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SOUVENIRS
d’un
VOYAGE DANS L’INDE
EXÉCUTÉ
I)E 1834 A 1839
PAR
M. ADOLPHE DELESSERT,
PARIS.
FORTIN, MASSON et C'e, I LANGLOIS et LECLERCQ,
1, PLACE DR l’ÉCOLE-DE-MRDECINE. | 81, RUE DE LA HARPE.
MDCCCXLIII.
c
111101
MEMBRE DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES.
©lI'yBA©E EïîSilÊHÏ DE TRENTE" E3HQ PLANCHES.
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'Lsrféond ietvr
BENJAMIN DELESSERT,
O») ION B IR S EME k* OMIT [ITM TT.
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c/u rev/iecf âf c/e /a •recOTWvacj/Zcm.ce
c/e
don,
neveu.
Adolphe DELESSERT.
Voulant donner à ma famille quelques détails sur un
voyage entrepris d’après les désirs et sous les auspices
de mon oncle M. Benjamin Delessert , je n’ai pas la pré-
tention de m’élever à la hauteur d’un voyageur instruit
et possédant toutes les connaissances nécessaires pour
remplir une mission profitable à la science. Je le dé-
clare donc, ce voyage, entrepris pour mon instruction
personnelle, ne peut intéresser que mes parents et mes
amis. Je compte assez sur leur indulgence pour leur
adresser ces souvenirs, écrits sous l’inspiration du
moment.
Les recherches d’histoire naturelle m’ont particuliè-
a
II
rement occupé , et tout ce qui ne s’y rattache pas ne se
trouve qu’accessoirement clans mes notes. Je ne me pose
cependant pas en naturaliste habile , mais bien en voya-
geur zélé dont le but était de s’instruire. J’ai rapporté
des divers pays que j’ai visités des collections nombreu-
ses , composées en grande partie d’espèces connues , il
est vrai , mais rares ; et j’ai été assez heureux pour dé-
couvrir aussi un assez grand nombre d’espèces nouvel-
les. Pensant qu’il pourrait être utile de les publier, j’ai
considéré ce travail comme un devoir, sans prétendre
m’en faire un mérite. Mes collections se composent de
mammifères , d’oiseaux , de reptiles , de poissons , de
coquilles, d’insectes, de plantes et de minéraux. Le
temps que je dérobais à la chasse était toujours employé
à en assurer le succès pour le lendemain ou à préparer
les victimes de la veille. J’étais parvenu , mais non sans
peine , à dresser à ce genre de travail quatre Indiens que
j’avais pris à mon service, et qui me suivaient dans
toutes mes excursions. J’étais aussi accompagné de plu-
sieurs Indiens armés et chasseurs. Ces dispositions
étaient indispensables lorsque je pénétrais dans l’inté-
rieur des terres , loin de toute habitation , souvent à de
grandes distances et pour un temps plus ou moins
long , dans des forêts remplies d’animaux dangereux,
qui nous promettaient d’abondantes récoltes si nous
étions en force pour les attaquer. Ce genre de vie me
plaisait beaucoup : cette existence nomade a ses char-
mes que nulle description 11e peut rendre 5 il faut être
chasseur et naturaliste pour les comprendre et les ap-
précier. Les privations, la fatigue, l’ardeur du soleil,
rien 11e pouvait compenser le plaisir que me procurait
III
la possession d’un objet nouveau. Le plus souvent nous
vivions, moi et ma petite troupe, du produit de notre
chasse. Mes provisions , toujours très-légères à cause
des difficultés du transport dans un pays sans routes
tracées , consistaient en quelques rations de riz et quel-
ques bouteilles de vin et d’eau-de-vie. J’établissais mon
bivac partout où j’espérais d’heureuses rencontres , et
je levais le camp pour explorer d’autres lieux. Les dé-
tails de cette existence sont , je le répète , sans intérêt,
excepté pour ma famille. J’ai dû cependant ne pas les
passer sous silence.
Je dois témoigner ici ma reconnaissance à mon ami
M. le docteur Chenu, conservateur du riche musée
conchyliologique de mon oncle : il a bien voulu se
charger du classement de mes collections et m’aider de
ses conseils et de son expérience pour la rédaction de
mes notes. Je dois aussi le même témoignage à M. Gué-
rin-Méneville , professeur d’histoire naturelle : il a dé-
terminé et décrit toutes les espèces nouvelles de ma
collection. Ce n’est qu’après m’étre assuré du concours
de ces deux collaborateurs que je me suis décidé à pu-
blier la relation de mon voyage.
SOUVENIRS
d’un
VOYAGE DANS L’INDE.
ÎISÆS § âSSSî*
PREMIÈRE PARTIE.
De Paris à Vile de France et à Vile Bourbon.
Parti de Paris le 28 mars 1834 , avec mon ami
M. Perrottet, qui devait m’accompagner à Pondichéry,
j’arrivai à Nantes dans les premiers jours d’avril. En
attendant le départ du trois-mâts le Navigateur , capi-
taine Gauthier, je ne pouvais mieux passer mon temps
qu’à visiter les environs , ni me préparer de plus riants
souvenirs que ceux que laissent les bords de la Loire,
pour modérer un peu , par la comparaison , l’enthou-
siasme qu’inspirent ordinairement les beautés des ré-
gions tropicales. Aussi , après avoir pris le temps né-
cessaire pour mettre mes papiers en ordre et faire
quelques emplettes , je commençai mes promenades. Je
visitai avec beaucoup d’intérêt Clisson , à six lieues de
Nantes. Cette petite ville , bâtie dans une position ravis-
1
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
2
santé, est aussi remarquable par ses souvenirs histori-
ques que par ses constructions modernes , qui contras-
tent singulièrement avec les ruines majestueuses qu’on
y voit encore. La villa Lemot, la Garenne, la villa Va-
lentin, ont particulièrement attiré mon attention. Dans
une des cours de la villa Valentin on nous fit remar-
quer un if, connu dans le pays sous le nom d’ If-anx-
Vic limes ; il rappelle un de ces crimes que l’histoire si-
gnale avec horreur : pendant la guerre vendéenne , à la
place de cet arbre se trouvait un puits très-profond,
dans lequel on précipita une foule d’infortunés, vieil-
lards, femmes et enfants sans défense, qu’on ensevelit
vivants. Que n’a-t-on enseveli en même temps le sou-
venir d’un crime aussi atroce!
Avant de rentrer à Nantes , j’ai visité avec beaucoup
d’intérêt une partie du département du Morbihan, dont
les habitants offrent quelque ressemblance avec ceux du
canton de Fribourg, autant par leur costume que par
leur accent. Je ne sais si cette observation est exacte,
mais elle m’a frappé ; et ce n’est pas sans plaisir que je
crus reconnaître ces costumes, qui me rappelaient tant
de souvenirs d’enfance. Enfin je revins à Nantes , déjà
avec une provision de notes , et je n’avais pas encore
commencé mon voyage. C’est en songeant aux désastres
des guerres civiles qui ont désolé le beau pays que je
venais de parcourir que j’appris, en arrivant à mon
hôtel , qu’on se battait à Paris. Ma première pensée fut
pour ma famille , et l’inquiétude qu’une semblable nou-
velle me causait fut bientôt calmée par celle qui la sui-
vit, et qui annonçait le rétablissement delà tranquillité.
Je fus aussi assez heureux pour recevoir des lettres de
DANS L’INDE.
3
mes parents , et l’une d’elles surtout me lit le plus vif
plaisir : elle me rassurait sur la santé de mon oncle,
que j’avais laissé un peu malade. Quelques détails sur
les événements qui venaient d’affliger Paris ramenèrent
le calme chez moi ; et j’en avais besoin , car je devais
m’embarquer le lendemain.
Je partis pour Paimbœuf le 23 avril , et je me rendis
de suite à bord du navire. J’y couchai , et le lende-
main , à trois heures du matin , il leva l’ancre. Adieu
donc , France ! ce n’est pas sans un certain serrement
de cœur que l’on te perd de vue, que l’on quitte sa
famille et ses amis! Adieu, France! peut-être pour
long-temps !
La brise nous poussa rapidement, et cependant il
nous fallait attendre la mi -marée pour franchir la
barre (1). Le capitaine fit allumer pendant la nuit le
fanal d’avertissement pour éviter l’abordage des nom-
breux bâtiments qui à cette époque se trouvent dans
ces parages. Le lendemain nous avions perdu la côte de
(1) Barre. On désigne sous ce nom la vague qui se roule et se brise
en tout temps à l’entrée de certains fleuves. Ces convulsions de la mer
sont causées par le gonflement des eaux du large , qui se choquent contre
celles qui descendent des rivières et se réunissent sur une espèce de
digue sous-marine étendue à l’entrée du fleuve. Cette digue est ordi-
nairement formée par un amas de pierres , de sable , de débris de nau-
frages accumulés par le cours des eaux du large et du fleuve , qui s’é-
lèvent à une certaine hauteur au point de jonction des eaux , et servent
de lit à leur lutte furieuse. Lorsque la mer est basse on aperçoit quel-
quefois le sommet de cette digue , et c’est alors que la mer s’y ébat avec
moins de violence ; mais les navires qui doivent franchir cette terrible
barrière ne peuvent pas profiter de ces intermittences, puisque l’eaü qui
leur est nécessaire pour flotter par dessus s’est retirée Certaines barres
sont tellement dangereuses à traverser, que la conservation du navire
et l’existence des marins qui le montent sont mises en question dans le
rapide intervalle qui se passe à franchir ce danger. ( Dictionn . de Ma-
rine.)
k
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
vue. Pendant plusieurs jours notre marche ne présenta
rien de particulier. Le 28 nous étions déjà à plus de
cent lieues de Nantes.
Pendant la journée je passais mon temps en conver-
sations avec le capitaine et mon ami Perrottet : quel-
quefois je préludais à des chasses plus importantes en
tirant sur les oiseaux ou des marsouins qui s’appro-
chaient du bâtiment, mais le plus souvent sans succès
sur ces derniers ; je crois cependant en avoir blessé un.
Mes seules victimes furent des alouettes de mer (1) et
une pauvre hirondelle commune (2). En la voyant tom-
ber je me repentis de n’avoir pas fait taire un sentiment
d’amour-propre qu’excitait la présence de quelques per-
sonnes qui se trouvaient sur le pont. Pauvre petite !
elle allait probablement en France revoir la fenêtre hos-
pitalière où son jeune âge respecté ne pouvait lui faire
prévoir une mort si loin de terre et de la main d’un
voyageur qui lui devait protection, et aurait pu , par la
pensée, la charger d’un souvenir pour sa famille.
Pour tromper l’ennui de la traversée , nous ne man-
quions aucune occasion ; et les animaux que nous pou-
vions voir, pêcher, harponner ou tirer, faisaient facile-
ment diversion à nos habitudes, et devenaient un sujet
de conversation. Pendant le voyage nous avons vu trois
ou quatre baleines , et nous avons harponné plusieurs
marsouins dont les matelots faisaient sécher la chair
pour la manger : elle a beaucoup du goût de celle du
(1) Alouette de mer. Bécasseau Cocorli. ( Scolopax africana, Gmelin;
Tringa subarquata, Temminck ; Numenius subarquatus , Bechst. ) — Cet
oiseau habile le littoral des mers qui baignent l’Europe, l’Afrique et
l’Amérique.
(2) Hirondelle commune ( Hirundo rustica de Linné).
DANS L’INDE.
5
chevreuil. J’ai vainement tiré plusieurs coups de fusil
sur une tortue de mer : son écaille, ouverte seulement
pour laisser passer la tête , est assez épaisse pour la
mettre à l’épreuve de la balle. Les matelots ont pris à la
ligne de traîne plusieurs thons , que nous mangions
avec grand plaisir.
Le 10 mai nous étions en vue de l’ile de Madère. La
force du vent nous en éloigna en fort peu de temps,
et, rencontrant les vents alizés (1) qui dominent tou-
jours dans ces parages, nous laissâmes successivement
derrière nous les îles Canaries, la côte du Sénégal et
les îles du Cap-Vert. C’est à la hauteur de ces derniè-
res que nous vîmes pour la première fois des groupes
de poissons volants (2) , un très-grand nombre de mé-
duses (3) et des paille-en-queue (4) ou oiseaux des tro-
( I) Vents alizés. On donne ce nom à des vents qui régnent entre les
tropiques et soufflent régulièrement de l’est à l’ouest. Les bâtiments qui
se rendent aux colonies en quittant les ports de la côte qui borde l’Océan
sur nos parages, en sont favorisés dans leur course; mais, pour revenir,
ils sont forcés de faire un circuit qui allonge leur route. Les vents alizés
sont souvent si faibles dans la zone torride , que les bâtiments s’y trou-
vent pris par le calme; mais, en revanche, ils ne s’élèvent jamais jus-
qu’à la tempête. Quand les navires sont poussés par ces vents , les ma-
rins disent que c’est une navigation de demoiselle. ( Dictionn . de Marine.)
(2) Poisson volant ( Exocetus volitans , Linné, Gmelin). — Ces poissons
voyagent par troupes nombreuses. Le développement de leurs nageoires
pectorales leur permet de s’élever au-dessus des flots et de se soutenir
par un véritable vol pendant un temps très-limité , sans doute , mais
qui cependant leur permet de se soutenir pendant quelques minutes et
de s’élever à la hauteur du pont des grands navires.
(3) Méduses. Animaux rayonnés à corps libre et gélatineux, transpa-
rent , à formes régulières , élégantes , et à couleurs variées et brillantes ;
armés, plutôt qu’ornés, de bras plus ou moins nombreux, flexibles, et
qui donnent à ces animaux un aspect tout particulier.
(4) Paille-en-queue ( Phaeton candidus). Ordre des palmipèdes. Oiseau
remarquable par deux brins ou filets très-longs , formés d’une tige pres-
que nue, garnie seulement de très-petites barbules, et fixés au centre
de la queue , qui est très-courte.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
6
piques. Tous les jours de nouveaux objets attiraient
notre attention. J’ai tiré et blessé un cachalot (4) qui
avait au moins neuf mètres de longueur, et nous avons
pu observer un requin qui nous suivit de très-près pen-
dant plusieurs heures. Un matelot prit à la ligne une
dorade (2) et un petit requin.
Nous approchions de l’équateur, et, pour nous en
prévenir, deux matelots jouèrent des airs de berger sur
une cornemuse : c’était nous annoncer la fête du père
La Ligne. A cette époque nous eûmes un jour de pluie,
et nous fîmes recueillir l’eau du ciel dans des toiles à
voile pour prendre un bain d’eau douce. Le 1er juin
nous étions sous l’équateur. La sévérité du bord fit
place à des scènes de carnaval. Le bonhomme La Ligne
vint nous faire sa visite avec toutes les cérémonies d’u-
sage. Il y eut aspersion générale : c’était à qui nous
donnerait le baptême. Chacun de nous s’y prêta de
bonne grâce ; mais la fête n’en fut pas une pour les
novices. L’eau leur fut prodiguée sous toutes les formes,
ii y eut un feu roulant de plaisanteries qui dégénéraient
en vexations; et, pour terminer la journée, on plongea
les jeunes marins dans une cuve remplie d’eau de mer,
au moment où ils ne pouvaient s’attendre à cette mys-
(!) Cachalot (Physeter sulcaius). Mammifère cétacé. On prendrait ces
animaux pour de petites baleines ; ils s’en distinguent cependant à pre-
mière vue par la fréquence des jets de l’eau qu’ils projettent obliquement
en avant et au bruit qui accompagne cette projection.
(2) Dorade. Fort joli poisson de la famille des scombéroïdes acantho-
ptérygiens. Il peut être considéré comme un des plus brillants habitants
de la mer, dont il dore la surface. L’éclat de l’or est mêlé à celui des
pierres précieuses, et frappe les yeux de mille nuances éblouissantes.
Ce poisson est aussi vorace qu’il est beau et bon. Sa chair excellente
vient faire heureusement diversion au régime du bord.
DANS L’INDE.
7
tification. Cette dernière scène fut la plus risible de
toutes, à cause de la surprise des 'victimes. Tout rentra
bientôt dans l’ordre. Une double ration de vin , accor-
dée à l’équipage , lui fit passer joyeusement la jour-
née. Notre dîner fut aussi , ce jour-là , splendidement
servi : on nous donna, chose assez rare sous la ligne,
une crème fouettée excellente , grâce aux deux vaches
que nous avions à bord , et qui nous ont constamment
fourni de bon lait.
Le lendemain il n’était plus question de fête ; la dis-
cipline ne s’était pas ralentie : elle était restée un jour
à fond de cale pour reparaître sans atteinte. La brise
nous poussa rapidement devant l’île de l’Ascension , et
quelques jours après devant Sainte-Hélène, si féconde
en souvenirs.
Sur un écueil battu par la vague plaintive
Le nautonier de loin voit blanchir sur la rive
Un tombeau près du bord par les flots déposé.
Le temps n’a pas encor bruni l’étroite pierre ,
Et sous le vert tissu de la ronce et du lierre
On distingue. ... un sceptre brisé !
Jamais d’aucun mortel le pied qu’un souffle efface
N’imprima sur le sol de plus profonde trace ,
Et ce pied s’est arrêté là !
Il est là ! Sous trois pas un enfant le mesure !
Son ombre ne rend pas même un léger murmure ;
Le pied d’un ennemi foule en paix son cercueil !
Sur ce front foudroyant le moucheron bourdonne,
Et son ombre n’entend que le bruit motone
D’une vague contre un écueil !
8
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Sire , vous reviendrez dans votre capitale ,
Sans tocsin , sans combat , sans lutte et sans fureur
Traîné par huit chevaux sous l’arche Triomphale ,
En habit d’empereur.
Jamais triomphateurs fameux dans les histoires ,
Jamais lui-même, après ses batailles-victoires ,
D’un peuple universel n’obtinrent plus d’accueil.
Depuis que de la mort l’homme est le tributaire
Jamais jusqu’à ce jour les vivants de la terre
N’ont senti plus de joie en voyant un cercueil.
Ce jour-là , pour le voir, nous étions six cent mille
Six cent mille vivants pour voir passer un mort ;
La vieille Rome , même aux temps de Paul-Émile,
N’exhalait pas si haut son délirant transport.
C’était lui qui planait sur l’Inde et l’Amérique ,
Du centre de son île aux pitons rayonnants ,
Étendait ses deux bras sur les deux continents ;
Exilé de la terre , il avait pour royaume
L’immensité des mers que peuplait son fantôme.
Sous quelque pavillon que le navigateur
Sillonnât ces parages en coupant l’équateur.
Quelque nom qu’il portât sur la poupe et l’étrave ,
Français , Russe , Espagnol , Américain , Batave ,
Anglais même ; sitôt qu’aux lueurs du matin
Se montrait un point noir à l’horizon lointain ,
Dès qu’on voyait surgir dans ce désert humide
DANS L’INDE.
9
Du Pharaon français la grande pyramide ,
Un saint recueillement , un silence profond
De l’un à l’autre bout s’étendait sur le pont :
On croyait voir le spectre , échappé de sa tombe ,
Entre l’onde et le ciel monter comme une trombe ;
L’équipage , saisi d’une froide terreur,
Murmurait en tremblant le nom de l’empereur,
Traduisait son histoire en son grossier langage ,
Et le vaisseau lui-même , avec son lourd tangage ,
Semblait courber le front devant son suzerain.
C’en est fait : votre culte a renversé l’idole ;
L’île qu’illuminait son ardente auréole ,
Sainte-Hélène n’est plus qu’une auberge , un relais ,
Tenus sordidement par des maîtres anglais ;
Napoléon n’a plus son trône maritime ;
Le grand Adamastor est rentré sous l’abîme ;
L’autel reste sans dieu , le prestige est brisé ,
Et le vaste océan est dépoétisé.
10
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Tout le monde connaît les beaux vers que je cite;
ils sont bien l’expression des sentiments qu’éprouve le
voyageur en passant devant Sainte-Hélène. Que pour-
rait-on ajouter aux pensées des deux poètes? Il y a des
souvenirs qu’il serait difficile de bien rendre en prose,
et ceux que ce rocher d’exil inspire sont de ce nombre.
Nous approchions du cap de Bonne-Espérance, et
nous entrions dans la zone tempérée de l’hémisphère
sud. Là notre marche fut ralentie, les vents furent
très-variables. Quelques oiseaux particuliers à ces con-
trées vinrent volt’ger autour du bâtiment. La mer était
mauvaise : je ne pus que les reconnaître; mais, en
nous approchant du Cap, elle se calma , et je pus tirer
quelques pétrels (1) et deux albatros (2), que je tuai.
Un matelot prit à la ligne un damier du Cap, que je
m’amusai à empailler. Nous aperçûmes aussi deux bel-
les baleines , à peu de distance du bord , et un serpent
d’eau d’une grande dimension , comme on en rencon-
tre quelquefois dans l’océan Indien.
Depuis quelques jours le froid s’était fait sentir : le
thermomètre marquait treize degrés. Enfin le 28 juin
nous doublons le Cap avec un fort mauvais temps ,
nous avons à essuyer un fort grain ; et un orage nous
( I) Pétrel ( Procellaria capensis). De l’ordre des Palmipèdes. — Ces oi-
seaux donnent une alarme salutaire aux matelots lorsque , au milieu du
calme , ils viennent voltiger autour du bâtiment et chercher dans les agrès
ou sous la poupe un abri contre les bourrasques , qu’ils ont l’instinct de
deviner, et qui presque toujours ne tardent pas à éclater. Nombre de
fois les navigateurs ont dû leur salut à ces heureux pronostics, plus sûrs
que tous les calculs de la prévoyance humaine. (Drapiez.)
(2) Albatros. Oiseaux de l’ordre des Palmipèdes. Vulgairement nom-
més Moutons-du-Cap ; malgré leur gloutonnerie, qui en fait de vérita-
bles oiseaux de proie. Leur chair est dure et de mauvais goût.
DANS L’INDE.
IL
force à mettre à la cape (1) sous le grand hunier, à
l’entrée du canal de Mozambique. Nous eûmes une
nuit affreuse , éclairée par de nombreux éclairs ; c’était
la première fois que nous avions un si gros temps de-
puis notre départ , au moment d’arriver au but de no-
tre voyage.
Pendant plusieurs jours la mer fut clapoteuse , mais
bientôt nous eûmes un grand calme qui la rendit unie
comme une glace. Nous avions dépassé le méridien de
Madagascar, et nous rentrions sous le tropique du Ca-
pricorne. Le vendredi 10 juillet nous avions atteint le
méridien de l’ile Bourbon ; le 15 nous nous dirigions
vers la pointe nord-est de file de France, que la vigie
signala , et le lendemain , au réveil , nous apercevions
la côte. Elle était verdoyante , se détachait parfaitement
des montagnes du centre de l’île , et présentait un coup
d’œil des plus pittoresques , surtout après quatre-vingt-
un jours de navigation. Cette journée me parut très-
longue : la côte me semblait inabordable. Enfin , un
peu avant la nuit, un pilote vint au-devant de nous, et
nous annonça la visite de la santé (3) , qui le lende-
main devait nous donner libre pratique. Avant de dé-
barquer nous eûmes successivement la visde d’un offi-
cier du Mainville, vaisseau anglais en station ; il s’in-
(1) Mettre à la cape. La cape est l’état où se trouve un navire qu’un
gros temps ou un vent contraire force de dérober la majeure partie de
ses voiles à la tempête, qui les déchirerait et compromettrait le bâti-
ment lui-même. Quand la mer est devenue trop grosse et le vent trop
violent pour continuer à faire route , on serre toutes les voiles excepté
celles sous lesquelles on doit capeyer.
(2) Santé. Députation de la commission sanitaire d’un port pour aller
le long d’un bâtiment qui arrive vérifier, en interrogeant le capitaine
et l’équipage , s’il peut être librement admis dans le port ou s’il doit
être consigné en quarantaine. (Dictionn.de Marine.)
12
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
forma du nombre des passagers et de notre lieu de
départ; la santé vint ensuite, et, après, la police.
Toutes les formalités remplies , nous quittons le Navi-
gateur en entonnant en chœur :
Adieu , mon beau navire
Aux grands mâts pavoises ! etc.
Avec quel bonheur nous retrouvons la terre ! c’est
une jouissance que l’on n’apprécie bien qu’après une
longue traversée. Nous voilà installés dans un hôtel à
Port-Louis , et aussitôt nous nous mettons en courses.
La première visite que nous fîmes fut pour notre cor-
respondant, qui nous donna les meilleures instructions
pour notre séjour.
L’ île de France, nommée d’abord Maurice par les
Hollandais, du nom de Maurice de Nassau, qui la dé-
couvrit en 1598, passa bientôt après sous la domination
des Français, et depuis sous celle des Anglais, après
une capitulation dont la première condition était le
maintien des lois françaises. Lorsque les Français pri-
rent possession de cette île , au dire du voyageur Bau-
din , ce n’était qu’une immense forêt sur un terrain
très-accidenté et coupé par de hautes montagnes. Le
sol est presque entièrement recouvert d’une espèce de
pierres poreuses et tendres qui ressemblent assez au
grès gris de France. Le fer s’y trouve en assez grande
abondance , le climat est chaud , l’air sec et sain , et le
pays serait très-agréable s’il n’était exposé aux oura-
gans les plus affreux.
L’île a d’abord été cultivée particulièrement en cé-
réales, qu’on exportait; mais, depuis, la culture de la
DANS L’INDE.
13
canne à sucre a excité l’émulation des habitants , et
c’est le produit principal de l’ile. Les récoltes ont sou-
vent beaucoup à souffrir des sauterelles et des rats ; on
prétend même que ce sont ces rongeurs qui ont chassé
les Hollandais, qui , depuis ce temps, donnent à cette
île le nom d’ lle-aux-Rals. Le blé, le sucre, le coton
et l’indigo, voilà la richesse du pays. On y trouve
abondamment l’ananas, les oranges, les citrons et les
bananes.
L’ile fournit beaucoup de gibier gros et petit , des
chèvres sauvages; on y trouve des singes, des perro-
quets de plusieurs espèces , quelques oiseaux aux ri-
ches couleurs et de très-grosses chauves-souris , qu’on
mange comme une friandise. Elles sont un peu plus
grosses qu’un pigeon, et, lorsqu’elles sont grasses, on
les préfère au meilleur gibier de File ; leur graisse sert
à préparer les mets.
Le 18 juillet je lis ma première excursion avec mon
ami M. Perrottet , qui récolta un assez bon nombre de
plantes tandis que je le suivais en chassant. J’ai tué
plusieurs oiseaux ; je reconnus parmi mes victimes
deux martins (1) et un bengali (2). Le lendemain je
(1) Martin ( Gracula tristis, Lat. ; Pastor tristis, Temminck). Ces
oiseaux ont beaucoup d’analogie de mœurs avec les étourneaux d’Eu-
rope. Ils font une guerre incessante aux insectes. D’un naturel assez fa-
milier, ils se laissent facilement approcher, se mêlent parmi les trou-
peaux et rendent même service aux animaux sur lesquels ils s’abattent
en les débarrassant de la vermine qui les ronge.
(2) Bengali ( Fringilla Amandava, Bengali piqueté, Amandava). Es-
pèce de moineau assez commun à l’ile de France. Dans son jeune âge,
il est brun sur la tète et le dessus du corps; sa gorge est blanchâtre et
les parties inférieures sont tantôt de la même couleur, tantôt d’un jaune
sale, avec les couvertures des ailes parsemées de points blancs; le bec
est brun et les pieds sont jaunâtres. Dans la saison des amours, le bec,
les pieds, la tète et le dessus du corps sont d’un rouge foncé qui se
SOUVENIRS D’UN VOY/\GE
14
voulus aller voir le jardin botanique des Pamplemous-
ses. Il est à deux lieues de Port-Lou’ s , et Ta route qui
y conduit est ravissante : elle est bordée de jolies mai-
sons de campagne entourées de cocotiers et d’autres
arbres des pays intertropicaux. Arrivés au Jardin-
Royal , nous rencontrâmes le directeur, M. Hummann,
qui fut pour nous d’une obligeance extrême , et nous
lit gracieusement les honneurs de son établissement. Le
jardin a une étendue de cinquante arpents ; il est très-
bien distribué , et l’on y cultive avec succès plusieurs
arbustes de l’Inde et de Java. Nous allâmes visiter la
sucrerie de l’Union , au Bois-Rouge. Cet établissement,
dirigé par un Français , M. Chermont , est fort beau.
Le directeur fut notre cicérone : il nous expliqua avec
une complaisance extraordinaire l’usage de toutes les
machines , et nous fit part d’un perfectionnement qu’il
venait d’apporter dans la fabrication. Jusque-là on
tirait peu de parti des écumes enlevées sur les chau-
dières ; souvent même on les jetait. Pensant qu’elles
devaient contenir encore une assez grande quantité de
sucre , il les lit placer dans des sacs de toile à voile;
et , soumises à l’action d’un pressoir, elles rendirent
assez de sucre pour que cette opération , faite en grand,
vint à donner par jour cinq cenls livres d’excellent
rembrunit sur les pennes alaires et devient noir sur les pennes cauda-
les, dont les latérales ont une bordure blanche. Pendant l’hiver, le des-
sus de la tête , les côtés du cou , le dos et le croupion sont bruns et les
couvertures supérieures de la queue d’un rouge rembruni ; le front , les
joues et le menton sont d’un jaune rougeâtre; le devant du cou est d’un
gris blanc; la poitrine, le ventre et les ailes sont d’un brun foncé. Les
femelles ont la faculté assez singulière d’exprimer leurs désirs par un
ramage moins varié et moins fort que celui du mâle, mais assez agréable.
( Dictionn . d'Hist. nat.)
DANS L’INDE.
15
sucre , que l’on perdait avant son ingénieuse décou-
verte. Il nous dit aussi qu’on évaluait, en moyenne
commune, les exportations de sucre de 60 à 80 mil-
lions de livres. Nous allâmes encore visiter une autre
sucrerie voisine, mais plus importante que la première;
c’est celle de M. Dumée. Pour nous y rendre , nous
traversâmes des champs de cannes'; et M. Perrottet
nous fit remarquer que les terres étaient très-propres à
la culture de la canne , et supérieures même aux plan-
tations de la colonie de Cayenne : mais que , malgré
cette supériorité , les cannes étaient moins belles que
dans cette dernière colonie , parce qu’on n’a pas le soin
d’élaguer les touffes poussées qui absorbent en pure
perte une grande partie des sucs nourriciers de la
plante. La sucrerie de M. Dumée est à quatre lieues de
Port-Louis. Après l’avoir visitée én détail , nous revîn-
mes aux Pamplemousses pour y passer la nuit , me
promettant bien de consacrer toute la journée du len-
demain à visiter la vallée illustrée par Bernardin de
Saint-Pierre : je voulais interroger tous les lieux té-
moins des plaisirs , de la tendresse et des alarmes de
Paul et de Virginie, recueillir un dernier souvenir de
leurs chastes amours , et chercher les traces de leurs
habitations. On m’a montré , près de l’église des Pam-
plemousses, la place où furent enterrés Paul et V irginie
ainsi que leurs mères ; mais on n’y trouve pas la moin-
dre inscription , pas la plus modeste pierre. Leurs ca-
banes sont depuis long-temps détruites, et il est même
impossible de dire précisément le lieu qu’elles occu-
paient dans la vallée. Le souvenir qu’on a de ces in-
fortunés est même si vague que, à part le rocher qui
16
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
domine file d’ Ambre , et où se trouvaient les nom-
breux témoins de la perte du Saint-Géran , on ne peut
pas exploiter la curiosité des étrangers; on n’est pas
même d’accord sur le lieu de leur sépulture. Je n’ai
pas été satisfait de ma promenade, et j’avoue que ce
n’est pas sans désenchantement que j’ai repris le che-
min de Port-Louis. Chemin faisant , j’eus l’occasion de
voir faire la récolte des feuilles du Pandanus odoratis-
simus (1), qui servent à la fabrication des sacs dans
lesquels on expédie le sucre. Pendant notre marche
nous fûmes un instant suivis par une odeur d’ail très-
pénétrante. Ne sachant d’abord à quoi l’attribuer, nous
avancions toujours sur la route , lorsque nous arrivâ-
mes à un endroit où la terre , nouvellement remuée
pour réparation du chemin , nous permit de reconnaî-
tre que cette odeur désagréable était produite par les
racines mises à découvert et coupées du Mimosa Lebbee
et Farnesiana.
Enfin nous arrivons à Port-Louis après nous être
bien fatigués sans dédommagement. Avant de quitter
cette ville , j’ai voulu visiter quelques établissements
remarquables. Ma première visite fut pour l’Observa-
toire. J’eus le plaisir d’y rencontrer l’ingénieur M. Mor-
ton , élève de Loyd : il était occupé à donner le résul-
tat de l’angle horaire aux navires pour régler leurs
chronomètres au vrai temps sidéral par l’observation
du passage d’une étoile au méridien. Parmi les instru-
ments astronomiques précieux qu’il nous fît voir, je
remarquai le cercle du célèbre opticien anglais Trough-
(!) Pandanus odoratissimus ou Baquois odorant.
DANS L’INDE.
17
ton pour observer les astres au zénith ; le cercle de Men-
doza pour les calculs nautiques; un télescope réflecteur
qui donne cinq fois l’image de l’objet, et qui sert de
lunette murale pour les observations astronomiques.
Mais ce qui m’a le plus vivement intéressé, c’est le dep-
ing-ill, instrument dont le célèbre capitaine Cook
s’est servi pour calculer la dépression de l’aiguille ai-
mantée; le chronomètre qui avait servi au capitaine
Parry ; un pluviomètre (1) ; un thermomètre horizontal,
construit de manière à marquer, sans qu’il soit besoin
de rester en observation , les variations extrêmes de la
journée. Un peu de fer, placé dans l’intérieur du tube,
au-dessus de la colonne de mercure , est déposé au point
où celle colonne s’est arrêtée, et c’est à l’aide de l’ai-
mant que cette parcelle de fer est ramenée sur le mer-
cure pour l’observation suivante.
Après avoir visité l’Observatoire, je me rendis chez
M. Théodore Delisle, qui eut la bonté de me faire voir
une superbe collection de poissons conservés dans l’al-
cool et qu’il envoyait à Cuvier. Cette collection, remar-
quable sous tous les rapports, avait été faite avec tant
de soin que M. Delisle avait fait sur papier une pein-
ture exacte de chaque individu vivant ou sortant de la
mer, avant de le confier à l’alcool , qui altère beaucoup
les couleurs , ou , pour mieux dire , qui donne à tous
les poissons qu’on y conserve la même teinte jaunâtre.
Je me félicitai beaucoup de l’emploi de ma journée,
(1) Le pluviomètre est un instrument disposé pour connaître ta quan-
tité de pluie tombée dans un temps donné. Deux auges équilibrées sont
les parties importantes de l’instrument; elles se remplissent et se vident
alternativement, et donnent exactement la mesure de l’eau tombée.
3
18
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
qui se termina au théâtre. Des acteurs français, nou-
vellement arrivés, y jouèrent tant bien que mal la
Muelte de Portici. Mon premier soin du lendemain fut
de porter chez un horloger ma montre à secondes , dont
le ressort s’était cassé pendant que j’étais à bord et
sans cause appréciable. Je parle de ce fait , bien peu im-
portant par lui-même, à cause des observations que
me lit faire l’horloger. 11 me demanda l’époque à la-
quelle je m’étais aperçu de ce petit accident. Mes sou-
venirs le rapportèrent à peu près à l’époque des fêtes
du bord à l’occasion du passage de la ligne. « Je m’at-
tendais à cette réponse , me dit-il ; on croit générale-
ment que les métaux ne se brisent que sous l’influence
d’une basse température; mais je puis assurer que la
dilatation produit le même effet. J’ai reçu, ajouta-t-il,
plusieurs envois de montres et de pendules d’Europe,
et dans chaque envoi j’ai trouvé des ressorts cassés,
sans autre cause que l’action de la forte chaleur. »
Cette observation , sans doute , a dû être faite par d’au-
tres, et je n’en parle ici que parce qu’elle m’intéressa
beaucoup.
Devant m’embarquer le soir même pour l’ile Bour-
bon , je fis mes dispositions de départ ; et , en me ren-
dant à bord du brick qui nous y conduisait, je voulus
visiter le vaisseau anglais le Mainville , de soixante-
quatorze canons , commandé par l’amiral Goor. Ce bâ-
timent , construit à Bombay, est magnifique ; mais on
nous fit remarquer que le bois employé à sa construc-
tion , bois de Theck , quoique fort beau , ne convient
pas aux navires de guerre, et qu’il n’est généralement
employé que pour les bâtiments marchands, parce qu’il
DANS L’INDE.
19
éclate au boulet plus que les bois qu’on lui préfère,
quoique moins durables et moins beaux.
Enfin me voilà de nouveau en mer, mais c’est pour
une courte traversée; car nous avons à peine quitté
Maurice que nous apercevons l’ile Bourbon. Nous avions
à bord , comme passager, le maître de pêche du balei-
n:er nantais l’Alhéndis , qui ava't fa t avarie si forte en
talonnant près des îles Marion, qu’il fut condamné à
son arrivée à Port-Louis. Je me suis amusé à dessiner
sous voiles la vue de la côte sud-ouest de l’île , à trois
lieues de terre, depuis le volcan jusqu’à Saint-Denis.
La côte, quoique moins belle que celle de l’ile de
France, est cependant remarquable : elle permet d’a-
percevoir d’immenses champs de cannes à sucre, qui
ne cessent qu’au pied des hautes Salazes, montagnes
qui dominent les collines dont File Bourbon est héris-
sée de tous côtés. C’est surtout depuis la pointe du
Quartier -des -Français jusqu’à la Rivière -des- Pluies
que la côte est verdoyante. En passant devant le fort
Sainte-Marie nous saluons le pavillon tricolore, hissé
pour les fêtes de juillet, et avant la nuit nous mouil-
lons en rade de Saint-Denis , après deux jours de tra-
versée, au milieu de sept navires français déjà au
mouillage. La visite indispensable de la santé , celle de
la douane, une fois faites, nous allâmes nous établir
dans un hôtel.
Notre première visite fut pour le jardin botanique,
dirigé par M. Richard , ami de mon compagnon de
voyage, et qui avait précédemment dirigé un établis-
sement du même genre au Sénégal. Pendant la journée
nous allâmes sur le Barachois voir mouiller la corvette
20
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
de l’État la Nièvre , qui arrivait de Madagascar. A bord
de ce bâtiment se trouvait M. Bernier, médecin français
fort instruit , attaché à la direction des hôpitaux de
Bourbon et de Madagascar. 11 eut la bonté de nous don-
ner de grands détails sur son dernier voyage, nous
parla de la race des Ovas , des mœurs des Malgaches
et de la dernière expédition faite contre eux par les
Français. Il nous assura que Madagascar, dont on dit
le séjour si funeste aux Européens , n’est dangereuse
et malsaine que dans la partie sud-est , où l’on trouve
d’immenses marais environnés d’épaisses forêts pres-
que impénétrables. Mon séjour à Saint-Denis fut très-
court , et , grâce aux connaissances de mon ami M. Per-
rottet , on nous accorda le passage de Bourbon à Pon-
dichéry sur la corvette la Nièvre, que nous avions vue
arriver. Nous allâmes faire notre visite au commandant
et aux officiers du bord , et nous apprîmes que le dé-
part était fixé pour le 10 août. Ce bâtiment emmenait
à Pondichéri deux cents Telingas ou Indiens parias
dont on était très-mécontent dans la colonie de Bour-
bon : c’était une cargaison de fort mauvaise compagnie,
qui s’était distinguée à Saint -Denis par l’adresse la
plus subtile pour voler ; et cet exemple avait malheu-
reusement été suivi avec trop de succès par les indigè-
nes. . Mon séjour à Bourbon fut de trop courte durée ;
je le regrette beaucoup, car c’est à peine si j’ai pu vi-
siter Saint-Denis et les environs.
L île Bourbon fut découverte en 1545 par un Portu-
gais nommé Mascarenhas , et on la désigna long-temps
sous le nom de Mascareigne. D’abord occupée par les
Portugais , elle fut abandonnée, et passa au pouvoir des
DANS L’INDE.
21
Français, qui en firent un lieu de déportation. Prise
par les Angla:s le 3 décembre 1810, elle ne fut rendue
à la France que le 2 avril 1815 en exécution du traité
de Paris.
Saint-Denis, chef-lieu de la colonie, est situé sur le
bord de la mer et au nord de l’île. Cette ville se com-
pose d’un millier de maisons occupées par douze mille
habitants. On n’y trouve aucun édifice remarquable,
même parmi les monuments publics. La plupart des
maisons sont en bois et placées chacune au centre
d’un jardin ou enclos carré dont les murs alignés for-
ment des rues. On appelle une habitation ce qu’en
France nous désignons sous le nom de ferme quand il
s’y trouve une petite maison de maître.
La valeur moyenne d’un esclave est de 1,500 francs;
son travail pendant un an est estimé à environ 500 francs ;
sa nourriture, composée de riz, de maïs et de manioc,
peut valoir 120 francs, et son habillement 15 francs.
Les esclaves travaillent, pendant la saison des récoltes
seulement, de cinq heures du matin à sept heures du
soir; ils prennent deux heures pour leurs repas : il y
a douze heures de travail régulier pendant deux mois
de l’année consacrés aux récoltes. Quelques maîtres
ajoutent à la nourriture de leurs noirs des légumes
frais , de la viande ou du poisson salés.
Les grandes habitations , qui comptent de nombreux
esclaves , ont habituellement une infirmerie , qui est
sous la direction supérieure de la maîtresse de la mai-
son , qui, il faut le dire, remplit généralement sa
mission avec bonté, et cherche à rendre moins pénibles
les douleurs de ces malheureux.
22
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Parmi les punitions qu’on leur inflige , les plus dures
sont le fouet et la chaîne; et l’on remarque avec plaisir
que le nombre des maîtres qui maltraitent leurs escla-
ves diminue chaque jour, et que, en attendant l’éman-
cipation qui sera l’honneur du siècle, un grand nom-
bre de p’anteurs, poussés par un sentiment d’humanité
bien naturel , cherchent à améliorer la position d’hom-
mes qui ne sont dégradés que par l’esclavage et les
mauvais traitements de leurs oppresseurs. Chez eux
l’affection et le dévouement sont des qualités qu’on ne
conteste pas, mais qu’on n’apprécie qu’à titre d’in-
stinct. Chez eux les vices dont nous avons malheureu-
sement d’aussi nombreux exemples dans les pays les
plus civilisés , et qui sont toujours le résultat d’une
dégradation morale , trouvent peut-être une excuse dans
l’abrutissement qu’on leur impose et dans la faiblesse de
leur caractère, qui se plie à une domination dont ils
pourraient triompher s’ils savaient détourner un instant
l’emploi de leurs forces et de leur intelligence du ser-
vice de leurs maîtres.
Cette liberté dont nous sommes si liers est la source
de nos progrès; c’est elle qui enfante nos merveilles :
faut-il que ce soit elle aussi qui nous donne les moyens
d’enchaîner une partie de la population du globe !
Je n’ai rien vu de plus déchirant qu’une vente d’es-
claves : ils osent exprimer leur joie s’ils sont achetés
par un maître connu par sa bonté, et ils savent mal
dissimuler leur chagrin s’ils deviennent la propriété
d’un homme dur et méchant. Les liens les plus chers
sont brisés en un instant : le père est cruellement sé-
paré de ses enfants et de leur mère, qui a souvent la
DANS L’INDE.
23
douleur de voir disséminer sa petite famille, sa seule
et unique consolation. Je ne m’arrêterai pas plus long
temps à ces réflexions pénibles ; elles m’ont trop occupé
pendant mon voyage , et je n’ai cessé de faire des vœux
pour l’émancipation de tant de malheureux dignes d’un
meilleur sort. Je dois ajouter cependant que la colonie
de hourbon se fait remarquer par l’humanité des maîtres
envers les noirs , et que ces derniers y sont générale-
ment bien traités.
24
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
De l’Ue Bourbon à Pondichéri.
Je m’embarquai le 10 août sur la corvette la Nièvre,
pour me rendre à Pondichéri , et le même soir nous
avions perdu de vue la côte de Saint-Denis. La corvette,
commandée par le capitaine Garnier, comptait seize offi-
ciers et cent cinquante matelots ou canonniers. De plus,
nous avions à bord les deux cents Telingas. Je remarquai
de suite la différence énorme qui existe entre la tenue
des bâtiments de guerre et celle des bâtiments de com-
merce. Plus d’hésitation dans l’exécution des manœu-
vres; silence absolu, la voix seule de l’officier de service
se fait entendre. Les soins de propreté sont poussés
jusqu’à la coquetterie, et la toilette du bord est aussi
soignée que celle d’une petite maîtresse.
Je couchais dans la salle d’armes, où tous les soirs on
suspendait mon hamac; dans la journée je me prome-
nais à peu près partout, les manœuvres, les exercices ,
les plus petits détails du bord piquaient ma curiosité.
Le lendemain du départ, le capitaine passa une revue
de tout l’équipage; ce spectacle, nouveau pour moi,
m’intéressa beaucoup.
Après la revue et pour éviter les effets de l’encombre-
ment des Telingas, le chirurgien-major lit faire des fumi-
gations dans l’ entre-pont que ces Indiens occupaient ;
cette mesure hygiénique fut fréquemment employée
pendant la traversée.
DANS L’INDE.
25
Chaque jour le fourrier donnait des leçons de lecture
et d’écriture à quelques matelots et aux mousses ; à
l’avant de la corvette, d’autres matelots recevaient des
leçons d’escrime; 'es officiers élaient occupés de divers
détails, chacun avait son travail journalier; et moi, le
plus désœuvré de tous, j’avais assez à faire d’observer
chaque partie de cet ensemble parfait. La traversée ne
présenta rien de particulier pendant une quinzaine de
jours; mais le 26, peu de temps après le réveil, on en-
tendit à bord un cri : Une femme à la mer! Aussitôt
l’officier de quart, par une manœuvre promptement exé-
cutée , fit mettre le navire en panne (4) ; pendant ce
temps on avait jeté la bouée de sauvetage (2); une em-
barcation montée par huit rameurs et commandée par
un aspirant s’éloignait de la corvette en suivant son sil-
lage. Tous ces soins furent inutiles , après un quart
d’heure de vaines recherches l’embarcation revint sans
avoir aperçu aucune trace. Cet accident nous occupa sé-
(1) Panne. Situation d’un bâtiment sous voiles qui demeure immobile,
ou à peu près, par une disposition de ses voiles, dont quelques-unes
agissent pour lui imprimer un mouvement en avant , et d’autres tendent
à le faire reculer ; en sorte que, les effets généraux et opposés se neu-
tralisant, le navire reste sans mouvement, hors celui de la dérive que
produisent toujours sur les corps flottants le choc des lames et la puissance
du vent. ( Dictionn . de Marine .)
(2) Bouée de sauvetage. Petit plancher fait avec plusieurs planches de
liège chevillées et attachées solidement ensemble , de forme ronde ou ovale,
et surmonté d’un petit mât auquel flotte un étroit pavillon rouge. La
bouée de sauvetage est toujours à portée d’ètre jetée à la mer, où elle
sert de point d’appui au matelot qu’un accident y a précipité , en at-
tendant les secours qu’on s’empresse de lui porter. L’un des côtés de
ce petit plancher, celui opposé au mât , est alourdi, ce qui en déter-
mine la stabilité sur l’eau. Des bouts de corde pendants garnissent le
pourtour de la bouée, et offrent au malheureux nageur des points sai-
sissables. Le pavillon sert à le faire apercevoir de loin. ( Dictionn . de
Marine.)
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
26
ricusement. Le capitaine lit ta re de suite une enquête;
et on découvrit que l’Indienne qui avait arrêté !a marche
du navire, s’était jetée volontairement à la mer, empor-
tant par vengeance l’argent de son mari, avec lequel elle
venait d’avoir une violente querelle.
Le lendemain de cet accident nous étions en vue des
Maldives; ces î’es très-basses ne se distinguaient à l’ho-
rizon que par les arbres élevés, pa'miers et cocotiers qui
bordent le rivage; et, le 31, nous étions devant i’i'e de
Ceylan. Le 2 septembre nous rencontrâmes un bâtiment
de la croisière anglaise faisant l’exercice à feu à l’entrée
du golfe de Benga'e; c’était le premier navire que nous
rencontrions depuis notre départ de Bourbon. La tempé-
rature était très-élevée et même insupportable, malgré
la brise; nous suivions à cinq lieues de distance la côte
de Coromandel , et à l’aide de nos longues-vues nous pû-
mes apercevoir quelques bateaux pêcheurs regagnant la
côte. Enfin, le 4, nous nous trouvons en vue de Pondi-
chéri; nous mouillons à neuf heures du matin après
vingt-quatre jours de traversée. Après les formalités
d’usage, nous gagnons la terre dans les embarcations de
la corvette. Arrivés à peu de distance de la côte, on nous
transborda dans des schelingues (1) pour franchir la
barre, qui est trop forte pour nos chaloupes européennes.
( I) Schelingue ou massoulah , bateau d’une construction singulière et
dont les planches ne sont pas clouées. Sa forme est celle d’une barque
grossière ; le fond est plat ; il n’a point de membrures ; les planches qui
le composent sont ajustées , cousues et doublées avec l’écorce du coco-
tier. La flexibilité de cette embarcation est telle , que les bordages cè-
dent facilement au battement des vagues, qui perdent ainsi de leur vio-
lence en trouvant moins de résistance. Aussi ces bateaux bravent la
marée, quelque redoutable qu’elle soit, tandis qu’une chaloupe euro-
péenne n’a jamais pu s’y risquer sans être aussitôt mise en pièces.
1)A\S L’INDiï.
Je ne saurais trop dire combien les ofïieiers de la Nièvre
ont mis de bienveillance et de bonté dans leurs relations
avec nous; aussi ce n’est pas sans regrets que je les ai
quittés. Dès que nous fûmes à terre, on débarqua aussi
les Telingas; on les rangea en bataille sur le rivage et un
emp'oyé du gouvernement prit leurs noms, qu’il écrivit
assez promptement avec un poinçon de fer sur une feuille
de palmier; ils furent dirigés de suite, avec une escorte,
sur leur pays, à peu de distance de Pondichéri.
Notre débarquement s’était fait au milieu des cris des
Indiens, et en mettant pied à terre nous fumes assaillis
par une foule de dubbahs ou daubachis : ce sont les gui-
des indispensables d’un Européen nouvellement débar-
qué sur le sol indien. J’en pris un qui me fut recom-
mandé par les ofïieiers de la corvette, et qui me pilote
très-bien. Pendant plusieurs jours, il m’aida à faire les
emplettes nécessaires à mon établissement ; et il le lit
avec beaucoup d’ intelligence, car, indépendamment des
quelques roupies que je lui donnais, il savait se faire faire
une remise par tous les marchands chez lesquels j’ache-
tais quelques objets de ménage. Il avait tout le soin de
ma maison, commandait aux autres domestiques, c’étail,
en un mot, un intendant au petit pied (1).
( I) Les nombreux emplois d’une maison sont confiés à autant d’indivi-
dus différents. Cette répartition n’est pas seulement établie par le luxe ,
mais bien encore par la coutume qui a fixé à chaque famille l’emploi
ou les seules fonctions que ses membres pourront exercer. La religion de
Brama défend à une partie de ses sectateurs de toucher à ce qui aj eu
vie , et ordonne à tous de regarder le bœuf et la vache comme des ani-
maux sacrés ; les parias seuls sont dispensés de cette loi par leur in-
famie : aussi est-ce parmi eux que sont pris les cuisiniers, les cordon-
niers , et les hommes qui remplissent les dernières fonctions de la
domesticité. C’est une véritable étude , pour le nouveau débarqué , de
28
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Je fus témoin d’une procession faite en l’honneur de la
Nativité de notre Seigneur, et conduite par les pères jé-
suites. Cette fêle toute catholique avait néanmoins un
peu du caractère des cérémonies du paganisme. Parmi
les assistants on remarquait des Européens , des créoles
et des Malais. La procession partit du bourg d’Ariangou-
pan, qui donne son nom à la fête , et se rendit à l’église
des Jésuites, où l’on célébra une messe. Tout le trajet
qu’elle parcourut était illuminé; en tête de la colonne
marchait une foule d’enfants indiens , faisant avec des
tamtams et des cornemuses une musique vraiment in-
fernale; devant eux se trouvaient des hommes armés de
bâtons au bout desquels brûlaient des pièces d’artifice,
afin d’écarter la foule. Des vases sacrés, des anges et des
madones portés en palanquin suivaient la procession. A
droite et à gauche on remarquait une escorte de cipayes
de la garnison. Les Jésuites, portant des bannières et des
torches, fermaient la marche.
Je fis ma visileau gouverneur, M. de Mélay,qui me re-
çut avec beaucoup de bienveillance et me donna vraiment
des marques d’intérêt. Il me mit au courant des usages
indiens, et eut la bonté de m’instruire longuement de ce
(jue je devais faire ou éviter pendant mon séjour. Il ve-
distinguer, parmi la foule de domestiques que chaque matin il voit
à sa toilette, celui qui doit lui donner l’objet dont il a besoin : la vue
seule d’une botte fait reculer tout ce qui n’est pas paria ; et, de son côté,
celui-ci, dont le contact est une souillure, n’osera jamais toucher à une
partie du yêtement que le daubachi doit présenter. Cependant, malgré
cet inconvénient et ceux qui résultent de la difficulté de s’entendre , le
service des Indiens est fort agréable. Ils sont doux, soumis, attentifs ,
propres et très-entendus dans la partie dont ils sont chargés.
Laplace.
>?
t* f ^
I r
DANS L’INDE.
29
nait de recevoir la nouvelle de la rnorl du général La-
fayette (12 septembre 1834).
Pendant plusieurs jours, j’eus assez à faire de débal-
ler mes effets et mes instruments; et j’eus le plaisir de
voir que tout était arrivé en ordre et sans la moindre
avarie.
Invité à dîner par M. de Mélay , le 14 , je me rendis à
l’hôtel du gouvernement; c’est sans contredit le monu-
ment le plus remarquable de Pondichéri. II n’a qu’un
étage composé d’un corps de logis et de deux ailes; la
façade est décorée de colonnes et de pilastres, et surmon-
tée d’une galerie. Il est entouré d’un immense jardin en-
touré de grilles.
Pendant tout le dîner, la salle à manger était aérée par
les oscillations continuelles du panka, vaste éventail sus-
pendu au plafond et mis en mouvement par un Indien ,
pour modérer les excès d’une température vraiment in-
supportable.
La ville de Pondichéri, bâtie sur un terrain horizon-
tal , perd beaucoup à être vue de la rade , car alors on
n’aperçoit que les maisons voisines de la mer ; mais
parcourue à l’intérieur, elle laisse voir ce qui échappe
aux arrivants.
On y remarque quelques édifices publics, parmi les-
quels je citerai l’église des Missions , un vaste bazar et
des maisons particulières d’une construction élégante.
La ville est habitée principalement par des Indiens , le
nombre des Européens est très-restreint ; elle est divi-
sée en deux parties par un canal qui la traverse et sur
lequel des ponts sont jetés en face des rues principales.
On y remarque deux quartiers principaux : l’un, nommé
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
30
Ville-Blanche, est à l’est et près du rivage ; il est. peu
peuplé, et c’est la résidence des Européens; les maisons,
assez régulièrement bâties, sont éloignées l’une de l’au-
tre, mais alignées. L’autre quartier, désigné sous le nom
de Ville-Noire ou quartier Hindou, est beaucoup plus
peuplé que le premier ; les maisons ne sont que des
cabanes aussi simples que possible , ornées de varan-
gues ou péristyles couverts. Leur alignement est peu
symétrique, mais elles sont d’un aspect agréable et en-
vironnées de grands arbres : elles ressemblent à autant
de fabriques au milieu d’une forêt de cocotiers.
Après avoir pris pendant quelques jours connaissance
de la ville, je commençai plusieurs excursions aux en-
virons. Je me lis d’abord guider par deux chasseurs du
pays, armés de sarbacanes; mes premières chasses fu-
rent heureuses et commencèrent le noyau des mes col-
lections. La chaleur me lit perdre quelques beaux oi-
seaux, parce qu’à la lin d’une journée de chasse ils
étaient déjà assez faisandés pour ne plus permettre de
les mettre en peau. Aussi je pris dès lors le parti de les
préparer sur place , c’est-à-dire de les mettre en peau
dès qu’ils étaient tués. Ce travail me lit perdre beaucoup
de temps, mais ne me découragea cependant pas. Je
tuai plusieurs oiseaux que je reconnus de suite; ils
étaient absolument semblables à ceux que je rencontrais
assez fréquemment sur les bords du lac de Genève : ii
n’en fut cependant pas toujours de même, tout mon
temps fut dès lors consacré à la chasse. La plupart des
animaux que je tuais étaient nouveaux pour moi ; et mes
excursions étaient d’autant plus intéressantes, qu’il y
avait réellement quelque danger à s’aventurer dans des
DANS L’INDE.
31
forêts souvent mal habitées. Je rencontrai fréquemment
des serpents de diverses espèces, et je ne les abordais
pas toujours sans quelque émotion, surtout dans le
commencement et lorsque je n’étais pas encore parfai-
tement familiarisé à ce genre de chasse.
Mes excursions furent poussées chaque jour un peu
plus foin , et il me fut quelquefois impossible de re-
venir coucher à Pondichéri. Dans ce cas je faisais por-
ter un hamac par un de mes chasseurs , et le soir je
m’installais dans une chaulterie (1). On désigne sous
ce nom des reposoirs assez commodes , et qu’on ren-
contre sur un grand nombre de points dans les envi-
rons de Pondichéri. Ce sont des constructions en pierre
établies par les soins d’hommes riches, et dans les-
quelles les voyageurs trouvent un abri pendant le jour
contre la chaleur ou le mauvais temps , et pendant la
nuit elles lui offrent un lieu de repos.
Quand je m’avançais dans le pays plus loin que d’ha-
bitude, j’avais une voiture qui me suivait. Le premier
accident que j’eus à déplorer arriva à un Indien de ma
suite : il fut piqué au pied par un gros scorpion noir.
Cette piqûre ne fut pas dangereuse, grâce au soin que
nous primes du pauvre Hindou.
(1) Les Turcs ont des caravansérails, les Hindous ont des chaulte-
ries, espèces d’auberges d’institution religieuse, ouvertes aux voyageurs
de toutes les croyances et de toutes les castes. Ce sont vraiment des fon-
dations charitables et pieuses. Elles sont ordinairement placées au mi-
lieu d’un bosquet qui les ombrage, et près d’une source ou d’un réser-
voir où le voyageur peut se désaltérer. Elles se composent toujours de
quelques petites chambres et d’une galerie extérieure à colonnes pour
les castes réprouvées. Quelquefois la prévoyance du fondateur a été jus-
qu’à les doter d’une rente pour qu’on fasse chaque jour des distributions
gratuites de vivres aux pauvres voyageurs qui viennent s’y reposer.
[Inde française.)
32 SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Pendant une de ces excursions Je hasard me condui-
sit près d’une fabrique de cette toile bleue qu’on dési-
gne dans le pays sous le nom de guinée , et qui est fort
recherchée sur la côte d’Afrique , où l’on en fait chaque
année des envois considérables. J’eus la curiosité de
visiter l’intérieur de cette fabrique, et je remarquai
que les ouvriers employés à fouler et à battre les toiles,
à l’aide de gros foulons de bo:s, avaient l’air d’être
très fatigués. Je m’étonnais de voir ces Hindous, d’un
naturel si paresseux , se livrer à un travail aussi rude,
et je dis au contre-maître qui nous conduisait qu’en
Europe cette opération se faisait à l’aide de foulons
mus par l’eau. J’appris alors de lui que ce n’était pas
par ignorance du procédé qu’ils ne l’employaient pas,
mais bien parce qu’après plusieurs essais ordonnés
par le gouvernement et sur une grande échelle ils
avaient été obligés d’y renoncer, les résultats obtenus
laissant beaucoup à désirer et par leur qualité et par
le prix de façon ; il termina en nous disant que les
toiles ainsi fabriquées avec des machines à l’euro-
péenne étaient de mauvais teint , et coûtaient plus de
fabrication que celles qu’ils obtenaient par le procédé
indien (J).
En rentrant à Pondichéri nous rencontrâmes un ser-
pent boa , que nous tuâmes assez facilement , et il fut
de suite dépouillé par un de mes chasseurs , qui rem-
plit sa peau de sable; à l’aide de ce moyen elle se
(I) Les manufactures de Rouen ont voulu imiter les guinées bleues:
leurs essais , heureux sous le rapport du tissu , ne l’ont pas été sous
celui de la teinture ; et , malgré la différence du prix , les peuplades
d’Afrique donnent toujours la préférence aux toiles de l’Inde.
Laplace.
Pondichéry.
DANS L’INDE.
33
dessécha promptement en conservant la forme de l’a-
nimal.
J’eus bientôt parcouru tous les environs (1) de Pon-
dichéri : mes excursions m’avaient porté dans toutes
les directions; et j’avais plusieurs fois suivi la côte,
qui partout présente le même aspect. La ville n’a pas de
port, et la rade est mauvaise; aussi , comme je l’ai déjà
dit, le débarquement présente toujours quelque dan-
ger. Une autre difficulté pour la navigation se rencontre
dans les moussons. On donne ce nom aux vents régu-
liers qui régnent dans les mers de l’Inde, et soufflent
alternativement pendant six mois du sud-ouest et du
nord-est. Ils établissent deux saisons bien distinctes :
l’hiver ou saison des pluies, et l’été ou saison des cha-
leurs et de la sécheresse.
Les changements de vents s’annoncent par un trouble
de l’atmosphère , et les animaux eux-mêmes y sont très-
sensibles. Leur agitation , leur frayeur et leurs cris,
sont un des signes précurseurs de la mousson. On s’est
long-temps occupé de rechercher les causes de ce bou-
leversement de la côte et du phénomène atmosphéri-
que , mais on n’est pas encore arrivé à une solution
satisfaisante.
Le climat de Pondichéri est sain , mais la tempéra-
ture y est souvent accablante. La végétation est extra-
ordinaire. Les palmiers , les bambous , y sont com-
muns et prennenl un accroissement considérable; mais
(!) Les villages hindous sont désignés sous le nom ù’ aidées; ils sont
habituellement entourés de bois épais et élevés qui mettent les habita-
tions ou cases à l’abri des vents chauds. L’intérieur même des aidées
est planté de palmiers et de cocotiers dont on peint les tibncs de di-
verses couleurs.
SOI Y li. MRS DTX VOYAGE
3/i
l’arbre le plus remarquable qu’on y trouve est le ba-
nyan , qu’on désigne aussi sous le nom de liguier des
pagodes, parce qu’il est sacré pour les Hindous, qui
en font l’ornement obligé de tous les temples et des
cliaulleries. Un seul de ces arbres présente un dévelop-
pement si grand , qu’on en voit qui ont plus de cinq
cents pieds de tour par l’implantation de leurs bran-
ches : chaque branche , en s’écartant du tronc , laisse
tomber vers la terre des rameaux qui y prennent racine
et qui , à la longue, forment une petite forêt autour du
tronc principal. Le plus célèbre de ces arbres est à
Guzarate, il se nomme Cobir-Bar ; ses troncs multipliés
et entrelacés couvrent un espace de plus de deux mille
pieds de circonférence. Le pays fournit aussi un grand
nombre d’arbres propres aux constructions navales , et
l’on peut dire que la végétation de cette partie de l’Inde
est aussi variée que puissante.
Les animaux que fournit ce pays sont aussi en propor-
tion de la force de la végétation : les éléphants , les rhi-
nocéros et les bulbes sont les géants du règne animal.
On y trouve quelques singes , des cerfs de plusieurs
espèces , des antilopes , des tigres , des ours , un grand
nombre de reptiles, dont le plus effrayant est le boa , et
le plus terrible le crocodile.
Les oiseaux sont en grand nombre , très-variés , et
remarquables par fa richesse de leurs couleurs.
Les insectes et les papillons y sont surtout d’un éclat
éblouissant. Le règne minéral est peu riche aux envi-
rons de Pondichéri.
A part les grands animaux bien connus, je me suis
procuré la plupart des espèces qu’on rencontre dans
DANS L’INDE.
l’Inde; plusieurs espèces nouvelles pour la science
seront décrites et figurées dans la seconde partie de ce
volume, aussi n’entrerai-je ici dans aucun détail d’his-
toire naturelle. Cependant je ne puis résister au désir
de rapporter un trait curieux que j’ai lu dans un jour-
nal de Calcutta, et qui donne une idée de l’intelligence
des éléphants. « Un détachement de cipayes, de garde
auprès d’un grand magasin de riz, fut subitement en-
voyé à quelque distance pour une expédition pressée :
à peine les soldats furent-ils é'oignés , qu’une troupe
d’éléphants sauvages , qui depuis long-temps rôdait dans
les environs, se présenta devant le magasin. Un éclai-
reur était préalablement venu s’assurer si la place était
évacuée, et, sur son rapport, le reste de la troupe
s’était mis en marche. Deux Indiens, surpris par leur
arrivée, n’eurent que le temps de monter sur un ar-
bre et de se cacher dans le feuillage, d’où ils furent
témoins de ce que nous allons raconter. Parvenus à
quelques mètres de l’enceinte, en bons tacticiens, les
éléphants firent halte et procédèrent à la reconnais-
sance des lieux : tout se passa avec ordre et méthode.
Les murs du magasin étaient en briques, épais et soli-
des, et l’on ne pouvait pénétrer à l’intérieur que par
une ouverture ménagée dans le toit et à l’aide d’une
échelle , chemin peu praticable pour des éléphants. Si
le magasin eût eu seulement une porte , toute difficulté
pour s’y introduire eût cessé à l’instant ; mais un mur
de quatre briques d’épaisseur était un obstacle presque
insurmontable, malgré la force prodigieuse et la saga-
cité de ces animaux. Néanmoins ils ne se laissèrent pas
décourager, et commencèrent aussitôt leur attaque eon-
36
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
tre un des angles du bâtiment. Un éléphant mâle , d’une
grosseur énorme , travailla quelque temps à y faire brè-
che , à l’aide de ses immenses défenses ; quand ses for-
ces s’épuisèrent , le plus grand et le plus fort après lui
le releva ; puis un troisième prit la place. A force de
faire jouer les puissants leviers qui armaient leurs mâ-
choires , ils avaient réussi à déranger une brique. La
trouée une fois commencée , d’autres éléphants succé-
dèrent ; et bientôt ils eurent pratiqué une ouverture
suffisante pour donner passage aux maraudeurs : mais
comme ils ne pouvaient entrer tous à la fois , ils se di-
visèrent en détachements de trois ou quatre individus.
Quand un de ces détachements s’était bien repu , il fai-
sait place à un autre ; de sorte que les vingt éléphants
qui composaient la troupe firent ainsi successivement
un repas des plus copieux. Cependant un de ceux du
premier détachement , resté en sentinelle, fit entendre
un cri aigu : à ce signal les derniers entrés sortirent
précipitamment du magasin ; toute la troupe se rallia,
partit en brandissant les trompes en l’air, et s’enfonça
rapidement dans l’épaisseur du jongle. Les cipayes re-
venaient en hâte , l’avis avait été donné à l’officier que
le magasin était au pillage ; mais il arriva trop tard :
en entrant, il reconnut que les éléphants avaient dévoré
et détruit presque toutes les provisions. »
On a tant écrit déjà sur les mœurs des Hindous, sur
leur religion et leurs cérémonies , que je m’abstien-
drais d’en parler si ce qu’on a dit ne s’écartait pas quel-
quefois de la vérité qui doit présider à toute relation
de voyage. On est obligé de croire le voyageur sur pa-
role; mais, il faut le dire, la plupart des contradic-
DANS L’INDE.
37
lions ou des exagérations qu’on rencontre dans les des-
criptions de voyage viennent plutôt du caractère de
l’écrivain que de sa volonté de tromper ses lecteurs.
Chacun observe à sa manière , le blâme et la louange
s’adressent souvent aux mêmes objets. Rester au-des-
sous de la vérité, ou exagérer le bien ou le mal d’un
fait , c’est faire une appréciation personnelle ; ce qui
est bien pour l’un est mal pour l’autre , et l’on écrit
malheureusement sous l’influence de préventions acqui-
ses bonnes ou mauvaises. Aussi le grand défaut de cer-
taines relations est de donner comme absolument vraies
des observations incomplètes et par cela même trop
souvent fausses.
Nous trouvons la preuve de cette vérité autour de nous,
où le même fait est souvent l’objet d’interprétations dif-
férentes, quoiqu’il soit bien connu et que nous ayons
tout le temps de le bien observer. Qu’est-ce donc lors-
que l’on rend compte d’un voyage où tout ce qui fait
le sujet de la relation a frappé notre esprit , sans laisser
le temps de pouvoir rectifier un premier jugement !
Bien pénétré de cette vérité, je me suis toujours délié
de mes premières impressions ; et j’ai cherché à éviter
l’écueil que je signale en rédigeant mes observations
sur les mœurs , les usages et la religion des pays que je
viens de visiter.
La côte de Coromandel est habitée, ainsi que le pays
qui en dépend , par une population vouée au brama-
nisme : cependant il s’y trouve un petit nombre dema-
hométans; mais ces derniers sont entièrement étran-
gers , ils descendent des anciens conquérants de la
presqu’île de l’Inde. Leur caractère, leur taille, et sur-
38
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
tout leurs costumes, les distinguent de suite des pre-
miers.
Les vrais Hindous sont paresseux, doux, assez hos-
pitaliers, et par-dessus tout très-superstitieux. La tem-
pérance est une de leurs vertus, et leurs passions cal-
mes et réfléchies n’excitent chez eux aucune de ces
grandes actions qui élèvent l’homme. Ils pensent et ré-
pètent souvent qu’il vaut mieux s’asseoir que marcher,
être couché qu’assis, dormir que veiller, et que la mort
est préférable à tout. Cette maxime, puisée dans leurs
livres sacrés, suffirait pour donner une idée de l’état des
Hindous, si l’histoire ne venait à l’appui de l’observation
des voyageurs. Jamais es Hindous n’ont connu la gloire,
souvent ils ont plié sous le joug de téméraires conqué-
rants sans jamais le devenir eux-mêmes.
Leur teint est jaune-cuivré ; ils sont naturellement
propres sur eux et dans leurs maisons , d’une constitu-
tion plutôt faible que forte, surtout sur les bords de la
mer. Ils ont adopté un costume convenable pendant les
chaleurs, mais trop léger pendant les moussons; aussi
la mort les décime-t-elle à cette époque. Les hommes
sont nubiles de quatorze à quinze ans et les femmes de
dix à onze ans, c’est l’âge auquel se font communément
les mariages ; le climat contribue puissamment à les
vieillir, et à vingt ans les femmes sont déjà flétries et
vieilles.
Leurs croyances religieuses sont très-compliquées :
ils reconnaissent dans Para-Brama le Créateur univer-
sel , sous les ordres duquel se trouve le Trimourli
ou Irinité, composé de Brama ou créateur, Wishnou
ou conservateur et Schiva ou destructeur. Viennent
DANS L’INDE.
39
après les bons génies ou déoulas , et les mauvais gé-
nies ou deilli qui ont pour chef Maissassour ou Satan.
De toutes ces puissances célestes, c’est Schiva, le des-
tructeur, qui a le plus d’adorateurs; puis vient Brama,
qui est le plus respecté. Cette précaution religieuse, si
opposée à nos croyances, annonce bien un peuple crain-
tif et superstitieux.
Wishnou est néanmoins le plus célèbre; il s’est in-
carné, dit-on, neuf fois, et la dixième précédera 'a fin
du monde de quelques milliers d’années. Vient après
une armée de divinités de troisième ordre : ce sont
Agni, dieu du feu; Téhandra ou la lune; Indra, dieu
des météores; Yama, la mort; Pavan, dieu des vents et
de la musique, etc., etc.
Les Hindous croient à la métempsycose , et c’est par
suite de cette croyance qu’ils refusent de manger de la
viande et qu’i!s ont même pour certains animaux une
grande vénération. La métempsycose, prise à la lettre, ne
peut fournir matière à aucune discussion; raisonnée
scienliliquemenl, elle s’appelle équilibre de la puissance
vitale, peut s’expliquer en partie, et ne s’écarte en rien
des dogmes auxquels nous avons foi. De même que les
éléments qui, par leur équilibre, entretiennent l’harmo-
nie des mondes en s’opposant merveilleusement l’un à
l’autre, de même le fluide vital, répandu avec profusion
par la Providence, ne peut cesser d’animer des êtres et
fait parLie de cet ensemble parfait, de ce mystère impé-
nétrable, marqué au sceau de Dieu, et que nous appe-
lons la création. Dieu en plaçant l’homme sur cette terre
avait fixé les limites de l’empire qu’il lui accordait sur
tous les animaux, dont il le distingua d’une manière si
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
AO
providentielle. Mais il lui laissa avec eux des rapports
trop nombreux et trop palpables pour que notre orgueil
se refuse à les reconnaître. A l’animal , il donna la vie,
l’instinct, la ruse, la force et le néant; à l’homme la vie,
l’intelligence, qui, bien supérieure à l’instinct,, le fait
triompher de a ruse et de la force, et, de plus, il eut
en partage une âme immatérielle, immortelle. Le fluide
vital qui l’anime, le fluide électrique qui l’excite,
ne diffèrent en rien du fluide vital qui anime les ani-
maux , du fluide électrique qui les excite. Dieu a
répandu l’un et l’autre dans des limites invariables.
C’est pour cela que, prévoyant la multiplication de l’es-
pèce humaine,- plus forte que toutes les autres, il créa
d’abord, et avant que l’homme ait pu s’emparer de tous
les points habitables du globe, des animaux gigantes-
ques, réservoirs du fluide vital; animaux qui devaient,
par leur anéantissement et leur destruction complète ,
céder la vie dont ils n’étaient que dépositaires provisoi-
res, à des races privilégiées plus nombreuses, mais ab-
sorbant moins de fluide vital que les premières. Nous
ne trouvons que les traces de ces géants du monde, que
le principe vital abandonnait suivant les besoins pro-
gressifs du développement de l’espèce humaine; mais
nous savons qu’ils existaient lorsque la population du
globe, faible encore, n’envahissait pas et la vie et
la matière. Comme tout ce qui préside à l’harmo-
nie des mondes se fait mystérieusement et sans que
nous puissions nous en rendre un compte exact, ce
n’est sans doute que bien insensiblement que ce prin-
cipe vital passe successivement d’un être à un autre ;
mais de même que l’accumulation du fluide électrique
DANS L’INDE.
Al
sur un point ne peut se faire sans orages , Je même
F accumulation du principe vital ne peut se concentrer
sans qu’il paraisse de ces fléaux qui déciment.
Dans le cours ordinaire des lois de la nature, un
corps ne perd la vie qu’en l’abandonnant à d’autres
qui s’en emparent de vive force, ou sur lesquels il la
répartit , l’entretient ou la renouvelle. Par quoi donc
sont animées ces myriades de vers qui dévorent un cada-
vre en ne laissant que la matière? où se sont-ils formés?
où ont-ils pris la vie éphémère qui ne leur a servi qu’à
l’accomplissement d’une loi de nature ? que devient
après eux le principe qui les anima un jour? Il se porte
sur d’autres êtres et vivifie successivement et sans s’é-
puiser toutes les créatures, sans laisser reconnaître ce'-
les qu’il abandonne et celles qu’il choisit. Le fluide
électrique se conduit-il autrement? est-il moins subtil,
moins pénétrant? pouvons-nous suivre sa marche? De
même que le fluide vital, nous ne le reconnaissons qu’à
ses effets. L’un et l’autre nous échappent malgré nous,
l’un et l’autre se combinent à nous sans que notre vo-
lonté intervienne; c’est, sans doute, frappés de cette
transmissibilité de la vie , que quelques philosophes
égarés ont cru pouvoir exploiter la superstition en sou-
mettant les hommes à certaines lois qui promettaient
la honte ou l’espérance à leur vie bonne ou mauvaise ;
c’est le châtiment ou la récompense promis par toutes
les religions. Ce dogme a dû être préféré à celui du
néant par l’homme , qui a toujours eu horreur de la
mort; ce dut être pour lui une consolation de penser
que la vie n’abandonnait son corps que pour prendre
une autre forme.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
1x2
Ipse ego , nam rnemini, trojani tempore belli
Penthoïdes Euphorbus eram. Virgile.
Le dogme de la métempsycose est le plus ancien de
l’univers; l’on ne peut s’étonner de le voir encore ré-
pandu dans une grande partie de l’Inde lorsque la my-
thologie de tous les peuples le proclame, et que nos
livres sacrés en fournissent de nombreux exemples, si
extraordinaires qu’on les attribue tous à des miracles.
On me pardonnera sans doute cette digression , mais
je comprends qu’elle doit être courte; aussi je termi-
nerai en disant que, par la volonté de Brama, les Hin-
dous sont divisés en quatre castes principales : 1° les
li rames , voués au sacerdoce, ont été tirés de la tête
et particulièrement de la bouche de Brama ; 2° les
yallagas ou guerriers sont formés de ses bras; 3° les
vaiscias ou agriculteurs viennent de son ventre; 4° en-
lin les soudras , artisans, ouvriers et domestiques, ont
été extraits de ses pieds (1). Viennent ensuite deux
castes malheureuses et méprisées, celle des Parias et
celle des Paulias.
La tribu des Parias est fort nombreuse, dit l’auteur
des Tableaux de l’Inde, elle est plongée dans l’état de
(I) L’opinion commune sur ces quatre corps ou castes est que les
Brames sont sortis de la tète de Brama ; et c’est pour cette raison qu’on
les regarde comme des hommes privilégiés à qui cette divinité a commu-
niqué son esprit et sa sagesse. On fait naître les yattagas ou rajas
de ses épa ules, parce qu’ils soutiennent le gouvernement et qu’ils por-
tent les armes pour la défense de la patrie. Les vaiscias doivent leur
origine à son ventre , parce qu’ils constituent le corps d’état qui s’oc-
cupe de l’entretien et de la nourriture du corps. Enfin , on fait sortir
les soudras des pieds de ce dieu , voulant marquer par là tout ce qu’il
y a de pénible dans la vie , parce que leur caste est composée d’arti-
sans et de mercenaires qui vaquent aux offices les plus fatigants.
DANS L’INDE.
à3
dégradation le plus abject. Le plus dur esclavage serait
un bienfait en comparaison de la situation de ce peu-
ple au milieu des castes qui l’entourent. Toutes ces cas-
tes les considèrent, non-seulement comme des objets de
mépris ici-bas , mais encore comme entièrement exclus
de toutes les joies du monde à venir. Les humiliations
dont on les abreuve, par suite de ce préjugé, partout où
on les rencontre, révoltent l’humanité et passent toute
imagination. On leur interdit le moindre privilège de
l’homme en société; on les ravale à la condition des
plus vils animaux. Le paria n’a de communication
qu’avec les seuls individus de sa caste; et toutes les fois
que son ombre effleure seulement un objet appartenant
à un membre d’une caste supérieure, il en résulte une
profanation. Si c’est un aliment, il est jeté à l’instant;
si c’est un meuble fragile, on le casse; si c’est un bijou
de prix, on n’en fait disparaître la souillure qu’à l’aide
des purifications les plus rigoureuses.
Le meurtre d’un paria n’a point de peine correspon-
dante dans la loi; on se contente d’infliger au meurtrier
une amende, qui est même rarement perçue si ce n’est
dans des cas tout à fait graves. Les travaux les plus dé-
goûtants sont le partage de ces êtres abhorrés, ce sont
eux qui relèvent les immondices dans les villes et dans
les villages. La nature malsaine de leurs occupations, et
leur manière de vivre misérable, les rendent sujets à des
maladies dégoûtantes. Ils se regardent eux-mêmes comme
si impurs en comparaison d’un bramine, qu’ils n’osent
paraître en sa présence qu’en se dévouant à une mort
expiatoire , ou tout au moins à quelque supplice équi-
valent. Si un membre d’une autre caste veut bien des-
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
hh
cendre jusqu’à adresser la parole à un paria, celui-ci,
pour lui répondre, se couvre la bouche avec la main ,
dans la crainte que son haleine ne souille l’atmosphère
que respire son interlocuteur.
Jamais ces malheureux proscrits n’entrent dans un
temple, et ne prennent part aux cérémonies de la reli-
gion. Ainsi, méprisés par les autres classes, exclus de
tout commerce avec elles , les parias sont réduits à une
vie errante et privés de toute ressource, puisque c’est
une œuvre méritoire de les humilier, et un péché de les
secourir. Plongés dans le plus profond denûment, ils sont
exposés à périr dans l’épuisement d’une longue agonie;
à moins qu’ils ne recourent, pour se sustenter , à des
moyens violents, qui ne font qu’accroître l’horreur qu’ils
inspirent. Ainsi , délaissés et frappés des stigmates d’une
injuste dégradation, souvent ils se retirent au fond des
jongles, fuyant la vue des hommes qui les poursuivent
de si abominables traitements; et là, ils achèvent leur
misérable vie, réduits à la condition des brutes , per-
dant l’énergie de leurs qualités morales, et cherchant
leur proie comme des bêtes sauvages. Si la société est
en perpétuelle hostilité avec eux, ils n’usent que trop
de représailles. Souvent ils finissent par se livrer à ce
pillage organisé qui est un des fléaux de l’Inde. Réduits
à ce point, ils deviennent les plus désespérés, les plus
féroces des brigands appelés Dacoïts. Faut-il s’en éton-
ner? et ne doit-on pas quelque indulgence à des mal-
heureux que leurs semblables condamnent sans raison
à l’abandon le plus révoltant ? Aussi la vengeance qu’ils
tirent de leurs oppresseurs est quelquefois terrible ; mais
leurs brigandages sont isolés, le plus grand nombre
DANS L’INDE.
45
(V entre eux se soumet avec courage aux plus affreuses
privations. On lésa vus, dit-on, se glisser hors des jon-
gles , lorsque les fruits de la forêt ont cessé de suffire à
leur misérable existence, et gagner les bords du Gange,
où , à la faveur de la nuit et à l’abri des regards , ils
traînent sur le rivage les cadavres flottants qu’ils aper-
çoivent, pour assouvir, dans d’horribles festins, la
rage de la faim qui les tourmente et les exténue.
Les villages parias doivent être assez éloignés des
villes ou des habitations du reste de la nation pour
qu’il y ait une distance assez considérable, pour que
le vent ne communique pas des influences impures et
contagieuses. Ces villages sont appelés parelchiris. Il
est défendu aux parias de puiser de l’eau dans les puits
des autres castes; ils en ont de particuliers aux environs
de leurs demeures, autour desquels ils sont obligés de
mettre des os d’animaux afin qu’on les reconnaisse et
qu’on les évite.
Le service des temples est fait par les Dévédassis (1)
ou Bayadères. La grâce et la beauté sont les conditions
(1) Ces créatures dégradées n’appartiennent pas à une caste particu-
lière; elles sortent de toutes les castes inférieures pour y rentrer quand
elles ont perdu leur jeunesse et leur beauté. Les brames, aux plaisirs
desquels ces filles sont destinées , les choisissent dans l’enfance et les
font élever par de vieilles bayadères pour les fonctions qu’elles sont
appelées à remplir, et qui ne se bornent pas au service de la pagode :
la jalousie de leurs maîtres ne peut aller jusqu’à renoncer à une bran-
che lucrative de commerce. La passion des Hindous pour la danse pas-
sionnée, qui n’est permise qu’aux bayadères, est pour les riches un su-
jet de profusion dont les prêtres tirent un grand parti. Ces danseuses
paraissent à toutes les fêtes et sont louées à des prix très-élevés ; à
ces bénéfices ostensibles se joignent d’autres profits secrets dont l’autel
réclame encore sa part : le reste, transformé en bijoux précieux, orne
la bayadère et lui assure de nouveaux droits à la générosité de ses nom-
breux adorateurs. Laplace.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
m
essentielles d’admission ; leur talent est de séduire et
de charmer : elles ne négligent rien pour atteindre ce
but; la recherche de leur costume, l’or, les pierreries,
tout est employé pour attirer les regards. Le prix de
leurs faveurs est une offrande à leurs divinités. Lorsque
ces malheureuses sont usées par les excès de leur exis-
tence déréglée, elles sont renvoyées du temple, et trou-
vent bientôt des maris , que leur vie passée n’éloigne
pas; et lorsqu’il arrive qu’elles refusent de rentrer dans
leurs castes , elles sont conservées par les brames qui
veulent bien consentir à leur confier les soins de pro-
preté des lieux sacrés.
De toutes les cérémonies religieuses en usage dans
l’Inde, la plus atroce et la plus extraordinaire est sans
contredit celle des funérailles d’un homme puissant. La
veuve, autant par tradition que par fierté, et plutôt par
nécessité que par sa volonté, se fait traîner au foyer qui
doit la brûler, alin qu’elle ne survive pas à son mari. Ces
sacrifices, que le fanatisme seul peut propager, s’appel-
lent sutties (1); heureusement ils deviennent chaque jour
(I ) Cette cérémonie se fait avec beaucoup de faste ; ses préparatifs
varient dans chaque caste. L’usage le plus commun est qu’aussitôt après
la mort du mari on place la femme devant la porte de sa maison, dans
une espèce de tente ornée. Elle ne mange plus, ne fait que mâcher du
bétel, et prononce sans s’arrêter le nom du dieu de sa secte. La vic-
time est parée de tous ses bijoux et de ses plus beaux habits, comme
si elle allait se marier. Les brames l’engagent à s’immoler, en l’as-
surant qu’elle va jouir d’une félicité sans bornes dans le paradis , où
elle deviendra la femme de quelque dieu qui l’épousera pour la récom-
penser de sa vertu. Ils lui promettent que son nom sera célébré par toute
la terre et chanté dans tous les sacrifices. Pour la disposer à cette
action héroïque ou plutôt insensée , à laquelle la loi ne les oblige
cependant pas, les brames emploient des breuvages dans lesquels
ils mêlent de l’opium afin d’exciter son imagination et d’obtenir
une obéissance passive. Le fanatisme peut bien la faire consentir à un
DANS L’INDE.
47
plus rares, quoiqu’on ne puisse leur opposer que la rai-
son, et plusieurs castes y ont renoncé. On a cité dans les
annales maritimes un exemple qui prouve qu’il ne serait
pas si difficile qu’on le pense, de faire cesser une habi-
tude aussi barbare. Pour empêcher une jeune veuve de la
ville de Tirnoular, près de Karikal , de se brûler sur le
corps de son mari , le gouverneur français lui a fait pro-
poser une rente de quatre-vingts roupies, ce qui répond
à peu près à deux cents francs de notre monnaie, et la
proposition fut acceptée. La veuve s’appelait Sarouvan-
gatama. Elle adressa au commissaire de la marine de
Karikal la réponse suivante ; elle lui a été inspirée par
la reconnaissance sans doute , mais le style ferait sup-
poser qu’elle a été préparée par un autre que par elle :
« Je dois à votre bonté ma nouvelle situation, et à votre
sollicitude d’être admise parmi les personnes qui tien-
nent leur existence du roi. Revenue en quelque sorte au
monde, il est naturel que je vive des bienfaits de celui
au nom duquel j’y ai été rappelée. Le devoir impérieux
pareil sacrifice; mais il faut avoir perdu la raison pour le consom-
mer. Pendant qu’elle s’avance vers le théâtre funeste où elle va termi-
ner sa vie, souvent à la fleur de l’âge, et lorsqu’elle arrive à ce lieu
d’horreur , les brames ont grand soin de la distraire de ses regrets par
des chants où l’éloge de son héroïsme est mêlé. Ce concert homicide sou-
tient son courage au milieu des avant-coureurs de la mort ; le bandeau
de la superstition couvre ses yeux , le moment fatal approche où elle va
être dévorée par les flammes. Alors, d’une voix entrecoupée de sanglots,
elle fait ses adieux à ses parents, qui la félicitent, les larmes aux yeux,
du bonheur qui l’attend Elle leur distribue ses joyaux et les embrasse
pour la dernière fois. Après avoir fait trois tours, selon l’usage, autour
de la fosse ardente, elle s’élance au milieu des flammes. Aussitôt quan-
tité d’instruments font retentir l’air des sons les plus aigus pour empê-
cher le peuple d’entendre les cris lamentables qu’un aussi horrible sup-
plice doit arracher à ces malheureuses victimes. On augmente l’activité
du feu en y répandant une grande quantité d’huile, et l’héroïne est bien-
tôt consumée. Sonnerat.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
AB
que j’allais remplir, n’a point été accompli; votre hu-
manité et votre persévérance s’y sont opposées. Vous
m’avez entraînée, contre ma volonté et l’usage de mes
semblables, à une action qui me procure la vie heu-
reuse et douce que vous venez d’assurer. Je n’ai pas
sans doute assez pensé au bonheur de la vie future, j’ai
cédé à vos insinuations ; mais j’espère que mes prières
me rendront Schiva favorable, et que, le jour où je se-
rai à ses pieds, il me pardonnera d’avoir vécu sur cette
terre une seconde fois bramine. Votre persuasion a
vaincu une résolution que je croyais inébranlable. Je
ne suis plus ce que j’avais été , et je ne voudrais pas
changer ce que je suis. Ma reconnaissance pour vous
sera celle d’une fille soumise; elle ne finira qu’avec ma
vie. »
Il sera d’autant plus facile de faire cesser un abus
aussi cruel qu’il y a fort peu de femmes qui s’y sou-
mettent de bonne grâce , et toute la ruse des brames ne
suflit pas pour étouffer les sanglots et les cris des victimes.
La cérémonie commence et se termine par les chants
des brames , secondés par le bruit de certains instru-
ments discordants qui couvrent le mystère de la rési-
gnation des veuves et n’enlèvent pas à d’autres le cou-
rage de s’y soumettre; c’est d’ailleurs un supplice au-
quel se rend la patiente déjà demi-morte par l’emploi
de narcotiques puissants. Il est donc facile de compren-
dre que la conviction n’entre pour rien dans le sacrifice.
A Pondichéri l’Européen de bon ton ne peut sor-
tir qu’en palanquin, sans déroger à sa dignité; les
voitures y sont très-rares, mais le palanquin les rem-
place peut-être avec avantage à cause de la température.
DANS L’INDE.
49
On raconte que la première fois que le gouverneur
M. de Mélay, ennuyé d’être porté constamment, parut à
pied le soir à la promenade , mais suivi de sa voiture
et des palanquins de sa société, les habitants de Pondi-
chéri crurent qu’ils étaient menacés d’un grand mal-
heur.
Le palanquin remplace la chaise de poste; c’est en
palanquin que les voyageurs se rendent d’une extrémité
de l’Inde à l’autre, en franchissant les passages les plus
difficiles. Les Télingas qui le portent sont relayés de
distance en distance, et partout sur les chemins fré-
quentés on rencontre des individus voués à ce genre
de service. Un relais se compose de douze porteurs et
d’un chef responsable; il y a peu d’exemples de l’abus
que peuvent faire ces Indiens au milieu d’un pays où
l’on voyage isolé, et en quelque sorte livré à la merci
des gens qu’on emploie.
La religion des Hindous leur défend de tuer des ani-
maux, si ce n’est comme offrande à la Divinité; et cette
interdiction s’étend même aux animaux immondes.
Mais cette loi n’est pas généralement observée : quel-
ques castes seulement y restent fidèles. Le soin de leur
conservation , la propreté et même la sensualité font
quelquefois déroger à ce principe; mais, par com-
pensation, il n’est pas rare de voir des Hindous, scru-
puleux observateurs de la loi , souffrir la faim plutôt
que de consentira manger de la viande ou des aliments
préparés par des parias.
On raconte qu’un Hindou, monté à bord d’un navire
de la Compagnie pour affaires de commerce, s’y en-
dormit après avoir pris une trop forte dose d’opium.
7
50
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Quand il se réveilla il s’aperçut que le vaisseau avait levé
l’ancre, et se trouvait déjà à plusieurs lieues au large.
Il y avait à bord beaucoup de lascars ou matelots indi-
gènes ; mais, comme ils étaient tous d’une caste infé-
rieure à la sienne, il dédaigna leurs provisions de route
et n’osa y toucher, les regardant comme souillées par
leur contact. Le capitaine du navire, fort indifférent
aux superstitions indiennes, refusa de mettre un canot
à la mer pour le reconduire au rivage , alléguant la perte
de temps. Le pauvre malheureux n’eut donc plus d’au-
tre alternative que d’aller jusqu’à Madras avec le vais-
seau , laissant sa famille dans une entière ignorance de
ce qu’il était devenu. Quand on lui eut communiqué la
résolution impitoyable du capitaine, il se coucha sur
le pont , d’un air sombre et chagrin , sans remuer ni
parler, et resta deux jours dans cet état, n’ayant, dans
cet intervalle, ni mangé un morceau, ni humecté d’une
goutte d’eau ses lèvres desséchées. Le navire était alors
au moins à cent lieues de Bombay ; mais, comme il fai-
sait voile pour Madras, il ne s’éloigna guère de terre,
et suivit la côte jusqu’au cap Comorin , en vue duquel
il arriva le troisième jour, n’étant plus qu’à vingt lieues
du rivage.
Dans l’intervalle , le pauvre Hindou , frappé d’horreur
à l’idée de périr au milieu d’une race d’hommes souil-
lés et impurs à ses yeux, supplia le capitaine de lui
faire donner une barre de bois pour l’aider à gagner
terre avec la marée. Le point le plus rapproché était
Mangalore; cependant on en était encore à seize lieues.
On lit droit à sa demande, et on jeta à la mer une
barre sur laquelle il sauta ; puis, l’eau étant calme , il
DANS L’INDE.
51
se conlia au caprice des flots , environné de requins et
exposé à mille autres dangers. On ne sut jamais si ce
malheureux fanatique parvint à gagner le rivage en vie.
Assurément les chances ne favorisaient guère son en-
treprise.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
52
De Pondichèri à Pulo-Pinang , Malacca, Singapoore,
Batavia.
J’avais visité presque tous les environs de Pondichèri,
et je me promettais bien de continuer mes excursions,
lorsque V Astrolabe vint mouiller en rade de Pondichèri.
Ce bâtiment venait de Madras et se rendait à la côte de
l’Est, où il devait faire plusieurs stations. Le capitaine,
que je connaissais , proposa de me prendre à bord avec
mes chasseurs , et de me ramener à Pondichèri après
m’avoir fait explorer Pulo-Pinang , Malacca , Singa-
poore et une partie de l’île Java, où il devait s’arrêter
assez de temps pour me permettre de chasser. J’accep-
tai avec reconnaissance et sans hésiter une aussi ai-
mable proposition , et mes préparatifs furent bientôt
faits.
Nous devions mettre à la voile dans les premiers
jours de novembre, et je dus profiter du temps qui me
restait pour emballer avec soin tous les produits de
mes chasses précédentes et assurer leur conservation.
Ce travail terminé , je me procurai quelques ouvrages
publiés sur le pays que j’allais parcourir, et je les lus
avec beaucoup d’intérêt.
Le 8 je me rendis à bord , et le lendemain dès le ma-
tin nous faisions voile pour Pulo-Pinang, pays nouveau
pour moi , et nouvelles espérances. Bientôt nous perdî-
mes la côte de Coromandel de vue, et notre navigation
fut assez heureuse. Dix jours après nous avions tra-
versé le golfe du Bengale , et nous nous trouvions de-
Presqu'île cle Malaeca,
DANS L’INDE.
53
vaut les îles Nicobar : nous eûmes alors un peu de mau-
vais temps, les vents nous contrarièrent pendant quel-
ques jours ; et ils s’étaient fait sentir à la côte , car nous
rencontrâmes beaucoup de goémons ou varecs.
Enfin, le 1er décembre, nous approchions du détroit de
Malacca. Le capitaine prescrivit alors la plus grande sur-
veillance; les armes furent vérifiées et préparées : nous
avions à redouter l’approche des pirates malais , qui sont
très-nombreux, et s’organisent en flottilles pour surpren-
dre les navires pendant la nuit. Nos précautions furent
heureusement inutiles, et, après être restés quelque
temps en vue de File de Pulo-Péra, qui n’est qu’un rocher
presque inaccessible , nous aperçûmes bientôt Pulo-Pi-
nang, ou île du Prince-de-Galles , qui se présentait sous
un aspect assez agréable. Le 6 une élégante pirogue nous
amena un pilote , et nous mouillâmes devant le fort de la
Ville-Georges, au milieu d’un assez grand nombre de bâti-
ments , parmi lesquels on remarquait des jonques chi-
noises, que je visitai avec plaisir. Le capitaine de V As-
trolabe eut la bonté de m’accompagner à bord d’une de
ces jonques , dont le commandant chinois nous fit gra-
cieusement les honneurs. Nos compliments furent échan-
gés avec lui à l’aide d’un interprète; et il ne voulut pas
nous laisser partir sans nous offrir du thé à la mode
chinoise , c’est-à-dire sans sucre. Après cette visite,
nous nous rendîmes à terre pour nous promener dans la
ville. Nous parcourûmes une longue rue formée de deux
rangs de boutiques où paraissait régner la plus grande
activité. C’était un vrai bazar ; chaque magasin portait
une enseigne en lettres chinoises. Je remarquai une
mosquée pour les musulmans , un temple pour les Ar-
54
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
méniens , une église catholique , un temple protestant,
et un autre temple chinois. D’après un des derniers
recensements de l’île, la population était de 37,962 ha-
bitants dont 13,769 Malais ou Boughis et 7,552 Chi-
nois; le reste se composait de Choulias, Bengalis, Ar-
méniens et Européens.
Notre séjour à Pulo-Pinang devait être fort court;
aussi , après avoir visité les points les plus remarqua-
bles de la ville , je fis mes dispositions pour explorer
les environs, qui m’intéressaient beaucoup plus. Dès
le lendemain je partis pour la chasse , suivi de mes deux
Malais. La campagne est fort belle, on y trouve des
routes assez bien frayées : la végétation est riche et vi-
goureuse ; on rencontre un grand nombre de cocotiers,
des aréquiers et des bananiers. Les maisons de campa-
gne ne ressemblent plus à celles de la ville ; elles sont
construites sur pilotis, sans rez-de-chaussée, et l’on
n’y arrive qu’à l’aide d’une échelle. Elles ont rarement
deux étages, et, quoique singulières, elles sont cepen-
dant d’un aspect agréable.
Je fus assez heureux pour rencontrer quelques oiseaux
que je tuai; je reconnus qu’ils ne différaient pas des
mêmes espèces que je m’étais déjà procurées sur la côte
de Coromandel. Après avoir chassé une partie de la
matinée, nous fîmes une petite halte pour déjeuner.
Des noix de cocos firent tous les frais de ce repas, qui
me parut excellent. Je continuai de marcher sans di-
rection arrêtée; ne connaissant pas le pays, je m’avan-
çais à l’aventure. Je tuai plusieurs oiseaux nouveaux,
parmi lesquels je reconnus avec plaisir V Edolius puellus,
et, chemin faisant, j’avais récolté quelques plantes rcmar-
DANS L’INDE.
quables. Enfin, lorsque nous eûmes notre charge, il
fallut bon gré mal gré songer au retour. Je repris la
route de la ville, où nous attendait un canot qui nous
ramena à bord de l'Astrolabe , où je mis de suite mes
plantes en presse, pendant que mes Indiens préparaient
les oiseaux.
Le lendemain, le capitaine et les officiers du bord se
réunirent à moi pour fairo- une partie de chasse sur la
presqu’île malaie; mais nous ne fûmes pas heureux,
ou plutôt nous fûmes tout autant occupés des cu-
riosités qu’offre le pays que de la recherche des
animaux. Je tuai cependant un aigle pêcheur, des
martins et des aigrettes blanches. Les marlins se trou-
vent fréquemment autour des troupeaux; ils se posent
sur les buffles, où ils trouvent de nombreux insectes.
Après une journée de fatigue sans grand résultat, nous
nous dirigeâmes vers le bâtiment, et il était temps d’y
arriver, nous avions tous besoin de repos. Là nous
attendait l’évêque de la mission de Cochinchine : sa
présence s’expliqua par quelques tracasseries éprouvées
par les prêtres catholiques.
Peu content de mes premières chasses, je voulus
faire une excursion sur la montagne des Signaux, peu
éloignée de la côte. Un négociant qui vint nous voir à
bord nous avait invités à nous rendre à une maison de
campagne qu’il y a fait construire. Nous partîmes de
grand matin avec un canot, et, arrivés à terre, nous
trouvâmes des chevaux de selle qui nous étaient envoyés
par notre amphitryon, M. Rewely. Un petit chemin
mal frayé à travers une forêt vierge nous conduisit au
pied de la montagne ; nous entendions de temps à autre
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
56
les cris aigus des singes et le chant de quelques oiseaux
qui ne se firent pas voir. Je tuai deux singes malgré
leur agilité et leurs singulières grimaces. Enfin, et non
sans peine, nous arrivâmes au haut de la montagne où
M. Rewely nous attendait pour nous conduire à sa
maison. On nous servit du thé et quelques gâteaux :
c’était peu pour des gens affamés, il fallut s’en conten-
ter. Après une bonne nuit et malgré l’ exiguïté du repas
de la veille, je me mis en chasse, et le plaisir que j’eus
dans la montagne me fit facilement oublier l’abstinence
à laquelle l’usage du pays me condamnait. Je fis une
journée remarquable par la beauté et la variété de mes
victimes. Le soir même, on proposa pour le jour sui-
vant une chasse au tigre; c’était ce que je désirais le
plus ardemment. A la pointe du jour nous nous mîmes
en route pour l’île de Bouton-Cawanes, où nous emme-
nâmes M. Bouchaud, qui allait visiter la mission chi-
noise. Après une heure de traversée nous arrivâmes à
l’embouchure d’un petit ruisseau qui nous servit de
port, et, après avoir marché quelque temps, nous
reconnûmes le lieu du rendez-vous. Là se trouvaient
rassemblés quelques propriétaires que les tigres avaient
visités pendant la nuit, et qui nous racontèrent toutes
les pertes que ces cruels visiteurs leur faisaient faire
chaque jour.
La chasse aux tigres ne se fait que la nuit et dans
le plus grand silence. Nous montâmes, à l’aide d’é-
chelles, sur des arbres entre les branches desquels on
avait préparé de petites plates-formes, et nous avions
à peu de distance et devant nous une vache qui, atta-
chée à un piquet, devait servir à attirer l’ennemi. A la
DANS L’INDE.
(in du jour nous nous mîmes donc à l’affût ; mais, comme
cela arrive souvent, les tigres ravageaient un troupeau
voisin pendant que nous les attendions perchés sur
nos arbres et n’osant pas même nous parler, dans la
crainte de les détourner. La patience ne nous manqua
pas, nous entendions à peu de distance le bruit qu’ils
faisaient; mais aucun d’eux ne vint de notre côté, et il
fallut y renoncer pour ce jour-là. Le lendemain, nous
fûmes plus heureux; car à peine étions-nous postés
qu’un tigre vint sauter sur la malheureuse vache, qui
se défendit peu. Mon chasseur et moi nous fîmes feu en
même temps, et le tigre roula sur l’herbe. Revenu de
la première émotion inévitable en pareille circonstance,
je crus remarquer qu’il n’était que blessé, et qu’il
pourrait bien se jeter sur nous si nous descendions de
notre arbre; aussi, par précaution, je lui envoyai une
balle dans la tête, et cette fois nous allâmes à lui sans
crainte. Tout fier de ma chasse, je rapportai mon tigre
en triomphe, et ce n’est qu’à regret que je songeai au
départ. J’aurais voulu tuer plusieurs de ces animaux ;
mais il fallait rentrer à bord, où le capitaine m’atten-
dait pour mettre à la voile. Mes Indiens dépouillèrent
la victime, et je n’emportai que sa tête et sa peau. Arrivé
à bord, je reçus les compliments de tous les officiers,
qui regrettèrent beaucoup de n’avoir pu m’accompa-
gner dans cette excursion.
Le lendemain on leva l’ancre et nous fîmes roule
vers Malacca, où nous arrivâmes le 25 décembre.
La ville de Malacca fut fondée en 1252, par un
prince malais qui fut chassé de ses États par un sou-
verain de Java. Les Portugais, sous Albuquerque, s’en
58
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
emparèrent en 1514, et elle devint un de leurs prin-
cipaux établissements et la clef de leur commerce dans
les mers au delà de l’Inde. Les Hollandais l’attaquèrent
en vain en 1505 ; ils s’en emparèrent cependant en 1641
après une résistance opiniâtre. Les Anglais la leur enle-
vèrent en 1795; mais la colonie de l’île du Prince-de-Gal-
les en diminua beaucoup l’importance. A la paix de 4814
ils la restituèrent aux Pays-Bas, qui l’ont cédée à l’An-
gleterre en 1823. La ville est défendue par un fort où
réside le gouverneur; les rues sont pour la plupart
larges et belles; il y a une bonne rade pour les gros
navires. On exporte de Malacca de l’étain, beaucoup
de poivre, du sagou, des rotins, des dents d’éléphant
et de la poudre d’or ; les importations consistent en
opium, soie et dollars. Le commerce est moins actif
qu’aulrefois, dit-on; beaucoup de navires préfèrent l’île
du Prince-de-Galles, où il se trouve une plus grande
variété d’articles à exporter.
J’avais des lettres de recommandation pour M. W.
Leurs; je me rendis de suite chez lui, et il eut la
bonté de m’offrir des guides pour m’accompagner dans
mes promenades : ce que j’acceptai avec d’autant plus
de plaisir que l’on fait souvent de fort mauvaises ren-
contres, et que les hommes y sont parfois plus à crain-
dre que les bêtes féroces. Notre séjour à Malacca fut de
peu de durée; mais mon temps y fut bien employé, et
mes collections s’y enrichirent beaucoup. Je me fis
conduire dans une forêt peu éloignée de la ville, et j’y
tuai plusieurs espèces de singes, des cerfs et des anti-
lopes; c’est là que je me procurai un assez grand nom-
bre de calaos et des faisans argus. Je fus aussi assez
DANS L’INDE.
59
heureux pour tuer un jeune tigre, quelques sangliers
et deux boas monstrueux; je trouvai encore un grand
nombre d’insectes. Le plaisir d’une chasse aussi pro-
ductive ne me fit pas oublier les plantes, que je
désignais à un Indien qui n’avait rien autre chose à
faire qu’à récolter les objets que je voulais emporter, et
qui le faisait avec assez d’intelligence. Malheureusement
nous ne pouvions nous arrêter que quelques jours dans
les endroits qui me promettaient les plus abondantes
récoltes et les chasses lés plus heureuses. Les environs
de Malacca, fort beaux et entrecoupés de collines et de
vallées très-fertiles, sont cultivés avec peu de soin; ils
produisent principalement du poivre.
Le 31 décembre, nous nous mimes en roule pour
Singapour, où nous arrivâmes après deux jours de mer.
Dès notre arrivée, notre premier soin fut de visiter
ville. L’aspect qu’elle offre le soir est des plus curieux.
Elle est éclairée par un grand nombre de lampes entou-
rées de globes en papier blanc, sur lesquels sont tracés
des caractères chinois de diverses couleurs. Nous entrâ-
mes dans quelques magasins ; les marchands sont très-
froids, peu engageants : on les dit fourbes et voleurs.
Le commerce y est plus florissant que dans les pays
que nous venions de voir. Par sa position, Singapour
est l’entrepôt du commerce de la Chine et du Bengale.
La ville est partagée en deux parties : l’une est la ville
chinoise, l’autre est habitée par les Européens et le
gouverneur. Pendant que nous y étions, on fit de
nombreuses processions pour obtenir l’arrivage de plu-
sieurs jonques qu’on attendait. Singapour n’avait été,
jusqu’en 1818, qu’un repaire de pirates; les Anglais y
60
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
ont formé depuis un établissement qui a fait en fort peu
de temps des progrès très-rapides en population, en
richesse et en bien-être : ce qu’il doit, indépendamment
de sa position heureuse, à un commerce libre et à des
lois justes et égales pour les hommes de toutes les
croyances et de toutes les couleurs.
On dit aussi que la prospérité de cet établissement
est due en grande partie à sir Stamfort-Rafïïes, quoi-
que la Compagnie anglaise des Indes orientales soit
parvenue à faire supprimer une partie des lois justes
et bienfaisantes que ce gouverneur avait établies, et
qui étaient une critique amère de l’administration de
cette Compagnie dans le reste de l’Inde.
Je fus invité par un Danois établi depuis long-temps
à Singapour à faire une partie de chasse ; il connaissait
parfaitement le pays, aussi notre journée fut-elle très-
heureuse. Les jours suivants furent encore bien occu-
pés. Dans une de mes courses à terre je rencontrai
M. Balcstier, consul américain, qui connaissait MM. De-
lessert de Paris, avec lesquels il avait été en relation
pendant quelque temps lorsqu’il était aux États-Unis.
Il m’accueillit avec bonté et m’offrit même un logement
chez lui; il eut la complaisance de me faire visiter en
détail une fabrique de sagou. Le peu de temps que je
passai à Singapour enrichit beaucoup mes collections.
J’eus aussi l’occasion de voir deux missionnaires fran-
çais ; ils pleuraient la mort de deux autres missionnai-
res américains qui, s’obstinant à pénétrer dans le pays,
avaient été tués et mangés par les Sauvages Baltas.
Ce n’est pas sans danger qu’on explore ces parages :
les hommes et les animaux sont, à craindre. Mon ami
DANS L’INDE.
(il
M. Perrottet courut les plus grands dangers près de
Samboangan : emporté par le désir de se procurer des
végétaux qui pourraient être utiles pour les colonies
françaises, il cherchait souvent à s’éloigner de la ville.
« Un jour, me dit-il , je fus extrêmement surpris , en
voulant pénétrer dans l’intérieur d’un grand bois, du
refus obstiné de mon guide de m’y accompagner. Il lit
même toutes sortes d’instances pour m’engager à n’y
pas entrer : il me donna pour raison qu’il était infesté
de Maures , hommes sauvages ne vivant que dans les
forêts, d’où ils font souvent des excursions dans les
villes, où ils pillent et égorgent tous ceux qui veu-
lent s’opposer à leurs coupables desseins. Regardant
cette version comme un peu exagérée, je n’en fus
guère effrayé. Je n’aurais point changé ma résolution
de parcourir les bois si mon guide ne m’eût menacé de
m’abandonner. Je fus donc forcément contraint d’her-
boriser seulement aux environs de la ville. Lorsque je
fus de retour à Samboagan , je demandai au gouverneur
l’explication de ce conte des Maures ; sa réponse ne fut
pas plus rassurante que celle du guide. Il me raconta
alors que. huit mois ne s’étaient pas encore écoulés de-
puis que son prédécesseur avait été égorgé dans son lit,
et que sa garde avait été massacrée par les Sauvages. Il
m’engagea fortement à faire comme lui , qui ne s’éloi-
gnait jamais beaucoup de la ville. Presque tous les
jours, ajouta-t-il , on voit dans les environs des bandes
d’individus cherchant à piller et à incendier la ville.
» De pareils récits étaient peu faits pour me donner le
courage de continuer mes courses ; cependant l’amour
de la science l’emporta sur celui de la vie : le guide que
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
62
je tenais du gouverneur ne voulant plus m’accompa-
gner, je m’arrangeai avec quelques chasseurs de notre
bord et nous pénétrâmes assez avant dans le pays.
» Soit que le bruit de nos armes à feu ait intimidé les
Sauvages , soit que , nous ayant aperçus eux-mêmes, ils
n’aient pas été tentés de nous attaquer, nous ne décou-
vrîmes aucune trace de ces Maures; mais, en revanche,
nous fûmes à plusieurs reprises poursuivis par des buf-
fles, dont les bois sont remplis. Un jour, j’étais seul,
ayant perdu mes chasseurs , absorbé dans mes herbori-
sations ; je cueillais des fleurs et des graines sur des ar-
brisseaux formant un bosquet de bois assez touffu , lors-
que tout à coup je fus distrait de mes occupations par
un bruit sourd qui paraissait approcher : je me retour-
nai promptement et je vis venir à moi trois buffles
énormes qui se suivaient, portant le nez en l’air et
marchant à grands pas; je me sauvai à toutes jambes et
franchis une haie servant de clôture à un champ de riz,
qui se trouva heureusement assez près de moi au mo-
ment où j’allais être atteint par ces animaux. Les buf-
fles , le nez appuyé sur la palissade , me mangeaient
des yeux ; ils finirent probablement par s’ennuyer, et
s’en retournèrent quelques minutes après. Ma frayeur
calmée et le danger passé, je fus chercher ma boîte
d’herborisation; et je continuai mes recherches , non
sans retourner quelquefois la tête pour regarder si je
n’aurais pas encore quelques buffles à mes trousses. »
Le 22 janvier nous nous rendîmes à bord , le départ
pour l’île Java devant avoir lieu le même jour. Le voy age
devait être de courte durée , mais le temps fut mauvais ;
à l’entrée du détroit l’on fut obligé de jeter l’ancre dans
DANS L’INDE.
63
la soirée. La nuit était très-obscure ; heureusement pour
nous le temps s’éclaircit, et le capitaine reconnut que
nous avions mouillé à un demi-mille des rescifs de Pan-
Schoul. Bientôt après, un grain nous surprit; et, s’a-
percevant que nous chassions sur nos ancres et que
nous étions portés sur les rescifs, où la mer se brisait
avec force, l’officier de quart ne perdit pas une minute :
il donna l’ordre de relever l’ancre; mais, comme cette
manœuvre se faisait difficilement , il fit prendre le vent
et couper la chaîne, pour nous éloigner à toutes voiles.
Le mauvais temps augmenta , nous perdîmes deux voi-
les, et, après quelques heures de grosse mer, le jour
commença à paraître, le vent s’affaiblit , et nous conti-
nuâmes notre route sans accident. Le 27 , à la fin du
jour, nous étions au mouillage de Batavia.
Cette ville fut fondée sur le terrain occupé ancienne-
ment par la ville indienne de Jaccatra. En débarquant
au port ou Boom, on a devant soi l’ancienne ville; on
la traverse en passant par trois ou quatre rues assez fré-
quentées pendant la matinée, mais tout à fait désertes
pendant le reste du temps. Au bout de l’ancien fau-
bourg, ou Buiten-Niew-Poort-Straat , un peu plus ha-
bité que le reste , on arrive aux quartiers modernes,
c’est-à-dire à une suite de jolies habitations entourées
de jardins , sur les bords du canal de Moolenvliet et de
Ryswyk , sur une longueur d’environ trois quarts de
lieue. A l’issue de ce canal on a devant soi une grande
plaine carrée , pareillement entourée de maisons euro-
péennes : c’est Weltevreden ou le Quartier-Militaire; et,
en prenant à droite, on voit une autre plaine à peu près
carrée que l’on nomme le Konings-Plein, aussi entourée
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
6A
de charmantes maisons particulières. En traversant
Weltevreden on se retrouve sur la grande route menant
à Builenzorg , le long de laquelle les habitations, d’une
architecture moderne , se succèdent de nouveau pen-
dant une bonne lieue et demie, jusqu’au delà du fort
de Maester-Cornelis. Si l’on ajoute à cela quelques al-
lées latérales aboutissant au canal ou aux carrés dont
nous venons de parler, comme le Prinseen-Laan , le
chemin de Gounong-Sahocrie, celui de Tanaaban, on
pourra se faire une idée de la disposition de la capitale
de Java. Derrière ces différents quartiers européens se
trouvent les quartiers ou camps des habitants asiatiques
et des Chinois. Le camp de ces derniers est hors de
l’enceinte et à l’ouest de l’ancienne ville , dont il
formait comme un vaste faubourg ; mais, à la longue, ils
se sont glissés partout , et on les voit maintenant établis
de tous côtés, surtout dans les bazars situés entre les
quartiers qui viennent d’être cités.
On remarque sur la place d’armes une colonne élevée
par les Hollandais en mémoire de la bataille de Water-
loo ; elle est surmontée d’un lion dont la griffe semble
arrêter le mouvement d’un monde. L’allégorie n’est pas
forcée sans doute, mais il est curieux de remarquer que
toutes les nations veulent être représentées par le lion ;
c’est un hochet qu’on rencontre partout en sortant de
France : aussi l’on pardonne facilement cette fanfaron-
nade aux peuples étonnés d’avoir battu par leur force
numérique une armée habituée à la victoire, on serait
lier à moins!
La rade de Batavia est aussi sûre que belle, une een-
laine de navires peuvent y trouver un excellent ancrage :
DANS L’INDE.
65
ordinairement les grands vaisseaux de l’État mouillent
à une assez grande distance et dans la partie nommée
rade extérieure, car elle est regardée comme infiniment
plus salubre que celle plus rapprochée du rivage.
Quantité de petites îles entourent et couvrent pour
ainsi dire la rade de Batavia; la plupart sont inhabitées
maintenant, mais presque toutes avaient été utilisées
autrefois par l’ancienne Compagnie des Indes pour y
placer des chantiers, des magasins, des hôpitaux ou des
ateliers.
On croit généralement la population de Batavia plus
considérable qu’elle ne l’est en effet : 3,025 Européens
ou descendants d’eux, 23,108 Javanais ou Malais, 14,708
Chinois, 601 Arabes et 12,419 esclaves; ce qui donne
une population de 53,861 âmes , parmi lesquelles on
ne comprend pas la garnison de Weltevreden. La popu-
lation de la province est de 182,654 habitants.
Les Javanais sont généralement bien faits; leur fi-
gure est grave et fière ; leur costume se compose d’une
longue chemise à manches courtes, d’un large pantalon
en toile, et d’un pagne couvrant les épaules et le cou.
Les chefs seuls portent des pantoufles en tout temps.
L’usage veut qu’un Javanais, môme d’une classe élevée,
se déchausse en paraissant devant son supérieur. Les
hommes du peuple sont désignés , en général , sous le
nom d ' Orangkitjiel, et les habitants des montagnes sous
celui A’ Oranggounon. Les Javanais, dit M. de La Place,
ont un caractère assez doux , obéissant , susceptible de
reconnaissance et d’attachement; mais ils sont super-
stitieux, fanatiques, vindicatifs et attachés fortement à
leurs usages.
9
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
GG
Les anciennes relations font souvent mention des
Amokspiiwers 3 qui, dans leur rage aveugle, dit-on,
couraient les rues, tuaient ou blessaient tous ceux
qu’ils rencontraient, jusqu’à ce qu’on fût parvenu à les
tuer eux-mêmes. Ces accidents sont devenus infiniment
plus rares, comme l’assure M. de Hogendorp, depuis la
cessation de la traite des esclaves. C’étaient le plus sou-
vent des Boujinais et des Bal i nais nouvellement amenés
et vendus, parmi lesquels il s’en trouvait qui, regret-
tant leur patrie, des parents, une amie, une épouse;
d’autres qui, ne pouvant exécuter les ordres qu’ils ne
comprenaient pas encore et craignant le châtiment ,
éprouvaient un dégoût de la vie qui parfois dégénérait
en frénésie , pendant laquelle ils se saisissaient de la
première arme venue pour en frapper aveuglément au-
tour d’eux, sachant d’avance qu’ils tomberaient à leur
tour et n’auraient pas long temps à souffrir. L’ivresse
produite par l’opium donne quelquefois lieu à des fu-
reurs Semblables.
Le duel est extrêmement commun parmi les Javanais ;
pour la moindre insulte, ils se déchirent à coups de
crit, comme des tigres. Les enfants mêmes se battent
quelquefois jusqu’à la mort. La jalousie est la principale
cause de ces combats, auxquels les Hollandais cher-
chent en vain à mettre un terme ; un regard , un mol
indiscret, suffit pour occasionner des meurtres et en-
gendrer des haines irréconciliables qui se transmettent
de père en fils.
Les femmes, qui inspirent des passions aussi violen-
tes, sont belles et bien faites : malgré leur teint très-
brun , elles ont une physionomie fort agréable, à la-
quelle de grands yeux noirs, au regard doux et pensif,
de longs cheveux relevés avec grâce derrière la tête,
donnent quelque chose d’ intéressant. Leur tournure
paraît aisée, voluptueuse; et leur habillement, qui tout
simple qu’il est ne manque pas de coquetterie, leur
prêle un nouveau charme : une chemise blanche et am-
ple, qui ne laisse voir que la forme d’une gorge conser-
vée soigneusement, et dont les plis sont serrés autour
de la ceinture par un pagne qui descend jusqu’aux ta-
lons; une pièce d’étoffe de grand prix, qu’elles drapent
de mille manières sur des épaules couvertes de colliers;
enfin des bras arrondis et ornés de bracelets , des mains
petites, des pieds bien proportionnés, achèveraient de
faire des Javanaises des femmes séduisantes , si leurs
dents noires et leur bouche , inondée d’une salive rouge ,
ne portaient, comme celle des hommes, les traces
repoussantes du bétel et même du tabac mâché et
fumé. Leurs qualités morales sont moins flatteuses,
et mon compagnon de voyage les a tracées très-fidèle-
ment : « Là, comme ailleurs, dit-il, il est sans doute
d’honorables exceptions ; mais , en général , l’éducation
première y est extrêmement négligée. Les enfants,
entourés dès leur berceau d’une foule d’esclaves
empressés à satisfaire leurs moindres fantaisies, sont
tellement portés à suivre l’impulsion du climat et de
leurs désirs, qu’avant même d’avoir atteint l’âge de
vingt ans ils sont plongés dans une immoralité dégoû-
tante. Leur caractère, naturellement indolent, ne peut
supporter la gêne d’une élude quelconque; on voit très-
souvent des jeunes filles de dix-huit ans, appartenant
aux familles les plus riches, qui ignorent jusqu’aux
68 SOUVENIRS D’UN VOYAGE
éléments de la plus simple éducation. 11 est facile de
concevoir combien cette ignorance, jointe aux influen-
ces perfides du climat, tend de pièges à leur innocence :
aussi n’est-il pas rare de les voir se laisser aller à la
séduction. »
Les dames de Batavia déploient dans leur toilette un
luxe prodigieux; et, malgré tout cet éclat, elles sont
loin d’effacer les Européennes, dont elles ne peuvent
égaler l’élégante simplicité : elles le sentent si bien,
que ces dernières sont pour elles un objet d’exécration,
et il n’est que trop commun de voir les funestes effets
de leur haine.
La nature, active dans ces climats, a doué leurs
habitants des passions les plus violentes ; mais la jalousie
surtout est chez eux un foyer toujours ardent, qui laisse
toujours échapper des flammes dévorantes que rien ne
peut réprimer. De fréquents exemples ont rendu cette
vérité incontestable, et le trait suivant, arrivé à Bata-
via, pourra en donner une idée exacte. Un jeune Malais,
élevé par un Européen, et devenu depuis son domestique
affidé, avait donné en plusieurs circonstances les mar-
ques les moins douteuses d’un attachement sans bornes
pour son bienfaiteur et son maître. Celui-ci devint
amoureux d’une de ses esclaves, que son fidèle domes-
tique aussi aimait éperdument sans oser l’avouer. Le
soupçonneux Malais épia les démarches de son maître ,
et ne tarda pas à reconnaître qu’il n’avait plus rien à
obtenir de la jeune esclave. Dès qu’il ne douta plus de
son malheur, il ne respira que pour satisfaire une ven-
geance complète; et il sut tellement contenir les trans-
ports de la jalousie et de la rage qui le dévoraient , que
DANS L’INDE.
69
les imprudents amants continuèrent leur liaison dans
une sécurité parfaite. Plusieurs mois s’étaient écoulés
ainsi sans que le vindicatif Malais eût trouvé une occa-
sion favorable pour mettre à exécution son funeste pro-
jet , lorsque son maître le prévint un jour qu’il se pro-
posait d’aller le lendemain à la chasse dans les forêts
voisines, et qu’il désirait qu’il l’accompagnât.
Ils partirent en effet le jour indiqué. Lorsqu’ils fu-
rent isolés au milieu du bois , le Malais , chargé des
armes , s’arrêta soudain , et , fixant des regards furieux
sur son maître, lui dit avec une fureur concentrée:
« Depuis que j’ai pu marcher, je t’ai toujours suivi , sur
terre , sur mer, partout enfin ; lu as eu en moi le plus
zélé serviteur ; tu m’as été en plusieurs circonstances
redevable de la vie ; et , en agissant aussi bien envers
toi , je ne pouvais cependant le peindre tout l’excès de
mon attachement. Loin de trouver en loi les sentiments
reconnaissants sur lesquels je devais compter, lu m’as
outragé avec la femme que je chéris , et tu ne crains pas
de faire périr de douleur le compagnon fidèle de tes
dangers. L’enfer repose dans mon cœur ulcéré depuis
plusieurs mois ; aujourd’hui seulement je trouve l’oc-
casion de lui donner l’essor. Tu vas mourir, maître in-
grat et cruel , je vais t’ immoler à ma vengeance ; mais
je sens que je t’aime encore, malgré ta perfidie : aussi
ne pense pas que je puisse te survivre , mon crit m’aura
bientôt délivré d’une existence que je ne pourrais plus
supporter. »
Le Malais exécuta sur-le-champ sa terrible menace.
C’est lui-même qui raconta ainsi les détails de cette scène
alïligeante à plusieurs montagnards qui , en traversant
70
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
la forêt, le trouvèrent gisant à côté de sa victime, et
donnant encore quelques signes de vie.
Certes, les dames créoles sont loin d’imiter la froide
cruauté de ce frénétique ; mais la jalousie fait néanmoins
chez elles d’affreux ravages. La vengeance la plus horri-
ble est toujours celle qu’elles préfèrent : habiles à pré-
parer les poisons, qu elles rencontrent facilement dans
un grand nombre des productions du pays, elles les font
avaler, par doses calculées , aux victimes que leur cœur
outragé a désignées. Beaucoup de personnes meurent à
Batavia d’une maladie du foie attribuée au climat, et
qu’il serait peut-être plus naturel de regarder comme
le résultat des breuvages apprêtés par les séduisantes
Malaises.
On voit des Malaises se marier dès l’âge de dix ans.
Ln Javanais, M. Midelcop, a raconté à M. Perrottet tous
les détails de la cérémonie des mariages; ils méritent
d’être mentionnés. Lorsqu’un Malais devient amou-
reux d’une Malaise, suivant l’usage de tous les peuples,
il lui fait la cour; c’est dans la manière de s’y prendre
que diffèrent les coutumes des nations barbares ou civi-
lisées. Si la jeune fille partage les sentiments qu elle in-
spire , le Malais va trouver le père de sa future , lui dé-
clare sa passion , et le supplie de lui accorder la main
de sa fille, dont il possède déjà le cœur. La réponse du
père est rarement positive : il examine d’abord quelle est
la fortune de celui qui veut devenir son gendre ; s’il pos-
sède une case pour loger sa fille , et des champs en-
semencés suffisants pour la nourrir. La loi veut que
ces conditions soient de rigueur, et les pères , en géné-
ral , ne sont pas plus exigeants que la loi. Lorsque le
DANS L’INDE.
71
jeune homme a obtenu îe consentement des parents, i!
s’empresse d’en prévenir ses propres parents et ses
amis. Il est rare que le marié ait plus de seize ou dix-
huit ans. Tous ceux qui prennent part au mariage du
côté de l’époux se réunissent ; on commande des musi-
ciens : deux ou trois joueurs d’une espèce de hautbois
forment le fond de cet orchestre , placé à la tête du cor-
tège, qui doit parcourir toute la ville. Les parents du
jeune homme et leurs amis remplissent des paniers de
bananes cuites, de biscuits et de toutes sortes de choses
destinées au festin. On place sur la tête du marié un
bonnet de carton en forme de schako sans visière , et
peint en jaune; tout son costume se réduit à un panta-
lon. I! monte à cheval , et il a à ses côtés pour écuyer un
barbouilleur qui a peint soigneusement en jaune, avant
de sortir, toutes les parties du corps non couvertes par
le pantalon, et qui , pendant la promenade, ne le perd
pas un seul instant de vue, et remplace, chemin fai-
sant , la peinture partout où elle s’efface , soit par le
frottement , soit par la chaleur. Ce peintre , avec son
pot de peinture et son pinceau , n’est pas la partie la
moins bizarre de cette procession burlesque, composée
ordinairement d’une cinquantaine de personnes, hom-
mes et femmes ; celles-ci portent chacune un panier de
vivres. Le cortège , sorti le matin , ne rentre que le
soir, et ne s’arrête durant la journée que pour manger
et se rafraîchir. Le soir venu , on rentre chez îe nouvel
époux , où se trouve servi un joyeux banquet. La future
n’y assiste pas, attendu qu’elle n’est pas encore ma-
riée ; son tour arrive le lendemain ; la même cérémonie
a lieu pour elle; cependant, au lieu d’être à cheval,
72
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
elle est portée en palanquin , et est dispensée de se faire
barbouiller le corps. Le cortège de la mariée se réunit
le soir à celui de l’époux , et c’est seulement alors qu’ils
peuvent se considérer comme unis, et qu’ils se retirent
dans leur case.
Au milieu de celte population douce et indolente se
trouvent des Malais à demi sauvages qui ne vivent que de
rapines et de brigandages. Un jour mon ami M. Perrot-
tet, sorti de Sourabaya pour herboriser, fut tout à coup
arrêté dans un petit bouquet d’arbres par cinq Malais ar-
més chacun d’un crit , espèce de poignard. Après l’avoir
fouillé pour le voler, ils semblaient animés d’intentions
encore plus hostiles. Heureusement mon ami portait
dans sa poche un petit dictionnaire malais , qui lui ser-
vit à leur faire deviner en partie le but de ses promena-
des. Ils ne comprirent peut-être pas très-bien le sens de
ses phrases décousues ; mais ils parurent tellement sur-
pris d’entendre quelques mots de leur langue prononcés
à l’aide de son dictionnaire , qu’après s’être concertés
ensemble ils semblèrent vouloir le rendre à la liberté :
ils commencèrent par le conduire au bord d’une rivière,
et voulaient à toute force la lui faire passer sur un étroit
bambou qui servait de pont. Il vit bien que leur inten-
tion était de le précipiter dans l’eau une fois qu’il serait
sur ce faible appui. Mais, pour leur épargner le plaisir
de rire à ses dépens, il s’y jeta de lui-même, la tra-
versa à la nage, et ne commença à respirer que lors-
qu’il toucha l’autre rive. Ils lui avaient pris le peu d’ar-
gent qu’il portait , et une petite serpette.
Après cette aventure, Perrottet, au lieu de continuer
sa promenade, regagna la ville à la hâte, et alla rendre
DANS L’INDE.
73
compte aux autorités de ce qui lui était arrivé. On lui
promit de faire des perquisitions à ce sujet, mais il
n’en entendit plus parler : seulement le gouverneur lui
accorda un guide du pays pour l’accompagner dans ses
excursions, et il ne sortit plus sans lui.
Il dut un jour à son guide l’honneur d’être reçu par
un tomogon ( l’on désigne sous ce nom les princes du
pays). « Je trouvai, dit-il, ce petit seigneur assis sur ses
talons et placé sur une table de bambou ; mon guide, à
sa vue, fit comme tous les naturels du pays, il se pro-
sterna contre terre à dix ou douze pas de son chef. Ce-
lui-ci, après avoir interrogé mon compagnon de voyage
sur le motif qui m’amenait dans ses domaines, se leva,
vint au-devant de moi, et, me prenant par la main, il
me conduisit auprès de la table, sur laquelle il prenait
du thé; il en demanda pour moi, et me le fit servir par
son fils. Je remarquai que sa femme évita de m’appro-
cher. Après le thé, on apporta deux tasses de porcelaine
dans lesquelles on versa du café. Pendant que j’en bu-
vais une, l’autre se remplissait; ce qui m’engagea ou
plutôt me força en quelque sorte à en avaler successive-
ment cinq qui me désaltérèrent complètement. Ce café
était détestable et d’une saleté dégoûtante ; je ne pouvais
boire souvent qu’à demi les tasses qu’on me servait et je
jetais le reste, qui contenait la partie la moins propre.
» Le tomogon essaya à plusieurs reprises de me parler
directement ; mais jamais nous ne pûmes lier conver-
sation : je ne l’entendais nullement, et il ne comprenait
pas un seul mot de ce que je lui disais. Mon guide, qui
depuis notre arrivée était toujours agenouillé sur une
natte étendue par terre pour tous les sujets qui ont
10
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
affaire au souverain, me servait d’interprète. A eliaque
parole qu’il adressait au lomogon, il élevait, en signe
de respect, ses deux mains jointes jusque devant sa
bouche. Il y avait à peu près une heure que j’étais assis
auprès du tomogon, lorsque sa femme, à qui il avait
ordonné de me préparer à souper, me fit inviter à en-
trer dans la salle où était dressé le couvert. Cette salle
était une cabane close simplement par des lames de
bambou entrelacées l’une dans l’autre; les bancs sur
lesquels nous étions assis étaient de même matière. Je
me mis à table avec le tomogon et son fils, et je man-
geai successivement une espèce d’omelette, du mouton
à moitié cuit cl du riz en guise de pain, que ces Malais
ne connaissent pas. Par une attention assez délicate,
on m’avait donné une espèce de fourchette; mais,
voyant le prince et son héritier présomptif manger avec
les doigts, je voulus, par réciprocité de bons procédés,
me conformer à leurs usages, et je me mis aussi à me
servir assez gauchement de mes doigts.
» Après souper on me montra mon lit : c’était un ca-
napé tissu de rotin , sur lequel on avait étendu une
natte et une espèce de tapis servant de couverture ; on
l’avait garni d’une moustiquaire. En me couchant, je
le trouvai couvert de Heurs de frangipane blanche ( Plu -
meria alba ) ; mon oreiller même en était entièrement
garni. L’odeur forte de ces fleurs, quoique agréable,
me donna un mal de tête affreux, parce que je n’eus
la prévoyance de les éloigner que lorsque je m’aperçus
qu’elles m’avaient incommodé. Ma douleur de tête et le
bruit des deux hommes qui me veillaient m’empêchè-
rent de fermer l’œil de toute la nuit. C’est une habitude
DANS L’IN DD.
chez les Malais, lorsqu’ils donnent I hospitalité de nuit
à un étranger, surtout à un blanc , de le faire garder
pendant son sommeil par des hommes qui chantent pour
l’empêcher d’avoir peur. Ce qui, chez nous, n’est
qu’un enfantillage , est chez le peuple malais une cou-
tume respectable, puisqu’elle prend sa source dans de
généreuses intentions. »
Notre séjour à Batavia devait être de courte durée,
et, comme, d’après une ordonnance rigoureusement exé-
cutée, il est défendu de débarquer des armes ou de la
poudre sans une autorisation du gouverneur, je me dé-
cidai à ne pas perdre de temps en sollicitations qui me
promettaient peu de succès , et, au lieu de chasser, je
eonsacrai mon temps à visiter le pays et à m’occuper
spécialement de botanique. Je fus reçu à Batavia par
M. Lanier (1), riche négociant français qui s’occupe
beaucoup d’histoire naturelle, et particulièrement de
conchyliologie. 11 possède une fort belle collection. Je
rencontrai chez lui M. Diard, naturaliste aussi courageux
que savant, envoyé dans l’Inde avec Duvaucel par Cu-
vier; ils n’ont pu remplir ensemble qu’une partie de
leur mission : Duvaucel est mort pendant l’expédition.
Je remarquai chez un autre négociant une véritable
ménagerie , composée des oiseaux les plus rares , et
même de grands mammifères. Pendant que j’examinais
ces animaux curieux, on vint nous apprendre qu’un
tigre, qu’on transportait à bord d’un navire américain,
(I) M. Lanier, arrivé depuis peu à Paris, s’est trouvé parmi les victi-
mes du malheureux événement du 8 mai, sur le chemin de fer; il n’a dû
qu’à sa présence d’esprit d’en être quitte pour une fracture du bras, et il
n’a pas attendu sa guérison complète pour partir pour Batavia.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
7ô
avait brisé sa cage et s’était jeté sur deux Malais, auxquels
il fit de si cruelles blessures, qu’ils moururent sur la
place. Il se lança à la mer et gagna la terre à la nage en
si peu de temps, qu’il fut impossible de le tuer. C’est
en vain que peu de temps après on se mit à sa pour-
suite , on perdit bientôt ses traces. Ces accidents font
peu d’effet dans le pays , on y est en quelque sorte ha-
bitué. Ainsi le môme jour un Malais , se baignant à peu
de distance de la ville, fut saisi par un caïman , qui ne
put parvenir à l’entraîner sous l’eau ; mais la lutte fut
si longue, que le malheureux Malais, tout couvert de
blessures, n’eut que la force d’arriver à la ville, où il
rendit le dernier soupir après avoir raconté ce qui ve-
nait de lui arriver.
Habitué à marcher sans crainte lorsque j’ai mon fusil
sous le bras, je l’avoue, je résistai au désir de m’aven-
turer sans moyens de défense ; je fus réduit à ne faire
que des promenades et à herboriser.
Un des plus beaux arbres de Java est sans contredit
le tamarin ( Tamarindus indica ), que les Malais nom-
ment pohon assam (arbre aigre); il s’élève très-haut et
étend ses branches au loin. On le cultive de préférence
près des habitations et sur le bord des grands chemins,
parce qu’il fournit un excellent abri contre les ardeurs
du soleil. Le fruit, qui ne peut mieux se comparer qu’à
d’énormes fèves de marais , contient des pignons fort
durs, enveloppés d’un suc épais et d’une saveur acide
assez agréable. A Java on en fait des confitures, tandis
qu’on l’exporte pour l’usage pharmaceutique.
On voit assez communément le Ficus Benjamina (wa-
rïnguin), c’est l’arbre des tombeaux, servant de retraite
DANS L’INDE.
77
à de nombreux oiseaux , qui y déposent un grand nom-
bre de graines mai digérées ; il se couvre de plantes
grimpantes parasites, qui le parent de fleurs très-variées
et souvent aux couleurs les plus éclatantes.
Le Teclonia grandis (pohon jattie) est l’arbre le plus
précieux de File par la qualité durable de son bois ; il
sert à la construction des navires et des maisons. Il est
important de construire les maisons en bois dur pour
résister aux attaques des fourmis blanches, Termes fata-
lis, qui sont très-communes. Leurs innombrables lé-
gions, dit le comte de Hogendorp, circulent sous terre,
descendent sous les fondements des maisons et de là
elles remontent jusque dans les solives de la toiture en
perforant et en faisant des chemins couverts dans toutes
les poutres et les boiseries de la maison, à mesure
qu’elles avancent. Elles peuvent détruire ainsi en fort
peu de temps une habitation de fond en comble. Une
poutre ou une planche en proie à ces petits dévastateurs
parait solide à l’œil, tandis que dans l’intérieur elle est
rongée et percée à l’exception de quelques libres du
bois qui en retiennent les parois extérieures.
Le gambir (Gulla gambir), Funis uncatus de Rum-
pliius ; l’arequier, Âreca catechu, en malais Pinang, en
javanais Jambir, à Amboine Poua ; lesaguier ou gomuti,
Borassus gomulus ■ c’est le plus gros de tous les pal-
miers, une seule grappe du fruit suffit pour la charge
d’un homme. L’enveloppe de ce fruit contient un poison
très-énergique; les Javanais s’en servent pour empoi-
sonner leurs flèches : aussi les Hollandais appellent le
suc qui en découle hell water , eau d’enfer. C’est de ce
palmier que les Chinois retirent le toddy, boisson forte.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
78
lis l'ont une incision à l’arbre, et reçoivent dans un
vase un sue qui a tout d’abord le goût du vin sortant
du pressoir. Après deux ou trois jours, cette liqueur se
trouble, elle devient blanchâtre, acide; la fermentation
s’établit, et elle acquiert une qualité spiritueuse. Cette
liqueur prend alors le nom de vin de palmier; on l’em-
ploie pour la fabrication de l’arrach si renommé de
Batavia. On en obtient aussi un sucre cristallisé de cou-
leur foncée et d’une saveur particulière : c’est le seul
dont se servent les naturels. Le même arbre fournit
encore une espèce de lilasse dont on se sert pour faire
des cordages, une substance spongieuse qu’on emploie
pour calfater les vaisseaux ; enfin on en retire une es-
pèce de fécule d’un goût peu agréable, qui ne sert de
nourriture qu’aux pauvres. Cet arbre précieux à plus
d’un titre ne prospère point sur les côtes, oû le cocotier
croit avec tant de facilité; il préfère les lieux élevés, oû
se rencontre un peu d’eau. Le bois de construction
ne s’obtient pas seulement du Teclonia grandis , qui
n’est employé que par les gens riches; les arbres qui
fournissent les bois employés plus fréquemment sont :
le Liquidamber rasamala (rasamala) ; le Pinus dammara
(ki-bima); le Laurus gemmi/lora (hourou); le Laurus
mangliet (manglit); les Diplerocarpus relusus et Iriner-
vis (palaglar menjak), et plusieurs arbres fruitiers.
Un arbre non moins précieux que ceux que je viens de
citer est le Ficus elaslica (pohon karet), dont les Java-
nais retirent une résine qui sert à faire des flambeaux.
Je parlerai encore du rarach ou arbre à savon, Lau-
rus sebifera, Sapindits saponaria. Ses fruits fournissent
une substance grasse que les Javanais emploient pour
DANS L’INDE.
79
laver le linge. Le bananier, Musa paradisiaca , appelé
pisang par les Malais, fournit un fruit délicieux. Si on le
cueille un peu avant la maturité, quand sa fécule n’est
pas encore changée en sucre, on la fait torréfier pour s’en
servir en guise de pain ; quand il est bien mûr, on le
mange cru : il est alors très-sucré et fort agréable.
Le bananier ne s’élève point en arbre; il n’a d’ail-
leurs ni bois, ni écorce, et le tronc consiste en libres
entourées d’enveloppes bulbeuses qui se recouvrent
l une l’autre. Au haut de cette tige sortent des feuilles
longues et fortes, au centre desquelles paraît une lon-
gue tige autour de laquelle sont rangés un grand nom-
bre de fruits.
Parmi les autres fruits que produit f ile, je ne par-
lerai que du mangoustan, Gareinia mangoslana , nommé
le roi des fruits. Il est légèrement acide, d’une saveur
extrêmement délicate et très-sain; il a F aspect, d’une
grenade mûre. Une écorce brune, dure extérieurement,
plus molle et moins foncée intérieurement, renferme
une pulpe blanche et transparente comme la neige;
c’est la seule partie mangeable du fruit.
Une des productions importantes de Java , et c’est
certainement la plus singulière, est un nid de petite
hirondelle ( Ilirundo Esculenla), qui est extrêmement
recherché dans File et exporté à grands frais en Chine.
Le nid de cet oiseau , dit un voyageur qui a assisté à
une récolte, est formé d’une substance blanche assez
semblable à l’écume de la mer ; il a la forme d’une moi-
tié d’écorce d’orange, et l’aspect gélatineux. Lorsqu’on
le fait tremper dans l’eau, il s’amollit et se partage en
libres de nature mucilagineuse , d’un goût assez fade.
80
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Mon oncle M. Benjamin Delessert en possède quelques
échantillons clans son musée.
On aura peine à comprendre que ces nids se vendent
fort cher et deviennent des sources de fortune pour
ceux qui possèdent dans leurs terres des cavernes où
les hirondelles vont se retirer. On sait dans le pays que
M. Michiels, le plus riche propriétaire foncier de Java,
se fait , avec les nids qu’il récolte dans une caverne à
Klappa-Noungal, située à deux lieues de Java, un re-
venu de 70 à 80,000 piastres. Son père, il y a environ
quarante ans , était un petit marchand portugais qui
parcourait la campagne avec un ballot de marchandi-
ses; il découvrit cette caverne jusqu’alors inconnue,
et obtint du gouvernement, à bas prix , quelques terres
incultes dont la caverne faisait partie. Après quelques
années il put acheter toutes les terres que le gouverne-
ment fit vendre dans les environs , et qui forment plu-
sieurs districts. Ce qui fait rechercher si avidement
ces nids , ce sont les propriétés excitantes et toniques
qu’on leur attribue : on les sert comme une friandise
dans des ragoûts , des soupes et des espèces de pâtés.
On suppose que les hirondelles les construisent avec
de l’écume de mer, tandis qu’il serait plus naturel de
croire que c’est avec des produits végétaux ou animaux
qu’elles les fabriquent. Quoi qu’il en soit, la récolte se
fait avec assez de cérémonie pour que j’en dise deux
mots. Les hommes qui récoltent ces nids précieux des-
cendent , à l’aide d’échelles de bambou , dans les ca-
vernes. Pour être assuré de leur fidélité , on ne les y
laisse entrer que nus ; et , avant d’y descendre , comme
à leur retour, ils reçoivent la bénédiction de quelques
DANS L’INDE.
81
prêtres, qui demeurent pendant l’opération à l’entrée
de la caverne avec les autres gardiens. Il suflit d’observer
avec soin l’époque de la ponte et le moment où les
jeunes oiseaux quittent le nid. On les laisse tranquilles
pendant ce temps afin de ne pas effaroucher les hirondel-
les, qui abandonneraient la caverne. Mais une partie des
nids se récolte avant que les œufs y soient déposés; ces
nids sont plus blancs et plus propres, ils deviennent ce
qu’on nomme dans le commerce nids de première qua-
lité. Les nids de la seconde et de la troisième qualité sont
ceux que l’oiseau construit à la hâte pour remplacer ceux
qui lui ont été enlevés, et ceux où les petits ont été élevés :
bien moins beaux, ils sont couverts de petites plumes et
d’autres saletés que l’on ne peut ôter qu’avec bien de la
peine quand ils ont été trempés. Ordinairement la pre-
mière qualité de nids d’oiseaux se débite aux ventes pu-
bliques tenues à Batavia avant le départ des jonques ch i-
noises, au taux de 3,000 piastres le picle de 125 livres.
Une livre de 16 onces peut contenir environ 50 nids. La
seconde qualité est payée de 14 à 1,500 piastres, et la
troisième de 7 à 800.
Dans quelques résidences ces cavernes sont exploitées
pour le compte du gouvernement , et l’on voit figurer
les nids d’oiseaux, dans certains états d’importations de
l’ile de Java, pour une somme de 180,000 piastres.
Le règne animal n’est pas moins riche à Java que le
règne végétal. Le buffle est l’animal domestique le plus
utile aux Javanais, c’est celui qui leur rend lès plus
grands services. Le bœuf et la vache y sont peu estimés.
Les chevaux sont vigoureux, bien établis, mais de pe-
tite taille ; le pays en fournit peu , mais on en reçoit de
11
82
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Timor el de Bi ma qui sont très-supérieurs à ceux du
pays.
On trouve à Java toute espèce de gibier, et , de plus,
des tigres , des léopards , des rhinocéros , qui ne per-
mettent de se livrer aux plaisirs de la chasse qu’avec
beaucoup de réserve. On a observé que chaque année
deux ou trois cents Javanais périssent victimes de la
férocité de ces animaux. Le gouvernement colonial,
pour contribuer à la destruction des tigres , paye une
prime aux habitants qui parviennent à en tuer un. On
en détruit environ une centaine par année. Cependant
l’établissement de celte prime ne suffit pas , parce que
beaucoup de Javanais ont pour le tigre un respect su-
perstitieux : il y a des villages, dans l’intérieur, où les
habitants, au lieu de se réunir pour faire la chasse,
préfèrent se cotiser pour faire une espèce de pension
alimentaire à ces visiteurs féroces ; c’est-à-dire qu’ils
apportent régulièrement , dans un endroit où le tigre a
coutume de venir, des bêtes mortes ou des débris de
viande de bullle, à défaut de toute autre, espérant à ce
prix n’avoir plus rien à craindre pour leurs personnes
ou leur bétail sur pied.
Madras.
j-coibchs - Gîvusccliy,
Églises Ecossaise/ su ■JfyfaÉh'as .
DANS L’INDE.
83
De Batavia à Pondichèri. — Voyage à Madras ;
excursion à Pamendy et à Gyngy.
Nous étions à bord depuis deux jours, attendant un
vent favorable pour sortir de la rade de Batavia; enfin,
le 20 février, on mit à la voile. Nous nous dirigeons
vers le détroit de la Sonde, et bientôt nous sommes de-
vant la baie de Bantam. Pendant cette traversée nous
eûmes beaucoup à souffrir de la chaleur et des mous-
tiques, dont le bourdonnement est aussi insupportable
que les piqûres douloureuses. 11 faut ajouter à ce pre-
mier supplice la visite incessante des Cancrelas ou
grosses blattes : je ne saurais auquel de ces deux enne-
mis accorder la préférence.
Le 27, après un grain violent de sud-ouest, nous
vîmes tomber une trombe à peu de distance du navire.
Au mauvais temps succéda un calme plat qui nous
força à nous diriger vers le sud pour rencontrer des
vents convenables. Ne pouvant nous attendre à ce
contre-temps, qui prolongeait de beaucoup la durée de
la traversée, nos provisions s’étaient épuisées, l’eau
surtout, et il fut question de nous mettre à la ration ;
heureusement les vents favorables nous furent rendus,
et le quarante-cinquième jour, à notre grande joie,
nous débarquions à Pondichèri.
Aussitôt après le débarquement je m’empressai de
déballer toutes les collections que je rapportais, et j’eus
8 h
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
la satisfaction de voir que tout était dans un état par-
fait de conservation.
On attendait à Pondichéri le nouveau gouverneur,
M. de Saint-Simon, venant remplacer M. de Mélay, qui
rentrait en France après avoir gouverné la colonie pen-
dant six ans.
La corvette de l’État l’Oise, qui amenait le gouver-
neur, avait mis cinq mois pour arriver, après une
courte relâche à l’île Bourhon. Le 1er mai, fête du roi,
fut un jour de réjouissance générale; toute la ville fut
illuminée, on tira un feu d’artifice, et le gouverneur
donna, avant son départ, un bal des plus brillants.
Le 3 mai, Perrottet et moi nous nous rendîmes sur le
port pour voir arriver la corvette, dont le salut se fai-
sait entendre, ainsi que le canon du fort qui lui
répondait.
Un grand nombre de schelingues pavoisées portaient
toutes les personnes qui allaient au-devant du nouveau
gouverneur.
Sur le rivage, les cipayes étaient rangés en bataille.
M. de Saint-Simon fut reçu par un officier supérieur
de la marine et le chef de la police de Pondichéri; il
se rendit de suite au Gouvernement, où toutes les au-
torités étaient assemblées pour le recevoir. La réunion
dans les salons était considérable, mais ne présentait
pas le même aspect que le peuple, dont le costume
varié offrait un coup d’œil remarquable.
Quelques jours après son arrivée, le gouverneur me
fit l’honneur de venir me voir et de visiter mes collec-
tions déposées au Jardin du Roi; elles parurent l’inté-
resser beaucoup.
DANS L’INDE.
85
La corvette qui avait amené M. de Saint-Simon de-
vait reconduire en France M. de Mélay, et je profilai
du départ de ce bâtiment pour envoyer à Paris une
grande partie des objets que je m’étais procurés pen-
dant mon voyage avec V Astrolabe. Je m’occupai de
suite de l’emballage, et je ne me reposai qu’ après avoir
vu embarquer mes caisses.
Le 48 mai, M. de Mélay s’embarqua, emportant les
regrets de la colonie ; la ville entière l’accompagna à
son départ, auquel présidait le nouveau gouverneur.
Cette journée fut triste, et le silence général était un
témoignage de l’affection qu’avait su s’attirer M. de
Mélay. Il prit congé de toutes les personnes qu’il con-
naissait particulièrement, et les honneurs militaires lui
furent rendus ; le canon annonça son départ du rivage
et son arrivée à bord. La corvette appareilla de suite
et fut bientôt hors de vue. Nous étions loin de nous
douter que quatre jours après il mourrait subitement.
Aussitôt que cette nouvelle fut officiellement connue à
Pondichéri, M. de Saint-Simon fit célébrer un service
funèbre auquel toute la ville assista. Par la douceur de
son caractère et sa bonne administration, M. de Mélay
avait su aplanir bien des difficultés et se concilier l’es-
time générale.
Mes premières collections dirigées sur Paris, il fal-
lait en faire de nouvelles, soit en explorant les mêmes
lieux dans une saison différente, soit en visitant des
points plus éloignés de la ville. Le 49, je partis avec
mes chasseurs pour faire une excursion à Permacoul,
où l’on me promettait des merveilles. Permacoul est à
vingt milles de Pondichéri. Pendant la marche j’eus
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
86
beaucoup à souffrir de la chaleur; mais je tuai un grand
nombre d’oiseaux, parmi lesquels je remarquai le Cur-
sorius coromandelicus , le Tetrao umbellus , et le Paon
sauvage. Je tuai aussi quelques petits mammifères. Le
paon domestique n’a rien perdu de son état primitif;
car il est impossible d’établir la moindre différence
avec ceux que je parvins à me procurer au nombre de
huit mâles et femelles. Mes Indiens trouvèrent beau-
coup d’insectes. Après quelques jours de chasse, je re-
vins à Pondichéri mettre en ordre mes richesses. Je fis,
sans m’éloigner autant, plusieurs promenades qui cha-
que jour venaient augmenter mes collections. Je tuai
plusieurs chats sauvages, des corsacs ou renards jaunes,
qui sont assez communs aux environs de la ville ; des
chacals, deux hyènes, des blaireaux, un pélican, et un
ibis, Ibis religiosus.
Mes excursions furent interrompues par la fête du
dieu Schiva, qu’on célébrait à Villenour, et à laquelle
je voulais assister. Elle dura dix jours ; une foule im-
mense s’y était rendue pour voir la statue du dieu qui
fait sept fois le tour de l’étang situé auprès de la pa-
gode. Les brames faisaient tous les frais de la fête , et
les bayadères dansaient et formaient des groupes singu-
liers : un de ces groupes représentait un pigeon blanc
agitant ses ailes.
Après la fête je partis pour Pondichéri ; le retour
des oiseaux de passage était commencé , et je comptais
sur de belles chasses. Cet espoir se réalisa, car je dou-
blai le nombre de mes oiseaux.
On m’avait engagé à me rendre à une aidée anglaise,
connue sous le nom de Pulci-Paléom ; j’en rev ins chargé
DANS L’INDE.
87
de plusieurs oiseaux remarquables, parmi lesquels se
trouvaient plusieurs coqs de bois et des vautours.
Pour me reposer un peu de mes fatigues et varier
mes plaisirs, je partis pour Madras. Je voulais voir
cette ville , dont j’avais si souvent entendu parler. Ma-
dras est un des établissements anglais , à 25 lieues de
Pondichéri. La partie de la ville qu’on nomme la Ville-
Blanche ou le Fort-Saint-Georges est bien fortifiée, et
n’est habitée que par des Anglais. On y remarque une
grande activité, beaucoup de luxe, mais, je crois, aussi
beaucoup d’ennui. Je repartis avec plaisir pour Pondi-
chéri , me disposant à faire une excursion à Gyngy, à
80 milles N. -O.
Après deux jours de marche nous arrivâmes à Bembé-
Pamendy, et nous étions encore à 20 milles de Gyngy.
La route que nous suivions est très-accidentée, le sol
est rocailleux et assez élevé. Un chasseur du pays , qui
me servait de guide , m’engagea à m’arrêter au moins
un jour, me promettant que je ne regretterais pas mon
temps. Je fis alors camper ma petite troupe, et dis-
poser ma tente sous un manguier , dont les feuilles
devaient me garantir de l’action du soleil. J’organisai
une partie de chasse pour le lendemain , et , pour en
assurer le succès , je fis chercher à l’aidée de Pamendy
une douzaine d’indiens qui devaient me servir de tra-
queurs. J’avais amené de Pondichéri huit tireurs, que
je plaçai convenablement aux points fréquentés par les
animaux que nous voulions nous procurer , et que nous
reconnûmes facilement aux traces nombreuses et variées
que l’on voyait sur le sable. Mon guide ne m’avait pas
trompé , car je parvins à tuer plusieurs axis (cerf mou-
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
88
clieté), deux sangliers , un assez grand nombre de liè-
vres et des oiseaux de toute espèce. Ce premier succès
m’engagea à séjourner à Pamendy ; mes traqueurs m’a-
vaient mal fouillé plusieurs enceintes du bois, qui, placé
sur des rochers à pie, était très-épais et presque impéné-
trable. Pendant dix jours je ne cessai de chasser, et je
fus assez heureux pour tuer deux ours , et assez de mam-
mifères et d’oiseaux pour me permettre de choisir et
de préparer ceux qui n’étaient pas trop abîmés par le
plomb.
C’est à regret que je quittai Pamendy pour me ren-
dre à Gyngy, où je parvins après un jour de marche.
L’aidée de ce nom est dominée par d’anciennes forte-
resses construites par des princes indiens et occupées
depuis par des troupes françaises 11 y a environ vingt
ans que le pays est passé au pouvoir des Anglais.
Je m’occupai de suite de l’établissement de mon camp,
et je lis quelques petites promenades pour prendre con-
naissance des lieux et me préparer à la chasse. Les mon-
tagnes arides étaient cependant couvertes çà et là de
petits bouquets de bois.
Je tuai successivement plusieurs axis , des sangliers,
des ours , des porcs-épics , plusieurs écureuils et beau-
coup d’oiseaux remarquables. Sur les bords d’un étang
que nous rencontrâmes, je me procurai quelques oi-
seaux aquatiques d’espèces rares. Nous y aperçûmes
aussi des crocodiles qu’on dit y avoir été apportés au-
trefois. Je consacrai plusieurs jours à la recherche des
insectes , et , ne pouvant prendre le temps de les pi-
quer, je les plongeais de suite dans des llacons remplis
d’alcool.
DANS L’INDE.
89
Les Indiens chargés de préparer mes animaux suffi-
saient à peine ; mon séjour dans ces montagnes m’a
procuré les plus belles chasses : je tuai plusieurs sin-
ges, et, un jour, je surpris deux chiens sauvages, ou
chennayes , Canis primœvus de Hodgson, donnant la
chasse, comme de vrais chiens courants , à un axis que
je leur pris sans pouvoir les tuer eux-mêmes, à mon
grand regret. Ces chiens sont très-rares, et les habitants
du pays disent qu’ils accompagnent toujours les tigres,
auxquels ils servent d’avant-garde. Quoi qu’il en soit de
cette assertion, le lendemain, en allant voir mes chas-
seurs au filet , qui étaient partis de très-bonne heure ,
nous remarquâmes, près de l’endroit où j’avais tué
l’axis de la veille, les" pas assez nombreux d’un tigre de
forte taille, et, un peu plus loin , ceux d’un ours, que
nous suivîmesassez loin , et avec assez de persévérance
pour parvenir à le rencontrer. L’attaque fut vive; mais
la résistance nous déconcerta d’abord un peu : c’était
une bête énorme, et sa fureur, excitée par une pre-
mière blessure à la tête, augmenta d’une manière ef-
frayante dès que je lui eus envoyé à peu de distance
une balle qui lui cassa l’épaule droite; il se dressa con-
vulsivement, et, se dirigeant sur un de mes chasseurs
pour l’attaquer, il fut attendu de sang-froid, et reçut à
bout portant une balle qui, lui traversant la poitrine,
arrêta sa marche et le fit tomber sur le coup; accourant
alors sur lui, nous l’eûmes bientôt achevé. Cette prise me
fit le plus grand plaisir, moins pour l’espèce, que je pos-
sédais déjà, que pour sa taille vraiment extraordinaire.
Il est rare de rencontrer des tigres dans les environs
de Gyngy , parce que le gouvernement anglais a établi
12
5)0
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
une prime pour leur destruction , et que chaque année
on tue ceux qui paraissent ou viennent des environs.
Je me reposai un jour en herborisant, en cherchant
des insectes, et je m’amusai à faire un croquis des
montagnes qui me procuraient tant de plaisir.
Voulant aussi visiter la forteresse de Gyngy, je pris
un guide, qui m’y conduisit par un chemin qu’il était
impossible à tout étranger de reconnaître. Arrivés au
mur d’enceinte, nous eûmes bientôt visité la place. Je
remarquai sur un mur de beaux rayons de miel, au-
tour desquels bourdonnait un essaim de mouches; et
comme je me disposais à tirer sur un de ces rayons
pour le faire tomber, j’en fus détourné par mon guide ,
qui me prévint que près de là il y avait un petit temple
consacré à Schiva , et que ce serait offenser les Mala-
bars qui me suivaient. Je renonçai alors à mon projet,
et je fis bien ; j’en donnerai la raison un peu plus loin.
J’appris alors que des Indiens récoltaient chaque année
le miel , qu’on trouve abondamment dans cet endroit ;
mais que pour en obtenir l’autorisation, ils devaient
faire plusieurs offrandes aux brames et se soumettre à
certaines cérémonies religieuses.
Je ne pus visiter qu’une partie de la forteresse , parce
qu’un pont de communication , détruit depuis plus de
cent ans, ne nous permit pas de traverser un précipice
affreux qui nous séparait d’une partie des bâtiments.
Ce pont fut brûlé, dit-on, par le roi Decing-Radjah ,
parent du fameux Typo-Saïb.
En revenant, je vis, sans pouvoir les tirer, plusieurs
grosses chauves-souris, et comme je témoignais à mon
guide le désir de m’en procurer quelques-unes , il me
DA1NS L’IiNDE.
DI
conseilla d’y renoncer, parce que ces animaux sont sa-
crés; puis il ajouta qu’en passant près de Gyngy, j’en
verrais bien davantage. Ennuyé d’être arrêté à chaque
instant par ces obstacles ridicules , nous étions à peu
de distance d’une aidée, lorsque j’aperçus sur un arbre
au moins quatre cents de ces animaux suspendus aux
branches par les ongles. Le désir d’en tuer l’emporta
sur la prudence, et, d’un coup de fusil tiré d’assez
loin, j’en abattis quatre; mais toutes les autres parti-
rent en faisant entendre des cris aigus. Beaucoup d’in-
diens sortirent alors de leurs maisons, et, irrités de
mon sacrilège, ils me poursuivirent en me lançant des
pierres et m’accablant de reproches. Le parti le plus
sage, après cette faute, était de prendre la fuite, et je
n’eus pas même le temps de la réflexion. Je fus heureux
d’en être quitte pour la peur : ils m’auraient lapidé,
moi et les miens. Je me rappellerai long temps cette
promenade, et chaque fois que dans ma collection mes
yeux tombaient sur les malheureuses victimes de mon
audace, je ne pouvais m’empêcher de rire en songeant
aux dangers que j’avais courus.
Les Indiens sont si superstitieux , qu’ils m’auraient
tué pour venger la mort de quatre bêtes immondes.
Si , pendant mon séjour à Gyngy, je fus exposé à des
tribulations de ce genre , on me rendit aussi des hon-
neurs que je ne méritais pas. On me lit médecin malgré
moi. Un des traqueurs que j’avais employés était depuis
long-temps malade, et je crus reconnaître qu’il était
atteint d’une fièvre intermittente très-fréquente dans ces
parages. J’avais une petite provision de sulfate de qui-
nine pour mon usage , je lui en lis prendre, et le troi-
92
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
sième jour il fut guéri ; cette cure miraculeuse fut bien-
tôt connue de tous les habitants malades de l’aidée, qui
vinrent me trouver à mon bivouac pour me consulter.
Tous n’avaient pas la fièvre , mais tous voulaient être
guéris, et, pour ne pas perdre de la considération que
je m’étais si facilement acquise , j’épuisai toutes les res-
sources de ma mémoire et toute ma pharmacie, et,
dans la crainte d’avoir augmenté peut-être le mal de
mes crédules clients , dont je redoutais plus les violen-
ces que les reproches , par prudence je me disposai à
lever le camp pour rentrer à Pondichéri.
C’est en faisant mes dispositions de départ que je me
blessai à la main , ce qui me força à précipiter encore
mon retour.
J’avais déchargé deux de mes fusils avant de les em-
baller, je voulais en garder un troisième pour faire la
route; mais j’avais pris le soin de placer du papier entre
le marteau et les capsules, qui tenaient si fort que je
n’avais pu les enlever des cheminées. Cette précaution
prise, je voulus mettre ce même fusil dans son fourreau de
cuir; il y entra facilement d’abord, de manière à faire
arriver l’ouverture du fourreau jusque sur la batterie.
Rencontrant alors de la difficulté pour l’engager com-
plètement, je voulus forcer sur les canons; mais, ne
pouvant réussira mon gré, je retirai vivement le four-
reau , qui , rencontrant un des chiens , fit partir le coup
de gauche. Heureusement pour moi je ne me trouvais
pas dans la direction de la charge, et je fus seulement
blessé à la partie interne de la main droite. Pendant
mon séjour à Gyngy des abeilles s’étaient engagées dans
le fourreau de mon fusil , et y avaient construit un nid
DANS L’INDE.
93
qui en bouchait le diamètre , et formait l’obstacle à l’in-
troduction du canon. Ma blessure, peu douloureuse sur
le moment, ne laissa pas de m’inquiéter lorsque le
sang s’en échappa en grande abondance et par jets in-
termittents, ce qui me fit reconnaître qu’une artère
était ouverte. Je ne savais comment arrêter l’hémorrha-
gie ; plusieurs moyens me furent conseillés par les In-
diens, mais aucun ne réussit. J’imaginai de me faire
serrer le bras par une ligature et de me couvrir la plaie
de charbon réduit en poudre très-fine. Ce procédé n’ar-
rêta pas complètement l’hémorrhagie; mais je perdis
peu de sang à partir de ce moment. On me fit un lit
sur mon chariot, et, après m’être arrangé le plus com-
modément possible, je partis pour Pondichéri.
Un gonflement considérable se forma ; je savais que
dans les plaies de ce genre et surtout dans une partie
formée de tendons, de membranes et de tissus peu ex-
tensibles, le tétanos pouvait se déclarer sous l’influence
d’une température élevée; j’étais résigné à tout, et c’est
alors que je me trouvai très-heureux de n’avoir pas
blessé les susceptibilités de mes Indiens en tirant sur
les abeilles du fort de Gyngy, car incontestablement ils
auraient supposé que ma blessure était une punition
que m’envoyait Schiva, et ils n’auraient pas osé me
donner leurs soins ni m’aider dans mon malheur, dans
la crainte de déplaire à Schiva en adoucissant la rigueur
de sa vengeance.
J’arrivai à Pondichéri sans accident, mais non sans
douleur; je reçus de suite les soins du docteur Trouette,
chirurgien-major de la marine. Ma blessure fut trouvée
grave; il la pansa, et, après six semaines de souffrances
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
94
et plusieurs opérations nécessaires pour retirer les es-
quilles, je fus assez bien pour commencer à sortir.
Je ne saurais reconnaître assez les bons soins que le
docteur Trouette me prodigua, et les attentions de mon
ami Perrottet qui passa plusieurs nuits près de moi
pour surveiller l’hémorrhagie qui reparaissait de temps
à autre. C’est quand on se trouve isolé de sa famille
qu’on apprécie à leur valeur les soins d’un ami, et
qu’on peut juger de son affection.
La fièvre inflammatoire, qui ne m’avait pas quitté
depuis le jour de mon accident, m’avait beaucoup affai-
bli, les chaleurs augmentaient, et l’on me conseilla de
quitter Pondichéri pour aller passer le temps de ma
convalescence dans un pays plus tempéré. Dans l’ im-
possibilité où je me trouvais de chasser ou de m’occu-
per, je pris le parti de m’embarquer pour me rendre à
l’ile Bourbon, que j’avais eu à peine le temps de visi-
ter, et que je voulais mieux connaître. Le docteur
Trouette approuva mon projet, qui fut de suite mis à
exécution.
DANS L’INDE.
95
De Pondichéri à Vile Bourbon.
Je partis de Pondichéri le 14 avril 1836 , à bord de la
corvette de guerre l'Isère , commandée par le capitaine
Henri de La Blanchetais. Cette traversée n’offrit rien de
particulier; chaque jour on faisait la manœuvre; le
temps, trop calme pour notre marche, favorisait les
exercices. A la hauteur de Ceylan , pendant qu’on fai-
sait l’exercice à feu, un matelot tomba à la mer; mais
il fut sauvé promptement , grâce à la bouée qu’on lui
jeta.
Un bâtiment américain, faisant voile pour Calcutta,
fut hélé par ordre de notre capitaine : lors de notre dé-
part de Pondichéri , on répandait quelques bruits de
guerre entre la France et les États-Unis. Nous rencon-
trâmes plusieurs navires anglais et français.
Enfin le 26 nous aperçûmes le feu du volcan de Bour-
bon , et le lendemain nous mouillâmes en rade de Saint-
Denis. Ce voyage m’avait fait le plus grand bien , et ma
blessure ne me faisait plus souffrir ; je commençais à
pouvoir me servir de ma main.
Disposé que j’étais à passer quelque temps dans l’île,
je fis plusieurs excursions ; les premières , sans résul-
tat pour mes collections , me firent connaître le pays,
et contribuèrent promptement à me mettre en état de
recommencer ma vie nomade.
Je voulus faire le tour de l’île en suivant la côte. Parti
96
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
de Saint-Denis, à cheval, et suivi d’un seul domesti-
que , je fis un vrai pèlerinage en visitant presque tous
les saints de Bourbon. Je me dirigeai d’abord sur Saint-
Paul , petite ville qui possède le meilleur port de l’ile ;
de là , sans perdre la côte de vue, j’arrivai à Saint-Gil-
les, puis à Saint-Leu , où l’on récolte d’excellent café.
Je m’arrêtai un jour à Saint-Louis , et , en suivant les
dunes et passant près de la magnifique plantation de
cannes de M. Chabrier, qui n’était autrefois qu’un ma-
rais inculte, je me rendis à Saint-Pierre, où l’on a la
plus belle vue possible des Salazes. Après avoir traversé
le quartier Saint-Joseph , où l’on cultive particulière-
ment le riz, le giroflier et le muscadier, je parcourus
la basse vallée et le Barril.
Je rencontrai alors un terrain immense , connu sous
le nom de Vieux-Brûlé; et c’est pendant la nuit, à la
faveur d’un beau clair de lune, que j’arrivai à peu de
distance du volcan , dont nous aperçûmes parfaitement
la fumée s’élevant en colonne , et le petit courant de
lave qui descendait du cratère.
Nous avions traversé le Bois-Blanc, et reconnu le ter-
rain couvert de lichen blanc nommé lichen vulcani. J’ar-
rivai aux cascades , et le lendemain je me rendis à
Sainte-Rose et à Saint- Benoit , et j’arrivai à Saint-Denis
en traversant les quartiers Saint-André, Sainte-Suzanne
et Sainte-Marie.
L’île Bourbon doit son origine à des éruptions vol-
caniques. On remarque deux cratères principaux. Ce-
lui du Gros-Morne, éteint depuis long-temps, est situé
au nord, et celui du piton de Fournaise, encore en acti-
vité , est au sud-est. Les laves qui s’échappent de ce
DANS L’INDE.
97
dernier ont condamné à la stérilité la plus complète un
immense terrain , que les habitants désignent sous le nom
de Pays-Brûlé. Le centre de File est traversé dans tous les
sens par une chaîne de montagnes escarpées qui divisent
le pays en deux grands districts naturels, connus sous
les noms de par lie du vent et partie sous le vent, sub-
divisées en plusieurs quartiers. La superficie de file est
évaluée à 170,700 hectares; sa plus grande longueur du
nord au sud a quatorze lieues, et sa circonférence a près
de 48 lieues. Pendant presque toute l’année le sommet
des plus hautes montagnes est couvert de neige. La
route tracée autour de l’île et sur le bord de la mer est
coupée par un grand nombre de petites rivières , guéa-
bles le plus souvent, mais se transformant après la
moindre pluie en torrents impétueux. La température
est douce, uniforme; le climat est très-heureux, puis-
qu’il passe pour le plus sain de l’univers. Malheureuse-
ment ce beau pays se sent un peu du voisinage de l’île
de France, et les ouragans y exercent aussi de grands
ravages.
Les produits de file sont le sucre , le café , le cacao,
le coton , le girofle , la muscade , la cannelle , le tabac,
le riz, le maïs, le froment, les ignames, les patates, et
les bois de teinture et d’ébénisterie. On dit que l’intro-
duction du café à Bourbon date de 1718 ; c’est d’Arabie
que furent tirés les premiers plants : ils se multiplièrent
rapidement dans l’île. Mais , en 1806 , un violent oura-
gan ayant bouleversé une partie des cafèteries , on sub-
stitua en beaucoup d’endroits à cette culture celle de la
canne à sucre , qui a fait depuis lors des progrès si con-
sidérables que la colonie a récolté jusqu’à 18 millions
13
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
98
de kilogrammes de sucre , tandis que la récolte du café
a rarement dépassé 650,000 kilogrammes.
Celte colonie a commencé peu de temps après la dé-
couverte de l’ile. Des Français révoltés , et qu’on exila,
en furent les premiers colons ; mais la Compagnie des
Indes y envoya des ouvriers sous la direction d’un chef
habile, et Louis XIY leur expédia de France de jeunes
orphelins qui se marièrent, et forma ainsi le noyau de
la colonie. Elle s’accrut subitement en 1673 par l’arrivée
des Français échappés au malheur du fort Dauphin à
Madagascar. La population actuelle de l’ile est de
100,000 individus dont 30,000 colons libres , 3,000
cultivateurs indiens , et le reste esclaves.
La colonie est régie par les codes français, modifiés
et mis en rapport avec ses besoins.
Après mon arrivée à Saint-Denis je commençai une
collection des poissons de File, et je réussis à les pré-
parer assez bien pour leur conserver leurs formes et
leurs couleurs. Prenant goût à ce genre de travail,
ma collection fut bientôt nombreuse et m’attira les
éloges de tous ceux qui la virent.
Je désirai beaucoup visiter une source thermale sul-
fureuse très-fréquentée , qu’on trouve au pied de la
montagne des Salazes. Cette source, au dire de Vau-
quelin , est d’une espèce rare et peut-être unique (4).
(I) On remarque dans les bouteilles bien bouchées qui la renferment
un dépôt noir formé de sulfure de fer et d’un peu de matière animale.
Le dépôt formé dans les bouteilles mal bouchées , donnant accès à l’air ,
est jaune-ochracé, composé d’hydrate de fer, de carbonate de chaux,
d’un peu de silice et de matière animale. Cette dernière eau contient
des traces d’acide sulfurique que l’on n’observe pas dans la première.
L’eau de Bourbon, indépendamment de l’acide hydrosulfurique, paraît
contenir de l’acide carbonique à l’état de combinaison et à l’état de
DANS L’INDE. 99
On trouve encore dans l’île une autre source, située
au pied du piton de Neige , dans la partie appelée la
plaine des Étangs.
J’étais depuis six mois à Bourbon, et ma santé, par
faitement rétablie, me permit de songer à faire un
nouveau voyage : j’avais depuis long-temps l’intention
d’aller au Bengale, et je fis mes dispositions pour
prendre passage sur un navire partant pour Calcutta.
liberté ; car l’eau de chaux y produit un précipité beaucoup plus consi-
dérable que les carbonates alcalins.
Pour chercher à connaître comment le fer se trouvait déposé au fond
des vases à l’état de sulfure de fer, l’auteur a fait les deux expériences
synthétiques suivantes. 1° De la limaille de fer fut mise dans un flacon
rempli d’eau saturée d’acide hydrosulfurique et agitée pendant vingt-
quatre heures ; au bout de ce temps la liqueur séparée était incolore ,
elle n’était nullement affectée par l’infusion de noix de galle , et cepen-
dant elle contient du fer, car elle noircit bientôt par le contact de l’air.
2° Il fit dissoudre du fer dans de l’eau chargée d’acide carbonique , de
manière qu’il restait beaucoup d’acide carbonique libre; il y ajouta une
dissolution d’acide hydrôsulfurique , et le mélange exposé a l’air noircit
au bout de quelques heures. L’auteur, d’après ces expériences, explique
l’état dans lequel se trouvait l'eau minérale à sa source , et les change-
ments qu’elle a éprouvés dans les bouteilles où elle a long-temps séjourné.
11 pense que le fer était primitivement dissous par l’acide carbonique,
peut-être aussi par l’acide hydrosulfurique ; qu’une grande partie , sur-
tout du premier acide, s’étant dégagée à travers les pores du bouchon,
l’acide hydrosulfurique s’est entièrement séparé du fer, et s’est précipité
avec lui à l’état d’hydrosulfate de fer, plutôt qu’à l’état de sulfure de ce
métal. Deux litres d’eau de Bourbon, soumis à l’évaporation, ont laissé
un résidu qui a été en partie redissous par l’eau distillée : la portion
insoluble pesait 190,37; elle était formée de 0,49 parties de carbonate
de chaux , de 1 4 parties de fer , de 24 parties de silice et d'une petite
quantité de matière animale.
La portion dissoute par l’eau renfermait 1 grain 12 de carbonate
de soude , mêlé d'un peu de carbonate de potasse, et quelques atomes
de silice.
L’eau de Bourbon fait exception à toutes les eaux minérales obser-
vées jusqu’à présent. M. Pinac, qui a analysé celle de Bagnères-Adour,
a pensé que le fer y était tenu en dissolution par l’intermède de l’hy-
drogène sulfuré, mais sans le prouver par l’expérience. (II. Chenu, Es-
sai pratique sur les eaux minérales, t. III, p. 130.)
100
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
De Mur bon à Cale alla.
Partis le 27 novembre sur la Thérence, capitaine Cail
loi , nous relâchâmes à Maurice pendant deux jours,
et nous fîmes route sur Calcutta. Notre marche fut
bonne , et la traversée n’offrit rien de particulier. Ce-
pendant , arrivés à la hauteur de Sumatra , nous éprou-
vâmes deux secousses violentes , comme si le navire
touchait un bas-fond ; le capitaine n’en fut nullement
inquiet , et nous expliqua que dans ces parages les trem-
blements de terre se font sentir à de très-grandes di-
stances en mer, et que ces secousses pouvaient aussi être
dues à quelque volcan sous-marin.
Le 23 janvier nous étions au mouillage dans le Gange,
devant Calcutta. Quelques jours après mon arrivée je
fus invité par le docteur Wallich à passer quelque temps
à sa maison, qui fait partie du Garden-Reach , dont il est
le directeur.
Calcutta , aujourd’hui la brillante capitale du Bengale
et de toutes les Indes orientales britanniques , et une
des plus belles villes du monde, n’était, il y a un siè-
cle, qu’un assemblage d’habitations mal construites,
irrégulièrement distribuées au milieu d’un marais formé
par les débordements du Gange, habitées cependant
par une population nombreuse , et entourées d’un jon-
gle impénétrable , et assez insalubre pour n’être abordé
que parles malfaiteurs et les bêtes féroces , auxquels il
DANS L’INDE.
lül
servait de repaire. On donnait à cette espèce de village
le nom de Govindpour. Calcutta a une étendue de six
milles dans sa plus grande longueur ; cette ville pré-
sente à l’arrivant un coup d’œil des plus animés , et elle
est située sur le bras occidental de l’Hougley, qui n’est
qu’un bras du Gange , mais qui , devant la ville , décrit
une courbe , et s’arrondit en forme de vaste baie connue
sous le nom de Garden-House, et peut recevoir les navi-
res de la plus grande dimension.
Calcutta est la résidence du gouverneur général des
Indes et le siège de la haute cour de justice , qui rend
ses arrêts d’après la législation anglaise. Le nouvel hô-
tel qu’habite le gouverneur a été construit, dit-on,
par l’ordre du marquis de Wellesley , et il a coûté un
million de livres sterling. Sa magnificence extraordi-
naire, le goût de sa distribution, la richesse des acces-
soires le feraient prendre facilement pour une des mer-
veilles des Mille et une Nuits.
Devant Calcutta l’Hougley prend le nom de Garden-
House, dit l’auteur de Y Inde Pittoresque , parce qu’il
est entouré de maisons de campagne élégantes où se ren-
dent chaque jour, après avoir terminé leurs affaires , les
riches négociants de Calcutta. Le quartier de la ville où
résident les Européens offre un aspect remarquable,
qu’il doit aux portiques spacieux et élevés qui décorent
presque toutes les maisons , et qui , supportés par de
nombreux pilastres , leur donnent quelque chose de la
grandeur des monuments grecs. Pour les étrangers qui
arrivent d’Europe , les édifices sont d’un effet impo-
sant à cause du style entièrement neuf de leurs con-
structions, de leurs dimensions, et de la richesse de
102
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
leurs ornements d’architecture. On est frappé de la sy-
métrie et de la simplicité de leurs proportions , quoique
cette simplicité même fasse peut-être un contraste trop
tranché avec les pompeuses façades et les nombreuses
colonnes dont elles sont généralement décorées. L’ab-
sence de cheminées est une singularité qui ne peut
échapper à l’œil d’un Européen, qui associe à l’idée de
grandeur que fait naître l’intérieur de ces bâtiments celle
d’un manque de commodité intérieure qui s’accorde
peu avec les idées que nous nous sommes faites des jouis-
sances sociales. Les fenêtres sont grandes et ne sont pas
garnies de vitres; mais elles sont toutes fermées par des
stores destinés à donner accès à l’air sans laisser péné-
trer trop de lumière. Le toit de toutes les maisons, sans
exception , est en terrasse , et entouré d’une élégante
balustrade. L’architecture , basée sur les principes de
l’école italienne , est bien appropriée à la région des tro-
piques, quoiqu’on plus d’une occasion le goût ait été
sacrifié à des caprices vulgaires. C’est ainsi que beau-
coup de maisons ont deux frontons , comme si , par la
raison qu’un seul de ces ornements produit un effet
agréable , il suffisait d’en doubler le nombre pour ac-
croître dans la même proportion la magnificence de
l’édifice. Après le palais du gouverneur, le principal
édifice est l’Hôtel de la Douane, bâtiment bas, mais
spacieux , élégamment construit , et contenant des ma-
gasins aussi vastes que commodes. Dans Choringhié, le
quartier le plus à la mode de la ville , on voit une ran-
gée de maisons magnifiques qui se succèdent comme
une suite de palais , et réalisent presque les fictions bril-
lantes conçues par 1 imagination orientale. La plupart
DANS L’INDE.
103
sont revêtues de stuc, et s’élèvent au milieu d’une grande
cour bien ouverte et bien aérée. Rien n’est oublié de
tout ce que le luxe le plus recherché peut inventer pour
obviera la nature du climat et en rendre le séjour déli-
cieux.
Si la ville européenne est à citer pour sa magnificence,
on ne peut en dire autant du quartier des indigènes :
les maisons y sont d’un aspect misérable; les rues,
étroites et sales, ne sont pas pavées; les maisons les
plus vastes ne sont guère autre chose que des espèces de
ruches faites de torchis , où se pressent des essaims d’une
population hâve, indigente et à demi affamée. Les ma-
ladies qui accompagnent constamment la pauvreté et les
privations qu’elle entraîne après elle, y exercent per-
pétuellement leurs ravages, et des milliers de victimes
succombent chaque année aux maux affreux qui s’ajou-
tent ainsi aux tortures du besoin. On ne peut entrevoir
le moindre avenir d’amélioration dans la position de ces
êtres malheureux qui vivent agglomérés dans les fau-
bourgs de cette immense métropole , et y croupissent
dans une triste communauté de misères. Au temps où
le choléra régnait dans la ville , on dit que pendant plu-
sieurs semaines sept cents individus périssaient journel-
lement frappés de ce terrible fléau. Tous les plaisirs sem-
blaient suspendus, et à peine s’écoulait-il une heure
sans que les pleurs et les regrets donnés aux morts vins-
sent rappeler aux vivants la désolation qui s’étendait
autour d’eux.
Le nombre des habitants de Calcutta , tant indigènes
qu’européens , est évalué à six cent mille.
J’eus beaucoup de plaisir à visiter l’hôtel-de-ville
10A
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
(Town hall), l’hôtel des monnaies, le muséum de la
Société asiatique, le collège de médecine ( New ïndian
medical college), le fort William, et particulièrement la
bibliothèque, qui renferme un grand nombre d’ouvra-
ges indiens.
Invité aux soirées de lord Aukland , gouverneur géné-
ral , et à celles de Miss Edens, ses sœurs, je m’y rendis
quelquefois. Les dames sont généralement vêtues avec
plus de simplicité que de recherche.
Pendant mon séjour à Calcutta' je fus assez heureux
pour voir M. Gaudichaud, de l’Institut : ce botaniste,
aussi éclairé qu’infatigable , était à bord de la Bonite,
capitaine Vaillant, qui vint y faire relâche.
Après avoir bien visité le pays, j’allai m’établir au
bord du lac Salé pour faire une collection de tous les
poissons de ce lac et de ceux du Gange; j’étais encou-
ragé dans ces recherches par les nombreuses décou-
vertes qu’avait déjà faites le docteur Cantor.
Je fis pêcher presque tous les jours, et, après avoir
réuni une collection nombreuse, j’offris mes doubles à
la Société asiatique de Calcutta, qui me fit écrire une
lettre de remercîments très-flatteuse (1).
(1) MEETING OF THE ASIATIC SOCIETY.
The Monthly Meeting of the Asiatic Society last night was unusually
crowded. The table was covered wilh a copious exhibition of stuffed
Fish of the Sait Water Lake, forming part of the collection of M. Deles-
sert, a French naturalist, who has been denoting his attention tho that
objec-t since his arrivai a few months ago.
ASIATIC SOCIETY OF BENGAL.
To Monsieur Delessert.
Sir,
I hâve on the part of the Asiatic Society , to express to you their best
DANS L’INDE.
105
Après avoir bien exploré les environs de Calcutta,
et rassemblé de nombreux individus de toutes les espè-
ces, je les emballai pour les expédier en France à la
première occasion, et je me disposai à aller visiter
un pays peu connu, les montagnes des Neelgheries.
En attendant un navire, je partis pour Chandernagor,
établissement français, et je visitai avec intérêt Seram-
pore, ou Friedrichspagore , qui, avec les îles Nicobar
et Tranquebar à la côte de Coromandel, forme la tota-
lité des établissements danois dans l’Inde.
Je voulus voir aussi Barrakpoore, maison de campagne
du gouverneur. On y trouve un parc considérable dans
lequel on a établi une ménagerie. J’ai remarqué un
assez grand nombre d’animaux, parmi lesquels je cite-
rai des rhinocéros et des tigres. Un de ces derniers,
venant du Népaul, était remarquable par la coloration
fauve plus vif de son pelage. J’y vis des ours , des
kanguroos, des antilopes, des hyènes, des chacals, des
loutres et des loups, et un nombre considérable d’oi-
seaux de toute espèce ; mais j’y trouvai surtout . une
riche collection de faisans.
thanks for the gratifyng exhibition which you had the complaisance to
affert them at the Meeting of last night.
The collection you hâve made in to short a time is highly creditalle to
your industry and the manner in which the specimens are set up reflects
equal crédit on your skill. Such an evidence ifwhat may be effected even
in the immédiate neighbourhood of Calcutta is the best argument in
favor of the success of your proposed Indian Muséum.
I hâve the honor to be, Sir, most obedient servant.
J. PRINSEPS, secr.
6,A july 1837.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
106
Voyage aux Neelgheries.
Enfin, je partis sur le navire le Gaillardon , touchant
à Madras, où nous arrivâmes le 1er septembre. La fré-
gate f Arlémise, capitaine Laplace, s’y trouvait mouil-
lée; nous partîmes pour Pondichéri , où je préparai
promptement tous les objets nécessaires à mon expédi-
tion dans les montagnes des Neelgheries.
Le 8 janvier je me mis en route en palanquin,
suivi d’un chariot qui portait mes bagages , et d’un
assez grand nombre d’indiens pour résister aux atta-
ques imprévues. Je pris la route de Salem, passant
par Villenour. Après plusieurs jours de marche j’arri-
vai à l’aidée de Yaklaour, je fis faire halte d’un jour
pour permettre à mes gens et à mes bêles de prendre
quelque repos. Le sol de cette partie ne diffère pas de
celui de Pondichéri ; mais on aperçoit dans le lointain
les montagnes Bleues de Gyngy, qui se détachent par-
faitement des Gates de l’est. La température commen-
çait à baisser considérablement. Je passai près des ai-
dées de Vilseparam et de Tirouvanellore. On y voit une
très-belle pagode dont la partie supérieure est occu-
pée par un régiment de singes sauvages, logés et nourris
par la superstition des brames. Arrivé à Ollendour , un
de mes Indiens fut atteint du choléra. Fort embarrassé
de ce contre-temps, et obligé encore de faire le méde-
cin, je ne sus opposer à ses vomissements que des po-
tions dans lesquelles je mettais jusqu’à quarante goût-
DANS L’INDE.
107
les de laudanum, et je le fis frictionner vigoureusement
pour tacher de rétablir la transpiration ; des sinapismes
aux pieds et aux mains rappelèrent la chaleur, et cet
accident ne nous arrêta que fort peu de temps. Aussi-
tôt que mon Indien se trouva mieux, je le fis placer sur
la voiture et nous pûmes continuer notre route.
Nous eûmes à traverser un bois où je tuai un nom-
bre prodigieux d’oiseaux, des singes de plusieurs espè-
ces et des lièvres qui servirent à notre dîner. Nous
arrivâmes à Ghina-S.alem le jour de Pongol, premier
de l’année des Tamouls.
Les aidées que nous fûmes obligés de traverser me
parurent moins misérables que celles qui sont plus
rapprochées de Pondichéri. Nous passâmes devant
Athour-Cotté, ancien fort en ruines, reste de l’ancienne
puissance indienne.
Enfin, le 46 janvier, j’arrivai à Salem ; je m’établis
au bengalovv, maison destinée aux voyageurs. Ces ben-
galows, établis par le gouvernement anglais de di-
stance en distance (dix ou douze milles), sont très-
commodes. Ils se composent de deux chambres meu-
blées, de pièces séparées pour les domestiques et
d’écuries. On ne doit pas y demeurer plus de deux
jours : la garde en est confiée à des invalides cypayes
qui doivent fournir de l’eau seulement. Ils ont toujours
à la disposition des voyageurs des volailles et diverses
provisions qu’on est souvent enchanté de trouver. Les
auberges gratuites nous font l’effet de contes en l’air
dans notre France civilisée ; quoi qu’il en soit, le
premier arrivant peut en disposer complètement jus-
qu’au moment oû, un second voyageur survenant, il
108
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
est obligé de partager avec lui, et de lui céder la
place à la fin du second jour. Je fis à Salem plusieurs
visites aux personnes pour lesquelles j’avais des re-
commandations. M. Leschenault de La Tour, natura-
liste du roi, a visité ce pays en 1846, et la descrip-
tion qu’il en fait est très-exacte.
« Salem est le chef-lieu d’une province ; il y a un col-
lecteur anglais pour la perception des revenus, un juge,
un résident commercial chargé des achats pour le compte
de la Compagnie, et une petite garnison de cypayes
pour escorter les recettes à Madras et pour garder les
prisonniers : il n’y a aucun autre Européen que ceux
attachés au service de la Compagnie; ils sont au nombre
de neuf à dix.
» Une chose très-remarquable c’est une grande forte-
resse dont les murs ont environ quarante pieds d’éléva-
tion ; elle a été bâtie par les souverains du pays. On as-
sure qu’elle a plus de deux cents ans d’existence ; et
quoiqu’elle soit entièrement construite en terre battue,
elle n’est cependant que peu dégradée : la terre a acquis
la dureté de la pierre.
» L’aisance dont jouissent les habitants de Salem se
fait remarquer dans toutes les habitudes de la vie : on
y est mieux vêtu et mieux logé qu’ailleurs. La ville est
mieux bâtie et d’une grande propreté; mais les habitants
sont tourmentés par un fléau qui paraît d’abord ridi-
cule dans sa cause : ce sont les singes ( semblables à
ceux dont j’ai parlé plus haut). Us se multiplient d’au-
tant plus que le meurtre d’un de ces animaux est rer
gardé comme une action sacrilège; les maisons en sont
couvertes , et , malgré la précaution que l’on a de gar-
DANS L’INDE.
109
nir les toits d’épines, ces animaux, dirigés par l’in-
stinct de destruction qui les anime, parviennent à
arracher les tuiles. Ce qui les excite encore à ce désor-
dre c’est que souvent un Indien ira pendant la nuit
répandre sur le toit d’une personne dont il est l’ennemi,
quelques poignées de grains ; le lendemain matin , les
singes accourent , écartent avec adresse les épines , et
arrachent les tuiles pour s’emparer des grains qui ont
glissé entre les jointures : le malheureux propriétaire
témoin de ce dommage jette des cris, lance des pierres
pour épouvanter les singes, qui sont aguerris à ces sor-
tes d’attaques, et finit par se consoler, surtout s’il croit
reconnaître le coupable , dans l’espoir de lui procurer
bientôt une pareille visite.
» Les singes exercent encore leurs rapines dans l’inté-
rieur des maisons lorsqu’on ne les tient pas bien fer-
mées, et dans les bazars; à la moindre inattention des
vendeurs, ils enlèvent grains, fruits et légumes avec
une adresse et une effronterie presque incroyables. Si
les Indiens n’étaient pas retenus par leurs superstitions
religieuses, ils se débarrasseraient facilement de ces
hôtes incommodes, qui ne s’avisent jamais d’approcher
des maisons et des jardins des Européens, où ils se-
raient reçus à coups de fusil.
» Ces singes sont de l’espèce nommée bonnet chinois
(cercopithecus fournis ). J’ai remarqué, mais sans avoir
pu m’assurer si les retours étaient périodiques , que
quelques femelles avaient la face aussi rouge que si elle
eût été frottée de carmin ; j’ai cru cependant m’aperce-
voir qu’elles étaient dans cet état pendant le temps de
la gestation.
110
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
» La température est très-chaude pendant le jour ; mais
les nuits sont fraîches , et il faut se garantir avec soin.
Le pays étant entouré de montagnes , le vent, de quel-
que côté qu’il vienne, est toujours vif; il occasionne
des suppressions de transpiration qui sont suivies de fiè-
vres et de catarrhes. Les étrangers surtout sont souvent
attaqués d’une fièvre que l’on nomme fièvre de Salem :
elle n’est pas forte , et n’a que deux ou trois accès ; mais,
ce qu’il y a de particulier dans cette maladie , c’est
que les accès reviennent chaque mois , et que l’on se
débarrasse difficilement de leur retour périodique, même
en quittant le pays.
» Le sol est assez fertile; c’est une sorte d’argile rou-
geâtre mêlée de sable, qui repose dans quelques en-
droits sur des rochers schistoïdes : il y a peu de rivières.
On cultive davantage les menus grains, principalement
V holcus sorgho ; on cultive encore le cotonnier annuel,
dont le produit est employé à la fabrication des toiles ,
et la canne, dont on retire un sucre grossier.
» Le nerium linclorium ( laurier-rose des teinturiers )
croît naturellement dans les bois des environs ; avec la
feuille de cet arbre on fabrique une espèce d’indigo
d’une qualité médiocre, qui sert exclusivement à tein-
dre les toiles dans le pays : hors de là ce n’est point un
objet de commerce.
» Les roches qui constituent les montagnes des envi-
rons de Salem sont granitiques ou de gneiss , elles con-
tiennent beaucoup de grenats et d’amphibole ; le fer y
abonde. A environ deux lieues au S. -S. -O. , dans la
montagne de Kanliamale , il y a une mine de fer sa-
blonneuse, que l’on ramasse dans les ravines; le fer
DANS L’INDE.
111
qui en provient donne un excellent acier. Pour conver-
tir le fer en acier, les ouvriers indiens le mettent par
petites masses d’environ une livre dans un creuset en
terre glaise ; la cémentation se fait en entourant le mé-
tal avec les trois septièmes de son poids de poudre de
l’écorce séchée du cassia auriculala ; on y ajoute quel-
ques feuilles vertes de Yasclepias gigantea, ou du ja-
Iropha curcas ; on lute le creuset, puis on l’échauffe
avec du charbon de bois alin d’opérer la fusion. »
Pendant la roule et à toutes mes haltes, je me pro-
curai beaucoup d’échantillons de minéraux. Le pays
est très-riche et très-curieux ; je ne saurais en donner
une idée plus exacte qu’en faisant connaître le rapport
qui a été fait sur mes collections minéralogiques à la
Société géologique de France, dans sa séance du
20 avril 1840.
M. Boué offrit de ma part des échantillons de la chaîne
des Neelgheries, à l’O. de Pondichéri , et des environs
de Bombay ; il donna ensuite lecture des notes suivan-
tes, extraites de divers recueils scientiliques de l’Inde :
« M. John Mac-Clelland a donné une note sur la partie
de l’Assam où croit le thé. Entre le Gange et le Brama-
putra on observe à Jumalpore un district élevé qui of-
fre du bois fossile. Près du Bramaputra le sol laisse voir
de l’argile jaune et rouge appelée kanka. Près des monts
Kossiah la plaine marécageuse est parsemée de petites
éminences, restes d’un ancien talus de ces montagnes.
La pente de ces montagnes offre trois étages, le premier
s’élevant à 1,500 pieds, le second formant des escarpe-
ments, et le troisième des sommets. Au haut du pre-
mier étage il y a un banc de coquilles marines où l’a.u-
112
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
leur a découvert 25 espèces identiques suivant lui avec
celles du bassin de Paris; à dix milles plus à l’O., à la
même hauteur, les coquilles sont groupées par familles.
Les couches sont sableuses et çà et là ferrugineuses. Les
montagnes au nord de la vallée sont composées de por-
phyre, de calcaire grenu , de serpentine, de granité et
de talcschiste; tandis que des grès tertiaires, du calcaire
coquillier et de la lignite forment le groupe des hauteurs
au sud, avec des gneiss, des diorites et des siénites.
La vallée d’Assam est donc placée entre deux systèmes
différents. Dans le bas elle n’a que vingt milles anglais
de largeur, mais dans le haut elle a cinquante milles.
» A Govahatti les monts Mekeer sont composés de
gneiss, et à Goalpara d’amphibolite. ANoagong il y a des
talcschistes à nodules de quarz avec un îlot de granité.
» L’Assam supérieur est un bassin alluvial traversé par
quatre grandes branches du Bramaputra, le Dihong , le
Dibong, le Bramaputra et le Subang-Shieree. Le dépôt
le plus inférieur du sol est une argile jaune- rouge qui
est sous les alluvions, composées de bas en haut d’ar-
gile fine, d’argile sableuse à cailloux, de sable et de
gravier. Sur le Noa-Dihing il y a des couches de sable
contenant des conifères à trois cents pieds sur la vallée
et du même genre que ceux charriés par les rivières
Ellishme et Abor.
» L’auteur s’occupe ensuite des divers sols sur lesquels
croît le thé, en particulier à Cuju; il en donne des ana-
lyses, et une liste des animaux de l’Assam.
» M. le docteur Spilsbury a décrit dans \e Journal asia-
tique du Bengale, n° 66, un nouveau gisement d’osse-
ments fossiles d’éléphants sur les hauteurs près de Ja-
DANS L’INDE.
113
balpour clans la vallée de Nerbouclda , ainsi qu’à Sa-
gan ni ; ils étaient accompagnés d’une tête de buffle.
» M. le docteur Benza a décrit ( Journal de Madras ,
1836) les Neelgheries, qui sont un groupe de montagnes
atteignant 7,000 pieds et placé entre les rivières de Bo-
vany et de Moyar, Danikam-Cottab , Goodaloor, le défilé
de Koondah et Soondepettah , à la rencontre méridionale
des deux chaînes qui bordent les deux côtes de la pé-
ninsule de l’Indostan. D’après MM. Adolphe Delessert
et Perrottet cette espèce de plate-forme quadrangulaire
rugueuse est aussi remarquable pour la géologie que
pour la botanique quelquefois semi-européenne , et le
type particulier des habitants, dont les figures se rap-
prochent plus de celles des Bomains que de celles des
Indous; ils parlent aussi un langage différent de celui
de l’Indostan.
» Cette chaîne n’est composée que de roches anciennes,
telles que des gneiss granitoïdes , avec quelques îlots de
granités ( monts Koondah , Coonoor , le voisinage du
pic de Kudiakaa ) , des pegmatites (monts Koondah) ,
beaucoup de granités siénitiques ( entre Kolagherry ,
la vallée d’Orange et Coonoor, entre Ootacamund, Py-
karra et Bungalov ) et des amphibolitcs schisteuses en
énormes amas (sur les affluents supérieurs de la "rivière
de Pykarra , sur celles de Cull-Aur , à Bungalov , To-
vany et Billicoul ). Au milieu de ces roches il y a des
gîtes en amas de grenat colophonite , entre Nunjanaud
et Bungalov, d’essonite au nord-ouest d’Ootacamund ,
de fer oxydulé (Kotagherry) et de fer titanifère, au
sud-est d’Ootacamund. Des filons de basalte s’y rencon-
trent surtout près d’Ootacamund, ainsi qu’entre cette
15
114
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
ville et Pykarra. La presque totalité du plateau est cou-
verte d’une terre smectique, blanche, rougeâtre ou grise,
appelée par l’auteur terre de lithomarge, qui paraît
rentrer dans ces dépôts d’alluvions , que les géologues
de l’Inde appellent latérite. On y trouve de la terre
d’ombre près d’Ootacamund et beaucoup de fer héma-
tite. Ce minerai y abonde surtout à l’ouest d’Ootaca-
mund , entre cette ville et Nunjanaud , ainsi que dans
un point au nord-nord-est des monts Koondah.
» M. Robert Cole a donné la description la plus com-
plète du latérite ( Journal de Madras , 1836), en résu-
mant tout ce qu’on avait dit à cet égard depuis Bucha-
nan jusqu’à M. Benza. 11 a cherché à réfuter l’idée de
M. Conybeare , que ce n’était qu’une argile ferrugineuse
associée à la formation trappéenne si abondante dans le
centre de l’Indostan.
» M. Buchanan, dans son Voyagé de Madras à travers
le Mysore, le Canara et le Malabar, décrit ce dépôt
comme une argile souvent poreuse à minerais de fer et
dépourvue de restes organiques et de végétaux. A Jajpar,
sur les bords du Yirbhum et à Murshedabad, c’est une
argile qu’on peut couper avec un canif, qui durcit
quelquefois et qui est bréchoïde à cause des nodules
ferrugineux. M. Babington ( Tr . Geol. Soc., t. 5, part. 2)
a décrit le même dépôt entre Tellicherry et Madras ,
comme une alluvion des montagnes des Gales , compo-
sée de débris décomposés de roches anciennes telles que
le gneiss, l’amphibolite. M. Voysey (J. of the As. Soc.,
août 1833, p. 400) décrivant les trapps au nord-ouest
de Hyderabad, ne parle que de roches trappéennes fer-
rugineuses appelées ironclay par les Anglais, et signale
DANS L’INDE.
115
le passage de la waeke à ces dernières. M. Calder, d’un
autre côté, donne le nom de latérite à un dépôt d’ar-
gile ferrugineuse qui, suivant lui , succède au trapp au
nord de Bankot et s’étend jusque dans l’ile de Ceylan.
Le docteur Yoysey paraît avoir attribué les couches
superficielles de latérite à des éruptions boueuses en
connexion avec celles des basaltes et des trapps.
» MM. Turnbull Christie ( Edinb . phil. Journ.,vo\. 15)
et Everest ( Glean . insc., mai 1831, p. 130) ont reconnu
dans le latérite une structure agrégée d’alluvion.
MM. Benza et Malcolmson sont du même avis et croient
que le latérite est surtout dû au lavage des roches gra-
nitiques, siéniliques et primitives décomposées, comme
le prouve leur nature et les fragments de quartz à d’au-
tres portions de leurs éléments.
» M. Coîe a pris la même opinion en examinant le la-
térite qui couvre cinquante milles carrés sur les hau-
teurs appelées Redhills , à 8 milles au nord-ouest de
Madras. Ce sont de véritables couches irrégulières d’ag-
glomérat à pâte argileuse ou de feldspath passé à l’état
de lithomarge. Elles passent aussi bien à des espèces de
grès qu’à des masses argileuses sans division de stratifi-
cation. On y remarque des fragments de quartz et de
grès siliceux, outre d’innombrables géodes et morceaux
fragmentaires de fer ocreux rouge et brun. Ailleurs il
y signale des cailloux de granité, de siénite et de dio-
rite. Il paraît donc évident que le latérite n’est qu’une
alluvion ancienne sans fossiles ou détritus des monta-
gnes anciennes , surtout de celles composées de roches
feldspathiques massives, ce qui n’exclut pas qu’on puisse
avoir raison de vouloir lier sa formation à des torrents
116
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
d’eau qui ont pu laver la surface d’une bonne partie de
l’Indostan, lors de la sortie de ces énormes éruptions
trappéennes. Ce fait serait analogue à celui des alluvions
répandues autour du Vésuve, produites par suite des
pluies accompagnant ou suivant les éruptions. »
Pendant mon séjour à Salem je fis une excursion sur
la montagne de Schewroy-Hills, suivi de deux guides
et de mes Indiens. Arrivés à 4,000 pieds d’élévation,
nous finies halte, et je trouvai le climat d’Europe ainsi
qu’une grande partie de ses végétaux. On y voit de
beaux jardins où l’on cultive avec succès les fruits et
les légumes de France. Je voulais y passer quelques
jours pour pouvoir chasser; mais après le troisième
jour je fus obligé de revenir parce que je perdis subi-
tement plusieurs de mes Indiens, qui succombèrent en
peu d’heures au choléra malgré les soins que je pus
prendre d’eux. En rentrant à Salem, je ne fus pas peu
surpris de trouver à l’hôpital la moitié des Indiens de
ma troupe que j’y avais laissés. Heureusement ils fu-
rent promptement rétablis; et je me mis en route pour
les Neelgheries, où j’arrivai après quelques jours de
marche en passant par Madepollam. Je m’étais arrêté
pour chasser dans le bois qui borde la route d’Ootaca-
mund. Ce bois est entouré d’un jongle de bambous dans
une étendue de plusieurs milles. J’y tuai beaucoup
d’oiseaux et de mammifères (1); c’est aussi dans ce
(1 ) Edolius puellus , Oriolus melanocephalus , Clauropsis aurifrons et
Merops, plusieurs pics nouveaux, des huppes, des coqs de bois, quelques
polyplectrons, des cerfs nommés Cadembé en tamoul, des singes blancs ,
des singes des pagodes , le cerf-souris ( Cervus minutus) , le Sciurus ma-
labaricus, plusieurs ours des Gates ( Ursus mellivorus ), des chèvres sau-
vages (Catté adé), des sangliers qui sont très-friands du fruit du Myr-
DANS L’INDE.
117
bois que je tuai un gauri ou bœuf sauvage : pour arri-
ver jusqu’à lui j’ai été obligé de me traîner à plat ven-
tre dans les herbes et les épines, avançant alternative-
ment mon corps et mon fusil. Cette marche peu
avantageuse et très-fatigante dura une demi-heure;
enfin, j’arrivai au but de mes désirs : c’était un petit
buisson qui pouvait masquer les mouvements que je
devais faire pour me relever. Toutes ces précautions
étaient indispensables parce que je ne connais pas
d’animal plus sauvage que ces bœufs; les yeux et les
oreilles toujours au guet, le moindre bruit les fait fuir.
Après m’être relevé sans bruit et lentement, j’étais à
cinquante pas des bœufs ; j’osais à peine respirer, j’é-
tais tout couvert de sueur. Je pris le temps de les bien
examiner et de choisir celui que je voulais tirer. Après
un quart d’heure d’attente, je me décidai à viser celui
qui se trouvant le plus près de moi m’offrait le mieux
aussi son poitrail. Je tirai mes deux coups l’un après
l’autre, et, au milieu du tumulte occasionné par le dé-
part de la troupe, je vis avec le plus grand plaisir ma
victime tomber et se relever plusieurs fois sans pouvoir
se tenir sur ses jambes. Un instant je regrettai de n’a-
voir pas un second fusil; mais je rechargeai prompte-
ment, sans perdre mon bœuf de vue, et, sortant de ma
cachette, j’allai droit à lui : il fit encore quelques
efforts pour se dresser, et, par prudence, je lui envoyai
à quinze pas une balle qui lui traversa le flanc, réser-
vant mon second coup pour le lui tirer à bout portant
tus candescens, des chacals , des porcs-épics , des mangoustes , des chats
sauvages, un tigre et deux léopards.
118
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
si cela devenait nécessaire. Arrivé près de lui, il vivait
encore; mais je le vis bientôt mourir : je courus
aussitôt chercher mes Indiens, qui le dépouillèrent de
suite. Nous prîmes les meilleurs quartiers de viande
pour notre dîner et je lis traîner le reste à vingt pas
du buisson qui m’avait servi de cachette, espérant pou-
voir m’y placer encore pour attendre quelque bête fauve
à l’affût; mais le lendemain je ne trouvai plus que les
débris épars du squelette. Je partis pour Kotagherry,
où je devais rester quelque temps; j’y formai un petit
jardin pour avoir des légumes. J’avais quelques semen-
ces qu’on m’avait conseillé d’emporter, et en peu de
temps j’eus le plaisir de voir mon jardin en fleurs. Je
restai sept mois à Kotagherry, et j’y fis d’aussi belles
chasses qu’à Ootacamund; j’y tuai deux autres bœufs et
plusieurs ours des Gates. Je fis alors une expédition à
Tullamalay, et à mon retour je pus manger des petits
pois de mon jardin.
Tous les jours je chassais, et, pour me reposer, je
cherchais des insectes et des plantes. Un soir que je
m’étais éloigné plus que de coutume, je fus surpris par
la nuit à une très-grande distance de mon camp; et je
fus obligé de me résigner à coucher à la belle étoile, ce
qui n’amusa pas trop mes gens. Nous nous installâmes
comme nous pûmes, et je fis allumer un bon feu pour
éloigner les tigres ; mais vers le milieu de la nuit nous
fûmes surpris par un orage violent qui éteignit notre
feu et nous mouilla jusqu’aux os. Nous n’avions rien à
manger, et ma petite provision de rhum était même
épuisée. La pluie ne cessa pas de la journée du lende-
main, ce qui ne nous avait pas empêchés de nous mettre
DANS L’INDE.
119
en route; et nous arrivâmes au camp vers midi, dans le
plus triste état qu’on puisse imaginer : nous étions très-
fatigués, et cependant je ne pouvais laisser ce que j’avais
tué la veille. Un jour de repos lit promptement oublier
cette aventure. Parmi les animaux que j’aurais perdus si
j’avais cédé à la fatigue en les abandonnant se trouvent
plusieurs espèces nouvelles de mammifères et d’oiseaux
que MM. de La Fresnaye et Gervais ont bien voulu
décrire.
Je quittai Kotagherry pour aller m’établir à Ootaca-
mund, parce que je me sentais très-faible; j’avais eu
plusieurs fois la fièvre en séjournant dans les bois.
Tous mes Indiens en avaient assez; et moi-même, n’en
pouvant plus, je dus aller, dès mon arrivée, consulter
le docteur Birch, en le priant de me donner des soins
qui furent si efficaces qu’en peu de jours je me trouvai
rétabli.
« Les montagnes des Neelgheries, dit M. Lesche-
nault, sont situées au N. -N. -O. de Coimbatore; leur
longueur E. et O. est d’environ quatorze lieues , et leur
largeur N. et S. varie de cinq à neuf lieues. Je suis
resté vingt jours sur leur sommet, et je les ai parcou-
rues dans différentes directions : elles sont fort élevées,
mais aucune observation n’a encore fixé leur hauteur;
on ne peut en juger que par la température, qui, dans
la saison la plus froide ( les mois de décembre et de
janvier), fait descendre le mercure pendant la nuit
au-dessous du degré de congélation, température
bien froide pour le onzième degré de latitude où
sont situées ces montagnes. Pendant le mois de mai,
époque de mon voyage , le thermomètre de Réau-
120
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
mur a varié du onzième au dix-neuvième degré de
chaleur.
» La pente des montagnes, du côté de Coimbatore,
est fort escarpée : les sentiers étroits pratiqués pour les
communications entre les habitants de la plaine et ceux
des montagnes , sont très-rapides ; ils ont été tracés
par les indigènes, qui, ne portant aucune chaussure,
gravissent avec facilité les escarpements les plus roides.
Ces sentiers montent directement sans presque aucune
sinuosité (1), souvent ils forment avec l’horizon un an-
gle de plus de 45 degrés et rarement au-dessous de 30 ;
ils sont en outre embarrassés de grosses roches, qu’il
faut quelquefois gravir en s’aidant avec les mains. On
se fera difficilement une idée de la fatigue que l’on
éprouve pour parvenir jusqu’au premier sommet ; je
mis deux heures et demie pour y arriver, quoique la
distance ne soit pas d’une lieue à partir du bas des
montagnes. On trouve ensuite alternativement des des-
centes et des montées , toutes fort rapides , pendant
deux à trois lieues, qu’il faut parcourir jusqu’au pre-
mier village. La difficulté des chemins est la cause que
jusqu’à présent les Européens n’avaient qu’une connais-
sance fort imparfaite de ces contrées élevées et de leurs
habitants (2). Il y a dans cette route, au milieu des fo-
rêts, une grande quantité de tigres, d’hyènes, d’ours,
et beaucoup d’éléphants au pied des montagnes.
(1) Depuis cette époque on a considérablement amélioré les chemins
qui conduisent aux montagnes de Neelgheries.
(2) Depuis l’époque où j’ai visité ces montagnes elles sont- bien mieux
connues ; on y a formé, à cause de leur salubrité, des établissements de
santé, où plusieurs Anglais de la péninsule viennent chaque année pas-
ser la saison la plus chaude.
DANS L’INDE.
-121
Le sommet des montagnes des Neelgheries offre un
aspect varié et très-pittoresque; la surface est composée
de plusieurs monticules plus ou moins arrondis ou es-
carpés ; ils sont séparés par des vallons, au fond des-
quels coulent presque toujours des ruisseaux d’une eau
limpide et murmurante ; avec un peu d’industrie , on
pourrait établir de fort bonnes prairies dans plusieurs
endroits de ces riches vallées. Les flancs des montagnes
présentent tantôt des champs cultivés , tantôt des bou-
quets de bois presque impénétrables, à cause des lianes
et des arbustes épineux que fait naître abondamment
une vigoureuse végétation , et qui enlacent des arbres
quelquefois énormes. C’est à regret que je suis obligé
de dire que ces bosquets sont dangereux , car ils ser-
vent souvent de retraite aux tigres, aux ours et aux
chiens sauvages, qui sont communs dans ces montagnes.
» Les habitants sont peu nombreux; ils paraissent
fort doux, ils mènent une vie heureuse et indépen-
dante. Ils sont divisés en trois tribus : les Burgers, les
Collers et les Totevas ; les derniers, qui habitent les ré-
gions les plus élevées, sont regardés comme les habi-
tants primitifs : ils ne sont que pasteurs, ils possèdent
de nombreux troupeaux de buffles. Les deux autres tri-
bus cultivent la terre ou exercent des métiers utiles,
tels que ceux de forgeron, de charpentier, etc., etc.
Les 7o Itev as offrent dans leurs usages une coutume très-
extraordinaire , et qui est bien en opposition avec les
mœurs orientales; c’est la pluralité légale demaris(l):
(1) J’ai depuis observé la même coutume dans l’intérieur de l’ilc de
Ceylan.
16
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
122
ordinairement les frères n’ont entre eux qu’une seule
femme qui accorde ses faveurs selon son gré. Outre ses
maris, une femme peut avoir encore un amant dont les
droits sont incontestés par les bénévoles époux. Cette
race est généralement fort belle pour les formes et pour
les traits.
« Les villages placés sur le sommet des monticules sont
composés d’une petite quantité de cabanes peu élevées
et d’une apparence misérable; mais elles sont solide-
ment construites en bois, en terre glaise, et couvertes
de chaume. Celles des Toltevas sont entièrement en bois ;
il n’y a d’autre ouverture qu’une porte si basse, qu’il
faut s’y glisser à plat ventre pour pouvoir y entrer.
» Les champs entourent ordinairement les habita-
tions ; il n’y a d’autre bétail que des bœufs et des buf-
fles , que l’on renferme pendant la nuit dans des parcs
circulaires en pierre surmontés d’une haie sèche ou
vive, fort élevée, pour les mettre à l’abri des bêtes fé-
roces. Le terrain est rougeâtre ou noirâtre, meuble,
profond et très-fertile. Les plantes cultivées sont le blé,
l’orge, les lentilles, le paspale froment, la cretelle à
épis larges , plusieurs espèces de millet, le pois chiche ,
une autre espèce de pois noir, la moutarde, le pavot
qui fournit l’opium, l’ail, les oignons, etc. L’air y est
pur et fortifiant , la température fraîche et agréable.
» La botanique offre le plus grand intérêt sur les mon-
tagnes des Neelgheries par la différence qui existe entre
les plantes de cette contrée et celles de la plaine ; on y
trouve un très-grand nombre de genres analogues à
ceux d’Europe : tels sont les vaccinium, rhododendrum ,
fragaria , rubus , anemone, balsamina , géranium, mes-
DANS L’INDE.
123
pilus , planlago , rosa , salix , berberis , etc. Cette simi-
litude indique que les plantes utiles d’Europe s’y accli-
materaient parfaitement bien. »
La richesse végétale de ces montagnes devait attirer
mon attention; cependant cette partie de l’histoire na-
turelle ne pouvait être pour moi qu’un objet tout
à fait secondaire et comme accessoire, ne m’étant
jamais occupé que très -superficiellement de cette
science. D’un autre côté, je savais que M. Perrottet, mon
compagnon de voyage, s’y livrait exclusivement et avec
beaucoup d’ardeur. Je ne me suis donc adonné avec quel-
que soin à la recherche des plantes que dans les contrées
où j’ai voyagé seul, telles, par exemple, que Pulo-Pi-
nang, Malacca, Balavia , etc. J’ai rapporté de ces divers
endroits, notamment de Pulo-Pinang, un grand nombre
d’échantillons des nombreux végétaux que j’ai rencon-
trés, parmi lesquels se trouvaient, d’après le rapport
des botanistes qui les ont visités, une foule de plantes
rares, nouvelles ou peu connues. L’une d’elles (rubia-
cée ) a été trouvée assez intéressante pour être décrite
dans le troisième volume des Icônes selectœ plantarum
de mon oncle Benjamin Delessert ( voyez la planche 81,
etc. ). C’est YUncaria sclerophylla de Iloxburgh , dont
aucun échantillon n’existait encore dans les herbiers
d’Europe. Je me suis trouvé ainsi à portée d’enrichir
l’herbier de mon oncle d’un grand nombre d’espèces
qu’il ne possédait point encore, ce qui m’a fait d’autant
plus de plaisir que je dois à l’amitié et à la bienveillance
de cet excellent oncle l’entreprise et le succès de mon
voyage. Je voudrais pouvoir lui témoigner ici toute la
gratitude dont mon cœur est pénétré.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
124
J’éprouve le regret de ne pouvoir donner le catalo-
gue de ces plantes intéressantes, dont la plupart n’ont
point encore de nom; mais je citerai les diverses con-
trées où je les ai recueillies. Ainsi, à celles déjà indi-
quées j’ajouterai les suivantes : Montagnes-Bleues ou
Neelgheries, les environs de Pondichéri, Gyngy (mon
tagnes de), Bourbon, etc. La cryptogamie que j’ai
rapportée de ce dernier pays a été vivement appréciée
par M. le docteur Montagne, qui y a trouvé un grand
nombre d’objets nouveaux et tout à fait inédits jusqu’à
ce jour, principalement parmi les Jongermons et les
fougères.
Outre les plantes sèches dont je viens de parler, j’ai
encore rapporté une collection de fruits et de graines
d’arbres de toute sorte; laquelle a fait d’autant plus de
plaisir à mon oncle que la plupart des objets dont elle
se compose ne se trouvaient point parmi ceux qui font
partie de son riche cabinet carpologique :
Les montagnes des Neelgheries forment un énorme
massif extrêmement accidenté , coupé de ravins , de val-
lées marécageuses , de précipices ou gorges profondes,
qui , suivant leur étendue ou leur direction , présentent
une végétation entièrement différente de celle des pla-
teaux qui les environnent. La surface de ces plateaux
est singulièrement ondulée, et se compose en général
d’une suite de monticules ou de mamelons arrondis
dont quelques-uns ont une hauteur de plus de 8,000
pieds au-dessus du niveau de la mer.
La plupart de ces mamelons sont complètement dé-
pourvus de végétation arborescente; une herbe line et
touffue , d’un vert pâle, les recouvre en totalité, et leur
DANS L’INDE.
125
donne une physionomie remarquable et toute particu-
lière. De loin en loin seulement on aperçoit quelques
bouquets d’arbres d’une étendue variable, mais généra-
lement peu élevés. C’est dans les gorges et dans les ra-
vins dont nous avons parlé tout à l’heure, et qui doivent
leur origine aux chutes d’eau ou aux torrents qui se
précipitent des plateaux supérieurs , que l’on voit s’éle-
ver une végétation vigoureuse et arborescente , contras-
tant , par sa force et les espèces qui la composent , avec
celle des mamelons du plateau.
Qu’on se ligure l’étonnement du botaniste européen
s’élevant des plaines de l’Inde sur la chaîne des Neelghe-
ries, à la vue de la végétation qui vient frapper ses re-
gards. Dans la plaine , ces forêts impénétrables , com-
posées d’arbres dont la cime s’élève à plus de 50 mètres
de hauteur ; cette variété dans les formes , cet éclat et
cette gravité dans les fleurs, ce mélange de palmiers
élégants et des espèces colossales de figuiers , de man-
guiers, etc., sur lesquels s’établit la végétation parasite
des orchidées et des broméliacées épidendres ; ces lia-
nes, si variées dans leurs formes, sont tout à coup rem-
placés par une végétation maigre et chétive , qui fatigue
l’œil par son apparente monotonie. Tout à l’heure rien
ne rappelait au voyageur européen les végétaux de sa
patrie ; aucune espèce , je dirais presque aucun genre
de plantes n’appartient à ces forêts primitives de l’Inde
et à celles de l’Europe. En une heure de marche , s’il
pouvait perdre le souvenir du temps et des lieux, il se
croirait transporté sur le sommet des Alpes ou du Jura :
même forme générale dans l’aspect de la végétation,
mêmes genres, et espèces presque identiques. Ainsi il
126
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
rencontre à chaque pas des renoncules , des violettes,
des anémones , des mauves, des millepertuis, des fume-
terres, des potentilles, des gentianes, des andromèdes
et des rhododendrons, etc., etc.; en un mot, tous les
genres qui, en Europe, caractérisent la végétation des
hautes chaînes de montagnes.
Mais néanmoins si l’aspect général est le même, si
les genres de végétaux sont ainsi communs aux sommets
élevés des Neelgheries et de nos Alpes, cependant la na-
ture imprime encore un cachet spécial à cette végétation
des hautes chaînes de l’Inde. Ce sont bien les mêmes
genres , mais ce ne sont pas les mêmes espèces qu’en
nos climats. Ainsi, par exemple, aux Rhododendrum
hirsutum et ferrugineum qui garnissent les roches cal-
caires des Alpes de la Suisse et du Jura , se substitue le
Rhododendrum arboreum , seul végétal ligneux, qui orne
de ses magnifiques corolles pourpres les mamelons élevés
du plateau des montagnes des Neelgheries. Si nous pre-
nons une famille en particulier, celle des Orchidées, par
exemple , nous verrons que pour le port , ses espèces
rentrent tout à fait dans les formes européennes. Mais
les genres Orchis , Ophris , Acer as , etc., de nos climats,
sont remplacés par de nombreuses espèces appartenant
aux genres Habenaria , Salyrium , Perislylns , qu’on
ne trouve guère que dans les pays voisins des tropiques.
Comme nous l’avons dit tout à l’heure, M. Perrot-
tet a séjourné deux années sur la chaîne des Neelghe-
ries. Le peu d’étendue de ces montagnes lui a permis
d’en parcourir toutes les parties. Il n’y a pas un des
mamelons qui s’en élèvent, pas une des vallées qui la
sillonnent, qu’il n’ait visités à toutes les époques de
DANS L’INDE.
127
l’année. Aussi peut-on assurer qu’il en a recueilli à peu
près tous les végétaux qui peuvent y croître , et que la
végétation de ce groupe de montagnes est aujourd’hui
aussi bien connue que celle des contrées de l’Europe
qui ont été le mieux explorées.
M. Perroltet, avec la sagacité qui caractérise le na-
turaliste parfaitement au courant de toutes les exigen-
ces de la science et qui peuvent contribuer à ses pro-
grès , ne s’est pas borné à recueillir avec soin tous les
végétaux qui s’offraient à sa vue ; mais il a étudié leur
structure , qu’il a reproduite, soit par des dessins ana-
lytiques ou par des descriptions : il a noté surtout
avec un soin tout particulier les diverses stations où
croissent chacun de ces végétaux ; de manière à pouvoir
faire un tableau exact et complet de la géographie bo-
tanique des Neelgheries, partie si intéressante de la
science.
La végétation des Neelgheries , considérée dans son
ensemble depuis la partie inférieure de la chaîne jus-
qu’au sommet des mamelons qui la couronnent, peut
se partager en quatre régions , caractérisées chacune
par un certain nombre de végétaux qui n’appartiennent
qu’à elle.
La première , ou la supérieure , qu’on peut appeler
la région alpine , est celle que nous avons fait connaître
tout à l’heure. C’est celle qui comprend tous les ma-
melons depuis une hauteur de 5,000 pieds anglais au-
dessus du niveau de la mer jusqu’à 8,000 pieds , hau-
teur de quelques-uns des monticules aux environs
d’Ootocamund, ville principale des Neelgheries. Elle est
caractérisée, disons-nous, par la présence de tous ces
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
128
végétaux alpins, dont nous donnions tout à l’heure une
énumération succincte, au milieu desquels se rencon-
trent deux ou trois espèces ligneuses, comme le Myrlus
iomentosa , si remarquable par l’abondance de ses jolies
fleurs roses , auxquelles succèdent des baies également
roses, d’une saveur douce, aigrelette et parfumée; le
Cotoneasler of/inis, DC., arbrisseau souvent rabougri et
étalé à la surface du sol , tout couvert de petites fleurs
blanches et tomenleuses, qui le font reconnaître de
loin ; une jolie Acanlhacée , probablement nouvelle , à
fleurs du bleu de ciel le plus pur et qui couvre quel-
quefois d’immenses espaces de terrain ; enfin le Rhodo-
dendrum arboreum , qui forme quelquefois à lui seul
de petites forêts élégantes et dont on ne trouve plus un
seul individu au-dessous de 5,000 pieds.
Cette zone supérieure est parfaitement tranchée;
et elle diffère tellement de celles qui sont placées au-
dessous d’elle, qu’elle parait n’avoir avec elles aucun
rapport.
La deuxième région forme une bande d’environ
1,000 pieds de hauteur, qui commence à 4,000 pieds
et s’élève jusqu’à 5,000. Sa végétation, comme celle des
deux autres régions inférieures , offre tout à fait le ca-
ractère tropical et indien ; mais elle se compose en gé-
néral d’arbres peu élevés , et sur le développement des-
quels la hauteur des lieux exerce une influence très-
grande. Nous citerons ici , comme caractérisant cette
région , des Dombeya, des lléliclères , le / alerta indica,
des espèces appartenant aux genres Trichilia , Slerculia,
Plerocarpus , Ficus , Croton . Y Arlocarpus incisa, etc.
» La troisième région est surtout caractérisée par la
DANS L’INDE.
129
terminaison de ces magnifiques espèces du beau genre
Anogeissus , qui forment de vastes forêts depuis la base
de la montagne jusqu’à une hauteur de -4,000 pieds.
Au-dessus de ce point on ne rencontre aucun individu
d’une espèce qui , dans les régions situées immédiate-
ment au-dessous , imprimait par son abondance un ca-
ractère tout spécial à la végétation. Avec les Anogeissus
se montrent le Gmelina arborea , le Cochlospermum gos-
sypium , des Acacia , des Sapindus , des Celastrus sar-
menleux, le Pterocarpus marsupium , les Grewia, les
Dalbergia , des Spathodœa et d’autres Bignoniacées, etc.
Enfin la dernière région est celle qui occupe la
base des montagnes en s’élevant à une hauteur de deux
et quelquefois trois mille pieds au-dessus du niveau de
la mer. C’est la végétation tropicale indienne avec tout
son luxe et son éclat. Ce sont des forêts impénétrables,
composées d’arbres magnifiques dont la cime s’élève
souvent à plus de cinquante mètres de hauteur. Rien
n’est beau comme ces majestueux manguiers chargés à
la fois de fleurs et de fruits du plus beau jaune , comme
le jacquier, à feuilles entières et luisantes, sur le tronc
duquel se développent des fruits dont quelques-uns
pèsent jusqu’à vingt-cinq et trente kilogrammes. Les
bambous y forment des touffes vraiment gigantesques,
et leur chaume creux et annelé s’élève à la hauteur des
plus grands arbres, et acquiert une solidité comparable
à celle des bois les plus résistants.
La végétal ion de cette dernière zone se confond
insensiblement à sa base avec celle des plaines envi-
ronnantes.
Nous avons parlé tout à l’heure de ces ravins pro-
17
130
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
fonds, de ces vallées abruptes qui sillonnent les flancs
du massif des Neelglieries , et descendent quelquefois
jusque dans la plaine qui l’environne. Leur végétation
ne ressemble en rien à celle des plateaux ; la transition
est subite. A peine le voyageur s’est-il engagé dans
l’une de ces vallées, qu’il se voit tout à coup environné
par une végétation luxuriante , par des arbres souvent
d’une grande hauteur, comme les Lauriers , les Miclii-
lia , les Gordonia , les Andromèdes arborescentes , sur
lesquels croissent des Lianes et des Orchidées épiden-
dres. C’est dans l’une de ces vallées, dans sa partie la
plus rapprochée des plateaux, que M. Perrottet a dé-
couvert cette belle fougère en arbre, à tige bifurquée,
dont il n’existait jusqu’à présent aucun exemple dans
la science. On sait en effet que les fougères ligneuses
ressemblent , pour leur port et leur aspect général , aux
palmiers et autres monocotylédonés à lige arborescente.
Si l’on excepte quelques Dracœna et, parmi les pal-
miers, le Doun ou palmier de la Thébaïde, le stipe
des monocotylédonés , comme celui des fougères , est
parfaitement simple et indivis. Dans l’espèce rapportée
par M. Perrottet, il est parfaitement bifurqué. M. Per-
rottet a également rapporté et déposé au Muséum d’ His-
toire naturelle l’extrémité supérieure d’un Cycas bifur-
qué, et un stipe de Lontarus flabelliformis divisé en
six branches partant toutes de points differents. Ce sont
autant de faits nouveaux pour la science , et qui proba-
blement pourraient modifier en quelques points les ex-
plications qu’on a jusqu’à présent données du mode de
développement des arbres monocotylédonés. >»
Pendant mon séjour dans ces montagnes j’ai fait de
DANS L’INDE.
131
nombreuses observations météorologiques que j’ai adres-
sées à la Société asiatique de Calcutta, et cette Société
a chargé M. Pr inseps de m’adresser ses remercîments
au nom de l’assemblée (1).
(I) ASIATIC SOCIETY OF BENGAL,
INST1T0TED JAN. 6 1786.
A Monsieur Adolphe Delessert,
Kotagheny-Neelgheries.
Monsieur ,
Je suis chargé par la Société asiatique de vous remercier pour la
série des observations météorologiques faites à Madepollam et à Kot-
agherry, que vous avez eu la complaisance de mettre à sa disposition.
J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très-obéissant serviteur.
Le 10 août 1838.
PRINSEPS, secr.
132
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Voyage à la côte du Malabar, el retour en France par
l'Égypte.
Ce voyage clans les montagnes m’avait beaucoup fati-
gué ; cependant je ne voulais pas rentrer en France sans
avoir visité la côte du Malabar. Je partis pour Calicut
en passant par Paulghautcherry, continuant toujours à
chasser. Un jour je fus poursuivi par quatre éléphants,
qui me firent battre en retraite un peu plus vite que je
ne voulais jusqu’à la lisière du bois ; arrivé sur la
plaine, je courus encore jusqu’à mon convoi : mais les
éléphants ne me suivirent pas; ils marchèrent long-
temps au bord du bois dans la même direction que
nous, et, rassuré parla crainte qu’ils avaient de s’éloi-
gner du jongle, je leur lirai plusieurs coups de fusil,
ainsi que mes chasseurs. Notre feu fut assez bien nourri
pour les éloigner : nous les blessâmes sans doute, car
ils ne reparurent plus ; et autant j’en avais eu peur
quand ils me donnaient la chasse , autant , en ce mo-
ment, j’aurais désiré qu’ils nous suivissent encore.
Après un court séjour à Calicut , je me procurai un
pattmar, ou bateau côtier, afin de me rendre à Bombay.
Je touchai à Mahé, établissement français, où je fus fort
bien reçu par le gouverneur. Je visitai successivement
Telliclierry , Cannanore, Mangaloor, Goa, et enfin j’arri-
vai à Bombay le A janvier 4839.
Gattes de l'Ouest.
DANS L’INDE.
133
Le climat de Bombay est très-agréable. Je voulus aller
visiter la montagne de Mahubliswhur, où les Anglais ont
établi des maisons de santé, et la chute d’eau de Gokauk,
prèsde Belgaum. Pendant mon séjour à Bombay, je vis par-
tir pour le Caboul un corps de cinq à six mille hommes de
l’armée anglaise. Bombay est une ville très-commerçante,
mal bâtie, à rues étroites et malsaines. J’eus le plaisir
d’y rencontrer le capitaine Dussumier, si connu par les
naturalistes français. Il voulut bien se charger du trans-
port de mes collections.
Je me préparai alors à rentrer en France , et j’obtins
passage sur le bateau à vapeur la Bérénice. Je partis le
25 février 1839 de Bombay ; le 6 mars nous débar-
quions à Aden, dont les Anglais venaient de s’emparer.
Le lendemain , nous étions en route pour Suez ; nous
traversons le détroit de Bab-el-Mandeb pour entrer dans
la mer Rouge : nous passâmes devant Moka , où nous
prîmes un pilote , et le 1 1 mars nous débarquions à Suez .
Le surlendemain j’étais au Caire. Sur toute la route de
Suez au Caire on rencontre des tentes qui appartien-
nent à la Compagnie anglaise , et sont placées là pour la
sûreté de la route et la commodité des voyageurs.
Je passai un jour au Caire; de là je me rendis à
Alexandrie, où j’allai visiter la flotte et le palais du vice-
roi. Je m’embarquai sur le bateau à vapeur le Blazer,
partant pour Malte , où , après avoir purgé la quaran-
taine , nous débarquâmes. Je profitai du peu de temps
que j’avais pour aller visiter l’ancien château des cheva-
liers de Malte. Je quittai Malte avec le paquebot français
le Minas , qui en cinq jours nous amena à Marseille
en passant devant Messine, Civita-Vecchia et Livourne,
SOUVENIRS D’UN VOYAGE DANS L’INDE.
13A
où nous débarquâmes assez de temps pour aller visiter
Pise et sa Tour penchée.
Je ne fis pas un long séjour à Marseille ; j’étais trop
impatient de revoir ma famille. Aussi je me mis de suite
en route pour Paris, où j’arrivai le 30 avril 1839, après
une absence de six années , qui cependant se sont écou-
lées bien rapidement. Toutes mes collections sont arri-
vées en bon état, et elles sont bien conservées. Je dois
en témoigner toute ma reconnaissance à mon oncle ,
M. Benjamin Delessert, qui a bien voulu donner les
ordres nécessaires pour en assurer la conservation jus-
qu’à mon arrivée , et faire disposer un local aussi con-
venable que commode pour en faciliter l’arrangement
méthodique, qui, grâce aux soins éclairés de mon ami
le docteur Chenu , s’est fait très-promptement.
SECONDE PARTIE
SOUVENIRS D'l!N VOYAGE DANS L’INDE.
HISTOIRE NATURELLE.
INTRODUCTION.
Plusieurs rapports ayant été lus à l’Institut (4), par
MM. de Blainville et Duméril, sur les nombreuses col-
lections rapportées des diverses parties de l’Inde par
M. Adolphe Delessert , nous ne chercherons pas à faire
ressortir ici l’importance de celles qui ont rapport aux
animaux vertébrés, car nos éloges ne pourraient rien
ajouter au témoignage de ces célèbres académiciens.
Nous devons rappeler, cependant, que ce voyageur
zélé a recueilli plus de douze cents Mammifères , un
nombre prodigieux d’Oiseaux, des Reptiles, empaillés
ou conservés dans l’alcool, une collection considérable
de Poissons du Gange, et une jolie suite de Poissons
des mers de l’Inde, si parfaitement empaillés et prépa-
rés qu’ils conservent toute la fraîcheur de leurs cou-
leurs ; des insectes de tous les ordres , des coquilles,
des minéraux et des plantes. Ces richesses présentent
un résultat d’autant plus surprenant que quatre années
ont suffi pour les rassembler , et l’on peut dire que c’est
une des plus nombreuses collections qui aient été rap-
portées en France dans ces derniers temps.
(1) Dans la séance du 31 août 1840. Comptes-rendus hebdomadaires
des séances de l’Académie des Sciences par MM. les secrétaires perpé-
tuels; 2e semestre de 1840, t. XI, p. 385 à 390.
2e PART. 1
INTRODUCTION.
La publication des riches matériaux contenus dans
cette collection aurait nécessité plusieurs volumes, si
l’on avait voulu y faire entrer tous les animaux nou-
veaux et intéressants pour la science. Mais le plan
adopté pour le présent ouvrage ne nous a permis de
donner que ce petit travail, fait sur la demande de notre
ami M. Adolphe Delessert. Toute la portion qui traite
des animaux vertébrés est due à la plume de ce voyageur,
qui s’est fait aider, pour la description des Écureuils,
par M. P. Gervais, et pour celle de quelques Oiseaux,
par M. de La Fresnaye. Il a bien voulu nous confier la
partie entomologique, composée ici d’un extrait du tra-
vail que nous préparions sur les insectes qu’il a recueil-
lis. Nous aurions désiré publier un catalogue raisonné
de ses récoltes entomologiques, en donnant le nom de
toutes les espèces, avec la description et la ligure de cel-
les qui sont nouvelles; mais un pareil travail aurait
exigé beaucoup de temps et d’espace. M. Adolphe De-
lessert voulant borner la relation de son voyage à un
seul volume , nous avons été obligé de ne donner, dans
cet appendice, qu’un choix de quelques-unes des espè-
ces les plus remarquables dans les nombreuses nouveau-
tés dont il a enrichi l’entomologie.
Nous aurions aussi désiré présenter des généralités
sur la distribution géographique de ces insectes, comme
quelques naturalistes anglais l’ont fait pour ceux
de l’Afrique, de l’Inde, des monts Himalaya, etc.;
mais , pour donner quelque chose de certain , il aurait
fallu terminer le catalogue que nous avions commencé,
INTRODUCTION.
ce qui nous a été impossible clans ce moment. Nous
nous bornerons donc à l’aperçu rapide qui suit.
La collection d’insectes recueillie par M. Adolphe
Delessert comprend tous les ordres et forme un total
de 1048 espèces différentes, dont plus du tiers est com-
posé d’espèces nouvelles pour la science.
Cette collection est surtout précieuse pour les savants
qui désirent étudier la distribution géographique des
insectes propres à la partie de l’Inde parcourue par
M. Adolphe Delessert : car ce voyageur a eu soin de
conserver ses récoltes dans des boites séparées, afin que
les localités ne soient pas confondues. Il a même noté
les époques de capture de toutes les espèces , ce qui est
d’un grand intérêt pour l’étude des moeurs de ces ani-
maux et pour la connaissance du degré de température
des lieux qu’il a visités; car on remarque les mômes
espèces prises dans la plaine ou sur le plateau des Neel-
gheries, à 8,000 pieds au-dessus du niveau de la mer,
et qui apparaissent à des époques différentes.
Les insectes du plateau des Neelgheries sont remar-
quables par leur physionomie à la fois européenne et
indienne. En effet , la majorité rentre dans les genres de
notre France; et même quelques-uns n’en peuvent être
distingués spécifiquement ( Coccinella septem-punctata ,
Vanessa cardai, Polyommatus bœticus , etc.), tandis que
d’autres , pris sur le penchant de la montagne , appar-
tiennent à des genres tout à fait propres à l’Inde ( Or -
nilhoplera heliacon , Sternocera chrysis , Fulgora Deles-
serlii , Macronala /lavo-maeulala , Mylabris sydœ , etc.).
INTRODUCTION.
Lv
Si nous examinons les collections de M. Delessert, en
suivant l’ordre des familles, nous voyons, toujours parmi
celles des Neelgheries , que , dans les Carabiques , on
remarque une magnifique Cicindèle noire et jaune, pu-
bliée par M. le comte Dejean sous le nom de Cicindela
auro-fasciata , et dont une variété a été nommée Cicin-
dela lepida par M. Gory ( Magasin de zoologie, 1833,
n° 96); un Scarites nouveau, plusieurs Chlœnius , etc.
Dans les Hydrocanthares , un Gyrin du sous-genre Ore-
ctochilus (T Orectochilus semiveslilus, Guér. , Revue zool. )
forme une des plus grandes espèces de cette division.
Dans les Sternoxes il y a trois Buprestes connus mais
rares; un superbe Taupin , le Ludius ( Campsoslernus )
Delesserlii, Guér., Rev. zool.), plusieurs autres Taupins
plus petits , une espèce établissant le passage entre les
Taupins et les Cébrions , etc.
Les Malacodermes offrent plusieurs Lycus et Telepho-
rus inédits, et un Lampyre dont la femelle a plus de
sept centimètres de long.
Les Clavicornes offrent le beau Sylphe nommé Oice-
ptoma lelraspiloto par Hope, mais publié antérieurement
par M. Delaporte sous le nom de Silpha formosa, ainsi
que plusieurs Histers nouveaux.
Dans les Lamellicornes on peut citer un Aleuclms
nouveau , sept ou huit jolis Ontophagus , plusieurs Eu-
chlora , une Popilie très-grande ( Popilia splendida ,
Guér., Rev. zool., décrite plus tard par M. Newman
sous le nom de Popilia regina ) , plusieurs Mélolonthes
des sous-genres Ancylonycha et Anisoplia, de belles Cé-
INTRODUCTION.
loines, le superbe Goliath que nous avons décrit sous
le nom de Goliathus Delesserlii (Rev. zool .), la femelle
d’un beau Lucane figuré par Olivier ( Luc. gazella ) , et
qu’on n’avait pas encore vu en France , et plusieurs
autres espèces non moins intéressantes.
Les Mélasomes ont aussi plusieurs espèces nouvelles
dans les genres Platynotus , Opatrmn, Eloma , etc.
On distingue encore une belle Lagrie et une Cistèle de
grande taille.
Les Rhynchophores comprennent aussi plusieurs espè-
ces tout à fait nouvelles dans les genres Mecocerus ,
Episomus , Blosyrus , Myllocerus , Astylus, Alcides ,
JJ y psonolus, etc. On trouve aussi quatre Bostriches neufs.
C’est la famille des Longicornes qui contient les es-
pèces les plus intéressantes : on y remarque un superbe
Pelar goder us inédit , ainsi que cinq à six Saperdes dont
plusieurs forment des sous-genres distincts ; plusieurs
Obrium 3 et une série de neuf ou dix espèces nouvelles
de Clytus.
Les Eupodes ont trois espèces nouvelles de Criocè-
res. Enfin les Cycliques contiennent des Galeruques,
des Cassides, des Chrysomèles (Chr. Rajah, Guér.,
Rev. zool.), et plusieurs Coccinelles des plus curieuses.
Si nous jetons un coup d’œil sur les Orthoptères,
nous trouverons des espèces de Blattes nouvelles et
d’un aspect purement indien, à côté du Gryllus capen-
sis 3 si voisin de notre Grillon champêtre. 11 y a aussi
un beau Criquet du sous-genre Phymaleus , formant une
espèce très- voisine du Ph. scabiosus, Fabr.
INTRODUCTION.
fi
Les Hémiptères ont fourni l’un des objets les plus
saillants de la collection : c’est une superbe Fulgore
voisine de la Fulgora maculata de Stol! , à laquelle nous
avons donné le nom de Fulgora Delessertii (Rev. zool.,
1839, p. 183). Il y a aussi plusieurs Pentatoines, des Ly-
gées, Membraces, Notonectes, etc., entièrement inédits.
De belles et grandes Libellules représentent l’ordre
des Névroptères; on observe parmi elles plus d’espèces
nouvelles que d’espèces déjà décrites.
Les Hyménoptères offrent surtout deux abeilles pro-
prement dites; l une d’elles, très-voisine de notre Apis
mellifica , la remplace dans ces montagnes et produit
un excellent miel.
C’est dans l’ordre des Lépidoptères que les physio-
nomies indiennes et européennes sont le mieux mar-
quées. On trouve dans la même boite , contenant seu-
lement des objets pris sur le plateau des Neelgheries,
des Papillons blancs du chou ( du moins une espèce
très-voisine de celle-ci, la Pieris gliciria , Cram.), des
Colias palœno de Paris, des Vanessa cardui, Lilhosia
pulchella, etc.; et, à côté, le grand Ornilhoptera 11e-
liacon , les Papilio Helenus , Severus, lleclor , si carac-
téristiques, de l’Inde.
La collection recueillie aux environs de Pondichéri
n’est ni moins riche ni moins instructive , et il serait
trop long d’énumérer successivement les objets neufs
et intéressants qu’elle contient ; nous nous contenterons
de signaler seulement la belle Cicindela princeps de
Vigors, si différente de celle des Neelgheries ( Cic . au-
INTRODUCTION.
ro-fasciala) ; un grand Taupin vert à élytres rayées de
blanc, que nous avons dédié à la mémoire de Latreille 5
une jolie Donacie voisine de la Donacio crassipes d’Eu-
rope (Don. Delessertn, Nob., ïcon. du Règne Animal,
texte), et un grand nombre d’autres espèces nouvelles
dans tous les ordres.
Les insectes que M. Delesserl s’est procurés sur la
côte Malaye, à Malacca, Singapore, Pulo-Pinang, etc.,
offrent aussi des espèces neuves et très-belles. Nous
devons citer, parmi les Coléoptères, un superbe Ortho-
gonius (O. laleralis., Nob.), plusieurs Lucanes, quel-
ques Mélolonthides formant des genres nouveaux , des
Calandres, la magnifique Saperde que Latreille a figu-
rée dans le règne animal sous le nom de Saperda ve-
nosa y etc.
Parmi les Orthoptères on remarque des Phasmes
très-grandes, plusieurs Manies, une très-belle espèce
du sous-genre Chæradodis (Ch. Iruncata, Nob.), des
Phylloptères, un nouveau genre voisin des Truxales, et
publié dans ces derniers temps par M. Westwood , sous
le nom de Sy Stella llopei (Arcana Ent. , n° 1, pl. 4 ,
fig. 3), une espèce du genre Maslax du même auteur,
et plusieurs autres espèces nouvelles de grande taille.
Malheureusement, et comme il arrive toujours pour ces
sortes d’insectes, les individus sont moins bien conser-
vés que les précédents; quelques-uns ont perdu une
partie de leurs pattes, de leurs antennes, etc., pendant
le voyage, mais ils n’en sont pas moins très-utiles pour
être décrits et figurés.
INTRODUCTION.
8
On trouve dans les Hémiptères plusieurs belles espè-
ces nouvelles de Punaises et de Cigales, diverses Aphana
et Flatta de la plus grande beauté, que nous avons
décrites dans le texte de notre Iconographie du
Règne Animal, et deux magnifiques F ulgores, les Ful-
gora pyrrorhynchus , Donovan , et subocellala , de
nous, dans la Revue zoologique.
Les Lépidoptères sont également riches en belles es-
pèces ; parmi les grands Papillons il s’en est trouvé plu-
sieurs de nouveaux et que nous décrivons dans cette
notice, ainsi que d’autres Lépidoptères inédits, appar-
tenant à divers genres.
Nous devons borner là cette énumération rapide, qui
aurait été trop longue si nous avions voulu indiquer
tous les objets neufs et intéressants de la collection de
M. Ad. Delessert. L’idée que ce court aperçu en donne
suffira pour faire apprécier toute son importance scien-
tifique. Qu’il nous soit permis cependant, pour appuyer
notre assertion, de reproduire ici les conclusions du
Rapport de MM. de Blainville et Duméril :
« Nous avons déjà fait observer que, pour la très-grande
partie des objets de sa collection, M. Adolphe Delessert
a soigneusement noté les lieux et les circonstances dans
lesquels il les a recueillis; nous avons parlé de ses remar-
ques sur les habitudes du Ratel, et nous aurions pu
parler également de celles qu’il a faites sur les mœurs
du Pangolin, animal qui n’est jamais venu vivant en
Europe. Il paraît cependant que ses observations ne lui
ont pas paru assez nouvelles pour en faire le sujet d’un
INTRODUCTION.
9
ouvrage à la manière d’Obsouville, ce qui est peut-être
à regretter.
» Toutefois le dévouement que M. Adolphe Delessert
a montré dans une entreprise qui a duré cinq à six
ans , la manière sans prétention avec laquelle il en a
présenté les résultats à l’examen et à l’étude des zoolo-
gistes, et surtout la noble générosité qui l’a porté à
offrir au grand dépôt des êtres naturels le choix des
objets qui pourraient y manquer , nous a paru mériter
d’être pris en grande considération. En conséquence,
nous proposons d’adresser à M. Adolphe Delessert des
remerciements pour les matériaux intéressants qu’il a
fournis à la zoologie par une persévérance courageuse
et une générosité dignes du nom qu’il porte. »
Si nous avions eu plus d’espace et de temps , nous
aurions présenté le dénombrement des richesses scien-
tifiques qui ont motivé ces conclusions flatteuses; mais
nous n’avons pu nous occuper que de la partie de ces
collections qui comprend l’entomologie. Les insectes,
au nombre de plus de 40,000 individus, formaient
1,048 espèces différentes, réparties dans les divers or-
dres de la manière suivante.
DÉTAIL PAR LOCALITÉS.
Des montagnes Neelgheries
De Pondichéri
De la côte Malaye
425 espèces.
362
261
Total
1048
2e PART.
10
INTRODUCTION1.
DÉTAIL PAR ORDRES.
Aptères.
Coléoptères.
Orthoptères.
Hémiptères.
Névroptères.
Hyménoptères.
Lépidoptères.
Neelgheries
Pondichéri
Côte Malaye
Total
Neelgheries
Ponclichéri
Côte Malaye
Total
Neelgheries.
Pondichéri
Côte Malaye.
Total
Neelgheries
Pondichéri
Côte Malaye
Total
Neelgheries.
Pondichéri
Côte Malaye
Total
Neelgheries
Pondichéri
Côte Malaye.
Total
Neelgheries
Pondichéri
Côte Malaye
Total
12 espèces.
9
4
25
172
186
65
423
32
39
50
121
76
73
67
216
11
9
4
24
17
21
11
49
83
20
60
163
INTRODUCTION.
Il
Diptères.
Neelgheries
Pondichéri
Côte Malaye
Total
27
22 espèces.
5
Cet aperçu des richesses entomologiques du voyage
de M. Ad. Delessert, donne une idée de l’activité qu’il
a déployée pour obtenir ces résultats, quand on songe
qu’il s’occupait en même temps de toutes les branches
de l’histoire naturelle, et qu’il tenait un journal très-
détaillé dans lequel il a consigné une foule d’observa-
tions intéressantes que nous voudrions voir mettre au
jour.
F.-E. Guérin-Méneville.
SECONDE PARTIE.
§ i.
ANIMAUX VERTÉBRÉS.
PAR I\I. AD. DELESSERT.
BOEUF SAUVAGE DE L’iNDE.
Bibos frontaiis, Lambert.
(PI. 4.)
L’animal qui forme le type de ce sous-genre est encore peu connu
en Europe et n’existait pas dans les collections de Paris. Il a été publié
pour la première fois par M. Lambert, sous le nom de B os fronta-
iis (1), que G. Cuvier adopte (2), et décrit et figuré de nouveau par
Frédéric Cuvier (3) , sous le nom de Bos siliietanus. Malheureuse-
ment la figure que ce savant en a donnée paraît avoir été faite d’après
un dessin peu exact, car elle ne rend pas très-bien la bosse élevée que
cet animal porte sur la partie antérieure de son dos ; bosse qui n’est
pas une simple loupe graisseuse , comme le dit M. Lesson (4) , mais
qui est produite par un très-grand prolongement des apophyses mon-
tantes des premières vertèbres dorsales.
Dans ces derniers temps, M. Hodgson, gouverneur et résidant à
Catmadou, ignorant que MM. Lambert et Frédéric Cuvier avaient
publié ce bœuf sous les noms de Bos frontaiis et Bos silhetanus,
en a donné une bonne description, dans les procès-verbaux de la Société
asiatique du Bengale (5) , en proposant, avec raison , d’en former un
(1) Trans of Lin. Soc., vol. vu, pl. 4.
(2) Règne animal, 2e édit., t. i, p. 280.
(3) Hist. nat. de Mamm., t. iii , 42e liv.
(4) Manuel de Mamm., p. 393.
(o) N° 66, juin 4837, p. 499.
ik
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
sous-genre des Bœufs, sous le nom de Bibos , mais en lui donnant
un troisième nom spécifique, celui de Subhœmachaius. Ce nom
ne peut être conservé, puisqu’il est postérieur au nom de Frontaiis;
publié par Lambert. Quoi qu’il en soit, la description du savant Anglais
donnant une idée exacte de l’animal qui nous occupe , nous croyons
utile de la reproduire ici.
« Après des recherches très-pénibles et coûteuses, j’ai enfin réussi
à me procurer les dépouilles complètes des deux sexes du Gauri-gau.
Les côtes sont au nombre de 13 paires seulement; le crâne des deux
sexes est remarquable par sa grandeur et par un front large, surmonté
d’une énorme crête transversale demi-cylindrique. C’est le prolonge-
ment des vertèbres dorsales seulement qui produit l’élévation extraor-
dinaire de la partie antérieure du corps, les vertèbres cervicales n’é-
tant nullement prolongées. L’élévation s’étend longitudinalement de la
première à la dernière paire de côtes : elle est plus brusquement pro-
noncée en avant et s’abaisse insensiblement en arrière. La plus grande
hauteur de la bosse , produite par le prolongement de ces vertèbres ,
est de ïh pouces au-dessus de la colonne dorsale, et c’est la troisième
vertèbre, à partir de l’extrémité antérieure, qui atteint cette hauteur.
C’est cette particularité qui rend l’animal très -remarquable; il est
Bœuf, ou classé comme tel, par le nombre de ses côtes et par la forme
générale de son crâne, mais il s’en distingue suffisamment, comme un
sous-genre ou type séparé, par le plus grand développement du front,
par la grandeur remarquable de sa crête frontale et par la saillie des
vertèbres dorsales ; cette dernière particularité ostéologique donne à
cet animal l’apparence d’un Chameau ou d’une Girafe, en faisant
toutefois abstraction de la tête.
» J’appelle ce type Bibos; c’est un nom qui est également bon,
soit qu’on suppose qu’il indique un Bœuf d’une grandeur extraordi-
naire ( comme Bis et Bos ) ou un animal tenant du Bison ou du
Bœuf (quasi Bi-Bos). Vous vous rappelez mes dessins du crâne,
comparés à ceux du Buffle privé et sauvage et du Bœuf commun ;
personne ne pourrait, en voyant ces caractères, supposer que cet
animal est un Bison, si on admet l’exactitude des descriptions de
Cuvier. Quant à moi, j’ai toujours considéré le Gauri-gau comme
un chaînon séparé entre le Bœuf et le Bison ; mais c’est tout récem-
ment qu’en me procurant des squelettes complets des deux sexes, j’ai
été à portée de vérifier le fait. Je ne doute pas que VU rus des anciens
(qui ne nous est connu que par des crânes fossiles) ne soit un Bibos ,
DANS L’INDE.
15
c’est-à-dire un animal du même type que notre Bœuf sauvage des
forêts vierges et autres lieux déserts. Je ne pourrais décider si mon
animal est le Gaurus ou le Gavoœus des auteurs, car il n’y a point
de description assez claire de l’un ou de l’autre de ces animaux. Quel-
ques-uns appellent le Gauri-gau Bœuf, d’autres Bison ; ce qu’il
est en réalité, je ne le sais pas: en conséquence, je dois donner à mon
type un nom distinct, soit Subhœmach aius.
» Ainsi donc, le Gauri-gau des forêts élevées est le Bibos Sub-
hœmachaius, Nob. , et forme le type du nouveau sous-genre Bibos.
La Société en aura actuellement une description très-exacte et minu-
tieuse : d’un côté les particularités ostéologiques déjà mentionnées
donnent à notre animal un caractère frappant de nouveauté, et de
l’autre donnent un nouvel intérêt à tout ce que les anciens nous ont
appris sur leur Urus.
» Les poils sont aussi fournis et aussi couchés que ceux du Bœuf ;
seulement ils sont un peu plus allongés , et frisés sur le front et les
cuisses. Ses couleurs sont en général brunes ou noires , ou variées de
noir et de blanc. La queue est très-courte et ne descend pas jusqu’au
jarret. Toutes. les particularités de la structure de cet animal retom-
bent dans le caractère du sous-genre, et ses caractères spécifiques
peuvent être décrits en deux mots : Le grand Bibos indien sauvage,
avec les poils fournis et couchés, d’une couleur noire ou brune, ayant
10 pieds depuis le museau jusqu’à la queue, et 5 1/2 de haut aux
épaules. Gauri-gau de l’Indostan. »
J’ai tué plusieurs individus mâles et femelles de cette belle et rare
espèce à Tullamaley, dans le Mysore, à 20 mille des Neelgheries, pla-
teau situé aux confins du Malabar. J’en ai tué quelques individus à la
base de ces mêmes montagnes, qui sont élevées d’environ 7,800 pieds.
On m’a dit qu’on le trouvait aussi dans le Travancor, où on le prend
avec des filets.
Ce Bœuf est très-sauvage et naturellement très-hardi, et il se défend
facilement contre tous les animaux féroces. On ne le trouve qu’à la
hauteur de 3 à 4,000 pieds environ au-dessus du niveau de la mer,
sur le penchant des montagnes. J’en ai trouvé dans les montagnes de
Shewroy-Hill près de Salem , dans le Garnatic ; on l’a tué aussi près
de Gingée , à 60 milles N. -O. de Pondichéri, et , d’après le rapport
de personnes dignes de foi, il paraîtrait qu’on l’a tué fréquemment
sur toutes les Gates, qui s’étendent depuis Surate jusqu’au cap Corno-
rin. Étant cette année à 200 milles de Bombay, sur la montagne de
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
16
Mahabuliswhur, des chasseurs anglais m’ont dit l’avoir tué dans le voi-
sinage. Enfin, il paraît qu’il est répandu, en plus ou moins grande
adondance , depuis Surate , en suivant les divers plateaux qui se trou-
vent intermédiaires entre le Népaul et les Gates, jusqu’au Sylhet,
district situé dans le Bengale. On m’a même assuré que ce Bœuf est
répandu dans la chaîne des Gates qui longe la côte de Coromandel.
Les Anglais qui habitent l’Inde donnent au Gauri-gau ou Gun-
gli-gau les noms de Syihet-C aile , de Gy ail et de Byson. Les
habitants du Carnatic et de Pondichéri l’appellent, en langue tamoul,
Câte-yrme, ou Buffle des bois.
J’ai rapporté plusieurs peaux préparées des deux sexes de ce bel
animal, ainsi que des crânes, et j’ai déposé le plus bel individu dans
les collections du âluséum de Paris.
CHIEN SAUVAGE DE l’hYMALAYA.
Canis primœvus. Hodgson.
( PL 2. )
Le Chien sauvage, ou Buànsû des Népaulais , habite toute la con-
trée de la chaîne du bas Hymalaya, depuis le fleuve Sutledge à
l’ouest, jusqu’au fleuve Brahmapoutroum ou le Burampoutre à
l’est.
Les caractères de cette espèce de Chien sauvage sont d’avoir six
molaires seulement à la mâchoire inférieure ; son poil est serré ; les
pieds sont courts de poil jusqu’en bas; ses oreilles sont assez grandes
et droites. Sa queue est couverte d’une touffe de poils raides à son
extrémité ; il est d’une longueur moyenne, d’un roux prononcé sur le
manteau et jaunâtre inférieurement.
Le Buànsû, ou Chien sauvage du Népaul , dit M. Hodgson ( dans
les Recherches asiatiques, volume 18, partie II, page 223), habite
la partie élevée qui est à une égale distance des montagnes de neige
et des plaines, ou, en d’autres termes, il se tient dans la région
moyenne du Népaul ; mais il émigre fréquemment dans les parties du
sud , et quelquefois dans les districts du nord. Ses limites d’émigra-
tion sont, à l’est et à l’ouest, autant qu’il m’a été possible de le cou-
•/>/">// ' j'na.m (/>■/</ ST.ire
DANS L’INDE.
17
naître, Kali et Fista, et, comme j’en ai été informé de bonne
source , du Sutiedge au Burampoutre. Des Chiens sauvages , pro-
bablement n’offrant aucune différence matérielle avec ceux du Népaul,
sont rencontrés également dans le Vindhya, les G hâtes, les Neei-
g h cries , les montagnes de Kay sa, et finalement dans la chaîne s’é-
tendant depuis Mirzapour jusqu’à celle d'Orixa et à la côte de
Coromandel.
S’il m’était permis d’ajouter quelque chose aux renseignements
pleins de précision et d’exactitude que donne le savant M. Hodgson,
je pourrais dire qu’ayant habité près de trois ans la côte de Coroman-
del, à Ponclichéri et ses environs, et ayant exploré ces contrées
avec soin pour y famé des collections zoologiques , il m’est arrivé fré-
quemment d’entendre parler de la même espèce de Chiens, et même
d’en voir quelquefois aux diverses chasses ou tracs que je faisais aux
grands Mammifères. Enfin , après bien de la peine , j’ai fini par m’en
procurer un , tué dans les environs de Gcngy, à la côte de Coro-
mandel , près des Gates. Là même , il y a quelques années , en jan-
vier 1836, j’ai pris, aidé d’un de mes chasseurs, un jeune faon
d'axis , ou cerf moucheté , qui venait d’être mordu et chassé par
trois Chiens de cette espèce , lesquels aboyaient à peu près comme
nos Chiens courants d’Europe; ce Chien n’est connu que par les
chasseurs à la côte de Coromandel, où il est nommé par les indigènes
Chennayes ou Tamouls.
Je puis ajouter que j’ai rencontré plusieurs fois cette espèce de
Chiens dans les montagnes de Neelghêries en bandes de trois à quatre,
chassant en plein jour. Jamais je n’ai pu en tuer d’autre que celui
que j’ai rapporté en Europe : il figure au jardin des plantes de Paris
dans les galei’ies zoologiques. Ce Chien sauvage chasse le jour et la
nuit , mais principalement pendant le jour. Six , huit , ou dix réu-
nis poursuivent leur victime , chassant plutôt par l’odorat à la piste
qu’à vue , comme le lévrier. Ils parviennent à obtenir leur proie plu-
tôt à force de persévérance qu’en employant la ruse, ce qui leür arrive
cependant quelquefois.
La proie du Canis primœvus ou Buansû consiste en lièvres , en
Buffles sauvages ou domestiques et en plusieurs espèces de Cerfs ou
d’ Antilopes. Quelquefois les Buffles qui sont à pâturer dans les dis-
tricts éloignés des habitations deviennent la proie de cet animal.
Jamais l’homme n’a été attaqué par ce chien.
Le Buansû ne se terre pas à la manière du Loup et du Renard ,
2r part. 3
18 SOUVENIRS D’UN VOYAGE
mais habile dans les cavités naturelles des rochers, à la manière des
Chacals du Népaul.
ÉCUREUIL DE DELESSERT.
Sciurus Delessertii. Gervais.
( PI. 3 et 4. )
La jolie famille de Mammifères à laquelle notre Écureuil sert de
type , est, sans contredit , une des plus naturelles de l’ordre des Ron-
geurs. Les Marmottes , intimement liées aux Tamias par les Spermo-
philes et les Ptéromys , qu’on pourrait appeler des Marmottes volan-
tes , tant certains de leurs organes , et en particulier leur crâne ,
ressemblent à ceux dé ces animaux , lui appartiennent également.
Tous les Sciuriens ont des caractères faciles à saisir, et leur tète os-
seuse confirme très-bien , par sa forme , leur séparation en un groupe
particulier. L’absence de perforation palatine, la position des trous
incisifs de chaque côté du bord interne des os de ce nom , et surtout
la petitesse du trou sous-orbitaire , sont autant de caractères distinc-
tifs des Sciuriens. Les Myoxus , qu’on place fort souvent dans la
même catégorie que les Écureuils , sont , au contraire , un genre de
Muséides, comme la forme de leur trou sous-orbitaire contribue à le
prouver, et , au contraire , les Castors , presque toujours réunis aux
Myopotames, etc., paraîtront bien plus voisins des Sciuriens, et, en
particulier, des Marmottes , qu’on ne l’admet généralement , si , abs-
traction faite de la forme de leurs molaires , en rapport avec un ré-
gime spécial , ainsi que de leurs pattes et de leur queue , dont la dis-
position est en harmonie avec la nature des lieux qu’ils fréquentent,
on étudie leur structure générale avec plus d’attention. Leur sque-
lette, en effet, n’est pas sans analogie avec celui des Marmottes, et
leur crâne a la forme générale caractéristique des animaux de ce
genre. Les Castors sont même les seuls Rongeurs qui aient le trou
sous-orbitaire des Marmottes et des Écureuils (1), et l’on sait tout le
(■I) Les Ascom ys, quoique assez semblables aux Sciurus , Arctomys et Castors
par la petitesse de leur trou sous-orbitaire, ce qui les éloigne aussi des Ctenomys
et des Aspalomys , ainsi que nous l’avons fait remarquer dans la partie mammalo-
gique du voyage de la Bonite , s’éloignent aussi de tous ces animaux par la direction
du canal dont il s’agit et par la forme de leur crâne.
DANS L’INDF.
19
parti que l’on peut tirer des particularités de ce trou pour la classifi-
cation des animaux de cet ordre. On pourrait donc voir dans le Cas-
tor le représentant aquatique de la tribu des Arctomys, comme dans
le Pterpmys, l’animal aérien du même groupe.
L’extérieur des Écureuils, celui des Tamias et celui des Marmottes,
ne les fait pas toujours distinguer avec une égale facilité. Il est des
cas aussi où les couleurs de ces animaux n’ont rien de bien ca-
ractéristique dans leur répartition ; leur système dentaire lui-même
n’olîre pas d’assez grandes variations pour qu’on y ait constamment
recours. Le nombre des espèces est cependant fort considérable , et
chaque jour on en fait connaître de nouvelles. Les dents sont plus ou
moins tuberculeuses , assez différentes par leur couronne , dans les
Marmottes et quelques autres , de ce qu’elles sont chez les Écureuils
proprement dits , leurs tubercules étant plus saillants chez les pre-
mières et presque en collines transversales , ce que l’usure rend beau-
coup plus manifeste. Leur nombre est généralement de quatre paires
à chacune des mâchoires (1). Dans beaucoup d’espèces il y a toutefois
cinq paires de molaires supérieures , et la nouvelle dent de chaque
côté est la plus petite de toutes ; sa place est avant les quatre autres.
Chez les Marmottes cette dent est plus forte que celle des Écureuils,
et , dans ces derniers , elle est souvent si faible , que divers observa-
teurs, F. Cuvier entre autres, et G. Cuvier, la voyant dans certains
crânes et ne la retrouvant pas dans d’autres , l’ont considérée comme
caduque, et , par conséquent, comme dépourvue d’importance réelle.
Le fait est que cette dent est aussi fixe que la première fausse molaire
supérieure des Chauves-Souris , appelée également la caduque, et que
M. de Blainville nomme dent gemini forme , et qu’elle est, dans ses
proportions aussi bien que dans ses formes, très-bonne à consulter
pour la distinction des espèces. 11 ne faudrait pas toutefois exagé-
rer sa valeur et distinguer les Écureuils en deux groupes, suivant
qu’ils manquent de cette dent ou qu’ils en sont pourvus. La forme
du crâne de ces animaux donne des caractères d’un ordre supérieur
et dont Illiger, G. et F. Cuvier se sont déjà servis avec avantage.
C’est par la forme du crâne , ainsi que nous l’avons dit plus haut,
fl) M. Hodgson donne à son Sc. lolcrioïdes six molaires à chaque mâchoire ; et
comme il dit à ce sujet que, d’après le Règne animal de Cuvier, tous les Écureuils
ont huit dents, il n’est guère possible d’admettre qu’il se soit trompé. Je laisse à
ceux qui verront le crâne du Sc. lolcrioïdes le soin d'expliquer cette singularité.
20 SOUVENIRS D’UN VOYAGE
qu’on peut démontrer les rapports qui existent entre les Marmottes et
les Castors.
Les Ptéromys se lient plus intimement encore aux Marmottes par
la nature de leur tête. Une même affinité a lieu entre les Sciuroptères
et les Tamias ; et , parmi les Écureuils proprement dits , la forme du
crâne permet, par ses variations de second ordre, la distinction de
plusieurs sous-genres.
S I-
1. G. Cuvier a séparé les Guerlinguets ou Macroxus , à cause
de la forme de leur crâne , et son frère a démontré la justesse de cette
remarque dans un mémoire spécial.
Les Guerlinguets ont le crâne assez court , comme renflé , peu
courbé ; leurs dents molaires supérieures sont au nombre de quatre
paires seulement.
Les autres espèces de la tribu des Écureuils proprement dits peu-
vent encore donner lieu à des remarques analogues , ainsi :
2. Le crâne est aplati et élargi au chanfrein , et les os du nez sont
courts et busqués dans les grands Écureuils indiens qu’on a nommés
Sciurus malabaricus , maximus, aureiv enter , etc. Ces
animaux , de même que les Guerlinguets, manquent de la dent gem-
miforme.
3. Chez d’autres, également indiens, le crâne est assez semblable,
par sa cavité cérébrale et son chanfrein , à celui des précédents ; mais
sa face est un peu plus étroite , et les os propres du nez y sont moins
arqués : tels sont les Sc. Rafflesii, hippurus , flavimanus ,
griseiventer , bilincatus et bivittatus. Tous ont une cinquième
paire de molaires supérieures ; mais ces dents sont toujours petites et
presque gemmiformes.
Le Sciurus bivittatus ou Toupaie était considéré par G. Cuvier
comme un Macroxus ; mais il nous paraît évident que les vrais Ma-
croxus (Sc. œstuans, etc.) sont américains , et qu’ils diffèrent moins
des Écureuils d’Europe que des prétendus Macroxus indiens dont
nous venons de parler.
h. Certains Écureuils africains ont aussi une forme spéciale : le
front plat , la face assez courte , la partie crânienne non bombée , qua-
tre paires de molaires aux deux mâchoires. Le Sc. annulatus , du
ri. 4.
J (L $ . S cuiras J?cie<PScrtii , Servais.
S a S. ScixiTïLS Ùisi^/VÛT , Ar. Cuviez.
Annedouchc-'. se
VL. 6.
Sciurus aureiocnter . &.
jDela/itn/e. pin.v ■
DANS L’INDE.
21
Sénégal | une autre espèce, du Maroc (1); et le Sc. abyssiniens ,
Ehr. , type du genre Xerus de ce naturaliste, sont dans ce cas.
5. L’Amérique septentrionale a des Écureuils à crâne plus allongé,
plus courbé, et dont les os du nez sont un peu inclinés. Ils ont tantôt
quatre, tantôt cinq paires de molaires supérieures; mais la cinquième,
lorsqu’elle existe , est fort grêle et presque aciculaire. Le Sc. capi-
stratus et beaucoup d’autres appartiennent à cette section.
6. Un dernier groupe est celui du Sc. stramineus et de l’Écu-
reuil à ventre roux , tous deux de l’Amérique intertropicale. Leur
front est un peu bombé , la courbe de la face supérieure du crâne est
brisée à la ligne interoculaire ; mais la forme est également plus al-
longée et le chanfrein moins élargi que dans les Macroxus ou dans
les Écureuils des quatre premiers groupes.
§ II-
Il y a aussi des Tamias dans plusieurs parties du globe ; mais ils
n’offrent pas , comme les Écureuils , la particularité d’une forme de
crâne , pour ainsi dire , propre à chaque pays. Par la forme étroite et
un peu arquée de leur tête , par leurs habitudes plus terrestres , les
Tamias approchent davantage des Spermophiles ; ils ont aussi les tu-
bercules des dents plus saillants que chez les Écureuils qui précèdent,
et leur cinquième paire de dents molaires , lorsqu’elle existe , est un
peu plus considérable que celle de ces animaux , ce qui est un nou-
veau trait de ressemblance entre eux et les Tamias.
(1 ) Sciurus Getulus. Nous rapportons cette' jolie espèce d’Écureuil au Sciurus Getu-
lus, dont la connaissance est encore si incomplète. Elle nous a été communiquée par
M. Parzudacki, et il y en a eu, à la ménagerie du Muséum, deux exemplaires
envoyés de Mogador (Maroc) par M. Delaporte. Le Sc. Getulus a les oreilles très-
courtes et sans pinceaux; il est gris-brun légèrement lavé de roussàtre un peu
plus foncé sur le dos et gris en dessous. Deux bandes blanchâtres vont de chaque
côté de l’épaule jusqu’au croupion , et sont séparées, du gris des flancs par une bande
brunâtre comme au dos; la queue n’est pas distique, mais un peu en panache; ses
poils roux sont annelés de blanchâtre et de noir , mais elle-même ne parait pas
annelée; elle a un peu de roux-pâle à sa base, et la face externe des membres est
lavée de la même couleur. La tête passe au gris ainsi que le dessous des yeux et
de la jotfe.
Cet Ecureuil tient du Fossoyeur et du Palmiste par ses couleurs. Plus petit que
le premier, supérieur au second, il a les poils aussi doux que ceux de ce dernier;
mais son crâne et la forme de ses dents l’ éloignent de tous deux.
Nous renvoyons , pourla synonymie du Sc. Getulus, à ce qu’en disent les auteurs,
et en particulier Fischer dans son Synopsis ma/mmalium.
22
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Aux Tamias appartiennent des espèces américaines ( Sc . üudso-
nius (1), striatus , etc.); d’autres africaines ( Sc. erythropus et
fossor ) et d’autres de l’Inde. Ces dernières avaient déjà été signalées,
par F. Cuvier (2), comme un sous-genre à part, sous le nom de leur
principale espèce, le Palmiste. Elles ont £ molaires au lieu de f,
comme les vrais Tamias , et , comme leur pouce est nul ou rudimen-
taire, M. Lesson les a aussi distingués en un genre à part, sous le
nom de Funamb ulus (3); mais l’absence du pouce antérieur n’est
pas un caractère aussi important qu’il le paraît d’abord , et , ce qui le
prouve, le Ne. insignis , qui est un Palmiste par son système de
coloration aussi bien que par son crâne et ses dents, a un pouce
comme les Tamias américains et les prétendus Macroxus asiatiques,
avec lesquels il est classé, à tort, par quelques naturalistes. Ainsi donc
il faut admettre présentement quatre espèces d’Écureuils tamias dans
l’Inde : Sc. palmarura, tristriatus , Dclessertii et insignis.
Le Sciurus Delessertii (pl. 3 ), dont nous avons déjà publié la
description dans les Bulletins île la Société philomatique (4) ,
nous présente les caractères suivants :
Pelage roux, brun-oüvacé en dessus, formé de poils bruns à leur
base et finement annelés , dans leur seconde moitié , de noirâtre et
de jaunâtre ; le dessous du corps lavé de jaune-sale , non tiqueté ;
l’indice sur le milieu du dos de trois petites bandes brimes , séparées
par du fauve-olivacé ; tête et face externe des membres de la couleur
du dos ; le jaune un peu plus abondant sur les pattes postérieures ;
queue non distique , entièrement velue , d’une teinte olivacée un peu
plus jaune que celle du corps, à cause de la plus grande étendue des
trois ou quatre anneaux jaunes de chaque poil , plus fournie à sa base
qu’à son extrémité, qui est appointie et dont les poils sont presque
entièrement noirs. Quatre doigts en avant , cinq en arrière ; paume
et dessous des pattes postérieures nus jusqu’au talon ; oreilles médio-
cres, sans pinceau, garnies de poils courts ; moustaches noires ; dents *,
incisives f, molaires tuberculeuses. La molaire antérieure assez dé-
veloppée , ayant un talon interne et un tubercule saillant. Tête os-
seuse assez renflée dans sa partie crânienne, arquée, front et os du
nez un peu inclinés ; face étroite.
( I ) Type du genre pour llliger, Prodrohus mammalium .
(2) Mém. mus. , f. X,pl. 10, f. 2.
(3) Illustrations de fOoloçjiit.
(I) L’Institut , 1 841 .
( lilorojhsis
/ 'arvcrO'Tlrûr , SmaàisonA
i'. JW Ire f/e/.
DANS L’INDE.
23
Corps et tête , 1 3 centim.
Queue avec ses poils terminaux, \h centim.
Cette espèce a été rapportée du plateau des Nil-Gerrhies, dans l’Hin-
doustan, par NI. Adolphe Delessert, auquel on doit des collections fort
nombreuses et très-importantes recueillies pendant un séjour de plu-
sieurs années dans ces contrées.
EXPLICATION DES PLANCHES 3, 4, 5, 6.
PI. 3. Fig. 1, Sciurus Delesserlii ; fig. 2, sa patte intérieure; fig. 3, sa patte
postérieure.
PI. 4. Fig. 1-4. Crâne et dents du Sc. Delesserlii; fig. 5-8 , crâne et dents du
Sc. insignis F. Cuv.
PL 5. Fig. 1-4. Crâne et dents du Sc. Rafflesii Horsf.
PI. 6. Fig. 1-4. Crâne et dents du Sc. aurciventer Is. GeofT.
VERDIN CURVIROSTRE.
Chloropsis curvirostris. Swainson.
(PI. 7.)
Cette nouvelle espèce a le plumage le plus agréablement varié :
tout le dessus est vert-pré un peu doré , se nuançant insensiblement
d’olivâtre sur la tète et de jaunâtre sur les sourcils et derrière les yeux.
Les lorums , le dessous des yeux , la région des oreilles , la gorge , tout
le devant du cou, ainsique le haut de la poitrine, sont noirs, couleur
qui sur cette dernière partie se reflète un peu en bleu de roi très-
foncé. De chaque côté du bec , une bande d’un beau bleu-barbeau ,
en forme de moustache , borde la gorge latéralement et descend jus-
que sur le cou. Le bas de la poitrine , le ventre et le reste du dessous
sont d’un jaune mordoré. Les petites couvertures de l’aile, à barbes
allongées et décomposées , forment, sur son pli , une sorte d’épaulette
du plus beau bleu-luisant d’aigue-marine. Les moyennes et grandes
couvertures, les rémiges primaires et secondaires, et les rectrices ,
sont noires ; mais toutes ont leurs barbes extérieures d’un beau bleu-
indigo plus foncé sur les couvertures que sur les rémiges et les rec-
trices ; les troisième , quatrième , cinquième et sixième rémiges sont
finement bordées de gris-blanc avant leur extrémité , et la dernière
rectrice latérale est striée de roux à sa pointe et sur sa tige. Le bec est
noir, allongé , très-comprimé , comme celui du Verdin à front d’or,
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
25
mais un peu plus arqué , ce qui lui donne entièrement l’apparence
d’un bec de Philédon ; les pieds sont de couleur plombée.
Longueur totale de la peau non montée, 20 cent. 1/5.
Il se trouve dans l’Inde , dans le Bottan ou Boutan.
Un second individu, qui nous paraît la femelle ou un jeune de la
môme espèce , diffère de celui-ci en ce que tout le dessus , les ailes et
la queue sont d’un vert-pré intense et uniforme. Les premières rec-
trices seulement ont leurs barbes extérieures bleuâtres, et les pre-
mières rémiges les ont grisâtres. Tout le dessous est d’un vert plus
pâle et un peu teinté de jaunâtre , avec le milieu du ventre et de l’ab-
domen et les couvertures inférieures de la queue j aune- mordoré ,
mais plus pâles que chez le premier individu , qui- sans nul doute doit
être un mâle adulte. Les moustaches bleues sont également beaucoup
moins prononcées et plus pâles. La couleur mordorée du ventre , quoi-
que moins vive , et l’entière 'conformité du bec ne nous laissent pas
douter que ce ne soit la même espèce.
Cette espèce a été d’abord publiée sous le nom de CMoropsis
auriventris ( Mag . zool ., 1850 , Ois., pl. 17), nous lui avons
restitué le nom que Swainson lui tivait imposé antérieurement.
GOBE -MOUCHE ( SÎVQ ) STRIGULE.
Muscicapa (Siva Hodgson) Strigula. Hodgson.
(Pl. 8.)
Cette jolie espèce indienne est une de celles dont les caractères
mixtes sont des plus embarrassants pour la classification. Son bec, quoi-
que garni de poils à son ouverture , est plutôt comprimé que déprimé ,
comme çhez les vrais Gobe-Mouches; ses ailes et sa queue étagée,
offrant des teintes d’un orangé vif, semblent devoir le ranger près
des Gobe-Mouches ftammea et miniata du même pays, mais ses
tarses et ses doigts forts et longs l’en éloignent. Ses ailes sont singu-
lièrement courtes et arrondies ; leurs pennes sont régulièrement éta-
gées de la première à la quatrième , qui est encore un peu plus courte
que la cinquième : celle-ci , la sixième et la septième , sont égales et
les plus longues. Le dessus est d’un olive grisâtre , mais toutes les
plumes qui recouvrent la tête et la nuque sont d’un roux-mordoré
J’I.fl.
Si va
< l'frû/uta, /Hufy.rmt .
J'rc//a M.
:!tr Doii/lol JV
IH.g.
DANS L’INDE.
25
olivâtre plus foncé. Vers leur centre elles sont allongées , lancéo-
lées et disposées en forme de huppe assez touffue. Les ailes sont noires ;
mais les primaires sont finement bordées, à l’extérieur, du jaune-
orange le plus vif ; quelques-unes de leurs grandes couvertures , d’un
noir profond , forment une tache qui ressort sur ce jaune à leur base ;
les rémiges secondaires et tertiaires sont terminées de cendré-pâle ; les
trois dernières les plus rapprochées du dos, qui sont noires, ont
leurs barbes externes gris-cendré terminé de la première couleur,
ce qui forme une bande cendrée sur la partie interne de l’aile. La
queue, assez fortement étagée, est noir terminé de blanc -jaunâtre.
Les quatre rectrices médianes sont d’un brun marron à leur base ,
qui s’étend jusqu’à moitié de leur longueur. Les quatre latérales , de
chaque côté, ont leur bord externe et leur extrémité d’un jaune
orangé. Cette couleur couvre le menton et la gorge , et est encadrée
de noir, qui forme , de chaque côté , une sorte de moustache se pro-
longeant jusque derrière l’oreille , et formant quelques stries trans-
verses sur le devant du cou , qui , ainsi que la poitrine et tout le des-
sous, est d’un jaune-paille, avec les flancs olivâtres. Le bec est couleur
de corne , avec la mandibule inférieure jaunâtre. Les pattes sont cou-
leur de plomb ; les tarses et les doigts sont assez forts , ainsi que l’on-
gle du pouce.
Longueur totale, 15 centimètres 1/2.
Cette espèce vient du Bottan , dans l’Inde. Nous lui avons restitué
le nom que M. Hodgson lui a donné (Corbyn’s indian review, il, p. 93,
1837), en abandonnant celui de M. variegata (Mag. zool. , 18A0,
ois. pl. 19).
MARTINET ( Cliœtura ) A PIEDS NUS.
Cypseius (Chœtura, Hodgson) Nudipes, Hodgson.
(Pl. 9.)
Ce martinet fait partie de ce groupe d’espèces remarquables par
une queue courte , coupée carrément , et dont tous les tuyaux se pro-
longent au delà des barbes en forme d’épines très-roides et très-acé-
rées. Le dessus de la tête et du cou , les scapulaires , les petites et
moyennes couvertures de l’aile , l’extrémité des rémiges , les rectri-
2e part. h
26
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
ces et leurs couvertures supérieures sont d’un vert à reflets bleu-
violet cl’acier bruni. Tout le dos et le croupion sont d’un noirâtrc-
enfumé s’éclaircissant insensiblement vers le milieu du dos , de ma-
nière à y former une large tache blanc-sale. Les trois dernières rémi-
ges, près du dos, ont leurs barbes internes entièrement blanches.
Tout le dessous et les côtés du cou sont du même ton noirâtre-enfumé
que le dos; la gorge et tout le devant du cou, les flancs, l’anus, les
couvertures inférieures de la queue et les plumes qui recouvrent les
j ambes sont d’un blanc pur. Bec et pattes noirs.
Longueur totale de la peau non montée , 18 cent. 3/4.
11 vient du Bottan , dans l’Inde.
C’est le Cypseius leuconolus (Mag. zool. ,1840, ois. , pi. 20). Hod-
gson lui a donné antérieurement le nom que nous adoptons (Journal
of the Asiatic Soc. uf Bengal, v, p. 779).
FRANCOLIN RE UARDWICKE.
Franc oiinus H ardwickii. Gray.
(PI. 10. )
Cette espèce , d’après la petitesse de son bec et l’allongement de sa
queue , est tout à fait voisine du Francolinus spadiccus de La-
tham. La tête, le cou en entier et le haut de la poitrine sont noirs;
mais toutes ces parties sont variées de lignes , de taches et de bandes
blanches. Tout le dessus du corps , depuis le bas du cou , ainsi que
les couvertures des ailes sont d’un brun cannelle ; mais chaque
plume est terminée par une tache blanche bordée de noir en avant
et postérieurement. Ces taches sont petites et triangulaires sur le dos ,
plus grandes et de forme variée sur les couvertures, qui sont en
grande partie d’un vert bronzé avec leurs tiges blanches terminées
par une tache de même couleur. Les rémiges et les rectrices sont
d’un noir obscur avec quelques reflets bronzés. La poitrine et le
ventre sont d’un roux pâle ou couleur nankin parsemé de petites
taches triangulaires noires; l’abdomen et les flancs sont du même
brun cannelle que le dos et également couverts de taches blanches bor-
dées de noir. Le bec est petit et noir, les pieds paraissent d’un noir
Pt. zo ■
l'Va neolilHIS Jlardmichii, tint//.
J. (r. Prêtre, dpi.
co for.
Ahncdouc/u' o'c
DANS L’INDE. 27
plombé ; les tarses sont armés cle deux éperons très-droits et coniques.
Longueur totale , 32 centimètres 1/2.
La femelle est partout d’une nuance sombre , couleur de fumée ,
avec les couvertures des ailes finement bordées , à leur extrémité ,
d’une nuance plus foncée ; le dessus de la tête et du cou est noir , et
les plumes sont roux-cannelle dans leur milieu. Cette dernière couleur
règne sur le front au-dessus et au-dessous des yeux. La gorge et la
poitrine sont d’un roussâtre sale. Les tarses n’ont qu’un éperon court,
obtus , tuberculiforme.
Cette espèce habite les environs de Pondichéri. C’est le Francoli-
nusnivosus{ Mag. zool., 1840, ois., pl. 18) publié antérieurement
sous le nom que nous lui conservons dans les Illustrations of indian
zool. i, tab. 39.
MERLE A BONNET NOIR.
Turdus ( S. G. Merula ) Nigropileus de La Fresnaye.
M. tola cinereo ardesiaca , alis caudaque paulo obscurioribus , remigibus
primariis extus cinereo marginatis , püeo nigro; subtùs paulo pallidior;
parum rufescente lincta, ano albescente, tectricibus caudœ inferis cine-
reis, illarum scapis albidis; rostrum pedesque flava. — Long. tôt. 26 1 /2
cent.
Cette nouvelle espèce , la quatrième de l’Inde , qui par sa colora-
tion presque noire uniforme et la teinte jaune de son bec rappelle
notre Merle d’Europe, offre de grands rapports avec les Turdus pœci-
lopterus , Horf. , et unicotor, Gould , tous deux des monts Hyma-
laya ; mais elle diffère du premier par ses ailes sensiblement plus cour-
tes et leur teinte uniforme , et du second en ce qu’elle n’a pas les
épaules rousses en dessous : elle diffère aussi du Turdus collaris ,
Sorel, Revue Zoot. , 1840, page 2.
28
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
TIMALIE PRESQUE ROUSSE.
Timalia subrufa. Terdon.
T. supra tota rufescente-brunnea , plumis frontalibus rigidis, cinerascen-
tibus; subtus rufa , ventre abdomineque pallidioribus ; rostrum breve ,
altum, valde curvatum, huic Timaliœ tlioracicœ simile sed paulo bre-
vius , nigrum , mandibula supera basi ad rictum tantummodo , inféra
tota flavis, hac apice nigro lineata ; pedes fuscescentes. — Long. tôt. 25
cent.
M. de La Fresnaye avait donné à cette espèce le nom de Timalia
pœcilorhyncha , dans la Revue zoologique, 18i0, p. 65; mais
comme M. Terdon l’a nommée Timalia subrufa deux ans aupara-
vant (Madras Journ. for litterat. and science, n° 24, 1838), nous avons
dû lui laisser le nom le plus anciennement publié.
CRATEROPE DE LA FRESNAYE.
Crateropus Lafresnayii. Ad. Delessert.
Supra lotus olivaceo-brunneus, pileo loto fusco-ardesiaco , capistro , loris
regioneque post-oculari nigris ; superciliis latis a capistro ad nuchav
sordide albidis. Subtus rufo-cinnamomeus, mento gulaque nigris, rectri-
cum scapis rufescentibus ; rostrum gracile, rectum; pedibus fuscescenti-
bus. — Long. tôt. 22 cent.
Nota. Nous adoptons , pour cette espèce indienne , le nom généri-
que Crateropus de Swainson , plutôt que' celui de Cinclosoma
parce que ce savant a restreint celui-ci aux espèces australiennes ,
d’après des caractères distincts et particuliers, et que , quant à celui
de Ianlhocincla, donné par Gould à ces espèces indiennes, Al. Swain-
son réclame une antériorité de quatre ans pour celui de Crateropus.
Nous avons changé son nom spécifique parce que M. Terdon, dans
le journal que nous venons de citer, a donné le nom de Crateropus
Delessertii à une autre espèce.
DANS L’INDE.
29
CRATEROPE A TÊTE GRISE.
Crateropus griseiceps. Ad. Delessert.
{Revue zool., par la Société Cuvierienne, 1840, p. 4 01.)
Cette espèce de Merle, à ailes courtes et à très-fortes pattes, fait
partie du genre Crateropus de Swainson; le dessus et les côtés de la
tête et du cou sout d’un gris obscur, plus foncé et noirâtre au devant
et autour des yeux , et sur la région des oreilles. Cette couleur se fond ,
depuis le bas du cou , dans le brun sombre qui couvre tout le dessus
du dos et prend une teinte cannelle sur le croupion et les couvertures
supérieures de la queue. Les ailes sont de la couleur du dos , mais la
queue est d’un noir sombre ou couleur ardoise foncée ; la gorge , le
devant du cou et la poitrine sont blancs , un peu teints de gris roussâ-
tre sur cette dernière partie ; le ventre , les flancs et l’abdomen sont
d’un roux vif. Le bec est allongé , fort , presque droit , avec la mandi-
bule supérieure noirâtre à sa base , couleur de corne dans le reste , et
l’inférieure d’un jaune pâle. Les pattes singulièrement fortes , avec le
pouce et son ongle très-developpés , sont d’un jaunâtre livide.
Longueur totale , 25 cent.
GOOE-MOUCHE RUFULE.
Muscicapa ruf'uia. De La Fresnaye.
Corpore toto caudaque viride-rufis ; pileo, nucha, c apitis lateribus alisque
nigro-fuscis , lora circuitusque oculorum parurn rufescunt. Rostrum ni-
grum, breve, non depressum, fere conicum magis adhuc quarn in nostra
Muscicapa luctuosa. Pedes lividi. — Long. tôt. 14 3/4 cent.
Cette petite espèce , moindre d’un quart que notre Gobe-mouche
becfigue , est remarquable par son bec non déprimé , peu élargi et
presque conique , comme celui des Gobe-moucherons d’Amérique de
Temminck.
30
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
PIE DU BOTTAN.
Pica Bottanensis. Ad. Delessert.
( Revue zool. de la Société Cuvierienne, 1840, p. 100.)
En comparant cette Pie indienne avec notre espèce européenne , on
retrouve une telle similitude de plumage , une telle conformité dans la
distribution des couleurs , que , malgré ses dimensions beaucoup plus
fortes, on est tenté au premier abord de la regarder comme une sim-
ple variété. Mais notre Corvus pica , qui se retrouve dans tout le
nord de l’Asie jusqu’au Japon, et même dans l’Amérique du nord, n’y
offre point du tout ces différences de proportions, et dernièrement
encore M. Temminck, la signalant comme se trouvant au Japon, d’où
il l’a reçue , ajoute que cet individu japonais ne diffère en rien de
ceux d’Europe.
Or celle-ci en diffère non-seulement par des proportions beaucoup
plus fortes , mais par quelques différences de forme dans certaines par-
ties qui constituent bien évidemment une espèce distincte et nouvelle.
Elles consistent dans la forme du bec proportionnellement plus
allongé , plus effilé , et dans celle des ailes beaucoup plus longues par
rapport à la queue. Un autre caractère se retrouve encore dans les
pennes de cette queue , qui , chez notre nouvelle espèce , sont singuliè-
rement élargies et carrées à leur extrémité , ayant leurs tiges sinueuses
et onduleuses même sous le doigt , et ces ondulations répondent à au-
tant de bandes transverses, de nuance un peu plus foncée , qui s’aper-
çoivent à certain jour sur les barbes. — Du reste , la coloration est
absolument la même que chez notre Pie d’Europe , sauf que les reflets
en vert métallique et en bleu-violet d’acier bruni sont plus brillants.
Longueur totale de la peau non montée , 5 déc. 3 cent. ; de l’aile
depuis le pli, 25 cent. ; du bec depuis son ouverture, 5 cent.
ORTllOTOME A VEiNTRE JAUNE.
Ortholomus flaviventris. Ad. Delessert.
( Revue zool., par la Société Cuvierienne, 1840, p. 101.)
Celte petite espèce , dont le plumage rappelle celui du Prima fa-
miliaris d’Horsfield , en diffère par des formes plus sveltes, une
DANS L’INDE.
queue plus longue, etc. Le dessus de la tête et ses côtés sont d’un
gris-ardoise un peu teint d’olive ; le dessous du cou , le dos et les
ailes sont brun-olive ; la queue est de la même couleur, mais plus
pâle ; elle est très-étagée , remarquable par sa longueur, et ses pennes
ont leurs barbes internes fort larges , comme chez les vrais Mérions ;
elles offrent à certains jours l’apparence de petites bandes transverses;
la gorge, le devant du cou et la poitrine sont d’un blanc légèrement
teinté de roussâtre. Le ventre est d’un jaune-paille vif, teinté de roux
sur l’abdomen et les jambes. Le bec est noir, très-délié et très-com-
primé vers la pointe ; les pieds sont rougeâtres. Les tarses sont élevés
avec les doigts longs et déliés.
Longueur totale, lô cent. 1/2; de la queue, 8 cent.
'
§ II
ANIMAUX ARTICULÉS,
PAR M. F.-E. GUÉRIN-MÉNEVILIÆ.
COLÉOPTÈRES.
CICINDÈLE A BANDES d’oR.
Cicindela auro-fasciata. Dejean.
Dej., Spec. col., t. v, p. 224.
Cette belle espèce forme le type du genre Calochroa de M. Hope
( Coleopt . Man. , part. 2, p. 19 et 162, pl. 1, fig. 2), genre dans
lequel il place les Cicindtla octo-notata Wied , chinensis et
princeps Vigors, ainsi que trois espèces inédites provenant des
Neelgheries. M. Hope a décrit cette espèce sous le nom de Calochroa
crucigera ; mais c’est par erreur qu’il l’a considérée comme nou-
velle, car c’est évidemment celle que nous avons reçue de MM. Adol-
phe Delessert et Perrottet , et que nous avons comparée avec l’indi-
vidu type de la description de M. Dejean [Spec. col., t. v, p. 22A)
dans la collection vendue par cet entomologiste à M. le marquis de
La Ferté-Senectèrc.
Cette Cicindèle varie beaucoup. Chez quelques variétés le noir domine,
toutes les bandes jaunes sont très-isolées, comme dans le type. D’au-
tres ont les bandes jaunes un peu plus larges : celle du milieu et celle
qui est à l’extrémité des élytres se rapprochent beaucoup au bord
externe, ou se réunissent tout à fait, comme dans l’individu que
M. Hope a figuré et décrit sous le nom de Calochroa crucigcra.
Enfin chez d’autres le jaune domine ; elles n’ont du noir qu’à la base
et sur les côtés , au milieu , avec une tache de cetle couleur en arrière.
Il y a des individus plus petits appartenant à cetle variété , et c’est avec
l’un d’eux que M. Gory a fait sa Cicindtla lepida ( Mag . zool.,
1833, cl. ix, pl. 96).
2e PART. ' 5
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
34
Celle espèce esl parfaitement distincte de la Cicindcla princcps
de Vigors, que M. Ad. Delcssert a rapportée également. Celte der-
nière n’a été trouvée que dans les environs de Pondichéri , près de
la mer, tandis que la Cicindcla auro- fasciata ne se trouve que
dans les hautes montagnes des Neelgheries, du Decan, etc.
IIELLUO TRIPUSTULÉ.
Ilctluo tripustulatus. Dejean.
Fuscus , punctatissimus. Labro rutundato, lœvigato, fcrrugineo-limbato.
Vertice fulvo-maculato. Ore fulvo. Ehjtris maculis quatuor flavis, posti-
cis subconfluentibus. Pedibus abdomineque fulvo-lcstaceis. — Long. 15,
larg. 5 millim.
Ilelluo tripustulatus. Dej., Spcc. col., t . i, p. 286.
Var. Helluo quadrimaculatus. Guérin-M. , Revue zoologique , par la Société
Cuvierienne, 1840, p. 38.
Il est d’un brun-noirâtre foncé, légèrement pubescent, très-forte-
ment ponctué. Lèvre supérieure lisse, arrondie, bordée de jaune-
fauve; une tache fauve sur le vertex. Deux taches sur chaque élvtre :
deux placées avant le milieu , rondes ; celles de l’extrémité réunies à
la suture et ne formant qu’une tache transverse un peu dentelée en
avant : palpes , antennes , dessous et pattes jaunes. Dessous de la tète
et du corselet noirâtre , une ligne longitudinale fauve sur la tête. Des-
sous du métathorax et de l’abdomen d’un jaune fauve.
Notre individu a été trouvé à Pondichéri par M. Perrottet; un
autre provenait des monts Neelgheries, où il a été pris par M. Ad. De-
lessert.
Après un mûr examen, nous l’avons rapporté à Y Ilctluo tripustu-
tatus de Dejean, en n’en faisant qu’une simple variété, qui s’en
distingue par son labre bordé de fauve , par sa tête qui porte une tache
fauve sur le vertex , et par le dessous de son thorax et de l’abdomen
d’un jaune fauve.
Nous pensons que le Macrochcilus Bcnsoni de M. Ilôpe ( Colco -
pterists Man., part. 2, p. 110 et 160, pl. 1, fig. 5) est une autre
variété de la même espèce.
Dans tous les cas il est impossible de croire , avec AI. Dejean , que
Fabricius ait décrit cet insecte sous le nom de Brachium tripu-
DANS L’INDE.
35
st-ulatus, car sa description diffère trop de cette espèce. Il est proba-
ble que l’on trouvera quelque jour un vrai Brachine indien à qui
cette description ira mieux.
ORTIIOGONIE LATÉRAL .
Orthogonius lateralis. Guérin.
Capite thoraeeque a Iris , nitidis. Elytris punctato-slrialis , flavo-auran-
tiacis, nigro-marginalis; sutura nigra, latissima basi , et in medio am-
pliata. Pedibus nigris, femoribus testaceis. Cor pore sublus abdomineque
flavis , nigro-maçulatis. — Long. 18 , larg. 8 millim.
Cette grande et belle espèce est assez allongée , à côtés parallèles. Sa
tête est noire , et offre des inégalités assez fortes en avant. Les man-
dibules sont fauves à la base , noires ensuite et bidentées. Les palpes
sont noirs, avec l’extrémité brune. Les antennes sont d’un brun noi-
râtre avec les deux premiers articles presque fauves. Le corselet est
noir, luisant , assez aplati , plus de moitié plus large que long , tron-
qué droit à ses deux extrémités avec les côtés arrondis. Les élytres
sont un peu plus larges que le corselet , de moitié plus longues que
larges , lisses et luisantes avec de fines stries de points enfoncés.
Elles sont d’un beau jaune S’ocré tirant un peu sur l’orangé avec le
bord externe finement liséré de noir, et elles ont au milieu une bande
suturale large , très-dilatée à la base et en arrière à partir du milieu.
Le dessous du thorax est noir taché de jaune-fauve. L’abdomen est
jaune lisse et luisant avec une tache noire de chaque côté du dernier
segment, qui est large et tronqué en arrière. Les hanches, les tro-
chanters et les cuisses sont jaunes avec les genoux noirs. Les jambes
et les tarses sont noirs, et velus avec le dessous des tarses garni d’un
duvet jaunâtre.
Ce précieux insecte a été pris à Pulo-Pinang.
36
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
CHLENIE BILUiNÉ.
Chlœnius bilunatus. Guér.-Mén.
Capite thoraceque cupreo œneis. Labro fulvo. Thorace transversim subqua-
clralo. Elytris obscure viridi-œneis , pubescentibus, striatis, interstitiis
granulatis, macula subrotunda postica. Antennis , palpis pedibusque te-
st aceis. — Long. 1 3 à 1 4, larg. 5 à 5 1/2 millim.
Var. Chlœnius Neelgheriensis . Guérin-Mén., Revue zoologique, par la
Société Çuvierienne, 1840, p. 38.
Tête et corselet d’un vert-cuivreux ponctué. Corselet d’un quart
plus large que long. Élytres noires, légèrement pubescentes, striées,
finement ponctuées , ayant chacune , près de l’extrémité , une tache
arrondie fauve plus rapprochée du bord extérieur, un peu échancrée
en arrière. Dessous du corps noir à reflets bleus. Labre , antennes ,
palpes et pattes d’un jaune fauve. — Cet insecte est très-voisin des
Chlœnius bimaculaius , binotatus et vulneratus de Dejean ,
mais il s’en distingue suffisamment par son corselet plus large que long.
Cette espèce varie pour la taille et pour la forme de la tache des
élytres. M. de La Ferté nous écrit qu’il en a dont la tache est en forme
de virgule et d’autres où elle est ronde. La tache des variétés inter-
médiaires passe insensiblement de la forme virgulaire à la forme ronde.
La variété que nous avons nommée Neelgheriensis appartient à
une des formes intermédiaires.
Cette espèce a été trouvée assez abondamment près de Pondichéri.
Les individus sont plus rares et un peu plus forts dans les Neelgheries.
CHLEME DE LA FERTÉ.
Chlœnius Lafertei. Guér.-Mén.
Capite thoraceque cupreo- œneis , punctatis. Thorace subrotundato , posticè
subangustiore. Elytris obscure viridi-œneis, striatis, interstitiis granu-
latis, flavo quadrimaculatis. Antennis fuscis, basi testaceis. Labro , pal-
pis pedibusque test aceis. — Long. 13 à 15, larg. 5 à 6 millim.
Cette belle espèce ne peut être confondue avec aucune de celles
que M. Dejean a décrites, à cause des deux taches terminales de ses
DANS L’INDE. 37
élytres, taches qui ne se remarquent dans aucune des autres espèces
de ce groupe.
Ce Chiœnius a été trouvé à Pondichéri.
QRECTOCHEILE SEMI-VÈTU.
OrectocheUus semivestitus. Guérin.
Oblongo-ovalis , convexus , nigro-piceus , nitidus , ochrœato-sericeus. Ca-
pite, thorace elytrorumque disco lœvibus. Corpore subtus nigro-piceus.
Pedibus intermediis et posticis fulvis , anticis nigro-fuscis. — Long. 11
à 13, larg. 6 à 7 millim. — Rev. zool., par la Société Cuvierienne, 1840,
p. 38.
Noir-verdâtre lisse et luisant. Côtés de la tête , du corselet et des
élytres largement bordés de duvet jaune-grisâtre; cette bordure beau-
coup plus large en arrière des élytres, où elle se termine aux deux tiers
de leur longueur à la suture. Élytres simplement tronquées à l’extré-
mité , fortement rebordées sur les côtés ; dessous d’un noir de poix :
pattes intermédiaires et postérieures fauves. Voisin des O. gangeli-
cus et spéculum de M. Aubé.
Découvert dans les eaux douces du plateau des Neelgheries.
CAMPSOSTERNE DE LATREILLE.
Campsosternus LatreUlii. Guérin.
Viridis , nitidus , cupreo-micans , albo-tomentosus. Elytris acuminatis ,
punctatis, profunde striatis, striis albo-tomentosis. Antennis nigris, de-
pressis, dilatatis et serratis. — Long. 35 , larg. 1 1 millim.
Ce bel insecte est allongé , d’un vert un peu foncé , luisant , avec
quelques reflets cuivrés, et couvert, d’une manière plus ou moins
complète , d’un fin duvet blanchâtre. Les antennes sont grandes ,
noires , larges et aplaties , un peu en scie. Le corselet est aussi large
que long, arrondi sur les côtés, rétréci en avant, à angles postérieurs
fortement acuminés , garni de duvet gris assez serré sur les côtés et
dans les fossettes postérieures. L’écusson est arrondi , bleu-luisant. Les
élytres sont assez brusquement rétrécies en arrière, terminées en
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
3 a
pointe divergente , finement penchées, avec d’assez fortes stries longi-
tudinales à fond garni de duvet blanc, ce qui les fait paraître rayées
de blanc; le dessous est garni de duvet blanc plus serré qu’en dessus,
surtout sur les côtes et sous les cuisses. Les tarses sont noirâtres ,
avec leurs crochets rougeâtres.
Découvert dans les environs de Pondichéri.
CAMPSOSTERNE DE DELESSERT.
Cam/>sosteruus Delessevtii. Guérin.
Elongatus, viridi-nitidus , cupreo-micans. Antennis ,palpis niandibulis-
que nigris. Capite puncta to, foveolato. Thorace elongato, postice latiore;
angulis posticis mucronatis in disco punctulato, lateribus marginatis,
rugosis. Elytris subrugosis , nitidis, api ce acutis. Corpore subtus pedi-
busque viridi-cupreis , lateribus griseo-tomentosis . — Long. 29 à 38 ,
larg. 9 012 millim.
Elater ( ludius ) Delessevtii. Guérin-Mén., lîevue zoologique, par la Société
Cuvierienne, 1840, p. 38.
Allongé , d’un vert-luisant à reflets dorés et cuivreux. Tête forte-
ment ponctuée, avec une large fossette en avant. Mandibules, palpes
et antennes noirs. Corselet plus long que large, assez aplati , très fine-
ment chagriné et un peu pubescent sur les côtés, qui sont rebordés
et cuivreux; beaucoup plus étroit en avant , peu arrondi sur les côtés,
et terminé en arrière , de chaque côté , par une forte pointe ayant
l’extrémité un peu courbée en bas. Écusson arrondi , placé dans un
large enfoncement de la partie antérieure des élytres , celles-ci fine-
ment chagrinées, assez convexes vers leur base et terminées en pointe
aiguë. Dessous et pattes d’un vert à reflets plus cuivreux que le des-
sus. Cette belle espèce , très-voisine de l’E. fuUjens de Eabricius ,
en diffère par la forme de son corselet.
Elle a été découverte sur le plateau des Neelgberies.
Ce genre, fondé parLatreille {Ann. Soc. Ënt. , t. III, p. 141 ),
forme le sujet d’une monographie dont M. Hope s’occupe en ce mo-
ment.
. y. P a||pstas:i a. . oùjcura , Guer.
Baj'vmorplia ùwurnr/a/u, ffuer. 3. C dlitCO OT atlïUS Snbru<joju.c, Guer.
DANS L’IN DK.
39
PARASTASIE OBSCURE.
P ara sla sia obscurci. Guérin.
Nigra, punctata. Scutello , elyiris basi et margine exteriori fusco-fulvis.
Femoribus apice , tibiis tarsisque fusco-fulvescentibus. — Long. 12,
larg. 7 millim.
(PI. 1 1 , fig. I.)
Nous avons rapporté cette espèce au genre Parastasia de Al. AVest-
wood , mais avec doute ; parce que nous ne trouvons d’ongles in-
égaux, dont l’un bifide, qu’aux tarses intermédiaires et postérieurs,
tandis que les antérieurs ont les ongles égaux et tous deux simples.
Cependant , comme tous les autres caractères semblent ne pas diffé-
rer de ceux que M. Westwood assigne à son genre ; que les tibias an-
térieurs sont armés de trois dents à l’extrémité , dont les deux pre-
mières rapprochées entre elles et bien séparées de la dent apicale ; que
les mâchoires sont armées de dents aiguës , les mandibules terminées
extérieurement par une saillie dentiforme , et le chaperon bidenté ,
comme Westwood le signale pour son genre Parastasia , nous avons
pensé que cette réunion de caractères nous permettait de placer notre
insecte dans ce genre.
Le corps de notre nouvelle espèce est épais , court et presque glo-
buleux ; sa tête est assez petite , noire , couverte de rugosités trans-
versales qui la rendent comme écailleuse , avec le chaperon peu
avancé , terminé par deux dents assez saillantes et très-relevées : ce
qui permet de voirie labre, qui est transversal, faiblement arrondi, et
cilié en avant. Le corselet est un peu plus large que long , finement
rebordé et arrondi sur les côtés , très-bombé , couvert de gros points
enfoncés et noirs avec une trace très-visible de ligne longitudinale
brune au milieu. L’écusson est triangulaire , plus large que long ,
ponctué d’un brun -fauve bordé de noir. Les élytres sont noires
avec la base et les bords d’un brun-fauve fondu. Elles ont des séries
longitudinales de gros points enfoncés , assez mal alignés : près de
l’écusson , et entre ces lignes de points , il y a de très-faibles éléva-
tions ou côtes visibles seulement quand on regarde l’insecte dans le
sens de sa longueur. La saillie humérale est assez forte et lisse. Le
dessous du corps est noir, mais les bords du mé ta thorax sont fauves.
Les pattes antérieures sont noires avec l’extrémité des cuisses, le
40
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
milieu des jambes et les tarses d’un brun un peu fauve. Les jambes
sont larges, aplaties, carénées en-dessus et au milieu, abord interne,
tranchant , échancré brusquement à la base ; terminées au côté externe
par trois fortes dents arrondies dont la terminale est séparée des deux
précédentes , qui sont très-rapprochées entre elles : le tarse est brun-
fauve , plus court que la jambe ; son dernier article est beaucoup plus
court que les quatre précédents , et terminé par deux crochets égaux,
arqués et simples. Les autres pattes sont d’un brun fauve avec la base
des cuisses noire; leurs jambes sont épaisses et leurs tarses sembla-
bles à ceux des antérieures , mais avec le crochet interne profondé-
ment bifide. L’une des deux épines terminales internes des jambes
postérieures est plus courte , en massue ou comme une tête de clou.
Quand la description plus détaillée du genre Parastasia aura paru,
il' sera peut-être nécessaire d’en séparer génériquement notre insecte.
Dans ce cas, nous proposerions de lui donner le nom de Carter o-
soma; ce serait alors notre Carterosoma obscurum.
Ce Lamellicorne a été découvert à Pulo-Pinang.
EXPLICATION DES FIGURES.
PI. II, fig. 1. L’insecte de grandeur naturelle.
la. Sa tête grossie et vue en dessus.
lb. Sa mâchoire.
lc. Patte antérieure.
1 d. Tarse intermédiaire.
1r. Tarse postérieur.
Genre BARYMORPHE. — BARYMORPHA , Guérin.
(Bapuî, lourd; fjcopcpvj, forme.)
Cet insecte , découvert par M: Adolphe Delessert sur la côte ma-
laise , offre presque tous les caractères du genre Ruteia , qui ne se
compose jusqu’à présent que d’espèces américaines; mais son faciès ,
la brièveté de ses pattes et de leurs tarses, et la forme plus globuleuse
de son corps , l’en distinguent d’une manière suffisante. Il se rapproche
beaucoup du genre Parastasia , fondé par M. AVestwood (An and
Mag. ofnat. History , etc. ; novembre 1841); mais chez celui-ci
les crochets des tarses sont inégaux et l’un deux est bifide , ce qui n’a
pas lieu chez notre insecte. Voici ses principaux caractères :
Corps court, épais, presque globuleux. Chaperon bidenté, à dents
DANS L’INDE.
ai
relevées. Antennes de dix articles. Mandibules à sommet bilobé. Mâ-
choires armées de six fortes dents ou épines arquées. Pattes courtes.
Jambes antérieures épaisses , un peu aplaties, armées de trois dents à
l’extrémité. Tarses courts , assez grêles , à dernier article beaucoup
plus court que les quatre précédents , avec les crochets plus courts
que cet article , égaux , arqués et simples.
BARYMORPHE BIMACULÉE.
Bavymor'pha bimacuiata. Guérin.
Bufo—castanea ; capite niyro. Thorace maculis duabus nigris notato.
Elytris flavo-nebulosis. Pygidio nigro rufoque variegato. — Long. 10 ,
larg. 10 millim.
(PI. 1 1 , fig. 2.)
Tout son corps est d’une couleur marron-rougeâtre ou couleur d’a-
cajou très-luisant. La tête est petite , noire , assez fortement ponc-
tuée , avec deux petites carènes élevées , ne se joignant pas au milieu
et qui séparent le front du chaperon. Les antennes et les palpes sont
fauves , à poils pâles. Le corselet est très-bombé , plus large que long ,
finement rebordé , ponctué , à côtés arrondis , avec le bord postérieur
un peu avancé en arrière , au milieu , et finement liséré de noir. On
voit de chaque côté , au milieu et près du bord latéral , une impres-
sion assez profonde , et , en arrière , deux grosses taches noires et ron-
des, bien séparées entre elles. L’écusson est grand et triangulaire , fine-
ment bordé de noir. Les élytres sont de la couleur acajou du corselet
et de l’écusson , mais marquées de taches irrégulières et nuageuses
jaunes. Elles sont très-luisantes, bombées , arrondies sur les côtés et
en arrière , avec des séries longitudinales de points enfoncés assez dis-
tincts, et elles offrent chacune, h la base et près de la saillie humérale,
une fossette assez large et assez enfoncée. Le pygidium est d’un brun
rouge taché de noir. Le dessous est d’une couleur plus foncée et uni-
forme. Le sternum du mésothorax s’avance entre les hanches intermé-
diaires en une pointe triangulaire aplatie en dessous. Les pattes sont
d’un brun rouge presque fauve , avec l’extrémité des cuisses et la pointe
des dents des jambes antérieures noires.
Cette curieuse espèce a été trouvée à Pulo-Pinang , sur la côte
Malaye.
2'' PART.
()
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
EXPLICATION DES FIGURES.
PI. II, fig. 2. L'insecte de grandeur naturelle.
2 a. La tête grossie et vue en dessus.
2b. Mâchoire.
2e. Extrémité de la mâchoire plus grossie.
2 cl. J ambe antérieure vue en dehors.
2e. Son extrémité du côté interne.
2 f. Patte postérieure. •
POPILIE SPLENDIDE-
PopUia splendida. Guérin.
Viridi-micans. Thorace lœvigato. Elytris sulcatis. — Long. 10 , larg. 10
millim.
Popilia splendida. Guér.-M., Rev. zoul., 1840, p. 39.
Popilia regina. Nexvman, Trans. Ent. Soc. Lond., vol. iii, p. 3b.
(PI. 12, fig. 1.)
D’un beau vert métallique très-luisant à reflets dorés. Tète assez
fortement ponctuée. Corselet et écusson lisses. Élytres fortement striées,
avec des points enfoncés dans les stries. Dessous lisse , à reflets cuivrés
rouges très-brillants, avec les côtés du thorax un peu pubescents.
Antennes et pattes vertes.
Elle habite les monts Neelgheries.
GOLIATII DE DELESSERT.
Goliathus ( Trigonophorus , Hope) Delessertii. Guérin.
Aureo-viridis , olivaceo et rubro-micans. Cornu frontali capitis œquali ,
trigono , antice sinuato (fem.). Antennis nigris. Elytris subtilissime
striato-punctatis. Femoribus, tibiis apice, tarsisque nigris. — Long. 37
à 39 , larg. 18 à 20 millim. — Güérin-Meneviij.e , Rev. zool. par la
Société Cuvierienne, 1829, p. 229. — Westwood , Arcana Entomol.,
n° 8, p. 122, pi. 29, fig. 4.
(PI. 12, fig. 2.)
Cette magnifique espèce est d’un beau vert glauque-luisant à reflets
olivâtres et rougeâtres. Le dessous et les pattes sont d’un vert gai
DANS L’INDE.
43
avec les pointes latérales du mésothorax d’un rougeâtre fauve. La tète
est aplatie , de forme presque carrée , un peu élargie en avant , pro-
fondément sillonnée en dessus, tronquée carrément au bord antérieur,
et portant au milieu de ce bord une grande corne dirigée en avant et
en haut , comprimée latéralement à sa base , ensuite aplatie et élargie
transversalement , aussi longue que la tête , sinuée en avant , un peu
courbée en haut et formant un peu la cuiller. Cette corne est verte en de-
dans avec le bord antérieur noir, et tout à fait noire en dehors. Le vertex
porte une petite corne plate , dirigée en avant et en bas, triangulaire et
à sommet noir et aigu. Les antennes sont courtes et noires. Le corselet
est presque aussi large que les élytres, étroit et de la largeur de la tête
en avant , s’élargissant en une ligne presque droite jusqu’au milieu de
sa longueur, et à côtés parallèles ensuite. Son bord postérieur est coupé
droit avec une faible échancrure au milieu pour l’insertion de l’écus-
son. Ses côtés sont fortement rebordés , le milieu du bord postérieur
offre une bordure noire occupant toute l’étendue de la base de l’écus-
son ; sa surface est très-finement chagrinée , vue à la loupe , avec
quelques points et rides vers les bords, en avant. L’écusson est grand,
triangulaire , un peu plus long que large. Les élytres sont de forme
ordinaire , un peu plus étroites et arrondies en arrière , avec de très-
faibles lignes de petits points enfoncés. Les jambes antérieures sont
terminées en dedans par une seule épine articulée , noire ; elles sont
un peu dilatées au côté externe, qui est armé au sommet de deux for-
tes dents arrondies, noires. Les jambes intermédiaires et postérieures
ont , près du milieu du bord externe , une' petite épine aiguë , et leur
bord interne est fortement cilié. Tous les tarses sont noirs. Le dessous
du corps est finement ponctué ; le sternum est avancé sur l’insertion
des pattes antérieures, arrondi et un peu relevé au bout. L’abdomen
est un peu bombé au milieu. Notre unique individu est une femelle.
Nous avons dédié cette belle espèce au zélé et intrépide voyageur
qui l’a découverte. 11 n’en a trouvé, en juillet 1838, que quatre indi-
vidus sur le plateau des Neelgheries, près d’Otacamund, et à Kotir-
ghery.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
hi\
Genre CENTROGNATHE. — CENTROGNJTUUS, Guérin.
(xsvxpov, épine; yvuOoç, mâchoire.)
Ce nouveau genre diffère des Cremaslocheilus par sa lèvre infé-
rieure , qui , au lieu de couvrir entièrement le dessous de la tête , est
de grandeur ordinaire , épaisse , saillante et tronquée à l’extrémité.
Les mâchoires sont terminées par deux fortes épines ou pointes cor-
nées , dont l’inférieure est bifide ; elles sont cachées. Ses autres carac-
tères ne diffèrent que peu de ceux des Grémastocheiles.
CENTROGNATHE SUBRUGUEUX.
Cenlrorjnatltus subrugosus. Guérin.
Crassus, atro-opacus, elongatus, subrugosus , capite excavato , tricornuto ,
cornibus duobus lateralibus compressis , subacuminatis , mediano com-
pressa, apice dilatato. Thorace subrotundato. Elytris subquadratis , pa-
rum elongatis. Pedibus crassis, femoribus anticis inermibus. — Long. 20,
Iarg. 10 millim. — Guérin, Revue zool. par la Société Cuvierienne ,
1840, p. 79.
(PL 11 , fig.3.)
Corps épais , noir, terne , allongé , couvert de rugosités comme effa-
cées en partie. Tête excavée en dessus , offrant de chaque côté , au-
dessus des yeux , une corne comprimée assez saillante , un peu courbée
en dedans , avec le chaperon relevé en une troisième corne aplatie ,
élargie au bout , recourbée un peu en dedans comme les deux latérales.
Corselet à côtés arrondis. Écusson triangulaire. Élytres un peu plus
larges que le corselet à leur base, assez allongées, parallèles, planes en
dessus. Pattes fortes, courtes. Les jambes antérieures n’ayant qu’une
faible trace de dent au côté externe. Tarses courts, cylindriques et
épais , terminés par deux crochets assez longs.
Habite la côte Malave, à Pulo-Pinang.
EXPLICATION DES FIGURES.
PI. II, fig. 3. Tête du Centrognathus subrugosus très-grossie.
3a. La même vue en dessous.
3!). L’antenne.
3c. Mâchoire.
DANS L’INDE.
GNATHOCÉRA OLIVACÉE.
Gnathocera olivacea. Guérin.
Viridi-olivaceà nitida , flavido et rubro-micans . Clypeo suberecto , apice
emarginato. Thorace punctulato. Elytris punclato—striatis. Palpis, an-
tennis, genubus tarsisque atris. — Long. 25 , larg. 12 1/2 millinr. —
Guér.-Mén., Revue zool. par la Société Cuvierienne , 1840, p. 80.
D’un vert-olivâtre très-luisant à reflets jaunâtres et rougeâtres. Cha-
peron un peu relevé au milieu , avec cette saillie échancrée. Une pe-
tite corne penchée en avant , aplatie et peu élargie à son extrémité ,
au milieu de la tête, qui est fortement ponctuée. Corselet, élytres,
dessous du corps , pattes et antennes comme dans l’espèce précédente ;
à l’exception des jambes antérieures, qui sont armées de deux fortes
dents noires au côté externe. — Nous avons vu cette espèce dans l’ad-
mirable collection de M. Gory ; elle y porte le nom de Gn. surrya
(Hope) : nom que nous aurions conservé, quoique nous ne l’ayons
trouvé publié nulle part , si nous avions pu deviner ce qu’il signifie.
Neelgheries. — Juin.
MACRONATA PEINTE.
Macronata picta. Guérin.
Nigra, opaca. Prothorace utrinque lineis duabus obliquis flavispicto, in me-
diopostico confluentibus. Marginibus scutelli flavis. Elytris lœteauran-
tiacis , nigro maculatis; maculis discoidalibus flavo-pupillatis. Tho-
race subtus abdomineque transversim flavo-lineatis, pygidium macula
flava oblonga longitudinali notatum. — Long. 18, larg. 12 1/2 millim.
— Guér.-Mén., Revue zool. par la Société Cuvierienne, 1840, p. 81 .
Noire. Tète et corselet ponctués. Corselet ayant de chaque côté
deux lignes jaunes obliques : les plus extérieures partant du haut des
bords latéraux , à courbure extérieure , et allant se terminer près du
bord postérieur, devant l’écusson ; les intérieures partant des angles
antérieurs , derrière les côtés de la tête , à courbure intérieure et se
réunissant en arrière , au milieu , près de la réunion des deux exter-
nes. Écusson noir bordé de jaune. Élytres d’un jaune-orangé assez vif,
ayant chacune le bord externe et quatre taches noirs : la première
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Zt6
près de l’épaule ; deux placées obliquement au milieu , interrompues
chacune par une petite tache d’un jaune pâle; la dernière, plus
grande, placée près de l’extrémité. Une grande tache jaune sur le py-
gidium. Dessous du thorax et de l’abdomen ayant de grandes bandes
transverses d’un jaune doré.
De Pulo-Pinang , côte Malaye.
CÉTOINE DE LA COTE MALAVE.
Cetonia. Malayana Guérin.
Obscure viridis, subopaca. Clypeo emarginalo. Thorace punclato, maculis
duabus anticis albis. Ëlÿtrorum sutura acuminala, elytris subcostatis,
striato-punclatis, nigro-marginatis , utrinque maculis sex albis notatis,
quinque marginalibus, sexta subapicali. Pygidio albo subtus corporis
pedibusque nigris. Lateribus thoracis abdominisque albo-maculatis.
— Long. 16, larg. 8 millim. — Guér.-Mén., Revue zool.par la Société
Cuvierienne , 1840 , p. 81.
Verte en dessus, noire en dessous. Tête et corselet fortement ponc-
tués. Chaperon échancré. Une tache blanche à chaque angle antérieur
du corselet , derrière la tête. Élytres largement bordées de noir avec
de faibles côtes élevées et des lignes de points enfoncés. Elles ont cha-
cune six taches blanches, dont cinq au bord dans la partie noire, et
une près de la suture et vers l’extrémité. La suture est terminée par
une petite épine. Le pygidium est couvert de duvet blanc en dessous.
Le thorax et les segments de l’abdomen offrent plusieurs taches noires.
Pattes noires.
De Pulo-Pinang, côte Malaye.
CÉTOINE DE GORY.
Cetonia Goryi. Guérin.
Supra viridis , nigra infra, Capite punctato , clypeo emarginato. Thorace
punctato, notulis duabus medianis lateribusque flavis. Elytris nitidulis,
ad apicem obsulcatis , punctato-striatis , inœqualiter albo-maculatis;
pygidio notulis quatuor albis transversim positis , lateribus abdominis
albo notatis. — Long. 13, larg. 7 millim. — Guér.-Mén., Revue zool. par
la Société Cuvierienne , 1840, p. 81.
Verte en dessus, noire en dessous. Tête et corselet fortement ponc-
DANS I/INDE.
47
tués. Chaperon échancré. Corselet ayant les côtés bordés d’un duvet
jaune-argenté et deux points de cette couleur au milieu. Élytres assez
luisantes offrant des côtes peu élevées , des lignes de points enfoncés ,
et chacune sept taches d’un jaune argenté , ainsi disposées : la pre-
mière près de l’angle huméral, très -petite; la seconde, derrière
celle-ci, au bord externe, divisée en deux ou trois petites taches; les
troisième et quatrième , très-grandes , toujours au bord externe , la
quatrième étant située à l’angle postérieur; les trois autres, de
moyenne grandeur, placées près de la suture : l’une au milieu , la sui-
vante plus en arrière , et la troisième près du bord postérieur. Pvgi—
dium ayant quatre petites taches dorées. Côtés de l’abdomen et du
corselet tachés de jaune-pâle. Pattes noires et velues.
De la côte Malave et de Java.
CÉTOINE A BANDES ROUGES.
Cetonia rufo vittata. Guérin.
Nigra , nitida , subelongata; thorace punctis quatuor albis , limbo postico
rufo. Elytris obscure viridibus , ad apicem subcostatis. Vitta longitudi-
nali mediana rubra, apice haud attingente; utrinque maculis tribus al-
bis, mediana rotundata , duabus transversalibus ad marginem. Corpore
subtus et pedibus atris,sed thorace infra albo-maculato. — Long. 9,
larg. 5 millim. — Guér.-Mén., Revue zool. par la Société Cuvierienne,
4840, p. 82.
Noire. Tête et corselet ponctués. Chaperon assez élargi , échancré.
Corselet ayant une large bordure rouge partant du milieu et se prolon-
geant un peu au bord postérieur avec quatre points blancs sur le dis-
que. Élytres d’un vert foncé , luisantes , finement striées , avec des
sillons larges et peu profonds ; elles ont chacune au milieu une large
bande longitudinale rouge , partant du bord antérieur, faisant suite à
la bordure du corselet et se terminant avant l’extrémité; leur bord
externe offre deux petites taches blanches situées en arrière , et il y a
un point blanc entre la suture et la ligne rouge, vers le milieu de la
longueur de l’élytre. Les côtés du thorax sont blancs. Les pattes noires.
De Pulo-Pinang , côte Malaye.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
h S
LUCANE BICOLORE.
Lucanus bicolor. Oliv. (Var. Dcfesscrlii. Guérin.).
(PI. 12, fig. 3.)
Si l’on ne savait pas combien la couleur varie chez les insectes , on
aurait de justes molifs de séparer le Lucane femelle que M. Ad. Deles-
sert a trouvé dans les Neelgheries, du Lucanus gazella d’Olivier,
qui n’est que la femelle de son Lucanus bicolor. En effet , dans
l’ouvrage d’Olivier ( Luc. , pl. h , fig. 13 ), son Lucanus gazctla est
représenté semblable aux individus de M. Delessert : mais chez ceux-ci
le jaune des élytres commence angulairement un peu au-dessous de
l’angle huméral, au bord externe, et va toujours en s’élargissant pour
se terminer en pointe près du bord postérieur de la suture ; tandis que
dans l’individu figuré par Olivier, la partie jaune reste également étroite
dans toute sa longueur, et forme une véritable bordure.
Dans un Lucane mâle décrit et figuré par M. Saunders ( Trans .
Ent. Soc. Lond., vol. n, p. 177, pl. 16, fig. 3), sous le nom de
Lucanus bicolor, Fab. ( Fabricius n’a jamais décrit de Luc. bico-
lor) nous trouvons la même disposition de couleur que dans les indi-
vidus rapportés par Al. Delessert , et , si l’on devait les considérer
comme des variétés du Lucanus bicolor d’Olivier, ou même les en
séparer, il est évident que l’individu de AI. Saunders irait avec ceux
de AI. Delessert , tandis que celui d’Olivier pourrait être regardé
comme le mâle du Lucanus gazella du même auteur, mais comme
formant une variété chez laquelle le jaune domine.
Il est possible que l’on trouve des individus chez lesquels le noir
de la suture couvrira entièrement ou presque entièrement les élytres ;
et nous ne serions pas surpris que le Lucanus cancellas d’Olivier fût
de ce nombre, quoique sa figure offre quelques légères différences
dans la forme du corselet et les dents des mandibules. On sait com-
bien ces dernières varient dans ce genre ; on sait aussi avec quelle
inexactitude les peintres de cette époque dessinaient les insectes : ils
se contentaient de représenter leur ensemble sans s’inquiéter des dé-
tails de leurs formes, ce qui laisse toujours du doute sur l’identité de
leurs figures avec les individus que nous leur comparons.
J?l. ±2.
'.Prelr&cLûucr. drl.
Giraud Je.
DANS L’INDE.
49
Voici la synonymie de l’espèce que nous figurons :
Lucanus hicolor , Oliv. Ent. , 1. 1, G. 1, p. 22, n° 6, pl. 5, f. 2 (mâle).
— gazeüa, Oliv. Ibid., p. 13, pl. h, fi g. 13 (femelle).
— hicolor, Saunders. Trans. Ent. Soc. tond., vol. il,
p. 177, pl. 16, fig. 3 (mâle).
Si les localités de ces variétés étaient bien précisées , et si l’on trou-
vait , par exemple , que toujours les individus des parties montagneuses
de l’Inde ont le jaune des élytres placé obliquement , comme dans
notre individu des Neelgheries et celui de M. Saunders , on pourrait
peut-être en former une espèce distincte de ceux des parties basses ,
ayant le jaune des côtés des élytres droit , parallèle au bord , comme
dans le L. gazeüa d’Olivier. On pourrait alors les arranger ainsi :
1° Lucanus Delessertii , Nob. Noir avec une bande jaune obli-
que au côté extérieur des élytres ( mâle et fem. ).
Syn. : Lucanus hicolor, Saunders. Trans. Ent. Soc. (mâle) .
2° Lucanus hicolor , Oliv. Noir avec une bande jaune droite et
parallèle au bord extérieur des élytres.
Syn. : Lucanus hicolor, Oliv. (var. mâle).
— gazeüa, Oliv. (femelle).
L’idée que nous hasardons aujourd’hui, sur l’examen d’un individu
mâle du Lucanus hicolor d’Olivier, pris par M Ad. Delessert sur la
côte Malaye et parfaitement identique avec la figure d’Olivier, sur ce-
lui de trois individus femelles à côté des élytres obliquement jaune ,
provenant du plateau des Neelgheries , et sur les figures données par
Saunders et Olivier, ne pourra être jugée que lorsqu’on possédera des
collections faites avec intelligence dans des localités de l’Inde bien
précisées. Alors on pourra fixer les limites de l’espèce et conserver ou
rejeter celles que nous proposons aujourd’hui avec une extrême réserve.
PASSALE DES NEELGHERIES.
Passalus Neelg heriensis. Guérin.
Semiconvexus. Antennarum clava hexaphylla. Capite in vertice tubercu-
lato ( tubercule carinata antieeque elevdto ) et in utroque laiere carinu-
lato. Clypeo valde emarginato, semi-circulari . Mandibulis apice triden-
tatis. — Long. 28, larg. 8 M% millim.
Son corps est peu bombé, lisse et luisant. La tête est un peu ponc-
2e PART. 7
50
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
luée en dessus. Il y a sur le vertex une petite carène longitudinale et
deux autres carènes transverses à son extrémité ; de la partie antérieure
de la carène médiane se détache une autre carène très-fine , d’abord
droite, se séparant ensuite en deux sous un angle ouvert et courbe,
formant un mamelon au point d’arrêt , et réunies par une autre carène
transverse : le tout sans atteindre le bord du chaperon. Celui-ci est
fortement anguleux vis-à-vis l’extrémité des deux carènes, mais ses
angles sont tronqués à leur extrémité : l’angle gauche est plus dilaté
que le droit et se penche un peu vers lui à son extrémité. Les bords
élevés de la tête sont saillants et anguleux avant leur extrémité. Les
carènes oculaires sont peu élevées et obliquent beaucoup du côté de
l’œil. Le labre est assez fortement échancré, pointillé, velu. Les mandi-
bules sont droites , d’abord anguleuses extérieurement , recourbées
brusquement à l’extrémité ; la lèvre s’articule avec le menton par une
ligne très-sinuée. Les lobes latéraux de celui-ci sont chargés de très-
gros points, excepté vers leur extrémité : on n’aperçoit pas de fosset-
tes gulaires. Les antennes sont hexaphylles , les trois derniers articles
sont beaucoup plus longs que ceux qui les précèdent ; le dernier est
notablement renflé dans son mibeu. Le prothorax' est en carré trans-
versal , ayant un sillon dorsal peu profond qui n’atteint ni le bord an-
térieur ni le bord postérieur. Le sillon marginal est très-étroit , avan-
çant derrière la tête , un peu élargi à son extrémité ; les fossettes
latérales sont peu profondes et ne sont accompagnées d’aucun point.
L’écusson est lisse ; les fosses mésosternales sont peu profondes , ru-
gueuses, et s’élargissent un peu à leur extrémité. Le disque du mé-
sosternum est accompagné de quelques points agglomérés ; les stries
des élytres sont également profondes et également chargées de petits
points espacés.
Cetle espèce a été découverte par M. Ad. Delessert sur le plateau
des Neelgheries. Nous l’avons communiquée à M. Percheron, qui l’a
fait entrer, en notre nom, dans sa Monographie des Passaies
( Mag . zooi. , 18A1).
DANS L’INDE.
51
MÉCOCÈRE BOSSU.
Mecocerus gibbosus. Guérie.
Oblongo-ovatus, postice gibbosus , niger, flavo-tomentosus. Elytris striatis,
albo-punctatis. Aniennis pedibusque fulvis. ■ — Long. mar. 4 4 , larg. 4 4/2
millim. • — Long. fem. 40, larg. 4 4/3 millim.
Cette espèce est bien distincte des trois Mecocerus décrits par
M. Schoenherr, surtout par la forme bossue de ses élytres en arrière.
Tout son corps est noir , mais dans l’état frais il est couvert d’ écailles
très-fines et très-serrées d’un jaune d’ocre assez foncé. La tête et le
corselet sont très-finement rugueux. Le corselet est un peu plus long
que large, subcylindrique, un peu plus étroit en avant, arrondi sur les
côtés , avec un sillon transversal avant le milieu , interrompu sur la
ligne médiane ; et une petite carène transversale , arquée en arrière,
placée entre le sillon médian et le bord postérieur, remontant , sur
les côtés, jusqu’à une ligne élevée qui paît de l’insertion des pattes
antérieures. Les élytres sont de la largeur du corselet à leur base ;
elles s’élargissent ensuite, se relèvent en bosse en arrière, et ont
cette partie comme globuleuse et assez brusquement élevée. Elles ont
de fortes stries , de gros points enfoncés , et sont ornées , sur le fond
jaune produit par les écailles qui couvrent tout le corps , de petits
points blancs formés par du duvet et placés sur le sommet des côtes
faiblement élevées entre les stries de points. Le dessous est varié de
jaune et de noirâtre. Les antennes et les pattes sont fauves et garnies
de quelques poils jaunes.
Chez les mâles, les antennes sont plus longues que le corps, un
peu renflées aux trois derniers articles , qui sont entièrement couverts
de duvet jaune. Les pattes antérieures ne sont pas beaucoup plus gran-
des que les autres.
Chez les femelles , les antennes ont à peine la moitié de la longueur
du corps; leur massue jaune est plus épaissie. Les pattes antérieures
sont un peu plus courtes, mais le corps est tout à fait semblable à
celui des mâles.
Ce curieux insecte a été découvert aux Neelgheries.
SOUVENIRS Ü’UN VOYAGE
ÉPISOME MONTAGNARD.
Episomus monianus. Guérin.
Ater, opacus , griseo-squamosus. Antennis griseis; clava migra. Capite
thoraceque rugosis. Elytris ovatis , postice versus suturam subelevatis et
subcarinatis , longitudine foveatis et griseo-squamosis. — Long. 12 à
17, larg. 5 à 7 millim.
Le corps est un peu allongé, très-bombé , cl’un noir terne, avec de
fines écailles grises sur toutes les parties qui n’éprouvent pas de frot-
tement. Les antennes sont courtes , grises avec la massue d’un beau
noir de velours. La tête et le corselet sont fortement rugueux , avec
un profond sillon longitudinal au milieu. Les élytres sont de la largeur
du corselet à leur base , ovalaires , élargies au milieu , avec la suture
un peu élevée en arrière, formant là une espèce de carène et coupées
perpendiculairement. Elles ont chacune neuf côtes élevées, circon-
scrivant des séries longitudinales de fossettes assez profondes à fond
garni d’écailles grises très-serrées. Le dessous et les pattes sont fine-
ment ponctués, plus ou moins couverts d’écailles grises; les jambes
sont un peu velues : le dessous des tarses est garni d’un duvet jaunâtre.
Cette espèce est assez commune sur le plateau des Neelgheries.
BARIDIE DES NEELGHERIES.
Barydius Neetgfieriensis. Guérin.
Ater , rugosus. Thoracis lateribus flavo-squamosis. Scutello flavo. Ely-
tris striatis, maculis quatuor flavo-squamosis , duabus anticis basali-
bus. Corpore subtus pedibusque flavo-squamosis. — Long. 5, larg. 2 1/2
millim.
Cette jolie espèce est assez commune aux Neelgheries; son corps
est ovalaire , noir, assez fortement rugueux. Le rostre est noir, arqué ,
grand , cylindrique , couvert de points rangés presque en stries longi-
tudinales. La tête est presque lisse , très-finement ponctuée. Le cor-
selet est à peu près aussi long que large , brusquement rétréci en
avant , ayant ensuite les côtés droits et presque parallèles, à bords la-
téraux garnis d’écailles jaunes très-serrées formant de chaque côté
une large bande dorée un peu échancrée au milieu. L’écusson est
DANS L’IiNDE.
53
petit, triangulaire, couvert d’écailles jaunes. Lesélytres sont peu con-
vexes, rugueuses comme le corselet , avec de fortes stries longitudi-
nales à fond lisse. Elles ont chacune quatre grandes taches écailleuses
d’un jaune doré; les deux premières sont arrondies, placées à la base
des élytres, ne touchent pas l’écusson et s’étendent jusque sur les an-
gles huméraux ; et les deux autres sont placées un peu au delà du mi-
lieu , en arrière ; elles sont de forme presque carrée , à bords dente-
lés. Le pvgidium est noir en dessus. Le dessous du corps est entièrement
couvert d’écailles jaunes , mais le dessous de l’abdomen offre toujours
une bande longitudinale dépourvue d’écailles et noire. Chez la majo-
rité des individus le dernier segment est armé , en dessous , d’une
forte lamelle élevée, lisse , arrondie au bout et dirigée vers la tête de
l’animal , tandis que d’autres n’offrent rien de semblable. Ceux qui
sont armés de cette lamelle varient pour la taille : ce sont certaine-
ment des mâles.
Les pattes de tous les individus sont couvertes d’écailles d’un jaune
un peu plus pâle. Il y a quelques variétés à taches des élytres plus
petites , et d’autres où ces taches s’étendent , se confondent même
dans plusieurs points.
MYLLOCÈRE DE FADRICIUS .
Mylioccrus Fabricii. Guérin.
Elongato-ovatus, niger, supra fusco, subtus albido-squamosus ; antennis
pedibusque piceis, fronte plana, foveolata, rostro angustiore, longitudi-
naliter impresso, obsolete-carinato ; thorace transverso, subconico, sub-
tiliter remote punctulato ; ehjtris albo-tessellatis, subtiliter punctato-
striatis; femoribus obsolète dentatis. — Long. 5 à 8, larg. 2 à 3 millim.
Hab. Pondichéri.
54
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
MYLLOCÈRE SUBFASCIÉ.
MyUocerus subfasciatus. Guérin.
Elongato-ovatus, supra fusco, subtus cinereo-albido-squamosus ; antennis
pedibusque piceis; rostro supra profunde impresso, medio tenuiter cana-
liculato ; thorace transverso , subcylindrico ; elytris convexioribus ,
mediocriter punctato-striatis, obsolète oblique albo fasciatis et tessella-
■ - tis; femoribus bidentatis. — Long. 5 à 8, larg. 2 à 3 millim.
Habite les monts Neelgheries.
DORYSTHÈNE MONTAGNARD.
D orysthenes montanns. Guérin.
Castaneo-nitidus. Thorace lateribus subreflexo , subspinoso. Elytris obso-
lète rugosis, subcostatis, apice dilutioribus. — Long. 29 à 42, larg. 10 à
15 millim.
(PI. 13.)
Le genre D orysthenes a été fondé, en 1826, par Vigors, pour un
insecte qu’Olivier a publié sous le nom de Prionus rostratus. Fal-
derman , sans connaître le genre de Vigors, a créé un genre Cyrto-
gnathus avec une espèce très-curieuse , qu’il aurait rangée dans le
genre précédent s’il l’eût connu, mais qui, heureusement, s’en distin-
gue assez pour que l’on puisse adopter les deux genres. Nous avons
montré, dans la Revue Zoologique par la Société Cuvierienne,
1840, page 83, les différences qui distinguent ces deux genres : nous
n’avons donc plus qu’à reproduire les caractères de l’espèce en question.
Mâle entièrement d’une couleur marron , plus claire à l’extrémité
des antennes, des élytres, aux tarses et au-dessous de l’abdomen.
Tête allongée, à col cylindrique. Yeux transversaux, réniformes,
ayant leur diamètre longitudinal étroit , laissant un large espace entre
eux en dessus, et n’occupant au plus que le tiers de la longueur de la
tête. Mandibules très-grandes et très-arquées. Corselet d’un tiers plus
large que long , luisant , assez aplati , dilaté sur les bords , surtout au
milieu , où l’on aperçoit la trace d’une petite pointe confondue dans la
dilatation. Elytres bombées à leur base, médiocrement luisantes, fine-
VL.J.&-
Dorysihen.es mon fan as, c,,cr.
ma/c rf/vmc//e .
Gérardcolor .
J. &. jPrê/re' <M~
DANS L’INDE. 55
ment chagrinées et offrant de très-faibles traces de côtes longitudinales.
Tarses antérieurs des mâles très-dilatés.
La femelle est de la même couleur et plus large ; son corps est un
peu plus aplati , son corselet est plus petit relativement aux élytres , la
tête est plus courte ainsi que les mandibules, il n’y a point de pointe
conique au prosternum ; l’abdomen est terminé par un petit oviducte
fourchu , et les tarses antérieurs sont simples et non dilatés.
Cette espèce diffère du D. rostratus, parce que ses yeux sont
beaucoup plus petits et n’avancent pas autant vers la ligne médiane.
En effet , chez celui-ci , ces organes occupent à peu près la moitié de
la longueur de la tête. Les tarses antérieurs des mâles sont moins dila-
tés chez le D. rostratus ; ses élytres sont plus allongées, plus forte-
ment rugueuses ; son corselet est moins large relativement à sa lon-
gueur, car il est à peine d’un quart plus large que long. Enfin le
D. rostratus , dont nous avons vu quatre mâles et une femelle , est
toujours d’une couleur brun -noirâtre luisant avec le corselet d’un
rouge presque fauve ainsi que l’extrémité des antennes , les pattes et
le dessous du corps.
Voici ce que M. Perrottet nous écrit relativement à l’habitation et
aux mœurs du D. montanus. « Cet insecte commence à paraître à la
surface du sol dès la fin d’avril , et continue à sortir de terre, en aug-
mentant en nombre d’individus, jusqu’aux premières pluies, qui
d’ordinaire ont lieu fin de mai ou courant de juin. Leur nombre est
alors si grand, que les chemins et les routes en sont souvent remplis ,
au point qu’on assure dans le pays que l’Ours noir des Gates ne se
montre dans ces montagnes que pour s’en repaître. Parmi le grand
nombre d’individus gisant à la surface du sol, on en remarque de
jaunâtres, de blanchâtres et de bruns ; je me suis assuré qu’ils sor-
taient de terre en en surprenant quelques-uns dans les trous mêmes
qu’ils semblaient se creuser pour arriver à l’air fibre. C’est toujours
sur les montagnes couvertes d’herbes plus ou moins grandes , d’arbus-
tes, etc. , qu’on les voit se montrer en plus grande quantité. Les envi-
rons de Coonoor,de Kotirgherris, etc. , sont les endroits où l’on en voit
le plus; ils se tiennent toujours à terre, ont une démarche lente et
lourde. Je n’en ai jamais vu voler. »
Ces observations intéressantes, que M. Ad. Delessert nous avait fait
pressentir en nous assurant que cet insecte se trouvait à terre dans
des fieux élevés, dépourvus de grands arbres, et qu’ils servaient de
nourriture aux ours ; ces observations , disons-nous , sont des plus
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
56
curieuses et des plus importantes pour le classement du genre entier,
car il est présumable que les deux autres espèces ont une manière de
vivre analogue ; et dès lors ces insectes devraient peut-être s’éloigner
des Priones, qui vivent dans les troncs d’arbres, et aller près des
D or cadrons et de certaines Lamies que l’on trouve toujours à terre
et dont les larves doivent vivre de racines.
Genre EUCHROA. EUCHROA, Guérin.
(su, bien ; /poa, coloration.)
Nous avions d’abord pensé que notre insecte entrait dans le genre
P achyteria de M. Serville {Ann. Soc. Ent. France, t. il, p. 553) ;
mais en lisant les caractères que cet entomologiste assigne à son genre ,
et surtout en examinant comparativement une P achyteria fasciat a
de la collection de M. Buquet , nous avons reconnu que ces deux in-
sectes différaient tellement par leurs antennes, qu’il nous a semblé im-
possible , en suivant la méthode de M. Serville , de les laisser dans le
même genre. En effet, dans la Pachytérie, les antennes sont égale-
ment épaisses dans toute leur longueur, assez tomenteuses. Les arti-
cles du milieu ne sont pas beaucoup plus grands que les suivants;
ceux-ci offrent à leur extrémité interne une saillie dentiforme produi-
sant des dents de scie. Dans notre genre, ces antennes sont tout à fait
glabres , fusiformes ou épaissies au milieu , avec les troisième , qua-
trième , cinquième et sixième articles plus grands et plus épais ; les
suivants beaucoup plus minces et plus courts , ne formant pas de dents
de scie. Nous ne parlons pas du nombre de ces articles, car M. Ser-
ville s’est trompé en en comptant douze. Dans la Pachyteria. fas-
ciata que nous avons sous les yeux , nous n’en trouvons évidemment
que onze ; mais le dernier offre , extérieurement et près de l’extrémité,
une petite dent obtuse qui a dû induire M. Serville en erreur.
Voici le signalement de ce genre établi comparativement avec celui
que M. Serville donne de ses Pachyleria.
Palpes maxillaires presque aussi longs que les autres , ayant leur
dernier article cylindracé ; celui des labiaux très-allongé , un peu sécu-
riforme et tronqué au bout.
Mandibules longues, rétrécies et amincies, terminées en pointe et
un peu courbées au bout.
/. E uclïTOa d/nudia/a ,
a. Pdar&pderTis
■M Jet.
Gérard, color.
DANS L’INDE.
57
Antennes glabres , épaisses et fusiformes , de onze articles , un
peu plus courtes que le corps ( dans les femelles ) , articles de trois à
six plus épais et plus grands que les autres; les suivants simples, sans
prolongement en dents de scie.
Labre transversal, un peu échancré et velu à son bord antérieur.
Corselet unituberculé latéralement, brusquement rétréci en avant
et en arrière , n’avant pas de sillons transversaux près des deux extré-
mités.
Élytres allant un peu en se rétrécissant de la base à l’extrémité ,
celle-ci arrondie et mutique.
Écusson triangulaire.
Cuisses en massue, fortement épaissies vers l’extrémité. Jambes un
peu comprimées.
Tarses ayant leurs trois premiers articles presque triangulaires. Le
premier article des tarses postérieurs allongé , le plus grand de tous.
EUCHROA PARTAGÉE.
Euchroa dimidiata. Guérin.
Air a. Antennis medio flavis, capite adverticem thoraceque fulvis. Elytris
antice fulvis , maculâ scutellari nigrâ. Pedibus nigro-opacis tarsisque
cinereo-cœrulescentibus. — Long. 34, larg. 9 millim.
(PL 14, fig. 1 A
Cette belle espèce a tout à fait l’aspect d’une Pachyteria. Sa tête
est finement rugueuse , noire , avec le milieu de la crête transversale
qui sépare les antennes, et toute sa portion postérieure en dessus et en
dessous , d’un fauve assez vif. Les antennes sont beaucoup moins lon-
gues que le corps , noires , avec les second , troisième et quatrième
articles entièrement, et tout le dessus du cinquième, d’un beau jaune-
orangé. Le corselet est également rugueux , un peu plus large que
long, muni d’un tubercule peu saillant de chaque côté, finement
bordé de noir en avant et en arrière , avec la moitié postérieure noire
en dessous ; il a en dessus quelques faibles bosselures. L’écusson est
noir. Les élytres sont finement rugueuses, insensiblement rétrécies en
arrière , munies de trois côtes fines et très-peu élevées , dont la se-
conde se bifurque près de l’extrémité et se réunit à l’externe et à la
suture ; elles sont d’un noir de velours avec la partie antérieure (jus-
2e part. 8
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
58
que près du milieu ) d’un fauve-vif portant une grande tache noir-
commun au milieu de la base. Cette tache et la portion également
noire des élytres sont garnies d’un très-fin duvet qui remplit les gra-
nulations , lesquelles ne sont visibles que sur la portion fauve. Tout le
dessous du corps est noir avec quelques faibles reflets bleus. On voit
sur les côtés du thorax et de l’abdomen des taches soyeuses» blanchâ-
tres , produites par des poils couchés. Les pattes sont d’un beau noir
avec les cuisses fortement renflées vers le bout, rugueuses, les jam-
bes assez comprimées et les articles des tarses, assez larges , d’un bleu
cendré en dessus, garnis en dessous d’un duvet très-serré et fauve.
La partie interne des jambes antérieures est également garnie de du-
vet fauve , mais moins dense.
Cette espèce, dont nous n’avons vu qu’une femelle, a été trouvée
à Pulo-Pinang.
PELARGODÈRE EN DAMIER.
Pelargoderus lessellatus. Guérin.
A ter, griseo-pubescens. Capitethoracequevittis quinque albo-communibus.
Thorace elongato , cylindrico , antice posticeque Iransversim plicato.
Elytris apice bidentatis , maculis niveis irregularibus et subquadratis
ornatis. Antennis pedibusque gracilibus. — Long. 32, larg. 8 1/2 millim.
(PI. 14, fig. 2.)
Nous plaçons provisoirement cette belle espèce dans le genre Pelar-
goderus ( Serville, Ann. Soc. Ent. de France, t. iv, p. 72) parce
qu’elle offre la majorité des caractères assignés à ce genre ; mais ,
avec un peu de ■bonne volonté , on pourrait en faire un genre distinct ,
parceque son corselet offre , en avant et en arrière , un petit rétrécis-
sement et trois ou quatre plis transversaux , tandis que dans les vrais
Pelargoderus il n’a qu’un seul sillon transversal à chaque extrémité.
Chez les Pélargodères , les pattes antérieures sont beaucoup plus gran-
des que les autres dans les mâles; tandis que dans notre insecte, qui
est aussi un mâle , ces pattes sont à peine un peu plus longues. Enfin ,
dans le genre de M. Serville , les élytres sont à peine tronquées à
l’extrémité, tandis que dans le nôtre elles offrent chacune deux dents
épineuses. Si l’on pensait que ces différences fussent suffisantes pour
DANS L’INDE. 59
motiver la création d’un genre distinct, nous proposerions de le nom-
mer Macrochenus (p.aypo'ç, grand, long; aüy^v , nuque, cou).
Tout le corps de cet insecte est noir, mais il est couvert d’un très-
fin duvet gris. Le devant de la tête est blanc avec une figure noire
représentant assez bien un M renversé. Les yeux sont noirs et bordés
de blanc. Les antennes sont grêles et de moitié plus longues que le
corps. Le corselet est presque d’un tiers plus long que large , cylindri-
que , un peu rugueux au milieu , ayant à son tiers antérieur un sillon
profond précédé par trois ou quatre plis transverses , et près du bord
postérieur un autre sillon suivi de deux ou trois plis. Il est orné en
dessus de trois bandes longitudinales blanches qui se continuent sur la
tête , et de chaque côté , au-dessus de l’insertion des pattes , d’une
large bande de la même couleur, qui se continue aussi sur les côtés
de la tête en passant sous les yeux. Les élytres sont plus larges que le
corselet, à angles huméraux saillants, avec l’extrémité rétrécie insen-
siblement , tronquée et bidentée ; elles sont ornées de taches angu-
leuses blanches, de forme plus ou moins carrée, se touchant par leurs
angles , ce qui leur donne un peu l’aspect des cases d’un damier. Le
dessous est d’un gris plus blanchâtre que le dessus avec l’abdomen
marqué d’une large bande noire au milieu et d’une série de gros points
noirâtres de chaque côté. Le sternum est un peu saillant. Les pattes
sont longues et grêles , presque égales , et ne diminuant de grandeur,
des premières aux dernières , que d’une manière presque insensible .
L’extrémité des jambes antérieures est un peu épaissie et arquée ; les
autres offrent , près de l’ext témité , au côté externe , une petite dent
peu saillante.
Du plateau des NeelgLeries. — Trouvé en juillet.
Le Cerambyx tigrinus d’Olivier (t. IV, n° 67, p. 101 , pi. 19,
fig. 142) , dont la patrie est inconnue, semble être très-voisin du
nôtre. Serait-ce sa femelle ?
SAPERDE QUADRINOTÉE.
Saperda ( Sphænura ) quadrinotata. Guérin.
Nigra , dense flavo-tomentusa. Elytris apice truncatis , bidentatis , lateri-
bus et basi bicostatis , humeris maculisque quatuor nigris. — Long. 22,
larg. 6 millim.
Elle ressemble un peu pour l’aspect général à la Saperda morbit-
60
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
losa de Fabricius ; mais elle n’est pas si aplatie en dessus, et sa forme
est plus cylindrique. Tout son corps est noir, mais tellement couvert
d’un duvet écailleux jaune d’ocre, qu’il peut passer pour entièrement
jaune. Les palpes, les yeux et les antennes sont noirs et faiblement gar-
nis de duvet jaunâtre. Le vertex a trois petites taches noirâtres. Le
corselet , un peu plus long que large , offre un petit étranglement laté-
ral près du bord postérieur ; il est fortement ponctué et orné en des-
sus de quatre lignes longitudinales noires. Les poils jaunes du milieu
se relèvent un peu sur la ligne médiane , et forment là une petite crête
longitudinale. L’écusson est arrondi , un peu saillant. Les élytres sont
plus larges que le corselet , à épaules saillantes , droites sur les côtés ,
et diminuant insensiblement jusqu’à l’extrémité. Elles ont à leur base ,
en dessus , deux côtes assez élevées , qui s’effacent à partir du milieu ,
et de chaque côté deux côtes élevées , rapprochées , dont la plus ex-
terne vient former l’épine latérale de la troncature du bout des ély-
tres. Elles ont en outre des séries de gros points enfoncés , mal alignés
sur le milieu des élytres , mais formant des stries à points plus rappro-
chés sur les côtés ; la saillie humérale est dénudée et noire : il y a en
outre , un peu avant le milieu , deux grandes taches noires , carrées ;
entre ces taches et l’extrémité , deux grandes taches noires , oblon-
gues , formées par deux bandes longitudinales réunies à leurs extré-
mités , et dont les deux plus externes laissent entre elles un espace
longitudinal jaune. L’extrémité tronquée de ces élytres est bordée de
noirâtre. Tout le dessous du corps et les pattes sont d’un jaune uni-
forme.
Trouvée sur les monts Neelgheries , en juillet.
SAPERDE A PLUSIEURS TACHES.
Saperda ( sphænura ) multigultata. Guérin.
Flavo-aurea , tomentosa, nigro-guttata. Antennis nigris et griseo-tomentu-
sis. Pedibus fulvis. — Long. 20, larg. 5 1/2 millim.
Cette délicieuse espèce , dont le fond de la couleur est fauve-pâle ,
est entièrement couverte d’un fin duvet , écailleux , très-serré , d’un
beau jaune-serin ou doré. Les yeux , le labre , les mandibules et les
antennes sont noirs; ces dernières sont couvertes d’un fin duvet gris
et peu dense. La tête a sur le milieu du front une ligne longitudinale
DANS L’INDE.
61
noire renflée au milieu. Le corselet , aussi large que long et un peu
étranglé en arrière , offre en dessus quatre gros points noirs , et , de
plus , un de chaque côté sur les flancs. Les élytres , lisses , sans côtes ,
tronquées et épineuses au bout , ont chacune la saillie humérale et
huit taches de couleur noire de formes diverses , carrées , rondes ou
triangulaires, et en outre, sur la suture, deux taches communes placées
l’une au milieu, l’autre entre celle-ci et l’écusson, ce qui fait un total
de vingt taches sur les deux élytres en y comprenant les angles humé-
raux. Les côtés du mésothorax ont une grande tache noire arquée , et
l’abdomen a une petite ligne noire au milieu du dernier segment et
un peu de noir à la base des précédents , sur les côtés seulement. Les
pattes sont d’un fauve pâle et tomenteuses.
Trouvée en juillet sur les monts Neelgheries.
Genre CENTRURE, CENTRURA, Guérin.
(xsvTpov , aiguillon ; oôpa , queue.)
Ce curieux genre devra être placé dans le voisinage des Apome-
cyna, et surtout de celui que nous avons établi (Iconogr. du
Règne animal , texte) sous le nom d 'Hatlia. Il avoisine aussi beau-
coup les genres Cercoptera de Spinola (Mag. Zool., 1839. Ins.,
pl. 12) et Urocalymma de M. Westwood (Arcana Entomol.,
h° h , p. 58 , pl. 15, fig. 3 ) , mais il se distingue des Hat lia par son
corps cylindrique avec le milieu des élytres renflé comme dans les
Dorcadion ; des Cercoptera par ses joues, qui ne sont pas prolon-
gées sur les côtés, et des Urocalymma par son corselet plus allongé
et dépourvu de dent latérale. Voici les caractères essentiels de notre
genre.
Corps épais, cylindrique, renflé au milieu. Tête à front perpendicu-
laire ou même infléchi en dessous. Antennes grêles. Prothorax cylin-
drique , plus long que large , tronqué presque droit à ses deux extré-
mités, sans tubercules ni dents sur les côtés. Élytres allongées , un peu
plus larges que le corselet et tronquées droit à leur base , très-élargies
au milieu, rétrécies brusquement en arrière et terminées en pointes
assez aiguës un peu divergentes. Pieds assez courts peu robustes ,
et de longueur égale. Palpes égaux , assez grêles , terminés par un
62
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
article un peu plus grand , ovalaire et pointu au bout. Mandibules
courtes et fortes. Labre ovalaire transversal.
CEiNTRURE .A COTES.
Centrura costala. Guérin.
Atra , flavo-villosa. Anlennis fulvis. Thorace rugoso , subcarinalo , postice
subcoarctato. Scutello iransverso , rolundato. Elytris apice acuminatis ,
basi yranulosis et punctatis , costis quatuor longitudinalibus in medio
elevatioribus. — Long. \ 5, larg. 4 millim.
Son corps est noir, mais entièrement couvert, dans son état de fraî-
cheur, par un duvet court plus ou moins serré ou couché , de couleur
jaune d’ocre. La tête est un peu granuleuse , à front coupé droit , per-
pendiculaire et même un peu penché en dessous. Les antennes ne
sont pas tout à fait de la longueur du corps ; elles sont filiformes et
grêles , fauves , composées d’articles cylindriques , dont le premier est
plus épais et en massue, le second très-petit, le troisième le plus long de
tous, et les autres vont en diminuant de longueur jusqu’au dernier. Le
corselet est cylindrique, plus long que large, un peu rétréci en arrière,
fortement chagriné ou rugueux, avec une faible élévation longitudinale
au milieu formant presque une carène. Les élytres sont ovalaires, termi-
nées chacune par une pointe forte et un peu divergente. Elles ont à la
base quelques petits tubercules et des points ou fossettes , et sur le
disque quatre grosses côtes élevées qui ne partent pas tout à fait de la
base , s’élèvent brusquement au milieu et diminuent ensuite. On voit
de chaque côté de ces élévations une série de petits points enfoncés :
deux côtes (la plus extérieure et la plus interne) atteignent l’extrémité
de l’élytre , et se réunissent pour former le centre de la pointe termi-
nale ; la seconde côte , à partir de la suture , se termine long-temps
avant d’atteindre l’extrémité de l’élytre. Le dessous est couvert de du-
vet jaune ; mais on voit une ligne maculaire noire au milieu de l’ab-
domen , produite par l’absence de duvet sur ce point. Les pattes sont
noires, et couvertes de duvet jaune.
Ce joli et curieux insecte a été découvert par M. Delessert sur le
plateau des Neelgheries. La Saperda iyncea d’Olivier, t, iv, nH 68,
pi. h, fig. Ul\, pourrait bien rentrer dans le genre Centrura.
DANS L’INDE.
63
CRIOCÈRE A CROIX.
Crioceris cruciatus. Guérin.
Ferrugineo-nitidus. Elytris lœvigato-flavis , sutura fasciaque transver—
sali nigris crucem forrnantibus. — Long. 10 , larg. 4 millim.
Lema cruciata. Guérin , Revue zoologique par la Société Cuvierienne ,
1840, p. 41.
Cette jolie espèce est très-facile à distinguer. Elle est d’un fauve-
ferrugineux luisant avec les élytres jaunes et marquées d’une grande
croix noire formée par une ligne suturale coupée au milieu par une
autre ligne transversale qui louche les bords latéraux. Los côtés du
mésolhorax sont un peu tachés de npir. Dans quelques individus, l’ab-
domen est d’un fauve jaunâtre.
Découverte sur les monts Neelgheries.
CHLAMYS INDIEN.
Chlamys indica. Guérin.
Atra. Capite rugoso, complanato. Thorace in medio elevato , rugoso, foveis
quatuor. Elytris profunde rugosis. Corpore subtus pedibusque rugosis.
— Long. 2 1/3 , larg. 11/2 millim. — Chlamys indica, Guérin. Rev.
zoo/, par la Société Cuvierienne, 1840, p. 41 .
Noir. Tête rugueuse , aplatie. Corselet très-élevé au milieu , ru-
gueux, avec des élévations circonscrivant une espèce de sillon et qua-
tre fossettes assez bien marquées au milieu. Élytres fortement rugueu-
ses, ayant des élévations sinueuses et larges. Dessous et pattes rugueux.
C’est le premier insecte de ce genre que l’on ait encore découvert
sus l’ancien continent. Il a été pris dans les environs de Kotterg-
herry, sur les Neelgheries.
SOUVENIRS DT N VOYAGE
6/1
CHRYSOMELE RAJAII.
Chrysomeia rajah. Gucrin.
Rotundata, globulosa, obscure viridis vel subnigra; ehjtris testaceis viridi-
micantibus. Capite thoraceque lateribus punctatis. — Long. 12 à 14,
larg. 10 à II millim.
Chrysomeia ( plagidiora ) rajah. Guérin, Rev. zool. par la Société Cu-
vierienne , 1 840, p. 41 .
Arrondie et très-globuleuse , d’un vert foncé , quelquefois presque
noir, avec les élytres testacées offrant souvent des reflets verts. Tête et
corselet lisses ; le corselet ayant de chaque côté quelques points en-
foncés assez distants. Élytres très-finement ponctuées.
Trouvée sur le plateau des Neelgheries.
COCCINELLE DE DELESSERT.
Coccineiia, (Epilachna) Delessertii. Guérin.
Nigra, rotundata, pubescens. Capite thoraceque fulvis. Scutello fusco . Ely-
iris nigris , utrinque maculis quinque rotundatis fulvis. Corpore subtus,
lateribus thoracis et abdominis fulvo-rnaculatis ; antennis pedibusque
fulvis. — Long. 8, larg. 7 millim.
Coccineiia ( Epilachna ) Delessertii. Guér., Rev. zoolog. par la Société Cu-
vierienne, 1 840, p. 42.
Noire, arrondie, pubescente. Tête et corselet fauves , écusson brun.
Élytres noires, beaucoup plus larges que le corselet à leur base , ayant
chacune cinq grandes taches arrondies fauves : deux à la base , deux
au milieu, et la dernière à l’extrémité. Dessous du corps noir avec les
côtés du thorax et de l’abdomen tachés de fauve. Antennes et pattes
fauves.
Prise en abondance sur le plateau des Neelgheries.
n.iô.
( hoeradodis fritnet/ta, o'u
■i.M. del.
Oèrard
/) umcyfrùl
DANS L’INDE.
ORTHOPTÈRES.
CHOERADODE TRONQUÉE.
Cfiœradodis truncata. Guérin.
Luteo-grisea vel viridis. Capite transverso. Thorace latissimo subtriangu-
lari postice truncato. Femoribus intermediis et posticis foliatis. Elytris
nervosis. Alis nigris, albo-strigosis , apice flavidis, caudatis. — Long.
7centim.
(PI. 15.)
Sa tête est transverse avec les yeux un peu pointus. Le corselet est
allongé avec sa membrane très-large en arrière, à bord postérieur
tronqué presque droit avec les côtés arrondis, insensiblement rétrécis
vers la tête , où elle vient se terminer par une petite sinuosité. Cette
membrane donne au corselet une forme conique et le rend un peu
plus long que large. Les élytres sont allongées avec les côtés rabattus,
plus larges que le dessus, arrondis en arrière. Les ailes sont noires avec
les nervures transverses d’un blanc jaunâtre : leur extrémité, d’un jaune
obscur, est brusquement rétrécie en une petite queue dépassant les
élytres dans le repos. Les cuisses antérieures ont une grosse tache
noire en dessous ; les quatre postérieures sont garnies , h leur extré-
mité et en arrière , d’une assez large membrane irrégulièrement den-
telée. L’abdomen est large et rhomboïdal , un peu dentelé sur les cô-
tés , et porte un petit appendice de chaque côté de l’anus. La couleur
de l’insecte desséché est d’un jaune verdâtre et brunâtre feuille-morte.
Il est probable qu’il a été vert.
Trouvé à Singapoore,à l’extrémité de la presqu’île malaise.
y
2e PART.
66
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
HÉMIPTÈRES.
FULGORE DE DELESSERT.
Fulgora Delessertii. Guérin.
(pi. 46, üg. a.)
Capite rostrato. Rostro dimidii corporis longitudine, adscendente, viridi.
Prothorace ferrugineo. Hemelytris nigro-viridibus , flavo-maculatis.
Alis cœruleis, apice nigris. — Long. 34, env. 7S mill.
Fulgora Delessertii. Guér., Rev. zool., 1839, p. 183.
Cette espèce est très-voisine de la Fulgora maculata de Stoll
( pl. 26 , fig. 143 ) , mais elle s’en distingue d’une manière notable par
la coloration des taches de ses hémélytres. Elle diffère de la Fulg.
candelaria par les deux facettes latérales de la face frontale , qui ont
à leur extrémité une carène longitudinale allant du sommet des faces
latérales au sommet de la tête.
M. Adolphe Delessert a trouvé cette belle espèce sur le penchant
des monts Neelgheries. Elle se tient sur les petits arbres au bord des
rivières ; et il est fort difficile de la prendre , car elle est très-agile et
s’envole au moindre bruit.
FULGORE SUBOCELLÉE.
Fulgora suêocellata. Guérin.
(Pl. 16, fig. 1.)
Capite rostrato. Rostro corporis longitudine , adscendente , supra obscure
ferrugineo, infra viridi. Tibiis anticis et intermediis nigris. Hemely-
tris viridi-fulvescentibus, flavo-subocellatis. Alis albis basi subviridi-
bus , albo-farinosis , margineque antico nigro et ferrugineo maculatis.
— Long. 48, enverg. 93 mill.
Fulgora subocellata. Guér., Rev. zool., 1839, p. 183.
Elle est très-voisine de la Fulgora oculata de Westwood (Trans.
Lin. Soc. , vol. xvm , p. 142 , pl. 12 , fig. 5) , mais celle-ci est plus
77. j 6 .
Vaillant dal.
Ocrard co/or ■
DANS L’INDE.
67
petite ; les yeux de ses hémélytres sont fauves , très-limités et entourés
de blanchâtre sur un fond gris fauve , et ses ailes sont ornées, vers la
côte, d’une grande tache rose terminé de brun, etc.
Cette Fulgore a été prise à Pulo-Pinang.
Nous avons reconnu que la Fulgore à laquelle nous avions donné
provisoirement le nom de Rajah {Rev. zoot. , p. 183) est décrite et
figurée par Donovan dans son Epitome Ins. of China , pl. 7, sous
le nom de Futgora pyrorhynchus , que nous lui restituons.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
G8
LÉPIDOPTÈRES.
PAPILLON DE DELESSERT.
Papilio Delessertii. Guérin.
(PI 47).
A lis subhyalinis , albis , venis maculisque nigris. Ânticis subsinuatis
posticis dentatis , angulo anali lunula obsoleta flava. — Enverg. 11
centim.
Papilio Delessertii. Guér., Revue Zoolog. par la Société Cuvierienne ,
1839, p. 233.
? Papilio melanides. De Haan , Hist. nat. des possessions néerlandaises
dans l’Inde; me livr. (1840), p. 40, pl. 8, fig. 3.
Ce Papillon offre tous les caractères du dernier groupe formé
par IM. Boisduval , car il appartient à l’archipel Indien ; il a le faciès
des Pap. Panope et Dissimilis , et ne peut être placé que près de
ce dernier : ce qui le range à la fin du genre. Ses quatre ailes sont d’un
blanc légèrement nacré et demi-transparent , comme chez les Idc a ;
les supérieures sont très-arquées à la côte , avec le bord postérieur
très-légèrement sinué. Leur côte est noire avec six taches blanches in-
égales allant de la base jusqu’au delà du milieu. La cellule discoïdale
est également noire, occupée par quatre bandes blanches transversales
et obliques ; les deux premières droites, les deux autres arquées : il y a,
à la base une petite tache triangulaire blanche. Les nervures qui par-
tent de cette cellule sont toutes plus ou moins largement bordées de
noir, et l’extrémité de chacune de ces nervures est occupée , au bord
postérieur, par autant de grandes taches noires. Entre chaque nervure,
et près du bord , il y a une tache noire arrondie ; enfin entre la pre-
mière et la seconde nervure , en partant du bord interne , et entre les
quatrième et cinquième , un peu au delà du milieu du disque , il y a
deux grandes taches noires très-distinctes des autres, de forme un peu
carrée. Les ailes inférieures sont arrondies, sans appendices ni queues,
un peu dentées, blanches, à nervures assez largement bordées de noir,
avec le bord postérieur occupé par de larges taches noires fondues
TL. ,6 ■
69
DANS L’INDE.
entre elles. Il y a , comme aux supérieures , un rang de taches noires
occupant , près du bord , les intervalles des nervures. L’angle anal est
occupé par une lunule noir bordé en haut d’une faible teinte jaune
précédé d’une ligne transversale noirâtre. Le bord des quatre ailes
est finement liséré de blanc interrompu par le noir des taches margi-
nales. Le dessous est semblable au dessus ; mais les taches sont un peu
moins larges , et la bordure antérieure jaune des lunules anales est
d’une teinte plus vive. La tête de ce Papillon est noir avec deux lignes
blanches en avant et contre les yeux, qui sont rougeâtres ; les antennes
sont noires Le thorax est noir, taché de blanc dessus et dessous ; l’ab-
domen est noirâtre en dessus , blanc sur les côtés et en dessous , avec
une ligne noirâtre de chaque côté. Les six pattes sont brunes.
Hab. l’île de Pulo-Pinang, à l’entrée du détroit de Malacca.
Il est très-probable que c’est la même espèce que M. de Haan a re-
présentée un an après notre publication (voy. Revue zoot. , 18â2 ,
p. 153).
PAPILLON NEPTUNE.
Papiiio Neptunus. Guérin.
(PI. 48.)
Alis nigris, concoloribus : anticis fascia sesqui altéra alba , striata ; posticis
dentatis et caudatis, macula coccinea trifida ad angulum analem. —
Enverg., 10 cent.
Papiiio Neptunus. Guér., Revue zoolog. par la Société Cuvierienne, 1840,
p. 43.
Ce papillon doit être placé en tête du dix-septième groupe de
M. Boisduval. Ses quatre ailes sont d’un noir assez vif; les supérieu-
res sont allongées, entières, et elles ont deux larges fascies d’un blanc-
grisâtre coupé par des raies noires , placées , l’une avant le milieu ,
l’autre près de l’extrémité de l’aile. Les inférieures ont de profondes
échancrures au bord externe , et une queue très-élargie et arrondie au
bout ; elles portent , au delà du mifieu de leur longueur, contre le
bord interne et vis-à-vis une échancrure de ce bord , une grande tache
transversale rouge, divisée en trois taches par les nervures, arrivant
jusqu’au milieu de leur largeur, et dont la plus extérieure est beau-
coup plus petite. Le dessous des quatre ailes est exactement semblable
70
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
au-dessus. Le corps est noir avec les côtés du thorax rouges. L’abdo-
men manque à l’exemplaire unique et mutilé que nous possédons.
Habite la côte Malaye.
PAPILLON SATURNE.
Papiiio Saturnus. Guérin.
(PI. 19).
Alis nigris, dentatis : posticis caudatis ; anticis fascia subapicali, pos-
ticis macula discordali magnâ, suif ureis. — Enverg., 11 cent.
Papiiio Saturnus. Guér., Revue zoolog. par la Société Cuvierienne, 1840,
p. 43.
Papiiio Nephelus. De Haan, Hist. nat. des possess. nèerl. (1840).
Il a beaucoup d’affinité avec le Pop. Nephelus de M. Boisduval
{Spec. général des Lèpidopt. , tom. i, p. 210 ) , mais il s’en distin-
gue surtout par la bande de ses ailes supérieures , composée de cinq
taches , tandis que chez celui-ci il n’y a que quatre taches à cette
même bande ; et par ses ailes inférieures, qui n’ont pas de tache ou
point jaune au côté interne de la grande tache discoïdale. Ses quatre
ailes sont noires ; les supérieures sont légèrement dentées, saupoudrées
d’atomes jaunâtres , formant des raies très-faiblement marquées , avec
une bande blanc-soufré droite , maculaire , formée de cinq taches ,
transverse , partant du bord antérieur de l’aile , passant un peu en de-
hors de la cellule discoïdale et se terminant près du bord externe ,
environ vers son milieu. Il y a de très-petites taches blanches dans les
angles rentrants du bord externe. Les ailes inférieures sont dépour-
vues d’atomes jaunâtres ; elles ont au milieu une grande tache d’un
jaune pâle arrondie et touchant h l’extrémité de la cellule discoïdale
à son bord interne , ayant son bord externe fortement denté. Le
bord extérieur de ces ailes est denté , et terminé par une large queue
noire en spatule : elles offrent , dans les échancrures seulement et
de chaque côté de la base de la queue , de petites bordures blan-
ches. Le dessous des premières ailes est semblable au dessus, mais les
taches sont blanches ; il y a des raies d’atomes très-bien marquées
dans la cellule discoïdale et près du sommet. Le dessous des secondes
offre des taches blanches, séparées par des nervures, et au nombre de
sept, lesquelles viennent se terminer au bord abdominal. Les taches du
PI.
Papilio
ô'aûtrnÿuk, <?/,<■/■.
'■ Û. Prêtre, ,lct ,
Gérard, co/or .
DANS L’INDE.
71
bord externe et des côtés de la base de la queue sont beaucoup plus
larges qu’en dessus, et précédées de lunules d’un blanc un peu bleuâ-
tre. Le corps , en dessus , est noir-vif , mais la. tête et le prothorax sont
tachés de blanc ; en dessous , il est également noir, avec les côtés du
thorax, de l’abdomen, et le milieu de celui-ci tachés de blanc (mâle).
H. la côte Malaye à Pulo-Pinang.
PAPILLON BRAMA.
Papilio Brama. Guérin.
Alis fuscis , viridi-pulverulentis , fascia communi viridi-aurea ; posticis
dentatis et caudatis , maryine lunulis viridibus , angulo anali macula
fulva nigro ocellata. — Enverg., 10 cent.
Papilio Brama. Guér., Revue Zool. par la Soc. Cuvierienne, 1840, p. 43,
pi. 1 , fig. 3 et 4.
Papilio Palinurus. De Haan, Hist. nat. des possess. néerl., 1840.
Ce beau papillon ressemble beaucoup à celui que Stoll a figuré sous
le nom de Pap. Regulus {Suppl, à Cramer, pl. 41, fig. 1) ; mais
comme cet auteur ne fait aucune mention des taches d’atomes verts
placées près du bord postérieur des ailes inférieures , nous avons dû
le considérer comme ne se rapportant pas à cette espèce. Du reste , il
est probable que le Pap. Brama, le Pap. Regulus et les Pap.
Crino et Palinurus de Fabricius ne sont que des variétés locales
d’une seule et même espèce. Ce doute ne pourra être levé que lorsque
l’on pourra comparer entre eux un certain nombre de ces papillons
provenant de localités bien précisées.
Notre Papilio Brama a été rapporté par M. Ad. Delessert de la
côte Malaye. Il a environ 10 cent, d’envergure.
DANAIDE CHLOÉ.
Danaïs (Euplæa) Chioé. Guérin.
Alis integerrimis , fuscis ; anticis basi violaceo-micantibus , omnibus
utrinque punctis marginalibus albis sérié duplici digestis : subtus punc-
tis discoidalibus albis et subviolaceis. — Enverg., 10 1/2 cent.
Elle est intermédiaire entre les Dan. Alcathoe et Cor et a de
72
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Godard. Le dessus de ses quatre ailes est d’un brun noirâtre avec un
reflet d’un beau bleu-violet-vif occupant la plus grande partie des su-
périeures, depuis leur base jusqu’au delà du milieu (chez le mâle , le
seul sexe que nous ayons vu). Les premières ailes ont en dessus , à la
côte et au delà du milieu , deux petits traits bleuâtres à peine visi-
bles , et leur extrémité présente , près du sommet , quatre taches
blanches. Il y a , en outre , au bord externe , une ligne de points blancs
partant de l’angle interne et n’atteignant pas le sommet. Les secondes
ailes ont de part et d’autre , sur le limbe de derrière , deux rangées
de points blancs , dont les intérieurs un peu oblongs ; elles ont , en
outre , en dessus , au milieu et près du bord de la côte , une grande
tache triangulaire d’un blanc sale et bien limitée. Le dessous des qua-
tre ailes est d’un brun chatoyant. Les supérieures offrent les mêmes
taches et points que le dessus , mais ils sont un peu plus gros ; les
deux petites taches de la côte sont plus fortes et blanches. Outre les
quatre taches du sommet , il y en a encore trois autres très-petites ,
linéaires , formant une bande parallèle à la ligne du bord. Le milieu
présente deux taches blanches entourées de violet , et il y a au-dessous
de celles-ci une assez grande tache oblongue et blanche. Le dessous
des inférieures offre , en plus des deux lignes marginales de points
blancs , sept petites taches d’un blanc violet. Il y a quelques petits
points blancs à la base de ces mêmes ailes. La frange est alternative-
ment noire et blanche. Le corps et la tête sont noir taché de blanc.
Habite Pulo-Pinang , côte Malaye.
ARGVNNE ÉMALÉE.
Argynnis Emalea. Guérin.
Alis subrotundatis , anlicis apice subconcavis, supra fulvis: anticis apice
etlineis flexuosis,posticis lineis flexuosis punctisque nigris, maculiscos-
talibus duabus albis , subtus griseo-fulvis margaritaceo-micantibus,
fascia media communi-alba, maculari, extus recta, intus dentata. —
Enverg., 7 1/2 cent.
Elle a beaucoup d’affinités avec YArg. Thyelia de Fabricius
(God., p. 257). Le dessus de ses quatre ailes est d’un jaune-fauve-
vif, un peu plus sombre à la base. L’extrémité des premières est
noire avec deux bandes ondées de noir parallèles au bord externe , et
Van ç s sa j'Uufo.rta,; /i»,-,-.
J. OJ’rcüv <M.
(.rcrarrf co/or
JJumejnil'
DANS L’INDE.
73
moins marquées près de l’angle inférieur ; elles ont, en outre, au mi-
lieu , une bande dentelée et ondulée de noir servant de limite à la por-
tion plus obscure de leur base. On voit dans le milieu de la cellule dis-
coïdale une petite bande transverse et brune avec le milieu fauve. Les
inférieures ont au bord externe trois lignes noirâtres llexueuses ; une
ligne llexueuse au milieu , se continuant avec celle des supérieures ;
et , entre cette ligne et les externes , une série de six points noirs
dont les deux antérieurs et celui de l’angle anal un peu plus forts ;
elles ont à la côte deux taches blanches , de forme carrée : l’une au
milieu , l’autre près de l’extrémité antérieure. Le dessous des quatre
ailes est d’un gris-cendré-jaunâtre h reflets violets et perlés avec les
nervures fauves ; elles sont traversées au milieu et obliquement par
une ligne maculaire blanc bordé de noirâtre, droite du côté ex-
terne , fortement dentée , surtout aux supérieures , du côté interne ,
et très-élargie à la côte des supérieures. On voit , en outre , aux ailes
inférieures une série de six petits points noirs correspondant à ceux
du dessus. Le corps est d’un brun jaunâtre, les antennes sont noires
avec le côté antérieur fauve.
Habite la côte Malaye.
VANESSE EUDOXIE.
V anessa Eudoxia. Guérin.
(PL 20.)
Alis anlicis subfalcatis , posticis extus sub-caudatis ; omnibus supra
ochraceis basi fuscis apice ni gris , posticis lineis duabus marginalibus
punctisque sub-ocellaribus nigris; subtus brunneo-ochraceis, strigis den-
tatisalbis et fuscis , ocellisque cœruleo-pupillatis prope marginem. —
Enverg., 7 cent.
Vanessa Eudoxia. Guér., Revue zoolog. par la Société Cuvierienne, 1840,
p. 44.
Cette belle Yanesse peut être placée dans le voisinage des Fan.
Laodora et Pdarga de Godard. Ses ailes supérieures sont d’un
jaune -fauve couleur d’ocre , fortement concaves et dentées au
bord externe, d’un brun pâle à la base, avec l’extrémité noi-
râtre. Les inférieures sont dentées , elles ont une petite queue au mi-
lieu du bord externe et un petit prolongement arrondi à l’angle anal.
2e part. 10
SOUVENIRS D’I N VOYAGE
74
Leur couleur esl semblable à celle des supérieures, avec la base égale-
ment brune et l’angle supérieur externe noirâtre. Elles ont, près du
bord , deux lignes sinueuses précédées de gros points noirs à contour
plus pâle que le fond , dont les deux plus externes touchent la tache
apicale noire. On voit sur le milieu du lobe de l’angle anal une petite
strie oblique bleue. Le dessous est d’un brun jaunâtre ; la base des
ailes , d’un jaune plus pâle au milieu, augmente de ton vers les bords,
avec des lignes en zigzag blanches à reflets violacés et d’autres lignes
brunes et transversales. Les lignes blanches du miüeu et celles qui lon-
gent le bord externe sont plus larges et mieux marquées. Il y a, en ou-
tre, au côté interne des lignes blanches du bord des quatre ailes une li-
gne d’yeux brun bordé de noir et pupillé de bleu. On compte six
de ces yeux aux ailes supérieures et cinq aux inférieures. La frange esl
alternativement noire et blanche des deux côtés. Le corps est d’un brun
jaunâtre, les antennes noires.
Hab. la côte Malaye.
SATYRE DES NEELGHERIES.
Satyrus (Cyllo) Neeigheriensis. Guérin.
(PL 21, fig. 1.)
Alis fuscis , anticis apice albo-maculatis , subtus griseo fasciatis ocel-
lisque luteis nigro-pupillatis ; posticis subtus fasciis fuscis et griseis
angulatis, ocellis nigris , flavo cinctis, inœqualibus: antico magno, ro-
tundo, albo-pupillato, tribus sequentibus oblongis albo irroratis , anali
duplici, ante anali rot undo, postice remoto. — Enverg., 57 mill.
Cette espèce est très-voisine du Satyrus Europa (God. , Eue. ,
t. ix , p. 478 ) , et pourrait bien n’en être qu’une variété locale.
Cependant , après l’avoir comparée avec les deux sexes d’un vrai
Satyrus Europa provenant de la Chine et que nous a communiqué
>1. Marchai, qui a bien voulu étudier cette espèce avec nous, nous
avons trouvé des différences qui nous ont semblé réelles , tant dans
la forme beaucoup plus sinueuse des bandes du dessous des ailes
que dans la forme des yeux et dans la place qu’ils occupent. Chez les
vrais Europa. mâle et femelle il y a, près de la base des quatre ailes,
une bande d’un blanc nacré , commune aux quatre , assez étroite ,
DANS L’INDE.
presque droite et de la même largeur dans toute son étendue , tandis
que la bande qui représente celle-ci, dans notre espèce, est très-irré-
gulière et très-sinueuse et dentée , plus large vers la côte des ailes su-
périeures , ne correspondant pas exactement avec celle des ailes infé-
rieures. Dans notre espèce il v a, aux secondes ailes et un peu au delà
du milieu , une autre bande grisâtre bordé de brun de chaque côté ,
fortement anguleuse vers le bord externe, un peu avant le milieu de
sa longueur. C’est entre cette dernière bande et le bord que sont si-
tués six yeux noir entouré de jaune, puis de brun, puis de gris-
cendré. Le premier , celui qui touche à la côte , est le plus grand ; il a
au milieu une grosse pupille blanche. Les trois qui suivent sont ovales
et allongés , leur partie noire est semée d’un grand nombre de petits
atomes blancs. Le quatrième n’est plus situé sur la ligne des autres ,
comme cela a lieu chez YEuropa; il est très-reculé vers le bord,
parfaitement rond et très-limité , et n’a au milieu que trois ou quatre
petits atomes blancs. Enfin , l’œil de l’angle anal est remonté sur la
ligne des autres ; il est double , formé de deux ovales noirs, entourés
tous deux de jaune, et semés de nombreux atomes blancs. Les yeux
des ailes supérieures sont au nombre de cinq , bien ronds , tandis
qu’il y en a six, dont plusieurs ovales, dans YEuropa. Dans notre
espèce , c’est l’œil de l’angle postérieur qui manque. Les quatre ailes
ont la frange blanche coupée de petites taches noires, immédiatement
après la frange ; en dessus il y a une ligne étroite jaune bordé de
noir des deux côtés, et précédée d’une ligne grise plus large et bor-
dée, en dedans, de brun foncé. Notre individu est une femelle, son
dessus est d’un brun-enfumé noirâtre (tandis que chez le vrai Europa
ce brun est roussâtre) ; les ailes supérieures ont , au delà du milieu et
au bord antérieur , une tache jaunâtre divisée en trois par les nervu-
res ; il y a deux taches de forme carrée , près du sommet , et une
autre tache près du bord externe et au tiers postérieur. Les ailes in-
férieures sont sans taches , mais elles laissent apercevoir par transpa-
rence quelques traces des yeux du dessous. Leur bord offre les mêmes
lignes qu’en dessous , mais moins bien marquées ; et elles ont au mi-
lieu du bord postérieur une petite dent en forme de queue , semblable
à celle du S al. Europa.
Hab. les monts Neelgheries.
7(>
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
SATYRE D’ADOLPHE.
Satyrus Adolphei. Guérin.
A lis integerrimis, fusco-nigris; anticis punctis duabus albis minutissimis,
posticis ocellis duabus ferrugineis , nigro pupillatis , obsoletis : subtus
pallidioribus , anticis ut supra, posticis lineis duabus fuscis transver-
salibus , basali abbreviata sinuata , altéra recta , puncto nigro albo-
pupillato et punctis albis minutissimis pr ope marginem. — Enverg.,
il mill.
Cette espèce ressemble beaucoup au Satyrus scrvalius de Go-
dard , mais elle n’a pas de reflet violacé et ses ailes , en dessous ,
sont dépourvues des yeux signalés chez celui-ci. Les quatre ailes
sont d’un brun-noirâtre plus foncé vers la côte des supérieures.
Celles-ci ont, près du sommet et un peu plus bas que le milieu, près
du bord externe, deux très-petits points blancs peu visibles. Les infé-
rieures ont également près du bord deux petits yeux peu marqués, d’un
jaune-fauve à pupille noire. Le dessous des quatre ailes est d’un brun
moins foncé qu’en dessus, les supérieures offrent les deux petits points
blancs du dessus. Les inférieures ont chacune deux bandes transverses
et obliques brunes , la première près de la base , un peu sinueuse et
n’atteignant pas le bord externe ; la seconde au delà du milieu , par-
tant de la côte , aux deux tiers de la longueur de l’aile, et se terminant
à l’angle anal. Cette bande est droite , nettement limitée du côté exté-
rieur , fendue du côté de la base de l’aile. Entre cette bande et le bord
il y a une rangée de quatre petits points blancs dont le second, à par-
tir de l’angle anal , est entouré de noir.
Hab. les monts Neelgheries. Trouvé dans le mois de juin.
J’I . XJ .
S ;i ly PUS / Oi/tto J //ee/<///err/en.r/.r,
2. Salypiis r fient/ ,
DANS L’INDU.
SATYRE CHENU.
Satyrus Chenu. Guérin.
(PI- fig-2.)
Ali s integris, supra fuscis, pallidè submaculatis ; anticis utrinque ocello
magno nigro et bipupillato ; posticis supra duabus , subtus tribus ocellis
nigris; subtus omnibus griseo-cinereis fusco-slrigosis , anticis duabus,
posticis tribus fasciis margineque brunneis. — Enverg., 40 à 50 mil!.
Ce petit Satyre ressemble beaucoup à celui que Fabricius a nommé
Baldus , et l’on serait tenté de confondre ces deux espèces si l’on s’en
tenait rigoureusement à la description donnée par Godard ( Encycl . ,
t. ix, p. 551) ; mais quand on examine les figures données par Cra-
mer, et surtout par Hubner, du Satyrus Baiclus, on voit qu’il a le
dessous cendré et uniformément semé de petites stries brunes sans
aucune trace des bandes qui se trouvent chez le nôtre. Les yeux des
ailes inférieures sont aussi plus nombreux.
Notre Satyre de Chenu est en dessus d’un brun grisâtre avec quel-
ques fines taches nébuleuses et plus pâles vers l’extrémité. Les ailes
supérieures ont près du sommet un grand œil rond , noir , largement
bordé de jaune et marqué de deux petites pupilles d’un bleu luisant.
Les inférieures ont deux yeux beaucoup plus petits , noirs , bordés de
jaune , avec une seule pupille bleue très-petite. Le premier est situé au
milieu de la largeur de l’aile, près du bord externe ; l’autre est placé
entre le premier et l’angle anal. Le dessous des quatre ailes est d’un
gris-cendré marqué d’une multitude de petites stries transverses
ondées et brunes. Les supérieures ont l’œil unique comme en dessus ;
les inférieures ont trois yeux , les deux du dessus et un troisième près
de la côte et plus distant du bord externe. Dans les supérieures le bord
externe est d’un brun jaunâtre , et il y a deux bandes de la même cou-
leur , partant presque du même point au bord postérieur près de l’angle
interne et divergeant ensuite pour se rendre à la côte , l’une en dedans
et l’autre en dehors du grand œil apical. Aux inférieures le bord
externe est également jaunâtre , et il y a trois bandes de la même
couleur et un commencement de quatrième bande sur laquelle est
posé l’œil près de la côte. La bande de la base est un peu arcpiée et
n’atteint pas le bord interne; les deux autres vont en divergeant de
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
78
l’angle anal à la côte , et embrassent dans leur intervalle le plus large
l’œil supérieur et le commencement de bande sur lequel il est posé.
Le corps et les antennes sont bruns , les pattes et le dessous sont variés
de gris. - — Il y a des individus plus petits qui ne diffèrent en rien de
cette description.
Hab. les monts Neelgheries. Trouvé en juillet.
T'OLY OMMATE NYSEUS.
Polyommatus Nysnis. Guérin.
(PI. 22, fig.-l.)
Alis supra fuscis , posticis macula poslicali magna ferruginea. Cauda
minuta nigra , apice alba, subtus albo-subv indescente : anticis apice ai-
gris, albo-maculatis punctoque medio nigro ; posticis basi nigro macu-
latis, margine late fcrrugineo (ad angulum anticum nigro), albomacu-
lato. — Enverg., 57 mill.
Cette jolie espèce se rapproche, pour la forme, de notre Argus
poeta ( Voyage autour du monde de la corvette la Coquille ,
ZooL, t. il, part. 2, lredivis., pag. 277, pl. 18, f. h). Tout le dessus de
son corps et de ses ailes est d’un brun-noirâtre uniforme avec la frange
alternativement noire et blanche de part et d’autre. Les ailes inférieures
ont , près de l’angle anal , une petite queue mince , noire , à bout blanc :
elles sont en partie occupées par une grande tache d’un rouge ferru-
gineux placée au bord inférieur à partir du milieu de leur longueur ,
mais ne remontant pas jusqu’à la côte. Le dessous est d’un blanc très-
faiblement verdâtre vers la base. Les supérieures ont un gros point
noir au milieu , et leur moitié apicale est noir marqué de deux bandes
de taches blanches dont l’interne composée de taches inégales , l’ex-
terne formée de six taches alignées et égales et suivie, près du bord,
d’une petite ligne blanche mince et interrompue. Les inférieures ont
à la base huit ou dix gros points noirs, et leur extrémité présente une
large bordure noire au quart antérieur, et d’un beau rouge-ferrugi-
neux jusqu’à l’angle anal, bordée extérieurement d’une fine ligne noire
que précèdent de petites lignes blanches. Cette bande est traversée dans
son milieu par une ligne de huit taches blanches. Le dessous des pal-
pes, du corps et des pattes est blanc.
Hab. I’ondichéri. Trouvé en juillet.
’olvom malus . Vy. i'CU.i'
Lc&p Cri A ÏBenJa/ïi mu,
J^rèlre de/..
DANS L’INDE.
79
IIESPERIE DE BENJAMIN.
Hesperia (Thymele) Benjaminii. Guérin.
(PI. 22, fig. 2).
Corpore alisque supra obscuro-viridibus , apice obscurioribus ; posticis
margine inferiori fulvis , subtus lato-viridibus, nervis nigris : posticis
macula magna posticali fulva , nigro-punctata. Capite infra anoque
fulvis. — Enverg., 5 4/2 centrai.
Cette magnifique espèce n’a aucun rapport avec celles qui ont été
publiées par Linné et Fabricius. Son corps est d’un vert obscur avec
le dessous de la tête , le devant des hanches et des cuisses antérieures
et le dessous de l’anus d’un jaune-fauve vif. Les quatre ailes sont en
dessus d’un vert obscur tirant au noirâtre vers l’extrémité avec le
bord inférieur des secondes un peu prolongé en un lobe arrondi et
d’un beau jaune-orangé ou fauve. Le dessous des quatre ailes est d’un
vert-doré assez vif avec les nervures noires. Les inférieures ont en
arrière une large tache d’un beau jaune-fauve , partant de l’angle anal
et se terminant carrément au milieu de leur bord inférieur, avec une
grande tache noire vis à vis le lobe ou fausse queue , et quatre ou
six gros points nou s réunis entre cette tache et la terminaison du fauve.
Les tarses sont de la couleur du corps : les antérieurs sont d’un
jaune pâle en avant. Les antennes sont noires.
Hab. les Neelgheries.
Nous avons donné à cette espèce le nom de M. Benjamin Delessert,
protecteur éclairé des sciences et dont le nom est vénéré des natu-
ralistes.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
80
SPHINX VIGILANT.
S/y/tinx (Deielphila) vigil. Guérin.
(PI. 23 , fig. 1).
Capite thoraceque fusco-virescentibus, linea laterali albo-grisea. Alis fus-
cis , anticis puncto medio atro , margine posteriori et exteriori latè gri-
seis , fusco maculatis et slrigosis. Abdomine griseo supra obscuriori,
utrinque maculis quatuor fuscis postice albo-punctatis . — Enverg.
9 cent., long. corp. 4 cent.
Il ressemble beaucoup mSpiiinx velox de Eabricius (Ent. syst. 3,
p. 378); mais la description de celui-ci ne convenant pas en tout
point à notre espèce, nous nous sommes décidé à la donner ici.
Le dessus de la tête est d’un brun assez foncé , faiblement verdâtre ,
avec les côtés d’un gris cendré. Le corselet est de la couleur de la tête ;
il offre de chaque côté , avant les ailes , une large bande grise qui se
continue avec celle de la tête , se bifurque un peu avant l’insertion des
premières ailes, pour suivre l’insertion de celles-ci et des secondes , et
envoyer une bande oblique sur le dos , laquelle se confond en arrière
avec une large ligne médiane grise partant de la partie postérieure de la
tête. La ligne grise qui longe l’insertion des ailés devient d’un blanc
vif en arrière. Les ailes supérieures sont divisées en deux parties lon-
gitudinales de couleurs différentes, brunes et cendrées, égales ; l’anté-
rieure , celle de la côte , est d’un brun varié de noirâtre avec quel-
ques raies longitudinales noires, une nervure grise vers l’extrémité et
un petit point noir au milieu. Cette partie brune n’atteint pas l’ex-
trémité de l’aile , et elle est limitée inférieurement par une ligne si- '
nueuse noire. La partie postérieure et externe de ces ailes est d’un
gris-cendré un peu roussâtre , commençant au bord inférieur , près
de la base , et se terminant au sommet. On voit dans cette partie
une ligne brune assez large , partant de l’angle apical et dirigée
vers le milieu de l’aile ; une autre ligne sinueuse et parallèle au bord
externe, suit ce bord : il y a deux ou trois petites lignes onduleuses au
milieu, près de la limite de la partie brune, et parallèles au bord de
celle-ci , et quelques petits points bruns marqués sur les nervures plus
blanchâtres qui traversent la portion grise. On voit une assez grande
tache brune, au bord intérieur, près de l’angle interne, qui est assez
/. Sphinx »(//<’/, .
2 • TTa/ l S // 1 tr/<n/<isi//. t\ fiurt'-,
J.G.FrcJresdi’l.
D(Wt\t
m. sô.
Gynaatocera
/. G. JTiargina/asGuer. 2. G. mai'ultiria,
J- fc . Prêtre.' de l.
Gérard cotor,
J) avenue sc>
DANS L’INDE.
81
saillant; le bord externe est un peu arrondi et saillant au milieu, fai-
blement échancré en haut : ce qui produit une petite pointe à l’ex-
trémité : sa frange est alternativement jaunâtre et noire. Les ailes in-
férieures sont d’un brun obscur avec l’angle anal arrondi , plus pâle
et une ligne noire onduleuse, assez large et peu limitée , parallèle au
bord inférieur, fondue dans la couleur brune du fond, vers l’extrémité,
et terminée avant l’angle anal à une petite saillie du bord postérieur
de l’aile ; la frange est gris interrompu par du brun. Le dessus de
l’abdomen est d’un gris-brun piqueté de brun plus foncé au milieu,
gris plus pâle sur les côtés et à la base , et il a de chaque côté, à partir
du troisième segment, quatre taches noires peu limitées e marquées
d’atomes gris à leur partie inférieure. Le dessous des quatre ailes est
gris-cendré varié de ferrugineux et d’atomes noirs. Les supérieures
ont au milieu un grand espace brun uniforme, et près de l’extrémité
une large bande plus ferrugineuse marquée près du sommet de trois
faibles bandes noirâtres partant de la côte et peu allongées. Il y a de
plus, dans cette partie fauve, une ligne de cinq à six points noirs. Les
inférieures ont aussi deux bandes maculaires noirâtres, l’une au mi-
lieu, l’autre entre celle-ci et le bord externe. La frange des quatre
ailes est comme en dessus. Le dessous du corps est gris-roussâtre ,
et les côtés de l’abdomen sont marqués de six petits points noirs.
Les antennes et les pattes sont grises.
Hab. Pondichéri.
MACROGLOSSE HY LAS.
M acroglossum Hyias. Lin. (Var.)
Cette variété se distingue du type décrit par Linnæus , par la cou-
leur jaune du dessus de son abdomen. Nous avions d’abord pensé que
cette teinte était due à une décoloration ; mais dans ce cas le corselet
aurait aussi jauni , ce qui n’a pas eu lieu. Du reste nous décrivons ,
dans le texte de notre Iconographie du Règne animal , Lépidoptères,
une espèce (notre Macrogt. trochilus ) que feu Desjardins a obser-
vée vivante à l’île Maurice, et dont l’abdomen est toujours jaune ; ce
qui montre que cette couleur est bien naturelle chez certaines espèces.
Avant de décrire la variété découverte par M. Ad. Delessert , nous
croyons devoir transcrire la description originale que Linné a donnée de
2" PART. 11
82
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
son Sphinx hyias dans l’appendix de son Mantissa plantarum
( Regni animal. Insecta, p. 539).
Sphinx hyias. Alis fenestratis ; abdomine fascia purpnrescente. - —
liai), in China. D. Fabricius.
Corpus affine S. fuciformi.
Abdomen griseo-glaucescens , subtus nigruin albo variegatum.
Cingulum (segmenti quarti) purpureum.
Thorax griseo-glaucescens. Abdomen subtus albiduni.
Anus subtus barba atra.
Alœ totœ fenestratæ , margine nigro.
Comme on le voit, il y a dans Linné une faute d’impression dans
les endroits où il parle de l’abdomen de son sphinx ; mais les carac-
tères essentiels de l’espèce , la bande pourprée du milieu de l’abdo-
men et la barbe noire de l’anus , sont bien indiqués. Voici la description
de notre variété.
Alis hyalinis; anticarum costa apieeque lenuifuscis; capite thoraeeque
r iridibus; abdomine supra lutescenti, cingulo medio ferrugineo. Barbis
ani nigris. Thorace infra flavo-pallido ; abdomine infra nigro , ferru-
gineo alboque variegato.
Ses quatre ailes sont vitrées à nervures brunes. Les supérieures ont
la côte , le sommet , le bord externe et la base du bord interne noirâ-
tre saupoudré , à la côte et au bord interne , d’atomes jaunâtres. Les
ailes inférieures ont la base de la côte jusqu’au milieu , et tout le bord
interne jusqu’au pli marqué par une petite échancrure du bord infé-
rieur de l’aile , d’un brun grisâtre , surtout vers l’angle anal. Les ner-
vures des quatre ailes sont noirâtres. La tète et le corselet sont verts
et sans taches. L’abdomen est d’un jaune d’ocre avec le quatrième
segment d’un fauve velouté, depuis sa base jusqu’au milieu de sa lon-
gueur. Le dernier segment est bordé de poils noirs et terminé par
une brosse noire ayant une tache jaune au milieu et un petit point
blanc de chaque côté. Le dessus des palpes et de la tête est blanc. Le
dessous du thorax est jaune-pâle ; enfin le dessous de l’abdomen est
noir avec des taches fauves peu limitées de chaque côté des segments,
et trois rangs de taches blanches dont une médiane et deux latérales.
Les pattes sont d’un jaune pâle , et les tarses postérieurs noirâtres.
Long. 30, env. 57 mil]. — Habite les Neelgheries.
l’i. *4 .
Cvjiantoecra .
y G . i/’haùenarûr, ûuer.
3. G. dùlincta/, Cuer.
2. G. aj/hu'.r,
4- . per Unir,
Gérant' co/or.
D avortés «rr.
DANS L’IN Dlï.
83
OYNAUTOCÈRE BORDÉE.
Gynautocera marginata. Guérin.
(PL 25, fig. 1.)
Alis nigris , margine exteriori cijaneo micantibus. Subtus antici ma-
cula rotundata flava. Corpore nigro , subtus coccineo maculis nigris
lateralibus. Pedibus nigris , cxjaneo- micantibus. — Enverg. 7 centim.
8 millim.
Ailes oblongues , arrondies , d’un noir brunâtre dessus et dessous.
Bords des quatre ailes , en dessus , ornés de reflets d’un beau bleu-
vif visibles à certains jours, comme dans les Nymphaiis iris et
autres lépidoptères changeants ; dessous ayant les nervures et les
bords pourvus d’écailles d’un bleu verdâtre visibles également sous
certains angles , les supérieures ayant de plus , près de la côte et un
peu au delà du milieu , un assez grand point jaune. Corps noir en
dessus , rouge en dessous, avec des taches noires sur les côtés. Pattes
noires à reflets bleus.
Habite Pulo-Pinang sur la côte Malaye.
CYNAUTOCÈRE MACULAIRE.
Gynautocera macutaria. Guérin.
(PL 25, fig. 2.)
Alis oblongis, utrinque nigris , virescenti cyancoque micantibus; anti-
cis apice fasciis duabus macularibus albis supra et infra , posticis infrà
maculis albis submarginalibus. — Env. 6 cent. 4/2.
Ailes oblongues , entières , noires, à reflets bleus, violets et verdâ-
tres : les supérieures ayant de part et d’autre une large bande blanche
presque maculaire et transverse au delà du milieu , et près du bord
externe une ligne de taches oblongues et blanches se réunissant à
la bande précédente, à l’angle interne ; les inférieures sans taches en
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
S h
dessus, ayant en dessous une tache blanche au delà du milieu , près de
la côte, et une série de six ou sept taches arrondies et blanches près du
bord postérieur. Il y a des reflets bleu-vif derrière ces taches margina-
les; entre elles et la frange, qui est noire. Corps et antennes noirs à
reflets bleus et verts. Dessous de l’abdomen anneléde blanc.
Habite la côte Malave.
La P h. aleita de Cramer, pl. 396, fig. C. , que cet auteur dit venir
de Surinam, pourrait bien être une Gynautocera indienne très-voi-
sine de la précédente.
GYNAUTOCÈRE PIIALKNOIDE.
Gynautocera plialœharia. Guérin.
(Pl. 24, fig. 4.)
Alis utrinque albis basi flavis. Anticis apice late nigro, albo fasciato ;
linea costali maculisque tribus in medio nigro subeyaneis. Posticis
apice nigro -maculato. Vertice et collari sanguineis. Thorace nigro-viri-
dis, albo-lineato. Abdomine flavo. — Enverg., 5 4/2 cent.
Ailes d’un jaune pâle dessus et dessous , plus blanchâtre vers l’ex-
trémité ; les supérieures ayant une ligne à la base de la côte , trois
taches inégales au milieu , et l’extrémité noire , avec quelques taches
blanches près du sommet dans la partie noire ; les inférieures ayant
seulement le sommet taché de noir : dessous des supérieures ayant à
la base une grande tache noire à reflets bleus et verts , s’arrêtant au
milieu et n’arrivant qu’au milieu de la largeur de l’aile , avec l’extré-
mité noire, comme coupée par une bande dentée blanche ; les inférieures
d’un jaune plus vif à la base et au côté inférieur avec quelques tacbes
noires au sommet. Tête, en dessus, et prolhorax ou col en entier rou-
ges. Corselet noir à reflets bleus et verts avec les épaulettes bordées
de blanc. Abdomen jaunâtre , plus pâle en dessous. Antennes et pattes
noires ; celles-ci avec des écailles blanches.
Habite Java.
Cette espèce ressemble assez à la variété du Sphinx pectinicor-
nis. Lin., nommée Pliai, tiberina par Cramer et Hubner ; mais
ses ailes jaunes et la petitesse de leurs taches noires l’en distinguent.
Nous ne serions pas étonné cependant qu’elle n’en fût encore qu’une
variété.
DANS L’IN DK.
GY NAUTOCÈRE DISTINCTE .
Gynautocera distincta. Guérin.
(PL 24, fig. 3.)
Alis anticis utrinque griseo - flavescentibus , fascüs tribus macularibus
nigro cyaneis. Posticis albis , laie cyaneo-marginatis. Vertice flavo;
collari nigro griseoque variegato. Thorace griseo, linea media nigro.
Abdomine flavo , segmento primo albo , subtus nigro segmentis albo-
marginatis. — Env. 5 centim.
Cette espèce est bien distincte de la G. pectinicornis de Linné
par son col noir , le dessus seulement de sa tête d’un jaune orangé et
par la disposition des bandes maculaires de ses ailes supérieures qui
produisent sur leur milieu une bande arquée verticale et non oblique.
Ses premières ailes sont d’un gris-cendré un peu jaunâtre-sale ; elles
ont une ligne noire à la base , parallèle à la côte ; à leur premier tiers
on trouve une bande transversale arquée, formée de quatre taches
inégales d’un noir à reflets bleus , puis une autre bande parallèle à la
première , un peu au delà du milieu , formée de six ou sept taches
laissant entre elles et la première une large bande gris-pâle com-
mençant à la côte un peu avant le milieu , et se terminant au milieu
du bord postérieur. L’extrémité de ces ailes présente encore une
bande maculaire assez large , et entre celle-ci et celle du milieu il y a
plusieurs taches de la même couleur noir-bleu séparées par les ner-
vures et laissant entre elles quelques taches grises. Les ailes inférieures
sont blanches avec une large bordure d’un noir à reflets bleus très-
vifs, n’atteignant pas l’angle anal en dessus, y arrivant en dessous.
Le dessous des quatre ailes est semblable au dessus , mais les
reflets bleus sont plus vifs et la bande du milieu des supérieures est
blanche. La tête est jaune en dessus avec les antennes d’un noir bleu.
Le col ou prothorax est noir avec deux petites bandes transverses
d’un blanc jaunâtre au milieu. Le corselet est gris-jaunâtre avec une
large bande longitudinale d’un noir bleu au milieu. L’abdomen est en
dessus d’un jaune d’ocre assez vif, comme le dessus de la tête , avec
le premier segment blanc ; le dessous est noir avec une bordure blan-
che à chaque segment. Le dessous du thorax et des pattes sont d’un
noir-bleu taché de blanc. — Hab. la côte Malaye. — Décrit sur un
individu femelle un peu passé.
SOUVENIRS D’I \ VOYAGE
86
G Y l\; AU T OCÈUE SEMBLA B L E .
Gynautocera a (finis. Guérin.
(PI. 24, fig. 2.)
Mis anticis utrinque viridi-micantibus nigro-maculatis , fascia media
lata maculisque apicalibus albo flavidis. Alis posterioribus albo flavi-
dis , maculis apicalibus nigro-viridi-micantibus. Vertice et margine
anlico collari rubris. Thorace viridi-micante. Abdomine viridi-cœruleo ,
subtus albo , lateribus nigro punctato. — Env. 42 mill.
(jette jolie espèce est très - voisine de la G. pectinicornis
( Sphinx pectinicornis, Lin. ; Pliai, tiberina, Gram.). Mais tous
les auteurs s’accordent pour décrire et figurer cette dernière avec le
dessus de la tête et tout le col rouges ; tandis que la nôtre a bien la
tête rouge , mais son col est noir-vert avec un fin liséré rouge au
bord antérieur seulement. Les ailes anterieures de notre espèce
sont d’un joli vert - doré - brillant coupé un peu au delà du mi-
lieu par une large bande oblique d’un blanc-jaunâtre formant une
espèce de coude au milieu ; au côté interne de cette bande on voit,
dans le vert, quelques taches noires. Son côté externe ou l’extrémité
de l’aile est marqué de plusieurs taches et lignes noires et de deux
petites taches blanches près du sommet. Les ailes inférieures sont d’un
blanc lavé de jaune-pâle , elles ont au sommet deux ou trois taches
noires inégales à reflets bleus extérieurement. Le dessous des supérieu-
res est semblable au dessus , mais la bande du milieu est plus large et
les deux points blancs du sommet se réunissent et forment une seconde
bande assez large que coupent près du sommet quelques lignes bleues.
Les taches apicales des inférieures sont presque effacées. Les antennes
sont noires, la tête verte avec le vertex rouge. Le prothorax est d’un
vert noir avec le bord antérieur finement liséré de rouge. Le corselet
est d’un beau vert-doré brillant. Le dessus de l’abdomen est d’un vert-
bleu très -luisant, et son dessous blanc ponctué de noir sur les côtés.
Le dessous du thorax et les pattes sont blancs. — Hab. Pondichéri et
la côte Malaye.
Cette espèce est beaucoup plus petite que la vraie G. pectinicor-
nis de Linné figurée dans Edwards.
Pour bien faire apprécier les différences qu’il y a entre nos espèces
et le Sphinx pectinicornis de Linné, nous allons reproduire la
DANS L’INDE.
87
description qu’il en a donnée , et nous établirons sa synonymie. On
verra que Linné avait décrit cette espèce d’après la figure d’Edwards,
qu’il avait bien indiqué sa localité d’après ce même auteur, qui l’avait
reçue de Chine; tandis que Fabricius, dans tous ses ouvrages, s’obs-
tine à la donner comme d’Amérique, tout en copiant textuellement
la description de Linné : ce qui montre qu’il n’a jamais vu cet in-
secte. En rapportant à cette espèce la Phaiœna tiberina de Cra-
mer, que celui-ci indique aussi comme venant de la Chine , il aurait
cependant dû rectifier son erreur d’habitat.
Sphinx pectinicornis. Lin. Syst. nat. 2, 807, n° hk (1767),
Edw. av. p. 36, pi. 226. (1758).
S. Subfusca, atis violaceis : fasciis duabus aibis subinter-
rvptis, collari sanguineo. — Hab. in Asia.
Statura S. filipendulæ. Antenriæ pectinatæ, sed apice filiformes et
simplices.
Voici ce qu’on trouve dans Edwards : Glanures d’hist. nat. ois. ,
t. I, p. 36 , pl. 226. :
« Le petit papillon noir et blanc vient de la Chine , et fait partie de
ma petite collection. Le dessus des ailes est noir ou d’un brun très-
foncé ; elles sont barrées obliquement , d’un côté à l’autre , de barres
d’un blanc de crème : la tête , et le commencement du corps est d’un
très-beau rouge ; le reste du corps , et le corps inférieur ou la queue,
est d’un beau bleu , qui semble s’introduire un peu parmi le noir des
grandes ailes , aux endroits par où elles sont attachées au corps. Le
dessous de ce papillon est marqué de même que le dessus , excepté
que les couleurs sont moins vives. »
Comme on le voit, il n’est nullement question ici des ailes infé-
rieures ; cependant la figure nous montre qu’elles sont noir à reflets
bleus avec une grande tache blanche au milieu , partant de la côte et
atteignant à peine le milieu de l’aile.
Zygœna. pectinicornis. Fab. Syst. entomologiœ , p. 55A,
n° 18 (1775). Il cite Linné 2-807, et Edw. copie la phrase de Linné,
et donne pour habitatiou : in A merica.
Zygœna pectinicornis. Fab. Spec. Ins., 2, 16 A, n° 35 (1781).
Il copie encore la phrase de Linné, cite VEnt. syst., et cite en plus:
Phaiœna tiberina , Cram. Ins. , 3, t. xxxil, f. c. D. Il dit tou-
jours : « Hab. in America. «
Zygœna pectinicornis. Fab. Mantissa Ins.. 2, p. 105, n° A2
88 SOUVENIRS D’UN VOYAGE
(1787 . Il ne donne qu’une copie de la phrase, sans synonymie ni
habitation.
Zygcena pectinicornis. Lin. Ed. Ginclin , t. Y, p. 2397, n° ôû
(1789). Copie de la phrase de Linné. Citation de Fabr. : Species et
Mantissa.; de Cramer : ( P h. tiberina ); d’Edwards : Hab. in
America.
Zygcena pectinicornis. Fabr. Entom. systemat , 3, pars 1,
p. 399, n° kh (1793 . Il copie la phrase de Linné, et le cite. U cite
Pliai, tiberina , Cram. , Edw : Hab. in Americœmeridionaiis
insviis.
C/ialcosia tiberina. Hubn. Exotisch. Samel.
A notre avis , Fabricius a bien fait de rapporter la figure de la Pha-
lœna tiberina de Cramer au Sphinx pectinicornis de Linné;
mais il aurait dû dire que cette figure représente une variété de l’es-
pèce Linnéenne. Il en est de même des figures de Ilubner. On ne
pourra avoir de certitude sur l’identité de l’espèce de Linné et des
espèces de Cramer et Hubner, que lorsqu’on aura reçu un assez grand
nombre d’individus, pris en Chine et dans d’autres parties des Indes ,
afin d’avoir tous les passages entre la variété blanche figurée par Hub-
ner et le type noir de Linné.
Ce genre Gynaulocera, que nous avons fondé dans le Magasin
de Zoologie , 1831, cl. ix, pl. 12, sur une belle espèce semblable à
un P api Ho proprement dit , a les plus grandes affinités avec le genre
Procris ; c’est près de lui qu’il faudra le placer dans une classifica-
tion naturelle, avec les genres Chelura et Helerusia de M. Hope.
(Trans. Linn. Soc. Lond. , vol. xvm, p. hkk, pl. 31, f. h et 5.)
Nota. Nous venions de terminer cette notice, quand nous avons
vu, dans la collection de M. Marchai, amateur très-instruit qui nous
communique les richesses de sa belle collection avec la plus grande
obligeance , un individu provenant de la Chine et que l’on dirait être
le type de la figure d’Edwards. Il est entièrement noir avec- quelques
reflets verdâtres sur la base des ailes supérieures , sur leurs nervures ,
et vers l’angle anal des inférieures. Les premières ailes ont deux ban-
des obliques et maculaires d’un blanc jaunâtre : l’une au milieu , par-
tant de la côte un peu avant le milieu de sa longueur, et se terminant
un peu avant le bord inférieur , près de l’angle interne ; et l’autre ,
parallèle à la première , située près du sommet. Les ailes inférieures
ont le bord interne un peu blanchâtre à la base , et une tache de la
même couleur au bord antérieur, près de la côte, un peu au delà du
DANS L’INDE.
89
milieu. Cette tache atteint à peine le tiers de la largeur de l’aile. Les
antennes sont noires; la tête a des reflets verts avec le vertex rouge;
le prothorax ou le collier est entièrement rouge ; le corselet et l’ab-
domen sont noirs , à reflets verts et bleuâtres. Le dessous des quatre
ailes est semblable au dessus , mais d’un noir plus brunâtre , avec des
reflets d’un vert bleu. Les inférieures ont en plus , près de l’extrémité ,
deux taches jaunâtres formant le commencement d’une bande margi-
nale.
Nous donnons (pl. 1k, fig. k) une figure exacte de cet insecte, qui
est plus intéressant à nos yeux qu’une espèce nouvelle.
HAZIS MALAIS.
Iiazis malayanus. Guérin.
(Pl. 23)vfig. 2.)
Alis utrinque cinereo-griseis, subcyaneis , maculis nigro-cyaneis. Posticis
margine interiori macula bifida lutea. — Enverg., 8 1/2 cent.
Cette espèce ressemble tout à fait au Bombyx palmyra de Stoll
[Suppl, à Cramer, p. 159, pl. 36, f. 1), et nous étions tenté de ne
pas l’en distinguer; mais la grande et double tache jaune que l’on ob-
serve au bord interne de ses ailes inférieures n’étant ni mentionnée ni
figurée par Holl, observateur exact qui n’aurait pas manqué de signa-
ler ce caractère , nous avons cru devoir décrire ce papillon comme
espèce distincte. Ses quatre ailes sont d’un gris-cendré un peu bleuâ-
tre ; les supérieures ont la base de la côte jaunâtre et de grandes taches
d’un noir bleu, sinueuses, de forme carrée , formant trois bandes macu-
laires transverses arquées , très-anguleuses et irrégulières. Il y a , en
outre , au milieu et près de la côte , une grande tache ovalaire. Les in-
férieures ont au milieu une grande tache ronde , une autre plus petite,
à côté de celle-ci et près du bord interne , et deux bandes maculaires
parallèles au bord externe , dont l’extérieure assez régulière , l’interne
fortement sinueuse et anguleuse ; leur bord interne est occupé , depuis
le milieu de sa longueur jusque près de l’angle anal, par une grande
tache d’un beau jaune -doré coupé en deux par l’extrémité de la
bande noire interne. Les antennes sont d’un brun jaunâtre, bipecti-
nées, allongées; la tête elle corps sont également d’un brun jaunâ-
2e part. 12
90
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
tre avec le dessous et l’extrémité de l’abdomen d’un jaune doré ; le
dessous des ailes est semblable au dessus. — Hab. la côte Malaye.
EUCHELIA GRACIEUSE.
Euchelia gratiosa. Guérin.
PI. 26 , fig. A .
Alis anticis luteis, rubro maculatis; fascia lata fusca lineis rubris in-
terrupta. Alis posticis roseis, basi dilutioribus. Thorace rubro , maculis
{lavis et nigro punctatis. Abdomine roseo. — Env., 39 à 52 mill.
Gette jolie espèce a quelques affinités avec la Phaiœna syringa
de Cramer ; ses ailes supérieures sont d’un jaune pâle et couvertes de
grandes taches anguleuses rouges jusqu’au delà du milieu , ayant en-
suite une large bande noirâtre, qui n’atteint pas le bord de l’aile, cou-
pée par des lignes rouges qui s’élargissent en arrivant à la frange.
Les taches de la base, occupant plus d’espace que le jaune, laissent
entre elles un réseau de cette couleur formant des bandes longitudi-
nales coupées par des bandes transverses, et l’on voit dans chaque
point d’intersection du jaune, une petite tache noirâtre. Les ailes infé-
rieures sont d’un rose pâle, plus clair vers la base. Le dessous des
quatre ailes est d’un rose-pâle mêlé de nuances jaunâtre-fondu. On
voit près de l’extrémité des supérieures quelques traits longitudinaux
noirâtres. La tête , la base des antennes et le corselet sont rouges. Les
antennes sont jaunâtres avec le bout un peu brun. Le corselet offre
cinq taches jaune marqué au milieu d’un point noir. L’abdomen et
les pattes sont rouges ; celles-ci ont quelques petites taches noires.
Habite les monts Neelgheries. Trouvée en juin et juillet.
Tl. 26 ■
Eu.ch.cl.i4i ÿFütioj-tv, 2. Callimorplia j/w/a/a,
Al‘C lia JUon /ti/m , ffaer. 4- ÏVubolia a ïdicàTiay, G, ter.
/>■ / CCCll a ( faj-rtnra , o'un-.
J? rein', del ■
Gérard cofor.
DANS L’INDE.
91
CALLIMORPHE ? DE MARCIIAL.
CaUimorpha ? Marchalii. Guérin.
(PI 26, fig. 2.)
Alis anticis yriseo - cinereis , fasciis undato - fuscis punctoque medio
nigro; posticis flavis, apice macula minutissima fusca. Vertice, thorace
abdomineque flavis et nigro punctatis. Alis superioribus infra pallido-
fuscis, punctis duabus nigris; posticis flavis, puncto medio nigro. Abdo-
mine lateribus nigro-punctalo. — Enverg., 34 mill.
Cette jolie espèce, qui formera plus tard le type d’un nouveau
genre, ne peut être placée provisoirement que dans le genre Calli-
morphe ; car ses palpes assez allongés , à dernier article distinct , la
rapprochent de la Catl. liera. Sa tête est d’un blanc grisâtre avec le
vertex jaune marqué d’un point noir. Les antennes sont allongées,
sétiformes , brunes et garnies de deux rangs de cils pâles et peu visi-
bles. Les palpes sont relevés et débordent notablement le devant de la
tête, avec le dernier article plus mince, à écailles couchées, et comme
nu; les trois articles apparents sont presque égaux, blanchâtres, à
bout noir. Les ailes supérieures sont d’un gris-cendré pâle; elles ont
à la base deux ou trois bandes onduleuses brunes plus foncées à la
côte , où leur extrémité forme trois taches bien marquées : il y a en-
suite un espace gris-pâle occupant le tiers de la longueur de l’aile ,
marqué au milieu , du côté de la côte , d’un assez gros point noir.
Vient ensuite une bande très-anguleuse et brune, précédée en dedans
d’une petite tache noire en croissant, qui se trouve vis-à-vis l’angle le
plus sortant de la bande brune, le ferme en dedans et forme ainsi une
petite tache ovalaire grise. Le bord externe de l’aile est brun, et l’on voit
une bande de la même couleur entre ce bord et la bande précédente.
Les ailes inférieures sont d’un jaune d’ocre uniforme avec une petite
tache brune au sommet; Le corselet est jaune avec deux taches noires
sur le prothorax et quelques autres en arrière. L’abdomen est d’un
jaune d’ocre assez vif en dessus avec une ligne médiane de points
noirs; le dessous est d’un jaune plus pâle marqué de taches noires de
chaque côté. Les pattes sont brun taché de jaune-pâle. Le dessous
des ailes supérieures est d’un brun cendré avec deux gros points noirs
placés dans le sens de la longueur ; les inférieures sont jaunes avec
un gros point noir au milieu et assez près de la côte.
92
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Habite les monts Neelgheries. Prise en juillet.
Nous l’avons dédiée à M. Marchai, qui nous a communiqué géné-
reusement les espèces de sa collection.
ARCTIE MONTAGNARDE.
Arctia montana. Guérin.
(PI. 26, fig. 3.)
Alis anticis obscur o - f usais et nigro - subundatis . Posticis livido-flaves-
centibus, maculis quatuor nigris. Antennis pectinatis. Capite thoraceque
obscur o-fuscis. Abdomine supra rubro, in medio fusco lineato. Alis an-
ticissubtus pallido-rubris, margine obscurioribus maculis duabus nigris.
Posticis ut supra. Abdomine subtus fusco , punctis lateralibus nigris.
Pedibus fuscis, femoribus supra rubris. — Enverg., 41 mill.
Cette espèce a une physionomie tout à fait européenne , et se rap-
proche beaucoup de l 'Arctia fuliginosa. Ses antennes sont forte-
ment bipectinées, brunes. La tête et le corselet sont d’un brun noirâ-
tre ; celui-ci est très-velu, plus obscur. Les ailes supérieures sont d’un
brun noirâtre, un peu teinté de jaunâtre vers l’extrémité, avec quel-
ques taches ondées, très-peu visibles et d’un brun plus obscur. Les
inférieures sont d’un jaunâtre-sale livide , à frange brune avec une
tache noire au milieu , vers la côte , et trois autres taches semblables
placées près du bord externe , l’une , plus petite , près du sommet , et
les deux autres rapprochées entre elles et du côté de l’angle anal. Le
dessus de l’abdomen est d’un beau rouge avec une large bande lon-
gitudinale brune au milieu. Le dessous des ailes supérieures est rou-
geâtre avec les bords obscurs et deux taches noires , l’une au milieu
et près de la côte , l’autre près de l’extrémité. Le dessous des infé-
rieures est entièrement semblable au dessus. Le dessous du corps est
d’un brun grisâtre, et l’on voit un rang de points noirs de chaque côté
de l’abdomen. Les pattes sont velues , brunes , avec le dessus des
cuisses rouge.
Habite les monts Neelgheries. Trouvée en juillet.
DANS L’INDE.
93
ARCTIE INDIENNE.
Arctia indica. Guérin.
Alis omnibus, capite thoraceque albo-subflavescentibus. Alis anticis
punctis minutissirnis nigris , posticis maculis duabus , costali et anali ,
nigris. Anticis subtus macula media fasciaque subapicali , posticis
maculis tribus, fuscis. Abdomine supra flavo, subtus albo, punctis late-
ralibus nigris. Pedibus albo-fuscis, femoribus supra rufis. — Enverg.,
43 mill.
Cette Arctia , qui est une femelle à antennes filiformes , ressemble
encore beaucoup à nos espèces d’Europe. Ses quatre ailes, sa tête, son
corselet et le dessous de l’abdomen sont d’un blanc faiblement jau-
nâtre et uniforme. Le dessous des ailes supérieures présente quelques
petits points noirs peu visibles, et laisse voir par transparence la trace
de la bande noirâtre du dessous. Les petits points noirs sont ainsi pla-
cés : deux à la base, l’un à la côte, l’autre au bord inférieur; deux
autres au milieu du bord inférieur, trois au milieu, au commencement
de la trace de la bande du dessous ; un près de la côte , au milieu , et
quatre ou cinq très-petits près du bord externe. Les ailes inférieures
ont deux taches d’un noir brun, l’une un peu arquée, près de la côte,
au milieu ; l’autre, peu limitée, près de l’angle anal. Le dessus de
l’abdomen est d’un jaune d’ocre un peu orangé avec de faibles taches
noirâtres au milieu. Le dessous des ailes supérieures présente au mi-
lieu, près de la côte, une tache noirâtre arquée, et entre le milieu
et le bord externe une bande noirâtre maculaire , parallèle à ce bord ,
n’atteignant ni la côte, ni le bord inférieur, et suivie en haut par une
tache située près de la côte. Les inférieures ont les deux taches que
nous avons signalées au dessus, plus une troisième placée près de la
tache anale au-dessus et en dehors de celle-ci. Les côtés de l’abdomen
présentent un double rang de points noirs. Les pattes sont brunes , à
poils blancs, avec le dessus des cuisses rouge. Les antennes, les yeux
et l’extrémité des palpes sont noirs.
Habite les monts Neelgheries. Prise en juin.
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
94
BOMBYX FLAVICOLLE.
Bombyx flavicollis. Guérin.
(PI. 27, fig. I.)
Alis anticis fusco-sub-ferrugineis , striga transversali lutea fusco-margi-
nata , basi strigis undatis obsoletis maculisque submarginalibus brun-
neis et cinereis prope apicem. Alis posticis pallido-luteis, striga transver-
sali obsoleta maculis duabus fuscis. Capite thoraceque fusco-ferrugineis,
collari flavo. Abdomine pedibusque flavis. [Mas.) — Enverg., 52 mill.
Tête et corselet très-velus , d’un brun ferrugineux avec quelques
poils gris en avant et une large bande de poils jaunes au bord anté-
rieur du corselet. Antennes largement plumeuses, d’un brun ferrugi-
neux. Ailes supérieures de la couleur du corselet avec deux lignes
ondulées brunes et jaunâtres à la base , une autre ligne un peu dentée
au delà du milieu, jaunâtre, bordée de brun des deux côtés ; puis une
série de grosses taches brunes , plus marquées au sommet et près du
milieu , suivie d’une faible ligne de lunules peu marquées de la même
couleur. Il y a, en outre, près du sommet, trois taches d’un gris
cendré. Ailes inférieures d’un jaune pâle, presque blanches au mi-
lieu , avec une ligne brune transverse, continuant celle des ailes
supérieures un peu au delà du milieu , et deux taches peu marquées
et brunes entre cette ligne et la frange ; vers le milieu, franges des
quatre ailes d’un brun pâle. Abdomen jaune-brunâtre. Pattes très-ve-
lues, jaunes avec le devant des antérieures brun-ferrugineux. Dessous
des quatre ailes d’un jaune pâle avec la côte, le sommet des supé-
rieures et de faibles traces des lignes et taches du dessous d’un brun
plus pâle.
Habite les Neelgheries.
ru 37.
('■ ZW/rc t/c/.
Gérard co/or.
DANS L’INDE.
95
BOMBVX A COLLIER.
Bombyx collaris. Guérin.
(Pi. 27, fig. a.)
A lis anticis fusco griseoque variegatis, dilute flavescentibus ; striga trans-
versali ferruginea, fusco marginata , basi strigis obsoletissimis lunulis-
que submarginalibus , linea dentata formantibus , fuscis. Alis posticis
flavo-fuscis, margine interiori subferrugineis, striga transversali fusca.
Capite thoraceque ferrugineo- fuscis, collari pallido-flavo. Abdomine
flavo-sub fusco. Pedibus fusco- ferrugineis. [Mas.) — Enverg., 6 cent-
Tête et corselet très-velus, d’un brun ferrugineux assez vif avec
une bande en avant du prothorax d’un blanc jaunâtre. Antennes de la
couleur de la tête , très-plumeuses. Ailes supérieures d’un brun-fer-
rugineux mêlé de gris-cendré légèrement lavé de jaune au milieu
et au bord externe avec de très-faibles lignes onduleuses transverses
à la base; une ligne droite d’un jaune -ferrugineux bordé de brun
des deux côtés , au delà du milieu , et une ligne dentelée , brune , for-
mée par des lunules réunies et placée entre la première ligne et le
bord , cette ligne dentée précédée d’atomes gris-cendré plus visibles
et suivie d’un large bord jaunâtre. Ailes inférieures d’un jaune brunâ-
tre , plus pâle vers la côte , un peu ferrugineux à la base et au bord
interne, avec une bande brune suivie de jaunâtre plus pâle et se con-
tinuant avec celle des ailes supérieures. Frange des quatre ailes brune ;
abdomen jaune -sale brunâtre; pattes d’un brun -ferrugineux avec
quelques poils jaunes au devant des cuisses antérieures ; dessous des
quatre ailes d’un jaune-sale brunâtre, plus pâle au milieu, avec de
faibles traces des lignes du dessus.
Habite les Neelgheries.
Cette espèce est très-voisine de la précédente ; nous l’en croyons
cependant très-distincte.
96
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
BOMBYX ü’âDOLPHE.
Bombyx Adolphei. Guérin.
(PL 27, flg. 3.)
Corpore alisque fusco-f errugineis , costa apiceque anticis obscur ioribus ,
posticis pallidioribus. ( Fem .) — Enverg., 6 4/2 cent.
Ce Bombyx pourrait bien n’être que la femelle de l’une des espè-
ces précédentes ; mais comme aucune observation directe ne nous le
prouve , nous sommes obligé de le décrire séparément en attendant
qu’il soit mieux étudié.
Ses quatre ailes sont d’un brun-ferrugineux assez pâle , peu opa-
que ; mais les supérieures sont un peu plus foncées , surtout vers la
côte et le sommet. Celles-ci ont quelques faibles traces de lignes trans-
versales brunâtres et plus pâles ; mais elles sont à peine visibles , et
nous les avons un peu exagérées dans le dessin. Le dessous des qua-
tre ailes est d’un brun-ferrugineux -jaunâtre pâle avec la frange plus
obscure de part et d’autre , l’abdomen est de la couleur des ailes infé-
rieures avec les côtés un peu plus obscurs ; les pattes sont de la cou-
leur de l’abdomen. — Enverg. , 6 cent. 1/2. • — Hab. les Neelgheries.
ZÉRÈNE FASCIÉE.
Zerena fasciaria. Guérin.
(PL 26, fig. 5.)
A lis utrinque albo-sericeis ; anticis maculis costalibus, fascia apicali
margine exteriori punctisque fuscis. Posticis punctis et fascia transver-
sali fuscis. Subtus ut supra, sed costa anteriori flavida. Corpore flavo-
fusco-maculato. — Enverg., 53 mill.
Les antennes sont filiformes et noirâtres. Le devant de la tête et les
yeux sont noirs avec le vertex jaune. Le corselet et l’abdomen sont
jaune ponctué de noirâtre avec les segments abdominaux bordés
de cette couleur en dessus. Les ailes sont d’un beau blanc-soyeux et
un peu transparentes. Les supérieures ont la côte plus opaque , mar-
quée de quatre grandes taches et de quelques points d’un gris noirâ-
tre. Il y a une large bande oblique de la même couleur près de l’ex-
trémité, précédée et suivie de points noirs. Le bord externe est
DANS L’INDE.
97
également noirâtre et ponctué , et l’on voit quelques petits points près
du bord interne ou inférieur. Les ailes inférieures ont une bande
transversale irrégulière de taches et de points noirâtres partant du
bord interne au-dessous de l’angle anal , et se dirigeant vers l’angle
apical. On voit près du bord interne, et au milieu du bord postérieur,
d’autres taches et points de la même couleur. Le dessous est en tout
semblable au dessus; mais les taches sont un peu plus fortes, et le
bord antérieur des ailes supérieures est légèrement lavé de jaunâtre.
Les pattes sont brunes, et le dessous de l’abdomen jaune largement
taché de noirâtre.
Habite les monts Neelgheries. Trouvée en mai.
EUBOLIE INDIENNE.
Eubolia indicaria. Guérin.
(PL 2.6, fig. 4.)
A l is anlicis flavis , albo nigroque fasciatis; posticis griseis, margine luteo,
punctis nigro, fasciis punctisque obsoleto-fuscis. Corpore lutescente,
Antennis fusco-pectinatis . — Enverg., 13 miîl.
Cette jolie petite espèce a quelques rapports avec YEubolia mia-
ria de notre pays. Les antennes sont presque aussi longues que le
corps , fortement bipectinées ou presque plumeuses , brunes. Les pal-
pes sont jaunâtres , très -saillants au delà du chaperon et très-velus.
Tout le corps est d’un jaune un peu obscur , un peu plus pâle en des-
sous. Les ailes supérieures sont d’un beau jaune-doré un peu soyeux ;
elles ont chacune deux larges bandes obliques , dentées sur les bords ,
d’un jaune plus brun limité par des taches noires formant les dents
et bordées d’un fin liséré blanc de chaque côté. Entre la seconde bande
et le bord externe il y a une ligne de taches noir bordé de blanc
en dedans et la frange est jaune coupé de petites taches noires. Les
ailes inférieures sont d’un gris pâle et luisant avec la frange jaune
coupé par des points noirs. Elles sont couvertes de petits atomes
bruns et offrent deux faibles bandes peu marquées et de cette couleur.
Le dessous des supérieures est semblable au dessus avec le milieu lavé
de grisâtre et les bandes plus brunes. Le dessous des inférieures est
jaunâtre couvert, surtout vers l’extrémité , d’un grand nombre de pe-
2“ part. Î3
98
SOUVENIRS D’UN VOYAGE DANS L’INDE.
tites stries noirâtres avec une bande plus marquée formée par ces stries
plus rapprochées, et précédée d’un petit point noirâtre. Les pattes sont
jaune piqueté de brun.
Habite les monts Neelgheries. Prise en mai.
OBSERVATIONS
MÉTÉOROLOGIQUES.
ORSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES
SUIS LES NEE LG H Elu ES (1838).
Les Neelgheries forment une portion de la chaîne de montagnes qui
s’étend le long de la presqu’île des Indes, du côté du golfe d’Arabie ;
elles constituent un plateau compris entre les 11' et 12e degrés de la-
titude nord et les 76e et 77e degrés de longitude orientale (méridien
de Greenwich), c’est-à-dire 73°, AO' et 7A° AO' est du méridien de
Paris.
Les deux principaux points occupés par les Anglais dans cette par-
tie de l’Indoustan sont Ootacamund et Kotagherry, distants l’un de
l’autre de onze milles.
Ootacamund est élevé de 2255 mètres au-dessus du niveau de la
mer; Kotagherry l’est seulement de 1983m, 5, c’est-à-dire 271m, 5
au-dessous de la première ville. Le lieu le plus élevé des Neelgheries
est Dodabet, dont la hauteur égale 8760 pieds anglais ou 2670 mètres.
Pendant un séjour de six mois à Kotagherry, j’ai recherché avec
soin la température moyenne de ce lieu ; et je suis arrivé aux résultats
suivants : les températures étant indiquées en degrés centigrades ,
ainsi que dans tout ce qui va suivre.
TEMPÉRATURES OBSERVÉES A KOTAGHERRY.
7fc. a.m. iOh-a.m. 2h. p ni. 5h. p.n>.
Avril. ... 14°, 6 15°, 7 18°, 3 '17°, »
Mai. ... 13,5; 15,5 18 , 5 16,5
Juin. ... 13 , » 15,7 16,5 15 , «
Juillet. . . 13,2 14,8 16,6 15,4
Août. ... 12 , 8 15 , » 16,5 15,5
Septembre. 13,4 15,5 17 , » 15,5
17°, »
16 , 5
15, «
Moyennes. 13°, 4 15°, 2 17°, 2 15,8
Moyenne de six mois ; 15°, 4.
102
SOUVENIRS D’UN VOYAGE
Dans l’ouvrage qu’a écrit M. Baikie sur les Neelgheries, et imprimé
à Calcutta, on trouve que, pendant les mêmes mois, en 1833, la
moyenne a été de 17°, 5. Sous l’équateur, M. de Humboldt a trouvé
qu’à 2000 mètres de hauteur la moyenne était de 18° 4.
A Ootacamund, je n’ai pu faire d’observations que pendant le
mois d’octobre 1838; et j’ai obtenu les nombres suivants :
11", a. ni. 10h. a. ni. 2I>. |>. m.' 5h.p.m.
Octobre 1838: | 13°,» | 15°, 5 | 16°, 8 | 1o°, 5
Moyenne du mois : 15u, 1 .
Pendant les mois d’avril, mai, juin, juillet, août et septembre, la
moyenne des trois années 1831, 1832 et 1833 est, d’après M. Baikie,
à Ootacamund, de 15°, 3; tandis qu’à Kotagherry, dans les mêmes
mois, elle serait de 17°, 5, d’après les observations ci-dessus. La
moyenne de toute l’année à Ootacamund est de 1 4° A; à Kotag-
herry elle est de 16, 1. La différence de température moyenne pour
toute l’année est donc de 1°, 7; différence qu’il faut attribuer à la dif-
férence des hauteurs de ces deux lieux. Or Kotagherry est au-dessous
d’Ootacamund de 271 mètres , ce qui fait une élévation de 159 mè-
tres pour un abaissement de 1°.
A Pondichéri , dont la latitude est sensiblement la même qu’à Oot-
acamund et Kotagherry, mais qui est au niveau de la mer, la moyenne
est de 29°, 6; cette température étant de 14°, 3 au-dessous de celle
d’Ootacamund, (pii est élevée de 2255 mètres , il en résulterait un
abaissement de 1° pour une élévation de 157 mètres. On sait que
dans son voyage aérostatique M. Gay-Lussac a trouvé 174 mètres
d’élévation pour 1° d’abaissement. Dans les Alpes on trouve 140 à
150 mètres d’élévation pour chaque degré dont le thermomètre s’a-
baisse.
J’ai déjà dit ci-dessus qu’à Ootacamund, pendant avril, mai , juin,
juillet, août et septembre, la moyenne est de 15° 3. D’après M. Bai-
kie , pendant les six autres mois la moyenne est de 1 3°, 3. En avril
et mai , qui sont les mois les plus chauds de l’année , la température
varie de 15°, 5 à 19°; et en décembre, janvier et février, saison la
moins chaude, le thermomètre se maintient entre 11° et 13, 5 : d’où
l’on voit que sur le beau plateau des Neelgheries la plus grande va-
riation de température n’excède pas 8°. Aussi ce lieu est-il un des plus
DANS L’INDE.
103
sains et des plus délicieux que l’Européen puisse habiter , surtout dans
le voisinage des pays brûlants situés au pied de ces montagnes. Tous
les fruits et toutes les productions de l’Europe contribuent encore à
embellir ce séjour aux yeux des voyageurs qui viennent aux Indes.
...
ii
I
TABLE DES MATIÈRES
PREMIÈRE PARTIE.
Pages
De Paris à File de France et à l’Sle Bourbon I
De l’ile Bourbon à Pondichéri 24
De Pondichéri à Pulo-Pinang, Malacca, Singapoore, Batavia 52
De Batavia à Pondichéri. Voyage à Madras. Excursion à Pamendy et à Gyngy. 83
De Pondichéri à l'ile Bourbon 95
De Bourbon à Calcutta 100
Voyage aux Neelgheries 106
Voyage à, la côte du Malabar, et retour en France par l’Égypte 132
SECONDE PARTIE.
Introduction,
ANIMAUX VERTÉBRÉS.
MAMMIFÈRES.
Bibos frontalis
Canis primævus
Sciurus Delessertii
— Rafflesii
— aureiventer. . .
OISEAUX.
Chloropsis curvirostris
Muscicapa strigula
Cypselus nudipes
Francolinus Hardwickii. . . .
Turdus nigropileus
Pimalia subrufa
Crateropus Lafresnayi
— griseiceps
Muscicapa rufula
Pica bottanensis
Orthotomus flaviventris. . . .
2e PART.
Pages.
1
M
1
16
2
18
3 et 4
20
5
20
6
23
7
24
8
25
9
26
10
27
28
28
29
29
30
30
1 U
106
TABLf! DES MATIÈRES.
ANIMAUX ARTICULÉS.
COLÉOPTÈRES.
Cicindela auro-fasciata
Helluo tripustulatus
Orthogonius lateralis
Chlænius bilunatus
— Lafertei
Orectocheilus semivestitus
Campsosternus Latreiilii
— Delessertii
Parastasia obscura
Barymorpha ( genre)
— bimaculata
Popilia splendida
Goliathus Delessertii
Centrognatus subrugosus
Gnathocera olivacea
Macronata picta
Cetonia malayana
— Goryi
— rufo-vittata
Lucanus bicolor
Passalus Neelgheriensis
Mecocerus gibbosus
Episomus montanus
Barydius Neelgheriensis
Myllocerus Fabricii
— subfasciatus
Dorystenes montanus
Euchroa ( genre) .
— dimidiata
Pelargoderus tessellatus
Saperda quadrinotata
— multiguttata
Centrura (genre)
— costata
Crioceris cruciatus
Chlamys indica
Chrysomela rajah
Coccinella Delessertii
ORTHOPTÈRES.
Chæradodis truncata.
HÉMIPTÈRES.
Fulgora Delessertii
— subocellata
LÉPIDOPTÈRES.
Papilio Delessertii
— Neptunus
— Saturnus
— Brama
Danais Chloe
Pages.
PI.
Fiff.
33
34
»
»
35
».
»
36
»
»
36
»
»
37
»
»
37
»
»>
38
)»
39
11
1
40
»
»
41
11
2
42
12
1
42
12
2
44
11
3
45
»
„
45
»
»
46
»
»
46
»
47
»
»
48
12
3
49
»
»
51
»
52
»
»
52
»
»
53
»
»
54
,)
»
54
13
»
56
57
14
1
58
14
2
59
»
»
60
»
»
61
»
»
62
»
»
63
»
»
63
»
»
64
»
»
64
»
»
65
»
»
65
15
»
66
»
»
66
16
2
66
16
1
68
»
»
68
17
69
18
»
70
19
»
71
».
»
71
1 ».
»
TABLE DES MATIÈRES. \
Arginnis Emalea. . . .
Vanessia Eudoxia. . .
Satyrus Neelgheriensis.
— Adolphei. . .
— Chenu. . . .
Polyommatus Nyscus. .
Hesperia Benjaminii.
Sphinx vibili
Macroglossum hylas. . .
Gynautocera marginata.
— macularia.
— phalænaria.
— distinota. .
— admis . . .
Hazis Malayanus. . .
Euchelia gratiosa. . .
Callimorpha Marchalii. .
Arctia montana. . . .
— indica
Bombyx flavicollis. . .
— collaris. . . .
— Adolphei. . . .
Zerena fasciaria. . . .
Eubolia indacaria. . . .
l'aees.
iu:
72
»
73
20
74
21
76
»
77
21
78
22
79
22
80
23
81
»
83
25
83
25
84
24
83
24
86
24
89
23
90
26
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