cracovie, en polonais, 1819,
signalée dans la table de Brunet, et utilisée par Deschamps dans son diction-
naire géographique, mais elle n'est pas à la Bibliothèque nationale.
(3) Je saisis cette occasion de renouveler mes remerciements à MM. les
bibliothécaires des bibliothèques publiques de Paris, à l'obligeance desquels
je suis depuis longtemps habitué.
(4) In hoc opère continentur totiw phylosophie naturalis paraphrases^ hoo
OHE ACQUISITION OS LA BIBLIOTHÈQUI DU MUSÉK PÉDAGOGIQUE 417
li
Cracovic, ville populeuse et commerçante, où Ton avait attiré les
Allemands par de grands privilèges, était au temps de notre édition
polonaise, en 1510, la capitale de la Pologne et le siège d*uae uni-
versité déjà plus que séculaire (1). Les Polonais continuaient sans
doute à fréquenter les universités d'Italie et d'Allemagne, ainsi que
celle de Paris où ils étaient classés avec les hauts Allemands (2) ;
mais, par un courant contraire, des étrangers, maîtres ou écoliers,
dont quelques-uns ont laissé un nom, se rendaient aussi à l'univer-
sité de Cracovie, qui était réellement florissante. L'étude de la phi-
losophie d'Aristote et surtout celle dé la dialectique y tenaient, comme
on va le voir, une grande place. 11 ne pouvait guère en être autre-
ment, étant donnés le caractère et le programme de la faculté des
arts, qui étaient à peu près les mêmes dans toutes les universités.
Mais le mouvement littéraire de la Renaissance se fit sentir dans ce
milieu d'assez bonne heure. Un des moyens les plus sûrs de se
représenter la physionomie de cette université entre 1500 et 1510
est encore de prendre pour point de départ, dans les annales typo-
graphiques de Panzer, les catalogues si instructifs et si vivants (à
cause du nombre des livres et de l'ampleur des titres) où sont énu-
mérées, année par année, les productions de l'imprimeriede Cracovie(3).
ordine digeste: octo physicorum Arislotelis paraphroiis. Quatuor de celo et
mundo completorum paraphrasis, Tfium de aninia completorum paraphrasis ,
Libri de sensu et sensibili paraphrasis. Libri de somno et vigilia paraphra-
sis. Libri de tongitudine et brevitate vite paraphrasis. Dialogi insuper ad
physicorum ium facUium tum difficilium inteUigentiam introductorii duo. In^
troduciio ntetaphysica. Dialogi quattuor ad metaphysicorum inteUigentiam
introductorii. — A la lin : impressum in aima Parhisiorum achademia per
Henricum slephanum in vico Clausi Brunelliet regione Scolarum Decretjruin
aano Christi^ piissimi saivatorisj entis enlium summique boni 1304^ serunda
die decembris. Caractères gothiques, 348 feuillets numéroU>s. (Réserve de la
Bibliothèque nationale, pR 197). — Une édition déjà en 1501, Panzer, t. VI,
p. 500, n» 5. — La paraphrase sur la physique, 149Î, Panzer.
(1) Pour l'université de Cracovie, voir Tableau de la Pologne, par Malte-Brun,
nouvelle édition par L. Chodzko; et J. D. Hoffmann, de Typographiis earum-
que initiis et incrementis in regno Poloniœ et magno ducatu Lithuaniœ,
Dantisci, 4740,4*, Ce dernier travail, quoique incomplet, parait solide et digne
de confiance. Le tome 11 du Tableau de la Pologne contient des Fragments
sur la Utlérature ancienne de la Pologne par M. Podczaszynski, où Ton trouvera
p. 344 ss., p. 441 ss., beaucoup de renseignements curieux; mais le patrio-
tisme de l'auteur l'empêche quelquefois de voir juste. C'est ainsi qu'il réduit
à rien l'intluence allemande sur la civilisation polonaise, et qu'il fait Tuai-
versité de Cracovie beaucoup trop étrangère à la scolastique.
j(2) Du Boulay, lU, 560.
(3) Surtout t. Vi, depuis 1500.
aiVUB PiDAGOOlQDI 1885.— 1er SIM. 27
418 , RI VUE l*ÉDA«06IQUfi
Dans la facullé des arts, le grand nom étail alors celui de maître
Jean de Glogow (i), membre ou collégial (2) du grand collège des
artistes, magister alinœflorentiasimcBque universitalis sltidii Craooviensis ;
majùrù ooUegii ariistarum œUegiatus. il publie des traités élémen-
taires de grammaire, de logique et de philosophie naturelle, mais
surtout de logique. Le franciscain Thomas Mûrner, né à Strasbourg,
maître es arts de Paris, bachelier en théologie de Cracovie, et qui
devait se rendre fameux par ses prédications et ses poésies satiriques^
enseignait alors aussi la logique dans notre université. Pour faciliter
à ses élèves Tintclligence ou plutôt la mémoire des plus subtils
détours de la dialectique, il la leur enseignait au moyen d'un jeu
de cartes. On le soupçonna de magie : il publia sa méthode, et
c'est à Cracovle que parut la première édition de ce curieux
ouvrage, en 1507: Chartiludium logice, seulogicapoeticavel memorativa
cum jocundo pictasmatis exercitamento, pro communi omnium «tu-
dânUum uUlitate (3). L'importance qu'on donnait dans ce temps à la
mémoire est encore attestée par l'ouvrage suivant qui avait paru
dans la même ville en i50i : Opusculum de arle memorativa longe
utiliisimum in quo studiostts lector tam artificialibus pr^ceptis quam
naturalibws medicinalibusqne documentis memoriam suam adeo fovere
dimxt ut quecunque vel audita vel lecta ilU œmmendaverit tanquam in
mlla penaria diutissime œnservaturus sit (4).
Les mathématiques et l'astronomie, qui faisaient partie de rensei-
gnement de la faculté des arts, donnaient aussi lieu à un certain
nombre de publications. Jean de Glogow faisait paraître une
introduction sur l'abrégé de Pfolémée par Sacrobosco, qui devait
demeurer si longtemps classique. Du maître de Jean de Glogow, Michel
de Breslau, comme lui membre du grand collège des artistes, on
imprimait et réimprimait un Introductorium astronomiœ, craœviense élu-
cidons almanach, 150G et 1507. C'est à l'université de Cracovle que
Copernic avait pris le goût de l'astronomie. Après y avoir passé cinq
ans (1492-1497), 11 l'avait quittée, mais non oubliée, car s'il garda
son système inédit jusqu'à sa mort, en revanche on le voit faire
paraître à Cracovle en 1509, un an avant notre édition des opuscules
de Lefèvre, une traduction latine des ÉpUres morales, rurales et amou-
reuses de Théophylactc.
C'est précisément la logique, les mathématiques et la philosophie
de la nature qui occupaient à Paris Lefèvre d'Etaples. Pour compléter
le tableau de l'activité des études à Cracovle, il faut sans doute
signaler la rhétorique à Herennius (1500), un Hortulus elegantiarum
(1) Mort en 1507.
(2) Voir eu CaDge à Collegiatus,
(3) Panzer, t. VI, Craeovie, n- 23.
(4) I^anzer, ibid. n* \\. — Pour tout ce qui suit voir au même t. VI^
Craeovie.
UNfi ACQUISITION DK LA BIBLIOTHÈQUE DU MUSÉE PÉDAGOGIQUE 419
aeademiœ cracoviensis studenU'bus dicatus (1502), un Hésiode latin'
(IS06), deux discours de Cicéron (lo07), un Eutrope (1510) et
quelques traités ou modèles de Tart éplstolaire, si cultivé en ce
temps-là. Mais à Craco?ie comme à Paris la place occupée par les
bdlles-lettres était encore des plus modestes.
Celui qui faisait imprimer à ses frais ou qui imprimait la presque
totalité de ces ouvrages, et se rendait ainsi tellement utile à Tuni-
versité, le libraire Jean Ualler, était un riche et considérable person^
nage. On pourrait faire un catalogue des épithètes honorifiques
dont il se gratifie et qu'il varie sans se lasser, a Aux frais de très
excellente et très courtoise personne, messire Jean Haller, bourgeois
de Cracovie, le parfait patron des savants » (ad impensas optimi huma'
nmimique viri, doniini Johannis Haller, civis Cracoviensis virorum doC"
torum fauloris excellentissimi). il est tantôt illustre f/amà<u5j, tantôt
discret, avisé, sans doute ce qu'on appelait (n sage et discrète per-
sonne > (circumspectus, providus) ; assez souvent a considérable « (spec-
tabilis) comme dans nos deux opuscules. D autres fois, il a bien mérité
de la cité (ejusdem civitatis cives admodum bene meritos), ou il est
d'une honôteté éprouvée {spectatae inlegritatis). J'en passe. Ses
imprimeurs ne s'oublient pas. « Par l'habile imprimeur Georges
Stuchs » (per solertem Ubroruin impressorem Georgium Stuchs), « aux
frais de très excellente et très courtoise personne, messire Jean
Haller, o etc., « et par l'art d'habile homme Gaspar llocfeder » (arte
autem solertis viri Casparis Hocfeder).
Quand la dépense lui paraissait forte, il le disait. Une fois au
moins il prit un associé pour l'aider a la supporter (summa industria
et impensa,,, non mediocri cura et impensa., tmpensis non modicis..
impensis sumptuet opéra,, impen sis autem Johannis U aller et Sebastiani
Ifyber ejtisdem civitatis cives admodum bene merilos). D'ailleurs, non
moins fidèle à sa qualification d'avisé qu'à celle d'honnête, il n'ou-
bliait pas de se faire accorder des privilèges pour ces publications
qui l'obligeaient à d'aussi grosses dépenses. On connaît un missel de
lui, sans date (1), qui remonterait d'après M. Deschamps (art. Cra-
covie) à 1475, ce qui est beaucoup. Défense est faite dé par l'évêque
de Cracovie à tous autres de l'imprimer, sous une peine déterminée
(sub certa indiria pena). Nous savons aussi qu'antérieurement à 1506
il avait obtenu, cette fois du roi de Pologne et de son conseil, un
privilège en vertu duquel il était interdit sous une peine sévère de
faire imprimer aucun de ses livres à l'étranger et de les introduire
dans le royaume (quem quidem librumet alios quoscumque per pi œ fa-
tum Ualler ea leje impre&sos quisque nossa débet : ut nemo illos alibi
fjeatium exaratos : reijno introducat eosque vénales habeat gravi sub
poena : ac eorundem libroi-um amissione vigore privilegii : ipsi Haller
per sacram domini régis Pohniœ majestatem desuper gratiose ex con-
(Ij PaDzcr, t. IX, p. Î30, n* 7.
420 aiVUI PÉDAGOGIQUE
êilio sue serenitatis consiliariorum concept : prout fuK idem priviiegium
lalius continet, Panzer, t. VI, p. i50 ea 1506). II lui fui d'autanl plus
facile de poursuivre les contrefacteurs du dedans et la contrebande
qu'on le trouve en 151 6 et 1 523 (1 ) consul (bourgmestre ?) et en 1524 (2)
conseiller (ejusdem civitalis a consiliis). Même d'après Hoffmann (3)
on le trouve déjà consul en 1508, et peut-être Tavait-il été aupara-
vant. Avec sa fortune, son privilège et ses dignités, entouré des
imprimeurs Georges Stuchs, Gaspar Hocfeder, Florian Ungler (ces
deux derniers imprimant aussi pour leur propre compte) qu'il
emploie, soit avant d'avoir lui-même des presses, soit comme auxi-
liarres de ses presses; faisant avec candeur étalage de son impor-
tance, Téditeur de Gracovie n'est pas sans garder une physionomie
dlstinclive parmi ses grands confrèresdu commencement duxvi® siècle.
Faul-il lui accorder la gloire d'avoir introduit l'imprimerie à
Gracovie et en Pologne ? ou bien y avait-il été précédé par Georges
Stuchs ? Quoi qu'il en soit, on ne peut lui refuser le mérite d'avoir
affermi et fait prospérer le nouvel art au moyen de ses capitaux, de
son activité et de son habileté. Il était Allemand et de Nuremberg,
comme ses deux premiers imprimeurs Stuchs et Hocfeder. Les
marchands de Nuremberg, dit Hoffmann (4), affluaient alors à Gra-
covie et y importaient les objets de première nécessité et de luxe.
Sur le missel de 1475, Georges Stuchs est appelé le « concivis nurm-
bergensis » de Haller. Après ce témoignage il est inutile de remar-
quer avec Hoffmann (5) que les caractères employés par Haller sont
semblables à ceux du Nurembergeois Krobinger qui conserva long-
temps les grossiers caractères gothiques. Et d'ailleurs il faudrait
alors établir une distinction entre les livres de Haller lui-même et
ceux qui tout en portant sa marque et tout en ayant été publiés à
ses frais sortaient des presses de ses imprimeurs.
Quant au gothique et à la grossièreté des caractères, la remarque
de Hoffmann n'est que trop fondée, du moins à en juger par nos
deux opuscules. 11 est fâcheux qu'en lolO un protecteur des lettres
comme Haller se soit contenté de cet outillage. L'impression des deux
petits livres de Lefèvre d'Etaples est Irrégulière et fatigante. De plus
elle est défigurée, dans le Dialogue, par de nombreuses fautes, qui
m'auraient souvent rendu difficile l'intelligence du texte si je n'avais
eu comme moyen de comparaison l'édition parisienne de 1504. Sans
doute elle est aussi en caractères gothiques et ses abréviations sont
encore plus elliptiques que celles de Haller ; mais son aspect général
est net et surtout elle confirme d'une manière heureuse ce qu'on
(!) Panzer, t. VI, Cracovie.
(2: Ibid.
13) Page 5.
i*: ^ à.
CNI ACQUISITION Dfi LA BIBLIOTRÈQUI DU MUSÉC PÂDAGOGIQUI iH
sait de Tattention de Henri Estienne premier à donner avant tout
des textes corrects (1).
On peut suivre dans les annales de Panzer la longue carrière de
Jean Haller depuis la fin du xv^ siècle jusqu'en 15fô au moins (2). Cette
année encore il parut un livre opéra domini Johannis Haller (3). De
1526 à 1528 les publications qui portent son nom ne sont pas formel-
lement données comme ayant été faites par ses soins, mais seule-
ment comme sortant de sa maison ou de sa boutique (ex cedibuiy
ex officina). Cependant l'indication du n? 187 en i^SS : in œdibus
spectabilis viri domini Johannis Haller, permet de supposer qu'il vivait
encore, puisqu'il est traité de personnage considérable. Si l'on peut
réellement faire remonter ses débuts jusqu'en 1475, il aurait présidé(4)
aux destinées de rimprimerie polonaise pendant un espace de cin-
quante-trois ans.
11 est naturel qu'une université florissante et pourvue d'un libraire
habile et actif (qu'on voit réimprimer plusieurs ouvrages des meil-
leurs auteurs étrangers) se soit enrichie d'une édition locale de
certains traités d'un maître de Paris qui était alors en grande répu-
tation. Jean Haller, qui détestait tant la contrefaçon et la contrebande,
demanda-l-il à Henri Estienne et à Jacques Letèvre leur agrément?
Quoi qu'il en soit, par ce qu'on sait des relations de Lefèvre avec
un ou deux Polonais qui étaient correcteurs d'imprimerie (5), on
peut soupçonner qu'il y eut des rapports entre le maître parisien
et l'université de Cracovie. Je n'entreprendrai pas de percer ces
obscurités. Arrivons à nos deux opuscules pris en eux-mêmes.
Je dirai d'abord à quelle partie du programme de la faculté des arts
ils répondaient et comment ils en modifièrent avec bonheur la forme
et non le fond, en rétablissant la véritable pensée d'Aristote, sans^
chercher à ébranler son autorité. Ensuite, après avoir constaté leur
succès et essayé de montrer comment leur auteur était anîvé à sur-
passer en science philosophique ses contemporains français, je ter-
minerai par une courte exposition de sa méthode et par la traduc-
tion du commencement de son dialogue.
(1 ) Voir l'éloge que lui donne à ce sujet Lefèvre d'Etaples dans la préface
du Dialogue et que l'édition de Cracavio reproduit sans se douter de Tépi
gramme qu'elle se décoche ainsi à elle-même. Voir aussi Renoaard, Annales
de rimprimerie des Estienne.
(2) Et non jusqu'en 1521, comme le dit M. Desehamps dans l'article d'ail-
leurs si intéressant Cracovie, où nous avons trouvé des indications utiles.
(3) T. VI. Cracovie, n« 160.
(4) Non comme unique imprimeur. J'ai nommé ceux qu'il employait et dont
les deux derniers, Ungler surtout, devaient de plus en plus rivaliser avec lai.
(5) L'un, Jean Solidus, signalé par Onif p. 11 de son Essai français sur
lefèvre d'BUples, 1842. Je me demande si le Boleslai dont il est question
dans la pré&ce du Dialogae adressée par Lefèvre à Henri Estienne ne serait
pas un Polooais.
éSLi MVUI FiDAGOGIQUK
III
Nous n*avoos à considérer dans Lefëvre d'Ëlaples ni le précorseur
de la Réforme, ni le traducteur des Écritures; même la plus grande
partie de ses travaux sur Aristote doit nous échapper. Il ne s'agit
ici que des plus modestes de ses écrits, à classer parmi les livres
qu'il a composés pour les écoliers de la faculté des arts. On n'y
retrouvera pas moins indépendance de son esprit et quelque chose
de son àme tendre et mystique.
On sait que renseignement de la faculté des arts correspondait à
peu près à notre enseignement secondaire. La licence es arts, pré-
cédée elle-même d'un baccalauréat, équivalait pour Timporlance à
notre baccalauréat es lettres : elle était exigée pour l'entrée dans
les facultés de théologie et de médecine (i). L*étude principale dans
la faculté des arts était celle des livres d' Aristote, à laquelle on
se hâtait d'arriver après avoir tant bien que mal appris assez de
latin pour être en état de suivre les cours et de participer aux
exercices. La logique était la principale matière de l'examen du
baccalauréat (2), qu'on pouvait subir dès l'âge de quatorze ans (3)^
Lefèvre a fait pour les écoliers qui se préparaient à obtenir ce pre-
mier grade des introductions que nous devons mentionner en
passant. Quant à l'examen de liceace, auquel on ne pouvait se pré-
senter que si l'on était bachelier depuis un an et qui nous intéresse
d'une façon particulière, puisque nos opuscules font partie d'une
série d'ouvrages que Lefèvre avait composés pour les candidats à
cet examen, il avait été longtemps purement logique (i). Mais
depuis la Gn du xv« siècle, l'étude des traités d'Aristote sur ce qu'on
appelait la philosophie naturelle y dominait, et les candidats à la
licence étaient couramment désignés sous le nom de physiciens (o).
£n prenant leur programme tel qu'il existait en ii5â, depuis la
réforme du cardinal d'Estoutevilie sous laquelle vivait Lefèvre
d'Etaples, nous voyons qu'on pouvait le décomposer en trois parties :
étude de la nature, morale et mathématiques. Chacune de ces parties
a été l'objet des soins de Lefèvre (0). lit philosophie naturelle, la
(1) Thurot : De Corganisalion de l'enseignement dans tuniversité au moyen
Age, p. 125 et p. 180.
(2) Idein, p. 51, ht. L'autre uiatièrd était la grammaire, ibid.
(3) Ideni, p. 37.
(4) Idem, p. 51.
(5) Idem, p. 101.
(6) Voir le catalogue de ses œuvres dans : Jacobus Faber Stapulensis, ein
Beitrag zur Geschicfiie der Reformaiiûn in Frahkreich, par H. Graf, 1852,
p. 222 ss. Cet eicellent travail se trouve dans la Zeitschrift fUrdie historische
Théologie, J'avais renoncé à la possibilité d'en prendre connaissance, quand
UNE ACQUISITION DC LA BI»LI0TBÈQC1 DU MUSÉE PÉDAGOGIQUE 433
plus considérable de ces trois parties et la seule qui nous intéresse
ici, compr^oi^t les livres suivants d'Arislote que les candidats k la'
licence devaient avoir entendujs : la Physique, le De generatione et
corruptione, le De coelo et mundOy le De semu et sensato, le De me^.
moria et reininitcentia, le De longitudine et brevitate vitœ, et la méta-
physique (i). Ouvrons maintenant le petit et épais volutne, d*iin
format tout à fait maniable, qui parut en 1504 chez Henri Estienne pre*
mier. Son titre nous promet a les paraphrases de toute la philosophie
naturelle », et les 348 feuillets du volume contiennent en effet l'expli-
cation ou l'analyse par Lefèvre des traités d'Aristote exigés pour la-
licence. Il est vrai que le De generatione et le De memoria et remini^
scentia du programme de i452 y sont remplacés par le De anima
et le De gomno et vigil a. Mais ces dilTérenccs, qui s'expliquent très
probablement par une modification que Tusage avait pu introduire-
en un demi-siècle, ne laissent aucun doute sur l'intention générale
de Tauteur. Or, c'est dans le corps de ce livre que nous trouvons, -
comme nous l'avons déjà dit, notre Introduction et notre Dialogue
relatifs à la physique.
En général, on n'apprécie pas assez ce que le moyen âge dut à
Aristote pour le développement des connaissances et de de la pensée.
Cependant, de nos Jours encore, sans parler de l'ouvrage magistral
sur sa métaphysique et de la traduction de ses œuvres complètes,
qui contribuent à Thonneur de notre siècle, non seulement on main-
tient l'étude de ses traités dans le programme de Tagrégation de
philosophie, mais on n'a pas jugé inutile d'inscrire un de ses livres
sur le programme actuel du baccalauréat es lettres. La Physique, dont on
demandait la connaissance pour la licence es arts, n'est aucune-
ment un recueil des opinions ou des erreui-s de l'antiquité sur les
phénomènes de la nature. En suite d'une intuition dont on peut
aujourd'hui mesurer la profondeur, elle n'est en réalité qu'une théo-
rie du mouvement. On y trouve plutôt de la métaphysique que de
la physique; c'est, dit M. Barthélémy Saint-Hilaire, une des œuvres
d'Aristote les plus vraies et les plus considérables (2). Sans doute,
ce qui rend pour nous la lecture Ae pareils ouvrages particulière-
ment instructive, c'est qu'imbus de la méthode expérimentale et
du. ses résultats, nous savons séparer dans l'étude des sciences le
domaine des lois et celui des hypothèses métaphysiques. Nous pou-
vons ainsi nous initier sans danger aux théories des quatre causes,
de l'espace, du mouvement, etc., qui remplissent la Physique d'Ans-'
tote et y discerner ce qui est véritablement solide de ce qui n'a pas
pu résister k l'épreuve des siècles. Le malheur des contempora'ns
M. Weiss a eu Tobligeance de me le coiLmuniquer à la Bibliothèque du pro-
testantisme français.
(1) Thurot, p. 51 ; du Boulay, IX, 390.
,2) Traduction de la Physique d'Aristote, t. I, préfacei p. iv ; cf. p. u.
éê \j^ft éiàki ék rirre cent ans anraot Racoo. MaU même alorsy il
y tonul eo grand p^rofit à lire Ariatote ai c*éUit Ari<lole liriafiim
f 0^011 araH la, ai an moifia m anûl été naîa en ra|iport arec aa vraie
ptm%é« et ai on Tarait esarainée arec qoelqve indépendaiire. Gepro-
frè» éUit r^liaé i^n Italie; la France le dol à Uterre.
Poor ta? Of r arec préâûon où eo éiait aranl loi, daoa notre pays,
la eonnaiaaaoce d#; la ? éiitable penaée d'Ariatote, ii faudrait af oir ki les
Ufn^ d'éeole qoi étaient en laTeor lorsqoll fit paraître les aiens.
La tempa me manque poor entreprendre ce trawi (1). 11 ne suffit
paf de aafoir en fçr(f% qoe lea prindpauz oorra^es philrv^ophiqnes
d'Afi<it/ite étaient c^innos par des tradoctiona latines de tradu«:tioQS
arah^* r«ite<i elle^-mémea pour la plupart d*après des traductions
ajrriaqfi^; ni qve lefi commentaires d'Averroès et d'Albert le Grand
n'avai'-nt pas cea^é d'être en usage, en particulier pour la Physique.
Il faudrait ana<ii d'un autre c/jté être en état de déterminer les
progrè» de l'élude de la langue grecque depuis le xni« siècle et Fia-
lluenc^. que ces progrès, peut-être plus grandi qu'on ne pense,
devaient nroir eue [K>ur améliorer Tinterprétation des œuvres du Sta^
S rite. Sur ce second point je ne puis que renvoyer au mémoire de
. Jourdain sur les traductions latines d'Aristote. On y verra (2) pour
la FliyHique, le seul ouvrage qui nous importe en ce moment, qu'il
en exiHlafl, longtemps avant Lefèvri d'Etaples, au moins une tra-
duction faile sur In texte grec, mais elle est manuscrite, et de pareils
travaux étaient probablement aus^i peu connus que rares. D'ail-
leum, pour qui Hait ce que coûte de temps et de réflexion la lec-
ture d'une œuvre philosophique d'Aristote; pour qui remarque
combien peu encore aujourd'hui on a rei^ours aux écrits originaux.
Il êf^rti clair que le commun des maîtres non seulement avait de
mnuvAiKCH traductions, mais même ne s'en servait guère, se conten-
tant de commentaires ou d'extraits de commentaires. Lefèvre réta-
btit le flons d'Aristote. C'était beaucoup. Il fil mieux encore, au point
de vue pratique, en vulgarisant ce vrai sens par ses analyses.
Ce n'était pas un rôvolulijnnaire comme Ramus. Il osait dans la
mesure de co que la moyenne de aes contemporains pouvait
comprendre; auHHi lui furent-ils reconnaissants. Je m'en tiendrai au
témoignage dn notre édition polonaise.
Le mattro èH arlH Georges Slhavischyn, qui avait surveillé
rimprosHion dos introductions à la Physique et aux livres de l'âme,
toulut los recommander au lecteur. On aimera peut-être avoir une
Idée de sa préface.
Il commence par célébrer los s Tvices rendus à la république des
(1) On trouvera lot titres d'unoortiln nombre de ces livres ou t. lU de la
blblio(h6qu<i grecque de Kobrlcius, litrsqu'll arrive aux commentaires sur
ArUtote.
(I) P. 107, 1* édition, 18^3.
UNI ACQUISITION DE LA BIBUOTHAqUE OU MUSiE PtDAGOGIQUI 43(f
lettres par Jacques d'Etaples, qui, non content d avoir paraphrasé
rAristote grec avec une profonde science, a pensé à venir en aide
aux débutants. Dans cette intention il a fait aussi sur chacun des
principaux livres d'Aristote des Introductions qui conduisent,
comme autant de chemins de traverse, au point culminant de la
philosophie aristotélique. Court et net sans cesser d'être élégant, il
a surpassé tous ceux qui ont publié des opuscules (Ubellos) sur les
mêmes matières. Aussi quiconque veut s'initier à la vraie philo-
sophie, c'est-à-dire à celle qu'on ne voit point gfttée par lacorrup»
tion gothique (qtiae goihica lobe non sentitur esse infecta) doit éùe
assez avisé pour ne pas dédaigner ce beau présent de Lefèvre
d'Etaples. Dans les arts, comme le dit Quintilien, rien n'importe
plus que les commencements. C'est pourquoi le musicien Timothée
exigeait un salaire double de ceux qui avaient déjà pris des leçons
d'un autre maître. Il est plus fâcheux d'avoir été mal instruit que
de débuter avec la pure ignorance. Carbon se débarrasse très diffi-
cilement de ce qu'on a appris lorsqu'on ne savait encore rien. Par
conséquent, maîtres et écoliers ne peuvent mieux faire que d'adopter
cette introduction de Lefèvre d'Etaples. Ce sera pour les uns le
moyen de bien enseigner, pour les autres celui de s'instruire sans
erreurs. Que le lecteur pèse donc ces Introductions à la balance de
l'esprit et du bon sens. C'est sur cette invitation que Sthavischyn
prend congé de lui.
Comment Lefèvre était-il parvenu à mériter cette réputation ?
Avant tout, parce qu'il avait ce qui ne s'acquiert pas, l'amour du
vrai qui ne prend point le change et qui fait de ceux qu'il anime
des promoteurs. Quant aux circonstances qui purent le favoriser,
elles sont mal connues. Les documents font défaut. Le meilleur de
ses biographes a fait à deux reprises, en 1842 et 1852, des
recherches minutieuses dans les écrits des contemporains et surtout
dans les préfaces mêmes de Lefèvre. Il a ainsi glané des faits pré-
cieux. Nous savons par lui que Lefèvre, qui devint maître es arts à
Paris et qui ne paraît pas avoir pris d'autre grade, eut les directions
d'Hermonyme de Sparte, mais nous ignorons si ce fut de bonne
heure ou tardivement (1). Sans doute c'est surtout dans ses voyagea
en Italie qu'il se perfectionna dans la connaissance de la langue
grecque. Il assista dans ce pays aux luttes entre platonisants et
péripatétlcicns. Parmi ces derniers se distinguait Hermolaus Barbarus,
dont l't nseignement lui fut particulièrement profitable (2). C*esl en
(t) Graf, Jac. Faber Stap,, ein Beiirag, etc., p. 7. Renseignement tiré de
la préface de Lefèvre in magna moralia. Mois la première édition connue de
cette introduction est de 1494, quand Lefèvre avait une quarantaine d'années»
Il dit d'ailleurs : c ut prœceptor est », ee qui n'indique pas que Hermonymo
fut réellement son maître.
(2) Ibid, p. 9.
416 ftSTUI WtBÂGOeÊQOK
1491 qu'il alU pour la première fote en Italie (i). U avait alors une
quarantaine d'années. De retoor, il importa cliez nous, pour et qui
eonceme Aristote, lea traductions et les explications latines des
savants grecs eC italiens. C'est surtout k Taide de ces ressoorees
qall me semble avoir rédigé ses propres ouvrages, car je n'oserais
^nner qu'il savait assez bien le grec pour liîre Aristote dans le
texte. On a tout lieu de croire qu'il enseigna dans le collège du
cardinal Lemoioe et que c*est là qu'il commença à former de nom-
breux disciples (i) . Ses paraphrases s'adressaient aux plus avancés.
U nous reste k voir par son introduction et son dialogue comment
il s'y prenait avec les plus jeunes.
Quoique celui qui, très anciennement d'ailleurs, a relié notre
volume, ait placé l'Introduction à la fin, c'est par elle qu'il faut com-
mencer, car elle a été composée avant le Dialogue qui en suppose
la connaissance.
Cette introduction aux huit livres de la Physique d' Aristote con-
siste jnx)prement en sept paragraphes dont le plus long n'a pas plus
de vingt-cinq lignes et dont le plus court en a six et demie. Chaque
paragraphe contient une série dé définitions courtes, nettes, d'une
Srécision géométrique. Le premier a pour objet la nature, le second
I cause, le troisième le mouvement, le quatrième l'infini, le cin-
quième le Heu, le sixième le vide, le dernier le temps. Des expli-
cations de Josse Qictou, disciple et collaborateur connu de Lefèvre,
s'intercalent, comme on Fa déjà vu, entre les paragraphes. Elles les
surpassent notablement en étendue et suppléent leur extrême conci-
sion. Elles manquent dans l'édition de 1504, mais à leur place on
trouve à la suite de l'Introduction une paraphrase relativement
considérable. L'Introduction est elle-même résumée dans une
grande figure qui représente la sphère terrestre, entourée des
cercles concentriques de l'eau, de l'air et du feu. Cette figure con-
tient dans sa circonférence sept petits cercles diversement disposés,
dont chacun correspond à un chapitre de l'Introduction et en ren-
ferme pittoresquement le sommaire. Je regrette d'avoir à dire que
cette figure, ti^s nette dans l'édition de 1501, est ici, dans les cercles
du mouvement et de la cause, un véritable barbouillage.
Le lecteur a sans doute deviné que l'élève devait apprendre par
cœur les sept paragraphes sur lesquels il recevait ensuite les expli-
cations du maître. Quant k rillustration par les cercles, elle rappelle
les figures géométriques de toute sorte dont on se servait depuis
longtemps en logique pour représenter la suite et les termes du
raisonnement (3). On se souvient aussi du jeu de cartes de Mûmer,
(1) Ibid. p. 8.
(2) Graf, p. 12. .
(3) a. Monteil, BisU des Français des divers États, I, ép. A6.
UNE ACQUISITION DE LA BIBUOTBiQUI DU MUStE PtDAGOGIQUX 4S7
Lefèvre paraît avoir attaché nne véritable importance à sa figura (i).
Ainsi, quant au rôle de la mémoire et aux procédés extérieurs,
jusqu'à présent il n'a rien changé. La précision supérieure de ces
résumés, qualité toute française, et- la réputation de science de
Fauteur, pouvaient attirer miûlres et écoliers sans que leurs habi*
tudes fussent choquées (2).
U ne s'en tint pas aux Introductions, même développées par Josse
Clictou. Dans ses leçons orales il interrogeait, commentait, donnait
des explications familières et proportionnées k Fâge ou à l'intellir
gence de Télève : telle était évidemment une des causes de son
succès. Ne pas laisser perdre des leçons aussi fructueuses ; composer
sur les introductions prises comme thème des entretiens qui repro*
duiraient lallure et la substance de son enseignement, c'était une
idée bien naturelle. Cependant el!e ne vint pas de lui. Il nous
apprend avec candeur (3) qu'elle lui fut suggérée par le jeune
(jruillaume Gontier, qui l'avait accompagné dans l'un de ses voyages
en Italie. En agissant ainsi ^ lui avait dit Gontier, vous apprendrez
aux maîtres comment ils doivent diriger leurs interrogations, et
ainsi vous serez utile en môme temps au maître et à l'écolier*
Celui-ci devait d'abord apprendre rintrodiiction correspondante au
sujet du Dialogue. Sur cette matière avait lieu i'interrogitoire, conduit
non seulement dans Tordre des paragraphes de Tlntroduction, mais
encore dans l'ordre de chaque paragraphe, de sorte que l'introduc**
tion elle-même devait se retrouver tout entière (avec les dévelop-
pements nécessaires) dans les réponses de l'élève. Pour plus de
précaution, la tournure de chaque question indiquait (au moins
dans les dialogues sur la métaphysique) si la réponse devait ôtre
négative ou afiirmative. On voit qu'au lieu de se défier de la mémoire,
rauleurne négligeait aucun moyen d'y avoir recours. 11 allait jusqu'à
Texcès. Cependant, pour n'être pas trop surpris de ce qu'il y a de
très simple, de très familier et même d'un peu mécanique dans
celte méthode appliquée aux plus subtiles questions que puisse se
poser l'esprit humain, n'oublions pas le jeune âge des élèves. On
pouvait être licencié es arts à quinze ans : sans doute on ne l'était
guère en général que deux ou trois ans plus tard ; mais dans le
Dialogue sur la physique il s'agit d'écoliers qui jouent encore (^l):
(1) Il la décrit dans le dialogue.
(î) Ce qui vient d'éu-e dit sur l'Introduction à la physique s'applique d'une
manière gi'nérale aui autres Introductions de Lefèvre, sans qu'il soit, néces^
taire de les énumérer.
(3) En tète des quatre Dialogues sur la métaphysique, p. 312, au verso, de
l'édition de 1501 de Totiut philosophiœ tiaturalis paraphrases,
(4) Celui qui est Interrogé dans ce Dialogue n'aime pas à jouer parce quMt
est d'une gravité exceptionnelle : On. Malles tamen modo aliqm fàco ctim
sto Nœro $t aliarwn adolesœntUm turba patrii recessum int«rcblM$ci. —
4tt BlfUB rtMMOOQCB
éfoqoer fd l'idée des dia1ogoe9 de Ptateo lenit pu* tiop ambi-
Le bot def Dialogues de LeCHrre est dooc très net Ds soot ose
Méthode poor faire eompreodre (en allaat do facile ao difteile,
poisqne les diflleullés de la physique soot traitées à part daos on
seeood dialogue; et poor faire retenir à des écoliers relatiTeoMot
très Jeunes des notions qui devaient leur paraître fort abstraites.
Leièrre les insinue à force de simplicité et d'agrément. On doit
donc, malgré les rf^ssemblances de forme, éviter de confondre ces
diaU^giies avec les colloques qui eurent poor objet de former à la
conversation en langue latine. Cerlainement Lefèvre, par sa méthode,
(acililait aux écoliers les moyens de faire à kurs maîtres des
réponses qui, selon la coutume, avaient lieu en latin ; mais son inten-
tion était de leur apprendre les éléments de la philosophie péripa-
téticienne et non les élégances de la conversation en langue latine
considérée en elle-même. Cest un philosophe, non un humaniste (t).
En lisant les premières pages de notre Dialogue, on est frappé de
leur ressemblance avec la marche d'une comédie, l^fbvre, à son
insu, ou pour donner un agrément de plus à son opuscule, y repro-
duit la forme des comédies de collège qui étaient alors tellement à
la mode. I^s noms de ses personnages représentent des qualités
pures, des abstractions, contrairement à Tusage des colloques et con-
formément À celui des moralités françaises ou de plusieurs comédies
de RavisiuH Textor. Mais surtout il serait facile de diviser le com-
mencement du Dialogue en scènes qui se passeraient sur un de ces
théâtres du moyen ftge, où des groupes d'acteurs éloignés les uns
des autres et placés devant des décors dilTérents dialoguaient tour à
tour. Voici, d'ailleurs, comment le bon Lefèvre, ?ans se presser,
amène rinlerrogatoire sur la physique d'Arislote.
Nous sommes dans un collège, peut-èlre celui du cardinal Lemoine
an supposant (lu'il eût un verger, car une partie de la scène (si on
me passe cette façon do parler) représente un verger (3). Deux
maîtres t'v promùnent. A quelque distance, une cour (4) où jouent des
écoliers. Le premier des maîtres a nom Hermeneus, c'est-à-dire
l'interprète, le second Oneropolus, en latin Conjector, c'est-à-dire
Kl», hno diiici*ndo et audiendo^ nam pu.rilium jocorum oonsuetudinem non
habfo fi<f7t40 me obUctant quicquam,
(1) H y a deui DUlogaes de Lefèvre sur la physique d'Àristote : le premier
sur la physique engéniSral etcorrdspoadant à ootre latroduction, — c'est celui
Îul NO trouve dans notre volume ; le second qu'il faut chereher dans l'édition
• 1504, p. S8I tu verio à 303.
(I) S'il f illalt àbiolument des analogies, c'est aui entretiens d'Alcuin et de
P^pln, par e&emple, qu'on pourrait eo demander.
(3) /« pamorio dêomMant (i* page du Dialogue).
(k) Kile n'eit pas meatioiuiée, mais où Joueraient-ils sinon dans une cour t
VNB ACQUISITION DE LA BIBLIOTHÈQUI DU MUSÉE PÉDAGOGIQUE 429
rhomme qui sait expliquer les songes : le choix de ce second nom,
qu'il ne faut pas prendre en mauvaise part, est assez singulier. Les
appellerons-nous l'un le TradtActeur et l'autre le Commentateur? irons*
nous plus loin? Verrons-nous dans l'un Jacques Lefèvre et dans
l'autre Josse Clictoa? laissons-leur les noms grecs qui leur ont été
donnés par l'auteur.
Hermeneus raconte à Oneropolus comme quoi Polypragmon (Nego-
çiatOTy le Marchand) vient de le quitter après leur avoir laissé son
tils dont il leur confie l'éducation (ce fils, Epiponus, Laboriosus^ le
Laborieux, est en ce moment dans la cour avec ses nouveaux cama-
rades). « Oneropolus, notre hôte Polypragmon nous a confié à tous
les deux l'éducation et l'instruction de son fils. C'est son fils unique :
il le chérit avec une extrême tendresse. Tout a l'heure il était ici ;
tu t'étais absenté. Il m'a tiré à part et m'a dit sans être entendu
de son fils : Hermeneus^ j'ai souvent entendu dire et avec raison
que les philosophes qui sont si savants ne savent pas tromper, mais
comme le travail des cultivateurs fertilise les champs stériles,
ils cultivent les «esprits stériles des jeunes gens et les amènent à une
vertu féconde. Tout ignorant que je sois des objets de leurs occupations
(car mes parents ont dirigé ma jeunesse d'un autre côté), je n'en
ai pas moins pour eux la plus grande sympathie. Je déplore souvent
de vivre comme un aveugle et je ne trouve heureux que vous seuls
(|ui êtes habiles dons les lettres; voilà pourquoi j'ai mis tout particu-
lièrement ma confiance (i) en Oneropolus et en toi, vous priant de
vous charger de mon fils pendant qu'il en est temps, afin qu'arrivé
à la vieillesse il ne fasse pas conmie moi et ne maudisse pas une
vie condamnée à Tignorance. 0 Hermeneus, c*est mon unique
héritier, pourvu que Dieu me le conserve. Je suis vieux et ne puis
plus espérer d'en avoir un autre. Je vous le recommande à tous les
deux, afin que vous soyez pour lui des pères. Vous jugerez de son
zèle. 11 n'aurait jamais cessé de m'obséder nuit et jour de ses prières
si je ne vous l'avais amené. 11 est à vous, prenez soin de lui, je le
mets sous votre protection. Alors il appelle son fils (S) : — Epiponus,
lui dit-il, Hermeneus que tu vois se charge de toi à partir de ce
moment. Regarde-le comme un père; obéis-lui en tout; honore-le,
il te rendra honnête et savant. Voilà les richesses que je ne pouvais
te laisser : il peut t'en rendre possesseur. Et après avoir franchi le
seuil, les yeux pleins de larmes : — Adieu, Hermeneus, m'a-t-il dit:
portez-vous toujours bien, Oneropolus et toi : salue-le de ma part.
Je lui dis alors : — Polypragmon, reste au moins aujourd'hui à dhier
avec nous et tu recommanderas toi-m^me ton fils à Oneropolus. Tu
ne pourrais nous faire un plus grand plaisir. — Cela m'est impossible,
n-t-il répondu; mes affaires me pressent et exigent ma présence.
(1) eam^ éd. de Cracovie. meaiiif édition de 1504.
(2) On a reconnu une rémiDiseence du commeucement de ÏAndrietme,
430 :• ftiruK PÉDAOOoiQuk
Quant à vous, pour eette éducation littéraire de mon fils, tous n'avez
pas besoin de moi. — Comme tu voudras, lui dis-je, pourvu qae
tu nous promettes de revenir un jour nous voir et de rester avec
nous quelque temps. — Je le promets, dit-il, et je vous laisse
mon tiÛs en otage. Et il s'en est allé. Veux-tu* donc que nous fas-
sions venir l'enfant, pour le voir toi-même et le questionner? —
Oreropolus. Je le veux bien. »
Va-t-on philosopher? pas encore. Le jeune Epiponus, par Tinter-
médiaire d'un camarade, est appelé auprès des deux maîtres. U
arrive, et le dialogue suivant s'engage entre eux et lui :
Oneropolus. Aimable fils de Polypragmon, comment t'appelles- tu?
Epiponus. Epiponus, mon excellent maître. — On. Eh bien, dis-mo!
dans quelle disposition tu te trouves. — Ep. Je suis très heureux,
puisque vous voulez bien tous les deux m'instruire dans les let-
tres. — On. Voilà des dispositions excellentes. Et tu aimes vérita-
blement les lettres? — Ep. Oh ! beaucoup. — On. Cependant tu aime-
rais mieux jouer à quelque jeu avec Noerus et tous tes autres cama-
rades pour oublier le départ de ton père. — £p. Non, mais j*aimerais
bien mieux l'oublier en apprenant et en écoutant, car je n'ai pas
l'habilude des jeux d'enfant et ils ne me font aucun plaisir. — On.
Qu'est-ce qui te fait donc plaisir? — Ep. Les livres et l'étude des lel-
Jres. — Herm. En vérité! voilà qui est très bien pour ton âge et qui
témoigne d'un bon naturel. — On. Mais que désires-tu surtout
apprendre et entendre? — Ep. La philosophie. — On. Tu crois donc
savoir raisonnablement la logique? (1) — Ep. Mettez-moi quelque
peu à l'épreuve, et si je ne réponds pas convenablement, je tends
tout de suite la main à la férule. — On. C^est bien. Noerus, donne
une Introduction de la physique à ton camarade. Il la lira trois ou
quatre fois pour l'apprendre par cœur. En attendant nous ferons
quelques tours. — Noercs. J'y vais. »
Les deux écoliers disparaissent. Restés seuls, les deux maîtres
parlent de leur nouvel élève.
« Herm. Attendez un peu, ils ne tarderont pas à revenir. Mais, One-
ropolus, que penses-tu de cet enfant? — On. J'en espère beaucoup do
bien. U a Tair ouvert, bon et loyal. Polypragmon chérit son fils.
J'espère qu'il aimera mieux le laisser se perfectionner Tesprit que
suivre le métier paternel... (2). — Herm. Tu as raison, Polypragmon
est très riche. Jamais il ne se relâche du soin d'amasser, et sou fils
unique n'aura pas besoin de se faire marchand. Mais s'il sort de
nos mains sage et savant, il fera convenablement, justement et
libéralement usage des richesses que Polypragmon s'est acquises
(1) Te ergo in ralionabilibus diiciplinis mediocriltr ientis instilutum, On se
souvient que l'étude de la philosophie était précédée de celle de la logique
proprement dite.
[t] Le texte est t'aulif^ et je n'ai plus sous les yeux l'édition de 1504.
UNI ACQUISITION DI LA BIBUOTBÈQUX t>U MUSÉI PÉDAGOGIQUE 431
par tant de soins^ de veilles^ de dangers et de fatigues. — On. Oui»
il en fera justement et libéralement usage. Mais voici l'enfant qui
revient. »
Personne ne fera l'injure à Lefèvre de penser que ses maîtres
veulent dresser dans leur intérêt un futur Mécène. Pour s'adonner
plus librement à l'étude, il avait fait à ses frères et à ses neveux
l'abandon de son patrimoine. C'était le désintéressement même,
d'après Scévole de Sainte-Marthe (i).
c Me voici, dit ëpiponus de retour. — On. Très bien. T'es -tu appli-
qué a savoir par coeur ce que je t'avais donné à apprendre? —
Ep. Je le sais. ~ On. Maintenant, fais bien attention. — Ep. Oui.
— On. Vois tu la figure qui est au commencement de notre Intro-
duction? — Ep. Oui. — On. L'ensemble de cette figure nous repré-
sente le monde sensible, etc. »
La leçon commence. Elle se poursuit sur un ton aimable, avec de
douces plaisanteries, des exemples, des citations de vers latins, qui
l'empêchent de devenir sèche et ennuyeuse.
On peut maintenant se rendre compte du rôle qu'a joué Lefèvre
d'Étaples dans l'histoire de la pédagogie française. Là, comme pour
la Réforme (2) et pour la traduclion des Ecritures, il a été un de
ces précurseurs modestes qui ouvrent le sentier où les autres pour-
ront s'avancer. S'il n'était pas un humaniste, il a facilité d'avance le
développement de l'humanisme. De son temps les belles-lettres
n'avaient encore pour ainsi dire aucune place dans l'enseignement
secondaire. On passait sans transition de médiocres études gramma*
ticales à la logique et à la philosophie. H n*a pas contribué à intro-
duire dans la faculté des arts les auteurs profanes que sa piété
n'aimait guère (3). Mais en rendant aux physiciens l'Aristote grec,
surtout en l'expliquant avec simplicité et avec charme, il a fait
pénétrer, dès la fin du xv^ siècle, dans un domaine qui semble avoir
été jusqu^à lui bien barbare, le véritable esprit philosophique et lit-
téraire. Aussi bien, on s'en souvient peut-être (4), ces deux mots
sont pour lui synonymes.
11 va plus loin : pour lui philosophie, belles-lettres et bonnes
mœurs, comme nous l'apprend le commencement de son dialogue,
se fondent dans un ensemble où il ne les dislingue plus les unes
(les autres. Aussi, comme il voit tout a travers son cœur, les philo-
(1) Grof. Éludo allemande, p. 5 et 6.
{±} Je n'avaiâ pas k parler du uiysiicisme de Lelèvre d'ËUples. 11 m'a paru
nu tiie de rappeler que ce resUui'ateur en France de la pensée d'Aristote était
pénétré du néoplatonisme chn*tien du pseudo-Denys l'Aréopagite, qu'il édita
en 1498. Je ne pouvais, dans un article de circonstance, déjà trop long, corn*
prendre l'étude de la pensée philosophique de Lefèvre d'Étaples.
[3) Voir Graf, étude allemande, p. 10, ou l'Essai français du qiéme, p. 7.
(4) Voir ce que j'ai traduit da Dialogue.
432 11VU& PtDAGOGIQUC
sophes au milieu desquels il vit» Tuniversité, tout lui paraît (et
cependant il était arrivé à Tftge mûr) un modèle d*amabiiité et de
concorde (i). Il est bon de passer quelques moments avec lui, de
feuilleter encore ses modestes ouvrages. On regrettera peut-être que
nos deux opuscules imprimés aux frais deHaller n'aient pas passé,
à cause de leur rareté, à la réserve de la Bibliothèque nationale. Mais il
est bien à sa place au Musée pédagogique, ce petit monument d'une
réforme modérée dans l'histoire de nos études; de la méthode
d'un maître à la fois habile et aimant; et enfin de l'influence fran-
çaise en matière d'enseignement, par delà l'Allemagne, dans une
université généralement mal connue de l'Europe Orientale.
L. Massebieau.
A PROPOS DU CONGRES DU HAVRE
Nous l'ecevons la communication suivante :
Le Comité d'organisation du Congrès international d'instituteurs
du Havre a reconnu qu'une lacune regrettable existait dans 1 article
premier du règlement. Il ^'est enipressé de la combler et a modilié
comme suit cet article :
a Sont invités à prendre part aux travaux du Congrès, sur la
présentation de leur carte d admission, toutes les personnes faisant
partie du corps de renseignement primaire : instituteurs et iostitu-
trices titulaires ou adyointes, publics ou privés; directrices et sous-
directrices des écoles maternelles; directeurs, directrices et
personnel enseignant des écoles normales; inspecteurs primaii-es,
inspecteurà d'aaidémie et inspecteurs généraux ».
Le maire da Havre,
Président du Comilé d'organisation du Congrès ^
Jules Siegfried.
(1) Voir la préface du Dialogue, et dans redition de 1504, une dédicace
à UD dignitaire de l'université, que je ne puis désigner avec plus de préci-
sioD, n'ayant pas le livre entre les mains.
LES COMMISSIONS SCOLAIRES
La rédaction de la Revive pédagogique a reçu la lettre suivante,
qui nous est parvenue trop tard pour é(re publiée dans notre
précédent numéro :
Ségalas (Basses-Pyrénées), 25 mars 1885.
Monsieur le Directeur,
J'ai lu avec beaucoup dlntérét la lettre de M. Ed. Dreyfus-
Brisac sur les commissions scolaires, que vous avez insérée dans la
Revue pédagogique du 15 mars. Les faits qu'il signale dans le Nord,
je les constale dans le Itfidi, et cependant, quoique notre point de
départ soit le même, je suis très loin d'arriver aux mêmes conclu-
sions que lui.
Voici trois ans que je suis, comme lui, membre de diverses
commissions scolaires, soit comme délégué de la commune^ soit
comme délégué de TadmiDistration, et je n'hésite pas à dire, avec
lui, que « si Ton ne prend pas des mesures énergiques, l'obligation
dans nos écoles restera à l'état de lettre morte ». Dans la plupart
des communes rurales de notre département, la commission
scolaire ne se réunit pas plus de deux fois Fan, et dans un très
grand nombre elle ne se réunit plus jamais. Quand une commission
scolaire rurale se réunit, à moins que par hasard Finspecteur
primaire n'assiste à la séance, ou que par un hasard plus rare encore
elle ne compte dans ses rangs quelque personne animée d'un zèle
ardent et résolue à se rendre impopulaire, la séance est parfaitement
stérile : elle consiste dans l'enregistrement pur et simple des listes
d'absences. De rappel des parents à l'exécution de la loi, d'affichage,
d'amende, il n'en est pas question, ou il n'en est question que pour
la forme. En effet, ces diverses sanctions étant échelonnées selon
une gradation régulière qui va de la simple citation à l'amende^ il
serait indispensable, pour qu'elles fussent appliquées, que les
séances de la commission fussent régulières et fréquentes. On ne
« cite » pas les parents à une échéance de six mois. On ne les
« affiche » pas pour des absences vieilles d'une année.
Mais pourquoi la commission ne se réunit-elle pas? lié ! mon
Dieu, pour une raison bien simple. C'est que son rôle, et particu-
lièrement celui du maire, son président, est éminemment désa-
gréable. Le maire, s'il le prend au sérieux, est assuré de se rendi*e
promptement impopulaire, de revêtir aux yeux de ses administrés
un personnage fâcheux, importun. Franchement, faut-il en vouloir
REVUE PÉDAGOGIQUE 1885. — i» SEM. 28
434 BtnJE rÉDAGOGlQCC
beaucoup à oot brares maire^de campagne de ce que, tout libéraux
qu*ilf «oient et franchement dévoués au progrès , ils éludent cette
corvée, ils hésitent à sacrifier à un intérêt tout spirituel leur popu-
larité, TaiTection de leurs administrés? S'ils le comprenaient
clairement, cet intérêt, à coup sûr ils seraient moins hésitants, ils
rechigneraient moins. iU le comprendront un jour, je Tespère* je le
crois fermement. Mais encore faudrait-il le leur expliquer, et c'est
ce que personne jusqu'ici n'a pris soin de faire. La loi scolaire, ils
n'en pensent pas de mal ; mais enfin quand elle est tombée sur eux
un beau jour, il y a trois ans, elle les a brusquement investis d'une
dignité nouvelle, fort honorable assurément, mais quelque peu
enibarrasKante quand on n'y est pas préparé : elle a fait de chacun
d'eux le p^^re spirituel de sa commune. £Ue lui a mis une férule
en main, avec mission de ne pas l'épargner aux récalcitranls. Or la
férule est parfois un instrument aussi désagréable a manier qu'à
subir. Notre maire s'est empressé de déposer la sienne dans un
coin, 011 il la laisse dormir. Il ne l'en tire qu'à son corps défendant,
quand il est mis en demeure par l'inspecteur primaire, ou par
quelque brouillon de délégué qull donnerait volontiers au diable :
même alors il tâche de la manier pour la forme, sans faire de mal
à personne.
Co que je diâ du maire est vrai de chacun des conseillers ou des
notables qui TassisteDt. Chacun d'eux n'est là, en somme, que parce
qu'il a su se concilier la confiance des gens de Tendroit. Il les
connaît tous par leur nom ; 11 les rencontre à toute heure du jour.
Vous le mettez dans un terrible embarras en lui demandant de
frapper tels ou tels de ces braves gens, de s'exposer à les voir s'écarter
de lui comme d'un faiseur d'embarras ou d'un tyran de village.
— Mais l'inspecteur primaire, direz-vous ?
D'abord l'inspecteur primaire est dans Timpossibililé matérielle
do visiter chacune de ses communes plus d'une ou deux fois l'an.
Qn(iuante dimanches par an, la commune est donc à l'abri de
son intervention. Et puis, quand il la visite, que voulez-vous qu'il
fasse, je vous prie ? Son rôle est de pure prédication. Il n'a pas
qualité pour commander, pour sévir. Il est, aux yeux du maire, le
représentant d'une administration étrangère, qui n'a que faire de
s'immiscer dans la politique municipale, qui ne peut qu'expliquer,
conseiller, exhorter, mais dont la parole est dépourvue d'autorité
parce qu'elle est dépourvue de sanction. Il faut l'avoir vu à l'œuvre,
comme je l'y ai vu souvent, dans les communes indifférentes ou
hostiles, pour se convaincre à la fois de son zèle infatigable et de
sa parfaite impuissance.
11 a prévenu la commission qu'elle ait à se réunir tel jour; ii
arrive, il exprime son regret que la commission n'ait tenu aucune
séance depuis six mois; il montre le résultat, les listes d'absence
bourrées de noms plus nombreux chaque mois; il commente la|loi.
LES COMMISSIONS SCOLAIRES 433
il fait appel au patriotisme, à Famour-propre des assistants, c Vods
ne voulez pas que votre commune soit la dernière de France, se
couvre de honte... Et puis Tinstniction du peuple, c'est la grande
œuvre républicaine, messieurs, qui le sait mieux que vous?.«. Et
enfin, c'est la loi, une loi dûment obligatoire, et vous devez la faire
respecter, etc., etc. » Chacun des assistants reçoit l'averse avec
une parfaite philosophie. Le maire même ne refuse pas les marques
d'assentiment. < C'est vrai ; il a raison, messieurs, il faut que la loi
soit obéie. Nous allons y mettre bon ordre. » On se sépare sur ren-
gagement de convoquer « pour la prochaine séance » quelques-uns
des parents les plus compromis, et de se réunir régulièrement tous
les mois. L'inspecteur s'en va, et... rien n'est changé. Il n'y a pas de
« prochaine séance », et les enfants continuent de manquer l'école
avec le même entrain.
Quel est donc le remède à un pareil état de choses ?
Tout d'abord, à mon sens, la loi actuelle, toute défectueuse que je
l'estime, n'a pu encore donner tout son fruit parce que personne — je
veux dire personne ayant autorité — n'a pris soin d'édifier les mu-
nicipalités sur le caractère obligatoire de cette loi. Ceci a l'air d'une
naïveté, toute loi étant par définition obligatoire. Par définition^,
oui ; mais en fait, c'est autre chose. Si l'administration préfectorale,
la seule ayant compétence et autorité en matière municipale, laisse
dormir la loi, n'invite pas les maires k la faire respecter, ferme les
yeux sur les infractions de plus en plus fréquentes, paraît enfin se
désintéresser de la chose, soyez assuré que rien ne vaincra l'inertie
des commissions. Elles se sentent absoutes, sinon approuvées, par
leur administration. L'autre, la scolaire, dans la personne de l'inspec-
teur, peut se démener, discourir, faire du zèle : toute sa peine est
perdue; on l'écoutera sans bouger.
Le fait est que la première année, les commissions ont montré
beaucoup plus de zèle : c'est qu'elles ne savaient pas alors si la loi
n'était pas pour de bon, si en l'éludant ou en la violant on ne s'expo-
serait pas à quelque mésaventure. L'expérience les a rassurées. Elles
ont reconnu qu'on en était quitte pour la harangue annuelle ou se«
mestrielle de l'inspecteur : ce n'est pas la peine pour si peu de « se
mettre mal » avec la commune.
Ainsi, à mon avis, une action énergique de la préfecture et de la
sous-préfecture, des circulaires nettes et fermes de ton, l'interven-
tion fréquente du sous-préfet, au besoin quelques exemples, quel-
ques maires dûment admonestés, quelques-uns suspendus ou révo-
qués, voilà qui vaudrait mieux que toute l'éloquence et la diplomatie
de l'inspecteur primaire. Les autorités municipales ne se retran-
cheraient plus derrière une incertitude affectée ou réelle sur le
caractère obligatoire de leur action : elles se sentiraient mises en
demeure, surveillées, elles comprendraient que le temps du confor-
table laisser faire est passé et, comme on dit, elles marcheraient.
436 KEVDC PtDAÛOGkQVK
Il y aurait aussi, je crois, an meilleur parti à tirer d'un des prin-
cipaux ressorts de la loi, à savoir la délégation cantonale. Cette
idée de faire appel a tous les hommes de bonne volonté et de leur
demander leur concours est juste et peut devenir féconde. Mai)»
encore laudraitril stimuler, entretenir, récompenser de temps en
temps ce zèle. Le meilleur d*enlre nous est toujours un peu comme
le Pharisien de rÉvaogiie qui, lorsqu'il faisait le bien, aimait à être
▼u des hommes. Le délégué, absolument laissé à lui-même, finit
par se lasser d'aller dans des communes presque toujours éloignées
livrer cette bataille sans gloire contre une- inertie, une mauvaise
volonté presque inviocibles; le découragement, puis la résignation
ne tardent pas à faire place en lui au beau feu des premiers jours,
et bientôt c*est tout au plus s'il visite ses communes une ou deux
lois Tan, pour y tenir une séance qui n'est qu'une simple formalité.
Quelquefois il renonce même à cette visite annuelle et se désintéresse
d'une œuvre aussi ingrate. Son zèle serait bien autrement optimiste
et persévérant, s'il se sentait soutenu, suivi par l'administration,
appuyé par ses collègues. Que faudrait-il pour cela ? Peu de chose.
D'abord une ou deux réunions générales au chef-lieu, où l'inspec-
teur d'académie et le préfet marqueraient aux délégués leur sym-
pathie, rendraient témoignage aux eflorts des plus zélés, donneraient
à tous le sentiment qu'ils travaillent non pas dans le vide, mais
pour le bien et sous le regard au pays. Des réunions partielles, plus
fréquentes, au chef-lieu d'arrondissement, seraient présidées par le
sous-préfet et l'inspecteur primaire : le caractère de ces réunions
serait tout pratique; on y comparerait les résultats; on discuterait
les cas difficiles; on se consulterait mutuellement; enfin, pour
employer une locution populaire, on se sentirait les coudes, ce qui
est une des conditions indispensables de toute activité coUeclive.
(Chacun retournerait dans sa chaumière ravitaillé, fortifié, prêt à
recommencer le bon combat.
L'intervention énergique de l'administration préfectorale, un meil-
leur maniement de la délégation auraient, je n'en doute pas, un
résultat excellent. Cela suffirait-il pour que l'obligation cessât d'être
une fiction et imssât d'abord dans les faits et puis dans les mœurs?
h*, no le pense pas. La loi est selon moi défectueuse et il faudra en
venir à la modifier. Je m'explique.
La pensée qui a manifestement inspiré le législateur est profon-
dément respectable, généreuse, libérale au premier chef. On y
sent la préoccupation de n'entreprendre que le moins possible sur
la liberté individuelle et pour cela de confier l'exécution de la loi à
ceux-là mêmes qui doivent la subir. On sent également l'esprit démo-
cratique au meilleur sens du mot, dans ce désir d'intéresser les popu-
lations à l'œuvre de leur éducation, de les y faire participer active-
ment au lieu de la leur conférer d'en haut comme un don gratuit.
Cette conception, digne de tant d éloges, n'est malheureusement
LES COMMISSIONS SCOLAiaBS 437
pas pratique. Elle est entachée d'un excès d'optimisme. Elle a le tort
fondamental de ne tenir aucun compte de l'égoîsme, ce vice humain
par excellence qu'aucun progrès politique ou social ne pourra, je ne
dis pas faire disparaître, mais même diminuer sensiblement. Elle
part de cette' supposition chimérique qu'il existe dems chaque com-
mune un groupe de personnes pleines de zèle pour le bien public,
prêtes à lui tout sacrifier, et que c'est justement parmi elles qu'ont
été choisies les autorités municipales.
En réalité, c'est une vérité incontestable, pour qui a vécu de la
vie rurale, qu'il ne faut pas demander au maire et à ses conseillers
un tel effort de désintéressement; ils préféreront toujours d'instinct, à
l'œuvre toute idéale de l'éducation populaire, la paix de la commune
et le soin de leur popularité. Ce n'est donc pas à eux qu'il faut conférer
l'initiative; ce n'est pas entre leurs mains qu'il faut remettre la loi.
On le voit, bien loin de demander avec M. Dreyfus « que les pou-
voirs des commissions soient aussi étendus que possible », que
leur initiative soit encore agrandie, j'estime qu'il importe de modifier
la loi dans un sens tout opposé. Il faut retirer à la commission tout
autre pouvoir que celui de conseil et de contrôle, dont elle usera
sagement, et porter aux mains de l'inspecteur primaire l'initiative,
le pouvoir exécutif, dont elle refusera toujours d'user autrement que
ad pompam et ostentationem.
L'inspecteur reçoit tous les mois un double des listes scolaires
d'absence. Il choisirait, dans chacune, les noms de deux ou trois
pères de famille, les plus fautifs, et leur adresserait, par le canal
de la mairie, un avertissement imprimé, portant menace de citation
devant le juge de paix en cas de récidive. La citation devant la
commission, la réprimande et Taffichage seraient supprimés : ce sont
là des moyens de répression beaucoup trop paternels; je puis affir-
mer par expérience qu'ils sont de nul efi'et, et tous mes collègues
de ma connaissance ont fait la même constatation.
Que si le père de famille ainsi menacé ou frappé estimait avoir
quelque excuse valable, être dans tel cas spécifié par la loi, il
aurait recours devant la commission, qui remplirait alors son natu-
rel office de juridiction locale, de contrôle et de protection.
Enfin, en cas de litige — qui serait infim'ment rare — entre la
commission et l'inspecteur, il appartiendrait au préfet ou à son
administration de décider souverainement.
Je crois qu'une telle modification de la loi aurait d'immenses
avantages et fort peu d'inconvénients.
Le principal inconvénient serait le surcroît de travail imposé a
Tinspecteur. Mais ce surcroît serait-il bien considérable? 11 faut déjà
que l'inspecteur reçoive et parcoure les listes d'absence. 11 ne lui
faudrait pas beaucoup plus de temps pour cueillir les noms les plus
compromis et mettre sous bande les avertissements tout imprimés.
Il s'épargnerait en revanche l'inutile et impuissante dépense de forces
438 RSVUE PÉDAGOGIQUE
qu'il fait en ce moment pour vaincre la résistance passive des com-
missions. Je crois qu'il gagnerait au change.
L'objection tirée des dangers de l'ingérence de l'inspecteur dans
la vie communale ne me paraît pas sérieuse. La commission sei-a lÀ
pour contrôler, adoucir au besoin, arrêter cette ingérence, pour
empêcher tout abus de pouvoir.
Voyez, en revanche, le bénéfice. L'exécution de la loi assurée,
dans la mesure du possible, par un fonctionnaire impartial et com-
pétent, qui la comprend sans doute mieux que personne. La com-
mission municipale déchargée de l'office odieux de la répression,
investie au contraire d'un mandat agréable et disposée, par conséquent,
à tenir des séances aussi fréquentes qu'il sera nécessaire. Autant
elle rechigne à présent devant l'ingrale corvée qui lui est imposée,
autant elle mettra d'empressement et de bonne grâce à s'acquitter de
fendions propres à lui concilier le respect et la reconnaissance de tous.
. Telles sont en résumé, monsieur le directeur, les conclusions aux-
quelles m'ont amené mon expérience et l'expérience de tous ceux
de mes collègues qu'il m*a été donné d'entretenir. Vous ne jugerez
peut-être pas inutile de les placer sous les yeux de vos lecteurs, en
regard de l'opinion de l'éminent directeur de la Revue internationale
de renseignement.
Je vous prie d'agréer, monsieur, l'expression de mes sentiments
dévoués.
h' Élie Pécaut,
Membre fie la délégation cantonale des Basses-Pyrénées,
LES COMMISSIONS D'EXAMEN
On nous écrit ce qui suit :
Toulouse, le 20 avril 1885.
Monsieur le Rédacteur,
Permettez-moi, comme membre actif et dévoué des commissions
chargées d'examiner les aspirants et les aspirantes aux divers
brevets de l'enseignement primaire, de soumettre à votre apprécia-
tion et à celle de vos lecteurs les inconvénients fort graves qui me
paraissent résulter de la gratuité de ces fonctions. Je crois pouvoir
le faire au nom d'un grand nombre de mes collègues qui, comme
moi, n'ont pas reculé jusqu'ici et ne reculeront peut-être pas
davantage à l'avenir devant la tâche qu'on Impose à leur dévoue-
ment, mais qui, comme moi aussi, sont persuadés que ces examens
seraient beaucoup mieux faits s'ils étaient rétribués.
Cette rétribution existe dans plusieurs villes, sans compter Paris
mais elle est abandonnée à la bonne volonté ou aux ressources,
souvent fort précaires, des Conseils généraux. A Toulouse, il n'y a
LES COMMISSIONS d'examen 439
même pas de fonds pour certaines nécessités matérielles de Texamen,
et la préfecture se borne à nous donner des locaux, souvent même
fort insuffisants.
Ne croyez-vous pas que des commissions uniquement recrutées
en s'adressant à la bonne volonté de certains fonctionnaires risquent
fort de n'avoir pas toujours ni le zèle, nirexactitude, ni Thomogénéité
que l'administration serait en droit de leur demander si ceux qui
en font partie recevaient une allocation quelconque? Il me semble
que, même dans une société démocratique comme la nôtre, rien
n'empêcherait de faire payer un droit d'examen, si minime fût-il,
aux aspirants et aux aspirantes des brevets de capacité. Cela per-
mettrait d'allouer des jetons de présence aux examinateurs, tout en
couvrant certaines autres dépenses, sans grever le budget du minis-
tëre ou du département, et le fonctionnement de ces examens, si
importants et de plus en plus recherchés, serait beaucoup mieux
assuré à l'avenir. Je crois que MM. les inspecteurs d'académie et
MM. les inspecteurs primaires seront tous d'accord avec moi sur ce
point. D'après l'enquête sur la réforme des brevets de capacité,
publiée par le ministère, presque tous les fonctionnaires consultés
ont élé d'avis qu'on doit imposer un droit d'examen aux aspirants,
le moins lourd possible, à coup sûr, mais suffisant pour rémunérer
les examinateurs.
Or à quoi sert d'émettre en pareille matière des vœux purement
platoniques? Il faudrait que la commission du budget voulût bien
introduire un petit article dans la loi de finances, puisqu'un droit
d'examen constitue un impôt, et que tout nouvel impôt doit être
voté par les Chambres. Il suffirait, ce semble, de prélever dix
francs par candidat pour le brevet élémentaire, et vingt francs pour
le brevet supérieur; on rembourserait, d'ailleurs, cette somme aux
plus pauvres ou aux plus méritants, de façon à ne pas ôter a ces
examens leur caractère démocratique.
Si vous approuvez l'idée que j'ai l'honneur de vous soumettre, je
vous serai reconnaissant de bien vouloir insérer ma lettre dans
votre excellent recueil : peut-être tombera-t-elle ainsi sous les yeux
de quelques députés qui s'occupent de la question, et arriverons-
nous, par eux, a convaincre MM. les membres de la commission
du budget, et à entraîner, à leur suite, la migorité de la Chambre
et du Sénat, puisque c'est de ces pouvoirs que dépend uniquement
le sort de la solution que je propose.
Veuillez agréer, monsieur le rédacteur, avec mes remerciements
anticipés, l'assm^ance de ma considération la plus distinguée,
E. Hallberg,
Professeur à la Faculté des lettres.
Membre de la Commission du brevet supérieur.
LES ÉfyjLES ENFAXnXES EN SUISSE
Kn %knkn\f ômum iffuU: U SaiMêe, renfeignemeDl des écoles eoian-
tineu ptrftH ^tre en vole de progrès. La direelioQ donnée à ce genre
à'étjfU'M eftt hfrttne: les maîtresses, préparées à la pratique par un
Umff stage, al^^rdeot honorablement une mission délicate et diffi-
cile.
(}fktj* h Texp^^rience acqalse avant sa nomination, toute titolaire,
mise en garde contre les préjugés qui circulent sur Técole enfan-
tine, «ait garder un juste milieu entre Técole proprement dite et la
garderie.
Tomber dans le [dernier excès est déplorable au point de vue de
rintelllgence enfantine qui, trop faible eneore pour se livrer à des
études prématurées, se fatigue d'abord et, par la suite, prend l'école
an dégoût.
Dans le nocomï cas, ces établissements, si précieux pour la pre-
mU*rn enfance, perdent de leur valeur en ce qui concerne le déve-
lot)pement normal des forces physiques; l'Indiscipline règne dans
rec(;le f't les facultés intellectuelles elles-mêmes courent grand
risque d'Atre, en quelque sorte, atrophiées.
Clés diftéronts genres d'abus, vers lesquels les directrices des écoles
maternelles françaises font si souvent écueil, me paraissent n'avoir
eus auMMi HoigiiouMemont évités en Suisse, et particulièrement à
Gonèvc, que par Tapplicalion d'une méthode ingénieuse, simple,
blnn appropri<^e aux besoins de l'enfance et dont le personnel ensei-
gnant imrau avoir parfaitement saisi l'esprit.
flimo f\Q porlugall, inspectrice des écoles enfantines du canton de
Genève, dans des conférences nombreuses faites aux maîtresses,
leur <lonne des conseils pédagogiques précieux, complétés par des
cours très IntéresHants où elle leur apprend à enseigner les occu-
pations dr Fnrbel m\ n\(^me temps qu'à copier et à créer une quan-
tlt(^ de petits ouvrages que chacune collectionne ensuite méthodi-
qut^mont.
De plus, dans ses inspections, M»* de Portugall a l'habitude, lors-
1U0 In maitn^sse en témoigne le désir, de prendre elle-même la
irertion do Tc^cole, procédé excellent à l'aide duquel elle montre la
mise en pratique des théories exposées dans ses conférences.
Ainsi guid(W)s les dii\)ctriccs peuvent marcher rapidement et avec
suivit^ vers lo succès. Leurs hésitations sont notablement diminuées
au prolU du bon oniro et à l'avantage des écoliers. Quant aux résul-
LKS ÉCOLES ENFANTINES EN SUISS£ 441
tats obtenus, ils sont de nature à permettre aux élèves de suivre
avec fruit, à l'heure venue, les cours de l'école primaire. J'oserai
même dire qu'ils y deviennent les collaborateurs de la maîtresse,
collaborateurs d'autant plus conscients et intelligents qu'on a su
davantage exciter leur curiosité et diriger leur esprit dans la voie
de la découverte de la vérité.
L'emploi du temps suivi dans chaque école enfantine est absolument
le même pour tout le canton de Genève. Rédigé conformément au vœu
de la nature, il assure aux organes l'exercice nécessaire à leur déve*
loppement, sans négliger pour cela la culture des facultés intellec-
tuelles et morales. Les écoles, du reste, bien pourvues en mobilier
scolaire, ont en outre à leur disposition un matériel d'enseignement
assez riche pour permettre aux maîtresses 'de faire exécuter, dans
leur intégrité, les occupations frœbeliennes; elles gardent ainsi
l'unité de la méthode et en respectent l'esprit pédagogique.
Une application ainsi entendue offre les avantages d'un enseigne-
ment varié, condition fondamentale de succès à Técole maternelle où
il ne faut jamais perdre de vue l'extrême mobilité de l'enfant.
Veut-on obtenir de lui une attention soutenue, non contrainte,
mais naturelle et assurée, il faut lui fournir l'occasion de satisfaire
souvent à ce besoin de mouvement qui chez lui est chose éminem-
ment physiologique.
Partant, on fait de l'activité l'élément d'un système d'éducation
dans lequel elle est utilisée en faveur des sens et ceux-ci eux-mêmes
perfectionnés au profit de l'iutelligence.
Le sectionnement à l'école maternelle est ainsi opéré :
1"^ division: enfants de cinq à six ans,
2^ — enfants de quatre à cinq ans,
3® — enfants de trois à quatre ans.
Les exercices du matin durent de neuf à onze heures. Ils* recom-
mencent l'après-midi à deux heures et se terminent à quatre.
Dans la première division, on fait régulièrement deux causeries
par semaine : l'une traite de l'histoire naturelle, l'autre a pour sujet
une question de morale. Le reste du temps se partage entre rensei-
gnement de la lecture, de l'écriture et les occupations de Frœbel.
Ces dernières sont toujours en rapport avec la causerie dont elles
sont le développement concret.
Les travaux ordinaires pratiqués à l'école enfantine suisse con-
sistent en pliage, découpage, tissage, collage, piquage,^ broderie,
parfilage, jeux avec le sable, modelage, confection de chaînes, enfi-
lage de perles, dessins sur cartons à l'aide de boutons ou de surfaces
de couleurs différentes, constructions avec cubes, bâtonnets ou sur-
faces, jeux de balles, entrelacement de lattes et combinaisons de
cercles.
Les exercices du matin sont interrompus par le déjeuner auquel
on consacre un quart d'heure. La rentrée s'effectue ensuite silencieu-
A# <A M^'p'M/^ €^^Urtn Xg^ Art4i>:. Shm wxj'.ûr ic?» k£ mie
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¥0ff%iitUffi it¥^A UiH \i^mtUi% #4 réelproqoeflieot. On ina même joaqv'à
ipUf il/fi^ A$t lu rHï*i%Urti aux ré^Hàax ; on les i oppose coopables de
i'ÀtriMUin Hé;iâm t$iMUftiin qti'fm leur fait commettre et poar lesqaels
Ml Uur nitrUftên t^nnu'iU'. un fn//tivem^ot de repentir comme si les
rUtumn MMti'Ui AnuhM A*uuti amncïtnce morale; tout cela, sans
HiifMfm ^KplkMUtfi pr^IaMe ayant paur objet d'avertir l'enfant que
1'^ tMl ti't\ni qu'une fnhh* dont on veut tirer une conclusion, mais
HU'ni rM\U^ \m i'hn%4m m na pa»»ent jamais ainsi.
(Jwmi k In curioull/t (k l'onfant, elle est assez habilement excitée
pour qiin Mon l'fiprll rnnU* animé du désir , de connaître : on sait
dvitlllAr rlMi/ lui lo Jugement en provoquant, à l'occasion, la donnée
A'mrn il^llnlllon qu'il tire de l'aspect mémo des choses mises entre
«MM innluM. Il tint contraint do trouver par lui-même et de faire
MpliMJ |iluhU U Non IntnlUgenco qu'à sa mémoire.
l/iuifanl Nombln né exclusivement pour agir ; pourquoi donc
na pAA, ullIUtir rntlo nrlivité incessante pour orner son esprit
dn (lonnAlNNiinons phu a^réablob et plus faciles à acquérir par le
iihiréili^ hilulllf miti pnr U routine inintelligente à laquelle on Ta si
iunKloiu|m (Mintnunt .'
l/hunniio (\prunv(t lo beiioin de tout transformer autour de lui :
unit iihMuli'^h^ luUltiti(M) nu travail et à Tart s'oflhre à l'enfant dans
Ion oooii|mll(iuii IVa^boUonnoM : exerçons-le de bonne heure à pro-
ilulhs i\ lh\oii(or. ot nit^uio A apprtWier les avantages de Tordre et
1.0 Jou don ImlloM. |mr «i\omplo« appelle d*abord l'attention sur la
t\mm \ Il fHll J«^llltr U himii''rt(i d<»s paroles; je veux dire qull peint
loi \\\\\U ou\-iu<^n\0)i on obligt^nt Tenfant à se n^ndre compte de
lour N^nllUMlUui i^ir U ooiui^urtison que le $eus de la vue lui permet
4'i^Ubhr onli"^ lo» oI\j|oIa ol lo« mois qui les désignent. CVst ainsi
\)U'un oxoivl^v d'Ap|H^iviuv un |vu m^kanique peut ^tre transformé
«^u \iuo loywu do lîivviuoirio (Kviil U maitn*$;s^ lait ensuite découler
LES ÉCOLES ENFANTINES EN SUISSE 443
Il ea est de même des constructions : Tenfant ne doit pas toijyours
copier la maîtresse. Après quelque temps d'exercice, il atteint un cer-
tain degré d'habileté ; alors on peut lui permettre d'essayer ses forces,
de représenter, à sa façon, un objet désigné, en tenant compte de
rembarras qu'il éprouve et en ne le guidant qu'en raison directe des
dlfficuUés qu'il rencontre et de l'impossibilité dans laquelle il serait
d'arriver à son but sans l'intervention de la maîtresse. Cependant, il
est important de ne lever qu'à demi le voile afin de laisser k l'en-
fant le plaisir de la découverte. Par ce moyen, on active d'autant
plus rapidement les progrès que deux esprits sont à la recherche
de la vérité, celui de la maîtresse et celui de l'élève.
Les exercices de pliage habituent l'enfant à faire avec soin, pro-
preté et exactitude le travail qui lui est demandé.
Le découpage, dans lequel on ne voit souvent qu'une occupation
Fécréative et gymnastique propre à faire acquérir l'adresse des doigts,
ne sert pas seulement à donner de la dextérité à la main; il fournit
encore le moyen de faire connaître à l'enfant les lois les plus élé-
nientaires de la symétrie et, au point de vue du goût, il peut, dans
une certaine limite, développer chez lui le sentiment de l'esthétique;
il en est de même pour toutes les autres occupations. L'important est
de savoir graduer les difficultés.
J'avoue néanmoins que le système d'éducation employé par Frœbel,
pour être fructueusement appliqué, réclame de la part de la maî-
tresse, outre une étude particulière et approfondie, beaucoup d'ini-
tiative personnelle en même temps qu'une activité d'intelligence
directement en rapport avec les vues du grand pédagogue, c'est-à-dire
visant à faire à la fois de Fenfant un penseur et un travailleur. A
ce double point de vue, il importe d'être animé du même esprit
pédagogique que l'auteur afi^ de ne point laisser dégénérer l'ensem-
ble de ces procédés intelligents en un froid mécanisme dans lequel
disparaîtrait le fond de la méthode dont il ne resterait plus que la
forme, c'est-à-dire le côté extérieur.
Eu paicourant les cantons de Zurich et de Lucerne, j'ai pu me
rendre compte d'un genre d'organisation en réalité très différent de
celui que je viens de décrire.
I^s procédés employés dans les écoles enfantines de la Suisse
allemande, sont toujours ceux de Frœbel, mais ils ne sont point
complétés par l'enseignement de la lecture, de l'écriture et du
calcul. Ces sortes d'établissements sont plus spécialement désignés
sous le nom de Jardins d'Enfants.
Ce nom, du reste, leur convient particulièrement bien et peint
admirablement le milieu dans lequel se trouve l'élève. Ici se présente
l'idéal de l'éducation première telle que l'entendait Frœbel, dont le
rêve était de placer l'enfant dans un milieu où il aurait la vue des
champs, des jardins, et où il pourrait même cultiver des Heurs. Tout
cela, l'heureuse situation du pays l'offre à la profusion et la maîtresse
444 REVUE PÉDiGOGIQUI
sait en profiter. Lorsque le temps le permet, toute la bande enfan-
tine, tambour en tête, fait joyeusement l'ascension d'une montagne
ou se livre en pleine campagne à des jeux salutaires. On procède
aussi parfois à une herborisation ; les plantes recueillies sont utilisées
au décor des jeux de sable exécutés à l'école même et le plus
souvent à la suite d'une causerie après laquelle l'élève représente
avec du sable le lieu dépeint par la maltresse dans son histoire. Ce
genre de travail, très intéressant, donne à l'élève une certaine ini-
tiation artistique. Parfois on rapporte de la promenade quelques
échantillons des produits de cette belle nature, des minéraux, de
simples fragments de roche; tout cela collectionné dans une vibrine
sert de complément à la leçon orale. Ces divers objets deviennent
tour à tour les sujets d'entretiens familiers.
Le matériel d'enseignement à l'usage des jardins d'enfants est le
même que celui des écoles enfantines du canton de Genève. L'ameu-
blement seul diiTère en ce que les sièges, au lieu d'être des bancs,
sont des chaises. Quant à l'estrade, elle est également supprimée.
Durant la causerie, les élèves sont placés de façon a former un demi-
cercle en face duquel s'assied la maîtresse. S'agit-il de procéder à
quelque occupation, chaque enfant prend place auprès d'une table
horizontale et non oblique, assez large pour être occupée des deux
côtés à la fois.
J'ai constaté également, parmi les travaux des élèves les plus
avancés, quelques solides géométriques en carton de couleurs variées
et d'une forme rigoureusement exacte ; mais l'exécution de ces
solides réclame une précision et une habitude telles que les petits
artistes du jardin d'enfants ne s'en tirent honorablement qu'avec le
secours de la maîtresse.
Tels sont les principaux faits que j'ai pu observer dans mon récent
voyage en Suisse —
C. Lapéry.
Saint-Étienne, janvier 1885.
LES EXERCICES CALLISTHENIQUES
Dans l'ouvrage qu'il vient de publier sur Finstruction primaire
aux Etats-Unis (1), M. Paul Passy indique que des exercices calUs-
théniques sont pratiqués dans les écoles américaines. Il nous parai t
intéressant de donner quelques explications au sujet de ces exer-
cices.
* Nous empruntons au Rapport sur V Exposition de Philadelphie (2)
les renseignements suivants : « Les exercices callisthéniques sont un
usage propre aux écoles américaines. Ce sont des exercices analogues
à ceux de notre gymnastique de mouvement, mais ils sont accom-
pagnés de musique, quelquefois de chant, et entremêlés de jeux qui
appartiendraient presque autant à Técole de danse qu'au gynmase.
Plusieurs fois par jour, pendant les récréations, les enfants se réu-
nissent dans la reception-^oom et, à son défaut, dans la salle de classe
momentanément transformée en salle de gymnastique. La maîtresse
se met au piano et joue un air. Garçons et filles se placent sur plu-
sieurs rangs, entonnent les chants et commencent une série d'exer-
cices rythmés dont le piano seul donne le signal et règle la cadence.
Tantôt ce sont des exercices sur place : flexions des bras et de l'avant-
bras, des jambes, du cou, positions diverses tendant à exercer les
muscles de la poitrine, etc. ; tantôt des marches et contre-marches
qui, pour pouvoir se faire avec un gi*and nombre d'élèves dans un
local restreint, exigent autant d'ordre et de précision que les
manœuvres de l'école de peloton.
» Les jeunes filles prenant toujours part à ces exercices avec les
garçons, ou plutôt ces exercices étant essentiellement faits pour elles,
on les a réduits aux mouvements les plus élémentaires, les plus
doux, on en a banni tous ceux qui ne conviendraient qu'aux gar-
çons. Comme le mot l'indique, c'est d'abord la beauté, la grâce, la
souplesse élégante des mouvements que l'on a eues en vue dans cette
gymnastique de salon, au moins autant que la vigueur et la santé. »
Telle est la nature des exercices callisthéniques. Sont-ils bien un
<t usage propre » aux écoles des Etats-Unis? Constituent-ils un art
nouveau imaginé par les Américains? En un mot, quelle est l'origine
de la callisthénie? Comment a-t-elle pris place dans les programmes
d'éducation physique?
Si nous consultons les ouvrages et documents relatifs à l'ensei-
(1) La Revue a inséré un compte-rendu de cet ouvrage dans sa livraison du
15 mars 1885.
i2) Rapport suri' Exposition de Philadelphie, par M. F. buisson; Imprimerie
nationale.
448 REVUE PÉDAGOGIQUE
adoptée dans les écoles allemandes, ainsi que Ton en jugera par la
description ci-dessous d'exercices exécutés devant M. Eugène Paz
dans rAllemagne du Nord: a Les jeunes filles, correctement alignées,
prennent gravement leur pas de distance ainsi que des conscrits
qui se disposent à faire Técole du soldat ; on ouvre les rangs
comme dans nos trois premières leçons de peloton ; les mignonnes
travailleuses sont armées de la barrette de fer traditionnelle qu'elles
meuvent en tous sens, tout comme les garçons leurs émules ; elles
aussi exécutent avec la plus irréprochable ponctualité des demi-tours
et des volte-faces dignes du meilleur de nos grenadiers ; mais
insensiblement les distances se rapprochent, les mains s'enlacent,
les bras s'élèvent comme des guirlandes de fleurs, les rangs se
pressent, se croisent et se traversent avec une harmonieuse symétrie ;
les pointes des pieds se dressent et effleurent à peine le sol ; le joueur
d'harmonium indique le rhythme et le spectateur se trouve comme
par enchantement transporté en pleines régions du ballet de l'Opéra.
Les poses les plus gracieuses, les pas les plus hardis, les jetés-battus
les plus imprévus, la valse, le galop, la mazurka, toutes les cadences
se succèdent avec un entrain, un ensemble et une gi'âce char-
mantes (1)... y>
Une description aussi séduisante n'engage-t-elle pas à demander
l'introduction d'exercices analogues dans nos écoles de filles ?
L'examen de cette question nous ferait sortir du cadre de ces
simples observations. Nous avons seulement voulu montrer que
notre système d'éducation physique contient peut-être une lacune
entre la gymnastique et la danse. Nous appelons sur ce point
Tattention des personnes compétentes.
R. Sabatié.
(1 ) Rapport sur renseignement de la gymnastique en Allemagne, en Au-
triche, en Belgique et en Hollande, par Eugène Paz (1868).
ENCORE LES CAHIERS DE DEVOIRS MENSUELS
L'inspecteur d'académie des Basses-Alpes s*est fait envoyer par la
poste les cahiers mensuels de 50 écoles. Nous croyons utile de
résumer les principales observations auxquelles l'examen de ces
cahiers a donné lieu.
« Dans un grand nombre d'écoles, dit-il, les maîtres et maitressen
font inscrire chaque mois au cahier mensuel un devoir sur chacune
des matières du. programme; il en résulte qu'au bout de très i;eu
de temps le cahier se trouve rempli et l'élève est obligé de le renou-
veler deux ou trois fois dans Tannée, ce qui n'est pas sans incon-
vénients. Toutes les branches du programme doivent certainement
être représentées, mais il faudrait que Ton s'arrangeât de façon à
ce que le cahier mensuel pût suffire pour l'année entière ; il n'y
aurait pour cela qu'à répartir les matières en deux groupes; le
premier groupe comprendrait par exemple la grammaire, le calcul,
la rédaction française, Thlstoire et la géographie ; le second groupe,
l'instruction morale et civique, les sciences physiques et naturelles,
l'écriture et le dessin.
» Les devoirs du premier groupe figureraient tous les mois et
ceux du second groupe tous les deux mois.
» Le choix des devoirs laisse quelquefois à désirer, surtout pour
la dictée et la composition française. Les dictées sont souvent trop
longues et trop difficiles; nous en avons trouvé qui renfermaient
jusqu'à 33 et 40 fautes. Les maîtres et maîtresses ne devraient pas
oublier que lorsque l'élève fait plus de 8 à 10 fautes dans la dictée,
il n'en retire aucun profit. Quant aux sujets de style, ils doivent en
général être empruntés au milieu dans- lequel vit l'enfant. Celui-d
ayant à parler de choses qui lui sont familières trouve plus faci-
lement des idées et s'habitue peu à peu à les exprimer correctement.
» Quelques instituteurs et institutrices se contentent de souligner
les fautes et ne donnent pas de note pour l'ensemble de chaque
devoir ; il y a là une véritable négligence en même temps qu'un
oubli des instructions ministérielles contenues dans la circulaire du
25 août 1884.
» Toutes les fautes doivent être soulignées et corrigées à l'encre
rouge ; elles doivent en outré être indiquées à la marge. »
L'inspecteur d'académie des Basses-Alpes recommande l'emploi
du cahier modèle qui n'est aujourd'hui en usage que dans un certain
nombre de classes. Les dispositions de ce cahier ne peuvent que
rendre plus facile la tâche des maîtres et maîtresses.
Nous lisons d'autre part dans le Bulletin départemental de rVcnnê t
sBvui rÉDASoeiQui 1885. — !•' sul f9
4S0 EEVUK PÉDAGOOIQUE
c Quelques maîtres ne s'occupent pas avec assez de soin des cahiers
de scolarité. Nous ne saurions trop les engager à relire les instruc^
tiens contenues au Bulletin n<> 126 et à s'y conformer de leur mieux,
surtout pour le choix, la gradation, le nombre des devoirs inscrits
et le retour périodique et mensuel des exercices de chaque cours.
9 Personne ne méconnaît les grands services que cette modeste
institution scolaire est appelée à rendre, il ne Oaut pas perdre de
vue, en outre, que c'est avant tout par leurs collections de cahiers
de devoirs mensuels que les écoles et les circonscriptions académiques
seront représentées à TExposition universeUe de 1889. Ainsi on peut
être certain que dans quatre ans tous ces cahiers seront recueillis
et expédiés tels quels, pour être comparés à ceux des autres écoles,
des autres départements, et même des autres nations. »
Disons encore, pour terminer, comment on a essayé de procéder
méthodiquement, dans l'arrondissement de Saint-Quentin, à Texa-
men des cahiers qui sont adressés chaque mois à Tinspecteur pri-
maire par quelques instituteurs. Un comité spécial a rédigé un
questionnaire qui se recommande à l'attention de nos lecteurs. Des
notes correspondant aux diverses questions sont transmises aux
intéressés par les soins de l'inspecteur primaire. Voici le question-
naire en question :
< 1<> Suit-on l'ordre indiqué dans les conférences d'octobre 1884
et au Moniteur scolaire du 1«' décembre 1884?
2<* Les devoirs correspondent-ils aux indications des programmes
mensuels ?
3^ L'initiative du maître se fait-elle sentir dans le choix des
devoirs?
4^ Les devoirs dans chaque cours sont-ils toi^ours appropriés à
la force des élèves ?
15^ Les devoirs sont-ils trop longs ou trop courts ?
ef^ Ont-ils pu être faits dans la durée fixée par l'emploi du temps
pour une leçon correspondante ?
70 Ont-ils été précédés d'une préparation trop longue ?
S^ Paraissent-ils être le travail personnel de l'élève?
9* Les cahiers sont-ils proprement tenus?
10* Les devoirs sont-ils corrigés et suffisamment annotés par le
maître ? 3
A. B.
LA PRESSE ET LES LIVRES
Les pensionnaires de collège chez les Oratoriens de Troyes av
xviii^ siècle, par M. Gustave Carrée professeur agrégé d'histoire au
lycée de Reims ; iii-8^ de 18 pages, Reims, Imprimerie coopérativot
1884. — Cette brochure est la reproduction d'une lecture £aite par
le jeune et spirituel professeur à la séance publique annuelle de
l'Académie nationale de Reims, le 17 juillet de Tannée dernière*
L'étude de M. Carré est viye, amusante, et nous donne des détails
curieux sur l'intérieur d'un collège du xviii* siècle.
A quel r^me étaient soumis les pensionnaires des Oratoriens de
Troyes? M. Carré nous le fait connaître par le menu, et il faut con-
yem'r qu'au point de vue du bien-^tre matériel il égalait, s'il ne
dépassait pas, nos internats actuels les plus aristocratiques. Voici,
par exemple, le chapitre de la nourriture :
a C'est une idée généralement reçue, dit M. Carré, que les pen-
sionnaires du temps passé n'avaient aucune idée des douceurs culi--
naires dont on gratifie le collégien d'aujourd'hui. N'en déplaise à nos
économes et à nos chefs d'institution, la table des Pères du collège
de Troyes était peut-être supérieure à la leur.
» Le déjeuner du matin se composait, non pas de l'inévitable
panade et du classique morceau de pain sec, mais d'un petit pain
moloiy bien frais et bien tendre, accompagné d'une tasse de lait pur
au printemps et en été, de châtaignes, de pon[mies,de pruneaux et
de fruits secs en hiver et en automne.
» Le fond du diner et du souper consistait, comme de nos jours,
en viande de boucherie, en poisson, en œufs, en légumes. On forçait
sur la morue et les harengs au saint temps du Oéiréme. Mais avec
quel art consommé les Pères savaient faire prendre à leurs pension-
naires leur mal en patience! C'était justement au temps de la
morue et des harengs qu'on voyait apparaître le plus fréquemment
sur la table du réfectoire les anchois, le thon mariné, le saumon,
les tourtes maigres, les petits pâtés en poisson, les tartelettes en
confitures, les échaudés, les beignets de riz et de figues, etc. (1).
» Chaque saison apportait, du reste, avec elle ses variantes dans
la carte du jour. En hiver, la charcuterie troyenne se présentait avec
honneur sous forme de boudins, d'andouillettes, de saucisses, de
cervelats, de jambons, de hures, de langues fumées (2). En été, à
(1) Archives de TAube, D. 50, 53, 54, 55, 57, etc. [Mémoires des fimmi/fm
seurt du coUège.)
(2) Archlfes de l'Aube, D. 66, 68, etc
4S2 ABTUS PtlIAfiOGIQm
l'époque des finit ^^ on te niait en cuisine. C'étaient des tourtes en
raisins et en abricots, des tartes en prunes, des pâtés en cerises et
en ijoires. Le chef mettait au feu toutes ses bassines, car la saison
des fraise», des framboises et des groseilles était aussi celle des
confitures (i). — 11 ne se présentait pas dans le courant de l'année
de jour quelque peu solennel, qoe les Pères ne se crussent obligés
de le fêter par un plat qui sortît de l'ordinaire : par des pâtés de
?eau ou de dinde, d3s pétés chauds de côtelettes de mouton. Au
besoin on s adressait à un pâtissier de profes>ion, et celuî-d four-
nissait, par nombreuses douzaines, des petits pât^, des godiveaux,
des choux glacés, des biscolios, des croquantes, des bi>cuits. Pour
peu que le saint fût en grande vénération dans le diocèse, on ajou-
tait à la carie des frangipanes, des plats de chinoises, des puits
d'amour couverts de caramels filé, etc. — 11 y avait cependant des
(êtes dont la célébration restait à la charge des pensionnaires. Telles
étaient la Saint-Nicolas et l'Epiphanie, qui se fêtaient à grand renfort
de pâtisseries et où le bon vin coulait autrement qu'^n abondance (2). »
Bien nourris, bien tournés aussi^ les élèves des Oratoriens, et
formés à toutes les belles manières.
« Nous ne nous arrêterons pas, dit M. Carré, â cet article du vieux
règlement, qui recommandait aux jeunes gens de changer de sou-
liers tous les jours, de linge deux fois la semaine, de bas le plus
souvent possible. C'est ce qui se passe encore aujourd'hui. La pro-
preté est de tous les siècles. Mais là où le vieux règlement difiTère
singulièrement du nôtre, c*est quand il ajoute : « Tous les soirs on
• met des papillotes, et tous les matins, pendant la première étude,
» on se fait peigner et iguster. Les jours de dimanche et de fêtes,
» et lorsqu'on doit sortir en ville, on s'habille plus proprement qu'à
» Tordinaire; on se fait faire les cheveux par le perruquier de la
» maison de la façon et toutes les fois que les Pères de la pension
9 le Jugent à propos (3). »
• C'est que la mode n'était pas encore venue, dans les collèges,
d'imiter les anciennes Têtes-Rondes de la Révolution anglaise. On
ne tondait alors que les forçais et les mauvais sujets enfermés dans
les maisons de correction. Tant que le siècle fut aux perruques, les
collégiens qui se respectaient en portèrent (4). Plus tard, quand il
fut de bon goût do porter des cheveux de son crû, ils se firent pou-
drer à blanc avec une bourse, des boucles et des rouleaux pomma-
dés. Le coiffeur n'était pas de trop pour mener à bien toutes ces
tètes d'écoliers si promptes à s'ébouriffer. Aussi sa présence était-elle
fort régulière au collège et, certes, il n'y perdait pas sa peine. A
(i) Archives de l'Aube, D. 68, 73.
J2) Idem, D. 66, 73.
(3) RcgUmcnt, art. XXIV.
(4) Archives de TAube, D. 51, 55.
LA PBIS81 ST LIS LITRES 453
chaque séance, tout en déployant son art, il trouvait moyen d'écouler
auprès de ses jeunes clients des allonges cordelées, des kalogans,
des rosettes de rubans, des flacons d'odeur, des boîtes de poudre
parfumée, de la pommade en bftton et de la pommade liquide (i).
Telle était la place qu'occupait au collège cet artiste indispen-
sable, qu'on lui avait disposé un laboratoire spécial, un peignoir on,
comme comme on dirait aujourd'hui plus élégamment, un salon
de coi dure (2).
« C'était surtout aux jours de fête ou de sortie que les pension-
naires se montraient dans toute leur gloire. Les plus élégants por-
taient des souliers de castor à talons avec boucles d'argent, dés
bas de soie blancs, des culottes de pluche ou des culottes de raffle
gris-blanc, des vestes écartâtes avec boutons dorés ou d'argent, des
habits à parements, des redingotes étoffées et richement boutonnées,
des chapeaux en castor borda de velours avec boucles d'argent (3).
Ces jours-là les gentilshommes recevaient leurs épée^, qu'ils avaient
dû, en temps ordinaire, déposer entre les mains d'un des Pères de
la pension. La précaution n'était pas inutile : car il parait qu'un
jour un rhétoricien avait dégainé contre son professeur. Minitattu
erat gladio prcKeptori (4).
» La plus grande urbanité devait régner parmi ces jolis petits mes-
sieurs. Le règlement était formel à cet égard. 11 leur interdisait de
se pousser, de porter la main les uns sur les autres, de se tirer par
les vêtements, d'ôtor les redingotes sans permission, de débouton-
ner les vestes à plus de moitié. Il défendait en outre « les termes
» injurieux, les disputes, les querelles, les murmures, les menaces,
» les jurons et autres mots de cette espèce ». Rien, soit dans les
propos, soit dans les façons, ne devait faire passer l'élève de l'Ora-
toire pour un rustre ou un mal appris (5). »
Parallèlement aux conditions du régime, M. Carré nous fait con-
naître la carte à payer. En principal il faut convenir qu'elle n'avait
rien de bien effrayant ; mais il y avait des accessoires. Cest on
procédé qui n'est pas nouveau.
« Le prix de la pension du collège de Troyes a varié suivant les
temps, tout d'abord les Oratoriens avaient cru pouvoir la fixer à
75 livres par an ; mais ils ne tardèrent pas à s'apercevoir que cette
somme ne répondait pas aux frais que leur imposait l'entretien d'un
jeune homme bien endenté, et ils rélevèrent presque aussitôt à 200
livres. Au commencement du xviii® siècle elle était de 300 livres, de
340 en 1740, de 360 en 1786, de 400 en 1787.
(1) Archlrei de TAube, D. 50, 51, 55, 66, etc.
(2) Idem, D. 57.
(3) Idem, D. 53, 54, 57, 67, etc.
(4) Catalog. icola$t., t. n.
(5) Règlement, art. IX et X.
446 REVUE PÉDAGOGIQUE
gnement de la gymnastique parus en France dans les dernières
années, nous constatons qu'aucun d'eux ne fait mention des exer-
cices caUisthéniques. Nous trouvons seulement, en remontant bien
avant, un volume de la collection Roret, publié en 1830 sous le
titre de Calisthénie (1) ou gymnastique des jeunes filles. Ce livre D*est
lui-même^ que la reproduction d'un ouvrage anglais. En effet, ainsi
que Fauteur 1 explique dans sa préface, la callisthénie, jusqu'alors
complètement ignorée chez nous, était déjà connue en Angleterre
depuis un certain temps. « A Londres, dit-il, elle est admise dans
les principaux pensionnats ; les jeunes demoiselles que l'on y a sou-
mises ont acquis de la grâce, de la force, une meilleure santé et
une grande stalure. » (Calisthénie, préface, p. XI.) De quelle époque date
l'introduction des exercices callislhéniques dans les écoles anglaises?
Quelques recherches historiques permettent de répondre à cette
question.
Vers 1820, deux des principaux propagateurs de l'enseignement
de la gymnastique en Suisse, le professeur Vœlker et le capitaine
Clias, quittèrent leur pays pour aller se fixer en Angleterre où de
belles promesses les attiraient. Vœlker est le fondateur du premier
établissement gymnastique de Londres. Gias installa un gymnase
npiodèle à Ghelsea et composa plusieurs ouvrages ayant trait à l'éduca-
tion physique, parmi lesquels La Callisthénie ou Somascétique naturelle
appliquée à V éducation physique des jeunes filles (2). C'était la première
fois que le mot Callisthénie apparaissait en tête d'un volume, aussi
Clias a-t-il cru bon de justifier son titre. Voici en quels termes :
c Plusieurs dames de qualité, dit-il, en première ligne la duchesse
de Wellington, modèle de toutes les vertus, frappées des avantages
obtenus par l'usage des exercices gymnastiques que nous avons
introduits à Londres en 1821, formèrent le projet d'en faire l'applica-
tion à l'éducation des jeunes filles. Les médecins les plus distingués
de la Grande-Bretagne donnèrent unanimement leur approbation à
cette idée heureuse, qui fut fécondée avec zèle et persévérance.
Nous fûmes chargé de la direction de ces exercices, et nous pûmes
alors faire sur une grande échelle l'essai de notre méthode. Les
succès dépassèrent les espérances. La gymnastique fut dès lors
reconnue comme devant faire partie de l'éducation générale des
jeunes filles, et, pour désigner cet art nouveau, ou employa le
mot Callisthénie. * (Clias, Callistlwniey introduction, p. XIV.)
Ces explications seront utilement complétées par celles que nous
fournit un article de la Revue britannique (1828) :
(1) Cette orthographe fautive indique que l'auteur se [)iquait de savoir le
grec. 11 ignorait toutefois que si l'adjectif grec kalos s'écrit avec une seule /,
cette consonne était doublée par les Grecs eux-mêmes dans tous les mots
composés : calligraphie, callipédie, Calliopey Callinice, etc.
(2) Ce livre a été publié en allemand à Berne (18i8).
LES £]LERCIG£S CALLISTHÉNIQUES 447
(i ... Parmi les disciples du docteur Yœlker on compte quelques
dames de haut rang auxquelles il enseigne des exercices convenables à
leur sexe. Dès que le public en fut instruit, la mode s'empara de cette
nouveauté. Ces exercices furent offerts aux nombreuses prosélytes
qui voulurent y prendre part, les établissements furent multipliés,
des livres furent imprimés pour guider les instituteurs et les élèves;
on imagina qu'un art nouveau venait d'être créé ; il fallait un mot
pour le désigner: on adopta celui de callistkénie... *
Les résultats très satisfaisants obtenus par la méthode de Glias
sont constatés dans plusieurs documents officiels de l'époque. «Aussi,
dit-il, ma méthode se répandit rapidement dans tout le royaume, et,
tandis que depuis vingt-cinq ans on fait en France des efforts inu-
tiles pour établir la somascétique sur des bases solides, six années
et la centième partie des frais employés en France pour cet objet ojit
suffi pour la nationaliser dans toute l'Angleterre ainsi que dans les
États-Unis d'Amérique où plusieurs élèves formés à Londres Vont
importée. »
Cependant Gias ne désespérait pas de recueillir chez nous les
mêmes succès. Dans ce but il était venu vers 1840 fonder un gym-
nase à Besançon. 11 y put bientôt faire apprécier les avantages de sa
méthode, qui furent signalés au mim'stre de l'instruction publique
par le préfet et par le recteur. < Ce qui distingue surtout la méthode
de M. Clias, écrivait le recteur (lettre du 8 avril 1842), c'est une
simplicité de moyens qui la rend applicable même dans les écoles
de village. Elle présente un système d'exercices gradués qui, sans
danger, sans appareils dispendieux ni compliqués, favorisent le
développement harmonique des organes, accroissent les forces
musculaires, donnent aux membres la souplesse, au corps une con-
stitution salue et robuste.
• ... Introduite dans les écoles normales primaires, elle exercerait
la plus heureuse influence sur la santé des élèves-maîtres... >
Le ministre accorda-t-il l'autorisation ? il est certain que la so-
mascétique fut enseignée en France pendant quelques années dans
plusieurs établissements scolaires, ceux, notamment, de la ville de
Paris. Mais il importe de remarquer qu'il existe une différence entre
la callisthénie telle qu'elle est conçue dans rou\ rage de Clias et dans
le traité Roret, et les exercices callisthéniques dont nous avons repro-
duit plus haut la description. La callisthénie n'a été d'abord qu'une
gymnastique réduite à des mouvements d'assouplissement et à des
exercices simples convenant spécialement aux jeunes filles ; modi-
fiée ensuite, elle s'est transformée en un art tout à fait particulier
tenant à la fois de la gymnastique et de la danse, — une sorte de
combinaison de ces deux enseignements.
La callisthénie importée en Angleterre par Clias et Yœlker n'a
pas cessé d'y rester en vogue. Nous savons qu'elle fait partie de
l'enseignement dans les écoles américaines. Elle a été également
448 REVUE PÉDAGOGIQUE
adoptée dans les écoles allemandes, ainsi que Ton en jugera par la
description ci-dessous d'exercices exécutés devant M. Eugène Paz
dans rAllemagne du Nord: a Les jeunes filles, correctement alignées,
prennent gravement leur pas de distance ainsi que des conscrits
qui se disposent à faire Técole du soldat ; on ouvre les rangs
comme dans nos trois premières leçons de peloton ; les mignonnes
travailleuses sont armées de la barrette de fer traditionnelle qu'elles
meuvent en tous sens, tout comme les garçons leurs émules ; elles
aussi exécutent avec la plus irréprochable ponctualité des demi-tours
et des volte-faces dignes du meilleur de nos grenadiers ; mais
insensiblement les distances se rapprochent, les mains s'enlacent,
les bras s'élèvent comme des guirlandes de fleurs, les rangs se
pressent, se croisent et se traversent avec une harmonieuse symétrie ;
les pointes des pieds se dressent et effleurent à peine le sol ; le joueur
d'harmonium indique le rhythme et le spectateur se trouve comme
par enchantement transporté en pleines régions du ballet de l'Opéra.
Les poses les plus gracieuses, les pas les plus hardis, les jetés-battus
les plus imprévus, la valse, le galop, la mazurka, toutes les cadences
se succèdent avec un entrain, un ensemble et une grâce char-
mantes (i)... »
Une description aussi séduisante n'engage-t-elle pas à demander
l'introduction d'exercices analogues dans nos écoles de flUes ?
L'examen de cette question nous ferait sortir du cadre de ces
simples observations. Nous avons seulement voulu montrer que
notre système d'éducation physique contient peut-être une lacune
entre la gymnastique et la danse. Nous appelons sur ce point
Tattention des personnes compétentes.
R. Sabatié.
(1 ) Rapport sur renseignement de la gymnastique en Allemagne, en Au-
triche, en Belgique et en Hollande, par Eugène Paz (1868).
ENCORE LES CAHIERS DE DEVOIRS MENSUELS
L'inspecteur d'académie des Basses-Alpes 8*est fait envoyer par la
poste les cahiers mensuels de 50 écoles. Nous croyons utile de
résumer les principales observations auxquelles Texamen de ces
cahiers a donné lieu.
« Dans un grand nombre d'écoles, dit-il, les maîtres et maîtressen
font inscrire chaque mois au cahier mensuel un devoir sur chacune
des matières du programme; il en résulte qu'au bout de très i;eu
de temps le cahier se trouve rempli et l'élève est obligé de le renou-
veler deux ou trois fois dans Tannée, ce qui n'est pas sans incon-
vénients. Toutes les branches du programme doivent certainement
être représentées, mais il faudrait que Ton s'arrangeât de façon à
ce que le cahier mensuel pût suffire pour l'année entière ; il n'y
aurait pour cela qu'à répartir les matières en deux groupes ; le
premier groupe comprendrait par exemple la grammaire, le calcul,
la rédaction française, Thistoire et la géographie ; le second groupe,
l'instruction morale et civique, les sciences physiques et naturelles,
l'écriture et le dessin.
■» Les devoirs du premier groupe figureraient tous les mois et
ceux du second groupe tous les deux mois.
9 Le choix des devoirs laisse quelquefois à désirer, surtout pour
la dictée et la composition française. Les dictées sont souvent trop
longues et trop difficiles; nous en avons trouvé qui renfermaient
jusqu'à 33 et 40 fautes. Les maîtres et maîtresses ne devraient pas
oublier que lorsque l'élève fait plus de 8 à 10 fautes dans la dictée,
il n'en retire aucun profit. Quant aux sujets de style, ils doivent en
général être empruntés au milieu dans- lequel vit l'enfant. Celui-d
ayant à parler de choses qui lui sont familières trouve plus faci-
lement des idées et s'habitue peu à peu à les exprimer correctement.
» Quelques instituteurs et institutrices se contentent de souligner
les fautes et ne donnent pas de note pour l'ensemble de chaque
devoir ; il y a là une véritable négligence en même temps qu'un
oubli des instructions ministérielles contenues dans la circulaire du
25 août 1884.
9 Toutes les fautes doivent être soulignées et corrigées à l'encre
rouge ; elles doivent en outré être indiquées à la marge. >
L'inspecteur d'académie des Basses-ÂJpes recommande l'emploi
du cahier modèle qui n'est aujourd'hui en usage que dans un certain
nombre de classes. Les dispositions de ce cahier ne peuvent que
rendre plus facile la tâche des maîtres et maîtresses.
Nous lisons d'autre part dans le Bulletin départemental de rYonm :
aiVUl PiDAOOtlQDI 1885. — 1*' SUL fè
4S0 EEVUK PÉDAGOGIQUE
c Quelques maîtres ne s'occupent pas avec assez de soin des cahiers
de scolarité. Nous ne saurions trop les engager à relire les instruc-
tions contenues au Bulletin n^ 126 et à s'y conformer de leur mieux,
surtout pour le choix, la gradation, le nombre des devoirs inscrits
et le retour périodique et mensuel des exercices de chaque cours.
» Personne ne méconnaît les grands services que cette modeste
institution scolaire est appelée à rendre, il ne faut pas perdre de
vue, en outre, que c'est avant tout par leurs collections de cahiers
de devoirs mensuels que les écoles et les circonscriptions académiques
seront représentées à FExposition universelle de 1889. Ainsi on peut
être certain que dans quatre ans tous ces cahiers seront recueillis
et expédiés tels quels, pour être comparés à ceux des autres écoles,
des autres départements, et même des autres nations. »
Disons encore, pour terminer, comment on a essayé de procéder
méthodiquement, dans Tarrondissement de Saint-Quentin, à l'exa-
men des cahiers qui sont adressés chaque mois à l'inspecteur pri-
maire par quelques instituteurs. Un comité spécial a rédigé un
questionnaire qui se recommande à l'attention de nos lecteurs. Des
notes correspondant aux diverses questions sont transmises aux
intéressés par les soins de l'inspecteur primaire. Voici le question-
naire en question :
< lo Suit-on l'ordre indiqué dans les conférences d'octobre 1884
et au Moniteur scolaire du 1«' décembre 1884?
2<* Les devoirs correspondent-ils aux indications des progranunes
mensuels ?
3^ L'initiative du maître se fait-elle sentir dans le choix des
devoirs?
A^ Les devoirs dans chaque cours sont-ils toi^ours appropriés à
la force des élèves ?
5^ Les devoirs sont-ils trop longs ou trop courts ?
6® Ont-ils pu être faits dans la durée fixée par l'emploi du temps
pour une leçon correspondante ?
70 Ont-ils été précédés d'une préparation trop longue ?
8^ Paraissent-ils être le travail personnel de l'élève?
9* Les cahiers sont-ils proprement tenus?
10* Les devoirs sont-ils corrigés et suffisamment annotés par le
maître ? >
A. B.
LA PRESSE ET LES LIVRES
Les pbhsionnaires di collège chez les Oratoriens de Troyes av
xviii^ SIÈCLE, par M. Gustave Carré, professeur agrégé d'histoire au
lycée de Reims ; iii-8^ de 18 pages, Reims, Imprimerie coopérativot
1884. — Cette brochure est la reproduction d'une lecture £aite par
le jeune et spirituel professeur à la séance publique annuelle de
r Académie nationale de Reims, le 17 juillet de Tannée dernière.
L'étude de M. Carré est viye, amusante, et nous donne des détails
curieux sur l'intérieur d'un collège du xviii* siècle.
A quel régime étaient soumis les pensionnaires des Oratoriens de
Troyes? M. Carré nous le fait connaître par le menu, et il faut con-
venir qu'au point de vue du bien-^tre matériel il égalait, s'il ne
dépassait pas, nos internats actuels les plus aristocratiques. Voici,
par exemple, le chapitre de la nourriture :
a C'est une idée généralement reçue, dit M. Carré, que les pen-
sionnaires du temps passé n'avaient aucune idée des douceurs culi-
naires dont on gratifie le collégien d'aujourd'hui. N'en déplaise à nos
économes et à nos chefs d'institution, la table des Pères du collège
de Troyes était peut-être supérieure à la leur.
» Le déjeuner du matin se composait, non pas de l'inévitable
panade et du classique morceau de pain sec, mais d'un petit pain
molot^ bien frais et bien tendre, accompagné d'une tasse de lait pur
au printemps et en été, de châtaignes, de ponmies,de pruneaux et
de firuits secs en hiver et en automne.
» Le fond du diner et du souper consistait, comme de nos jours,
en viande de boucherie, en poisson, en œufs, en légumes. On forçait
sur la morue et les harengs au saint temps du Carême. Mais avec
quel art consommé les Pères savaient faire prendre à leurs pension-
naires leur mal en patience! C'était justement au temps de la
morue et des harengs qu'on voyait apparaître le plus fréquemment
sur la table du réfectoire les anchois, le thon mariné, le saumon,
les tourtes maigres, les petits pâtés en poisson, les tartelettes en
confitures, les échaudés, les beignets de riz et de figues, etc. (1).
» Chaque saison apportait, du reste, avec elle ses variantes dans
la carte du jour. En hiver, la charcuterie troyenne se présentait avec
honneur sous forme de boudins, d'andouillettes, de saucisses, de
cervelats, de jambons, de hures, de langues fumées (2). En été, à
(1) Archives de l'Aube, D. 50, 53, 54, 55, 57, etc. [Mémoires des foum^fm
seurs du collège,)
(2) Archlfes de l'Aube, D. 66, 68, etc
4S2 ABVUI PtDAGOGIQUl
répoque des fruits, on te ruait en cuisine. C'étaient des tourtes en
raisins et en abricots, des taries en prunes, des pâtés en cerises et
en |K>ires. Le chef mettait au feu toutes ses bassines, car la saison
des fraises, des framboises et des groseilles était aussi celle des
confitures (i). — 11 ne se présentait pas dans Je courant de l'année
de jour quelque peu solennel, que les Pères ne se crussent obligés
de Je fêter par un plat qui sortît de l'ordinaire : par des p&tés de
veau ou de dinde, d3s pAtés chauds de côtelettes de mouton. Au
besoin on s*adressait à un pâtissier de profes>ion, et celui-ci four-
nissait, par nombreuses douzaines, des petits pâtés, des godiveaux,
des choux glacés, des biscotins, des croquantes, des biscuits. Pour
peu que le saint fût en grande vénération dans le diocèse, on ajou-
tait à la carte des frangipanes, des plats de chinoises, des puits
d'amour couverts de caramels filé, etc. — Il y avait cependant des
fêtes dont la célébration restait â la charge des pensionnaires. Telles
étaient la Saint-Nicolas et l'Epiphanie, qui se fêtaient à grand renfort
de pâtisseries et où le bon vin coulait autrement qu'^n abondance (2). »
Bien nourris, bien tournés aussi^ les élèves des Oratoriens, et
formés à toutes les belles manières.
c Nous ne nous arrêterons pas, dit M. Carré, â cet article du vieux
règlement, qui recommandait aux jeunes gens de changer de sou-
liers tous les jours, de linge deux fois la semaine, do bas le plus
souvent possible. C'est ce qui se passe encore aujourd'hui. La pro-
preté est de tous les siècles. Mais là où le vieux règlement diffère
singulièrement du nôtre, c^est quand il ajoute : < Tous les soirs on
• met des papillotes, et tous les matins, pendant la première étude,
» on se fait peigner et iguster. Les jours de dimanche et de fêles,
» et lorsqu'on doit sortir en ville, on s'habille plus proprement qu'à
> l'ordinaire; on se fait faire les cheveux par le perruquier de la
» maison de la façon et toutes les fois que les Pères de la pension
» le Jugent à propos (3). »
• C'est que la mode n'était pas encore venue, dans les collèges,
d'imiter les anciennes Têtes-Rondes de la Révolution anglaise. On
ne tondait alors que les forçats et les mauvais sujets enfermés dans
les maisons de correction. Tant que le siècle fut aux perruques, les
collégiens qui se respectaient en portèrent (4). Plus tard, quand il
fut de bon goût de iK)rler des cheveux de son crû, ils se firent pou-
drer à blanc avec une bourse, des boucles et des rouleaux pommar
dés. Le coiffeur n'était pas de trop pour mener à bien toutes ces
tètes d'écoliers si promptes a s'ébouriffer. Aussi sa présence était-elle
fort régulière au collège et, certes, il n'y perdait pas sa peine. A
(i) Archives de l'Aube, D. 68, 7i.
J2) /tfem, D. 66, 73.
(3) Hêglemsnt, art. XXIV.
(4j Archives de TAube, D. 51, 55.
LA P1188£ ST LIS LIYRKS 453
chaque séance, tout en déployant son art, il trouvait moyen d'écouler
auprès de ses jeunes clients des allonges cordelées, des kalogans,
des rosettes de rubans,. des flacons d'odeur, des boîtes de poudre
parfumée, de la pommade en bftton et de la pommade liquide (i).
Telle était la place qu'occupait au collège cet artiste indispen-
sable, qu'on lui avait disposé un laboratoire spécial, unpeignoir on,
comme comme on dirait aujourd'hui plus élégamment, un salon
de coiffure (2).
> C'était surtout aux jours de fête ou de sortie que les pension-
naires se montraient dans toute leur gloire. Les plus élégants por-
taient des souliers de castor à talons avec boucles d'argent, dés
bas de soie blancs, des culottes de pluche ou des culottes de raffle
gris-blanc, des vestes écarlates avec boutons dorés ou d'argent, des
habits à parements, des redingotes étoffées et richement boutonnées,
des chapeaux en castor borda de velours avec boucles d'argent (3).
Ces jours-là les gentilshommes recevaient leurs épées, qu'ils avaient
dû, en temps ordinaire, déposer entre les mains d'un des Pères de
la pension. La précaution n'était pas inutile : car il parait qu'un
jour un rhétoricien avait dégainé contre son professeur. Minitattu
erat gladio prceceptori (4).
» La plus grande urbanité devait régner parmi ces jolis petits mes-
sieurs. Le règlement était formel à cet égard. 11 leur interdisait de
se pousser, de porter la main les uns sur les autres, de se tirer par
les vêtements, d'ôtor les redingotes sans permission, de débouton-
ner les vestes à plus de moitié. Il défendait en outre « les. termes
» injurieux, les disputes, les querelles, les murmures, les menaces,
» les jurons et autres mots de cette espèce ». Rien, soit dans les
propos, soit dans les façons, ne devait faire passer l'élève de l'Ora-
toire pour un rustre ou un mal appris (5). »
Parallèlement aux conditions du régime, M. Carré nous fait con-
naître la carte à payer. En principal il faut convenir qu'elle n'avait
rien de bien effrayant ; mais il y avait des accessoires. C'est nn
procédé qui n'est pas nouveau.
c Le prix de la pension du collège de Troyes a varié suivant les
temps. Tout dabord les Oratoriens avaient cru pouvoir la fixer à
75 livres par an ; mais ils ne tardèrent pas à s'apercevoir que cette
somme ne répondait pas aux frais que leur imposait l'entretien d'un
jeune homme bien endenté, et ils rélevèrent presque aussitôt à 200
livres. Au commencement du xviii^ siècle elle était de 300 livres, de
340 en 1740, de 360 en 1786, de 400 en 1787.
(1) Archirei de l'Aube, D. 50, 51, 55, 66, etc.
(2) Idem, D. 57.
(3) Idem, D. 53, 54, 57, 61, etc.
(4) Catalog. scola$t., t. II.
(5) Règlement, art. IX et X.
454 MYTC PtDàûOQSQOE
» Le prix était raisonnable pour Tépoque ; mais les frais géné-
raux accessoires faisaient monter la pension à un chiffre hien
autrement élevé. Plus d'un père de familie qui, sur la foi de VAl-
fnanadi de Troyes, croyait n'avoir à payer pour la pension de son
fils qu'une somme déterminée, devait assurément froncer le sour-
cil quand, à la fin du trimestre ou de Tannée, on lui présentait la
note, revue et considérablement augmentée ; quand il apprenait
qu'il fallait, en dehors du prix de la pension, payer 3 livres poar
l'association, — 3 livres pour i'écu de la Saint-Luc, — 3 livres pour
Tannée du valet de pension, — I livre 10 sous pour les étrennes
du domestique, — 3 livres pour les étrennes du fils, — i livre 4
sous pour les expériences de physique, — 2 livres pour les énig-
mes, — i^ sous pour Tencre, — 6 sous 6 deniers pour les chaises
d'église, — 4 livres pour les ports de lettres. Qu'était-ce quand, à la
note officielle, se joignait celle du perruquier pour les cheveux, la
queue, la poudre et la pommade, — celle de l'apothicaire pour les
médicaments et les clystères, — celle du chirurgien pour les saignées
et les pansements, — celle du médecin pour les consultations, — celle
du libraire pour les livres et les fournitures de bureau, — celle
du maître à danser pour les leçons de maintien et de révérence, —
celles du tailleur, du ravaudeur, delà blanchisseuse, du cordonnier,
du chapelier, etc. ? Et ce n'était pas tout: il arrivait parfois que
toutes ces factures, qui formaient déjà dans leur ensemble un fort
joli mémoire, se grossissaient d'une foule de d'îtails imprévus :
42 sous pour la Saint-Nicolas, — 12 sous pour le gâteau des Rois, —
10 sous pour une promenade à la campagne, ~ 15 sous pour « un
carreau cassé avec du mastique », — 4 livres pour un pupitre ferré a
neuf, — 12 livres pour un Virgile de Desfontaines, — 8 livres pour
un Virgile de l'Université, — 10 livres pour un Traité des études
<le Roliin, — 7 livres pour les Hymnes de Santeuil (1), etc. »
En somme, conclut M. Carré, les maîtres du temps passé, à en
juger par les Oratoriens du collège de Troyes, « se préoccupaient
trop volontiers de faire des jeunes gens confiés à leurs soins des
liommes du monde ; ceux d'aujourd'hui se proposent tout simplement
d'en faire des hommes. »
Nous voulons croire qu'il a raison.
HisTOiRB DE France, rédigée conformément au plan d'études des
écoles primaires du 27 juillet 1882. — Cours élémentaire et cours moyen,
— Récits et entretiens sur l'histoire nationale depuis les origines
jusqu'à nos jours par R. Jalliffier et H. Vast. Ch. Delagrave, éditeur,
1884.— Si, comme on Ta d;t avec autant d'esprit que de raison, un livré
bien fait est un livre bienfaisant, le livre de MM. Jalliffier et Vast est
un des plus bienfaisants qui soient. U est composé d'après un plan
(1; Archives de l'Aube, D. 50 à 74.
LA raiSSI IT LIS LITRES 48S
tout à fait réussi. Chaque leçon ^ y en a trente-trois pour le cours
élémentaire et autant pour le cours moyen) est précédée d'un court
sommaire très précis et très net qui doit être appris presque mot
à mot par l'élève. Puis vient un récit destiné, selon le vœu du pro-
gramme, a fixer l'attention tm les principaux personnages et les grands
faits de notre histoire nationale. Un questionnaire divisé en deux
parties termine la leçon ; la première, adaptée au résumé, demande à
rélève des réponses littérales et en quelque sorte la récitation de
chaque phrase de ce résumé ; la seconde, adaptée au récit, laisse à
rcmfant plus de liberté, et lui permet de raconter plutôt que de
réciter. A la fin de chaque livre (il y en a cinq dans le cours élé-
mentaire et six dans le cours moyen) une leçon de révision donne
au maître le moyen de revenir sur les faits déjà appris pour en
reprendre et en souligner les points les plus importants. En outre,
les auteurs ont igouté, à l'usage des élèves qui suivent le cours
moyen, et qui sont déjà plus expérimentés et plus formés que leurs
camarades du cours élémentaire, un certain nombre de sujets de
devoirs appropriés à chacun des six livres dont se compose le cours.
Des cartes et des vignettes d'exécution inégale, mais fort habilement
choisies^ illustrent le récit et font revivre les événements et les per-
sonnages. Tout cela nous paraît très pratique, très ingénieux, très
judicieusement arrangé et distribué pour la plus grande utilité du
maître et de l'élève et pour le plus grand bien de renseignement.
Quant à Tesprit général du livre, nous ne saurions mieux k
faire connaître qu'en empruntant quelques lignes à la courte préface
écrite par MM. Jallifiier et Vast:
« Nous nous sommes tracé, disent-ils, les règles suivantes :
» Sobriété dans le choix des faits et clarté dans l'exposition. Noms
de rois, batailles, traités, dates, nous avons réduit tout cela au strict
nécessaire. En revanche nous avons essayé de conserver aux hommes
leur caractère, aux faits leur physionomie, tout en écartant les
détails et les anecdotes dont l'authenticité nous paraissait trop
contestable.
» indépendance et modération dans les jugements : nous nous
sommes souvenus des paroles de M. le ministre dans son discours
prononcé à la Sorbonne le 15 avril 1882: « Nous ne croyons pas
* qu'il soit bon de dire à la jeunesse : avant la date éclatante de 1789,
* il n'y a rien, rien que des tristesses, rien que des misères, rien que
» des hontes. Cela n'est pas vrai d'abord, et ensuite cela n'est pas
» sain pour la jeunesse. Cela même n'est pas bon pour la Révolution
» française qu'on se flatte d'exalter par ce zèle imprudent. Je trouve
« que la Révolution Irançaise a tout à gagner si on la présente aux
■» jeunes générations non comme une surprise, mais comme un
» dénouement. »
MM. Jallifiier et Vast ont tenu parole. Il n'y a pas une ligne de
leur livre qui mente à ce progranmie si simple et si patriotique. Ils
4S6 AEVUX PiDAMGIQDK
n'ont négligé aucune occasion de mettre en relief la portée morale d<fs
événements et de rappeler à leurs jeunes lecteurs leur devoirs envers
le pays et envers eux-mêmes. — « Il (Harold) ne savait pas qu'un
mrment est toujours sacré, qu'il y ait ou non des reliques et des
ossements. « ii^ partie, p. 63). -* « Quand la patrie est menacée k
premier devoir de chaque citoyen est de la défendre. » (^ partie, p.
38). — « Il faut déplorer ces violences (de la Terreur) et flétrir les
crimes qui rappellent les siècles de barbarie. Mais thistoire de la
Révolution n'est pas tout entière dans ces crimes. > (^ partie, p. 162). —
c Ainsi tant de victoires, tant d'armées sacrifiées n'avaient servi (en
4815) qu'à rendre la France plus faible et plus menacée I Cest ia
punition des peuples qui s'abandonnent à un homme, à un conquérant,
au lieu de se gouverner avec sagesse et de se défendre avec modération. >
(2* partie, p. 185). — « Ne nous rappelons ces lugubres journées (de
la Commune) que pour détester la guerre civile et en éviter à tout jamais
le retour. « (2^ partie, p. 216). — Vérités banales, si l'on veut, mais
qu'il est toujours bon de rappeler aux enfants qui seront un jour
des hommes et des citoyens, et qui se conduiront dans la vie d'après
les enseignements qu'ils auront reçus à l'école.
Le mérite littéraire de ce petit livre nous plaît autant que la va-
leur morale des leçons que l'on y, trouve à chaque page. Nombre
de chapitres sont nouveaux, et nous savons des ouvrages de propor-
tions plus amples et de prétentions plus hautes où on les cher-
cherait vainement. Telles sont notamment, dans la première partie,
la leçon 17, Le seigneur et les serfs ; la leçon 27, Paris, capitale de
la France; la leçon 30, Progrès de la France ; dans la seconde partie»
la leçon 20, Les colonies françaises au xvu<> et au wiii* siècle, etc. —
Souvent les auteurs nous décrivent en quelques lignes de petits
tableaux d'un relief et d'un pittoresque vraiment remarquables.
Voyez par exemple cet intérieur d*un manoir féodal : « Le seigneur
était comme un roi sur ses terres.... Mais sa vie était bien triste
dans le château-fort où il était renfermé. Sa chambre, située en
général au premier étage, n'était accessible que par une échelle.
Par les meurtrières qui tenaient lieu de fenêtres tous les vents
passaient et le jour n'arrivait pas. Les troncs d'arbres qui fumaient
dans d'immenses cheminées ne pouvaient pas réchauiler ce sombre
intérieur. De la paille hachée menue tenait lieu de lapis. Le seigneur
vivait là toujours isolé, toiyours oisif ; il s'ennuyait profondément
parce qu'il ne faisait rien. Aussi ne songeait-il qu'à sortir de son
château pour aller chercher au dehors J'air, la lumière, la société.
Il était toujours en quête de mouvement et d'aventures. » (1'^ partie,
p. 57). Ce morceau n'est-il pas excellent ? Et les enfants qui le
liront ne verront-ils pas se dresser devant eux ces durs barons
dont l'existence était si monotone et si misérable ? — Et ce court
passage sur les terreurs de l'an mille : « On a appelé cette époque
le siècle de fer. C'est le règne de l'épée. La misère plongeait les
LA PRESSE Kl LIS UYBES 487
iiommes dans le désespoir. On répétait que f le soir du monde appro-
chait », c'est-à-dire qu'on allait être plongé dans la nuit éternelle.
Peu de temps avant Fan mille, le bruit se répandit que le monde
allait finir. Cette nouvelle remplissait les grands de terreur, les
pauvres de joie. Mais Tan mille passa, le soleil continua de briller ;
les hommes se reprirent à espérer. » (1^* partie, p. 73). — Et plus
loin, lorsqu'il s'agit de donner une idée de la nouvelle armée orga-
nisée après la guerre de 1870, au lieu de lancer un chiffre qui ne
parlerait guère à l'imagination, MM. Jalliffier'et Vast écrivent cette
phrase : « Si l'on supposait que l'armée francise défilât par la porte
d'une ville sans s'arrêter un instairt^i le jour ni la nuit, il's'écoulerait
un demi-mois avant que le dernier homme eût passé. » (2* partie,
p. t\l). L'expression n'est-elle pas plus vive que si les auteurs
avaient dit simplement : La France peut mettre en temps de
guerre 2,423,164 hommes sous les armes ?
C'est donc donc un tout à fait bon livre que ce petit volume, et
nous ne saurions trop le recommander. Les quelques réserves que
nous pourrions faire sur certains points de délail n'ont pas assez
d'importance pour qu'il soit nécessaire d'y insister longuement.
Nous en indiquerons rapidement deux ou trois. A )a page 18 (Impartie),
il est dit dans le sommaire : « En 312, l'empereur Constantin adopta
la religion chrétienne et mit fin aux persécutions. > Constantin
n*adopta pas la religion chrétienne en 312. A cette date, il se borna
à la reconnaître officiellement. C'est seulement en 337, dans les der-
niers mois de sa vie, qu'il se fit baptiser et encore par un évêque
arien, Eusèbc de Nicomédie. ~ Plus loin, à la page 41, nous trou-
vons cette phrase : « Charlemagne avait l'iiabitude de tenir par an
deux grandes assemblées des Francs fiour délibérer sur les expéditions
à entreprendre, et pour faire approuver ses Capitulaires. » Il est
douteux que les assemblées du Champ de Mars dont il est ici parlé
aient été des assemblées délibérantes.
A la page 23 (2* partie), le sommaire de la quatrième leçon
commence ainsi : « A la mort de Louis XI, Anne de Beaujeu exerce
la régence pour son frère mineur^ Charles VIII. > Louis XI est
mort le 30 août 1483. Charles VIII, né le 30 juin 1470, était donc
entré dans sa quatorzième année et par conséquent majeur, aux
termes dé la fameuse ordonnance de Qiarles V, quand il succéda à
son père. — Page 126, nous lisons : « Frédéric II remporta sur les
Français une de ses plus faciles victoires, celle de Rosbach. » Est-
il bien exact de représenter Rosbach comme une défaite française?
Soubise n'avait pas le commandement en chef à Rosbach. Il n'était
que le subordonné du prince de Saxe-Hildburghausen, placé à la
tête de l'armée à'exéctUûm ou armée des cercles allemands chargée
ai' exécuter les décisions de la diète de Francfort qui s'était prononcée
pour Marie-Thérèse, dans le conflit entre l'Autriche et la Prusse.
Sur les soixante mille soldats qui composaient l'armée franco-im-
4S8 lEYin rÈMàMCÊOiaE
périAle, les deux tiers étaient allemands, on tien seolemmt Iria-
çaiSy et ces Français n'y figuraient qu'à litre d'aoxiliaîres. Soubiae
penchait à éviter la rencontre. Uiidbnrgtiansen Tooiat combattre.
Cest lui qui prit toutes les di^Kwitions et qui doit porter la respoii'
sabilité des événements. Les Impériaux s'enfuirent Jusqu'à Beixe
lieues du champ de bataille. La cavalerie française sauva du- moins
l'honoeur : 223 de nos officiers forent tués ou blessés. N'est>il pus
juste d'en conclure que Rosbach est une défaite aUemande beaucoup
]dutôt qu'une défaite française? — Page 172, nous trouvons cette
phrase : < La phis grande ouvre du Consulat fut le Gode civil. » Penl-
ètre eût-il été utUe de meationnièr ici que le Code civil n*est pas
sorti de la tète de Bonaparte comme Minerve tout armée du cervean
de Jupiter. Les grandes assemblées de la Révolution s'étaient vivement
préoccupées de mettre nos lois civiles en harmonie avec les principes
de 89. La Convention notamment consacra soixante séances à des
intervalles plus ou moins éloignés à ces travaux législatifs. La Con-
stituante avait posé le principe des successions. La Législative avait
établi les actes de l'état civil. La Convention décréta successivement
régalité des partages entre les héritiers, les dispositions relatives à
l'adoption, à la paternité, à la tutelle, aux contrats. Cette tâche,
poursuivie a travers les tempêtes Intérieures et la lutte contre
l'Europe, était terminée en 1795. Mais Bonaparte voulait que tout
désormais portât son nom et son empreinte. De là la création da
la commission qui de 1800 à 1803 reprit l'œuvre de Cambacérès, de
Treilhard, de Merlin de Douai et réunit toutes les lois de la RévolutioB
en trente-six ordonnances successives qui reçurent en 1807 le nom
de Code Napoléon. Nous aurions souhaité qu'un mot n^ipelât que
les partis révolutionnaires. Feuillants, Girondins, Montagnards, ont
travaillé tour à tour à cette œuvre admirable qui allait fonder
l'égalité sociale en France.
Mais nous l'avons dit, et nous tenons à le redire, ces quelques
critiques de détail n'enlèvent rien au mérite et à l'intérêt de ce
livre qui, avec ses qualités de mesure, de sobriété, de science et de
conscience, rendra les plus grands services à nos maîtres et à leurs
élèves. 9 Nous espérons que l'enfant en étudiant nos récits familters
s'y fortifiera dans le dévouement à son devoir et l'amour de sa patrie. »
Ce vœu par lequel MM. Jallifiier et Vast terminent leur trop modeste
préface sera réalisé, nous leur en donnons l'assurance. En trur-
vaillant à nous préparer dans l'école de bons citoyens et de bons
Français, ils auront bien mérité de l'enseignement primaire et de
tous ceux qui en ont la ciiarge devant le pays. A. Gazrau.
Madamk db Mainteron, institutrice, par Emile Paguet^ professeur
au Lycée Charlemagne, 1 vol. in-16, H. Lecène et H. Oudin, éditeurs,
Paris. — Ce volume de 250 pages, et dont le prix broché n'est que
de 1 fr. 50, contient une introduction où M. Faguet a étudié dans
LÀ PRI86I WT Lit LIYRKS 400
Madame de Maintenon la femme, rinstitatriee, l'écrivain. Il a résu-
mé à la suite les appréciations de la critique moderne (Sainte-Beuve,
Gréard, Mézièrea) sur la véritable fondatrice de renseignement des
jeunes filles en France. Vieot ensuite le texte, soigneusement col«
lationné sur les meilleures éditions, des extraits, des lettres, avis,
entretiens, conversations et proverbes de Madame de Maintenon sur
l'éducation. Enfin M. Faguet a donné des notes explicatives et de
nombreux éclaircissements où il a fait entrer la substance du Trai-
té de l'Education des filles de Fénelon, dont Madame de Maintenon
s'est inspirée. Cette nouvelle édition est précédée d'un portrait,
d'après Mignard (musée de Versailles), représentant Madame de
Maintenon avec son élève Mlle de Blois.
Code sfANUEL des certificats, brevets, examens et concours de
l'enseignement primaire, par Charles LhommCy Paris, H. Lecène et
U. Oudin, 1885 i vol. in-12 de 445 pages. — Depuis quelques années,
les examens de l'enseignement primaire ont pris une telle exten-
sion, intéressent tant de personnes, que les ouvrages de législation,
les codes scolaires se multiplient. Chaque éditeur d'ouvrages classi-
ques veut avoir le sien et c'est à qui aura le plus complet. Sous ce
dernier rapport, on peut dire que l'ouvrage de M. Charles Lhomme
atteint la perfection du genre et qu'il ne pèche point par défaut.
Quiconque peut avoir besoin de connaître ce qu'est un examen
d'enseignement primaire, depuis l'examen que l'enfant instruit dans
la famille doit subir chaque année aux termes deU loi du 28 mars
1882, jusqu a l'examen du professorat dans les écoles normales, est
sûr de trouver dans le livre de M. Ch. Lhomme les renseignements
les plus complets. On pourrait désirer plus d'ordre dans la disposi-
tion des documents, une division mieux marquée dans les divers
ordres d'examens, enfin une codification plus parfaite. Mais l'auteur
a voulu être complet, donner tous les textes officiels se rattachant
à la matière (et l'on sait s'ils abondent !) ; aussi a-t-il fait un gros
volume qui sera consulté utilement, sinon commodément, par tous
ceux qui par besoin personnel ou par devoir professionnel ont à
s'occuper des examens primaires. B. B.
De l'éducation a l'école primaire, professionnelle, supérieure
et normale, par M. Vessiot^ inspecteur d'acadénue, membre du Con-
seil supérieur de l'instruction publique. Paris, chez Ract et C**,
éditeurs, 1885. — Nos lecteurs connaissent déjà un chapitre d^ ce
livre, que l'auteur avait bien voulu nous communiquer en épreuves, et
qui a paru dans le dernier numéro de la Revue, On a vu avec quelle
élévation d'esprit et avec quelle sûreté de jugement M. Vessiot a
parlé de la nécessité de développer, surtout dans une démocratie
comme la nôtre, le sentiment du respect. Les mêmes qualités se
retrouvent dans tout l'ouvrage. La préface indique nettement le bot
du livre:
MO AIVUI PÉSA«OaiQUK
« En l'état des croyances et des mœurs, sous un régime qui donne
]e droit au nombre, instruire est bien, moraliser est mieux. Si Fim
est utile, Faotre est nécessaire, car une société a encore plus besoin
de moralité que de savoir et d'honnêtes gens que de gens instruits.
Nous n'apporlons pas un nouveau système; du reste, en matière
d'éducation, les systèmes n'ont guère que l'apparence de la nou-
veauté, et cette nouveauté même est à bon droit suspecte... Ce n'est
pas de systèmes que nous avons besoin, ce ne sont pas les Inmiè-
les qui nous manquent, mais les exemples et les hommes; il faut
donc former des éducateurs. Le sentiment ' des besoins de l'heure
présente, l'observation de l'état moral de l'enfance, des influences
malsaines ou bienfaisantes auxquelles elle est actuellement exposée,
des conditions favorables et défavorables dans lesquelles s'entreprend
l'oeuvre de l'éducation nationale, du concours ou des obstacles que
cette œuvre rencontre dans les institutions, les idées et les mœnrs,
ont donné naissance à cet ouvrage ; il est né aussi du désir sincère
de venir en aide aux instituteurs dans la grande tâche que les cir-
constances leur imposent. »
M. Vessiot ne se refuse pas d'envisager de haut les grandes ques-
tions qui de tout temps ont préoccupé les moralistes, mais c'est aux
instituteurs qu'il s'adresse surtout, c'est dans Yépo\e qu'il tient à
se renfermer autant que possible. Signalons, entre autres, les excel-
lents chapitres consacrés aux récompenses et aux punitions. Cest
donc par son caractère essentiellement pratique que ce livre se
distingue de toutes les publications antérieures : c'est ce qui en fait
la valeur et le mérite; c'est ce qui en fera certainement le succès.
A. Bbueieh.
Langue allemande.
Uns école normale Israélite. — Les Rheinische Blâtter donnent
quelques renseignements intéressants sur la fondation de l'école
normale Israélite qui va occuper les beaux bâtiments construits à
Miînster à cet efifet, et qui portent le nom de Fondation Mark-
Haindorf,
Il y a soixante ans environ, en Allemagne, en Prusse, les Israé-
lites ne possédaient même pas d'écoles primaires ; ils ne pouvaient
pas avoir d'instituteurs; on ne les recevait pas dans les écoles nor-
males, du moins à titre d'élèves réguliers; ils ne pouvaient qu'y
rester quelques jours en passant. Du reste, sauf le commerce,
presque toutes les branches de l'activité humaine leur étalent in-
terdites.
En 1825, un médecin, le D^ Heilbronn, fonda à Minden une asso-
ciation ayant pour but de répandre la connaissance des métiers parmi
les juifs; il s'agissait de procurer à quelques enfants abandonnés
des moyens d'apprentissage.
La même année, cette même idée fut reprise et étendue par le
LÀ PRESSE ET LES UVRES 461
professeur Haindorf, qui constitua à Munster une association des-
tinée non seulement à placer de jeunes apprentis, mais encore à
fonder une école où les plus intelligents des enfants Israélites orphe-
lins'ou abandonnés recevaient l'instruction nécessaire pour les pré-
parer à devenir instituteurs.
Celte association réussit pleinement, et son influence dépassa
bientôt les limites des provinces de Westphalie et du Rhin pour
lesquelles elle avait été primitivement fondée.
Le D' Haindorf, professeur de médecine et de chirurgie a la Fa-
culté de Munster, devenu riche par un mariage avec la fille d'un'
opulent habitant de Hamm, W^^ Mark, se consacra à son école normale
avec un admirable et infatigable dévouement. Il réussit à écarter
les difficultés, à vaincre les mauvais vouloirs, à réunir les fonds
nécessaires, à gagner pour son œuvre la sympathie et le concours'
de gens de toute religion. Il joignit à l'école normale une école
annexe qui finit par acquérir une grande extension et une certaine
renonmiée. Dans la classe supérieure, on enseignait le latin, le
français et l'anglais; des enfants des divers cultes recevaient les
mêmes leçons ; des fils de riches négociants venaient partager cer-
taines études des jeunes normaliens. Des professeurs distingués,
des spécialistes connus tenaient à honneur de venir enseigner dans
l'établissement; plusieurs le faisaient sans rétribution.
La maison était une sorte de république, qui se gouvernait par
les délibérations et l'entente des maîtres. Le D' Haindorf animait
tout de sa vie, de son entrain. Il s'était réservé de faire des cours
d'histoire naturelle et de déclamation, tout en continuant ses cours
à la faculté et sa pratique médicale en ville; il venait fréquemment
assister aux leçons des maîtres ; on le voyait souvent aux leçons de
mathématiques, qui avaient lieu en été le matin de cinq heures à six,
se glisser silencieusement dans la salle, s'asseoir derrière les élèves
et écouter tranquillement. 11 se rendait souvent aussi au milieu des
élèves, causait avec eux, les conseillait, les dirigeait, les encoura-'
geait, et restait parfois avec eux fort avant dans la soirée.
La mort de Haindorf en 1862 fut une perte immense pour l'école»
mais l'œuvre était fondée et ne périt pas. Un comité s'organisa, on
directeuv (ut mis à la tête des maîtres, des fonds furent recueillis,
des legs furent institués ; la belle-mère de Haindorf avait déjà fait
une donation de près de cent mille francs qui ne fit que s'accroître
par d'autres dons et par des souscriptions annuelles. Le comité se
vit enfin assez riche pour construire une école neuve dont la pre-
mière pierre fut posée le 2 mai de l'année dernière, centenaire de
la naissance du D' Haindorf. L'avenir et la prospérité de cet
établissement semblent désormais assurés.
Les ÉPRBirvBS publiques. — Il est d'usage dans les écoles alle-
mandes de faire passer tous les ans, à la fin de Tatoée, des examens
401 IKVUS PÉDÀ606IQU1
publics, qui ont lieu devant les familles, divers professeurs, un
inspecteur, et un certain nombre de personnes qui à un titre quel-
conque s'intéressent à Técole. Ces épreuves consistent en interro-
gations faites par l'instituteur même de la classe, et durent pour
cbaque classe une demi-heure. On discute en ce moment la ques-
tion de safoir si ces épreuves publiques sont utiles ou non; elles
ont leurs détracteurs et leurs partisans. Plusieurs articles de
revues pédagogiques traitent ce sujet.
Les uns font remarquer que pour un grand nombre de classes,
ces épreuves sont une pure comédie ; le maître prépare ses élèves
à répondre par cœur à des questions déterminées d'avance; il
désigne à la fois les questions, les réponses, les élèves qui répondent.
On cite des faits probants, des maîtres qui se trompent d*élèves et
qui obtiennent des réponses qui sont de vrais coq-à-l'âne; des
classes inattentives parce que les enfants savent que ceux qui ont
été marqués et stylés d'avance seront les seuls interrogés. II s'agit
de jeter de la poudre aux yeux, d'étonner le public, de charmer
les parents, de tromper sur la valeur de l'enseignement donné.
Quelquefois le maître se propose uniquement de faire briller les
enfants de famille influente et d'obtenir ainsi une gratification de
la munificence du conseil scolaire.
Certains maîtres sont incapables de rien tirer de leurs élèves, et
se décident à poser les questions et les réponses, se contentant
d'obtenir de simples oui et non. Plusieurs n'ont qu'une préoccupa-
ti(m, remplir la demi-heure obligatoire tant bien que mal, parlent
lentement, répètent à plusieurs reprises les questions posées, les
réponses données, et réusissent à ennuyer les auditeurs qui se pro-
mettent de ne plus revenir.
La principale objection, ou du moins la plus sérieuse, qui est
faite aux interrogations publiques, c'est qu*elles tendent à faire pré-
dominer la recherche de la quantité de savoir acquis sur celle de la
qualité, de la méthode. On vise à bourrer la mémoire des enfants
plus qu'a développer harmoniquement leurs facultés, à les instruire
plus qu'à les élever, parce qu'il est plus facile de ûdre apprécier à
un auditoire de deux ou trois cents personnes les choses apprises
que la manière dont elles <mt été enseignées et les résultats acquis
plutôt que les germes féconds des résultats futurs.
Les partisans des épreuves publiques, qui correspondent jusqu'à
un certain point à nos solennelles distributions de prix, y voient de
sMeux avantages et en demandent énergiquement le maintien. Ces
interrogations peuvent très bien faire vohr, disent-ils, non seulement
ce qui a été enseigné, mais dans quel esprit, avec quelle méthode
renseignement a été donné. 11 y a des abus possibles; il est f&cheox
que les maîtres ne comprennent pas le devoir d'interrogations sin-
cères, mais il appartient aux directeurs d'écoles, aux inspecteots
de le leur faire sentir. On pourrait faire poser qualités questions
LA PRKSai ET LIS LITUS « 463
par une autre personne que rinstituteor habituel; mais ce serait
dérouter les enfants; le mieuxest de déterminer les maîtres à donner
autant que possible, pendant cette demi-heure, l'image de leur
enseignemeat ordinaire.
La perspective de la séance publique est un stimulant pour tous;
nul ne veut rester en arrière ; et si Ton a soin d'éviter une oon-
Gurrence fiévreuse et malsaine entre les écoles, on obtiendra de
bons résultats.
Ces séances publiques ont en outre l'avantage d'initier les parents
à la vie scolaire, de les intéresser aux travaux de leurs enfants,
de leur montrer sur le fait les bonnes méthodes d'enseignement,
la manière de diriger les esprits, de les mettre sur la voie; elles
sont un enseignement pour les familles. De plus, elles établissent
un lien plus étroit entre la famille et l'école ; ces deux facteurs de
l'éducation concourent ensemble, à ce moment, visiblement, à la
même œuvre; les parents voient le maître à sa tâche, si difficile,
si délicate, lui savent gré de ses efforts, comprennent mieux les
difficultés qu'il rencontre, sont plus disposés à l'aider, à l'encou-
rager.
Enfin, c'est Toccasion d^une fête scolaire qui élève les esprits et
les cœurs, qui rapproche, qui réjouit, qui met l'école en lumière,
qui contribue par conséquent à l'éducation morale du peuple.
En résumé, il en est de ces examens publics comme de tant
d'autres procédés; ils valent par l'esprit qu'on y apporte, par le
but qu'on y poursuit; on peut les ravaler au rang de simple rou-
tine et de dangereuse comédie, ou les transformer en un excellent
moyen de bonne et féconde pédagogie* Tant vaut le maître, tant
vaut le procédé.
Lis DI8TRIBUTI01I8 DE PRIX. — La Deutêehe Sehulseitung prend la
défense des distribntlons de prix, dont la suppression a été deman-
dée récemment au conseil municipal de Berlin.
Les théoriciens qui condamnent les prix, dit l'auteur de l'article,
s'appuient sur Tautorité de Kant, d'après lequel les châtiments
forment les c naturels servUes », et les récompenses les « naturels
mercenaires », tandis que ceux qui ne sont pas récompensés regar-
dent leurs camarades d'un air jaloux. Les enfants, dit-on, doivent
apprendre à travailler par devoir et non par crainte ou par innbition;
la curiosité chez les élèves, le talent chez le maître doivent suffire
à entretenir l'attention et l'application; la recherche de^ récompenses
et la crainte des châtiments constituent des mobiles immoraux.
L'auteur de l'article répond que ce n'est pas du premier coup que
les enflants peuvent être âeyéi à ces hautes conceptions de monditè!}
qu'on ne peut pas demander» même à des hommes, de renoncer i
to^ute disUnctioa et récompense de leur mérite et de leurs eflèrta,
qu'ils ont besoin d'être encouragés dans leur travail par des résultats
464 BIVUl VÉDÀ60CIOUS
visibles, quis'ajoutent utilement au sentiment du devoir; que le monde
est ainsi fût et que les enfants vivent au milieu de ce monde.
La nature des côifants est plus portée encore que celle des hommes
vers ce qui frappe les sens ; ce n'est que graduellement, par l'effet
même de Téducation, qu'on peut arriver à les « spiritualiser ».
Gomment doncexi;^er d'eux ce qu'on n'exige pas de nous, qu'ils fassent
sans cesse le bien, sans penser ni à récompense ni à châtiment,
uniquement par sentiment du devoir et pas amour du bien?
Kant, qui condamne les récompenses, se garde bien d'écarter les
punitions. Le motif de la crainte est-Il donc plus noble que celui de
l'honneur ou de l'ambition? L'un des deux principes est tout
au moins aussi dangereux que l'autre et ne propose pas de meilleurs
mobiles. Oui, les théoriciens ont raison; le but de toute éducation
doit être d'amener les enfants à faire le bien par pur amour du bien;
mais la récompense et le châtiment sont des moyens indispensables
pour se rapprocher de ce but; il est seulement bien entendu qu'il
faut les employer d'une manière intelligente, de moins en moins
matérielle et grossière, jusqu'à ce que l'enfant, devenu homme,
trouve les plus efficaces châtiments et récompenses dans sa conscience
même.
L'auteur déclare expressément, du reste, que les distribations de
prix doivent se faire sans une solennité et une pompe excessive, de
façon à ne pas donner aux enfants l'idée qu'ils sont des person-
nages en quelque sorte publics et importants. Mais il ne serait pas
bon d'autre part de supprimer sans une nécessité absolue des
habitudes populaires anciennes, profondément enracinées. Il faut à
la vie un certain éclat, et surtout à la vie des enfants ; il faut sa-
voir parler à leur imagination et imprimer d'heureux et utiles
souvenirs dans leur mémoire.
Il peut sans doute y avoir parfois, par exception, des erreurs dans
Tattribution des récompenses; mais est-il humainement possible
de les éviter, même dans de simples louanges et blâmes? Quant
à l'envie, à la jalousie qui pourront naître au cœur des^âlèires non
récompensés, est-ce une raison pour refuser les laurier^ au mérite ?
Peut-on supprimer les mauvais sentiments en les ménageant de la
sorte? Les enfants sont habituellement justes, et ils ne s'étonnent
pas qu'un plus grand honneur soit accordé à ceux qui ont plus de
mérite, qui ont reçu de Dieu ou accru par le travail des dons
privilégiés.
Le- muséb pédagogique de Berun. — Le musée pédagogique qui
vient d'être inauguré à Berlin, nous dit la Bayerisdie Ùkrerxeitung,
h% eu les plus modestes commencements. Voilà neuf ans que des
hommes de bonne volonté y travaillent avec zèle et intelligence.
La bibliothèque n'a pas tardé à croître grâce à des dons importants,
soit de partîeuiiers, soit de maisons de librairie; un généreux dons-
LA PRESSE ST LES LIVRES 46K
teur, nommé Wagener, fit don entre autres d*uae magnifique collec-
tion de voyages comprenant 345 volumes, dont plusieurs ornés de
belles et précieuses gravures.
La bibliothèque du musée pédogogique compte aujourd'hui plus
de six millo volumes qui traitent de (Uverses matières, mais parti-
cnlièrement de toutes les branches de la pédagogie. On y trouve
des ouvrages de théologie, de philosophie, d*hlstoire, de géographie,
de mathématiques et d^astronomie, d'histoire naturelle, de littéra-
ture, de droit, de médecine, d'hygiène, d'art et d'industrie.
Outre la vaste salle de la bibliothèque, le musée contient d'autres
chambres moins grandes où l'on vient lire et écrire, qui servent de
laboratoires, de salies de conférence. De plus, il renferme une très
curieuse et complète collection de matériel d'enseignement.
Là sont rassemblés les objets en apparence les plus divers, mais
reliés par une pensée commune : des cartes de géographie anciennes
et modernes, des atlas, des tableaux, de magnifiques images, des
cartes murales représentant des spécimens ou des collections d'his-
toire naturelle, les insectes, les papillons, les végétaux, les minéraux,
les métaux, etc.
On y trouve même des machines à lire et à compter, des tableaux
anatomiques, ethnographiques, des animaux dont toutes les parties
se démontent, bref, tout ce que la pédagogie moderne a imaginé
pour faciliter l'enseignement par la vue.
Une salle spéciale expose une riche collection d'appareils de phy-
sique et de chimie; ailleurs, c'est le modèle d'une petite machine è
vapeur très minutieusement confectionnée ; ailleurs encore toute une
collection de modèles et d'instruments de dessin, tout un matériel
pour renseignement méthodique des travaux de femmes, etc.
La feuille bavaroise à laquelle nous empruntons ces détails fait
remarquer que le musée pédagogique de Berlin est le seul qui
existe dans l'Allemagne tout entière, et qu'il n'y a d'institutions
analogues qu'à Londres, Vienne et Paris. Encore ces deux derniers
sont-ils de création récente et n'ont pas eu encore le temps d'ac-
quérir le développement auquel ils sont appelés.
L'usage des ardoises. —Le directeur de l'école normale de Stras-
bourg, M. Largiadèr, communique, dans le Journal scolaire d* Alsace-
Lorraine, des observations sur les inconvénients de l'ardoiie pour la
vue des enfants. C'est Pestalozzi qui a introduit l'ardoise dans les
écoles de Zurich; c'est dans cette ville aussi qu'on a examiné avec
le plus d'attention les conséquences de ce système. Le professeur
Horncr, dans un rapport qui date déjà de 1878, a condamnél'usage
de l'ardoise, et la vûle de Zurich n'en distribue plus dans les écoles.
£lle a remplacé l'ardoise et même le crayon noir, dont le tracé est
gris, parla plume et l'encre. La dépense est certainement un peu
plus forte. La ville fournit le matériel d'écriture et de dessin pour
IBVCB piDAGOOlQUB 1885. — 1» glS. 30
466 BIVUK PÉDAÛOGIQUK
environ i franc par an aux élèves do première année, 1 IV. 00 c. à
ceux de deuxième aunéc, et 2 francs à ceux des années suivantes.
Le comité médical chargé par le gouverneur d'Alsace -Lorraine
d'une enquête sur ce sujet déclare que le mal causé par les ardoises
n'est pas si grand que certains auteurs le prétendent, surtout si
i on se borne à les mettre entre les mains de tout jeunes enfants,
chez qui il n'y a pas de disposition à la myopie. M . Largiadèr n'est
pas de cet avis. 11 communique entre autres le résultat suivant d'ob-
servations multiples. Etant donné les lettres £B écrites noir sur
blanc, blanc sur noir, gris sur noir, même grandeur, même éclat-
rage, les plus grandes distances auxquelles, l'œil les aperçoit sont
respectivement figurées par ces nombres; 496 — 421 — 330. Il
s'en suit donc que c'est le tableau noir avec la craie et l'ardoise
avec le crayon (entre le crayon d'ardoise et le crayon de plomb il
y n peu de dilîérence) qui exigent le plus grand effort de l'œil.
Le professeur Horner ajoute que le luisant de l'ardoise a encore
pour filcheux effet d'obliger les enfants à tenir la tel e obliquement,
et M. Largiadèr attribue également à ce système la difficulté d'obte-
nir des enfants de classes élémentaires une bonne écriture.
Les classes spéciales pour les enfants peu doués. — On a eu
ridée, dans diverses villes d'Allemagne, de créer des classes spé-
ciales pour les enfants médiocrement doués (schwach begabt), afin
que les maîtres, se consacrant entièrement à eux, sans être absorbés
par le soin d'élèves plus intelligents, leur fissent faire de plus réels
progrès.
Cette institution soulève de sérieuses objections de la part d'un
COI respondant du Pœdagogium,
Il pense que rien n'est plus difficile à tracer que la limite qui
sépare des enfants médiocrement doués d'enfants imbéciles et d autre
part aussi la limite qui les sépare d'enfants ayant des facultés nor-
malos. Un instituteur peut facilement s'y tromper; qu'un enfant
soit intimidé, loi^rd, mal disposé, on peut lui attribuer une incapa-
cité qui n'est pas réelle.
Le plus grand nombre des enfants mis ainsi de côté, placés sous
cette rubrique, le sont habituellement par des maîtres jeunes inex-
périmentés.
Comenius estimait que la proportion des esprits incapables est à
peu près la même que celle des corps dilîormes; or si l'on trouve
dans une école deux enfants difformes sur 300, et en revanche des
bancs entiers d'enfants déclarés ineptes, peut-être faut-il accuser
i'ai»préciation un peu légère du maître plutôt que la nature.
Entre autres inconvénients de cette séparation, le correspondant
fait valoir celui-ci : les parenls aisés no laisseront pas volontiers
aller leurs enfants dans une classe marquée d'avance d'un tel "^igne,
dpns « l'école des imbéciles »; et si on la réserve aux enfants des
LA PRESSE ET LES LIVRES 467
familles pauvres,* en ne fait qu'attiser la haine des classes et leur
donner le plus spécieux sinon le plus légitime des prétextes.
L'enfant qui sortira d'une telle classe en portera lourdement le poids;
il ne trouvera pas de patron pour l'engager, et sa réputation d'in-
capable le suivra longtemps.
11 va sans dire que de telles institutions seraient absolument
impossibles en France ; nous estimons que l'émulation est une des
conditions les plus avantageuses de l'éducation commune, et que
les esprits lents, peu doués, ioattentifs ne peuvent que gagner au
contact de camarades plus alertes.
Il serait du reste intéressant que les maîtres chargés des classes
comme celles dont nous entretient le Pœdagogium fissent connaître
le résultat de leurs expériences; sauf l'expression et la désignation,
qui sont des plus malheureuses, ces classes peuvent représenter
tout bonnement une divisiop iiiférieure, moins avancée, comme il
s'en trouve partout, et qu'il dépend de l'intelligence et do l'activité
du maître de pousser plus ou moins vite en avant.
Le travail intellectuel est-il ine fatigue? — Un article du
D"" WolOberg dans la Deutsclic Rundschau l'ait justice de ce préjuge
qui menoce de s'introduire, sous prétexte d'hygiène, dans notre phi-
l&mthropic scolaire, à savoir que le travail intellectuel est nuisible
à la santé, qu'il est presque une « surcharge » en lui même, qu'il est
un mal, nécessaire sans doute, mais un mal, au point de vue du
développement du corps.
Bien loin de là, dit le D"" WoKï'berg, l'activité intellectuelle
est un élément de santé et de vie. Les eil'orts de TintelUgence
entretiennent utilement le fonctionnement de l'organisme humain,
et lui fournissent de fécondes excitations qui manquent aux hommes
d'esprit paresseux.
L'histoire de tous les temps est là pour démontrer que la longévité
la plus étendue s'associe à merveille aux plus énergiques travaux de
l'esprit. L'ancêtre des médecins, llippocratc, est mort à 104 ans,
Michel-Ange à 91, Platon à 82, Newton à 85, Voltaire à 80, Kant
au même âge, Gœthe à 83 ans, Sophocle à 92. L'énumération est
incomplète, mais suffit déjà à démontrer que la culture de l'esprit
entretient la flamme vitale et semble communiquer une force par-
ticulière aux organes épuisés par Tuge.
.1. S.
CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
EN FRANCE
Bibliothèques populaires des écoles publiques. — M. le ministre
a fixé à six par département le nombre des instituteurs qu'il ré-
compensera chaque année pour leur dévouement au* service des
bibliothèques scolaires. Il en résultera une sorte d'émulation qui ne
pourra que profitera Tinstitution des bibliothèques. MM. les institu-
teurs comprendront lo caractère de cette mesure, et ne perd ont pas
de vue que cette récompense aura d autant plus de valeur qu'elle
ne sera accordée qu'aux plus dignes d'entre eux.
Les écoles du Creuzot. — Le Bulletin départemental de l.i Somme
' contient un intéressant rapport adressé à l'inspecteur d'académie
par MM. Mariin etSégard, instituteurs, sur un voyai^e d éludes qu'ils
ont fait pendant les dernières vacances. Us ont visité Paris. Châlons,
Dijon, le Creuzot, Bourges, Orléans, Chartres, Grignon, Ver-Cailles
et Beauvaîs. On voit qu'ils ont su tirer bon parti des deux bourses
de voyage que le Conseil général de la Somme a Texccl lente habitude
de voler tous les ans. Nous extrayons de leur rapport ce qui est
relatif aux écoles du Creuzot.
a Nous nous dirigeons vers l'usine. Nous rencontrons en chemin
deux divisions d'élèves qui, sous la conduite de leurs professeurs,
vont faire la promenade habituelle du jeudi. Nous sommes en
face de l'école de l'usine; nous y entrons. Le directeur, M. Welter,
nous re^'oit avec une grande affabilité, nous fait v(»ir les classes
fort bien aménagées où tous les progrès s'introduisent.
» Une amélioration que nous n'avons rencontrée nulle part nous
frappe tout d'abord : c'est que chacune des six classes de l'école est
garnie d'un tableau noir de plus de deux mètres de hauteur sur
toute la largeur de la salle. Cette disposition offre un grand avantage
pour l'enseignement. On peut disposer sur ce tableau toutes sortes
de devoirs: dessin, musique, géométrie, arithmétique, gé «graphie,
modèles d'écriture, etc. Pour passer d'un exercice à un autre, on
n'est pas obligé d'effacer ce qui a fait l'objet do leçons précédentes.
» Les tables de la première classe sont larges et parfaitt*ment
disposées pour la pratique du dessin. Le musée scolaire renferme
une collection de minéraux et de plantes de la localité; on s'arrête
avec plaisir dans une jolie salle de laboratoire pour le> «'xpénences
de physique et de chimie. Les professeurs font un rajipon hebdoma-
daire. Le directeur tient un cahier de notes mensuelles et avertit
les parents en cas de faute grave.
GHBONIQUE DE L*ENSEIGNEMSNT PRIMAIRE EN FRANGE 469
» t)n ne fait pas de travaux manuels. Les maîtres exposent les
principes de construclion de certains objets que les enfants exécutent
chez odx, ce qui nous a paru être une excellente innovation.
» Tous les mois, les élèves de la première classe visitent quelque
partie de l'usine, et font un rapport accompagné d'un dessin sur ce
qu'ils ont vu. C'est là, croyons-nous, une excellente pratique.
» Chaque élève a entre les mains deux cahiers très bien tenus,
un pour les sciences et un pour les lettres. »
L'exposition scolaire de Lille. — Le Bulletin départemental du
Pas-de-Calais contient d'intéressants renseignements sur l'exposition
scolaire qui a été organisée ou plutôt improvisée à Lille, dans le Palais
Rameau, à l'occasion du cinquième congrès annuel de la Ligue de
l'enseignement dont nous avons parlé dans le dernier numéro de la
Revue. Le local choisi donne à cette exposition, fort intéressante par elle-
même, un cadre magnifique qui ajoute encore à son attrait; aussi
les visiteurs y affluent-ils chaque jour. A l'extrémité de la salle s'élève
une estrade pour les concerts; au milieu s'étend un jardin de ver-
dure, et de chaque côté, à droite et à gauche de deux longues allées,
se trouvent les objets exposés: les galeries du premier sont occupées
par des cartes et des tableaux et aboutissent à une salle réservée
au matériel scolaire de la ville de Lille. Cette disposition nous paraît
des plus heureuses.
Nous ne relèverons que ce qu'il y a de plus intéressant dans le
compte-rendu que nous avons sous les yeux:
Tableaux d'histoire et de géographie. — Outre les tableaux de M"® Ker-
gomardct ceux de CIceri, on trouve des portraits historiques sur étolTe exposés
par la Société de décoration artistique et de tissus peints de Billancourt
^Seine); ces tableaux sont bien faits, mais ils n'ont pas encore reçu la consé-
cration de rexpérienco.
Tableaux pour l'enseignement des sciences, — L'importante collection
humaine de Blanchard et les tableaux d'animaux de Delagrave pour les écoles
maternelles. La maison Delatain expose aussi des tableaux d'histoire naturelle;
ils sont imprimés sur calicot blanc et peuvent au besoin être soumis au lavage.
La collection n'a que 11 tableaux: les dessins sont bien faits et les couleurs
août, parali-il, inaltérables. On remarque encore les tableaux d'enseignement
par les yeux coloriés sur fond noir par Armengard, éditeur Delagrave; ils
plaisent beaucoup à l'œil.
Tableiux not/w, ardoises. — Ler tableaux noirs ne manquent pas à l'expo-
siLion; presque tous sont ardoisés et ce sont les meilleurs. Ils sont montés
sur ch3vulet ou bien fixés au mur. Plusieurs sont superposés et s'élèvent et
s'abaissent à volonté: d'autres, également superposés, tournent sur gonds
comme les feuillets d un livre. La maison Suzanne ex|)ose des ardoises factices,
des cartes, des globes ardoisés et des tableaux ardoisés. La maison Nathan a
voulu innover : elle oITre une ardoise factice blanche qui n'a aucuu des incon-
vénients des ardoises noires naturelles ou factices. Celte ardoise est un verre
dépoli; elle n'exige pas l'emploi d'un crayon spécial, ce qui est un avantage,
nt on peut se servir du crayon de mine ordinaire ou même de la plume.
Dessin. — La librairie Dioniojq a une belle exposition de méthodes, de
470 REVUE PÉDAGOGIQUE
cahiers et de modèles de dessins. Tout le monde connnit les cahiers; mais
ce qui est nouveau, et surtout pratique, ce sont les modèles reliefs en carton
bristol, remplaçant les ])lâtres. tes modèles sont légers, solides et surtout bon
marché (6 francs la douzaine). Comme ils sont en relief d'un côté et creux
de l'autre, ils peuvent être doublement utilisés. Nous aimons beaucoup aussi
les modèles de dessin de Charvet et Pillet, chez Delagrave ; ce sont de grandes
esquisses, bien aiTétécs, en noir sur fort papier bulle, et de grandes dimen-
sions; ils remplacent avantageusement les cahiers et aussi les modèles au
tableau noir qui exigent beaucoup de temps et une aptitude spéciale. Si ces
tableaux, ou nu moins les premiers de la série, étaient quadrilles, ils seraient
excellents de tout point.
Géographie. — Les cartes géographiques sont très nombreuses; les insti-
tuteurs les connais-^cnt toutes et sont fixés sur leur mérite relatif.
Mentionnons, cependant, la belle carte hypsométrique du Nord et du Pas-
de-Calais, par M. Mille, de Douai; les cartes hypsométriques et statistimies
de M. Wacquez-Lalo. M. Wacquez-Lalo est en oufre l'auteur d'une géographie
du département du Nord ; elle est accompagnée d'un petit atlas, destiné à.rendre
des services d^ns les écoles. La librairie Deloffre de Landrecies expose, 0ntre
autres ouvrages, les atlas du Nord et de l'Aisne à l'usage des candidats au
certificat d'études; ce sont d'utiles publications.
On rencontre aussi des globes, des reliefs, des appareils cosmographiques;
ils sont généralement connus des maîtres.
Arithmétique, Système métrique^ Géométrie. — Les compendiums métriques
ne font pas défaut, ni les collections de solides géométriques en zinc, eu
carton ou en papier. On voU aussi des mètres cubes démontables, des arith-
inomètres. des numérateurs, des calculateurs et autres instruments dont il
est difficile de deviner l'usage; il y a là abus et les instituteurs auront raison
de se passer de ces mécaniques compliquées.
D'autres machines, tout aussi inutiles que les précédentes, sont les tire-lire
pour caisses d'épargne scolaires; nous ne les recommandons pas.
Musique. — 11 y a peu de choses comme exposition musicale. Après avoir
nommé les Chants pour écoles, de M. Danhauser, les Chants scolaires du Nord
de la France par M. Ch. Manso, l'énumération est presque terminée. Comme
instruments de musique, on trouve ceux de MM. Hel et Ikelmer.
Gymnastique. — L'enseignement gymnastique n'est représenté que par les
appareils de la maison Garcet et Nisius, et les fusils et équipements scolaires
des maisons Spriet de Lens et Huart-Bender d'Argentenii.
Musées, Collections et Appareils. — En fait de musées scolaires, nous avons
remarqué, outre ceux que fournit le commerce, un musée cantonal exposé
par la Société des écoles laïques (le Saint-Amnnd et une collection luxueuse,
toute de curiosités, celle de M. Paternoster, fabricant de meubles à Baisieux
(Nord). Le matériel pour l'enseignement de la physique et de la chimie à
l'école primaire est encore à créer. Cependant de louables efforts sont faits en
Tue de doter les é oies d'appareils sumsants et peu coûteux.
La Société anonyn c de fabrication de produits chimiques pour les sciences
et l'industrie met en vente, au prix de 145 francs, un matériel complet de
physique et de chimie, dressé suivant la méthode de M. Leblanc et permet-
tant de faire environ 400 expériences. Le matériel réduit ne coûte que 70
francs; c'est un progrès.
Nous citerons aussi la belle exposition d'instruments de mathématiques et
de physique de MM. Wanaclaere et Brunnerde Lille, mais ce sont des instru-
ments coûteux, qui ne sauraient convenir qu'aux écoles urbaines richement
dotées.
Concours d'enseignement agricole dans la Sarthe. — Un
concours d'enseignement et de pratique agricole vient d'être
ouvert par la Société des agriculteurs de la Sarthe entre les institu-
teurs de plusieurs cantons. Nous lisons dans le programme du con-
CHRONIQUE DE l'eNSBIGNBMENT PRIMAIRE EN FRANGE 471
cours : « Il sera tenu compte, en ce qui concerne le classement des
directeurs d'école, du travdl personnel du maîlre, du travail écrit
des élèves et de leurs réponses orales. L'enseignement pratique donné
par les visites dans les champs, dans les jardins, dans les chantiers
agricoles sera également pris en considération par la commission
d examen .o Les récompenses consisteront naturellement en médailles,
diplômes et livres; mais, en dehors de ces encouragements, la Société
a décidé que deux prix seraient décernés aux élèves sortant de
l'école normale du Mans qui auront le mieux profité de renseij(ne-
ment agricole donné dans cet établissement. Enfin une médaille d'or
de cent francs, oflerte par le directeur de la ferme-école, sera déli-
vrée chaque année à Tinslituteur de la Sarthe qui aura dirigé vers
cet établissement le candidat le mieux classé aux examens de sortie.
Voilà de bons moyens de développer dans les écoles primaires l'en-
seignement si utile de l'agriculture.
Les bataillons scolaires de la Charente-Inférieure — Dans le
courant du mois de mars a eu lieu l'inspection annuelle des ba-
taillons régulièrement constitués dans la Charente-Inférieure. Cette
inspection a été des plus satisfaisantes.
Nous croyons devoir reproduire l'extrait suivant du rapport de
M. l'inspecteur primaire de Saintes :
a Les inspections des bataillons scolaires ont été partout de véri-
tables fêtes scolaires et patriotiques, pleines d'entrain et de cordia-
lité. A Eparçnes, à Gemozac, à Pons et à Saint-Porchaire toutes les
fenêtres étaient garnies de drapeaux ; les musiques loc îles avaient
partout offert leur concours ; à Gemozac, deux banquets avaient
été préparés, au moyen d'une souscription, pour tous les élèves et
les instructeurs du canton. Presque tous les maires et les délégués
cantonaux ont assisté aux inspections ; ils ont été émerveillés du
travail des élèves.
» Le transport des élèves s'est fait partout sans aucune difficulté,
même pour les communes éloignées; des instituteurs m'ont dit
qu'on leur avait offert, à titre gracieux, plus de voitures qu'ils n'en
avaient besoin.
» Les officiers inspecteurs ont été fort satisfaits de Tinstruction
des élèves dans les quatre parties du programme : gymnastique (avec oih
sans armes), maniement d'armes, marches et école de tirailleurs; l'exa-
men a porté successivement sur chacune de ces parties, et il a été
fait une moyenne des notes pour le classement des écoles; l'école
de compagnie est connue à fond par le plus grand nombre des élèves,
0 Si l'on considère que l'organisation et Tinstruclion militaire
étaient à peu près nulles en 1884, on ne peut que féliciter les insti-
tuteurs pour leur zèle et leur dévouement. *
Reckitement du personnel enseignant. — D'après les renseigne^
472 REVUE PÉDAGOGIQUE
ments fournis au minislère au mois d'oclobre 1884, c'est-à-dire après
Tapplication rigoureuse de la loi du 16 juin 188i,le personnel ensei-
gnant primaire est actuellement au complet dans toute la France et
en Algérie. Dans presque tous les déparlemonls, un certain nombre
d'aspirants, et surtout d'aspirantes tous munis du brevet, quelques-
uns même anciens élèves d*écoles normalei, sont en instance pour
èlrct pourvus d*un emploi. Le nombre do ces candidats non placés
s'élève environ à 10,000. Précisément en raison de cette situation,
les demandes d'emploi affluent à l'administration centrale, qui,
n'ayant ni le droit ni le pouvoir d'y satisfaire, se voit réduite à
indiquer simplement aux solliciteurs les départements signalés
comme ayant un moins grand nombre de candidats à pourvoir. Ces
départements sont actuellement, pour les instituteurs : TAllier, le
Cher, la Drôme, l'Eure-et-Loir, l'Indre, l'Indre-et-Loire, le Loir-et-
Cher, la Loire-Inférieure, le Loiret, le Maine-et-Loire, la Marne, la
Mayenne, le Morbihan, la Nièvre et la Savoie.
Pour les institutrices : l'Allier, le Cher, l'Eure-et-Loir, l'Indre-et-
Loire, le Loir-et-Cher, le Loiret, la Marne, la Mayenne, la Meurthe-
et-Moselle et la Savoie.
Une société bibliophile a Lucenay-les-Aix (Nièvre). — A6n de
répandre le goût de la lecture et de développer la bibliothèque popu-
laire de son école, M. Débit, instituteur à Lucenay-lci'AiXf a établi
une Société bibliophile.
Au 1®*" février dernier, soixante-trois élèves de son école et cin-
quante-six personnes étrangères à l'école faisaient partie de cette
société et avaient pris rengagement de verser chaque mois le sou
des bibliothèques. Depuis cette époque le nombre des adhérents s'est
accru dans une certaine proportion. Ce sont surtout les élèves de
la première classe qui s'occupent de recruter les souscripteurs
étrangers à l'école.
A cet effet l'instituteur, à l'aide d'un polygraphe, a tiré un certain
nombre d'exemplaires de la liste des livres de la bibliothèque. Un
enfant, muni d'une de ces listes, se présente chez une personne ne
faisant pas encore partie de la société et lui demande si elle- désire
lire un ouvrage de la bibliothèque. Si la réponse est affirmative,
et c'est ce qui arrive généralement, l'enfant remet, le soir ou le len-
demain, l'ouvrage choisi, et presque toujours après un prêt ou deux
la personne demande à faire partie de la société et verse le mon-
tant de la cotisation annuelle. 11 lui est remis alors un reçu de
son versement et une liste de tous les ouvrages composant la biblio-
thèque.
Le trésorier est l'instituteur: il est aidé pour tenir le registre
des prêts et le livre de caisse par deux secrétaires choisis parmi
les élèves et élus par leurs condisciples. Les volumes sont distri-
bués deux fois par semaine. Six élèves sont chargés de porter les
CHRONIQUl DE l'eNSEIGNEMENT PRIMAIRE EN FRANGE 473
livres chez les souscripteurs et de les rapporter ensuite lorsqu'ils
ont été lus.
Il va sans dire que si des habitants de la localité qui n'ont pas
jugé à propos de souscrire demandent à emprunter des volumes de
la bibliothèque, on les leur prête, mais ils n'ont pas de liste à leur
disposition, et ils doivent venir chercher eux-mêmes les volumes
et les rapporter.
On ne peut, dit avec raison M. l'inspecteur primaire, de qui nous
tenons tous ces détails, que féliciter M. Imstituteur de Lucenay-
les-Aix de cette organisation qui, outre l'extension qu'elle donne à
la bibliothèque, a encore l'avantage d'habituer les enfants à la pré-
venance, à Tordre, à la i^oViiesse, (Bulletin départemental de la Nièvre.)
Les instituteurs arpenteurs. — Ce ne serait pas sans préjudice
pour les arpenteurs attitrés et patentés qu'on pourrait permettre
aux instituteurs de faire de Tarpentage une sorte de métier ; mais
on ne saurait non plus leur interdire absolument de mettre au
service des parents de leurs élèves les connaissances qu'ils possèdent
sur l'arpentage et le levé des plans: il y a là une question de
mesure. M. le directeur de l'enseignement primaire, consulté à ce
sujet par le préfet de la Marne, lui a répondu qu'il n'y avait pas
lieu de modifier la jurisprudence suivie jusqu'à ce jour, mais qu'il
importe de veiller û ce que les instituteurs ne fassent pas abus,
au préjudice de leurs fonctions, des facilités qui leur sont
accordées.
Les recommandations politiques. — L'inspecteur d'académie de
TÂriège a remarque depuis son arrivée dans le département que
plusieurs instituteurs on! adressé leurs réclamations, en cas de
changement ou de mesures administratives, non à leurs supérieurs
hiérarchiques, mais à des personnes étrangères à l'administration.
Quelques autres ont excité des manifestations dans les communes
ou fait circuler des listes de signatures. « Cette façon d'agir, dit
l'inspecteur d'académie, n'a obtenu aucun succès près de nous :
elle est absolument contraire à la discipline et au respect hiérar-
chique qui ont toujours été la force et l'honneur de l'enseignement
primaire. Nous rappelons aux instituteurs que c'est à leurs chefs
seuls qu'ils doivent adresser leurs demandes ou leurs réclamations.
Ils peuvent être assurés, du reste, que l'administration agira toujours
à leur égard avec justice et bienveillance. Non seulement il ne sera
pas tenu compte des démarches faites en dehors de la voie régulière,
mais es instituteurs qui, à la suite d'une décision administrative,
s'adresseront à d'autres personnes qu'a nous, seront l'objet d'une
mesure sévère. »
Ces recommandations ne s'adressent pas seulement aux institu-
teurs de TAriège ; nos lecteurs peuvent se reporter à Yavis important
474 REVUE PÉDA60GIOUS
que Icu directeur départemental de renseignement primaire du Nord
s'es»t vu obligé d'adresser au personnel placé sous ses ordres. Nous
Tavons reproduit dans notre numéro du 15 juillet 1884. On voit
que la question conserve toujours malheureusement la même
actualité.
^Alliance française. — On nous prie de reproduire la note
suivante que nous accueillons bien volontiers :
« L'Alliance française est une société fondée il y a un an environ,
pour propager la langue et l'influence française dans les colonies
et à l'étranger. Depuis longtemps, les Anglais, les Allemands et
les Italiens ont créé des sociétés analogues qui, sous des prétextes
religieux ou comn\erciaux, battent partout en brèche l'influence de
la France.
» C'est pour rendre à notre langue son ancienne universalité, et
rendre en même temps à notre pays la part d'influence qui lui est
légitimement due dans le monde, que s'est formée l'Alliance
française.
» Cette société, exclusivement patriotique, compte déjà plus de
6,000 adhérents et possède un budget de 70,000 francs.
» Toute question de politique irritante en est bannie, et tous ne
songent qu'à l'intérêt supérieur de la patrie. Le secrétaire général
est M. Foncin, dont les instituteurs connaissent les beaux ouvrages.
» Celte société fait appel au patriotisme de tous les Français,
sans distinction d'opinions. Le minimum de la souscription, fixé à
6 francs, la rend accessible à tous.
» L'Alliance espère que MM. les instituteurs voudront bien lui
prêter leur vaillant concours et l'aider dans sa noble tâche. »
COURRIER DE L'EXTERIEUR
Allemagne.— La Chambre des députés prussienne a adopté le
17 avril en troisième lecture une loi sur les pensions de retraite des
instituteurs, émanant de l'initiative parlemcnlaire. Les auteurs de
la proposition de loi, qui a élé présentée à la Chambre le 28 jan-
vier dernier, sont les députés von Zedlitz, Neukirch et Schmidt.
Voici les principales dispositions de la loi telle qu'elle a été votée
après des débats qui n*ont pas considérablement modifié le projet
primitif:
Ont droit à une pension de retraite les instituteurs atteints
d'incapacité de travail, après dix années au moins de services dans
une école publique. Si l'incapacité de travail est la suite d'une ma-
ladie ou infirmité contractée par l'instituteur à raison ou dans
l'exercice de ses fonctions, la condition des dix années de services
n'est pas exigée. Lorsque l'instituteur a atteint soixante-cinq ans
d'âge, il a droit à la pension sans avoir besoin d invoquer le motif
d'incapacité de travail. Enfin, si un instituteur mis à la retraite et
ne se trouvant pas dans l'un des cas prévus pour avoir droit à une
pension, était dans un état d'indigence, le .ministre pourra lui
accorder un secours temporaire ou viager.
Le taux de la peni>ion est calculé à raison de i5/60 du traitement,
si la mise à la retraite a lieu après la dixième année de services
et avant l'accomplissement de la onzième ; chaque année de service
en sus augmente la pension de 1/60 du traitement. Le chiflre
maximum de la pension ne peut pas être supérieur à 45/60 du
traitement. Dans le cas d^incapacité ne travail venant d'une maladie
ou infirmité contractée par l'instituteur à raison ou dans l'exercice
de ses fonctions et motivant la mise à la retraite avant l'accom-
plissement de dix années de services, le taux de la pension est de
15/60 du traitement.
L'État prend exclusivement à sa charge le paiement des pensions
jusqu'à concurrence do 900 marks ; pour ce qui sera dû en sus de
ce chiffre, les règles actuellement en vigueur relativement au paie-
ment des pensions d'instituteurs seront appliquées.
— D'après une statistique publiée dans le Centralblatt, l'enseigne-
ment des tra\aux à l'aiguille se donnait en Prusse, à la fin de 1883,
dans 27,274 écoles rurales : c'est une augmentation de 1,617 écoles
sur le chiffre de 1880 et de i,02i sur celui de 1877. 11 restait, à cette
date, 3,026 écoles publiques rurales où cet enseignement n'était
pas donné. Dans 1,959 écoles, l'enseignement des travaux à l'aiguille
est donné par l'institutrice elle-même ; le nombre des maîtresses
spéciales d ouvrage est de 25,301, dont 13,184 appartiennent à la
famille de l'instituteur chargé de l'école. L'immense majorité de ces
maîtresses d'ouvrage (23,080) ne sont munies d'aucun diplôme.
— Dans une conférence faite récemment devant la Société des
instituteurs do Leipzig sur l'état actuel de l'instruction primaire en
476 REVUE PÉDAGiJGlQUS
France, M. Hugo Weber est arrivé aux conclusions suivantes, qu'il
peut être intéressant de reproduire comme spécimen des jugements
portés à l'élrangcr sur notre pays :
« 1» Quels que soient les éloges que mérite l'enseignement primaire
français dans son organisation actuelle, on ne peut néanmoins dissi-
muler qu'il offre certains wHés faibles ; — 2® on n*a pris à Tégard
des congréganislcs que des demi-mesures ; — S** les instituteurs ne
sont pas altranchis des services du culto ; — 4® les nouvelles lois
ont provoqué une lutte très vive entre l'école et l'Eglise ; — 5® on
a dispensé de la rétribution scolaire les familles aisées qiji pouvaient
la payer; — 6** le manque d'instilulcurs bien préparés se fait encore
sentir: — 7** les exercices militaires des élèves ne sont pas une
innovation avantageuse ; — 8« l'exclusion complète de l'ensei-
gnement religieux de l'école peut entraîner plusieurs conséquences
mcheuses ; — 9° c'est une bonne chose que l'enseignement de la
morale, mais le fondement philosophique sur lequel on l'appuie est
inutile et anti-pédagogique. »
Angleterre. — L'Union nationale des instituteurs primaires a
tenu sa contërencc annuelle à Norwich, du 6 au 8 avril. Le prési-
dent, M. Wild, directeur de Técole de Byron and Bright streel, à
Londres, a prononcé à celte occasion un discours très remar-
quable.
Dans plu-'ieurs occasions, M. Mundella avait répondu aux plaintes
des instituteurs anglais en leur affirmant que le situation de leurs
confrères du continent était beaucoup moins enviable que la leur ;
que les traitements des instituteurs étrangers étaient moins élevés,
tandis que la somme de travail exigée d'eux était plus considérable.
Et comme le journal le Schoolmaster avait cité le cas d'un insti-
tuteur belge dont le traitement, d'après lui, était de 200 liv. st.
(5,090 francs), le chef du département d'éducation s'était grande-
ment diverti de la naïveté de ceux qui pourraient croire à de pa-
reils contes, et les avait engagés à faire un tour sur le continent
gour y chercher ce rara avis, cet instituteur avec un traitement de
^00 liv. st. « Je serais prêt, ajoutait-il, à prendre à ma charge une
partie des frais du voyage. Si l'on trouvait cette béie curieuse, il
faudrait l'exhiber d'un bout à l'autre de la Grande-Bretagne, et je
conlesserais hautement mon ignorance. »
M. Wild a pris M. Mundella au mot. 11 est allé faire un tour sur
le continent ; il a parcouru la Belgique, la Hollande, et une partie
de l'ÂUemai^ne. En Belgique, il a trouvé l'instituteur phénoménal
dont M. Mundella contestait l'existence : c'est un instituteur retraité
qui touche non un traitement, mais une pension de 200 liv. st.
(exactement: 4093 francs). A Amsterdam, il a constaté que les in-
stituteurs des écoles de première classe ont un traitement de 200 liv. st.
plus le logement; l'un deux touche môme 220 liv. st. A Berlin,
44 instituteurs ont un traitement de 495 liv. st., et sont en outre
logés, éclairés et chauffés. A Dresde, le traitement des directeurs
d'école est de 210 à 225 liv. st., avec logement; à Leipzig, il est de
iSO à 210 liv. st., avec logement ou indemnité de logement; etc.,
etc. — 11 ne reste plus à M. Mundella au'à s'exécuter, à reconnaître
qu'il était mal informé. — et à verser la contribution promise.
COURRIER DE l'eXTÉRISUR 477
Choisi cette année comme président par TUnion nationale des
instituteurs primaires, M. Wild a profité de son discours d'installa-
tion pour faire connaître les résultats de son voyage. Outre la ques-
tion des traitements, il a étudié celle des pensions de retraite, des
heures de classe, de l'amovibilité des fonctions d'instituteur, de
Tobligation, de l'inspection et des examens. Il a conclu que le sys-
tème anglais est le plus défectueux de tous, et que nuUe nation du
continent ne consentirait à s'en accommoder.
Le congrès a décidé que le discours de M. Wild serait imprimé
en brochure, et envoyé a tous les membres du Parlement.
— Au nombre des résolutions volées par le congrès de Norwich
figure la suivante, relative à la création d'un ministère do 1 instruction
publiciue :
tt C est l'opinion de ce congrès qu'il devrait être immédiatement
nommé un ministre de l'éducation, chargé de ce qui concerne
Tinstruclion primaire et secondaire dans le Hoyaume-Uni de Grande-
Bretagne et d'Irlande, et responsable devant le Parlement de l'emploi
des subventions votées en faveur de rinstruclion publique. >
— A l'occasion du débat parlementaire annuel sur le Code sco-
laire (1), M. Talbot, député de l'université d'Oxford à la Chambre des
communes, a fait la motion suivante :
<t Qu'une humble adresse soit présentée à Sa Majesté, pour prier Sa
Majesté de daigucr gracieusement retirer sa sanction à rarticle 109, litt. a,
du Code scolaire, afin qu'une plus large portion de la subvention accordée aux
écoles primaires publiques soit distribuée sous la forme de paiements fixes
proportionnels au chiffre de la fréquentation. >
La motion Talbot était une attaque directe au système du payment
by résults. Le gouvernement, qui ne veut pas céder sur ce point,
avait lancé un whip (2) pour convoquer ses partisans à la séance et
empêcher qu'une majorité de hasard ne pût se former sur la motion.
Aussi celle-ci a-t-elle été repoussée par 117 voix contre 33, après
une discussion où M. Talbot, M. Paget et lord G. Hamilton ont
parlé pour, tandis que sir L. Playfair, M. Forster et M. Mundella
ont parié contre.
#
Autriche. — On annonce que les évoques autrichiens, réunis
en conférence à Vienne, se sont occupés de diverses questions rela-
tives aux écoles. Ils ont adressé au gouvernement un mémoire pour
lui demander, entre autres, qu'une éducation véritablement reli-
gieuse soit donnée dans les écoles primaires et moyennes ; que dans
les districts scolaires habités par une population catholique il ne
soit point nommé d'instituteurs non catholiques; et qu'un cercle
d'action plus étendu soit accordé aux ecclésiastiques chargés de
l'enseignement religieux dans les écoles primaires et moyennes.
(1) Le gouvernement est tenu de présenter le Code scolaire tous les ans ao
Parlement ; le Code n'entre en vigueur qu'après avoir été déposé pendant un
mois sur le bureau des deux Chambres.
(2) On appelle whip (coup de fouet) une lettre de convocation spéciale
adressée aux membres de l'une ou de l'autre des fractions de la Chambre, par
le leader de la majorité ou de l'opposition, en vue d'un vote important.
478 REVUK PÉDAGOGIQUE
— L'incident Rohrweck-Rudigier, dont nous avons à plusieurs
reprises entretenu nos lecteurs, sVst lerminc par le déplacemeat
de rinstituteur Rohrweck, qui a été transféré de la commune de
Leonfelden dans celle d*Aigen pour « raisons de service ».
— Un médecin autrichien, le D*" Netoliczka, qui s*est occupé de
recherches sur le développement de la myopie parmi les élèves des
écoles de Graz, prétend que les origines du mal se trouvent souvent
dans la famille plus encore que dans l'école. « De combien d'abus,
dit-il, les yeux tles enfants ne sont-ils pas fréquemment les victimes
dans la maison paternelle! Combien peu de parents surveillent la
tenue de leurs enfants lorsque ceux-ci lisent ou écrivent! Que de
fois n'entend-on pas dire : « Les enfants peuvent voir même sans
lumière ! <» Il arrive souvent que durant une maladie on laisse les
enfanls lire bien plus que dans l'état de santé; il est bien rare que
les parenls s'incjuiètent de savoir si les livres qu'ils donnent à leurs
enfants ne sont'pas imprimés en caractères trop fins; on laisse les
enfants copier pendant de longues heures des modèles de dessin,
dessiner des cartes géographiques; on permet aux jeunes filles de
travailler aux ouvrages les plus fins à lu lumière d'une chandelle
ou d'une lampe. Nous avons trouvé dans les écoles tant de la ville
que de la campagne plus de myopes parmi les filles que parmi les
garçons, ce qui s'explique par le fait que les jeunes filles, outre les
matières ordinaires d'études, s'occupent encore de travaux d'aiguille.
La proportion des élèves myopes, dans les écoles de la ville de Graz,
est de 9.87 0/0 chez les gardons, de 13.49 0/0 chez les filles; dans
les écoles de la campagne elle est de 3.88 0/0 chez les garçons et
de 7.69 0/0 chez les filles. »
Bulgarie. — Voici encore quelques renseignements qui nous
sont envoyés par M. Tabakov, et qu'il a extraits du dernier rapport
officiel présenté au prince Alexandre par le ministre de l'insti'uction
publique.
Dans les 97 villes et villages faisant partie de l'arrondissement de
Tirnova, il y a 33 écoles primaires à 4 divisions, 43 à 3 divisions,
20 à 2 divisions et une à une division.
Dans l'arrondissement de Kustendil les 4 0/0 des écoles primaires
ont 4 divisions, les 0 0/0 3 divisions, les Go 0/0 2 divisions et les
25 0/0 une seule division.
Dans les écoles entretenues par l'État, il y avait, en 1880, ol pro-
fesseurs dont la plupart ont terminé leurs études soit dans des
lycées, soit dans des écoles réaies. Ces professeuj^ sont de trois
classes; ceux delà première classe, qui ont fait leurs études dans
des universités, ont un traitement de 380 francs par mois; ceux
de la deuxième classe, qui ont fait leurs études dans des lycées ou
des écoles réaies, ont un traitement de 300 francs; ceux de la
troisième classe n'ont que 250 francs par mois.
Le nombre des professeurs enseignant dans ces écoles a été de
62 en 1881 et de 7G en 1882.
La somme assignée pour envoyer en Kurope des jeunes gens
pauvresy faire des étudcîi supérieures a été en 1880 de 60,000 francs.
Outre'les dépenses que l'État lait pour les écoles entretenues par
lui (en 1879 276,116 fr., en 1880 319,420 fr. et en 1881 342,820 fr.),
G0LER1£R 0£ l'EXTÉRIEUR 479
il donne aussi des subventions aux écoles communales, sans dis-
tinclion de nationalité. Ainsi en 1879 il avait donné pour ce but
350,000 francs et en 1881 300,( 00 francs. Les écoles musulmanes pri-
maires sont organisées d'une manière tout à fait primitive. Les hodjas et
les mollas (professeurs turcs) n*y enseignent que le Koran et un peu
d'écriture. Si Ton rencontre quelques écoles où l'on enseigne l'ari-
thmétique et la géographie, enseignement qui laisse beaucoup à
désirer, c'est dans des cas très restreints.
Dans l'arrondissement de Silislria on comptait en 1881. 5i5 écoles
primaires turques pour les garçons et 11 pour les filles avec 2,059
garçons et 1,059 filles.
Dans l'arrondissement de Razgrad, pour 12,990 maisons turques en
1881 il n'y avait cjue 123 écoles primaires avec un personnel ensei-
gnant de 12i hodjas et 4,691 garçons et 3,022 filles.
Dans l'arrondissement de Kustendil, pour 093 maisons turques il
il n'y avait en 1881 que 7 écoles avec 7 hodjas, 206 garçons et 98
filles. Sur rette population musulmane il n'y avait que 86 Turcs
adultes sachant lire et écrire.
Espagne. — En février dernier, M. Pidal, ministre du Fomente,
a annoncé aux Cortès au'il préparait une nouvelle loi sur l'instruc-
tion publique. D'après les renseignements que divers journaux ont
publiés dernièrement, cette loi donnerait au clergé le droit de fonder
des écoles et des universités sans qu'aucun titre de capacité soit
exigé du personnel enseignant; elle attribuerait aux év6]ues le droit
de contrôler les programmes et de surveiller l'enseignement. On dit
que les bases du projet de loi ont été arrêtées par le ministre d'ac-
cord avec le nonce, et qu'en échange de ces concessions le Vatican
inviterait les évoques à soutenir le gouvernement.
Les récentes élections municipales, qui ont donné la majorité aux
libéraux dans toutes les grandes villes, pourraient bien déranger
les projets de M. Pidal.
Italie. — L'adoption de la nouvelle loi sur la nomination des insti-
tuteurs a eu pour résultat de faire donner congé par les communes
à un très grand nombre d'instituteurs incapables. Antérieurement à
cette loi, la nomination de l'instituteur se faisait pour le terme de six
années, et ne pouvait pas être révoquée avant l'expiration de ce laps
de temps. Mais l'article 7 de la loi nouvelle donne aux communes
la faculté de congédier en tout temps un instituteur pour raison
dHncapacité pédagogique: et les communes se sont empressées d'user
du droit qui leur était conféré. Cette hécatombe de mauvais maîtres
a un côté fâcheux, en ce qu'elle prive subitement de leur gagne-
pain un grand nombre de pauvres gens; mais il faut reconnaître
d'autre part qu'il était devenu indispensable de modifier la compo-
sition du personnel enseignant primaire italien, en éliminant les
incapables et en les remplaçant par des éléments plus jeunes et meilleurs.
Suisse. — La Landsgemeinde de Glaris a rejeté la loi relative à
l'obligation de fréquenter les écoles complémentaires; en revanche,
elle a adopté la loi concernant la fourniture gratuite des livres et
objets classiques aux élèves des écoles.
480 BBVUB PtDAGOGIQUS
— Le grand conseil du canton de Genève discute en ce moment
un projet de révision de la loi scolaire cantonale.
Union américaine.— VA beillc, grand journal quotidien delà Nou-
velle-Orléans, publié en langue française, a consacré une série
d'articles à Tétude de la section française d'éducation de rExposition
universelle. L'espace nous manque pour essayer d'en donner même
une courte analyse; mais les lignes suivantes, que nous empruntons
au numéro du 12 avril, feront voir dans quel esprit ces articles
ont été écrits :
c Dans ses numéros du 28 mars et du 2 avril, dit le journal
louisianais, VAbeille a tenté de son mieux de payer la dette de
gratitude que l'Exposition universelle de Ja Nouvelle-Orléans a con-
traclce envers le ministère de l'instruction publique de France pour
l'envoi de son admirable section d'éducation, la plus belle et la plus
complète de toutes les expositions que contient le palais. 11 appar-
tenait au plus vieux journal de langue française en Louisiane d'être
le premier à accomplir ce devoir de reconncûssance. Nous terminons
aujourd'hui cette tâche aussi étendue qu'agréable, et nous
achevons l'examen que nous avions commencé des neuf salles d'é-
ducation installées par les soins de notre hôte distingué de Paris,
M. Benjamin Buisson. •
On nous permettra de citer encore ces lignes, consacrées à notre
publication :
0 Nous remarquons en particulier une collection intéressante de
la Revue pédagonique, publiée par la maison Delagrave. Cette revue
sert d'organe officiel au Musée pédagogique de Paris, établissement
qui a de grandes analogies avec notre Bureau d'éducation de
Washington, si justement populaire dans le monde scolastique. >
Le gérant : H. Gantois.
IMPRIIURIB CENTRALE DES CHK]IU(K DE WEE. — IMPRIMERIE CHAIZ.
R(.R RKROKRB M PARIS. ~ 10434-5.
iMnDe i<rie. T«m fl. N<> 6. \l Jùi 1SKS.
BEVUE PÉDAGOGIQUE
VICTOR HUGO AU PANTHEON
Victor Hugo est mort le 22 mai à l'âge de qualre-viugl-trois
ans. A cette occasion, un décret du Président de la République,
traduisant le sentiment national, ia consacré de nouveau le
Panthéon à la sépulture des grands hommes. Il est ainsi
conçu :
t Article premier — Le Panthéon est rendu à sa destination pri-
mitive et légale. Les restes des grands hommes qui ont mérité la
reconnaissance nationale y seront déposés.
» Art. 2. — La disposition qui précède est applicable aux
citoyens à qui une loi aura décerné des funérailles nationales.
Un décret du Président de la République ordonnera la transla-
tion de leurs restes au Panthéon, d
Un vote des deux Chambres ayant décidé qu'il serait fait à
Victor Hugo des funérailles nationales, le cercueil du grand
poète, après avoir été exposé un jour et une nuit sous l'Arc
de Triomphe de TÉtoile, a été transporté au Panthéon le lundi
1"^ juin.
On n'attend pas de nous un récit de cette imposante céré-
monie, qui restera dans la mémoire des hommes comme la
plus splendide apothéose dont l'histoire tiit parlé. Mais nous
avons tenu à reproduire ici, à titre d'hommage à la grande
mémoire du poète et du citoyen, quelques passages des discours
prononcés devant le catafalque de l'Arc de Triomphe et sous la
colonnade du Panthéon.
M. le ministre de l'instruction publique, désigné pour porter
la parole au nom du gouvernement, s'est exprimé en ces
termes ;
ftKTUI FÉDAGOGIQUI 1885. — 1*^ SIH. 31
482 BBYUE PtDÀGOGIQUK
Je ne sais s'il est vrai aue noire siècle portera son nom et qu'où
dira « le siècle de Victor Hugo » comme on a dit « le siècle de Vol-
taire »; mais ce qui nous apparaît dès aujourd'hui avec une pleine
certitude, c'est qu'il en restera la plus haute personnification, parce
qu'il est celui qui résume le mieux l'histoire de ce siècle, ses con-
tradictions et ses doutes, sos idées et ses aspirations.
Victor Hugo en a été le témoin attentif et passionné. Il en a vu et
jugé les événements avec son çénie. il en a suivi toutes les évolu-
tions, ébloui d'abord par les gloires éphémères des premières années,
séduit par la i*ésurrection de la liberté que l'ancienne monarchie
semblait ramener avec elle, progressant vers la démocratie avec la
royauté de Juillet, maudissant et frappant d'une rondamnation inexo-
rable l'Empire qui, pour la seconde fois, venait faire violence à ce
grand mouvement, jaloux de demeurer exilé pour rendre sa protes-
tation plus forte, trouvant enfin dans la République triomphante le
refuge et le couronnement de sa vie.
Victor llu*(o est l'homme de notre temps qui a le mieux compris,
le plus aime Thumaiiité dans l'ensemble et dans l'individu. Chari-
table avant tout aux petits, aux humbles, aux opprimés, aucune
misère morale ou physique, le vice même ni le crime ne peuvent
rebuter sa magnanimité, et l'amélioration de la nature humaine,
comme les destinées de l'humanité tout entière, font l'objet prin-
cipal de sa conlemf)lation.
El malmenant, si l'on demande où est le lien de celte œuvre et
de cette vie, ce qui en fait l'unité, je répondrai, avec ses propres
vers,
Qu il fut toujours celui
Qui va droit au devoir dès que l'honnrte a lui,
(Jui voul le bien, le vrpi, le beau, le grand, le jusle.
C'est par ce côté profondément humain de sa nature que Victor
Hugo a mérité d'être considéré comme le citoyen de toutes les
nations.
C'est par là aussi qu'il s'est élevé à celle idée de Dieu qui emplit
tout son ouvrage. Il croyait à l'àme immortelle. Le génie a des
lumières supérieures. Peut-être a-t-il connu la vérité. Nous qui
demeurons, nous savons seulement qu'il avait conquis l'immorta-
lité sur la terre, et c'est pourquoi nous le conduisons aujourd'hui
avec ce cortège triomphal dans le temple que la Révolution française
avait consacré aux grands hommes.
N'élait-il pas juste el nécessaire, en elïet, qu'il fût rouvert pour
lui ? La postérité, ratifiant nos hommages, l'y honorera éternelle-
ment. iNon, en vérité, ses cendres ne sauraient redouter ces retours
funestes dont on les menace. Après plus de cent ans, les noms de
Voltaire et de Rousseau excitent encore les haines et les colères.
Mais, depuis bien (le;s années déjà, Victor Hugo, revenu de l'exil, \ivait
devant l'opinion dans une région sereine, bien au-dessus de nos
passions et de nos disputes: le grand vieillard, sorti des « jours
changeants «, représentait au milieu de nous l'esprit de tolérance et
de paix entre les hommes, et le respecl universel de ses contem-
VIGTOU HUGO AU PANTHÉON 48^3
porains lui donnait Tavant-^oùt de la vénération dont sera entourée
sa . mémoire.
Mais quelle que soit la gloire du poète, la postérité le connaîtra
sous un plus haut aspect. Elle se rappellera surtout qu'il a dit :
Je suis celui qui hâte l'heure
De ce grand lendemain, Thumanité meilleure.
Et s'il est vrai, comme il le croyait et comme nous devons le
<;rûire, que ce monde, mù par une force dont il n'a pas conscience,
marche invinciblement vers le progrès, Victor Hugo ira en gran-
dissant dans la mémoire des hommes, et, à mesure que son image
reculera dans le lointain des temps, il leur apparaîtra de plus en
plus comme le précurseur du règne de la justice et de l'humanité.
Du discours de M. Madier de Montjau, parlant au nom des
proscrits de i851, nous détachons ce passage:
Oui, tu nous protégeas et tu nous vengeas, maître ! Et en nous
protégeant, tu protégeais, tu vengeais, tu sauvais plus grand, plus
précieux que nous, ces proscrits de toiis les temps funestes, le
devoir, la liberté, dont nous n étions que les soldats.
Ah ! ces œuvres sublimes, tilles de la vertu indignée, de la justice
implacable, quel reconfort nous y avons trouvé ! Et quel sentiment
ilu devoir dans l'exemple de ce stoïque> résigné à la solitude, renon-
(;ant à cette cour d'esprits d*élite que faisait autour de lui, dans son
pays, tout ce qu'avaient la France et l'Europe de plu* illustre, seul
sur son roc, au milieu de l'Océan, impassible et inflexible, attendant
que riieure de la justice et de la réparation vînt.
Qui ne se fût senti fier et presque heureux d'être proscrit quand,
des hauteurs d'où il planait, il laissait tomber ces paroles : « Il y
a de l'élection dans la proscription. Etre proscrit, c'est être choisi
par le crime pour repré>enter le droit. » Qui aurait pu être inddèle
à rinfortuiie et à Toxii, ((uand, parlant des exilés, il disait dans un
de SCS vers immortels, gravé aujourd'hui dans toutes les mémoires,
que s'il n'en restait qu'un, il serait celui-là ?
M . Leconte de Lisle, au nom des poètes, a glorifié en Victor Hugo
liiicomparable artiste. Voici son discours :
Messieurs,
C'est avec le profond sentiment de mon insuffisance que j'ose
■adresser, au nom de la poésie et des poètes, le suprême adieu de
ses disciples fidèles, respectueux et dévoués, au maître glorieux
([ui leur a enseigné la langue sacrée. Puisse ma gratitude infinie et
ma rehgieuse admiration pour notre maître à tous me faire par-
<lonner la faiblesse de mes paroles I
484 BIVUE PÉDAG06IQUK
Messieurs,
Nous pleurons sans doute le grand homme qui a daigné nous
honorer de sa bienveillance inépuisable, de sa bonté d aïeul iudulgent;
mais nous saluons aussi, avec un légitime orgueil filial, dans la
sérénité de sa gloire^ du fond de nos cœurs et de nos intelligences^
le plus grand des poêles, celui dont le génie a toujours été et sera
toujours pour nous la lumière vivante qui ne cessera de nous
guider vers la beauté immortelle, qui désormais a vaincu la mort,
et dont la voix sublime ne se taira plus parmi les hommes.
Adieu et salut, maître très illustre et très vénéré, éternel honneur
de la France, de la République et de Thumanité.
Qu'on nous permette, pour terminer, de donner la parole à
notre éminent collaborateur M. Félix Pécaut, qui, dans une lettre
adressée au journal le Temps, a éloquemment exprimé de hautes
et nobles idées :
D'autres, — a-t-il dit, — avec plus de compétence que je n'en saurais
avoir, ont célébré le poète, sa prodigieuse puissance de pensée,
d'imagination et de langage, l'étendue presque illimitée de son cla-
vier, la fidélité avec laquelle il a rendu toutes les émotions humaines,
aussi bien celles qui sont communes à tous les âges que les tris-
tesses, les joies, les dcrtJtes, les ardeurs — jamais les langueurs —
propres à notre temps. J'oserais seulement demander que l'on mar-
quât à quel point cet écho puissant — si puissant qu'on a pu le
comparer à une grande force de la nature — a été individuel, ori-
ginal; combien ce prophète, emporté par Tinspiratiou, dispose libre-
ment de lui-même; comme cette « force » ressemble peu a une
force aveugle; et comme on découvre par delà cette imagination
luxuriante, celte sensibilité frémissante à tous les souffles, une
volonté ferme, toujours présente, toujours attentive, toujours maî-
tresse. Si je no me trompe, ce trait lui vaudra, entre tous, de vivre
dans la postérité et de devenir l'un de ces robustes ouvriers qui
forgent de siècle en siècle l'esprit et l'âme de leur nation.
A ce caractère s'en rattache étroitement un autre par où Victor
Hugo offre à notre génération un exemple digne d'être médité. Ce
qui me frappe le pins dans sa vie et dans son œuvre, c'est que le
poète admiré, encensé, ne s'est pas réduit à être un poète, une lyre,
la plus harmonieuse, la plus profonde, la plus riche conune la plus
savante des lyres. Ce chantre, aux lèvres duquel se sont suspendue^
plusieurs générations successives, ne s'est pas contenté de chanter
et de se faire applaudir: il a compris autrement la vie, l'honneur,
le devoir, il a voulu être un homme. 11 est descendu pdrmi nous; il
a pris rang dans la bataille de son temps; il n'a eu ni peur ni
dédain de nos luttes; il n'a pas contemplé la tempête contempo-
raine du haut des « temples sereins »: il s'est prononcé résolument,
vaillamment, en lutteur et non en amateur, dans les questions poli-
tiques, philosophiques, religieuses, sociales, qui troublent notre
"îays. On peut disputer des opinions qu'il a soutenues; mais tous
es hommes sincères et sérieux, amis ou adversaires, conviendront
l
VICTOR HUGO AU PANTHÉON 485
du moins que plus viril exemple ne pouvait être donné de plus
haut. Quand le pays flottait incertain entre la liberté et la dictature,
entre l'esprit théocratique et Tesprit laïque, entre la démocratie et
le gouvernement des classes dirigcaotes, lorsque les plus difliciles
f)roblèmes étaient posés devant la conscience publique, s^abstenir,
aisser à d'autres la peine d'avoir un avis et de le soutenir, ce rôla
de dilettante ou de sceptique lui eût paru un rôle d'eunuque. 11 fit
donc son choix, et, quand vint Tàge de la pleine maturité, il se
montra de propos délibéré libéral, démocrate, républicain.
Ce n'est pas tout : dans un temps où les idées religieuses sont
en médiocre faveur, aussi peu goûtées de bon nombre de savants
que des politi(iues, des publicistes et du peuple même, il osa être
religieux; il le tut à sa manière, simplement, tranquillement, sans
dogmatisme, comme on pouvait Tattendre d'un voyant du dix- neu-
vième siècle, qui n'ignore rien de ce qui déconcerte aujourd'hui les
intelligences les plus sincères, les plus avides do croire. Qui eut, en
eiïet, plus que lui l'oreille ouverte à toutes les voix contradictoires
de la nature, de l'histoire, de la science? Mais, au milieu de ces
discordances, c'est la voix du dieu intérieur, écho du Dieu universel,
qu'il se plaisait à écouter de préférence; et sous sa dictée il persis-
tait à prêcher à notre génération désorientée le règne de la liberté,
de la justice, de la fraternité humaine.
Ainsi a vécu^ Viclur Hugo : l'un des nôtres, ne désertant pas la
responsabilité de penser et do prendre position. Rappellerai-je une
fois de plus que, non content de penser librement, il a agi à ses
risques et périls? Ce que peut un homme, même désarmé, même
exilé, par la seule arme du vers, du vers proscrit et arrêté à la
frontière, conlro une puis-ance établie qui h pour elle, avec tous
les moyens matériels, police, administration, armée, l'Eglise, l'opinion
publique elle-même, trompée, égarée, démoralisée, ce que peut un
seul homme, jamais on ne le vit mieux que dans ce terrible duel
entre l'auteur des Châtiments et l'empereur Nnpoléon 111.
Voilà ce que, à l'heure où chaque Français tait son pèlerinage,
au moins en e>pril, vers le poète, m'a inspiré ma visite dernière.
Ce magicien du style fut un homme de conviction et d'action. Et
c'est pourquoi je ne peux me défendre d'un sentiment d'espoir en
voyant la fnule, je veux dire tout le monde, s'empresser vers la
maison mortuaire. Ce n'est pas un « grand de cnair », comme
dirait Pascal, quo l'on va saluer; ce n'est ni un général victorieux,
ni un homme d'État, maîtres dans l'art de mouvoir les masses
humaines ou les passions humaines : c'est un homme de l'esprit,
çiui ne serait rien si l'Ame, si la dignité de l'âme et de sa destinée,
individuelle ou nationale, n'était quelque chose. On croit donc encore
à l'esprit parmi nous; on croit à sa souveraine excellence : ce credo
en renferme bien d'autres!
La Rédaction
LEONARD ET GERTRUDE
HE PESTALOZZI
[Sous ce titre nous publions, en les rapprochaut de manière à en Toriûer ui>
ensemble, un certain nombro d'extraits de l'ariicle Pestatozzi, qui parait en
ce moment même dans les livraisons lôO et 151 du Dictionnaire de péda-
aogie (1), sous la signature de M. J. Guillaume. Cet article, dont Téditeur a
Bien voulu nous communiquer les bonnes feuilles, est un travail considérable,
puisé aux sources ; nous nous abstiendrons de le recommander à nos lecteurs :
rauteur est un des plus anciens collaborateurs de la Revues qui lui doit,
depuis le début, la rédaction du Courrier de VExtérieur.
<r Jusqu'à ces dernières années, dit M. Guillaume dans l'introduction de son
étude, des périodes entières de la vie du philanthrope de Neuhof étaient restées
mal connues; plusieurs de ses écrits les plus importants avaient été défîg'ivrés
dans des éditions remaniées, ou ét^iicnt demeurés inédits. C'est grâce auv
travaux récents de quelques compatriotes de Pestalozzi, et tout particulière-
ment de M. Mort', de M"** Zebndcr-Stadlin, de M. le l)** 0. lluoziker, que la
lumière a été faite sur bien des points restén obscurs, en même temps que
le texte authentique des écrits de Pestalozzi était de nouveau rendu accessiole
par les éditions, complètes ou partielles, de Seyffarth, de Mann et du comité
du musée peslalozzien de Zuri(îh. Nous avons utiîis»'» le résultat de» ces
consciencieuse? recherches ; et l'esquisse que nous offrons à nos lecteurs leur
présentera, d'une façon plus exacte qu'il n'avait été possible de le faire
jusqu'ici en France, la figure du vrai Pestalozzi. » La Rédaction,]
1
Pestalozzi connut alors la misùre noire (t). Dans la solitude
de sa maison de Neuhof, il resta sans aident, quelquefois sans
pain et sans feu. Mais ce qui fut plus dur à supporter pour lui
que les privations matérielles, ce furent les souffrances morales.
Les paysans du voisinage ne l'aimaieut pas; les innovations
qu'il avait essayées leur avaient déplu, et ils s'étaient réjouis-
de son insuccès et de sa ruine. Ils le lui témoignaient ouver-
tement par leurs ricanements lorsqu'ils le rencontraient; les
gamins le poursuivaient de leurs huées. On l'affublait de sobri-
quets méprisants. On l'appelait Pestilence et ÉpouvantaiL Se»
(1) Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire y publié sous la
direction de M. F. Buisson. Paris, librairie Hachette et G**.
(2) En 1780, après l'insuccès de sa tentative pour créer sur son domaine
de Neuhof un asile d'enfants pauvres,
LÉOMAKD &r G£lVrRi;i>L DE ffibTALOZZl 487
manières bizarres étaient J)icn faites d'ailleurs pour exciter la
moquerie du vulgaire. On le voyait se promener dans les
champs et sur les chemins, tantôt plongé dans de profondes
rêveries, tantôt courant, gesticulant et parlant tout haut. La
négligence extrême de sa toilette lui donnait Tair d'un mendiant.
Uu jour, raconte Emmanuel Frohiich (1), il était allé au château
de Wildenstein, pour y rendre visite à Fellenberg (le père);
Mme ^Q Tellenberg, qui ne le connaissait pas, était assise sous
un arbre devant la porte; comme il s'approchait d'elle pour la
saluer, elle crut avoir affaire à un pauvre qui demandait Tau-
mône, et lui tendit une pièce de monnaie; au même moment
survint Fellenberg, et grande fat la stupéfaction de la noble
dame de voir son mari embrasser avec effusion le prétendu
pauvre, et le lui présenter ensuite comme sou ami le philan-
thrope de Neuhof . La singulière habitude qu'avait Pestalozzi de
tenir sans cesse entre les dents un des bouts de sa cravate
prêtait aussi à rire : même à l'église, dit Hubcr, où il allait
régulièrement tous les dimanches et où il avait une stalle ré-
servée dans le chœur, on le voyait mordiller machinalement ce
lambeau de batiste pendant l'office, et sa manie donnait des
distractions aux fidèles.
Si les paysans n'avaient jamais eu pour IVstalozzi que des
sarcasmes, la société cultivée ne le traitait pas mieux mainte-
nant. Plus la coniiance qu'on lui avait témoignée un moment
avait été grande, plus était sévère la condamnation^ plus le mépris
donton l'accablait était profond. Il avait conservé quelques rares
amis : mais ceux-là même, dit-il, « me regardaient comme un
homme perdu sans remède, destiné à finir ses jours à l'hôpital
ou dans une maison de fous d.
Le sentiment que cette sentence impitoyable était injuste,
que les idées dont il avait tenté la réalisation étaient méconnues,
remplissait son co^ur d'une indicible amertume. Il souffrait
aussi de penser que sa femme, dont il avait dissipé la fortune
presque tout entière, avait dû perdre maintenant la confiance
qu'elle avait autrefois placée en lui. M""® Pestalozzi montra,
durant cette longue période d'épreuves, une admirable résigna-
(1) Souvenirs f publiés dans les Pndagogische Blàtter de Kehr, 1881, n* 2.
468 mVIJI FÉDAGOGIQUI
lion; elle ne récrimina point; mais elle semble s*êlre déta-
chée jusqu'à un certain point de son mari. Durant les années
qui suivirent le désastre financier de Neuhof, et jusqu'au
moment où la révolution helvétique ouvrit à Pestalozzi une
carrière nouvelle, l'altitude de M"« Pestalozzi reste la même.
D^une santé délicate et fréquemment malade, il lui «îût été
difficile d'ailleurs d'essayer d'intervenir activement pour amé-
liorer la situation matérielle.
C'est à ce moment même (probablement en 1780) qu'entra au
service de Pestalozzi une jeune servante dont l'activiU^ et le
dévouement méritèrent la reconnaissance attendrie des deux
(époux, pour qui elle fut pendant de longues années une véri-
table providence. Elle se nommait Elisabeth Nàf, de Rappel.
Née en 1762, elle avait servi déjà chez un membre de la famille
(on ne sait pas lequel), et, son maître étant mort, elle vint à
Neuhof offrir son aide. C'était une fille laborieuse, qui avait
toutes les qualités d'une bonne ménagère; grâce à elle, il y eut
de nouveau de l'ordre et de la ^propreté dans la maison, où tout
était à l'abandon ; elle cultiva le jardin, elle ramena un peu d'ai-
sance au foyer domestique. « C'est cette fille, dit Nicolovius, qui
ia vit en 1791, dont Pestalozzi a reproduit la figure, en l'idéa-
lisant, dans sa Gertrude. ù
Ramsauer rapporte que trente ans plus tard Pestalozzi lui
dit un jour : « Jo me retournerais dans la tombe et je ne pour-
rais pas être heureux au ciel, si je n'élais pas certain qu'après
ma mort elle sera plus honorée que moi-môme: car sans elle
il y a longtemps que je ne vivrais plus. »
Les servantes, on le voit, jouent un grand rôle dans la bio-
graphie de Pestalozzi; il semble que son imagination fût plus vi-
vement frappée des vertus simples et actives de la femme du
peuple. Dans ses souvenirs d'enfance, ce n'est pas sa mère qui
tient la preniière place, c'est la servante Babeli; et plus tard,
lorsqu'il écrit son roman populaire, ce n'est pas sa propre
épouse qui lui fournit le modèle de la mère de famille idéale,
c'est la servante Lisbeth.
L'isolement do Pestalozzi, qui lui fut si douloureux en ce
moment critique, n'était cependant pas absolu. Deux hommes
avaient conservé confiance en lui et lui prodiguèrent leurs encou >
LÉONARD AT GitaTRUOE DB PKSTALOZZI 4S9
ragcments dans son infortune : c'étaient Iselin (i) et le libraire
Gaspard Fussli (frère du peintre Henri Fûssli). lis lui conseil-
lèrent ^'écrire ; et Pestalozzi, qui « n'avait pas ouvert un livre
depuis treize ans », et a qui ne pouvait plus écrire une ligne sans
laute », résolut d'essayer du métier d'écrivain c comme il eût
essayé, s'il l'eût fallu, de celui de perruquier, pour procurer
quelques ressources à sa femme et à son enfant ».
Les deux premiers écrits qui sortirent alors de sa plume sont
la Soirée d'un solitaire (Die Abendatunde eines Einsiedlers) et
un Mémoire sur les lois somptuaires (Ueber die Aufwandgesetze).
Ils passèrent inaperçus. La Soii^ée d'un solitaire parut dans le
numéro de mai 1780 des Ephémérides d'Iselin : c'est une suite
de pensées sur la morale et la religion. 1^ Mémoire sur les lois
somptuaires Irai lait une question mise au concours en 1779 par
la Société d'encouragement de Biile : « Convient-il d'imposer
des limites au luxe des citoyens dans une petite république dont
la prospérité repose sur le commerce-? » Le premier prix, qui
était de 30 ducats, fut partagé entre Pestalozzi et sou compa-
triote le professeur Meister ; lus écrits couronnés furent publiés
à Bâle en une brochure, avec une préface d'Iselin datée du 14
décembre 1780. « Le second mémoire, y lisait-on, a pour auteur
M. Peslalozz (sic)y de Neuhof, qui s'est acquis, par le plan
excellent qu'il a formé pour l'éducation des enfants des classes
inférieures, le suffrage et l'estime des vrais amis de l'humanité,
mais qui a eu le malheur de voir ses nobles intentions échouer
jusqu'à présent, faute d'un appui suffisant. » Ces bienveillantes
paroles du chancelier bâlois durent ctre pour Pestalozzi comme
un baume sur sa blessure.
C'est au commencement de 1781 que fut composée la pre-
mière partie de Léonard et Gertrude, où Pestalozzi se révéla au
public étonné comme un écrivain d'un talent original et supé-
rieur. Voici, d'après l'auteur lui-même, comment ce livre prit
naissance. Se trouvant à Zurich (dans le courant de 1780), il
s'était diverti à écrire une facétie inspirée par un incident local :
l'adoption d'un nouvel uniforme pour la garde urbaine. Le
(1) Isaac Iselin, choncelier de la ville de Bâle (1728-1782).
'460 MVin PÉDAGOdfQUC
peintre Fussli vit ce manuscrit, qui traînait sur une table chez
son frère le libraire, le lut, fut frappé de rorigioalité du style
et des idées, et dit à son frère : « L'homme qui a fait cela a du
talent : dis-lui de ma part qu'il y a en lui l'étofie d'un écri^'aiD,
et qu'il ne tient qu'à lui de se tirer d'affaire au moyen de sa
plume. j> Le libraire répéta ces paroles à Pestalozzi, qui n'en
croyait pas ses oreilles. Eu rentrant chez lui, il se mit à lire les
Contes moraux de Maniiontel, qu'il avait justement sur sa tible,
et il lui parut qu'il ne serait pas très difficile d*en faire autant.
Il essaya, et écrivit successivement cinq ou six historiettes dans
ce genre; mais aucune ne le satisfit. Enfin il rencontra un sujet
qui lui plut; sans qu'il se fût fait un plan à l'avance, le livre
sortit de sa plume, chapitre après chapitre, et se trouva
achevé en quelques semaines : c'était l'histoire de Léonard et
de Gertrudc. « J'en sentais la valeur, dit-il, mais comme un
homme qui dans le sommeil sent la valeur d'un bonheur dont
îl rôve. Je savais à peine si je veillais ou si je dormais; cepen-
dant une lueur d'espoir commençait à poindre en moi, l'espoir
de pouvoir, comme écrivain, améliorer ma position matérielle
et la rendre plus supportable aux miens. Je montrai mon
essai à un ami de Lavater, qui était aussi le mien (Pfenninger).
Il le trouva intéressant, mais déclara cependant que le livre
ne pouvait pas être imprimé tel quel; il fourmillait d'incor-
rections intolérables, n'avait pas la forme littéraire. Il offrit do
le faire revoir par une personne ayant l'habitude d'écrire. Dans
ma simplicité, je lui répondis que j'en serais bien aise, et je lui
remis sur-le-champ, |)our être révisées, les trois ou quatre
premières feuilles de mon livre. Mais quel fut mon étonnement
lorsqu'il me rendit ces feuilles sous leur nouvelle forme. C'était
un véritable travail d'étudiant en théologie, oii la peinture
sincère de la vie réelle des paysans, telle que je l'avais faite,
nue et sans art, mais fidèle et d'après nature, était remplacée
par une religiosité de convention, et où les paysans au cabaret
parlaient le langage [>édaiitesque d'un maître d'école: il ne
restait rien de ce qui faisait l'originalité de mon livre. » Mal-
gré sa modestie, Pestalozzi se rebiffa : il refusa de consentir à la
mutilation de son œuvre, et chercha un juge plus éclairé. Il se
rendit à Bâie auprès d'Iselin. Celui-ci, après avoir entendu
LÉONARD ET GKRTRUDB DI PKSTALO/ZI 491
la lecture de quelques chapitres du manuscrit, dit à l'auteur
que cet ouvrage n'avait pas encore son pareil, et que les idées
qu'il contenait répondaient à un besoin réel du temps; il se
chargea de corriger les fautes de style et d'orthographe, et de
trouver un éditeur. L'excellent Iselin écrivit en effet à Berlin au
libraire Decker, qui promit de payer le manuscrit à raison
d'un louis la feuille, et encore une fois autant s'il y avait une
seconde édition. Pestalozzi nageait dans la joie. « Un louis par
feuille, c'était pour moi, dans ma situation, une grosse somme,
une très grosse somme 1 »
La fable de Léonard et Gertrude est des plus simples. Dans
le village de Donnai vit un ouvrier maçon, Léonard, avec sa
femme Gerlrude et ses sept enfants. Léonard est bon et honnête,
mais faible. 11 s'est laissé entraîner à boire et à jouer dans
l'auberge que tient le bailli du village, le rusé et méchant
Hummel ; il a fait des dettes. Honteux et désespéré, il avoue sa
triste situation à sa femme. La pieuse et vaillante Gertrude le
console et lui fait promettre de changer de conduite. Le lende-
main, son plus jeune enfant sur le bras, elle se rend au châ-
teau où réside le Junker Amer, le nouveau seigneur du village,
qui vient de succéder à son aïeul; elle lui conte l'histoire de
son mari. Amer est touché de la naïve confiance de Gertrude,
et indigné dp ce qu'il apprend sur le compte du mauvais bailli.
11 fait une enquête avec l'aide du pasteur Ernst, homme vertueux
et éclairé, et découvre une foule de malversations et d'injustices.
Le bailli, qui se sent nienacé, essaie de conjurer l'orage en
ourdissant intrigue sur intrigue ; mais ses machinations tour-
nent contre lui, il est démasqué; et, au dénouement. Amer,
siégeant comme juge, après avoir déposé Hummel de sa charge,
l'oblige à restituer le bien mal acquis et prononce contre lui
une sentence infamante.
Dans ce cadre, l'auteur fait mouvoir, à côté des personnages
principaux, une quantité de figures secondaires, dessinées avec
beaucoup de verve et ayant chacune sa physionomie bien mar-
quée; les épisodes touchants ou comiques se succ<'»dent; pres-
que chacun des cent chapitres forme un petit tableau frappant
par la vérité des détails, le naturel du dialogue, la finesse de
l'observation; quelquefois aussi des pensées fortes ou profondes
492 RIVUK PÉDAGOGIQUB
font deviner derriùre le conteur un philosophe, ou un rayon
de poésie vient ennoblir les détails vulgaires.
Ce fut au printemps de 1781 que parut, sans nom d'auteur,
Léonard et Gerlrude (la préface est datée du 25 février 1781).
Le succès en fut très grand en Allemagne et en Suisse; tous
les journaux en parlèrent, et non seulement les journaux,
mais les almanachs. On sut bientôt que Tauteur était M. Pes-
talozzi de Neuhof, qui se trouva célèbre du jour au lendemain.
La Société économique de Berne lui décerna une récompense
consistant en une somme de oO ducats et une mtklaille d'or,
— médaille que Peslalozzi, pressé par le besoin, vendit à un
collectionneur.
Une seconde édition de Léonard et Gertrude fut faite la
même année.
Une traduction française parut à Berlin en 1783, chez le
même éditeur, en un volume in-12. Elle est intitulée: Léonard
et Gerlrude ou les Mœurs villagoises, telles qu'on les retrouve
à la ville et à la cour» Histoire morale traduite de V allemand :
Avec douze estampes dessinées et gravées par D, Chodowiecki,
Celte traduction est dédiée à M. de la Fléchère, « seigneur de
Grens, capitaine d'une compagnie de grenadiers au service du
louable canton de Berne ». Dans son épître dédicatoire, le
traducteur, qui signe des initiales « P. de M. », aimonce que
l'original est Tœuvre de a M. Peslalotz de Neuenhof » (au xviu®
siècle, on rencontre fréquemment le nom de Pestalozzi écrit
Peslalotz, Pestalutz, Pestalozz, Pestaluz, etc.); parlant de sa
traduction, il ajoute : « 11 ne m'est pas permis d'en rien dire,
sinon qu elle est fidèle, que même elle peut avoir quelque avan-
tage sur l'original, quanta la pureté de la diction, en même temps
que je reconnais qu'elle n'en apas toute la précision et la naïveté,
quoique j'aie pris à tâche d'imiter le style simple et naturel
de l'auteur. » Le traducteur est Pajon de Moncets, pasteur de
l'église française de Berlin, qui a publié aussi des traductions
des Leçons de morale de Gellert et de VElementarbuch deBasedow.
Les estampes de Chodowiecki ne sont pas sans mérite. Elles
représentent les sujets suivants: 1** Léonard rentre chez lui et
trouve sa famille en larmes* (ch. l*"") ; 2** Gertrude chez Arner
(ch. 2); 3"* le chien du barbier dévoile une ruse du bailli, en
LÉONARD ET GERTRDDB DE PESTALOZZI 493
léchant Teau tombée d'une cruche où celui-ci prétendait avoir
mis du vin (ch. 10); 4® la grand'mère de Rudi à son lit de
mort (ch. 16); 5* dialogue entre le bailli et Marx (ch. 26);
6® Marx gronde sa fiile Betheli qui a accepté un morceau de
pain d'un des enfants de Gertrude (ch. 80); 7® le bailli prend
le coquetier Christophe pour le diable, et se sauve en hurlant
(ch. 74); 8® le bailli fait sa confession au pasteur (ch. li);
9® le petit Charles, ftls d'Amer, embrasse le cocher Franz
(ch.82); 10** Arner prononce la sentence du bailli (ch. 89); 11® le
coquetier Christophe explique devant la commune assemblée
que c'est lui que le bailli a pris pour le diable (ch. 92); 12®
Léonard et Gertrude avec Arner et sa femme Thérèse chez Rudi
(ch. 98).
II a été fait une réimpression de cette traduction, mais sans
estampes, et avec l'indication Première par lie (parce que la
seconde partie de Léonard et Gertrude avait déjà paru à ce
moment). Cette réimpression porte la mention : « A Lausanne
et à Paris, choz la vouve Duchosne, libraire, rue Saint-Jacques,
au temple du Goût, 1784. »
Une autre traduction de la première partiede Léonard et Gertrude
a été faite beaucoup plus lard pu- M™*» la baronne de Guimps,
et imprimée à Genève chez J.-J. Paschoud en 1826 (seconde
édition en 1832, Paris et Genève, Abraham Cherbuliez). M™* de
Guimps dit dans son avertissement : « Léonard et Gertrude a
déjà été traduit dans notre langue; je ne veux point faire ici la
critique de cette première traduction ; je dirai seulement que
Pcstalozzi en fut très mécontent, et qu'il me pressa d'entre-
prendre celle-ci, qui a été commencée sous ses yeux et d'après
ses avis. » A notre sentiment, M™^ de Guimps n'a pas mieux
réussi que Pajon de Moncels, non que le talent lui ait manqué,
mais parce qu'elle entreprenait une tâche impossible : Léonard
et Gertrude est un livre intraduisible.
On s'est demandé si les personnages du roman de Pestalozzi
étaient des portraits. Il a déclaré lui-même, en 1782, que les
applications qu'on avait voulu faire étaient inexactes, en ce
sens qu'aucun des caractères du livre n'est, dans tous ses traits,
la copie fidèle d'un original. Mais il n'en est pas moins
évident que pour chacun d'eux il a eu présenti> à l'esprit
40^ lULVUE PÉDAÛOGIUUE
UQ OU plusieurs modèles pris dans la réalité. Gertrude, d'après
une tradition que Nicolovius a le premier accréditée, — Pes-
talozzi lui-même, il est bon de le remarquer en passant,
n*a jamais rien dit pour la confirmer, — serait faite à l'i-
mage de la servante Elisabeth Niif; les gens de Birr et de
Mûligen crurent reconnaître dans le bailli Hummel l'intrigant
Miirki, de la mauvaise foi duquel Pestalozzi avait été la victime
au début de son entreprise agricole; quant au pasteur, le choix
de son nom, £rnst, indique que l'auteur a dû songer à son
ami et voisin le pasteur de Birr, qui s'appelait Frohlich (Ertw/,
en allemand « sérieux »; Frohlich, en allemand ce gai »); enfin
Arner, l'idéal du seigneur humain, sage et bienfaisant, serait,
de l'avis des biographes modernes, le patricien bernois Tscharner,
dont nous avons déjà parlé, qui gouvernait le bailliage de Schen-
kenberg; peut-tUre un autre noble Bernois, voisin aussi de
Pestalozzi, le Junker Effinger, qui habitait le château de Wii-
dcgg, et qui s'occupait avec beaucoup de zèle d'œuvres phi-
lanthropiques, a-t-il fourni aussi quelques traits à cette figure.
Pestalozzi employa l'année 1781 à écrire un nouvel ouvrage,
qui devait servir de complément et de commentaire à Léonard
et Gertrude : c'est Christophe et Else, mon second livre pour
le peuple, qui parut en 1782 (Dessau et Zurich, chez le
libraire Fussli). Une famille de paysans occupe ses soirées à
lire Léonard et Gertrude, et chaque chapitre fait le sujet d'une
conversation où les interlocuteurs développent les conclusions
morales qu'ils croient pouvoir tirer des divers épisodes du
roman. Ce livre didactique, auquel Pestalozzi attachait une
haute importance, reçut un accueil assez froid. Il se compose
de trente « soirées », dans lesquelles sont commentés les vingt-
cinq premiers chapitres de Zéonard et Gertrude. L'auteur avait
annoncé une suite; mais il ne jugea pas à propos de continuer
son travail
Il
Ici se place un événement auquel la plupart des biographes
n'ont pas accordé assez d'importance, et qui nous paraît le plus
considérable à signaler dans cette première moitié de l'existence
de Pestalo/zi : c'est son affiliation à l'ordre des Illuminés.
LÉONARD ET GERTBUDE DE PBSTALOZZI 495
L'IUuminîsme, fondé par Weissbaupt vers 1776, avait rapi-
dement gagné de nombreux adeptes dans les pays de langue
allemande; une foule d*hommes distingués, de hauts person-
nages, étaient entrés dans la conspiration mystique qui se
proposait pour but ia destruction des trônes et l'établissement
d'une société égalilaire. Le plan des chefs des Illuminés était
de se servir des souverains eux-mêmes comme d'instruments
inconscients de l'œuvre d'émancipation sociale, et d'oblenir des
gouvernements, grâce à l'influence occulte qu'ils sauraient
exercer sur eux, les réformes préalables nécessaires à l'exécution
de leurs projets. Mais seuls les hauts dignitaires de Tordre
avaient la pleine connaissance de ce but mystérieux; les affiliés
appartenant aux degrés inférieurs de la hiérarchie ne recevaient
qu'une demi-initiation.
Quelle est la date exacte à laquelle Pestalozzi entra en rap-
port avec les Illuminés? On l'ignore. Tout ce qu'on sait, c'est
qu'en 1782 il était membre de Tordre, et qu'il y portail le nom
à' Alfred. Le riiusée pcstalozzieu de Zurich possède une lettre
adressée à Pestalozzi par Tun de ses supérieurs de Tordre, qui
signe Epictèle; la lettre est datée d^Ulique^ S décembre 1782
(elle est reproduite dans les Pestalozzi- Blàtter^ 1885, p. 17).
Mous apprenons par cette lettre que Pestalozzi désirait obtenir
i\ Vienne, auprès de l'empereur Joseph lï, une situation dans
laquelle il pût travailler au relèvement moral et matériel du
peuple des campagnes, soit par la fondation d'un institut
d'éducation professionnelle comme celui de iNeuhof, soit de
quelque aulie façon. Il avait rédigé à cet effet un mémoire
dans lequel il développait ses idces. Son (correspondant lui
répond qu'il a trouvé ses propositions bonnes et ses théories
justes, mais que son mémoire n'est pas écrit de façon à plaire
à l'empereur. Il l'engage à s'adresser directement à M. deSonnen-
fels à Vienne, homme d'État de grande réputation, possédant
la confiance de Joseph II, et affilié liii-méine à TlUuminlsme. A cette
lettre est jointe une note signée Machiavel, émanant d'un autre
membre de Tordre auquel le mémoire de Pestalozzi avait été
communiqué; « Machiavel » juge aussi que le mémoire est
trop défectueux sous le rapport du style, de ia méthode et de la
clarté pour être pouvoir présenté à l'empereur; il ajoute cette
496 RIVUS PÉDAGOGIQUE
réflexion assez inatteodue, et qui en dit long sur ce que la
syntaxe et Torlhographe de Pestaîozzi laissaient à désirer : t Si le
fieur P., comme son style semble l'indiquer, manie plus facile-
ment le français que Tallemand, il vaudrait mieux qu'il rédigeât
ses pensées en français, et qu*il les fit traduire ensuite en alle-
mand par quelque personne capable. »
Il nous paraît très probable qu'a Ëpictète » est un ami
d'Iseliii et de Battier, peut-être Battier lui-même (i). 11 est
avéré que le projet de Pestalozzi de chercher un établissement
à Vienne lui avait été inspiré par Iselin. « C'est lui, raconte-t-il
{Schweizer-Blatt, n« 33, 15 août 1782), qui m'a conseillé la
publication de mon journal hebdomadaire; mais il désirait plus
encore et travaillait à quelque chose de plus important; et si
jamais je vais à V. (Vienne), et que j'y tente quelque chose
de plus considérable, c'est à lui que j'en devrai la première
pensée. » Ajoutons que dans la lettre d' « Ëpictète », il est
question d'un cahier que Pestalozzi doit renvoyer k son cor-
respondant, après l'avoir copié, « par Tintermédiaire de la
librairie Serini à Bàlc ». Du rapprochement de ces diverses
circonstances, il ressort qulselin appartenait à l'ordre des
Illuminés, et que ce fut lui, selon toute proliabilité, qui y affilia
Pestalozzi; Battier, leur ami commun, l'homme « plein de
hardis projets », doit nécessairement en avoir aussi fait partie.
Le musée pestalozzien possède en outre un petit cahier, écrit de
la main de Pestalozzi, et contenant une notice sur le but et l'orga-
nisation de l'ordre des Illuminés (le texte en a été publié dans
le Korrespondenzblatt des Archivs der schw. permanenten Schul-
ausslellung, 1879, p. 8). C'est peut-être la copie du cahier dont
il est question dans la lettre d' a Épictèle ».
On ne sait pas si Pestalozzi donna suite au projet qui lui
était suggéré de s'adresser à M. de Sonnenfels. Mais, dès le
mois de juin 1783, on le voit entrer en correspondance avec le
comte Charles de Zinzendorf, ministre des finances de Joseph II.
C'était M. de Fellenberg, comme l'indique la première des lettres
(1) tiatUerf négociant bàlois, était devenu l'ami de Pestalozzi par l'inter-
médiaire d'Iselin. C'était, au témoignage de Nicolovius, < un homme plein de
hardis projets, d'une grande énergie et d'une remarquable élévation de sen-
timents >. Pestalozzi lui a dédié la quatrième partie de Léonard et Gertrude,
LÉONARD ET GERTRDDK DE PESTALOZZI 497
de Pestalozzi, qui l'avait mis en rapport avec Zinzendorf. Faut-
il supposer que rintervention deslllumiaés y ait été aussi pour
quelque chose ? ("ela pourrait être, mais iJ n'est point nécessaire
de le supposer. L'origine des relations avec Zinzendorf s'explique
très naturellement par l'envoi que Fellenberg avait fait à celuiKÛ
de quelques écrits de Pestalozzi de la part de leur auteur. Nous
apprenons par le Schwajiengesang que Pestalozzi espérait retirer
de ses rapports avec Zinzendorf « de sérieux avantages matériels » ;
mais son espérance fut déçue. La correspondance entre Zinzen-
dorf et Pestalozzi dura jusqu'en 1790 ; les lettres de Pestalozzi
et deux lettres de Zinzendorf ont été publiées dans le Pœdagogium
de Dittes, numéros de mai et juin 1881.
Von Raumer dit, d'après Henning, que Pestalozzi parvint au
grade de chef suprême de riliuminisme en Suisse ; mais que
bientôt après, désabusé, il sortit des rangs de l'association. Rien
n'indique qu'il y ait jamais eu rupture entre Pestalozzi et les
Illuminés; la désorganisation de ïordre, arrivée à partir de
1784, à la suite du procès de Weisshaupt et des persécutions
dirigées en Bavière contre les affiliés, suffit à expliquer pourquoi
Pestalozzi cessa d'en faire partie. Il laut noter cependant un
passage de la quatrième partie de Léonard et Gertrude (chap. 23),
où il traite assez durement les « sociétés secrètes », les « char-
latans tt et les ce thaumaturges »; ce passage parait s'appliquer
à certains chefs de Tllluminisme, tels que Cagltostro. Mais les
rêves de régénération sociale dont Pestalozzi s'était bercé con-
tinuèrent à fermenter dans sa tête; dans le législateur de la
quatrième partie de Léonard et Gertrude, dans le politique des
Aeusso^ngen iiber die burgerliche Stimmung der europàischen
Menschheit (il93), dans le philosophe des Nachforschungen (1797),
on retrouvera l'Illuminé de 1782, le coopérateur d' « Epictète et de
Machiavel ».
III
La seconde partie de Léonard et Gertrude (i) fut écrite dans les
premiers mois de 1783 (Pestalozzi annonçait à Zinzendorf, en
(1) Les trois dernières parties de Léonard el Gertrude, de beaucoup les
plus importantes, n'ont jamais été traduites, et aucun biographe n'eo avait,
jusqu'ici, donné même une analyse.
aivuB pAdaoooiqui 1885. — !«' sbh. 3î
498 RIVUB PÉDAGOGIQUE
juin, que le mauuscrit en était presque termiaé), et parut à la
fin de Tannée (un exemplaire put en être envoyé à Zinzendorf
le 30 décembre). L*auteur avait renoncé à renseignement direct,
au procédé didactique employé dans Christophe et Else, et était
revenu à sa première manière. Les personnages sont les mêaies
dans la seconde partie de Léonard et Gertri^le que dans la
première; il faut noter cependant que Gertrude y tient beaucoup
moins de place : elle ne paraît que dans trois ou quatre chapitres
sur soixante-dix; tout le reste du livre est consacré au récit des
méfaits de divers complices de Hunmiel, et de la punition que
leur inflige Amer, ainsi qu'à une biographie rétrospective de
Tancien bailli. Peslalozzi s'en excuse: « J'aimerais tant, s'écrie-
t-il, à parler beaucoup de cette femme, et je trouve si peu à
dire d'elle, tandis qu'il me faut parler si longuement de la
bande des coquins ! » Et c'est alors qu'il a recours à une belle
comparaison, souvent citée ; « Lecteur, je voudrais pourtant
chercher pour toi une image de cette femme, afin qu'elle appa-
raisse vivante devant tes yeux, et que sa silencieuse activité te
devienne à jamais inoubliable. Ce que je vais dire est beaucoup;
mais je ne crains pas de le dire. Ainsi chemine dans sa voie,
du matin au soir, le soleil de Dieu. Ton œil ne voit pas ses pas,
ton oreille n'entend pas sa marche ; mais à son coucher tu sais
qu'il se lèvera de nouveau et continuera à réchauffer la terre,
jusqu'à ce que les fruits en soient mûrs. Cette image de la grande
mère (1), qui vivifie la terre de ses rayons, est l'image de Ger-
trude, et de toute femme qui sait faire de la chambre de famille
le sanctuaire de la divinité. »
En avril 1184, Zinzendorf écrivait à Pestalozzi : « La seconde
partie de votre roman populaire est écrite dans le même esprit
que la première, et ne pouvait manquer par conséquent de me
faire le m<}me plaisir... Je ne doute pas que vous n'ayez auprès
de vous des amis avec lesquels vous pouvnz vous entretenir
agréablement de vos idées philanthropiques ; ce doit être pour
vous un encouragement à persévérer dans la voie utile où vous
marchez. S'il en est ainsi, vous êtes certainement plus heureux
(1) Le soleil, en allemand, est du genre féminin.
LÉONARD ET GERTEUDE DE PESTALOZZI 499
que bien des amis de rhumanité qui vivent dans une sphère
plus brillante, d
La troisième partie de Léonard et Gertrude fut publiée au
printemps de 1785. Cette fois, Pestalozzi avait élargi son cadre et
abordé un sujet plus vaste. Dans la seconde partie, il s'était con-
tenté d'ajouter de nouveaux chapitres à son récit primitif, pour
compléter le tableau de Tétat d'ignorance et de misère où vivaient
les paysans. Maintenant il veut faire œuvre de réformateur,
indiquer les remèdes qui doivent être apportés aux maux qu'il
a décrits. Ce qu'il faut réformer en premier lieu, c'est l'école
et l'église. Mais pour changer l'école, il faut changer le maître
d'école, ff Quand j'y réfléchis bien, dit au Junker 1 homme le
plus sensé du village, l'industriel Meyer, il me parait qu'avec
toutce que vous pourrez faire, vous n'arriverez pourtant pas à votre
but, à moins que vous ne chassiez l'individu qu'on appelle
maître d'école, et que vous ne supprimiez l'école, ou bien que
vous la réformiez complètement. Depuis cinquante ans, tout a
tellement changé chez nous, que la vieille méthode de tenir
l'école ne vaut plus rien pour les gens tels qu'il les faut aujour-
d'hui... Vous savez quel maître d'école nous avons. Le mal-
heureux n'a pas la moindre idée de ce qu'un homme doit
savoir pour se tirer d'affaire avec honneur dans le monde. Il
ne sait pas même lire; quand il Ut, il semble qu'on entende
bêler un vieux mouton, et plus il veut être édifiant, plus il
bêle. Et quel ordre dans sa classe! La puanteur vous fait reculer
quand on ouvre la porte. Il n'y a pas une étable dans le village
où les veaux et les poulains ne soient mieux soignés que nos
enfants dans une école pareille. » L'ancien magister de Bonnal
est remplacé par un persoimage nouveau, en qui i^estalozzi a
bien certainement voulu se peindre lui-même : c'est le lieutenant
Glùphi, un militaire invalide, devenu l'ami et le conseiller d'Arner.
A côté de lui apparaissent d'autres ligures nouvelles : le filateur
de coton Meyer (Baumwollen-Meyerjj le représentant et l'apôtre
du travail industriel et de l'économie qui doivent amener l'ai-
sance dans la cabane du pauvre; sa sœur, l'énergique et sensée
Mareili; et une paysanne de bonne et franche volonté, la jeune
Renold, qui devient l'alliée de Gertrude et de Mareili dans la
croisade contre le désordre et la paresse. C'est Meyer et sa sœur
SOO REVUE PÉDAGOGIQUE
qui doonent à Arner Tidée de réformer l'école; c'est Grertrudey
avec sa chambre pleine d'enfants qui lisent, calculent ttchan^
tent tout en filant leur coton, qui lui fournit le modèle de ce
que doit être la classe. « Croyez-vous, demande Glùphi, que Tordre
que vous avez établi dans celte chambre puisse être introduit dans
une école? — Je pense, répond Gertrude, que ce qu'on peut
faire avec dix enfants, on peut le faire aussi avec quarante. »
Et elle promet d'aider à taire l'essai. Le lieutenant la prend au
mot. La nouvelle école est aussitôt installée. Les enfants y tra-
vaillent de leurs mains à Toccupation que leurs parents ont
choisie pour eux, et en même temps ils apprennent à lire, à
écrire et à calculer. Gertrude, après avoir présiié aux premiers
arrangements, est remplacée dans la classe par une aide, la
bonne Marguerite, qui surveille le travail des petites filles. Le
lieutenant dirige renseignement et maintient une discipline
paternelle, mais ferme et stricte. C'est à dessein que Pestalozzi a
fait de son maître d'école un ancien militaire : il lui fallait,
pour ce rôle, un homme préférant l'action à la parole, un
homme qui incarnât en lui la règle inflexible, qui put enseigner
avec autorité, par son exemple, toutes ces choses nécessaires,
l'ordre, la ponctualité, la propreté, l'obéissance, l'assiduité au
travail. Plusieurs chapitres sont consacrés à décrire les moyens
employés par Glùphi pour asseoir la discipline, pour donner
aux entants de bonnes liabitudes, pour les instruire dans les con-
naissances élémentaires : ce sont autant de réminiscenees de ce
que l'auteur avait tenté lui-même à Neuhof. Signalons en
passant la valeur accordée par Pestalozzi au calcul comme moyen
de fonner le jugement, d'habituer Tenfant à raisonner juste et
à ne pas se payer de mots. « L'homme,dit-il, n'acquiert la sagesse
que par une longue expérience, ou par des exercices de ccUcul^
qui peuvent en partie y suppléer. » Cette haute idée des vertus
des quatre règles restera un trait saillant de son système d'en-
seignement; serait-il téméraire d'ajouter qu'une partie du respect
que lui iuspiraient les opérations de l'arithmétique venait pro-
bablement de ce qu'il était incapable de les exécuter lui-même
correctement^?
Le passage suivant résume nettement l'idée que Pestalozzi se
fait d'une bonne méthode élémentaire ; on y trouve déjà en
LÉONARD ET GERTRUDX DB PESTALOZZI SOI
germe les principes qu'il développera une vingtaine d'années
plus tard: « Tout en s'occupant du cœur des enfants, le lieu-
tenant s'occupait aussi de leur tête: il voulait que ce qui y
entrait fût aussi clair et visible que la pleine lune au ciel. Avant
tout, il enseignait aux enfants à bien voir et à bien entendre,
et exerçait en eux le bon sens naturel qui existe dans chaque
homme... Quand on veut détourner les hommes de l'erreur, ce
ne sont pas les paroles des insensés qu'il s'agit de réfuter, c'est
l'esprit même de leur folie qu'il faut éteindre eu eux. Pour
faire voir, il ne sert à rien de décrire la nuit et de peindre la
couleur noire de ses ténèbres : c'est seulement en allumant la
lumière que tu pourras montrer ce que c'était que la nuit; c'est
seulement en enlevant la cataracte que tu feras comprendre à
l'aveugle ce qu'était la cécité. Bien voir et bien entendre est le
premier pas vers la sagesse de la vie ; et le calcul est le fil
conducteur qui nous préserve de l'erreur dans la recherche de
la vérité; c'est la pierre angulaire de la tranquillité et du bien-
être que seule une vie de travail, réfléchie et prévoyante, peut
assurer aux enfants des hommes. »
Le pasteur, qui voit la réforme accomplie par Glùphi dans
l'école, se sent pris d'émulation. 11 y a un curieux dialogue
(chap. 18) entre lui et le lieutenant : « Je ne veux rien avoir à
faire, dit le soldat, avec le lirilavi des maîtres d'école, avec ce
bavardage qui tourne les cervelles et gâte la raison. — Je ne
l'aime pas plus que vous, dit le pasteur. — Mais je condamne
tous les longs discours, reprend Glùphi, tout ce qui est verbiage,
à l'école ou ailleurs. Irez- vous jusque-là? — Oui certes: le
bavardage est proprement la maladie ecclésiastique, dont nous
avons si grand besoin de nous guérir. — A la bonne heure. Des
actes, voilà ce dout l'homme a besoiu. Foin des discours ! » Le
digne pasteur, qui a fait pendant trente ans des sermons à son
corps défendant, ne demande pas mieux que de ne plus prêcher.
Il renonce même à faire apprendre aux enfants le c^itéchisme.
« Il marqua de sa main dans leurs livres les quelques sentences
sages et pieuses qu'il leur permit encore d'apprendre par
cœur; de tout le reste, questions oiseuses, vains prétextes à
disputes, qu'il voulait effacer de leur esprit, il n'en dit plus mot;
et lorsqu'on lui demandait pourquoi il ne parlait pas plufi de
802 RIVUX PÉDAGOGIQUI
ces choses que si elles n'eussent pas existé, il répondait: a Je vois
» tous les jours plus clairement qu'il n'est pas bon pour
» l'homme de se martyriser la cervelle pour y faire entrer tant
» de pourquoi et de parce que; Texpérience montre que plus
» les hommes se mettent de ces pourquoi et de ces parce que
» dans la tête, plus ils perdent leur bon sens et l'usage pratique
» de leurs mains et de leurs pieds. » Et après avoir expliqué en
quoi le pasteur lait consister la « véritable religion humaine »,
la seule qu'il veuille désormais enseigner à ses paroissiens,
Pestalozzi ajoute: a Mais le plus méritoire en lui, c'est qu'il
déclarait franchement que s'il n'eût pas vu de quelle façon le
lieutenant et la bonne Marguerite s'y prenaient à l'école avec
les enfants, il n'aurait jamais essayé de lui-môme de rien
changer à la vieille routine, et qu'il serait resté jusqu'à la
mort l'ancien pasteur de Bonnal, tel qu'il avait été trente années
durant. » C'est une chose caractéristique que la façon dont
Pestalozzi fait incliner ici l'ecclésiastique devant h supériorité
du laïque. « Ainsi, dit-il quelque part, parlait l'homme dont la
force venait de ce qu'il connaissait le monde, au prêtre dont la
faiblesse venait de ce qu'il ne le connaissait pas, » La différence
du point de vue, entre la première partie de Léonard et Gertrude
et ce troisième volume écrit quatre ans plus tard, est ici très
sensible. Dans la première partie, le pasteur était le représen-
tant par excellence de la sagesse ; nul ne lui était supérieur, il
suffisait à tout. Maintenant, au contraire, en subordonnant le
pasteur au maître d'école Gliiphi, Pestalozzi montre clairement
que, dans l'œuvre de réforme sociale, l'initiative ne saurait
appartenir à l'Église; le clergé ne doit plus jouer qu'un rôle
d'auxiliaire ; et ce rôle même, il ne pourra le remplir qu'à la
condition de renoncer à la religion formaliste, de laisser dormir
le dogme et de ne plus enseigner que la morale.
Notons encore un curieux chapitre (chap. 77) où l'auteur
met dans la bouche de la vaillante et sensée Mareili une profes-
sion de foi bien significative. Les bonnes femmes du village se
plaignent à elle que, si le pasteur n'explique plus la parole de
Dieu, on ne saura plus ce qu'on doit croire. Elle répond qu'il
n'y a pas besoin de tant d'explications. <i Et comment fais-tu
donc? lui demande-t-on. — Comment je fais? Bonnes gens,
LÉONARD ET GERTRUDE DE PESTALOZZl 503
je vais vous le dire. Il y a assez de choses dans le monde qui
sont de Dieu même et qui nous disent clairement ce que Dieu
veut de nous. J'ai le soleil, la lune, et les étoiles, et les fleurs
du jardin, et les fruits des champs, — et puis mon propre cœur
et tout ce qui m'entoure; est-ce que cela ne me dit pas, mieux
que ne le feraient tous les hommes, ce qu est la parole de Dieu
et ce qu'il attend de moi ? Et tenez, quand je vous vois là devant
moi, et que je lis dans vos yeux ce que vous voulez de moi
et les obligations que j'ai envers vous; et que je regarde les
enfants de mon frère, pour qui je me sens responsable, — n'est-
ce pas là une parole de Dieu qui m'est directement adressée,
qui n'appartient qu'à moi, que personne n'a besoin de m'ex-
pliquer et sur laquelle je ne puis me tromper? » — Et les
bonnes femmes durent convenir que le soleil,lalune et les étoiles,
et le cœur de l'homme et tout ce qui l'entoure expliquent à
chaque homme la parole de Dieu d'une manière infaillible et
suffisante, ù
A côté de cette partie qu'on pourrait appeler théorique et
technique, destinée spécialement à cette classe de lecteurs que
leur position sociale pouvait mettre à même d'imiter l'exemple
d'Arner et lie Glûphi, le troisième volume de Léonard et Gertrude
contient bon nombre de scènes appartenant au roman propre-
ment dit, et qui peuvent Cilre. placées à c6té des meilleures pages
de la première partie. Tels sont les chapitres consacrés au récit
de la visite d'Amer et du lieutenant chez le BaumtvoUen-MeyeT
et sa sœur Mareili, à la description du cortège organisé par les
fillettes du village en Thonneur d'Arner, et de la fête champêtre
qui s'ensuit; et, dans le genre humoristique, ceux où l'auteur
nous tait assister aux péripéties amusantes des projets matri-
moniaux que Gertrude a formés à l'égard d'une jeune paysanne
dont elle voudrait faire la femme de l'honnête Rudi, et que sa
famille destine à un gros aubergiste amateur de charcuterie.
La note poétique se retrouve dans ce volume comme dans les
précédents : il y a peu de figures plus touchantes que celle de
la simple et naïve enfant a debout sous un jeune poirier en fleur,
qui était son image », la fille du suicidé, qui veille avec tant de
piété sur la tombe solitaire de son père, et dont la bonne Mareili
fait la reine du cortège ; et c'est un tableau tracé de main de
804 MVUK PÉDAGOGIQUft
mattre que cette courte scène (chap. 27) où Pestalozzi oppose
TuD à l'autre la nature et l'homme. Arner est debout, le lieu-
tenant à ses côtés, sur une hauteur dont le regard embrasse
toute la vallée qui forme son domaine. « L'Itte limpide se
déroulait à leurs pieds en un ruban d'argent. Le soleil se
couchait, et l'onde miroitante de la sinueuse rivière brillait de
Bonnal jusqu'aux montagnes bleues qui séparaient comme un
rideau les terres d'Arner du reste du monde. 11 contempla ua
moment, sans parler, la rivière et la vallée. « Ah ! que les
hommes sont laids ! dit- il enfin; quoiqu'on puisse faire pour
eux, ils n'égaleront jamais en beauté ce simple paysage. » C'était
un spectacle admirable en effet que celui de la vallée dans la
magnificence du soleil couchant. — « Vous vous trompez, »
répondit le lieutenant ; et en ce moment même un petit berger
parut au-dessous du rocher sur lequel ils étaient, poussant une
chèvre devant lui. Il s'arrêta à leurs pieds, regardant le coucher
du soleil, appuyé sur son bâton, et se mit à chanter. Alors
montagne et vallée, rivière et soleil disparurent à leurs yeux.
Us ne virent plus que le petit berger drapé dans ses haillons,
et Arner dit : « J'avais tort ; la beauté des hommes est la plus
grande des beautés de la terre I »
Sous le rapport du style, il faut observer que dans cette troi-
sième partie Pestalozzi fait un usage beaucoup plus fréquent
des formes particulières du dialecte suisse, si bien que la lec-
ture du livre en est rendue plus difficile. Est-ce de sa part
simple négligence ? ou bien a-t-il voulu donner par là plus
de vigueur et d'originalité à son langage ? Il est difficile de se
prononcer à cet égard.
Une lettre à Zinzendorf du 10 décembre 1785 fait connaître
l'accueil que reçut en Suisse ce troisième volume. Il fut, dit
Pestalozzi, beaucoup moins lu que le premier et obtint moins
de succès, a 11 est possible, ajoute-t-il, qu'il soit réellement
plus mal écrit; mais il est certain d'autre part que les vérités
qui y sont exprimées ne sont pas de nature à produire uni-
quement le genre d'impressions dans lesquelles j'avais jugé à
propos de me renfermer en écrivant la première partie... Ce
qui pourrait seul témoigner d'une influence réelle de mon livre,
ce seraient des acte?, des tentatives pour réaliser quelques-unes
LÉONARD £T GERTRUDE DE PESTALOZZI SOS
des vérités qu^l contient; mais je n'en vois pas la moindre
trace. Quoique j'aie pour amis beaucoup de nos honorables
gouvernants, on ne m'a jamais demandé le moindre conseil,
pas même pour l'organisation d'une école; sauf que, Tan der-
nier, Lavater ayant proposé des réformes dans la législation
consistoriale, le conseiller zuricois Biirkli m'invita à traiter ce
sujet; je le fis, mais il trouva les principes de mon mémoire
trop hardis pour le conseil des Deux-Cents. »
Pestalozzi se hasarde ensuite à faire entendre qu'il irait
volontiers à Vienne: « L'approbation de Votre Excellence, con-
tinue-t-il, m'encourage à travailler avec plus d'ardeur à ma
quatrième partie. Mais ce qui m'occupe plus encore en ce
moment, c'est le projet d'élucider la véritable théorie du gou-
vernement par des rechercbes sur, les motifs réels d'action de la
nature humaine. Je désirerais aussi avoir l'occasion d'étudier
davantage le côté pratique de mon sujet par de nouvelles expé-
riences... Voilà la raison qui parfois me fait trouver trop étroit
le cercle de ma position actuelle — d'ailleurs agréable — et
désirer d'habiter quelque temps dans le voisinage d'hommes
appartenant à des cercles plus étendus et possédant de l'in-
fluence sur le peuple; quoique dans d'autres instants je sente,
comme Votre Excellence me l'écrivait l'an dernier, que je suis
probablement plus heureux dans ma solitude que bien des
amis de l'humanité vivant dans une sphère plus brillante:
d'ailleurs, ce qui brille n'est pas ce que je recherche. La baronne
de Hallwyl était justement chez moi le jour où j'ai reçu la der-
nière lettre de Votre Excellence; la noble femme avait les
larmes aux yeux en voyant la joie que me causait cotte lettre
venant de sa ville natile (M"'^ de Uallwyl était née à Vienne).
Son voisinage est un des plus grands bonheurs de ma situation.
Fellenberg a quitté son bailliage pour retourner à Berne, en
sorte que je suis ici toujours plus seul... »
IV
La troisième, partie de Léonard et Gerlrude avait plu médio-
crement; la quatrième et dernière partie, qui parut en 1787,
plut bien moins encore. Cette fois l'auteur avoue sans détour
S06 MVUI PÉDAGOGIQUE
les plus hautes ambitions : il vise à une réformé profonde des
lois et de la société, et il donne le modèle d'une législation propre
à opérer les changements et les progrès qu'il médite.. Nous
apprenons — ce qu'on ne nous avait pas dit jusqu'ici — que
la seigneurie d'Amer fait partie d'un duché dont le souverain
va devenir un des personnages du roman. Son attention a été
attirée sur les réformes commencées à Bonnal. Un ministre du
prince, Bylifsky, est l'ami d'Arner et encourage ses tentatives,
tandis que le courtisan Helidor, sceptique et égoïste, cherche à
les tourner en ridicule auprès du duc dont il est le favori. Long-
temps le génie du bien et celui du mal, personnifiés en ces
deux hommes, se disputent l'esprit du souverain, qui flotte
irrésolu. Arner, cependant, continue son entreprise. Il y apporte
tout son bon vouloir; mais c'est à Glûphi que Pestalozzi donne
décidément le premier rôle. Dans le chapitre intitulé La philo^
Sophie de mon lieutenant et celle de mon livre, l'auteur indique les
bases de la législation qui sera exposée dans les chapitres sui-
vants; quoique cette législation doive s'appeler la « législation
d'Arner », le militaire maître d'école en sera le véritable
auteur : « car ce n'est ni d'un vieux pasteur ni d'un jeune gen-
tilhomme qu'on pourrait attendre pareille œuvre, mais de l'ex-
périence d'un homme comme lui ». Les institutions nouvelles
— dans le détail desquelles nous ne pouvons pas entrer ici et
qui forment un code complet à l'usage des seigneurs éclairés
désireux de faire le bonheur de leurs paysans — portent bientôt
d'heureux fruits malgré les résistances de la routine: les machi-
nations de l'astucieuse Sylvia, l'alliée d'Helidor, sont déjouées;
Bylifsky parvient à décider le duc à faire une enquête sérieuse
et à se rendre lui-même à Bonnal; et au dénouement, nous
entrevoyons le triomphe final du bien sur le mal, de la vérité
sur le mensonge ; les réformes dont Amer et ses amis ont
prouvé la possibilité et l'efficacité en les expérimentant dans
un village, vont être étendues au pays tout entier par le duc
désormais converti aux idées nouvelles.
La personnalité de Glûphi se confond avec celle de Pestalozzi
dans ce quatrième volume plus que dans le précédent. Cet
homme que l'orgueilleuse Sylvia dédaigne parce qu'il taille lui-
même Us cheveux et les ongles des petits villageois; cet homme
LÉONARD ET GERTRUDE DE PESTALOZZI 507
qui a connu la mifsère, et à qui les paysans ont crié d'une toîx
railleuse : Joygeli, hast Geld? Jopgeli, trilli Geld? (Joggcli, as-tu
de l'argent? Joggeli, veux-lu de l'argent?); cet homme que
des ingrats calomnient et bafouent, et qui pjarde une si fîère
altitude, qui est-ce, sinon Pestalozzi lui-même? N'esl-ce
pa< à Pi'stalozzi que s'appliquent ces paroles du pasteur parlant
du lieutenant ; « Sa tournure d'esprit, qui dans toutes ses paroles,
dans toutes ses actions, le fait se préoccuper des besoins de
l'humanité, ne lui laisse de repos ni jour ai nuit; un tel homme
ne peut aspirer qu'aux plus grandes entreprises, j'en suis certain.
L'autre jour, comme il se croyait seul, je l'ai entendu dire, se
parlant à lui-même: a Je leur ferai voir qui je suis; v et un
instant après : « Quand les degrés de l'échelle seraient brûlants,
j'y monterai. » Et lorsqu'au chapitre 36, après nous avoir
montré Hylifsky visitant l'école do Gluphi et lui exprimant son
admiration, l'auteur s'écrie : « Et c'est à cet homme qu'liier
encore la canaille de Bonnal poursuivait de ses cris insultants :
Joggeli, as-tu de rangent? Joggeli, veux-tu de l'argent? c'est à
lui que le premier ministre du prince tient maintenant ce
langage! » pouvons-nous ne pas songer au solitaire de Neuhof,
naguère encore méprisé de tous, et devenu correspondant du
ministre de Joseph II?
Les chapitres consacrés aux entreliens d'Amer avec sa famille
et ses amis, lorsque, gravement malade, il se croit proche de
sa fin (chap. 23-23), contiennent des passages intéressants sur
i'immorlalilé de l'âme, sur la décadence de la société euro-
péenne, sur l'éducation. « De l'eau froide, dit Amer, comme
boisson et comme bain, la marche, le travail du jardin, de la
cuisine, des champs, la table de multiplication et les mathé-
matiques, voilà ce qui conservera chez nos fils et nos filles le
sang allemand, le cerveau allemand et le courage allemand
(deutsches Blut, deutsches Htm und deutschen Muth), » Plusieurs
fois dans ce volume, Pestalozzi use de cette épithète « allemand »
(liehe deutsche Frau, chap. 23; deutsche Trcue, ch. 24), qu'il
n'avait pas employée jusqu'alors. On sent qu'il ne s'adresse plus
à ses compatriotes des petites républiques suisses : il vise désor-
mais plus haut, et c'est de l'empereur d'Allemagne qu'il espère
la réalisation de ses rêves.
B08 ftIVUB PtDAGOGIQUK
Pour achever de caractériser la pensée de Peslalozzi et bi
marquer la portée qu'il attribue lui-même à son œuvre, nous
citeroDS un passage de la dédicace de cette qualrième partie,
adressée, comme nous l'avons déjà indiqué, à Félix Batlier
de Bâle. « Tout ce cpie je dis, je l'ai vu, dit Peslalozzi à son ami.
Et une grande partie de ce que je conseille, je l'ai fait. J'a*
renoncé aux jouissances de la vie pour me consacrera ma ten-
tative d'éducation du peuple, et j'ai appris à connaître sa véritable
situation, et les moyens de la changer, aussi bien dans l'en-
semble que dans l'infini des détails, comme personne peut-être
ne l'a fait. La voie où je marche est inexplorée; personne
encore n'a essayé de traiter le sujet à ce point de vue. Tout
ce que je dis, dans son essence et jusque dans les plus petites
parties, repose sur mes expériences réelles. Il est vrai que je
me suis trompé dans ce que j'avais voulu exécuter; mais ces
erreurs de ma vie pratique m'ont justement enseigné ce que
je ne savais pas alors... Ami, l'image de ce que j'ai tenté est
sans cesse présente à mes yeux; et je ne me sentirai pas
satisfait, tant que je n'aurai pu recommencer à travailler
activement à la réalisation des premiers rêves de ma vie. »
Après avoir achevé, dans Léonard et Gertrude, l'exposé de
son plan de réforme sociale, Peslalozzi n'avait plus qu'un vœu :
poser la plume et passer de la théorie à l'action. Il le dit à
Zinzendorf, espérant que celui-ci lui en fournirait les moyens.
Mais le ministre autrichien n'était pas prompl à s'enflammer :
sans cesser de se montrer bienveillant, il ne se laissa pas
gagner par l'enthousiasme de son correspondant. Pestaiozzi eut
beau revenir à la charge, Zinzendorf lit la sourde oreille.
En envoyant au ministre de Joseph II la quatrième partie de
Léonard et G^rtt^de, Peslalozzi lui écrit (:25 mai 1787) qu'il le
prie « de considérer les pages consacrées à la législation popu-
laire comme un mémoire qui lui serait directement adressé,
attendu que le respect seul a empêché Tauteur de lui en offrir
publiquement la dédicace ». Et plus loin il ajoute : « J'ai fait
mon possible pour traiter convenablement un sujet qui intéresse
l'amélioration du sort des hommes; mais je vois que pour
aller plus loin, il est indispensable de faire quelques essais
LÉONAED ET GRRTRUDI DI PESTALOZZI 509
pratiques; et je serais si disposé à y contribuer pour mon
humble part que, sans- considération pour mon bonheur parti-
culier, si Votre Excellence ne trouve pas erronés les principes
exposés dans cette quatrième partie, j'oserais lui exprimer un
désir dont mon cœur me fait un devoir; peut-être sera-ce
verbalement, car d'ici à un an j'espëre faire le voyage
d'Allemagne que je projette depuis longtemps, et trouver ainsi
l'occasion de m'entretenir avec divers philanthropes de la pos-
sibilité de réaliser mes idées. J'ai pris la liberté d'envoyer aussi
mon livre à Monseigneur le duc de Toscane. L'approbation et
la bienveillance de Son Excellence le comte de Rosenberg me
sont infiniment précieuses. Dans votre pays on voit se produire
une foule de choses qui font concevoir les plus grandes
espérances pour l'avenir. Chez nous, au contraire, tout va de
mal en pis; les gouvernants les plus éclairés le reconnaissent;
Fellenberg lui-nu^me m'écrit : t De nos républiques corrompues
je n'espère aucun progrès pour le peuple. » C'est humiliant
pour nous, mais vrai : le véritable progrès dans le gouverne-
ment des peuples doit être préparé dans les cabinets de princes
sages ; ce n'est plus de nous que ce progrès pourra venir, nous
sommes finis. »
Ziuzendorf répond, sept mois plus tard, qu'il a lu deux fois
le quatrième volume, et que la législation d'Arner l'a beaucoup
intéressé, mais il ajoute que dans la plupart des États autri-
chiens d'insurmontables obstacles empêcheraient la réalisation
de semblables réformes; il indique à son correspondant quelques
difficultés de détail : dans une seigneurie de la Basse-Autriche,
par exemple, sur 158 paysans on n'en compte que 53 qui soient
les sujets du seigneur du lieu; les 105 autres appartiennent à
onze seigneuries différentes et éloignées.
A la lecture de cette lettre, Pestalozzi prend feu : il rédige
aussitôt (janvier 1788) une longue épître où il s'elforce de
prouver au ministre le peu de solidité de ses objections; en
même temps il annonce de nouveau son projet de faire le
voyage de Vienne. Il informe Zinzendorf de la bienveillance que
lui témoigne Léopold de Toscane : «Son Altesse Royale le grand-
duc de Florence a daigné accueillir mon livre avec tant de
laveur, qu'elle m'a donné, par l'intermédiaire, du comte de
810 RIYUl PÉDA606IQUI
Hoheiiwart, la permission de lui écrire directement sur tout ce
qui concerne Téducation du peuple et l'amélioration de sa con-
dition; et j'ai effectivement commencé à le faire il y a quelques
semaines. » Le passage le plus intéressant de la lettre est rela-
tif au jugement porté sur le dernier volume de Léonard et
Gertrude par les concitoyens de l'auteur. « Dans mon pays,
dit-il, quelques hommes d'affaires et quelques magistrats ont
accordé des éloges à ma quatrième partie ; le commun des lec-
teurs l'a trouvée ennuyeuse à partir de la page 164 (la page où
commence la « législation d'Amer »); la plupart de nos savants
trouvent ma philosophie fausse, parce qu'elle ne ressemble pas
à la leur; beaucoup d'entre eux l'appellent a grossière » et la
qualifient de « philosophie de caporal id ; beaucoup de bons
citoyens suisses, qui rêvent de liberté cl ne connaissent pas le
peuple, trouvent Arner et ses principes despotiques; dans notre
clergé, aucun des deux partis, ni le philosophique ni l'orlho-
doxe, n'est tout à fait content de moi; et les amis de la routine
disent que je rêve.'»
Lorsqu'en 1790 Léopold succéda à son frère Joseph sur le
trône impérial, Pestalozzi s'adressa de nouveau à Zinzendorf
(19 juin) : « Sa Majesté avait daigné, à Fioronce, me permettre
de lui écrire directement; mais je pense que dans les circon-
stances actuelles j'aurais tort d'oser le faire. Néanmoins j'ai l'in-
tention, aussitôt que mon travail de révision de Léonard et Ger--
trude sera terminé, d'envoyer à Sa Majesté un mémoire sur l'union
do l'éducation professionnelle et dé l'école. Votre Excellence me
permettra peut-être de le lui faire parvenir. » Un mois plus tard
(19 juillet), autre lettre où il dit ; « La Providence aura rempli
à ma complète satisfaction le vœu de mon cœur, de pouvoir
soumettre à un examen décisif quelques idées sur l'éducation du
peuple qui m'occupent depuis vingt ans, si Sa Majesté et Votre
Excellence les jugent dignes de quelque attention. » Le 28 août
il envoie le mémoire annoncé, et cette fois, abandonnant les
voies détournées et les allusions indirectes, il se décide à faire
une demande formelle d'emplpi : « Je ne crois pas devoir cacher
à Votre Excellence, à propos de la question traitée dans mon
mémoire, que je serais heureux d'être admis à offrir à Sa Majesté
mes faibles services... « Zinzendorf ne répondit rien. La corres-
LÉONARD ET GERTRUDE DE PESTALOZZI 511
pondance entre Pestalozzi et lui s'arrête là, sans qu'on sache au
juste pour quel motif.
A ce moment Pestalozzi travaillait à une refonte complète de
Léonard et Gertrude, qui parut à Zurich, chez Ziegler, en trois
volumes, de 1790 à 1792. Dans cette nouvelle édition de son
roman, l'auteur chercha à donner plus d'unité aux diverses
parties du livre, en préparant dès le premier volume l'entrée
en scène des personnages nouveaux qui figurent dans la troi-
sième et la quatrième partie ; il abrégea les deux premières par-
ties, qu'il condensa en un seul volume. Mais l'œuvre a plutôt
perdu que gagné à ces remaniements. Cette édition, bien que
sous le rapport matériel elle fût supérieure à la précédente (elle
est ornée de vignettes assez soignées), n'obtint qu'un médiocre
succès. Cela n'a d'ailleurs rien de surprenant : l'attention publi-
que était occupée ailleurs.
J. Guillaume.
LA CIRCULAIRE DU 30 AVRIL
ET LA REFORME DES PROGRAMMES d'eNSEIGNEMENT
DANS LES ÉCOLES NORMALES
Une récente circulaire a invité MM. les recteurs, les inspecteurs
d'académie, les directeurs, directrices, et professeurs d*école nor-
male à faire connaître leur avis sur diverses modificalions qu'il
s'agirait d'introduire dans les programmes d'études des écoles nor-
males, la question devant être soumise ensuite à la Section perma-
nente et au (lonseil supérieur. Les modifications proposées sont peu
nombreuses et, au premier abord, elles semblent assez iuofTensives.
Mettre les programmes d'enseignement en harmonie arec les nou-
veaux règlements des brevets de capacité, et, pour cela, remanier
le programme de psychologie et de morale, prendre une heure à
l'écriture et une heure à l'histoire, donner ces deux heures aux lan-
gues vivantes et à l'enseignement des notions de sciences physiques
applicables à l'agriculture et à l'horticulture, tout cela ne constitue
pas un bien gros projet et ne semble pas, en somme, fort inquiétant.
Cependant, à y regarder de près, on entrevoit, sous ce projet une
préoccupation de médiocre aloi, celle de la préparation aux exa-
mens, et une tendance alarmante à faire, — sans qu'on s'en doute
et sans qu'on le veuille assurément — de la première année des
études normales comme le prolongement et la répétition des études
primaires. Cette préoccupation et cette tendance nous semblent égale-
ment funestes, car, si elles s'accentuaient, elles n'iraient à rien de
moins qu'à compromettre dans nos écoles normales la bonne disci-
pline des études et des esprits. Et comme, d'autre part, nous sommes
convaincu que les programmes actuels, pour peu qu'on y mette
de bonne volonté et de savoir-faire, peuvent répondre à toutes les
exigences du nouveau règlement des examens des brevets de capa-
cité, nous sommes amené à considérer le projet de révision pro-
posé comme inutile et comme dangereux. C'est cette opinion que
nous voudrions soumettre aux lecteurs de la Revue, et, avant que la
question soit définitivement tranchée, à ceux qui ont qualité pour
la débattre et la résoudre.
I
Commençons par un aveu : nous n'avons pas la superstition des
programmes; leur vertu ne nous a jamais inspiré qu'une confiance
limitée. Avec u n excellent programme — et l'on sait s'il est facile
LÀ CIRCULAIRE DU 30 AVRIL 513
de faire un excellent programme I — un maître médiocre n'obtiendra
jamais que des résultats médiocres; avec des programmes imparfaits
un bon maître saura toujours se tirer d'affaire. C'est le professeui^
c'est la méthode, c'est Tintelligence des besoins des élèves et du
but a atteindre qui font la valeur de renseignement. Quant aux
programmes, ce sont lisières bonnes tout au plus à diriger des maîtres
inexpérimentés, bonnes surtout à guider des candidats qui aspirent
à conquérir un diplôme par les moyens faciles : avec elles, on n'ap-
prend ni à marcher tout seul, ni à se conduire soi-même. Mais enfîn,
puisqu'on a jugé bon, au moment où l'enseignement des écoles
normales était en voie de réorganisation et de renouvellement, de
doter ces établissements de programmes d'études très complets et
très détaillés, et puisque la plupart se félicitent d'être si bien pourvus,
est-il sage de toucher a ces programmes alors qu'on a à peine eu
le temps de les expérimenter? ou bien ne les réclamerait-on avec
tant d'insistance que pour avoir le plaisir d'en médire et de les
changer, oubliant que ce n'est pas en agitant un arbre à chaque
heure du jour, qu'on l'aide à pousser des racines profondes et à
porler des fruits ? 11 y a bien longtemps qu'on nous accuse d'être
mobiles et inconstants; faut-il tant nous hâter de fournir un nouvel
argument à ceux qui nous adressent ce reproche? Les programmes
actuels datent de 1881; pour les remanier en 1885, il faudrait des
raisons bien fortes et une nécessité clairement démontrée. Exami-
nons donc si, dans le cas présent, cette nécessité existe, et si elle est
aussi pressante qu'on semble le croire.
A en juger par les appréhensions qui se sont fait jour et que
l'administration supérieure a accueillies avec sa bienveillance ordi-
naire, on dirait que tout équilibre désormais va être rompu entre
l'enseignement tel qu'il est actuellement donné dans les écoles nor-
males, et les examens des brevets de capacité tels que les a réglés
l'arrêté du :30 décembre i884; et l'on pourrait croire que nos écoles
normales, si l'on n'y porte un prompt remède, deviendront prochai-
nement impropres à préparera l'un et à l'autre brevet. Quelles sont
donc ces exigences nouvelles auxquelles il serait impossible de faire
face avec l'organisation actuelle des études normales, et quelles sont
les réclamations que Ton formule? Pour le brevet supérieur, la con-
naissance d'une langue vivante, anglais ou allemand, sera obliga-
toire à partir de 1888, et l'on demande, non pas que l'enseignement
des langues vivantes devienne obligatoire, — ce qui va de soi et
ne saurait souffrir de difficulté, — mais qu'on donne à cet enseigne-
ment une heure de plus que par le passé, soit sept heures par se-
maine, au lieu de six. Au brevet élémentaire, les candidats auront à
faire un exercice de composition française, qui pourra porter sur
« l'explication d'un précepte de morale », et. a l'examen oral, ils auront
à répondre à des questions sur « les notions les plus élémentaires
des sciences physiques et naturelles dans leurs rapports avec Tagri*
REVUS PÉDAGOGIQUE 1885. — l*' SEX. 33
514 REVUE PÉDAGOGIQUE
culture et Thorticullure » . Eo conséquence, on propose de rema-
nier les programmes de psychologie et de morale, ceux de physique
et ceux d'hisloire naturelle, de manière que la morale pratique soit
enseignée en première année et que Ton puisse extraire des pro-
grammes des sciences physiques et naturelles la matière d'un cours
spécial qui serait fait dans cette même année. Et comme il faut
trouver deux heures de plus pour ce cours spécial etpjur les langues
vivantes, on les demande à l'écriture et à l'histoire.
Disons d'abord l'étonnement et l'inquiétude que nous éprouvons à
voir pénétrer dans nos écoles normales cette préoccupation des exa-
mens du brevet de capacité. Eh quoi I nos écoles normales seraient-
elles donc destinées à devenir des maisons dont le principal objet se-
rait do préparer à des examens et non plus de donnera ceux qui y
passent trois années cette forte culture intellectuelle et professionnelle
sans laquelle il n'y a pas de bons instituteurs, et à laquelle les titres
de capacité viennent toujours s'ajouter par surcroît? Encore s'il ne
s*aj;is<ait que du brevet supérieur, nous comprendrions jusqu'à
un certain point ce souci de l'examen. Mais non: ce n'est pas le
brevet supérieur qui est vi>é, puisqu'avec une heure do plus donnée
aux langues vivantes, on croit pouvoir répondre du succès. C'est au
brevet élémentaire — au brevet élémentaire que Ton sait! — qu'on
songe surtout, et c'est pour cet intérêt d'ordre tout à fait inférieur
et à peine défendable ([ue l'on propose de relondro des programmes
et d'organiser un enseignement nouveau 1 Si celte préoccupation
s'établissait dans nos écoles normales, il faudrait y prendre garde, car
elle ne larderait pas à en changer le caractère, à y abaisser le
niveau des éludes, et à les faire ressembler à ces éUibiissements de
méchant ren m qui prépaient à d'autres eximiens. Aussi voulons-
nous croire quii les appréhensions auxquelles nous faisons allusion
ne sont que passagères et qu'elles disparaîtront devant un examen
plus rétlochi de la situation. Que ceux qui ont pu concevoir de telles
craintes se rassurent et qu'ils prennent une meilleure opinion deux-
mêmes et de leurs élèves. Eux-mêmes ne sont-ils pas les meilleurs
maîtres de l'enseignement primaire, et leurs élèves ne sont-ils pas
entrés à l'école - normale à la suite d'un concours au moins aussi
dillicile que l'examen du brevet élémentaire? Avant de se présenter
à cet examen peu redoutable, ne vont-ils pas passer une année
entière sous une discipline élevée et féconde? Sans suivre ser-
vilemt nt les programmes du brevet, ne les côtoieront-ils pas sans
cesse dans leurs études nouvelles et ne les dépasseront-ils pas sur
beaucoup de points? Et c'est quand leur intelligence se sera afTermie»
leur esprit étendu, leur culture générale accrue, qu'on redouterait
de les voir échouer là où réussissent des candidats sortis des écoles
primaires! Voilà une inquiétude que nous ne saurions partager. Les
élèves-maîtres tieiment et tiendront toujours la tête parmi leurs
concurrents du dehors et si, par hasard, il s'en trouvait quelqu'un
LA CIRCULAiriB DU 30 AVRIL 515
qui échouât à un tel exameu, et échouât deux fois de suite, il fau»
drait s'en féliciter : on se serait trompé en TadmeUant à l'école.
Mais il faut serrer la question de plus près et voir ce que sont,
au fond, les nouvelles épreuves (jui ont causé « une alarme si chaude ».
Parlons d'abord de l'exercice do composition française qui pourra
désormais porter sur * l'explication d'un précepte de morale ». Nous
disons à dessein : qui pourra porter, car cette épreuve peut consister
également en « une lettre, un récit d'un genre simple et dans Tex-
plicalion d'un proverbe, d'une maxime ». On. voit que le choix ne
manque pas et que les sujets de morale ne reviendront (ju'à leur tour,
ce qui est di^à fuit pour rassurer. 11 n'y a là d'ailleurs aucune
nouveauté et il n'est pas sans exemple que, sous l'ancienne régle-
mentation, on ait proposé de tels sujets aux candidats. Si l'on en
doutait, on n'aurait qu'à consulter le relevé des textes donnés pen-
dant ces quaire dernières années. Qui ne devine au surplus l'inten-
tion toute bienveillante qui se cache sous la formule nouvelle? Le
règlement de 1881 disait : les candidats feront « un exercice de
composition française »: en énumérant et en précisant la nature des
sujets qui pourront être donnés désormais, le nouveau règlement a
voulu prémunir les maîtres et les élèves contre les vaines amplitica-
tinns dont la banalité n'a d'égal que le vide et auxquelles on sacri-
fiait encore trop volontiers dans certaines écoles. Pense-t-on qu'on
va d-maiiderà ces candidats de quinze ou seize ans de traiter un
sujft de haute morale ou de résoudre un des problèmes ardus que
celte .science soulève? N'est-il pas évident, au contraire, que c'est
une (luestion toute d»' bon sens, uiiî question de probité scolaire,
pourrions-nous dire, qu'on va leur poser, et que ce qu'on attend
d'eux, c'e^t de prouser ([ue, sur cette questi(jn, ils ont quelques
idées justes et qu'ils sont capables de les exprimer corroctement
en une pai*e ou deux*^ Kst-ce pour une telle épreuve qu'il serait
nécessaire d'organiser une préj>aration spéciale à l'école normale?
Oublie-t-on que ces notions élémentaires de morale, les élèves-maî-
tres les ont reçues à l'école primaire? Oublie-t-r)n aussi que ces
mêmes élèves ont écrit, lors du concours d'admission, une compo-
tion sur celte matière, et que, s'ils ont été reçus, c'est qu'apparemment
leur composition a été jugée suifisante? Oublie-t-on enfin que l'étude
de la morale théorique les préparera, et au delà, à cette modeste
épreuve, puisque Ton ne peut parler de morale théorique sans
s'appuyer sur la morale pratique et sans conclure par elle?
Il n'y a donc, de ce côté, aucun péril en la demeure. Aussi,
pénétrant plus avant dans la pensée de ceux qui réclament des
modifications au plan d'études actuel, nous ne croyons pas nous
tromper en disant que ce qu'ils souhaitent, au fond, c'est la révision
d'un programme qu'ils jugent mal conçu. A leurs yeux, le prog amme
de psychologie et de morale a le tort de placer, en première année,
les parties lesplus délicates et les plus abstraites de cette science
516 RI VUE PÉDA60GIQDI
et ils déclarent que les élèves-maîtres, au moment où lis entrent à
recelé normale, sont mal préparés à recevoir un enseignement aussi
élevé. A la bonne heure! C'est une question de méthode qui se pose
et qui se peut discuter. Mais qu*on ne parle plus alors du brevet
élémentaire! Cette question de méthode, notre incompétence
nous interdit de la débattre. 11 nous sera bien permis de dire,
cependant, que ce n'est pas sans de sérieux motifs que le Conseil
supérieur a adopté Tordre que l'on critique, que la raison de cet
ordre se discerne clairement, et que beaucoup de très bons esprits
persistent à penser qu'à vouloir le renverser, on s'expose a deux
dangers qui seraient, le premier, de dénaturer le caractère et par
conséquent d'amoindrir la valeur de cet enseignement, le second,
de recommencer sur de nouveaux frais, à l'école normale, ce qui a
été fait déjà à l'école primaire. Que des professeurs d'école normale,
encore peu familiarisés avec l'enseignement nouveau, aient, a leurs
débuts, rencontré des difficultés sérieuses; qu'ils n'aient pas, du
premier coup, trouvé la juste mesure; que, dans leur désir de bien
faire, ils se soient crus appelés à enseigner la psychologie et la
morale comme on l'enseigne dans les facultés, ou seulement dans
les écoles normales supérieures d'enseignement primaire; qu'ils aient
embarrassé leur esprit d'abord, et leur exposition ensuite, de théories
compliquées, de formules abstraites, de définitions ambitieuses et
de termes scientifiques; qu'ils se soient ainsi heurtés à des obstacles
qui étaient bien plus en eux-mômes que dans leurs élèves : cela est
possible et cela est fort excusable ; mais cela aussi a dû se corriger
avec le temps, et nous aimons à croire qu'on est revenu aujourd'hui
à une appréciation plus exacte de la réalité. Au surplus, s'il s'est
rencontré des maîtres qui ne se sont pas mis tout de suite à la
portée de leurs élèves, il en est d'autres qui, à force de simplicité,
d'interrogations bien dirigées, d'appels discrets, mais réitérés, faits à
la conscience et à l'observation intérieure, ont su rendre celte science
accessible à leurs élèVes, et nous nous souvenons qu'ici même (1)
une directrice d'école normale a prouvé, par son exemple, qu'avec
de la sagacité et de la persévérance on pouvait, en cette matière
délicate, obtenir des résultats satisfaisants. Ce n'est pas la première
fois d'ailleurs que la question de la révision des programmes de
psychologie et de morale se présente. Elle a été soumise, en 1883, au
congrès des directeurs et professeurs d'école normale, et, si le vœu
de la révision s'est retrouvé dans plusieurs « cahiers de doléances •,
l'assemblée générale, éclairée par la discussion, n'a pas cru devoir le
faire sien. Elle s'est bornée à demander que « les programmes de
psychologie et de pédagogie, en première année, fussent fondus et
ne formassent qu'un seul cours », ce qui n'est pas la même chose.
Quant aux objections que font les partisans de la révision, les lec-
(1) Voir la Revue du 15 mai 1883.
LA CIRCULAIBK DU 30 AVRIL 517
leurs de la Reviie peuvent se rappeler qu*il y a été répondu avec
beaucoup de force et une grande autorité par un homme compé-
tent (1). Nous venons de relire celte réponse, et cette lecture n'est
pas pour nous faire changer de sentiment et nous convaincre qu'il
faille c commencer un syllogisme par la conclusion », ni pour nous
faire accepter la perspective de voir les manuels en usage à Técole
primaire reparaître à l'école normale.
II
Restent, pour la question du brevet élémentaire, les notions de
sciences physiques et naturelles que l'on exigera désormais des
candidats. Ici encore, nous demandons où est la nécessité, pour une
telle préparation, de remanier des programmes sur l'étendue desquels
on peut penser ce qu'on voudra, mais qui ont au moins le mérite
de faire corps et de se présenter dans un ordre logique; nous nous
demandons surtout où est la nécessité d'instituer un cours spécial,
où l'on enseignerait ces « notions les plus élémentaires »? S'ima-
gine-t-on que les candidats venant du dehors auront sur ces matières
des connaissances bien complètes, et que, sur ce point encore, ce ne
seront pas les élèves de l'école normale qui fixeront le niveau de
l'examen? Ne trouve-t-on pas do quoi se rassurer dans les termes
mêmes du règlement, et faut-il expliquer ce que l'on doit entendre
par les « notions les plus élémentaires »? Ne sait-on pas, par
avance, à quoi se réduiront les questions qu'on posera à l'examen
oral et les réponses dont on se déclarera satisfait? Sans doute, il
vaudrait mieux que les candidats au brevet élémentaire fussent
bien préparés sur ces matières, car on ne saurait trop savoir,
pour enseigner un peu. Mais, lorsqu'ils se présenteront à cet exa-
men, les élèves-maîtres n'auront pas terminé leurs études, et ce
qu'ils ne sauront qu'imparfaitement alors, ils le sauront bien a
la sortie de l'école normale ; n'est-ce pas là tout le nécessaire?
Rappelons d'ailleurs que cet enseignement fait partie des pro-
grammes des écoles primaires, et demandons de nouveau si, par
cette voie encore, on entend faire des études normales le recom-
mencement de l'enseignement élémentaire? Au reste, si Ion juge
qu'il soit imprudent d'envoyer à l'examen des candidats dont iin-
struction n'aurait pas été vérifiée sur ce point, ne suffîra-t-il pas, là
où on le trouvera utile, d'organiser, en première année, non pas un
cours qui entraînerait la refonte des programmes, mais des interro-
gations, quelques causeries familières dans lesquelles le professeur
de sciimces rectifierait et compléterait au besoin les connaissances
acquises à l'école primaire? Qui donc songerait à blâmer le direc-
teur d'une école normale qui prendrait une telle précaution? ^'est-
(1) Voir, dans la Revue du 15 mars 1883, l'article de M. Hérelle.
ce fAh Ainsi qij'âî^îi .'iu ;>^re •!«: fàmiie qai se propose de présenter
un de «fr« eufiuius a l'examen di brcTe;? Dix on douze de ees
«nlretkai feriieut auUot qc'tl en iaudrait poor munir les eao-iidats,
et no'j-ï n'ftumns pa» le rej?ret de v«^r IVnseiâmement seientifique,
déjà >i dtHorbiTit a l'éeoie normale, s'auomeater d'an cours ré^o-
lier, a^ec mpû «rortêge oUîgé de leçons et de deToirs. On se plaint
— et n /fjs fieriv ns qu'on a rais^'^n — que le* programmes de sciences
v>nt irop tojfrus: on dem^mde qu'on les t-la^'ue. qu'on y fasse
pénétrer plus dVr et plui de lumière, et «r'esl quand on s'est
répandu en plair.les contre la dirficullé d'étudier utilement un tel
programme que l'on pn^pos^- d'établir un nouveau cours et un cours
inutile!
Apres ce qui Vi'ent d'être dit, nous nous croyons en droit de con-
clure que leii appréhendions qui se sont manifestées au sujet du
brevet élémentaire ne sont pas fondées, et qu'en donnant satisfaction
aux réclamfi lions qui se sont produites on entrerait dans cette Toie
très facheu.se de sacrifier les études normales à un intérêt absolu-
ment négligeable. Voyons maintenant si les craintes qu'a fait naître
le brevet suf>érieur sont mieux justifiées, et si le remède proposé
aurait quelque efTicacilé.
m
O. remède rst Lien simple : qu'on donne une heure de plus à réludc
des Inn^nes vivantes, en première année, et on se tiendra pour satisfait.
On ne saurait être moins exigeant. Néanmoins nous trouvons qu'on
l'est encore trop ou qu'on l'est trop peu. Sur l'enseignement des
langues étrangères dans les écoles norma?es et sur le caractère
obligatoire que le règlement de 18^i a donné à Tépreuve d'allemand
ou d'anglais, nous aurions beaucoup à dire. Mais le procès que nous
pourrions faire, nous neTcntamerons pas aujourd'hui, carnous serions
trop sûr de le perdre, malgré les bonnes raisons que nous aurions
à Taire valoir au cours de notre plaidoyer. Nous aurions mauvaise
griïce d'ailleurs à parler de la révision d'un règlement qui date de
lK8i, quand nous défendons celui de 1881. Laissons donc à l'avenir
le soin de décider si l'on n'a pas cédé à une généreuse illusion en
cspf'rant que la connaissance des langues étrangères, si désirable
qu'elle soit, pourrait se répandre par les écoles primaires et par les
écoles nfirmalcs, et si les six ou sept heures que nos élèves-maîtres
vont désormais consacrer à l'étude de ces langues, dont ils n'auront
Jamais qu'une connaissance insuffisante et bien vite oubliée, ne
seraient pas mieux employées à l'étude delà langue et de la littérature
française qu'ils ne connaissent encore que de si loin, hélas! lors-
qu'ils quittent l'école normale. Mais, sans toucher au fond de la
(|uestion, il nous sera bien permis de nous demander, dans Tintérét
do notre discussion, non pas quels résultats l'easeignomenl facultatif
LA CIRCULAIRE DU 30 AVRIL 519
des langues vivantes a produits jusqu'à ce jour dans nos écoles nor-
males, — la réponse serait trop certaine et trop décourageante,
— mais quels résultats on en peut légitimement attendre, mainte-
nant qu'il va devenir obligatoire. Ce qu'on en peut légitimement
attendre, le voici: nos élèves-maîtres étudieront l'allemand ou l'an-
glais avec toute la docilité qu'ils mettent à leurs autres études; après
trois ans d'efforts laborieux, à raison de cinq heures en moyenne
par semaine, dans chaque année (à cause des devoirs et des leçons),
ils sauront passablement les éléments de la grammaire et feront péni-
blement un thème et une version faciles. Ne leur demandez rien de
plus et surtout ne vous informez pas de ce que Ips neuf dixièmes
d'entre eux auront conservé de cette science imparfaite au bout de
quelques années. Si Ton nous accusait de pessimisme, nous rappel-
lerions ce qui se passe dans renseignement secondaire où, il n'y a
pas longtemps, — c'était hier, — on ne croyait pas pouvoir enseigner
une langue vivante dans nos lycées à moins de trente heures par
semaine. Aujourd'hui, il est vrai, on se contente de vingt-cinq heures :
mais nous voilà encore bien loin de compte avec ce qu'on peut consa-
rer de temps à cette étude dans les écoles normales. Aussi qu'on
donne sept hpuros aux langues vivantes ou qu'on leur en laisse
six, il n'en sera ni plus ni moins. Nous nous trompons, les élèves
de première année auront chaque semaine deux ou trois heures de
moins à consacrer à des études plus pressantes. Nous sommes trop
loin du but pour que cette heure supplémentaire nous en rapproche
sensiblement et nous ne partagerons jamais l'opinion de ceux qui
croient que tout sera compromis si l'on continue à ne consacrer
que six heures aux langues vivantes, et que tout sera sauvé si l'on
, consent à leur en accorder sept.
IV
Au demeurant, nous prendrions encore aisément notre parti de
celte surcharge inutile, si, pour trouver les deux heures que l'on se
propose de partager entre les langues étrangères et les notions de
sciences physiques et naturelles, on n'en prenait pis une à l'écriture
et une autre à l'histoire. De l'écriture, nous ne dirons rien, sinon
que le temps n'est pas encore bien éloigné où, dans les écoles nor-
males et dans les réunions pédagogiques, on se plaignait, non sans
quelque amertume, du discrédit immérité dans lequel tombait de
plus en plus cette partie modeste, mais fondamentale, de l'ensei-
gnement primaire. Ce qu'on pense aujourd'hui sur ce sujet dans le
personnel enseignant, nous ne le savons pas au juste; mais, nous
rappelant que le règlement de 18G6 accordait dix heures à cet ensei-
gnement, tandis que le règlement de 1881 ne lui en a réservé que
quatre, nous demandons grâce pour ce peu qu'on lui a laissé et qui
nous parait le strict nécessaire, li portion congrue. Quant à l'histoire,
O30 BEVUE PÉDAGOGIQUE
notre résistance sera plus énergique, car nous consiilérerions comme
une grave erreur pédagoprique, quand le programme à parcourir en
première année s'étend de nos origines à nos jours, qu'on lui enle-
vât une partie du temps qui lui est actuellement consacré. Ah ! certes,
si Thistoire, à Técole normale, ne doit être qu'une vaine et aride
nomenclature de faits, de dates et de noms, si elle ne cesse pas
d'être descriptive et narrative pour entrer dans Texplication des
événements, si elle ne fait qu'effleurer les questions sans pénétrer
au vif de son sujet, si elle ne s'applique pas à la recherche des causes
et ne montre pas l'enchaînement des effets avec ces causes, si elle
n'est qu'un tableau froid et inanimé de nos efforts, de nos souffrances,
de nos luttes, de nos progrès, si elle n'est pas une école de patrio-
tisme et de morale, si elle n'est pas Tauxiliaire le plus utile de tout
l'enseignement littéraire et l'instrument le plus puissant de la culture
intellectuelle, si, parmi tous les enseignements qui sont donnés à l'école
normale, ce n'est pas celui de l'histoire qui peut le plus, surtout
en première année, pour inspirer aux élèves le goût de la lecture,
pour éclairer leur intelligence et échauffer leur cœur, si l'histoire
n'est pas tout cela ou ne peut pas tout cela, qu'on nous ramène à
l'école primaire et à ses manuels! Ce n'est assez de lui ôter une
heure : c'est une seule heure qu'il faut lui laisser, car cette heure
unique suffira bien à cette tâche médiocre de revoir les programmes
de l'écule primaire, et, puisqu'on se préoccupe tant des examens du
brevet élémentaire, elle suffira bien aussi pour y conduire et y faire
briller nos élèves î
Nous ne voulons pas insister davantage aujourd'hui. Si, comme
nous l'espérons bien, le corps enseignant primaire consulté résiste
à la tentation stérile de toujours changer, et si le Conseil supérieur
estime qu'il n'y a pas lieu de modifier les programmes de 1881, nous
essaierons, dans un autre article, de montrer comment un ensei-
gnement historique, donné comme nous rentCâidons. peut facilement
et utilement rempUr, en première année, les quatre heures qui lui
sont accordées.
E. Jacoilet.
L'ECOLE PRIMÂIBE AU SALON DE 1885
Nous avons connu le temps pas très éloigné, où la peinture
n'entrait guère dans l'école que pour l'égayer, nous faire rire au
dépens d'icelle. En a-t-on immolé à notre raillerie de ces roagis-
ters outrés et ridicules ! En a-t-on exhibé de ces écoliers en rupture
de ban, singes du maître, exécuteurs de charges au tableau noir
sur les murs et jusque sur les parois de la chaire ! Tœpffer, le
cher et digne maître, nous a-t-il assez livré son a Monsieur
Pet-de-Loup, homme sévère, mais juste ! » Et nous, avons-nous
assez battu des mains à Tœpffer !
Les temps ou plutôt les hommes et les choses ont changé.
Les peintres ne se détournent pas de Técole, — jamais ils ne
l'ont tant fréquentée, — mais ils l'envisagent par le côlésérieux. Ils
en tracent une image deux fois aimable, puisqu'elle est sympa-
thique et vraie. Bref, l'idée scolaire se relève dans le monde des
arts de la même hauteur que dans le monde des faits.
Les sept ou huit toiles qui, au salon de 1888, représentent
des scènes d'écolier, nous ont frappé par ce caractère de digniié
qui leur est commun, par ce je ne sais quoi qui invile le regard,
captive la pensée et la renvoie satisfaite.
Ce sont d'abord deux scènes de bataillons scolaires. L'une, par
M. Frère, est intitulée le Bivouac et se passe en province. Le
bataillon a mis les armes en faisceaux, rompu les rangs, et
goûte sur l'herbe — un peu trop verte, peul-ôtre — un repos
mérité. Il y a au second plan un gaillard, très agile et très
pratique, qui apporte en courant une miche de pain des plu»
appétissantes: il fera son chemin dans l'intendance, ce gnrçon-là.
M. Geoffroy a pris le sujet d'un point de vue plus élevé.
Pour la France ! est le titre de sa toile. Elle représente le
délilé des bataillons scolaires de Paris, sur la place de l'Hôtel-
de- Ville, le 14 juillet. Au son des tambours qui battent aux
champs, dos fifres qui percent l'oreille, sous le regard des^
ff pantalons rouges ï) alignés sur la gauche, ils marchent droit
sur nous, ils vont sortir du cadre, les petits soldats. La lîèrc^
/S:22 REM7E PÉDAGOGIQUE
tournure sous la vareuse et le béret de laine bleue! Leurs pieds
marquent la cadence, leurs coudes se touchent, leurs épaules
sont à l'alignoment. Malheur à qui s'en écarte : certain caporal,
grognard imberbe, qui sait rélTcl' d'une crosse de fusil bien
placée, nous les y fait rentrer. Le porte-drapeau est beau à
voir. Grand, svelte, bien découplé, œil brillant, ligure intel-
ligente, il porte bien ses galons de sergent-major ; les trois
couleurs sont en bonne main.
Et nous, pendant le défilé, redisons les jolies strophes de
M. Chantavoiue ; elles expriment toute la poésie du sujet :
Nous sommes les pelits enfants Nous sonimf^s les petits sold.Us
De la vieille mère patrie; Du bataillon de l'Espérance,
Nous lui donnerons dons dix ans Nous exerçons nos petits bras
Une jeune armée nguerrie. A venger Thonneur de la France.
Et Bara, le petit tambour,
Dont on nous a conté l'histoire,
En attendant, bat chaque jour
Le rappel dans notre mémoire.
Le même M. Geoffroy, un de nos amis décidément, nous
conduit à l'école maternelle. C'est dans le vestibule, en plein
lavabo. Les bambins accourent, dans un piLloresqiie désordre,
vers l'ablution hygiénique et obligatoire. Accourent? pas tous,
11 y a lii un citoyen nerveux ou lymphatique qui redoute le
contact de l'eau, et la jeune fille blonde préposée aux ébats
de ces jeunes canards dépense pour le décider des trésors de
persuasion. Un gros réjoui le nargue de loin. Une petite
fille int».Troge avec anxiété la paume de ses mains pour voir si
certaine tache d'encre compliquée de confiture commence à
disparaître. Tout cela, pris sur nature, est finement observé et
vivement enlevé. Deux notes graves sur ce fond joyeux : c'est
d'une part la direcirice, digne et sérieuse dans sa robe noire;
c'est de l'autre celte inscription sur la muraille : a Aimons-nous
les uns les autres. ï> L'école maternelle est là dans toute sa
réalité.
A ce tableau nous rattacherons volontiers celui de M. Paul
Delange : Un banc dans le jardin de Vasile pour l'enfance à
SatnhValery, On y voit les sœurs de Saint- Vincent de Paul
L*ÉCOLE PRIMAIRE AU SALON DE 1885 523
dans leurs blanches corneltes s'empresser autour des nourrissons
dont elles enveloppent de langes blancs et frais les membres
délicats : mais c'est là une scène plutôt hospitalière que scolaire.
Une leçon de dessin dans une école de plies à Paris nous replace
en plein monde écolier. Le sujet est plus ingrat que les précé"
dents à cause de la disposition parallèle et symétrique des
gradins en amphithéâtre: l'artiste s*est interdit les groupes,
par conséquent la variété. Sa peinture exacte et ingénieuse serre
de près le côté technique des choses. Assises devant une rosace
en plâtre biea connue des aspirantes, des jeunes iilles « très
appliquées » s'étudient à reproduire le modèle « très compli-
qué ». La maîtresse passe dans les rangs et semble dire :
« Piochez, mesdemoiselles. Vous serez reçues au brevet supé-
rieur, œ qui vous fera .beaucoup de plaisir, et à moi beaucoup
d'honneur. »
Leçon de coupe et de couture à l'école de la rue Tombe-IssoirCy
par M. Truphème. Elle est intéressante, cette petite toile, par
le goût et la vérité des détails. Une bambine, montée sur une
chaise, est bien en vue de toute la classe : c'est le patient. Une
des grandes prend sur elle mesure d'un patron : c'est l'opéra-
trice. Une troisième inscrit les dimensions au tableau noir ; c'est
le secrétaire. En vedette sur la chaise comme un pilote sur
son banc, la maîtresse surveille et dirige. Dans tous les coins,
des groupes de travailleuses aux doigts agiles. Au centre, en
pleine lumière, des mains armées de ciseaux découpent le
calicot et la toile. — « 0 sainte mousseline ! — 0 doigts de
fée! » diraient Sardou et Legouvé.
I^ foule s'arrête volontiers devant ces toiles et les couvre
d'un regard approbateur. C'est justice. L'art ne crée pas le sen-
timent public : il s'en inspire et s'en empare, mais en retour il
l'épure, l'agrandit et le perfectionne. On le voit bien dans cette
manière nouvelle de concevoir les choses scolaires. Elle est
peut-être moins amusante que l'ancicmie, elle est plus digne,
plus instructive et plus vraie. Souhaitons-lui le succès et la
durée.
G. D.
LE LIVRE DES SYMBOLES ET EMBLÈMES
DE JOACHIM CAMERARIUS
Symbolorum et Emblematum Centuriœ quatuor. — In-12,
Mnyence, 1668 (avec vignettes).
C'est un ouvrage bien curieux au point de vue de l'histoire
naturelle, comme à celui de la pédagogie, que ce volume illus-
tré, acquis récemment par la Bibliothèque centrale de l'ensei-
gnement primaire. L'auteur est un des membres de cette famille
des Camerarius, qui a produit tant d'hommes distingués dans les
lettres, la médecine, la théologie. Fils du célèbre humaniste
ami de Mélanchthon, il naquit à Nuremberg en 1£{34 et mourut
dans celte ville en 1598.
Après avoir étudié la théologie sous Mélanchthon et la méde-
cine sous Jean Craton, il prit son grade de docteur en médecine
à Bologne et revint exercer l'art thérapeutique dans sa ville
natale. Joachim Camérarius ne se laissa pas absorber par sa
clientèle, qui était pourtant nombreuse et compta même plu-
sieurs princes; il entreprit une collection de plantes médici-
nales, forma un jardin botanique où Ton voyait les plantes
les plus rares, et contribua à la fondation de l'Académie de
médecine de Nuremberg. Enfin, non content d'avoir travaillé
au soulagement de l'humanité souffrante, il voulut encore faire
profiter la postérité de ses études et publia plusieurs ouvrages
sur les plantes, sur l'agriculture, sur les préservatifs contre la
peste et l'hygiène en temps d'épidémie, livres qui lui assurent
un rang éminent parmi les botanistes et les hygiénistes. Hais
par son livre des Symboles et EmblèmeSy il mériterait aussi
une place d'honneur parmi les moralistes.
En effet, cet ouvrage, divisé en quatre centuries, c'est-à-diro
séries de cent figures, n'offre pas seulement la description et
les propriétés des plantes, dés quadrupèdes, des volatiles et
insectes, des amphibies et reptiles les plus curieux. Il donne,
en outre, comme le titre l'indique, à propos de ces types
LK LIVRE DIS SYBIBOLES ET EMBLÈMES DE GAMERÀRIDS 525
empruntés au règoe végétal et au règne animal, des leçons de
choses et des préceptes moraux ou proverbes, d'une valeur plus
durable que ses notions d'histoire naturelle en partie erronées
ou dépassées. Nous voudrions en donner une idée aux lecteurs
de la Revue t on décrivant quelques-uns de ces emblèmes.
La figure 3i de la première centurie représente un orme mort
qui soutient une vigne luxuriante. C'est le symbole de Tamitié
qui doit survivre à tous les accidoits de la fortune, même à
la mort. Les vrais amis, dit Camerarius, sont ceux qui restent
iidèles malgré l'adversité, malgré le temps écoulé, ou la dis-
tance qui nous sépare. On ne pouvait trouver de plus gracieuse
image. Le numéro 43 de la même centurie n'est pas moins curieux;
il ligure une pomme de pin tenue par une main, avec cette devise :
Nisi fregeris haxid licet esse (Si tu ne me brises, tu ne pourras
me manger). C'est l'image de la vertu. De même que l'écorce de la
pomme de pin est rude et piquante et qu'il faut l'enlever pour
trouver Tamande douce et salutaire, ainsi c'est seulement au
prix de bien des peines et des épreuves que l'homme parvient
à la sagesse, et nous ajouterons à la science.
La deuxième centurie, consacrée aux quadrupèdes, nous offre
une image un peu réaliste, mais bien expressive dans son genre.
(]'est un porc couché sur le dos et auquel on a déjà enfoncé
un couteau dans la gorge, avec cette devise : Ilaud aliter pro-
dest (Autrement il ne sert pas). Le porc, dans la symbolique
de l'Eglise, était l'emblème de la luxure, des voluptés de la
chair; et on sait le rôle que joue cet animal dans la légende de
la tentation de saint Antoine. Camerarius est plus hardi, il en
fait l'emblème de Tavarice ; en effet, « comme chez le porc, ce que
l'avare possède ne sert à personne de son vivant ». Espérons que
les élèves de l'ingénieux médecin de Nuremberg n'étaient pas
tentés d'appliquer la leçon à leurs clients trop parcimonieux.
La troisième centurie, celle des oiseaux, est riche en leçons
morales ; en effet, quelle espèce est plus propre que les habi-
tants de Tair à frapper l'imagination 1 Le péhcan, nourrissant
ses petits de son propre sang, la cigogne soutenant de son
aile son père ou sa mère fatigués par l'âge, servent tout natu-
rellement de thème aux préceptes de lamour paternel et de la
piété filiale. Nous pourrions encore citer le coq, symbole de la
Sis UVDZ PtDAGOGIQEE
ËnÛQ, bien qu'il ne te cile pas, Camerarius a dû connaître
l'ouvrage de Jean Sambuc, méJecia bongrois, sur les Emblèmes
el les monnaies, publié à Anvers la même anuée (|ue le livre
d'André Juaius el qui se trojve souvent relié avec ce dernier.
Eu somme, Juacliim Camerarius, s'il n'a pas eu le mérile
d'inventer le geare littéraire des lectures morales tirées de
l'bistoire uaturelle, aeu le laleuL de le développer singulièrement
el d'y introduire uq classement méthodique. Par sod livra
des Symboles et Emblèmes, il a frayé la voie à Comenius, ut
peul-Èlre lui a-t-il suggéré l'idée de son célèbre ouvrage,
VOrbis pictus.
G, Bonet-Maurï.
SUR LES NOTICES CONFIDENTIELLES
Monsieur lk Rédacteur,
La Revue pédagogique a souvent fait appel à des communications
de la part de ses lecteurs; elle s'est offerte à ouvrir le débat sur
les points qui lui seraient signalés comme intéressant Topinion
publique.
Serait-elle disposée à mettre à l'étude — non dans ses généralités,
mais sous la forme pratique, la seule qui soit intéressante — la
question des c notes (Tinspection « et des c notices dites confidentiel'
les » sur le personnel de renseignement primaire à tous les
déparés ?
La question se poserait ainsi : Ne serait-il pas possible de conser-
ver à l'inspection toute son efficacité en supprimant ce qu'il y a de
pénible et pour l'inspecteur et pour l'inspecté dans la confection, la
transmission et la conservation toujours en secret de ces « notices
confidentielles »?
Vous êtes instituteur ; l'inspecteur primaire se présente, examine
votre classe, vous donne quelques conseils, dit quelques mots
aimables aux enfants, à vous-même peut-être, et puis il s'en vn,
emportant avec lui le secret de ies impressions. 11 va les écrire, les
consigner en un rapport que vous ne verrez pas; l'inspecteur d'aca-
démie ou son secrétaire le lira, en fera, peut-être, des extraits qui,
en tout ou en partie, iront prendre place dans votre dossier que vous
ne verrez pas davantage.
Vous êtes inspecteur primaire : vous savez que le recteur, — que
vous n'avez peut-être vu qu'une fois ou deux, en visite officielle, — est
appelé à remplir chaque année une feuille de renseignemen ts con-
fidentiels qui s'en va à Paris grossir votre dossier. L'inspecteur gé-
néral arrive: il a, lui aussi, une feuille semblable à remplir et à
envoyer à la même adresse. Que disent de vous et comment vous
dépeignent ces feuilles qui, peu à peu, constituent votre portrait au
ministère? Vous le devinez quelquefois, vous ne le savez jamais
bien.
De bons esprits se sont demandé à plusieurs reprises si vraiment
il ne serait pas possible et équitable qu'à tous les degrés de
l'échelle, instituteur, inspecteur primaire, professeur ou économe,
celui qui est l'objet d'une inspection officielle en reçût une attes-
tation officielle aussi.
Quel inconvénient y aurait-il à ce que chaque école conservât dans
ses archives un registre qui contiendrait on quelque sorte les prin-
cipaux faits de son histoire, une sorte de livre d'or où s'inscrirait
RBfUi rtDAOOGiQUi 1885. — !•' gu. 34
o30 RIYUK PÉDA60GIQUK
année après année le résumé des rapports d'inspection dont Técolc
a été l'objet ? L'inspecteur primaire enverrait son rapport à Tin-
specteur d'académie. Celui-ci, au lieu de le mettre au carton, en
ferait faire copie, extrait ou résumé, suivant les cas, et l'enverrait
à l'instituteur, qui serait tenu de le reporter sur le registre de
récole. A qui cela pourrait-il nuire ou déplaire ? Ce n'est assuré-
ment pas à l'inspecteur auteur du rapport : il sera le premier à se
féliciter de cette sanction nouvelle donnée à ses appréciations.
A son tour l'inspecteur primaire ne pourrait-il pas, à la suite
de rinspcction générale, ou de la visite du recteur, recevoir du
ministère communication des notes envoyées à son sujet?
Chaque fonctionnaire se trouverait ainsi avoir dans ses niaîns
le double de son dossier, j'entends de la partie communicable de
son dossier. Ce serait une garantie pour lui dans le cas oii l'adminis-
Irdtion se tromperait à son sujet, l'oublierait, méconnaîtrait ses
mérites ; ce serait aussi une garantie pour l'administration, puis-
qu'il n'aurait pas à prétexter ignorance du motif des mesures qui
pourraient l'atteindre : il serait en quelque sorte toujours averti et
toujours tenu au courant de sa vraie position. Où serait le danger?
J'ai ouï dire parfois que si les rapports étaient communiqués aux
intéressés, ils ne contiendraient plus rien. Je ne puis le croire, ne
pouvant le comprendre. De deux choses Tune : ou mon dossier ne
contient que des appréciations dont l'auteur accepte la responsabilité,
ou il en contient d'autres qu'il ose écrire, mais qu'il n'oserait pas
soutenir en ma présence. *
— Mais il y a telle critique délicate, telle appréciation sur le carac-
tère, par exemple, que l'inspecteur doit à l'administration et qu'il
n'est pas bon de communiquer brutalement à l'intéressé.
Distinguons : l'administration ne doit pas compte aux fonction-
naires ou aux candidats de tous ses motifs de préférence dans les
questions qui sont de pure appréciation, de choix ou même de
faveur. Entre deux inspecteurs primaires, l'administration estime
que celui-ci convient mieux que celui-là à telle résidence par des
raisons d'âge, de caractère, d'origine, de famille, etc.; entre deux
candidats à une chaire ou à une direction d'école, tous deux
remplissant les conditions requises, l'un paraît présenter plus de
garanties d'aptitude, plus de chances de succès, plus de titres que
l'autre. On comprend qu'il soit impossible d'exiger que l'administra-
tion justifie, démontre par a -f- b la justesse de cette appréciation,
pas plus qu'on ne peut demander, dans un concours, aux examina-
teurs de prouver que la copie classée la première est réellement
supérieure à la seconde.
Que l'on se refuse à communiquer des rapports, des lettres, des
propositions de cette nature, tout le monde le comprend; aussi
n'est-ce pas de cela qu'il s'agit. H ne s'agit que du dossier régulier,
du dossier réduit a ses éléments réglementaires, du dossier toi que
SUR LES NOTICES CONFIDENTIELLES o3
le ministre ou le préfet pourrait et devrait le produire en cas de
contestation grave, pour répondre à une interpellalion par exemple.
Ce qui est au dossier, c'est ce qui e^it connu non seulement du
ministre, mais des bureaux du ministère ou, s'il s'agit des instituteurs,
des bureaux de la préfecture et de l'académie. Or, est-il juste que
tous mes chefs et leur entourage aient constamment sous les yeux
et à leur disposition des notes que je serai seul à ignorer, des témoi-
gnages qui peuvent m'accabler à mon insu, des allégations que je ne
soupçonne pas et que j'aurais peut-être aisément réfutées ou recti-
fiées si j'en eusse été informé à leoips? Songez donc qu'il suffît d'une
de ces pièces que j'ignore, d'une seule de ces notes d'inspection,
pour qu'on me Toppose encore ou qu'on la retourne contre moi
victorieusement dans dix, dans quinze ans peut-être, car c'est le
propre des administi-çitions d'avoir la mémoire longue, le dossier
aidant.
Je n'insiste pas; je ne demande à la Revuf> que d'inviter les inté-
ressés à exprimer librement leurs opinions sur la possibilité de per-
fectionner à cet égard notre système d'inspection et de notes d'in-
spection. On ne saurait faire trop d'efforts pour le mettre en
harmonie complète avec l'esprit de franchise, avec les habitudes
d'administration à ciel ouvert qui seules conviennent à la démo-
cratie.
Veuillez agréer, etc.
in ancien inspecteur primaire.
Nous publierons avec plaisir les communications qui pourraient
nous être adressées relativement à la question soulevée par notre
honorable correspondant. — La Rédaction.
LES LITTÉRATURES ANCIENNES
ET LES ÉLÈVES DES ECOLES NORMALES PRIMAIRES
Nous allons toucher à une question bien délicate, où nous pou-
vons craindre d'avoir contre nous tout à la fois ceux qui ont le
culte des lettres anciennes, les humanisleSy et ceux qui appré-
cient surtout la connaissance des choses réelles, et demandeot
rinstruction pratique, les réalistes ou utilitaires. Nous n'hésite-
rons pas cependant à diro toute notre pensée, sur une question
qui nous a souvent préoccupé dans une pratique déjà longue
de renseignement primaire. Notre opinion ne vient point d*uu
engouement passager, mais elle est mûrement réfléchie, et l'ex-
périence qui se fait de nos jours d'un enseignement de plus en
plus scientifique n'est propre qu'à la fortifier. L'éducation la
meilleure est celle qui suscite et développe les forces de l'esprit
et non celle qui se borne à le charger d'un bagage encombrant.
Il faut, pensons-nous, cultiver avant d^instruire, ou plutôt les
deux choses doivent se l'aire simultanément : or, rien ne donne
mieux cette culture générale dis facultés que l'étude des lettres,.
et surtout des lettres anciennes.
En celte matiùre, nous pourrions invof(uer aussi l'exemple-
de rAllemagne, des États-Unis, de l'Angloterre et en particulier de
l'Écossc, où l'on ne rencontre pas entre renseignement primaire
et l'enseignement secondaire la démarcation bien tranchée qui
existe chez nous, surtout pour la partie littéraire. On ne regarde
pas, en ces divers pays, l'étude des langues anciennes comme
spéciale au gymnase ou ail collège, et l'instituteur est souvent
undergraduate d'une université. Il prépare quelquefois ses meil-
leurs élèves à entrer de plain -pied dans les classes d'humanités,
et rÉcosse compte bon nombre d'hommes distingués qui doi-
vent lejr haute position dans la science ou dans l'administration
aux études classiques faites à l'école de leur village.
En France, au contraire, l'instruction primaire est toute réale^
.et nos instituteurs ont trop souvent appris à l'école normale à
dédaigner les éludes patientes qui ont pour objet les lettres, et
LES LITTÉBATUHES ANCIENNES 53^)
-surtout les lettres anciennes. Comme le bonhomme Jeaimot,
dans le conte de Voltaire, ils trouvent ^u'il est inutile d'apprendre
'le latin, puisqu'on ne joue la comédie et l'opéra qu'en français,
absolument comme, il y a quelques années, on disait que l'étude
de la géographie n'était pas nécessaire pour connaître les che-
mins de notre pays.
Lorsqu'il a été question, en décembre 1880, de reprendre les
dispositions de la loi du 28 juin 1833 et d'établir deux degrés
dans les diplômes d'instituteur primaire, on fut unanime à
reconnaître la nécessité d'élever, soui le rapport littéraire,
l'examen du brevet supérieur. On vit bien qu'à cet égard le
règlement du 2 juillet 1866 présentait une lacune regrettable
qu'il importait de combler. Des maîtres qui étudiaient les sciences
à un degré assez avancé ne devaient pas ignorer les grandes
œuvres littéraires à qui nous devons la meilleure partie de notre
gloire nationale et notre influence dans le monde civilisé. On
décida donc (règlement du 5 janvier 1881) qu'il y aurait désor-
mais une composition comprenant une ou plusieurs questions
sur la langue et la littérature, et que l'épreuve orale consisterait
dans la lecture expliquée d*un auteur classique avec des notions
ii'hisloire littéraire.
Les humanistes, qui regardent l'étude des lettres comme la
meilleure discipline de l'esprit, applaudirent à cette mesure,
mais beaucoup ne se tinrent pas pour satisfaits. Ils regrettaient
que les candidats ne dussent pas, comme cela se faisait déjà à
Paris pour le brevet de premier ordre des filles, connaître aussi les
grands écrivains et les chefs-d'œuvre des littératures grecque
et latine. Vous exigez, disaient-ils non sans raison, que les
maîtres primaires du degré supérieur sachent les principaux
faits de l'histoire ancienne, qu'ils n'ignorent pas les actions de
Ramsès le Grand, de Cyrus, de Miltiade, d'Alexandre, de Scipion,
d'Auguste, etc., et vous admettez qu'ils ne sachent pas qu'il a existé
des génies comme Homère, Pindare, Sophocle, Platon, Virgile,
Horace, Tacite, dont les chefs-d'œuvre font, depuis des siècles,
^admiration du monde civilisé! N'est-ce pas pourtant de ces
chefs-d'œuvre que s'inspirent les littératures modernes? ne sont-
ils pas les flambeaux que l'humanité se passe de main en main
dans sa route à travers les siècles ?
S3i ASVUE PâOA«OitlOUI
f Nus pensées soiit née» des pensées de nos devanciers. Sup-
posez que nous rayions.de notre cerveau toutes ies pensées
que nous devons aux anciens, nous serons elTrayés du peu qui
nous restera. L'humanité a beau vouloir parfois se séparer en
plusieurs parties, et en plusieurs âges, dont le second ne devrait
rien au premier, ni le troisièmeau second; cela est impossible.
L'humanité fait corps; c'est un seul et même homme qui tra-
verse plusieurs âges, et les pensées de son âge nmr naissent
des pensées de sa jeunesse. Olez à l'homme sa mémoire qui lui
sert de lien enti*e toutes ses penées; faites qu'à trente, ans il
soit tenu de quitter ses pensées do la veille, et de recommencer
sur nouveaux frais; il n'y a plus d'homme, il n'y a plus que
trois ou quatre enfants, puisqu'à chaque nouvel âge l'horame
redevient enfant. Otez à l'humanité l'élude de l'anliquilé, ôtez-
lui ce lien entre les pepsécs des différents siècles; il n'y a plus
d'humanité, il n'y a plus d'éducation continue, puisque chaque
siècle est forcé de recommencer sa provision d'idées et que le
travail des pères est perdu pour les .enfants (1). »
— Ces considérations sont justes, répondaient les réalistes;
mais comment, avec des progiamines aussi chargés pour l'his-
toire et pour les sciences, trouver du temps dans les écoles^
normales pour une étude, qui ne fût pas trop insuffisante, des
classi(|ue8 grecs et latins? Les aspirants au brevet supérieur ne
pourront qu'étudier de courtes notices dans un abrégé d'histoire
littéraire, et n'acquerront que des connaissances superficielles qui
sortiront de leur mémoire après l'examen. Cela leur suffira peut-
élre pour vouloir en parler, et ils révéleront leur ignorance en
voulant faire étalage de leur courte érudition. i\e sera-ce pas se
rendre coupable de profanation que de sortir du sanctuaire les
œuvres des grands génies de l'antirpiité pour les produire au
milieu d'une foule indifférente, beaucoup trop pressée pour pou-
voir en prendre connaissance ?
, Les amis des lettres ne se tenaient pas pour battus. Il ne s'a-
gissait pas, dans leur pensée, d'obtenir des candidats au brevet su-
périeur une étude approfondie, minutieuse des grands écrivains
(1) Saint-Marc Girardin, De VimtrucUon intermédiaire dana ïr midi de
Altcmagney p. 108. Paris, Levraull, 1835.
LES UTTÉJIATUE£S ANCIENNES S35
classiques, — on n'y peul arriver qu'aprèn cinq ou six ans d'étu-
des» — mais bien d'attirer Taltention sur les grands génies qui,
en reparaissanl au xvi° siècle, ont produit Tépoque de la Ren^'s-
sance et ont inspiré nos immortels écrivains du xvii« siècle.
Ne peut-on espérer d'intéresser les élèves des écoles normales
par la lecture d'une bonne traduction d'un chant de l'Iliade ou
de l'Odyssée, d'un discours de Cicéron, ou d'une page de
Tacite? £st-il plus malaisé de sentir le charme des anciens que
de goûter les beautés de nos classiques nationaux.
Toutes ces considérations n'ont pu triompher de la résistance
faite à l'idée d'ajouter une nouvelle matière au programme déjà
si encombré des écoles normales primaires; mais il n'en a pas
été de môme quand il s'est agi de l'enseignement secondaire
spécial et de renseignement secondaire des jeunes filles. Eu
effet, les programmes du 28 juillet 1882 portent, pour l'enseigne-
ment spécial, quatrième année ; Histoire sommaire des littératures
grecque et latine; recueil de morceaux choisis des prosateurs et
des poètes latins et grecs, avec cette noie : « Oa parlera surtout
des écrivains et des œuvres qui ont fourni des modèles aux
littératures modernes »; et pour l'enseignement des jeunes filles,
dans la troisième année de la première période; Cours somr-
maire sur les litléraiures anciennes : principales époques et
principaux auteurs; et dans les deux années suivantes, cours
supi'rieur ; Histoire de la littérature grecque. Lectures à
l appui, Morceaux choisis d'auteurs gy^ecs tirés des meilleures
traductions. (Mêmes indications pour la littérature latine.)
Cet enseignement exigeait des livres spéciaux, et ils n'ont pas
tardé à paraître à nos grandes librairies classiques, sous le
nom de professeurs distingués des lycées de Paris.
M. Lebaigue a publié, en 1883, à la maison Belin, des Morceaux
choisis d'auteurs latins tirés des meilleures traductions^ avec un
comment lire et des notices; 1 vol. in-12 de 432 pages.
A la même librairie, en 188i, M. J. Labbé a publié sur un plan
identique des Morceaux choisis des auteurs grecs : l vol. in-lî
de 446 pages.
Les écrivains sont rangés par ordre chronologique, en quatre
périodes pour la littérature lalinc, et en sept périodes
pour la littérature grecque. La notice sur chacun d'eux est gêné-
&36 RIVUB PÉDÀG06IQUS
ralement courte et précède les morceaux tirés de ses œuvres;
en outre, des notes contenant des appréciations et des rappro-
chements se trouvent au bas des pages.
Deux recueils semblables ont été publiés à la librairie Delà-
grave (1884 et 1885) ; ils sont dus à la collaboration de M. F.
Deltour, inspecteur général de Tinstruction publique, et de
M. Ch, Rinn, professeur au lycée Condorcet.
Le volume des- auteurs grecs conliont deux cent trente-six
morceaux empruntés à soixante écrivains. Toutes les notices bio-
graphiques se trouvent, par ordre alphabétique, en tête du
volume. M. Deltour a publié, seul, une Histoire de la Utiératurt
grecque, de même format, dont Télude doit être faite parallèle-
ment à la lecture des morceaux choisis.
Le volume des auteurs latins renferme deux cent soixante-dix
morceaux tirés de cinquante-cinq écrivains. Ici la notice bio-
graphique est placée en tête des morceaux de chaque auteur :
c'est en effet la disposition la plus commode. Quant à V Histoire
de la littérature latine, qui doit faire pendant au recueil des
textes traduits, elle n'a point encore paru.
La librairie Hachette est arrivée la dernière. Sous ce titre :
Études littéraires sur les classiques grecs (ou latins) et extraits
empruntés aux meilleures traductions, elle vient de publier
deux volumes dus à M. Gustave Merlet, professeur au lycée
Louis-le- Grand. Le plan que l'auteur a suivi diffère de celui
des autres publications similaires. 11 a résolument écarté a les
écrivains qui ne sont qu'un fardeau pour la mémoire ou
n'offrent que des exemples à fuir. En revanche, il produit en
pleine lumière les génies ou les talents de premier ordre, c'est-
à-dire tout ce que l'antiquité nous a légué d'impérissable, tout
ce qui intéresse légitimement l'âme humaine par des vérités
universelles, et l'imagination ou le cœur par des modèles de
poésie ou d'éloquence (1). »
M. Merlet a suivi l'ordre chronolo^que dans chacune de ses
deux séries : prosateurs et poètes. Il n'a donné place, pour les
Grecs, qu'à vingt auteurs : huit poètes et douze prosateurs, et
(l) Extrait de la préface des Éludes littéraires sur les grands classigne$
latins.
LES LITTÉRATURES ANCIENNES USTl
pour les Latins, qu'à vingt et un : neuf prosateurs et douze poètes.
Pour des raisons qu'il est facile de comprendre, il a présenté les
deux séries dans un ordre inverse. Chaque écrivain est Tobjet
non pas d'une simple notice biographique, comme dans les
quatre recueils dont il a été question plus haut, mais d'une
étude assez développée sur le caractère de son talent, la valeur
de ses œuvres, les imitations qui en obt été faites. Nous ne
craignons qu'une chose, c'est que ces études soient trop ache-.
vées de forme, trop fines de ton, trop riches de renseignements
pour les jeunes gens auxquels elles sont destinées (voir notam-
ment les belles pages sur Eschyle, Classiques grecs, p. 145-15<^).
Ces études ne font pas tort aux notes d'éclaircissement au bas
des pages, qui sont abondantes et pleines d'intérêt.
Avec de tels ouvrages, Tétude de l'antiquité devient vraiment
attrayante, même pour ceux qui n'ont pas la clef de ses langues.
Souhaitons de les voir placés, non comme manuels d'étude,
puisque le programme s'y oppose, mais comme livres de délas-
sement, entre les mains des élèves de nos écoles normales:
nous sommes assuré qu'ils seront lus avec le plus vif intérêt,
qu'ils seront goûtés presque au même degré que nos classiques du
XVII® siècle, si difficiles à bien comprendre, et qu'ils garderont
ensuite une place d'honneur dans la bibliothèque des instituteurs
et des institutrices qui auront appris à aimerj comme nous, ces
anciens toujours jeunes « dont les œuvres suffiraient encore
à éclairer le monde, si toute autre lumière venait à s'éteindre ».
B. Berger.
EXCURSION DANS LES VOSGES
FAITE PAR LES ÉLÈVES DE l'ÉGOLE LAVOISIER
Le 16 août 1884, à G heures 1 /2 du matin, des jeunes gens de treize
à dix-huit ans, choisis parmi les meilleurs élèves deFécole municipale
supérieure Lavoisier, se rendaient à la gare de l'Est, pour effectuer
un vovaffe dans les Yoscfcs. Ils avaient tous au dos un havresac
semblable à ceux des militaires dans lequel ils avaient mis leurs
effets de linge et de chaussures. A leur lôte se placent: MM. Filon,
directeur, Bussy, surveillant général: Goursat, chef du laboratoire,
et Lotlin, professeur de top">graphie de Técolo.
En mtifc ])()nr ydnrij. — Laissons de coté les incidents de voyage»
pour ne nous occuper que du côté utile. Nos jeunes gens sont silen-
cieux ; ils n'osent pas manifester bruyamment leur satisfaction d'être
partis. M. Lottin développe une carte de TÉtat-major, jette un coup
d'œil vers la campagne et dit en montrant du doigt : « Voici le canal
de rOurcq, qui alimente le bassin de la Villette. >> Toutes les jeunes
tôte se penchent vers les portières pour regarder. Cela leur donne
ridée do consulter aussi un Guide Chaix, dont ils sont munis, et de
suivre sur la carte le clieinin parcouru par le train, et fait rompre
le silence auquel succède un tohu-bohu de questions, de remarques,
de lectures à haute voix à chaque fois que l'on rencontre quelque
chose digne do remarque, à chaque station que Ton passe, g Tiens!
voici Noisy ! rembrancliement de îa Grande Ceinture. Bondyl où
est le dépotoir ? Le Raincy ! l'ancienne propriété de la famille d'Or-
léans, aujourd'hui couverte do maisons particulières.* Gagnyl etc, etc.
Tiens, nous traversons une rivière. Laquelle?— C'est la Seine, disent
les uns.— T\is du tout, nous ne sommes pas dans le dépaiiemenl de
la Seine. — Où donc somfnes-nous, alors? — Dans Seine-et-Marne. »
Tout le monde regarde la carte. « En elVot! Et cette rivière? — Ce n'est
pas une rivière ; c'est le canal latéral à la Marne qui aboutit à
Vitry-le-Eranrois, que nous allons voir plus loin. » On questionne le
professeur de topographie, car on trouve singuhcr qu'on ait créé une
rivière artitlcicUe à côté d'une rivière naturelle. 11 explique le rôle
que joue le can'il parmi les voies de navigation. A partir de ce
moment-là, les élèves remarquent les écluses, les ponts, les aqueducs
les barrages, etc. A chaque station, on consulte de nouveau la
carte. Eponiay! cinq minutes d'arrêt. Voici le pays du vin de Cham-
pagne. On jette un coup d'œil sur les coteaux où croît la vigne,
mais on ne pense pas à la liqueur enchanteresse. Un professeur gour-
mand ou gourmet a cependant eu le temps de s'en procurer une
EXCURSION DANS UBS VOSGES S39
petite bouteille. On brûle les stations. Voici Chàlons-sur- Marne I Où
est le camp? Ot sont les casernes? le collège? Là I Là ! Vitry-l^
François! Le canal finit en cet endroit, la Marne déparait à droite
du chemin de fer. Cependant, après avoir continué la route pendant
quelque temps, les élèves s'écrient : «Voici la Marne qui apparaît de
nouveau, avec le canal. » Une discussion s'engage à ce sujet. On ton-
suite le professeur, qui met tout le monde d'accord en disant: « Mes
entants, vous ne reverrez plus la Marne pendant le cours du voyage.
C'est romain que vous voyez ta. Cette rivière alimente le canal qui
vient de disparaître aussi. Celui que vous voyez maiatenant est le
canal de la Marne au Rhin : il conduit à Strasbourg. Vous allez le voir
monter le versant de la Meuse et descendre le versant opposé. Voyez
les rampes qui s'accentuent déjà. Au surplus, à chaque station, con-^
sultez les indications du tableau placé au-dessous de l'horloge, vous
remarquerez que les altitudes se relèveront jusqu'au faîte séparatif
des bassins de la Meuse et de la Meurthe. — Ahl oui. Monsieur, nous
voyons se vérifier ce que vous nous avez déjà dans le cour de topo-
graphie; qu'un bateau chargé à Londres peut traverser la France
en franchissant les montagnes, et, de là, aller jusqu'à Berlin sans
rompre charge. »
A partir de ce moment-là, les élèves relèvent les altitudes. Vilry-le-
Franrois, 157'" au-dessus du niveau de la mer, Bar-le-Duc,i83™ ; ils
ne songent pas plus aux petits pots de conliture, qu'on leur pré-
sente à la station de ce nom, qu'aux madeleines de Commercy. Ils
se contentent de lire sur le tableau de la station : Commercy, à 295
kilomètres de Paris, à 210*" au-dessus du niveau de la mer.
La fatigue gagne nos excursionnistes; nous ne notons pfus ce
qu'il y a de remarquable pendant les 58 kilomètres qu'il reste à par-
courir; on brûle les stations, mais à Frouard tout le monde paraît
surpris devoir comment les chemins de fer, le^ canaux, les rivières,
les routes nationales et di^p.irtomentales s'onlre-croisent : ce qui
dénote que la circulation y est très active en tous sens et que Frouard
est le nœud du trafic entre les régions de l'Kst et de l'Ouest, puis
du Nord et du Midi. L'immense quantité de marchandises disposées
sur les nombreux quais, ainsi que les nombreuses fabriques, en sont
le témoignage. Après cette ample provision do notes prises depuis le
départ, maîtres et élèves mettent le sac au dos, car on arrive à Nancy.
Nannj. — On couche dans celte ville que Ton doit visiter. Le len-
demain matin notre petite troupe se réunît sur la place ; les pro-
fesseurs prennent la tête de la colonne et la conduisent à travers la
ville. Nancy se pique d'être l'Athènes française, parce qu'on
n'aperçoit dans cetle ville que des arc-? de triomphe, des grilles
monumentales, des portes fortifiées, des passages voûtés. Une chose
n'est pas sans contribuer au cachet de ville historique, d'ancienne
capitale qui appartient incontestablement à Nancy : c'est que, par
quelque côté qu'on arrive, il faut, presque nécessairement, passer sous
^iO aSVUK PÉDAGC6I0UV
un arc de triomphe. La merveille de la vieille (fité, le chef-d'oeuvre
4e Turt lorrain, c'est la Porterie. Mansuy Gauvin, l'habile sculpteur
du XVI» siècle, a taillé dans la pierre du monument toutes les
«cènes de l'histoire des ducs de Lorraine : Toutes les figures ont une
signification satirique; c'est ainsi que les adversaires des princes,
sont représentés par des avocats, des moines, etc., qui apparaissent
«ous la forme d'animaux prêchant ou pérorant. A chaque monument
rencontré, on fait une halte, pour écouter les professeurs qui en
racontent l'histoire. C'est la statue du général Drouot, c'est la porte
Saint-Georges. C'est la porte de la Craiïe, spécimen d'architecture
militaire, bâtie sur des remparts que les élèves visitent dans tous
leurs détails ; les ponts-Ievis, les réduits, les bastions, les courtines,
^nt été visités l'un après l'autre. Le professeur de topographie a été
mis fréquemment à contribution, pour expliquer l'usage de ces acci-
dents topôgraphiques militaires.
On conduit la troupe devant la porle Masco. Ici on écoute le récit
d'une petite légende. Masco était un ours protégé par le duc Léopold.
Un petit Savoyard se réfugia un jour d'hiver, à l'insudes gardiens,
<lans la niche de Masco. L'ours, très bien nourri, non seulement ne
dévora pas l'enfant, mais lui laissa prendre une part de son
repas. Il s'établit entre les deux élres une telle intimité qu'un matin
que le petit Savoyard dormait, Masco fit un accueil des plus désa-
gréables à ses gardiens, coupables de réveiller son ami. Le duc
Léopold apprit la chose, s'intéressa à l'enfant et améliora encore la
nourriture de l'ours, très chagrin dé se voir enlever son petit ami,
La porte Masco rappelle toutes ces jolies 'choses. C'est par c^tte
porte qu'on entre au Musée lorrain. Nous montons le magnifique
•escalier sculpté, à marches larges et basses, qui conduit à la salle
du conseil, maintenant transformée en musée et que gravissait, à
cheval, le duc de Lorraine lorsqu'il allait présider les séances du
conseil. Il pénétrait ainsi dans la salle jusques au fond, où se trouve
une cheminée monumentale contre laquelle son cheval s'adossait.
C'est ainsi qu'il présidait, restant sur sa monture jusqu'à la fin de
la séance, après laquelle les seigneurs ouvraient leurs rangs pour
le laisser passer et descendre par la môme voie. Il est impossible
<le faire ici la nomenclature des richesses et des curiosités qui s'éta-
lent aux yeux ébahis des enfants, et parmi lesquelles on doit tout
particulièrement citer les belles œuvres de Callot. A côté du Musée,
l'église uù sont les restes des ducs de Lorraine, les épitaphes, les
cénotaphes, les mausolées, etc.
On traverse, en zig-zag, la ville qui décidément est intéressante à
visiter. C'est la place Stanislas, avec la statue du duc de ce nom,
élevée en cet endroit pour perpétuer la mémoire de celui qui fit la
Lorraine si belle et si florissante. C'est la fontaine d*Amphitrite et
Neptune, avec de belles grilles monumentales dorées, se profilant
■sur des massifs d*arbres. C'est l'arc de triomphe qui ferme la place
EXCURSION DA.NS LES VOSGES 541
et qui ouvre sur la place Carrière ; c'est le jardin public, la cathé-
drale, etc, etc. On ne peut ciler ici tout ce qu'on a vu. Fermez vos
cahiers de notes^ mes enfants, vous n'êtes qu'au commencement du
voyagé. Si vous allez de ce train-là, il vous faudra des in-folios.
On aurait bien voulu voir M. Barbier, le savant secrétaire général
de la Société de Géographie de l'Est ; ce digne maître et ardent
patriote se fût certainement mis à la disposition de la petite caravane
scolaire, pour lui apprendre quelques-unes de ces choses qu'il connaît
si bien sur la région de l'Est ; mais le temps manquait et il fallait
repartir le lendemain pour Lunéville.
De Nancy à LunéviliCy Baccarat et Saint-Dté, — Pendant le court
trajet de Nancy à Lunéville, on remarque que le terrain devient
plus accidenté et qu'on s'élève de plus en plus,à SMK), 250, 300 mètres
au-dessus du niveau de la mer. On a déjà une idée vague des mon-
tagnes. Par-ci par-là, on remarque des terrains ailouillés, desquels
on a extrait la terre plastique, déposée dans d'immenses réservoirs
inondés par les eaux de la rivière, pour former le patouillage qui devra
servir à la confection de la poterie cuite dans des fourneaux que l'on
voit le long du chemin de fer. Des salines, près Rozières-aux-Salines.
La vigne a disparu des terrains cultivés et cède la place à de grands
carrés plantés d'arbustes sarmenteux, longs et minces, se dressant le
long de hautes perches. C'est le houblon ! En effet, on arrive dans le
pays de la bière. Lunéville possède une brasserie importanlet Cette
ville, habitée par une garnison composée en majeure partie de
cavalerie, paraît triste ; la plus grande partie de sa population se
compose de militaires en retraite. 11 est convenu qu'on se reposera à
Lunéville, où l'on couchera pour la première fois dans le dortoir du
lycée. Une partie de la journée se passe dans le splendide parc des^
Bosquets, au bout duquel se trouve un très vaste champ de manœuvres.
Si le repos dans les bosquets procure une agréable sensation, il n'en
est pus de même lorsque, rentrant au nombre de trente-cinq per-
sonnes,il faut se conformer à la règle austère que l'on doit observer
dans un dortoir.
Le lendemain malin, on a hâte de quitter cette ville maussade ;
le voyage ne présente rien de particulier; au surplus, le trajet est
court, on arrive vite à Baccarat. En attendant le moment où l'on
pourra visiter son importante cristallerie, si justement renommée,
on gravit un coteau boisé et, pour la première fois, on s'étale sur
la mousse, à l'ombre des chênes de la forêt de Gramont, à 3i0 mètres
au-dessus du niveau de la mer. Les senteurs du thym et du serpolet
produisent une action bienfaisante sur les poumons.
A une heure, un des administrateurs de la grande cristallerie
reçoit les excursionnistes et les conduit dans les ateliers. C'est
M. Goursat, le chef du laboratoire de l'école Lavoisier, qui prend la
tête de la colonne. C'est la matière première que l'on voit d'abord^
et ses divers mélanges. Puis ce sont les ateliers de soufflage, de
^2 REVUS PÉDA60GIQUK
taillerie, de polissage» de gravure, etc., etc. On ouvre une porte
en fonte ; ou pénètre dans une pièce chauffée à la température
de 60^, qui sert a sécher les moules en terre, pour faire des
creusets. Au bout de deux minutes et demie, tout le monde demande
grâce, car on commence à cuire. On va de salle en salie; on fait
le tour de tous les ateliers ; on prend des notes, partout des notes.
Ah I que de choses oh a vues, en trois heures, et sans janiais
s'arrêter plus de deux minutes devant chaque groupe de travailleurs;
et dire qu'on n*a pu tout voir que superficieilemeat. 11 est impos-
sible de rester plus longtemps; juste le temps de goûter rexcellente
bière du pays, à deux sous la chope, et le Iromage de Gérardmer,
puis on s eutosse dans le wagon exclusivement réservé aux excur-
sionnisles qu*on vient de rattacher au train partant pour Saiut-Dié.
Nous voilà partis encore une fois. On entre dans le massif des
Vosges. Cette fois-ci, les montagnes et les vallées apparaissent avec
leur caractère de grandeur. Ce ne sont que tableaux changeants
qui se déroulent. On remonte la Meurthe que Ton cAtoie. Elle devient
de plus en plus étroite. La voilà toute pierreuse, pleine de cascades;
par-ci par-là elle est à sec.- A Kaon-l'Elape les montagnes sont
hautes. On arrive à Saint-I)ié.
Saint-Dit', — On séjournera plusieurs jours à Saint-Dié, ville située
au pied de hautes montagnes qui Teiivironnent et que l'on visitera. De
là on fera, en tous sens, des excursions soit à pied, soit en voiture.
La première ascension est celle du Gratin, sans doute appelé ainsi
parce qu'il paraît comme une miette à côté de la montagne d'Or-
mont. L'ascension du Gratin semble pénible; on n'est pas encore
habitué aux grimpades. Du haut de ce mont, on a une belle vue
sur la chaîne des Vosges, noyée dans une brume bleuâtre. Là on
fait des orientements, à l'aide du soleil et de la boussole. On cherche
sur le terrain comme sur la carte des points connus, le Hoheneck,
le Ballon d'Alsace; on veut voir la frontière; on estime les hauteurs
et les distances. Et dans tout cela, que d'erreurs, que de mécomptes :
les effets de perspective aérienne, horizontale; la densité de l'atmos-
phère et de certains milieux, tout cela déroute, embrouille; on sent
qu'un peu de pratique serait le complément nécessaire des théories
faites en classe à Paris. Délicieux temps, délicieuses odeurs des
plantes balsamiques, délicieux points de vue; on renonce à gravir
des sommets qu'on croirait toucher du doigt. Redescendons à Saint-
Dié. On visite une éi<lise d'un pur style roman, bâtie en grès rouge.
Les curieux, ne respectant rien, linissent par apercevoir une porte
basse derricTC laquelle on découvre, ô surprise 1 un reste de couvent
en style ogival, avec des voûtes en berceaux, des fenêtres à meneaux
découpés à jour; un bijou de chaire à prêcher en pleine cour et tout
à fait à l'extérieur du bâtiment. M. Goursat en prend la photo-
graphie.
Le lendemain, on fait l'ascension du mont Saint-Martin, hauteur
EXCURSION DANS LSS VOSGES 543
730 mètres, duquel on a une vue spiendide, komense. Au
sommet, il y a deux énormes blocs de roche rouge, dont Tun a
servi de point trigonométrique : on en prend la pholographie. De ce
point on fiait des orienlements a Tuide desquels ondécouvrc le Rossberg.
Le surlendemain matin, on part en trois voilures a deux chevaux
pour Gérardmer et Retoumemer ; un soleil spiendide éc)aii*e le pano*
rama qui changea chaque pas. Ce ne sont que suites ininlerrompues
de montées et de descentes à flanc de coteau; l'horizon se rétré(Tit
de plus en plus. On monte une rampe de plusieurs kilomètres, qui
conduit à un col appelé le Plafond. Après un repos en cet endroit,
on descend à fond de train pendant plusieurs heures. Ah ! que les
pentes sont fortes et les coudes brusques et nombreux! A gauche
on a un versant à 4o^ ([ui paraît monter jusqu'au ciel. A droite,
la même Inclinaison descendant à des profondeurs insondables.
Les deux côtés sont plantés de pins d'une taille gigantesque et si
serrés que l'on ne peut voir à plus de dix pas de soi. L'allure des
chevaux est vertigineuse; les cahots des voitures sont tellement
précipités qulnstinctivoment les voyageurs se cramponnent les uns
aux autres. Ah ! qu*une ciiule en pareil momeut serait terrible !
Des cumubiis frangent les crêtes des montagnes; en moins de
temps (lu'il ne faut pour l'écrire, les nimbus se forment et la
pluie tombe. Oh! comme la pluie mouille dans les montagnes! sur*
tout quand on n'a pas de parapluie. Dans ces pays-là, l'orage ne
s'annonce pas par des rirrus, il se forme et fond tout d'un coup ;
après quoi le soleil le plus resplendissant éclaire un ciel d'azur.
On longe le lac de Longemer, bordé de hauteurs dont les pentes,
toujours à 45'^ et couvertes de forêts de sapins, baignent leur pied
dans le lac. On continue cette course folle. Ouf! on est arrivé à
Retoumemer où se trouve un petit lac au fuad d'un trou dont les
bords atteignent des hauteurs variables de 700 à 1,400 mètres. Le
gi'and Hoheneck dresse son dôme majestueux au-dessus de toutes
ces hauteurs. Les nuages folâtrent autour de lui; on assiste là aux
phénomènes de la vaporisation et de la condensation, et l'on com-
prend mieux la précipitation des eaux de pluie que par les Ihéo*
ries de physique, si bien faites en classe, mais qui laissent toujours
du vague dans l'esprit de l'élève.
Pour ne pas trop allonger ce récit, renonçons à décrire les splen*
deurs de ces belles régions ; ne parlons pas de Gérardmer et de
tout ce que Ton voit dans les alentours, la Roche du Diable, le saut
de la Cuve, etc., etc., et revenons à Saint-Dié, pour repartir dans
une autre direction. Ne parlons pas de la visite à la fabrique de
papier et arrivons au Thillot. Séjour.
Saint-Maurice, Bussang, — Saint-Maurice, dans une impasse de
plusieurs kilomètres bouchée par le col de Bussang. On visite la
fontaine minérale. Son eau bi-carbonatée sodique, légèrement ferru-
gineuse, est agréable à boire. Montant toiyours la vallée en côtoyant
844 KEVUK PÉDàGOOIQUB
la Moselle, qui se rétrécit de plus en plus, on arrive à la source de
cette rivière. Bavons en passant de son eau limpide et frûehe. On
monte toujours la vallée, les bords deviennent de plus en dIus escarpés,,
dénudés; les blocs de grès rouge émergent. On arrive au pied d'un
contrefort 1res élevé qui barre le passage; c'est le col de Bussang.
Un tunnel de 600 mètres de long le traverse et la route passe par-
dessous. A rentrée sont des douaniers français. Juste a moitié du
chemin une croix gravée dans le mur, un trait par terre, une borne
portant sur une face ce mot ; Allemagne^ et sur l'autre : Frankretch^
C'est la frontière I Des recommandations sont faites aux enfants.
Défense do manifester bruyamment son émotion. On arrive à l'autre
bout du tunnel. C'est l'Allemagne, non... l'Alsace!... Tout le monde
se découvre!
U Alsace. — Nous voici en Alsace, entre deux montagnes : le
Brennwald, altitude 1,192"», dont les flancs ont une pente si
rapide qu'une pierre n'y peut rester en repos, et la Tête-des- Allemands,
hauteur 1,004°>, dont les flancs sont tellement inclinés que les
arbres abattus roulent d'eux-mêmes jusque sur le chemin que nous
suivons. Nous sommes de l'autre côté des Vosges, dans une gorge
très étroite dont l'aspect est imposant. Au sortir de cette gorge, le
panorama le plus accidenté qu'on ait encore vu s'offre aux regards
émerveillés. A GOO mètres de profondeur on distingue la petite ville
d'Urbès, qui semble dormir au fond de la vallée. On voudrait y
aller. On marche sans s'arrr»ter, comme si l'on voulait atteindre la
frontière, non pas celle déjà franchie, mais l'autre, cette autre qui
devrait être la véritable. Hélas! il faut s'arrêter. On est en pays
conquis. Voyez ce nom : Tunnel-Warter ^ peint sur la façade de
la maison du garde, et cet autre que voici : Slrassen-A ufseher, à la cas-
quette du cantonnier. Il ne faut pas aller plus loin. On cueii)^ quel-
ques fleurs sur cette terre, toujours chérie, en souvenir de ce pas-
sage. A la dérobée, M. Goursat prend une photographie du tunnel près
du Rossborg, puis de la vallée. On voudrait tout prendre, tant on
se sent le cœur serré au souvenir qu'évoque ce nom : Alsace. Allons,
un baiser d'adieu. Non! au revoir. Retournons chez nous.
En revenant sur ses pas, la petite troupe suppute les chances de
succès dans le cas d'un retour offensif de l'étranger. « C'est impos-
sible, disent les uns. Voyez ces flancs inaccessible de chaque côté de
nous. -- C'est vrai! Mais par le tunnel? — On le boucherait. »
A ce moment les enfants demandent tout haut : « A quoi donc
peuvent servir ces trois trous semblables à de petites entrées de
cave, pratiqués de chaque côté du tunnel? il y en a six autres du
côté de la France.» Le Tunnel-Wàrter, qui avait compris (car il faut
dire qu'il avait suivi la troupe jusqu'à sa rentrée en France), ré-
pondit ceci : • Ça, c'est tes trus pour en cas le kerre, pour mettre
te la tinamite, pour faire explosir la tinnel. » Réprimant une fu-
rieuse envie de rire, les enfants se turent; mais au sortir du tua»
EXCURSION DANS LES VOSGES 545
ncl, ils songent avec edroi au terrible éboulement qui pourrait
résulter d'une explosion en cet endroit. Toutes les vallées, dans
celte région de la France, aboutissent à de semblables contreforts,
et, de Bussang jusqu'à Belfort, il est impossible de franchir les
Vosges. Parlant de là, elles ressemblent, vues en plan, a des ra-
meaux ou plutôt à des bronches et, comme elles, sans issue au bout
de le cavité. La trouée de Belfort est un passage. On comprend donc
que ces passageii soient défendus par des forts. Ces explications
deviennent concluantes dans la conférence topographique faite à
Remiremont.
Après quelques autres ascensions, telles que celle du Ballon de
Servance, puis celle du Ballon d'Alsace, pour donner un dernier
adieu à celte province et voir le versant du Rhin, on eflectue le
retour vers Paris, en s'arrêtant à Remiremont. On couche au lycée
de celle ville.
Conférence topographique à Remiremont. — Montés au sommet du
Paramont, 640™, que domine un fort, les élèves et les maîtres s'asseyent
sur un tertre. Là, M. Lotlin, après avoir passé en revue les divers
accidents topographiques rencontrés au cours du voyage et, plus
particulièrement, ceux observés sur la frontière et dUns toute l'é-
tendue du massif des Vosges jusques au point où la petite troupe
est présentement assise, explique comment le fort de Remiremont
prolège la ville en défendant, en même temps, le passage dans
les vallées de la Moselotte et de la Moselle qu'il domine. Les élèves
ont pu comprendre qu'une invasion est impossible, par-dessus les
innombrables monts et montagnes dont les flancs sont, pour la plupart,
inaccessibles; mais que des troupes peuvent passer par les cols,
les défilés, les gorges, les trouées les tunnels, si l'accès n'en- est
pas défendu par des forts tels que celui qui fait lobjet de la leçon
sur le terrain où, de visu, Ton a pu juger des effets que produi-
raient soit le tir du canon du fort,- soit un mouvement des troupes
dans les vallées déjà indiquées, sous la protection des canons de
ce fort. Le professeur termine sa conférence par cette conclusion ;
B La topographie a pour objet d'apprendre à lire les caries, pour aider
a se diriger en pays connu ou inconnu ; ce que vous savez déjà,
mes enfants; elle a pour objet d'apprendre à utiliser les accidents
du sol, pour l'attaque de l'ennemi et la défense du pays ; elle a pour
objet d'apprendre aux particuliers à se servir des routes de terre,
de fer et des voies de navigation, pour la circulation des marchan-
dises; enfin elle a pour objet d'apprendre à mettre en valeur le
terrain que l'on possède ou que l'on habite, par l'utilisation raison-
née des cours d'eau, qu'on peut employer comme force motrice ou
pour les irrigations. C'est ainsi que celle belle région que vous venez
de visiter, bien que son sol n'ait pas deux centimètres d épaisseur
de terre végétale sur la roche dure, possède tant de prairies et tant
de bétail, parce que ses habitants savent utiliser l'eau pour les irri-
UEVUB PÉDAGOGIQUE 1885. — 1^-' SEV. 35
346 REVUI PÉDA606IQU1
gâtions que vous avez rencontrées par tout le pays. La force mo-
trice des nombreuses usines que vous avez vues est empruntée
à de nombreux cours d'eau naturels et artificiels et donne au r»ays
cette richesse que vous avez remarquée dans bien des localités.
Gardez donc de tout cela une bonne impression, et, quand le
moment sera venu, faites aussi de bonnes appb'cations de la topo-
graphie au mieux des intérêts du pays. »
Retour, — Le retour s'effectue. On a hâte de revoir ses parents.
Le cœur rempli de satisfaction et de reconnaissance envers le Conseil
municipal de Paris, qui donne si généreusement tant d'argent pour
ces voyages si inslructifs à tous les points de vue, on se sépare en
se promettant de bien travailler pour mériter encore la faveur d'être
admis à faire un autre voyage. E. L.
LA PRESSE ET LES LIVRES
Cours complet de pédagogie et de méthodologie rédigé conformé-
ment au programme d'études officiel des écoles et sections normales
primaires, par Th, Braun, inspecteur des écoles normales de Belgi-
que. Bruxelles, Lebègue et C®, 1885; 1 vol. in-8° de 9oi pages. —
C'est une nouvelle édition d'un ouvrage remontant à 18i9, et que
l'auteur a plusieurs fois remanié afin de l'adopter à l'esprit de l'en-
seignement officiel en Belgique et au programme des études pédago-
giques dans les écoles normales. La première édition formait un
volume in -8° de 510 pages publié chez Deprez-Parent à Bruxelles;
la deuxième édition, 1854, même éditeur, comprenait 3 volumes in
8** de 1034 pages (le double de la première); la troisième, 1872,
chez Dessain, à Liège avait encore 3 volumes de 1188 pages, mais
du format in-l:2. Ces trois éditions étaient revêtues du permis d'im-
primer de l'archevêque de Matines ou de Tévêque de Liège. L'édition
récente ne porte pas ce visa de l'autorité ecclésiastique, mais on ne
saurait en suspecter l'orthodoxie, car l'auteur dit, dans un avis au
lecteur, que « son livre est en tous points conforme à Tespritet aux
dispositions de la loi du 20 septembre J881 », — cette loi que les li-
béraux belges considèrent comme une loi de réactiui: cléricale, et
qu'il appelle, lui (p. 788), une loi de neutralité.
Le livre de M. Braun nous a paru pécher d'abord par un défaut
de proportions entrt les diverses parties du sujet. Le chapitre 2,
Mission de rinstituteur (pages 15 à 19), est fort sommaire et parle
beaucoup plus des difficultés provenant de la négligence des familles
que des obligations de l'instituteur, de spn rôle vis-à-vis de l'en-
fant; mais le chapitre suivant (p. 20 à 49) s'étend longuement, par-
fois avec trop de détails, sur les qualités morales et même sur les
aptitudes physiques exigées de l'instituteur.
A propos de l'éducation physique, il y a des passages inexacts
ou très confus. Nous nous bornerons à deux citations.
Sur l'importance attachée aux soins physiques dans l'éducation mo-
derne, on lit, page 61 : « N'est-ce pas en 1782 (sic), alors que l'esprit
philosophique remuait la France et préparait la grande Révolution,
que J.-J. Rousseau publia son Emile, à Genève? » Tout le monde
sait que ce qu'on a appelé l'époque des philosophes au XVUl® siècle
remonte au moins à 1731, date de^lalpublication de l'Encyclopédie,
et que VEmile a été publié en 1762, à Paris et à Amsterdam simul-
tanément, et non à Genève.
Et page 91 : « Dans une leçon de gymnastique, chaque exercice a
une importance spéciale et un but déterminé sans manquer aux
548 REVUE PÉDAGOGIQUE
lois de la physiologie et en répondant autant que possible aux règles
de Teslbétlque. >
Ce mot d'esthétique, qui apparaît là où Ton ne l'attendait poinr,
porte à rechercher ce que dit l'auteur sur ce sujet. 11 n'y consacre
qu'un court chapitre, page 797, qui commence ainsi :
tf Une de nos plus nobles facultés est celle de sentir, c'esl-à-dire
de nous rendre compte de nous-mêmes. Cette faculté se présente sous
plusieurs formes : il y a le sentiment religieux, le sentiment moral
le sentiment du beau, le sentiment se rapportant à notre nature et
qui touche aux sens. »
lit plus loin : « Nous appelons beau tout ce qui, par l'bannonie
des formes, des sons ou des couleurs, par l'élévation des idées et
la noblesse des expressions, provoque en nous un élan involontaire
d'admiration, qui n'est ni passager, ni fugitif, mais que la réflexion
confirme Mais avant le beau proprement dit, l'école s'attachera
à faire prévaloir le boîi et le vrai, qui sont le beau moral, ici se pré-
sentent de suite les précautions à prendre pour l'ordre, laTpropreté
la politesse, l'harmonie, dans tous les détails intérieurs de la classe'
comme dans les relations des élèves entre eux. »
Vraiment, il aurait mieux valu ne pas parler d'esthétique que
d'en donner une telle idée et de la faire consister à l'école dans la
bonne tenue.
L'éducation intellecluelle occupe une plus grande place, mais on
est surpris de trouver la culture du jugement et du raisonnement
avant la culture de la mémoire et de l'imagination. Là aussi cer-
taines affirmations sont contestables, comme celle-ci : « Il est établi
que pour se graver quelque chose dans la mémoire il faut en avoir
une intuition claire et précise ; il en résulte que, pour retenir, il
faut comprendre ce qu'on veut confier à la mémoU'e. » Comment
expliquer alors que de jeunes enfants apprennent très bien des
prières en latin ou la table de multiplication?
Et cette définition de l'imagination peut-elle être admise : a L'i-
magination est la faculté au moyen de laquelle nous conservpns et
nous combinons les images des objets qui ont fixé notre attention. »
Tout un ordre de faits appartenant à l'imagination ne restent-ils pas
en dehors ; que diront ceux qui lui attribuent les créations du poète
et du musicien comme les hypothèses du savant?
Mais nous ne voulons pas prendre une à une toute cette étude
des facultés; elle nous a semblé faible, partout où l'auteur ne se
borne pas à ciler. Sans doute, la psychologie systématique est une
chose un peu abstruse ; mais pourquoi ne pas se limiter, comme
M™« Necker de Saussure, à l'observation des faits, à l'examen du
développement de l'inlclligence chez l'enfant, afin d'en tirer des
règles pratiques pour l'éducateur?
Ce qui nous semble surtout peu propre à faire aimer la péda-
gogie et à former des maîtres ayant du bon sens et de la sagacité,
LA PRESSE ET LES LITRES 549
c'est Texlréme division, le luxe de distinctions apporté dans l'étude
des moyens propres à varier les leçons tt à les approprier tant à
l'aptitude moyenne des élèves qu'à la mati(»re enseignée, en un mot
a les rendre aussi bonnes que possible du c(Mé subjectif comme du
côté objectif, pour parler la langue de M. Braun.
A quoi peut bien servir cette première distinction de la forme
acroamatique et de la forme érotématique, puis de cette dernière en
catfchHique, socratique, euristique, répctitoire, examinatoire, analytique
et synthétique, enfin dialojique? (pages 243 et 216). Plusieurs de ces
catégories ne rentrent-elles pas Tune dans Tautre? et C[uelle lumière
une semblable éhuméralion met-elle dans l'esprit du jeune maître
qui étudie ce grimoire? Ce n'est pas tout : à la page 233, on
trouve indiquées trois catégories de procédés, savoir : d'exposition,
d'application et de correction. Puis, dans la première catégorie,
on distingue les procédés intuitif, comparatif, d'opposition ^ étymo-
logique, de raisonnement, descriptif, d*obseivation intérieure, répé-
titoire, synoptique. C'est à s'y perdre. Nous croyons qu'une telle
marche est propre à troubler les meilleurs esprits et à engendrer le
pédantisme.
Nous n'aimons pas mieux les préceptes de morale ou règles de
conduite par lesquelles s'ouvre le volume, et dans lesquelles l'au-
teur développe les points ci-après :
« 1. Il faut que l'instituteur soit un homme grave;
» 2. L'instituteur doit être patient;
» 3. L'instituteur doit être prudent;
» 4. L'instituteur doit avoir de la douceur;
1) 5. Il faut que l'instituteur ail un véritable amour pour les
enfants et pour son état;
» 6. L'instituteur doit avoir de l'intelligence; (sic!)
» 7. L'instituteur doit avoir une somme suffisante de connais-
sances approfondies dans les diverses branches qu'il est obligé
d'enseigner, p (pages 26 à 33.)
Ces règles gagneraient à être ramenées à un moins grand nombre
et, dans tous les cas, elles devraient être autre chose qu'une sorte
de civilité puérile et honnête. £n pareille matière, il importe sur-
tout de suggérer, d'inspirer et de laisser ensuite à la responsabilité
personnelle le soin des détails. Certaines de ces prescriptions nous
rappellent le fameux règlement modèle du 17 août 1851, où il était
dit aux maîtres français :
« Art. 3. On ne le verra jamais (l'instituteur) dans les cabarets,
dans les cafés, dans aucun lieu, dans aucune société qui ne con-
viendrait point à la gravité et à la dignité de ses fonctions. — Art. 5.
Il veillera avec une constante sollicitude sur tout ce qui intéresse
l'esprit et le cœur, les mœurs et la santé des enfants. Il n'aura
point de familiarité avec eux; il s'abstiendra de les tutoyer et ne
leur donnera jamais de noms injurieux. Il ne se laissera point aller
550 RSVUB PÉDAGOiilQUE
à ]a colère, et il saura toujours allier le calme et la douceur à la
fermeté et à la sévérité. »
Nous nous rappelons qu'iln'y eut alors aucun instituteur digne de
sa mission qui ne se sentit blessé dépareilles recommandations. 11
est douteux que les instituteurs belges soient satisfaits de s'entendre
dire, par exemple, qu'il leur est nuisible de jouer avec le premier
venu dans les cabarets ou sur les places publiques ; de chercher à
amuser par des facéties de mauvais goût; de tolérer, pai* leur présence,
des paroles ou des actes obscènes; de se présenter à quelqu'un sans
être complètement vêtu ou dans un costume peu décent ; de coniler
trop légèrement les secrets des ménages (page i4). Ce serait le cas
de demander à nos voisins: A qui donc confiez- vous les fonctions
d'instituteur pour qu'il soit nécessaire de donner à vos maîtres de
tels avis?
Nous avons eu le regret de ne pas trouver dans le livre de M. Braun
ce (|ue la compétence de son auteur nous faisait espérer. Ce n'est
pas qu'il ne s'y rencontre de bonnes pages, notamment sur la pra-
tique de l'enseii^nement, mais elles sont trop souvent perdues au
milieu de détails mesquins. Knfin pourquoi M. Braun, qui cite sou-
vent des autours fran<;ais (Jules Simon, Rendu, Gréard, Buisson,
Marion, Brouard), ne nous donne-t-il jamais l'indication de la page
ni même de l'ouvrage d'où le fragment est tiré? 11 vaudrait la peine
de pouvoir s'y reporter, ne fût-ce que pour trouver dans le contexte
la pensée exacte des auteurs ou pour suivre les développements
qu'ils lui ont donnés. X.
David Livingstone, missionnaire, voyageur et philanthrope, 1813-
1873, par Rodolphe Reuss, Paris, Fischbacher, 1885, vm-118 p., in-S®.
— Parmi les voyageurs illustres du xix« siècle, il n'en est aucun dont
le nom brille d'un éclat à la fois aussi intense et aussi pur que
celui de Livingstone. C'est que chez lui la grandeur matérielle de
l'œuvre accomplie est singulièrement rehaussée par la grandeur
morale de l'ouvrier; qu'il ne fut pas seulement, comme ses rivaux
de gloire, un explorateur de premier ordre qui par l'importance
hors ligne de ses découvertes a puissamment contribué aux pro-
grès de la géographie; qu'il a consacré sa vie entière, une vie toute
de dévouement et de sacrifice, au service de la plus noble des causes,
l'avancement du règne de Dieu sur la terre. D'autres investigateurs
intrépides et sagaces ont, avant et après lui, pénétré dans l'Afrique
intérieure et dévoilé ses mystères; nul ne lui dispute l'honneur
d'avoir été par excellence l'apôtre, le précepteur, le champion des
malheureuses populations du continent noir, auxquelles il a prêché
l'évangile et la civilisation par l'exemple plus encore que par la
parole, et en faveur desquelles il a soutenu, avec une ardeur que
rien n'a pu lasser, sa sainte lutte contre la plaie hideuse de la
traite des nègres. Missionnaire, voyageur et philanthrope/ tel est le
LA PRESSE ET LES LIVRES 551
triple titre de gloire que revendique pour Liviogstone rinscriplion
qui se lit sur sa piorre tombale à Westminster, et la postérité rati-
fiera ce triple éloge décerné par la voix unanime de ses contem-
porains.
Retracer dans un mince volume la vie, laborieuse entre toutes,
de ce fervent missionnaire, de ce voyageur audacieux, de cet hé-
roïque pliilanthrope, était une tâche difficile; M. Reuss s'en est
acquitté avec un rare talent dans le livre que nous nous plaisons à
signaler à toute l'attention de nos lecteurs. Lui-môme il l'appelle
modestement une esquisse, et il aurait raison si on jugeait les
ouvrages d'après le nombre de leurs pages; en réalité, c'est un tra-
vail achevé, d'une vérité frappante et d'un intérêt saisissant. Les
divers aspects de l'activité, si multiple et pourtant si une, de Living-
stone s'y trouvent mis en pleine lumière; mais surtout la physionomie
éminemment sympathique du grand homme de bien s'y détache
avec un relief remarquable sur le fond mouvant de son aventureuse
carrière, humblement commencée dans une chaum^ière écossaise,
pour finir, avec une auréole qui est presque celle du martyre, sur
ie< rives d'un lac perdu dans les profondeurs de l'Afrique.
Ce sont naturellement les trois s(\jours de Livingstone en Afrique
qui tiennent la plus grande place dans le livre de M. Reuss. H en
a résumé les péripéties les plus importantes et les grands résultats
géographiques d'après les relations officielles publiées par le voyageur
lui-m^^me ou par ses amis ; mais il a de plus tiré un excellent
parti des extraits de sa correspondance et de son journal intime,
mis au jour par M. William Garden Blaikic. Grâce à cette heureuse
combinaison, la narration gagne grandement en animation et en
intérêt, la charmante naïveté des impressions personnelles du doc-
teur tempérant ce qu'ont d'aride ses itinéraires compliciués. Au point
de vue géographique on pourrait à la rigueur, dans le récit de ces
pérégrinations, relever quelques inexactitudes de détail, regretter
quelques omissions; en général cependant, ce récit est exact etaussi
complet que le permettait l'étroitesse du cadre choisi. Les révélations
successives de Livingstone sur le plateau de l'Afrique australe sont
nettement exposées ; on suit le voyageur, sinon pas à pas, du moins
dans les zigzngs principaux de ses courses entrecroisées, soit que,
du lac Ngami et du haut Zambèze, ses premières découvertes, il
gagne tour à tour Tocéan Atlantique à Loanda et l'océan Indien à
Quilimané ; soit qu'il s'épuise en efforts infructueux pour faire du
Zambèze la grande voie d'accès de l'intérieur, et explore entre
temps le lac Nyassa au nord do son cours inférieur ; soit qu'enfin,
dans cette troisième expédition dont il ne devait pas revenir, il
croise en tous sens, pendant sept longues années, les pays inconnus
à l'ouest du Nyassa et du Tanganijka, et y découvre une multitude
de lacs et de fleuves lacustres, qu'il s'obstine à rattacher au Nil, alors
qu'ils appartiennent au haut bassin du Congo. Mais, tout en faisant
S52 REVUS PÉDàGOOIQUB
ainsi la part suffisamment large à rhistorique des voyages el à Tana-
lyse des découvertes de son héros, M. Reuss ne perd jamais de vue
le vrai but qu'il s'était proposé, celui de faire comprendre, apprécier
et aimer la noble personnalité et le grand caractère, Vàrac can-
dide et la foi sublime de ce fidèle serviteur de Dieu. Profondément
ému lui-même, il fait passer son émotion dans Tâme du lecteur et
le laisse plein d'admiration en face d'une vertu qui ne s'est pas
démentie un seul jour, à travers les labeurs et les faUgues indi-
cibles, les misères et les dangers sans nombre dun apostolat de
trente ans.
Rien ne serait plus facile que d'appuyer de nombreuses citations
ce que nous venons de dire, et de Livingstone lui-même et de son
biographe. Nous nous contenterons de transcrire quelques ligne»
qu'à un des moments les plus critiques de sa vie, un an avant sa
réunion providentielle avec Stanley, le missionnaire écrivait sur les
feuillets de son carnet de chèques, seul papier dont il disposât dans
la misérable hutte du Manyéma où la maladie le tint confiné pen-
dant trois mois. « Je n'ai rien reçu depuis plusieurs années, sauf
quelques lettres, vieilles de trois ans, que j'ai trouvées à Oujiji.
J'éprouve un désir douloureux d'en finir et j'espère que le Tout-
Puissant me permettra de retourner dans mon pays. Mais je me
remets aux mains de Celui qui dispose des événements. Si je meurs,
je veux tomber en faisant mou devoir, comme un de ses courageux
serviteurs. J'ai toujours eu l'assurance que mes amis voudraient me
voir faire une œuvre complète et c'est un vœu que je partage en
dépit de toutes les difficultés. Mon désir serait de donner à la
jeunesse de mon pays l'exemple d'une persévérance virile. »
11 n'a pas été donné à Livingstone de revoir sa patrie et sa famille;
mais ses deux autres vœux ont été amplement exaucés. Il est
tombé en faisant son devoir, plus que son devoir, et il a laissé à la
jeunesse non seulement de son pays, mais de tous les pays, un exemple
éclatant de persévérance héroïque. Cet exemple est bon à méditer, de
ce côté de la Manche non moins que chez nos voisins. Remercions donc
M. Reuss de l'avoir proposé à la jeunesse française sous une forme
capable de l'enflammer d'une émulation généreuse, et terminons par le
souhait qu'il se trouve dans ses rangs beaucoup d'imitateurs de
Livingstone, capables, sinon de l'égaler, du moins de marcher sur
ses traces. Auguste Himly.
Le livre du soldat français, par le général Champimnet, publié
par M,Marcellin Pellet, dépixié ; Paris, Quantin, éditeur, 1883; 1 vol.
in-12 contenant 72 dessins à la plume, avec portraits de Cham-
pionnet, frontispice, etc. — Le général Championnet est l'un des
plus glorieux parmi les soldats de la première République. Parti
comme volontaire en 1792, il devint gàiéral de brigade en 1793,
puis général de division dans l'armée de Sambre-et-Meuse. En 1798
LA PRESSK ET LES LIVRES bVS
il fut envoyé en Italie, reçut le commandement de l'armée de Rom \
et alla créer à Naples la République parthénopéenne. Après les dé-
sastres de 1799 et la mort de Joubert, il dirigea la retraite des armées
françaises d'Italie qu'abandonnait le gouvernement consulaire ;
atteint du typhus, il mourut à Antibes le 9 janvier 1800. Il n*avflit
que trente-huit ans.
Dans les loisirs du bivouac, 11 avait entrepris de composer un
« recueil de faits héroïques », sous la forme de petits tableaux
dessinés à la plume. Sans être un artiste hors ligne, Championnet
dessinait avec élégance et naturel ; ses croquis sont pleins de vie et
de vérité. Les deux cahiers qui les renferment se trouvent aujour-
d'hui à la bibliothèque de la Chambre des députés. C'est là que
M. Marcelin Pellet a eu la bonne idée d'aller les chercher, pour les
publier en fac-similé, avec une introduction et des notes. « Nous
avons cru, dit-il, faire une œuvre de patriotisme en reproduisant
et en publiant, comme livre d'enseignement civique, ces pages volantes,
reliques d'un artiste et d'un héros. » Championnet lui-mémo avait
indiqué en ces termes, dans une courte préface, la portée et le but
de son travail: « En composant ce recueil de faits héroïques deno<
jours, j'ai voulu mettre sous les yeux du soldat français tout ce qui
peut donner de l'émulation à nos chers camarades et immortaliser
la République. En compoîrant les petits tableaux dont j'ai recueilli
les faits sous mes yeux, je ferai passer le nom de ces braves
républicains à la postérité, et je fournirai aux historiens et aux
peintres des matériaux inépuisables pour retracer les fastes de la
France régénérée et victorieuse. » Ce petit livre respire un souffle
ardent d'enthousiasme républicain : on comprend, en le lisant,
pourquoi les armées de la Révolution ont dû vaincre l'Europe. Nous
souhaitons, comme l'éditeur, qu'il trouve sa place dans toutes h s
écoles, jusqu'au fond du dernier de nos hameaux. Nos enfants
y apprendront, mieux que dans Plutarque, ce que c'est que
l'héroïsme. G.
Petit traité d'économie domestique, d'horticultuhe et d'âgricil-
TURE, à l'usage des jeunes filles suivant les cours des écoles pri-
maires des campagnes, par A . de Lentilhac, fondateur de la ferme-
école de la Dordogne. Ribérac, Jourdain, lib.-édlteur, 1883; 1 vol.
in-i6 de 96 pages. — 11 est bien rare aujourd'hui que des livres de
classe nous viennent des départements ; presque tous sont édités à
Paris, sauf quelques-uns employés dans des congrégations religieuses.
En voici un qui nous arrive d'une petite ville de la Dordogne avec un
titre très propre à attirer sur lui l'attention.
On se plaint, en effet, de plus en plus de la désertion des cam-
pagnes et du manque de bonnes ménagères dans les exploitations
agricoles. Les jeunes filles sans dot de nos villages sont attirées vers
la ville par des gages élevés, par une vie plus douce, et par l'es-
5o4 BBVUB PÉDAGOGIQUE
poir de trouver un mari qui ne les obligera pas à aller travailler aux
champs. Celles qui auront une certaine dot sont élevées le plus
souvent dans des pensionnats, où elles prennent en dégoût les devoirs
de la fermière, les soins du ménage champêtre, et rêvent d'une vie
bourgeoise ou citadine. Elles choisiront pour mari, non un cultivateur
aisé, robuste, actif, mais quelque petit employé, un homme de plume
comme on dit au village. Un riche fermier de la Brio disait plai-
samment, il y a quelques mois, qu'il était fâcheux qu'on n'eût pas
encore découvert une machine à traire les vaches, car les servantes
do ferme deviennent de plus en plus rares.
Si l'on sent le besoin de retenir les hommes aux travaux agricoles,
il faut chercher aussi à détourner les jeunes villageoises des villes,
où elles courent tant de dangers (i), et à les élever pour tenir une
maison de cultivateur.
M. de Lentilhac, fondateur et directeur pendant vlngt-deùx ans de la
ferme-école de la Dordogne, croit que c'est à l'école rurale qu'on doit
préparer les jeunes filles au rôle de ménagère et, dans ce but, il a
composé le petit traité que nous annonçons. Nous regrettons qu'il y
ait adopté la forme de catéchisme avec des réponses qui parfois
tiennent trois longues pages (comme à la page 12) ou même quatre
(page ii). Celte forme par demandes et par réponses ne nous semble
pas admissible pour un ouvrage qui est proprement un livre de lecture
et qui ne doit pas être appris par cœur.
Nous forons un autre reproche au livre de M. de Lentilhac : c'est
de nepis être divisé méthodiquement par chapitres, et de mêler dans
une même réponse des choses trop différentes: par exemple, à la page
1 i, ùla suite de considérations sur la tenue de la basse-cour et sur
l'utilité qu'il y a d'y intéresser la jeune fille en lui abandonnant,
pour former son petit pécule, une part dans les produits, il a donné
une recette pour faire une soupe au lapin, mêlant ainsi la zoo-
technie, l'économie domestique et l'art culinaire. Il conviendrait
aussi (jue l'auteur se montnU plus discret ou plus sobre d'indica-
tions quand il s'agit de remèdes (voir ce qui regarde /'ai7, p. 41).
Ajoutons que le style de ce petit livre n'est pas toujours irrépro-
chable et qu'on y trouve souvent des phrases longues, dont les
membres sont mal agencés, comme à la page 52 où un paragraphe
de deux pages contient trois phrases dont la plus courte a 19 lignés.
L'enseignement élémentaire demande une division plus nette des
matières, et veut que chaque pensée se détache de celles qui ne s'y
rapportent que de loin.
Bien que le livre de M. de Lentilhac soit loin d'être irréprochable
et ne puisse servir que dans les écoles de la Dordogne et des régions
limitrophes, nous avons cru utile de le signaler et d'attirer l'atten-
tion sur une partie trop négligée de l'éducation des filles. Il faut
1) Voir Les femmes de la campagne à Paris ^ par M""" C. de Barrau.
LA PRISSE LT LES UVRES 555
que les instilutrices des écoles rurales se préoccupent de former de
bonnes ménagères et de leur montrer tout ce qui en dépend ; la
cuisine, la laiterie, la buanderie, la basse-cour, Télable, le jardin. Cet
enseignement peut être donné sous une forme attrayante et non
sans une certaine poésie propre à la vie champêtre bien comprise.
B. B.
L'ÉDUCATION ET L'INSTRUCTION considérécs dans leurs rapports avec le
bien-être social et le perfectionnement de Tesprit humain, par
C. Ilippeau, professeur honoraire de faculté. Paris, Delalain frères,
1885, i vol. in-12de xv-3i8 p. — Cet ouvrage, publié environ doux ans
après la mort de Tauteur par les soins de sa respectable veuve, est le
* mémoire qui a obtenu le premier prix sur la question d'éducation
dans le concours ouvert en 1880, en faveur des sciences sociales, par
un généreux philanthrope, Isaac Péreire. On sait que M. Hippeau
avait public peu de temps avant sa mort un recueil des rapports et
discours auxquels la réforme de l'instruction publique avait donné
lieu dans les diverses assemblées de 1789 à 1802, et qu'il avait fait
paraître de 1860 à 1870 d'intéressantes études sur l'état do l'ensei-
gnement aux États-Unis, dans les principaux États de l'Europe,
Allemagne, Angleterre, Italie, Russie, Etats Scandinaves, et en der-
nier lieu dans l'Amérique du Sud (République Argentine).
Comme le dit M. Eugène Talbot dans la courte préface du volume
que nous annonçons, « M. Hippeau a étudié de près et comparé les
divers systèmes pratiqués dans tous les pays du monde, et en môme
temps il a suivi, avec une attention scrupuleuse, et comme par
étapes, les phases ascendantes que l'instruction publique a traversées
en France depuis la Révolution à l'heure actuelle. » Il avait une foi pro-
fonde dans le progrès moral résultant de l'accroissement des lumières,
et il se montre très sympathique à tout ce qui peut contribuer à
rinstruction du plus grand nombre. Il accueille avec joie toute mé-
thode qui s'inspire de ces principes, et il considère surtout comme
un élément de progrès la place plus grande faite aux femmes dans
renseignement. Après avoir exalté, comme on sait, leur rôle dans
les écoles des États-Unis, M. Hippeau préconise en Fiance les écoles
professionnelles dues à l'initiative de M"»« Elisa Lemonnier, comme
il signale le progrès résultant de la création d'une école normale
d'institutrices dans chaque département et l'institution des lycées et
collèges de filles par la loi Camille Sée.
Ce que M. Hippeau souhaite avant tout, c'est que les écoles de tout
ordre préparent des citoyens dévoués aux institutions sorties du
mouvement de 1789, et établissent entre les deux sexes une commu-
nauté d'idées, de discipliné intellectuelle, de connaissances générales.
Sur les voies et moyens d'ordre administratif, ou sur les méthodes,
il est généralement peu précis et reste dans les indications générales.
11 se montre très bienveillant pour tous les novateurs et son éclec-
tisme est poussé parfois un peu loin. 11 n'est point centralisateur et
^36 EKVUB PÉDA60GIÛUK
jaloux des droits de l'État, maïs il entend bien que le système
d'instruction publique soit en harmonie avec les institutions
sociales et politiques et avec l'esprit du temps. U repousse une cen-
tralisation rigoureuse et routinière et demande que les établisse-
ments d'instruction s'inspirent des progrès do la science et secondent
l'activité nationale sous toutes ses formes.
En un mot, ce livre est l'œuvre d'un esprit généreux et il sera lu
avec intérêt par quiconque s'occupe des questions si complexes
de l'éducation nationale. On y trouve une chaleur communicative
qui fait aimer l'auteur et honorer sa mémoire. C'est là ce qu'a
souhaité surtout M*^® Hippeau en poursuivant avec un soin pieux la
publication des dernières pages de son mari. B. B.
Rapport sur les écoles publiques supérieures de jeunes filles
EN Alsace-Lorraine, par une commission de docteurs en médecine,
traduit de l'allemand par ^mi7c /Jot^, Gex, imprimerie Brocard, 4885;
br. in-8® de 56 pages. — On sait combien la question de la surcharge
dans les écoles préoccupe l'opinion publique en Allemagne et en
Angleterre. Le développement de l'enseignement est accusé de
produire chez les élèves un alTaiblissement de la constitution phy-
sique et d'amener au bout de quelques années l'étiolement de la
race. Pour les jeunes filles, la question est d'autant plus grave que
*ia vie est attaquée dans sa source et que la fécondité des mariages
est compromise.
En créant, pour remplacer les pensionnats, des écoles supérieures
de jeunes filles, ne ya-t-on pas accroître encore les dangers résul-
tant d'un travail intellectuel excessif à l'âge où la constitution de
la jeune fille a besoin de soins particuliers? Telle est la question
qui a été soumise par le gouverneur de l'Alsace- Lorraine à une
commission de douze médecins.
Le rapport publié par cette commission a été traduit par M. Emile
•Roth, receveur particulier des finances à Gex, et il mérite d'être
pris en considération par tous ceux qui ont à diriger ou a surveiller
les établissements d'instruction pour les jeunes filles.
Nous en extrayons quelques passages :
{^ Au sujet du besoin de restreindre Je nombre des heures de
-classe et de les couper par des récréations : « A l'école comme à
la maison, il faut que les fillettes soient protégées, à l'égal des
garçons, contre l'excès d'heures de classe et d'heures de travaux
manuels exisfeant la position assise ; il convient de leur donner, à
elles aussi, entre les heures de travail pendant lesquelles elles doi-
vent rester immobiles, une pause de récréation d'égale durée à celle
accordée aux garçons et pendant laquelle elles pourront, autant que
{>ossible9 se mouvoir en liberté; elles devront également, en réci-
tant leurs leçons, se lever et se tenir debout ; on devra tâcher enfin
que l'école elle-mémo leur procure l'occasion de se promener jour-
LÀ PRESSE ET LES LIVRES
837
nellement au grand air, sous la conduite de femmes respectables,
de rafraîchir el de fortifier le corps et Tesprit par des exercices de
gymnastique spécialement choisis par elles, et par des jeux amu-
sants adaptés à la grâce naturelle de la jeune fiUe. »
2"^ Sur là nécessité d'avoir un matériel scolaire adapté à la taille
des élèves : « Les déviations de l'épine dorsale ou bien sont la suite
du rachitisme ou bien elles proviennent de mauvaises postures du
corps adoptées par Thabitude ; dans cette dernière espèce viennent
se ranger les inclinaisons du dos provenant d'habitudes prises, ou
autrement dit les scolioses acquises. Celles-ci sont priHluites principa-
lement par une mauvaise tenue du corps à l'école et sont, par suite,
désignées sous le nom de scolioses scolaires. C'est une infirmité
attaquant de préférence les jeunes fîl!e-i en voie de développement;
les garçons en sont atteints moins souvent.
» Des bancs d'école d'une construction \ Itrîeuse sont l'une des prin-
cipales causes pour lesquelles les enfants, afin de trouver un appui,
recherchent des postures par lesquelles la colonne vertébrale est con-
tournée et prend une inflexion latérale. »
3® Sur les dangers qu'offrent certains travaux manuels :
« Une déviation de la colonne vertébrale est beaucoup moins à
craindre avec les travaux manuels féminins qu'avec l'écriture; mais
on doit redouter bien plutôt, à cause du rapprochement considérable
des yeux sur le travail et do l'inflexion en avant de la tête, l'appa-
riti'Mi d'un côté de la myopie et de l'autre de l'asthénopie Cette
infirmité est causée principalement par l'attention continue provo-
quée par la fixation d'objets de petite dimension, parla lecture d'une
impression très fine, et par des travaux manuels fatigants Tous les
travaux manuels, en général, devraient être exécutas dans des salles
spéciales éclairées très amplement, autant que possible par en haut,
el seulement pendant les heures où la lumière du jour est complète. »
-i*^ Enfin sur le nombre des heures de classe et des heures d'études:
a Les occupations des écolières à l'école doivent, à notre avis,
comporter tout au plus par semaine :
A«iE DES ÉCOLIÈRES
1
NOMBRE D'HEUHKS
PASiBfi:» A LLCULS
y compris
les (nivaux manuels
IIKLUE>
POUit LKd DbVÛUls
1
7 et K ans
18
24
20
28
6 1/2 (!)
() 1/2
6 1/i
6
G
î) ans
10 et il ans
12, 13 el i\ ans
15 el IG ans
(1) Nous croyons que cj chilIVe devrait être diminué do 2 heures pour les
(rjis premiers âges.
558 REVUB PÉDAGOGIQUl
.) 11 y a lieu d'ajouter à cela une heure chaque jour pour les exer-
cices de gymnastique ou pour les mouvements en plein air.
» Il ne pourra être donné, le malin, des devoirs à faire pour Taprès-
midi du même jour. Le dimanche doit rester complètement libre. »
Dans les établissements français, il est bon, plus que jamais,
d'apporter beaucoup de sollicitude sur les prescriptions de l'hygiène
et de veiller à ce que notre population, qui s'accroît si peu, soit du
moins vigoureuse et saine. Z.
Les Mkres des grands hommes, par Maurice Block, 1 vol. in-8\
Delagrave, éditeur, 1885. — Ce volume est un hommage à la femme
p.ir qui les hommes deviennent forts et grands, et par suite les
peuples. « Telle mère, tel fils, » dit l'auteur, et Ton pourrait ajouter
avec lui : « Telles mères, tels peuples. »
Quand tout devient petit, femmes, vous restez grandes,
a dit excellemment le poète dont la mort vient de consacrer Timmor-
talité. L'idée de l'ouvrage qui vient de paraître est vraie et juste.
Quant à l'exécution, elle n'est pas moins digne d'éloges. Pour faire
la démonstration du principe posé, c Telle mère, telle fils », on par-
court les siècles passés, on relit l'histoire des nations anciennes
dans d'intéressantes biographies d'une éloquente simpUcité. Dans
ces lectures, qui ne sont pas de ces historiettes banales avec des
conclusions de bénigne et puérile morale, mais des faits authen-
tiques, sérieux, l'enfant comme le jeune homme peut puiser les
vraies règles de la vie et les immuables lois de la vertu. Des
Gracques à Brizeux, de saint Augustin à Lamartine, de Marc-
Aurèle à Napoléon I", dans tous les pays, chez tous les peuples,
dans toutes les conditions il verra l'influence de la mère. Ce livre
augmentera le respect du foyer qui tend à diminuer, et sera un
excellent sujet de méditations pour la jeunesse de nos écoles.
Encore un mot: Le chapitre des secondes mères prouve bien que
l'ouvrage est un hommage à la femme et démontre son influence
salutaire en matière d'éducation. Que de femmes, tantes ou mar-
raines, ont été de véritables mères pour leurs neveux ou leurs
filleuls et ont donné à la patrie une illustration de plus et une nou-
velle gloire!
J'ajoute en conclusion qu'un exemple récent corrobore l'idée que
l'auteur s'efforce de démontrer dans tout son ouvrage. Victor Husço
était dans son enfance
Si débile qu'il fut, ainsi qu'une chimère,
Abandonné de lous excepté de sa mère.
Vérité, morale, style clair et précis, plan net et juste, telles sont
les qualités du livre, auquel je reprocherai pourtant de n'avoir pas
donné un plus grand nombre d'exemples. L. Mainard.
LA PRESSE ET LES LIVRES 559
Langue allemande.
Du CHOIX d'un métier. — Nous avons eu déjà l'occasion de signaler
un ouvrage (celui de M. de Fragstein) sur le choix des carrières.
Les pédagogues allemands se préoccupent à bon droit de cette ques-
tion, si importante pour les familles, pour les enfants, pour la société.
Trop souvent c'est le hasard, un caprice qui décident, et la vie
entière peut se passer à regretter un choix malheureux sur lequel
il est plus tard difficile, sinon impossible de revenir.
M. Rudolph, directeur d'une grande école dans la ville manufac-
turière et commerciale de Chcmnitz, a été frappé, par ses rapports
avec la population ouvrière, de l'importance du problème qui se pose
aux familles : Que ferons-nous de nos enfants ? 11 vient de publier,
à Wittenberg, un livre qui ne manque pas de valeur, sous ce titre :
Du choix d*une carrière pour nos pis. C'est pour la plus grande part
un recueil de conférences que l'auteur a faites sur ce sujet et qui
ont paru avoir de l'écho.
Dans le choix d'une carrière, dit-il, il y a plusieurs points impor-
tants à considérer: l'éducation préalable de l'enfant, ses aptitudes
personnelles, le développement ultérieur qu'il lui sera possible d'ac-
quérir en vue de la carrière choisie. L'auteur insiste sur la néces-
sité de se décider sérieusement, et pour des motifs réfléchis, sur la
difficulté d'un bon choix. 11 insiste surtout sur la bonne préparation
que l'enfant doit recevoir en vue de son métier, d'abord à la mai-
son, ensuite à l'école. Nous ne pouvons ici analyser ce volume;
nous nous bornons à indiquer les principales questions qui y sont
traitées, parce qu'elles nous paraissent propres à attirer l'attention :
0 Qui doit choisir? A quelle époque ce choix doit-il se faire? Quels
sont les motifs qui doivent déterminer, et quels sont ceux qu'il
convient d'écarter? »
Comme l'avait fait avant lui M. do Fragstçin, l'auteur de ce volume
entre dans de minutieux détails de statistique sur les diffi^rents
métiers, dont il énumère plus de cent, en essayant de mettre en
lumière les avantages, les inconvénients, les perspectives qu'ils
offrent et la préparation qu'ils exigent..
De telles indications ne peuvent que rendre service; elles rentrent
bien, par un certain côté, dans la vocation de l'instituteur, auquel
les parents s'adressent parfois, et pas assez souvent, dans leur
embarras. Le maître n'a pas charge des enfants pendant les heures
de la classe seulement; s'il aime sa tâche, s'il aime ses élèves, il
se préoccupe de ce qu'ils deviendront, il connaît leurs dispositions
et leurs goûts, et il lui est bon d'avoir à sa portée des moyens
d'information propies à éclairer à la fois les enfants et leurs fa-
milles sur les diverses carrières qui s'ouvrent devant eux au sortir
d'école.
560 RSVUB PÉDAGOGIQUE
L'herbartiamsme en Allemagne. — La pédagogie de Taulre côlé
du Rhin est engagée en ce moment-ci dans une lutte assez vive
dont nous ne pouvons pas ne pas entretenir nos lecteurs.
Le monde des instituteurs germaniques, tant de rAUemagne
proprement dite que de l'Autriche et de la Suisse, se partage à
rheure actuelle en deux grandes catégories. D'une part, les disciples
de Herbart, qui se subdivisent à leur tour en deux tendances. Tune
modérée ou libérale, l'autre orthodoxe et intolérante; la première
reconnaissant pour chef le D"" Stoy, la seconde se rattachant au
D"" Zilicr. D'autre part, la grande masse des instituteurs et péda-
gogues qui, pour des raisons diverses, n'ont pasjpris parti pour Her-
bart, et que les fanatiques de ce philosophe traitent de «pédagogues
vulgaires » ou de « simples praticiens ». Ceux-ci se rattachent assez
volontiers ù Frédéric Dittes, l'ancien directeur de l'école normale
supérieure de Vienne et le rédacteur en chef du Pœdagogium, l'une des
meilleures revues pédagogiques allemandes.
Des deux côtés, c'est depuis quelques années un flot intarissable
de brochures, de volumes, d'articles de revues et de journaux. Dittes
conduit la bataille avec une grande énergie; il est vigoureusement
attaqué h son tour, et peu d'instituteurs restent étrangers au con-
flit; ils se croient à peu près tous obligés de se ranger sous Tune
ou raulrc bannière.
Le nom de Herbart (1776-i8iJ) est à peu près inconnu en France;
aussi conimeucerons-nous par dire quelques mots de ce philosophe.
Précepteur en Suisse de 1797 à 1799, il y apprit à connaître Pes-
talozzi, subit sjn influence et recueillit quelques-unes de ses idées.
C'est à Pcstalozzi, par exemple, qu'il a emprunté sa théorie que
Vintuitiou doit élre la base de l'enseignement, il a puisé ses
autres doctrines chez les << Philanthropinistes » et dans les ouvrages
de Niemeyer, principalement dans le livre classique : « Les principes
do réducation et de V enseignement . » Devenu professeur de phi-
losophie à Gœttingue et ta Kœnigsberg, Herbart a fait des
leçons et publié des livres de pédagogie, d'abord peu lus, peu
connus, qui n'avaient pas du tout attiré l'attention du public spécial
de l'enseignement. Dix ans même après sa mort, on pouvait les
croire tombés dans la mer de l'oubli. 11 appartenait à deux maîtres
distingués de les retirer de cette obscurité profonde, et de provoquer
en faveur des idées de Herbart un mouvement considérable.
Voici un court résumé de ces idées — plus fidèle peut-être que
clair:
1. L'éducation repose sur le double fondement de l'éthique ou
nnorale et de la psychologie.
L'éthique propose le but de l'éducation, qui est la formation
chez l'homme d'une volonté morale. *
La psychologie, en tant que doctrine des phénomènes, des lois et
causes de la vie de Tame, indique les voies et moyens pour parvenir
LA PRESSE ET LES LIVRES 561
à ce but. C'est sur les lois psychologiques que doit reposer le
choix des objets et des méthodes d'enseignement.
Nous nous garderons bien d'exposer ici la psychologie de Herbarl,
dont le langage technique et obscur risquerait delTrayer nos lecteurs.
Quant à sa morale, elle comprend cinq divisions, ce qu'il appelle les
cinq idées pratiques : liberté intérieure, perfection, bienveillance,
droit, et équit ;. L'homme de bien est celui qui est fidèle à ces
directions; la pédagogie a pour objet suprême de mettre l'homme
en état do s'y conformer et de lui en inspirer la ferme volonté.
â. L'éducation se divise en trois parties principales : A, le gouverne-
ment (Regieruny)f ou la direction extérieure, la police scolaire;
B, l'enseignement (Unlerricht) ; C, la discipline morale (Zucht), qui
comprend la formation du caractère. — Tout enseignement doit être
éducatif, c'est-à-dire qu'il ne doit pas consister simplement à accu-
muler des connaissances, mais avoir en vue de produire et de
coordonner des idées, d'exciter l'intérêt, de créer le vouloir et de
donner naissance au jugement moral.
3. Un des points cardinaux de la pédagogie de Herbart, c'est sa
doctrine de la multiplicité de l'intérêt (V ielseiligkeit des Interesses),
L'intérêt peut être empirique, spéculatif, esthétique, sympathique,
social et religieux. L'éducateur doit se proposer d'éveiller et de déve-
lopper régulièrement chacune de ces six formes, de façon à ce que
chaque élève trouve dans l'enseignement quelque forme d'intérêt qui
puiî^se l'attacher.
4. Pour parvenir à ce résultat, le maître doit diviser son ensei-
gnement en quatre étapes successives, que nous croyons devoir
indiquer mal^^ré la bizarrerie de la forme. Ce sont : A, la clarté,
qui comprend : a) l'analyse, c'est-à-dîre la préparation à ce qui
est nouveau; 6) la synthèse, c'est-à-dire l'exposition de ce qui
est nouveau: B, l'association, qui rattache le nouveau aux 'choses
déjà connues; C, le système, qui rassemble et coordonne les résultats
obtenus afin d'en constituer un ensemble organisé; Z>, la méthode
ou l'exercice, ou degré de l'application pratique.
La pédagogie do Herbart occupe une place si considérab'e dans
les écrits et les polémiques du jour en Allemagne, qu'il nous a
semblé utile d'en reproduire ici, malgré l'obscurité inévitable d'un
lel résumé, les lignes principales. Longtemps inconnues, médio-
crement appréciées, mémo par plusieurs de ceux qui s'y intéres-
saient, les doctrines de Herbart n'acquirent une véritable notoriété
que par les travaux de Stoy et de Ziller.
Le D^ Stoy fonda à ses frais une école normale à léna en 1843
pour y appliquer ses idées pédagogiques ; il Ta dirigée avec grand
succès jusqu'au commencf^ment de celte année-ci, où il est mort à
l'âge de 70 ans. 11 a formé dans cet intervalle plus de 600 élèves,
placés aujourdhui dans toutes les parties de l'Allemagne et do
l'Autriche. Tojt en prenant pour base de son enseignement la
REVUE PÉDAGOGIQUE 1885. — 1*^ SEV. 3($
560 REVUE PÉDAGOGIQUE
L'herbartiamsme en Allemagne. — La pédagogie de Taulre côlé
(lu Rhin est engagée en ce momenl-ci dans une lutte assez vive
dont nous ne pouvons pas ne pas entretenir nos lecteurs.
Le monde des instituteurs germaniques, tant de rAllemagne
proprement dite que de TAutriche et de la Suisse, se partage à
hieure actuelle en deux grandes catégories. D'une part, les disciples
de Herbart, qui se subdivisent à leur tour en deux tendances. Tune
modérée ou libérale, Tautrc orthodoxe et intolérante; la première
reconnaissant pour chef le D' Stoy, la seconde se rattachant au
1)'' Zilicr. D'aulrc part, la grande masse des instituteurs et péda-
gogues qui, pour des raisons diverses, n'ont pasjpris parti pour Her-
bart, et que les fanatiques de ce philosophe traitent de « pédagogues
vulgaires » ou de « simples praticiens », Ceux-ci se rattachent assez
volontiers ù Frédéric Dittes, l'ancien directeur de l'école normale
supérieure de Vienne et le rédacteur en chef du Pœdagogium, Tune des
meilleures revues pédagogiques allemandes.
Des deux cotés, c'est depuis quelques années un flot intarissable
de brochures, de volumes, d'articles de revues et de journaux. Dittes
conduit la bataille avec une grande énergie; il est vigoureusement
attaqué h son tour, et peu d'instituteurs restent étrangers au con-
flit: ils se croient à peu près tous obligés de se ranger sous Tune
ou l'autre bannière.
Le nom de Herbart (1776-i8il) est à peu près inconnu en France;
aussi commencerons-nous par dire quelques mots de ce philosophe.
Précepteur en Suisse de 1797 à 1799, il y apprit à connaître Pes-
talozzi, subit sjn influence et recueillit quelques-unes de ses idées.
C'est à Pestalozzi, par exemple, qu'il a emprunté sa théorie que
Viniuition doit être la base de l'enseignement. 11 a puisé ses
autres doctrines chez les 4 Philanthroplnistes » et dans les ouvrages
de Niemeyer, principalement dans le livre classique : « Les principes
de réducation et de renseignement, » Devenu professeur de phi-
losophie à Gœtticgue et à Kœnigsberg, Herbart a fait des
leçons et publié des livres de pédagogie, d'abord peu lus, peu
connus, qui n'avaient pas du tGut attiré l'atlention du public spécial
(le l'enseignement. Dix ans mémo après sa mort, on pouvait les
croire tombés dans la mer de l'oubli, 11 appartenait à deux maîtres
dislingués de les retirer de cette obscurité profonde, et de provoquer
en faveur des idées de Herbart un mouvement considérable.
Voici un court résumé de ces idées — plus fidèle peut-être que
clair:
i. L'éducation repose sur le double fondement de l'éthique ou
morale et de la psychologie.
L'éthique propose le but de l'éducation, qui est la formation
chez rhomme d'une \olonté morale. '
La psychologie, en tant que doctrine des phénomènes, des lois et
causes de la vie de Tâme, indique les voies et moyens pour parvenir
LA PRESSE ET LES LIVRES 561
à ce but. C'est sur les lois psychologiques que doit reposer le
choix des objets et des méthodes d'enseignement.
Nous nous garderons bien d'exposer ici la psychologie de Herbarl,
dont le langage technique et obscur risquerait d'ellrayer nos lecteurs.
Quant à sa morale, elle comprend cinq divisions, ce qu'il appelle les
cinq idées pratiques : liberté intérieure, perfection, bienveillance,
droit, et équil ;. L'homme de bien est celui qui est fidèle à ces
directions; la pédagogie a pour objet suprême de mettre l'homme
en état do s'y conformer et de lui en inspirer la ferme volonté.
â. L'éducativ.n se divise en trois parties principales : A^ le gouverne-
jnent (Rcgieruny), ou la direction extérieure, la police scolaire;
B, l'enseignement (Unterricht) ; C, la discipline morale (Zucht), qui
comprend la formation du caractère. — Tout enseignement doit être
éducatif, c'est-à-dire qu'il ne doit pas consister simplement à accu-
muler des connaissances, mais avoir en vue de produire et de
coordonner des idées, d'exciter l'intérêt, de créer le vouloir et de
donner naissance au jugement moral.
,3. Un des points cardinaux de la pédagogie de Herbart, c'est sa
doctrine de la multiplicité de l'intérêt (Vivlseiligkeit des Interesses).
L'intérêt peut être empirique, spéculatif, esthétique, sympathique,
social et religieux. L'éducateur doit se proposer d'éveiller et de déve-
lopper régulièrement chacune de ces six formes, de façon à ce que
chaque élève trouve dans l'enseignement quelque forme d'intérêt qui
puisse l'attacher.
4. Pour parvenir à ce résultat, le maître doit diviser son ensei-
gnement en quatre étapes successives, que nous croyons devoir
indiquer malgré la bizarrerie de la forme. Ce sont : A, Isl clarté,
qui comprend : a) l'analyse, c'est-à-dîre la préparation à ce qui
est nouveau; 6) la synthèse, c'est-à-dire l'exposition de ce qui
est nouveau; B, l'association, qui rattache le nouveau aux 'choses
déjà connues; C, le système, qui rassemble et coordonne les résultats
obtenus afin d'en constituer un ensemble organisé ; D, la méthode
ou l'exercice, ou degré de l'application pratique.
La pédagogie do Herbart occupe une place si considérab'e dans
les écrits et les polémiques du jour en Allemagne, qu'il nous a
semblé utile d'en reproduire ici, malgré l'obscurité inévitable d'un
lel résumé, les lignes principales. Longtemps inconnues, médio-
crement appréciées, même par plusieurs de ceux qui s'y intéres-
saient, les doctrines de Herbart n'acquirent une véritable notoriété
que par les travaux de Stoy et de Ziller.
Le D^ Stoy fonda à ses frais une école normale à léna en 1843
pour y appliquer ses idées pédagogiques ; il Ta dirigée avec grand
succès jusqu'au commencement de celte année-ci, où il est mort à
l'Age de 70 ans. H a formé dans cet intervalle plus de (KK) élèves,
placés aujourdhui dans toutes les parties de l'Allemagne et do
i'Autriche. Tojt en prenant pour base de son enseignement la
REVUE PÉDAGOGIQUE 1885. — 1*^ SE». 36
562 REVUE PÉDAGOGIQUE
pédagogie de Herbart, il a su montrer un esprit large, s'est attaché
à l'esprit plutôt qu'à la lettre, insistant par-dessus tout sur la valeur
personnelle de l'éducateur, plus importante de beaucoup à ses yeux
que celle des méthodes. Ses disciples sont ce qu'on appelle les
herbartiens modérés.
A côté d'eux s'est formée une école d'herbartiens plus rigou-
reux et plus prétentieux. Ceux-ci ont Ziller pour chef. Le D»" Ziller
fonda en 1862, auprès de l'université de Leipzig, un institut pédago-
gique académique (academisches padagogischcs Seminar), avec une école
primaire d'application, ou école annexe. Les auditeurs des cours
étaient moins des étudiants de la faculté des lettres que des
théologiens ou des instituteurs autorisés, après de bons examens,
à suivre les cours de l'Université. Très actif, très ardent, d'une
nature passionnée et intolérante, Ziller a voulu pousser Vherbartianismv
à ses dernières conséquences, lui donner une terme qu'il croyait
définitive et absolue. 11 nous serait difficile ici de donner une idée
exacte de son système, qui nous paraît consister beaucoup plutôr
en formules obscures qu'en idées neuves. Voici du moins ce qui
le caractérise. 11 prétend que le dernier mot de la science pédago-
gique, c'est la concentration de l'enseignement. 11 n'entend pas
par là cette sage méthode des bons maîtres qui cherchent à ratta-
cher, à grouper, à réunir par un lien commun les difTérentes
matières de renseignement, ou à mettre en lumière leurs points de
contact; non, la concentration consiste, pour Ziller, à prendre une
matière quelconque, et à en faire le centre de toutes les autres
branches d'enseignement; aucune d'elles n'a plus d'existence parti-
culière : elles ne sont que les rayons du centre commun plus ou
moins arbitrairement choisi, et ne sont étudiées que dans la mesure
où elles sont nécessaires pour éclairer le sujet principal. Cet objet
central de l'enseignement doit être pris soit dans l'histoire profane, soit
dans l'histoire religieuse, et changer chaque année. Voici le plan
d'études tracé par Ziller. Pour la première année, il avait choisi
douze fables : j)Our la seconde, l'histoire de Robinson; pour la
troisième, l'histoire des patriarches. Les cinq autres années devaient
avoir tour à tour pour étude centrale l'époque des juges d'Israël, celle
des rois d'Israël, la vie do Jésus, l'histoire des Apôtres, et celle de
la lléformation. Ces huit objets répondent selon Ziller aux huit éta-
pes, aux huit degrés de civilisation que l'humanité a traversés jusqu'à
ce jour, et correspondent également aux degrés successifs de déve-
loppement (le renfance pendant les huit années de la vie scolaire.
De six à quatorze ans, dit Ziller, l'enfant parcourt ainsi avec
rapidité toutes les étapes de la vie historique de l'humanité.
Nous n'entreprenons pas de discuter le plus ou moins de valeur
de ces théories. Leur auteur les tenait pour la vérité même, pour le
premier et le dernier mot de la science. En 1808, pour contribuer à
leur propagalion.il fonda la société de la Pe(/a^Of//f scientifique, qui ne
LÀ PRESSE ET LES UVRSS 563
tarda pas?i avoir sa revue particulière. Après la mort de Zîller(1882),
c'est le professeur Th. Vogt, de Vienne, qui en a pris la direction.
Difficile à comprendre, hérissée comme elle est de termes techniques,
écrite dans un langage spécial qui demande une initiation, c'est une
revue plutôt philosophique que pédagogique, qui semble exercer
une assez médiocre influence. En revanche, la Société de pédagogie
scientifique compte un grand nombre d'adhérents, plus de 600, qui
ne semblent pas tous absolument d'accord, et que le D^ Wesendonck
(dans un article du Repertorium aucjuel nous empruntons ces détails)
divise en quatr*i catégories. Ce sont d'abord les simples herbar liens,
fidèles aux doctrines du maître. Ensuite les herbartiens modérés,
comme nous les avons déjà désignés, dont la vénération n'exclut
pas la critique; parmi eux, Stoy et ses élèves. Puis les Zilleriens
ou néo-herbartiens, de la «stricte observance»; c'est le parti militant,
agressif, qui n'admet pas do salut hors de sa chapelle, pas de péda-
gogie en dehors de ses formules. Enfin, il y a, paraît-il, les herbartiens
par mode, par imitation, qui aiment à voir leurs noms inscrits sur
la liste des sociétaires, et se soucient médiocrement de la doctrine.
L'exclusivisme et le langage hautain des disciples de Ziller ont
soulevé depuis longtemps contre eux une antipathie bien compré-
hensible.\ Un herbartien modéré, iM Frœhlich, n'a pas craint de
protester lui-même contre des prétentions et des allures qui lui
paraissaient injustifiées et dangereuses. De quelle mêlée la critique
de Frœhlich a été le signal ! Pendant que les uns reprochaient aux
disciples de Ziller leur esprit exclusif et batailleur, l'obscurité et
les dangers de leurs théories, ceux-ci répondaient par l'expression
(l'un souverain dédain pour ceux qu'ils appellent des dilettantes, des
ignorants, des lêles bornées, etc.
Nous avons déjà nommé le plus considérable des adversaires de
l'école de Herbart: c'est Dittes, qui combat infatigablement dans son
Pœdagogium des prétentions et des doctrines qui lui paraissent com-
promettantes pour une saine pratique de l'enseignement ; il plaide en
faveur du bon sens; il montre que la pédagogie prétendue « scienti-
fique » n'a rien de commun avec la science, puisqu'elle s'appuie non
sur l'observation des faits, mais sur une théorie métaphysique; et
que les quelques vérités qu'elle contient et qu'elle exprime dans un
langage barbare sont de celles que les éducateurs ont toujours
connues et appliquées.
La plus sérieuse défense de l'herbartianisme est présentée par
le D"^ Rein, directeur de l'école normale d'Eisenach, dans son
intéressant recueil Pœd(igogische Studien. Là, des écrivains de valeur,
comme Rein lui-même, Gœpfert, Zillig et autres rompent des
lances en faveur des doctrines de Ziller, expliquent et vantent la
« concentration », repoussent les attaques, portent l'agression sur
le terrain des adversaires.
Les herbartiens, qui ont plusieurs journaux et revues, ont fondé
o64 REVUE PÉDAGOGIQUE
des cercles, font de la propagande, font du bruit, — je crois même
qu'on peut ajouter : font du bien, parce qu'ils attirent l'attention
sur des questions intéressantes, et qu'ils forcent ainsi le personnel
enseignant à réfléchir sur les méthodes d'enseignement, et à sortir
de la routine.
Les conférences pédagogiques, soit d'instituteurs, soit de directeurs
d'écoles primaires supérieures, s'entretiennent de ces sujets, mettent
à l'ordre du jour les doctrines de Herbart-Stoy-ZIller, discutent sur
leurs avantages et leurs inconvénients. Ce serait aujourd'hui ne pas
savoir le premier mot du mouvement pédagogique de l'autre côté
du Rhin que n'être pas au courant de cette graude querelle.
Peut-être ceux qui y prennent part de l'un ou de l'autre côté
s'en exagèrent-ils l'importance. Quand la poussière du combat
sera tombée, on s'apercevra qu'on a disputé beaucoup plus sur des
mots que sur des choses; mais il restera sans doute quelques bons
résultatsacquis, comme à la suite de toute controverse. On s'apercevra
alors que ce qu'il y a de sensé, de rationnel, de pratique dans les
théories des Herbart, des Stoy et des Ziller appartenait déjà au domaine
commun de la pédagogie; et les bizarreries, les étrangetés, les
points peut-être auxquels les disciples convaincus attachent le
plus d'importance, disparaîtront comme ont disparu tant d'autres
systèmes. Un mot qui a souvent été répété dans la lutte pourrait
caractériser assez exactement la valeur de l'école de Herbart: « Ce
qu'elle offre de nouveau n'est pas bon; ce qu'elle offre de bon
n'est pas nouveau. » J. s.
Conférences pédagogiques pour i.e perfectionnement des insti-
tuteurs (Padagogische Vortrdge zur ForthUdunq der Lehrer), par Fr,
IVyssy inspecteur des écoles à Burgdorf (Suisse). Vienne et Leipzi'»,
188 i. — Dans cette brochure, l'auteur se propose surtout de réagir
contre la tendance qui porte encore un grand nombre d'instituteurs
a donner la première place à renseignement au détriment de l'édu-
cation. Pour lui, le but de l'éducation est de former chez les élèves
un mractèi'e à la fois moral et religieux , et tout ce qui se fait dans
l'école doit tendre vers ce but. L'école agit sur l'enfant par l'ensei-
gnement, qui est le plus puissant de ses moyens d'action, par la
discipline et par la vie scolaire.
Toutes les parties de renseignement peuvent aider à la formation
du cœur et de la volonté; cependant les matières qui s'adressent
surtout à la mémoire sont celles qui poSi:èdent le moins d'influence.
La condition essentielle à laquelle doit satisfaire l'enseignement,
c'est de mettr3 en œuvre l'activité personnelle des élèves. En outre,
il doit comprendre un ensemble de connaissances bien liées entre
elles; la langue maternelle sera le lien, le centre commun de tout
renseignement.
L'auteur ne veut pas dans l'école d'enseignement religieux
LA PRESSE ET LES LIVRES S63
confessionnel ; mais il y maintient un enseignement religieux ayant
pour base TAncien et le Nouveau Testament. Il nous semble ici
manquer do logique, car, ainsi compris, cet enseignement ne serait
neutre que vis-à-vis des diverses sectes issues du christianisme et
risquerait fort de ne satisfaire personne.
M. Wyss estime avec raison que le plus efficace des moyens de
discipline, c'est un bon enseignement ; il y ajoute la personnalité et
Texcmple du maître et, ainsi qu*on pouvait s'y attendre, les châti-
ments corporels.
La vie scolaire, c'est-à-dire les relations du maître avec les élèves
et des élèves entre eux, a une extrême importance au point de vue
éducatif. Un bon esprit, qu'on pourrait appeler esprit scolaire, par
analogie avec Vesprit de famille, doit présider à ces relations.
L'auteur demande que Ton se préoccupe davantage d'exciter
l'intérêt des familles pour l'école ; que, dans ce but, on forme dans
toutes les communes des sociétés d'édmation et que l'on répande
dans les campagnes de petits traités populaires d'éducation.
M. Wyss étudie également le rôle de l'Etat et de l'Eglise dans
l'œuvre de l'éducation. Signalons simplement ce qu'il dit de l'in-
fluence de l'Etat. Selon lui, l'Etat contribue beaucoup plus que l'école
à la formation du caractère. Son influence est bonne ou mauvaise
selon que dominent dans la vie publique les principes du droit et
de la liberté ou au contraire ceux du despotisme. Des institutions
libérales sont la condition indispensable du développement du carac-
tère d'une nation.
L'un des chapitres importants de la brochure que nous étudions
est relatif à l'éducation des instituteurs. L'instruction des instituteurs
doit être étendue, mais surtout approfondie. On doit se borner dans
chaque matière à l'essentiel. Pour éveiller chez les élèves-maîtres
le goût du travail, on leur donnera le temps de se livrer à des
études personnelles. Leur éducation professionnelle se fait à l'école
modèle, où ils vont tantôt en qualité d'instituteurs pratiquants,
tantôt en qualité d'auditeurs; chacun d'eux y passe au moins deux
demi-journées par semaine. L'éducation morale des élèves-maîtres
résulte de l'enseignement tout entier, mais surtout de l'exemple
du personnel de l'école normale. A. F.
Langue anglaise.
La fête DE l'arbre AUX Etats-Unis. — Le 23 mars de cette année,
les habitants des diverses villes de l'État de Pensylvanie pouvaient
lire sur les murs de leur cité l'affiche suivante :
^Proclamation de la Fête de l'Arbre.
« Pour encourager systématiquement la plantation des arbres dans
nos diverses communes; pour éveiller et entretenir dans la jeunesse
866 REVUI P£DA606IQUI
le goût de Tétude de la nature et faire connaître la nécessité, le
profit et le plaisir des entreprises agricoles; pour attirer l'attention
publique sur la nécessité de conserver et propager, dans une juste
mesure, les forêts de TEtat, afin d'échapper au péril menaçant de
leur destruction à la légère, et enfin pour appliquer la résolution
conforme de l'Assemblée générale en date du 17 mars 1885 (suit le
texte de la résolution),
» Moi, Robert Pattison, gouverneur de la République de Pensylvanie,
fixe le 16™*^ jour d'avril 1883 pour célébrer dans tout l'Etat *^la FêU
de l'Arbre. Et je recommande ce jour-là au peuple de la République:
i^ de planter des arbres le long des rues et des routes, dans les
parcs et les terrains communaux; 2® de répandre des notions rela-
tives aux arbres, bocages et forôts; et 3° d'encourager la planta-
tion des arbres par tous les moyens. »
Celte proclamation du gouverneur de la PenjsylvaQÎe est la sanction
pratique donnée à une question qui préoccupe sérieusement depuis
plusieurs années les hommes d'Etat et les forestiers des Etats-Unis.
En effet, l'accroissement progressif de la colonisation a amené un
défrichement colossal des Etats les plus riches en forêts, et nous
savons par de récentes expériences quelles sont les conséquences
funestes du déboisement illimité. Mais comment mettre un frein à
ce mouvement destructeur? Quel rempart opposer à cette invasion
de bûcherons et de sapeurs ?
Avec la sagacité et la prcvoyaiice de l'avenir qui n'est pas un des
moins étonnants caractères de ce peuple adolescent, les Américains
ont pensé que la force la plus vive à leuropposer, c'était la jeunesse
des écoles. Et aussitôt tout le personnel des surintendants, des rédac-
teurs de périodiques scolaires s'est mis en campagne pour enrôler
maîtres et écoliers au service de la cause du reboisement. D'abord
on a fait connaître par la voie de la presse les avantages des forêts
et les conséquences funestes de leur destruction. Parmi les avantages,
il en est qui sont connus de tous : ce sont ceux qui touchent au
régime des eaux, à l'hygiène et à l'industrie; mais les Américains
ne sont pas insensibles au côté pittoresque et religieux de la ques-
tion. « Les forêts, dit l'un des apologistes de la mesure, sont un
ornement pour les montagnes; elles protègent les oiseaux aux cou-
leurs et aux chants si délectables; elles invitent à la méditation
philosophique, en nous donnant l'idée de la grandeur et de l'infini
de la nature, et, par la contemplation de ses œuvres les plus nobles,
nous rapprochent du Souverain Créateur! » — De là à instituer
une fête pour la plantation des arbres par la jeunesse, il n'y avait
qu'un pas. On s'est souvenu de certains arbres qui avaient été con-
sacrés par le souvenir des héros de la guerre d'Indépendance, ou
bien d*arbres favoris des poètes ; et on a suggéré aux enfants l'idée
de dédier l'arbuste qu'il plante à tel de ces héros ou bien de ces
écrivains : ainsi l'un plantera en l'honneur do Washington, l'autre de
LA PRESSE ET LES LIVRES o67
Longfellow, tel autre de Liacoln, le grand martyr de la liberté des
esclaves. Le terrain et l'essence des arbres sont choisis, chaque
arbuste rangé d'avance à la place qu'il doit occuper. Au jour fixé,
le maître ou l'institutrice se rend avec son école en cortège sur
place. Apres la lecture d'un psaume et la prière, l'un des élèves
récile un hymne sur les forêts, le maître prononce une allocution
et les enfants se mettent à la plantation. Ensuite, ils forment une
sorte de procession sous la conduite du maître devant chaque
arbre, et là le chef de file procède à un véritable baptême. Une
coupe d'eau à la main, il prononce la formule que voici : « 0
arbre, je te nomme N. (ici il verse la coupe au pied de l'arbre).
Croîs et fleuris pour réjouir les cœurs de génération en génération.
Etends tes rameaux pour ombreiger les corps, pousse les feuilles
pour réjouir les cœurs, — de même que celui dont tu portes le
nom fortifie leur vie par son noble exemple et embellit leur vie par
ses pensées exquises! » La cérémonie se termine par la lecture
d'un texte de Bryant sur la plantation du pommier et par le chant
d'un hymne patriotique.
Et maintenant, deux questions se posent ; D'où est venue cette
idée d'une fête de l'Arbre? quelle en est la valeur pédagogique? Nous
[)ensons que les Américains l'ont empruntée, soit aux Anglais qui
ont conservé la fête de la plantation des Mais et donnent même a
celui qui plante le surnom de « Robin Hood » ; soit à l'usage de nos
Arbres de la Liberté^ qui fut ratifié par un décret de la Convention
du 23 janvier 1791, et renouvelé en 18i8; à ces deux époques il
n'était pas rare de voir le clergé catholique prendre part à la béné-
diction de l'arbre : notre peuple, qui choisissait de préférence des
peupliers, en patois peuples (du latin 'i)opulus)y à cause de cettci
liomonymie, aimait à voir donner une consécration religieuse à ces
symboles de son affranchissement. Mais les Américains, nous l'avons
vu, se sont placés à un point de vue différent, celui de la restauration
des forêts menacées, et ils s'efforcent d'y intéresser la jeunesse, en
rattachant la plantation des arbres aux grands noms delà littérature
ou de leur histoire nationale. Cette idée nous paraît plus heureuse
que notre « statuomanie ». Nous pensons aussi que rien n'est
propre, comme la plantation, à éveiller et développer chez l'enfant
la faculté de prévoyance : un arbre, surtout un arbre fruitier,
planté vaut bien en moyenne un dollar placé à la caisse d'épargne.
Qu'on prenne garde seulement de ne pas tomber dans la vaine
rhétorique, et (ju'on ne laisse pas la fête de l'Arbre dégénérer en
dendrolàtrie ! B.-M.
S66 REVU£ PÉDA606IQUI
le goût de l'étude de la nature et faire connaître la nécessité, le
profit et le plaisir des entreprises agricoles; pour attirer l'attention
publique sur la nécessité de conserver et propager, dans une juste
mesure, les forêts de l'Etat, afin d'échapper au péril menaçant de
leur destruction à la légère, et enfin pour appliquer la résolution
conforme de l'Assemblée générale en date du 17 mars 1885 (suit le
texte de la résolution),
» Moi, Robert Pattison, gouverneur de la République de Pensylvanie,
fixe le 16™« jour d'avril 1885 pour célébrer dans tout l'Etat la Fête
de l' Arbre. Et }e recommande ce jour-là au peuple de la République:
i® de planter des arbres le long des rues et des routes, dans les
parcs et les terrains communaux; 2° de répandre des notions rela-
tives aux arbres, bocages et forêts; et 3^ d'encourager la planta-
tion des arbres par tous les moyens. »
Cette proclamation du gouverneur de la Pensylvanie est la sanction
pratique donnée à une question qui préoccupe sérieusement depuis
plusieurs années les hommes d'Etat et les forestiers des Etats-Unis.
Eu effet, l'accroissement progressif de la colonisation a amené un
défrichement colossal des Etats les plus riches en forêts, et nous
savons par de récentes expériences quelles sont les conséquences
funestes du déboisement illimité. Mais comment mettre un frein à
ee mouvement destructeur? Quel rempart opposer à cette invasion
de bûcherons et de sapeurs ?
Avec la sagacité et la prévoyance de l'avenir qui n'est pas un des
moins étonnants caractères de ce peuple adolescent, les Américains
ent pensé que la force la plus vive à leuropposer, c'était la jeunesse
des écoles. Et aussitôt tout le personnel des surintendants, des rédac-
teurs de périodiques scolaires s'est mis en campagne pour enrôler
maîtres et écoliers au service de la cause du reboisement. D'abord
on a fait connaître par la voie de la presse les avantages des forêts
et les conséquences funestes de leur desti'uction. Parmi les avantages,
il en est qui sont connus de tous : ce sont ceux qui louchent au
régime des eaux, à l'hygiène et à l'industrie; mais les Américains
ne sont pas insensibles au côté pittoresque et rehgieux de la ques-
tion, ti Les forêts, dit l'un des apologistes de la mesure, sont un
ornement pour les montagnes; elles protègent les oiseaux aux cou-
leurs et aux chants si délectables; elles invitent à la méditation
philosophique, en nous donnant l'idée de la grandeur et de l'infini
de la nature, et, par la contemplation de ses œuvres les plus nobles,
nous rapprochent du Souverain Créateur! » — De là à instituer
une fête pour la plantation des arbres par la jeunesse, il n'y avait
qu'un pas. On s'est souvenu de certains arbres qui avaient été con-
sacrés par le souvenir des héros de la guerre d'Indépendance, ou
bien d'arbres favoris des poètes ; et on a suggéré aux enfants l'idée
de dédier l'arbuste qu'il plante à tel de ces héros ou bien de ces
écrivains : ainsi l'un plantera en l'honneur do Washington, l'autre de
LA PRESSE ET LES LIVRES o67
Longfellow, tel autre de Lincoln, le grand martyr de la liberté des
esclaves. Le terrain et l'essence des arbres sont choisis, chaque
arbuste rangé d'avance à la place qu'il doit occuper. Au jour fixé,
le maître ou l'institutrice se rend avec son école en cortège sur
place. Après la lecture d'un psaume et la prière, l'un des élèves
récile un hymne sur les forêts, le maître prononce une allocution
et les enfants se mettent à la plantation. Ensuite, ils forment une
sorte de procession sous la conduite du maître devant chaque
arbre, et là le chef de file procède à un vérilable baptême. Une
coupe d'eau à la main, il prononce la formule que voici : « 0
arbre, je te nomme N. (ici il verse la coupe au pied de l'arbre).
Croîs et fleuris pour réjouir les cœurs de génération en génération.
Etends les rameaux pour ombrïiger les corps, pousse tes feuilles
pour réjouir les coeurs, — de même que celui dont tu portes le
nom fortifie leur vie par son noble exemple et embellit leur vie par
SCS pensées exquises! » La cérémonie se termine par la lecture
d'un texte de Bryant sur la plantation du pommier et par le chant
d'un hymne patriotique.
Et maintenant, deux questions se posent : D'où est venue cette
idée d'une fête de l'Arbre? quelle en est la valeur pédagogique? Nous
pensons que les Américains l'ont empruntée, soit aux Anglais qui
ont conservé la fête de ia plantation des Mais et donnent même à
celui qui plante le surnom de « Robin Hood » ; soit à l'usage de nos
Arbres de la Liberté^ qui fut ratifié par un décret de la Convention
du 23 janvier 179i, et renouvelé en 1818; à ces deux époques il
n'était pas rare de voir le clergé catholique prendre part à la béné-
diction de l'arbre : notre peuple, qui choisissait de préférence des
peupliers, en patois peuples (du latin populus)^ à cause de cetta
liomonymie, aimait à voir donner une consécration religieuse à ces
symboles de son affranchissement. Mais les Américains, nous l'avons
vu, se sont placés à un point de vue dilTérent, celui delà restauration
des forêts menacées, et ils s'eflbrcent d'y intéresser la jeunesse, en
rattachant la plantation dos arbres aux grands noms de la littérature
ou de leur histoire nationale. Cette idée nous paraît plus heureuse
que notre « statuomanie ». Nous pensons aussi que rien n'est
propre, comme la plantation, à éveiller et développer chez l'enfant
la faculté de prévoyance : un arbre, surtout un arbre fruitier,
planté vaut bien en moyenne un dollar placé à la caisse d'épargne.
Qu'on prenne garde seulement de ne pas tomber dans la vaine
rhétorique, et (]u'on ne laisse pas la fête de l'Arbre dégénérer en
dendrolàtrie ! B.-M.
CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
EN FRANCE
KXAMENS d'admission ALX ÉCOLES NORMALES D'INSTITUTEURS ET d'iN-
MiTLTRicES. — Les Candidats aux écoles normales d'instituteurs et
d'institutrices, qui atteindront l'âge dequinzc ans avant le l"oc(obre
prochain, ont été autorisés, par application du décret du 27 juil-
let 1882, à se présenter au concours d'admission.
Le registre d'inscription a été clos le samedi 30 mai dernier, terme
de rigueur.
In. l'ECTION DANS LES ÉCOLES PRIMAIRES SUPÉRIEURES DE PaRIS. — Le
consi'il municipal de Paris a été saisi par un de ses membres,
M. Delabrousse, d'une proposition tendant à la création d*un ser-
vice d'inspection du collège Chaptal et des écoles primaires supé-
rieures de la ville. Pour permettre à l'administration municipale de
se rendre compte d'une manière suivie de Tétat de l'instruction dans
ces établissements, trois postes d'inspecteurs seraient créés, un
pour les lettres, un pour les sciences, un pour les langues vivantes.
Ces délégués ne seraient pas des fonctionnaires, dit l'auteur de la
proposition, mais les auxiliaires honorés de l'administration et du
conseil municipal. Ils seraient choisis parmi les fonctionnaires en
retraite de l'instruction publique, inspecteurs généraux, recteurs,
etc. Ils adresseraient, tous les trois mois, à M. le préfet de la Seine,
un rapport détaillé sur l'enseignement dans les établissements su»-
indiqués.
La commission à laquelle celte proposition a été renvoyée en pro-
pose l'adoption.
Délégués cantonaux. — A l'occasion de la nomination des délé-
gués cantonaux faite pour la période triennale 1885-1887, nous
cri)yons utile de reproduire une note que M. le préfet de l'Indre a
publiée au Recueil des actes de Ja préfecture pour rappeler leurs
attributions.
I>e Conseil départemental de l'instruction publique désigne un ou plusieurs
délégués résidant dans chaque canton, pour surveiller les écoles pubiiques^
et libres du canton, et détermine les écoles particulièrement soumises à la
surveillance de chacun.
Les délégués sont nommés pour trois ans; ils sont rééligibles et révoca-
bles. Chaque délégué correspond, tant avec le Conseil départemental, auquel
il doit adresser ses rapporis, qu'avec les autorités locales pour tout ce qui
regordc l'éiat et les besoi s do l'enseignement primaire dans sa circon-
scription.
CHRONIQUE DE L ENSEIGNEMENT PRIMAIRK EN FRANCE 569
Il peut, lorsqu'il n'est Otis membre du Conseil départemental, assister h ses
séances, avec voix consullaiive pour les aifaiies intéressant les écoles de sa
circonscription.
Les délégués se réunissent au moins une fois tous les trois mois au chef-
lieu de canton, sous la présidence de celui d'entre eux qu'ils désignent, pour
convenir des avis à transmettre au Conseil départemental. [Art. 42 de la loi
du 15 mars 1850.)
Sur la convocation et sous la présidence du sous-préfet, les délégués des
cantons d'un arrondissement peuvent être réunis au chef-lieu de l'arrondisse-
ment, pour délibérer sur les objets qui leur sont indiquée par le préfet ou
par le Conseil départemental. (Art. 46, i/nd.)
Ils donnent leurs avis sur les demandes de créations d'emplois d'institu-
teurs adjoints et d'institutrices adjointes, ainsi que sur toute demande de
création d'école de hameau. (Circulaire du 9 aoiH 1870.)
Le local que la commune est tenue de fournir, en exécution de l'article 37
de la loi organique, doit être visité, avant l'ouverture de l'école, par le délé-
gué cantonal, qui fait connaître au Conseil départemental si ce local convient
pour l'usage auqut-l il est destiné. (Art. 7 du décret du 7 octobre 1850.)
liS doivent faire chaque année, dans la seconde quinzaine de mai et dans
In seconde quinzaine de décembre, un examen détaillé de toutes les écoles
publiques de la circoncription; les résultats de ces examens sont communi-
qués aux inspecteurs de f instruction primaire par le président de la déléga-
tion cantonale. (Cirjnlaire des 3 février 1854 et 16 mai 1855.)
Les délégués ont entrée dans toutes les écoles libres ou publiques de le\ir
circonscription; ils les visitent au moins une fois par mois.
Jls communiauent aux inspecteurs de l'instruction primaire tous les ren-
seignements utilesqu'ilsont pu recueillir. (Art. 45 du décret du 29 juillet 1850.)
Ils font partie des commissions municipales scolaires instituées par la loi
du 28 mars 1882.
Un nrrét de la cour de cassation, en date du 16 avril 185!, reconnaît aux
déli'gués cantonaux le caractère de fonctionnaires publics.
Les délégués cantonaux ont le droit, en visitant les pensionnats primaires
publics cl libres, de se faire représenter le plan du local approuvé par le
Conseil départemental, mentionnant le nombre des élèves admissibles, de)
mailles et des surveillants nécessaires. (Art. 4 et 6 du décret du 30 décembre
18 ')0.)
D ajrèj l'article 11, ils doivent, en visitant les pensionnats publics et
libreâ, se faire représenter le registre des élèves pensionnaires et celui des
mnitres et surveillants.
L(^s personnes chargées de rinspeclion en vertu de l'article 18 de la loi
organique dressent procès-verbal de toutes les contraventions qu'elles recon-
naissent.
Si 1.1 contravention consiste dans l'emploi d'un livre défendu en vertu de
l'article 5 de la même loi, l'ouvrage est saisi et envoyé avec le procès-vorbal
nu préfet, qui soumet l'ail'aire au Conseil départemental. (Art. 42 du décret
du 29 juillet 1850.)
MM. .es délégués cantonaux ont la correspondance en franchise, sous bandes,
moyennant le contre-seing de leur qualité et de leur nom, avec le préfet du
déparlement, le recteur de Tacadémie, l'inspecteur d'académie, les inspecteurs
primaires du département, et, pour l'arrondissement cantonal, avec : les
maires, les curés, les instituteui>s publics, les institutrices publiques et les
directrices de salles d'asile publiques.
La Ligue de l^enseignement de Constantine. — La distribution des^
prix aux élèves qui suivent les cours d'adultes organisés par la
ligue de l'enseignement de Conslanline a eu lieu le 17 mai dernier,
A celte occasion, M. Leroy, président, a prononcé un discours dans-
lequel nous relevons le passage suivant :
570 REVUE PÉDAGOGIQUE
Noos avons pu remarquer^ les années précédentes, que rélément indigène
fournissait un contingent sérieux d'auditeurs assidus à nos cours. Malheareu-
sement, ces jeunes gens, Kabyles pour la plupart, étaient trop au-dessous des
élèves illettrés européens pour participer avec fruit à leurs études. De li,
l'idée de la création d'un cours où les indigènes se trouvant entre eux
[jourraient suivre les leçons du professeur sans que celui-ci fût obligé d'en-
seigner en même temps à des élève? auxouels la connaissance de la langue
franraisf^ donnait un avantage énorme sur les indigènes.
I^ succès obtenu par M. Gros fut merveilleux et démontra combien la
tentative était opportun*». Quelques jours après l'ouverture du cours, il v avait
105 élèves inscrits, assidus ix)ur la plupart, qui venaient donner un éclatant
démenti à ceux nui prétendent que l'élément indigène n'est pas susceptible de
s'améliorer par rinstruclion française et qu'il la repousse avec cette force
d'inertie orientale capable de trio'mpher des tentatives les plus opiniâtres.
Les indigènes se sont empressés à ce cours créé pour eux, et plusieurs
nous ont dit que si l'on pouvait instituer des cours semblables dans le quar-
tier arabe plus de quatre cents élèves les fréquenteraient assidûment .
Nous espérons que la situation améliorée de notre Ligue de Constintine
j)ermettrn, l'hiver prochain, de reprendre ce mouvement généreux en avant,
qui doit contribuer à l'établissement de notre civilisation et en même temps
à Talfermissement de notre domination en Algérie.
\ji Ligue de renseignement s'est engagée dans une excellente voie.
Nous ne pouvons qu'applaudir à ses eflbrls.
Promenades pédagogiques. — Nous lisons dans le Bulletin du Pas-
de-Calais q"e le nouveau règlement adopté pour les écoles primaires
publiques du département décide que les instituteurs et les institu-
trices feront faire à leurs élèves au moins une fols par mois une
promenade pédagogique. Cette promenade doit avoir lieu le jeudi,
l'n compte-rendu en est adressé à l'inspecteur primaire dans les
huit jours.
L'inspecteur d'académie de la Loire recommande également iiu
personnel enseignant de faire, le jeudi, aussi souvent que possible,
des promenades scolaires, soit avec l'elTectif de l'école, soit a>ec
quelques élèves pris parmi les plus méritants. Nous ne pourrions
qu'applaudir aux tentatives qui .seraient faites pour généraliser une
utile institution.
Carte de l'Etat-major. — Pour les promenades scolaires que les
élèves entreprennent sous ia conduite de leurs maîtres, une carte est
indispensable. Aussi jugeons-nous à propos de reproduire la com-
munication ci-dessous insérée dans le Bulletin déjKirteinenlal de la
Haute-Marne:
a Le ministère de la guerre, pour vulgariser la carte d'Etat-niajor»
a lait exécuter des reports sur zinc de quarts de feuilles qui se ven-
dent au prix de dix centimes. Chacune de ces petites feuilles a
0"\iO sur 0°s2") et représente une superficie de Si kilomètres sur
:20. Le bas prix de cette carte la met à la portée de toutes les
bourses. »
CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE EN FRANGE 571
Les bibliothèques muniqpales de Paris en 1885. — Les rensei-
gnements que nous donnons ci- dessous sont extraits d'une brochure
publiée par la préfecture de la Seine :
Les bibliothèques municipales de Paris ont pris, en 1881, un
nouveau développement grâce aux crédits mis libéralement à la
disposition du service par le Conseil municipal, et au concours de la
Direction de renseignement primaire.
Le nombre de ces établissements qui était, au ;U décembre 1883,
de 2 1, est actuellement de 42, et sera de K3 avant la fin de l'année 188.J.
Cette augmentation est la conséquence du principe admis, il y a
quelques années, par le Conseil municipal et ccnsacré dans des
délibérations récentes (31 octobre 1883 et 10 avril 188 i), de créer une
bibliothèque dans chaque quartier, en utilisant ù cet effet les écoles
communales de garçons, dont les locaux sont disponibles le soir.
C'est ainsi qu'on a pu, sans grande dépense, multiplier les biblio-
thèques, de manière à rapprocher le plus possible les livres des lec-
teurs, condition nécessaire pour répandre le goût de la lecture.
L'installation de bibliothèques dans les locaux scolaires a permis
d'employer comme bibliothécaires les instituteurs communaux; les
instituteurs sont, par leurs connaissances acquises, par leur habi-
tude de l'enseignement, éminemment propres à ce genre de fonc-
tions; ils trouvent dans leurs anciens élèves des lecteurs intelli-
gents dont ils sont heureux de continuer l'éducation, à l'aide du
livre, en dehors de l'école.
L'adaptation d'écoles communales à Tusage de bibliothèques n'a eu
que d'excellents résultats et mérite d'être généralisée.
Généralement, les bibhothèqucs municipales ont le double service
de la lecture sur place et du prêt à domicile. Toutefois, par suite
de rinsuiïisance des locaux, ce dernier service existe seul dans quel-
ques bibliothèques.
On remarque chaque année un plus grand empressement du
public à fréquenter les bibliothèques municipales.
Pendant la période écoulée du le»* octobre 1883 au 30 septem-
bre 1881, le nombre des ouvrages lus a été le suivant:
Livres lus sur place 117. 04G
— prêtés à domicile 582.716
ToTAT 099.762
Pendant la période précédente (du 1^^ octobre 1882 au 30 septem-
bre 1883), le nombre des livres lus avait été :
Pour les livres lus sur place 100. 108
— prêtés à domicile .... 407.819
Total ol 1.287
ce qui constitue une augmentation :
Pour la lecture sur place de 9 0/0
— à domicile, de 12 0/0
572 BMrtZ Ft»Afi06IQCB
VA p HT l'ens^mlrfe des serrices, de . . 36 9,0
Ijhn \i\rfti •*:r\^ii aU lectare sar place sont ao
norrihr*: de 40.741 voî.
0;ux senraot au prêt a domicile, aa nombre d«. 81.109 —
Soit un total de 133.850 v.>\
L'année d'îrnîère ce nombre était de 101. 8i5 vo!.
l/au^rmentation est donc de i».025 —
elle provient d'achats ou de dons dans les propor-
tion» .suivant^-» :
Achats. 35.403 vol.
lions 3.022 —
Total égal 29.025 \ol.
!/; choix des livres est fait par des commissions locales; les mem-
hre-i du 0>nseil municipal et de la municipalité de l'arrondissement
en font partie de droit, ainsi que les chefs du service central des
hiblioth(>ques.
La plupart des bibliothèques municipales ont un catalogue imprime
d'jfit un exemplaire esl remis à chaque emprunteur, pour faciliter
son choix et aussi pour faire mieux connaître dans le public les
riche."j8cs souvent ignorées des bibliothèques. »
Association polytechnique des Pykénées-Orientales. — Fondée en
iHV.i houH J(^ patronage do l'Association polytechnique de Paris, cette
(f'uvrc, ({ui a pour but le développement de Tinstruction des adultes des
deux sexcM, a ouvert 30 œurs (2î) pour les hommes et 7 pour les
fomni(;sj fréquenlés par î)ii élèves inscrits et de nombreux auditeurs.
Les rour.H sont divisés eu trois groupes: 1® instruction élémentaire
et secondaire : 2» sciences industrielles et commerciales ; 3^ art musi-
cal. Pendant Tannée scolaire 1883-1884, 23 conférences ont été faites,
en dehors dos cours, sur la littérature, Thistoire, la législation, etc.
(les faits montrent la vitalité de Tassociatlon qui concourt si utilement
nu développement dn l'instruclion dans les Pyrénées-Orientales.
S()(.ii:;tj^: d'éducation et d'instruction populaires des Basses- Pyré-
NllKs. — Il vient de se fonder sous ce nom, à Pau, une association
<iul a pour préiiidonts d'honneur MM. Marcel Barthe, ancien député,
(*t Félix Pécuut, inspecteur général de rinstruclion publique, et pour
président M. Albert Picho, avocat, l'exécuteur testamentaire du regretté
M. Tourasse. Kile a pour but de favoriser le progrès et la didusion
de l'éducation populaire dans le département des Basses-Pyrénées.
« Klle s clTorcora surtout, disent les statuts, de faire naître des cer-
(*leH cantonaux (jui, groupant les hommes de bonne volonté, cher-
cheront à réaliser autour d'eux le progrès social le plus opportun,
par dos institutions cantonales ouvertes à tous : sociétés d*épargne^
CHRONIQUE DE L'ENSEIGNEMENT PRIMAIRE EN FRANCE 573
de secours mutuels, de relraite, caisses des écoles, bibliothèques,
musées cantonaux, associations agricoles, etc. » Cette Société con-
tinuera l'oeuvre entreprise par M. Toureisse, et disposera à cet effet
des ressources qu'il a consacrées par son testament au développeineni
de rinstruction dans le département qu'il habitait. C'est là une ex-
cellente création, dont nous félicitons les initiateurs.
Congrès des instituteurs de sourds-muets. — Le troisième congrès
national des instituteurs de sourds-muets s'ouvrira à Paris, le 4 août
1883, à neuf heures du matin.
Il se tiendra sous le haut patronage de M. le ministre de l'inté-
rieur.
La session durera jusqu'au 6 août inclusivement.
Il y aura deux séances par jour.
Le congrès se réunira à l'Institution nationale des sourds-muets,
234, rue Saint-Jacques.
Le pro^amnne des questions qui seront l'objet des délibérations
de l'assemblée a été définitivement arrêté ainsi qu'il suit :
1. Des moyens à mettre en œuvre pour arriver à Tunilé de mé-
thode.
2. De l'instruction et de l'éducation des sourds-muets arriérés.
3. Dos moyens d'empêcher les communications par signes au
début de l'enseignement, indépendamment de la séparation des
élèves instruits par la parole d'avec les élèves plus anciens qui
auraient été instruits par la mimique.
4. Do Tutilité que pourrait avoir pour des élèves un peu plus
avancés la mise en communication avec des enfants parlants.
5. Quelles sont, par ordre de préférence, les professions ma-
nuelles qui offrent le plus d'avantages aux sourds-muels se trou-
vant dans des conditions ordinaires sous le rapport de Tintelligence
et des force > physiques? Quelles sont celles de ces professions qui
conviennent le mieux aux sourds-muets dont l'intelligence est peu
développée, mais qui jouissent d'une bonne santé? Quelles sont
enfin celles qu'il convient de faire apprendre aux sourds-muets d'une
faible intelligence et d'une santé débile ?
Après la discussion des questions du programme, tout membre
du congrès pourra en soumettre d'autres à l'assemblée. H lui suffira
d'en déposer le texte, dans l'avant-dernière séance, entre les mains
du président qui consultera la réunion sur l'opportunité de les mettre
•en délibération.
L'enseignement public a l'île de la Réunion. — Le dernier rapport
publié par l'inspection académique de la Réunion nous fournit un
aperçu sur la situation de l'enseignement primaire dans la colonie.
Ce n'est pas un document de statistique, mais une sorte de leçon
de pédagogie à l'usage des maîtres. Pour h préparalion des cours.
.j74 uvl'c fédagogiqck
la direction des classes, les rapport:^ eotre les familles et les maîtres,
de sages conseils sont donnés. On pourrait peut-être les tr«*uver
parfois minatieux. Mais il est visible que radministration obéit i
une préoccupation : elle se sait en présence de maîtres pour la plu-
part inexpérimentés et elle pense qu'il «rst bon de ne négliger aucune
recommandation. L'enseignement pêche surtout par Tabsence de
méthode. Jusqu'à ce jour aucune répartition mensuelle uniforme
n'existait pour les différentes matières des cours. Aussi pouvait-on
voir dans une même commune à la même époque des écoles qui,
par exemple, achevaient un C'urs quand celle da côté le commeo-
rait. C':t état de choses va d'ailleurs prochainement cesser. L*admi-
nisl ration se disp' se à faire paraître un programme pour l'emploi
du tenip^ dans toutes les écoles et compte le faire appliquer à la
rentn'M; prochaine. Il serait d»*8irable qu'il fut calqué sur le pro-
gramme métropolitain. L'administration s'efforce d'encourager les
maîtres, de les diriger, de fortifier et d'étendre l'enseignement
renf'Tmtj jusqu'ici dans un cercle assez étroit. Nous ne pouvons que
l;i f»:liriter dT-lre entrée dans cj-lte voie et souhaiter que celte im-
pulsion nécessaire produise à bref délai des progrès sensibles.
Co.NCOLRS DES SOCIKTÉS DE GYMNASTIQUE A BORDEAIX. — M. Go-
blet, mnii.^tre d*t T instruction puhlique, a présidé, à Bordeaux, le
dimanche ii mai, le concours des sociétés de gymnastique.
A midi, les sociétés de gymnastique et de tir, réunissant plus
de trois mille membres, ont défilé avec un ordre et un entrain
admirables devant la préfecture. 1^ cortège s'est ensuite rendu à la
I»iace des (juinconces. où devaient avoir lieu les exercices de gym-
nastique. Les exercices ont été exécutés avec une discipline parfaite
et une entente remarquable des mouvements d'ensemble.
Le soir, un banquet offert par l'Union des sociétés de gynmastlque
et de tir réunissait plus de cinq cents personnes.
Au dessert, plusieurs toasts ont été portés. Répondant à l'un d'eux,
M. le ministre a prononcé un discours dont nous extrayons les
pas>aj;es suivants :
" !.•• ^oiJveriKîriieiil iv|uibli«!.jiii a toujour«î tenu à honneur de se faire repré-
.■^cntcr :i vfi solcnnit/'S Je nie souviens d'avoir assisté, il y a trois ans, à h
tV'ic (le itciiMs; i'> ndmirais (It^jù vos nombreuses sociétés, leur toD ne tenue,
liMir discipline, Viinportanfe et la variété de leuri exercices; je les retrouve
aujourd'hui à votre onzième lète fédérale, à Bordeaux, sinon plus nombreuses,
plus disciplinées et plus exercées encore, et c'est avec une véritable joie
nuire dune émotion patriotique (]ue je con>late la continuité de vos
propres.
.Missieurs, le ministre de l'instruction publique avait )ieot-étre particuliè-
rement qualité pour ctro déléf^ué auprès de vous. La gymnastique fait dé-
sormais |)ariie d(> l'enseignement national. L Etat l'enseigne dans ses écoles ;
il en fait une matière obligatoire. En continuant cet enseignement, eu le
développant parmi la jeunesse, iMîndant le temps où, après avoir quitté les
éliiblissemenls scolain;*», elle se préiKire ou service de l'armée, vous vous
l.iiles les utiles naxiliaires de l'Etat.
CHRONIQUE DE L'£NSEIGN£MEiNT PRIMAIRE EN FRANGE 575
Et combien il m'est agréable d'applaudir à vos efforts et à vos succès, à
moi qui pense que l'Etat ne peut ni ne doit tout faire dans ce monde ; qu'à
part quelques services publics qui doivent lui être eiclusivement réservés,
son rôle dans \i\ plupart des cas est simplement celui d'un initiateur et que
son intérêt même lui conseille de favoriser l'action individuelle ou collective
dea citoyens.
Ainsi vous a^^issez, vous grandissez par votre propre mouvement, et nous,
nous encouraj,'eons vos efforts, heureux de voir qu'il est des tâches communes
pour lesjjuelles le gouvernement et les citoyens peuvent désormais s'unir
sans malentendu, que si les citoyens apprennent à poursuivre librement,
l>ar leurs seules forces, le but qu'ils se proposent, l'Etat cesse de regarder
d'un œil jaloux de semblables entreprises, et, loin de leur faire obstacle^
ne songe qu'à leur venir en aide. »
Prix Halphen. — L'Académie des sciences morales et politiques
avait à décerner cette année le prix triennal fondé par M. Halphen,
et qui doit être attribué « soit à Fauteur de l'ouvrage littéraire qui
aura le plus contribué aux progrès de l'instruction primaire, soit
ù la personne qui, d'une manière pratique, par ses efforts ou son
enseignement personnel, aura le plus contribué à la propagation de
l'instruction primaire ». Le prix a été partagé entre M. Charles
Dei'odon, rédacteur en chef du Manuel général de rinstruction primaire
depuis 1805, ancien professeur à l'école normale d'instituteurs de
la Seine, bibliothécaire du Musée pédagogique depuis la création
de cet établissement jusqu'au mois d'avril 1885, et actuellement
inspecteur primaire à Paris, et M. Félix Hément, délégué dans les
fonctions d'inspecteur général de l'enseignement primaire, auteur
(le divers ouvrages d'enseignement.
Une dispense pontifiCxVLE. — On lit en tête du dernier numéro
(13 juin 1885) do VEducaiion, journal des écoles primaires, parais-
sant chez MM. Poussielgue, l'avis que nous reproduisons^ textuelle-
ment ci-dessous, sans commentaires :
« Avis,
» Nous pouvons aujourd'hui préciser les renseignements que nous
avons donnés sur la question des livres mis à l'index, et qui sont
sur le programme des divers brevets.
» S. Em. le cardinal Guibert a reçu de Rome l'autorisation d'ac-
corder les dispenses nécessaires à toute personne sure et compé-
tente qui en fera la demande. Le même pouvoir a été donné à NN.
SS. les évéques de France.
V Les personnes qui, pour se préparer à l'examen de capacité, ont
besoin d'étudier ces livres, doivent donc en demander la permission
à leur évêque. »
ENSEIGNEMENT PUBLIC EN TUNISIE
Nous apprenons de source certaine que la direction de renseigne-
ment pubÛc en Tunisie a besoin d*un certain nombre de jeunes
instituteurs pourvus du brevet supérieur. Nous engageons ceux de
nos lecteurs qui désireraient aller en Tunisie à adresser, le plus tût
possible, leurs demandes à M. Machuel, directeur de renseignement, à
Tunis, en y joignant toutes les pièces nécef^saires. Les instituteurs dont
les demandes seront favorablement accueillies seront appelés à bref
délai à Fécole normale de Tunis, où un cours de langue arabe leur
sera fait pendant les mois de juillet, d'août et de septembre. A la
fin de ce cours ils i>ubiront un examen à la suite duquel ils seront
classés, puis noni'rés dans des écoles primaires, dans l'ordre de
leur classement. Cos instituteurs seront considérés comme maîti-es
surveillants à l'école normale, et jouiront, dès leur arrivée en Tuni-
sie, d'un traitement annuel de 1,000 francs. Ils seront en outre logés,
nourris et blanchis à 1 école. Nommés clans une école primaire, ils
recevront un traitement de 2,100 francs.
L'abondance des matières nous empêche de
donner ce mois-ci notre « Courrier de l'Extérieur ».
Le gérant : H. Gantois.
IXFlilAlDkil. LL.NTUALr: DE» CHEMi.NS DK FEK. — IMPKIMBHIB CHAI\.
R'F RKROKRF, 90, PARIS. — i 3 iT^l-S.
TABLE DES MATIERES
DU TOME VI ,l)y: LA NOUVELLE SERIE
Pages.
Lettws inédites du P. Girard à M. J.-J. Rapet i . . . 1, 97
De rutilité qu'il y aurait à rendre la connaiâsance du droit populaire,
par M. Emile Acollas 33
A travers les écoles (notes d'un inspecteur), par M^ K. A 36
A propos des musées scolaires 39
Chanson de France ;.La dame de la Roche-Guyon (poésie), par M. Pont-
sevres * 42
Fragment d'un rapport sur une mission en Italie, par M. Henri Le Bour-
yeais , 47
Deux écoles (note d'inspection), par M. G. J 53
L'enseignement primaire à Londres: La Jeivs" FreeSchool, par M. A.
iJartnesteler * 56
Les rapports des chefs d'école avec leurs collaborateurs, par M. Edme
Go(lin 63
La situation de l'enseignement primaire (extraits du rapport lait à la
Chambre sur le budget du ministère do l'instruction publique), par
M. Anlonin Dubosl, député 120
Directeurs et adjoints (note d'inspection), par M. G. J 145
De l'instruction de la femme à la campagne (d'après M"** de Barrau),
par M. A. 5 147
Rapport au Conseil supérieur sur le projet de décret relatif aux titres
de capacité de renseignement primaire, par M. A. Lenient 151
Rapport au Conseil supérieqr sur le projet d'arrêté portant règlement
des examens relatifs aux titres de capacité de l'enseignement primaire,
par M. A. Armbruster 157
Les questions d'enseignement au Tonkin, par M. Paul Bourde .... 193
De la correction d'un devoir à l'examen du professorat des écoles nor-
males (lettres), par M. E, A 203
Les écoles régimentaircs de l'infanterie de marine, par M. A. ^ . . . . 209
Les commissions scolaires, lettre de M. Edmond Dreyfus-Brisac. . . . 220
Conseils pratiques: entretiens d'un directeur d'école avec ses adjoints,
par M. D. C ...'..... 222
L'enseignement des sourds-muets et ses progrès récents, par M. Félix
Bernent 225
Un maître d'écriture au iviir siècle, par U. U. D. '231
Organisation des écoles annexes, par M. A. Hkhard 232
Le registre de Tinspecteur primaire (communication de M. A. Dorgel), 234
De la langue française en Suisse (extrait du Bulletin de VAUiartce fran-
çaise] 236
REVUE PÉDAGOGIQUE 1885. — 1*' SEM. 37
878 REVUE PÉDAGOGIQUE
Pages.
La presse et le projet de loi relatif aux subventions de l'Etat pour instal-
lations scolaires, par M. Alphonse Martin 238
Note sur l'enseignement de la bonne tenue et du savoir-vivre à l'école
normale, par Une maltresse-adjointe 246
Le classement des mots dans notre esprit, par M. A. J9 249
Un abécédaire hérétique, par M. N, Weiss 251
Questions relatives aux examens du brevet de capacité, par M. /. Sion. 252
L'exposition française d'éducation à la Nouvelle-Orléans. 256
Le sentiment du respect, par M. A. Vessiot 289
Poésies, par M. Jean Aicard 299
Les colonies de vacances et les écoles du IX' arrondissement de Paris,
par M. y. G 305
Le cahier de devoirs mensuels, par M. G, Maillé 316
Projet de création d'une école primaire française à Londres, par M, A, B. 321
Rapports sur l'Exposition de Londres, par M. Th.-J, East 323
Les nids des petits oiseaux : douceur envers les animaux (note d'inspec-
tion), par G. y 336
M. Philbrick elles instituteurs américains, par M. L. A 337
La Chanson de Roland comme livre de lecture pour les enfants, par
M. G. Vapereau 340
Deux amis inconnus de l'instruction, par M. E. J 348
Une conférence sur la diction, par M"»' C. Gay 351
Les superstitions du Lot 355
Congrès international d'instituteurs au Havre 356
Éducation de la mémoire, par M. Gabriel Compayré 385
Appel oux mères, à propos des colonies de vacances (poésie), par
Mm* E. de Pressensé 404
Un coin du monde scolaire à Londres, par M. U. D 406
Une acquisition de la bibliothèque du Musée pédagogique, par M. L.
MasseOieau • • • ^^^
A propos du Congrès du Havre 432
Les commissions scolaires, lettre du D' E, Pécaut 433
Les commissions d*examen, lettre de M. ^. Hallberg 438
Les écoles enfantines de Suisse (notes de voyage), par M***C. Lapéry, 440
Les exercices callisthéniques, par M. R. Sabatié 445
Encore les cahiers de devoirs mensuels, par M. A, B 449
Victor Hugo au Panthéon, La Rédaction 481
Léonard et Gertrude de Pestalozzi, par M. /. Guillaitme 486
La circulaire du 30 avril et la réforme des programmes d'enseignement
dans les écoles normales, par M. E. Jaooulet 512
L'école primaire au Salon de 1885, par M. G. D 521
Le livre des Symboles et Emblèmes de Joachim CamerariaS) par M. G. Bonet-
Maury 524
Sur les notices confidentielles, par Un ancien inspecteur primaire. . . 529
Les littératures anciennes et les élèves des écoles normales primaires, par
M. B. Berger ^2
Excursion dans les Vosges, faite par les élèves de l'école Lavolsier, par
M, E. L ^®
TABLE DES MATIÈRES 579
La Presse et les Livres
Les programmes de l'enseignement secondaire; l'enseignement secondaire
français, par M. Charles Bigot (Revue politique et lUléraire)^ p. 68. — Des
principales différences entre les écoles de garçons et les écoles de GUes,
par M. W. Nœldeke {Revue interncUionale de Venseignetnentjy p. 71. —
Méthode pratique de conjugaison française et premiers exercices de rédaction^
de M. P. Wissemans, p. 75. — Cours de dessin des écoles primaires^ cours
supérieur, livre du maître, de M. L. d'Henriet, p. 76. — Compter-rendu du
/X" Congrès de la Société des instituteurs de la Suisse romande^ Genève,
1884, p. 77. — Les savants dHaissés, de M. E. Fréray, p. 79. — Questions
d'enseignement national, par M. Ernest Lavisse (Revue internationale de
l'enseignement), p. 168. — Dubois>Grancé ; la première bibliothèque popu-
laire, par Santhonax (la Justice) , p. 169. — Notions usuelles de droit civil^
de M. J.-B. Chassaing, p. 171. — Le livre de Vélève soldat, de M. Edm.
Pascal, p. 172. — L'avenir visuel des enfants^ de M. Emile Grand, p. 173.
— Le certificat d études primaires, de M. B. Subercaze, p. 173. — Petit
traité d'ornements polychromes, par MM. J. Hâuselmann et R. Rlngger;
Manuel de poche de l'instituteuj pour Renseignement du dessin, de M. J.
Hâuselmann, p. 173. — L'enseignement commerciul en France, par M, Arthur
Mangin (Economiste français), p. 259. — Ljnstruction primaire aux États^
Unis en 1883, de M. Paul Passy (C. D.), p. 260. — La Gymnastique, de
M. CoUineau (E. P.) p. 265. — La vérité sur la gymnastique, de M. Pic*
quart (A. B.), p. 265. — Le livre de l'école, de M. Ch. Lebaigue (H. D.),
p. 266. — Histoire de Charly-sur-Marne, de M. A. Corlieu ^C. D.), p. 267.
— La production agricole en France, de M. Louis Grandcau(A. B.), p. 269.
— Horace Mann, de M. Gaufrés (C. D.), p. 269. — Carnet pour la préparation
quotidienne des leçons^ de M. Chaumeil (A. B.), p. 169. — Manuel d'instruc-
tion nationale, de M. Emmanuel Vauchez (C. D.), p. 358. — L'Histoire de
France racontée par les contemporains, de M. B. Zeller, p. Îfô9. — Les
enfants malheureux, de M. Edouard Siebeclier [C. D.), p. 361. — Manuel
du naturaliste préparateur, à l'usage des instituteurs, de M. P.-A. Dous-
sard ^Z.), p. 362. — La nouvelle galerie de paléontologie au Muséum d'hiS"
toire naturelle, note lue à l'Académie des sciences par M. Albert Gaudry
(G.), p. 362. — Notice sur Arnold Guyot, de M. Charles Faure, p. 363.
— Les pensionnaires de collège chez les Oratoriens de Troyes au xviii* siècle,
de M. (iuslave Carré, p. 451. — Histoire de France, cours élémentaire et
cours moyen, de MM. R. Jalliffier et H. Vast (A. Gazeau), p. 454. — If" • de
Mainlenon institutrice, de M. Emile Faguet, p. 458. — Code manuel des
certificats, brevets, examens et concours de l'enseignement primaire, de
M. Ch. Lhomme (B* B.), p. 459. — De Véducation à técole primaire,
professionnelle, supérieure et normale, de M. Vessiot (A. Beurier),
p. 459. — Cours complet de pédagogie et de méUiodologie^ de M. Th. Braun
(X.), p. 547. — David Livingstone, de M. Rodolphe Reuss (Auguste Uimlv),
p. 550. — Le livre du soldat français, du général Championnet, publié par
M. Marcellin Pellet (G.), p. 552. — Petit traité d'économie domestique,
d'horticulture et d'agriculture, à l'usage des jeunes filles, de M. A. de
Lentilhac (B. B.), p. 553. — L'éducation et linstruction considérées dans
leurs rapports avec le bien-être social, etc., de M. C. Hippeau (B. B.),
p. 555. — Rapport sur les écoles publiques supérieures de jeunes filles en
580 REVUE PÉDAGOGIQUE
Alsace- Lorrainet traduit de l'allemand par M. Emile Rolh iZ.), p. 556. —
Les mères des grands hornme^^ de M. Maurice Block (L. Mainaru), p. o5S.
Langue allemande (J. S.)> — La surcharge des élèves, p. 174. — Soirées
à la campagne, p. 178. — Les sourds-muets, p. 179. — L'ùme du peuple et
l éducation politique de la nation^ du D'' Schraidt-Warneck, p. 180. — Wan-
derungen^ Turnfahrlen und Schiller reisen^ de Théodore Bach, p. 270. —
La place et l'importance de l'école populaire dans la civilisation moderne^ de
M. A. Hackenberg, p. 273. — l^s devoirs à la maison, p. 363. — Le droit
de chAtiment dans les écoles allemandes y de M. A. ToplT, p. 565. — Was
soU der Junge werden? de M. A. von Fragstein, p. 366. — Die Praxis der
Elément arklasse, de M. Robert Werpecke, p. 367. — Gottlwld Ephraim Les-
sing's Svhuljalire^ de M. Schumann, p. 368. — Gotthclf Salzmann et le phi-
lanthropinisme^ de M. Kreyenberg, p. 368. — Une école normale Israélite,
p. 460. — Les épreuves publiques, p. 461. — Les distributions de prix, p. 46:5.
— Le musée pédagogique de Berlin, p. 46V — L'usage des ardoises, p. 465.
— Les classes spéciales pour les enfants peu doués, p. 466. — Le travail
intellectuel est-il une fatigue, p. 467. -— Du choix d'un métier, p, 559. —
L'herbarlianisme en Allemagne, p. 560. — Conférences péilagogiques pour
le perfectionnement des instituteurs, de M. Fr. Wyss (A. F.), p. 564.
Langue anglaise. — Proceedings of the International Conférence on Edu-
cation, London, 1884 (J. G.), p. 276. — La fête de l'arbre (B.-M.), p.. THÔ.
Langues suédoise et norvégienne. — Documents reçus par le Mu-
sée pédagogique, p. 369.
Chronique de renseignement primaire en France.
L'achèvemtînt des maisons d'école, p. 80. — Décret et arrêté du 30 décem-
bre 1884 sur les litres de capacité de l'enseignement primaire, p. 81. —
Les bourses de séjour à l'étranger, p. 84. — Les conférences pédagogique»
à Soissons, p. 85. — Enseignement du dessin, p. 86. — Enseignement de
Tagriculture, p. 86*. — Impôts dus par les instituteurs et par les inslitu-
trices pour les locaux affectés à leur logement, p. 87. — Préparation au
brevet supérieur, p. 87. — Les cahiers de devoirs mensuels, p. 88. —
Transfert du Musée pédagogique, p. 91. — Recenscmenl de la population
scolaire des écoles primaires publiques en 1885, p. 183. — Cliuix de sujets
de composition {)our les différents concours et examens de renseignement
primaire, p. 183. — La direction des petites classes dans les écoles pri-
maires, p. 183. — Récompenses scolaires dans les écoles de Paris, p. 185.
— Congrès international d'instituteurs au Havre, p. 186. — Exposition
scolaire de Montauban, p. 186. — Exposition scolaire de Toulouse, p. 187.
— Conférences pédagogiques, p. 187. — Exercices militaires, p. 188. — Baux
k loyer pour les maisons d'école, p. 188. — Un bon exemple de confraternité,
p. 189. — Nécrologie : M"" Moreau, p. 189. — Un discours de M, Chazal.
p. 189. — Examens pour le certificat d'études primaires supérieures et ré-
sultats en 1883, p. 277. — Les écoles de hameau, p. 277. —Comités de cor-
rection, p. 278. — Les bibliothèques scolaires et populaires, p. 278. —
La bibliothèque scolaire de Saint -Vaury, p. 280. ~ La fipéqaestatioa sco-
TABLE DES MATIÈRES 58i
laire à Vialas, p. 280. — Une « exécution en masse » à Cormicy, p. 280.
— Les élèves hospitaliers du Doubs, p. 281. — Exposition scolaire de
1889, p. 281. — Exposition scolaire de Beauvais, p. 281, -— Exposition
scolaire d'Angouléme, p. 281. — Exposition scolaire agricole à Tours,
p. 281. — Les sourds-muets du Rhùne, p. ^82. — Les sourds-muets do
Curièrc>, p. 282. — Une souscription dans les écoles du Pas-de-Calais,
p. 283. — Les comptes-rendus des conférences pédagogiqi^es, p. 283. —
Le nouveau ministre de l'instruction publique, 31. René Goblet, p. 370. —
L'achèvement des maisons d ecolf>s, p. 370. — Données statistiques sur les
caisses d'épargne scolaires, les caisses des écoles et les sociétés de secours
mutuels des instituteurs, p. 370. — Certificat d'études primaires, p. 371. —
Organisation pédagogique des écoles primaires de Saôiie-et-Loire, p. 371.
Expositions scolaires, p. 372. — Monographies communales, p. 373. —
Cartes communales, p. 373. — Ecole normale d'institutrices de Nantes,
p. 37^. — La Société philomathique de Bordeaux, p. 37i. — Le recrute-
ment des instituteurs, p. 376. — Bibliothèques et livres, p. 376. — Le sou
des bibliothèques scolaire», p. 376. — Exercice de tir, p. 377. — Collection
d'insectes pour les musées scolaires, p. 378. — La Société de secours
mutuels des Baises-P> rénées, p. 378. — Commissions municipales scolaires,
p. 379. — Travaux manuels et charité, p. 379. — Une bonne pensée et une
bonne action, p. 379. — Congrès de la Ligue de l'enseignement et exposition
scolaire à Lille, p. 380. — Réouverture du Musée i)édagogique, p. 380. —
Bibliotlièques populaires des écoles publiques, p. 468. — Les écoles du Creu
zot, p. \jH. — L'exposition scolaire de Lille, p. 469. — Concours d'ensei-
gnement agricole dans la Sarthe, p. 470. — Les bataillons scolaires de la
Charente-Inférieure, p. 471. — Recrutement du personnel enseignant,
p. 471. — \]ne Socicté libliophih à Lucenay-lès-Aix (Nièvre), p. 472. —
Les instituteurs arpenteurs, p. 473. — Les recommandations politiques,
p. 473. — L'Alliance frau(;aise, p. 474. — Examen d'admission aux écoles nor-
males d'instituteurs et d'institutrices, p. 568. — Inspection dans les écoles
primaires supérieures de Paris, p. 568. — Délégués cantonaux, p. 568. —
La Ligue de l'enseignement de Constantine, p. 569. — Promenades péda-
gogiques, p. 570. — Carte de l'Ëtat-major, p. 570. — Les bibliothèques
municipales de Paris en 1885, p. 571. — Association polytechnique des Py-
rénées-Orientales, p. 572. — Société d'éducation et d'instruction populaires
des Basses-Pyrénées, p. 672. — (^lOngrès des instituteurs de sourds-muets,
p. 573. — L'enseignement public à l'île delà Réunion, p. 573. — Concours
des sociétés de gymnasti(|ue à Bordeaux, p. 574. — Prix Halphen, p. 575.
— Une dispense pontiGcale. p: 575.
Enseignement public en Tunisie (ap[)el aux jeunes instituteurs), p. 576.
Courrier de l'Extérieur.
Allemagne. — Mort du D' Kehr et du D' Sloy, p. 190. — Loi sur les pen-
sions de retraite des instituteurs, votée par la Chambre prussienne, p. 475.
- Statistique de l'enseignement des travaux à l'aiguille en Prusse, p. 475.
— Jugements d'un pédagogue allemind sur l'instruction primaire enFrancei
p. 475.
ANGLBTEaRE. — Rapport d'une commission du School Board de Londres sur
382 REVUE PÉDAGOGIQUE
Y overpr assure, p. 92. — Les sept plus grands éducateurs anglais vivants,
p. 92. — Préparatifs faits par l'Union nationale des instituteurs primaires
en vue de la présentation de candidats aux futures élections du Parlement,
p. 284. — V underpressure en opposition à VoverpressurOy p, 381. — Dis-
cours de M. Wild, président de l'Union nationale des instituteurs primairesi
au Congrès de Nor\^'ich, p. 476. — Vote du Congrès de Norwich en foveur
de la création d'un ministère de l'instruction publique, p. 477. — Débat
à la Chambre des communes sur le système du payment Uy resullSy p. 477.
Autriche. — Projet de pétition de la Société Diesterweg en faveur da réta-
blissement des châtiments corporels; attitude négative du ministre, p. 234.
— Conférence des évoques autrichiens à Vienne, p. 477. — Dénouement de
l'incident Rohrweck-Rudigier, p. 478. — Recherches du D' Netoliczka sur
la myopie scolaire, p. 478.
BKLOiorE. — Circulairc concernant le inmlc de répartition des subsides
scolain.*s, p. 93. — Décision du conseil communal de Gand inscri\ant
l'enscignoment de la religion et de la morale au programme des écojiîs
primaires, p. 93. — Publication d'un nouveau programme d'études deiécol«»s
normales, d'un règlement type des écoles primaires communales, et d'un
programme t^pe des écoles primaires communales, p. 190. — Le nou-
veau programme des écoles primaires, p. 285. — L'application de la loi du
20 septembre 1884 ; débats à la Chambre des représent^ints, p. 285.
Bulgarie. — Statistique de l'instruction primaire, p. 381. — Renseignements
statistiques complémentaires, p. 478.
Canada. — Les instituteurs laïques du Bas-Canada et le pape, p. 94.
Chili. — Nomination d'un directeur allemand à l'école normale de Santiago,
p. 288.
Espagne. — Mesures rétrogrades édictées par le ministère conservateur,
p. 190. — Proposition de créer un ministère de l'instruction publique,
p. 288.— Nouvelle loi sur l'instruction publique en préparation, p. 479.
Hollande. — Demande de révision, faite par le {«rti conservateur, de l'article
194 de la constitution, relatif à l'instruction publique, p. 288.
Iles IIawaÏ. — Rapport biennal (1884) sur l'instruction i>ublique, p. 95.
Italie. — Projet de loi sur les traitements et la nomination des instituteurs,
volé par le Sénat avec quelques modifications, p. 95. — Rapport présenté
à la Chambre sur ce projet de loi, p. 192. — Proposition d'une fédération
générale des sociétés pédagogiques, p. 192. — Le projet de loi sur les
traitements et la nomination des instituteurs est définitivement adopté par
la Chambre, p. 288. — Augmentation du nombre des inspecteurs primaires,
p. 288. — Conséquences de la nouvelle loi sur la nomiiuttion des institu-
teurs, p. 479.
RÉPUBLIQUE Argentine. — L'école normale nationale de Parana, p. 328.
TABLE DES MATIÈRES 883
Roumanie. — Statistique do l'instruction publique en 1882-1883, p. 383.
Russii. — Statut des écoles primaires ecclésiastiques, du 13 juin 1884, p. 95.
— Statistique des écoles primaires rurales, p. 9G.
SuissB. — Dépenses pour l'instruction primaire dans le canton de Zurich
en 1883, p. 383. — Pétition des instituteurs de Saint-(iall pour l'abolition
du second examen, p. 384. — Propositions soumises à la Landsgcmeinde de
Glaris, relatives à la fréquentation obligatoire de l'écoic complémentaire ot
à la fourniture gratuite des livres classiques, p. 384. — La Landsgemeindc
de (jlaris rejette la fréquentation obligatoire de l'école complémentaire, et
adopte la fourniture gratuite des livres classiques, p. 479. — Nouvelle loi
sur l'instruction publique discutée par le Grand ('onseil de Genève, p. 480.
Union américaine. — Con^^rès international do pédagogie à la Nouvelle-Or-
léans, p. 'SH^h. — La sci-tioii française d'é<lucatiun à rkxposition internationale
de la Nouvelle-Orléans, p. 480.
IMPKIMIBII CIMTUALI DES CHUINU OB l'KH. — IHPRIMIHII Cil A IX.
HDB BEHUKHB, SO, PABI8. — 14154-5.
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